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1784, 11-12, n. 45-52 (6, 13, 20, 27 novembre, 4, 11, 18, 25 décembre) (partie littéraire)
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Monfieur Deu de Perthes , Directeur des
Fermes Générales ,
I Janv. 1784.
M. à Amiens.
Zugu b
BIBLIOTHEQUE
"
Los
Fadainos "
SJ
60 -
CHANTILLY
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Noticedes Édits, Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 6 NOVEMBRE 1784.
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
NE
TABLE
Du mois d'Octobre 1784.
PIÈCES
FUGITIVES.
3
49
Epitre aux Femmes ,
L'Heureufe Défiance, Conte ,
A mon Pêcher ,
Les Crimes & les Châtimens ,
Fable ,
Portrait d'Aglaé ,
L'Ombre de M. de Gébelin ,
521
53
97
Invitation de la Loge des Neuf
Soeurs ;
Envoi d'Hurluberlu ,
99
ib.
80
Nouveaux Mémoires de l'Aca
démie de Dijon ,
Nouveau Théâtre Allemand ,
.
104
115 Les Hochets Moraux
L'Autómatie des Animaux, 119
La Promenade de Province ,
124
Difccurs qui a obtenu l'Acceffit
au jugement de l'Académie
de Befançon , 150
Le Criminel fans lefavoir, 167
Vers à M. le Comte de la Le Siècle des Ballons ,
Touraille ,
Couplet ,
145
146
L'Anatomifte Dupé, Conte 147
A M. le Comte d'Ocis , 193
Coupler à Mme la Comteffe de
C ***
194
A Mme la Comteſe Des ***
ibid.
Efai de Traduction d'un Dif
tique latin ,
170
Sermons de M. Hugh Blair ,
172
Euvres de M. le Marquis de
Pompignan ,
VARIÉTÉS .
200
Réponse de l'Auteur du Poëme
des Daneïdes , 86
Lettre aux Rédacteurs du Mercure
, 132
195 Lettrefur la Veftale de Legros .
185
ibid. Lettre au Rédacteur du Mer
Pour le Bufte de Mile Sophie
Arnoult ,
Charades , Enigmes & Logogryphes
, 23 , 59 , 101 , 148 ,
196
NOUVELLES IITTER.
cure ,
219
SPECTACLES ,
Aca.émie Roy. de Muſiq . 39 ,
Les Druïdes , Tragédie , 25 Comédie Françoife ,
Hiftoire de Provence ,
126
174
61 Comédie Italienne , 178 , 227
De la Tragédie , pour fervir Annonces & Splices , 42 92 ,
de fuite aux Lettres de Vol- 139 , 187 , 234 ,
taire , 71
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT ,
rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
L
SAMEDI 6 NOVEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE
LE PER LUISANT ET LE ROITELET ,
Fable.
UN Ver luifant , très -orgueilleux ,
Difoit , des affres radieux ,
Je fuis & l'égal & le frère ;
Pourquoi rampé je fur la terre ?
·
Je devrois habiter les cieux.
Un Roitelet du voifinage
Entend ce rifible langage,
Quitte fon petit hermitage ,
Et va droit à l'être brillant :
Vile & ftupide créature ,
Lui dit-il en le becquetant ,
அதா
Ignore-tu que ta parure
A ij
MERCURE
N'eft qu'un mépri fable clinquant
Que le grand jour fait diſparoître ?
J'apprends trop tard à me connoître ,
Répond l'Infecte en gémiflant :
Hélas ! au bout de ma carrière
Je ne fuis que trop convaincu
Que fans cette foible lumière
Tu ne m'aurois pas apperçu .
L'obfcurité convient au Sage ,
Elle plaît aux gens éclairés .
Demi- Savans , habits dorés ,
Cet apologue eft votre image .
(Par M. Crommelin de Guife. )
ÉPITAPHE de Madame LOBREAU ,
Ancienne Directrice de Spectacles de Lyon,
morte le 26 Août 1784 .
CI-Gir, dont les vertus honorèrent Thalie ,
Qui , pour plaire au Public , fut ne rien négliger ;
Et de tous les plaifirs qu'on perd avec la vie ,
Ne regretta que celui d'obliger .
(Par M. M*** de Saint- Aubin. )
DE FRANCE
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eft Mercure; celui
de l'Enigme eft Flambeau ; celui du Logogryphe
eft Papier, où l'on trouve Pape , épi,
repi , tape , pipe , pie , Priape , apir , & la
note ré.
CHARADE.
Si vous m'enlevez mon premier ,
De mon tout je fuis le contraire ;
Et mon premier eft toujours néceffaire
A tel qui veut bien faire mon dernier .
(Par M. R..... , fils aîné , Abonné. )
ÉNIGM E.
On voit en l'air une maiſon N
Qui peut paffer pour labyrinthe ,
Où ceux qui cheminent fans crainte
Sont arrêtés en trahison.
C'est une fatale prifon ,
Un lieu de gêne & de contrainte
Ou leur pauvre vie eft éteinte,
Par un monftre plein de poifon.
Sa malice eft ingénieuſe ,
A iil
MERCURE
Et de Vulcain la main fameufe
Dreffe des pièges moins fubtils ;
Son art de bâtir eſt extrême ,
Et fa matière & fes outils
Se rencontrent tous en lui-même.
(Par M. l'Abbé le Dru , Prieur à Provins . ) ›
LOGOGRYPH E.
D'UN Dieu , fils de la nuit , je ſuis l'un des Miniftres ;
Tantôt doux , bienfaifant , tantôt des plus finiftres.
Soudain , par mon pouvoir , le pauvre eft enrichi ;
Le riche devient pauvre au fein de l'opulence ;
L'homme libré eft aux fers , l'efclave eft affranchi;
Par moi le malheureux voit luire l'efpérance ;
J'élève les petits & j'abaiffe les grands ;
Je détrône les Rois & confonds tous les rangs.
Voilà de mon empire une efquiffe légère .
Dans fept pieds je rečèle , à l'ombre du myftère ,
Ce nouvel Amphion , dont les fi doux accords
Ont sû toucher le Dieu qui règne aux fombres bords ;
Un chef d'oeuvre .Tragique enfanté par Voltaire ;
Une ville jadis Reine de l'Univers ;
En Grèce une prefqu'ifle à fes Maîtres rébelle ;
Un Grec déifié pour prix de fes beaux vers ;
Un élément perfide ; un des noms de Cybèle ;
Et ce métal enfin qui rend l'homme pervers.
( Par M. le B. de Valbert.)
DE FRANCE.
7
NOUVELLES LITTERAIRES.
ELOGE de Bernard de Fontenelle , Difcours
qui a remporté lePrix de l'Académie Francoife
en 1784 , par M. Garat. A Paris ,
chez Demonville, Imprimeur Libraire de
1 Académie Françoife , rue Chriftine.
SIP'amitié étoit néceffairement une raifon
de tour aimer , de tout louer aveuglément
dans l'Ouvrage d'un ami , de quelque peu de
poids que puiffe être mon jugement , je de
vrois me récufer ici , me défendre de rien
éctire fur le nouveau Difcours qui a mérité
à M. Girat une troifième couronne . Intimément
lié avec lui depuis le moment où il eft
entré dans la carrière Littéraire , accoutumé
avec lui à cette communication de penfées
qui a prefque l'intérêt de celle des fentimens
dans le commerce de deux Hommes de Lettres
, bien moins riche que lui dans ce commerce
, & y recevant beaucoup plus que je
n'y porte , on pourroit me croire , & je pourrois
me croire moi même féduit d'avance :
fi je fentois en moi cette difpofition , je me
la pardonnerois aifément , comme la plus
douce & la plus excufable des erreurs ; mais
je m'impoferois le filence ; je refpecterois
trop le Public , pour ne lui offrir que des
louanges qui rifqueroient d'être exagérées ,
A iv
$ MERCURE
lorfqu'il a droit d'attendre au moins une difcuffion
impartiale. Je chérireis affez la gloire
de mon ami , pour ne pas le priver d'un ſuffrage
plus libre & d'une critique utile , qu'il
pourroit recevoir d'un autre Homme de
Lettres. Je ne connois rien , pour le vrai
talent , je ne dirai pas de plus pernicieux ,
mais de moins flatteur , qu'une admiration
fans règles , fi ce n'eftune admiration de complaifance
& d'adulation. Votre Maitre n'at'ilpas
d'affez bonnes qualités pour que vous
puiffiez avouer fes défauts , difoit le bon , le
généreux , le brave Henri , à un Ambaffadeur
baffement circonfpect . Traitons les talens
comme les Puiffances ; honorens les par
notre franchiſe , comme par nos refpects ;
que la févérité de notre critique rende témoi
gnage de la fincérité de notre admiration . Il
elt des Ouvrages dont la critique même doit
couvrir la foibleffe par beaucoup d'indulgence
; il en eft d'autres qui ont droit à fa
plus rigoureufe juftice. Je ne diffimule pas que
je cherche ici la fatisfaction de faire entendre
ma voix dans le triomphe d'un ami ; mais
ma fincérité fera le premier hommage que
je lui rendrai . Je difcuterai fen Ouvrage ,
comme il a difcuté ceux de Fontenelle , &
comme je defirerois qu'il appréciât les miens ,
fi jamais ils devenoient dignes de foutenir
un tel examen. Au refte , ne donnons pas aux
chofes une importance & une gravité qu'elles
n'ont pas. Quel eft l'homme d'un goût affez
sûr pour ofer fe promettre d'afligner leur
DE FRANCE.
9
véritable rang aux productions de l'efprit ?
Il faudroit d'ailleurs qu'il jugeât à une certaine
diſtance des Ouvrages & des perfonnes;
qu'il pût échapper à l'influence de toutes
ces chofes qui relèvent ou abaiffent fi fouvent
les fuccès , fans décider du mérite. Ces
difcuffions Littéraires peuvent fouvent fatiguer
le plus grand nombre des Lecteurs , à
qui il en coûteroit trop de tant réfléchir fur
des objets qui les ont foiblement & vaguement
occupés. Mais en exerçant l'efprit des
gens de l'art , elles ont droit de les intéreffer ,
& même de les fervir. On les voudroit courtes
; mais elles ne peuvent avoir l'efpèce de
mérite qu'elles doivent chercher , fans quelqu'étendue.
Je préviens que je pourrai paffer
ici les bornes ordinaires. Mais la variété
piquante du fujet , le genre même de l'Ouvrage
fur lequel j'écris , Ouvrage qui eft inftitué
pour la gloire & l'utilité des talens , &
l'intérêt qu'infpire un jeune Écrivain , qui
ajoute fans ceffe aux grandes efpérances qu'il
a données , en m'entraînant dans de longs
détails , pourront les juftifier.
Le ton & la marche de Difcours que
M. Garat a adoptés , convenoient bien au
fujer ; j'en développerai tout - à - l'heure le
mérite & les avantages ; mais on peut bien
faire de plus d'une manière ; & je crois qu'il
fe préfentoit ici une raifon & un moyen de
changer heureuſement jufqu'à la forme de
ces Difcours .
Αν
10 MERCURE
Ce fujet , quoique très étendu & très varié
, ne préfentoit ni un grand eclat ni un vif
intérêt , il offre un Écrivain plus fingulier
qu'impofant ; un homme qui n'a rien de
plus frappant que l'habile fageffe qui a rendu
fi paifible une vie fi longue . Ainfi ce fujet ,
repouffant tout enthoufiafme , fe prêtoit
peu au ton oratoire. Le ton oratoire perdant
ici fon effer , n'eût il pas été adroit &
heureux , non feulement de le quitter fouvent
, mais même d'en prendre un contraire ,
de mettre autant de foin à l'éviter qu'on en
mettroit 'daus un autre Ouvrage à s'y élever
& sy foutenir ? Il eft ben fouvent d'imiter
le dépit de ce Peintre , qui , ne pouvant
reur à faire une Deefe , voulut rabaiffer
fon tableau à une fimple Bergère , & dut
encore un chef- d'oeuvre à fon défefpoir
même. On auroit pu cbtenir le même fuccès
en fe bornant à une aualy fe fine & élégante
du talent de Fontenelle , & à une peinture
fidelle de fon caractère . Par une rencontre
favorable , on trouvoit dans cet Écrivain
même le modèle du genre d'efprit & de ftyle
avec lequel il convenoit de le louer. Il eft
des oppofitions qui plaifent ; pour ne pas
fortir de l'efpèce de l'objet fur lequel je rar
fonne , on a été agréablement furpris de voir
l'admirable inftiut de La Fontaine fi bien
faifi par la fineffe des obfervations de M. de
Champfort. Mais une reflemblance du tom
avec l'objet , fur- tout lorfqu'elle fe trouve
difficile à faifir , plairoit encore plus sûre ,
DE FRANCE.
>
ment. Fontenelle a inftitué un genre d'éloges ;
c'eft là où il a particulièrement imprimé,
tous les caractères de fon talent . On auroit
aimé à le voir imité par celui qui le louoit
à le voir infpirer & diriger l'efprit qui s'oc- ¸
cupoit à le faifir & à le juger. Mais , en imi- ,
tan : Fontenelle , fon Panégyrifte , ou plutôt
fon Appréciateur , pouvoit , en plufieurs
points , s'écarter de fa manière . Fontenelle
parcouroit , avec une précifion heureute , les
diferentes parties de la gloire qu'il avoit à
célébrer; la fienne pouvoit être plus approfondie.
Les progrès même qu'il a fait faire
à l'efprit humain , permettent & ordonnent
d'entrer plus avant dans les choles. En
nous exerçant à la penfée & à la difcuffion
il nous a rendes capables d'embraffer plus
d'objets , & de les confidérer fous plus de
faces. Les vûes fuperficielles ne fuffifent
plus ; les forts réfultats nous accableroient
encore ; nous fommes à l'époque où les développemens
nous font utiles & néceffaires.
Fontenelle faifoit l'éloge d'hommes dont là
mott étoit récente . Le temps des ménagemens
n'étoit pas paffé , celui d'une vérité cntière
, d'un jugement libre & impartial ,
n'étoit pas venu . Pour lui , fa mémoire appartient
maintenant à la juftice des fiècles .
Il n'eft plas permis de parler de fes beautés ,
faus montrer fes défauts '; fon éloge ne peut
plus être féparé de notre inftruction ; fon
éloge même , pour éternifer fa gloire , doit
la renfermer dans les véritables bornes. D'ail
A vj
12 MERCURE
"
leurs , il a porté dans l'art des ménagemens
une retenue dont il ne faut pas toujours fe
faire une règle ; il eft digne qu'on porte fur
lui des regards plus hardis qu'il n'en portoit
fur les autres. Il convenoit auffi , en emprun
tant une forme d'éloge , propre à l'Acadé
mie des Sciences , de lui communiquer
quelques unes des chofes qui élèvent plus
haut ce genre dans l'Académie Françoiſe ,
d'autant plus qu'elles s'offrent d'elles mêmes
dans ce fujet , & qu'elles l'enrichiffent fans
le dénaturer. Malgré la fimplicité de fon
ton , & la févère préciſion de fa marche ,
ce Difcours le plaçoit dans un cadre impofant.
On ne peut juger Fontenelle fans
toucher aux deux plus belles époques de
l'efprit humain. Né dans le moment du plus
grand éclat du fiècle des Arts , Fontenelle
n'eut rien de commun avec tous ces grands
Hommes , au milieu defquels s'écoula une
partie de fa vie. Mort dans la plus grande
effervefcence du fiècle philofophique , il
parut préfider à une révolution où il fut encore
furpaffé par les contemporains. A quoi
a tenu une destinée fi fingulière ? Voilà le piquant
problême qu'offreit ce Difcours. Pour
le réfoudre , il falloit bien étudier l'Homme
& l'Écrivain , montrer l'influence qu'ils eurent
l'un fur l'autre. La féchereffe de l'ordre
chronologique pouvoit difparoître par une
divifion où le fujet fe feroit développé également.
Nous voyons d'abord dans Fontenelle
un Bel efprit , le Bel efplit devient enfuite
DE FRANCE.
un Philofophe , le Philofophe chez lui achève
FÉcrivain , l'Écrivain & le Philofophe fe
confondant avec l'homme , le montrent tout
entier. Le fujet pris ainfi , offroit quelqué
choſe de vif & de noble, qui s'agrandifoit par
le double lointain des deux beaux fiècles aux .
quels il s'unit de toutes parts , il admettoit
donc la verve du ftyle oratoire , même en
en excluant les formes & la marche. On
peut regretter que ce plan , qui fe préfentoit
affez facilement , n'ait pas été faifi par un
Écrivain digne de le remplir . Nous aurions
à comparer deux Ouvrages d'un genre oppofe
, qui , en offrant chacun les beautés qui
leur font propres , auroient pu encore fe
relever & s'embellir par leur contraste.
M. Garat a conçu fon Difcours fur un autre
plan. Il a vu que c'eût été manquer au
goût , à la raiſon , à la juſtice , à l'attente de
P'Académie & du Public , que de ne pas faire
un examen fincère des défauts & des beautés
de Fontenelle , que c'étoit trop peu de ne pas
louer fes mauvais Ouvrages , qu'il importoit
d'attaquer des défauts qui ont féduit &
qui pourroient féduire encore ; & il a cherché
dans le ton de fon Difcours la dignité
d'une forte de jugement fur un Écrivain
d'une grande renommée , d'an jugement
porté dans le premier Corps Littéraire de la
France , & , en quelque forte , en fon nom.
Pour juger Fontenelle , il falloit donc toujours
employer la difcuffion ; mais elle pou14
MERCURE
voit recevoir de l'éclat & du mouvement
par le tableau des objets fur lefquels le talent
de Fontenelle s'eft exercé , & par la comparaifon
des talens avec lefquels il a rivalife.
Alors le fujet offroit peu d'émotions pour
l'âme , mais beaucoup de vûes pour l'efprit.
Avec un fujet fi varié & un talent fi fecond
en idées , M. Garat ne pouvoit guères fe réfoudre
à faire des facrifices : auſſi , loin d'affecter
la précision , il étonne au contraire
par fon abon lance. Cette manière de voir &
defentir a produit un Difcours qui , en général,
a plus encore les formes que les effets de l'elo
quence, qui garde toujours un ton elevé , lors
même que les penfées ne font que fines ,
qui marche plutôt dans un calme impofant
qu'avec une rapidité brillante , qui ne reffemble
pas plus aux autres éloges de l'Académie
Françoife , qu'à ceux de l'Académie des
Sciences , & qui eft proprement une differtation
oratoire, non feulement fur les Écrits
& la perfonne de Fontenelle , mais encore
fur tous les objets de littérature, & de philo-,
fophie qu'a traité Fontenelle. Ce plan avoit
de grands avantages pour amener de grandes
"beautés ; mais il pouvoit affoiblir l'intérêt ,
car chaque efpèce d'Ouvrage a le fien.
Dans le deffein que j'ai de m'arrêter tours
à tour fur les beautés & les défauts qui me
frappent dans le Difcours de M. Garat , je
l'examinerai fous trois afpects : l'appréciation
du fajet , l'ordonnance de l'Ouvrage &
le ftyle.
DE FRANCE. IS
ils
Bien des gens croyent que le fuprême mé
rite dans un éloge , eft d exagérer habilement
le mérite du Héros , de paffer avec encore
plus d'adreffe fur les taches de fa vie , les
imperfections ou les écarts de fon génie.
C'est à ces endroits qu'ils obfervent l'Orateur
avec le plus de foin. S'ils le voyent par
ler en homme libre , ne rien diffimuler
quelquefois même blâmer ouvertement ,
crient à la mal adreffe , à la difconvenance ,
quelquefois même au fcandale. J'ai vû des
perfonnes , qui ont d'ailleurs du goût & de
la raifon , ferieufement révoltées des reftrictions
que M. Garat a miles fouvent à la plus
vive admiration que Fontenelle ait jamais
excitée. Ainfi, les ferviles ménagemens de nos
moeurs veulent régner jufques dans la philo
fophie & l'éloquence ; nous recherchons encore
les formes de la flatterie dans la diftri
bution de la gloire. Comment peut- on à ce
point aimer le faux & s'effaroucher du vrai ?
Qui a t'il donc de noble & d'utile dans ces
éloges que l'on décerne aux grands Hommes ,
fila juftice n'y préfide pas ? Quelle confiance
prendrai je dans votre admiration , fi elle ne
me gagne pas par des tons de vérité , fi vos
plaintes & vos reproches ne la fufpendent
pas quelquefois ? Et quelle vie n'a fes faures
? Quel mérite n'a fes taches ? Je dirai
plus ; fi l'objet propofé en éloge méritoit
plus de blâme que de louange , ce feroit le
blame qu'il faudroit lui prodiguer , pour ne
manquer ni au goût ni à la vertu . I eft vrai
16 MERCURE
qu'alors il faudroit effacer le mot d'éloge.
Et pourquoi ne le quitteroit- on pas dans tous
les cas ? Il fent encore trop l'adulation ; il
diminue l'autorité de la vraie gloire ; il embarraffe
quelquefois l'Écrivain ; il diffimule
au Public l'espèce d'Ouvrage que lui même
defire & qu'il doit juger. C'est donc un mérite
effentiel dans le Difcours de M. Garat ,
que d'être un jugement plutôt qu'un panégyrique
; & ce mérite , trop rare dans les éloges
, devoit fur tout commencer à celui de
Fontenelle. Voyons comment l'Auteur a apprécié
cet Écrivain. Je combattrai fouvent.
fes avis , quelquefois je lui reprocherai de
s'être mal à propos écarté de l'opinion géné
rale ; d'autres fois j'examinerai s'il n'y auroit
pas eu plus de jufteffe à en établir une contraire
: il fera aifé , fans qquuee jjee lleess marque , de
diftinguer ces divers objets.
Il faut bien que je commence par de
grands éloges , puifque le premier morceau
du Difcours me paroît excellent ; Fexorde eft
une vue ferme & noble fur tout le fujet ; il
annonce de plus le genre d'idées , la marche
de Difcours & le ton de ftyle qui doivent
régner dans tout l'Ouvrage .
"9
Qu'est ce que Fontenelle? Eft - ce un belefprit
, est- ce un homme de ralent , eft ce
» un homme de génie ? . Sa longue carrière à
» été partagée prefqu'également entre deux
fiècles , celui des Arts & celui de la Philofophie.
Dans le premier , Fontenelle a
eu pour ennemis & pour détracteurs , les
93
"
DE FRANCE. 17
*
" premiers Écrivains de la Nation , les arbi-
» tres du goût , les Racine , les Boileau , les
la Bruyère ; dans le fecond , Voltaire ,
Montefquieu , les premiers génies de la
France , l'ont mis au rang des grands Hom
» mes , & il n'a eu pour ennemis & pour
» détracteurs que ceux qui le font de tous
les noms célèbres , de toutes les réputa-
» tions éclatantes. La poftérité femble refter
encore indécife entre l'opinion de deux
fiècles ; & c'eſt à vous , Meffieurs , qu'il
appartenoit de dicter fes arrêts , de fixer
» la place de Fontenelle entre toutes les re-
» nommées Littéraires. En lui décernant un
éloge public , c'eft fans doute un jugement
» que vous avez demandé ; mais être jugé en
votrenom dans cette affemblée folemnelle,
» c'eft déjà un honneur qui n'a pu être accordé
qu'à un Écrivain du premier ordre.
Ainfi , chez un peuple fameux dans l'antiquité
, par les loix & par les uſages ,
"
13
>>
"
10
la
» cendre feule des Rois étoit foumife à ce
» Tribunal fuprême , qui accordoit ou refu-
» foit les honneurs du maufolée . Dans ces
» lieux , pleins du nom & de l'autorité de
» Racine & de Boileau , en louant Fontenelle
, je croirai parler toujours en leur
préfence ; mais c'eft par mon courage à
« dire la vérité , que je leur témoignerai fur-
" tout mon refpect . Heureux fans doute le
Panégyrifte d'un homme célèbre qui , ne
» voyant aucune tache dans le talent qu'il
va louer , peut fe livrer tout entier an
99
18 MERCURE
30
"
N
33
» fentiment fi doux de l'admiration & de la
» reconnoiffance ; qui , retraçant une gloire
» chère à tous les coeurs , refpectée des
goûts les plus divers , réveille facilement.
des impreffions gravées dans toutes les
âmes, & voit la fenfibilité d'une Nation
» entière prête à fuppléer à tout ce qui peut
» manquer à fon éloquence ! Heureux en-
» core celui qui , voyant dans un efprit fupérieur
des fautes que la haine & l'envie
ont exagérées , que l'esprit de fecte &
» l'amitié ont voulu diffimoler , s'avance au
milieu des enthoufiaftes & des détracteurs ,
" pour faire , avec candeur & avec vérité , le
"
"
partage de ce qu'on lui doit d'efime &
» de reproche , le blâme quelquefois fans
ménagement , pour acquérir le droit de
» le louer fans referve ! Je m'attacherai fur-
و د
"
tout , dans cet éloge , à tracer ce tableau
» unique dans notre Littérature , d'un Écrivain
qui , au moment où tous les Arts .
font parvenus à la perfection , féduit fou-
" vent le goût par les défauts , l'étonne &
le bleffe quelquefois par fes beautés même ,
échappe toujours , par fon extrême originalité,
au jugement de toutes les règles.
» connues , & n'a pu être apprécié que par
» de nouveaux principes & un nouveau
» fiècle de lumières . Sa vie , dans la morale ,
paroîtra une efpèce de phénomène , comme
fes Écrits dans la Littérature . Il éton .
» nera le Philofophe par le caractère de fes
> vertus , comme l'homme de goût par celui
"
"
DE FRANCE. 19
» de fes Ouvrages . Quels que foient les fen-
» timens & les opinions de ceux qui écou
» teront le Panégy rifte de Fontenelle , il n'eft
» perfonne qui ne doive s'intéreffer à fon
éloge : la prévention qui méconnoît ſon
» mérite , & celle qui l'exagère , doivent
» être également attentives ; car fi la gloire
» eft le tréfor le plus précieux dont difpo-
» fent les Nations , fi elle fait naître les talens
qu'elle récompenſe , il eft de l'intérêt
» de tous les hommes qu'elle foit difpenfée
» avec équité.
En entrant dans fon fujet , l'Orateur com-,
mence par tracer un tableau de la Littérature
au moment où Fontenelle a commencé
d'y paroître. On a reproché à ce morceau
de n'avoir pas la magnificence des objets &.
la nouveauté des reflexions que promettoit
l'examen d'un Écrivain Philofophie. Jetroase
de la vérité dans ce reproche. Mais je ne puis
me refufer à détacher de ce morceau quel
ques lignes , où l'on reconnoîtra des oblarvations
auffi neuves que bien énoncées.
Du milieu de tous ces chef d'oeuvres des
" Arts , qui , en peignant l'homme & lana-
» ture , apprenoient à les connoître , commençoit
déjà à fortir une philofophie en
nemie des abftractions & des fyftêmes ,
» fondée , comme les talens de l'imagina
» tion , fur l'obfervation & l'expérience de
» nos fentinens : dejà l'on prévoyoit le mo
» ment où les Sciences alloient prendre quel
» que chofe de l'éclat des beaux Arts , où la
"
20 MERCURE
25 gloire du Philofophe feroit aufli brillante
» & auffi répandue que celle de l'Orateur &
du Poëte. »
On fait que Fontenelle a écrit dans prefque
tous les genres de Littérature , & qu'il
n'a commencé à fe montrer un Écrivain fupérieur
qu'en fe bornant aux Écrits d'un Littérateur
Philofophe & d'un favant homme
d'efprit. Comment a t'il pu fe méprendre à
ce point , & fi long- temps fur la vraic deſti•
nation ? C'est une question très piquante ,
& que l'Auteur a très bien développée & dé
cidée. Ce morceau me paroît traité avec une
métaphyfique excellente , mais qui n'eſt peutêtre
pas affez rapprochée du commun des
Lecteurs. J'aurai tant d'autres morceaux à
citer , que je ne puis le rapporter ici . Je prie
les Lecteurs qui mettent quelqu'intérêt à la
difcuffion qui m'occupe , de juger entre l'Au
teur & moi , en me fuivant dans l'examen de
ce Difcours.
L'examen de cette queftion conduit l'Aus
teur à ce réſultat.
"
« Fontenelle , dont l'efprit fage conçoit
" une ambition fi hardie , donnera un exemple
mémorable de la vérité qu'il a mé
» connue. On le voit , dans fes Écrits , ap
procher par degré de la perfection , à mefure
que les genres & les objets qu'il
traite exigent moins de fenfibilité & plus
de réflexion ; ne mériter aucun éloge
» comme Poëte ; joindre à des paradoxes
qui ne font qu'ingénieux , des vues neuves
» & profondes , en écrivant fur la poétiDE
FRANCE. 21
33
si que ,
fut la morale
& fur l'hiftoire
; &
» ne montrer
enfin toute l'étendue
, toute
» la jufteffe
& tous les caractères
de fon
efprit , que lorfque
, fortant
de lui même ,
» où il rencontre
toujours
des bornes
dans
» les bornes
de fes paffions
, il cherche
fa
gloire
dans l'étude
de la Nature
, qui n'a
point
de limites
, & qui est toute entière
» fous fes yeux. »
"
"
Sans l'avoir marquée , l'Auteur a fuivi la
marche que le fujet même indiquoit . Il commence
par s'arrêter fur les différentes poéfies
de Fontenelle , qui ne font que des productions
de bel efprit. On pouvoit les confidérer
en maſſe ; M. Garat n'a pas dédaigné de
s'arrêter long temps fur les deux parties principales
, les Opéras & les Églogues.
Il en fait une critique pleine de goût &
d'efprit ; mais enfuite ne les leue- t'il pas exceffivement
?
J'ai effayé plufieurs fois de lire les Opéras.
J'avoue que , ne portant d'autre intérêt
dans cet examen que mon plaifir , & ne le
trouvant jamais , je n'ai point achevé. Je ne
fuis donc pas en droit de leur conteſter toutes
les brillantes qualités que M. Garat y a vûes ;.
mais il me femble qu'il n'en a convaincu
perfonne ; & alors il eft fort à craindre qu'il
me fe foit troinpé.
J'ai les inêmes chofés à dire fur le morceau
des Églogues. Toujours une excellente
critique des défauts ; enfuite des éloges qui
me paroiffent outrés . J'avoue bien que dans
22 MERCURE
les dix Eglogues de Fontenelle , il y en a trois
ou quatre qui ont un fonds très piquant &
de très heureux détails . M. Garat les loue
fur- tout pour l'invention toujours agréable
des fujets, & le deffin toujours ingénieux &
fimple de l'action , & il prouve très bien ces
louanges par le tableau qu'il trace des fcènes
qui forment ces Églogues. Mais il ne dit pas
affez combien l'abfence continuelle d'inagination
& de fenfibilité détruit l'effet de ces
fcènes , & combien ces Ouvrages , n'ayant
jamais qu'un mérite qui ne leur convient pas ,
reftent au- deffous de ceux qui ont été pro
duits par le vrai talent . Il feroit injufte fans
doute de ne pas aimer beaucoup de chofes
dans les Églogues de Fontenelle. Mais peuton
les appeler des Ouvrages charmans ? Eftil
vrai encore qu'il y ait dans ces Églogues
un fi grand mérite philofophique ? Que Fontenelle
ait découvert tant de traits nouveaux
& prefque imperceptibles dans l'amour..... de
ces plaifirs que les âmes paffionnées laiſſent
perdre dans la foule ou dans les tranſports de
leurs jouiffances. Eft- il vrai que Fontenelle
rappelle des faits qu'on avoit oubliés , des
fenfations qu'on n'avoit jamais démêlées ;
que les fentimens de Fontenelle foyent des
apperçus profonds , &c. Je viens de relire fes
Églogues ; plufieurs m'ont plu beaucoup,
jamais elles ne m'ont intéreffé encore
moins charmé ; j'y ai remarqué une foule de
chofes très fines , très ingénicufes , quelques
traits qui ont vraiment de la grâce , & mêine
,
DE FRANCE. 23
de la poéfie ; mais je n'en ai reçu aucunes
de ces impreffions que M. Garat vient d'exprimer.
Je trouve dans cet endroit du Difcours
des idées d'une métaphyfique fi fine , que je
ferois fort tenté de les croire fauffes . Il eftdes
momens où les âmes les plus fenfibles , fatiguées
de leurspaffions , en aiment mieux l'hif
toire , qui les fait réfléchir avec intérêt , que
le tableau énergique qui les remue & les agite
encore. Voilà , felon l'Auteur , pourquoi
Fontenelle peut plaire encore après Téocrite
& Virgile. Cette explication me paroît amenée
de bien loin. Si Fontenelle plaît quelquefois
, c'eft par des traits qui fe rapprochent
du langage des vrais Poëtes :
Elle m'eut en fuyant dit quelques mots tout bas
Avec fa douce voix & fon doux embarras.
Voilà de la grâce de La Fontaine.
Quand il peint ainfi l'impatience amoureufe
d'un Berger :
Quel fiècle jufqu'au foir ! il/mefure des yeux
Le tour que le foleil doit faire dans les cieux ;
Il faut que fur ces monts ce grand aftre renaiſſe ,
S'élève lentement & lentement s'abaiffe.
Dans ces beaux vers , il y a quelque chofe
de Virgile . Dès qu'il rentre dans le ton
qui lui eft propre , il plaît d'une autre
manière , & il plaît moins . Il ne retrace
plus les fentimens où l'homme retrouve
fon coeur
& alors il ne dit plus rien
24 MERCURE
pour les âmes fenfibles. Je ne conçois pas.
trop comment il les déla feroit par l'hiftoire
des paffions , fans les remuer par leur tableau.
Il me femble que dans les âmes ſenſibles ,
tout ce qui rappelle les paffions les réveille ,
que dans leurs coeurs , les réflexions qu'elles
amènent ne vont jamais fans les mouvemens
qu'elles excitent . Cette idée de M. Garat me
paroît manquer de jufteffe ; mais elle manque
peut être encore plus d'intérêt . Elle ne
pouvoit venir qu'à un homme de beaucoup
d'efprit ; mais le goût veut que l'on rejette
fouvent des idées où l'efprit rifque au moins
de paroître avoir abufé de lui - même. J'ai cru
devoir infifter fur ce défaut , parce qu'il me
femble qu'il eft affez fréquent dans le Dif
cours de M. Garat. Chacun trouve dans fes
plus heureufes facultés la fource de fes fautes
; & c'eft du trop d'efprit que M. Garat a
le plus à fe garder.
Ce morceau des Églogues eft celui du Dilcours
qui a trouvé le plus de Cenfeurs ; je
ferai forcé d'y revenir , lorfque j'examinerai
l'ordonnance du Difcours.
J'arrive avec M. Garat aux Dialogues des
Morts. C'eft l'Ouvrage de Fontenelle , qui
me paroît avoir les plus effentiels défauts &
mériter le moins de grâce . Loin de juftifier
l'efpèce d'eftime que quelques perfonnes leur
confervent , je crois qu'il importe de la détruire.
Quel mérite peut- on trouver en effet
à un Livre qui ne reproduit les grands perfounages
& les grands événemens que pour
les
DE FRANCE. 25
les dégrader , qui ne les rapproche que par
les rapports les plus forcés , les plus choquans
, & ne tire de ces rapprochemens que
les plus frivoles réſultats; un Livre dont le plan
eft tout dramatique , & où les caractères les
plus impofans & les plus variés ont perdu
toute majefté , & paroiffent jetés dans le
même moule; où l'Auteur , ne pouvant s'élever
à leur ton , n'a pas craint de les ravaler
au fien ; un Livre enfin où l'on ne trouve jamais
ni fenfibilité , ni imagination , ni une
vraie & noble philofophie , où tout l'efprit
même qui y brille n'a rien de bien diftingué ,
& n'eft qu'un vice de plus ? Il eſt à remarquer
que c'est celui des Ecrits de Fontenelle
où l'on rencontre le moins de ces chofes fi
habilement apperçues & fi heureuſement
exprimées . Mais je prends ici une peine inutile.
Perfonne n'en a mieux marqué tous les
défauts que M. Garat. Comment a t'il pu
enfuite y admirer tant de chofes ?
Il parle d'abord de la vigueur &de l'étendue
qu'on apperçoit dans le deffin général de
ces dialogues. Faire entrer les morts illuftres
en conférence dans les Champs Elysées , ne
me paroît avoir rien de merveilleux , fur tout
après que cette idée avoit déjà été réalisée par
Lucien. C'eft dans la manière dont ils fe
roient mis en scène que confifteroit l'invention
; mais Fontenelle a manqué à tout dans
ce point ; je m'en rapporte fur ceci à la cri-,
tique même de M. Garat.
N°. 45 , 6 Novembre 1784. B
26 MERCURE
C
Voyez encore ce qu'il ajoute : Ces rapprochemens
fi inattendus , qui font naître des
idées fi nouvelles , ne font pas feulement les
artifices d'une compofition ingénieuſe , mais
le coup- d'oeil d'un efprit vafte , qui faifit des
rapports & des vérités aux plus grandes deftinées.
Cet éloge ne feroit pas indigne des
Lettres Perfanes ; & il eſt donné aux Dialogues
des Morts !
Il fe joue de la raiſon humaine , l'ébranle ,
la fait chancelerfur fes maximes les plus inconteftables,
l'arrache quelques inftans de tous'
fesfondemens, nonpour la renverfer, mais pour
la fairefortir d'un repos où elle devientfterile,
pour la porter plus loin , & lui donner de plus
folides appuis. Si quelqu'un vouloit juger de
TOuvrage de Fontenelle d'après cette idée ,
il pourroit s'atrendre à y trouver un Écrivai Y
plein de verve dans le ftyle , d'audace dans
les idées , de forces & de reffources pour
tout renverfer & tout reconftruire . S'il venoit
enfuite à ouvrir le Livre , il me femble
qu'il trouveroit terriblement à rabattre.
J'ofe dire que ce Livre méritoit toute la colère
des grands Écrivains du fiècle de Louis
XIV ; il les autorifoit en quelque forte à
prononcer une malédiction fur le talent de
I'Auteur. Aufi s'eft il élevé depuis à une autre
manière de voir & de peindre les objets ,
& c'eft pour cela qu'il s'eft placé tout à côté
des hommes du premier ordre. Il y avoit
quelque chofe à louer dans cet Ouvrage
mais ce n'étoit pas les dialogues , c'est la criDE
FRANCE... 27
tique qui en eft faite dans le Jugement de
Pluton. Fontenelle feul étoit peut être capa
ble de fe charger d'écrire lui même tous les .
reproches qu'on lui faifoit ; ce n'eft pas qu'il
les méprife , il paroît au contraire en fentit
la force & la jufteffe ; néanmoins il les écrit ,
il en fait une partie de fon Ouvrage même ;
il emploie tout fon efprit à les bien faifir , à
les bien rendre, il ne s'y épargne pas ; il s'at
taque jufques dans les endroits les plus fenfi
bles ; il s'attaque & il ne fe défend pas . Éclairé
& animé par la critique des bons juges qu'il
avoit indignés , en exprimant les plaintes des
Héros contre les idées & les difcours qu'il
leur a prêtés , il conçoit mieux leur ame
& leur génie , & cette fois il n'eft pas rou
jours indigne de les faire parler. Ce courage ,
ou cette indifference de l'Auteur , me paroiffent
un des traits les plus remarquables
du caractère de l'homme.
Déformais M. Garat va être plus à fon
aife ; il n'aura plus que de bons Ouvrages à
apprécier.
Je pale fur le níorceau où il examine enfemble
'Hiftoire des Oracles , l'origine des
Fables , les Réflexions fur la poétique , & le
petit Traité du Bonheur. Le jugement qu'il
porte fur tons ces Ouvrages , quoique moins
développé , n'en eft ni moins profond ni
moins juſte.
Le Livre des Mondes demandoit un mors
cean plein d'idées & d'imaginatión . M. Garat
templir ici l'attente de fon Lecteur. Mais it
Bij
28 MERCURE
"
me femble qu'il n'a pas fait des critiques ,
qu'un Écrivain auffi digne que lui de defendre
les vrais principes des Arts , ne devoit
pas omettre. Qu'on ne permette de dire
encore ici ma penſée .
Je fuis bien loin d'attaquer la brillante réputation
dont jouit encore cet Ouvrage , de
contefter l'utilité de fon deffein & l'agrément
de fon exécution . Sans doute c'étoit une belle
& heureuſe idée que celle d'apprendre aux
gens du monde qu'ils pouvoient pénétrer
dans les Sciences , & aux Savans comment
ils pouvoient fe faire entendre des gens du
monde ; & jamais on n'a porté plus de clarté,
de préciſion & d'élégance dans le développement
d'une Science qui n'avoit fu encore
s'exprimer qu'avec des termes de mathématiques.
A ces deux égards , les Mondes doivent
refter comme un des bons Livres de
notre Littérature ; mais ce Livre , en donnant
un bon exemple , n'a t'il pas donné un mauvais
modèle ?
Pour que les Loix de l'Univers
ne reftent
plus auffi cachées
dans les Sciences
que dans
le fein même
de la Nature
, fuivant
une belle
expreffion
de M. Garat
, il faut leur prêter
la langue
ordinaire
, & fur tout les fimplifier
par une logique
plus nette , par une méthode
plus facile
: c'eft ce qu'a fait admirablement
Fontenelle
. Pour
nous les rendre
agréables
& intéreffantes
, il faut les parer
des couleurs
de la poésie
, les animer
des mouvemens
de
l'éloquence
, Voilà
le feul embelliffement
qui
DE FRANCE. 29
leur convienne ; & c'eft ici où Fontenelle a
fait une méprife dangereufe. Son fujet des
Mondes admettoit de hautes idées , de riches
images ; il permettoit un ftyle vif & majeftueux.
Quel eft le ton que Fontenelle y a
porté ? Celui d'une froide galanterie. Il met
en fcène deux Interlocuteurs , un Philofophe
& une femme. Mais le Philofophe , au lieu
d'élever fon âme par la magnificence des
objets qu'il décrit , n'ofe en parler avec
la dignité qui leur eft propre ; il ſe fait un
bel efprit de toilette , pour parler du mouvement
des aftres ; cette femme , à qui il
pouvoit donner une envie de connoître ,
d'autant plus intéreffante , qu'une femme
dans ce temps étoit fouvent obligée de l'immoler
à un fot préjugé , cette femme , dont
l'imagination , la fenfibilité même pouvoient
s'exalter au milieu des auguftes révélations
d'une Science toute poétique & toute religieufe
, à peine daigne t'elle s'intéreffer aux
Loix de l'Univers. Elle les cherche avec une
curiofité avide , elle les pénètre avec une fagacité
rare; mais elle ne fait jamais les admirer
; elle femble n'avoir cherché qu'une
nouvelle occafion de ce froid badinage ,
qui eft le ton dominant de la Société.
N'est-ce pas là plutôt dégrader les Sciences
que les orner ? Si le fublime Auteur de
l'Hiftoire Naturelle avoit pris ce ton & ce
style , auroit- il mérité la gloire , ou plutôt
n'auroit il pas tout gâté dans les Sciences &
dans la Littérature : Je le répète , les orne-
Bii)
30
MERCURE
mens que l'on piête aux Sciences doivent
être dignes d'elles , ou elles doivent les rejetter.
Voici comment , quelques années
après la publication des Mondes , un Savant
commençoit une differtation fur l'Aftronomie.
»
»
#
Quand l'Aftronomie ne feroit pas auffi
abtolument néceffaire qu'elle l'eft pour la
Géographie , pour la Navigation , & même
pour le Culte divin , elle feroit infiniment
digne de la curiofité de tous les efprits, par
» le grand & le fuperbe ſpectacle qu'ell
>> leur préfente. Il y a dans certaines mines
très- profondes des malheureux qui y font
nés , qui y nourront fans avoir jamais vû
» le foleil. Telle eft à peu près la condition
» de ceux qui ignotent la nature , l'ordre ,
le cours de ces grands globes qui roulent
fur leurs têtes , à qui les plus grandes
beautés du ciel font inconnues , & qui
» n'ont point affez de luinières pour jouir
» de l'Univers. Ce font les travaux des Af
» tronomes qui nous donnent des yeux , &
>> nous dévoilent la prodigieufe magnificence
» de ce monde , prefque uniquement habité
→ par des aveugles. »
"3
Voilà le langage qui honore les Sciences
en les expliquant mieux. Veut- on maintenant
connoître l'Auteur de ce morceau ?
C'eft Fontenelle lui-même , lorfqu'enfin il fe
fur élevé au -deffus des prétentions du bel
efprit , & qu'Interprête des Sciences , &
D-E FRANCE. 31
€
entre elles & enyers le Public , fon génie fe
fut epure & agrandi dans leur commerce.
La fuite à un autre Mercure.
BALANCE de la Nature , par Mlle le
Maifon le Golft. A Paris , chez Barrois
l'aîné , Libraire , quai des Auguftins .
UN Ouvrage qui , par une marche auffi
facile qu'agreable , nous uret à même de
comparer & juger les principaux objets de
la Nature , ne peut manquer d'être favorablement
accueilli ; il trouvera même des
partifans parmi ces êtres privilégies pour qui
la Nature n'a rien de caché : en concourant
à l'avancement des Sciences , on acquiert
des droits à la reconnoiffance de ceux qui
les cultivent avec le plus de fuccès . Tel eft
l'Ouvrage publié par Mlle le Maffon le Golfe.
La Balance de la Narure , au premier coupd'oeil
, n'a l'air que d'un amufement ; il ca
che fous cet extérieur, modefte beaucoup
d'intérêt ; il prépare au grand Livre de la
Nature , en ce qu'il fonferait à nos yeux
le dédale effrayant du fyftême , jufqu'au moment
où , pénétrés de fes beautés , nos idées
s'agrandiffent, notre âme s'élève & le courage
ne nous abandonne plus. Mais comment
balancer le mérite de chacun des principaux
objets que la Nature nous préfente
avec une adinirable profufion: Chacun a fa
manière de voir & de juger ; les productions
Biv
32
MERCURE
1
de la Nature n'ont point une égale beauté ,
mais chacune a fa beauté particulière ; la
culture , le climat jettent entre- elles des différences
confidérables : tout eft prévu par
Mlle le Maffon . Quelques détails fuffifent
pour faire voir que l'idée d'une Balance de
la Nature exigeoit , pour être réaliſée , toute
la fineffe & la délicateffe du fexe auquel appartient
notre Auteur.
Cet Ouvrage embraffe les principaux objets
des trois règnes. Cédant par des raifons
particulières à des difficultés qu'elle étoit
bien faite pour applanir , l'Auteur nous a
privé du tableau de l'homme qu'elle avoit
efquiffé , & qui ne pouvoit qu'être fort intéreffant
fous ces quatre rapports , beauté ,
bonté, efprit &favoir. Les quadrupèdes font
donc le premier objet de cet Ouvrage ; les
oifeaux , les poiffons & les infectes le fecond;
viennent enſuite les végétaux , diftingués en
arbres, fleurs &fruits ; dans le règne minéral
on a choifi de préférence les pierres précieufes
& les métaux. Les quadrupèdes fe
confidèrent par laforme , la couleur & l'inf
tinct. Patmi ces trois rapports , quoique tous
également bien traités , il en eft un , la couleur
, qui fait l'éloge des connoiffances de
Mlle le Maffon ; les couleurs fervent bien à
diftinguer les objets & à les caractériſer d'une
manière particulière ; mais nous ne voyons
pas toujours ces couleurs telles qu'elles font ,
en confidérant l'objet qu'elles décorent ; comment
donc établir le degré relatif de beauté
DE FRANCE 33
parla couleur ? L'Auteur réfléchiffant à l'influence
de la lumière fur les couleurs , &
examinant ce qu'elles deviennent entre les
mains du Peintre , en fait la plus heureuſe
application à fa Balance . Une couleur peut
-être apperçue , dit l'Auteur , ou telle qu'
elle
eft , ou éclairée du Soleil , ou dans une demiteinte
, ou même dans une ombre légère ; elle
peut encore recevoir des altérations ou un nouveau
degré d'intensité par la réflexion des
corps voifins. La lumière réfléchie d'un corps,
pourpre fur un blanc , le teint en couleur de
rofe ; & fi l'un & l'autre étoient cerife , les,
reflets réciproques rendroient la couleur beaucoup
plus belle qu'elle ne l'est en effet. Les
couleurs reçoivent encore un degré de beauté
différent , à raifon de l'état actuel des furfaces,
plus ou moins liffes. La transparence y occafionne
auffi des différences fenfibles ; elles
reçoivent encore un nouvel éclat de la comparaifon
que l'ail en fait avec les couleurs.
voifines. L'Auteur n'a donc point feulement.
égard à la couleur propre des objets , elle
confidère fi cette couleur réfléchit plus on
moins de lumière ; fi , lorfqu'elle reçoit plus
ou moins d'ombre , elle conferve une partie de
fa beauté , de fon intenfité , defa fraicheur ,
defa fuavité, defon moelleux , ce qu'elle vaut
auprès d'une autre & réciproquement.
Les oifeaux font confidérés par la forme &
la couleur ; le poiffon par la forme , la couleur
& la faveur. On fait que la forme & la
couleur du quadrupède n'eft pas celle de
Bv
14 MERCURE
J
l'oifeau celle de l'oifeau ne reffemble en
rien à celle du poiffon , que chacun a ſa
beauté : nouveaux obftacles à la Balance de
Mile le Maffon . Tout eft apprécié de la manière
la plus fatisfaifante. La beauté des
poiffons , combinée de la forme , eft encore .
un des plus agréables endroits de cet Ouvrage.
Parmi les habitans de la mer , les principaux
mellufques n'ont pas été oubliés ; êtres
finguliers , dont nous devons la connoiſſance
au favant Abbé Dicquemane .
:
Les coquillages font appréciés par la forme
& la couleur la régularité fait la beauté de
la forme , & la richeffe apparente la beauté
de la couleur. Les infectes ajoutent à la forme
& la couleur , l'induftrie. Les arbres fe
diftinguent par la grandeur , la forme , la
couleur & l'utilité de leur bois ; les fleurs ,
par leur forme, la couleur & l'odeur ; les
fruits ont de plus la faveur. Tout y eft dif-.
cuté d'une manière fi fatisfaifante & fi utile
aux Amateurs , qu'on peut regarder comme
réunis dans la Balance de la Nature , le fentiment
& Vinftruction , caractères imprimés
aux Ouvrages du fexe aimable chez qui la
Beauté n'eft que le moindre avantage.
*
DE FRANCE 38
L'AMI de la Société , fuivi de l'Éloge de
Suger , par M. l'Abbé Percheron , Profeffeur
au Collège Royal de Chartres ,
avec cette Épigraphe , tirée de 1Ouvrage
même : Soyez gais & l'Univers eft à vous.
A Paris , chez Savoye , Libraire , rue
S. Jacques.
CETTE Brochure , qui eft dédiée à Mlle de
Luxembourg , eft compofée de plufieurs morceaux
: un Difcours fur l'Efprit de Société ,
un fur l'Émulation , un Éloge de la Gaîté ,
un de l'Enfance ; deux Lettres , dont l'une
adreffée à un arni devenu Milantrope , &
l'autre à une mère , fur la mort de l'une de
fes filles ; fix Dialogues , qui traitent de phyfique
, de conquêtes , de factions , de la
louange , du filence , & un éloge de l'Abbé
Suger.
A n'en juger que par le titre ou par l'épis
graphe du Livre , on pourroit le croire fort
gai , & l'on fe tromperoit affurément beaucoup.
Les differens Difcours & Dialogues
qu'il renferme ont été fans doute.compofes
pour des exercices publics au Collège de
Chartres ; & l'on pourroit foupçonner même
que l'éloge de l'enfance a été fait pour des
enfans du plus bas âge.
Dans le Difcours fur l'efprit de Société ,
l'Auteur examine ce qui a rapproché les
hommes les uns des autres , & il obferve
que les befoins moraux n'y ont pas moins
B vj
36
MERCURE
contribué que les befoins phyfiques. Il peint
enfuite la fociété , c'eſt- à - dire , les cercles
ou affemblées auxquels nous avons donné ce
nom . Il dit quel eft l'efprit que l'on y doit
porter pour être agréable & y trouver de
l'agrément. Sa morale eft indulgente , & propre
à infpirer une bienveillance univerfelle.
Par exemple , en recherchant quels font les
obftacles que les hommes oppofent à l'efprit
de fociété , M. l'Abbé Percheron nous dit
que c'eft l'égoïfme , la hauteur dans les
procédés , l'opiniâtreté dans les fentimens ,
» trop de rigueur dans la défenſe de ſes
» droits , trop d'apprêté dans l'humeur ,
99
>
&
la
rivalité qui règne entre les différentes con
dition qui partagent la fociété , le pen-
» chant pour la fatyre....... Ne confidérons
jamais nos femblables que fous le plus
» beau point de vûe , & nous nous accou-
» tumerons à les regarder comme parfaits ,
» ou du moins leurs défauts & leurs imper-
" fections feront fur nous moins de fenfa-
» tion. C'eft dans l'ordre de la Nature ,
و د
c'eft notre intérêt propre . Ne portons-
» nons pas tous des défauts & des imper-
» fections dans la fociété? Quel avantage ne
» réfulteroit il pas de cette indulgence ma-
" tuelle ? Chaque individu , en fe voyant
eftimé & conſidéré au delà de fes prétentions
, contracteroit l'obligation de deve
nir plus parfait. » Ce feroit mal faifir les
idées de M. l'Abbé Percheron , de conclure
que l'homme deviendra meilleur dès qu'il
DE FRANCE. 37
faura qu'on lui paffe tout. Ce n'eft point à
force de flatter les vicieux qu'on les fait renoncer
aux vices.
Dans l'Éloge de la gaîté , M. l'Abbé Percheron
décrit bien moins les effets qu'elle
produit fur le coeur & fur l'efprit que ce
qu'il feroit à fouhaiter qu'elle y produisît. Il
peint l'homme gai tel qu'il devroit être , &
non tel qu'il eft communément ; & pour for
mer des hommes gais , il donne un confeil
qu'on ne pourroit fuivre fans beaucoup de
difficultés . " Mères de familles , appliquez-
» vous , dit il , à corriger l'humeur de vos
enfans , & fur tout dans le fexe. Accouru-
» mez- les de bonne heure à la gaîté . S'ils pa
» roiffent devant vous avec un fourcil fron-
"
cé, avec un front fillonné par la tristeffe ,
" banniffez les de votre préfence ; qu'ils ne
» reparoiffent devant vous qu'avec un viſage
» ferein , la joie dans les yeux , le rire fur
les lèvres. Il faut les tracaffer , les railler ,'
» les contredire pour rompre leur humeur.
» Ne fouffrez pas en eux le moindre petit
» nuage , le moindre caprice ; c'est le plus
» grand fervice que vous puiffiez leur rendre
pour la vie fociale. »
"
و ر
»
"
L'Auteur n'a pas fans doute apperçu que
parmi les moyens qu'il propofe pour éta
blir le culte univerfel de la gaîté , il y en
avoit qui pourroient faire des hypocrites .
Il met dans la bouche d'un enfant un
éloge de l'enfance , qui fuppofe que l'enfant
eft tout-à- la fois Orateur , Moraliſte , Natu38
MERCURE
ralifte , Anatomifte , Dialecticien , Politique
Jurifconfulte , & en un mot il differte dans
les termes de toutes ces Sciences , relativement
à fon âge , comme un enfant qui auroit
vieilli dans les écoles.
·
Le Difcouts qui fuit , & qui traite de
l'émulation , eft très propre à infpirer aux
enfans l'idée des grandes choſes , & fur tout
des chofes utiles .
??
"
" Ce que l'émulation fait pour l'efprit ,
» obferve M. l'Abbé Percheron , elle l'opère
auffi fur le coeur ; à fa voix , les fentimens
s'élèvent comme les idées ; comme on fait
apprécier fes femblables , on fent enmême
» temps les égards qu'on leur doit. On eft
» plus délicat fur les procédés , on fait, fe
refpecter foi - même & refpecter les au-
" tres ; nos obligations s'étendent & fe mul
tiplient à nos yeux : mille actions qu'on
» négligeait rentrent dans l'ordre des den
voirs.
"
وي
ود
n
La Lettre fur la Milanthropie balance les
avantages & les inconvéniens de la Société ,
& , comme de raifon , prouve que ceux- là
l'emportent fur ceux- ci.
Nous ne dirons rien des autres morceaux
qui compofent cette Brochure. En général ,
ils ne peuvent guères étre goûtés que dans les
Colléges .
Nous nous tairons également fur l'Éloge
de Suger ; le fonds & le ftyle de ce Difcours
font fort au deffous du fujet , ainfi que prefque
tous les morceaux qui compofent cette
DE FRANCE. 39.
Brochure , comme on a pu l'appercevoir par
ce que nous en avons cité.
A
NOUVEAU Voyage Sentimental.
Londres , & fe trouve à Paris , chez
Baftien , Libraire , rue Saint - Hyacinthe.
in- 12 .
Tout le monde connoît le Voyage Sentimental
, par M. Stern , fous le nom d'Yorik;
celui que nous annonçons fous le même
titre , n'eft point une fuite de l'Ouvrage Anglois
; & quoique inférieur en mérite , nous
avons cru y voir des chofes très - agréables .
Il eft impoffible d'en rendre un compte exa
qui puiffe en faire connoître le fonds ; chaque
Chapitre n'a aucun rapport , aucune liaiſon
avec celui qui le précède & celui qui le fuit ;
ce font à chaque inftant de nouveaux perfonnages
qui ne font que pareître & difpa
roître , tantôt c'eft l'Auteur qui parle , tan
tôt fes perfonnages eux- mêmes ; d'autres fois
ce font des lettres qu'on lit. Cette manière
ne laille pas que de répandre de la variété ;
le ftyle eft toujours analogue au fonds , &
prend toutes les formes néceffaires . On trou
ve de la garé , de l'intérêt , du perfifflage &
de la philofophie. Nous citerons un morceau
qui fera connoitre la manière de l'Autcur.
Hrencontre dans un voyage un Piéton qu'il
terroge , & qui lui avoue qu'il eft Comédien
pour le moment. " ——---- Comment pour
Oui ; car demain , s'il faut » le moment ? ---
40 MERCURE
"
"
que je fois autre chofe , je le ferai . Il y a
fi long - temps que je fuis convaincu que
» tous les états balancent les avantages par
» des peines.... Enfant , j'avois des bonbons
» & des tapes.... Militaire , de l'honneur &
"
point de profit; Maltotier , du profit point
» d'honneur ; Riche , car je l'ai été , des jaloux
& point d'amis ; Auteur , loué dans
un Journal , décrié dans un autre ; marié
» d'abord à une jolie femme , aniour & ja-
» loufie ; enfuite à une laide , fécurité &
ennui ; enfin j'ai pris le parti d'être auffi
mobile que les circonftances. Il eft rare
» que j'aie dans ma poche de quoi -fubfifter
» huit jours ; & voilà dix ans que je fubfifte
» comme cela , & je vous avouerai que je
fais plus heureux que quand j'étois riche.
» Mon ventre plein , mon dos couvert , je
» n'ai plus rien àfonger ; auffi cette abſence
d'inquiétude m'a t'elle fait retrouver une
fanté qui s'étoit délabrée au fein de l'opulence.
Vous avez donc du talent ?
39
93
» Point du tout.
10
-
Cependant , pour bien
jouer la Comédie ?... Oui , pour la bien
--
―
-
Mais fi
Que
» jouer ; mais je la joue mal, En ce cas....
» En ce cas je ne gagne guères.
vos Auditeurs s'y connoiffent ?
m'importe ! je mets à contribution l'amour-
» propre des connoiffeurs comme l'admiration
des fots , & l'un me rapporte pour -
» le moins autant que l'autre. - Et lorfque
quelqu'un, trop preffé pour vous entendre,
» vous offre de l'argent comme s'il vous
99
DE FRANCE. 41
--
" avoit entendu? Je le refufe , parce que
» je ne reçois de l'argent que quand il eft le
» prix de mon travail , &c.....- Touchez-
» là , & continuez d'être heureux. »
ANNONCES ET NOTICES.
LA onzième Livraiſon de l'Encyclopédie eft actuellement
en vente . Cette onzième Livraiſon eft
compofée du Tome quatrième , première Partie de
la Jurifprudence ; du Tome premier , deuxième Partie
de la Marine ; du Tome troifième , première Partie
du Commerce , & du Tome deuxième , deuxième
Partie de l'Hiftoire Naturelle , contenant la fin des
Oifeaux , les Ovipares & les Serpens. Le Dictionnaire
Ornythologique eft terminé par le Tableau de
l'ordre dans lequel on doit lire les Articles qui y
font contenus ; & ce Tableau , que nous invitons les
Soufcripteurs à lire en entier , leur fera connoître
qu'on remplit exactement les vûes & le plan qu'on
s'eft propofé dans cette nouvelle Encyclopédie , puifque
chacun des Dictionnaires dont elle eft composée
peut , à la volonté du Lecteur , devenir un Traité
de Science. Après l'ordre de lecture , fuit l'ordre des
genres & des efpèces qu'ils renferment.
Le Dictionnaire d'Ornythologie , fuivant le Prof
petus de l'Encyclopédie , devant contenir les articles
relatifs à la Fauconnerie & à la Chaffe , & ces articles
fe trouvant en effet répandus dans tout l'Ouvrage
, M. Mauduit , Auteur de toute cette partie des
Oifeaux , dans laquelle il a fu répandre un trèsgrand
intérêt , & nombre de chofes neuves ,
l'a terminée
par un fecond Tableau fur la manière de lire
ce Dictionnaire relativement aux articles de Fauconnerie
& à ceux de Chaffe . Les noms latins des
·
42 MERCURE
CXV genres , fous lefquels font rangés les Oifeaux
décrits dans ce Dictionnaire , font préfentés à la fin
par ordre alphabétique .
Les animaux Quadrupèdes - Ovipares & les Serpens
, par M. Daubenton , de l'Académie des Sciences
, &c. forment le troisième Dictionnaire d'Hiftoire
Naturelle . Ce Dictionnaire eft précédé d'une
Introduction aux Serpens , d'un Difcours fur les
moyens de conferver les Quadrupèdes - Ovipares ,
& d'autres animaux après leur mort : d'un autre Difcours
fur la manière de préparer & de conferver des
peaux defféchées de Quadrupedes- Ovipares & de
Serpens , par M. Mauduit : d'une notice de différens
Ouvrages qui traitent des Quadrupedes - Ovipares &
des Se pens , par M. Brouffonet , des Sociétés Royales
de Montpellier & de Londres : vient enfuite le Dic-
'tionnaire des Animaux Quadrupèdes Ovipares & des
Serpens, par M. Daubenton , qui eft terminé , comme
celui des Oifeaux , par la manière de lire méthodiquement
ce Dictionnaire des Animaux Quadrupèdes-
Ovipares & des Serpens ; de forte que le Lecteur a
tout-à - la - fois ou un Traité ou un Dictionnaire dé
Sciences . C'eft à cette Encyclopédie qu'on doit lidée
ingénieufe de faire de ces Dictionnaires autant
de Traités , & vice versa. Par ce moyen , ils deviennent
les inftrumens les plus utiles de toutes les connoiffances
humaines. On ne peut plus dire qu'ils ne
font hons qu'à confulter. Chaque Dictionnaire ,
traité fous ce point de vue , eft un Traité méthodique,
auffi complet , aufli parfait que le permet l'état ac
tuel des connoiffances humaines . On a même dû faire
le Traité en entier , pour bien faire le Dictionnaire ,
le Dictionnaire n'étant que le Traité divifé par tous
les mots principaux qui le compofent Cette partie
des Quadrupèdes - Ovipares & des Serpens , eft terminée
par une Table Alphabétique des noms latins
& étrangers des Quadrupèdes- Ovipares & des SerDE
FRANCE. 43
pens , tirés de la Synonymie des Auteurs cités dans ce
Dictionnaire .
Le prix de cette onzième Livraiſon eſt de vingt,
quatre livres brochée , & de vingt - deux livres en
feuilles.
La Soufcription de cette Encyclopédie eft toujours
ouverte , & elle eft du prix de 751 liv.
On peut s'adreffer pour foufcrire , hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , N° . 17 , & chez les Libraires de
France & Etrangers.
Avis fur la Traduction Françoise du troisième
Voyage du Capitaine Cook , actuellement "fous
preffe , avec Privilège du Roi.
La Géographie de la moitié du Globe étoit couverte
de ténèbres , lor que l'immortel Cook a commencé
les Voyages autour du Monde . Les découvertes
fans nombre de fes deux premières expéditions
font connues de l'Europe entière ; la troificme a été
plus heureufe e core à cet égard. On peut voir dans
le Profpectus , joint à Avis de la neuvième Livraifon
, le détail de ces importantes découvertes , que
l'efpace ne nous permet pas de répéter ici .
L'Amiranté d'Angleterre , fatisfaite de la verfion
& de l'Édition Françoife des deux premiers Voyages
de Cook , a bien voulu permettre que les Cartes , les
Planches & les Feuilles du troifième nous fuffent envoyées
à mesure qu'elles fortoient de la preffe à
Londres ; & M. Demeunier s'eft occupé de la traduction
long-temps avant que l'original parût à Londres.
Au moment où l'on écrit cet Avis , il y en a
plus des deux tiers d'imprimé , & les Graveurs de
Paris travaillent aux Cartes & aux Planches , depuis
un an.
L'Édition originale a été mife en vente à Londres
le 4 du mois de Juin , & épuifée en quinze
44 MERCURE
jours. Les Exemplaires ont fur-le- champ doublé de
prix. Cette Édition contient quatre - vingt- fept Planches
ou Cartes plus magnifiques encore que celles
des deux premiers Voyages . Celles de la traduction ,
qu'on peut voir actuellement en partie , ne feront
pas inférieures , & on y trouvera de plus l'Eftampe
de la mort du Capitaine Cook , qui fe vend féparément
à Londres , & qui coûte 36 liv . La Médaille
que la Société Royale de Londres a fait graver en
l'honneur de ce célèbre Voyageur , & dont il n'a été
frappé que cinq en or , « dont une pour le Roi de
>> France comme un hommage dû à fon amour pour
les Sciences , à la générofité particulière qu'il a
» montrée en ordonnant pendant les dernières hoftilités
de laiffer paffer librement le Capitaine Cook,
» fans vifiter fes Vaiffeaux , fans le troubler en au-
» cune manière ; » cette Médaille , que Sa Majeſté a
bien voulu confier , fera gravée au Frontifpice du
premier Volume. Les Perfonnes qui defirent fe procurer
cet Ouvrage , doivent ſe faire infcrire à l'Hôtel
de Thou , rue des Poitevins , Nº. 17 , & elles feront
sûres d'avoir les premières épreuves.
