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1785, 10, n. 40-44 (1, 8, 15, 22, 29 octobre)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
GONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces; la Noticedes Edits , Arrêts ; les Avia
particuliers, &c. &c.
SAMEDI I OCTOBRE 1785.
Rgo
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi,
TA BLE
Du mois de Septembre 1785 .
PIÈCES IÈCES FUGITIVES . Effais Hiftoriques fur les
Vers pour le Portrait de Mours des François ,
Louife- Elifabeth Vigée le L'Odylée d'Homère ,
Brun ,
33
$ 4
3 Bibliothèque Univerfelie des
Dames ,
Le moment critique, Conte , 4
Vaudeville ,
Vers fur la Mort de MM.
Pilâtre de Rofier &
main
Chanfon à Mine D......
Bouquet à Mme ***
Epitaphe ,
71
Le Jaloux fans Amour , Comédie,
77
Ro- Théâtre à l'ufage des Jeunes
49 Perfonnes , ISI
51 De l'Inftitution d'un Ordre
Civique, 97 131
98 De l'Enfeignement Public , 153
Education des Enfans de la Le Vice & la Foibleffe , 175
Campagne ,
Epigrame ,
145 Lettres fur l'Architecture , 179
150 Lettre au Rédacteur du Mer-
Charades , Enigmes & Logo- cure ,
gryphes , 7 , 52 , 99 , 151 , Variétés ,
NOUVELLES LITTER. Académie Françoise ,
Réponse à quelques propofi- SPECTACLES.
tions hafardées par M. Ga- Concert Spirituel ,
Sw
137
183
40
139
rat contre le Droit Romain, Annonces & Notices , 43 92 ,
140 , 186
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT ,
rue de la Harpe , près S. Côn
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I OCTOBRE 1785.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. DE L'AVERDY , Miniftre d'État¸
Ancien Contrôleur- Général des Finances ,
qui avoit eu quelques accès de fièvre.
Vous , que ma fortune intéreſſe ;
Vous , à qui tient mon coeur par des noeuds éternels ;
Voyez tout mon encens brûler fur les autels ,
Et du Dieu d'Épidaure & du Dieu du Permeffe.
Je les invoque feuls parmi les immortels.
Ah ! file voeu le plus fincère
Vainement à ces Dieux devoit ne point s'offrir,
Chacun m'accorderoit une grâce bien chère;
L'un , le fecret de vous guérir ,
Et l'autré, celui de vous plaire.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
A j
0904-
16345
Oct
,
1985
ANNEX A
4 MERCURE
ÉPITRE à Madame DE Z .......
DIS-MOI 18 - MOI quel eftton caractère ?
Il m'intéreffe infiniment ;
Es-tu trifte , gaie ou févère,
Et fais- tu garder un amant ?
Ou bien , coquette très-légère ,
Veux- tu , le front paré de fleurs ,
De la jeuneſſe téméraire
Accueillir les regards trompeurs ,
Et maîtreffe dans l'art de plaire ,
Faire un cercle d'adorateurs
· • • •
Écouter ces vieux jeunes gens ,
Toujours froids , fi complaifans ,
Qui veulent en vain fur leurs traces
Fixer les roles du printemps
Et
"
Deshonorent le fein des Grâces ?
Dans ce fiècle de
perroquets ,
Où chacun veut être à la mode ,
Sais-tu méprifer les caquets
Et le bavardage incommode
De ces petits - maîtres difcrets
Toujours entichés du vieux code ,
Et des leçons de Rabelais ?
DE FRANCE. S.
J'aime à croire que du bel - âge
Confervant la naïveté ,
Aux prodiges de la beauté
Tu réunis le coeur d'un fage.
Tu poſsèdes bien plus d'appas
Que Cypris , qui fut ton modèle;
Car tu rougis , jeune Ifabelle ,
Et Vénus ne rougiffoit pas.
Le peuple poli de la Grèce ,
Qui fit trois cent Divinités ,
S'il eût va tes attraits vantés ,
N'eût adoré qu'une Déeffe ;
Et fon culte fage , épuré ,
En ce moment feroit le nôtre ;
Le François aimable , éclairé ,
N'en eût jamais adopté d'autre.
Toujours fidèle à tes genoux ,
Je veux au moins donner l'exemple
A ces mortels vains & jaloux ,
Dont l'oeil furieux me contemple ,
Et qui , moins heureux & plus fous ,
N'auront jamais la clef du temple .
Ces Meffieurs , d'honneur , om grand tort ;
S'ils favoient ma délicateffe ,
Loin d'inventer quelque reffort
Pour faire échouer ma tendreſſe ,
Ils pourroient fervir ma maîtreffe ,
En nous mettant tous deux d'accord ;
A iij
MERCURE
Je pouffe fi loin le remord,
Que fijamais j'ai leur maîtreffe ,
Je leur promets , dans ma trifteffe ,
De pleurer même fur leur fort .
( Par M. le Chevalier du Puy- des - Iflets ,
Chevau- Léger. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LEE mot de la Charade eft Paffage ;
celui de l'Enigme eft France ; celui du
Logogryphe eft Corneille , où l'on trouve
Cornélie oreille , céleri , Reine , lion
Nil , or.
ر
MON
CHARADE.
ON premier au toucher cède trop aifément ;
Sous vos doigts mon ſecond ſe change en vêtement ,
Et mon tout , dans les airs agité par
Éole ,
Bat fans ceffe de l'aîle , & jamais ne s'envole..
ENIG
M E
Ic1 , fimple & peu façonné ,
Là , plus éléganiment tourné ,
1
DE 7 FRANCE.
Je ne dois rien à la Nature ,
Et c'est l'art feul qui m'a donné
Les traits qui forment ma figure .
12 .
Fait au grand air , & fort de ma ftru &ure ,
Quand mon teint , plus que bafanné ,
D'aucun fard n'eſt enluminé ,
Sans crainte de méfaventure
Ni pour lui ni pour ma frifure ,
Dehors on me voit en tout temps
Braver le hâle & la froidure ,
La grêle , la pluie & les vents .
Par un beau jour , à la fenêtre ,
La jenne Iris à merveille fe tient ;
Moi , j'y prends le temps comme il vient;
Une fois poſté là , vainement le falpêtre
Dans l'air éclate & gronde avec fracas ,
Je n'en bouge feulement pas.
A votre avis , où pourrois- je mieux être ?
(Par M. D.D. FY
LOGO GRYPH E.
Vous ,qui croyez encore à la Vertu fublime ș
Vous , pour qui ce grand mot a des charmes puiffans. IG T
Souffrez , qu'en vous montrant fon parfait fynonyme,
J'exerce votre esprit en parlant à vos feus .
Dix pieds compofent tout mon être ;
A iv
MERCURE
Je possède en Bretagne un Duché fort ancien
Nul ne fauroit me méconnoître ,
Sur mes pas en tous lieux j'ai fait naître le bien.
En décompofant mon effence ,
J'offre un titre cher à la France ;
Il peint l'efprit & la beauté
Sous les traits de la majeſté ;
Puis ce fleuve rapide où de Guiche à la nage
Signala le premier fon zèle & fon courage ,
Et mérita l'honneur de ceindre les lauriers
Dont Louis couronna tant d'illuftres Guerriers.
(François! quand un Bourbon vous conduit à la gloire,
Qu'il eft doux d'obtenir le prix de la victoire ! )
Je fuis cette beauté funefte au genre humain;
Un nom très- révéré dans la Penfylvanie ;
Le mortel refpectable à qui l'on doit la vie ;
Ce qu'un vrai Chevalier doit à fon Souverain ;
Par une autre métamorphofe
Je-fers la valeur du Héros ;
Ainfi , variant mes tableaux ,
Je deviens l'arine de la rofe
Un arbriffeau de Chine ; un terme de blafon ;
La Déeffe de la Mufique ;
Un Art qui dans toute ſaiſon
De la chafte Déeffe eft le plaifir unique ;
Le fluide qui règne au haut de l'horifon ;
De Cérès un préfent ruſtique ;
Le Royaume où régna Pyrrhus ;
DE FRANCE.
Un Pape ; deux faifons ; enfin le bord de l'onde ,
Et le feul bien qui manque aux Monarques du monde ;
Mais laiffant vingt mots fuperflus ,
Je nomme un Roi grand par ſes armes
Et par l'amour de fes Sujets.
Onom facré ! nom plein de charmes
Pour tous les coeurs vraiment François !
Tu fais encor couler nos larmes
Par le fouvenir des bienfaits !
Grand , illuftre à la Cour , uni , fimple au village ,
Sans être Souverain mes Sujets font nombreux ;
Et je règne en effet ; car mon vaſte héritage
Devient celui des malheureux ;
Ma main de leur chaumière écarte la misère ;
De Titus , d'Antonin , j'ai le faint caractère ,
Je fuis le favori de Minerve & Plutus ;
Mon nom éft riche en mots & mon coeur en vertus.
( Par M.le Vicomte de Tilly , Capitaine
au Régiment de Provence , ai - devant
Blaifois. )
*
10 MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES.
NOUVEAU Recueil de Gaité & de Philo
fophie , par un Gentilhomme retiré du
monde ; deux Parties. Quoniam quidem
multi conati funt ordinare narrationem
vifum eft mihi tibi fcribere optimè Theophile.
Cap. 4 , S. Luc. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Belin , Libraire , rue
S. Jacques , près S. Yves , & chez les
Marchands de Nouveautés .
BIENHEUREUSE foit à jamais , & devant
Dieu , s'écrie quelque part le Lord Shafts--
bury , T'âme de l'Écrivain honnête & charitable
, qui , le premier , a introduit l'ufage
des Recueils & des Mêlges de Littérature.
Quel fervice n'a- il pas rendu aux
Amateurs des Lettres ! Combien de gens
capables de penfer jufte & d'écrire avec
agrément , étoient rebutés par la gêne rigoureufe
de la méthode ! combien de perfonnes ,
avec un certain penchant pour la lecture &
pour l'étude , étoient dégoûtés des Livres par
la peine de fuivre avec attention une longue
chaîne d'idées & de raifonnemens. Jamais.
l'exclamation affectueufe du Lord moralifte
n'a pu être citée plus à propos qu'à l'occafion
du nouveau Recueil de Gaîté & de Philofophie
, & c'eft déjà en faire affez l'éloge .
L'Auteur ( M. le Comte de L. T..... , Mef
DE FRANCE.
·
· ·
tre de Camp , Lieutenant des Gardes de
S. A. S. Mgr. le Prince de Condé ›
de
plufieurs Academies ) , veut faire du bien
aux pauvres de fon hameau * , & donner
quelques lumières à l'inexpérience . L'épigraphe
latine , tirée de S. Luc , eft fans doute
relative à l'Épître Dedicatoire ; ce n'eft point
à un Grand , c'eſt à Étienne , ancien Domeltique
de l'Auteur , & payfan eftimable de
la Paroiffe d'A...... , en Bretagne , qu'elle
eft adreffee. En voici le début. « Je vous
fais préfent , mon cher Étienne , d'un
» petit Ouvrage en profe & en vers ; &
» comme vous ne favez ni lire ni écrire ,
j'espère que vous en ferez content , & c . ..
On voit que Auteur , dès les premières
lignes , laiffe échapper quelques étincelles de
fa gaîté philofophique.
"
"
"
Les divers opufcules qu'il a recueillis ont
été fucceffivement jetés fur le papier , fans.
deffein & fans prétention ; & c'eft là précisément
ce qui en fait le charme. On y remarque:
le ton d'un homme de qualité qui tit comme
Démocrite ; mais qui , comme Socrate , livre
au ridicule & à l'anathême des Nations , le
fanatifme & les erreurs politiques & fuper-
Aitieufes. D'ailleurs , ce Démocrite François
fait rendre juftice aux vertus royales qui nous
gouvernent , & aux qualités éminentes du
* Le produit de l'édition.eſt deſtiné à une famille
indigente , honorée de la bienveillance de l'Auteur..
AvJ
12 MERCURE
Prince auquel il eft particulièrement dévoué.
Dans la Lettre à Mme la Ducheffe de....
il efquiffe le tableau le plus agréable & le
plus comique de fon entrée dans le monde ;
il y faifit la magie du ftyle de S. Évremont ,
dans la converfation du Maréchal d'Hocquincourt
& du P. Cannaye . Quelquefois
il traite en riant des queftions intérellantes
avec autant de clarté que d'agrément , & les
décide , en paroiffant ne faire ufage que de
la balance du doute. Enfin ce Recueil fait
honneur à l'efprit , à l'imagination , à la
gaîté , & fur- tout au coeur de l'Écrivain. Il y
a même des morceaux de fentiment , & d'une
nature belle & fimple. Les Pourquoi , hiftoire
véritable , m'ont attendri jufqu'aux larmes.
Sans efprit de parti , M. le Comte de la
T..... réclame l'indulgente raifon comme
garant de la paix des fociétés. Ses erreurs fur
la musique & fur les Poëtes épiques font de
bonne- foi. Ses préventions à cet égard font
fi honnêtes & fi pardonnables ( puifqu'elles
font en faveur des talens patriotiques ) qu'on
eft tenté de lui donner raiſon , même quand
on penfe qu'il a tora. Il faut d'ailleurs obferver
qu'il étoit ami de Rameau & de Voltaire.
Quelques Lettres de ce grand Homme
ne font pas un des moindres agrémens de ce
Livre ; je me bornerai à en citer une.
Lettre à M. de Voltaire , à l'occafion du
Nouvel An.
Je ne vous écris plus fi fouvent , M.;
» mais je vous lis toujours ; j'ai quelqueDE
FRANCE. 13
» fois le plus grand befoin & le plus grand
defir de vous confulter. Cependant , cour
me je fuis dans l'habitude des facrifices ;
» je me prive de cette confolation , pour
n'être pas compté parmi les importuns
qui abufent indifcrètement de votre grande
politeffe .
3
33
»
» Je ne vous parlerai point de la nouvelle
année ; pourquoi fe féliciter fur les épo
ques de notre deftruction ? La fincère
» amitié ne fait pas faire de vains complimens
. Cette bêtife d'ufage ne fait que
rappeler le temps qui paffe , fans rien
» gagner fur le temps qui commence. Je
» ferai toujours , Monfieur , des voeux pour
» que le ciel prolonge votre vie : elle im
» porte à l'empire des talens & de la
" raifon.
33
33
" Mais je vous avouerai que je fuis juftement
indigné de la licence qu'on donne
à la calomnie , d'empoifonner impuné
» ment , & à la face des Nations , la plus
glorieufe vie qu'ait jamais ourdie la deftinée.
Pourquoi les Hommes célèbres ne
font- ils pas refpectés dans leur patrie
qu'ils honorent ?
"
33
"
و ر
·
» Quel mal avez- vous donc fait à ces genslà
, qui fe plaignent fi amèrement de vous ?
» Avez-vous été les chercher dans les re-
≫ paires de l'envie , dont ils font les démons ?
C'eft comme fi un homme de bonne compagnie
fortoit de fa voiture pour s'aller
» battre contre des poliffons fur la place
20
22
14
MERCURE
"
"
publique , cela n'eſt pas probable . L'envie
» & la faim les dévorent ; & ces hommes ,
auffi obfcurs que leurs protecteurs , font
hypocrites , ne doivent vous rendre
» que plus précieuſe la fincère admiration
des plus honnêtes gens du monde
qui n'ont aucun intérêt à vous nuire.
Oppofez à cela ; Monfieur , s'il eft
» poble , le fourite de la pitie. La perfe-
35
و د
cution eft un malheur prefque infépara-
» bie de la célébrité. Ecoutez fans impa-
» tience cette meute de roquets qui japille
fans ceffe au pié du trône de votre immortalité.
Il feroit plus grand de les confoler
& de les plaindre , que d'en ranimer
» les cris , en les menaçant du fouet de la
» correction ..
» -
Ils redoubleront peut être pour vous
un jour la vénération des fiècles à venir.
Zoïle n'a fait qu'étendre la gloire d'Ho-
» mère , Eurifthée celle d'Hercule , Mævius
celle de Virgile. Ces vils détracteurs de la
» vertu font morts dans la fange du mépris ,
» & les grands Hommes qu'ils ont outrages
font devenus des Dieux..
» Pardonnez , Monfieur , à la longueur de
» cette Lerie : Zelus domus tua comedit me.
» Il eft permis d'expofer fon indignation
contre les méchans. Les combattre n'eft
pas une preuve de méchanceté , les méprifer
eft le parti le plus fage ..
Je vous répét rai ce que vous écriviez
autrefois à une Dame de nos amies : Ies
» roues de la machine dumondefont engṛenées
DE 15
2
FRANCE.
» de manière à ne me plus laiffer l'efpérance
» de nous revoir jamais ; mais ma tendre
» vénération pour vous fera toujours dans
» mon coeur. »
Réponse de M. de Voltaire.
* Jeſuis aveugle & fourd ; ainfi , Monfieur,
» je ne vois & je n'entends plus ce qu'on
» peut dire & faire contre moi.
» Votre eftime me dedommage du tort.
» que me font mes ennemis. Ces Mellieurs
» m'ont pris , pour ainfi dire , au maillot ,
» & me pourſuivent jufqu'à l'agonie. Vous
» avez raiſon , Monfieur , de me donner
» des confeils fi honnêtes contre les pre-
"
"
miers mouvemens de la vengeance. On
» n'en eft pas toujours le maître. Mais plus
elle eft vivement fentie , moins elle eſt
durable ; tant le moral dépend du phyſique
de l'homme , prefque toujours borné
» dans fes vices comme dans les vertus, Je
ferois feulement fâché que F *** le fîr
» honneur de ma haine : je ne me fuis jamais.
oublié à ce point - là . Est ce qu'on ne peut
écrafer un infecte qui nous jette fon
venin , fans commet re le péché de la co-
» lère , fi naturel & fi condamnable ? Confervez
, Monfieur , cette aimable philofophie
qui fait plaindre les méchans fans.
» les hair , & qui vient fi poliment adoucir
les tourmens de ma caducité. Dans ma:
» folitude , fur les bords de mon tombeau
joppofe à mes perfécuteurs l'honneur de
1497
39.
»
19
16 MERCURE
"
» votre amitié . J'en mourrai plus tranquille.
L'Hermite de Ferney , 1768.
J'aurois voulu pouvoir encore tranferire
ici la Lettre à M. Duslos , où l'Auteur prend
la défenſe des talens de l'efprit contre les
derniers cris du préjugé barbare qui dévouoit
da nobleffe à l'ignorance. Ceux qui defirent
fincèrement le progrès des Lettres , aimeront
à répéter avec M. le Comte de la T.... ,
qu'ilfaut honorer les Auteurs , fi l'on veut en
avoir d'eftimables . Ceux qui favent combien
il eft difficile de s'approprier des pensées
communes , admireront l'énergie de cette
métaphore : fe vanter de fes aïeux , c'eft aller
chercher dans les racines les fruits que l'on
doit trouver fur les branches.
Il me refte à parler des poéfies qui font
partie de ces Mêlanges Littéraires. Elles refpirent
toutes la raifon d'un Philofophe &
l'efprit d'un homme du monde. On y diftingue
des Fables auffi morales qu'ingénieuſes.
Si la verfification eft foible quelquefois , la
diction est toujours pure , nette & fans
afféterie. Quelques - unes des pièces fagitives
ont été attribuées à Voltaire , entreautres
l'énigme fur la tête à Perruque . On la
relira avec plaifir.
A la Ville ainfi qu'en Province ,
Je fuis fur un bon pié , mais fur un corps fort mince,
Robufte cependant , & même faite au tour .
Mobile fans changer de place ,
Je fers en faifant volte-face ,
3
DE FRANCE 17
ļ
Et la Robe & l'Épée , & la Ville & la Cour.
Mon nom devient plus commun chaque jour.
Chaquejour il fe multiplie ,
En Sorbonne , à l'Académie ,
Dans le Confeil des Rois & dans le Parlement.
Par-tour ce qui s'y fait on le voit clairement.
Embarraffé de tant de rôles ,
Ami Lecteur , tu me cherches bien loin ;
Quand tu pourrois peut- être , avec un peu de foin ,
Me rencontrer fur tes épaules.
Je viens de parler des Fables ; & la marche
de mes idées ne m'a pas permis de les
caractérifer d'une manière un peu détaillée.
Je voudrois pourtant mettre les Lecteurs à
portée d'en juger eux -mêmes. Une citation
me difpenfera d'entrer à cet égard dans aucuns
détails.
Le Dindon.
Dans la baffe-cour d'un Seigneur
Un Dindon paffoit pour un aigle,
Chacun voulut ſe mettre en règle
En vantant l'oifeau radoteur ;
Car voilà le train de la vie:
Tout homme qui veut réuſſir
Doit encenfer le grand Vifir
Jufque dans fa ménagerie.
Le fort vint enfin dépouiller
Le Miniftre du ministère.
18 MERCURE
En le faifant porter en terre ,
Et l'oiſeau dans fon poulaillier.
Admirez la métamorphofe !
L'Aigle redevint un Dindon ;
Quand une bêre eft quelque chofe ,
C'eft à l'aide de fon
patron.
21
On voit , par ce léger échantillon , que la
manière d'écrire de l'Auteur , en vers & 'en
profe , n'eft pas moins folide qu'agréable.
04
SCIENCES ET ARTS.
EXPOSITION des Peintures , Sculptures &
Gravures de MM. de l'Académie Royale ,
dans le Sallon du Louvre , depuis le 25
Août jufqu'au dernier Septembre 1735 .
Tous les hommes , à quelques exceptions près ,
font juges compétens des Arts d'imitation . Avec des
yeux , des organes fains , & l'intelligence nécefétudier
& obferver la Nature , il eft certain
qu'on peut décider du plus ou moins de perfection
des objets qui cherchent à s'en rapprocher ,
dont elle eft la bâfe , le principe & le premier fondement.
On a dit cela cent fois ; il eft néanmoins
néceffaire de le redire encore , parce que les Artiftes
, échauffés par un fentiment d'amour- propre ,
né de la haine de la critique , cher.hent journellement
à combattre cette vérité , par tous les fophiffaire
pour
DE FRANCE. 19
mes que l'efprit peut leur fuggérer . Comment ,
difent-ils , prononcera- t'on fur nos talens fans connoître
à fond les règles & les dificultés de l'Art ? Cependant
, lorsqu'ils dédaignent d'un côté les obfervations
des Amateurs inftruits , on les voit de l'autre
briguer avec avidité les fuffrages de la multitude
& s'énorgueillir de les avoir obtenus . Il nous fem
ble que leurs difcours & leur conduite impliquent
contradiction . D'ailleurs , quel prix des gens éclairés
peuvent- ils attacher à l'opinion d'une foule ignorante
, que l'aſpect des chef d'oeuvres laiffe indifférente
& froide , & qui frémit de plaifir en confidérant
de miférables caricatures ? Cette année même ,
n'a - t'on pas vû la tourbe des Spectateurs jeter un
coup d'oeil hâtif fur les productions de nos bons
Peintres , enfuite fe preffer , fe culbuter autour de
quelques petits tableaux mal deffinés , mal peints ,
mal compofés ; & là , le cou tendu , l'oeil fixe , la
bouche béante, exprimer d'une manière très - bruyante
fon admiration ridicule ? Cette multitude qui , diton
, juge par fentiment , & dont on affecte de préférer
l'approbation à celle des gens du monde , n'eft
qu'un amas d'êtres qui , au malheur de ne devoir
aucunes lumières à l'édication , en joignent un plus
fâcheux encore ; celui d'avoir étouffé dans les habitudes
vicienfes d'une exiftence purement matérielle .
le germe des facultés intellectuelles que la Nature
accorde à tous les hommes. On vante pourtant l'inf
tinct de cette claffe abâtardie de la fociété ; pour→
quoi ? Parce qu'elle ne critique rien , qu'elle admire
tout ; & voilà le fecret de l'orgueil . Ceux qui font
dignes de s'honorer de la' noble qualité d'Artiftes ,
doivent dépouiller cet orgueil miférable ; ils doivent
encore le pénétrer d'une vérité conftante : qu'il
n'eft de fuffrage flatteur que de la part des perfonnes
qui favent, dans les productions des Arts , diftinguer
les défauts & les beautés , & que le fentiment
20 MERCURE
de celles- ci eft bien plus vif chez les efprits éclairés,
que chez les gens dont tout le jugement confifte en
un tact brut & groffier. Avant de terminer ce préambule
, il eft à propos d'obferver que fi avec du goût
& des yeux exercés , il eft paffible de bien juger de
l'enſemble d'un tableau , il faut néceflairement ,
pour raifonner fur les détails , une certaine étendue
de connoiffances ; car tout Art a fes myftères dans
lefquels tout le monde n'eſt pas initié. Auffi l'Auteur
de cet article a-t'il cru devoir invoquer les fecours
d'un homme de l'Art , qui , n'ayant pas de raifons
pour être injuſté , lui a parlé avec franchiſe & fans
acception de parti . L'inftant où l'on fe détermine à
publier ces obfervations , prouvera qu'on n'a point
eu l'ambition de fixer fur les Ouvrages de nos Peintres
& de nos Sculpteurs , l'opinion de ceux auxquels
il faut en donner une , & que c'eft plutôt comme
Hiftorien que comme Critique qu'on s'eft propofé.
de s'expliquer fur l'expofition de cette année. On
fuivra l'ordre des Numéros du Livret , afin de
n'avoir point à revenir plufieurs fois fur le même.
Artifte.
haup
No. 1er, M. VIEN. Retour de Priam avec le corps
d'Hector , tableau de 13 pieds de large fur 10 de
Maut, pour le Roi . Une belle ordonnance , un
deffin pur , un ton de couleur vrais telles font les
qualités qui frappent au premier afpect de ce tableau.
L'examen de fes détails ajoute encore à l'eftime
qu'il a infpirée d'abord. Le défefpoir morne de Caffandre
, qui s'eft précipitée fur une roue du char qui
porte le corps inanimé de fon frère Hector ; l'abandon
douloureux d'Hécube , la triftefle filencieufe
d'Andromaque , dont l'eil femble reprocher au ciel
la mort du Héros qui fut ſon époux : ces oppofitions
font bien fenties , elles annoncent un Peintre habile ,
à qui l'art des contraftes cft très - familier . Quant
aux perfonnages accefloires , nous aurions voulu y
DE FRANCE. 21
trouver un peu plus de ce trouble que produifit , dit
Homère , la vue des triftes dépouilles du défenfeur
de Troye. Il eft poffible d'unir la fageffe à la chaleur
, & c'eft avoc raifon qu'on a reproché à M.
Vien de manquer quelquefois de cette dernière qualité.
Nos. 2 & 3. M. di la Gréné¤ l'aîné. Mort de
lafemme de Darius , mêmes proportions que le précédent,
pour le Roi. Ubalde & le Chevalier Danois ,
de 4 pieds 4 pouces de large fur 3 pieds 2 pouces
de haut. La mort de la femme de Darius feroit beaucoup
d'honneur à M. de la Grénée fi elle ne rappeloit
pas , à quelques égards , une des meilleures compofitions
du célèbre le Brun . La figure d'Alexandre man
que de dignité , elle n'eft pas d'ailleurs d'un deffin'
correct. L'efclave qui , dans l'impétuofité de fa douleur
, s'eft jeté aux pieds du lit de la Reine , en étendant
les bras , donne l'idée d'une figure d'Académie.
Le groupe de Sifigambis produit de l'effet ; c'eft la
partie la plus louable du tableau : il eft bien deffiné ,
la couleur en eft bonne & ferme. Nous ferons ici
une obfervation qui nous paroît à fa place . En
traînés par une ambition mal entendue , & prefque
toujours funefte à ceux qu'elle féduit , les Artifles ne fe
contentent pas de traiter le genre auquel ils font appelés;
ils recherchent encore l'honneur très- équivoque
de paroître dans d'autres genres , étrangers à leur
habitude de faire comme à leur génie , & Is s'expo
fent ainfi ou à perdre leur réputation ou à n'en point
acquérir. M. de la Grénée , dont les talens ont brille
dans des compofitions d'un certain ordre , a quitté
les tableaux de chevalet pour les grands tableaux ,
& nous croyons qu'il a eu tort. Nous ne lui connoiffons
pas un deffin affez f.r , un pinceau affez vigoureux
, ni une compofition aff.z noble pour peu
voir efpérer qu'il obtienne jamais de fuccès complets
dans ce genre. L'Albane , à quf on l'a quelquefois
22 MERCURE
comparé , n'a guères fait que des tableaux médiocres
quand il a voulu embraffer les grands fujets
; & fes compofitions de genre lui ont mérité
une gloire immortelle . Chacun fon lot , a dit La
Fontaine. Le petit tableau d'Ubalde & du Chevalier
Danois , eft auffi parfait dans fon enſemble que celui
dont nous venons de parler eft eftimable dans quelques
parties. Il est bien defliné , bien compofé , bien
colorié. On lui a reproché d'être trifte ; ce reproche
n'eft ras fondé. Nous lui trouvons au contraire un
ton de couleur bien analogue au moment où l'auftère
Ubalde diffipe . par le fecours de la baguette
d'or que lui a confiée Méliffe , les enchantemens
qu'Armide a femés fur fon paffage . On retrouve avec
plaifir , dans ce tableau , M. de la Grénée tout entier.
N°. 4. M. AMÉDÉE VANLAO0 . La fille de
Jephté allant au- devant de fon père , 10 pieds de
haut fur 8 de large ; pour le Roi. La compofition
de ce tableau eft fage , mais froide ; Jephté , s'évanouiffant
à l'aspect de fa fille , ne nous paroît pas
un moyen heureux . Oter à ce père infortuné l'ufage
de fes fens au lieu de le pénétrer de toute l'horreur de
la fituation dans laquelle le place fon vou téméraire ,
ce n'eft pas traiter le fujet donné , c'est en efquiver les
difficultés. L'exécution eft foible , le ton de couleur
trop gai pour la fcène ; il y a d'ailleurs quelque harmonie
dans l'enſemble .
Nos .5 & 6. Feu M. L'ÉPICIE . Plufieurs petits
Tableaux de genre , des Fermes avec des animaux ,
&c. Ces compofitions pofthumes ont de l'efprit &
de l'effet ; elles renouvellent les regrets qu'a excités
la mort de ce Peintre eſtimable , dont la réputation
auroit été plus brillante s'il n'avoit pas eu , comme
tant d'autres , la manie de peindre l'Hiftoire , & de
traiter des fujets trop élevés pour fon pinceau . Il
paroît , par les derniers tableaux de cet Artifte , que
s'il eûttoujours travaillé dans ce genre, il auroit acquis
DE FRANCE. 23
Le
une réputation plus brillante que celle dont il a joui .
Nos, 7 & 8 M. BRENET. Piété & générofité des
Dames Romaines , de 10 pieds fur 8 ; pour le Roi.
S. Louis rendant la justice dans le bois de Vincennes
, pieds 4 pouces fur 3 pieds 8 pouces.
ftyle du premier de ces tableaux eſt très - lévère ; on
peut même dire qu'il l'eft trop . Dans une compofition
où l'amour patriotique joue un rôle principal ,
on auroit defiré plu d'enthouſiaſme . L'ail fe repofe
avec plaifir far l'enſemble , où l'on ne defire qu'un
ton de couleur plus prononcé , & plus de nobleffe
dans les caractères ; objet affez ordinairement négligé
par M. Brenet Quand on veut placer un fujet
vafte dans un cadre étroit , il faut , pour ainsi dire ,
agrandir l'espace par la majefté des figures & par
L'énergie des grouppes. Ces deux qualités manquent
au tableau de S. Louis , qui eft encore plus mou de
ton que le précédent. &
Nº. 9 au Nº . 17. M. DE LA GRÉNÉE le jeune ,
Moyfe fauvé des eaux par la fille de Pharaon , 19
pieds fur 8 ; pour le Roi. Renaud abandonnant Armide
, 2 pieds 1 pouce fur 3 pieds 8 pouces. Une
Frife , repréfentant Moyfe chaffant les Bergers de
Madian , s pieds de long fur 11 pieds de haut.
Plufieurs Tableaux & Deffins. Le tableau de Moyfe
eft mollement compofé. Toutes les figures y femblent
ifolées. La couleur en eft très- foible , pour ne
rien dire de plus . Il est étonnant qu'un Profeffeur
apporte une négligence auffi marquée dans des
compofitions importantes. Les petits tableaux de
M. de la Grénée le jeune font plus vrais ; mais le
deffin en eft incorrect , & rien n'y eft abfolument
déterminé. Ses deffins font plutôt apperçus
que prononcés. Au premier coup d'oeil fa Frife
produit de l'effet ; à l'examen elle perd confidérablement
nulle proportion dans les formes ,
un ſtyle abſolument découfu . La couleur nous en a
:
·
&
24
MERCURE
paru bonne , & propre au genre , parce qu'elle nous
rappelle les peintures antiques d'Herculanum .
No. 18. M. TARAVAL . Hercule enfant , étouffant
des ferpens dans fon berceau , 10 pieds quarrés ; pour
le Roi. Il faut que M. Taraval fe foit fait une fingulière
idée de la frayeur qu'infpira ce premier des
travaux d'Hercule à ceux qui en furent les témoins.
La manière dont il l'a exprimée donne à fes perfonnages
l'air , la phyfionomie & les mouvemens
convulfifs des gens que la terreur a rendus fous . On
dit qu'il y a dans ce tableau de la couleur & de l'harmonie
; à la bonne heure : mais pour s'en convaincre
, il faudroit fixer les regards avec un peu d'attentention
fur l'enſemble , & l'effet en eft fi repouffant
que cela n'eft pas poffible.
Nos. 19 & 20. M. MENAGEOT. Cléopâtre rendant
fon dernier hommage au tombeau d'Antoine ,
10 pouces quarrés , pour le Roi. Alcefte rendue à
fon mari par Hercule , 6 pieds 9 pouces de large ,
fur s pieds de haut. Le Tableau de Cléopâtre eft
digne de la réputation de fon Auteur ; la compofition
en eft grande & fage ; la phyfionomie de la
Reine d'Egypte offre un caractère de douleur con
venable à la fituation ; le grouppe des femmes qui la
foutiennent eft bien fenti. Le fond du Tableau nous
a femblé un peu rembruni ; l'Artiſte auroit pû éviter
ce reproche en ménageant les demi- teintes avec plus
d'art dans fon grouppe de lumières . Peut être auroit-il
du placer une jeune fille au lieu du Nègre qui porte la
draperie de la Reine , parce que le ton de cette
figure auroit donné un effet plus large à la lumière.
On a fait trop de reproches à fon Tableau
d'Hercule remenant Alcefte. On n'a point fenti
combien la compofition de ce fujet étoit difficile &
ingrate. Soyons juftes pour & contre M. Menageot.
Sa figure d'Hercule eft excellentes on dit qu'elle eft
trop jeune , on a tort . Hercule étoit en effet trèscune
DE FRANCE: 2f
jeune quand il reçut l'hofpitalité chez Admète.
Celle d'Admète nous paroît fautive ; elle ne rend pas
ce qu'elle devroit exprimer. A l'afpect de fa femme
Admète doit montrer un mouvement de furprife &
prefque d'effroi , bien étranger à l'empreffement qu'il
femble avoir. Quant à celle d'Alceſte qui vient de
quitter le féjour de la mort pour être rendue à la
vie , & à laquelle il eft défendu de parler avant la
troisième aurore , elle offre cet embarras timide ,
cette attitude contrainte , cette joie encore retenue
qu'exige la fituation. C'eft la difficulté vaincue de
la manière la plus favante. La couleur de ce Ta
bleau eft bonne & harmonieufe.
N°. 22 à 25. M. Suvée . Enée au milieu de la
ruine de Troye , &c. , 10 pieds de haut , fur de
large ; pour le Roi . Mort de Cléopâtre , 5 pieds
4 pouces de large , fur 4 pieds 4 pouces de haut.
Nativité , 9 pieds 10 pouces de haut , furs pieds
6 pouces de large . Une Veftale , &c. Le Tableau
d'Enée n'eft pas compofé : on ne fait fi M. Suvée a
voulu y facrifier le principal aux acceſſoires , ou les
acceffoires au principal. La figure de Créüle eft
maigre & fans effet ; celle d'Enée eft d'une très foible
expreffion. Anchiſe eft mal drapé , & la manière
dont il eft grouppé avec les perfonnages qui l'entourent
, nous a paru gauche ; l'embrâfement de
Troye ne fauroit être figuré par le petit foyer rouge
& mefquin qu'on apperçoit dans le fond . En général
, ce Tableau eft fort au-deffous du nom de fon
Auteur. La Mort de Cléopâtre ne nous a pas paru
mériter plus d'éloges. Le ton de la couleur eft trop
blanc , & les attitudes des figures font froides. La
Nativité eft une des plus belles productions du
pinceau de M. Suvée. La compofition en eft bien
entendue , l'ordonnance fage & noble , le deffin pur,
& la couleur fuave. La lumière y eft bien diftri
buée , le caractère des têtes véritablement bean :
N°. 40 , 1 Octobre 1785 .
26 MERCURE
enfin , ce Tableau , qui annonce un Peintre & an
Maître, prouve que fon Auteur fe montrera digne
des nombreux éloges qu'on lui a prodigués , toutes
les fois qu'il ne perdra point de vue tant la Nature ,
que les grands modèles dont l'étude a développé le
germe de fon talent , & pofé les fondemens de fa
réputation.
No. 26 à 29. M. VERNET. Une Marine avec
une Tempête, & Naufrage d'un Vaiffeau , 14 pieds
de long, fur 6 de haut , &c. M. Vernet continue
de fixer l'admiration par des compofitions favantes
dans un genre qui fembleroit ne pouvoir pas préfenter
une très -grande variété , files reffources du
génie de cet Artifte habile ne prouvoient pas , à
toutes les Expofitions , que cette variété eft poffible.
On ne fauroit être tour - à- tour plus fier , plus terrible
, plus doux & plus frais . Le pinceau de M. Vernet
ne vieillit point ; fa vigueur conftante eft un
phénomène dont les exemples font rares , & que les
Amateurs des Arts fouhaitent d'admirer encore longtemps.
N°. 30 à 33. M ROSLIN. Les Portraits de M.
le Comte d'Affry & de feu M. de Nicolaï ont le
mérite d'une parfaite reffemblance . Ils font d'ail
leurs exécutés avec précifion . Les étoffes qui forment
le vêtement de M. de Nicolai font d'un bel effet ;
nous defirerions pourtant moins d'oppofition entre la
couleur du fatin éclairé par les reflets de la lu
mière , & la nuance trop prononcée du manteau ',
qui eft d'un ton trop noir. Nous regrettons auffi
que le corps de M. le Comte d'Affry ait l'apparence
d'être furchargé des vêtemens qui le couvrent. Le
Tableau No. 32 qui représente une Dame debout
devant une glace , eft d'un effet plus féduifant que
vrai, La robe de fatin eft d'un fini précieux ; mais il y
a beaucoup à dire fur les perfonnages acceffoires. Pour
ne parler que d'un d'entre- eux: qu'est- ce que l'attitude
DE FRANCE, 27
d'un homme vêtu de velours bleu , affis & tenant à
fa main. un livre dont il n'a pas l'air de s'occuper?
Nous n'apprendrons fûrement pas à M. Roflin que
les couleurs doivent fe rompre s'identifier , pour
ainfi dire , avec l'ombre dont elles font frappées ;
mais nous pouvons nous étonner qu'il ait oublié ce
principe dans toutes les parties de ce Tableau. Le
ftyle en eft d'ailleurs très-découfu , & les figures en
font ifolées. Nous n'aimons pas , même dans les
compofitions d'une foible importance , à voir les
Artiſtes diftingués oublier le refpect qu'ils fe doivent,
& l'exemple dangereux qu'ils peuvent donner.
N° 34 à 42. M DE MACHI . Vue du Château
de Versailles prife de la cour des Suiffes du côté de
l'Orangerie : Vûe de la Place de Louis XV à l'inf
tant du départ de MM. Charles & Rabert , &c. On
pourroit comparer toutes ces Vues à des Portraits
d'une exacte reflemblance. On a long temps refufé
à M. de Machi le tribut d'éloges qu'on lui devoit;
on commence enfin à être jufte tout à fait , & à
convenir qu'il fait habilement employer les couleurs
, les fondre , les oppofer, & qu'il a l'art de
rendre intéreſſans des objets dont l'image , pour être
bien rendue , paroît n'exiger d'abord que de l'exactitude
dans le coup-d'oeil , & de la correction dans
le deffin . Tous les Tableaux compris fous les Nos.
que nous avons indiqués font éclairés avec intelligence
; ils ont de l'effet & de l'harmonie. Les Ou
vrages de M. de Machi deviendront un jour d'autant
plus précieux , qu'ils retraceront fidèlement les
plus beaux monumens , & les plus belles vûes de la
Caritale & de fes environs .
N° . 43 à 48. M. DUPLESSIS . Portraits. C'eft
avec regret , qu'à l'afpect du Portrait de M. Vien ,
nous nous sommes rappelés celui de M. Allegrin ,
par le même Auteur. Perfonne mieux que M. Dupleilis
ne peut juger de l'extrême différence de
Bij
28 MERCURE
ces tableaux. Il y a plus de vérité dans celui de
M. de Chabanon & dans celui de M. de Laffonne ;
mais ces trois Portraits & quelques autres ont le
défaut d'être gris , & de ne produire à l'oeil qu'un
effet monotone. La reffemblance eft quelque chofe ;
mais c'eft dansl'intérieur des familles que cette qualité
acquiert du prix : le connoiffeur ne vient guères
juger le Peintre de portraits ; c'est à l'Artiſte qu'il
veut parler.
No. 49 à 54. M. ROBERT . On a ſouvent reproché
à M. Robert de n'offrir aux Amateurs que des
efquiffes ou des tableaux efquiffés, "Cette année ,
on ne lui fera point ce reproche ; il a mis du
foin à fes compofitions , & elles ont toutes le
ton de couleur qui leur convient . Le tableau repréfentant
un incendie dans la ville de Rome ,
annonce le goût particulier de l'Auteur pour tout
ce qui est noble & beau : il a livré aux flammes
les monumens de la décadence de l'art ; il n'a
conservé que ceux qui atteftent le génie , & qui
rappellent ces temps heureux où l'Italie étoit , à
plus d'un titre , encore la Reine du monde ; malgré
cela , fon tableau ne produit pas tout l'effet que
M Robert cn pouvoit attendre , parce que les fujets
de ce genre peuvent rarement être agréables . Celui
qui repréfente les célèbres monumens antiques de la
-France, eft aufi bien compofé , que parfaitement co-
-lorié. Parmi les autres productions du même Auteur ,
-il faut diftinguer celle qui repréfente le portique
d'Octavie à Rome. Les maffes d'ombres y contraſtent
d'une manière favante , avec les effets habilement
ménagés de la lumière ; il y règne une
harmonie douce , vraie & digne des Maîtres les
plus renommés dans l'art de la perfpective.
P
On nous permettra fans doute de garder le
Glence fur les tableaux compris fous le N ° . 55.
No, 5 à 61, Mde VAULAYIR- COSTER . On
DE FRANCE.
29
remarque entre le règne végétal & le règne animal,
une diſtance , moins vafte peut- être que celle qui
exifte entre lesportraits de cette Artiſte & fes tableaux
de genre , en mettant à part néanmoins la vérité des
effets que la nature montre dans toutes les créa
tions , & que Madame Cofter ne fait pas fentir
dans toutes les fiennes. Ses portraits de Mademoifelle
de Coigny , de Monfeigneur l'Evêque de ....
de Madame de Saint- Huberty , fous l'habit de
Didon , & c. font , du plus au moins , deffinés
d'une manière très- incorrecte , & d'un ton de couleur
décidément condamnable ; mais les tableaux
de genre sont vrais , d'un ton naturel , & dignes
des plus grands éloges . Eh ! pourquoi ne pas vouloir
être foi ? Connois- toi toi- même ; perfonne ne le fouvient
- il donc de cet adage d'un ancien ?
N° . 62. M. CALLET. Achille traînant le corps
d'Hector devant les Murs de Troye , 10 pieds
quarrés pour le Roi. Si la chaleur confifte dans
Fexagération , il n'y pas de Peintre plus chaud que
M. Callet. Le caractère de la tête d'Achille n'annonce
pas un Héros irafcible , mais un brigand
forcené. Le corps d'Hector n'eft qu'un cadavre
déjà flétri , & tout le monde fait qu'un bienfait
particulier des Dieux , arracha les dépouillest
mortelles d'Hector aux ravages de la mort. La couleur
générale du tableau eft fombre , ou pour mieuxdire
, noire , & très- noire , & les loix de la perfpee-t
tive y font abfolument violées. Il eft fâcheux que
M. Callet fe foit éloigné de la couleur agréable de
fes premières productions. "
N. 63. M. BERTHELLEMY. Manlius Torqua
tus condamnant fon fils à la mort , 10 pieds furt
huir pieds ; pour le Roi. Un taire facile , une manière
large , quoiqu'un peu négligée , un ton fort:
harmonieux. La figure de Manlius préfente un'
double caractère parfaitement exprimé ; d'une part ,
Biij
30
MERCURE
elle annonce la fermeté patriotique du Conful , qui
parle au nom de la loi ; de l'autre , la tendreffe paternelle
qui frémit en envoyant à la mort un fils vicorieux
& chéri. L'attitude & la phyfionomie du
jeune homme nous paroiffent manquer du caractère
noble convenable à un Héros qui a vaincu pour
l'avantage de fon pays , & qui meurt avec courage
après avoir combatru avec gloire .
N ° . 64 à 66. M. VAN- SPAENDONCK. Tableau
de 4 pieds 3 pouces de haut fur 3 pieds de large;
pour le Roi repréfentant un piédeftal d'albâtre ,
enrichi de bas- reliefs , fur lequel eft pofée une corbeille
de fleurs , & à côté un vafe de bronze. Ce tableau
, parfaitement rendu dans toutes les parties
doit ajouter encore à la brillante réputation de M.
Van-Spaendonck.
Nos. 67 , 68 & 69. M. VINCENT. Arrie & Patus.
Deux tableaux , l'un de 3 pieds , 6 pouces de haut ,
fur 4 pieds 3 pouces de large , l'autre de 10 pieds fur
8 ; pour le Roi. Le premier eft plus habilement deffiné,
compofé & exécuté que le fecond , qui annonce
néanmoins une plus grande prétention . Dans celui - ci ,
Arrie préfente à Poetus le poignard avec lequel elle.
vient de fe frapper , d'une manière fi foible , qu'elle
ne rappelle point à la penſée la Romaine qui eut
affez de force pour dire à fon mari ce mot connu :
Poete , non dolet . La figure de Poetus eft gigantefque
& contorfionnée , fi l'on veut nous paffer
cette expreffion. Le fond de ce tableau eft fombre ;
les trois perfonnages debout , offrent à l'oeil un effet
d'autant plus fâcheux , que les bandes noires qu'on
remarque entre eux , interrompent la lumière fans la
répandie , & forment avec les figures un contrafte
dur & impoffible dans la nature . M. Vincent eft
néanmoins un Artifte habile ; auffi , dans le premier
plan fur lequel la lumière fe répand d'une manière
large , remarque-t -on un bon ton de couleur , un
DE FRANCE 3.1
faire très- eftimable , & qui le feroit même davantage
fi on n'y appercevoit pas un efprit de fyftême
bien condamnable. M. Vincent eft plus fait
qu'un autre pour fentir qu'il n'y a aucun mérite à
faire contrafter durement des maffes d'ombres avec
des maffes de lumières , & qu'il n'y a aucun art à
oppofer le blanc au noir. Son tableau du Préfident
Molé , & celui de la Pifcine annonçoient une bien
autre manière que celle qu'il paroît adopter depuis
quelque temps ; & nous l'invitons , pour l'intérêt de
fa réputation , à revenir fur les pas .
No. 75 à 79. M. Huɛ. On a toujours reproché
à ce Paysagiste un emploi trop crud des verds ; on
peut encore lui renouveler ce reproche. On peut .
auffi l'inviter à obferver plus rigoureufement les loix .
de la perspective ; & quand il aura daigné s'occuper ,
de faire difparoître ces défauts qui déparent pref
que toutes les compofitions , on examinera jufqu'à
quel point il eft naturel & vrai. Il paroît qu'en général
M. Hue voit trop rapidement ce qu'il veut
peindre , & que l'art d'indiquer les plans fur lefquels,
il travaille, ne lui eft pas très- familier. Nous defirerions
auffi que M. Hue voulût bien nous retracer
fidèlement les heures du jour , en banniffant de fa
compofition & de la touche la monotonic conftante
qu'on y remarque.
Nº . 80 à 84. M. SAUVAGE . Deux Bas-reliefs
imitant le bronze , &c . tableaux dont tout le mérite
eft de tromper l'oeil , & qui ne fercient pas capables
de faire la réputation d'un Artifte s'ils n'étoient,
pas aufli parfaitenient rendus.
No. 85 à 94. Mine LE BRUN. Mgr. le Dauphin,
& Madame , fille du Roi. Bacchante affife , vue juf
qu'aux genoux, Portraits de M. de Calonne , de Mme
la Comteffe de Ségur, de Mme la Baronne de Cruffol,
&c. Chacun de ces tableaux ou portraits a un caractere
différent , toujours habilement faifi , & ana-
Biv
32 MERCURE
logue à la phyfionomie des perfonnages. Aimable ,
vraie & naturelle dans la repetentation des auguftes
Enfans de notre Souverain ; gaie , décente
dans l'expreffion , dans les formes de la Bacchante
& favante dans la manière dont elle eft éclairée ;
fpirituelle , noble & tranquille dans le portrait da
Miniftre des Finances ; fière d'attitude & de caractère
dans celui de Mme de Cruffol ; douce , fuave
& piquante dans tous les autres portraits ; Mme le
Brun fait prendre également tous les tons. Son ftyle
lui appartient , elle le divife , elle l'élève ou l'affof-"
blit en proportion des convenances . Sa couleur eft
ferme , variée , locale ; mérite bien rare & trop peu
apprécié . Malgré les obfervations de quelques Cri-,
tiques , nous ofons avancer que cette Artiſte eft une
des plus habiles coloriſtes de notre fiècle
No. 95 à 102 Mme GUYARD . Si l'on ne confidère
que le tableau N° . 101 , répréfentant Mme
Guyard occupée à peinde , & accompagnée de deux
Elives , on ne pour a trop s'étonner des progrès
rapides qu'elle a faits depuis deux ans. Non-feuleent
cette production ne reffemble à aucune de
celles que Madame Guyard a expoféés précédemment
, mais elle eft encore fupérieure à
tout ce que cette Artifte a expofé cette année , '
notamment à fon mo.ceau de réception , dont
le deffin eft peu corre &t , & dont l'expreffion eft
foible , pour ne pas dire molle : nous voulons
parler di Portrait de M. Amédée Wanloo. Un
delfin facile & ferme , une grande connoiffance des
effets de la lumière , une compofition fage & noble ,
un ton de couleur vrai , une touche large & déterminée
; telles font les qualités qui frappent dans le
portrait de Mme Guyard , tableau que nos Peintres
les plus habiles s'enorgueilliroient d'avoir fait , &
qui ne pourroit qu'ajouter à la réputation d'un Artifte
confommé.
C
DE FRANCE 33
Nº . 103. M. DAVID . Serment des Horaces entre
les mains de leur père , 13 pieds de long fur 10 de
haut ; pour le Roi . La compofition de ce tableau eft
d'un gente neuf; elle annonce une imagination brillante
& courageufe. Peu de Peintres auroient ofé ,
placer les trois frères fur la même ligne , dans la
crainte de deveni: fecs & durs ; M. David l'a ofé
faire , & la manière dont il à vaincu cette difficulté ,
prouve un talent rare & fupér eur. Les caractères
des Horaces & leur action font fiers. On remar- ,
que dans la tête du père une férocité patriotique
qui rappelle la valeur meurtrière des premiers Ro-.
mains. M. David a fait ufage d'un coftume igou- ,
reuſement auftère , & il en a tiré le parti le .
plus avantageux . La correction du defin ; la vérité
des détails qui ' annoncent de grandes connoiffances
anatomiques ; le beau ton de couleur , intelligence
& l'heureufe diftribution de la lumière ;
l'ordonnance fimple , mais fublime , de ce tableau
nous le font confidérer comme la production la plus
diftinguée qu'ait produite depuis long- temps le pinceau
d'un François . Le grouppe des femmes , qui
forme oppofition avec celui des frères , nous a femblé
un peu foible d'expreflion , & nous aurions defiré
appercevoir dans le caractère des têtes quelque
chofe de plus prononcé , de plus Romain . Il n'eft
pas douteux que ce tableau , généralement & juftement
admiré , n'engage un grand nombre de nos
jeunes Peintres à prendre M. David pour modèle ; il
eft donc à propos d'obferver que la tévérité de ſtyle
& l'expreffion très forte qu'on y remarque ,
font des beautés locales , convenables au fujer , &
dont l'abus feroit extrêmement dangereux . Un Artifte
habile fe permet des hardieffes que les autres
doivent s'interdire , parce que le génie qui crée fent
fes forces, fes intentions , marche d'un pas ferme à fon
but , & que c'eft à lui feul qu'il appartient de frayer
·
Bv
34 MERCURE
& de fuivre des routes nouvelles . N°. 104. Bélifaire.
C'est le grand tableau du même Auteur rendu
en petit , & perfectionné dans fes détails . Nº . 105.
Portrait de M. P. de la plus grande vérité , & du
ton de couleur le plus heureux.
N. 106 à 109. M. RENAUD . Mort de Priam,
10 pieds quarrés ; pour le Roi. Plus de recherche
que de vérité dans les effets , un ton de couleur trèsmédiocre
, un ftyle découfu , & dans les têtes une
expreffion ou molle ou maniérée : voilà plus de vices
qu'il n'en faut pour faire condamner un tableau. Le
talent de M. Renaud a donné de fi belles espérances
, qu'on ne peut le voir fans chagrin négliger
fa réputation. Il y a de la grâce dans fon petit tableau
de Plyché , la couleur eft bonne , quoique foible , &
il y a de l'harmonie dans les effets.
No. 110 à 118. M. TAILLASSON. Philoctete à
qui Ulyffe & Neoptolème enlèvent les flèches d'Her
cule , 7 pieds de large , fur 9 pieds 4 pouces de
haut ; morceau de réception de l'Auteur. Ce tableau
a de la vigueur ; mais c'eft plutôt dans la couleur
que dans la compofition . Le corps de Philoctete reffemble
peut-être trop à une figure d'Académie ;
malgré cela , cette production eft très- eftimable &
prouve un beau talent. Parmi les autres tableaux du
même Auteur , on remarque une Ste Thérèfe , dont
le caractère de tête eft excellent , & dont le faire
eft large & moelleux .
No. 119 à 124. M. WERTMULLER. Les Portraits
de M. Bachelier & de M. Caffiéri ont de la reffemblance
& de l'effet. Celui de la Reine , fe promenant
avec Mgr. le Dauphin & Madame fille du Roi ,
eft d'une foibleffe que rien ne fauroit faire excufer.
N°. 125 à 133. M. CÉSAR WANLOO . Les tableaux
compris fous les trois premiers Numéros font
les morceaux de réception de l'Auteur . On ne peut
DE FRANCE;
35
qu'exhorter M. Wanloo à étudier la nature & fes
effets. Il y a du goût dans le choix de quelques- uns
de fes files ; mais en général il ne décide point affez
fes plans , & fon ton de couleur eft terne .
Nº . 134 à 137. M. LE BARBIER l'aîné. Jupiter
endormi fur le Mont- Ida , 8 pieds de haut , fur 7
pieds de large ; morceau de réception de l'Auteur.
La compofition de ce tableau eft molle , le Jupiter
n'a point de nobleffe , & Junon a plutôt l'air d'une
coquette qui fait une niche, que d'une Déeffe qui
médite un grand projet. Nous connoiffons fur ce
fujer un tableau de M. Julien , de Parme , qui eſt
très- fupérieur a celui de M. le Barbier. Les deffins
fous le N°. 137 font agréablement touchés.
Nos. 138 & 139. M. HALL. Le Roi de Suède ,
plufieurs Portraits & Têtes d'études . Le ta'ent de cet
Artifte pour la miniature eft connu ; les Portraits
qu'il a expofés cette année foutiendront l'idée qu'on
en a prife.
No. 140 à 147. On peut garder le filence fur tous
ces tableaux , efquiffes ou deffins.
Nº. 148 à 154. M. BARDIN. L'Extrême Onétion,
15 pieds 2 pouces de long , fur 6 pieds 8 pouces de
haut. Ce fujer a été traité par plufieurs Peintres cè
lèbres , notamment , comme on fait , par le Pouflin .
Le fouvenir du tableau de ce grand Maître place
M. Bardin à côté d'un rival dangereux . Il y a de la
fagefle dans la compofition de l'Artiſte moderne ;
mais beaucoup de foibleffe de ftyle , & un mauvais
ton de couleur. Les deffins de M. Bardin nous fem
blent préférables à fes tableaux.
Nos. 155 & 156. M. DÉBUCOURT. La feinte Ca
reffe , 15 pouces de large , fur 12 de haut. Čet Artiſte
a mérité des éloges ; mais s'il continue de fe livrer
à fa trop grande facilité , il eft à craindre qu'il n'en
obtienne pas de nouveaux.
Nº. 157 à 162. M. JULIEN . La Veftale Tulia
Brj
36
MERCURE
accufée d'incefte ; l'amour de la Gloire , &c.; des
Portraits , des Diffins . On cherche du ftyle dans
tous ces tableaux , on n'en trouve point. Un deffin
incorrect , une compofition négligée , un coloris
fans vigueur : voilà tout ce qu'on y remarque. Il
faut e'pérer que M. Julien , après avoir long- temps
ellayé toutes les manières , pourra enfin ſe décider
en choifir une.
·
No. 163 à 173. M. DE MARNE . Marches d'animaux;
Payfages ; Rendez- vous de chaffe , &c. Une
connoiffance
très étendue de la perfpective , de
Fintelligence
dans les plans & dans les effets de
lumière ; mais quelquefois un ton mou , & trop de
brillant dans la couleur : voilà les qualités & les défauts
de M. de Marne , auquel nous confeillons
d'être plus févère avec lui- même s'il veut confolider.
fa réputation.
1 No. 174 à 177. M. NIVARD . Vue du Château
de la Baronnie de Mello , & c. M. Nivard s'élève &
gagne à chaque expofition. Il ſe montre dans celleci
très- fupérieur à lui- même . Sa vûe de Mello eft
d'un bon effet ; la variété des objets y eft immenfe
& néanmoins rien n'y eft confus ; l'oeil jouit fans
fatigue de l'enfemble & des détails . On peut lui reprecher
pourtant in ton trop foutenu dans les verds .
N ° . 178 à 185. M. PEYRON , L'Héroifme de
Arour Conjugal , 10 pieds quarrés ; pour le Roi.
Ce tableau ajoute encore à l'idée avantageufe
qu'on a conçue du talent de M. Peyron . Il y a de la
fageffe , de l'intérêt dans la compofition . La figure
d'Alcefte eft touchante , & le grouppe placé près du
fit , eft d'une belle intention On eft fâ hé d'appercevoir
vers le milieu du tableau , & , en face du lit ,
une femme dont la figure embarraſſe l'enſemble &
nuir un peu à l'effet général. Nous aurions voulu
affi que le lit de la Reine fût vû en perspecve.
Le ton de couleur eft bon , & l'harmonie
DE FRANCE. 37
totale du tableau feroit plus fenfible , fi le
fond en étoit moins noir. Sacrate détachant Alcibiade
des charmes de la volupté , eft d'une intention
heureufe & d'un effet piquant : le caractère de la
tête de Socarre eft prononcé ; il contrafte bien
avec celui des autres figures . Les efquiffes & les
deffins du même Auteur méritent aufli des éloges .
On pourroit y remarquer un peu de négligence dans
l'exécution ; mais il ne faut pas juger à la rigueur
cette eſpèce de compofitions .
No. 186 à 192. M. VESTIER . Portraits & Miniatures
. Tous ces portraits font compofés avec facilité
, & le coloris en eft agréable . Le plus remarquable
eft celui de la fille de l'Auteur , faifant le
portrait de fon père. Il eft d'un bon effct '; les étoffes
ont de la vérité. On a trouvé plus de chaleur
dans la figure du portrait que dans celle du Peintre ,
& peut-être cette chaleur auroit- elle dû être donnée
à la figure qui doit avoir de la vie : c'eſt un défaut
de convenance , auquel on invite M. Veftier à faire
attention .
N°. 193 à 195. M. LE MONNIER, La Pefte de
Milan. , 15 pieds 3 pouces de haut , fur 9 pieds 3
pouces de large . On diftingue dans ce tableau une
belle intelligence dans les effets , une grande correction
de deffin , & une couleur affez boane , quoiqu'elle
pût être plus prononcée & plus riche dans
quelques parties. Le grouppe qui eft fur le devant
du tableau , n'eft pas neuf , & retrace trop l'intention
de plufieurs Maîtres célèbres. La tête du
Prélat paroît animée d'un zèle charitable , & le
caractère de fon expreffion eft bon . Les autres compofitions
de l'Auteur ne nous paroiffent pas mériter
à beaucoup près les mêmes éloges.
Nº. 196. M. HUET. Plufieurs Paysages. Beau
coup , mais beaucoup de réminifcences. L'étude
des Berghem & des Wauwermans doit être fort
28 MERCURE
utile aux payfagiftes ; mais il faut que cette étude
ferve à initier dans le fecret de la nature , & non
pas à faire faire des tableaux de réminiscence.
Nº. 197. M. DE WAILLY. Modèle d'un Escalier
à trois iampes ; Décoration de Théâtre , repréſentant
l'intérieur du temple de Jérufalem . Les compo<
fitions de ce genre ne peuvent guères être bien jugées
, que lorfqu'elles font exécutées dans les proportions
qu'elles doivent avoir. Les modèles en petit
égarent l'oeil , en rapprochant trop les détails de
l'enfemble . C'est une vérité dont plus d'un exemple
a donné la preuve.
SCULPTURES Nos , 198 bis & 199 bis. M. PAJOU.
Blaise Pascal , figure en maibre : Pfiché
abandonnée , modele en pláte , pour le Roi . Le
modele en plâtre de Pafcal , expofé il y a deux ans
avoit entraîné tous les fuffrages ; l'exécution en
marbre eft plus fatisfaifante encore . L'abandon
vrai , fouple , facile du corps , l'air contemplatif
de la figare prouvent un Maître auffi habile dans la
création , que dans l'exécution de fes ſujets. La figure
de Pfiché inſpire un très- vif intérêt ; fa douleur eft
touchante ; elle parle à l'ame. On a dit qu'elle rendoit
l'expreffion de la douleur phyfique , & ce reproche
nous paroît très - hafardé . La douleur phyfique ne
peut fe rendre que par des mouvemens convullifs , &
par une contraction grimacière dans les traits ; or la
Pfiché n'a point du tout ce caractère. On a obfervé
avec plus de jufteffe que les formes du corps
étoient trop prononcées ; il eft certain qu'elles le font
un peu trop , & que M. Pajou paroît y avoir ſuivi un
modèle trop fait. A l'exécution en marbre , ces défauts
pourront difparoître On invite l'Auteur à fe fouvenir
que la fcène le paffe en Grèce ; qu'une fille nubile dans
ces clinats , doit bien ne pas avoir , comme on l'a remarqué
, les proportions décidées d'une femme de
vingt- cinq ans , mais qu'elle ne doit pas non plus
DE FRANCE. 39
avoir celles d'une fille qui commence fon adolefcence
dans un climat tel que le nôtre. Le bufte du père de
Mme Guyard rappelle une tête antique de vicillard .
Celui de Mme le Brun eft parfait , la reffemblance
eft frappante , & la phyfionomie eft pleine de chaleur
, d'expreffion & d'amabilité .
Nº. 200 à 202. M. CAFFIERI . Bufte de Thomas
Corneille , marbre : Nicolas Boileau , modèle en terre
cuite. Plufieurs portraits. La tête de Boileau a du
caractère le bufte de T. Corneille eft une des meilleures
productions du cifeau de M. Caffieri .
Nº. 203 à 209. M. BRIDAN. Le Maréchal de
Vauban , figure en inarbre pour le Roi. Il ne fuffit
pas, dans les figures de ce genre , de s'en tenir à une
reffemblance exacte , & à une grande régularité de
costume ; il faut encore s'occuper de donner aux
Héros qu'on repréfente , le caractère diftinctif de
leur génie. On auroit voulu retrouver dans celle - ci ,
non-feulement un Maréchal de France doué de
beaucoup de valeur , mais encore l'homme favant
& profond dans l'attaque comme dans la défenſe des
places. Les petites figures de M, Bridan ont dư
charme , mais il y a dans toutes de la foibleffe , & de
l'incertitude dans le cifeau.
Nos . 210 & 211. M. GO1s . Mathieu Molé ,
modèle en plâtre pour le Roi. Portrait de M. de
Calonne , modèle . Le Portrait de M. de Calonne a
de la roideur ; il eft reffemblant , fi l'on veut , mais
le caractère en eft fec. L'Auteur a tiréun grand parti
du coftume volumineux & ingrat de Mathieu Molé ;
mais il a trop renversé la téte de ce Magiftrat , ce
qui lui donne un air de gêne & de contrainte trèsdéfagréable
.
No. 212 à 216. M. MOUCHY. Efquiffes. Il y a
de l'imagination dans la compofition de tous ces
morceaux; mais ils font trop efquiffés pour qu'on
puiffe en dire davantage.
}
40
MERCURE
No. 219 à 221. M. BERUER. Projet d'un Céno .
taphe en l'honneur des Officiers péris dans la guerre
de l'Amérique. Idée gigantefque d'une exécution:
prefque impoffible , & qui n'a d'autre mérite que
d'être fortie d'une tête patriotique . De la vérité dans
le Portrait de M. de Machi.
No. 222 à 224. M. JULIEN . Jean La Fontaine
, figure en marbre , pour le Roi. Chef- d'oeuvre
de cet Artifte , auffi bien compofé que bien exécuté;
remarquable par le caractère naïf & reflem->
blant du bon homme , autant que par l'efprit & la.
vérité des acceffoires. Ganimède verfant le nectar à
Jupiter changé en aigle. Ce morceau eft , dans fon
genre , auffi digne d'éloges que le précédent. Il fe
diftingue par la beauté des formes , par la jufteffedes
proportions & par le fini de l'exécution.
No. 225 à 231. M. HOUDON. Buftes en marbre.
M. le Noir , M. de Biré , M. de la Rive , plu-i
fieurs Buftes en plâtre . Tous ces morceaux font honneur
à M. Houdon ; ils lui en feroient davantage
fi la touche en étoit plus ferme , & fi on y apper
cevoir moins de gonflement dans les chairs.
No. 232 à 234. M. BOISOT . Le Roi , Bufte en
marbre. Racine , figure en plâtre qui doit être exécutée
en marbre pour le Roi. Un Mercure . Le
corps de Racine eft lourd & trop fort de propor
tions ; le caractère infpiré de la tête ne convient
point à l'Auteur de Phedre. Racine eft très - lyrique
dans Athalie à la vérité : c'eft peut - être ce qui a
engagé M. Boilot à donner à fa figure l'expreffion
qu'on lui reproche; mais le genre lyrique n'eft pas
celui qui a fait la réputation de ce Poëte ; il falloit
donc lui donner un caractère analogue à celui généralement
connu de fon génie.
Nos. 235 & 236. M. DE JOUx . Philopamen
buvant la ciguë. Figure en plâtre des pieds de proportion
. Cette ftatue eft d'un effet défagréable ; c'eſt
8
DE FRANCE. 41 .
le corps décharné d'un vieillard . Ce défaut pour-,
roit être excufé fi la tête avoit un grand caractères
málheureuſement elle n'en a point . Le Buſte de
Mme la Princeffe de Monaco eft reffemblant.
Nº. 237 à 242. M. MONOT . Abraham Duquesne..
Figure en plâtre qui doit être exécutée en marb
pour le Roi, Le caractère de tête annonce plutôt la
fureur que le courage ; les proportions en font inexactes
& lourdes. Cette Figure , avant d'être exécu-,
tée pour le Roi , demanderoit à être preſque entière- :
ment refondue . De la vérité , & un faire très decidé
dans les Buftes de cet Artiſte.
Nº. 243 à 245. M. STOUFF . Abel expirant fous
les coups de Cain , deux Têtes d'Etude , un Bélifaire
, &c. Le premier de ces morceaux eft d'un,
deffin pur , d'une compofition fage & vraie , il eft
d'ailleurs d'une exécution finie . Le petit grouppe
d'Hercule combattant les Centaures eft d'une compofition
pénible , nous dirions prefque tourmentée.
Nº. 246 à 248. M. Foucov. Un Fleuve ; .
Pujet , &c. Le Fleuve , Figure en marbre , eft d'une
belle proportion , & la compofition en eft bonne.
On y remarque de la fermeté dans le cifeau . Le
talent de cet Artifte s'annonce plus que jamais d'une
manière avantageufe.
Nº. 249. M. ROLLAND . Le grand Condé.
Figure en plâtre qui doit être exécutée en marbre,
pour le Roi . Ce modèle eft très- eftimable i eft
compofé avec chaleur ; le coftumne eft vrai & bien
rendu : nous defirerions feulement plus de nobleffe
dans le caractère de la tête , qui nous femble un peu
forcé. On pourroit defirer encore que le mouvement
du Prince indiquât plus pofitivement que c'eft dans
les retranchemens des ennemis qu'il veut lancer fon
bâton.
No. 250 à 253. M. MOITE. Deux Portraits ,
f'un en marbre , l'autre en plâtre , tous deux d'une
42 MERCUREexacte
reflemblance. Le premier , qui repréfente
M. l'Abbé Aubert , eft précieux par fon fini & par
le foin qui règne dans les détails . Le Combat d'Ulyffe
& d'Ajax , bas- relief , eft bien composé , bien fenti ,
& d'un bon effer. Or. ne peut que defirer de voir
cet Artifte s'occuper de quelque grand morceau.
Nos. 254 & 255. M. MILOT. Mort de Socrate ,
&c. Il y a de la facilité dans tous ces merceaux . Le
corps de Socrate mourant a d : la vérité & de la
fageffe.
Nº . 256 à 260. M. DE SEINE . De tous les morceaux
qua expotés cer Artifte , nous ne cirerons que
trois Têtes d'études faires à Rome. C'est la vérité
antique , le beau idéal des Grecs & des Romains
dans toute leur pureté. Quand après avoir obfervé
les grands modèles , on parvient à compofer anfi
fans être plagiaire , on doit acquérir un jour une
brillante réputation .
No. 261. M. DE LAISTRE . Philoctete dans l'Ifle
de Lemnos , figure en plate. Ce morceau , où l'on
remarque de la facilité , a l'air d'avoir été compofé
à la bâte. La compofitión en eft foible & molle. La
facilité eft un don précieux qui devient funefte à celuiqui
en abufe.
•
GRAVURES . Prefque toutes les Gravures qu'on a
expofées cette année ont paru depu s long temps ,
& on en a rendu compte dans ce Journal . Nous ne
nous arrê erons donc qu'à ce qui eſt abſolument neuf.
N°. 262 à 265. M. MULLER . Leuis XVI , d'après
M, Dupleflis. Deffin . De la vérité , de la reffemblance
& de l'effet. Il eſt deſtiné à être gravé , & laréputation
de M. Muller infpire l'impatience de le
voir exécuté.
Nº. 266 à 272. M. DUVIVIER. Médailles rela-:
tives à des événemens publics ; fupérieures à beaucoup
d'autres compoſitions du mênic Auteur & du
même genre.
DE FRANCE .
43
Nº. 273 à 277. M. MIGER . Des Portraits d'an
effet agréable & d'une parfaite reffemblance.
No. 278. M. STRANGE . Henriette de France ,
femme de Charles, Premier, &c.
N ° . 279 à 282 M. DE SAINT AUBIN . M. Necker,
M. de Fénelon , morceaux connus . Quelques autres
morceaux de peu d'importance.
Nos. 233 & 284. M. DE LAUNAY . La Confolation
de l'abfence , l'Enfant chéri , morceaux cornus.
Nº . 285 à 311. M. MOREAU le jeune. Deffins
pour les OEuvres de Voltaire , pour les Figures de
Hiftoire de France. Ces compofitions ont le ſtyle &
l'effet qui conviennent à l'ufage auquel on les deftine.
Plufieurs autres Portraits deffinés avec efprit , & trèsreffemblans.
I
Nº . 312 à 314. M. BERVICK. Le Repos , la
Demande acceptée , morceaux déjà conrus ; Portrait
de M. Sénac de Meilhan ; un burin ferme , quoique
doux , une grande vérité dans les effets. M. Bervick
nous paroît un des Artiftes les plus diftingués dans
le genre de la Gravure.
Tous les morceaux que M. MASSARD a expolés
depuis le N ° . 315 juſqu'au Nº. 321 , ont reçu le
tribut d'éloges qui leur étoit dû , à mesure qu'il les
a rendu publics.
N°. 322 au N ° . 324 & dernier . M. KLAUBER .
Portrait de M. Carle Wanloo , le Sauveur du Monde ,
le Petit Ecolier de Harlem. Ces gravures ſont trèsfoignées
mais le jeur n'y cft pas ménagé avec
affez d'intelligence , & il y a de la dureté dans les
tailles,
on
De toutes les obfervations qu'on vient de lire ,
peut conclure que dans cette Expofition , comme
dans les précédentes , il y a plus de chofes médiocres
que de bonnes chofes. Cela n'eft point étonnant.
Vingt années , pendant lefquelles on a facrifié au
mauvais goût , à un fyftême méprifable & erronné
44 MERCURE
ont extrêmement reculé l'Art de la Peinture em
France. Point de Deffin , une mauvaiſe ordonnance
, un coloris faux , mais très- brillant , & propre
à féduire l'oeil des ignorans : voilà tout ce qu'on
pouvoit remarquer dans les productions de nos
Peintres. Ce fait eft fi inconteftable que malgré la
prévention de leurs admirateurs & l'ignorance générale
, la Sculpture , dont la médiocrité étoit moins
apparente , avoit acquis dans la Capitale une répu
tation très fupérieure à celle de la Peinture ,
& plus brillante que méritée . Enfin , un nouveau
jour a éclairé les efprits . Les idoles que l'opinion
mal dirigée adoroit ont difparu , & leuis prôneurs
avec elles Un homme habile , courageux &
modefte , infenfible aux cris & aux injures des ufurpatcurs
des premières places , avoit confervé dans le
filence fes principes , fon talent , fes lumières ; il
les communiquoit à fes Elèves , il leur apprenoit
à être vrais , naturels ; à échauffer leur génie dans
l'étude de la Nature ; à perfectionner leur goût
dans celle des bons modèles , des modèles de tous
les âges , de tous les temps , de tous les lieux.
Cet homme , ( c'étoit & c'est encore M. Vien , ) a
reparu. A fa fuite on a vû marcher fes Éleves
les Vincent , les David , les Taillaffon , les Pey
ron , &c. , & la Peinture a pris une face nouvelle
, chaque jour elle s'eft embellie , agrandie ,
élevée : nos Artiftes ont ou commencent à fe
faire un ftyle : ils fe montrent dignes d'être les
Fondateurs d'une Ecole qu'on nommera l'Ecole
Françoife , qui fera citée , étudiée , admirée , &2,
tous ces avantages feront dûs à M. Vien. C'eft
avec un plaifir bien vrai que nous rendons cette
juftice au Peintre d'Hector. Puiffe notre hommage ,
quelque foible qu'il fot , le payer en partie des fervices
qu'il a rendus à la Peinture en France , & qu'ont
méconnus trop long- temps les Amateurs des Beaux-
Arts.
DE FRANCE.
45
ANNONCES ET NOTICES.
EUTRES de Plutarque , contenant les Vies des
mens donnés
Hommes illuftres & les Traités moraux & philofophiques
fuivant la traduction d'Amyot , dans lefquels
font renfermés les quatorze Volumes imprimés
par Vafcofan en 1567 & 1574 , les Supplé
par différens Auteurs , dont un Volume
connu fous le nom de Décade , ou Vies des dix
Empereurs , in- 8°. & in 4º. , dix - huit Volumes de
fix cent pages environ chacun , avec toutes les
Tables & Indices chronologiques ; des Sommaires
qui divifent les matières en autant de Chapitres ;
des Additions marginales dans les Cuvres morales
& dans les OEuvres mêlées , qui forment , pour
ainſi dire , un abrégé de l'Ouvrage , & use Table
très-détaillée de toutes les matières contenues dans
cet Ouvrage , enrichie d'un Vocabulaire pour l'intelligence
des vieux mots , avec les Portraits de
Plutarque & d'Amyot , & c . & c .
L'in - 8°. 18 Vol. papier double d'Angoulême ,
brochés en carton & étiquetés , dont il refte feulement
deux cent vingt Exemplaires. Prix , 135 liv.
L'in-8 °. 18 Vol. papier de Hollande , brochés en
carton & étiquetés , dont il refte feulement cinq
Exemplaires. Prix , 270 liv. L'in 4 ° . 18 Vol. papier
double d'Angoulême , brochés en carton & étiquetés
, dont il refte feulement foixante - quinze Exemplaires
. Prix , 270 liv. L'in-4°. 18 Vol . papier de
Hollande , brochés en carton & étiquetés , dont il
refte feulement fix Exemplaires. Prix , 40 liv.
L'in-4 ° . 18 Vol . papier vélin de la fabrique du
Leur Reveillon , brochés en carton & étiquetés ,
46 MERCURE
dont il refte fix Excmplaires feulement. Prix ,
648 livres. A Paris , chez J. François Baftien , Libraire
- Éditeur , rue Sainte Hyacinthe , Place Saint
Michel , nº. 3 , & chez tous les principaux Libraires
de l'Europe
›
Cette précieufe Collection renferme les Vies de
quatre- vingt- quatre Hommes illuftres & foixante
& dix- hair Traités moraux ou philofophiques , dont
le détail & les noms font à la tête du premier
Volume , où le trouve la diftribution générale de
l'Ouvrage. Cette Edition eft remarquable par la
beauté des caractères & du papier , par l'exactitude
& la diftribution des matières , dont le détail eft à
la tête du premier Volume , par le goût qui règne
dans l'impreffion , fuivant les fujets , enfin par tous
les Supplémens qu'on y a ajoutés.
Il n'a été tiré que huic cent trente- huit Exemplaires
fur tous les differens papiers de ce grand &
important Ouvrage , & il a été imprimé avec une
célérité qui n'eft pas ordinaire. C'est une Édition
abfolument finie , & dont la jouiffance ne peut plus
être différée pour les Curieux & les Amateurs de
l'ancienne Littérature. Les dix- feptième & dix huitième
Livraiſons , fin de l'Ouvrage , qui viennent
de paroître , contiennent le troifième & dernier
Volume du Supplément , où fe trouvent les Vies de
Trajanus , Adrianus , Antoninus Pius , Commodus ,
Pertinax , Julianus , Severus , Antoninus Banianus
, Heliogabalus , Alexander, Ce Volume étoit
connu fous le nom de Décade , ou Vies des dix
Empereurs , & la Table générale & détaillée de
J'Ouvrage , &c. , avec tous les cartons néceffaires
pour remettre aux Volumes précédens , ainfi qu'ils
avoient été promis.
Nota. Les Perfonnes qui voudront fe procurer
cette Édition , peuvent le faire commodément en-
Cole en prenant deux Volumes tous les mois , & en
DE FRANCE. 47
payant deux Volumes d'avance , qui leur feront
remis à la fin.
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in 8 °. & in 4 ° . , 3 Vol. papiers d'Angoulême &
de Hollande, De la Sageffe , par Charron ,
grand in- 8 ° . & in- 4 . , 1 Vol. papiers d'Angoulême
& de Hollande , avec la figure allégorique de
la Sageffe , &c. OEuvres de Meffire François
-Rabelais , grand in- 8° . & in-4°. , 2 Vol. papiers
d'Angoulême & de Hollande. Nous avons annoncé
dans le temps ces Editions à mesure qu'elles
ont paru , & nous leur avons donné les louanges
qu'elles méritoient & par leur exactitude & par
leur cxécution ; il ne nous refte qu'à inviter les Perfonnes
qui voudroient fe les procurer à le faire au
plus tôt , parce qu'il n'en refte qu'un très- petit nombre,
& que ces Editions méritent une place dans les
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$
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Epêtre à Mme de Z.......
Charade, Enigme & Logogry
phe ,
Nouveau Recueil de Gaîté & Annonces & Notices ,
31 de Philofophie,
Expofition des Peintures
Sculptures & Gravures dans
6 le Sallon du Louvre, 1-8
45
PAI In ·
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par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1 Octobre 1785. Je n'y
-ai zien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , le 30 Septembre 1785. R AULIN .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 OCTOBRE 1785.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE VIEILLARD AU PRINTEMPS ,
Élégie.
OPRINTEMPS ! faifon
trep
Saifon des fleurs & des plaifirs ,
Sur tes dons mon âme attendrie
Ne t'offre plus que des foupirs.
chérie,
QUAND tu fouffles par-tout la vie ,
J'admire ton euvre enchanteur ;
Pour mes regards quelle magie ,
Mais quel fouvenir pour mon coeur !
PERMETS , permets que j'en murmure ;
Depuis la fin de mes beaux jours
Vingt fois tu paras la Nature,
Et tu me délaiffas toujours.
N°. 41 , 8 Octobre 1785.
MERCURE
Que t'a fait l'homme , ce feul être
Que tu ne veux point rajeunir ,
Et qui , lorfque tout va renaître ,
Voit la vie & fe fent mourir ?
CES fleurs dont mes mains fatisfaites
Jadis entouroient mon chapeau,
Maintenant ne femblent plus faites
Que pour me cacher mon tombeau.
DANS le chagrin qui me dévore ,
Hélas ! dis-je pour l'adoucir ,
Heureux qu'on embelliffe encore
La terre qui doit me couvrir.
LI TIMPs , par fes métamorphoſes ,
Voudroit- il expier ſes torts ,
En ufant de chaînes de rofes
Pour nous entraîner vers les morts ?
PRINTEMPS fatal , ma voix amère
Réclame une de tes faveurs ;
Sitôt dans la froide terre
que
Je ferai , couvre- moi de fleurs.
A CETTE jeuneffe volage ,
Qui fera prompte à les cueillir ,
Je donnerai cet avis fage ,
Que fon aurere va finir ,
DE FRANCE.
O MON Printemps ! toi dont les charmes
Loin de moi caufent mes regrets ,
Ne viens plus , s'il faut que des larines
Suivent tes fragiles bienfaits.
(Par M. l'Abbé Quillon. )
ESSAI d'Infcription pour la nouvelle Halle
au Blé & la Fontaine qui y eft adoffée à
la colonne de Médicis.
QUA
”
UAS dedit alma Ceres , & tellus protulit uber,
Vindicat hic fibi plebs vitreo fub tegmine meſſes ;
Dùmque famem fatiant puro granaria farre ,
Nympha fiti dat aquas , divifque epulabere donis.
Sous ce toit tranfparent , Cérès offre à la faim
Le froment nourricier des champs qu'elle féconde;
A la foif une Nymphe y prodigue fon onde ;
Et contre un fort funefte au foible genre- humain ,
Deux Déeffes pour nous ouvrent ici la main.
སྙན་ཁྐྲན་ རྩེ (Par M. Bourdelois. )
COUPLETS à mon Père pour le jour
de Ja Fête.
D'UNE Fête qui m'eft fi chère,
Je dois célébrer le beau jour ;
Mais
pour te prouver mon amour ,
Faut- il des Chanfons , â mon père !
CA
52 MERCURE
Un hommage rempli d'appas ,
N'eft point celui que l'art procure :
Le plus beau couplet ne vaut pas,
Une larme de la Nature.
SOUVENT tel a l'âme infenfible
Qui fait nous plaire & nous charmer a
Mais a- t'il fu jamais aimer ?
Non, c'est pour lui chefe impoffible
Hélas ! des plus doux fentimens
L'attrait n'a rien qui l'intéreffe !
S'il faut à l'efprit des talens ,
Il faut au coeur de la tendreffe,
L'IMPRESSION eft bien légère
De ces mots brillaas , impofteurs a
C'eft s'arrêter fur quelques fleurs
Pour voir leur beauté paffagère 2
Mes hommages font plus conftans ;
C'est dans mes yeux , fur mon vifage,
Que tu liras ce que je fens ;
Et tu connois bien ce langage !
(Par M. Langeronfils. ),
LA ROSE, Fable
Des Rofes la plus belle
Venoit de s'entrouvrir,
DE FRANCE.
S3
Un Papillon paroît ; près d'elle
Veilloit l'Amour . Ah ! dit-il , infidèle ,
Par tes larcins vas-tu donc la flétrir?
Elle n'a pour partage
Que le règne d'un jour.
As-tu joui , tu portes ton hommage
A toutes les fleurs d'alentour.
Dans l'Olympe il s'élance:
O fouverain des Dieux !
Faut-il que la beauté , livrée à l'inconftance ,
S'éclipfe fous mes yeux ?
Mon fils , répond le maître du Tonnerre ,
Ainfi le veut le deſtin rigoureux.
Mais fi tout aujourd'hui de l'inſecte orgueilleux
Tu garantis cette Rofe fi chère ,
Jufques dans l'arrière-faiſon
Elle confervera fa fraîcheur printannière.
Point ne faut à l'Amour répérer fa leçon.
Il revole à l'inſtant fur le brillant parterre
Où fleurit l'objet de ſes voeux.
De fon bandeau que foudain il détache ,
Illui fait un abri fous lequel il la cache ,
Et la dérobe au moment dangereux.
JEUNES Beautés , la Rofe eft votre image.
Ouvrez-vous votre coeur aux difcours d'un volage
Il amule , il féduit ,
Il triomphe , & s'enfuit.
(Par M. H. D. P. )
C ii)
54
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Moulin ; celui
de l'Enigme eft Balcon ; celui du Logogryphe
eft Penthièvre , où l'on trouve Reine ,
Rhin , Eve , Pen , père , vie , épée , épine ,
piété , Euterpe , éther , épi , Epire , rive ,
vérité, Henri.
CHARADE.
MON premier , mon fecond font chantés par
mon tout.
ENIGM E.
JE ne fuis qu'un diminutif
D'un inftrument très- ordinaire ;
Cependant , quoique fi chétif, ·
On me fait plus qu'à lui d'honneur chez le vulgaire ,
Comme étant plus utile à tout le genre humain ;
Une Divinité me tient toujours en main,
Je lui fers d'attribut ; une jeuneffe agile
Me promène en chantant dans la plaine fertile s
DE FRANCE.
SS
Pour comble de toutes faveurs ,
Au retour , après les chaleurs ,
Les Belles , petites & grandes ,
Sur l'épaule , ou leurs bras , en forme de guirlandes ,
Me
portent en triomphe aux accens de leurs voix ,
Qui fe mêlent aux fons de différens hautbois.
( Par un Abonné. )
Qu
LOGO GRYPH E.
UAND il me plaît , d'un vol audacieux
Je traverſe les mers , m'élève jufqu'aux cieux ;
Un autre cependant partage ma puiſſance ,
Et nous allons tous deux d'intelligence ;
Je le foutiens , nous nous fervons d'appui,
Il a befoin de moi , je ne puis rien fans lui
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Difféque-moi , pour te défennuyer.
Quatre pieds compoſent mon être ;
Ore les deux premiers , retranche le dernier ,
Mon nom fera toujours femblable ;
En moi l'on trouve un mets d'un goût déſagréable ;
Un espace environné d'eau ;
Une femelle redoutable ;
Ce qui reſte au fond d'un tonneau;
Puis une note de muſique ;
Chez les Turcs un martyr ; un article ; un pronom ;
Civ
36 MERCURE
Et fi tu joins au tout une interjection ,
Je ceffe d'être énigmatique.
(Par M. Féron de Remmefnil. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ر
MORCEAUX choifis de Tacite , traduits en
François avec le Latin à côté , par
M. d'Alembert , &c. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des
Mathurins , hôtel de Cluni. 2 vol. in- 12 .
C'EST pour la première fois que ces Morscaux
choifis de Tacite , traduits par M.
d'Alembert , paroiffent à part , & ce n'eft
proprement ni une première Édition ni une
feconde ; cet effai de Traduction formoit le
Hoifième volume des Mélanges de Littérature
de M. d'Alembert ; il reparoît ici en
deux volumes , revu avec foin par l'Auteur ,
& augmenté d'un grand nombre de Morecaux
, tirés non feulement de Tacite , mais
de Velleius Paterculus , de Cicéron , d Adiffon
, du Chancelier Bacon. On trouve ici ,
du premier , les portraits de Tibère & de
Séjan , mis en oppofition avec ceux qu'en a
tracés Tacite ; du fecond , la pé oraifon de
Cicéron pour Milon ; du troifième , de trèsbelles
Scènes de fa Tragédie de Coton ; du
quatrième , des penfées fur differens fajets.
DE FRANCE. $7
M. d'Alembert , pour juftifier le parti
qu'il a pris de traduire ainfi Tacite & les
autres par morceaux détachés , traite de
contrainte ridicule l'ufage de traduire un
Auteur d'un bout à l'autre. « Ce n'eft pas ,
"
»
35
dit-il , pour nous faire connoître les dé-
» fauts des Anciens , qu'on les met en notre
langue , c'eft pour enrichir notre Littéra-
» ture de ce qu'ils ont fait d'excellent. Les
traduire par morceaux , ce n'eft pas les
mutiler , c'eft les peindre de profil &
» à leur avantage. Quel plaifir peut faire
» dans une Traduction de l'Énéïde , l'en-
» droit où les harpies enlèvent le dîner des
Troyens ; dans une Traduction de Cicéron
, les plaifanteries froides , & quelquefois
groffières , qui déparent fes haran-
" gues ; dans la Traduction d'un Hiftorien ,
» les endroits où fa narration n'offre rien
d'intéreffant , ni par les chofes , ni par le
style ? »
33
"
39
"
Il y auroit peut -être beaucoup de réponſes
à faire à cela ; & la première feroit que ,
pour bien faire un pareil choix , il faudroit
avoir tout le goût de M. d'Alembert , fans
quoi l'on rifqueroit ou d'admettre des morceaux
médiocres , ce qui ne rempliroit pas
l'objet , ou d'en exclure d'égaux , ou même
de fupérieurs en mérite à ceux qu'on auroit
admis . M. d'Alembert lui - même n'avoit
d'abord donné qu'un volume de ces morceaux
choifis , il a enfuite augmenté ce choix ,
& l'a pouffé prefque jufqu'à deux volumes ;
Ст
* MERCURE
il a donc jugé que fon premier choix ne rendoit
pas une juftice complette à Tacite ; actuellement
même il déclare qu'il ne prétend
pas avoir extrait , à beaucoup près , des Ouvrages
de Tacire tout ce qui eft digne d'être
remarqné. Pourquoi donc avoir privé le
Lecteur de ces autres morceaux dignes d'être
connus & goûtés ? Traduire par morceaux ,
( qu'on me paffe cette comparaifon en faveur
de la jufteffe ) c'eft donner des échantillons
, ce n'eft pas faire voir l'étoffe , ce
n'eft que montrer des détails ; & n'y a-t'il
pas toujours dans l'enſemble un mérite dont
on eft bien aile de juger ? Ces morceaux
même ſi bien choifis, ne perdent - ils pas néceffairement
quelque chofe à être vûs hors
de leur place , & privés des avantages de la
connexion ?
Tantum feries junturaque pollet !
Tantum de medio fumptis accedit honoris.
Ce n'eft pas , dit - on , mutiler un Auteur
que de le traduire par morceaux. Eh ! pardonnez-
moi , c'eft le mutiler , voilà le mor ;
c'eft réduire chaque membre à fon mérite
propre & individuel , en le dérachant du
corps auquel il appartient , en lui ôtant le
mérite qu'il tire de fes proportions & de
fes rapports avec les autres membres , de
fan ufage & de fes fonctions dans l'économie
générale .
Mais on ne traduit les anciens que pour
enrichir la Littérature , & on ne l'enrichit
DE FRANCE. 59
.
pas par des acquifitions médiocres ou mau
vaifes.
Cette propofition a l'air raiſonnable , &
peut cependant être conteftée . Eft - il bien
certain qu'en traduifant , foit les anciens ,
foit les étrangers , on n'ait abfolument d'autre
but que d'ajouter à la fomme des beautés
Littéraires ? Ne peut on pas avoir , n'a - t'on
pas fouvent celui de faire connoître les Auteurs
anciens ou étrangers , tels qu'ils font ,
avec les beautés & les défauts qu'ils tiennent
ou de leur génie particulier , ou de celui de
leur langue , ou du caractère national ? N'at'on
pas pour but de mettre ceux qui ne peuvent
les lire dans l'original , en état de les
juger, & d'adopter ou de rejeter les jugemens
qu'on en porte ? De plus , le goût général fe
forme , s'étend , fe perfectionne par la comparaifon
des goûts divers , anciens , modernes
, nationaux , étrangers. Il faut fans
doute choifir de bons modèles ; mais les défauts
même de ces bons modèles ne feront
pas fans quelque ufage. Combien de fois un
défaut , imité avec efprit & avec goût , n'at'il
pas fait éclore de grandes beautés ! Lorfque
Virgile tiroit des perles du fumier d'Ennius
, le fumier d'Ennius ne lui étoit pas
entièrement inutile. Ainfi , lorfque nous traduifons
, c'eft pour enrichir notre Littérature
, non - feulement des beautés qui font
dans les Auteurs étrangers, mais encore de
toutes les combinaifons heureufes qui peuvent
naître de leurs beautés & de leurs dé-
C vj
60 MERCURE
fauts comparés cnfenible , & comparés encore
a les beautes & les défauts de nos
bons vins , & des bons Écrivains de
toutes les Nations. C'eſt ainſi que le goût
s'épure à la fois & s'étend. Le goût des anciens
a tonné Racine ; Lucain & les Efpa
guols , Auteurs qui ne font affurément pas
fans défauts , avoient formé Corneille ; les
Anglois ont fos.ni à M. de Voltaire quelques
ha diefes heureuſes que fon goût a ſu
fare adoster à la timidité Françoile. La pureré
eft fas doute une qualité effentielle du
gout , mais l'étendue n'est pas moins néceffaire
; il faut favoir où on doit s'arrêter ;
mais il faut favoir aufſi juſqu'où on peut
aller , & cette fcience réfulte d'une multitude
de comparaiſons délicares , c'eſt la connoillance
du bien & du mal; & il manqueroit
peut-être au goût qui n'auroit vû que
de bonnes chofes , d'en avoir vû de mauvaifes
, & de favoir l'ufage qu'on en peut
faire.
S'il y avoit des Ouvrages qui puffent être
traduits par extraits , ce feroient des Ouvrages
de goût & d'agrément , où le mérite
de l'enſemble n'eft pas le principal , & où il
s'agit moins de montrer un beau tout que
d'affrir de beaux détails , de riches tableaux ,
& de donner des modèles d'éloquence oratoire
ou poétique ; mais les Ouvrages hiftoriques
ne peuvent , fans inconvéniens , être
ainfi morcelés ; chaque morceau y tient trop
à ceux qui précèdent & à ceux qui fuivent.
DE FRANCE. Br
D'ailleurs , M. d'Alembert ne propofe pas
feulement de faire de ces retranchemens , de
ces coupures , qui ne font difparoître que des
longueurs & des inutilités , & qui laiffent
fubfifter le tiffu de l'Ouvrage; il popote de
traduire par fujets & par tableaux detachés
qui n'ont aucune liaifon entre - eux , & c'eſt
ainfi qu'il en a ufe à l'égard de Tacite. Ici
l'inconvénient a toute fon etendue : nul morceau
n'eft preparé , n'eft annoncé. Vous y
arrivez à froid , & tout l'intérêt refultant de
la place , de l'à - propos & des préliminaires ,
eft abfolument perdu .
Voilà une partie des réflexions que nous
fuggère le regret de n'avoir pas une Traduction
entière de Tacite de la main de M.
d'Alembert, c'eft lui qui , par le plaifir qu'il
nous fair , nous avertit de celui qu'il nous
a refufé; & de cette critique , fi c'en eft une ,
il réfulte pour lui un gran i eloge.
M. d'Alembert blâme , avec raifon , les
Traducteurs qui fe bornent à être les copiftes
plutôt que les rivaux des Auteurs
qu'ils traduifent. Superftitieuſement atta-
" chés à leur original , dit il , ils fe croiroient
"
84
coupables de facrilège s'i's l'embelliffoient ,
» même dans les endroits foibles ; ils ne fe
» permetrent que de lui être inférieurs , &
» n'ont pas de peine à reuffir ... Le Traduc-
» teur , trop fouvent forcé de refter audeffous
de fon Au eur , ne doit il pas fe
» mettre au deffus quand il le peur ? »
Sans doute , il faut feulement que cette
62 MERCURE
liberté ne dégénère pas en licence , comme
il faut que la fidélité ne dégénère pas en
fervitude.
M. d'Alembert examine s'il eft vrai que
les Poëtes ne puiffent ou ne doivent être traduits
qu'en vers , queftion à laquelle il n'a
point d'intérêt , puiſque s'il n'a traduit qu'en
profe , il n'a point traduit de Poëtes ; il
demande fi l'on n'eft pas réduit en vers à les
imiter plutôt qu'à les traduire ? M. l'Abbé
de Lille a fait plus en quelques endroits
qu'imiter Virgile.
"
Qu'on interroge , dit M. d'Alembert ,
» ceux de nos grands Poëtes qui ont fait
» paffer avec fuccès en notre langue quelques
beaux endroits de Virgile ou d'Ho-
» mère : combien de fois ont-ils été forcés
de fubftituer aux idées qu'ils ne pouvoient
» rendre , des idées également heureuſes &
priſes dans leur propre fond ; de fuppléer
» aux vers d'image par des vers de fenti-
» ment , à l'énergie de l'expreffion par la
» vivacité des tours , à la pompe de l'har-
" monie par des vers penfés ? Je n'en citerai
qu'un exemple. On connoît ces beaux vers
» de Virgile fur les malheureux qui ſe ſont
donné la mort :
ور
"
20
3x
Qui fibi lethum
Infontes peperere manu , lucemque perofi
Projecere animas.
Déteftant la lumière , ils ont , dit le Poëte ,
jeté la vie loin d'eux. Le génie timide de
DE FRANCE 63
» notre langue ne permettoit pas d'employer
» cette image , toure animée & toute noble
qu'elle eft ; un de nos grands Poëtes y a
» fubftitué ces deux beaux vers :
"3
Ils n'ont pu fupporter , foibles & furieux ,
Le fardeau de la vie impofé par les Dieux.
» Peut- être eft-il difficile de décider auquel
» des deux Poëtes on doit donner la préfé-
» rence ; mais il eft aiſé de voir que les vers
françois ne font nullement la traduction
» des vers latins . »
"
C'eft peut-être un peu trop dire. L'image
que préfente le mot projecere , n'eft pas à la
vérité rendue ; cependant le mot de fardeau
conferve une partie de l'image , & les vers
latins fe trouvent traduits , finon directement
, du moins indirectement , & par une
conféquence néceffaire. Puifque les malheureux
dont il s'agit n'ont pu fupporter le fardeau
de la vie qui leur étoit impofé , ils
ont donc jeté à bas ce fardeau , projecere
animas.
" Des traductions bien faites feroient le
» moyen le plus sûr & le plus prompt d'en-
» richir les langues. » Grande & utile vérité ,
à laquelle on doit fur tout faire beaucoup
d'attention , quand on a une langue timide
& circonfpe&te comme la nôtre ; elle réfiltera
peut-être d'abord plus qu'une autre à la
Traduction ; mais il faudra bien qu'à la longue
la Traduction ait auffi fon influence fur
la langue ; la néceffité de rendre des beautés
64
MERCURE
& des hardieffes étrangères , fera faire plus
d'efforts & fera trouver plus d'indulgence ;
c'est là qu'on pourra entreprendre plus impunément
, parce qu'on aura toujours un
prétexte ou une excufe ; & une hardieffe
une fois admife , fert de paffeport à beaucoup
d'autres , fur-tout dans la Traduction.
Il ne me paroît pas démontré , par exemple ,
qu'on n'eût pas pu rendre , & même en
profe , l'image de Virgile : projecere animas ;
par ces mots : Ils ont jeté loin d'eux le fardeau
de la vie. Quoi qu'il en ſoit , plus une
langue eft réservée , plus elle a beſoin de
s'exercer dans la Traduction ; on ne fauroit
donc trop traduire en François ,ni trop choifir
pour traduire dans cette langue timide ,
des langues hardies , comme l'Anglois , par
exemple. Il s'agit d'importer dans notre langue
des richeffes étrangères , & ce font celles
qui nous manquent qu'il faut rechercher
par préférence.
De tous les Auteurs Latins , le plus difficile
peut être , par fon extrême concifion à
traduire en François , étoit Tacite ; comment,
avec le pefant attirail d'articles & de
verbes auxiliaires que le François traîne
avec lui , pouvoit on fe flatter de rendre
cette concifion , le premier ca actère de Tacite
, & qui le diftingue fi avantageufement
parmi les Écrivains même ,
Qui prodignent le fens & comptent les paroles ?
Comment avec une langue , dont le carac
DE FRANCE. 65
tère principal paroît être la clarté , qualité
qui exige des développemens , eſpérer de
pouvoir dire tout ce que Tacite dit en un
mot ? Comment rendre cette profondeur
de penſée , jointe à la majefté , à l'énergie
& toujours à une épargne , à une économie
de paroles dont on ne trouve point ailleurs
d'exemple ? Cet homme , difoit un admirateur
de Tacite , met du fens par- tout , il en
met jufques dans l'efpace blanc qui fépare
les mots.
C'est la difficulté d'égaler un tel original
avec un inft ument inégal & défavorable ,
que M. d'Alembert a fu vaincre ; il a faiti
tous les rapports de concifion & d'énergie
qui pouvoient le trouver entre les deux langues
; il a épuifé tous les équivalens , il a
employé toutes les reffources ; & enfin il a
pu placer impunément fa Traduction à côté
du texte , fans qu'elle paroiffe plus longue ,
même à la vûe : il a pn , par ce rapprochement
, inviter le Lecteur à comparer le texte
avec la Traduction phrafe à phrafe , & prefque
mot à mot. On a eu grand tort de vour,
loir mettre au - deffus de cette Traduction ,
ou même à côté , la Traduction quelquefois
énergique , mais trop fouvent ignoble ,
de M. l'Abbé de la Bletterie , dans fon Tibère
, où l'on trouve des phrafes de crieur
public , comme celle ci ;
" A dix as par jour le Soldat Romain
" corps & âme.
Pour rendre cette plainte énergique des
66 MERCURE
Soldats Denis in diem affibus animam &
corpus militis Romani aftimari.
Le ftyle de la Traduction d'Agricola & de
la Germanie du même Tacite , par le même
Abbé de la Bletterie , a plus de décence ;
mais le Tibère ne pouvoit refter tel qu'il
étoit. Le P. Dotteville , de l'Oratoire , qui ,
en revoyant & retouchant la Traduction de
M. l'Abbé de la Bletterie , en s'aidant fenfément
de celle de M. d'Alembert , & en traduifant
tout le refte , eft le feul qui ait eu
le mérite de nous donner Taci e complet , a
fait difparoître du Tibère de la Bletterie ces
taches groffières qui le défiguroient.
M. d'Alembert a donné deux Traductions
différentes , (l'une dans le texte , l'autre dans
les notes ) des premières phrafes du premier
Livre des Annales . Voici ces deux Traductions
avec le jugement qu'il en porte luimême.
Neque Decemviralis poteftas ultrà biennium
, neque Tribunorum Militum Confulare
jus diù valuit. Non Cinna , non Sulle longa
dominatio : Pompei Craffique potentia citò
in Cafarem , Lepidi atque Antonii arma in
Augufum ceffere , qui cuncta difcordiis civilibus
fella , nomine Principis fub imperium
accepit.
"
Le pouvoir des Décemvirs ne dura que
deux ans , les Tribuns Confulaires ceffèrent
bientôt. Cinna & Sylla régnèrent peu : le
fort des armes fit paffer rapidement l'autorité
de Pompée & de Craffus à Céfar , de Lépide
DE FRANCE. 67
& d'Antoine à Augufte , qui , fous le nom
de Chef , devint le Maître de l'État, affoibli
par les guerres civiles . »
Voici la feconde Traduction : » Elle eſt ,
dit M. d'Alembert , un peu moins ferrée ,
» mais un peu plus littérale que l'autre. "
L'autorité des Décemvirs ne dura que
deux ans , & la puiffance Confulaire reſta
peu de temps aux Tribuns des Soldats ; la
tyrannie de Cinna , celle de Sylla ne furent
pas longues ; le pouvoir de Craffus & de
Pompée céda bientôt à Céfar , & les armes
de Lépide & d'Antoine à celles d'Augufte
qui , fous le nom de Chef , prit les rênes
de l'État , fatigué de guerres civiles. »
Dans la première Traduction , le mot
régnèrent , appliqué à Cinna & à Sylla , eſt
pris dans un fens métaphorique , & le Tra
ducteur s'en explique dans une note.
Dans la feconde traduction , en fe permettant
quelques chicanes , on pourroit
obferver que cedere in ne peut pas fe rendre
par céder à , mais par ces mots : paſſer à.
Il eft vrai qu'on pourroit bien dire du
pouvoir de Craffus & de Pompée , qu'il
paffa tout entier à Céfar ; mais qu'on ne
peut pas dire de même des armes de Lépide
& d'Antoine , qu'elles pafsèrent à Augufte ;
au lieu que le mot ceffere s'applique également
bien au mot potentia & au mot
arma ; c'eft un avantage du Latin far le
François ; & c'eft ainſi qu'il faut ſouvent ,
fur-tout en traduifant Tacite , choiſir,
68 MERCURE
comme le dit M. d'Alembert , entre une
Traduction plus ferrée & une plus littérale.
C'est ce que l'exemple fuivant achevera de
prouver.
Agrippine , accufée par Silana d'avoir
voulu détrôner Néron , fe défend ainfi :"
Non miror inquit Silanam nunquam edito
partu mairum affectus ignotos habere. Neque
enim perindè à parentibus Liberi quàm ab impudica
adulteri mutantur. Necfi Iturius &
Calvifius adefis omnibus fortunis noviffimam
fufcipienda accufationis operam anui rependunt
, ideò aut mihi infamia parricidii , aut
Cafari confcientia fubcunda eft.
Je ne m'etone point que Silana , qui
n'a jamais eu d'enfans , ignore les fentimens
de mère ; on ne change point de fils comme
d'amans. Parce qu'Iturius & Calvifius , après
s'être ruines , fervent , pour dernière ref-
-fource , cette vieille débauchée par leurs
délations , dois -je être chargée d'un parricide
infâme , ou Néron en fubir les remords ! »
Il est bien heureux d'avoir eu à rendre
cette phrafe de Tacite :
Neque enim perindè à parentibus Liberi
quàm ab impudicâ adulteri mutantur.
: ~
Par celle- ci On ne change pas de
» fils comme d'Amans. »
C'est une phrafe très- françaife , qui a
l'air d'un Proverbe , qui dit tout ce que dit
la phrafe latine , & qui et plus courte.
Mais le Latin reprend tout fon avantage
la fin de la dernière phrafe.
F
DE FRANCE. 69
Ideò aut mihi infamia parricidii , aut
Cafari confcientia fubeunda eft.
92
Dois-je être chargée d'un parricide in-
»fâme , ou Néron en fubir les remords!
Il y a certainement beaucoup d'énergie
dans cette traduction . Le mot fubir eft vigoureufement
appliqué aux remords confidérés
comme une peine qu'un coupable eft forcé
de fubir ; mais fubir les remords , eft- il une
expreffion affez françoife , & ce membre de
phrafe a t-il toute la clarté qu'on pourroit
defirer ? La phrafe latine s'entend fort bien
& n'arrête point ; en eft il de même de la
françoife? S'agit il même de remords dans
le latin ? Il s'agit de la confcience que Néron
avoit de fon crime ; ce qui , fur- tout dans
Néron , eft different des remords. C'étoit
Néron qui faifoit accufer fa Mère par Silana
d'avoir voulu le détrôner. Il l'accufoir
d'un crime capital , & lui ordonnoit de fe
juftifier , en la menaçant du fupplice , s'il
manquoit quelque chofe à fa juftification ,
qu'il fe propofoir bien , dans tous les cas ,
de trouver infuffifante . Néron , avec cette
difpofition à condamner fa Mère , favoir
qu'elle étoit innocente ; il étoit done parricide
envers elle , & il l'accufoit de l'avoir
été envers lui. Dois - je , dit Agrippine , être
chargée de l'infamie d'un parricide ; ou la
confcience de Céfardoit- elle en être chargée ?
Il paroît que fur de paffage le defir d'être
concis comme l'original , a un peu nui dans
la traduction , à l'exactitude & à la clarté ;.
75 MERCURE
c'est du moins un de ces endroits que le
Traducteur a voulu défigner , lorfqu'il a dit :
99 Quelquefois , ne pouvant faire entendre
fans beaucoup de paroles à des Lec-
» teurs ordinaires , toute l'étendue du fens
de l'Auteur , j'ai mieux aimé en laiffer en-
» trevoir la fineffe aux feuls Lecteurs intelligens
, que de l'anéantir dans une périphrafe.
Au refte , ces endroits , que l'ineptie ou
l'injuffice taxera d'obſcurité , font infiniment
rares chez M. d'Alembert , même dans cette
traduction ; c'eft le plus clair de tous lest
Ecrivains , & il l'eft toujours , avec fineffe
& avec précifion . Difons plus , quelque
chofe qu'il écrive , c'est un des Auteurs
François les plus agréables à lire ::
Illum quidquid agit , quoquò veftigia vertit,
Componitfurtimfubfequiturque decor.
Sa converfation étoit , comme fes écrits ,
inftructive & agréable , pleine d'anecdotes
piquantes , de traits heureux , de faits bien
obfervés , de contes philofophiques gais &
vifs. A tant d'agrémens , il joignoit des vertus
& de la bienfaifance. Il fut l'ami conftant
de M. de Voltaire ; un grand Roi fut fon
ami ; il fut lui-même celui de tous les gens.
de lettres , en proportion du mérite & de
P'honnêteté qu'il crut reconnoître en eux.
Cette propofition recevroit du moins peu
d'exceptions , & elles s'expliqueroient par
DE FRANCE. 71
des circonftances particulières ; enfin nous
dirons avec orgueil :
Amavit nos quoque Daphnis.
Nous faififfons avec plaifir cette occafion
de payer un tribut de tendreffe & d'eftime
à un des meilleurs efprits qui ayent exifté , à
un homme dont les défauts mêmes avoient
quelque chofe de piquant , d'original & d'aimable
; à un homme dont il faut compter
la perte au nombre de ces pertes affreufes &
irréparables , que la Littérature Françoiſe a
faites depuis quelques années.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
M. THOMAS eft mort à Lyon, le 17 de ce mois.
Les Lettres ne pouvoient pas faire une plus grande
perte , & aucun homme ne pouvoit laiffer plus de,
regrets à fes amis & aux gens de bien. Notre deffein
n'eft pas d'exprimer ici notre douleur , & la douleur
publique. Confternés encore de cette perte , nos larmes
font trop pénibles pour ofer les répandre devant
le public : il feroit plus difficile encore à ceux qui
aimoient M. Thomas , de fonger en ce moment à
rendre à fes talens & à fes vertus l'hommage que ne
pourront leur refufer , & les hommes & les fiècles
pour lefquels les vertus & les talens feront quelque
chofe. Nous cédons au besoin de parler de lui , en
fentant l'impuiffance de répandre les fentimens d'une
ame fermée par la douleur même qu'elle éprouve.
Nous écrirons quelques pages fans ordre , fans fuite,
72 MERCURE
prefque fans deffein : mais fon nom qui ſera ſouvent
répété , fuffi a peut- être pour y répandre quelqu'intérêt
; car ce nom doit être déformais facré comme
celui de la vertu .
»
L'un des Ouvrages de M. Thomas commence par
ces mots : « une trifte & fatale expérience a appris
que le genre-humain eft injufte envers les grands
hommes qu'il a fous fes yeux. » M. Thomas
a été long temps lui - même un exemple de cette trifte
expérience ; & cette vérité eſt ſi terrible , que , niême
parmi les hommes qui n'ont pas la volonté d'être
injuftes , que parmi ceux mêmes qui aimoient M.
Thomas, il s'en trouvera petu être qui feront étonnés
de nous entendre parler de lui comme d'un grand
homme.
·
M. Thomas commençoit à écrire au moment où
l'Académie Françoife , par une innovation heureuſe ,
commençoit à propofer les éloges des grands hommes
de la Nation , pour les fujets de fes prix d'éloquence
: il obtint les premiers triomphes de ce genre
par les premiers Ouvrages. Il fut couronné cinq fois
de fuite pour les éloges du Maréchal de Saxe , du
Chancelier d'Agueffeau , de Duguay Trouin , de
Sully , de Defcartes . C'étoit une espèce de révolution
les fujets étoient nouvéaux , le genre de fon
éloquence étoit plus nouveau encore : il fut en butte
à tous les traits de la malignité jalouſe & de la médiocrité
humiliée , comme tous les Auteurs de toute
efpèce de révolution. Il eut contre lui tous les ennemis
, & de l'Académie , & des innovations , &
du grand talent , & du Panégyrique ; car il eft des
hommes qui ne peuvent pas fouffrir un éloge , uniquement
parce que c'eft un éloge. Le ftyle & les
formes des premiers difcours de M. Thomas trouvèrent
des ennemis irréconciliables , même parmi
ceux qui eftimoient ſon eſprit & fa perfonne , même
parmi ceux qui l'avoient couronné à l'Académie.
Ces
DE FRANCE. 73
Ces difcours étoient extrêmement applaudis aux
Séances publiques : ils ne trouvoient prefque que des
Cenfeurs à la lecture. Cette différence d'effers , qui
s'expliqueroit peut- être fuffifamment par la premptitude
avec laquelle les hommes reviennent de l'admiration
la plus légitime , pouvoit avoir d'autres
caufes encore . M. Thomas , élevé dans la retraite
& dans l'étude des Orateurs de Rome & de la
Grèce , fentoit tout avec, enthouſiaſme comme on
fent dans la folitude . Son admiration pour les hom
mes qu'il louoit étoit extrême ; elle paroiffoit exagérée.
Emu lui même par les noms feuls de génie ,
de vertu , il croyoit communiquer les mêmes émotions
en prononçant avec éclat ces noms facrés : il
oublioit trop peut-être qu'il avoit affaire à des ames
feufibles , mais légères , mais diftraites par des frivolités
, refroidies par les plaifirs : il négligeoit trop
peut être dans ces commencemens , l'art de préparer
les ames aux fentimens dont il vouloit les remplir ;
de les échauffer par degrés , pour les trouver prêtes
à fe livrer elles -mêmes aux grands mouvemens de
l'éloquence .On ne partageoit pas les mouvemens,quoiqu'ils
fuffent vrais , nobles & oratoires. Vivement frappé
d'une grande idée , croyant toujours louer les grands
hommes de la Nation devant la Nation elle-même ,
il parloit à haute voix plutôt qu'il n'émivoit ; on
entendoit , pour ainfi dire , dans fon ſtyle même
cette efpèce de bruit que fait un homme qui porte
la parole devant une multitude immenſe. Il étoit lû.
après la Séance publique par les gens du monde ,
accoutumés à donner leur ton aux Écrivains , & trop
peu difpofés à fe tranſporter au milieu de ces fcènes
éclatantes. Cet éclat , ces accens élevés & naturels
à l'homme qui s'entretient avec un peuple , paroif
foient de la déclamation dans fon ftyle."
M. Loiſeau de Mauleon, Avocat , affiftant à la lecé
ture publique de l'éloge de Deſcartes , avoit pleur-
No. 31,8 Octobre 1785 .
I ,
D
74 MERCURE
d'admiration , avoit manifefté l'impreffion qu'il
recevoit , par des cris & des applaudiflemens non interrompus
: il difoit , en fortaut de l'Académie :
cela est beau ; mais je ne puis pas fouffrir ce genre
d'éloquence : cet homme achevera de corrompre le
goût. Je tiens ce fait de M. Thomas lui- même.
Cet éloge de Defcartes , fi fupérieur à tout ce
qu'avoit fait M. Thomas avant les éloges du Dauphin
& de Marc- Aurèle , étonna cependant ceux
même dont il ne put pas vaincre les préventions.
On fut frappé de l'étendue d'un efprit qui parcou
Foit avec rapidité toutes les idées qu'avoit eues l'efprit
humain avant Defcartes , & toutes celles que
Defcartes lui a données ou infpirées : en admira la
vigueur d'un efprit qui , en fe chargeant de tant de
connoiffances , dont les unes appartiennent aux Sciences
exactes , les autres à la métaphysique , confervoit
encore fous ce poids , & la marche rapide de
l'Orateur , & les élans les mouvemens paflionnés
de l'éloquence. Le morecau de la perfécution de
Voët fit pleurer Voltaire à Ferney , comme Loifeau
de Maulcon à l'Académie : mais plus fidèle à fon
admiration & à fes larmes , Voltaire écrivit à M.
Thomas une lettre , dans laquelle ces impreffions
feront tranſmiſes à la postérité . Ce ne font plus de
ces tournurés ingénieufes & aimables par lesquelles
Voltaire avoit l'art de careffer jufqu'à la médiocrité
fans fe dégrader lui - même : c'eft le cri de l'admi
ration & de l'enthoufiafme ; c'eſt le ton du génie
qui parle au génie . Beaucoup de gens auroient voulu
peut être que Voltaire eût étouffé ce premier mouvement
; Voltaire ne l'a jamais rétracté .
Après la lecture de ce même morceau , de cette pé-
Boraiſon fi éloquente dans laquelle l'Orateur annonce
à tous les grans hommes les perfécutions que
Voet fit fouffrir à Defcentes , un homme de talent
crivoit à M. Thomas : vous nous envoyez à la
壶
DE FRANCE. 75
gloire comme à l'échafaud. Ce mot et beau ; il n'y
a qu'une éloquence fublime qui puiffe en inspirer d.
femblables.
Ce que les hommes d'un goût délicat reprochoient
fur-tout à M. Thomas , c'étoit de manquer de certe
fenfibilité douce & péné rante qui touche l'ame fans
étonner l'efprit , & mêle à l'admiration qu'on doit
aux grands hommes , un amour qui les honore bien
mieux encore. On lui faifoit ce reproche lorsqu'il
n'avoit eu à louer encore que des hommes d'Etat
d'un caractère févère , des Généraux de terre & de
mer , connus feulement par des victoires très- fanglantes
, & un Philofophe dont la plus grande gloire
étoit fondée fur l'application de l'Algèbre à la Géométrie
; & voilà comme juge l'envie ! voilà comme
jugent ceux même qui ne connoiffent pas l'envie !,
La France étoit dans le deuil ; elle venoit de voir
defcendre au tombeau un Prince qui avoit travaillé
pendant dix ans à fe rendre digne du Trône , comme
Defcartes à faire une révolution dans la Philofophie.
M. Thomas traça ce tableau d'un Peuple en
larmes fur le tombeau d'un jeune Prince , qui enfevelit
avec lui les espérances des générations futures.
Nous n'avons point , dans notre langue , de morceaux
d'une éloquence plus touchante que la dernière
partie de cet éloge du Dauphin ; on put voir
alors que l'ame de M. Thomas , cette ame fi douce
& fi fenfible à toutes les vertus , n'étoit pas incapable
d'une éloquence perfuafive & pathétique . On a reproché
à la première partie une morale trop commune
; elle n'eft pas commune au moins dans les
ouvrages de ce geare ; & fi elle eût été plus neuve
& plus approfondie , cile eût été plus difficile à fentir
& plus oppofée , finon à la vraie éloquence , du
moins aux principes ordinaires de notre goût. Partout
, & dès le début , règne dans ce difcours ce daratère
mélancolique que prend la penſée lorsqu'elle
Dij
76 MERCURE
réfléchit fur les calamités publiques , & ce charme
d'une douleur qui s'adoucit en s'épanchant , cette
onction d'une ame profondément attendrie , qui eft
comme la grace des fujets pathétiques . Ce ne fut
pas pour remporter un prix Académique que
M. Thomas fit ce difcours , mais pour répandre
fa douleur dans la douleur publique , & fans
doute auffi afin de donner à un enfant augufte que
ce malheur appeloit au Trône , le modèle d'un
Roi , dans les vertus d'un père qui perdoit avant de
pouvoir le connoître. Cette intention , qui ſe laiffe
voir plutôt qu'elle ne fe montre , donne quelque
chofe de religieux à ce difcours. On eft tenté de
croire qu'il a été prononcé au Sacre de cet enfant
Royal , par un ami dépofitaire de tous les fecrets &
de toute l'ame du père.
M. Thomas ne pouvoit pas donner entièrement
ce caractère à fon éloge du Dauphin ; il le donna ,
par une fiction fublime, à fon éloge de Marc- Aurèle.
On fait que M. Thomas fait prononcer cet éloge, ( le
plus beau de fes éloges & peut-être de tous les panégyriques
) , par un ami de Marc- Aurèle , par Apollemius
de Thiane , en préfence du Sénat , du Peuple ,
de l'Armée , des Députés de toutes les Nations du
monde , & de Commode , qui attend que le difcours
foit prononcé pour monter fur le Trône de l'Univers.
C'eſt une fublime fituation ; mais ce qui cft fublime
fur- tout , c'eft le difcours même. Tout en eft beau ;
& la partie Philofophique ne l'eft pas moins que la
partie Dramatique , qui a dû être plus remarquée ,
parce qu'elle étoit plus neuve , plus oratoire , & parce
que ce qui eft fublime pour l'imagination , l'eft pour
rout le monde , tandis que ce qui eft fublime pour
la pensée n'eft fenti vivement que par un petit nombre
d'efprits. Quand l'Orateur pénètre dans l'ame de
Marc Aurèle pour développer les principes fur lefquels
ont été fondées des vertus qui ont fait le bonheur de
DE FRANCE. 77
l'univers , on croit fentir une main puiffante qui lève
ces voiles éternels fous lefquels fe dérobe la providence.
On peut comparer cette première partie de
l'éloge de Maic- Aurèle , à la première partie de la
profeffion de foi du Vicaire Savoyard ; & nous ne
connoiffons pas un troisième morceau qui puiffe foutenir
le parallèle fans défavantage , ou du côté de
la Philofophie , ou du côté de l'Eloquence .
Un ouvrage de M.Thomas bien fupérieur à des dif
cours , quelque beaux que puiffent être des difcours
c'eft fon effai jur lesEloges. Que de fois j'ai regretté
que tant de connoiffances , tant d'efprit de tous les
genres , tant de fagacité , tant d'élévation , tant de
courage dans la penfée , un talent fi univerfel, finon
dans fes formes , du moins dans fes effets , eût été
répandu fur un fujet qui n'eft pas d'un intérêt général
pour l'humanité ! Souvent j'ai ofé lui témoigner ces
regrets ; & il les eut partagés , s'il avoit cru à tout
le mérite de fon ouvrage. En effet , il ne peut
manquer autre chofe à cet ouvrage admirable ,
pour être mis par les Juges équitables à côté de
Ï'Émile , & près de ce petit nombre de livres immortels
qui ont amélioré la condition humaine ,
qui la rendront meilleure encore. , Mais il ne faut pas
croire que ce fujet , quel qu'il foit , ne fût pas propre
à recevoir toutes les beautés qu'il y a pródiguées. Un
grand efprit agrandit fes fujets , mais il ne peut les
dénaturer. Cet effai fur les Eloges eft proprement
une hiftoire de la louange ; & cette hiftoire tient à
tout ce qui s'eft fait & à tout ce qui s'eft paffé de mémorable
fur la terre. Tous les arts , tous les talens ,
ont décerné la louange ou l'ont reçuc ; les tyrans l'ont
ufurpée par la terreur ou par la corruption ; les bons
Rois l'ont obtenue de l'amour de leurs fujets & de la
juftice des fiècles : à l'hiftoire de ce petit nombre
d'hommes qui ont loué ou qui ont été loués , eft attachée
l'hiftoire du genre humain qui a reçu d'eux fa.
Dij
78
MERCURE
les
dcffinée . A la place de M. Thomas , tel autre homme
de lettres auroit été tenté de ne prendre 1 hiftoire des
éloges qu'à l'époque où lui - même les fir pa: cure parmi
ons avec tant d'éclat . M. Thomas la prit cu elle a
commencé , à l'origine de tout , au berceau de genre
humain on pouvoit faire fur cela une plaifanterie
bien ufée , bien mauvaife , & fans doute elie aura
été faite . M. Thomas en fit fortir des vues & des
beautés innombrables . On n'a pas apprécié avec plus
d'intérêt , plus de grandeur & plus de juftulle ,
chofes humaines : en parcourant ce long amas de
fiècles , les uns couverts de ténèbres , les autres plutôt
embellis par les talens qu'éclairés par les lumières ; il
n'eft pas de coupable illuftre que M. Thomas n'ait
rendu plus odieux , pas de vertu qu'il n'ait rendue plus
augufte ou plus touchante , pas de talent & de génie
auxquels il n'ait arraché quelques - uns de leurs fecrets .
Il n'y a point d'homme & de peuple dont il n'ait mieux'
marqué ou fixé la place dans les faftes de l'univers .
Il a l'air de tenir les balances cù les générations
feront pefées , & on fent qu'elles font dans les mains.
de la Juice éternelle . Il n'exifte point d'ouvrage
où les jeunes gens entraînés vers la gleite , mais incertains
d'eux mêmes , puiffent mieux apprendre à
fe mcfurer à tout ce qui a été grand pour favoir
s'ils doivent l'être un jour eux - mêmes . Ce fara aux
yeux de la postérité un des plus beaux titres de gloire
de notre ècle. Il lui eft preíqu'inconnu.
Un autre Ouvrage de M. Thomas qui avoit paru
avant celui-là , & qui n'eut ua moment plus de
célébrité que pour être jugé avec plus de rigueur ,
c'eft l'Effai fur les Femmes. On avoit décidé d'avance
qu'un Ouvrage fur les femmes ne pouvoit pas être
bon , lorfqu'il feroit fait par M. Thomas : parce
que fes moeurs étoient très- pures , on croyoit qu'il
ne pouvoit connoître ni les paffions des femmes
ai celles des hommes , comme fi cette manière déDE
FRANCE.
79
licate de fentir qui fait deviner les fentimens des
femmes & leurs fenfations , pouvoit appartenir à
des hommes fans moeurs ! Comme s'il étoit donné
à l'homme fans moeurs d'aimer véritablement les
femmes , & de favoir tout ce qu'elles peuvent faire
éprouver de tourmens & de délices ! Comme fi le
vice qui éteint à chaque inftant les paſſions , pouvoit
les approfondir & les peindre comme la vertu qui
les conferve , même en leur réfiftant ! Comme fi
toute la connoiffance des femmes, confiftoit dans la
connoiffance de leurs foibleffes et de leurs défordres !
On fit tomber l'Ouvrage en le louant d'être favant.
Il falloit bien avoir quelque fcience pour peindre
les femmes de Rome & d'Athènes, que l'ignorance
ne connoît point ; mais cette fcience aft par-tout
cachée fous la fineffe des idées & des expreffions ,
l'agrément des tournures, & le charme des tableaux .
Cet homme, dont les moeurs étoient fi pures , a tracé
un tableau charmant des courtisannes de la Grèce.
H respecte par-tout la décence , mais la volupté
même ne doit pas la violer. Le parallèle des deux
fexes dans les vertus & les talens auxquels la nature
les appelle, eft d'un grand Philofophe , mais d'un
Philofophe qui n'eft étranger à aucun des fentimens
du coeur humain . On ne fent jamais , il eft vrai ,
dans cet ouvrage , ce défordre, ces mouven ens tumul
tueux produits par des fouvenirs dont les uns s'é
chappen , & dont les autres font mal étouffés.
Rouffeau , en parlant des femmes, les adore ou les
outrage : on ne voit point fi M. Thomas a des
graces à leur rendre , ou des reproches à leur faire ;
on voit feulement qu'il a parfaitement connu ce
fentiment profond & pur , qui peut unir l'homme
vertueux à une femme qui a des vertus , & qui cft
délicieux , quoique ce ne foit point l'amour. Hélas !
peut-être ce fentiment qui a fait le charme de fa
vie , al ajouté aux amertumes de fa mort ! Il aurą
Div
80 MERCURE
pa verfer des larmes en voyant couler déjà celles
qu'il alloit faire répandre !
M. Thomas n'a pas pu jouir de toute la gloire :
elle étoit loin encore d'être établie , & fans ceffe elle
doit s'accroître, mais les derniers Ouvrages, exempts
des défauts des premiers , & pleins de beautés plus
variées , avoient vaincu prefque toutes les injuſtices
qui n'étoient que des préventions : des hommes de
lettres diftingués avoient honoré leurs talens par
les hommages éclatans qu'ils avoient rendus aux
hens. Chaque jour l'efprit & l'éloquence de M.
Thomas recevoient quelque nouvelle rétractation
des injures qu'ils avoient long -tems foufferies : ils
n'avoient plus pour ennemis que ces hommes dont
la fureur s'irrite à mesure que le talent fe perfectionne
, & qui , n'étant plus écoutés de la malignité
même , reffemblent à ces furieux qu'on a rejetés de
la fociété , & dont la rage s'accroît dans la folitude
de leur prison . M. Thomas , qui aimoit paffionnément
la gloire, quoiqu'il fût l'apprécier, étoit heureux,
parce qu'il voyoit le jugement de la poftérité
dans l'eftime profondément fentie de quelques contemporains
éclairés . Son imagination rajeunie & fécondée
par de fi beaux fuccès, avoit retourné aux premiers
goûts , aux premières amours de fa jeuneffe , à la
poëfie. Il avoit dans fes premiers effais obtenu des
fuccès comme Poëte , en même- tems que comme
Orateur ; & l'Ode fur le Tems , méritoit fans doute
une couronne ; l'Epitre au Peuple , quelque reproches
qu'on pût lui faire, en auroit obtenu ung
autre , fi elle n'avoir pas eu le tort de concourir
avec l'Epître aux Poëtes de M. Marmontel . Le
Poëme de Jumonville , dont le fujet étoit d'un
choix fi malheureux , avoit montré les défauts de
Lucain , mais il en avoit montré auffi les beautés ;
& M. Thomas étoit , je crois , à cette époque , plus
jeune encore que Lucain au moment où la Pharfale
DE FRANCE. 81
parut. Le talent de M. Thomas , foit dans la
poëfie , ſoit dans l'éloquence , devoit être un peu
tardif a prendre ces juftes proportions d'où refulte
la perfection du goût : femblable en cela à ces jeunes
gens d'une ftature élevée , qui paroiffent gigan
tefques avant d'avoir pris en tous fens les formes
avec lesquelles ils ne feront que grands.
Dès fa jeuneffe , il avoit conçu l'idée hardie
d'un Poëme épique , dont le Czar Pierre feroit le
héros. Le caractère d'un Prince qui avoir le génie
de la civilisation & les paffions d'un barbare ;
création ou la transplantation des moeurs & des Arts
des peuples du Midi , au milieu des glaces & des
forêts du Nord : le phénomène, unique dans l'hiſtoire
des hommes , d'un Empereur prefque fauvage , qui
defcendoit du trône pour apprendre à régner , &
qui , dans ce deffein , tantôt s'entretenoit avec le
Régent en France, tantôt, la hache à la main, travailloit
avec les charpentiers dans les chantiers de
Harlem la lutte du génie de la barbarie & du
génie de la civilisation , qui renouveloient au fond
de la Ruffie des combats qu'ils fe font livrés fur
tout le globe ; tout cela lini avoit paru propre à la.
grande machine du Poëme épique , aux couleurs éclatantes
de l'Epopée . Engagé dans d'autres travaux , il
avoit abandonné cette entreprife audacieufe , lorfque
neuf à dix Chants étoient déjà achevés les
combats & les dégoûts que fon talent eût à effuyer
dans d'autres genres , paroiffoient même l'avoir
éloigné à jamais de la poéfie , qui , plus que tous
les autres genres encore , femble avoir befoin de
cette confiance qui élève l'imagination & nourrit
fon ivreffe ; mais il étoit revenu à fon Poëme &
à cette poéfie qu'il adoroit , après avoir triomphé de
fes ennemis par fon éloquence. Il avoit abandonné,
& fon premier plan, & ce qu'il en avoit exécuté ;
DV
32
MERCURE
& depuis 7 à 8 ans qu'il en étoit uniquement occupé
, il avoit refait & achevé cinq à fix chants
fur un plan tout nouveau . Nous en avons entendu
plufieurs Chants , & quelques amis de M. Thomas
les ont auffi entendus : ce feroit une témérité bien
grande de vouloir prévenir les jugemens de la poftérité
fur ces fragmens , qui doivent être facrés pour
elle ; mais fans doute il eft permis aux amis de
M. Thomas , de fufpendre leur jugement , & de
rendre compte de leur impreffion . L'étonnement &
I admiration ont été les fentimen's que nous avons
toujours éprouvés en écoutant cette lecture. Toujours
j'ai cru y voir l'affociation la plus magnifique
de la philofophie la plus élevée & de la plus haute
poéfie. Les conceptions générales m'ont paru avoir
toujours la haliefe & l'audace fingulière de l'Epopée
antique ; & dans les détails qui me frappoient
à chaque inftant par des créations de ftyle , j'ai
cru remarquer encore les attentions & les fcrupules
du goût le plus difficile & le plus éclairé . Le voyage
du Czar en Angleterre , & fur tout fa vifite aux
tombeaux de Weftminster , font peut- être d'un ordre
de beautés plus égales aux grandes beautés , & de
Milton & d'Homère . J'aurois cru trahir la confiance
& l'amitié que me témoiguoit M. Thomas ,
en m'admettant dans la confidence de fou Poème ,
fi j'avois pu taire ou affoiblir ici les impreffions que
j'en ai reçues ; mais ce font les amis de M. Thomas
& de fa gloire , qui doivent fur tout convenir qu'il
appartient à la poftérité feule de prononcer des juge--
mens fur ces ébauches du gérie. Quel ami des Arts ,
de la Philofophie & de la Poéfie , ne déplorera point
le malheur d'un homme enlevé , à cinquante ans , à
ce grand Ouvrage qu'il eût pu finir & perfectionner
s'il lui eût été donné de vivre dix ans de plus encore !
Ce malheur eft pour tout le monde , & il eft irréparable.
Les amis de M. Thomas ne peuvent , en
DE FRANCE 83
se moment , denner des larmes qu'à la mort , ne
peuvert regreter que fa perfonne.
Il étoit difficile de le lire & de ne pas l'admirer ;
il étoit impoffible de le connoître & de ne pas le chéri
tendrement, L'ame la plus pure, étoit en même tems la
plus douce & la plus indulgente ; il ne fe permettoit
aucune foibleffe , & les pardonnoit toutes . Son mépris
n'étoit que pour l'homme vil , & fa haine fi
éloquente contre la méchanceté , n'attaquoit pas
même les méchans. Les émotions qu'il éprouvoit en
parlant des chofes publiques , prouvoient qu'il auroi
eu toutes les vertus qu'elles demandent : & ces ver
tus font partie de celles de l'homme de lettres ; 12
talent qui les fait aimer eft une forte d'exercice d
ces vertus même , & peut- être n'eft - ce pas le moinà
utile . M. Thomas , dans fon difcours de réception è
l'Académie Françoife , traça le portrait de l'homm
de lettre citoyen ; ce modèle eft fi beau , qu'on poure
roit croire qu'il n'a jamais exifté. C'étoit la peintus
la plus fidefle de fon caractère & de fon ame.
On l'a vu vivre long tems dans le monde fans
fe mêler jamais aux converfations même littéraires,
fans y dire un feul mot . On raconte auffi que Richardſon
a vécu vingt ans dans le monde , fans que
perfonne l'ait jamais entendu parler. Cependant
jamais perfonne n'a mieux fait parler que Richardfon
, ces hommes au milieu defquels il fe taifoit toujours
: & ce dont on ne fe deute pas , M. Thomas
n'étoit pas peut - être un obfervateur moins fin ,
moins profond & moins habile . Cet homine qui ne
difoit rien dans la fociété , avoit la converfation la
plus féconde & la plus animée avec les amis . Saadi
a dit , lame du Sage eft un tréfør , dont les
malheureux & l'amitié ont feuls la clef.-M. Tho.
mas étoit précisément le fage de Saadi . On étoit
étonné de l'étendue de fes connoiffances , & la
fécondité de fes idées étoit bien plus grande en cere
D vj
84 MERCURE
:
On ne fait plus d'études littéraires comme il en
avoit fait. Il avoit approfondi la théorie de tous les
genres , non dans les poétiques & les théoriques ,
bien moins profondes que lui , mais dans la nature de
Phomme , & dans les moyens de nous donner toutes
ces fenfations dont nous fommes fi avides . Il étoit
également bon à confulter fur une Tragédie & fur
une Comédie , fur un Difcours & fur un Poëme
fur une hiftoire & fur un livre philofophique il
ne vous éclairoit pas feulement fur vos défauts , ce
qui n'eft jamais très-difficile , il vous indiquoit les
fources des beautés , & fouvent en faifoit fortir à
l'inftant même des beautés très- frappantes . La littérature
étoit fa paflion , & il n'en parloit jamais
fans éloquence , jamais fans cette chaleur qui crée
ou qui féconde . En le quittant , on aimoit plus la
gloire on avoit plus d'ardeur pour la mériter, plas
d'efpérance de l'obtenir : on alloit prendre la plume
qu chercher la folitude ; on fongeoit fur tout à
épurer fon ame pour embellir fon talent. L'équité
n'étoit pas en lui cette eſpèce de juftice affez naturelle
, mais un peu fauvage , qui rend le bien
pour le bien , & le mal pour le mal : jufte , même
envers les ennemis connus de fon talent , je l'ai
entendu parler quelquefois avec enthousiasme de
ceux qui ne parloient de lui qu'avec dénigrement.
Si l'on craignoit de quelque fociété littéraire les
injuftices des paffions & de l'intrigue , on demandoit :
M. Thomas y eft- il ? Il a fait paroître avec éclat
des réputations naiffantes qu'une indifférence
adroite alloit éteindre , ou qu'une mauvaiſe- foi
audacieuſe alloit érouffer. Cependant , il avoit plutôt
le courage d'être . jufte , que celui d'attaquer & de
combattre l'injuftice . En gardant le filence au milieu
des hommes , & en les écoutant beaucoup , il avoit
appris à les craindre . Une pareille crainte dans l'ame
de M. Thomas , ne pouvoit pas être une foiblefe ,
ecla cft fâcheux pour les homines.
>
DE FRANCE. 85
Plus on approchoit de cette âme , plus on avoit
pour elle d'amour & de vénération ; fes amis les
plus intimes étoient fes amis les plus tendres. C'eft
dans fa maifon fur - tout qu'il étoit adoré , il élevoit
fes Domestiques même jufqu'à lui , par les fentimens
qu il favoit leur infpirer . Il fembloit les avoir
plutôt pour les confoler de leur condition , que pour
rendre la fienne plus commode & plus douce ; &
s'il les traitoit comme des amis malheureux , eux fe
trouvoient heureux de le fervir . De deux foeurs qu'il
faiffe , l'une vivoit depuis très -long - temps avec lui ,
& j'oſe à peine nonmer Mlle Thomas , à peine j'ai
le courage de penſer à la douleur où elle doit étre
abîmée. La tendreffe extrême des feurs pour leurs
frères n'eft pas rare , & c'est un de ces fentimens
délicieux donnés au coeur humain pour le confoler
de l'amertume des paffions ou de leur abſence. Mlle
Thomas n'étoit pas une foeur , c'étoit une mère tendre
, qui vivoit pour veiller fur les jours , fur la
fanté , fur le bonheur de fon fils unique. Hélas !
que lui reftera-t'il fur la terre , lorfqu'elle ne fera
plus chargée & du bonheur & de la vie de fon frère !
M. Ducis étoit devenu auffi en quelque forte le fière
de M. Thomas , ils vivoient enſemble , ils ne fe
quittoient plus , ou fe rejoignoient bientôt . M. de la
Saudraie , ancien Confeiller au Confeil de Saint-
Domingue , qui croyoit être revenu du nouveau
monde pour jouir des plaifirs de la France , ne jouiffoit
que du bonheur de vivre avec M. Thomas &
dans fa maifon. Ses amis ne fe croyoient pas affez
près de lui lorfqu'ils n'avoient pas la même demeure.
C'eft M. Thomas fur-tout qui faifoit fentir que le
plus grand charme de la vie cft dans le commerce
d'une âme pure & douce , d'un efprit fécond &
éclairé , qui réveille à chaque inftant dans votre efprit
& dans votre âme une multitude de fenfations
qui les perfectionnent l'un & l'autre.
86 MERCURE
Ménacé , fur - tout depuis cinq à fix ans , d'une maladie
qui avoit emporté un de les frères au tombeau ,
M. Thomas prenoit les précautions les plus attentives
pour ménager une fanté très - délicate : comm ●
il le dit lui-même de quelques Savans de Fontenelle ,
il s'étoit créé un régime pour la penſée . Ami du foleil
comme Horace , mais ne pouvant fupporter ni les
froids exceffifs ni les chaleurs extrêmes , il changeoit
de climat avec les faifons , & alloit chercher le foleil
dans les lieux où fes rayons le réchauffoient
fans le brûler. Il paffoit l'hiver , ou dans le Languedoc
, ou dans la Provence , ou à Nice , & reve,
noir du côté de Paris lorfque le foleil y revenoit
auffi . Ses amis l'accompagnoient très-fouvent , & il
eft à croire qu'il eût moins aimé le foleil , fi pour le
chercher il cût fallu fe féparer toujours de tous fes
amis.
Ces précautions paroiffoient lui affurer une affez
longue vie , & lui donner affez de force pour
achever fon grand ouvrage , fon Poëme . Jamais fa
penfée n'avoit eu plus d'activité , ni fon travail &
fon talent une facilité plus heureufe. Il n'avoit plus
befoin de faire les vers ; les vers naiffoient avec fes
idées & les fentimens . Troublé un moment par l'accident
affreux arrivé à fon ami M. Ducis , il jouiffoit
du bonheur de voir renaître cet ami auquel il
avoit donné des foins fi tendres. Les jours de cette
convalescence étoient pour eux des jours de fêre
qu'on célébroit à Lyon. Il les célébroit lui - même.
en vers ; il difoit dans une épitre à M. Jeannin :
La vie a des attraits pour les coeurs innocens ;
Qui peut hair la vie eft mal avec foi -même :
Douce vertu ! celui qui t'aime ,
De la Nature en paix fait goûter les préfens .
Il n'eft rien dont il ne jouifle :
DE FRANCE. 87
Ah ! c'est le remords & le vice
Qui , du tableau des champs , terniffent les couleurs ,"
Au chant du roflignol affourdiffent l'oreille ,
Flérriffent la rofe vermeille :
Le parfum des vertus embaume encor les fleurs .
Il eft mort au moment où il fentoit & chantoit
ainfi le bonheur de vivre . Ah ! fans doute cette
vertu qui lui rendoit la vie fi douce aura fervi encore
à adoucir fa mort !
Il eft mort à Oullins , près de Lyon , dans le
Château de M. l'Archevêque. Cet illuftre Prélat , fi
digne d'apprécier les talens & les vertus de fon Con- ,
frère , avoit voulu l'avoir auprès de lui pour conferver
, s'il étoit poffible , une vie fi précieuſe.
J'ai l'honneur d'être , &c. GARAT .
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 13 Septembre , on a repréſenté ,
pour la première fois , Roje , ou lafuite de
Fanfan & Colas , Comédie en trois Actes'
& en profe.
Fanfan & Colas font parvenus à l'âge où
l'on commence à être homme. On ne connoît
plus le premier que fous le nom du
Marquis de Fierval. Le fecond eft devenu
amoureux de Rofe , fille du payfan Guillaume
; il l'a fait demander en mariage , &
Guillaume a promis de la lui accorder , à
88 MERCURE
condition qu'il apporteroir en dot cent écus
qu'il auroit fu gagner à la fueur de fon front.
En conféquence Colas a quitté Perrette , fa
mère , pour aller travailler , comme Jourmalier
, chez un oncle de Rofe . Pendant l'abfence
de Colas , Fanfan a vu fouvent Rofe
chez fa Nourrice Perrette , & il en eft
devenu très - amoureux. Sa famille s'inquiette
& frémit des fuites que peut avoir cette
paffion ; mais l'Inftituteur éclairé qui a préfidé
à fon éducation , loin de s'effrayer de
l'amour du jeune Marquis , fe propoſe au
contraire de le faire fervir à développer dans
fon coeur de nouveaux germes de fenfibilité
, de force & de vertu . Colas , échauffé
par le double defir de revoir la mère &
d'époufer Rofe , a gagné , en un an , les cent
écus exigés par Guillaume ; il revient plus
tôt qu'on ne l'attendoit , ivre de joie & de
bonheur. A peine a- t'il eu le temps de recevoir
les premiers embraffemens de Perrette ,
qu'un Huiffier fe préfente , avec le projet de
faifir chez elle , pour raifon de 299 liv. &
quelques fols qu'exigent les Collecteurs ; il
oublie fa propre fatisfaction , & confacre
au plaifir de fauver la mère , la fomme deftinée
à confommer fon bonheur , en lui faifant
époufer fa maîtreffe . A l'inftant qu'il vient
de faire ce facrifice , le Marquis fon frère de
lait, vient lui propofer d'oublier Rofe, de confentir
à la céder à unhomme riche , capable de
faire la fortune , très - amoureux d'elle , qui fe
propoſe de l'époufer , & il déclare qu'il eft
DE FRANCE. 89
cet homme. Le jeune Payfan s'indigne , il
devient furieux , il menace le Marquis ; &
dans fon tranfport jaloux il ne doute pas
que Rofe n'aime autant le Marquis qu'elle
en eft aimée. La bonne Perrette vient à propos
pour arrêtes l'eflor frénétique de
Colas , & pour s'opposer à la vengeance
que commence à defirer l'orgueil bleffé du
Marquis. La jaloufie égare abfolument le
petit villageois , il outrage fa mère , la maîtreffe
, il ne refpire que la fureur. Cet incident
jette le trouble dans le coeur de Mme
de Fierval & dans tout le château ; c'eft- là
où l'Inftituteur attend fon pupille ; mais fa
confiance eft altérée par quelques mouvemens
d'inquiétude. Néanmoins il fe propofe
d'achever fon ouvrage. En effet , dans une
converfation où la douceur , la raifon &
une logique naturelle le rendent très éloquent
, il éclaire le Marquis fur les projets ,
fur fes devoirs , fur le refpect qu'il doit à fa
famille & à fon nom , & jouit enfin du
plaifir de le voir non feulement immøler
une paffion aveugle , mais encore pardonner
à Colas , s'intéreffer à fon bonheur , à
fa fortune , & conclure fon mariage avee
Rofe.
La première repréfentation de cet Ouvrage
a eu un fuccès très - équivoque. Un
duel au piftolet entre les deux jeunes gens ;
quelques Scènes d'une couleur fombre, &
même noire ; des détails d'un ton tragique ;
tout cela avoit paru , à jufte titre , fort étran
90 MERCURE
ger au genre de la Comédie ; tranchons le
mot , un peu hafardé à une payfannerie. A
la feconde repelentation , ces taches ont
difparu , la Pièce a pris une marche plus
naturelle , & elle a été très - généralement
applaudie. On peut néanmoins lui faire
encore des reproches. Quelque refpeetables
que foient les droits collectivement .
apperçus de l'humanité , il faut pourtant
convenir qu'en morale comme cn politique ,
la diftinction des états eft auffi néceffaire
qu'utile au bien de la fociété , & qu'il eft dangereux
d'établir ou de chercher à établir un
fyftême fatal à cette diftinction , fans laquelle
un Royaume perdroit fon équilibre & tomberoit
dans une espèce d'anarchie. En fe propofant
d'oppofer Thomme à i homme , l'Auteur
ne s'eft pas apperçu qu'il négligeait l'obfervation
des convenances ; défaut très capital,
& qui devroit , pour l'intérêt univerfel,
être rigoureufeinent banni du Théâtre : car
fans les convenances , plus d'ordre , plus de
rangs , de fubordination , & , par une fuite
néceffaire le chaos de la barbarie . Malgré
cette faute , & quelques autres beaucoup
moins graves , l'Ouvrage plaît & doit plaire.
L'expofition eft nette , claire , précile &
chaude ; le dialogue eft naturel , vrai , preffé ;
le ftyle eft agréable, facile , fpirituel, doux &
fouvent plein d'énergie ; enfin le but moral eft
bien vû & bien rempli. L'Auteur a voulu y
montrer les inconvéniens de la Nature bonne,
mais brutale & négligée , avec les avantages
DE FRANCE. 91%
de la Nature guidée , éclairée & perfectionnée
par l'éducation .
P
Les principaux rôles de cette Comédie
font très bien rendus par Mile Carline ,
dans le perfonnage de Colas ; par Mme .
Gonthier , dans celui de Peirette ; par M.
Courcelle , dans celui de l'Inftituteur ; mais
Mme Reymond nous paroît mériter une diftinction
particulière pour le talent qu'elle
déploye dans le rôle de Fanfan. Son débit eft
vrai , naturel ; fon jeu muet eft bien entendu,
& les nuances par lesquelles elle paffe, pour
defcendre de l'extrême irritation de la vanité
aux mouvemens d'une fenfibilité dou- ·
loureuſe mais raifonnée , font infiniment
d'honneur à fon intelligence.
ANNONCES ET NOTICES.
OBSERVATIO
BSERVATIONS Philofophiques fur l'ufage
d'expofer les Ouvrages de Peinture & de Sculp
ture , par M. Viel de Saint- Maux . A la Haye ; & le
trouve à Paris , chez Bluet , Libraire , Pont Saint
Michel.
L'Auteur de cette Brochure répond à plufieurs
queftions ; 1. quelle eft l'origine de l'expofition des
Ouvrages de Peinture & de Sculpture ? Et il répond
qu'elle fe perd dans la nuit des temps ; 2 ° . pourquoi
ces expofitions ne fe font pas chaque année ?
Et il répond avec raifon qu'une année de travail ne
fuffiroit pas pour fournir un affez grand nombre de
productions eftimables.
Mais le principal objet de M. Viel de Saint- Maux
92 MERCURE
paroît être de parler des critiques que fait naître fi
abondamment l'expofition , & fur- tout de blâmer le
droit qu'on s'arroge de critiquer les Ouvrages expofés
. Il nous femble qu'il confond un peu trop l'abus
de la critique avec la critique même. Sans doute la
feule indignation qu'a pu lui inſpirer l'injufte cenfure,
l'aura prévenu même contre la fage & utile critique.
Le filence , dit-il , punit affez l'Auteur d'une
mauvaise production . Oui, fans doute ; mais il faudra
donc qu'un Artifte , s'il veut s'éclairer fur fes
défauts , fuive toutes les perfonnes qui vont vifiter
le Sallon , pour reconnoître celles qui fe taifent.
D'ailleurs , tant qu'il fe fera des expofitions publiques,
on parlera beaucoup des Ouvrages exposés : & parmi
tant de perfonnes qui parlent , il doit s'en trouver
naturellement qui veulent écrire . Ajoutons que fi la
critique afflige l'orgueil , c'eft'elle auffi qui lui procure
les plus vives jouiffances . Il n'y a que la liberté
de blâmer qui puiffe donner du prix à la louange. Un
Artifte , au moment où la critique vient de le maltraiter
, voudroit fans doute en abolir l'uſage ; mais
au moment d'expofer fon Ouvrage , nous croyons
qu'il confentiroit à courir le rifque du blême avec
la perfpective de l'éloge .
Aurelle , cette Brochure eft écrite avec chaleur ;
elle refpire l'enthoufiafme des Arts , & annonce un
homme fait pour en fentir & pour en faire ſentir les
beautés.
LE Cabinet des Fées , on Collection choifie des
Contes des Fées & autres Contes merveilleux ornés
de Figures , fixième Livraifon , Tomes XI & XII,
contenant le dernier Volume des Mille & une
Nuits , la Tour ténébreufe & les Aventures d'Abdala.
On voit que cette Collection eft livrée au Public
avec la même exactitude que celles de le Sage & de
DE FRANCE. 93
l'Abbé Prevoft , que le même Libraire nous a données
; elle aura trente Volumes de Contes & un
Volume de Difcours , contenant l'origine des Contes
des Fées & les Notices fur les Auteurs.
On délivrera régulièrement deux Volumes par
mois.
On s'inferit pour cette Collection à Paris , rue
& hôtel. Serpente , chez Cuchet , Libraire , Éditeur
des OEuvres de le Sage & de l'Abbé Prevoſt. Le
prix de l'infcription eft de 3 liv . 12 fols le Volume
broché , orné de trois Planches faites fous la direction
de MM. Delaunay & Marillier.
PRESENT de Flore à la Nation Françoife , pour
les alimens , les médicamens , l'art vétérinaire & les
Arts & Métiers , ou Traité Hiftorique des Plantes ,
rangées fuivant le fyftême de Linnée, par M. Buc'hoz.
in 4. Prix , 18 liv. les deux volumes , compofés
de quatre Livraiſons. A Paris , chez l'Auteur , rue
de la Harpe , au d: flus du Collège d'Harcour .
*
On diftribue actuellement la quatrième. MM . les
Soufcripteurs font priés de retirer cetre Livraiſon ,
en rapportant la quittance fignée de l'Auteur . La
cinquième Livraifen paroîtra fans foufcription ,
ainfi que les fuivantes ; on en payera le prix à l'inftant
de l'acquifition. Elles feront annoncées par les
Papiers Publics.
RAPPORT des Commiffaires de la Sosiété Royale
de Médecine , fur le Mal Rouge de Cayenne , ou
Eléphanfiafis . Imprimé par ordre du Roi. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale ; in 8 ° .
Toujours animé du defir d'être uile à l'humanité ,
M. le Maréchal de Caſtries a demandé l'Avis de la
Société Royale de Médecine , fur les moyens de guérir
cette maladie , & d'en arrêter la contagion . Cette
célèbre Société , qui joint les lumières au zèle le
f
MERCURE.
94
plus actif, vient de s'en occuper ; & fon Rapport eft
fait avec autant de fageffe que de fagacité.
GRAMMAIRE des Dames , ou Nouveau Traité
d'Orthographe Françoife , réduite aux règles les
plus fimples , & juftifiée par des morceaux choifis de
Poéfie , d'Hiftoire , &c. par M. l'Abbé Barthelemy
de Grenoble , in - 8 ° . Prix , 1 liv. 16 fols br. , &
2 liv. 5 fols franc de port par la pofte . A Paris ,
chez Buiffon , Libraire , hôtel de Mefgrigny , rue
des Poitevins , Nº . 13 .
PRECIS des Expériences faites par ordre du Roi
à Trianon , fur la caufe de la corruption des bleds ,
·&fur les moyens de la prévenir , à la fuite duquel
eft une Infiruction propre à guider les Laboureurs
dans la manière dont ils doivent préparer le grain
avant de le femer. De l'imprimerie Royale , & fe
trouve à Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins .
On ne fauroit trop recommander la lecture de cet
Ouvrage, que fon objet feul rendroit digne d'eftime.
FABRIQUE d'Ouvrages en Acier à Clignancourt.
- Le Sieur Grandchez , Bijoutier de la Reine , a depuis
fix ans établi à Clignancourt un commencement de
Fabrique d'Ouvrages en Acier , où il occupe cinq
Ouvriers. Animé par l'Arrêt du Confeil & la vifite
encourageante dont il a été honoré par Mgr. le
Contrôleur Général ( voyez le Journal de Paris du
4 Septembre ) , ayant eu l'honneur de préfenter au
Roi une Épée à perles d'acier de cette Fabrique ,
dont Sa Majefté a paru fatisfaire , & qu'Elle a
agréé ; il espère par la fuite en employer davantage ,
& prouver , quand il aura complété les outils néceff
res à la diligence du poli , & fait les agrandif
femens d'atelier , que les prix n'excéderont pas dans
DE FRANCE. 95
le genre fini celles qui fe fabriquent à Londres & à
Woodstock , & feront auffi parfaites , plus variées
& d'an meilleur goût , fans le fecours d'Ouvriers
Anglois , fon Chef d'atelier étant en état de former
des Élèves.
Afin que perfonne ne fe donne la peine d'aller à
Clignancourt , il prévient que ce n'eft qu'à Paris , à
fon Magatin au petit Dunkerque , qu'il recevra les
commandes , & qu'il n'entreprendra rien de commun
; il fera répa er tous les Ouvrages précieux qui
feront rouillés ou caffés , au point d'être auffi beaux
que neufs. Il peut faire voir divers échantillons
d'Ouvrages en Acier qui fatisferont les Connoiffeurs .
NUMÉRO 9 du Journal de Violon , Flûte ,
Alto & Baffe , deuxième année , ou Recueil d'Airs
nouveaux , par les meilleurs Maîtres , contenant
1'Ouverture du Droit du Seigneur & l'Entre- A&e
des deux Tuteurs . Prix , 2 liv . 8 fols . Abonnement
18 liv. & 21 liv. → Numérós 30 à 36 de la Muſe
Lyrique , ou Journal de Guittare , dédié à ta Reine ,
par M. Porro , contenant des Airs de l'Amant- Statue
, d'Alexis & Juftine , un Rondeau de M. Paifiello
, un Air de M. Philidor , & c . A Paris , chez
Mme Baillon, Marchande de Mufique , rue Nauve
des Petits- Champs , au coin de celle de Richelieu , à
la Mufe Lyrique .
DEUX Sonates pour la Harpe , Violon ad libitum
, & un Pot- Pourri , contenant le Vandeville de
Figaro , un Air d'Hayden , & c , par M. Coulineau
fils , de l'Académie Royale de Müfique , Cavre V.
Prix , 7 liv 4- fols . A Paris , chez Coulineau , ère
& fils , Luthiers de la Reine rue des Poulics , &
Salomon , Luthier , Place de l'cole.
La première de ces deux Sonates a été exé utée
avec beaucoup de fuccès par l'Auteur au Coneert
Spirituel.
96
MERCURE
De l'Enfeignement public , par M. Mathias ;
Ouvrage annoncé dans le Mercure , No. 39 , fe
trouve à Paris , chez l'Auteur , rue S. Honoré , visà-
vis celle des Bons- Enfans , Nº..562.
FAUTES à corriger dans le dernier Mercures
Article Expofition , &c.
Page 22 , lignes 32 & 33 , de ce Peintre eftimable,
dont la réputation auroit été plus brillante ,
lifez : de ce Peintre eftimable , & qui fans doute auroit
été plus eftimé , & c.
Page 24 , ligne 10 , des gens ,
lifez : de gens.
Idem , ligne 18 , 10 pouces quarrés , lifez :
10 pieds .
Page 28 , ligne 23 , fon Tableau , lifez : ce Tableau.
Page 33 , ligne 20 , comme la production , lifez :
comme la compofition.
Page 42 , ligne 8 , dans tous ces morceaux
lifez : dans ces morceaux.
TABLE.
LE Vieillard au Printemps , Charade , Enigme & Logo=
Elégie , 49 gryphe ,
Effai d'Infcriptions pour la Morceaux choifis de Tacite, s «
Halle au Blé,
La Rofe , Fable ,
Couplers ,
<1 Variétés ,
ib. Comédie Italienne ,
54
71
87
91 52 Annonces & Notices ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr . le Garde - des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi SO&tobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. ▲
Paris , le 7 O&obre 1785. RAULIN.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS OCTOBRE 1785.
PIECES FUGITIVES
2
EN VERS ET EN PROSE.
·
A une très jolie Femme , qui foupçonnoit
l'Auteur d'avoir fait des vers contre elle.
Deda Beauté , fidèle adorateur
Je me plais à lui rendre hommage ;
Juges, C......., fi je puis être Auteur
Du libelle obfcur qui t'ourage.
Avec des yeux , du goûr, un cocur,
Eût on jamais fait tel ouvrage?
Je renoncerois aux Neuf Sears
( Sil falloit , en fuivant leurs traces
N'en obtenir quelques faveurs
Qu'en déclarant la guerre aux Grâces.
( Par M. Dehauffy de Robécourt. )
No. 42 , 15 Octobre 1785.
98
MERCURE
ÉPIGRAM ME.
L'AMOUR eft un ferpent qui , caché four des fleurs ,
S'élance dans le fein d'une Belle éperdue ;
Si j'en crois vos regards , votre air & ves couleurs ,
Jeune Églé , je crains bien qu'il ne vous ait mordue.
( Par M. le Marquis de C.... V.. )
RÉPONSES A LA QUESTION :
Un homme qui a de l'efprit peut - il être
amoureux long-temps d'une femme qui n'en
a pas ?
I.
UNE Belle qui n'eft que Belle ,
N'a d'empire que fur les tens .
On peut defirer auprès d'elle ;
Mais on ne peut aimer long- temps.
Dès que laffe d'être cruelle
Elle cède aux voeux d'un amant "
Le traître Amour battant de l'aîle ,
Jouit , & s'envole en bâillant.
(Par M. le Vicomte de Mélignan. )
I I.
Pour fixer un amant l'efprit eft néceffaire ;
La conftance n'eft pas le prix de la beauté ;
DE FRANCE.
4 99
L'homme eft doué d'humeur un peu légère ;
Le même objet ne peut long- temps lui plaire
Qu'en lui montrant fans ceffe un air de nouveauté.
( Par M. Dehauffy de Robecourt. )
II I.
Ce n'eft pas le défaut d'efpric
Qui fait qu'on n'aime plus fa Belle.
Un amant qui la voit ainſi ,
Étoit déjà détaché d'elle .
( Par M. Larivière , de Falaife , Étudiant en Droit.)
I V.
ON peut bien un inftant brûler pour une Belle ,
Qui de fes attraits feuls peut faire vanité :
Le premier trait que lance la Beauté
Peut bleffer quelquefois le coeur le plus rebelle ;
Mais le mal eft bientôt paffé.
L'efprit , les talens ſeuls font un amant fidèle;
Toujours la bleffure eft mortelle
Quand le trait de l'Amour par Minerve eft lancé.
(Par M. L... de Lan... )
V.
LAFARE quitta Sévigné
Pour une femme laide & bête.
Tout le monde en fut indigné,
On difoit qu'il perdoit la tête.
E
}
100 MERCURE
Il répondit alors : « Une femme d'efprit
» Sur celui d'un amant exerce trop d'empire.
» Elle veut trop fouvent ufer de fon crédit .
» A lâ fotte on ne dit que ce qu'on veut lui dire . »
(Par M. le Chevalier de Meude Monpas . )
V I.
Si de l'amante à qui le fort vous lie
La Beauté ſeule vous féduit ,
Sur votre coeur Life aura du crédit ,
Tant que Life fera jolie :
Si vous aimez une femme d'efprit ,
Vous l'aimerez toute la vie .
(Par un Membre de la Chambre Littéraire
de Rennes, )
VII.
CIRTAIN fage rend grâce aux Dieux
De refufer l'efprit à ſa belle maîtreffe.
Quand je lui fais , dit- il , des aveux de tendreffe ,
» Si j'ai quelques rivaux je le vois dans les yeux.
» Je ne crains point , en m'offrant à ſa vûe ,
Qu'un mépris déguifé foit le prix de mes feux.
➜ Pygmalion étoit plus amoureux
» Quand fa Vénus étoit ftatue. »
(Par M. le Chevalier de Bafmarefq. )
DE FRANCE. 101
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE .
Laquelle de ces deux affectations fait plus
de tort à une femme , de vouloir paroître plus
jeune & plus jolie qu'elle n'eft , cu de vouloir
montrer plus d'efprit qu'elle n'en a.
ANECDOTE HISTORIQUE.
L'USAGE affreux de la torture , banni des
Tribunaux Anglois depuis des fiècles , profcrit
il y a long- temps dans plufieurs villes
Impériales , & dans la plus grande partie de
la Suille ; abandonné eu Ruffle , & enfin en
France depuis quelques années ; cette barbarie
que les Anciens du meius , réfervoient
à leurs of laves , & que l'Europe n'a cellé
d'abhorrer en l'adoptant , a déjugée par un
affez grand nombre d'Écrivains éloquens de
differentes Nations , pour que tout examen
ultérieur foit inutile. Dans quelques États
cependant cette abominable pratique a prévalu
fur le cri de la raifon , de la justice &
de l'humanité.
Il n'eft pas de preuve plus effrayante des
dangers de cette fuperftiticufe obftination
que le trait fuivant . On en doit la connoiffance
à M. Cumberland , Auteur Dramatique
Anglois , livré tour- à - tour à la culture
des Lettres & aux affaires publiques , eftimé
E iij
102 MERCURE
dans l'une & dans l'autre carrière , & employé
en Espagne par la Cour Britannique
pendant la dernière guerre . Lui- même a vû
le lieu de la fcène déplorable qu'on va raconter
, & a pu dire , en en recueillant les
circonftances : Heufuge crudeles terras !
>
Il y a fix ans qu'on pourfuivit en Portugal
un particulier accusé d'avoir empoisonné fa
four confanguine , pendant une groffeffe
qui étoit le fruit de leur amour inceftueux.
Depuis quelques années ce particulier
connu fous le nom de D. Juan , vivoit retiré
dans un château non loin de la ville
d'Eftremoz , fur la route de Lisbonne à Badajoz.
A fon paffage on montra à M. Cumberland
cette folitude dans un vallon peuplé
de lièges , à un mille de la grande route , &
dans un fite affreux. Les foupçons contre D.
Juan étoient fi forts , & l'opinion de fon
crime fi répandue , que , malgré une dépenſe
des trois quarts de fon revenu , confacrés à
des actes de charité , on avoit ceffé d'implorer
fes fecours & de le remercier de fes bienfaits
paffés : une feule perfonne pénétroit
encore dans cette folitude ; cette perfonne
étoit un Moine d'Eftremoz , Confeffeur &
Aumônier de D. Juan.
La durée & la violence du bruit public
touchant une accufation qui fuppofoit à la
fois l'incefte & le meurtre, réveillèrent l'attention
de la Juftice . Des Commiffaires vinrent
informer fur ie fait ; le Coupable ſuppoſe ſe
préſenta de lui-même , & répondit à toutes
DE FRANCE. 103
1
les fommations . Tant par fes dépofitions que
par celles des témoins , il parut que dès fon
enfance il avoit été élevé dans la famille
d'un riche Négociant de Lisbonne , qui
commerçoit avec le Bréfil. D. Juan ayant
adopté le nom de ce Négociant , on l'en
: croyoit le fils naturel. Les témoignages fembloient
conftater également une intimité entre
l'Accufé & Dona Jofepha , fille unique
du Négociant , la groffeffe de celle- ci , fa
mort fubite à la fuite d'une médecine prife
des mains de D. Juan , avec tous les fymptônes
de l'empoifonnement. La mère de
Dona Jofepha n'avoit furvécu à fa fille que
quelques jours , & fon père s'étoit jeté dans
un couvent de Moines mendians , en laiffant
toute fa fortune à l'empoifonneur.
Cette dernière circonftance enveloppoit
l'événement d'une étrange obfcurité. Si de
fortes préfomptions accufoient D. Juan ,
elles fembloient détruites par la retraite &
par le legs de fon père putatif. Pour fortir
d'embarras , les Juges ordonnèrent la
queftion.
Tandis qu'on s'y préparoit , Don Juan ,
fans terreur à la vue du fupplice , avertit
fes Juges de s'épargner cet appareil , en recevant
fon aveu fur des points importans
qu'il éclairciroit avec candeur , mais au - delà
defquels aucun tourment ne lui arracheroit
une parole. Il déclara qu'il n'étoit
nullement fils du Négociant auquel il devoit
fon éducation , ni l'allié de Jofepha ; que
Eiv
104
MERCURE
fon père , riche commerçant du Bréfil ,
l'avoit confié dès le berceau aux mains de
fon Correfpondant ; que par des raifons à
lui connues , celui - ci l'avoit appelé de fon
propre nom , en lui apprenant à fe regarder
comme un orphelin adoptif, né d'un parent
de fon bienfaiteur. Jainais par conféquent il
n'avoit pu voir une four dans Dona Jofepha.
Lié à elle par une paflion tendre & par une
promeffe de mariage , auteur même de fa
groffeffe , il demandoit pardon à Dieu d'une
offenfe qu'il avoit eu deffein de réparer par
le Sacrement. Lui- même avoit adminiftré la
médecine , néceffitée par les incommodités
de la groffe , de peur d'alarmer fes parets ,
Dona Jofepha l'avoit prié de la commander
comme pour lui même chez l'Apothicaire ;
précaution qu'il avoit prife , ainfi que celle
de voir préparer la diogue , compofée en fa
préfence , & dont il avoit vû mêler féparément
les ingrédiens.
Après cette confeflion , les Juges demandèrent
à l'Accufé s'il affirmeroit que D.
Jofepha n'avoit pas été empoisonnée . A
cette question , D. Juan verfa un torrent de
larmes , & répondit qu'à fon éternel regret
il favoit que fa maîtreffe étoit morte cmpoifonnée.
Le poifon étoit - il contenu dans
» la médecine ? Oui. Imputez- vous
ce crime à l'Apothicaire , ou bien vous-
» même en fûtes vous coupable ? - L'Apothicaire
& moi en fommes innocens . -
Par un principe de honte , D. Jofepha
2
و د
-
DE FRANCE. 101
» auroit elle commis un fuicide & verfé le
"
poifon à votre intçu ? Don Juan tref-
» faillit d'horreur , & prit le ciel à témoin
de l'innocence de l'infortunée . »
"
22
་
Les Juges confondus avoient fait trêve à
l'interrogatoire pour confuler entre eux ,
lorfqu'un des Commiff.ires obferva au prifonnier
, qu'après les réponfes , il ne reftoit
à lui faire qu'une question , tévolante fans
doute , mais indifpenfable. Est - ce donc ,
ajouta-til , au père ou à la mère de la
jeune perfonne que vous imputez cet horrible
empoisonnement ? Non , répondit
» l'Accufé du ton de voix le p'us affuté ; un
pareil deffein n'eft jamais entré dans leur
efprit , je ferois le plus méchant des hommes
fi j'ofois le leur imputer. — Quel eſt
» donc l'Auteur du crime , vous ne l'igno-
» rez pas ? D. Juan répliqua qu'il ne l'igno-
" roit point ; mais qu'aucun fupplice ne le
porteroit à le révéler. Ma vie eft à vous ,
ajouta-t'il , difpofez - en , je ne mourrai
» jamais au milieu de tourmens plus affreux
» que ceux dans lefquels j'ai vécu. »
"
"
38
A ces mots on faifit ce malheureux jeune
homme. Un Chirurgien eft appelé , & les exécuteurs
reçoivent le fignal de commencer la
queftion. Les liens dont les membres du patient
étoient attachés , embraffoient le treuil
d'un cabeftan ; dans cette fituation on lui
donna une première fecouffe. La force de
cerre infernale machine fut terrible ; on entendir
le craquement des mufcles & des ar-
Ev
1C6 MERCURE
ticulations ; à l'inftant le vifage du martyr
& fa poitrine fe couvrirent de groffes gouttes
de fueur; malgré l'atrocité des douleurs , il
ne pouffoit pas un foupir. Le fcélérat qui
préfidoit à l'opération , déclara qu'on pouvoit
forcer encore fur le cabeftan , parce
que le pouls du patient n'étoit ni altéré ni
affoibli.
Déjà les bourreaux commençoient une
feconde diflocation , lorfqu'un Moine fe
précipite dans la chambre , & crie aux Juges
de fufpendre les apprêts . Au fignal qu'on
leur donna , les exécuteurs lâchèrent la machine
; les jointures des membres ſe rapprochèrent
avec toute l'élafticité d'un reffort.
D. Juan , épuifé par cette horrible exécu
tion , s'évanouit. A cette vûe , le Religieux
s'écria d'un top de voix terrible : « Malheu-
» reux , qu'avez - vous fait ? Préparez vos
30
tourmens pour le coupable. Tremblez !
» vos mains cruelles ont trempé dans un
fang innocent. Il dit , & découvrant un
large capuchon qui lui couvroit le vifage
: « vous voyez à vos pieds , ajouta 't'il ,
» le Père..... & le meurtrier de Jofepha ! »
Toute l'affemblée recula d'horreur à cet
aveu; les Juges interdits reftoient muets &
confternés ; les bourreaux même envifageoient
le Moine avec effroi.
« Si vous voulez , dit- il aux Juges , écou-
» ter ma confeffion , la torture eft inntile ;
» finon , ne différez point à m'y placer ;
pour la première fois vous l'aurez infligée
»
DE FRANCE. 107
» avec juſtice . » Le Doyen des Juges lui or
donna de continuer.
" Cet infortuné fans connoiffance , dit le
Moine , eft fils d'un excellent père , jadis le
plus cher de mes amis. En paffant au Bréfil
pour y tenter fortune , il me confia fon
enfant au berceau. Enrichi par vingt ans de
travaux , dans cet intervalle , il me fit paffer
des fonds confidérables pour fon fils . Le dérangement
de mes affaires à cette époque ,
&une affreufe cupidité m'infpirèrent le defir
de m'emparer des biens dont j'étois le dépefitaire.
Je fis part de ce projet à ma malheu
reufe épouſe , qui déjà a répondu de fes actions
devant l'Éternel ; pendant long- temps
elle réfifta à mes follicitations. Tous les
jours cependant je voyois mon crédit s'évanouïr
; la misère alloit m'accabler ; il ne me
reftoit plus que cet infâme expédient pour
me fauver d'une ruine immédiate. "
" La perfuafion , les menaces , le tableau
du malheur qui nous attendoit , fubjuguèrent
la réfiftance de mon époufe. Nous convinmes
d'adopter l'enfant de mon ami comme
le fils d'un de nos parens éloignés. Sous fon
nom j'entretins une correfpondance fuivie
avec fon père ; & , grâces aux remifes qui
m'arrivoient du Bréfil , je foutenois ma maifon
dans une extravagante magnificence.
Enfin le père de D. Juan mourut en me léguant
fa fortune , au défaut de fon fils & de
fes héritiers naturels . J'étois tellement fami
E vj
TC8 MERCURE
liarifé avec le crime , que mon coeur ne
chercha point à réfifter à la tentation que
m'officit cette claufe du teftament . Tandis
que je méditois l'affaffinat de l'héritier , arrive
à Lisbonne l'Agent de fon père , Agent
inftruit de notre correfpondance , & dont
la préfence exigeoit la révélation à D. Juan.
de fon état & de la fortune . "2
» D'une part , menacé, d'éclairciffemens.
bonteux ; tenté de l'autre par l'avarice , à force
de perfécutions , j'affociai mon épouſe à mes.
d . ffeins . Nous empoifonnâmes la potion
que nous croyions préparée pour D. Juan ; le
ciel vengea cet attentat ; notre fille unique
avala ce breuvage , & nous la vîmes expirer
dans les angoiffes d'une douloureuſe agonie ,
avec le double remords d'avoir tué la mère
& l'enfant qu'elle portoit. La Nature cepen
dant combatrit en notie faveur dans le coeur
de Jofepha ; elle mêla fes larmes à notre
défefpoir ; elle nous donna des confolations ,
elle nous pardonna ! ..... Dans ces momens
tenibles où nous faifions à D. Juan l'aveu de
nos forfaits , notre fil'e expirante intercéda
fa pitié , elle en tira la promeffe qu'il ne
livre oit jamais fes parens à la juſtice , en
découvrant l'hiftoire de fa mort. Hélas ! il
n'a que trop gardé cette parole il meure
victime de l'honneur ! vos tortures ont mis
fin à fa vie....... »
A peine le Moine eut-il prononcé ces
mots , que l'on entendit D. Juan Loupirer
DE FRANC F. 109
pour la première & pour la dernière fois ;
le ciel eut pitié des fouffrances de l'innocent ,
& abrégea fon agonie.
Le Moine cependant avoit fixé fes regards
fur lui , il l'obfervoit avec terreur ; & tandis
que cer infortuné étendoit les membres par
un dernier mouvement : « Juges exécrables ,
་་
s'écria- t'il , puiffe le ciel au jour du juge-
» ment , punir ce meurtre fur vos âmes !
" pour moi , fi la vengeance de Dieu n'eft
point encore appaifée par mes remords ,
» au milieu des flammes je ferai confolé , en
fongeant que vous partagez mes tour-
39
"
❞ iens . »
En achevant ces imprécations d'une voix
furieufe , il fe plonge un couteau dans le
coeur . Son fang s'échappa à gros bouillons
fur le pavé , & il tomba mort fur le cadavre
de D. Juan , fans pouffer le moindre gémiffement.
( Par M. Mallet du Pan . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précéder t.
LE mot de la Charade eft Coucou ;
celui de l'Enigme eft la Feulx ; celui d'u
Logogryphe cft Alle , où l'on trouve › L
ail , tle, laie, lie , la , Alif, le , il , aie.
2
IIC MERCURE
INTERPRETE
CHARADE.
INTERPRÊTE muet des caprices du fort ,
Mon premier à lui - même , en fes effets contraire ,
Fait naître d'un feul coup la joie & la colère ;
Mon fecond , tout Lecteur le fait , c'eſt choſe claire ;
Pour mon tout , tu le peux deviner fans effort ,
Il annonce l'amour , la folie ou la mort.
( Par M. Aubry , Commis de la Marine ,
à Versailles. )
ÉNIG ME.
TOUJOURS en mouvement fans førtir de ma place ,
Dans un court intervalle , en un petit eſpace ,
Mes deux bras en longueur , en viteffe inégaux,
Règlent chez les humains la vie & les travaux.
On me rencontre aux champs , mais fur tout à la
ville.
Au beau fexe jadis je fervis d'ornement :
La mode m'a réduit à mon uſage utile .
Infuffifant par moi , malgré tout mon talent ,
Sans un bon gouverneur je deviens inutile ,
DE FRANCE. III
LOGO GRYPH E.
PUISSE-T
UISSE - T'ELLE Vivre à jamais
Celle dont je fuis le fymbole !
Dans mes fept pieds , Lecteur , pris en différens traits ,
On trouve un petit fruit dont tout Paris raffole ;
Une note ; deux inftrumens ;
;
Ce qui fouvent mène à la corde ;
Ce que l'on apprend aux enfans ;
Un fleuve , & tout ce qui le borde
Ce qui refpecte peu les morts ;
Le tréfor le plus cher à l'homme ;
Ce qu'il met dans les coffres - forts
Quand il en a certaine fomme ;
Le dépôt des Savans ; le voeu des curieux ;
Une Impératrice Romaine ;
Ce qu'un fexe facile épargne aux amoureux ;
Ce qui met les foux à la gêne ;
Ce qu'une Actrice de mon nom
Joue fort bien , je vous affure ;
Ce qu'un ivrogne laiffe au fond
D'un tonneau , mais non fans murmure.
Mon anagramme et une fleur ;
Plus utile , je plais moins qu'elle ,
Et mon nom celui de l'Auteur.
Je finis- là ma Kirielle.
112 MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES
SUPPLÉMENT aux Projets de Bienfaifance
& de Patriotisme pour toutes les
Villes & gros Bourgs du Royaume, &
applicables dans toutes les Villes de l'Europe
, contenant , 1º. l'Analyfe du Projet
de la Maifon d'Affociation , publié par
M.
de Chamouffet , avec l'expofe de quelques
moyens qui peuvent le rendre utile & praticable;
2 ° . un Mémoire fur la multiplicité
des Domeftiques males , & fur les
moyens d'en diminuer le nombre ; 3 ° . un
Projet d'une Société prévoyante pour tous
les Clubs ou Cotteries qui fe font formés
à Paris depuis quelques années ; par M.
de Beaufleury , Avocat au Parlement ,
de l'Académie des Arcades de Rome , &
du Mufée de Paris . Prix , 12 fols . A
Paris , chez Cailleau , Imprimeur Libraire
, rue Galande , n . 64 ; Royez , Libraire
, quai des Auguftins ; Froullé , Libraire
, même quai ; Defenne , Libraire ,
au Palais Royal, paffage de la rue Richelieu.
Nous avons rendu compte dans le Mercure
du 15 Novembre 1783 , Nº . 46 , de
L'Ouvrage de M. de Beauflcury, dont toutes.
DE FRANCE. 173
les recherches ont pour objet l'utilité publique
; il marche fur les traces de M. de
Chamouffet , & la Société doit lui favoit
gré de fes efforts . Le Supplément qu il offre
aujourd'hui au Public , fera une nouvelle
preuve de fon défintéreffement & de fon
zèle. Il contient trois Mémoires.
Le premier eft une Analyfe du Projet de
la Maiſon d'Aſſociation , publié par M. de
Chamouffet en 174 , & renouvelé en
1775 avec quelques changemens.
M. de Chamouffet offroit à fes Affociés
dans l'état de maladie tous les fecours qu'on
peut delirer moyennant une fomme niodique
; mais il falloit aller les recevoir dans
un hôpital , qui offre toujours à l'efprit une
idée trifte & humiliante . Les bénéfices de la
Maifon d'Affociation étoient de la moitié
desfommes qu'auroient fournies les Affociés .
M. de Chamouffer les applique dans fon
premier Mémoire à la Maifon même , foit
pour fes befoins extraordinaires , foit pour
faire dans les années d'abondance des provilions
pour les années de diferte.
L'inconvénient & la difficulté de quitter
fa maifon & fa famille pour aller fe faire
foigner dans la Maifon d'Affociation , &
les bénéfices qu'elle vouloit faire fur fes
Affociés , décréditèrent le projet de M. de
Chamouffet.
M. de Chamouffet le renouvela en 1770
avec anfi peu de fuccès.
M. de Beaufleury préfente au Public de
114 MERCURE
nouveaux moyens pour faire réuflir un Bureau
d'Affociation ; il propofe aux Affociés
de leur fournir chez eux tous les fecours que
M. de Chamouffet leur offroit dans la Maifon
d'Affociation , & de faire tourner les
bénéfices de ce Bureau à l'avantage de ceux
qui doivent le former.
M. de Beaufleury divife fon Bureau d'Aſfociation
en quatre claffes , dans chacune
defquelles il fuppofe quinze mille Affociés.
La première , dit- il , à laquelle cet établiffement
eft principalement deftiné , payera
12 liv. par an pour fon droit d'affociation.
Moyennant cette petite rétribution , le Bureau
s'obligera de fournir à chaque Affocié,
dans toutes fes maladies , les fecours qui pourront
lui être néceffaires en Médecins , Chirurgiens
& médicamens ; il lui donnera en
outre vingt fols par jour pendant toute la
durée de la maladie.
La feconde payera 18- liv. par an , & aura
avec les mêmes fecours une livre dix fols
par jour.
La troisième payera 24 liv. par an , &
aura avec les mêmes fecours deux livres par
jour.
La quatrième enfin payera 36 liv . par
an , & aura avec les mêmes fecours trois
liv. par jour.
D'après les principes que M. de Chamouffet
a établis , que M. de Beaufleury a
vérifiés , & que MM. Lorry & Petit ,
fameux Médecins , ont confirmés , il eft
DE FRANCE. . 115
prouvé que fur cent perfonnes il n'y aura
jamais dans le courant d'une année plus de
douze maladies d'un mois , ou vingt - quatre
de quinze jours. Il fuit de là que fur quinze
mille Affociés il y en aura toujours cent
cinquante de malades.
La cotifation des quinze mille Affociés
de la première claffe produira .80 , coo liv.
D'après les calculs de M. de Beaufleury ils
coûtéront au Bureau 102,000 livres ; il
reftera fur la recette 8coo liv. qu'il rend
aux quinze mille Affociés par la voie d'une
loterie compofée de quinze mille billets &
de cinq mille lots.
La cotilation des quinze mille Affociés
de la feconde claffe produira 270 , oco liv.;
ils coûteront au Bureau 129 , cco livres ; il
reftera fur la recette 14,000 liv . qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
voie d'une loterie compofée de quinze mille
billets & cinq mille lots.
La cotisation des quinze mille Affociés de
la troisième claffe produira 360,000 liv .;
ils coûteront au Bureau 156,000 liv.; il
reftera fur la recette 204,000 liv. qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
voie d'une loterie compofée de quinze mille
billets & cinq mille lots.
La cotilation des quinze mille Affociés de
la quatrième claffe produira 540,000 liv.;
ils coûteront au Bureau 211 , cco liv. , & il
reftera fur la recette 329,000 liv. qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
116 MERCURE
voie d'une lorerie compofee de quinze mille
billets & cinq mille lots.
L'on voit qu'il n'y a que trois à parier
contre un qu'on n'aura pas un lot , indépen
damment de ce premier avantage que l'on
ne trouve dans aucune des loteries connues
chaque Affocié en retirera une utilité réelle
pour la tranquillité & fa propre confervation.
Ilferoit à defirer qu'un pareil établiſſement
pût être adopté par tous les Gouvernemens ;
il affureroit au pauvre des fecours plus
affidus & plus abondans dans les hôpitaux ,
parce qu'ils feroient moins nombreux ; il
empêcheroit les ouvriers de s'y faire tranf
porter lorfqu'ils font malades , & les riches
n'oferoient plus y envoyer leurs valets ; il
réfulteroit de là une diminution confidérable
dans la dépenfe des hôpitaux , & un
bien inappréciable pour la Société , parce
que les ouvriers qui ont trop de répugnance
pour ces afyles de la pauvreté indigente , ne
feroient plus expofés à manger dans une ma
ladie toutes leurs économies , & à languir
dans la misère pendant leur convalefcence .
M. de Beaufleury s'occupe dans fon
fecond Mémoire des moyens de diminuer
Je nombre des domeftiques mâles ; il rappelle
un Arrêt que Louis XIII fit rendre le
15 Août 1536 , qui ordonna aux Maîtres de
congédier leurs domefticues inutiles , & de
ne conferver que ceux qui leur feroicnt abfolument
néceffaires , relativement à leur
DE FRANCE. 117
état & condition ; cet Arrêt , dit il , fit renvoyer
environ vingt mille domeftiques.
Louis XIII les fit recruter pour fon armée,
& il en fit des foldats à la décharge des Provinces
, qui auroient été obligées de les fournir
. Louis XIII , par cette fage Ordonnance ,
réprima le luxe , éloigna de Paris vingt mille
fainéans , & laiffa dans les campagnes des
hommes utiles , qui ne devroient jamais en
fortir.
L'Auteur , après avoir démontré le tort
que fait à cet Art la multiplicité des domeftiques
mâles , prouve qu'ils éloignent du
fervice les femmes , qui y feroient plus propres
, n'ayant pas , dit il , comme les hommes,
la refource des Arts & Métiers . Celles
qui ne trouvent pas à fe placer font forcées
de s'abandonner au Ebertinage & à la débauche.
Il parcourt les différens moyens que
l'on a tentés pour diminuer le nombre des
domeftiques mâles , & propofe enfuite ,
pour empêcher qu'ils ne fe multiplient encore
, de défendre aux hommes qui font attachés
à la culture des terres de quitter leur
village avant l'âge de trente ans pour aller
fervir dans les Villes en qualité de domeftiques
; cette défenfe , dit- il , fans porter atteinte
à la liberté des fujers du Roi , préviendroit
feulement l'abus qu'ils en font tous
les jours , & les défordres qui en font la
fuite ; car , d'après le plan de l'Auteur , le
Laboureur qui voudroit quitter ſon métier
pour en prendre un autre jouiroit d'une
118 MERCURE
pleine & entière liberté ; & après avoir fait
fon apprentiffage dans le métier qu'il auroit
choifi , il pourroit , même avant l'âge de
trente ans , devenir domeftique ſi ſon goût
le portoit à la fervitude.
Ce projet rend , comme l'obſerve l'Auteur,
à détruire la mendicité , le plus grand
des fléaux qui puiffe affliger l'humanité ; il
diminuera naturellement le nombre des
domeftiques , & obligera les Particuliers à
prendre des filles à leur fervice ; d'ailleurs
les domestiques , qui fe feront inftruits dans
les Arts & Métiers , y retourneront lorsqu'ils
ne feront plus en état de fervir , parce qu'ils
ne pourront pas le faire mendians fous prétexte
qu'ils ne favent rien faire.
M. de Beaufleury donne dans fon troifième
Mémoire le plan d'une Société prévoyante
pour tous les Clubs qui fe font
formés à Paris depuis quelques années ; la
Société prévoyante formée par quelques
Négocians de la Cité de Londres lui en a
donné l'idée ; mais fon affociation diffère de
la Cotterie Angloife , & par les principes
fur lefquels elle eft fondée , & par les combinaiſons
qu'elle préfente.
Il fuppofe que les Affociés d'une loterie
foient au nombre de deux cent , & qu'ils
fourniffent chacun pendant fix ans soo liv.;
ce capital de 600,000 liv. , dit-il , produira
30,000 liv. de rente fi l'emploi en eft bien
fait.
Les 5000 liv. de la première année feront
DE FRANCE. 119
divifées en trente - quatre lots viagers , qui
feront diftribués au deux cens Affociés par
la voie du fort.
On répétera cette opération la feconde , la
troisième , la quatrième , la cinquième & la
fixième année , en excluant du partage des
lots ceux des Affociés qui en auront eu dans
les années précédentes ; par ce moyen tous
les Affociés le trouveront pourvus d'un lot
à la fin de la fixième année.
Les lots des Affociés qui mourront après
la fixième année feront diftribués à tous les
Affociés furvivans par la voie du fort ; lorfqu'ils
feront réduits à dix , ils pourront diffoudre
la Société ; & fur le capital de
600,000 liv. qui formera le fonds de l'affociation
, chaque Affocié prendra une fomme
proportionnée au nombre & à la quotité
des lots dont il fe trouvera en jouiffance au
moment de la diffolution de la Société.
Ce projet préfente des avantages qui pourront
le faire adopter par quelques fociétés
particulières ; le facrifice d'un capital modique,
affurera une rente viagère à chaque
Affocié , lui donnera l'efpérance d'en avoir
plufieurs ; & s'il vit au moment de la diffolution
de la Société , il fe trouvera propriétaire
d'un capital qui ajoutera à fon
aifance , ou lui procurera celle dont il pourroit
manquer.
Les vûes de M. de Beaufleury méritent
d'être accueillies ; elles font dictées par l'amour
du bien public ; & la manière dont
120 MERCURE
il les préfente fait l'éloge de fon défintérelfement
& de fon zèle.
PENSÉES & Obfervations modefies de M. le
Comte de Barruel- Beauvert , Capitaine de
Dragons. A Amfterdam , & fe trouvent
à Paris , chez Cuffac , rue & carrefour
S. Benoit , vis-à- vis la rue Taranne , 1755 .
Vol. in 2. de 16 pages. Prix , 2 liv .
8 fols , & en papier vélin , 4 liv. 10 fois .
BOILEAU difoit de la Bruyère , qu'en publiant
des pensées détachées , il s'étoit difpenfé
de ce qu'il y avoit de plus difficile
dans l'art d'écrire , il vouloit parler des tranfitions
. Cependant la Bruyère a obfervé une
efpèce d'ordre , puifqu'il a claffé dans des
chapitres diftincts les penfees & les portraits
relatifs à chaque objet . Le Recueil des Penfées
de M. le Comte de Barruel - Beauvert
n'étant pas , à beaucoup près , aufli confidé
rable , il a fans doute imaginé qu'il pouvoit
fe paffer de cette méthode , quoiqu'il préfente
un affez grand nombre de matières différentes
. Mais comme ce n'eft ici que le
modefte effai d'un jeune Militaire qui a déjà
fait fes preuves , & qui ne parcourt qu'en
fe délaffant la pénible carrière des Lettres ,
que d'ailleurs il a l'extrême défavantage d'arriver
après des chef d'oeuvres & des modèles
dans le même genre , il doit fans doute
défarmer les Critiques trop févères . Ceux
qui ne feront que juftes , y trouveront plufieurs
DE FRANCE. 121
fieurs Penfées vraies , exprimées avec précifion
, & quelquefois avec nobleſſe , &
d'autres qui ont un certain air de nouveauté
, foit dans les chofes mêmes , foit dans
la manière de les préfenter. En voici quelques
unes.
ود
« Ordinairement une idée produite par
» le génie eft d'une fi grande fimplicite
qu'elle n'étonne prefque perfonne : elle ne
furprend que ceux qui étoient capables
» de l'avoir eue.
39
ود
" Le Gouvernement devroit obliger l'Aca-
» démie à brûler une fois l'an tous les mau-
» vais Ouvrages qui auroient paru dans la
» précédente année.
Il vaut mieux prendre des confeils de
» fon coeur que de fon efprit ; & fi l'efprit
" nous fait faire des fottifes , c'eft à notre
» coeur à les réparer.
39
"
Celui qui mal-à- propos offenfe fon pareil
, s'avilit & l'élève au - deffus de lui.
» Celui qui offenſe fon inférieur ſe rabaiſſe
» & devient fon égal.
» L'amour eft fait pour tout le monde ,
» mais tout le monde n'eft pas fait pour
» l'amour.
"
Si les hommes changent les abus & les
loix , ce font les abus & les loix qui chan-
" gent à leur tour tous les hommes.
33
» Néceffairement un homme de génie
» s'eftime ce qu'il vaur , mais il ne s'expofe
point à faire rabattre de fon prix. >>
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
وو
F
122 MERCURE
M. le Comte de Barruel rapporte un
mot piquant fur Rouffeau de Genève.
" Mme la Baronne de Bourdic a dit que
» Jean Jacques Rouſſeau eût mis tout le tort
» du côté de fes ennemis , s'il fût mort fans
» confeffion . »
"
"
Il eft bon de citer encore quatre vers affez
plaifans fur les Gafcons , traduits de l'Italien
par l'Auteur.
Avec l'efprit & l'induſtrie
La moitié de l'année en vit,
Et l'on paffe l'autre partie
Avec l'induftric & l'efprit.
Dans les Penfées d'une certaine étendue ,
on remarque quelquefois une difcuffion fage
& lumineufe, Telle eft la 188°. où l'Auteur
apprecie & diftingue affez bien l'admiration
des hommes inftruits pour les belles &
grandes chofes , du goût des hommes ordinaires
pour les chofes médiocres & puériles.
•
M. le Comte de Barruel qui , en général ,
paroît être bon obfervateur & juger fainement,
auroit dû mettre plus de foin à régler
fon imagination & à châtier fon ftyle. Souvent
pour le pénétrer irop fortement de fon
idée , il tombe dans l'exageration , & fe
laiffe aller au- delà du but que la première
réflexion lui avoit préfenté . Quelquefois auffi
il oublie de s'arrêter à propos , il gâte la
vérité ou l'éclat de fa penfée , par le com
DE FRANCE. 123
mentaire qui la fuit. Quelquefois encore il
dit des chofes peu exactes ou communes.
On pourra lui reprocher enfin quelques
tournures obfcures ou embarraffées , quelques
termes équivoques & certaines applications
difficiles à faifir. Ces défauts fe font
aifément remarquer dans les Penfées fuivantes.
"
Il eft auffi difficile à telle perfonne de
fe mettre à la place de telle autre , qu'il
» lui feroit mal - aiſé de déménager ſa penſée
» defa tête.
"
"
» On obſervera que certaines perſonnes
qui ont le ton péremptoire , impofent
quelquefois.
" La mauvaiſe compagnie feroit auffi eftimable
que la bonne , s'il étoit poffible
qu'elle offrit la même délicateffe & les
» mêmes plaiſirs. » Mais alors ce ne feroit
plus la mauvaife compagnie.
"
Dans un autre endroir , l'Auteur parle
d'une prude qui veut infpirer de l'amour &
en reffentir , en confervant l'apparence d'une
extrême froideur. « Senfation mêlée , dit- il ,
» & femblable à celle que produit fur la
» main un morceau de glace , même après
qu'il a ceffé d'exifter. "
» Les hommes ne méritent jamais que par
» les qualités du coeur , & ce n'eft que par
lui que on vaut quelque chofe . » Cette
maxime n'eft pas exacte ; car on vaut auffi
30
Fij
124 MERCURE
par les qualités de l'efprit , par la fagcffe , les
talens , &c.
Un homme qui doute de faire pour fa
» maîtreffe tout ce que les Romans offrent
» de plus extraordinaire , ne l'aime point
» avec volupté. » Au lieu de doute il faudroit
héfite , fi l'on eft curieux du mot propre
; & au lieu de ne l'aime point avec vo- ,
lupté , peut- être l'Auteur a t'il voulu dire ,
ne l'aime pas véritablement. Quoi qu'il en
foit , il nous femble qu'on peut aimer fa
maîtreffe véritablement ou avec volupté , fans
faire cependant pour elle les extravagances
de Dom Quichotte.
Malgré ces taches , & quelques autres que
nous invitons l'Auteur à faire difparoître
dans une feconde Édition , ce Livre nous a
paru eftimable ; il annonce dans M. le Comte
de Barruel des connoiffances variées , de l'efprit
& du goût ; & il prouve que ce jeune
Écrivain pourra mériter , comme Profateur
, les fuccès qu'il a déjà obtenus comme
Poëte.
DE FRANCE.
125.
VARIÉTÉ S.
DES PROCESSIONS.
L'ORIGINE ' ORIGINE des Proceffions remonte au commencernent
du paganifme. A Lacédémone , dans un
jour confacré à Diane , on faifoit une Proceffion
folemnelle. Virgile fait mention dans fes Géorgiques
de la Proceffion ufitée toutes les années en l'honneur
de Cérès :
Cuneta tibi Cererem pubis agrefiis adoret ,
Terque novas circum felix eat hoftia fruges ,
Omnis quam chorus , & focii comitantur ovantes .
Ovide ajoute que ceux qui y affiftoient étoient
vêtus de blanc , & portoient des flambeaux allumés.
Il fut un temps où les hommes , privés des feccurs
de l'Imprimerie , ne connurent que les jeux & les
fpectacles publics pour tranfmettre à la postérité le
fouvenir des grands événemens. La Religion ne
dédaignoit pas de fe mêler à ces folemnités ; les
facrifices , les proceffions même précédoient ou fuivoient
prefque toujours les exercices publics en ces
fortes d'occafions. C'eft ainfi que les fêtes de la
Grèce ou de l'Aufonie étoient prefque toutes célé
brées en mémoire des Héros ou de quelque époque
intéreffante pour les Nations.
Ce ne fut que vers le temps de Saint Ambroise
* Lettre tirée des Soirées Provençales , Ouvrage
qui doit paroître inceffamment , à Paris , chez Nyon ,
Libraire , rue du Jardinet , 3 vol . in- 12 .
Fij
126 MERCURE
que ces pratiques du paganifme commencèrent à
paffer dans la Religion Chrétienne .
D'abord le Peuple des grandes villes , telles que
Rome , Alexandrie & Bylance , fuivoit le Paſteur
principal lorfqu'il alloit en ftation dans quelque
Eglife particulière , & voilà vraisemblablement les
premières de toutes les Proceffions . Enſuite , lorſque
des calamités publiques défolèrent la terre , les hom
mes , toujours plus religieux lorfqu'ils font malheureux
& fouffrans , fe raffemblèrent à la voix des
faints Evêques ; & comme fi le fpectacle de leurs
misères réunies étoit plus capable de fléchir la colère
du Ciel, ils traversèrent les campagnes en verfant
des larmes & des prières fur ces récoltes frappées de
malédiction . C'eft ainfi que Saint Mamert , Évêque
de Vienne , inftitua les Rogations en 469. Les autres
Proceffions établies depuis ces anciens teinps ,
ont confervé dans nos Villes l'empreinte du fiècle
qui les vit naître. Les unes font votives ( comme
celle du Vou de Louis XIII ) , les autres militaires
( celle de la Pucelle à Orléans le 8 Mai ) ; enfin
quelques- unes chevalerefques ( comme à Aix ) , mê-
Tangent avec trop de bizarrerie & d'indécence la
repréfentation de nos Myftères avec les extravagances
mythologiques '; mais une Proceffion majeftueufe
eft celle dont j'ai vû moi même le touchant
appareil en 1758 ou 59 à Marſeille .
Vous connoiffez , au moins de réputation , l'ordre
utile & par conféquent refpectable que fonda vers
l'an 1200 , Pierre Nolafque ( Languedocien ) , ami
de Simon de Montfort & de Jacques , Roi d'Arra .
gon ; vous favez que cette fociété , d'abord religieufe
& militaire , fut deſtinée à briſer les fers des
Chrétiens prifonniers chez les Mufulmans . A peuprès
dans le même temps , Jean de Matha ( Provençal
) établit avec Félix de Valois , l'ordre de la Trinité,
aufli pour la rédemption des captifs , connue à
DE FRANCE. 127
Paris dès le douzième fiècle fous le nom des Mathurins
. Eh bien ! ce font ces bons Religieux qui
donnent de temps en temps à la Provence le con
folant ſpectacle dont je vais vous entretenir.
Ces Moines- Citoyens confacrent le tiers de leurs
revenus à l'oeuvre pour laquelle ils exiftent ; ils font
les dépofitaires des abondantes aumônes que leur
confient ces hommes qui , étendant au loin leur fen
fibilité , compatiffent aux maux qu'éprouvent leurs
frères en Afrique & en Afie. Lorsque ces fommes
font affez confidérables pour tenter le rachat d'un
certain nombre de prifonniers , ces vénérables Pères
quittent leur patrie , traverfent les mers , & fe répandent
courageufement dans tous les Divans de la
Barbarie pour obtenir la liberté des efclaves . Au
bout de quelques mois , & après des périls de toute
efpèce , ils reviennent à Marſeille ou à Toulon ,
mais plus ordinairement dans la première de ces
Villes , & leur débarquement eft un vrai triomphe,
Ils précèdent , en conquérans adorés , ces malheu
reufes victimes arrachées par la charité chrétienne
aux plus impitoyables des maîtres : & nos Citoyens
attendris font alors les témoins de la plus augufte
des Proceffions. La croix , les bannières , les drapeaux
, les fifres , les timbales précèdent ce cortège ,
& l'annoncent avec pompe & fracas. Suivent les
pauvres Captifs , deux à deux , en cafaque rouge ou
brune , & portant encore les fers de l'esclavage. Ils
étalent , en implorant la pitié publique , les cruelles
mutilations que les Turcs leur font effuyer pour
moindres fautes . Les uns ont les joues marquées
d'un fer chaud , les autres font déchirés d'incifions
profondes fur la tête & les bras ; ceux là font tailladés
en lofanges ou dégarnis d'oreilles ; ceux - ci
n'ont plus de langue , & ouvrant la bouche , ne profèrent
que des foas inarticulés ; prefque tous font
les
Fiv
128
MERCURE
chauves , & noircis comme des charbons , par l'ardeur
du foleil vertical d'Afrique , & confumés , defféchés
par les travaux les plus durs de l'agriculture .
Tous verfent , à la vérité , des larmes de joie , en
revoyant les murs de leur chère patrie ; mais , hélas !
ceux qui ont vieilli dans les chaînes , fe trouvent
étrangers dans fon fein , & , pour ainsi dire , méconnus
de leur mère. Semblables à des hommes d'un
autre fiècle ou d'un autre hémisphère , que devenir ,
que faire dans l'âge des befoins & de l'abandon des
forces .... Ceffons de les plaindre ; la charité des
PP. de la Merci veille fur eux , & protège leur exiftence
. Ils accompagnent par- tout cette déplorable
famille , l'afpect de tant de misères émeut tous les
cours ; on profite des courts momens où la pitié fe
marifefte ; & avant que ces précieufes larmes , qui
coulent , foient féchées , on demande , on follicite ,
on arrache des largeffes qui , préparant des reffources
aux infirmes & aux vieillards , les fauvent du
défefpoir , & leur font donner mille bénédictions à
leurs rédempteurs.
Je n'ai pas befoin de vous dire qu'au moment où
cette Proceffion fi tragique fe forme au milieu du
cours , la foule eft innombrable ; les fenêtres de
toutes les belles maiſons élevées & fymétriſées par
le Pujet , offrent le coup- d'oeil le plus curieux , le
plus étonnant. L'humanité , la générofité , toutes les
vertus qui ennobliffent l'homme , brillent fur tous
les fronts ; & la moitié des fpectateurs n'y pouvant
tenir , fe livre tout franchement au plaifir fi doux
de verfer des larmes d'attendriffement fans autre embarras
que de les effuyer.
J'aime trop ma patrie pour vous décrire ici l'étrange
Proceffion qui attire à Aix tant de badauts aux
approches de la Fête- Dieu. Si l'on veut en connoître
à fond les détails & les myftères , en peut confulter
DE FRANCE 129
le favant Ouvrage de M. Grégoire . Ces piroyables
folies infultent à la Province , ou plutôt à la ville
qui les tolère . *
Mais afin que vous n'y perdiez pas , je vais vous
retracer un autre fpectacle que le même jour de la
Fête- Dieu ramène tous les ans , fur les quais de nos
ports , & dont l'appareil fatisfera tout autrement
* Cependant , fi quelqu'un de mes Lecteurs defiroit
en avoir une idée , il eft jufte de lui en tracer à
peu-près la marche .
Un Roi vêtu d'une longue robe blanche , & la
couronne fur la tête , paroît le premier , entouré
d'une douzaine de diables qui le harcellent avec de
longues fourches ; & après s'être bien débattu , il
finit fon jeu par un grand faut. Parmi ces diables on
diftingue la diableffe à fon habillement & à fa
coëffure . Tous les diables de leur cortège font hériffés
de cornes hideufes. Ils portent des bandoulières
chargées de grelots & de fonnettes , qui fe croiſent
fur la poitrine . On peut s'imaginer quel tintamarre
ils fout quand ils danfent ! Tous ces diables vont entendre
la meffe à S. Sauveur ; ils entrent dans l'églife ,
Aune letière à la main , & après cela ils jettent de l'eau
bénite deffus , en faifant le figne de la croix , pour
empêcher que quelque vrai diable ne fe mêle à
leur troupe , & qu'à la fin il ne s'en trouve un de
plus forti des enfers , comme cela eft arrivé , difentils,
il y a long-temps ...... Tout cela eft terminé par
un trait qui eft , felon eux , la moralité de la Pièce ;
c'eft S. Chriftophe qui porte le Sauveur du monde ,
pour nous avertir que nous devons le porter dans
le coeur.... Il y a de plus , de fort jolis ballets de
Teigneux , de Décroteurs , de Tiraffouns , de Rafcaffettes.
Le jeu de ces poliffons confifte à danfer
autour d'un Confrère , à lui peigner fa fale perruque ,
à le broffer , & à l'agiter avec des cifeaux ; & tour
cela chez un peuple , & dans un fiècle qui connoît
Athalie & Cinna ! (Papon. )
Fv
130 MERCURE
votre imagination. C'eft cependant un malheur attaché
aux defcriptions écrites de ne pouvoir frapper
que fucceffivement , lors même que vous avez à
produire un effet par la feule majeſté d'un grand enfemble
; de forte qu'après avoir été transporté d'admiration
, vous êtes étonné de la froideur d'un
narré où les faits n'arrivent plus qu'un à un fans fe
groupper comine vous les voyez fans moyens ,
ou même comme ils fe peignent dans votre tête.
Effayons toutefois , puifque je l'ai promis ; c'eft une
affaire d'honneur.
Dès le matin tous les navires qui font dans le
port arborent leurs flammes & leurs pavillons ; les
quais font balayés , arrofés & femés de fleurs ; les
Marins ont pris leur habit de fête , leur gilet de
coutil bleu & leur bonnet rouge de Tunis ; ils ne
travaillent pas , ils fe repofent , ils fument. Voici
à peu près la marche & l'ordonnance de la Proceffion
. Toutes les Confréries rangées fous leur
bannière , marchent au bruit des tambourins & des
galoubets. Celle des Jardiniers eft fur- tout remarquable
par les phénomènes potagers que chaque
membre tâche de faire éclore pour décorer fon
cierge. Ce font des fleurs rares , des artichauts
monstrueux , des poires précoces. , des nids d'oifeaux
, & c. &c.
Plufieurs centaines de jeunes filles vêtues de blanc ,
parées de fleurs , ceintes de rubans frais , défilent
deux à deux en chantant des pfeaumes , & reflem- .
blent de loin à de beaux lis parmi les arbustes
fleuris d'un parterre. La fymétrie leur prête un nouvel
éclat,
Viennent cent grouppes de petits enfans habillés
en Abbés , en Anges , en Bergers , conduifant des
agneaux ; la plupart repréfentent les diverfes hiftoires
du vieux Teftament. Les Acteurs font précédés
& ſuivis d'une légion de lévites vêtus d'aubes
DE FRANCE.
izr
blanches , & tout chamarrés de rubans , lefquels
portent des corbeilles de Aeurs & en font voler des
nuages.
Les Corps Religieux de tous les Ordres , les bras
croifés , fuivent à pas lents de longues files de péni
tens de toutes couleurs . Oh ! ceci a l'air d'une vraie
mafcarade , plus hideufe encore que ridicule.
Ces étendards qui flottent déployés , ces brillantes
oriflammes , ces guidons , ces pannonceaux , ces
riches bannières brodées en or , peintes fouvent par
de grands maîtres , meublent le port d'une façon
très - pittorefque , & femblent le difputer d'éclat &
de magnificence aux mille pavillons qu'étalent les
navires. Tels parurent fans doute nos bords fameux
lorfque la folie des croifades , paffant de la tête
échauffée d'un hermite dans le coeur ambitieux d'un
Pontife , les François couroient en foule à Marseille,
& s'embarquoient follement pour aller conquérir
des contrées dont la poffeffion étoit fi indifférente à
la vraie gloire du chriftianifme.
Une élite des bouchers de Marſeille affifte à cette
éternelle Proceffion , conduifant un gros boeuf couronné
de guirlandes , & couvert d'un tapis fur lequel
eft affis un petit enfant de cinq à fix ans ; il a pour
tout habit use peau de mouton , & tient une banderolle
de la main gauche. C'eft , dit- on , une repré
fen:ation de S. Jean Baptifte. *
* Quand il régnoit à Marseille quelque maladie
contagieufe , on rourriffoit fort délicatement , aux
dépens du Public , un pauvre qui fe dévouoit volontairement
à la mort , pour appaifer la colère des
Dieux ; enfuite on le conduifoit dans les rues , orné
de feftons & de bandelettes , comme une victime ;
& chacun le chargeoit de malédictions en paffant,
pour faire tomber fur lui feul la vengeance céleste :
c'eft au milieu de ces cris effrayans qu'il alloit à la
Fj
132 MERCURE
Enfin le Clergé paroît , les encenfoirs partent en
mefure , des nuages d'enceps s'élèvent en tourbil .
lonnant dans les airs parfumés , tous les clochers
carrillonnent , les bourdons fonnent en volée , & le
canon fert d'intermède aux chants religieux de cette
innombrable multitude.
Mais c'eft fur- tout lorfque la Proceffion entière
fe déploie fur le port , c'eft lorsqu'on voit fur tous
les tillacs les Matelots à genoux , tête nue , courbés ,
les mains jointes ou tendues vers le dais qui marche
& s'avance majestueulement , porté entre le Corps
de Ville & les Miniftres des Autels ; c'eft lorfque la
foule qui remplit les quais en longs effaims , frappée
par cet ordre impofant , faifant trêve à la pétulance
naturelle , fe recueille . , s'agenouille , & ofe contempler
d'un oeil refpectueux la fuperbe ordonnance
de ce cortège ; c'eft enfin lorfque le Pange , entonné
au repofoir , eft lentement chanté par le peuple , &
répété au loin fur les vaiffeaux par les équipages' ,
c'est alors que ce beau & grand fpectacle , prenant de
l'unité , infpire , je ne fais quelle religieufe horreur ,
imprime à l'âme un refpect profond , & porte daws
Yes veines le frémiffement que fait éprouver l'appro
che de la Divinité.
Plus d'une fois , même dans ma première jeuneffe
, j'ai fenti couler de mes yeux des larmes involontaires
à la vûe de ce tableau , dont le fujet & les
acceffoires flattoient mes fens , s'emparoient de mon
mort. Je croirois volontiers qu'il faut rapporter à
ce fait l'ufage où l'on eft depuis très -long- temps ,
d'engraiffer un bouf & de le faire promener dans
la ville quelques jours auparavant la Fête-Dieu , &
le jour même de la Fête , au fon des fifres & des
tambours , couronné de fleurs , couvert d'un tapis ,
& portant fur le dos un enfant de fept à huit ans.
Hift. Gén . de Provence , Tome 1 , Liv. 1, p. 509.)
DE FRANCE. 133
coeur , & me commandoient l'admiration . Mon efprit
étoit atterré de ce recueillement général, qui ,
tenant abaiffés tous les fronts , lorfque les doches
& les bouches à feu difcontinuoient leurs falves
bruyantes , ne laiffoit plus régner autour de nous
qu'un vafte filence. Après le Salut que le célébrant
donne au peuple profterné , un vive le Roi général
perce les nues , & ce cri du patriotifme & de l'amour
vient à propos mêter une fenfation délicieuſe à la
grave impreffion du premier moment.
C'eft ainfi que le culte en Provence parle encore
à l'imagination la plus dominante de nos facultés.
Faut- il s'étonner que les cecurs y foient plus vivement
religieux , & que nous y ayons vû naître les
plus grands Orateurs facrés!
( Par M. Bérenger. )
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Vendredi 30 Septembre , on a repréfenté
, pour la première fois , l'Hôtellerie ,
ou le Faux Ami , Comédie en cinq Actes
& en vers , imitée de l'Allemand.
Clarice , fille du Comte de Werling , a
époufé , fans le confentement de fon père ,
le fils d'un homme difgracié ; les deux époux
vivent dans la plus affreuſe détreffe , fous
les noms fuppofés de M. & de Mme Dormin .
Un Baron de Thoreck , qui a aimé Clarice ,
& qui efpéroit de l'époufer , fe propoſe de
134
MERCURE
combler l'infortune de Dormin . Vil impofteur
, il cherche à rendre fufpecies à la femme
les moeurs de l'époux ; fauffaite exécrable
, il intercepte les lettres par lefquelles
celui ci cherche à capter la bienveillance
du Comte de Werling , & en
fubftitue d'autres remplies d'atrocités &
d'injures; enfin il ajoute à cette infâme conduite
l'horreur de feindre pour le mari de
Clarice , l'amitié la plus vive. Le Comte
d'Olborn ( c'eft le père de Dormin ) reparoît
; fes biens , fa faveur , fon crédit vont
lui être rendus . Le hafard raffemble les deux
pères & les deux enfans dans la même hôtellerie.
Ce rapprochement amène des reconnoiffances
entre les Maîtres & les Valets ,
opère des allées , des venues , & donne aux
perfonnages un mouvement qu'on voudroit
trouver dans l'action . Le Baron de Thoreck
a mis dans la confidence de fes indignes
projets le Maître de l'hôtellerie où demeure
Dormin; la crainte du châtiment engage ce
miférable à le trahir : les deux jeunes gens
reçoivent du Comte de Werling le pardon
qu'ils ont trop long - tems defiré , & Thoreck
eft ignominieufement chaffé.
La repréſentation de cette Comédie a été
fi bruyante & fi tumultueule , qu'il étoit
très- difficile de fuivre le fil de l'intrigue ,
& qu'il auroit été impoffible d'en rendre
compre fi l'Ouvrage n'avoit pas été connu
d'avance. Le Faux Ami n'eft qu'une imitation
prefqu'exacte , en vers durs ou foibles ,
DE FRANCE. 135
de l'Hôtel Garni , Comédie de J. C. Brandes ,
qui le trouve au commencement du fixième
volume du Theâtre Allemand , traduit par
M. Friédel , & imprimé en 1783. On y remarque
des Scènes & des fituations intéreffantes
; mais l'Auteur François les a traitées
avec beaucoup trop de négligence. Il mérite
encore le double reproche d'avoir fouvent
fuivi fon modèle en eſclave , & de s'en être
quelquefois écarté quand il auroit dû fe fervir
de fes idées. Prouvons . 1 ° . Le Baron de
Thoreck eft , dans la Pièce Allemande , un
fcélérat obfcur , qui trame darts la baffeffe
les projets qu'il deftine à confommer la
perte de Dormin. Il falloit relever ce caractère
, lui arracher une partie de ce qu'il offre
de trop odieux , & lui donner une phyfionomie
faite pour le rendre théâtral . On
fouffre à la Scène , on y examine même
avec cette espèce d'intérêt qui naît de la
curiofité , un criminel adroit , fouple , énergique
, délié dans fes reffources ; mais celui
qui eft bas , lâche & vil ne produit que le
mépris & le dégoût . 2 ° . Dans la Pièce Françoife
, le Maître de l'hôtellerie , tourmenté
par la crainte , inftruit le Comte de Werling
des deffeins du Baron ; enfuite le Comte fe
cache dans un cabinet pour être témoin des
aveux que l'Hôtellier arrache à Thoreck.
Ce moyen ufé , commun , reba: tu , n'eft
point dans la Comédie de M. Brandes : voici
celui qu'on y trouve . Le Comte , éclairé par
ce qu'il vient d'apprendre , effaye de furpren
116 MERCURE
dre au Baron même la confeffion de fes
perfides complots . Il s'explique fur le compte
de Dormin avec l'apparence du plus grand
mépris ; plaint fa fille de s'être liée pour
jamais à un miferable qui la délaiſſe ;
femble laiffer entrevoir que fon mariage
peut être rompu ; avance qu'il n'eft pas
éloigné de croire qu'elle a de l'inclination
pour le Baron , que celui- ci en a pour
elle. Il parle de projets qu'il avoit eu ,
qu'il pourroit avoir encore , qui feroient
le bonheur de fa vie. Les lettres qu'il a
reçues avec la fignature de Dormin , il les
foupçonne d'avoir été fuppofées , il defireroir
que cela fût , que le Baron , égaré par
l'amour , en eût été l'Auteur ; il efpéreroit
de voir fa fille aimée , heureuſe & bien établie.
Ces faux aveux , tantôt faits à moitié , tantôt
très- nettement articulés , mettent Thoreck à
la torture ; avouera - t'il , n'avouera - t'il point ?
Il balance ; mais le Comte parle avec tant de
candeur , que le Baron fe décide enfin , & fe
démafque lui- même. Cette Scène n'eft pas auffi
bien faite qu'elle pourroit l'être : on y voudroit
plus d'adreffe ; mais fon intention eft
piquante , & le motif , habilement mis en
oeuvre , feroit très -dramatique. * Nous nous
*L'idée première de cette Scène paroît être imitée
du Théâtre François : nous avons en effet quelques
fituations connues qui ont de l'analogie avec elle ;
mais le motif en eft neuf ; l'intention en eft forte ,
attachante ; le réſultat intéreffant ; le fuccès difficile
& inquiétant. Imiter ainfi , c'est être créateur.
DE FRANCE. 137
tairons fur d'autres objets , parce que le Public
a fait très-giment juftice de l'Ouvrage ,
qui vraisemblablement ne reparoîtra plus .
Les imitations des productions comiques
ou tragiques du Théâtre Allemand , ne font
pas heureufes fur notre Scène. Depuis cinq
ans on en a repréfenté fept ou huit ; elles
ont eu toutes , du plus au moins , un fort
très funefte . Malgré les plaifanterics amères
que feu M. Lefling s'eft permifes fur le
Theatre François , il eft certain qu'il tient le
premier rang entre tous les Théâtres anciens
& modernes , & que la Scène Allemande eft
encore extrêmement jeune , fi elle eſt ſortie
de fa longue enfance. Pourquoi donc mettre
à contribution des Écrivains qui ne font riches
que des incurfions qu'ils ont faites &
qu'ils font journellement fur nos propriétés ?
La feule imitation du Théâtre Germanique
qui ait eu un fuccès conftant & mérité
, eft celle de Minna de Barnhelm , que
M. Rochon de Chabannes a fait repréfenter
en 1774 , fous le titre des Amans Généreux.
Cet Ecrivain eftimable a fu fe rendre propres
l'intrigue , la marche , les caractères de
la Comédie Allemande , l'imitateur s'eft
placé au deffus de fon modèle ; & voilà
comme , en s'enrichiffant du fonds d'autrui ,
on peut acquérir des fuccès & une réputation
diftinguée.
138 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
ON
N prévient MM. les Soufcripteurs de l'Encyclopédie
, par ordre de Matières , qu'on leur délivrera
Lundi prochain , dix - fept du courant , la Quinzième
Livraison de cet Ouvrage , compofée du Tome
deuxième des Finances , du Tome deuxième , première
Partie des Mathématiques , & du Tome pre
mier , deuxième Partie de l'Economie Politique &
Diplomatique.
Le prix de cette quinzième Livraiſon eft de
23 liv. 1 fols broch. , & de 22 liv. en feuilles.
BIBLIOTHÈQUE des meilleurs Poëtes Italiens en
trente -fix Volumes in - 8 . , propofée par foufcription
par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur du
Roi à Orléans , & Éditeur de cette Collection .
M. Couret de Villeneuve nous prie de communi-
1:05 Lecteurs l'Avertiffement à fuivant concerquer
nant cette importante Collection .
Avertiffement fervant de Préface à l'Édition de
Orlando Furiofo , 3 Volumes in - 8 °. , dont le
premier fe délivre actuellement chez l'Éditeur &
aux Ad effes indiquées. Prix , a liv. 10 fols le
Volume pour les Soufcripteurs .
Nous mettrons dans l'avcu de nos fuccès la même
franchife que dans celui de nos fautes La correction
de l'Oriando Furiofo , dont nous délivrons le
premier Volume , eft bien fupérieure , même à celle
des derniers Chants du Ricciardetto . Nous espérons
& nous pometions sûrement , pour l'avenir, unc
exactitude plus grande encore s'il eft poffible .
DE FRANCE;
139
nos
Il eft inutile de répéter ce que nous avons dit
dans nos premiers Profpectus. Ces entretiens publics,
& toujours les mêmes , deviennent à la fin très- faftidieux.
Cependant nous devons rendre compte à
Soufcripteurs de nos opérations , afin de les trauquiliifer
fur leurs fuites. Heureufement ils nous ont
fait l'honneur de compter davantage fur nos promeſſes
que fur nos effais , pour lefquels nous fommes
réduits à la modeftie du filence . Si nous nous permettons
de le rompre , en revenant fur le paffé ,
c'eft pour éviter qu'on ne nous taxe d'ingratitude.
Nous avons reçu un grand nombre de Lettres.
Quelques- unes contiennent des obfervations juftes ;
toutes font écrites avec une décence qui fait honneur
à leurs Auteurs. Nous les remercions très fincèrement
de cette honnêteté ; quant aux notes , la
preuve la moins équivoque de notre reconnoiffance,
c'eft de leur annoncer que nous nous y conformerons
& que nous adopterons leurs principes lorsqu'ils
feront d'accord avec ceux des favans Grammairiens
de l'Italie.
Il eft un autre objet fur lequel plufieurs de nos
Correfpondans le font expliqués : c'eft fur les Ouvrages
que nous nous propofions d'imprimer. On
nous a fait remarquer que quelques uns d'entre-eux ,
tel
que l'Adone , n'étoient recommandables que par
quelques détails de peu d'importance , tandis que la
décence , le bon goût des Lettres Italiennes les condamnoient
à plufieurs autres égards ; cette remarque
eft jufte. Nous en profiterons pour fubftituer aux
Poéfies qui nous ont paru déplaire , celles qui flatteront
le plus généralement , telles que les Chefd'oeuvres
tragiques du Théâtre Italien , les beaux
Sonnets du Zappi , quelques Oles du Tefti , les touchantes
Élégies de Sannazar , la Salmacis du Preti ,
&c Nous tâcherons de mettre autant de goût dans
le choix de ces différentes Pièces oque d'exactitude
40
MERCURE
dans leur impreffion . Les Amateurs de la Littérature
Italienne qui ont fouferit à notre Ouvrage , doivent
être raffurés fur l'exécution de cette Entreprife ; le
nombre des foufcriptions que l'Editeur a reçues le
met à couvert de fes avances .
Ce mot exactitude nous rappelle douloureufement
les deux premiers Volumes de notre Bibliothèque
Italienne , dont nous ne pouvons nous diffimuler
l'informe exécution. Nous avons pris quelques
mefures pour réparer , autant qu'il eft en nous ,
le tort qu'ils auroient pu nous faire dans l'efprit du
Public . L'une eft de réimprimer la Lettre du Fortiguerra
, qui fert de Préface à fon Poëme , & de
donner des cartons pour les feuilles où les fautes
font les plus groffières ; l'autre eft de reculer le
terme de nos foufcriptions , afin que l'Edition de
FOrlando Furiofo diffipe les foupçons , & nous concilie
cette confiance publique que nous avons toujours
été jaloux de mériter. COURET DE VILLENEUVE .
On foufcrit à Paris , pour la Collection entière ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ,
quartier Saint André - des- Arcs ; chez Cuchet ,
Libraire , rue & hôtel Serpente , ainfi que chez les
principaux Libraires des autres Villes du Royaume.
Les Perfonnes qui voudront s'adreffer directement
à Couret de Villeneuve , Imprimeur du Roi à
Orléans , remettront au Bureau de la Pofte , pour
les fix premiers Volumes , la fomme de 15 livres ,
fans affranchir le port de la lettre & de l'argent ; &
il leur fera expédié , auffi franc de port , les trois
premiers Volumes , qui font le Ricciardetto , 2 Vol.
in- 8 °. , & le premier Volume de l'Orlando Furiofo .
Les autres Volumes fe fuccéderont fans interruption
de mois en mois.
LES Métamorphofes d'Ovide en vers François ,
Livres I, II, III , avec un Difcours Préliminaire ,
DE FRANCE. 141
des Notes de Littérature & de gout , & des Pièces de
vers & de profe relatives à l'Ouvrage , par M. de
Saint- Ange ; nouvelle Édition in 8 ° . de 300 pages.
Prix , 3 liv. A Paris , chez Valleyre l'aîné , rue de la
Vieille Bouclerie ; la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ;
Jombert , rue Dauphine ; Petit , quai de Gêvres ;
Bailly , Barrière des Sergens.
Cette nouvelle Édition fans latin diffère beaucoup
de la première , c'eft en quelque forte un autre
Ouvrage. L'Auteur a ſuivi à la rigueur le précepte
de Deſpréaux.
Soyez-vous à vous- même un févère Critique .
Pour donner une juſte idée du nouveau travail de
M. de Saint- Ange , nous citerons le commencement
de l'Ouvrage , comparé à la première Édition . On
ne nous foupçonnera d'aucune affectation dans ce
choix . On laiſſe en blanc les vers qui ſe reſſemblent,
Première Edition.
Avant le monde , avant l'air , la terre & les mers ,
Et le ciel dont la voûte embraſſe l'Univers ,
La Nature n'offroit qu'un afpect uniforme ,
N'étoit qu'un tout confus , où rien n'avoit ſa forme.
On l'appela chaos : mêlange ténébreux ,
D'élémens ennemis mal accordés entre- eux ;
Impuiſſante matière , où de chaque fubftance
Dormoit fans mouvement la ftérile femence,
Le foleilfur un monde obſcur , inanimé ,
N'épanchoit point les feux de fon orbe enflammé ,
Et de l'aftre des nuits la lumière inégale
Qui croit , & tour-à- tour décroit par intervalle ,
Dansfon cours incertain ne régloit point les mois
Le globe dans les airs , &c. • ·
;
142 MERCURE
Et dans un vague amas de contrariétés
Flottoient les élémens l'un par l'autre heurtés.
En rendant compte du premier Livre , un Homme
de Lettres d'un goût févère avoit cité ces vers comme
très-louables: En effet , il étoit bien difficile de broder
de la Poéfie Françoife fur des idées qui paroiffent
uniquement du reffort de la Phyſique ; c'eſt
déjà beaucoup quand une Traduction en vers le fait
lire de fuite avec plaifir , fans égard au texte . Mais
M. de Saint- Ange n'a pas cru que ce fût affez , il
veut qu'une Traduction ſoit exacte & fidelle qu'elle
ne foit point une paraphraſe , ( défaut dans lequel il
éroit tombé quelquefois par l'envie de tout rendre )
enfin qu'elle n'affoibliffe ni ne détourne le fens de
l'original. Voici fa nouvelle manière .
Avant la mer , la terre & les cieux , & les airs ,
Dont la voûte azurée embraffe l'Univers ,
La Nature n'offroit qu'un afpe&t uniforme ,
Une maffe indigefte , où rien n'avoit fa forme :
On l'appela chaos ; affemblage confus
D'élémens dans le vuide au hafard répandus ,
L'aftre dont la chaleur donne la vie au monde ,
N'épanchoit point les feux de fà clarté féconde,
Le croiffant de Phébé ne régloj t point les mois,
La terre qui dans l'air ſe ſoutient par fon poids .
Ne nagcoit point encor dans le fein de l'eſpace;
Et le vieux océan qui preffe ſa ſurface ,
N'allongeoit point fes bras autour d'elle étendus.
L'air , la terre & la mer enfemble confondus ,
Raffembloient en défordre & le plein & le vuide ,
Le froid avec le chaud , le fec avec l'humide ,
Les atômes pefans , les arômes légers ,
L'un de l'aurre ennemis , l'un àl'autre érrangers.
La juftice nous force de dire que ces vers , calqués
DE FRANCE. 43
fur le latin , font fimples avec élégance , périodiques
fans emphale , & que l'harmonie ajoute à l'effet des
images. Le Difcours Préliminaire eft augmenté de
plus de moitié , enfin il y a dans les Notes des changemens
& des additions confidérables.
NOUVEAU Choix des Cauſes célèbres , 15 Vol.
in- 12 par foufcription . Prix , 45 liv. reliés , &
37 liv. 10 fols brochés.
La foufcription de cet intéreffant Ouvrage eft
toujours ouverte chez Moutard , Imprimeur-Libraire
de la Reine , rue des Mathurins , hôtel de
Cluny. En payant la foufcription en entier , on
reçoit les Volumes à mesure qu'ils paroiffent. Le
Tome fixième est délivré ; il en paroîtra un de mois
en mois.
PONTS & Chauffées. Un Modèle de Pont de
fer d'une feule arche de 400 pieds d'ouverture , fur
40 de large , par Dom Pradine , Religieux de l'Ab
baye de Froidmont , Ordre de Cîteaux.
Ce Pont a 34 pieds depuis la ligne horizontale
fervant de corde à l'arc dont il eft formé juſques
fous l'intrados de la clef. L'Auteur inftruira les perfonnes
intéreffées des détails relatifs aux différentes
parties dont ce Pont eft compofé , de la manière
dont il s'oppofe aux différens efforts qui tendroient
à en altérer ia folidité , ainfi que des différens avansages
qu'on pourroit efpérer de ce nouveau genre
de conftruction. Les différens vouloirs étant à jour,
laiffent par tout un libre paffage aux eaux , quelque
hautes qu'elles puiffent être. Selon le devis cette
conftruction monte tout au plus à deux millions
cent foixante- dix mille livres .
Un autre Modèle d'un Pont de charpente conftruit
à - peu - près fur les mêmes principes , dont
144
MERCURE
le diamètre de l'ouverture peut aller jufqu'à 430
pieds.
NUMEROS 45 , 46 , 47 , 48 & 49 des Feuilles de
Terpfychorepour le Clavecin &pour la Harpe. Il paroît
une Feuille pour chaque Inftrument tous les Lundis.
Prix , 1 liv . 4 fols . A Paris , chez Coufineau , père
& fils , Luthiers de la Reine , rue des Poulies.
RECUEIL de Romances & d'Ariettes , Accompagnement
de Clavecin , par Mlle Bazin , Élève de M.
Darondeau , paroles de M. le Chevalier de Florian ,
OEuvre I. Prix , 6 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
de Richelieu , n ° . 5 , & chez Leduc , au Magafin de
Mufique & d'Inftrumens , rue du Roule , no. 6.
A
TABLE.
une très-jolie Femme , 971
Epigramme,
& gros Bourgs du Royaus
98 me , 112
Réponses à la Queſtion , 98 Penfers & Obfervations mo-
Anecdote Hiftorique , 101 defte de M. le Comte de
Charade, Enigme & Logogry Barruel- Beauvert ,
110 Des Proceffions ,
phe ,
Supplément aux Projets de Comédie Françoife ,
Bienfaifance & de Patrio- Annonces & Notices ,
tifme pour toutes les Villes
J'AI lu
APPROBATIO N.
120
125
133
138
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 15 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 14 Octobre 1785. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 OCTOBRE 1785,
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE,
STANCES à M. DE P118.
SENSIBLE au feu qui te dévore ,
L'Amour t'a ren u ton hautboise
Grâce à lui , nous aurons encore
Le plaifir d'entendre ta voix.
Nous reverrons vaudeville
Joyeux & tendre tour- à- tour ,
Non content de charmer la ville ,
Courir en chantant à la Cour.
MAIS crains le fiel de la fatyre;
Et de Momus , en tes couplers ,
Ne fais point grimacer les traits
Par un fardonique Courire.
N°. 43 , 22 Octobre 1785.. G
146 MERCURE
QUE la langue , dans tes Écrits ,
Soumise aux loix de Polymnic ,
Par fa force & fon harmonie ,
Charme jufqu'à fes ennemis.
TROP long-temps ta Muſe attriftée
Par les fots difcours des méchans ,
Étouffant fa joie & fes chants ,
Oublia fa lyre enchantée.
REPRENDS la grâce , la gaîsé
Dont le François eft idolâtre ,
Et , comme autrefois au Théâtre,
Fais fourire la volupté.
PEINS les caprices de Délie ;
Deffine en riant nos travers ,
Et du grelot de la folie-
Accompagne tes nouveaux airs.
APRÈS la volupté ſuprême
De combler fes tendres defirs ,
Il n'eft pas de plus doux plaifirs
Que de chanter l'objet qu'on aime.
DE
FRANCE.
147
De ce beau feu j'étois épris
Quand je tirai de ma mufette
Quelques fons
touchans pour Lifette ,
Dont fes
baifers furent le prix.
COMBIEN je rends grâce au délire
Qui dicta mes vers
amoureux !
Life enfin
trahiroit nos feux ,
Que je me plairois à les lire.
Je lui dirois dans ma
triſteſſe :
Voilà quel fut notre
bonheur.
Tant de
conftance & de
tendreffe
Peut-être me
rendroit fon coeur.
AINSI
l'espoir
charme la vie
De
l'homme en proie aux
paffions ,
Vraiment
malheureux s'il
oublie
L'Amour & fes
illufions.
Au Dieu du Pinde , au Dieu de Gnide,
Offrons nos
tributs
chaque jour;
Mais
prenant le plaifir pour guide ,
Revenons fans ceffe à
l'Amour.
1 Gil
148
A
MERCURE
AIMONS , jouiffons , le temps preffe;
Quand il glacera nos foupirs
Nous tâcherons , dans la vieilleffe ,
D'être heureux par nos fouvenirs .
( Par M. François , Peintre. )
Le Tombeau de l'Ifle Jennings.
La fin d'Avril 1775 , j'allois en Piémont par la
route du grand Saint- Bernard . Vers les quatre heures
de l'après- midi , la petite caravane avec laquelle
j'avois efca'adé ce dangereux paffage, arriva au fommet
de la montagne , & après avoir réparé les forces
dans l'hofpice élevé au milieu de ce défert , elle fe
remit en marche pour coucher le même foir à la
Val d'Aoft. Déjà le foleil avoit perdu fa chaleur , &
le ciel même fa férénité. Des nuages commencent
à fe traîner le long des cîmes des rochers , & s'amonceloient
dans les gorges étroites de cette folitude.
Au fommer des Alpes , une foirée nébuleuſe amollit
le courage ; je me décidai à paffer la nuit avec les
Religieux Hofpitaliers , qui partageoient mes preffentimens.
*
Ils ne nous trompèrent point. A fix heures ce
plareau glacé fut prefque enfeveli dans les ténèbres.
Lesnuées , pouffées par un vent de Nord-Oueſt , avec
la rapidité d'une flèche , tourbillonnoient autour de
* L'hofpice du Mont Saint- Bernard eft élevé d'enviro
1300 toifes au- deffus de la Méditerranée : il fut fondé
dans le dixième fiècle , par Bernard de Menthon , Gentilhomme
Savoyard.
DE FRANCE. 149
l'enceinte des rochers ; déjà ils retentiffoient du bruit
d'avalanches lointaines ; & des atômes de neige ferrée
, divifée comme la pouffière , foit en ſe détachant
des montagnes, foit en tombant du ciel , en interceptoient
la foible lumière & tous les objets d'alentour.
Tandis qu'auprès d'un bon feu , j'interrogeois le
Prieur du Couvent fur les faites de l'orage , les
Religieux Hofpitaliers étoient allés remplir leurs
devoirs de circonſtance , ou plutôt exercer leurs
vertus de tous les jours . Chacun avoit pris fon pofte
de dévouement dans ces Thermopyles glaciales
non pour y repouffer des ennemis , mais pour tendre
une main fecourable aux Voyageurs perdus , de tout
rang , de tout culte , de toute nation , & même aux
animaux chargés de leur bagage. Quelques - uns de
ces fublimes Solitaires gravifloient les pyramides de
granit qui bordent le chemin , pour y découvrir un
convoi dans la détreffe , & pour répondre au cri de
ecours ; d'autres frayoient le fentier enfeveli fous la
neige fraîchement tombée , au rifque de fe perdre.
cax mêmes dans les précipices ; tous , bravant le
froid , les avalanches , le danger de s'égarer , prefqu'aveuglés
par les tourbillons de neige , & prêtant
he oreille attentive au moindre bruit qui leur rappelloit
la voix humaine. Leur intrépidité égale leur vigilance.
Aucun malheureux ne les appelle inutilement
; ils le retirent étouffé fous les débris des
avalanches, ils le ranimentagonilant de froid & de ter
reur ; ils le tranfportent fur leurs bras , tandis que leurs
pieds gliffent fur la glace ou s'enfoncent dans les
neiges la nuit & le jour , voilà leur miniflère , leur
follicitude veille fur l'humanité dans ces lieux maudits
de la Nature , où ils préfentent le (pectacle habituel
d'un héroïſme qui ne fera jamais chanté par
nos farteurs .
Depuis une beure entière , cinq Religieux & leurs
Domestiques étoient fur la trace des Voyageurs ,
Gij
150 MERCURE
·
lorfque l'aboyement des chiens nous annonçà leur
retour. Compagnons intelligens des courfes de leurs
maîtres , ces dogues bienfaifans vont à la piſte des
malheureux ; ils devancent les guides , & le font euxmêmes:
à la voix de ces auxiliaires , le Voyageur
tranfis reprend de l'efpérance ; il fuit leurs veftiges
toujours sûres : lorfque les chûtes de neige , auffi
promptes que l'éclair , engloutiffent un paffager , les
dogues du Saint- Bernard le découvrent fous l'abyme ,
ils y conduifent les Religieux , qui retirent le cada-
& très-fouvent le reffufcitent .
vre ,
Bientôt l'hofpice s'ouvrit à dix perfonnes , épuisées
de froid , de laffitude & de frayeur. Leurs conducteurs
oublièrent leurs propres fatigues , & depuis le
linge le plus blanc jufqu'aux liqueurs les plus reftaurantes
, tout ce que l'hofpitalité peut offrir de fecours
, & qu'on ne raffembleroit qu'à force d'argent
dans les auberges de nos villes , fut prêt dans l'inftant
, diftribué fans diftinction , employé avec autant
d'adreffe que de ſenſibilité. t
Ce nouveau convoi étoit compofé d'un Anglois ,
qu'on appeloit Mylord , de fon époufe , jeune perfonne
d'environ vingt ans , dont la pâleur rendoit la
beauté plus intéreffante , & de leurs Domeftiques
Dans le refte des paffagers fe trouvoit un Officier
Suiffe au fervice du Roi de Sardaigne , qui alloit
rejoindre fon Régiment à Yvrée , un Joueur dẹ
Vièle du Montferrat , dont l'inftrument étoit resté
fous la neige , & deux Capucins babillards , qui racontoient
dans leur patois , & par ordre chronologique
, l'hiftoire de tous les grands Seigneurs à qui
le paffage du Saint- Bernard avoit coûté la vie.
Pendant le foupé , auffi abondant que proprement
fervi , je queſtionnai l'Anglois dans fa langue fur les
dangers de fon trajet . Jufqu'alors il n'avoit répondu
que par monofyllabes ; mais il commença à fe retrouver
parmi l'espèce humaine , lorsque l'efpèce
DE FRANCE. If I
humaine fe fit entendre en mauvais Anglois ; fon.
époufe , que toutes les attentions des bons Religieux
n'avoient point tirée de fon accablement , parut fenfible
à cette conformité de langage , & nous liames
converſation!
Ils m'apprirent qu'ils fe rendoient dans la Lombardie
, où depuis deux ans its avoient fixé leur ha
bitation . Des affaires les ayant rappelés en Angleterre
, pour abréger leur retour vers le Milanois , ils
avoient préféré la route la plus courte & la plus
dangereufe . Nous convinmes de cheminer enſemble
jufqu'à Verceil , où ils devoient prendre la route de
Milan. Après avoir réglé ainfi les arrangemens du
lendemain , nous fongeâmes au befoin du moment :
chacun gagna fa cellule en béniffant la Providence
d'avoir placé des Chanoines Réguliers de S. Auguſtin,
fur des rochers où la Nature a refufé un afyle aux
animaux , & la chaleur à la végétation . L'image de
la belle Angloife eût occupé toute la nuit des Voya
geurs moins fatigués. Malgré l'impreflion de fa
figure & de fa douce voix , de fa touchanté mélancolie
, le fommeil commençoit à me gagner , lorf
qu'à travers d'une cloifon qui féparoit ma chambre
de celle de la Voyageufe , je l'entendis adretler à Dieu
une prière qui exprimoit le trouble de fa fituation :
elle s'y reprochoit d'avoir abandonné un père dont
fa foibleffe avoit fait le malheur ; les fanglots précipités
de la Pénitente prolongèrent mon infomnie ;
j'invoquai auffi la Divinité en fa faveur , en demandant
pour elle une nuit tranquille , & mes voeux
furent exaucés.
: Quand nous n'aurions pas été fur une montagne
prefque inacceffible , entre la terre & le foleil ; raffemblés
par le hafard dans des lieux inhabités , où
nulle femme malheureuſe ne vint chercher aſyle ;
quand les fables des Romans perdroient leur intérêt
fur ces fommets où l'on apprend à lire la première
Giv
252 MERCURE
hiftoire da gen.re humain , celle de la jeune Angloire
eût vivement ému la curiofité. Cette femme
avoit une de ces figures qu'on retrouve fi fouvent
fous le pinceau d'Angelica , dont le charme réfulte
plutôt de la phyfionomie que de la beauté des
traits , qui retracent à la fois la fenfibil.té d'une âme
douce , & le feu des paffions amorti par la pudeur
& par l'honnêteté. Il étoit impoffible de voir de plus
belles dents dans une plus belle bouche , une peau
plus blanche , des yeux bleus plus tendres , plus toushans
, & un vilage mieux dffiné.: M
*
En defcendant le Saint - Bernard le lendemain
l'Anglois , exalté par les afpects pittoresques qui
nous environnoient , perdit fa taciturnité. Tout en
admirant les plaines fertiles , les montagnes verdoyantes
, les nombreux villages de la Val d'Aoft, il
me confia la moitié du fecret de la tranfplantation.
Neveu du vertueux Chevalier: Black .... qui pen←
dant durante ans de fuite repréfenta: au Parlement
la Ville de N ..... La patrie des infortunes l'avoient
exilé de l'Angleterre avee Elisa Jennings , fon épouse
depuis deux ans . Dans le deffein de déreber leur
exiftence à leur famille , ils avoient acheté la terre
de Pufiano dans le Milanois , fituée près du lac de
Côme , éloignée des grandes routes & do paffage
importun des Voyageurs . Après un mois de féjour
pénible à Londres , ils revenoient à leur afyle , mais
Pun & l'aut e avec des fentimens bien différens .
Durant cet entretien , Lady Jennings , appuyée fur
mon bras pendant la defcente que nous fîmes à
pied , fembleit craindre que fon mari ne m'en dit
trop , & les beautés de notre route la diftrayoient
fans l'occuper.
Rien ne lie plus vite que les voyages , fur-tout
dans les lieux où l'on reçoit en commun des impreffions
très fortes , & où l'on n'eft point preffé de fe
difperfer à chaque Ville pour s'introduire dans les
DE FRANCE. 153
cercles , pour vifiter des inconnus & courir les fpectacles.
En deux jours nous pouvions nous rendre à
Verceil ; nous en employâmes quatre : peu de féparations
m'ont autant coûté ; mais j'obéis à la néceffité.
Tandis que je gagnois Turin , le Chevalier
Black.... & fa Compagne prirent la route de Milan,
après m'avoir inutilement follicité de les accompa
gner dans leur retraite. Le printemps fuivant me
rappeloit en Italie , & je promis d'aller partager
avec eux quelques jours de tranquillité.
Sans connoître leur véritable fort , il fuffifoit du
myſtère de leurs aveux , de la trifteffe de Miff Jennings
, de fes peines fecrettes dont j'avois entendu
l'expreffion , de cet exil volontaire au fond de la
Lombardie , loin des douceurs de la ſociété , & fans
eſpoir d'y voir jamais aborder de leurs compatriotes,
pour m'attacher à ma promeffe : une lettre du Chevalier
Black..... me la rappela quelques mois après,
& l'année fuivante je repaffai les monts.
En approchant de Pufiano , je reffentois une émotion
involontaire. Soit que le fouvenir des Hôtes
qui m'attendoient , ſe mêlât à un preffentiment de
leurs infortunes , foit que la vue des lieux que je
parcourois , me difposât à l'attendrissement ; j'arrivai
à Pufiano avec un fentiment confus , plus pénible
que la douleur : c'étoit le lendemain de la Pentecôte.
La campagne , couverte de fleurs & de verdure , embaumoit
l'air d'alentour ; le grand chemin étoit entouré
de berceaux odorans de cédras & de limonniers
; mille arbres fruitiers répandus dans la vallée
& fur la pente des montagnes , offroient un verger
continuel ; les oifcaux chantoient en concert ;
dans un demi- lointain , l'on apperçevoit l'Adda
s'échappant du Lac de Côme , & au milieu
du vallon deux autres petits lacs on fe haignoient
des Cygnes , dont le plumage effaçoit en
Blancheur l'albâtre des montagnes du voisinage.
"
G
154
MERCURE
L'air frais de la matinée donnoit à la végétation tout
fon éclat , aux travaux ruftiques toute leur activité ,
& les coeurs dans ce féjour ſembloient en paix comme
la nature.
Arrivé au Château de Pufiano , on me conduifit
fur une terraffe où fe promenoit le Chevalier , lifant
les Méditations d'Hervey il m'embrafla avec une
efpèce de friffonnement : non moins faifi que Tui a
la vue du vêtement lugubre dont il étoit couvert
la parole expira fur mes lèvres , en lui parlant de
fon époufe. Hélas ! quel fujet d'un premier entretien
! Les larmes de cet infortuné m'apprirent bientôt
fon affreux malheur . Depuis trois mois , Lady
Black... ne vivoit plus , & l'étranger, accouru pour
rechercher fon amitié , n'aborda cet afyle que pour y
pleurer fur fa cendre .
Après cette douloureufe entrevue , nous rentrâmes
au Château , où le déjèûné nous attendoit ; mais
la circonftance en avoit banni le charme & l'appé
tit ; cependant , le Chevalier devenu plus calme.
me rendit le courage dont j'avois besoin ; peu- à- près
il me quitta , en s'excufant fur des devoirs facrés
qu'il avoit à remplir , & je reftai dans la compagnie
d'un Eccléfiaftique Ecoflois , efpèce de Miniftre
Adams , dégrofi par l'efprit du monde & par les
voyages , & ancien tuteur ou guide du Chevalier à
' Univerfité d'Oxford . Cet honnête M. Howell
avoit bien la meilleure ame & le meilleur efprit.
Père , ami , confident de fon élève & même fon
complice , il s'étoit enleveli avec lui dans cette retraite
, dont il n'offroit pas une des moindres fingularités.
Il étoit à la fois , l'Aumônier , l'Intendant ,
le Tréforier , le Lecteur de la maiſon , fans que ces
occupations lui fiffent négliger Virgile & Milton ,
dont il avoit gravé des fentences dans tous les bofquets
de l'hermitage .
En auriiftant ce lien pittorefque , l'affliction du
DE FRANCE.
ISS
poffeffeur prêtoit cependant un intérêt nouveau aux
beautés naturelles . Tout ici rappeloit des idées de
bonheur ou des images de confolation .
La fenfibilité y étoit diftra te des fouffrances , les
fouvenirs cuifans , adoucis par la préfence journalière
d'objets affortis à la fituation d'un coeur ma
lade ; toutes les impreffions vives & touchantes ,
attendrilfoient l'ame faus la tourmenter , & en écartoient
la douleur en nourriffant de douces rêveries .
Le Val d'Affino , qui renferme la terre de Pufiano,
eft à deux milles de l'extrémité méridionale du lac
de Côme. Des côteaux élevés , qui fe prolongent
jufqu'aux Alpes , l'entourent à l'Orient , au Nord &
au Couchant; la rivière qui l'arrofe , vient former
un petit lac d'une lieue de tour , à l'endroit le plus
large & le plus bas de la vallée ; elle en reffort enfuite
pour fe divifer en deux branches , entourant
de leurs eaux une petite isle délicieuſe , & par leur
réunion formant un nouveau lac de même étendue
que le premier. C'eſt à la tête de celui- ci , fur le penchant
de la colline , qu'eft fitué le Château de Pufiano
. De la terraffe on découvre le vallon dans
toute la longueur ; on voit circuler les eaux limpides
qui le baignent ; on en refpire la fraîcheur , la
vue fe promène fur les côteaux fertiles entaffés en
amphithéâtre , & fe perd au Midi fur les plaines du
Lo defan , où ferpente l'Adda,
Le lendemain de mon arrivée , Sir Blac..... me
fit partager l'une de fes jouiffances habituelles ; il
me conduifit , à l'aurore , fur une hauteur qu'ombra
geoit un bois de châtaigniers, & d'où le payfage entier
de la vallée fe préfentoit à nos yeux . Les premiers
rayons du foleil éclairoient la cîme refplendifante
des Alpes ; le refte de l'horiſon étoit encore voilé ;
infenfiblement , les ombres , en s'éloignant , agrandirent
le fpectacle ; la lumière perçoit les gorges
des montagnes , dont les plans les plus rapprochés de
G vj
155 MERCURE
nous , officiert mille tableaux en clair obfcur ; l'air
étoit tranfparent comme les eaux du lac qui retentiffoit
du chant aigu des oifeaux de rivière plufieurs
ruiffeaux tomboient en cafcades mouffeufes de la
pente des collines , & rappelcient les beaux vers de
Milton.
...
Mean while murm'ring , waters fall
Down the slope hills , difpers'd ; or in lake
That to the fringed bank with myrtle crow ned
Her cryftal mirror holds , unite their freams.
La vallée & les rives des lacs couvertes de champs
& de prairies arrofées , d'arbres vigoureux chargés
de fruits , tantôt alignés , tantôt difpertés dans la
campagne , de cha rues , de beftiaux & de villages ,
fembloient un vafte jardin planté pour l'agrément
des maîtres du Château . Les vignobles tapiffoient les
collines , dont le fommet étoit ombragé de hêtres &
de châtaigniers. A chaque pas , la direction de la
vallée & des montagnes faifoit changer le fite ici ,
des bofquets d'un verd fombre offroient un réduit
agrefte au pied d'une chûte d'eau ; là , des vignes en
treillage , couvroient de leurs pampres des habitations
ruftiques ; ailleurs , des allées odoriférantes de
limoniers , dont les fruits faifoient courber les branches
, & la furface du lac réfléchiffoit la perspective ,
tantôt romantique , tantôt champêtre , tantôt fauvage
, & réuniffant la majefté , la richeffe & la
douceur.
L'art n'avoit rien à faire dans un féjour à qui la
nature a tout donné. Ses décorations euffent défiguré
ce qu'il lui étoit impoffible d'embellir. Aufli le Chevalier
avoit eu le goût affez fain pour reſpecter ce licu
d'enchantement. Nos caricatures champêtres , me
difoit- il , nos bifarres contrefactions , ros fcul-
» ptures inanimées , ces cailloux que nous femons
DE FRANCE. 197
» dans nos jardins , & que rous appelons des rockers,
» nos petits labyrinthes où l'on fe retrouve toujours,
» nos cafcades à fec , tout ce luxe pauvre & petit
» des imaginations bâfces , convient aux pays où la
» nature eft fans. mouvement , fans grandeur , fans
» variété : ils fuppléent à la campagne , mais ils ne
la créent pas , il faut des Arch tctes , des Sa-
» tuaire & des Jardiniers pour couvrir de ridicules
apparences la ftérilité du fol & la nudité des af-
» pects . Jardins Anglois , François , Chinois ou
>>
ל כ
Turcs , tous ces emprunts de la barbarie font des
» rêves de mauvais goût , & c'eft notre amour pour
» la toilette qui nous y fait mettre jufqu'aux grands
» ouvrages de la nature ». }
Sir James Black ...... n'avoit donc ajouté aux
dehors de fon habitation qu'une plus grande propreté
, & plus de foin à l'entretien des détails : lans
perdre fon temps à étudier les fubdivifions & les beaux
préceptes de nos difcoureursfur l'art des jardins , il s'inquiétoit
peu du caractère , des effets & de la dénomi
nation de fa campagne ; il n'avoit aucun befoin des
Savans pour apprendre que tout étoit à fa place & devoit
y refter.
L'une de fes promenades les plus fréquentes étoit
fur le lac , cù la pêche , toujours abondante , occupoit
quelques heures de la journée . Sous un climat
doux , & fous un beau ciel , la fraîcheur des eaux
n'est jamais incommode ni malfaifante ; celles
des lacs de Pufiano , épurées fur un lit de fable
& de cailloux par le cours de la rivière , en tout
temps confervent leur limpidité : on s'y baigne
délicieufement à l'ombre des acacias plantés fur les
bords. Lorfque les rames de notre petit bateau fendoient
ces ondes azurées , un fillon marquoit notre
route fur leur furface , fans en troubler le calme , ni
fans teruir leur pureté.
Plufieurs fois déjà nous avions parcouru les deux
18 MERCURE
lacs , & les canaux qui en forment l'Ifle intermédiaire
, fans que le Chevalier m'eût propofé de débarquer
fur ce dernier efpace , couvert de touffes
fort épaifles , & où la chaleur du jour invitoit à fe
repofer. Au bout d'un mois , je remarquai cet oubli ;
j'avois obfervé que chaque matin , le Chevalier
s'échappoit de la maifon , comme il l'avoit fait le
jour de mon arrivée , fans que la pluie ni les affaires
fufpendiffent cette évafion. Curieux d'en pénétrer le
but , je m'apperçus que les pas de Sir Black .... fe
dirigeoicnt continuellement vers l'Ifle . Ce mystère
m'occupa au point que , dès le lendemain , je priat
mon Hore de me conduire dans ce lieu , dont jufqu'ici
il m'avoit écarté.
לכ
» Pardonnez ma réſerve , me dit - il , je la devois
» aux droits de l'hofpitalité ; je ne vous ai point
appelé ici pour y être le témoin de mes douleurs ,
» & j'en cache les monumens ; mais vo're amitié
compatiffante furmonte mes fcrupules . Venez , je
vais vous conduire à cette Ifle , féjour d'un deuil
» éternel , où je pafferai ma vie à expier mes fautes
ל כ
& à pleurer fur ma victime ». En difant ces mots ,
il me prit par la main ; nous defcendîmes la pelouſe ,
& nous traverfames le premier lac. Mes pas chanceloient
en débarquant du batcau ; volontiers j'euffe
repouffé cette rive qu'avoit cherchée ma curiofité .
Une avenue de peupliers nous amena au centre de`
ce terrein , que dominoit une monticule de roche
feuilletée , chargée de hautes futaies ; nous en tournâmes
la circonférence ; fuivant tous deux dans un
profond filence le cours d'un ruiffeau qui fe difperfoit
entre les débris des rochers & les gazons épais ,
nous perçâmes une enceinte d'arbres , au- delà defquels
étoit une grille de fer circulaire , & adoffée
fur l'un des côtés de fon pourtour , contre le pied de
la monticule. Sir Black .... tira une clef de fa poche ,
ouvrit la grille , & m'introduifit dans l'intérieur. A fa
DE FRANCE
159
ود
vue , je fentis un bouleverſement univerfel ; j'avois
peine à fuivre le Chevalier. » Vous êtes faifi , me
dit- il , en s'efforçant lui même de modérer fon
» agitation.Voici la dernière demeure de mon épou-
» fe : ici le Ciel nous réunira un jour. » A ces mots,
il couvrit fon vifage de fes mains ; la douleur l'étouffoit
: il le précipita fur le tombeau d'Elifa , qu'il
baigna de fes larmes , tandis que les miennes couloient
fur le marche-pied du maufolée , où je m'affis ,
ne pouvant plus me foutenir .
Revenu à moi , je jetai les yeux fur cette enceinte :
une haie vive , qui entouroit l'intérieur de la grille ,
déroboir au dehors le monument à tous les regards :
au milieu , le maufolée de marbre noir , environné
de quelques fycomores , fans ordre ni fans fymétrie :
une infcription fimple rappeloit le nom d'Eliſa Jennings
, fon lieu de nailfance , le jour de fon mariage
& celui de fa mort : au centre du tombeau , étoit
pratiquée une ouverture , au travers de laquelle paffoit
un pêcher , dont les feuilles tendres annonçoient
le premier printems . Après la fcène de douleur que
je viens de racconter , Sir Black... me fit affeoir auprès
de lui , fur un banc de pierre appuyé contre la monticule
, & au doffier duquel on lifoit ces deux vers
de Pope :
Black Melancholy fits , and round her throws
A death like filence , and a dread repoſe.
Ayant effuyé fes pleurs , qui couloient encore fur
fes joues . il prit mes mains dans les fiennes , & me
parla ainfi :
30
» Je fuis né avec un nom , de la fortune & des
paffions , trois avantages prefque toujours funeſtes.
» Ma jeuneffe fut emportée ; deftiné à la Marine ,
profeffion où plufieurs de mes ancêtres ſe diſtinguèrent
, chacun de mes retours en Angleterre
30
20
160 MERCURE
» étoit marqué par des excès . Mes déréglemens m'a-
» voient fait une réputation déteftable parmi les
» Gens de bien ; mais le monde me pardonnoit tout ,
» & fon exemple m'enhardiffoit. Cependant, l'ivrefle
» des plaifirs n'avoit décruit ni mon honnêteté originelle
, ni les principes de mon éducation : dans
» l'un de mes féjours à N.... , ma Patrie , je fis con-
အ
noiffance avec Miff Jennings ; c'étoit la première
» femme qui m'eût inſpiré du reſpect : elle me plaifoit
fans me toucher encore ; elle me convertit
» avant même que je l'aimaffe . Bientôt mon pen-
» chant devint une fureur : je parlai de mariage ;
» mes parens confentirent à mes voeux ; mais le père
d'Elifa fut inflexible. C'étoit un Négociant plein
de vertus & de fierté , à qui fes moeurs faifoient
regarder mon alliance comme l'opprobre de fa
fille Il lui repréfenta les dangers auxquels elle
» s'expofoit ; ma vocation aventurière , qui m'éloigneroit
d'elle à tout inftant ; mes anciennes habi-
30
» tudes ,
renaillantes au premier affoibliffement
de
soma paffion : il lui peignit le fort affreux d'une jeune
femme entre le mépris & l'abandon , accablée des
devoirs du mariage , fans en reffentir la douceur ,
& liée pour fa vie à un libertin , qu'elle finiroit
par hair , parce qu'elle étoit incapable de l'efti-
» iner . Défeípéré, & fuivant la violence de mon ca-
» ractère , je projetai d'enlever Miff Jennings , &
de l'époufer malgré fa famille. D'abord cette
idée lui fit horreur ; fon amitié pour fon père l'emporta
fur l'amour naiffant , & mes inftances furent
» inutiles. Mais mon attachement éroit fi vrai , mon
» défefpoir tellement inconfolable , qu'avec le tems ,
les fcrupales de Mil Jennings diminuèrent . Je
lui perfuadai que fon père fe rendroit à l'évidence
de mon changement de conduite ; elle eut le malheur
de me croire ; & , à demi morte , elle déferta
la maifon paternelle pour m'accompaguer en
99
DE FRANCE. 161.
30 Ecoffe , où M. Howel nous donna la Bénédiction
» nuptiale. J'eus befoin de tout mon afcendant pour
empêcher Elifa d'aller embraffer les genoux de
» fon père , & implorer la grace. Cette démarche
» eût été auffi infructueuse que le fut une lettre de
» notre part , pleine des expreffions du repentir le
» plus touchant . M. Jennings dit au Meflager que ,
» files Loix ne pouvoient lui rendre fa fille , il .
» viendroit l'arracher de mes bras. J'étois certain
qa'il exécuteroit fa nenace . Elifa frémiffoit d'une
» extrêmité qui pouvoit me conduire au particide :
» pour prévenir ces horribles fuites d'une première
» violation des droits paternels , nous paffâmes fur
39
le Continent , & nous échappâmes à la vengeance
» d'un père , en dévouant la viei leffe au défer-..
spoir.
30 L'agitation d'une vie auffi tourmentée avoit
2 affecté la fanté de mon épouſe . Il n'étoit plus en
» mon pouvoir de lui rendre le repos ; mais je lui,
" devois tout ce qui peut en tenir lieu le climat .
» de l'Italie étoit favorable à la délicateffe de fa
:
complexion ; cette terre étoit à vendre : le charme
» de fa fituation nous décida à y fixer notre
» demeure. Les premiers foins d'un établiſſementnouveau,
les plaifirs de la campagne , la falubrité
de celle- ci , fes beautés de toute eſpèce
ranimèrent quelque temps la vie languiffante .
d'Élifa . Elle efpéroit d'être bientôt mère , & la
naiffance de fon enfant adouciffoit le fouvenir des
cruelles circonftances qui lui avoient donné le jour..
sa Hélas ! la malédiction paternelle nous pourfuivoit
» dans ces rochers. Élifa accoucha d'un fils mert, & .
» le raviffeur de la mère étoit le feul confolateur qui .
reftât à cette infortunée. Dès ce moment l'attrait .
de ce féjour s'évanouit. Mon époule dépériffoit à.
» vûe d'oeil : l'image d'un père dont la tendreffe ne
» s'étoit altérée qu'à l'inftant où la fille en fut in-
"9
162 MERCURE
30
digre , qui avoit été l'ami , l'inftituteur de fa
jeuneffe , qu'il avoit formée lui-même à lace
» vertu & au bonheur , abandonné dans un âges
» avancé , veuf , fans enfans cette idée défefpé--
» rante brifoit le coeur navré d'Élifa en lui repro-
» chant fon ingratitude. Ses remords amenèrent
» des plaintes qui augmentoient fes angoiffes & les
miennes : tous nos momens en étoient empoiſon- *
nés ; elles aigrirent même le caractère angélique
» d'Élifa ; plus d'épanchemens de confiance ; plus
» de promenades en commun ; l'on fe cachoit des
» larmes mutuelles ; mon époufe , parce que ce
» n'étoit pas moi qui faifois couler les fiennes ;
moi , pour éviter d'augmenter de ma douleurs
» celle dont je la voyois pénétrée ; ainfi nos peines
étoient fecrettes , & nous nous fuyions , devenus
inféparables par nos erreurs.
33
93
59
» Je ne vis de remede à une auffi violente fitua-
» tion que dans le parti de ramener Elifa en Angleterre
, & d'y tenter un nouvel effort fur M.
Jennings. Mais ce vieillard , prêt à pardonner à fa
fille, ne m'avoit pas compris dans fon amniftie. Il
exigea le retour d'Elifa dans la maiſon paternelle .
Si cette infortunée eût été laiffée à elle- même , je
ne doute pas qu'elle ne m'eût facrifié à la piété
filiale : l'empire de celle ci eft indestructible dans
» un coeur bien né . Le plus inaltérable de nos atta-
» chemens , c'eft le premier que nous avons fenti ,
que l'inftinet de la Nature nous donne au ber-
» ceau, & que nourriffent les bienfaits verfés fur
» notre enfance. Sentiment religieux & tendre , auquel
la confcience nous rappelle d'une voix terrible
dans le tumulte des paffions J'en craignis-
» l'effet , & trop peu généreux pour fortifier la ré-
» folution d'Elifa , une feconde fois je l'enlevai des
» bras paternels . M. Jennings n'oppofa rien à ma
» réfiſtance ; il fe contenta d'envoyer à fa fille une
35
و ر
و د
DE FRANCE. 163
» fomme confidérable & fes bijoux , & de lui don-
» ner un ancien domeftique qui l'avoit vue naître ,
39 auquel il recommanda d'accompagner la jeune
» Maîtreffe par- tout où je l'entraînerois.
ןכ
"
ל כ
כ כ
" A notre paffage du Saint - Bernard , continua le
Chevalier , vous fûtes témoin de la mélancolie
» d'Elifa ; vous vites fur fa phyfionomie les pre-
» miers ravages du chagrin & de la confomption ;
ils augmentèrent depuis notre retour ici. Malgré
le climat , malgré tous les foins de l'Art & mes
prières , ma pauvre épouſe expira à vingt un ans
» dans les bras de fon alfaffin . Avant de mourir ,
» elle fit approcher de fon lit le vieux John , ce
domeftique de fon père ; elle lui remit une lettre
» pour fon Maître , en le chargeant de lui annonsocer
la mort , fon repentir , fes fouffrances incxprimables
, de le conjurer de me rendre fon amitié ,
» & de me confoler des maux que je lui avois faits.
Lorfque le moment fut arrivé de rendre les
» derniers devoirs à mon épouse , dont je n'avois
pasquitté la chambre depuis la mort , je tombai
» évanoui. A ma léthargie fuccéda le délire de la
» douleur. Je fis enlever tous les préparatifs des
» funérailles ; j'ordonnai qu'on embaumât le corps ,
» & je plaçai le cercueil fous mon piano - forte. Jour
» & nuit pendant un mois je preffai les touches de
» cet inftrument, qui me fembloit exprimer les fons
» d'Elifa , & en répétant les airs que fi fouvent j'en-
» tendis fortir de fa bouche , je croyois voir fon
» ombre m'écouter. Dans mes illufions j'ai fait
» conftruire ce lieu- ci . J'ai donné à l'Ifle le nom de
» l'infortunée qui repofe fous ces ombrages. Ce
pêcher fut planté de mes mains fur le lieu même
» de la fépulture . Tous les matins je la vifite ; tous
» les matins j'arroſe l'arbriffeau ; je le vois croître
» de la cendre d'Elifa ; elle reffufcite dans la tige ,
» dans le feuillage ; la première pêche qui l'ornera
35
164 MERCURE
» eſt deſtinée à M. Jennings. A l'inftant de la
» cueillir j'affemblerai ici tous les pères de famille
» du canton ; ils feront témoins de l'expiation de
mes outrages à l'autorité fainte de la Nature , &
» ce jour de folemnité fervira de commémoration
à la mémoire d'Elifa.
» Cette Fête intéreffante a été célébrée en 1777 .
» L'Ifle, le Maufolée , le Pêcher, tout exifte en-
» core dans fon premier état. Voyageurs qui irez
en Lombardie , je vous en prie, ne traverfez pas
» cette contrée fans vifiter l'lfle Jennings .
"
( Par M. Mallet du Pan . )
COUPLET à Mme DE.... , en lui envoyant
fon Portrait que j'avois fait la veille.
AIR : Ce fut par la faute du fort.
HÉLAS! ÉLAS ! que je fuis malheureux !
Ce jour n'eft plas , aimable Hortenfe ,
Où mon pinceau trop curieux
D'un Dieu me donnoit la puiſſance;
Comme un Sultan impérieux
Ma voix ordonnoit un fourire ;
Il ne me refte que des yeux ,
Et j'ai perdu tout mon empire.
DE FRANCE.
165
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Délire ; celui
de l'Enigme eft Montre ; celui du Logogryphe
eft Olivier , où l'on trouve olive , ré,
viole , vièle , vol , lire , Loire , rive , ver ,
vie , or , livre , voir , Livie , viol , lière ,
rôle , lie , violier.
CHARA D E.
Pour chercher mon premier tu cours juſqu'à la
Chine ;
Au fein de tes foyers tu trouves mon ſecond ;
Pour monter fur mon tout , fouvent un lourd Pradon
De fon maigre pégaſe a fatigué l'échine ,
Et n'a remporté qu'un affront.
ENIGM E.
Je tiens un tribunal en tous lieux fort commun
Où ce qu'on ne fait pas par fois on le devine ;
J'ai force prifonniers dont il n'échappe aucun >
( Carry mets bonne garde ) ou fur cent peut- être up.
A ma fatale approche on voit , felon ma mine ,
Le pauvre détenu , de fon fort incertain ,
166
MERCURE
C
<
Attendre en friffonnant l'arrêt de fon deftin.
Moi calme , d'un air froid j'ordonne la torture
Que précède toujours de l'eau la queſtion.
Le trifte patient qui boit outre mefure ,
De fon fang perd en outre une ample portion.
Mes compagnons bourreaux , d'après mes ordonnances
,
Sur lui des pieds au cou font manoeuvrer leur lance .
Quand il n'a plus de fang on le jette dans l'eau.
Puis vient un drôle armé d'un inftrument nouveau ,
D'un air humble il s'approche , à genoux il fe places
Honteux de fon métier , qui pourtant eft fort beau ,
Le traître n'attaqua jamais un homme en face.
A mon fouffre-doulour déjà près du tombeau
On fait tourner la croupe , & le coquin l'empâle.
Mais fur un tel objet je tire le rideau.
L'empâleur déguerpi , conſeil dans la grand -falle ;
Après quelques débats , qui ne font plus ſcandale ,
Mes affeffeurs & moi nous tombons tous d'accord
Qu'il faut que l'homme meure. Alors du presbytère
Le Curé s'achemine , & vient pour réconfort,
Sortant d'un bon dîner , l'exhorter à la mort.
Le pauvret malgré lui s'y réfigne : on l'enterre.
Sés héritiers en deuil me font compaffion ;
Mais dans ce trifte état ne fachant plus que faire ,
Pour modérer l'excès de leur affliction ,
*Je confifque une part de la fucceffion.
( Par M. Noirhomme . )
DE FRANCE. 167
1
LOGOGRYPHE
Adreffé à Mademoiſelle D ***.
JE fuis gracieux & brillant ,
Et pourtant je fuis invifible .
Tantôt je fuis affable , honnête , fémillant ,
Tantôt méchant , bourru , dangereux & terribl
Si je me montre arrogamment.
Souvent auffi j'aime à ne point paroître.
Enfin c'eft moi qui , feul en ce moment ,
Chloé , vous aide à me connnoître.
Six pieds forment mon corps , & vous y
Ce qui du Laboureur renferme le falaire ;
L'ordre preferit de nos devoirs facrés
trouverez
Ce que tous les cinq jours on donne au Militaire;
Un plant de qui le fruit fubjugue la raiſon ;
Ce que l'on voit , Chloé , voltiger fur vos traces ;
Et fans décompofition ,
Chez vous j'accompagne les Grâces.
( ParM. Bouilly , de Tours. )
168 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MELCOUR ET VERSEUIL , Comédie en un
Acte & en vers , par M. de Murville , repréſentée
, pour la première fois , par les
Comédiens François ordinaires du Roi ,
le a Août 178 .. A Paris , chez Prault ,
Imprimeur du Roi , quai des Auguftins ,
à l'Immortalité.
LA
A première repréſentation de cet Ouvrage,
a éclairé fon Auteur fur quelques uns
des défauts qui en ont rendu le fuccès équivoque.
La fuppreffion de plufieurs détails
inutiles en a refferré la marche , & des
changemens affez heureux ont donné plus
de jeu aux refforts qui font mouvoir les pèrfonnages.
Pour prix de fa docilité , M. de
Murville a obtenu des applaudiffemens
plus nombreux & des encouragemens flatreurs.
Il eft fâcheux que fon fujet , dont le
fond vicieux , comme nous l'avons dit
ailleurs , n'eft propre tout au plus qu'à
former un incident dans une intrigue plus
étendue , ne lui ait pas permis de retrancher
des Scènes à-peu- près oifeufes , & que toutes
les reffources de l'adrefle & de l'efprit ne
fauroient rendre vraiſemblables. Telles font
les Scènes douzième & treizième , dans la
première
DE FRANCE. 169
*.
par un
première defquelles Angélique ,
feulmot, devroit éclairer Melcour fur le billet
de congé qu'il tient en fes mains , & s'inftruire
elle-mêine de la rufe de Verfèuil &
de Nérine . C'eft en vain que M. de Murvillea
cru motiver cette Scène , en mettant le
vers fuivant dans la bouche de Nérine :
Bon ! tout fe débrouilloit ; mais ils prennent le change!
Ce n'eft pas là motiver une Scène ; c'eft, en
cherchant à diflimuler un défaut , mettre le
Public dans la confidence de l'embarras où
s'eft trouvé l'Auteur. En effet , qu'on y réfléchiffe
bien. Que peut dire Angélique à l'inftant
où Melcour lui remet le billet qu'elle
a fait adreffer à Verfeuil : Eh quoi ! c'est ce
billet qui vous met en colère ! n'eft- ce pas vous
qui m'avez confeillé de l'écrire ? Oui ,
Madame , oui , c'est moi ; mais ce n'étoit pas
à moi qu'il devoit s'adreffer. Comment a
vous ! &c. Et , par une fuite néceffaire , la
connoiffance de la fourberie de Nérine.
Voilà , à quelques nuances près , tout ce
qu'exigeoir une fituation de cette eſpèce. La
néceflité de donner à l'Ouvrage les proportions
indifpenfables qu'exige la repréfentation
, a pu feule engager M. de Murville
à prolonger une explication qui , naturellement
, devoit fe faire d'une manière
très- rapide . Nous n'ignorons pas qu'on peut
* Voyez l'analyfe de cette Comédie , N. 34 ,
Mercure du 20 Août dernier .
Nº. 43 , 22 Octobre 1785 .
H
170
MERCURE
nous citer l'exemple de Marivaux , dont
quelques Comédies n'atteignent l'étendue de
deux , & même de trois Actes , qu'à la faveur
d'un mot qu'on a dû dire cent fois , &
qu'il a eu l'adreffe d'éloigner fans ceffe ; mais
on fait aujourd'hui ce qu'on doit penſer du
talent dramatique de Marivaux , & il n'eft
pas un Homme de Lettres éclairé qui puiffe ,
de bonne foi, le confidérer comme un modèle.
Nous avons déjà fait quelques reproches à
la Comédie de M. de Murville ; nous croyons
néceffaire de propofer encore quelques obfervations
à cet Écrivain , avant d'examiner ce
que , malgré le vice du fujet , fon Ouvrage
prouve d'efprit & annonce de difpofitions
au talent.
Tout Auteur qui entre dans la carrière
Dramatique , doit fe mefier de fa memoire ,
parce que l'étude de fes maîtres peut
l'entraîner dans des reminifcences capables
de lui faire encourir le reproche de
plagiat. Parmi plufieurs exemples de ces réminifcences
que nous pourrions trouver
dans la Comédie de M. de Murville , nous
en choifirons un feul , & c'est le plus frappant.
Dans la Scène douzième , dont nous
avons parlé plus haut , Angélique , étonnée
de l'emportement de Melcour , lui dit :
Il faut ou m'en fâcher , ou vous croire infenfé.
Melcour répond :
Infenfé ! ... je le fus ... mais , c'eſt lors qu'à vos charmes
DE FRANCE. 171
Mon coeur > mon foible coeur rendit fitôt les armes ;
Qand je crus... que le monde alloit changer pour moi ,
Et... qu'une femme enfin ... pouvoit garder la foi.
Ouvrons la Scène troifième du quatrième
Acte du Misantrope. Nous entendrons Celimène
dire :
Avez- vous , dites - moi , perdu le jugement ?
Er Alceſte lui répondre :
Qui , oui , je l'ai perdu , lorfque dans votre vûe
J'ai pris , pour mon malheur , le poiſon qui me tue ,'
Et que j'ai cru trouver quelque fincérité
Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.
Le mouvement & l'idée font les mêmes ;
mais que la fituation eft différente ! & comme
ce qui eft énergique & à fa place dans la
bouche du Miflantrope , devient dur & dé
placé dans celle de Melcour !
Autre reproche . M. de Murville a voulu
fans doute nous préfenter Angélique comine
une femme eftimable. Nous lui demandons
à lui-même fi les vers fuivans qu'il fait dire
par Nérine à Verfeuil , s'accordent bien avec
l'honnêteté qu'il a eu , fans doute , l'inten
tion de donner à ce perſonnage.
Aux billets différens écrits par ma maîtreffe ,
C'est moi qui mets toujours l'enveloppe & l'adreffe ;
Deforte qu'un amant ou joyeux ou confus ,
Me fait gré des faveurs ou m'en veut du refus.
Si Nérine étoit la Soubrette d'une co-
Hij
172
MERCURE
"
quette , pour ne rien dire de plus , s'expliqueroit
- elle autrement ? N'eft- ce pas là un
oubli très- décidé des bienféances ? Il faut
encore obferver que fi une femme qui fait
mettre les enveloppes & les adreffes de fes
lettres par une Soubrette , peut - être une
femme honnête ; auffi eft-elle , à coup sûr
une femme bien ind.ferette , bien inconféquente
, & qui ne ſe relpecte guères , non
plus que les gens auxquels elle écrit.
Paffons à ce que l'Ouvrage a de louable ,
à ce qui peut prouver que M. de Murville
n'eft pas indigne des encouragemens qu'on
lui a donnés. La Scène troisième fuit le
moment où Angélique , à la follicitation de
Melcour , s'eft décidée à donner à Verfeuil
fon congé par écrit. Les deux rivaux font en
préfence.
MELCOUR , ( d'un ton railleur. )
A tout votre amour peut prétendre.
Vous ne répondez rien ! vous ne devinez pas
Le bonheur....
VERSE U IL.
Nous brûlons pour les mêmes appas 3
Ainfi , notre amitié ne peut être bien vive.
Je dis plus , qu'entre nous la haine foit active ;
C'eft le droit des rivaux : mais il faudroit , Melcour ,
Même en nous déteftant , nous nuire fans détour .
MELCO UR.
Oh ! oni , l'averfion n'exclut point la franchiſe.
DE FRANCE. 173
-
VERSE U I L.
Cependant devant moi la votre fe déguiſe.
Melcour, vous n'avez point les talens d'un rival ;
C'eft vraiment un état que vous rempliffez mal .
Un état !
MELCOU R ( riant.')
>
VERSEUIL.
´C'en eſt un ; c'eſt le mien , c'eſt le vôtre ;
Et celui là , Monfieur , s'apprend tout comme un autre.
MELCOUR , ( ironiquement, )
Vous le favez à fond !
VERSEUIL,"
Oui , j'y fuis très-formé.
Si par exemple ici je vous croyois aimé ,
( Cela ne fe peut pas ) mais enfin je fuppoſe....
MEL COUR.
ſi La fuppofition coûte fi peu de chofe !......
VERSEUIL , ( malignement. )
C'eft autant de gagné ſur la réalité.
Afin qu'on vous reçût avec moins de borté ,
Penfez- vous que j'irois avertir Angélique
Que vous prenez chez elle un ton très defpotique ?
Je ne ferois , cherchant à vous rendre odieux ,
Qu'affliger fon orgueil fans deffiller les yeux :
Hüj
174 MERCURE
Dans l'objet de fon choix fa vanité bleffée ,
Même à le foutenir feroit intéreffée ;
Et j'aurois , en dépit de mes foins fuperfus ,
regret de Vous voir aimé.... trois mois de plus. Le
MELCOUR , ( ironiquement . )
C'est bien vû. Ma préſence ici peut vous déplaire ;
Vous allez de vos feux recevoir le falaire.
On vient de vous promettre un entretien fecret ;
Je fuis votre rival , mais rival très - difcret.
Je fais qu'un tête- à- tête entre nous eft peu tendre ,
Et que ce n'eft pas moi que vous brûlez d'entendre ;
Je vais vous laiffer feul.
VERSE U IL.
Ainfi , dès ce moment ,
Nous pourrons nous hair....
MEL COUR .
Plus amicalement.
VERSEUIL , ( d'un ton plus fat. )
Vous avez dit le mot , &c.
Le ton de cette Scène rend avec beaucoup
de fidélité celui de nos jeunes agréables ; leur
jargon , leur perfifflage y font adroitement
faifis. Il ne faut , à la vérité , pour écrire de
pareilles Scènes , qu'obferver la fuperficie de
quelques individus ; mais c'eft déjà un mérite
que de bien appercevoir cette faperficie
, & fur-tout que de la bien rendre. Au
DE FRANCE. 175
refte , ce n'est pas là le feul mérite de cette,
fituation. L'affaut d'ironie, de perfifflage & de
pleine confiance dans le fuccès qu'y font les
deux rivaux , contrafte bien avec la furpriſe
& les emportemens de leur amour- propre
bleffe , lortque chacun d'eux reçoit tour-àtour
, fous une enveloppe differente le
congé deſtiné à Verfeuil. Il prépare de loin le
comique des deux Scènes , pour y ajouter
quand elles arrivent. Cette intention eft affez
bien apperçue pour mériter d'être diſtinguée.
La meilleure Scène de cette Comédie eft
celle que nous allons tranfcrire. Melcour ,
en revenant chez Angélique , a reçu le congé
qu'il avoit fait donner à Verfeuil' ; il eft furieux
, & va droit à fon rival , qu'il ne croit
pas inftruit , & qu'il informe rapidement
de tout. Le fang- froid de Verfeuil l'étonne :
Je lis dans vos yeux une gaîté contrainte....
Tapperçois dans Nérine une ſurpriſe feinte.....
Aurois je , par hafard .... Répondez - moi tous deux ,
Confié mon malheur à mon rival heureux ?
Ce filence affecté , qu'eft- ce qu'il fignifie ?
Si c'eft à vous , Verfeuil , que l'on me facrifie ,
Tremblez....
1
VERSEU I L.
Je ne vois pas , fi j'avois cet honneur,
Qu'il me fallût, Monfieur , trembler de mon bonheur:
Plus je deviens heureux & plus j'ai de courage.
Mais fur vous , juſqu'ici , je n'ai nul avantage :
Hiv
176 MERCURE
Je fuis , & de ma part un tel aveu vous plaît )
Banni de vive-voix , comme vous par billet ;
Ainfi , confolons- nous l'un l'autre.
MELCOUR , ( à part. )
Je refpire.
VERSEUIL , ( malignement. )
Je crois voir Angélique , & je l'entends me dire :
Vos vifites , Monfuur……..
( Ce font les premiers mots du congé. )
MELCO UR.
Il est ainsi conçu ,
Ce funcfte billet qu'à l'inftant j'ai reçu.
Vous nous perdez .
NIRINI.
VERSIUIL.
(Bas à Nérine.) ( Haut à Melecur. )
Tais toi..... Cela n'eft pas croyable
MEL COUR.
Tenez , lifez plutôt.
VERSE U IL.
4
Rien n'eft plus véritable.
MELCO UR
Quel rapport! cette énigme....
VERSEUIL.
Oh! moi j'en ai la clés
C'eft qu'elle vous écrit comme elle m'a parlé.
DE FRANCE. 177
MELCO U R.
Sans doute... Mais , Monfieur, on trahit notre flamme ;
Ce prix de tant de foins que notre amour réclame ,
C'eſt un rival qui va l'obtenir ....
VERSEUIL , ( froidement. )
Croyez-vous ?
MELCOUR , ( vivement. )
Eh quoi ! de fon bonheur n'êtes - vous point jaloux ?
VERSE U IL.
Moi, je ne prends jamais les chofes au tragique.
La Scène continue ainfi. Melcour eſt toujours
emporté , fon rival toujours tranquille
& froid , jufqu'à l'inftant où la néceffité
d'éloigner un liomme dont un feul mot d'Angélique
peut ouvrir les yeux , engage Verfeuil
à paroître piqué. Alors il feint de fe
déterminer à quitter une volage pour jamais ,
& il en donne d'autant plus adroitement à
Melcour le confeil de l'imiter. Oui , dit celui-
ci , l'infidélité doit punir l'inconftance. II
va , vient , s'en va , revient , & fort enfi
emmené par Verfeuil.
On pourroit dire , à la rigueur , que le
fonds de cette Scène n'eft pas décidément
neuf; mais pour reffembler par quelques
traits à deux où trois Scènes connues , elle
ne nous en paroît pas moins annoncer des
difpofitions au talent , Elle a du mouvement ,
de la chaleur , elle eft dialoguée naturelle-
Hv
178
MERCURE
ment , & chacun des deux rivaux y parle
le langage qui lui convient. Enfin , eile
donne à penser que fi M. de Murville eûr
choifi un fujer plus fécond en reffources
comiques , il auroit trouvé en lui les moyens
néceffaires pour le traiter de manière à obtenir
un fuccès très- Aatteur. Nous invitons
donc cet Ecrivain à bien examiner fes fujets ,
à les approfondir avant de fe réfoudre à les
travailler. Nos jeunes Auteurs fe laiffent trop
fouvent féduire par l'attrait que la malignité
attache à de petites anecdotes : ils ne
veulent pas voir que ce qui peut fervir à
faire une Scène agréable , ne fuffit pas pour
l'intrigue d'un Ouvrage dramatique , quelque
court qu'il puiffe être. Boiffy eut autrefois
cette foibleffe. L'anecdote du jour , le
vaudeville à la mode lui préfentoient des
motifs de Scènes mal coufues , qu'il appeloit
des Comédies ; en un mot , il fe fervoit de
tout pour brocher des bagatelies . On les a oubliées
, & l'on ne fe fouvient du nom de Boiffy
que parce qu'il a fait quelque chofe de mieux ,
en devinant , comme l'a dit M. de la Harpe ,
le caractère de l'homme du jour . Ceux qui
voudront coudre des anecdotes piquantes à
une action comique , doivent jeter les yeux
fur la Métromanie. C'eft- là qu'ils apprendront
l'art de les employer avec avantage ,
& de les faire concourir à leur affurer des
fuccès durables.
( Cst Article eft de M. de Charnois. )
DE FRANCE. 179
MÊLANGES de Littérature Étrangère
Tomes I & II. A Paris , chez Gogué &
Née de la Rochelle , rue du Hurepoix ;
Belin , rue S. Jacques ; Hardouin , au
Palais Royal, Prix , 1 liv. 16 fols chaque
volume broché.
I
ON ne peut qu'applaudir au plan de ce
Recueil & en approuver l'exécution . Il a
pour but d'offrir un choix de morceaux variés
de Science & de Littérature , traduits
ou imités des Auteurs étrangers , & des Differtations
fur la Littérature de nos voitins.
L'Auteur , M. de Grand - Maiſon , Homme
de Lettres vraiment digne de ce titre par la
diverfité de fes connoiffances & par le defic
de fe rendre utile , montre dans cette rédaction
beaucoup de goût & de difcernement.
Il fe borne à préparer des matériaux
lorfqu'il pourroit édifier lui - même.
On lit dans le premier Tome la Vie de
Zoile , traduite de l'Anglois de Thomas
Parnell ; des Fables Perfannes , très - morales
& très piquantes ; une Lettre de Léonce à
Érotiquefon fils ; des Obfervations curieufes
Sur le Bohon- Upas , ou l'Arbré poijon de
Pifle Java , extraites des Voyages de M.
Foerfech , Hollandois ; des Poéfies d'Érinne ,
jeune Lesbienne ; l'Hiftoire d'Opfinous
Conte moral , tiré de l'Aventurier , Ouvrage.
Anglois , dans le genre du Spectateur d'Adif
fon ; une Differtation fur les trois Unités
H vj
180 MERCURE
"
Dramatiques , par le célèbre Métaftafe ;
où le pour & le contre de certe queſtion eft
difcuté avec beaucoup de jufteffe & fans pédanterie.
Il réfute les ennemis des règles
fans en être pasifan , avec trop de rigorifme
, & fait voir que fans manquer à la
vraisemblance , un homme de génie ,
Trop refferré par l'art , fort des bornes prefcrites ,
Et de l'art même apprend à franchir leurs limites.
Il prouve de plus à fes Lecteurs que l'homme
de talent qui exécute , raiſonne beaucoup
mieux que le froid differtateur qui veut
preferire les règles d'un art dont il n'a ni le
fentiment ni l'expérience.
On remarque de plus dans le premier
volume la Vie de Cowley , Poëte Anglois ,
par Samuel Jonhson , opufcule qui refpire
le goût le plus fin & la critique la plus faine.
Le fecond Tome contient un Efai Hiftorique
fur la Littérature Romaine , un opufcule
traduit de l'Italien , intitulé : Hécatomphile
, ou l'Art d'aimer à l'ufagedes femmes ;
Alberti , qui en eft l'Auteur , n'a point
comme Ovide , le mérite d'avoir profeffé
l'amour en beaux vers ; il a écrit en profe
& cela feul lui affigne un rang très - inférieur
au Poëte Latin ; mais il a du moins.
Favantage d'avoir , autant qu'il a pu , fuivi une
route nouvelle. Viennent enfuite un Effai
Hiftorique fur l'Ancienne Hiftoire des Arts
des Manufactures , & des connoiffances chimiques
en Afie ; Racher , ou les Amours
>
DE FRANCE. 181
d'Alphonfe VIII , Poëme Efpagnol ; quatre
Difcours , tirés du Rambler ou du Rodeur
Ouvrage de Jouhfon , dans le genre du
Spectareur , & mieux écrit encore ; enfin des
Mémoires Biographiquesfur Einnée, fameux
Naturalifte Suédois.
Plufieurs de ces opufcules font accompagnés
de notices inftructives & judicieuſes
fur leurs Auteurs , & de remarques precafes
& intéreffantes. Cette Collection fera
agréable aux gens du monde par divers mor
ceaux frivoles & piquans , & aux Litterateurs
par quelques autres érudits & favans.
Enfin cet Ouvrage , très -bon dès - à- préfent ,
eft fufceptible de plus de perfection par la
foire. L'Auteur fe propofe de profiter des
fecoms & des avis des Gens de Lettres , &
tâchera fur-tout de debarraffer la fcience de
les épines.
VARIÉTÉS.
OBSERVATIONS fur une Conftruction
Romaine découverte à Bar - fur- Aube ,
adreffees à M. André , Avocet à Paris ,
par M Belandine , Correfpondant de
l'Académie des Belles-Lettres & Infcriptions
à Lyon.
M.ONSIEUR ,
BIEN des gens ne devinent les énigmes qu'en les
lifant eux inces. Souvent il en eft ainfi des monu782
MERCURE
mens antiques , il faut les voir pour les expliquer.
Vous m'avez décrit d'une manière auffi exacte qu'intéreffante
celui découvert dernièrement en Champagne
, & cependant je crains fort de ne point répondre
à l'opinion trop flatteufe que vous me térnoignez
, & de me tromper dans celle que je me hâte
de vous annoncer.
Au fond d'un vallon , près de Bar - fur- Aube , on
a trouvé , après avoir foui la terre , une falle de
douze pieds carrés , pavée avec des lozanges de
marbre de diverfes couleurs ; plus loin , & à une
toife de diftance , on a apperçu une forte de canal
de huit pieds de longueur , de trois environ de largeur
, fur trois pieds deux pouces de profondeur. On
defcendoit par quelques degrés le fond en étoit
auffi pavé en mofaïque , on n'a pas pouffé plus loin
cette fouille ; & déjà le peuple a prefque entièrement
détruit tout ce qu'elle pouvoit offrir de curieux.
y
que
N'eft- ce point ici , Monfieur , la découverte d'un
bain Romain Pour m'en convaincre , fouffrez
je quitte un inſtant votre patrie pour aller chercher
des éclairciffemens dans l'antique Rome. Par le mot
bains , on y entendoit non feulement les cuves dans
lefquelles on fe plongeoit , mais les bâtimens où
elles étoient placées. Celui de Balneum défignoit
l'appartement particulier que chaque Citoyen avoit
deftiné dans fa maiſon à un ufage auffi falubre
qu'agréable . On appeloit Balines & Thermes les
édifices fomptueux & utiles confacrés aux bains publics.
C'eft - là que la magnificence de l'Empire fe
plût fouvent à paroître dans toute fa fplend ur. On
y voyoit des appartemens d'été & d'hiver , des portiques
, des bolquets , des falles immenfes , des promenades
enchantées. Le porphyre & l'or У brilloient
de toutes parts . L'air y étoit embaumé par
l'évaporation des parfums ; & des eaux jailliffantes
DE FRANCE. 183
tombant de cafcade en cafcade , s'enfuyoient dans
des cuves d'argent , & invitoient , par leur inurmure ,
à un doux fommeil .
Les bains publics & particuliers étoient divisés en
différentes pièces , dont le nombre varioit fuivant
l'étendue du lieu & le luxe de ceux qui les faifoient
conftruire. Les plus ordinaires , outre le bain froid
& celui d'eau tiède , étoient l'Eleothefimum , où l'on
fe frottoit d'effence & d'huile ; le Frigidarium, le
lieu du rafraîchiffement , & le Laconicum , ou étuve
sèche , dont Vitruve a donné la defcription , & qui
fut ainfi nommée , parce que les peuples de Laconie
en furent les premiers inventeurs.
A l'exemple de Rome , où Publius Victor comptoit
huit cent cinquante- fix bains , dont quelquesuns
, tel que celui de Caracalla , pouvoient contenir
près de deux mille perfonnes toutes les villes foumifes
dans les Gaules à cette maîtreffe de l'Univers ,
s'emprefsèrent d'adopter de parcils établiffemens .
Paris , Lyon , Marſeille , Vienne curent des bains
publics ; ( 1 ) ceux de Nîmes font affez connus.
C'eft dans ces lieux , au bord de la fontaine ,
Où , fière encor de fes antiques bains ,
Diane voit de modernes baffins
Emprifonner fon onde toujours vaine
D'avoir coulé fous la loi des Romains . (2)
Les bains de Fréjus furent ' ong- temps ignorés.
C'eft Peireſc qui les fit connoître. Ce favant , qui
s'éleva au - deffus de fon fiècle & qui , fans avoir
prefque rien écrit s'eft cependant couvert de gloire ;
génie étonnant qui , comme la fi bien dit le grand
Ecrivain qui a illuftré tant de grands Hoinmes ,
(1) Chorier , Antiq. Liv. 4.
(2 ) M. Imbert.
184 MERCURE
cut la paffion des Lettres & des Antiquités ,
» comme d'autres ont l'ambition de la fortune , &
» qui fit peut-être plus pour le progrès des Arts que
» cet Augufte fi vanté & les trois quarts des Souve
rains , ( 1 ) » en configna la forme & les dimen
fions dans un manufcrit qui fe trouve dans la Bibliothèque
du Roi ; on y voit plufieurs falles qui
furent pavées en compartimens comme celles découvertes
en Champagne.
1
Ces dernières paroiffent avoir appartenu à des
bains. L'excavation de l'une d'elles , & leur fituation
dans un vallon où les eaux devoient affluer , fuffiroient
pour le faire préfumer. Elies furent du nombre
des falles que les Romains nommoient Teffellata,
du mot Teffella , petits cubes de marbre employés
dans les mofaiques . Celle qui a douze pieds carrés
a pu être l'Eleothefimum , le Frigidarium ou le Propafteon
, forte de veftibule qui précédoit fouvent le
bain de vapeur & l'étuve sèche . Le canal de huis
pieds de longueur , où l'on defcend enfuite , me
fembleroit l'un ou l'autre de ces deux derniers lieux.
Ils étoient placés plus bas que les autres falles ; &
fi l'on creufoit fous ce canal , peut- être y trouveroiton
encore l'Hipocaufte , fourneau fouterrain , divifé
en plufieurs efpaces carrés , où la flamme pénétroit
pour échauffer le pavé , donner une chaleur intérieure
qui , augmentée par le réfléchiffement des
voûtes , procuroit bientôt la tranſpiration la plus
abondante.
Le bain de Bar-fur- Aube a- t'il été public ou pariculier
? Offre-t'il un balneum fimple ou des thermes
? On ne peut le décider , puifque la fouille a été
f promptement interrompue . Bar-fur- Aube eſt environné
des débris de la grandeur Romaine , & tour
(1 ), M. Thomas , Eff, fur les Elog,
DE FRANCE. 185
annonce que cette ville mérita de l'antiquité plus de
magnificence qu'elle n'en a obtenu de nos jours . Le
pont qui traverse l'Aube , & le chemin ferré qui
conduit de Bar à Clairvaux , paroiffent. des ouvrages
des Romains. Les deux montagnes qui ceignent le
vallon cù le bain fe trouve placé , font couvertes
de ruines, & de ces maffes indeftructibles qui ont fatigué
le temps. ( 1 ) Ici , ce font des foffés , des remparts
qui défendirent en vain une fortereffe contre
Attila ; d'autres difent contre Roderic , Général des
Goths , qui , chaffés d'Espagne dans le huntième
fècle , réfluèrert dans la Gaule Belgique. Sur le
coteau voisin on diftingue l'enceinte d'une ville détruite
, à laquelle une foible tradition a confervé
le nom de Florence. ( 2 ) C'eft dans ces lieux qu'on
apperçoit un tombeau dont l'aſpect inopiné ſuſpend
pas du Voyageur , & lui commande le filence &
le refpect. Un Préfet des Remains y fut , dit - on,
inhumé; & le bain trouvé à quelques pas de diftance
lui appartint peut - être. La conftruction antique
& recherchée de ces deux monumens, annonce
affez que le peuple vainqueur les éleva , & que l'un
de fes grands Hommes vint y trouver un délaſſemement
momentané & un éternel repos .
jes
ANNONCES IT NOTICES.
NTIQUITÉS Etrufques , Grecques & Romaines,
gravées par F. A. David.
Les Étrufques font , après les Égyptiens , les Penples
les plus anciens qui ayent cultivé les Arts , & il
paroît même qu'ils les ont conduits avant les Grecs
(1 ) M. l'Abbé de Lille.
(2) Baugier , Mém. de Champag
486 MERCURE
à un certain point de perfection. Confidéré fous ce
point de vue , l'Art des E refques mérite , par fon
antiquité, une attention particulière .
C'eſt à M. Hamilton , Miniſte de la Cour de
Londres à celle de Naples , que le Public eft redevable
de la Collection des Deffins de Vafes Etrufques ,
Grecs & Romains dont on propofe aujourd hui
la réduction . A cette Collection on a ajouté les plus
beaux Vafes des cabinets de Maftrilli & de Porcinari.
Ce bel Ouvrage étant in-folio , de forme d'Atlas,
& d'un prix exceffif, on s'eft propolé de le réduire
aux formats in 4º . & in - 8º . , comme on l'a fat
pour les Antiquités d'Herculanum , en fept Volumes ,
afin que par la réunion de ces deux Ouvrages on
puffé avoir fous les yeux la Galerie la plus complette
de l'Antiquité la plus reculée. Indépendamment de
la forme des Vafes , & de leurs dimenfions , chacun
fera repréſenté fur différentes planches , où les
ornemens , & encore plus les figures , feront rendus
avec le plus grand foin , & avec la vraie intelli
gence dans le deffin des anciens. D'ailleurs , chaque
Vafe fera imprimé avec les couleurs propres , de
manière qu'on y trouvera un tréfor du Deffin Grec ,
& une preuve inconteſtable de l'Art de ce Peuple ingénieux.
La plus grande partie des Vafes que l'on trouvera
dans ce Recueil , font ornés de Peintures , dont les
fujets font tirés de l'Hiftoire , de la Mythologie , &
des coutumes Religieufes , Civiles & Politiques des
Anciens , ce qui les rend très intéreffans pour les
Savans. Lá compofition de ces Peintures , la manière
d'en traiter les Figures . la fingularité du Trait
les rendent encore très - précieuſes pour les Artiftes
& pour tous ceux qui aiment le delfin.
Outre les explications des Peintures qui feront
dans chaque Volume , on y traitera de l'origine
DE FRANCE. 187
des Etrufques , de leurs Lettres , de leurs Maurs ,
de l'ancienneté de l'Ordre Tofcan , de la Sculp
ture , de la Peinture , des temps qui précédèrent &
qui fuivirent l'invention de la Sculpture jufqu'à la
prife de Troye , enfin des temps qui fuivirent la
guerre de Troye , jusqu'à la mort d'Alexandre le
Grand.
Le nombre des fujets fera environ de trois cent
divifés en douze Livraifons , qui formeront quatre
Volumes. Il paroîtra tous les deux mois avec
exactitude deux Cahiers, compofés chacun de douze
Planches & Difcours . Prix , chaque Cahier 9 liv.
in 4°. & 6 liv in - 8°.
Les deux premiers Cahiers paroîtront & fe diftribueront
le premier Novembre prochain à Paris ,
chez l'Auteur , M. David , Giaveur , rue des Cordeliers
, au coin de celle de l'Obfervance.
Les Entreprifes utiles que M. David a heureu
fement terminées jufqu'ici , doivent donner de celleci
une opinion avantageufe.
·
TROISIEME Voyage de Cook , 3 Vol. in 89.
Prix , 18 liv . reliés , 15 liv . brochés. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire de la Reine , hôtel ,
de Cluni , rue des Mathurins.
Cet Ouvrage eft auffi connu qu'eftimé. Ceci est
un Abrégé qui, er quittant la forme , prend un enfemble
plus Hitorique , & qui , vû fon moindre
volume , fe trouve, par le prix , à la portée d'un plus
grand nombre d'Acheteurs.
ADDENDA ad Flora Nannetenfis prodromum ,
curante Magiftro Francifco Bonamy , in Univerfi .
tate Nannetenfi Doctore Medico Regente , & Fa .
cultatis fuæ Decano , Botanices Profeffore , & Urbis
, fanitatifque Medico , Regia Societatis Medica
Parifienfis , &c. A Nantes , de l'Imprimerie de
188 MERCURE.
Lebrun l'aîné , rue Saint Nicolas ; & à Paris , chez
Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
RECHERCHES Théoriques & Pratiques fur les
Eaux M nérales de Barbotan , fes bains & fes
boues , fur les différentes Maladies auxquelles ces
. fecours conviennent , & fur les Remèdes qui doivent
leur être affociés ; par M. A. J. Dufau , Docteur
en Médecine , &c . A Bergerac , chez J. B. Puynefge,
Imprimeur-Libraire , an grand Pont ; & fe trouve
à Paris , chez Mme Poilly , quai de Gêvres , in- 12 .
Prix , 1 liv. 16 fols.
•
page
MÉDECINE - DOMESTIQUE . L'Auteur de cet
eftimable Ouvrage rous prie d'avertir qu'on vient
d'en faire à Genève une nouvelle contefaction en
cinq Volumes in- 8 °. Elle eft imprimée page pour
fur la troifième Edition de cet Ouvrage faite à
Paris en 1783 , chez Froullé , Libraire , quai des
Auguftins , mais comme elle porte fur le Frontifpice
quatrième Edition , avec l'adreſſe du Libraire de
Paris & la date 1785 , ce qui pourroit induire en
erreur, Fon doit prévenir le Public que M. Duplanif
n'a pas plus de part à cette contrefaction qu'à une
précédente faite dans la même ville de Genève en
fept Volumes in- 12 , & qu'il les défavoue l'une &
l'autre , parce qu'elles font remplies de fautes , &
qu'il n'y a d'Edition véritable & fur laquelle on
puiffe compter que cette troisième défignée ci deflus..
Comme il ne peut y avoir de fautes indifférentes
dans des Ouvrages de Médecine , nous avons cru
devoir publier le préfent Avis comme intéreffant la
fanté des Citoyens , puiſqu'il eſt queſtion d'un Livre
très répandu.
TABLEAUX des Maifons & Jardins des Seigneurs
DE FRANCE. 189
& Gentilshommes Anglois , en une Collection de
cent Vues , les plus intéreffantes & les plus pittorefques
, deffinées d'après nature par les plus habiles
Artiftes Anglois dans ce genre , divifées en vingtcinq
Livraifons , gravées & colorées conformément
aux Deffins originaux dans le genre d'Alberly ,
avec l'explication de chacune des Vûes , traduite
par M. Hauy , Interprête du Roi.
}
Cet Ouvrage formera le tableau intéreffant de
l'Angleterre. Chaque Vûe repréfentera un monument
remarquable , feit par fa forme , foit par fa
fituation , ou un édifice intéreffant par la naiſſance ,
les richeffes , les talens ou les places de ceux qui
en font poffeffeurs. Un pareil Ouvrage doit être
utile & curieux pour les perfonnes qui retenues ,
fcit par leur état , foit par la crainte d'une trop
grande dépenfe , n'ont pu jouir fur les lieux mêmes
des Vûes que l'on s'efforce de leur procurer ici : il
doit intéreffer auffi les Artiftes ; ce n'eft qu'en comparant
les chef- d'oeuvres de tous les genres & de
toutes les Nations, qu'ils peuvent perfectionner leurs
talens. Ceux qui auront voyagé dans l'Angleterre ,
auront du plaifir à voir la gravure des lieux qu'ils
auront eux- mêmes parcourus .
Cetre Entrepriſe, commencée en 1779 , fe continue
en Angleterre avec le plus grand fuccès , & déjà
dix-fept Livraiſons qui ont paru prouvent combien
l'Ouvrage eft vrai & intéreffant ; mais le prix en
étant porté un peu trop haut , la rareté des belles
Epreuves , la difficulté de pouvoir entendre les explications
Angloifes l'ont empêché d'avoir le même
fuccès en France . L'on a donc cru néceffaire d'én
donner une copie fidèle . & de faire avec le plus
grand foin une traduction Françaiſe du texte Anglois
; & pour en faciliter l'acquifition , l'on a porté
le prix de chaque Cahier à 4 liv . au lieu de 9 liv. ,
prix de l'Original Anglois , dont la totalité montera
190
MERCURE
i
€
à 225 liv. , au lieu que celui que l'on annonce ne
reviendra qu'à 100 liv . , & préfentera de plus que
l'Original Anglois , l'avantage de la traduction des
explications en François.
Il paroîtra une Livraiſon tous les mois , qui fera
de quatre Eftampes , fuivies de leur explication .
On foufcrit à Paris , chez Simon , Graveur , au Bu̟-
reau du Voyage Pittorefqne de la Grèce , rue Pagevin
, nº . 16 .
La première Livraiſon paroît ; & nous croyons
qu'elle préviendra favorablement le Public pour
cette Collection .
LE Guide de l'Officier en campagne , ou des
Connoiffances néceffaires pendant la guerre aux Officiers
particuliers , par M. de Ceffac , Capitaine au
Régiment Dauphin , Infanterie , 2 Vol. in - 8 °. ,
avec figures, Prix , 10 liv. 2 fols brochés , 12 liv.
10 fols reliés en veau , & 12 liv. en bafanne. A
Paris , chez Cellot , Imprimeur - Libraire , rue des
grands Auguftins .
Nous rendrons compte de cet excellent Ouvrage ,
qui remplit fon titre dans toute fon étendu & utilité
. Il manquoit aux Militaires , qui l'accueilleront
fans doute avec empreffement. L'Auteur M. de
Ceffac , à qui l'on doit nombre d'excellens articles
du Dictionnaire Militaire de la nouvelle Encyclopédie
, donne ici les préceptes d'un Art qu'il poſsède ,
& qu'il a pratiqué avec fuccès .
Les Perfonnes qui fe font fait infcrire dans le
temps prefcrit , peuvent faire retirer leurs Exemplaires.
Celles qui les de fireront foit reliés , foit bro .
chés , payeront de plus 2 liv . 10 fois pour la relicurę
en veau , 2 liv. pour celle en bafanne , & 8 fols
pour la brochure de chaque Exemplaire , qu'elles
joindront au prix principal, ainfi que les frais d'em,
bailage & port
DE FRANCE. 191
LETTRES Critiques & Politiquesfur les Colonies &
le Commerce des Villes Maritimes de France, adreffées
à G. T. Raynal , parM *** . A Genève : & le trouve
à Paris , chez A. Jombert , Libraire , rue Dauphine ,
& au Palais Royal.
Ce: Ouvrage , qui peut être de la plus grande
utilité , eft recommandable par les lumières qu'il
donne fur l'objet important qui y eft traité.
L'AMOUR S'endormant fur le fein de Pfyché ,
peint par J. B. Renaud de Rome , Peintre du Roi , &
gravé par P. Beljambe. Prix , 4 livres . A Paris , chez
l'Auteur , Place de Fourcy , à l'Eftrapade , maiſon de
M. Moreau.
L'Auteur de cette Gravure a fort bien rendu le
calme de la fituation du Tableau.
FIGURES des Fables de La Fontaine , gravées
par Simon & Coiny , le texte gravé format in - 16 ,
papier de Hollande , huitième Livraison . A Paris ,
chez les Auteurs , au Bureau du Voyage Pittorefque
de la Grèce , rue Pagevin , nº . 16 .
Certe intéreffante Collection mérite toujours les
mêmes éloges. Parmi les Auteurs à qui l'on prodigue
aujourd'hui le luxe Typographique , il eſt au moins
certain que La Fontaine eft un de ceux qui le méritent
le plus.
PARTITION de l'Amant- Statue Comédie en un
Ate & en profe , repréſentée par les Comédiens Italiens
, le 4 Août 1785 , miſe en mufique par M.
Dal .... Prix , 15 liv. Les parties féparées 9 livres . A
Paris , chez Leduc , au Magafin de Mufique &
d'Inftrumens , rue du Roule , nº . 6.
Cet Ouvrage eft d'an Amateur dont les talens
agréables obtiennent de jour en jour de nouveaux
faccès. Il n'a point la prétention d'un grand Ou
96 MERCURE
vrage, & c'est une nouvelle preuve de bon efprit
de la part de fon Auteur , qui cependant s'eft élevé
au-dellus du refte , dans les morceaux où il a voulu
faire briller habileté incroyable , la voix délicieuſe
& la méthode charmante de Mlle Renaud.
PREMIER Concerto pour le Clavecin avec deux
Violons , Alto , Baffe , deux Hauts - Bois & deux
Cors , par M. W. B. Mozart , OEuvre IV . Prix ,
6 liv. A Paris , chez Leduc , même Adreffe que cideffus.
GRANDE Symphonie à plufieurs Inftrumens ,
compotée par Joleph Hayden , OEuvre XXXVIII.
Prix , 4 liv. 4 fois . A Paris , chez Leduc , rue du
Roule , à la Croix d'or , n°. 6 , au Magafin de
Mufique & d'Inftrumens.
TABLE .
STANCES à M. de Piis, 145 Melcour & Verfeuil,
168
Le Tombeau de l'Ile de J n Mélanges de Liuérature étran-
143 gère, Kings ,
Couplet à Mme de.... , 164 ,Pariétés ,
Charade, Enigme & Logo Annonces & Notices ,
gryphe , 165
179
181
185
J'AI
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgr . le Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
Paris , le 21 Octobre 1785. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 OCTOBRE 1785.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Faits après une Repréſentation de Didon ,
à l'Opéra.
D'un magique pouvoir , preſtiges féducteurs ,
Qu'à nos yeux -vous offrez de charmes !
Didon , par fon trépas & par de vrais malheurs ,
Jadis aux Tyriens a coûté moins d'alarmes ,
Qu'une fauffe Didon , par de fauffes douleurs
A tout Paris n'a fait verfer de larmes.
(Par M. Hoffman. )
No. 44 , 29 Octobre 1785.
I
194
MERCURE
FABLE du Géant Antée , tirée du quatrième
Livre de la Pharfale de Lucain.
r
QUAND la terre engendra ce Géant formidable ,
Avec bien moins d'orgueil , dans le fein du limon ,
Jadis elle enfanta le fuperbe Typhon.
De fa mère en naiffant il obtint l'avantage
De reprendre foudain ſa force & ſon courage ,
Lorſqu'épuiſé , vaincu dans un combat mortel ,
Son corps iroit fe joindre à ſon ſein maternel.
Il avoit pour retraite une caverne obfcure ;
Le tigre & le lion lui fervoient de pâture ;
Jamais des animaux la moëlleuſe toiſon ,
Ni le feuillage épais , ni le tendre gazon ,
Lorfque le doux fommeil lui fermoit la paupière ,
N'ont gémi fous le poids de fa maffe groffière.
Habitans , étrangers , victimes du trépas ,
Tout fuccomba d'abord ſous l'effort de fon bras;
Toujours vainqueur , long- tems fon orgueil téméraire
Dédaigna d'emprunter le fecours de fa mère ;
Seulement défendu par fa propre vigueur ,
De la Lybie entière il étoit la terreur.
DE fes exploits cruels enfin le cours rapide
Attira fur ces bords le magnanime Alcide ;
Alcide , dont le bras , de cent monftres divers ,
Avoir détruit la race & purgé l'Univers.
DE FRANCE. 19.5
Ils s'abordent fans crainte , & tous deux dans l'attente,
Dépofent du lio la dépouille fanglante ;
;
L'un,d'une huile onctueuſe humectant tout ſon corps,
De fes membres nerveux afſouplit les refforts
L'autre , pour s'affurer une feconde vie ,
Dans un fable brûlant ſe roule avec furie ;
Leurs bras au même inſtant l'un dans l'autre enlacés ,
A l'entour de leur col forment des noeuds preffés ;
Sous un énorme poids vainement entraînée ,
Leur tête fe rodit & n'eft point inclinée ;
Chacun d'eux s'étonnoit de trouver ſon égal.
Alcide moins ardent épuife fon rival ,
Qui , baigné de fueur & reſpirant à peine ,
Exhaloit de fon fein une fréquente haleine ;
Tantôt d'une main sûre il lui ferre les flancs ,
Tantôt d'un bras rapide il l'agite en tous fens ;
Pour triompher plutôt de fa force rébelle ,
Il redouble d'efforts en voyant qu'il chancèle ,
Et d'un genou nerveux preſſant ſes reins ployés ,
Terraffe enfin le monftre & le jette à fes pieds.
La terre de fon fils boit la fueur fumante ;
Mais foudain , par l'effet d'une verta puiſſante ,
Ses muſcles détendus s'enflent de fucs nouveaux
Qui raniment le cours de fes efprits vitaux ;
Et fon corps reprenant une force intrépide ,
Se dégage des noeuds dont l'enveloppe Alcide.
D'UN fi prompt changement le Héros interdit ,
Eut moins à redouter les monftres qu'il défits
I
I i
2196 MERCURE
Er l'Hydre , fous fes coups fans ceffe menaçante ,
Coûta bien moins d'effort à la valeur naiſſante.
Long tems dans cette lutte , égaux de force entre -eux,
Le fort eft incertain & le combat douteux.
Junon , dont le Héros ne put calmer la haine ,
Jamais n'avoit conçu l'efpérance moins vaine
De voir périr enfin l'objet de fa fureurs
La fueur inondoit ce front plein de vigueur ,
Qui du ciel , fans fléchir , foutint le poids immenfe.
Dès que le fils d'Alemène , ufant de fa puiſſance ,
Veut ferrer dans fes bras fon terrible ennemi ,
Il tombe & fe relève encor plus affermi;
Pour fuppléer fans ceffe à lon ardeur guerrière ,
La terre lui tranſmet ſa vertu toute entière :
A lutter contre un homme elle épuiſe ſon ſein,
ALCIDE cependant qui combattoit en vain ,
De fes nouveaux efforts reconnoiffant la fource ,
Et voulant lui ravir cette urile refource :
« C'en eft fait , lui dit - il , je vais rompre le cours
» D'un appui néceffaire au falut de tes jours ;
» Ceffe de triompher , tu n'es plus indomptable , »
Le Héros à ces mots , d'une main redoutable ,
Enlève dans les airs le fuperbe Géant ,
Qui , pour s'en échapper , fe débat vainement.
De fon fils expirant la terre ſéparée ,
Ne fauroit de fes jours prolonger la durée ;
Le fils de Jupiter l'étouffant dans fes bras,
Le retient fufpendu même après fon trépas ,
DE 197 FRANCE.
De peur que fon cadavre , en regagnant la terre,
Ne fe redreffe encor ranimé par fa mère.
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure precédent.
LEE mot de la Charade eft Théâtre ; celui
de l'Enigme eft Médecin ; celui du Logogryphe
eft Efprit , où l'on trouve epi , rite , preft ,"
Sep , ris.
CHARADE.
Mon premier chez les Grands eft un titre d'honneur
;
Mon fecond à tes yeux offre un lieu folitaire ,
Où , par fois , un amant à fa tendre Bergère
Exprime fur inon tout fon amoureufe ardeur.
( Par M. Lar..., de Falaife , Étudiant en Droit. )
ÉNIG ME.
BLANCHE
LANCHE ou noire , grande ou petite ,
On connoît par- tout mon mérite.
Le riche & l'indigent , tous ont befoin de moi ;
Le fexe en fait fur-tout un plus fréquent emploi.
Je fuis par fois brillante ,
Et toujours très- piquante ;
I iij
198 MERCURE
Mais fi je perds la tête , adieu tous mes amis ,
Je fuis en butte alors au plus parfait mépris.
( Par M. Robert des Roches. )
LOGO GRYPH E.
JE fnis , mon cher Lecteut , ta plus fidelle amie ;
Au faîte des grandeurs & dans l'adverfité ,
Je te refte toujours : vois ma fidélité ,
To ne ne perds qu'avec la vie.
Des malheureux amans
Je foutiens feule la conftance ,
Et je leur dis fouffrez quelques mois de tourmens
Pour un inftant de jouiffance.
Dans mes neuf pieds cherches , en t'amuſant ,
L'amant courageux d'Andromède
Certain pays enchanteur , raviffant ,
Où parmi les plaifirs on trouve fon remède;
Ce qu'un gourmand aime à remplir ;
Un peuple très-fameux vaincu par Alexandre ;
Un fentiment que tu ne peux comprendre ,
Et qui fuit loin de toi quand tu crois le faifir
Un outil de jardinage ;
Un poiffon ; une note ; une Divinité ;
Un animal dont le ramage
En Arcadie eft renommé ;
Un goût qui ne plaît à perfonne ;
Pour les vaiffeaux un lieu de sûreté ;
Ce que vous avez tous , & le nom qu'on vous donne
2
DE FRANCE. 199.
Souvent fans l'avoir mérité ;
Ce qui vient du haſard & ſouvent vous fait honte;
De la douleur le figne peu certain ;
Ce qui fervit à Scapin
Pour le venger de Géronte';
Ce qui contient ton cerveau';
Le fondateur d'un Ordre auſtère ,
Ou, tout vivant , on ſe plonge au tombeau.
Mais j'en ai dit affez , il eft temps de me taire ;
Je fuis femme , & j'ai peine à fubir cette loi.
Adieu , món cher Lecteur ; je te laiſſe avec moi .
我
( Par M. Propiac , Officier au Rég. de Picardie. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DE l'autorité de l'Ufage fur la Langue;
Difcours lû dans la Séance publique de
' P'Académie Françoife , le 16 Juin 1785 :
par M. Marmontel , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie, & Hiftoriographe de France.
A Paris , de l'Imprimerie de Demonville ,
Imprimeur - Libraire de l'Académie Françoife
, rue Chriftine.
NOTRE Littérature a peu de difcullions Littéraires
du mérite de celle-ci ; & peu de lectures
à l'Académie ont été écoutées avec une
attention plus vive , un plus grand intérêt
une fatisfaction plus univerfelle. Ce plein
-1.2 JUDO !
I iv
200 MERCURE
1
f
fuccès ne tient pas feulement à la beauté de
l'Ouvrage; il participe encore du genre du
fujet & de la convenance du lieu où il a été
traité. Le Public , accoutumé à entendre
dans les Séances de l'Académie de grands
morceaux d'éloquence & de poéfie , ne s'eft
point trouvé froid fur l'examen des pertes &
des reffources de notre langue ; tout lui retraçoit
la fondation de ce Corps ; il lui fembloit
voir un tribunal dans fes fonctions , mais
en même- temps un tribunal qui lui foumets
toit les travaux , & qui reconnoiffoit que ,
dans l'objet même dont il eft conftitué juge ,
il ne peut prétendre qu'à l'honneur d'éclairer
& de diriger la Nation. Vivement frappé:
moi - même de ces impreffions , elles ont conduit
ma pensée vers cette forte de furveil
lance fur notre langue , qui a été confiée à
l'Académie Françoife ; j'ai un moment médité
cette inftitution ; & il m'a paru qu'il ne feroit
pas déplacé de préfenter quelques idées
far ce fujer ; j'ai efpéré aufli qu'elles ne
feroient pas fans intérêt dans un temps où
l'on confidère avec philofophie même les
chofes purement littéraires , & où l'on a déjà
une longue expérience pour apprécier les établiffemens
anciens .
On a affez juftement accufé les Gens de
Lettres d'aimer à exalter furtout les hommes .
& les inflitutions qui leur font favorables. Le
charnie de la reconnoiffance embellit alors &
confacre des louanges intéreffées. C'eft une
forte de religion à l'Acadéinie de louer RiDE
FRANCE. 201
chelieu. Mais on peut dire , hors de l'Académie
même , avec franchife & vérité , qu'en
Phonorant pour la fondation de ce Corps ,
on lui rend un hommage bien mérité.
Il étoit vraiment digne d'un homme d'État
d'appercevoir que non- feulement les Lettres
avoient befoin de la protection du Gouver
nement , mais encore qu'elles lui promettoient
des fervices réels , une plus grande gloire , &
que par-là elles méritoient d'être appuyées fur
un établiffement public. On ne pouvoit mettré
dans celui- ci plus de cette nobleffe qui en
impofe , plus de ces foins délicats capables de
vaincre les préjugés gothiques qui avoient
tourné en honneur l'ignorance même. Riche
lieu a voulu que , fous la protection immé
diate du Trône , les plus beaux génies fuf→
fent affociés , fans aucune inégalité , aux
Grands de la Nation. Dans des conftitutions
où l'éloquence étoit le plus grand des talens
& la fcience des loix le premier des mérites ,
des hommes qui tiroient toute leur diftinc
tion de la culture des Lettres , ont reçu de
plus grands honneurs ; mais jamais le Corps
entier des Gens de Lettres n'avoit été élevé
à tant de gloire , ou , pour mieux dire , car les
honneurs ne font pas la gloire , à des récompenfes
plus nobles , plus flatteufes. Le beau &
mémorable fiècle de Louis XIV , a rendu té
moignage de ce que les Lettres peuvent faire ,
quand elles font honorées , & pour ceux qui
les honorent.
En donnant aux Gens de Lettres une exif
202. MERCURE
tence publique , & en quelque forte nationale,
en les adoptant pour dépofitaires & inftrumens
de l'illuftration qu'il préparoit à la
France , ce fameux Cardinal fentit qu'il falloit
fixer une occupation à cette Compagnie , dans
laquelle il vouloit les raffembler ; & ici encore
il eut une idée pleine de majeſté & de
grandeur , telle qu'on n'en vit jamais , que dans
ces grands hommes qui ont expié la gloire des
conquêtes par la fcience de fonder des Empires
, les Alexandre , les Cefar , les Charlemagne.
C'étoit le temps où notre langue , encore.
pauvre & barbare , reftée bien au- deffous de
celles de deux autres Nations , dont l'une
nous avoit appris les arts , & l'autre la guerre ,
commençoit cependant à fe débrouiller & á
recevoir l'empreinte du génie fous la plume de
plufieurs Écrivains qui déjà avoient fu l'élever
à la dignité & à l'énergie de leurs penſées.
Richelieu fut prévoir que cette langue , en
adoptant fur-tout les mérites qu'une longue
furveillance pouvoit lui donner , la clarté des
énonciations , la régularité des tours , la fageffe
des développemens , la variété & la préciſion
des nuances , une grande févérité dans le choix
des mots , un accord fcrupuleux entre la na
ture du terme & celle de l'idée , une différence
bien marquée du noble au familier
pourroit un jour régner fur toute l'Europe
& devenir en quelque forte une langue d'adop
tion au milieu de toutes les langues nationales.
Il voulut la mettre en quelque forte
>
>
DE FRANCE. 203
-
fous la garde de ceux qui devoient l'illuftrer
par leurs travaux , afin qu'elle pût en mêmetemps
s'épurer & fe perfectionner par leurs
obfervations. Aucune autre langue n'avoit encore
été ainfi honorée d'une eſpèce de Magiftrature
; aucune autre langue n'avoit été préparée
à une fi belle deſtinée.
Cependant une grande idée n'eſt pas toujours
l'idée la plus jufte , la plus heureuſe. Les
effets ne répondent aux efpérances , que lorf
que les plans fe trouvent bien affortis à la
nature des choſes. En examinant la fondation
de l'Académie , il me femble qu'on la trouve
plus impofante qu'utile ; mon opinion pourra
paroître paradoxale , peut - être téméraire ;
c'eft une nouvelle raifon pour moi de la développer
avec quelques détails.
Il me paroît que l'inftitution d'une Magiftrature
fur notre langue pêche par fon principe
même ; car une langue ne peut jamais
être affujétie à une légiflation. Pour nous en
convaincre , arrêtons - nous un moment fur
les différentes parties & les diverſes manières
dont elle fe forme.
Le premier fond des langues s'acquiert fans
aucun art ; il renferme les dénominations &
les tours néceffaires à la communication des
premiers befoins , des premières idées , des
premiers fentimens des hommes en fociété.
Avant même qu'un peuple ait écrit , ce fond
peut déjà être immenfe ; il eft la bâfe éternelle
d'une langue.
Les progrès longs & infenfibles de la civi-
I vi
204
MERCURE
lifation , la naiffance des Sciences & des Arts
augmentent beaucoup la maffe du vocabulaire
, & changent le fyftême du langage
mais en le laiflant encore pour long - temps
dans une forte de barbarie..
Elle n'acquiert toute fa croiffance, fa variété,
fon étendue , toutes les qualités enfin qui la
rendent propre à énoncer & à peindre tout ce
que l'homme peut penfer & fentir , que du
moment que les differentes paffions ont modifié
l'homme de toutes les manières , que les
Beaux - Arts font venus orner la fociété de
leurs inventions , & que les Sciences l'ont enrichie
de leurs découvertes.
⚫ Alors une langue reçoit l'influence des efprits
de tous les ordres & de tous les genres
qui la manient, & prend de l'analogie avec les
chofes diverfes dont on la fait l'interprête ;
elle commence à ne plus fe reffembler à ellemême
, en ſe reffentant toujours néanmoins
de fa première origine ; riche de tout ce qu'elle
a déjà acquis , elle devient de jour en jour
plus propre à recueillir de nouvelles richeffes ;.
elle tourne à un certain fyftême , fans le vouer
à un feul génie. Elle trouve dans fes élémens.
tout-à- la- fois des avantages & des défavantages
pour l'harmonie. Mais comme l'harmonie
particulière des mots fe perd beaucoup
dans l'harmonie générale du difcours , & que
celle-ci dépend bien moins du matériel de la
langue , que du génie & du goût de ceux qui
la parlent , tout eft à peu près égal , ou au
moins tout fe compenfe dans les caractères.
DE FRANCE, -205
plus ou moins heureux d'une langue. On a
beaucoup difputé fur leur prééminence ; il
faudroit être bien plus inftruit que je ne le
Luis pour en juger par comparaifon ; mais
j'avoue que la queftion me paroît nulle. Il eſt
de la nature d'une langue d'obéir au génie de
ceux qui la manient , & d'être formée par
eux. La plus belle doit être celle du peuple le
plus ingénieux , le plus éclairé , & qui a eu le
plus grand nombre de grands Écrivains dans "
tous les genres. Toute langue peut toujours ,
jufqu'à un certain point , acquérir ce qui lui
manque , fe débarraffer de ce qui lui nuit ;:
fon matériel n'eft prefque rien pour les beautés
ou les défauts ; ce font les combinaifons
qui font tout. J'avoue que je ne puis imaginer
ce que Boffuet, Racine, La Fontaine auroient pu
faire de mieux , en écrivant en grec ou en latin ..
Je crois donc qu'il eft de la marche des
chofes qu'une langue arrive par plufieurs révolutions
& par une foule d'influences , à un
état de richeffe & de fplendeur qui ne la laiffe
plus ni dans le befoin , ni dans la poffibilité
des grandes acquifitions ; mais qui lui conferve
cependant & lui fournit même de nouveaux
moyens de s'accroître & de fe perfectionner
fans ceffe. Jamais une langue ne peut
être fixée; elle a toujours à perdre ou à gagner,.
& cela , fous tous les rapports d'harmonie ,
de clarté , de magnificence , de préciſion , de
grâce , d'énergie. Ce qui eft mobile effentiellement,
ne peut être foumis à une légiflation ;
ce qui marche par le cours fortuit des événe206
MERCURE T
mens , ne peut être dirigé à un but certain; ce
qui fe réforme par une expérience journalière
n'a pas befoin d'une infpection particulière;
ce qui n'eft foumis qu'aux befoins du génie
qui crée & détruit , ne peut être que trop
foiblement & trop lentement gouverné par
l'efprit qui obferve & qui juge.
Le premier défaut d'une magiftrature , telle
que celle qu'on a voulu donner à notre langue ,
eft de recevoir toujours la loi , de ne la donner
jamais . Elle ne peut qu'adopter ce qui eſt déjà
établi , fes innovations n'auroient d'autorité
que lorfque l'ufage les auroit confacrées.
L'inftitution que j'examine paroît tendre à
trois grands effets. D'abord , de faire le dénombrement
des mots qui doivent entrer &
refter dans la langue , enfuite de fixer l'acception
propre & les différences relatives de tous
les termes ; enfin , de la rappeler fans ceffe à
un fyftême de goût & de philofophie ; mais ,
dans tous ces points , on remarque l'inconvénient
dont je viens de parler.
Quant au premier objet , qui ne fait , qui
ne voit que l'ufage fe joue continuellement de
cette nomenclature que l'on voudroit completter
? En effet , tel mot que vous décla¬
rez tombé , peut reprendre faveur dans un
bon Livre ; tel autre que vous donnez pour
bien établi , peut s'ufer & tomber à fon tour.
Ainfi , pendant que vous ferinez le tableau
des mots reçus , on peut en mettre en vogue
une foule d'autres , que leur néceffité ou leur
beauté peuvent bientôt légitimer,
DE FRANCE.
207
Sur le ſecond objet , j'obſerverai que s'il
eft vrai , comme on l'a démontré , que les
langues étant l'inftrument néceffaire des penfées
de l'homme , n'en font que l'analyfe ,
c'eſt-à-dire , l'explication détaillée de la manière
dont les idées naiffent & fe combinent
dans notre efprit , un travail qui traceroit
l'origine & l'hiftoire de tous les mots d'une
langue , feroit l'ouvrage le plus utile , le plus
important ; mais prenez -y garde , cette utilité
tourneroit bien plus au profit de l'efprit du
peuple qui parleroit cette langue , qu'à la
gloire propre de la langue. Remarquez encore
que tandis que les idées s'éclairciroient par
l'analyfe des mots , il feroit poffible que lanetteté
& la précifion de ceux-ci s'effaçaflent encore
infenfiblement par les variations inévitables
que l'ufage y introduiroit ; car leur acception
n'eft pas plus immuable que leur adoption.
Le troifième fervice que l'on s'eft promis
de cette inftitution , ne feroit pas affurément
le moins confidérable . Soumettre la
langue à une réforme lente & fage qui pourroit
en faire difparoître les plus choquantes
irrégularités , fubftituer des règles aux routines
, rapprocher toujours davantage la langue
, de la philofophie , la rendre plus propre
à l'éloquence , à la poéfie , à la facilité & à la
grâce de la converfation ; quoi de plus grand
& de plus heureux ! Mais c'eft-là ce qu'une
autorité qui obéit elle-même ne peut faire.
En fait de langue , il n'y a que l'ufage qui
règne . Faire des loix n'eft rien ; il faut parler
208 MERCURE
d'exemples ; les grands Ecrivains dans ce point,
comme dans tous les autres , feront toujours
les vrais , les feuls légiflateurs.
Je crois donc pouvoir conclure que cette
idée de confier à un Corps Littéraire la furveillance
de notre langue , n'a pas eté aufli
utile qu'elle paroiffoit grande. Et fi je compare
ici les effets aux caufes , je me confirme:
encore davantage dans cette opinion. On ne
reproche pas aux langues anciennes de manquer
de grandeur & de beauté; on leur accorde
même des mérites auxquels on croit impoffi
ble à la nôtre d'atteindre ; & cela doit être
ainfi à plufieurs égards. Cependant c'eſt lans
ce fecours qu'elles fe font élevées à tant de:
perfection . La nôtre eft devenue , finon la
plus belle , du moins la plus univerfelle des
l'Europe ; elle doit en partie ce glorieux avantage
à l'Académie , mais non à fon diction-.
naire. On ne peut pas même dire que cet Ouvrage
, travail d'un fiècle entier , ait beaucoup
fecondé le géniede nos grands Écrivains, ni qu'il
ait beaucoup fervi à l'inftruction de notre jeuneffe
. Peut-êtrele plan n'en a-t'il pas été conçu
dans toutes les grandes vues dont il étoit fufceptible.
C'eft ce que penfoit Voltaire, lorfque,
dans fes derniers momens , il vint développer.
à l'Académie un plan nouveau. Si ce plan eft.
un jour adopté , il fera beaucoup pour notre
Littérature , fans ajouter aux richeffes de no
tre langue: telle ne peut être la deſtinée d'un
pareil travail.
Il eft beau ,, il eft convenable le
que preDE
FRANCE. 209
mier Corps Littéraire d'une grande Nation ,"
qui a reçu tant d'éclat de la faveur des Souverains
& de la gloire de fes Membres , préfide
à la Littérature de cette Nation ; mais"
j'avouerai qu'un dictionnaire de la langue , fur“
quelque plan qu'on veuille l'exécuter , ne me
paroît pas répondre à la majeſté de cette inf-"
titution. Il y avoit une hy autre occupation pro
pre à ce Corps , & qui promettoit , ce me
femble , de bien plus grands effets. Il eſt toujours
temps de revenir à un projet utile ;
iPeft doux au moins d'en parler. Je me propofe
de développer là -deffus mon idée dans
un article particulier.
Le Difcours de M. Marmontel , qui m'a
conduit à ces réflexions , les confirme en quelque
chofe, Il prouve que fi les grands Écrivains
peuvent faire naître l'ufage dans les langues, &
doivent quelquefois lui réfifter , c'eſt l'uſage"
néanmoins qui eft ici la règle fouveraine. It'
faut donc moins s'occuper de la gouverner ,
que d'épurer & d'agrandir le génie & l'art
dans ceux qui doivent la manier. Rien n'eft
plus propre à y contribuer que des Ouvrages
comme celui-ci.
Après avoir jeté un coup d'oeil rapide fur
lés principales des langues anciennes & modernes
, l'Auteur s'arrête particulièrement à
la nôtre. « Comme vivante , dit-il, elle eft '
» variable ; mais elle l'eft dans les deux fens ;
» elle peut acquérir & perdre ; & cette alter-
» native , on vouloit autrefois qu'elle dépendît
de l'ufage uniquement..... Soyons moins
210 . MERCURE T
ور
2.
و د
•
h
fuperftitieux..... Je dis qu'en obfervant ce
» que l'uſage a preſcrit , on aura droit d'exa- ,
» miner ce qu'il lui plaira d'interdire; & cette
reftitution , que je crois devoir mettre à fa
puillance illimitée , eft fondée fur deux
» motifs. 1 ° . Quand l'ufage prefcrit , fa loi
» porte , il eft vrai , quelqu'atteinte à la liberté,
» mais ne la détruit pas ; je puis , par un dé-
» tour , éluder ſa décifion , & par une façon
» de parler qui me plaife , éluder celle qui
» me déplaît..... Il n'en eft pas de même de
» fes loix négatives ; elles nous ôtent toute
liberté de faire ce qu'elles défendent.......
» 2 °. Si les loix pofitives de l'ufage font dé
» fectueufes , le mal eft fait..... C'eft le cas de
» dire avec Horace : Ainfi l'ufage l'a voulu.,
» Mais à l'égard de fes loix négatives & pro- ,
hibitives , rien n'eft fixe , rien n'eft conf-
» tant ; ce font les décrets d'un tyran bizarre,
dont les dégoûts s'annoncent par des profcriptions.
Cela ne fe dit point , cela ne fe
» dit plus. Mais fi cela s'eft dit , pourquoi ne
2 plus le dire ? Mais fi cela eft bien dit en
» foi , quoiqu'on ne l'ait pas dit encore ,
» pour quoi ne le diroit - on pas? » C'eft)
certe franchife que M. de Marmontel réclame.
Il entre dans le détail d'une foule det
mots précieux que nous avons perdus , par
négligence ou par une fauffe délicateffe. « Je
و د
ןכ
"
2
demande comment des hommes , qui , en
» fait de goût , difpofoient de l'opinion , ont
" pu laiffer périr tant de richeffes ? I obferve
fort bien enfuite qu'un des torts les
ور
DE FRANCE. 211
ود
"
plus férieux que faffent à la langue les loix
prohibitives de l'uſage , c'eft de l'appauvrir ,
en écartant du ſtyle noble les expreflions & les
tournures qui font defcendues jufqu'au peuple....
« Il faut ici oppofer à l'ufage la même
» force de réſiſtance pour retenir ce qu'il veut
rebuter , qu'on lui oppofe quelquefois pour
» rebuter ce qu'il veut introduire. » Cependant
, l'Auteur fe fait ici l'objection la plus
forte..... Il faut parler à une Nation comme
elle l'a voulu ..... Cela eft fans réplique pour
les Ouvrages dont le fuccès dépend de
» l'émotion fimultanée du Public affemblé.....
» Mais hors delà , & dans des Écrits jugés par
» des Lecteurs ifolés & tranquilles, pourquoi,
» fi l'on eft sûr d'avoir pour foi la raifon & le
goût , n'oferoit-on parler d'après foi-même
» & pour le petit nombre? » L'Auteur répond
auffi à la crainte naturelle que l'on peut
prendre de fon fyftême , tout en l'approuvant.
ور
ود
"
ود
ور
و ر
« J'entends ici les vrais amis du goût & les
» zélés confervateurs de la pureté du langage ,
» me demander fi , en accordant aux Écri-
» vains cette liberté légitime que je follicite
» pour eux , on n'ouvrira point la barrière à
> une licence immodérée , & fi je penſe qu'il
» en réfulte plus d'avantages que d'abus ? e
» A cela je réponds que l'éternel écueil de
la liberté , c'eft la licence , & que la liberté
n'en eft pas moins le premier bien des Arts ,
» comme le premier bien des hommes. Je
réponds qu'il importe peu que les mauvais
» Écrivains en abufent , pourvu que les bons
»
ور
212 MERCURE
ور
و د
en profitent ; car ce n'eft jamais à la foule
qui va périr , mais au petit nombre qui-
» doit vivre, qu'il faut penfer en s'occupant
» des Arts . Un Écrivain judicieux fentira
» mieux que je n'ai pu le dire , à quelles conditions
il peut ofer ce que l'ufage lui défend
ou ne lui permet point encore ; &
» celui à qui la Nature aura refuſe ce diſcer-
» nement jufte & fain , cette fagacité d'intel
ligence & de fentiment qui fait l'homme
» de goût ; celui -là , dis-je , n'a pas befoin
» pour mal écrire, qu'on lui en facilite les
moyens.
ود
""
و و ود
Tel eft le plan de cette differtation , qui
méritoit véritablement le titre de Difcours
Le Grammairien y eft toujours Philofophe ;
le Philofophe homme de goût ; l'homme de
goût éloquent. L'effet de cet Ouvrage eft d'enfeigner
à la fois le courage & la fageffe dans
le ftyle. C'eſt toujours fur d'excellens principes
& par d'excellens exemples que l'Auteur
s'autorife. Écoutons-le dans les morceaux
où il s'anime le plus contre cet efprit de fervitude
, que tant de gens prennent pour le
bon goût.
»
сс
que
Ce font toujours des hommes indignes
d'être libres , qui veulent chacun foit
efclave comme eux. Mais qu'a de commun
» la timide inertie de leur inftinct avec la
» noble audace du génie?
» C'eft un Scudéri qui défend à l'Auteur
du Cid , à Corneille , de dire :
Plus l'offenfeur cft cher, plus eft grande l'offenſe.
DE FRANCE. 213
Je dois à ma maîtreffe , autfi bien qu'à mon père.
Je rendrai monfang pur comme je l'ai reçu .
On l'a pris tout bouillant encor de fa querelle .
و د
و د
323
C'eft Scudéri qui prétend qu'arborer des
lauriers , gagner des combats , inftruire
d'exemple , ne font pas des phraſes Françoifes.
Et voilà le modèle de cette foule de
critiques dont Racine fut affailli , lors même
qu'il portoit la langue à fon plus haut degré
» de gloire. Ce qu'on admire aujourd'hui
dans fon ftyle , comme les hardielles d'un
433
}
maître , lui étoit reproché de fon temps
» comme les fautes d'un écolier . O Subligni !
» tu prétendois favoir la grammaire mieux
» que Racine ! ainfi l'oeil louche de l'envie ,
» ou l'oeil trouble de l'ignorance , en exami-
» nant les Écrits des grands Hommes vivans ,
» y prend pour des incorrections les élégances
les plus exquifes ; & c'eſt toujours l'uſage
» que le faux goût met en avant ; comme fi
l'homme de génie n'avoit jamais droit de
parler fans l'ufage & avant l'ufage.
» Lorfque les grands Ecrivains ne font plus ,
❞ on nous les cite comme des modèles de
» déférence & de docilité pour les défenfes
» de l'ufage. On ne fait pas , ou l'on oublie
" combien de fois ils fe font permis ce que
"
l'ufage n'approuvoit pas. On ne fait pas ,
» en lui cédant , combien il leur en a coûté
de dégoûts & de facrifices ; combien de
fois , dans l'expie fion des mouvemens de
l'âme ou des faillies du caractère , ils ont
י נ כ
"
1
214 MERCURE
10
»
"
"
envié l'énergie , la franchiſe , le naturel , le
» tour vif & rapide de la langue du peuple ;
» combien de fois ils ont foupiré après la
liberté de l'imagination & de la plume de
» Montaigne. Quoi qu'il en foit , fi de grands
Écrivains ont méconnu leur afcendant , &
» fe font fait un devoir trop étroit de céder à
l'ufage , lorfqu'ils auroient voulu & du lui
réfifter ; c'eſt un excès de modeftre dont
» nous les louons à regret , comme d'une
» vertu timide.
"""
»
ود
"
ور
ور
و د
ود
» La langue ufuelle fe trouve riche , parce
qu'elle fournit abondamment au commerce
» intérieur de la fociété ; mais la langue écrite
» ne laiffe pas d'être indigente & nécelliteufe,
parce que fes befoins s'étendent audehors.
Tous les jours elle eft obligée de
correfpondre à des moeurs etrangères , à
» des ufages qui ne font plus ; tous les jours
» l'Hiftorien , le Foëte , le Philofophe ſe
tranfplante dans des pays lointains , dans
» des temps reculés ; & que deviendra-t'il fi
» fa langue n'eft pas cofmopolite comme lui ,
» fi elle n'a pas les analogues & les équiva-
» lens de celle des pays & des temps qu'il
fréquente? Que deviendra fur-tout le Tra-
» ducteur d'un Écrivain affez habile pour
» avoir mis en oeuvre toutes les richeffes de
La propre langue? Il en eft qu'il eft impof-
» fible de traduire fidèlement , & la raifon
» n'en eft que trop fenfible : c'eft que les lan-
" gues , dont le but commun devroit être une
"
و ر
ور
وو
ور
"
parfaite correſpondance , ſe ſont énorgueilDE
FRANCE.
215
"
lies de leurs propriétés , & ont négligé leur
» commerce. Ce qui dans l'une furabonde ,
» manque dans l'autre , & réciproquement.
"
"
"
Ce font , pour changer de figure , des på-
» lettes de Peintres qui n'ont pas les mêmes
couleurs ; & c'eût été aux Gens de Lettres
à s'en appercevoir & à les affortir. C'eft ce
qu'ont fait Montaigne , Amyot , La Fontaine
, fouvent Racine. Leur langue eft
conquérante ; elle prend les tours & les
» formes des langues éloquentes & poétiques
qu'elle a pour adverfaires , comme les Ro-
» mains empruntoient les armes de leurs
» ennemiş. »
"3
و د
ود
Pour perfuader ces principes , il falloit les
préfenter avec force & grandeur ; & pour ne
pas les rendre fufpects , il falloit y faire fentir
un goût auffi jufte que libre.
M. Marmontel a fait plus que de nous inviter
à chercher de nouvelles beautés , il a fu
nous rendre des richelles perdues ; il a réhabilité
un grand nombre de vieux mots par
le moyen le plus efficace , en les encadrant
dans de belles phrafes & dans de beaux vers.
cc
Suppofons , par exemple , que pour ex-
» primer la chûte de ce qui roule , ou gliffe
» par une longue pente , avec lenteur & fans
» bondir , on employât le vieux mot dévaler :
و ر
Les neiges par monceaux dévaloient des montagnes.
» Ne feroit-ce pas une image de plus ? Si
» on faifoit dire à un homme affligé , qu'il
» trouve àfa douleur une douce allégeance ,
216 MERCURE
"3
qu'on applique à fes maux un foible léni-
» ment : li l'on difoit d'une Province qu'elle
n'étoit pas populeufe de fa nature , mais
qu'elle a été peuplée par l'induſtrie & le
"
"""
» commerce.
» Si l'on difoit que tout ce qui dépend de
» la fortune ou de l'opinion eft inftablecomme
"
"
elles.
Qu'une longuefouvenance du paffé éclaire
un vieillard fur l'avenir , & qu'il la tourne
» en prévoyance.
ور
ود
ور
.C
Qu'en politique , la diffimulation eft permife
, mais non pas la fimulation.
و ر
Que , dans les tems calamiteux , l'humeur
» du peuple s'exafpère , qu'il faut le contenir,
» mais non pas l'entraver.
"
و ر
و د
Que d'élever un homme , en un inſtant ,
du rang infime au rang fuprême , ce n'eft
qu'un jeu pour la fortune.
Qu'un riche étale fon opulence avec un
orgueil outrageux.
و ر
و ر
""
Que le caractère du peuple eft uniforme
» dans les pays de defpotifme , & qu'il eſt
" multiforme dans les pays de liberté ?
و د
Si l'on difoit qu'un homme deshonoré,
» mais impudent , lève un front déhonté con-
» tre la renommée.
» Si l'on difoit :
Les tems calamiteux font féconds en grands Homines.
Qu'attendez-vous d'un homme oublieux des bienfaits ?
Le ciel enfin pour nous fera - t'il exhorable ?
Il parvint à la gloire à force de labeurs.
Reſpirer
DE FRANCE. 217
Refpiret la fraîcheur des ombreuses vallées .
Les vents bruyoient au loin dans les forêts profondes.
Ils ont de leurs difcords fatigué l'Univers .
De les rais argentés Diane fe couronne.
Lès épis ondoyans commençoient à blondir.
و د
» Parleroit-on une langue étrangère ? Ne
feroit-on pas entendu ? Ne le feroit - on pas
» même avec le plaifir qu'on éprouve à re-
» trouver des biens que l'on croyoit perdus
» & qu'on a long-temps regrettés ?
"
Si les Gens de Lettres méritoient quelques
reproches dans l'abandon qu'ils ont fait
de tant d'expreffions heureufas , les Gens de
Cour & les Hommes du monde n'ont pas été
moins funeftes à la franchife & à la variété
de la langue ; il étoit bon de leur repréſenter
jufqu'où doit s'étendre & où doit finir l'influence
de leur goût fur le ftyle ; & on ne
pouvoit le faire avec plus d'efprit & de grâce ,
de fermeté & d'adreffe.
« La Cour , dont le langage roule fur un
» petit nombre de mots , la plupart vagues
» & confus , d'un fens équivoque ou à demi
"
29
"
voilé , comme il convient à la politeffe , à
la diflimulation , à l'extrême réſerve , à la
plaifanterie légère , à la malice raffinée ou à
» la flatterie adroite ; la Cour a pu , dans
" tous les temps , négliger une infinité d'ex-
» preffions naïves ou franches , dont elle
n'avoit pas befoin . Le monde poli & fuperficiel
, qui fuit l'exemple de la Cour , & qui
Nº. 44 , 29 Octobre 1785. K
ود
»
"
218 MERCURE
23
و ر
و ر
» croit qu'il eft du bon ton de parler de tour
froidement , légèrement , à demi - mot , fans
chaleur & fans énergie ; ce monde , dis-je ,
» a dû laiffer tomber tout ce qui n'étoit pas
» de fa langue ufuelle. L'expreffion fine &
piquante a dû lui être chère; il l'a dû con-
» ferver; il a dû conferver de même le lan-
» gage du fentiment dans toute fa délicateffe ,
» comme effentiel au caractère de politeffe &
» de galanterie , qui eft la furface de fes
» moeurs. Mais fon dictionnaire n'a pas dû
» s'étendre au-delà du cercle de fes befoins ;
» & mille façons de parler , néceffaires à
» l'homme qui penfe fortement & qui veut
s'exprimer de même , à l'homme qui s'affecte
d'un fentiment paffionné ou d'une
image pathétique , & qui veut rendre ce
qu'il fent ; enfin le langage de l'élo
» quence & de la poéfie n'a pas dû trouver
» dans le monde des confervateurs bien zélés.
» Mais en négligeant des richeffes qui leur
» étoient inutiles , la Cour & le monde fai-
» foient-ils une loi de les abandonner comme
» eux ? Et ceux à qui toutes les couleurs
» toutes les nuances de la langue étoient
, ג
23
"
ور
22.
précieuſes , n'auroient-ils pas été au moins
» bien excufables de ne pas les laiffer périr? »
DE FRANCE. 219
EXPLICATION du fyftême de l'Harmonie
pour abréger l'étude de la compofition &
accorder la pratique avec la théorie , par
M. le Chevalier de Lirou. 1 vol. in - 8 °.
de 140 pages . Prix , 3 liv. 12 fols broché.
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Mérigor , quai des Auguſtins ; Bailly , rue
S. Honoré , barrière des Sergens ; Bailleux ,
Marchand de Mufique de la Famille
Royale , rue S. Honoré , à la Règle d'or;
Boyer , Marchand de Muſique , rue de
Richelieu , à l'ancien café de Foy.
LES Arts , pour la plupart , nous font parvenus
tout perfectionnés. Les Grecs , ce
peuple fi fenfible , & qui paroiffoit né pour
eux; les Latins, à leur exemple , les ont longtemps
cultivés , en ont apprécié tous les .
effets , approfondi tous les procédés ; & c'eſt
avec tous les principes qui leur fervent de
fondement qu'ils nous les ont tranfmis. La
mufique feule eft une invention moderne ,
non pas le chant , ce langage univerfel que
l'homme reçut avec la vie, & dont il connut
l'ufage probablement avant celui de la
parole ; mais l'harmonie , cet affemblage de
fons fimultanés , qui , difpofés avec art ,
produifent de fi grands effets , affemblage
que les anciens paroiffent n'avoir pas connu.
On est étonné fans doute que des peuples fi
délicats, fi avancés for tous les Arts , qui
avoient même porté fi loin le calcul des fons
Kij
220 MERCURE
dont la mélodie eft compofée , qui connoiffoient
parfaitement les intervalles , & qui
employoient la confonnance des octaves ,
n'ayent pas cherché plus avant , & que le
plus ancien des Arts foit refté dans l'enfance
prefque jufqu'à nos jours. C'eſt un problême
que nous n'entreprendrons pas de réfoudre .
Il nous fuffit de remarquer que cette vérité
eft aujourd'hui prefque univerfellement reconnue
, & qu'elle n'a été combattue tant
de fois, que parce qu'elle étoit difficile à concevoir.
Mais dans quel temps & par qui le
fyftême de l'harmonie , tel que nous le connoiffons
aujourd'hui , fut-il inventé ? A une
époque où les efprits, fortant à peine de l'ef
pèce d'abrutiffement où de grandes révolutions
l'avoient plongé , commençoient à ſe
ranimer pour les Arts , enfevelis comme
eux dans la barbarie . Celui de la mufique fe
reffentit du peu d'ordre & de méthode qui
régnoit dans la tête defes inventeurs . Chaque
point de la découverte , à mesure qu'elle fe
faifoit , amenoit une règle nouvelle . Une
aveugle routine étant alors le feul guide , &
les fens trompeurs de l'homme le feul juge
de fes productions , rien ne pofeir fur des
principes certains ; chacun ajoutoit fon idée
aux idées déjà reçues , & tout étoit également
adopté. La mufique reffembloit alors à l'architecture
gothique , elle en avoit toute la
confufion. Mais l'architecture put fe perfectionner
fur les reftes des monumens de la
Grèce. L'harmonie ne trouva chez elle que
i
DE FRANCE. 2212
des matériaux informes ; & le niêlange que
fir Guido d'Arrezzo , du fyftême des Grecs
avec le lyftême moderne , acheva de tout em-.
brouiller. Au milieu de ce chaos l'art s'avançoit
toujours ; car le génie crée fans s'inquiéter
des loix , & c'eft fur les productions
que les loix fe forment. Ce que les Artiftes
ont fait , les Philofophes l'analy fent ; ils tracent
des routes sûres dans lesquelles on marche
alors fans s'égarer.
ور
Rameau , artiſte à la fois & philofophe ,
fimplifia extrêmement la connoiffance de
l'harmonie par les favantes recherches. Il
connut le phénomène des corps fonores , &
ramena tout à ce principe . Il fentit que.
cette multitude d'accords , qui formoit une
nomenclature immenfe , n'étoit autre chofe
que les renverfemèns d'un petit nombre
d'accords, qui obéiffoient aux mêmes loix , &
qu'il fuffifoit de confidérer de leur côté direct
. H imagina donc fa baffe fondamentale
qui préfentoit tous les accords fous cette
feule face ; mais il s'égara en voulant lui
circonfcrire une marche , & en regardant
comme des exceptions tous les cas où l'ufage,,
fondé fur l'oreille , permettoit à cette baffe
des mouvemens contraires à fes principes..
Qu'est- ce que des principes où les exceptions .
font plus nombreufes que les cas où la règle ,
peut s'appliquer Rameau s'égará encore
avec fon accord de grande fixte, & ce double,
emploi qui l'a tant embarraffe. Comment
cet homme , qui avoit eu l'excellente idée
Kiij
222 MERCURE
de ramener tous les accords à leur ordre direct
, c'est- à- dire , à un grouppe de tierces ,
a-t'il pu regarder un accord de fixte comme
fondamental ? C'eft qu'aveuglé par le préjugé,
qui vouloit alors que toute feptième defcendît,
& trouvant dans cet accord une diffonnance
mineure qui ne defcendoit pas, il n'ofa
le confidérer comme une feptième. On voit
plus clair aujourd'hui ; auffi n'a- t'on confervé
de fa découverte que ce qu'elle a de
réél & d'avantageux. Tout le refte eft ruiné
de fond en comble.
Il reftoit à trouver un fyftême qui liât
l'harmonie dans toutes fes parties ; un principe
unique , & qui , par cela même , parût
être celui de la Nature , d'où découlaffent
routes les règles , auquel elles vinffent toutes
fe rapporter. C'eft ce que M. le Chevalier
de Lirou établit aujourd'hui . Rien n'eft fi
fimple que fon fyftême , dont il faut voir
dans fon Ouvrage même tous les développemens.
Nous tâcherons cependant d'en
donner une idée ; & nous espérons être entendus
d'autant plus facilement par tous
ceux qui ont les premières notions de l'harmonie
, que l'Auteur , en profitant de tout
ce qu'on a écrit avant lui fur ce fujet , n'a
point été obligé de recourir à une nomenclature
nouvelle.
Il part du principe de la réfonnance des
corps fonores. On fait qu'un fon mufical
fait entendre avec lui fa douzième & fa dixfeptième;
ce qui , en rapprochant les interDE
FRANCE. 223
valles ( puifque les octaves ne font que la réplique
des fons ) donne la quinte & la tierce.
Voilà donc le principe de l'harmonie fourni
par la Nature elle-même d'une manière bien
évidente , & dans un ordre direct. Ainfi , ut
étant le fon fuppofé , fait entendre avec lui
fa douzième ou quintefol , & fa dix-feptième
ou tierce mi ; & cet accord , le feul qui
ne doive rien à l'Art , eft appelé accord
parfait.
En l'examinant dans fes parties , on voit
qu'il eft compofé , 1 ° . d'une tierce majeure ,
ut mi; 2°. d'une tierce mineure , mi fol, &
d'une quinte ut fol. L'Auteur en conclud
que la tierce pouvant être majeure ou mineure
ne peut fervir à conftituer un accord ,
& que cette faculté eft réfervée à la quinte
qui eft inaltérable.
Ce fol quinte d'ut , qui a fervi à conftituer
l'accord parfait de cet ut , ſon générateur
, peut devenir à fon tour générateur
d'un autre accord parfait , qui fera
fol fi ré; & l'ut , de fon côté , a dû être
engendré de même par une note qui feroit à
La quinte au grave , & dont l'ut feroit dans
ce cas l'intervalle conftitutif. Cette note eft
un fa , qui engendre l'accord parfait fa , la ,
ut , comme ut a engendré ut ,
mi , fol Voilà
donc les trois émanations de ce que l'Auteur
appelle le point central , trois accords parfaits
, qui , entre- eux , contiennent toutes
les notes de la gamine. Ut , mi ,fol. - Sol ,
fi , ré. Fa, la , ut. Pour ranger ces notes
Kiv
224 MERCURE
dans un ordre diatonique , l'Auteur en compofe
deux tétracordes parfaitement femblables
; favoir : mi , fa , fol , la , -fi , ut,
re , mi , qui ont l'avantage de ne point abandonner
la modulation , avantage que n'a
point notre gamme , divifée par Guido d'Arrezzo
, ut , re , mi , fa , - fol, la , fi , ut ,
qui offre évidemment les modulations d'ut
de fa & de fol , produites par les trois accords
parfaits qui ont fervi à la compofer.
Pour donner plus de clarré à ſon ſyſtême ,
M. le Chevalier de Lirou range ces trois accords
dans leur ordre direct & en forme de
cercle; favoir : fa , la , ut , mi , fol , fi , ré,
produits par le générateur ut , & fon intervalle
conftitutif fol , où l'on trouve tous les
accords que la mufique peut employer,
D'abord , trois accords parfaits majeurs , fa ,
la , ut, ut , mi , fol , fol , fi , ré. Enfuite
trois accords parfaits mineurs , ré , fa ,
la , la , ut, mi , mi , fol , fi. Nous allons
voir comment il en fait naître la diffonnance.
>>
"
---
-
" En parcourant le cercle du grave à
l'aigu , on trouvera fept quintes , dont
» la dernière , fi , fa, le trouve diminuée
d'un demi ton , & fait par conféquent
» un intervalle diffonnant que j'appelle
quinte diffonnante ...... Cette quinte a la
propriété , en fufpendant la marche des
confonnances , de caractériſer invincible-
» ment la modulation du fon générateur
qui l'a produite , en fe réfolvant.... fur de-
"
»
33
DE
225
FRANCE.
» même fon générateur , pour terminer
parfaitement la phraſe muſicale par une
» cadence parfaite.
"
"
Nous remarquerons ici que c'eft une idée
auffi jufte qu'heureuſe , & qui appartient à
M. le Chevalier de Lirou , de regarder la
fauffe quinte feule comme une diffonnance
& le principe de la diffonnance. Les partifans
de la baffe fondamentale , ne regardent
comme diffonnans que deux fons conjoints ,
ce qui n'eft pas vrai ; car dans l'accord de
onzième , par exemple , ut , fol , fi , ré, fa ,
ut & ré , font bien deux fons conjoints ; cependant
, ni l'une ni l'autre de ces notes
n'eft une véritable diffonnance , puifqu'elles
n'ont point de marche affignée. La diffonnance
de cet accord eft fa.
"
ود
L'Auteur paffe enfuite aux autres accords
diffonnans , qu'il appelle compofés . La
quinte diffonnante , fi , ré , fa , dit-il , ſe
trouve divifée par le fon ré en deux intervalles
confonnans , fi ré , qui appartient à
l'accord parfait majeur , fol , fi, ré, &
ré , fa , qui appartient à l'accord parfait
" mineur , ré, fa , la ; pour fuivre la loi de
» la nature , qui nous indique la perfection
» dans la quinte jufte , on enrichit cet accord
en donnant à l'une de fes tierces le com-'
plément de fon accord parfait , favoir fa
quinte. » Ainfi , fi vous ajoutez fol , formant
quinte avec ré , vous aurez un accord
de feptième , fol , fi , ré, fa , appelé dé do -¹
minante , parce qu'il vient du fon confti-
"
و د ،
1
Kv
226 MERCURE
tutif du générateur ut. Lorfque c'eſt à la
tierce ré, fa, que vous donnez le complément
de la quinte , cette réunion produit la feptième
fur la note ſenſible , ſi , ré , fa , la ,
moins parfaite que la feptième de dominante
, parce que fon accord parfait eſt mineur
, mais qui en a d'ailleurs toutes les propriétés
Cette origine de la feptième fentible
eft abfolument neuve , & nous paroît trèsingénieufe.
Les fons de ces deux accords réunis , dit
l'Auteur , appartenans à deux corps fonores
différens , ne peuvent s'identifier , & tiennent
loreille en fufpends jufqu'à ce qu'ils
ayent opéré leur refolution fur un accord
parfait , & c'eſt ce qu'on appelle une cadence.
Il en eft de plufieurs efpèces , & l'Auteur
en augmente encore le nombre , en
propofant la réfolution de la diffonnance
fucceffivement für tous les points du cercle.
Quelques- uns de ces mouvemens pourront
être conteftés à M. le Chevalier de Lirou;
mais nous ne voyons pas quelles bonnes
raifons on pourroit employer pour les interdire.
Il fait faire les mêmes cadences à fon
accord de feptième fenfible , & c'est encore
ine nouveauté qu'on doit effayer plutê: que
combattre. L'harmonie eft fi bornée , qu'on
ne fauroit recevoir avec trop d'empreffement
tout ce qui peut contribuer à l'enrichir.
Il faut voir dans l'Ouvrage même l'origine.
que l'Auteur donne aux feptièmes de domi
DE FRANCE. 227
nantes fimpies , & le développement de fes
raifons ; il nous fuffit de dire ici qu'il y emploie
le même procedé que pour les feptièmes
de dominantes , & qu'il leur affigne la même
marche par le moyen des cadences évitées .
On auroit defiré de voir plutôt l'origine.
du mode mineur. Peut-être M. le Chevalier
de Lirou auroit-il dû la placer immédiatement
après celle du mode majeur , & ne pas
féparer non plus ce qu'il dit des accords &
de leurs differentes cadences ; ce n'eſt pas une
chofe facile que d'établir un fyftême avec
ordre ; lorfqu'il fe forme dans la tête , toutes
les idées qui concourent à l'appuyer arrivent.
en foule & confulement ; on a beaucoup de
peine à les claffer enfuite pour les préfenter
avec méthode. D'ailleurs , il artive que bien
pénétré de fon idée , & la concevant claire-.
ment dans tous les points , on ne prévoit pas
ce qu'elle pourra avoir d'obfcur pour les autres;
mais il eft probable qu'à une feconde.
Édition , l'Auteur , encouragé par le fuffrage
des Artiſtes , écl iré par leurs avis , liera plus
intimement toutes les parties dont fon fyftême
eft compofé. Nous invitons à lire auffi
dans l'Ouvrage même cette origine du mode ,
mineur ; un extrait ne pourroit la preſenter
avec tous fes avantages ; & comme nous
croyons qu'elle fera combattue , nous ne
voulons pas d'avance affoiblir les raifons de
l'Auteur. Il nous femble , au refte , qu'il
auroit trouvé une origine plus vraie &
plus conforme à fon fyftême , s'il avoit dit
1
K vj
228
MERCURE
·
que le mode mineur appartient à deux cercles
, comme il l'a dit de l'accord de fixte
fuperflue. Mais nous ne faiſons que lui propofer
nos doutes à cet égard.
C'eft dans le Livre de M. de Lifou qu'il
faut voir ce qu'il dit de ce dernier accord ,
& le détail des renverfemens qu'il propofe. "
Le développement de ce Chapitre , ainſi que
de celui des neuvièmes , onzièmes & treizièmes
, leurs renverfemens , leurs cadences ,
&c. nous ont paru très intéreffans . On ne
manquera pas de contefter ces nouveaux accords
; mais nous répéterons ce que nous
avons déjà dit , que lorfqu'il eft queſtion
d'étendre les limites d'an Art , il vaut mieux
effayer que de combattre.
-
Le Chapitre le plus utile à tous les Lecteurs
Muficiens , indépendamment même du
fyftême de M. le Chevalier de Lirou , eft
celui des tranfitions . Nous invitons tous ceux
qui fe mêlent d'harmonie à le lire avec attention
; ils y trouveront les lumières les
plus précieufes pour paffer d'un ton à l'autre
avec facilité. Celui intitulé de la marche des
Parties , n'eft pas moins intéreffant , en ce
qu'il applanit beaucoup de difficultés pour
la pratique de la compofition , & qu'il en
réduit les procédés à des règles très fimples
& peu nombreuſes. Ces deux Chapitres
feuls fuffiroient pour faire le plus grand
honneur à M. le Chevalier de Lirou. Il propofe
enfuite une nouvelle manière de chiffrer
les baffes. Nous ne nous y arrêterons
DE FRANCE. 229
pas , en ce qu'elles font indépendantes de
fon fyftême.
En général , cer Ouvrage nous paroît trèsbien
conçu , & devoir être de la plus grande
utilité. Les idées en font juftes , & prefque
par-tout bien liées entre elles. Peut - être la
forme fous laquelle l'Auteur les préfente
manque- t'elle quelquefois de clarté ; mais fi
nous en faifons ici l'obfervation , c'eft
moins pour le reprocher à l'Auteur , qui
peut très- bien , dans une feconde Édition ,
corriger ces légers défauts , que pour inviter
les Lecteurs à ne fe pas rebuter contre les
premières obfcurités qu'ils pourroient rencontrer.
Nous ofons leur promettre que s'ils
veulent vaincre ces obftacles , ( & ils le peuvent
avec un peu d'attention ) ils en feront
dédommagés par tout ce que cet Ouvrage
leur fera voir d'important & d'utile.
·
( Cet Article eft de M. Framery. ).
MÉMOIRE fur la Navigation intérieure
par M. Allemand , Confervateur-Général
de la Navigation de la Garonne , ancien
Confervateur des Forêts de Corfe. in- 4° .
A Paris , chez Prault, Imprimeur -Libraire,
quai des Auguftins .
NOTRE fiècle , qu'on taxe injuftement de
frivolité, eft peut- être celui où les efprits fe
font le plus exercés fur des matières graves
& économiques. L'Auteur de l'Ouvrage que
230
MERCURE
nous annonçons , doit tenir une place diftinguée
parmi les Ecrivains laborieux & réfléchis
qui confacrent leurs veilles à l'utilité publique
, & il ne pouvoit mieux juftifier combien
il étoit digne du titre dont il eſt revêtu ,
qu'en nous communiquant fes vûes fur l'extention
de la navigation , & fur la police des
rivières & des canaux , dont on a toujours reconnu
les avantages , & dont on n'a point corrige
les abus. Le fuffrage de l'Académie des
Sciences fuffit pour faire fentir l'importance
du travail de l'Auteur fur cette partie.
M. Allemand , après une expofition hiſtorique
de tout ce qui s'opère en ce genre chez
toutes les Puiffances de l'Europe , nous indique
ce que nous devons faire , & nous en développe
les moyens faciles. Ce ne font point
des vues politiques que cet Écrivain judicieux
& citoyen nous débite , tout refpire dans fon
Ouvrage l'amour du bien public ; c'eft ce fentiment
non équivoque qui l'a dicté : en travaillant
pour l'intérêt général , fa délicateffe
fait également ménager les intérêts des particuliers.
Mais ce qui donne le plus de prix à
fa production , c'eſt le plan d'opérations qu'il
a dreffé pour prévenir les abus qui , juſqu'ici ,
fe font oppofés aux vûes bienfaifantes du Gouvernement
; c'eft par-là qu'il mérite l'attention
des hommes en place. Cet Ouvrage , qui
intéreffe également toutes les branches de
l'Adminiſtration , & dont toutes les parties
font liées , ne nous paroît pas fufceptible
d'analyfe ; en rompre un feul chainon , ce
DE FRANCE.
231
feroit le mutiler ; c'eſt en le lifant , en le
méditant , qu'on en connoîtra tout le mérite.
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLE CANDEILLE a débuté , le 20 Septembre
, par le rôle d'Hermione , dans Andro--
maque , & a joué fucceffivement les rôles de
Roxane & d'iménaïde , dans les Tragedies de
Bajazet & de Tancrède , & ceux d'Alzire &
d'Ariane, dans les Pièces de ce nom . Ön ne
lui a pas trouvé un jeu réglé & foutenu , ce
qu'il feroit injufte d'exiger d'une auffi jeune
Actrice qu'elle ; mais on lui a trouvé fouvent
de l'énergie , de la fenfibilité , des momens
d'abandon intéreffans , des intentions juftes ;
en un mot, tout ce qui annonce les plus heureufes
difpofitions , & elle a obtenu les plus
vifs encouragemens. Mlle Candeille eft l'Élève
de M. Molé, cet Acteur qui , depuis plus de
vingt ans , a fu fixer l'inconftance de notre
Nation , par la fupériorité de fes talens , &
sûrement elle ne pouvoit tomber en de meilleures
mains : perfonne ne peut donner des
principes plus sûrs que lui ; mais il faut que
Mlle Candeille travaille aujourd'hui d'après
ſes propres réflexions , qu'elle fe faffe un jeu
qui lui appartienne , &c. On lui donne beau
232
MERCURE
coup d'efprit , & la tâche par conféquent n'eft
pas difficile ; elle verra la différence entre un
rôle qu'on nous fait fentir ou que nous apprenons
à bien connoître ; d'ailleurs , avec quelle
énergie on conçoit , avec quelle froideur on
reçoit la leçon. Point de traits fublimes dans
le jeu d'une Écolière , point d'originalité ſi
l'on ne joue d'après foi.
Mlle VANHOVE , fille du Comédien de ce
nom , a débuté , Samedi 8 Octobre , par le
rôle d'Iphigénie en Aulide , & y a obtenu le
plus grand fuccès. Un fon de voix intéreffant ,
de l'intelligence , de la fenfibilité ; fon extrême
jeuneffe ( elle n'a encore que 14 ans ) lui ont
concilié tous les fuffrages . Elle a joué , le Lundi .
fuivant , dans l'École des Mères & dans la
Jeune Indienne , & fon fuccès a été encore.
plus brillant. C'eft vraiment l'Élève de la Na- ›
turę. Son début continue & fe foutient tou- ,
jours avec le même éclat. Tout Paris s'y porte.
C'eft une acquifition précieuſe à faire pour
la Comédie , où elle peut jouer les jeunes-
Princeffes & les ingénuités ; & nous ne dou- ,
tons pas de l'empreffement des Comédiens à
s'attacher un Sujet fi rare : les fervices de fon .
père devroient être fa recommandation auprès
d'eux , quand elle n'auroit pas de vérita- :
bles droits à leur bienveillance ; fes talens &
la faveur du Public.
DE FRANCE. 233
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a donné à ce Spectacle , Mardi 18 de
ce mois , la première repréfentation de Germance
, Drame en trois Actes.
}
On a volé à Germance , Caiffier d'un riche
Négociant , vingt mille livres en vingt billets
de banque ; & ce jeune homme , qui penfe
que l'aveu de ce malheur le ruinera & le
perdra de réputation , projette de fe tuer. Une
lettre interceptée , une indifcrétion de Valet ,
mettent le Négociant au fait de la cruelle
aventure & du défefpoir de fon Caiffier. Il
apprend en même temps que Germance &
fa fille s'aiment , ( fa fille , qu'il venoit de
promettre à un autre ) & il ſe réfout fur
le champ , fans rien examiner ni ſe fàcher
de rien , à réparer le malheur de fon Caillier
& à lui donner fa fille. Il fait venir un jeune
homme de fa connoiffance , lui remet en
mêmes billets de banque la fomme volée , &
lui ordonne d'aller les porter à Germance ,
comme une reftitution qu'il eſt chargé de lui
faire. Germance reçoit avec tranſport cette
reftitution , vole trouver le Négociant & fa
fille , dont fon défeſpoir l'avoit éloigné depuis.
quelques jours , leur fait part de tout , & le
Négociant s'applaudit de l'effet de ſa générofité.
Cependant la perfonne qui avoit été
chargée de la reftitution revient , & très-étourdiment
fait connoître à Germance le procédé
234
MERCURE
de fon bienfaiteur , & par conféquent que le
vol n'eft pas rendu ; mais le Caiffier ne voit
dans ce contre- temps que les nouvelles obligations
qu'il a au père de fa maîtreffe , & il a
bien raifon ; car le Négociant renvoie en cè
moment l'époux qu'il avoit , au commencement
de la Pièce , deſtiné à fa fille , & lui accorde
Germance.
La Pièce a réuffi , voilà tout ce que nous
pouvons en dire.
ANNONCES ET NOTICES.
PRECIS Hiftorique fur la Vie & les Exploits de
François le Fort, Citoyen de Genève , Général &
grand Amiral de Ruffie , & principal Miniftre de
Pierre-le-Grand , par M. de Baſſville. A Genève ;
& fe trouve à Paris , chez Laurent , rue de
Tournon .
On lit avec plaifir la Vie de ce Génevois intéreſ
fant , qui a été un des plus zélés Coopérateurs de la
grande révolution arrivée en Ruffie fous Pierre- le-
Grand ; outre l'intérêt que l'on prend à cette révo
lution , qui a chaffé la barbarie du plus vaſte État
de l'Europe pour y appeler les Arts , les Moeurs &
la Philofophie , on eft flatté de voir M. le Forr
n'employer pretque jamais que la douceur & la
bienfaifance , donner lui - même l'exemple des vertus
qu'il vouloit introduire , ſoit à la Cour du Czar ,
foit dans les Armées , & mourir pauvre après avoir
long- tems manié les finances de l'État. On regrette
en lifant cet Ouvrage , que l'Auteur fe ſoit borné à
DE FRANCE. 235
un Effai , & l'on defireroit qu'il fe fût un peu plus
étendu fur certains détails dans leſquels M. le Fort
a dû jouer un rôle ; il paroît , par exemple , qu'il
eut une grande influence fur la répudiation de l'Impératrice
Eudoxie ; que ce fut lui qui détermina le
Czar à ce coup d'autorité; & l'on ne fait quels furent
les moyens qu'il employa , ni les motifs qui le
guidèrent.
Ce Précis eft écrit avec la fimplicité qui convient
à l'Hiftoire , & l'on verra dans la Préface une
petite Differtation affez curieufe fur l'Hiftoire de
Pierre Premier , par M. de Voltaire.
PHARMACOPEE des Pauvres , ou Formules des
Médicamens les plus afuels dans le traitement des
Maladies du Peuple , avec l'indication des vertus
de ces Médicamens , de la manière de les employer,
& des Maladies auxquelles ils conviennent ; Ouvrage
destiné à fervir aux Hôpitaux , Maifons de
Charité , & à toutes Perfonnes qui veulent foalager
les Pauvres , in 8 °.; par M. Jadelot , Profeffeur de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité de Nanci ,
& c. A Nanci , chez H. Hener , Imprimeur , rue
Saint Dizier ; & fe trouve à Paris , chez Didot le
jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
·
Cet Ouvrage eft eftimable & par fon objet & par
la manière dont il eſt traité.
Essa fur les moyens de perfectionner les Études
de Médecine , par M. S. A. D. Tiffot , D. M. in-
12. A Laufanne , chez Mourer , cadet , Imprimeur-
Libraire ; & fe trouve à Paris , chez Didot le jeune,
Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins. Prix ,
I liv. 1o fols.
M. Tiffot a fait pour la Médecine ce que Fontenelle
a fait pour les Sciences ; il l'a mife à la portée.
des diverfes claffes de Lecteurs , il l'a rendue , pour
236 MERCURE
ainfi dire, communicative. Les nombreux fuccès
qu'il a obtenus juſqu'ici, établiſſent un préjugé avantageux
en faveur de l'Ouvrage que nous annonçons.
Avis aux Mères qui veulent allaiter , par M.
Roze de l'Epinoy , Docteur - Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , in- 12 . Prix , liv. 4 fols. A
Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur - Libraire ,
quai des Auguftins.
Nous avons vu la raiſon , par l'organe de l'Éloquence
, perfuader à un grand nombre de Mères
d'allaiter elles mêmes leurs enfans , & c'eft fans
doute un grand bien pour l'humanité ; mais il n'en
eft pas moins vrai qu'il y a des Mères qui ne peuvent
être nourrices fans compromettre leur fanté &
celle de leurs nourriçons. C'est donc un ſervice à
rendre à la Société , que de déterminer ce qui doit
décider les Mères à remplir ce devoir de la Nature ,
& ce qui doit les en empêcher. Tel a été le but de
M. Roze de l'Epinoy , dont on doit louer le zèle &
les vûes fages que fon Ouvrage renferme.
RECHERCHES fur la nature & les effets du Méphitifme
des foffes d'aifance , par M. Hallé , de la
Faculté de Médecine de Paris , de la Société Royale
de Médecine , imprimées par ordre du Gouvernement
, in. 8. A Paris , de l'Imprimerie de Ph. D.
Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi , & .
Cette Brochure peut jeter de grandes lumières
fur eette partie de la Médecine qui intéreffe fi fort.
le bien de l'humanité. Les Recherches de l'Auteur &
les Notes qui les accompagnent annoncent des vûes
fages & un zèle actif.
DISSERTATION fur le Tabac , & fur fes bons &
mauvais effets , in - 4° . A Paris , chez M. Buc'hoz ,
Auteur de cette Differtation , rue de la Harpe , auDE
FRANCE. 237
deffus du Collège d'Harcour. Prix , 4 livres 10 fols
avec figures coloriées .
Cette Differtation , réunie avec celles qu'on diftribuera
fucceffivement, formera une- nouvelle Edition
de l'Hiftoire générale & économique des trois règnes
qu'on publiera par partie pour en faciliter l'acquifition
aux Amateurs , & pour les mettre à même de
choifir ce qui fera plus à leur goût.
MANUEL des Goutteux & des Rhumatiftes , ou
tArt de fe traiter foi - même de la Goutte du
Rhumatifme , & de leur complication , avec la
manière de s'en préferver , de s'en guérir , &
d'en éviter la récidive ; par M. Gachet , Maître
en Chirurgie , Auteur de l'Elixir Anti Goutteux ,
in- 11 . A Paris , chez M. Gacher fils , Editeur , rue
Beauregard, nº . so , & Leboucher , Libraire , quai
de Gêvres.
·MÉTHODE pour traiter toutes les Maladies ,
très - utile auxjeunes Médecins , aux Chirurgiens &
aux Gens charitables qui exercent la Médecine dans
les campagnes , dédiée au Roi , par M. Vachier ,
Docteur - Régent de la Faculté de Médecine de
Paris , &c. , in - 12 . A Paris , chez Méquignon
l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
L'Ouvrage qu'a entrepris M. Vachier est un
Traité complet de Médecine- Pratique , & peut être
de la plus grande utilité. Il n'en paroît encore que
trois Volumes , qui font defirer la fuite & la fin de
ce grand Ouvrage .
LES Pfeaumes de David , traduits fur le Texte
Hébreu , accompagnés de Réflexions qui en developpent
le fens, & de Notes qui en éclairciffent les
principales difficultés , auxquels on a joint le Texte
Latin de la Vulgate & la Traduction de M. de
238 MERCURE
Sacy; par M. Baudner , Curé de Peyruffe - Maffus,
au Diocèse d'Auch , 2 Vol. in 12. A Paris , chez
Samfon, Libraire , quai des Auguftins.
Le mérite poétique des Pfeaumes eft trop inconteftablement
reconnu , pour que nous ayons befoin
d'en faire ici l'éloge ; mais nous devons un tribut de
louange au nouveau Traducteur ; il a fu rendre les
beautés de l'original avec fidélité fans fervitude , &
nous croyons qu'on aura du plaifir à lire fa Traduction
, même après les imitations qu'en ont données
ros meilleurs Poëtes. Les Réflexions & les Notes
qui l'accompagnent annoncent beaucoup d'érudition
, une profonde connoiffance du Grec , & ont
le mérite de la plus fage difcuffion .
La Lafca, en Italien. Prix , 4 livres relié. A
Paris , chez Volland , Libraire , quai des Auguftins ,
près la rue de Hurepoix .
PANEGYRIQUz de Sainte Thérèſe , Réformatrice
du Carmel , prononcé dans l'Eglife des Carmélites
de S. Denis , le 15 Octobre 1784, dédié à
Madame Louife de France , par M. l'Abbé du
Serre -Figon. A Paris , chez Lefclapart , Libraire de
MONSIEUR , Pont Notre - Dame.
dire
Pour bien réuffir dans ce Panégyrique , il falloit
avoir , comme l'Hiftoire Chrétienne qui en eft le
fujet , un esprit mâle & flexible , une tête forte , un
coeur fenfible & aimant. M. l'Abbé du Serre- Figon
poſsède ces divers genres de mérite , & l'on peut
de lui que
c'eſt un Orateur à grand caractère , Saifi
d'un faint enthoufiafme , il s'élève à la hauteur de
fon fujet , & peint l'étonnante Réformatrice du
Carmel avec les couleurs qui lui font propres. En
exprimant toute la févérité de cette Sainte ,
rend les vertus aimables & touchantes. Son Difcours
renferme de belles & énergiques pensées , écrites
il en
DE FRANCE. 239
d'un ftyle brillant , animé , fouvent même poétique,
Nous reviendrons fur cet Ouvrage.
NOUVELLE Topographie , ou Defcription
détaillée de la France divifée par carrés uniformes
&c. , par M. Robert de Heffeln . Centeur Royal , &
Géographe de la Ville de Paris , rue du Jardinet ,
vis à- vis celle du Paon.
Contrée Sud - Ouest de la Région Centre , la
feptième des Cartes qui renferment le ſecond degré
des détails de la fuperficie du Royaume jufqu'aux
Paroiffes inclufivement. L'échelle des Cartes de ce
fecond degré de détail eft de 243 toifes par ligne,
Celle que l'Auteur vient de publier contient l'Angou
mois & une partie du haut Poitou . La Ville d'Angoulême
fe trouve allez près du centre de cette
Carte vers le Midi .
CARTE du Diocèfe de Troyes , divifée en fes
huit Doyennés , dreffée par M. Courtalon , Ingénieur
Géographe , 1785 , Prix , I liv. 10 fols . A
Paris , chez Mondhare & Jean , rue Saint Jean de
Beauvais ; & à Troyes , chez Lepetit , près l'Hôtel-
3
de-Ville,
FIGURES de l'Hiftoire Romaine , accompagnées
Pun Précis Hiftorique au bas de chaque Eftumpe,
quatrième Livraison.
Il y a toujours le même mérite dans l'exécution
de cet Ouvrage , qui fera compofé de trois cens Eftampes
& d'un Frontispice. Chaque Livraison , compofée
de douze Eftampes , coûte 15 livres , & continuera
toujours à paroître de deux mois en deux
mois. On fe fait infcrire à Pa is , au Palais Royal ,
paffage de Richelieu , D°. 2 chez l'Auteur ,
M. de Mirys , Secrétaire des Commandemens
240
MERCURE -
de Mgr. le Duc de Montpenfier. Cet Ouvrage eft
imprimé fur papier vélin.
-
NUMÉROS 37 à 42 de la Mufe Lyrique , ou
Journal de Guitare avec chant , dédié a la Reine ,
par M. Porro , contenant les Airs choifis de l'Amant
Statue , un Rondeau de Mortellari , &c . Prix , 12 l.
& 18 liv. Numéro 10 du Journal de Violon , ou
Recueil d'Airs nouveaux arrangés pour le Violon ,
Alto , la Flûte & la Baffe , par les meilleurs Maîtres
, contenant l'Ouverture de l'Amant Statue &
deş Airs du même Opéra. Prix , 2 liv . 8 fols ;
abonnement , 18 liv. & 21 liv. A Paris , chez Mme
Baillon , rue Neuve des Petits- Champs , au coin de
celle de Richelieu , à la Mufe Lyrique.
TROIS Sonates pour le Clavecin , avec Violon &
Violoncelle , par M. Jofeph Hayden , OEuvre quarantième
& quatrième de Clavecin . Prix , 7 liv . 4 f.
port franc par la pofte. A Paris , chez Leduc , rue
du Roule , N. 6 , au Magafin de Mufique &
d'Inftrumens.
TAB L E.
VERS faits après une repré- ¡ Explication du fyfiême de
fentation de Didon , 193 219
Fable du Géant Antée, 194 Mémoirefur la Navigation in-
Charade, Enigme & LogogryÎ'Harmonie,
térieure , 229
197 Comédie Françoiſe , 231
233
199 Annonces & Notices , 234
འབར་
De l'autorité de l'Ufage fur la Comédie Italienne ,
phe ,
Langue,
APPROBATION.
J'AI lapar ordre de Mgr le Garde des Sccaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 29 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 28 C&obre 1785. GUIDI.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
ƉE HAMBOURG , le 17 Septembre.
O
Na découvert à Tellemarken en Norwege
, une nouvelle mine de cuivre qui
renferme de l'argent. Le quintal de minerai
exploité contient 45 livres pefant de cuivre
& près de 3 onces d'argent.
Le Prince héréditaire de Danemarck &
la Princeffe fon épouſe font de retour à
Copenhague , où l'on a commencé , ainfi
que dans tous les Etats du Roi , une quête
pour le foulagement des malheureux habitans
de l'lflande .
DE BERLIN , le 16 Septembre.
Le Lieutenant Général de Tauenzien
ayant demandé au Roi la démiffion de la
place d'Inspecteur des troupes dans la Siléhe,
S. M. la lui a accordé ; & elle a nom
N°. 40 , 1 Octobre 1785 . a
( 2 )
mé le Major- Général Comte d'Anhalt pour .
infpecter l'Infanterie dans la Bafle Silefie ,
& le Major Général de Goës pour inſpecter
celle dans la haute Siléfie.
Le Corps d'Artillerie a commencé le 4
fes exercices aux environs de Wedding , &
le Roi l'a paffé en revues jours après.
Toujours attentif à porter à fes peuples
les fecours qu'exigent les circonftances , &
regardant ces bienfaits comme un devoir
du Trône , ce Monarque vient de faire remettre
aux habitans de la Baſſe - Siléfie une
fomme de 100,000 rixdalers , deftinée à réparer
les dommages qu'a caufés la derniere
inondation . La ville de Schweidnitz a également
reçu de S. M. un don de 20,000
rixdalers pour diverfes conftructions d'édifices.
Les Août , un orage accompagné
de grêle ayant ravagé 131 villages & fermes
de la Pruffe occidentale , les habitans
& les beftiaux euffent été expofés à une famine
inévitable , fans les fecours paternels
du Roi , qui a donné des ordres pour une
diftribution fuffifante de blé & de fourrages,
LeDuc & la Ducheffe de Courlande font
revenus ici de leur voyage en Italie , & fe
font rendus au Château de Fridericsfeld.
Au moment de la fignature de l'acte d'U
nion entre le Roi & les Electeurs d'Hanovre
& de Saxe , S. M. fit prefent au Baron
de Beulwitz , Miniftre d'Etat de Hanovre
an Comte de Zinzendorf , Envoié de la
( 3 )
Cour de Drefde , d'une riche
tabatiere avec
fon portrait , & d'une fomme
d'argent pour
chacun des
Secrétaires de
Légation . C'eſt
M. de
Bohmer ,
Confeiller privé du Cabinet
, que S. M. a chargé de porter aux diverfes
Cours de
l'Empire , la
Déclaration ,
ou Expofé des motifs qui ont
déterminé le
Roi à proposer à fes co - Etats de
l'Empire
une
Affociarion pour le maintien de la conftitution
Germanique . M. de Bohmer eft
également
chargé
d'inviter ces Princes à
accéder à l'acte d'Union.
3
Comme cet Expofé differe en plufieurs
points effentiels de la
Déclaration du Roi
aux Etats
Généraux , que nous avons rapportée,
& qu'il eft
accompagné d'un préambule
abfolument
nouveau ; il eft
indilpenfable
de mettre fous les yeux de nos Lecteurs
ces
différences auffi
importantes que curieufes.
Elles jettent un grand jour fur des événemens
antérieurs , qui jufqu'ici avoient
ru
inexplicables .
pa.
» C'est à regret que le Roi fe voit forcé ;
par les imputations paffionnées & les affertions
hazardées , que la Cour de Vienne s'eft permis
fur fon compte dans les lettres & déclarations
ministérielles qu'elle a adreffées à outes les Cours
d'Allemagne , ainfi qu'à d'autres Puiffances de
l'Europe , & qu'elle même a fait rendre pu-.
bliques par la voie de l'imp effion , d'expofer
à ces mêmes Cours les moifs qui l'ont porté
à propofer à fes hauts Co- Etats de l'Empire &
à faire avec eux une affociation conforme au
fyftême & à la conftitution
fondamenta'è de ce
a 2
( 4 )
2
même Empire. Pour cette fin il fuffira de
rappeller fuccinctement & avec la plus exacte
vérité les principaux événemens de cette année ,
ainfi que les faits & les démarches qui ont précédé
& produit cette affociation ».
« Il eft notoire , qu'après la mort du dernier
Electeur de Baviere , la Cour de Vienne forma
des prétentions fur la Baffe - Baviere , & tâcha
d'acquérir cette Province par la convention
conclue avec l'Electeur Palatin ,
le 3. Janvier
1778. Le Roi & le Duc des deux- Ponts s'y étant
oppofés , elle s'efforça de parvenir à ce but par
les propofitions d'échange , qui furent faites &
débattues dans les conférences tenues à Berlin
dans les mois de Mai & de Juin 1778 ; & enfuite
au mois d'Août , dans celles du couvent
de Braunau en Bohême. Le Roi déc'ina tout
échangé de la Baviere , comme également injufte
& dangereux à l'Empire , & en montra l'inadmiffibilité
dans fon Expofé des motifs. Alors
s'alluma la guerre connue , qui fut terminée
par la paix de Tefchen , Je 13 Mai 1779. Comme
dans ce Traité la Cour de Vienne renonce
folemnellement à toute prétention ſur la Baviere ;
que dans l'article 8 , elle s'engage , avec toutes
les Puiffances contra&antes & médiatrices , à la
garantie de tous les pactes de famille de la maifon
de Bavaro- Palatine , qui défendent à cette illuftre
maiſon toute aliénation , & même tout échan⚫
ge de fes Etats , le Roi crut pouvoir tenir affuré
que dès ce moment la Cour de Vienne renončeroit
pour jamais au deffein d'acquérir la Baviere
par échange ou par quelqu'autre voie »..
Mais quelle fut la furpriſe de S. M. lorf
qu'elle apprit au mois de Janvier dernier , pag
voie directe du Duc des Deux Ponts , que la
Cout L. & R. avoit fait faire à ce Prince , par
Pentremise du Comte de Romanzow , Ambaſſadeur
de Ruffie , l'étrange propofition qui avoit
déjà été faite précédement à Munich , par l'Ambaffadeur
de Vienne , M. de Lehrbach , favoir :
Que la maifon Palatine & de Baviere céderoit
en entier & en toute propriété à celle
d'Autriche , toute la Haute & Baffe - Baviere ,
» le Haut- Palatinat , le Landgraviat de Leuchtemberg
, & les Duchés de Neuburg & de
Sulzbach , en échange des Pais- Bas Autrichiens
, lefquels feroient remis pareillement en
toute propriété à la maiſon Palatine avec tous
les avantages que l'Empereur avoit lieu d'attendre
de la part de la Rep. de Hollande ,
fous la dénomination & titre de Royaume de
» Bourgogne ; à l'exception cependant du Duché
de Luxembourg & da Comŋé de Namur ;
qu'il feroit payé en outre à l'Electeur & au
Duc , en forme de dédommagement , la fomme
» de trois millions de flor.; mais que l'Empereur
fe réſervoit toute l'artillerie & les troupes
nationales qui fe trouvoient tant dans les
Pays - Bas qu'en Baviere ; ainfi que le droit de
» négocier en tout temps dans les Pays Bas tel-
» les fommes d'argent qu'il lui plairoit; & qu'en
fin chaque partie contractante garantiroit les
dettes qui fe trouveroient hypothéquées fur
chaque pays refpe&tif.