Le Bal en Carême , Poëme de Carnaval , par
M. de Miramond. Prix , 20 fols . A Paris , chez
Belin , Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves .
Cet Ouvrage eft écrit d'une manière très diffufe .
Mais il y a de la facilité , & fouvent des vers qui
prouvent que l'Auteur peut faire mieux :
F
Mais les heures ſe règlent- elles
Sur les defirs de notre coeur ?
Non fans doute ; & fi les cruelles
Sont boiteufes dans la douleur ,
Le plaifir leur donne des aîles .
LES Livres Claffiques de l'Empire de la Chine, recueillis
par le Père Noël , précédés d'Obfervations
DE FRANCE.
45
fur l'origine , la nature & les effets de la Philofophic
morale & politique dans cet Empire. 2 vol. petit
format. A Paris , chez Debure , Barrois aîné &
Barrois jeune , Libraires , quai des Auguftins.
Cette Traduction , d'après une autre Traduction
latine du Père Noël , aura fans doute une fuite . Elle
ne contient encore de Confucius que deux Ouvrages ,
la Science des Adultes & le Milieu immuable. La
moralé de ce célèbre Philofophe ne nous étoit connue
que par un abrégé qu'en a publié le P. du Halde ,
& par les Mémoires concernant les Sciences chez les
Chinois , dans lefquels le nouveau Traducteur trouve
qu'ils font bien moins traduits que paraphraſés.
Les Livres de Confucius font ceux qu'on enfeigne
dans les Écoles de la Chine ; & on ne parvient aux
Charges & au Doctorat qu'après avoir été ſérieuſement
examiné fur la connoiffance de ces mêmes Livres.
On doit favoir gré à M. l'Abbé Pluquet d'avoir
recueilli & développé un fyftême de philofophie morale
& politique , qui régit & rend heureux depuis
trois mille ans un des plus grands Empires qui ayent
exifté.
Il a mis à la tête de fa Traduction un Difcours
Préliminaire fur les Chinois , qui comprend un Volume
entier , mais qu'on lira avec intérêt , quoiqu'il
foit beaucoup trop long , & écrit d'un ton monotone.
Le fyftême de la Légiflation des Chinois y eft préfenté
avec autant de clarté que de fageffe ; & l'on ne
peut lire qu'avec un fentiment religieux un corps de
morale & de politique qui offre , pour ainfi dire , le
Roman du bonheur & de la vertu .
L'Édition en est remarquable par la beauté du
papier & du caractère.
ENCYCLOPEDIE , ou Abrégé de toutes les Scienses
à l'ufage des Enfans , nouvelle Edition , refondue
, augmentée & corrigée dans toutes les parties,
46 MERCURE
afin de la rendre propre à l'ufage des Écoles des Pays
Catholiques , enrichie de dix planches en taille - douce.
in- 12 . Prix , 2 liv. 10 fols relié . A Bruxelles , chez
Lefrancq , Imprimeur- Libraire , & à Paris , chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins.
Nous avons déjà annoncé cet eftimable Ouvrage."
L'HOMME aux dix Écus , par un Enfant Trouvé.
A Séville , chez Bride-Oifon , au Patriotifme , 1784.
M. de Beaumarchais promet dix écus à celui qui
prouvera dans un bon Libelle Anonyme , qu'il y a
dans le projet de l'inftitution des Mères Nourrices un
deffous de carte malhonnête qu'on découvrira quelque
jour. C'eft cette phrafe qui a donné lieu au titre
de la Brochure que nous annonçons. L'Auteur prétend
démontrer qu'il y a une erreur dans les calculs de
M. de Beaumarchais , & qu'il faudroit que le Bureau
de Bienfaifance donnât au moins 18 liv , par mois au
lieu de neuf.
LETTRE d'un Bordelois au Père Hervier , en Réponfe
à celle que ce Savant a écrite aux Bordelvis à
Poccafion du Magnétifme Animal. A Paris , chez
Delalain le jeune , Libraire , rue S. Jacques,
ce
L'Auteur de cette Lettre le récrie beaucoup fur
qu'un Miniftre de l'Évangile , un Orateur Chrétien
abuſe de la confiance qu'il peut mériter à ce double
titre , pour donner comme certains des faits qui peuvent
être faux , & des principes qui ne font ni prouvés
ni probables.
L'AMI de Adolefcence , par M. Berquin ,
deuxième , troifième & quatrième Cahiers , formant
avec le premier Cahier deux Volumes de cet
Ouvrage .
Le deuxième Volume contient la première Partie
du Syſtème du Monde, mis à la portée de l'AdoDE
FRANCE
lefcence. La foufcription pour douze Volumes en
vingt-quatre Cahiers , eft de 13 livres 4 fois pont
Paris , & de 16 livres 4 fols franc de port pour la
Province. On s'adreffe à M. Leprince , à Paris ,
rue de l'Univerfité , n ° . 28.
La nouvelle carrière que vient de s'ouvrir_M.
Berquin eft plus difficile à parcourir. Ses premiers
pas promettent de l'inftruction & du plaifir à fes
Élèves , & lui annoncent à lui-même une réuffite
digne de fes premiers, fuccès.
NUMERO 10 de la quatrième année du Journal de
Harpe , par les meilleurs Maîtres . Prix , féparément
2 liv. 8 fols. Abonnement 15 liv. franc de port. A
Paris , chez Leduc , au Magafin de Mufique , que
Traverfière - Saint-Honoré..
NUMERO du Journal d'Orgue à l'ufage des
Paroiffes & des Communautés Religieufes , par M.
Charpentier , contenant quatre Hymnes pour la
Circoncifion , l'Épiphanie , la Purification & l'Annonciation
. Prix , 4 liv . 4 fols franc de port. Abonnement
24 liv. A Paris , chez Leduc , méme Adreffe
que ci deffus.
RECUEIL des Airs & Duos des deux Tuteurs &
autres petits Airs , avec Accompagnement de Harpe ,
par M Grenier , Organifte & Maître de Harpe ,
Cuvre VI. Prix , 7 livres 4 fols A Paris , chez l'Auteur
, Hôtel de Mme la Ducheffe de Villeroy , rue de
l'Univerfité ; Coufincau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'Ecole.
NUMERO 10 de la troisième année du Journal de
Clavecin , par les meilleurs Maîtres. Prix , féparément
3 liv. Abonnement 15 livres franc de port. A
48 MERCURE
Paris , chez M. Leduc , au Magafin de Mufique , rue
Traverhière -Saint-Honoré.
NUMEROS 7 & 8 du Recueil des Airs Italiens
des meilleurs Compofiteurs , traduits , gravés en partition
avec les parties féparées . Prix , 3 livres chaque .
A Paris , chez Imbault , rue & vis - à - vis le Cloître
Saint Honoré , maifon du Chandelier , & Siéber ,
même rue , près celle d'Orléans , maifon de l'Apothicaire
, no. 92.
-
Le Numéro 7 contient un Rondeau de M. Sacchini
, très agréable , & qui n'a point la tournure
commune des Rondeaux . Le Numéro 8 eft auffi un
Rondeau del fignor Martini .
FAUTE à corriger dans le Mercure précédent.
Page 200 , à la nouvelle queftion à réfoudre , au
lieu de , ou de tenir , lifez que de tenir.
• Voyez, pour les Annonces des Livres de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
LE Ver luifant & le Roitelet, nelle ,
Fable , 3 Balance de la Nature ,
Epitaphe de Mme Lobreau , 4 L'Ami de la Société ,
7
31
35
39
41
Charade , Enigne & Logo Nouveau Voyage Sentimental,
gryphe ,
Eloge de Bernard de Fonte- Annonces & Notices ,
APPROBATION.
J'AI Hu
par
ordre
de Mgr
le Garde
des
Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
6 Novembre
. Je
n'y
ai rien
trouvé
qui
puiffe
en
empêcher
l'impreffion
.
Paris
, les
Novembre
1784.
GUIDI
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13
NOVEMBRE
1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS A M. DE **
Portrait d'un Intendant.
ETRE l'Homme du Roi , du Peuple & de l'Etat ,
Répartir juflement le fardeau des Subfides ;
Prevenir , réprimer , fenfible Magiftrat ,
De la fifcalité les abus homicides ;
Veiller pour le maintien & de l'ordre & des Loix ;
Ofer des opprimés faire parler les droits ;
Porter jufqu'à la Cour les cris de l'infortune ,
Ces cris longs & touchans , dont la plainte importune
Expire fur le feuil du Palais de nos Rois ;
Par l'éloge & la récompenfe
Encourager les Vertus & les Arts ;
Aux Enfans de Cérès , de Neptune & de Mars
Nº. 46 , 13 Novembre 1784.
C
50 MERCURE
Servir enfin de Providence......
Tels font les grands devoirs qu'on t'impoſe aujourd'hui
,
Ton père les remplit durant vingt ans en Sage ;
Le bonheur & ton nom font le double préſage
Qu'on aimera dans toi , & qu'on admire en lui .
( Par M. Bérenger. )
INSCRIPTION pour une Statue de Femme,
faite d'un canon de bronze.
Æs lethale priùs fpargebam incendia , clades ,
Nunc formâ , illecebris , pectora cuncta domo.
( Par M. Trochereau de la Berlière . )
SUR une Fontaine qui a été long- temps
perdue , & dans laquelle , en la fouillant
on a trouve des Médailles .
NYMPHA YMPHA diù latuit , revocata numifmata fundit ,
Sic memorem duplici munere ditat herum.
(Par le même. )
J
DE FRANCE.
A M. DE GARDANNE , Medecin
de la Faculté de Paris.
Q
UE les détracteurs de notre âge ,
De fes prétendus torts cherchent d'autres témoins :
Pour moi je le paîrai d'un éternel hommage,
La plus tendre amitié m'a prodigué ſes ſoins ;
Le ferviteur le plus fidèle ,
( Un honnête & bon Allemand )
Jour & nuit m'a prouvé fon zèle ;
Mais fans toi , cher Docteur , c'eût été vainement.
Ce fléau redouté , la petite vérole ,
Auroit facrifié ma vie à fa fureur .
Mon ami , reçois donc l'expreffion d'un coeur
A qui ton Art conſerve la parole .
Quels fentimens nous te devons !
Auffi prompt à guérir que le Dieu d'Epidaure ,
Tu plais comme fon père , & tu joins à ces dons
La fenfibilité plus précieuſe encore .
Un tel libérateur ne fert pas à demi :
Le Docteur bannit mes alarmes ,
Et des jours qu'il me rend , ceux que prendra l'ami ,
Du bienfait doubleront les charmes.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
Cij
52 . MERCURE
BOUQUET pour le jour de la Saint - Louis ,
à Madame la Préfidente DE ** , qui
prétendoit ne plus inspirer de l'amour
parce qu'elle avoit une fille mariée.
Sur l'Air : Avec les Jeux dans le Village.
LOUISE , a bon droit l'on s's'étonne
De vous voir mesurer le temps ;
Quand on eft belle , aimable & bonne ,
N'eft- on pas toujours à vingt ans ?
En vain pour vous cacher , friponne ,
Vous vous couvrez de vos enfans ;
A travers les fruits de l'Automne
Nous voyons les fleurs du Printems.
UNE rofe fraîche & brillante
Qu'ornent plufieurs jolis boutons ,
Eft elle moins intéreſſante
A côté de fes rejetons ?
En la rendant plus impofante ,"
Ils n'écartent point le defir.
Et tandis que l'oeil s'en contente ,
La main brûle de la cueillir.
(Par M. le Comte de Barquier , Officier
de Cavalerie. )
DE FRANCE. 53
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Découdre ; celui
de l'Enigme eft Araignée ; celui du Logogryphe
eft Morphée ( l'un des Miniftres du
Sommeil qui préfentoit les Songes ) , où l'on
trouve Orphée , Mérope , Rome , Morée ,
Homère , mer & or.
CHARADE.
AM 1 Lecteur , pour avoir mon premier ,
Regarde dans les doigts de l'aimable Glycère ;
Et fi tu veux deviner mon entier,
De mon fecond devine le contraire.
DANS
( Par M. Victor de Saint- Cl *** . )
ÉNIG ME.
ANS ce monde changeant , plein d'intrigue &
d'appas ,
Je ſuis un Roi chéri , généreux & Prophète ,
Intrépide & galant , mais fier dans mes États ,
Et jaloux des plaifirs que fouvent j'y répète .
Quand quelque téméraire , au bruit de mes ébats ,
S'approche & veut tenter l'honneur d'une conquête ,
C iij
54
MERCURE
J'avance feul à lui, l'attaque & le combats
Sans expofer jamais ni fujet ni fujette.
S'il ofe réfifter à ma jufte fureur ,
Mon intrépidité redouble de vigueur ;
A l'inftant je l'écrâfe ou le force à la fuite.
Faut- il de ma valeur célébrer l'action ?
En rendre grâce aux Dicux ? L'on m'entend tout de
fuite ,
En vainqueur triomphant , chanter... ………… ..
(Par M. P. F. R. , Ancien Capit. de Volontaires.)
LOGOGRYPH E.
ON dit , avec raifor,
Que je fuis de faifon :-
Voici le temps de ma tournée."
Pour m'éviter , on met robe fourée ,
On fe couvre , on fe chauffe , on garde la maiſon ,
Le tout fouvent en vain ; on a beau s'en défendre ,
Après beaucoup de foins on finit par me prendre.
J'offre dans mes cinq pieds , en les décompofant ,
Un paffage public ; une herbe dangereufe ;
Un fruit ; une liqueur ; un morceau très- friand ;
L'appui d'un édifice , & cette onde orageufe
Dont la furface couvre un abyme effrayant.
( Par M. le B. de Valbert . )
DE FRANCE. 55
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
FIN de l'Extrait fur l'Éloge de
Fontenelle , par M. Garat.
OICI Voici enfin M. Garat arrivé au plus beau
monument de la gloire de Fontenelle , à fon
Hiftoire de l'Académie des Sciences , qui
renferme , comine on fait , les Extraits des
Mémoires des Savans & leurs Éloges . C'eft
un bel Ouvrage fur un grand fujer; & c'eſt
ce qu'il falloit au talent de M. Garat . On
fent ici qu'il eft parfaitement à fon aife; c'eft
dans la partie qui auroit pu accabler un antre
Écrivain qu'il triomphe. Toute cette par
tie de fon Difcours me paroît traite d'une
manière fimple & nette , riche & forte ; plus
d'écarts , plus de jugemens peu motivés , plus
d'éloges exagérés . Il s'arrête d'abord fur la
Préface de l'Hiftoire de l'Académie , Ouvrage
que le Difcours Préliminaire de l'Encyclopédie
a fait mieux goûter encore, même
en le furpaffant. De la hauteur où il s'eft
placé pour examiner les progrès de l'efprit
humain pendant cinquante années , M. Garat
confidère tous ces hommes dont les travaux
ont tant avancé leur fiècle ; il voit , il juge ,
il peint ce qu'ils ont fait & ce qu'ils furent ;
leur génie , leurs vertus fe préfentent à la
CIV
56 MERCURE
fois à fes pinceaux . C'eft ce moment qu'il a
choifi pour remplir la partie la plus difficile
& la plus piquante d'un Éloge de Fontenelle ,
en analyfant tous les fecrets du ftyle de cet
Écrivain. Il finit par tracer l'influence de cet
Écrivain fur le fiècle qui a vû naître les bons
Ouvrages , & qui lui a accordé une fi flatteufe
renommée , c'eft à dire , fur le nôtre.
Il m'en coûte de me livrer encore à la
critique dans cette belle , longue & importante
partie du Difcours de M. Garat ; mais
j'ai pris l'engagement d'être très fevère , &
de marquer une imperfection par- tout où
je l'apperçois. Il me femble que ce dernier
morceau de l'influence de Fontenelle a quelque
chofe de faux , en ce que l'Auteur peint
la révolution entière qui s'eft faite dans les
efprits depuis cinquante ans , & qu'il paroît
roujours la rapporter à Fontenelle ; c'eft
beaucoup trop lui accorder. On pourroit
defirer auffi que ce morceau , plein d'idées
profondes & neuves, fût un peu moins abftrait
. Peu de Lecteurs ont affez de réfultats
philofophiques dans l'efprit pour le bien
entendre , & il n'en eft point qui ne le lifent
ayec une fatigue que l'Auteur pouvoit leur
épargner , en rapprochant plus fes penfees
des notions communes , & en y répandant
plus d'intérêt.
Il m'eft enfin permis de me livrer à une
pleine admiration pour parler du morceau
fur les Savans. La première juſtice à lui
rendre feroit de le citer en entier ; mais la
DE FRANCE. 57
gloire même de l'Auteur me prive de cette
fatisfaction . Il a su mêler la plus belle philofophie
au plus beau ftyle pendant dix
pages ; & comment citer dix pages dans un
Extrait déjà fi long ? Le triomphe de M.
Garat eft ici d'autant plus flatteur , qu'il
avoit à lutter contre un des meilleurs Chapitres
d'un des plus beaux Ouvrages de ce
fiècle. Je parle de l'Effai fur les Éloges ,
Livre pour lequel l'estime s'accroît de jour
en jour , comme l'intérêt & la vénération
pour fon Auteur . Chaque fois que l'on
traite d'un grand objet en Morale , en Hiftoire
, en Littérature , on a une comparaiſon
à faire avec ce Livre , & cette comparaifon
fournit à un Homme de Lettres un plaifir
de plus , celui de payer un tribut au génie
& à la vertu. Ces deux inorceaux , qui méritent
d'être placés à côté l'un de l'autre , &
dont la rivalité eft fi honorable pour le plus
jeune de ces Écrivains , roulent fur les mêmes
objets ; ils offrent tous deux un tableau
en réfultat de l'Hiftoire des Savans, & une
appréciation du talent de l'Hiſtorien . La
gloire fe partage entre les deux Auteurs ; il
me femble que le tableau eft plus beau dans
M. Garat , que l'appréciation du ftyle & de
l'efprit de Fontenelle eft meilleure dans M.
Thomas.
Je ne craindrai pas d'exprimer tout ce
que ce tableau de l'Hiftoire des Savans m'a
fait fentir , je ne craindrai pas de dire qu'il
n'est peut- être pas de morceau dans aucun
C▾
$ 8 MERCURE
Difcours philofophique ou oratoire , qui
réuniffe plus de beautés , qui elève plus
l'âme , qui porte à l'efprit plus d'idées neu--
ves & vraies , qui offre à l'imagination des
couleurs plus riches & plus varices . Pour
qu'il n'y manque aucun des moyens des
grands effets , il y règne encore un très -heureux
contrafte entre le ton de la peinture des
travaux des Savans , & celle de leurs caractères
. La plus vétilleufe critique ne pourroit
y reprendre que quelques négligences de
ftyle . Mais quel Lecteur, tant foit peu fufceptible
d'enthoufiafme , pourroit rechercher
péniblement quelques négligences au milieu
de tant de beautes ? Je remarque avec joie
l'heureufe deflinée qui attend ce morceau ;
il deviendra aufli célèbre que l'Ouvrage fur
lequel il a été fait. Cheque fois qu'on relira
les Eloges des Savans, (& quel homime curieux
des Sciences & de la nature humaine , au
moment où il finit cette lecture , ne le promet
d'y revenir un jour ? ) chaque fois donc
qu'on la recommencera , on fera rappele ve: s
le morceau de M. Gerat comme à un tableau
qui , en nous retraçant plus vivement ce
que nous avons aime & admité , nous le
fait plus aimer & admirer encore. Ainfi fa
gloire fe mêlera tout- à la fois à celle de
Fontenelle, & à celle de ces hommes qu'il a
concouru auffi à nous rendre fi touchans &
fi refpeâables. Ce feul morceau auroit retenu
les infultes que certains Critiques vien
nent de faire au talent de l'Auteur, fi ceux
DE FRANCE $ 9
dont le métier eft de profiter toujours des
fautes du grand talent pour le contefter ,
étoient capables de quelque décence.
a
Le caractère de Fontenelle étoit digne de
toute l'attention d'un Philofophe , de tout
le talent d'un bon Écrivain ; auffi M. Garat
l'a til traité avec une véritable fupériorité.
Cette partie de fon Difcours eft celle qui
le plus de rapidité , de mouvement & déclat
. On y eft agréablement furpris de le
voir écrire avec chaleur fur un caractère
aufli pailible que celui de Fontenelle. Ce
contrafte entre le ton & l'objet a un effet
très piquant; il tient à ce que M. Garat parle
ici plutôt en apolog fte qu'en appréciateur .
Ce n'eft pas qu'il fe foit déguité à lui même
les vraies qualités de l'homme qu'il avoit
à peindre ; il en eft de plus élevées , de
plus intéreffantes ; mais elles furent auth
refpectables que fingulières ; c'eft toujours
fous ces deux afpects que M. Garat les envifage.
Il confidère Fontenelle dans cette
modération avec laquelle il aima la gloire
même , dans cette abfence de tous les écarts
& de toutes les illufions des paffions, qui lui
permit d'éviter toutes les peines & de goûter
tous les plaifirs de la vie ; il le fuit dans
fes liaifons avec les femmes , dans les amitiés
qu'il contracta , dans le monde , dans la
retraite , il peint le caractère de fes vertus ,
la prudence & l'adreffe de fa philofophie ,
la confidération publique qu'il fut tirer des
C vj
60 MERCURE
Lettres , & qu'il fut auffi leur rendre. Je ne
finirois pas , fi je voulois citer les traits charmans
, les belles idées , les fuperbes expreffions
qui abondent encore plus dans cette
Partie ; il me faudroit fouvent citer des
pages entières. En examinant le ftyle de ce
Difcours , après y avoir fait quelques critiques
, j'en releverai auffi les beautés , & je
les prendrai dans cette Partie.
Je continue ici d'examiner l'appréciation'
que M. Garat a faite du caractère de Fontenelle
; je trouve bien qu'il l'a peint avec les
traits qui lui appartiennent, mais il me paroît
qu'il a encore exagéré quelquefois même
fes meilleures qualités.
Écoutons - le parler de l'amitié de Fontenelle
& de Lamothe.
Lamothe & Fontenelle le rencontrent
» dans le monde dans l'âge qui n'eft plus
» celui des illufions pour perfonne , & avec
ور
"
des réputations déjà affez éclatantes pour
» être rivales ; & dès leur première entrevue
, ils uniffent leurs idées , leurs fenti-
» mens , leur exiflence & leur immortalité ;
ils jouiffent pendant près de trente ans de
» cette douceur infinie attachée à l'union
de deux Hommes de Lettres , dont les ef-
» prits s'étendent & s'enrichiffent l'un par
l'autre , qui raffemblent dans les Écrits de
chacun , les lumières & les beautés de
deux talens , poſsèdent chacun deux gloires,
» & ont chacun deux âmes à oppofer aux
attaques de la haine & de l'envie. Pen-
و ر
و د
93
23
DE FRANCE. 61
» dant trente ans, ils ont les mêmes ennemis
» & les mêmes admirateurs ; leurs noms
paroiffent toujours à côté l'un de l'autre
» dans la fatyre & dans l'éloge , & la Poſtérité
qui les prononce enfemble , éternife
» cette union qu'elle refpecte . »
Voilà un tableau délicieux. Mais ne
croiroit- on pas que c'eſt le portrait de Montagne
& de la Beotie , de ces deux âmes nées
pour l'amitié comme pour la philofophie ?
De bonne foi, deux hommes qui poffèdèrent
toujours leurs âmes dans une fi parfaite
tranquillité , pouvoient ils s'aimer avec tantd'abandon
? On peut encore aimer beaucoup
en fe donnant moins l'un à l'autre . Je me
repréſente dans Lamothe & Fontenelle deux
hommes qui fe convenoient entièrement de
principes & de caractère , qui changèrent
aifément leur eftime réciproque en un attachement
doux & folide , toujours entretenu
par des procédés nobles & délicats . Mais voilà
tout. Si leur amitié avoit été fi vive & fi généreufe
, celui de ces deux amis qui a furvécu
à l'autre , & à qui le fort avoit départi ,
comme une dernière faveur , d'avoir à fairefon
Éloge dans le Corps où ils fe trouvoient
enſemble , Fontenelle n'auroit pas laiffé à
M. Garat le beau tableau que nous venons
de lire ? Ce n'eft point ainsi qu'une femme
de beaucoup d'efprit , qu'une ancienne amie
de Fontenelle nous le dépeint . Les âmes fenfibles
, dit Mme de Lambert , fentent les befoins
du coeurplus que les autres néceffités de
62
MERCURE
la vie. Pour lui , il eft libre & dégagé; auffi,
ne's'unit- on qu'à fon efprit, on échappe à.
fon coeur.
Autre exemple de cette exagération .
M. Garat parle de la bienfaiſance de Fon- .
tenelle .
"
"
و ر
Λ
" Sa fage économie s'eft fait des fruits
» de fon talent un tréfor que les malheu
» reux feuls ont droit d'ouvrir ; mais fa,
générosité même a pris le caractère de fon.
» âme quand on vient lui confier des befoins
des malheurs , il écoute attentive-
» ment , mais ne paroît ni ému ni troublé ;:
" il ne preffe point les infortunés dans fon
» fein , il ne verfe point fur eux de ces lar-,
" mes qui font auffi un bienfait , mais tropfouvent
le feul qu'on leur accorde. Il fe
lève fans rien dire , & va chercher des
fecours que les fignes de l'émotion la plus
» vive ne leur auroient pas fait eſpérer , &
» tant de générofité ne lui paroît pas même
» une vertu ; il n'y voit qu'une dette qu'il
» paye au malheur. Celafe doit , dit- il , lorf
qu'il ne peut empêcher qu'on ne décou
" vre fes bienfaits , trop nombreux pour.
pouvoir toujours fe cacher. »
و د
و د
Voilà qui eft vrai & jufte . Ces traits font
anffi bien faifis qu'heureufement exprimés ;
mais au travers de ce morceau , M. Garat a
jeté cette idée : On diroit qu'ayant apperçu
d'une vue générale tous les maux qui font
dans le fort de l'humanité , aucun malheur
en particulier ne peut affez le furprendre pour
DE FRANCE 63
1
l'émouvoir ; que du premier coup d'ail qu'il a
jetéfur l'efpèce humaine , fon âme s'eft pour
toujours ouverte à la bienfaifance . Cette réflexion
eft grande & belle ; elle l'eft tellement
, qu'elle n'a plus aucune proportion
avec celui à qui elle cft appliquée ; vous ne
peignez plus cet homme que la droiture
feule de la raifon avoit rendu bienfaifant ;
vous peignez un homme fublime , le vrai
fage des Stoïciens , Caton d'Utique.
En général , Fontenelle , dans aucune par
tie , ne pouvoit être loué fans reftriction ; fa
vie reflemble à fes Ouvrages , elle offre plus
de fageffe & d'habileté que de grandeur : il
a droit à l'èftime , au refpect même ; mais
en rendant hommage à l'honnêteté de fon
caractère , à la pureté de fa conduire , à des
actions & des paroles dignes d'un grand
Homme , on voit encore quelque chofe de
trop froid dans fes vertus ; & il femble
qu'on doit à la morale de ne louer un tel
Philofophe qu'à condition d'en préférer un
plus courageux dans fes principes & plus
chaud dans les fentimens .
On voit que toutes mes critiques font
plutôt des idées différentes que j'établis, que
des défauts certains. Je crois pouvoir capendant
conclure ici que , pour tous les Lecteurs
, M. Garat a Louvent donné à Fontenelle
des mérites qu'il n'a pas. Un homme
qui a autant d'efprit & de talent doit toujours
le renfermer dans le vrai & dans le
jufte ; on le goûtera davantage , fans moins
64 MERCURE
remarquer l'abondance & la fineffe de fes
idées . Il eft ailé de le faire illufion fur la
gloire qu'on célèbre. De toutes les erreurs
c'eft la plus naturelle & la plus aimable ;
mais il me femble que M. Garat a trop de
penchant à s'y abandonner ; c'eft un défaut
qu'on a relevé dans tous les Éloges qu'il a
écrits . Plein d'idées & d'imagination , il ne
voit pas feulement dans les objets les chofes
qui y font , mais encore celles qu'il y porte.
Il reffemble en ceci à l'hom ne extraordinaire
, dont la mort récente vient d'étendre
encore la liste de nos grandes pertes dans la
Littérature & la Philofophie ; s'il lifoit un
Livre , le titre feul réveilloit en lui une foule
de pensées ; à force de les y chercher , il les y
trouvoit ; & le lendemain il parloit avec enthoufiafme
de ce Livre , qui n'avoit rien de
remarquable que les chofes que fon imagination
y avoit fuppofées. C'eſt déjà une diftinction
que de tomber dans un pareil défaut ;
mais il n'en eft pas moins vrai que , même
en enrichiffant un Ouvrage , il lui nuit . Au
refte , je dois répéter ici qu'aucun des défauts
de Fontenelle n'eft échappé à M. Garat ; il
eft prefque toujours fupérieur dans la critique
qu'il en fait comme dans l'éloge de fes
vraies beautés. Ainfi il aura réellement rempli
le but de cet Ouvrage , il aura fixé ce que
l'on doit penfer de Fontenelle. Déjà même
on revient à une plus grande eftime pour
lui ; on va fentir de plus en plus combien
on doit de reconnoiffance & d'admiration à
DE FRANCE. 65
cet homme que la Nature avoit doué de
l'efprit le plus net & le plus fin qui fût
jamais , qui n'étoit pas né fans doute pour
cultiver les Arts , mais pour y porter des
idées juftes & neuves ; qui n'étoit pas né non
plus pour créer dans les Sciences , mais
pour les étendre par la pénétration de fes
vûes , & les orner de la clarté de fes penſées ;
qui s'étant fait un ftyle propre à fa manière
de voir & de fentir , diffimule l'absence des
qualités qui lui manquent , & fait briller
davantage l'excellence de celles qui lui appar
tiennent , regagne par la furpriſe qu'il exite ce
qu'il ne peut obtenir de l'enthouſiaſme ; qui
n'étant que le premier des hommes d'efprit
, mais placé dans un temps , & ayant
à la fin adopté des fujers où l'efprit a une
grande puiffance , a laiffé tous les autres
bien loin de lui pour prendre fon rang parmi
les Philofophes les plus utiles & les Ecrivains
les plus originaux . Pour le bien apprécier
, il faut le lire dans la maturité de l'âge
& de l'efprit. Un des plus intéreffans morceaux
du Difcours de M. Garat , eft celui où
il lui fait réparation'pour les premiers jugemens
de fa jeuneffe . On eft toujours sûr de
remuer toutes les confciences juftes &
vraies quand on exprime les mouvemens de
la fienne avec une fidélité fi éloquente.
L'ordonnance & le ton général ont été les
chofes les plus critiquées dans le Difcours
de M. Garat. Qu'on me permette d'ofer ici
66 MERCURE
me placer entre l'Auteur & le Public , non
pas pour juger , mais pour examiner.
J'obferve d'abord que le plan du Difcours
porte fur une idée fimple & jufte . M. Garat
commence par fe demander qu'est ce que
Fontenelle ? Quel rang doit il occuper dans
leftime de la poftérite ? Il recueille fur tous
les points les opinions publiques , il les
étend ou les combat par fes propres idées ,
il amaffe tous les matériaux de ce jugement ,
en parcourant tous les Ouvrages de ce Philofophe
célèbre , enfin il l'établit & le prononce.
Ainfi il marche tonjours vers le but
qu'il s'eft propofé. Sous cer afpect , fon Dif-
Cours me paroît auffi bien compulé que bien
conçu .
y Son fujet eft très- varié , très étendu . Il
faut toujours marquer des défauts , en carac
térifant les beautés. Cette forte d'analyfe ,
exige des développemens. Le Difcours peut
donc être long , fans mériter aucun reproche
; en ce point , celui de M. Garat ne me
paroît pas excéder la mefure du fujet & du
genre de l'Ouvrage. Au refte , quand les Ouvrages
ne s'allongent que pour réunir plus .
de mérite , ils vallent bien ceux qui ne font
courts qu'à force d'objets omis ou de vûes .
fuperficielles.
M. Garat ne s'eft pas contenté des richef--
fes de fon fujet , il s'eft encore emparé de
toutes les comparaiſons , de toutes les réflexions
qu'il préfentoit . L'Auteur des Églogues
lui rappelle Théocrite , Virgile , les AuDE
FRANCE. 67
teurs de l'Aminte & du Paftor- Fido , Gelner
, &c. Celui des Dialogues des Morts le
conduit à examiner ce genre de Littérature ,
dont Lucien a éte le créateur , & c. ; & ainfi
fur tous les objets . En ceci , M. Garat ne peut
encore être blâme, puifqu'il fe propole d'apprécier
Fontenelle , il faut bien qu'il le tapproche
de fes modèles & de fes rivaux.
D'ailleurs , les premiers Ouvrages de Fonte
nelle , fans ces rapprochemens , n'auroient
pas fuffi à ce ten d'une difcuffion noble &
pleine qu'il avoit adopté.
Mais ne falloit il pas preffer davantage fa
marche , appuyer moins fur tous les objets
acceffoires? Voici feulement où commence le
défaut réel de plufieurs parties de fonDifcours.
Ilferoit trop long & faftidieux de chercher ce
defaur par- tout où il peut fe rencontrer. Mais
je crois utile de le développer avec quelque
fain dans la partie de ce Difcours qui a trou
vé le plus de défapprobateurs. On eft plus sûr
de critiquer avec jufteffe & avec fuccès ,
quand on parle d'après l'opinion publique.
Les effets dans un Difcours tiennent fouvent
à bien peu de chofe . Quand on fait un
long Difcours , on peut recourir à de
petits
artifices , qui peuvent le faire paroîtte
plus court , en foulageant l'attention. M.
Garat parcourt tous les Ouvrages de Fontenelle
; chacun lui fournit un morceau ;
mais long - temps il ne trouve que des Ouvrages
de Littérature . Si cette partie le trouvoit
féparée , elle feroit lûe avec plus de
I
68 MERCURE
plaifir . De plus , en la féparant , l'Auteur auroit
cherché à lui donner un ton particulier , `
& ce feroit encore un nouveau mérite.
Mais je viens à la partie des Ouvrages de
Littérature , dont la longueur a paru exceffive
, c'est le morceau des Églogues .
Fontenelle a écrit dix Églogues ; c'eft fon
meilleur Ouvrage Littéraire , il méritoit par
là une véritable attention ; mais il arrête M.
Garat pendant dix pages ; il faut convenir
que cela eft hors des proportions du fujęt
& de l'Ouvrage.
Mais ce n'eft pas encore là le feul inconvénient
de cette longueur. L'Auteur ayant
accordé dix pages aux Églogues , a été forcé
d'apprécier dans deux pages quatre Ouvrages
de Fontenelle , dont il n'y en a pas un qui
ne lui faffe plus d'honneur que fes dix Églogues.
Ce n'eft pas que l'Auteur ait pu fe réfigner
à ne faire que les effleurer ; mais il a
été obligé de les facrifier.
Il eft vrai que l'Auteur , dans ce long mor
ceau , fait l'hiftoire & trace les principes
d'un genre de poéfie plein de charmes & riche
en chef d'oeuvres. Un Difcours fur
l'Églogue eft fort bon en lui même ; mais il
ne doit pas entrer tout entier dans un Éloge
de Fontenelle .
J'aurois encore plufieurs autres critiques
à lui propofer fur ce morceau , mais il faut
finir , de peur de tomber moi- même dans la
faure que je lui reproche.
Le ton général du Difcours me paroît auffi
DE FRANCE. 69
•
pécher par des endroits confidérables.
Je fais que chaque Écrivain , né avec um
talent qui lui eft propre , en doit laiffer l'empreinte
dans tous les fujets qu'il traite ; nais
il faut cependant que fon originalité même
fe modifie fuivant les divers fujets. La perfection
confifte à allier les caractères de fon
talent avec les couleurs de la chofe qu'on
traite.
M. Garat eft naturellement porté à creufer
dans tous les objets : à des vûes générales de
fenfations très fines, il joint encore beaucoup
de détail. Ce talent convenoit parfaitement
pour l'Éloge de Fontenelle , mais point éga
lement dans toutes les parties ; & il y domine
d'un bout à l'autre . Chofe étonnante ! ce ton
appliquant d'un penfeur eft adouci & em--
belli par toutes les beautés du ftyle dans le
morceau fur les Savans , & il fe fait fentir ,
plus que la grâce du fujer , dans le morceau
des Eglogues .
L'impreffion de ce défaut s'augmente encore
par la forme de phrafe qu'a adoptée
l'Auteur. Il eft prefque continuement pério
dique. Par la raifon même que ce style eft
celui des grands effets , il ne faut pas le prodiguer.
Lorfqu'il n'enchante pas , il accable;
lorfqu'il ne fert pas la penfée , il l'embarraffe:
Dans tous les morceaux où il convenoit
, M. Garat a bien montré tout le parti
qu'il favoit en tirer. Pourquoi l'a t'il employé
avec fi peu de réſerve ? Je fuis d'autant plus
étonné de cette erreur de fon goût , que le
70
MERCURE
1
ftyle qui raffemble moias les objets doit fouvent
lui être néceffaire pour démêler l'etendue
& la variété de fes idees.
En ne parlant encore que du ton dominant
dans ce Difcours , je parle déjà de fon
ftyle ; ces deux parties de l'art ont tant de
rapports qu'on ne peut rien dire fur l'une qui
ne convienue à l'autre. Il me femble , vû
l'étendue & la variété de mes critiques , que
je mets aflez bien l'amitié à l'abri des reproches
de prévention & de partialité ; & peutêtre
M. Garat n'auroit t'il rien perdu à
fubir la critique d'un ennemi , pourvu que
cet ennemi ne fûr pas dénué du fentiment
des grandes beautés.
On a beaucoup reproché au ftyle de cet
Ouvrage l'affe tation & la recherche. Je
crois qu'en ceci on s'eft mépris.
On entend par un ſtyle affecté celui qui va
toujours chercher les expreffions hors du
vrai & du naturel , qui avertit fans ceffe de
toutes fes prétentions , & qui manque tou¬
jours fes effets .
Je ne crois pas que ce foit-là le vice qui le
fait quelquefois fentir dans la manière d'écrire
de M. Garat. En général , les efprits de fa
trempe font amis de la fimplicité ; ils font
trop au deffus des faux ornemens pour ne
pas les dédaigner.
Le vrai défaut de fon ftyle tient , ce me
femble , à un excès dans la qualité éminente
de fon talent.
DE FRANCE. 71
Il lui eft très facile de recevoir beaucoup
d'impreffions & d'idées dans la méditation.
des objets ; il a une grande force pour les
faifir & les manier ; penfant avec beaucoup
de promptitude , il n'en a pas moins pour
écrire. Il arrive delà que fouvent les idées
n'ayant pas pris affez de repos dans ſon eſprit
, elles reftent encore dans une forte
d'obfcurité & de vague , qu'elles font claires
pour lui fans être encore affez fenfibles
pour les Lecteurs ; qu'adoptées , avant d'avoir
été bien examinées , elles font plus
fines que juftes ; que lorfqu'elles ont de la
vérité , elles manquent de cet intérêt qui
tient à l'utilité , & que quelquefois les
plus nettes & les plus belles font offufquées
par d'autres , qu'un goût plus févère , un
jugement plus arrêté , & fur tout l'importante
règle de l'à propos auroient fait re
jetter. Il faut bien alors que les expreflions
reffemblent aux idées ; elles ont de la féchereffe
, de l'embarras , une teinte de fauffeté
& d'exagération , qui , fans être de l'affectation
, en produit l'effet . On eft heureux de
n'avoir que des défauts de cette nature , puif
qu'on a en foi les moyens de s'en corriger
Je ne demanderois que deux chofes à M.
Garat , plus de fobriété dans l'emploi des
idées qui viennent à fon efprit, & plus de
travail dans leur rédaction. Après cette critique
générale , les critiques de détail font
pen néceffaires.
Je lui indiquerai cependant , par quelques
72 MERCURE
E
exemples , les espèces de fautes qui me paroiffent
revenir le plus fouvent dans fon
ftyle.
c
Qui fit invoquer à Virgile le
» nom de Théocrite, comme la Mufe de l'Eglo-
» gue & de la Sicile , à Virgile , qui fem-
" bloit avoir fi peu befoin d'invoquer autre
chofe que fon génie. »
Invoquer autre chofe que fon génie , dans
un morceau où l'on peint la poélie de Théocrite
& de Virgile , me paroît d'une grande
inélégance.
39
"
ود
"
" C'eft à regret , je le fens , que le Panégyrifte
d'un Homme célèbre lui refufe ce
génie des Beaux Arts , dont l'éclat & la
gloire fubjugent l'imagination des peuples
, comme la gloire des conquérans . »
L'efprit ne fe prête pas aifément à ce rapprochement
; d'ailleurs , il a quelque chofe
de faux. La gloire des Beaux- Arts eſt bonne
aux peuples ; celle des conquérans leur eft
funefte.
ور
ور
Je ne puis approuver non plus cet autre
rapprochement. « L'efprit philofophique .....
qui eft peut être aux talens de l'imagination
, ce que l'art de régner avec fageffe
» eft à l'art d'étendre un Empire par des
conquêtes , ce que le génie de Titus & de
» Marc Aurèle eft au génie d'Alexandre &
de Gengiskan.
و ر
"3
99
» Dans le petit nombre de ceux qui culti-
» voient les Sciences ávant Fontenelle , un
» hafard
DE FRANCE. 73
"
"8
hafard extraordinaire pouvoit feul faire
» rencontrer des hommes de génie , & les
Sciences attendoient leurs progrès des pro
» diges de la Nature : plus d'un homme de
génie aujourd'hui peut fortir aisément de
la foule immenfe qui a fuivi les pas de
Fontenelle . "
N
J'avoue que j'ai eu toujours beaucoup de
peine à entendre cette phrafe. Elle fignifie
qu'il eft plus facile aujourd'hui à un homme
de génie , de l'appercevoir en lui , & de le
faire connoître.
D'abord , n'eſt ce pas terriblement forcer
la réalité des choſes , que d'attribuer cet effet
là à Fontenelle ? Et fi cela eft vrai , cela
n'avoit- il pas befoin d'être appuyé de quelques
preuves ? Mais voyez con bien la prépa
tation & les acceffoires de cette penſée accablent
l'efprit ! Un hafard extraordinaire pou
voit feulfaire rencontrer des hommes de génie.
Il faut commencer par examiner cette phras
fe , qui paroît très conteftable. Enfuite : Et
les Sciences attendcient leurs progrès des prodiges
de la Nature, Me voilà encore jeté dans
une idée bien plus générale. Voilà le chemin
que vous me faites faire pour arriver à
une idée qui pouvoit être énoncée fi fimplement.
C'est là , ce me femble , abuſer fortement
da don de raffembler beaucoup de
chofes autour de la pensée principale.
" Un efprit original fait fortir les Nations
de cette pareffe de la penfée , & montre
No. 46,13 Novembre 1754.
D
74 MERCURE
à l'imagination même un nouvel Univers
à peindre. "
Cette pareffe de la penfée eft une expreffion
qui , en elle même , a de la hardieffe & du
naturel ; mais elle auroit befoin de prépasation.
Ici , appliquée aux Nations , elle devient
vague , & parce qu'elle ne failit pas
tour de fuite , elle peut paroître emphatique
.
Je me laffe enfin de tant de critiques . J'ai
bien acquis le droit de dire maintenant que
quand M. Garat veut raffembler toutes fes
forces par une pleine méditation , & quand
illes employe dans des momens de verve ,
fon ftyle eft fouvent fublime . Pour le prouver
, je ne vais plus rapporter quelques traits ,
mais citer quatre pages.
" Il fut heureux ! ce mot qui a retenti avec
» joie dans mon âme , à peine j'ai ofé le prononcer
: je me fuis rappelé que la haine
& l'envie ont toujours reproché fon bonheur
à Fontenelle , qu'elles lui ont fait un
crime de n'avoir point attiré fur lui la
perfécution des préjugés de fon fiècle '; de
n'avoir indiqué qu'à demi la vérité qu'il
voyoit toute entière , de ne lui avoir ôté
les voiles qui la cachoient , que pour lui
» en donner d'autres qui la dérobent ; d'avoir
montré le génie tremblant devant les préjugés
qui devoient trembler devant lui.
Quelle paffion que l'envie ! elle pour-
» fuit fans relâche l'homme de génie , pour
» lui rendre tous les tourmens qu'elle en
23
DE FRANCE. 75
reçoit. S'il fait entendre des plaintes , elle
pretend qu'il s'avilit par la vengeance ; s'il
fe tait, elle affure qu'il eft infenfible à
» l'injure : fi fon âme impétueuſe attaque à
» découvert les erreurs populaires , elle le
» peint comme un efprit féditieux , pour
» qui rien n'eft facié ; fi fa fageffe adoucit
»» la vérité , pour ne pas l'expofer aux oufrages
de la multitude , elle l'accufe de
l'avoir étouffée dans fa penſée , d'avoir ſacrifié
les droits éternels du genre- humain à
» quelques jours de repos. J'admirerois fans
» doute ces âmes fortes & intrépides qui
annoncent la vérité avec l'éclat & la inajefte
qu'elle a priſe dans leur génie , & ,
» après la gloire de l'avoir découverte , veu
lent obtenir encoré celle de ſouffrir , &
s'il le faut , de mourir pour elle . Je ref-
» pecterai Fénelon écrivant le Télémaque
dans la Cour de Louis XIV , & Thomas
" Morus publiant l'Utopie dans le palais de
Henti VIII. Ces âmes fublimes confacrent
» les fiècles qui le font deshonorés en les
per fécutant. Mais en verfant des larmes
d'attendriffement & d'admiration fur ces
» dévouemens héroïques , on regrette que
l'efprit humain n'en ait pas retiré d'affez
" grands avantages . On ne fait point triom.
pher la vérité en s'immolant pour elle. La
perfécution qui étend les progrès de l'et
reur , arrête ceux de la raifon , & les Philofophes
ne fe multiplient point , comme
» les fanatiques , dans l'exil , dans les prifons
99
Dij
76
MERCURE
C
€
& fous la hache des bourreaux. Peut- être
il y a eu des pays & des fiècles où la vérité
la plus hardie , préfentée tout à coup à un
peuple fouverain , perfuadée à une mul-
» titude immenfe par l'afcendant de la pa-
ور
"
13
33
role , pouvoit faire une révolution auffi-
-tôt qu'elle étoit entendue ; & il étoit beau
de s'immoler à cette efpérance . Parmi
nous , ce n'eft qu'avec le temps que la vé
rité peut vaincre les préjugés ; il faut
qu'elle règne , non avec l'éclat d'une nou
velle création du génie , inais avec cette
force invifible de la raifon générale , qui a
» renversé les erreurs fans qu'on ait entendu
le bruit de leur chûte. Fontenelle paroît
voir dans la vérité cette ftatue antique
d'Ilis couverte de plufieurs voiles ; il croit
» que chaque fiècle doit en lever un , &
foulever feulement un autre pour le fiècle
» fuivant. Il connoît les hommes & il les
» craint , non feulement parce qu'ils peuvent
faire beaucoup de mal , mais parce
qu'il eft très difficile de leur faire du bien ;
& il en trouve les moyens dans un art qui
» n'auroit jamais été fans doute celui d'un
caractère plus énergique & plus impé-
» tueux , mais qui a fait fervir la timidité
" même & fa difcrétion à un grand progrès
» de l'efprit philofophique. Tantôt il fe
» courbe un inftant devant une erreur du
fiècle , & fe relève de ce refpect contraint ,
en frappant en la préfence une erreur
» toute ſemblable , qui a trompé l'anti-
39
""
»
DE FRANCE. 77
quité d'autre fois il met à côté d'elle une
» vérité qui femble lui facrifier & lui foumettre
, mais qui eft sûre de triompher ,
pourvu qu'on l'y laiffe , même à ce prix.
» Souvent il étale les préjugés avec toutes
leurs prétentions , & leur accorde même
ce qu'ils refufent , pour ne pas paroître
» trop abfurdes : dans les occafions où ils
» attendent un hommage , il paffe en filen-
>>
ce, & ce filence eft toujours placé dans
» l'endroit où on l'entend le mieux , & ou
» il offenfe le moins quelquefois , au con
traire, il fe preffe de paroître fans néceffité
, foumis & obéiffant , & montre par
» là des tyrans injuftes & foupçonneux dont
» il faut fe défier. En général , au lieu d'atta
» quer les erreurs les unes après les autres ,
» il s'attache à dévoiler , à tarir dans l'efprit
» humain les fources d'où elles naiffent ; il
"
ود
1
éclaire & fortifie la raifon , qui doit les
» renverfer toutes , & par- là leur fufcite
un ennemi éternel. Ainfi il les combat par
» fes refpects , les détruit par fes hommages ,
les perce de toutes parts de traits dont
elles n'ont pas le droit de fe plaindre ; &
quoiqu'elles ayent toujours l'oeil fur lui ,
comme fur l'ennemi le plus dangereux
il vit , il meurt en paix au milieu d'elles. "
Remarquez qu'il étoit très difficile de
rendre feulement avec netteté & intérêt ces
idées , & voyez quel mouvement , quelle
véhémence de logique , quel éclat d'images ,
quelle hardieffe & quelle invention d'ext
"3
·
>
D iij
78 MERCURE
preffions l'Orateur a fu y répandre ! Je ne
crois pas en trop dire ; quand on écrit fous
vent de pareils morceaux , on prend fa place
parmi les grands Écrivains de fon fiècle &
de fa nation .
**
Voici le troisième Difcours pour lequel
M. Garat eft couronné à l'Académie , & le
quatrième Éloge qu'il écrit ; car il faut
compter parmi les Ouvrages fon premier
Effai dans la carrière littéraire * , puifqu'indé
pendamment du grand talent qui fe faifoit déjà
fentir dans cet Ouvrage , il étoir accompa
gné de Notes du plus grand mérite , dont
une , qui eft un long morceau de philofophie
, par la profondeur des idées & l'éner
gie du ftyle, ne feroit pas indigne de Montef
quieu. La réputation déjà fi honorable de
M. Garat , a encore été beaucoup étendue par
les nombreux morceaux dont il a enrichi le
Mercure depuis fept à huit ans . Il s'eft fait
dans ce genre d'Écrits une manière qui a fes
abus ainfi que fes avantages , mais qui aura
peu d'imitateurs , parce qu'elle exige beaucoup
de connoiffances , de talent & d'ef
prit, & un grand travail joint à une grande
facilité. D'autres employent plus ou moins
* Un Eloge de L'Hopital , qui ne fut imprimé
qu'après le concours.fi
** C'eſt celle qui eft intitulée : Les trois époques
de la Légiflation, tiles us a blond alitup
elltop
DE FRANCE. 79
de fagacité , plus ou moins de goût à apprécier
un Livre, Pour M. Garat , ce genre de
travail femble fouvent le mettre à la gênes
il ne lui faut qu'une légère occafion pour en
fortir ; il trouve plus court & plus fimple de
faire un Livre fur le Livre. Sur tous les objets
de Littérature & de Philofophie , il jette
les idées & les vues avec une incroyable
abondance. Il lui eft arrivé fouvent d'étonner
& de fatiguer en même temps par cette
profufion ; mais il lui eft arrivé très- fouvent
auffi de fe fixer dans un cadre toujours
fort large , & alors il a prefque toujours fait
d'excellens morceaux. Ceux qui auront à
méditer ou à écrire fur les objets qu'il a traités
, lui pardonneront aifément fes longueurs
& fes écarts, en faveur des fecours qu'ils pour
ront en tirer ; mais il est vrai de dire qu'en
général il paroît dans ces Ouvrages plus
écrire pour lui que pour fes Lecteurs . Le
réfultat de ce genre de travail doit être de
beaucoup féconder le talent de l'Écrivain ;
ainfi le Public lui même doit un jour en retirer
les fruits , & il vient un moment où il
tient (compte de tout , mais c'eft en exigeant
toujours davantage . Ce moment eft
arrivé pour M. Garat ; on va déformais luit
demander plus impérieufement de quitter fes
défauts, & de remplir les grandes efpérances
qu'il a données. Il ne lui convient plus de borner
fon talent à des Extraits & même à des
Éloges ; il eft appelé à produire d'importans
Ouvrages , & c'eft ce qu'on attend de lui. La
Div
80 MERCURE
reconnoiffance des fecours que je puife jour
nellement dans fes confeils , ce plaifir f
doux que l'on goûte à entrer pour quelque
chofe dans les fuccès d'un ami , le plus vif
intérêt même que fa gloire peut répandre
fur l'amitié déjà ancienne qui n'unità lui ,
tout m'ergige & m'autorife à lui préfenter
moins mes propres penfées que les réflexions
que j'ai entendues . Il importe à l'entier
développement de fon talent , de donner
une attention plus févère aux plans de fes
Ouvrages , d'en bien lier , d'en bien proportionner
les parties , furtout de le faire une
habitude du courage & de l'art des facrifices,
d'embraffer moins d'objets pour donner plus
de foins à chacun ; il doit auffi plus cheifir
dins l'abondance de fes idées , les vérifier foigneufement
avant de les adopter , les tirer
d'une certaine profondeur voifine de l'obfcurité
, pour les réduire à la fimplicité & à la
jufteffe ; il doit enfin dans fon ftyle perfectionner
par l'élégance des détails , l'éclat des
chofes principales , aider les idees par la
netteté des expreffions , faire moins prédominer
fes penſées dans les fentimens , chercher
plutôt le charme de la facilité par un
travail heureux que par la négligence , attirer
enfin & rappeler fes Lecteurs par
un intérêt continu , c'est- à- dire , qui croiffe
ou s'affoibliffe avec les ebjets , mais fans
s'éteindre jamais , lors même qu'il les frappe
par la force , l'étendue & la nouveauté de
Les conceptions . C'est ainsi qu'il méritera la
DE 8 FRANCE.
place qui lui eft deſtinée dans la Littérature
de ce fiècle , & cette place fera belle.
( Cet Article eft de M. de L. C. )
HISTOIRE d'Eugénie Bedford , ou le
Mariage cru impoffible , par More de
Malarme. Deux Parties in - 12 . A Londres ;
chez Thomas Hookham , Libraire , N° .
147 , New Bonde Streat ; & fe trouve à
Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire ,
rue S. Jacques.
On doit à Mme la Comteffe te Malarme
plufieurs Romans qui ont obtenu le fuffrage
du Public. Nous avons rendu compte , il y a
peu de temps , d'Anne Rofe- Trée , qui eft
déjà fous preffe pour la feconde Édition. Il
paroît que cet Auteur a adopté la manière
de nos anciens Romanciers , les fables font
très intriguées ; & cette complication nous
force de renoncer au projet de préfenter ici
l'analyse exacte du Roinan que nous annon
çons . Ce n'eft pas que la marche en foit trop
embarraffée ; les différens fils fe croifent fans
fe mêler ; l'action ne fe dérobe pas à l'intelligence
du Lecteur , mais plufieurs des faits
qui la compofent peuvent quelquefois échapper
à fa mémoire ; & s'il ne faut pas la fagacité
d'un dipe pour en débrouiller la fable
, il faut au moins beaucoup d'attention.
pour en fuivre les détails . Quoique les carac
tères foient affez marqués pour être recon-
D v
$2
MERCUREC
nus , tant de noms font aifés à confondre
Cependant , comme on diftingue facilement
dans cet Ouvrage une action principale ,
c'eft de cette partie du Roman que nous allons
tâcher de donner une idée à nos Lecteurs.
Milord Bedfort , homme fenfible & vertueux
, père de deux enfans , Edward &
Eugénie , le trouve à la campagne voifin de
Milord Williams , perfonnage fans vertu &
fans delicatelle , père auffi de plufieurs enfans.
Eugénie infpire de l'amour aux deux
fils de Milord Williams , Auguftin & James.
Ce dernier , chéri par tout , & digne de
l'être , obtient d'Eugénie un tendre aveu ;
mais l'aîné , Auguftin , qui n'eft connu que
par fes vices , & qui eft le digne favori de
fon père , n'infpire à fa maîtreffe que le mé
pris le plus mérité. Auguftin , après avoir
traverfé vainement les amours de James &
d'Eugénie , prend un autre parti ; il feint de
renoncer à fes prétentions ; il demande même
& obtient pour fon frère la main de la fenfible
Eugénie. Mais la nuit même du mariage
, par une rufe qu'il eft inutile de rapporter
ici , il écarte l'époux , & à la faveur
de l'obfcurité , il s'introduit dans le lit
tial ; il trompe la tendreffe d'Eugénie , & fa
fcélérateffe ravit des faveurs que l'infortunée
n'accorde qu'à l'amour. A ce crime , Auguftin
en fait auffitôt fuccéder un autre ; il
enlève Eugénie , & la fait emprifonner dans
un château , où elle ne voit que fon ravifnupDE
FRANCE. 83
feur & deux perfonnes qui lui fervent de Geoliers.
Cependant , Milord Williams perd fon
rang & fa fortune , & Auguftin , diftrai: de
Les amours par cette catastrophe , abandonne
fa captive , qui fe fauve avec fa furveillante ,
& revient dans la maifon paternelle. Mais
James, que fon abfence involontaire avoit
réduit au défefpoir , étoit parti pour courir
après elle. Tandis qu'il traîne par- tout fa
douleur , Eugénie foupire après fon retour ,
quoique le crime d'Auguftin lui ait ravi l'efpoir
d'être jamais à James .
Milord Williams , après la difgrâce , paffe
en France avec les débris de fa fortune , qu'il
réalife ; ayant embraffe le négoce , il voit fés
entrepriſes profpérer , & augmente tous les
ans fon capital. Il eft aidé dans fon commerce
par un Commis très - intelligent &
d'une probité rare. En obfervant la conduite
de François ( c'eft le nom du Commis ) afin de
P'éprouver , il est étonné des vertus de ce
jeune homme , qui employoit fecrettement
à des actes de bienfaifance , tout ce qu'il
gagnoit chez le nouveau Commerçant . Celuici
, depuis fon nouvel état , avoit pris le
nom de Williamfon. L'exemple du Commis
change le coeur de Milord , qui ne fonge
plus qu'à expier le défordre de fa conduite
paffee.
Le coeur de fon fils Auguftin n'a pas été
corrigé par l'infortune. Le hafard l'a conduit
en France dans la même ville qu'habite fon
père. Ayant apperçu à fa fenêtre une jeune
D v)
84
MERCURE
perfonne fort jolie , il forme des projets fur
elle. L'habitude de fe livrer à fes paffions ,
ne le rend ni délicat ni timide fur les moyens.
Il la fait épier ; & il croit s'appercevoir que
le foir un vieillard , qu'on lui dit être un riche
commerçant , lui fait des vifites fort
longues & fort affidues . Il conclut , d'après
fon propre coeur , que la jeune female eft
vendue aux plaifirs du riche vieillard ; &
cette idée ne lui infpire rien moins que la
réfolution de fe venger de fon rival. Il le
guette un foir après fouper , le furprend fur
la porte de la belle inconnue , le force à fe
battre , & il reçoit de la main du vieillard
une bleffure morteile. Ce meurtre n'eft pas
un événement indifférent ; il amène deux
reconnoiffances , & produit un réfultat mo
ral & fatisfaifant.
Quel est le vieillard dont Auguftin vouloit
répandre le fang ? C'eft fon propre père,
Milord Williams , ou le Commerçant Williamfon
; cette dernière qualité avoit trompé
Auguftin dans les informations qu'il avoit
prifes fur fon prétendu rival , qu'il ne connoiffoit
point , il a reçu le digne châtiment
de fes vices ; mais le père indigné a brifé
tous les liens qui l'attachoient à lui. Monftre
, lui dit il , tu as comblé la mefure de tes
forfaits ; & alors laiffant échapper un fecret
qu'il avoit gardé trop long temps , il déclare
qu'Auguftin n'eft pas fon fils légitime. Ceci
mérite quelques mots d'explication .
Milord Williams , qui s'étoit marié pour
DE FRANCE.
83
obéir à fes parens , avoit pour maîtreffe une
jeune villagecife , qui devint mère en mêmetemps
que fa femme , & qu'on nommoit
Charlotte. Celle - ci , au moment d'accoucher
, témoigne des inquiétudes fur le fort de
fon enfant , qui ne pourra penſer à ſon exiftence
fans rougir. Son amant, qui l'aime avec
une tendreffe aveugle , exprime les plus vifs
regrets de ne pouvoir réparer ce malheur,
30
Vous le pouvez , lui répond Charlotte.
» Votre femme accouchera en même temps
» que moi , ou à peu près ; qui empêche
» que mon enfant prenne la place du lien? ».
Williams faifit cette idée avec tranfport ; &
les circonftances s'accommodent heureufement
à leur projet , qui réuffit au mieux.
L'enfant de la villageoife prend la place du
nouveau Lord , & celui de Milady fort de
fes bras pour aller dans ceux d'une nourrice
étrangère qui l'élève comme fils d'un payfan.
C'eft ce fils de Charlotte , qui , fous le nom
d'Auguftin , vient de mettre le comble à fes
crimes par le parricide.
Mais qu'eft devenu le véritable Milord ?
Nous avons parlé d'un jeune homme bienfaifant
, vertueux , nommé François , qui fert
de Commis à Williamfon . Après avoir ajouté
qu'il a eu le bonheur de fauver la vie à ce
dernier , apprenons à nos Lecteurs que c'eft
ce même enfant qui avoit été deshérité ,
abandonné par fon père. C'eft dans 1 hiftoire
que Williamfon raconte de fon indigne fils ,
que l'honnête François fe reconnoît & fe fair
86 MERCURE
connoître pour le véritable Auguſtin. Ainfi ,
ce vil fubrogé meurt le bras levé fur fon
père ; & le vertueux profcrit a expoſé fa vie
pour celui dont il l'a reçue.
La découverte de ce grand fecret brife la
barrière qui s'étoit élevée entre James & Eugénie
; les deux époux fe réuniffent , & Williams
, devenu vertueux , trouve dans leur
bonheur la récompenfe de fes bienfairs.
Ce Roman fe dénoue très naturellement ,
& fera fans doute accueilli comme les autres
productions de Mme de Malarme , qui fait
toujours preuve d'imagination dans fes plans ,
d'efprit & de fentiment dans l'exécution .
Plufieurs épifodes font intéreffans , & feront
lus avec plaifir. Nous indiquerons l'Hiftoire
de Mlle Dangerville , qui préfente des peintures
vraies & piquantes , telle que la fituation
de cette jeune perfonne, lorfqu'elle vient
implorer pour fon père , tombé dans l'indigence
, un des anciens amis de ce dernier.
C'est un vieux libertin , nommé d'Ambrefort.
Elle rencontre d'abord le fils , qui , marchant
fur les traces de fon père , prend des
libertés injurieufes avec la jeune perfonne.
A peine s'eft elle delivrée du fils , que le
père arrive , en s'écriant : Que fignifie ce
38 bruit Mademoiſelle >
"
vous auriez pa
» mieux choifir le lieu de vos rendez vous
» avec mon fils ? O ciel ! quoi ! Monfieur ,
vous ne reconnoiffez pas la fille de votre
ami , Mlle Dangerville ? - Pardon , Mademoiſelle,
je ne vous avois pas reconnue.
38
37
DE FRANCE. 87
» Retirez vous , mon fils , je réſerve pour
» un autre moment ce que j'ai à vous dire.
29
"
-
----
Entrez dans mon cabinet , Mademoiſelle ,
» vous m'inftiuirez de ce que je puis faire
" pour vous . Mettez- vous dans cette bergère
, belle Rofahe , c'est ainsi qu'on vous
» nomme; vous voyez bien que je ne vous
» ai point oubliée. Que defirez vous , mon
ange ? Vous n'ignorez pas , Monheur ,
» les malheurs qui nous font arrivés ; mais
» vous ne pouvez favoir l'état affreux dans
lequel languit votre malheureux ami.-
» J'ai toujours beaucoup eftimé votre père ;
» mais que puis- je pour lui ? Je vous inftruis
de fa misère , c'eft à votre coeur à
» vous dire le refte. Mon coeur ! il me
» dit bien des chofes agréables pour vous ,
» chère Roſalie ; je vous ai aimée dans l'opulence
, je vous adore dans la pauvreté;
payez moi de retour , & je ferai tout pour
» votre père . Ma reconnoiffance vous
» tiendra compte de votre générosité,
» Serez vous bien reconnoiffante ? Poffede-
» rai - je votre coeur ? Vous donnerez vous
» entièrement à moi ? Adieu , Monfieur ;
le prix que vous mettez à vos bienfaits ne
fauroit convenir à la fille de M. Dangerville.
Votre fierté , ma chère perite , eft
déplacée'; dans la misère , ce que vous re-
» gardez comme l'honneur , n'eft qu'un far-
» deau. Et chez vous ce n'eft , je le vois ,
"
2
38
99
"
19
―
―
qu'une chimère .
» vous oubliez.
---
----
Mademoiselle , vous
Oui , car je fuis encore
88 MERCURE
39
ici ; mais le reproche que je m'en fais ne
fera pas long. »
Nous aurions defiré ( car il faut toujours
que l'incivile critique , même en jugeant les
Grâces , laiffe voir un bout de fa ferule ) nous
aurions defiré quelquefois plus de développemens.
Ce défaut eft difficile à éviter dans
le genre adopté par Mme de Malarme , qui ,
multipliant les faits , eft quelquefois obligée
de les trop refferrer. Il lui eft échappé auffi
quelques fautes de langage . On ne dit pas
fon hideufe figure , mais , fa hideufefigure
parce que lh de hidenfe eft alpirée . On ne
dit pas , ce fut d'elle dont il paria le plus
mais , ce fut d'elle qu'il parla le plus , ou
bien ce fut elle dont il parla le plus . Il y a
dans ce genre plufieurs négligences , qui peuvent
n'être quelquefois que des fautes d'impreffion.