» Du refte le traité d'échange devot être
conclu fous la garantie de la France & de la
Ruffie , fans qu'il fut queftion en quoi que ce
foit de la Pruffe ni de l'Empire , qui cependant
comme parties contractantes &garantes du traité
de paix de Tefchen , y font fi effen.iellement
intéreffées ».
93.
•
Quoique cette propofition fit accompagnée
de la déclaration menaçante qu'on s'étoit affuré
a 3
( 6 )..
7
préliminairement de l'approbation de l'Electeur
& que le projet auroit lieu , même contre la
volonté du Duc , auquel on ne laiffa que le
terme de huit jours pour le décider , ce Prince
déclara généréufment & fans héfiter , qu'il ne
donneroit jamais les mains à un arrangement
auffi défavantageux pour la maison , & qu'il ne
confentiroit jamais à échanger le patrimoine de
fes ancêtres . Dès ce moment & dans le courant
du même mois de Janvier il fit part de cette
propofition au Roi , comme à fon ami , & l'aureur
de la paix de Tefchen ; il réclama fon affiftance
contre un deffein auffi pernicieux pour lui ,
& lui envoya une lettre de fon Ministre de Hofenfels
, au Vice- Chancelier de Ruffie , le Comte
d'Oſtermann , & un Mémoire , où il expoſa d'une
maniere frappante toure l'inadmiffibilité de cet
échange , & les principales raifons de fon oppofition.
Le Duc follicitoit en même temps S. M.
l'imp. , comme garante de la paix de Tefchen ,.
de renoncer à ce projet , & d'en faire auffi revenir
S. M. I Empereur . Le Roi , également étonné &
allarmé de ces nouvelles , donna ordre au Comte
Gortz envoyé de Petersbourg , de remettre
cette lettre & le Mémoire du Duc des Deux-
Ponts , au Comte d'Oftermann ; & de les appuyer
de toutes les repréfentations convenables , & de
faire part à la Cour de Ruffie des follicitudes
même de S. M. Elle fit faire les mêmes repréſentations
à la Cour de France , comme chargée
également de la garantie de la paix de Telchen
; & fit appuyer par fon Miniftre , le Baron
de Goltz , les démarches que le Duc des Deux-
Ponts fit faire à la Cour de Verfailles , par fon
Miniftre le Baron d'Efebeck , qui y fut expreffément
envoyé pour cet effet. Le Prince Dolgoroucki
communiqua , vers la fia de Janvier , au
›
Miniftere pruffien la réponſe de l'Impératrice ,
portant en fubftance : Qu'elle n'avoit propofé au.
Duc des Deux- Ponis cet échange , que parce
qu'elle avoit cru qu'il dépendoit uniquement de
l'arrangement volontaire des parties ; & parce
qu'elle le leur croyoit également avaatageux ».
La Cour de France fit auffi répondre au Roi ,
» que l'Empereur laiffoit tomber ce projet d'échange
, puifque le Duc ne vouloit pas s'y
as prêter ». Cependant on n'a jamais pu obtenir
une déclaration écrite , formelle & directe de la
· Cour impériale , ſur un objet qu'elle avoit rendu
- auffi intéreffant.
Après cet hiftorique , fuit la déduction
des titres qui combattent un échange de
la Baviere , & de la légitimité de la Confédération
formée par le Roi de Prufle ; déduction
conforme à celle qu'on a déja lue
dans la Déclaration aux Etats Généraux. Le
Roi finit enfuite dans les termes fuivans :
Cependant S. M. P. auroit an jufte fujet
de fe plaindre de tour ce que les miffives mi-
-niftérielles & autres déclarations de la Cour de
Vienne , qu'elle avoit adreffées tant aux Etats
de l'Empire qu'aux autres Cours étrangeres , fe
trouvent remplies de reproches amers & indécens
entre deux cours fouveraines , tels que fauffetés
, calomnies qu'elles imputent à celle de Ber-
-lin , en fe récriant contre cette union , en tåchant
de lui donner les couleurs les plus odieufes ,
-en la repréfentant comme illégale & contraire
à la conftitution Germanique , & enfin en fuppofant
au Roi des vues équivoques & les deffeins
les plus pernicieux . S. M. s'eft mis au- deffus de
-pareils foupçons & reproches par la conduite
-ouverte , patriotique , définiéreffée qu'elle a te-
24
( 8 )
!
*
mue avant & après la paix de Tefchen à l'égard
de la Baviere & de la Maifon Palatine , ainfi
qu'envers chacun de fes Hauts Co- Etats ; Elle a
droit de s'attendre au contraire, qu'on rendra
plus de juftice à fes fentimens patriotiques après
qu'on aura examiné avec impartialité cette union
même qu'Elle vient de former avec les Hauts
Co- Etas , auxquels il ne refle aucun doure fur
la juftice , l'utilité & le défintéreffement de fes
démarches ; la nature de cette affociation excluant
par elle-même toute poffibilité d'aucune
vue d'intérêt propre. Jamais la Cour de Pruffe
n'a employé des moyens bas & obfcurs pour parvenir
au but de fes négociations : Elle pourroit
donc avec juftice rétorquer ces reproches , ces
foupçons , & y répondre fur le même ton ;
mais Elle fe gardera bien de récriminer & de
fuivre un fi mauvais exemple ; fe_comentant
d'en appeller au témoignage des Electeurs &
Princes de l'Empire , qui attefteront que fans
aucune fuggeftion ni accufation quelconque an
s'eft borné à leur retracer l'inadmiſſibilité & le
danger de tout échange de la Baviere , & à
leur propofer la conclufion d'un Traité conftitutionel
tel qu'on peut le montrer à tout le
monde , & tel qu'il fe trouvera probablement
fous les yeux de la Cour de Vienne ; Traité
d'affociation qui ne tend viſiblement qu'au maintien
de l'équilibre , du bien être & de la tranquillité
de l'Allemagne ; qui eft oppofe unique
tout échange illégal , fécularifation & dénombrement
d'Etats confédérés de l'Empire Germa-
-nique , & qui n'eft nommément offenfif contre
aucune puiffance que ce foit ".
#
On croit avoir démontré d'une maniere irréfragable
& convaincante , par tout ce qui pré-
-cede , que l'union que S, M. P. vient de con-
}
tracter avec les Sénéréniffimes Electeurs de Saxe
de Brunfwich- Lunebourg , eft par fa nature
auffi innocente & légale , qu'utile & néceffaire
par fon but , pour la confervation de la sûreté
& de la liberté de tous les Etats & membres de
T'Empire Germanique . Auffi S. M. ne balance
pas & fe fait plutôt un devoir de faire part de
l'acte de cette union à tous les hauts Co Etats ,
& de mettre fidélement fous leurs yeux , s'ils
le defirent , toutes les claufés , articles & conditions
qu'il contient , en laiffant à leur volonté
& à leur difcernement le choix d'y accéder : c'eft
ce que l'on attend de leurs lumitres & de leurs
fentimens patriotiques ; & en ce cas S. M. ainfi
que fes hauts confédérés les Séréniffimes Electeurs
de Saxe & de Brunſwick fe feront un plaifir
de les aggréer à leur aflòciation , de les faire
participer à tous les avantages qu'elle promet ,
& de fe concerter avec eux fur tout ce qui fera
jugé être néceffaire ».
BERLIN , au mois d'Août 1785.
DE VIENNE , le 16 Septembre.
Le voyage de l'Empereur en Bohême paroît
être renvoié à l'année fuivante ; on
ignore fi ce changement est dû aux circonftances
polítiques qui occupent toute l'activité
de notre Cabinet. Il s'eft tenu diverfes
conférences extraordinaires , auxquelles ont
affifté le Prince de Kaunitz , les Comtes de
Cobenzel , de Kollowrath , de Zinzendorf
, de Hasfeld , d'Hadick , & les Barons
de Reifchac & de Lederer. Ce dernier et
Chef du département des Pays - Bas... 1
25
( 10. )
On a fait partir 6 millions de florins fous
l'escorte d'une demi Compagnie du régiment
de Pellegrini . Ce tréfor une fois dans
l'Autriche fupérieure , fera envoié juſqu'aux
Pays-Bas , par un des Régimens qu'on fuppofe
devoir fe mettre en marche , & fera
verfé dans la caiffe militaire de Bruxelles.
Les Députés Hollandois , qu'on difoit
chaque jour fur le point de quitter cette réfidence
, y font toujours , fans autres fongtions
, à ce qu'il paroît , que d'attendre les
'événemens.
S. M. a fait défendre au Cardinal Arche
vêque , Primat de Hongrie , de ſe mêler
d'aucune affaire temporelle. Elle l'a privé
de fon titre d'Affeffeur de la Table Septemvirale
, en lui recommandant de ne s'occuper
que des objess eccléfiaftiques.
L'abolition de la fervitude perfonnelle en
Hongrie eft le feul événement qui offre ici
quelque aliment à la curiofité. Voici la fubftance
de l'Edit de l'Empereur , par lequel
cet affranchiffement univerfel eft ordonné.
1º. La condition de Jobagy , en tant qu'elle
impofe aux Sujets des charges perpétuelles , &
qu'elle s'attache à la glébe , eft fupprimée à perpétuité
, & nous défendons de prendre à l'avenir
, dans cette acception , le terme de Jobagy ,
qui , en langue Hongroife ne fignifie qu'un fujet
; nous voulons & ordonnons en outre , que
tous les Sujets , fans diftinction de Nation & de
Religion , foient reconnus à l'avenir , relativement
à leurs Perfonnes , comme gens libres qui
peuvent s'établir où bon leur femblera .
( 11 )
20. Il fera libre à tous les Sujets de fe mirier
à leur gré , & même fans le confente
ment des Seigneurs fonciers ; ils pourront aufli
s'appliquer aux fciences , apprendre des arts
& des métiers , & les exercer par - tout où ils le
jugeront à propos.
¿
3º. Aucun Sujet , ni fon fils ou fa fille , ni
aucune autre perfonne de fa famille , ne pour
ront être forcés aux corvées Seigneuriales , mais
il dépendra de leur bonne volonté d'en faire ,
& de s'arranger à cet égard librement avec
les Seigneurs pour le prix des travaux .
4. Il fera libre & permis à chaque Sujet
d'agir felon fon gré , avec fes biens , meubles
& acquis ; favoir le prix d'évaluation de fes
terres , prés , moulins & vignes ; de les vendre ,
donner , échanger , hypothéquer ou d'en difpofer
autrement en faveur de fes enfans , de fes
-parens ou d'autres , fans préjudice cependant
du droit perpétuel y attaché des Seigneurs , &
fous la réſerve expreffe que les charges & payemens
,
auxquels le vendeur on teftateur écoit
tenu par rapport à la poff ffion de fes biens
fonds , bien entendu néanmoins que ces biens fonds
ne foient repris par les Seigneurs par la voie
de la retention , foient acquittés par l'acheteur
ou le légataire , poffeffeur actuel de ces biens.
5°. Nous voulons en outre affurer aux Su
jets deurs poffeffions de maniere que perfonne
ne puiffe les renvoyer , ni eux , ni leurs fucceffeurs
, de leurs demeures coloniales , ni les troubler
dans la poffeffion de leurs biens , quels qu'ils
foient , fans des raifons légitimes & fuffifamment
reconnues par les Comitats respectifs ; ils
feront , au contraire , maintenus dans la paifible
jouiffance de leurs poffeffions, & ils ne pourront
a 6
( 12 )
point être forcés de quitter un endroit pour aller
s'établir dans un autre.
6°. Quant aux objets prévus par le préfent
Edit , nous renvoyons les Sujets à nos Ordonnances
précédentes pour s'y conformer , & nous
exhortons les Comitats refpectifs de prêter toute
affitance aux Sujets qui feront vexés & de
faire en forte que la juftice leur foit rendue
& qu'ils obtiennent la fatisfaction qui leur eft
due. 1
›
Nous attendons de la part des Sujets , qu'ils
répondent par une bonne conduite à nos vues
paternelles , & qu'ils faffent , de leur côté , tous
les efforts pour avancer le bien- être commun
leur propre profpé - ité & celle de leurs enfans ,
par l'application au travail , & par l'améliora
tion de l'agriculture .
Donné à Vienne , le 22 Août , 1785,
Le 4 de ce mois , l'Ambaffadeur de France
eut l'honneur de préfenter à S. M. I. le
Marquis de la Fayette , arrivé de Siléfie.
La Cour de Rome , à ce qu'on dit , a
fait des repréſentations à l'Empereur , par
le nouveau Nonce , M. Caprara , au fujet
de l'Evêché de Waitzen , ôté à notre Archevêque
le Public croit que ces remontrances
refteront fans aucun effet.
4
3
f
Toujours des fuicides ici , comme ailleurs.
Il y a huit jours qu'un Commis de la
Chancellerie Hongroife voulut fe couper la
gorge avec un rafoir, dans le Bureau même
de la Chancellerie heureufement on furvint
à propos pour le fauver , & depuis , on
l'a renfermé comme aliéné, vt to Milonga
:
( 13 )
La multitude des couriers , la fréquence
des entretiens de S. M. I. avec le Prince de
Kaunitz , font élever chaque jour de nouvelles
conjectures . On aflure que les Régimens
de Langlois , de Stein , de Durlach ,
& deux autres cantonnés en Bohême , ont
reçu l'ordre de fe mettre en marche pour les
Pays Bas à la premiere nouvelle ; or , comme
cette premiere nouvelle n'eft point arrivée ,
ces Régimens reftent où ils font , & d'où il
eft fort peu vraiſemblable qu'on ait voulu
les déplacer. Peut-être n'y a -t- il pas plus de
fondement dans l'ordre prétendu donné aux
Généraux de Brechanville & Gazinelli , de
ſe rendre auffi dans les Pays Bas. Le public
y envoie pareillement une partie du Corps
des Tichaiks , ou Mariniers de l'Efclavonie.
Les dernieres lettres de Conftantinople , portent
que Moraly Ahmed , Pacha de Lepanto ,
a été nommé au Gouvernement de la Bofnie
vacant par la mort du Pacha Hafnadar Ifmaïl ;
que Muftafa , Pacha de Konia , remplace Ah-
-med , & que Demis Pacha prend ce dernier
Gouvernement, Les lettres diſent aufſi que
les habitans de Ruftfchuk en font venus aux mains
avec leurs voifins , qu'un grand nombre de part
& d'autre ont été tués à cette occafion , & que
plufieurs le font refugiés dans la Wallachie.
On a reffenti dans la Moravie , le 22
Août , une commotion fouterraine , qui
fans doute s'eft propagée en Siléfie où elle
a été très forte , comme nous l'avons rapporté
l'Ordinaire dernier...
( 14 )
DE FRANCFORT , le 23 Septembre.
M. de Boehmer , ci devant Envoié da
Roi de Pruffe à Vienne & à Wetzlar , & fon
Envolé extraordinaire actuel en plufieurs
Cours de l'Empire , a terminé fa commiffion
auprès du Landgrave de Heffe Caffel ,
& a paflé ici dernièrement. D'autres Princes
du Cercle du Haut- Rhin , & probablement s
la plus grande partie de l'Allemagne , fe
joindront aux trois Electeurs , déjà confédérés.
M. de Boehmer va à Ratisbonne , où
il doit notifier l'Acte d'union aux Etats de
l'Empire..
Des Gazettes de Vienne ont parlé d'un
mariage futur entre un Prince de Saxe &
une Princeffe de Tofcane. Elles fondoient
certe conjecture fur le départ de quelques
Envoyés , mais cette raifon n'a pas paru fuf
fifante pour autorifer un fait auffi douteux.
Le Corps franc de Brentano , fort de
3338 hommes & de 617 chevaux , étoit attendu
à Ratisbonne , le 16 & le 18 ; mais
d'après un contr'ordre , les préparatifs pour
fa réception ont été contremandés ; foit
que ce corps faffe halte , foit qu'on en ait
changé la deftination .
ITALI E.
DE MILAN , le 2 Septembre.
Les freres Gerly, déjà connus par leurs
inftrumens de Phyfique, & par la conftruction
des Aëroſtats , prérendent avoir ima
giné une nouvelle machine propre à faire
furnager le corps humain au- deffus de l'eau.
Cette méthode , fuivant eux , n'a aucun rapport
avec celle dont on s'eft fervi à Paris ,
ni avec le Scaphandre. Par le nouveau
moyen de MM. Gerly, le nageur n'eft plongé
qu'à mi - corps , & peut ufer librement de
fes mains & de fes bras. Le 25 du mois dernier
, les inventeurs firent un effai à Monza ,
en préſence de LL. AA. RR. Dans peu on
le renouvellera ici ; quatre perfonnes fe foutiendront
fur l'eau , s'y promeneront à volonté
, & feront , pour amufer le public ,
l'exercice militaire à feu.
DE VENISE , le 30 Août.
Nous avons appris par la voie de mer ,
qu'après fept jours de vents contraires , notre
efcadre , commandée par le Chevalier
Emo, s'eft portée fous Sufa. Notre feu com
mença le 24 Juillet à 3 heures après minuit ;
l'ennemi y répondit : & de part & d'autre ,
il continua jufqu'à fept heures du matin. Le
Jendemain il recommença à quatre heures ,
fufqu'à huit heures du jour fuivant ; enfin
il s'eft prolongé toutes les nuits jufqu'au 4
Août. Les bombardes la Concordia & la
Victoria tirerent 439 bombes , dont 263
tombées fur la place , réduifirent en cendres
des Mofquées , des magaſins & nom1
( 16) )
bre de maiſons. La ville tira 656 bouters
rouges ou carcaffes , qui endommagerent
légerement quelques cordages , & nous tuerent
un feul homme. En le retirant à cauſe
des mauvais temps , le Chevalier Emo a
laiffé devant le gouler de Tunis la Concordia,
commandée par le Cap. Condolmier.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 17 Septembre.
:
M. le Comte de Luft , Miniftre du Roi de
Pruffe auprès de notre Cour , a remis au
Marquis de Carmarthen , Secrétaire d'Etat ,
la Déclaration de S. M. Pr. , touchant la formation
de la ligue en Allemagne , dont le
Roi d'Angleterre , en fa qualité d'Electeur
d'Hanovre , eft un des principaux affociés,
Cette Déclaration étant à peu de chofe près
dans la teneur de celle , remife aux Etats-
Généraux , il fuffira d'en rapporter le der
nier paragraphe , conçu en ces termes , fidélement
traduits.
Pour ne laiffer aucun doute fur la pureté dés
intentions du Roi & fur la juftice de fes démarches
, Sa Majesté pense qu'il eft de for
devoir de faire part de la conclufion de ce
Traité , & des motifs qui l'ont occafionné , aux
principales Puiffances de l'Europe , qui ont quelque
intérêt au bien - être de l'Empire Germanique,
& à la confervation de fon fyftême. C'ea ce
que le Roi fait par la préfente Déclaration
qu'il ne vouloit pas manquer de communique's
( 17 )
› également à Sa Majesté Britannique , comme
une marque de fa confiance & de fon attention ,
ainfi que de fon defir de fe procurer le fuffrage
de S. M. Britannique , quoique déjà , en qualité
d'Electeur de Brunswick- Lunebourg , Elle
ait concouru à la conclufion du Traité & donné
par-là une preuve indubitable , combien fes fentimens
s'accordent avec ceux du Roi fur la néceffité
dudit Traité & des objets qui ont donné
occafion. Le Roi eft particulierement charmé
d'avoir ajouté ces nouveaux liens à l'amitié &
à l'intimité qui ont fubfifté fi long- tems entre
les deux Royales Maifons , & d'entretenir avec
S. M. Britanniqué les mêmes fentimens pour
la profpérité de l'Empire Germanique , leur
commune Patrie , & pour le maintien d'un
fyftême qui influe auffi effentiellement fur le
bonheur du refte de l'Europe.
Dans la féance dus de ce mois , la Chambre
des Communes d'Irlande procéda à l'élection
d'un nouvel Orateur , M. Edmond
Saxton Perry ayant donné fa démiffion. Le
choix de la Chambre tomba fur M. Forfter ,
dont la nomination fut approuvée par le Lord
Lieutenant. Après avoir veté une Adreffe de
remercîmens à l'ancien Orateur , la Chambre
arrêta d'en préſenter une femblable au Lord
Lieutenant , en confidération de la fageffe
de l'équité & de la prudence dont il avoit
donné des preuves pendant fon adminiltration.
Les Communes , dans cette adreffe , font l'élege
du zele conflant qu'a montré le Viceroi
pour la profpérité de l'Irlande . Elles renient
hommage à fes qualités privées qui l'ont rendu
( 20 )
A
mandant en chef ayant reconnu que la tranfgreffion
étoit involontaire , & qu'elle prove
noit uniquement de l'ignorance du Capitaine,
avoit ordonné la reftitution de ce bâtiment.
Des Négocians de cette ville ont reçu par
la derniere malle de New Yorck , diverſes com
miffions pour le compte de maifons de commerce
Américaines , qui , par leurs exactitude ,
dans les paiemens , jouiffent d'un grand crédit ,
elles recommandent fortement à leurs Corre
pondans , de n'embarquer aucune partie des
articles demandés , qu'après que le Traité
» de Commerce entre la Grande - Bretagne &
les Etats Unis aura été figné , ou lor qu'ils
» auront la plus entiere affurance qu'un arran-
» gement de cette eſpèce eft fur le point d'être
»
conclu, » En conféquence de cette claufe ,
les Négocians ont tenu une affemblée & ont
eu une entrevue avec le Secrétaire du Miniftre .
On prétend qu'ils n'ont pas reçu une réponse
intéreffante. Ils doivent fe rendre inceffamment
chez M. Pitt , pour conférer avec lui fur cet
objet.
La peine du fouer & celle de mort, encourues
précédemment par les déferteurs des
troupes de terre & de la Marine , vient d'être
abolie. S. M. a ftatué, de l'avis de fon Confeil,
qu'à l'avenir les déferteurs feroient tranſpor
tés à la côte d'Afrique ou aux Indes Orientales
pour y refter toute leur vie , & y être traités
comme les autres criminels.
Un état des vaiffeaux en conftruction pour
la Marine Royale dans les chantiers particuliers
, & qui doivent être lancés avant la fin
de l'année prochaine , en porte le nombre à
( 21 )
28 ,favoir 10 de 74 can. , 2 de 64 , 4 de 44 %
1 de 36,5 de 32,4 de 28, 1 de 24, & 1 de 16.
Les pourfuites commencées dans l'Inde contre
Le Chevalier John Burgoyne , produiront , fuivant
toute apparence , une enquête Parlemen
taire. Les chefs d'accufation à la charge , font
au nombre de dix - neuf. On lui impute entre
autres d'avoir excité les troupes à la révolte
& à la désertion . Cette affaire a fait naître
beaucoup de divifions dans l'Inde. Si le Chevalier
Burgoyne eft déchargé par le Confeil
de Guerre , il reviendra auffi - tôt en Angleterre ;
mais s'il eft convaincu , il eft à craindre qu'on
ne lui faffe fubir fans délai , la peine prononcée
contre lui , à moins qu'on n'ait envoyé desordres
à ce contraires.
On mande des Sorlingues , en date du 8
Septembre , qu'il s'eft élevé dernierement une
tempête affreufe dans ces parages ; que plufieurs
bâtimens avoient été jettés à la côte ,
entre autres un bâtiment venant de la Virginie
, avec une riche cargaifon de tabac , & qui
à péri avec la plus grande partie de fon équipage.
Ce bâtiment étoit deftiné pour Amfter
dam. Toutes nos côtes ont reffenti plus ou
moins la violence des vents de l'équinoxe ;
plufieurs bâtimens ont échoué ou ont été
endommagés ; cependant , jufqu'à ce jour , on
he connoît pas de malheurs bien confidérables.
Le huit de ce mois , en conféquence d'une
invitation des principaux habitans de Mancheſ
ter & des environs , le Comte de Derby , &
M. Fox , accompagnés du Lord Spencer , de
Meffieurs Fitzpatrick , Townshend , Grenville ,
( 22 )
Standish , William Clerke , Horton , le Général
Burgoyne , &c. font venus de Knowfley
à Mancheſter. Ils ont été rencontrés à environ
un mille , par un grand nombre de perfonnes
de toutes les claffes, qui venoient au- devant d'eux,
avec des drapeaux & des Muficiens . L'objet
de la fête étoit de témoigner au Comte de Derby
& à M. Fox la vive reconnoiffance du Comté.
La populace ôta auffi- tôt les chevaux de la
voiture du Comte , dans laquelle étoit ce Seigneur
avec M. Fox , & la traîna jufqu'à la
ville. Il y eut enfuite un repas magnifique de
affifterent la plupart des riches Manufacturiers
& Marchands de Manchefter , qui donnerent
pendant ce repas , des fantés conftitutionnelles
qui marquoient la fatisfaction & l'allégreffe des
convives.
En conféquence des fraudes auxquelles fe
prêtoient les Officiers des Douanes & de
l'accife , le Gouvernement a, dit on , le projet
d'augmenter les appointemens de ceux
d'entr'eux , dont le revenu étoit très- modique
, & de le porter à un taux qui les mette
à l'abri de la féduction .
Il vient de s'établir à Briſtol une Compagnie
de Société de marine , conforme à
celle de Londres. En même temps qu'elle
contribuera à faire fubfifter un grand nombre
d'enfans , elle formera une pépiniere de
matelots. Les marchands de toutes les claffes
ont fourni des fommes confidérables
pour former ce louable établiſſement.
On ne s'occupe & on ne s'entretient ici , écriton
de Brimthelmftone , en date du 12 , que d'un
attentat commis la nuit derniere , mais dont les
particularités ne font pas affez connues pour pous
( 23 )
voir les donner comme authentiques. Voici
comme on rapporte l'événement. Une jeune perfonne
âgée d'environ vingt ans , en rentrant chez
fon pere , s'étoit affife à la porte à dix heures du
foir. Les domeftiques de la maifon virent roder
devant la porte un homme de mauvaiſe mine
mais ils n'y firent point d'attention . Auffi- tôt
que la voiture qui avoit amené la jeune perfonne
fut partie, elle rentra dans la maiſon , & le ſcélé◄
rat ( qui étoit un garçon Tailleur ) s'étant introduit
après elle , lui dit qu'il venoit la chercher de
la part de fon pere pour la conduire chez un de
les amis dans North- freet où il foupoit . Lajeune
perfonne partit imprudemment fans être accom
pagnée de perfonne ; il la conduifit dans une petite
rue reculée ; & là , lui mettant un couteau ſur
la gorge, il la força d'entrer dans un cimetiere
où après l'avoir meurtrie de coups , il affouvit
fon infâme brutalité. Un orage étant enſuite fur,
venu , il la mena dans un endroit où l'on prend
les bains . La fatalité qui heureuſement accompa
gne très -fouvent le crime , le porta à reconduire
la jeune perſonne chez elle à cinq heures du ma
tin ; ils furent rencontrés dans la cour par un ouvrier
, qui voyant cette jeune fille dans un état
auffi déplorable , fe faifit du malheureux & le
conduifit vers le pere. Les Juges de Lewes arrivés
,cet infâme fcélérat, après un ample examen,
a été renfermé dans la priſon de Horfdam . L'état
de la jeune perfonne laiffe peu d'eſpérance qu'elle
furvive à fon infortune.
Le Public ledger préfente les obfervations
fuivantes fur nes Colonies .
Depuis long- temps on fe plaint généralement
de la décadence de nos Colonies ; cependant rien
n'eft fi frappant à la fois & fi inconcevable aux
yeux des obfervateurs que la différence qu'il y a
( 24 )
eu dans la politique & dans les fuccès des colonies
Angloifes & des colonies Françoifes. Les Colons
de nos Iſles ont été élevés dans l'abondance & le
luxe : les Colons François dans l'école du malheur.
Les premiers ont eu le bonheur de vivre
Lous un Gouvernement libre & indulgent ; les fe
conds ont été gouvernés avec dureté & avec rigueur.
Les François s'établirent aux lfles avec
peu de moyens ; ils augmenterent leurs fonds par
leur industrie ; leurs bénéfices , quelque modiques
qu'ils fuflent d'abord , allerent toujours en
croiffant ; entre leurs mains , une plantation de
café qui demandoit peu de cultivateurs , devenoit
à la fin une plantation de fucre.
C'eft ainfi que les Ifles Françoifes s'éleverent
avec une vigueur & une rapidité qui étonna les
ignorans & les fots ; tandis que les Ifles Angloifes,
gouvernées fur un plan diametralement oppofé
à celui des François , étoient toujours à demander
des fecours & des encouragemens. Mais
rien ne peut fauver du malheur des Colons indolens
, pareffeux , fiers & magnifiques , qui avoient
peut-être commencé leur fortune avec de l'argent
emprunté à ufure ? Les Colons François trouvoient
des capitaux dans leur propre induſtrie :
les Anglois les alloient chercher en Angleterre ;
auffi les Planteurs Anglois ont-ils toujours été
très-endettés envers la Métropole , dont les fonds
fe trouvoient diftraits d'un meilleur emploi ,
ne rentroient que très-difficilement .
On eftime à 50 millions fterling les capitanx
employés aux fles. Si cette énorme fomme ou
feulement la moitié pouvoit être appliquée à di→
vers emplois domestiques , combien la prospérité
de la Grande-Bretagne n'en feroit - elle pas augmentée
? L'Adminiſtration s'eft occupée mais
vainement , en diverfes occafions , du foin de
faire
}
( 25 )
faite recouvrer les dettes des Colonies. Il feroit
doné très - dangereux d admettre les Américains à
ce commerce ; ce feroit donner la facilité aux
Planteurs Anglois d'envoyer aux Etats -Unis des
productions qui devroient paffer en Angleterre
en paiement du principal & des intérêts de leur
detre envers elle .
En confultant les Actes de Rymer , durant
la derniere année du regne d'Henri V , en
1421 , on trouve que le revenu du Roi en
droits , rentes , fubiides ,
montoit à
La dépenfe de l'année à
55.743 liv. 1 fterl
L'Economie annuelle , par
conféquent de
Aujourd'hui , le Roi jouit ,
53507 13-
22,37 13
par la lifte civile , de 900,000 .
Par les revenus de l'Electoa
rat d'Hanovre , 400,000
1,300,000
Il y a 100 ans, fous le regne de Charles II.
& l'année fuivante de fa reftauration , le Parlement
lui alloua 1,200,000 liv. pour les dépenfes
du Royaume & les fiennes propres.
La Reine ne jouiffoit que de 40,000 liv. Aujourd'hui,
fon revenu annuel eft de 130,000 1.
-Les Irlandois avoient entrepris d'établir un
commerce direct entr'eux & le Portugal . Le
mauvais fecès de ces tentatives a du déjà leur ,
faire fentir les fuites fâcheufes de la précipitation
avec laquelle ils fe font hâtés de fecouer
pour cet objet , le joug falutaire de la Grande-
Bretagne . Sans des forces maritimes , jamais ils
No. 40, 1 Octobre 1785. b
( 26 )
ne feront en état de faire un commerce avan
tageux avec aucune Nation étrangere , même
dans le cas où ils croiroient en avoir affuré les
conditions par un traité , parce que la partie
contractante refpe &tera peu des engagemens
qu'elle pourra violer avec impunité. Il faudra
qu'ils fupportent paifiblement toutes les charges
dont il plaira aux étrangers de la grever. L'exemple
de la Grande- Bretagne , elle- même ,
leur fait affez voir les vexations auxquelles les
Négocians des Puiffances les plus formidables
fe trouvent expofés par le caprice ou les préjugés
d'un Miniftre tout- puiffant , même parmi
les Nations qui ne doivent leur exiftence qu'à
la protection de l'Etat avec laquelle on ofe tenir
une pareille conduite. Quel fera donc le
deftin de l'Irlande , qui n'a pas un feul vaiffeau
de guerre en propre . Une fois émancipée & fouf--
traite à la main tutelaire de la Grande- Bretagne,
elle fe trouvera feule contre tous . Puifque les
Irlandois refufent de s'affujettir aux Réglemens
que la Grande- Bretagne juge à propos de faire
pour fon propre commerce , il faut bien qu'ils
Te fuffifent à eux- mêmes , & négocient pour leur
propre compte . Mais dans cet état d'abandon
& de foibleffe , l'Irlande peut - elle expofer d'être
traitée par aucune des Puiffances commer- !
çantes de l'Europe , comme la Nation la plus
favorifée. Ne verra- t- elle pas au contraire tous
les Sujets des autres Etats , avoir la préférence
pour tous les articles qu'ils pourront porter au
même marché , & ne fera t- elle pas auffi forcée
d'attendre que la marchandiſe devienne rare
pour pouvoir vendre la fienne ? Telles font les
confidérations fur lefquelles j'invite les Irlandois
à bien réfléchir avant de fe fouftraire entiérement
à la protection du Pavillon Britannique.
( 27 )
C'est à eux à voir fi leurs reffources font fuffifantes
pour entretenir des forces navales en état
de faire refpe&ter leur commerce dans les Ports
étrangers. Si cette entrepriſe eft au- deflus de
leurs forces , tout l'édifice de leur indépendance
abfolue , en fait de commerce , n'eft qu'un vain
projet qu'i's doivent bien fe garder de réalifer.
Mais , à en juger par les difpofitions actuelles
de ce peuple , il paroît qu'on n'a rien à eſpérer
pour lui des confeils de la raifon . L'épidémie
eft trop forte & trop générale , & il n'y a plus
que l'expérience qui puifle les guérir . En conféquence
M. Pitt a très- bien fait de les abandonner
à cette cure un peu dure , mais néceffaire
, qui , felon toutes les apparences , ne
tardera pas à la ramener à la connoiffance de
leurs vrais intérêts , & à leur faire adopter avec
empreffement un fyftême qu'ils rejettent actuel
lement avec une violence auffi extravagante.
S'il faut en croire nos Papiers , on commence
à s'appercevoir en France que la
grande balance du commerce en faveur de
Angleterre , n'eft pas l'effet d'une importation
exceffive de marchandiſes Angloifes .
On reconnoit aujourd'hui , difent- ils que les
remiſes confidérables faites depuis quelque temps
en efpeces à l'Angleterre , étoient deſtinées en
grande partie à payer les marchandiſes fournies
a la France par les Négocians d'autres nations ,
lefquels avoient donné ordre à leurs correfpondans
de faire les remifes en Angleterre à des
banquiers ou négocians avec lefquels ils avoient
un compte ouvert. C'est ainsi que Londres eft
devenue la banque générale de l'Europe . Cet
avantage , dont elle jouit depuis long- temps ,
ne réfulte pas de ce que la balance de com-
L
b 2
( 28 )
merce eft en la faveur avec chaque nation féparément
, mais de ce que la balance générale
lui eft avantageufe , bien que teile balance particuliere
lui foit défavorable. Les négociars
Français , ayant aujourd'hui les yeux deffilés ,
ne font plus fi épris de l'arrêt concernant les
marchandifes p: ohibées. Il est donc probable
que le traité de commerce projetté entre la
France & l'Angleterre ne rencontrera pas les
mêmes difficultés qui ont fait échouer juſqu'ici
les tentatives de cette efpece .
Une fociété de citoyens de Boſton , dans
la Nouvelle- Angleterre, s'eft engagée à favorifer
l'affranchiflement des Nègres de cette
ville & de fon territoire . Cetre entrepriſe ,
très louable , le feroit encore plus en Virginie
& en Caroline , où les Nègres , très nombreux
, fervent à peu près feuls à la culture
des terres ; mais comme on n'y emploie pas
ces malheureux dans les Etats Unis du nord,
il eft à préfumer que cette fociété de Boſton
ne prend pas des engagemens difficiles à
remplir.
FRANCE.
DE SAINT-CLOv , le 21 Septembre.
Le Baron de Grofchlag , Miniftre plénipotentiaire
du Roi près le Cercle du haut
Rhin , qui eft de retour par congé , a eu ,
à fon arrivée ici le 15 de ce mois , l'honneur
d'être préfenté à Sa Majefté par le Comte
de Vergennes , Chef du Confeil royal des
Finances , Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant
le département des Affaires étrangères,
( 29 )
L'infertion de la petite vérole faite le 1er.
de ce mois à Monfeigneur le Dauphin , dans
le château de Saint Cloud , en préſence du
Roi , de la Reine , de la Famille Royale & de
la Ducheffe de Polignac , Gouvernante des
Enfans de France , par le fieur Jauberthou ,
Docteur en Médecine , Inoculateur , & de
concert avec le fieur de Laffone , Premier
Médecin du Roi & de la Reinè , & du fieur
Brunyer , Médecin des Enfans de France ,
a eu le faccès qu'on en attendoit. L'inoculation
de Monfeigneur le Duc de Berry , faite
le même jour à Saint Cloud , avec les mêmes
formalités & en présence du Marquis de
Serent, Gouverneur du Prince , parle même
Inoculateur , & de concert avec le fieur Audirac
, Premier Médecin du Prince , a été
fuivie du niême fuccès.
Leurs Majeftés ont figné , le 18 , le contrat
de mariage du Comte de Vérac , Capitaine
au Régiment Royal Normandie , Lieutemant
- Général de la Province de Poitou
avec Demoiſelle de Vintimille.
DE PARIS, le 27 Septembre.
M. Thomas , de l'Académie Françoife ,
abfent depuis quelque temps de cette Capitale
, avoit fixé fa réfidence près de Lyon,
dans une maifon de campagne où il a été
attaqué d'une fievre maligne. M. l'Archevêque
de Lyon le fit ranfporter dans fon château
d'Oullins , voifin de l'habitation de
b
;
( 30 )
M. Thomas ; mais malgré tous les fecouts
de l'art & les voeux ardens de fes amis , ces
eftimable Littérateur eft mort le famedi 17
de ce mois , à 3 heures du matin . A fes
derniers momens , M. l'Archevêque lui a
rendu tous les devoirs de l'amitié & tous
ceux de fon miniftere ; M. Thomas les a
reçus avec la réfignation d'un homme vertueux
, plein de confiance dans la Divinité.
Le mardi , 20 Septembre , Mlle. fa foeur
M. Ducis , fon Confrere , & M. de la Saudraye
, ancien Confeiller au Confeil fupérieur
du Cap François , ont fait célébrer
dans la paroiffe d'Oullins , un Service folemnel
pour le repos de l'ame de M. Thomas
, & l'Académie de Lyon , dont il étoit
membre , y a affifté en Corps,
M. Thomas a honoré les Lettres par fes
vertus perfonnelles , autant que par fes ouvrages.
Il n'étoit ni perfécuteur , ni intri
guant , ni tracaffier, ni dominateur, & l'honnêteté
qui refpire dans fes Ecrits , n'a point
abandonné fa conduite. Son nom ne pa
rut jamais dans les querelles littéraires ,
dans les manoeuvres des fectes , dans les
baffeffes par lesquelles on parvient trop fouvent
à la fortune , & à ce qu'on appelle la
gloire. I cultiva les Lettres avec dignité ;
& perfonne n'étoit plus fait que lui pour les
rendre refpectables. Ceux même qui goûtoient
peu le genre de fon éloquence
ne peuvent lui refufer un efprit accoutumé
à la réflexion , de la nobleſſe & de l'élévation
( 31 )
dans les idées, & un grand talent auquel il n'a
manqué peut - être que plus de facilité. Son
Efai fur fes Eloges fera toujours recherché ;
& l'Eloge de Marc- Aurele vivra autant que
notre langue.
1
Des lettres du Port-au - Prince , en date
du 29 Juillet , parlent d'un tremblement de
terre affez violent , reffenti dans cette Colonie.
Comme tous les 15 ans ou environ ,
ce quartier de S. Domingue eft expofé à des
fecouffes pareilles à celles qui cauferent tant
de dommages en 1770 , les Colons ont été
vivement allarmés de cette nouvelle commotion.
Dans la nuit du Dimanche au Lundi 12
de ce mois , on a reffenti à Grenoble & dans
les environs , plufieurs fecouffes de tremblement
de terre dans la direction du nord au
midi. Si je ne me trompe , voilà la troiſième
fois dans l'année qu'on a obfervé cette commotion
en Dauphiné. On mande de quelques
endroits , & notamment de la Suiffe ,
que le brouillard fec & électrique de 1783 ,
y a reparu durant quelques femaines ; les
orages violens qui ont défolé au commencement
de ce mois une infinité de lieux en
Italie & en Allemagne , tenoient probable
ment à cette cauſe. Il ne paroît pas , cependant
, qu'on puiffe y rapporter un orage remarquable
qui s'eft étendu fur une partie de
la Lorraine , & dont on écrit de Metz les
détails fuivans.
b4
( 32 )
y eut
Dès 8 heures du foir, le 9 de ce mois , il
des éclairs qui augmenterent toujours de force ,
& fe fuccéderent de plus en plus rapidement . Le
Ciel qui n'étoit nuageux que du fud à l'eft , devint
entiérement couvert pour 11 heures . Vers
minuit commença une petite pluie , pendant laquelle
le tonnerre qui fe faifoit entendre dans le
lointain s'approcha infenfiblement , & devint plus
impofant & plus rapide dans la fucceffion de fes
coups. Enfin , environ une heure après minuit ,
& immédiatement après une détonation plus
forte que les autres , une pluie très -abondante
s'eft jointe aux éclairs multipliés & aux roulemens
continus du tonnerre ; & l'un & l'autre n'ont
pas ceffé un feul inſtant juſqu'à trois heures du
matin que l'orage commença à fe calmer en s'éloignant
vers l'eft. Il finit par une petite pluie qui
dura encore une demi- heure .
Le vent d'oueſt ſoufflɔit & n'étoit pas abfolument
violent , le fort de l'orage étoit au midi , &
il y avoit à la fois quatre nuées , d'où partoient ,
prefque fans interruption , des éclairs ; des coups
de tonnerre qui fe faifoient entendre à différens
intervalles , étoient de temps en temps plus fores;
à chaque fois la pluie , qui temboit toujours à
everſe , étoit précipitée avec plus de violence';
tellement que dans les deux heures & demie
qu'elle a duré , il en est tombé .36 lignes ou 3
pouces de hauteur , quantité que nos plus anciens
vieillards ne fe rappel'ent pas avoir vue
dans un auffi court intervalle.
On n'a pas entendu , dans cette foule preſque
innombrable de coups de tonnerre , de ces craquemens
& de ces coups fecs & ifolés , qui accompagnent
ordinairement la chûte ou plutôt
l'afcenfion de la feudre , dans des lieux voifins
du fpe&tateur , auffi n'a- t -on pas encore appris
( 33 )
qu'elle foit tombée quelque part dans la Vi'le ,
où n'étoit furement point le fiége principal de
l'orage.
Heureufement pour nos vignes & pour nos
jardins , cet orage auffi remarquable par la durée
que par le volume d'eau qu'il a précipité ,
n'a pas été accompagné de grêle ; mais il n'a
pas laiflé malgré cela de faire beaucoup de dommage.
On a eu la douleur de voir les eaux de
nes rivieres charroyer des regains que le culti
vateur s'étoit ménagés & qu'il n'a pas eu le
temps d'enlever.
Comme la fréquente ftérilité de cet article
de Paris nous réduit fouvent à mettre
peu de choix dans les matériaux , nous donnerons
aujourd'hui la relation du dernier
voyage de M. Blanchard , écrite par luimême.
Tout ayant été préparé dès le matin pour
notre départ , je montai dans la nacelle un peu
avant 11 heures avec le Chevalier de l'Epinard
, mon compagnon de voyage ; mais quelques
coups de vent affez fort , nous obligerent
à différer quelques minutes . A 11 heures 45 m.
le barometre étoit á 23 pouces & demi. Nous
éprouvâmes alors une dilatation telle que l'appendice
fe gonfla & l'air inflammable fe dégagea
avec abondance. Nous nous mîmes à déjeûner
& nous bûmes une bouteille de vin que
M. le Prince oe Ghifteiles nous avoit donnée ,
fur laquelle étoit écrit : Vin de Calabre deftiné
à être bu dans les Cieux par les Aëronautes , M.
Blanchard & le Chevalier de l'Epinard . Nous le
favourâmes d'autant mieux , que nous n'avions
pas eu le tems de déjeûner avant de partir &
b5
( 34 )
que l'air étoit très -vif. Pendant ce repas nous
defcendîmes par l'effet d'une déperdition qu'une
trop forte dilatation avoit caufée , & nous nous
trouvâmes à midi to minutes affez bas pour re .
connoître des maisons qu'on nous dit être le
village de Bouvigny . Nous entendîmes trois
coups de canon , auxquels nous répondîmes par
un falut de nos drapeaux ; nous éprouvâmes dans
ce moment un courant d'air très - frais , qui nous
fit defcendre affez pour parler à plufieurs perfonnes
d'un autre petit village . Nous leur demandâmes
fi nous tenions bien la route de Paris
& de combien nous étions éloignés de Lille ;
n'étant point fatisfaits des réponses qu'on nous
fit , nous jettâmes un peu de left pour remonter,
& à midi 20 minutes nous entrâmes dans un
nuage fi épais que nous ne nous vines plus
dans notre nacelle. Ce nuage avoit une odeur
infecte , & felon ce que nous avons pu eftimer ,
il avoit 7 à 800 pieds d'épaiffeur. Nous le traversâmes
en une minute & demie . Elevés audeffus
, nous le vimes fe divifer , & nous apperçûmes
la terre à travers. Le barometre étoit
alors à 22 pouces 3 lignes. Il nous parut que
l'on nous appercevoit dans les nues , puifqu'on
tira encore plufieurs coups de canon . A midi
& trois quarts nous étions dans un filence parfait
& jouiffant du plus beau ciel . Les nuages
s'étoient tellement ammoncelés qu'ils nous
avoient dérobé la terre , il nous fembloit que
nous voguions fur une mer en tempête , dont
les flots écumoient , avec cette différence qu'aucun
bruit ne fe faifoit entendre : Nous obfervames
l'ombre de notre globe qui fe projettoit
fur la furface inégale des nuages ,
cette ombre on voyoit un arc- en - ciel qui jettoit
les couleurs du prifme les plus vives Quoiqu'enchantés
de ces belles chofes , nos eftomacs
& à
( 35 )
nous firent fentir qu'il falloit diner ; notre carte
géographique nous fervit de table ; notre appétit
fut tel que nous confumâmes le refte de
nos provifions , excepté une bouteille de vin
une autre qui reftoit entamée. Nous nous livrâmes
enfuite à nos obfervations . A 1 heure ' TO
minutes nous defcendîmes dans un nuage &
aprés l'avoir traversé nous découvrîmes deux
villes , l'une à l'oueft & l'autre à l'eft de notre
route . Nous écrivimes chacun un billet que
nous jettâmes liés de rubans , afin qu'ils fuffent
plus vifibles. A 1 heure 16 minutes nous planâmés
au- deffus d'une très belle plaine . Je me
rappellai en ce moment que certains Aëronautes
avoient prétendu me contefter l'effet qu'a
voit produit le vin d'une bouteille jettée du
haut des nues , dans mon troisieme voyage à
Rouen , érant accompagné de M. Boby. Je pris
la bouteille dans laquelle étoient reftés au moins
les deux tiers du vin & je la jettai , priant mon
compagnon de la fuivre des yeux ; nous l'appercevions
encore lorfque le vin s'en échappa
comme une fumée abondante , formant un nuage
vineux qui nous fuivit quelques minutes & difparut
peu après. Je pris fur le champ acte de
mon compagnon fur ce phénomene . Peu aprés
fous rentrâmes dans un nuage fi épais que nous
ne pouvions ni nous voir ni obferver nos inftrumens
, & fi humide que dans un inftant nous
fumes très-mouillés. Notre nacelle étoit également
remplie d'eau : errant ainfi dans l'obfcu
rité · nous jugeâmes bien que cette humidité
en chargeant notre équipage , ne manqueroit
pas de nous précipiter vers la terre ; en conféquence
nous jettâmes une grande quantité de'
Jeft , ce qui nous fit remonter. Enfin quelques
nuages qui étoient encore au deffus de nous &
b6
( 36 )
qui nous déroboient le foleil , s'étant diffipés ,
nous éprouvâmes en ce moment , par l'effet des
rayons folaires , qui étoient très- chauds une
dilatation telle , qu'en peu de minutes , le barometre
defcendit à zo pouces 3 lignes & le
thermometre à la glace : nous paflâmes fi promptement
à cette température que l'air vif nous
faifit fur le champ. Nous nous couvrîmes de
nos manteaux. Nous montions toujours ; mais
par un mouvement moins rapide . Le froid devenant
plus exceffif , je craignois pour mon
compagnon , qui n'étoit pas accoutumé à un
changement fi fubit ; je lui demandai s'il vouloit
defcendre : non , me dit -il , je veux , comme
vous , éprouver toutes les températures ,
allons au
plus haut poffible. Nous ne fûmes que quelques
minutes à cette région où regne le filence ,
éloignés des humains & ne voyant que notre
habitation dans cette vafte folitude ; élevés au
plus haut , parcourant l'immensité à l'aventure
la fubtilité de l'air dont nous fouffrions beaucoup
, occafionna une affez grande dilatation ; it
fe trouvoit un trou à la partie inférieure du ,
Ballon , que je ne m'étois pas donné la peine de
boucher en partant. Je crus appercevoir par
ce trou , que l'air inflammable , en fe dilatant
fe troubloit , & qu'il fe formoit en fumée ; je
voulus m'en affurer : j'ôtai mon manteau & re-.
trouffant mon appendice , j'entrai à moitié dans.
mon Ballon ; je fus bien furpris de me fentir
comme dans une chaumiere remplie d'une fumée
chaude & épaiffe : je n'y pus refter longtems
, je n'y voyois goutte , les yeux me pico
toient , & j'en fortis très échauffé. L'air inflammable
continuant à s'échapper , nous refâmes,
en ftation ; mais une condenfation furvint bientôt
après , & l'air inflammable reprit fon pre-
"
"
( 37 )
mier état de tranfparence. Je rentrai dans le
globe , & je découvris très diftin&tement l'inté
rieur de la fphere dans tous les points . J'y
introduifis le thermometre , l'air , inflammable
fe trouva être au même degré de chaleur que
celui environnant . A 1 heure 59 minutes nous
étions affez defcendus pour entendre battre la
caiffe ; nous braquâmes nos lunettes , & 10 minutes
après nous découvrîmes encore deux villes.
Nous entendîmes très bien fonner les clo
ches. A 2 heures 29 minutes nous étions fous
les nuages : le barometre étoit alors à 24 p.
Après avoir fait le falut des drapeaux & demande
la route de Paris , nous filâmes , poullés par
le même air de vent , fur une forêt allez grande
; après l'avoir traversée à 2 heures 40 min .
nous rent âmes dans le nuage , ayant parlé auparavant
à quelques payfans que nous trouvâmes
de l'autre côté de la forêt . A 3 heures 15
minutes le barometre étoit à 21 pouces & le
thermometre au tempéré. Quoique nous fuffions
trop élevés pour avoir aucun objet de comparaifon
nous nous doutions que nous avions
quitté la route de Paris . Je profitai d'une condenfation
pour nous laiffer defcentre . Arrivés
à 5 ou 600 pieds de terre , je demandai" , avec
mon porte voix , où nous étions & à combien
de Paris ; nous nous fatiguâmes l'un & l'autre
à force de crier. On ne nous répondit point
diftin&ement ; nous vîmes bien que nous effrayions
ces bons payfans , qui courcient çà &
là comme des moutons égarés : nous réfolûmes
de nous dérober à leurs yeux , & d'autant que
nous penfions bien avoir perdu la route de Paris
, je jettai de mon left. A 4 heures nous
traversâmes des courans très froids : le thermometre
fe trouvoit à trois degrés au deffus dú
9
( 3834 )
terme de la congélation , & 3 minutes après if
defcendit à la glace; le barometre étoit à 16
pouces. Nous reprîmes encore nos manteaux &
nous voyageâmes ainfi à l'aventure pendant 58
minutes. Nos inftrumens étoient fi froids que
nous ne pouvions les toucher ; il ne nous fut
plus poffible d'écrire , l'encre s'étoit gélée dans
le cornet. Nous éprouvâmes encore un mal affreux
dans les oreilles ; notre vin dont nous
bûmes chacun un coup , tomboit avec des parcelles
de glaces dans notre verre & l'air inflammable
fe troubla encore une fois . Nous étions
remontés à cette région où l'homme se trouve
dans un état de béatitude : nous foulions à nos
pieds l'immenfité & nous jouiffions du plus beau
ciel. Une rotonde de nuages , entaffés les uns for
les autres , & fe formant comme des montagnes
de neige au milieu de laquelle nous
étions extrêmement élevés , nous offroit un coupd'eil
enchanteur. Le froid devenant extrême
nous bûmes encore chacun un verre de vin
glacé , & le Chevalier s'endormir . Je ne fus pas
d'abord tranquille fur fon érat ; mais après l'avoir
examiné , je vis qu'il n'y avoit rien à crain
dre ; je le laiffai repofer , & me gardai bien de
fuccomber moi - même au fommeil , qui vouloit
auffi s'emparer de moi.
•
›
Me fentant affez de force pour y réfifter , je
n'ouvris point ma foupape & je me laiffai aller :
le barometre étant à 14 pouces , & le thermometre
à quatre degrés au-deffous de la congélation .
Des vents fupérieurs nous éloignerent, bientôt du
milieu de cette belle rotonde de nuages , pour m'en
faire voir d'autres très-êpais . La dilatation ayant
eu lieu affez long - temps. un air frais occafionna
une condenfatiou telle , que dans un moment nous
nous trouvâmes dans ces nuages épais. J'avois re-
9
( 39 )
folu , d'autant que nous defcendions ; de ne pas
interrompre mon compagnon , qui étoit très - tranquille
; mais quelques coups de tonnerre qui fe
firent entendre à nos côtés le réveillerent en furfaut
, après une demi - heure de fommeil . Il me
demanda , quelle heure eft - il ? Il eft cinq heures ,
lui répondis- je , nous ne sommes pas loin de la
terre , me dit-il , j'entends un caroffe qui paffe fur un
pont. C'eft , lui dis- je , le char de Jupiter. Quel .
ques éclairs s'échappant du nuage , l'affurerent
alors que les coups qu'il entendoit étoient le tonnere.
Il n'en fut pas plus effrayé que moi : nous
reflâmes environ 15 minutes dans ce nuage ,
après quoi nous defcendîmes , & l'orage parut fuir
loin de nous. A 5 heures 30 minutes , le barometre
étant â 25 pouces , nous étions à une hauteur
à pouvoir nous faire entendre . Nous parlâmes
à plufieurs perfonnes , demandant toujours de combien
nous étions éloignés de Paris , & quelle étoit
cette Province ; les uns fuyoient épouvantés , les
autres reftoient en extafe , & ne nous répondoient
que par des cris entrecoupés que nous ne pouvions
diftinguer. Nous voyage âmes à cette hauteur pendant
environ 24 minutes, parlant à tout le monde ,
& n'ayant de réponſe pofitive de perfonne. Ce fut
alors que nous dêfefpérâmes d'arriver au but que
nous nous étions propofé. Nous apperçumes une
forêt immenfe fur laquelle nous allions être por
rés , & dont nous ignorions l'étendue ; & qui nous
auroit peut- être été d'autant plus funefte , qu'il
'étoit déjà tard & qu'il ne nous reftoit plus de provifions
. Nous euffions certainement pu aller beaucoup
plus loin , puifqu'il nous reftoit encore un
left affez confidérable ; mais la prudence nous décida
à terminer notre voyage. Nous nous laiffâmes
baiffer infenfiblement , & appercevant des pay
t
( 40 )
fans , je leur jettai un cordeau , les engageant de
le prendre , mais pas un n'ola le faire , au contraire
ils fayoient chacun de leur côté ; je lâchai
alors un de mes ancres , elle ramaffa un gros paquet
de brouffailles , de paille & d'herbe , ce qui arrèta
la vivacité de notre courſe , & fi un homme qui
travailloit à la terre non éloigné de nous , eût
youlu prendre le cordeau comme nous l'en priions,
nous euffions repofé dans une fuperbe plaine ;
mais au contraire lorsqu'il eut entendu nos voix ,
il ramaffa ſa veſte , prit la bêche & s'enfuit tout
en criant & fe courbant dans les avoines : touc
l'argent que nous lui promîmes fut inutile , il fe
fauvoit à toutes jambes. Mon ancre s'accrocha à un
petit arbre , mais un coup de vent caffa le cordeau
, je lâchai auffi - tôr ma feconde ancre ; elle
s'accrocha à un autre arbre , & par l'effet d'une
manoeuy re néceffaire , nous repofâmes doucement
fur la terre , à 6 heures préciſes ; après avoir
felon mes obfervations, parcouru 120 leues dans
l'espace d'environ 7 heures , ayant été portés de
Lille à Pont Sainte - Maxence , de Pont dans les
Ardennes , & des Ardennes à Servon en Çlermontois
, près Sainte Menehould en Champagne.
Signés BLANCHARD , Citoyen de Calais & Penfounaire
du Roi , & le Chev . de L'EPINARD .
PAYS - BA S.
DE BRUXELLES , le 26 Septembre.
Les Hollandois , affirmoit on , à la vue
de nos troupes raffemblées à Anvers , feront
attaqués le 16 ; cette attaque devoit enfuite
fe faire le 21 cependant tout eft toujours
( 41)
dans la même fituation. L'état général de
Farmée , les Pionniers , la Chanceller e de
guerre , le Duc de Saxe - Tefchen , le Général
Murray & le Prince de Ligne font à
Anvers , & y refteront probablement encore
quelques jours. Notre Gouvernement
avoit demandé à celui de Liege la permiffion
de former deux camps , l'un de 5500
hommes entre S. Trond & Tongres ; l'autre
de 3900 hommes entre Hui & les avenues
de Liege , le long de la Meufe , Quelques
détachemens fortis de Macftricht fatfoient
préfumer qu'on fongcoit à dégarnir
cette place & à l'abandonner : enfin tout ce
fracas s'eft appaifé , & le jeu touche à fon
terme du moins l'avis du moment , confirmé
par toutes les Gazettes de Hollande ,
les Etats -Généraux s'en remettent à
eft
que
la France.
Les Etats -Généraux ont répondu en ces
termes à la Déclaration du Roi de Pruffe.""
Oui le rapport de MM. de Lynden , de Hem
men & autres Députés de L. H. P. pour les
affaires étrangeres , lefquels , conformément à la
réfolution de L. H. P. du 29 du mois dernier ,
ont examiné la communication faite par M. de
Heckeren de Brantfenbourg , préfidant à l'affem .
blée de L. H. Puiffances , « que M. de Thule-
» meier , envoyé extraordinaire de S. Mile Roi
» de Pruffe , s'étoit rendu chez lui & lui avoit
» remis une Déclaration de Sadite Majesté
» touchant la conclufion d'un Traité de Confé(
42 )
dération , figné entre S. M. Pruffienne & les
Cours de Saxe & de Brunſwick Lunebourg ; »
laquelle Déclaration a été inférée dans les Regiftres
à la date du 29 du mois dernier :. Sur
quoi ayant eté délibéré , il été trouvé bon & art
rêté :
"
сс Que M. de Thulemeier fera remercié de
la communication de ladite Declaration , avec
» affurance de la gratitude de L. H. P. envers
S. M. Pruffienne , pour les égards qu'Elle a
fi gracieufement marqués en cette occafion
envers L. H. Puiffances : Que L. H P. pren
dront toujours le plus vif intérêt au bienêtre
de l'Empire Germanique , & au main-
» tien de fa Conftitution établie , perfuadées que
le moindre changement ou la moindre alté-
> ration ne pourroit qu'y caufer un bouleverfement
préjudiciable : Qu'Elles fouhaitent &
defirent fincerement , que le Traité d'Affociation
, conclu entre S. M. & les Cours de Saxe ,
» & de Brunswick , ait le falútaire effet qu'on
≫a eu en vue en le formant , & qu'il puiffe con-
» folider & & maintenir à jamais la Paix & le reopos
de l'Empire , que L. H. P. ont également
à coeur d'être confervés ».
Et fera donné extrait de la préſente réſolution
au fieur Slicher , agent de L. H. Puiſſances ,
pour le remettre à M. de Thulemeier , afin qu'il
puiffe fervir de réponſe & d'information à fa
Cour fur ladite communication.
Une lettre de la Haye, du 13 Septembre ,
rapporte de la maniere fuivante ce qui s'eft
paffé au moment où le Prince d'Orange a
perdu le commandement de la garniſon de
la Haye.
( 43 )
Après la parade du fameux dimanche 4 , le
Prince ne voyant plus d'apparence de trouble
fur la place , repartit pour la Maifon- du Bois.
Dans l'après midi , M. le grand- penfionnaire
craignant pour la fûreté de M. Gyfelaar & d'un
autre penfionnaire qui étoient hors de ville , &
qui devoient revenir le même foir , prit fur lui
de faire appel er M. le Général Sandoz , & de
lui donner ordre , vu la néceffité preffante , d'en
voyer une patrouille au - devant de ces Meffieurs .
M. Sandoz auroit pu , dit - on , alléguer qu'il
ne pouvoit recevoir d'ordre que du Capitainegénéral
; mais il crut que la fûreté publique
& furtout le défaut du tems , autoriferoient fuffifamment
ce manque de forme. Le lendemain
le Prince en témoigna fon mécontentement ,
& avec une raifon d'autant plus grande , que
le Confeil comité , d'aprés ce fait , avoit pris
la réfolution de s'attribuer le commandement
de la garnifon & en avoit fait prévenir Mgr.
le Stadhouder. S. A. S. ne pouvant s'en tenir à
cela , fit convoquer extraordinairement les Etats
de la province , & fe rendit à leur affemblée .
Le Prince. s'y plaignit avec force des chagrins
non-mérités qu'on lui faifoit effuyer de toutes
manieres ; mais M. Van- Berkel répliqua fur tous
les points , de façon à convaincre S. A. S. que
le parti étoit pris de foutenir la démarche du
Confeil comité. En effet , le Prince étant fortf
avant la fin de l'affemblée , la réfolution fut prife
à la majorité des voix , & le commandement de
la garnifon déféré au Confeil comité , & par
fubftitution à M. le grand- penfionnaire , qui
donne le mot de l'ordre au Général Sandoz ,
chargé de le donner enfuite à la parade. Depuis
ce moment le Prince n'y a pas paru , & S. A. S,
( 44 )
aff:& de ne plus fe montrer en habit d'uniforme
; mis habillé de rouge , comme les gentils
hommes de fa mai on.
Quoiqu'on ne doute point , d'après ce
qu'on connoît du Préavis des Etats de Hol-
Jande , envoié à Paris , que cette Province
Fr ponderante n'ait confenti aux demandes
de S. M. I. , on a cependant fait quelques
mo ivemens pour la défenſe de l'Etat. Les
Polders ont été inondés ; le Général Sandoz
& le Général Major de Verfchaur font allés
joindre le Stathouder à Breda , où ce Prince
s eft occupé fans relâche des mesures néceffaires
à la sûreté du Brabant - Hollandois.
M. le Comte de Maillebois s'eft rendu à
Bois-le Dac.
En l'abfence du Général Sandoz , le Comité
des Confeillers - Députés a déféré le
commandement de la garnifon de la Haye
au Général Major des Kretſchmar , des Gardes
Hollandoifes . On eft un peu revenu de
la terreur qui avoit faifi quelques perſonnages
, le 9 de ce mois ; & l'on affure qu'il
avoit été queftion d'offrir au Prince d'Orange
, de reprendre le commandement de
la garnifon ; comme il lui a été enlevé par
une réfolution des Etats de Hollande , Son
Alteffe Séréniffime a refufé cette offre , à
moins qu'elle ne lui fût préfentée par une
députation folemnelle des Etats. La Princeffe
d'Orange & fa famille ont été reçus en
( 45 )
Frie avec l'enthoufiafme & les fentimens
dus à leur fang & à leurs vertus.
Le Roi d'Espagne , dit on , avoit refufé
de ratifier le Traité de paix conclu à Alger
à caule que cette Régence , par un motif
de religion , vouloit qu'on permît à fes fujets
la guerre de terre , & de pouvoir attaquer
, comme par le paffé , Oran & les autres
Préfides. Le Roi d'Efpagne , par un
femblable motif , n'a pas voulu que fes
Préfides d'Afrique fuffent fans ceffe expolées
aux infultes de ces fanatiques Mufulmans ;
& la guerre alloit recommencer , lorfque le
4 de ce mois , on a vu arriver à Madrid
deux Députés d'Alger , qui font venus renouer
la négociation . On efpere que traitant
directement avec les Miniftres de S. M. ,
l'accommodement defiré de part & d'autre
fera bientôt conclu.
Il n'y a point eu d'engagemens fur la côte
des Mofqu tes. Il femble que le fyftême de
la Cour d Efpagne eft aujourd'hui de ne pas
s'en tenir à la lettre du dernier Traité de
paix. Les Anglois pourront , comme par le
paflé , couper du bois dans le diſtrict qu'ils
font cenfés avoir abandonnés. On ne pourroit
les chaffer , fans faire révolter les naturels
; ce feroit une guerre interminable à
faire à ceux ci , à la longue on pourroit bien
les exterminer, mais non pas les foumettre.
4
( 46 )
>
1
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
On dit ouvertement ici , que l'obftination des
Hollandois n'a d'autres caufes que l'affurance
d'une puiffante diverfion qui leur auroit été
donnée par une certaine Cour du Nord . Auffi
prétend-on que c'eft pour cette raison que le
Prince de Reuff , nouvel Ambaffadeur à Berlin ,
eft parti ces jours derniers pour fa deftination ,
d'après les ordres exprès qu'il en a reçus , quoiqu'il
ne dût quitter Vienne que le premier Octobre.
L'Empereur difoit derniérement à un
marchand de la Siléfie , qui vouloit fe retirer
avec tous les effets fur le territoire Autrichien :
Ne vous y fiez pas je fuis en ce moment en
fort mauvaiſe intelligence avec le Roi de
Pruſſe : s'il eſt inftruit de votre deſſein , tous
vos biens feront confifqués. Nouvellifte d'Allemagne
, no. 149.
Je puis vous affurer que les fours militaires
qu'on a conftruits à Herve , ne fument pas encore
; la farine pour les 8000 pains n'eft pas encore
dans le pétrin : il n'eft encore arrivé aucun
boulanger de fervice , & on ignore quand il en arvera.
Nos boulangers font cuire chez eux le
pain pour nous & pour les troupes qui cantonnent
ici . Ces troupes ont paffè la revue dernièrement
fans faire aucune évolution . L'Officier
Hollandois retenu ici , y eft encore ; mais il
n'a pas été gardé à vue. Nouv. d'All. n°. 149.
Le Cardinal Migazzi . s'étoit donné beaucoup
de foins pour faire révoquer le prédicateur ordinaire
des Dimanches & Fêtes . N'ayant pu y
réuffir , Son Eminence s'eft rendue elle- même
( 47 )
au -fauxbourg S. Jofeph à la pórte du Couvent
des Pierriftes , & a fait appeller le Pere Smith :
J'aime votre éloquence , lui dit le Prélat , &
je rends justice à vos talens , mais vous avancez
des propofitions qui me paroiffent dangereufes ,
& je me crois obligé de vous interdire de tout
mon pouvoir les fonctions de la Chaire.
Je refpecte infiniment Votre Eminence , a répon
du le Religieux , je reconnois fon autorité , &
Luis prêt à me conformer à fes ordres ; mais
ne prêchant que par la permiffion expreffe de
l'Empereur , je ne puis difcontinuer mes fonct
tions qu'il ne me les interdiſe lui - même .
Son Eminence a cependant vifité la bibliote
que du Prédicateur & lui a confifqué plufieurs
livres , entr'autres les oeuvres de Voltaire ,
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ),
7
PARLEMENT DE , GRENOBLE. 1
Les François expatriés , fans avoir abdiqué leur
patrie , perdent-ils le droit de fuccéder à leurs
parens décédés en France ? Les Suiffes font-il
réputés régnicoles en France ?
Ces queftions importantes ont été agitées en
tre Alexandre & Gafpard Beniftan , pere & fils
Pierre & Elizabeth Beniſtan , nés en Dauphiné
& Denis -Louis Elizabeth Manuel , Antoine-
Louis Derbain , originaires de France , nés à
Nion , petite ville de Suiffe dans le Canton de
Berne . Toutes les parties profeffent la religion
proteftante , qui fut celle de leurs peres .
Louis Beniftan , du lieu de Beauford en Dauphiné
, eut plufieurs enfans. Jean- Louis , Pierre ,
-
( 48 )
Louiſe l'aînée , Louife cadette & Alexandre .
Louife , cadette , époufa le fieur Manuel , Chirurgien
; l'un & l'autre pafferent en Suiffe ,
dans la vue de revenir dans le fein de leur pa
trie , dès que la fortune auroit amélioré leur
fort Jean-Louis & -Pierre (ont restés en
France , où ils fe font mariés. Louife , l'aînée ,
eft-également restée en France , & s'y eft mariée
au fieur Metifiol. Alexandre , de cujus bonis ,
eft décédé en Bretagne en 1749 , fans poftérité
laiffant pour les héritiers de droit , fes neveux &
fes nieces. Jean-François Beniftan , qui étoit
fur les lieux , a recueilli la fucceffion de fon
oncle. Les autres co - héritiers Français traiterenu
avec lui : procès fur le traité. La fucceffon
fut réglée de nouveau par arrêt du Pales
ment de Rences , du 19 Juin 1753 , & par a&e
du 5 Octobre 1772 , les héritiers de François
Beniftan vendirent leurs droits à Michelle de
Rebouille , a velve , & en emporterent le prix
en Dauphiné , où ils habitent . Les Manuel
& Derbain , nés Suiffes , formerent en 1778 ,
leur demande contre les détenteurs de leur portion
dans l'hoirie d'Alexandre Béniftan ; mais
ils en furent déboutés par le premier Jage."
Arrêt le 19 Juillet 1785 en la Chambre, des
Enquêtes qui réforme la Sentence du premier
Juge , adjuge aux Manuel & Derbain , comme
Suiffes & originaires Français , une portion de
la fucceffion d'Alexandre Benian , avec les intérêts
du jour de la demande , ordonne la reftitution
de l'amende , & condamne les Intimés
aux dépens.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE,
DE HAMBOURG , le 24 Septembre.
LE Magiftrat de cette ville , par un décret
du 12 de ce mois , a défendu toutes les lo--
teries. Les Receveurs font obligés de fermer
leurs bureaux dans l'efpace de quatre
femaines , à dater du jour de la publication
de ce décret. Tout le monde applaudit à
la fageffe de la Régence , dont le bel exem
ple devroit être imité dans tous les Etats
fibres , où les moeurs du peuple & fes intérêts
font comptés pour quelque chofe par
l'adminiſtration publique.
D'après le dénombrement fait à Copenhague
, le Septembre 1784 , la population
de cette Capitale monte à 93719 perfonnes
, dont 1512 font des Juifs.
Nous avons annoncé la réforme exécutée
en Danemarck dans la compofition de
l'armée. Voici de quelle maniere la nouvelle
No. 41 , 8 Octobre 1785. с
( 50 )
Ordonnance en a fixé l'état & l'entretien
annuel.
La Cavalerie fera compofée de 6073 hommes ,
y compris les Officiers , & il y aura 4751 chevaux.
L'entretien pour ces deux objets fera de
391,433 rixdalers , & 49 fchellings. Elle confiftera
dans les Régimens fuivans ; favoir , la
garde à cheval , de 177 hommes ; elle coûtera
y compris les chevaux , 29,655 rixdalers &
41 fchellings & demi ; quatre Régimens de Cavalerie
de 2 , 620 hommes , qui coûteront , y
compris les chevaux , 157,747 rixdalers , & 76
fahellings ; quatre Régimens de Dragons de la
même force , leur entretien & celui des che¬
vaux coûtera 156,747 rixdalers , & 76 (che-
Lings ; un corps de Huffards , de 330 hommes ,
& un autre corps de 326 ; ces 2 corps , y compris
les chevaux , coûteront 51,283 rixdalers
& 47 fchelings & demi .
L'Infanterie fera compofée de 33,475 hommes
, & fon entretien reviendra à 890,396
sixdalers , & 51 fchelings , elle confiftera dans
les Régimens fuivans ; favoir , la Garde à pied ,
de 483 hommes ; fon entretien fera de 31,153
rixdalers , & 61 fh, un Corps de Chaffeurs ; de
132 hommes ; il coûtera 9,813 rixdalers , &,
46 fchellings & demi ; un autre Corps de Chaffeurs
de la même force , & qui coûtera la même,
fomme ; 16 Régimens de 27,962 hommes , qui
cofiteront 658 , 209 rixdalers , & 53 fchellings ,
quelques Compagnies détachées de 1999 hommes
; elles coûteront 60,096 rixdalers & 56.
fchellings ; quelques Compagnies de garnifon
de 358 hommes , qui coûteront 13,724 rixdalers
, 4 fchellings & demi.
Toute l'Armée en Danemarck fera donc
forte de 39,548 hommes , & fon entretien an(
51 )
nuel reviendra à 1,285,830 rixdalers , & 4 fchellings.
D'après la même Ordonnance , l'Armée en
Norwege fera portée en 1786 à 35,715 hommes ,
& fon entretien coûtera 378,092 rixdalers & 70°
fchellings. Il y aura 4 Régimens de Dragons
de 4349 hommes , & de 2725 chevaux ; un
Corps d'artillerie de 436 hommes ; 2 Régimens
d'Infanterie enrollée de 2294 hommes ; 8 : Régimens
d'Infanterie Nationale de 27,524 hommes
; 960 Chaffeurs , & une Compagnie de
garnifon de 156 hommes.
Total de l'Armée én Danemarck & dans la
Norwege , 75,263 hommes , dont l'entretien
annuel reviendra à 1,663,922 rixdalers , & 70
fchellings.
La pêche au Groënland a valu cette amnée
aux Hollandois 180 baleines , aux Anglois
122 , & 60 au commerce
de Hambourg
, d'Altona, de Brême & de Gluckftadt.
Une nouvelle defcription géographique &
topographique du Cap de Bonne- Espérance ,
publiée à Glogau par Menzel , porte la population
a &uelle du Cap à 40,600 perfonnes , dont
9,600 demeurent dans la Ville , où l'on compte
1200 maiſons . On fait qu'en 1713 la petite vérole
y fit tant de ravage , que la maffe de la
population fut réduite à 4,813 ames ; mais les
mefures fages du Gouverneur Schwellengebel ,
le changement des emphytiopas en biens propres
& héréditaires , moyennant le paiement
d'une certaine redevance annuelle , & l'encou- ›
ragement donné à l'agriculture , ont bientôt relevé
la population & l'ont fucceffivement portée
à l'état floriflant où elle fe trouve actuellement .
C. 2
( 52 )
Les revenus du Gouvernement , dit le même
Auteur , montent à 467,637 florins , & les appointemens
des Employés de la Compagnie des
Indes orientales , à 394,965 florins. Il affure
encore que chacun des 48 Bâtimens que la Com-`
pagnie envoie actuellement à Batavia , en emporte
environ 120,000 florins , argent comptant ,
& pour 300,000 florins de marchandifes .
DE BERLIN , le 23 Septembre.
Le Duc d'Yorck , le Lieutenant Général
Comte de Cornwallis , le Major Général
Grenville , les Colone's Fox , Goldsworthy
& Abercrombie font arrivés ici de Breflau ,
pour affifter aux manoeuvres d'Automne.
Après avoir paffé en revue le 10 , le Corps
d'Artillerie, & avoir été préſente à ſes exercices
,S. M. enfit exécuter de nouveaux par
des
régimens d'Infanterie & de Cavalerie , en
garnifon dans cette ville .
Le Roi de Pologne a nommé le fieur de
Zablocki , qui jufqu'ici étoit chargé d'affaires
, fon Réident à cette Cour , à laquelle il
vient d'être préſenté en cette qualité .
Le fieur Klipftein , Confeiller des finances
à Darmstadt , a inventé des machines auxquelles
il emploie la vapeur d'eau bouillante
, & qui peuvent être emploiées utilement
dans les fonderies , à la place des foufflets.
Probablement ces machines ne font autre
chofe que les Pompes à feu inventées par
MM, Wats & Boulton , & que ces fameux
( 53 )
Méchaniciens ont fait fervir en Angleterre à
tant d'ufages étonnans .
Le 23 Août if fe tint à Frauſtadt en Pologne
, un Synode provincial des Diflidens
Evangéliques. Le Comte d'Unruh , le Général
de Goiz & le Colonel de Schlichting
y étoient préfens. On y a arrangé diverfes
affaires relatives aux Proteftans , & lu la
derniere conftitution de Grodno , qui accorde
au Confiftoire Proteftant Evangélique
le pouvoir de faire exécuter fes décrets
militairement.
Le 16 , le Roi donna au Duc d'Yorck
une fête magnifique , confiftant en un grand
bal mafqué & un fouper. Tous les Miniftres
étrangers , tous les Officiers Pruffiens
ou Etrangers v furent invités. On avoit de
plus permis à tout Négociant & Bourgeois
de Beilin d'affifter au Bal maſqué , & plus
de 3000 d'entr'eux s'y rencontrerent. On a
admiré l'ordre , la propreté & la magnificence
de cette Fête.
S. M. vient encore d'affigner 50000 rixd.
pour relever les digues endommagées par la
derniere inondation de l'Oder.
DE VIENNE , le 24 Septembre.
L'on ne révoque plus en doute les contr'ordres
donnés aux nouvelles troupes en
marche pour les Pays - Bas , & l'on préfume
que tous les préparatifs de guerre feront fufc
3
( 54 )
pendus , puifque , dit on , les Hollandois fe
défiftent de leur demande de compenſation ,
& qu'ils fe foumettent à payer les fommes
exigées pour le rachat de Maëſtricht , les autres
points feront débattus , & décidés paiablement
dans les négociations repriſes à
Paris.
Quelques Valaques , échappés des prifons
de Carlsbourg , fe font réfugiés dans les
montagnes de la Tranfylvanie , où ils ont
commis quelques violences , probablement
très-exagérées . On a fait paffer un détachement
militaire dans les réduits de ces tranffuges
, afin de prévenir de nouveaux dommages.
Par ordre de l'Empereur , quelques- uns des
perfonnages d'Etat les plus habiles & les plus
dans la connoiffance des traités devoient travailler
à démontrer à toute l'Europe , d'après
l'accommodement préliminaire de Breflaw , &
le traité de paix fubféquent figné à Berlin entre
P'Impératrice Marie-Thérefe de glorieuse mémoire
, comme héritiere de l'Empereur Charles
VI , & S. M. le Roi de Pruffe , actuellement
régnant , combien les Hollandois étoient peu
fondés dans leur révendication au fujet des fommes
, pour le remboursement defquelles l'Empereur
Charles VI avoit hypothéqué la Siléſie ,
& qu'ils prétendent rabattre fur celles dont on
eft convenu pour le rachat de Maëftricht , puifque
dans ledit traité de 1742 , à l'article de la
ceffion de la Siléfie à la Pruffe , il eft ftipulé ,
d'une manière très-formelle & très-motivée ,
» que
le Roi de Pruffe renonce pour lui & pour
fes defcendans à toute prétention à la charge
( 35 )
de la Reine de Hongrie , & qu'il prend fur lui
toutes les fommes hypothéquées fur la Siléfie ,
& empruntées aux fujets de la Grande- Bretagne ,
aux Hollandois & aux Etats du Brabant ». Il
n'y eut jamais de claufe plus expreffe . Si alors
on trouva cette charge bien compenſée par l'avantage
& le produit que la Maifon de Pruffe
devoit retirer de la poffeffion de cette province ,
quelle raifon pourroit infirmer une claufe d'un
traité auffi folemnel , ſur- tour fi l'on cenfidere
combien le commerce & l'induftrié ont augmenté
depuis ce temps les revenus de la Siléfie.
On les évalue à cinq millions 854 mille
écus. L'état militaire exige une dépense annuelle
de deux millions 900,000 écus , l'état civil un
million 400,000 écus. I refte donc un net
annuel de 554,662 écus.
Cette difcuffion devient inutile , depuis que
la Hollande a abandonné fa prétention.
On écrit de Gratz , que le 2 de ce mois ,
il est tombé aux environs de Gnaff , de S.
Etienne & de Kirchbach de groffes pluies
qui ont fait déborder les rivieres de Saft &
de Schwarza , & qui ont abîmé toute la
campagne. On avoit répandu la fauffe nouvelle
d'un tremblement de terre qui venoit
de fubvertir la ville de Trente . Cette prétendue
catastrophe fe réduit à quelques fecouffes
très légeres .
On a publié à Lemberg & dans toute la
Gallicie la promeffe d'une gratification à
ceux qui fabriqueront des draps , étoffes de
laine , tapis & chapeaux des laines des Etats
héréditaires , & qui exporteront ces mar-
C 4
( 56 )
chandifes dans l'Etranger ; exportation encore
prodigieufement éloignée , puifque
nous fommes encore bien loin de pouvoir
fuffire à notre propre confommation.
DE FRANCFORT , le 30 Septembre.
Ce fut le 20 qu'arriva ici M. Boehmer ,
Confeiller privé du Cabinet de S. M. Pruffienne
, & fon Secrétaire de Légation aux
diverfes Cours de l'Empire. La femaine
précédente , il avoit féjourné à Mayence ,
où il eut une audience particuliere de l'Electeur.
Il s'eft préfenté antérieurement aux
Cours de Brunfwick , de Veimar , d'Anhalt ,
de Gotha , de Caffel , &c . pour le même
objet , favoir , la notification de la Ligue
Germanique , formée par le Roi de Pruffe .
Il fe confirme de toutes parts , que les
troupes de l'Empereur en marche pour les
Pays-Bas ont reçu ordre de ne point continuer
leur voyage jufqu'à l'arrivée de nouvelles
dépêches .
On affure que l'Empereur a mis en adminif
tration l'Abbaye de Fridolin à Seckingen , dans
l'Autriche antérieure , & qu'il a été afſigné à
la Princeffe Abbeffe un revenu annuel de 3,500
florins , & à chacune des 7 Chanoineffes 600
florins ; l'entretien, de la table & du fervice n'eft
pas compris dans cette fomme .
Diverfes circonftances font préfumer que
l'Electeur Palatin reprendra les biens donnés
aux Chevaliers de Malthe , & qu'il leur
( 57 )
fera des penfions annuelles pour leur en te
nir lieu .
Depuis cent ans , lit-on dans une lettre
d'Augsbourg , la population de cette ville
s'eft augmentée de 10668 ames. On y a
compté en 1683 , 23852 individus , & ce
nombre s'eft accru jufqu'en 1783 à 34520 .
Quelques lecteurs verront avec plaifir le
difpofitif de la Bulle d'or , fur laquelle le
Roi de Pruffe a fondé fa démarche , relative
à l'échange de la Baviere. L'article 25 de
cette Bulle ayant pour titre , de la conferva •
tion des Principautés des Electeurs en leur
entier, &c. &c. porte :
S'il eft expédient que toutes les principautés
foient confervées en entier , afin que la juftice
s'affermiffe , & que les bons & fideles fujets
jouiffent d'un parfait repos & d'une paix profonde
; il eft encore fans comparaiſon beaucoup
plus jufte que les grandes principautés , demaines
, honneurs & droits des Princes Electeurs
demeurent auffi en entier , car là il faut uſer
des plus grandes précautions , de peur que les
colonnes venant à manquer , tout le bâtiment
ne tombe en ruine .
CG 1º. « Nous voulons donc & ordonnons par
cet édit impérial , qu'à l'avenir & à perpétuité
les grandes & magnifiques principautés , telles
que font le Royaume de Bohême ,, le Comté
Palatin du Rhin , le Duché de Saxe , & le
Marquifat de Brandebourg , leurs terres , jurif
dictions , hommages & vaffellages , avec leurs appartenances
& dépendances, ne puiffent être partagées
, divifées ou démembrées en quelques fa¬
( 58 )
çon que ce foit ; mais qu'elles demeurent à perpétuité
unies & confervées en leur entier.f
2º. « Que le fils aîné y fuccede , & que tout
le domaine & tout le droit appartiennent à un
feul , fi ce n'eft qu'il foit infenfé , ou qu'il
ait tel autre grand défaut qui l'empêche abfolument
de gouverner ; auquel cas la fucceffion
lui étant défendue , nous voulons que le fecond
fils , s'il y en a un en la même ligne , y
foit appellé ; finon l'aîné des freres ou parens
paternels laics qui fe trouvera être le plus
preche en ligne directe & mafculine ; lequel
outefois fera tenu de donner des preuves continuelles
de fa bonté & libéralité envers fes
autres freres & faurs , contribuant à leur fubfiftance
felon la grace qu'il en aura reçue de
Dieu , & felon les facultés de fon patrimoine ;
lui défendant expreffément tout partage , divifion
& démembrement de principautés , & de
leurs appartenances & dépendances , en quelque
façon que ce puiffe être.
Le Duché de Baviere n'eſt point expreffément
compris dans cette difpofition , parce que , lors
de la promulgation de la Bulle- d'Or au mois
de janvier 1356 , il n'exiftoit que les quatre
Electorats laics qui y font dénommés . Le Du-,
ché de Baviere ne fut érigé en Electorat que
le 25 février 1623. L'indivifibilité des Electorats
n'en eft pas moins générale ; & il paroît
qu'elle doit s'étendre non- feulement à ceux qui
fubfiftoient alors , mais encore à ceux qui furent
& qui feront encore créés dans la fuite des tems.
On fait qu'on eft obligé de recourir aux
Grecs & d'envoyer à Andrinople les cotons.
que l'on veut teindre en rouge. Les Anglois
prétendent approcher depuis quelque tems
( 59 )
du fecret de cette teinture ; fecret dont on
peut apprécier l'importance , par les frais de
tranfport des cotons en Turquie. Un Pruffien
vient de s'annoncer en ces termes , comme
poffeffeur de cette découverte.
Le fieur Schutz fe propofe de publier , par
la voie de la foufcription , un Ouvrage dans
lequel il fera connoître le fecret de teindre le
coton en rouge , fans que la couleur s'efface . Il
affure que le coton de fa teinture , eft auffi beau
que celui de la Turquie , & qu'il revient moins
cher . L'Ouvrage fera orné de planches pour
l'intelligence du texte. La foufcription , pour un
exemplaire , eft d'un rixdaler & 8 groſchen , ou
5 1.7 f. de France . Voilà certainement un Inventeur
bien généreux.
ITALIE
DE MODENE, le 7 Septembre.
Le Duc notre Souverain vient d'abolir
par un Edit le Tribunal de l'Inquifition
dans toute l'étendue de fes domaines . Les
Evêques feront chargés à l'avenir du ſoin de
conferver la Religion Catholique dans fa
pureté , & de pourvoir à ce que les Hérétiques
ou gens foupçonnée d'héréfie , ne répandent
point des maximes contraires aux
faints dogmes , & tendantes à relâcher les
moeurs des fujets.
On a arrêté à Rome, conformément à la
demande de la Cour d'Efpagne , un ex - Jé
fite , qui réfidoit précédemment à Belo-
сб
( 60 )
gne , & qui s'étoit réfugié à Rome depuis
Femprifonnement du Comte Pignatelli avec
lequel il avoit des liaiſons. On ignore le
motif de la détention de ces deux perfonniges.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 24 Septembre.
Le Marquis de Carmarthen , Secrétaire
d'Etat , a remis au Comte de Lufi , Miniftre
du Roi de Pruffe , la réponſe de S. M. Brit.
à la Déclaration relative à la ligue Germanique.
Cette réponſe eft conçue en ces termes.
Le Roi a reçu avec plaifir la communication
que , par ordre de S. M. Pruffienne , le
Comte de Luft a faite au Lord Carmarthen des
fe ntimens de S. M. , relativement au Traité
figné à Berlin , le 23 Juillet ; Traité à la conclufion
duquel le Roi lui même , en fa qualité
d'Electeur , a bien voulu concourir.
Le vif intérêt que S. M. Pruffienne ne ceffe
de prendre au maintien de la conftitution Germanique
& à la confervation du Droit de chaque
Membre de l'Empire , ne peut que mériter les
plus grands éloges de la part des Puiffances ,
véritablement Amies du bien- être & de la propriété
de cette refpectable Confédération : &
en même tems que la Cour de Londres s'empreffe
à rendre cette juftice aux vues patriotiques
de S. M. Pruffienne , Elle fe flatte qu'aucune
entreprise , directe ou indirecte contre les
Droits reconnus du Corps Germanique ne
zendra jamais néceffaires les mesures de précau-
•
( 61 )
tion que les trois Cours Electorales ont jugé
à propos de prendre ; mais qu'à l'avenir l'harmonie
la plus folide fera rétablie & la plus
entière confiance fubfiftera pour toujours entre
l'Augufte Chef & les Illuftres Membres de
l'Empire.
A Saint James , le 9 Septembre 1785 .
L'Amirauté ayant mis en commiffion le
Trufty de 50 can. & le Phaeton de 38 can.
pour aller remplir la ftation de la Méditerranée
; ces deux vaiffeaux font fortis du havre
de Portſmouth , & fe font rendus à Spithéad.
L'Amiral Keppel s'embarque fur le Phaëton
, & paffe en Italie pour raifon de fanté ,
ainfi que nous l'avons dit précédemment.
Il eft encore incertain qui du Commodore
Gower , ou du Commodore Colby commandera
cette efcadre de la Méditerranée .
On préfume que le premier continuera d'accompagner
le Prince Guillaume - Henri , actuellement
Capitaine de la frégate l'Hébé, qui
a fait voile de Spithéad pour Gibraltar. Ce
fut le 14 , que le Capitaine Eufton , Commandant
de cette frégate , arriva de fa derniere
croifiere à Portſmouth . Il laiffa l'Hébé
fous les ordres du jeune Prince , qui fut nommé
Capitaine en pied à bord de la frégate.
L'Amirauté a donné au Capitaine Eufton le
commandement d'un vaiffeau de même force.
Le Prince n'a point débarqué depuis fon
inſtallation , & va s'occuper encore d'étudier
les devoirs de fon état.
L'un des motifs de cette nouvelle expédition
( 62 )
marines du Prince Guillaume- Henri eft de lui
procurer , dit- on , l'occafion de voir quelques
uns des plus beaux Ports de l'Europe . On veut
en même tems lui faire connoître l'Italie & les
Cours de Florence & de Naples. Il doit auffi
aller à Rome où il trouvera probablement fes
deux Auguftes oncles qui fe propofent d'y paffer
l'hiver. Ce Prince fera plufieurs croiſières avant
d'être porté fur la lifte des Amiraux. On veut
parer de la forte aux inconvéniens d'un avancement
prématuré & le mettre en état d'acquérir
préalablement les connaiffances qu'exige
un pofte de cette nature.
L'activité de cet augufte Marin , fon intelligence
, fon zèle , fa vigueur à fupporter les
fatigues , font efpérer à la nation de trouver
en lui un brave défenfeur de la sûreté & de la
gloire de l'Angleterre.
Il paroît un Réglement émané du Bureau
de l'Amirauté , lequel fixe le nombre
des troupes de Marine qui pourront être
embarquées à l'avenir fur tous les vaiffeaux
de guerre , à compter depuis les cutters jufqu'aux
vaiffeaux du premier rang. Ce nombre
fera réglé fur celui des matelots dans la
proportion de 1 à 1o , c'eft à - dire , que fur un
vaiffean où il y aura 10 matelots , l'on n'em-
Darquera que lo hommes des troupes de la
Marine .
3.
Le même Bureau de l'Amirauté a ordonné
la conftruction de 4 nouveaux vaiffeaux à
ponts : la quille en fera pofée auffi tôt qu'il y
aura de la place dans les chantiers de S. M.
On a achevé de grandes réformes dans les
( 63 )
Bureaux de la Marine & de l'Artillerie ; én,
forte que ces départemens feront conduits
avec beaucoup plus d'économie que cidevant.
Le Grampus de 50 canons a ordre d'appareiller
le plutôt poffible pour la côte d'Afrique ; quatre
cens foldats y compris l'artillerie , doivent s'em- ›
barquer à bord de ce vaiffeau pour renforcer
les garnifons des Etabliffemens anglois fur cette
côte. Les criminels transportés ne feront pointpartie
de ces 400 hommes.
On a reçu avis que le Worcester , de 64
canons , venant de l'Inde en Europe , eft
arrivé en bon état au Cap de Bonne- Efpérance.
Le Comte de Cornwallis , vaiffeau de
la Compagnie des Indes , eft arrivé hier à
Portsmouth fans accident.
On a appris par un Bâtiment marchand ar
rivé récemment de Quebec avec une riche cargaifon
de fourures , que le 3 Août , jour de fon
départ , tout étoit tranquille à Quebec , & que
le commerce de pelleterie avec les Nations Indiennes
avoit été très- encouragé par le Gouvernement
& très- avantageux pour la Nation.
Le foixante- cinquieme Régiment d'Infanterie ,
commandé par le Major Bukeridge , étoit arrivé
à Quebec le 22 Juillet , pour renforcer la gar-›
nifon . L'Etabliffement militaire de cette Province
doit être porté à 5200 hommes , indépens
damment de la Milice .
Le mariage entre le Duc d'Yorck , Evêque
d'Ofnabruck , & la Princeffe Charlotte -Eli- ,
fabeth Chriftine de Pruffe , petite- niece de
S. M. Pruffienne , eft , dit- on , pofitivement :
arrêté. Cette Princeffe eft dans fa 19me..
année.
3
་*
( 64 )
Un Planteur de la Jamaïque , dans une lettre
à un de fes amis à Glaſgow , en date du 7
Juillet de la préfente année , lui mande ce qui
fuit : Le Lord Rodney ayant pris dans la
derniere guerre un Vaiffeau françois venant de
l'Inde , fur lequel il trouva de jeunes plants &
femences deftinés pour le jardin du Roi à Paris ,
en fit préfent à des Planteurs de cette Ifle . Le
Camphrier ..... le Canelier , & une espèce
d'arbre à pain viennent admirablement bien dans
notre fol. On compte déja 50 jeunes plants. de
canelle qui ont été reproduits de bouture , &
je ne doute point que cette précieuse épicerie
ne forme bientôt un article d'exportation pour
la mere Patrie «.
Les Américains , difent plufieurs de nos
Papiers , ont recours à toutes fortes de ftratagêmes
pour déterminer nos Miniſtres à
contracter des engagemens de commerce
avec eux. Les lettres des maiſons Américaines
adreffées à nos marchands , les actes
ridicules publiés contre les importations
Angloifes , & les expédiens dont fe fervent
les divers émiffaires qu'ils ont dans ce pays ,
ne produiront aujourd'hui , graces au ciel ,
aucun effet . M. Pitt eft convaincu que fes
premieres idées fur cet objet , feroient ruineufes
pour l'Angleterre , & quelle que foit
la différence d'opinions du Miniftere & de
l'Oppofition , ils s'accordent fur le principe'
de maintenir inviolablement l'acte de navigation
.
M. George Baldwin a été nommé Conful - Général
au Grand Caire . Il étoit fimple Conful
fous l'Adminiftration du Lord North. Le Mi-
+
( 65 )
niftère actuel s'eft fait le plus grand honneur
en nommant à cette place un homme qui a
déjà facrifié une partie de fa fortune pour le
fervice de fa Patrie. C'eft à ſon induftrie &
à fa générofité que nous fommes redevables
de la confervation de nos Poffeffions dans l'Inde
; M- Baldwin ayant équipé à les frais un
Vaiffeau pour faire parvenir dans cette partie
du Monde le plutôt poffible la nouvelle rupture
entre la France & l'Angleterre. La Compagnie
lui a donné à la vérité quelques marques de
reconnaiflance , mais elles n'équivalent ni à fon
mérite perfonnel , ni à la générosité de fes
fentimens.
Les navires le Roi George & la Reine Charlotte
ont fait voile de Portſmouth pour la
mer du Sud , où ils vont faire des découvertes
, & tenter le commerce des fourrures.
A cette occafion , on a préſenté dans un Papier
public les réflexions fuivantes , qui pas
roiffent judicieuſes.
Le commerce de pelleterie que l'Angleterre
& la France veulent ouvrir avec la Chine , à
laquelle ces Nations fourniront des loutres des
Ines Kuriles ne leur promet pas de grands bénéfices.
L'exceffive longueur du voyage & les
dangers de la navigation dans ces parages ne
font pas les feuls obftacles à furmonter. Il eft
vrai que l'extrême rareté de ces marchandifes
les fera vendre d'abord à un très haut prix,
mais , du moment qu'elles feront devenues plus
communes , leur valeur ainfi que celle de toutes
les autres marchandiſes tombera , & les habitans
des Kuriles qui connoîtront mieux les goûts
des Européens , chercheront naturellement à en
hauffer le prix. D'ailleurs , on auroit tort de fe
#
( 66 )
fatter que la Ruffie verra d'un oeil tranquille
ces fortes d'expéditions qui feront confidérées
par elle comme un empiétement fur les droits.
Si elle n'en vient pas à des hoftilités ouvertes
avec ces Navigateurs étrangers , au moins eftil
très-probable qu'elle leur fermera fes Ports.
Dans un cas de détreffe , ils ne doivent s'attendre
à recevoir aucun fecours quelconque de
cette Puiffance. D'après ces confiderations , c'eft
beaucoup fi , fur dix Vaiffeaux expédiés pour
ces pays lointains , il en revient un en Europe .
On ne doit donc fe promettre aucun avantage
folide de telles fpéculations.
Les connoiffeurs en Peinture ont commis
récemment une lourde méprife à une vente
de tableaux. Il s'y trouvoit une mort d'Acteon
qu'on avoit taxée 30 guinées . Plufieurs ama◄
teurs l'ayant examinée , déclarerent unanimement
que ce prix étoit beaucoup trop cher.
En conféquence , on le réduifit à 15. Le célébre
Weft vit le tableau , & l'acheta 20 guinées.
Cette peinture ayant été nettoyée , s'eft
trouvée être du Titien. On en a déjà offert
à M. Weft 1500 guinées qu'il a refufées .
L'affociation de l'Electeur d'Hanovre au
Roi de Pruffe dans la ligue d'Allemagne , a
fuggéré à nos Folliculaires beaucoup de réflexions
fingulieres , dont celles ci ne font
pas les moins étranges .
Il n'eft pas douteux , ( difent plufieurs de ces
Précepteurs publics ) que le Duc de Brunſwick
Lunebourg auffi bien que d'autres Princes d'Allemagne
n'ayent intérêt de former une ligue
pour reftreindre la Puiffance de l'Empereur .
Mais fi l'Angleterre s'engage dans de nouvelles
( 67 )
guerres en Allemagne , ce ne doit être que
pour augmenter cette Puiffance & non pour
la diminuer. Si l'Allemagne n'étoit gouvernée
que par une feule tête , cet Empire feroit naturellement
l'émule & l'ennemi de la France.
Le Cabinet de Verfailles eft fi convaincu de
cette vérité qu'il travaille conftamment à maintenir
ce qu'il appelle les libertés du Corps Germanique
; c'eft-à- dire , à teir ce Corps dans
une divifion perpétuelle afin de l'affoiblir. Il
faut donc que M. Pitt , dans la conjoncture.
préfente , repete & tienne la parole que fon
pere avoit donnée au Parlement , en difant : «
Tant que j'aurai part au Gouvernement jamais
je ne confentirai a faire paffer en Allemagne
un feul homme ni une feule gui-
» née ».
La gracieuſe réception faite à M. Fox par
les habitans de Manchefter , & dont nous
ovons parlé l'Ordinaire dernier a donné lieu
avome po
à une remarque affez plaifante. Lorſque M.
Fox , a ton dit , fe trouve à Mancheſter , il
promet que fi jamais il revient en place, il ne
taxera point les Manufacturiers . Eft-il à Liverpool
? il promet de ne jamais taxer le
commerce . Dine- t- il avec le Corps des Epiciers
? il s'engage à refpecter les boutiques.
Eft- il fêté par les Banquiers ? il prend Dieu
à témoin de fes fcrupules fur les fonds pu-
Blics. Il multiplie ainfi fes promeffes felon la
compagnie où il fe trouve ; mais heureufement
, il peut bien ſe regarder , par la folidité
actuelle du Miniftere, comme n'étant pas fort
près du terme de les engagemens .
M. Pitt eft actuellement à Brighthelmftone .
( 68 )
•
Ses ennemis , difent fes amis , doivent éprouver
un dépit fecret en voyant l'étrange contrafte
que forme la vie avec leur conduite . Il reſpecte
trop fon caractere public pour s'affocier à de
vils efcrocs , joueurs de profeffion , ou pour
paffer les nuits dans les lieux où fe célebrent des
orgies fcandaleules. Il connoît la dignité de la
nature humaine & fon coeur lui dit qu'il eſt
né pour de plus nobles objets . Il Taiffe de
telles jouiffances à ceux qui font incapables de
fenfations plus délicates . Semblable à ces dignes
Citoyens de l'ancienne Rome , il confacre fes
memens de loifir à méditer des plans qui intéreffent
le bonheur & la gloire de fa Patrie. Un
Miniftre qui fait faire un emploi auffi fage du
tems , peut braver la calomnie , & fa conduite
fait taire la cenfure.
Ce qu'il y a de vrai , c'eft que l'apparition
de ce Miniftre à Brighthelmftone en a fait difparoître
la mauvaiſe compagnie lubitements
La famille de M. Fraine de Chelſea a été
pourfuivie par une finguliere fatalité . Le fils
aîné de ce particulier fe tua , il y a quelques
années , au Temple ( 1 ) à Londres . Sa fille
ayant eu de l'inclination pour un jeune homme
fort honnête & fort inftruit , fut pleine
ment payée de retour ; mais le pere qui ne
confidéroit , dans un établiffement , que les
avantages pécuniaires , refufa de confentir à
leur union , & la força de prendre , contre
fon gré , un autre parti. Son amant défefpéré
, paffa alors à la Jamaïque , où , ne
(1) College de Jurifprudence .
( 69 )
pouvant vaincre fa pallion , il fe brûla la
cervelle. La jeune Dame ayant appris la fin
malheureute , réfoiut de lui donner la même
marque de fidélité. E ' e écrivit à lon mari une
lettre , dans laquelle elle lui marquoit fa reconnoiffance
des égards qu'il avoit eu pour
elle , & lui témoignoit l'impoflibilité où elle
étoit d'y répondre . Après quoi , profitant de
fon abfence à Richmond , elle le tua d'un
coup de piftolet. Enfin , le pere qui étoit attaqué
d'une maladie reconnue incurable , eut
recours à un empirique , & fe trouvant chez
ce charlatan , une poutre vint malheureuſement
à tomberfur la tête ; il ne furvécut que
fort peu de tems à fa bleffure.
Des perfonnes verfées dans le commerce affurent
que plus de la moitié des bâtimens employés
dans le commerce maritime de l'Angleterre
avec les Colonies , eft de conftruction Américaine.
On a fait à cette occafion les remarques
fuivantes :
Ce fut en 1638 , qu'arriva dans la Tamife ,
le premier bâtiment de conftruction Américaine
ainsi qu'il appert des Regiftres du Confeil privé.
Pendant les troubles caufés par les guerres
civiles fubféquentes , le tranfport des productions
des Illes en Angleterre , fe fit entierement
fur des vaiffeaux de la nouvelle Angleterre
ainfi qu'on peut s'en convaincre en lifant les
Papiers publics d'alors que l'on conferve au Mufæum
.
L'acte de navigation leur confirma ce droit ,
en déclarant que les bâtimens conftruits à la
nouvelle Angleterre feroient reputés Anglois.
Le Chevalier Jofiah Child , peu après cette
( 70 )
déclaration avertit la Nation du danger prz
chain qu'il y avoit à permetre aux Colonies
de conftruire des bâtimens pour la Métropole.
·
Le Dr. d'Avenant repicenta en 1698 , que
fi nous láiffions cultiver à la nouvelle Angleterre
l'art de la navigation , ce feroit apprendre
à ces Colons a avoir une marine ; les mettre
en état de fe rendre indépendans , & de rendre
le commerce des Ifles- très- précaire , & enfin
enlever à l'Angleterre, une quantité d'ouvriers
qui feroient un vuide en cas de guerre.
Hélas ! nous avons affez vécu pour voir les
prédictions de ces deux Auteurs s'accomplir. Alors
comme aujourd'hui les déclamations des Ecrivains
Patriotes n'avoient que peu d'influence dans
les Confeils .
FRANCE.
DE SAINT-CLOUD , le 28 Septembre.
Le Comte de Scarnafis , Ambaffadeur de
Sardaigne , en long manteau de deuil , a
eu , le 27 de ce mois , une audience particuliere
du Roi , pendant laquelle il a remis
à Sa Majesté une lettre de notification de la
mort de la Reine de Sardaigne. Cet Ambaf
fadeur a été conduit à cette audience par let
fieur Tolozan , Introducteur des Ambaffadeurs
; le fieur de Séqueville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs
précédoit.
La Cour prendra le deuil le 29 pour trois
femaines , à l'occafion de la mort de la
( 71 )
Reine de Sardaigne ; dans ce deuil fera compris
; pendant trois jours . celui du Prince
Eugene de Carignan , dont la mort a été
notifiée au Roi par la Princeffe douairiere
de Carignan.
DE PARIS, le 4 Octobre.
Un Arrêt du Confeil d'état , du 3 Septembre
dernier , concernant les traitemens ,
penfions & gratifications attribués ou qui
feront deſtinés aux Savans & Gens de Lêttres
, porte ce qui fuit ;
1
Le Roi s'étant fait rendre compte de l'état où
fe trouvent les différens travaux Littéraires commencés
par fes ordres ou par ceux des Rois
fes Prédéceffeurs , a cra devoir porter fon attention
fur les moyens de proportionner à leur
utilité , les bienfaits qui doivent en être la
récompenfe , & d'empêcher qu'à l'avenir des
falaires fixes attribués à l'entrepriſe d'un Ouvrage
, n'en perpetuent l'objet au lieu d'en faciliter
l'exécution. Sa Majefté résolue d'affigner
tous les ans un fonds deftiné uniquement
à étendre les progrès de l'inftruction publique
, & à encourager les Savans qui peuvent
y contribuer , ne fe propofe aujourd'hui de furveiller
davantage l'emploi des talens que pour
pouvoir en accélérer les productions , en apprécier
le mérite , & régler en conféquence
la meſure de fes faveurs . Cette julle protection
qui honore le Trône autant que les Lettres ,
devenant ainfi plus utile , en même temps que
plus éclatante , augmentera l'émulation de ceux
qui les cultivent , & donnera un nouveau prix
( 72 )
aux grâces que Sa Maj té répandra ſur eux
avec autant de fatisfaction qu'ils auront d'empreffement
à s'en rendre dignes.
I. Les Savans & Gens de Lettres, qui , en vertu
d'ordres donnés par Sa Majesté ou par le feu
Roi , font chargés de travaux Littéraires pour
le quels its ont traitement , penſion ou récom
pente , feront tenus d'adreffer dans l'espace de
trois mois , à dater du préfent Arrêt , au Contrôleur
général des finances , des Mémoires fignés
d'eux , qui contiendront l'objet deſdits travaux
, la date des ordres qui les ont prefcrits ,
& le montant des traitemens , penfions ou gratifications
qui y ont été attribués.
!
3
II. Ceux qui n'étant plus chargés d'aucun Ou
vrage , jouiffent de penfions ou traitemens continués
par forme de récompenfe , enverront auffi
dans ledit terme au Contrôleur général des finances
, un Mémoire contenant le quotité, l'é…,
poque & les motifs defdits traitemens ou pen
fions.
#
III . N'entend Sa Majeflé rien retrancher aux
dons & graces accordés par Elle ou par les Prédéceffeurs
aux Gens de Lettres ; mais pour faire
parvenir le plutôt qu'il fera poffible à leur
fin les Ouvrages dont ces libéralités font le
prix , & affurer la plus jufte diftribution de celles
qu'Elle fe propofe d'accorder , Sa Majefté ordonne
que le fieur Bibliothécaire du Roi , &
le Magiftrat , chargé par le Chancelier ou . Garde
des Sceaux de France , de l'Infpection de la
Librairie , prendront connoiffance du progrès
des travaux Littéraires qui auront été ordonnés ,
des obftacles qui pourroient les retarder , ainſi
que des fecours qui leur feroient néceffaires ;
& en rendront compte à M. le Chancelier ou
Garde des Sceaux , au Secrétaire d'Etat que l'objet
( 73 )
jet du travail pourroit concerner , & au Contrôleur
général des finances , auxquels ils propoferont
ce qu'ils croiront convenable pour
accélérer lefdits travaux & les conduire à leur
perfection.
IV. Sur le vu des Mémoires & Comptes rendus
, mentionnés aux articles précédens , il fera
dreffé un état général des fommes à payer par
la Tréfor royal pour encouragemens , traitemens
, gratifications & penfions , aux Gens de
Lettres ; d'après lequel état Sa Majefté déterminera
, chaque année , les fommes qui continueront
d'y être employées , celles qu'Elle jugera
à propos d'y ajouter , & les remplacemens
de celles qui n'auroient plus d'objet.
V. Les nouvelles demandes qui auroient été
faites en chaque Départemen;, & les Mémoires
envoyés au Contrôleur général , tendant à obtenir
des encouragemens pour les Gens de Lettres ,
feront mis en même temps fous les yeux de
Sa Majesté : & d'après leur réunion , Sa Majesté
fixera tous les ans , en fon Confeil , la fomme
totale qui fera deſtinée , tant pour lefdits travaux
Littéraires , que pour les graces qu'Elle
voudra bien accorder aux talens les plus diftingués.
Un Edit de S. M. , du mois de Juillet ,
& enregistré le 30 Août au Parlement , a
fupprimé les fix Offices de Receveurs particuliers
des Impofitions de la ville de Paris.
Des Lettres - Patentes de S. M. de la même
date portent l'établiffement dans l'un
des Fauxbourgs de la Capitale , d'un nou-
No. 41 , 8 Octobre 1785. d
( 74 )
$
vel Hofpice pour les Vénériens . Voici les
termes du Préambule.
Par nos Lettres parentes du mois de Mai 1781
nous aurions jugé à propos de donner à l'Hô
pital des Enfans trouvés des marques particu
Heres de la proxection que nous devons à un
établiffement fi utile , en uniffant & incorporant
à cet Hôpital tous les biens appartenans
ci-devant à l'Hôpital Saint- Jacques ; par les
mêmes Lettres , & fur la repréſentation qui nous
a été faite par les Adminiſtrateurs de l'Hôpital
général , nous les avons autorisés à acquérir
inceffamment , pour & au nom de l'Hopital des '
Enfans trouvés , un lieu propre à recevoir &
traiter convenablement à leur état , tous les Enfans
qui , à mesure qu'ils feroient amenés à
cet Hôpital , feroient jugés avoir apporté en
naiffant le germe du vice vénérien . L'Hôpital
des Enfans trouvés s'eft conformé à nos intentions
, en fe chargeant , jufqu'à ce moment
de l'hofpice fitué à Vaugirard. Mais , fur ce qui
nous a été repréfenté par les Adminiflrateurs
de l'Hôpital général , que le traitement gratuit
adminiftré en la maifon de Bicêtre , aux Pauvres
de l'un & l'autre fexe , attaqués de la maladie
vénérienne , devient infuffifant , parce que
le local deftiné à cet objet , permet à peine d'y
admettre le tiers de ceux qui fe font journellement
infcrire pour y être traités , nous avons
penfé qu'il étoit avantageux de réunir des ſeours
i effentiels dans un même établiffement ,
moins éloigné de notre bonne ville de Paris ,
L'Adminiftration de l'Hôpital général , inftruite
de nos intentions , s'eft auffitôt empreflée de donner
de nouvelles preuves de fon zèle pour le
foulagement de l'humanité , en arrêtant , par
une délibération priſe au Bureau général tenu à
( 75 )
TArchevêché le 5 Août dernier , que dès que
notre intention étoit de la décharger de ces deux
oeuvres particulieres , elle étoit prête à verfer
annuellement , dans la Caiſſe du nouvel établiſſement
, une fomme équivalente à la dépense dont
elle fe trouvoit chargée jufqu'à préfent , tant
pour la maison de Bicêtre que pour l'hoſpice de
Vaugirard ; & nous- mêmes , en acceptant les
offres de ladite Adminiſtration , nous nous fommes
réfervés de fournir de nos propres deniers ,
s'il y a lieu , le fupplément des fonds néceffaires
, pour que le nouvel Etabliſſement formé par
nos ordres puille offrir en tout tems & fans
aucun retard , les fecours néceffaires aux Pauvres
de tout âge , & de l'un & de l'autre fexe
qui feront juges devoir être admis au traitement.
A CES CAUSE , &c.,
X4
S. M. , par une Ordonnance du 12 Juin ,
a prorogé pour deux ans , à compter du
premier Juillet dernier , le délai accordé aux
Déferteurs pour rentrer en France.
La Reine de Sardaigne , dont nous avons
annoncé la mort dans le dernier Journal ,
eft expirée le 19 Septembre , au Château de
Montcallier. Cette Princeffe dont la vertu ,
la piété, la réfignation ont fur -tout éclaté
pendant fa maladie , étoit née à Seville le
17 Novembre 1729. Elle a été ensevelie en
pompe à la Supergua , fépulture ordinaire
des Princes de la Maifon de Savoie.
L'Académie de Lyon avoit proposé en
1783 un prix de 1200 liv . , qui avoit pour
objet la Direction des Aeroftats : il ne s'a
d 2
( 76 )
giffoit pas feulement pour la folution du
problême , d'une théorie ; mais encore de
moyens pratiques & d'expériences fatisfaifantes.
Après avoir examiné avec l'attention
la plus réfléchie CENT ET UN Mémoires
qui lui ont été adreffés , cette favante Compagnie
a abandonné le fujet dans fa féance
du 30 Août dernier , fans adjuger le prix.
Les difficultés de cette folution , exceffi
vement embarraffante pour des Académies,
pour des hommes tels que MM. de Mont
golfier , M. Meufnier , M. de la Lande &
autres , n'ont jamais effrayé , comme on
fçait , les manipulateurs Aéroftatiques du
commun , ni les Enthoufiaftes qui les envoyoient
ravir la foudre à Jupiter. Prefque
dès l'origine de cette fameufe expérience ,
l'un de ces démonftrateurs mercenaires ofa
imprimer dans le Journal de Paris , qu'il
s'étoit paffablement dirigé avec des rames.
Ces impoftures & les inepties de quel
ques faifeurs de relations , avoient décrié
cette étonnante découverte , au point que
fes véritables admirateurs ont dû s'élever
contre la prostitution dont elle devenoit
l'objet, C'eft ce que nous avons fait , & jamais
nous n'avons prétendu faire autre chofe.
Voici l'occafion qui nous ramene une
fois pour toutes à cet objet, M. Blanchard ,
dont les relations valoient pour le moins
une fcène de Nicoler , eſt allé faire fes exercices
à Francfort, Delà , il nous a adreffé des
( 77 )
invectives , dans le ftyle élégant que tout le
monde lui connoît en même temps il á
averti l'Univers , par le Journal de Paris , "
que toutes les Cours de l'Europe s'arra
choient fa perfonne , & qu'une foule de
Princes accouroient pour l'admirer. Rien
d'étonnant dans cette conduite ; M. Blanchard
fait fon métier , & nous ferions fachés
de porter préjudice à fes affaires domeftiques
; mais il nous a paru fingulier que
d'autres que lui fe chargeaffent de nous communiquer
par l'impreffion ces ingénieufes
perfonalités . En conféquence , nous avons
pris la liberté d'adreffer la Lettre fuivante
aux Editeurs.
>> J'apprends , Meffieurs , par la fpirituelle
» Lettre de M. Blanchard , à laquelle vous
» avez donné cours dans votre Journal du
premier de ce mois , que l'Empire d'Alle
» magne eft affemblé à Francfort pour voir
» & pour entendre M. Blanchard . Il feroit
»
malhonnête de troubler un rendez - vous
fi impofant. Donc je ne répondrai point
» aux injures que M. Blanchard me fait
» paffer par votre minifiere , pas plus que
» je n'ai répondu à celles d'un Abbé , dont
» vous admites l'attaque indécente contre
moi , fans réfléchir à l'impoffibilité où
» vous feriez de publier ma réplique . Je
» fouhaite que les fuccès pécuniaires de l'Aë-
» ronaute répondent au brillant de fon expé-
» rience , & fur- tout qu'en qualité de cond
;
( 78 )
»
freres qui fe doivent des égards , vous
m'épargniez à l'avenir les groffieretés de
tous les empyriques de tout état , dont je
» fuis appellé à parler , malgré moi , comme
» l'on parle de la Chienne favante & des.
» Curiofités de la Foire Saint-Germain.
MALLET DU PAN
Ce premier d'Octobre 1785 .
Suivant les lettres du Dauphiné , le tremblement
de terre reffenti à Grenoble , le 12
Septembre , a été plus violent dans le haut-
Dauphiné , fpécialement à Briançon , fans
occafionner de dommages. Un angle du vieux
fort de Queiras s'eft écroulé ; mais depuis
long temps il menaçoit ruine. Dès les
premiers jours de Septembre il avoit regné
fur l'horifon une vapeur très fenfible , que
quelques heures de pluie ont diffipée.
La ville de Brienon - l'Archevêque en
Champagne a effuié le 6 Septembre , un
incendie défaftreux .
Le feu fe manifefta près d'une place de la
ville , nommée le Carré , en une minute quatre
maifons furent couvertes de flammes qui fe communiquerent
bientôt à 25 autres dont les toîts
étoient en chaume ; & en moins d'un quart d'heure
deux cent dix maifons furent la proie des flammes
, dont le volume & l'activité , rendirent impuffans
tous les efforts qu'on put oppofer à 1urs
progrès.
( 79 )
Malgré la précifion & l'intelligence des or
dre , malgré la vigilance des Officiers Munici
paux , & les efforts réunis des habitans de Brienon
& des campagnes voifines , en un quart d'heure
toutes les maifons fur lesquelles la flamme s'étoit
portée ont été réduites en cendres ; & les
peines que l'on s'eft données , n'ont eu d'autre
fuccès que de parer à la deftruction de l'autre
moitié de cette malheureuſe ville.
ဘ
Plus de 600 habitans , bourgeois , fermiers &
laboureurs , n'ont eu le tems que de fouftraire'
leurs perfonnes à la fureur de cet incendie , qui a
dévoré en un inftant leur récolte & leur efpérance.
´›› A ces maux s'en eft joint un autre qui , quóique
moins grand , devenoit dans la circonftance
un malheur réel ; c'eft l'impoffibilité où l'on
s'eſt vu de fournir à la fubfillance , tant des incendiés
, que des habitans des campagne, accourus
par milliers , & s'occupant avec ardeur au lecours
de leurs voifins . Les farines & le pain cuit
le matin avoient éte confumés dans les flammes
de forte qu'à huit heures du foir il n'y avoit pas
dans la ville un feul fac de farine , pas même un
feul pain .
» Mais fur la nouvelle de l'incendie , répandue
à Sens , à Joigny & à Saint Florentin , l'humanité
bienfaifante avoit pourvu diligemment
aux fecours de premiere néceffité ; & pour faire
l'éloge des perfonnes de qui ces malheureux les
ont reçus , il fuffira de les nommer. Le Cardinal
de Luynes , Archevéque de Sens , dont l'Intendant
courut prendre & exécuter les ordres pour
diftribution d'une quantité de pain & de vin ,
MM. les Officiers Municipaux de Sens , M, le
Subdélégué de Joigny , les habitans de Saint-
Florentin , qui firent fur le champ voiturer des
d 4
( 80 )
denrées à Brienon ; M. le Chevalier de Grand ,
Seigneur d'Efnon , témoin & occupé à cette in²
cendie , qui fit diftribuer fur le champ tous les
fecours provifoires qu'il pot , & qui a depuis
continué , ainfi que S. E. à foulager les victimes
de ce défaftre.
Ce n'eft que le Dimanche 11 , que l'on eft
parvenu à éteindre abfolument le fea ; les pierres
des murailles qui ont resté fur pied font calcinées
au point qu'il fera impoffible de les répa-
On évalue la perte à plus d'un million .
rer ».
L'attention qu'ont donné nombre de
lecteurs au projet de M. de la Roque , expofé
dans le Journal du 13 Août , a obligé
Autear à des développemens intéreffans ,
dont il nous fait part en ces termes :
La Lettre que vous avez intérée , Meffieurs ,
dans votre Journal du 13 Août , ne contenoit
que des voeux pour le bonheur d'une
claffe précieufe , celle des Ouvriers & des
Journaliers. C'étoient des idées jettées dans
le Public , afin que des hommes moins oc
cupés & plus habiles puffent y confacrer
leurs loisirs. J'étois loin de foupçonner ,
qu'une lettre qui promettoit plus qu'elle ne
démontroit , fût capable de faire concevoir
à ces malheureux des projets d'économie.
Je difois que pour jouir à 60 ans de 150 1 .
de rente viagere , il falloit placer tous les ans
une livre quinze fous cinq deniers à compter
de la naiffance. Je parcourois ainfi plufieurs âges
de la vie. Il en réfultoit pour tous , qu'une épar
gne journaliere de quelques deniers , fuffifoit
( 81 )
·
pour préferver la vieilleffe des horreurs de la
mifere.
L'humanité s'eft intéreffée à l'exécution de ces
vues. Des Maîtres & des Propriétaires fonciers
ont rendu fenfibles à leurs journaliers, les avantages
que chacun d'eux devoit attendre de l'économie
la plus modique. Ils leur ont fait prendre
la réfolution de mettre en referve quelques
deniers chaque jour . Ils font déjà les dépofitaires
de leurs épargnes ; & des lettres venues des
extrêmités même du Royaume , demandent que
je leur indique une Caille à laquelle ils les puiffent
verfer , ou que je leur rédige un plan d'établiffement
qu'ils puiffent exécuter dans leurs
cantons.
Cet établiffement préſente à fa naiſſance deux
objets principaux : le calcul de ces rentes & leur
adminiftration.
La partie du calcul fe réduit à des tables. It
en faudra une , où l'homme le moins habile
puiffe fuivre d'année en année , depuis la naiſſance
jufqu'à l'âge de 20 ans , la progreffion de la rente
à laquelle il afpire. Cette table lui fera connoitre
l'étendue de fes droits s'il veut fa rente
avant l'âge pour lequel il fe fera promis d'ens
jouir.
"
Une feconde , où il puiffe voir ce qu'à compter
de chaque âge , il auroit à placer tous les ans
pour jouir de cent mille livres de rente viagere fur.
une feule tête à tel âge de la vie qu'il voudra choifir.
Une troisieme , cù il puiffe apprendre ce qu'il
auroit à payer chaque année , pour acquérir une
femblable rente fur plufieurs têtes de même Age ,
ou d'âge different.
Une quatrieme , où il puiffe voir à chaque
âge de la vie , ce qu'une fomme , payée une feule
ds
7
( 82 )
fois , doit valoir de rente viagere , au bout d'un
certain nombre d'années , pendant lefque les il auroit
été fans jouiffance.
Une cinquieme , où il puiffe juger d'année en
année , ce que vaut de capital la rente dont fes
épargnes l'auront déjà rendu propriétaire.
Enfin une fixieme , où il puiffe voir ce que
es mêmes économies lui procurercient de rentes perpétuelles
, s'il les préféroit aux rentes viageres.
Avec ces tables , il aurcit le choix de trois en
peces de rentes : les perpétuelles , les viageres
fur une feule tête , & les viageres fur plufieurs
têtes . Elles feroient précédées d'une inftruction
qui en rendroit l'ufage fimple & facile pour les
Curés de la campagne , les Fermiers & les Maîtres.
Cette partie a déjà l'Académie des Sciences
pour garant des principes qui en font la bafe.
Elle a fait imprimer , fous fon privilége , en
1779 , un graité des rentes viageres par M. de
S. Cyran , & vingt ans avant moi , un Académicien
célebre , M. de Parcieux , avoit déjà fuppofé
un enfant de trois ans , propriétaire d'une
rente viagere de 6. 1. 8 f. 6 den. qu'il remplace
tous les ans en viager. Cette rente eft de fix millions
cent trente- quatre mille foixante- neuf livres
dix neuf fous deux deniers , lorfqu'il arrive à l'âge
de 94 ans. J'ai fuivi les tables du premier &
les méthodes du fecond.
· Un établiffement qui auroit ces rentes pour
objet pourroit être appellé la Caiffe de l'épar
gne des Journaliers. Ce titre peu faftueux exprimeroit
que tout y eft facré. L'utilité dont il
feroit , donne le droit de croire qu'il fera exécuté.
Il ne faut qu'en montrer la poffibilité.
Ici donc , les objets deviennent plus impormans.
Ce ne font plus des tables à drefer. Il fau
( 83 )
dra indiquer les moyens de faire verfer de toutes
les Caiffes des Provinces , à une Caiffe gé
nérale qui feroit à Paris , la totalité des économies
qui y feroient déposées. Cette partie de
l'Adminiftration peut être établie fur le modele
de la recette des Impofitions. Des milliers de
contribuables payent des taxes de 15 à 20 fous
pour leurs tailles & leurs vingriemes . Les plus
modiques fommes que ces Caifles recevroient fe-
Foient de 237 den . * . C'est ce qui doit être
payé à compter de la naiffance , pour jouir à 60
ans de 1001. de rente viagere. Ces articles fe
roient les moins nombreux , a compter de l'âge
de 10 ans , on doit déjà payer 48 f. 5 den.
Il faudra faire connoî : re encore la maniere
dont les fonds de cet établiffement feroient
employés , afin qu'ils ne fuffent jamais fans produire.
L'emploi en pourroit être fait dans les
Monts de Piété ; dans les fonds fournis par les
Fermes & les Adminiftrations Génerales ; dans
F'acquifition des créances , fur les Provinces des
Pays- d'Erat ; dans les Cailles d'amortiffement
&c. & c. &c.
Il faudra preferire des formes fimples , pent
coûteuses , & à l'abri de toute fraude , pour conftater
la propriété de ceux qui auront placé leurs
économies dans cet établiffement . Cela fe peut
réduire à de: Regiftres dont les doubles feroient
déposés dans les Greffes , & dont il feroit délivré
aux Parties intéreffées des extraits en forme
de Reconnoiffance. Il existe un nombre infini de
fommes dont la propriété n'eft pas différem
ment prouvée. M. de Paſcieux qui avoit eu l'ï-
" On a compris dans ces fommes les frais de l'établis
femens,
d6
( 84 )
dée de rentes viageres * , croiffantes au principal
der à 600 l. a donné des avis très - utiles far les
précautions qu'il conviendroit de prendre.
Enfin , il feroit rendu tous les ans un compte :
public , où l'on verroit le montant des fommes
& leur emploi.
Quand ce plan général fera dreffé , il ſe peut
que l'établiffement ne foit jamais exécuté. Mais
au moins les Citoyens qui ne demandent qu'à
exercer leur zèle , auront - ils un guide pour les
Sociétés particulieres qu'ils defirent former , &c.
De la ROCQUE ,
Ancien Avocat au Parlement de
Paris , Valet-de-Chambre.
de la Reine.
P. S. Je prie ceux qui me font part de leurs
obfervations ou qui me communiquent leurs
vues , de vouloir bien faire attention que dans une
correfpondance de cette nature , je ne dois recevoir
que des lettres affranchies . Je refuſerai
celles qui ne le feront pas.
Voici un projet moins important , mais
qui intéreffe un grand nombre d'habitans &
d'habitantes de cette Capitale. C'est une de
ces dernieres qui l'a imaginé , ou plutôt
qui a exprimé les regrets d'une infinité de
gens , à la vue d'une Métropole immenfe
prefque dépourvue de ces beaux Quarrés
ou places publiques qu'on rencontre à chaque
pas dans Londres.
Paris s'agrandit tous les jours ; le nombre de
* M. de Parcieux obferve que l'augmentation de ces
rentes ne devroit être pernife que jufqu'aux dges de 75 d
80 ans, Après ces âges la progreffion devient trop rapide :
( 85 )
.
fes Habitans va toujours en croiffant. Les précautions
pour conferver la falubrité de l'air &
les facilités pour les Promenades devroient , ce
femble , fe multiplier à proportion dans cha→
que quartier. Cependant le Boulevard eft devenu
une rue plantée. Le Palais - Royal eft
referré de tous côtés; les jardins des plus beaux
Hôtels fe rempliffent de bâtimens , on craint
toujours que le peu qui refte de ces jardins ne
devienne encore un objet de fpéculation ; l'on
paroît retrancher un jardin dans la Ville , des
jouiffances attachées à la richeffe, & detous côtés
en entaffe pierre fur pierre. Pour prendre l'air,
& faire de l'exercice , les gens riches vont au
loin en voiture ; mais les pauvres vieillards
mais les enfans du peuple , n'ont pas de relfource.
Où promener cette claffe fi nombreuſe ?
Ira- t -elle de tous les quartiers fur les Boulevards
? Des meres occupées tout le jour au tra
vail iront- elles le foir porter au loin leurs
enfans , conduire leur pere infirme au travers
des rues embaraffées ? Cela eft impoffible ; auffi
la plupart des enfans font-ils noués , ou faut-il
les laiffer au loin dans des fevrages difpendieux .
Il faudroit donc pour le peuple qui ne fauroit
quitter le centre de Paris des efpaces bien acres ,
par exemple dans le quartier refferre & infect
de l'ancienne Comédie Italienne ; y faire un'
jardin appellé le jardin du Citoyen. Un gazon
dans le milieu ; quelques rangées d'arbres ; quel
ques bancs abrités en cas de pluie , ou de trop
grand foleil ; rien qui mérite affez de foin pour
en exclure aucune claffe & que la ftatue feule
du donateur foit dans le milieu , avec une inf
cription ; le nom de ce Citoyen bienfaifang
feroit béni à jamais , fon exemple en entraî
heroit d'autres ; mais le fien feroit fur toutes les
'
1
( 86 )
lévres , dans tous les coeurs comme le premier
moteur de ces établiffemens falutaires .
L'Académie des Siences , Belles Lettres
& Arts de Rouen a tenu une féance pubiique
, le 3 Août dernier , pour la diftribut'on
des Prix .
I
L'Académie avoit propofé l'année derniere
la Queftion : Pourquoi le plus grand nombre des
Médailles , trouvées dans la Normandie , &
ticulierement dans la Baffe , font - elles des Artonins
? La Compagnie ne fe trouvant pas dans
le cas d'adjugr la Couronne , a prorogé le
Concours pour l'année prochaine.
Elle avoit auffi propofè la Queſtion fuivante :
Quels font les moyens de porter l'Encyclopédie au
plus haut degré de perfection ! L'Académie a cru
devoir couronner celui dont l'Auteur eft , M.
Marie de Cetrai , Avocat au Parlement , demeurant
à Nantes.
L'Acceffit a été accordé au Mémoire du Docteur
Tomacereau à Versailles , ayant pour é
pigraphe Tempore , concordid ingenioque.
L'Académie avoit , pour la feconde fois , prorogé
à cette année le Concours à un Prix extraordinaire
pour quiconque établiroit , le plus
exactement , les caracteres diftinctifs entre les
diverfes terres vitrifiables . Ce prix a été adjugé
au Mémoire de M. de Ribaucourt , Maître en
Pharmacie à Abbeville.
La Compagnie avoit offert un Prix extraordinaire
à une Méthode certaine & facile pour
faire du Cidre & du Poiré de la meilleure qualité.
Ce Prix a été partagé entre l'Auteur du Mémoire
, par M. Morife , Affecié- Libre de la
Société d'Agriculture de Rouen , & ce'ui d'un
fe ond Mémoire , par M. de Villiers , de S.
Dizier.
( 87 )
Le Prix double , qui avoit pour objet les
moyens de referrer le Canal de la Seine , depuis
Villequier jufqu'à la Mer , afin de creufer fon lit ,
& de le débarraffer des bancs changeants qui s'op
pofent à la Navigation , a été décerné au Mémoire
, dont l'épigraphe , eft Oraculi fortem vel
elufit , vel implevit.
Dans le Tirage des 400 Primes attribuées
aux deux mille Billers de la Loterie Royale
établie par Arrêt du Confeil , du 29 Octo
bre 1780 ; tirage exécuté le lundi 19 Septembre
dernier, les principales Primes font
échues aux Nos fuivans ; favoir celle de
25000 liv. au No. 643 ; celle de 40000 liv .
au N°. 779 ; celle de roooo liv . au No. 363 ;
celle de (oooo liv. au N°. 26516 ; celle de
15000 liv. au N°. 409 ; celle de 20000 au
No. 755.
:
Les Chanoines Réguliers de la Trinité , dits
Mathurins , & les Religieux de la Merci , viennent
de racheter trois cens treize Efclaves ,
dont la rançon , avec fes fuites , excède la
fomme de fept cent mille livres . Malgré leurs
généreux efforts , ils n'ont pu couvrir entièremenr
, des fonds de leurs caiffes , une femme
auffi confidérable ; de forte qu'ils fe trouvent
fort arrièrés par les emprunts qu'ils ont été
dans la néceffité de faire pour confommer ledit
rachat. Un Homme de Lettres a confacré , à
cette oeuvre fublime , une partie du fruit de
fes travaux ; il en a fait agréer l'hommage à
M. le Général des Mathurins , dans une lettre
éc rite avec nobleffe , & à laquelle le Général
a répondu de même. L'Ouvrage dont l'Auteur
confacre le quart de la recette à la rédemption
( 88 )
des Captifs , eft intitulé Variétés Littéraires , Hif
toriques , & il paroît deux fois par mois. La
foulcription des 25 cahiers par année , eft de
24 livres pour Paris & de 30 livres pour la'
Province. Chez M. Siredey de Grand- Bois
Chef du Bureau , rue neuve Sainte-Catherine.
N°. 21. S. M. a foufcrit pour 50 exemp'aires.
- Le éloges de M. de la Chalotais destinés
au concours , & annoncés dans le pénul- ;
tieme N°. , feront adreffés francs de port
à M. Robiquet , Libraire à Rennes , place
du Palais , qui les remettra au Secrétaire,
perpétuel de la Société patriotique de Bretagne.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le i de ce
mois , font : 20 , 32 , 71 , 74 , & 73.
PAY S - B A S.
DE BRUXELLES , le 3 Octobre.
D'après les lettres de Paris , c'est le 20
Septembre que l'accommodement entre
l'Empereur & la Hollande fut convenu chez
l'Ambaffadeur Impérial , en préfence de
M. le Comte de Vergennes , faiſant les fonctions
de médiateur. Tous les articles , ditfurent
débattus & arrêtés ; mais ils ne
feront rendus publics , qu'après la ratification
des Cours refpectives . On n'eſt donc
qu'imparfaitement inftruit de la nature de .
cette conclufion . Elle confifte , felon le
( 89 )
bruit du moment , en une renonciation de
l'Empereur à fes droits fur Maëltricht , & à
la navigation illimitée de l'Efcaut jufqu'à la
mer ; mais les bâtimens Flamands navigueront
fans obftacle jufqu'à Saftingen , & les
Forts Hollandois qui commandent le fleuve
dans fon cours jufqu'à Saftingen feront dé
molis. De leur côté , les Etats- Généraux
donnent à l'Empereur dix millions de flo
rins de Hollande , en indemnité des précédentes
renonciations.
Le famedi , 24 Septembre , un courier.
arrivé de Paris à la Haye , a apporté à Leurs
Hautes Puiffances la nouvelle de cet accommodement
; accommodement que les
gens éclairés n'ont jamais révoqué én doute
, malgré les démonftrations guerrieres
qui faifoient préfager une rupture immé
diate. La République ayant renoncé à fes
prétentions fur une compenfation du rachat
de Maëftricht , tous les obſtacles ont été
levés.
Le 27 Septembre dernier le Baron de
Thulemeyer , Envolé extraordinaire du Roi
de Pruffe auprès des Etats Généraux , a remis
à leur Préſident de ſemaine deux lettres
de S. M. P. , l'une adreffée aux Etats - Généraux
, l'autre aux Etats de Hollande , relatives
toutes deux aux intérêts du Prince
d'Orange , & dans lefquelles le Roi de
Pruffe , à ce qu'on dit , s'offre comme médiateur
entre les Etats & le Stathouder.
( 90 )1
Les Etats de Zélande viennent de manifefter
dans une réfolution du 12 , dont nous
rapporterons la fubftance l'ord naire pro-)
chain , des fentimens très oppofés à ceux de
la Province de Hollande fur la Pacification,
Ils fe plaignent de l'énormité des facrifices
fur tout de la fomme à délivrer à l'Empe
reur, & finiffent, un peu tard , par offrir à
la République leur dévouement , en cas
qu'elle prenne le parti de la réfiftance.
•
2
&
Dans l'inftant nous recevons le précis des
articles préliminaires de l'accommodement
figné à Paris , entre l'Empereur & les Etats-
Généraux ; voici la fubftance de ces articles.
que nous rapporterons en entier par la fuite .
Her. LL.. HH . HH. payeront 9,500,000 flo.
pour compenfation de Metricht & c.
500005 pour dommages des inondations. Les
palem as fe feront par 1,250,00 > flo. de 6 en
6 mois . II. LL. HH , PP. céderont Dilem
avec fes appartenances , excepté Ooft Er Cadier ,
pour échange convenable dans le pays d'Outre-
Meufc. III. Les limites de Flandre resteront
comme en 1664. IV. Eft relatif à la conſtruction
d'Eclufes. V. Indemnitation des so0,000 flo .
ci-defus pour les inondadons. VI. La Souveraineté
de l'Empereur reconnue fur l'Escaut
jufqu'au bout du pays de Saftingen conformement
à la ligue de 1664. VII . Evacuation &
Demolition des Forts Kruifchans , & Frederic-
Henri & ceffion du terrein à S. M. 1. VIII .
Evacuation & Ceffion à l'Empereur du Fort
Lillo & Liefkenshoek qui feront remis dans leur
état actuel à S. M. I. en retirant toutefois
( .91 .)
PArtillerie & Munitions. IX X. Ceffion par
rEmpereur de fes droits fur les Villages dits
de Redemption , ( article pris ad referendum par
M. de Merci ) . XI . Renonciation de l'Empereur
à fes prétentions fur les Villages de Blade! &
Reuffel. XII . Ceffion par LL. HH . PP. du
Village de Poftel ( pris ad referendum par les
Ambaffadeurs de la Républiqne ) . XIII . Abolition
de toutes prétentions pécuniaires de Souverain
à Souverain , & nomination de Commiffaires
pour celles des particuliers . XIV. Nomination
de Commiffaires pour les limites du Brabant.
XV. Le traité de Munster de 1548 fervira de
bafe au futur traité définitif.
Le Chevalier Harris , Envoié extraordi
naire de la Cour de Londres , ayant remis ,
depuis quelques mois , un Mémoire au Préfident
des Etats Généraux , on lui a fait la
réponſe fuivante :
Ayant été délibéré par réfomption , für un ›
Memoire de M. le Chevalier Harris , Envoyé-
Extraordinaire de la Cour de Londres , préfenté
le 21 Janvier de cette année à L. H P. , par
lequel il prioit qu'on donnât connoiffance du
nombre & de la Force des Navires de Guerre
que l'Etat avoit deffein de tenir dans les Indes-
Orientales : Comme auffi fur le Rapport
porte le 26 Juin de l'année derniere , à l'AIfemblée
de L. H. P. , fur une Lettre des Am··
bafiadeurs de la République à Paris , touchant
la communication faite par le Miniftre de la
Grande - Bretagne , M. Hailes , d'une Propofition
de M. le Comte d'Adhémar , Ambaffadeur de
France , au Miniftere Britannique , tendante à
une reduction égale de la force maritime des
deux Puiffances aux Indes , & à la concur
( 92 )
rence des Etats- Généraux à cette Propofition ,
Il a été trouvé bon & arrêté , qu'il fera répondu
à M. le Chevalier Harris fur fondit
Mémoire : Que L. H. P. font très- portées
» à donner les ouvertures demandées , fur le
» nombre & la force des Vaiffeaux de Guerre
que la République jugera néceffaire à la pro-
» tection convenable de les Poffeffions très - étendues
aux Indes attaque injufte dentales , tant contre toute
Princes du Pays , que pour
empêcher lé Commerce de contrebande :
Dans l'attente raifonnable , que M. le Chevalier
Harris ne fera point difficulté , de ſon
» côté , de donner , dans le même tems , les
mêmes ouvertures à L. H. P. de la part de
fa Cour ».
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
Deux frégates & un floop Anglois viennent
tous les jours à cinq heures du foir louvoyer devant
la rade de Cherbourg , pour obſerver tout
ce qui s'y paffe ; on ne les empêche pas de s'approcher
le plus près qu'ils peuvent. On a dépenſé
dans la derniere campagne trois millions ,
employés à la paye de 500 ouvriers. Ce font des
navires Hambourgeois , Danois & Suédois quit
apportent toutes les pieces de bois avec lefquels
on conftruit les caiffes coniques , toujours fous
la direction de M. de Ceffard , pour ce qui regarde
la Charpente & les ouvrages de terre ; & de'
M. de la Bretiniere pour ce qui concerne les
travaux commencés fur la mer, M. le Duc d'Harcourt
préfide à cette entrepriſe qu'il vifite trèsfouvent
, & dont il encourage les ouvriers avec
lefquels il a paffé le Printems & l'Eté . Des maffifs
de pierre > précipités entre les cônes , ou les
( 93 )
H
bas de 50 toifes en 50 toiles , s'éleveront en talus
, qui aura dans la baſe 70 pieds de largeur,
50 de fuperficie , ſur 25 , 30 , 35 , 40 , 45 , 50,
55 & même 60 pieds de hauteur , fuivant que la
mer tera plus ou moins profonde dans les endroits
que remplira la chauffée bâtie d'un granite
groffier très- dur & formant une espece d'enceinte.
Il y aura trois paffes : la premiere vers le
fort Hommet ; la feconde auprès de l'ifle Pelée ,
& la troifieme fera couverte du fort de Querqueville.
Il avoit d'abord été décidé qu'on placeroit
des cônes de proche en proche & qu'on
les réuniroit avec de fortes chaînes qui auroient
favorifé le flux & reflux des marées ; mais on
a prétendu qu'une chauffée feroit plus folide
pour nettoyer la rade comme le pourroit faire
un fleuve . Voici ce qu'on fe propofe d'exécuter.
On creuſera en baffin dans la prairie derriere
Querqueville , la marée montante le remplira :
alors on fermera des éclufes qui feront ouvertes
à la baffe marée. Le torrent d'eau lavera le port
& le fond de la rade. Gazette des Pays - Bas n .
LXXVII.
Il y a à Leyde une Auberge où s'affemblent
les foirs différentes perfonnes des deux fexes ,
dans la claffe moienne des bourgeois. On y
trouvoit des Patriotes & des Anti-Patriotes ; on
y parloit liberté , politique , &c. & tout s'y
paffoit affez tranquillement. Mais Lundi der
niet , Mrs. du Corps-Franc de cette ville font
venos en nombre & armés , affaillir les Anti-
Patriotes , qu'ils ont alfommés de coups de bâton
, de fabre , &c. fans faire grace aux femmes.
Une d'entr'elles a été fur - tout cruellement
maltraitée & trainée fur le pavé . On dit
dit que M. le Grand - Officier eft occupé à pren
( 94 )
dre des"informations. [ Courier du Bas - Rhin;
N°. 77: 1
Caufe extraite du Journal des cauſes célébres [ 1 ],
Efcroc condamné aux Galeres.
La Capitale , dit M. Défeffarts , offre chaque
jour des exemples d'escroqueries . Le luxe & la
débauche y ont corrompu les moeurs de prefque
toutes les claffes de la fociété. Il n'eft donc pas
étonnant qu'on ait fouvent recours au crime
peur fatisfaire les befoins du vice . Un féodifte
vient d'y donner des exemples d'une adreffe bien
hardie. Il n'imitoit pas ces efcrocs qui fuient les
regards , il les bravoit . Voici les moyens qu'il
employoit pour obtenir les fuccès qu'il fe promettoit
de fa perfide adreffe. Cet efcroc , qui
fe nomme Duval de Berville , ne trouvant pas
fon état de féodifte affez lucratif, avoit corçu
le projet d'y joindre les profits qu'il pourroit
faire fur le commerce de chevaux . Il alloit au
marché public ; & comme fes dehors en impofoient
aux marchands , il parcouroit des yeux
les plus beaux chevaux . Lorsqu'il en avoit trouvé
un qui remplifoit les vues , il convenoit de prix ,
& demandoit à effayer le cheval . Pour infpirer
la confiance , il commençolt par fe nommer ;
mais il fe gardoit bien de doaner fon véritable
nom. Le marchand prévenu en fa faveur , le
voyoit avec plaifir monter fur fon cheval . L'ef-
[1 ] On fcuferit en tout temps pour le Journal des
Caufes célebres , chez M. Defellarts , Avocat , me Dall
phine ,Hôtel de Mouy , & chez Mérigot leje n:, Libraire,
Quai des Auguftins . Prix , 18 tiv, pour Faris , & 84 liv.
pour la Province.
( 95 )
croc ; étant mai tre de fa proie , alloit d'abord au
pas ; enfuite , lorsqu'il étoit à une certaine diftance
, il prenoit la fuite au grand galop. Le
marchand ne voyoit d'abord dans ces effais ,
qu'un amateur inftruit ; mais ne l'appercevant
plus , & l'attendant en vain plufieurs heures, il reconnoiffoit
trop tard qu'il étoit victime d'une
fcroquerie . Duval de Berville ne s'eft pas bornée
à exercer ſon funefte talent une feule fois , Le
fuccès l'a enhardi , & il l'a répété jufqu'à trois
fois dans le marché aux chevaux même. En
fortant de cet endroit public , il alloit chez des
felliers & il parvenoit à faire avec eux un
échange avantageux des felles qui étoient fur
les chevaux qu'il avoit efcroqués . Lorfque la
felle neuve . étoit fur le cheval , l'efcroc moncoit
deffus pour l'eflayer. Le fellier confint
voyoit partir l'acheteur ; mais ne le voyoit ja
mais revenir.
"
Duval de Berville étoit dans l'habitude de quit
ter toutes les maifons où il logeoit , fans payer.
Dans une de ces maiſons il avoit fait connoilfance
avec une femme qui avoit un mobilier
affez confidérable . Cette femme eut l'imprudence
de lui dire qu'elle defiroit trouver une
place. Auffi-tot l'efcroc fedonne pour un homme
répandu dans la meilleure compagnie , & lui
promet de lui être utile. La femme crédule
Je fupplie de réalifer fa promeffe le plutôt qu'il
Jui feroit poffible ; il ne fut pas en effet long
temps fans lui donner une leçon qu'elle auroit
dû prévoir. Il s'empara d'une partie de fes ef
fets , & quitta la maison où il logeoit, Les
plaintes multipliées qu'on faifoit chaque jour ,
contre Duval de Berville , ont donné lieu à des
recherches. L'efcros a été découvert & arrêté
Son procès lui a été fait ; & , par arrêt du 17 Juin
( 96 )
dernier , il a été condamné à être mis au carcan
au marché aux chevaux , & à y demeurer depuis
-trois heures jufqu'à cinq ; à'être fouetté & marqué
, & aux galeres pour neuf ans .
?
-GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
Cour des Monnoies.
Fille admife dans la Communauté des Orfevres.
On croyoit que les filles ne pouvoient être .
aggrégées ni admifes dans l'état & profeffion
d'Orfèvre ; le fieur Héron , Orfevre Jouaillier à
Dunkerque , vient de donner l'exemple du contraire
. Depuis bien des années la demoiſelle Héron
, fá niece , travailloit chez lui : elle n'avoit
point de brevet d'apprentiffage ; cependant le
feur Héron defirant la faire recevoir Maitreffe
, s'eft adreflé au Roi ; & , malgré la téfiftance
du corps des Orfevres , il a obteau , le
26 Octobre 1784 , un arrêt du Corfèil , qui
a difpenfé la demoiſelle fa niece du Brevet d'apprentiffage
, & a ordonné qu'elle feroit paffée
Maîtreffe. Il a été expédié des Lettres-Paten
tes fur cet arrêt , lefquelles ont été enregistréés
en la Cour des Monnoies , & le 17 Juillet 1785 ,
la demoiſelle Héron s'y eft préſentée , & fur
fon chef-d'oeuvre elle a été reçue . Depuis
c'eft-à-dire le 18 Août , elle a eré auffi reçue
à la Monnoie de Lille , où elle a été complé
mentée.
(1) On foufcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier
dont le prix eft de 15 liv par an , chez M. Mars , Avocat
au Parlement , rue & hôtel Serpente.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 14 Septembre.
LPF
E Comte Alexandre de Woronzow ,
Préfident de fa Chambre du commerce ,
eft attendu inceffamment de la tournée dans
différens états de l'Allemagne. Il doit affifter
aux Conférences relatives à un traité de
commerce entre les deux Cours Impériales.
Après la conclufion de cette affaire , le Comte
de Cobentzel , Ambaffadeur de l'Empereur
, fera un voyage à Vienne.
L'Impératrice a quitté Czarsko Zelo fubitement
, & plutôt que de coutume . Son retour
ici a été fuivi immédiatement de celui
du refte de la Cour. Cette Princeffe vient de
faire préfent d'une terre dans l'Ukraine avec
deux mille ferfs , à la Comteffe Branitzki ,
époufe du grand Général de Pologne , &
niece du Prince Potemkin.
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
( 98 )
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 1 Octobre.
Dans une affemblée , tenue le 19 , le
Confeil & la Bourgeoifie de cette ville ,
dont le Luthéranifme eft la religion dominante
, ont accordé aux Réformés Calviniftes
& aux Catholiques Romains le libre
exercice de leur culte , pour lequel , jufqu'à
ce jour , ils étoient obligés de fe rendre à
Altona.
Suivant les lettres de Varfovie , M. Bucholtz
, Miniftre du Roi de Pruffe auprès
de la République de Pologne, aremis au Roi
copie de l'acte d'union de la Ligue Germanique
, & de la déclaration faite déjà à d'autres
Puiffances. Comme le gouvernement
de Pologne eft prefqu'entierement dans la
dépendance de la Ruffie , le Roi de Pruffe
n'a probablement pas eu deffein de déterminer
cette République à faire cauſe avec
lui.
Le Comte Otton Thott , Miniftre d'Etat ,
eft mort à Copenhague , le 10 Septembre ,
dans la 82e. année de fon âge. Il étoit le
dernier mâle de cette branche en Danemarck.
Il a laiffé à l'Univerfité de Copenhague
un legs de 10000 rixdalers ,
DE BERLIN, le 30 Septembre.
Les Gardes du Corps , les Gendarmes ,
( 99 )
les Houzards de Ziethen, ainfi que les deux
Régimens d'Infanterie de Brauw & de Bornftedt
fe font rendus à Potsdam , pour y exécuter
leurs manoeuvres accoutumées . Le
Marquis de la Fayette eft arrivé ici de
Vienne.
Le Prince de Reuff & le Comte de Reviczky
, Miniftres de l'Empereur , ont été
lę 20 à Potsdam. Ils ont eu une audience
du Roi , dans laquelle le Prince de Reuff
remit fes lettres de créance , & le Comte
Reviczky prit congé de S. M.
Le Roi a conféré le gouvernement de
Neiffe au Lieutenant - Général de Schwarz .
DE VIENNE , le 1 Octobre.
Le Baron de Riedefel , Ambaſſadeur de
Pruffe auprès de notre Cour , eft mort à fa
maifon de campagne , le 19 Septembre ,
dans fa quarante cinquieme année . Les affaires
de fa Cour feront régies ici par interim
par M. Jacobi , Réfident de Pruffe.
M. de Riedefel avoit l'efprit très - cultivé ,
& on lui doit le Voyage de la Grande- Grece ,
plein de recherches favantes . Au Congrès de
Tefchen il étoit un des Plénipotentiaires .
Pour prévenir la difetté des grains dans la
haute Autriche , le gouvernement a fait importer
à Linz & aux environs 26,000 facs
de bled.
L'Empereur a fait acheter dans la Gallicie
& la Buckowine 7000 chevaux , la plupart
e 2
( 100 )
jumens , pour les diftribuer aux colons dans
la Seigneurie de Zambor en Hongrie.
Les Etats de Hongrie ne feront plus chargés
de l'entretien des troupes ; ce foin fera
confié à une adminiftration particuliere .
Les progrès de la Confédération Germanique
donnent lieu à mille conjectures ou
inventions journaliéres qui amufent le Public
, fans occuper nullement les gens raifonnables.
De ce genre eft le paragraphe
fuivant , inféré dans plufieurs de nos Gazettes
.
Nous apprenons que le Prince de Gallitzin a
reçu de Londres des lettres officielles , qui lui
mandent que le miniftre de Ruffie à Londres a
déclaré à cette Cour » que fa Souveraine étoit
5)
םכ
furpriſe qu'on cherchât à préfenter fous des
» couleurs odieufes fon alliance avec la Cour
Impériale , comme fi elle avoit réellement
pour but la deftruction du fyftême politique
de l'Europe , & du corps Germanique en
» particulier ; que S. M. Imp . de toutes les
Ruffies étoit encore plus étonnée que S. M.
Britannique parût , comme Electeur d'Ha-
» novre , un des plus zélés membres de la ligue
" Germanique ». On fait auffi que la Cour de
Petersbourg a fait fonder à ce fujet celles de
Copenhague & de Stock olm , & que celles- ci
auroient répondu » , qu'effectivement le Roi de
२२ Pruffe les avoit invitées à entrer dans cette
» confédération mais qu'elles avoient nette-
» men: refufé & perfifteroient toujours dans
» leur refus ».
>
Le 16 Septembre , un incendie confuma
do ze mailons & quelques granges dans le
( 101 )
nouveau Lerkenfeld ; on fut obligé de découvrir
les édifices voilins , afin de les préferver
; l'Empereur & l'Archiduc Ferdinand
fe rendirent au lieu du défaftre , avant 4 h .
du matin.
- Nous parlâmes , il y a quelque temps ,
d'une querelle entre quelques Officiers de
l'Empereur en Gallicie , & le Magiftrat d'une
ville de Pologne ; voici ce que dit une
Feuille publique des circonftances & des
fuites de cet événement.
Un Officier d'un de nos régimens en Gallicie ,
ayant perdu trois hommes de fa compagnie qui
avoient déserté , engagea un Juif à faire quelques
recherches dans les villes frontières de la
Pologne. L'efpion ne tarda pas à les déterrer
dans une petite cité. Avant de retourner rendre
compte de fa commiffion il trouva , fuivant
Pufage de fon état , qu'il valoit mieux rendre
deux fervices qu'un ; en conféquence , il fe rendit
chez le Magiftrat , lui fit part de l'objet de fa
miffion en lui confeillant de fe tenir fur fes
gardes le Magiftrat le récompenfa comme il
le devoit , & Pefpion retourna chez fon premier
commettant qui lui paya la nouvelle qu'il apportoit.
L'Officier indifcret ne prend confeil que de
fon courage ; il fe fait accompagner de huit
hommes choifis , & pique directement à l'endroit
indiqué. Il eft furpris de le trouver défert , au
moins toutes les maifons étoient fermées ; il parcourt
les rues & entendant le fon de voix de
quelques perfonnès , il defcend de cheval &
frappe à une . Elle s'ouvre auffi tôt ; mais l'Officier
recule en voyant le Magiftrat & une nome
3
( 102 )
breufe escorte armés de piftolets qui font fea
fur lui & fur fa troupe ; l'imprudent a à peine
le temps de regagner fon cheval. La foule des
affaillans groffit , fait pleuvoir fur lui une grêle
de cailloux ; il eft renversé avec les hommes &
livré fans défenſe à la fureur de la populace ,
qui veut achever de les affommer . Heureufement
qu'un Prêtre , animé par la charité & tenant
en main l'objet le plus ( acré de la Religion
Catholique , vient à bout d'obtenir de la troupe
forcenée qu'on permette à ces malheureux de
mourir dans leur lit.
Cependant le Commandant du diſtrict , informé
du fait , envoie d'une ville voifine un
détachement qui enleve les bleffés & les tranfporte
en un lieu où l'on prend d'eux le plus grand
Hoin. On envoie fur le champ ces détails à Varfovie.
L'Empereur de fon côté en eft bientôt
infruit : L'Officier , dit-il , par fon imprudence à
entrer fur une terre étrangere a mérité qu'on l'arrêtât
, mais non qu'on l'affommât. Que fon Colo
nel le faffe redemander avec fes hommes & leurs
chevaux. Si on les refufe , qu'il marche à la tête
de fon régiment pour les reprendre.
Il ne fut point befoin de cette extrémité. La
Cour de Varfovie étoit trop jufte pour ne pas
accorder une prompte réparation. L'Officier &
fa troupe guéris de leurs bleffures , furent remis
avec des habits neufs & comblés de préfens . Un
Commiffaire Polonois fit conduire fur la frontière
les principaux moteurs de l'affaffinat , & leur fit
donner la baftonnade en préſence d'un Commiffaire
Impérial.
DE FRANCFORT , le 6 Octobre.
Le 20 Septembre , dans la matinée , la
( 103 )
premiere divifion du Corps de Brentano
confiftant en 700 hommes , paffa par Ratisbonne
, & prit fes quartiers à Stadlamhof &
aux environs. On attendoit encore dans la
femaine la feconde & troifieme divifions de
ce corps , & la femaine fuivante le régiment
d'Infanterie de Bade -Durlac , compofé de
3000 hommes.
La convention particuliere , conclue entre les
Commiffaires de l'Empereur & les Députés du
Cercle de la Franconie , au fujet du paffage du
Corps de Brentano , eft datée de Nuremberg le
15 de Septembre . Cette nouvelle convention eft
conforme aux précédentes , relatives au même
objet. L'Article VI , porte que , fi ce Corps ,
pendant qu'il fera dans les Pays du Cercle , receyoit
des contre - ordres , & faifoit halte ; alors les
Commiffaires de l'Empereur feroient tenus de
l'approvisionner fans le concours des Etats du
Cercle.
L'invention de l'Espagnol qui a paffé l'eau
à Paris , par le moyen de labots de Liege ,
n'eft pas nouvelle. Le Journal des Savans
de 1618 , vol . 30 , a publié une relation ,
dans laquelle il rend compte du paffage
d'un particulier fur la Seine. Mais antérieurement
à ce particulier , François Kessler
avoit déja trouvé les moyens de traverſer
à pied les rivieres . Ceux qui voudront favoir
les détails de fon procédé , les trouveront
dans les Problêmes mathématiques de
Scheventer , p . 8. pl. 15.
On continue toujours , écrit - on d'Emmedingen
, dans le Margraviat de Bade , les fouilles à
e .4
( 104 )
'Badenweiler , où l'on déconvrit l'année derniere
des veftiges & monumens d'un Bain Romain. Des
deux côtés du Bain , fe trouvent des veſtibules
avec un piédeftal dans chacun , où l'on lit l'Infcription
fuivante : Diana Abnoba . Les caracteres
en font beaux , & font préfumer que ce Bain a
été conftruit à l'époque où les beaux Arts étoient
encore bien cultivés. On paffe par les veftibules
dans deux chambres , à la fuite defquelles fe
trouve une grande falle de Bains , dans laquelle
on defcend fur plufieurs marches . Cette falle eſt
en haut de forme ronde , & en bas de forme carrée.
Derriere la falle , il y a des étuves & d'autres
petites chambres rondes. Ces chambres font
fuivies d'une autre grande falle de Bain de la
même ordonnance que la premiere ; après cette
piece , on paffe dans deux chambres , & enfuite
dans l'autre veftibule . La difpofition de cet édifice
eft faite avec la plus fcrupuleufe fymétrie..
Les pierres des murs font taillées carrément , &
liées enfemble avec la plus grande exactitude .
Deffous les falles , on voit des voutes de pierrés
de tuf, qui font encore très - bien confervées , &
qui ont probablement fervi de canaux pour l'écoulement
des eaux. →→→→ On a encore trouvé
dans ces fouilles des monnoies d'or , d'argent , &
de cuivre , dès pieces d'argent , des pendans d'oreille
, & des épingles d'or pour les cheveux , des
vafes de terre , fur un defquels on lit le mot de
Janua , des cuilters , des dés , & beaucoup d autres
bagatelles . Cette collection a été envoyée à
Carlfrouhe . Le Prince , Abbé de Saint
Blaife , dans la Forêt noire , fe propofe de donner
une defcription de ce Bain Romain , & de
prouver en même-tems que Badenweiler fait partie
de la Forêt noire.
14
Voici le procès - verbal de la premiere
( 105 )
expérience de M. Blanchard en cette ville :
Nous fouffignés , certifions que la journée du
25 de ce mois a été fi terrible , que M. Blanchard ,
qui avoit annoncé fa quinzieme expérience aéroftatique
pour ce jour - là , fut obligé de la remetire
au lendemain , dans l'espérance que le temps
fe calmeroit ; mais au contraire , la pluie & la
tempête augmenterent à un tel point que les tentes
qui avoient été renversées la veille , furent
déchirées , & une partie de l'enceinte , qui avoit
fubi le même fort fouffrit confidérablement , de
forte qu'il auroit été impoffible à notre aéronaute
de tenter l'expérience ; nous l'engageâmes
même à la remettre à un autre temps que
celui de l'équinoxe , en lui représentant combien
nous nous intéreffions à les jours ; mais le
defir qu'avoit M. Blanchard de fatisfaire toute
la ville qui étoit remplie de Princes, de Seigneurs,
& d'étrangers , arrivés exprès de toutes parts , fic
qu'il réfolut dela tenter le lendemain 27. Comme
le temps paroiffoit fe bien difpofer , nous ne
nous oppofâmes pas à fon zele ; à 9 heures du
matin , quoique le vent parût s'élever , on commença
l'opération ; mais il augmenta à un tel
point , qu'on eut toutes les peines du monde à
introduire l'air inflammable dans le Ballon : les
bourrafques de vent qui fe fuccédoient , étoient
fi violentes , que le Ballon , qui fe déchiroit
de place en place par le pôle inférieur , enttaînoit
plus de cent hommes qui vouloient le
retenir , çependant malgré la tempête ou parvint
à le remplir autant qu'il falloit pour enlever
trois perfonnes. A une heure fon A. S. Mgr.
le Prince Louis Frédéric de Heffe Darmftadt
, qui depuis long- temps defiroit faire un
voyage aérien avec M. Blanchard entra dans la
nacelle , malgré les repréfentations qu'on fit à
es
·
( 106 )
!
S. A. fur les dangers que la tempête pouvoit
occafionner ; rien ne fut capable d'ébranler ce
Prince courageux : il fe plaça tranquillemert
dans le char à côté de M. Seweitzer, Officier
au Régiment de Schomberg Dragon , qui étoit
auffi du voyage. Au moment que M. Blanchard
calculoit fon left & fe difpofoit à partir , recevant
tous nos voeux , il furvint un ouragan fi
terrible , que le Ballon qui préfentoit un
coup-d'oeil fuperbe , fut déchiré de haut en bas ;
l'air inflammable , qui s'échappoit avec abondance
, fut auffi tôt remplacé par l'air atmoſphérique
, il fallut promptement redoubler de force
pour tout retenir. Quoique M. Blanchard , plus
d'une heure auparavant , nous eût fait part de
fes craintes fur ce fâcheux événement , il en fut
ému au point qu'il fe trouva mal , on l'enleva
de la nacelle & on le porta au milieu de nous ;
nous lui rendîmes tous les fecours qui étoient en
notre pouvoir , & aprés l'avoir raffuré fur cet
accident , où il eft clair qu'il n'avoit aucun tott,
nous l'avons emmenés dans notre voiture ,
nous a déclaré avoir apporté à Francfort le
Ballon de Calais en fort bon état , avec lequel
il fe propofe de refaire l'expérience .
AMÉLIE P. P. Ducheffe des Deux - Ponts '
manu propriâ.
Louis , Prince héréditaire de Heſſe d'Armſtadt.
CHARLES , Prince Palatin , Duc des Deux-
Ponts.
LOUISE , Princeffe héréditaire de Heffe
d'Armſtadt , manu propriâ.
ITALIE.
DE VENISE , le 24 Septembre.
Le Marquis Grégori de Squillace , Am(
107 )
baffadeur d'Espagne auprès de cette République
, eft mort ici le 13 de ce mois :
S
L'Amiral Quirini , parti de Corfou avec
5 vaiffeaux de guerre , s'eft réuni à l'efcadre
du Chevalier Emo , & cette flotte doit aller
de nouveau bombarder Sufa.
Un Négociant Européen , établi dans
l'ifle de Chypre , préfente en ces termes le
tableau de la défolation qui regne dans cette
ifle. Sa Lettre à fon Correſpondant eſt du
25 Juin.
Tout le monde eft plongé ici dans la plus
grande trifteffe depuis qu'on a appris que Hadgi-
Baki Aga a été nommé Gouverneur de
Chypre. J'ignore fi vous Vous reffouvenez
encore du caractere de cet homme ; au cas
que vous ayez oublié ce qu'il eft , voici fon tableau
». Le nouveau Gouverneur eft natif de l'Ifte
même , il eft d'une extraction obfcure & vile , fa
famille étoit dans l'extrême indigence , & mal-famée.
Hadgi- Baki Aga eft vieux , borgne & méchant ;
il eft de plus , cruel , fanguinaire , injufte & perfide.
Il a toutes les mauvaises qualités d'un tyran
parvenu. Son Cimeterre & fes Rapines ont fervi &
fervent encore à faire fa fortune. » Le hasard l'ayans
fait connoître au Capitan - Bacha , il trouva le
moyen de lui plaire ; le Capitan- Bacha le protege
& c'eft lui qui l'a fait nommer Gouverneur de
l'Ile de Chipre. Cet homme , qui eft l'objet de
l'exécration publique , partage le produit de fes
concuffions avec fon puiflant Protecteur , & depuis
huit ans , il a commis des Exactions inouies
fur fes compatriotes qu'il vexe tous fans diflinction
de Religion Turque ou Grecque. Les horreurs
qu'il fe permet , font fans exemple. Ne
e 6
( 108
pouvant le fouftraire à la rapacité du tyran
beaucoup de Chypriots ont pris le parti déſeſpéré
de tout abandonner , biens , femmes & enfans ; ils
fe font éloignés ; c'étoit l'unique reffource qui
leuc reftoit pour fauver leur vie ; ils errent pref
que nuds & fans reffource . Quelques- uns de
ces infortunés font arrivés jufqu'à Conftantinople
, où avec leur mifere , ils ont porté leurs
plaintes. Ils ont attendu inutilement , pendant
un an entier , une réponse aux requêtes qu'ils
ont préfentées au Grand- Seigneur ; le Capitan
Bacha , qui jouit de toute la faveur de l'Emperear
, a toujours foutenu fon protégé . Cependant
à la fin le tyлan ayant été déposé , fut appellé à
Conftantinople pour y rendre compte de fa
conduite ; le Grand Vilir , qui a été décolé , lui
fit faire fon procès . L'affaire fut renvoyée au
Grand Juge ; celui - ci , d'après toutes les infor
mations qu'on lui fournit , déclara le vieux Gouverneur
de Chypre coupable & digne des plus
grandes punitions. La fentence ne fut pas exécutée
, parce que le Capitan Bacha le protégea
fi fortement , qu'il parvint à le fauver. Le
coupable en fut quitte pour quelque fomme
qu'il paya à l'Agent Ifouph-Aga , & à l'Interprete
Maurogeny, Facteurs du Capitan - Bacha ,
que celui-ci avoit fait agir pour fauver ſon bon
ami . Cependant les habitans de Chypre ne furent
plus expofés aux cruautés de ce méchant homme;
il lui fut défendu de revenir dans l'lfle ,
comme Gouverneur , ni comme fimple particulier.
nt
On croyoit être délivré de ce tyran ; mais on
s'eft trompé. Le Capitan- Bacha , ne voulant pas
perdre un revenu annuel de 100,000 piaftres
fes créatures , l'Agent Ifoph Aga & FInterprete
Maurogeny ; étant bien aile auffi d'en gagner
&
( 109 )
chacun 25000 , ces trois protecteurs de l'indi
gne Gouverneur Ont bien travaillé , qu'ayant
mis dans leurs intérêts le Mufti Molla - Bey ,
Haddi Backi-Aga , ou le Gouverneur Diable ,
comme on l'appelle , a été renvoyé ici en qualité
de Gouverneur. Le Capitan- Bacha a déclaré
que fi quelque habitant de l'Ifle s'avifoit de trouver
à redire à cette nomination & d'en faire des
plaintes , il auroit affaire à lui & lui feroit couper
la tête.
La confternation eft ici des plus grandes ; it
faut en être témoin pour s'en faire une idée.
On n'entend plus que des pleurs & de gémiffemens.
Les habitans défertent en foule ; les Turcs
fe retirent dans la Syrie , les Chrétiens s'en vont
ailleurs , fort peu de Chypriots ofent fe refugier à
Conftantinople. Le commerce eft abſolument
perdu ici & par conféquent tous nos projets font
évanouis.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 30 Septembre.
Mercredi dernier , les Lords de l'Amirauté
envoierent l'ordre aux vaiffeaux gardes côtes
, ftationnés à Spithéad , de rentrer dans
le port de Portsmouth. Sept d'entr'eux s'y
font déja rendus . Les autres , fous le commandement
de l'Amiral Montague , qui monte
le Queen, de 90 canons , n'attendent pour
les fuivre , qu'un vent favorable. Le Grampus
, de so canons , qu'on croyoit deftiné à
porter dans l'Inde le Commodore Gell , eft
toujours en rade .
( 110 )
Le Général Campbell part pour Madras
fur le Tryal , paquebot de la Compagnie
des Indes . Il a reçu fes dernieres inftructions ,
& avant de prendre congé de S. M. , il a été
reçu Chevalier de l'Ordre du Bain , ainfi que
le Général Haldimand , prêt à ſe rendre dans
fon gouvernement du Canada.
Nos papiers publics , qui ont négocié le
mariage du Duc d'Yorck avec la Princeffe
Elifabeth de Pruffe , viennent d'unir en même
temps le fils aîné du Prince Royal de
Pruffe avec l'une des Princeffes d'Angleterre .
Un Planteur Anglois , de la Floride
Orientale , écrit en ces termes à un de
fes amis , à Londres , le 16 Juillet dernier.
Les Planteurs Anglois qui étoient reftés dans
cette Province ont été très - maltraités par les
Espagnols , depuis qu'ils en ont pris poſſeſſion .
On les a beaucoup inquiété fur leur culte religieux
& on en à obligé beaucoup d'entreux
à abondonner leurs habitations. A moins que
le Gouvernement Espagnol ne change de fyftême
& ne nous protege , je crois que je prendrai
le méme parti. Alors je compte me retirer
à l'Iffe de la Providence où les Anglois
ont des établiſſemens .
A mefure que les différens de l'Europe:
& les nôtres propres fe pacifient , nos
Folliculaires s'étudient à nous trouver de
nouveaux ennemis , & à inventer des atteintes
aux Traités de la part de nos voisins .
On affure , difent - ils , que le Marquis de Lanſdowne
a ftipulé par un article fecret du traité
de paix , que la France ne conftruiroit aucun
( 111 )
nouveau fort fur la côte d'Afrique , qu'elle n'éten
droit pas fes Comptoirs au- delà de certaines
limites , qu'Elle n'entretiendroit en aucun temps
dans ces parages une Efcadre compofée de plus
d'une Frégate de 24 canons & de deux autres
de moindre force. Les faits fuivans indiqueront
à quel point la France a obfervé cet article
fecret. L'Efcadre françoiſe fur la côte d'Afrique
eft compofée d'un Vaiffeau de 40 canons , d'une
Frégate de 28 & de 6 ou 7 Bâtimens deftinés
à croifer dans les rivieres . Cette Puiffance a děja
conftruit un fort à l'embouchure de la riviere du
Senegal , & Eile eft occupée actuellement à en
élever quatre autres dans l'efpace renfermé entre
Dixcove & Benintufius. Quant à l'engagement
qu'Elle a pris de ne pas étendre les Comptoirs
au-delà de certaines limites ; Elle a éludé fi honteuſement
cette partie de l'article ſecret , ne fé
-faifant aucun fcrupule d'étendre les anciens
Comptoirs , & d'en former de nouveaux , que
la Hollande , malgré les obligations qu'Elle a en
ce moment à la France , s'eft récriée contre
cette infraction . La Cour de Portugal en a pris
tant d'allarmes qu'Elle a envoyé dernierement
dans ces parages l'Acanjuen de 32 canons &
l'Anfeline de 24 canons , avec des troupes à
bord pour renforcer les garnifons. Ce n'eft pas
fans fondement que cette Cour prête à la France
le deffein de mettre entierement dans fa dépendance
les Naturels du pays , & d'ôter aux Nations
européennes qui ont des Etabliffemens dans cette
partie du monde , les moyens de contrarier fes
vues ambitieufes. Notre miniftere n'a pas man
qué d'adreffer des remontrances à la Cour de
Verſailles qui a promis d'y avoir égard. Refte
à favoir quand Elle tiendra fa promeffe.
En 1765 on évalua que le commerce de la
( 112 )
gomme dont la plus grande partie étoit fournie
par les Naturels qni occupent les bords de la
viere du Senegal rapportoit au Fife plus de
30000 livres fterl. par année . Depuis cette époque
te commerce n'a ceffé de dégénérer , & pendant
la derniere guerre il a été preſque anéanti. Il ne
rend actuellement au Filc que 700 liv. par an◄
née , & il n'eft gueres probable qu'il reprenne
fon ancienne activité .
On dit que M. Vine de Truro a préfenté
au Bureau des Longitudes un nouvel
inftrument très ingénieux , pour déterminer
les longitudes en mer , & que
fur le rapport des Commiffaires , un Officier
experimenté fera chargé d'en faire l'effai ..
Le difcours fuivant n'eft affurement pas
un modèle de Logique ; mais il eſt aſſez
plaifant dans la bouche d'un voleur public.
Cette harangue Philofophique a été prononcée
par un Orateur Irlandois nommé Denis
Flanagan, Maître d'Ecole de profellion , &
condamne pour crime de vol & de meurtre :
fur la demande que lui fit le Juge d'expofer
fa juftification , il lut ce qui fuit.
« Mylord ,
« Me voici à la barre , convaincu d'avoir tué
& volé un des Sujetss de S. M.; fi c'eſt un crime
fuivant l'efprit de la conftitution de dépouiller
un autre homme de fa propriété , je confeffe
le vol , & fi c'eſt un meurtre d'ôter la vie à un
homme , je me reconnois coupable de cette
offenfe ». #
« Le feul moyen que j'ai , Mylord , pour
jeftifier ma conduite , & pour prouver que je
ne fais point criminel , c'eft de comparer ce
( 113 )
-
que j'ai fait avec ce qui a été fait par d'autres ,
& fi je parviens à bien établir mes prémiffes ,
je me flatte que V. S. trouvera ma conclufion
juſte ».
« L'Ecriture Sainte , Mylord , qui eft la gran-
-de Loi , qui devroit être le modele de toutes les
autres , dit expreffément , tu ne tueras point. Il n'y
a point d'exception , point de clauſe dans tout le
décalogue , qui autoriſe un homme à ôter la vie
à un autre. Cependant l'efprit humain inventa
un fyftême de meurtre légal appellé guerre ; &
par ce fyftême , il femble qu'un homme a la liberté
d'en tuer 10,000 dans un jour s'il le peut ,
& pour cet acte on le décore , non de deux vetges
& demie de chanvre autour du cov ,; mais
d'une verge & demie de ruban rouge autour du
corps , il reçoit des applaudiffemens de tout le
Royaume. Comparons donc , Mylord , un meurtre
& un vol avec ce carnage & ce pillage. Preffé
par le befoin , & par les cris d'une famille ma-
Jade , je prends un piftolet , & je vais chercher de
l'argent fur le grand chemin. Je rencontre un
riche Eccléfiaftique , & je lui demande la bourſe.
Celui- ci tire un piftoler , fait feu fur moi , me
manque , & tandis qu'il en tire un autre de fa poche
, je lui brûle la cervelle , & le vole enſuite .
Voilà mon crime » !
Comparons maintenant ce fait avec les crimes
d'un Roi , d'un Miniftre , d'un Général , d'un
Amiral , d'un Capitaine ou d'un fimple Soldat.
& d'un Matelot. Le feu Roi , Dieu béniffe fa
mémoire & lui pardonne fes fautes , fut trèsoffenfé
de ce que les Sujets du Roi de France
avoient coupé quelques buches dans la Baie
d'Honduras. C'étoit fans doute une terrible of.
fenfe , puifqu'elle put juftifier la Couronne & le
Parlement d'avoir fait tuer ou périr 120,000
( 114 )
hommes , dont il n'y en avoit pas un feul qui
connût la caufe de la querelle qu'il foutenoit.
Ce n'étoit point la néceffité qui engageoit alors
le meurtrier à détruire ſon ſemblable ; car au lieu
de manquer de pain , il étoit nourri & habillé
dans cette vue , & il n'avoit ni animofité , ni befoin
qui l'aiguillonnât : c'étoit un aſſaffin qui recevoit
un falaire pour ôter la vie à ſon prochain .
Je mettrai cet exemple , Mylord , dans un plus
grand jour. On nous lit tous les jours le Décalogue
dans l'Eglife , & on nous enfeigne à révérer
les préceptes & à leur obéir . Le Prêtre lit :
tu ne tueras point . Le peuple répond à haute voix ,
& avec enthouſiaſme : O Seigneur ! porte nos coeurs
à obferver cette Loi . Mais au lieu d'obferver cette
Loi , furvient une proclamation , qui annonce un
grand & terrible carnage , & qui ordonne aux
Anglois de tuer tous les payfans de France , parce
qu'un Matelot François a coupé & emporté dans
la Baie d'Honduras pour la valeur d'un fou de
bois , lequel bois n'étoit d'aucune conféquence ,
ni pour l'Anglois , mi pour le François . Voilà le
fait , & V. S. fait très bien que des milliers.
d'hommes ont été égorgés & pillés fous le prétexte
d'un morceau de bois , & que tous les meur.
triers furent tous récompenfés , au lieu d'être
pendus. Permettez moi , Mylord , de vous demander
: de quel oeil croyez- vous que le Tout-
Puiffant ait confidéré cette affaire dans la Cour
célefte ? Sa Loi porte strictement de ne pas tuer; &
je fuis perfuadé que je fuis plus juftifié aux yeux
du grand Juge pour avoir tué un homme , afin
de procurer du pain à ma famille , que celui qui
en a fait égorger des milliers dans les plaines de
l'Allemagne , parce qu'un fujet François avoit
coupé un morceau de bois dans la Baie d'Hon .
duras »
55 Vraisemblablement , Milord , vous pensez
que la guerre peut le juftifier ; & qu'il est trèsméritoire
pour un Irlandois recruté , de fe louer
pour tuer un foldat François , fans connoître lè
crime du François , ou même fans demander la
raifon pour laquelle il fe difpofe à aller tuer fon
femblable. Le Tout - Puiffant ne regarde- t - il
pas la faute de cet homme comme plus grande
que la mienne ? Il fe fait payer pour tuer un
autre homme , & il fe paffionne tellement pour
le métier d'affaffin , qu'il fe livre à un eſclavage
perpétuel , afin d'avoir de l'occupation pour le
refte de fes jours. J'irai plus loin , Milord , & je
vous demanderois par quelle loi du Tout Puiffant
( je ne fais fi fouvent mention du Tout- Puiffant
, que parce que dans la plainte je ſuis accufé
de n'avoir pas la crainte de Dieu devant les yeux ,
& d'être pouffé par ie Diable , perfonnage que
je n'ai jamais vu , & que V. S. , à ce que j'efpere,
ne verra jamais ) : je dis donc , Milord , comment
peut -on juftifier aux yeux du Créateur l'action
d'un corfaire qui fe met en mer , arrêté un
navire marchand qui n'eft point fur fes gardes ,
& qui ne fait rien de la déclaration de guerre ,
Jui lâche fes bordées , tue une partie de fon équipage
, pille les propriétaires , & précipite dans
un cachot tous les matelots qui ont échappé àfon
feu meurtrier ? Ce vol & ce meurtre ne ſont- ils
pas plus barbares , & moins fufceptibles de juftification
que ceux que j'ai commis ? Cependant
on ne juge point, on ne punit point ces hommes qui
font bien éloignés d'avoir la crainte de Dieu de
vant les yeux. Lorsque la guerre eft déclarée ,
il peut le faire qu'on trouve , en feuilletant d'énormes
volumes , quelque exemple pour juftifier
le meurtre & le brigandage ; mais je fuis bien
fur, Milord , qu'avant une déclaration de guerre ,
( 116 )
il n'y a point de loi qui autorife le meurtre & le
vol auxquels je fais allufion . »
1 » Il n'y a pas long - temps que notre très -gra
cieux Souverain s'offenfa de la conduite des Américains
, & que fans aucune déclaration de guerre
il envoya fes gardes pour mettre à mort fes propres
fujets parce qu'on vouloit avoir une once
de thé à meilleur marché à Boſton qu'en An
gleterre. Je conviens , Milord , que le Miniftere
donna le nom de rebelles aux Américains ; mais
comme c'eſt par des preuves que toutes les véri+
tés s'établiffent , il faut que j'obferve ' à V. S
qu'il n'a jamais été prouvé que les Américains
faffent des rebelles . Au contraire , en faisant la
paix avec eux , & en recevant leur ambaffadeur
Ala Cour Britannique , il a été admis , qu'au
lieu d'avoir été en rebellion , ils pouvoient
fe juftifier dans tout ce qu'ils avoient fait. Quel
nom peut-on donc donner à ces meurtriers , qui
plongerent leurs bayonnettes &leurs épées dans
le fein de leurs freres ? S'il n'y a pas eu de re
bellion de la part des Américains , les Anglois
ont donc commis des meurtres , & au lieu de
recevoir des cordons rouges , & d'avoir leurs
noms inférés dans les gazettes extraordinaires ,
la hart auroit dû être leur récompenfe ».
Je fupplie V. S. de comparer les crimes
de ces hommes avec le mien , & d'interroger
votre propre jugement pour favoir fi lord N...
M. J... , le lord B ... , & autres ne font pas plus
coupables de meurtre que moi ? Ils ont mis à
mort des milliers d'hommes , & je n'en ai tué
qu'un feul. Ce qu'ils ont fait ,
c'eft par obftination
, quant à moi ç'a été l'effet du befoin. Ils
font maudits par des millions de familles qu'ils
ont ruinées , & je ne fuis maudit par aucune
car la femme du recteur m'a pardonné , & il n'avoit
point d'enfans pour pleurer fa mort. »
( 117 )
« En confidérant le fujet fous ce point de vue ,
je me flatte que V. S. ne peut point , felon le véritable
efprit de l'évangile , & le fens réel de la
juftice , prononcer fentence de mort contre moi ,
lorfqu'un fi grand nombre de meurtriers , beaucoup
plus coupables que je ne le fuis , ont la liberté
de marcher en triomphe & de fe glorifier
de leurs crimes . J'efpere au moins , mylord ,
que vous me recommanderez à la miférico rde
de notre très - gracieux Souverain. Il pardonna
deux de mes compatriotes , Balfe & Macquirck,
qui étoient deux meurtriers pires que moi , &
il feroit cruel de re pas étendre fur moi là
même clémence . »
« Je n'ai plus rien à vous dire , mylord , fi
ce n'eft de vous rappeller la fupplication que
vous adreffez foir & matin au trône de la grace
célefte : Pardonnez- nous nos offenfes comme nous
les pardonnons à ceux qui nous ont offenfes
Le célébre Holbein nommé Peintre
d'Henri , VIII , avoit coutume de s'enfermer
dans fon attellier dont tous les importuns
étoient févérement exclus . Un Seigneur
de la plus haute diftinction fe préfenta
à fa porte & demanda à être admis , ce
qu'Holbein refufa en termes tiès honnêtes,
Le Pair regardant ce refus comme une infulte
à fa dignité , voulut entrer de force ,
A l'inftant , Holbein fortit de fon cabinet ,
& comme il étoit très vif , il fit fauter l'efcalier
à fa Seigneuric . Réfléchiffant enfuite
fur ce procédé , il courut implorer la protection
du Roi contre la vengeance du
Comte , qui l'avait précédé auprès de Sa
( 118 )
Majesté & qui demandoit fatisfaction. Henri
VIII ayant cherché à appaifer ce dernier ,
il répliqua en hauffant la voix , avec tant
d'emportement que le Roi piqué de fon
manque de refpect , lui dit , Mylord , au
péril de votre vie , je vous défends toute in-
Julte envers mon Peintre. Souvenez - vous de la
différence qui exifte entre vous deux ; dans
l'inftant je puis faire fept Comtes de fept
Payfans ; mais de fept Comtes comme vous,
je ne ferai jamais un Holbein.
FRANCE.
DE PARIS , le 11 Octobre .
Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi du 2
Octobre , porte nomination de Commiffaires
pour la liquidation des marchés à terme
& compromis d'effets royaux ou autres
quelconques , en exécution de l'Arrêt du 7
Août dernier. Le préambule de cette nouvelle
difpofition eft de la teneur fuivante :
Le Roi s'étant fait repréſenter Arrêt rendu
en fon Confeil le 7 du mois d'Août dernier , qui
renouvelle les Ordonnances & Règlemens concernant
la Bourfe , & s'étant fait rendre compte
de la nature , du montant & des échéances des
'compromis & marchés à terme , qui ont été contrôlés
par le premier Commis des finances ; en
'exécution de cet Arrêt , Sa Majesté a reconnu
que fi la maffe de pareils engagemens portée à
l'égard de certains Effets au - delà même de ce
qui en exifte , prouve de plus en plus combien
( 119 )
il étoit néceffaire d'en reprimer l'abus , elle n'eft .
cependant pas auffi effrayante en réalité qu'elle
l'eft en apparence , les reventes multipliées du
même objet , failant monter la fomme totale des
marchés beaucoup au- deffus de celle des Effets à
livrer ; Sa Majefté eft informée que l'obligation
de dépofer ces Effets dans le terme qu'Elle a
preferit , a déjà fait liquider une partie des compromis
, qu'elle n'a embarraffé que ceux qui'
s'étoient engagés au - delà de leurs moyens , & que
cet embarras même n'a pu paroître aux yeux
des gens inftruits , qu'une leçon pour l'imprudence
, & une crife talutaire qui loin de porter
la moindre atteinte au crédit du Tréfor royal ,
a fervi à démontrer qu'il eft affis fur des bafes
inébranlables & indépendant de toute espèce de
negociation particulière ; que néanmoins il en
eft réfulté une inquiétude vafte parmi les Capitaliftes
, qui effrayés de cette foule exorbitante
d'engagemens d'un genre infolite , & ne fachant
pas jufqu'à quel point celles des Maifons du commerce
& de banque qui s'y trouvoient compromifes
, pourroient influer par contre - coup fur la
fituation de celles mêmes qui n'y avoient aucune
part , ont fufpendu à l'égard de toutes leur confiance
, ont refferré leurs fonds & différé leurs
placemens ; ce qui a produit , au milieu de la
plus grande abondance de numéraire , toutes les
Caiffes publiques étant garnies , tous les payemens
fe faifant avec la plus grande exactitude ,
& plufieurs même étant anticipés , un moment
de langueur dans la circulation une forte de
ftagnation fur la place , & la dépreffion inftantanée
de quelques Effets . Dans cette circonftance ,
Sa Majefté ne voulant pas borner fes vues bienfaifantes
à ce que l'ordre public a exigé d'Elle
pour faire ceffer l'agiotage effréné qui s'étoit
"
( 120 )
introduit , & defirant faire difparoître le plutôt
poffible des embarras dont la prolongation feroit
nuifible au Commerce , Elle a jugé convenable
d'accélérer l'effet de la difpofition de fon Arrêt
du 7 Août dernier , qui a eu pour but de diftinguer
les contractans en état de remplir leurs
engagemens , d'avec ceux à qui la livraiſon de
ce qu'ils ont vendu , feroit dans tous les cas
impoffible ; & Elle a penfé qu'il étoit de fa bonté
autant que de fa juftice , de mettre les Vendeurs
& les Acheteurs également à portée de liquider
fans délai leurs intérêts refpectifs par une conciliation
équitable , à défaut de laquelle Elle
s'eft réservée d'y ftatuer Elle- même en connoiffance
de cauſe , afin que bientôt il ne reste plus
aucune trace de ce vertige de fpéculation défordonnée
, qui n'ayant pas encore eu d'exemple
dans le royaume , néceffitoit un reméde extraor
dinaire ; Sa Majefté en s'y déterminant a prévu
que ceux qui ont intérêt à foutenir les compromis
prétendroient qu'empêcher leur exécu
tion ou y mettre des conditions c'étoit porter
atteinte à la propriété , & détruire par l'intervention
de l'autorité , la liberté des engagemens
volontaires . Jamais les droits de la propriété &
de la liberté fociale ne furent plus en fûreté
que fous le règne de Sa Majefté ; mais autant
Elle eft réfolue de les maintenir religieufement ,
autant Elle est éloignée d'admettre pour conféquence
de ce principe inviolable , qu'il foit permis
de tendre des piéges à la foi puhlique en
vendant ce qu'on n'a pas , ce qu'on ne peut pas
livrer , ce qui même n'existe pas , il eſt évident
que fi pareilles ventes font nulles par ellesmêmes
, elles font für- tout intolérables lorsqu'
elles portent fur les Effets publics , forſqu'elles
violent toutes les règles prefcrites pour leurs né
gociations
· ( 121 )
gociations , lorfque fur leurs bafes fiatives s'accumule
fucceffivement une foule d'engagemens
& de billets illufoires qui groffiffent exceffivement
le volume apparent des papiers commerçables
, altè ent leur circulation par un mélange
fufpe& , & tendent à détruire toute confiance.
Faire envifager ces marchés comme n'étant en
dernier réfaltat , que des paris fur le cours éventuel
de la Place , ce n'eft pas les légitimer : quand
il feroit permis de fup ofer que la vigilance du
Souverain qui s'étend julques fur la confervation
des fortunes de fes fejets , dût fermer les yeux
fur toute eſpèce de jeux & de paris , pourroitelle
fouffrir que leur licence fe déguilant fous
un faux titre , prît les caractères des Contrats de
vente , dénaturât les conditions , & portât le
trouble & la confufion dans la négociation des
Effers royaux ? Sa Majefté a donc acquis de
nouveaux droits à la reconnoiffance de fes peuples
par le foin qu'Elle a pris de les préferver
dun tel défordre , ainfi que par les mesures
qu'Elle prend aujourd'hui dans la vue de terminer
promptement la liquidation du paffé , & de
ne laiffer accun doute fur les intentions pour
l'avenir & c.
ART. I. Les Porteurs des marchés à termes
& compromis , contrôlés du 7 Acût dernier
dépoferont avant le 20 du préfent mois , entre
les mains de l'un des Syndics des Notaires , les
Effets dont ils auront promis là livraiſon ; & auff
tôt après , l'acte de dépôt contenant la qualité
& les numéros del. Effets , fera par eux repréferé
aux fieurs Lenoir , Confeiller d'Etat ; de Crofne ,
Lieutenant- général de Police ; & de Grandvelle ,
M.ître des Requêtes , que Sa Majesté a commis
& commet pour procéder en la préſence , tant
des Vendeurs que des Acheteurs qui feront ap-
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
f
( 122 )
:
pelés par eux , à la liquidation des fommes qui
pourront revenir aux uns ou aux autres , pour
perre ou bénéfice , & à la fixation des époques
auxquelles devront fe faire les payemens.:
II. Ceux des porteurs defdits marchés ou
compromis qui feront hors d'état de fatisfaire
avant le 20 de ce mois , au dépôt ordonné des
effets à livrer , feront tenus de représenter dans
le même délai lefdits marchés ou compromis
auxdits fieurs Commiffaires auxquels ils feront
en présence des Parties in téreffées leurs déclarations
& propofitions fur les moyens de remplir
leurs engagemens , on fur les arrar gemens de
liquidation qui pourroient y fuppléer.
III. Autorife , Sa Majeflé , lesdits fieurs
Commiffaires à liquider & régler les intérêts
respectifs des Parties contractantes , elles préfentes
ou dûement appelées aux conditions
qu'ils jugeront les plus équitables , & à prononcer
fur la validité ou nullité des engagemens , ainfi
qu'il appartiendra , en fe faifant affifter pour
lefdires liquidations & règlemens , tant par le
premier Commis des finances , que par tel Financiers
& Banquiers qu'ils voudront appeler.
IV. Dans le cas où aucune des Parties refuferoit
d'accéder aux arrangemens propofés , ou
à ce qui auroit été réglé par lefdits fieurs Cemmiffaires
, il fera dreffé procès- verbal des dires
refpe&tifs , lequel fera remis au Contrôleur général
des finances , pour en être rendu compte
à Sa Majefié , & y être ftatué par Elle en fon
'Confeil.
V. Les marchés à termes & compromis pour
Effets royaux ou autres quelconques , à l'égard
defquels les Parties n'auront pas effectué avant
le 20 de ce mois , le dépôt ordonné par l'Arrêt
du 7 Août dernier , & ne fe font miles ni l'une
( 123 )
ni l'autre en devoir de faire liquider & régler
leurs intérêts par lefdits fieurs Commiflaires
* dans le même délai , ſeront & demeureront nuls
& de nul effet ; défend Sa Majesté d'en ſuivre
en aucune manière l'exécution.
VI . Ordonne pour l'avenir , Sa Majefté , que
la difpofition de l'article VII de fon Arrêt du 7
Août dernier , par laquelle , Elle a déclaré nuls
les marchés & compromis d'Effets royaux & autres
quelconques , qui fe feroient à termes fans
livraifon dedits Effets , ou fans le dépôt réel
d'iceux , fera exécutée felon fa forme & teneur
dans tout fon Royaume.
VII. A évoqué & évoque Sa Majesté à Elle
& à fon Confeil , toutes les conteſtations nées
& à naître à l'occafion du préfent Arrêt , & de
celui du 7 Août dernier &c.
Signe LE BARON DE BRETEUIL .
Depuis le furieux coup de vent qu'on a
éprouvé ici vers l'Equinoxe , & qui dans
quelques cantons a fait des ravages confidérables
, on craint d'apprendre de facheufes
nouvelles des bâtimens , qui à cette époque
fe font trouvés aux attérages. L'efcadre d'évolution
qui eft rentrée à Breft quelques
jours après , a effuié ce gros temps ; & on
eft fort inquiet fur le fort du bricq le Clairvoyant
, qui , féparé de l'efcadre , n'a pas encore
reparu. M. de Chaftenay , Capitaine
de vaiffeau , qui avoit éte chargé de relever
les côtes de S. Domingue , les divers débouquemens
, & c . eft de retour avec fa corvette
; il a pouffé fes recherches jufques dans
une partie du Golfe du Mexique.
f2
( 124 )
D'après le relevé fait fur toutes les Paroiffes
du Dauphiné & des Bureaux des Hôpitaux
, il réfulte qu'en 1784 , il eſt né dans
cette Province 13,657 garçons , & 13,099.
filles ; qu'il eft mort 11,451 hommes , &
11,001 femmes . Pendant la même année il
y a eu 5898 mariages , & 29 Profeffions
religieufes.
Le 21 de Septembre à une heure aprèsmidi
, dans les environs de la petite ville de St.-
Symphorien - le - Château , fituée dans les montagnes
du Lyonnois , il furvint tout - à - coup un
violent orage , accompagné de coups de tonnerre
très- fréquens , qui fut bientôt fuivi d'un déluge
d'eas fi confidérable , que dans un inflant il fe
forma des totrens fur le haut des montagnes ,
qui , en fe précipitant avec violence , & le multipliant
en mille branches , entraînerent tout ce
qui fe trouva fur leurs paffages ; notamment la
plus grande partie des terres qui venoient d'être
ou enfemencées , ou mifes en labour. Pour comble
de malheurs , les prairies qui font la richeffe
de ces montagnes , ont éte fablées & encombrées
d'un amas confidérable de terres & graviers ; de
forte que les fertiles montagnes , qui deux heures
auparavant préfentoient l'afped le plus agréable
par la verdure des bleds qui promettoient encore
une abondante récolte , ne préfente plus aujourd'hui
, dans beaucoup d'endroits , que des rochers
& des ravins très profonds qui ont coupé les
terres en mille parties , ainfi que les chemins.
Les Paroifles qui ont le plus fouffert de ce défaftre
, font , Avcife , Chatelus , Saint - Denis ,
Pomeys , St. Etienne de Cois , Grefieux , Mont-
Romand , St. - Genis - l'Argentiere , & la Fenoyl ;
la Paroiffe d'Aveife , comme la plus inclinée ,
( 125 )
a été encore la plus endommagée & la plus à
plaindre , parce qu'elle eft la plus pauvre.
Dix perfonnes de l'ifle Bouchard ayant
mangé à leur foupé , le 23 Septembre , une;
efpece de champignons , nommée Eclofette ,
font mortes le lendemain dans les douleurs
les plus aiguës , malgré tous les fecours de
l'art.
Nous trouvons dans une Feuille de Pro- .
vince une lettre , qui rapporte en ces termes
une découverte finguliere :
"
>
Au commencement de Juillet dernier me
trouvant au Loroux Botereau , très- gros & trèsancien
bourg , à 3 lieues eft - nord' eft de Nantes
à 4 lieues nord de Cliffon , j'apperçus des offemens
humains difperfés dans une rue dont on
avoit remué le fol. Ces triftes débris excitant ma
curiofité , je les examinai de près , & je fis à quelques
habitans des queftions relatives à cet objet.
J'appris que chaque particulier,devant faire paver
vis - à-vis de foi , avoit vendu quelques pieds de
terre pour fervir d'engrais dans les champs , ainfi
qu'il eft d'ufage dans ce canton. Les payfans qui
faifoient ces enlevemens avoient rencontré , à environ
2 pieds & demi de profondeur , une fuite de
pierres tombales , placées côte à côte , fuivant la
direction de la rue & des deux côtés du pavé. Ces
tombes ouvertes préfentoient des fquelettes dans
leur entier , mais dont les os n'avoient preſque
plus de confiftance. A mesure que ces gens continuoient
leurs fouilles , ils jettoient dans un tas les
tombes , entieres ou britées , avec leurs offemens.
Ces monumens forment un quarré long très- régulier
, compofés de deux pieces. L'inférieure eft
une auge d'environ 6 pieds & demi de long , de
f ;
( 126 )
dehors en dehors , de 15 à 18 pouces de profondeur
,& d'environ 2 pieds de large . La fupérieure,
ou l'opercule, eft un autre quarré long, qui s'adapte
parfaitement à l'entrée du fépulcre , & la ferme
exactement , fars déborder d'aucun côté . L'épaiffeur
de ces pieces eft de 3 à 4 pouces. J'en fis ouvrir
plufieurs en ma préſence , qui étoient encore
fous ferre, & j'y obfervai les fquelettes . La couleur .
de ces tombes eft d'un blanc fale ; & , quoique confervées
très - entieres , elles fe bilent aisément à
coups de pioche ou de márteau. El es font toutes
compofées de coquillages marins , aflez groffierement
pilés pour qu'on puiffe y reconnoître des
pectinées , des petoncles , buccins , tellines , patelles
, dentales , porcelaines , enfin des univalves
& des bivalves de toute eſpece. On trouve même
en affez grande quantité , dans cette compofition,
de petits bivalves entiers. Ces coquillages ne paroiffent
pas avoir été calcinés avant d'être employés
à faire cette pâte ou maflic ; mais ils font
liés par une espece de ciment calcaire , mélangé de
quelques grains de fable vitrefcible. J'en ai traité
plufieurs morceaux avec le vinaigre & l'acide nitreux
; ils'en eft élevé beaucoup de gaz ou air fixe,
& la diffolution a été prompte & comp'ette , furtout
dans l'acide mineral , à ce petit nombre de
grains de fable près. Ces tombes , imprégnées de
vapeurs animales , réſultant de la décomposition
des cadavres qu'elles renfermoient , répandcient
une odeur tellement infecte , lorfqu'elles étoient
fraichement tirées de la terre , que j'ai été obligé
de laiffer évaporer à l'air libre les pieces que j'en
ai enlevées , avant de les placer dans mon cabinet.
J'ai demandé fi l'on n'y avoit point trouvé d'inf«
criptions , de médailles ou de pierres gravées ; on
m'a dit qu'il s'en étoit rencontré quelques- unes ,
mais que les payfans les avoient brifées . Il ne m'a
( 127 )
pas été poffible , jufqu'à préfent , de m'en procurer
aucune. Ayant été con duit dans un autre quartier
du bourg , d'où l'on enlevoit aufli des terres ,
j'y ai de même obfervé plufieurs anciens to.nbeaux
; mais ceux- ci étoient à une profondeur bien
plus confidérable ; ils étoient , d'ailleurs , creulés
dans le roc vif , & recouverts d'une pierre plate du
pays , & tous , dans ce canton , étoient de la même
efpece , au lieu que , dans l'autte quartier , il n'y
en avoit pas un feul qui ne fût composé de coquillages.
Ces derniers , d'ailleurs , étoient rangés
avec beaucoup plus d'ordre & de fymmétrie. J'ai
regretté que le tems & mes affaires ne m'euffent
pas permis de refter au Loroux , & d'y obferver la
fuite de ces fouilles . Ce qu'il y a de certain , c'eſt
que ces tombeaux de coquillages ont été trouvés.
en très grand nombre, & qu'on en découvre encore
tous les jours. Si je puis me procurer quelques
renfeignemens ultérieurs fur cet objet intéreffant ,
j'en ferai part au Public.
Maintenant , je demande aux érudits & aux
amateurs de l'antiquité :
1º. Pourquoi l'on a préféré , pour la conſtruction
de ces tombeaux , des coquillages marins à
toute autre matiere ; ce qui eft d'autant plus furprenant
, que l'on n'a pu les tirer que de la mer ,
éloignée duLoroux de 12 à 15 lieues ; que le tranf
port n'a pu s'en faire qu'à très grands frais , tandis
qu'on trouve par tout & en abondance , dans le
lieu même , une pierre fchifteufe , feuilletée , folide
, fort ailée à exploiter , qu'on peut extraire
en très -grandes pieces , & bien plus propre à réfifter
à l'injure des tems & à conferver des cadavres ,
que cette pâte poreufe & friable de coquillages ?
29. Par quelle raifon on s'eft uniquement fervi
de cette pierre du pays dans certains quartiers du
bourg , tandis que , dans d'autres , on ne trouve
£
4
( 128 )
que ces tombeaux de coquillages , fans aucun
melange des premiers ?
3°. Enfin , je prie d'obferver qu'il ne fe rencontre
aucuns coquillages foffiles dans les environs du
Loroux ; qu'on n'y trouve pas un aône de pierre
ou terre calcaire , & que ce pays , dans une trèsgrande
étendue , n'offre par- tout que la terre ar-,
gileufe vitrefcible , une efpecé de pierre (chifteafe
, des filex , & de la roche granitique.
DUBOUEIX , Docteur en Médecine , Médecin de
Monfieur , Frere du Roi , Membre correfpondant
de la Société Royale de Médecine de Paris , &c .
Quoique l'idée fuivante préfente de trèsgrandes
objections , nous la foumettons à
opinion publique : voici les expreffions de
l'Auteur , dans la lettre où il nous fait part
de fes vues.
Paris ce 2 Octobre 1785 .
MESSIEURS ,
Depuis que la Société royale des Sciences &
des Arts de Metz a propofé cette queftion intéreffante
: Queile eft l'origine de l'opinion qui
étend fur tous les individus d'une même famille
une partie de la honte attachée aux peines infamantes
que fubit un coupable ? Il a été publié un
grand nombre d'Ouvrages fur ce fujet , parmi
fefquels on diftingue le Difcours de M. la Cretelle
, Avocat au Parlement de Paris , & celui
de M. de Robespierre , Avocat à Arras , l'un
& l'autre couronnés par le Corps Littéraire
'qui avoit annoncé le prix . J'ai lu ces deux Difcours
avec autant d'attention que de plaifir , &
j'ai trouvé très -ingénieux les différens moyens
qui y font propofés pour parvenir à renverfer
Finjufte préjugé qu'on y attache : mais je regrette
de ne point appercevoir au nombre de
( 129 )
ces moyens celui que je vais préfenter ici &
que j'ole croire d'autant plus digne de l'attention
publique , qu'il eft puife dans les plus anciens monumens
de la Jurifprudence françoife.
En effet , felon ce que rapporte M. Bernardi
dans fon nouvel Ouvrage intitulé Effi fur les
Révolutions du Droit françois , page 49 , l'on voit.
par un Arrét de 1298 qui fe trouve dans les
regiftres olim du Parlement , que tous les parens
d'un homicide étoient obligés , dans l'an , d'abjurer
Sa parenté , autrement ils étoient punis de la même
peine que lui.
Ce moyen pratiqué parmi les anciens François
pour tempérer la févérité inouie & prefque
barbare de cette Coutume qui foumettoit toute
une famille au même châtiment que devoit fubir
un meurtrier forti de fon fein , ne pourroit- il
être remis en ufage pour extirper un préjugé
funefte dont on reconnoit aujourd'hui , pour
airfi dire , unanimement l'injuftice ?
›
Il fuffifoit en 1298. comme on vient de le
voir , d'abjurer , dans l'an , fa parentě avec un
homicide pour n'être pas puni des mêmes peines
que lui. N'eft- il pas évident que fi cette abjuration
folemnelle de parenté étoit maintenant introduite
en France par la volonté du Souverain
en faveur des familles , dans la trifte circonftance
du crime & de la condamnation d'un de leurs
membres ce bénéfice qui ne feroit accordé que
par des Lettres émanées de l'autorité fuprême du
Roi & revêtues de fon ſceau , fauveroit aujour
d'hui l'honneur de ces familles , comme autrefois
il leur fauvoit la vie ? L'on fait combien les
peuples attachent de refpect aux formes confa- t
crées ou par l'ufage ou par la Loi ; & le lien de
parenté qui uniroit d'honnêtes citoyens à un criminsl
, étant ainfi tranché juridiquement & fo-
"
fs
( 130 )
lenellement , il ne fubfiftereit plus même de
prétexte pour faire retomber for des innocens la
honte qui n'eft due qu'au coupable. Le préjugé
feroit anéanti jufques dans fa racine . L'Etat conferveroit
dans fon fein une multitude de familles
qui s'expatrient chaque jour pour te fouftraire
au déshonneur que ce funefte préjugé étend fur
elles ; la politique n'y gagneroit pas moins que
l'humanité.
ROBERT , Avocat au Parlement .
J. B. Fr. Durey de Meynieres , Préfident
honoraire au Parlement , eft mort le 27 du
mois dernier. 60 ans de vertus , de zele &
de travaux lui avoient mérité la confiance
& l'amitié des Magiftrats , la confidération
publique , & juftifient les regrets de tous
ceux qui l'ont connu.
PAYS - BAS.
DE BRUXELLES , le 9 Octobre.
Nous avons donné , l'ordinaire dernier ,
un fommaire des articles préliminaires d'accommodement
, arrêtés à Paris entre l'Ambaffadeur
Impérial , & ceux des Etats Géné
raux. Voici maintenant la fubftance plus
détaillée de ces mêmes articles . En les lifant
, il faut fe rappelier attentivement tout
ce qui a précédé , & qu'en abandonnant 14
prétentions , dont entr'autres celle fur Maëftricht
, fans aucun équivalent pécuniaire ,
l'Empereur , il y a un an , s'étoit borné à
réclamer la liberté illimitée de l'Efcaut & la
navigation dans les deux Indes.
I. Il eft convenu , que les Etats- Généraux acquitteront
9,5000,000 florins , argent courant
( 131 )
de Hollande , pour l'indemnité de Maëlricht
& de fon territoire , les bans de St. Servais y
compris , ainsi que le Comté de Vroenhoven ';
& 500 mille florins , même cours , pour compenfation
des dommages caufés par les inone
dations . Trois mois après la ratification du
Traité , les Etats Généraux feront payer à la
Caifle Impériale de Bruxelles , la fomme de
1250 mille florins de Hollande ; fix mois après
pareille fomme ; & ainfi , de fix mois en fix
mois , jufqu'à l'extinction totale defdites deux
fommes , faifant enſemble celle de dix millions
de florins , argent courant de Hollande .
II. L. H. P. céderont à S. M. Imp. le Ban
d'Aulne , fitué dans le Dahlem Hollandois ; &
fes dépendances , & la Seigneurie ou le chef.
Ban de Bligny -le -Trembleur , avec St. André ,
le Ban & Seigneurie de Bombay , la Ville &
Château de Dahlem avec fes appartenances
excepté Ooft & Cadier ; fous la réferve qu'il
en fera fait compenfation dans les échanges de
convenance refpective , à faire dans le pays
d'Outre- Meufe.
III . Les limites de la Flandre demeureront
au terme de la Convention de 1664 , & , s'il
en étoit qui , par le lips du temps , puffent
avoir été ou être obfcurcies , il fera nommé
des Commiffaires de part & d'autre pour les
rétablir.
IV. L. H. P. feront régler , de la maniere
la plus convenable , à la fatisfaction de l'Empereur
, l'écoulement des eaux du Pays de S.
M. en Fiandres & du côté de la Meufe , afin
de prévenir , autant que poffible , les inondations
, en confentant qu'à cette fin , il ſoit fait
ufage fur un pied raifonnable , du terrein ,.
néceffaire , même fous la demination de L, H
•
£ 6
( 132 )
P. Les éclutes , qui feront conftruites à cet
effet , fur le territoire des Etats- Ginéraux ,
refteront fous leur fouveraineté ; & il n'en fera
conftruit dans aucun endroit , qui pourroient
nu're à la défenſe de leurs frontieres .
Il fera nommé refpectivement des Commiffaires
, qui feront chargés de déterminer les
emplacemens les plus convenables pour lefdites
éclutes . Ils conviendront enſemble de celles
qui devront être foumises à une régle commune .
V. L. H. P. ayant déclaré , par une de leurs
réfolutions , que leur intention étoit de dédommager
deux des fujets de S. M. Impériale , qui auroient
fouffert par des innondations , elles affectent
à cet objet les 500 mille florins de Hollande ,
dont il a été fait mention dans l'article premier.
VI. L. H. P. reconnoiffant le plein droit de
fouveraineté abfolue & indépendante de S. M.
Impériale fur toute la partie de l'Escaut , depuis
Anvers jufqu'au bout du pays de Saftingen ,
conformément à la ligne de 1664 , laquelle on
eft convenu de couper , ainfi que l'indique la
ligne jaune S. T. , laquelle retombe en T. fur
la limite de 1664 du côté du Brabant ; ſuivant
que l'indique la Carte fignée par les Ambaffa
devrs refpectifs . Les Etats - Généraux renoncent
en conséquence à la perception & levée d'aucun
péage & impôt dans cette partie de l'Escaut , à
quel titre & fous quelle forme que ce puiffe
être ; de même qu'à y gêner en aucune maniere
la navigation & le commerce des fujets
de S. M. Impériale , fans que ceux - ci puiffent
y donner plus d'étendue qu'il n'en eft accordé
par le traité de Munter du 30 Janvier 1648 ,
lequel demeurera à cet égard dans fa force &
vigueur.
VII. L. H. P. évacueront & démoliront les
( 133 )
Forts de Kruis Schans & de Fréderic Henri ,
& en céderont le terrein à S. M. Impériale.
VIII. L. H. P. voulant donner à S. M. l'Em- .
pereur , une nouvelle preuve de leur defir de
rétablir la plus parfaite intelligence entre les
denx Etats , confentent à faire évacuer & à
remettre à la difpofition de S. M. Imp. les Forts
Lillo & de Liefkenshoek avec leurs fortifica- .
tions , dans l'état où ils le trouvent ; les Etats-
Généraux ſe réſervant d'en retirer l'artillerie &
les munitions de toute efpece.
IX. L'exécution des deux articles ci - deſſus ,
aura lieu fix femaines après l'échange des ratifications.
X. Les Etats- Généraux s'étant prêtés au defir
, que l'Empereur leur a témoigné , d'avoir
les Forts de Lillo & de Liefkenshoek dans l'état , ·
où ils fe trouvent , L. H. P. attendent de l'amitié
de S. M. Impériale , qu'Elle voudra bien leur
céder & abandonner tous les droits , qu'Elle a pu
former fur les villages dits de Rédemption , autres
que ceux dont Elle peut déjà avoir difpofé
par des échanges avec la Principauté de Liege.
M. le Comte de Mercy , ne fe trouvant pas
fuffisamment inftruit , a bien voulu , à fa demande
& fur la priere du Médiateur , prendre
cette propofition ad referendum .
XI. S. M. renonce aux prétentions qu'Elle
avoit formées fur les bans & villages de Bladel
& Reuffel.
XII. M. le Comte de Mercy demande , que
le village de Poftel , qu'il dit déjà foumis à la
domination de l'Empereur , foit cédé à S. M.
Imp . par les Etats- Généraux , qui renonceront
à cet effet à toute prétention ; bien entendu que
les biens de l'Abbaye de Pofte !, fécularifés par
les Etats Généraux , ne pourront être réclamés.
( 134 )
差
MM. les Ambaffadeurs de Hollande ont bien
voulu à la priere du Médiateur , prendre cet
article ad referendum .
XIII. Il eft convenu , que les prétentions pé--
cuniaires de Souverain à Souverain font compenfées
& abolies : Et , quant à celles que les
particuliers auront à réclamer de part & d'autre ,
il fera nommé des Commiffiires pour les liquider.
XIV. il fera nommé également des Commiffa'res
, pour reconnoître les limites du Brabant
& pour convenir de gré à gré des échanges , qui ,
pourroient être d'une convenance mutuelle .
XV. Le traité du Munfier du 30 Jarvier
1648 , fervira de bafe au futur traité définitif,
qui devra être conclu dans l'espace de fix femaines
: Et toutes les ftipulations dudit traité
du Munster feront confervées , en tant qu'il n'y.
aura pas été dérogé. MM. les Ambafiadeurs des
Etats- Genéraux demandent le rappel du traité
de 1731. & notamment de l'article V. M. le
Comte de Mercy n'a pas jugé devoir s'y prêtet.
» Les articles ci-deffus ont été rédigés en
préfence du Comte de Vergennes , nommé
" par S. M. Très - Chrétienne , pour remplir les
fonctions de Médiateur ; & ont été foufcrits,
» par les Ambaffadeurs fouffignés , fous l'ap-
» probation de l'Empereur & des Etats- Géné-
» raux » . Fait à Paris le 20 Septembre 1785 .
Pour l'intelligence de la derniere partie de
l'article 15 , il faut fe rappeller que , par ce
Traité de Vienne de 1731 , que réclame la
Hollande , la Maifon d'Autriche s'engagea
avec l'Angleterre & avec la République à
faire ceffer dans les Pays- Bas tout commerce
avec les Indes Orientales.
+
Le Stathouder s'eft rendu de Breda à
( 135 )
Lewarde en Frife , auprès de Madame la
Princefle d'Orange & de fa famille. L'on ne
prle point encore du retour à la Haye de
S. A. S.
Le vieux Général Van der Duin de Maafdam
, le plus ancien des Généraux de la République
, eft décédé à Breda , dont il étoit
le Gouverneur , à l'âge de 65 ans. Le commandement
de Breda paffe , dit- on , à M. de
Maillebois , & le Prince de Heile Philipstadt
aura le Régiment des Gardes - Dragons
dont M. de Maafdam étoit Colonel.
Les lettres remifes par l'Envoié de Pruffe ,
aux Etats Généraux & aux Etats de Hollande,
de la part de S. M. P. font de la teneur
fuivante , fuivant la traduction littérale
qu'en donnent les Gazettes Hollendoifes.
Nous
FREDERIC , & c . & c . & c. Après que
Nous eûmes communiqué à V. H. P. nos inquiétudes
& intentions par Notre Lettre détaillée
, du 29 Février de l'année derniere , à l'égard
de la pofition défagréable , dans laquelle fe
trouve depuis quelque temps , le Seigneur
Stadhouder- Héréditaire , Prince d'Orange &
de Naffau ; & que Nous eûmes reçu à ce fojet
de la part de V. ' H. P. , par leur réponſe du
31 Aôut de la même année , des affurances fi
agréables touchant cette affaire , Nous avions
efpéré que les mêmes circonftances n'auroient
plus lieu ; mais au contraire , que ledit Scigneur
Stadhouder- Héréditaire feroit laiffé dans
l'exercice tranquille de fes prérogatives inconteflables
, appartenantes à fa dignité de Stad-'
houder-
Héréditaire . Mais comme nous apprenons
le contraire , & même des avis très- défa(
136 )
vorables de quelques-unes des Provinces de V.
H. P. , Nous expédions aux Seigneurs Etats
de la Province de Hollande & de Weftfriſe
la Miffive ci - jointe par copie.
Convaincus de l'équité de V. H. P. & de
leur affection pour la Maifon d'Orange & de
Naffau , fi bien méritée dans tous les Etats des
Provinces - Unies , Nous prions V. H. P. , trèsinftamment
, comme voifin & ami , de s'interpofer
dans les événemens défagréables actuels ,
& de s'adreffer avec zele , tant aux Seigneurs
Etats de Hol ande & de Weftfrie , qu'aux Etats
des autres Provinces , où befoin fera , afin que
le Seigneur Stadhouder Héréditaire jouiffe tranquillement
des droits , à lui appartenans héréditairement
, que ceux qui lui foni ôtés lui foient
rendus , & qu'une parfaite harmonic loit retablie.
Ainfi Nous recommandons par celle - ci , de.
la maniere la plus férieuſe à V. H. P. , le bienêtre
& les intérêts du Seigneur Stadhouder-
Héréditaire , de Notre chere Niece & de leur
Famille , qui donne tant d'efpérances ; qu'ainfi
V. H. P. vuillent bien prendre en délibération
, & faire confidérer aux Seigneurs Etats
refpe&tifs , que Nous ne faurions être indifférent
, à l'égard da fort non mérité que fubiffent
des Perfonnes qui Nous appartiennent de
fi près ; mais au contraire , que nous veillerons
à la confervation du bien - être qui leur eſt dû ,
& à quoi Nous devons contribuer par tout ce
qui Nous eft poffible . Pour cet effet ; Nous
préfentons également Notre médiation impartiale
, en qualité d'ami & voifin , & avec les
meilleures intentions. Nous espérons de voir
que par la fuite , Nos voeux feront remplis à
cet égard , & dans cette attente , Nous demeurons
affectionnés en tout temps à Vos Hautes ,
( 137 )
Paiffances , comme ami & voihin. A Berlin ce
18 Septembre 1785. FREDERIC ..
( Plus bas ) FINCKENSTEIN , HERTZBERG .
Seconde lettre de Sa Majefté le Roi de
Pruffe à Leurs Nobles & Grandes Puiffances
les Etats de Hollande & de Weftfrife.
Nobles Puiffans Seigneurs , & Particuliers
bons Amis & Voifins , &c .
·
NOUS FREDERIC , par la grace de Dieu ,
Roi de Pruffe , Margrave de Brandebourg
&c. &c. &c. Après les affurances à Nous communiquées
par les Seigneurs Etats Généraux des
Provinces-Unies , dans leur réponse du 30 Acât
de l'année derniere , Nous Nous fommes tenus
affurés qu'on ne penferoit plus dans aucune des
Provinces-Unies , à faire quelque infraction à
la jouiffance & à la poffeffion des droits légitimes
du Seigneur Stadhouder Héréditaire ,
Prince d'Orange & de Naffau , à lui finalement ,
dévolus. Notre furpriſe & Notre regret ont été
plus grands , lorfque Nous avons appris , contre
toute attente, qu'on a ôté récemment au Seigneur
Stadhouder-Héréditaire le Commandement de
la garnifon de la Haye , lequel appartient cependant
indifputablement à la dignité d'un Stadhouder
Héréditaire & Capitaine - General ; &
que les affaires paroiffent portées au point ,
qu'on cherche encore à le démettre fucceffive .
ment des droits les plus effentiels & les plus
importans du Stadhouderat Héréditaire , & de
n'en laiffer fubfifter que le fimple nom & l'ombre.
Nous ne fommes pas en intention de Nous
mêler des circonftances intérieures de votre Etat
libre , ni de prévenir V. N. & G. P. dans l'exercice
de leurs droits Souverains : mais au coutraire
nous fommes convaincus de leur équi-
4
( 138 )
té & amour pour la juftice ; mais , Nous ne
pouvons être indifferent au fort d'un Prince &
de fa Maiion , qui Nous appartient de fi près :
d'autant plus que nous fommes affurés que le
Seigneur Stadhouder - Héréditaire n'a pas donné
la moindre raiſon , ni occafion à un traitement
auffi pu mérité ; mais au contraire qu'il a fait
tout ce qui cft poffible afin d'exerce avec dignité
fes hautes Charges , de contribuer au
bien- être de l'Etat entier , de mériter & s'attirer
la confiance & l'attachement des Seigneurs ›
Ears refpectifs : A quai Nous l'engageons de
la maniere la plus forte dans toutes les occafions
quelconques. Comme nous prenons de
même un intérêt très vif au, bien - être & à la
tranquillité d'une République auffi refpectable
& Notre voiline ; ainfi Nous prions & exhortons
V. N. & G. P. par les préfentes , encore
très-inſtamment & avec réitération de tout le
contenu de Notre ample Miffive , envoyée pár
Nous le 29 Février de l'année derniere , aux
Seigneurs Etats- Généraux des Provinces- Unies
des Pays-Bas , qu'elles veuillent le mettre fur
un meilleur pied , & plus amical avec le Seigneur
Stadhouder- Héréditaire , en écartant tout
ce qui a eu lieu jufqu'ici , probablement par :
méfintelligence & précipitation , de rétablir la
primitive heureufe union & la confiance réci
proque ; de laiffer le Seigneur Stadhouder Hé
réditaire dans l'exercice paifible des droits &
prérogatives à lui dévolus & à fa Maiſon , finalement
par droit d'hérédité comme Stadhouder-
Héréditaire , Capitaine & Amiral -Général , de
ne plus l'y troubler ; mais au contraire , de lui
rendre ce qui lui en a été ôté .
Si V. N. & G. P. étoient d'intention pour le
bien -être de leur Province , de faire quelques
( 139 )
changemens efficaces à cet égard , dans le Gou.
vernement des affaires publiques & intérieures ;
il ne leur fera pas pénible de le réunir à ce fujet
avec le Seigneur Stadhouder -Héréditaire , fans
infraction fur les droits : Tandis qu'aflurément
il témoignera être porté à tout ce qui eft jufte
& avantageux pour l'Etat , lorfque V. N. &
G. P. voudront feulement s'entendre avec Li
à cet égard.
*
Et fi Nous pouvions y contribuer par Notre
médiation , & que V. N. & G. P. vouluffent
"Nous remettre à cet égard leur confiance , Elles
peuvent être affurées que Nous Nous en acqui ,
terions avec autant de zele que d'impartialité
& d'attachement , non -feulement comme allié
de la Maifon d'Orange & de Naffau , mais auffi
comme un ami & comme voifin des Provinces-
Unies.
A ces Cauſes , Nous confeillons à V. N. &
G. P. de la maniere la plus férieuſe , de s'atacher
fans prévention à tout ce qui eft ci - deffus ,
& de fatisfaire Nos defirs par une réponſe agréa
ble ; par contre , Nous affurons V. N. & G. P.
que par la fatisfaction de cette Notre attente ,
Nous leur referons attaché avec l'amitié &
l'eflime la plus pure d'un veifin.
A Berlin le 18 Septembre 1785.
On mande de Cologne , en date du 26
Septembre , les détails fuivans , dont nous
ne garantiffons pas l'authenticité.
On dit que les Commiffaires de marché partiront
de Bonn le 27 pour le Duché de Limbourg
, afin de tout difpofer pour le paffage des
troupes Autrichiennes , qui fe rendent dans les
Pays - Bas. Nous apprenons auffi que la deuxieme
du corps franc de Brentano , qui n'eft compofée
que d'infanterie , ainfi que la troifieme , arri(
140 ).
vera ici par cau vers le 15 du mois prochain.
La premiere colonne , qui eft divifée en deux
efcadrons de 500 huffards chaque , le rendra
par Luxembourg dans les Pays - Bas. Cette cojonne
mene avec elle beaucoup de chariots ,
fur lefquels fe trouvent des uniformes & autres
montures pour les Régimens de Preifs & de
Teutelmeister qui font aux Pays - Bas , Le coftume
& l'air farouche de ces guerriers infpire
l'effroi . Cependant ils obfervent la plus exacte
difcipline.
Les Régimens de Stein & de Langlois qui
forment environ 7000 hommes , prendront leur
route par Munich , Gunzbourg & Luxembourg.
Celui de Durlach eft de 2893 hommes , outre
une compagnie de canoniers de 188 hommes ,
qui ont à leur fuite deux pieces d'artilleries de
12 livres de balles & 14 de fix , outre plufieurs
chariots de bagages. Le Régiment de Brechainville
eft à peu près de même nombre.
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
Un trait d'infubordination , qui a éclaté il y
a quelques jours à Anvers , y avoit donné des
inquiétudes d'autant plus vives , que bien des
foldats paroiffoient le partager. Un d'eux à la
parade , mécontent de fon Officier , l'a percé
d'un coup de bayonnette ; & , quoique le fupplice
du coupable n'ait pas tardé à venger ce
crime , le murmure prefque général du Régiment
, & même de la Garnifon annonçoit un ,
relâchement inquiétant dans la difcipline; à quoi
il faut encore ajouter l'immenfe défertion , bien
prouvée par toutes les précautions humiliantes ,
prifes pour l'arrêter . Auffi écrit- on des Pays Bas-
Autrichiens , que , depuis la nouvelle de la figna(
141 )
ture des points préliminaires , on s'occupe de
ramener dans l'intérieur des Provinces la plus
part des Régimens qui bordoient les frontieres .
Caufe extraite du Journal des Caufes célébres ( 1 ).
Procès criminei entre Parens à l'occafion d'une
coeffe.
"
"
L'Ordonnance de Moulins , dit M. des Efarts
, enjoint aux parens de prendre des Arbitres
pour le jugement de leurs procès. C'étoit
une belle & tage injonction , bien conforme
aux droits de la nature , & bien digne du
Chancelier de l'Hôpital , auteur de cette Ordonnance.
Ce grand homme , à qui nous devons
nos premieres loix de police , étoit bien
perfuadé que les moeurs valoient mieux
les loix , & qu'où les moeurs étoient dépravées ,
les loix devenoient infuffiartes.
que
Il vouloit qu'une main fage & paisible éteigrit
promptement , entre les parens , les étinceles
de difcorde , fans bruit , & comme dans
l'ombre du toît domestique,
C'est dans ce cas , fur - tout , qu'est vraie la
triviale , mais fage maxime : qu'un mauvais
accommodement vaut mieux qu'un bon procès .
Mais fi la loi repouffe des tribunaux les parens
dans les affaires civiles , c'eft , fur- tout ,
dans les accufations criminelles qu'il faudroit
leur en interdire l'entrée : comment n'être pas
choqué de voir des parens s'accufer , fe diffamer
, & demander , à grands cris , l'infamie
ou la mort l'un de l'autre ? Auffi voyons- nous
que les magiftrats , s'ils ne peuvent fermer la
bouche à ces accufateurs effrénés , s'ils ne pruvent
impofer filence aux premières clameurs
des haines & des paffions , ils les renvoient ,
du moins , fans accueil & défarmés par l'impuiffance
de nuire , & punis par le dedain des
( 142 )
loix & le mépris de l'opinion publique .
La haine qui fuccède à l'amour eft la plus
violente , & les querelles qui naiffent entre
ceux qui doivent s'aimer , font les plus envenimées
& les plus furieufes ; mais il feroit
difficile de trouver une caufe plus légère &
"des effets plus atroces que dans l'affaire dont
on va lire une notice abregée.
Catherine Trotianne refta veuve , à Granville
, de Nicolas Georges , avec cinq enfans ;
Ambroife , Catherine , Marie- Claude , femme
de Colignon , Nicolas & Jean -Baptifte , tous
unis , établis , avancés & heureux par la tendreſſe
& la bonne conduite de leur mère.
Un nommé C .... , praticien , élève entre
Nicolas & Catherine , fur la propriété d'une
coeffe , un procès que la mère étouffe en payant
150 liv . de frais . Le fieur C .... avoit juré
de troubler cette famille pailible ; il s'oppofe
à l'homologation de la tranfaction , le 11 Septembre
1780 , fous prétexte que Nicolas , étant
infime , n'a pu tranfiger fans confeil. Le 11
Décembre , réquêre en plainte de Nicolas
contre fa mère , fon frere & fes foeurs , requête
odieufe , où la décence , la raiſon , la vérité font
indignement outragées. C'est une affreufe dénonciation
contre toute fa f mille , que l'on a fait
foufcrire à cet infortune , dont on a fafcine les
yeux , endurci le coeur , égaré l'efprit : les conclufions
de la plainte tendoient à l'interdiction de
´la mère , & à la réc ufion perpétuelle de la foeur.
Ordonnance , de L.... , beau- père de C ... ,
qui permet d'informer . Neuf Janvier , conclufions
de Nicolas à la civilifation , & à ce que
l'affaire foit jugée par trois gradués . Trois féances
, où fix gradués déclarent qu'il n'y a pas
lieu à prononcer de décret , fauf aux parties à
1
"
( 143 )
•
fe pourvoir par la voie civile. Enfin , avec
deux gradués ignorans ou complaiſans , L....
le 12 Février 1781 , décrète d'affigné pour être
ouis la mère , Ambroife , Catherine & Marie-
Claude , femme Colignon . Réponses , appel ,
décret d'ajournement perfonnel , puis de prife
de corps contre les fours , le frere & la mère
même. Pour l'excufer , on difoit que le forfait
étoit fi terrible , fi inconcevable , que l'accufation
s'en éclipfoit à la lueur des premiers mouvemens
qu'excite dans les ames droites le feul inſtinct de
la vertu. Ainfi la malice d'un feul homme
excitée par un reffentiment dont la cauſe eft
on ne peut pas plus frivole , transforme toutà-
coup une famille paifible & honnête en une
troupe d'ennemis , arme le fils contre la mère,
& feme , au milieu d'eux , l'opprobre & le
malheur. Tous fuient , hors la femme Coligron
, qui , allaitant , fon enfant , fut traînée
en prifon. Arrêts qui ordonnent fa liberté provifionnelle
; refus d'obéir . Arrêt du 3 Avril ,
portant la mise en caufe de L .... & de C ...
à la requête du miniſtère public , lequel conclut
contr'eux à une interdiction perpétuelle , & à
1000 livres d'aumône chacun , au profit des
enfans trouvés ; contre Nicolas Georges , à un
emprisonnement de trois mois , & à 1000 liv.
de dommages & intérêts ; & enfin à ce que
la requête en plainte , du 11 Décembre 1780 ,
Sera livrée entre les mains de l'exécuteur de la
haute juftice pour étre par lui brûlée au pied du
grand efcalier du pa'ais . L'arrêt a été moins févère
, parce que Nicolas , accufateur , a été confidéré
comme un imbécille ; peut - être encore
parce que le motif , qui ne permet pas aux
parens de s'accufer , influe fur la douleur de
leur condamnation , lors même qu'ils le vio(
144 )
-lent ; & c'est dans cet e prit qu'on n'adjuge
point d'indemnité à la mère. M. Mollavaut ,
Avocat éclairé & courageux des acc fés , ter-
-minoit alnfi fon Mémoire : « Périffe à jamais
ce monument honteux , l'ouvrage de la méchanso
ceré , l'effroi de toutes les familles , l'opprobre
de l'bumanite! Que tous les veftiges , s'il eft
poffible , en foient anéantis ; un exemple
» éclatant eft digne du zèle dont les fages
Magiftrats , arbitres de nos deftinées , font
animés pour le maintien des bonnes moeurs
» & le repos de la fociété »,
Auffi les Magiftrats fe font empreffés d'anéantir
cet oeuvre de délire & d'iniquité. L'Arrêt
du Parlement de Nancy , du 30 Juin 1781 ,
a jugé qu'il avoit été mal & nullement permis
d'informer , & a caffé les décrets & toute la
-procédure. Il a condamné Nicolas en 200 liv.
de dommages - intérêts envers fa foeur , femme
-de Colignon , & en 50 livres envers la four
Catherine & fon frere Ambroise. 11 a été or- .
donné que la plainte de Nicolas feroit lacérée ,
par l'Huiffier de fervice , à l'Audience de la
Cour : Nicolas a été condamné en 10 livres
d'aumône ; défenfes au fieur L.... de faire
les fonctions de Juge ; & le nommé C…... , fon
gendre , a été interdit , pendant dix ans , des
fonctions d'Avocat , & l'impreffion & affiche de
l'Arrêt ordonnées .
ERRAT A.
Dans le dernier Journal , pag 81 , dig. 29 ,
cent mille livres ; lifez cent livres.
-J,7
JOURNAL
POLITIQUE ·
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 30 Septemb.
ON
Na lancé le 24 un yaiffeau de 74 can. ,
nommé le Nordftiern [ l'Etoile du Nord ]
La veille étoient arrivés deux bâtimens
des Indes orientales , & un des Indes occi- '
dentales. Le même jour 24 , les Actions de
la Compagnie d'Afie valurent à la bourſe
850 rixdalers , & celles des Indes occidentales
218 à 210.
Le Prince héréditaire , & la Princeffe fon
époufe font revenus le , 19 à Chriftianfbourg
de leur voyage à Schwerin .
Nous avons déjà reffenti les atteintes de
l'hiver & une forte gelée , dans la nuit du
20 , a beaucoup endommagé le jardinage.
RUSSI E.
DE PÉTERSBOURG , le 29 Septemb.
Le Comte de Cortz , Miniftre du Roi de
N°. 43 , 22 Octobre 1785. g
( 146 )
1
Pruffe , a communiqué dernierement à notre
Cour le traité de contédération , conclu par
S. M. P. avec les Electeurs de Saxe & d'Havovre.
La Réponſe verbale du Comre d'Ofterman
, au nom de l'Impératrice , étoit conçue
en ces termes :
J'ai mis fous les yeux de l'Impératrice la Déclaration
confidentielle , que vous avez été chargé
de me communiquer par ordre de votre Cour. Sa
Maj . Impériale , très- fenfible à cette attention
de S. M. le Roi de Pruffe , ne croit pouvoir
mieux répondre à une pareille ouverture , qu'en
lui avouant avec la franchiſe , qu'Elle eft accoutumée
de témoigner en toute occafion à fon ami
& à fon allié , que ne voyant point la conftitution
Germaniqne menacée de quelque danger , & la
croyant fuffifamment garantie par les Traités de
Weftphalie & de Tefchen , auffi bien que par les
affurances folemnelles , qu'Elle vient de donner`
en même temps que l'Empereur , Elle a de la
peine à fe perfuader , que l'affociation formée ,
qui pourroit fi aifément répandre de la méfiance
entre les Etats eux-mêmes , puiffe contribuer à
confolider davantage le maintien de la conftitution
& de la liberté des Etats d'Allemagne.
L'efcadre d'Archangel , aux ordres de
l'Amiral Spiritof , & celle de la Baltique ,
commandée par le Vice - Amiral Krufe , font
rentrées à la rade de Cronstadt , où l'on s'occupe
du défarmement de ces vaiffeaux..
Le Prince Potemkin eft nommé Amiral
de la mer noire. En cette qualité , il ne
dépendra point de l'Amirauté , mais il fera
tenu de rendre compte de loin en loin à
l'Héritier du Trône , qui eft Grand - Amiral
( 147 )
-
de Ruffie ; toutefois , fans être refponfable
à d'autres qu'à l'Impératrice. Six millions de
roubles lui font affignés pour les dépenfes
de fon département. Le Prince a diftribué
à fes connoiffances une defcription de la
Crimée , écrite en langue ruffe ; elle forme
un volume in folio de détails minutieux .
Les Miniftres de Vienne , de Verlailles &
de Londres ont reçu le préfent d'un exemplaire
de cet ouvrage.
•
.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 8 Octobre.
La Ducheffe , Douairiere de Holftein-Oldenbourg
, arriva ici , le 22 du mois dernier,
à l'hôtel épifcopal , où elle s'eft propoſée de
faire fa réfidence .
Une lettre particuliere de Conftantinople ,
en date du 25 Août , renferme les particularités
fuivantes :
·La marine ruffe fur la mer noire devient formilable
tous les jours , & la Porte ne paroît pas
être fans inquiétude de ce côté- là . Une eſcadre ,
confiftant en un vaiffeau de ligne & 12 frégates ,
a fait une croifiere le long des côtes ; elle s'en
eft tellement approchée , qu'on a pu la voir trèsdiftin&
tement paffer devant Synope. On croit qu'à
fa rentrée dans le port de Schaftopolis , dans la
Crimée , elle y trouvera le navire amiral qu'on
y conftruit fort avancé , & que dès qu'il fera prêt
à mettre en mer , cette efcadre fera une feconde
croifiere , aux ordres d'an Vice- Amiral. Les nou¬
g 2
( 148 )
velles de la Crimée portent les forces navales de
la Ruffie fur la mer noire à trois vaiffeaux de ligne
de 74 canons , deux autres de même grandeur
, qui font fur les chantiers de Cherfon , à
15 Frégates de 36 canons , juſqu'à 59 , & à
quatre ou cinq cotters .
Il n'y a eu aucun changement dans le Ministere
aprés les fêtes du Ramafan. Un événement
imprévu a rempli ici d'étonnement toutle monde .
Jufuf-Aga a été élevé à la dignité de Pacha à
trois queues , & fait Gouverneur de la Morée.
Ce Mofulman eft d'une très- baffe extraction ;
mais il est peu d'intriguans comme lui . Il avoit
fu gagner toute la confiance du Capitan - Pacha :
il étoit fon Agent à la Porte . Son maître étant
forti de Conftantinople la femaine paffée , pour
aller vifiter les travaux de la nouvelle fortereffe
conftruite près de Micevria , pour défendre l'entrée
d'une grande baie fur les côtes de la mer
noite , par laquelle il feroit facile aux Ruffes de
faire une defcente , Jufuf Aga , à l'infu du Capitan
- Pacha , fut promu à la dignité & au Gouvernement
dont je viens de parler . L'étonnement
que caufa cette promotion ne peut être exprimé,
Quelques- uns penfent qu'elle eft l'ouvrage des
ennemis du Capitan- Pacha , afin d'éloigner fon
confident d'auprès de fa perfonne ; il fera par là
obligé d'agir d'après fes propres talens ; & on
affure qu'il en a très-peu , & que tout ce qu'il a
fait de bon , il le doit aux confeils de fon Agent ;
c'est un moyen sûr de lui faire perdre la faveur
auprès du Grand Seigneur . Il lui reste encore
un autre excellent confeiller ; c'eft fon premier
Dragoman , Mo- Vrojeni ; celui - ci n'eft pas
moins intriguant que Jufuf- Aga , & il partageoit
avec lui la confiance du Capitan- Pacha . On
travaille à lui êter encore cet homme de confiance,
( 149 )
Il y a quelques mois que fon maître lui avoit
promis de le faire nommer Hofpodar de Valachie
ou de Moldavie ; il avoit manqué l'une &
l'autre de ces dignités , parce que les Grecs , qui
en furent avertis à tems , firent agir le Mufti-
Mollae Bey , alors régnant , & qui s'oppofa efficacement
à cette nomination . Mais le Dragoman
n'a pas perdu encore l'efpoir de réuffir ; il follieite
continuellement , & les ennemis du Capitan
Pacha le ferviront aujourd'hui de tout leur
crédit
La Porte a une affaire très - défagrable fur les
bras. Un certain Aly Pacha , Gouverneur de
Ganina , de Delphina en Albanie , n'obiffant aux
ordres qu'il recevoit de la Porte , qu'autant qu'il
le vouloit bien , fut privé par le Miniftere du
premier de ces Gouvernemens ; il en fut même
chaffé avec violence par Court - Pacha , qui le
força de fe retirer à Delphina . Arrivé dans ce
fecond Gouvernement , il ne fongea qu'à fe
venger du Court - Pacha. Pour y parvenir sûrement
, il s'eft lié fecrettement avec Mahoud-
Pacha , qui , au retour de fon expédition contre
les Montenegrins , a réuni fes forces aux fiennes .
Ces deux Rebelles ont formé une armée de so
mille hommes , & ont été chercher Court- Pa-`
cha , qui s'eft retiré derriere les montagnes du
diftri &t d'Albafan. Ce dernier fe trouvant beaucoup
plus foible que les deux ennemis , a donné
avis à la Porte de fa fituation critique , & domande
du fecours pour le foutenir. Les troupes
des deux rebelles commettent toutes fortes d'in
dignités & de cruautés ; elles ont pilié & facagé
plufieurs villages , mis le feu aux récoltes &
aux maifons & ont maffacré plufieurs fujets de
Court Pacha.
Pendant l'année 1784 il a été exporté du
g 3.
( 150 )
port de Rostock pour la valeur de 384624
rixdalers & 32 shellings de marchandifes.
En 1783 la valeur des marchandifes d'expor
tation étoit de 538,650 rixdalers .
Un Journal de commerce expofe les obfervations
fuivantes , relativement à l'intérêt
de l'argent.
Au commencement du dix - feptieme ficcle ,
-l'intérêt de l'argent étoit dans toute l'Europe de
10 à 12 pour cent , â l'exception de la Hollande
, où en 1621 , on n'en payoit que 6. Au
commencement de ce fiecle , il étoit à un &
demi , & un & trois quarts pour cent : jamais le
taux de l'intérêt n'y a été plus bas ; il y feroit
refté probablement fans les emprunts confidérables
qui ont été faits en Hollande pendant les
trente dernieres années. On affure pofitivement
qu'en 1779 , les emprunts faits à Amfterdam
Rotterdam , Middelbourg & Utrecht , monterent
à la fomme de deux cens cinquante millions de
florins. Cette fomme s'eft beaucoup accrue depuis
cette époque. En 1655 , on a reduit en
Hollande les intérêts des dettes de l'Etat de 5 à 4
pour cent & enfuite à 2 & demi'pour cent , &
aujourd'hui ils font encore à ce dernier taux.
On estime que depuis la découverte de l'Amérique
, les intérêts de l'argent font tombés dans
la Hollande de trois quarts , & dans le reste de
PEurope de demi.
•
DE BERLIN , le 7 Octobre.
S
Les Régimens de cette Garnifon , qui
s'étoient rendus à Poftdam , pour y exécuter
les manoeuvres , font rentrés ici depuis
plufieurs jours. Le jour même de leurs exer(
(-151 )
cices , le Roi fe trouva affez indifpofé ; indifpofition
qu'on attribua au froid, & à une
mauvaiſe digeftion, Peu de temps après , la
goutte s'eft déclarée . En l'abfence de Sa Maj .
le Prince Royal & le Prince Frédéric de
Brunſwick préfiderent à l'exécution des manoeuvres.
S. M. eft aujourd'hui parfaitement
- rétablie.
On remarque toujours la plus grande
activité dans le cabinet. Les Miniftres travaillent
, même une partie de la nuit.
On a compté l'année derniere dans la Poméranie
Pruffienne une population de
428,451 perfonnes de l'état civil , 18,100
hommes de troupes , & 12,974 femmes &
enfans militaires & domestiques.
DE VIENNE , le 7 Octobre. ¿
L'Empereur a porté les peines les plus
féveres contre les fuicides. Tous ceux qui
feront furpris dans le projet d'attenter à leurs
jours , feront enfermés dans la Maifon de
force , & condamnés enfuite à ballayer les
rues de la Capitale.
On vient de publier un Décret de la Cour,
par lequel S. M. Imp. , pour encourager les
établiffemens de manufactures & de fabriques
, qui jufqu'ici n'avoient pas exifté dans
fes Etats , promet aux Négocians & Manufacturiers
nationaux des avances en argent ,
moyennant 3 & demi pour cent d'intérêts ,
Jefquels cependant leur feront remis pour
g 4
( 152 )
la premiere année. En outre , ceux des
Manufacturiers qui fe feront diftingués par
la perfection & par la quantité de leurs
marchandifes , recevront des gratifications
& autres encouragemens particuliers.
On a établi deux nouvelles Douanes ,
l'une à Gratz pour la Stirie & la Carinthie ;
l'autre à Laybach pour la Carniole , la Croatie
, Triefte , Fiume , & c .
L'
L'Empereur a nommé le Comte Okelli ,
fon Chambellan, pour aller réfider à la Cour
de Drefde , en qualité de Miniftre Plénipotentiaire.
Le Baron de Schoenfeld , Miniftre
Plénipotentiaire de l'Electeur de Saxe à la
Cour de France , viendra réfider ici dans la
même qualité,
La fucceffion du feu Lieutenant- Général
de Braun , léguée à l'établiffement des pauvres
dans cette Capitale , monte , déduction
faite des legs , à la fomme de 101,826 florins.
Les intérêts de ce fonds feront diftribués par
an de préférence à ceux des citoyens de la
Capitale , qui ont effuyé des malheurs & qui
méritent qu'on s'intéreffe à leur fort.
L'Empereur a établi à Bude une Direction
de navigation pour le Royaume de Hongrie.
Cette Direction eft chargée de tous les travaux
fur les rivieres , & elle connoîtra de
toutes les affaires relatives à cette partie.
Le grand Référendaire , chargé de l'inſpection
des écoles publiques , a obfervé au Gouvernement
que de 17000 enfans qu'on pouvoit compter
dans la capitale , il n'y en avoit pas 7000
1
( 153 )
qui fréquentaffent les écoles ; que les parens à
qui on faifoit des reproches , s'excufoient fur le
trop grand éloignement où la plupart fe trouvoient
de ces écoles , qui ne leur permettoit pas
d'y envoyer leurs enfans pendant l'hyver. L'Empereur
ayant égard à ces femontrances , a ordonné
qu'il feroit établi de nouvelles écoles dans les
différens quartiers ; qu'on emploieroit à cet établiffement
1400 florins que retireroient annuellement
les Pierriftes pour la tenue des petites
écoles , & que le refte feroit pris de fon tréfor.
L'état de confcription générale de la Gallicie
porte la population de cette province ,
non compris la Buckowine , à 3 millions ,
501,719 perfonnes , dont la Nobieffe pour
19,427 individus , le Clergé pour 4,858 , les
Etrangers domiciliés , pour 17,440 , & les
Juifs pour 193,399 .
D'après la nouvelle information , la Magiftrature
de Vienne eft compofée de 122
individus , au nombre defquels on compte
un Bourg- mestre , 2 vice - Bourg meftres.
42 Confeillers , 13 Secrétaires , &c. L'état
des appointemens eft porté à 990,400 flor,
Le traitement du Bourg- meftre eft de
4000 florins.
Le Magiftrat de Prague eft formé fur le
pied de celui de Vienne ; il eft compoté de
83 individus , dont 1 Bourg mestre , 2
vice Bourg mestre , 20 Confeillers , 8
Secrétaires , &c. Les appoinremens annuels .
font portés à la fomme de 5 , , soo florins ;
le Bourg-meftre en tire 2,500.
gs
( 154 )
DE FRANCFORT , le 13 Oftobre.
Le 30 Septembre , le Prince Maximilien
des Deux Ponts a époufé , à Darmſtadt , la
Princeffe Augufte, fille du feu Prince George
de Heffe Darmstadt , âgée de 20 ans.
Le Général Comte de Colloredo arriva
à Munich le 24 du mois dernier. A cette
époque , les troupes de l'Empereur , qui
devoient traverſer la Baviere , montoient à
11,500 hommes.
L'Electeur de Cologne eft parti de Bonn
le 28 Septembre , fous le nom de Comte de
Stromberg , pour fe rendre à Vienne. S. A. E.
eft accompagnée par le Baron de Forftmeifter
, fon Grand - Ecuyer.
Il est tombé à Altenrandsberg , depuis trois
heures de l'après- midi jufqu'à fix , une fi grande
pluie , que les eaux ravagerent les environs à
une lieue & demie à la ronde. Beaucoup de
maifons & de granges remplies de bled & de foin
ont été renversées & emportéés par le torrent.
On a compté 12 perfonnes péries à cette occasion,
Un Journal d'économie publique vient
de rendre public en ces termes , l'ufage à
faire du charbon de terre dans la conftruction
des murailles,
Le mortier préparé de fable & de chaux acquiert
plus de folidité en y mêlant du charbon
de terre réduit en poudre ; mais cette poudre eft
fur-tout recommandable pour le mortier fait de
ciment & de chaux , & employé fur les murs que
l'on veut élever dans l'eau , ou qui font exposés
( 155 )
à l'eau, puifqu'elle leurdonne ure plus grande fo
lidité & les rend impénétrables . Voici le mélange
néceffaire : on prend deux portions de ciment
pulvérisé , une de charbon de terre bien
réduit en poudre , & une portion & demie de
chaux détrempée ; ces portions font d'abord mêlées
enſemble , & enfuite bien remuées dans de
l'eau. Le mortier ou la pâte qui provient de ce
mélange durcit fucceffivement , & réfilte abfolument
à l'action de l'eau.
Le 3 de ce mois , le fieur Blanchard s'eft
élevé dans un Ballon de 40 pieds de haut ,
fur 24 de large , avec fon parachûte , fon
chien , & c. &c.; it a pris terre deux heures
après à Weilboxrg , à huit lieues de notre
Ville , où il eft revenu immédiatement , &
où il a été extraordinairement fêté.
Un Journal Politique préfente les relevés fuivans
de Population . On comptoit en 1781 , dans
le Diocèle de Brixen 222,778 ames , dont 845
Individus du Clergé féculier , & 1,048 du Clergé
régulier. La Popularion de la ville de Brixen
étoit alors de 3,805 ames.
Le Diocèfe de Cenfance renfermoit en 1779 ,
une Population de 8 97,624 ames . Le Clergé
étoit au nombre de 8,90 : Individus , dont 6,068 .
Religieux & Religieufes .
D'après les regiflres mortuaires de Stockolm
, il y eft mort dans les 8 dernieres an.
nées 26,496 perfonnes , ce qui fait par an
le nombre moyen de 3312 .. Les fievres inflammatoires
en ont enlevé 214 ; les fievres
putrides 86 ; la petite.vérole 161 ; la phtile
463 , On compre communément 39 femmes
qui meurent en couche par année. A
86
( 156 )
Stockolm les morts font aux vivans comme
un à 20 , 21 ou 22.
La ville de Minden renferme actuellement une
Population de 5,175 ames. Cette ville fait un
Commerce affez confidérable. La Rafinerie de
Sucre en fabrique par an pour 1,90,000 rixdalers,
la Fabrique de Bougies en débite annuellement
pour 3,600. Les deux Fabriques de Savon noir
pour 5,300. Indépendamment de ces Fabriques,
il s'y en trouve encore une de Drap & d'Etoffe ,
trois de Bonneterie , une de Tabac , & plufieurs
de Toile & de Coutil . →→→→ Le Commerce du Fib
de la ville de Lubek , dans la Principauté de
Minden , monte par an à deux cens cinquante:
mille rixdalers.
ITALI E.
DE VENISE , le 30 Septembre.
On affure que fur les plaintes de la République
à la Porte , touchant l'invafion du
Pacha de Scutari dans la Dalmatie Vénitienne
, le Divan a déclaré au Baile qu'il
blâmoit la conduite du Pacha , & qu'on donneroit
à la République une fatisfaction convenable
, en le puniffant comme il le méritoit.
On mande de Parme un accident arrivé
à la Troupe de Comédiens , venant ici fur le
Pô dans la barque ordinaire de Turin .
Quand cette troupe fut près de Plaifance ,
quelques- uns ennuyés de la longue marche de
la barque , & preffés d'arriver à Plaisance pour
y voir la Comédie , prirent un petit bateau , &
( 157 )
eurent l'imprudence de ne pas s'affurer d'un ba
telier , & de vouloir voguer par eux- mêmes. Au
premier moulin le bateau s'embarraffa dans une
corde , & par repercuffion , le domeftique du Comédien
Thomafo Grandi tomba dans le Pô . Tous
les autres coururent promptement pour fecourir
celui qui étoit tombé; mais le bâteau ayant naturellement
tout le poids du même côté , le fit
tourner & tomberent dans l'eau . Ceux qui favoient
nager , tels que le domeftique , un nommé
Fiaftro & un autre fe fauverent , mais tous les
autres fe noyerent , & parmi eux Thomaſo Grandi
, Sora Pavefi , Dori Florentin , & un nomme
Galle , Marchand Milanois qui s'étoit joint à
eux , & portoit mille florins à Venile. La troupe
eft reflée à Plaifance privée de fes meilleurs
fujers.
DE NAPLES , le 9 Septembre .
Les de ce mois , les fignaux nous apprirent
que la flotte du Roi étoit à la vue de
l'ifle d'Ifchia ; le lendemain , quatre galiottes ,
un floop , plufieurs felouques & canots , fur
lefquels s'étoient embarqués les Miniftres &
plufieurs autres perfonnes de la Cour , mirent
à la voile pour aller au - devant de LL. MM ..
Le 7 à une heure après midi, on a vu à la
hauteur du cap Paufdipe ; elle étoit compofée
du Saint Joachim , de 30 canons , à bord
duquel étoient, LL. MM. , de deux frégates ,
quatre chebecs , quatre paquebots , d'un vaiffeau
de 74 canons , de deux fregates & un
cutter hollandeis , de trois frégates angloifes.
& un floop , de deux galeres & de deux cor(
158 )
vettes maltoifes. Elle a mouillé à la rade à
cinq heures du foir ; LL . MM. fe font rendues
à terre dans leur canot ; elles ont été
faluées par tous les bâtimens de l'efcadre , &
reçues avec acclamation par le peuple qui
couvroit les quais.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 8 Octobre.
Le Parlement , qui étoit fimplement ajour
né au 27 de ce mois , vient d'être prorogé au
premier Décembre prochain , par une pro
clamation de S. M. du 30 Septembre dernier.
Depuis la réfolution , c'eſt le ſecond
exemple d'une prorogation durant un ſimple
ajournement.
Le Comte de Haflang , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Electeur Palatin , Duc de Ba
viere , eut le 5 de ce mois une Audience
privée de S. M. , en lui remettant ſes Lettres
de créance.
Le Général Haldimand , aujourd'hui Che
valier du Bain , a pris hier congé de S. M. ,
avant fon départ pour le Canada , où il retourne
en qualité de Gouverneur Général .
Cet Officier, d'Yverdun dans le pays de Vand ,
eft attaché , dès fa jeunele , au fervice de
l'Angleterre. Il fervit avec beaucoup de diftinction
en Amérique , pendant la guerre de
1756. Quoique 20 ans de féjour & de ferviees
dans cette contrée , où il commandoit
( 159 )
encore à New-Yorck en 1775 , duffent naturellement
le faire employer après la rupture
de la Métropole avec fes Colonies , des
intérêts particuliers & des raifons de forme
le laifferent à Londres dans l'inaction , jufqu'à
la fin de la guerre , inftant oùfl paffa en
Canada. Il eft peut être le premier Etranger
à qui le Cordon rouge ait été accordé depuis
le fiécle. Le Général Prevoſt, malgré la belle
défenſe à Savannah , ne l'a point obtenu ; il
eft moins ancien , il eft vrai , dans le fervice
de la Grande Bretagne , que le Général Haldimand.
Le Général Campbell s'eft rendu à Portf
mouth , où il doit s'embarquer pour Madras
d'un moment à l'autre , avec fa famille . Sa
fuire eft peu confidérable , & a été , dit on
limitée par le Bureau même des Commiffaires
pour les affaires de l'Inde.
Le Commodore Thompſon eft parti pour
la côte d'Afrique , à bord du Grampus de so .
canons , accompagné du floop le Nautilus ,
qui doit rapporter ici le réfultat des informa
tions prifes par le Commodore , touchant
l'état de nos établiffemens dans cette contrée .
Le 4 , conformément aux ordres de l'Ami ,
rauté , on a lancé à Portsmouth le vaiffeau le
Saint -George de 90 canons , en préſence du
Prince Guillaume Henri , non encore parti
pour la Méditerranée . Il baptifa lui - même.
le vaiffeau , aux acclamations d'une multitude
immenfe , & dîna à bord de la Queen ,
( 160 )
avec l'Amiral Montague , au bruit d'une
falve d'artillerie.
La nouvelle des Préliminaires , fignés entre
l'Empereur & la Hollande , en raffurant
les efprits fur la crainte d'une guerre, a remis
les fonds publics à leur cours naturel , & ils
ont hauffé encore d'un & demi pour cent
depuis 8 jours. La Maiſon Child & Compa-.
gnie a fait une emplette récente de 200,000 1 ,
fterl. dans les trois pour cent confolidés.
Le Gouvernement fait dreffer un état du
produit annuel de la taxe des pauvres dans
toutes les Paroiffes du Royaume , & il fera
préſenté un nouveau plan au Parlement à
ce fujet. L'année derniere , cette collecte a
monté , dit on , à la fomme exorbitante
de 4 millions , trois cent mille liv. fterl. On
remarqué avec rajfon que ce fubfide indirect
, levé fans l'autorité du Parlement , pourroit
entraîner des abus dangereux qu'on fe
propofe de prévenir.
Du 10 Septembre 1783 au 24 Juin 1785 ,
on a enfeveli dans la petite Paroiffe de Wye,
du Comté de Kent , 17 perfonnes , dont les
âges réunis formoient un total de quatorze
cens & dix -huit années.
Jeudi dernier , un Charron d'Hafield ,
dans le Comté d'Hertford , eft parvenu à fa
centiéme année. Lord Salisbury , Seigneur
du lieu , & dont la famille employoit ce'
vieillard depuis fon enfance , a invité tous
fes vaffaux à fe rendre dans fon parc , où
( 161 )
Il les a régalés de boeuf & de bierre forte
de Londres . La famille de ce vénérable artifan
eft compofée de deux filles , l'une de
79 , l'autre de 76 ans , & d'un fils , âgé de
75. Celui - ci étant fouvent alité , fon pere
travaille à fa place & le nourrit , & communément
, le pere gagne 3 fchellings & demi
par jour , tandis que le fils n'en peut gagner
que deux & demi.
Lorique le fort de Gibraltar étoit dans fa plus.
grande crife , vers la fin du dernier mémorable
Rege , & lorfqu'on croyoit dans toute l'Europe
que cette fortereffe ne réfifteroit pas aux forces
fupérieures , & aux efforts réunis de la France &
de l'Espagne , le préfent Marquis de Lansdown ,
alors Secretaire d'Etat , écrivit une lettre au Gouverneur
, dont le contenu fut communiqué à la
Garnifon , avec les ordres qui y étoient joints. La
copie de cette lettre ne pourra manquer d'inté
reffer plufieurs de nos lecteurs , elle prouve l'im
"portance attachée par l'Angleterre à la poffeffion
de Gibraltar .
Extrait d'une Lettre du Comte de Shelburne , principal
Secretaire d'Etat , datée de St. James le 10
Juillet 1782.
« Sa Majefté m'ordonne de vous affurer dans les
termes les plus forts que les braves Officiers &
Soldats qui font fous vos ordres , ne manqueront
pas d'encouragement. Son approbation
>> royale de ce qui s'eſt déjà paſſé , fera fans doute
un motif puiffant pour les engager à faire de
nouveaux efforts ; le Roi m'autorife à vous
affurer qu'il récompenfera amplement toute
action diffinguée d'émulation & de bravoure ,
qui fera faite dans le cours du fiege , par qui
» que ce foit , même dans les plus bas rangs.
D
( 162 )
Vous communiquerez ces intentions de Sa
» Majefté de la maniere la plus publique à tous
» les Soldats de votre garniſon , afin qu'ils foient
» pleinement perfuadés que leur Roi ſent tous
-les dangers auxquels ils font exposés , admire
» leur réfiftance glorieufe , & fe trouvera heureux
de récompenfer leur mérite, »
Un Planteur de la Jamaïque écrit à fon
Correfpondant d'Edimbourg , qu'on vient
d'inoculer la petite - vérole à so nègres , avec
le plus grand fuccès . Dans la Paroiffe de
Sainte-Anne , un feul Médecin en inocula
1300 dernièrement , fans en perdre un feul .
Comme on lui donnoit 12 à 15 fchellings
par nègre inoculé , & 2 livres 10 fols pour
chaque perfonne de couleur , il a recueilli
au moins tooo liv . fterl . de fon opération.
Une Feuille péric dique préfento le takles..
fuivant des richeffes de l'Angleterre , fait il
ya 25 ans, par un politique que l'Editeur
dit très-inftruit du commerce , de l'Agriculcuture
, des manufactures & de la population
du Royaume.
Le terrein de l'Angleterre peut contenir. 39
millions d'acres de terre . Sa population estimée
à 5.545,000 ames , augmente annuellement
d'environ coo ames , toute évaluation faite
des pertes occafionnées par la pefte , & c . , la
guerre , la marine , les colonies .
La ville de Londres contient environ 600,000
habitans ; les autres Villes , & Bourgs à Marché
870,000 ; enfin , les Villages & les Hameaux
, 4,100,000 . La rente annuelle des
terres 10,000 000 liv. fterl. Celle des maisons
& bâtimens , 2,000, oco. Le produit des grains
( 163 )
de toutes eſpèces , peut s'eftimer à 975,000
liv. année commune. La rente annuelle des
terres à bled 2,000,000 liv . & leur produit net ,
9 millions de liv. fterl . La rente des pâturages
, des communes , des bois , des forêts , des
bruyeres , &c. , 7 millions. Le produit annuel
du beurre , du fromage & du lait , monte à environ
2,500,000 liv. La laine tondue tous les
ans à 2 millions. Les chevaux élevés annuellement
peuvent s'eftimer à 250,000 liv. La
viande confommée annuellement à 33,300,000
liv. Le fuif & les cuirs , à environ 600,000
livres . Le foin confommé pour les chevaux , à
1,300,000 liv. Celui que confomme les autres
beftiaux , I million . Les charpentes employées
aux bâtimens , à 500,000 liv. Le bois de chauf
fage , à la même fomme. On évalue la quantité
de terre qui reviendroit à chaque habitant
pour fa quote- part à fept acres & un quart.
La valeur du bled , du feigle & de l'orge , nés
ceffaires pour la confommation de l'Angleterre ,
monte au moins à 6 millions fterl . par an. La
valeur des laineries , également pour fa comfommation
, monte à 8,000,000 liv . & l'exportation
des laineries de toutes efpèces , à plus
de 2 millions par an . Enfin , le revenu de tous
les individus de la Nation > fur lequel font.
paffées les taxes , peut aller 43 millions fterl .
En France on l'eftime à 81 millions fter . , &
en Hollande , à 18,250,000 liv. fter..
ས ¢
Nous devons prévenir les Amateurs de
cette forte de recherches , de l'inexactitude
du relevé précédent. L'Auteur eft probablement
le Docteur Campbell , qui , ainfi que
le Docteur Price , s'eft efforcé d'atténuer la
population & la richeffe nationales. Le pre(
164 )
mier de ces Ecrivains étoit un favant fyftématique
, qui voulut démontrer que depuis
F'invafion des Normands , le nombre des
habitans n'avoit ceffé de diminuer en Angleterre.
Le Docteur Price , vertueux citoyen
, mais trop aigri , trop paffionné , trop
peu en garde contre les préventions , a toujours
eu l'efprit de parti pour mobile de fes
calculs & même de fes opinions. M. King ,
l'Arithméticien politique le mieux inftruit du
dernier fecle , portoit en 1699 , d'après les
recherches les plus exactes , la population de
l'Angleterre & du pays de Galles au même
nombre d'hommes fpécifié dans l'état qu'on
vient de lire. Or , M. Hume , M. Howlet ,
M. Wales , le célebre Arthur Young & M.
Eden ont fuffisamment démontré , que depuis
la révolution , fous Guillaume III , la
population s'étoit accrue fucceffivement. M.
Arthur Young , dont les recherches ont été
pouffées jufques dans les plus petits détails ,
& dont les calculs font parfaitement raiſonnés
, a établi ,
La population de l'Angleterre
& du pays de Galles à ...
Celle de l'Ecoffe à.
Et le revenu général des
terres , arts , manufactures
commerce , &c. en Angleterre
, à la fomme de. ·
8,000,000
1,350,000
·9,350,000
100,000,000
( 165 )
En Ecoffe.. • 10,000,000
1. ft.
110,000,000
D'où il réfulte , qu'en fuppofant la totalité
des taxes annuelles , de 13,000,000 1. ft,
le revenu public fera un douzieme du revenu
général , foit environ deux ſchellings
& quatre fols par livre fterlings. On peut
confulter fur cet objet l'excellent ouvrage
de M. Chalmers , qui a difcuté les différentes
opinions avec beaucoup de lumieres &
de fagacité,
Le nombre des malheureux coudamnés pour
des crimes capitaux au vieux Bailliage , a confidérablement
augmenté depuis plufieurs années ;
mais dans aucune période cet accroiffement n'a
été plus rapide & plus grand que depuis la
guerre. On en exécuta 49 en 1780 ; 29 en
1781 & 12 feulement en 1782 ; l'année ſui❤
vante on en fit périr 74 , & depuis cette année
jufqu'à celle - ci on en compte 90. Cet accroiffement
progreffif fe remarque malheureufement
dans tout le royaume . Le nombre des coupables
qui ont obtenu leur grace , de ceux qui ont été
condamnés au fouet ou à la tranſportation paſſe
toute croyance . Parmi eux on compte beaucoup
de Matelots & de Soldats réformés , & l'humanité
follicite la recherche & la découverte de
quelques moyens de pourvoir à leur fubfiſtance
lorfqu'on les renvoye du fervice.
A ces calculs , nos Papiers en ajoutent un
bien fingulier ; ils évaluent à 70,000 perfonnes ,
le nombre des coupables comdamnés à mort & .
exécutés depuis 1685. Ce calcul véritablement.
étrange, feroit bien effrayant s'il étoit exact
( 166 )
Il juftifieroit en quelque forte les regrets qui le
fuivent & les voeux qu'infpire l'humanité pour
la confervation de tant de vies qu'on pourroit
fauver peut- être fans laiffer le crime impuni.
Au lieu de les retrancher pour jamais de la
Société , ne feroit - il pas poffible de les employer
à conftruire des havres , à rendre des rivieres
navigables , à creufer des canaux , à défriche r
des landes , à pratiquer des routes fur les montagnes
, à exploiter des mines ?
FRANCE.
DE FONTAINEBLEAU , le 16 Odobre.
Le Roi a nommé , le 7 de ce mois , à
l'Abbaye d'Oigny , Ordre de Saint Auguítin
diocefe d'Autun , l'Abbé Dillon , Vi-›
caire général de Nevers.
9
Le Roi ayant établi un Corps municipal
à Fontainebleau , les Officiers qui le com-"
pofent , ont eu , le 12 de ce mois , l'honneur
d'être préfentés à Sa Majefté par le Duc de
Gefvres , Gouverneur général de la province
de l'Ifle -de France..
Le fieur de Horne , Premier Médecin-
Confultant des Camps & Armées du Roi ,
de Madame Comteffe d'Artois & du Duc
d'Orléans , a eu l'honneur de préſenter à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale , le
quatrieme volume du Journal Militaire.
Dom Guillaume Coutans , Bénédictin der
l'Abbaye de Lagny, Congrégation de Saint--
Maur, a eu , le 13 , l'honneur de préſenter
( 167 )
au Roi , à la Reine & à la Famille Royale ,
la quinzieme Feuille de fon Tableau topographique
des environs de Paris , jufqu'aux
extrémités du Diocèfe , contenant Corbeil ,
Melun , Fontainebleau , & c.
Le 14 , le Marquis de Pierrecourt , qui
avoit eu l'honneur d'être préfenté au Roi , a
eu celui de monter dans les voitures de Sa
Majefté , & de la fuivre à la chaffe.
DE PARIS , le 10 Octobre.
Par Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du
8 Octobre , le délai fixé à fix ſemaines , à
compter du 10 Juillet dernier , pour l'entrée
des toiles de coton blanches & peintes,
achetées de l'Etranger , a été prorogé jufqu'au
15 de ce mois.
Un autre Arrêt du Confeil d'Etat , du 7
de ce mois , fixe le délai accordé , tant aux '.
Marchands de Paris qu'à ceux des Provinces
, pour faire les déclarations preſcrites
par l'Arrêt du 10 Juillet dernier , jufqu'au
10 Novembre prochain.
M. d'Albert de Rioms , Commandant -
de l'elcadre d'évolution , eft rentré à Rochefort
, avec une partie de fon eſcadre. A
l'inftant de fa féparation de celle qu'il envoyoit
à Breft, le vent d'Oueft ayant augmenté
d'une force extraordinaire , tous ces
bâtimens ont été difperfés pendant 2 heures
dans la baie d'Audierne. Partie de leurs
verges & de leurs voiles ont été emportés
( 168 )
& ils n'ont dû leur falut qu'à leurs grandes
voiles , qui heureuſement ont réſiſté , &
avec efquelles ils ont doublé les roches , au
rifque de chavirer. Le Clairvoyant feul a
été affalé à la côte , après avoir perdu toutes
les voiles & fon gouvernail. Tout le
monde a eu le bonheur de fe fauver. Vers :
la fin de Septembre eft parti de Breſt 7 à
8 gabarres , qui vont tranfporter du bois de
conftruction dans les différens ports du
Royaume.
Une lettre de Rouen rapporte un trait de
courage qui , quoique affez commun parmi
les gens de mer, mérite néanmoins d'être
cité.
Un batelier de Rouen , nommé Toufaint Fleu
ry, conduifoit , le 12 Septembre , une barque ,
lo:fqu'un coup de vent fubit jetta dans la riviere
un paffager affis fur le pont. Auffi - tôt , le patron
s'élance dans l'eau , & ramene fa proie à bord.
Comme on lui propofoit une quête en récom
penfe de fon action , il répondit : voilà le fecond
que jefaure depuis qunize jours ; j'aifait mon devoir,
je ne veux rien.
La lettre fuivante nnous a paru affez importante,
pour n'en rien retrancher. Elle fert
à rectifier les abfurdités débitées par les Gazettes
étrangeres fur un prétendu foulevement
en Bretagne , & elle a pour fondement
le Rapport fait à la Commiſſion intermédiaire
des Etats par les Commiffaires
députés .
Rennes le 8 Octobre 1785 .
Permettez-moi de configner dans votre Jour
venu
( 169 )
nal , des faits très exacts , & qui rétabliront la
vérité indignement outragée dans plufieurs
Feuilles périodiques , par le récit fabuleux
d'une prétendue révolte de payfans Bretons ,
qui a dú éclater au mois de Juillet dernier.
On lit dans le n° . Go de la Gazette de
Leyde , & ailleurs , que c'est en baffe - Bretagne
, & principalement dans une terre qu'on
ne nomme pas , que le foulévement a été le plus
vif; que les payfans ont fait la plus vigoureufe
refiftance ; qu'ils ont repouffé la maréchauffée , &
meme des compagnies de Chaffeurs ; qu'outre les
armés communes ils avoient quatre pierriers
dont ils ont bien tiré parti ; qu'il a fallu leur
livrer une attaque en regle , cù il y a eu cinq
hommes de tués ; enfin que le Régiment de Penthiérre
a eu l'honneur de la pacification . D'autres
Papiers ont rencheri fur ces détails ; dans le
Courier de l'Europe , on en a pris occafion
de s'égayer de l'effervescence des têtes bretonnes.
Il eft cependant bien avéré , bien notoire ,
& à Nantes & à Rennes , qu'il n'eft rien arrivé
de femblable en aucun coin de la Bretagne ;
que fi l'on a cantonné 200 hommes de troupes ,
à Coueron près Nantes , c'étoit fur de fauffes
alla mes ; qu'il n'y a eu dans cette Paroiffe ,
dans aucun lieu de la Frovince , ni révolte ,
ni combat , ni pierriers poffédés ou mis en
ufage par les payfans , ni armes ni munitions
d'aucune espèce par eux raffemblées ou employées
, ni enfin aucun homme de tué dans
une émeute populaire.
Tout fe réduit à peu près à de fimples voies
de fait commifes dans une vafte plaine , fituée
en la Paroiffe de Coueron , à trois lieues de
Nantes , fur la rive droite de la Loire , & ,
comme vous voyez , dans la haute - Bretagne.
No. 43 , 22 Octobre 1785.
h
( 170 )
)
Cette prairie enclofe depuis quelques années ,
étoit ci -devant une terre vague , où les vaffaux
des villages du Pleffix & des Bourdinieres , faifoient
paître leurs beftiaux & où ils foutiennent
avoir droit de pâture , fuivant leurs titres . Its
s'étoient contentés jufqu'à préfent de murmurer
tout bas de l'ufurpation qu'ils prétendent
avoir été faite par le Seigneur ; enfin ,
déterminés par la difette abfolue de fourages ,
défefpérés de voir languir les chevaux , les
boeufs , les vaches , qui font toute leur fortune ,
de les voir mourir de faim à côté des pâturages
dont ces habitans fe croient dépouillés , ils
ont entré dans cette prairie au mois de Juin
dernier , y ont coupé de l'herbe , y ont conduit
leurs beftiaux .
Cette démarche irréguliere n'auroit dû naturellement
donner lieu qu'à une action de réintégrande
, qui auroit produit une condamnation
en des dommages intérêts , avec amende
& dépens . Mais il femble qu'on vouloit épouvanter
les vaffaux , & leur ôter pour jamais l'envie
de faire valoir leurs droits réels ou imaginaires.
On fait venir une brigade de maréchauffée ;
elle eft conduite dans la p'aine par le Procureur
Fifcal , accompagné d'un fergent ; elle
avance au milieu de ceux qui fauchoient quelques
brins d'herbes échappés au ravage d'une
faifon brûlante , elle demande Rondeau , qu'on
regardoit comme l'auteur de l'invafion : Suivezncus
de la part du Roi. A ce nom facré , Rondeau
-met bas fa faux , & fuit la troupe armée : mais
il eft fuivi lui -même par les faucheurs ; le Procureur
Fifcal , le fergent & la brigade veulent
le débarraffer de ce cortège incommode ; on
fait volte-face , on ofe menacer de faire feufur
( ( 171 )
ceux qui auroient fuivi Rondeau . Ce langage
excite leur colere ; ils approchent , le faififfent
de Rondeau & le ramenent avec eux . Depuis
il a été repris & conduit aux prifons de Nan-
Les , où il eft encore détenu avec quelques autres
habitans du Pieffix & des Bourdinieres.
On vouloit arrêter auffi la femme de Rondeau
, qui apparemment ne diffimuloit pas la
douleur que lui caufoit l'emprisonnement de
fon mari . Des foldats invalides envoyés pour
cette fin , la cherchoient à Coueron le jour de
la St. Pierre , & s'enqueroient où elle pouvoit
être. Un mauvais plaifant adreffe l'un de ces
invalides à une femme des plus vigoureuſes qu'il
dit fouffement être la Rondeau . Cet invalide fe
précipite fur elle & la faifit à la gorge ; d'un
feul coup elle le renverſe à terre ; il fe relève
& tire lâchement un coup de fufil dans les jupes
de cette femme. Les Spectateurs s'indignent ,
pierres volent ; un cavalier de maréchauffée
venu au fecours de l'invalide , eft atteint d'un
coup de pierre , qui le bleffe près de l'oeil ,
fans danger pour fa vie .
les
mais
Ces deux fcenes fur lefquelles on n'auroit pas
dû attirer l'attention du Gouvernement , ont
donné lieu à des procès - verbaux envoyés en
Cour ; M. le Comte de Goyon , Commandant de
la Province , demeurant à Rennes , à zz lieues de
Cogeron , apprend de Verſailles la nouvelle
d'une révolte en cette Paroiffe , & reçoit l'ordre
d'y envoyer des troupe . Il y fait marcher
100 hommes du Régiment des Chaffeurs des
Alpes ; celui qui commandoit ce détachement ,
trompé par de faux rapports , ne ſe croit point
encore affez en force ; il demande un feconá
détachement qui lui eft auffi- tot envoyé .
La commiffion intermédiaire des Etats , affem -
h 2
4 (172)
blée extraordinairement le 6 Juillet , députe
trois de fes , Membres , MM. l'Abbé de la Biochaie
, le Chevalier de Talhouet , & Bouvier
des Touches , afin de defcendre fur les lieux , Er
d'employer les moyens que leur prudence & leur
zele leur fuggerront , pour faire promptement rentrer
dans le devoir ceux qui s'en feroient écartés.
Les Députés font partis fans délai , ont pénétré
dans la plaine dont il s'agit , & dans les
villages prétendus féditieux ; ils n'ont trouvé
que des fupplians , qui leur ont montré leurs
titres , & leur ont demandé grace , protection ,
juftice , & des fecours pour foulager leur mifere
exceffive. Il réfulte de la lettre que les
Députés ont écrite à la Commiffion le 10 Juillet
, & du rapport qu'ils y ont fait le 12 ,
que la révolte de Coueron , & les exploits du
Régiment de Penthievre contre les révoltés
font de pures fables. Les Chaffeurs font reftés
inactifs à Coueron , & n'ont pas tardé à recevoir
l'ordre de fe retirer. Les prétendus révoltés
ont envoyé à Rennes deux d'entr'eux préfenter
leurs titres à M. l'Intendant , & fi leurs
prétentions font fondées , on efpere que ce
digne Adminiftrateur , dont le nom feul eft
un éloge , leur fournira les moyens d'obtenir
juftice.
J'ai l'honneur d'être , & c.
M. le Bailli de Freflon s'étant plaint dans
une Feuille de la Capitale , de quelques exgreffions
fur l'Ordre de Malthe , contenues
dans une copie manufcrite d'une lettre de
M. l'Abbé de Lille , ce Poëte a adreffé à
M. de Freflon une réponſe , dont voici le
contenu :
( 173 )
Au Lazaret de Marseille , le 10 Septembre 17857
MONSIEUR LE BAILLI',
Si quelqu'un avoit jamais pu révoquer en
douté la loyauté des Chevaliers de Malthe , votre
Lettre fuffiroit pour le réfuter ; on ne peut répondre
d'une maniere plus noble , plus folide ,
à l'accufation abfurde dont je viens d'être l'objet ,
& quand je ferois coupable , votre Lettre pleine de
nobleffe feroit encore la vengeance la plus digne
d'un brave & généreux Chevalier.
J'ai cherché dans ma mémoire ce que je puis
avoir dit d'offenfant pour l'Ordre refpectable dont
vous êtes un des membres les plus diftingués ;
je me fuis rappellé qu'en effet je m'étois plaint
amerement de la blancheur éblouiffante de vos
murailles , qui en huit jours auroir achevé de
m'aveuglér. Je me fuis permis encore des plain ,
tes , & même des déclamations violentes contre
l'infupportable chaleur que nous avons effuyé
dans votre Ville. Voilà les atrocités dont je fuis
obligé de m'avouer coupable.
Parlons férieuſement , M. le Bailli ; il eſt bien
étrange que l'on veuille me rendre refponfable de
de ce qu'on a pu inférer dans une Lettre fans fi
gnature & fans aveu , & falfifiée peut- être autant
de fois qu'elle a été copiée. La boule de neige
pouffée par des poliffons , à mesure qu'elle roule ,
fe groffit & fe fait ; voilà fans doute le fort de
cetie Lettre dont il a couru dans le monde tant
de copies plus ou moins infideles . Celles où l'on
dit que votre Ordre eft la feule école d'héroïſme
qui exifte dans le monde , où l'on vante l'efprit de
politeffe , de loyauté , d'hoſpitalité qui diftingue
vos Chevaliers ces copies- là , je les avoue avec
plaifir ; celles où l'on fe permet des obfervations
ou trop libres ou même injurieufes , je les défavoue
abfolument , & votre Lettre , M. le Bailh3
( 174 )
11
li , me difpenfe d'en détailler les raifons. Accueilli
de la maniere la plus diftinguée par votre
illuftre & vertueux Souverain , lié depuis nombre
d'années avec plufieurs de vos Chevaliers qui m'ho
norent de leur amitié , cultivant un art qui fait
profeffion d'admirer & de chanter les vertus hérciques
, avec quelle vraisemblance a - t- on pu
m'attribuer les phrafes hardies & repréhensibles
dont on fe plaint ?
r
J'ai l'honneur d'être avec refpect , & c.
L'Académie des Sciences , Belles Lettres
& Arts de Lyon , a tenu le 30 Août , la
féance publique , deftinée à la proclamation
des prix.
Elle avoit continué à cette année , le fujet
concernant la mixtion de l'alun dans le vin ,
& avoit annoncé qu'elle décerneroit pour prix,
quatre médailles d'or , de la valeur chacune
de 300 liv.
Elle a cru devoir accorder la couronne au
Mémoire , No. 4 , funt certi denique fines , &
qui a décerné trois des médailles propofées.
L'Auteur de ce Mémoire eft M. Roger de Grenoble
, Docteur en Médecine , le même qui
a déjà obtenu des lauriers dans cette Académie.
L'Académie s'eft réfervée néanmoins la fomme
de 300 liv. qui devoit être prife fur fes
fonds , dans la vue de doubler le prix de phy
fique fondé par M. Chriftin , qu'elle aura à
diftibuer en 1788 , & de propofer de nouveau ,
dès à préfent , pour fujet de ce prix double
cette unique queftion , dont la folution complette
lui paroît de la plus grande importance
pour le bien de l'humanité.
Quelle est la maniere la p'us fimple , la plus
( 175 )
L
prompte , & la plus exacte de reconnoître la préfence
de l'alun & fa quantité lorsqu'il eft en
diffolution dans le vin , fur - tout dans un vin rouge
très-coloré ?
L'Académie eût vivement défiré d'avoir à
diftribuer en même- tems le prix de 1200 liv,
dont l'Abbé Raynal a fait les fonds , & dont
le Sujet ci - devant continué concerne la décou
verte l'Amérique. Onze nouveaux Mémoires
onr été admis au fecond concours ; elle en a
particuliérement diftingué trois.
Elle a confidéré ces ouvrages comme vraiment
dignes d'éloges , fans lui paroître d'un
ordre affez fupérieur , pour leur décerner le
prix propofé par un homme célebre fur un
fujet auffi important ; en conféquence , elle a
cru devoir encore renvoyer le prix à deux ans,
& le fondateur , dans une de fes lettres , approuvant
cette efpece de févérité , ajoute qu'elle
peut & doit prodaire un bon effet.
M. de Fleffelles & M. le Marquis de Saint-
Vincent engagerent l'Académie au mois de
Décembre 1783 , à propofer un prix de 1200
liv. qui avoit pour objet , la direction des Aéroftats
. Cette Compagnie propoſa la queſtion
en ces termes : Indiquer la maniere la plus sûre,
la moins difpendieufe , & la plus efficace , de diriger
à volonté les machines aéroftatiques.
Après un grand travail de MM: les Commiffaires
, plufieurs rapports faits par eux , &
la difcuffion la plus réfléchie , l'Académie a
penfé qu'aucun des moyens propofés pour la
direction des aéroftats , dans les 101 Mémoires
qui lui ont été adreffés , n'a été préſenté foys
un point de vue capable d'en établir l'efficacite
, ni même de la rendre fuffifamment probable
: en conféquence , elle a jugé qu'elle
h 4
( 176 )
•
n'étoit point dans le cas de décerner le prix ;
& le fujet a été abandonné .
Elle doit néanmoins des éloges très mérités
à plufieurs Mémoires recommandables , les uns
par de favants calculs , les autres par des idées
ingénieufes ; elle a principalement diftingué les
expériences intéreffantes que M. Mercier , Artifte
de cette Ville , a repétées en préfence de
l'Académie , & dont il a rendu compte dans le
Mémoire , cotté au concours Nº. 95 .
L'A cadémie a arrêté de doubler le prix des
Arts , fondé par M. Chriftin , & de propofer ,
pour l'année 1786 , le fujet fuivant :
Quels font les moyens d'augmenter la valeur
des foies nationales , en perfectionnant le tirage ?
Le Prix confifte en deux Médailles d'or , du
prix , chacune , de 300 liv .
Aucun Ouvrage ne fera reçu au concours ,
paffé le premier Avril 1786 ; le terme eft de
rigueur.
Pour les prix d'Hiftoire naturelle ou d'agriculture
, fondés par M. P. Adamoli , que l'A
cadémie doit diftribuer en 1786 , elle propofe
le fujet qui fuit :
Quels font les diverfes efpeces de Lichens dont
on peut faire ufage en Médecine & dans les Arts?
Les Auteurs détermineront les propriétés de
ces plantes par des nouvelles recherches , & des
expériences.
Ces prix font une Médaille d'or de la valeur
de 300 livres , & une Médaille d'argent ; ils
feront diftribués , en 1786 , après la fête de
St. Pierre ; & les Mémoires , reçus au concours ,
jufqu'au premier Avril feulement ; les autres
conditions , fuivant l'ufage.
Le prix de Mathématiques , fondé par M.
Chriftin , devoit être adjugé en 1784 , à l'Au(
177 )
teur du meilleur Mémoire fur le fujet fuivant :
1º. Expofer les avantages & les inconvénients
des voûtes furbaiffées , dans les différentes conftructions
, foit publiques , foit particulieres , où l'on
eft en ufage de les employer.
2. Conciure de cette expofition , s'il eft des cas
où elles doivent être préférées aux voûtes à pleincintre
; quels font ces cas.
3. Déterminer géométriquement quelle Seroit
la courbure qui leur donneroit le moins d'élévation
, en leur confervant la folidité néceffaire.
L'Académie reçut quatre Mémoires , qui
tous méritent des éloges ; mais aucun ne parut
remplir fuffifamment les différentes vues indiquées
dans le programme. Ces confidérations
& l'importance du fujet , déciderent l'Académie
à doubler le prix propofé , & à proroger le
concours jufqu'au premier Avril 1787. Elle efpere
que ce nouveau délai donnera le tems aux
Auteurs de perfectionner leurs ouvrages.
Le prix fera double , confiftant en deux Médailles
d'or , de la valeur , chacune , de 300
liv.
Un pere de famille , Citoyen plein de zele
& de lumieres , a défiré que l'Académie s'occupât
d'un fujet relatif aux voyages & à l'éducation
de la jeune fe ; il lui a demandé de propofer
un prix de 600 liv. dont il a fait les fonds
à l'Auteur, qui , au jugement de l'Académie,
aura le mieux rempli fes vues . Cette Compagnie
s'empreffe de propofer le fujet , ainſi qu'il
Tuit :
Les Voyages peuvent ils être confidérés comme
un moyen de perfectionner l'éducation ?
A la même époque , l'Académie proclamera.
( 178 )
le prix de 1200 liv . , dont M. l'Abbé Raynal
a fait les fonds .
Le 11 Août dernier , jour de la vifite des ponts ,
M. Prévôt des Marchands , accompagné de MM.
les Officiers du Corps municipal de cette Ville ,
& plufieurs Membres de l'Académie royale des
Sciences & Officiers militaires de diſtinction , ſe
font trouvés à la natation du fieur Turquin , fituée
au bas du pont de la Tournelle , pour examiner
de nouveau les expériences dans l'art de nager ;
ils ont vu avec fatifaction les progrès qu'ont fait
ces éleves malgré l'inconftance de la faifon.
Ces MM. ont auffi été préfens à l'expérience
d'une espece de carnaffiere impénétrable à l'eau ,
d'une grandeur ordinaire & du poids de quatre
livres & demie , compris fon couvercle en peau
inventée par le fieur Turquin : on peut la porter
de même , ou roulée dans fon bras . Lorsqu'elle eft
déployée , elle prend la forme d'un petit bateau
& porte trois pieds de longueur fur quinze pouces
de hauteur.
Il étoit chargé de tout ce qui concerne l'avrefac
d'un foldat fon fufil & armes ordinaires : le tout
pouvoit pefer foixante livres
Lorsqu'un nageur au moyen d'une courroie
attachée à fa ceinture ) l'a conduit dans le baffin ,
il eft dans la riviere de toute maniere, fans éprouver
aucune crainte ni humidité.
Cette invention a paru aux ſpectateurs & à MM.
de l'Académie des Sciences ( fuivant leur rapport
du 12 du préfent ) être très- utile pour différens
ufages , pourvu toutefois qu'on fache nager.
Mefire Jean François Gafton de Sire
gand , Comte d'Erce , Vicomté de Couze-
Fan & Aulus , Baron de Caftelnau , Polaf(
179 )
"
tron & autres places , Gouverneur & Sénéchal
du Nébouzan , eft mort dans les terres
en Gascogne , le 18 Septembre 1785 .
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le 17 de ce
mois , font : 40 , 12 , 8 , 32 , & 83 .
PAYS- B A S.
DE BRUXELLES , le 16 Octobre.
Des fept Provinces - unies , celle de Zélande
a le plutôt manifefté la réſiſtance la plus
déterminée aux Préliminaires de paix arrêtés
avec l'Empereur. Voici le contenu de la réfolution
qu'elle a prife le 29 Septembre.
A été trouvé bon & arrêté d'approuver la conduite
de M. le Député ordinaire de cette Province
, qui a affifté au Comité des Etats- Généraux
pour les affaires étrangeres , spécialement
pour ce qui regarde les annotations qu'il a faites
contre les réfolutions de L. H. Puiffances , pour
conferver le droit & la libre délibération de cette
Province ; & d'écrire de plus à M. le Député fuldit
pour le charger de déclarer :
"
>
Que par deux avis détaillés , en date des 4
Mai & 17 Septembre de l'année courante , L. N.
Puiffances ont exposé aux Confédérés avec
toute la circonfpection mais en même temps avec
toute la franchife poffible , les raisons qu'elles
avoient d'être inquieres du pied vague & préjudiciable
fur lequel ces négociations fe pourfuivoient
; & qu'en même temps elles ont infifté férieufement
que la Cour de France , d'après les
h6
✓
( 180 )
confeils de laquelle la République s'étoit conduite
dans toute cette affaire , fût enfin priée aujourd'hui
, à une époque où la condefcendance de la
République avoit été portée à ſon comble , de fe
déclarer finalement jufqu'où Sa M. Très - Chrétienne
feroit difpofée à foutenir la République ,
tandis que L. N. Puiffances fe font offertes avec
fincérité , au cas que toutes les démarches pacifiques
fe trouvaffent infructueuſes , & que la République
fût forcée à défendre fon honneur & fes
droits par la voie des armes , à ne rien omettre
de la part de cette Province , de ce qui feroit en
fon pouvoir , pour eontribuer à conferver la liberté
& l'indépendance de l'Etat , & pour facrifier
, dans une conjoncture auffi critique , tout ce
qu'on pourroit attendre d'un fidele confédéré.
>> Que nonobftant la pluralité des confédérés
( fi dans cet état des délibérations l'on peut
dire que trois Provinces faffent une pluralité ) en
mettant de côté les juftes réflexions & les raifons
de cette Province , a jugé à propos de donner des
inflru&tions ultérieures à Mrs. les Ainbaffadeurs
à Paris inftructions lefquelles le député de cette
Province s'eft trouvé obligé de contredire , mais
qu'en confrontant ces inftructions mêmes avec les
articles préliminaires , qui ont été fignés , l'on
trouve une différence remarquable ; deforte qu'on
paroit devoir conclure de deux choſes l'une ,
que Mrs. les Ambaffadeurs ont de beaucoup excédé
leurs pouvoirs , ou qu'ils doivent avoir eu
des ordres feerets qui font encore inconnus à
L. N. Puiffances.
сс
"
ם
Que , fans entrer en d'amples détails à ce
fujet , L. N. Puiffances remarqueront feulement ,
que L. H. Puiffances , en laiffant le différend fur
la fomme d'argent demandée & offerte à l'arbirrage
de S. M. Très- Chrétienne , l'ont fait dans
( 181 )
l'intention que cette fomme ferviroit à éteindre
routes les prétentions formées par S. M. Impétiale
à la charge de la République , & à en tranfiger
finalement , de quelque chef que ces prétentions
puiffent ré ulter : que L. H. Puiffances
ont auffi déclaré ultérieurement , par leur réfolation
du 17 Septembre , qu'elles laiffoient à l'arbitrage
de S. M. Très. Chrétienne s'il falloit donner
plus que la ſomme de 5 millions de florins de
Hollande ou moins que la fomme de 8 millions
d'Empire , & combien plus ou moins qu'en outre
L. H. Puiffances ont annexê toutes leurs condefcendances
à l'attente que S. M. Impériale feroit
difpofée à une obligation réciproque de ne
point ériger des forts ou des batteries fous le canon
des fortereffes qu'on poffede actuellement de
part & d'autre , & de démolir ceux qui s'y trou
vent déjà ; de plus à reconnoître la fouveraineté
de L. H. Puiffances , ( qui , à proprement parler
eft la fouveraineté de la province de Zeelande )
fur la riviere de l'Ecaut , depuis les limites de la
Flandre jufqu'à la mer ; à renoncer, fans aucune
réſerve , à toute prétention fur les villages & diftricts
y dénommés & en général à tous les Domaines
de la République ; qu'on ftipuleroit auffi ulrérieurement
& plus expreffement la ceffation de
toute navigation , pour aller des Pays - Bas aux Indes
orientales , ou pour en revenir , en conformité
de l'art. V. du Traité de Vienne ; enfin l'obligation
de tenir fermés , du côté de L. H. Puiffances,
l'Escaut ainfi que les canaux du . Sas , de Swin ,
& les autres , conformément à l'art. XIV du traité
de Munfier.
52 Que cependant l'on ne trouve rien de ces
conditions , dans l'attente defquelles L. H. Puiffances
en font venues à de fi grandes condelcendances
, dans les préliminaires qui ont été fignés ,
( 181 )
fi ce n'eft pour autant qu'à l'égard de quelquesunes
l'on a ftipulé le contraire : que pour ces raifons
L. N. Puiffances ne peuvent fe mêler en rien
de ratifications des fufdits préliminaires ; mais
qu'elles laiffent toutes délibérations ſur ce ſujet
ainfi que toutes les fuites qui doivent en réſulter,
au dam fenfible de la République , pour le compte
des Provinces , qui par leur direction dans ces négociations
, ont donné lieu à des ftipulations fi
onéreufes , ou qu'on pourroit regarder comme y
ayant donné leur approbation. »
Par l'article IX . de l'Union d'Utrecht
feule loi fondamentale de la République , la
paix & la guerre doivent être décidées à l'unanimité
des Provinces ; mais fi la pluralité
d'entr'elles accede au Traité avec l'Empereur
, on ne doute pas qu'on ne facrifie le
reſpect de la Conſtitution à l'empire des circonftances
, comme cela eft arrivé déja plus
d'une fois. Les villes de la province de Hollande
ayant voix délibérative aux Etats , ont
pris copie des Préliminaires , pour fe décider
fur leur ratification. Les Etats , felon lé
bruit public , fe propofent de la foumettre
à la reconnoiffance formelle de la part de
F'Empereur , de la fouveraineté abfolue de
la République fur l'Eſcaut , depuis Saftingen
jufqu'à la mer.
Comme il eft inftructif de comparer le
tableau fommaire des prétentions expofées
par le Gouvernement des Pays - Bas , le 4
Mai 1784 , des conditions du Traité préliminaire
, nous allons rapporter les unes &
les autres.
( 183 )
EXTRAIT du Tableau ExTRAIT du Traité Préliminaire
Sommaire , &c. du20 7bre.
ART. III. Les limites
de la Flandre resteront
au terme de la convention
de 1664 , & s'il en
étoit qui par le laps de
temps , puffent avoir
été ou être obfcurcies ,
ART. I. Les limites de
la Flandre doivent refter
fur le pied de 1664. &
s'il arrivoit que par le laps
de temps elles fe fuffent
perdues ou fe perdiffent
encore on nommera des
Commiffaires pour les ré- il fera nommé des comtablir.
II. Relatif à la démolition
de quelques onvrages
du fort de Liefkenhok
& c.
III. S. Maj. demande
la démolition des forts
Kruiskans & Frédéric-
Henri.
IV. Relatif à la démolition
de quelques ouvrages
du fort Lillo.
V. Sa Maj. qui croit
avoir la fouveraineté de
PEfcaut depuis Anvers
jufqu'à l'extrémité de la
terre de Saftingen , demande
l'éloignement du
vaiffeau de garde devant
Lillo.
VI. S. Maj . demande
la reftitution des villages
de Bladel & Reufel & c.
Et VIII. Que les Etats-
Genéraux faffent ceffer
miffaires pour les rétablir.
Par l'art. VIII ce fort
eft cédé à S. Maj . Imp.
Accordé par l'art . VII ;
& en outre ces forts font
cédés à Sa. Maj .
Par l'art . VIII . ce
fort eft auffi cédé à Sa
Maj.
VI. L. H. Puiffances
reconnoiffent cette fou
veraineté , & renoncent
à la perception & levée
d'aucun péage & impôt
dans cette partie de l'Efcaut
, &c.
II. L. H. P. cedent
quelques diftricts dans le
Dalhem Hollandois . Et.
X. Elles fe prêtent au
defir qu'à témoigné S.
( 184 )
toute ufurpation & l'égard
defa fouveraineté fur les
villages dits de Rédemption
, & c.
VII. S. Maj. demande
que les Etats Généraux
renoncent à leurs prétentions
fur le village de
Poftel , & reftituent à
l'Abbaye de ce nom les
biens ufurpés &c.
IX. S. Maj. demande
la reftitution de la ville de
Maeftricht , du Comté
de Vroenhove & de
leurs dépendances.
X. XI XII XIII . Re-
Latifs à diverfes prétentions
pécuniaires de Souverain
à Souverain , dont
S. M. demande le paye-
3
ment.
XIV. Relatif à différentes
fommes dues à des
particuliers , fujets Au
trichiens , dont S. Maj .
exige la reftitution.
Maj. avoir les forts
de Lillo & Liefkenhock
dans l'état où ils font ,
dans l'efpérance qu'elle
abandonnera fes droits
fur les villages dits de
Rédemption.
nier article a été pris ad
referendum .
Ce der
XII. Le village de
Poftel fera cédé à S. M.
Impériale : les biens de
l'Abbaye qui ont été
féculatifés , ne pourront
être reclamés Article
pris ad referen tum.
J. Les Etats - Généraux
acquitteront 9 ,
500,000 florins argent
courant de Hollande ,
pour l'indemnité de
Maëftricht , de fon territoire
, du Comté du Vroenhove
& c.
.XIII. Il eft convenu
que les prétentions pécuniaires
de Souverain
à Souverain font.compenfées
& abolies.
Et quant à celles que
les particuliers auront
à réclamer de part &
d'autre , il fera nommé
des Commiffaires pour
les liquider.
Le Stathouder & fa famille font toujours
( 185 )
à Leuwarde , & très-vraifemblablement ce
Prince ne reviendra à la Haye qu'avec un
changement de circonstances.
La Gazette d'Amfterdam affure au Public
, que les Etats de Hollande vont repondre
au Roi de Pruffe , qu'ils ont toujours
eu le refpect le plus conftant & le plus
inviolable attachement aux prérogatives du
Stathouderat , qu'en conféquence ils font
parfaitement unis avec le Stathouder , &
qu'ils n'ont aucun befoin de la médiation de
S. M. P.
Les mêmes Etats de Hollande autoriferent
, le 28 du mois dernier , le Confeil-
Comité , à fubftituer fur les drapeaux & fur
les tambours des Régimens des Gardes-
Hollandoifes , les armes de la Province à
celles d'Orange qu'il portoit , par un uſage
d'autant plus abufif , que ce Régiment eſt
fpécialement celui des Etats.
Le commandement de ce Corps , vacant
par le décès du Général de Maafdam , mort
de chagrin du déplorable état de la Répu
blique , avoit été , dit- on , offert au Prince
de Heffe Philipftadt , qui l'a refufé & paffe
au Baron de Verſchuur.
M. Torniello , Miniftre de Venife , n'ayant
pu terminer l'interminable différend entre
fa République & celle de Hollande , a fignifié
fon départ aux Etats Généraux , & va
reprendre à la Cour de Londres fon caractere
de Réfident.
( 188 )
bors de la guerre de 1779. faifoit le non plus ultra
des deux armées. [ Nouvell. d'All . n° : 169.]
Trois Ruffes ayant joué dernierement juſqu'à
minuit au Billard dans un Café de Vienne, vankurent
s'en aller fans payer: le Marqueur protefta
contre une innovation auffi préjudiciable aux in-.
térêts de fon Maître ; mais ceux- ci prétendirent
que , comme alliés de l'Autriche , ils devoient
slamufer gratuitement ; & Mrs. les alliés voyant
que leur homme ne fe rendoit pas à ce bel argument,
crurent devoir employer une logique plus
preffante , & tomberent fur le pauvre Marqueurqu'ils
mirent dans le plus piteux état ; un do
meftique qui accourut aux cris du dernier , fut
accueilli de la même maniere par ces fideles
alliés , qui jugerent cependant à propos de s'évader
après ce bel exploit. On n'a pu encore les
découvrir [ Idem.]
Les Etats de Hollande Weft - Frife , affemblés
hier & aujourd'hui , continueront leurs délibérations
mercredi prochain. Cette Seffion a été d'autant
plus remarquable , que les divers membres
ont réfolu hier , à l'humanité des voix , de ratifier
les Préliminaires de la Paix ; & que cette réfolution
, ayant été réfumée aujourd'hui , à été.
confirmée, mais fous la condition expreffe &fine
quâ non , que l'Empereur reconnoîtra la Sou-
>
veraineté de la République fur l'Escaut depuis
» Saftingen jufqu'à la mer en vertu & confir
» mation du Traité de Lunfter ; que de plus les
» embouchures du Sas & du Swin devront refter
» fermées , avec injonctions que les Miniftres de
» la République à Paris n'aient pas à conclure
», le Traité définitif , ſans la flipulation expreſſe
» de ces conditions » . L'on affure , que Leurs
& Grandes Paiffances ont en même temps accepté
l'offre faite par la France , de payer
7
( 189 )
pour la République la fomme excédanterelle por
tée par les dernieres inftructions de nos Ambaffadeurs.
Cet accord unanime des Etats de Hollande ,
dans un affaire auffi importante , contribue beaucoup
à raffurer les amis de la Paix . Il eft vrai
que les Erats de Gueldre femblent adopter le
syflème de la Zeelande , & qu'on parle d'une
réfolution qu'il auroient prife , pour rejetter les
Préliminaires ; laquelle réfolution devoit être
portée aux Etats Généraux. On ajoute même ,
que les Etats de Frife , qui ont dû s'affembler
le 3. de ce mois, & où Mgr. le Stadhouder pourra
affifter , ne font pas éloignés d'une oppofition
femblable; quoique fondée , dit-on , fur des principes
différents : Mais telle eft l'influence , que
donne à la Hollande la part , qu'elle porte dans
les charges communes de la confédération , qu'on
ne laiffe pas de préfumer , que ces oppofitions
ne feront que momentanées , & qu'elles céderont
aux raifons folides & convaincantes , lefquelles
ont animé & dirigé les Membres de la Confédération
, qui cnt le plus contribué à la conclufion
des Préliminaires. [ Gazette de Leyde N° 81. ]
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
Parlement de Grenoble.
ဘ
Les héritiers d'un Notaire font ils refponfables des
nullités qu'il a commife's ?
A partir de la déclaration du Roi du 29 Septembre
, il femble que les Notaires doivent être
foumis envers leurs parties aux dommages qu'entraînent
les nullités qu'ils ont commiles ; l'article
3 de cette Déclaration et ainfi couçu :
Voulons que lesdits Notaires demeurent refponfables
des dommages & intérêts que les parties
» pourront fouffrir par la nullité des actes »; cependant
ils ne font pas immédiatement tenus de ces
dommages. On diftingue le cas où elles procedent
CC
190 )
part ,
-
de leur impéritie , de celui où il y a du dol de leur
ou des fautes équipolentes au dol , parce
que dans le premier , étant libre aux parties de
choifir le Notaire qu'elles jugent à propos , elles
doivent s'imputer d'avoir mal placé leur confiance
, & la faute du Notaire eft en quelque
forte la leur, Au lieu qu'au fecond cas , chacun
étant tenu de fon dol , les Notaires doivent indemnifer
les parties des dommages qu'elles recoivent
des leurs. Loi adverfùs 1. ff.fi menforfalfum
modum dixerit , le décide ainfi à l'égard de
l'Arpenteur auquel le Notaire eft afſimilé par la
Loi 7, §. 4 , ff. hoc titulo . Mais cette action
de dol paffe- t- elle contre les héritiers de ce Notaire
, & font- ils refponfables des dommages qui
en résultent ? On pourroit bien , pour foutenir
l'affirmative , argumenter de la Loiz , cod. Magiftr.
converf. qui y foumet les héritiers du Magiftrat
, lorfqu'il s'agit d'une faute grave ; cependant
comme il n'eſt pas libre aux parties de
choisir des Juges comme elles peuvent choifir des
Notaires , il n'y auroit aucune raifon de faire
porter la négligence du Magiftrat à ceux qui
ne fe font adreffés à lui que forcément . Ainfi c'eft
donc fuivant la Loi3 , S. 5, f . 1. fi menf. falf.
mod. dix. qu'il faut décider la queftion. Cette Loi
dit que l'action de dol qui paffe aux héritiers, du
propriétaire contre l'Arpenteur eft éteinte par
le décès de ce dernier , & n'a pas lieu contre fes
héritiers . Les motifs de cette déciſion font que ces
fortes d'actions étant in factum purement pénales,
& non pas rei perfecutoria , s'éteignent par la
mort de celui qui y a donné lieu , & ne paffent
jamais contre les héritiers. La Loi 38 , ff. de
Regul. juv y eft préciſe.
Il y a néanmoins deux exceptions à cette ré
gle, qui font confignées dans la loi anique au
( 191 )
code ex delict . defunct. La premiere , lorfque cette
action a été intentée contre le défaut ; & la ſeconde
, lorsque les héritiers ont profité du délit ,
parce qu'il eft jufte que ceux qui jouiffent du
profit foient foumis à la perte. Ces exceptions
font confirmées par la Jurifprulence du Parlement
de Grenoble , atteftée par Baffet , tom. 1
liv. 2 , tit. 4 , chap. 2 , qui rapporte un Arrêt
du 25 Juillet 1622 , qui juge que les héritiers
des Notaires font hors de recherches en deux
cas : 1°. Quando lis conteftata eft cum eorum patre :
2°. quando fatti funt ex eo locupletiores.
Un Arrêt moderne du même Parlement de
Grenoble a encore canonifé ces principes ; il a
éré rendu en 1772 , au rapport de M. de Chaléon
contre M. Janoyer , Procureur en la Sénéchauffée
de Creft dans l'eſpèce fuivante :
Le Notaire qui avoit reçu le teftament du pere
de l'époufe de M. Sanojer , laquelle étoit inftituée
héritiere , l'avoit fait écrire par fon fils ou
fon Clerc , & néamoins avoit attefté à la fin de
l'acte , qu'il l'avoit lui-même écrit de fa propre
main ; enforte que fa contravention à l'Ordonnance
de 1735 , étoit compliquée de faux. Ce
teftament fut attaqué de nullité , & Me Sanoyer
Cappela l'heritier du Notaire en affiſtance de caufe
& de garantie. Cet héritier fe défendit , 1º . fur
ce que cette action n'avoit pas été intentée contre
fon pere ; 2 °. fur ce que fa fucceffion n'en étoit
pas demeurée plus riche ; 3 ° . fur ce que c'étoit
une action pénale , qui , outre qu'elle fe trouvoit
éteinte par le décès du Notaire , l'étoit encore
par la preſcription , s'étant écoulé plus de vingt
ans depuis le teftament dont il s'agiffoit. A la faveur
de ces moyens , par l'Arrêt ci-deſſus daté ,
le Notaire fut mis hors de Cour , de procês , avec
dépens.
( 192 )
PARLEMENT DE PROVENCE. GRAND'CHAMBRE.
Queftion de Commerce.
Le tireur d'une lettre de change qui n'a point
fait les fonds à l'échéance , eft tena pendant trente
ans de la garantir , qnoique le porteur n'ait
fait fes diligences dans le temps. de droit , & qu'il
n'ait point rempli les formalités prefcrites par
l'Ordonnance du commerce , pour avoir fon recours
contre le tireur . La reconnoiffance
d'une dette contenue dans une lettre miffive, empêche
la prefcription . Ainfi jugé par Arrêt
rendu en la Grand'Chambre du Parlement d'Aix,
le 12 Juillet 1783 , au profit de la Dame Dager,
épouse en fecondes noces de Me. Mignen Duplanier
, Avocat au Parlement de Paris , contre Me.
Pierre- Nicolas de Nitri , Avecat au Parlement
du lieu de Noyers en Bourgogne.
PARLEMENT DE PROVENCE GRAND CHAMBRE .
Il n'eft pas permis aux Lieutenans & autres Juges
inférieurs d'accorder des furféances für un
décret du Parlement qui décerne une contrainte
pour les épices & la levée d'un Arrêt , quoique le
fond des conteflations ait été renvoyé devant les
premiers Juges Les Parties qui ont procédé
même volontairement devant un Juge notoirement
incompétent , à raifon de la matiere , peu - ´´.
vent , en tout état de caufe , demander leur renvoi,
ou attaquer le Jugement pour caufe d'incompétence
, fans qu'on puiffe leur oppofer aucune
fin de non- recevoir. Une créance certaine
& liquide ne peut être compenſée avec celle
qui ne l'eft pas. Ainfi jugé par Arrêt rendu
par la Grand'Chambre du Parlement d'Aix , au
profit de François Givaudan , du lieu de la Vallette
, près Toulon , contre Louis Tripe , du même
lieu.
---
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
L
DANEMARCK
DE COPENHAGUE , le 7 Octobre.
E 22 Septembre , un yacht Danois ,
venant de Raxders , & ayant à bord 13
paffagers , a péri fur la côte de Seelande . Le
patron & 2 paffagers ont eu le bonheur de
fe fauver à la nage.
Du 29 au 30 Septembre il eft entré dans
le Sund 59 bâtimens de diverfes nations ,
le vent étant N. S. O.
Le Comte de Tott , mort dernierement ,
a fait par fon teftament beaucoup de legs
aux établiſſemens de bienfaifance ; il a laiffé
au Roi les nombreux manufcrits de fa bibliotheque
& tous les ouvrages imprimés
dans les premiers temps de l'invention de
l'Imprimerie ; la bibliotheque de l'Univerfité
recevra de fa fucceffion une fomme de
5000 rixdalers qui feront emploiées à un
achat de livres.
N°. 44 , 29 Octobre 1785. i
( 194 )
Le College de commerce a autorifé les
actionnaires de la Compagnie de la Baltique
& de Guinée , de nommer 8 Commiffaires
, qui conjointement avec les Directeurs
, examineront l'état de cette Compagnie
, dont les actions baiffent confidérablement,
& aviferont aux moyens les plus propres
à les relever.
Les actions de la Compagnie d'Aſie ont
valu dernierement 850 rixdalers , & celles
de la Compagnie des Indes Orientales 210.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 15 Octobre.
Les lettres de Pétersbourg parlent encore
d'une nouvelle attaque contre les troupes
Ruffes , effaiée par les Tartares des environs
du Cancafe , & dans laquelle ces derniers
ont été abſolument défaits. Ce qui eft plus
authentique , c'eft le congé donné à la flotte
de l'Amiral Krufe , après la revue qui en a
été faite à Cronstadt . En général les Offi- .
ciers fe plaignent de l'inexperience des équipages
, compofés en grande partie de nouvelles
levées , tirées des campagnes .
L'ouragan du 25 au 26 Septembre a été
funefte à beaucoup de bâtimens dans la Baltique
; les uns ont été jettes fur les côtes ,
d'autres ont perd 1 leurs mâts , & 18 ont
fait naufrage entre Wingo : & Marstrand &
près de Warsberg. On ignore encore les
noms de ces bâtim ins.
( 195 )
Le Roi de Suede a déclaré l'ifle de Saint-
Barthelemi un territoire libre , où toutes les .
nations jouiront en temps de paix & de
d'une liberté entiere de commerce
guerre
& où chacun pourra exercer le culte public
de fa religion.
On apprend par des lettres de Cherfon ,
que l'efcadre Ruffe fur la mer Noite eft
compofée de 3 vaiffeaux de ligne , de 74c. ,
de 15 frégates depuis 50 jufqu'à 36 can . &
de 4 cutters. Trois vaiffeaux de ligne font
en conftruction dans les chantiers de Cherfon
& de Sebaftopolis .
DE VIENNE , le 14 Octobre.
On a obfervé comme une chofe digne de
remarque , que le jour de l'arrivée du courier
, chargé de la nouvelle de la paix avec
la Hollande , étoit précisément celui de la
fête du Prince de Kaunitz. Cette circonftance
augmenta l'éclat de ce jour heureux..
Un grand nombre de perfonnes de diftinction
s'étoient rendues ici de Hongrie , de Bohême
& de Maehren , pour complimenter,
S. E. Le même foir , l'Empereur fe trouva
incognito à la Comédie , dans la loge de la
Princeffe Eli abeth ; ce Monare s'étant
haiffé pour regarder une fcene comiq e qui
P Toit dans le parterre , la falle retentit
auffi o d'acclamations redoublées.
fe
L'Archiduc Maximilien , Electeur de Cologne
, eft arrivé ici le s de ce mois. L'Em
i 2
( 196 )
pereur alla à la rencontre jufqu'à Saint - Hyppolite.
On continue à fe perfuader , que la miffion
du Comte Okelli , en qualité d'Envoié
extraordinaire de notre Cour à celle de
Drefde , a pour objet principal le mariage
du Prince Antoine de Saxe avec l'aînée des
Princeffes de Tofcane. De cette alliance ,
réelle ou imaginaire , on infere que l'Electeur
de Saxe ne reftera pas long-temps dans
la Ligue , dont il eft un des chefs , & qu'en
conféquence il ne fubfiftera plus de difficultés
à l'élection d'un Roi des Romains ; mais
ces conjectures n'ont gueres plus de poids
que les rumeurs fur lesquelles elles font établies.
L'ordre de rétrograder ayant été envoié
aux troupes en marche pour les Pays -Bas ,
le Colonel de Brentano fit halte , le 3 de ce
mois , & doit avoir repris la route de Linz ,
fon infanterie étant embarquée fur le Danube.
On croit que ce Régiment fera confervé
, mais qu'on réformera les autres Corps
de Volontaires de nouvelle création .
Le Cardinal Primat de Hongrie a obtenu
l'agrément de l'Empereur , pour retourner à
Presbourg , & pour établir fa réfidence qui
avoit été transférée à Bude.
Le Comte de Hazfeld , Miniftre d'Etat &
le Comte de Kollowratt , Chancelier , font
partis d'ici pour leurs terres en Bohême.
On affure que le Confeil d'Etat fera fup(
197 )
printé , & que S. M. I. fe propofe de nommer
quatre Confeillers du Cabinet , qui
partageront entr'eux les affaires politiques ,
militaires , judiciaires & de finances.
DE FRANCFORT , le 20 Octobre.
Le projet d'échange de la Baviere occu
pant toujours les efprits & les cabinets , on
nous faura gré de recueillir toutes les
pieces officielles qui ont cette grande affaire
pour objet. Voici le contenu de la
lettre circulaire , en date du 3 Juin dernier
, adreffée par le Comte d'Ofterman
aux Miniftres de l'Impératrice de Ruffie ,
accrédités auprès de la Diere & des différens
cercles ou Etats de l'Empire d'Allemagne.
L'Impératrice a été fort furprife , Monfieur,
d'apprendre les bruits qui fe répandent en Alle .
magne far des prétendus projets dangereux ,
formés par la Cour de Vienne au préjudice de
la liberté des États , & du maintien de la conftitution
germanique , & à l'exécution defquels
celle de Ruffle eft cenfée vouloir concourir &
prêter fon appui .
Si Majefté Impériale fe feroit à la vérité
fattée , que la conduite conflamment obfervée
de fa part , vis - à - vis de tout le Corps Germa
nique , & qu'Elle n'a jamais démentie en rien ,
la mettroit en fon particulier fuffisamment à
l'abri de pareils foupçons ; mais fon attente à
cet égard n'ayant pas été remplie , l'impératrice
juge à propos , pour conftater de rechef le
prix qu'Elle a attaché à la confidence des
Etats de l'Empire d'Allemagne , de vous char(
198 )
ger , Monfieur , de faifir toutes les occafions
Convenables à la Diéte ( à la Cour où vous
êtes , au cercle où vous etes acélité ) pour
démontrer la fauffeté abfolue de ces fuggeftions,
qui ne peuvent puiler leur origine , que dans
l'échange projeté par la Cour de Vienne entre
la Baviere & les Pays-Bas . Vous les réduirez
par conféquent à leur jufte valeur , en donnant
à conncître à tous ceux qu'il importera
d'en inftruire , qu'effectivement l'Impératrice ,
guidée par fon amitié pour S. M. l'Empereur
des Romains , auffi bien que par la conviction
qu'Elle ne s'écarteroit point en cela des prin-
-cipes de juftice & de délicateffe , qui font la
bafe de toutes les actions , a pris fur Ele de
propofer au Duc de Deux Ponts ledit échange ;
comme un arrangement qui , fondé d'un côté
fur la convenance réciproque des parties , &
de l'autre fur leur confentement libre & volon .
taire , ne pouvoit être contraire à l'efprit de
la conftitution . S. M. l'Impératrice ayant d'ail
leurs confidéré dans le cas préfent les ftipulations
bien claires du Traité de Bade , ratifié
l'Empire , en vertu defquelles la Maifon de
Baviere s'eft nommément réfervé le droit de
faire de pareils échanges , il ne lui feroit pas
tombé dans l'idée feulement , qu'une négociatien
, entamée fur de tels principes avec l'héritier
préfomptif des Etats de Baviere , feroit
jamais fufceptible d'une interprétation auffi finifire
qu'exagerée , d'autant plus que le refus
de celui- ci de rien conclure dans l'affaire en queftion
, a fuffi pour la laiffer tomber.
par
Une marche auffi fimple de procédure ne
fmbloit point être faite pour jeter l'alarme
dans l'efprit des Eats d'Allemagne , & il falloit
fans contredit beaucoup de mauvaiſe volonté ,
( 199 )
·
pour y trouver l'ombre d'un projet capable
d'altérer la conftitution ou de la menacer même
d'un bouleve fement total.
Auffi ' Impératrice fe feroit- elle difpenfée ,
de elever de pareilles imputation , en la iffint
au tem , & aux événemens le fon de prouver
l'intégrité , la droiture , & la conftance de les
principes , fi par la part plus dir . &te , que la
garantie du Traité du Telchen la met dans le
cas de prendre aux affaires d'Al emagne , fa
gloire n'étoit pas intéreflée à déracine? dans fa
fource même, toute opinion qui pourroit faire
révoquer en doute l'inviolabilité avec laquelle
Elle eft réfolue de remplir les engagemens
contractés. Vous ne manquerez donc pas , Monfieur
, de donner fur ces vrais fentimens de S.
M. I'Impératrice , auffi bien que fur ceux de
l'Empereur , fon allié , les plus forces affuran-
-ces à tous ceux qui n'en auron : la conviction
requife , ou qui par les bruits précalement
débités Vous auroient l'air de s'être laiffés
induire à cet égard dans des préventions queiconques.
>
L'Impératrice n'hésite point d'avouer ici formellement
, qu'Elle attache au Traité de Tefchen
la même fanction qu'à celui de Weftphalie , que
S. M. Impériale l'envifage comme une des
premieres loix fondamentales de l'Empire d'Allemagne
, & qu'elle eft i peu intentionnée d'agir
contre les obligations de fa garantie ,
qu'Elle ne voit pas même la poffibilité , que
celle- ci puiffe jamais entrer en colufion avec
l'alliance fubfiftante entre Elle & Sa Majesté
l'Empereur.
Si une pareille profeffion générale ne devoit
pas fuffire pour tranquilifer quelques - uns parmi
les Etats , & pour ramener ainfi tous les fafi
4
( 200 )
frages en faveur des deux Cours Impériales ;
vous pourrez , M. leur offrir au nom de l'Impératrice
de vous entendre encore plus particu-,
liérement là- deffus avec eux , afin de ne leur
laiffer rien à défirer , pour les convaincre qu'on
a voulu abufer de leur bonne foi , & les irriter
de gayeté de coeur contre les Cours fufdites , .
en leur faiſant accroire , que celles - ci auroient
conçu des vues propres à préjudicier à leurs
véritables intérêts , & à leur donner des appré
henfions juftes & fondées.
On apprend de Berlin que la fanté du
Roi eft parfaitement rétablie. S. M. P. a
envoié au Duc de Courlande le cordon de
l'Aigle noir , richement garni en brillans .
Le Duc d'Yorck eft parti de Potsdam, pour
aller à Hanovre.
Le Roi a fait don à la province de baffe
Siléfie de 100,000 écus & de 10,000 à la
ville de Schweidniz.
Le Miniftre de Ruffie a eu plufieurs conférences
avec les Miniftres du Roi ; & dans
la derniere il fut queftion d'un Mémoire de
la ville de Dantzick , relativement à la convention
qui jufqu'à préfent n'a pas encore
été exécutée.
On écrit de Caffel que le Landgrave de
Heffe étoit tombé malade depuis quelques
jours.
Par ordre de l'Empéreur , on a dreffé en
Hongrie des Etats de fournitures en blé , avoi
ne , foin pour les troupes qui y pafferont .
La même opération a été faite dans la
Haute-Autriche , où l'on cantonnera un Corps
de Cavalerie.
( 201 )
L'Empereur a ordonné d'établir , dans la
plupart des Provinces de la Hongrie , des étuves
pour les blés.
On apprend de Stutgard , que le 30 Septembre
le Confeiller d'Etat du Roi de Danemarck
, Jean Jacques Mofer , y eft mort
dans la 85e. année de fon âge. Ce favant
Publicifte eft connu par les nombreux ouvrages
qu'il a publiées fur l'Hiftoire & le
Droit public d'Allemagne.
ITALIE.
DE VENISE , le 4 Octobre.
7
Une lettre authentique du 20 Août dermier
, écrite à bord de la Fama , vaiſſeau
Amiral de l'Efcadre du Chevalier Emo ,
donne un détail très curieux de l'expédition
de cette efcadre contre la ville de Sfax dans
le royaume de Tunis.
Sfax eft fitué au fud de Sufe , à la diſtance de
150 mille par mer ; c'eft une des villes les plus
peuplées , les plus riches & les plus floriffantes
de l'Afrique ; il s'y fait un commerce confidérable
en huiles , grains , laines , pistaches , dattes
& autres productions du pays. La ville forme un
angle obtus ; elle eft fortifiée , & fes murailles
font fi hautes qu'elles cachent la vue des maisons,
de manière qu'on ne peut appercevoir du dehors
que quelques tours , mofquées & clochers. Les
bas-fonds qui l'environnent augmentent encore
la force de cette place . Toure la campagne à
F'entour eft couverte de jardins & de belles maitons
de campagnes , qui forment un point de
( 202 )
vue délicieux . Lors de notre apparition devant
cette ville , les habitans , qui font à la fois le
commerce & la courfe , avoient à la rade un
affez grand nombre de Chebecks & Galiotes ,
& ils ne s'attendoient nullement à recevoir la
vifite de gros vaiffeaux de guerre. La chofe même
étoit regardée comme impoffible , fur- tout depuis
ce qui étoit arrivé aux Français dans leur derniere
expédition contre la régence de Tunis. Ils
venoient de bombarder Biferte & Monafter , &
vouloient en faire autant à Sfax ; ils s'avançoient
dans ce deffein , & ils étoient déjà affez près de
la place , lorfque deux de leurs frégates eurent
le malheur d'échouer , & cet accident fit abandonner
l'entreprife . Mais le chevalier Angelo
Emo , ayant pris lui - même la fonde , trouva que
ce bas-fonds n'étoit compofé que de fange &
d'herbes , au moyen de quoi il parvint à gagner
le canal fans courir aucun danger. En conféquence
nous arrivâmes le 13 à deux mille de
Sfax avec la Fama , la Palma , la Diftru&tione ,
la Pallonia & la Galiote , après avoir fait un
trajet de 60 mille par des bas - fonds de fix à neuf
braffes d'eau au plus . Figurez - vous la furpriſe
des habitans à l'approche de fi gros vaiffeaux
( la Fama eft de 74 canons. ) Le Général fit
continuer le travail de la fonde par un de fes
Capitaines , & dans la journée du 13 les vaiffeaux
, mais fur- tout les barques s'approcherent
encore plus près malgré l'artillerie de l'ennemi .
Le 14 on commença l'effai des bombardes contre
la place qui ne fe trouva point à l'abri de leur
effet comme le croyoient toutes les nations de
l'Europe ; des obfervations fur les marées mirent
le Général à portée de profiter du moment
où l'eau étoit la plus haute. Il fit armer d'efpingoles
, les cinq barques avec quarante hom(
203 )
mes dans chacune . Ces bâtimens joints à la
Galiote s'avancerent le plus près poffible de la
terre , pour défendre les bombardes dans le cas
cù les Barba: efques auroient voulu les attaquer
avec douz galiottes & plus de foixante barques
qu'ils avoient en rade . A deux heures après minuit
les deux bombardes commencerent un feu trèsvif
avec leurs quatre mortiers . A quatre heures
du matin il étoit déjà tombé 31 bombes dans
la ville. Les ennemis nous canonerent des murs
& des forts de la place , mais fans aucun effet .
Le 17 la place fut encore non - feulement bombardée
, mais canonée par quarante pieces d'Artillerie.
109 bombes alors jettées dans la place
avoient renversé la Douane & la plupart des
maifons. Une infinité d'habitans à pied & à
cheval étoient raffemblés fur le rivage d'où ils
contemploient ce douleureux fpectale ; mais ils
ne tarderent pas à prendre la fuite quand ils
fe virent expolés au feu de nos canons . Suivant
le rapport d'un Tricolitain qui s'étoit fauvé à
la nage , la ville eft prefque entiérement détruite
& déferte. Le Général avoit ordonné aux
capitaines Bujello & Combatti de raffembler
des caiques & d'autres petites barques går
nies d'efpingoles & d'artifices pour mettre
le feu aux galiottes & barques de l'ennemi ;
mais on fut obligé de renoncer à certe entreprife
, elle n'auroit pu être effe&uée que par un
débarquement ; opération que la pefte affreuse ,
dont ce pays eft ravagé , ne permettoit pas de
tenter. Le 18 toute l'efcadre s'éloigna de cette
côte , après avoir lancé 341 bombes , dont 228
font tombées dans la place. L'ennemi a tiré
environ 200 boulets qui ne nous ont fait aucun
mal.
Suivant une autre lettre écrite à bord du
i6
( 204 )
"
même vaiffeau , & datée de Trapani , le 3r
Août , la Concordia avoit appareillé des
eaux de la Goulette pour une commiflion
fecrette. Le 29 , l'efcadre étant à la vue de
la Pantalerie , arraifonna la polacre du Ca
pitaine Zane , allant de Venife à Marſeille.
Celui-ci l'informa qu'il avoit rencontré près
de Malthe l'Amiral Quirini montant le
vaiffeau de ligne la Syrene , & accompagné
de plufieurs autres bâtimens de guerre ,
chargés d'approvifionnemens . Tous ces vaiffeaux
étoient deftinés pour l'efcadre du
Chevalier Angelo Emo. Cette réunion la
rendra forte de 15 vaiffeaux de guerre , puifqu'on
trouvera encore à Trapani la Concor
dia, les chebecs le Neptune & le Cupidon &
un autre bâtiment armé. Le 31 , l'efcadre
étoit à Trapani , fur le point , difoit - on ,
d'aller bombarder Biferte:
Quoique la Porte ait fait notifier à notre
Gouvernement qu'elle defaprouvoit la conduite
du Bacha de Scutari ; il n'a été infligé jusqu'à
préfent aucune punition aux aggreffeurs , ce
qui fait fuppofer une intelligence fecrette de la
part du Capitan Pacha qui paroit ennemi de
toutes les puiffances Européenes . Quoiqu'il en
foit , on fait ici de grands préparatifs de guerre ,
on leve beaucoup de troupes & on travaille
jour & nuit dans les arfenaux avec autant d'ardeur
que fi l'on étoit en guerre ouverte avec
le Grand-Seigneur.
>
Le Sénat a rendu un Decret , qui promet
10000 ducats de récompenfe à quiconque
( 205 )
livrera un nommé Hannibal Stiépan Mali ,
Vénitien d'origine , & qui s'étoit mis à la
tête des Monténégrins contre le Pacha de
Scutari. Les particularités qu'on débite fur
la vie de ce Perfonnage , font affez curieufes
pour être rapportées.
HANNIBALSTIEPAN naquit le 18 Février
1751. Il fe titre de Prince Caftrioto d'Albanie ,
enzieme petite fils du Grand - Scanderberg. A en
croire les Vénitiens , il eft né leur fujet ; quant
à lui , il fe dit parfaitement indépendant , étant
fils du Knès - Hnte & de Franca Marcowick , deſcendant
des vieux Bergers de l'Albanie. Cette
premiere contrariété fur fon origine , n'eft que le
prélude de celles qui jettent beaucoup d'ambiguités
& d'incertitudes fur fes aventures , d'ailleurs
romanefques par elles- mêmes.
Il les commença à l'âge de 17 ans ; s'il eft
vrai que ce fut lui qui , vers la fin de 1767 ,
joua le rôle du faux Pierre III , Empereur de
Ruffie , dont il a été tant parlé dans le tems , &
qui fit révolter fous ce nom une partie de l'Albaaie
Turque , quelques villes & villages de la
République de Venife , & tous ceux du Duché
de Monténégro , où il avoit établi fa réfidence.
Sans entrer dans les fuites de cette fourberie. ?
dont on peut voir les détails , entr'autres dans
une petite brochure , dont ce même Hannibal-
Stiépan a fourni tous les matériaux ; ( 1 ) nous
nous contenterons de remarquer que le principal
( 1 ) Elle a pour titre le Faux Pierre III , Empereur de
Ruffie , ou Stiepan -Mali , &c. avec cette Epigraphe :
Aude aliquid brevibus gyaris & carcere dignum 2
Si vis effe aliquid. JUVENAL , Sat. 1. v. 59+
( 206 )
héros étoit connu dans le pays fous le même
nom de Stiépan- Mli , ( r ) par lequel le Sénat
de Venife le défigne encore dans fon décret de
profcription.
Cette Comédie dura deux ans ayant fini au
mois d'Août 1769 par la retraite de Stiépan-
Mali , & par le bruit qu'il fit courir enfuite de fa
mort. Les Monténégrins l'avoient déja oublié ,
lorfqu'il reparut chez eux au commencement de
1771 , fous le nom de Stiepan Annibale . La confidération
dont fa famille jouiffoit , les qualités
perfonnelles , fes manieres infinuantes iui mériterent
la bienveillance de Sava Petrowitz , patriarche
du Monténégro , & lui gagnerent en peu
de tems l'affection de tout les habitans . Il en
obtint de l'argent , des paffe-ports , & même des
efpeces de pleins - pouvoirs , pour paroître à la
Cour de Pétersbourg , en qualité de leur Député .
Cette miffion étoit d'autant plus délicate à remplir
pour lui , qu'il avoit à craindre d'y être reconnu
pour le faux Empereur Ruffe , qui quelques
années auparavant avoit donné tant d'inquiétudes
à cette Cour . Il nous a affurés qu'effectivement
on en avoit eu quelques foupçons , mais
qu'ayant été prévenu à tems , il avoit trouvé le
moyen de fortir du pays , & avoit fait la route ,
de Pétersbourg à Francfort , à pied , & pour ainſi
dire , dénué de tout. Peu de tems après il s'attacha
à la fortune du Comte Oginski , Grand-
Général de Lithuanie ; il fe méla dans les troubles
de la Pologne ; le fit connoître du Prince
Royal de Pruffe , à qui il dédia plufieurs de fes
ouvrages , & dont il obtint la protection ; il par-
(1) Stiepan - Mali en Langue Efclavonne , Stephano-
Piccolo en Langue Italienne , c'eſt-à-dire , Etienne- le-
Petit.
( 207 )
9
courat les différentes parties de l'Europe , tantôt
pauvre & malheureux , tantôt richs & magnifique
, toujours fingulier & extraordinaie . C'eft li
qui fe fit remarquer à Spa , il y a quelques années
, fous le nom de Babylone , par fes prodigalités
• fes aumônes immodérées quelques
traits de violence , un excellent coeur & une
mauvaife tête. C'eſt lui qui fans être malade refta
fix mois de l'année 1783 dans fon lit , occupé
à lire & à méditer , à Ath en Hainaut ; c'eſt lui
qui au commencement de 1784 paffa quelques
femaines à Liege , où il vécut ignoré , & cù il
rédigea un projet , du fuccès duquel il fe tenoit
affuré , de mettre les Monténégrins fous la protection
de l'Empereur , & de lever dans fon pays
pour le compte de S. M. un corps de 10 mille
hommes ; c'eft lui enfin qui commande aujour
d'hui les troupes des Monténégrins , qui a rendu
inutiles & infructueux la derniere irruption &
même les fuccès du Pacha de Scutari , & qui eſt
pour ainfi dire parvenu à brouiller la République
de Venife avec les Turcs.
DE NAPLES , le Octobre.
Un particulier , pourfuivi pour meurtre ,
s'étoit retiré dans l'hôtel du Chevalier Hamilton,
Miniftre d'Angleterre. Quelques Officiers
de la Juftice eurent la hardieffe de violer
la franchiſe dont jouiflent les Ambaſſadeurs.
Ayant pris le temps où le meurtrier étoit
feul dans l'hôtel , ils l'arrêterent , & le conduifirent
en prifon . Mais fur les plaintes
très - vives du Chevalier Hamilton , il y eut
ordre de s'affurer de tous ceux qui avoient
concouru à cet atttentat ; & leur chef , ainfi
( 208 )
qu'eux , ne feront élargis que fur la demande
du Miniftre offenfé.
DE ROME, le 4 Octobre,
Hier , fur les 9 heures un quart du foir,
nous reffentîmes dans l'intervalle de 7 à 8
minutes trois ou quatre fecouffes de tremblement
de terre , dont une fut affez forte
pour déranger les meubles de plufieurs majfons.
Le Pape , qui n'étoit pas encore couché
, envoya fur le chanip dans différens
quartiers de la Ville pour favoir fi fon
peuple ne couroit aucun danger. On lui
rapporta que tout étoit tranquille , & que
le tremblement de terre avoit été infenfible
dans beaucoup d'endroits. Nous apprenons
que c'eft à Oftie , & le long du rivage de
la mer , que la fecouffe s'eft fait principa-
Iement fentir. Quoique des maiſons fe
foient écroulées , on ne dit pas cependant
que perfonne ait péri . On doit viſiter ce
matin l'Eglife de Saint- Pierre , & on faura
fi le dôme n'a pas été ébranlé. Nous attendons
avec impatience les nouvelles qui nous
viendront de la Calabre , & nous faifons
des voeux pour que cette malheureufe Province
n'ait pas plus fouffert que nous.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 28 Septembre.
La Gazette de cette ville , en date du
( 209 )
23 , rend compte en ces termes du voyage
à Maroc de Don Francifco de Salinas y
Monino , en qualité d'Envoié extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire de notre Cour.
» Le Roi , notre Souverain , voulant témoigner
à celui de Maroc fa fenfibilité pour toutes
les marques d'amitié , par lesquelles ce Monarque
s'eft diftingué , tant à l'égard de S. M. que de la
Nation Espagnole , depuis qu'il a envoyé Mohamet-
Ben - Otman comme fon Ambaffadeur à Madrid
, ( démarche , en confidération de laquelle
S M.a oublié le jufte reffentiment qu'Elle avoit
contre la Cour de Marcc depuis le Siège de la
Place de Melille en 1774 ; ) Ša Maj. avoit deftiné
dans cette vue le Lieutenant- Colonel Don Francisco
de Salinas y Monino , pour ſe rendre à
Maroc avec la qualité de fon Envoyé - Extraordinaire
& Miniftre Plénipotentiaire , & y porter
des Préfens dignes de celui qui les donnoit , &
de celui qui alloit les recevoir. En conféquence
notre Envoyé s'embarqua à Cadix le 27 Avril , à
bord de la Frégate la Ste. Lucie , & paffa à Mogador
de conferve avec le Brigantin el Vivo ,
emmenant avec lui les Préfens du Roi & 12 Efclaves
Algériens , remis en liberté , pour les préfenter
à S. M, Marocaine. Les deux Bâtimens
mouillèrent le 30 à Mogador , où l'Envoyé mit
pié à terre encore le même foir ; & les deux jours
fuivans on débarqua les Préfens. >>>
« Mr. de Salinas reçut beaucoup de marques.
d'attention & de politelle pendant tout le mois de
Mai , qu'il refta à Mogador par ordre de S. M.
Marocaine , afin d'y attendre l'arrivée de Sidy-
Abdalla Abdraxamini , Brau- Pere du Monarque ,
gui l'avoit chargé de faire les honneurs envers
l'Envoyé du Roi & de l'accompagner à la Cour de
( 210 )
Maroc. Celui - ci y fit fon entrée publique avec
beaucoup de pompe le 4 Juin . Par ordre de S. M.
Marocaine , les principales Perfonnes de la Cour
& de la Ville , un Prince détroné de l'Arabie , qui
fe trouvoit dans ce tems à Maroc , & une foule
innombrable de Peuple vinrent à fa rencontre hors
des Portes. Immédiatement après fon arrivée , le
Pacha de Duquela , Premier- Miniftre de S. M.
- Marocaine , vint rendre vifite à l'Envoyé & lui
dit de la part du Roi , fon Maître , « que la
Nation Elpagnole étoit celle qu'il eftimot le
plus , & que S. M. regardoit déjà comme » accordé
tout ce que l'Envoyé lui demanderoit. » Le
Souverain Maure confirma lui-même ces expresfions
dans la premiere Audience , qu'il donna à
Mr. de Salinas le 6 Juin , non pas dans le lieu ac-
-coûtumé , mais dans une Place voifine du logement
de l'Envoyé. Le Roi de Maroc y paffa de
fon Palais , pour diftinguer d'autant plus cette
·folemnité , quoiqu'alors il fût incommodé d'une -
Auxion fur les yeux. Dans la feconde Audience ,
qui eut lieu le 9 Juin , Sa Maj. Marocaine accorda
aux Espagnols un rabais de tous les Droits,
qui fe payent à l'exportation des legumes , du
gros & menu bétail, & des amandes : Elle accorda
en même tems une liberté entiere pour celle de
la volaille , des oeufs , des pommes d'orange ,
limons dattes , figues , & de toute forte de
verdures & de fruits , comme auffi du charbon
& du bois à brûler ; & Elle fi : la remife entiere
de tous droits de mouillage & de port à tous les
bâtimens E pagnols , qui viendroient prendre ces
denrées à Tétun , Tanger, & Larrache , laiffant
néanmoins fubfifter ces mêmes droits pour toutes
les autres Nations . Sa Maj. Maure permit de plus
à Don Vicente Tofigno de lever les plans de la
côte depuis Tetuan jufqu'au cap Sapartel ; &
.
( 211 )
Elle défigna deux Soldats pour l'accompagner
dans cette expédition . Sa Maj. Marocaine offrit
également d'eff &tuer , que les Maures , voifins
des places de Melille & d'Allucemas , remiffent
l'artilerie , au moyen de laquelle quelques uns
des chefs inquiets & rebelles de ces contrées in .
commodoient ces places , afin de prevenir par ce
moyen les excès , qu'ils commettoient contre la
volonté & fes ordres ; ajoutant que s'ils s'oublioient
encore à faire le coup de fafil contre
nos gens , Elle ne prendroit point de mauvaile
part , que ceux - ci y répondiffent de la même
maniere . Enfin ce Monarque donna à nos Mitfionnaires
la permiffion de vendre une mailon ,
qu'ils avoient à Tétuan , pour en conftruire une
autre à Tanger. Mr. de Salinas ayant fait de plus
des repréſentations en faveur de quelques Sujets
des Etats -Unis de l'Amérique , qui avoient été
faits Prifonniers fur un Brigantin de cette Nation ,
dont une Frégate Marocaine s'étoit emparée , Sa
Maj . Maure ordonna que l'Equipage Américain
& le bâtiment même fuffent remis à la difpofition
de l'Envoyé Efpagnol ; & Elie témoigna
en même tems fon defir de faire la Paix avec les
Etats - Unis de l'Amérique par l'entremise de S.
M. Catholique . Le Roi de Maroc remit encore
entre les mains de Mr. de Salinas fix Espagnols ,
nés dans les Illes Canaries , refte de plufieurs
autres , qui avoient fait naufrage fur le cap Non
au mois de Septembre de l'année derniere , &
que S. M. Maure avoit retirés d'entre les mains
des Barbares , qui habitent cette contrée ; & Elle
fi: livrer auffi fix D'ferteurs des Préfides . M. de
Salinas , à fon retour en Espagne , a remis les
Américains au Con ul de leur Nation à Calix , &
a laiffé pareiller ent le Brigantin à fa difpofition
, quoiqu'extrêmement maltraité : Il a fourni
( 212 )
1
aux Eſpagnols des Canaries dans le même Port les
moyens de retourner dans leur Pays natal ; & il
a fait livrer les Transfuges au Comte O Reilly ,
priant en même tems S. M. de leur pardonner leur
Délit ; ce qu'Elle a bien voulu accorder , comme
Elle l'avoit fait précédemment aux Transfuges
que le Rode Maroc avoit remis de la même
maniere à Don George Juan , lorfqu'en 1767 il
revint de ſon Ambaſſade, »
» Pour dernier préfent , que S. M. deftinoit au
Roi , notre Souverain , Elle fit donner à M. l'Envoyé
un Lion , un Tigre , une Hyène , quatre
Autruches , des Chèvres & des Moutons de Tafiler
, qu'on a fait paffer de Mogador à Cadix ;
& Elle lui a fait dire , que , toutes les fois que
les Espagnols auroient befoin de Grains &
qu'ils en demanderoient , il leur accorderoit de
les tirer de fes Etats.
•
Notre Envoyé eut fon audience de congé
du Roi de Maroc le 12 Juin ; & le 15 au foir
il partit de certe Ville pour Tanger , où il arriva.
le 3 Juillet , après avoir paffé à Salé , & c .
Une lettre de Sainte Croix de Ténériffe ,
'du 27 Août , porte ce qui fuit :
Le 19 de ce mois , nous vimes arriver dans
notre Port les Frégates Françoiſes , la Bouffole
& l'Aftrolabe , dont la deflination eft , par ordre
de la Cour de France , de faire le tour du
Monde , dans la vue de faire des découvertes &
des obfervations exactes pour tout ce qui appar
tient aux connoiffances phyfiques & à l'Hiftoire-
Naturelle. Ces deux Navires , ayant fait voile
de Breft le du courant , arrivèrent le 13 à
l'Ile de Madère . Le Marquis de Branciforte ,
Commandant- Général de nos Iftes , leur a rendu
tous les fervices , qu'on pouvoit attendre de l'amitié
& de l'Alliance qui fubfiſtent entre les
( 213 )
deux Cours , & que mérite le louable objet de
leur expédition. Avant- kier il a été donné aux
Officiers & autres , embarqués fur ces Vaiſfeaux
, par le Commandant - Général , à l'occaſion
de la fête de la Princelle des Afturies , une magnifique
fête & un bal , qui a duré toute la nuit .
Les perfonnes embarquées fur la Bouffole font le
Comte de la Peyrouſe , Capitaine de vaiſſeau
chef de l'expédition ; les Chevaliers de Clonard
& de l'Efcars , Lieutenants de vaiffeau ; le fieur
Botin & le Chevalier de Pierreverd , Sous - Lieutenants
de vaiffeau ; le fieur Colinet , Lieutenant
de frégate ; les fieurs Ceran , de Montarnal
& d'Arbaut , Gardes de la marine ; le fieur Broudac
, volontaire ; les fieurs de Moneron , Capitaine
au corps du génie ; Bernicet , Ingénieur-
Géographe ; d'Ageles , de l'Académie des Sciences
de Paris , comme Aftronome ; le Chevalier
de Lamanon , de l'Académie de Turin & corref
-pondant de celle de Paris , comme Phyficien-
Naturalife ; l'abbé Mongez , un des Auteurs du
Journal de Phy fique , comme Chymifte & Aumônier
; Roulin , Chirurgien - major ; le Cor ,
en qualité d'ajudant ; Duché de Vency , comme
Peintre ; Prévôt , Peintre d'hiftoire - Naturelle ;
Colimon , Jardinier - Botaniſte ; & 89 hommes
d'équipage . Sur la frégate l'Aftrolabe , íe trouvent
le Vicomte de Langle , Capitaine de vaiffeau
; les fieurs de Monty , Lieutenant de vaiffeau
; de la Borde Marchainville , de Vauguas &
d'Aigremont , Sous Lieutenants ; Blondelan ,
Lieutenant de frégate ; de la Borde de Boutervillen
, de Fiaffon , & de Laurifton , Gardes de
la marine ; Monge , Aftronome ; de la Martiniere
, Botanifte - Naturalifte ; l'abbé Receveur ,
Aumônier & Naturalifte ; Dufrefne , Naturalife;
Prevôt , Peintre ; Leffeps , Vice - Conful de
( 214 )
Prance à Cronfadt comme Interprète ; Laveau,
Chirurgien , & 94 hommes d'équipage.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 18 Octobre.
Lord Sydney, Secrétaire d'Etat au département
de l'intérieur , a été très - indifpofé
Pendant quelques jours . S. S. eft aujourd'hui
à peu près rétablie ; cependant , le Marquis
de Carmarthen eft encore chargé du portefeuille.
Le Chancelier a été auffi malade à
la campagne ; mais fans que fon indifpofition
ait rien eu d'alarmant .
Après un long féjour à Avignon , le Duc
& la Ducheffe de Cumberland font de retour
ici , & ont foupé avec le Prince de
Galles au Palais Carleton , le foir de leur
arrivée .
Le Général Haldimand , Gouverneur du
Canada , a pris définitivement congé de
S. M. Il emporte avec lui divers préſens deftinés
aux Chefs des Tribus fauvages du Canada
, alliées de la Grande Bretagne .
La pêche de Terre Neuve a été , certe année
, plus fructueufe que jamais , quoique la
quantité de vaiffeaux étrangers qui fe font
rendus fur les bancs ait beaucoup excédé le
nombre ordinaire.
La Compagnie des Indes a reçu la fâcheufe
nouvelle de la perre du vaiffeau l'Hinchinbrook
de 558 tonneaux , échoué dans la ri(
215 )
viere de Bengale. Trois feules perfonnes de
l'équipage ont été noyées ; mais on a é é
moins heureux à fauver la cargaiſon entiérement
perdue. Le Pigot , autre vailleau de
la Compagnie, eft arrivé fain & faut à Portf
mouth , avec un chargement qu'on évalue à
100,000 liv . fterl .
L'état de la Marine au fer. Octobre por e
264 vaiffeaux de guerre en différens ports ;
dans lesquels , 112 vaifleaux de ligne , 10 de
so canons , 104 frégates & 38 floops ou curters,
Trois vailleaux de ligne ont été lanc s
depuis la lifte fournie le mois dernier à l'Am
rauté. Trois autres vaifleaux de ligne &
quatre fregates fortiront des chantiers inceffamment.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Inde ,
par la voie de terre , annoncent la plus parfaite
harmonie dans les établiffemens de la
Compagnie, & que le pays commence à recouvrer
fon ancienne fplendeur. Les Prin
ces Indiens donnent les plus grands encou
ragemens à tous les militaires Européens
qui paroiffent difpofés à s'établir chez eux ,
& qui s'attachent à inftruire les naturels dans
la difcipline militaire ; il y en a deja un
grand nombre d'armés , & formés en corps
féparés , d'après la méthode Européenne.
Les mêmes lettres parlent d'une grande mé
fintelligence entre Tippoo Saïb & les Puif
Lances va fines : elles confirment aufli lebruit
répandu depuis quelque temps de la
( 216 )
mauvaiſe volonté du Roi de Candie envers
les Hollandois de Ceylan . Il exige un tribut
exorbitant du gouvernement de Batavia ,
pour permettre à la même nation d'occuper
les meilleurs ports de l'ifle.
Après de longs débats , l'Affemblée des
Directeurs de la Compagnie des Indes a réfolu
de permettre à fes Employés dans l'Inde
de tirer fur elle fix millions de liv . fterl .
Cette réfolution qui paroît fort étrange dans
les circonstances actuelles, n'a paffé qu'à une
foible majorité. Il est certain qu'aujourd'hui
les billets de la Compagnie à Bombay ne
s'escomptent pas au deffus de 25 pour cent.
Généralement , on fuppofe qu'il a été apporté
cette année en Angleterre , plus d'un million
& demi des différens établiſſemens dans
I'Inde .
Un Rajah Indien des territoires du Nabab
d'Arcott , eft arrivé depuis quelques
jours ici. C'eft un jeune homme de bonne
mine , habillé dans le coftume Afiatique
& qui fait une très- grande figure. Un defir
ardent de voir l'Angleterre , l'a déterminé
à ce voyage,
Les Hollandois ont fait courir le bruit que
la Canelle , en particulier , n'acqueroit aucun
degré de perfection , dans un autre ifle ou
partie du monde , que dans l'ifle de Ceylan.
Cette opinion erronée , a été adoptée dans les
géographies modernes ; mais les plants de Canelle
dont on avoit fait préfent aux habitans de
la Jamaïque , démentent aujourd'hui ces affertions
,
( 217 )
>
tions ; ils égalent en qualité ceux qui croiffent
à Ceylan , & il en fera exporté dans peu une
certaine quantité en Europe . Le Camphre
l'arbre à Pain y réuffiffent auffi très - bien , &
il n'y a pas de doute que toutes les épices de
l'Inde n'acquierent un degré de perfection convenable
dans un fol , & fous un climat qui reffemblent
fi fort à ceux où elles croiffent naturellement.
Les fonds publics hauffent de jour en jour.
Les 3 pour cent confolidés font aujourd'hui
à 63 & demi ; les Actions des Indes à 146 , &
celles de la Banque à 128. A la fin de Juillet
paffé , le premier de ces fonds étoit à 57 ; le
fecond à 132 ; le troifiéme à 119. L'eſpérance
d'une paix conftante fur le continent , l'expectative
des traités de commerce en négociation
, les fages opérations du Gouvernement
pour relever le crédit public & pour
accroître le revenu public , font préſumer
qu'avant le dividende de Noël , les 3 pour
cent confolidés feront à 70 .
L'Amiral Lord Keppel a offert au Prince
de Galles fa belle maifon de campagne de
Bagshot. Elle avoit été donnée par la Couronne
à la famille de Keppel fur les trois têtes
du feu Lord Albermale , du Général Keppel
& de l'Amiral qui l'a fort embellie . Le Prince
de Galles y a ordonné diverfes décorations
qui la rendront un des plus agréables féjours
de ce Royaume.
Nous apprennons par une lettre de la Dominique
, l'une des Caraïbes , qu'il regne parmi
les Noirs une maladie qui en a fait périr un grand
N°. 44, 29 Octobre 1785.
( 218 )
nombre en moins de 48 heures ; c'eft une fiévre
accompagnée d'une violente diarrhée &
d'un enrouement : cette maladie épidémique fait
bien moins de ravage parmi les blancs , quoiqu'elle
en ait emporté plufieurs . Les mêmes
lettres ajoutent que le Gouverneur Stewart , a
perdu l'ufage de fes membres , d'une attaque
de paralyfie , & , vû fon grand âge , on déſeſpere
qu'il puiffe fe rétablir , il prend néanmoins les
eaux , mais les habitans craignent qu'elles ne
produisent aucun effet.
L'on a commencé & l'on fuivra fans interruption
l'exécution du nouveau canal arrêté ,
entre Birmingham & Worceſter , & qui paffera
près de Bromsgrove , fur une étendue
d'environ 28 milles. Il viendra joindre la
Severn au deffous de Worcefter , & tranfportera
toutes les marchandiſes des belles manufactures
de Birmingham à Briſtol & dans les
parties occidentales. Les articles en retour ,
comme le fer en barre , les épiceries , dont
le transport étoit très-lourd par terre , feront
conduits fur ce canal à beaucoup moins de
frais. L'agriculture de la province n'y gagnera
pas moins que fon commerce , & la ville.
de Worceſter aura déformais le charbon de
terre à 4 shellings par tonneau , meilleur marché.
Les dépenfes de conftructions feront de
120,000 liv. fterl . & fe font aux frais des particuliers
. Les habitans de Worceſter & de
Birmingham font fi convaincus de l'utilité
de cette entrepriſe , qu'à l'ouverture de la
foufcription au mois de Septembre , ils ont
donné leur foumiffion pour 60,000 liv . ſterl .
( 219 )
On remarque qu'avant le miniftere de Robert
Walpole , le Gouvernement fentoit fi bien l'importance
& l'utilité du fonds d'amortiffement ,
qu'il préféroit un emprunt pour fatisfaire aux
dépenfes néceffaires , que de toucher à ce fonds
facré. Mais cette politique ne fut pas maintenue,
( par cette très - bonne , ou plutôt très mauvaiſe
raifon ) qu'il n'étoit pas de l'intéret des Miniftres
d'acquitter la dette de la Nation , afin de
conferver leur pouvoir.
La propofition faite par le Chevalier Walpole
en 1733 , d'emprunter de l'argent du fonds
d'amortiffement , caufa beaucoup de fermentation
dans la Chambre des Communes. On taxa
de trahison les efforts qu'il fit pour renverler
le palladium de l'Etat , ce beau monument de
gloire qu'il s'étoit fi hautement vanté d'avoir
élevé ! Vous vous attirerez , leur dit ie Chevalier
John Barnard , la malédiction des genérations
à venir. Tous les argumens & les dc amations
fûtent inutiles . L'adminiftration s'excula fur ce
qu'il falloit ailéger le fardeau fur les terres , &
que les circonstances cù le trouvoit le Royaume
étoient tellement changées depuis l'é abl.ffement
du fonds d'amortiffement , qu'il n'étoit
point néceffaire de fe preffer d'acquitter la dette
Nationale. Ce fonds fut en conféquence aliéné.
Dans le fait le mot du Miniftre étoit : fic volo,
fic jubeo.
Un de nos Papiers publics fait l'obfervation
fuivante , juſte ou non .
Il eft difficile de rendre compte des motifs qui
ont donné lieu à la dernière prohibition faite
par le Roi de France , des marchandiſes de mafactures
Angloifes , & on ne peut l'imputer qu'à
la balance de commerce que l'Angleterre a obk2
( 220 )
tenu en ſa faveur ; ſupériorité dont les François
avoient joui long-tems auparavant . Le Docteur
Davenant dans fon rapport aux Commiffaires pour
examiner & régler les comptes publics du royaume
, a prouvé que les importations de la France
excédoient , les exportations depuis la St. Michel
1662 , jufqu'au même jour 1663 , de la fomme
de 272,641 liv. 10 f,, & depuis 1668 jufqu'en
1669 , de celle de 432,884 liv. 12 1. Il eft prouvé
d'après une repréſentation faite à Sa Majesté par
les Lords Commiffaires du commerce & des
Colonies en Décembre 1697 , que la balance
du commerce entre la France & l'Angleterre a
été d'environ un million par an en faveur de
la première. Dans la troiſième année du regne
de Charles II . il interdit tout commerce avec la
France , & dans le préambule de l'acte il al-
Jégua pour motif de cette prohibition la balance
de commerce qui fe trouvoit contre l'Angleterre.
En 1731 , la réciprocité paroit s'etre
établie entre les deux pays , puifque les importations
de cette année dans le port de Londres
font montées à 178,781 liv . 2 f. 2 d . , & les
exportations pour la France du même port à
177,960 liv. , outre les marchandiſes pour la
valeur de 94,233 liv. 5 L. 6 d. exportées du
même port fans certificat , de forte que dans
cette année la balance a été en faveur des Anglois
& qu'elle s'eft accrue probablement depuis.
Un accident affreux , arrivé dernièrement
à une jeune femme de qualité , eft bien propre
effrayer fur les fuites d'une opération , à laquelle
les Dentiftes & ceux qu'ils inftrumentent
fe prêtent trop fouvent fans réflexion.
Il a été communiqué au Collège des Médecins
de cette ville par le Vice - Préfident
( 221 )
de cette Société , qu'on avoit appellé trop
tard au fecours de la victime.
Certe jeune perfonne ayant perdu une des
dents du devant de la bouche , ſe laiſſa perfuader
par fon dentiste de remplacer le vuide par
une dent tranſplantée ; la crainte de paroître
difforme , lui fit goûter ce confeil : on prit en
conféquence une dent que l'on crut fort faine ,
& le vuide fut rempli , en apparence , avec le
plus grand fuccès. Cinq ou fix femaines après ,
la demoiſelle reffentit de grandes douleurs à la
bouche , fes gencives fe couvrirent d'ulceres , fa
bouche & fa gorge en furent remplies ; fes dents
tomberent les unes après les autres , & bientôt on
défefpéra de pouvoir fauver l'infortunée victime
de cette opération dans cet état pitoyable , on
confulta un médecin célebre , qui foupçonnant
que le mercure feul pouvoit corriger ce défordre
, en recommanda l'ufage modérément &
avec précaution ; la malade reçut d'abord quelque
foulagement , mais le mal avoit fait trop
de progrès on lui ordonna l'air de la campa
gne , pour l'empêcher de tomber dans le ma
rafme ; elle fe rendit dans une terre de fon pere
à petites journées , mais à peine y fut- elle arrivée
, que , fans éprouver une augmentation de
douleurs , elle rendit le dernier foupir.
M. Box , propriétaire terrien très - éclairé ,
a publié dans le Gentleman's Magafine du
mois d'Août , une recette pour fubvenir à la
difette de foin , qui ne fauroit être trop répandue
, & dont l'effai n'eft pas difficile à
répéter.
Faites bouillir une poignée de foin dans trois
gallons [ mefure contenant environ quatre pintes
de Paris ] d'eau , & dans la même propork
3
( 222 )
tion pour une plus grande quantité , ou , ce qui
revient au mêmee , verfez de l'eau toute bouillante
fur votre foin . Vous donnerez cette eau
à boire aux beftiaux & aux chevaux lorfqu'elle
fera réfroidie . Si les beftiaux étoient malades ,
ou que les femelles euffeut été recemment couvertes
, il faudroit la leur faire boire tiéde .
Ce breuvage eft fi nourriffant qu'il engraiffe le
bérail , donne du lait en abondance aux vaches ,
facilite l'évacuation des urines dans les chevaux &
les entretient dans la plus grande vigueur. Il
en refulte encore l'avantage d'économifer beaucoup
le foin. Puifque par ce moyen un cent
de foin fait huit fois plus de profit . D'abord
les beftiaux paroiffent ne pas goûter cette boilfon
; mais fi l'on attend qu'ils ayent foif , on
les verra en boire fans répugnance.
C
Les Habitans de la Suède , & d'autres contrées
Septentrionales lorſqu'ils éprouvent diſette
de fourrage , employent conftamment cette méthode
avec fuccès pour les beftiaux & les chevaux.
Il y a lieu de croire qu'elle réuffiroit
également bien pour les moutons dans les hivers
rigoureux ou pendant les neiges , particuliérement
fi l'on ajoutoit à ce breuvage un peu
de fel , comme il eft d'ufage en Espagne pour
affiner les laines , fortifier le bétail & prévenir
les épidémies.
Le foin , après avoir été ainfi infulé , & féché ,
peut être employé à faire des litières qui fourniront
un excellent fumier. Ce foin épargnera
auffi la paille qui fouvent eft d'une grande
rareté.
L'anecdote fuivante n'étoit pas encore
connue , & elle eft atteftée par un ami du
Général Paoli.
Pendant la conquête de la Corfe par les Fran(
223 )
çois , un des habitans de cette Ifle , iffu d'une
famille refpectable , fut condamné à mourir pour
un crime atroce . Le Lieutenant Elvardo , fon
neveu , accablé de chagrin , s'adreffa en ces
termes au Général Paoli : « Monfieur , fi vous
» pardonnez à mon oncle , fes parens donne
:> ront mille fequins à l'Etat , & fourniront en
outre cinquante foldats , tant que durera le
Siége de Furiali. Contentez -vous de le ban-
» nir , & il ne reviendra jamais ». Paoli , qui
connoiffoit le mérite de ce jeune homme , Îui
répondit « Vous favez les détails de l'affaire':
je confentirai à faire grace , fi vous me dites ,
fur votre parole d'honnête homme , que cette
» conduite fera jufte & honorable à la Corſe » .
Le jeune homme fe cachant le vifage , fondit
en larmes , en s'écriant : « Je ne voudrois pas
» que l'honneur de mon Pays fût vendu pour
mille fequins ».
">
:
Nos Gazettes rapportent un phénomène
phyfiologie , tellement extraordinaire , qu'il
eft à defirer qu'on en ait conftaté l'authenticité
& les véritables particularités.
Marie Bradcock , femme d'un pauvre labou
reur , dans la paroiffe de Dalinghoé , prés de
Wickham Market, dans le comté de Suffolk , fut
faifie durant le rude hiver de 1783 d'une douleur
dans la plupart de fes membres qu'elle attribua
à un rhumetifme. Un jour en traverſant ſa maifon
, fon pied heurta légèrement contre une
brique , & elle fut furpriſe de trouver que fa
jambe s'étoit caffée près de la cheville . Avant
qu'elle fût rétablie de cet accident , elle devint
enceinte , comme elle étoit foible & infirme,,
fon_mari l'aidant un jour à fortir du lit , l'os
de fa cuiffe gauche fe brifa en pièces , fans auk
4
( 224)
tre force que celle de fon propre poids , en
tombant à la renverfe. Un Chirurgien habile &
expérimenté remit cette feconde fracture ; mais
bien -tó: après elle fe caffa le bras gauche près
de l'épaule , en s'appuyant fur le bras de quelqu'un
qui l'aidoit à fortir du lit ; bientôt il s'y
forma un calus , & elle fe trouva bien ; mais
elle ne fut pas long- tems à avoir l'os de la cuiffe
droite caffé très- près de la hanche , étant dans
fon lit ; quelque tems après il fut caffé plus bas
vers le genou , en faisant un mouvement . La
clavicule du genou fe fépara auffi , fans aucun
accident , & fans effort. Son bras droit fe callą
enfuite en levant d'une table un baffin d'une
pinte. Elle eft actuellement au lit de la troifième
fracture de la cuiffe droire .]
Ce dernier accident lui arriva il y a quinze
jours , en fortant de fon lit ; elle fe la caffa
vers le genou , près de l'endroit qui avoit été
caffé auparavant , & qui avoit fait calus. On
laiffe aujourd'hui croître les os enſemble , d'une
maniere irréguliere , par la feule affiftance des
compreffes , & bandages ; parce que fi on lui
étendoit les membres , on courroit le rifque
de voir fes os fe brifer en vingt pieces. La
fituation de cette femme eft fi déplorable qu'on
n'ofe pas la remuer pour faire fon lit , dans la
crainte de lui brifer les os . Elle a trente deux
' ans , eft fort délicate , & extrêmement pâle ;
elle a eu huit enfans , a toujours mené une vie
fobre , n'a jamais pris de médecines d'aucune
efpece ; mais a en général joui d'une affez bonne
fanté. On n'apperçoit aucune cauſe évidente de
ce phénomène fingulier. Avant que les os fe
caffent , elle fe plaint toujours pendant plufieurs
femaines d'une douleur à cet endroit même ;
& cette douleur va toujours croiffant jufqu'à ce
que la fracture fe faffe ; elle ceffe alors dans
( 225 )
peu de jours ; & les os fe rejoignent dans cing,
fix , ou fept femaines. Elle reffent maintenant
une douleur à un bras , & elle s'attend à la voir
Le terminer par une fracture. Cette pauvre femme
a eu huit fractures dans un an & demi ,
dont fept lui font arrivées dans cette derniere
année , & toutes fans aucune caufe extérieure
à laquelle on puiffe les attribuer.
FRAN. C E.
DE PARIS , le 26 Octobre.
Les 313 Captifs , rachetés dans le royaume
d'Alger par les Mathurins & par les
Religieux de la Mercy , ont été conduits en
proceffion dans tout Paris , pendant trois
jours confécutifs. Les feuls Religieux Rédempteurs
ont fait la quête , & elle a dû
être confidérable , fi elle a répondu à l'impreffion
de ce touchant fpectacle. Non feulement
la Caiffe de la Rédemption a été
épuifée par les avances qu'a exigé le dernier
rachat ; mais il faut encore pourvoir aux
rachats fubféquens , & les aumônes peuvent
faciliter cette belle oeuvre de la Religion &
de l'humanité.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 28
Septembre 1786 , qui accorde des Primes d'encouragement
aux Négocians François qui tranf
porteront des morues féches de pêche nationale
dans les Ifles du Vent & fous le Vent , ainfi
que dans les ports de l'Europe , tels que ceux
d'Italie , d'Espagne & de Portugal . Ces primes
qui feront accordées pendant le tems & efpace
de cinq ans , à compter du premier Octobre
1785 , feront de 10 liv. par quintal de morues ,
féches , tranfportées foit des ports de France ,
k
S
( 226 )
foit des lieux où aura été faite la pêche , dans
les îles du Vent & fous le Vent , & de 5 liv.
par quintal de celles tranſportées dans les ports
d'Europe , tels que ceux d'Italie , d'Epagne
& de Portugal , fous la condition que ces morues
feront de pêche françoife , & que l'exportation
s'en fera fur Navires François. Les Capitaines
des Navires qui partiront des lieux de
pêche , feront leur déclaration tant au greffe
de l'Amirauté , qu'au bureau du Domaine où ils
aborderont ; ceux qui partiront des ports ide
France , la feront de même au greffe de l'Amirauté
, & au bureau des Fermes, du port de
leur départ. Dans les dix premiers jours de chaque
mois , les Procureurs de Sa Majefté des Amfrautés
des ports de France , enverront au Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Marine
, & les Directeurs du bureau des Fermes ,
au Contrôleur général des finances , un état
des déclarations expédiées le mois précédent.
Ces Primes fe payeront en France trois mois
après la remife des expéditions certifiées véritables
; les Armateurs des bâtimens de la
pêche fédentaire qui ne feront point leur retour
dans les ports de France , y enverrant ces
pieces en forme , & chargeront un Correfpondant
de toucher pour eux le montant de la Prime
qui pourra leur revenir. En cas de fraude ou
fauffeté des eertificats & déclarations ordonnés ,
les Capitaines ou autres qui en feront prévenus
, feront pourfuivis extraordinairement , felon
la rigueur des Ordonnances , & l'Armateur
condamné au paiement du quadruple de la fomme
à laquelle pourront s'élever les Primes ,
dont les certificats auroient procuré l'acquittement.
Autre da 25 Septembre , portant à 5 livre
par quintal la taxe impofée fur la morue de pêche
( 227 ).
étrangere qui fera importée aux ifles de l'Amérique
, du Vent & fous le Vent.
Nos ports , à ce qu'on dit , contiennent
actuellement 57 vaiffeaux de ligne , ou neufs
ou refondus , en état de tenir la mer ; & à
la fin de l'année prochaine , on efpere qu'il
y en aura 70. Les bois , les chanvres arrivent
de tous les côtés , & depuis deux mois
on travaille dans les chantiers de Toulon ,
de Rochefort , de Breft , fêres & dimanches.
Un vaiffeau de 74 vient d'être lancé à Breft ,
en préfence de M. le Comte de Montmorin
, Commandant de la province . Un autre
de même force fera mis à l'eau à la fin
de ce mois alors on en mettra un de 110
can. fur les chantiers , & un autre de 74 ;
car les plus foibles vaiffeaux de ligne feront
tous dorénavant de cette force. Les Marins
favent bon gré au Maréchal de Caftries du
parti qu'il a pris d'envoyer des mâts à la
Martinique , à S. Domingue , &c. Nos flot--
tes ont fouvent fouffert du manque de rechange
, dorénavant elles trouveront dans
nos ifles tous les cables , les bois & la mâture
dont elles auront befoin . Afin que les
bois ne fouffrent point de la piquûre des
vers , ils feront conftamment tenus fous
l'eau , dans des emplacemens auxquels on
travaille actuellement.
La muraille qui doit ceindre Paris , s'éleve
à vue d'oeil. A toutes les ouvertures qui
feront dorénavant les feules portes & les
feules barrieres de Paris , on bâtit des logek
6
( 228 )
"
mens pour les gardes ; & l'Architecte , M. le
Doux , qui aime les colonnes , n'a pas
manqué d'en décorer les habitations de ces
Meffieurs.
L'un des deux côtés intérieur de l'Eglife
de Sainte Genevieve eft entierement terminé
; il est débarraffé aujourd'hui de tous fes
échaffauds ; & l'entrée en eft permiſe à toutes
perfonnes d'un certain état . L'exécution de
ce bel édifice , fon ordonnance majestueuse ,
l'élégance de fes colonnes , la richeffe des
fculptures méritent de grands éloges. On
travaille au Dôme actuellement ; & comme
il y a des fonds affectés chaque année pour
cet objet , on efpere que dans 7 ou 8 ans
ce monument fera entierement terminé.
Il y a à l'Académie Françoiſe deux penſions
de deux mille livres chacune que le Roi n'accorde
qu'aux Académiciens irréprochables dans
leurs moeurs & leurs écrits. M. Thomas en a
fait vaquer une qu'a obtenue M. Bailly , le feul
Savant , qui depuis Fontenelle , eft , comme l'on
fait , des trois Académicies. Celle de 800 liv.
fur la caffette du Roi , & les 200 liv. fur les
Bâtimens qu'avoit encore M. Thomas , a été
donnée à M. Marmontel .
L'Académie Royale des Infcriptions , & la
Littérature ont perdu , le 8 de ce mois ,
M. de Burigny , né à Rheims , en 1692 , &
mort par conféquent dans fa 94e . année.
Ce Savant , laborieux & eftimable , étoit
ce moment Doyen de la Littérature.
Très -verfé dans l'érudition hiftorique , on
lui doit divers ouvrages inftructifs , entr'au(
229 )
tres l'Hiftoire de Sicile & celle des révolu
tions de l'Empire de Conftantinople . Le
Recueil des Infcriptions & Belles -Lettres
renferme un grand nombre de Mémoires
donnés par M. de Burigny. Peu avant fa
mort , S. M. lui avoit accordé une penfion
de deux mille livres.
Nous n'avions pas daigné recueillir le
conte abfurde inventé par un Folliculaire
Anglois , & répété par cent Gazettes , tou
chant la prétendue captivité de M. Fran
klin à Alger. Après une traverfée de quarante
huit jours , ce refpectable vieillard eft arrivé
le 14 Septembre à Philadelphie . Le 23
Août , fon vaiffeau éprouva une tempête
de 24 heures. La fanté de M. Franklin eft
meilleure qu'à fon départ , & il eft à defirer
pour le bonheur des Etats - Unis , qu'une
tête auffi précieuſe foit long- temps préfervée.
Dès que le bâtiment qui portoit M.
Franklin , fut entré dans la Delaware , les
vaiffeaux de toutes les nations , même les
Anglois , furent pavoifés ; leur artillerie fe
fit entendre toute la journée ; la ville entiere
reçut ce grand citoyen à fa defcente avec
des acclamations , des cris de joie , des bénédictions
, & la multitude mêla fes larmes
à celles de la famille de M. Francklin .
L'Evêque de S. Malo , M. Deslaurents,
eft mort fubitement dans fon diocefe.
.
Gafpard le Compaffeur Créqui - Montfort
, Marquis de Courtivron , Meftre decamp
, Chevalier de l'Ordre royal & mili(
230 )
taire de Saint- Louis , Commiffaire perpétuel
pour l'impofition de la Nobleffe de la province
de Bourgogne , & Membre de l'Académie
des Sciences , eft mort en fon château,
de Courtivron , les de ce mois , âgé
de 71 ans.
PAYS - B A S.
DE BRUXELLES , le 23 Octobre.
La Province de Gueldres s'eft expliquée
fur les Préliminaires de la Pacification , à
peu près dans le même efprit que la Province
de Zélande. Voici une copie de la
réfolution des Etats affemblés à Nimegue
le 30 du mois paffé ; copie plus exacte que
celle dont nous avons rapporté la fubftancè
antérieurement . L. N. P. déclarent :
>
" Qu'elles ont vu avec beaucoup de furprife ,
par les articles préliminaires les con-
>> ditions dures & humiliantes & les facrifices
» exigés de la République , & auxquels l'envoi
" préalable de Députés à Vienne avoit porté
le comble. Qu'entre autres , on avait laiffé
inécis le dédommagement pour la ceffion
de Dahlem que L. N. P. jugent , que l'une
» & l'autre de ces circonftances prifes enfemble
n'avoient jamais pu ni du avoir lieu ,
finon après une guerre malheureufe , lorfqu'on
s'y feroit déterminé fans porter atteinte
ni à l'honneur ni à la dignité de la Répu-
" blique qu'ainfi L. N. P. ne fauroient que
juftifier la conduite que leurs Députés , at
5 Comité des Affaires Etrangeres ont tenue le
15 & le 16 Septembre ; qu'auffi Elles y
םכ
כ כ
( 231 )
2
adherent par la Préfente , fe tenant en conféquence
hors de toute refponfabilité , tant
» à l'égard des Citoyens de la République enpotiere
que de ceux de cette Province , rela-
» tivement à toutes les fuites ultérieures qui
" en pourront réfulter un jour ou l'autre ; &
laiffant la ratification defdits articles préli-
>> minaires à la Province , laquelle a détermi
» né la conclufion des inftructions , envoyées
en dernier lieu aux Ambaffadeurs de la République
à Paris. »
La Frife n'a point encore fait connoître
fes intentions on croit que la province
d'Utrecht & celle d'Overyffel feront plus
favorables à l'opinion des Etats de Hollande
, & qu'on décidera peut -être la province
de Groningue à s'y conformer .
Nonobftant les Requêtes , Adreffes , Mémoires
, démonftrations de plus d'un genre
-d'une partie des habitans d'Utrecht à la Régence
de leur ville , & enfuite aux Etats de
la Province , le Réglement de 1674 qui
attribue au Stathouder le droit de nomination
aux Magiftratures , a été exécuté le
12 ; les fujets préſentés par le Prince d'Orange
ont été élus , & ont prêté ferment.
On s'attendoit à quelques mouvemens de
la part des Repréfentans ; mais jufqu'ici on
n'apprend pas que la tranquillité publique
ait été troublée . Quoique diverfes Gazettes
de Hollande aient publié à l'avance une
prétendue réponſe négative des Etats de
Hollande au Roi de Pruffe , il eft certain
qu'une pareille réfolution eft encore bien
T
4
( 232 )
་
loin d'être arrêtée , & probablement elle ne
le fera pas fitôt. с
La ratification de la convention entre le
Roi de Pruffe & la ville de Dantzick
éprouvant toujours des difficultés , M. de
Kalitcheff , Miniftre de Ruffie à la Haye ,
avoit demandé au nom de la Cour aux
Etats - Généraux de s'intéreffer , auprès de Sa
Majefté Pruffienne , en faveur de la ville de
Dantzick. LL. HH. PP . ont décliné cette
interceffion dans une réponſe motivée avec
beaucoup de prudence.
Une lettre d'Amfterdam du 6 Octobre
rapporte en ces termes une anecdote récehte.
Nous venons de perdre le Baron de S. Il***
connu dans fes provinces fous le nom de profeffeur
F*** il eft parti d'ici mardi matin fans
qu'on fache encore le lieu de fa retraite. Voici
dit on , la raison de fon départ ; cette verfion
eft la plus authentique. Un nommé Jean S** /
muficien , lui donnoit leçon de cor , & enfeignoit
la mufique à une jeune pupille que le
Baron aimoit extrêmement Par un abus pus
niffable de fon art , le Maître a donné des leçons
d'amour & de mufique , & eft parvenu à
féduire la jeune perfonne , fous promeſſe de mariage.
Le tour eft venu à fe découvrir , & l'on
dit même que la pupille , fatiguée des lenteurs
du muficien , dont elle a fufpecté l'honnêteté,
l'à découvert à fon tuteur , en lui produiſant
les témoignages de la feduction & de la promeffe.
Dès le lendemain , le Baron eſt allé chez
S*** avec une promeffe de mariage en forme
qu'il lui a propofé de figner ; fur le refus , il
lui a , dit-on , laiffé une autre option , celle de
( 233 )
1
fe battre à coup de piftolet. Le muficien
interdit , a balbutié , prié , enfin à refuſé l'un
& l'autre parti. Son adverfaire étoit preffant
il ne s'agiffoit même point de remettre la fatisfaction.
Le maître de cor n'a rien trouvé de
mieux que de demander répi jufqu'au lendemain
matin , afin , difoit-il , d'arranger fes affaires &
de fe pourvoir d'argent , s'il avoit le malheur
de tuer. La raifon étoit plaufible , elle a été
accéptée ; mais le galant , n'avoit rien moins
d'envie que de tenir fa parole ; il ne cherchoit
qu'une défaite. En effet , le trop ardent ,
comme trop généreux Baron , fe morfondit inutilement
à l'attendre. Le lundi matin , il retourna
chez lui ; il étoit configné , & ce ne fut
que par rufe qu'il parvint à s'introduire dan
la maifon où loge le muficien. Il frappe longtems
à fa porte , enfin le frere ouvre ; mais
il céle fon lâche frere qui s'étoit caché au
pied du lit fous un tas de couvertures , où le
Baron irrité , le découvrit & le traita comme
il auroit dû faire le premier jour , comme il
convenoit à un homme de fa forte , comme
un galant homme devoit agir envers un vil ſuborneur
, qui étant à fes gages , avoit ofé abufer
de fa maiſon. Le frère voulut défendre fon
frere ; mais fans doute auffi braves l'un que
l'autre , ils ne furent pas de force , & i's mirent
l'alarme dans toute la maifon . L'hôte , maître
tailleur , accourut avec le couteau de chaffe
qui lui fert à monter la garde ; la femme ,
les fervantes ; tous s'y joignirent & firent lâcher
prife. S*** qui , avec plus d'honnêteté auroit
du ménager la fille qui l'avoit cru , a porté
plainte au grand Officier , qui a décrêté le
malheureux Baron. Il eft parti avec uné
moitié de vengeance , pour le fouftraire à la
( 234 )
vindicte des loix très féveres , ici , en tout
ce qui regarde les duels & le batteries : mais
fe promettant bien d'affommer le muficien partout
où il le trouvera. Ce qu'il y a de remarquable
, & ce qui doit fervir de leçon à tous
ceux qui ont des filles à garder , c'eſt que S***
quand il eft venu ici , il y a deux ans environ
étoit avec la fille d'un Major Autrichien , qu'il
*
avoit enlevée de la même manière à Malines.
Le père courut après ; mais ne put les joindre
qu'en cette ville . Il récláma l'autorité de M.
de Calcoen , alors grand Officier , qui lui
rendit fa fille , & le fuborneur jouit de l'impunité
à la faveur de la liberté & de la douceur
des loix du pays.
La nuit du 9 au 10 , on fut très-allarmé à
Malines par l'incendie d'un amas de bois ,
entouré de trois bâtimens. La violence du
vent donnoit de l'activité & de l'étendue
aux flammes ; les magaſins épars autour de
la ville redoubloient les inquiétudes. Heureufement
après quelques heures, de travail
on parvint à refferrer le feu qui a dévoré un
feul édifice.
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
Il y a déjà préfentement trois Provinces , du
nombre des fept Etats confédérés de la République
, qui ont confenti à la ratification des
Préliminaires avec l'Empereur . Les Etats de
la province d'Utrecht , affemblés le 12 de ee
mois , en ont pris ce jour-là la réfolution L'Ordre
- Equeftre , qui fait l'une des trois voix affemblées
, a , dit , » que puifque plufieurs d'entre
» les Confédérés fembloient ne pouvoir ſe dé -®
( 235 )
» terminer à s'oppofer de vive force aux demandes
de l'Empereur , la Nobleffe d'Utrecht
confentoit , quoique bien malgré elle , à ache-
>>> ter la paix » Dans une feffion extraordinaire
que les Etats d'Over-Yffel ont tenue, Leurs Nobles
Puiffances ont pareillement déclaré , « qu'Elles
> confentoient à ratifier les Préliminaires de
» la Paix , mais fous la condition expreffe
» que par le Traité définitif , l'on détermineroit
» d'une façon claire & pofitive , tous les points
» qu'on pourroit regarder comme douteux &
ود
fujets à des explications contradictoires , par-
» ticulierement l'article qui regarde la Souveraineté
de l'Escaut & la clôture de ce fleuve . »
Plufieurs de nos Généraux que l'apparence des
hoftilités avoit raffemblés à Breda . ont déjà quitté
ce rendez- vous général ; mais le Lieutenant- Ge
néral de Sandoz y eft encore resté pour commander
les troupes cantonnées fur la frontiere
de la Baronnie de Breda . ( Gazette de Leyde ,
n°. 83 ,' )
Le Régiment de Huffards de Wurmfer , les
deux régimens de Dragons de Cobourg &
de Tofcane , ainfi qu'une Compagnie de Mineurs
& Sapeurs quittent les Pays- Bas Autrichiens ; les
Huffards de Wurmfer prennent la route de
Braunau par Eger & le pays de Cobourg , & les
Dragons celle de Pilfen : tous trois doivent
fe rendre en Bohême. Les Régimens d'infante
rie de Preiff , Teurfcheifter , batermann & Pic
lier , s'en retourneront par la Suabe . D'après
une récapitulation imprimée , l'armée Pruffienne
forme 192,374 hommes ; favoîr , 152,829 hommes
d'infanterie , & 39,545 de cavalerie , fans
compter 1582 artilleurs , & 29 pontoniers . (Nou
velles d'Allemagne , no. 165.)
On mande de Varfovie que plufieurs Grands
( 236 )
du Royaume viennent de témoigner hautement
leur mécontentement fur plufieurs objets dont
on ignore encore la nature , & le font retirés
à Dubno. On remarque une grande fermentation
, mais la cauſe en eſt abſolument inconnue.
( Nouvelle d'Allemagne , n°. 166. )
Nous apprenons de Berlin , que S. M. Pruffienne
vient d'ordonner l'établiſſement de 80
magafins additionnels , dans les différentes provinces
de fon Royaume. C'eft par de pareilles
précautions que ce grand Monarque eft parvenu,
depuis le commencement de fon regne , à prévenir
les famines dans les mauvaiſes années ,
& à doubler la population de fes Etats. Mais
dans les circonstances préfentes , ne pourroit- on
pas foupçonner à l'établiffement des nouveaux
nagafins , une caufe malheureufement plus affligeante
pour l'humanité ? Les mouvemens des
troupes Pruffiennes en Silefie , dans le Duché
de Clêves , &c. &c. ne font guères propres à
nous raffurer à cet égard. ( Idem. ) .
Caufe extraite du Journal des caufes célébres [ 1 ] .
Jeunefille , âgée de 13 ans , qui mit lefeu à la maiſon
de fon maitre pour le voler.
Londres & Paris ont vu dans le même mois deux
exemples bien affreux de fcélérateffé . Les annales
criminelles en contiennent heureufement peu de
femblables. On ſe rappelle avec horreur le forfait
[1 ] On foufcrit en tout temps pour le Journal des
Caufes célebres , chez M. Defeffarts , Avocat , rue Dauphine
, Hôtel de Mouy , & chez Mérigot le jeune , Libraire .
Quai des Auguftins . Prix , 18 liv, pour Paris , & 84 liv.
pour la Province .
( 237 )
1. Don
& le fupplice du domeftique qui avoit voulu faire
fauter la maifon de fon maître , en mettant fous
fon fecrétaire 15 liv . de poudre à canon . La jeune
fille qui a eu recours en Angleterre au feu pour
cacher un vol qu'elle avoit commis , n'a pas fait
ufage du même moyen , mais elle n'étoit pas
moins coupable que le domeſtique exécuté depuis
peu à Paris cependant , par une bifarrerie du
Code criminel Anglois , elle a échappé au fupplice
qu'elle méritoit , & on ne lui a infligé
qu'une légere peine pécuniaire.
Racine a dit :
Quelques crimes toujours précédent les grands crimes,
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes ,
Peut violer enfin les droits les plus facrés.
Ainfi que la vertu le crime a ſes degrés ;
- Et jamais l'on n'a vu la timide innocence
Paffer fubitement à l'extrême licence.
Cette maxime , fi fouvent invoquée , comme
une présomption favorable aux accufés , dont la
vie a, jufqu'alors , paru irréprochable , n'efi malheureulement
pas toujours vraie . Il eſt des caracteres
, dans lesquels la nature ſemble s'être fait un
jeu barbare de faire germer promptement les femences
de tous les vices . L'affaire dont nous
allons rendre compte en fournit une preuve bien
effrayante.
Le 27 Décembre 1784 , le feu prit , pendant
la nuit , à la maifon d'un fieur Burrage , prêteur
fur gages à Londres. Il avoit en apprentillage ,
chez lui, un jeune garçon , âgé de 13 ans , nommé
Georges Baker , & une petite fille du même
âge. Le maître & la maitreffe s'étoient mis au lit
à 11 heures. Peu de tems après , le jeune appren
ti fut éveillé par la camarade , qui crioit aufeu,
( 238 )
La boutique , dans laquelle il n'y avoit point de
cheminée , étoit , en effet , toute en feu . Burrage
& fa femme n'eurent que le tems de ſe ſauver , à
travers une trappe qui étoit au haut de la maiſon,
dans la plus voifine .
C
Baker , en s'éveillant , trouva Marie toute habillée
: pour lui , il n'eut que le tems de prendre
la fuite en chemife , & de fortir par l'allée avec fa
camarade .
Marie portoit un petit paquet fous fon bras.
Elle fut remarquée par quelques unes des perfonnes
qui étoient accourues pour appaifer l'incendie.
On lui demanda à qui appartenoit ce paquet.
Ele répondit qu'il étoit à elle ; qu'elle
favoit bien ce qu'elle faifoit , & qu'elle prioit
les curieux de fe mêler de leurs affaires . Malheureusement
pour elle , elle avoit mis fur fa tête
un bonnet , auquel étoit attaché un bulletin de
prêt ; ce qui conftatoit que ce bonnet avoit été
mis en gage chez Burrage ; d'où l'en.tira la con- < :
féquence que cette petite coquine l'avoitvolé chez
fon maître. Elle fut arrêtee fur le champ . Le
paquet dont elle étoit chargée fe trouva compolé
de plufieurs paires de boucles d'argent , de quatre
montres , auffi d'argent , & de plufieurs autres articles
qui appartenoient à fon maître.
Elle avoua qu'elle avoit volé tous ces effets , &
ajouta qu'une certaine perfonne , qui n'étoit pas
encore arrêtée , l'avoit engagée a commettre ce
vol , & ui avoit même donné des bonbons pour
l'y déterminer. Elle fut décrétée pour le crime
de vol.
Dans le cours de l'inftruction , un acquit la
preuve que c'étoit elle-même qui , pour faciliter
le vol qu'elle méditoit , avoit mis le feu à la
maiſon , profité du tems néceffaire à la flamme
pour former un embraſement , s'étoit nantie de
}
( 239 )
effets dont elle fut trouvée fa ifie , & ne cria au
feu que quand elle eut fait fon coup .
Mais n'ayant été décrétée que pour le vol , la
Cour , fuivant les loix de l'Angleterre , ne pouvoit
prendre connoiffance que de ce crime , fans
pouvoir même inftruire fur l'incendie : d'ailleurs ,
l'accufée ne pouvoit pas , pour raiſon de ce délit
être punie de la peine de mort prononcée par les
loix , parce qu'il existe un acte du Parlement qui
affranchit de cette punition les apprentis qui
n'ont pas 15 ans accomplis . Les Jurés , en conféquence
, réduifirent l'affaire à ce qu'on appelle ,
dans la Grande - Bretagne , grand larcin. Celui
dont il étoit queftion , fut estimé 39 she lins
dont cette petite malheureuſe fut déclarée coupable.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Caufe entre le Marquis & la Marquife de.... ,
Demande en féparation de corps Diffamations ,
Faits nouveaux font revivre les anciens moyens de
Jéparation qui auroient été rejettés.
Nous l'avons déjà dit , la diffamation qu'un
mari fe permet contre fa femme , eft un moyen
victorieux pour elle ; & ce moyen acquiert encore
nouvelle force , lorsqu'il configne fa diffamation
dans des Ecrits. La Caufe de la Marquife de...
fournit la preuve de ces vérités inconteftables.
Déjà elle avoit formé une premiere Demande en
féparation , dans laquelle elle avoit fuccombé ,
(1) On ſouſcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier ,
dont le prix eft de 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocac
au Parlement , rue & hôtel Serpente .
( 240 )
ainfi que nous l'avons rapporté dans nos Feuilles ;
page 212 du Tome 19. Depuis cet Arrêt , elle a
prétendu que fon mari l'avoit diffamée publiquement
, dans une Requête par lui fignifiée dans une
Inftanee. La Marquife a profité de ce nouveau
moyen pour former une nouvelle Demande en
féparation de corps ; elle a demandé à faire preuve
de nouveaux Faits. Savoir : « Que fon mari par-
» loit d'elle , comme d'une femme perdue , qui
» avoit une chambre en ville ; qu'il diſoit s'em-
> barraffer fort peu que fa femme ne voulût pas
» revenir avec lui ; qu'il s'en débarraſſeroit avec
» 1500 ou 2000 liv.: que ce feroit le plus beau
jour de fa vie ; qu'il avoit dit qu'il la feroit enfermer
dans une Maifon de force , afin qu'elle
» ne pût pas fe proftituer ; qu'il difoit que fa
» femme alloit raccrocher aux Tuileries ; qu'il
s'étoit vanté de ne vouloir la revoir que pour
» la réduire , la punir , & la faire rentrer dans ſon
» devoir , qu'il eſpéroit bien la faire renfermer
entre quatre murailles : qu'il avoit , dans une
Requête fignifiée , donné pour motif de fon
>> oppofition , à ce que fa femme reftât dans l'hô-
» tel de fon pere , pour y prendre les bains ordonnés
par le Médecin , l'abfence de fon pere..
>> de l'hôtel pendant trois jours de la femaine ,
" pendant lefquels elle feroit feule , livrée à elle
» même , fans autre compagnie que celle d'un
>>
de fes freres , jeune homme de 25 ans. Qu'il
» étoit au vû & au fçû de tout Paris , que la Mar-
>>. quife de... étoit tous les jours aux Spectacles ,
aux promenades & dans les rues de Paris
» qu'elle parcouroit feule , à pied & à des heures.
indues ». L'Arrêt du 6 Septembre 1785 a admis
la Marquise à la preuve des Faits par elle articu-
Jés, fauf la preuve contraire : dépens réservés.
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
GONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces; la Noticedes Edits , Arrêts ; les Avia
particuliers, &c. &c.
SAMEDI I OCTOBRE 1785.
Rgo
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi,
TA BLE
Du mois de Septembre 1785 .
PIÈCES IÈCES FUGITIVES . Effais Hiftoriques fur les
Vers pour le Portrait de Mours des François ,
Louife- Elifabeth Vigée le L'Odylée d'Homère ,
Brun ,
33
$ 4
3 Bibliothèque Univerfelie des
Dames ,
Le moment critique, Conte , 4
Vaudeville ,
Vers fur la Mort de MM.
Pilâtre de Rofier &
main
Chanfon à Mine D......