D'ailleurs , la dernière que nous
venons de relever eft échappée à Boileau
lui - même dans ce vers :
C'eſt à vous, mon efprit , à qui je veux parler.
Malgré cette dénonciation , il faut avouer
qu'on s'apperçoit très évidemment que Mme
de Malarme a beaucoup gigné du côté du
ftyle , depuis les premiers Ouvrages qu'elle a
publiés ; & qu'elle ajoute de jour en jour à
T'estime qu'on a conçue pour fon talent .
Cet Article eft de M. Imbert. )
DE FRANCE. 89
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE -MUSIQUE.
ON a donné , Vendredi 29 Octobre , une
repréſentation de l'Opéra de Caftor & Pollux.
Cet Ouvrage , le feul de nos anciens Opéras
que l'on redonne depuis la révolution opérée
fur ce Théâtre par la mufique de M. Gluck ,
a attiré la plus grande affluence . Miles
Levaffeur & Duplan , & les Sieurs Larrivée ,
Chéron & Rouffeau , ont rendu les principaux
rôles avec la fupériorité de talent qu'on
leur connoît . Nous ne dirons rien des Ballets
, où une multitude d'airs charmans &
variés ont donné au Compofiteur & anx
principaux Sujets de la Danfe l'occafion de
développer leurs talens dans tous les genres .
Nous nous bornerons ici à annoncer les progrès
fenfibles d'une jeune Danfeufe , qui
donne les plus grandes efpérances : Mile
Langleis , dont nous parlons , a mérité &
obtenu les applaudiffemens les plus flatteurs
dans le pas de deux qu'elle a danfé au fecond
Acte avec le fieur Veftris , dont le talent
fans exemple n'a plus beſoin d'éloge . La légèreté
, la force , la précifion caractérisent le
talent de cette Danfeufe ; attachée à ce Spectacle
depuis moins d'une année , fes progrès
ne peuvent être que le fruit des travaux les
90
MERCURE
plus affidus & des meilleures leçons . Nous
ne doutons pas que des difpofitions fi heureufes
, & un zèle fi marqué ne lui faffent
bientôt acquérir cet à - plomb , cette molleffe ,
cette rondeur & cet accord dans les mouvemens
, fur-tout de la tête & des bras , qui ,
faifant difparoître tout air d'effort , font du
corps du Danfeur un tout harmonieux , s'il
eft permis de s'exprimer ainfi , dont les parties
, animées du même fentiment , obéiſſent
à la fois à la même puiffance.
On fe prépare à donner à ce Théâtre
Dardanus , Poëme de la Bruère , avec des`
changemens confidérables , par M. Guillard ,
remis en mufique par M. Sachini.
ANNONCES ET NOTICES.
SUPPLEMENT
les terres .
UPPLEMENT néceffaire à la Science des Académies
ou des Phyficiens & Chimistes de tous les
pays , ou nouvelle Démonftration ( en y joignant
mes Ouvrages ) de mes principales Découvertes concernant
la vigne , les vins , les cidres ,
les grains , & par fuite les bois , &c. & l'établiffement
de la vigne dans les Provinces de France &
plufieurs des pays qui ne la cultivent point , joint à
mes Expériences à Sove , & en dernier lieu à Belleville,
Banlieue de Paris , par M. Maupin. Prix des
deux Ouvrages , 2 liv . avec le reçu figné de l'Auteur.
A Paris , chez Mufier & Gobreau , Libraires ,
quai des Auguftins.
Nous avons annoncé dans le Mercure du 22 Mai
dernier , No. 21 , tous les Ouvrages actuels de M.
Maupin , à l'exception de celui qu'il vient de donDE
FRANCE.
ner , & nous avons marqué les conditions fous lefquelles
il confent de les faire paffer aux perſonnes de
Province qui les lui demanderont. ( Au moyen de
Quvrage que nous annonçons, ils font actuellement
de 12 liv. 10 fols. ) Convaincus de la grande importance
des parties économiques dont M. Maupin
s'occupe avec tant de conftance depuis un grand
nombre d'années , nous avons excité les perfonnes
qu'elles regardent particulièrement, à juger fes Ouvrages
; mais comme nous ne fommes entrés dans
aucun détail fur cette importance , M. Maupin , dans
le nouvel Ouvrage que nous venons d'annoncer ,
s'eft attaché d'une manière particulière à la démontrer..
Air & fubfiftances , dit- il , deux chofes auffi
néceffaires à l'homme l'une que l'autre.
сс
Quantité fuffifante d'air & de fubfiftances ,
deux conditions habituellement & continuellement
néceffaires , & dont la privation entraîne inévitablement
la mort , & fouvent la mort la plus prompte ,
fuivant le degré de privation
ל כ
Mauvaife qualité de l'air & des fubfiftances
deux caufes générales , & fur - tour la dernière , de la
briéveté de la vie de la plus grande partie des hommes.
» 1
« Rien donc de plus néceffaire que les fubfiftanées
, que la quantité fuffifante des fubflftances , &
que la bonne qualité des fubfittances , puifqu'elles
font auffi néceffaires que l'air même. »
« Il entend par fubfiftances non feulement le
pain & tous les alimens , mais encore le bois & les
vêtemens , & en général tout ce qui eft habituellement
& univerfellement néceffaire à l'existence de
Phomine pauvre comme riche
сс Elles doivent encore être confidérées comme
objet d'induſtrie & de commerce ; elles font la premiere
& la principale fource des richelles ; fans
32 MERCURE
1
elles il n'y auroit ni induftrie ni commerce à exer
cer, comme fans elles il n'y auroit ni hommes ni
ticheffes. »
ес
Quel Art donc , continue M. Maupin , que
celui qui créé & multiplie les fubfiftances autfi né
ceffaires que l'air , qui nourrit les hommes & en
même- temps les enrichir,
PETITE Bibliothèque des Théâtres , No. 12. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte S. Roch ,
n°. 11 , où l'on foufcrit , ainfi que chez Belin , Libraire
, rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rac
de Marivaux , Place du Théâtre Italien .
Ce Volume offre aux Soufcripteurs un objet qui,
eft particulier à ce Recueil ; des Pièces des Boulcvards
, avec une Notice des différens Spectacles qui
y font établis. Les deux premières Pièces ont été
jouées avec beaucoup de fuccès fur le Théâtre des
grands Danfeurs , le Sabotier & le Rivalpar amitié ,
l'une anonyme & l'autre de Mme de F ** . Viennent
enfuite trois autres Pièces jouées fur le Théâtre des
Variétés , Gilles Raviffeur , par d'Helle ; Jérôme
Pointu , par M. de Beaunoir , & l'Anglois ou le
Fou raifonnable , par M. Patrat , toutes trois d'un
bon comique. Le Volume eft terminé par les
Quatre - Coins, Paftorale de M. de Beaunoir , jouée
fur le Théâtre des Élèves de l'Opéra , & tout cela,
( il faut le dire , dût-on choquer plus d'un amourpropre
, ) forme un Volume qui ne fera pas dédaigné
par les Amateurs de la bonne Comédie.
Les Rédacteurs de cette intéreflante Collection
viennent d'arriver à la fin de leur première année ,
& la manière dont ils l'ont complettée eft bien faite
pour engager les Scufcripteurs, au renouvellement
qui doit avoir lieu dans le courant de ce mois de
Novembre. Ils ont envoyé avec cette dernière Livraifon
des cartons pour quelques fautes effentielles
DE FRANCE: 93
qui s'étoient gliffées dans les Volumes précédens
Ils invitent leurs Soufcripteurs à ne pas faire encore
relie: les Volumes qu'ils ont reçus. La grande difficulté
qu'ils ont trouvée jufqu'à préfent à fe procurer⚫
les Portraits de divers Auteurs , retarde le préſent
qu'ils en font à leurs Souſcripteurs .
FTRENNES de Polymnie. Ce Volume que vont
donner les Rédacteurs de l'intéreſſante Bibliothèque
dont nous venons de parler , & qu'ils enverront
gratis à leurs Soufcripteurs, quoiqu'il ne leur ait pas
été promis, eft un Recueil de Chanfons , Romances ,
Vaudevilles , &c. paroles & mufique gravées trèsfoigneufement
, Volume in- 18 d'environ 250 pages.
Les Perfonnes qui n'ayant pas foufcrit pour la petite
Bibliothèque des Théâtres, voudront le procurer ce
Volume, le payeront 3 livres , & le recevront franc
de poit par la poſte dans tout le Royaume.
E La Valet à deux Maîtres , ou le Mari à deux
Femmes , Comédie en un Acte & en profe , repréfensée
pour la première fois à Paris,fur le Théâtre des
Variétés Amufantes , le 26 Septembre 1784. Prix ,
I livre 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur.
Libraire , rue Galande.
Le Héros de cette Comédie , M. Tamarini , eft
un Docteur à fpécifique . Brouillé avec l'Univerſité ,
mais s'étant fait 30000 liv . de rente, ( tout le monde
mettroit aisément le nom au bas de ce portrait , ) il
veut époufer une jeune perfonne qui n'a nulle envie
d'être la femme , & qui aime Dorville , plus aimable
& plus jeune que le Docteur. Le valet de Dorville
, pour le mieux fervit , paffe au fervice de M.
Tamarini voilà pourquoi la Piece s'appelle le
Valer à deux Maîtres ; & M. Tamarini , qui veut le
marier ici , eft déjà marié en Italie : voilà le motif du
fecond titre. On figne la minute du contrat ; mais la
94 MERCURE
femme du Docteur arrive d'Italie , & l'on fent que
le nouveau mariage ne peut avoir lieu .
Le fujet de cette petite Pièce eft affez ordinaire ;
⚫ & le dénouement eft plaifant , quoiqu'il pût l'être
davantage , & qu'il foit trop tôt prévu ; mais il y a
de la gaîté ; le dialogue en eft vif & piquant. Le
rôle du valet eft bien fait.
: On trouve chez le même Libraire Blaifé lé Ħar ·
gneux , Comédie en an Acte & en profe , par M.
Dorvigny , repréſentée fur le Théâtre des grands
Danfeurs du Roi , Pièce dans laquelle il y a de la
monotonie , mais de la gaité & du bon comique.
LE Sieur Strange , Graveur du Roi , a l'honneur
de prévenir le Public qu'il fera fous très- peu de temps
en état de mettre au jour l'eftampe annoncée en
Avril 1783 , pour faire pendant de celle de Charles
Premier , & dont le fujet offre plus d'intérêt éncore
pour la Nation Françoife. Le fieur Strange doit à la
bonté & à la complaifance du Roi d'Angleterre , le
choix plus heureux qu'il a fait d'un des plus précieux
originaux de Vandick , repréfentant Henriette de
France ,fille de Henri IV, & Reine d'Angleterre.
Elle tient dans fes bras le jeune Duc d'Yorck , qui
devint Jacques fecond , & elle a près d'elle le Prince
de Galles , qui a été Charles fécond.
On trouveroit difficilenient , même chez Vandick ,
une compofition qui fûr tout- à-la fois plus riché &
plus gracieufe. Le fieur Strange , animé par ſon modèle
, & foutenu par le defir de plaire à la Nation
Françoife , ofe fe flatter d'en obtenir ce fuffrage précieux
, dont l'espoir a été pour lui le premier & le
plus vif encouragement.
Un nouvel Avis indiquera précisément le jour de
la mife en vente.
PIERRE-ANDRÉ de Suffren , Vice- Amiral de
DE FRANCE.
France. Prix , 1 livre 10 fols. A Paris , chez Mile
Licottier , rue de Sève , près la rue du Bac , maiſon
de M. Cauvet.
CHARLES Gravier, Comte de Vergennes , Con
feiller d'Etat ordinaire , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & Chef du Confeil Royal des Finances ,
Eftampe de 18 pouces de haut , fur 13 de large ,
gravée par Vangelifti , d'après Callet , Peintre du
Roi. Prix , 18 livres . A Paris , à l'ancienne grande
Pofte aux chevaux , rue des Foffés Saint Germain
l'Auxerrois.
Cette Eftampe eft intéreffante par le fujet & par
la beauté de la gravure , qui joint la force à un
effet agréable .
MANUALE Rhetorices , &c . Manue! de Rhétorte
que à l'ufage de la jeuneffe des Collèges , nouvelle
Edition , augmentée d'un très grand nombre
d'exemples tirés de Cicéron , Quintilien , Horace ,
Virgile , &c. Maffillon , Fléchier , Boffuet , Corneille
, Racine , Boileau , Crébillon , & c. ; par M.
Hurtaut , Maître ès Arts & de Penfion de l'Univerfité
, ancien Profeffeur de l'Ecole Militaire . A Paris ,
chez l'Auteur , rue des Brodeurs , au-deffus des Incurables.
Cette nouvelle Edition , qui paroît fous les aufpices
de l'Univerfité , eft beaucoup plus complette
que les précédentes. Les préceptes font excellens ,
& les exemples choifis avec beaucoup de goût. C'eſt
une nouvelle preuve des talens de M. Hurtaut ,
déjà connu par plufieurs Ouvrages utiles , & nous ne
doutons pas de l'empreffement de tous les Profeffeurs
de Rhétorique à mettre cet Ouvrage entre les
mains de leurs Elèves.
DEUX Symphonies pour ie Clavecin , avec Ac
$ 6 MERCURE
compagnement de deux Violons , Alto & Baffe ,
Cors & Alto ad libitum , par M. Tapray , Organifte
de l'Ecole Militaire , & c . OEuvre XXI. Prix , 7 liv.
4 fals port franc par la pofte. A Paris , chez M.
Leduc , au magafin de Mufique , rue Traverfière
S. Honoré .
NUMÉRO 10 du Journal de Violon , ou Recueil
Airs nouveaux arrangés pour le Violon , l'Alto ,
la Flûte & la Baffe. Par foufcription 18 livres &
21 livres , féparément 2 liv. 8 fols. A Paris , chez
Baillon , Marchand de Mufique , rue Neuve des
Petits - Champs , au coin de celle de Richelieu , à la
Mufe Lyrique.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure •
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
VERS à M. de ***
Infcriptions ,
491 Fin de l'Extrait fur l'Éloge de
50 Fontenelle ,
؟؟
51 Hiftoire d'Eugénie Bedford ,
52
81
AM. Gardanne
Bouquetpour la S. Louis ,
Charade, Enigme & Logogry- Acad . Roy. de Mufique , 89
phe , 53 Annonces & Notices,
APPROBATION.
J'AI Ip , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 13 Novembre, Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
le 12 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 NOVEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
L'ELECTRICITÉ , ou le Règne Univerfel
de la Nature , Ode.
Fu fecret que je reffire ,
Puillant moteur de mes fens ,
Je célèbre ton empire;
Viens échauffer mes accens.
Je peins ta puiffance active ,
Tes loix , ta force attractive .
Ton règne far tous les corps.
Souffle pur que je réclame.
Tu peux feul élever l'âme
Et feconder mes accords.
QUEL tranfport brûlant m'anime!
Quels tableaux me font offerts !
Des ténèbres de l'abyme
Nº. 47 , 20 Novembre 1784.
E
98
MERCURE
Je vois fortir l'Univers.
Defcends , ô flamme immortelle ! .
Le ciel , la terre t'appelle ,
Dirige leurs mouvemens ;
Ame invifible du monde ,
Viens dans cette nuit profonde
Régner fur les élémens.
DEJA ta chaleur pénètre
Les abymes du chaos ;
Le foleil , que je vois naître ,
S'agite au fein du repos.
Les planètes étonnées
Partent , roulent entraînées
Dans leur cours impétueux s
Et de fa main fouveraine
Dieu lance , & ta loi ramène
Ces orbes majestueux ,
Du foleil qui te domine ,
O terre ! tu fuis la loi.....
Quelle planète voifine
S'avance & pèle fur toi ?
Un bruitfourd fe fait entendre :
La mer s'enfle & vient reprendre
Ses bords qu'elle avoit perdus.
Elle étonne la Nature ;
Et l'océan qui murmure
Craint pour les flots fufpendus.
Mais par de nouveaux prodiges
DE FRANCE. 99
Ta fignales ton effort :
Secret moteur tu diriges ,
L'aimant qui cherche le Nord.
Sous les aufpices de l'ourfe
L'homme vole dans fa courſe
Aux deux bouts de l'Univers ;
Et nous guidant fur les ondes ,
Tu rapproches les deux mondes.
Qu'avoient féparés les mers.
J'AI Vû par ton influence
La matière fe mouvoir ;
Tu vas fur l'être qui penfe
Manifefter ton pouvoir.
Dieux ! quel fouffle agite l'âme !
D'une impéricufe flamme
L'amant éprouve l'ardeur ;
Et , nourri dans les alarmes ,
Le Héros court , vole aux armes
Et refpire ta chaleur.
DOCTES filles de mémoire ,
Vous lui devez vos tranſports ;
De Neptune il fait la gloire ;
Cérès lui doit fes trésors.
Mortel , contemple Pomone ,
Qui s'applaudit chaque automne
De fes bienfaits éclatans;
Dans les larmes de l'aurore ,
Eij.
100 MERCURE
Vois ce feu qui fait éclore
Toutes les fleurs du printemps.
O NAÏADE fugitive !
L'hiver a glacé tes flots.
Dans ton lit , froide & captive ,
Tu gémis d'un long repos.
Subftance miraculeufe ,
Agite l'eau pareffeufe !
Rends-lui fon activité !
Et que cette fource pure
S'échappe , roule & murmure
Sur ce rivage enchanté.
TU FAIS circuler encore
Mon fang glacé dans ſon cours ;
Près de ma dernière aurore
Tu me rendras mes beaux jours .
Douce , bienfaifante , utile ,
Comme une sève fertile ,
Tu pénétreras mes fens ;
Et de la chaleur ſuivie ,
Tu redonneras la vie
A mes membres languiffaus .
MAIS quelle route me trace
Ce mortel , rival des Dieux ,
Qui , plein d'une noble audace ,
Va ravir le feu des cieux !
Il puiſe à ſon origine
DE FRANCE. 101
Cette fubftance divine ,
Et l'homme naît fous fes mains.
Ah , mon âme eft transportée !
J'égaler ai Prométhée ,
J'animerai les humains.
MORTEL ! quel brillant fpectacle !
Quels innombrables bienfaits !
Laisons à Dieu le miracle ,
Et jouiffons des effets,
Invefti de ce fluide ,
Là , fur un axe rapide ,
Ronle un orbe merveilleux ;
Tel que cet aftre fuprême ,
Qui roule autour de foi- même ,
Et qui nous verfe fes feux.
RESPIRONS Cette fubftance :
Déjà l'Hymen s'applaudit ;
Nous doublons notre exiſtence ;
Vénus enfin nous fourit.
Doux fluide , ah ! que j'admire
Cette pointe qui t'attire ,
Ces noeuds qui fixent ton cours
La chaîne où tes feux circulent ,
Le foyer où nos fens brûlent
Pour renaître à nos amours !
DANS la flatteufe eſpérance
De vaincre un funefte fort ,
E ii)
102 MERCURE
Quel infortuné s'avance
Déjà glacé par la mort?
Il réclame un feu fuprême
Quand la moitié de lui - même
Eſt dans la nuit du tombeau ;
Ce feu , par la vive atteinte ,
Bientôt d'une vie éteinte
A rallumé le flambeau.
SON excès qui te confume
Devient nuifible à tes jours :
Ton fang bouillonne , s'allume
Et s'irrite dans fon cours.
Mais dans ton fein renfermées,
Ces parcelles enflammées
D'un élément dangereux
Vont , de feux étincellantes ,
Fuir de tes veines brûlantes
Sur un globe fulphureux.
CRAINS dans ton erreur extrême ,
Artifan de ton malheur ,
De tourner contre toi- même
Les bienfaits du Créateur.
Là , ce fluide célefte ,
Au fond d'un vafe funefte ,
Raffemble fes traits cruels ;
Tel que la foudre , il s'échappe ,
Etincelle , éclate , frappe ,
Glace le coeur des mortels.
DE FRANCE. 103
LOIN qu'une folle manie
Attire fes traits fur nous
Employons notre génie
A nous parer de fes coups .
Prêt à foudroyer nos têtes ,
Je le vois dans les tempêtes ,
Au milieu des airs brûlans ,
Sortir en feux homicides
De ces nuages perfides
Dont il fillone les flancs.
IL CRAINT éclate dans les nues ,
Et tout frémit dans ces lieux.
Forgeons des armes aigues
Qui menaceront les cieux .
Je veux , mortel intrépide ,
Préfentant à ce fluide
Mes cylindres acérés ,
Parmi les feux , les orages ,
Le ravir à ces nuages
Par la foudre déchirés .
A LA Nue étincellante
J'ai déjà donné la loi ,
Et la foudre obéiffante
Eft muettedevant moi.
Que mon triomphe a de charmes !
J'aime à contempler ces armes
Dans mes pacifiques mains.
E iv
164
MERCURE
+
Le ciel fourit à la terre ,
Et j'enchaîne le tonnerre
Pour le bonheur des humains.
FAR l'orgueil & fes preftiges
L'homme fe laiffe éblouir ;
Il veut fonder ces prodiges ,
Il est né pour en jouir.
Qu'il borne- là fon étude ;
Nageant dans l'incertitude ,
Le Sage admire & ſe tait ,
Et fait pour fruit de fes veilles ,
Que l'Auteur de ces merveilles
Voile au monde fon fecret.
Par M. D *** , &Aix. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent,
LE mot de la Charade eft Dégoût ; celui
de l'Enigme et Coq de baffe cour ; celui du
Logogryphe eft Rhume , où l'on trouve rue ,
rhue , mûre , rhum , hure , mur , mer.
A
CHARADE.
PEINE fille a mon dernier ,
Qu'elle cherche mon tout pour avoir mon premier.
(Par Mlle Lacauche , à Dourdan. )
DE FRANCE.
105
ÉNIGME à corps , pour mettre entre
les deux Enigmes à tête & à queue des
Nos 27 & 44.
JE fuis poiffen avec mon corps ,
Je deviens tête fans mon corps ;
Je fuis fans dents avec mon corps ,
Mais j'ai bonnes dents fans mon corps ;
On m'avale quand j'ai mon corps ,
Et l'on me mange fans mon corps.
Enfin , Lecteur , avec mon corps ,
Je fuis moins gros que fans mon corps.
( Par M. H..... )
LOGO GRYPHE.
DANST
ANS mes trois pieds on paffe un membre ;
Sans lui je ferois fans vigueur.
Je paffe la nuit dans la chambre ,
Le jour on me met en longueur.
Lecteur , pour deviner mon être ,
Cherches ma tête en l'alphabet ;
La plus haute carte au piquet.
C'eſt affez me faire connoître.
( Par M. l'Abbé Defauniers . )
E v
106 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Six Nouvelles de M. de Florian , Capitaine
de Dragons ,. & Gentilhomme de
S. A. S. Mgr. le Duc de Penthièvre , des
Académies de Madrid & de Lyon ; petit
format. A Paris , de l'Imprimerie de Didot
l'aîné , rue Pavée Saint André des - Arcs ;
Debure l'aîné , quai des Auguftins.
S'IL 'IL eft vrai que nous n'ayons rien à oppofer
en particulier aux grands Romans
étrangers , tels que Clarice & Dom Quichotte
, la maffe entière de nos bons Romans
forme une bibliothèque intéreffante , à l2-
quelle les autres Nations n'ont peut être
rien à comparer. Nous nous fommes diftingués
notamment dans un genre que nous
croyons d'origine Eſpagnole , & que Scarron
a réuffi des premiers à naturalifer parmi
nous ; les Contes ou Nouvelles. M. de Florian
vient d'en publier de très courtes , puifque
les fix qui compofent fon volume , ne
forment eufemble que 227 pages. Si en rendant
compte de ce petit Recueil , nous pouvions
être embarraffés pour des motifs
d'éloge, nous en trouverions un dans le peu
d'étendue des Contes qu'il renferme. En
effet , la brièveté de ces fortes d'Ouvrages en
augmente la difficulté ; il eft plus difficile
DE FRANCE. 107
qu'on n'imagine , d'amufer l'efprit , & furtout
d'intéreffer le coeur en fi peu de pages.
Le coeur ne fe prend point , pour ainfi dire ,
d'affaut , il faut l'inveftir , en approcher , y
pénétrer pas
à pas.
Peut être trouvera t'on un peu d'affectation
dans ces fix titres rangés l'un à côté de
l'autre , Nouvelle Françoife , Nouvelle Allemande
, Nouvelle Espagnole , Nouvelle Grec
que , Nouvelle Portugaife , Nouvelle Perfane.
Cette prétention , trop ouverte à la variété ,
tourne par- là même vers la monotonie ,
d'autant plus que le petit cxorde de chaque
Nouvelle eft régulièrement confacré à l'éloge
de la Nation qui en a fourni le titre. La
Nouvelle Allemande commence par un éloge
des Allemands ; la Nouvelle Efpagnole , par
l'éloge des Espagnols , ainfi des autres . Hea
reufement l'Auteur avoit , pour varier fes
Contes , d'autres reffources que leurs titres ;
aucun ne reffemble à l'autre pour le fonds ,
& chacun d'eux a des grâces qui lui font
propres. Ne pouvant promener l'imagination
de nos Lecteurs dans tout ce riche
parterre , nous allons leur offrir quelquesunes
des fleurs dont il eft paré.
+
Bliomberis , Nouvelle Françoife , qui avoit
déjà paru dans la Bibliothèque des Romans ,
eft un Répertoire de combats Chevalerefques
, qui obtiennent au plus valeureux
amant le don d'amoureufe merci. On y re
marquera un étourdi de Prince qui livre un
combat à Bliomberis , pour un motif énoncé
E vj
Ic8
MERCURE
dans le difcours qu'on va lire , & qui peint
bien le perfonnage. « Le Nain de la char-
» mante Céline eft venu me porter une lettre
de cette Belle , qui m'apprend que Da
» nain , guéri de ſa bleſſure , doit partir au-
" jourd'hui avec Brnor , pour aller chez
le Roi Perles , & que leur abfence laiffe
» Celine maîtreffe de les actions & du châ
» tear. Sur le champ je fuis reparti pour re
» tourner auprès de Céline ; mais j'avois
trente licues à faire ; & jugeant bien que
» mon cheval ne pourroit pas y fuffire , j'ai
» juré de combattre tous les Chevaliers que
» je rencontrereis , pour les obliger de chan
" ger avec moi de courfier. Cette manière
» de relayer m'avoit réu , je n'étois plus
qu'à quatre lieues du château , quand ,
par malheur , je vous ai rencontrés. Le
Prince , en parlant ainsi , venoit d'être vaincu
& défarmé par Bliomberis , qui a pourtant
la générofité de lui prêter fon cheval pour
le conduire au château de la belle Céline.
3
~
Les lignes fuivantes donneront une idée de
la précision énergique avec laquelle l'Auteur
fait peindre les duels Chevalerefques , « Impa
tiers determiner ce combat, ils fe faififfent par
le milieu du corps , & fetiennent étroitement
embraffés. Ils font des effor's pour fe renverfer
; leurs chevaux fe dérobent fous eux ,
& les deux Paladins tombent enfemble ; mais
tombent debout & fans fe quitter. Pied
contre pied , poitrine contre poitrine , leurs
armes crient fous les efforts qu'ils font ; les
DE FRANCE. 409
2
के
>fecouffes violentes qu'ils fe donnent fem
blent mutuellement les raffermir ; leurs forces
font fi égales , que leur combat a l'air
d'un repos , & leur réfiftance réciproque les
fair paroître immobiles.w
Voici un morceau de la Nouvelle fuivante.
( Pierre ) qui contrafte parfaitement
avec celui qu'on vient de lire. Pierre s'étant
marié malgré le père de fa maîtreffe , réuilit
à le fléchir & à le toucher , en lui montrant
fa fille dans fon berceau. « Tu étois , ( c'eft
» Pierre lui même qui raconte fon hiſtoire à
» fa fiile devenue grande ) tu étois dans ton
berceau, Gertrude ; tu dormois , ton viſage
blanc & vermeil peignoit l'innocence &
» la fanté. Aimar te regarde , fes yeux le
» mouillent. Je te prends dans mes bras , je
» te préfente à lui . Voilà encore votre fille ,
"
"
"
"
و د
lui dis- je ; tu te réveillas à mon mouve-
» ment ; & , comme fi le ciel t'avoit infpirée
, loin de te plaindre , tu te mis à fou-
" rire; & tendant tes deux petits bras vers
» le vieux Aimar , tu faifis fes cheveux
» blancs , que tu ferrois dans tes doigts , en
rapprochant fon vifage du tien. Le vieil-
» lard te couvrit de baifers , me preffa con-
» tre fa poitrine ; & r'emportant avec lui :
allors trouver ma fille ; viers , mon fils ,
s'écria t'il, & c. ..
35
»
"
Pierre s'étoit fait Soldat par befoin. Il furprend
un jour fon Capitaine , qui , étant
devenu amoureux de la femme , employoit
prefque la violence pour triompher d'elle.
110 MERCURE
Dans fon premier mouvement, il plonge fon
épée dans le fein du Capitaine. Condamné
par le Confeil de Guerre , il alloit mourir ,
quand le jeune Capitaine , conduit par la
pitié & le remords , vient au milieu du Régiment
s'opposer à fon fupplice , & le fert
d'un heureux ftratagême pour le fauver.
" Je n'étois plus fon Officier , s'écrie t'il ,
je lui avois rendu fa liberté : voilà fon
congé figné de la veille ; il n'eft pas foumis
» à votre juftice. » Cette nouvelle eft écrite
avec préciſion & intérêt .
93
La belle Céleftine ( c'eſt le titre de la troifième
Nouvelle ) eft près d'être enlevée par
Don Pèdre , qu'elle aime. Trompée par un
accident imprévu , elle croit le fuivre , & fe
trompe de chemin ; les deux amans ont pris
deux routes oppofées , de façon qu'ils fe
fuyent en fe cherchant. Égarée dans un défert
, elle entend chanter , par un Berger ,
fur un air ruftique , ces paroles , fi analogues
à la fituation de cette amante infortunée ,
& qu'on ne fera pas fâché de trouver ici :
PLAISIR d'amour ne dure qu'on moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie,
J'ai tout quitté pour l'ingrate Silvie :
Elle me quitte & prend un autre amant.
Plaifir d'amour ne dure qu'un moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie.
TANT que cette eau coulera doucement
Vers le ruiffeau qui bor de la prairie ,
DE FRANCE. III
Je t'aimerai , me répétoit Silvie :
L'eau coule encore ; elle a changé pourtant.
Plaifir d'amour ne dure qu'un moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Céleftine emprunte au Chevrier qui chantoit
cette chanson , un habit de Pâtre ; fous ce
déguifement , elle va dans un village , & entre
au fervice d'un Alcade , après avoir pris le
nom de Marcelio . Par la fuite le faux Marcelio
devient Alcade lui même , & le hafard le
fait Juge de Don Pèdre , fon amant , qui ,
après des événemens multipliés , eft arrêté
pour avoir tué un malfaiteur ; ce qui amène
une reconnoiffance touchante. Don Pèdre
trouve l'occafion de délivrer le village d'un
incendie , & de troupes ennemies qui le ravageoient.
Ses bienfaits lui font obtenir fa
grâce pour le meurtre qu'il a commis ; fup-.
plié par les habitans de vouloir bien être leur
Alcade , il y confent ; & devenu l'époux de
Celeftine , il trouve parmi eux le bonheur
en les rendant heureux . Nous ne donnons
ici qu'une courte notice de cette Nouvelle ,
qui fait preuve d'imagination par les détails.
Nous nous arrêterions avec plaifir fur
l'intéreffante Anecdote qui a pour titre Sophronyme
, fi nous ne l'avions pas inférée
l'année dernière en entier dans ce Journal.
Nous en dirons aurant de Sanche , où l'on
trouve le détail attendriffant d'un amant qui ,
pour reconnoître la nuit une route où il
veut ramener fa maîtreffe , sème le chemin
112 MERCURE
des vis de fon armure , ce qui le fait vaincre
& bleffer enfuite en défendant ce qu'il aime
contre un difcourtois Chevalier.
Celle des fix Nouvelles qui mérite peutêtre
le plus d'éloges pour le fonds , c'eſt la
dernière , Bathmendi. Un vieillard en mouraut
, recommande à fes quatre fils d'aller
trouver , après la mort , le Génie Alzim ,
fon protecteur. I's obéiffent , & vont trouver
le Génie , qui n'accordoit les bienfaits
qu'à une condition , c'étoit de fuivre le confeil
qu'il donnoit. Tai, l'un des quatre frefes,
fongent que fon père avoit toujours fair des
fotrifes , quoique toujours confeillé par Alzim
, fe bouche les oreilles avec de la cire , pour
ne pas entendre le Confeil du Gérie. Celui ci
leur dit d'abord qu'ils ne peuvent être heureux
fans rencontrer un certain être , nommé
Bathmendi , dont tout le monde parle , &
que bien peu de gens connoiffent . Ecoutons
L'Auteur lui même. " Alzim prend en parti-
"3
culier Bekir , l'aîné des quatre frères :
» mon fils , lui dit- il , tu es né avec du cou-
" rage & de grands talens pour h guerre.
» Le Roi de Perfe vient d'envoyer une Ar-
" mée contre le Turc ; joins cette Armée ;
» c'eft dans le camp des Perfes que tu pour
» ras trouver Bathmendi. Bekir remercie le
Génie , & brûle déjà de partir.
"
"
"
» Alzim fait figne au fecond fils d'appro-
» cher; c'étoit Mefrou : tu as de l'efprit , lui-
* Bathmendi , en langue Perfane , fignifie bonheur.
DE FRANCE.
99
» dit- il , de l'adreffe & de grandes difpofi-
→ tions pour mentir ; prends le chemin d'Ifpaban
: c'eſt à la Cour que tu dois chercher
Bathmendi .
و د
"
"
Il appelle le troifième frère , qui s'ap
peloit Sadder toi , lui dit il , fu fus doué
d'une imagination vive & féconde ; tu vois
» les objets , non comme ils font , mais
comme tu veux qu'ils foient ; tu as fou-
» vent du génie , & pas fouvent le fens
» cominun tu feras Poëte. Prends le che-
» min d'Agra ; c'eft parmi les beaux efprits
» & les belles Dames de cette ville que ta
» pourras trouver Bathmendi .
19 Tai s'avance à fon tour ; & , grâce aux
» boules de cire , il n'entendit pas un mot
» de ce que lui difoit Alzim . On a fu depuis
qu'il lui avoit confeillé de fe faire Der-
» viche . "
93
Les trois frères vendent ce qui leur revenoit
de leur père ; Taï achette l'héritage entier
, le fait Agriculteur , & les laiffe courir
après Bathmendi . Leur courſe ne fut pas
heureuſe.
Bekir , après s'être convert de gloire par
fes vertus guerrières , devenu Général des
Perfes , mais en proie à mille jaloux , finit
par être battu par les Turcs , fait prifonnier
& enfermé dans un cachot pendant quinze
ans. Il revient en Perfe , fe préfente au Vilir ,
qui lui fait fermer la porte.
Le fecond frère , Mefrou , qui s'étoit fait
courtifan , s'étoit vû à la fois premier Mi
114 MERCURE
1
niftre , favori du Roi , amant de la Reine
Mère , maître de nommer & de déplacer les
Vifirs ; & une nouveile maîtreffe du Roi lui
avoit ménagé une chute fi complette , qu'il
s'eftima fort heureux de pouvoir prendre
la fuite.
Enfin Sadder , le favori des Mufes , pour
prix de fon génie poétique , fe voit réduit
à devenir Magifter d'un mauvais village ; &
aucun d'eux , comme vous voyez , n'avoit
rencontré Bathmendi.
Tous trois reviennent dans la maifon de
leur frère Taï. Ils le trouvent
"
+99
30 ན
dans une
chambre propre & fimplement meublée ,
» à table , au milieu de dix- fept enfans qui
mangeoient , rioiert & babilloient à la
fois. Tai aroit à fa drone fa femme
Amine, qui conpoit les morceaux de fon
» dernier fils , & à fa gauche étoit un petit
» vieillard d'une phyfionomie douce & gaie,
» qui verfoit à boire. » Ce vieillard eft
Bathmendi , avec qui font fucceffivement
connoiffance les trois frères , qui fe fixent
auprès de Taï.
En général , dans ces trois Nouvelles , un
ftyle gracieux & élégant , un efprit brillant ,
dont le fentiment adoucit l'éclat , de la
fineffe & de la naïveté , atteftent & rappellent
un talent aimable dont M. de Florian
a donné des preuves dans plus d'un Ouvrage.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
DE FRANCE.
115
VARIÉTÉ S.
ÉTAT actuel du Dépôt de Mendicité de la
Généralité de Soiffons ; troifième Compte ,
année 1783 .
COMMENT pouvez - vous Supporter la vie de tant
de douleurs & de tant de maux , demandoit- on à
Madame de Mautaufier , à la célèbre Julie de Rambouillet
, qui vifitoit fouvent les Hôpitaux ? C'est que
je les foulage , répondit Madame de Montaulier ; &
cette réponſe fait bien plus d'honneur à fa mémoire
que tous les madrigaux de cette guirlande dont tous
les beaux efprits du fiècle parèrent la jeuneffe.
Nous craignions l'année dernière de parler dans un
Journal , deitiné fur-tout aux Ouvrages de goût &
d'imagination , d'un compte du Dépôt de Mendicité
de Soillons , mais l'intérêt que le 1 ublic paru: prendre
aux moyens nouveaux qu'indiquoit M. l'Abbé
de Monilinot , pour foulager & pour coniger la
partie la plus fouffrante & la plus dégradée de la
Société , nous fit voir combien notre crainte étoit
mal fondée.
Cette année , les vûes & les obfervations de M.
de Montlinot fe font étendues , font devenues plus
profondes & plus intéreffantes ; & nous croyons ne
pas déplaire à nos Lecteurs en donnaut auffi plus
d'étendue à l'examen que nous allons en faire. Plus
un Auteur a d'idées , & plus il en fait naître qu'il n'a
pas eues lui- même . J'oferai quelquefois en ajouter
ou en oppofer à celles de M de Montlinot ; s'il s'y
trouve quelque chofe de vrai , je le lui dois ; fi je me
trompe , M. de Montlinot , qui obferve fi bien ,
116 MERCURE
m'oppofera quelques faits , & mes erreurs feront
évidentes.
En 1781 , le nombre des femmes avoit été plus
confidérable , & on le hâta de conjecturer que cette
proportion feroit toujours à peu près la même.
En 1782 , le nombre des honnes a excédé d'un
quart ; en 1783 , d'un tiers ; la première conjecture
eft détruite , & on n'ofe plus en former d'autres fur
cer objet.
Je prie qu'on remarque ici comment la philofo
phie , qui ne marche qu'à la fuite de l'obſervation
s'éclaire à chaque pas qu'elle fait.
En 1781 , M. de Montlinot n'avoit qu'un fait ,
& fur ce fait unique il établir une conjectare génétale.
En 1783 , il a deux faits contraires , & il n'ofe
plus établir aucune conjecture. Il a été d'abord plus
hardi avec un fait qu'avec deux faits enfuite .
La connoiffance de cette proportion feroit pourtant
très néceffaire pour connoître avec précision les
vraies fources de la mendicité ; c'est le fait de cé
genre , qui , bien approfondi , donneroit peut-être
Le plus de lumières , & fur les caufes de la mendicité
, & fur les moyens de la détruire.
Mais on voit du premier coup d'eil qu'il eft impoffible
de trouver là deffus une donnée fixe & conf
tante dans un feul dépôt.
Les mendians , les vagabonds paffent fans ceffe
d'une Province à l'autre ; fans ceffe poursuivis , ils
fuient des lieux où ils font connus , dans ceux où ils
ne le font pas encore. Quelquefois ce font les femmes
qui fe réfugient en plus grand nombre dans une
Province , & quelquefois ce font les hommes. Quand
donc même il y auroit une proportion conftante
dans tout le Royaume , il feroit impoffible de l'appercevoir
& de la fixer dans le dépôt d'une feule
Province .
Les obfervations devroient être faites à la fois
DE FRANCE. 117
dans tous les dépôts du Royaume , & leur rappre
chement pourroit conduire à quelque apperçu général.
Mais ce qu'on verroit le mieux d'abord , c'eſt que
dans tout le Royaume même , cette proportion doit
varier prodigieufement d'année en année.
Les caufes de la mendicité agiffent quelquefois fur
les hommes & quelquefois fur les femmes.
Que les productions d'un art exercé par des hommes
foient dédaignées par la mode , voilà des milliers
d'hommes fans travail , & par conféquent exposés à
la mendicité. 7
Que ce malheur arrive à un art exercé par des
femmes , ce font les femmes qui mandieront en
plus grand nombre.
La proportion des mendians & des mendiantes
variera donc avec les caprices de la mode , c'eſt-àdire
, avec ce qu'il y a au monde de plus mobile.
Une jolie femme de Paris , qui fe réveille le matin
avec une fantaisie nouvelle , ne fe doute pas qu'elle
fait une révolution dans le Royaume.
Je vois cependant un fait très- conftant , ce me
femble , & d'où l'on peut conjecturer que le nombre
des femmes qui mandient doit être plus confidérable,
Dans l'état actuel de la Société , il eft commun que
les hommes faffent vivre les femmes ; & il eft rare
que les femmes faffent vivre les hommes. Lorfque
les caufes de la pauvreté tombent fur les hommes ,
ils entraînent avec eux des femmes dans la mendicité
; lorfque les mêmes caufes tombent fur les fem
mes , ce malheur n'a pas les mêmes effets fur les
hommes.
Mais cette conféquence eft tirée d'un fait trop
général , & M. de Montiinot nous apprend , par fon.
exemple , qu'il ne faut donner une grande confiance
qu'à des obfervations particulières & des faits trèsprécis.
M. de Montlinot , en 1781 & 1782 , avoit ob118
MERCURE
fervé que prefque tous les mendians du dépôt de
Soiffons étoient au - deffous de la taille de cinq pieds
deux pouces : il en avoit conclu que les hommes dé
haute taille , les hommes forts , s'enrôloient , s'expatrioient
, ou foutenant mieux les travaux pénibles ,
étoient moins expofés aux maladies qui conduisent
à la pauvreté. Il en avoit conclu que les hommes
petits , foibles , que les races infimes produifoient
le plus grand nombre de mendians.
On concluoit encore naturellement de cette obfervation
importante , combien le Gouvernement & les
particuliers doivent veiller au maintien de la force phy.
fique dans les hommes ; combien il eft néceffaire
de prévenir la dégradation des races ; combien il
feroit important de trouver les moyens de les perfectionner,
Chofe fingulière ! les hommes ont fongé aux.
moyens de perfectionner les races de chevaux , de
chiens , de chameaux & ils les ont trouvés . Ils n'ont
jamais fongé aux moyens de perfectionner les races
d'hommes. Il me femble pourtant qu'il y a eu quelques
idées de ce genre dans les Législateurs de l'antiquité
; mais , à l'exception de Licurgue , ils ne les
ont eues que pour les races d'efclaves , c'eſt- à - dire ,
pour les hommes qu'ils confidéroient à peu-près du
même il que les chiens & les chevaux . Ce qui
m'étonne , difoit Pafcal , c'eft de trouver dans l'ef
prit humain des erreurs fi groffières à côté de la lumière
la plus vive . Paſcal , lui -même , a été un des
hommes chez lequel ce contrafte a été le plus étonnant.
Les obfervations tirées de la taille des mendians
en fe confirmant cette année , fe font étendues.
» La haute taille , dit M. de Montlinot , prefque
toujours unie avec le fervice militaire , fournit une
efpèce d'hommes dangereux , qu'il eft bien important
pour la sûreté publique de contenir dans des re
DE FRANCE. 119
fuges deftinés à cet ufage. Ce premier réſultat eft
effrayant. >>
La petite taille, qui paroît de peu de conféquence,
indique la principale fource de la mendicité dans la
foibleffe des individus , foibleffe ou naturelle ou acquife
par des travaux pénibles. Ce fecond réſultat
eft affligeant.»
Qui auroit imaginé que la hauteur ou la petiteffe
de la taille pouvoient décider à tel point du caractère
& du fort des hommes ! qu'un pouce de plus ou de
moins envoyoit un homme expirer fur la roue ou
mendier fur un grand chemin !
Dans le compte de l'année dernière , M. de Montlinot
, qui avoit obfervé deux années de fuite que
le plus grand nombre des mendians fortoient de la
claffe des Agriculteurs , en avoit tiré une conclufion
bien terrible c'eft que l'Agriculture dégrade ,
détruit & dévore les hommes autant que les métiers
& les arts de luxe .
:
Cette année , le nombre des mendians de cette
claffe eft encore de beaucoup la plus confidérable ;
& cette vérité terrible femble fe confirmer de plus
en plus. Ce qu'il y a de défefpérant encore , c'eft
que M. de Montlinot explique ce fait , non par des
caufes hypothétiques, non par des fyftêmes, mais par
des caufes qui font elles - mêmes des faits évidens . Un
Batteur en grange , dit-il , ne peut pas exercer ce
métier plus de quinze ans , fans atteindre à une vieilleffe
prématurée. Celui qui parcourt les campagnesfait
qu'ilfaut néceffairement de la jeuneffe , de la force &
de la fanté pour cultiver la terre.
Que M. l'Abbé de Montlinot nous permetre ici
quelques réflexions ; car il eft impoffible de foufcrire
aifément à ce réfultat ; c'eft à la dernière extrêmité
qu'on peut croire que le même art qui nourrit les
hommes les dévore ; que le premier art des Sociétés
naiffantes foit auffi funefte que les arts de luxe & des
120 MERCURE
Sociétés corrompues. Quel malheur ce feroit fi l'Agriculture
étoit juftement accufée auprès du genre hu
main ! Quel afyle , quel refuge lui refteroit - il alors ?
Il n'y auroit plus qu'une reffource ; il faudroit fuivre
le confeil qu'on a cru long- temps que Rouffeau nous
donnoit , abandonner nos villes , nos champs culti
vés , & rentrer dans les forêts. Mais prefque toutes
les forêts du globe font abattues . Ces antiques domiciles
de l'homme ne font plus ; & le genre- humain
reffembleroit à ces armées qui , en débarquant
fur un rivage , ont brûlé les vaiffeaux qui les y ont
transportées & , repouffées bientôt au rivage par une
force fupérieure , regrettent inutilement ces vaiffeaux
qu'elles ont livrés aux flammes .
Mais n'eft- ce pas plutôt la manière dont l'Agriculture
eft exercée, que l'Agriculture elle - même, qui
eft fi funefte aux hommes ? On a dit très-fou
vent on a imprimé que dix hommes pouvoient vivre
du travail d'un ſeul Laboureur ; & c'eſt peut être en
effet dans une proportion approchante de celle là
que le nombre de Laboureurs eft par- tout en Europe
avec le refte des hommes.
Je préfume que c'eft cette proportion qui rend les
travaux des champs fi pénibles , fi deſtructeurs.
Un homme peut en nourrir dix ; mais c'eſt en s'excédant
, en exténuant , fes forces , en abrégeant fa
jeuneffe d'abord , enfuite fa vie. Changez la proportion
; qu'au lieu d'un homme il y en ait deux cinployés
à nourrir dix hommes : chacun d'eux aura la
moitié moins de travail , pourra travailler dix an
nées , vingt années de plus , & ne perdra toutes fes
forces qu'avec la vie. Si cette proportion de deux
hommes à dix ne fuffifoit pas encore pour produire
les effets que j'indique , mettez- en trois dans le nombre
des Travailleurs. Un Batteur en grange ne peut
pas exercer plus de quinze ans ce métier fans atteindre
à une vieilleffe prématuréc. Eh bien ! qu'on cherche
DE FRANCE. 121
4
che les moyens de difpofer l'ordre de la Société de
manière qu'il pe l'exerce pas plus de quinze ans ,
qu'il ne l'exerce pas quinze ans même . C'eſt la multiplication
effrayante des troupes toujours fur pied ,
ce font les arts du luxe , qui , en enlevant continuellement
des hommes à l'Agriculture , ont établi cette
proportion fi funefte entre le nombre des Laboureurs
& le refte des Citoyens. On accuſe l'Agriculture des
maux que les arts de luxe & l'art de la guerre lui ont
fairs à elle-même ; ou plutôt ce font les défordres de
tout l'état focial parmi nous qui ont transformé
l'art facile & doux qui féconde les champs , en un
art de luxe qui détruit ceux qui l'exercent pour corrompre
ceux qui en jouiffent. Ce n'eſt pas la nourriture
des hoinmes qu'on demande aujourd'hui à la
terre , ce font leurs délices , leurs voluptés ; & il n'eft
pas étonnant que l'Agriculture , devenue un art de
luxe elle -même , foit auffi funefte que les arts de
luxe.
Quelques - uns ent penfé que le grand mal que
faifoit l'établiffement des Arts & des Manufactures
c'étoit de diminuer la culture des terres , de laiffer
retomber les champs en friches.
D'autres , au contraire , voyant que la culture des
terres , loin de diminuer , s'étendoit de jour en jour
avec les progrès des Arts , ont voulu conclure que les
champs étoient également peuplés , ou même davantage
, puifqu'ils étoient mieux cultivés .
11
peut
trompés
.
fe faire que les uns & les autres fe foient
La culture des terres ne diminue pas avec le nombre
des cultivateurs , fi un cultivateur double fon
travail lorsqu'un autre abandonne la charrue.
Les progrès de la culture ne prouvent pas les progrès
de la population , s'il eft poffible qu'un homme
faffe le travail qui étoit fait autrefois par deux ou
trois hommes.
Nº. / , 20 Novembre 1784. F
122 MERCURE
Mais ce qui paroît affez démontré , c'eft qu'un tel
état des chofes ne peut pas durer long- temps , parce
qu'il eft forcé , violent ; c'eft qu'il doit commencer
par ruiner la fanté , les forces des Agriculteurs , &
finir par ruiner l'Agriculture elle-même. Que faut- il
donc faire: Renvoyer, s'il éft poffible , les hommes dans
les champs c'est-à-dire , les y attacher & les y attirer
par la liberté , par une protection impartiale , par le
bonheur enfin . M. de Montlinot dit : l'Agriculture dévore
les hommes ; & cela peut être vrai dans ce moment;
mais je dirai à M. de Montlinot , c'eſt l'Agriculture
qui a peuplé la terre. Et ce mot d'un Laboureur
de la Sicile eft auffi vrai que beau : En femant
du bledje croisfemer des hommes.
Les obfervations de cette année ne donnent aucune
nouvelle donnée pour établir une proportion
entre les fous & les folles. On a remarqué feulement
que les accès de folie dans les femmes étoient plus
violens & plus fréquens dans les révolutions périodiques
& dans les temps critiques de leur fexe ; mais
cela même ne peut- il pas faire conjecturer que les
femmes foumifes à ces révolutions , doivent aufli être
plus fujettes à la folie , qui a tant de rapports avec ces
révolutions ? Il paroît cependant qu'il y a dans les
hommes deux grandes caufes de folie qui agiffent
moins puiffamment & moins conftamment chez les
femmes.
L'une eft l'ambition . Il y a un très grand nombre
de fous dont l'unique folie eft de fe croire Rois, Empereurs
,
fils de Dieu ou Père Éternel. Je n'ai pas entendu
dire que beaucoup de femmes euffent la folie
de fe croire Reines , Impératrices , fille ou mère de
Dieu.
L'autre caufe eft l'amour ; non l'amour moral ,
non cette paffion du coeur , prefque toujours plus
conftante , plus délicate & plus malheureuſe chez les
femmes ; non cette paffion intéreffante qui fait la
DE FRANCE. 123
folie de Clémentine & de Juliette ; mais ce defir ardent
effréné des jouiffances des fens , que la Nature
devoit donner à l'homme deftiné à l'attaque , &
qu'elle ne devoit pas donner au même degré à la
femme , qui doit faire femblant de fe défendre .
On conçoit que les Filles publiques amenées au
dépôt , peuvent fournir beaucoup d'obfervations
intéreffantes ; mais il eft affez difficile de favoir
d'elles l'hiftoire vraie de ce qui les a conduites à
l'extrême corruption de leur état , & de cette corruption
à la mendicité : elles ont toutes une hiſtoire
arrangée à peu près fur le même modèle , & leur
état leur a fait une fi grande néceflité & une fi grande
habitude du menfonge , qu'il eft prefque impallible
d'obtenir d'elles la moindre vérité.
M. de Montlinot a obfervé ces créatures dans le
•
dépôt ; & après leur fortie du dépôt , il a tâché de
favoir encore ce qu'elles devenoient. Prefque toutes
celles qui arrivent au dépôt , prennent de l'embonpoint
en y entrant ; ce qu'on peut attribuer à une
nourriture plus faine , plus égale , & au premier
moment de repos qu'elles goûtent en fortant des
inquiétudes continuelles de leur état. Mais bientôt
après des fièvres intermittentes les faififfent , & une
convalefcence longue les conduit à un affaiffement
que rien ne peut vaincre ce qu'on peut attribuer
à l'ennui qui fuccède à la douceur du premier moment
de repos , & au regret de cette vie licencieuſe
dont les vices leur paroient agréables lorfqu'elles
font privées par la force . M. de Montlinot affirme
que , fans exception , aucune de celles qui ont été
amenées au dépôt , n'a pu être corrigée par la détention
à terme . Elles reprennent leurs vices en fortant
de l'hofpice , & le féjour qu'elles y ont fait en
donnant une garantie fur leur fanté , ne les rend
que plus propres à tirer plus de profit de leur liberainage.
Voilà tout ce qu'on gagne à les renfermer,
en.
Fij
124 MERCURE
& on n'en eft point furpris : il n'y a guère , & il ne
peut guère y avoir dans leur amie de fentiment qui
les rappelle à l'honnêteté.
M. de Montlinor diftingue avec raifon , des Filles
publiques , les Filles enceintes fuyant leur domicile
& arrêtées fur les routes : il oblige celles- ci à nourrir
leurs enfans , ou plutôt il le leur permet , & cette
grace qu'il leur accorde , les fentimens de la tendreffe
maternelle qu'elles cultivent en nourriffant
leurs enfans, les relèvent fouvent de la honté de leur
foibleffe, & les difpofent à une vie honnête. Plufieurs
d'elles ont montré des moeurs irréprochables au
fortir du dépôt.
Cette obfervation très- importante , ne peut - elle
pas faire naître une efpérance fur les Filles publiques ?
Ne pourroit -on pas tâcher de former par des moyens
avoués des maurs & des loix , quelque union
légitime entre elles & ceux des hommes du dépôt
qui ont pris le goût du travail & induftrie de
quelques métiers ? S'il y a quelque choſe au monde
qui puiffe élever une Fille corrompue , aux bonnes
meurs , ce font les foins d'une femme de ménage
& les fentimens d'une mère : & heureufement la
plus extrême corruption même n'étouffe pas toujours
ces fentimens ; mais peut - être les hommes
renfermés au dépôt , dans l'ignominie même de leur
condition , refuferoient-ils de fe lier à elles par le
mariage. Les hommes de tous les états vont quelquefois
chercher des plaifirs auprès d'elles , & le
Mendiant même ne veut pas en faire fa femme.
Il y a une obfervation terrible à faire fur le nombre
total des femmes amenées au dépôt , c'eſt que
la plus grande partie eft formée de Filles publiques ,
& de Veuves de journaliers Laboureurs. Quel rapprochement
! Il eft affreux , défefpérant; & c'eft peutêtre
pour cela que M. de Montlinot ne l'a pas fait.
L'année dernière , M. de Montlinot a propofé un
DE FRANCE. 125
›
moyen excellent & facile de préferver de la mendicité
les Journaliers vieillis avant le temps par les
travaux de la terre. Cette année il propofe un
moyen qui nous paroît également bon pour préferver
du même malheur leurs Veuves & leurs enfans.
-Ce fetoit d'établir pour ces veuves un Hofpice où on
éleveroit leurs enfans dans les Arts de la campagne
dans les travaux de l'Agriculture ; les plus foibles
feroient élevés pour les métiers ; les plus forts pour
le labourage. Les Filles en fortiroient à l'âge de
14 ans , & les Garçons à 16 ; ceux-cì , pour être
d'excellens valets de Fermiers , & les Filles pour
être chez le Cultivateur , des fervantes qui auroient
de bonnes moeurs ; efpèce de femines qui manquent
fingulièrement aux campagnes. M. de Montinot
ofe affirmer que , par ce moyen , on attaqueroit la
mendicité dans fa fource , & que cet Hoſpice coûteroit
infiniment peu à la Province.
-
Oferois -je ajouter à ces vûts excellentes , quelques
idées qui ne font pas neuves fan , doute , mais
qu'il peut être urile de reproduire de temps en
temps. Dans toutes les Provinces , dans toutes
les grandes Villes du Royaume , la bienfaifance du
Gouvernement & la charité publique , ont élevé
des maifons où on recueille les Eafans trouvés ,
où ou les nourrit , où on les élève jusqu'à un certain
âge. Ces maifons font toujours établies dans
les Villes , & le nombre de ces malheureux enfans
augmente , dit - on , prodigieufement chaque
année . L'Adminiftration chaque année en devient
plus coûteufe & plus difficile ; & , par toutes ces caufes
à la fois , leur éducation devient toujours plus
mauvaiſe,
On fait nourrir , il eft vrai , la plupart de ces enfans
à la campagne , & à un certain age on envoie
les garçons chez des Fermiers ; mais alors l'Adminif
tration les perd totalement de vûe ; ce qui n'est pas
Fiil
126 MERCURE
fans de grands inconvéniens , & d'ailleurs après les
mois de nourrice , ces enfans rentrent dans les hof
pices.
Pourquoi ne tranfporte t- on pas ces maiſons des
Villes qu'elles infectent , & qui les infectent , dans les
campagnes , & furtout dans les campagnes les plus
éloignées , dans les deferts du Royaume , car la
France a encore des deferts ?
Que d'avantages il a été prouvé qu'on pourroit
airer de ce fimple changement de place !
!
1. Les enfans , plus fenfibles à toutes les impreffions
de l'air , prennent & communiquent les maladies
contagieufes avec une extrême facilité : & chez eux ;
dans ces petits corps fpongieux,pour ainfi- dire, prefque
toutes les maladies font contagieufes . Dans les Hofpices
des Villes où on les amoncèle les uns fur les
autres , il y a une contagion fixée parmi eux , &
on peut dire qu'ils vivent toujours avec une maladie
mortelle. J'ai entendu dire à un Médecin très - éclairé,
que pour les enfans , la pefte étoit toujours dans ces
maifons. Dans les campagnes , on les placeroit à
d'affez grandes diftances , pour couper ailément
toutes les routes de communication à leurs maladies
contagieutes . De cela feul réfulteroit trois grands
biens : on en conferveroit infiniment davantage
Fair des Villes feroit délivré d'un grand foyer de
corruption , & l'entretien de ces maifons feroit fou
lagé des frais de tous les remèdes qu'on fait prendre
à ces enfans continuellement malades.
>
2. N'eft il pas étrange que ce foit dans les
Villes ou le luxe enchérit tout , ou Populence même
& l'induftrie la plus active ont rant de peine à vi
vre , qu'on place des maifons qui doivent fubfifter de
la charité du Gouvernement & de la Nation ? Qu'on
les tranfporte dans les campagnes où tout eft à
meilleur marché , leur entretien coûtera un tiers ,
ane moitié , deux tiers de moins , fuivant les lieux ,
DE FRANCE. 127
1
& ce qu'elles dépenferont , ce qu'elles confommeront
, fera une fource de fécondité pour ces mêmes
campagnes .
>
3°. Il le préfente à mon efprit ure confidération
que j'ole à peine énoncer : on a dit , & je ſouffre à
le répéter, que les Employés à la régie de ces maisons
ont fouvent dépouillé le pauvre des deniers donnés
par la charité publique ; qu'ils fe font enrichis trèsfouvent
, en dérobant le pain à la faim dévorante
en volant à l'enfant qui le meurt , le remède qui
devoit lui fauver la vie . Le brigand couvre fouvent
la nudité du pauvre ; le plus féroce affaffin foutient
l'homme qui tombe en défaillance , & dans ces adminiftrations.....
, c'eft le crime qui accufe à la fois ,
qui outrage & qui révolte le plus I humanité. Il ne peut
être commis que dans des lieux où les plus grands
excès font devenus des befoins ; où les paflions faus
ceffe irritées & toujours promptement fatisfaites ,
font paffer continuellement les ames du délire , de
la fureur des defirs, à cet affoupiffement des voluptés
& de la molleffe , dans lequel on n'a pas la force d'avoir
un fentiment ; où l'on eft cruel & barbare par
Timpuiffance de recevoir les douces émotions de la
piie : il ne peut être commis
que dans des lieux où
les objets du luxe vous cachent pour ainfi dire la
nature ; où la foule vous dérobe à chaque inftant à
vous-même ; où le bruit des plaifirs étouffe & fair
taire la voix intérieure de l'ame & de la confcience ;
où, vivant continuellement dans des Spectacles qui
ne font qu'illufion , on finit par oublier qu'on eft
homme , & qu'on vit avec des hommes. Un
tel crime ne peut être commis que dans les villes
à grand luxe. Dans les campagnes , où l'on ne
fent guères que les befoins de la nature , où les paffions
font moins féductrices & moins enivrantes ,
on ne voit rien qu'on foit tenté d'acheter par un
fi grand crime. Les Adminiftrateurs reftant continucl
Fiv
128 MERCURE
lement près des enfans malheureux confiés à leurs
foins , entendroient mieux à la fois , dans le filence
des campagnes , & la voix de leur confcience & le
cri de l'infortune . La vue continuelle de tant de
jeunes infortunés , leur deviendroit trop cruelle
s'ils ne s'occupoient du foin d'adoucir leur fort ; ils
feroient pitoyables & bons , même par intérêt petfonnel.
,
>
Il fe préfente ici une objection , & elle eſt unique
à ce que je crois on peut dire que ces mailons
éloignées des grandes villes où four aufli les grandes
fortunes , ne feroient plus auffi bien placées pour
attirer fur elles les bienfaits de la charité: en les perdant
de vue , la pitié s'affoibli ojt peut-être ; elles
ne s'enrichiroient plus des expiations du crime &
des dons généreux de la vertu . D'ailleurs , plus
éloignées du Gouvernement , elles paroîtroient audi
recevoir moins immédiatement fa prorection . On
peut faire à cela des réponſes bien faciles cc me
femble. Il ne faut pas croire que ce foient les mouvemens
fugitifs & inftantanés de la pitié qui attirent
des bienfaits fur ces maifons : elles font trèspeu
connues dans les grandes villes au milieu defquelles
elles font placées : elles y font auffi cachées
qu'elles pourroient l'être dans les campagnes ;
c'cit
le fentiment réfléchi & conftant de la Religion ou
de l'humanité qui leur porte des préfens , & ces
deux fentimens favent aller chercher au loin les objets
de leurs libéralités : c'eſt communément par
les dernières volontés de la vie , par les teftamens
qu'on leur laiffe des biens , & la penfée d'un homme
qui difpofe de fa fortune pour le temps il ne fera
plus, n'eft pas plus éloignée des malheureux qui font
à cinquante lieues de lui , que de ceux qui font à
fes côtés. La crainte que je combats ici , auroit pu
être fondée dans les temps où il y avoit peu de communication
entre les parties les plus voisines d'un
DE FRANCE 129
, que
état ; où les hommes , renfermés dans une cité ou
dans un hameau , croyoient à peine qu'il exiftât
des hommes loin de leur ville & de leur village :
Aujourd'hui les liens & les relations des
hommes de tous les pays , de toutes les contrées ſe
font étendus avec les lumières , on s'unit intimement
à la destinée des hommes qui font féparés de nous
par les mers & par les Empires. Nous fentons les
biens & les maux qui arrivent à nos femblables
à cent lieues de nous ; & fans gémir même fur
leur malheur , on éprouve le befoin de les foulager :
les réflexions & les lumières , en répandant au loin
le fentiment de l'humanité , l'ont peut- être affoibli ;
mais elles l'ont fingulièrement étendu on pleure
moins , on fecourt davantage. La pitié prompte &
paffionnée eft la générofité des fiècles barbares ; la
générofité réfléchie & combinée , eft la pitié des
fiècles éclairés. Il ne faut donc pas croire que la
fource des charités particulières & publiques tarit
dans nos villes fi on en éloignoit les Hofpices.
des Enfans- trouvés ; elle couleroit en fe fécondant
dans la route jufqu'aux lieux éloignés où l'on tranfporteroit
ces maifons. Quant à la protection du
Gouvernement , un Gouvernement , tel que le
nôtre , porte aifément toute la puiffance aux points
les plus éloignés de l'Empire ; c'eft l'avantage particulier
des Monarchies Une efpérance qui fe pré-.
fente encore bien naturellement , c'eſt que ce changement
infpiré au Gouvernement par l'amour de
T'humanité , en réveilleroit plus vivement le fentiment
dans toutes les ames , & que cette époque feroit
celle où ces établiſſemens auroient été les plus
enrichis par la bienfaiſance univerfelle de la Nation.
+
4. Les avantages que nous avons relevés jufqu'à
préfent , regardent fur tout les hofpices mêmes ; il
s'en préfente de bien plus confidérables pour la
Nation entière. On s'eft plaint de tout temps ,
F.v
MERCURE
depuis un demi fiècle les plaintes ont fingulièrement
redoublé , de ce penchant aveugle & malheureux
qui fait abandonner à tous les hommes les
campagnes pour les villes : qui peuple les attelicrs
des Arts & les Manufactures des hommes qui manquent
à la colture des champs. L'établ ::Tement des
Maifons de charité dans les villes , eft très propre à
entretenir à augmenter ce défordre. Les enfans .
qu'on y nourrit ne peuvent être élevés que pour les
métiers & pour les villes . Le travail fédentaire des
métiers tue les enfans , dont le premier befoin eft
de courir , de fauter & de s'ébattre. Et c'eft-là fûrcment
une des caufes de la mortalité effray ante établie
dans ces maifons. Si on tranfporte ces maiſons dans
les les enfans que
campagnes , l'Etat y nourrit , feront
nourris & élevés pour les campagnes. Le Gouvernement
qui aura toujours dans les mains certe
fource de la population , la répandra , la diftribuera
à fon gé für les terres du Royaume ; & tandis que
les vices naturels de la Société entraînént les hommes
des campagnes dans les villes , les lumières du Gouvernement
les feront refluer des villes dans les campagnes
Produits la plupart par les vices des cités .
ces infortunés enfans feront élevés du moins dans les
bonnes moeurs & dans la fimplicité des champs : on
fe fervira des fruits même de la corruption pour en
arrêter les progrès . Alors on en confervera davantage
, & loin de craindre , on pourra defirer d'en
voir augmenter le nombre . L'Etat qui fera pour eux
& par eux de grands établiffemens de culture , les
regardera du même il que le Labourer regarde
'fes nombreux enfans dans lequel il voit fa richeffe.
Adoptés par le Gouvernement , le Gouvernemene a
légitimement fur eux deux espèces de pouvoirs , celui
de Souverain & celui de Père. Par la puiffance
paternelle à laquelle on pourroit donner légitimement
toute la puiffance qu'elle a dans les Loix
·
DE FRANCE 131
Romaines , le Gouvernement auroit un droit
abfolu & fur leur éducation , & fur les fruits des
travaux de toute leur première jeuneffe. Que d'expériences
& que d'effais avantageux à ces enfaus
eux-mêmes & à la Nation entière , un Gouverné→
ment aufli éclairé que le rôtre pourroit faire dans
la culture , dans la légiflation & dans les moeurs de
ccs Colonies naiffantes ! Que d'antiques ufages on
pourroit y détruire ! Que de vues , qui paroiffent des
fyftêmes, y prendroient l'autorité des faits ! Les préjugés
, les erreurs , les abus deviennent éternels en
fe tranfmettant des pères aux enfans ; ces enfans
fans pères , adoptés par un Gouvernement trèséclairé
, fe trouveroient tout à coup fans abus , fans
erreurs , fans préjugés : au fein d'un Empire antique
s'éleveroit , pour ainsi dire , un
>
nouveau
peuple ! J'ofe croire que s'il y a quelques moyens
de peupler & de féconder les landes de la Normandie
& de la Champagne les deferts qui
font entre Bayonne & Bordeaux , on ne les trouvera
que dans ce nouvel emploi des enfans & des hommes
renfermés dans les Hofpices de la Nation.
Voilà un beau rêve , dira t on peut-être , & il
eft bien long ; j'en conviens : il eft doux de rêver
au bonheur public , & on craint de fe réveiller.
}
Un chapitre infiniment curieux dans le nouveau
compte du dépôt de Soiffons , c'eft le chapitre des
Mendians de race. Les accidens inévitables de la vie,
Ies vices de la Société , font chaque jour de nouveaux
mais left une pauvres ; clafle de pauvres qui fe
perpétuent d'eux- mêmes ; qui font de la mendicité
une espèce d'art & de métier , qu'ils fe trafinetteng
de père en fils , de génération en génération . Ils
ont leurs principes , leurs moeurs , & pour ainfi dire
leurs loix : fans domicile fixe , fans fubfiftance affurée
, entendant beaucoup mieux un jargon qu'ils
fe font fait , que les langues qu'on parle autour
F vj
132 MERCURE
d'eux ; we terant au refte des hommes, ni par la
morale ni par la Religion ; ils errent de Province
en Province , ont des poftes de rendez -vous cù ils
fe réuniffent , & d'où ils fe diftribuent ; c'eft , pour
ainfi - dire , une nation invifible de fauvages , au
milieu d'une grande nation civilifée : & ceue vie ,
dans laquelle ils ne fentent ni les peines ni les plaifrs
de la Société , a pour eux un charme infini .
M. de Montlinot dit que dans cette vie , ce font les
femmes qui prefque toujours , nourriffent les hommes;
& c'eft précisément auffi ce qu'on voit chez la plûpart
des Sauvages. Cette conformité eft remarquable,
mais n'eft pas étonnante .
Ila fallu fans doute bien de l'adreffe & bien de la
pénétration à M. l'Abbé de Montinot , pour décou
vrir ainfi tous les fecrets de l'exiftence de cette na .
tion de Mendians. Il paroît auffi que tous les pauvres
du dépôt en général , ont affez de confiance en
lui , pour lui révéler beaucoup de chofes ; & le
moyen qu'il emploie pour obtenir cette confiance fi
importante dans une pareille place , eft à-peu près
infaillible. L'ordre , la iègle qu'il a établie dans l'adminiſtration
de l'Hospice , n'eft pas cruelle , mais
elle doit être & elle eft très- févère : lui , au contraire, fe
montre toujours facile & doux. Par-là , les Mendians
font difpofés à croire que la févérité rigide de l'adminiftration
, tient à la nature des chofes , & que la
bonté , la douceur feule de M. de Montlinot lui
font perfonnelles . Ils ne l'accufent point de la rigueur
des Loix , & font attirés vers lui par fon humanité
; & fans les aveux , fans les confidences qu'il
obtient par ces moyens , fes obfervatious feroient
elles fi étendues & fi curieufes ? Dans combien de
places un pareil talent feroit encore plus néceffaire
& produiroit des lumières plus utiles à la Société !
On gouverne les hommes , & on ne les connoît
point, on ne fait rien pour les connoître.
DE FRANCE. 133
Un malheureux accufé d'un crime qui peut le
mener à l'échafaud , eft affis fur une fellette : on
l'interroge , mais fur fon crime uniquement ; & fi
fon crime paroît établi , on l'envoie à la mort fans
lui rien demander de plus. Il ne fe confeffe qu'à
l'oreille d'un Miniftre de la Religion , dans le
fein duquel tous les fecres de fa vie doivent fe
perdre. On ne doit plus que de la pitié aux crimi
nels même , lorfqu'ils ont entendu leur Sentence de
mort : car dès ce moment ils ont déjà fubi leur
plus grande peine. Que le Magiftrat qui la leur a
prononcée , faffe fuccéder à ce miniftere fi terrible
pour lui-même , un miniftère qui le confole d'avoir
été auffi févère que la Loi : qu'en témoignant de la
pitié & de la compaffion aux malheureux qu'il a été
obligé de condamner , il penetre dans leurs ames
déjà déchirées par le repentir & par la douleur ;
qu'il en obtienne l'aveu des fatales circonftances
qui les ont égarés dans les voies du crime . Qué de
lumières ! quelle nouvelle connoiffance & de l'homine
& de la Société , on verroit réfulter de ces confeffions
faites aux Prêtres de la Loi ! Et qu'on ne croie
point qu'il fûr fi difficile d'obtenir ces révélations
de la bouche de ces infortunés. L'homme qui va
mourir a bien peu de chofe à diffimuler : interrogé
par des Magiftrats éclairés & philofophes , ( & il y
en a de nos jours ) , par des Magiftrats qui connoftroient
cette langue que l'humanité doit parler
aux malheureux ; ces infortunés éprouveroient à
s'entretenir des vices qui les ont perdus , cette ef
pèce d'attrait que l'homme éprouve à raconter fes
malheurs. Il eft d'ailleurs dans la nature humaine ,
de trouver je ne fais quelle confolation , je ne fais
quel foulagement à faire des aveux dont on n'a rien
à craindre : il femble que l'ame , oppreffée du poids
de fes remords , le reierté & s'en délivre en faisant
raven de fes fautes ; & c'eft ainfi que la 'confeffion ,
134
MERCUR-E
qui eft d'inftitution divine , eft auffi d'inftitution de
la nature.
On pourroit avoir le talent d'obſerver les hommes,
fans avoir du tout celui de les gouverner. M. de
Montlinot heureufement paroit les pofféder tous
les deux au mêine degré. Les chapitres où il rend
compre de la police & des réglemens du dépôt ,
font encore fort au - deffus de tous les autres.
Graces à fon extrême habileté dans ce genre ,
un dépôt de pauvres & de vagabonds , eft devenu
une espèce de petite fociété , qui n'offre de toute
part que l'image de l'ordre , du travail & de la paix .
Tous ceux qu'il emploie en fous-ordre, à l'exception
de trois Surnuméraires de la Maréchauffée , font
des Mendians eux mêmes ; ils font Gouvernans &
gouvernés , & ils gouvernent bien , ils obéiſſent
bien. Pour faire d'un Mendiant un Prévôt , M. de
Montlinot le choifit d'abord de haute taille ,de mine
impofante . Mais s'il étoit vêtu comme les autres
les autres pourroient fe fouvenir qu'il n'eft qu'un
Mendiant comme eux ; on met fur fa vefte de
3
groffe toile un large galon de laine rouge
qui coûte dix fols & voilà le Prévôt revêtu
d'un caractère refpectable On peut fourire ; mais
ce qui fait le Prévôt du dépôt de Soiffons , a
fait quelquefois des Empereurs à Conftantinople.
Dans les derniers temps du Bas - Empire , le premier
gueux qui trouvoit dans la rue un morceau de
pourpre & le jetoit fur fes épaules , étoit fuivi
avec refpect par d'autres
falué & adoré
comme Empereur. On voit dans l'Hiftoire de M.
le Beau , que plufieurs révolutions du Trône & de
l'Empire de Conftantinople , n'ont pas eu d'autres
caufes . Dans tous les pays & dans tous les fiècles
les galons de laine rouge ont eu plus de puiffance
qu'on ne croit .
gueux ,
Les hommes , les femmes , les enfans , tout traDE
FRANCE. 135
vaille dans le dépôt , foit à polir des glaces , foit
faire de la toile , foit à tricoter des bas. A ceux qui
travaillent le mieux , on leur donne un banc & les
voilà Maîtres. Il faut que tout le dépôt les appelle
Mattres , & M. de Montlinot en donne l'exemple.
Les Maîtres ont des Apprentifs . Un de ces Administrateurs
qui veulent out faire & qui font toat
mal , auroit voulu fe réferver le droit d'indiquer &
de donner les Apprentifs aux Mattres. Sous M. de
Montiinot , les Maîtres choififfent , renvoyent , reprennent
les Apprentifs à leur gré point de loix
réglémentaires & prohibitives ; des droits violés
dans beaucoup de grandes Sociétés , font refpectés
dans cette efpèce de prifon .
:
Le gain eft pour les travailleurs , & il eft natu
rel que ceux qui travaillent le plus , confomment
davantage. Il y a dans le dépôt même des mar
chands de vin , de pain , de fruits , de légumes ,
de bière , & la liberté d'y aller marchander
acheter foi même ; l'afpect de ces petites boutiques ,
fait oublier qu'on eft dans un dépôt , fait croire
qu'on eft dans un village , dans un hameau.
"2
un
Il faut finir ; & c'eft trop tard fans doute que
nous finiffons . Je veux , diloit M l'Intendant de
Soifons , qu'on traite le malheureux comme
ami , le pauvre comme un homme , le vagabond
comme un être capable d'être régénéré. Le Public
eft en état de juger fi M. le Pelletier de Morfontaine
a fu bien choifir l'homme capable d'exécuter
de f pures & de fi faintes intentions .
( Cet Article eft de M. Garat. )
136 MERCURE
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Samedi 6 de ce mois , on a donné ,
pour la première fois , la Fauffe Coquette ,
Comédie en trois Actes & en vers , par M.
Vigée .
Céphife , jeune Veuve , aimable , fpirituelle
& fenfible , eft aimée d'un M. de Florval
, dont les foins ont fu la toucher , mais
dont elle ne connoît point encore l'amour ,
parce que celui ci s'eft fait un fyftême de ne
point foupirer , & de laiffer plutôt deviner
fa tendreffe que d'en faire l'aveu. Lifette ,
femme de chambre de Céphife , qui a fu
lire dans le coeur de Florval, confeille à fa
Maîtreffe de jouer l'indifférence & même la
coquetterie , afin d'éprouver fon amant , &
de punir fon amour - propre par la jaloufie.
La Veuve ne fe prête que difficilement à
cette feinte , parce que la franchiſe de fon
caractère répugne à tout ce qui tient à la
diffimulation . Cependant le defir de favoir
fi elle eft & comment elle eft aimée lá détermine.
En conféquence , elle fe propofe
de donner accès chez elle à tout ce que
l'on appelle bonne compagnie ; elle le déclare
à Florval, traite avec douceur & bonté,
quoiqu'en fe le reprochant tout bas , un
DE FRANCE. 137
certain Gerfeuil , ami de Florval , fat
jufqu'à l'impudence , & avantageux juſqu'à
la fottife: Elle fe montre même en public
avec lui ; enfin , elle fe comporte de façon
que, tant à caufe de la conduite qu'elle tient,
que par les aveux qu'une crédnie & très cré
dule fatuité arrache à Gerfeuil , Florval fe
trouve en proie à tous les tourmens de la
jaloufie la plus décidée. Dans le premier accès
de fon humeur, jaloufe , Florval écrit à
Céphife un billet très piquant que l'offcienx
Gerfenil fe charge de remettre , en fe
faifant fort d'en faire apporter la réponſe
par la Veuve elle-même. En effet , la remife
du billet eſt bientôt Quivie du retour de Cé .
phife , & de là réfuire phife une explication dans
laquelle Florval , retenu vingt - fois par une
fauffe honte , craint d'avouer qu'il aime , &
finit par en faire l'aveu le moins équivoque ,
en laiffant éclater les rranfports de l'amour
le plus tendre. Céphife , dont le coeur s'eft
contraint avec beaucoup de gêne , écoute
ce: te déclaration avec plaifir , y répond avec
une expreffion très intéreffante , & donne
fa main à Florval. Gerfeuil entre pour être
témoin de leur accord , & le retire en déclarant
à la Veuve que les regrets qu'elle éprou
vera fuffiront pour. fa vengeance.
Ce fonds n'eft pas très- neuf , & l'intrigue
en eſt un peu nue . Le titre de l'Ouvrage
nous paroît même hafardé. Céphife n'eft
point une fauffe coquette ; elle ne s'entoure
point , pour en impoſer à Florval , de
138 MERCURE
toutes les reffources de la coquetterie ; elle
fuit avec peine les confeils d'une Soubrette
intelligente , & ce n'eft que d'une voix alté
rée , avec un embarras fenfible qu'elle cher
che à prendre aux yeux de fon amant des
dehors véritablement incapables d'en impofer
à un homme exercé dans le manège de
la coquetterie & des intrigues . Or , Florval
l'eft ou doit l'être. Le tableau du fyftême
qu'il s'eft fait en amour , les raiſons fur le f
quelles il a bâti ce lyftême , & qu'il fait connoîtré
au Public , en les confiant à fon Valet
, ( manière d'expofer un peu bizarre &
hors de nos mceurs actuelles ) en font une
preuve convaincante. Pourquoi donc Florval
eft il trompé ? Parce que , dans les vûes
de l'Auteur , il étoit néceffaire qu'il le fût
mais Céphife joue fi mal la coquette , &
Florval a acquis tant d'expérience , qu'il ne
devroit pas l'être . Au refte , à d'autres égards ,
le caractère de cet amant est bien tracé . Il
n'a point encore confulté fon coeur ; il ignore
jufqu'à quel point l'amour s'en est rendu le
maître ; il badine avec lui , & finit par fe
trouver l'efclave d'un fentiment qu'il croyoit
pouvoir gouverner à fon gré. Nous n'en
dirons pas autant du perfonnage de Gerfeuil.
C'est un fat d'une espèce alfez commune.
On reconnoît en lui plufieurs traits de reffemblance
avec d'autres fats de notre Théâtre
, & malheureufement ces traits ne font
pas les plus agréables . La fatuité le rend fi
crédule & fi aveugle , il fe loue avec une
DE FRANCE. 139
complaifance fi commune , qu'il n'a pas
même le petit mérite de paroître un inftant
aimable. Malgré toutes ces obfervations , cette
Pièce doit donner une idée avantageufe des
talens de fon Auteur , parce que l'on y remarque
fouvent de la vérité dans le dialogue
des idées riantes & des intentions
comiques. Le ftyle eft très faillant , il a fait
affez généralement fortune. C'est une imitation
fort exacte du jargon à la mode aujourd'hui
dans nos Cercles les plus renommés. H
eft à craindre que les Spectateurs de Province
ne le comprennent pas auffi facilement
que les Habitans de la Capitale , &
que fi d'ici à quelques années le goût & la
vérité produifent dans la Société une révo
lution un peu heureufe , ce ftyle fi vanté ,
tant applaudi , ne devienne une énigme dont
le mot foit impoffible à donner..
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 4 Novembre , on a donné la
première repréfentation des Amours de Chérubin
, Comédie en trois Actes & en profe ,
mêlée de mufique & de vaudevilles.
Malgré les nombreufes critiques que l'on
a faites du Mariage de Figaro , en dépit des
épigrammes , en profe , en vers , clandeftines
ou imprimées , que l'on a faites contre cette
Comédie , elle a produit une fenfation fi
140 MERCURE
générale , & fon fuccès s'eft fi bien maintenu
, que tout Ouvrage qui a eu avec elle un
rapport direct ou indirect , a excité la curiofité
publique. Les Théâtres Forains ont les
premiers profité de l'effervefcence , & par le
fecours du nom de Figaro , ont attiré la
foule. Les Amours de Chérubin ont à leur
tour procuré à la Comédie Italienne une trèsnombreufe
affluence de Spectateurs ; mais
elle a été de peu de durée. Le même jour a vû
reparoître & difparoître ce Page fi fouvent fêté
à la Comédie Françoife . A l'inftant où nous
écrivons cet article ( le 12 Novembre ) & où
nous nous mettons en devoir de faire connoître
l'intrigue de cette efpèce d'Opéra-
Comique , nous apprenons qu'il doit être inceffainment
remis au Théâtre , revu , corrigé
& confidérablement diminué , puifque
de trois Actes il fera réduit à un . Nous at
tendrons donc cette reprife pour en rendre
compte. En refondant fon Ouvrage , l'Auteur
aura vraisemblablement fait difparoître
les longueurs , les inutilités , les redires qui
ont amené fa chûte ; nos obfervations , fouvent
trop inutiles , le feroient donc encore
davantage dans certe circonftance. Il nous
refte à defirer-, lorfque nous analyferons les
amours de Chérubin , d'avoir feulement des
éloges à leur donner , & d'être difpenfés de
toute réflexion critique,
DE FRANCE. 141
ANNONCES ET NOTICES.
→
ATLAS Eccléfiaftique , Civil , Politique , Mili
taire & Commerçant de la France & de l'Europe
ou Étrennes portatives , utiles & agréables , pour
l'année 1785, vol . in - 24, de 200 pages . A Paris , chez
Beauvais , maifon de M. Lambert , Imprimeur- Libraire
, rue de la Harpe , & Frouilé , Libraire , quai
des Auguftins. Prix , I livre 4 fols broché ; avec les
Cartes coloriées , 1 livre 10 fols.
Les augmentations confidérables faites à cet Almanach
, qui a paru avec fuccès l'année dernière , donnent
une idée avantageufe de la fuite ; il remplit
exactement fon titre , & les Cartes dont il eft enrichi
réuniffent l'agréinent à l'exactitude . -
ETRENNES Provinciales , ou Tablettes du
Citoyenpour l'année 1785. Prix , 12 fols brochées, A
Paris , mêmes Adreffes que ci- deffus . 3 7
Ces Tablettes contiennent à - peu-près tout ce
qu'un Particulier doit favoir dans le commerce de la
vie & elles font enrichies de Notes curieufes & intéreſſantés
fur toutes les Provinces du Royaume.
DECOUVERTE des Principes de l'Aftronomie ,
cette clefdes principes particuliers de la Géographie ,
de la Navigation , de la Médecine , du Moral , de la
Morale , &c. &c. &c. par M. René Trottier A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Seine , F. S G. Nº . 68 .
M. Trottier dit que cette Brochure n'eft qu'un Extrait
d'un plus grand Ouvrage. « Il démontre l'abfurdité
de tous les fyftêmes Aftronomiques connus
» de nos jours ; il démontre ( c'eft M. Trottier qui
parle ) que le foleil , ni la lune , ni la terre n'exécutent
point de courfes , & n'en ont que l'appa
·
142 MERCURE
לכ
rence ; M. Trottier a découvert la clef de toutes
les Sciences , que les beaux Génies & les Savans
de toutes les Nations cherchoient en vain depuis
fi long-temps ; dès-lors cette découverte ( c'eft toujours
M. Trottier qui parle ) devient l'aurore du
plus beau jour qui ait encore lui fur l'humanité ,
» & il ne peut y avoir rien de plus intérellant que
cet Ouvrage .
සා
ככ
20
L'Auteur a cru fans doute qu'un Ouvrage dans
lequel fe trouvoient réunies tant de rares qualités ,
pouvoit fe paffer du mérite du ftyle anfi a - t'il écrit
celui- ci avec auffi peu de goût que de connoiffance
de la langue Françoiſe . Au refte , il apprend au Public
que le Gouvernement a ordonné que fon Ou- -
vrage , definé a l'Éducation de Mgr . le Dauphin ,
fût rende public , & qu'il a obtenu la pluralité des
voix ou fuffrages de l'Académie des Sciences . M. de
Fonchy vient de démentir publiquement cette dernière
affertion ; & fon défaveu doit foulager tous
ceux qui s'intéreffent à la gloire de la Société dont il
eft Membre.
OBSERVATIONS fur les deux Rapports de MM.
les Commiffaires nommés par Sa Majesté pour
l'examen du Magnétifme Animal , par M. Deflon .
A Philadelphie ; & fe trouve à Paris , chez Pierre J.
Duplain , Libraire , cour du Commerce , rue de
l'ancienne Comédie Françoife.
LES Vetales, gravées d'après le Tableau original
de J. Raoux , Peintre du Roi , par P. H. Jonais .
Prix , 4 livres. A Paris , chez M. Delaunay, des Académies
Royales de Paris & Copenhague , rue de la
Bucherie, nº . 26.
Cette Gravure eft du ton qui convient au fujet,
& rend toute l'expreffion de l'original.
DE FRANCE. 143
LES Figures des Fables de La Fontaine , gravées
par Simon & Coiny , d'après les Deflins du
fieur Jacques Vivier, Peintre , Elève de M. Cafanove
, le texte gravé , format in- 16 , papier d'Hollande.
Prix , 3 livres par Livraiſon. A Paris , chez
Simon & Coiny , Graveurs , au Bureau du Voyage
Pittorefque de la Grèce , rue Pagevin , nº . 16.
La première Livraifon de cet Ouvrage paroît
actuellement , & nous la croyons digne de l'accueil
du Public. Les Eftampes en font très - foignées , & le
texte eft gravé avec beaucoup d'exactitude & de
netteté . Il exiftoit avec des Gravures deux Editions
du Fabulifte François ; mais l'une , gravée d'après
Oudry, fort belle fans contredit , eft peu commode
par fon format in folio , & l'autre in - 8 ° . par Feffard,
eft mal exécutée. Celle que nous annonçons réunit
l'avantage du format à une bonne exécution , & les
Eftampes peuvent s'adapter à toutes les Editions in- 16
des Fables de La Fontaine , avec les Commentaires ou
fans les Commentaires de Cofte , telles que l'Edition
de M. Didot . On en promet une Livraiſon tous
les quinze jours.
LES Rubans, ou le Rendez-Vous , Opéra Comique
en un Acte & en vers , repré enté par les Comédiens
Italiens , mis en mufique par M. de Blois.
Prix , 15 liv . A Paris , chez Houbaut , Place du
Théâtre Italien.
Les deux Auteurs ont mis peu de prétention à cet
Ouvrage. Le fujet en eft foible , & le Muficien n'a
pas eu l'occafion de s'élever ; mais fa teinte générale
eft gracieufe , & plufieurs morceaux méritent d'être
diftingués.
PREMIER Recueil d'Airs , Romances , Chanfons
& Duo , avec Accompagnement de Piano- Forte ou de
Harpe , par M. de Saint- Amans , Maître de l'Ecole
144 MERCURE
Royale de Mufique N. B. Les trois premiers Airs font
tirés de la Rofière de Salency , Opéra - Comique de M.
Favart , mis en mufique par l'Auteur de ce Recueil ,
& repréfenté à Bruxelles. Prix , 7 livres 4 fols. A
Paris , chez l'Auteur , rue Poiffonnière , la cinquième
porte à gauche après le Boulevard , & Leroy, Place
du Palais Royal , Café de la Régence .
M. de Saint- Amans , dont le talent pour le Cla--
vecin & la compofition eft avantageufement connu ,
n'eft pas fait pour arranger la musique des autres,
Les morceaux qu'il publie aujourd'hui font compo
fés par lui , & ont déjà obtenu en Province le fuccès
qu'ils méritent.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes , le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
TABLE.
L'Electricité , Ode,
Charade , Enigme &
gryphe ,
Les Six Nouvelles de
Florian
97 dicité de la Généralité de
Soiffons , Logo-
Tos Comédie Françoise ,
M. de Comédie Italienne,
106 Annonces & Notices
Etat actuel du Dépôt de Men- |
APPROBATION.
115
136
139
141
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Novembre. Je n'
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
Paris , le 19 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 27 NOVEMBRE 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour être mis fous le Bufte du Prince
HENRI de Pruffe.
DANS .Cette image auguſte & chère ,
Tout Héros verra ſon rival ,
Tout Sage verra ſon égal ,
Et tout Hemme verra fon frère .
(Par M. le Chevalier de B. **, )
N°. 46, 27 Novembre 1784 G
146 MERCURE
ENVOI à Mme la Comteffe GABRIELLE
DE DIGOINE , Chanoineffe de S. Martinde-
Salles , âgée de 14 ans , & relevant
d'une grande maladie.
Vous avez l'âge de Thémire ,
Et vous la furpaffez par vos heureux talens .
Sapho vous a légué fa lyre ,
Et la meilleure des mamans
Fait naître & partage un délire
Bien préférable à celui des amans.
De vos heureux parens vous fixez la tendreffe ;
Ils ont tremblé pour vos beaux jours :
Mais Apollon vous rendant au Permeſſe ,
Va diffiper leur profonde trifteffe
Et rendre une foeur aux Amours.
( Par M. le Chevalier de P.... de Names . )
DE FRANCE. 147
LE RÉVERBÈRE ET LA CHAUVESOURIS
, Fable.
UN
Réverbère
magnifique
Réfléchiffoit les feux de fon triple foyer
Sous les voûtes d'un temple antique .
Une Chauve - Souris vint s'y réfugier.
Au vif éclat de la lumière
Vous euffiez vû l'oiſeau , fombre amant de la nuit ,
Baiffer triftement la paupière
Et fuir dans un obſcur réduit.
Mais à peine le Réverbère
De fon difque d'argent laiffe amortir les feux ,
Que la Chauve- Souris de fon trou ténébreux ,
S'élance en frémiffant , pouffe un cri de Mégère ;
Et prenant fon effor vers le globe fatal ,
Qui venoit d'offufquer la prunelle débile ,
Elle cherche à brifer fa prifon de crpal.
Mais le Réverbère immobile
Méprifa noblement le courroux de l'oiſeau ,,
Et dès le lendemain brilla d'un f.u nouveau.
ILLUSTRE GÉBELIN ! tandis qu'à ton génie
D'Albon préparoit un autel ,
Ainfi nous avons vû les ferpens de l'envie
Attaquer vainement ton Ouvrage immortel.
( Par M. Bailly , Membre du Musée de la
rue Dauphine.)
Gij
148 MERCURE
LE PRÉJUGÉ NATIONAL DÉTRUIT
Anecdote hiftorique & véritable.
LES haines Nationales naiffent & s'alimentent
communément par la guerre , plus fréquente
entre des États voifins qu'entre ceux
qui font plus éloignés les uns des autres ;
mais c'eft fur tout dans les Gouvernemens
où le peuple s'imagine d'avoir quelque part
à l'adminiftration générale , que ces haines
femblent incurables : là , il croit , par tradition
, que la haine pour les ennemis ou pour
fes rivaux eft la vertu patriotique par excellence
; & les gens éclairés n'abjurent fouvent
qu'avec peine le préjugé qui les a rendus
aveugles & injuftes à cet égard , comme le
peuple. Voici un exemple récent de cette
-vérité.
Pendant la dernière guerre , l'Efcadre Françoife
, aux ordres du Comte de Barras , avoit
débarqué quelques Troupes de terre à
Newport , dans le Rhode Island . Afin de ne
pas furcharger la place de bouches inutiles ,
on décida que les malades feroient envoyés
dans les environs ; le Capitaine B. , da Régiment
de.... , attaqué violemment de fcorbut ,
étoit de ce nombre ; & fur un ordre du
Major de l'Armée Continentale , fon quartier
lui fut affigné à fix milles de Newport ,
chez le Planteur Sir George Olivier. Le CheDE
FRANCE. 149
valier L. , neveu du Capitaine , & Sous- Lieutenant
au même Régiment , obtint la permiffion
d'accompagner fon oncle pour le
foigner , avec la promeffe d'être rappelé à ,
fes drapeaux dès l'inftant que le Service exigeroit
fon retour à Newport.
Ces deux Officiers fe mettent en route
avec un Guide qui leur fervoit d'Interprète.
En arrivant chez leur Hôte , ils furent reçus
avec une froideur qui étonna le Chevalier,
bien plus que fon oncle. Sir George demanda
à voir l'ordre qui amenoit chez lui deux
François ; & après l'avoir lû avec humeur,
il déclara qu'il n'avoit qu'un lit à donner..
Cependant , ajouta t'il , puifque l'un des
deux eft malade , l'autre qui lui fervira de
gardien pourra coucher dans fa chambre fur.
un ballot de pelleteries qui eft ici depuis
trois ans , & que cette maudite guerre m'a
empêché d'expédier en Europe. L'Interprète
rendoit les termes de Sir George au Cap ,
taine . Le Chevalier auroit pu remplir cette .
fonction , car il poffédoit très- bien la langue.
Angloife ; mais , par le confeil de fon oncle ,
il feignoit de ne pas l'entendre , afin de moins
gêner & de mieux démêler l'efprit de leur
Hôte.
Sir George Olivier , puifqu'il faut le pein .
dre , n'étoit qu'un franc égoïfte , quoiqu'il
fe crûr un profond politique , parce qu'il
haifoit les François & qu'il lifoit la gazette..
Le grand objet de la liberté prochaine de
fon pays , le touchoit infiniment moins que,
Giij
150 MERCURE
Finterruption actuelle de fon commerce &2
l'abandon forcé de la culture de fes domai
nes. Sa famille étoit compofée d'une fille &
de trois garçons , dont les deux aînés ferveient
malgré lui dans l'Armée Continentale.
Le troisième , nommé Charles , partageoit.
avec Milf Georgette , fa foeur , les foins de
la ferme & du ménage . Sir George étoit veuf.
I ordonna à fon fils d'éviter avec foin toute
liaifon avec les François ; quant à Georgette ,
toute communication avec eux lui fut abfolument
interdite . Cependant , l'état du Capitaine
exigeant des fecours affidus & journaliers
, Charles ne put en refufer quelquesuns
à la demande du Chevalier , il fe plaifoit
fur tout à prononcer avec lui quelques:
mots François qu'il avoit appris à l'Univer
fité de Philadelphie. Il avoit dix - neuf ans
comme le Chevalier ; ces raifons étoient
plus que fuffifantes pour faire naître entreeux
une amitié vive & prompte malgré les
défenfes du père , tant le befoin d'aimer eft
preffant pour deux jeunes coeurs .
Celui de Sir George , endurci par l'âge ,
étoit l'efclave foumis des anciens préjugés
de fon efprit : âgé de foixante ans , il avoit
combattu les François dans la précédente
guerre , & il s'obtinoir à voir encore des
ennemis dans ces mêmes François qui voloient
an fecours de fa patrie. Dès la première vifite
au Capitaine , il ne lui diffimula pas fa
façon de penfer à cet égard. L'Interprète
étoit en tiers : Par quel événement étrange ,
DE FRANCE. 151 K
lui dit- il , votre Souverain envoie t'il une
Armée dans nos Provinces ? Parce que
-
-
vous lui avez demandé des ſecours . Ge
n'eft pas moi , c'eft le Congrès .... Vous allez
donc conquérir nos Provinces du Sud ? -
Nous allons les défendre contre l'ennemi
commun , & vous affranchir d'un joug qui
vous eft infupportable. - C'eſt à dire, effayer
de le changer contre un autre ? -Non . - Éh !
quel fervice la France attend- t'elle de tant
d'efforts ? Votre liberté. Mais qu'y ga
gnera votre Souverain ? La gloire de fe
montrer généreux en faifant votre bonheur.
-Cette générofité eft grande , fans doute ;
mais quel en fera le prix réel ? Il femble , à
vous entendre , que les Rois d'Europe font
le bien fans intérêt , & pour le feul plaifir
de le faire . Le nôtre donne en ce moment
l'exemple de cette vertu ; & la fin de la guerre ...
La fin de la guerre amènera fans doute
des demandes confidérables ? Je n'en
doute pas. Eh , qu'exigera de nous la Frahce
? Beaucoup. - Combien de Provinces ?
-
--
Aucune. Eh , quoi donc ? -Votre
amitié. Je le defire plus que je ne l'efpère .....
Er tout à coup , changeant de converfation :
comment vous trouvez vous , demanda Sir
George au Capitaine ? Je lens , répondit celuici
, qu'un peu de laitage ou de viande fraî
che contribueroit à mon rétabliffement. -
Charles , vas dire à Georgette de faire traire
une chèvre & taer un moutor ..... Le Capitaine
, touché de ce mouvement de fenfibi-
Giv
482 MERCURE
lité , alloit en témoigner fa reconnoiffance à
fon Hôte ; mais Sir George fe déroba brufquement
à des remercîmens , en le quittant.
Le nom de Georgette , qu'il entendoit
prononcer pour la première fois , frappa
vivement le Chevalier; & à peine Sir George
fe fut-il éloigné qu'il demanda avec empref
fement à Charles quelle étoit cette Georgette.
Suivez- moi , répondit Charles , c'eſt
ma foeur , vous la verrez. Ils volent enfemble
auprès de cette aimable fille , qui travailloit
dans fa chambre. Elle fit un cri d'étonnement
à la vue du Chevalier; fon frère la
rafura , & la pria de rendre le fervice demandé
par leur père pour l'oncle de fon ami.
Georgette leva deux grands yeux bleus fur
eet ami , les baiffa foudain , & quittant précipitamment
fon ouvrage , elle les conduifit
à la prairie , où elle preffa elle mênie les
mamelles de la première chèvre qu'elle ren
contra ; enfuite elle remit le vafe à Charles ,
& elle ajouta avec grâce : ne perdez pas un
moment pour porter ce lait tout chaud à
l'oncle de votre ami. Un fecond regard jeté à
la dérobée fur le Chevalier , la fit rougir , &
elle prit la fuite avec légèreté , laiffant voir
à l'ami de fon frère une taille de Nymphe ,
& un coeur ardent pour fervir les infortunés.
Chemin faifant , le Chevalier fe fit expliquer
, ou plutôt répéter par Charles les dou
ces paroles de Miff Georgette , quoiqu'il les
eût placées déjà dans le fond de fon coeur.
Ils arrivent enfemble chez le Capitaine , &
DE FRANCE. 153
le neveu , en préfentant le lait à fon oncle ,
lui parla avec tant de feu & d'enthoufiafme
de l'aimable Georgette , que le Capitaine le
crut fou. Il l'étoit en effet , fi l'amour , &
fur- tout le premier amour , eft une folie.
Le Chevalier , élevé jufqu'à feize ans dans
une École Militaire , & embarqué depuis
trois , avoit un coeur tout neuf ; celui de
Georgette , affligé de feize ans , ne l'étoit pas
moins : à ces âges le premier coup d'oeil eft
décifif; & Georgette , la douce Georgette ,
concevoit moins que jamais pourquoi fon
père haïffoit tant les François. Ah ! qu'elle
étoit loin de ce ſentiment injufte ! Le tendre
attachement du Chevalier pour fon oncle &
pour Charles , fon frère , étoit le fujer con
tinuel de fes réflexions. Elle en concluoit
qu'il avoit le coeur excellent , & elle aimoit
déjà la France , fans que la politique eût aucune
part à ce fentiment dans le coeur de la
fille de Sir George..
Cependant la première entrevue avoit
enflammé le Chevalier au point qu'il ne cef
foit de parler à Charles du bonheur de voir
fouvent Georgette. Mais comment éluder les
ordres févères de Sir George ? Il fouffroit
impatiemment de voir la liaifon entre le Chevalier
& fon fils fe refferrer chaque jour. Si
Charles prononçoit devant lui quelquesmots
François , il étoit tancé d'importance ;
l'oncle & le neveu avoient beau lui repré
fenter que l'union actuelle entre les François
& les Américains exigeoit qu'ils parlaffent la
Gy
154
MERCURE
même langue . Eh bien , leur répondoit il, que
les François apprennent la nôtre ! Charles
repréfentoit que pour l'apprendre , il étoit
néceffaire pour des François de parler fou
vent avec un Anglois ; alors un coup - d'oeil
terrible de Sir George mettoit fin à toute
réplique ultérieure.
La févérité exceffive du père produisit un
effet tout oppofé à fon but ; les deux amis
fe virent moins ouvertement , & s'en aimèrent
davantage . C'eft dans leurs entretiens
dérobés que le Chevalier ofa propofer à
Charles d'y appeler Georgette. Vous ferviriez
, difoit-il , d'Interprète dans les leçons.
d'Anglois & de François que nous nous don
nerions tous trois ; elle ignore ma langue
encore plus que je n'ignore la fienne ; & fi
jainais mon refpe &t pour cette aimable foeur
pouvoit s'égarer dans fes expreffions , mon
ami me corrigeroit. Quoique le bon Charles
ne vit aucun danger dans ces converfations ,
il différa cependant de les propoſer à Georgette
; mais le Chevalier revint à la chargè
avec tant d'inftance , qu'il les lui propofa
enfin. Eh ! mon père , s'écria Georgette à la
première cuverture?-11 ne le faura pas.
-
Et fi le Chevalier alloit m'aimer ? Il
ne t'aimeri pas , répliqua le naïf Charles
tranfpotté du plaifir d'obliger fon ami. Il
avoit bien reifon , le Chevalier adoroit déjà
fa four; & Georgette elle même , en témoignant
la crainte d'être aimée , ne difoit pas
vrai. Dans ces difpofitions générales de bienDE
FRANCE fif
veillance & d'amitié , peu de jours fuffirent
pour rapprocher ces trois perfonnes . Voilà
donc le trio de l'amitié bien établi à l'infçu
du père. Le premier foin des amis fut de
s'entendre , & la langue , le premier fujet
de leurs entretiens. Le loyal Chevalier fut ,
d'abord fur le point de fe trahir par la rapidiré
de fes progrès dans la langue de Georgette
; mais il s'apperçut bientôt de la faute
qu'il alloit commettre , & on en vint aux
conjugaisons des verbes .
C'est une chofe affez digne de remarque
que le premier verbe de toutes les langues
fait le verbe aimer , verbe dangereux quand
le Maître & l'Écolière font jeunes : Georgette
& le Chevalier prononcèrent avec embarras
le préfent ; mais le Chevalier , plus hardi ,
refufa obftinément de prononcer le futur ,
& Georgette ne lui en fut pas mauvais gré:
Cette intelligence , dès les premières leçons ,
indique affez quels furent les progrès des
fuivantes. Il fuffira de dire que Georgette
devenoit de jour en jour plus inquiette &
plus prévoyante pour cacher à fon père fes
entretiens fecrets avec fon frère & l'ami de
ce fière. Qu'on ne croye pas pour cela qu'ils
fuffent infidèles l'une à fon devoir & l'autre
à l'hofpitalité , ils avoient tous deux l'âme
honnête , & Charles fut toujours témoin de
leur attachement réciproque .
Le Chevalier étoit trop plein de fon
amour pour ne pas l'épancher par tour. Il fe
montroir plus attentif pour Sir George , mais
G vj
1,6
MERCURE
c'eft dans le fein de fon oncle qu'il verfoit
avec délices le fecret de fon coeur; & ce cher
oncle , tout en feignant de blâmer l'amour
du jeune homme , forma , fans le lui dire ,
le projet d'une ouverture de mariage à Sir
George ; mais il falloit auparavant détruire
fes préjugés contre les François : l'entrepriſe
étoit difficile & périlleufe. Les nouvelles que
le Capitaine recevoit de Newport , & qu'il
communiquoit à fon Hôte , avoient établi
entre eux une espèce de commerce politi
que qui étoit plus affidu que dans les commencemens.
Chaque événement de la guerre
fourniffoit à Sir George un nouveau texte
de déclamations contre ce qu'il appeloit l'am
bition de la France : arrivoit- il quelques vaiffeaux
ou quelques Troupes de cette Nation ,
il revenoit toujours à dire & à parier que
les François avoient des deffeins fecrets fur
quelque partie du Continent Américain. Le
Capitaine ne parioit point , mais il foutenoit
fermement que dès l'inftant que les Provin
ces feroient en sûreté , les François s'éloigne
roient. Cependant chaque entretien finiffant
par un peu plus d'entêtement de la part de Sir
George , ce qui occafionnoit des débats affez
vifs , il s'en falloit de beaucoup que le duo
de la politique fût auffi d'accord que le trio
de l'amitié.
Dans ces entréfaites , on apprit que l'Armée
Françoife , aux ordres du Comte de Rochambeau
, avoit joint . par un long détour ,
P'Armée Continentale fous Yorck- Town , &
DE FRANCE. 117
que l'Armée Navale des Antilles alloit pren
dre pofte à l'entrée de la baye de Chéfapéak .
Sir George , toujours aveuglé par le préjugé ,
ne vit dans ce grand projet que le deffein
qu'il avoit toujours prêté à la France , de
conquérir une partie du continent ; & en
voyant arriver à l'entrée de la nuit un Exprès.
de Newport , il ne douta pas que cet Exprès
ne fût porteur d'un ordre de rappel pour le
Capitaine & pour fon neveu.
L'Exprès s'adreffa à lui ; il court chercher
le Chevalier chez fon oncle ; celui ci repofoit
, le neveu n'étoit pas auprès de lui , il le
cherche vainement par tout , & enfin il parvient
dans la chambre de Charles , dont il
ouvre brufquement la porte. Quelle fut :fafurprife
& fa colère d'y trouver réunis fon fils,
fa fille & le Chevalier ; il enlève fa fille en la
maltraitant , il chaffe Charles & accable d'injures
le Chevalier ; ce dernier fuit auprès de
fon oncle , où Sir George le rejoint bientôt ::
c'eft là que les plus violentes imprécations
furent lancées contre la France & les François.
Le Capitaine n'oppofa à cette fureur
qu'un phlegme tranquille ; & lorfque fon
Hôte , excédé de fatigue & de rage , ne put
plus parler , il gronda vivement fon neven ,
& finit par le renvoyer . Demeuré fenl avec.
Sir George , il convint que le Chevalier
étoit bien criminel d'avoir enfreint fes ordres
; mais enfin , ajouta t'il , vous ne le verrez
plus , puifqu'il va joindre. Je fais fon
amour pour votre file ; mais je fais auffi
158 MERCURE
T'honnêteté de l'un & de l'autre , & Charles
ne les a jamais quittés.... Les voilà ces François
fì généreux , difoit Sir George entre fes
dents. Qui , ils le font , répliqua le Capitaine
, & je parie qu'après le fuccès de la
grande expédition qui fe projette , ils aban
donneront vos Provinces pour les laiffer heus
reufes & triomphantes fous l'empire de la
liberté.... Parieriez vous gros , s'écria Sir
George ? Tout ce que j'ai de plus cher au
monde , mon neveu. Que voulez vous
dire? Il aime votre charmante & refpectable
fille , promettez - moi de la lui donner
en mariage , s'il ne refte pas un feul François
dans vos contrées après que nos armes combinées
les auront rendues libres..... En vous
le promettant , répliqua Sir George , je crois
ne rien promettre.
-
-
Promettez - moi donc
ce rien. Soit , parole d'Anglois .... & ils fe
ferrèrent la main.
Les trois amis , difperfés & confternés , attendoient
, chacun de leur côté , les terriribles
effets de la colère de Sir George ;
Georgette , en proie aux larmes les plus
amères , fe défoloit dans fa chambre forfqu'elle
voir entrer fon père. Dans ce mómeur
elle fe crut more. Sir George , d'une
voix fombre & forte , lui ordonne d'écrire
à fes frères , & de leur mander tout ce qui
s'étoit paffé dans leur abfence , il n'accompagna
cet ordre d'aucune autre parole , fi ce
n'eft qu'il falloir que la lettre fut prête pour
le lendemain matin , & il fortit.
DE FRANCE. 159
Le Chevalier , revenu près de fon oncle ,
le trouva ferein & même gai , il ne favoit
à quoi attribuer ce changement foudain ; le
Capitaine lui dit alors : vous partez demain
pour l'Armée ; je vous remettrai une lettre ;
mais j'exige votre parole d'honneur que
vous ne l'ouvrirez que quand vous faurez
que les Armées de terre & de mer vont
quitter ces parages. Le Chevalier denna fa
parole , & alla tout arranger pour fen
départ.
Georgette paffa toute la nuit à écrire , recommencer
, déchirer , écrire de nouveau
la lettre pour fes frères : quel embarras pour
elle ! il falloit obéir à fon père ; il falloit tout
dire , & elle ne doutoit pas que Sir George
ne dût lire cette lettre fi difficile ; elle ignoroit
encore quien feroit le porteur.
Sir Charles aida fon ami , & dans cette
occupation le jour parut . Son père ſurvint
dès le bon matin , lui ordonna d'aller ehercher
Georgette , & de la conduire chez le
Capitaine , où il devoit donner à déjeûner
au Chevalier avant fon départ. L'heure indiquée
arrive ; Georgette tremblante paroît
pour la première fois devant fon père , le
Capitaine , le Chevalier & fon frère . On déjeure
affez triflement. Sir George demande
enfuite à fa fille la lettre pour fes frères , elle
la tire en tremblant de fa poche , & la donne
fans être cachetée. Pourquoi n'a t'elle pas de
cachet , demanda- t'il ?...... Mettez y en un.
Georgette obéit , elle la préſente de nouveau
160 MERCURE
à fon père. Ce n'eft pas à moi , dit- il , c'eſt
au Chevalier qu'il faut la remettre ; il part
toute à - l'heure pour l'Armée . Elle tend les
bras vers le Chevalier , fes genoux fléchif
fent , elle laiffe tomber la lettre , & tombe
elle même évanouie. Le Chevalier fe précipite
en larmes à fes pieds. Ce fpectacle , qui
déchira le coeur de tous les affiftans , ébranla
le fier Sir George , & regardant fixement
l'oncle , il ne lui dit que ces mots expreffifs :
Je fouhaite de perdre mon pari. On rappela
Georgette de fon évanouiffement , & le Capitaine
eut la cruauté d'exiger qu'elle temat
elle-même la lettre qu'il avoit faite pour fon
neveu. A peine l'eut- il entre les mains , qu'il
fe déroba par la fuite à la fituation terrible
qu'il ne pouvoit plus fupporter , & il partit,
1
Les regrets , la douleur , les géniiflemens
de tant de gens défolés de fe féparer ne peut
fe peindre. Suivons le Chevalier. L'affaire
d'Yorck Town ne fut pas longue ; l'un des
frères de Miff Georgette fut bleffé , & le
Chevalier en prit un foin vraiment frarernel.
Dès que la capitulation fut fignée , l'Armée
Françoife s'embarqua & cingla vers les Antilles
. Le Chevalier ouvrit alors la lettre de
fon oncle. Elle ne contenoit que ces mots :
39
Si toute l'Armée Françoife quitte le Con-
» tinent , viens fur le champ avec les fils de
» Sir George , rejoindre ton ami & tout ce
» que tu aimes le plus. Le Chevalier ,
plein d'espérance & d'amour , obtient un
paffe - port , & amène avec lui fes frères ,
DE FRANCE. 161
arrive chez Sir George ; il avoit inftruit auparavant
fon oncle , de forte qu'en arrivant,
l'oncle , Sir George , Sir Charles & Miff
Georgette furent à la rencontre des trois
Guerriers ; & Sir George s'approchant du
Chevalier , lui préfenta fa fille , en difant :
" J'ai perdu mon pari ; voilà votre époufe...
Il eft temps de fe repofer : la félicité de certe
heureufe famille s'accrût par ce mariage &
par le rétabliffement du Capitaine. Enfin
après fix mois les nouveaux époux pafsèrent
én France avec Charles , leur frère ; Sir
George Olivier , revenu de fon erreur , les
combla de préfens , & il exigea que l'enfant
que portoit fa fille fût nommé George Louis.
Cer honnête Planteur voulut aufli réparer
fon injuftice. « Les François , difoit- il fanst
» ceffe à fes enfans , font généreux comme
leur Roi ; aimez les comme je les aime
depuis que je les connois . Nous avons
beaucoup à faire pour nous acquitter en-
» vers eux & leur Souverain. »
"9
"
(Par M. Artaud. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Mariage ; celui
de l'Enigme eft Haitre , dont en ôtant les
deux lettres du milieu , restera Hure ; celui
du Logogryphe eſt Bas.
162 MERCURE
·
M
CHARADE.
ON premier très fouvent s'emploie en harmonie ;
Plus mon fecond eft gros , plus il vous fait envie ;
Pour vous offrir mon tout , un Savoyard le crie.
(Par le Vifiteur du Couvent du Buiffon de May.)
ENIG ME.
JE fuis d'une bonté reconnue infinie ,
ལ་པ་འདང
Et l'homme me terraffe & me brife de coups.
Après ce traitement , cher Lecteur , croyez-vous
Que je meurs & renais pour lui donner la vie ?
( Par M. Bouvet , à Gifors . )
LOGO GRYP HE.
AU pénible travail , à l'âge , au plaifir même
Je dois mon existence & mon pouvoir fuprême .
Jeune , vieux , foible , fort, grand , petit , fujet , Roi ,
Tous tombent fous mes coups , tous fubiffent ma loi.
Si je femble plier devant un art magique ,
Ma vengeance eft certaine & mon retour tragiques
Tu fiiffonnes , Lecteur ! ce n'eft pas fans raiſon :
Oui , ton corps de mes traits fentira le poifon :
Je t'avois précédé quand tu vis la lumière ; ……. -
Je dois fermer un jour ta débile paupière.
DE FRANCE. 163
Alors ton teint livide & ton front fillonné
Feront couler les pleurs d'un ami confterné.
J'ai fept pieds , que tu peux déranger à ta guife :
D'abord tu trouveras l'oppofé de franchiſe ;
Deux villes ; la première eft en Franche- Comté ,
La feconde , Normande , a titre de Comté ;
L'appui de la fortune. En veux- tu davantage ?
Eh bien , dérange encor : que vois- tu ? Ce qu'un Mage
Offrit à ton Sauveur ; un ton ; ce nom pompeux
Que porte un Noble Anglois ; ce qu'un corps lumineux
Produit ; ce qu'un Acteur avant tout doit apprendre, "
Une rivière en France ; & fi , pour me comprendre , 12
Tu defires encor quelque chofe de plus , 3829, 1950s
Mon tout en un inftant
peut te rendre perclus."
( Par M. de Fontenai , Capitaine de Dragons. )
7
RÉPONSES A LA QUESTION :
" Ef- ce une jouiffance plus douce pour
» un coeur bien amoureux ,
d'enrichir fa
maitreffe , que de tenir d'elle fa fortune ? »
10
1
1.
JE ne fais fur cepoint comment l'efprit raifonne ;
Mais j'écoute mon coeur. Or , en amour , il croit
Que le plaifir que l'on reçoit
Ne vaut pas celui que l'on donne.
( Par M. Sallais. )
164
MERCURE
I I.
UN AMANT eft heureux d'enrichir ce qu'il aime :
L'amant qu'on enrichit eft plus heureux encor.
Le premier craint toujours d'être aimé pour fon or ;
L'autre est toujours certain d'être aimé pour luj mêmes
(Par M. Theveneau. Y
III.
En s'uniffant à moi , qu'Aglaé m'enrichiſſe ,
L'amour-propre murmure & l'Amour est heureux ;
Que je faffe pour elle us pareil facrifice ,
L'amour-propre & l'Amour font fatisfaits tous deux. -
Par M. Châtelain , Contrôleur des Aydes. Y
IV.
S'IL we faut choisir en ce jour ,
Enrichir mon Amant auta la préférence ;
Si je lui devois tout , je craindrois que
Ne für diflrait par la reconnoiffance.
l'Amour
(Par Mile Eléonore D.... )
V.
SANDIS , être adoré pour des bienfaits réçus ,
Vous appelez céla félicité fuprême !
Jé tremblerois toujours qu'on n'aimât mes écus ;
J'aimé mieux être aimé moi - même.
(Par M. Ourry , Négociant. )
DE FRANCE.
165
V I. VI.
DAMON , riche & galant , aveugle en fa tendreffe ,
Court porter chaque jour aux pieds de fa maîtreffe
Sa fortune & fon coeur ; mais Valère fans bien
Tient tout de la maîtreffe , & ne lui donne rien.
Quel eft le plus heureux ? Deux mots lefontconnoître :
Damon fe croit aimé , Valère est sûr de l'être .
VII.
JE fuis bien sûr de mon amour
Pour la jeune & belle Climène ;
En fuis je payé de retour ?
La chofe n'eft pas fi certaine :
Mon coeur pourtant s'en eft flattés
Mais , hélas ! l'infidélité
Eft dans ce fiècle fi commune
Qu'il faut pour ma fécurité
Que l'Amour faffe ma fortune.
་ ་ ་
( Par M. B. M. Cabarrus . )
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE.
"
Quelle conquête doit le plus flatter une
» Belle ? La conquête d'un coeur qui repouffoit .
» l'amour , ou celle d'un coeur qu'elle enlève
» à une rivale ? »
166 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DÉLASSEMENS de l'Homme Senfible , ou
Anecdotes diverfes par M. d'Arnaud .
Tome III , Parties & 6. A Paris , chez
Auteur , rue des Poftes , près l'Eftrapade ,
maifon de M. de Fouchy , & la Veuve
Ballard & fils , Imprimeur du Roi , rue
des Mathurins.
IL n'eft pas étonnant que ce Recueil ait
eu le fuccès de tous les Ouvrages de fentiment
qu'a publiés M. d'Arnaud , l'intérêt &
la variété des morceaux qui le compofent ,
doivent plaire à tous fes Lecteurs. Le ton de
morale qui y règne , y ajoute un prix que le
Roman pourroit toujours avoir , mais que
malheureufement il n'a pas toujours , & le
rend très utile à la jeuneffe , qu'il peut inftruire
en l'amufant.
La première fur tout des deux Parties que
nous annonçons , c'eft à dire , la cinquième ,
offre une lecture des plus aurachantes. Norf
ton & Suzanne , ou le malheur , qui commence
cette cinquième Partie , infpire la
terreur la plus profonde. Suzanne & Norfton
font deux époux fans fortune , mais vertueux
: leurs befoins ne font qu'augmenter
malgré leur ardeur pour le travail , leurs
DE FRANCE. 167
dettes s'accumulent , & ils fe trouvent en
proie aux plus bárbares créanciers . La jeune
femme eft jolie , pas un bienfaiteur honnête
ne fe préfente ; mais elle eft environnée de
féducteurs. Parmi ces derniers fe trouve un
Jonathan , dont le coeur eft auffi dur & vicieux
que fa paffion pour Suzanne eft criminelle.
Il offre des bienfaits ; mais à une condition
qui eft rejetée avec l'indignation d'un
coeur vertueux. Suzanne cache ce fecret à
fon mari , qui , déchiré par le fpectacle de
fa femme & de plufieurs enfans manquant
de tout , va folliciter la charité de fon Pafteur.
Il trouve chez lui , non pas le refus
infultant d'un riche fans humanité , mais la
ftérile pitié d'un Prêtre hypocrite. Cependant
l'infortune des deux époux eft à fon
conble; la fenfible Suzanne ne pouvant fupporter
la vue de fon mari & de les enfans expirans
dans le befoin , fort de chez elle ,
égarée par la douleur & le défefpoir , dans le
deffein d'implorer pour eux la charité du
premierhomme fenfible qu'elle rencontrera.
Mais en traverfant un petit bois voiſin de
fa maiſon , c'elt Jonathan qui s'offre à fes
yeux , une bourfe à la main. Suzanne veur
fuir , fa foibleffe la fair tomber fans connoiffance
; cet homme fans délicateffe abufe
de fon évanouiffement , & confomme fon
crime. La malheureufe victime de fa fcélérareffe
n'ouvre les yeux que pour tomber
dans le plus affreux défefpoir. Elle famaffe
Por que Jonathan a luiffe , retourne dans fa
168 MERCURE
maifon , & jette la bourfe au milieu de fes
enfans , en s'écriant : voilà le fruit da crime.
Norfton , accablé de ce nouveau malheur.
mais reconnoiffant l'innocence de fa femme ,
croyoit au moins avoir epuife fon infortuue ;
mais à peine a-t'il pourvu aux befoins de fes
enfans , à peine a - t'il fatisfait les avides
créanciers , qu'il le voit emprisonné avec la
famille comme faux monnoyeur . La bourfe
que Jonathan avoit donnée étoit pleine de
faux louis fabriqués par lui même. L'innonce
des deux époux eft reconnue ; & le perfide
Jonathan eft puni de tous les forfaits ;
mais ce n'eft qu'après la mort de Norton &
de Suzanne , qui expirent de défefpoir & de
chagrin.
La nouvelle fuivante , intitulée : Les vrais
Plaifirs , offre d'abord la même fituation ,
c'est- à- dire , l'innocence & la vertu dans le
malheur; mais avec un réfultat bien difféfent
, & qui repofe l'âme du Lecteur , tourmentée
par l'hiftoire précédente. C'eft un
jeune homme qui , rencontrant une jeune
& jolie perfonne qu'on lui offre à prix d'argent
pour fecourir une famille tombée dans
la plus profonde misère , préfère aux plaifirs
qu'il pourroit acheter , celui d'être le bienfaiteur
vertueux de l'innocence infortunée.
On voit que la fenfibilité de l'Auteur des
Delaffemens le porte à une indulgence aimable
, qui fe manifefte fouvent comme
nalgré lui. Tel eft dans l'Anecdote intitulée ,
La Reconnoiffance , le morceau où'il juſtiſe
une
DE 169
8
FRANCE.
une très- pauvre femme de fon attachement
pour fon chien : « Une pauvre femme fans
» párens , fans amis , abandonnée à fa mi--
» sère , aux maux inféparables de la vieilleffe
, n'avoit pour unique fociété , pour
» toute confolation , qu'un chien auquel elie
» étoit extrêmement attachée. Tous les jours
» on fe livre à la dûreté & à l'injuftice d'ac
» cufer ces infortunés obfcurs , d'aimer des
» animaux ; eh ! la fentibilité n'eft elle point
de tous les rangs , de toutes les condi-
» tions ? N'eft ce pas un de nos premiers
"
befoins que celui d'aimer & d'être aimé? )
» Comment ces malheureux le fatisfe-
» roient- ils ; ce befoin inhérent à notre na-
» ture ? Ils n'éprouvent de notre part que
» de la froideur , de l'indifférence , & quelquefois
le mépris & l'infolence homicide
» de la fortune. Qui reçoit leurs larmes ,
» leurs careffes ? Qui fe prêre à leurs accès
» de mauvaiſe humeur , ( il eft rare que l'ins
و د
ود
ود
digence fouffrance n'entraîne point avec
elle ce défaur ) ? Qui , en un mot , leur
témoigne cet intérêt , cet attendriffement
, une des plus nobles fenfations de
l'existence ? Un miférable chien dont ils
» ont fait leur ami , qui partage avec une
» reconnoiffance inexprimable le morceau
de pain qu'ils mendient , & qui fouvent
eft arrofé de leurs pleurs ; il paroît les entendre
, il leur voue fa fidélité incorrup-
» tible ; quand une fois il s'eft décidé à leur
Nº . 48 , 27 Novembre 1784, H
"
170 MERCURE
"
engager fon attachement , il ne les quitteroit
pas pour aller fervir l'homme le plus
riche , & c. "
3
M. d'Arnaud , préférant le plaifir d'être
utile à celui de faire briller fon talent , a
terminé cette cinquième Partie de fon Recueil
,
pat 10 &ZRUNE
morceau de l'Hiftoire
du Bas-Empire par M. le Beau ; ce fragment
, qui offre le plus beau réſultat de morale
, & qui peut être comparé aux plus
beaux morceaux des meilleurs Hiftoriens
connus , eft le tableau de la Sédition d'Antioche.
Nous invitons nos Lecteurs à le lire
dans l'Ouvrage même.
La fixième Partie , quoique inférieure à
celle dont nous venons de parler , offre encore
plufieurs morceaux intéreffans . Il y a
auffi quelques Anecdotes agréables , qui , par
la gaîté de la narration , ſemblent vouloir
juftifier M. d'Arneud du reproche qu'on lui
a fait de fe plaire à multiplier dans fes Quvrages
les tableaux fombres & attriftans. Ce
qu'il y a de plus vrai encore , c'eft que tous
refpirent la fenfibilité la plus vraie , & fouvent
la plus énergique.
J Z
Sap
DE FRANCE. 171
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
MARDI ARDI 16 de ce mois , on a donné fur
ce Theatre une repréſentation de l'Armide
de M. Gluck , dans laquelle Mlle Saint-
Huberty a joué le rôle d'Armide , rendu dans
fa nouveauté avec tant de fuccès par Mlle
Levaffeur. Toutes les fois qu'une grande Actrice
fe chargera d'un rôle ancien , fufceptible
de grands effets , elle le rajeunira & le
renouvellera pour ainfi dire , parce qu'elle
le rendra d'après elle même , & qu'elle
afforti à fes vûes
& à fes moyens. Celui d'Armide , marqué
d'un bout à l'autre par des intentions fpirituelles
& paffionnées, étoit bien digne d'exercer
la profonde intelligence & le talent
fupérieur de Mlle Saint Huberty ; auffi
voit -on qu'elle l'a étudié avec foin ; elle y a
mis un mouvement & une variété de nuances
qui ont été vivement fentis , & lui ont
mérité les applaudiffemens les plus vifs
& les plus univerfels . Elle a parfaitement
fenti que le caractère de fierté qui diftingue
Armide doit être à chaque inftant
adouci par les mouvemens de la paffion
dont elle eft animée . Si le caractère de
fon organe n'a pas toujours répondu à fon
lui donnera un caractermo
Hij
172
MERCURE
fentiment dans quelques inftans de force &
de herté , elle n'a prefque rien laille à defirer
dans les momens fenfibles & paffionnés .
Toujours à la fcene, & en fituation , elle
fembloit
aninner
fon jeu le jeu
encore
des Acteurs en feène avec elle ; elle a rendu
avement
le plus jufte le monologue
le
auffi difficile à bien
jouer
qua bien chanter :
Enfin il eft en ma puiffance , &c. On ne peut
nil
trop louer l'art infini qu'elle a montré dans
la fcène & le monologue qui termine le
cinquième Acte , dont l'exécution eft fi pélneinbclee
desunta par la vio durée & la
qui s'y fuccèdent.
Nous ne diffimulerons pas qu'il y
a eu quelques endroits où elle n'a pas cu
dans fan chant & dans fon action l'à plomb
& la precifion qu'on a droit d'attendre d'elle,
mais nous fommes perfuades qu'elle l'a
mieux que nous , d'autant que ces inattentions
& ces défauts , fi difficiles à éviter dans
un grand rôle qu'on joue pour la première
fois, ont déjà prefque difparu à la feconde
re réfentation.
Le feur Rouffeau qui , par fon zèle & les
progrès , devient de plus en plus agréable au
Public , a joué avec intelligence & chanté
avec beaucoup de goût le rôle de Renaud,
Sans parler de plusieurs morceaux où il a
été généralement applaudi , il a joué avec
autant de fenfibilité que de vérité la dernière
feène avec Armide ; il a chanté avec
une grâce touchante la fcène & le duo qui
DE FRANCE. 2153
cominence le cinquième Acte ; le parfait
enfemble qu'il y a eu entre cet Acteur &
Mlle Saint Huberty ont excité des applau
diffemens univerfels & redoublés à plufieurs
repriſes.
3
Les choeurs ont été en général chantés
& joues avec un enſemble & une préciſion
qu'on n'avoit pas trouvés aux dernières
reprifes de cet Opera. La partie de l'orcheftre
a été exécutée avec toute l'intelligence &
la chaleur qu'on pouvoit defirer. Les Ballets
ont été remis avec foin , & les premiers
fujets de la danfe s'y font diftingués à l'envi ;
mais nous ne pouvons nous difpenfer de
dire que le fieur Gardel , dejà fi fupérieur
dans un genre précieux où les grands talens
feront toujours rares , s'eft furpaffé lui - même
dans la chaconne du cinquième Acte , &
qu'il y a obtenu les applaudillemens les plus
flatteurs & les mieux mérités.
Certe réunion de talens & de zèle a donné
à cet Opéra tout l'effet d'une nouveauté , &
Taffluence,déjà très confidérable à la première
repréfentation , a augmenté à la feconde.
Il nous refte à faire ici une obfervation
critique fur un jeu de Theatre qui à bleffé.
beaucoup de gens de goût. Dans la dernière
Scène du troisième Acte , à ces mots prononcés
par la Haine , & répétés par le choeur
des Demons :
Sors , fors du fein d'Armide : Amour , brife ta chaîne.
L'Actrice qui repréfente la Haine , s'appro-
H iij
174 MERCURE
che d'Armide, & la faifit par le corps avec
une violence & des mouvemens aufli contraires
à la vérité qu'aux bienféances ; les Démons
de l'autre côté ne manquent pas de
répéter cette action , qui , de leur part , de
vient encore plus choquente. Il eft abfurde
que la Haine perfonnifiée prétende faire
fortir l'Amour du fein d'Armide , en lui déchirant
la poitrine , apparemment pour y
entrer à fa place ; il eft également abfurde
que des efprits malins toujours aux® ordres
d'une Enchantereffe , fe permettent
de telles familiarités avec leur Souveraine.
Nous ignorons ce jeu de eft une
Theatre
ancienne tradition ; mais nous croyons qu'il
ne peut être juflifié par aucun principe de
goût ni de raison.
LE Jeudi, fuivant , 18 , on a donné une
répréſentation de Renaud , dans laquelle
Mlle Dozon a joué le rôle d'Armide. Son
premier effai , dans ce rôle , n'a pas été
auffi complettement heureux que fon debut.