Bouquet à Mme ***
Epitaphe ,
71
Le Jaloux fans Amour , Comédie,
77
Ro- Théâtre à l'ufage des Jeunes
49 Perfonnes , ISI
51 De l'Inftitution d'un Ordre
Civique, 97 131
98 De l'Enfeignement Public , 153
Education des Enfans de la Le Vice & la Foibleffe , 175
Campagne ,
Epigrame ,
145 Lettres fur l'Architecture , 179
150 Lettre au Rédacteur du Mer-
Charades , Enigmes & Logo- cure ,
gryphes , 7 , 52 , 99 , 151 , Variétés ,
NOUVELLES LITTER. Académie Françoise ,
Réponse à quelques propofi- SPECTACLES.
tions hafardées par M. Ga- Concert Spirituel ,
Sw
137
183
40
139
rat contre le Droit Romain, Annonces & Notices , 43 92 ,
140 , 186
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT ,
rue de la Harpe , près S. Côn
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I OCTOBRE 1785.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. DE L'AVERDY , Miniftre d'État¸
Ancien Contrôleur- Général des Finances ,
qui avoit eu quelques accès de fièvre.
Vous , que ma fortune intéreſſe ;
Vous , à qui tient mon coeur par des noeuds éternels ;
Voyez tout mon encens brûler fur les autels ,
Et du Dieu d'Épidaure & du Dieu du Permeffe.
Je les invoque feuls parmi les immortels.
Ah ! file voeu le plus fincère
Vainement à ces Dieux devoit ne point s'offrir,
Chacun m'accorderoit une grâce bien chère;
L'un , le fecret de vous guérir ,
Et l'autré, celui de vous plaire.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
A j
0904-
16345
Oct
,
1985
ANNEX A
4 MERCURE
ÉPITRE à Madame DE Z .......
DIS-MOI 18 - MOI quel eftton caractère ?
Il m'intéreffe infiniment ;
Es-tu trifte , gaie ou févère,
Et fais- tu garder un amant ?
Ou bien , coquette très-légère ,
Veux- tu , le front paré de fleurs ,
De la jeuneſſe téméraire
Accueillir les regards trompeurs ,
Et maîtreffe dans l'art de plaire ,
Faire un cercle d'adorateurs
· • • •
Écouter ces vieux jeunes gens ,
Toujours froids , fi complaifans ,
Qui veulent en vain fur leurs traces
Fixer les roles du printemps
Et
"
Deshonorent le fein des Grâces ?
Dans ce fiècle de
perroquets ,
Où chacun veut être à la mode ,
Sais-tu méprifer les caquets
Et le bavardage incommode
De ces petits - maîtres difcrets
Toujours entichés du vieux code ,
Et des leçons de Rabelais ?
DE FRANCE. S.
J'aime à croire que du bel - âge
Confervant la naïveté ,
Aux prodiges de la beauté
Tu réunis le coeur d'un fage.
Tu poſsèdes bien plus d'appas
Que Cypris , qui fut ton modèle;
Car tu rougis , jeune Ifabelle ,
Et Vénus ne rougiffoit pas.
Le peuple poli de la Grèce ,
Qui fit trois cent Divinités ,
S'il eût va tes attraits vantés ,
N'eût adoré qu'une Déeffe ;
Et fon culte fage , épuré ,
En ce moment feroit le nôtre ;
Le François aimable , éclairé ,
N'en eût jamais adopté d'autre.
Toujours fidèle à tes genoux ,
Je veux au moins donner l'exemple
A ces mortels vains & jaloux ,
Dont l'oeil furieux me contemple ,
Et qui , moins heureux & plus fous ,
N'auront jamais la clef du temple .
Ces Meffieurs , d'honneur , om grand tort ;
S'ils favoient ma délicateffe ,
Loin d'inventer quelque reffort
Pour faire échouer ma tendreſſe ,
Ils pourroient fervir ma maîtreffe ,
En nous mettant tous deux d'accord ;
A iij
MERCURE
Je pouffe fi loin le remord,
Que fijamais j'ai leur maîtreffe ,
Je leur promets , dans ma trifteffe ,
De pleurer même fur leur fort .
( Par M. le Chevalier du Puy- des - Iflets ,
Chevau- Léger. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LEE mot de la Charade eft Paffage ;
celui de l'Enigme eft France ; celui du
Logogryphe eft Corneille , où l'on trouve
Cornélie oreille , céleri , Reine , lion
Nil , or.
ر
MON
CHARADE.
ON premier au toucher cède trop aifément ;
Sous vos doigts mon ſecond ſe change en vêtement ,
Et mon tout , dans les airs agité par
Éole ,
Bat fans ceffe de l'aîle , & jamais ne s'envole..
ENIG
M E
Ic1 , fimple & peu façonné ,
Là , plus éléganiment tourné ,
1
DE 7 FRANCE.
Je ne dois rien à la Nature ,
Et c'est l'art feul qui m'a donné
Les traits qui forment ma figure .
12 .
Fait au grand air , & fort de ma ftru &ure ,
Quand mon teint , plus que bafanné ,
D'aucun fard n'eſt enluminé ,
Sans crainte de méfaventure
Ni pour lui ni pour ma frifure ,
Dehors on me voit en tout temps
Braver le hâle & la froidure ,
La grêle , la pluie & les vents .
Par un beau jour , à la fenêtre ,
La jenne Iris à merveille fe tient ;
Moi , j'y prends le temps comme il vient;
Une fois poſté là , vainement le falpêtre
Dans l'air éclate & gronde avec fracas ,
Je n'en bouge feulement pas.
A votre avis , où pourrois- je mieux être ?
(Par M. D.D. FY
LOGO GRYPH E.
Vous ,qui croyez encore à la Vertu fublime ș
Vous , pour qui ce grand mot a des charmes puiffans. IG T
Souffrez , qu'en vous montrant fon parfait fynonyme,
J'exerce votre esprit en parlant à vos feus .
Dix pieds compofent tout mon être ;
A iv
MERCURE
Je possède en Bretagne un Duché fort ancien
Nul ne fauroit me méconnoître ,
Sur mes pas en tous lieux j'ai fait naître le bien.
En décompofant mon effence ,
J'offre un titre cher à la France ;
Il peint l'efprit & la beauté
Sous les traits de la majeſté ;
Puis ce fleuve rapide où de Guiche à la nage
Signala le premier fon zèle & fon courage ,
Et mérita l'honneur de ceindre les lauriers
Dont Louis couronna tant d'illuftres Guerriers.
(François! quand un Bourbon vous conduit à la gloire,
Qu'il eft doux d'obtenir le prix de la victoire ! )
Je fuis cette beauté funefte au genre humain;
Un nom très- révéré dans la Penfylvanie ;
Le mortel refpectable à qui l'on doit la vie ;
Ce qu'un vrai Chevalier doit à fon Souverain ;
Par une autre métamorphofe
Je-fers la valeur du Héros ;
Ainfi , variant mes tableaux ,
Je deviens l'arine de la rofe
Un arbriffeau de Chine ; un terme de blafon ;
La Déeffe de la Mufique ;
Un Art qui dans toute ſaiſon
De la chafte Déeffe eft le plaifir unique ;
Le fluide qui règne au haut de l'horifon ;
De Cérès un préfent ruſtique ;
Le Royaume où régna Pyrrhus ;
DE FRANCE.
Un Pape ; deux faifons ; enfin le bord de l'onde ,
Et le feul bien qui manque aux Monarques du monde ;
Mais laiffant vingt mots fuperflus ,
Je nomme un Roi grand par ſes armes
Et par l'amour de fes Sujets.
Onom facré ! nom plein de charmes
Pour tous les coeurs vraiment François !
Tu fais encor couler nos larmes
Par le fouvenir des bienfaits !
Grand , illuftre à la Cour , uni , fimple au village ,
Sans être Souverain mes Sujets font nombreux ;
Et je règne en effet ; car mon vaſte héritage
Devient celui des malheureux ;
Ma main de leur chaumière écarte la misère ;
De Titus , d'Antonin , j'ai le faint caractère ,
Je fuis le favori de Minerve & Plutus ;
Mon nom éft riche en mots & mon coeur en vertus.
( Par M.le Vicomte de Tilly , Capitaine
au Régiment de Provence , ai - devant
Blaifois. )
*
10 MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES.
NOUVEAU Recueil de Gaité & de Philo
fophie , par un Gentilhomme retiré du
monde ; deux Parties. Quoniam quidem
multi conati funt ordinare narrationem
vifum eft mihi tibi fcribere optimè Theophile.
Cap. 4 , S. Luc. A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Belin , Libraire , rue
S. Jacques , près S. Yves , & chez les
Marchands de Nouveautés .
BIENHEUREUSE foit à jamais , & devant
Dieu , s'écrie quelque part le Lord Shafts--
bury , T'âme de l'Écrivain honnête & charitable
, qui , le premier , a introduit l'ufage
des Recueils & des Mêlges de Littérature.
Quel fervice n'a- il pas rendu aux
Amateurs des Lettres ! Combien de gens
capables de penfer jufte & d'écrire avec
agrément , étoient rebutés par la gêne rigoureufe
de la méthode ! combien de perfonnes ,
avec un certain penchant pour la lecture &
pour l'étude , étoient dégoûtés des Livres par
la peine de fuivre avec attention une longue
chaîne d'idées & de raifonnemens. Jamais.
l'exclamation affectueufe du Lord moralifte
n'a pu être citée plus à propos qu'à l'occafion
du nouveau Recueil de Gaîté & de Philofophie
, & c'eft déjà en faire affez l'éloge .
L'Auteur ( M. le Comte de L. T..... , Mef
DE FRANCE.
·
· ·
tre de Camp , Lieutenant des Gardes de
S. A. S. Mgr. le Prince de Condé ›
de
plufieurs Academies ) , veut faire du bien
aux pauvres de fon hameau * , & donner
quelques lumières à l'inexpérience . L'épigraphe
latine , tirée de S. Luc , eft fans doute
relative à l'Épître Dedicatoire ; ce n'eft point
à un Grand , c'eſt à Étienne , ancien Domeltique
de l'Auteur , & payfan eftimable de
la Paroiffe d'A...... , en Bretagne , qu'elle
eft adreffee. En voici le début. « Je vous
fais préfent , mon cher Étienne , d'un
» petit Ouvrage en profe & en vers ; &
» comme vous ne favez ni lire ni écrire ,
j'espère que vous en ferez content , & c . ..
On voit que Auteur , dès les premières
lignes , laiffe échapper quelques étincelles de
fa gaîté philofophique.
"
"
"
Les divers opufcules qu'il a recueillis ont
été fucceffivement jetés fur le papier , fans.
deffein & fans prétention ; & c'eft là précisément
ce qui en fait le charme. On y remarque:
le ton d'un homme de qualité qui tit comme
Démocrite ; mais qui , comme Socrate , livre
au ridicule & à l'anathême des Nations , le
fanatifme & les erreurs politiques & fuper-
Aitieufes. D'ailleurs , ce Démocrite François
fait rendre juftice aux vertus royales qui nous
gouvernent , & aux qualités éminentes du
* Le produit de l'édition.eſt deſtiné à une famille
indigente , honorée de la bienveillance de l'Auteur..
AvJ
12 MERCURE
Prince auquel il eft particulièrement dévoué.
Dans la Lettre à Mme la Ducheffe de....
il efquiffe le tableau le plus agréable & le
plus comique de fon entrée dans le monde ;
il y faifit la magie du ftyle de S. Évremont ,
dans la converfation du Maréchal d'Hocquincourt
& du P. Cannaye . Quelquefois
il traite en riant des queftions intérellantes
avec autant de clarté que d'agrément , & les
décide , en paroiffant ne faire ufage que de
la balance du doute. Enfin ce Recueil fait
honneur à l'efprit , à l'imagination , à la
gaîté , & fur- tout au coeur de l'Écrivain. Il y
a même des morceaux de fentiment , & d'une
nature belle & fimple. Les Pourquoi , hiftoire
véritable , m'ont attendri jufqu'aux larmes.
Sans efprit de parti , M. le Comte de la
T..... réclame l'indulgente raifon comme
garant de la paix des fociétés. Ses erreurs fur
la musique & fur les Poëtes épiques font de
bonne- foi. Ses préventions à cet égard font
fi honnêtes & fi pardonnables ( puifqu'elles
font en faveur des talens patriotiques ) qu'on
eft tenté de lui donner raiſon , même quand
on penfe qu'il a tora. Il faut d'ailleurs obferver
qu'il étoit ami de Rameau & de Voltaire.
Quelques Lettres de ce grand Homme
ne font pas un des moindres agrémens de ce
Livre ; je me bornerai à en citer une.
Lettre à M. de Voltaire , à l'occafion du
Nouvel An.
Je ne vous écris plus fi fouvent , M.;
» mais je vous lis toujours ; j'ai quelqueDE
FRANCE. 13
» fois le plus grand befoin & le plus grand
defir de vous confulter. Cependant , cour
me je fuis dans l'habitude des facrifices ;
» je me prive de cette confolation , pour
n'être pas compté parmi les importuns
qui abufent indifcrètement de votre grande
politeffe .
3
33
»
» Je ne vous parlerai point de la nouvelle
année ; pourquoi fe féliciter fur les épo
ques de notre deftruction ? La fincère
» amitié ne fait pas faire de vains complimens
. Cette bêtife d'ufage ne fait que
rappeler le temps qui paffe , fans rien
» gagner fur le temps qui commence. Je
» ferai toujours , Monfieur , des voeux pour
» que le ciel prolonge votre vie : elle im
» porte à l'empire des talens & de la
" raifon.
33
33
" Mais je vous avouerai que je fuis juftement
indigné de la licence qu'on donne
à la calomnie , d'empoifonner impuné
» ment , & à la face des Nations , la plus
glorieufe vie qu'ait jamais ourdie la deftinée.
Pourquoi les Hommes célèbres ne
font- ils pas refpectés dans leur patrie
qu'ils honorent ?
"
33
"
و ر
·
» Quel mal avez- vous donc fait à ces genslà
, qui fe plaignent fi amèrement de vous ?
» Avez-vous été les chercher dans les re-
≫ paires de l'envie , dont ils font les démons ?
C'eft comme fi un homme de bonne compagnie
fortoit de fa voiture pour s'aller
» battre contre des poliffons fur la place
20
22
14
MERCURE
"
"
publique , cela n'eſt pas probable . L'envie
» & la faim les dévorent ; & ces hommes ,
auffi obfcurs que leurs protecteurs , font
hypocrites , ne doivent vous rendre
» que plus précieuſe la fincère admiration
des plus honnêtes gens du monde
qui n'ont aucun intérêt à vous nuire.
Oppofez à cela ; Monfieur , s'il eft
» poble , le fourite de la pitie. La perfe-
35
و د
cution eft un malheur prefque infépara-
» bie de la célébrité. Ecoutez fans impa-
» tience cette meute de roquets qui japille
fans ceffe au pié du trône de votre immortalité.
Il feroit plus grand de les confoler
& de les plaindre , que d'en ranimer
» les cris , en les menaçant du fouet de la
» correction ..
» -
Ils redoubleront peut être pour vous
un jour la vénération des fiècles à venir.
Zoïle n'a fait qu'étendre la gloire d'Ho-
» mère , Eurifthée celle d'Hercule , Mævius
celle de Virgile. Ces vils détracteurs de la
» vertu font morts dans la fange du mépris ,
» & les grands Hommes qu'ils ont outrages
font devenus des Dieux..
» Pardonnez , Monfieur , à la longueur de
» cette Lerie : Zelus domus tua comedit me.
» Il eft permis d'expofer fon indignation
contre les méchans. Les combattre n'eft
pas une preuve de méchanceté , les méprifer
eft le parti le plus fage ..
Je vous répét rai ce que vous écriviez
autrefois à une Dame de nos amies : Ies
» roues de la machine dumondefont engṛenées
DE 15
2
FRANCE.
» de manière à ne me plus laiffer l'efpérance
» de nous revoir jamais ; mais ma tendre
» vénération pour vous fera toujours dans
» mon coeur. »
Réponse de M. de Voltaire.
* Jeſuis aveugle & fourd ; ainfi , Monfieur,
» je ne vois & je n'entends plus ce qu'on
» peut dire & faire contre moi.
» Votre eftime me dedommage du tort.
» que me font mes ennemis. Ces Mellieurs
» m'ont pris , pour ainfi dire , au maillot ,
» & me pourſuivent jufqu'à l'agonie. Vous
» avez raiſon , Monfieur , de me donner
» des confeils fi honnêtes contre les pre-
"
"
miers mouvemens de la vengeance. On
» n'en eft pas toujours le maître. Mais plus
elle eft vivement fentie , moins elle eſt
durable ; tant le moral dépend du phyſique
de l'homme , prefque toujours borné
» dans fes vices comme dans les vertus, Je
ferois feulement fâché que F *** le fîr
» honneur de ma haine : je ne me fuis jamais.
oublié à ce point - là . Est ce qu'on ne peut
écrafer un infecte qui nous jette fon
venin , fans commet re le péché de la co-
» lère , fi naturel & fi condamnable ? Confervez
, Monfieur , cette aimable philofophie
qui fait plaindre les méchans fans.
» les hair , & qui vient fi poliment adoucir
les tourmens de ma caducité. Dans ma:
» folitude , fur les bords de mon tombeau
joppofe à mes perfécuteurs l'honneur de
1497
39.
»
19
16 MERCURE
"
» votre amitié . J'en mourrai plus tranquille.
L'Hermite de Ferney , 1768.
J'aurois voulu pouvoir encore tranferire
ici la Lettre à M. Duslos , où l'Auteur prend
la défenſe des talens de l'efprit contre les
derniers cris du préjugé barbare qui dévouoit
da nobleffe à l'ignorance. Ceux qui defirent
fincèrement le progrès des Lettres , aimeront
à répéter avec M. le Comte de la T.... ,
qu'ilfaut honorer les Auteurs , fi l'on veut en
avoir d'eftimables . Ceux qui favent combien
il eft difficile de s'approprier des pensées
communes , admireront l'énergie de cette
métaphore : fe vanter de fes aïeux , c'eft aller
chercher dans les racines les fruits que l'on
doit trouver fur les branches.
Il me refte à parler des poéfies qui font
partie de ces Mêlanges Littéraires. Elles refpirent
toutes la raifon d'un Philofophe &
l'efprit d'un homme du monde. On y diftingue
des Fables auffi morales qu'ingénieuſes.
Si la verfification eft foible quelquefois , la
diction est toujours pure , nette & fans
afféterie. Quelques - unes des pièces fagitives
ont été attribuées à Voltaire , entreautres
l'énigme fur la tête à Perruque . On la
relira avec plaifir.
A la Ville ainfi qu'en Province ,
Je fuis fur un bon pié , mais fur un corps fort mince,
Robufte cependant , & même faite au tour .
Mobile fans changer de place ,
Je fers en faifant volte-face ,
3
DE FRANCE 17
ļ
Et la Robe & l'Épée , & la Ville & la Cour.
Mon nom devient plus commun chaque jour.
Chaquejour il fe multiplie ,
En Sorbonne , à l'Académie ,
Dans le Confeil des Rois & dans le Parlement.
Par-tour ce qui s'y fait on le voit clairement.
Embarraffé de tant de rôles ,
Ami Lecteur , tu me cherches bien loin ;
Quand tu pourrois peut- être , avec un peu de foin ,
Me rencontrer fur tes épaules.
Je viens de parler des Fables ; & la marche
de mes idées ne m'a pas permis de les
caractérifer d'une manière un peu détaillée.
Je voudrois pourtant mettre les Lecteurs à
portée d'en juger eux -mêmes. Une citation
me difpenfera d'entrer à cet égard dans aucuns
détails.
Le Dindon.
Dans la baffe-cour d'un Seigneur
Un Dindon paffoit pour un aigle,
Chacun voulut ſe mettre en règle
En vantant l'oifeau radoteur ;
Car voilà le train de la vie:
Tout homme qui veut réuſſir
Doit encenfer le grand Vifir
Jufque dans fa ménagerie.
Le fort vint enfin dépouiller
Le Miniftre du ministère.
18 MERCURE
En le faifant porter en terre ,
Et l'oiſeau dans fon poulaillier.
Admirez la métamorphofe !
L'Aigle redevint un Dindon ;
Quand une bêre eft quelque chofe ,
C'eft à l'aide de fon
patron.
21
On voit , par ce léger échantillon , que la
manière d'écrire de l'Auteur , en vers & 'en
profe , n'eft pas moins folide qu'agréable.
04
SCIENCES ET ARTS.
EXPOSITION des Peintures , Sculptures &
Gravures de MM. de l'Académie Royale ,
dans le Sallon du Louvre , depuis le 25
Août jufqu'au dernier Septembre 1735 .
Tous les hommes , à quelques exceptions près ,
font juges compétens des Arts d'imitation . Avec des
yeux , des organes fains , & l'intelligence nécefétudier
& obferver la Nature , il eft certain
qu'on peut décider du plus ou moins de perfection
des objets qui cherchent à s'en rapprocher ,
dont elle eft la bâfe , le principe & le premier fondement.
On a dit cela cent fois ; il eft néanmoins
néceffaire de le redire encore , parce que les Artiftes
, échauffés par un fentiment d'amour- propre ,
né de la haine de la critique , cher.hent journellement
à combattre cette vérité , par tous les fophiffaire
pour
DE FRANCE. 19
mes que l'efprit peut leur fuggérer . Comment ,
difent-ils , prononcera- t'on fur nos talens fans connoître
à fond les règles & les dificultés de l'Art ? Cependant
, lorsqu'ils dédaignent d'un côté les obfervations
des Amateurs inftruits , on les voit de l'autre
briguer avec avidité les fuffrages de la multitude
& s'énorgueillir de les avoir obtenus . Il nous fem
ble que leurs difcours & leur conduite impliquent
contradiction . D'ailleurs , quel prix des gens éclairés
peuvent- ils attacher à l'opinion d'une foule ignorante
, que l'aſpect des chef d'oeuvres laiffe indifférente
& froide , & qui frémit de plaifir en confidérant
de miférables caricatures ? Cette année même ,
n'a - t'on pas vû la tourbe des Spectateurs jeter un
coup d'oeil hâtif fur les productions de nos bons
Peintres , enfuite fe preffer , fe culbuter autour de
quelques petits tableaux mal deffinés , mal peints ,
mal compofés ; & là , le cou tendu , l'oeil fixe , la
bouche béante, exprimer d'une manière très - bruyante
fon admiration ridicule ? Cette multitude qui , diton
, juge par fentiment , & dont on affecte de préférer
l'approbation à celle des gens du monde , n'eft
qu'un amas d'êtres qui , au malheur de ne devoir
aucunes lumières à l'édication , en joignent un plus
fâcheux encore ; celui d'avoir étouffé dans les habitudes
vicienfes d'une exiftence purement matérielle .
le germe des facultés intellectuelles que la Nature
accorde à tous les hommes. On vante pourtant l'inf
tinct de cette claffe abâtardie de la fociété ; pour→
quoi ? Parce qu'elle ne critique rien , qu'elle admire
tout ; & voilà le fecret de l'orgueil . Ceux qui font
dignes de s'honorer de la' noble qualité d'Artiftes ,
doivent dépouiller cet orgueil miférable ; ils doivent
encore le pénétrer d'une vérité conftante : qu'il
n'eft de fuffrage flatteur que de la part des perfonnes
qui favent, dans les productions des Arts , diftinguer
les défauts & les beautés , & que le fentiment
20 MERCURE
de celles- ci eft bien plus vif chez les efprits éclairés,
que chez les gens dont tout le jugement confifte en
un tact brut & groffier. Avant de terminer ce préambule
, il eft à propos d'obferver que fi avec du goût
& des yeux exercés , il eft paffible de bien juger de
l'enſemble d'un tableau , il faut néceflairement ,
pour raifonner fur les détails , une certaine étendue
de connoiffances ; car tout Art a fes myftères dans
lefquels tout le monde n'eſt pas initié. Auffi l'Auteur
de cet article a-t'il cru devoir invoquer les fecours
d'un homme de l'Art , qui , n'ayant pas de raifons
pour être injuſté , lui a parlé avec franchiſe & fans
acception de parti . L'inftant où l'on fe détermine à
publier ces obfervations , prouvera qu'on n'a point
eu l'ambition de fixer fur les Ouvrages de nos Peintres
& de nos Sculpteurs , l'opinion de ceux auxquels
il faut en donner une , & que c'eft plutôt comme
Hiftorien que comme Critique qu'on s'eft propofé.
de s'expliquer fur l'expofition de cette année. On
fuivra l'ordre des Numéros du Livret , afin de
n'avoir point à revenir plufieurs fois fur le même.
Artifte.
haup
No. 1er, M. VIEN. Retour de Priam avec le corps
d'Hector , tableau de 13 pieds de large fur 10 de
Maut, pour le Roi . Une belle ordonnance , un
deffin pur , un ton de couleur vrais telles font les
qualités qui frappent au premier afpect de ce tableau.
L'examen de fes détails ajoute encore à l'eftime
qu'il a infpirée d'abord. Le défefpoir morne de Caffandre
, qui s'eft précipitée fur une roue du char qui
porte le corps inanimé de fon frère Hector ; l'abandon
douloureux d'Hécube , la triftefle filencieufe
d'Andromaque , dont l'eil femble reprocher au ciel
la mort du Héros qui fut ſon époux : ces oppofitions
font bien fenties , elles annoncent un Peintre habile ,
à qui l'art des contraftes cft très - familier . Quant
aux perfonnages accefloires , nous aurions voulu y
DE FRANCE. 21
trouver un peu plus de ce trouble que produifit , dit
Homère , la vue des triftes dépouilles du défenfeur
de Troye. Il eft poffible d'unir la fageffe à la chaleur
, & c'eft avoc raifon qu'on a reproché à M.
Vien de manquer quelquefois de cette dernière qualité.
Nos. 2 & 3. M. di la Gréné¤ l'aîné. Mort de
lafemme de Darius , mêmes proportions que le précédent,
pour le Roi. Ubalde & le Chevalier Danois ,
de 4 pieds 4 pouces de large fur 3 pieds 2 pouces
de haut. La mort de la femme de Darius feroit beaucoup
d'honneur à M. de la Grénée fi elle ne rappeloit
pas , à quelques égards , une des meilleures compofitions
du célèbre le Brun . La figure d'Alexandre man
que de dignité , elle n'eft pas d'ailleurs d'un deffin'
correct. L'efclave qui , dans l'impétuofité de fa douleur
, s'eft jeté aux pieds du lit de la Reine , en étendant
les bras , donne l'idée d'une figure d'Académie.
Le groupe de Sifigambis produit de l'effet ; c'eft la
partie la plus louable du tableau : il eft bien deffiné ,
la couleur en eft bonne & ferme. Nous ferons ici
une obfervation qui nous paroît à fa place . En
traînés par une ambition mal entendue , & prefque
toujours funefte à ceux qu'elle féduit , les Artifles ne fe
contentent pas de traiter le genre auquel ils font appelés;
ils recherchent encore l'honneur très- équivoque
de paroître dans d'autres genres , étrangers à leur
habitude de faire comme à leur génie , & Is s'expo
fent ainfi ou à perdre leur réputation ou à n'en point
acquérir. M. de la Grénée , dont les talens ont brille
dans des compofitions d'un certain ordre , a quitté
les tableaux de chevalet pour les grands tableaux ,
& nous croyons qu'il a eu tort. Nous ne lui connoiffons
pas un deffin affez f.r , un pinceau affez vigoureux
, ni une compofition aff.z noble pour peu
voir efpérer qu'il obtienne jamais de fuccès complets
dans ce genre. L'Albane , à quf on l'a quelquefois
22 MERCURE
comparé , n'a guères fait que des tableaux médiocres
quand il a voulu embraffer les grands fujets
; & fes compofitions de genre lui ont mérité
une gloire immortelle . Chacun fon lot , a dit La
Fontaine. Le petit tableau d'Ubalde & du Chevalier
Danois , eft auffi parfait dans fon enſemble que celui
dont nous venons de parler eft eftimable dans quelques
parties. Il est bien defliné , bien compofé , bien
colorié. On lui a reproché d'être trifte ; ce reproche
n'eft ras fondé. Nous lui trouvons au contraire un
ton de couleur bien analogue au moment où l'auftère
Ubalde diffipe . par le fecours de la baguette
d'or que lui a confiée Méliffe , les enchantemens
qu'Armide a femés fur fon paffage . On retrouve avec
plaifir , dans ce tableau , M. de la Grénée tout entier.
N°. 4. M. AMÉDÉE VANLAO0 . La fille de
Jephté allant au- devant de fon père , 10 pieds de
haut fur 8 de large ; pour le Roi. La compofition
de ce tableau eft fage , mais froide ; Jephté , s'évanouiffant
à l'aspect de fa fille , ne nous paroît pas
un moyen heureux . Oter à ce père infortuné l'ufage
de fes fens au lieu de le pénétrer de toute l'horreur de
la fituation dans laquelle le place fon vou téméraire ,
ce n'eft pas traiter le fujet donné , c'est en efquiver les
difficultés. L'exécution eft foible , le ton de couleur
trop gai pour la fcène ; il y a d'ailleurs quelque harmonie
dans l'enſemble .
Nos .5 & 6. Feu M. L'ÉPICIE . Plufieurs petits
Tableaux de genre , des Fermes avec des animaux ,
&c. Ces compofitions pofthumes ont de l'efprit &
de l'effet ; elles renouvellent les regrets qu'a excités
la mort de ce Peintre eſtimable , dont la réputation
auroit été plus brillante s'il n'avoit pas eu , comme
tant d'autres , la manie de peindre l'Hiftoire , & de
traiter des fujets trop élevés pour fon pinceau . Il
paroît , par les derniers tableaux de cet Artifte , que
s'il eûttoujours travaillé dans ce genre, il auroit acquis
DE FRANCE. 23
Le
une réputation plus brillante que celle dont il a joui .
Nos, 7 & 8 M. BRENET. Piété & générofité des
Dames Romaines , de 10 pieds fur 8 ; pour le Roi.
S. Louis rendant la justice dans le bois de Vincennes
, pieds 4 pouces fur 3 pieds 8 pouces.
ftyle du premier de ces tableaux eſt très - lévère ; on
peut même dire qu'il l'eft trop . Dans une compofition
où l'amour patriotique joue un rôle principal ,
on auroit defiré plu d'enthouſiaſme . L'ail fe repofe
avec plaifir far l'enſemble , où l'on ne defire qu'un
ton de couleur plus prononcé , & plus de nobleffe
dans les caractères ; objet affez ordinairement négligé
par M. Brenet Quand on veut placer un fujet
vafte dans un cadre étroit , il faut , pour ainsi dire ,
agrandir l'espace par la majefté des figures & par
L'énergie des grouppes. Ces deux qualités manquent
au tableau de S. Louis , qui eft encore plus mou de
ton que le précédent. &
Nº. 9 au Nº . 17. M. DE LA GRÉNÉE le jeune ,
Moyfe fauvé des eaux par la fille de Pharaon , 19
pieds fur 8 ; pour le Roi. Renaud abandonnant Armide
, 2 pieds 1 pouce fur 3 pieds 8 pouces. Une
Frife , repréfentant Moyfe chaffant les Bergers de
Madian , s pieds de long fur 11 pieds de haut.
Plufieurs Tableaux & Deffins. Le tableau de Moyfe
eft mollement compofé. Toutes les figures y femblent
ifolées. La couleur en eft très- foible , pour ne
rien dire de plus . Il est étonnant qu'un Profeffeur
apporte une négligence auffi marquée dans des
compofitions importantes. Les petits tableaux de
M. de la Grénée le jeune font plus vrais ; mais le
deffin en eft incorrect , & rien n'y eft abfolument
déterminé. Ses deffins font plutôt apperçus
que prononcés. Au premier coup d'oeil fa Frife
produit de l'effet ; à l'examen elle perd confidérablement
nulle proportion dans les formes ,
un ſtyle abſolument découfu . La couleur nous en a
:
·
&
24
MERCURE
paru bonne , & propre au genre , parce qu'elle nous
rappelle les peintures antiques d'Herculanum .
No. 18. M. TARAVAL . Hercule enfant , étouffant
des ferpens dans fon berceau , 10 pieds quarrés ; pour
le Roi. Il faut que M. Taraval fe foit fait une fingulière
idée de la frayeur qu'infpira ce premier des
travaux d'Hercule à ceux qui en furent les témoins.
La manière dont il l'a exprimée donne à fes perfonnages
l'air , la phyfionomie & les mouvemens
convulfifs des gens que la terreur a rendus fous . On
dit qu'il y a dans ce tableau de la couleur & de l'harmonie
; à la bonne heure : mais pour s'en convaincre
, il faudroit fixer les regards avec un peu d'attentention
fur l'enſemble , & l'effet en eft fi repouffant
que cela n'eft pas poffible.
Nos. 19 & 20. M. MENAGEOT. Cléopâtre rendant
fon dernier hommage au tombeau d'Antoine ,
10 pouces quarrés , pour le Roi. Alcefte rendue à
fon mari par Hercule , 6 pieds 9 pouces de large ,
fur s pieds de haut. Le Tableau de Cléopâtre eft
digne de la réputation de fon Auteur ; la compofition
en eft grande & fage ; la phyfionomie de la
Reine d'Egypte offre un caractère de douleur con
venable à la fituation ; le grouppe des femmes qui la
foutiennent eft bien fenti. Le fond du Tableau nous
a femblé un peu rembruni ; l'Artiſte auroit pû éviter
ce reproche en ménageant les demi- teintes avec plus
d'art dans fon grouppe de lumières . Peut être auroit-il
du placer une jeune fille au lieu du Nègre qui porte la
draperie de la Reine , parce que le ton de cette
figure auroit donné un effet plus large à la lumière.
On a fait trop de reproches à fon Tableau
d'Hercule remenant Alcefte. On n'a point fenti
combien la compofition de ce fujet étoit difficile &
ingrate. Soyons juftes pour & contre M. Menageot.
Sa figure d'Hercule eft excellentes on dit qu'elle eft
trop jeune , on a tort . Hercule étoit en effet trèscune
DE FRANCE: 2f
jeune quand il reçut l'hofpitalité chez Admète.
Celle d'Admète nous paroît fautive ; elle ne rend pas
ce qu'elle devroit exprimer. A l'afpect de fa femme
Admète doit montrer un mouvement de furprife &
prefque d'effroi , bien étranger à l'empreffement qu'il
femble avoir. Quant à celle d'Alceſte qui vient de
quitter le féjour de la mort pour être rendue à la
vie , & à laquelle il eft défendu de parler avant la
troisième aurore , elle offre cet embarras timide ,
cette attitude contrainte , cette joie encore retenue
qu'exige la fituation. C'eft la difficulté vaincue de
la manière la plus favante. La couleur de ce Ta
bleau eft bonne & harmonieufe.
N°. 22 à 25. M. Suvée . Enée au milieu de la
ruine de Troye , &c. , 10 pieds de haut , fur de
large ; pour le Roi . Mort de Cléopâtre , 5 pieds
4 pouces de large , fur 4 pieds 4 pouces de haut.
Nativité , 9 pieds 10 pouces de haut , furs pieds
6 pouces de large . Une Veftale , &c. Le Tableau
d'Enée n'eft pas compofé : on ne fait fi M. Suvée a
voulu y facrifier le principal aux acceſſoires , ou les
acceffoires au principal. La figure de Créüle eft
maigre & fans effet ; celle d'Enée eft d'une très foible
expreffion. Anchiſe eft mal drapé , & la manière
dont il eft grouppé avec les perfonnages qui l'entourent
, nous a paru gauche ; l'embrâfement de
Troye ne fauroit être figuré par le petit foyer rouge
& mefquin qu'on apperçoit dans le fond . En général
, ce Tableau eft fort au-deffous du nom de fon
Auteur. La Mort de Cléopâtre ne nous a pas paru
mériter plus d'éloges. Le ton de la couleur eft trop
blanc , & les attitudes des figures font froides. La
Nativité eft une des plus belles productions du
pinceau de M. Suvée. La compofition en eft bien
entendue , l'ordonnance fage & noble , le deffin pur,
& la couleur fuave. La lumière y eft bien diftri
buée , le caractère des têtes véritablement bean :
N°. 40 , 1 Octobre 1785 .
26 MERCURE
enfin , ce Tableau , qui annonce un Peintre & an
Maître, prouve que fon Auteur fe montrera digne
des nombreux éloges qu'on lui a prodigués , toutes
les fois qu'il ne perdra point de vue tant la Nature ,
que les grands modèles dont l'étude a développé le
germe de fon talent , & pofé les fondemens de fa
réputation.
No. 26 à 29. M. VERNET. Une Marine avec
une Tempête, & Naufrage d'un Vaiffeau , 14 pieds
de long, fur 6 de haut , &c. M. Vernet continue
de fixer l'admiration par des compofitions favantes
dans un genre qui fembleroit ne pouvoir pas préfenter
une très -grande variété , files reffources du
génie de cet Artifte habile ne prouvoient pas , à
toutes les Expofitions , que cette variété eft poffible.
On ne fauroit être tour - à- tour plus fier , plus terrible
, plus doux & plus frais . Le pinceau de M. Vernet
ne vieillit point ; fa vigueur conftante eft un
phénomène dont les exemples font rares , & que les
Amateurs des Arts fouhaitent d'admirer encore longtemps.
N°. 30 à 33. M ROSLIN. Les Portraits de M.
le Comte d'Affry & de feu M. de Nicolaï ont le
mérite d'une parfaite reffemblance . Ils font d'ail
leurs exécutés avec précifion . Les étoffes qui forment
le vêtement de M. de Nicolai font d'un bel effet ;
nous defirerions pourtant moins d'oppofition entre la
couleur du fatin éclairé par les reflets de la lu
mière , & la nuance trop prononcée du manteau ',
qui eft d'un ton trop noir. Nous regrettons auffi
que le corps de M. le Comte d'Affry ait l'apparence
d'être furchargé des vêtemens qui le couvrent. Le
Tableau No. 32 qui représente une Dame debout
devant une glace , eft d'un effet plus féduifant que
vrai, La robe de fatin eft d'un fini précieux ; mais il y
a beaucoup à dire fur les perfonnages acceffoires. Pour
ne parler que d'un d'entre- eux: qu'est- ce que l'attitude
DE FRANCE, 27
d'un homme vêtu de velours bleu , affis & tenant à
fa main. un livre dont il n'a pas l'air de s'occuper?
Nous n'apprendrons fûrement pas à M. Roflin que
les couleurs doivent fe rompre s'identifier , pour
ainfi dire , avec l'ombre dont elles font frappées ;
mais nous pouvons nous étonner qu'il ait oublié ce
principe dans toutes les parties de ce Tableau. Le
ftyle en eft d'ailleurs très-découfu , & les figures en
font ifolées. Nous n'aimons pas , même dans les
compofitions d'une foible importance , à voir les
Artiſtes diftingués oublier le refpect qu'ils fe doivent,
& l'exemple dangereux qu'ils peuvent donner.
N° 34 à 42. M DE MACHI . Vue du Château
de Versailles prife de la cour des Suiffes du côté de
l'Orangerie : Vûe de la Place de Louis XV à l'inf
tant du départ de MM. Charles & Rabert , &c. On
pourroit comparer toutes ces Vues à des Portraits
d'une exacte reflemblance. On a long temps refufé
à M. de Machi le tribut d'éloges qu'on lui devoit;
on commence enfin à être jufte tout à fait , & à
convenir qu'il fait habilement employer les couleurs
, les fondre , les oppofer, & qu'il a l'art de
rendre intéreſſans des objets dont l'image , pour être
bien rendue , paroît n'exiger d'abord que de l'exactitude
dans le coup-d'oeil , & de la correction dans
le deffin . Tous les Tableaux compris fous les Nos.
que nous avons indiqués font éclairés avec intelligence
; ils ont de l'effet & de l'harmonie. Les Ou
vrages de M. de Machi deviendront un jour d'autant
plus précieux , qu'ils retraceront fidèlement les
plus beaux monumens , & les plus belles vûes de la
Caritale & de fes environs .
N° . 43 à 48. M. DUPLESSIS . Portraits. C'eft
avec regret , qu'à l'afpect du Portrait de M. Vien ,
nous nous sommes rappelés celui de M. Allegrin ,
par le même Auteur. Perfonne mieux que M. Dupleilis
ne peut juger de l'extrême différence de
Bij
28 MERCURE
ces tableaux. Il y a plus de vérité dans celui de
M. de Chabanon & dans celui de M. de Laffonne ;
mais ces trois Portraits & quelques autres ont le
défaut d'être gris , & de ne produire à l'oeil qu'un
effet monotone. La reffemblance eft quelque chofe ;
mais c'eft dansl'intérieur des familles que cette qualité
acquiert du prix : le connoiffeur ne vient guères
juger le Peintre de portraits ; c'est à l'Artiſte qu'il
veut parler.
No. 49 à 54. M. ROBERT . On a ſouvent reproché
à M. Robert de n'offrir aux Amateurs que des
efquiffes ou des tableaux efquiffés, "Cette année ,
on ne lui fera point ce reproche ; il a mis du
foin à fes compofitions , & elles ont toutes le
ton de couleur qui leur convient . Le tableau repréfentant
un incendie dans la ville de Rome ,
annonce le goût particulier de l'Auteur pour tout
ce qui est noble & beau : il a livré aux flammes
les monumens de la décadence de l'art ; il n'a
conservé que ceux qui atteftent le génie , & qui
rappellent ces temps heureux où l'Italie étoit , à
plus d'un titre , encore la Reine du monde ; malgré
cela , fon tableau ne produit pas tout l'effet que
M Robert cn pouvoit attendre , parce que les fujets
de ce genre peuvent rarement être agréables . Celui
qui repréfente les célèbres monumens antiques de la
-France, eft aufi bien compofé , que parfaitement co-
-lorié. Parmi les autres productions du même Auteur ,
-il faut diftinguer celle qui repréfente le portique
d'Octavie à Rome. Les maffes d'ombres y contraſtent
d'une manière favante , avec les effets habilement
ménagés de la lumière ; il y règne une
harmonie douce , vraie & digne des Maîtres les
plus renommés dans l'art de la perfpective.
P
On nous permettra fans doute de garder le
Glence fur les tableaux compris fous le N ° . 55.
No, 5 à 61, Mde VAULAYIR- COSTER . On
DE FRANCE.
29
remarque entre le règne végétal & le règne animal,
une diſtance , moins vafte peut- être que celle qui
exifte entre lesportraits de cette Artiſte & fes tableaux
de genre , en mettant à part néanmoins la vérité des
effets que la nature montre dans toutes les créa
tions , & que Madame Cofter ne fait pas fentir
dans toutes les fiennes. Ses portraits de Mademoifelle
de Coigny , de Monfeigneur l'Evêque de ....
de Madame de Saint- Huberty , fous l'habit de
Didon , & c. font , du plus au moins , deffinés
d'une manière très- incorrecte , & d'un ton de couleur
décidément condamnable ; mais les tableaux
de genre sont vrais , d'un ton naturel , & dignes
des plus grands éloges . Eh ! pourquoi ne pas vouloir
être foi ? Connois- toi toi- même ; perfonne ne le fouvient
- il donc de cet adage d'un ancien ?
N° . 62. M. CALLET. Achille traînant le corps
d'Hector devant les Murs de Troye , 10 pieds
quarrés pour le Roi. Si la chaleur confifte dans
Fexagération , il n'y pas de Peintre plus chaud que
M. Callet. Le caractère de la tête d'Achille n'annonce
pas un Héros irafcible , mais un brigand
forcené. Le corps d'Hector n'eft qu'un cadavre
déjà flétri , & tout le monde fait qu'un bienfait
particulier des Dieux , arracha les dépouillest
mortelles d'Hector aux ravages de la mort. La couleur
générale du tableau eft fombre , ou pour mieuxdire
, noire , & très- noire , & les loix de la perfpee-t
tive y font abfolument violées. Il eft fâcheux que
M. Callet fe foit éloigné de la couleur agréable de
fes premières productions. "
N. 63. M. BERTHELLEMY. Manlius Torqua
tus condamnant fon fils à la mort , 10 pieds furt
huir pieds ; pour le Roi. Un taire facile , une manière
large , quoiqu'un peu négligée , un ton fort:
harmonieux. La figure de Manlius préfente un'
double caractère parfaitement exprimé ; d'une part ,
Biij
30
MERCURE
elle annonce la fermeté patriotique du Conful , qui
parle au nom de la loi ; de l'autre , la tendreffe paternelle
qui frémit en envoyant à la mort un fils vicorieux
& chéri. L'attitude & la phyfionomie du
jeune homme nous paroiffent manquer du caractère
noble convenable à un Héros qui a vaincu pour
l'avantage de fon pays , & qui meurt avec courage
après avoir combatru avec gloire .
N ° . 64 à 66. M. VAN- SPAENDONCK. Tableau
de 4 pieds 3 pouces de haut fur 3 pieds de large;
pour le Roi repréfentant un piédeftal d'albâtre ,
enrichi de bas- reliefs , fur lequel eft pofée une corbeille
de fleurs , & à côté un vafe de bronze. Ce tableau
, parfaitement rendu dans toutes les parties
doit ajouter encore à la brillante réputation de M.
Van-Spaendonck.
Nos. 67 , 68 & 69. M. VINCENT. Arrie & Patus.
Deux tableaux , l'un de 3 pieds , 6 pouces de haut ,
fur 4 pieds 3 pouces de large , l'autre de 10 pieds fur
8 ; pour le Roi. Le premier eft plus habilement deffiné,
compofé & exécuté que le fecond , qui annonce
néanmoins une plus grande prétention . Dans celui - ci ,
Arrie préfente à Poetus le poignard avec lequel elle.
vient de fe frapper , d'une manière fi foible , qu'elle
ne rappelle point à la penſée la Romaine qui eut
affez de force pour dire à fon mari ce mot connu :
Poete , non dolet . La figure de Poetus eft gigantefque
& contorfionnée , fi l'on veut nous paffer
cette expreffion. Le fond de ce tableau eft fombre ;
les trois perfonnages debout , offrent à l'oeil un effet
d'autant plus fâcheux , que les bandes noires qu'on
remarque entre eux , interrompent la lumière fans la
répandie , & forment avec les figures un contrafte
dur & impoffible dans la nature . M. Vincent eft
néanmoins un Artifte habile ; auffi , dans le premier
plan fur lequel la lumière fe répand d'une manière
large , remarque-t -on un bon ton de couleur , un
DE FRANCE 3.1
faire très- eftimable , & qui le feroit même davantage
fi on n'y appercevoit pas un efprit de fyftême
bien condamnable. M. Vincent eft plus fait
qu'un autre pour fentir qu'il n'y a aucun mérite à
faire contrafter durement des maffes d'ombres avec
des maffes de lumières , & qu'il n'y a aucun art à
oppofer le blanc au noir. Son tableau du Préfident
Molé , & celui de la Pifcine annonçoient une bien
autre manière que celle qu'il paroît adopter depuis
quelque temps ; & nous l'invitons , pour l'intérêt de
fa réputation , à revenir fur les pas .
No. 75 à 79. M. Huɛ. On a toujours reproché
à ce Paysagiste un emploi trop crud des verds ; on
peut encore lui renouveler ce reproche. On peut .
auffi l'inviter à obferver plus rigoureufement les loix .
de la perspective ; & quand il aura daigné s'occuper ,
de faire difparoître ces défauts qui déparent pref
que toutes les compofitions , on examinera jufqu'à
quel point il eft naturel & vrai. Il paroît qu'en général
M. Hue voit trop rapidement ce qu'il veut
peindre , & que l'art d'indiquer les plans fur lefquels,
il travaille, ne lui eft pas très- familier. Nous defirerions
auffi que M. Hue voulût bien nous retracer
fidèlement les heures du jour , en banniffant de fa
compofition & de la touche la monotonic conftante
qu'on y remarque.
Nº . 80 à 84. M. SAUVAGE . Deux Bas-reliefs
imitant le bronze , &c . tableaux dont tout le mérite
eft de tromper l'oeil , & qui ne fercient pas capables
de faire la réputation d'un Artifte s'ils n'étoient,
pas aufli parfaitenient rendus.
No. 85 à 94. Mine LE BRUN. Mgr. le Dauphin,
& Madame , fille du Roi. Bacchante affife , vue juf
qu'aux genoux, Portraits de M. de Calonne , de Mme
la Comteffe de Ségur, de Mme la Baronne de Cruffol,
&c. Chacun de ces tableaux ou portraits a un caractere
différent , toujours habilement faifi , & ana-
Biv
32 MERCURE
logue à la phyfionomie des perfonnages. Aimable ,
vraie & naturelle dans la repetentation des auguftes
Enfans de notre Souverain ; gaie , décente
dans l'expreffion , dans les formes de la Bacchante
& favante dans la manière dont elle eft éclairée ;
fpirituelle , noble & tranquille dans le portrait da
Miniftre des Finances ; fière d'attitude & de caractère
dans celui de Mme de Cruffol ; douce , fuave
& piquante dans tous les autres portraits ; Mme le
Brun fait prendre également tous les tons. Son ftyle
lui appartient , elle le divife , elle l'élève ou l'affof-"
blit en proportion des convenances . Sa couleur eft
ferme , variée , locale ; mérite bien rare & trop peu
apprécié . Malgré les obfervations de quelques Cri-,
tiques , nous ofons avancer que cette Artiſte eft une
des plus habiles coloriſtes de notre fiècle
No. 95 à 102 Mme GUYARD . Si l'on ne confidère
que le tableau N° . 101 , répréfentant Mme
Guyard occupée à peinde , & accompagnée de deux
Elives , on ne pour a trop s'étonner des progrès
rapides qu'elle a faits depuis deux ans. Non-feuleent
cette production ne reffemble à aucune de
celles que Madame Guyard a expoféés précédemment
, mais elle eft encore fupérieure à
tout ce que cette Artifte a expofé cette année , '
notamment à fon mo.ceau de réception , dont
le deffin eft peu corre &t , & dont l'expreffion eft
foible , pour ne pas dire molle : nous voulons
parler di Portrait de M. Amédée Wanloo. Un
delfin facile & ferme , une grande connoiffance des
effets de la lumière , une compofition fage & noble ,
un ton de couleur vrai , une touche large & déterminée
; telles font les qualités qui frappent dans le
portrait de Mme Guyard , tableau que nos Peintres
les plus habiles s'enorgueilliroient d'avoir fait , &
qui ne pourroit qu'ajouter à la réputation d'un Artifte
confommé.
C
DE FRANCE 33
Nº . 103. M. DAVID . Serment des Horaces entre
les mains de leur père , 13 pieds de long fur 10 de
haut ; pour le Roi . La compofition de ce tableau eft
d'un gente neuf; elle annonce une imagination brillante
& courageufe. Peu de Peintres auroient ofé ,
placer les trois frères fur la même ligne , dans la
crainte de deveni: fecs & durs ; M. David l'a ofé
faire , & la manière dont il à vaincu cette difficulté ,
prouve un talent rare & fupér eur. Les caractères
des Horaces & leur action font fiers. On remar- ,
que dans la tête du père une férocité patriotique
qui rappelle la valeur meurtrière des premiers Ro-.
mains. M. David a fait ufage d'un coftume igou- ,
reuſement auftère , & il en a tiré le parti le .
plus avantageux . La correction du defin ; la vérité
des détails qui ' annoncent de grandes connoiffances
anatomiques ; le beau ton de couleur , intelligence
& l'heureufe diftribution de la lumière ;
l'ordonnance fimple , mais fublime , de ce tableau
nous le font confidérer comme la production la plus
diftinguée qu'ait produite depuis long- temps le pinceau
d'un François . Le grouppe des femmes , qui
forme oppofition avec celui des frères , nous a femblé
un peu foible d'expreflion , & nous aurions defiré
appercevoir dans le caractère des têtes quelque
chofe de plus prononcé , de plus Romain . Il n'eft
pas douteux que ce tableau , généralement & juftement
admiré , n'engage un grand nombre de nos
jeunes Peintres à prendre M. David pour modèle ; il
eft donc à propos d'obferver que la tévérité de ſtyle
& l'expreffion très forte qu'on y remarque ,
font des beautés locales , convenables au fujer , &
dont l'abus feroit extrêmement dangereux . Un Artifte
habile fe permet des hardieffes que les autres
doivent s'interdire , parce que le génie qui crée fent
fes forces, fes intentions , marche d'un pas ferme à fon
but , & que c'eft à lui feul qu'il appartient de frayer
·
Bv
34 MERCURE
& de fuivre des routes nouvelles . N°. 104. Bélifaire.
C'est le grand tableau du même Auteur rendu
en petit , & perfectionné dans fes détails . Nº . 105.
Portrait de M. P. de la plus grande vérité , & du
ton de couleur le plus heureux.
N. 106 à 109. M. RENAUD . Mort de Priam,
10 pieds quarrés ; pour le Roi. Plus de recherche
que de vérité dans les effets , un ton de couleur trèsmédiocre
, un ftyle découfu , & dans les têtes une
expreffion ou molle ou maniérée : voilà plus de vices
qu'il n'en faut pour faire condamner un tableau. Le
talent de M. Renaud a donné de fi belles espérances
, qu'on ne peut le voir fans chagrin négliger
fa réputation. Il y a de la grâce dans fon petit tableau
de Plyché , la couleur eft bonne , quoique foible , &
il y a de l'harmonie dans les effets.
No. 110 à 118. M. TAILLASSON. Philoctete à
qui Ulyffe & Neoptolème enlèvent les flèches d'Her
cule , 7 pieds de large , fur 9 pieds 4 pouces de
haut ; morceau de réception de l'Auteur. Ce tableau
a de la vigueur ; mais c'eft plutôt dans la couleur
que dans la compofition . Le corps de Philoctete reffemble
peut-être trop à une figure d'Académie ;
malgré cela , cette production eft très- eftimable &
prouve un beau talent. Parmi les autres tableaux du
même Auteur , on remarque une Ste Thérèfe , dont
le caractère de tête eft excellent , & dont le faire
eft large & moelleux .
No. 119 à 124. M. WERTMULLER. Les Portraits
de M. Bachelier & de M. Caffiéri ont de la reffemblance
& de l'effet. Celui de la Reine , fe promenant
avec Mgr. le Dauphin & Madame fille du Roi ,
eft d'une foibleffe que rien ne fauroit faire excufer.
N°. 125 à 133. M. CÉSAR WANLOO . Les tableaux
compris fous les trois premiers Numéros font
les morceaux de réception de l'Auteur . On ne peut
DE FRANCE;
35
qu'exhorter M. Wanloo à étudier la nature & fes
effets. Il y a du goût dans le choix de quelques- uns
de fes files ; mais en général il ne décide point affez
fes plans , & fon ton de couleur eft terne .
Nº . 134 à 137. M. LE BARBIER l'aîné. Jupiter
endormi fur le Mont- Ida , 8 pieds de haut , fur 7
pieds de large ; morceau de réception de l'Auteur.
La compofition de ce tableau eft molle , le Jupiter
n'a point de nobleffe , & Junon a plutôt l'air d'une
coquette qui fait une niche, que d'une Déeffe qui
médite un grand projet. Nous connoiffons fur ce
fujer un tableau de M. Julien , de Parme , qui eſt
très- fupérieur a celui de M. le Barbier. Les deffins
fous le N°. 137 font agréablement touchés.
Nos. 138 & 139. M. HALL. Le Roi de Suède ,
plufieurs Portraits & Têtes d'études . Le ta'ent de cet
Artifte pour la miniature eft connu ; les Portraits
qu'il a expofés cette année foutiendront l'idée qu'on
en a prife.
No. 140 à 147. On peut garder le filence fur tous
ces tableaux , efquiffes ou deffins.
Nº. 148 à 154. M. BARDIN. L'Extrême Onétion,
15 pieds 2 pouces de long , fur 6 pieds 8 pouces de
haut. Ce fujer a été traité par plufieurs Peintres cè
lèbres , notamment , comme on fait , par le Pouflin .
Le fouvenir du tableau de ce grand Maître place
M. Bardin à côté d'un rival dangereux . Il y a de la
fagefle dans la compofition de l'Artiſte moderne ;
mais beaucoup de foibleffe de ftyle , & un mauvais
ton de couleur. Les deffins de M. Bardin nous fem
blent préférables à fes tableaux.
Nos. 155 & 156. M. DÉBUCOURT. La feinte Ca
reffe , 15 pouces de large , fur 12 de haut. Čet Artiſte
a mérité des éloges ; mais s'il continue de fe livrer
à fa trop grande facilité , il eft à craindre qu'il n'en
obtienne pas de nouveaux.
Nº. 157 à 162. M. JULIEN . La Veftale Tulia
Brj
36
MERCURE
accufée d'incefte ; l'amour de la Gloire , &c.; des
Portraits , des Diffins . On cherche du ftyle dans
tous ces tableaux , on n'en trouve point. Un deffin
incorrect , une compofition négligée , un coloris
fans vigueur : voilà tout ce qu'on y remarque. Il
faut e'pérer que M. Julien , après avoir long- temps
ellayé toutes les manières , pourra enfin ſe décider
en choifir une.
·
No. 163 à 173. M. DE MARNE . Marches d'animaux;
Payfages ; Rendez- vous de chaffe , &c. Une
connoiffance
très étendue de la perfpective , de
Fintelligence
dans les plans & dans les effets de
lumière ; mais quelquefois un ton mou , & trop de
brillant dans la couleur : voilà les qualités & les défauts
de M. de Marne , auquel nous confeillons
d'être plus févère avec lui- même s'il veut confolider.
fa réputation.
1 No. 174 à 177. M. NIVARD . Vue du Château
de la Baronnie de Mello , & c. M. Nivard s'élève &
gagne à chaque expofition. Il ſe montre dans celleci
très- fupérieur à lui- même . Sa vûe de Mello eft
d'un bon effet ; la variété des objets y eft immenfe
& néanmoins rien n'y eft confus ; l'oeil jouit fans
fatigue de l'enfemble & des détails . On peut lui reprecher
pourtant in ton trop foutenu dans les verds .
N ° . 178 à 185. M. PEYRON , L'Héroifme de
Arour Conjugal , 10 pieds quarrés ; pour le Roi.
Ce tableau ajoute encore à l'idée avantageufe
qu'on a conçue du talent de M. Peyron . Il y a de la
fageffe , de l'intérêt dans la compofition . La figure
d'Alcefte eft touchante , & le grouppe placé près du
fit , eft d'une belle intention On eft fâ hé d'appercevoir
vers le milieu du tableau , & , en face du lit ,
une femme dont la figure embarraſſe l'enſemble &
nuir un peu à l'effet général. Nous aurions voulu
affi que le lit de la Reine fût vû en perspecve.
Le ton de couleur eft bon , & l'harmonie
DE FRANCE. 37
totale du tableau feroit plus fenfible , fi le
fond en étoit moins noir. Sacrate détachant Alcibiade
des charmes de la volupté , eft d'une intention
heureufe & d'un effet piquant : le caractère de la
tête de Socarre eft prononcé ; il contrafte bien
avec celui des autres figures . Les efquiffes & les
deffins du même Auteur méritent aufli des éloges .
On pourroit y remarquer un peu de négligence dans
l'exécution ; mais il ne faut pas juger à la rigueur
cette eſpèce de compofitions .
No. 186 à 192. M. VESTIER . Portraits & Miniatures
. Tous ces portraits font compofés avec facilité
, & le coloris en eft agréable . Le plus remarquable
eft celui de la fille de l'Auteur , faifant le
portrait de fon père. Il eft d'un bon effct '; les étoffes
ont de la vérité. On a trouvé plus de chaleur
dans la figure du portrait que dans celle du Peintre ,
& peut-être cette chaleur auroit- elle dû être donnée
à la figure qui doit avoir de la vie : c'eſt un défaut
de convenance , auquel on invite M. Veftier à faire
attention .
N°. 193 à 195. M. LE MONNIER, La Pefte de
Milan. , 15 pieds 3 pouces de haut , fur 9 pieds 3
pouces de large . On diftingue dans ce tableau une
belle intelligence dans les effets , une grande correction
de deffin , & une couleur affez boane , quoiqu'elle
pût être plus prononcée & plus riche dans
quelques parties. Le grouppe qui eft fur le devant
du tableau , n'eft pas neuf , & retrace trop l'intention
de plufieurs Maîtres célèbres. La tête du
Prélat paroît animée d'un zèle charitable , & le
caractère de fon expreffion eft bon . Les autres compofitions
de l'Auteur ne nous paroiffent pas mériter
à beaucoup près les mêmes éloges.
Nº. 196. M. HUET. Plufieurs Paysages. Beau
coup , mais beaucoup de réminifcences. L'étude
des Berghem & des Wauwermans doit être fort
28 MERCURE
utile aux payfagiftes ; mais il faut que cette étude
ferve à initier dans le fecret de la nature , & non
pas à faire faire des tableaux de réminiscence.
Nº. 197. M. DE WAILLY. Modèle d'un Escalier
à trois iampes ; Décoration de Théâtre , repréſentant
l'intérieur du temple de Jérufalem . Les compo<
fitions de ce genre ne peuvent guères être bien jugées
, que lorfqu'elles font exécutées dans les proportions
qu'elles doivent avoir. Les modèles en petit
égarent l'oeil , en rapprochant trop les détails de
l'enfemble . C'est une vérité dont plus d'un exemple
a donné la preuve.
SCULPTURES Nos , 198 bis & 199 bis. M. PAJOU.
Blaise Pascal , figure en maibre : Pfiché
abandonnée , modele en pláte , pour le Roi . Le
modele en plâtre de Pafcal , expofé il y a deux ans
avoit entraîné tous les fuffrages ; l'exécution en
marbre eft plus fatisfaifante encore . L'abandon
vrai , fouple , facile du corps , l'air contemplatif
de la figare prouvent un Maître auffi habile dans la
création , que dans l'exécution de fes ſujets. La figure
de Pfiché inſpire un très- vif intérêt ; fa douleur eft
touchante ; elle parle à l'ame. On a dit qu'elle rendoit
l'expreffion de la douleur phyfique , & ce reproche
nous paroît très - hafardé . La douleur phyfique ne
peut fe rendre que par des mouvemens convullifs , &
par une contraction grimacière dans les traits ; or la
Pfiché n'a point du tout ce caractère. On a obfervé
avec plus de jufteffe que les formes du corps
étoient trop prononcées ; il eft certain qu'elles le font
un peu trop , & que M. Pajou paroît y avoir ſuivi un
modèle trop fait. A l'exécution en marbre , ces défauts
pourront difparoître On invite l'Auteur à fe fouvenir
que la fcène le paffe en Grèce ; qu'une fille nubile dans
ces clinats , doit bien ne pas avoir , comme on l'a remarqué
, les proportions décidées d'une femme de
vingt- cinq ans , mais qu'elle ne doit pas non plus
DE FRANCE. 39
avoir celles d'une fille qui commence fon adolefcence
dans un climat tel que le nôtre. Le bufte du père de
Mme Guyard rappelle une tête antique de vicillard .
Celui de Mme le Brun eft parfait , la reffemblance
eft frappante , & la phyfionomie eft pleine de chaleur
, d'expreffion & d'amabilité .
Nº. 200 à 202. M. CAFFIERI . Bufte de Thomas
Corneille , marbre : Nicolas Boileau , modèle en terre
cuite. Plufieurs portraits. La tête de Boileau a du
caractère le bufte de T. Corneille eft une des meilleures
productions du cifeau de M. Caffieri .
Nº. 203 à 209. M. BRIDAN. Le Maréchal de
Vauban , figure en inarbre pour le Roi. Il ne fuffit
pas, dans les figures de ce genre , de s'en tenir à une
reffemblance exacte , & à une grande régularité de
costume ; il faut encore s'occuper de donner aux
Héros qu'on repréfente , le caractère diftinctif de
leur génie. On auroit voulu retrouver dans celle - ci ,
non-feulement un Maréchal de France doué de
beaucoup de valeur , mais encore l'homme favant
& profond dans l'attaque comme dans la défenſe des
places. Les petites figures de M, Bridan ont dư
charme , mais il y a dans toutes de la foibleffe , & de
l'incertitude dans le cifeau.
Nos . 210 & 211. M. GO1s . Mathieu Molé ,
modèle en plâtre pour le Roi. Portrait de M. de
Calonne , modèle . Le Portrait de M. de Calonne a
de la roideur ; il eft reffemblant , fi l'on veut , mais
le caractère en eft fec. L'Auteur a tiréun grand parti
du coftume volumineux & ingrat de Mathieu Molé ;
mais il a trop renversé la téte de ce Magiftrat , ce
qui lui donne un air de gêne & de contrainte trèsdéfagréable
.
No. 212 à 216. M. MOUCHY. Efquiffes. Il y a
de l'imagination dans la compofition de tous ces
morceaux; mais ils font trop efquiffés pour qu'on
puiffe en dire davantage.
}
40
MERCURE
No. 219 à 221. M. BERUER. Projet d'un Céno .
taphe en l'honneur des Officiers péris dans la guerre
de l'Amérique. Idée gigantefque d'une exécution:
prefque impoffible , & qui n'a d'autre mérite que
d'être fortie d'une tête patriotique . De la vérité dans
le Portrait de M. de Machi.
No. 222 à 224. M. JULIEN . Jean La Fontaine
, figure en marbre , pour le Roi. Chef- d'oeuvre
de cet Artifte , auffi bien compofé que bien exécuté;
remarquable par le caractère naïf & reflem->
blant du bon homme , autant que par l'efprit & la.
vérité des acceffoires. Ganimède verfant le nectar à
Jupiter changé en aigle. Ce morceau eft , dans fon
genre , auffi digne d'éloges que le précédent. Il fe
diftingue par la beauté des formes , par la jufteffedes
proportions & par le fini de l'exécution.
No. 225 à 231. M. HOUDON. Buftes en marbre.
M. le Noir , M. de Biré , M. de la Rive , plu-i
fieurs Buftes en plâtre . Tous ces morceaux font honneur
à M. Houdon ; ils lui en feroient davantage
fi la touche en étoit plus ferme , & fi on y apper
cevoir moins de gonflement dans les chairs.
No. 232 à 234. M. BOISOT . Le Roi , Bufte en
marbre. Racine , figure en plâtre qui doit être exécutée
en marbre pour le Roi. Un Mercure . Le
corps de Racine eft lourd & trop fort de propor
tions ; le caractère infpiré de la tête ne convient
point à l'Auteur de Phedre. Racine eft très - lyrique
dans Athalie à la vérité : c'eft peut - être ce qui a
engagé M. Boilot à donner à fa figure l'expreffion
qu'on lui reproche; mais le genre lyrique n'eft pas
celui qui a fait la réputation de ce Poëte ; il falloit
donc lui donner un caractère analogue à celui généralement
connu de fon génie.
Nos. 235 & 236. M. DE JOUx . Philopamen
buvant la ciguë. Figure en plâtre des pieds de proportion
. Cette ftatue eft d'un effet défagréable ; c'eſt
8
DE FRANCE. 41 .
le corps décharné d'un vieillard . Ce défaut pour-,
roit être excufé fi la tête avoit un grand caractères
málheureuſement elle n'en a point . Le Buſte de
Mme la Princeffe de Monaco eft reffemblant.
Nº. 237 à 242. M. MONOT . Abraham Duquesne..
Figure en plâtre qui doit être exécutée en marb
pour le Roi, Le caractère de tête annonce plutôt la
fureur que le courage ; les proportions en font inexactes
& lourdes. Cette Figure , avant d'être exécu-,
tée pour le Roi , demanderoit à être preſque entière- :
ment refondue . De la vérité , & un faire très decidé
dans les Buftes de cet Artiſte.
Nº. 243 à 245. M. STOUFF . Abel expirant fous
les coups de Cain , deux Têtes d'Etude , un Bélifaire
, &c. Le premier de ces morceaux eft d'un,
deffin pur , d'une compofition fage & vraie , il eft
d'ailleurs d'une exécution finie . Le petit grouppe
d'Hercule combattant les Centaures eft d'une compofition
pénible , nous dirions prefque tourmentée.
Nº. 246 à 248. M. Foucov. Un Fleuve ; .
Pujet , &c. Le Fleuve , Figure en marbre , eft d'une
belle proportion , & la compofition en eft bonne.
On y remarque de la fermeté dans le cifeau . Le
talent de cet Artifte s'annonce plus que jamais d'une
manière avantageufe.
Nº. 249. M. ROLLAND . Le grand Condé.
Figure en plâtre qui doit être exécutée en marbre,
pour le Roi . Ce modèle eft très- eftimable i eft
compofé avec chaleur ; le coftumne eft vrai & bien
rendu : nous defirerions feulement plus de nobleffe
dans le caractère de la tête , qui nous femble un peu
forcé. On pourroit defirer encore que le mouvement
du Prince indiquât plus pofitivement que c'eft dans
les retranchemens des ennemis qu'il veut lancer fon
bâton.
No. 250 à 253. M. MOITE. Deux Portraits ,
f'un en marbre , l'autre en plâtre , tous deux d'une
42 MERCUREexacte
reflemblance. Le premier , qui repréfente
M. l'Abbé Aubert , eft précieux par fon fini & par
le foin qui règne dans les détails . Le Combat d'Ulyffe
& d'Ajax , bas- relief , eft bien composé , bien fenti ,
& d'un bon effer. Or. ne peut que defirer de voir
cet Artifte s'occuper de quelque grand morceau.
Nos. 254 & 255. M. MILOT. Mort de Socrate ,
&c. Il y a de la facilité dans tous ces merceaux . Le
corps de Socrate mourant a d : la vérité & de la
fageffe.
Nº . 256 à 260. M. DE SEINE . De tous les morceaux
qua expotés cer Artifte , nous ne cirerons que
trois Têtes d'études faires à Rome. C'est la vérité
antique , le beau idéal des Grecs & des Romains
dans toute leur pureté. Quand après avoir obfervé
les grands modèles , on parvient à compofer anfi
fans être plagiaire , on doit acquérir un jour une
brillante réputation .
No. 261. M. DE LAISTRE . Philoctete dans l'Ifle
de Lemnos , figure en plate. Ce morceau , où l'on
remarque de la facilité , a l'air d'avoir été compofé
à la bâte. La compofitión en eft foible & molle. La
facilité eft un don précieux qui devient funefte à celuiqui
en abufe.
•
GRAVURES . Prefque toutes les Gravures qu'on a
expofées cette année ont paru depu s long temps ,
& on en a rendu compte dans ce Journal . Nous ne
nous arrê erons donc qu'à ce qui eſt abſolument neuf.
N°. 262 à 265. M. MULLER . Leuis XVI , d'après
M, Dupleflis. Deffin . De la vérité , de la reffemblance
& de l'effet. Il eſt deſtiné à être gravé , & laréputation
de M. Muller infpire l'impatience de le
voir exécuté.
Nº. 266 à 272. M. DUVIVIER. Médailles rela-:
tives à des événemens publics ; fupérieures à beaucoup
d'autres compoſitions du mênic Auteur & du
même genre.
DE FRANCE .
43
Nº. 273 à 277. M. MIGER . Des Portraits d'an
effet agréable & d'une parfaite reffemblance.
No. 278. M. STRANGE . Henriette de France ,
femme de Charles, Premier, &c.
N ° . 279 à 282 M. DE SAINT AUBIN . M. Necker,
M. de Fénelon , morceaux connus . Quelques autres
morceaux de peu d'importance.
Nos. 233 & 284. M. DE LAUNAY . La Confolation
de l'abfence , l'Enfant chéri , morceaux cornus.
Nº . 285 à 311. M. MOREAU le jeune. Deffins
pour les OEuvres de Voltaire , pour les Figures de
Hiftoire de France. Ces compofitions ont le ſtyle &
l'effet qui conviennent à l'ufage auquel on les deftine.
Plufieurs autres Portraits deffinés avec efprit , & trèsreffemblans.
I
Nº . 312 à 314. M. BERVICK. Le Repos , la
Demande acceptée , morceaux déjà conrus ; Portrait
de M. Sénac de Meilhan ; un burin ferme , quoique
doux , une grande vérité dans les effets. M. Bervick
nous paroît un des Artiftes les plus diftingués dans
le genre de la Gravure.
Tous les morceaux que M. MASSARD a expolés
depuis le N ° . 315 juſqu'au Nº. 321 , ont reçu le
tribut d'éloges qui leur étoit dû , à mesure qu'il les
a rendu publics.
N°. 322 au N ° . 324 & dernier . M. KLAUBER .
Portrait de M. Carle Wanloo , le Sauveur du Monde ,
le Petit Ecolier de Harlem. Ces gravures ſont trèsfoignées
mais le jeur n'y cft pas ménagé avec
affez d'intelligence , & il y a de la dureté dans les
tailles,
on
De toutes les obfervations qu'on vient de lire ,
peut conclure que dans cette Expofition , comme
dans les précédentes , il y a plus de chofes médiocres
que de bonnes chofes. Cela n'eft point étonnant.
Vingt années , pendant lefquelles on a facrifié au
mauvais goût , à un fyftême méprifable & erronné
44 MERCURE
ont extrêmement reculé l'Art de la Peinture em
France. Point de Deffin , une mauvaiſe ordonnance
, un coloris faux , mais très- brillant , & propre
à féduire l'oeil des ignorans : voilà tout ce qu'on
pouvoit remarquer dans les productions de nos
Peintres. Ce fait eft fi inconteftable que malgré la
prévention de leurs admirateurs & l'ignorance générale
, la Sculpture , dont la médiocrité étoit moins
apparente , avoit acquis dans la Capitale une répu
tation très fupérieure à celle de la Peinture ,
& plus brillante que méritée . Enfin , un nouveau
jour a éclairé les efprits . Les idoles que l'opinion
mal dirigée adoroit ont difparu , & leuis prôneurs
avec elles Un homme habile , courageux &
modefte , infenfible aux cris & aux injures des ufurpatcurs
des premières places , avoit confervé dans le
filence fes principes , fon talent , fes lumières ; il
les communiquoit à fes Elèves , il leur apprenoit
à être vrais , naturels ; à échauffer leur génie dans
l'étude de la Nature ; à perfectionner leur goût
dans celle des bons modèles , des modèles de tous
les âges , de tous les temps , de tous les lieux.
Cet homme , ( c'étoit & c'est encore M. Vien , ) a
reparu. A fa fuite on a vû marcher fes Éleves
les Vincent , les David , les Taillaffon , les Pey
ron , &c. , & la Peinture a pris une face nouvelle
, chaque jour elle s'eft embellie , agrandie ,
élevée : nos Artiftes ont ou commencent à fe
faire un ftyle : ils fe montrent dignes d'être les
Fondateurs d'une Ecole qu'on nommera l'Ecole
Françoife , qui fera citée , étudiée , admirée , &2,
tous ces avantages feront dûs à M. Vien. C'eft
avec un plaifir bien vrai que nous rendons cette
juftice au Peintre d'Hector. Puiffe notre hommage ,
quelque foible qu'il fot , le payer en partie des fervices
qu'il a rendus à la Peinture en France , & qu'ont
méconnus trop long- temps les Amateurs des Beaux-
Arts.
DE FRANCE.
45
ANNONCES ET NOTICES.
EUTRES de Plutarque , contenant les Vies des
mens donnés
Hommes illuftres & les Traités moraux & philofophiques
fuivant la traduction d'Amyot , dans lefquels
font renfermés les quatorze Volumes imprimés
par Vafcofan en 1567 & 1574 , les Supplé
par différens Auteurs , dont un Volume
connu fous le nom de Décade , ou Vies des dix
Empereurs , in- 8°. & in 4º. , dix - huit Volumes de
fix cent pages environ chacun , avec toutes les
Tables & Indices chronologiques ; des Sommaires
qui divifent les matières en autant de Chapitres ;
des Additions marginales dans les Cuvres morales
& dans les OEuvres mêlées , qui forment , pour
ainſi dire , un abrégé de l'Ouvrage , & use Table
très-détaillée de toutes les matières contenues dans
cet Ouvrage , enrichie d'un Vocabulaire pour l'intelligence
des vieux mots , avec les Portraits de
Plutarque & d'Amyot , & c . & c .
L'in - 8°. 18 Vol. papier double d'Angoulême ,
brochés en carton & étiquetés , dont il refte feulement
deux cent vingt Exemplaires. Prix , 135 liv.
L'in-8 °. 18 Vol. papier de Hollande , brochés en
carton & étiquetés , dont il refte feulement cinq
Exemplaires. Prix , 270 liv. L'in 4 ° . 18 Vol. papier
double d'Angoulême , brochés en carton & étiquetés
, dont il refte feulement foixante - quinze Exemplaires
. Prix , 270 liv. L'in-4°. 18 Vol . papier de
Hollande , brochés en carton & étiquetés , dont il
refte feulement fix Exemplaires. Prix , 40 liv.
L'in-4 ° . 18 Vol . papier vélin de la fabrique du
Leur Reveillon , brochés en carton & étiquetés ,
46 MERCURE
dont il refte fix Excmplaires feulement. Prix ,
648 livres. A Paris , chez J. François Baftien , Libraire
- Éditeur , rue Sainte Hyacinthe , Place Saint
Michel , nº. 3 , & chez tous les principaux Libraires
de l'Europe
›
Cette précieufe Collection renferme les Vies de
quatre- vingt- quatre Hommes illuftres & foixante
& dix- hair Traités moraux ou philofophiques , dont
le détail & les noms font à la tête du premier
Volume , où le trouve la diftribution générale de
l'Ouvrage. Cette Edition eft remarquable par la
beauté des caractères & du papier , par l'exactitude
& la diftribution des matières , dont le détail eft à
la tête du premier Volume , par le goût qui règne
dans l'impreffion , fuivant les fujets , enfin par tous
les Supplémens qu'on y a ajoutés.
Il n'a été tiré que huic cent trente- huit Exemplaires
fur tous les differens papiers de ce grand &
important Ouvrage , & il a été imprimé avec une
célérité qui n'eft pas ordinaire. C'est une Édition
abfolument finie , & dont la jouiffance ne peut plus
être différée pour les Curieux & les Amateurs de
l'ancienne Littérature. Les dix- feptième & dix huitième
Livraiſons , fin de l'Ouvrage , qui viennent
de paroître , contiennent le troifième & dernier
Volume du Supplément , où fe trouvent les Vies de
Trajanus , Adrianus , Antoninus Pius , Commodus ,
Pertinax , Julianus , Severus , Antoninus Banianus
, Heliogabalus , Alexander, Ce Volume étoit
connu fous le nom de Décade , ou Vies des dix
Empereurs , & la Table générale & détaillée de
J'Ouvrage , &c. , avec tous les cartons néceffaires
pour remettre aux Volumes précédens , ainfi qu'ils
avoient été promis.
Nota. Les Perfonnes qui voudront fe procurer
cette Édition , peuvent le faire commodément en-
Cole en prenant deux Volumes tous les mois , & en
DE FRANCE. 47
payant deux Volumes d'avance , qui leur feront
remis à la fin.
-
On trouve encore chez le même Libraire quelques
Exemplaires des Effais de Montaigne , grand
in 8 °. & in 4 ° . , 3 Vol. papiers d'Angoulême &
de Hollande, De la Sageffe , par Charron ,
grand in- 8 ° . & in- 4 . , 1 Vol. papiers d'Angoulême
& de Hollande , avec la figure allégorique de
la Sageffe , &c. OEuvres de Meffire François
-Rabelais , grand in- 8° . & in-4°. , 2 Vol. papiers
d'Angoulême & de Hollande. Nous avons annoncé
dans le temps ces Editions à mesure qu'elles
ont paru , & nous leur avons donné les louanges
qu'elles méritoient & par leur exactitude & par
leur cxécution ; il ne nous refte qu'à inviter les Perfonnes
qui voudroient fe les procurer à le faire au
plus tôt , parce qu'il n'en refte qu'un très- petit nombre,
& que ces Editions méritent une place dans les
plus belles Bibliothèques.
ELEMENS de la Largue Angloife , ou Méthode
pratique pour apprendre facilement cette Langue,
par M. Siret Nouvelle Edition , revue , corrigée &
augmentée , in 8 ° . Prix , 1 liv. 16 fols. br. A Paris ,
chez Théophile Barrois le jeune , Libraire , quai des
Auguftins.
La Cabinet des Fées , ou Collection choisie des
Contes des Fées, & autres Contes merveilleux , ornés
de figures . Cinquième Livraiſon Tomes IX &
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Mille & Une Nuits .
Cette Collection piquante aura 30 vol. de Contes &
1 vol. de Diſcours, contenant l'origine des Contes des
Fées & les Notices for les Auteurs . On délivrera régulièrement
deux volumes par mois. On s'infcrit pour
ladite Collection , à Paris , rue & hôtel Serpente ,
48 MERCURE
chez Cuchet , Libraire Editeur des avris de be
Sage & de l'Abbé Prévoft Le prix de l'inſcription eft
de 3 liv. 12 fols le vol . broché , orné de trois planches
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NUMEROS 32 à 36 du Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres . Prix féparément , 12 fols ; 15 liv.
pour 52 Livraiſons , qui paroiffent tous les Dimanches
, franc de port. A Paris , chez M. Leduc , rue
du Roule , à la Croix d'or , N ° . 6.
JOURNAL de Clavecin , N. 8 , chez le même.
NUMERO 9 du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs , pour deux Violons ou Violoncelles . Prix
féparément , 2 liv . Abonnement , 15 & 18 liv . On
foufcrit à Paris , chez le fieur Bornet l'aîné , Profeffeur
de Mufique & de Violon , rue Tiqueroune,
Nr. 10.
TABLE.
$
TO
A M. de l'Averdy,
Epêtre à Mme de Z.......
Charade, Enigme & Logogry
phe ,
Nouveau Recueil de Gaîté & Annonces & Notices ,
31 de Philofophie,
Expofition des Peintures
Sculptures & Gravures dans
6 le Sallon du Louvre, 1-8
45
PAI In ·
APPROBATION.
par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1 Octobre 1785. Je n'y
-ai zien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , le 30 Septembre 1785. R AULIN .
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 OCTOBRE 1785.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE VIEILLARD AU PRINTEMPS ,
Élégie.
OPRINTEMPS ! faifon
trep
Saifon des fleurs & des plaifirs ,
Sur tes dons mon âme attendrie
Ne t'offre plus que des foupirs.
chérie,
QUAND tu fouffles par-tout la vie ,
J'admire ton euvre enchanteur ;
Pour mes regards quelle magie ,
Mais quel fouvenir pour mon coeur !
PERMETS , permets que j'en murmure ;
Depuis la fin de mes beaux jours
Vingt fois tu paras la Nature,
Et tu me délaiffas toujours.
N°. 41 , 8 Octobre 1785.
MERCURE
Que t'a fait l'homme , ce feul être
Que tu ne veux point rajeunir ,
Et qui , lorfque tout va renaître ,
Voit la vie & fe fent mourir ?
CES fleurs dont mes mains fatisfaites
Jadis entouroient mon chapeau,
Maintenant ne femblent plus faites
Que pour me cacher mon tombeau.
DANS le chagrin qui me dévore ,
Hélas ! dis-je pour l'adoucir ,
Heureux qu'on embelliffe encore
La terre qui doit me couvrir.
LI TIMPs , par fes métamorphoſes ,
Voudroit- il expier ſes torts ,
En ufant de chaînes de rofes
Pour nous entraîner vers les morts ?
PRINTEMPS fatal , ma voix amère
Réclame une de tes faveurs ;
Sitôt dans la froide terre
que
Je ferai , couvre- moi de fleurs.
A CETTE jeuneffe volage ,
Qui fera prompte à les cueillir ,
Je donnerai cet avis fage ,
Que fon aurere va finir ,
DE FRANCE.
O MON Printemps ! toi dont les charmes
Loin de moi caufent mes regrets ,
Ne viens plus , s'il faut que des larines
Suivent tes fragiles bienfaits.
(Par M. l'Abbé Quillon. )
ESSAI d'Infcription pour la nouvelle Halle
au Blé & la Fontaine qui y eft adoffée à
la colonne de Médicis.
QUA
”
UAS dedit alma Ceres , & tellus protulit uber,
Vindicat hic fibi plebs vitreo fub tegmine meſſes ;
Dùmque famem fatiant puro granaria farre ,
Nympha fiti dat aquas , divifque epulabere donis.
Sous ce toit tranfparent , Cérès offre à la faim
Le froment nourricier des champs qu'elle féconde;
A la foif une Nymphe y prodigue fon onde ;
Et contre un fort funefte au foible genre- humain ,
Deux Déeffes pour nous ouvrent ici la main.
སྙན་ཁྐྲན་ རྩེ (Par M. Bourdelois. )
COUPLETS à mon Père pour le jour
de Ja Fête.
D'UNE Fête qui m'eft fi chère,
Je dois célébrer le beau jour ;
Mais
pour te prouver mon amour ,
Faut- il des Chanfons , â mon père !
CA
52 MERCURE
Un hommage rempli d'appas ,
N'eft point celui que l'art procure :
Le plus beau couplet ne vaut pas,
Une larme de la Nature.
SOUVENT tel a l'âme infenfible
Qui fait nous plaire & nous charmer a
Mais a- t'il fu jamais aimer ?
Non, c'est pour lui chefe impoffible
Hélas ! des plus doux fentimens
L'attrait n'a rien qui l'intéreffe !
S'il faut à l'efprit des talens ,
Il faut au coeur de la tendreffe,
L'IMPRESSION eft bien légère
De ces mots brillaas , impofteurs a
C'eft s'arrêter fur quelques fleurs
Pour voir leur beauté paffagère 2
Mes hommages font plus conftans ;
C'est dans mes yeux , fur mon vifage,
Que tu liras ce que je fens ;
Et tu connois bien ce langage !
(Par M. Langeronfils. ),
LA ROSE, Fable
Des Rofes la plus belle
Venoit de s'entrouvrir,
DE FRANCE.
S3
Un Papillon paroît ; près d'elle
Veilloit l'Amour . Ah ! dit-il , infidèle ,
Par tes larcins vas-tu donc la flétrir?
Elle n'a pour partage
Que le règne d'un jour.
As-tu joui , tu portes ton hommage
A toutes les fleurs d'alentour.
Dans l'Olympe il s'élance:
O fouverain des Dieux !
Faut-il que la beauté , livrée à l'inconftance ,
S'éclipfe fous mes yeux ?
Mon fils , répond le maître du Tonnerre ,
Ainfi le veut le deſtin rigoureux.
Mais fi tout aujourd'hui de l'inſecte orgueilleux
Tu garantis cette Rofe fi chère ,
Jufques dans l'arrière-faiſon
Elle confervera fa fraîcheur printannière.
Point ne faut à l'Amour répérer fa leçon.
Il revole à l'inſtant fur le brillant parterre
Où fleurit l'objet de ſes voeux.
De fon bandeau que foudain il détache ,
Illui fait un abri fous lequel il la cache ,
Et la dérobe au moment dangereux.
JEUNES Beautés , la Rofe eft votre image.
Ouvrez-vous votre coeur aux difcours d'un volage
Il amule , il féduit ,
Il triomphe , & s'enfuit.
(Par M. H. D. P. )
C ii)
54
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Moulin ; celui
de l'Enigme eft Balcon ; celui du Logogryphe
eft Penthièvre , où l'on trouve Reine ,
Rhin , Eve , Pen , père , vie , épée , épine ,
piété , Euterpe , éther , épi , Epire , rive ,
vérité, Henri.
CHARADE.
MON premier , mon fecond font chantés par
mon tout.
ENIGM E.
JE ne fuis qu'un diminutif
D'un inftrument très- ordinaire ;
Cependant , quoique fi chétif, ·
On me fait plus qu'à lui d'honneur chez le vulgaire ,
Comme étant plus utile à tout le genre humain ;
Une Divinité me tient toujours en main,
Je lui fers d'attribut ; une jeuneffe agile
Me promène en chantant dans la plaine fertile s
DE FRANCE.
SS
Pour comble de toutes faveurs ,
Au retour , après les chaleurs ,
Les Belles , petites & grandes ,
Sur l'épaule , ou leurs bras , en forme de guirlandes ,
Me
portent en triomphe aux accens de leurs voix ,
Qui fe mêlent aux fons de différens hautbois.
( Par un Abonné. )
Qu
LOGO GRYPH E.
UAND il me plaît , d'un vol audacieux
Je traverſe les mers , m'élève jufqu'aux cieux ;
Un autre cependant partage ma puiſſance ,
Et nous allons tous deux d'intelligence ;
Je le foutiens , nous nous fervons d'appui,
Il a befoin de moi , je ne puis rien fans lui
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Difféque-moi , pour te défennuyer.
Quatre pieds compoſent mon être ;
Ore les deux premiers , retranche le dernier ,
Mon nom fera toujours femblable ;
En moi l'on trouve un mets d'un goût déſagréable ;
Un espace environné d'eau ;
Une femelle redoutable ;
Ce qui reſte au fond d'un tonneau;
Puis une note de muſique ;
Chez les Turcs un martyr ; un article ; un pronom ;
Civ
36 MERCURE
Et fi tu joins au tout une interjection ,
Je ceffe d'être énigmatique.
(Par M. Féron de Remmefnil. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ر
MORCEAUX choifis de Tacite , traduits en
François avec le Latin à côté , par
M. d'Alembert , &c. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des
Mathurins , hôtel de Cluni. 2 vol. in- 12 .
C'EST pour la première fois que ces Morscaux
choifis de Tacite , traduits par M.
d'Alembert , paroiffent à part , & ce n'eft
proprement ni une première Édition ni une
feconde ; cet effai de Traduction formoit le
Hoifième volume des Mélanges de Littérature
de M. d'Alembert ; il reparoît ici en
deux volumes , revu avec foin par l'Auteur ,
& augmenté d'un grand nombre de Morecaux
, tirés non feulement de Tacite , mais
de Velleius Paterculus , de Cicéron , d Adiffon
, du Chancelier Bacon. On trouve ici ,
du premier , les portraits de Tibère & de
Séjan , mis en oppofition avec ceux qu'en a
tracés Tacite ; du fecond , la pé oraifon de
Cicéron pour Milon ; du troifième , de trèsbelles
Scènes de fa Tragédie de Coton ; du
quatrième , des penfées fur differens fajets.
DE FRANCE. $7
M. d'Alembert , pour juftifier le parti
qu'il a pris de traduire ainfi Tacite & les
autres par morceaux détachés , traite de
contrainte ridicule l'ufage de traduire un
Auteur d'un bout à l'autre. « Ce n'eft pas ,
"
»
35
dit-il , pour nous faire connoître les dé-
» fauts des Anciens , qu'on les met en notre
langue , c'eft pour enrichir notre Littéra-
» ture de ce qu'ils ont fait d'excellent. Les
traduire par morceaux , ce n'eft pas les
mutiler , c'eft les peindre de profil &
» à leur avantage. Quel plaifir peut faire
» dans une Traduction de l'Énéïde , l'en-
» droit où les harpies enlèvent le dîner des
Troyens ; dans une Traduction de Cicéron
, les plaifanteries froides , & quelquefois
groffières , qui déparent fes haran-
" gues ; dans la Traduction d'un Hiftorien ,
» les endroits où fa narration n'offre rien
d'intéreffant , ni par les chofes , ni par le
style ? »
33
"
39
"
Il y auroit peut -être beaucoup de réponſes
à faire à cela ; & la première feroit que ,
pour bien faire un pareil choix , il faudroit
avoir tout le goût de M. d'Alembert , fans
quoi l'on rifqueroit ou d'admettre des morceaux
médiocres , ce qui ne rempliroit pas
l'objet , ou d'en exclure d'égaux , ou même
de fupérieurs en mérite à ceux qu'on auroit
admis . M. d'Alembert lui - même n'avoit
d'abord donné qu'un volume de ces morceaux
choifis , il a enfuite augmenté ce choix ,
& l'a pouffé prefque jufqu'à deux volumes ;
Ст
* MERCURE
il a donc jugé que fon premier choix ne rendoit
pas une juftice complette à Tacite ; actuellement
même il déclare qu'il ne prétend
pas avoir extrait , à beaucoup près , des Ouvrages
de Tacire tout ce qui eft digne d'être
remarqné. Pourquoi donc avoir privé le
Lecteur de ces autres morceaux dignes d'être
connus & goûtés ? Traduire par morceaux ,
( qu'on me paffe cette comparaifon en faveur
de la jufteffe ) c'eft donner des échantillons
, ce n'eft pas faire voir l'étoffe , ce
n'eft que montrer des détails ; & n'y a-t'il
pas toujours dans l'enſemble un mérite dont
on eft bien aile de juger ? Ces morceaux
même ſi bien choifis, ne perdent - ils pas néceffairement
quelque chofe à être vûs hors
de leur place , & privés des avantages de la
connexion ?
Tantum feries junturaque pollet !
Tantum de medio fumptis accedit honoris.
Ce n'eft pas , dit - on , mutiler un Auteur
que de le traduire par morceaux. Eh ! pardonnez-
moi , c'eft le mutiler , voilà le mor ;
c'eft réduire chaque membre à fon mérite
propre & individuel , en le dérachant du
corps auquel il appartient , en lui ôtant le
mérite qu'il tire de fes proportions & de
fes rapports avec les autres membres , de
fan ufage & de fes fonctions dans l'économie
générale .
Mais on ne traduit les anciens que pour
enrichir la Littérature , & on ne l'enrichit
DE FRANCE. 59
.
pas par des acquifitions médiocres ou mau
vaifes.
Cette propofition a l'air raiſonnable , &
peut cependant être conteftée . Eft - il bien
certain qu'en traduifant , foit les anciens ,
foit les étrangers , on n'ait abfolument d'autre
but que d'ajouter à la fomme des beautés
Littéraires ? Ne peut on pas avoir , n'a - t'on
pas fouvent celui de faire connoître les Auteurs
anciens ou étrangers , tels qu'ils font ,
avec les beautés & les défauts qu'ils tiennent
ou de leur génie particulier , ou de celui de
leur langue , ou du caractère national ? N'at'on
pas pour but de mettre ceux qui ne peuvent
les lire dans l'original , en état de les
juger, & d'adopter ou de rejeter les jugemens
qu'on en porte ? De plus , le goût général fe
forme , s'étend , fe perfectionne par la comparaifon
des goûts divers , anciens , modernes
, nationaux , étrangers. Il faut fans
doute choifir de bons modèles ; mais les défauts
même de ces bons modèles ne feront
pas fans quelque ufage. Combien de fois un
défaut , imité avec efprit & avec goût , n'at'il
pas fait éclore de grandes beautés ! Lorfque
Virgile tiroit des perles du fumier d'Ennius
, le fumier d'Ennius ne lui étoit pas
entièrement inutile. Ainfi , lorfque nous traduifons
, c'eft pour enrichir notre Littérature
, non - feulement des beautés qui font
dans les Auteurs étrangers, mais encore de
toutes les combinaifons heureufes qui peuvent
naître de leurs beautés & de leurs dé-
C vj
60 MERCURE
fauts comparés cnfenible , & comparés encore
a les beautes & les défauts de nos
bons vins , & des bons Écrivains de
toutes les Nations. C'eſt ainſi que le goût
s'épure à la fois & s'étend. Le goût des anciens
a tonné Racine ; Lucain & les Efpa
guols , Auteurs qui ne font affurément pas
fans défauts , avoient formé Corneille ; les
Anglois ont fos.ni à M. de Voltaire quelques
ha diefes heureuſes que fon goût a ſu
fare adoster à la timidité Françoile. La pureré
eft fas doute une qualité effentielle du
gout , mais l'étendue n'est pas moins néceffaire
; il faut favoir où on doit s'arrêter ;
mais il faut favoir aufſi juſqu'où on peut
aller , & cette fcience réfulte d'une multitude
de comparaiſons délicares , c'eſt la connoillance
du bien & du mal; & il manqueroit
peut-être au goût qui n'auroit vû que
de bonnes chofes , d'en avoir vû de mauvaifes
, & de favoir l'ufage qu'on en peut
faire.
S'il y avoit des Ouvrages qui puffent être
traduits par extraits , ce feroient des Ouvrages
de goût & d'agrément , où le mérite
de l'enſemble n'eft pas le principal , & où il
s'agit moins de montrer un beau tout que
d'affrir de beaux détails , de riches tableaux ,
& de donner des modèles d'éloquence oratoire
ou poétique ; mais les Ouvrages hiftoriques
ne peuvent , fans inconvéniens , être
ainfi morcelés ; chaque morceau y tient trop
à ceux qui précèdent & à ceux qui fuivent.
DE FRANCE. Br
D'ailleurs , M. d'Alembert ne propofe pas
feulement de faire de ces retranchemens , de
ces coupures , qui ne font difparoître que des
longueurs & des inutilités , & qui laiffent
fubfifter le tiffu de l'Ouvrage; il popote de
traduire par fujets & par tableaux detachés
qui n'ont aucune liaifon entre - eux , & c'eſt
ainfi qu'il en a ufe à l'égard de Tacite. Ici
l'inconvénient a toute fon etendue : nul morceau
n'eft preparé , n'eft annoncé. Vous y
arrivez à froid , & tout l'intérêt refultant de
la place , de l'à - propos & des préliminaires ,
eft abfolument perdu .
Voilà une partie des réflexions que nous
fuggère le regret de n'avoir pas une Traduction
entière de Tacite de la main de M.
d'Alembert, c'eft lui qui , par le plaifir qu'il
nous fair , nous avertit de celui qu'il nous
a refufé; & de cette critique , fi c'en eft une ,
il réfulte pour lui un gran i eloge.
M. d'Alembert blâme , avec raifon , les
Traducteurs qui fe bornent à être les copiftes
plutôt que les rivaux des Auteurs
qu'ils traduifent. Superftitieuſement atta-
" chés à leur original , dit il , ils fe croiroient
"
84
coupables de facrilège s'i's l'embelliffoient ,
» même dans les endroits foibles ; ils ne fe
» permetrent que de lui être inférieurs , &
» n'ont pas de peine à reuffir ... Le Traduc-
» teur , trop fouvent forcé de refter audeffous
de fon Au eur , ne doit il pas fe
» mettre au deffus quand il le peur ? »
Sans doute , il faut feulement que cette
62 MERCURE
liberté ne dégénère pas en licence , comme
il faut que la fidélité ne dégénère pas en
fervitude.
M. d'Alembert examine s'il eft vrai que
les Poëtes ne puiffent ou ne doivent être traduits
qu'en vers , queftion à laquelle il n'a
point d'intérêt , puiſque s'il n'a traduit qu'en
profe , il n'a point traduit de Poëtes ; il
demande fi l'on n'eft pas réduit en vers à les
imiter plutôt qu'à les traduire ? M. l'Abbé
de Lille a fait plus en quelques endroits
qu'imiter Virgile.
"
Qu'on interroge , dit M. d'Alembert ,
» ceux de nos grands Poëtes qui ont fait
» paffer avec fuccès en notre langue quelques
beaux endroits de Virgile ou d'Ho-
» mère : combien de fois ont-ils été forcés
de fubftituer aux idées qu'ils ne pouvoient
» rendre , des idées également heureuſes &
priſes dans leur propre fond ; de fuppléer
» aux vers d'image par des vers de fenti-
» ment , à l'énergie de l'expreffion par la
» vivacité des tours , à la pompe de l'har-
" monie par des vers penfés ? Je n'en citerai
qu'un exemple. On connoît ces beaux vers
» de Virgile fur les malheureux qui ſe ſont
donné la mort :
ور
"
20
3x
Qui fibi lethum
Infontes peperere manu , lucemque perofi
Projecere animas.
Déteftant la lumière , ils ont , dit le Poëte ,
jeté la vie loin d'eux. Le génie timide de
DE FRANCE 63
» notre langue ne permettoit pas d'employer
» cette image , toure animée & toute noble
qu'elle eft ; un de nos grands Poëtes y a
» fubftitué ces deux beaux vers :
"3
Ils n'ont pu fupporter , foibles & furieux ,
Le fardeau de la vie impofé par les Dieux.
» Peut- être eft-il difficile de décider auquel
» des deux Poëtes on doit donner la préfé-
» rence ; mais il eft aiſé de voir que les vers
françois ne font nullement la traduction
» des vers latins . »
"
C'eft peut-être un peu trop dire. L'image
que préfente le mot projecere , n'eft pas à la
vérité rendue ; cependant le mot de fardeau
conferve une partie de l'image , & les vers
latins fe trouvent traduits , finon directement
, du moins indirectement , & par une
conféquence néceffaire. Puifque les malheureux
dont il s'agit n'ont pu fupporter le fardeau
de la vie qui leur étoit impofé , ils
ont donc jeté à bas ce fardeau , projecere
animas.
" Des traductions bien faites feroient le
» moyen le plus sûr & le plus prompt d'en-
» richir les langues. » Grande & utile vérité ,
à laquelle on doit fur tout faire beaucoup
d'attention , quand on a une langue timide
& circonfpe&te comme la nôtre ; elle réfiltera
peut-être d'abord plus qu'une autre à la
Traduction ; mais il faudra bien qu'à la longue
la Traduction ait auffi fon influence fur
la langue ; la néceffité de rendre des beautés
64
MERCURE
& des hardieffes étrangères , fera faire plus
d'efforts & fera trouver plus d'indulgence ;
c'est là qu'on pourra entreprendre plus impunément
, parce qu'on aura toujours un
prétexte ou une excufe ; & une hardieffe
une fois admife , fert de paffeport à beaucoup
d'autres , fur-tout dans la Traduction.
Il ne me paroît pas démontré , par exemple ,
qu'on n'eût pas pu rendre , & même en
profe , l'image de Virgile : projecere animas ;
par ces mots : Ils ont jeté loin d'eux le fardeau
de la vie. Quoi qu'il en ſoit , plus une
langue eft réservée , plus elle a beſoin de
s'exercer dans la Traduction ; on ne fauroit
donc trop traduire en François ,ni trop choifir
pour traduire dans cette langue timide ,
des langues hardies , comme l'Anglois , par
exemple. Il s'agit d'importer dans notre langue
des richeffes étrangères , & ce font celles
qui nous manquent qu'il faut rechercher
par préférence.
De tous les Auteurs Latins , le plus difficile
peut être , par fon extrême concifion à
traduire en François , étoit Tacite ; comment,
avec le pefant attirail d'articles & de
verbes auxiliaires que le François traîne
avec lui , pouvoit on fe flatter de rendre
cette concifion , le premier ca actère de Tacite
, & qui le diftingue fi avantageufement
parmi les Écrivains même ,
Qui prodignent le fens & comptent les paroles ?
Comment avec une langue , dont le carac
DE FRANCE. 65
tère principal paroît être la clarté , qualité
qui exige des développemens , eſpérer de
pouvoir dire tout ce que Tacite dit en un
mot ? Comment rendre cette profondeur
de penſée , jointe à la majefté , à l'énergie
& toujours à une épargne , à une économie
de paroles dont on ne trouve point ailleurs
d'exemple ? Cet homme , difoit un admirateur
de Tacite , met du fens par- tout , il en
met jufques dans l'efpace blanc qui fépare
les mots.
C'est la difficulté d'égaler un tel original
avec un inft ument inégal & défavorable ,
que M. d'Alembert a fu vaincre ; il a faiti
tous les rapports de concifion & d'énergie
qui pouvoient le trouver entre les deux langues
; il a épuifé tous les équivalens , il a
employé toutes les reffources ; & enfin il a
pu placer impunément fa Traduction à côté
du texte , fans qu'elle paroiffe plus longue ,
même à la vûe : il a pn , par ce rapprochement
, inviter le Lecteur à comparer le texte
avec la Traduction phrafe à phrafe , & prefque
mot à mot. On a eu grand tort de vour,
loir mettre au - deffus de cette Traduction ,
ou même à côté , la Traduction quelquefois
énergique , mais trop fouvent ignoble ,
de M. l'Abbé de la Bletterie , dans fon Tibère
, où l'on trouve des phrafes de crieur
public , comme celle ci ;
" A dix as par jour le Soldat Romain
" corps & âme.
Pour rendre cette plainte énergique des
66 MERCURE
Soldats Denis in diem affibus animam &
corpus militis Romani aftimari.
Le ftyle de la Traduction d'Agricola & de
la Germanie du même Tacite , par le même
Abbé de la Bletterie , a plus de décence ;
mais le Tibère ne pouvoit refter tel qu'il
étoit. Le P. Dotteville , de l'Oratoire , qui ,
en revoyant & retouchant la Traduction de
M. l'Abbé de la Bletterie , en s'aidant fenfément
de celle de M. d'Alembert , & en traduifant
tout le refte , eft le feul qui ait eu
le mérite de nous donner Taci e complet , a
fait difparoître du Tibère de la Bletterie ces
taches groffières qui le défiguroient.
M. d'Alembert a donné deux Traductions
différentes , (l'une dans le texte , l'autre dans
les notes ) des premières phrafes du premier
Livre des Annales . Voici ces deux Traductions
avec le jugement qu'il en porte luimême.
Neque Decemviralis poteftas ultrà biennium
, neque Tribunorum Militum Confulare
jus diù valuit. Non Cinna , non Sulle longa
dominatio : Pompei Craffique potentia citò
in Cafarem , Lepidi atque Antonii arma in
Augufum ceffere , qui cuncta difcordiis civilibus
fella , nomine Principis fub imperium
accepit.
"
Le pouvoir des Décemvirs ne dura que
deux ans , les Tribuns Confulaires ceffèrent
bientôt. Cinna & Sylla régnèrent peu : le
fort des armes fit paffer rapidement l'autorité
de Pompée & de Craffus à Céfar , de Lépide
DE FRANCE. 67
& d'Antoine à Augufte , qui , fous le nom
de Chef , devint le Maître de l'État, affoibli
par les guerres civiles . »
Voici la feconde Traduction : » Elle eſt ,
dit M. d'Alembert , un peu moins ferrée ,
» mais un peu plus littérale que l'autre. "
L'autorité des Décemvirs ne dura que
deux ans , & la puiffance Confulaire reſta
peu de temps aux Tribuns des Soldats ; la
tyrannie de Cinna , celle de Sylla ne furent
pas longues ; le pouvoir de Craffus & de
Pompée céda bientôt à Céfar , & les armes
de Lépide & d'Antoine à celles d'Augufte
qui , fous le nom de Chef , prit les rênes
de l'État , fatigué de guerres civiles. »
Dans la première Traduction , le mot
régnèrent , appliqué à Cinna & à Sylla , eſt
pris dans un fens métaphorique , & le Tra
ducteur s'en explique dans une note.
Dans la feconde traduction , en fe permettant
quelques chicanes , on pourroit
obferver que cedere in ne peut pas fe rendre
par céder à , mais par ces mots : paſſer à.
Il eft vrai qu'on pourroit bien dire du
pouvoir de Craffus & de Pompée , qu'il
paffa tout entier à Céfar ; mais qu'on ne
peut pas dire de même des armes de Lépide
& d'Antoine , qu'elles pafsèrent à Augufte ;
au lieu que le mot ceffere s'applique également
bien au mot potentia & au mot
arma ; c'eft un avantage du Latin far le
François ; & c'eft ainſi qu'il faut ſouvent ,
fur-tout en traduifant Tacite , choiſir,
68 MERCURE
comme le dit M. d'Alembert , entre une
Traduction plus ferrée & une plus littérale.
C'est ce que l'exemple fuivant achevera de
prouver.
Agrippine , accufée par Silana d'avoir
voulu détrôner Néron , fe défend ainfi :"
Non miror inquit Silanam nunquam edito
partu mairum affectus ignotos habere. Neque
enim perindè à parentibus Liberi quàm ab impudica
adulteri mutantur. Necfi Iturius &
Calvifius adefis omnibus fortunis noviffimam
fufcipienda accufationis operam anui rependunt
, ideò aut mihi infamia parricidii , aut
Cafari confcientia fubcunda eft.
Je ne m'etone point que Silana , qui
n'a jamais eu d'enfans , ignore les fentimens
de mère ; on ne change point de fils comme
d'amans. Parce qu'Iturius & Calvifius , après
s'être ruines , fervent , pour dernière ref-
-fource , cette vieille débauchée par leurs
délations , dois -je être chargée d'un parricide
infâme , ou Néron en fubir les remords ! »
Il est bien heureux d'avoir eu à rendre
cette phrafe de Tacite :
Neque enim perindè à parentibus Liberi
quàm ab impudicâ adulteri mutantur.
: ~
Par celle- ci On ne change pas de
» fils comme d'Amans. »
C'est une phrafe très- françaife , qui a
l'air d'un Proverbe , qui dit tout ce que dit
la phrafe latine , & qui et plus courte.
Mais le Latin reprend tout fon avantage
la fin de la dernière phrafe.
F
DE FRANCE. 69
Ideò aut mihi infamia parricidii , aut
Cafari confcientia fubeunda eft.
92
Dois-je être chargée d'un parricide in-
»fâme , ou Néron en fubir les remords!
Il y a certainement beaucoup d'énergie
dans cette traduction . Le mot fubir eft vigoureufement
appliqué aux remords confidérés
comme une peine qu'un coupable eft forcé
de fubir ; mais fubir les remords , eft- il une
expreffion affez françoife , & ce membre de
phrafe a t-il toute la clarté qu'on pourroit
defirer ? La phrafe latine s'entend fort bien
& n'arrête point ; en eft il de même de la
françoife? S'agit il même de remords dans
le latin ? Il s'agit de la confcience que Néron
avoit de fon crime ; ce qui , fur- tout dans
Néron , eft different des remords. C'étoit
Néron qui faifoit accufer fa Mère par Silana
d'avoir voulu le détrôner. Il l'accufoir
d'un crime capital , & lui ordonnoit de fe
juftifier , en la menaçant du fupplice , s'il
manquoit quelque chofe à fa juftification ,
qu'il fe propofoir bien , dans tous les cas ,
de trouver infuffifante . Néron , avec cette
difpofition à condamner fa Mère , favoir
qu'elle étoit innocente ; il étoit done parricide
envers elle , & il l'accufoit de l'avoir
été envers lui. Dois - je , dit Agrippine , être
chargée de l'infamie d'un parricide ; ou la
confcience de Céfardoit- elle en être chargée ?
Il paroît que fur de paffage le defir d'être
concis comme l'original , a un peu nui dans
la traduction , à l'exactitude & à la clarté ;.
75 MERCURE
c'est du moins un de ces endroits que le
Traducteur a voulu défigner , lorfqu'il a dit :
99 Quelquefois , ne pouvant faire entendre
fans beaucoup de paroles à des Lec-
» teurs ordinaires , toute l'étendue du fens
de l'Auteur , j'ai mieux aimé en laiffer en-
» trevoir la fineffe aux feuls Lecteurs intelligens
, que de l'anéantir dans une périphrafe.
Au refte , ces endroits , que l'ineptie ou
l'injuffice taxera d'obſcurité , font infiniment
rares chez M. d'Alembert , même dans cette
traduction ; c'eft le plus clair de tous lest
Ecrivains , & il l'eft toujours , avec fineffe
& avec précifion . Difons plus , quelque
chofe qu'il écrive , c'est un des Auteurs
François les plus agréables à lire ::
Illum quidquid agit , quoquò veftigia vertit,
Componitfurtimfubfequiturque decor.
Sa converfation étoit , comme fes écrits ,
inftructive & agréable , pleine d'anecdotes
piquantes , de traits heureux , de faits bien
obfervés , de contes philofophiques gais &
vifs. A tant d'agrémens , il joignoit des vertus
& de la bienfaifance. Il fut l'ami conftant
de M. de Voltaire ; un grand Roi fut fon
ami ; il fut lui-même celui de tous les gens.
de lettres , en proportion du mérite & de
P'honnêteté qu'il crut reconnoître en eux.
Cette propofition recevroit du moins peu
d'exceptions , & elles s'expliqueroient par
DE FRANCE. 71
des circonftances particulières ; enfin nous
dirons avec orgueil :
Amavit nos quoque Daphnis.
Nous faififfons avec plaifir cette occafion
de payer un tribut de tendreffe & d'eftime
à un des meilleurs efprits qui ayent exifté , à
un homme dont les défauts mêmes avoient
quelque chofe de piquant , d'original & d'aimable
; à un homme dont il faut compter
la perte au nombre de ces pertes affreufes &
irréparables , que la Littérature Françoiſe a
faites depuis quelques années.
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
M. THOMAS eft mort à Lyon, le 17 de ce mois.
Les Lettres ne pouvoient pas faire une plus grande
perte , & aucun homme ne pouvoit laiffer plus de,
regrets à fes amis & aux gens de bien. Notre deffein
n'eft pas d'exprimer ici notre douleur , & la douleur
publique. Confternés encore de cette perte , nos larmes
font trop pénibles pour ofer les répandre devant
le public : il feroit plus difficile encore à ceux qui
aimoient M. Thomas , de fonger en ce moment à
rendre à fes talens & à fes vertus l'hommage que ne
pourront leur refufer , & les hommes & les fiècles
pour lefquels les vertus & les talens feront quelque
chofe. Nous cédons au besoin de parler de lui , en
fentant l'impuiffance de répandre les fentimens d'une
ame fermée par la douleur même qu'elle éprouve.
Nous écrirons quelques pages fans ordre , fans fuite,
72 MERCURE
prefque fans deffein : mais fon nom qui ſera ſouvent
répété , fuffi a peut- être pour y répandre quelqu'intérêt
; car ce nom doit être déformais facré comme
celui de la vertu .
»
L'un des Ouvrages de M. Thomas commence par
ces mots : « une trifte & fatale expérience a appris
que le genre-humain eft injufte envers les grands
hommes qu'il a fous fes yeux. » M. Thomas
a été long temps lui - même un exemple de cette trifte
expérience ; & cette vérité eſt ſi terrible , que , niême
parmi les hommes qui n'ont pas la volonté d'être
injuftes , que parmi ceux mêmes qui aimoient M.
Thomas, il s'en trouvera petu être qui feront étonnés
de nous entendre parler de lui comme d'un grand
homme.
·
M. Thomas commençoit à écrire au moment où
l'Académie Françoife , par une innovation heureuſe ,
commençoit à propofer les éloges des grands hommes
de la Nation , pour les fujets de fes prix d'éloquence
: il obtint les premiers triomphes de ce genre
par les premiers Ouvrages. Il fut couronné cinq fois
de fuite pour les éloges du Maréchal de Saxe , du
Chancelier d'Agueffeau , de Duguay Trouin , de
Sully , de Defcartes . C'étoit une espèce de révolution
les fujets étoient nouvéaux , le genre de fon
éloquence étoit plus nouveau encore : il fut en butte
à tous les traits de la malignité jalouſe & de la médiocrité
humiliée , comme tous les Auteurs de toute
efpèce de révolution. Il eut contre lui tous les ennemis
, & de l'Académie , & des innovations , &
du grand talent , & du Panégyrique ; car il eft des
hommes qui ne peuvent pas fouffrir un éloge , uniquement
parce que c'eft un éloge. Le ftyle & les
formes des premiers difcours de M. Thomas trouvèrent
des ennemis irréconciliables , même parmi
ceux qui eftimoient ſon eſprit & fa perfonne , même
parmi ceux qui l'avoient couronné à l'Académie.
Ces
DE FRANCE. 73
Ces difcours étoient extrêmement applaudis aux
Séances publiques : ils ne trouvoient prefque que des
Cenfeurs à la lecture. Cette différence d'effers , qui
s'expliqueroit peut- être fuffifamment par la premptitude
avec laquelle les hommes reviennent de l'admiration
la plus légitime , pouvoit avoir d'autres
caufes encore . M. Thomas , élevé dans la retraite
& dans l'étude des Orateurs de Rome & de la
Grèce , fentoit tout avec, enthouſiaſme comme on
fent dans la folitude . Son admiration pour les hom
mes qu'il louoit étoit extrême ; elle paroiffoit exagérée.
Emu lui même par les noms feuls de génie ,
de vertu , il croyoit communiquer les mêmes émotions
en prononçant avec éclat ces noms facrés : il
oublioit trop peut-être qu'il avoit affaire à des ames
feufibles , mais légères , mais diftraites par des frivolités
, refroidies par les plaifirs : il négligeoit trop
peut être dans ces commencemens , l'art de préparer
les ames aux fentimens dont il vouloit les remplir ;
de les échauffer par degrés , pour les trouver prêtes
à fe livrer elles -mêmes aux grands mouvemens de
l'éloquence .On ne partageoit pas les mouvemens,quoiqu'ils
fuffent vrais , nobles & oratoires. Vivement frappé
d'une grande idée , croyant toujours louer les grands
hommes de la Nation devant la Nation elle-même ,
il parloit à haute voix plutôt qu'il n'émivoit ; on
entendoit , pour ainfi dire , dans fon ſtyle même
cette efpèce de bruit que fait un homme qui porte
la parole devant une multitude immenſe. Il étoit lû.
après la Séance publique par les gens du monde ,
accoutumés à donner leur ton aux Écrivains , & trop
peu difpofés à fe tranſporter au milieu de ces fcènes
éclatantes. Cet éclat , ces accens élevés & naturels
à l'homme qui s'entretient avec un peuple , paroif
foient de la déclamation dans fon ftyle."
M. Loiſeau de Mauleon, Avocat , affiftant à la lecé
ture publique de l'éloge de Deſcartes , avoit pleur-
No. 31,8 Octobre 1785 .
I ,
D
74 MERCURE
d'admiration , avoit manifefté l'impreffion qu'il
recevoit , par des cris & des applaudiflemens non interrompus
: il difoit , en fortaut de l'Académie :
cela est beau ; mais je ne puis pas fouffrir ce genre
d'éloquence : cet homme achevera de corrompre le
goût. Je tiens ce fait de M. Thomas lui- même.
Cet éloge de Defcartes , fi fupérieur à tout ce
qu'avoit fait M. Thomas avant les éloges du Dauphin
& de Marc- Aurèle , étonna cependant ceux
même dont il ne put pas vaincre les préventions.
On fut frappé de l'étendue d'un efprit qui parcou
Foit avec rapidité toutes les idées qu'avoit eues l'efprit
humain avant Defcartes , & toutes celles que
Defcartes lui a données ou infpirées : en admira la
vigueur d'un efprit qui , en fe chargeant de tant de
connoiffances , dont les unes appartiennent aux Sciences
exactes , les autres à la métaphysique , confervoit
encore fous ce poids , & la marche rapide de
l'Orateur , & les élans les mouvemens paflionnés
de l'éloquence. Le morecau de la perfécution de
Voët fit pleurer Voltaire à Ferney , comme Loifeau
de Maulcon à l'Académie : mais plus fidèle à fon
admiration & à fes larmes , Voltaire écrivit à M.
Thomas une lettre , dans laquelle ces impreffions
feront tranſmiſes à la postérité . Ce ne font plus de
ces tournurés ingénieufes & aimables par lesquelles
Voltaire avoit l'art de careffer jufqu'à la médiocrité
fans fe dégrader lui - même : c'eft le cri de l'admi
ration & de l'enthoufiafme ; c'eſt le ton du génie
qui parle au génie . Beaucoup de gens auroient voulu
peut être que Voltaire eût étouffé ce premier mouvement
; Voltaire ne l'a jamais rétracté .
Après la lecture de ce même morceau , de cette pé-
Boraiſon fi éloquente dans laquelle l'Orateur annonce
à tous les grans hommes les perfécutions que
Voet fit fouffrir à Defcentes , un homme de talent
crivoit à M. Thomas : vous nous envoyez à la
壶
DE FRANCE. 75
gloire comme à l'échafaud. Ce mot et beau ; il n'y
a qu'une éloquence fublime qui puiffe en inspirer d.
femblables.
Ce que les hommes d'un goût délicat reprochoient
fur-tout à M. Thomas , c'étoit de manquer de certe
fenfibilité douce & péné rante qui touche l'ame fans
étonner l'efprit , & mêle à l'admiration qu'on doit
aux grands hommes , un amour qui les honore bien
mieux encore. On lui faifoit ce reproche lorsqu'il
n'avoit eu à louer encore que des hommes d'Etat
d'un caractère févère , des Généraux de terre & de
mer , connus feulement par des victoires très- fanglantes
, & un Philofophe dont la plus grande gloire
étoit fondée fur l'application de l'Algèbre à la Géométrie
; & voilà comme juge l'envie ! voilà comme
jugent ceux même qui ne connoiffent pas l'envie !,
La France étoit dans le deuil ; elle venoit de voir
defcendre au tombeau un Prince qui avoit travaillé
pendant dix ans à fe rendre digne du Trône , comme
Defcartes à faire une révolution dans la Philofophie.
M. Thomas traça ce tableau d'un Peuple en
larmes fur le tombeau d'un jeune Prince , qui enfevelit
avec lui les espérances des générations futures.
Nous n'avons point , dans notre langue , de morceaux
d'une éloquence plus touchante que la dernière
partie de cet éloge du Dauphin ; on put voir
alors que l'ame de M. Thomas , cette ame fi douce
& fi fenfible à toutes les vertus , n'étoit pas incapable
d'une éloquence perfuafive & pathétique . On a reproché
à la première partie une morale trop commune
; elle n'eft pas commune au moins dans les
ouvrages de ce geare ; & fi elle eût été plus neuve
& plus approfondie , cile eût été plus difficile à fentir
& plus oppofée , finon à la vraie éloquence , du
moins aux principes ordinaires de notre goût. Partout
, & dès le début , règne dans ce difcours ce daratère
mélancolique que prend la penſée lorsqu'elle
Dij
76 MERCURE
réfléchit fur les calamités publiques , & ce charme
d'une douleur qui s'adoucit en s'épanchant , cette
onction d'une ame profondément attendrie , qui eft
comme la grace des fujets pathétiques . Ce ne fut
pas pour remporter un prix Académique que
M. Thomas fit ce difcours , mais pour répandre
fa douleur dans la douleur publique , & fans
doute auffi afin de donner à un enfant augufte que
ce malheur appeloit au Trône , le modèle d'un
Roi , dans les vertus d'un père qui perdoit avant de
pouvoir le connoître. Cette intention , qui ſe laiffe
voir plutôt qu'elle ne fe montre , donne quelque
chofe de religieux à ce difcours. On eft tenté de
croire qu'il a été prononcé au Sacre de cet enfant
Royal , par un ami dépofitaire de tous les fecrets &
de toute l'ame du père.
M. Thomas ne pouvoit pas donner entièrement
ce caractère à fon éloge du Dauphin ; il le donna ,
par une fiction fublime, à fon éloge de Marc- Aurèle.
On fait que M. Thomas fait prononcer cet éloge, ( le
plus beau de fes éloges & peut-être de tous les panégyriques
) , par un ami de Marc- Aurèle , par Apollemius
de Thiane , en préfence du Sénat , du Peuple ,
de l'Armée , des Députés de toutes les Nations du
monde , & de Commode , qui attend que le difcours
foit prononcé pour monter fur le Trône de l'Univers.
C'eſt une fublime fituation ; mais ce qui cft fublime
fur- tout , c'eft le difcours même. Tout en eft beau ;
& la partie Philofophique ne l'eft pas moins que la
partie Dramatique , qui a dû être plus remarquée ,
parce qu'elle étoit plus neuve , plus oratoire , & parce
que ce qui eft fublime pour l'imagination , l'eft pour
rout le monde , tandis que ce qui eft fublime pour
la pensée n'eft fenti vivement que par un petit nombre
d'efprits. Quand l'Orateur pénètre dans l'ame de
Marc Aurèle pour développer les principes fur lefquels
ont été fondées des vertus qui ont fait le bonheur de
DE FRANCE. 77
l'univers , on croit fentir une main puiffante qui lève
ces voiles éternels fous lefquels fe dérobe la providence.
On peut comparer cette première partie de
l'éloge de Maic- Aurèle , à la première partie de la
profeffion de foi du Vicaire Savoyard ; & nous ne
connoiffons pas un troisième morceau qui puiffe foutenir
le parallèle fans défavantage , ou du côté de
la Philofophie , ou du côté de l'Eloquence .
Un ouvrage de M.Thomas bien fupérieur à des dif
cours , quelque beaux que puiffent être des difcours
c'eft fon effai jur lesEloges. Que de fois j'ai regretté
que tant de connoiffances , tant d'efprit de tous les
genres , tant de fagacité , tant d'élévation , tant de
courage dans la penfée , un talent fi univerfel, finon
dans fes formes , du moins dans fes effets , eût été
répandu fur un fujet qui n'eft pas d'un intérêt général
pour l'humanité ! Souvent j'ai ofé lui témoigner ces
regrets ; & il les eut partagés , s'il avoit cru à tout
le mérite de fon ouvrage. En effet , il ne peut
manquer autre chofe à cet ouvrage admirable ,
pour être mis par les Juges équitables à côté de
Ï'Émile , & près de ce petit nombre de livres immortels
qui ont amélioré la condition humaine ,
qui la rendront meilleure encore. , Mais il ne faut pas
croire que ce fujet , quel qu'il foit , ne fût pas propre
à recevoir toutes les beautés qu'il y a pródiguées. Un
grand efprit agrandit fes fujets , mais il ne peut les
dénaturer. Cet effai fur les Eloges eft proprement
une hiftoire de la louange ; & cette hiftoire tient à
tout ce qui s'eft fait & à tout ce qui s'eft paffé de mémorable
fur la terre. Tous les arts , tous les talens ,
ont décerné la louange ou l'ont reçuc ; les tyrans l'ont
ufurpée par la terreur ou par la corruption ; les bons
Rois l'ont obtenue de l'amour de leurs fujets & de la
juftice des fiècles : à l'hiftoire de ce petit nombre
d'hommes qui ont loué ou qui ont été loués , eft attachée
l'hiftoire du genre humain qui a reçu d'eux fa.
Dij
78
MERCURE
les
dcffinée . A la place de M. Thomas , tel autre homme
de lettres auroit été tenté de ne prendre 1 hiftoire des
éloges qu'à l'époque où lui - même les fir pa: cure parmi
ons avec tant d'éclat . M. Thomas la prit cu elle a
commencé , à l'origine de tout , au berceau de genre
humain on pouvoit faire fur cela une plaifanterie
bien ufée , bien mauvaife , & fans doute elie aura
été faite . M. Thomas en fit fortir des vues & des
beautés innombrables . On n'a pas apprécié avec plus
d'intérêt , plus de grandeur & plus de juftulle ,
chofes humaines : en parcourant ce long amas de
fiècles , les uns couverts de ténèbres , les autres plutôt
embellis par les talens qu'éclairés par les lumières ; il
n'eft pas de coupable illuftre que M. Thomas n'ait
rendu plus odieux , pas de vertu qu'il n'ait rendue plus
augufte ou plus touchante , pas de talent & de génie
auxquels il n'ait arraché quelques - uns de leurs fecrets .
Il n'y a point d'homme & de peuple dont il n'ait mieux'
marqué ou fixé la place dans les faftes de l'univers .
Il a l'air de tenir les balances cù les générations
feront pefées , & on fent qu'elles font dans les mains.
de la Juice éternelle . Il n'exifte point d'ouvrage
où les jeunes gens entraînés vers la gleite , mais incertains
d'eux mêmes , puiffent mieux apprendre à
fe mcfurer à tout ce qui a été grand pour favoir
s'ils doivent l'être un jour eux - mêmes . Ce fara aux
yeux de la postérité un des plus beaux titres de gloire
de notre ècle. Il lui eft preíqu'inconnu.
Un autre Ouvrage de M. Thomas qui avoit paru
avant celui-là , & qui n'eut ua moment plus de
célébrité que pour être jugé avec plus de rigueur ,
c'eft l'Effai fur les Femmes. On avoit décidé d'avance
qu'un Ouvrage fur les femmes ne pouvoit pas être
bon , lorfqu'il feroit fait par M. Thomas : parce
que fes moeurs étoient très- pures , on croyoit qu'il
ne pouvoit connoître ni les paffions des femmes
ai celles des hommes , comme fi cette manière déDE
FRANCE.
79
licate de fentir qui fait deviner les fentimens des
femmes & leurs fenfations , pouvoit appartenir à
des hommes fans moeurs ! Comme s'il étoit donné
à l'homme fans moeurs d'aimer véritablement les
femmes , & de favoir tout ce qu'elles peuvent faire
éprouver de tourmens & de délices ! Comme fi le
vice qui éteint à chaque inftant les paſſions , pouvoit
les approfondir & les peindre comme la vertu qui
les conferve , même en leur réfiftant ! Comme fi
toute la connoiffance des femmes, confiftoit dans la
connoiffance de leurs foibleffes et de leurs défordres !
On fit tomber l'Ouvrage en le louant d'être favant.
Il falloit bien avoir quelque fcience pour peindre
les femmes de Rome & d'Athènes, que l'ignorance
ne connoît point ; mais cette fcience aft par-tout
cachée fous la fineffe des idées & des expreffions ,
l'agrément des tournures, & le charme des tableaux .
Cet homme, dont les moeurs étoient fi pures , a tracé
un tableau charmant des courtisannes de la Grèce.
H respecte par-tout la décence , mais la volupté
même ne doit pas la violer. Le parallèle des deux
fexes dans les vertus & les talens auxquels la nature
les appelle, eft d'un grand Philofophe , mais d'un
Philofophe qui n'eft étranger à aucun des fentimens
du coeur humain . On ne fent jamais , il eft vrai ,
dans cet ouvrage , ce défordre, ces mouven ens tumul
tueux produits par des fouvenirs dont les uns s'é
chappen , & dont les autres font mal étouffés.
Rouffeau , en parlant des femmes, les adore ou les
outrage : on ne voit point fi M. Thomas a des
graces à leur rendre , ou des reproches à leur faire ;
on voit feulement qu'il a parfaitement connu ce
fentiment profond & pur , qui peut unir l'homme
vertueux à une femme qui a des vertus , & qui cft
délicieux , quoique ce ne foit point l'amour. Hélas !
peut-être ce fentiment qui a fait le charme de fa
vie , al ajouté aux amertumes de fa mort ! Il aurą
Div
80 MERCURE
pa verfer des larmes en voyant couler déjà celles
qu'il alloit faire répandre !
M. Thomas n'a pas pu jouir de toute la gloire :
elle étoit loin encore d'être établie , & fans ceffe elle
doit s'accroître, mais les derniers Ouvrages, exempts
des défauts des premiers , & pleins de beautés plus
variées , avoient vaincu prefque toutes les injuſtices
qui n'étoient que des préventions : des hommes de
lettres diftingués avoient honoré leurs talens par
les hommages éclatans qu'ils avoient rendus aux
hens. Chaque jour l'efprit & l'éloquence de M.
Thomas recevoient quelque nouvelle rétractation
des injures qu'ils avoient long -tems foufferies : ils
n'avoient plus pour ennemis que ces hommes dont
la fureur s'irrite à mesure que le talent fe perfectionne
, & qui , n'étant plus écoutés de la malignité
même , reffemblent à ces furieux qu'on a rejetés de
la fociété , & dont la rage s'accroît dans la folitude
de leur prison . M. Thomas , qui aimoit paffionnément
la gloire, quoiqu'il fût l'apprécier, étoit heureux,
parce qu'il voyoit le jugement de la poftérité
dans l'eftime profondément fentie de quelques contemporains
éclairés . Son imagination rajeunie & fécondée
par de fi beaux fuccès, avoit retourné aux premiers
goûts , aux premières amours de fa jeuneffe , à la
poëfie. Il avoit dans fes premiers effais obtenu des
fuccès comme Poëte , en même- tems que comme
Orateur ; & l'Ode fur le Tems , méritoit fans doute
une couronne ; l'Epitre au Peuple , quelque reproches
qu'on pût lui faire, en auroit obtenu ung
autre , fi elle n'avoir pas eu le tort de concourir
avec l'Epître aux Poëtes de M. Marmontel . Le
Poëme de Jumonville , dont le fujet étoit d'un
choix fi malheureux , avoit montré les défauts de
Lucain , mais il en avoit montré auffi les beautés ;
& M. Thomas étoit , je crois , à cette époque , plus
jeune encore que Lucain au moment où la Pharfale
DE FRANCE. 81
parut. Le talent de M. Thomas , foit dans la
poëfie , ſoit dans l'éloquence , devoit être un peu
tardif a prendre ces juftes proportions d'où refulte
la perfection du goût : femblable en cela à ces jeunes
gens d'une ftature élevée , qui paroiffent gigan
tefques avant d'avoir pris en tous fens les formes
avec lesquelles ils ne feront que grands.
Dès fa jeuneffe , il avoit conçu l'idée hardie
d'un Poëme épique , dont le Czar Pierre feroit le
héros. Le caractère d'un Prince qui avoir le génie
de la civilisation & les paffions d'un barbare ;
création ou la transplantation des moeurs & des Arts
des peuples du Midi , au milieu des glaces & des
forêts du Nord : le phénomène, unique dans l'hiſtoire
des hommes , d'un Empereur prefque fauvage , qui
defcendoit du trône pour apprendre à régner , &
qui , dans ce deffein , tantôt s'entretenoit avec le
Régent en France, tantôt, la hache à la main, travailloit
avec les charpentiers dans les chantiers de
Harlem la lutte du génie de la barbarie & du
génie de la civilisation , qui renouveloient au fond
de la Ruffie des combats qu'ils fe font livrés fur
tout le globe ; tout cela lini avoit paru propre à la.
grande machine du Poëme épique , aux couleurs éclatantes
de l'Epopée . Engagé dans d'autres travaux , il
avoit abandonné cette entreprife audacieufe , lorfque
neuf à dix Chants étoient déjà achevés les
combats & les dégoûts que fon talent eût à effuyer
dans d'autres genres , paroiffoient même l'avoir
éloigné à jamais de la poéfie , qui , plus que tous
les autres genres encore , femble avoir befoin de
cette confiance qui élève l'imagination & nourrit
fon ivreffe ; mais il étoit revenu à fon Poëme &
à cette poéfie qu'il adoroit , après avoir triomphé de
fes ennemis par fon éloquence. Il avoit abandonné,
& fon premier plan, & ce qu'il en avoit exécuté ;
DV
32
MERCURE
& depuis 7 à 8 ans qu'il en étoit uniquement occupé
, il avoit refait & achevé cinq à fix chants
fur un plan tout nouveau . Nous en avons entendu
plufieurs Chants , & quelques amis de M. Thomas
les ont auffi entendus : ce feroit une témérité bien
grande de vouloir prévenir les jugemens de la poftérité
fur ces fragmens , qui doivent être facrés pour
elle ; mais fans doute il eft permis aux amis de
M. Thomas , de fufpendre leur jugement , & de
rendre compte de leur impreffion . L'étonnement &
I admiration ont été les fentimen's que nous avons
toujours éprouvés en écoutant cette lecture. Toujours
j'ai cru y voir l'affociation la plus magnifique
de la philofophie la plus élevée & de la plus haute
poéfie. Les conceptions générales m'ont paru avoir
toujours la haliefe & l'audace fingulière de l'Epopée
antique ; & dans les détails qui me frappoient
à chaque inftant par des créations de ftyle , j'ai
cru remarquer encore les attentions & les fcrupules
du goût le plus difficile & le plus éclairé . Le voyage
du Czar en Angleterre , & fur tout fa vifite aux
tombeaux de Weftminster , font peut- être d'un ordre
de beautés plus égales aux grandes beautés , & de
Milton & d'Homère . J'aurois cru trahir la confiance
& l'amitié que me témoiguoit M. Thomas ,
en m'admettant dans la confidence de fou Poème ,
fi j'avois pu taire ou affoiblir ici les impreffions que
j'en ai reçues ; mais ce font les amis de M. Thomas
& de fa gloire , qui doivent fur tout convenir qu'il
appartient à la poftérité feule de prononcer des juge--
mens fur ces ébauches du gérie. Quel ami des Arts ,
de la Philofophie & de la Poéfie , ne déplorera point
le malheur d'un homme enlevé , à cinquante ans , à
ce grand Ouvrage qu'il eût pu finir & perfectionner
s'il lui eût été donné de vivre dix ans de plus encore !
Ce malheur eft pour tout le monde , & il eft irréparable.
Les amis de M. Thomas ne peuvent , en
DE FRANCE 83
se moment , denner des larmes qu'à la mort , ne
peuvert regreter que fa perfonne.
Il étoit difficile de le lire & de ne pas l'admirer ;
il étoit impoffible de le connoître & de ne pas le chéri
tendrement, L'ame la plus pure, étoit en même tems la
plus douce & la plus indulgente ; il ne fe permettoit
aucune foibleffe , & les pardonnoit toutes . Son mépris
n'étoit que pour l'homme vil , & fa haine fi
éloquente contre la méchanceté , n'attaquoit pas
même les méchans. Les émotions qu'il éprouvoit en
parlant des chofes publiques , prouvoient qu'il auroi
eu toutes les vertus qu'elles demandent : & ces ver
tus font partie de celles de l'homme de lettres ; 12
talent qui les fait aimer eft une forte d'exercice d
ces vertus même , & peut- être n'eft - ce pas le moinà
utile . M. Thomas , dans fon difcours de réception è
l'Académie Françoife , traça le portrait de l'homm
de lettre citoyen ; ce modèle eft fi beau , qu'on poure
roit croire qu'il n'a jamais exifté. C'étoit la peintus
la plus fidefle de fon caractère & de fon ame.
On l'a vu vivre long tems dans le monde fans
fe mêler jamais aux converfations même littéraires,
fans y dire un feul mot . On raconte auffi que Richardſon
a vécu vingt ans dans le monde , fans que
perfonne l'ait jamais entendu parler. Cependant
jamais perfonne n'a mieux fait parler que Richardfon
, ces hommes au milieu defquels il fe taifoit toujours
: & ce dont on ne fe deute pas , M. Thomas
n'étoit pas peut - être un obfervateur moins fin ,
moins profond & moins habile . Cet homine qui ne
difoit rien dans la fociété , avoit la converfation la
plus féconde & la plus animée avec les amis . Saadi
a dit , lame du Sage eft un tréfør , dont les
malheureux & l'amitié ont feuls la clef.-M. Tho.
mas étoit précisément le fage de Saadi . On étoit
étonné de l'étendue de fes connoiffances , & la
fécondité de fes idées étoit bien plus grande en cere
D vj
84 MERCURE
:
On ne fait plus d'études littéraires comme il en
avoit fait. Il avoit approfondi la théorie de tous les
genres , non dans les poétiques & les théoriques ,
bien moins profondes que lui , mais dans la nature de
Phomme , & dans les moyens de nous donner toutes
ces fenfations dont nous fommes fi avides . Il étoit
également bon à confulter fur une Tragédie & fur
une Comédie , fur un Difcours & fur un Poëme
fur une hiftoire & fur un livre philofophique il
ne vous éclairoit pas feulement fur vos défauts , ce
qui n'eft jamais très-difficile , il vous indiquoit les
fources des beautés , & fouvent en faifoit fortir à
l'inftant même des beautés très- frappantes . La littérature
étoit fa paflion , & il n'en parloit jamais
fans éloquence , jamais fans cette chaleur qui crée
ou qui féconde . En le quittant , on aimoit plus la
gloire on avoit plus d'ardeur pour la mériter, plas
d'efpérance de l'obtenir : on alloit prendre la plume
qu chercher la folitude ; on fongeoit fur tout à
épurer fon ame pour embellir fon talent. L'équité
n'étoit pas en lui cette eſpèce de juftice affez naturelle
, mais un peu fauvage , qui rend le bien
pour le bien , & le mal pour le mal : jufte , même
envers les ennemis connus de fon talent , je l'ai
entendu parler quelquefois avec enthousiasme de
ceux qui ne parloient de lui qu'avec dénigrement.
Si l'on craignoit de quelque fociété littéraire les
injuftices des paffions & de l'intrigue , on demandoit :
M. Thomas y eft- il ? Il a fait paroître avec éclat
des réputations naiffantes qu'une indifférence
adroite alloit éteindre , ou qu'une mauvaiſe- foi
audacieuſe alloit érouffer. Cependant , il avoit plutôt
le courage d'être . jufte , que celui d'attaquer & de
combattre l'injuftice . En gardant le filence au milieu
des hommes , & en les écoutant beaucoup , il avoit
appris à les craindre . Une pareille crainte dans l'ame
de M. Thomas , ne pouvoit pas être une foiblefe ,
ecla cft fâcheux pour les homines.
>
DE FRANCE. 85
Plus on approchoit de cette âme , plus on avoit
pour elle d'amour & de vénération ; fes amis les
plus intimes étoient fes amis les plus tendres. C'eft
dans fa maifon fur - tout qu'il étoit adoré , il élevoit
fes Domestiques même jufqu'à lui , par les fentimens
qu il favoit leur infpirer . Il fembloit les avoir
plutôt pour les confoler de leur condition , que pour
rendre la fienne plus commode & plus douce ; &
s'il les traitoit comme des amis malheureux , eux fe
trouvoient heureux de le fervir . De deux foeurs qu'il
faiffe , l'une vivoit depuis très -long - temps avec lui ,
& j'oſe à peine nonmer Mlle Thomas , à peine j'ai
le courage de penſer à la douleur où elle doit étre
abîmée. La tendreffe extrême des feurs pour leurs
frères n'eft pas rare , & c'est un de ces fentimens
délicieux donnés au coeur humain pour le confoler
de l'amertume des paffions ou de leur abſence. Mlle
Thomas n'étoit pas une foeur , c'étoit une mère tendre
, qui vivoit pour veiller fur les jours , fur la
fanté , fur le bonheur de fon fils unique. Hélas !
que lui reftera-t'il fur la terre , lorfqu'elle ne fera
plus chargée & du bonheur & de la vie de fon frère !
M. Ducis étoit devenu auffi en quelque forte le fière
de M. Thomas , ils vivoient enſemble , ils ne fe
quittoient plus , ou fe rejoignoient bientôt . M. de la
Saudraie , ancien Confeiller au Confeil de Saint-
Domingue , qui croyoit être revenu du nouveau
monde pour jouir des plaifirs de la France , ne jouiffoit
que du bonheur de vivre avec M. Thomas &
dans fa maifon. Ses amis ne fe croyoient pas affez
près de lui lorfqu'ils n'avoient pas la même demeure.
C'eft M. Thomas fur-tout qui faifoit fentir que le
plus grand charme de la vie cft dans le commerce
d'une âme pure & douce , d'un efprit fécond &
éclairé , qui réveille à chaque inftant dans votre efprit
& dans votre âme une multitude de fenfations
qui les perfectionnent l'un & l'autre.
86 MERCURE
Ménacé , fur - tout depuis cinq à fix ans , d'une maladie
qui avoit emporté un de les frères au tombeau ,
M. Thomas prenoit les précautions les plus attentives
pour ménager une fanté très - délicate : comm ●
il le dit lui-même de quelques Savans de Fontenelle ,
il s'étoit créé un régime pour la penſée . Ami du foleil
comme Horace , mais ne pouvant fupporter ni les
froids exceffifs ni les chaleurs extrêmes , il changeoit
de climat avec les faifons , & alloit chercher le foleil
dans les lieux où fes rayons le réchauffoient
fans le brûler. Il paffoit l'hiver , ou dans le Languedoc
, ou dans la Provence , ou à Nice , & reve,
noir du côté de Paris lorfque le foleil y revenoit
auffi . Ses amis l'accompagnoient très-fouvent , & il
eft à croire qu'il eût moins aimé le foleil , fi pour le
chercher il cût fallu fe féparer toujours de tous fes
amis.
Ces précautions paroiffoient lui affurer une affez
longue vie , & lui donner affez de force pour
achever fon grand ouvrage , fon Poëme . Jamais fa
penfée n'avoit eu plus d'activité , ni fon travail &
fon talent une facilité plus heureufe. Il n'avoit plus
befoin de faire les vers ; les vers naiffoient avec fes
idées & les fentimens . Troublé un moment par l'accident
affreux arrivé à fon ami M. Ducis , il jouiffoit
du bonheur de voir renaître cet ami auquel il
avoit donné des foins fi tendres. Les jours de cette
convalescence étoient pour eux des jours de fêre
qu'on célébroit à Lyon. Il les célébroit lui - même.
en vers ; il difoit dans une épitre à M. Jeannin :
La vie a des attraits pour les coeurs innocens ;
Qui peut hair la vie eft mal avec foi -même :
Douce vertu ! celui qui t'aime ,
De la Nature en paix fait goûter les préfens .
Il n'eft rien dont il ne jouifle :
DE FRANCE. 87
Ah ! c'est le remords & le vice
Qui , du tableau des champs , terniffent les couleurs ,"
Au chant du roflignol affourdiffent l'oreille ,
Flérriffent la rofe vermeille :
Le parfum des vertus embaume encor les fleurs .
Il eft mort au moment où il fentoit & chantoit
ainfi le bonheur de vivre . Ah ! fans doute cette
vertu qui lui rendoit la vie fi douce aura fervi encore
à adoucir fa mort !
Il eft mort à Oullins , près de Lyon , dans le
Château de M. l'Archevêque. Cet illuftre Prélat , fi
digne d'apprécier les talens & les vertus de fon Con- ,
frère , avoit voulu l'avoir auprès de lui pour conferver
, s'il étoit poffible , une vie fi précieuſe.
J'ai l'honneur d'être , &c. GARAT .
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 13 Septembre , on a repréſenté ,
pour la première fois , Roje , ou lafuite de
Fanfan & Colas , Comédie en trois Actes'
& en profe.
Fanfan & Colas font parvenus à l'âge où
l'on commence à être homme. On ne connoît
plus le premier que fous le nom du
Marquis de Fierval. Le fecond eft devenu
amoureux de Rofe , fille du payfan Guillaume
; il l'a fait demander en mariage , &
Guillaume a promis de la lui accorder , à
88 MERCURE
condition qu'il apporteroir en dot cent écus
qu'il auroit fu gagner à la fueur de fon front.
En conféquence Colas a quitté Perrette , fa
mère , pour aller travailler , comme Jourmalier
, chez un oncle de Rofe . Pendant l'abfence
de Colas , Fanfan a vu fouvent Rofe
chez fa Nourrice Perrette , & il en eft
devenu très - amoureux. Sa famille s'inquiette
& frémit des fuites que peut avoir cette
paffion ; mais l'Inftituteur éclairé qui a préfidé
à fon éducation , loin de s'effrayer de
l'amour du jeune Marquis , fe propoſe au
contraire de le faire fervir à développer dans
fon coeur de nouveaux germes de fenfibilité
, de force & de vertu . Colas , échauffé
par le double defir de revoir la mère &
d'époufer Rofe , a gagné , en un an , les cent
écus exigés par Guillaume ; il revient plus
tôt qu'on ne l'attendoit , ivre de joie & de
bonheur. A peine a- t'il eu le temps de recevoir
les premiers embraffemens de Perrette ,
qu'un Huiffier fe préfente , avec le projet de
faifir chez elle , pour raifon de 299 liv. &
quelques fols qu'exigent les Collecteurs ; il
oublie fa propre fatisfaction , & confacre
au plaifir de fauver la mère , la fomme deftinée
à confommer fon bonheur , en lui faifant
époufer fa maîtreffe . A l'inftant qu'il vient
de faire ce facrifice , le Marquis fon frère de
lait, vient lui propofer d'oublier Rofe, de confentir
à la céder à unhomme riche , capable de
faire la fortune , très - amoureux d'elle , qui fe
propoſe de l'époufer , & il déclare qu'il eft
DE FRANCE. 89
cet homme. Le jeune Payfan s'indigne , il
devient furieux , il menace le Marquis ; &
dans fon tranfport jaloux il ne doute pas
que Rofe n'aime autant le Marquis qu'elle
en eft aimée. La bonne Perrette vient à propos
pour arrêtes l'eflor frénétique de
Colas , & pour s'opposer à la vengeance
que commence à defirer l'orgueil bleffé du
Marquis. La jaloufie égare abfolument le
petit villageois , il outrage fa mère , la maîtreffe
, il ne refpire que la fureur. Cet incident
jette le trouble dans le coeur de Mme
de Fierval & dans tout le château ; c'eft- là
où l'Inftituteur attend fon pupille ; mais fa
confiance eft altérée par quelques mouvemens
d'inquiétude. Néanmoins il fe propofe
d'achever fon ouvrage. En effet , dans une
converfation où la douceur , la raifon &
une logique naturelle le rendent très éloquent
, il éclaire le Marquis fur les projets ,
fur fes devoirs , fur le refpect qu'il doit à fa
famille & à fon nom , & jouit enfin du
plaifir de le voir non feulement immøler
une paffion aveugle , mais encore pardonner
à Colas , s'intéreffer à fon bonheur , à
fa fortune , & conclure fon mariage avee
Rofe.
La première repréfentation de cet Ouvrage
a eu un fuccès très - équivoque. Un
duel au piftolet entre les deux jeunes gens ;
quelques Scènes d'une couleur fombre, &
même noire ; des détails d'un ton tragique ;
tout cela avoit paru , à jufte titre , fort étran
90 MERCURE
ger au genre de la Comédie ; tranchons le
mot , un peu hafardé à une payfannerie. A
la feconde repelentation , ces taches ont
difparu , la Pièce a pris une marche plus
naturelle , & elle a été très - généralement
applaudie. On peut néanmoins lui faire
encore des reproches. Quelque refpeetables
que foient les droits collectivement .
apperçus de l'humanité , il faut pourtant
convenir qu'en morale comme cn politique ,
la diftinction des états eft auffi néceffaire
qu'utile au bien de la fociété , & qu'il eft dangereux
d'établir ou de chercher à établir un
fyftême fatal à cette diftinction , fans laquelle
un Royaume perdroit fon équilibre & tomberoit
dans une espèce d'anarchie. En fe propofant
d'oppofer Thomme à i homme , l'Auteur
ne s'eft pas apperçu qu'il négligeait l'obfervation
des convenances ; défaut très capital,
& qui devroit , pour l'intérêt univerfel,
être rigoureufeinent banni du Théâtre : car
fans les convenances , plus d'ordre , plus de
rangs , de fubordination , & , par une fuite
néceffaire le chaos de la barbarie . Malgré
cette faute , & quelques autres beaucoup
moins graves , l'Ouvrage plaît & doit plaire.
L'expofition eft nette , claire , précile &
chaude ; le dialogue eft naturel , vrai , preffé ;
le ftyle eft agréable, facile , fpirituel, doux &
fouvent plein d'énergie ; enfin le but moral eft
bien vû & bien rempli. L'Auteur a voulu y
montrer les inconvéniens de la Nature bonne,
mais brutale & négligée , avec les avantages
DE FRANCE. 91%
de la Nature guidée , éclairée & perfectionnée
par l'éducation .
P
Les principaux rôles de cette Comédie
font très bien rendus par Mile Carline ,
dans le perfonnage de Colas ; par Mme .
Gonthier , dans celui de Peirette ; par M.
Courcelle , dans celui de l'Inftituteur ; mais
Mme Reymond nous paroît mériter une diftinction
particulière pour le talent qu'elle
déploye dans le rôle de Fanfan. Son débit eft
vrai , naturel ; fon jeu muet eft bien entendu,
& les nuances par lesquelles elle paffe, pour
defcendre de l'extrême irritation de la vanité
aux mouvemens d'une fenfibilité dou- ·
loureuſe mais raifonnée , font infiniment
d'honneur à fon intelligence.
ANNONCES ET NOTICES.
OBSERVATIO
BSERVATIONS Philofophiques fur l'ufage
d'expofer les Ouvrages de Peinture & de Sculp
ture , par M. Viel de Saint- Maux . A la Haye ; & le
trouve à Paris , chez Bluet , Libraire , Pont Saint
Michel.
L'Auteur de cette Brochure répond à plufieurs
queftions ; 1. quelle eft l'origine de l'expofition des
Ouvrages de Peinture & de Sculpture ? Et il répond
qu'elle fe perd dans la nuit des temps ; 2 ° . pourquoi
ces expofitions ne fe font pas chaque année ?
Et il répond avec raifon qu'une année de travail ne
fuffiroit pas pour fournir un affez grand nombre de
productions eftimables.
Mais le principal objet de M. Viel de Saint- Maux
92 MERCURE
paroît être de parler des critiques que fait naître fi
abondamment l'expofition , & fur- tout de blâmer le
droit qu'on s'arroge de critiquer les Ouvrages expofés
. Il nous femble qu'il confond un peu trop l'abus
de la critique avec la critique même. Sans doute la
feule indignation qu'a pu lui inſpirer l'injufte cenfure,
l'aura prévenu même contre la fage & utile critique.
Le filence , dit-il , punit affez l'Auteur d'une
mauvaise production . Oui, fans doute ; mais il faudra
donc qu'un Artifte , s'il veut s'éclairer fur fes
défauts , fuive toutes les perfonnes qui vont vifiter
le Sallon , pour reconnoître celles qui fe taifent.
D'ailleurs , tant qu'il fe fera des expofitions publiques,
on parlera beaucoup des Ouvrages exposés : & parmi
tant de perfonnes qui parlent , il doit s'en trouver
naturellement qui veulent écrire . Ajoutons que fi la
critique afflige l'orgueil , c'eft'elle auffi qui lui procure
les plus vives jouiffances . Il n'y a que la liberté
de blâmer qui puiffe donner du prix à la louange. Un
Artifte , au moment où la critique vient de le maltraiter
, voudroit fans doute en abolir l'uſage ; mais
au moment d'expofer fon Ouvrage , nous croyons
qu'il confentiroit à courir le rifque du blême avec
la perfpective de l'éloge .
Aurelle , cette Brochure eft écrite avec chaleur ;
elle refpire l'enthoufiafme des Arts , & annonce un
homme fait pour en fentir & pour en faire ſentir les
beautés.
LE Cabinet des Fées , on Collection choifie des
Contes des Fées & autres Contes merveilleux ornés
de Figures , fixième Livraifon , Tomes XI & XII,
contenant le dernier Volume des Mille & une
Nuits , la Tour ténébreufe & les Aventures d'Abdala.
On voit que cette Collection eft livrée au Public
avec la même exactitude que celles de le Sage & de
DE FRANCE. 93
l'Abbé Prevoft , que le même Libraire nous a données
; elle aura trente Volumes de Contes & un
Volume de Difcours , contenant l'origine des Contes
des Fées & les Notices fur les Auteurs.
On délivrera régulièrement deux Volumes par
mois.
On s'inferit pour cette Collection à Paris , rue
& hôtel. Serpente , chez Cuchet , Libraire , Éditeur
des OEuvres de le Sage & de l'Abbé Prevoſt. Le
prix de l'infcription eft de 3 liv . 12 fols le Volume
broché , orné de trois Planches faites fous la direction
de MM. Delaunay & Marillier.
PRESENT de Flore à la Nation Françoife , pour
les alimens , les médicamens , l'art vétérinaire & les
Arts & Métiers , ou Traité Hiftorique des Plantes ,
rangées fuivant le fyftême de Linnée, par M. Buc'hoz.
in 4. Prix , 18 liv. les deux volumes , compofés
de quatre Livraiſons. A Paris , chez l'Auteur , rue
de la Harpe , au d: flus du Collège d'Harcour .
*
On diftribue actuellement la quatrième. MM . les
Soufcripteurs font priés de retirer cetre Livraiſon ,
en rapportant la quittance fignée de l'Auteur . La
cinquième Livraifen paroîtra fans foufcription ,
ainfi que les fuivantes ; on en payera le prix à l'inftant
de l'acquifition. Elles feront annoncées par les
Papiers Publics.
RAPPORT des Commiffaires de la Sosiété Royale
de Médecine , fur le Mal Rouge de Cayenne , ou
Eléphanfiafis . Imprimé par ordre du Roi. A Paris ,
de l'Imprimerie Royale ; in 8 ° .
Toujours animé du defir d'être uile à l'humanité ,
M. le Maréchal de Caſtries a demandé l'Avis de la
Société Royale de Médecine , fur les moyens de guérir
cette maladie , & d'en arrêter la contagion . Cette
célèbre Société , qui joint les lumières au zèle le
f
MERCURE.
94
plus actif, vient de s'en occuper ; & fon Rapport eft
fait avec autant de fageffe que de fagacité.
GRAMMAIRE des Dames , ou Nouveau Traité
d'Orthographe Françoife , réduite aux règles les
plus fimples , & juftifiée par des morceaux choifis de
Poéfie , d'Hiftoire , &c. par M. l'Abbé Barthelemy
de Grenoble , in - 8 ° . Prix , 1 liv. 16 fols br. , &
2 liv. 5 fols franc de port par la pofte . A Paris ,
chez Buiffon , Libraire , hôtel de Mefgrigny , rue
des Poitevins , Nº . 13 .
PRECIS des Expériences faites par ordre du Roi
à Trianon , fur la caufe de la corruption des bleds ,
·&fur les moyens de la prévenir , à la fuite duquel
eft une Infiruction propre à guider les Laboureurs
dans la manière dont ils doivent préparer le grain
avant de le femer. De l'imprimerie Royale , & fe
trouve à Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins .
On ne fauroit trop recommander la lecture de cet
Ouvrage, que fon objet feul rendroit digne d'eftime.
FABRIQUE d'Ouvrages en Acier à Clignancourt.
- Le Sieur Grandchez , Bijoutier de la Reine , a depuis
fix ans établi à Clignancourt un commencement de
Fabrique d'Ouvrages en Acier , où il occupe cinq
Ouvriers. Animé par l'Arrêt du Confeil & la vifite
encourageante dont il a été honoré par Mgr. le
Contrôleur Général ( voyez le Journal de Paris du
4 Septembre ) , ayant eu l'honneur de préfenter au
Roi une Épée à perles d'acier de cette Fabrique ,
dont Sa Majefté a paru fatisfaire , & qu'Elle a
agréé ; il espère par la fuite en employer davantage ,
& prouver , quand il aura complété les outils néceff
res à la diligence du poli , & fait les agrandif
femens d'atelier , que les prix n'excéderont pas dans
DE FRANCE. 95
le genre fini celles qui fe fabriquent à Londres & à
Woodstock , & feront auffi parfaites , plus variées
& d'an meilleur goût , fans le fecours d'Ouvriers
Anglois , fon Chef d'atelier étant en état de former
des Élèves.
Afin que perfonne ne fe donne la peine d'aller à
Clignancourt , il prévient que ce n'eft qu'à Paris , à
fon Magatin au petit Dunkerque , qu'il recevra les
commandes , & qu'il n'entreprendra rien de commun
; il fera répa er tous les Ouvrages précieux qui
feront rouillés ou caffés , au point d'être auffi beaux
que neufs. Il peut faire voir divers échantillons
d'Ouvrages en Acier qui fatisferont les Connoiffeurs .
NUMÉRO 9 du Journal de Violon , Flûte ,
Alto & Baffe , deuxième année , ou Recueil d'Airs
nouveaux , par les meilleurs Maîtres , contenant
1'Ouverture du Droit du Seigneur & l'Entre- A&e
des deux Tuteurs . Prix , 2 liv . 8 fols . Abonnement
18 liv. & 21 liv. → Numérós 30 à 36 de la Muſe
Lyrique , ou Journal de Guittare , dédié à ta Reine ,
par M. Porro , contenant des Airs de l'Amant- Statue
, d'Alexis & Juftine , un Rondeau de M. Paifiello
, un Air de M. Philidor , & c . A Paris , chez
Mme Baillon, Marchande de Mufique , rue Nauve
des Petits- Champs , au coin de celle de Richelieu , à
la Mufe Lyrique .
DEUX Sonates pour la Harpe , Violon ad libitum
, & un Pot- Pourri , contenant le Vandeville de
Figaro , un Air d'Hayden , & c , par M. Coulineau
fils , de l'Académie Royale de Müfique , Cavre V.
Prix , 7 liv 4- fols . A Paris , chez Coulineau , ère
& fils , Luthiers de la Reine rue des Poulics , &
Salomon , Luthier , Place de l'cole.
La première de ces deux Sonates a été exé utée
avec beaucoup de fuccès par l'Auteur au Coneert
Spirituel.
96
MERCURE
De l'Enfeignement public , par M. Mathias ;
Ouvrage annoncé dans le Mercure , No. 39 , fe
trouve à Paris , chez l'Auteur , rue S. Honoré , visà-
vis celle des Bons- Enfans , Nº..562.
FAUTES à corriger dans le dernier Mercures
Article Expofition , &c.
Page 22 , lignes 32 & 33 , de ce Peintre eftimable,
dont la réputation auroit été plus brillante ,
lifez : de ce Peintre eftimable , & qui fans doute auroit
été plus eftimé , & c.
Page 24 , ligne 10 , des gens ,
lifez : de gens.
Idem , ligne 18 , 10 pouces quarrés , lifez :
10 pieds .
Page 28 , ligne 23 , fon Tableau , lifez : ce Tableau.
Page 33 , ligne 20 , comme la production , lifez :
comme la compofition.
Page 42 , ligne 8 , dans tous ces morceaux
lifez : dans ces morceaux.
TABLE.
LE Vieillard au Printemps , Charade , Enigme & Logo=
Elégie , 49 gryphe ,
Effai d'Infcriptions pour la Morceaux choifis de Tacite, s «
Halle au Blé,
La Rofe , Fable ,
Couplers ,
<1 Variétés ,
ib. Comédie Italienne ,
54
71
87
91 52 Annonces & Notices ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr . le Garde - des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi SO&tobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. ▲
Paris , le 7 O&obre 1785. RAULIN.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS OCTOBRE 1785.
PIECES FUGITIVES
2
EN VERS ET EN PROSE.
·
A une très jolie Femme , qui foupçonnoit
l'Auteur d'avoir fait des vers contre elle.
Deda Beauté , fidèle adorateur
Je me plais à lui rendre hommage ;
Juges, C......., fi je puis être Auteur
Du libelle obfcur qui t'ourage.
Avec des yeux , du goûr, un cocur,
Eût on jamais fait tel ouvrage?
Je renoncerois aux Neuf Sears
( Sil falloit , en fuivant leurs traces
N'en obtenir quelques faveurs
Qu'en déclarant la guerre aux Grâces.
( Par M. Dehauffy de Robécourt. )
No. 42 , 15 Octobre 1785.
98
MERCURE
ÉPIGRAM ME.
L'AMOUR eft un ferpent qui , caché four des fleurs ,
S'élance dans le fein d'une Belle éperdue ;
Si j'en crois vos regards , votre air & ves couleurs ,
Jeune Églé , je crains bien qu'il ne vous ait mordue.
( Par M. le Marquis de C.... V.. )
RÉPONSES A LA QUESTION :
Un homme qui a de l'efprit peut - il être
amoureux long-temps d'une femme qui n'en
a pas ?
I.
UNE Belle qui n'eft que Belle ,
N'a d'empire que fur les tens .
On peut defirer auprès d'elle ;
Mais on ne peut aimer long- temps.
Dès que laffe d'être cruelle
Elle cède aux voeux d'un amant "
Le traître Amour battant de l'aîle ,
Jouit , & s'envole en bâillant.
(Par M. le Vicomte de Mélignan. )
I I.
Pour fixer un amant l'efprit eft néceffaire ;
La conftance n'eft pas le prix de la beauté ;
DE FRANCE.
4 99
L'homme eft doué d'humeur un peu légère ;
Le même objet ne peut long- temps lui plaire
Qu'en lui montrant fans ceffe un air de nouveauté.
( Par M. Dehauffy de Robecourt. )
II I.
Ce n'eft pas le défaut d'efpric
Qui fait qu'on n'aime plus fa Belle.
Un amant qui la voit ainſi ,
Étoit déjà détaché d'elle .
( Par M. Larivière , de Falaife , Étudiant en Droit.)
I V.
ON peut bien un inftant brûler pour une Belle ,
Qui de fes attraits feuls peut faire vanité :
Le premier trait que lance la Beauté
Peut bleffer quelquefois le coeur le plus rebelle ;
Mais le mal eft bientôt paffé.
L'efprit , les talens ſeuls font un amant fidèle;
Toujours la bleffure eft mortelle
Quand le trait de l'Amour par Minerve eft lancé.
(Par M. L... de Lan... )
V.
LAFARE quitta Sévigné
Pour une femme laide & bête.
Tout le monde en fut indigné,
On difoit qu'il perdoit la tête.
E
}
100 MERCURE
Il répondit alors : « Une femme d'efprit
» Sur celui d'un amant exerce trop d'empire.
» Elle veut trop fouvent ufer de fon crédit .
» A lâ fotte on ne dit que ce qu'on veut lui dire . »
(Par M. le Chevalier de Meude Monpas . )
V I.
Si de l'amante à qui le fort vous lie
La Beauté ſeule vous féduit ,
Sur votre coeur Life aura du crédit ,
Tant que Life fera jolie :
Si vous aimez une femme d'efprit ,
Vous l'aimerez toute la vie .
(Par un Membre de la Chambre Littéraire
de Rennes, )
VII.
CIRTAIN fage rend grâce aux Dieux
De refufer l'efprit à ſa belle maîtreffe.
Quand je lui fais , dit- il , des aveux de tendreffe ,
» Si j'ai quelques rivaux je le vois dans les yeux.
» Je ne crains point , en m'offrant à ſa vûe ,
Qu'un mépris déguifé foit le prix de mes feux.
➜ Pygmalion étoit plus amoureux
» Quand fa Vénus étoit ftatue. »
(Par M. le Chevalier de Bafmarefq. )
DE FRANCE. 101
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE .
Laquelle de ces deux affectations fait plus
de tort à une femme , de vouloir paroître plus
jeune & plus jolie qu'elle n'eft , cu de vouloir
montrer plus d'efprit qu'elle n'en a.
ANECDOTE HISTORIQUE.
L'USAGE affreux de la torture , banni des
Tribunaux Anglois depuis des fiècles , profcrit
il y a long- temps dans plufieurs villes
Impériales , & dans la plus grande partie de
la Suille ; abandonné eu Ruffle , & enfin en
France depuis quelques années ; cette barbarie
que les Anciens du meius , réfervoient
à leurs of laves , & que l'Europe n'a cellé
d'abhorrer en l'adoptant , a déjugée par un
affez grand nombre d'Écrivains éloquens de
differentes Nations , pour que tout examen
ultérieur foit inutile. Dans quelques États
cependant cette abominable pratique a prévalu
fur le cri de la raifon , de la justice &
de l'humanité.
Il n'eft pas de preuve plus effrayante des
dangers de cette fuperftiticufe obftination
que le trait fuivant . On en doit la connoiffance
à M. Cumberland , Auteur Dramatique
Anglois , livré tour- à - tour à la culture
des Lettres & aux affaires publiques , eftimé
E iij
102 MERCURE
dans l'une & dans l'autre carrière , & employé
en Espagne par la Cour Britannique
pendant la dernière guerre . Lui- même a vû
le lieu de la fcène déplorable qu'on va raconter
, & a pu dire , en en recueillant les
circonftances : Heufuge crudeles terras !
>
Il y a fix ans qu'on pourfuivit en Portugal
un particulier accusé d'avoir empoisonné fa
four confanguine , pendant une groffeffe
qui étoit le fruit de leur amour inceftueux.
Depuis quelques années ce particulier
connu fous le nom de D. Juan , vivoit retiré
dans un château non loin de la ville
d'Eftremoz , fur la route de Lisbonne à Badajoz.
A fon paffage on montra à M. Cumberland
cette folitude dans un vallon peuplé
de lièges , à un mille de la grande route , &
dans un fite affreux. Les foupçons contre D.
Juan étoient fi forts , & l'opinion de fon
crime fi répandue , que , malgré une dépenſe
des trois quarts de fon revenu , confacrés à
des actes de charité , on avoit ceffé d'implorer
fes fecours & de le remercier de fes bienfaits
paffés : une feule perfonne pénétroit
encore dans cette folitude ; cette perfonne
étoit un Moine d'Eftremoz , Confeffeur &
Aumônier de D. Juan.
La durée & la violence du bruit public
touchant une accufation qui fuppofoit à la
fois l'incefte & le meurtre, réveillèrent l'attention
de la Juftice . Des Commiffaires vinrent
informer fur ie fait ; le Coupable ſuppoſe ſe
préſenta de lui-même , & répondit à toutes
DE FRANCE. 103
1
les fommations . Tant par fes dépofitions que
par celles des témoins , il parut que dès fon
enfance il avoit été élevé dans la famille
d'un riche Négociant de Lisbonne , qui
commerçoit avec le Bréfil. D. Juan ayant
adopté le nom de ce Négociant , on l'en
: croyoit le fils naturel. Les témoignages fembloient
conftater également une intimité entre
l'Accufé & Dona Jofepha , fille unique
du Négociant , la groffeffe de celle- ci , fa
mort fubite à la fuite d'une médecine prife
des mains de D. Juan , avec tous les fymptônes
de l'empoifonnement. La mère de
Dona Jofepha n'avoit furvécu à fa fille que
quelques jours , & fon père s'étoit jeté dans
un couvent de Moines mendians , en laiffant
toute fa fortune à l'empoifonneur.
Cette dernière circonftance enveloppoit
l'événement d'une étrange obfcurité. Si de
fortes préfomptions accufoient D. Juan ,
elles fembloient détruites par la retraite &
par le legs de fon père putatif. Pour fortir
d'embarras , les Juges ordonnèrent la
queftion.
Tandis qu'on s'y préparoit , Don Juan ,
fans terreur à la vue du fupplice , avertit
fes Juges de s'épargner cet appareil , en recevant
fon aveu fur des points importans
qu'il éclairciroit avec candeur , mais au - delà
defquels aucun tourment ne lui arracheroit
une parole. Il déclara qu'il n'étoit
nullement fils du Négociant auquel il devoit
fon éducation , ni l'allié de Jofepha ; que
Eiv
104
MERCURE
fon père , riche commerçant du Bréfil ,
l'avoit confié dès le berceau aux mains de
fon Correfpondant ; que par des raifons à
lui connues , celui - ci l'avoit appelé de fon
propre nom , en lui apprenant à fe regarder
comme un orphelin adoptif, né d'un parent
de fon bienfaiteur. Jainais par conféquent il
n'avoit pu voir une four dans Dona Jofepha.
Lié à elle par une paflion tendre & par une
promeffe de mariage , auteur même de fa
groffeffe , il demandoit pardon à Dieu d'une
offenfe qu'il avoit eu deffein de réparer par
le Sacrement. Lui- même avoit adminiftré la
médecine , néceffitée par les incommodités
de la groffe , de peur d'alarmer fes parets ,
Dona Jofepha l'avoit prié de la commander
comme pour lui même chez l'Apothicaire ;
précaution qu'il avoit prife , ainfi que celle
de voir préparer la diogue , compofée en fa
préfence , & dont il avoit vû mêler féparément
les ingrédiens.
Après cette confeflion , les Juges demandèrent
à l'Accufé s'il affirmeroit que D.
Jofepha n'avoit pas été empoisonnée . A
cette question , D. Juan verfa un torrent de
larmes , & répondit qu'à fon éternel regret
il favoit que fa maîtreffe étoit morte cmpoifonnée.
Le poifon étoit - il contenu dans
» la médecine ? Oui. Imputez- vous
ce crime à l'Apothicaire , ou bien vous-
» même en fûtes vous coupable ? - L'Apothicaire
& moi en fommes innocens . -
Par un principe de honte , D. Jofepha
2
و د
-
DE FRANCE. 101
» auroit elle commis un fuicide & verfé le
"
poifon à votre intçu ? Don Juan tref-
» faillit d'horreur , & prit le ciel à témoin
de l'innocence de l'infortunée . »
"
22
་
Les Juges confondus avoient fait trêve à
l'interrogatoire pour confuler entre eux ,
lorfqu'un des Commiff.ires obferva au prifonnier
, qu'après les réponfes , il ne reftoit
à lui faire qu'une question , tévolante fans
doute , mais indifpenfable. Est - ce donc ,
ajouta-til , au père ou à la mère de la
jeune perfonne que vous imputez cet horrible
empoisonnement ? Non , répondit
» l'Accufé du ton de voix le p'us affuté ; un
pareil deffein n'eft jamais entré dans leur
efprit , je ferois le plus méchant des hommes
fi j'ofois le leur imputer. — Quel eſt
» donc l'Auteur du crime , vous ne l'igno-
» rez pas ? D. Juan répliqua qu'il ne l'igno-
" roit point ; mais qu'aucun fupplice ne le
porteroit à le révéler. Ma vie eft à vous ,
ajouta-t'il , difpofez - en , je ne mourrai
» jamais au milieu de tourmens plus affreux
» que ceux dans lefquels j'ai vécu. »
"
"
38
A ces mots on faifit ce malheureux jeune
homme. Un Chirurgien eft appelé , & les exécuteurs
reçoivent le fignal de commencer la
queftion. Les liens dont les membres du patient
étoient attachés , embraffoient le treuil
d'un cabeftan ; dans cette fituation on lui
donna une première fecouffe. La force de
cerre infernale machine fut terrible ; on entendir
le craquement des mufcles & des ar-
Ev
1C6 MERCURE
ticulations ; à l'inftant le vifage du martyr
& fa poitrine fe couvrirent de groffes gouttes
de fueur; malgré l'atrocité des douleurs , il
ne pouffoit pas un foupir. Le fcélérat qui
préfidoit à l'opération , déclara qu'on pouvoit
forcer encore fur le cabeftan , parce
que le pouls du patient n'étoit ni altéré ni
affoibli.
Déjà les bourreaux commençoient une
feconde diflocation , lorfqu'un Moine fe
précipite dans la chambre , & crie aux Juges
de fufpendre les apprêts . Au fignal qu'on
leur donna , les exécuteurs lâchèrent la machine
; les jointures des membres ſe rapprochèrent
avec toute l'élafticité d'un reffort.
D. Juan , épuifé par cette horrible exécu
tion , s'évanouit. A cette vûe , le Religieux
s'écria d'un top de voix terrible : « Malheu-
» reux , qu'avez - vous fait ? Préparez vos
30
tourmens pour le coupable. Tremblez !
» vos mains cruelles ont trempé dans un
fang innocent. Il dit , & découvrant un
large capuchon qui lui couvroit le vifage
: « vous voyez à vos pieds , ajouta 't'il ,
» le Père..... & le meurtrier de Jofepha ! »
Toute l'affemblée recula d'horreur à cet
aveu; les Juges interdits reftoient muets &
confternés ; les bourreaux même envifageoient
le Moine avec effroi.
« Si vous voulez , dit- il aux Juges , écou-
» ter ma confeffion , la torture eft inntile ;
» finon , ne différez point à m'y placer ;
pour la première fois vous l'aurez infligée
»
DE FRANCE. 107
» avec juſtice . » Le Doyen des Juges lui or
donna de continuer.
" Cet infortuné fans connoiffance , dit le
Moine , eft fils d'un excellent père , jadis le
plus cher de mes amis. En paffant au Bréfil
pour y tenter fortune , il me confia fon
enfant au berceau. Enrichi par vingt ans de
travaux , dans cet intervalle , il me fit paffer
des fonds confidérables pour fon fils . Le dérangement
de mes affaires à cette époque ,
&une affreufe cupidité m'infpirèrent le defir
de m'emparer des biens dont j'étois le dépefitaire.
Je fis part de ce projet à ma malheu
reufe épouſe , qui déjà a répondu de fes actions
devant l'Éternel ; pendant long- temps
elle réfifta à mes follicitations. Tous les
jours cependant je voyois mon crédit s'évanouïr
; la misère alloit m'accabler ; il ne me
reftoit plus que cet infâme expédient pour
me fauver d'une ruine immédiate. "
" La perfuafion , les menaces , le tableau
du malheur qui nous attendoit , fubjuguèrent
la réfiftance de mon époufe. Nous convinmes
d'adopter l'enfant de mon ami comme
le fils d'un de nos parens éloignés. Sous fon
nom j'entretins une correfpondance fuivie
avec fon père ; & , grâces aux remifes qui
m'arrivoient du Bréfil , je foutenois ma maifon
dans une extravagante magnificence.
Enfin le père de D. Juan mourut en me léguant
fa fortune , au défaut de fon fils & de
fes héritiers naturels . J'étois tellement fami
E vj
TC8 MERCURE
liarifé avec le crime , que mon coeur ne
chercha point à réfifter à la tentation que
m'officit cette claufe du teftament . Tandis
que je méditois l'affaffinat de l'héritier , arrive
à Lisbonne l'Agent de fon père , Agent
inftruit de notre correfpondance , & dont
la préfence exigeoit la révélation à D. Juan.
de fon état & de la fortune . "2
» D'une part , menacé, d'éclairciffemens.
bonteux ; tenté de l'autre par l'avarice , à force
de perfécutions , j'affociai mon épouſe à mes.
d . ffeins . Nous empoifonnâmes la potion
que nous croyions préparée pour D. Juan ; le
ciel vengea cet attentat ; notre fille unique
avala ce breuvage , & nous la vîmes expirer
dans les angoiffes d'une douloureuſe agonie ,
avec le double remords d'avoir tué la mère
& l'enfant qu'elle portoit. La Nature cepen
dant combatrit en notie faveur dans le coeur
de Jofepha ; elle mêla fes larmes à notre
défefpoir ; elle nous donna des confolations ,
elle nous pardonna ! ..... Dans ces momens
tenibles où nous faifions à D. Juan l'aveu de
nos forfaits , notre fil'e expirante intercéda
fa pitié , elle en tira la promeffe qu'il ne
livre oit jamais fes parens à la juſtice , en
découvrant l'hiftoire de fa mort. Hélas ! il
n'a que trop gardé cette parole il meure
victime de l'honneur ! vos tortures ont mis
fin à fa vie....... »
A peine le Moine eut-il prononcé ces
mots , que l'on entendit D. Juan Loupirer
DE FRANC F. 109
pour la première & pour la dernière fois ;
le ciel eut pitié des fouffrances de l'innocent ,
& abrégea fon agonie.
Le Moine cependant avoit fixé fes regards
fur lui , il l'obfervoit avec terreur ; & tandis
que cer infortuné étendoit les membres par
un dernier mouvement : « Juges exécrables ,
་་
s'écria- t'il , puiffe le ciel au jour du juge-
» ment , punir ce meurtre fur vos âmes !
" pour moi , fi la vengeance de Dieu n'eft
point encore appaifée par mes remords ,
» au milieu des flammes je ferai confolé , en
fongeant que vous partagez mes tour-
39
"
❞ iens . »
En achevant ces imprécations d'une voix
furieufe , il fe plonge un couteau dans le
coeur . Son fang s'échappa à gros bouillons
fur le pavé , & il tomba mort fur le cadavre
de D. Juan , fans pouffer le moindre gémiffement.
( Par M. Mallet du Pan . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précéder t.
LE mot de la Charade eft Coucou ;
celui de l'Enigme eft la Feulx ; celui d'u
Logogryphe cft Alle , où l'on trouve › L
ail , tle, laie, lie , la , Alif, le , il , aie.
2
IIC MERCURE
INTERPRETE
CHARADE.
INTERPRÊTE muet des caprices du fort ,
Mon premier à lui - même , en fes effets contraire ,
Fait naître d'un feul coup la joie & la colère ;
Mon fecond , tout Lecteur le fait , c'eſt choſe claire ;
Pour mon tout , tu le peux deviner fans effort ,
Il annonce l'amour , la folie ou la mort.
( Par M. Aubry , Commis de la Marine ,
à Versailles. )
ÉNIG ME.
TOUJOURS en mouvement fans førtir de ma place ,
Dans un court intervalle , en un petit eſpace ,
Mes deux bras en longueur , en viteffe inégaux,
Règlent chez les humains la vie & les travaux.
On me rencontre aux champs , mais fur tout à la
ville.
Au beau fexe jadis je fervis d'ornement :
La mode m'a réduit à mon uſage utile .
Infuffifant par moi , malgré tout mon talent ,
Sans un bon gouverneur je deviens inutile ,
DE FRANCE. III
LOGO GRYPH E.
PUISSE-T
UISSE - T'ELLE Vivre à jamais
Celle dont je fuis le fymbole !
Dans mes fept pieds , Lecteur , pris en différens traits ,
On trouve un petit fruit dont tout Paris raffole ;
Une note ; deux inftrumens ;
;
Ce qui fouvent mène à la corde ;
Ce que l'on apprend aux enfans ;
Un fleuve , & tout ce qui le borde
Ce qui refpecte peu les morts ;
Le tréfor le plus cher à l'homme ;
Ce qu'il met dans les coffres - forts
Quand il en a certaine fomme ;
Le dépôt des Savans ; le voeu des curieux ;
Une Impératrice Romaine ;
Ce qu'un fexe facile épargne aux amoureux ;
Ce qui met les foux à la gêne ;
Ce qu'une Actrice de mon nom
Joue fort bien , je vous affure ;
Ce qu'un ivrogne laiffe au fond
D'un tonneau , mais non fans murmure.
Mon anagramme et une fleur ;
Plus utile , je plais moins qu'elle ,
Et mon nom celui de l'Auteur.
Je finis- là ma Kirielle.
112 MERCURE
NOUVELLES LITTERAIRES
SUPPLÉMENT aux Projets de Bienfaifance
& de Patriotisme pour toutes les
Villes & gros Bourgs du Royaume, &
applicables dans toutes les Villes de l'Europe
, contenant , 1º. l'Analyfe du Projet
de la Maifon d'Affociation , publié par
M.
de Chamouffet , avec l'expofe de quelques
moyens qui peuvent le rendre utile & praticable;
2 ° . un Mémoire fur la multiplicité
des Domeftiques males , & fur les
moyens d'en diminuer le nombre ; 3 ° . un
Projet d'une Société prévoyante pour tous
les Clubs ou Cotteries qui fe font formés
à Paris depuis quelques années ; par M.
de Beaufleury , Avocat au Parlement ,
de l'Académie des Arcades de Rome , &
du Mufée de Paris . Prix , 12 fols . A
Paris , chez Cailleau , Imprimeur Libraire
, rue Galande , n . 64 ; Royez , Libraire
, quai des Auguftins ; Froullé , Libraire
, même quai ; Defenne , Libraire ,
au Palais Royal, paffage de la rue Richelieu.
Nous avons rendu compte dans le Mercure
du 15 Novembre 1783 , Nº . 46 , de
L'Ouvrage de M. de Beauflcury, dont toutes.
DE FRANCE. 173
les recherches ont pour objet l'utilité publique
; il marche fur les traces de M. de
Chamouffet , & la Société doit lui favoit
gré de fes efforts . Le Supplément qu il offre
aujourd'hui au Public , fera une nouvelle
preuve de fon défintéreffement & de fon
zèle. Il contient trois Mémoires.
Le premier eft une Analyfe du Projet de
la Maiſon d'Aſſociation , publié par M. de
Chamouffet en 174 , & renouvelé en
1775 avec quelques changemens.
M. de Chamouffet offroit à fes Affociés
dans l'état de maladie tous les fecours qu'on
peut delirer moyennant une fomme niodique
; mais il falloit aller les recevoir dans
un hôpital , qui offre toujours à l'efprit une
idée trifte & humiliante . Les bénéfices de la
Maifon d'Affociation étoient de la moitié
desfommes qu'auroient fournies les Affociés .
M. de Chamouffer les applique dans fon
premier Mémoire à la Maifon même , foit
pour fes befoins extraordinaires , foit pour
faire dans les années d'abondance des provilions
pour les années de diferte.
L'inconvénient & la difficulté de quitter
fa maifon & fa famille pour aller fe faire
foigner dans la Maifon d'Affociation , &
les bénéfices qu'elle vouloit faire fur fes
Affociés , décréditèrent le projet de M. de
Chamouffet.
M. de Chamouffet le renouvela en 1770
avec anfi peu de fuccès.
M. de Beaufleury préfente au Public de
114 MERCURE
nouveaux moyens pour faire réuflir un Bureau
d'Affociation ; il propofe aux Affociés
de leur fournir chez eux tous les fecours que
M. de Chamouffet leur offroit dans la Maifon
d'Affociation , & de faire tourner les
bénéfices de ce Bureau à l'avantage de ceux
qui doivent le former.
M. de Beaufleury divife fon Bureau d'Aſfociation
en quatre claffes , dans chacune
defquelles il fuppofe quinze mille Affociés.
La première , dit- il , à laquelle cet établiffement
eft principalement deftiné , payera
12 liv. par an pour fon droit d'affociation.
Moyennant cette petite rétribution , le Bureau
s'obligera de fournir à chaque Affocié,
dans toutes fes maladies , les fecours qui pourront
lui être néceffaires en Médecins , Chirurgiens
& médicamens ; il lui donnera en
outre vingt fols par jour pendant toute la
durée de la maladie.
La feconde payera 18- liv. par an , & aura
avec les mêmes fecours une livre dix fols
par jour.
La troisième payera 24 liv. par an , &
aura avec les mêmes fecours deux livres par
jour.
La quatrième enfin payera 36 liv . par
an , & aura avec les mêmes fecours trois
liv. par jour.
D'après les principes que M. de Chamouffet
a établis , que M. de Beaufleury a
vérifiés , & que MM. Lorry & Petit ,
fameux Médecins , ont confirmés , il eft
DE FRANCE. . 115
prouvé que fur cent perfonnes il n'y aura
jamais dans le courant d'une année plus de
douze maladies d'un mois , ou vingt - quatre
de quinze jours. Il fuit de là que fur quinze
mille Affociés il y en aura toujours cent
cinquante de malades.
La cotifation des quinze mille Affociés
de la première claffe produira .80 , coo liv.
D'après les calculs de M. de Beaufleury ils
coûtéront au Bureau 102,000 livres ; il
reftera fur la recette 8coo liv. qu'il rend
aux quinze mille Affociés par la voie d'une
loterie compofée de quinze mille billets &
de cinq mille lots.
La cotilation des quinze mille Affociés
de la feconde claffe produira 270 , oco liv.;
ils coûteront au Bureau 129 , cco livres ; il
reftera fur la recette 14,000 liv . qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
voie d'une loterie compofée de quinze mille
billets & cinq mille lots.
La cotisation des quinze mille Affociés de
la troisième claffe produira 360,000 liv .;
ils coûteront au Bureau 156,000 liv.; il
reftera fur la recette 204,000 liv. qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
voie d'une loterie compofée de quinze mille
billets & cinq mille lots.
La cotilation des quinze mille Affociés de
la quatrième claffe produira 540,000 liv.;
ils coûteront au Bureau 211 , cco liv. , & il
reftera fur la recette 329,000 liv. qui feront
diftribuées aux quinze mille Affociés par la
116 MERCURE
voie d'une lorerie compofee de quinze mille
billets & cinq mille lots.
L'on voit qu'il n'y a que trois à parier
contre un qu'on n'aura pas un lot , indépen
damment de ce premier avantage que l'on
ne trouve dans aucune des loteries connues
chaque Affocié en retirera une utilité réelle
pour la tranquillité & fa propre confervation.
Ilferoit à defirer qu'un pareil établiſſement
pût être adopté par tous les Gouvernemens ;
il affureroit au pauvre des fecours plus
affidus & plus abondans dans les hôpitaux ,
parce qu'ils feroient moins nombreux ; il
empêcheroit les ouvriers de s'y faire tranf
porter lorfqu'ils font malades , & les riches
n'oferoient plus y envoyer leurs valets ; il
réfulteroit de là une diminution confidérable
dans la dépenfe des hôpitaux , & un
bien inappréciable pour la Société , parce
que les ouvriers qui ont trop de répugnance
pour ces afyles de la pauvreté indigente , ne
feroient plus expofés à manger dans une ma
ladie toutes leurs économies , & à languir
dans la misère pendant leur convalefcence .
M. de Beaufleury s'occupe dans fon
fecond Mémoire des moyens de diminuer
Je nombre des domeftiques mâles ; il rappelle
un Arrêt que Louis XIII fit rendre le
15 Août 1536 , qui ordonna aux Maîtres de
congédier leurs domefticues inutiles , & de
ne conferver que ceux qui leur feroicnt abfolument
néceffaires , relativement à leur
DE FRANCE. 117
état & condition ; cet Arrêt , dit il , fit renvoyer
environ vingt mille domeftiques.
Louis XIII les fit recruter pour fon armée,
& il en fit des foldats à la décharge des Provinces
, qui auroient été obligées de les fournir
. Louis XIII , par cette fage Ordonnance ,
réprima le luxe , éloigna de Paris vingt mille
fainéans , & laiffa dans les campagnes des
hommes utiles , qui ne devroient jamais en
fortir.
L'Auteur , après avoir démontré le tort
que fait à cet Art la multiplicité des domeftiques
mâles , prouve qu'ils éloignent du
fervice les femmes , qui y feroient plus propres
, n'ayant pas , dit il , comme les hommes,
la refource des Arts & Métiers . Celles
qui ne trouvent pas à fe placer font forcées
de s'abandonner au Ebertinage & à la débauche.
Il parcourt les différens moyens que
l'on a tentés pour diminuer le nombre des
domeftiques mâles , & propofe enfuite ,
pour empêcher qu'ils ne fe multiplient encore
, de défendre aux hommes qui font attachés
à la culture des terres de quitter leur
village avant l'âge de trente ans pour aller
fervir dans les Villes en qualité de domeftiques
; cette défenfe , dit- il , fans porter atteinte
à la liberté des fujers du Roi , préviendroit
feulement l'abus qu'ils en font tous
les jours , & les défordres qui en font la
fuite ; car , d'après le plan de l'Auteur , le
Laboureur qui voudroit quitter ſon métier
pour en prendre un autre jouiroit d'une
118 MERCURE
pleine & entière liberté ; & après avoir fait
fon apprentiffage dans le métier qu'il auroit
choifi , il pourroit , même avant l'âge de
trente ans , devenir domeftique ſi ſon goût
le portoit à la fervitude.
Ce projet rend , comme l'obſerve l'Auteur,
à détruire la mendicité , le plus grand
des fléaux qui puiffe affliger l'humanité ; il
diminuera naturellement le nombre des
domeftiques , & obligera les Particuliers à
prendre des filles à leur fervice ; d'ailleurs
les domestiques , qui fe feront inftruits dans
les Arts & Métiers , y retourneront lorsqu'ils
ne feront plus en état de fervir , parce qu'ils
ne pourront pas le faire mendians fous prétexte
qu'ils ne favent rien faire.
M. de Beaufleury donne dans fon troifième
Mémoire le plan d'une Société prévoyante
pour tous les Clubs qui fe font
formés à Paris depuis quelques années ; la
Société prévoyante formée par quelques
Négocians de la Cité de Londres lui en a
donné l'idée ; mais fon affociation diffère de
la Cotterie Angloife , & par les principes
fur lefquels elle eft fondée , & par les combinaiſons
qu'elle préfente.
Il fuppofe que les Affociés d'une loterie
foient au nombre de deux cent , & qu'ils
fourniffent chacun pendant fix ans soo liv.;
ce capital de 600,000 liv. , dit-il , produira
30,000 liv. de rente fi l'emploi en eft bien
fait.
Les 5000 liv. de la première année feront
DE FRANCE. 119
divifées en trente - quatre lots viagers , qui
feront diftribués au deux cens Affociés par
la voie du fort.
On répétera cette opération la feconde , la
troisième , la quatrième , la cinquième & la
fixième année , en excluant du partage des
lots ceux des Affociés qui en auront eu dans
les années précédentes ; par ce moyen tous
les Affociés le trouveront pourvus d'un lot
à la fin de la fixième année.
Les lots des Affociés qui mourront après
la fixième année feront diftribués à tous les
Affociés furvivans par la voie du fort ; lorfqu'ils
feront réduits à dix , ils pourront diffoudre
la Société ; & fur le capital de
600,000 liv. qui formera le fonds de l'affociation
, chaque Affocié prendra une fomme
proportionnée au nombre & à la quotité
des lots dont il fe trouvera en jouiffance au
moment de la diffolution de la Société.
Ce projet préfente des avantages qui pourront
le faire adopter par quelques fociétés
particulières ; le facrifice d'un capital modique,
affurera une rente viagère à chaque
Affocié , lui donnera l'efpérance d'en avoir
plufieurs ; & s'il vit au moment de la diffolution
de la Société , il fe trouvera propriétaire
d'un capital qui ajoutera à fon
aifance , ou lui procurera celle dont il pourroit
manquer.
Les vûes de M. de Beaufleury méritent
d'être accueillies ; elles font dictées par l'amour
du bien public ; & la manière dont
120 MERCURE
il les préfente fait l'éloge de fon défintérelfement
& de fon zèle.
PENSÉES & Obfervations modefies de M. le
Comte de Barruel- Beauvert , Capitaine de
Dragons. A Amfterdam , & fe trouvent
à Paris , chez Cuffac , rue & carrefour
S. Benoit , vis-à- vis la rue Taranne , 1755 .
Vol. in 2. de 16 pages. Prix , 2 liv .
8 fols , & en papier vélin , 4 liv. 10 fois .
BOILEAU difoit de la Bruyère , qu'en publiant
des pensées détachées , il s'étoit difpenfé
de ce qu'il y avoit de plus difficile
dans l'art d'écrire , il vouloit parler des tranfitions
. Cependant la Bruyère a obfervé une
efpèce d'ordre , puifqu'il a claffé dans des
chapitres diftincts les penfees & les portraits
relatifs à chaque objet . Le Recueil des Penfées
de M. le Comte de Barruel - Beauvert
n'étant pas , à beaucoup près , aufli confidé
rable , il a fans doute imaginé qu'il pouvoit
fe paffer de cette méthode , quoiqu'il préfente
un affez grand nombre de matières différentes
. Mais comme ce n'eft ici que le
modefte effai d'un jeune Militaire qui a déjà
fait fes preuves , & qui ne parcourt qu'en
fe délaffant la pénible carrière des Lettres ,
que d'ailleurs il a l'extrême défavantage d'arriver
après des chef d'oeuvres & des modèles
dans le même genre , il doit fans doute
défarmer les Critiques trop févères . Ceux
qui ne feront que juftes , y trouveront plufieurs
DE FRANCE. 121
fieurs Penfées vraies , exprimées avec précifion
, & quelquefois avec nobleſſe , &
d'autres qui ont un certain air de nouveauté
, foit dans les chofes mêmes , foit dans
la manière de les préfenter. En voici quelques
unes.
ود
« Ordinairement une idée produite par
» le génie eft d'une fi grande fimplicite
qu'elle n'étonne prefque perfonne : elle ne
furprend que ceux qui étoient capables
» de l'avoir eue.
39
ود
" Le Gouvernement devroit obliger l'Aca-
» démie à brûler une fois l'an tous les mau-
» vais Ouvrages qui auroient paru dans la
» précédente année.
Il vaut mieux prendre des confeils de
» fon coeur que de fon efprit ; & fi l'efprit
" nous fait faire des fottifes , c'eft à notre
» coeur à les réparer.
39
"
Celui qui mal-à- propos offenfe fon pareil
, s'avilit & l'élève au - deffus de lui.
» Celui qui offenſe fon inférieur ſe rabaiſſe
» & devient fon égal.
» L'amour eft fait pour tout le monde ,
» mais tout le monde n'eft pas fait pour
» l'amour.
"
Si les hommes changent les abus & les
loix , ce font les abus & les loix qui chan-
" gent à leur tour tous les hommes.
33
» Néceffairement un homme de génie
» s'eftime ce qu'il vaur , mais il ne s'expofe
point à faire rabattre de fon prix. >>
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
وو
F
122 MERCURE
M. le Comte de Barruel rapporte un
mot piquant fur Rouffeau de Genève.
" Mme la Baronne de Bourdic a dit que
» Jean Jacques Rouſſeau eût mis tout le tort
» du côté de fes ennemis , s'il fût mort fans
» confeffion . »
"
"
Il eft bon de citer encore quatre vers affez
plaifans fur les Gafcons , traduits de l'Italien
par l'Auteur.
Avec l'efprit & l'induſtrie
La moitié de l'année en vit,
Et l'on paffe l'autre partie
Avec l'induftric & l'efprit.
Dans les Penfées d'une certaine étendue ,
on remarque quelquefois une difcuffion fage
& lumineufe, Telle eft la 188°. où l'Auteur
apprecie & diftingue affez bien l'admiration
des hommes inftruits pour les belles &
grandes chofes , du goût des hommes ordinaires
pour les chofes médiocres & puériles.
•
M. le Comte de Barruel qui , en général ,
paroît être bon obfervateur & juger fainement,
auroit dû mettre plus de foin à régler
fon imagination & à châtier fon ftyle. Souvent
pour le pénétrer irop fortement de fon
idée , il tombe dans l'exageration , & fe
laiffe aller au- delà du but que la première
réflexion lui avoit préfenté . Quelquefois auffi
il oublie de s'arrêter à propos , il gâte la
vérité ou l'éclat de fa penfée , par le com
DE FRANCE. 123
mentaire qui la fuit. Quelquefois encore il
dit des chofes peu exactes ou communes.
On pourra lui reprocher enfin quelques
tournures obfcures ou embarraffées , quelques
termes équivoques & certaines applications
difficiles à faifir. Ces défauts fe font
aifément remarquer dans les Penfées fuivantes.
"
Il eft auffi difficile à telle perfonne de
fe mettre à la place de telle autre , qu'il
» lui feroit mal - aiſé de déménager ſa penſée
» defa tête.
"
"
» On obſervera que certaines perſonnes
qui ont le ton péremptoire , impofent
quelquefois.
" La mauvaiſe compagnie feroit auffi eftimable
que la bonne , s'il étoit poffible
qu'elle offrit la même délicateffe & les
» mêmes plaiſirs. » Mais alors ce ne feroit
plus la mauvaife compagnie.
"
Dans un autre endroir , l'Auteur parle
d'une prude qui veut infpirer de l'amour &
en reffentir , en confervant l'apparence d'une
extrême froideur. « Senfation mêlée , dit- il ,
» & femblable à celle que produit fur la
» main un morceau de glace , même après
qu'il a ceffé d'exifter. "
» Les hommes ne méritent jamais que par
» les qualités du coeur , & ce n'eft que par
lui que on vaut quelque chofe . » Cette
maxime n'eft pas exacte ; car on vaut auffi
30
Fij
124 MERCURE
par les qualités de l'efprit , par la fagcffe , les
talens , &c.
Un homme qui doute de faire pour fa
» maîtreffe tout ce que les Romans offrent
» de plus extraordinaire , ne l'aime point
» avec volupté. » Au lieu de doute il faudroit
héfite , fi l'on eft curieux du mot propre
; & au lieu de ne l'aime point avec vo- ,
lupté , peut- être l'Auteur a t'il voulu dire ,
ne l'aime pas véritablement. Quoi qu'il en
foit , il nous femble qu'on peut aimer fa
maîtreffe véritablement ou avec volupté , fans
faire cependant pour elle les extravagances
de Dom Quichotte.
Malgré ces taches , & quelques autres que
nous invitons l'Auteur à faire difparoître
dans une feconde Édition , ce Livre nous a
paru eftimable ; il annonce dans M. le Comte
de Barruel des connoiffances variées , de l'efprit
& du goût ; & il prouve que ce jeune
Écrivain pourra mériter , comme Profateur
, les fuccès qu'il a déjà obtenus comme
Poëte.
DE FRANCE.
125.
VARIÉTÉ S.
DES PROCESSIONS.
L'ORIGINE ' ORIGINE des Proceffions remonte au commencernent
du paganifme. A Lacédémone , dans un
jour confacré à Diane , on faifoit une Proceffion
folemnelle. Virgile fait mention dans fes Géorgiques
de la Proceffion ufitée toutes les années en l'honneur
de Cérès :
Cuneta tibi Cererem pubis agrefiis adoret ,
Terque novas circum felix eat hoftia fruges ,
Omnis quam chorus , & focii comitantur ovantes .
Ovide ajoute que ceux qui y affiftoient étoient
vêtus de blanc , & portoient des flambeaux allumés.
Il fut un temps où les hommes , privés des feccurs
de l'Imprimerie , ne connurent que les jeux & les
fpectacles publics pour tranfmettre à la postérité le
fouvenir des grands événemens. La Religion ne
dédaignoit pas de fe mêler à ces folemnités ; les
facrifices , les proceffions même précédoient ou fuivoient
prefque toujours les exercices publics en ces
fortes d'occafions. C'eft ainfi que les fêtes de la
Grèce ou de l'Aufonie étoient prefque toutes célé
brées en mémoire des Héros ou de quelque époque
intéreffante pour les Nations.
Ce ne fut que vers le temps de Saint Ambroise
* Lettre tirée des Soirées Provençales , Ouvrage
qui doit paroître inceffamment , à Paris , chez Nyon ,
Libraire , rue du Jardinet , 3 vol . in- 12 .
Fij
126 MERCURE
que ces pratiques du paganifme commencèrent à
paffer dans la Religion Chrétienne .
D'abord le Peuple des grandes villes , telles que
Rome , Alexandrie & Bylance , fuivoit le Paſteur
principal lorfqu'il alloit en ftation dans quelque
Eglife particulière , & voilà vraisemblablement les
premières de toutes les Proceffions . Enſuite , lorſque
des calamités publiques défolèrent la terre , les hom
mes , toujours plus religieux lorfqu'ils font malheureux
& fouffrans , fe raffemblèrent à la voix des
faints Evêques ; & comme fi le fpectacle de leurs
misères réunies étoit plus capable de fléchir la colère
du Ciel, ils traversèrent les campagnes en verfant
des larmes & des prières fur ces récoltes frappées de
malédiction . C'eft ainfi que Saint Mamert , Évêque
de Vienne , inftitua les Rogations en 469. Les autres
Proceffions établies depuis ces anciens teinps ,
ont confervé dans nos Villes l'empreinte du fiècle
qui les vit naître. Les unes font votives ( comme
celle du Vou de Louis XIII ) , les autres militaires
( celle de la Pucelle à Orléans le 8 Mai ) ; enfin
quelques- unes chevalerefques ( comme à Aix ) , mê-
Tangent avec trop de bizarrerie & d'indécence la
repréfentation de nos Myftères avec les extravagances
mythologiques '; mais une Proceffion majeftueufe
eft celle dont j'ai vû moi même le touchant
appareil en 1758 ou 59 à Marſeille .
Vous connoiffez , au moins de réputation , l'ordre
utile & par conféquent refpectable que fonda vers
l'an 1200 , Pierre Nolafque ( Languedocien ) , ami
de Simon de Montfort & de Jacques , Roi d'Arra .
gon ; vous favez que cette fociété , d'abord religieufe
& militaire , fut deſtinée à briſer les fers des
Chrétiens prifonniers chez les Mufulmans . A peuprès
dans le même temps , Jean de Matha ( Provençal
) établit avec Félix de Valois , l'ordre de la Trinité,
aufli pour la rédemption des captifs , connue à
DE FRANCE. 127
Paris dès le douzième fiècle fous le nom des Mathurins
. Eh bien ! ce font ces bons Religieux qui
donnent de temps en temps à la Provence le con
folant ſpectacle dont je vais vous entretenir.
Ces Moines- Citoyens confacrent le tiers de leurs
revenus à l'oeuvre pour laquelle ils exiftent ; ils font
les dépofitaires des abondantes aumônes que leur
confient ces hommes qui , étendant au loin leur fen
fibilité , compatiffent aux maux qu'éprouvent leurs
frères en Afrique & en Afie. Lorsque ces fommes
font affez confidérables pour tenter le rachat d'un
certain nombre de prifonniers , ces vénérables Pères
quittent leur patrie , traverfent les mers , & fe répandent
courageufement dans tous les Divans de la
Barbarie pour obtenir la liberté des efclaves . Au
bout de quelques mois , & après des périls de toute
efpèce , ils reviennent à Marſeille ou à Toulon ,
mais plus ordinairement dans la première de ces
Villes , & leur débarquement eft un vrai triomphe,
Ils précèdent , en conquérans adorés , ces malheu
reufes victimes arrachées par la charité chrétienne
aux plus impitoyables des maîtres : & nos Citoyens
attendris font alors les témoins de la plus augufte
des Proceffions. La croix , les bannières , les drapeaux
, les fifres , les timbales précèdent ce cortège ,
& l'annoncent avec pompe & fracas. Suivent les
pauvres Captifs , deux à deux , en cafaque rouge ou
brune , & portant encore les fers de l'esclavage. Ils
étalent , en implorant la pitié publique , les cruelles
mutilations que les Turcs leur font effuyer pour
moindres fautes . Les uns ont les joues marquées
d'un fer chaud , les autres font déchirés d'incifions
profondes fur la tête & les bras ; ceux là font tailladés
en lofanges ou dégarnis d'oreilles ; ceux - ci
n'ont plus de langue , & ouvrant la bouche , ne profèrent
que des foas inarticulés ; prefque tous font
les
Fiv
128
MERCURE
chauves , & noircis comme des charbons , par l'ardeur
du foleil vertical d'Afrique , & confumés , defféchés
par les travaux les plus durs de l'agriculture .
Tous verfent , à la vérité , des larmes de joie , en
revoyant les murs de leur chère patrie ; mais , hélas !
ceux qui ont vieilli dans les chaînes , fe trouvent
étrangers dans fon fein , & , pour ainsi dire , méconnus
de leur mère. Semblables à des hommes d'un
autre fiècle ou d'un autre hémisphère , que devenir ,
que faire dans l'âge des befoins & de l'abandon des
forces .... Ceffons de les plaindre ; la charité des
PP. de la Merci veille fur eux , & protège leur exiftence
. Ils accompagnent par- tout cette déplorable
famille , l'afpect de tant de misères émeut tous les
cours ; on profite des courts momens où la pitié fe
marifefte ; & avant que ces précieufes larmes , qui
coulent , foient féchées , on demande , on follicite ,
on arrache des largeffes qui , préparant des reffources
aux infirmes & aux vieillards , les fauvent du
défefpoir , & leur font donner mille bénédictions à
leurs rédempteurs.
Je n'ai pas befoin de vous dire qu'au moment où
cette Proceffion fi tragique fe forme au milieu du
cours , la foule eft innombrable ; les fenêtres de
toutes les belles maiſons élevées & fymétriſées par
le Pujet , offrent le coup- d'oeil le plus curieux , le
plus étonnant. L'humanité , la générofité , toutes les
vertus qui ennobliffent l'homme , brillent fur tous
les fronts ; & la moitié des fpectateurs n'y pouvant
tenir , fe livre tout franchement au plaifir fi doux
de verfer des larmes d'attendriffement fans autre embarras
que de les effuyer.
J'aime trop ma patrie pour vous décrire ici l'étrange
Proceffion qui attire à Aix tant de badauts aux
approches de la Fête- Dieu. Si l'on veut en connoître
à fond les détails & les myftères , en peut confulter
DE FRANCE 129
le favant Ouvrage de M. Grégoire . Ces piroyables
folies infultent à la Province , ou plutôt à la ville
qui les tolère . *
Mais afin que vous n'y perdiez pas , je vais vous
retracer un autre fpectacle que le même jour de la
Fête- Dieu ramène tous les ans , fur les quais de nos
ports , & dont l'appareil fatisfera tout autrement
* Cependant , fi quelqu'un de mes Lecteurs defiroit
en avoir une idée , il eft jufte de lui en tracer à
peu-près la marche .
Un Roi vêtu d'une longue robe blanche , & la
couronne fur la tête , paroît le premier , entouré
d'une douzaine de diables qui le harcellent avec de
longues fourches ; & après s'être bien débattu , il
finit fon jeu par un grand faut. Parmi ces diables on
diftingue la diableffe à fon habillement & à fa
coëffure . Tous les diables de leur cortège font hériffés
de cornes hideufes. Ils portent des bandoulières
chargées de grelots & de fonnettes , qui fe croiſent
fur la poitrine . On peut s'imaginer quel tintamarre
ils fout quand ils danfent ! Tous ces diables vont entendre
la meffe à S. Sauveur ; ils entrent dans l'églife ,
Aune letière à la main , & après cela ils jettent de l'eau
bénite deffus , en faifant le figne de la croix , pour
empêcher que quelque vrai diable ne fe mêle à
leur troupe , & qu'à la fin il ne s'en trouve un de
plus forti des enfers , comme cela eft arrivé , difentils,
il y a long-temps ...... Tout cela eft terminé par
un trait qui eft , felon eux , la moralité de la Pièce ;
c'eft S. Chriftophe qui porte le Sauveur du monde ,
pour nous avertir que nous devons le porter dans
le coeur.... Il y a de plus , de fort jolis ballets de
Teigneux , de Décroteurs , de Tiraffouns , de Rafcaffettes.
Le jeu de ces poliffons confifte à danfer
autour d'un Confrère , à lui peigner fa fale perruque ,
à le broffer , & à l'agiter avec des cifeaux ; & tour
cela chez un peuple , & dans un fiècle qui connoît
Athalie & Cinna ! (Papon. )
Fv
130 MERCURE
votre imagination. C'eft cependant un malheur attaché
aux defcriptions écrites de ne pouvoir frapper
que fucceffivement , lors même que vous avez à
produire un effet par la feule majeſté d'un grand enfemble
; de forte qu'après avoir été transporté d'admiration
, vous êtes étonné de la froideur d'un
narré où les faits n'arrivent plus qu'un à un fans fe
groupper comine vous les voyez fans moyens ,
ou même comme ils fe peignent dans votre tête.
Effayons toutefois , puifque je l'ai promis ; c'eft une
affaire d'honneur.
Dès le matin tous les navires qui font dans le
port arborent leurs flammes & leurs pavillons ; les
quais font balayés , arrofés & femés de fleurs ; les
Marins ont pris leur habit de fête , leur gilet de
coutil bleu & leur bonnet rouge de Tunis ; ils ne
travaillent pas , ils fe repofent , ils fument. Voici
à peu près la marche & l'ordonnance de la Proceffion
. Toutes les Confréries rangées fous leur
bannière , marchent au bruit des tambourins & des
galoubets. Celle des Jardiniers eft fur- tout remarquable
par les phénomènes potagers que chaque
membre tâche de faire éclore pour décorer fon
cierge. Ce font des fleurs rares , des artichauts
monstrueux , des poires précoces. , des nids d'oifeaux
, & c. &c.
Plufieurs centaines de jeunes filles vêtues de blanc ,
parées de fleurs , ceintes de rubans frais , défilent
deux à deux en chantant des pfeaumes , & reflem- .
blent de loin à de beaux lis parmi les arbustes
fleuris d'un parterre. La fymétrie leur prête un nouvel
éclat,
Viennent cent grouppes de petits enfans habillés
en Abbés , en Anges , en Bergers , conduifant des
agneaux ; la plupart repréfentent les diverfes hiftoires
du vieux Teftament. Les Acteurs font précédés
& ſuivis d'une légion de lévites vêtus d'aubes
DE FRANCE.
izr
blanches , & tout chamarrés de rubans , lefquels
portent des corbeilles de Aeurs & en font voler des
nuages.
Les Corps Religieux de tous les Ordres , les bras
croifés , fuivent à pas lents de longues files de péni
tens de toutes couleurs . Oh ! ceci a l'air d'une vraie
mafcarade , plus hideufe encore que ridicule.
Ces étendards qui flottent déployés , ces brillantes
oriflammes , ces guidons , ces pannonceaux , ces
riches bannières brodées en or , peintes fouvent par
de grands maîtres , meublent le port d'une façon
très - pittorefque , & femblent le difputer d'éclat &
de magnificence aux mille pavillons qu'étalent les
navires. Tels parurent fans doute nos bords fameux
lorfque la folie des croifades , paffant de la tête
échauffée d'un hermite dans le coeur ambitieux d'un
Pontife , les François couroient en foule à Marseille,
& s'embarquoient follement pour aller conquérir
des contrées dont la poffeffion étoit fi indifférente à
la vraie gloire du chriftianifme.
Une élite des bouchers de Marſeille affifte à cette
éternelle Proceffion , conduifant un gros boeuf couronné
de guirlandes , & couvert d'un tapis fur lequel
eft affis un petit enfant de cinq à fix ans ; il a pour
tout habit use peau de mouton , & tient une banderolle
de la main gauche. C'eft , dit- on , une repré
fen:ation de S. Jean Baptifte. *
* Quand il régnoit à Marseille quelque maladie
contagieufe , on rourriffoit fort délicatement , aux
dépens du Public , un pauvre qui fe dévouoit volontairement
à la mort , pour appaifer la colère des
Dieux ; enfuite on le conduifoit dans les rues , orné
de feftons & de bandelettes , comme une victime ;
& chacun le chargeoit de malédictions en paffant,
pour faire tomber fur lui feul la vengeance céleste :
c'eft au milieu de ces cris effrayans qu'il alloit à la
Fj
132 MERCURE
Enfin le Clergé paroît , les encenfoirs partent en
mefure , des nuages d'enceps s'élèvent en tourbil .
lonnant dans les airs parfumés , tous les clochers
carrillonnent , les bourdons fonnent en volée , & le
canon fert d'intermède aux chants religieux de cette
innombrable multitude.
Mais c'eft fur- tout lorfque la Proceffion entière
fe déploie fur le port , c'eft lorsqu'on voit fur tous
les tillacs les Matelots à genoux , tête nue , courbés ,
les mains jointes ou tendues vers le dais qui marche
& s'avance majestueulement , porté entre le Corps
de Ville & les Miniftres des Autels ; c'eft lorfque la
foule qui remplit les quais en longs effaims , frappée
par cet ordre impofant , faifant trêve à la pétulance
naturelle , fe recueille . , s'agenouille , & ofe contempler
d'un oeil refpectueux la fuperbe ordonnance
de ce cortège ; c'eft enfin lorfque le Pange , entonné
au repofoir , eft lentement chanté par le peuple , &
répété au loin fur les vaiffeaux par les équipages' ,
c'est alors que ce beau & grand fpectacle , prenant de
l'unité , infpire , je ne fais quelle religieufe horreur ,
imprime à l'âme un refpect profond , & porte daws
Yes veines le frémiffement que fait éprouver l'appro
che de la Divinité.
Plus d'une fois , même dans ma première jeuneffe
, j'ai fenti couler de mes yeux des larmes involontaires
à la vûe de ce tableau , dont le fujet & les
acceffoires flattoient mes fens , s'emparoient de mon
mort. Je croirois volontiers qu'il faut rapporter à
ce fait l'ufage où l'on eft depuis très -long- temps ,
d'engraiffer un bouf & de le faire promener dans
la ville quelques jours auparavant la Fête-Dieu , &
le jour même de la Fête , au fon des fifres & des
tambours , couronné de fleurs , couvert d'un tapis ,
& portant fur le dos un enfant de fept à huit ans.
Hift. Gén . de Provence , Tome 1 , Liv. 1, p. 509.)
DE FRANCE. 133
coeur , & me commandoient l'admiration . Mon efprit
étoit atterré de ce recueillement général, qui ,
tenant abaiffés tous les fronts , lorfque les doches
& les bouches à feu difcontinuoient leurs falves
bruyantes , ne laiffoit plus régner autour de nous
qu'un vafte filence. Après le Salut que le célébrant
donne au peuple profterné , un vive le Roi général
perce les nues , & ce cri du patriotifme & de l'amour
vient à propos mêter une fenfation délicieuſe à la
grave impreffion du premier moment.
C'eft ainfi que le culte en Provence parle encore
à l'imagination la plus dominante de nos facultés.
Faut- il s'étonner que les cecurs y foient plus vivement
religieux , & que nous y ayons vû naître les
plus grands Orateurs facrés!
( Par M. Bérenger. )
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Vendredi 30 Septembre , on a repréfenté
, pour la première fois , l'Hôtellerie ,
ou le Faux Ami , Comédie en cinq Actes
& en vers , imitée de l'Allemand.
Clarice , fille du Comte de Werling , a
époufé , fans le confentement de fon père ,
le fils d'un homme difgracié ; les deux époux
vivent dans la plus affreuſe détreffe , fous
les noms fuppofés de M. & de Mme Dormin .
Un Baron de Thoreck , qui a aimé Clarice ,
& qui efpéroit de l'époufer , fe propoſe de
134
MERCURE
combler l'infortune de Dormin . Vil impofteur
, il cherche à rendre fufpecies à la femme
les moeurs de l'époux ; fauffaite exécrable
, il intercepte les lettres par lefquelles
celui ci cherche à capter la bienveillance
du Comte de Werling , & en
fubftitue d'autres remplies d'atrocités &
d'injures; enfin il ajoute à cette infâme conduite
l'horreur de feindre pour le mari de
Clarice , l'amitié la plus vive. Le Comte
d'Olborn ( c'eft le père de Dormin ) reparoît
; fes biens , fa faveur , fon crédit vont
lui être rendus . Le hafard raffemble les deux
pères & les deux enfans dans la même hôtellerie.
Ce rapprochement amène des reconnoiffances
entre les Maîtres & les Valets ,
opère des allées , des venues , & donne aux
perfonnages un mouvement qu'on voudroit
trouver dans l'action . Le Baron de Thoreck
a mis dans la confidence de fes indignes
projets le Maître de l'hôtellerie où demeure
Dormin; la crainte du châtiment engage ce
miférable à le trahir : les deux jeunes gens
reçoivent du Comte de Werling le pardon
qu'ils ont trop long - tems defiré , & Thoreck
eft ignominieufement chaffé.
La repréſentation de cette Comédie a été
fi bruyante & fi tumultueule , qu'il étoit
très- difficile de fuivre le fil de l'intrigue ,
& qu'il auroit été impoffible d'en rendre
compre fi l'Ouvrage n'avoit pas été connu
d'avance. Le Faux Ami n'eft qu'une imitation
prefqu'exacte , en vers durs ou foibles ,
DE FRANCE. 135
de l'Hôtel Garni , Comédie de J. C. Brandes ,
qui le trouve au commencement du fixième
volume du Theâtre Allemand , traduit par
M. Friédel , & imprimé en 1783. On y remarque
des Scènes & des fituations intéreffantes
; mais l'Auteur François les a traitées
avec beaucoup trop de négligence. Il mérite
encore le double reproche d'avoir fouvent
fuivi fon modèle en eſclave , & de s'en être
quelquefois écarté quand il auroit dû fe fervir
de fes idées. Prouvons . 1 ° . Le Baron de
Thoreck eft , dans la Pièce Allemande , un
fcélérat obfcur , qui trame darts la baffeffe
les projets qu'il deftine à confommer la
perte de Dormin. Il falloit relever ce caractère
, lui arracher une partie de ce qu'il offre
de trop odieux , & lui donner une phyfionomie
faite pour le rendre théâtral . On
fouffre à la Scène , on y examine même
avec cette espèce d'intérêt qui naît de la
curiofité , un criminel adroit , fouple , énergique
, délié dans fes reffources ; mais celui
qui eft bas , lâche & vil ne produit que le
mépris & le dégoût . 2 ° . Dans la Pièce Françoife
, le Maître de l'hôtellerie , tourmenté
par la crainte , inftruit le Comte de Werling
des deffeins du Baron ; enfuite le Comte fe
cache dans un cabinet pour être témoin des
aveux que l'Hôtellier arrache à Thoreck.
Ce moyen ufé , commun , reba: tu , n'eft
point dans la Comédie de M. Brandes : voici
celui qu'on y trouve . Le Comte , éclairé par
ce qu'il vient d'apprendre , effaye de furpren
116 MERCURE
dre au Baron même la confeffion de fes
perfides complots . Il s'explique fur le compte
de Dormin avec l'apparence du plus grand
mépris ; plaint fa fille de s'être liée pour
jamais à un miferable qui la délaiſſe ;
femble laiffer entrevoir que fon mariage
peut être rompu ; avance qu'il n'eft pas
éloigné de croire qu'elle a de l'inclination
pour le Baron , que celui- ci en a pour
elle. Il parle de projets qu'il avoit eu ,
qu'il pourroit avoir encore , qui feroient
le bonheur de fa vie. Les lettres qu'il a
reçues avec la fignature de Dormin , il les
foupçonne d'avoir été fuppofées , il defireroir
que cela fût , que le Baron , égaré par
l'amour , en eût été l'Auteur ; il efpéreroit
de voir fa fille aimée , heureuſe & bien établie.
Ces faux aveux , tantôt faits à moitié , tantôt
très- nettement articulés , mettent Thoreck à
la torture ; avouera - t'il , n'avouera - t'il point ?
Il balance ; mais le Comte parle avec tant de
candeur , que le Baron fe décide enfin , & fe
démafque lui- même. Cette Scène n'eft pas auffi
bien faite qu'elle pourroit l'être : on y voudroit
plus d'adreffe ; mais fon intention eft
piquante , & le motif , habilement mis en
oeuvre , feroit très -dramatique. * Nous nous
*L'idée première de cette Scène paroît être imitée
du Théâtre François : nous avons en effet quelques
fituations connues qui ont de l'analogie avec elle ;
mais le motif en eft neuf ; l'intention en eft forte ,
attachante ; le réſultat intéreffant ; le fuccès difficile
& inquiétant. Imiter ainfi , c'est être créateur.
DE FRANCE. 137
tairons fur d'autres objets , parce que le Public
a fait très-giment juftice de l'Ouvrage ,
qui vraisemblablement ne reparoîtra plus .
Les imitations des productions comiques
ou tragiques du Théâtre Allemand , ne font
pas heureufes fur notre Scène. Depuis cinq
ans on en a repréfenté fept ou huit ; elles
ont eu toutes , du plus au moins , un fort
très funefte . Malgré les plaifanterics amères
que feu M. Lefling s'eft permifes fur le
Theatre François , il eft certain qu'il tient le
premier rang entre tous les Théâtres anciens
& modernes , & que la Scène Allemande eft
encore extrêmement jeune , fi elle eſt ſortie
de fa longue enfance. Pourquoi donc mettre
à contribution des Écrivains qui ne font riches
que des incurfions qu'ils ont faites &
qu'ils font journellement fur nos propriétés ?
La feule imitation du Théâtre Germanique
qui ait eu un fuccès conftant & mérité
, eft celle de Minna de Barnhelm , que
M. Rochon de Chabannes a fait repréfenter
en 1774 , fous le titre des Amans Généreux.
Cet Ecrivain eftimable a fu fe rendre propres
l'intrigue , la marche , les caractères de
la Comédie Allemande , l'imitateur s'eft
placé au deffus de fon modèle ; & voilà
comme , en s'enrichiffant du fonds d'autrui ,
on peut acquérir des fuccès & une réputation
diftinguée.
138 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
ON
N prévient MM. les Soufcripteurs de l'Encyclopédie
, par ordre de Matières , qu'on leur délivrera
Lundi prochain , dix - fept du courant , la Quinzième
Livraison de cet Ouvrage , compofée du Tome
deuxième des Finances , du Tome deuxième , première
Partie des Mathématiques , & du Tome pre
mier , deuxième Partie de l'Economie Politique &
Diplomatique.
Le prix de cette quinzième Livraiſon eft de
23 liv. 1 fols broch. , & de 22 liv. en feuilles.
BIBLIOTHÈQUE des meilleurs Poëtes Italiens en
trente -fix Volumes in - 8 . , propofée par foufcription
par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur du
Roi à Orléans , & Éditeur de cette Collection .
M. Couret de Villeneuve nous prie de communi-
1:05 Lecteurs l'Avertiffement à fuivant concerquer
nant cette importante Collection .
Avertiffement fervant de Préface à l'Édition de
Orlando Furiofo , 3 Volumes in - 8 °. , dont le
premier fe délivre actuellement chez l'Éditeur &
aux Ad effes indiquées. Prix , a liv. 10 fols le
Volume pour les Soufcripteurs .
Nous mettrons dans l'avcu de nos fuccès la même
franchife que dans celui de nos fautes La correction
de l'Oriando Furiofo , dont nous délivrons le
premier Volume , eft bien fupérieure , même à celle
des derniers Chants du Ricciardetto . Nous espérons
& nous pometions sûrement , pour l'avenir, unc
exactitude plus grande encore s'il eft poffible .
DE FRANCE;
139
nos
Il eft inutile de répéter ce que nous avons dit
dans nos premiers Profpectus. Ces entretiens publics,
& toujours les mêmes , deviennent à la fin très- faftidieux.
Cependant nous devons rendre compte à
Soufcripteurs de nos opérations , afin de les trauquiliifer
fur leurs fuites. Heureufement ils nous ont
fait l'honneur de compter davantage fur nos promeſſes
que fur nos effais , pour lefquels nous fommes
réduits à la modeftie du filence . Si nous nous permettons
de le rompre , en revenant fur le paffé ,
c'eft pour éviter qu'on ne nous taxe d'ingratitude.
Nous avons reçu un grand nombre de Lettres.
Quelques- unes contiennent des obfervations juftes ;
toutes font écrites avec une décence qui fait honneur
à leurs Auteurs. Nous les remercions très fincèrement
de cette honnêteté ; quant aux notes , la
preuve la moins équivoque de notre reconnoiffance,
c'eft de leur annoncer que nous nous y conformerons
& que nous adopterons leurs principes lorsqu'ils
feront d'accord avec ceux des favans Grammairiens
de l'Italie.
Il eft un autre objet fur lequel plufieurs de nos
Correfpondans le font expliqués : c'eft fur les Ouvrages
que nous nous propofions d'imprimer. On
nous a fait remarquer que quelques uns d'entre-eux ,
tel
que l'Adone , n'étoient recommandables que par
quelques détails de peu d'importance , tandis que la
décence , le bon goût des Lettres Italiennes les condamnoient
à plufieurs autres égards ; cette remarque
eft jufte. Nous en profiterons pour fubftituer aux
Poéfies qui nous ont paru déplaire , celles qui flatteront
le plus généralement , telles que les Chefd'oeuvres
tragiques du Théâtre Italien , les beaux
Sonnets du Zappi , quelques Oles du Tefti , les touchantes
Élégies de Sannazar , la Salmacis du Preti ,
&c Nous tâcherons de mettre autant de goût dans
le choix de ces différentes Pièces oque d'exactitude
40
MERCURE
dans leur impreffion . Les Amateurs de la Littérature
Italienne qui ont fouferit à notre Ouvrage , doivent
être raffurés fur l'exécution de cette Entreprife ; le
nombre des foufcriptions que l'Editeur a reçues le
met à couvert de fes avances .
Ce mot exactitude nous rappelle douloureufement
les deux premiers Volumes de notre Bibliothèque
Italienne , dont nous ne pouvons nous diffimuler
l'informe exécution. Nous avons pris quelques
mefures pour réparer , autant qu'il eft en nous ,
le tort qu'ils auroient pu nous faire dans l'efprit du
Public . L'une eft de réimprimer la Lettre du Fortiguerra
, qui fert de Préface à fon Poëme , & de
donner des cartons pour les feuilles où les fautes
font les plus groffières ; l'autre eft de reculer le
terme de nos foufcriptions , afin que l'Edition de
FOrlando Furiofo diffipe les foupçons , & nous concilie
cette confiance publique que nous avons toujours
été jaloux de mériter. COURET DE VILLENEUVE .
On foufcrit à Paris , pour la Collection entière ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ,
quartier Saint André - des- Arcs ; chez Cuchet ,
Libraire , rue & hôtel Serpente , ainfi que chez les
principaux Libraires des autres Villes du Royaume.
Les Perfonnes qui voudront s'adreffer directement
à Couret de Villeneuve , Imprimeur du Roi à
Orléans , remettront au Bureau de la Pofte , pour
les fix premiers Volumes , la fomme de 15 livres ,
fans affranchir le port de la lettre & de l'argent ; &
il leur fera expédié , auffi franc de port , les trois
premiers Volumes , qui font le Ricciardetto , 2 Vol.
in- 8 °. , & le premier Volume de l'Orlando Furiofo .
Les autres Volumes fe fuccéderont fans interruption
de mois en mois.
LES Métamorphofes d'Ovide en vers François ,
Livres I, II, III , avec un Difcours Préliminaire ,
DE FRANCE. 141
des Notes de Littérature & de gout , & des Pièces de
vers & de profe relatives à l'Ouvrage , par M. de
Saint- Ange ; nouvelle Édition in 8 ° . de 300 pages.
Prix , 3 liv. A Paris , chez Valleyre l'aîné , rue de la
Vieille Bouclerie ; la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ;
Jombert , rue Dauphine ; Petit , quai de Gêvres ;
Bailly , Barrière des Sergens.
Cette nouvelle Édition fans latin diffère beaucoup
de la première , c'eft en quelque forte un autre
Ouvrage. L'Auteur a ſuivi à la rigueur le précepte
de Deſpréaux.
Soyez-vous à vous- même un févère Critique .
Pour donner une juſte idée du nouveau travail de
M. de Saint- Ange , nous citerons le commencement
de l'Ouvrage , comparé à la première Édition . On
ne nous foupçonnera d'aucune affectation dans ce
choix . On laiſſe en blanc les vers qui ſe reſſemblent,
Première Edition.
Avant le monde , avant l'air , la terre & les mers ,
Et le ciel dont la voûte embraſſe l'Univers ,
La Nature n'offroit qu'un afpect uniforme ,
N'étoit qu'un tout confus , où rien n'avoit ſa forme.
On l'appela chaos : mêlange ténébreux ,
D'élémens ennemis mal accordés entre- eux ;
Impuiſſante matière , où de chaque fubftance
Dormoit fans mouvement la ftérile femence,
Le foleilfur un monde obſcur , inanimé ,
N'épanchoit point les feux de fon orbe enflammé ,
Et de l'aftre des nuits la lumière inégale
Qui croit , & tour-à- tour décroit par intervalle ,
Dansfon cours incertain ne régloit point les mois
Le globe dans les airs , &c. • ·
;
142 MERCURE
Et dans un vague amas de contrariétés
Flottoient les élémens l'un par l'autre heurtés.
En rendant compte du premier Livre , un Homme
de Lettres d'un goût févère avoit cité ces vers comme
très-louables: En effet , il étoit bien difficile de broder
de la Poéfie Françoife fur des idées qui paroiffent
uniquement du reffort de la Phyſique ; c'eſt
déjà beaucoup quand une Traduction en vers le fait
lire de fuite avec plaifir , fans égard au texte . Mais
M. de Saint- Ange n'a pas cru que ce fût affez , il
veut qu'une Traduction ſoit exacte & fidelle qu'elle
ne foit point une paraphraſe , ( défaut dans lequel il
éroit tombé quelquefois par l'envie de tout rendre )
enfin qu'elle n'affoibliffe ni ne détourne le fens de
l'original. Voici fa nouvelle manière .
Avant la mer , la terre & les cieux , & les airs ,
Dont la voûte azurée embraffe l'Univers ,
La Nature n'offroit qu'un afpe&t uniforme ,
Une maffe indigefte , où rien n'avoit fa forme :
On l'appela chaos ; affemblage confus
D'élémens dans le vuide au hafard répandus ,
L'aftre dont la chaleur donne la vie au monde ,
N'épanchoit point les feux de fà clarté féconde,
Le croiffant de Phébé ne régloj t point les mois,
La terre qui dans l'air ſe ſoutient par fon poids .
Ne nagcoit point encor dans le fein de l'eſpace;
Et le vieux océan qui preffe ſa ſurface ,
N'allongeoit point fes bras autour d'elle étendus.
L'air , la terre & la mer enfemble confondus ,
Raffembloient en défordre & le plein & le vuide ,
Le froid avec le chaud , le fec avec l'humide ,
Les atômes pefans , les arômes légers ,
L'un de l'aurre ennemis , l'un àl'autre érrangers.
La juftice nous force de dire que ces vers , calqués
DE FRANCE. 43
fur le latin , font fimples avec élégance , périodiques
fans emphale , & que l'harmonie ajoute à l'effet des
images. Le Difcours Préliminaire eft augmenté de
plus de moitié , enfin il y a dans les Notes des changemens
& des additions confidérables.
NOUVEAU Choix des Cauſes célèbres , 15 Vol.
in- 12 par foufcription . Prix , 45 liv. reliés , &
37 liv. 10 fols brochés.
La foufcription de cet intéreffant Ouvrage eft
toujours ouverte chez Moutard , Imprimeur-Libraire
de la Reine , rue des Mathurins , hôtel de
Cluny. En payant la foufcription en entier , on
reçoit les Volumes à mesure qu'ils paroiffent. Le
Tome fixième est délivré ; il en paroîtra un de mois
en mois.
PONTS & Chauffées. Un Modèle de Pont de
fer d'une feule arche de 400 pieds d'ouverture , fur
40 de large , par Dom Pradine , Religieux de l'Ab
baye de Froidmont , Ordre de Cîteaux.
Ce Pont a 34 pieds depuis la ligne horizontale
fervant de corde à l'arc dont il eft formé juſques
fous l'intrados de la clef. L'Auteur inftruira les perfonnes
intéreffées des détails relatifs aux différentes
parties dont ce Pont eft compofé , de la manière
dont il s'oppofe aux différens efforts qui tendroient
à en altérer ia folidité , ainfi que des différens avansages
qu'on pourroit efpérer de ce nouveau genre
de conftruction. Les différens vouloirs étant à jour,
laiffent par tout un libre paffage aux eaux , quelque
hautes qu'elles puiffent être. Selon le devis cette
conftruction monte tout au plus à deux millions
cent foixante- dix mille livres .
Un autre Modèle d'un Pont de charpente conftruit
à - peu - près fur les mêmes principes , dont
144
MERCURE
le diamètre de l'ouverture peut aller jufqu'à 430
pieds.
NUMEROS 45 , 46 , 47 , 48 & 49 des Feuilles de
Terpfychorepour le Clavecin &pour la Harpe. Il paroît
une Feuille pour chaque Inftrument tous les Lundis.
Prix , 1 liv . 4 fols . A Paris , chez Coufineau , père
& fils , Luthiers de la Reine , rue des Poulies.
RECUEIL de Romances & d'Ariettes , Accompagnement
de Clavecin , par Mlle Bazin , Élève de M.
Darondeau , paroles de M. le Chevalier de Florian ,
OEuvre I. Prix , 6 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
de Richelieu , n ° . 5 , & chez Leduc , au Magafin de
Mufique & d'Inftrumens , rue du Roule , no. 6.
A
TABLE.
une très-jolie Femme , 971
Epigramme,
& gros Bourgs du Royaus
98 me , 112
Réponses à la Queſtion , 98 Penfers & Obfervations mo-
Anecdote Hiftorique , 101 defte de M. le Comte de
Charade, Enigme & Logogry Barruel- Beauvert ,
110 Des Proceffions ,
phe ,
Supplément aux Projets de Comédie Françoife ,
Bienfaifance & de Patrio- Annonces & Notices ,
tifme pour toutes les Villes
J'AI lu
APPROBATIO N.
120
125
133
138
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 15 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 14 Octobre 1785. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 OCTOBRE 1785,
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE,
STANCES à M. DE P118.
SENSIBLE au feu qui te dévore ,
L'Amour t'a ren u ton hautboise
Grâce à lui , nous aurons encore
Le plaifir d'entendre ta voix.
Nous reverrons vaudeville
Joyeux & tendre tour- à- tour ,
Non content de charmer la ville ,
Courir en chantant à la Cour.
MAIS crains le fiel de la fatyre;
Et de Momus , en tes couplers ,
Ne fais point grimacer les traits
Par un fardonique Courire.
N°. 43 , 22 Octobre 1785.. G
146 MERCURE
QUE la langue , dans tes Écrits ,
Soumise aux loix de Polymnic ,
Par fa force & fon harmonie ,
Charme jufqu'à fes ennemis.
TROP long-temps ta Muſe attriftée
Par les fots difcours des méchans ,
Étouffant fa joie & fes chants ,
Oublia fa lyre enchantée.
REPRENDS la grâce , la gaîsé
Dont le François eft idolâtre ,
Et , comme autrefois au Théâtre,
Fais fourire la volupté.
PEINS les caprices de Délie ;
Deffine en riant nos travers ,
Et du grelot de la folie-
Accompagne tes nouveaux airs.
APRÈS la volupté ſuprême
De combler fes tendres defirs ,
Il n'eft pas de plus doux plaifirs
Que de chanter l'objet qu'on aime.
DE
FRANCE.
147
De ce beau feu j'étois épris
Quand je tirai de ma mufette
Quelques fons
touchans pour Lifette ,
Dont fes
baifers furent le prix.
COMBIEN je rends grâce au délire
Qui dicta mes vers
amoureux !
Life enfin
trahiroit nos feux ,
Que je me plairois à les lire.
Je lui dirois dans ma
triſteſſe :
Voilà quel fut notre
bonheur.
Tant de
conftance & de
tendreffe
Peut-être me
rendroit fon coeur.
AINSI
l'espoir
charme la vie
De
l'homme en proie aux
paffions ,
Vraiment
malheureux s'il
oublie
L'Amour & fes
illufions.
Au Dieu du Pinde , au Dieu de Gnide,
Offrons nos
tributs
chaque jour;
Mais
prenant le plaifir pour guide ,
Revenons fans ceffe à
l'Amour.
1 Gil
148
A
MERCURE
AIMONS , jouiffons , le temps preffe;
Quand il glacera nos foupirs
Nous tâcherons , dans la vieilleffe ,
D'être heureux par nos fouvenirs .
( Par M. François , Peintre. )
Le Tombeau de l'Ifle Jennings.
La fin d'Avril 1775 , j'allois en Piémont par la
route du grand Saint- Bernard . Vers les quatre heures
de l'après- midi , la petite caravane avec laquelle
j'avois efca'adé ce dangereux paffage, arriva au fommet
de la montagne , & après avoir réparé les forces
dans l'hofpice élevé au milieu de ce défert , elle fe
remit en marche pour coucher le même foir à la
Val d'Aoft. Déjà le foleil avoit perdu fa chaleur , &
le ciel même fa férénité. Des nuages commencent
à fe traîner le long des cîmes des rochers , & s'amonceloient
dans les gorges étroites de cette folitude.
Au fommer des Alpes , une foirée nébuleuſe amollit
le courage ; je me décidai à paffer la nuit avec les
Religieux Hofpitaliers , qui partageoient mes preffentimens.
*
Ils ne nous trompèrent point. A fix heures ce
plareau glacé fut prefque enfeveli dans les ténèbres.
Lesnuées , pouffées par un vent de Nord-Oueſt , avec
la rapidité d'une flèche , tourbillonnoient autour de
* L'hofpice du Mont Saint- Bernard eft élevé d'enviro
1300 toifes au- deffus de la Méditerranée : il fut fondé
dans le dixième fiècle , par Bernard de Menthon , Gentilhomme
Savoyard.
DE FRANCE. 149
l'enceinte des rochers ; déjà ils retentiffoient du bruit
d'avalanches lointaines ; & des atômes de neige ferrée
, divifée comme la pouffière , foit en ſe détachant
des montagnes, foit en tombant du ciel , en interceptoient
la foible lumière & tous les objets d'alentour.
Tandis qu'auprès d'un bon feu , j'interrogeois le
Prieur du Couvent fur les faites de l'orage , les
Religieux Hofpitaliers étoient allés remplir leurs
devoirs de circonſtance , ou plutôt exercer leurs
vertus de tous les jours . Chacun avoit pris fon pofte
de dévouement dans ces Thermopyles glaciales
non pour y repouffer des ennemis , mais pour tendre
une main fecourable aux Voyageurs perdus , de tout
rang , de tout culte , de toute nation , & même aux
animaux chargés de leur bagage. Quelques - uns de
ces fublimes Solitaires gravifloient les pyramides de
granit qui bordent le chemin , pour y découvrir un
convoi dans la détreffe , & pour répondre au cri de
ecours ; d'autres frayoient le fentier enfeveli fous la
neige fraîchement tombée , au rifque de fe perdre.
cax mêmes dans les précipices ; tous , bravant le
froid , les avalanches , le danger de s'égarer , prefqu'aveuglés
par les tourbillons de neige , & prêtant
he oreille attentive au moindre bruit qui leur rappelloit
la voix humaine. Leur intrépidité égale leur vigilance.
Aucun malheureux ne les appelle inutilement
; ils le retirent étouffé fous les débris des
avalanches, ils le ranimentagonilant de froid & de ter
reur ; ils le tranfportent fur leurs bras , tandis que leurs
pieds gliffent fur la glace ou s'enfoncent dans les
neiges la nuit & le jour , voilà leur miniflère , leur
follicitude veille fur l'humanité dans ces lieux maudits
de la Nature , où ils préfentent le (pectacle habituel
d'un héroïſme qui ne fera jamais chanté par
nos farteurs .
Depuis une beure entière , cinq Religieux & leurs
Domestiques étoient fur la trace des Voyageurs ,
Gij
150 MERCURE
·
lorfque l'aboyement des chiens nous annonçà leur
retour. Compagnons intelligens des courfes de leurs
maîtres , ces dogues bienfaifans vont à la piſte des
malheureux ; ils devancent les guides , & le font euxmêmes:
à la voix de ces auxiliaires , le Voyageur
tranfis reprend de l'efpérance ; il fuit leurs veftiges
toujours sûres : lorfque les chûtes de neige , auffi
promptes que l'éclair , engloutiffent un paffager , les
dogues du Saint- Bernard le découvrent fous l'abyme ,
ils y conduifent les Religieux , qui retirent le cada-
& très-fouvent le reffufcitent .
vre ,
Bientôt l'hofpice s'ouvrit à dix perfonnes , épuisées
de froid , de laffitude & de frayeur. Leurs conducteurs
oublièrent leurs propres fatigues , & depuis le
linge le plus blanc jufqu'aux liqueurs les plus reftaurantes
, tout ce que l'hofpitalité peut offrir de fecours
, & qu'on ne raffembleroit qu'à force d'argent
dans les auberges de nos villes , fut prêt dans l'inftant
, diftribué fans diftinction , employé avec autant
d'adreffe que de ſenſibilité. t
Ce nouveau convoi étoit compofé d'un Anglois ,
qu'on appeloit Mylord , de fon époufe , jeune perfonne
d'environ vingt ans , dont la pâleur rendoit la
beauté plus intéreffante , & de leurs Domeftiques
Dans le refte des paffagers fe trouvoit un Officier
Suiffe au fervice du Roi de Sardaigne , qui alloit
rejoindre fon Régiment à Yvrée , un Joueur dẹ
Vièle du Montferrat , dont l'inftrument étoit resté
fous la neige , & deux Capucins babillards , qui racontoient
dans leur patois , & par ordre chronologique
, l'hiftoire de tous les grands Seigneurs à qui
le paffage du Saint- Bernard avoit coûté la vie.
Pendant le foupé , auffi abondant que proprement
fervi , je queſtionnai l'Anglois dans fa langue fur les
dangers de fon trajet . Jufqu'alors il n'avoit répondu
que par monofyllabes ; mais il commença à fe retrouver
parmi l'espèce humaine , lorsque l'efpèce
DE FRANCE. If I
humaine fe fit entendre en mauvais Anglois ; fon.
époufe , que toutes les attentions des bons Religieux
n'avoient point tirée de fon accablement , parut fenfible
à cette conformité de langage , & nous liames
converſation!
Ils m'apprirent qu'ils fe rendoient dans la Lombardie
, où depuis deux ans its avoient fixé leur ha
bitation . Des affaires les ayant rappelés en Angleterre
, pour abréger leur retour vers le Milanois , ils
avoient préféré la route la plus courte & la plus
dangereufe . Nous convinmes de cheminer enſemble
jufqu'à Verceil , où ils devoient prendre la route de
Milan. Après avoir réglé ainfi les arrangemens du
lendemain , nous fongeâmes au befoin du moment :
chacun gagna fa cellule en béniffant la Providence
d'avoir placé des Chanoines Réguliers de S. Auguſtin,
fur des rochers où la Nature a refufé un afyle aux
animaux , & la chaleur à la végétation . L'image de
la belle Angloife eût occupé toute la nuit des Voya
geurs moins fatigués. Malgré l'impreflion de fa
figure & de fa douce voix , de fa touchanté mélancolie
, le fommeil commençoit à me gagner , lorf
qu'à travers d'une cloifon qui féparoit ma chambre
de celle de la Voyageufe , je l'entendis adretler à Dieu
une prière qui exprimoit le trouble de fa fituation :
elle s'y reprochoit d'avoir abandonné un père dont
fa foibleffe avoit fait le malheur ; les fanglots précipités
de la Pénitente prolongèrent mon infomnie ;
j'invoquai auffi la Divinité en fa faveur , en demandant
pour elle une nuit tranquille , & mes voeux
furent exaucés.
: Quand nous n'aurions pas été fur une montagne
prefque inacceffible , entre la terre & le foleil ; raffemblés
par le hafard dans des lieux inhabités , où
nulle femme malheureuſe ne vint chercher aſyle ;
quand les fables des Romans perdroient leur intérêt
fur ces fommets où l'on apprend à lire la première
Giv
252 MERCURE
hiftoire da gen.re humain , celle de la jeune Angloire
eût vivement ému la curiofité. Cette femme
avoit une de ces figures qu'on retrouve fi fouvent
fous le pinceau d'Angelica , dont le charme réfulte
plutôt de la phyfionomie que de la beauté des
traits , qui retracent à la fois la fenfibil.té d'une âme
douce , & le feu des paffions amorti par la pudeur
& par l'honnêteté. Il étoit impoffible de voir de plus
belles dents dans une plus belle bouche , une peau
plus blanche , des yeux bleus plus tendres , plus toushans
, & un vilage mieux dffiné.: M
*
En defcendant le Saint - Bernard le lendemain
l'Anglois , exalté par les afpects pittoresques qui
nous environnoient , perdit fa taciturnité. Tout en
admirant les plaines fertiles , les montagnes verdoyantes
, les nombreux villages de la Val d'Aoft, il
me confia la moitié du fecret de la tranfplantation.
Neveu du vertueux Chevalier: Black .... qui pen←
dant durante ans de fuite repréfenta: au Parlement
la Ville de N ..... La patrie des infortunes l'avoient
exilé de l'Angleterre avee Elisa Jennings , fon épouse
depuis deux ans . Dans le deffein de déreber leur
exiftence à leur famille , ils avoient acheté la terre
de Pufiano dans le Milanois , fituée près du lac de
Côme , éloignée des grandes routes & do paffage
importun des Voyageurs . Après un mois de féjour
pénible à Londres , ils revenoient à leur afyle , mais
Pun & l'aut e avec des fentimens bien différens .
Durant cet entretien , Lady Jennings , appuyée fur
mon bras pendant la defcente que nous fîmes à
pied , fembleit craindre que fon mari ne m'en dit
trop , & les beautés de notre route la diftrayoient
fans l'occuper.
Rien ne lie plus vite que les voyages , fur-tout
dans les lieux où l'on reçoit en commun des impreffions
très fortes , & où l'on n'eft point preffé de fe
difperfer à chaque Ville pour s'introduire dans les
DE FRANCE. 153
cercles , pour vifiter des inconnus & courir les fpectacles.
En deux jours nous pouvions nous rendre à
Verceil ; nous en employâmes quatre : peu de féparations
m'ont autant coûté ; mais j'obéis à la néceffité.
Tandis que je gagnois Turin , le Chevalier
Black.... & fa Compagne prirent la route de Milan,
après m'avoir inutilement follicité de les accompa
gner dans leur retraite. Le printemps fuivant me
rappeloit en Italie , & je promis d'aller partager
avec eux quelques jours de tranquillité.
Sans connoître leur véritable fort , il fuffifoit du
myſtère de leurs aveux , de la trifteffe de Miff Jennings
, de fes peines fecrettes dont j'avois entendu
l'expreffion , de cet exil volontaire au fond de la
Lombardie , loin des douceurs de la ſociété , & fans
eſpoir d'y voir jamais aborder de leurs compatriotes,
pour m'attacher à ma promeffe : une lettre du Chevalier
Black..... me la rappela quelques mois après,
& l'année fuivante je repaffai les monts.
En approchant de Pufiano , je reffentois une émotion
involontaire. Soit que le fouvenir des Hôtes
qui m'attendoient , ſe mêlât à un preffentiment de
leurs infortunes , foit que la vue des lieux que je
parcourois , me difposât à l'attendrissement ; j'arrivai
à Pufiano avec un fentiment confus , plus pénible
que la douleur : c'étoit le lendemain de la Pentecôte.
La campagne , couverte de fleurs & de verdure , embaumoit
l'air d'alentour ; le grand chemin étoit entouré
de berceaux odorans de cédras & de limonniers
; mille arbres fruitiers répandus dans la vallée
& fur la pente des montagnes , offroient un verger
continuel ; les oifcaux chantoient en concert ;
dans un demi- lointain , l'on apperçevoit l'Adda
s'échappant du Lac de Côme , & au milieu
du vallon deux autres petits lacs on fe haignoient
des Cygnes , dont le plumage effaçoit en
Blancheur l'albâtre des montagnes du voisinage.
"
G
154
MERCURE
L'air frais de la matinée donnoit à la végétation tout
fon éclat , aux travaux ruftiques toute leur activité ,
& les coeurs dans ce féjour ſembloient en paix comme
la nature.
Arrivé au Château de Pufiano , on me conduifit
fur une terraffe où fe promenoit le Chevalier , lifant
les Méditations d'Hervey il m'embrafla avec une
efpèce de friffonnement : non moins faifi que Tui a
la vue du vêtement lugubre dont il étoit couvert
la parole expira fur mes lèvres , en lui parlant de
fon époufe. Hélas ! quel fujet d'un premier entretien
! Les larmes de cet infortuné m'apprirent bientôt
fon affreux malheur . Depuis trois mois , Lady
Black... ne vivoit plus , & l'étranger, accouru pour
rechercher fon amitié , n'aborda cet afyle que pour y
pleurer fur fa cendre .
Après cette douloureufe entrevue , nous rentrâmes
au Château , où le déjèûné nous attendoit ; mais
la circonftance en avoit banni le charme & l'appé
tit ; cependant , le Chevalier devenu plus calme.
me rendit le courage dont j'avois besoin ; peu- à- près
il me quitta , en s'excufant fur des devoirs facrés
qu'il avoit à remplir , & je reftai dans la compagnie
d'un Eccléfiaftique Ecoflois , efpèce de Miniftre
Adams , dégrofi par l'efprit du monde & par les
voyages , & ancien tuteur ou guide du Chevalier à
' Univerfité d'Oxford . Cet honnête M. Howell
avoit bien la meilleure ame & le meilleur efprit.
Père , ami , confident de fon élève & même fon
complice , il s'étoit enleveli avec lui dans cette retraite
, dont il n'offroit pas une des moindres fingularités.
Il étoit à la fois , l'Aumônier , l'Intendant ,
le Tréforier , le Lecteur de la maiſon , fans que ces
occupations lui fiffent négliger Virgile & Milton ,
dont il avoit gravé des fentences dans tous les bofquets
de l'hermitage .
En auriiftant ce lien pittorefque , l'affliction du
DE FRANCE.
ISS
poffeffeur prêtoit cependant un intérêt nouveau aux
beautés naturelles . Tout ici rappeloit des idées de
bonheur ou des images de confolation .
La fenfibilité y étoit diftra te des fouffrances , les
fouvenirs cuifans , adoucis par la préfence journalière
d'objets affortis à la fituation d'un coeur ma
lade ; toutes les impreffions vives & touchantes ,
attendrilfoient l'ame faus la tourmenter , & en écartoient
la douleur en nourriffant de douces rêveries .
Le Val d'Affino , qui renferme la terre de Pufiano,
eft à deux milles de l'extrémité méridionale du lac
de Côme. Des côteaux élevés , qui fe prolongent
jufqu'aux Alpes , l'entourent à l'Orient , au Nord &
au Couchant; la rivière qui l'arrofe , vient former
un petit lac d'une lieue de tour , à l'endroit le plus
large & le plus bas de la vallée ; elle en reffort enfuite
pour fe divifer en deux branches , entourant
de leurs eaux une petite isle délicieuſe , & par leur
réunion formant un nouveau lac de même étendue
que le premier. C'eſt à la tête de celui- ci , fur le penchant
de la colline , qu'eft fitué le Château de Pufiano
. De la terraffe on découvre le vallon dans
toute la longueur ; on voit circuler les eaux limpides
qui le baignent ; on en refpire la fraîcheur , la
vue fe promène fur les côteaux fertiles entaffés en
amphithéâtre , & fe perd au Midi fur les plaines du
Lo defan , où ferpente l'Adda,
Le lendemain de mon arrivée , Sir Blac..... me
fit partager l'une de fes jouiffances habituelles ; il
me conduifit , à l'aurore , fur une hauteur qu'ombra
geoit un bois de châtaigniers, & d'où le payfage entier
de la vallée fe préfentoit à nos yeux . Les premiers
rayons du foleil éclairoient la cîme refplendifante
des Alpes ; le refte de l'horiſon étoit encore voilé ;
infenfiblement , les ombres , en s'éloignant , agrandirent
le fpectacle ; la lumière perçoit les gorges
des montagnes , dont les plans les plus rapprochés de
G vj
155 MERCURE
nous , officiert mille tableaux en clair obfcur ; l'air
étoit tranfparent comme les eaux du lac qui retentiffoit
du chant aigu des oifeaux de rivière plufieurs
ruiffeaux tomboient en cafcades mouffeufes de la
pente des collines , & rappelcient les beaux vers de
Milton.
...
Mean while murm'ring , waters fall
Down the slope hills , difpers'd ; or in lake
That to the fringed bank with myrtle crow ned
Her cryftal mirror holds , unite their freams.
La vallée & les rives des lacs couvertes de champs
& de prairies arrofées , d'arbres vigoureux chargés
de fruits , tantôt alignés , tantôt difpertés dans la
campagne , de cha rues , de beftiaux & de villages ,
fembloient un vafte jardin planté pour l'agrément
des maîtres du Château . Les vignobles tapiffoient les
collines , dont le fommet étoit ombragé de hêtres &
de châtaigniers. A chaque pas , la direction de la
vallée & des montagnes faifoit changer le fite ici ,
des bofquets d'un verd fombre offroient un réduit
agrefte au pied d'une chûte d'eau ; là , des vignes en
treillage , couvroient de leurs pampres des habitations
ruftiques ; ailleurs , des allées odoriférantes de
limoniers , dont les fruits faifoient courber les branches
, & la furface du lac réfléchiffoit la perspective ,
tantôt romantique , tantôt champêtre , tantôt fauvage
, & réuniffant la majefté , la richeffe & la
douceur.
L'art n'avoit rien à faire dans un féjour à qui la
nature a tout donné. Ses décorations euffent défiguré
ce qu'il lui étoit impoffible d'embellir. Aufli le Chevalier
avoit eu le goût affez fain pour reſpecter ce licu
d'enchantement. Nos caricatures champêtres , me
difoit- il , nos bifarres contrefactions , ros fcul-
» ptures inanimées , ces cailloux que nous femons
DE FRANCE. 197
» dans nos jardins , & que rous appelons des rockers,
» nos petits labyrinthes où l'on fe retrouve toujours,
» nos cafcades à fec , tout ce luxe pauvre & petit
» des imaginations bâfces , convient aux pays où la
» nature eft fans. mouvement , fans grandeur , fans
» variété : ils fuppléent à la campagne , mais ils ne
la créent pas , il faut des Arch tctes , des Sa-
» tuaire & des Jardiniers pour couvrir de ridicules
apparences la ftérilité du fol & la nudité des af-
» pects . Jardins Anglois , François , Chinois ou
>>
ל כ
Turcs , tous ces emprunts de la barbarie font des
» rêves de mauvais goût , & c'eft notre amour pour
» la toilette qui nous y fait mettre jufqu'aux grands
» ouvrages de la nature ». }
Sir James Black ...... n'avoit donc ajouté aux
dehors de fon habitation qu'une plus grande propreté
, & plus de foin à l'entretien des détails : lans
perdre fon temps à étudier les fubdivifions & les beaux
préceptes de nos difcoureursfur l'art des jardins , il s'inquiétoit
peu du caractère , des effets & de la dénomi
nation de fa campagne ; il n'avoit aucun befoin des
Savans pour apprendre que tout étoit à fa place & devoit
y refter.
L'une de fes promenades les plus fréquentes étoit
fur le lac , cù la pêche , toujours abondante , occupoit
quelques heures de la journée . Sous un climat
doux , & fous un beau ciel , la fraîcheur des eaux
n'est jamais incommode ni malfaifante ; celles
des lacs de Pufiano , épurées fur un lit de fable
& de cailloux par le cours de la rivière , en tout
temps confervent leur limpidité : on s'y baigne
délicieufement à l'ombre des acacias plantés fur les
bords. Lorfque les rames de notre petit bateau fendoient
ces ondes azurées , un fillon marquoit notre
route fur leur furface , fans en troubler le calme , ni
fans teruir leur pureté.
Plufieurs fois déjà nous avions parcouru les deux
18 MERCURE
lacs , & les canaux qui en forment l'Ifle intermédiaire
, fans que le Chevalier m'eût propofé de débarquer
fur ce dernier efpace , couvert de touffes
fort épaifles , & où la chaleur du jour invitoit à fe
repofer. Au bout d'un mois , je remarquai cet oubli ;
j'avois obfervé que chaque matin , le Chevalier
s'échappoit de la maifon , comme il l'avoit fait le
jour de mon arrivée , fans que la pluie ni les affaires
fufpendiffent cette évafion. Curieux d'en pénétrer le
but , je m'apperçus que les pas de Sir Black .... fe
dirigeoicnt continuellement vers l'Ifle . Ce mystère
m'occupa au point que , dès le lendemain , je priat
mon Hore de me conduire dans ce lieu , dont jufqu'ici
il m'avoit écarté.
לכ
» Pardonnez ma réſerve , me dit - il , je la devois
» aux droits de l'hofpitalité ; je ne vous ai point
appelé ici pour y être le témoin de mes douleurs ,
» & j'en cache les monumens ; mais vo're amitié
compatiffante furmonte mes fcrupules . Venez , je
vais vous conduire à cette Ifle , féjour d'un deuil
» éternel , où je pafferai ma vie à expier mes fautes
ל כ
& à pleurer fur ma victime ». En difant ces mots ,
il me prit par la main ; nous defcendîmes la pelouſe ,
& nous traverfames le premier lac. Mes pas chanceloient
en débarquant du batcau ; volontiers j'euffe
repouffé cette rive qu'avoit cherchée ma curiofité .
Une avenue de peupliers nous amena au centre de`
ce terrein , que dominoit une monticule de roche
feuilletée , chargée de hautes futaies ; nous en tournâmes
la circonférence ; fuivant tous deux dans un
profond filence le cours d'un ruiffeau qui fe difperfoit
entre les débris des rochers & les gazons épais ,
nous perçâmes une enceinte d'arbres , au- delà defquels
étoit une grille de fer circulaire , & adoffée
fur l'un des côtés de fon pourtour , contre le pied de
la monticule. Sir Black .... tira une clef de fa poche ,
ouvrit la grille , & m'introduifit dans l'intérieur. A fa
DE FRANCE
159
ود
vue , je fentis un bouleverſement univerfel ; j'avois
peine à fuivre le Chevalier. » Vous êtes faifi , me
dit- il , en s'efforçant lui même de modérer fon
» agitation.Voici la dernière demeure de mon épou-
» fe : ici le Ciel nous réunira un jour. » A ces mots,
il couvrit fon vifage de fes mains ; la douleur l'étouffoit
: il le précipita fur le tombeau d'Elifa , qu'il
baigna de fes larmes , tandis que les miennes couloient
fur le marche-pied du maufolée , où je m'affis ,
ne pouvant plus me foutenir .
Revenu à moi , je jetai les yeux fur cette enceinte :
une haie vive , qui entouroit l'intérieur de la grille ,
déroboir au dehors le monument à tous les regards :
au milieu , le maufolée de marbre noir , environné
de quelques fycomores , fans ordre ni fans fymétrie :
une infcription fimple rappeloit le nom d'Eliſa Jennings
, fon lieu de nailfance , le jour de fon mariage
& celui de fa mort : au centre du tombeau , étoit
pratiquée une ouverture , au travers de laquelle paffoit
un pêcher , dont les feuilles tendres annonçoient
le premier printems . Après la fcène de douleur que
je viens de racconter , Sir Black... me fit affeoir auprès
de lui , fur un banc de pierre appuyé contre la monticule
, & au doffier duquel on lifoit ces deux vers
de Pope :
Black Melancholy fits , and round her throws
A death like filence , and a dread repoſe.
Ayant effuyé fes pleurs , qui couloient encore fur
fes joues . il prit mes mains dans les fiennes , & me
parla ainfi :
30
» Je fuis né avec un nom , de la fortune & des
paffions , trois avantages prefque toujours funeſtes.
» Ma jeuneffe fut emportée ; deftiné à la Marine ,
profeffion où plufieurs de mes ancêtres ſe diſtinguèrent
, chacun de mes retours en Angleterre
30
20
160 MERCURE
» étoit marqué par des excès . Mes déréglemens m'a-
» voient fait une réputation déteftable parmi les
» Gens de bien ; mais le monde me pardonnoit tout ,
» & fon exemple m'enhardiffoit. Cependant, l'ivrefle
» des plaifirs n'avoit décruit ni mon honnêteté originelle
, ni les principes de mon éducation : dans
» l'un de mes féjours à N.... , ma Patrie , je fis con-
အ
noiffance avec Miff Jennings ; c'étoit la première
» femme qui m'eût inſpiré du reſpect : elle me plaifoit
fans me toucher encore ; elle me convertit
» avant même que je l'aimaffe . Bientôt mon pen-
» chant devint une fureur : je parlai de mariage ;
» mes parens confentirent à mes voeux ; mais le père
d'Elifa fut inflexible. C'étoit un Négociant plein
de vertus & de fierté , à qui fes moeurs faifoient
regarder mon alliance comme l'opprobre de fa
fille Il lui repréfenta les dangers auxquels elle
» s'expofoit ; ma vocation aventurière , qui m'éloigneroit
d'elle à tout inftant ; mes anciennes habi-
30
» tudes ,
renaillantes au premier affoibliffement
de
soma paffion : il lui peignit le fort affreux d'une jeune
femme entre le mépris & l'abandon , accablée des
devoirs du mariage , fans en reffentir la douceur ,
& liée pour fa vie à un libertin , qu'elle finiroit
par hair , parce qu'elle étoit incapable de l'efti-
» iner . Défeípéré, & fuivant la violence de mon ca-
» ractère , je projetai d'enlever Miff Jennings , &
de l'époufer malgré fa famille. D'abord cette
idée lui fit horreur ; fon amitié pour fon père l'emporta
fur l'amour naiffant , & mes inftances furent
» inutiles. Mais mon attachement éroit fi vrai , mon
» défefpoir tellement inconfolable , qu'avec le tems ,
les fcrupales de Mil Jennings diminuèrent . Je
lui perfuadai que fon père fe rendroit à l'évidence
de mon changement de conduite ; elle eut le malheur
de me croire ; & , à demi morte , elle déferta
la maifon paternelle pour m'accompaguer en
99
DE FRANCE. 161.
30 Ecoffe , où M. Howel nous donna la Bénédiction
» nuptiale. J'eus befoin de tout mon afcendant pour
empêcher Elifa d'aller embraffer les genoux de
» fon père , & implorer la grace. Cette démarche
» eût été auffi infructueuse que le fut une lettre de
» notre part , pleine des expreffions du repentir le
» plus touchant . M. Jennings dit au Meflager que ,
» files Loix ne pouvoient lui rendre fa fille , il .
» viendroit l'arracher de mes bras. J'étois certain
qa'il exécuteroit fa nenace . Elifa frémiffoit d'une
» extrêmité qui pouvoit me conduire au particide :
» pour prévenir ces horribles fuites d'une première
» violation des droits paternels , nous paffâmes fur
39
le Continent , & nous échappâmes à la vengeance
» d'un père , en dévouant la viei leffe au défer-..
spoir.
30 L'agitation d'une vie auffi tourmentée avoit
2 affecté la fanté de mon épouſe . Il n'étoit plus en
» mon pouvoir de lui rendre le repos ; mais je lui,
" devois tout ce qui peut en tenir lieu le climat .
» de l'Italie étoit favorable à la délicateffe de fa
:
complexion ; cette terre étoit à vendre : le charme
» de fa fituation nous décida à y fixer notre
» demeure. Les premiers foins d'un établiſſementnouveau,
les plaifirs de la campagne , la falubrité
de celle- ci , fes beautés de toute eſpèce
ranimèrent quelque temps la vie languiffante .
d'Élifa . Elle efpéroit d'être bientôt mère , & la
naiffance de fon enfant adouciffoit le fouvenir des
cruelles circonftances qui lui avoient donné le jour..
sa Hélas ! la malédiction paternelle nous pourfuivoit
» dans ces rochers. Élifa accoucha d'un fils mert, & .
» le raviffeur de la mère étoit le feul confolateur qui .
reftât à cette infortunée. Dès ce moment l'attrait .
de ce féjour s'évanouit. Mon époule dépériffoit à.
» vûe d'oeil : l'image d'un père dont la tendreffe ne
» s'étoit altérée qu'à l'inftant où la fille en fut in-
"9
162 MERCURE
30
digre , qui avoit été l'ami , l'inftituteur de fa
jeuneffe , qu'il avoit formée lui-même à lace
» vertu & au bonheur , abandonné dans un âges
» avancé , veuf , fans enfans cette idée défefpé--
» rante brifoit le coeur navré d'Élifa en lui repro-
» chant fon ingratitude. Ses remords amenèrent
» des plaintes qui augmentoient fes angoiffes & les
miennes : tous nos momens en étoient empoiſon- *
nés ; elles aigrirent même le caractère angélique
» d'Élifa ; plus d'épanchemens de confiance ; plus
» de promenades en commun ; l'on fe cachoit des
» larmes mutuelles ; mon époufe , parce que ce
» n'étoit pas moi qui faifois couler les fiennes ;
moi , pour éviter d'augmenter de ma douleurs
» celle dont je la voyois pénétrée ; ainfi nos peines
étoient fecrettes , & nous nous fuyions , devenus
inféparables par nos erreurs.
33
93
59
» Je ne vis de remede à une auffi violente fitua-
» tion que dans le parti de ramener Elifa en Angleterre
, & d'y tenter un nouvel effort fur M.
Jennings. Mais ce vieillard , prêt à pardonner à fa
fille, ne m'avoit pas compris dans fon amniftie. Il
exigea le retour d'Elifa dans la maiſon paternelle .
Si cette infortunée eût été laiffée à elle- même , je
ne doute pas qu'elle ne m'eût facrifié à la piété
filiale : l'empire de celle ci eft indestructible dans
» un coeur bien né . Le plus inaltérable de nos atta-
» chemens , c'eft le premier que nous avons fenti ,
que l'inftinet de la Nature nous donne au ber-
» ceau, & que nourriffent les bienfaits verfés fur
» notre enfance. Sentiment religieux & tendre , auquel
la confcience nous rappelle d'une voix terrible
dans le tumulte des paffions J'en craignis-
» l'effet , & trop peu généreux pour fortifier la ré-
» folution d'Elifa , une feconde fois je l'enlevai des
» bras paternels . M. Jennings n'oppofa rien à ma
» réfiſtance ; il fe contenta d'envoyer à fa fille une
35
و ر
و د
DE FRANCE. 163
» fomme confidérable & fes bijoux , & de lui don-
» ner un ancien domeftique qui l'avoit vue naître ,
39 auquel il recommanda d'accompagner la jeune
» Maîtreffe par- tout où je l'entraînerois.
ןכ
"
ל כ
כ כ
" A notre paffage du Saint - Bernard , continua le
Chevalier , vous fûtes témoin de la mélancolie
» d'Elifa ; vous vites fur fa phyfionomie les pre-
» miers ravages du chagrin & de la confomption ;
ils augmentèrent depuis notre retour ici. Malgré
le climat , malgré tous les foins de l'Art & mes
prières , ma pauvre épouſe expira à vingt un ans
» dans les bras de fon alfaffin . Avant de mourir ,
» elle fit approcher de fon lit le vieux John , ce
domeftique de fon père ; elle lui remit une lettre
» pour fon Maître , en le chargeant de lui annonsocer
la mort , fon repentir , fes fouffrances incxprimables
, de le conjurer de me rendre fon amitié ,
» & de me confoler des maux que je lui avois faits.
Lorfque le moment fut arrivé de rendre les
» derniers devoirs à mon épouse , dont je n'avois
pasquitté la chambre depuis la mort , je tombai
» évanoui. A ma léthargie fuccéda le délire de la
» douleur. Je fis enlever tous les préparatifs des
» funérailles ; j'ordonnai qu'on embaumât le corps ,
» & je plaçai le cercueil fous mon piano - forte. Jour
» & nuit pendant un mois je preffai les touches de
» cet inftrument, qui me fembloit exprimer les fons
» d'Elifa , & en répétant les airs que fi fouvent j'en-
» tendis fortir de fa bouche , je croyois voir fon
» ombre m'écouter. Dans mes illufions j'ai fait
» conftruire ce lieu- ci . J'ai donné à l'Ifle le nom de
» l'infortunée qui repofe fous ces ombrages. Ce
pêcher fut planté de mes mains fur le lieu même
» de la fépulture . Tous les matins je la vifite ; tous
» les matins j'arroſe l'arbriffeau ; je le vois croître
» de la cendre d'Elifa ; elle reffufcite dans la tige ,
» dans le feuillage ; la première pêche qui l'ornera
35
164 MERCURE
» eſt deſtinée à M. Jennings. A l'inftant de la
» cueillir j'affemblerai ici tous les pères de famille
» du canton ; ils feront témoins de l'expiation de
mes outrages à l'autorité fainte de la Nature , &
» ce jour de folemnité fervira de commémoration
à la mémoire d'Elifa.
» Cette Fête intéreffante a été célébrée en 1777 .
» L'Ifle, le Maufolée , le Pêcher, tout exifte en-
» core dans fon premier état. Voyageurs qui irez
en Lombardie , je vous en prie, ne traverfez pas
» cette contrée fans vifiter l'lfle Jennings .
"
( Par M. Mallet du Pan . )
COUPLET à Mme DE.... , en lui envoyant
fon Portrait que j'avois fait la veille.
AIR : Ce fut par la faute du fort.
HÉLAS! ÉLAS ! que je fuis malheureux !
Ce jour n'eft plas , aimable Hortenfe ,
Où mon pinceau trop curieux
D'un Dieu me donnoit la puiſſance;
Comme un Sultan impérieux
Ma voix ordonnoit un fourire ;
Il ne me refte que des yeux ,
Et j'ai perdu tout mon empire.
DE FRANCE.
165
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Délire ; celui
de l'Enigme eft Montre ; celui du Logogryphe
eft Olivier , où l'on trouve olive , ré,
viole , vièle , vol , lire , Loire , rive , ver ,
vie , or , livre , voir , Livie , viol , lière ,
rôle , lie , violier.
CHARA D E.
Pour chercher mon premier tu cours juſqu'à la
Chine ;
Au fein de tes foyers tu trouves mon ſecond ;
Pour monter fur mon tout , fouvent un lourd Pradon
De fon maigre pégaſe a fatigué l'échine ,
Et n'a remporté qu'un affront.
ENIGM E.
Je tiens un tribunal en tous lieux fort commun
Où ce qu'on ne fait pas par fois on le devine ;
J'ai force prifonniers dont il n'échappe aucun >
( Carry mets bonne garde ) ou fur cent peut- être up.
A ma fatale approche on voit , felon ma mine ,
Le pauvre détenu , de fon fort incertain ,
166
MERCURE
C
<
Attendre en friffonnant l'arrêt de fon deftin.
Moi calme , d'un air froid j'ordonne la torture
Que précède toujours de l'eau la queſtion.
Le trifte patient qui boit outre mefure ,
De fon fang perd en outre une ample portion.
Mes compagnons bourreaux , d'après mes ordonnances
,
Sur lui des pieds au cou font manoeuvrer leur lance .
Quand il n'a plus de fang on le jette dans l'eau.
Puis vient un drôle armé d'un inftrument nouveau ,
D'un air humble il s'approche , à genoux il fe places
Honteux de fon métier , qui pourtant eft fort beau ,
Le traître n'attaqua jamais un homme en face.
A mon fouffre-doulour déjà près du tombeau
On fait tourner la croupe , & le coquin l'empâle.
Mais fur un tel objet je tire le rideau.
L'empâleur déguerpi , conſeil dans la grand -falle ;
Après quelques débats , qui ne font plus ſcandale ,
Mes affeffeurs & moi nous tombons tous d'accord
Qu'il faut que l'homme meure. Alors du presbytère
Le Curé s'achemine , & vient pour réconfort,
Sortant d'un bon dîner , l'exhorter à la mort.
Le pauvret malgré lui s'y réfigne : on l'enterre.
Sés héritiers en deuil me font compaffion ;
Mais dans ce trifte état ne fachant plus que faire ,
Pour modérer l'excès de leur affliction ,
*Je confifque une part de la fucceffion.
( Par M. Noirhomme . )
DE FRANCE. 167
1
LOGOGRYPHE
Adreffé à Mademoiſelle D ***.
JE fuis gracieux & brillant ,
Et pourtant je fuis invifible .
Tantôt je fuis affable , honnête , fémillant ,
Tantôt méchant , bourru , dangereux & terribl
Si je me montre arrogamment.
Souvent auffi j'aime à ne point paroître.
Enfin c'eft moi qui , feul en ce moment ,
Chloé , vous aide à me connnoître.
Six pieds forment mon corps , & vous y
Ce qui du Laboureur renferme le falaire ;
L'ordre preferit de nos devoirs facrés
trouverez
Ce que tous les cinq jours on donne au Militaire;
Un plant de qui le fruit fubjugue la raiſon ;
Ce que l'on voit , Chloé , voltiger fur vos traces ;
Et fans décompofition ,
Chez vous j'accompagne les Grâces.
( ParM. Bouilly , de Tours. )
168 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MELCOUR ET VERSEUIL , Comédie en un
Acte & en vers , par M. de Murville , repréſentée
, pour la première fois , par les
Comédiens François ordinaires du Roi ,
le a Août 178 .. A Paris , chez Prault ,
Imprimeur du Roi , quai des Auguftins ,
à l'Immortalité.
LA
A première repréſentation de cet Ouvrage,
a éclairé fon Auteur fur quelques uns
des défauts qui en ont rendu le fuccès équivoque.
La fuppreffion de plufieurs détails
inutiles en a refferré la marche , & des
changemens affez heureux ont donné plus
de jeu aux refforts qui font mouvoir les pèrfonnages.
Pour prix de fa docilité , M. de
Murville a obtenu des applaudiffemens
plus nombreux & des encouragemens flatreurs.
Il eft fâcheux que fon fujet , dont le
fond vicieux , comme nous l'avons dit
ailleurs , n'eft propre tout au plus qu'à
former un incident dans une intrigue plus
étendue , ne lui ait pas permis de retrancher
des Scènes à-peu- près oifeufes , & que toutes
les reffources de l'adrefle & de l'efprit ne
fauroient rendre vraiſemblables. Telles font
les Scènes douzième & treizième , dans la
première
DE FRANCE. 169
*.
par un
première defquelles Angélique ,
feulmot, devroit éclairer Melcour fur le billet
de congé qu'il tient en fes mains , & s'inftruire
elle-mêine de la rufe de Verfèuil &
de Nérine . C'eft en vain que M. de Murvillea
cru motiver cette Scène , en mettant le
vers fuivant dans la bouche de Nérine :
Bon ! tout fe débrouilloit ; mais ils prennent le change!
Ce n'eft pas là motiver une Scène ; c'eft, en
cherchant à diflimuler un défaut , mettre le
Public dans la confidence de l'embarras où
s'eft trouvé l'Auteur. En effet , qu'on y réfléchiffe
bien. Que peut dire Angélique à l'inftant
où Melcour lui remet le billet qu'elle
a fait adreffer à Verfeuil : Eh quoi ! c'est ce
billet qui vous met en colère ! n'eft- ce pas vous
qui m'avez confeillé de l'écrire ? Oui ,
Madame , oui , c'est moi ; mais ce n'étoit pas
à moi qu'il devoit s'adreffer. Comment a
vous ! &c. Et , par une fuite néceffaire , la
connoiffance de la fourberie de Nérine.
Voilà , à quelques nuances près , tout ce
qu'exigeoir une fituation de cette eſpèce. La
néceflité de donner à l'Ouvrage les proportions
indifpenfables qu'exige la repréfentation
, a pu feule engager M. de Murville
à prolonger une explication qui , naturellement
, devoit fe faire d'une manière
très- rapide . Nous n'ignorons pas qu'on peut
* Voyez l'analyfe de cette Comédie , N. 34 ,
Mercure du 20 Août dernier .
Nº. 43 , 22 Octobre 1785 .
H
170
MERCURE
nous citer l'exemple de Marivaux , dont
quelques Comédies n'atteignent l'étendue de
deux , & même de trois Actes , qu'à la faveur
d'un mot qu'on a dû dire cent fois , &
qu'il a eu l'adreffe d'éloigner fans ceffe ; mais
on fait aujourd'hui ce qu'on doit penſer du
talent dramatique de Marivaux , & il n'eft
pas un Homme de Lettres éclairé qui puiffe ,
de bonne foi, le confidérer comme un modèle.
Nous avons déjà fait quelques reproches à
la Comédie de M. de Murville ; nous croyons
néceffaire de propofer encore quelques obfervations
à cet Écrivain , avant d'examiner ce
que , malgré le vice du fujet , fon Ouvrage
prouve d'efprit & annonce de difpofitions
au talent.
Tout Auteur qui entre dans la carrière
Dramatique , doit fe mefier de fa memoire ,
parce que l'étude de fes maîtres peut
l'entraîner dans des reminifcences capables
de lui faire encourir le reproche de
plagiat. Parmi plufieurs exemples de ces réminifcences
que nous pourrions trouver
dans la Comédie de M. de Murville , nous
en choifirons un feul , & c'est le plus frappant.
Dans la Scène douzième , dont nous
avons parlé plus haut , Angélique , étonnée
de l'emportement de Melcour , lui dit :
Il faut ou m'en fâcher , ou vous croire infenfé.
Melcour répond :
Infenfé ! ... je le fus ... mais , c'eſt lors qu'à vos charmes
DE FRANCE. 171
Mon coeur > mon foible coeur rendit fitôt les armes ;
Qand je crus... que le monde alloit changer pour moi ,
Et... qu'une femme enfin ... pouvoit garder la foi.
Ouvrons la Scène troifième du quatrième
Acte du Misantrope. Nous entendrons Celimène
dire :
Avez- vous , dites - moi , perdu le jugement ?
Er Alceſte lui répondre :
Qui , oui , je l'ai perdu , lorfque dans votre vûe
J'ai pris , pour mon malheur , le poiſon qui me tue ,'
Et que j'ai cru trouver quelque fincérité
Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.
Le mouvement & l'idée font les mêmes ;
mais que la fituation eft différente ! & comme
ce qui eft énergique & à fa place dans la
bouche du Miflantrope , devient dur & dé
placé dans celle de Melcour !
Autre reproche . M. de Murville a voulu
fans doute nous préfenter Angélique comine
une femme eftimable. Nous lui demandons
à lui-même fi les vers fuivans qu'il fait dire
par Nérine à Verfeuil , s'accordent bien avec
l'honnêteté qu'il a eu , fans doute , l'inten
tion de donner à ce perſonnage.
Aux billets différens écrits par ma maîtreffe ,
C'est moi qui mets toujours l'enveloppe & l'adreffe ;
Deforte qu'un amant ou joyeux ou confus ,
Me fait gré des faveurs ou m'en veut du refus.
Si Nérine étoit la Soubrette d'une co-
Hij
172
MERCURE
"
quette , pour ne rien dire de plus , s'expliqueroit
- elle autrement ? N'eft- ce pas là un
oubli très- décidé des bienféances ? Il faut
encore obferver que fi une femme qui fait
mettre les enveloppes & les adreffes de fes
lettres par une Soubrette , peut - être une
femme honnête ; auffi eft-elle , à coup sûr
une femme bien ind.ferette , bien inconféquente
, & qui ne ſe relpecte guères , non
plus que les gens auxquels elle écrit.
Paffons à ce que l'Ouvrage a de louable ,
à ce qui peut prouver que M. de Murville
n'eft pas indigne des encouragemens qu'on
lui a donnés. La Scène troisième fuit le
moment où Angélique , à la follicitation de
Melcour , s'eft décidée à donner à Verfeuil
fon congé par écrit. Les deux rivaux font en
préfence.
MELCOUR , ( d'un ton railleur. )
A tout votre amour peut prétendre.
Vous ne répondez rien ! vous ne devinez pas
Le bonheur....
VERSE U IL.
Nous brûlons pour les mêmes appas 3
Ainfi , notre amitié ne peut être bien vive.
Je dis plus , qu'entre nous la haine foit active ;
C'eft le droit des rivaux : mais il faudroit , Melcour ,
Même en nous déteftant , nous nuire fans détour .
MELCO UR.
Oh ! oni , l'averfion n'exclut point la franchiſe.
DE FRANCE. 173
-
VERSE U I L.
Cependant devant moi la votre fe déguiſe.
Melcour, vous n'avez point les talens d'un rival ;
C'eft vraiment un état que vous rempliffez mal .
Un état !
MELCOU R ( riant.')
>
VERSEUIL.
´C'en eſt un ; c'eſt le mien , c'eſt le vôtre ;
Et celui là , Monfieur , s'apprend tout comme un autre.
MELCOUR , ( ironiquement, )
Vous le favez à fond !
VERSEUIL,"
Oui , j'y fuis très-formé.
Si par exemple ici je vous croyois aimé ,
( Cela ne fe peut pas ) mais enfin je fuppoſe....
MEL COUR.
ſi La fuppofition coûte fi peu de chofe !......
VERSEUIL , ( malignement. )
C'eft autant de gagné ſur la réalité.
Afin qu'on vous reçût avec moins de borté ,
Penfez- vous que j'irois avertir Angélique
Que vous prenez chez elle un ton très defpotique ?
Je ne ferois , cherchant à vous rendre odieux ,
Qu'affliger fon orgueil fans deffiller les yeux :
Hüj
174 MERCURE
Dans l'objet de fon choix fa vanité bleffée ,
Même à le foutenir feroit intéreffée ;
Et j'aurois , en dépit de mes foins fuperfus ,
regret de Vous voir aimé.... trois mois de plus. Le
MELCOUR , ( ironiquement . )
C'est bien vû. Ma préſence ici peut vous déplaire ;
Vous allez de vos feux recevoir le falaire.
On vient de vous promettre un entretien fecret ;
Je fuis votre rival , mais rival très - difcret.
Je fais qu'un tête- à- tête entre nous eft peu tendre ,
Et que ce n'eft pas moi que vous brûlez d'entendre ;
Je vais vous laiffer feul.
VERSE U IL.
Ainfi , dès ce moment ,
Nous pourrons nous hair....
MEL COUR .
Plus amicalement.
VERSEUIL , ( d'un ton plus fat. )
Vous avez dit le mot , &c.
Le ton de cette Scène rend avec beaucoup
de fidélité celui de nos jeunes agréables ; leur
jargon , leur perfifflage y font adroitement
faifis. Il ne faut , à la vérité , pour écrire de
pareilles Scènes , qu'obferver la fuperficie de
quelques individus ; mais c'eft déjà un mérite
que de bien appercevoir cette faperficie
, & fur-tout que de la bien rendre. Au
DE FRANCE. 175
refte , ce n'est pas là le feul mérite de cette,
fituation. L'affaut d'ironie, de perfifflage & de
pleine confiance dans le fuccès qu'y font les
deux rivaux , contrafte bien avec la furpriſe
& les emportemens de leur amour- propre
bleffe , lortque chacun d'eux reçoit tour-àtour
, fous une enveloppe differente le
congé deſtiné à Verfeuil. Il prépare de loin le
comique des deux Scènes , pour y ajouter
quand elles arrivent. Cette intention eft affez
bien apperçue pour mériter d'être diſtinguée.
La meilleure Scène de cette Comédie eft
celle que nous allons tranfcrire. Melcour ,
en revenant chez Angélique , a reçu le congé
qu'il avoit fait donner à Verfeuil' ; il eft furieux
, & va droit à fon rival , qu'il ne croit
pas inftruit , & qu'il informe rapidement
de tout. Le fang- froid de Verfeuil l'étonne :
Je lis dans vos yeux une gaîté contrainte....
Tapperçois dans Nérine une ſurpriſe feinte.....
Aurois je , par hafard .... Répondez - moi tous deux ,
Confié mon malheur à mon rival heureux ?
Ce filence affecté , qu'eft- ce qu'il fignifie ?
Si c'eft à vous , Verfeuil , que l'on me facrifie ,
Tremblez....
1
VERSEU I L.
Je ne vois pas , fi j'avois cet honneur,
Qu'il me fallût, Monfieur , trembler de mon bonheur:
Plus je deviens heureux & plus j'ai de courage.
Mais fur vous , juſqu'ici , je n'ai nul avantage :
Hiv
176 MERCURE
Je fuis , & de ma part un tel aveu vous plaît )
Banni de vive-voix , comme vous par billet ;
Ainfi , confolons- nous l'un l'autre.
MELCOUR , ( à part. )
Je refpire.
VERSEUIL , ( malignement. )
Je crois voir Angélique , & je l'entends me dire :
Vos vifites , Monfuur……..
( Ce font les premiers mots du congé. )
MELCO UR.
Il est ainsi conçu ,
Ce funcfte billet qu'à l'inftant j'ai reçu.
Vous nous perdez .
NIRINI.
VERSIUIL.
(Bas à Nérine.) ( Haut à Melecur. )
Tais toi..... Cela n'eft pas croyable
MEL COUR.
Tenez , lifez plutôt.
VERSE U IL.
4
Rien n'eft plus véritable.
MELCO UR
Quel rapport! cette énigme....
VERSEUIL.
Oh! moi j'en ai la clés
C'eft qu'elle vous écrit comme elle m'a parlé.
DE FRANCE. 177
MELCO U R.
Sans doute... Mais , Monfieur, on trahit notre flamme ;
Ce prix de tant de foins que notre amour réclame ,
C'eſt un rival qui va l'obtenir ....
VERSEUIL , ( froidement. )
Croyez-vous ?
MELCOUR , ( vivement. )
Eh quoi ! de fon bonheur n'êtes - vous point jaloux ?
VERSE U IL.
Moi, je ne prends jamais les chofes au tragique.
La Scène continue ainfi. Melcour eſt toujours
emporté , fon rival toujours tranquille
& froid , jufqu'à l'inftant où la néceffité
d'éloigner un liomme dont un feul mot d'Angélique
peut ouvrir les yeux , engage Verfeuil
à paroître piqué. Alors il feint de fe
déterminer à quitter une volage pour jamais ,
& il en donne d'autant plus adroitement à
Melcour le confeil de l'imiter. Oui , dit celui-
ci , l'infidélité doit punir l'inconftance. II
va , vient , s'en va , revient , & fort enfi
emmené par Verfeuil.
On pourroit dire , à la rigueur , que le
fonds de cette Scène n'eft pas décidément
neuf; mais pour reffembler par quelques
traits à deux où trois Scènes connues , elle
ne nous en paroît pas moins annoncer des
difpofitions au talent , Elle a du mouvement ,
de la chaleur , elle eft dialoguée naturelle-
Hv
178
MERCURE
ment , & chacun des deux rivaux y parle
le langage qui lui convient. Enfin , eile
donne à penser que fi M. de Murville eûr
choifi un fujer plus fécond en reffources
comiques , il auroit trouvé en lui les moyens
néceffaires pour le traiter de manière à obtenir
un fuccès très- Aatteur. Nous invitons
donc cet Ecrivain à bien examiner fes fujets ,
à les approfondir avant de fe réfoudre à les
travailler. Nos jeunes Auteurs fe laiffent trop
fouvent féduire par l'attrait que la malignité
attache à de petites anecdotes : ils ne
veulent pas voir que ce qui peut fervir à
faire une Scène agréable , ne fuffit pas pour
l'intrigue d'un Ouvrage dramatique , quelque
court qu'il puiffe être. Boiffy eut autrefois
cette foibleffe. L'anecdote du jour , le
vaudeville à la mode lui préfentoient des
motifs de Scènes mal coufues , qu'il appeloit
des Comédies ; en un mot , il fe fervoit de
tout pour brocher des bagatelies . On les a oubliées
, & l'on ne fe fouvient du nom de Boiffy
que parce qu'il a fait quelque chofe de mieux ,
en devinant , comme l'a dit M. de la Harpe ,
le caractère de l'homme du jour . Ceux qui
voudront coudre des anecdotes piquantes à
une action comique , doivent jeter les yeux
fur la Métromanie. C'eft- là qu'ils apprendront
l'art de les employer avec avantage ,
& de les faire concourir à leur affurer des
fuccès durables.
( Cst Article eft de M. de Charnois. )
DE FRANCE. 179
MÊLANGES de Littérature Étrangère
Tomes I & II. A Paris , chez Gogué &
Née de la Rochelle , rue du Hurepoix ;
Belin , rue S. Jacques ; Hardouin , au
Palais Royal, Prix , 1 liv. 16 fols chaque
volume broché.
I
ON ne peut qu'applaudir au plan de ce
Recueil & en approuver l'exécution . Il a
pour but d'offrir un choix de morceaux variés
de Science & de Littérature , traduits
ou imités des Auteurs étrangers , & des Differtations
fur la Littérature de nos voitins.
L'Auteur , M. de Grand - Maiſon , Homme
de Lettres vraiment digne de ce titre par la
diverfité de fes connoiffances & par le defic
de fe rendre utile , montre dans cette rédaction
beaucoup de goût & de difcernement.
Il fe borne à préparer des matériaux
lorfqu'il pourroit édifier lui - même.
On lit dans le premier Tome la Vie de
Zoile , traduite de l'Anglois de Thomas
Parnell ; des Fables Perfannes , très - morales
& très piquantes ; une Lettre de Léonce à
Érotiquefon fils ; des Obfervations curieufes
Sur le Bohon- Upas , ou l'Arbré poijon de
Pifle Java , extraites des Voyages de M.
Foerfech , Hollandois ; des Poéfies d'Érinne ,
jeune Lesbienne ; l'Hiftoire d'Opfinous
Conte moral , tiré de l'Aventurier , Ouvrage.
Anglois , dans le genre du Spectateur d'Adif
fon ; une Differtation fur les trois Unités
H vj
180 MERCURE
"
Dramatiques , par le célèbre Métaftafe ;
où le pour & le contre de certe queſtion eft
difcuté avec beaucoup de jufteffe & fans pédanterie.
Il réfute les ennemis des règles
fans en être pasifan , avec trop de rigorifme
, & fait voir que fans manquer à la
vraisemblance , un homme de génie ,
Trop refferré par l'art , fort des bornes prefcrites ,
Et de l'art même apprend à franchir leurs limites.
Il prouve de plus à fes Lecteurs que l'homme
de talent qui exécute , raiſonne beaucoup
mieux que le froid differtateur qui veut
preferire les règles d'un art dont il n'a ni le
fentiment ni l'expérience.
On remarque de plus dans le premier
volume la Vie de Cowley , Poëte Anglois ,
par Samuel Jonhson , opufcule qui refpire
le goût le plus fin & la critique la plus faine.
Le fecond Tome contient un Efai Hiftorique
fur la Littérature Romaine , un opufcule
traduit de l'Italien , intitulé : Hécatomphile
, ou l'Art d'aimer à l'ufagedes femmes ;
Alberti , qui en eft l'Auteur , n'a point
comme Ovide , le mérite d'avoir profeffé
l'amour en beaux vers ; il a écrit en profe
& cela feul lui affigne un rang très - inférieur
au Poëte Latin ; mais il a du moins.
Favantage d'avoir , autant qu'il a pu , fuivi une
route nouvelle. Viennent enfuite un Effai
Hiftorique fur l'Ancienne Hiftoire des Arts
des Manufactures , & des connoiffances chimiques
en Afie ; Racher , ou les Amours
>
DE FRANCE. 181
d'Alphonfe VIII , Poëme Efpagnol ; quatre
Difcours , tirés du Rambler ou du Rodeur
Ouvrage de Jouhfon , dans le genre du
Spectareur , & mieux écrit encore ; enfin des
Mémoires Biographiquesfur Einnée, fameux
Naturalifte Suédois.
Plufieurs de ces opufcules font accompagnés
de notices inftructives & judicieuſes
fur leurs Auteurs , & de remarques precafes
& intéreffantes. Cette Collection fera
agréable aux gens du monde par divers mor
ceaux frivoles & piquans , & aux Litterateurs
par quelques autres érudits & favans.
Enfin cet Ouvrage , très -bon dès - à- préfent ,
eft fufceptible de plus de perfection par la
foire. L'Auteur fe propofe de profiter des
fecoms & des avis des Gens de Lettres , &
tâchera fur-tout de debarraffer la fcience de
les épines.
VARIÉTÉS.
OBSERVATIONS fur une Conftruction
Romaine découverte à Bar - fur- Aube ,
adreffees à M. André , Avocet à Paris ,
par M Belandine , Correfpondant de
l'Académie des Belles-Lettres & Infcriptions
à Lyon.
M.ONSIEUR ,
BIEN des gens ne devinent les énigmes qu'en les
lifant eux inces. Souvent il en eft ainfi des monu782
MERCURE
mens antiques , il faut les voir pour les expliquer.
Vous m'avez décrit d'une manière auffi exacte qu'intéreffante
celui découvert dernièrement en Champagne
, & cependant je crains fort de ne point répondre
à l'opinion trop flatteufe que vous me térnoignez
, & de me tromper dans celle que je me hâte
de vous annoncer.
Au fond d'un vallon , près de Bar - fur- Aube , on
a trouvé , après avoir foui la terre , une falle de
douze pieds carrés , pavée avec des lozanges de
marbre de diverfes couleurs ; plus loin , & à une
toife de diftance , on a apperçu une forte de canal
de huit pieds de longueur , de trois environ de largeur
, fur trois pieds deux pouces de profondeur. On
defcendoit par quelques degrés le fond en étoit
auffi pavé en mofaïque , on n'a pas pouffé plus loin
cette fouille ; & déjà le peuple a prefque entièrement
détruit tout ce qu'elle pouvoit offrir de curieux.
y
que
N'eft- ce point ici , Monfieur , la découverte d'un
bain Romain Pour m'en convaincre , fouffrez
je quitte un inſtant votre patrie pour aller chercher
des éclairciffemens dans l'antique Rome. Par le mot
bains , on y entendoit non feulement les cuves dans
lefquelles on fe plongeoit , mais les bâtimens où
elles étoient placées. Celui de Balneum défignoit
l'appartement particulier que chaque Citoyen avoit
deftiné dans fa maiſon à un ufage auffi falubre
qu'agréable . On appeloit Balines & Thermes les
édifices fomptueux & utiles confacrés aux bains publics.
C'eft - là que la magnificence de l'Empire fe
plût fouvent à paroître dans toute fa fplend ur. On
y voyoit des appartemens d'été & d'hiver , des portiques
, des bolquets , des falles immenfes , des promenades
enchantées. Le porphyre & l'or У brilloient
de toutes parts . L'air y étoit embaumé par
l'évaporation des parfums ; & des eaux jailliffantes
DE FRANCE. 183
tombant de cafcade en cafcade , s'enfuyoient dans
des cuves d'argent , & invitoient , par leur inurmure ,
à un doux fommeil .
Les bains publics & particuliers étoient divisés en
différentes pièces , dont le nombre varioit fuivant
l'étendue du lieu & le luxe de ceux qui les faifoient
conftruire. Les plus ordinaires , outre le bain froid
& celui d'eau tiède , étoient l'Eleothefimum , où l'on
fe frottoit d'effence & d'huile ; le Frigidarium, le
lieu du rafraîchiffement , & le Laconicum , ou étuve
sèche , dont Vitruve a donné la defcription , & qui
fut ainfi nommée , parce que les peuples de Laconie
en furent les premiers inventeurs.
A l'exemple de Rome , où Publius Victor comptoit
huit cent cinquante- fix bains , dont quelquesuns
, tel que celui de Caracalla , pouvoient contenir
près de deux mille perfonnes toutes les villes foumifes
dans les Gaules à cette maîtreffe de l'Univers ,
s'emprefsèrent d'adopter de parcils établiffemens .
Paris , Lyon , Marſeille , Vienne curent des bains
publics ; ( 1 ) ceux de Nîmes font affez connus.
C'eft dans ces lieux , au bord de la fontaine ,
Où , fière encor de fes antiques bains ,
Diane voit de modernes baffins
Emprifonner fon onde toujours vaine
D'avoir coulé fous la loi des Romains . (2)
Les bains de Fréjus furent ' ong- temps ignorés.
C'eft Peireſc qui les fit connoître. Ce favant , qui
s'éleva au - deffus de fon fiècle & qui , fans avoir
prefque rien écrit s'eft cependant couvert de gloire ;
génie étonnant qui , comme la fi bien dit le grand
Ecrivain qui a illuftré tant de grands Hoinmes ,
(1) Chorier , Antiq. Liv. 4.
(2 ) M. Imbert.
184 MERCURE
cut la paffion des Lettres & des Antiquités ,
» comme d'autres ont l'ambition de la fortune , &
» qui fit peut-être plus pour le progrès des Arts que
» cet Augufte fi vanté & les trois quarts des Souve
rains , ( 1 ) » en configna la forme & les dimen
fions dans un manufcrit qui fe trouve dans la Bibliothèque
du Roi ; on y voit plufieurs falles qui
furent pavées en compartimens comme celles découvertes
en Champagne.
1
Ces dernières paroiffent avoir appartenu à des
bains. L'excavation de l'une d'elles , & leur fituation
dans un vallon où les eaux devoient affluer , fuffiroient
pour le faire préfumer. Elies furent du nombre
des falles que les Romains nommoient Teffellata,
du mot Teffella , petits cubes de marbre employés
dans les mofaiques . Celle qui a douze pieds carrés
a pu être l'Eleothefimum , le Frigidarium ou le Propafteon
, forte de veftibule qui précédoit fouvent le
bain de vapeur & l'étuve sèche . Le canal de huis
pieds de longueur , où l'on defcend enfuite , me
fembleroit l'un ou l'autre de ces deux derniers lieux.
Ils étoient placés plus bas que les autres falles ; &
fi l'on creufoit fous ce canal , peut- être y trouveroiton
encore l'Hipocaufte , fourneau fouterrain , divifé
en plufieurs efpaces carrés , où la flamme pénétroit
pour échauffer le pavé , donner une chaleur intérieure
qui , augmentée par le réfléchiffement des
voûtes , procuroit bientôt la tranſpiration la plus
abondante.
Le bain de Bar-fur- Aube a- t'il été public ou pariculier
? Offre-t'il un balneum fimple ou des thermes
? On ne peut le décider , puifque la fouille a été
f promptement interrompue . Bar-fur- Aube eſt environné
des débris de la grandeur Romaine , & tour
(1 ), M. Thomas , Eff, fur les Elog,
DE FRANCE. 185
annonce que cette ville mérita de l'antiquité plus de
magnificence qu'elle n'en a obtenu de nos jours . Le
pont qui traverse l'Aube , & le chemin ferré qui
conduit de Bar à Clairvaux , paroiffent. des ouvrages
des Romains. Les deux montagnes qui ceignent le
vallon cù le bain fe trouve placé , font couvertes
de ruines, & de ces maffes indeftructibles qui ont fatigué
le temps. ( 1 ) Ici , ce font des foffés , des remparts
qui défendirent en vain une fortereffe contre
Attila ; d'autres difent contre Roderic , Général des
Goths , qui , chaffés d'Espagne dans le huntième
fècle , réfluèrert dans la Gaule Belgique. Sur le
coteau voisin on diftingue l'enceinte d'une ville détruite
, à laquelle une foible tradition a confervé
le nom de Florence. ( 2 ) C'eft dans ces lieux qu'on
apperçoit un tombeau dont l'aſpect inopiné ſuſpend
pas du Voyageur , & lui commande le filence &
le refpect. Un Préfet des Remains y fut , dit - on,
inhumé; & le bain trouvé à quelques pas de diftance
lui appartint peut - être. La conftruction antique
& recherchée de ces deux monumens, annonce
affez que le peuple vainqueur les éleva , & que l'un
de fes grands Hommes vint y trouver un délaſſemement
momentané & un éternel repos .
jes
ANNONCES IT NOTICES.
NTIQUITÉS Etrufques , Grecques & Romaines,
gravées par F. A. David.
Les Étrufques font , après les Égyptiens , les Penples
les plus anciens qui ayent cultivé les Arts , & il
paroît même qu'ils les ont conduits avant les Grecs
(1 ) M. l'Abbé de Lille.
(2) Baugier , Mém. de Champag
486 MERCURE
à un certain point de perfection. Confidéré fous ce
point de vue , l'Art des E refques mérite , par fon
antiquité, une attention particulière .
C'eſt à M. Hamilton , Miniſte de la Cour de
Londres à celle de Naples , que le Public eft redevable
de la Collection des Deffins de Vafes Etrufques ,
Grecs & Romains dont on propofe aujourd hui
la réduction . A cette Collection on a ajouté les plus
beaux Vafes des cabinets de Maftrilli & de Porcinari.
Ce bel Ouvrage étant in-folio , de forme d'Atlas,
& d'un prix exceffif, on s'eft propolé de le réduire
aux formats in 4º . & in - 8º . , comme on l'a fat
pour les Antiquités d'Herculanum , en fept Volumes ,
afin que par la réunion de ces deux Ouvrages on
puffé avoir fous les yeux la Galerie la plus complette
de l'Antiquité la plus reculée. Indépendamment de
la forme des Vafes , & de leurs dimenfions , chacun
fera repréſenté fur différentes planches , où les
ornemens , & encore plus les figures , feront rendus
avec le plus grand foin , & avec la vraie intelli
gence dans le deffin des anciens. D'ailleurs , chaque
Vafe fera imprimé avec les couleurs propres , de
manière qu'on y trouvera un tréfor du Deffin Grec ,
& une preuve inconteſtable de l'Art de ce Peuple ingénieux.
La plus grande partie des Vafes que l'on trouvera
dans ce Recueil , font ornés de Peintures , dont les
fujets font tirés de l'Hiftoire , de la Mythologie , &
des coutumes Religieufes , Civiles & Politiques des
Anciens , ce qui les rend très intéreffans pour les
Savans. Lá compofition de ces Peintures , la manière
d'en traiter les Figures . la fingularité du Trait
les rendent encore très - précieuſes pour les Artiftes
& pour tous ceux qui aiment le delfin.
Outre les explications des Peintures qui feront
dans chaque Volume , on y traitera de l'origine
DE FRANCE. 187
des Etrufques , de leurs Lettres , de leurs Maurs ,
de l'ancienneté de l'Ordre Tofcan , de la Sculp
ture , de la Peinture , des temps qui précédèrent &
qui fuivirent l'invention de la Sculpture jufqu'à la
prife de Troye , enfin des temps qui fuivirent la
guerre de Troye , jusqu'à la mort d'Alexandre le
Grand.
Le nombre des fujets fera environ de trois cent
divifés en douze Livraifons , qui formeront quatre
Volumes. Il paroîtra tous les deux mois avec
exactitude deux Cahiers, compofés chacun de douze
Planches & Difcours . Prix , chaque Cahier 9 liv.
in 4°. & 6 liv in - 8°.
Les deux premiers Cahiers paroîtront & fe diftribueront
le premier Novembre prochain à Paris ,
chez l'Auteur , M. David , Giaveur , rue des Cordeliers
, au coin de celle de l'Obfervance.
Les Entreprifes utiles que M. David a heureu
fement terminées jufqu'ici , doivent donner de celleci
une opinion avantageufe.
·
TROISIEME Voyage de Cook , 3 Vol. in 89.
Prix , 18 liv . reliés , 15 liv . brochés. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire de la Reine , hôtel ,
de Cluni , rue des Mathurins.
Cet Ouvrage eft auffi connu qu'eftimé. Ceci est
un Abrégé qui, er quittant la forme , prend un enfemble
plus Hitorique , & qui , vû fon moindre
volume , fe trouve, par le prix , à la portée d'un plus
grand nombre d'Acheteurs.
ADDENDA ad Flora Nannetenfis prodromum ,
curante Magiftro Francifco Bonamy , in Univerfi .
tate Nannetenfi Doctore Medico Regente , & Fa .
cultatis fuæ Decano , Botanices Profeffore , & Urbis
, fanitatifque Medico , Regia Societatis Medica
Parifienfis , &c. A Nantes , de l'Imprimerie de
188 MERCURE.
Lebrun l'aîné , rue Saint Nicolas ; & à Paris , chez
Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
RECHERCHES Théoriques & Pratiques fur les
Eaux M nérales de Barbotan , fes bains & fes
boues , fur les différentes Maladies auxquelles ces
. fecours conviennent , & fur les Remèdes qui doivent
leur être affociés ; par M. A. J. Dufau , Docteur
en Médecine , &c . A Bergerac , chez J. B. Puynefge,
Imprimeur-Libraire , an grand Pont ; & fe trouve
à Paris , chez Mme Poilly , quai de Gêvres , in- 12 .
Prix , 1 liv. 16 fols.
•
page
MÉDECINE - DOMESTIQUE . L'Auteur de cet
eftimable Ouvrage rous prie d'avertir qu'on vient
d'en faire à Genève une nouvelle contefaction en
cinq Volumes in- 8 °. Elle eft imprimée page pour
fur la troifième Edition de cet Ouvrage faite à
Paris en 1783 , chez Froullé , Libraire , quai des
Auguftins , mais comme elle porte fur le Frontifpice
quatrième Edition , avec l'adreſſe du Libraire de
Paris & la date 1785 , ce qui pourroit induire en
erreur, Fon doit prévenir le Public que M. Duplanif
n'a pas plus de part à cette contrefaction qu'à une
précédente faite dans la même ville de Genève en
fept Volumes in- 12 , & qu'il les défavoue l'une &
l'autre , parce qu'elles font remplies de fautes , &
qu'il n'y a d'Edition véritable & fur laquelle on
puiffe compter que cette troisième défignée ci deflus..
Comme il ne peut y avoir de fautes indifférentes
dans des Ouvrages de Médecine , nous avons cru
devoir publier le préfent Avis comme intéreffant la
fanté des Citoyens , puiſqu'il eſt queſtion d'un Livre
très répandu.
TABLEAUX des Maifons & Jardins des Seigneurs
DE FRANCE. 189
& Gentilshommes Anglois , en une Collection de
cent Vues , les plus intéreffantes & les plus pittorefques
, deffinées d'après nature par les plus habiles
Artiftes Anglois dans ce genre , divifées en vingtcinq
Livraifons , gravées & colorées conformément
aux Deffins originaux dans le genre d'Alberly ,
avec l'explication de chacune des Vûes , traduite
par M. Hauy , Interprête du Roi.
}
Cet Ouvrage formera le tableau intéreffant de
l'Angleterre. Chaque Vûe repréfentera un monument
remarquable , feit par fa forme , foit par fa
fituation , ou un édifice intéreffant par la naiſſance ,
les richeffes , les talens ou les places de ceux qui
en font poffeffeurs. Un pareil Ouvrage doit être
utile & curieux pour les perfonnes qui retenues ,
fcit par leur état , foit par la crainte d'une trop
grande dépenfe , n'ont pu jouir fur les lieux mêmes
des Vûes que l'on s'efforce de leur procurer ici : il
doit intéreffer auffi les Artiftes ; ce n'eft qu'en comparant
les chef- d'oeuvres de tous les genres & de
toutes les Nations, qu'ils peuvent perfectionner leurs
talens. Ceux qui auront voyagé dans l'Angleterre ,
auront du plaifir à voir la gravure des lieux qu'ils
auront eux- mêmes parcourus .
Cetre Entrepriſe, commencée en 1779 , fe continue
en Angleterre avec le plus grand fuccès , & déjà
dix-fept Livraiſons qui ont paru prouvent combien
l'Ouvrage eft vrai & intéreffant ; mais le prix en
étant porté un peu trop haut , la rareté des belles
Epreuves , la difficulté de pouvoir entendre les explications
Angloifes l'ont empêché d'avoir le même
fuccès en France . L'on a donc cru néceffaire d'én
donner une copie fidèle . & de faire avec le plus
grand foin une traduction Françaiſe du texte Anglois
; & pour en faciliter l'acquifition , l'on a porté
le prix de chaque Cahier à 4 liv . au lieu de 9 liv. ,
prix de l'Original Anglois , dont la totalité montera
190
MERCURE
i
€
à 225 liv. , au lieu que celui que l'on annonce ne
reviendra qu'à 100 liv . , & préfentera de plus que
l'Original Anglois , l'avantage de la traduction des
explications en François.
Il paroîtra une Livraiſon tous les mois , qui fera
de quatre Eftampes , fuivies de leur explication .
On foufcrit à Paris , chez Simon , Graveur , au Bu̟-
reau du Voyage Pittorefqne de la Grèce , rue Pagevin
, nº . 16 .
La première Livraiſon paroît ; & nous croyons
qu'elle préviendra favorablement le Public pour
cette Collection .
LE Guide de l'Officier en campagne , ou des
Connoiffances néceffaires pendant la guerre aux Officiers
particuliers , par M. de Ceffac , Capitaine au
Régiment Dauphin , Infanterie , 2 Vol. in - 8 °. ,
avec figures, Prix , 10 liv. 2 fols brochés , 12 liv.
10 fols reliés en veau , & 12 liv. en bafanne. A
Paris , chez Cellot , Imprimeur - Libraire , rue des
grands Auguftins .
Nous rendrons compte de cet excellent Ouvrage ,
qui remplit fon titre dans toute fon étendu & utilité
. Il manquoit aux Militaires , qui l'accueilleront
fans doute avec empreffement. L'Auteur M. de
Ceffac , à qui l'on doit nombre d'excellens articles
du Dictionnaire Militaire de la nouvelle Encyclopédie
, donne ici les préceptes d'un Art qu'il poſsède ,
& qu'il a pratiqué avec fuccès .
Les Perfonnes qui fe font fait infcrire dans le
temps prefcrit , peuvent faire retirer leurs Exemplaires.
Celles qui les de fireront foit reliés , foit bro .
chés , payeront de plus 2 liv . 10 fois pour la relicurę
en veau , 2 liv. pour celle en bafanne , & 8 fols
pour la brochure de chaque Exemplaire , qu'elles
joindront au prix principal, ainfi que les frais d'em,
bailage & port
DE FRANCE. 191
LETTRES Critiques & Politiquesfur les Colonies &
le Commerce des Villes Maritimes de France, adreffées
à G. T. Raynal , parM *** . A Genève : & le trouve
à Paris , chez A. Jombert , Libraire , rue Dauphine ,
& au Palais Royal.
Ce: Ouvrage , qui peut être de la plus grande
utilité , eft recommandable par les lumières qu'il
donne fur l'objet important qui y eft traité.
L'AMOUR S'endormant fur le fein de Pfyché ,
peint par J. B. Renaud de Rome , Peintre du Roi , &
gravé par P. Beljambe. Prix , 4 livres . A Paris , chez
l'Auteur , Place de Fourcy , à l'Eftrapade , maiſon de
M. Moreau.
L'Auteur de cette Gravure a fort bien rendu le
calme de la fituation du Tableau.
FIGURES des Fables de La Fontaine , gravées
par Simon & Coiny , le texte gravé format in - 16 ,
papier de Hollande , huitième Livraison . A Paris ,
chez les Auteurs , au Bureau du Voyage Pittorefque
de la Grèce , rue Pagevin , nº . 16 .
Certe intéreffante Collection mérite toujours les
mêmes éloges. Parmi les Auteurs à qui l'on prodigue
aujourd'hui le luxe Typographique , il eſt au moins
certain que La Fontaine eft un de ceux qui le méritent
le plus.
PARTITION de l'Amant- Statue Comédie en un
Ate & en profe , repréſentée par les Comédiens Italiens
, le 4 Août 1785 , miſe en mufique par M.
Dal .... Prix , 15 liv. Les parties féparées 9 livres . A
Paris , chez Leduc , au Magafin de Mufique &
d'Inftrumens , rue du Roule , nº . 6.
Cet Ouvrage eft d'an Amateur dont les talens
agréables obtiennent de jour en jour de nouveaux
faccès. Il n'a point la prétention d'un grand Ou
96 MERCURE
vrage, & c'est une nouvelle preuve de bon efprit
de la part de fon Auteur , qui cependant s'eft élevé
au-dellus du refte , dans les morceaux où il a voulu
faire briller habileté incroyable , la voix délicieuſe
& la méthode charmante de Mlle Renaud.
PREMIER Concerto pour le Clavecin avec deux
Violons , Alto , Baffe , deux Hauts - Bois & deux
Cors , par M. W. B. Mozart , OEuvre IV . Prix ,
6 liv. A Paris , chez Leduc , même Adreffe que cideffus.
GRANDE Symphonie à plufieurs Inftrumens ,
compotée par Joleph Hayden , OEuvre XXXVIII.
Prix , 4 liv. 4 fois . A Paris , chez Leduc , rue du
Roule , à la Croix d'or , n°. 6 , au Magafin de
Mufique & d'Inftrumens.
TABLE .
STANCES à M. de Piis, 145 Melcour & Verfeuil,
168
Le Tombeau de l'Ile de J n Mélanges de Liuérature étran-
143 gère, Kings ,
Couplet à Mme de.... , 164 ,Pariétés ,
Charade, Enigme & Logo Annonces & Notices ,
gryphe , 165
179
181
185
J'AI
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgr . le Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
Paris , le 21 Octobre 1785. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 OCTOBRE 1785.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Faits après une Repréſentation de Didon ,
à l'Opéra.
D'un magique pouvoir , preſtiges féducteurs ,
Qu'à nos yeux -vous offrez de charmes !
Didon , par fon trépas & par de vrais malheurs ,
Jadis aux Tyriens a coûté moins d'alarmes ,
Qu'une fauffe Didon , par de fauffes douleurs
A tout Paris n'a fait verfer de larmes.
(Par M. Hoffman. )
No. 44 , 29 Octobre 1785.
I
194
MERCURE
FABLE du Géant Antée , tirée du quatrième
Livre de la Pharfale de Lucain.
r
QUAND la terre engendra ce Géant formidable ,
Avec bien moins d'orgueil , dans le fein du limon ,
Jadis elle enfanta le fuperbe Typhon.
De fa mère en naiffant il obtint l'avantage
De reprendre foudain ſa force & ſon courage ,
Lorſqu'épuiſé , vaincu dans un combat mortel ,
Son corps iroit fe joindre à ſon ſein maternel.
Il avoit pour retraite une caverne obfcure ;
Le tigre & le lion lui fervoient de pâture ;
Jamais des animaux la moëlleuſe toiſon ,
Ni le feuillage épais , ni le tendre gazon ,
Lorfque le doux fommeil lui fermoit la paupière ,
N'ont gémi fous le poids de fa maffe groffière.
Habitans , étrangers , victimes du trépas ,
Tout fuccomba d'abord ſous l'effort de fon bras;
Toujours vainqueur , long- tems fon orgueil téméraire
Dédaigna d'emprunter le fecours de fa mère ;
Seulement défendu par fa propre vigueur ,
De la Lybie entière il étoit la terreur.
DE fes exploits cruels enfin le cours rapide
Attira fur ces bords le magnanime Alcide ;
Alcide , dont le bras , de cent monftres divers ,
Avoir détruit la race & purgé l'Univers.
DE FRANCE. 19.5
Ils s'abordent fans crainte , & tous deux dans l'attente,
Dépofent du lio la dépouille fanglante ;
;
L'un,d'une huile onctueuſe humectant tout ſon corps,
De fes membres nerveux afſouplit les refforts
L'autre , pour s'affurer une feconde vie ,
Dans un fable brûlant ſe roule avec furie ;
Leurs bras au même inſtant l'un dans l'autre enlacés ,
A l'entour de leur col forment des noeuds preffés ;
Sous un énorme poids vainement entraînée ,
Leur tête fe rodit & n'eft point inclinée ;
Chacun d'eux s'étonnoit de trouver ſon égal.
Alcide moins ardent épuife fon rival ,
Qui , baigné de fueur & reſpirant à peine ,
Exhaloit de fon fein une fréquente haleine ;
Tantôt d'une main sûre il lui ferre les flancs ,
Tantôt d'un bras rapide il l'agite en tous fens ;
Pour triompher plutôt de fa force rébelle ,
Il redouble d'efforts en voyant qu'il chancèle ,
Et d'un genou nerveux preſſant ſes reins ployés ,
Terraffe enfin le monftre & le jette à fes pieds.
La terre de fon fils boit la fueur fumante ;
Mais foudain , par l'effet d'une verta puiſſante ,
Ses muſcles détendus s'enflent de fucs nouveaux
Qui raniment le cours de fes efprits vitaux ;
Et fon corps reprenant une force intrépide ,
Se dégage des noeuds dont l'enveloppe Alcide.
D'UN fi prompt changement le Héros interdit ,
Eut moins à redouter les monftres qu'il défits
I
I i
2196 MERCURE
Er l'Hydre , fous fes coups fans ceffe menaçante ,
Coûta bien moins d'effort à la valeur naiſſante.
Long tems dans cette lutte , égaux de force entre -eux,
Le fort eft incertain & le combat douteux.
Junon , dont le Héros ne put calmer la haine ,
Jamais n'avoit conçu l'efpérance moins vaine
De voir périr enfin l'objet de fa fureurs
La fueur inondoit ce front plein de vigueur ,
Qui du ciel , fans fléchir , foutint le poids immenfe.
Dès que le fils d'Alemène , ufant de fa puiſſance ,
Veut ferrer dans fes bras fon terrible ennemi ,
Il tombe & fe relève encor plus affermi;
Pour fuppléer fans ceffe à lon ardeur guerrière ,
La terre lui tranſmet ſa vertu toute entière :
A lutter contre un homme elle épuiſe ſon ſein,
ALCIDE cependant qui combattoit en vain ,
De fes nouveaux efforts reconnoiffant la fource ,
Et voulant lui ravir cette urile refource :
« C'en eft fait , lui dit - il , je vais rompre le cours
» D'un appui néceffaire au falut de tes jours ;
» Ceffe de triompher , tu n'es plus indomptable , »
Le Héros à ces mots , d'une main redoutable ,
Enlève dans les airs le fuperbe Géant ,
Qui , pour s'en échapper , fe débat vainement.
De fon fils expirant la terre ſéparée ,
Ne fauroit de fes jours prolonger la durée ;
Le fils de Jupiter l'étouffant dans fes bras,
Le retient fufpendu même après fon trépas ,
DE 197 FRANCE.
De peur que fon cadavre , en regagnant la terre,
Ne fe redreffe encor ranimé par fa mère.
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure precédent.
LEE mot de la Charade eft Théâtre ; celui
de l'Enigme eft Médecin ; celui du Logogryphe
eft Efprit , où l'on trouve epi , rite , preft ,"
Sep , ris.
CHARADE.
Mon premier chez les Grands eft un titre d'honneur
;
Mon fecond à tes yeux offre un lieu folitaire ,
Où , par fois , un amant à fa tendre Bergère
Exprime fur inon tout fon amoureufe ardeur.
( Par M. Lar..., de Falaife , Étudiant en Droit. )
ÉNIG ME.
BLANCHE
LANCHE ou noire , grande ou petite ,
On connoît par- tout mon mérite.
Le riche & l'indigent , tous ont befoin de moi ;
Le fexe en fait fur-tout un plus fréquent emploi.
Je fuis par fois brillante ,
Et toujours très- piquante ;
I iij
198 MERCURE
Mais fi je perds la tête , adieu tous mes amis ,
Je fuis en butte alors au plus parfait mépris.
( Par M. Robert des Roches. )
LOGO GRYPH E.
JE fnis , mon cher Lecteut , ta plus fidelle amie ;
Au faîte des grandeurs & dans l'adverfité ,
Je te refte toujours : vois ma fidélité ,
To ne ne perds qu'avec la vie.
Des malheureux amans
Je foutiens feule la conftance ,
Et je leur dis fouffrez quelques mois de tourmens
Pour un inftant de jouiffance.
Dans mes neuf pieds cherches , en t'amuſant ,
L'amant courageux d'Andromède
Certain pays enchanteur , raviffant ,
Où parmi les plaifirs on trouve fon remède;
Ce qu'un gourmand aime à remplir ;
Un peuple très-fameux vaincu par Alexandre ;
Un fentiment que tu ne peux comprendre ,
Et qui fuit loin de toi quand tu crois le faifir
Un outil de jardinage ;
Un poiffon ; une note ; une Divinité ;
Un animal dont le ramage
En Arcadie eft renommé ;
Un goût qui ne plaît à perfonne ;
Pour les vaiffeaux un lieu de sûreté ;
Ce que vous avez tous , & le nom qu'on vous donne
2
DE FRANCE. 199.
Souvent fans l'avoir mérité ;
Ce qui vient du haſard & ſouvent vous fait honte;
De la douleur le figne peu certain ;
Ce qui fervit à Scapin
Pour le venger de Géronte';
Ce qui contient ton cerveau';
Le fondateur d'un Ordre auſtère ,
Ou, tout vivant , on ſe plonge au tombeau.
Mais j'en ai dit affez , il eft temps de me taire ;
Je fuis femme , & j'ai peine à fubir cette loi.
Adieu , món cher Lecteur ; je te laiſſe avec moi .
我
( Par M. Propiac , Officier au Rég. de Picardie. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DE l'autorité de l'Ufage fur la Langue;
Difcours lû dans la Séance publique de
' P'Académie Françoife , le 16 Juin 1785 :
par M. Marmontel , Secrétaire Perpétuel
de l'Académie, & Hiftoriographe de France.
A Paris , de l'Imprimerie de Demonville ,
Imprimeur - Libraire de l'Académie Françoife
, rue Chriftine.
NOTRE Littérature a peu de difcullions Littéraires
du mérite de celle-ci ; & peu de lectures
à l'Académie ont été écoutées avec une
attention plus vive , un plus grand intérêt
une fatisfaction plus univerfelle. Ce plein
-1.2 JUDO !
I iv
200 MERCURE
1
f
fuccès ne tient pas feulement à la beauté de
l'Ouvrage; il participe encore du genre du
fujet & de la convenance du lieu où il a été
traité. Le Public , accoutumé à entendre
dans les Séances de l'Académie de grands
morceaux d'éloquence & de poéfie , ne s'eft
point trouvé froid fur l'examen des pertes &
des reffources de notre langue ; tout lui retraçoit
la fondation de ce Corps ; il lui fembloit
voir un tribunal dans fes fonctions , mais
en même- temps un tribunal qui lui foumets
toit les travaux , & qui reconnoiffoit que ,
dans l'objet même dont il eft conftitué juge ,
il ne peut prétendre qu'à l'honneur d'éclairer
& de diriger la Nation. Vivement frappé:
moi - même de ces impreffions , elles ont conduit
ma pensée vers cette forte de furveil
lance fur notre langue , qui a été confiée à
l'Académie Françoife ; j'ai un moment médité
cette inftitution ; & il m'a paru qu'il ne feroit
pas déplacé de préfenter quelques idées
far ce fujer ; j'ai efpéré aufli qu'elles ne
feroient pas fans intérêt dans un temps où
l'on confidère avec philofophie même les
chofes purement littéraires , & où l'on a déjà
une longue expérience pour apprécier les établiffemens
anciens .
On a affez juftement accufé les Gens de
Lettres d'aimer à exalter furtout les hommes .
& les inflitutions qui leur font favorables. Le
charnie de la reconnoiffance embellit alors &
confacre des louanges intéreffées. C'eft une
forte de religion à l'Acadéinie de louer RiDE
FRANCE. 201
chelieu. Mais on peut dire , hors de l'Académie
même , avec franchife & vérité , qu'en
Phonorant pour la fondation de ce Corps ,
on lui rend un hommage bien mérité.
Il étoit vraiment digne d'un homme d'État
d'appercevoir que non- feulement les Lettres
avoient befoin de la protection du Gouver
nement , mais encore qu'elles lui promettoient
des fervices réels , une plus grande gloire , &
que par-là elles méritoient d'être appuyées fur
un établiffement public. On ne pouvoit mettré
dans celui- ci plus de cette nobleffe qui en
impofe , plus de ces foins délicats capables de
vaincre les préjugés gothiques qui avoient
tourné en honneur l'ignorance même. Riche
lieu a voulu que , fous la protection immé
diate du Trône , les plus beaux génies fuf→
fent affociés , fans aucune inégalité , aux
Grands de la Nation. Dans des conftitutions
où l'éloquence étoit le plus grand des talens
& la fcience des loix le premier des mérites ,
des hommes qui tiroient toute leur diftinc
tion de la culture des Lettres , ont reçu de
plus grands honneurs ; mais jamais le Corps
entier des Gens de Lettres n'avoit été élevé
à tant de gloire , ou , pour mieux dire , car les
honneurs ne font pas la gloire , à des récompenfes
plus nobles , plus flatteufes. Le beau &
mémorable fiècle de Louis XIV , a rendu té
moignage de ce que les Lettres peuvent faire ,
quand elles font honorées , & pour ceux qui
les honorent.
En donnant aux Gens de Lettres une exif
202. MERCURE
tence publique , & en quelque forte nationale,
en les adoptant pour dépofitaires & inftrumens
de l'illuftration qu'il préparoit à la
France , ce fameux Cardinal fentit qu'il falloit
fixer une occupation à cette Compagnie , dans
laquelle il vouloit les raffembler ; & ici encore
il eut une idée pleine de majeſté & de
grandeur , telle qu'on n'en vit jamais , que dans
ces grands hommes qui ont expié la gloire des
conquêtes par la fcience de fonder des Empires
, les Alexandre , les Cefar , les Charlemagne.
C'étoit le temps où notre langue , encore.
pauvre & barbare , reftée bien au- deffous de
celles de deux autres Nations , dont l'une
nous avoit appris les arts , & l'autre la guerre ,
commençoit cependant à fe débrouiller & á
recevoir l'empreinte du génie fous la plume de
plufieurs Écrivains qui déjà avoient fu l'élever
à la dignité & à l'énergie de leurs penſées.
Richelieu fut prévoir que cette langue , en
adoptant fur-tout les mérites qu'une longue
furveillance pouvoit lui donner , la clarté des
énonciations , la régularité des tours , la fageffe
des développemens , la variété & la préciſion
des nuances , une grande févérité dans le choix
des mots , un accord fcrupuleux entre la na
ture du terme & celle de l'idée , une différence
bien marquée du noble au familier
pourroit un jour régner fur toute l'Europe
& devenir en quelque forte une langue d'adop
tion au milieu de toutes les langues nationales.
Il voulut la mettre en quelque forte
>
>
DE FRANCE. 203
-
fous la garde de ceux qui devoient l'illuftrer
par leurs travaux , afin qu'elle pût en mêmetemps
s'épurer & fe perfectionner par leurs
obfervations. Aucune autre langue n'avoit encore
été ainfi honorée d'une eſpèce de Magiftrature
; aucune autre langue n'avoit été préparée
à une fi belle deſtinée.
Cependant une grande idée n'eſt pas toujours
l'idée la plus jufte , la plus heureuſe. Les
effets ne répondent aux efpérances , que lorf
que les plans fe trouvent bien affortis à la
nature des choſes. En examinant la fondation
de l'Académie , il me femble qu'on la trouve
plus impofante qu'utile ; mon opinion pourra
paroître paradoxale , peut - être téméraire ;
c'eft une nouvelle raifon pour moi de la développer
avec quelques détails.
Il me paroît que l'inftitution d'une Magiftrature
fur notre langue pêche par fon principe
même ; car une langue ne peut jamais
être affujétie à une légiflation. Pour nous en
convaincre , arrêtons - nous un moment fur
les différentes parties & les diverſes manières
dont elle fe forme.
Le premier fond des langues s'acquiert fans
aucun art ; il renferme les dénominations &
les tours néceffaires à la communication des
premiers befoins , des premières idées , des
premiers fentimens des hommes en fociété.
Avant même qu'un peuple ait écrit , ce fond
peut déjà être immenfe ; il eft la bâfe éternelle
d'une langue.
Les progrès longs & infenfibles de la civi-
I vi
204
MERCURE
lifation , la naiffance des Sciences & des Arts
augmentent beaucoup la maffe du vocabulaire
, & changent le fyftême du langage
mais en le laiflant encore pour long - temps
dans une forte de barbarie..
Elle n'acquiert toute fa croiffance, fa variété,
fon étendue , toutes les qualités enfin qui la
rendent propre à énoncer & à peindre tout ce
que l'homme peut penfer & fentir , que du
moment que les differentes paffions ont modifié
l'homme de toutes les manières , que les
Beaux - Arts font venus orner la fociété de
leurs inventions , & que les Sciences l'ont enrichie
de leurs découvertes.
⚫ Alors une langue reçoit l'influence des efprits
de tous les ordres & de tous les genres
qui la manient, & prend de l'analogie avec les
chofes diverfes dont on la fait l'interprête ;
elle commence à ne plus fe reffembler à ellemême
, en ſe reffentant toujours néanmoins
de fa première origine ; riche de tout ce qu'elle
a déjà acquis , elle devient de jour en jour
plus propre à recueillir de nouvelles richeffes ;.
elle tourne à un certain fyftême , fans le vouer
à un feul génie. Elle trouve dans fes élémens.
tout-à- la- fois des avantages & des défavantages
pour l'harmonie. Mais comme l'harmonie
particulière des mots fe perd beaucoup
dans l'harmonie générale du difcours , & que
celle-ci dépend bien moins du matériel de la
langue , que du génie & du goût de ceux qui
la parlent , tout eft à peu près égal , ou au
moins tout fe compenfe dans les caractères.
DE FRANCE, -205
plus ou moins heureux d'une langue. On a
beaucoup difputé fur leur prééminence ; il
faudroit être bien plus inftruit que je ne le
Luis pour en juger par comparaifon ; mais
j'avoue que la queftion me paroît nulle. Il eſt
de la nature d'une langue d'obéir au génie de
ceux qui la manient , & d'être formée par
eux. La plus belle doit être celle du peuple le
plus ingénieux , le plus éclairé , & qui a eu le
plus grand nombre de grands Écrivains dans "
tous les genres. Toute langue peut toujours ,
jufqu'à un certain point , acquérir ce qui lui
manque , fe débarraffer de ce qui lui nuit ;:
fon matériel n'eft prefque rien pour les beautés
ou les défauts ; ce font les combinaifons
qui font tout. J'avoue que je ne puis imaginer
ce que Boffuet, Racine, La Fontaine auroient pu
faire de mieux , en écrivant en grec ou en latin ..
Je crois donc qu'il eft de la marche des
chofes qu'une langue arrive par plufieurs révolutions
& par une foule d'influences , à un
état de richeffe & de fplendeur qui ne la laiffe
plus ni dans le befoin , ni dans la poffibilité
des grandes acquifitions ; mais qui lui conferve
cependant & lui fournit même de nouveaux
moyens de s'accroître & de fe perfectionner
fans ceffe. Jamais une langue ne peut
être fixée; elle a toujours à perdre ou à gagner,.
& cela , fous tous les rapports d'harmonie ,
de clarté , de magnificence , de préciſion , de
grâce , d'énergie. Ce qui eft mobile effentiellement,
ne peut être foumis à une légiflation ;
ce qui marche par le cours fortuit des événe206
MERCURE T
mens , ne peut être dirigé à un but certain; ce
qui fe réforme par une expérience journalière
n'a pas befoin d'une infpection particulière;
ce qui n'eft foumis qu'aux befoins du génie
qui crée & détruit , ne peut être que trop
foiblement & trop lentement gouverné par
l'efprit qui obferve & qui juge.
Le premier défaut d'une magiftrature , telle
que celle qu'on a voulu donner à notre langue ,
eft de recevoir toujours la loi , de ne la donner
jamais . Elle ne peut qu'adopter ce qui eſt déjà
établi , fes innovations n'auroient d'autorité
que lorfque l'ufage les auroit confacrées.
L'inftitution que j'examine paroît tendre à
trois grands effets. D'abord , de faire le dénombrement
des mots qui doivent entrer &
refter dans la langue , enfuite de fixer l'acception
propre & les différences relatives de tous
les termes ; enfin , de la rappeler fans ceffe à
un fyftême de goût & de philofophie ; mais ,
dans tous ces points , on remarque l'inconvénient
dont je viens de parler.
Quant au premier objet , qui ne fait , qui
ne voit que l'ufage fe joue continuellement de
cette nomenclature que l'on voudroit completter
? En effet , tel mot que vous décla¬
rez tombé , peut reprendre faveur dans un
bon Livre ; tel autre que vous donnez pour
bien établi , peut s'ufer & tomber à fon tour.
Ainfi , pendant que vous ferinez le tableau
des mots reçus , on peut en mettre en vogue
une foule d'autres , que leur néceffité ou leur
beauté peuvent bientôt légitimer,
DE FRANCE.
207
Sur le ſecond objet , j'obſerverai que s'il
eft vrai , comme on l'a démontré , que les
langues étant l'inftrument néceffaire des penfées
de l'homme , n'en font que l'analyfe ,
c'eſt-à-dire , l'explication détaillée de la manière
dont les idées naiffent & fe combinent
dans notre efprit , un travail qui traceroit
l'origine & l'hiftoire de tous les mots d'une
langue , feroit l'ouvrage le plus utile , le plus
important ; mais prenez -y garde , cette utilité
tourneroit bien plus au profit de l'efprit du
peuple qui parleroit cette langue , qu'à la
gloire propre de la langue. Remarquez encore
que tandis que les idées s'éclairciroient par
l'analyfe des mots , il feroit poffible que lanetteté
& la précifion de ceux-ci s'effaçaflent encore
infenfiblement par les variations inévitables
que l'ufage y introduiroit ; car leur acception
n'eft pas plus immuable que leur adoption.
Le troifième fervice que l'on s'eft promis
de cette inftitution , ne feroit pas affurément
le moins confidérable . Soumettre la
langue à une réforme lente & fage qui pourroit
en faire difparoître les plus choquantes
irrégularités , fubftituer des règles aux routines
, rapprocher toujours davantage la langue
, de la philofophie , la rendre plus propre
à l'éloquence , à la poéfie , à la facilité & à la
grâce de la converfation ; quoi de plus grand
& de plus heureux ! Mais c'eft-là ce qu'une
autorité qui obéit elle-même ne peut faire.
En fait de langue , il n'y a que l'ufage qui
règne . Faire des loix n'eft rien ; il faut parler
208 MERCURE
d'exemples ; les grands Ecrivains dans ce point,
comme dans tous les autres , feront toujours
les vrais , les feuls légiflateurs.
Je crois donc pouvoir conclure que cette
idée de confier à un Corps Littéraire la furveillance
de notre langue , n'a pas eté aufli
utile qu'elle paroiffoit grande. Et fi je compare
ici les effets aux caufes , je me confirme:
encore davantage dans cette opinion. On ne
reproche pas aux langues anciennes de manquer
de grandeur & de beauté; on leur accorde
même des mérites auxquels on croit impoffi
ble à la nôtre d'atteindre ; & cela doit être
ainfi à plufieurs égards. Cependant c'eſt lans
ce fecours qu'elles fe font élevées à tant de:
perfection . La nôtre eft devenue , finon la
plus belle , du moins la plus univerfelle des
l'Europe ; elle doit en partie ce glorieux avantage
à l'Académie , mais non à fon diction-.
naire. On ne peut pas même dire que cet Ouvrage
, travail d'un fiècle entier , ait beaucoup
fecondé le géniede nos grands Écrivains, ni qu'il
ait beaucoup fervi à l'inftruction de notre jeuneffe
. Peut-êtrele plan n'en a-t'il pas été conçu
dans toutes les grandes vues dont il étoit fufceptible.
C'eft ce que penfoit Voltaire, lorfque,
dans fes derniers momens , il vint développer.
à l'Académie un plan nouveau. Si ce plan eft.
un jour adopté , il fera beaucoup pour notre
Littérature , fans ajouter aux richeffes de no
tre langue: telle ne peut être la deſtinée d'un
pareil travail.
Il eft beau ,, il eft convenable le
que preDE
FRANCE. 209
mier Corps Littéraire d'une grande Nation ,"
qui a reçu tant d'éclat de la faveur des Souverains
& de la gloire de fes Membres , préfide
à la Littérature de cette Nation ; mais"
j'avouerai qu'un dictionnaire de la langue , fur“
quelque plan qu'on veuille l'exécuter , ne me
paroît pas répondre à la majeſté de cette inf-"
titution. Il y avoit une hy autre occupation pro
pre à ce Corps , & qui promettoit , ce me
femble , de bien plus grands effets. Il eſt toujours
temps de revenir à un projet utile ;
iPeft doux au moins d'en parler. Je me propofe
de développer là -deffus mon idée dans
un article particulier.
Le Difcours de M. Marmontel , qui m'a
conduit à ces réflexions , les confirme en quelque
chofe, Il prouve que fi les grands Écrivains
peuvent faire naître l'ufage dans les langues, &
doivent quelquefois lui réfifter , c'eſt l'uſage"
néanmoins qui eft ici la règle fouveraine. It'
faut donc moins s'occuper de la gouverner ,
que d'épurer & d'agrandir le génie & l'art
dans ceux qui doivent la manier. Rien n'eft
plus propre à y contribuer que des Ouvrages
comme celui-ci.
Après avoir jeté un coup d'oeil rapide fur
lés principales des langues anciennes & modernes
, l'Auteur s'arrête particulièrement à
la nôtre. « Comme vivante , dit-il, elle eft '
» variable ; mais elle l'eft dans les deux fens ;
» elle peut acquérir & perdre ; & cette alter-
» native , on vouloit autrefois qu'elle dépendît
de l'ufage uniquement..... Soyons moins
210 . MERCURE T
ور
2.
و د
•
h
fuperftitieux..... Je dis qu'en obfervant ce
» que l'uſage a preſcrit , on aura droit d'exa- ,
» miner ce qu'il lui plaira d'interdire; & cette
reftitution , que je crois devoir mettre à fa
puillance illimitée , eft fondée fur deux
» motifs. 1 ° . Quand l'ufage prefcrit , fa loi
» porte , il eft vrai , quelqu'atteinte à la liberté,
» mais ne la détruit pas ; je puis , par un dé-
» tour , éluder ſa décifion , & par une façon
» de parler qui me plaife , éluder celle qui
» me déplaît..... Il n'en eft pas de même de
» fes loix négatives ; elles nous ôtent toute
liberté de faire ce qu'elles défendent.......
» 2 °. Si les loix pofitives de l'ufage font dé
» fectueufes , le mal eft fait..... C'eft le cas de
» dire avec Horace : Ainfi l'ufage l'a voulu.,
» Mais à l'égard de fes loix négatives & pro- ,
hibitives , rien n'eft fixe , rien n'eft conf-
» tant ; ce font les décrets d'un tyran bizarre,
dont les dégoûts s'annoncent par des profcriptions.
Cela ne fe dit point , cela ne fe
» dit plus. Mais fi cela s'eft dit , pourquoi ne
2 plus le dire ? Mais fi cela eft bien dit en
» foi , quoiqu'on ne l'ait pas dit encore ,
» pour quoi ne le diroit - on pas? » C'eft)
certe franchife que M. de Marmontel réclame.
Il entre dans le détail d'une foule det
mots précieux que nous avons perdus , par
négligence ou par une fauffe délicateffe. « Je
و د
ןכ
"
2
demande comment des hommes , qui , en
» fait de goût , difpofoient de l'opinion , ont
" pu laiffer périr tant de richeffes ? I obferve
fort bien enfuite qu'un des torts les
ور
DE FRANCE. 211
ود
"
plus férieux que faffent à la langue les loix
prohibitives de l'uſage , c'eft de l'appauvrir ,
en écartant du ſtyle noble les expreflions & les
tournures qui font defcendues jufqu'au peuple....
« Il faut ici oppofer à l'ufage la même
» force de réſiſtance pour retenir ce qu'il veut
rebuter , qu'on lui oppofe quelquefois pour
» rebuter ce qu'il veut introduire. » Cependant
, l'Auteur fe fait ici l'objection la plus
forte..... Il faut parler à une Nation comme
elle l'a voulu ..... Cela eft fans réplique pour
les Ouvrages dont le fuccès dépend de
» l'émotion fimultanée du Public affemblé.....
» Mais hors delà , & dans des Écrits jugés par
» des Lecteurs ifolés & tranquilles, pourquoi,
» fi l'on eft sûr d'avoir pour foi la raifon & le
goût , n'oferoit-on parler d'après foi-même
» & pour le petit nombre? » L'Auteur répond
auffi à la crainte naturelle que l'on peut
prendre de fon fyftême , tout en l'approuvant.
ور
ود
"
ود
ور
و ر
« J'entends ici les vrais amis du goût & les
» zélés confervateurs de la pureté du langage ,
» me demander fi , en accordant aux Écri-
» vains cette liberté légitime que je follicite
» pour eux , on n'ouvrira point la barrière à
> une licence immodérée , & fi je penſe qu'il
» en réfulte plus d'avantages que d'abus ? e
» A cela je réponds que l'éternel écueil de
la liberté , c'eft la licence , & que la liberté
n'en eft pas moins le premier bien des Arts ,
» comme le premier bien des hommes. Je
réponds qu'il importe peu que les mauvais
» Écrivains en abufent , pourvu que les bons
»
ور
212 MERCURE
ور
و د
en profitent ; car ce n'eft jamais à la foule
qui va périr , mais au petit nombre qui-
» doit vivre, qu'il faut penfer en s'occupant
» des Arts . Un Écrivain judicieux fentira
» mieux que je n'ai pu le dire , à quelles conditions
il peut ofer ce que l'ufage lui défend
ou ne lui permet point encore ; &
» celui à qui la Nature aura refuſe ce diſcer-
» nement jufte & fain , cette fagacité d'intel
ligence & de fentiment qui fait l'homme
» de goût ; celui -là , dis-je , n'a pas befoin
» pour mal écrire, qu'on lui en facilite les
moyens.
ود
""
و و ود
Tel eft le plan de cette differtation , qui
méritoit véritablement le titre de Difcours
Le Grammairien y eft toujours Philofophe ;
le Philofophe homme de goût ; l'homme de
goût éloquent. L'effet de cet Ouvrage eft d'enfeigner
à la fois le courage & la fageffe dans
le ftyle. C'eſt toujours fur d'excellens principes
& par d'excellens exemples que l'Auteur
s'autorife. Écoutons-le dans les morceaux
où il s'anime le plus contre cet efprit de fervitude
, que tant de gens prennent pour le
bon goût.
»
сс
que
Ce font toujours des hommes indignes
d'être libres , qui veulent chacun foit
efclave comme eux. Mais qu'a de commun
» la timide inertie de leur inftinct avec la
» noble audace du génie?
» C'eft un Scudéri qui défend à l'Auteur
du Cid , à Corneille , de dire :
Plus l'offenfeur cft cher, plus eft grande l'offenſe.
DE FRANCE. 213
Je dois à ma maîtreffe , autfi bien qu'à mon père.
Je rendrai monfang pur comme je l'ai reçu .
On l'a pris tout bouillant encor de fa querelle .
و د
و د
323
C'eft Scudéri qui prétend qu'arborer des
lauriers , gagner des combats , inftruire
d'exemple , ne font pas des phraſes Françoifes.
Et voilà le modèle de cette foule de
critiques dont Racine fut affailli , lors même
qu'il portoit la langue à fon plus haut degré
» de gloire. Ce qu'on admire aujourd'hui
dans fon ftyle , comme les hardielles d'un
433
}
maître , lui étoit reproché de fon temps
» comme les fautes d'un écolier . O Subligni !
» tu prétendois favoir la grammaire mieux
» que Racine ! ainfi l'oeil louche de l'envie ,
» ou l'oeil trouble de l'ignorance , en exami-
» nant les Écrits des grands Hommes vivans ,
» y prend pour des incorrections les élégances
les plus exquifes ; & c'eſt toujours l'uſage
» que le faux goût met en avant ; comme fi
l'homme de génie n'avoit jamais droit de
parler fans l'ufage & avant l'ufage.
» Lorfque les grands Ecrivains ne font plus ,
❞ on nous les cite comme des modèles de
» déférence & de docilité pour les défenfes
» de l'ufage. On ne fait pas , ou l'on oublie
" combien de fois ils fe font permis ce que
"
l'ufage n'approuvoit pas. On ne fait pas ,
» en lui cédant , combien il leur en a coûté
de dégoûts & de facrifices ; combien de
fois , dans l'expie fion des mouvemens de
l'âme ou des faillies du caractère , ils ont
י נ כ
"
1
214 MERCURE
10
»
"
"
envié l'énergie , la franchiſe , le naturel , le
» tour vif & rapide de la langue du peuple ;
» combien de fois ils ont foupiré après la
liberté de l'imagination & de la plume de
» Montaigne. Quoi qu'il en foit , fi de grands
Écrivains ont méconnu leur afcendant , &
» fe font fait un devoir trop étroit de céder à
l'ufage , lorfqu'ils auroient voulu & du lui
réfifter ; c'eſt un excès de modeftre dont
» nous les louons à regret , comme d'une
» vertu timide.
"""
»
ود
"
ور
ور
و د
ود
» La langue ufuelle fe trouve riche , parce
qu'elle fournit abondamment au commerce
» intérieur de la fociété ; mais la langue écrite
» ne laiffe pas d'être indigente & nécelliteufe,
parce que fes befoins s'étendent audehors.
Tous les jours elle eft obligée de
correfpondre à des moeurs etrangères , à
» des ufages qui ne font plus ; tous les jours
» l'Hiftorien , le Foëte , le Philofophe ſe
tranfplante dans des pays lointains , dans
» des temps reculés ; & que deviendra-t'il fi
» fa langue n'eft pas cofmopolite comme lui ,
» fi elle n'a pas les analogues & les équiva-
» lens de celle des pays & des temps qu'il
fréquente? Que deviendra fur-tout le Tra-
» ducteur d'un Écrivain affez habile pour
» avoir mis en oeuvre toutes les richeffes de
La propre langue? Il en eft qu'il eft impof-
» fible de traduire fidèlement , & la raifon
» n'en eft que trop fenfible : c'eft que les lan-
" gues , dont le but commun devroit être une
"
و ر
ور
وو
ور
"
parfaite correſpondance , ſe ſont énorgueilDE
FRANCE.
215
"
lies de leurs propriétés , & ont négligé leur
» commerce. Ce qui dans l'une furabonde ,
» manque dans l'autre , & réciproquement.
"
"
"
Ce font , pour changer de figure , des på-
» lettes de Peintres qui n'ont pas les mêmes
couleurs ; & c'eût été aux Gens de Lettres
à s'en appercevoir & à les affortir. C'eft ce
qu'ont fait Montaigne , Amyot , La Fontaine
, fouvent Racine. Leur langue eft
conquérante ; elle prend les tours & les
» formes des langues éloquentes & poétiques
qu'elle a pour adverfaires , comme les Ro-
» mains empruntoient les armes de leurs
» ennemiş. »
"3
و د
ود
Pour perfuader ces principes , il falloit les
préfenter avec force & grandeur ; & pour ne
pas les rendre fufpects , il falloit y faire fentir
un goût auffi jufte que libre.
M. Marmontel a fait plus que de nous inviter
à chercher de nouvelles beautés , il a fu
nous rendre des richelles perdues ; il a réhabilité
un grand nombre de vieux mots par
le moyen le plus efficace , en les encadrant
dans de belles phrafes & dans de beaux vers.
cc
Suppofons , par exemple , que pour ex-
» primer la chûte de ce qui roule , ou gliffe
» par une longue pente , avec lenteur & fans
» bondir , on employât le vieux mot dévaler :
و ر
Les neiges par monceaux dévaloient des montagnes.
» Ne feroit-ce pas une image de plus ? Si
» on faifoit dire à un homme affligé , qu'il
» trouve àfa douleur une douce allégeance ,
216 MERCURE
"3
qu'on applique à fes maux un foible léni-
» ment : li l'on difoit d'une Province qu'elle
n'étoit pas populeufe de fa nature , mais
qu'elle a été peuplée par l'induſtrie & le
"
"""
» commerce.
» Si l'on difoit que tout ce qui dépend de
» la fortune ou de l'opinion eft inftablecomme
"
"
elles.
Qu'une longuefouvenance du paffé éclaire
un vieillard fur l'avenir , & qu'il la tourne
» en prévoyance.
ور
ود
ور
.C
Qu'en politique , la diffimulation eft permife
, mais non pas la fimulation.
و ر
Que , dans les tems calamiteux , l'humeur
» du peuple s'exafpère , qu'il faut le contenir,
» mais non pas l'entraver.
"
و ر
و د
Que d'élever un homme , en un inſtant ,
du rang infime au rang fuprême , ce n'eft
qu'un jeu pour la fortune.
Qu'un riche étale fon opulence avec un
orgueil outrageux.
و ر
و ر
""
Que le caractère du peuple eft uniforme
» dans les pays de defpotifme , & qu'il eſt
" multiforme dans les pays de liberté ?
و د
Si l'on difoit qu'un homme deshonoré,
» mais impudent , lève un front déhonté con-
» tre la renommée.
» Si l'on difoit :
Les tems calamiteux font féconds en grands Homines.
Qu'attendez-vous d'un homme oublieux des bienfaits ?
Le ciel enfin pour nous fera - t'il exhorable ?
Il parvint à la gloire à force de labeurs.
Reſpirer
DE FRANCE. 217
Refpiret la fraîcheur des ombreuses vallées .
Les vents bruyoient au loin dans les forêts profondes.
Ils ont de leurs difcords fatigué l'Univers .
De les rais argentés Diane fe couronne.
Lès épis ondoyans commençoient à blondir.
و د
» Parleroit-on une langue étrangère ? Ne
feroit-on pas entendu ? Ne le feroit - on pas
» même avec le plaifir qu'on éprouve à re-
» trouver des biens que l'on croyoit perdus
» & qu'on a long-temps regrettés ?
"
Si les Gens de Lettres méritoient quelques
reproches dans l'abandon qu'ils ont fait
de tant d'expreffions heureufas , les Gens de
Cour & les Hommes du monde n'ont pas été
moins funeftes à la franchife & à la variété
de la langue ; il étoit bon de leur repréſenter
jufqu'où doit s'étendre & où doit finir l'influence
de leur goût fur le ftyle ; & on ne
pouvoit le faire avec plus d'efprit & de grâce ,
de fermeté & d'adreffe.
« La Cour , dont le langage roule fur un
» petit nombre de mots , la plupart vagues
» & confus , d'un fens équivoque ou à demi
"
29
"
voilé , comme il convient à la politeffe , à
la diflimulation , à l'extrême réſerve , à la
plaifanterie légère , à la malice raffinée ou à
» la flatterie adroite ; la Cour a pu , dans
" tous les temps , négliger une infinité d'ex-
» preffions naïves ou franches , dont elle
n'avoit pas befoin . Le monde poli & fuperficiel
, qui fuit l'exemple de la Cour , & qui
Nº. 44 , 29 Octobre 1785. K
ود
»
"
218 MERCURE
23
و ر
و ر
» croit qu'il eft du bon ton de parler de tour
froidement , légèrement , à demi - mot , fans
chaleur & fans énergie ; ce monde , dis-je ,
» a dû laiffer tomber tout ce qui n'étoit pas
» de fa langue ufuelle. L'expreffion fine &
piquante a dû lui être chère; il l'a dû con-
» ferver; il a dû conferver de même le lan-
» gage du fentiment dans toute fa délicateffe ,
» comme effentiel au caractère de politeffe &
» de galanterie , qui eft la furface de fes
» moeurs. Mais fon dictionnaire n'a pas dû
» s'étendre au-delà du cercle de fes befoins ;
» & mille façons de parler , néceffaires à
» l'homme qui penfe fortement & qui veut
s'exprimer de même , à l'homme qui s'affecte
d'un fentiment paffionné ou d'une
image pathétique , & qui veut rendre ce
qu'il fent ; enfin le langage de l'élo
» quence & de la poéfie n'a pas dû trouver
» dans le monde des confervateurs bien zélés.
» Mais en négligeant des richeffes qui leur
» étoient inutiles , la Cour & le monde fai-
» foient-ils une loi de les abandonner comme
» eux ? Et ceux à qui toutes les couleurs
» toutes les nuances de la langue étoient
, ג
23
"
ور
22.
précieuſes , n'auroient-ils pas été au moins
» bien excufables de ne pas les laiffer périr? »
DE FRANCE. 219
EXPLICATION du fyftême de l'Harmonie
pour abréger l'étude de la compofition &
accorder la pratique avec la théorie , par
M. le Chevalier de Lirou. 1 vol. in - 8 °.
de 140 pages . Prix , 3 liv. 12 fols broché.
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Mérigor , quai des Auguſtins ; Bailly , rue
S. Honoré , barrière des Sergens ; Bailleux ,
Marchand de Mufique de la Famille
Royale , rue S. Honoré , à la Règle d'or;
Boyer , Marchand de Muſique , rue de
Richelieu , à l'ancien café de Foy.
LES Arts , pour la plupart , nous font parvenus
tout perfectionnés. Les Grecs , ce
peuple fi fenfible , & qui paroiffoit né pour
eux; les Latins, à leur exemple , les ont longtemps
cultivés , en ont apprécié tous les .
effets , approfondi tous les procédés ; & c'eſt
avec tous les principes qui leur fervent de
fondement qu'ils nous les ont tranfmis. La
mufique feule eft une invention moderne ,
non pas le chant , ce langage univerfel que
l'homme reçut avec la vie, & dont il connut
l'ufage probablement avant celui de la
parole ; mais l'harmonie , cet affemblage de
fons fimultanés , qui , difpofés avec art ,
produifent de fi grands effets , affemblage
que les anciens paroiffent n'avoir pas connu.
On est étonné fans doute que des peuples fi
délicats, fi avancés for tous les Arts , qui
avoient même porté fi loin le calcul des fons
Kij
220 MERCURE
dont la mélodie eft compofée , qui connoiffoient
parfaitement les intervalles , & qui
employoient la confonnance des octaves ,
n'ayent pas cherché plus avant , & que le
plus ancien des Arts foit refté dans l'enfance
prefque jufqu'à nos jours. C'eſt un problême
que nous n'entreprendrons pas de réfoudre .
Il nous fuffit de remarquer que cette vérité
eft aujourd'hui prefque univerfellement reconnue
, & qu'elle n'a été combattue tant
de fois, que parce qu'elle étoit difficile à concevoir.
Mais dans quel temps & par qui le
fyftême de l'harmonie , tel que nous le connoiffons
aujourd'hui , fut-il inventé ? A une
époque où les efprits, fortant à peine de l'ef
pèce d'abrutiffement où de grandes révolutions
l'avoient plongé , commençoient à ſe
ranimer pour les Arts , enfevelis comme
eux dans la barbarie . Celui de la mufique fe
reffentit du peu d'ordre & de méthode qui
régnoit dans la tête defes inventeurs . Chaque
point de la découverte , à mesure qu'elle fe
faifoit , amenoit une règle nouvelle . Une
aveugle routine étant alors le feul guide , &
les fens trompeurs de l'homme le feul juge
de fes productions , rien ne pofeir fur des
principes certains ; chacun ajoutoit fon idée
aux idées déjà reçues , & tout étoit également
adopté. La mufique reffembloit alors à l'architecture
gothique , elle en avoit toute la
confufion. Mais l'architecture put fe perfectionner
fur les reftes des monumens de la
Grèce. L'harmonie ne trouva chez elle que
i
DE FRANCE. 2212
des matériaux informes ; & le niêlange que
fir Guido d'Arrezzo , du fyftême des Grecs
avec le lyftême moderne , acheva de tout em-.
brouiller. Au milieu de ce chaos l'art s'avançoit
toujours ; car le génie crée fans s'inquiéter
des loix , & c'eft fur les productions
que les loix fe forment. Ce que les Artiftes
ont fait , les Philofophes l'analy fent ; ils tracent
des routes sûres dans lesquelles on marche
alors fans s'égarer.
ور
Rameau , artiſte à la fois & philofophe ,
fimplifia extrêmement la connoiffance de
l'harmonie par les favantes recherches. Il
connut le phénomène des corps fonores , &
ramena tout à ce principe . Il fentit que.
cette multitude d'accords , qui formoit une
nomenclature immenfe , n'étoit autre chofe
que les renverfemèns d'un petit nombre
d'accords, qui obéiffoient aux mêmes loix , &
qu'il fuffifoit de confidérer de leur côté direct
. H imagina donc fa baffe fondamentale
qui préfentoit tous les accords fous cette
feule face ; mais il s'égara en voulant lui
circonfcrire une marche , & en regardant
comme des exceptions tous les cas où l'ufage,,
fondé fur l'oreille , permettoit à cette baffe
des mouvemens contraires à fes principes..
Qu'est- ce que des principes où les exceptions .
font plus nombreufes que les cas où la règle ,
peut s'appliquer Rameau s'égará encore
avec fon accord de grande fixte, & ce double,
emploi qui l'a tant embarraffe. Comment
cet homme , qui avoit eu l'excellente idée
Kiij
222 MERCURE
de ramener tous les accords à leur ordre direct
, c'est- à- dire , à un grouppe de tierces ,
a-t'il pu regarder un accord de fixte comme
fondamental ? C'eft qu'aveuglé par le préjugé,
qui vouloit alors que toute feptième defcendît,
& trouvant dans cet accord une diffonnance
mineure qui ne defcendoit pas, il n'ofa
le confidérer comme une feptième. On voit
plus clair aujourd'hui ; auffi n'a- t'on confervé
de fa découverte que ce qu'elle a de
réél & d'avantageux. Tout le refte eft ruiné
de fond en comble.
Il reftoit à trouver un fyftême qui liât
l'harmonie dans toutes fes parties ; un principe
unique , & qui , par cela même , parût
être celui de la Nature , d'où découlaffent
routes les règles , auquel elles vinffent toutes
fe rapporter. C'eft ce que M. le Chevalier
de Lirou établit aujourd'hui . Rien n'eft fi
fimple que fon fyftême , dont il faut voir
dans fon Ouvrage même tous les développemens.
Nous tâcherons cependant d'en
donner une idée ; & nous espérons être entendus
d'autant plus facilement par tous
ceux qui ont les premières notions de l'harmonie
, que l'Auteur , en profitant de tout
ce qu'on a écrit avant lui fur ce fujet , n'a
point été obligé de recourir à une nomenclature
nouvelle.
Il part du principe de la réfonnance des
corps fonores. On fait qu'un fon mufical
fait entendre avec lui fa douzième & fa dixfeptième;
ce qui , en rapprochant les interDE
FRANCE. 223
valles ( puifque les octaves ne font que la réplique
des fons ) donne la quinte & la tierce.
Voilà donc le principe de l'harmonie fourni
par la Nature elle-même d'une manière bien
évidente , & dans un ordre direct. Ainfi , ut
étant le fon fuppofé , fait entendre avec lui
fa douzième ou quintefol , & fa dix-feptième
ou tierce mi ; & cet accord , le feul qui
ne doive rien à l'Art , eft appelé accord
parfait.
En l'examinant dans fes parties , on voit
qu'il eft compofé , 1 ° . d'une tierce majeure ,
ut mi; 2°. d'une tierce mineure , mi fol, &
d'une quinte ut fol. L'Auteur en conclud
que la tierce pouvant être majeure ou mineure
ne peut fervir à conftituer un accord ,
& que cette faculté eft réfervée à la quinte
qui eft inaltérable.
Ce fol quinte d'ut , qui a fervi à conftituer
l'accord parfait de cet ut , ſon générateur
, peut devenir à fon tour générateur
d'un autre accord parfait , qui fera
fol fi ré; & l'ut , de fon côté , a dû être
engendré de même par une note qui feroit à
La quinte au grave , & dont l'ut feroit dans
ce cas l'intervalle conftitutif. Cette note eft
un fa , qui engendre l'accord parfait fa , la ,
ut , comme ut a engendré ut ,
mi , fol Voilà
donc les trois émanations de ce que l'Auteur
appelle le point central , trois accords parfaits
, qui , entre- eux , contiennent toutes
les notes de la gamine. Ut , mi ,fol. - Sol ,
fi , ré. Fa, la , ut. Pour ranger ces notes
Kiv
224 MERCURE
dans un ordre diatonique , l'Auteur en compofe
deux tétracordes parfaitement femblables
; favoir : mi , fa , fol , la , -fi , ut,
re , mi , qui ont l'avantage de ne point abandonner
la modulation , avantage que n'a
point notre gamme , divifée par Guido d'Arrezzo
, ut , re , mi , fa , - fol, la , fi , ut ,
qui offre évidemment les modulations d'ut
de fa & de fol , produites par les trois accords
parfaits qui ont fervi à la compofer.
Pour donner plus de clarré à ſon ſyſtême ,
M. le Chevalier de Lirou range ces trois accords
dans leur ordre direct & en forme de
cercle; favoir : fa , la , ut , mi , fol , fi , ré,
produits par le générateur ut , & fon intervalle
conftitutif fol , où l'on trouve tous les
accords que la mufique peut employer,
D'abord , trois accords parfaits majeurs , fa ,
la , ut, ut , mi , fol , fol , fi , ré. Enfuite
trois accords parfaits mineurs , ré , fa ,
la , la , ut, mi , mi , fol , fi. Nous allons
voir comment il en fait naître la diffonnance.
>>
"
---
-
" En parcourant le cercle du grave à
l'aigu , on trouvera fept quintes , dont
» la dernière , fi , fa, le trouve diminuée
d'un demi ton , & fait par conféquent
» un intervalle diffonnant que j'appelle
quinte diffonnante ...... Cette quinte a la
propriété , en fufpendant la marche des
confonnances , de caractériſer invincible-
» ment la modulation du fon générateur
qui l'a produite , en fe réfolvant.... fur de-
"
»
33
DE
225
FRANCE.
» même fon générateur , pour terminer
parfaitement la phraſe muſicale par une
» cadence parfaite.
"
"
Nous remarquerons ici que c'eft une idée
auffi jufte qu'heureuſe , & qui appartient à
M. le Chevalier de Lirou , de regarder la
fauffe quinte feule comme une diffonnance
& le principe de la diffonnance. Les partifans
de la baffe fondamentale , ne regardent
comme diffonnans que deux fons conjoints ,
ce qui n'eft pas vrai ; car dans l'accord de
onzième , par exemple , ut , fol , fi , ré, fa ,
ut & ré , font bien deux fons conjoints ; cependant
, ni l'une ni l'autre de ces notes
n'eft une véritable diffonnance , puifqu'elles
n'ont point de marche affignée. La diffonnance
de cet accord eft fa.
"
ود
L'Auteur paffe enfuite aux autres accords
diffonnans , qu'il appelle compofés . La
quinte diffonnante , fi , ré , fa , dit-il , ſe
trouve divifée par le fon ré en deux intervalles
confonnans , fi ré , qui appartient à
l'accord parfait majeur , fol , fi, ré, &
ré , fa , qui appartient à l'accord parfait
" mineur , ré, fa , la ; pour fuivre la loi de
» la nature , qui nous indique la perfection
» dans la quinte jufte , on enrichit cet accord
en donnant à l'une de fes tierces le com-'
plément de fon accord parfait , favoir fa
quinte. » Ainfi , fi vous ajoutez fol , formant
quinte avec ré , vous aurez un accord
de feptième , fol , fi , ré, fa , appelé dé do -¹
minante , parce qu'il vient du fon confti-
"
و د ،
1
Kv
226 MERCURE
tutif du générateur ut. Lorfque c'eſt à la
tierce ré, fa, que vous donnez le complément
de la quinte , cette réunion produit la feptième
fur la note ſenſible , ſi , ré , fa , la ,
moins parfaite que la feptième de dominante
, parce que fon accord parfait eſt mineur
, mais qui en a d'ailleurs toutes les propriétés
Cette origine de la feptième fentible
eft abfolument neuve , & nous paroît trèsingénieufe.
Les fons de ces deux accords réunis , dit
l'Auteur , appartenans à deux corps fonores
différens , ne peuvent s'identifier , & tiennent
loreille en fufpends jufqu'à ce qu'ils
ayent opéré leur refolution fur un accord
parfait , & c'eſt ce qu'on appelle une cadence.
Il en eft de plufieurs efpèces , & l'Auteur
en augmente encore le nombre , en
propofant la réfolution de la diffonnance
fucceffivement für tous les points du cercle.
Quelques- uns de ces mouvemens pourront
être conteftés à M. le Chevalier de Lirou;
mais nous ne voyons pas quelles bonnes
raifons on pourroit employer pour les interdire.
Il fait faire les mêmes cadences à fon
accord de feptième fenfible , & c'est encore
ine nouveauté qu'on doit effayer plutê: que
combattre. L'harmonie eft fi bornée , qu'on
ne fauroit recevoir avec trop d'empreffement
tout ce qui peut contribuer à l'enrichir.
Il faut voir dans l'Ouvrage même l'origine.
que l'Auteur donne aux feptièmes de domi
DE FRANCE. 227
nantes fimpies , & le développement de fes
raifons ; il nous fuffit de dire ici qu'il y emploie
le même procedé que pour les feptièmes
de dominantes , & qu'il leur affigne la même
marche par le moyen des cadences évitées .
On auroit defiré de voir plutôt l'origine.
du mode mineur. Peut-être M. le Chevalier
de Lirou auroit-il dû la placer immédiatement
après celle du mode majeur , & ne pas
féparer non plus ce qu'il dit des accords &
de leurs differentes cadences ; ce n'eſt pas une
chofe facile que d'établir un fyftême avec
ordre ; lorfqu'il fe forme dans la tête , toutes
les idées qui concourent à l'appuyer arrivent.
en foule & confulement ; on a beaucoup de
peine à les claffer enfuite pour les préfenter
avec méthode. D'ailleurs , il artive que bien
pénétré de fon idée , & la concevant claire-.
ment dans tous les points , on ne prévoit pas
ce qu'elle pourra avoir d'obfcur pour les autres;
mais il eft probable qu'à une feconde.
Édition , l'Auteur , encouragé par le fuffrage
des Artiſtes , écl iré par leurs avis , liera plus
intimement toutes les parties dont fon fyftême
eft compofé. Nous invitons à lire auffi
dans l'Ouvrage même cette origine du mode ,
mineur ; un extrait ne pourroit la preſenter
avec tous fes avantages ; & comme nous
croyons qu'elle fera combattue , nous ne
voulons pas d'avance affoiblir les raifons de
l'Auteur. Il nous femble , au refte , qu'il
auroit trouvé une origine plus vraie &
plus conforme à fon fyftême , s'il avoit dit
1
K vj
228
MERCURE
·
que le mode mineur appartient à deux cercles
, comme il l'a dit de l'accord de fixte
fuperflue. Mais nous ne faiſons que lui propofer
nos doutes à cet égard.
C'eft dans le Livre de M. de Lifou qu'il
faut voir ce qu'il dit de ce dernier accord ,
& le détail des renverfemens qu'il propofe. "
Le développement de ce Chapitre , ainſi que
de celui des neuvièmes , onzièmes & treizièmes
, leurs renverfemens , leurs cadences ,
&c. nous ont paru très intéreffans . On ne
manquera pas de contefter ces nouveaux accords
; mais nous répéterons ce que nous
avons déjà dit , que lorfqu'il eft queſtion
d'étendre les limites d'an Art , il vaut mieux
effayer que de combattre.
-
Le Chapitre le plus utile à tous les Lecteurs
Muficiens , indépendamment même du
fyftême de M. le Chevalier de Lirou , eft
celui des tranfitions . Nous invitons tous ceux
qui fe mêlent d'harmonie à le lire avec attention
; ils y trouveront les lumières les
plus précieufes pour paffer d'un ton à l'autre
avec facilité. Celui intitulé de la marche des
Parties , n'eft pas moins intéreffant , en ce
qu'il applanit beaucoup de difficultés pour
la pratique de la compofition , & qu'il en
réduit les procédés à des règles très fimples
& peu nombreuſes. Ces deux Chapitres
feuls fuffiroient pour faire le plus grand
honneur à M. le Chevalier de Lirou. Il propofe
enfuite une nouvelle manière de chiffrer
les baffes. Nous ne nous y arrêterons
DE FRANCE. 229
pas , en ce qu'elles font indépendantes de
fon fyftême.
En général , cer Ouvrage nous paroît trèsbien
conçu , & devoir être de la plus grande
utilité. Les idées en font juftes , & prefque
par-tout bien liées entre elles. Peut - être la
forme fous laquelle l'Auteur les préfente
manque- t'elle quelquefois de clarté ; mais fi
nous en faifons ici l'obfervation , c'eft
moins pour le reprocher à l'Auteur , qui
peut très- bien , dans une feconde Édition ,
corriger ces légers défauts , que pour inviter
les Lecteurs à ne fe pas rebuter contre les
premières obfcurités qu'ils pourroient rencontrer.
Nous ofons leur promettre que s'ils
veulent vaincre ces obftacles , ( & ils le peuvent
avec un peu d'attention ) ils en feront
dédommagés par tout ce que cet Ouvrage
leur fera voir d'important & d'utile.
·
( Cet Article eft de M. Framery. ).
MÉMOIRE fur la Navigation intérieure
par M. Allemand , Confervateur-Général
de la Navigation de la Garonne , ancien
Confervateur des Forêts de Corfe. in- 4° .
A Paris , chez Prault, Imprimeur -Libraire,
quai des Auguftins .
NOTRE fiècle , qu'on taxe injuftement de
frivolité, eft peut- être celui où les efprits fe
font le plus exercés fur des matières graves
& économiques. L'Auteur de l'Ouvrage que
230
MERCURE
nous annonçons , doit tenir une place diftinguée
parmi les Ecrivains laborieux & réfléchis
qui confacrent leurs veilles à l'utilité publique
, & il ne pouvoit mieux juftifier combien
il étoit digne du titre dont il eſt revêtu ,
qu'en nous communiquant fes vûes fur l'extention
de la navigation , & fur la police des
rivières & des canaux , dont on a toujours reconnu
les avantages , & dont on n'a point corrige
les abus. Le fuffrage de l'Académie des
Sciences fuffit pour faire fentir l'importance
du travail de l'Auteur fur cette partie.
M. Allemand , après une expofition hiſtorique
de tout ce qui s'opère en ce genre chez
toutes les Puiffances de l'Europe , nous indique
ce que nous devons faire , & nous en développe
les moyens faciles. Ce ne font point
des vues politiques que cet Écrivain judicieux
& citoyen nous débite , tout refpire dans fon
Ouvrage l'amour du bien public ; c'eft ce fentiment
non équivoque qui l'a dicté : en travaillant
pour l'intérêt général , fa délicateffe
fait également ménager les intérêts des particuliers.
Mais ce qui donne le plus de prix à
fa production , c'eſt le plan d'opérations qu'il
a dreffé pour prévenir les abus qui , juſqu'ici ,
fe font oppofés aux vûes bienfaifantes du Gouvernement
; c'eft par-là qu'il mérite l'attention
des hommes en place. Cet Ouvrage , qui
intéreffe également toutes les branches de
l'Adminiſtration , & dont toutes les parties
font liées , ne nous paroît pas fufceptible
d'analyfe ; en rompre un feul chainon , ce
DE FRANCE.
231
feroit le mutiler ; c'eſt en le lifant , en le
méditant , qu'on en connoîtra tout le mérite.
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
MLLE CANDEILLE a débuté , le 20 Septembre
, par le rôle d'Hermione , dans Andro--
maque , & a joué fucceffivement les rôles de
Roxane & d'iménaïde , dans les Tragedies de
Bajazet & de Tancrède , & ceux d'Alzire &
d'Ariane, dans les Pièces de ce nom . Ön ne
lui a pas trouvé un jeu réglé & foutenu , ce
qu'il feroit injufte d'exiger d'une auffi jeune
Actrice qu'elle ; mais on lui a trouvé fouvent
de l'énergie , de la fenfibilité , des momens
d'abandon intéreffans , des intentions juftes ;
en un mot, tout ce qui annonce les plus heureufes
difpofitions , & elle a obtenu les plus
vifs encouragemens. Mlle Candeille eft l'Élève
de M. Molé, cet Acteur qui , depuis plus de
vingt ans , a fu fixer l'inconftance de notre
Nation , par la fupériorité de fes talens , &
sûrement elle ne pouvoit tomber en de meilleures
mains : perfonne ne peut donner des
principes plus sûrs que lui ; mais il faut que
Mlle Candeille travaille aujourd'hui d'après
ſes propres réflexions , qu'elle fe faffe un jeu
qui lui appartienne , &c. On lui donne beau
232
MERCURE
coup d'efprit , & la tâche par conféquent n'eft
pas difficile ; elle verra la différence entre un
rôle qu'on nous fait fentir ou que nous apprenons
à bien connoître ; d'ailleurs , avec quelle
énergie on conçoit , avec quelle froideur on
reçoit la leçon. Point de traits fublimes dans
le jeu d'une Écolière , point d'originalité ſi
l'on ne joue d'après foi.
Mlle VANHOVE , fille du Comédien de ce
nom , a débuté , Samedi 8 Octobre , par le
rôle d'Iphigénie en Aulide , & y a obtenu le
plus grand fuccès. Un fon de voix intéreffant ,
de l'intelligence , de la fenfibilité ; fon extrême
jeuneffe ( elle n'a encore que 14 ans ) lui ont
concilié tous les fuffrages . Elle a joué , le Lundi .
fuivant , dans l'École des Mères & dans la
Jeune Indienne , & fon fuccès a été encore.
plus brillant. C'eft vraiment l'Élève de la Na- ›
turę. Son début continue & fe foutient tou- ,
jours avec le même éclat. Tout Paris s'y porte.
C'eft une acquifition précieuſe à faire pour
la Comédie , où elle peut jouer les jeunes-
Princeffes & les ingénuités ; & nous ne dou- ,
tons pas de l'empreffement des Comédiens à
s'attacher un Sujet fi rare : les fervices de fon .
père devroient être fa recommandation auprès
d'eux , quand elle n'auroit pas de vérita- :
bles droits à leur bienveillance ; fes talens &
la faveur du Public.
DE FRANCE. 233
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a donné à ce Spectacle , Mardi 18 de
ce mois , la première repréfentation de Germance
, Drame en trois Actes.
}
On a volé à Germance , Caiffier d'un riche
Négociant , vingt mille livres en vingt billets
de banque ; & ce jeune homme , qui penfe
que l'aveu de ce malheur le ruinera & le
perdra de réputation , projette de fe tuer. Une
lettre interceptée , une indifcrétion de Valet ,
mettent le Négociant au fait de la cruelle
aventure & du défefpoir de fon Caiffier. Il
apprend en même temps que Germance &
fa fille s'aiment , ( fa fille , qu'il venoit de
promettre à un autre ) & il ſe réfout fur
le champ , fans rien examiner ni ſe fàcher
de rien , à réparer le malheur de fon Caillier
& à lui donner fa fille. Il fait venir un jeune
homme de fa connoiffance , lui remet en
mêmes billets de banque la fomme volée , &
lui ordonne d'aller les porter à Germance ,
comme une reftitution qu'il eſt chargé de lui
faire. Germance reçoit avec tranſport cette
reftitution , vole trouver le Négociant & fa
fille , dont fon défeſpoir l'avoit éloigné depuis.
quelques jours , leur fait part de tout , & le
Négociant s'applaudit de l'effet de ſa générofité.
Cependant la perfonne qui avoit été
chargée de la reftitution revient , & très-étourdiment
fait connoître à Germance le procédé
234
MERCURE
de fon bienfaiteur , & par conféquent que le
vol n'eft pas rendu ; mais le Caiffier ne voit
dans ce contre- temps que les nouvelles obligations
qu'il a au père de fa maîtreffe , & il a
bien raifon ; car le Négociant renvoie en cè
moment l'époux qu'il avoit , au commencement
de la Pièce , deſtiné à fa fille , & lui accorde
Germance.
La Pièce a réuffi , voilà tout ce que nous
pouvons en dire.
ANNONCES ET NOTICES.
PRECIS Hiftorique fur la Vie & les Exploits de
François le Fort, Citoyen de Genève , Général &
grand Amiral de Ruffie , & principal Miniftre de
Pierre-le-Grand , par M. de Baſſville. A Genève ;
& fe trouve à Paris , chez Laurent , rue de
Tournon .
On lit avec plaifir la Vie de ce Génevois intéreſ
fant , qui a été un des plus zélés Coopérateurs de la
grande révolution arrivée en Ruffie fous Pierre- le-
Grand ; outre l'intérêt que l'on prend à cette révo
lution , qui a chaffé la barbarie du plus vaſte État
de l'Europe pour y appeler les Arts , les Moeurs &
la Philofophie , on eft flatté de voir M. le Forr
n'employer pretque jamais que la douceur & la
bienfaifance , donner lui - même l'exemple des vertus
qu'il vouloit introduire , ſoit à la Cour du Czar ,
foit dans les Armées , & mourir pauvre après avoir
long- tems manié les finances de l'État. On regrette
en lifant cet Ouvrage , que l'Auteur fe ſoit borné à
DE FRANCE. 235
un Effai , & l'on defireroit qu'il fe fût un peu plus
étendu fur certains détails dans leſquels M. le Fort
a dû jouer un rôle ; il paroît , par exemple , qu'il
eut une grande influence fur la répudiation de l'Impératrice
Eudoxie ; que ce fut lui qui détermina le
Czar à ce coup d'autorité; & l'on ne fait quels furent
les moyens qu'il employa , ni les motifs qui le
guidèrent.
Ce Précis eft écrit avec la fimplicité qui convient
à l'Hiftoire , & l'on verra dans la Préface une
petite Differtation affez curieufe fur l'Hiftoire de
Pierre Premier , par M. de Voltaire.
PHARMACOPEE des Pauvres , ou Formules des
Médicamens les plus afuels dans le traitement des
Maladies du Peuple , avec l'indication des vertus
de ces Médicamens , de la manière de les employer,
& des Maladies auxquelles ils conviennent ; Ouvrage
destiné à fervir aux Hôpitaux , Maifons de
Charité , & à toutes Perfonnes qui veulent foalager
les Pauvres , in 8 °.; par M. Jadelot , Profeffeur de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité de Nanci ,
& c. A Nanci , chez H. Hener , Imprimeur , rue
Saint Dizier ; & fe trouve à Paris , chez Didot le
jeune , Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins.
·
Cet Ouvrage eft eftimable & par fon objet & par
la manière dont il eſt traité.
Essa fur les moyens de perfectionner les Études
de Médecine , par M. S. A. D. Tiffot , D. M. in-
12. A Laufanne , chez Mourer , cadet , Imprimeur-
Libraire ; & fe trouve à Paris , chez Didot le jeune,
Imprimeur- Libraire , quai des Auguftins. Prix ,
I liv. 1o fols.
M. Tiffot a fait pour la Médecine ce que Fontenelle
a fait pour les Sciences ; il l'a mife à la portée.
des diverfes claffes de Lecteurs , il l'a rendue , pour
236 MERCURE
ainfi dire, communicative. Les nombreux fuccès
qu'il a obtenus juſqu'ici, établiſſent un préjugé avantageux
en faveur de l'Ouvrage que nous annonçons.
Avis aux Mères qui veulent allaiter , par M.
Roze de l'Epinoy , Docteur - Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , in- 12 . Prix , liv. 4 fols. A
Paris , chez Didot le jeune , Imprimeur - Libraire ,
quai des Auguftins.
Nous avons vu la raiſon , par l'organe de l'Éloquence
, perfuader à un grand nombre de Mères
d'allaiter elles mêmes leurs enfans , & c'eft fans
doute un grand bien pour l'humanité ; mais il n'en
eft pas moins vrai qu'il y a des Mères qui ne peuvent
être nourrices fans compromettre leur fanté &
celle de leurs nourriçons. C'est donc un ſervice à
rendre à la Société , que de déterminer ce qui doit
décider les Mères à remplir ce devoir de la Nature ,
& ce qui doit les en empêcher. Tel a été le but de
M. Roze de l'Epinoy , dont on doit louer le zèle &
les vûes fages que fon Ouvrage renferme.
RECHERCHES fur la nature & les effets du Méphitifme
des foffes d'aifance , par M. Hallé , de la
Faculté de Médecine de Paris , de la Société Royale
de Médecine , imprimées par ordre du Gouvernement
, in. 8. A Paris , de l'Imprimerie de Ph. D.
Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi , & .
Cette Brochure peut jeter de grandes lumières
fur eette partie de la Médecine qui intéreffe fi fort.
le bien de l'humanité. Les Recherches de l'Auteur &
les Notes qui les accompagnent annoncent des vûes
fages & un zèle actif.
DISSERTATION fur le Tabac , & fur fes bons &
mauvais effets , in - 4° . A Paris , chez M. Buc'hoz ,
Auteur de cette Differtation , rue de la Harpe , auDE
FRANCE. 237
deffus du Collège d'Harcour. Prix , 4 livres 10 fols
avec figures coloriées .
Cette Differtation , réunie avec celles qu'on diftribuera
fucceffivement, formera une- nouvelle Edition
de l'Hiftoire générale & économique des trois règnes
qu'on publiera par partie pour en faciliter l'acquifition
aux Amateurs , & pour les mettre à même de
choifir ce qui fera plus à leur goût.
MANUEL des Goutteux & des Rhumatiftes , ou
tArt de fe traiter foi - même de la Goutte du
Rhumatifme , & de leur complication , avec la
manière de s'en préferver , de s'en guérir , &
d'en éviter la récidive ; par M. Gachet , Maître
en Chirurgie , Auteur de l'Elixir Anti Goutteux ,
in- 11 . A Paris , chez M. Gacher fils , Editeur , rue
Beauregard, nº . so , & Leboucher , Libraire , quai
de Gêvres.
·MÉTHODE pour traiter toutes les Maladies ,
très - utile auxjeunes Médecins , aux Chirurgiens &
aux Gens charitables qui exercent la Médecine dans
les campagnes , dédiée au Roi , par M. Vachier ,
Docteur - Régent de la Faculté de Médecine de
Paris , &c. , in - 12 . A Paris , chez Méquignon
l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
L'Ouvrage qu'a entrepris M. Vachier est un
Traité complet de Médecine- Pratique , & peut être
de la plus grande utilité. Il n'en paroît encore que
trois Volumes , qui font defirer la fuite & la fin de
ce grand Ouvrage .
LES Pfeaumes de David , traduits fur le Texte
Hébreu , accompagnés de Réflexions qui en developpent
le fens, & de Notes qui en éclairciffent les
principales difficultés , auxquels on a joint le Texte
Latin de la Vulgate & la Traduction de M. de
238 MERCURE
Sacy; par M. Baudner , Curé de Peyruffe - Maffus,
au Diocèse d'Auch , 2 Vol. in 12. A Paris , chez
Samfon, Libraire , quai des Auguftins.
Le mérite poétique des Pfeaumes eft trop inconteftablement
reconnu , pour que nous ayons befoin
d'en faire ici l'éloge ; mais nous devons un tribut de
louange au nouveau Traducteur ; il a fu rendre les
beautés de l'original avec fidélité fans fervitude , &
nous croyons qu'on aura du plaifir à lire fa Traduction
, même après les imitations qu'en ont données
ros meilleurs Poëtes. Les Réflexions & les Notes
qui l'accompagnent annoncent beaucoup d'érudition
, une profonde connoiffance du Grec , & ont
le mérite de la plus fage difcuffion .
La Lafca, en Italien. Prix , 4 livres relié. A
Paris , chez Volland , Libraire , quai des Auguftins ,
près la rue de Hurepoix .
PANEGYRIQUz de Sainte Thérèſe , Réformatrice
du Carmel , prononcé dans l'Eglife des Carmélites
de S. Denis , le 15 Octobre 1784, dédié à
Madame Louife de France , par M. l'Abbé du
Serre -Figon. A Paris , chez Lefclapart , Libraire de
MONSIEUR , Pont Notre - Dame.
dire
Pour bien réuffir dans ce Panégyrique , il falloit
avoir , comme l'Hiftoire Chrétienne qui en eft le
fujet , un esprit mâle & flexible , une tête forte , un
coeur fenfible & aimant. M. l'Abbé du Serre- Figon
poſsède ces divers genres de mérite , & l'on peut
de lui que
c'eſt un Orateur à grand caractère , Saifi
d'un faint enthoufiafme , il s'élève à la hauteur de
fon fujet , & peint l'étonnante Réformatrice du
Carmel avec les couleurs qui lui font propres. En
exprimant toute la févérité de cette Sainte ,
rend les vertus aimables & touchantes. Son Difcours
renferme de belles & énergiques pensées , écrites
il en
DE FRANCE. 239
d'un ftyle brillant , animé , fouvent même poétique,
Nous reviendrons fur cet Ouvrage.
NOUVELLE Topographie , ou Defcription
détaillée de la France divifée par carrés uniformes
&c. , par M. Robert de Heffeln . Centeur Royal , &
Géographe de la Ville de Paris , rue du Jardinet ,
vis à- vis celle du Paon.
Contrée Sud - Ouest de la Région Centre , la
feptième des Cartes qui renferment le ſecond degré
des détails de la fuperficie du Royaume jufqu'aux
Paroiffes inclufivement. L'échelle des Cartes de ce
fecond degré de détail eft de 243 toifes par ligne,
Celle que l'Auteur vient de publier contient l'Angou
mois & une partie du haut Poitou . La Ville d'Angoulême
fe trouve allez près du centre de cette
Carte vers le Midi .
CARTE du Diocèfe de Troyes , divifée en fes
huit Doyennés , dreffée par M. Courtalon , Ingénieur
Géographe , 1785 , Prix , I liv. 10 fols . A
Paris , chez Mondhare & Jean , rue Saint Jean de
Beauvais ; & à Troyes , chez Lepetit , près l'Hôtel-
3
de-Ville,
FIGURES de l'Hiftoire Romaine , accompagnées
Pun Précis Hiftorique au bas de chaque Eftumpe,
quatrième Livraison.
Il y a toujours le même mérite dans l'exécution
de cet Ouvrage , qui fera compofé de trois cens Eftampes
& d'un Frontispice. Chaque Livraison , compofée
de douze Eftampes , coûte 15 livres , & continuera
toujours à paroître de deux mois en deux
mois. On fe fait infcrire à Pa is , au Palais Royal ,
paffage de Richelieu , D°. 2 chez l'Auteur ,
M. de Mirys , Secrétaire des Commandemens
240
MERCURE -
de Mgr. le Duc de Montpenfier. Cet Ouvrage eft
imprimé fur papier vélin.
-
NUMÉROS 37 à 42 de la Mufe Lyrique , ou
Journal de Guitare avec chant , dédié a la Reine ,
par M. Porro , contenant les Airs choifis de l'Amant
Statue , un Rondeau de Mortellari , &c . Prix , 12 l.
& 18 liv. Numéro 10 du Journal de Violon , ou
Recueil d'Airs nouveaux arrangés pour le Violon ,
Alto , la Flûte & la Baffe , par les meilleurs Maîtres
, contenant l'Ouverture de l'Amant Statue &
deş Airs du même Opéra. Prix , 2 liv . 8 fols ;
abonnement , 18 liv. & 21 liv. A Paris , chez Mme
Baillon , rue Neuve des Petits- Champs , au coin de
celle de Richelieu , à la Mufe Lyrique.
TROIS Sonates pour le Clavecin , avec Violon &
Violoncelle , par M. Jofeph Hayden , OEuvre quarantième
& quatrième de Clavecin . Prix , 7 liv . 4 f.
port franc par la pofte. A Paris , chez Leduc , rue
du Roule , N. 6 , au Magafin de Mufique &
d'Inftrumens.
TAB L E.
VERS faits après une repré- ¡ Explication du fyfiême de
fentation de Didon , 193 219
Fable du Géant Antée, 194 Mémoirefur la Navigation in-
Charade, Enigme & LogogryÎ'Harmonie,
térieure , 229
197 Comédie Françoiſe , 231
233
199 Annonces & Notices , 234
འབར་
De l'autorité de l'Ufage fur la Comédie Italienne ,
phe ,
Langue,
APPROBATION.
J'AI lapar ordre de Mgr le Garde des Sccaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 29 Octobre 1785. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 28 C&obre 1785. GUIDI.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
ƉE HAMBOURG , le 17 Septembre.
O
Na découvert à Tellemarken en Norwege
, une nouvelle mine de cuivre qui
renferme de l'argent. Le quintal de minerai
exploité contient 45 livres pefant de cuivre
& près de 3 onces d'argent.
Le Prince héréditaire de Danemarck &
la Princeffe fon épouſe font de retour à
Copenhague , où l'on a commencé , ainfi
que dans tous les Etats du Roi , une quête
pour le foulagement des malheureux habitans
de l'lflande .
DE BERLIN , le 16 Septembre.
Le Lieutenant Général de Tauenzien
ayant demandé au Roi la démiffion de la
place d'Inspecteur des troupes dans la Siléhe,
S. M. la lui a accordé ; & elle a nom
N°. 40 , 1 Octobre 1785 . a
( 2 )
mé le Major- Général Comte d'Anhalt pour .
infpecter l'Infanterie dans la Bafle Silefie ,
& le Major Général de Goës pour inſpecter
celle dans la haute Siléfie.
Le Corps d'Artillerie a commencé le 4
fes exercices aux environs de Wedding , &
le Roi l'a paffé en revues jours après.
Toujours attentif à porter à fes peuples
les fecours qu'exigent les circonftances , &
regardant ces bienfaits comme un devoir
du Trône , ce Monarque vient de faire remettre
aux habitans de la Baſſe - Siléfie une
fomme de 100,000 rixdalers , deftinée à réparer
les dommages qu'a caufés la derniere
inondation . La ville de Schweidnitz a également
reçu de S. M. un don de 20,000
rixdalers pour diverfes conftructions d'édifices.
Les Août , un orage accompagné
de grêle ayant ravagé 131 villages & fermes
de la Pruffe occidentale , les habitans
& les beftiaux euffent été expofés à une famine
inévitable , fans les fecours paternels
du Roi , qui a donné des ordres pour une
diftribution fuffifante de blé & de fourrages,
LeDuc & la Ducheffe de Courlande font
revenus ici de leur voyage en Italie , & fe
font rendus au Château de Fridericsfeld.
Au moment de la fignature de l'acte d'U
nion entre le Roi & les Electeurs d'Hanovre
& de Saxe , S. M. fit prefent au Baron
de Beulwitz , Miniftre d'Etat de Hanovre
an Comte de Zinzendorf , Envoié de la
( 3 )
Cour de Drefde , d'une riche
tabatiere avec
fon portrait , & d'une fomme
d'argent pour
chacun des
Secrétaires de
Légation . C'eſt
M. de
Bohmer ,
Confeiller privé du Cabinet
, que S. M. a chargé de porter aux diverfes
Cours de
l'Empire , la
Déclaration ,
ou Expofé des motifs qui ont
déterminé le
Roi à proposer à fes co - Etats de
l'Empire
une
Affociarion pour le maintien de la conftitution
Germanique . M. de Bohmer eft
également
chargé
d'inviter ces Princes à
accéder à l'acte d'Union.
3
Comme cet Expofé differe en plufieurs
points effentiels de la
Déclaration du Roi
aux Etats
Généraux , que nous avons rapportée,
& qu'il eft
accompagné d'un préambule
abfolument
nouveau ; il eft
indilpenfable
de mettre fous les yeux de nos Lecteurs
ces
différences auffi
importantes que curieufes.
Elles jettent un grand jour fur des événemens
antérieurs , qui jufqu'ici avoient
ru
inexplicables .
pa.
» C'est à regret que le Roi fe voit forcé ;
par les imputations paffionnées & les affertions
hazardées , que la Cour de Vienne s'eft permis
fur fon compte dans les lettres & déclarations
ministérielles qu'elle a adreffées à outes les Cours
d'Allemagne , ainfi qu'à d'autres Puiffances de
l'Europe , & qu'elle même a fait rendre pu-.
bliques par la voie de l'imp effion , d'expofer
à ces mêmes Cours les moifs qui l'ont porté
à propofer à fes hauts Co- Etats de l'Empire &
à faire avec eux une affociation conforme au
fyftême & à la conftitution
fondamenta'è de ce
a 2
( 4 )
2
même Empire. Pour cette fin il fuffira de
rappeller fuccinctement & avec la plus exacte
vérité les principaux événemens de cette année ,
ainfi que les faits & les démarches qui ont précédé
& produit cette affociation ».
« Il eft notoire , qu'après la mort du dernier
Electeur de Baviere , la Cour de Vienne forma
des prétentions fur la Baffe - Baviere , & tâcha
d'acquérir cette Province par la convention
conclue avec l'Electeur Palatin ,
le 3. Janvier
1778. Le Roi & le Duc des deux- Ponts s'y étant
oppofés , elle s'efforça de parvenir à ce but par
les propofitions d'échange , qui furent faites &
débattues dans les conférences tenues à Berlin
dans les mois de Mai & de Juin 1778 ; & enfuite
au mois d'Août , dans celles du couvent
de Braunau en Bohême. Le Roi déc'ina tout
échangé de la Baviere , comme également injufte
& dangereux à l'Empire , & en montra l'inadmiffibilité
dans fon Expofé des motifs. Alors
s'alluma la guerre connue , qui fut terminée
par la paix de Tefchen , Je 13 Mai 1779. Comme
dans ce Traité la Cour de Vienne renonce
folemnellement à toute prétention ſur la Baviere ;
que dans l'article 8 , elle s'engage , avec toutes
les Puiffances contra&antes & médiatrices , à la
garantie de tous les pactes de famille de la maifon
de Bavaro- Palatine , qui défendent à cette illuftre
maiſon toute aliénation , & même tout échan⚫
ge de fes Etats , le Roi crut pouvoir tenir affuré
que dès ce moment la Cour de Vienne renončeroit
pour jamais au deffein d'acquérir la Baviere
par échange ou par quelqu'autre voie »..