On a eu beaucoup de reproches à lui faire
dans le premier Acte , & pour fon chant &
pour fon action ; mais elle s'eft bien relevée
dans le fecond Acte , où l'on a admiré
& vivement applaudi les difpofitions & les
talens extraordinaires qu'elle a déployés avec
tant de fuccès dans Chimène. Si elle n'a pas
produit le même effet dans le troiſième Acte ,
c'eft que fon rôle dans cet Acte n'en eft pas
fufceptible.
DE FRANCE. 175
Nous n'entrerons ici dans aucun détail fur
les éloges & fuf les critiques qu'elle a mérités
à cette première repréſentation: Nous attendrons
qu'une feconde lait mife à portée d'éviter
les fautes ou elle est tombée & de mettre
plus deprécision & d'à -plomb dans l'enfemble
de fon rôle de
at obrisiq, sodiumolog shish £f sm
COMÉDIE FRANÇOISE.
de tramalags fra li zorla el ángr
L'AUTEUR de Cléopatre , qu'on a donnée
Samedi 13 de ce mois , occupe un rangetrop
diftingue dans la Littérature moderne , pour
que la repréſentation de fon Ouvrage air pu
trouver des Spectateurs indifférens. Il étoit
naturel que tout Juge impartial s'intéreſsât
vivement à fes beautés , & que la malignité
exerçâr tout fon zèle pour y découvrir des
défants . Tel eft en effet le fort que vient
d'ouver cette Tragedie! Cléopâtre , jouée
d'abord en 1730 , avoit eu onze répréfentations
máis M. Marmontel vient de la refaire
prefque en entier . Nous allons l'analyſer ici
telle qu'elle vient de paroître , afin qu'en la
comparant avec la Pièce imprimée , on puiſſe
difcurer les obfervations que nous hafar deronsns
fur cet Ouvrage.
Ventidius , ami d'Antoine , homme franc
courageux , reproche à Cléopâtre le malheur
de fon ami , & lui annonce que le Sénat
Romain eft indigné de l'amour de ce Héros.
Cléopâtre promer de le rendre à fon pays ,
Hiv
176 MERCURE.
à la gloire ; mais l'entretien qu'elle a avec lui
ne fert qu'à rallumer fa pallion . Antoine gémit
d'avoir été vaincu par Octave ; la Reine
cherche à effacer en lur le fentiment de fa
défaite , en lui rappelant les victoires , l'entretient
fur ton de la rendreffe qu'elle a pour
luis & l'on voit qu'Antoine eft difpofe à tout
facrifier à fon amour. Cependant Ventidius
vient annoncer l'arrivée d'Octavie , femme
d'Antoine foeur d'Octave , elle vient tâcher
de réconcilier ces deux illuftres rivaux, Cléo-
·pâtre , frappée d'abord de cette nouvelle ,
après avoir été quelque temps combattne
par la jaloufe, fe determine enfin à ceder à
› la générofité ; elle accueille Octavie‚¹ pro
met de ferénnir avec elle pour les vrais intérêts
d'Antoine.si ab antiga es , diet sono
ན
Le fecond Acte s'ouvre par une Scène
vive & éloquente entre Antoine & Venti
dius , qui veut arracher fon ami'aux fers de
•Cléopâtre Cléopâtre amène elle mênie la
fenfible Octavie , & la preſente à fon éépoux ;
Antome , refté feul avec Octavie , rend hom
mage à fa vertu , bs'abandonne au remords
qui le déchire mais fans diflimuler l'amour
dont il brûle encores Enfin elle obrient de
lui qu'il écoutera Octave , qui vient lui parler
de paix . nos amis quiorą "hodi
Cléopâtre paroît devant Octave , lui parle
avec une modération qui peut paffer pour de
l'adreffe , & le montre difpofée à facrifier
fon amour aux intêrêts de Rome & au
bonheur d'Antoine. Vient enfuite l'entrevue
SIDE FRANCE
.
177
d'Antoine & d'Octave. Ces deux fuperbes
rivaux luttent , pour ainfi dire , de caractère ,
& développent leurs divers projets , Antoine
propofe à Octave de mettre bas les arines ,
& d'aller fe prefenter tous deux au Sénat en
fimples Citoyens. Ce mot de Citoyen effraye
T'ambition d'Octave, qui finit par lui offeir
la première place fous lui , L'orgueil d'An
toine s'en indigne , il vent partager le monde
avec fon rival , ou s'en remettre au fort des
combats. Enfin, ils s'accordent à fe rendre
tous deux à Rome , afin qu'elle feule en dé
cide. Alors la généreufe Octavie vient implorer
fon frère & lon époux en faveur de
Cleopatre ; elle croit que cette Reine infor
tunée fait les apprêts de la mort à ce mor ,
Antoine alarmé court auprès d'elle , & laiffe
Octave courroncé.vins pol &
An quatrième Acte , on apprend que la
paix eft rompus; qu'Antoine combat contre
Octave , & lui même arrivedéfefpéré, furieux ,
& amonce fa défaite à Cléopâtre. La Reine , à
qui la Confidente vient d'apporter des afpics
dans une urne remplie de fleurs , propoſe à
fon amant de mourir avec lui , en fe faiſant piquer
par ces reptiles dont le venin donne une
mort prompte & fans douleur. Comme ils
font for le point d'effectuer leur projet, ils font
interrompus par Ventidius, qui leur apprend
que trois Légions Romaines veulent fauver
Antoine , en fuyant avec lui ; mais le temps
preffe, & il faut que Cléopâtre abandonne
le projet d'accompagner Antoine dans fa
Hv
178 MERCURE
fuite , parce qu'elle fe trouve chargée de la
haine des deux partis. Cléopâtre veut fe
facrifier à fon amant en renonçant à le fui
vre , lorsqu'un biller apprend à Antoine
qu'Octave a refolu d'emmener à Rome Cléo
pâtre enchaînée à fon char. Antoine , indigné ,
craindroit d'être accufé de lâcheté fifa fuite
livroit Cléopâtre à Octave , & il veut la fanver
ou périr avec elle. obdog.94
7.
Au cinquième Acte , Cléopâtre ne voit
d'autre moyen pour décider Antoine à fuir
fans elle , que de faire courir le bruit de la
mort. Elle fe réfugie dans les Pyramides , &
delà elle écrit à Octavie qu'elle a ceffé de
vivre pour fauver Antoine. Cette lettre le
plonge dans le plus affreux défefpoir , la fen
fible Octavie cherche à le confoler ; mais
Octave , qui a foupçonné le ftratagême de
Cléopâtre , vient dire à Antoine qu'elle le
trahit , & qu'elle eft encore vivante. En
effet , elle la fait arracher de l'afyle où elle
étoit cachée . Le malheureux · Antoine la
voyant arriver , ne doute plus de fa trahifon
, & fe tue avant de lui avoir parlé. Mais
avant d'expirer , il a le temps d'apprendre
que Cléopâtre eft innocente au moins envers
l'amour , elle porte la mort dans fonfein ,
& vient mourir aux genoux d'Antoine.
On voit , par cette analyfe , que M. Marmontel
a fait dé très - grands changemens
cette Tragédie ; il a beaucoup retranché &
ajouté, il fait mourir hors de la Scène Cléopâtre
; il a fupprimé un perfonnage , Cefarion,
>
DE FRANCE. 179
fils de Cléopâtre & de Célar, & il en a inroduit
un nouveau, la femme d'Antoine , perfonnage
très difficile à mettre fur la Scene Françoife.
Les trois premiers Actes ont obtenu les applaudiffemens
les plus univerfels , & mérité
la plus grande eftime ; les deux derniers n'ont
pas réuffi d'abord. On a blamé le foin que
prend Cléopâtre de faire porter fur une table
, par fa Confidente , l'urne qui renferme
les afpics ; précaution à laquelle on a trouvé
un air d'apprêt & d'affectation. Mais ce qui
a elfuyé le plus de critiques , c'eft le rôle de
Cléopâtre. Ce caractère , tel qu'il nous eft
trace par PHiftoire , ne feroit peut être pas
fupporté fur notre Scène. D'après cela , M.
Marmontel a cru devoir en changer la phy
honomie ; au lieu de la repréfenter comme
une coquette ambitieufe , il en a fait une
ainante fidelle.
S'il nous eft permis de propofer quelques
doutes à l'Auteur de cet eftimable Ouvrage ,
uous aurions voulu , puifqu'il étoit décidé à
adoucir le caractère de Cléopâtre , à lui donner
un amour vrai , fincère , nous aurions
voulu qu'il eût éloigné d'elle tout ce qui peut
la faire foupçonner d'artifice . Cléopâtre ,
dans la Tragédie , aime véritablement Antoine
, puifque dans un moment où elle doit
parler d'après fes propres fentimens , c'eft
à- dire , dans un monologue , elle s'écrie après
avoir rappelé les charmes de fa rivale Octavie
:
Mais eft-elle fenfible & tendre comme moi ?
H vj
瘫
180 M. Marmon RCURE G
hui a donc donné
amour
vrai pour fon amant , cependant tout ce qui
l'environne , les difcours d'Octave , de Ventidius
, femblent perfuader , ou rappellent
du moins qu'elle n'eft qu'artificieufe. One
voit que l'Auteur voudroit tout- à la fois
conferver la phyfionemie du perfonnage ,
pour refter fidèle à l'Hiftoire , & donner de
la fincérité à Cléopâtre , pour jeter plus d'in
térêt dans fa Pièce. Dela vient que cette Reine
montre un caractère indécis. En un mot"
dans le changement que l'Auteur a fait à ce
caractère , il nous femble avoir trop our trop
peu ofé.
070-200m ,noiniqɔ S
Le rôle d'Octavie , quiqucomme nous
l'avons déjà dit , étoit fi dificile à préfenter
fur notre Scène, a trouvé auffi des contradic
teurs. Nous avouerons que fa générolité nous
a pau exagérée , & par conféquent peu naª
turelle , quand elle vient implorer fon époux
en faveur de Cléopâtre. S'il y avoir quelque
motif qui lui fit un devoir de cette démar
che , elle feroit intéreffante & dramatique ,
mais ſe charger gratuitement de ce foin , c'eft
outrepaffer un peu les bornes de la généro
fité & meriter le reproche d'invraiſerblance.
Voilà des obfervations que nous croyons
devoir foumettre à M. Marmontel lui même ;
ce qui nous confole un peu de la néceffité de
les mettre au jour , c'eſt que ces défauts , s'ils
font réels , ne nous femblent pas impoffibles à
corriger ; on peut s'en rapporter , pour les
779
DE FRANCE. 181
faire difparoître , a un Litterateur aufli confonume
, qur , nourri des grands modèles , a
paffé de longues années à donner par les Ouvrages
des leçons de goût & des
talent. Slusions up
des preuves de
Sitavec D
plus de plaifir que nous
allons parler du mérite qui diftingue cet
Ouvrage, Le rôle d Octavie eft plein de
traits de fenfibilité. Une partie du Public a
pente qu'on ne pouvoit pas voir avec plaifir
fur la Scène la femine & la maîtreffe du
même Perfonnage. Sans vouloit difcuter
cette opinion , nous croyons que nous por
t
tons au Theatre
une delicateffe
exagérée
, ce
qui occafionne
fouvent
d'injuftes
critiques
.
Notre imagination
felaiffe
difficilement
conduire
, où le Poëre dramatique
veut nous,
tranfporter
, & fouvent
nous ne mettons
pas allez de difference
entre des moeurs
étrangeres
& des moeurs
invraisemblables
.
L'Auteur
de cet article a vu au Théâtre
Ita
lien le Parterre
indigné
contre
Soliman
( dans les trois Sultanes
) , qui lailfort
tomber
une jolie femme
à fes genoux . On vou
loit que le grand Turc eût la galanterie
d'un
François
.
Nous ajouterons une réflexion particu
lière au rôle d'Octavie. C'eft que le divorce
chez les Romains étant autorifé par les
Loix , le mariage y étoit bien moins facié :
or la maîtreffe d'un Romain pouvant en un
moment prendre la place de fa femme, les
182 MERCURE
convenances en pareil cas doivent être moins
rigoureufes .
Antoine eft un caractère très dramatiquement
tracé , il eft par - tout paffionné , & l'on
retrouve dans tout fon rôle l'homme qui
s'eft peint d'abord lui - même par ces deux
vers:
L'Empire étoit à moi , j'en étois idolâtre ;
Il ne put dans mon coeur balancer Cléopâtre .
Les derniers mots qu'il prononce refpirent 1
la paffion. A peine a - t - il entendu Cléopâtre
fe juftifier qu'il fe foulève en écartant , pour
ainfi dire , les ombres de la mort , & s'adreffant
à Octave , il s'écrie d'une voix défaillante
: Eh bien , fuis je trahi ?"
Octave eft un perfonnage fi important
dans l'Hiftoire qu'on auroit voulu lui voir
jouer un plus grand rôle dans cette Tragé
die ; mais il faut obferver qu'ici il doit être
fubordonné au caractère d'Antoide. Atreft ,
le portrait que tracent de lui dans plufieurs
'endroits Antoine & Ventidius eftfait de main
de maître.
Quant au ftyle , on y remarque , nous ne
dirons pas de beaux vers comme dans tant
de pièces mal écrites , mais de belles tirades.
La verfification n'y eft jamais défigurée par
le mauvais goût , comme l'action n'y eft
furchargée d'aucun incident épifodique ; ce
font les caractères qui forment l'intrigue &
amènent les fituations ,,& l'intérêt y fort de
la peinture des moeurs : en un mot ,
la
DE FRANCE. 183
Pièce eft dans les vrais principes de l'Art
Dramatique , & ces exemples- là ne font pas
inutiles à donner aujourd'hui .
Pour la moralité , cette Tragédie offre un
des plus terribles exemples des défordres &
des malheurs que peut caufer un amour exceffif.
M. Marmontel femble avoir voulu
remplir le titre de Dryden , qui en traitant
le même fujet a intitulé fa Pièce : Tout pour
P'Amour.
Si l'on ajoute à ces éloges que M. Marmontel
dans cette. Tragédie a montré la plus
profonde connoiffance & tracé les plus brillans
tableaux de la fituation & de la politi
que des Romains à la grande époque où il a
puifé fon fujet , on conviendra que fans un
grand effort de philofophie il pourra fe confoler
de n'avoir pas eu une réuffite complette.
S'il n'a pas eu le bonheur de faire une Tra
gédie qui ait obtenu un fuccès d'affluence , il
aura toujours donné un Ouvrage qui fait
honneur à fon talent , eftimé par tant d'autres
productions littéraires .
A la feconde repréfentation , les deux der
niers Actes de cette Tragédie ont été beaucoup
plus heureux. On à fupprimé l'apparition
de l'urne , ce qui , joint à quelques re
tranchemens , en a fait reffortir toutes les
beautés de détails . Le troisième Acte a paru
un peu appauvri , venant fur tout après
le fecond , qui eft d'une beauté vraiment
fupérieure; mais quel que foit défor
184
MERCURE
3.1
mais le fort de cet Ouvrage , il ne peut rien
ôter à l'estime que fon Auteur a toujours
confervée à tant de titres differens.storm of
( Cet Article n'eft pas du Rédacteur ordinaire. )
aciqinätuni Stogong nolup sestvoć
iq no 1920's son
ANNONCES ET NOTICESoc
ཉ . aclarvalop ziua , el en
NOUVELLE Edition Grecque & Françoife des
OEuvres complettes d'Homere , Traduction nouvelle
, dédiée au Roi , par M. Gin , Confeïller” ¹à
Grand Confeitildid, mol 19mol meiob up 257413
by
au
Cette Edit on en buit Volumes in- 29. papier
fuperfin & Annonai , grand raifin des Preffes de M.
Didot l'aîné , ne fera tirée qu'à cinq cent Exem
plaires , dour deux cent avec le Texte Grec , auquel
M. Didot confacre les prémices d'un Calitere
Gree, que Firmin Didor, fon fils , déjà connupar fes
Caractères Italiques , doit graver inceffamment
Elle fera ornée de quarante huit Eftampes & de
deux Frontifpices exécutés par les meilleurs Maitres
fous la Direction de M. Ponce , Graveur de Mgr.
Comte d'Artois , & fur les Delfins de M. Bomer,
de l'Académie Royale de Peinture. On y jondra
une Carte Géographique , par M. Mentelle , Hiftoriographe
de Mgr. Comte d'Artois . On ne demande
aucune fomme d'avance , mais feulement l'engagement
de payer chacun des Volumes à mesure qu'ils
paroîtront. On donnera deux Volumes au moins par
année. Les Soufcripteurs jouiront des premières
Epreuves. Le prix de la foufcription eft de 36 livres
par Volume de la Traduction avec Carte & Eftampes
, & de 18 livres en fus pour chaque Volume
qui contiendra le Texte Grec .
022
La foufcription est ouverte depuis le premier No
• ferafermo
NGE
. 185
vembre,& qu'au premier Avril 1785 ,
chez M. Dido: FaineImprimeur Libraire , rue Pavée-
Saint-André , chez lequel on trouvera des Profpectus
de même format, papier , caractère que l'Édition. {
BIBLIOTHEQUE Univerfelle des Dames . Cet
Ouvrage, qu'on propofe par foufcription , ne pouvoit
trouver un plus heureux à propos . Les femmes,
pour plaire aujourd'hui dans le monde, ont befoin
d'être plus inftruites qu'autrefois d'un autre côté,
les devoirs de la fociété , les plaifits mêmes s'étant
multipliés autour d'elles , combien n'eft- il pas
effentiel qu'elles foient dirigées fur le choix des
Livres qui doivent former leur Bibliothèque . Sans ce
choir , on fait qu'on peut employer beaucoup de
temps à la lecture pour en retirer fort pen de profit.
Ceft le motif qui a fait entreprendre à une
Société de Gens de Lettres l'Ouvrage que nous an
nonçons, & qui , regardant la plu belle moitié de la
10
ciété , doir par-là même intéreffer la Société entière.
Cerre Collection renfermera tout ce que pens
vent fournir de connoiffances utiles & agréables;
les Voyages , Hiftore , la Philofophic , les Blles
Lettres , les Sciences & les Apps.b norberictal pro
Quant à la fornie des Volumes, on s'eft décidé
pour celle qui eft la plus portative on a adopté le gl
format
in
1890s
On les dé ivrera reliés en veau écaillé ,
avec ficts & tranches dorées On veut que cette
Collection puiffe fe tranfporter aisément & fans
dans les plus longs voyages, on veut ens
de fallon , & qu'on
embarras dans ICS P
core qu'elle forme un 2005 2950 un ornement de ſal
puiffe enfin ne s'en féparer jamais. ༡༤ )
A compter du premier Avril 1785 , il paroîtra
vingt - quatre Volumes par année ou deux Volumes
par mois , qui feront dé ivrés francs de port à MM.
les Scufcripteurs les premier & 15 de chaque mois.
Les Volumes feront compofés d'environ 300 pages,
186
MERCURE
que
reliés en veau écaillé ou fauve , au choix des Soutcripteurs
, & dorés fur tranche. On les délivrera
brochés aux Soufcripteurs de Province , attendu
la pofte ne fe charge point de livres reliés à moins
toutefois qu'ils n'aiment mieux faire prendrentes
Volumes au Bureau , ou indiquer la manière des les
leur faire parvenir reliésung's Justu smâm ɔl are
a
Ceux des Souferipteurs qui voudrone Pouvrage
relié , payeront en foufcrivant poinvinge quatre
Volumes, la fomme de 72 livresjndungpour lademiannée
la fomme de 36 livres Ceux quiles prendront
brochés payeront également pour la demiságnée
27 liv. pour Paris , & 30 livres fols francs déport
pour la Province. nonih levnON G115) "
On adreffera les lettres d'avis , franches de port,
avec le reçu du Directeur des PoftesyAu Directeur de
Ja Bibliothèque des Dames , à Paris , rue d'Anjou , la
deuxiènie porte-cochère à gauche par la rue Dauphine.
On foufcrit dès- à-préſent pour la demi-année , ou
même pour l'année entière. Le Bureau ferà ouverr
tous les matins depuis neuf heures julqu'à une heure ,
excepté les Dimanches & Fêtes. əl xamour ta k
Pour répandre plus de variété dans des différentes
Livraifons , & pour mettre un plus grand nombre
de Lecteurs à portée de s'inftruire & de s'amufer , on
fera paroitre dans le même mois des Volumes de
claffes différentes. Ou promet que les Livraiſons
n'effuyeront aucun retard , & l'on affure qu'on a
pris les mesures néceffaires pour qu'au premier Avril
il y ait au moins fix Volumes inprimés,
N, B. On offre à chacun des Soufcripteurs de
faire imprimer fon nom au frontispice de tous les
Volumes qui formeront fa collection. Ainfi , après le
titre général de Bibliothèque Univerfelle des Dames ,
le premier feuillet portera ces mots : Bibliothèque
de Madame ici. ) Ce moyen a été
imaginé pour faire rentrer plus facilement dans
DE FRANCE “ ዶን
chaque Bibliothèque les Volumes , que l'on aura
prêtésben . Sixar is
up Ubnails , univos arɔ , 3. Dc HCA
CECELLOUSMémoires d'une jeune Héritière ,
nouvellement traduits de l'Anglois , & rédigés avec
beaucoup de foin 4petits volumes Evélina ,
par le même Auteur, 2 petits volumes . AsBouillon ,
la Société Typographique, & à Paris , chez Defenne ,
au Palais Royal paffage de Richelieu & les Libraites
qui vendent les Nouveautés
Ces deux Romans onteu le plus grand fuccès en
Angleterre & en France, malgré la foibleffe de la
Traduction combien plus facilement doit réuflir
cette nouvelle Édition , où les deux Ouvrages reparoiffent
purges des fautes du Traducteur & même
de celles de l'Auteur Anglois ? L'Éditeur , en rendant
justice an balent mare de Mi Burnty obferve que
des longueurs & desiputilisés affez fréquentés dans
fes deux Romans , avoient juſtement ariné la cri
tiques Il n'en a point refondu la marche, à laquelle il
donne des éloges mérités ; mais en homme de goût,
il en á corrigé les acceffoires ; il a retouché le ftyle ;
& les heureux foins qu'il a pris pour le perfectionner,
femblentlui aurer le fuccès de fon travail , zuo“
dron busig wig on ens
LE Mercure de France, d'après le Tableau peint
par M. Lavreince , Peintre du Roi de Suède , & de
l'Académie Royale de Stockholin , gravé par Guttemberg
le jeune. 618 : A
Le fujet , d'une compofition agréable , eſt un
des mieux gravés d'après ce Peintre . Laprincipale
figure eft M. de Beaumarchais lifant dans le Mercure
l'Extrait de Figaro. Prix, 6 liv . A Paris , chez
Vidal , Graveur , rue des Noyers , nº . 29.
CARTE du Théâtre de la Guerre , comprenant les
Pays-Bas , avec partie des Provinces - Unies , ou de
188 MERCURE
3
- •
la Hollande , de Allemagne & de la France, en
deux feuilles. Prix , liv. Carte très détaillée &
à grana point des environs d'Anvers , d'Hulft, de
Saint Nicolas, d' Axel & du Sas de Gand , compre
nant auſſi le Théâtre de la Guerre , enluminée à la
manière Hollandoife . Prix , 3 liv. A Paris , chez
Defnos , Ingénieur- Géographe & Libraire du Roi de
Danemarck , rue S. Jacques , au Globe. 3
On trouve chez le même , l'Atlas du Théâtre de
la Guerre , contenant , en 18 Cartes très - détaillées ,
·les Pays-Bas & les Frontières des Provinces- Unies
avec celles de la France. Piix , 20 liv. rendu franc de
port par-tout le Royaume.
On trouve auffi chez le même , la Géographie Familière
, in- 16. Prix , a liv . 10 fols , & les Tablettes
Aftronomiques , par M. Brion , même prix.
LETTRE d'un Médecin de la Faculté de Paris à
M Court de Gébelin , en Réponse à celle que ce Sa
vant a adreffée à fes Souferipteurs , dans laquelle il
fait un éloge triomphant du Magnéifme Anima'. A
Paris, chez les Marchands de Nouveautés.
Tout ce que l'Auteur de cette Lettre a pu dire pour
prouver que M. de Gébelin n'avoit point éré guéri
par le Magnétifme Animal , eft moins concluant que
la mort funefte qui a enlevé ce Savant eſtimable ;
mais ce qu'on y lira avec plaifir, c'eft la difcuffion
des ving:-fept propofitions dans lefquelles M. Mefmer
a voulu inférer la prétendue doctrine ; ony verra que
non - feulement il y a plusieurs affertions qui fe
contreifent , & d'autres qui font du galimatias tout
pur, qu'il eft impoffible d'entendre , & que M. Mefmer
lui-même n'a pu s'entendre en les écrivant,
Le Lever des Ouvrières en Modes , peint à la
gouache par N. Lavreince , Peintre du Roi de
Suède , & de l'Académie de Stockholm , gravé par
DE FRANCE. 1891
F.Dequevauvillet . Prix , 6 livres. A Paris , chez Dequevauviller
, tuer
Hyacin
he , près la Place
Saint Michel, n° . 47 .
Gette Eftampe , qui eft d'un effet agréable , pent
faire fuite à deux autres des mêmes Auteurs que
nous avons annoncées avec de juftes éloges.
3
LBS Sabots , peint à la gouache par Lavreince ,
Peintre du Roi de Suède , gravé par J. Couché.
Prix , livres. A Paris , chez J. Couché , Graveur ,
rue Saint Hyacinthe , n°. ft.
Cette Eftainpe , qui a de la grâce , repréfente le
moment de laa peme PPiièce des Sabots où la jeune
Villageoife mange des cerifes.
wing mobik , 500
LAMOUR à l'épreuve , Comédie en un Ade , en
vers, représentée pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le Vendredi 13
Août 1784. A Paris , chez Prault , Imprimeur du
Roi , quai des Auguftins , & Bruner , Libraire ,
Place
de la Comédie Italienne.
Lainval, Tuteur de Rofalie , qui avoit d'abord eu
l'envie de l'époufer , apprend qu'elle aime Dorlis , I
renonce à les prétentions ; mais pour punir Rofalie
du myftère qu'elle lui a fait de fon amour , & pour
inquiéter un peu les deux amans , il fait femblant de .
perfifter dans fa pourfuite ; il va même jufqu'à for--
cer les deux amans à renoncer mutuellement l'un à
l'autre dans un entretien qu'il leur ménage , &
qu'il écoute fans être vû . Cette Scène , qui auroit
pû être plus fortement motivée , eft au moins fortbien
faites elle amule & intéreffe tout - à- la fois,
Enfin , le Tuteur , après s'être diverti de leur embarras,
le termine err les mariant,
II
y
Cette petite Pièce a joui d'un fuccès mérité.
de la naïveté, de la grâce & des détails intéreffans.
190 MERCURE
COLLECTION des anciens Monumens d'Architecture.
M. Renard , Architecte , ancien Penfionnaire
du Roi , & qui pendant fon féjour en Italie
s'eft occupé de deffiner les détails des anciens Monumens
d'Architecture pour les tranfmettre aux ATtiftes
, vient de publier la troisième Livraiſon de
sette précieufe Collection , qui eft compofée de
cinquante Deffins grand in-folio , & gravés dans la
manière du crayon. Le texte qui accompagné chaque
Livraiſon démontre d'une manière fort claire les
beautés & les défauts de ces ornemens , & indique :
l'application qu'on peut en faire dans les édifices.
L'Auteur a ajouté des obfervations qui doivent néceffairement
diriger dans le choix à raiſon des occafions
où on peut les y employer.
Cet Ouvrage a été proposé par foufcription , &
fe continuera dans le cours de fon exécution Tous
les mêmes conditions ; mais comme l'Auteur a eu
pour principal objet de fe rendre utile aux Artiftes ,
& particulièrement aux jeunes gens qui fe deftinent
à l'étude de l'Architecture , pour leur en donner
une preuve , il confent en leur faveur de leur fournir
les Cahiers à mesure qu'ils paroîtront, en les
prenant chez lui , & en fe foumettant à prendre la
fuite de l'Ouvrage , il leur fera une remife .
On fouferit chez l'Auteur , au petit hôtel da
Tillet , Fauxbourg Saint Martin , chez Joulain ,
Marchand de Tableaux & d'Eftampes , quai de la
Mégifferie , & chez Cloutier , Imprimeur Libraire
, rue des Mathurins.
L'Ouvrage fe trouve auffi chez Chéreau ,
Jombert le jeune , Lamy , Iffabey , Gangueri , Li❤
braires & Marchands d'Eftampes.
Il fe vend 72 liv. par foufcription.
NUMEROS 3 à 40 du Journal de Guittare ,
DE FRANCE. 191
pour lequel on fouferit chez Baillon , Marchand de
Mufique , rue Neuve des Petits Champs , au coin de
celle de Richelieu , à la Mufe Lyrique. Prix, 12 liv.
& 18 liv.
QUATRE Sonates non difficiles pour la Harpe
feule ou Accompagnement de Violon & Violoncelle ,
par M. Krampholtz , OEuvre XII. Prix , 9 livres. A
Paris , chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , Butte Saint
Roch , n . 14, Naderman , Luthier , même rue , &
Coufineau auffi Luthier , rue des Poulies. Les
Exemplaires font fignés de l'Auteur.
On voit toujours paroître avec plaifir la Mufique
de M. Krumpholtz , dont le talent me ſe borne
pas à l'exécution.
RECUEIL de Divertiffemens pour la Harpe ;
Violon obligé , par M. Grenier , Organiſte & Maître
de Harpe, Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez l'Auteur
, hôtel de Mme la Ducheffe de Villeroy , rue
de l'Univerfité ; Coufineau père & fils , Luthiers,
brevetés de la Reine , & Salomon , Luthier , Place
de l'École.
TROISIÈME Concerto pour la Flûte , par M. de
Vienne le jeune. Prix , 4 livres 4 fols franc de port
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc , au Magafin
de Mufique , rue Traverfière-Saint-Honoré,
--
NUMERO 11 de la quatrième année du Journal
de Harpe , par les meilleurs Maîtres. Abonnement ,
15 liv. port franc par la pofte ; féparément , 2 livres
8 fols. Numéro 6 du Journal d'Orgue à l'ufage
des Paroiffes & Communautés Religieufes , par M.
Charpentier, Organifte de Notre- Dame , S. Paul ,
&c. , contenant une Meffe Royale de Damont en ré
192 MERCURE
mineur . Prix , 24 livres , & féparément 4 liv. 4 fols
port franc par la pofte. A Paris , chez M. Leduc ,,
même Adreffe que ci - deffus .
NUMERO 11 du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs , pouvant auffi ſervir à deux Violoncelles,
Frix , féparément 2 liv . Oa fouferit moyennant, 15
qa 18 liv. chez le feur Bornet l'aîné , rue des Prouvaires,
au Bureau de Loterie , près S. Euftache.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
I
TABLE.
VERS pour le Bufte du Prin- Charade , Enigme & Logogry
ce Henri de Pruffe , 145 phe , 162
Envoi à Mme la Comteffe Ga- Delafemens de l'Homme Senbrielle
de Digoine , 146 fible, 166
175
Le Réverbère & la Chauve- Acad, Roy . de Musique , 171
Sourts , Fable, 147 Comédie Françoife ,
Le Préjugé National détruit . Annonces & Notices , 184
Anecdote
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſe en empêcher l'impreffion . A Paris
le 26 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
S
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles,
les Caufes célèbres; les Académies de Paris & di
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c,
SAMEDI 4 DÉCEMBRE 1784.
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE .
Du mois de Novembre 1784. 1
PIÈCES
IÈCES FUGITIVES . L'Ami de la Société , 35
Le Ver Luifant & le Roitelet , Nouveau Voyage Sentimental,
Fable ,
Epitaphe de Mme Lobreau ,
Portrait d'un Intendant ,
Infcriptions ,
A M. Gardanne ,
Bouquet pour la S. Louis ,
L'Electricité , Ode ,
f
39
43 Fin de l'Extrait fur l'Eloge de
55
49
ད 。
51
Fontenelle ,
Hiftoire d'Eugénie Bedford,
81
52 Les Six Nouvelles de M. de
97
Florian , 106
Vers pour le Bufte du Prin Delafemens de l'Homme Sence
Henri de Pruffe ,, 145
fible ,
Envoi à Mme la Comteffe Ga-
*
VARIÉTÉS.
166
115
brielle de Digaine, 146 Etat actuel du Dépôt de Men-
Le Réverbère & la Chauve- dicité de la Generalité de
Jouris , Lable, 147 Soiffons ,
Le Préjuge National détruit , SPECTACLES.
148 Acad. Roy . de Mufique , 89, Anecdote ,
Charades , Enigmes & Logo- 171
gryphes , 5, 53 105 , 162 Comédie Françoife , 136 , 175
NOUVELLES LITTER . Comédie Italienne , 139
Eloge de Bernard de Fonte Annonces & Norices , 41 , 90,
nelle,
Balance de la Nature
7
3
141 , 184
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT .
rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 4 DÉCEMBRE 1784%
PIECES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
MES MALHEURS ,
Stances faites le premier Novembre 1784 ;
à Sainte Affife , par le Coufin Jacques
foufflant la Comédie.
EH! voici bien une autre hiſtoire !
J'arrive pour fouffler , mais non ......
Voyez combien j'ai de guignon !
Tout le monde a de la mémoire.
POUR faire effai de ma ſcience ,
Je cherche l'Acteur en défaut ;
Mais pour me réduire au filence ,
On s'eft , je crois , donné le mot.
EN VAIN je porte la parole;.
Mom zèle n'aboutit à rien.
1.2
A ij
MERCURE
On femble avoir appris fon rôle
Expres pour fe paffer du mien.
NE ME foufflez , dit telle & telle ,
Que quand je vous regarderai.
Avoir un regard d'une Belle ! .....
Oh ! oh ! je vous obſerverai.
J'OBSERVE donc, hélas ! j'épie
L'inftant où l'on fe troublera.
Ah ! plus chaque Actrice eft jolie ,
Et plus j'aurois l'âme ravie
D'en voir au moins une à quia !......´
COMME on punit d'un téméraire
Le defir trop ambitieux ! ......
Jamais jene vois deux beaux yeux
-Solliciter mon ministère !
POUR comble de maux ,
la Nature
Ne m'a muni que de deux mains ;
Or , il m'en faudroit , je vous jure,
Deux fois plus qu'aux autres humains.
MON calcul eft fimple & facile ;
Il m'en faut deux premièrement.
Pour tenir un livre inutile ,
Et pour la forme feulement ;
DE FRANCE.
ET QUAND , par un jeu plein de charmes ,
Le Souffleur fe fent attendrir ,
Il en faut deux pour applaudir,
Et deux pour effuyer fes larmes.
VERS A ÉG LÊ.
AH ! que l'Amour fait bien `entre les Belles
Pour les deffeins partager fes faveurs !
Là , deux beaux yeux domptent les plus tebelles ;
Grâce modeffe içi gagne les cours.
L'une a la taille élégante & légère
L'autre un éclat dont les lys font jalouz .
Tous les moyens d'attacher & de plaire ,.
Charmante Eglé , ſe rencontrent chez vous.
Qu'on eft flatté , que l'oreille eft contente
Quand votre lyre à vos doigts obéit ! ***
Comme aux accens de votre voir touchante
Le coeur ému s'étonne & s'attendrit !
Ainfi que vous Melpomene foupire ;
Si vous danfez , vous nous enchantez tous.
Ce que l'on aime & ce que l'on admire,
Brillante Églé, ne fe trouve qu'en vous.
( Par Mme Verdier , de la ville d'Uzès , de
l'Acad. des Arcades , & deplufieurs autres. )
A iij
6 MERCUR
ROMANCE du Barbier de Séville ,
Mufique de M. Paëfiello.
Vous l'or-donnez , je me fe- rai con-
Roi- tre ; Plus in con-nu , j'o-fois vous
a- do---
rer , plus in con-nu , j'o--`
fois vous a- do - rer. En ne nom- mant
que pourrois-je ef-pé- rer ? N'importe ; il
faut o bé ir a fon Maître.
Coupler.
Je fuis Lindor , ma naiffance eft com-mu-
Wh
DE FRANCE
ne ; Mes voeux font ceux d'un fim- ple Bache
- lier , mes voeux font ceux d'un
fim- ple Ba- che- iler . Que n'ai -je hélas !
- d'un bril - lant Che- va- lier ,
A vous
重車
of- frir le rang & la for- tu
ne
se . Conslet.
Tous les matins , i- ci , d'une voix tendre
, Je chan- te- rai mon amour fans
ef -
poir , je chan- te- rai mon a-
A iv
MERCURE
mour fans ef-poir ; Je bor- ne- rai mes
plaifirs à vous voir , Et puif- fiezvous
en trou- ver à m'en- ten dre ! -
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Falot ; celui de
l'Enigme eft le bled ; celui du Logogryphe eft
Douleur , où l'on trouve Dol , Dôle , Eu ,
roue, or, 1é, Lord , lueur , rôle , la Dore.
CHARA D E.
Trois quarts de mon fecond annoncent ma première
,
Et préfentent un jeu dont elle tient le nom ; "
Avec un quart de plus on trouve mon fecond;
Mon tout , ami Lecteur , ne voit point la lumière.
(Par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur
"
du Roi à Orléans. )
DE FRANCE.
ENIGM E.
DE la Grèce , Lecteur , je tiens mon origine ,
Je fuis Grec en un mot : nul n'en pourroit douter ,
Puifqu'ainfi mon nom ſe termine.
Quoi qu'il en foir , à bien compter ,
Je n'ai qu'un pied ; il ne faut
pas omettre
Que fort fouvent il en vaut deux.
C'eft ici que tu dois t'attacher à la lettre.
I
Ne me cherches pas loin , je fuis devant tes yeux.
( Par M. F. G.... , de Sédan . )
SUR
LOGO GRYPHE.
UR mes hait pieds , aux Princes de la Terre
Je verſe un nectar précieux ;
Mon chef à bas , une tendre Bergère
Me fait entendre aux échos amonreux.
(Par Mile Brifoult , à Saint- Dizier. )
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de Fontenelle , Difcours qui a obtenu
'une mention honorable au jugement de
l'Académie Françoife en 174 , par M. le
Roi , Ancien Commillaire de la Marine ..
En écrivant j'ai toujours tâché de m'entendre.
Font. A Paris , chez Demon ille ,
Imprimeur Libraire de 1 Académie Fran
coife , rue Chriftine.
LE Difcours de M. le Roi , préfenté deux
fois au Concours de l'Académie Françoife ,
y a toujours eu beaucoup, de fuccès. Il vient
d'obtenir cette année une mention honorable
, & l'année dernière plufieurs voix
opinèrent pour lui décerner le Prix . M. le
Roi s'eft plaint , en vers très heureux , de
n'avoir obtenu que l'honneur d'une méntion
; & cela peut être fâcheux en effet après
avoir touché à la couronne. Les plaintes de
ce genre font communes ; mais ce qui n'eft
pas commun , c'eft de les faire comme M.
le Roi , en vers pleins de douceur & d'aménité.
Quelle idée excellente on doit prendre
de l'âme qui exhale ainfi fes reffentimens !
M. le Roi a choifi pour épigraphe ces
mots de Fontenelle , qui paroiffent fi fimples
& qui font fi fins : En écrivantj'ai toujours
A
DE FRANCE. If
táché de m'entendre. On voit que M. le Roi
y a toujours réufli , & il ne paroît pas qu'il y
ait tâché. Son ftyle pur & tranfparent laiffe
voir au premier coup d'oeil jufqu'au fond
de fes idees. C'est un mérite qui ne devroit
pas être remarqué s'il n'avoit jamais approfondi
fon fujet ; mais il eft clair lors même
qu'il eft ingénieux ; il fait entendre facilement
à tout le monde ce que lui feula penfé :
c'eft là le mérite. Je connois des Écrivains
qui fe vantent d'être fort clairs ; & je vo's
en effer qu'ils difent fans obfcurité des chofes
que tout le monde dit clairement depuis des
fiècles. Mais fi quelqu'un fe vantoit de voir
clair en plein jour , ferois je obligé pour cela
de prendre une haute idée de l'excellence de
fa vûe ? Ce qui eft difficile , & ce qui mé→
rite des éloges , c'eft d'avoir des idées qui
n'ont jamais été exprimées , & de les exprimer
avec netteté. C'eft de pénétrer dans des
endroits obfcurs & d'y porter la lumière ;
le génie même n'y parvient pas toujours au
premier coup. Lifez le fecond Livre du Contrat
Social de Rouffeau , vous croyez parcourir
des théorèmes de géométrie énoncés
en fignes algébriques. Voyez. enfuite les mêmes
idées exprimées vingt ans après dans
fon écrit fur la Légiflation de la Pologne ;
elles ont pris de la facilité , de la clarté,
de la couleur , ce ne font plus que les fentimens
univerfels de l'homme , revetus des
plus belles images de la Nature . On eft obligé
d'être plus clair encore dans les matières de
, ا
A vj
12 MERCURE
goût ; car , comme le dit fi bien Vauvenargue
, ce qu'on ne comprend pas au
premier coup , n'eft pas du reffort du bon
gour. On fe tromperoit pourtant encore fi
l'on prenoit cet excellent principe à la lettre .
Que d'intentions , que de beautés dans le
ftyle de Racine , qui font demeurées longtemps
cachées pour les commoiffeurs les plus
délicats ! Dans un Poëre , une beauté qu'on.
ne fent pas , c'eft comme une idée qu'on ne
comprend pas dans un Philofophe. Il a fallu
un fiècle , a dit le Panégyrifte de Racine ,
pour découvrir toutes les beautés de fon
ftyle. Racine ne manquoit pas de clarté ,
mais fes Lecteurs manquoient de lumière.
A cette facilité continuelle de fon ftyle ,
M. le Roi joint continuellement je ne fais
quelle aménité qui eft dans le ftyle un ca
ractère bien plus aimable encore ; fes idées
paroiffent moins naître de la réflexion, que
d'un fentiment vrai & honnête des chofes ;
& voilà pourquoi fans doute leur lumière
eft fi pure & fi douce. Dès l'exorde on fent
cette impreffion qui fe répand fur tout le
Difcours.
" En commençant l'Éloge de Fontenelle ,
» je me trouve embarraffé , je l'avoue , non
des chofes que j'ai à dire ; car quel fujet
fut plus abondant ! mais du ton que je
» dois prendre & de l'accord qui doit régner
» entre mon fujet & mon ftyle . Non feulement
le Panégyrique fe prête difficilement
» aux grands mouvemens de l'éloquence ;
I
DE FRANCE. 13
mais de plus les vertus & les talens de
Fontenelle ne lui compofant qu'un mérite
■ d'un ordre privé , permettent moins d'elé-
"
vation à l'Orateur , que les talens & les
» vertus publiques des d'Aguefſeau , des
» Montaufier , des L'Hôpital. Craignons
» donc ici la fauffe chaleur & la déclama
» tion. Ofons prendre , s'il le faut , un ftyle
"
33
39
fimple. O Fontenelle ! heureux qui, comme
» toi , fauroit répandre des grâces fur cette
fimplicité ! Mais du moins el pérons beaucoup
de l'intérêt que ton nom feul inf
pire, à quel véritable Amateur des Lettres
feroit- il indifferent ? Je vois dans cette Af-
» ſemblée , & parmi les Membres de cette
» Académie , quelques perfonnes qui t'ont
» connu , & qui étoient dignes de te con
» noître : il en eft dont la postérité le fou-
» viendra comme de toi . C'eft en leur pré-
» fence que nous célébrons ta mémoire ; ra
gloire eft mûre pour les éloges , quoique
» la génération qui t'a vû ne foit pas encore
» éteinte. Heureux vieillard ! tu embraffas
» dans une carrière de cent années la moitié
» de notre fiècle & du beau fiècle de Louis
» XIV : ta fus l'ornement de tous les deux ,
»
93
& comme le lien qui les unit. Tes Écrits
» influèrent d'une manière marquée fur tous
» les efprits ; tu fus joindre aux grâces de la
» poéfie la févérité des ſciences ; mais malgré
» l'étendue & la variété de tes talens , qui
fixèrent fur toi l'admiration publique , le
Philofophe te trouve plus admirable &
39
23
14
MERCURE
1
999
plus intéreffant encore par ta modération
» & par ta fagcffe . "
On peut faire fans doute des reproches à
cer exorde. Quelques idées manquent de
jufteffe , quelques exprefiions aufli . Il ne
peut être vrai que le Panegyrique fe prête
difficilement aux grands mouvemens de l'élor
quence ; au contraire , il s'y prête merveil
feufenient. Le Panégyrique ne célèbre d'ordi
maire que des talens & des vertus qui ont
fair des révolutions mémorables dans l'ef
prit humain & dans les Empires ; c'eſt l'expreffion
de l'admiration , de l'amour , de la
reconnoiffance des peuples , & rien n'eft
plus près de l'enthoufiafme , de l'élévation &
des mouvemens oratoires. Dans les Oraifons
Funèbres de Bolluet , qui ne font que des
Panégyriques , la langue Françoife eft aufli
birdie dans fes mouvemens , aufli paffionnée
dans fes expreffions , que daus les Tragédies
de Racine & de Voltaire . Mais il eft vrai
que parmi les Hommes célèbres il y en a
dont le Panégyrique ne doit pas être écrit de
ce style. M. de Chamfort a dit , en commençant
l'Éloge de Molière : Je n'imiterai
point les Comédiens François , qui ont fait
habiller le portrait de Molière en Empereur
Romain. C'est appeler & rajeunir avec
beaucoup d'efprit un principe de goût trèsincontestable.
Mais il eft fi vrai que le Panégyrique
& l'Éloge admettent en général le
Fon de la grande éloquence , que la néceffité
Len prendre un autre n'eft jamais fans in
DE FRANCE.
convénient pour l'Orateur. Si vous faites
defcendre le ton de votre ftyle , même fans
trop le baiffer , on vous dit qu'il ne convient
pas au genre des Éloges & des Dif-
Cours Oratoires ; fi vous l'élevez , on vous
dit qu'il ne convient pas à l'homme dont
vous prononcez l'Éloge: le genre demande
un ton , le fujer en demande un autre ; &
la critique , dont le regard malveillant vous
voit marcher entre ces deux écueils , eft fouvent
affez abfurde peur vouloir prouver que
vous êtes tombé dans tous les deux. L'Éloge
de Fontenelle préfentoit tous ces inconve
niens ; mais il faut avouer auffi qu'il offroit
de grandes reffources au talent pour prendre
tous les rons & plaire à tous les goûts.
Le ftyle des Fontenelle , fon caractère
comme Écrivain , eft familier & piquant ,
mais les objets & les vues de fes Ouvrages
ont le plus fouvent de la grandeur & de la
magnificence ; le Panégyrifte étoit autoriſé à
prendre quelquefois le ton des objets &
quelquefois le ron de l'Écrivain.
In'y avoir à cela qu'une difficulté , c'étoit
d'avoir un talent qui sûr être tour à tour pit
quant & magrifique ; & voilà ce qui nous
paroît très aife, à nous , qui éclairons le génie
& le goût par extraits.
M. le Roi n'a peut être pas dit précisément
ce qu'il vouloit dire en parlant du mérite
d'un ordre privé de Fontenelle. Il n'y a rien
de moins privé , rien de public , comme le
mérite d'un Philofophe dont les Ouvrages
16. MERCURE
ont éclairé la France , l'Europe , les générations
de plufieurs fiècles dans l'Europe &
dans la France. M. le Roi ne s'eft point rappele
que les plus grands Écrivains même
du fiècle de Louis XIV , n'ont pas eu de leur
vivant une célébrité auffi brillante , auffi étendue
qué Fontenelle ; que des étrangers font
partis exprès des extrêmités de l'Europe pour
venir voir Fontenelle à Paris ; que dans le
Nouveau Monde , à Lima , les femmes apprenoient
la langue Françoife , uniquement
pour lire l'Hiftoire de l'Académie des Scien
ces de Fontenelle.
Mais ce qui eft vrai , c'eft que Fontenelle
a déployé ce mérite , dont les influences ont
été fi publiques & fi durables; dans un talent
modefte , pour ainſi dire ; dans un ſtyle qui
n'afpiroit jamais aux dehors impofans du
fyle oratoire ou poëtique ; & voilà fans
doute ce que M. le Roi a voulu dire.
Nous croyons qu'il eft auffi trop fort de
prétendre que Fontenelle a été l'ornement des
deux fiècles ; & quoiqu'il foit heureux de
dire qu'il a été comme le lien qui les unit ,
peut- être cela n'eft- il pas affez vrai de Fontenelle.
Cet Éloge ne peut appartenir qu'à
l'Écrivain qui , placé entre les deux fiècles ,
auroit eu le génie des Arts du premier & le
génie philofophique du ſecond . C'eſt le traitcaracteristique
de Voltaire ; il ne peut convenir
à Fontenelle , qui n'a rien eu du génie
des Beaux - Arts , qui a formé un contrafte
frappant avec les bons Écrivains du règne de
DE FRANCE. 17
Louis XIV, qui a plutôt féparé qu'uni les
denx fiècles.
Ces obfervations paroîtront peut- être un
peu fubtiles ; mais dans les Arts de l'imagination
& du goût , tout eft nuance ; &
l'efprit même d'analyfe tombe à chaque
inftant dans de grandes erreurs , s'il n'eft pas
guidé par un tact fin & délicat qui fépare les
nuances les plus légères .
+
Au refte, tout cet exorde a le grand mérite
de réveiller les principales idées que le fujet fait
naître , & de les rendre avec une fenfibilité
vraie & douce qu'on n'attendoit pas du fujet.
Ce mouvement: O Fontenelle ! heureux
qui , comme toi , fauroit répandre des grâces
Jur cette fimplicité , eft heureux & paroît
naturel, quoique placé dans le début. Ce re
gard , que le Panegyrifte jette fur les Membres
de l'Académie qui ont connu Fonte:
nelle ; ces expreffions : Ta gloire eft mûre
pour les éloges , quoique la génération qui t'a
vú ne foit pas encore éteinte. Ces idées & ce
ftyle appartiennent bien au gente des Éloges
& à l'Éloge de Fontenelle. J'ai d'abord été
furpris de certe apostrophe fage vieil
lard ! & c. &c. Car enfin , Fonreuelle n'a pas
toujours été un vieillard , il a commencé
auffi par être jeune , mais en reflechiffant
qu'il n'a jamais connu les erreurs de la
jeunelle , que c'eft fa vieilleffe furtout qui
a été célèbre , que ce n'est que dans cet âge
de décadence pour les autres hommes que.
18 MERCURE
Fontenelle a été heureux & honoré ; j'ai
alez aimé cette expreffion qui concentre ,
pour ainsi dire , toute la vie dans l'époque
de fon bonheur & de fa gloire.
a
- Je n'oublierai point , dit M. le Roi , que
» jé dois moins analyfer les Écrits de Fon
tenelle que le talent qui les infpira , &
» dans lequel il me femble qu'on peut diftinguer
trois qualités bien remarquables :
» les grâces du ftyle , la fineffe & la netteté
» des idées , les vues philofophiques .
"
12
Le projet d'analyfer le talent , plutôt que
les Écrits , eft l'idée d'un homme d'efprit qui
a réfléchi fur le genre des Éleges ; mais le
fujet ici demandoit peut- être une exception
à ce principe qui eft très- vrai en général. Si
je loue Racine ou Voltaire , leurs Ouvrages
font préfens à la mémoire de tous les hommes
de goût ; je réveillerai facilement des impreffions
gravées dans toutes les âmes ; j'anrai
affez fait leur éloge fi je peins avec fenbilité
les émotions qu'ils m'ont données.
Mais Fontenelle , depuis dix ans , n'eft guèrès
lû que des Hommes de Lettres, qui ne le lifent
peut--être pas affez. On connoît aujourd'hui
beaucoup plus fa gloire que fes Ouvrages ; &
fes Écrits font naître beaucoup plus d'idées
qu'ils ne donnent d'émotions ; fi je me contente
de dire ce que j'ai fenti en le lifant ,
j'aurai peu de chofe à dire , & peu de gens fau
ront de quoi je parle . Il falloit donc , ce me
femble , qu'une analyfe affez étendue rappelât
des Ouvrages trop négligés ; alors chaDE
FRANCE. 19
eun autoit eu fous les yeux les objets dont
POrateur l'entretient ; alors les traits caractéristiques
de l'efprit & du talent de Fonte
nelle , feroient fortis d'eux mêmes de l'analyle
de les Écrits ; & l'imagination auroit
vû fe fuccéder affez rapidement les tableaux
variés de fes Ouvrages , fi divers & fi nombreux.
Le grand reproche qu'on a fait au Dif
cours de M. le Roi , c'eft de n'avoir pas affez
fait connoître dans Fontenelle l'Écrivain Philofophe
, de Savant aimable. A peine en effet
dans ce Difcours eft-il queftion des Eglogues,
des Dialogues des Morts , des Mondes ,
de l'Hiftoire des Oracles ; & ce défaut tiem
précifément à ce qu'il a voulu analyfer le
talent plutôt que les Écrits de Fontenelle .
Il n'y a rien de fi dangereux que les prin
cipes généraux lorsqu'on ne les plie pas à
propos aux circonftances.
On ne conteftera point à M. le Roi que
Fontenelle n'ait des grâces dans fon ftyle ;
c'eft même ce qu'on dit communément,
Mais en faifant de cette qualité un des traits
caractéristiques de Fontenelle , peut - être
falloit il y mettre plus de préciſion . Le ſtyle
de Fontenelle a plutôt des agrémens que des
grâces. Voltaire a des grâces , Fontenelle a
des agrémens , & cette difference vient fars
doute de ce que l'un puifoit fes idées dans
une imagination prompte & fenfible , l'autre
dans une réflexion fine & ingénieuſe .
f
M. le Roi fe demande en quoi confiftoient
20
MERCURE
les graces duftyle de Fontenelle , d'où naît
ce charme que nous font éprouver fes Ouvra
ges. Et la réponse qu'il fe fait eft un des morceaux
de fon Difcours où il nous paroît avoir
le plus approfondi le mérite de Fontenelle &
Je plas montré le fien. Je vais le citer en
entier.
" C'eft que dans les bons Écrivains toutes
les idées s'enchaînant l'une à l'autre, & ,
» fe développant fuccellivement , forment
» un tour que l'efprit faifit fans peine ; cet
» art confifte autant à rejeter les idées fu-
» perflues , qu'à n'omettre aucune de celles
» qui feront néceffaires. Si quelques Écri-
» vains aiment à fupprimer les idées intermédiaires
en faveur de la préciſion & de
», l'énergie , ils fuivent toujours dans celles
qu'ils préfentent l'ordre fecret qui les unit.
Mais cette manière piquante pour les Lec
» teurs intelligens , parce qu'elle offre à leur
» teur ,
amour propre la récompenfe des efforts
» qu'ils ont faits pour fuivre l'Auteur , eft
» faremont exempre d'un peu d'affectation.
»» Fontenelle ne tombe jamais dans ce défaut.
S'il , Aatte l'amour propre du Lecc'ent
par la fineffe de fes pensées ;
mais quoique très precis , il n'affecte point
de le paroître. Sa clarté cache fa précifion .
Son but est toujours d'épargner de la
peine. Il eft clair , parce qu'il abiège , &
» facile , parce qu'il n'a pas l'air d'abréger.
» Placé au- deffus de fon fujet , il voit d'un
coup d'oeil ce qu'il doit faifir & ce qu'il
DE FRANCE. 21
99
24
doit rejeter. Tantôt il raffemble en une
idée générale une foule d'idées particulières
, comme on réunit les rayons fo
laires au foyer d'une lentille ; & le Lecteur
» eft frappé d'une lumière plus vive. Tantôt
il fépare ce qui a beſoin d'être divifé pour
≫ être mieux compris. Mais il ne lui fuffit
pas d'être clair & précis pour être agréable
..... Tantôt ce font des rapprochemens
» heureux ; tantôt des contraftes piquans.
Quelquefois il applique , par une allufion
fine , les expreflions d'une fcience à l'au-
» tre ; quelquefois il fait fortir de l'objet
dont il parle des traits de morale univer-
» felle ; fons des expreffions toujours natu-
» relles & fimples , fous des images quelque
fois familières , il cache des idées fines
que la réflexion trouve profondes .... Chez
lui le favant n'eft jamais feul , il eft tou
jours accompagné du moralifte inftruit des
fecrets du coeur humain , parlant de nos
paffions & de nos travers avec la fupé-
» riorité tranquillé d'un Philoſophe qui les
Lobferve d'autant mieux qu'il les partage
moins. Delà ce mépris fecret, qui , comme
on l'a remarqué , perce dans fes Ouvrages;
mais ce mépris n'indiſpoſe pas , parce qu'il
eft plus fenti que prononcé , & que la
raifon l'infpire & non pas l'orgueil.
33
38
: Fontenelle lui - même auroit fans doute
quelque plaifir à voir les fecrets de fon efprit
& de fa compofition , démêlés avec cette fagacité.
C'eft prefque prendre fon talent fur le
22 MERCURE
>
fait, Fontenelle , nous dit l'Abbé Trubler
lorfqu'il vouloit louer beaucoup un morceau
, une penfée , difoit : Cela eft bien
vú . L’Abbé Trublet croit & nous
croyons aufli que ces expreffions & ordinaires
aujourd'hui , des vues neuves , des vues
grandes , des vues fines , c'eft Fontenelle.
qui les a fait paffer dans la langue ; on ne
les trouveroit peut être pas beaucoup dans
les autres Écrivains du fiècle de Louis XIV.
Quoi qu'il en foit , nous fommes perfuadés
qu'en écoutant ce morceau de M.
le Roi , Fontenelle eût pu dire fuivant
fon ufage , cela eft bien vû. Peut - être même
Féloge qu'il eût reçu le plus volontiers ,
eût été celui de ces expreffions toujoursfim
ples & naturelles ; mais nous avouons que de
tous les éloges de ce morceau , c'eſt le feul
qui ne foit pas mérité. Fontenelle croyoit
être très fimple , très naturel , parce qu'il
étoit familier ; mais on peut être familier
& recherché , & c'est ce qui lui arrivoit
fouvent c'est ce qui eft arrivé auffi trèsfouvent
à Marivaux & à quelques Écri
vains de ce fiècle , qui croyoient qu'il
fuffit de n'être pas enflé pour être naturel ;
qui croyoient qu'il fuffit de ne pas élever
fon ftyle pour être fimple , & ne fongeoient
pas que c'eft lorfque la pensée & le ftyle
s'élèvent davantage qu'ils ont communément
le plus de fimplicité. Mais nous parlerons de
ce principe de leur ftyle , dans quelques re-
Lexions que nous nous propofons d'impri
DE FRANCE. 25
mer fur Fontenelle, fur les Panégyriftes, & fur
quelques - uns de fes Ouvrages.
M. le Roi a dit de très bonnes chofes fur
l'efprit de conciliation que Fontenelle , Secrétaire
de l'Académie , porta parmi les Savans
; il en eût pû cire de belles s'il avoit
peint l'efprit de lumière que Fontenelle
porta dans les Sciences . C'eft - là le titre
le plus folide & le plus éclatant de fa
gloire ; c'étoit le plus beau moment de fon
Eloge , & le feul peut être où fon Panégyriste
pût déployer les richeffes de l'imagination
, & ces vûes grandes & générales de la
Philofophie qui appellent fi naturellement
les pinceaux de l'Éloquence. Il falloit repréfenter
Fontenelle raffemblant dans fon efprit
les lumières éparles dans toutes les
Sciences , & les répandant enfuite de fon
efprit fur toutes les Sciences , plus pures ,
plus vives & plus brillantes ; révélant à la
multitude les myftères des Sciences auffi in
pénétrables jufqu'alors pour elle que les
myftères de la Nature ; créant une langue
avec laquelle tous les hommes peuvent entrer
dans les entretiens des hommes de
génie , fondant à jamais fa gloire fur cette
époque , où ce qui n'étoit que la grandeur de
quelques efprits , eft devenu réellement la
grandeur de l'efprit humain.
•
21 FL
Il eft fàcheux que ce tableau, fur lequel la
penſée & l'imagination des Panégyriftes de
Fontenelle devolent fur- tout s'arrêter , foir
241 MERCURE
!
celui que M. le Roi paroît avoir le plús né
gligé.
Tout le monde a avoué que M. le Roi
avoit infiniment mieux réuffi à peindre le
caractère que l'efprit de Fontenelle ; On
voit à la fois dans ce tableau l'âme de Fon--
tenelle & celle de fon Panégyrifte , toutes
deux fe reffemblant beaucoup , toutes deux
pleines de modération & d'indulgence ;
toutes deux fermées aux orages des paffions,
& ouvertes aux plaifirs de la Nature & de
la Société; celle du Panégyrifte plus fenfible
fans doute , mais feulement pour avoir plus
de douceur & plus d'aménité, Heureux
l'Orateur qui trouve dans fon âme & dans
fon caractère les traits dont il doit peindee
le caractère & l'âme , qu'il célèbre ! Quels
regrets amers , au contraire , auroit dû fentic
celui dont la main, traçant le même tableau,
eut été obligé d'honorer publiquement de fes
Éloges l'ordre & la fageffe qu'il n'auroit jamais
pa établie dans fon âme & dans fa conduite
!
On a dit de Fontenelle qu'il paroît mé
ptifer les hommes , mais qu'il ne laiſſe échapper
ce fecret qu'à demi. M. le Roi dévoile
bien aufli quelquefois la malignité des
hommes , leurs paflions petites & miférables
; mais il les plaint , & ne les méprife
pas ; le trait que fon efprit alloit leur lancer
eft émouffé par fa benté naturelle , & l'indulgence
de fon âme devient alors une grâce
pour
DE FRANCE. 25
1
pour fon ftyle. C'eft ce que j'ai cru fentir au
moins lorfque M. le Roi ſe plaint à Racine
de les injuſtices envers Fontenelle .
32
" O Racine ! étoit ce à vous , dont
l'amour propre étoit li foible contre les
plus injuftes critiques , à humilier auff
cruellement l'Auteur d'Afpar ? N'eût- il
» pas été plus digne de vous d'aider de vos
» confeils cette Mufe égarée , de la confoler
, de la raffermir dans fa difgrâce ,
d'oublier que Fontenelle étoit le neveu
de Corneille , ou plutôt de vous en fou-
> venir. »
N
La tournure eût été plus piquante , le
trait de l'épigramme eût été plus aiguifé ; fi
M. le Roi avoit dit de vous fouvenir que Fontenelle
étoit le neveu de Corneille , ou plutôt
de l'oublier. Mais on aime mieux , ce me
femble , que le trait foit un peu émouflé.
On aime à voir le talent adoucir les arrêts
qu'il a droit de prononcer contre l'injuſtice.
Quant aux motifs de la haine de Racine
contre Fontenelle , il y en a eu d'autres fans
doute; mais cet objet doit être difcuté ailleurs.
M. le Roi , en parlant du ton que Fontenelle
portoit dans le monde , dit que ce
bon ton n'eft autre chofe dans la Société que
ce qu'est le bon goût dans les Ouvrages.
Ce rapprochement eft ingénieux , & cela
eft très - bien dit ; je ne fais pas jufqu'à quet
point cela eft vrai. On connoît des Hommes
de Lettres qui ont en général le goût
N° 49, 4 Décembre 1784.
B
26 MERCURE
très fain & le ton très- mauvais . Fontenelle
3.
au contraire avoit toujours le ton excellent
dans le monde , & fon goût n'a pas été
toujours très sûr dans les Ouvrages .
Le morceau dut Difcours de M. le Roi
qui a fait le plus d'impreffion , & dans le
Concours de l'Académie & dans le monde
c'eft un parallèle de Fontenelle & de Voltaire.
Nous voudrions le citer tout entier ;
mais il a paru trop long dans le Diſcours , il
le paroîtroit davantage dans un Extrait . Nous
choifirons les traits que nous jugeons les
plus heureux , & peut - être ne perdront- ils
rien à être ainfi rapprochés.
Co
ir..
嘴
Ce n'eft pas que les Ouvrages de Vol-
» taire & de Fontenelle puiffent foutenir
» ce parallèle; les genres en font trop dif-
» férens , & ceux de Voltaire trop fupé-
» rieurs. Nous obferverons feulement que
" tous les deux , doués d'an génie étendu &
flexible , ont embraffe plufieurs objets &
cultivé les Lettres & les Sciences ; mais
Voltaire , bien plus grand que Fontenelle
» dans les Lettres , n'a écrit fur les Sciences
que paffagèrement & d'une plume moins
» sûre & moins ferme. Le contraire eft arrivé
à Fontenelle. Fontenelle a de la rai-
»و ر
"
ور
fon & de la grâce ; Voltaire a donné à la
» raifon de la grâce & de la vigueur. L'ef
» prit du premier a fans doute influé fur
» celui du fecond . Fontenelle avoit accou
» tumé tous les efprits à cet art d'orner la
» raifon en évitant le ftyle emphatique &
DE FRANCE. 27
ود
93
ود
ampoule. Voltaire femble avoit faifi de
bonne heure ce mérite de Fontenelle, Il
referva la majefté du ftyle pour la haute
» Poene , & la profe , facile , elegante &
pure , le rapproche prefque toujours du
» ton de la converfation fans en avoir les
" familiarités ni les négligences, ou f
(1
»
»
»
»
fa
Tous deux nés avec une conftitution
faible , ont fourni une longue carrière.
» Fontenelle fut prolonger la fienne par fa
moderation , au lieu qu'on eûr dit que
» l'âme impétueufe de Voltaire , tout en
» tourmentant fon corps , le foutenoit &
» lui donnoit, de nouvelles forces. L'un a
» terminé la carrière l'âme & le corps affaifles
fous le poids des années ce qui
eft fans doute un bonheur , puifqu'il a
» rendu la vie comme nous la recevon
fans le fentir ; l'autre aa conferve jufqu'au
dernier moment , finon toute la vigueur ,
au moins toute la grâce & toute la viva-
» cité de fon efprit ; ce qui eft un bonheur
plus grand encore . Tous deux font du très-
Tous
petit nombre d'Écrivains que les Lettres
» ayent enrichis. Fontenelle
la toujours de
» fa fortune fans fafte. Voltaire , daus fa
vieilleffe , & lorfque l'avarice achève de
» l'âme du commun des hommes ,
» a joui de la fienne avec magnificence.
» Les vertus de Fontenelle rendient principalement
à fa raifon ; la prudence y dominoit;
celle de Voltaire , aux élans d'une
» âme ardente & fenfible , elles furent mê
39
"2
retre
.
Bij
28 MERCURE
1
1
93
lées de quelques foibleffes. Fontenelle ,
" cifconfsect & réſerve avec les Grands,
» lauloir entre eux lui une certaine diſ-
» tance ; & obavoir appris d'eux ce fecret de
» deur politelle. Voltaire 39sûrlede les rel-
» fources, cachoit fous les grâces & Pamabilité
de foncel pait , l'ait de liberté qu'il
prenoit avec un Leur commerce avec
Fontenelle n'a pas peu contribué à les rap
» procher des Gens de Lettres , celui de
Volthieqa fini par donner beaucoup à
penfer sex uns & aux autres fione liaifon
» Trop intime leur convient. La prudence
» de Fontenelle caldoit l'envié , le caractère
deVoltaire l'irritoir. L'un conjuroit , l'au-
» tre défioit l'orage . Fontenelle avoit été le
premier dans la république des Lettres
» Voltaire , fur la fin de les jours , ſembloit
avoit changé cette république en mogarchiesi
alad sb silo sb sibèg
Nous n'avons pas cité la moitié des traits
de ce parallèle. Parmi ceux que nous avons
fupprimés il en eſt d'autres aulli ingénieux
que ceux qu'on vient de lire , Mais,
comme on avoit od morceau est beaucoup
trop long pour un parallèle, On, ne met les
chofes & les hommes en parallèle que par
les traits les plusfrappans qu'ils préfentent , &
ces morceaux n'admettent ui détails, ni preuyes.
On ne doit voir que des téfultats , &
chaque réfultat aloit fortit par un trait court ,
vif & faillant. Autant qu'il fe peut , il faur
qu'on voie toujours les deux hommes dans
DEnFRANCE. 29
19
A
la même phrafe ; & que dans la phale chacum
occupe à peu près le même efpace. Les
éloges Acadéntiques quizonte du amener néceffairement
des zicompacaifens entre les
Hommes célèbres ont enrichi notre langue
d'excellens morceaux en ce genre, Le paral
lèle de Molière & de La Fontaine , spar M.
de Champfore celui des Contes de La Fonraine
& des Contes de Volcare par M.
Ducis celti da ſtyle de Racine & du Ayle
deVoltaire , par M. de la Harpe , font des
modèles tous les trois , & ont tous les trois
uf mérite & des caractères differens. Dans
le premier , le rapprochement du Fabulifte
& du Porte Comique du peintre du Milantrope
& du peintre de leannot Lapin , paroit
d'abord un pew forcé : pour le rendre
nittfel, Mrate Champfort erend les idées
que nous avions de la Fable & de la Comédie
, & de Molière & de La Fontaine , &
chaquetraitedus parallèle joint augmérite
d'être vrais le mérite d'être encore une décou
verte nouvelle Lebparallèle des Contes de
Voltaire & des Contes de La Fontaine offre
à chaque inftane dans la même phrafe les
grâces niives de La Fontaine, & les grâces
brillantes de Voltaire. C'eft une espèce de
lutte , où chaque Conteur perd & reprend
tour- à- tour l'avantage , & en finiffant il eft
difficile de favoir auquel des deux Conteurs
l'avantage eft refté. Lo parallèle du ſtyle
de Racine & du ftyle de Voltaire eft un
morceau d'un goût exquis jufques dans les
१
ཚ
T
Bil
30
MERCURE
moindres details . Le même fonds d'idées s'y
reproduit peut être trop souvent , mais toujours
enrichi de nouvelles idées accelloires
& de nouvelles grâces dans l'expreffion
Si M. le Roi réduifoit fon parallèle de
Voltaire & de Fontenelle à l'étendus de ceux
que nous venons de citer ; s'il donnoit
a quelques rapprochemens une tournure
plus vive & plus piquante; fi les traits
mis en contrafte jouoient plus fouvent, dans
le cadre de la même phrafe, ce morceau de
fon Difcours pourroit être anis , fans doute ,
rang de ces modèles. au
On voit combien M. le Roi auroit rort de
refpecter le ferment qu'il a fait en vers de
ne plus afpirer aux prix de la profe Henreu
fement les fermens qu'on fait contre la gloire
n'engagent pas plus que ceux qu'on prononce
contre une maîtreffe ; on jure de la fuir, pour
jar ais , & on eft fouvent à fes genoux avant
que le terment foit achevé. Le Public , qui
paroît avoir beaucoup, goûte le Difcours de
M. le Roi , le relève fans doute d'un you
qu'il ne lui a pas été permis de faire contre
les plaifirs du Public, anitroqu) siot
par Cet article eft de M. Garat. )
visited 295 109vm9sort 3059
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2007 290 251001 tim qolaɔdua
ris miele, ge 9019772d smi
DE FRANCE.
90.9m
MEMOIRE fur le premier Drap de Laine
Superfine du crû de la France , lû ala
rentree publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 27 Avril 1784 , par M.
Daubenton , de la même Académie . A
Paris , de l'Imprimerie Royale. on
*£ { ftyi} } att
"
M. DAUBENTON n'eſt pas un de ces Savans
dont la fagacité ne s'exerce que fur des objets
patement oilcus ; qui ne donnent à leurs
études d'autre bur que l'amufement; bu qui ,
n'ayant de motif qu'une vaine curiofité
n'ambitionnent
"d'autre prit qu'une vaine
gloire, Tous les travaux font confacrés à
P'utilite ; fes découvertes font des bienfaits ;
& chaque ritre de gloire qu'il obtient , eſt
un nouveau droit à la reconnoiffance publique.
mud @ 95 swi no ( siloniare sau e dife
Nous croyons devoir faire connoître à
nos Lecteurs le nouveau Mémoire qu'il a
communiqué à la favante Société dont il eſt
Membre , & dans lequel il expofe comment
pour
il eft parvenu à
obten
és
draps fins ,
la foie fuperfine qu'on étoit forcé d'acheter
chez les étrangers. Le Gouvernement
ayant fait venir fucceffivement des beliers &
des brebis de Rouffillon , de Flandré , d'Angleterre
, de Maroc , du Tibet & d'Espagne ,
M. Daubenton mit toutes ces races dans la
même bergerie , en plein air ; nuit & jour ,
toute l'année , fans aucun abri , & dans un
canton un peu montueux , c'eft à dire , fa-
Biv
32 MERCURE
vorable à la production des laines furesfires.
Son expérience eut un plan fucccs
allié les beliers a line très fire , avec des
brebis à laine jartcute , qui avoient autant
de poil que de laine , il en refulta un beer
à laine fupe fine. M. Daubenton avoir d'autant
plus lieu d'être content de cette ruliite ,
qu'il avoit employé un belier de Roullilon
n'en ajant pas encore rech d'Espagne,
2.
En 776 , moyennant des beliers & des
brebis qui lui vinrent d'Elpagne , poffetant
fept races très dilliuctes , y compris celle de
l'Auxois , pays où eft fituee fa bergerie , il a
mené de front deux opérations differentes ;
il a perpétué toutes ces races fans aucun mề-
lange , pour voir quelle influence elles recevroient
du changement de nit & en
même temps il a allié ces fept races entréelles
, pour avoir des races
voir à quel degré ce métiffes , & pour
mêlange influeroit fur
la laine. Enfin , le réfultat des experiences de
M. Daubenton a éré d'obtenir des laines
aufii fines que celles d'Elpagne , fans le fervir
de nouveaux beliers d'Elpagne ni de Rouffillon.
Il reftoit à faire l'épreuve de la fabrication
des draps ; épreuve des plus heureufes , puifqu'on
s'eft convaincu que les nouvelles laines
, avec la même finelle à l'oeil , la même
douceur au toncher que celles d'Espagne ,
avoient encore plus de force & de nerf ;
qu'elles fe tirent auffi fin à la filature ; qu'ellesfouffrent
un tors plus confidérable fans fe
DE FRANC, E 33
caffer , & qu'elles donnent aux draps une
chaîne plus nerveufe & plus forte.
Cette decouverte eft très im o tinte fans
doute pour les Manufactures & pour l' nterêr
du commerce National. M , Daubenton a
"donné dans plufieurs Memoi es des movens
faciles & peu difpendieux de faire croire des
laines fuperfines ; & les longues expériences
qu'il a faites ne laiffent aucun doute fur la
durée de cette amelioration.
?
19SPECTACLES.
52721 ジ
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
"MILLE DOZON a continué de jouer le rôle
d'Armide's dans l'Opéra de Renaud. Elle a
repare dans les deux dernières repréfentations
les défaurs qu'on lui avoit reprochés à
la première. Elle a laffe très peu de chole à
defirer dans le fecond & le troisième A&te.
On ne peut s'empêcher d'être toujours vivement
frappé du degré d'intelligence , de chaleur
& de mouvement qu'elle met dans fon
action , dans un âge fi peu avancé & avec
fi peu d'expérience. On n'eft pas moins éronné
de lui voir mettre dans four chant une expreffion
auffi fenlible & auli vae , qui ne
nuit prefque jamais ni à la beuré des fons
ni à la jufteffe de l'intonation . Elle a eté ap-
B
34
MERCU RET
र
plaudie avec tranſport à chacune de ces recroyons
qu'on ne fauroit préfentations : talent
qui
doit devenir
trop encourager un
fi précieux pour la Scène Lyrique.
nob s no ziom ɔɔ skai jbïM 3
A 211510€ 25b norisinisiga
6A
istanc
<
C
I
Le Jeudi 23 , dans le Divertiffement du
troifième Acte de Renaud on a vû repa
roître la jeune Dlle Elisberg , élève de M.
Dauberyal , dans une entrée feule Poù elle
a cu le plus grand fucces . On a remarqué
Chippy/
2les
ones
febribles
,
M
a faits depuis qu'on ne l'a vue , für foue podr
la légèreté & la precision de fes pas , & poftr
l'action qu'elle met dans fa danfe! IPa été ailé
allofineide
reconnaître dans ces progrès
pes & les leçons de habile Maitre quis de
cupe de développer fes talens . Nous devons
cependant obferver à cette jeune & aimable
Danfeufe qu'on a trouvé un peu de manière
& d'exageration dans les attitudes qu'elle
pourroit éviter d'avoir continuellement le
corps courbe & la tête un peu trop en avant ,
& qu'elle n'a pas befoin de tant de rechetpour
être très agréable au Publie, nem
291 29300 esh egetul He's sinmos
097913 291 10) 2997791 2009- coth
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t
als 250p
DE FRANCE 35
»
1 COMEDIE ITALIENNE.
a LE
E Mardi 16 de ce mois , on a donné la
première repréfentation des Docteurs Modernes
Comédie Parade , eu un Acte , en -
profe & en vaudevilles , fuivie d'un Divertiffement
analogue, mêlé de couplets.
5 M. Callandre , inventeur du Magnétifme
Animal, veut trouver dans la crédulité pu
blique les fonds d'une fortune rapide &
brillante, mais pour réuflir dans cette entreprife
, il a beſoin d'un homme qui devienne
J'Aporre de fa découverte , & qui foit perfonnellement
intéreffé à en faire valoir les
fuccès & l'efficacité. Il a choifi , en conféquence
, un de fes Confrères , dont il fe
propofe de faire fon gendre , & il ordonne
afa fille Ifabelle de fe préparer à lui donner
la main. Mais la fille de M. Caffandre , fuivant
les us & coutumes de toutes !les Ifabelles
eft amoureufe
d'un jeune homme qu'elle n'a vu
palices, pretentes &
futuresan mo
ment, & ce jeune homme s'appelle Léandre,
comme c'eft l'ufage dans toutes les Comé
dies -Parades repréfentées fur les tréteaux des
Foires ou des Remparts , à huit - clos ou en
plein- vent , & même dans celles dont quelques
zélés reftaurateurs des Turlupinades , fi
mal- à- propos bernées par Molière , cherchent
depuis quelques années à enrichir le
Répertoire de la Comédie Italienne . Après
B vj
36 MERCURE!
&
deux ou trois Scenes , dont une entre Callandre
& le Docteur , eft extrêmement plaifante.
Leandre, qui eft deveau amoureux d'Ilabelle
fans la connoître , qui a vainement cherché
à découvrir le nom, & lademeure des fa
bien - aimée , & qui éprouvé des fentimens
qui lui étoient inconnus jufquialors vient
chez M. Caffandre pour le faite magnétifers
dans l'efpoir de trouver un remède à fon
mal. Il y rencontre fa chère amante: A fon
afpect , il fent un trouble , un embarras , des
mouvemens qui infpirent un très vifintérêt
à la jeune, perfonne. Fille véritablement dil
gne d'un père tel que M. Caflandre , Habelle
s'arme du talifman dans lequel dft contenue !
la médecine univerfelle , & magnétile fons
amant, qui , enhardi par tant de bonté, foulagés
par tant de complaifance, ofe laffer éulator :
tout fon amour , & tombe aux genoux de fav
inaîtreffe. L'arrivée des deux Docteurs décon
certe un peu les jeunes gens, mais comhiep
Léandre fe trouve être le neveu du . Confrère
de M.1. Caffandre , & qu'il n'eft pas difficile
de s'appercevoir qu'il aime & qu'il eltaine ,
on confent à lui donner la main d'Isabelleide
& les Docteurs n'en font pas moins unisu Josh
V
Au Divertiffement qui fuir , le Théatre
repréſente une vafte falle , au milieu de
laquelle on voit un énorme biquen entourés
d'un grand nombre de performes des deux
fexes , qui attendent avec une vivelimpas
tience les Docteurs magnétifans . A feur arrivée
l'alegreffe devient générale ; chacun
DIE FRANCE. 37
C
siécrie & domande la préféance ; mais il faut
que chacun paffea fon tour. Un Galcon vient
dizel à Caffandre qu'il vekt battu le matin ,
imais quederfen de fori ennéthi , étant magné •
fé, luba caufeus mouvementfréquent qui l'a
fait tomberà la renverſe il a donc bel
foiny derdomplecourscoafa " de pouvoir
avec un fer apprêté y travailler à son tour
font ennemis à travers une groffe murdille.
Deujeunes femmes Aglaé & Hortenfe ,
fuécèdent du Gafcon celle-ci veut auffi fe
faire magnétifera Le bruit infernal que font
lės malades d'engage à les obſerver. Elle reconnoît
ſon imati dans un Procureur affis &
la droitedu baquer, & qui a la branche magnétique
appuyée fur le front. Sa maladie
confifter en del fréquens maux de tête , dont
iheft affligé depuis fon mariage . Hortenfé ne
vent pas refter: elle demande au Chelatan
s'il ne va poim en wille , & celui - ci l'affure
qualyva , pourvu qu'on ait le foin de l'aver
tir la veille. Après quoi Hortenfe fort avec
Aglaérem fe moquano de fon mari , qui ne
l'a point apperçuerant il eft plein de fon
objet: Enfin het queſtion de magnétifer le
Procureur on lui touche de front, on lui
préfente und glace , on lai fait fixer les yeux
furtune pendule qui fonne coucou , i tombe
dans un fauteuil. Peu à peu la vertu magnétique
lopère fur tous les malades , qui fe lè
vent en chantant tour à tour , für láir d'un
canon très fancien am 10ɔßol 25
+
C
Je fais un fou , Meffieurs , où me fogerez -vous , &c.
38 MERCURE
G
A chacune de ces queſtions , les Docteurs
répondent à lafalle des crifes ell efter on
les conduit dans cette falle , qu'on apperçoit
dans le fond du Théâtre. Puis un Duo, entre
les Docteurs , dans lequel ils fe félicitent
mutuellement de l'heureux fuccès de
leup entreprife, & de l'argent qu'elle leur
vaudra.his 3976 tiongroys nievod qua
On entend fans ceffe,répéter qu'il ne faut
pas juger des bagatelles avec févérité , & au
premier coup d'oeil on eſt aſſez ordinairement
la dupe de cette manière de penfer ;
mais avec un peu de réflexion vil reſt pas
difficile de s'appercevoir qu'à force d'indul .
gence pour les bagatelles , on autorife les
jeunes Auteurs à ne plus s'occuper que de
futilités , on habitue les Spectateurs à une
efpèce de jouiflances propres à dénaturer le
goût , à introduire la licence , & à leur faire
oublier tous les principes de l'honnêteté publique.
De quel seil , fi ce n'eft avec celui du
mépris , & même du dégoût , des hommes
raifopnables, ceux qui croyent encore que la
décence n'eft pas un mor vague & yuide de
fens devroient - ils confidérer cet amas indigefte
de Rebus, de Calembourgs , d'équivoques
, de jeux de mots , de plaifanteries hafardées
, & qui ne doivent fouvent tout leur
fel qu'à un vieux refrain mis en oeuvre avec
une intention libertine ? Néanmoins , nous
voyons tous des jours les gens qui , par leur
état , leur naiffance & leur caractère , devroient
être les ennemis de ces miférables
2
DE FRANCE 39
productions les applaudis saved tranfport ,
en devenit les prôneurs & les appuis. On ne
fauroit refufer beaucoup d'efprit àd'Auteur
quelconque des Docteurs Modernes .Ses cour
plets font tournés avec grâce , coppés avec
facilité, & quelques uns d'eux font vecminés
par des épigrammes très- ingénieufes , & que
tout Écrivain avoueroit avec plaifir; mais
( nous l'avons déjàdio & nous ne nous
lafferons pas de le répéter ) comment un
homme d'efprit , au dieu de travailler pour
fa réputation d'une manière utile & honorable,
defcendit-il jufqu'à fe proftituer , pour
ainfi dite, d'une façonaviliffante ? On aicomparé
le Mariage de Figaro à une Laïs : à qui
Comparefa ton la Comédies Paradestelle
qu'elle vient d'être régénérée au Théâtre Italien
Il faut , par délicareffe , s'abstenir de la
comparaifen. Il nous femble pourtant indifpenfable
de remarquer qu'il eft bien éton-
Hane que ce foit au moment même que la
Comédie Italienne a obtenu le privilége de
représenter la Comédie Françoife , qu'elle
aft ouvert la carrière à un genre qui met fa
Séêne au niveau de celles des Remparts ? -
C'étoit las difort on , que nous devions voir
fe former cette feconde Trouper long - tems
demandée & fp néceffaires à la reftauration
de l'Art. Si c'eft ainfi qu'on remplie nos efpérances
, nous ferons bientôt réduits au
Teul plaifir de méditer nos chef d'oeuvres
Dramatiques dans le filence du cabinet . On
dévoue , & le Gouvernement permet de dé-
12
40 MERCURE
vouer au ridicule les Charlatans qui vien
nent nous apporter les maladies & même la
mort , en nous annonçant la fanté : & cotle
tolérance peut être fort lage , mais on devtoir
anili permettre quel'on exposât à larifée publique
ces empyriques Littéraires qui femblent
avoir conjure à la fois la perte du goût &
celle de la décence , & qui ne favent exciter
le rire qu'aux dépens de la pudeur. I peſt
pas fi indifferent qu'on le penfe de maintenir,
dans habitude des plaifirs honnêtes & des
jauiffances délicates , une Nation talle queila
nôtre , à laquelle on ne fauroic refufer deda
grandeur , mais dont l'efprit capricieux &
frivole eft fufceptible d'être facilement egate,
& de
friendre!Pombre quomo
petréalité
, &
l'ivreffe pour du plair, M6217A
efprit corrompu ne fut jamais fublime,
96 916 90
Memuat al LASTOM MLG 25905 ' , 20
a dit Voltaire. En littérature.comme en morale
, ce principe eſt unconteſtable ; & pearêtre
eft il déjà plus que remps de réfléchir fur
la vérité qu'il renferme, Rome s'avilit avec
l'amour effréné des Pantomimes ; les femmes
Romaines en devinrent folles , eltlieess commu
niquèrent leur enthoufafme à leurs époux
à leurs parens , à leurs amis ; de proche en
proche le mal devint général, un luxe effréné
avoit préparé la révolution los monisife
relâchèrent, la vertu fe cacha , le vice leva
un front audacieux , & le génie Romain s'abâtardit.
En formes Hous la Finitons- nous
comme les Vainqueurs du Monde ?
J
E
>
DE FRANCE ན་
* Top 208 11:00 251 SiusiBIT DE TRUCT
ANNONCES ET NOTICES.
½ : sinst al suspnonts abou no hom <
„ObraDaire univerfel & raisonné de Jurif
prudence Ouvrage des ph fieurs Jurifconfess
eno dre & pab ié par M Gayot , soavelle Edition
corriger & agmentée , dix - fept Volums in 4 cn
caractère petit Komain. A Paris , chez Vill , rue de
la Ha se , près la rue Serpente.
>
free cet. Ouvrage paroit
actuellement ,
& le Tome VI Paroltra dans le courant de te mois.
Jusqu'à ce que les cinq derniers Volumes qu'on doit
livrep gratis (aux Seufcripteurs paroiffent , fon conti-
Dutrase tecevoir des fouferiptions far le pied do
168 liy, diftribuées en treize payemens , dont le premier
oft fixé à 34 livres , & les atres à 12 livres
l'un en reurant chacun des douze Premiers Volumes.
Av1s à MM. les Sofferipteurs des Figures de
Hiftoire de France , comenajes par feu M. le
Bas, & continuées par M. Moreau le jeune , Deffinateur.
& Graveur du Cabinet du Roi , & debfon
Académie Royale de Peinture & de Sculpture, sa
2
A l'époque de la mort de M. le Bas , les Etampes
étoient au nombre de cent quarante- quatre ,
divifées en huit Livraifons de dix - huit chacune. M.
s'étant apperçu que ce nombre de dix - huit
Eftampes pat Livraifon croit d'une trop longue execution,
& retardoit la jouillance de MM. les Soufcripteurs
d'après cette réfexion , il a pris le parti
de divifer les hair premières Livraiſons en douze
de douze Eftampes chacune , ce qui fait toujours
les cent quarante - quatre Estampes. Par cet arran
gement , qui fera invariable , la Livraison qu'il
délivre dans ce moment eft la treizième des Figures
de l'Hiftoire de France , auffi de douze Eftampes."
MERCURE
$
Le prix eft toujours le même , de vingt fols par
Eftampe, ce qui fait liv. pour cette Livraifon A
Paris , chez M.Moreau le jeune , rue du Coq-
Saint-Honoré , pprès du Louvre ,
ainfi que les Vues
des Monumens des environs de Paris , & la fourcription
des Ouvres de M. de Voltaire , dont il
paroit quatre Livraisons in- 8 . & in - 12 ; de dix
Eftampes chacunegmozas ils & Calarasimh
ET
MM. les Soulcripteurs font priés de faire retirer
leurs Livraifons.jozusb case polup og mot 38 , color
2nd ab
ATLAS de la Géographie ancienne , par M.
Bonne , premier Hidrographe du Roi , avec des
Tableaux Hiftoriques & Chronologiques des ptincipales
Révolutions depuis les Empires connus jafqu'au
moyen Age, fervant d'explication pour chaque
Carte , avec une Table alphabétique de comparaifon
des noms anciens avec les modernes par M. de
Grace , Cenfeur Royal . Prix 21 liv , als Car Ouvrage,
demandé & attendu depuis long- temps du Publie , eft
du même format de l'Arlas moderne fuivant la Géographie
de feu M T'Abbé Nicolle de la Croix connu
du Public , & en eft le complément , qui le porte à
cent feuilles. On en trouvera de reliés enſemble ou
féparément , à Paris , chez le ficur Lattré , Graveur
ordinaire du Roi , rue Saint Jacques y la portecochère
vis a vis la rue de la Parcheminerie , nº 20.
On trouvera chez le même Artifte un très-beau Plan
de Paris fur la feuille de papier grand Aigle de Hollande
, avec tous les nouveaux alignemens , même
ceux projectés .
. Ce Plan ne fe vend que lavé , prix ,
7 liv. 4 fols ; un autre réduit à moitié fur la feuille de
Nom de Jefus de Hollande. Priz , 6 liv . lavé ; un de
quatre feuilles dédié au Roi par feu M. Jaillor , Géographe
ordinaire du Roi , fur lequel tous les changemens
ont été portés , un beau Plan de Rouen en
deux grandes feuilles , dédié à M. de Crofne , Inten-
9
I
DE FRANCE. 43
с
T
མ་
dant de la Généralité, Prix , 4 liv, 4 fols ; une réduc
tion du même Plan dédié à M M. du Corps de Ville.
Prix, livre 16 fols ; une Carte des États - Unis , de
l'Amérique , avec la nouvelle divifion fuivant le
Traité de Paix de 1783 , dédiée & préfentée à M.
Franklin , Miniftre des Etats Unis de l'Amérique
presla Cour de France . Cette Carte eft fur une feuille
& demie d'Aigle , & eft accompagnée d'un Abrégé
Hiflorique des Expéditions Militaires, Brix , 2 liv.
Yo fols , & tout ce qu'on peut defirer en Géographie ;
des Ecrans de tous genres proprement faits , & pluheurs
objets d'étrennes curieux & utiles , J » A
29b povs jo ob odger orbift winstg Sudes
aura Choifies de l'Abbé Preveſt , avec
Figungs , meuvième Livraiſon , contenant les Mémeires
d'unejeune Dare , trois Volumes. Cetic inréreflante
Collection touche bientôt à la fin,
sh On fouferit pour le sites Duvres , conjointement
avce calles de le Sage , à Paris , chez Curhet , rue &
horst Serpente , & chez les principaux Libraires de
Europe Le prix de la fouferption eft de livres
hools le Volume braché. On a tiré vingt , quatre
Exemplaires fur papier de Hollande à 12 liv. le Yolume/
brochéilt ob stavolt us n✪ 25lliust sa
QeverƆed tod et esilo + geral consinberat
211
LAMANS de Mythologie , avec Analyfe des
Poemes d'Homère & de Virgile, fuivie de l'explication
allégorique à l'usage des jeunes Perfonnes de
L'un & de Dautre fexe par M. de Bafville , ine 8 .
Prix , 6 livres broché. A Genève , chez Barthélemi
Chirol , Libraire , & fe trouve à Paris , chez Lautent
, Libraire , rue de Tournons muselo
sh Get Ouvrage eft une compilation , mais une
compilation uile, & qui annonce de l'inftruction
& du zèle de la part de fon Auteur. Il refpire & il
eft fait pour inspirer l'amour de l'Antiquité . Il y a
un très-grand nombre de figures , moyen propre à
44
MERCURE
erprofondément
dans
i
amufer la jeuneffe, & à
mémoire ce que l'on veut y faire entrer.
9
if
egold vo , zrin I of my iguj zaJAKUTKOZ
Es's furles convenances grammaticales de la
Langue Françoise ou l'on traire effentiellement
des rapports qu'ont entre eux ou avec les objets de
nospidéesyo &c , par M. Rouffel de Breville an
cien Avocat au Parlement. A Lyon, chez Jeans
Marie Bruyffer père & fils , rue S. Dominique, plsup
Le merre de cet Ouvrage eft aufli réel que fe
titre en eft vmodefte. On y trouvera des apperçus
neufs fur notre Langue , de fages difcuffions eN
un mory cette production est également eftimable ,
& par les principes qu'elle renferme, & par lacingthode
aveclaquelle ils font préfentés, bm na is-alla
1391100 25b mt a y ( asibiḍu) el toilevadƆ al
La Vie de M. Bourdoife , premier Prare de la
Communaute & Séminaire de Saint Nicolas du
Chardonnet Teconde Édition , revue , corrigée &
abrégée, 12. Pris , liv broché , livro fots
relié. A Paris , chez Morin , Imprimeur Librairey
rue Saint Jacques alteri cosi 3190 101 29ld
1
3
"
C'eft l'abrégé d'un Ouvrage édifiant & très-an
cien , qui a joui d'un grand fuccès dans fa noud
veauté. Nous croyons , comme l'Editeur, qu'une
chofe bien étonnante c'eft qu'un homme fans
nom , fans bien , fans crédit avec des talens még
diocres & peu d'étude , ait pu parvenir à corriger de
nombreux abus dans l'Eglife , y ramener l'ancienne
difcipline , & concourir à l'établiſſement de tant de
Séminaires & de Communautés Religieufes.
200
On trouve chez le même Libraire ; & à Rennes
chez les Dembifelles Vatar , Libraires , les trois
Héroïnes Chrétiennes , ou Vies édifiantes de trois
jeunes Dembifelles par M. l'Abbé *** Get Cus
vrage avoit déjà paru avec un fuccès mérité, &
DE 45
FRANCE.
Edition eft
Petsintereſſance
d'une
nouvelle
Vie
&
de traits
29105_326) Y JUv noi sup 90 sitom .
FONTENELLE jugé par fes Pairs , ou Eloge de
Fontenelle en forme de Dialogue entre trois Acadé
mittens des Académies Françoife des Sciences &
des Belles Lettres, feconde Edition précédées d'un
Extrate des Jugemens que MM'Abbé Royou a portés
de cet Ouvrage, &fuivie d'une Galenie Poétique de
quelques Evénemens de l'année 783. A Paris , chez
Belin Libraire, rae Saint Jacques , près Son Yves;
Baily Libraire rue Saint Honorégovis-à- visə la
Barrière des Sergensband og 10) duer
5
Nous avons annoncé da première Éditions de
cef Ouvrage , & nous lai avons donné des éloges.
Celle- ci en mérite d'autantophis sque Auteurs ( M .
le Chevalier de Cubières ) y a fait des corrections
& des augmentations très - heurenfes, Les Pièces que
repforme la Galerie Poétique ont toutes paru dans
les courant de l'année 1783 année à jamais mémorableopard
découverte de M. de Montgolfier. On
trouve dans certe Galerie denx Pieces, fort agréables
fur cette découverte intéreffante , l'une intitulée
les Prodiges des Sciences , & des Arts, & l'autre
l'anti -Philofophe l'Epitre à l'Auteur du Séducteur
dorfqu'il étoit encore Anonyme ; les vers f
fur
la mo de M. d'Alembert que nous avions déjà
publiés le tremblement de terre de Melfine, ou la
mor de la Marquise de Spadara , Poëme Lyrique ;
la Promenade au Sallon de 1783; l'Epitre, aux Auteurs
des Voyages de Rofine , &foonos 3 anilgisi
29lapigile 2010scummoƆ ab 2, ispion?
DISSERTATIONS & Lettres fur le Méphitifme &
Lanti-Mipritime , adreffées à M. Cadet , par M.
Janin de Combe Blanche , A Vienne , & fe trouvent
à Paris chez les Marchands de Nouveautés
e
3
L'Auteur fe plaint beaucoup de pailieurs Mem
46 MERCURE
bres de l'Académie , qui , après s'être déclarés
contre l'anti Mephitifme , l'ont adopté , & s'en
font dit Auteurs.; quoique l'objet de cette difcuffion
foit intereffant par lui - même , nous avons
trouvel'Ouvrage un peu verbeux; nous ne déciderons
pas le fonds de la querelle , & laiferons aux
Lecteurs le foin de vérifier la vérité des faits, l'exactitude
des citations , la folidité des principes & la
juiteffe des raifonnemens . Au refte , cet anti - Méphitique
n'eft autre chofe que du vinaigre mêlé avec de
l'eau que l'on jette dans les folles d'ailance lorfqu'on
en fait l'ouverture.nog ub rengiai suol & X20;
igo, amovib, eso stang 2011 nov
MEDECINE des Animaux domefiques, renfer
mant les différens remèdes qui conviennent pour les
maladies des chevaux , des vaches , des brebis , des
cochons , de la volaille , des oifeaux de fauconnerie ,
des petits oifeaux , &c.; par M. Buchoz , Auteur de
différens Ouvrages économiques , feconde Edition ,
augmentée. A Paris, chez l'Auteur, ue de la Ha
Harpe
la première porte - cochère au deffus du Collège
d'Harcour.
+
·
226523211
Tout le monde connoît les Ouvrages de M.
Buc'hoz Celui - ci a le mérite d'intereffer, une
claffe de Citoyens bien précieufe , les Agriculteurs.
MÉMOIRES du Mafée de Paris. Sciences.
No. 1. A Paris , chez Moutard , Imprimeur - Libraire
, rue des Mathurins , hôtel de Cluny,
On a applaudi au projet de publier les Mémoires
du Mufée. Cette première Livraifon traite du feu
complet , par M. Ducarfa. La longueur de ce Mémoire
& des Pièces qui y font relatives , a empêché
qu'on ne fit paroître le Difcours préliminaire ; on le
donnera à la deuxième Livraison.veld
) ob Juicy
paiz eb
A, B , C, ou Jeu des Lettres de l'Académic des
DE FRANCE. 47
Enfans , & Recueil de leurs Etudes , nouvelle Edition
, divifé en trois Parties , ornées de Figures &
d'un petit Atlas élémentaire , le tout mis dans un
ordre très méthodique , par M. Frefeau , Inftiruteur
pres A Paris , chez l'Auteur , Place de l'Ecole ,
D
près le Pont Neuf , la Verve Heriffant , Imprimeur-
Libraire , rue de la Parcheminerie , & Savoye ,
Libraire, rue Saint Jacques A Verfailles chez
Blaizor & Leguay, Libraires.
DANO 255 ni
Nous avons annoncé les Cayers de l'eftimable
à mesure qu'ils ont paru . Il
Ouvrage de M.
Frefnica opres à attacher les Enya
joint de petits Jeux "
fans , & à leur infpirer du goût pour l'étude . On
peut voir la Note & les prix de ces divers objets
dans un Extrait que M. Frelicau communique gratuitement
chez lui: sup zablomst ans-stu
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Prot , Mufiçien de la
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Pfit , liy 4fols. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Honoré , près celle Saint Nicaife , maifon de M.
Roblate Epiciet, & à la Comédie Françoife pendant
le Spectacle.
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On deit favoir gré à M. Prot , qui a déjà donné
plufieurs Ouvrages pareils , de confacrer les talens à
l'avantage des Commençans, ca 2013- b C
2
PAUDEVILLE du Marioge de Figaro , avec
hdit variations arrangées pour le Clavecin , par M.
B...., Profeffeur. Prix livre 16-fols. A Paris , chez
Mlle Levaffeur , rue Saint Honoré , entre celle du
Four & celle des Prouvatires , maifon de M Sedillot.
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SNUMERO 20 des Ariettes & petits Airs pour
Le Clavecin ou la Harpe , par M Dreux le jeune ,
Maître de Clavecin. Prix , réparément 2 liv . 8 fols .
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art, se a
48 MERCURE
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A Paris , chez Mlle Girard , rue de la Monnoie , à la
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DEUX Duos , le premier pour deux Harpes ou
Harpe & Violon , le fecond pour Harpe & Violon
obligés , par M. Mayer. Prix , 7 liv. 4 fols. A Paris ,
chez l'Auteur , rue Neuve des Capucins , Chauffée
d'Antin , hôtel de M. le Marquis de Choiſeul.
L'ART de jouer de la Harpe démontré dans fes
Principes , dédié aux Amateurs de cet Inftrument
fuivi de deux Sonates , par M. Cardon , OEuvre XII.
Nota. Les premiers Élémens fe trouvent dans la
Méthode du fieur Coufineau fils . Prix , 9 livres. A
Paris , chez MM . Coufineau père & fils , rue des
Poulies.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes, le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
Me's
Matheurs ,
Vers d Egle ,
TABLE.
Romance du Barbier de Sé
ville
3 Mémoire fur le premier Drap
de Lainefup rfine du crû de
la France , 3 ་
6 Aca émie Roy. de Mufiq. 33
Charade, Enigme & Logo gry Comédie Italienne ,
phe
Floge de Fontenelle
AI
9 Annonces & Nonces ,
10
APPROBATIO N.
35
JAT lu
. par ordre
de Mgr
le Garde
des Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
4 Décembre
. Je n'y
ai rien
trouvé
qui
puifle
en empêcher
l'impreffion
. A
Paris
, le
Décembre
1784.
GUIDI
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II DÉCEMBRE 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES VOYAGES DE COLOMB ELLE
JET VOLONTAIRETTE.
Sur l'Air des infortunés Amours de Gabrielle de
Vergy & de Raoul de Coucy.
COLOMBELLE &
VOLONTAIRETTE
Vivoient enfemble , étoient deux fours :
L'une étoit volage & coquette ,
Changeant & de goûts & d'humeurs,
L'autre étoit fage autant que belle,
Et fuivoit en tout la raiſon ;
Volontairette & Colombelle
Sont peintes affez par
leur nom.
UN BEAU jour on vient leur apprendre
Qu'un ordre du Grand Zuliman
N°. so, it Décembre 1784. C
so
MERCURE
Toutes deux les force à fe rendre
Près de ce Monarque Ottoman.
Il re falloit d'autre réponſe
Qu'une révérence & partir ;
Soudain Volontairette annonce
Qu'elle ne peut y confentir.
« MA SOEUR , eft- il fi néceſſaire ,
» Dit-elle , de quitter ces lieux ?
» Entre nous , il ne peut
"
fe faire
Qu'un feul amant ſuffiſe à deux.
» Devons-nous obéir aux hommes ?
35
53
Quel eft leur empire fur nous ?
Vingt adorateurs où nous fommes ,
» M'amufent plus qu'un trifte époux.
« L'HYMEN eft un Dieu mércénaire ,
» Et je hais l'Amour en turban :
» Je fais ce qu'il faut que j'eſpère
» Des careffes d'un Mufulman.
ور
--
Ma four , il follicite , il preffe ;
Pourquoi fuirions-nous fes regards ?
" De ces lieux foyez la Déeffe ;
» Qu'on vous encenfe , moi je pars. »
A CES mots , changeant de langage ,
Volontairette fuit ſa ſoeur ;
L'Amour dans ce pélerinage
Leur fert , dit-on , de conducteur.
DE FRANCE
st
Bientôt une belle prairie
Leur offre
pour lit de repos
Des gazons dont l'herbe fleurie
Verdit au bord des clairs ruiffeaux.
COLOMBELLE , toujours frappée
Des voeux de fon royal amant ,
Toujours à lui plaire occupée ,
Lui compofe un bouquet charmant.
L'infenfible Volontairette ,
Évitant les feux du foleil ,
Loin de cueillir la violette ,
S'affied , & fe livre au fommeil.
UNE abeille vole autour d'elle ,
Et voyant l'éclat de fon teint ,
Conçoit l'efpérance infidelle
D'y puifer le plus doux butin.
En vain feroit- elle accusée
D'avoir fait naître fa douleur :
Le dard de l'abeille abusée
A cru pénétrer une fleur .
VOLONTALETTE confternée ,
Vientafe plaindre & fe lamenter.
Pourquoi , lui dit fa foeur aînée ,
Сс
» Dormir au lieu de m'imiter ?
De cette four trop peu chérie
La main effaie alors fes pleurs ;
"
Cij
5.2 MERCURE
Bientôt une autre étourderie
L'expoſe à de nouveaux malheurs,
DE BONS villageois , que les grâces
Ont remplis d'un reſpect touchant,
S'arrêtent tantôt fur les traces,
Tantôt l'admirent en marchant.
Avec elle ils font loin de comptes
Il faut plus à fa vanité ;
Sur un tas d'épis elle monte
Pour montrer toute fa beauté.
DE- LA fon regard fe promène
Sur les nombreux admirateurs ;
Elle a l'air d'une Souveraine
Qu'entourent les adorateurs.
Mais que de maux l'orgueil attire !
Son pied gliffe , & l'entraîne en bas....
Aux refpects fuccède le tire
Qui circule en bruyans éclats.
COLOMBELLE accourt éperdue
Au bruit de fa calamité ,
La voit fur le fable étendue
Et la relève avec bonté :
De ce nouveau revers ſurpriſe ,
Elle la gronde tendrement ;
Sages
avis
que l'on méprife
Et qu'emporte l'aîle du vent.
DE FRANCE
13
ELLE apperçoit la cour vieillie
D'un vafte temple inhabité ,
Où des Dieux qu'adoroit l'Afie
Jadis fiégea la majesté ;
Prompte à fecouer la contrainte
Où la foeur la retient toujours ,
De la demeure autrefois fainte ,
Elle veut voir tous les détours.
DE PROFANES Devinereffes
Y vont par fois tenter le fort :
C'eſt-là que ces enchantereffes
Prédient la vie ou la mort :
Volontairette veut s'inftruire
Des mystères de fon deftin ,
Et foudain fe fait introduire
Au feuil d'un antre fouterrain,
UNE Voix fombre & prophétique
Lui crie auffitôt d'avancer ;
Au milieu d'un cercle magique
Debout elle la fait placer ;
Une main , de fa chevelure
Vient dérouler les blonds anneaux ,
Que fait errer à l'aventure
Le fouffle des Dieux infernaux.
AUTOUR de la jeune imprudente
On allume de noirs brandons
Ciij
54
MERCURE
Paitris d'une réfine ardente
Et de la graiffe des lions .
La Circé de ce fombre aſyle
Se met à hurler , à beugler ;
D'affreux ferpens viennent par mille
Entre les flambeaux circuler.
TOUT-A- COUP la poix enflammée
Fait au loin voltiger fes feux ;
De Volontairette alarmée
Ils atteignent les longs cheveux :
Elle s'élance de l'enceinte
Cù l'on cherche à la retenir.
Souvent où l'on entre fans crainte ,
On n'en fort pas fans repentir.
ELLE va joindre Colombelle ,
Qui pleuroit fa déſertion .
« Hélas ! ma chère , lui dit-elle ,
J'arrive du fac d'Ilion :
» Vois mes cheveux & mon viſage ,
» Comme le feu les a noircis !
و د
Ma foeur , il falloit- être fage
» Et profiter de mes avis, »
LÉGÈREMENT elle l'écoute ,
Et de la ville cependant
Toutes deux reprennent la route ,
Non fans un nouvel accident.
DE FRANCE.
55
La ville où le fort les appelle ,
Déjà vient frapper leurs regards ;
Mais la victoire arrive - t'elle
Sans qu'on ait vû mille hafards ?
DE ROCHERS une énorme chaîne
L'environne de tous côtés ;
Le pied ne peut gravir qu'à peine
Sur leurs fommets infréquentés.
Ọ terre ! ô fortuné rivage !
Que tu vas caufer de douleurs !
Tu n'es plus qu'une vaine image
Qui fuit devant l'une des foeurs .
DU CREUX de ces roches affieufes
Un aigle part en ce moment ,
Et vient près des deux voyageufes
Planer majeſtueuſement.
Volontairette , pour le fuivre ,
S'élance après lui ..... Mais , hélas !
A quel efpoir elle le livre!
Le précipice eft fous les pas.
DIEUX ! veillez fur fa deftinée !
Défendez -lui d'en approcher !
Vau fuperflu ..... L'infortunée
Roule de rocher en rocher ;
Et portée au fond d'un abyme ,
Où ne pénètrent point les yeux ,
Cv
56
MERCURE
De les erreurs trifte victime ,
Meurt les bras tendus vers les cieur.
LA MALHEUREUSE Colombelle ,
Vainement à cris redoublés ,
D'une voix mourante l'appelle ;
Les feuls échos en font troublés.
Dans cette folitude horrible ,
Laffe enfin de fe lamenter ,
Au fond de l'abyme terrible
Elle-même veut fe jeter.
JE VAIS , ma foeur , je vais , dit- elle......
Les Envoyés de Zuliman ,
Heureufement pour cette Belle ,
L'arrêtent par fon doliman ;
Survenus au moment funefte
Où les jours vont ſe terminer ,
Pour en mettre à couvert le refle
Ils fe hâtent de l'emmener.
ADOREZ , lui dit-on , Madame ,
» De Zuliman la volonté ;
» Pour vous de la plus vive flamme
→ Son noble coeur eft tourmenté . »
Ils difent , baifent la pouffière
Qu'agite fon pied d'élicat ,
Et dans une riche litière
La conduifent au Potentat,
DE FRANCE.
17
ZULIMAN , frappé de fes charmes
Au même inſtant veut l'époufer :
« Jugez , dit- elle , par mes larmes ,
Si ma douleur peut s'appaifer.
33 Jugez de la pompe ordonnée
» Si je goûterois la douceur ;
» Doit- on fonger à l'hymenée
Le jour qu'on a perdu fa foeur ? »
* EH BIEN ! répond t'il , à ſa cendre
Rendons les honneurs qui font dûs:
» De mon trône je vais deſcendre
Pour payer ces juftes tributs. »
A ces mots , fon âme enflammée
Enchaînant fes vives ardeurs ,
Aux larmes de fa bien aimée
Zuliman vient mêler fes pleurs.
LE LENDEMAIN , au rang fuprême
Affife auprès de fon amant ,
On voit un brillant diadême
Parer le front le plus charmant ;
Que tout l'éclat qui l'environne
Préfente un utile tableau !
La foeur prudente eft fur le trône ,
Et l'étourdie eft au tombeau.
(Par M. le Chevalier de Cubières. )
Cv
5S MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Quinze- Vingits ;
celui de l'Enigme eft la lettre ; celui du
Logogryphe eft Échanfon.
CHARADE à Madame
qui s'y reconnoîtra .
Mon premier avec pompe éleva les Héros
Qui vengèrent jadis Rome de fes rivaux.
Belle Églé , nion ſecond eſt une ville en France ;
Mais vous êtes mon tout.... foit dit fans qu'on s'offenfe.
( Par M. Boinvilliers Foirefter. )
ENIG ME.
JE fuis en fens différent
Un double dépofitaire
Dont chacun eft à fe taire
Condamné diverfement ;
L'un chez les Grands néceffaire ,
Des petits eft refpecté ;
Et fon infidélité
N'eft jamais involontaire ;
DE FRANCE.
19
1
Un ufage plus vulgaire
A mon double eſt réſervé ;
Et fi , comme
il peut
Son dépôt eft violé ,
fe faire ,
Ne l'appelez pas un traître ,
C'eft un malheur qui , peut-être ,
Ne feroit pas arrivé
Sans la faute de fon maître.
JE
LOGO GRYPHE. 4
E fuis une prifon où les captifs ferrés
Gémiffent détenus fous des verroux dorés ;
De cet obfcur cachot le Geolier , s'il eft fage ,
Pour le bien des captifs doit fermer ce paffage
A tous les élémens. Ciel ! qu'il eft malheureux ,
T'écrîras-tu , Lecteur , d'être en de pareils lieux !
Garde- toi de le croire : on eft digne d'envie
Quand on peut s'y gêner tous les jours de fa vie.
En fouillant mes fept pieds , tu trouveras dans moi
Les armes , & le nom , & le titre d'un Roi ;
Une lourde monnoie en vogue en fon empire ;
L'un des frippons , Iris , pour lefquels je ſoupire ;
Un proche parente ; un goût , une fureur
Dont l'immortel Regnard nous retrace l'horreur ;
Un animal aîlé ; ce miroir de nos âmes
Que l'âge enfin ternit , & que plâtrent nos Dames.
C vj
60. MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Staniflas Premier , Roi de
Pologne , Duc de Lorraine & de Bar , par
M. l'Abbé Proyart , de plufieurs Académies
Nationales & Étrangères. 2 vol.
in 12. A Lyon , chez Pierre Bruyſet-
Ponthus , & à Paris , chez Berton , Libraire
, rue S. Victor.
L'e'HISTOIRE d'un Roi , l'honneur & l'amour
de la Pologne ; qui renonce à une couronne
pour épargner le fang humain ; dont les vertus
pacifiques ont égalé les qualités guerriè
res qui a confacré les dernières années de
fa vie à faire le bonheur d'une grande Province
, & qui enfin , après avoir donne à la
France une Reine adorée , devient le modèle
de tous les Souverains ; eft un objet bien
intéreffant pour un François. M. l'Abbé
Proyart a rempli certe tâche avec le même
zèle qu'il a mis à écrire l'Hiftoire du Dauphin
, Élève de Fénelon , & celle du Dauphin
père de Louis XVI . Son ſtyle joint à la clarté
la fimplicité qui convient à l'Hiftoire ; il a
travaillé d'après de bons matériaux , & les manufcrits
que lui ont communiqués M. Aillot ,
Commiffaire de la Maifon de Stanislas , &
DE FRANCE. 61
&
M. de Solignac , Secrétaire de ce Prince ,
de l'Académie de Nancy , font de sûrs garants
de la fidélité & de l'exactitude des faits renfermés
dans cet Ouvrage.
Le premier volume contient l'Hiftoire de
Stanillas, divifée en fix Livres , dont le premier
conduit depuis l'enfance de Staniflas juſqu'à
Félection d'Augufte HI ; le deuxième , depuis
cette élection jufqu'à la dépofition d'Augufte ,
fuivie de l'élection de Staniflas ; dans le troifième
, on voit la fuite des mouvemens qui
agirèrent le Nord depuis l'election de Staniflas
jufqu'à fa retraite en France ; le quatrième
offre l'hiftoire des révolutions que ce
Prince éprouva dans fa fortune jufques à
fa feconde élection ; le tableau des vertus
royales que Stanifles fit briller fur le trône
de Lorraine , & le détail des qualités de fon
coeur & des vertus de fon âme , font la matière
des deux derniers.
Le fecond volume contient ce que le Roi
de Pologne a écrit de plus intéreffant fur
divers fujets.
Si le Roi Staniflas étoit moins apprécié
fi la plupart de nos Concitoyens n'avoient été
les témoins de fes vertus & de fes bienfaits ,
nous nous emprefferions de faire connoître
cet augufte perfonnage ; mais ſa naiffance , fa
double élection au trône de Pologne , for
Voyage en Turquie , fon intimité avec Charles
XII ont été tracés dans toutes les Hiftoires
du temps ; & nous croyons faire plaifir
à nos Lecteurs en cherchant à leur faire con62
MERCURE
noître Stanislas dans les propres Ouvrages.
Ils refpirent par tout les vertus dont fon
coeur étoit pénétré, on y voit tout ce qu'il
avoit fait pour établir dans la Lorraine &
dans fon propre Palais la plus fage adminif.
tration ; on y trouve des réflexions fur le
Gouvernement de Pologne , qui prouvent
toute la tendreffe qu'il avoit pour des fujets
dont il auroit fait le bonheur ; on y lit avec.
intérêt des réflexions fur l'éducation des enfans
, & principalement des Princes. Il a
adreffé ces dernières à Mgr. le Dauphin ,
fon petit fils , & père du Roi , on y voit
combien il étoit perfuadé que les Rois ne
font que les pères de leurs peuples , qu'il
fentoit tout le danger de la flatterie , & qu'il
favoit bien difcerner parmi les Courtifans
ceux qui pouvoient mériter fon eftime en
méritant celle de la Nation . L'article des
grâces & des bienfaits y eft traité avec difcernement
; & lorfqu'il parle de la juſtice ,
il fait concilier l'amour de l'ordre avec les
droits de l'humanité.
Le portrait du Philofophe , tracé de la
main de ce Prince , donnera une idée de fon
ftyle.
39
" Un Philofophe doir s'étudier à régler la
» marche de fon efprit , à difcuter les
principes , à examiner les vraisemblances ,
» à chercher le vrai avec autant de difcerne-
» ment que de bonne foi. Exempt de préjugés
, ennemi de tout paradoxe , il doit
» connoître le prix de la raiſon , en étendre
"
DE FRANCE, 63
"
» les facultés , mais en refecter les bornes ;
» affurer où elle peut atteindre , douter où
» elle ne peut parvenir. .... ne pas cftimer les
grands états de la vie plus qu'ils ne valent ,
» niles baffles conditions plas petites qu'elles
» ne font. Il doit jouir des plaifus fans en
» être efclave , des richeffes fans s'y atta
cher , des honneurs fans orgueil & fans
fafte ; fupporter les difgrâces fans les
craindre & fans les braver , regarder com-
» me inutile tout ce qu'il n'a pas , comme
» fuffifant à fon bonheur tout ce qu'il pof-
» sède : toujours égal dans l'une & l'autre
» fortune , toujours tranquille , & d'une
"9
99
gaîté fans art , il doit aimer l'ordre &
» le mettre dans tout ce qu'il fait ; épris
des vertus de fon état , n'être extrême
» fur aucune , & les pratiquer toutes ,
» même fans témoins ; févère à ſon égard ,
» être indulgent à l'égard des autres , franc
» & ingénu fans rudeffe , poli fans faufferé ,
93
prévenant fans baffeffe ; il faut que , pé-
» nétré de l'amour du bien public , il aime
fa patrie autant que les plus fiers Romains
chériffoient la leur , qu'il y vive fans en-
» vie , fans intrigues , fans ambition ; qu'inac-
» ceffible à tout mouvement de vanité , il
» ne cherche point à y être connu , quoiqu'il
ne pûr que gagner à l'être ; qu'il s'y
» rende utile fans éclat & fans bruit ; en un
" mot , le Philofophe doit avoir le cou-
» rage de fe paffer de toute forte de gloire ,
"
» & , fans celler de fe refpecter , ignorer fes
"
64
MERCURE
.
•
» vertus , & compter pour rien juſqu'à la
philofophie même. »
Quelques autres morceaux pris au hafard,
achèveront de faire connoître fa manière ;
& comme il s'eft peint dans fes Ouvrages ,
ils ferviront en même temps à juftifier la
haute opinion que l'on avoit conçue de ce
Roi Philofophe.
"
"Les Arts utiles , protégez - les ; les Arts
agréables , fouffrez - les ; les Arts frivoles ,
rançonnez- les ; les Arts dangereux , proſ-
» crivez les.
33.
~
Quel est aujourd'hui le Bénéficier qui
» fe regarde comme l'économe & non le
propriétaire de fes revenus , qui font le
» bien des pauvres , & fur lequel il ne lui
» eft permis de prendre qu'une honnête
» fubfiftance ? Les plus riches Bénéficiers qui
devroient faire la gloire & le foutien de
la Religion , font ceux qui en font la honte
& le fcandale ; ils ont entre les mains le
» bien des pauvres ; & au lieu de foulager
leur misère , ils lui infultent par un faſte
» infolent.
"
L'autorité arbitraire n'a point de plus
grand ennemi qu'elle- même ; le defpotif-
» me abrutit la raifon dans les uns & l'aigrir
» dans les autres ; il ne peut y avoir que des
» efclaves fous un tel Gouvernement ; les
» fujets font les efclaves nés du Souverain ,
» & le Souverain l'eſt lui même de la crain-
» te & des foupçons . On doit bien cependant
le donner de garde d'écouter dans un
DE FRANCE. 65
-
לכ
95
» État ces fujets vicieux toujours prêts à
crier au defpotifme , dès que l'autorité fe
met en devoir d'enchaîner leur licence
» pour affurer l'ordre public. Les Empires
qui fe détruifent par le defpotifme , ne
» peuvent fe foutenir que par une fermeté
» conftante à venger les loix du mépris des
» méchans ; la foibleffe , qui ne punit rien ,
» eft foeur de la cruauté , qui punit trop ; on
» ne ménage jamais l'homme vicieux qu'au
préjudice de la fociété , & une clémence
aveugle eft la plus odieufe des tyrannies.
» Les divorces font moins d'éclat en
" France aujourd'hui , parce qu'ils y font
plus fréquens ; & le plus grand des fcan-
» dales , c'eft qu'ils n'y foient plus fcan-
" daleux.
"
"
" Le bon Miniftre eft celui qui s'applique
» à mettre en place le mérite plutôt que le
~ nom ; qui a le de fouffrir que les
courage
" Courtilans difent du mal de lui , pourvu
» que le peuple en dife du bien.
" Le Général que fe choifiroit une Armée,
vaudroit prefque toujours mieux que celui
» qu'on lui donne. »
Un jour Staniflas entra dans une Églife de'
Lorraine au moment où un Curé faifoit le
catéchifme aux enfans de fa Paroiffe ; il lui
demanda s'il le faifoit fouvent : « Trois fois
» la femaine , lui répondit le Curé : une fois
pour les inftruire de la Religion , & deux
fois pour la leur faire aimer. »
ور
»
"
Nous croyons que nos Lecteurs nous fau66
MERCURE
ront gré d'avoir multiplié ces citations , au
lieu de leur préfenter l'image de quelques
combats fanglans ou le fiege de quelques
villes , dont les noms barbares ne feroient pas
même reftés dans leur mémoire.
Nous aurions defiré que M. l'Abbé Proyart,
à qui on doit des éloges pour cet Ouvrage ,
eût été un peu plus précis , plus rapide dans
fon premier volume , & un peu plus févère
dans le choix des Ouvrages qui forment le
fecond. On y remarque fur tout plufieurs
lettres adreffées au Roi de Pologne par plufieurs
Souverains , qui font aujourd'hui
bien peu intérellantes , & qui répandent
une grande monotonie fur cette partie de
l'Ouvrage , puifqu'elles contiennent toutes
les mêmes chofes , n'étant que des réponses
uniformes à une circulaire écrite par Stanislas
à chacun d'eux. ·
M. l'Abbé Proyart fe juftifieroit peut- être
plus difficilement de fon zèle un peu amer
contre la philofophie ; peut être eft il peu
conforme à la charité fur tout , d'aller réveiller
& provoquer la juftice contre un u
vrage qui , comme il le dit , eft entre les
mains de tout le monde , & d'avoir l'air de
vouloir foulever le Clergé & les Magiftrats
contre une Académie ; fans doute les Académies,
tant Nationales qu'Étrangères , dont
M. l'Abbé Proyart fe fait honneur, & a vrai
femblablement recherché à être Membre ,
font plus éclairées , plus fages , plus religieufes
que celle contre laquelle il s'élève ;
DE FRANCE. 67
1
fans cela , il y auroit de l'inconféquence
dans fa conduite , & c'est ce qu'on ne fauroit
préfumer.
BLANCHARD , Poëme en deux Chants ,
par M. Duchofal. A Rouen , & fe trouve
à Paris , chez les Marchan is de Neuveautés.
Si parmi la foule prodigieufe des Ouvrages
nouveaux qui nous accablent , & qui font
devenus aux progrès des études & des talens ,
un obstacle non moins puiffant peut être que
le fut autrefois l'extrême rareté des Livres ,
on doit avant tout s'empreffer de rendre
compre de ceux qui font des monumens de
goût & de raifon , ou qui tendent à agrandir
la fphère des connoiffances humaines ; on
ne doit pas pour cela négliger de diftinguer
parini les Brochures éphémères , celles qui
ne pouvant pas intéreffer par elles mêmes ,
foit par le mauvais choix du fujet , foit par
le vice du plan & le défaut d'enſemble , annoncent
néanmoins les germes non équivo
ques d'un talent , qui n'a befoin que d'encouragemens
pour le développer par le travail
& la culture , & pour produire dans fa
maturité des fruits dignes d'être favourés par
les gens de goût. C'eft dans cette vûe qu'on
a cru pouvoir parler du Poëme intitulé
Blanchard. Sans nous arrêter au Héros de ce
Poëme , fans parler du plan , citons au hafard
68 MERCURE
quelques tirades qui prouvent que M. Du
chofal eſt né pour parler la langue du Poëte.
Cependant le Veſper & fes crêpes funèbres
Viennent fur l'horizon répandre les ténèbres ;
L'Artifan fatigué s'abandonne au repos;
Les bois n'entendent plus gazouiller les oifeaux;
Ou bien fi quelque bruit fuccède à leur ramage ,
C'eſt Zéphyr qui murmure à travers le feuillage ;
Enfin , pour abréger la longueur du récit ,
Le jour qui difparoît faifoit place à la nuit.
Cette defcription n'a rien de recherché ;
elle eft d'autant plus gracieufe qu'elle eft
plus naturelle. L'Auteur joint à ce mérite ſi
rare , de l'élan & de l'imagination .Voici deux
vers qui prouvent de l'effor poétique :
A ces mots il conçoit , il enfante , il détruit ;
L'art combat & triomphe , & le globe eft conftruit.
Il montre de l'imagination dans la peinture
qu'il trace de l'opinion.
Il eft une Déeffe errante & vagabonde ,
Qui , fur un vent léger , circule dans le monde ;
Elle naquit un jour avec l'entêtement ,
Et fon père, dit- on , fat le défoeuvrement.
Son temple eft révéré dans l'enceinte des villes ,
Et renferme un effaim de mortels inutiles ,
Des Moines , des Robins , de Commis & des Clercs.
La Déeffe y paroît fous vingt mafques divers ,
DE FRANCE.
Et du haut des autels partageant les fyftêmes ,
De l'orgueil à l'erreur conduit les fages mêmes.
On ne peut refufer à M. Duchofal une
tournure de vers facile , & cet heureux choix
de mots harmonieux , qui eft un des premiers
caractères du Poëte ; mais en l'encourageant
, on doit l'avertir qu'il a des torts à
expier ; il a débuté par une fatyre ; il a cru
fans doute marcher fur les traces de Boileau ,
& il a commencé par attaquer M. l'Abbé de
Lille , qui eft de Boileau du fiècle. Il ne peut
trop & trop tôt renoncer au métier d'un
Satyrique , qui , pour citer fes propres vers ,
Qai, diftillant par-tout le venin de la rime ,
Pour titer du néant fon Apollon pervers,
Vous condamne à l'oubli qui menace ſes vers.
Il faut que ce foit un bien mauvais genre ,
puifqu'il a forcé un jeune Écrivain que nous
croyons honnête , à encadrer dans fes premiè
res rimes le nom même de M. Thomas , dont
la perfonne & les Ouvrages doivent inſpirer
le refpect à tous ceux qui aiment les vertus
& les Lettres. Nous n'avons rien à ajouter
après cette réflexion.
7.0
MERCURE
LA Fortification Perpendiculaire , par M. le
Marquis de Montalembert , Maréchal- de-
Camp , de l'Académie Royale des Sciences
& de celle de Saint Pétersbourg. Vol.
in 4. grand papier, ornés de 104 grandes
planches. A Paris , chez Denis Pierres ,
Imprimeur Libraire , rue S. Jacques , &
Alexandre Jombert le jeune , Libraire ,
rue Dauphine , No. 116.
PUISQUE l'art de fortifier les Places & de
les défendre , a jufqu'à préfent été furpaffé
par celui de les attaquer & de s'en rendre
maître , il eft inconteftable que le premier
a befoin d'être perfectionné.
Mais il ne fuffifoit pas qu'une vérité auffi
importante fût fentie , il falloit qu'elle le
fût par un Militaire doué d'un eſprit d'ob
fervation , éclairé par l'expérience , qui ,
après avoir fupporté les fatigues de la guerre ,
fe livrât au travail de l'étude , & ne s'en
laifsât pas impofer par les grands noms des
Vauban , des Cohorn , qui , comme le remarque
M. le Maréchal de Saxe , ont em
ployé des fommes énormes pour fortifier des
Places fans le rendre plus fortes .
M. le Marquis de Montalembert , après
avoir fait quinze campagnes , commandé
à l'Ile d'Oléron , dans le temps qu'elle
étoit menacée de toutes les forces de l'Angleterre
, qui s'étoit déjà emparée de Belle Ifle
en 176 ; après avoir obfervé & vifité la
DE FRANCE. 71
plus grande partie des Places de guerre de
l'Europe , a employé tous les efforts pour
parvenir à ce point defirable pour l'huma
nité , celui de rendre la défenſe fupérieure à
l'attaque.
Il a publié en 1776 , 777 & 1778 , quatre
volumes in 4° . enrichis de 7 grandes planches
, qui font le fruit du long & utile travail
auquel il s'étoit livré jufqu'alors .
Mais la guerre étant furvenue à la fin de
la même année 1778 , elle lui a fourni de
nouvelles occafions de faire ufage de fesconnoiffances.
Ayant été chargé de fortifier
l'Ile d'Aix , & le local ni le temps ne lui permettant
pas de faire ufage d'aucune des méthodes
qu'il avoit déjà publiées , il a eu recours
à d'autres moyens qui ont donné encore
plus d'étendue à fes principes . C'eſt une
partie de ce qu'il a fait exécuter pendant cinq
ans pour la défenfe de la rade de l'Ifle d'Aix ,
& celle du port de Rochefort , qui fait le fujet
du cinquième volume qu'il vient de publier ,
orné de 17 grandes planches .
Les gens de l'Art peuvent maintenant fe
convaincre par les démonstrations que M. le
Marquis de Montalembert en donne dans
tous le cours de fon Ouvrage , que fon fyftême
eft préférable à ceux qui , juſqu'à préfent
, ont été adoptés. Sans même avoir. recours
à ces démonstrations , il s'élève fans
doute un préjugé très - avantageux en fa faveur
: c'eft que dans l'exécution qu'il a cue en
1761 , & qu'il vient d'avoir en 1779 , juſ
72
MERCURE
1
1
1
qu'à la paix , il a été approuvé de tous ceux
qui ont été dans le cas de le connoître , &
qu'il paroît revêtu du fuffrage de l'Académie
Royale des Sciences , qui ne l'a accordé que
fur le rapport de MM. les Comtes de Maillebois
& de Treffan , Lieutenans Généraux ,
du Comte de Buffon , le Ror , & de Borda
Capitaines de Vaiffeaux , tous Membres diftingués
de cette Académie.
Cet Ouvrage n'étant pas à la portée de
tout le monde , & n'étant conforme au goût
que de peu de Lecteurs , nous fommes forcés
de renoncer à le faire connoître par ane
exacte analyfe ; mais nous devons dire en
général que ce fyftêine de M. le Marquis de
Montalembert eft abfolument neuf ; que
c'eft un traité complet de l'art défenſif , applicable
depuis les plus petites Garnisons
jufqu'aux Armées , dans des lignes ou des
camps tetranchés , il comprend également
l'artillerie dans tous les differens ufages ;
embraffe & traite par confequent de toutes
les parties de la guerre les plus utiles , & l'on
peur ajouter les plus ingrates .
A l'égard du ftyle , il réunit le mérite rare
de la clarté , de la fimplicité & de la nobleffe
dans l'expreffion . On fent que l'Auteur ne
s'eft occupé que du foin de fe faire comprendre
; & on peut dire qu'il a parfaitement
réuffi , même dans la partie qui tient uniquement
à l'Art ; car cer Ouvrage n'eft pas
feulement élémentaire ; fi les principes y
font la bafe du fyftême , les faits viennent
DE FRANCE.
73
à l'appui des principes ; de façon que chaque
volume contient une partie hiftorique plus
ou moins étendue , qui ne doit pas faire
moins d'honneur à l'Auteur que ce qui s'y
trouve de purement fcientifique.