Mais quelle fut la furpriſe de S. M. lorf
qu'elle apprit au mois de Janvier dernier , pag
voie directe du Duc des Deux Ponts , que la
Cout L. & R. avoit fait faire à ce Prince , par
Pentremise du Comte de Romanzow , Ambaſſadeur
de Ruffie , l'étrange propofition qui avoit
déjà été faite précédement à Munich , par l'Ambaffadeur
de Vienne , M. de Lehrbach , favoir :
Que la maifon Palatine & de Baviere céderoit
en entier & en toute propriété à celle
d'Autriche , toute la Haute & Baffe - Baviere ,
» le Haut- Palatinat , le Landgraviat de Leuchtemberg
, & les Duchés de Neuburg & de
Sulzbach , en échange des Pais- Bas Autrichiens
, lefquels feroient remis pareillement en
toute propriété à la maiſon Palatine avec tous
les avantages que l'Empereur avoit lieu d'attendre
de la part de la Rep. de Hollande ,
fous la dénomination & titre de Royaume de
» Bourgogne ; à l'exception cependant du Duché
de Luxembourg & da Comŋé de Namur ;
qu'il feroit payé en outre à l'Electeur & au
Duc , en forme de dédommagement , la fomme
» de trois millions de flor.; mais que l'Empereur
fe réſervoit toute l'artillerie & les troupes
nationales qui fe trouvoient tant dans les
Pays - Bas qu'en Baviere ; ainfi que le droit de
» négocier en tout temps dans les Pays Bas tel-
» les fommes d'argent qu'il lui plairoit; & qu'en
fin chaque partie contractante garantiroit les
dettes qui fe trouveroient hypothéquées fur
chaque pays refpe&tif.
» Du refte le traité d'échange devot être
conclu fous la garantie de la France & de la
Ruffie , fans qu'il fut queftion en quoi que ce
foit de la Pruffe ni de l'Empire , qui cependant
comme parties contractantes &garantes du traité
de paix de Tefchen , y font fi effen.iellement
intéreffées ».
93.
•
Quoique cette propofition fit accompagnée
de la déclaration menaçante qu'on s'étoit affuré
a 3
( 6 )..
7
préliminairement de l'approbation de l'Electeur
& que le projet auroit lieu , même contre la
volonté du Duc , auquel on ne laiffa que le
terme de huit jours pour le décider , ce Prince
déclara généréufment & fans héfiter , qu'il ne
donneroit jamais les mains à un arrangement
auffi défavantageux pour la maison , & qu'il ne
confentiroit jamais à échanger le patrimoine de
fes ancêtres . Dès ce moment & dans le courant
du même mois de Janvier il fit part de cette
propofition au Roi , comme à fon ami , & l'aureur
de la paix de Tefchen ; il réclama fon affiftance
contre un deffein auffi pernicieux pour lui ,
& lui envoya une lettre de fon Ministre de Hofenfels
, au Vice- Chancelier de Ruffie , le Comte
d'Oſtermann , & un Mémoire , où il expoſa d'une
maniere frappante toure l'inadmiffibilité de cet
échange , & les principales raifons de fon oppofition.
Le Duc follicitoit en même temps S. M.
l'imp. , comme garante de la paix de Tefchen ,.
de renoncer à ce projet , & d'en faire auffi revenir
S. M. I Empereur . Le Roi , également étonné &
allarmé de ces nouvelles , donna ordre au Comte
Gortz envoyé de Petersbourg , de remettre
cette lettre & le Mémoire du Duc des Deux-
Ponts , au Comte d'Oftermann ; & de les appuyer
de toutes les repréfentations convenables , & de
faire part à la Cour de Ruffie des follicitudes
même de S. M. Elle fit faire les mêmes repréſentations
à la Cour de France , comme chargée
également de la garantie de la paix de Telchen
; & fit appuyer par fon Miniftre , le Baron
de Goltz , les démarches que le Duc des Deux-
Ponts fit faire à la Cour de Verfailles , par fon
Miniftre le Baron d'Efebeck , qui y fut expreffément
envoyé pour cet effet. Le Prince Dolgoroucki
communiqua , vers la fia de Janvier , au
›
Miniftere pruffien la réponſe de l'Impératrice ,
portant en fubftance : Qu'elle n'avoit propofé au.
Duc des Deux- Ponis cet échange , que parce
qu'elle avoit cru qu'il dépendoit uniquement de
l'arrangement volontaire des parties ; & parce
qu'elle le leur croyoit également avaatageux ».
La Cour de France fit auffi répondre au Roi ,
» que l'Empereur laiffoit tomber ce projet d'échange
, puifque le Duc ne vouloit pas s'y
as prêter ». Cependant on n'a jamais pu obtenir
une déclaration écrite , formelle & directe de la
· Cour impériale , ſur un objet qu'elle avoit rendu
- auffi intéreffant.
Après cet hiftorique , fuit la déduction
des titres qui combattent un échange de
la Baviere , & de la légitimité de la Confédération
formée par le Roi de Prufle ; déduction
conforme à celle qu'on a déja lue
dans la Déclaration aux Etats Généraux. Le
Roi finit enfuite dans les termes fuivans :
Cependant S. M. P. auroit an jufte fujet
de fe plaindre de tour ce que les miffives mi-
-niftérielles & autres déclarations de la Cour de
Vienne , qu'elle avoit adreffées tant aux Etats
de l'Empire qu'aux autres Cours étrangeres , fe
trouvent remplies de reproches amers & indécens
entre deux cours fouveraines , tels que fauffetés
, calomnies qu'elles imputent à celle de Ber-
-lin , en fe récriant contre cette union , en tåchant
de lui donner les couleurs les plus odieufes ,
-en la repréfentant comme illégale & contraire
à la conftitution Germanique , & enfin en fuppofant
au Roi des vues équivoques & les deffeins
les plus pernicieux . S. M. s'eft mis au- deffus de
-pareils foupçons & reproches par la conduite
-ouverte , patriotique , définiéreffée qu'elle a te-
24
( 8 )
!
*
mue avant & après la paix de Tefchen à l'égard
de la Baviere & de la Maifon Palatine , ainfi
qu'envers chacun de fes Hauts Co- Etats ; Elle a
droit de s'attendre au contraire, qu'on rendra
plus de juftice à fes fentimens patriotiques après
qu'on aura examiné avec impartialité cette union
même qu'Elle vient de former avec les Hauts
Co- Etas , auxquels il ne refle aucun doure fur
la juftice , l'utilité & le défintéreffement de fes
démarches ; la nature de cette affociation excluant
par elle-même toute poffibilité d'aucune
vue d'intérêt propre. Jamais la Cour de Pruffe
n'a employé des moyens bas & obfcurs pour parvenir
au but de fes négociations : Elle pourroit
donc avec juftice rétorquer ces reproches , ces
foupçons , & y répondre fur le même ton ;
mais Elle fe gardera bien de récriminer & de
fuivre un fi mauvais exemple ; fe_comentant
d'en appeller au témoignage des Electeurs &
Princes de l'Empire , qui attefteront que fans
aucune fuggeftion ni accufation quelconque an
s'eft borné à leur retracer l'inadmiſſibilité & le
danger de tout échange de la Baviere , & à
leur propofer la conclufion d'un Traité conftitutionel
tel qu'on peut le montrer à tout le
monde , & tel qu'il fe trouvera probablement
fous les yeux de la Cour de Vienne ; Traité
d'affociation qui ne tend viſiblement qu'au maintien
de l'équilibre , du bien être & de la tranquillité
de l'Allemagne ; qui eft oppofe unique
tout échange illégal , fécularifation & dénombrement
d'Etats confédérés de l'Empire Germa-
-nique , & qui n'eft nommément offenfif contre
aucune puiffance que ce foit ".
#
On croit avoir démontré d'une maniere irréfragable
& convaincante , par tout ce qui pré-
-cede , que l'union que S, M. P. vient de con-
}
tracter avec les Sénéréniffimes Electeurs de Saxe
de Brunfwich- Lunebourg , eft par fa nature
auffi innocente & légale , qu'utile & néceffaire
par fon but , pour la confervation de la sûreté
& de la liberté de tous les Etats & membres de
T'Empire Germanique . Auffi S. M. ne balance
pas & fe fait plutôt un devoir de faire part de
l'acte de cette union à tous les hauts Co Etats ,
& de mettre fidélement fous leurs yeux , s'ils
le defirent , toutes les claufés , articles & conditions
qu'il contient , en laiffant à leur volonté
& à leur difcernement le choix d'y accéder : c'eft
ce que l'on attend de leurs lumitres & de leurs
fentimens patriotiques ; & en ce cas S. M. ainfi
que fes hauts confédérés les Séréniffimes Electeurs
de Saxe & de Brunſwick fe feront un plaifir
de les aggréer à leur aflòciation , de les faire
participer à tous les avantages qu'elle promet ,
& de fe concerter avec eux fur tout ce qui fera
jugé être néceffaire ».
BERLIN , au mois d'Août 1785.
DE VIENNE , le 16 Septembre.
Le voyage de l'Empereur en Bohême paroît
être renvoié à l'année fuivante ; on
ignore fi ce changement est dû aux circonftances
polítiques qui occupent toute l'activité
de notre Cabinet. Il s'eft tenu diverfes
conférences extraordinaires , auxquelles ont
affifté le Prince de Kaunitz , les Comtes de
Cobenzel , de Kollowrath , de Zinzendorf
, de Hasfeld , d'Hadick , & les Barons
de Reifchac & de Lederer. Ce dernier et
Chef du département des Pays - Bas... 1
25
( 10. )
On a fait partir 6 millions de florins fous
l'escorte d'une demi Compagnie du régiment
de Pellegrini . Ce tréfor une fois dans
l'Autriche fupérieure , fera envoié juſqu'aux
Pays-Bas , par un des Régimens qu'on fuppofe
devoir fe mettre en marche , & fera
verfé dans la caiffe militaire de Bruxelles.
Les Députés Hollandois , qu'on difoit
chaque jour fur le point de quitter cette réfidence
, y font toujours , fans autres fongtions
, à ce qu'il paroît , que d'attendre les
'événemens.
S. M. a fait défendre au Cardinal Arche
vêque , Primat de Hongrie , de ſe mêler
d'aucune affaire temporelle. Elle l'a privé
de fon titre d'Affeffeur de la Table Septemvirale
, en lui recommandant de ne s'occuper
que des objess eccléfiaftiques.
L'abolition de la fervitude perfonnelle en
Hongrie eft le feul événement qui offre ici
quelque aliment à la curiofité. Voici la fubftance
de l'Edit de l'Empereur , par lequel
cet affranchiffement univerfel eft ordonné.
1º. La condition de Jobagy , en tant qu'elle
impofe aux Sujets des charges perpétuelles , &
qu'elle s'attache à la glébe , eft fupprimée à perpétuité
, & nous défendons de prendre à l'avenir
, dans cette acception , le terme de Jobagy ,
qui , en langue Hongroife ne fignifie qu'un fujet
; nous voulons & ordonnons en outre , que
tous les Sujets , fans diftinction de Nation & de
Religion , foient reconnus à l'avenir , relativement
à leurs Perfonnes , comme gens libres qui
peuvent s'établir où bon leur femblera .
( 11 )
20. Il fera libre à tous les Sujets de fe mirier
à leur gré , & même fans le confente
ment des Seigneurs fonciers ; ils pourront aufli
s'appliquer aux fciences , apprendre des arts
& des métiers , & les exercer par - tout où ils le
jugeront à propos.
¿
3º. Aucun Sujet , ni fon fils ou fa fille , ni
aucune autre perfonne de fa famille , ne pour
ront être forcés aux corvées Seigneuriales , mais
il dépendra de leur bonne volonté d'en faire ,
& de s'arranger à cet égard librement avec
les Seigneurs pour le prix des travaux .
4. Il fera libre & permis à chaque Sujet
d'agir felon fon gré , avec fes biens , meubles
& acquis ; favoir le prix d'évaluation de fes
terres , prés , moulins & vignes ; de les vendre ,
donner , échanger , hypothéquer ou d'en difpofer
autrement en faveur de fes enfans , de fes
-parens ou d'autres , fans préjudice cependant
du droit perpétuel y attaché des Seigneurs , &
fous la réſerve expreffe que les charges & payemens
,
auxquels le vendeur on teftateur écoit
tenu par rapport à la poff ffion de fes biens
fonds , bien entendu néanmoins que ces biens fonds
ne foient repris par les Seigneurs par la voie
de la retention , foient acquittés par l'acheteur
ou le légataire , poffeffeur actuel de ces biens.
5°. Nous voulons en outre affurer aux Su
jets deurs poffeffions de maniere que perfonne
ne puiffe les renvoyer , ni eux , ni leurs fucceffeurs
, de leurs demeures coloniales , ni les troubler
dans la poffeffion de leurs biens , quels qu'ils
foient , fans des raifons légitimes & fuffifamment
reconnues par les Comitats respectifs ; ils
feront , au contraire , maintenus dans la paifible
jouiffance de leurs poffeffions, & ils ne pourront
a 6
( 12 )
point être forcés de quitter un endroit pour aller
s'établir dans un autre.
6°. Quant aux objets prévus par le préfent
Edit , nous renvoyons les Sujets à nos Ordonnances
précédentes pour s'y conformer , & nous
exhortons les Comitats refpectifs de prêter toute
affitance aux Sujets qui feront vexés & de
faire en forte que la juftice leur foit rendue
& qu'ils obtiennent la fatisfaction qui leur eft
due. 1
›
Nous attendons de la part des Sujets , qu'ils
répondent par une bonne conduite à nos vues
paternelles , & qu'ils faffent , de leur côté , tous
les efforts pour avancer le bien- être commun
leur propre profpé - ité & celle de leurs enfans ,
par l'application au travail , & par l'améliora
tion de l'agriculture .
Donné à Vienne , le 22 Août , 1785,
Le 4 de ce mois , l'Ambaffadeur de France
eut l'honneur de préfenter à S. M. I. le
Marquis de la Fayette , arrivé de Siléfie.
La Cour de Rome , à ce qu'on dit , a
fait des repréſentations à l'Empereur , par
le nouveau Nonce , M. Caprara , au fujet
de l'Evêché de Waitzen , ôté à notre Archevêque
le Public croit que ces remontrances
refteront fans aucun effet.
4
3
f
Toujours des fuicides ici , comme ailleurs.
Il y a huit jours qu'un Commis de la
Chancellerie Hongroife voulut fe couper la
gorge avec un rafoir, dans le Bureau même
de la Chancellerie heureufement on furvint
à propos pour le fauver , & depuis , on
l'a renfermé comme aliéné, vt to Milonga
:
( 13 )
La multitude des couriers , la fréquence
des entretiens de S. M. I. avec le Prince de
Kaunitz , font élever chaque jour de nouvelles
conjectures . On aflure que les Régimens
de Langlois , de Stein , de Durlach ,
& deux autres cantonnés en Bohême , ont
reçu l'ordre de fe mettre en marche pour les
Pays Bas à la premiere nouvelle ; or , comme
cette premiere nouvelle n'eft point arrivée ,
ces Régimens reftent où ils font , & d'où il
eft fort peu vraiſemblable qu'on ait voulu
les déplacer. Peut-être n'y a -t- il pas plus de
fondement dans l'ordre prétendu donné aux
Généraux de Brechanville & Gazinelli , de
ſe rendre auffi dans les Pays Bas. Le public
y envoie pareillement une partie du Corps
des Tichaiks , ou Mariniers de l'Efclavonie.
Les dernieres lettres de Conftantinople , portent
que Moraly Ahmed , Pacha de Lepanto ,
a été nommé au Gouvernement de la Bofnie
vacant par la mort du Pacha Hafnadar Ifmaïl ;
que Muftafa , Pacha de Konia , remplace Ah-
-med , & que Demis Pacha prend ce dernier
Gouvernement, Les lettres diſent aufſi que
les habitans de Ruftfchuk en font venus aux mains
avec leurs voifins , qu'un grand nombre de part
& d'autre ont été tués à cette occafion , & que
plufieurs le font refugiés dans la Wallachie.
On a reffenti dans la Moravie , le 22
Août , une commotion fouterraine , qui
fans doute s'eft propagée en Siléfie où elle
a été très forte , comme nous l'avons rapporté
l'Ordinaire dernier...
( 14 )
DE FRANCFORT , le 23 Septembre.
M. de Boehmer , ci devant Envoié da
Roi de Pruffe à Vienne & à Wetzlar , & fon
Envolé extraordinaire actuel en plufieurs
Cours de l'Empire , a terminé fa commiffion
auprès du Landgrave de Heffe Caffel ,
& a paflé ici dernièrement. D'autres Princes
du Cercle du Haut- Rhin , & probablement s
la plus grande partie de l'Allemagne , fe
joindront aux trois Electeurs , déjà confédérés.
M. de Boehmer va à Ratisbonne , où
il doit notifier l'Acte d'union aux Etats de
l'Empire..
Des Gazettes de Vienne ont parlé d'un
mariage futur entre un Prince de Saxe &
une Princeffe de Tofcane. Elles fondoient
certe conjecture fur le départ de quelques
Envoyés , mais cette raifon n'a pas paru fuf
fifante pour autorifer un fait auffi douteux.
Le Corps franc de Brentano , fort de
3338 hommes & de 617 chevaux , étoit attendu
à Ratisbonne , le 16 & le 18 ; mais
d'après un contr'ordre , les préparatifs pour
fa réception ont été contremandés ; foit
que ce corps faffe halte , foit qu'on en ait
changé la deftination .
ITALI E.
DE MILAN , le 2 Septembre.
Les freres Gerly, déjà connus par leurs
inftrumens de Phyfique, & par la conftruction
des Aëroſtats , prérendent avoir ima
giné une nouvelle machine propre à faire
furnager le corps humain au- deffus de l'eau.
Cette méthode , fuivant eux , n'a aucun rapport
avec celle dont on s'eft fervi à Paris ,
ni avec le Scaphandre. Par le nouveau
moyen de MM. Gerly, le nageur n'eft plongé
qu'à mi - corps , & peut ufer librement de
fes mains & de fes bras. Le 25 du mois dernier
, les inventeurs firent un effai à Monza ,
en préſence de LL. AA. RR. Dans peu on
le renouvellera ici ; quatre perfonnes fe foutiendront
fur l'eau , s'y promeneront à volonté
, & feront , pour amufer le public ,
l'exercice militaire à feu.
DE VENISE , le 30 Août.
Nous avons appris par la voie de mer ,
qu'après fept jours de vents contraires , notre
efcadre , commandée par le Chevalier
Emo, s'eft portée fous Sufa. Notre feu com
mença le 24 Juillet à 3 heures après minuit ;
l'ennemi y répondit : & de part & d'autre ,
il continua jufqu'à fept heures du matin. Le
Jendemain il recommença à quatre heures ,
fufqu'à huit heures du jour fuivant ; enfin
il s'eft prolongé toutes les nuits jufqu'au 4
Août. Les bombardes la Concordia & la
Victoria tirerent 439 bombes , dont 263
tombées fur la place , réduifirent en cendres
des Mofquées , des magaſins & nom1
( 16) )
bre de maiſons. La ville tira 656 bouters
rouges ou carcaffes , qui endommagerent
légerement quelques cordages , & nous tuerent
un feul homme. En le retirant à cauſe
des mauvais temps , le Chevalier Emo a
laiffé devant le gouler de Tunis la Concordia,
commandée par le Cap. Condolmier.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 17 Septembre.
:
M. le Comte de Luft , Miniftre du Roi de
Pruffe auprès de notre Cour , a remis au
Marquis de Carmarthen , Secrétaire d'Etat ,
la Déclaration de S. M. Pr. , touchant la formation
de la ligue en Allemagne , dont le
Roi d'Angleterre , en fa qualité d'Electeur
d'Hanovre , eft un des principaux affociés,
Cette Déclaration étant à peu de chofe près
dans la teneur de celle , remife aux Etats-
Généraux , il fuffira d'en rapporter le der
nier paragraphe , conçu en ces termes , fidélement
traduits.
Pour ne laiffer aucun doute fur la pureté dés
intentions du Roi & fur la juftice de fes démarches
, Sa Majesté pense qu'il eft de for
devoir de faire part de la conclufion de ce
Traité , & des motifs qui l'ont occafionné , aux
principales Puiffances de l'Europe , qui ont quelque
intérêt au bien - être de l'Empire Germanique,
& à la confervation de fon fyftême. C'ea ce
que le Roi fait par la préfente Déclaration
qu'il ne vouloit pas manquer de communique's
( 17 )
› également à Sa Majesté Britannique , comme
une marque de fa confiance & de fon attention ,
ainfi que de fon defir de fe procurer le fuffrage
de S. M. Britannique , quoique déjà , en qualité
d'Electeur de Brunswick- Lunebourg , Elle
ait concouru à la conclufion du Traité & donné
par-là une preuve indubitable , combien fes fentimens
s'accordent avec ceux du Roi fur la néceffité
dudit Traité & des objets qui ont donné
occafion. Le Roi eft particulierement charmé
d'avoir ajouté ces nouveaux liens à l'amitié &
à l'intimité qui ont fubfifté fi long- tems entre
les deux Royales Maifons , & d'entretenir avec
S. M. Britanniqué les mêmes fentimens pour
la profpérité de l'Empire Germanique , leur
commune Patrie , & pour le maintien d'un
fyftême qui influe auffi effentiellement fur le
bonheur du refte de l'Europe.
Dans la féance dus de ce mois , la Chambre
des Communes d'Irlande procéda à l'élection
d'un nouvel Orateur , M. Edmond
Saxton Perry ayant donné fa démiffion. Le
choix de la Chambre tomba fur M. Forfter ,
dont la nomination fut approuvée par le Lord
Lieutenant. Après avoir veté une Adreffe de
remercîmens à l'ancien Orateur , la Chambre
arrêta d'en préſenter une femblable au Lord
Lieutenant , en confidération de la fageffe
de l'équité & de la prudence dont il avoit
donné des preuves pendant fon adminiltration.
Les Communes , dans cette adreffe , font l'élege
du zele conflant qu'a montré le Viceroi
pour la profpérité de l'Irlande . Elles renient
hommage à fes qualités privées qui l'ont rendu
( 20 )
A
mandant en chef ayant reconnu que la tranfgreffion
étoit involontaire , & qu'elle prove
noit uniquement de l'ignorance du Capitaine,
avoit ordonné la reftitution de ce bâtiment.
Des Négocians de cette ville ont reçu par
la derniere malle de New Yorck , diverſes com
miffions pour le compte de maifons de commerce
Américaines , qui , par leurs exactitude ,
dans les paiemens , jouiffent d'un grand crédit ,
elles recommandent fortement à leurs Corre
pondans , de n'embarquer aucune partie des
articles demandés , qu'après que le Traité
» de Commerce entre la Grande - Bretagne &
les Etats Unis aura été figné , ou lor qu'ils
» auront la plus entiere affurance qu'un arran-
» gement de cette eſpèce eft fur le point d'être
»
conclu, » En conféquence de cette claufe ,
les Négocians ont tenu une affemblée & ont
eu une entrevue avec le Secrétaire du Miniftre .
On prétend qu'ils n'ont pas reçu une réponse
intéreffante. Ils doivent fe rendre inceffamment
chez M. Pitt , pour conférer avec lui fur cet
objet.
La peine du fouer & celle de mort, encourues
précédemment par les déferteurs des
troupes de terre & de la Marine , vient d'être
abolie. S. M. a ftatué, de l'avis de fon Confeil,
qu'à l'avenir les déferteurs feroient tranſpor
tés à la côte d'Afrique ou aux Indes Orientales
pour y refter toute leur vie , & y être traités
comme les autres criminels.
Un état des vaiffeaux en conftruction pour
la Marine Royale dans les chantiers particuliers
, & qui doivent être lancés avant la fin
de l'année prochaine , en porte le nombre à
( 21 )
28 ,favoir 10 de 74 can. , 2 de 64 , 4 de 44 %
1 de 36,5 de 32,4 de 28, 1 de 24, & 1 de 16.
Les pourfuites commencées dans l'Inde contre
Le Chevalier John Burgoyne , produiront , fuivant
toute apparence , une enquête Parlemen
taire. Les chefs d'accufation à la charge , font
au nombre de dix - neuf. On lui impute entre
autres d'avoir excité les troupes à la révolte
& à la désertion . Cette affaire a fait naître
beaucoup de divifions dans l'Inde. Si le Chevalier
Burgoyne eft déchargé par le Confeil
de Guerre , il reviendra auffi - tôt en Angleterre ;
mais s'il eft convaincu , il eft à craindre qu'on
ne lui faffe fubir fans délai , la peine prononcée
contre lui , à moins qu'on n'ait envoyé desordres
à ce contraires.
On mande des Sorlingues , en date du 8
Septembre , qu'il s'eft élevé dernierement une
tempête affreufe dans ces parages ; que plufieurs
bâtimens avoient été jettés à la côte ,
entre autres un bâtiment venant de la Virginie
, avec une riche cargaifon de tabac , & qui
à péri avec la plus grande partie de fon équipage.
Ce bâtiment étoit deftiné pour Amfter
dam. Toutes nos côtes ont reffenti plus ou
moins la violence des vents de l'équinoxe ;
plufieurs bâtimens ont échoué ou ont été
endommagés ; cependant , jufqu'à ce jour , on
he connoît pas de malheurs bien confidérables.
Le huit de ce mois , en conféquence d'une
invitation des principaux habitans de Mancheſ
ter & des environs , le Comte de Derby , &
M. Fox , accompagnés du Lord Spencer , de
Meffieurs Fitzpatrick , Townshend , Grenville ,
( 22 )
Standish , William Clerke , Horton , le Général
Burgoyne , &c. font venus de Knowfley
à Mancheſter. Ils ont été rencontrés à environ
un mille , par un grand nombre de perfonnes
de toutes les claffes, qui venoient au- devant d'eux,
avec des drapeaux & des Muficiens . L'objet
de la fête étoit de témoigner au Comte de Derby
& à M. Fox la vive reconnoiffance du Comté.
La populace ôta auffi- tôt les chevaux de la
voiture du Comte , dans laquelle étoit ce Seigneur
avec M. Fox , & la traîna jufqu'à la
ville. Il y eut enfuite un repas magnifique de
affifterent la plupart des riches Manufacturiers
& Marchands de Manchefter , qui donnerent
pendant ce repas , des fantés conftitutionnelles
qui marquoient la fatisfaction & l'allégreffe des
convives.
En conféquence des fraudes auxquelles fe
prêtoient les Officiers des Douanes & de
l'accife , le Gouvernement a, dit on , le projet
d'augmenter les appointemens de ceux
d'entr'eux , dont le revenu étoit très- modique
, & de le porter à un taux qui les mette
à l'abri de la féduction .
Il vient de s'établir à Briſtol une Compagnie
de Société de marine , conforme à
celle de Londres. En même temps qu'elle
contribuera à faire fubfifter un grand nombre
d'enfans , elle formera une pépiniere de
matelots. Les marchands de toutes les claffes
ont fourni des fommes confidérables
pour former ce louable établiſſement.
On ne s'occupe & on ne s'entretient ici , écriton
de Brimthelmftone , en date du 12 , que d'un
attentat commis la nuit derniere , mais dont les
particularités ne font pas affez connues pour pous
( 23 )
voir les donner comme authentiques. Voici
comme on rapporte l'événement. Une jeune perfonne
âgée d'environ vingt ans , en rentrant chez
fon pere , s'étoit affife à la porte à dix heures du
foir. Les domeftiques de la maifon virent roder
devant la porte un homme de mauvaiſe mine
mais ils n'y firent point d'attention . Auffi- tôt
que la voiture qui avoit amené la jeune perfonne
fut partie, elle rentra dans la maiſon , & le ſcélé◄
rat ( qui étoit un garçon Tailleur ) s'étant introduit
après elle , lui dit qu'il venoit la chercher de
la part de fon pere pour la conduire chez un de
les amis dans North- freet où il foupoit . Lajeune
perfonne partit imprudemment fans être accom
pagnée de perfonne ; il la conduifit dans une petite
rue reculée ; & là , lui mettant un couteau ſur
la gorge, il la força d'entrer dans un cimetiere
où après l'avoir meurtrie de coups , il affouvit
fon infâme brutalité. Un orage étant enſuite fur,
venu , il la mena dans un endroit où l'on prend
les bains . La fatalité qui heureuſement accompa
gne très -fouvent le crime , le porta à reconduire
la jeune perſonne chez elle à cinq heures du ma
tin ; ils furent rencontrés dans la cour par un ouvrier
, qui voyant cette jeune fille dans un état
auffi déplorable , fe faifit du malheureux & le
conduifit vers le pere. Les Juges de Lewes arrivés
,cet infâme fcélérat, après un ample examen,
a été renfermé dans la priſon de Horfdam . L'état
de la jeune perfonne laiffe peu d'eſpérance qu'elle
furvive à fon infortune.
Le Public ledger préfente les obfervations
fuivantes fur nes Colonies .
Depuis long- temps on fe plaint généralement
de la décadence de nos Colonies ; cependant rien
n'eft fi frappant à la fois & fi inconcevable aux
yeux des obfervateurs que la différence qu'il y a
( 24 )
eu dans la politique & dans les fuccès des colonies
Angloifes & des colonies Françoifes. Les Colons
de nos Iſles ont été élevés dans l'abondance & le
luxe : les Colons François dans l'école du malheur.
Les premiers ont eu le bonheur de vivre
Lous un Gouvernement libre & indulgent ; les fe
conds ont été gouvernés avec dureté & avec rigueur.
Les François s'établirent aux lfles avec
peu de moyens ; ils augmenterent leurs fonds par
leur industrie ; leurs bénéfices , quelque modiques
qu'ils fuflent d'abord , allerent toujours en
croiffant ; entre leurs mains , une plantation de
café qui demandoit peu de cultivateurs , devenoit
à la fin une plantation de fucre.
C'eft ainfi que les Ifles Françoifes s'éleverent
avec une vigueur & une rapidité qui étonna les
ignorans & les fots ; tandis que les Ifles Angloifes,
gouvernées fur un plan diametralement oppofé
à celui des François , étoient toujours à demander
des fecours & des encouragemens. Mais
rien ne peut fauver du malheur des Colons indolens
, pareffeux , fiers & magnifiques , qui avoient
peut-être commencé leur fortune avec de l'argent
emprunté à ufure ? Les Colons François trouvoient
des capitaux dans leur propre induſtrie :
les Anglois les alloient chercher en Angleterre ;
auffi les Planteurs Anglois ont-ils toujours été
très-endettés envers la Métropole , dont les fonds
fe trouvoient diftraits d'un meilleur emploi ,
ne rentroient que très-difficilement .
On eftime à 50 millions fterling les capitanx
employés aux fles. Si cette énorme fomme ou
feulement la moitié pouvoit être appliquée à di→
vers emplois domestiques , combien la prospérité
de la Grande-Bretagne n'en feroit - elle pas augmentée
? L'Adminiſtration s'eft occupée mais
vainement , en diverfes occafions , du foin de
faire
}
( 25 )
faite recouvrer les dettes des Colonies. Il feroit
doné très - dangereux d admettre les Américains à
ce commerce ; ce feroit donner la facilité aux
Planteurs Anglois d'envoyer aux Etats -Unis des
productions qui devroient paffer en Angleterre
en paiement du principal & des intérêts de leur
detre envers elle .
En confultant les Actes de Rymer , durant
la derniere année du regne d'Henri V , en
1421 , on trouve que le revenu du Roi en
droits , rentes , fubiides ,
montoit à
La dépenfe de l'année à
55.743 liv. 1 fterl
L'Economie annuelle , par
conféquent de
Aujourd'hui , le Roi jouit ,
53507 13-
22,37 13
par la lifte civile , de 900,000 .
Par les revenus de l'Electoa
rat d'Hanovre , 400,000
1,300,000
Il y a 100 ans, fous le regne de Charles II.
& l'année fuivante de fa reftauration , le Parlement
lui alloua 1,200,000 liv. pour les dépenfes
du Royaume & les fiennes propres.
La Reine ne jouiffoit que de 40,000 liv. Aujourd'hui,
fon revenu annuel eft de 130,000 1.
-Les Irlandois avoient entrepris d'établir un
commerce direct entr'eux & le Portugal . Le
mauvais fecès de ces tentatives a du déjà leur ,
faire fentir les fuites fâcheufes de la précipitation
avec laquelle ils fe font hâtés de fecouer
pour cet objet , le joug falutaire de la Grande-
Bretagne . Sans des forces maritimes , jamais ils
No. 40, 1 Octobre 1785. b
( 26 )
ne feront en état de faire un commerce avan
tageux avec aucune Nation étrangere , même
dans le cas où ils croiroient en avoir affuré les
conditions par un traité , parce que la partie
contractante refpe &tera peu des engagemens
qu'elle pourra violer avec impunité. Il faudra
qu'ils fupportent paifiblement toutes les charges
dont il plaira aux étrangers de la grever. L'exemple
de la Grande- Bretagne , elle- même ,
leur fait affez voir les vexations auxquelles les
Négocians des Puiffances les plus formidables
fe trouvent expofés par le caprice ou les préjugés
d'un Miniftre tout- puiffant , même parmi
les Nations qui ne doivent leur exiftence qu'à
la protection de l'Etat avec laquelle on ofe tenir
une pareille conduite. Quel fera donc le
deftin de l'Irlande , qui n'a pas un feul vaiffeau
de guerre en propre . Une fois émancipée & fouf--
traite à la main tutelaire de la Grande- Bretagne,
elle fe trouvera feule contre tous . Puifque les
Irlandois refufent de s'affujettir aux Réglemens
que la Grande- Bretagne juge à propos de faire
pour fon propre commerce , il faut bien qu'ils
Te fuffifent à eux- mêmes , & négocient pour leur
propre compte . Mais dans cet état d'abandon
& de foibleffe , l'Irlande peut - elle expofer d'être
traitée par aucune des Puiffances commer- !
çantes de l'Europe , comme la Nation la plus
favorifée. Ne verra- t- elle pas au contraire tous
les Sujets des autres Etats , avoir la préférence
pour tous les articles qu'ils pourront porter au
même marché , & ne fera t- elle pas auffi forcée
d'attendre que la marchandiſe devienne rare
pour pouvoir vendre la fienne ? Telles font les
confidérations fur lefquelles j'invite les Irlandois
à bien réfléchir avant de fe fouftraire entiérement
à la protection du Pavillon Britannique.
( 27 )
C'est à eux à voir fi leurs reffources font fuffifantes
pour entretenir des forces navales en état
de faire refpe&ter leur commerce dans les Ports
étrangers. Si cette entrepriſe eft au- deflus de
leurs forces , tout l'édifice de leur indépendance
abfolue , en fait de commerce , n'eft qu'un vain
projet qu'i's doivent bien fe garder de réalifer.
Mais , à en juger par les difpofitions actuelles
de ce peuple , il paroît qu'on n'a rien à eſpérer
pour lui des confeils de la raifon . L'épidémie
eft trop forte & trop générale , & il n'y a plus
que l'expérience qui puifle les guérir . En conféquence
M. Pitt a très- bien fait de les abandonner
à cette cure un peu dure , mais néceffaire
, qui , felon toutes les apparences , ne
tardera pas à la ramener à la connoiffance de
leurs vrais intérêts , & à leur faire adopter avec
empreffement un fyftême qu'ils rejettent actuel
lement avec une violence auffi extravagante.
S'il faut en croire nos Papiers , on commence
à s'appercevoir en France que la
grande balance du commerce en faveur de
Angleterre , n'eft pas l'effet d'une importation
exceffive de marchandiſes Angloifes .
On reconnoit aujourd'hui , difent- ils que les
remiſes confidérables faites depuis quelque temps
en efpeces à l'Angleterre , étoient deſtinées en
grande partie à payer les marchandiſes fournies
a la France par les Négocians d'autres nations ,
lefquels avoient donné ordre à leurs correfpondans
de faire les remifes en Angleterre à des
banquiers ou négocians avec lefquels ils avoient
un compte ouvert. C'est ainsi que Londres eft
devenue la banque générale de l'Europe . Cet
avantage , dont elle jouit depuis long- temps ,
ne réfulte pas de ce que la balance de com-
L
b 2
( 28 )
merce eft en la faveur avec chaque nation féparément
, mais de ce que la balance générale
lui eft avantageufe , bien que teile balance particuliere
lui foit défavorable. Les négociars
Français , ayant aujourd'hui les yeux deffilés ,
ne font plus fi épris de l'arrêt concernant les
marchandifes p: ohibées. Il est donc probable
que le traité de commerce projetté entre la
France & l'Angleterre ne rencontrera pas les
mêmes difficultés qui ont fait échouer juſqu'ici
les tentatives de cette efpece .
Une fociété de citoyens de Boſton , dans
la Nouvelle- Angleterre, s'eft engagée à favorifer
l'affranchiflement des Nègres de cette
ville & de fon territoire . Cetre entrepriſe ,
très louable , le feroit encore plus en Virginie
& en Caroline , où les Nègres , très nombreux
, fervent à peu près feuls à la culture
des terres ; mais comme on n'y emploie pas
ces malheureux dans les Etats Unis du nord,
il eft à préfumer que cette fociété de Boſton
ne prend pas des engagemens difficiles à
remplir.
FRANCE.
DE SAINT-CLOv , le 21 Septembre.
Le Baron de Grofchlag , Miniftre plénipotentiaire
du Roi près le Cercle du haut
Rhin , qui eft de retour par congé , a eu ,
à fon arrivée ici le 15 de ce mois , l'honneur
d'être préfenté à Sa Majefté par le Comte
de Vergennes , Chef du Confeil royal des
Finances , Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant
le département des Affaires étrangères,
( 29 )
L'infertion de la petite vérole faite le 1er.
de ce mois à Monfeigneur le Dauphin , dans
le château de Saint Cloud , en préſence du
Roi , de la Reine , de la Famille Royale & de
la Ducheffe de Polignac , Gouvernante des
Enfans de France , par le fieur Jauberthou ,
Docteur en Médecine , Inoculateur , & de
concert avec le fieur de Laffone , Premier
Médecin du Roi & de la Reinè , & du fieur
Brunyer , Médecin des Enfans de France ,
a eu le faccès qu'on en attendoit. L'inoculation
de Monfeigneur le Duc de Berry , faite
le même jour à Saint Cloud , avec les mêmes
formalités & en présence du Marquis de
Serent, Gouverneur du Prince , parle même
Inoculateur , & de concert avec le fieur Audirac
, Premier Médecin du Prince , a été
fuivie du niême fuccès.
Leurs Majeftés ont figné , le 18 , le contrat
de mariage du Comte de Vérac , Capitaine
au Régiment Royal Normandie , Lieutemant
- Général de la Province de Poitou
avec Demoiſelle de Vintimille.
DE PARIS, le 27 Septembre.
M. Thomas , de l'Académie Françoife ,
abfent depuis quelque temps de cette Capitale
, avoit fixé fa réfidence près de Lyon,
dans une maifon de campagne où il a été
attaqué d'une fievre maligne. M. l'Archevêque
de Lyon le fit ranfporter dans fon château
d'Oullins , voifin de l'habitation de
b
;
( 30 )
M. Thomas ; mais malgré tous les fecouts
de l'art & les voeux ardens de fes amis , ces
eftimable Littérateur eft mort le famedi 17
de ce mois , à 3 heures du matin . A fes
derniers momens , M. l'Archevêque lui a
rendu tous les devoirs de l'amitié & tous
ceux de fon miniftere ; M. Thomas les a
reçus avec la réfignation d'un homme vertueux
, plein de confiance dans la Divinité.
Le mardi , 20 Septembre , Mlle. fa foeur
M. Ducis , fon Confrere , & M. de la Saudraye
, ancien Confeiller au Confeil fupérieur
du Cap François , ont fait célébrer
dans la paroiffe d'Oullins , un Service folemnel
pour le repos de l'ame de M. Thomas
, & l'Académie de Lyon , dont il étoit
membre , y a affifté en Corps,
M. Thomas a honoré les Lettres par fes
vertus perfonnelles , autant que par fes ouvrages.
Il n'étoit ni perfécuteur , ni intri
guant , ni tracaffier, ni dominateur, & l'honnêteté
qui refpire dans fes Ecrits , n'a point
abandonné fa conduite. Son nom ne pa
rut jamais dans les querelles littéraires ,
dans les manoeuvres des fectes , dans les
baffeffes par lesquelles on parvient trop fouvent
à la fortune , & à ce qu'on appelle la
gloire. I cultiva les Lettres avec dignité ;
& perfonne n'étoit plus fait que lui pour les
rendre refpectables. Ceux même qui goûtoient
peu le genre de fon éloquence
ne peuvent lui refufer un efprit accoutumé
à la réflexion , de la nobleſſe & de l'élévation
( 31 )
dans les idées, & un grand talent auquel il n'a
manqué peut - être que plus de facilité. Son
Efai fur fes Eloges fera toujours recherché ;
& l'Eloge de Marc- Aurele vivra autant que
notre langue.
1
Des lettres du Port-au - Prince , en date
du 29 Juillet , parlent d'un tremblement de
terre affez violent , reffenti dans cette Colonie.
Comme tous les 15 ans ou environ ,
ce quartier de S. Domingue eft expofé à des
fecouffes pareilles à celles qui cauferent tant
de dommages en 1770 , les Colons ont été
vivement allarmés de cette nouvelle commotion.
Dans la nuit du Dimanche au Lundi 12
de ce mois , on a reffenti à Grenoble & dans
les environs , plufieurs fecouffes de tremblement
de terre dans la direction du nord au
midi. Si je ne me trompe , voilà la troiſième
fois dans l'année qu'on a obfervé cette commotion
en Dauphiné. On mande de quelques
endroits , & notamment de la Suiffe ,
que le brouillard fec & électrique de 1783 ,
y a reparu durant quelques femaines ; les
orages violens qui ont défolé au commencement
de ce mois une infinité de lieux en
Italie & en Allemagne , tenoient probable
ment à cette cauſe. Il ne paroît pas , cependant
, qu'on puiffe y rapporter un orage remarquable
qui s'eft étendu fur une partie de
la Lorraine , & dont on écrit de Metz les
détails fuivans.
b4
( 32 )
y eut
Dès 8 heures du foir, le 9 de ce mois , il
des éclairs qui augmenterent toujours de force ,
& fe fuccéderent de plus en plus rapidement . Le
Ciel qui n'étoit nuageux que du fud à l'eft , devint
entiérement couvert pour 11 heures . Vers
minuit commença une petite pluie , pendant laquelle
le tonnerre qui fe faifoit entendre dans le
lointain s'approcha infenfiblement , & devint plus
impofant & plus rapide dans la fucceffion de fes
coups. Enfin , environ une heure après minuit ,
& immédiatement après une détonation plus
forte que les autres , une pluie très -abondante
s'eft jointe aux éclairs multipliés & aux roulemens
continus du tonnerre ; & l'un & l'autre n'ont
pas ceffé un feul inſtant juſqu'à trois heures du
matin que l'orage commença à fe calmer en s'éloignant
vers l'eft. Il finit par une petite pluie qui
dura encore une demi- heure .
Le vent d'oueſt ſoufflɔit & n'étoit pas abfolument
violent , le fort de l'orage étoit au midi , &
il y avoit à la fois quatre nuées , d'où partoient ,
prefque fans interruption , des éclairs ; des coups
de tonnerre qui fe faifoient entendre à différens
intervalles , étoient de temps en temps plus fores;
à chaque fois la pluie , qui temboit toujours à
everſe , étoit précipitée avec plus de violence';
tellement que dans les deux heures & demie
qu'elle a duré , il en est tombé .36 lignes ou 3
pouces de hauteur , quantité que nos plus anciens
vieillards ne fe rappel'ent pas avoir vue
dans un auffi court intervalle.
On n'a pas entendu , dans cette foule preſque
innombrable de coups de tonnerre , de ces craquemens
& de ces coups fecs & ifolés , qui accompagnent
ordinairement la chûte ou plutôt
l'afcenfion de la feudre , dans des lieux voifins
du fpe&tateur , auffi n'a- t -on pas encore appris
( 33 )
qu'elle foit tombée quelque part dans la Vi'le ,
où n'étoit furement point le fiége principal de
l'orage.
Heureufement pour nos vignes & pour nos
jardins , cet orage auffi remarquable par la durée
que par le volume d'eau qu'il a précipité ,
n'a pas été accompagné de grêle ; mais il n'a
pas laiflé malgré cela de faire beaucoup de dommage.
On a eu la douleur de voir les eaux de
nes rivieres charroyer des regains que le culti
vateur s'étoit ménagés & qu'il n'a pas eu le
temps d'enlever.
Comme la fréquente ftérilité de cet article
de Paris nous réduit fouvent à mettre
peu de choix dans les matériaux , nous donnerons
aujourd'hui la relation du dernier
voyage de M. Blanchard , écrite par luimême.
Tout ayant été préparé dès le matin pour
notre départ , je montai dans la nacelle un peu
avant 11 heures avec le Chevalier de l'Epinard
, mon compagnon de voyage ; mais quelques
coups de vent affez fort , nous obligerent
à différer quelques minutes . A 11 heures 45 m.
le barometre étoit á 23 pouces & demi. Nous
éprouvâmes alors une dilatation telle que l'appendice
fe gonfla & l'air inflammable fe dégagea
avec abondance. Nous nous mîmes à déjeûner
& nous bûmes une bouteille de vin que
M. le Prince oe Ghifteiles nous avoit donnée ,
fur laquelle étoit écrit : Vin de Calabre deftiné
à être bu dans les Cieux par les Aëronautes , M.
Blanchard & le Chevalier de l'Epinard . Nous le
favourâmes d'autant mieux , que nous n'avions
pas eu le tems de déjeûner avant de partir &
b5
( 34 )
que l'air étoit très -vif. Pendant ce repas nous
defcendîmes par l'effet d'une déperdition qu'une
trop forte dilatation avoit caufée , & nous nous
trouvâmes à midi to minutes affez bas pour re .
connoître des maisons qu'on nous dit être le
village de Bouvigny . Nous entendîmes trois
coups de canon , auxquels nous répondîmes par
un falut de nos drapeaux ; nous éprouvâmes dans
ce moment un courant d'air très - frais , qui nous
fit defcendre affez pour parler à plufieurs perfonnes
d'un autre petit village . Nous leur demandâmes
fi nous tenions bien la route de Paris
& de combien nous étions éloignés de Lille ;
n'étant point fatisfaits des réponses qu'on nous
fit , nous jettâmes un peu de left pour remonter,
& à midi 20 minutes nous entrâmes dans un
nuage fi épais que nous ne nous vines plus
dans notre nacelle. Ce nuage avoit une odeur
infecte , & felon ce que nous avons pu eftimer ,
il avoit 7 à 800 pieds d'épaiffeur. Nous le traversâmes
en une minute & demie . Elevés audeffus
, nous le vimes fe divifer , & nous apperçûmes
la terre à travers. Le barometre étoit
alors à 22 pouces 3 lignes. Il nous parut que
l'on nous appercevoit dans les nues , puifqu'on
tira encore plufieurs coups de canon . A midi
& trois quarts nous étions dans un filence parfait
& jouiffant du plus beau ciel . Les nuages
s'étoient tellement ammoncelés qu'ils nous
avoient dérobé la terre , il nous fembloit que
nous voguions fur une mer en tempête , dont
les flots écumoient , avec cette différence qu'aucun
bruit ne fe faifoit entendre : Nous obfervames
l'ombre de notre globe qui fe projettoit
fur la furface inégale des nuages ,
cette ombre on voyoit un arc- en - ciel qui jettoit
les couleurs du prifme les plus vives Quoiqu'enchantés
de ces belles chofes , nos eftomacs
& à
( 35 )
nous firent fentir qu'il falloit diner ; notre carte
géographique nous fervit de table ; notre appétit
fut tel que nous confumâmes le refte de
nos provifions , excepté une bouteille de vin
une autre qui reftoit entamée. Nous nous livrâmes
enfuite à nos obfervations . A 1 heure ' TO
minutes nous defcendîmes dans un nuage &
aprés l'avoir traversé nous découvrîmes deux
villes , l'une à l'oueft & l'autre à l'eft de notre
route . Nous écrivimes chacun un billet que
nous jettâmes liés de rubans , afin qu'ils fuffent
plus vifibles. A 1 heure 16 minutes nous planâmés
au- deffus d'une très belle plaine . Je me
rappellai en ce moment que certains Aëronautes
avoient prétendu me contefter l'effet qu'a
voit produit le vin d'une bouteille jettée du
haut des nues , dans mon troisieme voyage à
Rouen , érant accompagné de M. Boby. Je pris
la bouteille dans laquelle étoient reftés au moins
les deux tiers du vin & je la jettai , priant mon
compagnon de la fuivre des yeux ; nous l'appercevions
encore lorfque le vin s'en échappa
comme une fumée abondante , formant un nuage
vineux qui nous fuivit quelques minutes & difparut
peu après. Je pris fur le champ acte de
mon compagnon fur ce phénomene . Peu aprés
fous rentrâmes dans un nuage fi épais que nous
ne pouvions ni nous voir ni obferver nos inftrumens
, & fi humide que dans un inftant nous
fumes très-mouillés. Notre nacelle étoit également
remplie d'eau : errant ainfi dans l'obfcu
rité · nous jugeâmes bien que cette humidité
en chargeant notre équipage , ne manqueroit
pas de nous précipiter vers la terre ; en conféquence
nous jettâmes une grande quantité de'
Jeft , ce qui nous fit remonter. Enfin quelques
nuages qui étoient encore au deffus de nous &
b6
( 36 )
qui nous déroboient le foleil , s'étant diffipés ,
nous éprouvâmes en ce moment , par l'effet des
rayons folaires , qui étoient très- chauds une
dilatation telle , qu'en peu de minutes , le barometre
defcendit à zo pouces 3 lignes & le
thermometre à la glace : nous paflâmes fi promptement
à cette température que l'air vif nous
faifit fur le champ. Nous nous couvrîmes de
nos manteaux. Nous montions toujours ; mais
par un mouvement moins rapide . Le froid devenant
plus exceffif , je craignois pour mon
compagnon , qui n'étoit pas accoutumé à un
changement fi fubit ; je lui demandai s'il vouloit
defcendre : non , me dit -il , je veux , comme
vous , éprouver toutes les températures ,
allons au
plus haut poffible. Nous ne fûmes que quelques
minutes à cette région où regne le filence ,
éloignés des humains & ne voyant que notre
habitation dans cette vafte folitude ; élevés au
plus haut , parcourant l'immensité à l'aventure
la fubtilité de l'air dont nous fouffrions beaucoup
, occafionna une affez grande dilatation ; it
fe trouvoit un trou à la partie inférieure du ,
Ballon , que je ne m'étois pas donné la peine de
boucher en partant. Je crus appercevoir par
ce trou , que l'air inflammable , en fe dilatant
fe troubloit , & qu'il fe formoit en fumée ; je
voulus m'en affurer : j'ôtai mon manteau & re-.
trouffant mon appendice , j'entrai à moitié dans.
mon Ballon ; je fus bien furpris de me fentir
comme dans une chaumiere remplie d'une fumée
chaude & épaiffe : je n'y pus refter longtems
, je n'y voyois goutte , les yeux me pico
toient , & j'en fortis très échauffé. L'air inflammable
continuant à s'échapper , nous refâmes,
en ftation ; mais une condenfation furvint bientôt
après , & l'air inflammable reprit fon pre-
"
"
( 37 )
mier état de tranfparence. Je rentrai dans le
globe , & je découvris très diftin&tement l'inté
rieur de la fphere dans tous les points . J'y
introduifis le thermometre , l'air , inflammable
fe trouva être au même degré de chaleur que
celui environnant . A 1 heure 59 minutes nous
étions affez defcendus pour entendre battre la
caiffe ; nous braquâmes nos lunettes , & 10 minutes
après nous découvrîmes encore deux villes.
Nous entendîmes très bien fonner les clo
ches. A 2 heures 29 minutes nous étions fous
les nuages : le barometre étoit alors à 24 p.
Après avoir fait le falut des drapeaux & demande
la route de Paris , nous filâmes , poullés par
le même air de vent , fur une forêt allez grande
; après l'avoir traversée à 2 heures 40 min .
nous rent âmes dans le nuage , ayant parlé auparavant
à quelques payfans que nous trouvâmes
de l'autre côté de la forêt . A 3 heures 15
minutes le barometre étoit à 21 pouces & le
thermometre au tempéré. Quoique nous fuffions
trop élevés pour avoir aucun objet de comparaifon
nous nous doutions que nous avions
quitté la route de Paris . Je profitai d'une condenfation
pour nous laiffer defcentre . Arrivés
à 5 ou 600 pieds de terre , je demandai" , avec
mon porte voix , où nous étions & à combien
de Paris ; nous nous fatiguâmes l'un & l'autre
à force de crier. On ne nous répondit point
diftin&ement ; nous vîmes bien que nous effrayions
ces bons payfans , qui courcient çà &
là comme des moutons égarés : nous réfolûmes
de nous dérober à leurs yeux , & d'autant que
nous penfions bien avoir perdu la route de Paris
, je jettai de mon left. A 4 heures nous
traversâmes des courans très froids : le thermometre
fe trouvoit à trois degrés au deffus dú
9
( 3834 )
terme de la congélation , & 3 minutes après if
defcendit à la glace; le barometre étoit à 16
pouces. Nous reprîmes encore nos manteaux &
nous voyageâmes ainfi à l'aventure pendant 58
minutes. Nos inftrumens étoient fi froids que
nous ne pouvions les toucher ; il ne nous fut
plus poffible d'écrire , l'encre s'étoit gélée dans
le cornet. Nous éprouvâmes encore un mal affreux
dans les oreilles ; notre vin dont nous
bûmes chacun un coup , tomboit avec des parcelles
de glaces dans notre verre & l'air inflammable
fe troubla encore une fois . Nous étions
remontés à cette région où l'homme se trouve
dans un état de béatitude : nous foulions à nos
pieds l'immenfité & nous jouiffions du plus beau
ciel. Une rotonde de nuages , entaffés les uns for
les autres , & fe formant comme des montagnes
de neige au milieu de laquelle nous
étions extrêmement élevés , nous offroit un coupd'eil
enchanteur. Le froid devenant extrême
nous bûmes encore chacun un verre de vin
glacé , & le Chevalier s'endormir . Je ne fus pas
d'abord tranquille fur fon érat ; mais après l'avoir
examiné , je vis qu'il n'y avoit rien à crain
dre ; je le laiffai repofer , & me gardai bien de
fuccomber moi - même au fommeil , qui vouloit
auffi s'emparer de moi.
•
›
Me fentant affez de force pour y réfifter , je
n'ouvris point ma foupape & je me laiffai aller :
le barometre étant à 14 pouces , & le thermometre
à quatre degrés au-deffous de la congélation .
Des vents fupérieurs nous éloignerent, bientôt du
milieu de cette belle rotonde de nuages , pour m'en
faire voir d'autres très-êpais . La dilatation ayant
eu lieu affez long - temps. un air frais occafionna
une condenfatiou telle , que dans un moment nous
nous trouvâmes dans ces nuages épais. J'avois re-
9
( 39 )
folu , d'autant que nous defcendions ; de ne pas
interrompre mon compagnon , qui étoit très - tranquille
; mais quelques coups de tonnerre qui fe
firent entendre à nos côtés le réveillerent en furfaut
, après une demi - heure de fommeil . Il me
demanda , quelle heure eft - il ? Il eft cinq heures ,
lui répondis- je , nous ne sommes pas loin de la
terre , me dit-il , j'entends un caroffe qui paffe fur un
pont. C'eft , lui dis- je , le char de Jupiter. Quel .
ques éclairs s'échappant du nuage , l'affurerent
alors que les coups qu'il entendoit étoient le tonnere.
Il n'en fut pas plus effrayé que moi : nous
reflâmes environ 15 minutes dans ce nuage ,
après quoi nous defcendîmes , & l'orage parut fuir
loin de nous. A 5 heures 30 minutes , le barometre
étant â 25 pouces , nous étions à une hauteur
à pouvoir nous faire entendre . Nous parlâmes
à plufieurs perfonnes , demandant toujours de combien
nous étions éloignés de Paris , & quelle étoit
cette Province ; les uns fuyoient épouvantés , les
autres reftoient en extafe , & ne nous répondoient
que par des cris entrecoupés que nous ne pouvions
diftinguer. Nous voyage âmes à cette hauteur pendant
environ 24 minutes, parlant à tout le monde ,
& n'ayant de réponſe pofitive de perfonne. Ce fut
alors que nous dêfefpérâmes d'arriver au but que
nous nous étions propofé. Nous apperçumes une
forêt immenfe fur laquelle nous allions être por
rés , & dont nous ignorions l'étendue ; & qui nous
auroit peut- être été d'autant plus funefte , qu'il
'étoit déjà tard & qu'il ne nous reftoit plus de provifions
. Nous euffions certainement pu aller beaucoup
plus loin , puifqu'il nous reftoit encore un
left affez confidérable ; mais la prudence nous décida
à terminer notre voyage. Nous nous laiffâmes
baiffer infenfiblement , & appercevant des pay
t
( 40 )
fans , je leur jettai un cordeau , les engageant de
le prendre , mais pas un n'ola le faire , au contraire
ils fayoient chacun de leur côté ; je lâchai
alors un de mes ancres , elle ramaffa un gros paquet
de brouffailles , de paille & d'herbe , ce qui arrèta
la vivacité de notre courſe , & fi un homme qui
travailloit à la terre non éloigné de nous , eût
youlu prendre le cordeau comme nous l'en priions,
nous euffions repofé dans une fuperbe plaine ;
mais au contraire lorsqu'il eut entendu nos voix ,
il ramaffa ſa veſte , prit la bêche & s'enfuit tout
en criant & fe courbant dans les avoines : touc
l'argent que nous lui promîmes fut inutile , il fe
fauvoit à toutes jambes. Mon ancre s'accrocha à un
petit arbre , mais un coup de vent caffa le cordeau
, je lâchai auffi - tôr ma feconde ancre ; elle
s'accrocha à un autre arbre , & par l'effet d'une
manoeuy re néceffaire , nous repofâmes doucement
fur la terre , à 6 heures préciſes ; après avoir
felon mes obfervations, parcouru 120 leues dans
l'espace d'environ 7 heures , ayant été portés de
Lille à Pont Sainte - Maxence , de Pont dans les
Ardennes , & des Ardennes à Servon en Çlermontois
, près Sainte Menehould en Champagne.
Signés BLANCHARD , Citoyen de Calais & Penfounaire
du Roi , & le Chev . de L'EPINARD .
PAYS - BA S.
DE BRUXELLES , le 26 Septembre.
Les Hollandois , affirmoit on , à la vue
de nos troupes raffemblées à Anvers , feront
attaqués le 16 ; cette attaque devoit enfuite
fe faire le 21 cependant tout eft toujours
( 41)
dans la même fituation. L'état général de
Farmée , les Pionniers , la Chanceller e de
guerre , le Duc de Saxe - Tefchen , le Général
Murray & le Prince de Ligne font à
Anvers , & y refteront probablement encore
quelques jours. Notre Gouvernement
avoit demandé à celui de Liege la permiffion
de former deux camps , l'un de 5500
hommes entre S. Trond & Tongres ; l'autre
de 3900 hommes entre Hui & les avenues
de Liege , le long de la Meufe , Quelques
détachemens fortis de Macftricht fatfoient
préfumer qu'on fongcoit à dégarnir
cette place & à l'abandonner : enfin tout ce
fracas s'eft appaifé , & le jeu touche à fon
terme du moins l'avis du moment , confirmé
par toutes les Gazettes de Hollande ,
les Etats -Généraux s'en remettent à
eft
que
la France.
Les Etats -Généraux ont répondu en ces
termes à la Déclaration du Roi de Pruffe.""
Oui le rapport de MM. de Lynden , de Hem
men & autres Députés de L. H. P. pour les
affaires étrangeres , lefquels , conformément à la
réfolution de L. H. P. du 29 du mois dernier ,
ont examiné la communication faite par M. de
Heckeren de Brantfenbourg , préfidant à l'affem .
blée de L. H. Puiffances , « que M. de Thule-
» meier , envoyé extraordinaire de S. Mile Roi
» de Pruffe , s'étoit rendu chez lui & lui avoit
» remis une Déclaration de Sadite Majesté
» touchant la conclufion d'un Traité de Confé(
42 )
dération , figné entre S. M. Pruffienne & les
Cours de Saxe & de Brunſwick Lunebourg ; »
laquelle Déclaration a été inférée dans les Regiftres
à la date du 29 du mois dernier :. Sur
quoi ayant eté délibéré , il été trouvé bon & art
rêté :
"
сс Que M. de Thulemeier fera remercié de
la communication de ladite Declaration , avec
» affurance de la gratitude de L. H. P. envers
S. M. Pruffienne , pour les égards qu'Elle a
fi gracieufement marqués en cette occafion
envers L. H. Puiffances : Que L. H P. pren
dront toujours le plus vif intérêt au bienêtre
de l'Empire Germanique , & au main-
» tien de fa Conftitution établie , perfuadées que
le moindre changement ou la moindre alté-
> ration ne pourroit qu'y caufer un bouleverfement
préjudiciable : Qu'Elles fouhaitent &
defirent fincerement , que le Traité d'Affociation
, conclu entre S. M. & les Cours de Saxe ,
» & de Brunswick , ait le falútaire effet qu'on
≫a eu en vue en le formant , & qu'il puiffe con-
» folider & & maintenir à jamais la Paix & le reopos
de l'Empire , que L. H. P. ont également
à coeur d'être confervés ».
Et fera donné extrait de la préſente réſolution
au fieur Slicher , agent de L. H. Puiſſances ,
pour le remettre à M. de Thulemeier , afin qu'il
puiffe fervir de réponſe & d'information à fa
Cour fur ladite communication.
Une lettre de la Haye, du 13 Septembre ,
rapporte de la maniere fuivante ce qui s'eft
paffé au moment où le Prince d'Orange a
perdu le commandement de la garniſon de
la Haye.
( 43 )
Après la parade du fameux dimanche 4 , le
Prince ne voyant plus d'apparence de trouble
fur la place , repartit pour la Maifon- du Bois.
Dans l'après midi , M. le grand- penfionnaire
craignant pour la fûreté de M. Gyfelaar & d'un
autre penfionnaire qui étoient hors de ville , &
qui devoient revenir le même foir , prit fur lui
de faire appel er M. le Général Sandoz , & de
lui donner ordre , vu la néceffité preffante , d'en
voyer une patrouille au - devant de ces Meffieurs .
M. Sandoz auroit pu , dit - on , alléguer qu'il
ne pouvoit recevoir d'ordre que du Capitainegénéral
; mais il crut que la fûreté publique
& furtout le défaut du tems , autoriferoient fuffifamment
ce manque de forme. Le lendemain
le Prince en témoigna fon mécontentement ,
& avec une raifon d'autant plus grande , que
le Confeil comité , d'aprés ce fait , avoit pris
la réfolution de s'attribuer le commandement
de la garnifon & en avoit fait prévenir Mgr.
le Stadhouder. S. A. S. ne pouvant s'en tenir à
cela , fit convoquer extraordinairement les Etats
de la province , & fe rendit à leur affemblée .
Le Prince. s'y plaignit avec force des chagrins
non-mérités qu'on lui faifoit effuyer de toutes
manieres ; mais M. Van- Berkel répliqua fur tous
les points , de façon à convaincre S. A. S. que
le parti étoit pris de foutenir la démarche du
Confeil comité. En effet , le Prince étant fortf
avant la fin de l'affemblée , la réfolution fut prife
à la majorité des voix , & le commandement de
la garnifon déféré au Confeil comité , & par
fubftitution à M. le grand- penfionnaire , qui
donne le mot de l'ordre au Général Sandoz ,
chargé de le donner enfuite à la parade. Depuis
ce moment le Prince n'y a pas paru , & S. A. S,
( 44 )
aff:& de ne plus fe montrer en habit d'uniforme
; mis habillé de rouge , comme les gentils
hommes de fa mai on.
Quoiqu'on ne doute point , d'après ce
qu'on connoît du Préavis des Etats de Hol-
Jande , envoié à Paris , que cette Province
Fr ponderante n'ait confenti aux demandes
de S. M. I. , on a cependant fait quelques
mo ivemens pour la défenſe de l'Etat. Les
Polders ont été inondés ; le Général Sandoz
& le Général Major de Verfchaur font allés
joindre le Stathouder à Breda , où ce Prince
s eft occupé fans relâche des mesures néceffaires
à la sûreté du Brabant - Hollandois.
M. le Comte de Maillebois s'eft rendu à
Bois-le Dac.
En l'abfence du Général Sandoz , le Comité
des Confeillers - Députés a déféré le
commandement de la garnifon de la Haye
au Général Major des Kretſchmar , des Gardes
Hollandoifes . On eft un peu revenu de
la terreur qui avoit faifi quelques perſonnages
, le 9 de ce mois ; & l'on affure qu'il
avoit été queftion d'offrir au Prince d'Orange
, de reprendre le commandement de
la garnifon ; comme il lui a été enlevé par
une réfolution des Etats de Hollande , Son
Alteffe Séréniffime a refufé cette offre , à
moins qu'elle ne lui fût préfentée par une
députation folemnelle des Etats. La Princeffe
d'Orange & fa famille ont été reçus en
( 45 )
Frie avec l'enthoufiafme & les fentimens
dus à leur fang & à leurs vertus.
Le Roi d'Espagne , dit on , avoit refufé
de ratifier le Traité de paix conclu à Alger
à caule que cette Régence , par un motif
de religion , vouloit qu'on permît à fes fujets
la guerre de terre , & de pouvoir attaquer
, comme par le paffé , Oran & les autres
Préfides. Le Roi d'Efpagne , par un
femblable motif , n'a pas voulu que fes
Préfides d'Afrique fuffent fans ceffe expolées
aux infultes de ces fanatiques Mufulmans ;
& la guerre alloit recommencer , lorfque le
4 de ce mois , on a vu arriver à Madrid
deux Députés d'Alger , qui font venus renouer
la négociation . On efpere que traitant
directement avec les Miniftres de S. M. ,
l'accommodement defiré de part & d'autre
fera bientôt conclu.
Il n'y a point eu d'engagemens fur la côte
des Mofqu tes. Il femble que le fyftême de
la Cour d Efpagne eft aujourd'hui de ne pas
s'en tenir à la lettre du dernier Traité de
paix. Les Anglois pourront , comme par le
paflé , couper du bois dans le diſtrict qu'ils
font cenfés avoir abandonnés. On ne pourroit
les chaffer , fans faire révolter les naturels
; ce feroit une guerre interminable à
faire à ceux ci , à la longue on pourroit bien
les exterminer, mais non pas les foumettre.
4
( 46 )
>
1
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
On dit ouvertement ici , que l'obftination des
Hollandois n'a d'autres caufes que l'affurance
d'une puiffante diverfion qui leur auroit été
donnée par une certaine Cour du Nord . Auffi
prétend-on que c'eft pour cette raison que le
Prince de Reuff , nouvel Ambaffadeur à Berlin ,
eft parti ces jours derniers pour fa deftination ,
d'après les ordres exprès qu'il en a reçus , quoiqu'il
ne dût quitter Vienne que le premier Octobre.
L'Empereur difoit derniérement à un
marchand de la Siléfie , qui vouloit fe retirer
avec tous les effets fur le territoire Autrichien :
Ne vous y fiez pas je fuis en ce moment en
fort mauvaiſe intelligence avec le Roi de
Pruſſe : s'il eſt inftruit de votre deſſein , tous
vos biens feront confifqués. Nouvellifte d'Allemagne
, no. 149.
Je puis vous affurer que les fours militaires
qu'on a conftruits à Herve , ne fument pas encore
; la farine pour les 8000 pains n'eft pas encore
dans le pétrin : il n'eft encore arrivé aucun
boulanger de fervice , & on ignore quand il en arvera.
Nos boulangers font cuire chez eux le
pain pour nous & pour les troupes qui cantonnent
ici . Ces troupes ont paffè la revue dernièrement
fans faire aucune évolution . L'Officier
Hollandois retenu ici , y eft encore ; mais il
n'a pas été gardé à vue. Nouv. d'All. n°. 149.
Le Cardinal Migazzi . s'étoit donné beaucoup
de foins pour faire révoquer le prédicateur ordinaire
des Dimanches & Fêtes . N'ayant pu y
réuffir , Son Eminence s'eft rendue elle- même
( 47 )
au -fauxbourg S. Jofeph à la pórte du Couvent
des Pierriftes , & a fait appeller le Pere Smith :
J'aime votre éloquence , lui dit le Prélat , &
je rends justice à vos talens , mais vous avancez
des propofitions qui me paroiffent dangereufes ,
& je me crois obligé de vous interdire de tout
mon pouvoir les fonctions de la Chaire.
Je refpecte infiniment Votre Eminence , a répon
du le Religieux , je reconnois fon autorité , &
Luis prêt à me conformer à fes ordres ; mais
ne prêchant que par la permiffion expreffe de
l'Empereur , je ne puis difcontinuer mes fonct
tions qu'il ne me les interdiſe lui - même .
Son Eminence a cependant vifité la bibliote
que du Prédicateur & lui a confifqué plufieurs
livres , entr'autres les oeuvres de Voltaire ,
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ),
7
PARLEMENT DE , GRENOBLE. 1
Les François expatriés , fans avoir abdiqué leur
patrie , perdent-ils le droit de fuccéder à leurs
parens décédés en France ? Les Suiffes font-il
réputés régnicoles en France ?
Ces queftions importantes ont été agitées en
tre Alexandre & Gafpard Beniftan , pere & fils
Pierre & Elizabeth Beniſtan , nés en Dauphiné
& Denis -Louis Elizabeth Manuel , Antoine-
Louis Derbain , originaires de France , nés à
Nion , petite ville de Suiffe dans le Canton de
Berne . Toutes les parties profeffent la religion
proteftante , qui fut celle de leurs peres .
Louis Beniftan , du lieu de Beauford en Dauphiné
, eut plufieurs enfans. Jean- Louis , Pierre ,
-
( 48 )
Louiſe l'aînée , Louife cadette & Alexandre .
Louife , cadette , époufa le fieur Manuel , Chirurgien
; l'un & l'autre pafferent en Suiffe ,
dans la vue de revenir dans le fein de leur pa
trie , dès que la fortune auroit amélioré leur
fort Jean-Louis & -Pierre (ont restés en
France , où ils fe font mariés. Louife , l'aînée ,
eft-également restée en France , & s'y eft mariée
au fieur Metifiol. Alexandre , de cujus bonis ,
eft décédé en Bretagne en 1749 , fans poftérité
laiffant pour les héritiers de droit , fes neveux &
fes nieces. Jean-François Beniftan , qui étoit
fur les lieux , a recueilli la fucceffion de fon
oncle. Les autres co - héritiers Français traiterenu
avec lui : procès fur le traité. La fucceffon
fut réglée de nouveau par arrêt du Pales
ment de Rences , du 19 Juin 1753 , & par a&e
du 5 Octobre 1772 , les héritiers de François
Beniftan vendirent leurs droits à Michelle de
Rebouille , a velve , & en emporterent le prix
en Dauphiné , où ils habitent . Les Manuel
& Derbain , nés Suiffes , formerent en 1778 ,
leur demande contre les détenteurs de leur portion
dans l'hoirie d'Alexandre Béniftan ; mais
ils en furent déboutés par le premier Jage."
Arrêt le 19 Juillet 1785 en la Chambre, des
Enquêtes qui réforme la Sentence du premier
Juge , adjuge aux Manuel & Derbain , comme
Suiffes & originaires Français , une portion de
la fucceffion d'Alexandre Benian , avec les intérêts
du jour de la demande , ordonne la reftitution
de l'amende , & condamne les Intimés
aux dépens.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE,
DE HAMBOURG , le 24 Septembre.
LE Magiftrat de cette ville , par un décret
du 12 de ce mois , a défendu toutes les lo--
teries. Les Receveurs font obligés de fermer
leurs bureaux dans l'efpace de quatre
femaines , à dater du jour de la publication
de ce décret. Tout le monde applaudit à
la fageffe de la Régence , dont le bel exem
ple devroit être imité dans tous les Etats
fibres , où les moeurs du peuple & fes intérêts
font comptés pour quelque chofe par
l'adminiſtration publique.
D'après le dénombrement fait à Copenhague
, le Septembre 1784 , la population
de cette Capitale monte à 93719 perfonnes
, dont 1512 font des Juifs.
Nous avons annoncé la réforme exécutée
en Danemarck dans la compofition de
l'armée. Voici de quelle maniere la nouvelle
No. 41 , 8 Octobre 1785. с
( 50 )
Ordonnance en a fixé l'état & l'entretien
annuel.
La Cavalerie fera compofée de 6073 hommes ,
y compris les Officiers , & il y aura 4751 chevaux.
L'entretien pour ces deux objets fera de
391,433 rixdalers , & 49 fchellings. Elle confiftera
dans les Régimens fuivans ; favoir , la
garde à cheval , de 177 hommes ; elle coûtera
y compris les chevaux , 29,655 rixdalers &
41 fchellings & demi ; quatre Régimens de Cavalerie
de 2 , 620 hommes , qui coûteront , y
compris les chevaux , 157,747 rixdalers , & 76
fahellings ; quatre Régimens de Dragons de la
même force , leur entretien & celui des che¬
vaux coûtera 156,747 rixdalers , & 76 (che-
Lings ; un corps de Huffards , de 330 hommes ,
& un autre corps de 326 ; ces 2 corps , y compris
les chevaux , coûteront 51,283 rixdalers
& 47 fchelings & demi .
L'Infanterie fera compofée de 33,475 hommes
, & fon entretien reviendra à 890,396
sixdalers , & 51 fchelings , elle confiftera dans
les Régimens fuivans ; favoir , la Garde à pied ,
de 483 hommes ; fon entretien fera de 31,153
rixdalers , & 61 fh, un Corps de Chaffeurs ; de
132 hommes ; il coûtera 9,813 rixdalers , &,
46 fchellings & demi ; un autre Corps de Chaffeurs
de la même force , & qui coûtera la même,
fomme ; 16 Régimens de 27,962 hommes , qui
cofiteront 658 , 209 rixdalers , & 53 fchellings ,
quelques Compagnies détachées de 1999 hommes
; elles coûteront 60,096 rixdalers & 56.
fchellings ; quelques Compagnies de garnifon
de 358 hommes , qui coûteront 13,724 rixdalers
, 4 fchellings & demi.
Toute l'Armée en Danemarck fera donc
forte de 39,548 hommes , & fon entretien an(
51 )
nuel reviendra à 1,285,830 rixdalers , & 4 fchellings.
D'après la même Ordonnance , l'Armée en
Norwege fera portée en 1786 à 35,715 hommes ,
& fon entretien coûtera 378,092 rixdalers & 70°
fchellings. Il y aura 4 Régimens de Dragons
de 4349 hommes , & de 2725 chevaux ; un
Corps d'artillerie de 436 hommes ; 2 Régimens
d'Infanterie enrollée de 2294 hommes ; 8 : Régimens
d'Infanterie Nationale de 27,524 hommes
; 960 Chaffeurs , & une Compagnie de
garnifon de 156 hommes.
Total de l'Armée én Danemarck & dans la
Norwege , 75,263 hommes , dont l'entretien
annuel reviendra à 1,663,922 rixdalers , & 70
fchellings.
La pêche au Groënland a valu cette amnée
aux Hollandois 180 baleines , aux Anglois
122 , & 60 au commerce
de Hambourg
, d'Altona, de Brême & de Gluckftadt.
Une nouvelle defcription géographique &
topographique du Cap de Bonne- Espérance ,
publiée à Glogau par Menzel , porte la population
a &uelle du Cap à 40,600 perfonnes , dont
9,600 demeurent dans la Ville , où l'on compte
1200 maiſons . On fait qu'en 1713 la petite vérole
y fit tant de ravage , que la maffe de la
population fut réduite à 4,813 ames ; mais les
mefures fages du Gouverneur Schwellengebel ,
le changement des emphytiopas en biens propres
& héréditaires , moyennant le paiement
d'une certaine redevance annuelle , & l'encou- ›
ragement donné à l'agriculture , ont bientôt relevé
la population & l'ont fucceffivement portée
à l'état floriflant où elle fe trouve actuellement .
C. 2
( 52 )
Les revenus du Gouvernement , dit le même
Auteur , montent à 467,637 florins , & les appointemens
des Employés de la Compagnie des
Indes orientales , à 394,965 florins. Il affure
encore que chacun des 48 Bâtimens que la Com-`
pagnie envoie actuellement à Batavia , en emporte
environ 120,000 florins , argent comptant ,
& pour 300,000 florins de marchandifes .
DE BERLIN , le 23 Septembre.
Le Duc d'Yorck , le Lieutenant Général
Comte de Cornwallis , le Major Général
Grenville , les Colone's Fox , Goldsworthy
& Abercrombie font arrivés ici de Breflau ,
pour affifter aux manoeuvres d'Automne.
Après avoir paffé en revue le 10 , le Corps
d'Artillerie, & avoir été préſente à ſes exercices
,S. M. enfit exécuter de nouveaux par
des
régimens d'Infanterie & de Cavalerie , en
garnifon dans cette ville .
Le Roi de Pologne a nommé le fieur de
Zablocki , qui jufqu'ici étoit chargé d'affaires
, fon Réident à cette Cour , à laquelle il
vient d'être préſenté en cette qualité .
Le fieur Klipftein , Confeiller des finances
à Darmstadt , a inventé des machines auxquelles
il emploie la vapeur d'eau bouillante
, & qui peuvent être emploiées utilement
dans les fonderies , à la place des foufflets.
Probablement ces machines ne font autre
chofe que les Pompes à feu inventées par
MM, Wats & Boulton , & que ces fameux
( 53 )
Méchaniciens ont fait fervir en Angleterre à
tant d'ufages étonnans .
Le 23 Août if fe tint à Frauſtadt en Pologne
, un Synode provincial des Diflidens
Evangéliques. Le Comte d'Unruh , le Général
de Goiz & le Colonel de Schlichting
y étoient préfens. On y a arrangé diverfes
affaires relatives aux Proteftans , & lu la
derniere conftitution de Grodno , qui accorde
au Confiftoire Proteftant Evangélique
le pouvoir de faire exécuter fes décrets
militairement.
Le 16 , le Roi donna au Duc d'Yorck
une fête magnifique , confiftant en un grand
bal mafqué & un fouper. Tous les Miniftres
étrangers , tous les Officiers Pruffiens
ou Etrangers v furent invités. On avoit de
plus permis à tout Négociant & Bourgeois
de Beilin d'affifter au Bal maſqué , & plus
de 3000 d'entr'eux s'y rencontrerent. On a
admiré l'ordre , la propreté & la magnificence
de cette Fête.
S. M. vient encore d'affigner 50000 rixd.
pour relever les digues endommagées par la
derniere inondation de l'Oder.
DE VIENNE , le 24 Septembre.
L'on ne révoque plus en doute les contr'ordres
donnés aux nouvelles troupes en
marche pour les Pays - Bas , & l'on préfume
que tous les préparatifs de guerre feront fufc
3
( 54 )
pendus , puifque , dit on , les Hollandois fe
défiftent de leur demande de compenſation ,
& qu'ils fe foumettent à payer les fommes
exigées pour le rachat de Maëſtricht , les autres
points feront débattus , & décidés paiablement
dans les négociations repriſes à
Paris.
Quelques Valaques , échappés des prifons
de Carlsbourg , fe font réfugiés dans les
montagnes de la Tranfylvanie , où ils ont
commis quelques violences , probablement
très-exagérées . On a fait paffer un détachement
militaire dans les réduits de ces tranffuges
, afin de prévenir de nouveaux dommages.
Par ordre de l'Empereur , quelques- uns des
perfonnages d'Etat les plus habiles & les plus
dans la connoiffance des traités devoient travailler
à démontrer à toute l'Europe , d'après
l'accommodement préliminaire de Breflaw , &
le traité de paix fubféquent figné à Berlin entre
P'Impératrice Marie-Thérefe de glorieuse mémoire
, comme héritiere de l'Empereur Charles
VI , & S. M. le Roi de Pruffe , actuellement
régnant , combien les Hollandois étoient peu
fondés dans leur révendication au fujet des fommes
, pour le remboursement defquelles l'Empereur
Charles VI avoit hypothéqué la Siléſie ,
& qu'ils prétendent rabattre fur celles dont on
eft convenu pour le rachat de Maëftricht , puifque
dans ledit traité de 1742 , à l'article de la
ceffion de la Siléfie à la Pruffe , il eft ftipulé ,
d'une manière très-formelle & très-motivée ,
» que
le Roi de Pruffe renonce pour lui & pour
fes defcendans à toute prétention à la charge
( 35 )
de la Reine de Hongrie , & qu'il prend fur lui
toutes les fommes hypothéquées fur la Siléfie ,
& empruntées aux fujets de la Grande- Bretagne ,
aux Hollandois & aux Etats du Brabant ». Il
n'y eut jamais de claufe plus expreffe . Si alors
on trouva cette charge bien compenſée par l'avantage
& le produit que la Maifon de Pruffe
devoit retirer de la poffeffion de cette province ,
quelle raifon pourroit infirmer une claufe d'un
traité auffi folemnel , ſur- tour fi l'on cenfidere
combien le commerce & l'induftrié ont augmenté
depuis ce temps les revenus de la Siléfie.
On les évalue à cinq millions 854 mille
écus. L'état militaire exige une dépense annuelle
de deux millions 900,000 écus , l'état civil un
million 400,000 écus. I refte donc un net
annuel de 554,662 écus.
Cette difcuffion devient inutile , depuis que
la Hollande a abandonné fa prétention.
On écrit de Gratz , que le 2 de ce mois ,
il est tombé aux environs de Gnaff , de S.
Etienne & de Kirchbach de groffes pluies
qui ont fait déborder les rivieres de Saft &
de Schwarza , & qui ont abîmé toute la
campagne. On avoit répandu la fauffe nouvelle
d'un tremblement de terre qui venoit
de fubvertir la ville de Trente . Cette prétendue
catastrophe fe réduit à quelques fecouffes
très légeres .
On a publié à Lemberg & dans toute la
Gallicie la promeffe d'une gratification à
ceux qui fabriqueront des draps , étoffes de
laine , tapis & chapeaux des laines des Etats
héréditaires , & qui exporteront ces mar-
C 4
( 56 )
chandifes dans l'Etranger ; exportation encore
prodigieufement éloignée , puifque
nous fommes encore bien loin de pouvoir
fuffire à notre propre confommation.
DE FRANCFORT , le 30 Septembre.
Ce fut le 20 qu'arriva ici M. Boehmer ,
Confeiller privé du Cabinet de S. M. Pruffienne
, & fon Secrétaire de Légation aux
diverfes Cours de l'Empire. La femaine
précédente , il avoit féjourné à Mayence ,
où il eut une audience particuliere de l'Electeur.
Il s'eft préfenté antérieurement aux
Cours de Brunfwick , de Veimar , d'Anhalt ,
de Gotha , de Caffel , &c . pour le même
objet , favoir , la notification de la Ligue
Germanique , formée par le Roi de Pruffe .
Il fe confirme de toutes parts , que les
troupes de l'Empereur en marche pour les
Pays-Bas ont reçu ordre de ne point continuer
leur voyage jufqu'à l'arrivée de nouvelles
dépêches .
On affure que l'Empereur a mis en adminif
tration l'Abbaye de Fridolin à Seckingen , dans
l'Autriche antérieure , & qu'il a été afſigné à
la Princeffe Abbeffe un revenu annuel de 3,500
florins , & à chacune des 7 Chanoineffes 600
florins ; l'entretien, de la table & du fervice n'eft
pas compris dans cette fomme .
Diverfes circonftances font préfumer que
l'Electeur Palatin reprendra les biens donnés
aux Chevaliers de Malthe , & qu'il leur
( 57 )
fera des penfions annuelles pour leur en te
nir lieu .
Depuis cent ans , lit-on dans une lettre
d'Augsbourg , la population de cette ville
s'eft augmentée de 10668 ames. On y a
compté en 1683 , 23852 individus , & ce
nombre s'eft accru jufqu'en 1783 à 34520 .
Quelques lecteurs verront avec plaifir le
difpofitif de la Bulle d'or , fur laquelle le
Roi de Pruffe a fondé fa démarche , relative
à l'échange de la Baviere. L'article 25 de
cette Bulle ayant pour titre , de la conferva •
tion des Principautés des Electeurs en leur
entier, &c. &c. porte :
S'il eft expédient que toutes les principautés
foient confervées en entier , afin que la juftice
s'affermiffe , & que les bons & fideles fujets
jouiffent d'un parfait repos & d'une paix profonde
; il eft encore fans comparaiſon beaucoup
plus jufte que les grandes principautés , demaines
, honneurs & droits des Princes Electeurs
demeurent auffi en entier , car là il faut uſer
des plus grandes précautions , de peur que les
colonnes venant à manquer , tout le bâtiment
ne tombe en ruine .
CG 1º. « Nous voulons donc & ordonnons par
cet édit impérial , qu'à l'avenir & à perpétuité
les grandes & magnifiques principautés , telles
que font le Royaume de Bohême ,, le Comté
Palatin du Rhin , le Duché de Saxe , & le
Marquifat de Brandebourg , leurs terres , jurif
dictions , hommages & vaffellages , avec leurs appartenances
& dépendances, ne puiffent être partagées
, divifées ou démembrées en quelques fa¬
( 58 )
çon que ce foit ; mais qu'elles demeurent à perpétuité
unies & confervées en leur entier.f
2º. « Que le fils aîné y fuccede , & que tout
le domaine & tout le droit appartiennent à un
feul , fi ce n'eft qu'il foit infenfé , ou qu'il
ait tel autre grand défaut qui l'empêche abfolument
de gouverner ; auquel cas la fucceffion
lui étant défendue , nous voulons que le fecond
fils , s'il y en a un en la même ligne , y
foit appellé ; finon l'aîné des freres ou parens
paternels laics qui fe trouvera être le plus
preche en ligne directe & mafculine ; lequel
outefois fera tenu de donner des preuves continuelles
de fa bonté & libéralité envers fes
autres freres & faurs , contribuant à leur fubfiftance
felon la grace qu'il en aura reçue de
Dieu , & felon les facultés de fon patrimoine ;
lui défendant expreffément tout partage , divifion
& démembrement de principautés , & de
leurs appartenances & dépendances , en quelque
façon que ce puiffe être.
Le Duché de Baviere n'eſt point expreffément
compris dans cette difpofition , parce que , lors
de la promulgation de la Bulle- d'Or au mois
de janvier 1356 , il n'exiftoit que les quatre
Electorats laics qui y font dénommés . Le Du-,
ché de Baviere ne fut érigé en Electorat que
le 25 février 1623. L'indivifibilité des Electorats
n'en eft pas moins générale ; & il paroît
qu'elle doit s'étendre non- feulement à ceux qui
fubfiftoient alors , mais encore à ceux qui furent
& qui feront encore créés dans la fuite des tems.
On fait qu'on eft obligé de recourir aux
Grecs & d'envoyer à Andrinople les cotons.
que l'on veut teindre en rouge. Les Anglois
prétendent approcher depuis quelque tems
( 59 )
du fecret de cette teinture ; fecret dont on
peut apprécier l'importance , par les frais de
tranfport des cotons en Turquie. Un Pruffien
vient de s'annoncer en ces termes , comme
poffeffeur de cette découverte.
Le fieur Schutz fe propofe de publier , par
la voie de la foufcription , un Ouvrage dans
lequel il fera connoître le fecret de teindre le
coton en rouge , fans que la couleur s'efface . Il
affure que le coton de fa teinture , eft auffi beau
que celui de la Turquie , & qu'il revient moins
cher . L'Ouvrage fera orné de planches pour
l'intelligence du texte. La foufcription , pour un
exemplaire , eft d'un rixdaler & 8 groſchen , ou
5 1.7 f. de France . Voilà certainement un Inventeur
bien généreux.
ITALIE
DE MODENE, le 7 Septembre.
Le Duc notre Souverain vient d'abolir
par un Edit le Tribunal de l'Inquifition
dans toute l'étendue de fes domaines . Les
Evêques feront chargés à l'avenir du ſoin de
conferver la Religion Catholique dans fa
pureté , & de pourvoir à ce que les Hérétiques
ou gens foupçonnée d'héréfie , ne répandent
point des maximes contraires aux
faints dogmes , & tendantes à relâcher les
moeurs des fujets.
On a arrêté à Rome, conformément à la
demande de la Cour d'Efpagne , un ex - Jé
fite , qui réfidoit précédemment à Belo-
сб
( 60 )
gne , & qui s'étoit réfugié à Rome depuis
Femprifonnement du Comte Pignatelli avec
lequel il avoit des liaiſons. On ignore le
motif de la détention de ces deux perfonniges.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 24 Septembre.
Le Marquis de Carmarthen , Secrétaire
d'Etat , a remis au Comte de Lufi , Miniftre
du Roi de Pruffe , la réponſe de S. M. Brit.
à la Déclaration relative à la ligue Germanique.
Cette réponſe eft conçue en ces termes.
Le Roi a reçu avec plaifir la communication
que , par ordre de S. M. Pruffienne , le
Comte de Luft a faite au Lord Carmarthen des
fe ntimens de S. M. , relativement au Traité
figné à Berlin , le 23 Juillet ; Traité à la conclufion
duquel le Roi lui même , en fa qualité
d'Electeur , a bien voulu concourir.
Le vif intérêt que S. M. Pruffienne ne ceffe
de prendre au maintien de la conftitution Germanique
& à la confervation du Droit de chaque
Membre de l'Empire , ne peut que mériter les
plus grands éloges de la part des Puiffances ,
véritablement Amies du bien- être & de la propriété
de cette refpectable Confédération : &
en même tems que la Cour de Londres s'empreffe
à rendre cette juftice aux vues patriotiques
de S. M. Pruffienne , Elle fe flatte qu'aucune
entreprise , directe ou indirecte contre les
Droits reconnus du Corps Germanique ne
zendra jamais néceffaires les mesures de précau-
•
( 61 )
tion que les trois Cours Electorales ont jugé
à propos de prendre ; mais qu'à l'avenir l'harmonie
la plus folide fera rétablie & la plus
entière confiance fubfiftera pour toujours entre
l'Augufte Chef & les Illuftres Membres de
l'Empire.
A Saint James , le 9 Septembre 1785 .
L'Amirauté ayant mis en commiffion le
Trufty de 50 can. & le Phaeton de 38 can.
pour aller remplir la ftation de la Méditerranée
; ces deux vaiffeaux font fortis du havre
de Portſmouth , & fe font rendus à Spithéad.
L'Amiral Keppel s'embarque fur le Phaëton
, & paffe en Italie pour raifon de fanté ,
ainfi que nous l'avons dit précédemment.
Il eft encore incertain qui du Commodore
Gower , ou du Commodore Colby commandera
cette efcadre de la Méditerranée .
On préfume que le premier continuera d'accompagner
le Prince Guillaume - Henri , actuellement
Capitaine de la frégate l'Hébé, qui
a fait voile de Spithéad pour Gibraltar. Ce
fut le 14 , que le Capitaine Eufton , Commandant
de cette frégate , arriva de fa derniere
croifiere à Portſmouth . Il laiffa l'Hébé
fous les ordres du jeune Prince , qui fut nommé
Capitaine en pied à bord de la frégate.
L'Amirauté a donné au Capitaine Eufton le
commandement d'un vaiffeau de même force.
Le Prince n'a point débarqué depuis fon
inſtallation , & va s'occuper encore d'étudier
les devoirs de fon état.
L'un des motifs de cette nouvelle expédition
( 62 )
marines du Prince Guillaume- Henri eft de lui
procurer , dit- on , l'occafion de voir quelques
uns des plus beaux Ports de l'Europe . On veut
en même tems lui faire connoître l'Italie & les
Cours de Florence & de Naples. Il doit auffi
aller à Rome où il trouvera probablement fes
deux Auguftes oncles qui fe propofent d'y paffer
l'hiver. Ce Prince fera plufieurs croiſières avant
d'être porté fur la lifte des Amiraux. On veut
parer de la forte aux inconvéniens d'un avancement
prématuré & le mettre en état d'acquérir
préalablement les connaiffances qu'exige
un pofte de cette nature.
L'activité de cet augufte Marin , fon intelligence
, fon zèle , fa vigueur à fupporter les
fatigues , font efpérer à la nation de trouver
en lui un brave défenfeur de la sûreté & de la
gloire de l'Angleterre.
Il paroît un Réglement émané du Bureau
de l'Amirauté , lequel fixe le nombre
des troupes de Marine qui pourront être
embarquées à l'avenir fur tous les vaiffeaux
de guerre , à compter depuis les cutters jufqu'aux
vaiffeaux du premier rang. Ce nombre
fera réglé fur celui des matelots dans la
proportion de 1 à 1o , c'eft à - dire , que fur un
vaiffean où il y aura 10 matelots , l'on n'em-
Darquera que lo hommes des troupes de la
Marine .
3.
Le même Bureau de l'Amirauté a ordonné
la conftruction de 4 nouveaux vaiffeaux à
ponts : la quille en fera pofée auffi tôt qu'il y
aura de la place dans les chantiers de S. M.
On a achevé de grandes réformes dans les
( 63 )
Bureaux de la Marine & de l'Artillerie ; én,
forte que ces départemens feront conduits
avec beaucoup plus d'économie que cidevant.
Le Grampus de 50 canons a ordre d'appareiller
le plutôt poffible pour la côte d'Afrique ; quatre
cens foldats y compris l'artillerie , doivent s'em- ›
barquer à bord de ce vaiffeau pour renforcer
les garnifons des Etabliffemens anglois fur cette
côte. Les criminels transportés ne feront pointpartie
de ces 400 hommes.
On a reçu avis que le Worcester , de 64
canons , venant de l'Inde en Europe , eft
arrivé en bon état au Cap de Bonne- Efpérance.
Le Comte de Cornwallis , vaiffeau de
la Compagnie des Indes , eft arrivé hier à
Portsmouth fans accident.
On a appris par un Bâtiment marchand ar
rivé récemment de Quebec avec une riche cargaifon
de fourures , que le 3 Août , jour de fon
départ , tout étoit tranquille à Quebec , & que
le commerce de pelleterie avec les Nations Indiennes
avoit été très- encouragé par le Gouvernement
& très- avantageux pour la Nation.
Le foixante- cinquieme Régiment d'Infanterie ,
commandé par le Major Bukeridge , étoit arrivé
à Quebec le 22 Juillet , pour renforcer la gar-›
nifon . L'Etabliffement militaire de cette Province
doit être porté à 5200 hommes , indépens
damment de la Milice .
Le mariage entre le Duc d'Yorck , Evêque
d'Ofnabruck , & la Princeffe Charlotte -Eli- ,
fabeth Chriftine de Pruffe , petite- niece de
S. M. Pruffienne , eft , dit- on , pofitivement :
arrêté. Cette Princeffe eft dans fa 19me..
année.
3
་*
( 64 )
Un Planteur de la Jamaïque , dans une lettre
à un de fes amis à Glaſgow , en date du 7
Juillet de la préfente année , lui mande ce qui
fuit : Le Lord Rodney ayant pris dans la
derniere guerre un Vaiffeau françois venant de
l'Inde , fur lequel il trouva de jeunes plants &
femences deftinés pour le jardin du Roi à Paris ,
en fit préfent à des Planteurs de cette Ifle . Le
Camphrier ..... le Canelier , & une espèce
d'arbre à pain viennent admirablement bien dans
notre fol. On compte déja 50 jeunes plants. de
canelle qui ont été reproduits de bouture , &
je ne doute point que cette précieuse épicerie
ne forme bientôt un article d'exportation pour
la mere Patrie «.
Les Américains , difent plufieurs de nos
Papiers , ont recours à toutes fortes de ftratagêmes
pour déterminer nos Miniſtres à
contracter des engagemens de commerce
avec eux. Les lettres des maiſons Américaines
adreffées à nos marchands , les actes
ridicules publiés contre les importations
Angloifes , & les expédiens dont fe fervent
les divers émiffaires qu'ils ont dans ce pays ,
ne produiront aujourd'hui , graces au ciel ,
aucun effet . M. Pitt eft convaincu que fes
premieres idées fur cet objet , feroient ruineufes
pour l'Angleterre , & quelle que foit
la différence d'opinions du Miniftere & de
l'Oppofition , ils s'accordent fur le principe'
de maintenir inviolablement l'acte de navigation
.
M. George Baldwin a été nommé Conful - Général
au Grand Caire . Il étoit fimple Conful
fous l'Adminiftration du Lord North. Le Mi-
+
( 65 )
niftère actuel s'eft fait le plus grand honneur
en nommant à cette place un homme qui a
déjà facrifié une partie de fa fortune pour le
fervice de fa Patrie. C'eft à ſon induftrie &
à fa générofité que nous fommes redevables
de la confervation de nos Poffeffions dans l'Inde
; M- Baldwin ayant équipé à les frais un
Vaiffeau pour faire parvenir dans cette partie
du Monde le plutôt poffible la nouvelle rupture
entre la France & l'Angleterre. La Compagnie
lui a donné à la vérité quelques marques de
reconnaiflance , mais elles n'équivalent ni à fon
mérite perfonnel , ni à la générosité de fes
fentimens.
Les navires le Roi George & la Reine Charlotte
ont fait voile de Portſmouth pour la
mer du Sud , où ils vont faire des découvertes
, & tenter le commerce des fourrures.
A cette occafion , on a préſenté dans un Papier
public les réflexions fuivantes , qui pas
roiffent judicieuſes.
Le commerce de pelleterie que l'Angleterre
& la France veulent ouvrir avec la Chine , à
laquelle ces Nations fourniront des loutres des
Ines Kuriles ne leur promet pas de grands bénéfices.
L'exceffive longueur du voyage & les
dangers de la navigation dans ces parages ne
font pas les feuls obftacles à furmonter. Il eft
vrai que l'extrême rareté de ces marchandifes
les fera vendre d'abord à un très haut prix,
mais , du moment qu'elles feront devenues plus
communes , leur valeur ainfi que celle de toutes
les autres marchandiſes tombera , & les habitans
des Kuriles qui connoîtront mieux les goûts
des Européens , chercheront naturellement à en
hauffer le prix. D'ailleurs , on auroit tort de fe
#
( 66 )
fatter que la Ruffie verra d'un oeil tranquille
ces fortes d'expéditions qui feront confidérées
par elle comme un empiétement fur les droits.
Si elle n'en vient pas à des hoftilités ouvertes
avec ces Navigateurs étrangers , au moins eftil
très-probable qu'elle leur fermera fes Ports.
Dans un cas de détreffe , ils ne doivent s'attendre
à recevoir aucun fecours quelconque de
cette Puiffance. D'après ces confiderations , c'eft
beaucoup fi , fur dix Vaiffeaux expédiés pour
ces pays lointains , il en revient un en Europe .
On ne doit donc fe promettre aucun avantage
folide de telles fpéculations.
Les connoiffeurs en Peinture ont commis
récemment une lourde méprife à une vente
de tableaux. Il s'y trouvoit une mort d'Acteon
qu'on avoit taxée 30 guinées . Plufieurs ama◄
teurs l'ayant examinée , déclarerent unanimement
que ce prix étoit beaucoup trop cher.
En conféquence , on le réduifit à 15. Le célébre
Weft vit le tableau , & l'acheta 20 guinées.
Cette peinture ayant été nettoyée , s'eft
trouvée être du Titien. On en a déjà offert
à M. Weft 1500 guinées qu'il a refufées .
L'affociation de l'Electeur d'Hanovre au
Roi de Pruffe dans la ligue d'Allemagne , a
fuggéré à nos Folliculaires beaucoup de réflexions
fingulieres , dont celles ci ne font
pas les moins étranges .
Il n'eft pas douteux , ( difent plufieurs de ces
Précepteurs publics ) que le Duc de Brunſwick
Lunebourg auffi bien que d'autres Princes d'Allemagne
n'ayent intérêt de former une ligue
pour reftreindre la Puiffance de l'Empereur .
Mais fi l'Angleterre s'engage dans de nouvelles
( 67 )
guerres en Allemagne , ce ne doit être que
pour augmenter cette Puiffance & non pour
la diminuer. Si l'Allemagne n'étoit gouvernée
que par une feule tête , cet Empire feroit naturellement
l'émule & l'ennemi de la France.
Le Cabinet de Verfailles eft fi convaincu de
cette vérité qu'il travaille conftamment à maintenir
ce qu'il appelle les libertés du Corps Germanique
; c'eft-à- dire , à teir ce Corps dans
une divifion perpétuelle afin de l'affoiblir. Il
faut donc que M. Pitt , dans la conjoncture.
préfente , repete & tienne la parole que fon
pere avoit donnée au Parlement , en difant : «
Tant que j'aurai part au Gouvernement jamais
je ne confentirai a faire paffer en Allemagne
un feul homme ni une feule gui-
» née ».
La gracieuſe réception faite à M. Fox par
les habitans de Manchefter , & dont nous
ovons parlé l'Ordinaire dernier a donné lieu
avome po
à une remarque affez plaifante. Lorſque M.
Fox , a ton dit , fe trouve à Mancheſter , il
promet que fi jamais il revient en place, il ne
taxera point les Manufacturiers . Eft-il à Liverpool
? il promet de ne jamais taxer le
commerce . Dine- t- il avec le Corps des Epiciers
? il s'engage à refpecter les boutiques.
Eft- il fêté par les Banquiers ? il prend Dieu
à témoin de fes fcrupules fur les fonds pu-
Blics. Il multiplie ainfi fes promeffes felon la
compagnie où il fe trouve ; mais heureufement
, il peut bien ſe regarder , par la folidité
actuelle du Miniftere, comme n'étant pas fort
près du terme de les engagemens .
M. Pitt eft actuellement à Brighthelmftone .
( 68 )
•
Ses ennemis , difent fes amis , doivent éprouver
un dépit fecret en voyant l'étrange contrafte
que forme la vie avec leur conduite . Il reſpecte
trop fon caractere public pour s'affocier à de
vils efcrocs , joueurs de profeffion , ou pour
paffer les nuits dans les lieux où fe célebrent des
orgies fcandaleules. Il connoît la dignité de la
nature humaine & fon coeur lui dit qu'il eſt
né pour de plus nobles objets . Il Taiffe de
telles jouiffances à ceux qui font incapables de
fenfations plus délicates . Semblable à ces dignes
Citoyens de l'ancienne Rome , il confacre fes
memens de loifir à méditer des plans qui intéreffent
le bonheur & la gloire de fa Patrie. Un
Miniftre qui fait faire un emploi auffi fage du
tems , peut braver la calomnie , & fa conduite
fait taire la cenfure.
Ce qu'il y a de vrai , c'eft que l'apparition
de ce Miniftre à Brighthelmftone en a fait difparoître
la mauvaiſe compagnie lubitements
La famille de M. Fraine de Chelſea a été
pourfuivie par une finguliere fatalité . Le fils
aîné de ce particulier fe tua , il y a quelques
années , au Temple ( 1 ) à Londres . Sa fille
ayant eu de l'inclination pour un jeune homme
fort honnête & fort inftruit , fut pleine
ment payée de retour ; mais le pere qui ne
confidéroit , dans un établiffement , que les
avantages pécuniaires , refufa de confentir à
leur union , & la força de prendre , contre
fon gré , un autre parti. Son amant défefpéré
, paffa alors à la Jamaïque , où , ne
(1) College de Jurifprudence .
( 69 )
pouvant vaincre fa pallion , il fe brûla la
cervelle. La jeune Dame ayant appris la fin
malheureute , réfoiut de lui donner la même
marque de fidélité. E ' e écrivit à lon mari une
lettre , dans laquelle elle lui marquoit fa reconnoiffance
des égards qu'il avoit eu pour
elle , & lui témoignoit l'impoflibilité où elle
étoit d'y répondre . Après quoi , profitant de
fon abfence à Richmond , elle le tua d'un
coup de piftolet. Enfin , le pere qui étoit attaqué
d'une maladie reconnue incurable , eut
recours à un empirique , & fe trouvant chez
ce charlatan , une poutre vint malheureuſement
à tomberfur la tête ; il ne furvécut que
fort peu de tems à fa bleffure.
Des perfonnes verfées dans le commerce affurent
que plus de la moitié des bâtimens employés
dans le commerce maritime de l'Angleterre
avec les Colonies , eft de conftruction Américaine.
On a fait à cette occafion les remarques
fuivantes :
Ce fut en 1638 , qu'arriva dans la Tamife ,
le premier bâtiment de conftruction Américaine
ainsi qu'il appert des Regiftres du Confeil privé.
Pendant les troubles caufés par les guerres
civiles fubféquentes , le tranfport des productions
des Illes en Angleterre , fe fit entierement
fur des vaiffeaux de la nouvelle Angleterre
ainfi qu'on peut s'en convaincre en lifant les
Papiers publics d'alors que l'on conferve au Mufæum
.
L'acte de navigation leur confirma ce droit ,
en déclarant que les bâtimens conftruits à la
nouvelle Angleterre feroient reputés Anglois.
Le Chevalier Jofiah Child , peu après cette
( 70 )
déclaration avertit la Nation du danger prz
chain qu'il y avoit à permetre aux Colonies
de conftruire des bâtimens pour la Métropole.
·
Le Dr. d'Avenant repicenta en 1698 , que
fi nous láiffions cultiver à la nouvelle Angleterre
l'art de la navigation , ce feroit apprendre
à ces Colons a avoir une marine ; les mettre
en état de fe rendre indépendans , & de rendre
le commerce des Ifles- très- précaire , & enfin
enlever à l'Angleterre, une quantité d'ouvriers
qui feroient un vuide en cas de guerre.
Hélas ! nous avons affez vécu pour voir les
prédictions de ces deux Auteurs s'accomplir. Alors
comme aujourd'hui les déclamations des Ecrivains
Patriotes n'avoient que peu d'influence dans
les Confeils .
FRANCE.
DE SAINT-CLOUD , le 28 Septembre.
Le Comte de Scarnafis , Ambaffadeur de
Sardaigne , en long manteau de deuil , a
eu , le 27 de ce mois , une audience particuliere
du Roi , pendant laquelle il a remis
à Sa Majesté une lettre de notification de la
mort de la Reine de Sardaigne. Cet Ambaf
fadeur a été conduit à cette audience par let
fieur Tolozan , Introducteur des Ambaffadeurs
; le fieur de Séqueville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs
précédoit.
La Cour prendra le deuil le 29 pour trois
femaines , à l'occafion de la mort de la
( 71 )
Reine de Sardaigne ; dans ce deuil fera compris
; pendant trois jours . celui du Prince
Eugene de Carignan , dont la mort a été
notifiée au Roi par la Princeffe douairiere
de Carignan.
DE PARIS, le 4 Octobre.
Un Arrêt du Confeil d'état , du 3 Septembre
dernier , concernant les traitemens ,
penfions & gratifications attribués ou qui
feront deſtinés aux Savans & Gens de Lêttres
, porte ce qui fuit ;
1
Le Roi s'étant fait rendre compte de l'état où
fe trouvent les différens travaux Littéraires commencés
par fes ordres ou par ceux des Rois
fes Prédéceffeurs , a cra devoir porter fon attention
fur les moyens de proportionner à leur
utilité , les bienfaits qui doivent en être la
récompenfe , & d'empêcher qu'à l'avenir des
falaires fixes attribués à l'entrepriſe d'un Ouvrage
, n'en perpetuent l'objet au lieu d'en faciliter
l'exécution. Sa Majefté résolue d'affigner
tous les ans un fonds deftiné uniquement
à étendre les progrès de l'inftruction publique
, & à encourager les Savans qui peuvent
y contribuer , ne fe propofe aujourd'hui de furveiller
davantage l'emploi des talens que pour
pouvoir en accélérer les productions , en apprécier
le mérite , & régler en conféquence
la meſure de fes faveurs . Cette julle protection
qui honore le Trône autant que les Lettres ,
devenant ainfi plus utile , en même temps que
plus éclatante , augmentera l'émulation de ceux
qui les cultivent , & donnera un nouveau prix
( 72 )
aux grâces que Sa Maj té répandra ſur eux
avec autant de fatisfaction qu'ils auront d'empreffement
à s'en rendre dignes.
I. Les Savans & Gens de Lettres, qui , en vertu
d'ordres donnés par Sa Majesté ou par le feu
Roi , font chargés de travaux Littéraires pour
le quels its ont traitement , penſion ou récom
pente , feront tenus d'adreffer dans l'espace de
trois mois , à dater du préfent Arrêt , au Contrôleur
général des finances , des Mémoires fignés
d'eux , qui contiendront l'objet deſdits travaux
, la date des ordres qui les ont prefcrits ,
& le montant des traitemens , penfions ou gratifications
qui y ont été attribués.
!
3
II. Ceux qui n'étant plus chargés d'aucun Ou
vrage , jouiffent de penfions ou traitemens continués
par forme de récompenfe , enverront auffi
dans ledit terme au Contrôleur général des finances
, un Mémoire contenant le quotité, l'é…,
poque & les motifs defdits traitemens ou pen
fions.
#
III . N'entend Sa Majeflé rien retrancher aux
dons & graces accordés par Elle ou par les Prédéceffeurs
aux Gens de Lettres ; mais pour faire
parvenir le plutôt qu'il fera poffible à leur
fin les Ouvrages dont ces libéralités font le
prix , & affurer la plus jufte diftribution de celles
qu'Elle fe propofe d'accorder , Sa Majefté ordonne
que le fieur Bibliothécaire du Roi , &
le Magiftrat , chargé par le Chancelier ou . Garde
des Sceaux de France , de l'Infpection de la
Librairie , prendront connoiffance du progrès
des travaux Littéraires qui auront été ordonnés ,
des obftacles qui pourroient les retarder , ainſi
que des fecours qui leur feroient néceffaires ;
& en rendront compte à M. le Chancelier ou
Garde des Sceaux , au Secrétaire d'Etat que l'objet
( 73 )
jet du travail pourroit concerner , & au Contrôleur
général des finances , auxquels ils propoferont
ce qu'ils croiront convenable pour
accélérer lefdits travaux & les conduire à leur
perfection.
IV. Sur le vu des Mémoires & Comptes rendus
, mentionnés aux articles précédens , il fera
dreffé un état général des fommes à payer par
la Tréfor royal pour encouragemens , traitemens
, gratifications & penfions , aux Gens de
Lettres ; d'après lequel état Sa Majefté déterminera
, chaque année , les fommes qui continueront
d'y être employées , celles qu'Elle jugera
à propos d'y ajouter , & les remplacemens
de celles qui n'auroient plus d'objet.
V. Les nouvelles demandes qui auroient été
faites en chaque Départemen;, & les Mémoires
envoyés au Contrôleur général , tendant à obtenir
des encouragemens pour les Gens de Lettres ,
feront mis en même temps fous les yeux de
Sa Majesté : & d'après leur réunion , Sa Majesté
fixera tous les ans , en fon Confeil , la fomme
totale qui fera deſtinée , tant pour lefdits travaux
Littéraires , que pour les graces qu'Elle
voudra bien accorder aux talens les plus diftingués.
Un Edit de S. M. , du mois de Juillet ,
& enregistré le 30 Août au Parlement , a
fupprimé les fix Offices de Receveurs particuliers
des Impofitions de la ville de Paris.
Des Lettres - Patentes de S. M. de la même
date portent l'établiffement dans l'un
des Fauxbourgs de la Capitale , d'un nou-
No. 41 , 8 Octobre 1785. d
( 74 )
$
vel Hofpice pour les Vénériens . Voici les
termes du Préambule.
Par nos Lettres parentes du mois de Mai 1781
nous aurions jugé à propos de donner à l'Hô
pital des Enfans trouvés des marques particu
Heres de la proxection que nous devons à un
établiffement fi utile , en uniffant & incorporant
à cet Hôpital tous les biens appartenans
ci-devant à l'Hôpital Saint- Jacques ; par les
mêmes Lettres , & fur la repréſentation qui nous
a été faite par les Adminiſtrateurs de l'Hôpital
général , nous les avons autorisés à acquérir
inceffamment , pour & au nom de l'Hopital des '
Enfans trouvés , un lieu propre à recevoir &
traiter convenablement à leur état , tous les Enfans
qui , à mesure qu'ils feroient amenés à
cet Hôpital , feroient jugés avoir apporté en
naiffant le germe du vice vénérien . L'Hôpital
des Enfans trouvés s'eft conformé à nos intentions
, en fe chargeant , jufqu'à ce moment
de l'hofpice fitué à Vaugirard. Mais , fur ce qui
nous a été repréfenté par les Adminiflrateurs
de l'Hôpital général , que le traitement gratuit
adminiftré en la maifon de Bicêtre , aux Pauvres
de l'un & l'autre fexe , attaqués de la maladie
vénérienne , devient infuffifant , parce que
le local deftiné à cet objet , permet à peine d'y
admettre le tiers de ceux qui fe font journellement
infcrire pour y être traités , nous avons
penfé qu'il étoit avantageux de réunir des ſeours
i effentiels dans un même établiffement ,
moins éloigné de notre bonne ville de Paris ,
L'Adminiftration de l'Hôpital général , inftruite
de nos intentions , s'eft auffitôt empreflée de donner
de nouvelles preuves de fon zèle pour le
foulagement de l'humanité , en arrêtant , par
une délibération priſe au Bureau général tenu à
( 75 )
TArchevêché le 5 Août dernier , que dès que
notre intention étoit de la décharger de ces deux
oeuvres particulieres , elle étoit prête à verfer
annuellement , dans la Caiſſe du nouvel établiſſement
, une fomme équivalente à la dépense dont
elle fe trouvoit chargée jufqu'à préfent , tant
pour la maison de Bicêtre que pour l'hoſpice de
Vaugirard ; & nous- mêmes , en acceptant les
offres de ladite Adminiſtration , nous nous fommes
réfervés de fournir de nos propres deniers ,
s'il y a lieu , le fupplément des fonds néceffaires
, pour que le nouvel Etabliſſement formé par
nos ordres puille offrir en tout tems & fans
aucun retard , les fecours néceffaires aux Pauvres
de tout âge , & de l'un & de l'autre fexe
qui feront juges devoir être admis au traitement.
A CES CAUSE , &c.,
X4
S. M. , par une Ordonnance du 12 Juin ,
a prorogé pour deux ans , à compter du
premier Juillet dernier , le délai accordé aux
Déferteurs pour rentrer en France.
La Reine de Sardaigne , dont nous avons
annoncé la mort dans le dernier Journal ,
eft expirée le 19 Septembre , au Château de
Montcallier. Cette Princeffe dont la vertu ,
la piété, la réfignation ont fur -tout éclaté
pendant fa maladie , étoit née à Seville le
17 Novembre 1729. Elle a été ensevelie en
pompe à la Supergua , fépulture ordinaire
des Princes de la Maifon de Savoie.
L'Académie de Lyon avoit proposé en
1783 un prix de 1200 liv . , qui avoit pour
objet la Direction des Aeroftats : il ne s'a
d 2
( 76 )
giffoit pas feulement pour la folution du
problême , d'une théorie ; mais encore de
moyens pratiques & d'expériences fatisfaifantes.
Après avoir examiné avec l'attention
la plus réfléchie CENT ET UN Mémoires
qui lui ont été adreffés , cette favante Compagnie
a abandonné le fujet dans fa féance
du 30 Août dernier , fans adjuger le prix.
Les difficultés de cette folution , exceffi
vement embarraffante pour des Académies,
pour des hommes tels que MM. de Mont
golfier , M. Meufnier , M. de la Lande &
autres , n'ont jamais effrayé , comme on
fçait , les manipulateurs Aéroftatiques du
commun , ni les Enthoufiaftes qui les envoyoient
ravir la foudre à Jupiter. Prefque
dès l'origine de cette fameufe expérience ,
l'un de ces démonftrateurs mercenaires ofa
imprimer dans le Journal de Paris , qu'il
s'étoit paffablement dirigé avec des rames.
Ces impoftures & les inepties de quel
ques faifeurs de relations , avoient décrié
cette étonnante découverte , au point que
fes véritables admirateurs ont dû s'élever
contre la prostitution dont elle devenoit
l'objet, C'eft ce que nous avons fait , & jamais
nous n'avons prétendu faire autre chofe.
Voici l'occafion qui nous ramene une
fois pour toutes à cet objet, M. Blanchard ,
dont les relations valoient pour le moins
une fcène de Nicoler , eſt allé faire fes exercices
à Francfort, Delà , il nous a adreffé des
( 77 )
invectives , dans le ftyle élégant que tout le
monde lui connoît en même temps il á
averti l'Univers , par le Journal de Paris , "
que toutes les Cours de l'Europe s'arra
choient fa perfonne , & qu'une foule de
Princes accouroient pour l'admirer. Rien
d'étonnant dans cette conduite ; M. Blanchard
fait fon métier , & nous ferions fachés
de porter préjudice à fes affaires domeftiques
; mais il nous a paru fingulier que
d'autres que lui fe chargeaffent de nous communiquer
par l'impreffion ces ingénieufes
perfonalités . En conféquence , nous avons
pris la liberté d'adreffer la Lettre fuivante
aux Editeurs.
>> J'apprends , Meffieurs , par la fpirituelle
» Lettre de M. Blanchard , à laquelle vous
» avez donné cours dans votre Journal du
premier de ce mois , que l'Empire d'Alle
» magne eft affemblé à Francfort pour voir
» & pour entendre M. Blanchard . Il feroit
»
malhonnête de troubler un rendez - vous
fi impofant. Donc je ne répondrai point
» aux injures que M. Blanchard me fait
» paffer par votre minifiere , pas plus que
» je n'ai répondu à celles d'un Abbé , dont
» vous admites l'attaque indécente contre
moi , fans réfléchir à l'impoffibilité où
» vous feriez de publier ma réplique . Je
» fouhaite que les fuccès pécuniaires de l'Aë-
» ronaute répondent au brillant de fon expé-
» rience , & fur- tout qu'en qualité de cond
;
( 78 )
»
freres qui fe doivent des égards , vous
m'épargniez à l'avenir les groffieretés de
tous les empyriques de tout état , dont je
» fuis appellé à parler , malgré moi , comme
» l'on parle de la Chienne favante & des.
» Curiofités de la Foire Saint-Germain.
MALLET DU PAN
Ce premier d'Octobre 1785 .
Suivant les lettres du Dauphiné , le tremblement
de terre reffenti à Grenoble , le 12
Septembre , a été plus violent dans le haut-
Dauphiné , fpécialement à Briançon , fans
occafionner de dommages. Un angle du vieux
fort de Queiras s'eft écroulé ; mais depuis
long temps il menaçoit ruine. Dès les
premiers jours de Septembre il avoit regné
fur l'horifon une vapeur très fenfible , que
quelques heures de pluie ont diffipée.
La ville de Brienon - l'Archevêque en
Champagne a effuié le 6 Septembre , un
incendie défaftreux .
Le feu fe manifefta près d'une place de la
ville , nommée le Carré , en une minute quatre
maifons furent couvertes de flammes qui fe communiquerent
bientôt à 25 autres dont les toîts
étoient en chaume ; & en moins d'un quart d'heure
deux cent dix maifons furent la proie des flammes
, dont le volume & l'activité , rendirent impuffans
tous les efforts qu'on put oppofer à 1urs
progrès.
( 79 )
Malgré la précifion & l'intelligence des or
dre , malgré la vigilance des Officiers Munici
paux , & les efforts réunis des habitans de Brienon
& des campagnes voifines , en un quart d'heure
toutes les maifons fur lesquelles la flamme s'étoit
portée ont été réduites en cendres ; & les
peines que l'on s'eft données , n'ont eu d'autre
fuccès que de parer à la deftruction de l'autre
moitié de cette malheureuſe ville.
ဘ
Plus de 600 habitans , bourgeois , fermiers &
laboureurs , n'ont eu le tems que de fouftraire'
leurs perfonnes à la fureur de cet incendie , qui a
dévoré en un inftant leur récolte & leur efpérance.
´›› A ces maux s'en eft joint un autre qui , quóique
moins grand , devenoit dans la circonftance
un malheur réel ; c'eft l'impoffibilité où l'on
s'eſt vu de fournir à la fubfillance , tant des incendiés
, que des habitans des campagne, accourus
par milliers , & s'occupant avec ardeur au lecours
de leurs voifins . Les farines & le pain cuit
le matin avoient éte confumés dans les flammes
de forte qu'à huit heures du foir il n'y avoit pas
dans la ville un feul fac de farine , pas même un
feul pain .
» Mais fur la nouvelle de l'incendie , répandue
à Sens , à Joigny & à Saint Florentin , l'humanité
bienfaifante avoit pourvu diligemment
aux fecours de premiere néceffité ; & pour faire
l'éloge des perfonnes de qui ces malheureux les
ont reçus , il fuffira de les nommer. Le Cardinal
de Luynes , Archevéque de Sens , dont l'Intendant
courut prendre & exécuter les ordres pour
diftribution d'une quantité de pain & de vin ,
MM. les Officiers Municipaux de Sens , M, le
Subdélégué de Joigny , les habitans de Saint-
Florentin , qui firent fur le champ voiturer des
d 4
( 80 )
denrées à Brienon ; M. le Chevalier de Grand ,
Seigneur d'Efnon , témoin & occupé à cette in²
cendie , qui fit diftribuer fur le champ tous les
fecours provifoires qu'il pot , & qui a depuis
continué , ainfi que S. E. à foulager les victimes
de ce défaftre.
Ce n'eft que le Dimanche 11 , que l'on eft
parvenu à éteindre abfolument le fea ; les pierres
des murailles qui ont resté fur pied font calcinées
au point qu'il fera impoffible de les répa-
On évalue la perte à plus d'un million .
rer ».
L'attention qu'ont donné nombre de
lecteurs au projet de M. de la Roque , expofé
dans le Journal du 13 Août , a obligé
Autear à des développemens intéreffans ,
dont il nous fait part en ces termes :
La Lettre que vous avez intérée , Meffieurs ,
dans votre Journal du 13 Août , ne contenoit
que des voeux pour le bonheur d'une
claffe précieufe , celle des Ouvriers & des
Journaliers. C'étoient des idées jettées dans
le Public , afin que des hommes moins oc
cupés & plus habiles puffent y confacrer
leurs loisirs. J'étois loin de foupçonner ,
qu'une lettre qui promettoit plus qu'elle ne
démontroit , fût capable de faire concevoir
à ces malheureux des projets d'économie.
Je difois que pour jouir à 60 ans de 150 1 .
de rente viagere , il falloit placer tous les ans
une livre quinze fous cinq deniers à compter
de la naiffance. Je parcourois ainfi plufieurs âges
de la vie. Il en réfultoit pour tous , qu'une épar
gne journaliere de quelques deniers , fuffifoit
( 81 )
·
pour préferver la vieilleffe des horreurs de la
mifere.
L'humanité s'eft intéreffée à l'exécution de ces
vues. Des Maîtres & des Propriétaires fonciers
ont rendu fenfibles à leurs journaliers, les avantages
que chacun d'eux devoit attendre de l'économie
la plus modique. Ils leur ont fait prendre
la réfolution de mettre en referve quelques
deniers chaque jour . Ils font déjà les dépofitaires
de leurs épargnes ; & des lettres venues des
extrêmités même du Royaume , demandent que
je leur indique une Caille à laquelle ils les puiffent
verfer , ou que je leur rédige un plan d'établiffement
qu'ils puiffent exécuter dans leurs
cantons.
Cet établiffement préſente à fa naiſſance deux
objets principaux : le calcul de ces rentes & leur
adminiftration.
La partie du calcul fe réduit à des tables. It
en faudra une , où l'homme le moins habile
puiffe fuivre d'année en année , depuis la naiſſance
jufqu'à l'âge de 20 ans , la progreffion de la rente
à laquelle il afpire. Cette table lui fera connoitre
l'étendue de fes droits s'il veut fa rente
avant l'âge pour lequel il fe fera promis d'ens
jouir.
"
Une feconde , où il puiffe voir ce qu'à compter
de chaque âge , il auroit à placer tous les ans
pour jouir de cent mille livres de rente viagere fur.
une feule tête à tel âge de la vie qu'il voudra choifir.
Une troisieme , cù il puiffe apprendre ce qu'il
auroit à payer chaque année , pour acquérir une
femblable rente fur plufieurs têtes de même Age ,
ou d'âge different.
Une quatrieme , où il puiffe voir à chaque
âge de la vie , ce qu'une fomme , payée une feule
ds
7
( 82 )
fois , doit valoir de rente viagere , au bout d'un
certain nombre d'années , pendant lefque les il auroit
été fans jouiffance.
Une cinquieme , où il puiffe juger d'année en
année , ce que vaut de capital la rente dont fes
épargnes l'auront déjà rendu propriétaire.
Enfin une fixieme , où il puiffe voir ce que
es mêmes économies lui procurercient de rentes perpétuelles
, s'il les préféroit aux rentes viageres.
Avec ces tables , il aurcit le choix de trois en
peces de rentes : les perpétuelles , les viageres
fur une feule tête , & les viageres fur plufieurs
têtes . Elles feroient précédées d'une inftruction
qui en rendroit l'ufage fimple & facile pour les
Curés de la campagne , les Fermiers & les Maîtres.
Cette partie a déjà l'Académie des Sciences
pour garant des principes qui en font la bafe.
Elle a fait imprimer , fous fon privilége , en
1779 , un graité des rentes viageres par M. de
S. Cyran , & vingt ans avant moi , un Académicien
célebre , M. de Parcieux , avoit déjà fuppofé
un enfant de trois ans , propriétaire d'une
rente viagere de 6. 1. 8 f. 6 den. qu'il remplace
tous les ans en viager. Cette rente eft de fix millions
cent trente- quatre mille foixante- neuf livres
dix neuf fous deux deniers , lorfqu'il arrive à l'âge
de 94 ans. J'ai fuivi les tables du premier &
les méthodes du fecond.
· Un établiffement qui auroit ces rentes pour
objet pourroit être appellé la Caiffe de l'épar
gne des Journaliers. Ce titre peu faftueux exprimeroit
que tout y eft facré. L'utilité dont il
feroit , donne le droit de croire qu'il fera exécuté.
Il ne faut qu'en montrer la poffibilité.
Ici donc , les objets deviennent plus impormans.
Ce ne font plus des tables à drefer. Il fau
( 83 )
dra indiquer les moyens de faire verfer de toutes
les Caiffes des Provinces , à une Caiffe gé
nérale qui feroit à Paris , la totalité des économies
qui y feroient déposées. Cette partie de
l'Adminiftration peut être établie fur le modele
de la recette des Impofitions. Des milliers de
contribuables payent des taxes de 15 à 20 fous
pour leurs tailles & leurs vingriemes . Les plus
modiques fommes que ces Caifles recevroient fe-
Foient de 237 den . * . C'est ce qui doit être
payé à compter de la naiffance , pour jouir à 60
ans de 1001. de rente viagere. Ces articles fe
roient les moins nombreux , a compter de l'âge
de 10 ans , on doit déjà payer 48 f. 5 den.
Il faudra faire connoî : re encore la maniere
dont les fonds de cet établiffement feroient
employés , afin qu'ils ne fuffent jamais fans produire.
L'emploi en pourroit être fait dans les
Monts de Piété ; dans les fonds fournis par les
Fermes & les Adminiftrations Génerales ; dans
F'acquifition des créances , fur les Provinces des
Pays- d'Erat ; dans les Cailles d'amortiffement
&c. & c. &c.
Il faudra preferire des formes fimples , pent
coûteuses , & à l'abri de toute fraude , pour conftater
la propriété de ceux qui auront placé leurs
économies dans cet établiffement . Cela fe peut
réduire à de: Regiftres dont les doubles feroient
déposés dans les Greffes , & dont il feroit délivré
aux Parties intéreffées des extraits en forme
de Reconnoiffance. Il existe un nombre infini de
fommes dont la propriété n'eft pas différem
ment prouvée. M. de Paſcieux qui avoit eu l'ï-
" On a compris dans ces fommes les frais de l'établis
femens,
d6
( 84 )
dée de rentes viageres * , croiffantes au principal
der à 600 l. a donné des avis très - utiles far les
précautions qu'il conviendroit de prendre.
Enfin , il feroit rendu tous les ans un compte :
public , où l'on verroit le montant des fommes
& leur emploi.
Quand ce plan général fera dreffé , il ſe peut
que l'établiffement ne foit jamais exécuté. Mais
au moins les Citoyens qui ne demandent qu'à
exercer leur zèle , auront - ils un guide pour les
Sociétés particulieres qu'ils defirent former , &c.
De la ROCQUE ,
Ancien Avocat au Parlement de
Paris , Valet-de-Chambre.
de la Reine.
P. S. Je prie ceux qui me font part de leurs
obfervations ou qui me communiquent leurs
vues , de vouloir bien faire attention que dans une
correfpondance de cette nature , je ne dois recevoir
que des lettres affranchies . Je refuſerai
celles qui ne le feront pas.
Voici un projet moins important , mais
qui intéreffe un grand nombre d'habitans &
d'habitantes de cette Capitale. C'est une de
ces dernieres qui l'a imaginé , ou plutôt
qui a exprimé les regrets d'une infinité de
gens , à la vue d'une Métropole immenfe
prefque dépourvue de ces beaux Quarrés
ou places publiques qu'on rencontre à chaque
pas dans Londres.
Paris s'agrandit tous les jours ; le nombre de
* M. de Parcieux obferve que l'augmentation de ces
rentes ne devroit être pernife que jufqu'aux dges de 75 d
80 ans, Après ces âges la progreffion devient trop rapide :
( 85 )
.
fes Habitans va toujours en croiffant. Les précautions
pour conferver la falubrité de l'air &
les facilités pour les Promenades devroient , ce
femble , fe multiplier à proportion dans cha→
que quartier. Cependant le Boulevard eft devenu
une rue plantée. Le Palais - Royal eft
referré de tous côtés; les jardins des plus beaux
Hôtels fe rempliffent de bâtimens , on craint
toujours que le peu qui refte de ces jardins ne
devienne encore un objet de fpéculation ; l'on
paroît retrancher un jardin dans la Ville , des
jouiffances attachées à la richeffe, & detous côtés
en entaffe pierre fur pierre. Pour prendre l'air,
& faire de l'exercice , les gens riches vont au
loin en voiture ; mais les pauvres vieillards
mais les enfans du peuple , n'ont pas de relfource.
Où promener cette claffe fi nombreuſe ?
Ira- t -elle de tous les quartiers fur les Boulevards
? Des meres occupées tout le jour au tra
vail iront- elles le foir porter au loin leurs
enfans , conduire leur pere infirme au travers
des rues embaraffées ? Cela eft impoffible ; auffi
la plupart des enfans font-ils noués , ou faut-il
les laiffer au loin dans des fevrages difpendieux .
Il faudroit donc pour le peuple qui ne fauroit
quitter le centre de Paris des efpaces bien acres ,
par exemple dans le quartier refferre & infect
de l'ancienne Comédie Italienne ; y faire un'
jardin appellé le jardin du Citoyen. Un gazon
dans le milieu ; quelques rangées d'arbres ; quel
ques bancs abrités en cas de pluie , ou de trop
grand foleil ; rien qui mérite affez de foin pour
en exclure aucune claffe & que la ftatue feule
du donateur foit dans le milieu , avec une inf
cription ; le nom de ce Citoyen bienfaifang
feroit béni à jamais , fon exemple en entraî
heroit d'autres ; mais le fien feroit fur toutes les
'
1
( 86 )
lévres , dans tous les coeurs comme le premier
moteur de ces établiffemens falutaires .
L'Académie des Siences , Belles Lettres
& Arts de Rouen a tenu une féance pubiique
, le 3 Août dernier , pour la diftribut'on
des Prix .
I
L'Académie avoit propofé l'année derniere
la Queftion : Pourquoi le plus grand nombre des
Médailles , trouvées dans la Normandie , &
ticulierement dans la Baffe , font - elles des Artonins
? La Compagnie ne fe trouvant pas dans
le cas d'adjugr la Couronne , a prorogé le
Concours pour l'année prochaine.
Elle avoit auffi propofè la Queſtion fuivante :
Quels font les moyens de porter l'Encyclopédie au
plus haut degré de perfection ! L'Académie a cru
devoir couronner celui dont l'Auteur eft , M.
Marie de Cetrai , Avocat au Parlement , demeurant
à Nantes.
L'Acceffit a été accordé au Mémoire du Docteur
Tomacereau à Versailles , ayant pour é
pigraphe Tempore , concordid ingenioque.
L'Académie avoit , pour la feconde fois , prorogé
à cette année le Concours à un Prix extraordinaire
pour quiconque établiroit , le plus
exactement , les caracteres diftinctifs entre les
diverfes terres vitrifiables . Ce prix a été adjugé
au Mémoire de M. de Ribaucourt , Maître en
Pharmacie à Abbeville.
La Compagnie avoit offert un Prix extraordinaire
à une Méthode certaine & facile pour
faire du Cidre & du Poiré de la meilleure qualité.
Ce Prix a été partagé entre l'Auteur du Mémoire
, par M. Morife , Affecié- Libre de la
Société d'Agriculture de Rouen , & ce'ui d'un
fe ond Mémoire , par M. de Villiers , de S.
Dizier.
( 87 )
Le Prix double , qui avoit pour objet les
moyens de referrer le Canal de la Seine , depuis
Villequier jufqu'à la Mer , afin de creufer fon lit ,
& de le débarraffer des bancs changeants qui s'op
pofent à la Navigation , a été décerné au Mémoire
, dont l'épigraphe , eft Oraculi fortem vel
elufit , vel implevit.
Dans le Tirage des 400 Primes attribuées
aux deux mille Billers de la Loterie Royale
établie par Arrêt du Confeil , du 29 Octo
bre 1780 ; tirage exécuté le lundi 19 Septembre
dernier, les principales Primes font
échues aux Nos fuivans ; favoir celle de
25000 liv. au No. 643 ; celle de 40000 liv .
au N°. 779 ; celle de roooo liv . au No. 363 ;
celle de (oooo liv. au N°. 26516 ; celle de
15000 liv. au N°. 409 ; celle de 20000 au
No. 755.
:
Les Chanoines Réguliers de la Trinité , dits
Mathurins , & les Religieux de la Merci , viennent
de racheter trois cens treize Efclaves ,
dont la rançon , avec fes fuites , excède la
fomme de fept cent mille livres . Malgré leurs
généreux efforts , ils n'ont pu couvrir entièremenr
, des fonds de leurs caiffes , une femme
auffi confidérable ; de forte qu'ils fe trouvent
fort arrièrés par les emprunts qu'ils ont été
dans la néceffité de faire pour confommer ledit
rachat. Un Homme de Lettres a confacré , à
cette oeuvre fublime , une partie du fruit de
fes travaux ; il en a fait agréer l'hommage à
M. le Général des Mathurins , dans une lettre
éc rite avec nobleffe , & à laquelle le Général
a répondu de même. L'Ouvrage dont l'Auteur
confacre le quart de la recette à la rédemption
( 88 )
des Captifs , eft intitulé Variétés Littéraires , Hif
toriques , & il paroît deux fois par mois. La
foulcription des 25 cahiers par année , eft de
24 livres pour Paris & de 30 livres pour la'
Province. Chez M. Siredey de Grand- Bois
Chef du Bureau , rue neuve Sainte-Catherine.
N°. 21. S. M. a foufcrit pour 50 exemp'aires.
- Le éloges de M. de la Chalotais destinés
au concours , & annoncés dans le pénul- ;
tieme N°. , feront adreffés francs de port
à M. Robiquet , Libraire à Rennes , place
du Palais , qui les remettra au Secrétaire,
perpétuel de la Société patriotique de Bretagne.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le i de ce
mois , font : 20 , 32 , 71 , 74 , & 73.
PAY S - B A S.
DE BRUXELLES , le 3 Octobre.
D'après les lettres de Paris , c'est le 20
Septembre que l'accommodement entre
l'Empereur & la Hollande fut convenu chez
l'Ambaffadeur Impérial , en préfence de
M. le Comte de Vergennes , faiſant les fonctions
de médiateur. Tous les articles , ditfurent
débattus & arrêtés ; mais ils ne
feront rendus publics , qu'après la ratification
des Cours refpectives . On n'eſt donc
qu'imparfaitement inftruit de la nature de .
cette conclufion . Elle confifte , felon le
( 89 )
bruit du moment , en une renonciation de
l'Empereur à fes droits fur Maëltricht , & à
la navigation illimitée de l'Efcaut jufqu'à la
mer ; mais les bâtimens Flamands navigueront
fans obftacle jufqu'à Saftingen , & les
Forts Hollandois qui commandent le fleuve
dans fon cours jufqu'à Saftingen feront dé
molis. De leur côté , les Etats- Généraux
donnent à l'Empereur dix millions de flo
rins de Hollande , en indemnité des précédentes
renonciations.
Le famedi , 24 Septembre , un courier.
arrivé de Paris à la Haye , a apporté à Leurs
Hautes Puiffances la nouvelle de cet accommodement
; accommodement que les
gens éclairés n'ont jamais révoqué én doute
, malgré les démonftrations guerrieres
qui faifoient préfager une rupture immé
diate. La République ayant renoncé à fes
prétentions fur une compenfation du rachat
de Maëftricht , tous les obſtacles ont été
levés.
Le 27 Septembre dernier le Baron de
Thulemeyer , Envolé extraordinaire du Roi
de Pruffe auprès des Etats Généraux , a remis
à leur Préſident de ſemaine deux lettres
de S. M. P. , l'une adreffée aux Etats - Généraux
, l'autre aux Etats de Hollande , relatives
toutes deux aux intérêts du Prince
d'Orange , & dans lefquelles le Roi de
Pruffe , à ce qu'on dit , s'offre comme médiateur
entre les Etats & le Stathouder.
( 90 )1
Les Etats de Zélande viennent de manifefter
dans une réfolution du 12 , dont nous
rapporterons la fubftance l'ord naire pro-)
chain , des fentimens très oppofés à ceux de
la Province de Hollande fur la Pacification,
Ils fe plaignent de l'énormité des facrifices
fur tout de la fomme à délivrer à l'Empe
reur, & finiffent, un peu tard , par offrir à
la République leur dévouement , en cas
qu'elle prenne le parti de la réfiftance.
•
2
&
Dans l'inftant nous recevons le précis des
articles préliminaires de l'accommodement
figné à Paris , entre l'Empereur & les Etats-
Généraux ; voici la fubftance de ces articles.
que nous rapporterons en entier par la fuite .
Her. LL.. HH . HH. payeront 9,500,000 flo.
pour compenfation de Metricht & c.
500005 pour dommages des inondations. Les
palem as fe feront par 1,250,00 > flo. de 6 en
6 mois . II. LL. HH , PP. céderont Dilem
avec fes appartenances , excepté Ooft Er Cadier ,
pour échange convenable dans le pays d'Outre-
Meufc. III. Les limites de Flandre resteront
comme en 1664. IV. Eft relatif à la conſtruction
d'Eclufes. V. Indemnitation des so0,000 flo .
ci-defus pour les inondadons. VI. La Souveraineté
de l'Empereur reconnue fur l'Escaut
jufqu'au bout du pays de Saftingen conformement
à la ligue de 1664. VII . Evacuation &
Demolition des Forts Kruifchans , & Frederic-
Henri & ceffion du terrein à S. M. 1. VIII .
Evacuation & Ceffion à l'Empereur du Fort
Lillo & Liefkenshoek qui feront remis dans leur
état actuel à S. M. I. en retirant toutefois
( .91 .)
PArtillerie & Munitions. IX X. Ceffion par
rEmpereur de fes droits fur les Villages dits
de Redemption , ( article pris ad referendum par
M. de Merci ) . XI . Renonciation de l'Empereur
à fes prétentions fur les Villages de Blade! &
Reuffel. XII . Ceffion par LL. HH . PP. du
Village de Poftel ( pris ad referendum par les
Ambaffadeurs de la Républiqne ) . XIII . Abolition
de toutes prétentions pécuniaires de Souverain
à Souverain , & nomination de Commiffaires
pour celles des particuliers . XIV. Nomination
de Commiffaires pour les limites du Brabant.
XV. Le traité de Munster de 1548 fervira de
bafe au futur traité définitif.
Le Chevalier Harris , Envoié extraordi
naire de la Cour de Londres , ayant remis ,
depuis quelques mois , un Mémoire au Préfident
des Etats Généraux , on lui a fait la
réponſe fuivante :
Ayant été délibéré par réfomption , für un ›
Memoire de M. le Chevalier Harris , Envoyé-
Extraordinaire de la Cour de Londres , préfenté
le 21 Janvier de cette année à L. H P. , par
lequel il prioit qu'on donnât connoiffance du
nombre & de la Force des Navires de Guerre
que l'Etat avoit deffein de tenir dans les Indes-
Orientales : Comme auffi fur le Rapport
porte le 26 Juin de l'année derniere , à l'AIfemblée
de L. H. P. , fur une Lettre des Am··
bafiadeurs de la République à Paris , touchant
la communication faite par le Miniftre de la
Grande - Bretagne , M. Hailes , d'une Propofition
de M. le Comte d'Adhémar , Ambaffadeur de
France , au Miniftere Britannique , tendante à
une reduction égale de la force maritime des
deux Puiffances aux Indes , & à la concur
( 92 )
rence des Etats- Généraux à cette Propofition ,
Il a été trouvé bon & arrêté , qu'il fera répondu
à M. le Chevalier Harris fur fondit
Mémoire : Que L. H. P. font très- portées
» à donner les ouvertures demandées , fur le
» nombre & la force des Vaiffeaux de Guerre
que la République jugera néceffaire à la pro-
» tection convenable de les Poffeffions très - étendues
aux Indes attaque injufte dentales , tant contre toute
Princes du Pays , que pour
empêcher lé Commerce de contrebande :
Dans l'attente raifonnable , que M. le Chevalier
Harris ne fera point difficulté , de ſon
» côté , de donner , dans le même tems , les
mêmes ouvertures à L. H. P. de la part de
fa Cour ».
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
Deux frégates & un floop Anglois viennent
tous les jours à cinq heures du foir louvoyer devant
la rade de Cherbourg , pour obſerver tout
ce qui s'y paffe ; on ne les empêche pas de s'approcher
le plus près qu'ils peuvent. On a dépenſé
dans la derniere campagne trois millions ,
employés à la paye de 500 ouvriers. Ce font des
navires Hambourgeois , Danois & Suédois quit
apportent toutes les pieces de bois avec lefquels
on conftruit les caiffes coniques , toujours fous
la direction de M. de Ceffard , pour ce qui regarde
la Charpente & les ouvrages de terre ; & de'
M. de la Bretiniere pour ce qui concerne les
travaux commencés fur la mer, M. le Duc d'Harcourt
préfide à cette entrepriſe qu'il vifite trèsfouvent
, & dont il encourage les ouvriers avec
lefquels il a paffé le Printems & l'Eté . Des maffifs
de pierre > précipités entre les cônes , ou les
( 93 )
H
bas de 50 toifes en 50 toiles , s'éleveront en talus
, qui aura dans la baſe 70 pieds de largeur,
50 de fuperficie , ſur 25 , 30 , 35 , 40 , 45 , 50,
55 & même 60 pieds de hauteur , fuivant que la
mer tera plus ou moins profonde dans les endroits
que remplira la chauffée bâtie d'un granite
groffier très- dur & formant une espece d'enceinte.
Il y aura trois paffes : la premiere vers le
fort Hommet ; la feconde auprès de l'ifle Pelée ,
& la troifieme fera couverte du fort de Querqueville.
Il avoit d'abord été décidé qu'on placeroit
des cônes de proche en proche & qu'on
les réuniroit avec de fortes chaînes qui auroient
favorifé le flux & reflux des marées ; mais on
a prétendu qu'une chauffée feroit plus folide
pour nettoyer la rade comme le pourroit faire
un fleuve . Voici ce qu'on fe propofe d'exécuter.
On creuſera en baffin dans la prairie derriere
Querqueville , la marée montante le remplira :
alors on fermera des éclufes qui feront ouvertes
à la baffe marée. Le torrent d'eau lavera le port
& le fond de la rade. Gazette des Pays - Bas n .
LXXVII.
Il y a à Leyde une Auberge où s'affemblent
les foirs différentes perfonnes des deux fexes ,
dans la claffe moienne des bourgeois. On y
trouvoit des Patriotes & des Anti-Patriotes ; on
y parloit liberté , politique , &c. & tout s'y
paffoit affez tranquillement. Mais Lundi der
niet , Mrs. du Corps-Franc de cette ville font
venos en nombre & armés , affaillir les Anti-
Patriotes , qu'ils ont alfommés de coups de bâton
, de fabre , &c. fans faire grace aux femmes.
Une d'entr'elles a été fur - tout cruellement
maltraitée & trainée fur le pavé . On dit
dit que M. le Grand - Officier eft occupé à pren
( 94 )
dre des"informations. [ Courier du Bas - Rhin;
N°. 77: 1
Caufe extraite du Journal des cauſes célébres [ 1 ],
Efcroc condamné aux Galeres.
La Capitale , dit M. Défeffarts , offre chaque
jour des exemples d'escroqueries . Le luxe & la
débauche y ont corrompu les moeurs de prefque
toutes les claffes de la fociété. Il n'eft donc pas
étonnant qu'on ait fouvent recours au crime
peur fatisfaire les befoins du vice . Un féodifte
vient d'y donner des exemples d'une adreffe bien
hardie. Il n'imitoit pas ces efcrocs qui fuient les
regards , il les bravoit . Voici les moyens qu'il
employoit pour obtenir les fuccès qu'il fe promettoit
de fa perfide adreffe. Cet efcroc , qui
fe nomme Duval de Berville , ne trouvant pas
fon état de féodifte affez lucratif, avoit corçu
le projet d'y joindre les profits qu'il pourroit
faire fur le commerce de chevaux . Il alloit au
marché public ; & comme fes dehors en impofoient
aux marchands , il parcouroit des yeux
les plus beaux chevaux . Lorsqu'il en avoit trouvé
un qui remplifoit les vues , il convenoit de prix ,
& demandoit à effayer le cheval . Pour infpirer
la confiance , il commençolt par fe nommer ;
mais il fe gardoit bien de doaner fon véritable
nom. Le marchand prévenu en fa faveur , le
voyoit avec plaifir monter fur fon cheval . L'ef-
[1 ] On fcuferit en tout temps pour le Journal des
Caufes célebres , chez M. Defellarts , Avocat , me Dall
phine ,Hôtel de Mouy , & chez Mérigot leje n:, Libraire,
Quai des Auguftins . Prix , 18 tiv, pour Faris , & 84 liv.
pour la Province.
( 95 )
croc ; étant mai tre de fa proie , alloit d'abord au
pas ; enfuite , lorsqu'il étoit à une certaine diftance
, il prenoit la fuite au grand galop. Le
marchand ne voyoit d'abord dans ces effais ,
qu'un amateur inftruit ; mais ne l'appercevant
plus , & l'attendant en vain plufieurs heures, il reconnoiffoit
trop tard qu'il étoit victime d'une
fcroquerie . Duval de Berville ne s'eft pas bornée
à exercer ſon funefte talent une feule fois , Le
fuccès l'a enhardi , & il l'a répété jufqu'à trois
fois dans le marché aux chevaux même. En
fortant de cet endroit public , il alloit chez des
felliers & il parvenoit à faire avec eux un
échange avantageux des felles qui étoient fur
les chevaux qu'il avoit efcroqués . Lorfque la
felle neuve . étoit fur le cheval , l'efcroc moncoit
deffus pour l'eflayer. Le fellier confint
voyoit partir l'acheteur ; mais ne le voyoit ja
mais revenir.
"
Duval de Berville étoit dans l'habitude de quit
ter toutes les maifons où il logeoit , fans payer.
Dans une de ces maiſons il avoit fait connoilfance
avec une femme qui avoit un mobilier
affez confidérable . Cette femme eut l'imprudence
de lui dire qu'elle defiroit trouver une
place. Auffi-tot l'efcroc fedonne pour un homme
répandu dans la meilleure compagnie , & lui
promet de lui être utile. La femme crédule
Je fupplie de réalifer fa promeffe le plutôt qu'il
Jui feroit poffible ; il ne fut pas en effet long
temps fans lui donner une leçon qu'elle auroit
dû prévoir. Il s'empara d'une partie de fes ef
fets , & quitta la maison où il logeoit, Les
plaintes multipliées qu'on faifoit chaque jour ,
contre Duval de Berville , ont donné lieu à des
recherches. L'efcros a été découvert & arrêté
Son procès lui a été fait ; & , par arrêt du 17 Juin
( 96 )
dernier , il a été condamné à être mis au carcan
au marché aux chevaux , & à y demeurer depuis
-trois heures jufqu'à cinq ; à'être fouetté & marqué
, & aux galeres pour neuf ans .
?
-GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
Cour des Monnoies.
Fille admife dans la Communauté des Orfevres.
On croyoit que les filles ne pouvoient être .
aggrégées ni admifes dans l'état & profeffion
d'Orfèvre ; le fieur Héron , Orfevre Jouaillier à
Dunkerque , vient de donner l'exemple du contraire
. Depuis bien des années la demoiſelle Héron
, fá niece , travailloit chez lui : elle n'avoit
point de brevet d'apprentiffage ; cependant le
feur Héron defirant la faire recevoir Maitreffe
, s'eft adreflé au Roi ; & , malgré la téfiftance
du corps des Orfevres , il a obteau , le
26 Octobre 1784 , un arrêt du Corfèil , qui
a difpenfé la demoiſelle fa niece du Brevet d'apprentiffage
, & a ordonné qu'elle feroit paffée
Maîtreffe. Il a été expédié des Lettres-Paten
tes fur cet arrêt , lefquelles ont été enregistréés
en la Cour des Monnoies , & le 17 Juillet 1785 ,
la demoiſelle Héron s'y eft préſentée , & fur
fon chef-d'oeuvre elle a été reçue . Depuis
c'eft-à-dire le 18 Août , elle a eré auffi reçue
à la Monnoie de Lille , où elle a été complé
mentée.
(1) On foufcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier
dont le prix eft de 15 liv par an , chez M. Mars , Avocat
au Parlement , rue & hôtel Serpente.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 14 Septembre.
LPF
E Comte Alexandre de Woronzow ,
Préfident de fa Chambre du commerce ,
eft attendu inceffamment de la tournée dans
différens états de l'Allemagne. Il doit affifter
aux Conférences relatives à un traité de
commerce entre les deux Cours Impériales.
Après la conclufion de cette affaire , le Comte
de Cobentzel , Ambaffadeur de l'Empereur
, fera un voyage à Vienne.
L'Impératrice a quitté Czarsko Zelo fubitement
, & plutôt que de coutume . Son retour
ici a été fuivi immédiatement de celui
du refte de la Cour. Cette Princeffe vient de
faire préfent d'une terre dans l'Ukraine avec
deux mille ferfs , à la Comteffe Branitzki ,
époufe du grand Général de Pologne , &
niece du Prince Potemkin.
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
( 98 )
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 1 Octobre.
Dans une affemblée , tenue le 19 , le
Confeil & la Bourgeoifie de cette ville ,
dont le Luthéranifme eft la religion dominante
, ont accordé aux Réformés Calviniftes
& aux Catholiques Romains le libre
exercice de leur culte , pour lequel , jufqu'à
ce jour , ils étoient obligés de fe rendre à
Altona.
Suivant les lettres de Varfovie , M. Bucholtz
, Miniftre du Roi de Pruffe auprès
de la République de Pologne, aremis au Roi
copie de l'acte d'union de la Ligue Germanique
, & de la déclaration faite déjà à d'autres
Puiffances. Comme le gouvernement
de Pologne eft prefqu'entierement dans la
dépendance de la Ruffie , le Roi de Pruffe
n'a probablement pas eu deffein de déterminer
cette République à faire cauſe avec
lui.
Le Comte Otton Thott , Miniftre d'Etat ,
eft mort à Copenhague , le 10 Septembre ,
dans la 82e. année de fon âge. Il étoit le
dernier mâle de cette branche en Danemarck.
Il a laiffé à l'Univerfité de Copenhague
un legs de 10000 rixdalers ,
DE BERLIN, le 30 Septembre.
Les Gardes du Corps , les Gendarmes ,
( 99 )
les Houzards de Ziethen, ainfi que les deux
Régimens d'Infanterie de Brauw & de Bornftedt
fe font rendus à Potsdam , pour y exécuter
leurs manoeuvres accoutumées . Le
Marquis de la Fayette eft arrivé ici de
Vienne.
Le Prince de Reuff & le Comte de Reviczky
, Miniftres de l'Empereur , ont été
lę 20 à Potsdam. Ils ont eu une audience
du Roi , dans laquelle le Prince de Reuff
remit fes lettres de créance , & le Comte
Reviczky prit congé de S. M.
Le Roi a conféré le gouvernement de
Neiffe au Lieutenant - Général de Schwarz .
DE VIENNE , le 1 Octobre.
Le Baron de Riedefel , Ambaſſadeur de
Pruffe auprès de notre Cour , eft mort à fa
maifon de campagne , le 19 Septembre ,
dans fa quarante cinquieme année . Les affaires
de fa Cour feront régies ici par interim
par M. Jacobi , Réfident de Pruffe.
M. de Riedefel avoit l'efprit très - cultivé ,
& on lui doit le Voyage de la Grande- Grece ,
plein de recherches favantes . Au Congrès de
Tefchen il étoit un des Plénipotentiaires .
Pour prévenir la difetté des grains dans la
haute Autriche , le gouvernement a fait importer
à Linz & aux environs 26,000 facs
de bled.
L'Empereur a fait acheter dans la Gallicie
& la Buckowine 7000 chevaux , la plupart
e 2
( 100 )
jumens , pour les diftribuer aux colons dans
la Seigneurie de Zambor en Hongrie.
Les Etats de Hongrie ne feront plus chargés
de l'entretien des troupes ; ce foin fera
confié à une adminiftration particuliere .
Les progrès de la Confédération Germanique
donnent lieu à mille conjectures ou
inventions journaliéres qui amufent le Public
, fans occuper nullement les gens raifonnables.
De ce genre eft le paragraphe
fuivant , inféré dans plufieurs de nos Gazettes
.
Nous apprenons que le Prince de Gallitzin a
reçu de Londres des lettres officielles , qui lui
mandent que le miniftre de Ruffie à Londres a
déclaré à cette Cour » que fa Souveraine étoit
5)
םכ
furpriſe qu'on cherchât à préfenter fous des
» couleurs odieufes fon alliance avec la Cour
Impériale , comme fi elle avoit réellement
pour but la deftruction du fyftême politique
de l'Europe , & du corps Germanique en
» particulier ; que S. M. Imp . de toutes les
Ruffies étoit encore plus étonnée que S. M.
Britannique parût , comme Electeur d'Ha-
» novre , un des plus zélés membres de la ligue
" Germanique ». On fait auffi que la Cour de
Petersbourg a fait fonder à ce fujet celles de
Copenhague & de Stock olm , & que celles- ci
auroient répondu » , qu'effectivement le Roi de
२२ Pruffe les avoit invitées à entrer dans cette
» confédération mais qu'elles avoient nette-
» men: refufé & perfifteroient toujours dans
» leur refus ».
>
Le 16 Septembre , un incendie confuma
do ze mailons & quelques granges dans le
( 101 )
nouveau Lerkenfeld ; on fut obligé de découvrir
les édifices voilins , afin de les préferver
; l'Empereur & l'Archiduc Ferdinand
fe rendirent au lieu du défaftre , avant 4 h .
du matin.
- Nous parlâmes , il y a quelque temps ,
d'une querelle entre quelques Officiers de
l'Empereur en Gallicie , & le Magiftrat d'une
ville de Pologne ; voici ce que dit une
Feuille publique des circonftances & des
fuites de cet événement.
Un Officier d'un de nos régimens en Gallicie ,
ayant perdu trois hommes de fa compagnie qui
avoient déserté , engagea un Juif à faire quelques
recherches dans les villes frontières de la
Pologne. L'efpion ne tarda pas à les déterrer
dans une petite cité. Avant de retourner rendre
compte de fa commiffion il trouva , fuivant
Pufage de fon état , qu'il valoit mieux rendre
deux fervices qu'un ; en conféquence , il fe rendit
chez le Magiftrat , lui fit part de l'objet de fa
miffion en lui confeillant de fe tenir fur fes
gardes le Magiftrat le récompenfa comme il
le devoit , & Pefpion retourna chez fon premier
commettant qui lui paya la nouvelle qu'il apportoit.
L'Officier indifcret ne prend confeil que de
fon courage ; il fe fait accompagner de huit
hommes choifis , & pique directement à l'endroit
indiqué. Il eft furpris de le trouver défert , au
moins toutes les maifons étoient fermées ; il parcourt
les rues & entendant le fon de voix de
quelques perfonnès , il defcend de cheval &
frappe à une . Elle s'ouvre auffi tôt ; mais l'Officier
recule en voyant le Magiftrat & une nome
3
( 102 )
breufe escorte armés de piftolets qui font fea
fur lui & fur fa troupe ; l'imprudent a à peine
le temps de regagner fon cheval. La foule des
affaillans groffit , fait pleuvoir fur lui une grêle
de cailloux ; il eft renversé avec les hommes &
livré fans défenſe à la fureur de la populace ,
qui veut achever de les affommer . Heureufement
qu'un Prêtre , animé par la charité & tenant
en main l'objet le plus ( acré de la Religion
Catholique , vient à bout d'obtenir de la troupe
forcenée qu'on permette à ces malheureux de
mourir dans leur lit.
Cependant le Commandant du diſtrict , informé
du fait , envoie d'une ville voifine un
détachement qui enleve les bleffés & les tranfporte
en un lieu où l'on prend d'eux le plus grand
Hoin. On envoie fur le champ ces détails à Varfovie.
L'Empereur de fon côté en eft bientôt
infruit : L'Officier , dit-il , par fon imprudence à
entrer fur une terre étrangere a mérité qu'on l'arrêtât
, mais non qu'on l'affommât. Que fon Colo
nel le faffe redemander avec fes hommes & leurs
chevaux. Si on les refufe , qu'il marche à la tête
de fon régiment pour les reprendre.
Il ne fut point befoin de cette extrémité. La
Cour de Varfovie étoit trop jufte pour ne pas
accorder une prompte réparation. L'Officier &
fa troupe guéris de leurs bleffures , furent remis
avec des habits neufs & comblés de préfens . Un
Commiffaire Polonois fit conduire fur la frontière
les principaux moteurs de l'affaffinat , & leur fit
donner la baftonnade en préſence d'un Commiffaire
Impérial.
DE FRANCFORT , le 6 Octobre.
Le 20 Septembre , dans la matinée , la
( 103 )
premiere divifion du Corps de Brentano
confiftant en 700 hommes , paffa par Ratisbonne
, & prit fes quartiers à Stadlamhof &
aux environs. On attendoit encore dans la
femaine la feconde & troifieme divifions de
ce corps , & la femaine fuivante le régiment
d'Infanterie de Bade -Durlac , compofé de
3000 hommes.
La convention particuliere , conclue entre les
Commiffaires de l'Empereur & les Députés du
Cercle de la Franconie , au fujet du paffage du
Corps de Brentano , eft datée de Nuremberg le
15 de Septembre . Cette nouvelle convention eft
conforme aux précédentes , relatives au même
objet. L'Article VI , porte que , fi ce Corps ,
pendant qu'il fera dans les Pays du Cercle , receyoit
des contre - ordres , & faifoit halte ; alors les
Commiffaires de l'Empereur feroient tenus de
l'approvisionner fans le concours des Etats du
Cercle.
L'invention de l'Espagnol qui a paffé l'eau
à Paris , par le moyen de labots de Liege ,
n'eft pas nouvelle. Le Journal des Savans
de 1618 , vol . 30 , a publié une relation ,
dans laquelle il rend compte du paffage
d'un particulier fur la Seine. Mais antérieurement
à ce particulier , François Kessler
avoit déja trouvé les moyens de traverſer
à pied les rivieres . Ceux qui voudront favoir
les détails de fon procédé , les trouveront
dans les Problêmes mathématiques de
Scheventer , p . 8. pl. 15.
On continue toujours , écrit - on d'Emmedingen
, dans le Margraviat de Bade , les fouilles à
e .4
( 104 )
'Badenweiler , où l'on déconvrit l'année derniere
des veftiges & monumens d'un Bain Romain. Des
deux côtés du Bain , fe trouvent des veſtibules
avec un piédeftal dans chacun , où l'on lit l'Infcription
fuivante : Diana Abnoba . Les caracteres
en font beaux , & font préfumer que ce Bain a
été conftruit à l'époque où les beaux Arts étoient
encore bien cultivés. On paffe par les veftibules
dans deux chambres , à la fuite defquelles fe
trouve une grande falle de Bains , dans laquelle
on defcend fur plufieurs marches . Cette falle eſt
en haut de forme ronde , & en bas de forme carrée.
Derriere la falle , il y a des étuves & d'autres
petites chambres rondes. Ces chambres font
fuivies d'une autre grande falle de Bain de la
même ordonnance que la premiere ; après cette
piece , on paffe dans deux chambres , & enfuite
dans l'autre veftibule . La difpofition de cet édifice
eft faite avec la plus fcrupuleufe fymétrie..
Les pierres des murs font taillées carrément , &
liées enfemble avec la plus grande exactitude .
Deffous les falles , on voit des voutes de pierrés
de tuf, qui font encore très - bien confervées , &
qui ont probablement fervi de canaux pour l'écoulement
des eaux. →→→→ On a encore trouvé
dans ces fouilles des monnoies d'or , d'argent , &
de cuivre , dès pieces d'argent , des pendans d'oreille
, & des épingles d'or pour les cheveux , des
vafes de terre , fur un defquels on lit le mot de
Janua , des cuilters , des dés , & beaucoup d autres
bagatelles . Cette collection a été envoyée à
Carlfrouhe . Le Prince , Abbé de Saint
Blaife , dans la Forêt noire , fe propofe de donner
une defcription de ce Bain Romain , & de
prouver en même-tems que Badenweiler fait partie
de la Forêt noire.
14
Voici le procès - verbal de la premiere
( 105 )
expérience de M. Blanchard en cette ville :
Nous fouffignés , certifions que la journée du
25 de ce mois a été fi terrible , que M. Blanchard ,
qui avoit annoncé fa quinzieme expérience aéroftatique
pour ce jour - là , fut obligé de la remetire
au lendemain , dans l'espérance que le temps
fe calmeroit ; mais au contraire , la pluie & la
tempête augmenterent à un tel point que les tentes
qui avoient été renversées la veille , furent
déchirées , & une partie de l'enceinte , qui avoit
fubi le même fort fouffrit confidérablement , de
forte qu'il auroit été impoffible à notre aéronaute
de tenter l'expérience ; nous l'engageâmes
même à la remettre à un autre temps que
celui de l'équinoxe , en lui représentant combien
nous nous intéreffions à les jours ; mais le
defir qu'avoit M. Blanchard de fatisfaire toute
la ville qui étoit remplie de Princes, de Seigneurs,
& d'étrangers , arrivés exprès de toutes parts , fic
qu'il réfolut dela tenter le lendemain 27. Comme
le temps paroiffoit fe bien difpofer , nous ne
nous oppofâmes pas à fon zele ; à 9 heures du
matin , quoique le vent parût s'élever , on commença
l'opération ; mais il augmenta à un tel
point , qu'on eut toutes les peines du monde à
introduire l'air inflammable dans le Ballon : les
bourrafques de vent qui fe fuccédoient , étoient
fi violentes , que le Ballon , qui fe déchiroit
de place en place par le pôle inférieur , enttaînoit
plus de cent hommes qui vouloient le
retenir , çependant malgré la tempête ou parvint
à le remplir autant qu'il falloit pour enlever
trois perfonnes. A une heure fon A. S. Mgr.
le Prince Louis Frédéric de Heffe Darmftadt
, qui depuis long- temps defiroit faire un
voyage aérien avec M. Blanchard entra dans la
nacelle , malgré les repréfentations qu'on fit à
es
·
( 106 )
!
S. A. fur les dangers que la tempête pouvoit
occafionner ; rien ne fut capable d'ébranler ce
Prince courageux : il fe plaça tranquillemert
dans le char à côté de M. Seweitzer, Officier
au Régiment de Schomberg Dragon , qui étoit
auffi du voyage. Au moment que M. Blanchard
calculoit fon left & fe difpofoit à partir , recevant
tous nos voeux , il furvint un ouragan fi
terrible , que le Ballon qui préfentoit un
coup-d'oeil fuperbe , fut déchiré de haut en bas ;
l'air inflammable , qui s'échappoit avec abondance
, fut auffi tôt remplacé par l'air atmoſphérique
, il fallut promptement redoubler de force
pour tout retenir. Quoique M. Blanchard , plus
d'une heure auparavant , nous eût fait part de
fes craintes fur ce fâcheux événement , il en fut
ému au point qu'il fe trouva mal , on l'enleva
de la nacelle & on le porta au milieu de nous ;
nous lui rendîmes tous les fecours qui étoient en
notre pouvoir , & aprés l'avoir raffuré fur cet
accident , où il eft clair qu'il n'avoit aucun tott,
nous l'avons emmenés dans notre voiture ,
nous a déclaré avoir apporté à Francfort le
Ballon de Calais en fort bon état , avec lequel
il fe propofe de refaire l'expérience .
AMÉLIE P. P. Ducheffe des Deux - Ponts '
manu propriâ.
Louis , Prince héréditaire de Heſſe d'Armſtadt.
CHARLES , Prince Palatin , Duc des Deux-
Ponts.
LOUISE , Princeffe héréditaire de Heffe
d'Armſtadt , manu propriâ.
ITALIE.
DE VENISE , le 24 Septembre.
Le Marquis Grégori de Squillace , Am(
107 )
baffadeur d'Espagne auprès de cette République
, eft mort ici le 13 de ce mois :
S
L'Amiral Quirini , parti de Corfou avec
5 vaiffeaux de guerre , s'eft réuni à l'efcadre
du Chevalier Emo , & cette flotte doit aller
de nouveau bombarder Sufa.
Un Négociant Européen , établi dans
l'ifle de Chypre , préfente en ces termes le
tableau de la défolation qui regne dans cette
ifle. Sa Lettre à fon Correſpondant eſt du
25 Juin.
Tout le monde eft plongé ici dans la plus
grande trifteffe depuis qu'on a appris que Hadgi-
Baki Aga a été nommé Gouverneur de
Chypre. J'ignore fi vous Vous reffouvenez
encore du caractere de cet homme ; au cas
que vous ayez oublié ce qu'il eft , voici fon tableau
». Le nouveau Gouverneur eft natif de l'Ifte
même , il eft d'une extraction obfcure & vile , fa
famille étoit dans l'extrême indigence , & mal-famée.
Hadgi- Baki Aga eft vieux , borgne & méchant ;
il eft de plus , cruel , fanguinaire , injufte & perfide.
Il a toutes les mauvaises qualités d'un tyran
parvenu. Son Cimeterre & fes Rapines ont fervi &
fervent encore à faire fa fortune. » Le hasard l'ayans
fait connoître au Capitan - Bacha , il trouva le
moyen de lui plaire ; le Capitan- Bacha le protege
& c'eft lui qui l'a fait nommer Gouverneur de
l'Ile de Chipre. Cet homme , qui eft l'objet de
l'exécration publique , partage le produit de fes
concuffions avec fon puiflant Protecteur , & depuis
huit ans , il a commis des Exactions inouies
fur fes compatriotes qu'il vexe tous fans diflinction
de Religion Turque ou Grecque. Les horreurs
qu'il fe permet , font fans exemple. Ne
e 6
( 108
pouvant le fouftraire à la rapacité du tyran
beaucoup de Chypriots ont pris le parti déſeſpéré
de tout abandonner , biens , femmes & enfans ; ils
fe font éloignés ; c'étoit l'unique reffource qui
leuc reftoit pour fauver leur vie ; ils errent pref
que nuds & fans reffource . Quelques- uns de
ces infortunés font arrivés jufqu'à Conftantinople
, où avec leur mifere , ils ont porté leurs
plaintes. Ils ont attendu inutilement , pendant
un an entier , une réponse aux requêtes qu'ils
ont préfentées au Grand- Seigneur ; le Capitan
Bacha , qui jouit de toute la faveur de l'Emperear
, a toujours foutenu fon protégé . Cependant
à la fin le tyлan ayant été déposé , fut appellé à
Conftantinople pour y rendre compte de fa
conduite ; le Grand Vilir , qui a été décolé , lui
fit faire fon procès . L'affaire fut renvoyée au
Grand Juge ; celui - ci , d'après toutes les infor
mations qu'on lui fournit , déclara le vieux Gouverneur
de Chypre coupable & digne des plus
grandes punitions. La fentence ne fut pas exécutée
, parce que le Capitan Bacha le protégea
fi fortement , qu'il parvint à le fauver. Le
coupable en fut quitte pour quelque fomme
qu'il paya à l'Agent Ifouph-Aga , & à l'Interprete
Maurogeny, Facteurs du Capitan - Bacha ,
que celui-ci avoit fait agir pour fauver ſon bon
ami . Cependant les habitans de Chypre ne furent
plus expofés aux cruautés de ce méchant homme;
il lui fut défendu de revenir dans l'lfle ,
comme Gouverneur , ni comme fimple particulier.
nt
On croyoit être délivré de ce tyran ; mais on
s'eft trompé. Le Capitan- Bacha , ne voulant pas
perdre un revenu annuel de 100,000 piaftres
fes créatures , l'Agent Ifoph Aga & FInterprete
Maurogeny ; étant bien aile auffi d'en gagner
&
( 109 )
chacun 25000 , ces trois protecteurs de l'indi
gne Gouverneur Ont bien travaillé , qu'ayant
mis dans leurs intérêts le Mufti Molla - Bey ,
Haddi Backi-Aga , ou le Gouverneur Diable ,
comme on l'appelle , a été renvoyé ici en qualité
de Gouverneur. Le Capitan- Bacha a déclaré
que fi quelque habitant de l'Ifle s'avifoit de trouver
à redire à cette nomination & d'en faire des
plaintes , il auroit affaire à lui & lui feroit couper
la tête.
La confternation eft ici des plus grandes ; it
faut en être témoin pour s'en faire une idée.
On n'entend plus que des pleurs & de gémiffemens.
Les habitans défertent en foule ; les Turcs
fe retirent dans la Syrie , les Chrétiens s'en vont
ailleurs , fort peu de Chypriots ofent fe refugier à
Conftantinople. Le commerce eft abſolument
perdu ici & par conféquent tous nos projets font
évanouis.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 30 Septembre.
Mercredi dernier , les Lords de l'Amirauté
envoierent l'ordre aux vaiffeaux gardes côtes
, ftationnés à Spithéad , de rentrer dans
le port de Portsmouth. Sept d'entr'eux s'y
font déja rendus . Les autres , fous le commandement
de l'Amiral Montague , qui monte
le Queen, de 90 canons , n'attendent pour
les fuivre , qu'un vent favorable. Le Grampus
, de so canons , qu'on croyoit deftiné à
porter dans l'Inde le Commodore Gell , eft
toujours en rade .
( 110 )
Le Général Campbell part pour Madras
fur le Tryal , paquebot de la Compagnie
des Indes . Il a reçu fes dernieres inftructions ,
& avant de prendre congé de S. M. , il a été
reçu Chevalier de l'Ordre du Bain , ainfi que
le Général Haldimand , prêt à ſe rendre dans
fon gouvernement du Canada.
Nos papiers publics , qui ont négocié le
mariage du Duc d'Yorck avec la Princeffe
Elifabeth de Pruffe , viennent d'unir en même
temps le fils aîné du Prince Royal de
Pruffe avec l'une des Princeffes d'Angleterre .
Un Planteur Anglois , de la Floride
Orientale , écrit en ces termes à un de
fes amis , à Londres , le 16 Juillet dernier.
Les Planteurs Anglois qui étoient reftés dans
cette Province ont été très - maltraités par les
Espagnols , depuis qu'ils en ont pris poſſeſſion .
On les a beaucoup inquiété fur leur culte religieux
& on en à obligé beaucoup d'entreux
à abondonner leurs habitations. A moins que
le Gouvernement Espagnol ne change de fyftême
& ne nous protege , je crois que je prendrai
le méme parti. Alors je compte me retirer
à l'Iffe de la Providence où les Anglois
ont des établiſſemens .
A mefure que les différens de l'Europe:
& les nôtres propres fe pacifient , nos
Folliculaires s'étudient à nous trouver de
nouveaux ennemis , & à inventer des atteintes
aux Traités de la part de nos voisins .
On affure , difent - ils , que le Marquis de Lanſdowne
a ftipulé par un article fecret du traité
de paix , que la France ne conftruiroit aucun
( 111 )
nouveau fort fur la côte d'Afrique , qu'elle n'éten
droit pas fes Comptoirs au- delà de certaines
limites , qu'Elle n'entretiendroit en aucun temps
dans ces parages une Efcadre compofée de plus
d'une Frégate de 24 canons & de deux autres
de moindre force. Les faits fuivans indiqueront
à quel point la France a obfervé cet article
fecret. L'Efcadre françoiſe fur la côte d'Afrique
eft compofée d'un Vaiffeau de 40 canons , d'une
Frégate de 28 & de 6 ou 7 Bâtimens deftinés
à croifer dans les rivieres . Cette Puiffance a děja
conftruit un fort à l'embouchure de la riviere du
Senegal , & Eile eft occupée actuellement à en
élever quatre autres dans l'efpace renfermé entre
Dixcove & Benintufius. Quant à l'engagement
qu'Elle a pris de ne pas étendre les Comptoirs
au-delà de certaines limites ; Elle a éludé fi honteuſement
cette partie de l'article ſecret , ne fé
-faifant aucun fcrupule d'étendre les anciens
Comptoirs , & d'en former de nouveaux , que
la Hollande , malgré les obligations qu'Elle a en
ce moment à la France , s'eft récriée contre
cette infraction . La Cour de Portugal en a pris
tant d'allarmes qu'Elle a envoyé dernierement
dans ces parages l'Acanjuen de 32 canons &
l'Anfeline de 24 canons , avec des troupes à
bord pour renforcer les garnifons. Ce n'eft pas
fans fondement que cette Cour prête à la France
le deffein de mettre entierement dans fa dépendance
les Naturels du pays , & d'ôter aux Nations
européennes qui ont des Etabliffemens dans cette
partie du monde , les moyens de contrarier fes
vues ambitieufes. Notre miniftere n'a pas man
qué d'adreffer des remontrances à la Cour de
Verſailles qui a promis d'y avoir égard. Refte
à favoir quand Elle tiendra fa promeffe.
En 1765 on évalua que le commerce de la
( 112 )
gomme dont la plus grande partie étoit fournie
par les Naturels qni occupent les bords de la
viere du Senegal rapportoit au Fife plus de
30000 livres fterl. par année . Depuis cette époque
te commerce n'a ceffé de dégénérer , & pendant
la derniere guerre il a été preſque anéanti. Il ne
rend actuellement au Filc que 700 liv. par an◄
née , & il n'eft gueres probable qu'il reprenne
fon ancienne activité .
On dit que M. Vine de Truro a préfenté
au Bureau des Longitudes un nouvel
inftrument très ingénieux , pour déterminer
les longitudes en mer , & que
fur le rapport des Commiffaires , un Officier
experimenté fera chargé d'en faire l'effai ..
Le difcours fuivant n'eft affurement pas
un modèle de Logique ; mais il eſt aſſez
plaifant dans la bouche d'un voleur public.
Cette harangue Philofophique a été prononcée
par un Orateur Irlandois nommé Denis
Flanagan, Maître d'Ecole de profellion , &
condamne pour crime de vol & de meurtre :
fur la demande que lui fit le Juge d'expofer
fa juftification , il lut ce qui fuit.
« Mylord ,
« Me voici à la barre , convaincu d'avoir tué
& volé un des Sujetss de S. M.; fi c'eſt un crime
fuivant l'efprit de la conftitution de dépouiller
un autre homme de fa propriété , je confeffe
le vol , & fi c'eſt un meurtre d'ôter la vie à un
homme , je me reconnois coupable de cette
offenfe ». #
« Le feul moyen que j'ai , Mylord , pour
jeftifier ma conduite , & pour prouver que je
ne fais point criminel , c'eft de comparer ce
( 113 )
-
que j'ai fait avec ce qui a été fait par d'autres ,
& fi je parviens à bien établir mes prémiffes ,
je me flatte que V. S. trouvera ma conclufion
juſte ».
« L'Ecriture Sainte , Mylord , qui eft la gran-
-de Loi , qui devroit être le modele de toutes les
autres , dit expreffément , tu ne tueras point. Il n'y
a point d'exception , point de clauſe dans tout le
décalogue , qui autoriſe un homme à ôter la vie
à un autre. Cependant l'efprit humain inventa
un fyftême de meurtre légal appellé guerre ; &
par ce fyftême , il femble qu'un homme a la liberté
d'en tuer 10,000 dans un jour s'il le peut ,
& pour cet acte on le décore , non de deux vetges
& demie de chanvre autour du cov ,; mais
d'une verge & demie de ruban rouge autour du
corps , il reçoit des applaudiffemens de tout le
Royaume. Comparons donc , Mylord , un meurtre
& un vol avec ce carnage & ce pillage. Preffé
par le befoin , & par les cris d'une famille ma-
Jade , je prends un piftolet , & je vais chercher de
l'argent fur le grand chemin. Je rencontre un
riche Eccléfiaftique , & je lui demande la bourſe.
Celui- ci tire un piftoler , fait feu fur moi , me
manque , & tandis qu'il en tire un autre de fa poche
, je lui brûle la cervelle , & le vole enſuite .
Voilà mon crime » !
Comparons maintenant ce fait avec les crimes
d'un Roi , d'un Miniftre , d'un Général , d'un
Amiral , d'un Capitaine ou d'un fimple Soldat.
& d'un Matelot. Le feu Roi , Dieu béniffe fa
mémoire & lui pardonne fes fautes , fut trèsoffenfé
de ce que les Sujets du Roi de France
avoient coupé quelques buches dans la Baie
d'Honduras. C'étoit fans doute une terrible of.
fenfe , puifqu'elle put juftifier la Couronne & le
Parlement d'avoir fait tuer ou périr 120,000
( 114 )
hommes , dont il n'y en avoit pas un feul qui
connût la caufe de la querelle qu'il foutenoit.
Ce n'étoit point la néceffité qui engageoit alors
le meurtrier à détruire ſon ſemblable ; car au lieu
de manquer de pain , il étoit nourri & habillé
dans cette vue , & il n'avoit ni animofité , ni befoin
qui l'aiguillonnât : c'étoit un aſſaffin qui recevoit
un falaire pour ôter la vie à ſon prochain .
Je mettrai cet exemple , Mylord , dans un plus
grand jour. On nous lit tous les jours le Décalogue
dans l'Eglife , & on nous enfeigne à révérer
les préceptes & à leur obéir . Le Prêtre lit :
tu ne tueras point . Le peuple répond à haute voix ,
& avec enthouſiaſme : O Seigneur ! porte nos coeurs
à obferver cette Loi . Mais au lieu d'obferver cette
Loi , furvient une proclamation , qui annonce un
grand & terrible carnage , & qui ordonne aux
Anglois de tuer tous les payfans de France , parce
qu'un Matelot François a coupé & emporté dans
la Baie d'Honduras pour la valeur d'un fou de
bois , lequel bois n'étoit d'aucune conféquence ,
ni pour l'Anglois , mi pour le François . Voilà le
fait , & V. S. fait très bien que des milliers.
d'hommes ont été égorgés & pillés fous le prétexte
d'un morceau de bois , & que tous les meur.
triers furent tous récompenfés , au lieu d'être
pendus. Permettez moi , Mylord , de vous demander
: de quel oeil croyez- vous que le Tout-
Puiffant ait confidéré cette affaire dans la Cour
célefte ? Sa Loi porte strictement de ne pas tuer; &
je fuis perfuadé que je fuis plus juftifié aux yeux
du grand Juge pour avoir tué un homme , afin
de procurer du pain à ma famille , que celui qui
en a fait égorger des milliers dans les plaines de
l'Allemagne , parce qu'un fujet François avoit
coupé un morceau de bois dans la Baie d'Hon .
duras »
55 Vraisemblablement , Milord , vous pensez
que la guerre peut le juftifier ; & qu'il est trèsméritoire
pour un Irlandois recruté , de fe louer
pour tuer un foldat François , fans connoître lè
crime du François , ou même fans demander la
raifon pour laquelle il fe difpofe à aller tuer fon
femblable. Le Tout - Puiffant ne regarde- t - il
pas la faute de cet homme comme plus grande
que la mienne ? Il fe fait payer pour tuer un
autre homme , & il fe paffionne tellement pour
le métier d'affaffin , qu'il fe livre à un eſclavage
perpétuel , afin d'avoir de l'occupation pour le
refte de fes jours. J'irai plus loin , Milord , & je
vous demanderois par quelle loi du Tout Puiffant
( je ne fais fi fouvent mention du Tout- Puiffant
, que parce que dans la plainte je ſuis accufé
de n'avoir pas la crainte de Dieu devant les yeux ,
& d'être pouffé par ie Diable , perfonnage que
je n'ai jamais vu , & que V. S. , à ce que j'efpere,
ne verra jamais ) : je dis donc , Milord , comment
peut -on juftifier aux yeux du Créateur l'action
d'un corfaire qui fe met en mer , arrêté un
navire marchand qui n'eft point fur fes gardes ,
& qui ne fait rien de la déclaration de guerre ,
Jui lâche fes bordées , tue une partie de fon équipage
, pille les propriétaires , & précipite dans
un cachot tous les matelots qui ont échappé àfon
feu meurtrier ? Ce vol & ce meurtre ne ſont- ils
pas plus barbares , & moins fufceptibles de juftification
que ceux que j'ai commis ? Cependant
on ne juge point, on ne punit point ces hommes qui
font bien éloignés d'avoir la crainte de Dieu de
vant les yeux. Lorsque la guerre eft déclarée ,
il peut le faire qu'on trouve , en feuilletant d'énormes
volumes , quelque exemple pour juftifier
le meurtre & le brigandage ; mais je fuis bien
fur, Milord , qu'avant une déclaration de guerre ,
( 116 )
il n'y a point de loi qui autorife le meurtre & le
vol auxquels je fais allufion . »
1 » Il n'y a pas long - temps que notre très -gra
cieux Souverain s'offenfa de la conduite des Américains
, & que fans aucune déclaration de guerre
il envoya fes gardes pour mettre à mort fes propres
fujets parce qu'on vouloit avoir une once
de thé à meilleur marché à Boſton qu'en An
gleterre. Je conviens , Milord , que le Miniftere
donna le nom de rebelles aux Américains ; mais
comme c'eſt par des preuves que toutes les véri+
tés s'établiffent , il faut que j'obferve ' à V. S
qu'il n'a jamais été prouvé que les Américains
faffent des rebelles . Au contraire , en faisant la
paix avec eux , & en recevant leur ambaffadeur
Ala Cour Britannique , il a été admis , qu'au
lieu d'avoir été en rebellion , ils pouvoient
fe juftifier dans tout ce qu'ils avoient fait. Quel
nom peut-on donc donner à ces meurtriers , qui
plongerent leurs bayonnettes &leurs épées dans
le fein de leurs freres ? S'il n'y a pas eu de re
bellion de la part des Américains , les Anglois
ont donc commis des meurtres , & au lieu de
recevoir des cordons rouges , & d'avoir leurs
noms inférés dans les gazettes extraordinaires ,
la hart auroit dû être leur récompenfe ».
Je fupplie V. S. de comparer les crimes
de ces hommes avec le mien , & d'interroger
votre propre jugement pour favoir fi lord N...
M. J... , le lord B ... , & autres ne font pas plus
coupables de meurtre que moi ? Ils ont mis à
mort des milliers d'hommes , & je n'en ai tué
qu'un feul. Ce qu'ils ont fait ,
c'eft par obftination
, quant à moi ç'a été l'effet du befoin. Ils
font maudits par des millions de familles qu'ils
ont ruinées , & je ne fuis maudit par aucune
car la femme du recteur m'a pardonné , & il n'avoit
point d'enfans pour pleurer fa mort. »
( 117 )
« En confidérant le fujet fous ce point de vue ,
je me flatte que V. S. ne peut point , felon le véritable
efprit de l'évangile , & le fens réel de la
juftice , prononcer fentence de mort contre moi ,
lorfqu'un fi grand nombre de meurtriers , beaucoup
plus coupables que je ne le fuis , ont la liberté
de marcher en triomphe & de fe glorifier
de leurs crimes . J'efpere au moins , mylord ,
que vous me recommanderez à la miférico rde
de notre très - gracieux Souverain. Il pardonna
deux de mes compatriotes , Balfe & Macquirck,
qui étoient deux meurtriers pires que moi , &
il feroit cruel de re pas étendre fur moi là
même clémence . »
« Je n'ai plus rien à vous dire , mylord , fi
ce n'eft de vous rappeller la fupplication que
vous adreffez foir & matin au trône de la grace
célefte : Pardonnez- nous nos offenfes comme nous
les pardonnons à ceux qui nous ont offenfes
Le célébre Holbein nommé Peintre
d'Henri , VIII , avoit coutume de s'enfermer
dans fon attellier dont tous les importuns
étoient févérement exclus . Un Seigneur
de la plus haute diftinction fe préfenta
à fa porte & demanda à être admis , ce
qu'Holbein refufa en termes tiès honnêtes,
Le Pair regardant ce refus comme une infulte
à fa dignité , voulut entrer de force ,
A l'inftant , Holbein fortit de fon cabinet ,
& comme il étoit très vif , il fit fauter l'efcalier
à fa Seigneuric . Réfléchiffant enfuite
fur ce procédé , il courut implorer la protection
du Roi contre la vengeance du
Comte , qui l'avait précédé auprès de Sa
( 118 )
Majesté & qui demandoit fatisfaction. Henri
VIII ayant cherché à appaifer ce dernier ,
il répliqua en hauffant la voix , avec tant
d'emportement que le Roi piqué de fon
manque de refpect , lui dit , Mylord , au
péril de votre vie , je vous défends toute in-
Julte envers mon Peintre. Souvenez - vous de la
différence qui exifte entre vous deux ; dans
l'inftant je puis faire fept Comtes de fept
Payfans ; mais de fept Comtes comme vous,
je ne ferai jamais un Holbein.
FRANCE.
DE PARIS , le 11 Octobre .
Un Arrêt du Confeil d'Etat du Roi du 2
Octobre , porte nomination de Commiffaires
pour la liquidation des marchés à terme
& compromis d'effets royaux ou autres
quelconques , en exécution de l'Arrêt du 7
Août dernier. Le préambule de cette nouvelle
difpofition eft de la teneur fuivante :
Le Roi s'étant fait repréſenter Arrêt rendu
en fon Confeil le 7 du mois d'Août dernier , qui
renouvelle les Ordonnances & Règlemens concernant
la Bourfe , & s'étant fait rendre compte
de la nature , du montant & des échéances des
'compromis & marchés à terme , qui ont été contrôlés
par le premier Commis des finances ; en
'exécution de cet Arrêt , Sa Majesté a reconnu
que fi la maffe de pareils engagemens portée à
l'égard de certains Effets au - delà même de ce
qui en exifte , prouve de plus en plus combien
( 119 )
il étoit néceffaire d'en reprimer l'abus , elle n'eft .
cependant pas auffi effrayante en réalité qu'elle
l'eft en apparence , les reventes multipliées du
même objet , failant monter la fomme totale des
marchés beaucoup au- deffus de celle des Effets à
livrer ; Sa Majefté eft informée que l'obligation
de dépofer ces Effets dans le terme qu'Elle a
preferit , a déjà fait liquider une partie des compromis
, qu'elle n'a embarraffé que ceux qui'
s'étoient engagés au - delà de leurs moyens , & que
cet embarras même n'a pu paroître aux yeux
des gens inftruits , qu'une leçon pour l'imprudence
, & une crife talutaire qui loin de porter
la moindre atteinte au crédit du Tréfor royal ,
a fervi à démontrer qu'il eft affis fur des bafes
inébranlables & indépendant de toute espèce de
negociation particulière ; que néanmoins il en
eft réfulté une inquiétude vafte parmi les Capitaliftes
, qui effrayés de cette foule exorbitante
d'engagemens d'un genre infolite , & ne fachant
pas jufqu'à quel point celles des Maifons du commerce
& de banque qui s'y trouvoient compromifes
, pourroient influer par contre - coup fur la
fituation de celles mêmes qui n'y avoient aucune
part , ont fufpendu à l'égard de toutes leur confiance
, ont refferré leurs fonds & différé leurs
placemens ; ce qui a produit , au milieu de la
plus grande abondance de numéraire , toutes les
Caiffes publiques étant garnies , tous les payemens
fe faifant avec la plus grande exactitude ,
& plufieurs même étant anticipés , un moment
de langueur dans la circulation une forte de
ftagnation fur la place , & la dépreffion inftantanée
de quelques Effets . Dans cette circonftance ,
Sa Majefté ne voulant pas borner fes vues bienfaifantes
à ce que l'ordre public a exigé d'Elle
pour faire ceffer l'agiotage effréné qui s'étoit
"
( 120 )
introduit , & defirant faire difparoître le plutôt
poffible des embarras dont la prolongation feroit
nuifible au Commerce , Elle a jugé convenable
d'accélérer l'effet de la difpofition de fon Arrêt
du 7 Août dernier , qui a eu pour but de diftinguer
les contractans en état de remplir leurs
engagemens , d'avec ceux à qui la livraiſon de
ce qu'ils ont vendu , feroit dans tous les cas
impoffible ; & Elle a penfé qu'il étoit de fa bonté
autant que de fa juftice , de mettre les Vendeurs
& les Acheteurs également à portée de liquider
fans délai leurs intérêts refpectifs par une conciliation
équitable , à défaut de laquelle Elle
s'eft réservée d'y ftatuer Elle- même en connoiffance
de cauſe , afin que bientôt il ne reste plus
aucune trace de ce vertige de fpéculation défordonnée
, qui n'ayant pas encore eu d'exemple
dans le royaume , néceffitoit un reméde extraor
dinaire ; Sa Majefté en s'y déterminant a prévu
que ceux qui ont intérêt à foutenir les compromis
prétendroient qu'empêcher leur exécu
tion ou y mettre des conditions c'étoit porter
atteinte à la propriété , & détruire par l'intervention
de l'autorité , la liberté des engagemens
volontaires . Jamais les droits de la propriété &
de la liberté fociale ne furent plus en fûreté
que fous le règne de Sa Majefté ; mais autant
Elle eft réfolue de les maintenir religieufement ,
autant Elle est éloignée d'admettre pour conféquence
de ce principe inviolable , qu'il foit permis
de tendre des piéges à la foi puhlique en
vendant ce qu'on n'a pas , ce qu'on ne peut pas
livrer , ce qui même n'existe pas , il eſt évident
que fi pareilles ventes font nulles par ellesmêmes
, elles font für- tout intolérables lorsqu'
elles portent fur les Effets publics , forſqu'elles
violent toutes les règles prefcrites pour leurs né
gociations
· ( 121 )
gociations , lorfque fur leurs bafes fiatives s'accumule
fucceffivement une foule d'engagemens
& de billets illufoires qui groffiffent exceffivement
le volume apparent des papiers commerçables
, altè ent leur circulation par un mélange
fufpe& , & tendent à détruire toute confiance.
Faire envifager ces marchés comme n'étant en
dernier réfaltat , que des paris fur le cours éventuel
de la Place , ce n'eft pas les légitimer : quand
il feroit permis de fup ofer que la vigilance du
Souverain qui s'étend julques fur la confervation
des fortunes de fes fejets , dût fermer les yeux
fur toute eſpèce de jeux & de paris , pourroitelle
fouffrir que leur licence fe déguilant fous
un faux titre , prît les caractères des Contrats de
vente , dénaturât les conditions , & portât le
trouble & la confufion dans la négociation des
Effers royaux ? Sa Majefté a donc acquis de
nouveaux droits à la reconnoiffance de fes peuples
par le foin qu'Elle a pris de les préferver
dun tel défordre , ainfi que par les mesures
qu'Elle prend aujourd'hui dans la vue de terminer
promptement la liquidation du paffé , & de
ne laiffer accun doute fur les intentions pour
l'avenir & c.
ART. I. Les Porteurs des marchés à termes
& compromis , contrôlés du 7 Acût dernier
dépoferont avant le 20 du préfent mois , entre
les mains de l'un des Syndics des Notaires , les
Effets dont ils auront promis là livraiſon ; & auff
tôt après , l'acte de dépôt contenant la qualité
& les numéros del. Effets , fera par eux repréferé
aux fieurs Lenoir , Confeiller d'Etat ; de Crofne ,
Lieutenant- général de Police ; & de Grandvelle ,
M.ître des Requêtes , que Sa Majesté a commis
& commet pour procéder en la préſence , tant
des Vendeurs que des Acheteurs qui feront ap-
Nº. 42 , 15 Octobre 1785 .
f
( 122 )
:
pelés par eux , à la liquidation des fommes qui
pourront revenir aux uns ou aux autres , pour
perre ou bénéfice , & à la fixation des époques
auxquelles devront fe faire les payemens.:
II. Ceux des porteurs defdits marchés ou
compromis qui feront hors d'état de fatisfaire
avant le 20 de ce mois , au dépôt ordonné des
effets à livrer , feront tenus de représenter dans
le même délai lefdits marchés ou compromis
auxdits fieurs Commiffaires auxquels ils feront
en présence des Parties in téreffées leurs déclarations
& propofitions fur les moyens de remplir
leurs engagemens , on fur les arrar gemens de
liquidation qui pourroient y fuppléer.
III. Autorife , Sa Majeflé , lesdits fieurs
Commiffaires à liquider & régler les intérêts
respectifs des Parties contractantes , elles préfentes
ou dûement appelées aux conditions
qu'ils jugeront les plus équitables , & à prononcer
fur la validité ou nullité des engagemens , ainfi
qu'il appartiendra , en fe faifant affifter pour
lefdires liquidations & règlemens , tant par le
premier Commis des finances , que par tel Financiers
& Banquiers qu'ils voudront appeler.
IV. Dans le cas où aucune des Parties refuferoit
d'accéder aux arrangemens propofés , ou
à ce qui auroit été réglé par lefdits fieurs Cemmiffaires
, il fera dreffé procès- verbal des dires
refpe&tifs , lequel fera remis au Contrôleur général
des finances , pour en être rendu compte
à Sa Majefié , & y être ftatué par Elle en fon
'Confeil.
V. Les marchés à termes & compromis pour
Effets royaux ou autres quelconques , à l'égard
defquels les Parties n'auront pas effectué avant
le 20 de ce mois , le dépôt ordonné par l'Arrêt
du 7 Août dernier , & ne fe font miles ni l'une
( 123 )
ni l'autre en devoir de faire liquider & régler
leurs intérêts par lefdits fieurs Commiflaires
* dans le même délai , ſeront & demeureront nuls
& de nul effet ; défend Sa Majesté d'en ſuivre
en aucune manière l'exécution.
VI . Ordonne pour l'avenir , Sa Majefté , que
la difpofition de l'article VII de fon Arrêt du 7
Août dernier , par laquelle , Elle a déclaré nuls
les marchés & compromis d'Effets royaux & autres
quelconques , qui fe feroient à termes fans
livraifon dedits Effets , ou fans le dépôt réel
d'iceux , fera exécutée felon fa forme & teneur
dans tout fon Royaume.
VII. A évoqué & évoque Sa Majesté à Elle
& à fon Confeil , toutes les conteſtations nées
& à naître à l'occafion du préfent Arrêt , & de
celui du 7 Août dernier &c.
Signe LE BARON DE BRETEUIL .
Depuis le furieux coup de vent qu'on a
éprouvé ici vers l'Equinoxe , & qui dans
quelques cantons a fait des ravages confidérables
, on craint d'apprendre de facheufes
nouvelles des bâtimens , qui à cette époque
fe font trouvés aux attérages. L'efcadre d'évolution
qui eft rentrée à Breft quelques
jours après , a effuié ce gros temps ; & on
eft fort inquiet fur le fort du bricq le Clairvoyant
, qui , féparé de l'efcadre , n'a pas encore
reparu. M. de Chaftenay , Capitaine
de vaiffeau , qui avoit éte chargé de relever
les côtes de S. Domingue , les divers débouquemens
, & c . eft de retour avec fa corvette
; il a pouffé fes recherches jufques dans
une partie du Golfe du Mexique.
f2
( 124 )
D'après le relevé fait fur toutes les Paroiffes
du Dauphiné & des Bureaux des Hôpitaux
, il réfulte qu'en 1784 , il eſt né dans
cette Province 13,657 garçons , & 13,099.
filles ; qu'il eft mort 11,451 hommes , &
11,001 femmes . Pendant la même année il
y a eu 5898 mariages , & 29 Profeffions
religieufes.