ACADÉMI E.
SUR le Prix de Morale fondé à
l'Académie Françoife.
DEPUIS trois ans , un des fujets les plus utiles , les
plus intéreffans , eft propofé par l'Académie Françoife
, à qui le Fondateur en a confié le jugement ,
& à peine eft-il connu dans le monde , & même
parmi les Gens de Lettres . Comment le fait - il que
ce qui mérite tant d'attention en ait fi peu obtenu ?
Il vaut mieux faire ceffer cette indifférence que de
s'arrêter à l'expliquer , & pour cela il faut rappeler
dans un fournal auffi répandu que celui - ci l'objet
de cet Ouvrage. Voici le Programme qui a été
publié dans le mois de Mars 1781 .
« Un Particulier zélé pour le bien public, & qui
penfe qu'une bonne éducation y peut beaucoup contribuer,
defireroit qu'il fût compofé un Traité élémentaire
de Morale qui expliquât & prouvât les
devoirs de l'homme & du citoyen. Il voudroit que
ce Traité fût fait d'après les principes du droit naturel
; qu'il fût clair , méthodique & propre à toutes
les Nations, •
Comme il eſt deſtiné aux Écoles , on defire qu'il
foit court & écrit dans un ſtyle fimple , qu'il n'excède
pas cent ou cent vingt pages d'une impreffion
in-12 , d'un caractère ordinaire , afin que fervant
Nº. 59 , 11 Décembre 1704. D
74 MERCURE
aux enfans qui apprennent à lire , il puiffe être lû &
retenu dans le cours de l'éducation , & qu'il puiffe
être acheté à un très - bas prix.
Pour engager les Gens de Lettres à la compofition
de cet Ouvrage , on a déposé 1200 livres chez
Me Sauvaige , Notaire , rue de Buffy.
On prévient qu'il faut que l'Ouvrage foit imprimé
& approuvé; ou fi l'on ne veut pas rifquer les
frais d'impreffion , il faut que le manufcrit foit revêtu
d'une approbation ou permiffion d'impreffion .
Les Exemplaires imprimés ou manufcrits & permis
d'être imprimés , feront remis audit fieur Sauvaige
, Notaire , d'ici au premier Mai 1782 , fans
nom d'auteur , mais avec une Sentence ou Épigraphe
, dont pareille fera enfermée avec le nom de
Ï'Auteur dans un papier cacheté , qui ne fera ouvert
que lors de la diftribution du Prix . Ce Prix fera
donné le jour de la Saint Louis 1786. »
L'Académie n'ayant reçu aucun Ouvrage digne
du Prix en 1782 , l'avoit remis à l'année 1784 ; elle
n'a pas été plus heureufe ; & connoiffant de plus en
plus les difficultés , comme l'importance de cet Écrit ,
elle a cru devoir accorder encore deux années aux
Auteurs. L'inftruction qu'elle a joint à fon nouveau
¡ Programme fera encore pour eux un plus précieuxavantage
; elle perfuade au Public tout l'intérêt qu'il
doit donner à cet Ouvrage ; elle leur montre tous
les obftacles qu'ils ont à vaincre , mais auffi toute la
gloire qui les attend ; elle leur trace des principes ,
& leur indique les principaux objets qui doivent les
arrêter dans ce travail fi noble , fi touchant & fi difficile.
En lifant ce morceau le Fondateur de ce
Prix a dû fe féliciter de nouveau d'avoir remis le
jugement du Concours qu'il a ouvert, à une Compagnie
non moins accoutumée aux utiles qu'aux beaux
Ecrits , & faits pour préparer par leurs vûes & leurs
leçons , l'Ouvrage même qu'ils doivent , couronner.
›
DE FRANCE. 75
L'Académie elle · même a dû fe trouver heureufe
d'avoir daus fon Secrétaire an Écrivain toujours
propre à préfenter d'une manière digne d'elle les
inftructions qu'elle doit répandre. Il eft malheureux
que l'étendue & le nombre des Ouvrages que l'Académie
avoit à offrir au Public dans la Séance de la
Saint Louis , n'ait pas permis la lecture de ce mor.
ceau ; il eût encore ajouté à l'éclat de cette Séance.C'eſt
une raiſon de plus de nous hâter de l'offrir au Public.
« Le Prix deſtiné à un Ouvrage élémentaire de Morale
n'eft pas donné , & l'Académie , en le réſervant ,
croit devoir laiffer aux Gens de Lettres encore l'efpace
de deux années pour méditer avec plus de loifir
& traiter avec plus de foin un fujet de cette importance
. Ainfi le nouveau Concours eft remis à l'année
1786 , & les Ouvrages y feront préfentés avant le
premier de Mai de cette même année .
Sans vouloir décourager ceux qui s'occupent de
ce travail , l'Académie fe croit obligée de les avertir
de l'extrême difficulté dont il eft , & de l'attention
qu'il exige.
De bons élémens de Morale , d'une affez grande
fimplicité , d'une clarté affez frappante pour être à
l'ufage des enfans , feront le chefd'oeuvre de l'ana
lyfe , de la méthode , de l'art de divifer , de définir ,
de développer les idées & de les circonfcrire, de les
faire émaner d'une fource commune , & fe fuccéder
l'une à l'autre dans l'ordre le plus naturel ; enfin ,
de l'art de les énoncer dans les termes les plus fenubles
, les plus clairs & les plus précis . 20 11
Deux conditions à remplir , felon l'énoncé du
Programme , font que l'Ouvrage foit élémentaire , &
foit en même-temps l'extrait & comme la fubftance
d'un Traité de Morale.
Ea dire affez pour le faire entendre à des enfans ,
dire affez pour ne laiffer dans leur entendement
Dij
76 MERCURE
aucune idée effentielle à éclaircir , à fuppléer , aucun
doute , aucun embarras dans la conception des
principes , dans la liaiſon des conféquences , aucun
naud, aucune rupture dans le fil qu'on préfente à
-leur foible raiſon , & qu'on peut bien appeler le fil
du labyrinthe de la vie humaine première difficulté
, qui feule étonneroit les meilleurs efprits.
-
En même temps réduire ce développement au
plus petit efpace ; & d'un ample volume de méditations
, exprimer comme la quinteffence de la Morale
univerfelle , en obfervant que la préciſion &
des idées & du langage n'ait rien de trop aride, &
que la féchereffe des préceptes foit corrigée , tantôt
par une image , tantôt par un exemple , quelquefois
par un trait de fenfibilité ; enfin , par le charme d'un
ftyle agréablement animé : autre condition qui ,
combinée avec la première , rendroit l'entreprife
décourageante , fi l'on n'étoit pas foutenu par un
puiffant motif de gloire , c'e - à-dire , d'utilité
publique.
Mais c'eft du côté de la méthode qu'eft la plus
grande difficulté.
En fuppofant même qu'on écrivit pour des hommes
déjà pourvus des notions communes , & à qui
l'ufage vulgaire de la Langue fût familier , on
feroit encore à chaque pas interrompu , détourné de
fa route par des idées accidentelles à éclaircir ou à
rectifier , & l'on doit bien fentir que fi l'on écrit
pour des enfans , les obftacles fe multiplient. On a
de moins , it eft vrai , l'embarras d'effacer de premières
impreflions ; mais, dans la tête des enfans, fi la
place eft encore fi nette , c'est parce qu'elle eft
vuide leur intelligence neuve & libre eft difpofée à
tout recevoir , mais elle manque de tout. Il eft
donc naturel aux enfans de fe livrer à cette curiofité
vague , inquiète & légère , qui prend le change à
chaque idée nouvelle ; & plus elle fera vive &
DE FRANCE. 77
prompte , plus elle aura befoin d'un guide sûr qui la
retienne , la captive ou la remette fur la voi:, dès
qu'il la voit s'en écarter.
Pour raifonner de morale avec Socrate , il eût
fallu moins de méthode que pour en parler à un
enfant ; car au moins les détours du Philofophe
n'étoient qu'un cercle qui ramenoit l'interlocuteur à
fon but ; au lieu que les écarts de l'enfant n'aboutiffen
: à rien , & nous égarent avec lui.
C'est donc à l'enfant même , fi c'eſt lui qui intertoge
, qu'il faut avoir foin de prêter une logique
naturelle ; & fi , dans le dialogue , on permet quelquefois
que des difficultés incidentes le détournent
du droit chemin , il faut que ces détours reffemblent
aux finuofités d'un fentier, qui n'allongent un peu la
route que pour la rendre plus facile.
C'eft -là fur-tout ce que l'Académie a defiré
dans le plus grand nombre des Ouvrages mis au
Concours, Ce n'eft pas feulement à développer les
principes d'une faine morale que l'on doit s'appli
quer , c'est encore à les expofer dans l'ordre le plus
direct & le plus fimple , & à faire de leur enſemble
comme une eſpèce de chaîne dont un enfant puiffe
tenir dans les mains les deux bouts , meſurer l'étendue
, & compter les anneaux.
Mais quelque univerfelle & quelque répandue
que foit la fcience de nos devoirs , tous les principes
n'en font pas fi familiers & fi pleinement éclaircis
qu'elle n'exige encore dans celui qui l'enſeigne une
raifon trè - mûre , & un difcernemènt très - délicat &
très- profond.
3
Les caractères du bien & du mal , & non - feule,
ment les grands traits , mais les nuances qui les dif
tinguent; ce qui , dans les inclinations , dans les
affections , dans les actions des hommes , eft criminel
, vicieux , déshonnête , méprifable & aviliffant ,
puniffable ou répréhenſible ; ce qui décèle la malice
- D iij
78
MERCURE
ou n'accufe que la foibleffe ; ce qui doit inspirer de
l'indignation ou feulement de la pitié ; ce qui fait
aimer la bonté , admirer la force de l'âme , eftimier
la droiture, adorer la vertu ; ce qui dans nos devoirs
eft de rigueur ou de bienféance , prefcrit par la Nature
ou par l'opinion ; la véritable & la fauffe
honte, la véritable & la fauffe gloire ; le vrai mésite
, & ce qui n'en eft que l'ombre ; l'eftime & la
leuange , le mépris & le blâme , pefés dans leur
jufte balance & févèrement difpenfés ; toutes ces
notions , dis- je , ont leur fource dans les principes
de la Morale , & ces principes dérivent tous de la nature
de l'homme , & de fes relations dans l'état de fociété.
L'homme eft né foible , indigent , timide , attaché
à la vie , fenfible à la douleur , affiégé de befoins
, affailli de dangers , incapable de fe fuffire ,
defireux de jouir avec tranquillité des douceurs de
fon exiſtence : de- là tous fes devoirs ; de-là tous fes
liens , depuis l'inftitution de cette première fociété
domeftique , de cette monarchie paternelle dont la
Nature fut la légiflatrice , jufqu'à cette grande confraternité
qui embraffe tout le genre humain.
Ainfi la Famille , la Cité , la Patrie , la Société univerfelle
ont le même lien , le befoin réciproque , &
te bien de chacun dans l'intérêt de tous .
"
- Mais cette chaîne à développer n'eft pas l'affaire
de quelques jours , ni l'ouvrage d'une attention
fuperficielle & rapide. Boffuet regardoit un bon Catéchifine
religieux comme le chef- d'oeuvre de la
Théologie ; il n'entreprit le fier: que paffé l'âge de
foixante ans. Un bon Catéchisme de Morale eft au
moins auffi difficile.
Le pacte entre la fociété & l'individu libre , leurs
rapports fi multipliés , leurs droits , leurs devoirs ref
pectifs font le fujet le plus épineux , le plus compli
qué , le plus vafte, comme le plus intéreflant où puiffe:
s'exercer l'intelligence humaine ; & lorfqu'on aura
DE FRANCE. 79
bien compris que l'Ouvrage dont il s'agit doit être
le précis , le réfultat de ce travail immenfe , on jugera
que ce n'eft pas feulement une médaille d'or ,'
mais une très- grande réputation qui attend l'Écrivain
Philofophe de qui l'Académie ou plutôt notre
fiècle aura reçu ce beau préfent.
C'eft ce que paroît avoir fenti l'Auteur d'un Ouvrage
mis au Concours , & que l'Académie a jugé
digne d'une mention honorable. Il a pour titre : Les
Devoirs de l'Homme & du Citoyen , & pour"
devife : Quid verum atque decens curo & rogo; &
omnis in hoc fum. Cet Ouvrage , qui n'eft pas fini ,
& qui doit être le tableau raiſonné des devoirs de
l'homme dans tous les âges & dans les principales
fituations de la vie , n'étoit pas fait pour obtenir le
Prix , & l'Auteur l'annonce dans fa Préface : il eft
trop au- deffus de la portée des enfans , à qui doit
convenir l'Ouvrage couronné : mais il eſt le travail
préliminaire dont nous parlons ; il eft la première
élaboration de ces idées principales qui doivent
en fubftance former l'Ouvrage élémentaire.
Dans ce travail ( fur lequel l'Auteur a voulu confulter
l'Académie , & lui foumettre , comme il le
dit lui- même , fes vûes & fon plan , ) tout n'eft pas
également bien. Il y a des longueurs & des négligences
; mais regardé comme un effai & comme
un premier apperçu , il donne de l'Ouvrage élémentaire
qui doit le fuivre l'opinion la plus favorable
; & plufieurs parties qui s'y font diftinguer
par ia jufteffe , la clarté , la précision des idées , &
par l'heureux choix de l'expreflion la plus fimple
& la plus fenfible , annoncent un homme d'un excellent
efprit , verfé dans l'art de penſer & d'écrire, »
'Ce n'est ni une indifcrète vanité , ni même une
jufte fenfibilité à des éloges encourageans qui me
porte à me déclarer l'Auteur de cet Ellai dont l'Aca
Div
80 MERCURE
démie vient de parler , & auquel elle auroit accordé
l'honneur d'en faire lire quelques morceaux à fa
Séance publique, fi le temps l'avoit permis. Cet aveu ,
d'ailleurs eft fans inconvénient , parce que ce premier
Ouvrage n'étant point celui demandé par
l'Académie , ne peut entrer dans le Concours ; mais
il tient à un plan que l'Académie a goûté , qui peut
être utile , qui peut fur - tout ſe perfectionner par les
vûes & les confeils de ceux qui ont réfléchi on qui
voudront réfléchir à ce beau fujet. Je l'ai développé
dans un Difcours préliminaire trop étendu pour
être inféré ici ; il demande un article à part. En
attendant qu'il puiffe être offert au Public dans ce
Journal , je demande la permiffion de lui en tracer
une légère idée.
Dès que le fujet d'un Catéchifme de Morale a été
propofé , il a vivement intéreffé mon âme & excité
mon émulation ; mais il n'eft pas toujours accordé à,
tous les Gens de Lettres de donner leur temps & leur
efprit aux Ouvrages qui les attirent le plus. Un engagement
que j'ai contracté l'année dernière pour
le Dictionnaire de Morale de la nouvelle Encyclopédie
, m'a fait un heureux devoir d'un travail qui
avoit des rapports intimes avec celui propofé par l'Académie ; j'ai réfolu d'entreprendre
ce dernier , &
d'en faire une partie du travail que demande un
Dictionnaire de Morale. Je demande pardon de ces
détails ; mais la manière dont on eft amené au plan
d'un Ouvrage , contribue fouvent à y mettre plus
d'étendue & de jufteffe , & peut fervir à ceux qui
veulent l'apprécier.
En voulant m'occuper d'abord du Catéchisme de
Morale , je me fuis apperçu , dès mes premières méditations
, que je commençois mal ; j'ai fenti que ce
Code de Morale élémentaire ne pouvoit être que le
réfultat du fyftême approfondi de la Science entière.
J'ai d'autant plus lieu de m'applaudir de cette
J
DE FRANCE. 81
vue, que M. Marmontel , au nom de l'Académie ,
cru devoir la développer comme le confeil le plus
utile pour ceux qui s'appliqueront à ce fujet. J'ai
donc vû qu'un Ouvrage très- court & très - fimple
devoit être précédé d'un Ouvrage long & difficile ;
que mon travail pour l'Encyclopédie devoit préparer
celui que je deftinois à l'Académie ; j'ai reconnu en
même-temps que fi l'un devoit être fait avant l'autre,
ils pouvoient & ils devoient être faits l'un pour
l'autre , qu'il en réſulteroit pour chacun un double
mérite .
Voici comment j'ai conçu la correſpondance dé
ces deux Ouvrages.
L'Ouvrage le plus précieux en morale refte encore
à faire , ce feroit celui qui embrafferoit &
développeroit tout le fyftême de nos devoirs comme
hommes & comme citoyens.
S'il feroit fi bon d'en préfenter toutes les règles
dans la forme la plus fimple , il ne le feroit pas
moins d'en développer tous les principes dans une
jufte étendue. Cicéron n'avoit fait fon Livre de
Officiis ni pour les enfans ni pour le peuple ; cependant
jamais Livre n'a porté un titre plus intéreſſant ,
& n'a eu un objet plus utile .
Frappé de l'heureux projet de rendre la Morale
élémentaire , j'ai apperçu avec joie que cet avan
tage pouvoit appartenir à un Traité comme à un
Catéchifme de Morale ; que fi celui- ci étoit ſeul à
la portée des enfans & des hommes du peuple,
l'autre devoit être rendu propre à entrer dans l'éducation
lettrée , dans celle que nous recevons dans les
Colléges , & convenir d'ailleurs à des efprits plus
mûrs & encore plus exercés à l'étude & à la méditation.
Quoique ces deux Ouvrages foient abfolument
féparés par leur forme & leur objet , ne pourroit on
pas cependant encore les faire concourir au meilleur
D v
82 MERCURE
effet l'un de l'autre ; tellement lier les principes aux
préceptes , les développemens aux réſultats , qu'on
faififfe mieux les premiers par les feconds , & qu'on
foit préparé par ceux- ci à entrer dans les autres ?
Pourquoi l'homme du peuple , après avoir appris
fes devoirs dans la forme d'inftruction qui lui eft
propre , ne pourroit- il pas , dans un âge plus avancé,
& à l'aide d'une médiocre culture d'efprit , pénétrer
dans leurs motifs & leurs caufes , apprendre à fe
rendre compte de ce qu'il fent , tandis que le jeure
homme inftruit rechercheroit toute la fcience qu'il
auroit étudiée dans les règles- pratiques auxquelles
elle fe réduit ? Si ceci ne peut arriver toujours , ne
doit - on pas faire en forte que cela puiffe arriver
fouvent ?
a
Voilà les trois vues principales fous lesquelles j'ai
confidéré ces deux Ouvrages , & par lefquelles je
voudrois les réunir . Mon Diſcours préliminaire explique
auffi les objets que j'ai deflein d'embraffer
dans l'un & l'autre Traité , les formes d'ouvrage &
les genres de ftyle que je crois leur convenir le
mieux. Si quelques unes des idées qu'il renferme
paroiffent juftes & utiles aux Écrivains qui fe propofent
de traiter au moins l'un de ces deux fujets ,
je tiendrai à bonneur de les leur avoir infpirées ; je .
me faurai gré de ne les avoir pas conçues pour noi
feul.
Cet article s'allonge ; mais je ne puis le finir fans
faire quelques réflexions fur une des idées principales
& du Programine & du Difcours de M. de
Marmontel . Le Programme demande que l'Ouvrage
foit affez fimple pour qu'il puiffe fervir à apprendre
à lire aux enfans , & M. de Marmontel a fort bien
obfervé que c'étoit de là que naifloit la plus grande
difficulté de l'Ouvrage.
Il me femble qu'il n'eft pas feulement difficile ,
mais impoffible de faire entendre même les preDE
FRANCE. 83
.
mières règles de la Morale à un enfant qui en eft
encore à apprendre à lire , & il ne faut pas le propo
fer plus qu'on ne peut , de peur de manquer même
ce qu'on peut réellement. Prefque tous nos devoirs
tiennent à nos paffions qu'ils doivent régler , & à
l'expérience de la vie de famille & de celle de citoyen
où ils doivent nous guider . Ce n'eft que par l'épreuve
de ces fentimens & l'apperçu de ces rapports que la
confcience s'éveille . Pour enfeigner quelque chofe à
un enfant , il faut le prendre par les idées qu'il a
déjà acquifes. Or , celles d'un enfaut de cinq à fix ans
ne font elles pas trop bornées , trop éloignées de
toutes les impreffions qui nous difpofent à l'intelli
gence de nos devoirs , pour permettre de le conduite
à leur intime connoiffance ? Comment lui
ferez - vous comprendre les devoirs d'un père , d'un
époux , d'un ami & tous ceux du citoyen , lorsqu'il
n'a encore en lui - même ni de quoi connoître ni de
quoi fentir ce que c'eft qu'un père , un époux , un
ami , un citoyen ? L'enfant peur à peine appercevoir
fes propres devoirs :: comment entendroit- il ceux
d'un autre âge ? D'ailleurs , il faudroit faire une langueniquement
fondée fur les idées que l'on peut
avoir cet âge , & que pourroit - on exprimer avecune
langue fi courte & fi imparfaite ? Un père , en
caufant aveo fon enfant peut bien l'amener quelquefois
à une conclufion morale & métaphysique ,
car il y a toujours un peu de métaphyfique dars les
notions morales ; mais c'eft par un long circuit où,
il a foin d'écarter tous les objets & d'éviter tous les
mots qui font au deflus de la pensée d'un enfant.
S'il faut procéder ainfi pour expliquer toutes les règles
de nos devoirs , nous aurcas fur chacune un long
difcours à faire , dans lequel nous rifquerons encore :
de n'être ni fuivi , ni'entendu. Laiffons cette marche
d'inftruction , dont les Converfations d'Emilie nous
offrent un modèle , parfait , aux talens des pères &
D'vj
84
MERCURE
des maîtres ; laiffons - leur la varier fuivant le plus
ou moins d'avancement de leurs Élèves . Pour nous
de tous ,
qui devons faire un Livre qui puiſſe être entendu
& qui apprenne tout ce qu'il importe tant
de bien favoir , attendons que le temps foit venu
pour parler , laiffons arriver les enfans à l'époque
du commencement de la jeuneffe ; c'eſt le temps ou
ils comprendront d'autant mieux nos leçons , qu'ils
les goûteront davantage. Défabufons - nous des projets
chimériques. Il n'y a pas un Livre entièrement
à la portée des enfans , il n'y en aura jamais.
Ce n'eft pas à dire qu'on ne puiffe occuper utilement
leur efprit fur des Livres plus rapprochés d'eux ;
& fi un Catéchisme de Morale eft bien fait , il
fera un des Ouvrages qui leur conviendra le mieux.
Mais ne nous flattons pas qu'ils l'entendent dès qu'ils
pourront le lire. Entreprendre un Livre dans ce deffein ,
ce feroit s'égarer foi-même avant d'égarer l'enfant.
( Cet Article eft de M. D. L. C. )
LETTRE à M. de LACRETELLE , Avocat
au Parlement , de Paris.
LES
1
Es Membres de l'Académie qui reçoivent le
Mercure , y ont lû , Monfieur , vos obſervations fur
fon dernier Programme , & ont cru devoir en rendre
compte à la Société Royale. Elle me charge de vous
mander , 1 ° . qu'elle ne peut changer l'énoncé de
fon Programme ; 2 ° . qu'un Mémoire dans lequel
on réfoudroit les queftions que vous préfentez , &
dans l'ordre que vous indiquez , feroit certainement
admis au Concours ; 3 °. que néanmoins des Mémoires
qui traiteroient la matière fous d'autres points
de vûe, ou qui feroient rédigés fur un autre plan ,
pourroient également y être admis.
DE FRANCE 8.5
Comme vous avez pris la voie du Mercure pour
faire connoître vos idées à l'Académie & en mêmetemps
au Public , la Société Royale croit , Monfieur ,
qu'il eft indifpenfable que fa réſolution ſoit auſſi publiée
dans le Mercure , elle vous fera obligée de
vouloir bien y faire inférer ma lettre.
J'ai l'honneur d'être avec un très fincère attachement
, Monfieur ,
Votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur LEPAYEN ,
Secrétaire Perpétuel.
Metz, le 8 Novembre 1784.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné , Mardi 30 Novembre , la première
repréſentation de Dardanus , Tragédie
Lyrique , Poëme de la Bruère , avec des changemens
, par M. Guillard , la mufique eft de
M. Sacchini .
Le Poëme de Dardanus eft , de nos anciens
Poëmes d'Opéra , un de ceux qui a eu
le plus de réputation ; fes repriſes multipliées
& leur fuccès en ont toujours fait regarder
la mufique comme un des chefd'oeuvres
du célèbre Rameau . Mais ce Poëme,
qui offre plufieurs Scènes charmantes , &
très fouvent de beaux vers , eût été remis
difficilement fur notre Théâtre Lyrique fans
des changemens que la révolution opérée
dans la forme de nos Poëmes , comme dans
86 MERCURE
la mufique , a rendu abfolument néceffaires..
L'inimitable Poëme d' Armide , qui auroit pu)
fervir de poétique commne de modèle de ſtyle
aux fucceffeurs de Quinault dans l'ancien
genre d'Opéra ,femble au contraire les avoir
égarés. Cette réflexion peut s'appliquer plus
particulièrement à la Bruère , qui a voulu
introduire dans Dardanus , comme Quinault
dans Armide , ce genre de magie , qui
femble plus convenir aux temps de la Chevalerie
gothique qu'aux fiècles héroïques de la
Fable , moyen toujours froid lorſqu'il ne produit
aucun de ces grands effets , qui feuls peuvent
en juftifier l'emploi. Unreproche plus gra
ve , mais qui ne pouvoit être fenti que depuis
que notre Théâtre Lyrique s'eft eniichi des
Iphigénie , des Alcefle , des Didon , &c . eft
le peu d'intérêt que préfente cette Tragédie ;
intérêt encore affoibli par la manière peu
motivée dont fe fuccèdent les diverfes incidens
qui forment la Fable de Dardanus.
M. Guillard a effayé de remédier à quelques
uns de ces défauts par des retranchemens
, qui , en refferrant l'action du Poëme ,
pouvoient en accroître l'intérêt , fur tout
en motivant la captivité de Dardanus , furt
laquelle eft fondée effentiellement tout l'intérêt
de cette Tragédie.
Nous croyons devoir tranferite ce que
M. Guillard a fait imprimer dans un Avertiffement
, pour juftifier les changemens'
qu'il a cru devoir faire à l'ancien Poëme.
Perfuadé qu'une action rapide eft tou
DE FRANCE. 87
"3
» jours avantageufe au Théâtre Lyrique ,
qui permet peu de développemens , fur-
» tout quand le fujet ne comporte pas un
» très grand intérêt , j'avois ofé , en liant
» enfemble le deuxième & le troiſière Acte
du Poëme ancien , me permettre de faire
"3
"
و د
-
arrêter Dardanus fur le Théâtre , au mo
» ment où perdant de vûe la défenfe d'Iſme
» not , il laiffoit tomber les baguettes ; l'ac-
» tion ainfi preffée , il me fembloit que j'en
tirois un grand avantage , celui de motiver
la captivité de Dardanus , qui me paroît
" ne l'avoir jamais été fuffifamment. Mais
cette coupe , qui a eu lieu à la Cour avec
» fuccès , ayant donné à craindre à beau-
» coup de perfonnes que l'action , à force
d'être preffée , ne parût tronquée , & que
le Public ne regrettât quelques retranche-
» mens confidérables qu'elle entraînoit , je
» me fuis décidé à reprendre l'ancienne
marche , & c. »
99
Nous croyons que la première intention
de M. Guillard étoit non- feulement plus rar
fonnable, mais encore plus dramatique que le
parti qu'il a pris de prolonger l'action par des
Scènes qui ne fervent qu'à la refroidir. Dardanus
, entouré & arrêté aux yeux des Spec-'
tateurs . par les Soldats de Tencer , an inoment
où , abandonnant fa baguette , il tom
boit aux genoux d'Iphife ; le mouvement
dramatique des Soldats qui demandent au
même inftant fa mort , & la fituation intéreffante
d'Iphife nous ont paru , aux pre88
MERCURE
mières répétitions faites pour la Cour , produire
un intérêt plus vif , & mieux préparer
celui de l'Acte de la prifon , que les Scènes
qu'il a cru devoir ajouter enfuite pour former
un quatrième Acte à cet Opéra.
Mais nous ne juftifierons pas la manière
dont M. Guillard a fondu le quatrième &
le cinquième Ate de cet Opéra . La Bruère
fait fortir , au quatrième Acte , Iphife avec
Dardanus , qui vole au combat . M. Guillard
la fait refter feule dans la prifon , pendant
que fon amant va combattre fon père. Cette
fituation , & le long monologue de cette
Princeffe , nous paroiffent fans vraifemblance
, & par-là même fans intérêt.
Quelque prévention qu'il y ait en général
contre la tâche ingrate , ou plus difficile
qu'on ne croit , de retoucher aux anciens
Opéras , les perfonnes impartiales trouveront
du mérite & du talent dans la plupart
des changemens & des additions que M. Guil .
lard a faits au Poëme de Dardanus .
Le fuccès de la première repréſentation
de cet Opéra n'a pas été auffi complet qu'on
devoitl'attendre & de la réputation du Poëme
& de celle du Compofiteur. Nous attendrons
, pour rendre compte de la mufique ,
que d'autres repréſentations nous ayent mis
en état d'en apprécier les beautés , & de recueillir
les jugemens du Public éclairé , afin
d'en rendre compte à nos Lecteurs , ainfi
que des différentes parties de l'exécution .
( Cet Article n'eft pas du Rédacteur ordinaire. )
DE FRANCE. 89
ANNONCES ET NOTICES.
MORCEAUX choifis de Tacite , traduits en Franfois
avec le Latin à côté ; on y ajoint des Notes , des
Obfervations fur l'Art de traduire , & la Traduction
de quelques autres morceaux de différens Auteurs
anciens & modernes , par M. d'Alembert , Secrétaire
Perpétuel de l'Académie Françoiſe , Membre des Aca.
démies Royales des Sciences de France , de Pruffe ,
d'Angleterre , de Ruffie , de Portugal , &c . &c . 2 vol .
in 12. Prix liv . reliés. A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur-Libraire , hôtel de Cluny , rue des Ma
thurins.
"
C'eft une nouvelle Édition d'un Ouvrage qui , dans
La nouveauté , éprouva des cenfures rigoureufes ,
même injuftes, à caufe du nom de fon Auteur , ( affez
illuftre pour mériter de nombreux ennemis ) & qui
confervé pour partifan le plus grand nombre des
connoiffeurs , à caufe de fon mérite réel & inconteftable.
Cette Traduction eft remarquable par la clarté
& la pureté du ftyle , fur- tout par une précision qui
lutte avec celle de l'original ; & les nouveaux changemens
qu'y a faits l'Auteur, lui ont donné un nouveau
degré de perfection. A la fuite des morceaux
traduits de Tacite , ce peintre vrai & énergique , M.
d'Alembert a placé des morceaux de Velleius Paterculus
; il a voulu mettre par- là fes Lecteurs à portée
de faire une utile & piquante comparaifon des portraits
hardis de l'un avec les peintures baffement
flattées de l'autre , qui eft auffi remarquable par fon
adulation que par l'élégance de fon ftyle.
Ces morceaux font fuivis d'une Traduction de la
Péroraifon de Cicéron pour Milon , des plus belles
Scènes du Caton d'Addiſſon , & de quelques pensées ,
90 MERCURE
morales & philofophiques du Chancelier Bacon.
« Ainfi , dit M. d'Alembert lui-même , par les diffé
rens effais de Traduction que j'ai foumis au jugement
du Public , j'ai voulu le mettre à portée
» autant qu'il eft en moi , de connoître & d'appré
» cier la manière de penfer & d'écrire d'un Hifto-
» rien Philofophe , d'un Hiftorien courtiſan , d'un
Orateur illuftre , d'un célèbre Poëte Tragique
étranger & moderne , erfin d'un des premiers reftaurateurs
des Sciences , qui a fait parler la raifon
» dans fes Ouvrages avec autant d'éloquence que
d'énergie.
»
93 53
EUVRES de Plutarque , traduites du Grec par
Jacques Amyot , treizième Livraiſon , treizieme
Volume de la Collection , & fecond Volume des
Favres reliés , in- 8 ° . & in 4 ° . papier double d'Angoulême
, d'Hollande & vélin.
La quatorzième Livraifoh , troifième & dernier
Volume des Euvres mêlées & de la Collection des
Euvres de Plutarque , paroîtra dans le courant du
mois prochain. La Table , qui contiendra un volume
entier , ne paroîtra qu'après les trois Volumes de
Supplément qui fe fuccéderont très- rapidement.
On foufcrit pour cet Ouvrage , à raifon de 7 liv.
10 fols le volume in-8 ° , & de 15 liv . in-4° . , & à
proportion fuivant les différens Volumes , à Paris ,"
chez Baftien , Libraire , rue S. Hyacinthe , place '
S. Michel , & chez les principaux Libraires du'
Royaume.
Le Mariage conclu , peint par Antoine Borel , &
gravé par R. de Launay le jeune. Prix , 3 liv. A
Paris , chez l'Auteur , rue & porte S. Jacques , la`
porte-cochère près le Petit Marché, No. 112 .
Cette Eftampe fait pendant au Mariage rompu,
que nous avons annoncé avec de juftes éloges . CelleDE
FRANCE. 91
ci n'en mérite pas moins par l'effet du tableau & la
fineffe du burin qui a rendu avec intérêt toute l'expreffion
du fentiment.
L'INDICATEUR Fidèle , ou Guide des Voyageurs
, qui enfeigne toutes les Routes Royales &
particulières de la France , Routes levées topographiquement
dès le commencement de ce fiècle , &
affujéties à une graduation géométrique , accompagné
d'un Itinéraire inftructif & raifonné fur cha-, .
que Route , qui donne le jour & l'heure du départ ,
de la dînée & de la couchée tant des Coches par eau
que des Carroffes , Diligences & Meffageries du
Royaume , avec le nombre des lieues que ces diffé
rentes Voitures font chaque jour ; dreffé par le fieur
Michel , Ingénieur Géographe du Roi à l'Obfervatoire
, mis au jour & dirigé par le fieur Defnos , Ingénieur
Géographe pour les Globes & Sphères , &
Libraire de Sa Majefté Danoife. A Paris , rue Saint
Jacques , quatrième Edition , corrigée & confidérablement
augmentée en 1784 , Volume in - 4° . Prix ,
13 livres broché. Le même en petit in 18 pour la
poche, Prix , 8 liv. relié en maroquin.
·
Cet Ouvrage est très- utile aux Commerçans , Navigateurs
, &c. , & il a dû coûter à l'Auteur beaucoup
de peines & de foins.
CALENDRIER perpétuel , par M. Gilles. A
Paris , chez l'Auteur , rue de Paradis , vis-à - vis
l'hôtel Soubife , & chez Latré , rue Saint Jacques , à
la Ville de Bordeaux.
Ce Calendrier fingulier eft remarquable par la
méthode & fa précifion..
ALMANACH Parifien , en deux Parties ; nouvelle
Édition , ornée de jolies gravures , repréfentant les
monumens les plus récens , pour l'année 1785. Prix ,
92 MERCURE
2 liv. 8 fols broché : relié , 3 liv. A Paris , chez la
Veave Ducheine , Libraire , rue S. Jacques.
Cet Almanach , dont plufieurs Éditions atteftent
le fuccès , indique tout ce qu'il y a de curieux à voir
dans Paris & aux environs ; ce qui le rend très- utile
aux Étrangers & aux perfonnes qui defirent jouir des
agrémens qu'offre la Capitale. On ſe propoſe de le
reimprimer tous les ans , comme on vient de le
faire , en y ajoutant les nouveaux embelliffemens
quifauront eu lieu dans l'année.
LA Fécondité, dédiée à Mme la Comteffe de
Vergennes , gravée d'après P. P. Rubens , par Mlle
C.... A Paris , chez Chéreau , rue des Mathurins.
Prix , 1 liv. 4 fols .
mir
Cette Eftampe eft un coup d'effai qui doit préve
pour le talent de fon jeune Auteur.
- L'HEROISME de l'Amour. Les Victimes de
Amour. Deux Eftampes faiſant pendant , gravées
d'après B. Cauvet , par Beljambe & Allix . Prix
livres les deux. A Paris , chez les Auteurs , rue des
Foffés M. le Prince , nº . 28.
.
Le fujet de ces deux Eftampes eft pris de l'inté
reffant Ouvrage des Délaffemens de l'Homme Sen
fible , par M. d'Arnaud , à qui elles font dédiées.
饔
>
૩ .
HENRIETTE de France , fille de Henri IV, &
Reine d'Angleterre , deffinée & gravée d'après
Vandick , par R. Strange , Graveur du Roi . A Paris ,
chez l'Auteur , hôtel d'Espagne , rue Guénégaud.
Tout le monde connoît la fuperbe Eftampe de
Charles Premier , que nous avons annoncée avec
des éloges confirmés depuis par des fuffrages univerfels.
Celle que nous annonçons , & qui en eft le
pendant , intéreffe plus particulièrement la Nation
DE FRANCE. 9 ་
Françoife , puifqu'elle repréfente une Fille d'un des
Monarques qu'elle chéiit le plus ; c'eſt Henriette
tenant dans fes bras le jeune Duc d'York , depuis
Jacques II , & ayant près d'elle le Prince de Galles ,
depuis Charles II . C'eſt un des plus beaux Ouvrages
de Vandick , & la gravure rend la beauté de
l'original.
On peut voir chez l'Auteur un beau Tableau
d'Hiftoire peint par M. Weft , appartenant au Roi
d'Angleterre , & qu'il le propofe auffi de graver.
C'eft annoncer de nouvelles jouiffances aux Ama
\ teurs du vrai talent.
LE Quadrille des Enfans , par feu M. Berthaud,
avec lequel , par le moyen de vingt- quatre Figures ,
& fans épeler , ils peuvent, à l'âge de quatre ou cinq
ans & au- deffous , être mis à portée de lire en trois
ou quatre mois ; nouvelle Édition , revue par M.
Alexandre , Profeffeur - Émérite & penfionné de
l'École Royale Militaire. Se vend chez la Veuve
Berthaud , à la Penfion du Fauxbourg S. Honoré,
´nº . 42. Prix , 6 liv.
& Le mérite de cette Méthode eft déjà connu ,
cette nouvelle Édition , beaucoup plus claire &
plus fimple que les autres , fait honneur à l'Editeur ,
à qui l'on peut s'adreffer en cas que l'on fût arrêté
par quelque difficulté ; il demeure rue Montmartre,
maifon de M. Caftellan près la rue Plâtrière. Cette
Edition eft dédiée aux Enfans de Mgr. le Duc de
Chartres ; c'étoit pour eux que cette Méthode avoit
été adoptée.
MOYEN de diriger les Aéroftats , par M.
Maffe , Architecte .
Ce Moyen confifte en deux pattes d'oyes offrant
'à l'air plus de douze pieds qnarrés chaque pour le
freffer & forcer la Machine d'avancer. Ces pattes
94
MERCURE
T
font adaptées aux deux côtés de la Machine , dont
M. Maffe a fait faire un modèle au quart de l'exécution
, & qui ne pèfe que cinquante livres. Aux
deux extrémités font deux gouvernails de plus de
fix pieds quarrés auffi en forme de pattes d'oyes , &
qui fervent à faire tourner le Ballon en les préſen
tant à fens contraire.
L'Auteur a fait graver fa Machine , ainfi que le
Ballon & toutes les manoeuvres. L'explication eft au
bas. Si quelqu'un vouloit tenter l'exécution de fa
Machine , l'Auteur s'engage à la conftruire de manière
à pouvoir aller fur l'eau de même qu'un batelet
, & propre à porter fon équipage ( en cas d'accident.
) Il promet auffi de traverser la mer de Calais
à Londres ou de Londres à Calais .
Cette Gravure fe trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue de la Monnoie , la porte - cochère vis -à- vis la rue
Boucher, au fond de la cour.
FEUILLES de Terpfichore , on nouvelle Etude
de Harpe , dédiées aux Dames , dans lesquelles on
trouvera fucceffivement l'agréable , l'aifé & le difficile
, compofées par les Profeffeurs les plus recherchés
pour cet Inftrument. Prix , 1 livre 4 fols
chaque feuille , qui paroît tous les Lundis. A Paris,
chez Coulineau père & fils , Luthiers brevetés de la
Reine & de Mme la Comteffe d'Artois , rue des
Poulies , & Salomon , Luthier , Place de l'École.
Le Numéro 1 eft compofé de deux feuilles , l'une
contenant deux petits Airs de Richard-Coeur- de-
Lion , avec Accompagnement de Harpe , par MM.
Tiffier & Grenier ; l'autre un de ces Airs varié pour
le Clavecin , par M Charpentier. Le Numéro 2 eft
auffi compofe de deux feuilles , l'une contenant la
Romance de M. Fodor pour la Harpe , par M.
DE FRANCE. 195
Couarde , & l'autre un Air pour le Clavecin , par
M. Grenier.
NUMERO II de la troisième année du Journal
de Clavecin , par les meilleurs Maîtres , Violon ad
libitum. Prix , féparément 3 liv . Abonnement 15 liv.
porr franc. A Paris , chez M. Leduc , au Magaſin de
Mufique , rue Traverfière- Saint- Honoré,
NOUVELLE espèce de Toupets en frifure naturelle ,
chez le Sieur Chaumont , Maître Perruquier , rue
des Poulies , à gauche , en entrant par la rue Saint-
Honoré.
, Ces Toupets , inventés par le Sieur Chaumont
honoré de l'Approbation de l'Académie des Sciences ,
pour plufieurs découvertes relatives à fon Art , viennent
d'être préfentés à cette Compagnie. Ils font
compofés de longs & courts cheveux naiffans , qui
font placés fans tiffa près de la peau , & d'une manière
affez ſemblable à ceux qui fortent naturellement
de la tête . La bordure de ces Toupets eft trèsfine
& ils s'identifient , pour ainfi dire , fur le
bord du front par le moyen d'une pommade attractive
, qui , les faiſant tenir fur la tête fans aucun inconvénient
, leur donne l'air de la chevelure la mieux
plantée. Cette Pommade fe vend 3 liv. le bâton de
deux onces.
LE ST DUBOST, Enclos du Temple , offre des effais
gratis de fa nouvelle Pommade de Ninon , pour ôter
les taches de rouffeur, blanchir, nourrir la peau & eff .
cer les rides ; de celle du foir pour ôter le rouge & rafraîchir
la peau ; & d'une nouvelle Effence de Beauté
pour le teint des Dames & la barbe . Les prix font, Pommade
de Ninon , 6 liv. le pot , & celle du foir , 3 liv.
L'Effence de Beauté , depuis 3 liv. la bouteille jufqu'à
12 liv. On trouve auffi ces trois articles dans
96 MERCURE
les Bureaux annoncés dans un de nos précédens
Mercures. Il continue toujours de vendre l'Ecorce
d'orme, à 3 livres la livre ; le Rouge de Paris ,
tiré du règne végétal fuperfin , à 6 liv. le pot, &
3 liv. l'inférieur ; les Cuirs à Rafoir qui difpenfent
de fe fervir de la pierre ; la Limonade sèche , rafralchiffante
& diurétique, à 6 liv. la livre , & c. On
trouve auffi chez lui toutes les Plantes Médicinales
& Fleurs de toute espèce.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABL E.
LES Voyages de Colom - La Fortification Perpendicu
belle & Volontairette . 49 laire
Charade, Enigme & Logo Académie,
gryphe >
70
73
8 Lettre à M. de Lacretelle ,
Avocat au Parlement de
Paris ,
84 Hiftoire de Stanislas Premier ,
Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , 60 Académie Roy. de Mufiq. 85
Blanchard , Poëme en deux Annonces & Notices 89
Chants , 67
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 11 Décembre. Je n'y si
xien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion . A Paris >
le 10 Décembre 1784. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 18 DÉCEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE
VERS
A M. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU ,
fur fa Réception en qualité de Procureur-
Général du Roi au Confeil- Supérieur du
Cap , Ile Saint Domingue.
A
4
SON aurore il chanta fur fa lyre
Des vers aifés , doux & charmans ,
De la Nature heureux enfans ,
Et l'Univers fe plaît à les relire.
Aujourd'hui de Thémis il devient le foutien ;
A ce fublime emploi fon mérite l'appelle ;
Et s'il quitte Apollon & fa troupe immortelle ,
C'est pour notre bonheur bien plus que pour le fien .
(Par un Citoyen du Cap. )
No. 51 , 18 Décembre 1784 .
E
$8
MERCURE
A une Dame qui critiquoit une de mes
Chanfons.
Si je n'eus point de l'efprit en partage ,
Bien loin de pleurer ce malheur ,
Du fort je refpecte l'outrage ,
Je m'en confole avec mon coeur.
Et fi ma Muſe , encor fimple & fidelle ,
Avoit ofé te prendre pour objet ,
Elle auroit trouvé grâce en faveur du fujet ,
Et le Peintre eût brillé des traits de fon modèle.
( Par Mlle de Saint-Léger. )
VERS mis au bas du Portrait de Mime la
Comteffe DE GEnlis.
VIRTUS ; ERTUS , Grâces , Talens, Efprit jufte , enchanteur,
Elle a tout ce qu'il faut pour embellir la vie ;
C'eſt le charme des yeux , de l'oreille & du coeur
Et le défefpoir de l'envie .
( Par M. de Sauvigny . 】
DE FRANCE.
99
INSCRIPTION latine fur la Pompe à Feu
de Chaillot.
SERVE
ER VA alibi natura triumphans imperet arti ;
Hic natura artis vincula ferva trahit.
Scandit Neptunus confcendere nefcius urbem
Vulcanufque fitim quàm parit ipfe levat .
( Par M. l'Abbé Ferrand. )
LE PREMIER MINISTRE DE LA MORT ,
Apologue.
Près d'un antre où règne l'horreur
Et toujours une nuit profonde ,
La Mort examinant le monde ,
Se repofoit en belle humeur ;
Elle tenoit fa faulx terrible ;
D'une voix tremblante elle dit :
« Ne puis-je pas , fans être horrible ,
33
Faucher , ravager ce qui vit ?
" Je fais que la nature humaine
» De mes coups veut le garantir ;
» Suivons le penchant qui l'entraîne ,
» Détruifons-la par le plaifir.:
ג כ
AUSSITÔT de fa voûre obfcure
Elle franchit les noirs détours ;
>
E ij
100 MERCURE
A tous les maux de la Nature
Le monftre adreffe ce difcours
D'un ton caffé , fier & finiftre :
« J'ai beſoin d'un premier Miniftre ;
» Je veux farmi vous le choiſir ;
» Le fléau le plus redoutable ,
» Le plus digne de me fervir,
» Aura cette place honorable.
La Goutte vient d'un pas traînant ,
Par la Molleffe foutenue ,
מ
Le pied gonflé , la main crochue;
L'Ivreffe rit en la voyant.
La Mort , d'un air fombre & févère ,
Lui lance un regard dédaigneux .
« Va , ta fureur eft paffagère ;
» Tes coups ne font pas dangereux. »
Agitant fa torche brûlante ,
La Fièvre difcute les droits ,
Et dit : « Cette arme défolante
Abat les Bergers & les Rois . »
EN VANTANT fa douleur poignan 、e ,
La Gravelle élève la voix ;
L'Indigeftion argumente ;
Un Hocquet bruïant l'interrompt.
La Pefte dit : « Rien n'eft plus prompt
25 Que mon ravage fur la terre ;
» Je n'accorde point de répit ;
20 Une Nation toute entière
DE 211 FRANCE.
!
» Par mon fouffle brûlant périt,
Paroiffent enfin l'Éthifie ,
3
Le Point-d'Honneur en habit noir ,
La Faim , la Soif, le Déſeſpoir ,
Le Marafme , l'Apoplexie.
Quoi ! dit la Mort d'un air bénin ,
« Au concours point de Médecin !
» C'est par excès de modeftie ;
» Le grand mérite a la manie
De rechercher l'obscurité ;
» Ne gênons point fa liberté.
Amis , c'eft fur L'INTEMPERANCE
» Que je prétends fixer mon choix ;
» Elle vous fert tous à la fois ;
Nous lui devons la préférence . »
Par M. Crommelin de Guife. )
LE FLEUVE ET LE RUISSEAU , Fable.
LA foibleffe eft fouvent un bien ; voici ma preuve
Un ruiffeau très- obfcur menoit gaîment les eaux
A l'urne immenfe d'un beau Fleuve ,
Qui lui tint un jour ce propos:
D'honneur , je plains ta deſtinée ,
Pauvre Ruiffeau ;
Par Neptune qu'elle eſt bornée !'
Des Villageois , quelques troupeaux
E ii)
102 MERCURE
Fréquentent feuls tes bords tranquilles ,
Que ne parcourent point les plus fiêles bateaux.
Dans mon empire on compte plus de villes
Que tu n'as chez toi de rofeaux .
Quelques nouvelles eaux qu'en ton fein le ciel verſe ,
D'une enjambée on te traverſe ;
Perfonne ne te craint ; tout tremble fous ma loi ;
Des maifons par mes flots font fouvent renverfécs ;
Je culbute des ponts , je détruis des chauffées ;
Dans les Papiers publics il n'eft bruit que de moi.
Oh ! je conviens que Journal & Gazette
Ne me connoiffent pas , iui dit le Raiffeau ; mais
S'il arrive que l'en-m'y mette ,
Je veux y prolonger l'article des bienfaits .
L'été brûle- t'il les prairies ?
Je leur partage ma fraîcheur ;
Mon eau pure rend la vigueur
Aux habitans des bergeries ;
Jfers tant que je peux , & je ne nuis jamais ;
J'offre un bain clair & sûr ; pas un chat ne s'y noie.
de bien que je leur fais
Du
peu
Le chant de mes voisins me témoigne leur joie ;
Et duffent vos honneurs m'être offerts par les Dieux ,
De tous mon coeur je les en tiendrois quittes ;
Car, Monfeigneur , plus vous m'en dites,
Et moins de votre éclat je me trouve envieux.
Sans regrets je renonce à la magnificence
Qui ne me frappe point par des traits généreux ;
DE FRANCE. 103
Et je détefte la puiſſance
Qui ne fait que des malheureux.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
HISTOIRE du Miniftre LA ROCHE , *
Conte imité de l'Anglois.
ASSIS
ssis dans un lieu champêtre , fur les
bords tians de la Seine , Wolnar , au lever
de l'aurore , fe livront aux charmes d'une
meditation profonde , lorfqu'une ancienne
Domestique vient lui annoncer qu'un homme
d'un certain âge & fa fille , faiſant route
pour un pays très éloigné , étoient arrivés
dans le village le foir précédent ; que le père
avoit été tout à- coup attaqué d'une maladie
fi dangereufe , qu'elle faifoit craindre pour
Les jours; & que c'étoit un fpectacle vraiment
attendriffant de voir le bon vieillard
paroître moins affligé de fon propre malheur
que de la peine qu'il caufoit à fa
fille.
Le Philofophe fuit fa Gouvernante chez
le malade.
On lui avoit donné le meilleur appartement
de la petite chaumière où ils étoient
defcendus. Cependant Wolmar fut obligé
de fe courber pour y entrer. Le fol , tantôt
* Voyez dans les Effais Périodiques , publiés à
Édimbourg en 1779 , The Hiftory ofla Roche.
E iv
104 MERCURE
élevé par buttes , tantôt creux , n'étoit pavé
que d'un argile anguleux & rude ; quelques
folives , à peine fufpendues au plancher ,
menaçoient ruine. Dans un coin de la chambre
il apperçut le bon vieillard couché fur
un affez mauvais matelas , fous lequel on
avoit mis en travers quelques éclats de bûche
pour l'empêcher de pofer fur la terre
humide. Sa fille , affife au pied de fon lit ,
n'avoit pour vêtement qu'un fimple corfer
blanc , d'une propreté éblouiffante. Ses beaux
cheveux noirs Hottoient à groffes boucles
fur fes épaules . Inquiette , & doucement
penchée , elle avançoit la tête pour épier &
recueillir les regards languiffans de fon père.
Wolmar étoit tefte quelques momens
dans la chambre fans être remarqué de la
jeune perfonne. Enfin la Domestique cria
de loin , à voix baffe : Mademoiselle ! Wilhelmine
, comme fans y penfer , fe retourne ,
& préfente à leurs yeux étonnés un front
timide & pâle que le défordre de la douleur
embelliffoit encore. A la vûe d'un étranger ,
la furprife & ces égards qu'exigent les bienféances
d'une éducation honnête , animèrent
fon teint des rofes de la pudeur. Son
âme aimante & fenfible paffa toute entière
dans fes regards , & le doux fon de la voix
fit une impreffion vive fur le coeur du Philofophe.
Sans perdre un temps précieux en complimens
frivoles , Wolmar leur offrit fes
fervices avec empreffement. " Montieur eft ་་
DE FRANCE. 105
» ici bien mal couché ! S'il étoit poffible de
» le tranſporter ailleurs , dit la Gouver
» nante ? Si l'on pouvoit le tranfporter à la
» maiſon , reprit vivement le Philofophe ? »
On remercioit , on s'excufoit , on refufoit ;
mais les offres de Wolmar font fi généreuses ,
qu'elles font enfin évanouir toutes les craintes
de l'étranger ; & la modefte réſiſtance de
Wilhelmine cède à la douce perfuafion que
la fanté de fon père fe rétablira plus promptement.
En effet , au bout d'une femaine le
vieillard fut en état de remercier fon bienfaiteur.
Wolmar, refpectant les malheurs du vieil
lard , n'avoit ofé lui demander fon nom ;
bientôt il apprit de lui même qu'il fe
nommoit la Roche , & qu'il étoit Miniftre
Proteftant Suiffe ; il venoit de perdre fa
fenime , après une maladie longue & douloureufe
, pour laquelle on lui avoit con
feillé de la faire voyager. Fatigué d'une courfe
auffi inutile que pénible , le vieillard s'en
retournoit alors dans fa patrie avec la fille.
Le Philofophe voyant que la Roche & fa
fille fe préparoient à rendre à Dieu des actions
de grâces , fortit dans la campagne
pour les laiffer feuls, « La Gouvernante de
» Wolmar , en ſe joignant à leurs prières
» leur dit en confidence : mon maître.....
» hélas ! il ne croit pas qu'il existe un Dieu !
» Et cependant il a fauvé mon père , s'écrie
» Wilhelmine ! je fouhaiterois ..... Un long
foupir trahit le voeu de fon coeur. Ils furent
و د
و د
" "
Ev
106 MERCURE
tour à- coup interrompus par l'arrivée du
maître de la maifon , qui prit avec douceur
la main de Wilhelmine. La modefte Wilhelmine
la retira lentement , en filence , &
baillant les yeux ..
"Une idée m eft venue. Savez- vous bien ,
» lui dit le Philofophe , que , premier Médecin
de votre père , je me tiens refpon-
» fable de fon entière guérifon . Qui prendra
» foin fur la route de notre convalefcent ?
» Je ne fuis jamais allé en Suiffe ; j'ai grande
envie de vous y accompagner. »
A ces mots , il auroit fallu voir briller les
yeux de la Roche , & comme Wilhelmine ,
tranfportée de joie , courut embraffer fon
père ! car ils aimoient réellement leur bienfaiteur
; leurs cours n'étoient pas formés
pour être infenfibles , & la cruelle intolé
rance ne les avoit point endurcis .
Ils allèrent à petites journées . Wolmar ,
fidèle à fa promeffe , appréhendoit toujours.
qu'une trop longue marche ne fatiguât le bon
vieillard . Après un voyage de trois semaines ,
ils arrivèrent à la demeure de la Roche.
Elle étoit fituée dans une de ces vallées du
Canton de Berne , où la Nature a fermé fa
retraite de montagnes inacceffibles , & femble
fe repofer dans le calme d'un profond
fommeil. Au deffus de fa maiſon , on voyoit
dans l'éloignement un fleuve immenfe , qui ,
du haut des montagnes , fe précipitoit dans
la plaine , avec cet horrible fracas qui infpire
au Voyageur éloigné un agréable frémifDE
FRANCE. 107
fement. Toutes ces eaux arrofoient de vaftes
prairies ; & ſe réuniffant à l'entrée du village ,
elles y formoient un fuperbe lac , au bout
duquel on découvroit un temple.
Wolmarjouiffoit de la beauté majeſtueuſe
d'un tableau fi raviffant ; mais pour les deux
amis que ces mêmes lieux étoient triftes !
comme il étoit défenchanté pour eux , cet
augufte fpectacle qui leur rappeloit une
époufe chérie , une tendre mère qu'ils avoient
perdue ! La douleur du bon vieillard étoit
ilencieufe ; Wilhelmine fanglottoit toute
baignée de pleurs. La Roche , ce digne époux ,
ce bon père , preffe avec tranfport contre
fon coeur la main de Wilhelmine , la couvre
de baifers , regarde le ciel en foupirant , &
tout à- coup avec la main de fa fiile effuyant
une larme brûlante qui defcend fur la joue :
Voyez- vous , dit- il au Philofophe , les objets
frappans que nous offre cette perfpective
? Et du doigt ii lui montroit ceux
qu'il n'avoit pas remarqués.
""
و د
""
Le coeur du Philofophe étoit attendri de
la noble fimplicité du bon Miniftre , & de
la modefte candeur de fon aimable fille. Il
retrouvoit en eux cette franchife ingénue
des premiers âges , avec la culture & la poli
teffe des fiècles les plus éclairés . Il fe livroit
à tous les fentimens doux & honnêtes que
lui infpiroit la plus belle des femmes ; il
n'en étoit pas éperduement épris ; cependant
il fe fentoit heureux d'aimer Wilhelmine.
E vi
108 MERCURE
Que la Roche & fa fiile furent détrompés
! Ils ne voyoient rien en Wolmar de cet
air de fuffifance que des talens fupérieurs
ont coutume de donner à nos prétendus
fages. Comme eux , il ſe mêloit à tous les
plaifirs d'une vie privée. Son langage étoit
celui de tous les hommes . Si quelquefois la
grandeur de fon fujet l'entraînoit malgré
lui , toujours fimple & clair , il élevoit tout
le monde à la hauteur de fon génie .
و ر
"
و د
33
33
Entends tu fonner huit heures ? dit un
" foir là Roche à fa fille . Monfieur , c'eſt
» le figual de la prière. La cloche nous appelle
. Nous avons ici une grande falle où
» tous mes Paroiffiens fe réuniffent une fois
la femaine pour prier en commun . Voulez
vous voir toute la ferveur de ces bons
Payfans ? venez ; finon voici quelques livres
» qui pourroient vous amufer. Non, répondit
» Wolmar , j'accompagnerai s'il vous
plaît , Mademoiſelle au temple. C'eſt no-
" tre Organiſte , ajouta le bon vieillard :
allons , venez entendre ma Wilhelmine
" animer l'alégreffe de nos chants . Un peu
d'indulgence , dit il en fecret à Wolmar ;
» elle n'a jamais eu pour maître que feue fa
" pauvre mère , hélas ! » Et tous les trois
enfemble ils entrèrent dans la grande falle .
"
33
و ر
و د
> L'orgue étoit placé dans l'enfoncement
& caché fous de fimples rideaux blancs .
Wilhelmine les ouvrit ; & fitôt qu'elle fe fut
affife à fa place , elle les referma fur elle ,
comme pour fauver à fon coeur trop fenfible
DE FRANCE. 109
la crainte modefte d'attirer tous les regards.
Wilhelmine , fans autre guide que fon
coeur , forme des fons fublimes. Wolmar
n'étoit pas infenfible aux charmes de la mufique
, & la beauté de ces accords le frappa
d'autant plus vivement qu'il étoit loin de s'y
attendre.
Ce prélude folemnel annonçoit une hymne
d'amour & de reconnoiffance. Tout l'auditoire
chantoit avec un faint enthoufiafine
les paroles de ce cantique , tirées , pour la
plupart , de l'Écriture. Il chantoit les louanges
du Créateur , les foins paternels qu'il
prend de l'homme vertueux. On y parloit
de la mort des juftes , de ceux qui s'endorment
dans le fein d'un père. …………….. Et
l'orgue touché d'une main moins sûre ,
faifoit des paules , tout- à- coup fe taifoit ,
& l'on entendoit à fa place les foupirs & les
fanglots de Wilhelmine.
,
Son père fait figne de ceffer la pfalmodie ,
& fe lève pour prier. Tout pâle , fa voix
expire fur fes lèvres ; mais déjà le feu de fon
zèle triomphe de fa fenfibilité. Les Paroiffiens
s'échauffent de l'ardeur du bon vieillard.
Le Philofophe lui - même fentit fon
coeur émiu ; & il oublia , pour un moment ,
de croire qu'il ne devoit pas l'être .
La religion de la Roche étoit une religion
de fentiment. Wolmar étoit l'ennemi déclaré
de toutes difputes. Aufli leurs difcours ne
les conduifoient ils jamais à des questions
indifcrettes fur leur croyance mutuelle . Ce110
MERCURE
•
pendant le bon vieillard, comme pour foulager
fon coeur , aimoit à l'entretenir de la
fienne. Mon ami , dit- il un jour au Philofophe
, lorfque vous nous entendiez , ma
» fille & moi , parler de ces plaiſirs fi purs
» que nous donne la mufique , vous regret-
» tiez de ne pouvoir fentir comme nous
» toute la douceur de l'harmonie. C'eft ,
" difiez- vous , une fenfation de l'âme que la
» Nature m'a prefque entièrement refufée ;
» & d'après les effets qu'elle me paroît pro-
» duire fur les autres hommes , ce doit être
» une jouiffance bien délicieufe ! Pourquoi
" ne diroit - on pas la même chofe de la reli-
" gion ? Croyez- moi , cher Wolmar , cette
"
99
99
و د
religion m'infpire une énergie , un enthoufiafme.......
que je voudrois vous faire
fentir ! Suis - je heureux ? elle ajoute encore
» à mon bonheur. Quand les malheurs me
frappent , & j'en ai eu d'affreux à foutenir
! n'eft - ce pas elle qui verſe un baume
» fur mes bleffures ? »
99
Qu'il eût été cruel au Philofophe de ravir
à cet honnête vieillard une idée fi confolante
!
Comme étranger , on lui faifoit voir ce
qu'il y avoit de remarquable dans le Canton
de Berne. Pour varier fes plaifirs , que d'attentions
ingénieufes à lui préfenter fous différens
points de vie , ces montagnes chargées
de neige dans toutes les faifons de l'année
! Le Philofophe faifoit à la Roche mille
queftions fur ce qu'il favoit de leur hiftoire
DE FRANCE. 111
naturelle. Pour la Roche , il mefuroit d'un
oeil refpectueux la hauteur effrayante de
leurs fommets. Il s'étonnoit de la fublimité
des idées que lui infpiroit le fpectacle im
pofant de ces maffes énormes. " Ah! fi on
les voyoit de la Flandre ! dit Wilhelmine
avec un foupir mystérieux : voilà , reprit
Wolmar en fouriant , une remarque affez
fingulière. Elle rougit , & il n'ofa pas
en demander davantage.
و ر
»
" "3
Ce ne fut pas fans regret que le Philofophe
quitta cette fociété dans laquelle il fe
trouvoit fi heureux . Comme on promit mu
tuellement de s'écrire ! Wolmar jura que
tous les ans , une fois au moins , il revien
droit embraffer les amis.
Deux ans après notre Philofophe arrive
à Genève. Cette chaîne de montagnes entalfées
, dont il avoit tant de fois admiré la
hauteur avec la Roche & fon aimable fille ,
lui rappelle ce qu'il leur avoit fi folemnellement
promis. Ce fouvenir lui fait auffi
fentir la douleur d'avoir manqué à leur écrire
depuis plus de fix mois.
Pendant qu'il béfitoit encore pour favoir
s'il iroit embraffer le bon la Roche , il reçut
une lettre du vieillard , qui lui avoit été
adreffée en France. Elle contenoit de bien
doux reproches fur ce qu'il avoit manqué à
fa promeffe ; mais on l'y affuroit mille fois
d'une éternelle reconnoiffance pour les bienfaits.
La Roche le regardant comme un ami ,
fenfible au bonheur de fa famille , lui an
112 MERCURE
nonçoit les noces de fa Wilhelmine avec un
jeune Officier Suiffe. Attachés l'un à l'autre
dès la plus tendre enfance , ils avoient été
féparés par la valeur bouillante du jeune
bomme, qui lui avoit fait rejoindre les Trou
pes Auxiliaires du Canton de Berne , alors
en Flandre , & voilà ce qui explique l'exclamation
que nous avons rapportée de Wilhelmine.
Dans cette campagne il ne s'étoit
pas moins diftingué par fon courage que par
tous le autres talens qu'il avoit cultivés dans
fa patrie fous les yeux de fon amante. Le
terme de fon Service Militaire étoit enfin
arrivé , & le fenfible vieillard attendoit fon
retour dans quelques femaines pour les unir
enfemble , & les voir heureux avant de
mourir.
Le Philofophe fentit fon coeur intéreffé à
cet événement ; il ne fe trouvoit pas aufli
content d'apprendre la nouvelle du mariage
de Mlle la Roche que fon père fe l'étoit
imaginé. Dans l'idée de la voir paffer dans les
bras d'un autre , il éprouvoit même je ne
fais quel faififfement dont il ne pouvoit démêler
la caufe. Cependant il regarde cette
union comme préparée par la néceffité qui
enchaîne tous les évenemens , & , fur le
champ , fe difpofe à partir pour être témoin
du bonheur de fes reípectables amis : bien
sûr qu'il va l'augmenter encore en le partageant
avec eux.
Le dernier jour de fon voyage , plufieurs
accidens avoient retardé fon arrivée. La nuit
DE FRANCE. 113
la plus fombre le furprit avant qu'il pût fe
reconnoître dans les environs de la demeure
de fon ami. Il s'en croyoit même encore trèséloigné
, lorfqu'il fe trouva vis- à- vis ce lac
qui étoit dans le voifinage de la Roche . Une
lumière , qui fembloit fortir de fa maiſon ,
étincelloit en longs fillons de feu fur cette
nappe d'eau , puis s'enfonçoit lentement dans
- le bois , fuivant toujours les bords du lac . On
la voyoit tour-à- tour briller & difparoître ,
jufqu'à ce qu'enfin , fortie de la fombre épaiffeur
de la forêt , elle s'arrêta.