Le 21 de Septembre à une heure aprèsmidi
, dans les environs de la petite ville de St.-
Symphorien - le - Château , fituée dans les montagnes
du Lyonnois , il furvint tout - à - coup un
violent orage , accompagné de coups de tonnerre
très- fréquens , qui fut bientôt fuivi d'un déluge
d'eas fi confidérable , que dans un inflant il fe
forma des totrens fur le haut des montagnes ,
qui , en fe précipitant avec violence , & le multipliant
en mille branches , entraînerent tout ce
qui fe trouva fur leurs paffages ; notamment la
plus grande partie des terres qui venoient d'être
ou enfemencées , ou mifes en labour. Pour comble
de malheurs , les prairies qui font la richeffe
de ces montagnes , ont éte fablées & encombrées
d'un amas confidérable de terres & graviers ; de
forte que les fertiles montagnes , qui deux heures
auparavant préfentoient l'afped le plus agréable
par la verdure des bleds qui promettoient encore
une abondante récolte , ne préfente plus aujourd'hui
, dans beaucoup d'endroits , que des rochers
& des ravins très profonds qui ont coupé les
terres en mille parties , ainfi que les chemins.
Les Paroifles qui ont le plus fouffert de ce défaftre
, font , Avcife , Chatelus , Saint - Denis ,
Pomeys , St. Etienne de Cois , Grefieux , Mont-
Romand , St. - Genis - l'Argentiere , & la Fenoyl ;
la Paroiffe d'Aveife , comme la plus inclinée ,
( 125 )
a été encore la plus endommagée & la plus à
plaindre , parce qu'elle eft la plus pauvre.
Dix perfonnes de l'ifle Bouchard ayant
mangé à leur foupé , le 23 Septembre , une;
efpece de champignons , nommée Eclofette ,
font mortes le lendemain dans les douleurs
les plus aiguës , malgré tous les fecours de
l'art.
Nous trouvons dans une Feuille de Pro- .
vince une lettre , qui rapporte en ces termes
une découverte finguliere :
"
>
Au commencement de Juillet dernier me
trouvant au Loroux Botereau , très- gros & trèsancien
bourg , à 3 lieues eft - nord' eft de Nantes
à 4 lieues nord de Cliffon , j'apperçus des offemens
humains difperfés dans une rue dont on
avoit remué le fol. Ces triftes débris excitant ma
curiofité , je les examinai de près , & je fis à quelques
habitans des queftions relatives à cet objet.
J'appris que chaque particulier,devant faire paver
vis - à-vis de foi , avoit vendu quelques pieds de
terre pour fervir d'engrais dans les champs , ainfi
qu'il eft d'ufage dans ce canton. Les payfans qui
faifoient ces enlevemens avoient rencontré , à environ
2 pieds & demi de profondeur , une fuite de
pierres tombales , placées côte à côte , fuivant la
direction de la rue & des deux côtés du pavé. Ces
tombes ouvertes préfentoient des fquelettes dans
leur entier , mais dont les os n'avoient preſque
plus de confiftance. A mesure que ces gens continuoient
leurs fouilles , ils jettoient dans un tas les
tombes , entieres ou britées , avec leurs offemens.
Ces monumens forment un quarré long très- régulier
, compofés de deux pieces. L'inférieure eft
une auge d'environ 6 pieds & demi de long , de
f ;
( 126 )
dehors en dehors , de 15 à 18 pouces de profondeur
,& d'environ 2 pieds de large . La fupérieure,
ou l'opercule, eft un autre quarré long, qui s'adapte
parfaitement à l'entrée du fépulcre , & la ferme
exactement , fars déborder d'aucun côté . L'épaiffeur
de ces pieces eft de 3 à 4 pouces. J'en fis ouvrir
plufieurs en ma préſence , qui étoient encore
fous ferre, & j'y obfervai les fquelettes . La couleur .
de ces tombes eft d'un blanc fale ; & , quoique confervées
très - entieres , elles fe bilent aisément à
coups de pioche ou de márteau. El es font toutes
compofées de coquillages marins , aflez groffierement
pilés pour qu'on puiffe y reconnoître des
pectinées , des petoncles , buccins , tellines , patelles
, dentales , porcelaines , enfin des univalves
& des bivalves de toute eſpece. On trouve même
en affez grande quantité , dans cette compofition,
de petits bivalves entiers. Ces coquillages ne paroiffent
pas avoir été calcinés avant d'être employés
à faire cette pâte ou maflic ; mais ils font
liés par une espece de ciment calcaire , mélangé de
quelques grains de fable vitrefcible. J'en ai traité
plufieurs morceaux avec le vinaigre & l'acide nitreux
; ils'en eft élevé beaucoup de gaz ou air fixe,
& la diffolution a été prompte & comp'ette , furtout
dans l'acide mineral , à ce petit nombre de
grains de fable près. Ces tombes , imprégnées de
vapeurs animales , réſultant de la décomposition
des cadavres qu'elles renfermoient , répandcient
une odeur tellement infecte , lorfqu'elles étoient
fraichement tirées de la terre , que j'ai été obligé
de laiffer évaporer à l'air libre les pieces que j'en
ai enlevées , avant de les placer dans mon cabinet.
J'ai demandé fi l'on n'y avoit point trouvé d'inf«
criptions , de médailles ou de pierres gravées ; on
m'a dit qu'il s'en étoit rencontré quelques- unes ,
mais que les payfans les avoient brifées . Il ne m'a
( 127 )
pas été poffible , jufqu'à préfent , de m'en procurer
aucune. Ayant été con duit dans un autre quartier
du bourg , d'où l'on enlevoit aufli des terres ,
j'y ai de même obfervé plufieurs anciens to.nbeaux
; mais ceux- ci étoient à une profondeur bien
plus confidérable ; ils étoient , d'ailleurs , creulés
dans le roc vif , & recouverts d'une pierre plate du
pays , & tous , dans ce canton , étoient de la même
efpece , au lieu que , dans l'autte quartier , il n'y
en avoit pas un feul qui ne fût composé de coquillages.
Ces derniers , d'ailleurs , étoient rangés
avec beaucoup plus d'ordre & de fymmétrie. J'ai
regretté que le tems & mes affaires ne m'euffent
pas permis de refter au Loroux , & d'y obferver la
fuite de ces fouilles . Ce qu'il y a de certain , c'eſt
que ces tombeaux de coquillages ont été trouvés.
en très grand nombre, & qu'on en découvre encore
tous les jours. Si je puis me procurer quelques
renfeignemens ultérieurs fur cet objet intéreffant ,
j'en ferai part au Public.
Maintenant , je demande aux érudits & aux
amateurs de l'antiquité :
1º. Pourquoi l'on a préféré , pour la conſtruction
de ces tombeaux , des coquillages marins à
toute autre matiere ; ce qui eft d'autant plus furprenant
, que l'on n'a pu les tirer que de la mer ,
éloignée duLoroux de 12 à 15 lieues ; que le tranf
port n'a pu s'en faire qu'à très grands frais , tandis
qu'on trouve par tout & en abondance , dans le
lieu même , une pierre fchifteufe , feuilletée , folide
, fort ailée à exploiter , qu'on peut extraire
en très -grandes pieces , & bien plus propre à réfifter
à l'injure des tems & à conferver des cadavres ,
que cette pâte poreufe & friable de coquillages ?
29. Par quelle raifon on s'eft uniquement fervi
de cette pierre du pays dans certains quartiers du
bourg , tandis que , dans d'autres , on ne trouve
£
4
( 128 )
que ces tombeaux de coquillages , fans aucun
melange des premiers ?
3°. Enfin , je prie d'obferver qu'il ne fe rencontre
aucuns coquillages foffiles dans les environs du
Loroux ; qu'on n'y trouve pas un aône de pierre
ou terre calcaire , & que ce pays , dans une trèsgrande
étendue , n'offre par- tout que la terre ar-,
gileufe vitrefcible , une efpecé de pierre (chifteafe
, des filex , & de la roche granitique.
DUBOUEIX , Docteur en Médecine , Médecin de
Monfieur , Frere du Roi , Membre correfpondant
de la Société Royale de Médecine de Paris , &c .
Quoique l'idée fuivante préfente de trèsgrandes
objections , nous la foumettons à
opinion publique : voici les expreffions de
l'Auteur , dans la lettre où il nous fait part
de fes vues.
Paris ce 2 Octobre 1785 .
MESSIEURS ,
Depuis que la Société royale des Sciences &
des Arts de Metz a propofé cette queftion intéreffante
: Queile eft l'origine de l'opinion qui
étend fur tous les individus d'une même famille
une partie de la honte attachée aux peines infamantes
que fubit un coupable ? Il a été publié un
grand nombre d'Ouvrages fur ce fujet , parmi
fefquels on diftingue le Difcours de M. la Cretelle
, Avocat au Parlement de Paris , & celui
de M. de Robespierre , Avocat à Arras , l'un
& l'autre couronnés par le Corps Littéraire
'qui avoit annoncé le prix . J'ai lu ces deux Difcours
avec autant d'attention que de plaifir , &
j'ai trouvé très -ingénieux les différens moyens
qui y font propofés pour parvenir à renverfer
Finjufte préjugé qu'on y attache : mais je regrette
de ne point appercevoir au nombre de
( 129 )
ces moyens celui que je vais préfenter ici &
que j'ole croire d'autant plus digne de l'attention
publique , qu'il eft puife dans les plus anciens monumens
de la Jurifprudence françoife.
En effet , felon ce que rapporte M. Bernardi
dans fon nouvel Ouvrage intitulé Effi fur les
Révolutions du Droit françois , page 49 , l'on voit.
par un Arrét de 1298 qui fe trouve dans les
regiftres olim du Parlement , que tous les parens
d'un homicide étoient obligés , dans l'an , d'abjurer
Sa parenté , autrement ils étoient punis de la même
peine que lui.
Ce moyen pratiqué parmi les anciens François
pour tempérer la févérité inouie & prefque
barbare de cette Coutume qui foumettoit toute
une famille au même châtiment que devoit fubir
un meurtrier forti de fon fein , ne pourroit- il
être remis en ufage pour extirper un préjugé
funefte dont on reconnoit aujourd'hui , pour
airfi dire , unanimement l'injuftice ?
›
Il fuffifoit en 1298. comme on vient de le
voir , d'abjurer , dans l'an , fa parentě avec un
homicide pour n'être pas puni des mêmes peines
que lui. N'eft- il pas évident que fi cette abjuration
folemnelle de parenté étoit maintenant introduite
en France par la volonté du Souverain
en faveur des familles , dans la trifte circonftance
du crime & de la condamnation d'un de leurs
membres ce bénéfice qui ne feroit accordé que
par des Lettres émanées de l'autorité fuprême du
Roi & revêtues de fon ſceau , fauveroit aujour
d'hui l'honneur de ces familles , comme autrefois
il leur fauvoit la vie ? L'on fait combien les
peuples attachent de refpect aux formes confa- t
crées ou par l'ufage ou par la Loi ; & le lien de
parenté qui uniroit d'honnêtes citoyens à un criminsl
, étant ainfi tranché juridiquement & fo-
"
fs
( 130 )
lenellement , il ne fubfiftereit plus même de
prétexte pour faire retomber for des innocens la
honte qui n'eft due qu'au coupable. Le préjugé
feroit anéanti jufques dans fa racine . L'Etat conferveroit
dans fon fein une multitude de familles
qui s'expatrient chaque jour pour te fouftraire
au déshonneur que ce funefte préjugé étend fur
elles ; la politique n'y gagneroit pas moins que
l'humanité.
ROBERT , Avocat au Parlement .
J. B. Fr. Durey de Meynieres , Préfident
honoraire au Parlement , eft mort le 27 du
mois dernier. 60 ans de vertus , de zele &
de travaux lui avoient mérité la confiance
& l'amitié des Magiftrats , la confidération
publique , & juftifient les regrets de tous
ceux qui l'ont connu.
PAYS - BAS.
DE BRUXELLES , le 9 Octobre.
Nous avons donné , l'ordinaire dernier ,
un fommaire des articles préliminaires d'accommodement
, arrêtés à Paris entre l'Ambaffadeur
Impérial , & ceux des Etats Géné
raux. Voici maintenant la fubftance plus
détaillée de ces mêmes articles . En les lifant
, il faut fe rappelier attentivement tout
ce qui a précédé , & qu'en abandonnant 14
prétentions , dont entr'autres celle fur Maëftricht
, fans aucun équivalent pécuniaire ,
l'Empereur , il y a un an , s'étoit borné à
réclamer la liberté illimitée de l'Efcaut & la
navigation dans les deux Indes.
I. Il eft convenu , que les Etats- Généraux acquitteront
9,5000,000 florins , argent courant
( 131 )
de Hollande , pour l'indemnité de Maëlricht
& de fon territoire , les bans de St. Servais y
compris , ainsi que le Comté de Vroenhoven ';
& 500 mille florins , même cours , pour compenfation
des dommages caufés par les inone
dations . Trois mois après la ratification du
Traité , les Etats Généraux feront payer à la
Caifle Impériale de Bruxelles , la fomme de
1250 mille florins de Hollande ; fix mois après
pareille fomme ; & ainfi , de fix mois en fix
mois , jufqu'à l'extinction totale defdites deux
fommes , faifant enſemble celle de dix millions
de florins , argent courant de Hollande .
II. L. H. P. céderont à S. M. Imp. le Ban
d'Aulne , fitué dans le Dahlem Hollandois ; &
fes dépendances , & la Seigneurie ou le chef.
Ban de Bligny -le -Trembleur , avec St. André ,
le Ban & Seigneurie de Bombay , la Ville &
Château de Dahlem avec fes appartenances
excepté Ooft & Cadier ; fous la réferve qu'il
en fera fait compenfation dans les échanges de
convenance refpective , à faire dans le pays
d'Outre- Meufe.
III . Les limites de la Flandre demeureront
au terme de la Convention de 1664 , & , s'il
en étoit qui , par le lips du temps , puffent
avoir été ou être obfcurcies , il fera nommé
des Commiffaires de part & d'autre pour les
rétablir.
IV. L. H. P. feront régler , de la maniere
la plus convenable , à la fatisfaction de l'Empereur
, l'écoulement des eaux du Pays de S.
M. en Fiandres & du côté de la Meufe , afin
de prévenir , autant que poffible , les inondations
, en confentant qu'à cette fin , il ſoit fait
ufage fur un pied raifonnable , du terrein ,.
néceffaire , même fous la demination de L, H
•
£ 6
( 132 )
P. Les éclutes , qui feront conftruites à cet
effet , fur le territoire des Etats- Ginéraux ,
refteront fous leur fouveraineté ; & il n'en fera
conftruit dans aucun endroit , qui pourroient
nu're à la défenſe de leurs frontieres .
Il fera nommé refpectivement des Commiffaires
, qui feront chargés de déterminer les
emplacemens les plus convenables pour lefdites
éclutes . Ils conviendront enſemble de celles
qui devront être foumises à une régle commune .
V. L. H. P. ayant déclaré , par une de leurs
réfolutions , que leur intention étoit de dédommager
deux des fujets de S. M. Impériale , qui auroient
fouffert par des innondations , elles affectent
à cet objet les 500 mille florins de Hollande ,
dont il a été fait mention dans l'article premier.
VI. L. H. P. reconnoiffant le plein droit de
fouveraineté abfolue & indépendante de S. M.
Impériale fur toute la partie de l'Escaut , depuis
Anvers jufqu'au bout du pays de Saftingen ,
conformément à la ligne de 1664 , laquelle on
eft convenu de couper , ainfi que l'indique la
ligne jaune S. T. , laquelle retombe en T. fur
la limite de 1664 du côté du Brabant ; ſuivant
que l'indique la Carte fignée par les Ambaffa
devrs refpectifs . Les Etats - Généraux renoncent
en conséquence à la perception & levée d'aucun
péage & impôt dans cette partie de l'Escaut , à
quel titre & fous quelle forme que ce puiffe
être ; de même qu'à y gêner en aucune maniere
la navigation & le commerce des fujets
de S. M. Impériale , fans que ceux - ci puiffent
y donner plus d'étendue qu'il n'en eft accordé
par le traité de Munter du 30 Janvier 1648 ,
lequel demeurera à cet égard dans fa force &
vigueur.
VII. L. H. P. évacueront & démoliront les
( 133 )
Forts de Kruis Schans & de Fréderic Henri ,
& en céderont le terrein à S. M. Impériale.
VIII. L. H. P. voulant donner à S. M. l'Em- .
pereur , une nouvelle preuve de leur defir de
rétablir la plus parfaite intelligence entre les
denx Etats , confentent à faire évacuer & à
remettre à la difpofition de S. M. Imp. les Forts
Lillo & de Liefkenshoek avec leurs fortifica- .
tions , dans l'état où ils le trouvent ; les Etats-
Généraux ſe réſervant d'en retirer l'artillerie &
les munitions de toute efpece.
IX. L'exécution des deux articles ci - deſſus ,
aura lieu fix femaines après l'échange des ratifications.
X. Les Etats- Généraux s'étant prêtés au defir
, que l'Empereur leur a témoigné , d'avoir
les Forts de Lillo & de Liefkenshoek dans l'état , ·
où ils fe trouvent , L. H. P. attendent de l'amitié
de S. M. Impériale , qu'Elle voudra bien leur
céder & abandonner tous les droits , qu'Elle a pu
former fur les villages dits de Rédemption , autres
que ceux dont Elle peut déjà avoir difpofé
par des échanges avec la Principauté de Liege.
M. le Comte de Mercy , ne fe trouvant pas
fuffisamment inftruit , a bien voulu , à fa demande
& fur la priere du Médiateur , prendre
cette propofition ad referendum .
XI. S. M. renonce aux prétentions qu'Elle
avoit formées fur les bans & villages de Bladel
& Reuffel.
XII. M. le Comte de Mercy demande , que
le village de Poftel , qu'il dit déjà foumis à la
domination de l'Empereur , foit cédé à S. M.
Imp . par les Etats- Généraux , qui renonceront
à cet effet à toute prétention ; bien entendu que
les biens de l'Abbaye de Pofte !, fécularifés par
les Etats Généraux , ne pourront être réclamés.
( 134 )
差
MM. les Ambaffadeurs de Hollande ont bien
voulu à la priere du Médiateur , prendre cet
article ad referendum .
XIII. Il eft convenu , que les prétentions pé--
cuniaires de Souverain à Souverain font compenfées
& abolies : Et , quant à celles que les
particuliers auront à réclamer de part & d'autre ,
il fera nommé des Commiffiires pour les liquider.
XIV. il fera nommé également des Commiffa'res
, pour reconnoître les limites du Brabant
& pour convenir de gré à gré des échanges , qui ,
pourroient être d'une convenance mutuelle .
XV. Le traité du Munfier du 30 Jarvier
1648 , fervira de bafe au futur traité définitif,
qui devra être conclu dans l'espace de fix femaines
: Et toutes les ftipulations dudit traité
du Munster feront confervées , en tant qu'il n'y.
aura pas été dérogé. MM. les Ambafiadeurs des
Etats- Genéraux demandent le rappel du traité
de 1731. & notamment de l'article V. M. le
Comte de Mercy n'a pas jugé devoir s'y prêtet.
» Les articles ci-deffus ont été rédigés en
préfence du Comte de Vergennes , nommé
" par S. M. Très - Chrétienne , pour remplir les
fonctions de Médiateur ; & ont été foufcrits,
» par les Ambaffadeurs fouffignés , fous l'ap-
» probation de l'Empereur & des Etats- Géné-
» raux » . Fait à Paris le 20 Septembre 1785 .
Pour l'intelligence de la derniere partie de
l'article 15 , il faut fe rappeller que , par ce
Traité de Vienne de 1731 , que réclame la
Hollande , la Maifon d'Autriche s'engagea
avec l'Angleterre & avec la République à
faire ceffer dans les Pays- Bas tout commerce
avec les Indes Orientales.
+
Le Stathouder s'eft rendu de Breda à
( 135 )
Lewarde en Frife , auprès de Madame la
Princefle d'Orange & de fa famille. L'on ne
prle point encore du retour à la Haye de
S. A. S.
Le vieux Général Van der Duin de Maafdam
, le plus ancien des Généraux de la République
, eft décédé à Breda , dont il étoit
le Gouverneur , à l'âge de 65 ans. Le commandement
de Breda paffe , dit- on , à M. de
Maillebois , & le Prince de Heile Philipstadt
aura le Régiment des Gardes - Dragons
dont M. de Maafdam étoit Colonel.
Les lettres remifes par l'Envoié de Pruffe ,
aux Etats Généraux & aux Etats de Hollande,
de la part de S. M. P. font de la teneur
fuivante , fuivant la traduction littérale
qu'en donnent les Gazettes Hollendoifes.
Nous
FREDERIC , & c . & c . & c. Après que
Nous eûmes communiqué à V. H. P. nos inquiétudes
& intentions par Notre Lettre détaillée
, du 29 Février de l'année derniere , à l'égard
de la pofition défagréable , dans laquelle fe
trouve depuis quelque temps , le Seigneur
Stadhouder- Héréditaire , Prince d'Orange &
de Naffau ; & que Nous eûmes reçu à ce fojet
de la part de V. ' H. P. , par leur réponſe du
31 Aôut de la même année , des affurances fi
agréables touchant cette affaire , Nous avions
efpéré que les mêmes circonftances n'auroient
plus lieu ; mais au contraire , que ledit Scigneur
Stadhouder- Héréditaire feroit laiffé dans
l'exercice tranquille de fes prérogatives inconteflables
, appartenantes à fa dignité de Stad-'
houder-
Héréditaire . Mais comme nous apprenons
le contraire , & même des avis très- défa(
136 )
vorables de quelques-unes des Provinces de V.
H. P. , Nous expédions aux Seigneurs Etats
de la Province de Hollande & de Weftfriſe
la Miffive ci - jointe par copie.
Convaincus de l'équité de V. H. P. & de
leur affection pour la Maifon d'Orange & de
Naffau , fi bien méritée dans tous les Etats des
Provinces - Unies , Nous prions V. H. P. , trèsinftamment
, comme voifin & ami , de s'interpofer
dans les événemens défagréables actuels ,
& de s'adreffer avec zele , tant aux Seigneurs
Etats de Hol ande & de Weftfrie , qu'aux Etats
des autres Provinces , où befoin fera , afin que
le Seigneur Stadhouder Héréditaire jouiffe tranquillement
des droits , à lui appartenans héréditairement
, que ceux qui lui foni ôtés lui foient
rendus , & qu'une parfaite harmonic loit retablie.
Ainfi Nous recommandons par celle - ci , de.
la maniere la plus férieuſe à V. H. P. , le bienêtre
& les intérêts du Seigneur Stadhouder-
Héréditaire , de Notre chere Niece & de leur
Famille , qui donne tant d'efpérances ; qu'ainfi
V. H. P. vuillent bien prendre en délibération
, & faire confidérer aux Seigneurs Etats
refpe&tifs , que Nous ne faurions être indifférent
, à l'égard da fort non mérité que fubiffent
des Perfonnes qui Nous appartiennent de
fi près ; mais au contraire , que nous veillerons
à la confervation du bien - être qui leur eſt dû ,
& à quoi Nous devons contribuer par tout ce
qui Nous eft poffible . Pour cet effet ; Nous
préfentons également Notre médiation impartiale
, en qualité d'ami & voifin , & avec les
meilleures intentions. Nous espérons de voir
que par la fuite , Nos voeux feront remplis à
cet égard , & dans cette attente , Nous demeurons
affectionnés en tout temps à Vos Hautes ,
( 137 )
Paiffances , comme ami & voihin. A Berlin ce
18 Septembre 1785. FREDERIC ..
( Plus bas ) FINCKENSTEIN , HERTZBERG .
Seconde lettre de Sa Majefté le Roi de
Pruffe à Leurs Nobles & Grandes Puiffances
les Etats de Hollande & de Weftfrife.
Nobles Puiffans Seigneurs , & Particuliers
bons Amis & Voifins , &c .
·
NOUS FREDERIC , par la grace de Dieu ,
Roi de Pruffe , Margrave de Brandebourg
&c. &c. &c. Après les affurances à Nous communiquées
par les Seigneurs Etats Généraux des
Provinces-Unies , dans leur réponse du 30 Acât
de l'année derniere , Nous Nous fommes tenus
affurés qu'on ne penferoit plus dans aucune des
Provinces-Unies , à faire quelque infraction à
la jouiffance & à la poffeffion des droits légitimes
du Seigneur Stadhouder Héréditaire ,
Prince d'Orange & de Naffau , à lui finalement ,
dévolus. Notre furpriſe & Notre regret ont été
plus grands , lorfque Nous avons appris , contre
toute attente, qu'on a ôté récemment au Seigneur
Stadhouder-Héréditaire le Commandement de
la garnifon de la Haye , lequel appartient cependant
indifputablement à la dignité d'un Stadhouder
Héréditaire & Capitaine - General ; &
que les affaires paroiffent portées au point ,
qu'on cherche encore à le démettre fucceffive .
ment des droits les plus effentiels & les plus
importans du Stadhouderat Héréditaire , & de
n'en laiffer fubfifter que le fimple nom & l'ombre.
Nous ne fommes pas en intention de Nous
mêler des circonftances intérieures de votre Etat
libre , ni de prévenir V. N. & G. P. dans l'exercice
de leurs droits Souverains : mais au coutraire
nous fommes convaincus de leur équi-
4
( 138 )
té & amour pour la juftice ; mais , Nous ne
pouvons être indifferent au fort d'un Prince &
de fa Maiion , qui Nous appartient de fi près :
d'autant plus que nous fommes affurés que le
Seigneur Stadhouder - Héréditaire n'a pas donné
la moindre raiſon , ni occafion à un traitement
auffi pu mérité ; mais au contraire qu'il a fait
tout ce qui cft poffible afin d'exerce avec dignité
fes hautes Charges , de contribuer au
bien- être de l'Etat entier , de mériter & s'attirer
la confiance & l'attachement des Seigneurs ›
Ears refpectifs : A quai Nous l'engageons de
la maniere la plus forte dans toutes les occafions
quelconques. Comme nous prenons de
même un intérêt très vif au, bien - être & à la
tranquillité d'une République auffi refpectable
& Notre voiline ; ainfi Nous prions & exhortons
V. N. & G. P. par les préfentes , encore
très-inſtamment & avec réitération de tout le
contenu de Notre ample Miffive , envoyée pár
Nous le 29 Février de l'année derniere , aux
Seigneurs Etats- Généraux des Provinces- Unies
des Pays-Bas , qu'elles veuillent le mettre fur
un meilleur pied , & plus amical avec le Seigneur
Stadhouder- Héréditaire , en écartant tout
ce qui a eu lieu jufqu'ici , probablement par :
méfintelligence & précipitation , de rétablir la
primitive heureufe union & la confiance réci
proque ; de laiffer le Seigneur Stadhouder Hé
réditaire dans l'exercice paifible des droits &
prérogatives à lui dévolus & à fa Maiſon , finalement
par droit d'hérédité comme Stadhouder-
Héréditaire , Capitaine & Amiral -Général , de
ne plus l'y troubler ; mais au contraire , de lui
rendre ce qui lui en a été ôté .
Si V. N. & G. P. étoient d'intention pour le
bien -être de leur Province , de faire quelques
( 139 )
changemens efficaces à cet égard , dans le Gou.
vernement des affaires publiques & intérieures ;
il ne leur fera pas pénible de le réunir à ce fujet
avec le Seigneur Stadhouder -Héréditaire , fans
infraction fur les droits : Tandis qu'aflurément
il témoignera être porté à tout ce qui eft jufte
& avantageux pour l'Etat , lorfque V. N. &
G. P. voudront feulement s'entendre avec Li
à cet égard.
*
Et fi Nous pouvions y contribuer par Notre
médiation , & que V. N. & G. P. vouluffent
"Nous remettre à cet égard leur confiance , Elles
peuvent être affurées que Nous Nous en acqui ,
terions avec autant de zele que d'impartialité
& d'attachement , non -feulement comme allié
de la Maifon d'Orange & de Naffau , mais auffi
comme un ami & comme voifin des Provinces-
Unies.
A ces Cauſes , Nous confeillons à V. N. &
G. P. de la maniere la plus férieuſe , de s'atacher
fans prévention à tout ce qui eft ci - deffus ,
& de fatisfaire Nos defirs par une réponſe agréa
ble ; par contre , Nous affurons V. N. & G. P.
que par la fatisfaction de cette Notre attente ,
Nous leur referons attaché avec l'amitié &
l'eflime la plus pure d'un veifin.
A Berlin le 18 Septembre 1785.
On mande de Cologne , en date du 26
Septembre , les détails fuivans , dont nous
ne garantiffons pas l'authenticité.
On dit que les Commiffaires de marché partiront
de Bonn le 27 pour le Duché de Limbourg
, afin de tout difpofer pour le paffage des
troupes Autrichiennes , qui fe rendent dans les
Pays - Bas. Nous apprenons auffi que la deuxieme
du corps franc de Brentano , qui n'eft compofée
que d'infanterie , ainfi que la troifieme , arri(
140 ).
vera ici par cau vers le 15 du mois prochain.
La premiere colonne , qui eft divifée en deux
efcadrons de 500 huffards chaque , le rendra
par Luxembourg dans les Pays - Bas. Cette cojonne
mene avec elle beaucoup de chariots ,
fur lefquels fe trouvent des uniformes & autres
montures pour les Régimens de Preifs & de
Teutelmeister qui font aux Pays - Bas , Le coftume
& l'air farouche de ces guerriers infpire
l'effroi . Cependant ils obfervent la plus exacte
difcipline.
Les Régimens de Stein & de Langlois qui
forment environ 7000 hommes , prendront leur
route par Munich , Gunzbourg & Luxembourg.
Celui de Durlach eft de 2893 hommes , outre
une compagnie de canoniers de 188 hommes ,
qui ont à leur fuite deux pieces d'artilleries de
12 livres de balles & 14 de fix , outre plufieurs
chariots de bagages. Le Régiment de Brechainville
eft à peu près de même nombre.
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
Un trait d'infubordination , qui a éclaté il y
a quelques jours à Anvers , y avoit donné des
inquiétudes d'autant plus vives , que bien des
foldats paroiffoient le partager. Un d'eux à la
parade , mécontent de fon Officier , l'a percé
d'un coup de bayonnette ; & , quoique le fupplice
du coupable n'ait pas tardé à venger ce
crime , le murmure prefque général du Régiment
, & même de la Garnifon annonçoit un ,
relâchement inquiétant dans la difcipline; à quoi
il faut encore ajouter l'immenfe défertion , bien
prouvée par toutes les précautions humiliantes ,
prifes pour l'arrêter . Auffi écrit- on des Pays Bas-
Autrichiens , que , depuis la nouvelle de la figna(
141 )
ture des points préliminaires , on s'occupe de
ramener dans l'intérieur des Provinces la plus
part des Régimens qui bordoient les frontieres .
Caufe extraite du Journal des Caufes célébres ( 1 ).
Procès criminei entre Parens à l'occafion d'une
coeffe.
"
"
L'Ordonnance de Moulins , dit M. des Efarts
, enjoint aux parens de prendre des Arbitres
pour le jugement de leurs procès. C'étoit
une belle & tage injonction , bien conforme
aux droits de la nature , & bien digne du
Chancelier de l'Hôpital , auteur de cette Ordonnance.
Ce grand homme , à qui nous devons
nos premieres loix de police , étoit bien
perfuadé que les moeurs valoient mieux
les loix , & qu'où les moeurs étoient dépravées ,
les loix devenoient infuffiartes.
que
Il vouloit qu'une main fage & paisible éteigrit
promptement , entre les parens , les étinceles
de difcorde , fans bruit , & comme dans
l'ombre du toît domestique,
C'est dans ce cas , fur - tout , qu'est vraie la
triviale , mais fage maxime : qu'un mauvais
accommodement vaut mieux qu'un bon procès .
Mais fi la loi repouffe des tribunaux les parens
dans les affaires civiles , c'eft , fur- tout ,
dans les accufations criminelles qu'il faudroit
leur en interdire l'entrée : comment n'être pas
choqué de voir des parens s'accufer , fe diffamer
, & demander , à grands cris , l'infamie
ou la mort l'un de l'autre ? Auffi voyons- nous
que les magiftrats , s'ils ne peuvent fermer la
bouche à ces accufateurs effrénés , s'ils ne pruvent
impofer filence aux premières clameurs
des haines & des paffions , ils les renvoient ,
du moins , fans accueil & défarmés par l'impuiffance
de nuire , & punis par le dedain des
( 142 )
loix & le mépris de l'opinion publique .
La haine qui fuccède à l'amour eft la plus
violente , & les querelles qui naiffent entre
ceux qui doivent s'aimer , font les plus envenimées
& les plus furieufes ; mais il feroit
difficile de trouver une caufe plus légère &
"des effets plus atroces que dans l'affaire dont
on va lire une notice abregée.
Catherine Trotianne refta veuve , à Granville
, de Nicolas Georges , avec cinq enfans ;
Ambroife , Catherine , Marie- Claude , femme
de Colignon , Nicolas & Jean -Baptifte , tous
unis , établis , avancés & heureux par la tendreſſe
& la bonne conduite de leur mère.
Un nommé C .... , praticien , élève entre
Nicolas & Catherine , fur la propriété d'une
coeffe , un procès que la mère étouffe en payant
150 liv . de frais . Le fieur C .... avoit juré
de troubler cette famille pailible ; il s'oppofe
à l'homologation de la tranfaction , le 11 Septembre
1780 , fous prétexte que Nicolas , étant
infime , n'a pu tranfiger fans confeil. Le 11
Décembre , réquêre en plainte de Nicolas
contre fa mère , fon frere & fes foeurs , requête
odieufe , où la décence , la raiſon , la vérité font
indignement outragées. C'est une affreufe dénonciation
contre toute fa f mille , que l'on a fait
foufcrire à cet infortune , dont on a fafcine les
yeux , endurci le coeur , égaré l'efprit : les conclufions
de la plainte tendoient à l'interdiction de
´la mère , & à la réc ufion perpétuelle de la foeur.
Ordonnance , de L.... , beau- père de C ... ,
qui permet d'informer . Neuf Janvier , conclufions
de Nicolas à la civilifation , & à ce que
l'affaire foit jugée par trois gradués . Trois féances
, où fix gradués déclarent qu'il n'y a pas
lieu à prononcer de décret , fauf aux parties à
1
"
( 143 )
•
fe pourvoir par la voie civile. Enfin , avec
deux gradués ignorans ou complaiſans , L....
le 12 Février 1781 , décrète d'affigné pour être
ouis la mère , Ambroife , Catherine & Marie-
Claude , femme Colignon . Réponses , appel ,
décret d'ajournement perfonnel , puis de prife
de corps contre les fours , le frere & la mère
même. Pour l'excufer , on difoit que le forfait
étoit fi terrible , fi inconcevable , que l'accufation
s'en éclipfoit à la lueur des premiers mouvemens
qu'excite dans les ames droites le feul inſtinct de
la vertu. Ainfi la malice d'un feul homme
excitée par un reffentiment dont la cauſe eft
on ne peut pas plus frivole , transforme toutà-
coup une famille paifible & honnête en une
troupe d'ennemis , arme le fils contre la mère,
& feme , au milieu d'eux , l'opprobre & le
malheur. Tous fuient , hors la femme Coligron
, qui , allaitant , fon enfant , fut traînée
en prifon. Arrêts qui ordonnent fa liberté provifionnelle
; refus d'obéir . Arrêt du 3 Avril ,
portant la mise en caufe de L .... & de C ...
à la requête du miniſtère public , lequel conclut
contr'eux à une interdiction perpétuelle , & à
1000 livres d'aumône chacun , au profit des
enfans trouvés ; contre Nicolas Georges , à un
emprisonnement de trois mois , & à 1000 liv.
de dommages & intérêts ; & enfin à ce que
la requête en plainte , du 11 Décembre 1780 ,
Sera livrée entre les mains de l'exécuteur de la
haute juftice pour étre par lui brûlée au pied du
grand efcalier du pa'ais . L'arrêt a été moins févère
, parce que Nicolas , accufateur , a été confidéré
comme un imbécille ; peut - être encore
parce que le motif , qui ne permet pas aux
parens de s'accufer , influe fur la douleur de
leur condamnation , lors même qu'ils le vio(
144 )
-lent ; & c'est dans cet e prit qu'on n'adjuge
point d'indemnité à la mère. M. Mollavaut ,
Avocat éclairé & courageux des acc fés , ter-
-minoit alnfi fon Mémoire : « Périffe à jamais
ce monument honteux , l'ouvrage de la méchanso
ceré , l'effroi de toutes les familles , l'opprobre
de l'bumanite! Que tous les veftiges , s'il eft
poffible , en foient anéantis ; un exemple
» éclatant eft digne du zèle dont les fages
Magiftrats , arbitres de nos deftinées , font
animés pour le maintien des bonnes moeurs
» & le repos de la fociété »,
Auffi les Magiftrats fe font empreffés d'anéantir
cet oeuvre de délire & d'iniquité. L'Arrêt
du Parlement de Nancy , du 30 Juin 1781 ,
a jugé qu'il avoit été mal & nullement permis
d'informer , & a caffé les décrets & toute la
-procédure. Il a condamné Nicolas en 200 liv.
de dommages - intérêts envers fa foeur , femme
-de Colignon , & en 50 livres envers la four
Catherine & fon frere Ambroise. 11 a été or- .
donné que la plainte de Nicolas feroit lacérée ,
par l'Huiffier de fervice , à l'Audience de la
Cour : Nicolas a été condamné en 10 livres
d'aumône ; défenfes au fieur L.... de faire
les fonctions de Juge ; & le nommé C…... , fon
gendre , a été interdit , pendant dix ans , des
fonctions d'Avocat , & l'impreffion & affiche de
l'Arrêt ordonnées .
ERRAT A.
Dans le dernier Journal , pag 81 , dig. 29 ,
cent mille livres ; lifez cent livres.
-J,7
JOURNAL
POLITIQUE ·
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 30 Septemb.
ON
Na lancé le 24 un yaiffeau de 74 can. ,
nommé le Nordftiern [ l'Etoile du Nord ]
La veille étoient arrivés deux bâtimens
des Indes orientales , & un des Indes occi- '
dentales. Le même jour 24 , les Actions de
la Compagnie d'Afie valurent à la bourſe
850 rixdalers , & celles des Indes occidentales
218 à 210.
Le Prince héréditaire , & la Princeffe fon
époufe font revenus le , 19 à Chriftianfbourg
de leur voyage à Schwerin .
Nous avons déjà reffenti les atteintes de
l'hiver & une forte gelée , dans la nuit du
20 , a beaucoup endommagé le jardinage.
RUSSI E.
DE PÉTERSBOURG , le 29 Septemb.
Le Comte de Cortz , Miniftre du Roi de
N°. 43 , 22 Octobre 1785. g
( 146 )
1
Pruffe , a communiqué dernierement à notre
Cour le traité de contédération , conclu par
S. M. P. avec les Electeurs de Saxe & d'Havovre.
La Réponſe verbale du Comre d'Ofterman
, au nom de l'Impératrice , étoit conçue
en ces termes :
J'ai mis fous les yeux de l'Impératrice la Déclaration
confidentielle , que vous avez été chargé
de me communiquer par ordre de votre Cour. Sa
Maj . Impériale , très- fenfible à cette attention
de S. M. le Roi de Pruffe , ne croit pouvoir
mieux répondre à une pareille ouverture , qu'en
lui avouant avec la franchiſe , qu'Elle eft accoutumée
de témoigner en toute occafion à fon ami
& à fon allié , que ne voyant point la conftitution
Germaniqne menacée de quelque danger , & la
croyant fuffifamment garantie par les Traités de
Weftphalie & de Tefchen , auffi bien que par les
affurances folemnelles , qu'Elle vient de donner`
en même temps que l'Empereur , Elle a de la
peine à fe perfuader , que l'affociation formée ,
qui pourroit fi aifément répandre de la méfiance
entre les Etats eux-mêmes , puiffe contribuer à
confolider davantage le maintien de la conftitution
& de la liberté des Etats d'Allemagne.
L'efcadre d'Archangel , aux ordres de
l'Amiral Spiritof , & celle de la Baltique ,
commandée par le Vice - Amiral Krufe , font
rentrées à la rade de Cronstadt , où l'on s'occupe
du défarmement de ces vaiffeaux..
Le Prince Potemkin eft nommé Amiral
de la mer noire. En cette qualité , il ne
dépendra point de l'Amirauté , mais il fera
tenu de rendre compte de loin en loin à
l'Héritier du Trône , qui eft Grand - Amiral
( 147 )
-
de Ruffie ; toutefois , fans être refponfable
à d'autres qu'à l'Impératrice. Six millions de
roubles lui font affignés pour les dépenfes
de fon département. Le Prince a diftribué
à fes connoiffances une defcription de la
Crimée , écrite en langue ruffe ; elle forme
un volume in folio de détails minutieux .
Les Miniftres de Vienne , de Verlailles &
de Londres ont reçu le préfent d'un exemplaire
de cet ouvrage.
•
.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 8 Octobre.
La Ducheffe , Douairiere de Holftein-Oldenbourg
, arriva ici , le 22 du mois dernier,
à l'hôtel épifcopal , où elle s'eft propoſée de
faire fa réfidence .
Une lettre particuliere de Conftantinople ,
en date du 25 Août , renferme les particularités
fuivantes :
·La marine ruffe fur la mer noire devient formilable
tous les jours , & la Porte ne paroît pas
être fans inquiétude de ce côté- là . Une eſcadre ,
confiftant en un vaiffeau de ligne & 12 frégates ,
a fait une croifiere le long des côtes ; elle s'en
eft tellement approchée , qu'on a pu la voir trèsdiftin&
tement paffer devant Synope. On croit qu'à
fa rentrée dans le port de Schaftopolis , dans la
Crimée , elle y trouvera le navire amiral qu'on
y conftruit fort avancé , & que dès qu'il fera prêt
à mettre en mer , cette efcadre fera une feconde
croifiere , aux ordres d'an Vice- Amiral. Les nou¬
g 2
( 148 )
velles de la Crimée portent les forces navales de
la Ruffie fur la mer noire à trois vaiffeaux de ligne
de 74 canons , deux autres de même grandeur
, qui font fur les chantiers de Cherfon , à
15 Frégates de 36 canons , juſqu'à 59 , & à
quatre ou cinq cotters .
Il n'y a eu aucun changement dans le Ministere
aprés les fêtes du Ramafan. Un événement
imprévu a rempli ici d'étonnement toutle monde .
Jufuf-Aga a été élevé à la dignité de Pacha à
trois queues , & fait Gouverneur de la Morée.
Ce Mofulman eft d'une très- baffe extraction ;
mais il est peu d'intriguans comme lui . Il avoit
fu gagner toute la confiance du Capitan - Pacha :
il étoit fon Agent à la Porte . Son maître étant
forti de Conftantinople la femaine paffée , pour
aller vifiter les travaux de la nouvelle fortereffe
conftruite près de Micevria , pour défendre l'entrée
d'une grande baie fur les côtes de la mer
noite , par laquelle il feroit facile aux Ruffes de
faire une defcente , Jufuf Aga , à l'infu du Capitan
- Pacha , fut promu à la dignité & au Gouvernement
dont je viens de parler . L'étonnement
que caufa cette promotion ne peut être exprimé,
Quelques- uns penfent qu'elle eft l'ouvrage des
ennemis du Capitan- Pacha , afin d'éloigner fon
confident d'auprès de fa perfonne ; il fera par là
obligé d'agir d'après fes propres talens ; & on
affure qu'il en a très-peu , & que tout ce qu'il a
fait de bon , il le doit aux confeils de fon Agent ;
c'est un moyen sûr de lui faire perdre la faveur
auprès du Grand Seigneur . Il lui reste encore
un autre excellent confeiller ; c'eft fon premier
Dragoman , Mo- Vrojeni ; celui - ci n'eft pas
moins intriguant que Jufuf- Aga , & il partageoit
avec lui la confiance du Capitan- Pacha . On
travaille à lui êter encore cet homme de confiance,
( 149 )
Il y a quelques mois que fon maître lui avoit
promis de le faire nommer Hofpodar de Valachie
ou de Moldavie ; il avoit manqué l'une &
l'autre de ces dignités , parce que les Grecs , qui
en furent avertis à tems , firent agir le Mufti-
Mollae Bey , alors régnant , & qui s'oppofa efficacement
à cette nomination . Mais le Dragoman
n'a pas perdu encore l'efpoir de réuffir ; il follieite
continuellement , & les ennemis du Capitan
Pacha le ferviront aujourd'hui de tout leur
crédit
La Porte a une affaire très - défagrable fur les
bras. Un certain Aly Pacha , Gouverneur de
Ganina , de Delphina en Albanie , n'obiffant aux
ordres qu'il recevoit de la Porte , qu'autant qu'il
le vouloit bien , fut privé par le Miniftere du
premier de ces Gouvernemens ; il en fut même
chaffé avec violence par Court - Pacha , qui le
força de fe retirer à Delphina . Arrivé dans ce
fecond Gouvernement , il ne fongea qu'à fe
venger du Court - Pacha. Pour y parvenir sûrement
, il s'eft lié fecrettement avec Mahoud-
Pacha , qui , au retour de fon expédition contre
les Montenegrins , a réuni fes forces aux fiennes .
Ces deux Rebelles ont formé une armée de so
mille hommes , & ont été chercher Court- Pa-`
cha , qui s'eft retiré derriere les montagnes du
diftri &t d'Albafan. Ce dernier fe trouvant beaucoup
plus foible que les deux ennemis , a donné
avis à la Porte de fa fituation critique , & domande
du fecours pour le foutenir. Les troupes
des deux rebelles commettent toutes fortes d'in
dignités & de cruautés ; elles ont pilié & facagé
plufieurs villages , mis le feu aux récoltes &
aux maifons & ont maffacré plufieurs fujets de
Court Pacha.
Pendant l'année 1784 il a été exporté du
g 3.
( 150 )
port de Rostock pour la valeur de 384624
rixdalers & 32 shellings de marchandifes.
En 1783 la valeur des marchandifes d'expor
tation étoit de 538,650 rixdalers .
Un Journal de commerce expofe les obfervations
fuivantes , relativement à l'intérêt
de l'argent.
Au commencement du dix - feptieme ficcle ,
-l'intérêt de l'argent étoit dans toute l'Europe de
10 à 12 pour cent , â l'exception de la Hollande
, où en 1621 , on n'en payoit que 6. Au
commencement de ce fiecle , il étoit à un &
demi , & un & trois quarts pour cent : jamais le
taux de l'intérêt n'y a été plus bas ; il y feroit
refté probablement fans les emprunts confidérables
qui ont été faits en Hollande pendant les
trente dernieres années. On affure pofitivement
qu'en 1779 , les emprunts faits à Amfterdam
Rotterdam , Middelbourg & Utrecht , monterent
à la fomme de deux cens cinquante millions de
florins. Cette fomme s'eft beaucoup accrue depuis
cette époque. En 1655 , on a reduit en
Hollande les intérêts des dettes de l'Etat de 5 à 4
pour cent & enfuite à 2 & demi'pour cent , &
aujourd'hui ils font encore à ce dernier taux.
On estime que depuis la découverte de l'Amérique
, les intérêts de l'argent font tombés dans
la Hollande de trois quarts , & dans le reste de
PEurope de demi.
•
DE BERLIN , le 7 Octobre.
S
Les Régimens de cette Garnifon , qui
s'étoient rendus à Poftdam , pour y exécuter
les manoeuvres , font rentrés ici depuis
plufieurs jours. Le jour même de leurs exer(
(-151 )
cices , le Roi fe trouva affez indifpofé ; indifpofition
qu'on attribua au froid, & à une
mauvaiſe digeftion, Peu de temps après , la
goutte s'eft déclarée . En l'abfence de Sa Maj .
le Prince Royal & le Prince Frédéric de
Brunſwick préfiderent à l'exécution des manoeuvres.
S. M. eft aujourd'hui parfaitement
- rétablie.
On remarque toujours la plus grande
activité dans le cabinet. Les Miniftres travaillent
, même une partie de la nuit.
On a compté l'année derniere dans la Poméranie
Pruffienne une population de
428,451 perfonnes de l'état civil , 18,100
hommes de troupes , & 12,974 femmes &
enfans militaires & domestiques.
DE VIENNE , le 7 Octobre. ¿
L'Empereur a porté les peines les plus
féveres contre les fuicides. Tous ceux qui
feront furpris dans le projet d'attenter à leurs
jours , feront enfermés dans la Maifon de
force , & condamnés enfuite à ballayer les
rues de la Capitale.
On vient de publier un Décret de la Cour,
par lequel S. M. Imp. , pour encourager les
établiffemens de manufactures & de fabriques
, qui jufqu'ici n'avoient pas exifté dans
fes Etats , promet aux Négocians & Manufacturiers
nationaux des avances en argent ,
moyennant 3 & demi pour cent d'intérêts ,
Jefquels cependant leur feront remis pour
g 4
( 152 )
la premiere année. En outre , ceux des
Manufacturiers qui fe feront diftingués par
la perfection & par la quantité de leurs
marchandifes , recevront des gratifications
& autres encouragemens particuliers.
On a établi deux nouvelles Douanes ,
l'une à Gratz pour la Stirie & la Carinthie ;
l'autre à Laybach pour la Carniole , la Croatie
, Triefte , Fiume , & c .
L'
L'Empereur a nommé le Comte Okelli ,
fon Chambellan, pour aller réfider à la Cour
de Drefde , en qualité de Miniftre Plénipotentiaire.
Le Baron de Schoenfeld , Miniftre
Plénipotentiaire de l'Electeur de Saxe à la
Cour de France , viendra réfider ici dans la
même qualité,
La fucceffion du feu Lieutenant- Général
de Braun , léguée à l'établiffement des pauvres
dans cette Capitale , monte , déduction
faite des legs , à la fomme de 101,826 florins.
Les intérêts de ce fonds feront diftribués par
an de préférence à ceux des citoyens de la
Capitale , qui ont effuyé des malheurs & qui
méritent qu'on s'intéreffe à leur fort.
L'Empereur a établi à Bude une Direction
de navigation pour le Royaume de Hongrie.
Cette Direction eft chargée de tous les travaux
fur les rivieres , & elle connoîtra de
toutes les affaires relatives à cette partie.
Le grand Référendaire , chargé de l'inſpection
des écoles publiques , a obfervé au Gouvernement
que de 17000 enfans qu'on pouvoit compter
dans la capitale , il n'y en avoit pas 7000
1
( 153 )
qui fréquentaffent les écoles ; que les parens à
qui on faifoit des reproches , s'excufoient fur le
trop grand éloignement où la plupart fe trouvoient
de ces écoles , qui ne leur permettoit pas
d'y envoyer leurs enfans pendant l'hyver. L'Empereur
ayant égard à ces femontrances , a ordonné
qu'il feroit établi de nouvelles écoles dans les
différens quartiers ; qu'on emploieroit à cet établiffement
1400 florins que retireroient annuellement
les Pierriftes pour la tenue des petites
écoles , & que le refte feroit pris de fon tréfor.
L'état de confcription générale de la Gallicie
porte la population de cette province ,
non compris la Buckowine , à 3 millions ,
501,719 perfonnes , dont la Nobieffe pour
19,427 individus , le Clergé pour 4,858 , les
Etrangers domiciliés , pour 17,440 , & les
Juifs pour 193,399 .
D'après la nouvelle information , la Magiftrature
de Vienne eft compofée de 122
individus , au nombre defquels on compte
un Bourg- mestre , 2 vice - Bourg meftres.
42 Confeillers , 13 Secrétaires , &c. L'état
des appointemens eft porté à 990,400 flor,
Le traitement du Bourg- meftre eft de
4000 florins.
Le Magiftrat de Prague eft formé fur le
pied de celui de Vienne ; il eft compoté de
83 individus , dont 1 Bourg mestre , 2
vice Bourg mestre , 20 Confeillers , 8
Secrétaires , &c. Les appoinremens annuels .
font portés à la fomme de 5 , , soo florins ;
le Bourg-meftre en tire 2,500.
gs
( 154 )
DE FRANCFORT , le 13 Oftobre.
Le 30 Septembre , le Prince Maximilien
des Deux Ponts a époufé , à Darmſtadt , la
Princeffe Augufte, fille du feu Prince George
de Heffe Darmstadt , âgée de 20 ans.
Le Général Comte de Colloredo arriva
à Munich le 24 du mois dernier. A cette
époque , les troupes de l'Empereur , qui
devoient traverſer la Baviere , montoient à
11,500 hommes.
L'Electeur de Cologne eft parti de Bonn
le 28 Septembre , fous le nom de Comte de
Stromberg , pour fe rendre à Vienne. S. A. E.
eft accompagnée par le Baron de Forftmeifter
, fon Grand - Ecuyer.
Il est tombé à Altenrandsberg , depuis trois
heures de l'après- midi jufqu'à fix , une fi grande
pluie , que les eaux ravagerent les environs à
une lieue & demie à la ronde. Beaucoup de
maifons & de granges remplies de bled & de foin
ont été renversées & emportéés par le torrent.
On a compté 12 perfonnes péries à cette occasion,
Un Journal d'économie publique vient
de rendre public en ces termes , l'ufage à
faire du charbon de terre dans la conftruction
des murailles,
Le mortier préparé de fable & de chaux acquiert
plus de folidité en y mêlant du charbon
de terre réduit en poudre ; mais cette poudre eft
fur-tout recommandable pour le mortier fait de
ciment & de chaux , & employé fur les murs que
l'on veut élever dans l'eau , ou qui font exposés
( 155 )
à l'eau, puifqu'elle leurdonne ure plus grande fo
lidité & les rend impénétrables . Voici le mélange
néceffaire : on prend deux portions de ciment
pulvérisé , une de charbon de terre bien
réduit en poudre , & une portion & demie de
chaux détrempée ; ces portions font d'abord mêlées
enſemble , & enfuite bien remuées dans de
l'eau. Le mortier ou la pâte qui provient de ce
mélange durcit fucceffivement , & réfilte abfolument
à l'action de l'eau.
Le 3 de ce mois , le fieur Blanchard s'eft
élevé dans un Ballon de 40 pieds de haut ,
fur 24 de large , avec fon parachûte , fon
chien , & c. &c.; it a pris terre deux heures
après à Weilboxrg , à huit lieues de notre
Ville , où il eft revenu immédiatement , &
où il a été extraordinairement fêté.
Un Journal Politique préfente les relevés fuivans
de Population . On comptoit en 1781 , dans
le Diocèle de Brixen 222,778 ames , dont 845
Individus du Clergé féculier , & 1,048 du Clergé
régulier. La Popularion de la ville de Brixen
étoit alors de 3,805 ames.
Le Diocèfe de Cenfance renfermoit en 1779 ,
une Population de 8 97,624 ames . Le Clergé
étoit au nombre de 8,90 : Individus , dont 6,068 .
Religieux & Religieufes .
D'après les regiflres mortuaires de Stockolm
, il y eft mort dans les 8 dernieres an.
nées 26,496 perfonnes , ce qui fait par an
le nombre moyen de 3312 .. Les fievres inflammatoires
en ont enlevé 214 ; les fievres
putrides 86 ; la petite.vérole 161 ; la phtile
463 , On compre communément 39 femmes
qui meurent en couche par année. A
86
( 156 )
Stockolm les morts font aux vivans comme
un à 20 , 21 ou 22.
La ville de Minden renferme actuellement une
Population de 5,175 ames. Cette ville fait un
Commerce affez confidérable. La Rafinerie de
Sucre en fabrique par an pour 1,90,000 rixdalers,
la Fabrique de Bougies en débite annuellement
pour 3,600. Les deux Fabriques de Savon noir
pour 5,300. Indépendamment de ces Fabriques,
il s'y en trouve encore une de Drap & d'Etoffe ,
trois de Bonneterie , une de Tabac , & plufieurs
de Toile & de Coutil . →→→→ Le Commerce du Fib
de la ville de Lubek , dans la Principauté de
Minden , monte par an à deux cens cinquante:
mille rixdalers.
ITALI E.
DE VENISE , le 30 Septembre.
On affure que fur les plaintes de la République
à la Porte , touchant l'invafion du
Pacha de Scutari dans la Dalmatie Vénitienne
, le Divan a déclaré au Baile qu'il
blâmoit la conduite du Pacha , & qu'on donneroit
à la République une fatisfaction convenable
, en le puniffant comme il le méritoit.
On mande de Parme un accident arrivé
à la Troupe de Comédiens , venant ici fur le
Pô dans la barque ordinaire de Turin .
Quand cette troupe fut près de Plaifance ,
quelques- uns ennuyés de la longue marche de
la barque , & preffés d'arriver à Plaisance pour
y voir la Comédie , prirent un petit bateau , &
( 157 )
eurent l'imprudence de ne pas s'affurer d'un ba
telier , & de vouloir voguer par eux- mêmes. Au
premier moulin le bateau s'embarraffa dans une
corde , & par repercuffion , le domeftique du Comédien
Thomafo Grandi tomba dans le Pô . Tous
les autres coururent promptement pour fecourir
celui qui étoit tombé; mais le bâteau ayant naturellement
tout le poids du même côté , le fit
tourner & tomberent dans l'eau . Ceux qui favoient
nager , tels que le domeftique , un nommé
Fiaftro & un autre fe fauverent , mais tous les
autres fe noyerent , & parmi eux Thomaſo Grandi
, Sora Pavefi , Dori Florentin , & un nomme
Galle , Marchand Milanois qui s'étoit joint à
eux , & portoit mille florins à Venile. La troupe
eft reflée à Plaifance privée de fes meilleurs
fujers.
DE NAPLES , le 9 Septembre .
Les de ce mois , les fignaux nous apprirent
que la flotte du Roi étoit à la vue de
l'ifle d'Ifchia ; le lendemain , quatre galiottes ,
un floop , plufieurs felouques & canots , fur
lefquels s'étoient embarqués les Miniftres &
plufieurs autres perfonnes de la Cour , mirent
à la voile pour aller au - devant de LL. MM ..
Le 7 à une heure après midi, on a vu à la
hauteur du cap Paufdipe ; elle étoit compofée
du Saint Joachim , de 30 canons , à bord
duquel étoient, LL. MM. , de deux frégates ,
quatre chebecs , quatre paquebots , d'un vaiffeau
de 74 canons , de deux fregates & un
cutter hollandeis , de trois frégates angloifes.
& un floop , de deux galeres & de deux cor(
158 )
vettes maltoifes. Elle a mouillé à la rade à
cinq heures du foir ; LL . MM. fe font rendues
à terre dans leur canot ; elles ont été
faluées par tous les bâtimens de l'efcadre , &
reçues avec acclamation par le peuple qui
couvroit les quais.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 8 Octobre.
Le Parlement , qui étoit fimplement ajour
né au 27 de ce mois , vient d'être prorogé au
premier Décembre prochain , par une pro
clamation de S. M. du 30 Septembre dernier.
Depuis la réfolution , c'eſt le ſecond
exemple d'une prorogation durant un ſimple
ajournement.
Le Comte de Haflang , Miniftre Plénipotentiaire
de l'Electeur Palatin , Duc de Ba
viere , eut le 5 de ce mois une Audience
privée de S. M. , en lui remettant ſes Lettres
de créance.
Le Général Haldimand , aujourd'hui Che
valier du Bain , a pris hier congé de S. M. ,
avant fon départ pour le Canada , où il retourne
en qualité de Gouverneur Général .
Cet Officier, d'Yverdun dans le pays de Vand ,
eft attaché , dès fa jeunele , au fervice de
l'Angleterre. Il fervit avec beaucoup de diftinction
en Amérique , pendant la guerre de
1756. Quoique 20 ans de féjour & de ferviees
dans cette contrée , où il commandoit
( 159 )
encore à New-Yorck en 1775 , duffent naturellement
le faire employer après la rupture
de la Métropole avec fes Colonies , des
intérêts particuliers & des raifons de forme
le laifferent à Londres dans l'inaction , jufqu'à
la fin de la guerre , inftant oùfl paffa en
Canada. Il eft peut être le premier Etranger
à qui le Cordon rouge ait été accordé depuis
le fiécle. Le Général Prevoſt, malgré la belle
défenſe à Savannah , ne l'a point obtenu ; il
eft moins ancien , il eft vrai , dans le fervice
de la Grande Bretagne , que le Général Haldimand.
Le Général Campbell s'eft rendu à Portf
mouth , où il doit s'embarquer pour Madras
d'un moment à l'autre , avec fa famille . Sa
fuire eft peu confidérable , & a été , dit on
limitée par le Bureau même des Commiffaires
pour les affaires de l'Inde.
Le Commodore Thompſon eft parti pour
la côte d'Afrique , à bord du Grampus de so .
canons , accompagné du floop le Nautilus ,
qui doit rapporter ici le réfultat des informa
tions prifes par le Commodore , touchant
l'état de nos établiffemens dans cette contrée .
Le 4 , conformément aux ordres de l'Ami ,
rauté , on a lancé à Portsmouth le vaiffeau le
Saint -George de 90 canons , en préſence du
Prince Guillaume Henri , non encore parti
pour la Méditerranée . Il baptifa lui - même.
le vaiffeau , aux acclamations d'une multitude
immenfe , & dîna à bord de la Queen ,
( 160 )
avec l'Amiral Montague , au bruit d'une
falve d'artillerie.
La nouvelle des Préliminaires , fignés entre
l'Empereur & la Hollande , en raffurant
les efprits fur la crainte d'une guerre, a remis
les fonds publics à leur cours naturel , & ils
ont hauffé encore d'un & demi pour cent
depuis 8 jours. La Maiſon Child & Compa-.
gnie a fait une emplette récente de 200,000 1 ,
fterl. dans les trois pour cent confolidés.
Le Gouvernement fait dreffer un état du
produit annuel de la taxe des pauvres dans
toutes les Paroiffes du Royaume , & il fera
préſenté un nouveau plan au Parlement à
ce fujet. L'année derniere , cette collecte a
monté , dit on , à la fomme exorbitante
de 4 millions , trois cent mille liv. fterl. On
remarqué avec rajfon que ce fubfide indirect
, levé fans l'autorité du Parlement , pourroit
entraîner des abus dangereux qu'on fe
propofe de prévenir.
Du 10 Septembre 1783 au 24 Juin 1785 ,
on a enfeveli dans la petite Paroiffe de Wye,
du Comté de Kent , 17 perfonnes , dont les
âges réunis formoient un total de quatorze
cens & dix -huit années.
Jeudi dernier , un Charron d'Hafield ,
dans le Comté d'Hertford , eft parvenu à fa
centiéme année. Lord Salisbury , Seigneur
du lieu , & dont la famille employoit ce'
vieillard depuis fon enfance , a invité tous
fes vaffaux à fe rendre dans fon parc , où
( 161 )
Il les a régalés de boeuf & de bierre forte
de Londres . La famille de ce vénérable artifan
eft compofée de deux filles , l'une de
79 , l'autre de 76 ans , & d'un fils , âgé de
75. Celui - ci étant fouvent alité , fon pere
travaille à fa place & le nourrit , & communément
, le pere gagne 3 fchellings & demi
par jour , tandis que le fils n'en peut gagner
que deux & demi.
Lorique le fort de Gibraltar étoit dans fa plus.
grande crife , vers la fin du dernier mémorable
Rege , & lorfqu'on croyoit dans toute l'Europe
que cette fortereffe ne réfifteroit pas aux forces
fupérieures , & aux efforts réunis de la France &
de l'Espagne , le préfent Marquis de Lansdown ,
alors Secretaire d'Etat , écrivit une lettre au Gouverneur
, dont le contenu fut communiqué à la
Garnifon , avec les ordres qui y étoient joints. La
copie de cette lettre ne pourra manquer d'inté
reffer plufieurs de nos lecteurs , elle prouve l'im
"portance attachée par l'Angleterre à la poffeffion
de Gibraltar .
Extrait d'une Lettre du Comte de Shelburne , principal
Secretaire d'Etat , datée de St. James le 10
Juillet 1782.
« Sa Majefté m'ordonne de vous affurer dans les
termes les plus forts que les braves Officiers &
Soldats qui font fous vos ordres , ne manqueront
pas d'encouragement. Son approbation
>> royale de ce qui s'eſt déjà paſſé , fera fans doute
un motif puiffant pour les engager à faire de
nouveaux efforts ; le Roi m'autorife à vous
affurer qu'il récompenfera amplement toute
action diffinguée d'émulation & de bravoure ,
qui fera faite dans le cours du fiege , par qui
» que ce foit , même dans les plus bas rangs.
D
( 162 )
Vous communiquerez ces intentions de Sa
» Majefté de la maniere la plus publique à tous
» les Soldats de votre garniſon , afin qu'ils foient
» pleinement perfuadés que leur Roi ſent tous
-les dangers auxquels ils font exposés , admire
» leur réfiftance glorieufe , & fe trouvera heureux
de récompenfer leur mérite, »
Un Planteur de la Jamaïque écrit à fon
Correfpondant d'Edimbourg , qu'on vient
d'inoculer la petite - vérole à so nègres , avec
le plus grand fuccès . Dans la Paroiffe de
Sainte-Anne , un feul Médecin en inocula
1300 dernièrement , fans en perdre un feul .
Comme on lui donnoit 12 à 15 fchellings
par nègre inoculé , & 2 livres 10 fols pour
chaque perfonne de couleur , il a recueilli
au moins tooo liv . fterl . de fon opération.
Une Feuille péric dique préfento le takles..
fuivant des richeffes de l'Angleterre , fait il
ya 25 ans, par un politique que l'Editeur
dit très-inftruit du commerce , de l'Agriculcuture
, des manufactures & de la population
du Royaume.
Le terrein de l'Angleterre peut contenir. 39
millions d'acres de terre . Sa population estimée
à 5.545,000 ames , augmente annuellement
d'environ coo ames , toute évaluation faite
des pertes occafionnées par la pefte , & c . , la
guerre , la marine , les colonies .
La ville de Londres contient environ 600,000
habitans ; les autres Villes , & Bourgs à Marché
870,000 ; enfin , les Villages & les Hameaux
, 4,100,000 . La rente annuelle des
terres 10,000 000 liv. fterl. Celle des maisons
& bâtimens , 2,000, oco. Le produit des grains
( 163 )
de toutes eſpèces , peut s'eftimer à 975,000
liv. année commune. La rente annuelle des
terres à bled 2,000,000 liv . & leur produit net ,
9 millions de liv. fterl . La rente des pâturages
, des communes , des bois , des forêts , des
bruyeres , &c. , 7 millions. Le produit annuel
du beurre , du fromage & du lait , monte à environ
2,500,000 liv. La laine tondue tous les
ans à 2 millions. Les chevaux élevés annuellement
peuvent s'eftimer à 250,000 liv. La
viande confommée annuellement à 33,300,000
liv. Le fuif & les cuirs , à environ 600,000
livres . Le foin confommé pour les chevaux , à
1,300,000 liv. Celui que confomme les autres
beftiaux , I million . Les charpentes employées
aux bâtimens , à 500,000 liv. Le bois de chauf
fage , à la même fomme. On évalue la quantité
de terre qui reviendroit à chaque habitant
pour fa quote- part à fept acres & un quart.
La valeur du bled , du feigle & de l'orge , nés
ceffaires pour la confommation de l'Angleterre ,
monte au moins à 6 millions fterl . par an. La
valeur des laineries , également pour fa comfommation
, monte à 8,000,000 liv . & l'exportation
des laineries de toutes efpèces , à plus
de 2 millions par an . Enfin , le revenu de tous
les individus de la Nation > fur lequel font.
paffées les taxes , peut aller 43 millions fterl .
En France on l'eftime à 81 millions fter . , &
en Hollande , à 18,250,000 liv. fter..
ས ¢
Nous devons prévenir les Amateurs de
cette forte de recherches , de l'inexactitude
du relevé précédent. L'Auteur eft probablement
le Docteur Campbell , qui , ainfi que
le Docteur Price , s'eft efforcé d'atténuer la
population & la richeffe nationales. Le pre(
164 )
mier de ces Ecrivains étoit un favant fyftématique
, qui voulut démontrer que depuis
F'invafion des Normands , le nombre des
habitans n'avoit ceffé de diminuer en Angleterre.
Le Docteur Price , vertueux citoyen
, mais trop aigri , trop paffionné , trop
peu en garde contre les préventions , a toujours
eu l'efprit de parti pour mobile de fes
calculs & même de fes opinions. M. King ,
l'Arithméticien politique le mieux inftruit du
dernier fecle , portoit en 1699 , d'après les
recherches les plus exactes , la population de
l'Angleterre & du pays de Galles au même
nombre d'hommes fpécifié dans l'état qu'on
vient de lire. Or , M. Hume , M. Howlet ,
M. Wales , le célebre Arthur Young & M.
Eden ont fuffisamment démontré , que depuis
la révolution , fous Guillaume III , la
population s'étoit accrue fucceffivement. M.
Arthur Young , dont les recherches ont été
pouffées jufques dans les plus petits détails ,
& dont les calculs font parfaitement raiſonnés
, a établi ,
La population de l'Angleterre
& du pays de Galles à ...
Celle de l'Ecoffe à.
Et le revenu général des
terres , arts , manufactures
commerce , &c. en Angleterre
, à la fomme de. ·
8,000,000
1,350,000
·9,350,000
100,000,000
( 165 )
En Ecoffe.. • 10,000,000
1. ft.
110,000,000
D'où il réfulte , qu'en fuppofant la totalité
des taxes annuelles , de 13,000,000 1. ft,
le revenu public fera un douzieme du revenu
général , foit environ deux ſchellings
& quatre fols par livre fterlings. On peut
confulter fur cet objet l'excellent ouvrage
de M. Chalmers , qui a difcuté les différentes
opinions avec beaucoup de lumieres &
de fagacité,
Le nombre des malheureux coudamnés pour
des crimes capitaux au vieux Bailliage , a confidérablement
augmenté depuis plufieurs années ;
mais dans aucune période cet accroiffement n'a
été plus rapide & plus grand que depuis la
guerre. On en exécuta 49 en 1780 ; 29 en
1781 & 12 feulement en 1782 ; l'année ſui❤
vante on en fit périr 74 , & depuis cette année
jufqu'à celle - ci on en compte 90. Cet accroiffement
progreffif fe remarque malheureufement
dans tout le royaume . Le nombre des coupables
qui ont obtenu leur grace , de ceux qui ont été
condamnés au fouet ou à la tranſportation paſſe
toute croyance . Parmi eux on compte beaucoup
de Matelots & de Soldats réformés , & l'humanité
follicite la recherche & la découverte de
quelques moyens de pourvoir à leur fubfiſtance
lorfqu'on les renvoye du fervice.
A ces calculs , nos Papiers en ajoutent un
bien fingulier ; ils évaluent à 70,000 perfonnes ,
le nombre des coupables comdamnés à mort & .
exécutés depuis 1685. Ce calcul véritablement.
étrange, feroit bien effrayant s'il étoit exact
( 166 )
Il juftifieroit en quelque forte les regrets qui le
fuivent & les voeux qu'infpire l'humanité pour
la confervation de tant de vies qu'on pourroit
fauver peut- être fans laiffer le crime impuni.
Au lieu de les retrancher pour jamais de la
Société , ne feroit - il pas poffible de les employer
à conftruire des havres , à rendre des rivieres
navigables , à creufer des canaux , à défriche r
des landes , à pratiquer des routes fur les montagnes
, à exploiter des mines ?
FRANCE.
DE FONTAINEBLEAU , le 16 Odobre.
Le Roi a nommé , le 7 de ce mois , à
l'Abbaye d'Oigny , Ordre de Saint Auguítin
diocefe d'Autun , l'Abbé Dillon , Vi-›
caire général de Nevers.
9
Le Roi ayant établi un Corps municipal
à Fontainebleau , les Officiers qui le com-"
pofent , ont eu , le 12 de ce mois , l'honneur
d'être préfentés à Sa Majefté par le Duc de
Gefvres , Gouverneur général de la province
de l'Ifle -de France..
Le fieur de Horne , Premier Médecin-
Confultant des Camps & Armées du Roi ,
de Madame Comteffe d'Artois & du Duc
d'Orléans , a eu l'honneur de préſenter à
Leurs Majeftés & à la Famille Royale , le
quatrieme volume du Journal Militaire.
Dom Guillaume Coutans , Bénédictin der
l'Abbaye de Lagny, Congrégation de Saint--
Maur, a eu , le 13 , l'honneur de préſenter
( 167 )
au Roi , à la Reine & à la Famille Royale ,
la quinzieme Feuille de fon Tableau topographique
des environs de Paris , jufqu'aux
extrémités du Diocèfe , contenant Corbeil ,
Melun , Fontainebleau , & c.
Le 14 , le Marquis de Pierrecourt , qui
avoit eu l'honneur d'être préfenté au Roi , a
eu celui de monter dans les voitures de Sa
Majefté , & de la fuivre à la chaffe.
DE PARIS , le 10 Octobre.
Par Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du
8 Octobre , le délai fixé à fix ſemaines , à
compter du 10 Juillet dernier , pour l'entrée
des toiles de coton blanches & peintes,
achetées de l'Etranger , a été prorogé jufqu'au
15 de ce mois.
Un autre Arrêt du Confeil d'Etat , du 7
de ce mois , fixe le délai accordé , tant aux '.
Marchands de Paris qu'à ceux des Provinces
, pour faire les déclarations preſcrites
par l'Arrêt du 10 Juillet dernier , jufqu'au
10 Novembre prochain.
M. d'Albert de Rioms , Commandant -
de l'elcadre d'évolution , eft rentré à Rochefort
, avec une partie de fon eſcadre. A
l'inftant de fa féparation de celle qu'il envoyoit
à Breft, le vent d'Oueft ayant augmenté
d'une force extraordinaire , tous ces
bâtimens ont été difperfés pendant 2 heures
dans la baie d'Audierne. Partie de leurs
verges & de leurs voiles ont été emportés
( 168 )
& ils n'ont dû leur falut qu'à leurs grandes
voiles , qui heureuſement ont réſiſté , &
avec efquelles ils ont doublé les roches , au
rifque de chavirer. Le Clairvoyant feul a
été affalé à la côte , après avoir perdu toutes
les voiles & fon gouvernail. Tout le
monde a eu le bonheur de fe fauver. Vers :
la fin de Septembre eft parti de Breſt 7 à
8 gabarres , qui vont tranfporter du bois de
conftruction dans les différens ports du
Royaume.
Une lettre de Rouen rapporte un trait de
courage qui , quoique affez commun parmi
les gens de mer, mérite néanmoins d'être
cité.
Un batelier de Rouen , nommé Toufaint Fleu
ry, conduifoit , le 12 Septembre , une barque ,
lo:fqu'un coup de vent fubit jetta dans la riviere
un paffager affis fur le pont. Auffi - tôt , le patron
s'élance dans l'eau , & ramene fa proie à bord.
Comme on lui propofoit une quête en récom
penfe de fon action , il répondit : voilà le fecond
que jefaure depuis qunize jours ; j'aifait mon devoir,
je ne veux rien.
La lettre fuivante nnous a paru affez importante,
pour n'en rien retrancher. Elle fert
à rectifier les abfurdités débitées par les Gazettes
étrangeres fur un prétendu foulevement
en Bretagne , & elle a pour fondement
le Rapport fait à la Commiſſion intermédiaire
des Etats par les Commiffaires
députés .
Rennes le 8 Octobre 1785 .
Permettez-moi de configner dans votre Jour
venu
( 169 )
nal , des faits très exacts , & qui rétabliront la
vérité indignement outragée dans plufieurs
Feuilles périodiques , par le récit fabuleux
d'une prétendue révolte de payfans Bretons ,
qui a dú éclater au mois de Juillet dernier.
On lit dans le n° . Go de la Gazette de
Leyde , & ailleurs , que c'est en baffe - Bretagne
, & principalement dans une terre qu'on
ne nomme pas , que le foulévement a été le plus
vif; que les payfans ont fait la plus vigoureufe
refiftance ; qu'ils ont repouffé la maréchauffée , &
meme des compagnies de Chaffeurs ; qu'outre les
armés communes ils avoient quatre pierriers
dont ils ont bien tiré parti ; qu'il a fallu leur
livrer une attaque en regle , cù il y a eu cinq
hommes de tués ; enfin que le Régiment de Penthiérre
a eu l'honneur de la pacification . D'autres
Papiers ont rencheri fur ces détails ; dans le
Courier de l'Europe , on en a pris occafion
de s'égayer de l'effervescence des têtes bretonnes.
Il eft cependant bien avéré , bien notoire ,
& à Nantes & à Rennes , qu'il n'eft rien arrivé
de femblable en aucun coin de la Bretagne ;
que fi l'on a cantonné 200 hommes de troupes ,
à Coueron près Nantes , c'étoit fur de fauffes
alla mes ; qu'il n'y a eu dans cette Paroiffe ,
dans aucun lieu de la Frovince , ni révolte ,
ni combat , ni pierriers poffédés ou mis en
ufage par les payfans , ni armes ni munitions
d'aucune espèce par eux raffemblées ou employées
, ni enfin aucun homme de tué dans
une émeute populaire.
Tout fe réduit à peu près à de fimples voies
de fait commifes dans une vafte plaine , fituée
en la Paroiffe de Coueron , à trois lieues de
Nantes , fur la rive droite de la Loire , & ,
comme vous voyez , dans la haute - Bretagne.
No. 43 , 22 Octobre 1785.
h
( 170 )
)
Cette prairie enclofe depuis quelques années ,
étoit ci -devant une terre vague , où les vaffaux
des villages du Pleffix & des Bourdinieres , faifoient
paître leurs beftiaux & où ils foutiennent
avoir droit de pâture , fuivant leurs titres . Its
s'étoient contentés jufqu'à préfent de murmurer
tout bas de l'ufurpation qu'ils prétendent
avoir été faite par le Seigneur ; enfin ,
déterminés par la difette abfolue de fourages ,
défefpérés de voir languir les chevaux , les
boeufs , les vaches , qui font toute leur fortune ,
de les voir mourir de faim à côté des pâturages
dont ces habitans fe croient dépouillés , ils
ont entré dans cette prairie au mois de Juin
dernier , y ont coupé de l'herbe , y ont conduit
leurs beftiaux .
Cette démarche irréguliere n'auroit dû naturellement
donner lieu qu'à une action de réintégrande
, qui auroit produit une condamnation
en des dommages intérêts , avec amende
& dépens . Mais il femble qu'on vouloit épouvanter
les vaffaux , & leur ôter pour jamais l'envie
de faire valoir leurs droits réels ou imaginaires.
On fait venir une brigade de maréchauffée ;
elle eft conduite dans la p'aine par le Procureur
Fifcal , accompagné d'un fergent ; elle
avance au milieu de ceux qui fauchoient quelques
brins d'herbes échappés au ravage d'une
faifon brûlante , elle demande Rondeau , qu'on
regardoit comme l'auteur de l'invafion : Suivezncus
de la part du Roi. A ce nom facré , Rondeau
-met bas fa faux , & fuit la troupe armée : mais
il eft fuivi lui -même par les faucheurs ; le Procureur
Fifcal , le fergent & la brigade veulent
le débarraffer de ce cortège incommode ; on
fait volte-face , on ofe menacer de faire feufur
( ( 171 )
ceux qui auroient fuivi Rondeau . Ce langage
excite leur colere ; ils approchent , le faififfent
de Rondeau & le ramenent avec eux . Depuis
il a été repris & conduit aux prifons de Nan-
Les , où il eft encore détenu avec quelques autres
habitans du Pieffix & des Bourdinieres.
On vouloit arrêter auffi la femme de Rondeau
, qui apparemment ne diffimuloit pas la
douleur que lui caufoit l'emprisonnement de
fon mari . Des foldats invalides envoyés pour
cette fin , la cherchoient à Coueron le jour de
la St. Pierre , & s'enqueroient où elle pouvoit
être. Un mauvais plaifant adreffe l'un de ces
invalides à une femme des plus vigoureuſes qu'il
dit fouffement être la Rondeau . Cet invalide fe
précipite fur elle & la faifit à la gorge ; d'un
feul coup elle le renverſe à terre ; il fe relève
& tire lâchement un coup de fufil dans les jupes
de cette femme. Les Spectateurs s'indignent ,
pierres volent ; un cavalier de maréchauffée
venu au fecours de l'invalide , eft atteint d'un
coup de pierre , qui le bleffe près de l'oeil ,
fans danger pour fa vie .
les
mais
Ces deux fcenes fur lefquelles on n'auroit pas
dû attirer l'attention du Gouvernement , ont
donné lieu à des procès - verbaux envoyés en
Cour ; M. le Comte de Goyon , Commandant de
la Province , demeurant à Rennes , à zz lieues de
Cogeron , apprend de Verſailles la nouvelle
d'une révolte en cette Paroiffe , & reçoit l'ordre
d'y envoyer des troupe . Il y fait marcher
100 hommes du Régiment des Chaffeurs des
Alpes ; celui qui commandoit ce détachement ,
trompé par de faux rapports , ne ſe croit point
encore affez en force ; il demande un feconá
détachement qui lui eft auffi- tot envoyé .
La commiffion intermédiaire des Etats , affem -
h 2
4 (172)
blée extraordinairement le 6 Juillet , députe
trois de fes , Membres , MM. l'Abbé de la Biochaie
, le Chevalier de Talhouet , & Bouvier
des Touches , afin de defcendre fur les lieux , Er
d'employer les moyens que leur prudence & leur
zele leur fuggerront , pour faire promptement rentrer
dans le devoir ceux qui s'en feroient écartés.
Les Députés font partis fans délai , ont pénétré
dans la plaine dont il s'agit , & dans les
villages prétendus féditieux ; ils n'ont trouvé
que des fupplians , qui leur ont montré leurs
titres , & leur ont demandé grace , protection ,
juftice , & des fecours pour foulager leur mifere
exceffive. Il réfulte de la lettre que les
Députés ont écrite à la Commiffion le 10 Juillet
, & du rapport qu'ils y ont fait le 12 ,
que la révolte de Coueron , & les exploits du
Régiment de Penthievre contre les révoltés
font de pures fables. Les Chaffeurs font reftés
inactifs à Coueron , & n'ont pas tardé à recevoir
l'ordre de fe retirer. Les prétendus révoltés
ont envoyé à Rennes deux d'entr'eux préfenter
leurs titres à M. l'Intendant , & fi leurs
prétentions font fondées , on efpere que ce
digne Adminiftrateur , dont le nom feul eft
un éloge , leur fournira les moyens d'obtenir
juftice.
J'ai l'honneur d'être , & c.
M. le Bailli de Freflon s'étant plaint dans
une Feuille de la Capitale , de quelques exgreffions
fur l'Ordre de Malthe , contenues
dans une copie manufcrite d'une lettre de
M. l'Abbé de Lille , ce Poëte a adreffé à
M. de Freflon une réponſe , dont voici le
contenu :
( 173 )
Au Lazaret de Marseille , le 10 Septembre 17857
MONSIEUR LE BAILLI',
Si quelqu'un avoit jamais pu révoquer en
douté la loyauté des Chevaliers de Malthe , votre
Lettre fuffiroit pour le réfuter ; on ne peut répondre
d'une maniere plus noble , plus folide ,
à l'accufation abfurde dont je viens d'être l'objet ,
& quand je ferois coupable , votre Lettre pleine de
nobleffe feroit encore la vengeance la plus digne
d'un brave & généreux Chevalier.
J'ai cherché dans ma mémoire ce que je puis
avoir dit d'offenfant pour l'Ordre refpectable dont
vous êtes un des membres les plus diftingués ;
je me fuis rappellé qu'en effet je m'étois plaint
amerement de la blancheur éblouiffante de vos
murailles , qui en huit jours auroir achevé de
m'aveuglér. Je me fuis permis encore des plain ,
tes , & même des déclamations violentes contre
l'infupportable chaleur que nous avons effuyé
dans votre Ville. Voilà les atrocités dont je fuis
obligé de m'avouer coupable.
Parlons férieuſement , M. le Bailli ; il eſt bien
étrange que l'on veuille me rendre refponfable de
de ce qu'on a pu inférer dans une Lettre fans fi
gnature & fans aveu , & falfifiée peut- être autant
de fois qu'elle a été copiée. La boule de neige
pouffée par des poliffons , à mesure qu'elle roule ,
fe groffit & fe fait ; voilà fans doute le fort de
cetie Lettre dont il a couru dans le monde tant
de copies plus ou moins infideles . Celles où l'on
dit que votre Ordre eft la feule école d'héroïſme
qui exifte dans le monde , où l'on vante l'efprit de
politeffe , de loyauté , d'hoſpitalité qui diftingue
vos Chevaliers ces copies- là , je les avoue avec
plaifir ; celles où l'on fe permet des obfervations
ou trop libres ou même injurieufes , je les défavoue
abfolument , & votre Lettre , M. le Bailh3
( 174 )
11
li , me difpenfe d'en détailler les raifons. Accueilli
de la maniere la plus diftinguée par votre
illuftre & vertueux Souverain , lié depuis nombre
d'années avec plufieurs de vos Chevaliers qui m'ho
norent de leur amitié , cultivant un art qui fait
profeffion d'admirer & de chanter les vertus hérciques
, avec quelle vraisemblance a - t- on pu
m'attribuer les phrafes hardies & repréhensibles
dont on fe plaint ?
r
J'ai l'honneur d'être avec refpect , & c.
L'Académie des Sciences , Belles Lettres
& Arts de Lyon , a tenu le 30 Août , la
féance publique , deftinée à la proclamation
des prix.
Elle avoit continué à cette année , le fujet
concernant la mixtion de l'alun dans le vin ,
& avoit annoncé qu'elle décerneroit pour prix,
quatre médailles d'or , de la valeur chacune
de 300 liv.
Elle a cru devoir accorder la couronne au
Mémoire , No. 4 , funt certi denique fines , &
qui a décerné trois des médailles propofées.
L'Auteur de ce Mémoire eft M. Roger de Grenoble
, Docteur en Médecine , le même qui
a déjà obtenu des lauriers dans cette Académie.
L'Académie s'eft réfervée néanmoins la fomme
de 300 liv. qui devoit être prife fur fes
fonds , dans la vue de doubler le prix de phy
fique fondé par M. Chriftin , qu'elle aura à
diftibuer en 1788 , & de propofer de nouveau ,
dès à préfent , pour fujet de ce prix double
cette unique queftion , dont la folution complette
lui paroît de la plus grande importance
pour le bien de l'humanité.
Quelle est la maniere la p'us fimple , la plus
( 175 )
L
prompte , & la plus exacte de reconnoître la préfence
de l'alun & fa quantité lorsqu'il eft en
diffolution dans le vin , fur - tout dans un vin rouge
très-coloré ?
L'Académie eût vivement défiré d'avoir à
diftribuer en même- tems le prix de 1200 liv,
dont l'Abbé Raynal a fait les fonds , & dont
le Sujet ci - devant continué concerne la décou
verte l'Amérique. Onze nouveaux Mémoires
onr été admis au fecond concours ; elle en a
particuliérement diftingué trois.
Elle a confidéré ces ouvrages comme vraiment
dignes d'éloges , fans lui paroître d'un
ordre affez fupérieur , pour leur décerner le
prix propofé par un homme célebre fur un
fujet auffi important ; en conféquence , elle a
cru devoir encore renvoyer le prix à deux ans,
& le fondateur , dans une de fes lettres , approuvant
cette efpece de févérité , ajoute qu'elle
peut & doit prodaire un bon effet.
M. de Fleffelles & M. le Marquis de Saint-
Vincent engagerent l'Académie au mois de
Décembre 1783 , à propofer un prix de 1200
liv. qui avoit pour objet , la direction des Aéroftats
. Cette Compagnie propoſa la queſtion
en ces termes : Indiquer la maniere la plus sûre,
la moins difpendieufe , & la plus efficace , de diriger
à volonté les machines aéroftatiques.
Après un grand travail de MM: les Commiffaires
, plufieurs rapports faits par eux , &
la difcuffion la plus réfléchie , l'Académie a
penfé qu'aucun des moyens propofés pour la
direction des aéroftats , dans les 101 Mémoires
qui lui ont été adreffés , n'a été préſenté foys
un point de vue capable d'en établir l'efficacite
, ni même de la rendre fuffifamment probable
: en conféquence , elle a jugé qu'elle
h 4
( 176 )
•
n'étoit point dans le cas de décerner le prix ;
& le fujet a été abandonné .
Elle doit néanmoins des éloges très mérités
à plufieurs Mémoires recommandables , les uns
par de favants calculs , les autres par des idées
ingénieufes ; elle a principalement diftingué les
expériences intéreffantes que M. Mercier , Artifte
de cette Ville , a repétées en préfence de
l'Académie , & dont il a rendu compte dans le
Mémoire , cotté au concours Nº. 95 .
L'A cadémie a arrêté de doubler le prix des
Arts , fondé par M. Chriftin , & de propofer ,
pour l'année 1786 , le fujet fuivant :
Quels font les moyens d'augmenter la valeur
des foies nationales , en perfectionnant le tirage ?
Le Prix confifte en deux Médailles d'or , du
prix , chacune , de 300 liv .
Aucun Ouvrage ne fera reçu au concours ,
paffé le premier Avril 1786 ; le terme eft de
rigueur.
Pour les prix d'Hiftoire naturelle ou d'agriculture
, fondés par M. P. Adamoli , que l'A
cadémie doit diftribuer en 1786 , elle propofe
le fujet qui fuit :
Quels font les diverfes efpeces de Lichens dont
on peut faire ufage en Médecine & dans les Arts?
Les Auteurs détermineront les propriétés de
ces plantes par des nouvelles recherches , & des
expériences.
Ces prix font une Médaille d'or de la valeur
de 300 livres , & une Médaille d'argent ; ils
feront diftribués , en 1786 , après la fête de
St. Pierre ; & les Mémoires , reçus au concours ,
jufqu'au premier Avril feulement ; les autres
conditions , fuivant l'ufage.
Le prix de Mathématiques , fondé par M.
Chriftin , devoit être adjugé en 1784 , à l'Au(
177 )
teur du meilleur Mémoire fur le fujet fuivant :
1º. Expofer les avantages & les inconvénients
des voûtes furbaiffées , dans les différentes conftructions
, foit publiques , foit particulieres , où l'on
eft en ufage de les employer.
2. Conciure de cette expofition , s'il eft des cas
où elles doivent être préférées aux voûtes à pleincintre
; quels font ces cas.
3. Déterminer géométriquement quelle Seroit
la courbure qui leur donneroit le moins d'élévation
, en leur confervant la folidité néceffaire.
L'Académie reçut quatre Mémoires , qui
tous méritent des éloges ; mais aucun ne parut
remplir fuffifamment les différentes vues indiquées
dans le programme. Ces confidérations
& l'importance du fujet , déciderent l'Académie
à doubler le prix propofé , & à proroger le
concours jufqu'au premier Avril 1787. Elle efpere
que ce nouveau délai donnera le tems aux
Auteurs de perfectionner leurs ouvrages.
Le prix fera double , confiftant en deux Médailles
d'or , de la valeur , chacune , de 300
liv.
Un pere de famille , Citoyen plein de zele
& de lumieres , a défiré que l'Académie s'occupât
d'un fujet relatif aux voyages & à l'éducation
de la jeune fe ; il lui a demandé de propofer
un prix de 600 liv. dont il a fait les fonds
à l'Auteur, qui , au jugement de l'Académie,
aura le mieux rempli fes vues . Cette Compagnie
s'empreffe de propofer le fujet , ainſi qu'il
Tuit :
Les Voyages peuvent ils être confidérés comme
un moyen de perfectionner l'éducation ?
A la même époque , l'Académie proclamera.
( 178 )
le prix de 1200 liv . , dont M. l'Abbé Raynal
a fait les fonds .
Le 11 Août dernier , jour de la vifite des ponts ,
M. Prévôt des Marchands , accompagné de MM.
les Officiers du Corps municipal de cette Ville ,
& plufieurs Membres de l'Académie royale des
Sciences & Officiers militaires de diſtinction , ſe
font trouvés à la natation du fieur Turquin , fituée
au bas du pont de la Tournelle , pour examiner
de nouveau les expériences dans l'art de nager ;
ils ont vu avec fatifaction les progrès qu'ont fait
ces éleves malgré l'inconftance de la faifon.
Ces MM. ont auffi été préfens à l'expérience
d'une espece de carnaffiere impénétrable à l'eau ,
d'une grandeur ordinaire & du poids de quatre
livres & demie , compris fon couvercle en peau
inventée par le fieur Turquin : on peut la porter
de même , ou roulée dans fon bras . Lorsqu'elle eft
déployée , elle prend la forme d'un petit bateau
& porte trois pieds de longueur fur quinze pouces
de hauteur.
Il étoit chargé de tout ce qui concerne l'avrefac
d'un foldat fon fufil & armes ordinaires : le tout
pouvoit pefer foixante livres
Lorsqu'un nageur au moyen d'une courroie
attachée à fa ceinture ) l'a conduit dans le baffin ,
il eft dans la riviere de toute maniere, fans éprouver
aucune crainte ni humidité.
Cette invention a paru aux ſpectateurs & à MM.
de l'Académie des Sciences ( fuivant leur rapport
du 12 du préfent ) être très- utile pour différens
ufages , pourvu toutefois qu'on fache nager.
Mefire Jean François Gafton de Sire
gand , Comte d'Erce , Vicomté de Couze-
Fan & Aulus , Baron de Caftelnau , Polaf(
179 )
"
tron & autres places , Gouverneur & Sénéchal
du Nébouzan , eft mort dans les terres
en Gascogne , le 18 Septembre 1785 .
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le 17 de ce
mois , font : 40 , 12 , 8 , 32 , & 83 .
PAYS- B A S.
DE BRUXELLES , le 16 Octobre.
Des fept Provinces - unies , celle de Zélande
a le plutôt manifefté la réſiſtance la plus
déterminée aux Préliminaires de paix arrêtés
avec l'Empereur. Voici le contenu de la réfolution
qu'elle a prife le 29 Septembre.
A été trouvé bon & arrêté d'approuver la conduite
de M. le Député ordinaire de cette Province
, qui a affifté au Comité des Etats- Généraux
pour les affaires étrangeres , spécialement
pour ce qui regarde les annotations qu'il a faites
contre les réfolutions de L. H. Puiffances , pour
conferver le droit & la libre délibération de cette
Province ; & d'écrire de plus à M. le Député fuldit
pour le charger de déclarer :
"
>
Que par deux avis détaillés , en date des 4
Mai & 17 Septembre de l'année courante , L. N.
Puiffances ont exposé aux Confédérés avec
toute la circonfpection mais en même temps avec
toute la franchife poffible , les raisons qu'elles
avoient d'être inquieres du pied vague & préjudiciable
fur lequel ces négociations fe pourfuivoient
; & qu'en même temps elles ont infifté férieufement
que la Cour de France , d'après les
h6
✓
( 180 )
confeils de laquelle la République s'étoit conduite
dans toute cette affaire , fût enfin priée aujourd'hui
, à une époque où la condefcendance de la
République avoit été portée à ſon comble , de fe
déclarer finalement jufqu'où Sa M. Très - Chrétienne
feroit difpofée à foutenir la République ,
tandis que L. N. Puiffances fe font offertes avec
fincérité , au cas que toutes les démarches pacifiques
fe trouvaffent infructueuſes , & que la République
fût forcée à défendre fon honneur & fes
droits par la voie des armes , à ne rien omettre
de la part de cette Province , de ce qui feroit en
fon pouvoir , pour eontribuer à conferver la liberté
& l'indépendance de l'Etat , & pour facrifier
, dans une conjoncture auffi critique , tout ce
qu'on pourroit attendre d'un fidele confédéré.
>> Que nonobftant la pluralité des confédérés
( fi dans cet état des délibérations l'on peut
dire que trois Provinces faffent une pluralité ) en
mettant de côté les juftes réflexions & les raifons
de cette Province , a jugé à propos de donner des
inflru&tions ultérieures à Mrs. les Ainbaffadeurs
à Paris inftructions lefquelles le député de cette
Province s'eft trouvé obligé de contredire , mais
qu'en confrontant ces inftructions mêmes avec les
articles préliminaires , qui ont été fignés , l'on
trouve une différence remarquable ; deforte qu'on
paroit devoir conclure de deux choſes l'une ,
que Mrs. les Ambaffadeurs ont de beaucoup excédé
leurs pouvoirs , ou qu'ils doivent avoir eu
des ordres feerets qui font encore inconnus à
L. N. Puiffances.
сс
"
ם
Que , fans entrer en d'amples détails à ce
fujet , L. N. Puiffances remarqueront feulement ,
que L. H. Puiffances , en laiffant le différend fur
la fomme d'argent demandée & offerte à l'arbirrage
de S. M. Très- Chrétienne , l'ont fait dans
( 181 )
l'intention que cette fomme ferviroit à éteindre
routes les prétentions formées par S. M. Impétiale
à la charge de la République , & à en tranfiger
finalement , de quelque chef que ces prétentions
puiffent ré ulter : que L. H. Puiffances
ont auffi déclaré ultérieurement , par leur réfolation
du 17 Septembre , qu'elles laiffoient à l'arbitrage
de S. M. Très. Chrétienne s'il falloit donner
plus que la ſomme de 5 millions de florins de
Hollande ou moins que la fomme de 8 millions
d'Empire , & combien plus ou moins qu'en outre
L. H. Puiffances ont annexê toutes leurs condefcendances
à l'attente que S. M. Impériale feroit
difpofée à une obligation réciproque de ne
point ériger des forts ou des batteries fous le canon
des fortereffes qu'on poffede actuellement de
part & d'autre , & de démolir ceux qui s'y trou
vent déjà ; de plus à reconnoître la fouveraineté
de L. H. Puiffances , ( qui , à proprement parler
eft la fouveraineté de la province de Zeelande )
fur la riviere de l'Ecaut , depuis les limites de la
Flandre jufqu'à la mer ; à renoncer, fans aucune
réſerve , à toute prétention fur les villages & diftricts
y dénommés & en général à tous les Domaines
de la République ; qu'on ftipuleroit auffi ulrérieurement
& plus expreffement la ceffation de
toute navigation , pour aller des Pays - Bas aux Indes
orientales , ou pour en revenir , en conformité
de l'art. V. du Traité de Vienne ; enfin l'obligation
de tenir fermés , du côté de L. H. Puiffances,
l'Escaut ainfi que les canaux du . Sas , de Swin ,
& les autres , conformément à l'art. XIV du traité
de Munfier.
52 Que cependant l'on ne trouve rien de ces
conditions , dans l'attente defquelles L. H. Puiffances
en font venues à de fi grandes condelcendances
, dans les préliminaires qui ont été fignés ,
( 181 )
fi ce n'eft pour autant qu'à l'égard de quelquesunes
l'on a ftipulé le contraire : que pour ces raifons
L. N. Puiffances ne peuvent fe mêler en rien
de ratifications des fufdits préliminaires ; mais
qu'elles laiffent toutes délibérations ſur ce ſujet
ainfi que toutes les fuites qui doivent en réſulter,
au dam fenfible de la République , pour le compte
des Provinces , qui par leur direction dans ces négociations
, ont donné lieu à des ftipulations fi
onéreufes , ou qu'on pourroit regarder comme y
ayant donné leur approbation. »
Par l'article IX . de l'Union d'Utrecht
feule loi fondamentale de la République , la
paix & la guerre doivent être décidées à l'unanimité
des Provinces ; mais fi la pluralité
d'entr'elles accede au Traité avec l'Empereur
, on ne doute pas qu'on ne facrifie le
reſpect de la Conſtitution à l'empire des circonftances
, comme cela eft arrivé déja plus
d'une fois. Les villes de la province de Hollande
ayant voix délibérative aux Etats , ont
pris copie des Préliminaires , pour fe décider
fur leur ratification. Les Etats , felon lé
bruit public , fe propofent de la foumettre
à la reconnoiffance formelle de la part de
F'Empereur , de la fouveraineté abfolue de
la République fur l'Eſcaut , depuis Saftingen
jufqu'à la mer.
Comme il eft inftructif de comparer le
tableau fommaire des prétentions expofées
par le Gouvernement des Pays - Bas , le 4
Mai 1784 , des conditions du Traité préliminaire
, nous allons rapporter les unes &
les autres.
( 183 )
EXTRAIT du Tableau ExTRAIT du Traité Préliminaire
Sommaire , &c. du20 7bre.
ART. III. Les limites
de la Flandre resteront
au terme de la convention
de 1664 , & s'il en
étoit qui par le laps de
temps , puffent avoir
été ou être obfcurcies ,
ART. I. Les limites de
la Flandre doivent refter
fur le pied de 1664. &
s'il arrivoit que par le laps
de temps elles fe fuffent
perdues ou fe perdiffent
encore on nommera des
Commiffaires pour les ré- il fera nommé des comtablir.
II. Relatif à la démolition
de quelques onvrages
du fort de Liefkenhok
& c.
III. S. Maj. demande
la démolition des forts
Kruiskans & Frédéric-
Henri.
IV. Relatif à la démolition
de quelques ouvrages
du fort Lillo.
V. Sa Maj. qui croit
avoir la fouveraineté de
PEfcaut depuis Anvers
jufqu'à l'extrémité de la
terre de Saftingen , demande
l'éloignement du
vaiffeau de garde devant
Lillo.
VI. S. Maj . demande
la reftitution des villages
de Bladel & Reufel & c.
Et VIII. Que les Etats-
Genéraux faffent ceffer
miffaires pour les rétablir.
Par l'art. VIII ce fort
eft cédé à S. Maj . Imp.
Accordé par l'art . VII ;
& en outre ces forts font
cédés à Sa. Maj .
Par l'art . VIII . ce
fort eft auffi cédé à Sa
Maj.
VI. L. H. Puiffances
reconnoiffent cette fou
veraineté , & renoncent
à la perception & levée
d'aucun péage & impôt
dans cette partie de l'Efcaut
, &c.
II. L. H. P. cedent
quelques diftricts dans le
Dalhem Hollandois . Et.
X. Elles fe prêtent au
defir qu'à témoigné S.
( 184 )
toute ufurpation & l'égard
defa fouveraineté fur les
villages dits de Rédemption
, & c.
VII. S. Maj. demande
que les Etats Généraux
renoncent à leurs prétentions
fur le village de
Poftel , & reftituent à
l'Abbaye de ce nom les
biens ufurpés &c.
IX. S. Maj. demande
la reftitution de la ville de
Maeftricht , du Comté
de Vroenhove & de
leurs dépendances.
X. XI XII XIII . Re-
Latifs à diverfes prétentions
pécuniaires de Souverain
à Souverain , dont
S. M. demande le paye-
3
ment.
XIV. Relatif à différentes
fommes dues à des
particuliers , fujets Au
trichiens , dont S. Maj .
exige la reftitution.
Maj. avoir les forts
de Lillo & Liefkenhock
dans l'état où ils font ,
dans l'efpérance qu'elle
abandonnera fes droits
fur les villages dits de
Rédemption.
nier article a été pris ad
referendum .
Ce der
XII. Le village de
Poftel fera cédé à S. M.
Impériale : les biens de
l'Abbaye qui ont été
féculatifés , ne pourront
être reclamés Article
pris ad referen tum.
J. Les Etats - Généraux
acquitteront 9 ,
500,000 florins argent
courant de Hollande ,
pour l'indemnité de
Maëftricht , de fon territoire
, du Comté du Vroenhove
& c.
.XIII. Il eft convenu
que les prétentions pécuniaires
de Souverain
à Souverain font.compenfées
& abolies.
Et quant à celles que
les particuliers auront
à réclamer de part &
d'autre , il fera nommé
des Commiffaires pour
les liquider.
Le Stathouder & fa famille font toujours
( 185 )
à Leuwarde , & très-vraifemblablement ce
Prince ne reviendra à la Haye qu'avec un
changement de circonstances.
La Gazette d'Amfterdam affure au Public
, que les Etats de Hollande vont repondre
au Roi de Pruffe , qu'ils ont toujours
eu le refpect le plus conftant & le plus
inviolable attachement aux prérogatives du
Stathouderat , qu'en conféquence ils font
parfaitement unis avec le Stathouder , &
qu'ils n'ont aucun befoin de la médiation de
S. M. P.
Les mêmes Etats de Hollande autoriferent
, le 28 du mois dernier , le Confeil-
Comité , à fubftituer fur les drapeaux & fur
les tambours des Régimens des Gardes-
Hollandoifes , les armes de la Province à
celles d'Orange qu'il portoit , par un uſage
d'autant plus abufif , que ce Régiment eſt
fpécialement celui des Etats.
Le commandement de ce Corps , vacant
par le décès du Général de Maafdam , mort
de chagrin du déplorable état de la Répu
blique , avoit été , dit- on , offert au Prince
de Heffe Philipftadt , qui l'a refufé & paffe
au Baron de Verſchuur.
M. Torniello , Miniftre de Venife , n'ayant
pu terminer l'interminable différend entre
fa République & celle de Hollande , a fignifié
fon départ aux Etats Généraux , & va
reprendre à la Cour de Londres fon caractere
de Réfident.
( 188 )
bors de la guerre de 1779. faifoit le non plus ultra
des deux armées. [ Nouvell. d'All . n° : 169.]
Trois Ruffes ayant joué dernierement juſqu'à
minuit au Billard dans un Café de Vienne, vankurent
s'en aller fans payer: le Marqueur protefta
contre une innovation auffi préjudiciable aux in-.
térêts de fon Maître ; mais ceux- ci prétendirent
que , comme alliés de l'Autriche , ils devoient
slamufer gratuitement ; & Mrs. les alliés voyant
que leur homme ne fe rendoit pas à ce bel argument,
crurent devoir employer une logique plus
preffante , & tomberent fur le pauvre Marqueurqu'ils
mirent dans le plus piteux état ; un do
meftique qui accourut aux cris du dernier , fut
accueilli de la même maniere par ces fideles
alliés , qui jugerent cependant à propos de s'évader
après ce bel exploit. On n'a pu encore les
découvrir [ Idem.]
Les Etats de Hollande Weft - Frife , affemblés
hier & aujourd'hui , continueront leurs délibérations
mercredi prochain. Cette Seffion a été d'autant
plus remarquable , que les divers membres
ont réfolu hier , à l'humanité des voix , de ratifier
les Préliminaires de la Paix ; & que cette réfolution
, ayant été réfumée aujourd'hui , à été.
confirmée, mais fous la condition expreffe &fine
quâ non , que l'Empereur reconnoîtra la Sou-
>
veraineté de la République fur l'Escaut depuis
» Saftingen jufqu'à la mer en vertu & confir
» mation du Traité de Lunfter ; que de plus les
» embouchures du Sas & du Swin devront refter
» fermées , avec injonctions que les Miniftres de
» la République à Paris n'aient pas à conclure
», le Traité définitif , ſans la flipulation expreſſe
» de ces conditions » . L'on affure , que Leurs
& Grandes Paiffances ont en même temps accepté
l'offre faite par la France , de payer
7
( 189 )
pour la République la fomme excédanterelle por
tée par les dernieres inftructions de nos Ambaffadeurs.
Cet accord unanime des Etats de Hollande ,
dans un affaire auffi importante , contribue beaucoup
à raffurer les amis de la Paix . Il eft vrai
que les Erats de Gueldre femblent adopter le
syflème de la Zeelande , & qu'on parle d'une
réfolution qu'il auroient prife , pour rejetter les
Préliminaires ; laquelle réfolution devoit être
portée aux Etats Généraux. On ajoute même ,
que les Etats de Frife , qui ont dû s'affembler
le 3. de ce mois, & où Mgr. le Stadhouder pourra
affifter , ne font pas éloignés d'une oppofition
femblable; quoique fondée , dit-on , fur des principes
différents : Mais telle eft l'influence , que
donne à la Hollande la part , qu'elle porte dans
les charges communes de la confédération , qu'on
ne laiffe pas de préfumer , que ces oppofitions
ne feront que momentanées , & qu'elles céderont
aux raifons folides & convaincantes , lefquelles
ont animé & dirigé les Membres de la Confédération
, qui cnt le plus contribué à la conclufion
des Préliminaires. [ Gazette de Leyde N° 81. ]
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
Parlement de Grenoble.
ဘ
Les héritiers d'un Notaire font ils refponfables des
nullités qu'il a commife's ?
A partir de la déclaration du Roi du 29 Septembre
, il femble que les Notaires doivent être
foumis envers leurs parties aux dommages qu'entraînent
les nullités qu'ils ont commiles ; l'article
3 de cette Déclaration et ainfi couçu :
Voulons que lesdits Notaires demeurent refponfables
des dommages & intérêts que les parties
» pourront fouffrir par la nullité des actes »; cependant
ils ne font pas immédiatement tenus de ces
dommages. On diftingue le cas où elles procedent
CC
190 )
part ,
-
de leur impéritie , de celui où il y a du dol de leur
ou des fautes équipolentes au dol , parce
que dans le premier , étant libre aux parties de
choifir le Notaire qu'elles jugent à propos , elles
doivent s'imputer d'avoir mal placé leur confiance
, & la faute du Notaire eft en quelque
forte la leur, Au lieu qu'au fecond cas , chacun
étant tenu de fon dol , les Notaires doivent indemnifer
les parties des dommages qu'elles recoivent
des leurs. Loi adverfùs 1. ff.fi menforfalfum
modum dixerit , le décide ainfi à l'égard de
l'Arpenteur auquel le Notaire eft afſimilé par la
Loi 7, §. 4 , ff. hoc titulo . Mais cette action
de dol paffe- t- elle contre les héritiers de ce Notaire
, & font- ils refponfables des dommages qui
en résultent ? On pourroit bien , pour foutenir
l'affirmative , argumenter de la Loiz , cod. Magiftr.
converf. qui y foumet les héritiers du Magiftrat
, lorfqu'il s'agit d'une faute grave ; cependant
comme il n'eſt pas libre aux parties de
choisir des Juges comme elles peuvent choifir des
Notaires , il n'y auroit aucune raifon de faire
porter la négligence du Magiftrat à ceux qui
ne fe font adreffés à lui que forcément . Ainfi c'eft
donc fuivant la Loi3 , S. 5, f . 1. fi menf. falf.
mod. dix. qu'il faut décider la queftion. Cette Loi
dit que l'action de dol qui paffe aux héritiers, du
propriétaire contre l'Arpenteur eft éteinte par
le décès de ce dernier , & n'a pas lieu contre fes
héritiers . Les motifs de cette déciſion font que ces
fortes d'actions étant in factum purement pénales,
& non pas rei perfecutoria , s'éteignent par la
mort de celui qui y a donné lieu , & ne paffent
jamais contre les héritiers. La Loi 38 , ff. de
Regul. juv y eft préciſe.
Il y a néanmoins deux exceptions à cette ré
gle, qui font confignées dans la loi anique au
( 191 )
code ex delict . defunct. La premiere , lorfque cette
action a été intentée contre le défaut ; & la ſeconde
, lorsque les héritiers ont profité du délit ,
parce qu'il eft jufte que ceux qui jouiffent du
profit foient foumis à la perte. Ces exceptions
font confirmées par la Jurifprulence du Parlement
de Grenoble , atteftée par Baffet , tom. 1
liv. 2 , tit. 4 , chap. 2 , qui rapporte un Arrêt
du 25 Juillet 1622 , qui juge que les héritiers
des Notaires font hors de recherches en deux
cas : 1°. Quando lis conteftata eft cum eorum patre :
2°. quando fatti funt ex eo locupletiores.
Un Arrêt moderne du même Parlement de
Grenoble a encore canonifé ces principes ; il a
éré rendu en 1772 , au rapport de M. de Chaléon
contre M. Janoyer , Procureur en la Sénéchauffée
de Creft dans l'eſpèce fuivante :
Le Notaire qui avoit reçu le teftament du pere
de l'époufe de M. Sanojer , laquelle étoit inftituée
héritiere , l'avoit fait écrire par fon fils ou
fon Clerc , & néamoins avoit attefté à la fin de
l'acte , qu'il l'avoit lui-même écrit de fa propre
main ; enforte que fa contravention à l'Ordonnance
de 1735 , étoit compliquée de faux. Ce
teftament fut attaqué de nullité , & Me Sanoyer
Cappela l'heritier du Notaire en affiſtance de caufe
& de garantie. Cet héritier fe défendit , 1º . fur
ce que cette action n'avoit pas été intentée contre
fon pere ; 2 °. fur ce que fa fucceffion n'en étoit
pas demeurée plus riche ; 3 ° . fur ce que c'étoit
une action pénale , qui , outre qu'elle fe trouvoit
éteinte par le décès du Notaire , l'étoit encore
par la preſcription , s'étant écoulé plus de vingt
ans depuis le teftament dont il s'agiffoit. A la faveur
de ces moyens , par l'Arrêt ci-deſſus daté ,
le Notaire fut mis hors de Cour , de procês , avec
dépens.
( 192 )
PARLEMENT DE PROVENCE. GRAND'CHAMBRE.
Queftion de Commerce.
Le tireur d'une lettre de change qui n'a point
fait les fonds à l'échéance , eft tena pendant trente
ans de la garantir , qnoique le porteur n'ait
fait fes diligences dans le temps. de droit , & qu'il
n'ait point rempli les formalités prefcrites par
l'Ordonnance du commerce , pour avoir fon recours
contre le tireur . La reconnoiffance
d'une dette contenue dans une lettre miffive, empêche
la prefcription . Ainfi jugé par Arrêt
rendu en la Grand'Chambre du Parlement d'Aix,
le 12 Juillet 1783 , au profit de la Dame Dager,
épouse en fecondes noces de Me. Mignen Duplanier
, Avocat au Parlement de Paris , contre Me.
Pierre- Nicolas de Nitri , Avecat au Parlement
du lieu de Noyers en Bourgogne.
PARLEMENT DE PROVENCE GRAND CHAMBRE .
Il n'eft pas permis aux Lieutenans & autres Juges
inférieurs d'accorder des furféances für un
décret du Parlement qui décerne une contrainte
pour les épices & la levée d'un Arrêt , quoique le
fond des conteflations ait été renvoyé devant les
premiers Juges Les Parties qui ont procédé
même volontairement devant un Juge notoirement
incompétent , à raifon de la matiere , peu - ´´.
vent , en tout état de caufe , demander leur renvoi,
ou attaquer le Jugement pour caufe d'incompétence
, fans qu'on puiffe leur oppofer aucune
fin de non- recevoir. Une créance certaine
& liquide ne peut être compenſée avec celle
qui ne l'eft pas. Ainfi jugé par Arrêt rendu
par la Grand'Chambre du Parlement d'Aix , au
profit de François Givaudan , du lieu de la Vallette
, près Toulon , contre Louis Tripe , du même
lieu.
---
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
L
DANEMARCK
DE COPENHAGUE , le 7 Octobre.
E 22 Septembre , un yacht Danois ,
venant de Raxders , & ayant à bord 13
paffagers , a péri fur la côte de Seelande . Le
patron & 2 paffagers ont eu le bonheur de
fe fauver à la nage.
Du 29 au 30 Septembre il eft entré dans
le Sund 59 bâtimens de diverfes nations ,
le vent étant N. S. O.
Le Comte de Tott , mort dernierement ,
a fait par fon teftament beaucoup de legs
aux établiſſemens de bienfaifance ; il a laiffé
au Roi les nombreux manufcrits de fa bibliotheque
& tous les ouvrages imprimés
dans les premiers temps de l'invention de
l'Imprimerie ; la bibliotheque de l'Univerfité
recevra de fa fucceffion une fomme de
5000 rixdalers qui feront emploiées à un
achat de livres.
N°. 44 , 29 Octobre 1785. i
( 194 )
Le College de commerce a autorifé les
actionnaires de la Compagnie de la Baltique
& de Guinée , de nommer 8 Commiffaires
, qui conjointement avec les Directeurs
, examineront l'état de cette Compagnie
, dont les actions baiffent confidérablement,
& aviferont aux moyens les plus propres
à les relever.
Les actions de la Compagnie d'Aſie ont
valu dernierement 850 rixdalers , & celles
de la Compagnie des Indes Orientales 210.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 15 Octobre.
Les lettres de Pétersbourg parlent encore
d'une nouvelle attaque contre les troupes
Ruffes , effaiée par les Tartares des environs
du Cancafe , & dans laquelle ces derniers
ont été abſolument défaits. Ce qui eft plus
authentique , c'eft le congé donné à la flotte
de l'Amiral Krufe , après la revue qui en a
été faite à Cronstadt . En général les Offi- .
ciers fe plaignent de l'inexperience des équipages
, compofés en grande partie de nouvelles
levées , tirées des campagnes .
L'ouragan du 25 au 26 Septembre a été
funefte à beaucoup de bâtimens dans la Baltique
; les uns ont été jettes fur les côtes ,
d'autres ont perd 1 leurs mâts , & 18 ont
fait naufrage entre Wingo : & Marstrand &
près de Warsberg. On ignore encore les
noms de ces bâtim ins.
( 195 )
Le Roi de Suede a déclaré l'ifle de Saint-
Barthelemi un territoire libre , où toutes les .
nations jouiront en temps de paix & de
d'une liberté entiere de commerce
guerre
& où chacun pourra exercer le culte public
de fa religion.
On apprend par des lettres de Cherfon ,
que l'efcadre Ruffe fur la mer Noite eft
compofée de 3 vaiffeaux de ligne , de 74c. ,
de 15 frégates depuis 50 jufqu'à 36 can . &
de 4 cutters. Trois vaiffeaux de ligne font
en conftruction dans les chantiers de Cherfon
& de Sebaftopolis .
DE VIENNE , le 14 Octobre.
On a obfervé comme une chofe digne de
remarque , que le jour de l'arrivée du courier
, chargé de la nouvelle de la paix avec
la Hollande , étoit précisément celui de la
fête du Prince de Kaunitz. Cette circonftance
augmenta l'éclat de ce jour heureux..
Un grand nombre de perfonnes de diftinction
s'étoient rendues ici de Hongrie , de Bohême
& de Maehren , pour complimenter,
S. E. Le même foir , l'Empereur fe trouva
incognito à la Comédie , dans la loge de la
Princeffe Eli abeth ; ce Monare s'étant
haiffé pour regarder une fcene comiq e qui
P Toit dans le parterre , la falle retentit
auffi o d'acclamations redoublées.
fe
L'Archiduc Maximilien , Electeur de Cologne
, eft arrivé ici le s de ce mois. L'Em
i 2
( 196 )
pereur alla à la rencontre jufqu'à Saint - Hyppolite.
On continue à fe perfuader , que la miffion
du Comte Okelli , en qualité d'Envoié
extraordinaire de notre Cour à celle de
Drefde , a pour objet principal le mariage
du Prince Antoine de Saxe avec l'aînée des
Princeffes de Tofcane. De cette alliance ,
réelle ou imaginaire , on infere que l'Electeur
de Saxe ne reftera pas long-temps dans
la Ligue , dont il eft un des chefs , & qu'en
conféquence il ne fubfiftera plus de difficultés
à l'élection d'un Roi des Romains ; mais
ces conjectures n'ont gueres plus de poids
que les rumeurs fur lesquelles elles font établies.
L'ordre de rétrograder ayant été envoié
aux troupes en marche pour les Pays -Bas ,
le Colonel de Brentano fit halte , le 3 de ce
mois , & doit avoir repris la route de Linz ,
fon infanterie étant embarquée fur le Danube.
On croit que ce Régiment fera confervé
, mais qu'on réformera les autres Corps
de Volontaires de nouvelle création .
Le Cardinal Primat de Hongrie a obtenu
l'agrément de l'Empereur , pour retourner à
Presbourg , & pour établir fa réfidence qui
avoit été transférée à Bude.
Le Comte de Hazfeld , Miniftre d'Etat &
le Comte de Kollowratt , Chancelier , font
partis d'ici pour leurs terres en Bohême.
On affure que le Confeil d'Etat fera fup(
197 )
printé , & que S. M. I. fe propofe de nommer
quatre Confeillers du Cabinet , qui
partageront entr'eux les affaires politiques ,
militaires , judiciaires & de finances.
DE FRANCFORT , le 20 Octobre.
Le projet d'échange de la Baviere occu
pant toujours les efprits & les cabinets , on
nous faura gré de recueillir toutes les
pieces officielles qui ont cette grande affaire
pour objet. Voici le contenu de la
lettre circulaire , en date du 3 Juin dernier
, adreffée par le Comte d'Ofterman
aux Miniftres de l'Impératrice de Ruffie ,
accrédités auprès de la Diere & des différens
cercles ou Etats de l'Empire d'Allemagne.
L'Impératrice a été fort furprife , Monfieur,
d'apprendre les bruits qui fe répandent en Alle .
magne far des prétendus projets dangereux ,
formés par la Cour de Vienne au préjudice de
la liberté des États , & du maintien de la conftitution
germanique , & à l'exécution defquels
celle de Ruffle eft cenfée vouloir concourir &
prêter fon appui .
Si Majefté Impériale fe feroit à la vérité
fattée , que la conduite conflamment obfervée
de fa part , vis - à - vis de tout le Corps Germa
nique , & qu'Elle n'a jamais démentie en rien ,
la mettroit en fon particulier fuffisamment à
l'abri de pareils foupçons ; mais fon attente à
cet égard n'ayant pas été remplie , l'impératrice
juge à propos , pour conftater de rechef le
prix qu'Elle a attaché à la confidence des
Etats de l'Empire d'Allemagne , de vous char(
198 )
ger , Monfieur , de faifir toutes les occafions
Convenables à la Diéte ( à la Cour où vous
êtes , au cercle où vous etes acélité ) pour
démontrer la fauffeté abfolue de ces fuggeftions,
qui ne peuvent puiler leur origine , que dans
l'échange projeté par la Cour de Vienne entre
la Baviere & les Pays-Bas . Vous les réduirez
par conféquent à leur jufte valeur , en donnant
à conncître à tous ceux qu'il importera
d'en inftruire , qu'effectivement l'Impératrice ,
guidée par fon amitié pour S. M. l'Empereur
des Romains , auffi bien que par la conviction
qu'Elle ne s'écarteroit point en cela des prin-
-cipes de juftice & de délicateffe , qui font la
bafe de toutes les actions , a pris fur Ele de
propofer au Duc de Deux Ponts ledit échange ;
comme un arrangement qui , fondé d'un côté
fur la convenance réciproque des parties , &
de l'autre fur leur confentement libre & volon .
taire , ne pouvoit être contraire à l'efprit de
la conftitution . S. M. l'Impératrice ayant d'ail
leurs confidéré dans le cas préfent les ftipulations
bien claires du Traité de Bade , ratifié
l'Empire , en vertu defquelles la Maifon de
Baviere s'eft nommément réfervé le droit de
faire de pareils échanges , il ne lui feroit pas
tombé dans l'idée feulement , qu'une négociatien
, entamée fur de tels principes avec l'héritier
préfomptif des Etats de Baviere , feroit
jamais fufceptible d'une interprétation auffi finifire
qu'exagerée , d'autant plus que le refus
de celui- ci de rien conclure dans l'affaire en queftion
, a fuffi pour la laiffer tomber.
par
Une marche auffi fimple de procédure ne
fmbloit point être faite pour jeter l'alarme
dans l'efprit des Eats d'Allemagne , & il falloit
fans contredit beaucoup de mauvaiſe volonté ,
( 199 )
·
pour y trouver l'ombre d'un projet capable
d'altérer la conftitution ou de la menacer même
d'un bouleve fement total.
Auffi ' Impératrice fe feroit- elle difpenfée ,
de elever de pareilles imputation , en la iffint
au tem , & aux événemens le fon de prouver
l'intégrité , la droiture , & la conftance de les
principes , fi par la part plus dir . &te , que la
garantie du Traité du Telchen la met dans le
cas de prendre aux affaires d'Al emagne , fa
gloire n'étoit pas intéreflée à déracine? dans fa
fource même, toute opinion qui pourroit faire
révoquer en doute l'inviolabilité avec laquelle
Elle eft réfolue de remplir les engagemens
contractés. Vous ne manquerez donc pas , Monfieur
, de donner fur ces vrais fentimens de S.
M. I'Impératrice , auffi bien que fur ceux de
l'Empereur , fon allié , les plus forces affuran-
-ces à tous ceux qui n'en auron : la conviction
requife , ou qui par les bruits précalement
débités Vous auroient l'air de s'être laiffés
induire à cet égard dans des préventions queiconques.
>
L'Impératrice n'hésite point d'avouer ici formellement
, qu'Elle attache au Traité de Tefchen
la même fanction qu'à celui de Weftphalie , que
S. M. Impériale l'envifage comme une des
premieres loix fondamentales de l'Empire d'Allemagne
, & qu'elle eft i peu intentionnée d'agir
contre les obligations de fa garantie ,
qu'Elle ne voit pas même la poffibilité , que
celle- ci puiffe jamais entrer en colufion avec
l'alliance fubfiftante entre Elle & Sa Majesté
l'Empereur.
Si une pareille profeffion générale ne devoit
pas fuffire pour tranquilifer quelques - uns parmi
les Etats , & pour ramener ainfi tous les fafi
4
( 200 )
frages en faveur des deux Cours Impériales ;
vous pourrez , M. leur offrir au nom de l'Impératrice
de vous entendre encore plus particu-,
liérement là- deffus avec eux , afin de ne leur
laiffer rien à défirer , pour les convaincre qu'on
a voulu abufer de leur bonne foi , & les irriter
de gayeté de coeur contre les Cours fufdites , .
en leur faiſant accroire , que celles - ci auroient
conçu des vues propres à préjudicier à leurs
véritables intérêts , & à leur donner des appré
henfions juftes & fondées.
On apprend de Berlin que la fanté du
Roi eft parfaitement rétablie. S. M. P. a
envoié au Duc de Courlande le cordon de
l'Aigle noir , richement garni en brillans .
Le Duc d'Yorck eft parti de Potsdam, pour
aller à Hanovre.
Le Roi a fait don à la province de baffe
Siléfie de 100,000 écus & de 10,000 à la
ville de Schweidniz.
Le Miniftre de Ruffie a eu plufieurs conférences
avec les Miniftres du Roi ; & dans
la derniere il fut queftion d'un Mémoire de
la ville de Dantzick , relativement à la convention
qui jufqu'à préfent n'a pas encore
été exécutée.
On écrit de Caffel que le Landgrave de
Heffe étoit tombé malade depuis quelques
jours.
Par ordre de l'Empéreur , on a dreffé en
Hongrie des Etats de fournitures en blé , avoi
ne , foin pour les troupes qui y pafferont .
La même opération a été faite dans la
Haute-Autriche , où l'on cantonnera un Corps
de Cavalerie.
( 201 )
L'Empereur a ordonné d'établir , dans la
plupart des Provinces de la Hongrie , des étuves
pour les blés.
On apprend de Stutgard , que le 30 Septembre
le Confeiller d'Etat du Roi de Danemarck
, Jean Jacques Mofer , y eft mort
dans la 85e. année de fon âge. Ce favant
Publicifte eft connu par les nombreux ouvrages
qu'il a publiées fur l'Hiftoire & le
Droit public d'Allemagne.
ITALIE.
DE VENISE , le 4 Octobre.
7
Une lettre authentique du 20 Août dermier
, écrite à bord de la Fama , vaiſſeau
Amiral de l'Efcadre du Chevalier Emo ,
donne un détail très curieux de l'expédition
de cette efcadre contre la ville de Sfax dans
le royaume de Tunis.
Sfax eft fitué au fud de Sufe , à la diſtance de
150 mille par mer ; c'eft une des villes les plus
peuplées , les plus riches & les plus floriffantes
de l'Afrique ; il s'y fait un commerce confidérable
en huiles , grains , laines , pistaches , dattes
& autres productions du pays. La ville forme un
angle obtus ; elle eft fortifiée , & fes murailles
font fi hautes qu'elles cachent la vue des maisons,
de manière qu'on ne peut appercevoir du dehors
que quelques tours , mofquées & clochers. Les
bas-fonds qui l'environnent augmentent encore
la force de cette place . Toure la campagne à
F'entour eft couverte de jardins & de belles maitons
de campagnes , qui forment un point de
( 202 )
vue délicieux . Lors de notre apparition devant
cette ville , les habitans , qui font à la fois le
commerce & la courfe , avoient à la rade un
affez grand nombre de Chebecks & Galiotes ,
& ils ne s'attendoient nullement à recevoir la
vifite de gros vaiffeaux de guerre. La chofe même
étoit regardée comme impoffible , fur- tout depuis
ce qui étoit arrivé aux Français dans leur derniere
expédition contre la régence de Tunis. Ils
venoient de bombarder Biferte & Monafter , &
vouloient en faire autant à Sfax ; ils s'avançoient
dans ce deffein , & ils étoient déjà affez près de
la place , lorfque deux de leurs frégates eurent
le malheur d'échouer , & cet accident fit abandonner
l'entreprife . Mais le chevalier Angelo
Emo , ayant pris lui - même la fonde , trouva que
ce bas-fonds n'étoit compofé que de fange &
d'herbes , au moyen de quoi il parvint à gagner
le canal fans courir aucun danger. En conféquence
nous arrivâmes le 13 à deux mille de
Sfax avec la Fama , la Palma , la Diftru&tione ,
la Pallonia & la Galiote , après avoir fait un
trajet de 60 mille par des bas - fonds de fix à neuf
braffes d'eau au plus . Figurez - vous la furpriſe
des habitans à l'approche de fi gros vaiffeaux
( la Fama eft de 74 canons. ) Le Général fit
continuer le travail de la fonde par un de fes
Capitaines , & dans la journée du 13 les vaiffeaux
, mais fur- tout les barques s'approcherent
encore plus près malgré l'artillerie de l'ennemi .
Le 14 on commença l'effai des bombardes contre
la place qui ne fe trouva point à l'abri de leur
effet comme le croyoient toutes les nations de
l'Europe ; des obfervations fur les marées mirent
le Général à portée de profiter du moment
où l'eau étoit la plus haute. Il fit armer d'efpingoles
, les cinq barques avec quarante hom(
203 )
mes dans chacune . Ces bâtimens joints à la
Galiote s'avancerent le plus près poffible de la
terre , pour défendre les bombardes dans le cas
cù les Barba: efques auroient voulu les attaquer
avec douz galiottes & plus de foixante barques
qu'ils avoient en rade . A deux heures après minuit
les deux bombardes commencerent un feu trèsvif
avec leurs quatre mortiers . A quatre heures
du matin il étoit déjà tombé 31 bombes dans
la ville. Les ennemis nous canonerent des murs
& des forts de la place , mais fans aucun effet .
Le 17 la place fut encore non - feulement bombardée
, mais canonée par quarante pieces d'Artillerie.
109 bombes alors jettées dans la place
avoient renversé la Douane & la plupart des
maifons. Une infinité d'habitans à pied & à
cheval étoient raffemblés fur le rivage d'où ils
contemploient ce douleureux fpectale ; mais ils
ne tarderent pas à prendre la fuite quand ils
fe virent expolés au feu de nos canons . Suivant
le rapport d'un Tricolitain qui s'étoit fauvé à
la nage , la ville eft prefque entiérement détruite
& déferte. Le Général avoit ordonné aux
capitaines Bujello & Combatti de raffembler
des caiques & d'autres petites barques går
nies d'efpingoles & d'artifices pour mettre
le feu aux galiottes & barques de l'ennemi ;
mais on fut obligé de renoncer à certe entreprife
, elle n'auroit pu être effe&uée que par un
débarquement ; opération que la pefte affreuse ,
dont ce pays eft ravagé , ne permettoit pas de
tenter. Le 18 toute l'efcadre s'éloigna de cette
côte , après avoir lancé 341 bombes , dont 228
font tombées dans la place. L'ennemi a tiré
environ 200 boulets qui ne nous ont fait aucun
mal.
Suivant une autre lettre écrite à bord du
i6
( 204 )
"
même vaiffeau , & datée de Trapani , le 3r
Août , la Concordia avoit appareillé des
eaux de la Goulette pour une commiflion
fecrette. Le 29 , l'efcadre étant à la vue de
la Pantalerie , arraifonna la polacre du Ca
pitaine Zane , allant de Venife à Marſeille.
Celui-ci l'informa qu'il avoit rencontré près
de Malthe l'Amiral Quirini montant le
vaiffeau de ligne la Syrene , & accompagné
de plufieurs autres bâtimens de guerre ,
chargés d'approvifionnemens . Tous ces vaiffeaux
étoient deftinés pour l'efcadre du
Chevalier Angelo Emo. Cette réunion la
rendra forte de 15 vaiffeaux de guerre , puifqu'on
trouvera encore à Trapani la Concor
dia, les chebecs le Neptune & le Cupidon &
un autre bâtiment armé. Le 31 , l'efcadre
étoit à Trapani , fur le point , difoit - on ,
d'aller bombarder Biferte:
Quoique la Porte ait fait notifier à notre
Gouvernement qu'elle defaprouvoit la conduite
du Bacha de Scutari ; il n'a été infligé jusqu'à
préfent aucune punition aux aggreffeurs , ce
qui fait fuppofer une intelligence fecrette de la
part du Capitan Pacha qui paroit ennemi de
toutes les puiffances Européenes . Quoiqu'il en
foit , on fait ici de grands préparatifs de guerre ,
on leve beaucoup de troupes & on travaille
jour & nuit dans les arfenaux avec autant d'ardeur
que fi l'on étoit en guerre ouverte avec
le Grand-Seigneur.
>
Le Sénat a rendu un Decret , qui promet
10000 ducats de récompenfe à quiconque
( 205 )
livrera un nommé Hannibal Stiépan Mali ,
Vénitien d'origine , & qui s'étoit mis à la
tête des Monténégrins contre le Pacha de
Scutari. Les particularités qu'on débite fur
la vie de ce Perfonnage , font affez curieufes
pour être rapportées.
HANNIBALSTIEPAN naquit le 18 Février
1751. Il fe titre de Prince Caftrioto d'Albanie ,
enzieme petite fils du Grand - Scanderberg. A en
croire les Vénitiens , il eft né leur fujet ; quant
à lui , il fe dit parfaitement indépendant , étant
fils du Knès - Hnte & de Franca Marcowick , deſcendant
des vieux Bergers de l'Albanie. Cette
premiere contrariété fur fon origine , n'eft que le
prélude de celles qui jettent beaucoup d'ambiguités
& d'incertitudes fur fes aventures , d'ailleurs
romanefques par elles- mêmes.
Il les commença à l'âge de 17 ans ; s'il eft
vrai que ce fut lui qui , vers la fin de 1767 ,
joua le rôle du faux Pierre III , Empereur de
Ruffie , dont il a été tant parlé dans le tems , &
qui fit révolter fous ce nom une partie de l'Albaaie
Turque , quelques villes & villages de la
République de Venife , & tous ceux du Duché
de Monténégro , où il avoit établi fa réfidence.
Sans entrer dans les fuites de cette fourberie. ?
dont on peut voir les détails , entr'autres dans
une petite brochure , dont ce même Hannibal-
Stiépan a fourni tous les matériaux ; ( 1 ) nous
nous contenterons de remarquer que le principal
( 1 ) Elle a pour titre le Faux Pierre III , Empereur de
Ruffie , ou Stiepan -Mali , &c. avec cette Epigraphe :
Aude aliquid brevibus gyaris & carcere dignum 2
Si vis effe aliquid. JUVENAL , Sat. 1. v. 59+
( 206 )
héros étoit connu dans le pays fous le même
nom de Stiépan- Mli , ( r ) par lequel le Sénat
de Venife le défigne encore dans fon décret de
profcription.
Cette Comédie dura deux ans ayant fini au
mois d'Août 1769 par la retraite de Stiépan-
Mali , & par le bruit qu'il fit courir enfuite de fa
mort. Les Monténégrins l'avoient déja oublié ,
lorfqu'il reparut chez eux au commencement de
1771 , fous le nom de Stiepan Annibale . La confidération
dont fa famille jouiffoit , les qualités
perfonnelles , fes manieres infinuantes iui mériterent
la bienveillance de Sava Petrowitz , patriarche
du Monténégro , & lui gagnerent en peu
de tems l'affection de tout les habitans . Il en
obtint de l'argent , des paffe-ports , & même des
efpeces de pleins - pouvoirs , pour paroître à la
Cour de Pétersbourg , en qualité de leur Député .
Cette miffion étoit d'autant plus délicate à remplir
pour lui , qu'il avoit à craindre d'y être reconnu
pour le faux Empereur Ruffe , qui quelques
années auparavant avoit donné tant d'inquiétudes
à cette Cour . Il nous a affurés qu'effectivement
on en avoit eu quelques foupçons , mais
qu'ayant été prévenu à tems , il avoit trouvé le
moyen de fortir du pays , & avoit fait la route ,
de Pétersbourg à Francfort , à pied , & pour ainſi
dire , dénué de tout. Peu de tems après il s'attacha
à la fortune du Comte Oginski , Grand-
Général de Lithuanie ; il fe méla dans les troubles
de la Pologne ; le fit connoître du Prince
Royal de Pruffe , à qui il dédia plufieurs de fes
ouvrages , & dont il obtint la protection ; il par-
(1) Stiepan - Mali en Langue Efclavonne , Stephano-
Piccolo en Langue Italienne , c'eſt-à-dire , Etienne- le-
Petit.
( 207 )
9
courat les différentes parties de l'Europe , tantôt
pauvre & malheureux , tantôt richs & magnifique
, toujours fingulier & extraordinaie . C'eft li
qui fe fit remarquer à Spa , il y a quelques années
, fous le nom de Babylone , par fes prodigalités
• fes aumônes immodérées quelques
traits de violence , un excellent coeur & une
mauvaife tête. C'eſt lui qui fans être malade refta
fix mois de l'année 1783 dans fon lit , occupé
à lire & à méditer , à Ath en Hainaut ; c'eſt lui
qui au commencement de 1784 paffa quelques
femaines à Liege , où il vécut ignoré , & cù il
rédigea un projet , du fuccès duquel il fe tenoit
affuré , de mettre les Monténégrins fous la protection
de l'Empereur , & de lever dans fon pays
pour le compte de S. M. un corps de 10 mille
hommes ; c'eft lui enfin qui commande aujour
d'hui les troupes des Monténégrins , qui a rendu
inutiles & infructueux la derniere irruption &
même les fuccès du Pacha de Scutari , & qui eſt
pour ainfi dire parvenu à brouiller la République
de Venife avec les Turcs.
DE NAPLES , le Octobre.
Un particulier , pourfuivi pour meurtre ,
s'étoit retiré dans l'hôtel du Chevalier Hamilton,
Miniftre d'Angleterre. Quelques Officiers
de la Juftice eurent la hardieffe de violer
la franchiſe dont jouiflent les Ambaſſadeurs.
Ayant pris le temps où le meurtrier étoit
feul dans l'hôtel , ils l'arrêterent , & le conduifirent
en prifon . Mais fur les plaintes
très - vives du Chevalier Hamilton , il y eut
ordre de s'affurer de tous ceux qui avoient
concouru à cet atttentat ; & leur chef , ainfi
( 208 )
qu'eux , ne feront élargis que fur la demande
du Miniftre offenfé.
DE ROME, le 4 Octobre,
Hier , fur les 9 heures un quart du foir,
nous reffentîmes dans l'intervalle de 7 à 8
minutes trois ou quatre fecouffes de tremblement
de terre , dont une fut affez forte
pour déranger les meubles de plufieurs majfons.
Le Pape , qui n'étoit pas encore couché
, envoya fur le chanip dans différens
quartiers de la Ville pour favoir fi fon
peuple ne couroit aucun danger. On lui
rapporta que tout étoit tranquille , & que
le tremblement de terre avoit été infenfible
dans beaucoup d'endroits. Nous apprenons
que c'eft à Oftie , & le long du rivage de
la mer , que la fecouffe s'eft fait principa-
Iement fentir. Quoique des maiſons fe
foient écroulées , on ne dit pas cependant
que perfonne ait péri . On doit viſiter ce
matin l'Eglife de Saint- Pierre , & on faura
fi le dôme n'a pas été ébranlé. Nous attendons
avec impatience les nouvelles qui nous
viendront de la Calabre , & nous faifons
des voeux pour que cette malheureufe Province
n'ait pas plus fouffert que nous.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 28 Septembre.
La Gazette de cette ville , en date du
( 209 )
23 , rend compte en ces termes du voyage
à Maroc de Don Francifco de Salinas y
Monino , en qualité d'Envoié extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire de notre Cour.
» Le Roi , notre Souverain , voulant témoigner
à celui de Maroc fa fenfibilité pour toutes
les marques d'amitié , par lesquelles ce Monarque
s'eft diftingué , tant à l'égard de S. M. que de la
Nation Espagnole , depuis qu'il a envoyé Mohamet-
Ben - Otman comme fon Ambaffadeur à Madrid
, ( démarche , en confidération de laquelle
S M.a oublié le jufte reffentiment qu'Elle avoit
contre la Cour de Marcc depuis le Siège de la
Place de Melille en 1774 ; ) Ša Maj. avoit deftiné
dans cette vue le Lieutenant- Colonel Don Francisco
de Salinas y Monino , pour ſe rendre à
Maroc avec la qualité de fon Envoyé - Extraordinaire
& Miniftre Plénipotentiaire , & y porter
des Préfens dignes de celui qui les donnoit , &
de celui qui alloit les recevoir. En conféquence
notre Envoyé s'embarqua à Cadix le 27 Avril , à
bord de la Frégate la Ste. Lucie , & paffa à Mogador
de conferve avec le Brigantin el Vivo ,
emmenant avec lui les Préfens du Roi & 12 Efclaves
Algériens , remis en liberté , pour les préfenter
à S. M, Marocaine. Les deux Bâtimens
mouillèrent le 30 à Mogador , où l'Envoyé mit
pié à terre encore le même foir ; & les deux jours
fuivans on débarqua les Préfens. >>>
« Mr. de Salinas reçut beaucoup de marques.
d'attention & de politelle pendant tout le mois de
Mai , qu'il refta à Mogador par ordre de S. M.
Marocaine , afin d'y attendre l'arrivée de Sidy-
Abdalla Abdraxamini , Brau- Pere du Monarque ,
gui l'avoit chargé de faire les honneurs envers
l'Envoyé du Roi & de l'accompagner à la Cour de
( 210 )
Maroc. Celui - ci y fit fon entrée publique avec
beaucoup de pompe le 4 Juin . Par ordre de S. M.
Marocaine , les principales Perfonnes de la Cour
& de la Ville , un Prince détroné de l'Arabie , qui
fe trouvoit dans ce tems à Maroc , & une foule
innombrable de Peuple vinrent à fa rencontre hors
des Portes. Immédiatement après fon arrivée , le
Pacha de Duquela , Premier- Miniftre de S. M.
- Marocaine , vint rendre vifite à l'Envoyé & lui
dit de la part du Roi , fon Maître , « que la
Nation Elpagnole étoit celle qu'il eftimot le
plus , & que S. M. regardoit déjà comme » accordé
tout ce que l'Envoyé lui demanderoit. » Le
Souverain Maure confirma lui-même ces expresfions
dans la premiere Audience , qu'il donna à
Mr. de Salinas le 6 Juin , non pas dans le lieu ac-
-coûtumé , mais dans une Place voifine du logement
de l'Envoyé. Le Roi de Maroc y paffa de
fon Palais , pour diftinguer d'autant plus cette
·folemnité , quoiqu'alors il fût incommodé d'une -
Auxion fur les yeux. Dans la feconde Audience ,
qui eut lieu le 9 Juin , Sa Maj. Marocaine accorda
aux Espagnols un rabais de tous les Droits,
qui fe payent à l'exportation des legumes , du
gros & menu bétail, & des amandes : Elle accorda
en même tems une liberté entiere pour celle de
la volaille , des oeufs , des pommes d'orange ,
limons dattes , figues , & de toute forte de
verdures & de fruits , comme auffi du charbon
& du bois à brûler ; & Elle fi : la remife entiere
de tous droits de mouillage & de port à tous les
bâtimens E pagnols , qui viendroient prendre ces
denrées à Tétun , Tanger, & Larrache , laiffant
néanmoins fubfifter ces mêmes droits pour toutes
les autres Nations . Sa Maj. Maure permit de plus
à Don Vicente Tofigno de lever les plans de la
côte depuis Tetuan jufqu'au cap Sapartel ; &
.
( 211 )
Elle défigna deux Soldats pour l'accompagner
dans cette expédition . Sa Maj. Marocaine offrit
également d'eff &tuer , que les Maures , voifins
des places de Melille & d'Allucemas , remiffent
l'artilerie , au moyen de laquelle quelques uns
des chefs inquiets & rebelles de ces contrées in .
commodoient ces places , afin de prevenir par ce
moyen les excès , qu'ils commettoient contre la
volonté & fes ordres ; ajoutant que s'ils s'oublioient
encore à faire le coup de fafil contre
nos gens , Elle ne prendroit point de mauvaile
part , que ceux - ci y répondiffent de la même
maniere . Enfin ce Monarque donna à nos Mitfionnaires
la permiffion de vendre une mailon ,
qu'ils avoient à Tétuan , pour en conftruire une
autre à Tanger. Mr. de Salinas ayant fait de plus
des repréſentations en faveur de quelques Sujets
des Etats -Unis de l'Amérique , qui avoient été
faits Prifonniers fur un Brigantin de cette Nation ,
dont une Frégate Marocaine s'étoit emparée , Sa
Maj . Maure ordonna que l'Equipage Américain
& le bâtiment même fuffent remis à la difpofition
de l'Envoyé Efpagnol ; & Elie témoigna
en même tems fon defir de faire la Paix avec les
Etats - Unis de l'Amérique par l'entremise de S.
M. Catholique . Le Roi de Maroc remit encore
entre les mains de Mr. de Salinas fix Espagnols ,
nés dans les Illes Canaries , refte de plufieurs
autres , qui avoient fait naufrage fur le cap Non
au mois de Septembre de l'année derniere , &
que S. M. Maure avoit retirés d'entre les mains
des Barbares , qui habitent cette contrée ; & Elle
fi: livrer auffi fix D'ferteurs des Préfides . M. de
Salinas , à fon retour en Espagne , a remis les
Américains au Con ul de leur Nation à Calix , &
a laiffé pareiller ent le Brigantin à fa difpofition
, quoiqu'extrêmement maltraité : Il a fourni
( 212 )
1
aux Eſpagnols des Canaries dans le même Port les
moyens de retourner dans leur Pays natal ; & il
a fait livrer les Transfuges au Comte O Reilly ,
priant en même tems S. M. de leur pardonner leur
Délit ; ce qu'Elle a bien voulu accorder , comme
Elle l'avoit fait précédemment aux Transfuges
que le Rode Maroc avoit remis de la même
maniere à Don George Juan , lorfqu'en 1767 il
revint de ſon Ambaſſade, »
» Pour dernier préfent , que S. M. deftinoit au
Roi , notre Souverain , Elle fit donner à M. l'Envoyé
un Lion , un Tigre , une Hyène , quatre
Autruches , des Chèvres & des Moutons de Tafiler
, qu'on a fait paffer de Mogador à Cadix ;
& Elle lui a fait dire , que , toutes les fois que
les Espagnols auroient befoin de Grains &
qu'ils en demanderoient , il leur accorderoit de
les tirer de fes Etats.
•
Notre Envoyé eut fon audience de congé
du Roi de Maroc le 12 Juin ; & le 15 au foir
il partit de certe Ville pour Tanger , où il arriva.
le 3 Juillet , après avoir paffé à Salé , & c .
Une lettre de Sainte Croix de Ténériffe ,
'du 27 Août , porte ce qui fuit :
Le 19 de ce mois , nous vimes arriver dans
notre Port les Frégates Françoiſes , la Bouffole
& l'Aftrolabe , dont la deflination eft , par ordre
de la Cour de France , de faire le tour du
Monde , dans la vue de faire des découvertes &
des obfervations exactes pour tout ce qui appar
tient aux connoiffances phyfiques & à l'Hiftoire-
Naturelle. Ces deux Navires , ayant fait voile
de Breft le du courant , arrivèrent le 13 à
l'Ile de Madère . Le Marquis de Branciforte ,
Commandant- Général de nos Iftes , leur a rendu
tous les fervices , qu'on pouvoit attendre de l'amitié
& de l'Alliance qui fubfiſtent entre les
( 213 )
deux Cours , & que mérite le louable objet de
leur expédition. Avant- kier il a été donné aux
Officiers & autres , embarqués fur ces Vaiſfeaux
, par le Commandant - Général , à l'occaſion
de la fête de la Princelle des Afturies , une magnifique
fête & un bal , qui a duré toute la nuit .
Les perfonnes embarquées fur la Bouffole font le
Comte de la Peyrouſe , Capitaine de vaiſſeau
chef de l'expédition ; les Chevaliers de Clonard
& de l'Efcars , Lieutenants de vaiffeau ; le fieur
Botin & le Chevalier de Pierreverd , Sous - Lieutenants
de vaiffeau ; le fieur Colinet , Lieutenant
de frégate ; les fieurs Ceran , de Montarnal
& d'Arbaut , Gardes de la marine ; le fieur Broudac
, volontaire ; les fieurs de Moneron , Capitaine
au corps du génie ; Bernicet , Ingénieur-
Géographe ; d'Ageles , de l'Académie des Sciences
de Paris , comme Aftronome ; le Chevalier
de Lamanon , de l'Académie de Turin & corref
-pondant de celle de Paris , comme Phyficien-
Naturalife ; l'abbé Mongez , un des Auteurs du
Journal de Phy fique , comme Chymifte & Aumônier
; Roulin , Chirurgien - major ; le Cor ,
en qualité d'ajudant ; Duché de Vency , comme
Peintre ; Prévôt , Peintre d'hiftoire - Naturelle ;
Colimon , Jardinier - Botaniſte ; & 89 hommes
d'équipage . Sur la frégate l'Aftrolabe , íe trouvent
le Vicomte de Langle , Capitaine de vaiffeau
; les fieurs de Monty , Lieutenant de vaiffeau
; de la Borde Marchainville , de Vauguas &
d'Aigremont , Sous Lieutenants ; Blondelan ,
Lieutenant de frégate ; de la Borde de Boutervillen
, de Fiaffon , & de Laurifton , Gardes de
la marine ; Monge , Aftronome ; de la Martiniere
, Botanifte - Naturalifte ; l'abbé Receveur ,
Aumônier & Naturalifte ; Dufrefne , Naturalife;
Prevôt , Peintre ; Leffeps , Vice - Conful de
( 214 )
Prance à Cronfadt comme Interprète ; Laveau,
Chirurgien , & 94 hommes d'équipage.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 18 Octobre.
Lord Sydney, Secrétaire d'Etat au département
de l'intérieur , a été très - indifpofé
Pendant quelques jours . S. S. eft aujourd'hui
à peu près rétablie ; cependant , le Marquis
de Carmarthen eft encore chargé du portefeuille.
Le Chancelier a été auffi malade à
la campagne ; mais fans que fon indifpofition
ait rien eu d'alarmant .
Après un long féjour à Avignon , le Duc
& la Ducheffe de Cumberland font de retour
ici , & ont foupé avec le Prince de
Galles au Palais Carleton , le foir de leur
arrivée .
Le Général Haldimand , Gouverneur du
Canada , a pris définitivement congé de
S. M. Il emporte avec lui divers préſens deftinés
aux Chefs des Tribus fauvages du Canada
, alliées de la Grande Bretagne .
La pêche de Terre Neuve a été , certe année
, plus fructueufe que jamais , quoique la
quantité de vaiffeaux étrangers qui fe font
rendus fur les bancs ait beaucoup excédé le
nombre ordinaire.
La Compagnie des Indes a reçu la fâcheufe
nouvelle de la perre du vaiffeau l'Hinchinbrook
de 558 tonneaux , échoué dans la ri(
215 )
viere de Bengale. Trois feules perfonnes de
l'équipage ont été noyées ; mais on a é é
moins heureux à fauver la cargaiſon entiérement
perdue. Le Pigot , autre vailleau de
la Compagnie, eft arrivé fain & faut à Portf
mouth , avec un chargement qu'on évalue à
100,000 liv . fterl .
L'état de la Marine au fer. Octobre por e
264 vaiffeaux de guerre en différens ports ;
dans lesquels , 112 vaifleaux de ligne , 10 de
so canons , 104 frégates & 38 floops ou curters,
Trois vailleaux de ligne ont été lanc s
depuis la lifte fournie le mois dernier à l'Am
rauté. Trois autres vaifleaux de ligne &
quatre fregates fortiront des chantiers inceffamment.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Inde ,
par la voie de terre , annoncent la plus parfaite
harmonie dans les établiffemens de la
Compagnie, & que le pays commence à recouvrer
fon ancienne fplendeur. Les Prin
ces Indiens donnent les plus grands encou
ragemens à tous les militaires Européens
qui paroiffent difpofés à s'établir chez eux ,
& qui s'attachent à inftruire les naturels dans
la difcipline militaire ; il y en a deja un
grand nombre d'armés , & formés en corps
féparés , d'après la méthode Européenne.
Les mêmes lettres parlent d'une grande mé
fintelligence entre Tippoo Saïb & les Puif
Lances va fines : elles confirment aufli lebruit
répandu depuis quelque temps de la
( 216 )
mauvaiſe volonté du Roi de Candie envers
les Hollandois de Ceylan . Il exige un tribut
exorbitant du gouvernement de Batavia ,
pour permettre à la même nation d'occuper
les meilleurs ports de l'ifle.
Après de longs débats , l'Affemblée des
Directeurs de la Compagnie des Indes a réfolu
de permettre à fes Employés dans l'Inde
de tirer fur elle fix millions de liv . fterl .
Cette réfolution qui paroît fort étrange dans
les circonstances actuelles, n'a paffé qu'à une
foible majorité. Il est certain qu'aujourd'hui
les billets de la Compagnie à Bombay ne
s'escomptent pas au deffus de 25 pour cent.
Généralement , on fuppofe qu'il a été apporté
cette année en Angleterre , plus d'un million
& demi des différens établiſſemens dans
I'Inde .
Un Rajah Indien des territoires du Nabab
d'Arcott , eft arrivé depuis quelques
jours ici. C'eft un jeune homme de bonne
mine , habillé dans le coftume Afiatique
& qui fait une très- grande figure. Un defir
ardent de voir l'Angleterre , l'a déterminé
à ce voyage,
Les Hollandois ont fait courir le bruit que
la Canelle , en particulier , n'acqueroit aucun
degré de perfection , dans un autre ifle ou
partie du monde , que dans l'ifle de Ceylan.
Cette opinion erronée , a été adoptée dans les
géographies modernes ; mais les plants de Canelle
dont on avoit fait préfent aux habitans de
la Jamaïque , démentent aujourd'hui ces affertions
,
( 217 )
>
tions ; ils égalent en qualité ceux qui croiffent
à Ceylan , & il en fera exporté dans peu une
certaine quantité en Europe . Le Camphre
l'arbre à Pain y réuffiffent auffi très - bien , &
il n'y a pas de doute que toutes les épices de
l'Inde n'acquierent un degré de perfection convenable
dans un fol , & fous un climat qui reffemblent
fi fort à ceux où elles croiffent naturellement.
Les fonds publics hauffent de jour en jour.
Les 3 pour cent confolidés font aujourd'hui
à 63 & demi ; les Actions des Indes à 146 , &
celles de la Banque à 128. A la fin de Juillet
paffé , le premier de ces fonds étoit à 57 ; le
fecond à 132 ; le troifiéme à 119. L'eſpérance
d'une paix conftante fur le continent , l'expectative
des traités de commerce en négociation
, les fages opérations du Gouvernement
pour relever le crédit public & pour
accroître le revenu public , font préſumer
qu'avant le dividende de Noël , les 3 pour
cent confolidés feront à 70 .
L'Amiral Lord Keppel a offert au Prince
de Galles fa belle maifon de campagne de
Bagshot. Elle avoit été donnée par la Couronne
à la famille de Keppel fur les trois têtes
du feu Lord Albermale , du Général Keppel
& de l'Amiral qui l'a fort embellie . Le Prince
de Galles y a ordonné diverfes décorations
qui la rendront un des plus agréables féjours
de ce Royaume.
Nous apprennons par une lettre de la Dominique
, l'une des Caraïbes , qu'il regne parmi
les Noirs une maladie qui en a fait périr un grand
N°. 44, 29 Octobre 1785.
( 218 )
nombre en moins de 48 heures ; c'eft une fiévre
accompagnée d'une violente diarrhée &
d'un enrouement : cette maladie épidémique fait
bien moins de ravage parmi les blancs , quoiqu'elle
en ait emporté plufieurs . Les mêmes
lettres ajoutent que le Gouverneur Stewart , a
perdu l'ufage de fes membres , d'une attaque
de paralyfie , & , vû fon grand âge , on déſeſpere
qu'il puiffe fe rétablir , il prend néanmoins les
eaux , mais les habitans craignent qu'elles ne
produisent aucun effet.
L'on a commencé & l'on fuivra fans interruption
l'exécution du nouveau canal arrêté ,
entre Birmingham & Worceſter , & qui paffera
près de Bromsgrove , fur une étendue
d'environ 28 milles. Il viendra joindre la
Severn au deffous de Worcefter , & tranfportera
toutes les marchandiſes des belles manufactures
de Birmingham à Briſtol & dans les
parties occidentales. Les articles en retour ,
comme le fer en barre , les épiceries , dont
le transport étoit très-lourd par terre , feront
conduits fur ce canal à beaucoup moins de
frais. L'agriculture de la province n'y gagnera
pas moins que fon commerce , & la ville.
de Worceſter aura déformais le charbon de
terre à 4 shellings par tonneau , meilleur marché.
Les dépenfes de conftructions feront de
120,000 liv. fterl . & fe font aux frais des particuliers
. Les habitans de Worceſter & de
Birmingham font fi convaincus de l'utilité
de cette entrepriſe , qu'à l'ouverture de la
foufcription au mois de Septembre , ils ont
donné leur foumiffion pour 60,000 liv . ſterl .
( 219 )
On remarque qu'avant le miniftere de Robert
Walpole , le Gouvernement fentoit fi bien l'importance
& l'utilité du fonds d'amortiffement ,
qu'il préféroit un emprunt pour fatisfaire aux
dépenfes néceffaires , que de toucher à ce fonds
facré. Mais cette politique ne fut pas maintenue,
( par cette très - bonne , ou plutôt très mauvaiſe
raifon ) qu'il n'étoit pas de l'intéret des Miniftres
d'acquitter la dette de la Nation , afin de
conferver leur pouvoir.
La propofition faite par le Chevalier Walpole
en 1733 , d'emprunter de l'argent du fonds
d'amortiffement , caufa beaucoup de fermentation
dans la Chambre des Communes. On taxa
de trahison les efforts qu'il fit pour renverler
le palladium de l'Etat , ce beau monument de
gloire qu'il s'étoit fi hautement vanté d'avoir
élevé ! Vous vous attirerez , leur dit ie Chevalier
John Barnard , la malédiction des genérations
à venir. Tous les argumens & les dc amations
fûtent inutiles . L'adminiftration s'excula fur ce
qu'il falloit ailéger le fardeau fur les terres , &
que les circonstances cù le trouvoit le Royaume
étoient tellement changées depuis l'é abl.ffement
du fonds d'amortiffement , qu'il n'étoit
point néceffaire de fe preffer d'acquitter la dette
Nationale. Ce fonds fut en conféquence aliéné.
Dans le fait le mot du Miniftre étoit : fic volo,
fic jubeo.
Un de nos Papiers publics fait l'obfervation
fuivante , juſte ou non .
Il eft difficile de rendre compte des motifs qui
ont donné lieu à la dernière prohibition faite
par le Roi de France , des marchandiſes de mafactures
Angloifes , & on ne peut l'imputer qu'à
la balance de commerce que l'Angleterre a obk2
( 220 )
tenu en ſa faveur ; ſupériorité dont les François
avoient joui long-tems auparavant . Le Docteur
Davenant dans fon rapport aux Commiffaires pour
examiner & régler les comptes publics du royaume
, a prouvé que les importations de la France
excédoient , les exportations depuis la St. Michel
1662 , jufqu'au même jour 1663 , de la fomme
de 272,641 liv. 10 f,, & depuis 1668 jufqu'en
1669 , de celle de 432,884 liv. 12 1. Il eft prouvé
d'après une repréſentation faite à Sa Majesté par
les Lords Commiffaires du commerce & des
Colonies en Décembre 1697 , que la balance
du commerce entre la France & l'Angleterre a
été d'environ un million par an en faveur de
la première. Dans la troiſième année du regne
de Charles II . il interdit tout commerce avec la
France , & dans le préambule de l'acte il al-
Jégua pour motif de cette prohibition la balance
de commerce qui fe trouvoit contre l'Angleterre.
En 1731 , la réciprocité paroit s'etre
établie entre les deux pays , puifque les importations
de cette année dans le port de Londres
font montées à 178,781 liv . 2 f. 2 d . , & les
exportations pour la France du même port à
177,960 liv. , outre les marchandiſes pour la
valeur de 94,233 liv. 5 L. 6 d. exportées du
même port fans certificat , de forte que dans
cette année la balance a été en faveur des Anglois
& qu'elle s'eft accrue probablement depuis.
Un accident affreux , arrivé dernièrement
à une jeune femme de qualité , eft bien propre
effrayer fur les fuites d'une opération , à laquelle
les Dentiftes & ceux qu'ils inftrumentent
fe prêtent trop fouvent fans réflexion.
Il a été communiqué au Collège des Médecins
de cette ville par le Vice - Préfident
( 221 )
de cette Société , qu'on avoit appellé trop
tard au fecours de la victime.
Certe jeune perfonne ayant perdu une des
dents du devant de la bouche , ſe laiſſa perfuader
par fon dentiste de remplacer le vuide par
une dent tranſplantée ; la crainte de paroître
difforme , lui fit goûter ce confeil : on prit en
conféquence une dent que l'on crut fort faine ,
& le vuide fut rempli , en apparence , avec le
plus grand fuccès. Cinq ou fix femaines après ,
la demoiſelle reffentit de grandes douleurs à la
bouche , fes gencives fe couvrirent d'ulceres , fa
bouche & fa gorge en furent remplies ; fes dents
tomberent les unes après les autres , & bientôt on
défefpéra de pouvoir fauver l'infortunée victime
de cette opération dans cet état pitoyable , on
confulta un médecin célebre , qui foupçonnant
que le mercure feul pouvoit corriger ce défordre
, en recommanda l'ufage modérément &
avec précaution ; la malade reçut d'abord quelque
foulagement , mais le mal avoit fait trop
de progrès on lui ordonna l'air de la campa
gne , pour l'empêcher de tomber dans le ma
rafme ; elle fe rendit dans une terre de fon pere
à petites journées , mais à peine y fut- elle arrivée
, que , fans éprouver une augmentation de
douleurs , elle rendit le dernier foupir.
M. Box , propriétaire terrien très - éclairé ,
a publié dans le Gentleman's Magafine du
mois d'Août , une recette pour fubvenir à la
difette de foin , qui ne fauroit être trop répandue
, & dont l'effai n'eft pas difficile à
répéter.
Faites bouillir une poignée de foin dans trois
gallons [ mefure contenant environ quatre pintes
de Paris ] d'eau , & dans la même propork
3
( 222 )
tion pour une plus grande quantité , ou , ce qui
revient au mêmee , verfez de l'eau toute bouillante
fur votre foin . Vous donnerez cette eau
à boire aux beftiaux & aux chevaux lorfqu'elle
fera réfroidie . Si les beftiaux étoient malades ,
ou que les femelles euffeut été recemment couvertes
, il faudroit la leur faire boire tiéde .
Ce breuvage eft fi nourriffant qu'il engraiffe le
bérail , donne du lait en abondance aux vaches ,
facilite l'évacuation des urines dans les chevaux &
les entretient dans la plus grande vigueur. Il
en refulte encore l'avantage d'économifer beaucoup
le foin. Puifque par ce moyen un cent
de foin fait huit fois plus de profit . D'abord
les beftiaux paroiffent ne pas goûter cette boilfon
; mais fi l'on attend qu'ils ayent foif , on
les verra en boire fans répugnance.
C
Les Habitans de la Suède , & d'autres contrées
Septentrionales lorſqu'ils éprouvent diſette
de fourrage , employent conftamment cette méthode
avec fuccès pour les beftiaux & les chevaux.
Il y a lieu de croire qu'elle réuffiroit
également bien pour les moutons dans les hivers
rigoureux ou pendant les neiges , particuliérement
fi l'on ajoutoit à ce breuvage un peu
de fel , comme il eft d'ufage en Espagne pour
affiner les laines , fortifier le bétail & prévenir
les épidémies.
Le foin , après avoir été ainfi infulé , & féché ,
peut être employé à faire des litières qui fourniront
un excellent fumier. Ce foin épargnera
auffi la paille qui fouvent eft d'une grande
rareté.
L'anecdote fuivante n'étoit pas encore
connue , & elle eft atteftée par un ami du
Général Paoli.
Pendant la conquête de la Corfe par les Fran(
223 )
çois , un des habitans de cette Ifle , iffu d'une
famille refpectable , fut condamné à mourir pour
un crime atroce . Le Lieutenant Elvardo , fon
neveu , accablé de chagrin , s'adreffa en ces
termes au Général Paoli : « Monfieur , fi vous
» pardonnez à mon oncle , fes parens donne
:> ront mille fequins à l'Etat , & fourniront en
outre cinquante foldats , tant que durera le
Siége de Furiali. Contentez -vous de le ban-
» nir , & il ne reviendra jamais ». Paoli , qui
connoiffoit le mérite de ce jeune homme , Îui
répondit « Vous favez les détails de l'affaire':
je confentirai à faire grace , fi vous me dites ,
fur votre parole d'honnête homme , que cette
» conduite fera jufte & honorable à la Corſe » .
Le jeune homme fe cachant le vifage , fondit
en larmes , en s'écriant : « Je ne voudrois pas
» que l'honneur de mon Pays fût vendu pour
mille fequins ».
">
:
Nos Gazettes rapportent un phénomène
phyfiologie , tellement extraordinaire , qu'il
eft à defirer qu'on en ait conftaté l'authenticité
& les véritables particularités.
Marie Bradcock , femme d'un pauvre labou
reur , dans la paroiffe de Dalinghoé , prés de
Wickham Market, dans le comté de Suffolk , fut
faifie durant le rude hiver de 1783 d'une douleur
dans la plupart de fes membres qu'elle attribua
à un rhumetifme. Un jour en traverſant ſa maifon
, fon pied heurta légèrement contre une
brique , & elle fut furpriſe de trouver que fa
jambe s'étoit caffée près de la cheville . Avant
qu'elle fût rétablie de cet accident , elle devint
enceinte , comme elle étoit foible & infirme,,
fon_mari l'aidant un jour à fortir du lit , l'os
de fa cuiffe gauche fe brifa en pièces , fans auk
4
( 224)
tre force que celle de fon propre poids , en
tombant à la renverfe. Un Chirurgien habile &
expérimenté remit cette feconde fracture ; mais
bien -tó: après elle fe caffa le bras gauche près
de l'épaule , en s'appuyant fur le bras de quelqu'un
qui l'aidoit à fortir du lit ; bientôt il s'y
forma un calus , & elle fe trouva bien ; mais
elle ne fut pas long- tems à avoir l'os de la cuiffe
droite caffé très- près de la hanche , étant dans
fon lit ; quelque tems après il fut caffé plus bas
vers le genou , en faisant un mouvement . La
clavicule du genou fe fépara auffi , fans aucun
accident , & fans effort. Son bras droit fe callą
enfuite en levant d'une table un baffin d'une
pinte. Elle eft actuellement au lit de la troifième
fracture de la cuiffe droire .]
Ce dernier accident lui arriva il y a quinze
jours , en fortant de fon lit ; elle fe la caffa
vers le genou , près de l'endroit qui avoit été
caffé auparavant , & qui avoit fait calus. On
laiffe aujourd'hui croître les os enſemble , d'une
maniere irréguliere , par la feule affiftance des
compreffes , & bandages ; parce que fi on lui
étendoit les membres , on courroit le rifque
de voir fes os fe brifer en vingt pieces. La
fituation de cette femme eft fi déplorable qu'on
n'ofe pas la remuer pour faire fon lit , dans la
crainte de lui brifer les os . Elle a trente deux
' ans , eft fort délicate , & extrêmement pâle ;
elle a eu huit enfans , a toujours mené une vie
fobre , n'a jamais pris de médecines d'aucune
efpece ; mais a en général joui d'une affez bonne
fanté. On n'apperçoit aucune cauſe évidente de
ce phénomène fingulier. Avant que les os fe
caffent , elle fe plaint toujours pendant plufieurs
femaines d'une douleur à cet endroit même ;
& cette douleur va toujours croiffant jufqu'à ce
que la fracture fe faffe ; elle ceffe alors dans
( 225 )
peu de jours ; & les os fe rejoignent dans cing,
fix , ou fept femaines. Elle reffent maintenant
une douleur à un bras , & elle s'attend à la voir
Le terminer par une fracture. Cette pauvre femme
a eu huit fractures dans un an & demi ,
dont fept lui font arrivées dans cette derniere
année , & toutes fans aucune caufe extérieure
à laquelle on puiffe les attribuer.
FRAN. C E.
DE PARIS , le 26 Octobre.
Les 313 Captifs , rachetés dans le royaume
d'Alger par les Mathurins & par les
Religieux de la Mercy , ont été conduits en
proceffion dans tout Paris , pendant trois
jours confécutifs. Les feuls Religieux Rédempteurs
ont fait la quête , & elle a dû
être confidérable , fi elle a répondu à l'impreffion
de ce touchant fpectacle. Non feulement
la Caiffe de la Rédemption a été
épuifée par les avances qu'a exigé le dernier
rachat ; mais il faut encore pourvoir aux
rachats fubféquens , & les aumônes peuvent
faciliter cette belle oeuvre de la Religion &
de l'humanité.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 28
Septembre 1786 , qui accorde des Primes d'encouragement
aux Négocians François qui tranf
porteront des morues féches de pêche nationale
dans les Ifles du Vent & fous le Vent , ainfi
que dans les ports de l'Europe , tels que ceux
d'Italie , d'Espagne & de Portugal . Ces primes
qui feront accordées pendant le tems & efpace
de cinq ans , à compter du premier Octobre
1785 , feront de 10 liv. par quintal de morues ,
féches , tranfportées foit des ports de France ,
k
S
( 226 )
foit des lieux où aura été faite la pêche , dans
les îles du Vent & fous le Vent , & de 5 liv.
par quintal de celles tranſportées dans les ports
d'Europe , tels que ceux d'Italie , d'Epagne
& de Portugal , fous la condition que ces morues
feront de pêche françoife , & que l'exportation
s'en fera fur Navires François. Les Capitaines
des Navires qui partiront des lieux de
pêche , feront leur déclaration tant au greffe
de l'Amirauté , qu'au bureau du Domaine où ils
aborderont ; ceux qui partiront des ports ide
France , la feront de même au greffe de l'Amirauté
, & au bureau des Fermes, du port de
leur départ. Dans les dix premiers jours de chaque
mois , les Procureurs de Sa Majefté des Amfrautés
des ports de France , enverront au Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Marine
, & les Directeurs du bureau des Fermes ,
au Contrôleur général des finances , un état
des déclarations expédiées le mois précédent.
Ces Primes fe payeront en France trois mois
après la remife des expéditions certifiées véritables
; les Armateurs des bâtimens de la
pêche fédentaire qui ne feront point leur retour
dans les ports de France , y enverrant ces
pieces en forme , & chargeront un Correfpondant
de toucher pour eux le montant de la Prime
qui pourra leur revenir. En cas de fraude ou
fauffeté des eertificats & déclarations ordonnés ,
les Capitaines ou autres qui en feront prévenus
, feront pourfuivis extraordinairement , felon
la rigueur des Ordonnances , & l'Armateur
condamné au paiement du quadruple de la fomme
à laquelle pourront s'élever les Primes ,
dont les certificats auroient procuré l'acquittement.
Autre da 25 Septembre , portant à 5 livre
par quintal la taxe impofée fur la morue de pêche
( 227 ).
étrangere qui fera importée aux ifles de l'Amérique
, du Vent & fous le Vent.
Nos ports , à ce qu'on dit , contiennent
actuellement 57 vaiffeaux de ligne , ou neufs
ou refondus , en état de tenir la mer ; & à
la fin de l'année prochaine , on efpere qu'il
y en aura 70. Les bois , les chanvres arrivent
de tous les côtés , & depuis deux mois
on travaille dans les chantiers de Toulon ,
de Rochefort , de Breft , fêres & dimanches.
Un vaiffeau de 74 vient d'être lancé à Breft ,
en préfence de M. le Comte de Montmorin
, Commandant de la province . Un autre
de même force fera mis à l'eau à la fin
de ce mois alors on en mettra un de 110
can. fur les chantiers , & un autre de 74 ;
car les plus foibles vaiffeaux de ligne feront
tous dorénavant de cette force. Les Marins
favent bon gré au Maréchal de Caftries du
parti qu'il a pris d'envoyer des mâts à la
Martinique , à S. Domingue , &c. Nos flot--
tes ont fouvent fouffert du manque de rechange
, dorénavant elles trouveront dans
nos ifles tous les cables , les bois & la mâture
dont elles auront befoin . Afin que les
bois ne fouffrent point de la piquûre des
vers , ils feront conftamment tenus fous
l'eau , dans des emplacemens auxquels on
travaille actuellement.
La muraille qui doit ceindre Paris , s'éleve
à vue d'oeil. A toutes les ouvertures qui
feront dorénavant les feules portes & les
feules barrieres de Paris , on bâtit des logek
6
( 228 )
"
mens pour les gardes ; & l'Architecte , M. le
Doux , qui aime les colonnes , n'a pas
manqué d'en décorer les habitations de ces
Meffieurs.
L'un des deux côtés intérieur de l'Eglife
de Sainte Genevieve eft entierement terminé
; il est débarraffé aujourd'hui de tous fes
échaffauds ; & l'entrée en eft permiſe à toutes
perfonnes d'un certain état . L'exécution de
ce bel édifice , fon ordonnance majestueuse ,
l'élégance de fes colonnes , la richeffe des
fculptures méritent de grands éloges. On
travaille au Dôme actuellement ; & comme
il y a des fonds affectés chaque année pour
cet objet , on efpere que dans 7 ou 8 ans
ce monument fera entierement terminé.
Il y a à l'Académie Françoiſe deux penſions
de deux mille livres chacune que le Roi n'accorde
qu'aux Académiciens irréprochables dans
leurs moeurs & leurs écrits. M. Thomas en a
fait vaquer une qu'a obtenue M. Bailly , le feul
Savant , qui depuis Fontenelle , eft , comme l'on
fait , des trois Académicies. Celle de 800 liv.
fur la caffette du Roi , & les 200 liv. fur les
Bâtimens qu'avoit encore M. Thomas , a été
donnée à M. Marmontel .
L'Académie Royale des Infcriptions , & la
Littérature ont perdu , le 8 de ce mois ,
M. de Burigny , né à Rheims , en 1692 , &
mort par conféquent dans fa 94e . année.
Ce Savant , laborieux & eftimable , étoit
ce moment Doyen de la Littérature.
Très -verfé dans l'érudition hiftorique , on
lui doit divers ouvrages inftructifs , entr'au(
229 )
tres l'Hiftoire de Sicile & celle des révolu
tions de l'Empire de Conftantinople . Le
Recueil des Infcriptions & Belles -Lettres
renferme un grand nombre de Mémoires
donnés par M. de Burigny. Peu avant fa
mort , S. M. lui avoit accordé une penfion
de deux mille livres.
Nous n'avions pas daigné recueillir le
conte abfurde inventé par un Folliculaire
Anglois , & répété par cent Gazettes , tou
chant la prétendue captivité de M. Fran
klin à Alger. Après une traverfée de quarante
huit jours , ce refpectable vieillard eft arrivé
le 14 Septembre à Philadelphie . Le 23
Août , fon vaiffeau éprouva une tempête
de 24 heures. La fanté de M. Franklin eft
meilleure qu'à fon départ , & il eft à defirer
pour le bonheur des Etats - Unis , qu'une
tête auffi précieuſe foit long- temps préfervée.
Dès que le bâtiment qui portoit M.
Franklin , fut entré dans la Delaware , les
vaiffeaux de toutes les nations , même les
Anglois , furent pavoifés ; leur artillerie fe
fit entendre toute la journée ; la ville entiere
reçut ce grand citoyen à fa defcente avec
des acclamations , des cris de joie , des bénédictions
, & la multitude mêla fes larmes
à celles de la famille de M. Francklin .
L'Evêque de S. Malo , M. Deslaurents,
eft mort fubitement dans fon diocefe.
.
Gafpard le Compaffeur Créqui - Montfort
, Marquis de Courtivron , Meftre decamp
, Chevalier de l'Ordre royal & mili(
230 )
taire de Saint- Louis , Commiffaire perpétuel
pour l'impofition de la Nobleffe de la province
de Bourgogne , & Membre de l'Académie
des Sciences , eft mort en fon château,
de Courtivron , les de ce mois , âgé
de 71 ans.
PAYS - B A S.
DE BRUXELLES , le 23 Octobre.
La Province de Gueldres s'eft expliquée
fur les Préliminaires de la Pacification , à
peu près dans le même efprit que la Province
de Zélande. Voici une copie de la
réfolution des Etats affemblés à Nimegue
le 30 du mois paffé ; copie plus exacte que
celle dont nous avons rapporté la fubftancè
antérieurement . L. N. P. déclarent :
>
" Qu'elles ont vu avec beaucoup de furprife ,
par les articles préliminaires les con-
>> ditions dures & humiliantes & les facrifices
» exigés de la République , & auxquels l'envoi
" préalable de Députés à Vienne avoit porté
le comble. Qu'entre autres , on avait laiffé
inécis le dédommagement pour la ceffion
de Dahlem que L. N. P. jugent , que l'une
» & l'autre de ces circonftances prifes enfemble
n'avoient jamais pu ni du avoir lieu ,
finon après une guerre malheureufe , lorfqu'on
s'y feroit déterminé fans porter atteinte
ni à l'honneur ni à la dignité de la Répu-
" blique qu'ainfi L. N. P. ne fauroient que
juftifier la conduite que leurs Députés , at
5 Comité des Affaires Etrangeres ont tenue le
15 & le 16 Septembre ; qu'auffi Elles y
םכ
כ כ
( 231 )
2
adherent par la Préfente , fe tenant en conféquence
hors de toute refponfabilité , tant
» à l'égard des Citoyens de la République enpotiere
que de ceux de cette Province , rela-
» tivement à toutes les fuites ultérieures qui
" en pourront réfulter un jour ou l'autre ; &
laiffant la ratification defdits articles préli-
>> minaires à la Province , laquelle a détermi
» né la conclufion des inftructions , envoyées
en dernier lieu aux Ambaffadeurs de la République
à Paris. »
La Frife n'a point encore fait connoître
fes intentions on croit que la province
d'Utrecht & celle d'Overyffel feront plus
favorables à l'opinion des Etats de Hollande
, & qu'on décidera peut -être la province
de Groningue à s'y conformer .
Nonobftant les Requêtes , Adreffes , Mémoires
, démonftrations de plus d'un genre
-d'une partie des habitans d'Utrecht à la Régence
de leur ville , & enfuite aux Etats de
la Province , le Réglement de 1674 qui
attribue au Stathouder le droit de nomination
aux Magiftratures , a été exécuté le
12 ; les fujets préſentés par le Prince d'Orange
ont été élus , & ont prêté ferment.
On s'attendoit à quelques mouvemens de
la part des Repréfentans ; mais jufqu'ici on
n'apprend pas que la tranquillité publique
ait été troublée . Quoique diverfes Gazettes
de Hollande aient publié à l'avance une
prétendue réponſe négative des Etats de
Hollande au Roi de Pruffe , il eft certain
qu'une pareille réfolution eft encore bien
T
4
( 232 )
་
loin d'être arrêtée , & probablement elle ne
le fera pas fitôt. с
La ratification de la convention entre le
Roi de Pruffe & la ville de Dantzick
éprouvant toujours des difficultés , M. de
Kalitcheff , Miniftre de Ruffie à la Haye ,
avoit demandé au nom de la Cour aux
Etats - Généraux de s'intéreffer , auprès de Sa
Majefté Pruffienne , en faveur de la ville de
Dantzick. LL. HH. PP . ont décliné cette
interceffion dans une réponſe motivée avec
beaucoup de prudence.
Une lettre d'Amfterdam du 6 Octobre
rapporte en ces termes une anecdote récehte.
Nous venons de perdre le Baron de S. Il***
connu dans fes provinces fous le nom de profeffeur
F*** il eft parti d'ici mardi matin fans
qu'on fache encore le lieu de fa retraite. Voici
dit on , la raison de fon départ ; cette verfion
eft la plus authentique. Un nommé Jean S** /
muficien , lui donnoit leçon de cor , & enfeignoit
la mufique à une jeune pupille que le
Baron aimoit extrêmement Par un abus pus
niffable de fon art , le Maître a donné des leçons
d'amour & de mufique , & eft parvenu à
féduire la jeune perfonne , fous promeſſe de mariage.
Le tour eft venu à fe découvrir , & l'on
dit même que la pupille , fatiguée des lenteurs
du muficien , dont elle a fufpecté l'honnêteté,
l'à découvert à fon tuteur , en lui produiſant
les témoignages de la feduction & de la promeffe.
Dès le lendemain , le Baron eſt allé chez
S*** avec une promeffe de mariage en forme
qu'il lui a propofé de figner ; fur le refus , il
lui a , dit-on , laiffé une autre option , celle de
( 233 )
1
fe battre à coup de piftolet. Le muficien
interdit , a balbutié , prié , enfin à refuſé l'un
& l'autre parti. Son adverfaire étoit preffant
il ne s'agiffoit même point de remettre la fatisfaction.
Le maître de cor n'a rien trouvé de
mieux que de demander répi jufqu'au lendemain
matin , afin , difoit-il , d'arranger fes affaires &
de fe pourvoir d'argent , s'il avoit le malheur
de tuer. La raifon étoit plaufible , elle a été
accéptée ; mais le galant , n'avoit rien moins
d'envie que de tenir fa parole ; il ne cherchoit
qu'une défaite. En effet , le trop ardent ,
comme trop généreux Baron , fe morfondit inutilement
à l'attendre. Le lundi matin , il retourna
chez lui ; il étoit configné , & ce ne fut
que par rufe qu'il parvint à s'introduire dan
la maifon où loge le muficien. Il frappe longtems
à fa porte , enfin le frere ouvre ; mais
il céle fon lâche frere qui s'étoit caché au
pied du lit fous un tas de couvertures , où le
Baron irrité , le découvrit & le traita comme
il auroit dû faire le premier jour , comme il
convenoit à un homme de fa forte , comme
un galant homme devoit agir envers un vil ſuborneur
, qui étant à fes gages , avoit ofé abufer
de fa maiſon. Le frère voulut défendre fon
frere ; mais fans doute auffi braves l'un que
l'autre , ils ne furent pas de force , & i's mirent
l'alarme dans toute la maifon . L'hôte , maître
tailleur , accourut avec le couteau de chaffe
qui lui fert à monter la garde ; la femme ,
les fervantes ; tous s'y joignirent & firent lâcher
prife. S*** qui , avec plus d'honnêteté auroit
du ménager la fille qui l'avoit cru , a porté
plainte au grand Officier , qui a décrêté le
malheureux Baron. Il eft parti avec uné
moitié de vengeance , pour le fouftraire à la
( 234 )
vindicte des loix très féveres , ici , en tout
ce qui regarde les duels & le batteries : mais
fe promettant bien d'affommer le muficien partout
où il le trouvera. Ce qu'il y a de remarquable
, & ce qui doit fervir de leçon à tous
ceux qui ont des filles à garder , c'eſt que S***
quand il eft venu ici , il y a deux ans environ
étoit avec la fille d'un Major Autrichien , qu'il
*
avoit enlevée de la même manière à Malines.
Le père courut après ; mais ne put les joindre
qu'en cette ville . Il récláma l'autorité de M.
de Calcoen , alors grand Officier , qui lui
rendit fa fille , & le fuborneur jouit de l'impunité
à la faveur de la liberté & de la douceur
des loix du pays.
La nuit du 9 au 10 , on fut très-allarmé à
Malines par l'incendie d'un amas de bois ,
entouré de trois bâtimens. La violence du
vent donnoit de l'activité & de l'étendue
aux flammes ; les magaſins épars autour de
la ville redoubloient les inquiétudes. Heureufement
après quelques heures, de travail
on parvint à refferrer le feu qui a dévoré un
feul édifice.
Paragraphes extraits des papiers Anglois & autres.
Il y a déjà préfentement trois Provinces , du
nombre des fept Etats confédérés de la République
, qui ont confenti à la ratification des
Préliminaires avec l'Empereur . Les Etats de
la province d'Utrecht , affemblés le 12 de ee
mois , en ont pris ce jour-là la réfolution L'Ordre
- Equeftre , qui fait l'une des trois voix affemblées
, a , dit , » que puifque plufieurs d'entre
» les Confédérés fembloient ne pouvoir ſe dé -®
( 235 )
» terminer à s'oppofer de vive force aux demandes
de l'Empereur , la Nobleffe d'Utrecht
confentoit , quoique bien malgré elle , à ache-
>>> ter la paix » Dans une feffion extraordinaire
que les Etats d'Over-Yffel ont tenue, Leurs Nobles
Puiffances ont pareillement déclaré , « qu'Elles
> confentoient à ratifier les Préliminaires de
» la Paix , mais fous la condition expreffe
» que par le Traité définitif , l'on détermineroit
» d'une façon claire & pofitive , tous les points
» qu'on pourroit regarder comme douteux &
ود
fujets à des explications contradictoires , par-
» ticulierement l'article qui regarde la Souveraineté
de l'Escaut & la clôture de ce fleuve . »
Plufieurs de nos Généraux que l'apparence des
hoftilités avoit raffemblés à Breda . ont déjà quitté
ce rendez- vous général ; mais le Lieutenant- Ge
néral de Sandoz y eft encore resté pour commander
les troupes cantonnées fur la frontiere
de la Baronnie de Breda . ( Gazette de Leyde ,
n°. 83 ,' )
Le Régiment de Huffards de Wurmfer , les
deux régimens de Dragons de Cobourg &
de Tofcane , ainfi qu'une Compagnie de Mineurs
& Sapeurs quittent les Pays- Bas Autrichiens ; les
Huffards de Wurmfer prennent la route de
Braunau par Eger & le pays de Cobourg , & les
Dragons celle de Pilfen : tous trois doivent
fe rendre en Bohême. Les Régimens d'infante
rie de Preiff , Teurfcheifter , batermann & Pic
lier , s'en retourneront par la Suabe . D'après
une récapitulation imprimée , l'armée Pruffienne
forme 192,374 hommes ; favoîr , 152,829 hommes
d'infanterie , & 39,545 de cavalerie , fans
compter 1582 artilleurs , & 29 pontoniers . (Nou
velles d'Allemagne , no. 165.)
On mande de Varfovie que plufieurs Grands
( 236 )
du Royaume viennent de témoigner hautement
leur mécontentement fur plufieurs objets dont
on ignore encore la nature , & le font retirés
à Dubno. On remarque une grande fermentation
, mais la cauſe en eſt abſolument inconnue.
( Nouvelle d'Allemagne , n°. 166. )
Nous apprenons de Berlin , que S. M. Pruffienne
vient d'ordonner l'établiſſement de 80
magafins additionnels , dans les différentes provinces
de fon Royaume. C'eft par de pareilles
précautions que ce grand Monarque eft parvenu,
depuis le commencement de fon regne , à prévenir
les famines dans les mauvaiſes années ,
& à doubler la population de fes Etats. Mais
dans les circonstances préfentes , ne pourroit- on
pas foupçonner à l'établiffement des nouveaux
nagafins , une caufe malheureufement plus affligeante
pour l'humanité ? Les mouvemens des
troupes Pruffiennes en Silefie , dans le Duché
de Clêves , &c. &c. ne font guères propres à
nous raffurer à cet égard. ( Idem. ) .
Caufe extraite du Journal des caufes célébres [ 1 ] .
Jeunefille , âgée de 13 ans , qui mit lefeu à la maiſon
de fon maitre pour le voler.
Londres & Paris ont vu dans le même mois deux
exemples bien affreux de fcélérateffé . Les annales
criminelles en contiennent heureufement peu de
femblables. On ſe rappelle avec horreur le forfait
[1 ] On foufcrit en tout temps pour le Journal des
Caufes célebres , chez M. Defeffarts , Avocat , rue Dauphine
, Hôtel de Mouy , & chez Mérigot le jeune , Libraire .
Quai des Auguftins . Prix , 18 liv, pour Paris , & 84 liv.
pour la Province .
( 237 )
1. Don
& le fupplice du domeftique qui avoit voulu faire
fauter la maifon de fon maître , en mettant fous
fon fecrétaire 15 liv . de poudre à canon . La jeune
fille qui a eu recours en Angleterre au feu pour
cacher un vol qu'elle avoit commis , n'a pas fait
ufage du même moyen , mais elle n'étoit pas
moins coupable que le domeſtique exécuté depuis
peu à Paris cependant , par une bifarrerie du
Code criminel Anglois , elle a échappé au fupplice
qu'elle méritoit , & on ne lui a infligé
qu'une légere peine pécuniaire.
Racine a dit :
Quelques crimes toujours précédent les grands crimes,
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes ,
Peut violer enfin les droits les plus facrés.
Ainfi que la vertu le crime a ſes degrés ;
- Et jamais l'on n'a vu la timide innocence
Paffer fubitement à l'extrême licence.
Cette maxime , fi fouvent invoquée , comme
une présomption favorable aux accufés , dont la
vie a, jufqu'alors , paru irréprochable , n'efi malheureulement
pas toujours vraie . Il eſt des caracteres
, dans lesquels la nature ſemble s'être fait un
jeu barbare de faire germer promptement les femences
de tous les vices . L'affaire dont nous
allons rendre compte en fournit une preuve bien
effrayante.
Le 27 Décembre 1784 , le feu prit , pendant
la nuit , à la maifon d'un fieur Burrage , prêteur
fur gages à Londres. Il avoit en apprentillage ,
chez lui, un jeune garçon , âgé de 13 ans , nommé
Georges Baker , & une petite fille du même
âge. Le maître & la maitreffe s'étoient mis au lit
à 11 heures. Peu de tems après , le jeune appren
ti fut éveillé par la camarade , qui crioit aufeu,
( 238 )
La boutique , dans laquelle il n'y avoit point de
cheminée , étoit , en effet , toute en feu . Burrage
& fa femme n'eurent que le tems de ſe ſauver , à
travers une trappe qui étoit au haut de la maiſon,
dans la plus voifine .
C
Baker , en s'éveillant , trouva Marie toute habillée
: pour lui , il n'eut que le tems de prendre
la fuite en chemife , & de fortir par l'allée avec fa
camarade .
Marie portoit un petit paquet fous fon bras.
Elle fut remarquée par quelques unes des perfonnes
qui étoient accourues pour appaifer l'incendie.
On lui demanda à qui appartenoit ce paquet.
Ele répondit qu'il étoit à elle ; qu'elle
favoit bien ce qu'elle faifoit , & qu'elle prioit
les curieux de fe mêler de leurs affaires . Malheureusement
pour elle , elle avoit mis fur fa tête
un bonnet , auquel étoit attaché un bulletin de
prêt ; ce qui conftatoit que ce bonnet avoit été
mis en gage chez Burrage ; d'où l'en.tira la con- < :
féquence que cette petite coquine l'avoitvolé chez
fon maître. Elle fut arrêtee fur le champ . Le
paquet dont elle étoit chargée fe trouva compolé
de plufieurs paires de boucles d'argent , de quatre
montres , auffi d'argent , & de plufieurs autres articles
qui appartenoient à fon maître.
Elle avoua qu'elle avoit volé tous ces effets , &
ajouta qu'une certaine perfonne , qui n'étoit pas
encore arrêtée , l'avoit engagée a commettre ce
vol , & ui avoit même donné des bonbons pour
l'y déterminer. Elle fut décrétée pour le crime
de vol.
Dans le cours de l'inftruction , un acquit la
preuve que c'étoit elle-même qui , pour faciliter
le vol qu'elle méditoit , avoit mis le feu à la
maiſon , profité du tems néceffaire à la flamme
pour former un embraſement , s'étoit nantie de
}
( 239 )
effets dont elle fut trouvée fa ifie , & ne cria au
feu que quand elle eut fait fon coup .
Mais n'ayant été décrétée que pour le vol , la
Cour , fuivant les loix de l'Angleterre , ne pouvoit
prendre connoiffance que de ce crime , fans
pouvoir même inftruire fur l'incendie : d'ailleurs ,
l'accufée ne pouvoit pas , pour raiſon de ce délit
être punie de la peine de mort prononcée par les
loix , parce qu'il existe un acte du Parlement qui
affranchit de cette punition les apprentis qui
n'ont pas 15 ans accomplis . Les Jurés , en conféquence
, réduifirent l'affaire à ce qu'on appelle ,
dans la Grande - Bretagne , grand larcin. Celui
dont il étoit queftion , fut estimé 39 she lins
dont cette petite malheureuſe fut déclarée coupable.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Caufe entre le Marquis & la Marquife de.... ,
Demande en féparation de corps Diffamations ,
Faits nouveaux font revivre les anciens moyens de
Jéparation qui auroient été rejettés.
Nous l'avons déjà dit , la diffamation qu'un
mari fe permet contre fa femme , eft un moyen
victorieux pour elle ; & ce moyen acquiert encore
nouvelle force , lorsqu'il configne fa diffamation
dans des Ecrits. La Caufe de la Marquife de...
fournit la preuve de ces vérités inconteftables.
Déjà elle avoit formé une premiere Demande en
féparation , dans laquelle elle avoit fuccombé ,
(1) On ſouſcrit à toute époque pour l'Ouvrage entier ,
dont le prix eft de 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocac
au Parlement , rue & hôtel Serpente .
( 240 )
ainfi que nous l'avons rapporté dans nos Feuilles ;
page 212 du Tome 19. Depuis cet Arrêt , elle a
prétendu que fon mari l'avoit diffamée publiquement
, dans une Requête par lui fignifiée dans une
Inftanee. La Marquife a profité de ce nouveau
moyen pour former une nouvelle Demande en
féparation de corps ; elle a demandé à faire preuve
de nouveaux Faits. Savoir : « Que fon mari par-
» loit d'elle , comme d'une femme perdue , qui
» avoit une chambre en ville ; qu'il diſoit s'em-
> barraffer fort peu que fa femme ne voulût pas
» revenir avec lui ; qu'il s'en débarraſſeroit avec
» 1500 ou 2000 liv.: que ce feroit le plus beau
jour de fa vie ; qu'il avoit dit qu'il la feroit enfermer
dans une Maifon de force , afin qu'elle
» ne pût pas fe proftituer ; qu'il difoit que fa
» femme alloit raccrocher aux Tuileries ; qu'il
s'étoit vanté de ne vouloir la revoir que pour
» la réduire , la punir , & la faire rentrer dans ſon
» devoir , qu'il eſpéroit bien la faire renfermer
entre quatre murailles : qu'il avoit , dans une
Requête fignifiée , donné pour motif de fon
>> oppofition , à ce que fa femme reftât dans l'hô-
» tel de fon pere , pour y prendre les bains ordonnés
par le Médecin , l'abfence de fon pere..
>> de l'hôtel pendant trois jours de la femaine ,
" pendant lefquels elle feroit feule , livrée à elle
» même , fans autre compagnie que celle d'un
>>
de fes freres , jeune homme de 25 ans. Qu'il
» étoit au vû & au fçû de tout Paris , que la Mar-
>>. quife de... étoit tous les jours aux Spectacles ,
aux promenades & dans les rues de Paris
» qu'elle parcouroit feule , à pied & à des heures.
indues ». L'Arrêt du 6 Septembre 1785 a admis
la Marquise à la preuve des Faits par elle articu-
Jés, fauf la preuve contraire : dépens réservés.
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