Suppofant que ce pouvoit être quelque
rejouillance de noces , Wolmar tourna fon
cheval vers cette forêt . D'abord il fut faifi de
voir que cette clarté venoit d'une torche
funèbre qu'une perfonne vêtue de deuil por.
toit à la tête d'un nombreux convoi . Plufieurs
affiftans en manteaux noirs , tenant
auffi des flambeaux à la main , récitoient
quelques chants lugubres , & tous , ils fembloient
rendre à leur ami les triftes honneurs
de la fépulture .
es
Qui enterrez- vous là , dit Wolmar aux
" Folfoyeurs L'un d'eux , avec un accent
plus touchant qu'on ne doit l'attendre des
perfonnes qui exercent cette profeſſion , répondit
en foupirant : « Vous, Monfieur, vous
» n'avez pas connu la plus aimable ......... La
Roche s'écria le Philofophe. » Hélas , en
effet , c'étoit elle- même!
La furpriſe & la douleur de Wolmar attirèrent
l'attention d'un jeune Miniftre. « Je
114
MERCURE
39
"
» m'apperçois , Monfieur , lui dit - il en s'ap
prochant de lui , que vous connoiffiez auffi
" Mile la Roche ? Si je la connoiffois
grand dieu ! Quand ? ...... comment ?......
» où eft elle ?.... où eft fon père ?.... C'eft
» la douleur qui a brife fon coeur fenfible !
» Un bon jeune homme, fi beau , fi aimable ,
» fi digne d'elle , le jour même qu'elle al-
"
loit l'époufer, a été tué en duel par un
» Officier François , fon intive ami , qui ,
» dans fon défefpoir , s'eft plonge for fon
épee. L'on n'efpère pas non plus qu'il en
» guériffe ; fa famille eft là défe fpérée , il
» refufe tous les fecours , les cris de fa dou-
» leur font affreux ; le père & la foeur
» font aufli là près de fon lit ; & c'eft
encore la Roche qui les confole . Et moi ,
pauvre orphelin , dont ils ont élevé l'enfance
, je n'ai plus l'efpoir d'être recon-
» noiffant ! ...... moi qu'ils ont fantei-
» mé ! ..... Le refpectable la Roche ſupporte
"
la perte de fa fille avec une réfignation qui
» tient de l'héroïfme. Affez calme pour être
» en ce moment dans le temple , il y va
donner quelques exhortations à fes Paroiffiens
, comme il eft ici d'ufage dans ces
» triftes circonftances. Suivez- moi , Mon-
» fieur , vous allez l'entendre. Wolmar
fuivit le jeune homme fans proférer une
parole.
"
33
Le temple , tendu de noir , étoit fombrement
éclairé. Les Paroiffiens , comme infenfibles
, fembloient refpecter la deul ar
DE FRANCE.
d'un père. Une lampe funèbre , placée à l'un
des côtés de la chaire de ce vénérable vieillard
, lançoit tous les rayons de fa lumière
fur la tête , à peine couverte de quelques
cheveux blancs. Il la tenoit cachée dans fes
mains ; quelquefois , dans le filence du recueillement
, il la foulevoit en tournant
vers le ciel fes yeux à demi fermés . De
groffes larmes , qu'il s'efforçoit de retenir ,
rouloient dans fa paupière , & l'on diftinguoit
fur fes pâles joues la profondeur des
fillons que l'âge y avoit traces ; à chaque foupir
qui lui echappoit , les Paroiffiens attendris
lui répondoient par des fanglots & des
cris étouffes . Le coeur de Wolmar étoit déchiré.
30
Le vieillard fe lève. Erre Éternel , par- K
donne , pardonne ; j'ai peut être un droit
» à ta clémence ! ..... Oh ! mes amis , c'eft
» dans ces jours de nos malheurs qu'il eft
» grand d'élever fon âme à Dieu ..... Quelle
» eft vaine & défefpérante la fageffe des
" fages du monde ! à les en croire ils veulent
» nous rendre heureux , & ils étouffent la
fenfibilité , fource unique des vrais plai-
» firs , des plaifirs purs.... Si ma fille n'eût
» pas été fi fenfible..... ( fes yeux fe remplif
foient de larmes ) non , je ne rougirai
point d'avoir un coeur fenfible. »
99
"3
" Vous voyez un vieillard qui pleure fon
feul enfant , fa feule efpérance fur la
» terre. Et quel enfant, ô ciel ! je fais qu'il
116 M-ER CURE
» ne convient pas à fon père de parler de
» fes vertus. Cependant , puifque c'étoit
» envers moi qu'elles étoient exercées , ne
» dois je pas les publier au moins par récon
» noiffance ? Ces derniers jours de fête ,
» vous l'avez vûe là , dans ce faint temple ,
" fi belle & fi heureufe ! Vous , qui êtes
pères , jugez quelle étoit alors ma féli-
» cité ! .... jugez de ma douleur !
"
ود
99
"
Que ne puis- je vous faire fentir com-
> bien il eft doux d'épancher fon coeur quand
" il eft rempli d'amertume , de verfer dans
» le fein d'un ami fon âme toute entière ! .....
» Hélas ! nous ne fommes pas de ceux qui
» meurent fans eſpérance !..... Levez- vous ?
» effuyez vos larmes. Ne pleurez donc pas
fur mon fort ; je n'ai point perdu mon
enfant ! ...... Quelques jours encore , &
» nous ferons tous réunis ..... Et vous tous
» n'êtes vous pas auffi mes enfans ? .... Voulez
vous que je ceffe de verfer des larmes
» fi dans ma douleur affreufe je n'ai plus
» rien pour me confoler ? O ma fille ! ..... ô
» mes enfans ! vivez comme elle a vécu ! ....
" Quand votre mort fera venue, que ce puiffe
» être la mort du jufte , & que votre heure
» dernière foit femblable à la fienne? »
"
L'auditoire fondoit en larmes ; mais le
vieillard n'avoit plus de larmes à répandre ,
& fur fon front radieux brilloit la lumière
de l'efpérance.
Wolmar le fuivit jufques dans fa maiſon.
DE FRANCE. 117
La Roche , attendri par fa prefence imprévue
, faillit fuccomber à fa douleur . L'enthoufiafme
de la chaire étoit paffe . Comme
il preffe en fanglottant fon ami contre fon
fein ! ils s'embraffent ; leurs larmes fe confondent.
un
19
&
Les yeux troublés de pleurs ils erroient en
filence dans toute la maifon , lorfque le hafard
conduifit leurs pas dans la grande faile
où l'on célébroit l'Office du foir. Les rideaux
de l'orgue étoient ouverts.... La Roche , effrayé
, recule , fe couvrant la tête d'un pan
de fa robe , & s'écrie d'une voix fi gémiſfante
, fi douloureufe : Où es - tu , ma fille ?...
» ma fille ! qu'il arracha au Philofophe
cri involontaire. Wolmar revient à
lui - même , fait un pas en avant
ferme doucement les rideaux. Le vieillard
effuya fes pleurs ; & ferrant avec tranſport
la main tremblante de fon ami : « Vous
" voyez ma foibleffe , c'eft la foibleffe de
» l'humanité ; mais en me voyant fouffrir ,
» connoillez vous auffi le fentiment qui me
" confole?- Je viens de vous entendre dans
» le temple. - O mon ami ! s'il y a des
» hommes qui doutent de l'exiftence d'un
» Dieu confolateur , qu'ils penſent donc ,
» par pitié , combien cette efpérance eft
-
douce aux malheureux ? Puifqu'ils ne peu-
» vent nous rendre notre bonheur , qu'ils
» ne nous enlèvent pas au moins ce qui nous
» confole dans nos peines. C'eft ôter l'âme
» à la vertu . »
"
J
118
MERCURE
Au fouvenir de cette fcène attendriffante ,
Wolmar répand toujours des larmes.
( Par M. N. de Bonneville. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Charmante ;
celui de l'Enigme eft Secrétaire ; celui du
Logogryphe eft Soulier , où l'on trouve lis ,
Louis , Sire ,fou , oeil ,foeur ,jeu , oie , joue.
A Madame I ** , qui me prioit de lui
faire fur le champ une Charade.
UNE Charade , Églé ? vous n'avez qu'à vouloir,
En mufique ailément mon premier fe fait voir ;
Vous êtes mon fecond fans art & fans parure ;
Ne foyez pas mon tout , l'Amour vous en conjurè,
( Par M. Berthier, Officier au Rég, de Picardie. )
DE FRANCE.
119
ÉNIGM E.
Tour mon mérite à moi , c'eſt la malignité ,
OU
Et fouvent mes bons mots ont un trifte falaire ;
Mais celui que j'ai maltraité
Ne s'enprend jamais qu'à mon père.
( Par M. Philoſphinx. 】
LOGO GRYPH E.
Au milieu des combats fignalant ma valeur ,
Je fais braver la mort pour voler à la gloire .
Décomposé par toi , Lecteur,
Dans mes huit pieds , fans ufer de grimoire ,
Je t'offre un terme de mépris ;
Un meuble que chérit l'Avare ;
Un métal fort comman ; un autre bien plus rare;
Ce qu'eft un riche dans Paris ;
Un ton de la mufique ; une longue prière ;
Puis un arbre de ton parterre.
(Par M. Gratton , Capitaine de Canonniers . )
1
120 MERCURE
!
NOUVELLES LITTERAIRES.
L'HONNEUR FRANÇOIS , ou Hiftoire.
des Vertus & des Exploits de notre Nation
depuis l'établiffement de la Monarchie
jufqu'à nos jours , par M. de Sacy , Cenfeur
Royal , Membre de l'Inftitut Royal
d'Hiftoire de Gottingen , des Académies
de Caën , d'Arras , & c. Tomes XI & XII .
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardinet , quartier Saint - André - des-
Arcs.
Nous avons parlé avec de juftes éloges
des précédens Volumes de cet Ouvrage national
, qui eft enfin terminé. La critique
obfervera fans doute à M. de Sacy que dans
ces derniers Volumes il a excédé les bornes
de fon plan. En effet , parmi les victoires &
les faits glorieux qui en compofent le récit ,
on rencontre nombre de défaites & d'événemens
défaftreux , & les défaites & les
événemens défaftreux ne femblent pas devoir
entrer dans un Ouvrage intitulé l'Honneur
François. Affurément l'objet de M. de Sacy
n'étoit pas de confacter le menfonge ; il
n'avoit ni le droit ni le projet d'altérer les
faits historiques ; mais fon but étant moins
de rendre un hommage à la vérité que d'elever
un trophée à l'orgueil national ; en un
inot ,
DE
FRANCE.
121
፡
mot, cherchant plus à nous infpirer l'eftime.
de nous mêmes qu'à nous inftruire & nous
entretenir de notre Hiftoire , c'étoit uniqueinent
des traits qui honorent la Nation qu'il
devoit compofer les ſujets de ſes tableaux.
1 Ainfi on peut faire à M. de Sacy le reproche
de s'être quelquefois écarté de fon
fujet , quoiqu'il ne l'ait pourtant pas perdu
de vûe; mais quel attrait pour cet Hiftorien.
de pouvoir donner aux François une hiftoire
complette de leurs Colonies , Ouvrage
qui leur manquoit ! Si l'on ajoute que nous
n'avions pas de Mémoires fur l'Hiftoire de
France depuis 1762 , & qu'on defiroit un
tableau des principaux événemens de la
dernière guerre , n'eft ce pas établir finon
une juftification , au moins une excuſe pour
l'Historien, & un motif de
reconnoiffance
pour les Lecteurs ?
Avec quelle douce
fatisfaction on parcourt
cette foule d'événemens , dont plufieurs
font affez récens pour
appartenir à
notre âge, & font pourtant affez éloignés de
nous pour avoir acquis la fanction de l'antiquité
! Avec quel intérêt on retrouve les
noms de M. de la Bourdonnaye , cet homme
fi eftimable quand il n'auroit pas été perfécuté
de M. Dupleix , fon digne rival ; du
Maréchal de Lowendal ; des Marquis de
Vaudreuil & de Moncalm ; de M. de Chevert
; de M. de Lally , qui a excité & mérité
peut être à- la- fois
l'indignation & la pitié ,
&c. &c.; enfin des
Washington , des la
Nº. 51 , 18 Décembre 1784 ·
F
122 MERCURE
Fayette , des d'Estaing , des la Motte-Piquet,
des Crillon , des Suffren , &c.
Si M. de Sacy rapporte quelquefois des
faits étrangers à fon plan ( dans fes derniers
Volumes) , au moins n'oublie til aucun de
ceux qui peuvent y entrer avec avantage ,
de ceux qui honorent la Nation. C'est dans
cet efprit qu'il n'a pas manqué de rapporter
la lettre que nous allons tranfcrire ici . Elle
eft écrite par le Chef des Marates à M. de la
Bourdonnaie , & honore également cet eftimable
Guerrier & la Nation Françoife . » Elle
" eft donc prife , cette ville de Madras , fi
célèbre par fa beauté , par fon commerce ,
fi redoutée pour le courage & le nombre
de fes habitans ! elle a été prife par les
François en fi peu de jours ! j'ai peine à
le comprendre , & ne puis attribuer un
fuccès fi prodigieux qu'à la valeur plus
qu'humaine du Général & des Soldats qui
» ont planté leur pavillon fur la tête des Anglois
. La Bourdonnaie , le foleil éclaire le
» monde depuis fon lever jufqu'à fon coucher
; mais dès qu'il difparoît , il eft ou
blié , on n'en parle plus. Il n'en eſt pas
ود
"
و د
و د
33
>>
32
ود
و د
de
» même des exploits des François . La nuit .
» comme le jour , nous ne ceflons de parler
d'eux & de leur invincible Chef. »
Ce témoignage rendu au courage des François
par te vaillant Chef d'un des plus vaillains
peuples cornus , devoit trouver place
dans cet Ouvrage.
Les portraits font une des qualités ( au
DE FRANCE. 123
93
و د
و د
•
Ci
moins brillantes ) d'un Hiftorien. Le fuivant
fera juger de la manière & du ftyle de l'Auteur
de l'Honneur François . C'eft du Comte
de Saxe qu'il parle. Son plus bel éloge eft
» l'hiftoire de fa vie . La Nature fembloit
» l'avoir préparé aux fatigues de la guerre
» par une force plus qu'humaine . On peut
le placer à la tête des célèbres batards qui
» ont illuftré le fang dont ils fortoient , &
qui, par des victoires , fe fout vengés d'un
odieux préjugé , & ont légitimé leur naif-
» fance. Si un injufte opprobre entoura fon
berceau , la gloire accompagna fes pas
dans la jeuneffe & dans l'âge mûr , & cette
gloire eft fon ouvrage. Si fa naiflance fut
» une faute , ce ne fut point la fienne ; mais
fa vic eft à lui . C'est par l'étude profonde
de la tactique ancienne qu'il perfectionna
la tactique moderne ; c'eft par une vigilance
continuelle qu'il garantit les camps
» de toute furprife. C'est par des plans adap
tés à tous les cas poffibles , qu'il fe trouva
toujours en état de recevoir l'ennemi &
» de le vaincre , c'eft par fa bonté familière ,
vertu peu cultivée dans les Cours d'Alle
» magne , qu'il acquit la confiance & l'amour
و د
"
"
99
י נ כ
ود
des Soldats. Il donna peu au hafard & ne
» lui dut rien , &c. »
篡
Quelquefois par une Anecdote , par un
mot , M. de Sacy peint fes perfonnages . Il y
a de la précision & tout ce qu'il falloit dire
dans ce qu'il dit de M. de Chévert. Il n'étoit
que Lieutenant lorfqu'une Compagnie de
Fij
124
MERCURE
22
33
"
ود
fon Régiment vint à vaquer. Le Colonel
» la demanda pour un de fes Favoris ; l'an-
» cienneté de M. de Chévert lui donnoit deş
» droits ; il court à Verfailles ; & , perfuadé
qu'on lui a nui dans l'efprit du Miniftre :
Ecrivez , lui dit il , à mon Colonel que
» vous avez befoin d'un Officier habile &
» brave , pour un coup auffi important que
difficile. Le Colonel nomma Chévert , &
il fut Capitaine . Il étoit fier de l'obfcurité
» de fa naiffance comme un autre de fa nobleffe.
On prétend que tant qu'il ne fut
que Légionnaire , quelques parens orgueilleux
de leur opulence n'avoient pas voulu
» le reconnoître. Lorfqu'il fut parvenu aux
premiers grades , des Gentilshommes pré-
» tendirent lui être attachés par les liens du
fang. Un , entre autres , vint en qualité de
parent réclamer føn crédit à la Cour : Êtes-
" yous Gentilhomme , lui dit Chévert ? - Si
je le fuis ? Pouvez- vous en douter ? - En
» ce cas , Monfieur , nous nefommes point
» parens ; car je fuis le premier & le feul
» Gentilhomme de ma famille,
ود
و د
"
ود
"
M. de Sacy coupe fouvent fon récit par des
réflexions philofophiques , genre de beauté qui
donne de l'intérêt à la narration , quand il n'y
mêle point de la prétention ou de la féchereffe.
L'air de Sainte- Lucie , dit- il , eft
contagieux ; cette Ifle fut toujours le tom-
" bean de fes Conquérans & de fes- Cultivateurs
; mais fa fituation la rend importante
; & telle eft dans le fyftême politi-
و ر
ar
DE FRANCE. x25
» que actuel , la trifte condition des hom-
» mes , qu'ils font fouvent obligés de fe dif-
» puter au prix de leur fang , des contrées
» où les maladies détruifent ce que la guerre
» a épargné , &c. »
C'eft avec ce même efprit de véritable
philofophie , que M. de Sacy parle du Pilote
Bouffard , furnommé le Brave Homme. « M.
» le Comte de Béhague , dit- il , eut le même
" courage & le même bonheur. Je ne crains
point d'affocier à ce nom celui de Bouffard
; l'un étoit illuftre , l'autre eft illuftré.
» Une même gloire a placé fur la même
ligne le Commandant de Belle- Ifle & le
» Pilote de Dieppe. »
"
"
"
Nous allons terminer cet article par une
Anecdote bien honorable pour notre jeune
Monarque ; il s'agit de l'ordre donné à tous
Les Sujets de refpecter , pendant la guerre ,
le vaiffeau du célèbre Cook. Voici dans quels
termes étoit conçue la lettre du Miniftre :
" Le Capitaine Cook , qui eft parti de Ply-
» mouth au mois de Juillet 1778 , à bord
» du vaiffeau la Réfölution , dans la vûe de
faire des découvertes fur les côtes , les
» Ifles & dans les mers au Nord du Japon &
» de la Californie , eft fur le point de reve-
» nir en Europe , ayant encore fous les or-
» dres un autre vaiffeau nommé la Décou
" verte, commandé par le Capitaine Clarke;
» & comme les découvertes de cette nature
» font d'une utilité générale pour toutes les
Nations , la volonté du Roi eft que le Ca-
93
Fiil
126 MERCURE
pitaine Cook foit traité de même que s'il
» commandoit un bâtiment des Puiffances
neutres & amies , & qu'il foit ordonné à
» tous les vaiffeaux en courſe , qu'en cas
qu'ils rencontrent fur mer ce fameux
Voyageur , ils lui faffent part des ordres
qui ont été donnés à fon fujet ; mais qu'ils
» lui fignifient en même temps qu'il ait de
» fon côté à s'abftenir de toutes hoftilirés. »
و د
TRADUCTION nouvelle de l'Énéïde , avec
des Notes & des Difcours Préliminaires ,
par M. Leblond. 2 vol. in - 12 . avec le texte.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Foin an
Marais , Lefclapart , Pont Notre Dame ;
Belin , rue S. Jacques ; Nyon , rue du Jardinet
; Royez , quai des Auguftins , &
Durand , rue Galande.
Nous avons annoncé l'année dernière une
Traduction que M. Leblond avoir déjà publiée
des Georgiques. Ne croyant pas lui devoir
une indulgence humiliante, nous avons
parlé des fautes que nous avions cru appervoir
dans fon Ouvrage , nous avons été févères
par eftime pour fon talent. Soit que
d'après le jugement du Public , M. Leblond
ait donné plus de foins à fa Traduction , foit
que fon talent pour traduire ait acquis plus
de forces en s'exerçant , les deux volumes
qu'il vient de publier , & qui renferment
Énéide, méritent plus d'éloges que le premier.
Nous allons citer au hafard un morDE
FRANCE. $ 117
ceau avec le texte , afin de mettre nos Lecteurs
à portée de prononcer fur le mérite
de la Traduction. C'eft Didon qui parlerà
Énée :
Diffimulare etiam fperafti , perfide , tantum
5
Poffe nefas , tacitufque mea defcendere terra ?
Nec te nofter amor nec te data dextera quondam ,
Me moritura tenet crudeli funere Dido?
Quin etiam hyberno moliris fidere claffem ,
Et mediùs properas aquilonibus ire per altum
Crudelis ! quid , fi non arva aliena , domofque
Ignotas peteres , & Troja antiqua maneret ,
Troja per undofum peteretur claffibus aquor ?
Mene fugis ? Per ego has lacrimas , dextramque
tuam , te
( Quandò aliùd mihijam miſera nihil ipfa reliqui )
Per connubia noftra , per inceptos hymenaos ;
Si bene quid de te merui , fuit aut tibi quicquam
Dulce meum , miferere Domus labentis , & iftam ,
Oro , fi quis adhuc precibus locus , exue mentem ,
Te propter Libyca gentes , Nomadumque Tyranni
Odere , infenfi Tyrii ; te propter eundem
Extinctus pudor , & quà folâ fydera adibam ;
Fama prior : cui me moribundum deferis , hofpes ?
( Hocfolum nomen quodiam de conjuge reftat . )
Quid moror ? An mea Pygmalion dùm maniafrater
Deftruat ? &c. &c.
"Perfide ! as tu donc efpéré me cacher cette
horrible trahifon ? As- tu imaginé pouvoir à
Fiv
#28 MERCURE
>
mon infçu fortir de mes États ? Quoi, ni
mon amour , ni les gages que j'ai reçus de
ta tendreffe , ni la mort cruelle qui attend
une amante malheureuſe , n'ont pu t'enchaîner?
Er c'eft au milieu des rigueurs de
l'hiver que tu prépares ta flotte ; & pour me
fuir tu vas braver les aquilons furicux ?
Cruel ! fi tu ne cherchois pas des demeures
étrangères , des contrées inconnues ; fi Troye
fubfiftant encore , te rappeloit dans fon fein ,
irois - tu chercher Troye au milieu d'une mer
oragcufe : Eft ce moi que tu fuis ? Ah ! je
t'en conjure par ces larmes , par ta main
puifque ce font les feuls gages qui restent à
une amante infortunée ; je t'en conjure par
les liens qui nous uniffent , par notre hymen
commencé. Si mes bienfaits t'ont prévenu
fi jamais Didon a eu pour toi quelques charmes
, prends pitié d'une maiſon qui va périr
& fi ma prière a encore des droits fur ton
coeur , renonce à cette funefte réfolution.
Pour toi je fuis devenu en horreur à toute la
Lybie , au Roi des Nomades , à mes Tyriens
mêmes , je t'ai facrifié ma pudeur , & , ce qui
m'égaloit prefque aux Dieux , la renommée
de ma vertu ô toi que j'ai accueilli , cher
Hore ! ( puifque c'eft le feul nom que je
peux encore donner à mon époux ) en quelles
mains me laiffes - tu mourante ? Que me
refte-t'il à attendre dans mon infortune ?
Que Pygmalion vienne , renverfer ces murailles,
&c. &c. »
Cette tirade ne mérite aucun reproche ,
DE FRANCE 129
& laiffe bien peu à defirer. Les gages que
j'ai reçus de ta tendreffe , rendent un peu
vaguement , data dextera , ma main ou ta
main donnée. O toi que j'ai accueilli , eft
ajouté au latin , & n'étoit pas néceffaire , &
quid moror , eft un peu paraphrafé par ces
mots : Que me refte- t'il à attendre dans mon
infortune ? A cela près , tout le reste mérite
des éloges. Citons encore un autre morceau
moins long & d'un autre genre : le Portrait
célèbre de la Renommée :
Extemplo Libya magnas it fama per urbes ,
Fama , malum quo non aliùd velocius ullum ;
Mobilitate viget , virefque aquirit eundo ;
Parva metu primò , mox fefe attollit in auras ,
Ingrediturque folo , & caput inter nubila condit.
Illam terra Parens , ira irritata deorum ,
Extremam ( ut perhibent ) Cao Enceladäque fororem
Progenuit , pedibus celerem & pernicibus alis :
Monftrum horrendum , ingens : cui quotfunt corpore
pluma ,
Tot vigiles oculi ſupter ( mirabile diu )
Tot lingua , totidem ora fonant , tot fubrigit aures ;
Nocte volat coeli medio terraqueper umbram
Stridens , nec dulci declinat lumina fomno .
Lucefedet cuftos , aut fummi culminė tecti ,
Turribus aut altis , & magnas territat urbes ;
Tamfuti , pravique tenax , quàm nuntia veri.
Auffitôt la Renommée vole au milieu des
Fv
130 MERCURE
villes de Libye , la Renommée , fléau le plus
agile de tous , qui s'accroît par la célérité &
fe fortifie dans fa courfe. D'abord , humble
& craintive , bientôt elle s'élève d'un vol audacieux
; de fes pieds elle touche la terre ,
& cache dans les cieux fa tête fuperbe. On
dit que la Terre , pour braver les Dieux , la
donna pour dernière foeur á Cée & à Encelade
, & la doua de la rapidité de la courle
& de la légèreté du vol . Monftre horrible ,
énorme , qui cache fous les plumes dont il
eft couvert , autant d'yeux toujours ouverts ,
autant de langues & de bouches toujours
bruyantes , & autant d'oreilles toujours at
tentives la nuit , aumilieu des airs , elle fait
retentir les ombres du bruit de fes aîles.
Jamais le paifible fammeil n'approche de fes
paupières ; le jour , fixée tantôt fur les toits ,
tantôt fur de hautes tours , elle porte partout
fes avides regards , jette l'effroi dans lès
villes , & fe charge également d'annoncer le
* bien & le mal , la vérité & le menſonge , &c.
Nous ne croyons pas qu'il foit élégant de
traduire mobilitate viget , par s'accroît par
la célérité; d'ailleurs s'accroît ne peut fe dire
que d'une chofe & non d'une perfonne ; on
me dit pas qu'un homme s'accroít ; or , la
Renommée eft ici perfonnifiée..
Autant d'oreilles toujours attentives , rend
bien le fens de tot fubrigit aures; mais on y
cherche en vain l'image de fubrigit aures ,
qui fignifie dreffe autant d'oreilles .
M. Leblond a bien voulu conferver l'ima
DE FRANCE 13.1
و
ge de ftridens per umbram ; mais on ne peut
pas dire fait retentir les ombres comme on
dit fait retentir les airs ; & la raifon de cette
différence fe fait fentir fans qu'on la dife.
Ces obfervations prouvent combien il eft
difficile de traduire un grand Poëte d'une
manière abfolument irréprochable ; car ces
deux morceaux méritent des éloges comme
le refte de la Traduction de M. Leblond. S'il
n'a pas toujours dans fon ftyle cette chaleur
qu'on defireroit , il fait être fidèle fans un
air de contrainte & de gêne ; & fon expreſfon
eft prefque toujours propre , & jamais
familière , fes notes annoncent un bon Littérateur.
Enfin , nous croyons que cette Traduction
doit être accucillie , & peut être
utile dans les Colléges .
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL
ΑυU Concert du 8 de ce mois , M. Sallenin
a fait entendre un Concerto de hautbois
d'un très joli ftyle , & qu'il a exécuté avec
une perfection étonnante ; on a admiré la
jufteffe & le moelleux de fonembouchure, le
brillant de fes doigts , la fenfibilité de fon
expreffion. Nous rendons juſtice avec plaifir
à ce jeune Artifte , dont nous avons vu les
Ev
132 MERCURE
progrès rapides , & qui eft aujourd'hui le
plus charmant Hautbois que nous ayons. Il
joue de la flûte à l'Opéra. M. Bertheaume a
exécuté un Concerto de Violon d'une manière
digne de la réputation qu'il s'eft acquife
. Mlle Windling eft une jeune Élève de
M. Raff , dont la voix douce , légère & facile
, malgré fa timidité , mérite des encouragemens.
L'Oratorio de Mlle Beaumenil a
eu un fuccès complet , & qui eût été plus
grand encore fi l'exécution des choeurs eûr
répondu au mérite de la compofition . On y
a trouvé ce qu'il étoit impoffible que Mile
Beaumenil n'y mit pas , de l'efprit , de la
grâce , de la fenfibilité ; & même dans le
dernier morceau , ce que les femmes n'ont
pas ordinairement lorfqu'elles compofent ,
de la force & de l'énergie.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 26 Novembre , on a joué ,
pour la première fois , la Fauffe Inconftance ,
Comédie en un Acte & en vers , par M. R...
Un Chevalier & un Marquis aiment une
Comteffe , qui n'a pas encore prononcé entre
les deux Rivaux , quoiqu'elle ait fu apprécier
chacun d'eux à fa jufte valeur. Le
Chevalier eft un de ces jeunes fats devenus.
fiers d'avoir fubjugué quelques beautés furan
nées ou quelques vertus plus qu'équivoques ;
qui ne parlent d'eux , ne penfent à eux &
DE FRANCE. 133
ne jettent les yeux fur leurs perfonnes qu'avec
une douce complaifance ; en un mot , il a
cette espèce de fatuité qui , aujourd'hui , ne
paroît pas même digne d'obtenir un ridicule.
Le Marquis eft un homme honnête , timide
& fenfible. Entre deux amans d'un caractère
fi oppofé , le choix n'eft pas difficile ;
aufli la Comteffe fe détermine t'elle à éloigner
l'un & à époufer l'autre. Elle écrit au
Chevalier pour lui donner fon congé. Celuici
eft d'abord furieux ; enfuite il fe propofe
d'égayer l'aventure ; & voici cominent. La
lettre de la Comteffe lui eft arrivée fous enveloppe
, & ne contient rien qui lui foit perfonnel
. En conféquence il fait une nouvelle
enveloppe , contrefait l'écriture de la Comteffe
, & fait remettre l'épître au Marquis.
On peut juger de la douleur , des tranſports
de ce dernier. Il ne doute pas que le Chevalier
ne foit l'amant préféré , & il s'en explique
avec lui dans des termes & avec ce
ton d'humeur qu'infpirent l'amour jaloux
& l'amour propre humilié. Quelle est fa
furprife , lorfqu'il voit fon rival époufer fon
reffentiment , blâmer la Comteffe , & déclarer
qu'il renonce à la voir jamais ! Néanmoins
, comme il imagine que le Chevalier
peut feindre , il lui demande s'il pourra fe
déterminer à le fuivre à Paris , où il veut fe
rendre à l'inftant ; ( car la Scène fe paffe à
la campagne ) . Le perfide accepte la propofition
avec un empreffemenr qu'il eft facile
de deviner , & fort afin de tour difpofer
-
134
MERCURE
pour un prompt départ . D'un autre côté la
Comteffe , après avoir fignifié au Chevalier
le congé le plus abfolu , a fait dreffer un
contrat de mariage au nom du Marquis &
au fien . Le jour même , fon Notaire doit
venir en faire la lecture & recevoir la fignature
des parties. Le Marquis ignore tout
cela. Franche & fenfible , la Comteffe
vient parler à fon amant de leur prochain
bonheur. La nature des reproches qu'elle
.effuie brife fon coeur , confond fa raifon &
réveille fon orgueil. Heureufement le Notaire
apporte le contrat ; ce qu'il dit éclairepeu
- à- peu le Marquis , & amène une explication
, par le moyen de laquelle tout le
découvre. Le Chevalier ne rentre que pour
être témoin du bonheur des deux amans .
Afin d'être exacts autant qu'il eſt poſible de
l'être , nous devons ajouter que la Comteffe
a une Suivante qui a pour amans le Valet du
Marquis & celui du Chevalier ; que ces rivaux
fubalternes jouent exactement les mê
mes rôles que les premiers , & que les Scènes
qui en réfultent offrent tout fimplement la
caricature de celles qui mettent leurs Maîtresen
jeu ; moyen ufe , rebattu , toujours fufceptible
de produire quelque impreffion ,
quoi qu'il annonce moins la connoiffancedes
effets comiques , que l'impuiffance d'en
varier les motifs & d'en multiplier les caufes.
Cette petite comédie a été écoutée avec:
indulgence , elle a même obtenu des applau
diffemens , parce qu'on y remarque de l'ef
DE FRANCE. 135
prit & des détails agréables . Aujourd'hui
c'eft à peu près tout ce que demande la
plus grande partie des Spectateurs , & c'est
à peu près auffi tout ce qu'on lui donne..
Ce qui faifoit autrefois dans les Ouvrages
Dramatiques la matière d'un fimple incident,
fait maintenant la matière première de nos
Comédies modernes. Puifque le Public s'en
contente , il ne faut pas être plus difficile
que lui , fur- tout quand fon fuffrage ne
s'arrête que fur des productions éphémères
où la décence n'eft point bleffée , & dans
lefquelles les moeurs font refpectées . La
Fauffe Inconftance n'eſt donc qu'une bluctte
dont une anecdote récente a fourni le
fonds. L'Auteur l'a diftribuée en Scènes à
fa manière , fans y rien ajouter du fien , que
de l'efprit dans quelques détails , comme
nous l'avons déjà dit ; mais depuis que tous
les matins un quart de la ville fe réveillepour
travailler à donner aux trois autres.
quarts une manière quelconque de penfer
& de s'expliquer furtout depuis l'orthographe
jufqu'à la Chimie , l'efprit eft devenu
, comme les fuccès , une marchandife
bien commune.
136 MERCURE
*
ANNONCES ET NOTICES.
V
INAIGRES & autres objets d'agrément & dutilité.
A Paris , chez le ficur Maille , Vinaigrier- Diftillateur
du Roi , rue S. André- des- Arcs.
Rendre une juftice publique aux hommes qui ,
par leur induftrie & leurs travaux s'élèvent au-deffus
de l'état qu'ils exercent , & en reculent les bornes
par des découvertes utiles , c'eft tout-à- la- fois un
acte de juftice & de reconnoiffance. C'eft un tribut
que nous avons déjà payé , & que nous fommes
jaloux de payer encore à M. Maille , qui a porté
fon Art à un degré inconnu juſqu'à lui. Il débite
avec le plus grand fuccès , & il envoie dans les
pays les plus reculés , plus de 200 fortes de Vinaigres
de fa compofition . Nous nous contenterons de citer
le Vinaigre Romain , qui prévient la carie des dents.
& l'haleine forte , le véritable Vinaigre des Quatre-
Voleurs , fi connu par fa vertu anti - putride ; le Vinaigre
Storax , ou Crême de Vinaigre , propre à
donner de la blancheur au teint & à garantir la
peau des rides ; le Vinaigre de Rouge , qui , à l'avantage
du rouge ordinaire joint celui de cacher le be--
foin qu'on a d'en ufer , en imitant les couleurs naturelles.
Ce Vinaigre n'eft compofé que de fimples
ce qui doit raffurer contre la crainte de tout inconvénient
pour la peau & pour la farté , & on l'enlève
facilement en fe frottant le vifage avec un linge
trempé dans du Vinaigre de Mille Pertuis . Parmi
les Vinaigres pour la Toilette , nous ne parlerons
que du nouveau Blanc de Vinaigre & de celui qui
fert à ôter. le feu du razoir. Enfin cet habile Artiſte
ne laiffe rien à defirer pour la table ; & l'on trouve
dans fon maga in plufieurs efpèces de Moutardes
>
DE FRANCE. 137
"
fines , qui acquièrent plus de vogue & d'eftime de
jour en jour.
Après ces éloges donnés aux talens variés de M.
Maille, nous en devons à fa bienfaifance qui l'engage
à diftribuer gratis aux Pauvres de la Moutarde
pour les angelures . Cette diftribution fe fait tous les
Dimanches , depuis le premier Novembre juſqu'à
Pâques.
PORTRAIT de M. Necker , ancien Directeur-
Général des Finances , gravé par Aug. de Saint-
Aubin , Graveur du Roi & de fa Bibliothèque ,
d'après le tableau criginal de J. S. Dupleffis , qu'on
a vû au Sallon en 1783 , de 12 pouces de haut fur
9 pouces de large. Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Aurue
des Prouvaires , la porte- cochère vis- à- vis
le magafin de Montpellier.
-teur ,
Ce Portrait réunit tous les genres d'intérêt ; l'eftime
qu'on a pour le perfonnage qu'il repréfente
une parfaite reflemblance & une grande fupériorité
de burin. C'eft une des meilleures têtes que la gravure
nous ait données depuis long temps . Les perfonnes
qui fe font fait infcrire pour des épreuves de
choix , peuvent les faire retirer. Le même Artiſte
travaille au même Portrait in-4° . pour les perfonnes
qui defireront le placer à la tête du Compte Rendu .
Dès qu'il fera terminé , les Amateurs feront avertis
par de nouvelles annonces.
ANALYSE raifonnée des Rapports aes Commiffaires
chargés par le Roi de l'examen du Magnétifme
Animal , par J. B. Bonnefoy , Membre du Collège
Royal de Chirurgie de Lyon . A Paris , chez Prault ,
Imprimeur du Roi , quai des Auguftins.
Peu de Livres en faveur du Magnétifme , réuniffent
comme celui - ci la clarté à la précifion & à la
décence. Les Partiſans du Magnétiſme trouveront
138 MERCURE
•
dans cet Ouvrage une difcuffion fage & bien raifonnée
du Rapport des Commiffaires , & c'eſt un de
ceux que l'on peut lire avec le plus de fruit & de
-fatisfaction , en attendant que l'on décide le fonds
d'une querelle auf importante.
DOUTES d'un Provincial propofés à MM les
Commiffaires chargés par le Roi de l'examen du Magnétifme
Animal. A Paris , chez Prault , Imprimeur
du Roi, quai des Auguftins.
Cette Brochure , qui eft remplie de farcafmes
très- piquans contre la Médecine , eft d'un ancien
Malade qui croit avoir été foulagé par le Magnétifime
des maux que la Médecine ordinaire n'avoit
fait qu'aigrir . Ses Doutes annoncent un homme de
beaucoup d'efprit & une imagination vive. Son Ouvrage
fera lû avec plaifir , même par ceux qu'il ne
perfuadera point.
OBSERVATIONs fur le Gouvernement & les
Loix des Etats- Unis de l'Amérique , par M. l'Abbé
de Mably.
ble
La première Edition de cet Ouvrage , remarquapar
le nom de fon Auteur , eft épuisée. Celle que
nous annonçons fe vend chez Hardouin , Libraire ,
au Palais Royal , nº . 14. Prix , ↑ liv . 16 fols.
VOYAGE autour de la Terre avec le Globe
Aéroftatique , par M. L.... de M.... A Paris , chez
Lefelapart , Libraire , Pont Notre - Dame , & chez les
Marchands de Nouveautés .
Piaifanterie écrite rapidement , & qu'on ne doit
pas juger à la rigueur.
L'ENFANT chéri , peint par J. B. Leprince ,
Peintre du Roi , & gravé par N. Delaunay , Graveur
des Académies Royales de Paris & de CopenDE
FRANCE. 139
hague. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Bucherie ,
n °, 26.
Cette jolie Eftampe eft la feptième faifant fuite
à celles déjà connues & eftimées fous les titres de la
Gaîté Conjugale, la Félicité Villageoife, & c. Ony reconnoîtra
le buin gracieux & le fini qui caractérifent
les productions de cet Artifle .
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Traduction
des Pièces qui ont paru avec fuccès fur les Théâtres
des Capitales de l'Allemagne , par MM. Friédel &
de Bonneville , Volume X. A Paris , au Cabinet de
Littérature Allemande , rue Saint Honoré , au coin
de la rue de Richelieu , chez la Veuve Duchefne ,
Couturier fils , Nyon l'aîné & Barrois le jeune , Libraires
. Le prix des dix Volumes eft de 40 livres
-rendus franc de port par la pofte en s'adreffant directement
à M. Friédel , Profeffeur des Pages du Roi ,
rue Saint Honoré , au coin de la rue de Richelieu.
www --
DISCOURS fur l'Hiftoire Univerfelle , par M.
Boffuet, Collection in - 4° . imprimée par ordre du
Roi pour l'Éducation de M. le Dauphin , tirée à
deux cent Exemplaires fur papier grand raifin vélin,
1 Volume. Prix , 48 liv. broché en carton . Ce Vo
lume eft le cinquicine de la Collection in - 4 ° ..Il a
déjà paru. Télémaque , 1 Vol. Les Euvres
de Racine , 3 Vol . Le même Difcours fur l'Hif
toire Univerfelle , par M. Boffuet , imprimé par
ordre du Roi pour la Collection in 18 de M. le
Dauphin , 4 Vol. Prix , 24 hv. brochés en carton .
Cette Collection fous les formats in-4 °. ,
& in- 18 eft fur papier vélin de la fabrique de MM .
Mathieu Jobannot père & fils , d'Annonay ; & nous
pouvons dire , pour dire beaucoup en peu de mots ,
que ces deux Editions font des plus belles qui foient
forties des Preffes de cet Artifte renommé.
in - 8 .
>
K
140 MERCURE
ETRENNES de la Vertu , pour l'année 1785 ;
contenant les Actions de Bienfaifance , de Courage ,
d'Humanité, &c . qui fe font faites dans le courant
de l'année 1784 , anxquelles on a joint quelques
autres Anecdotes intéreffantes. A Paris , chez Savoye
, Libraire , rue Saint Jacques.
Le Public a applaudi à l'idée de ce Recueil , dont
nous annonçons le quatrième Volume , & nous
avons joint nos éloges à ceux des autres Ecrivains
périodiques. L'année qui eft prête à finir a fourni un
plus grand nombre de belles actions , & c'eſt une
idée confolante pour l'humanité.
TRAITE Elémentaire d'Algèbre , par M. l'Abbé
Boffut , de l'Académie Royale des Sciences , Honoraire
, Affocié libre de l'Académie Royale d'Architecture
, de l'Inftitut de Bologne , de l'Académie Impériale
des Sciences de Saint Pétersbourg , de la Société
Provinciale des Sciences & des Arts d'Utrecht,
Examinateur des Elèves du Corps Royal du Génie ,
Infpecteur général des Machines & Ouvrages Hydrauliques
des Bâtimens du Roi , in 8 ° . A Paris ,
chez Volland , Libraire , quai des Auguſtins.
Pour faciliter l'achat de cet Ouvrage , le Libraire ,
au lieu de 3 liv. 5 f. , l'a mis au prix de 2 liv. 10 fol .
LA Folle Soirée , Parodie de Figaro en un
Acte , profe & Vaudevilles , préſentée à la Comédie
Italienne le 14 Juillet 1784 , par M. l'Abbé B ……….
de B..... , de deux Académies. Prix , 1 livre 10 fols .
A Gattières ; & fe trouve à Paris , chez Couturier,
Imprimeur-Libraire , quai des Auguftins.
C'eft l'Ouvrage d'un homine d'efprit , qui fait
même exprimer fes idées ; mais fa Pièce eft trop
longue , n'étant qu'un dialogue fans aucune espèce
d'action jufqu'à la dix -feptième Scène. Ce qui ôte
auffi de la clarté à fa marche , c'eft qu'il femble
DE FRANCE. 141
confondre fouvent l'Auteur & la Fièce , les Perſonnages
& les Acteurs. Par exemple , on complimente
Figaro de ce qu'il a parfaitement joué ; voilà donc
l'Auteur ; enfuite , & dans la même Scène , le même
Figaro raconte qu'il a été d'abord Barbier à Séville
, &c. , & voilà le Perfonnage revenu. Cela
jette du louche dans le dialogue de cette Parodie ,
où d'ailleurs les mots de la Folle Journée ſont quelquefois
adroitement enchâſſés.
CHEFS- D'OUVRES de l'Antiquité fur les Beaux-
Arts , Monumens précieux de la Religion des Grecs
& des Romains , de leurs Sciences , de leurs Loix ,
&c. , tirés des principaux Cabinets de l'Europe , gravés
en taille- douce par Bernard Picart , & publiés
par M. Poncelin de la Roche- Tilhac , Écuyer , Confeiller
du Roi à la Table de Marbre. A Paris , chez
l'Auteur , rue Garancière , & Lamy , Libraire , quai
des Auguftins.
Voilà la troisième Livraifon de ce grand Ouvrage
, qui comprendra cinq Cahiers pareils , dont
le cinquième fera diftribué gratis aux Soufcripteurs.
Le titre feul en montre l'importance , & le nom de
Bernard Picart eft un préjugé favorable pour les
Gravures. Le prix de chaque Cahier eft de 18 liv .
DIALOGUES des Morts de Lucien , traduits en
François , en deux Parties , avec des Remarques élémentaires
, à l'ufage des Collèges de l'Univerfité,
nouvelle Edition , revue, corrigée & augmentée par
M. l'Abbé Gail , Docteur aggrégé de l'Univerfité de
Paris , in- 12 . Prix , 2 liv, relié, A Paris , chez l'Auteur
, rue de la Harpe , au Collège d'Harcour ;
Brocas , rue Saint Jacques ; Nyon , au Pavillon des
Quatre- Nations ; Colas , Place Sorbonne, & Guillot,
Libraires , rue Saint Jacques.
Cette Traduction eft un des Livres claffiques
1
1
142 MERCURE
adoptés par l'Univerfité , & fon mérite a juftifié fon
fuccès. Cette Édition nouvelle a un avantage particulier
, elle eft divifée en deux Parties , qu'on peut
acheter féparément. La première eft deſtinée aux
Commençans ; elle eft compofée de Dialogues traduits
, avec des explications grammaticales & des
détails qui en facilitent l'intelligence. La feconde ,
qui eft deftinée à des Écoliers plus avancés , n'offre
pas des fecours qui font fuppofés inutiles.
LES Promenades de Clariffe & du Marquis de
Valzé , ou nouvelle Méthode pour apprendre les
Principes de la Langue & de l'Orthographe Fran
foifes , à l'ufage des Dames , par M. T ***. A
Paris , chez Cailleau , Imprimeur - Libraire , rue
Galande ; Jombert , rue Dauphine ; Mérigot , vis- àvis
l'Opéra ; Bailly , Libraires , rue Saint Honoré , &
chez les Marchands de Nouveautés .
L'Auteur de cette Méthode fe propoſe de donner
tous les mois un Cahier ; l'Ouvrage complet en
contiendra vingt - quatre, & formera quatre petits
Volumes , dont le premier traitera des parties du
Difcours ; le fecond , de l'Orthographe ; le troisième,
de l'accord des mots & de la conftruction des phrafes
; le quatrième , de l'Eloquence & de la Verfification.
Les premiers Numéros de cet Ouvrage qui ont
déjà paru en donnent une idée avantageufe ; les
Règles y font traitées avec clarté , & dépouillées de
La féchereffe qui les accompagne ordinairement.
Le prix de chaque Cahier eft de 12 fols , & les
Perfonnes qui foufcriront d'avance ne payeront pour
les vingt - quatre Cahiers que y liv. francs de port à
Paris , & 12 livres en Province , au lieu de 14 livres
8 Tols & 18 liv.
LETTRE de M. Galart de Montjoye à M. Bailly,
DE FRANCE. 143
T'un des Commiffaires nommés par le Roi pour l'exa
men du Magnétifme Animal. A Philadelphie ; & le
trouve à Paris , chez Pierre J. Duplain , Libraire ,
cour du Commerce , rue de l'ancienne Comédie
Françoife , in- 8° . Prix , 1 liv . 16 fols broché .
L'objet de cet Ouvrage eft de répondre au Rapport
des Commiffaires de l'Académie & de ia Faculté
; mais ce n'eft pour l'Auteur qu'une occafion de
difcuter quelques opinions de M. Mefmer , & de les
comparer à celles de M. Bailly , de Descartes , Newton
& autres Savans , même à celles de l'Antiquité
& du Peuple , ce qui amène divers apperçus & comme
autant de petits Traités fur la nature du feu , de la
lumière , des fluides , & fur les crifes , les convui .
fions , l'imitation , l'imagination , & c. Le ftyle de
cet Ouvrage , quoiqu'il ne foit pas exempt de caufticité
, nous a paru en général clair & décent.
HUITIEME Recueil d' Airs de l'Epreuve Villageoife
, du Faux Lord & autres Opéras nouveaux ,
avec Accompagnement de Guittare , par M. Corbelin
, Profeffeur , pour fervir de fuite à fa Méthode
de Guittare . Prix , 6 livres . A Paris , chez l'Auteur ,
Place Saint Michel , maifon du Chandelier. - Neuvième
Recueil , contenant dés Airs de Richard-
Coeur-de Lion , les deux Rubans , &c. par le même ,
même Adreffe. Prix , 6 liv,
Grete
Deux jolis Airs , dont M. Corbelin a fait les
paroles & la mufique , prouvent que fon talent s'étend
à plus d'un genre , & doivent faire diftinguer ce
Recueil.
NUMÉRO 11 du Journal de Violon , Recueil
d'Airs nouveaux pour Violon , Alto , Flûte & Bafe.
Prix , féparément 2 liv . 8 fols . Abonnement 18 liv.
& 21 liv .
Ce Journal paroît exactement à la fin de chaque
144 MERCURE
mois. A Paris , chez Baillon , rue Neuve des Petits-
Champs , au coin de celle de Richelieu , à la Mufc
Lyrique.
NUMEROS 3 & 4 des Feuilles de Terpfychore ,
ou nouvelle Etude de Harpe & de Clavecin , dédiées
aux Dames , dans lesquelles on trouve fucceffivement
l'agréable , l'aifé & le difficile , compofées par
les Auteurs les plus recherchés pour ces Inſtrumens.
Il paroît tous les Lundis une Feuille pour la Harpe
& une pour le Clavecin. Prix , 1 livre 4 fols chaque.
A Paris , chez Coufineau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'Ecole.
ERRATA. Le fieur Duboft , annoncé dans le Mercure
précédent , demeure à l'Abbaye S. Germain ,
Cour des Princes, & non pas dans l'Enclos du Temple.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
TABLE.
VERS à M. François de Hiftoire du Miniftre la Roche,
Neufchâteau .
A une Dame ,
971 Conte,
98 Charade , Enigme & Logogry
Pour le Portrait de Mme de
Genlis ,
Infcription,
phe
ibid. L'Honneur François ,
2
103
118
120
99 Traduction nouvelle de l'ELe
premier Miniftre de la neïde ,
Mort , Apologue , ibid. Concert Spirituel ,
Le Fleuve & le Ruiffeau , Comédie Italienne,
Fable ,
126
131
132
211 Annonces & Notices , 136
JAT lu
APPROBATION.
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 18 Décembre. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , le 17 Décembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25 DÉCEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS qu'on intitulera comme on voudra.
J'AI ri vingt fois des vains propos *
D'un petit maître qui s'oublie ;
Qui s'immole dans fes bons mots
Nos pères que je déïfie ,
Sème fa trifte raillerie
Sur leurs vénérables tombeaux .
Mais j'excufe tous les défauts ;
Le monde , hélas ! je le parie ,
N'a plus que de frêles cerveaux !
L'homme vicillit , il balbutie.
Quoi ! notre orgueil ſe glorifie
* Cette Pièce eft tirée d'un Recueil de Maximes Philo
fophiques , qui doivent paroître dans le cours de l'année
prochaine .
Nº. 52 , 25 Décembre 1784. G
146 MERCURE
De tant de fyftêmes nouveaux
Marqués au coin de la folie ,
De voir la franchiſe avilie ,
Le noble amour de la Patrie
Délaiffé froidement aux fots
Comme un refte de barbarie !
Ah ! Nos aïcux , quoique dévots ,
Eurent un peu plus de génie ;
Leur fublime philofophie , *
De l'amour au ſein du repos ,
Savoit tirer fon énergie ;
Leur grande âme étoit ennoblie
Par l'écueil même des Héros.
Vantons nos grâces minaudières ;
Moins grimaciers dans leurs humeurs ,
Nos bons aïeux avoient des moeurs ,
Et nous n'avons que des manières.
Nos grands hommes font les créfus ;
Nos fages font les agréables ;
Nos aieux , bien plus eftimables ,
Eurent de farouches vertus ;
Nous avons des travers aimables.
Vantons notre jargon brillant ;
Mais convenons ingénument
Que notre froide politeffe
* Je fais allufion à ces tournois où les femmes étoient
admiſes pour enflammer les coutages & pour les cou-
Bonner. Note de l'Aureum
DE FRANCE. 147
Sut s'élever avec adreffe
Sur les débris du fentiment :
L'efprit fut faire un compliment
Quand le coeur n'eut plus de tendreffe.
Renaiffez , enfans du Dieu Mars ;
Renaiſſez , généreux ancêtres ,
Moins connus par de Petits-Maitres ,
Que célèbres par vos Baïards.
(Par M. Aillaud , Chanoine Hebdomadier.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Rebelle ; celui
de l'Enigme eft Épigramme ; celui du Logogryphe
eft Officier , où l'on trouve fi , coffre ,
fer, or ,fier, ré, office , if.
CHARADE.
EN pronom poffeffif , au pluriel , ami ,
Ma première moitié le préfente feulette ;
Jamais fur ma feconde on ne fut en brouette ;
Quand on glofe mon tout , ce n'eft pas à demi.
(Par M. Jalaberd.
Gij
148 MERCURE
ENIG ME.
JE fus, je fuis , ferai , voilà mon exiſtence ;
Je triomphe de tout , aidé de la conftance ;
Je fuis le feul remède aux maux les plus amers.
En me cherchant, Lecteur, prends garde, tu me perds.
( Par M. Propiac , Offic . au Régim. de Picardie. )
LOGO GRYPH E.
JE fuis fouvent l'effroi de l'Angleterre .
Pour connoître mon nom , penſe au Dieu de la Guerre,
Lecteur ; faut-il te parler clair ?
Tu vois dans d'Estaing tout mon air.
Je puis m'offrir encor fous le nom d'un Poëte ,
Dont la Mufe trop indiferette
En cenfurant les moeurs fe fit des ennemis .
Dans les fept pieds qui compofent mon être ,
Je t'offre ce qu'on fait & qui n'eft pas permis ;
Un mois qu'avec plaifir tout vieillard voit renaître ;
Un couple dont Paris applaudit les talens ;
Une douce liqueur que fouvent au printemps
On prend pour fa fanté , de plus , un meuble utile
Au pauvre , ainfi qu'au riche , au village , à la ville ;
Un animal qui va pillant & ravageant
Les caves , les greniers ; un être qui ſouvent
DE FRANC E. 149
Paroît plus mauffade qu'aimable ;
Enfin cet afyle agréable
Où Delille chantoit , faifoit aimer les champs.
Devine , cher Lecteur ; je te quitte , il eft temps.
(Par M. Gontier , Comédien du Roi à Versailles . )
RÉPONSES A LA QUESTION :
CA
Quelle conquête doit le plus flatter, une
» Belle ? La conquête d'un coeur qui repouffoit
l'amour, où celle d'un coeur qu'elle enlève
» à une rivale ?
و ر
"2
I.
TRIOMPHER d'un Amant , l'enlever à ſa Belle ,
C'eſt moins s'en faire aimer que le rendre infidèle.
Livrer un coeur farouche à l'amoureux tourment ,
C'eſt plus que triompher , c'eſt créer fon Amant.
(Par M. le Chevalier de Meude-Monpas. )
I I.
SOUMETTRE , apprivoifer un coeur libre , indompté,
Du tendre Amour c'eſt la félicité :
Ravir d'une Rivale & l'Amant & la gloire ,
Conquérir fon captif , l'enchaîner à fes yeux ,
C'eft remporter une double victoire ,
Et l'orgueil & l'Amour font fatisfaits tous deux.
Giij
150
MERCURE
II I.
A SA Rivale enlever un Amant ,
C'eft triompher par le parjure.
Mais foumettre à ſes loix une âme neuve & pure,
C'eft vaincre par le fentiment.
I V.
TRIOMPHER de l'indifférence
Eft plus flatteur pour la Beauté ;
On tient bien moins à la conftance
Qu'on ne tient à ſa liberté.
(Par M. Dehauffy de Robécourt , de Péronne. )
V.
L'AMOUR d'un fexe & la haine de l'autre
Règnent fur une femme en partageant fon coeurs
L'hommage que lui rend le nôtre
Eft fans doute pour elle un tribut bien flatteur.
Mais infulter une Rivale ,
Mais lui ravir un Amant fans retour
Ce triomphe , que rien n'égale ,
Satisfait à la fois fa haine & fon amour.
( Par un Membre de la Chambre Littéraire
de Rennes . )
V I.
Le coeur le plus fauvage à l'Amour cft ouvert ,
Et l'on peut l'attendrir fans un effort fuprême ;
DE FRANCE: ISI /
On l'enlève avec gloire à la Beauté qu'il aime ;
L'un eft un bien qu'on trouve ,
acquiert.
& l'autre un qu'on
(Par un Abonné. )
VII.
RENDRE un Amant infidèle à fon choix,
Ce n'est qu'un feul triomphe ; aux amoureufes loix
Soumettre un coeur qui les a mépriſées ,
C'eft triompher tout-à- la- fois
De cent Rivales dédaignées.
(Par M. le Comte de P...... ) § .
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE .
«
Lequel déplait davantage aux Femmes ,
» le Poltron ou l'Indifcret. »
Avis fur les Questions à réfoudre.
Il n'eft pas inutile d'avertir que le Mercure étant
clos long - temps avant de paroître , telle Réponse
faite pour être admife , peut en être exclue fi elle
arrive tard , parce qu'une Queſtion nouvelle une
fois propofée , on ne revient plus fur la précédente.
Giv
152 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
MÉMOIRES du Baron de Tott ,fur les Turcs
& les Tartares. vol. A Amfterdamn
& fe trouvent à Paris , chez les Marchands
de Nouveautes . Prix , 2 liv.
UN Rhéteur Athénien croyant plaire au
Spartiate Antalcidas , s'annonça à lui comme
Auteur d'un Éloge d'Hercule. Un Eloge
d'Hercule ! reprit le Lacédémonien , eh !
qui est-ce qui le blâme ? Ce mot judicieux ,
applicable à tant de Panégyriques , le feroic
à toute approbation litteraire de ces Mémoires
, objet de la curiofité générale , &
bien propres à la juftifier. Mais lorsqu'il
s'agit de la connoiffance d'un grand Empire ,
des loix qui le gouvernent , des ufages qui
le caractérisent , des moeurs qui le deshonorent
, on ne doit point précipiter fa confiance
à l'Hiftorien . Plus il en eft digne
plus il faut pefer avec lui des obfervations.
faites pour entraîner la voix publique.
On s'est étonné fouvent de notre igno-.
rance fur les Turcs ; il feroit bien plus étonnant
que nous fullions parvenus à les connoître.
Il faut tant de patience , de moyens
& de lumières pour approfondir une Nation
! L'Obfervateur en état de la juger , fe
DE FRANCE * 13
défié de fes notions , ferme ſon portefeuille ,
& laiffe au commun des voyageurs de tromper
la terre après l'avoir parcourue . Sommes.
nous bien inftruits des ufages , des loix , des
véritables habitudes des Nations qui nous
avoifinent ? La diverfité des jugemens portés
fur elles , eft une preuve de la légèreté avec
laquelle on les a étudiées . Que fera - ce
donc lorfqu'il faudra tourner une vûe aufli
trouble vers l'extrêmité orientale de l'Europe
, fur des peuples où , depuis la langue
julqu'aux vêtemens, tout préfente un tableau
abfolument différent de celui de nos contrées
?
L'Anglois Ricault écrivit au commencement
du fiècle un Etat de l'Empire Ottoman,
à peu près comme Amelot de la Houflaye
fit celui de la République de Venife ; le Comte
Marfigli publia aufli des Rema ques fur les
Turcs & fur leur Gouvernement ; remarques
dont la plus judicieufe fut qu'il eft prefque
impoffible de juger exactement de cette Nation
: le premier , il en repréfenta le régime
comme une démocratie militaire , conforme
à celle d'Alger & de Tunis ; ce qui pouvoit
être vrai alors , & a ceffé de l'être depuis
l'affoibliffement des Janiffaires On fait d'ail
leurs combien de paradoxes , des baladins
politiques ont imaginés fur cette affertion de
Marfigli . Lady Wortley Montaigu lui fuccéda
; d'un pinceau animé par l'imagination
& par l'amour de la volupté , elle nous
Gv
154
MERCURE
traca des peintures de fantaiſie ; à la lecture
de ces fameufes Lettres , plus agréables que
fidelles , on eft tenté de prendre le turban :
enfin , nous avons dû à M. Porter , Envoyé
Britannique à la Porte , les premières obfervations
réfléchies , & des détails fur les coutu
mes , appuyés fur des faits avérés. L'efprit de
doute & de réflexion avec lequel l'Ouvrage
de ce Miniftre eft compofé , devoit lui mériter
l'attention publique : on l'a traduit ; à
peine a t'il été connu en France .
Quant à la foule des Voyageurs ordinaires,
ils ont compilé foigneufement la nomenclature
méthodique des Offices de la Porte ;
ftudieux à les nommer plus qu'à les définir ,
ils nous ont fatigués de mots barbares en les
défigurant ; enfin ils ont complerté cet Almanach
Royal de la Cour du Grand Seigneur
, en interprêtant les fonctions de fes
Officiers par celles de leurs corrélatifs dans
nos Monarchies : parallèle dont il n'eſt réfulté
que des idées fauffes & des mépriſes.
Comme l'Hiftoire d'une Nation eft le
vrai tableau de fon caractère , dont les révo
lutions ont été le réfultat , les Annales Ottomanes
du Prince Cantemir font peut être le
miroir le plus fidèle du génie des Turcs , de
l'efprit & de l'influence de leur Gouyernement.
Or , que nous préfente cette Hiftoire ?
Des moeurs , des maximes politiques , un
accord entre les loix & la religion , un
efprit général , inaltérables , qui foumiDE
FRANCE. 155
rent au Croiffant prefque tous les peuples
qu'il eut à combattre ; l'énergie altière , la .
turbulence naturelle , l'amour des conquêtes
, fuites du Gouvernement militaire & déprédateur
des Tartares , dont les Ottomans
font defcendus ; des hordes de brigands fortis
des roches du Caucafe , formant un Empire
également terrible à l'Europe & à l'Afie ,
victorieufes de la Perfe , de l'Égypte , de la
Chrétienté , défolant de leurs invafions
tous leurs voifins , & , durant trois fiècles ,
promenant leurs armes triomphantes du Nil
au Borifthène , & de l'Euphrate à l'Archipel.
Dans l'intérieur , l'Empire toujours tranquille
, l'autorité refpectée , la puiffance redoutable
, tant qu'un Sélim I , un Soliman
II , un Amurath IV , inſpirèrent leur audace
aux Ottomans en maîtriſant leur impétuofité.
Au contraire , fous les règnes léthargiques
, le trône avili , toujours ébranlé , &
fouvent teint de fang ; mais la multitude &
la milice jamais opprimées impunément ; la
plupart des féditions , 'efficaces ; la loi fondamentale
confervée cependant avee un refpect
religieux ; des Miniftres , des Sultans
étranglés fans que les Soldats ofent difpofer
du trône , comme les Prétoriens fous les
Céfars , & déférer la fouveraineté au premier
monftre qui a fu les corrompre, Aufli l'État
a beau changer de maîtres , il n'eft jamais
renverfé , & la révolution dans le Sérail con
facre l'immutabilité des loix.
Aujourd'hui , qu'eft devenu ce même peu-
Gvj
155 MERCURE
ple Sous quels traits nous eft il repréſenté :
dans ces Mémoires ?
Comme uniffant tous les excès de la molleffe
Orientale à ceux de fa férocité origi
nelle , ne fortant de la léthargie que par
ivreffe , auffi indelent que fanguinaire , lâche
dans fes pailions toujours honteufes
toujours effrénées ; infenfible à tout ce qui
n'affecte ni fon intérêt ni fa pufillanimité ;
fanatique d'une croyance dont les préceptes
moraux font l'objet de fa dérifion ; commertant
des meurtres en riant ; fans réflexion
comme fans prévoyance ; abruti par l'ignorance
dont il fe glorifie ; non moins orgueilleux
que ftupide , dénaturé par infouciance ,
vil fans honte , miférable fans douleur , fupportant
la tyrannie dans l'efpoir d'en devenir
l'inftrument s'il n'en eft pas la victime ; ne.
fentant les coups du defpotifine qu'à l'inftant
d'expirer de faim ; déteftant les ennemis
de l'Empire fans aucune étincelle d'efprit
public , également difpofé à l'infolence & à
l'abjection ; fans valeur , fans induftrie , fans.
intelligence , & dans fon mépris pour la
mort ne montrant que la baffeffe d'efprit.
avec laquelle il fe foumet à la recevoir.
Selon M. le Baron de Tott , c'eſt le climat
, c'eſt le Gouvernement qui ont fait ce
peuple là.
Le pouvoir qui le captive ne fera fans
doute ni moins extraordinaire dans fa nature
, ni moins irrégulier dans fa marche ,
ni moins affreux dans fes effets.
DE FRANCE. 157
A qui obéira donc cette Nation que le
frein mutile fans la fatiguer ? A un Automate
fouverain , caché , hébêté la moitié de fa.
vie dans le filence d'un ferail , entre le fabre
& le cordeau ; paffant à la grandeur fuprême
Aétri des liens de la captivité ; efclave hier,
& demain faifant trembler cinquante millions
d'hommes ; fatigué de refpects , ne
voyant autour de lui que les formes de la
plus aveugle obéiffance , & ne le faifant
obéir que par des menaces ou par des fupplices
; écrâfant toujours ceux qu'il veut
punir ; foumis religieufement à des loix cérémonielles
& au- deffus des faintes règles qui
dérivent de l'état focial & des rapports du
Prince aux Citoyens ; un Vendredi , n'ofant
s'abfenter de la Mofquée , & au fortir infligeant
des fupplices pour confommer des
exactions. Mais du moins fon Gouvernement ,
fi cela s'appelle gouverner , perdra de fa rigueur
en s'éloignant du centre de fon action
, & la multitude échappera à une force
dont la diftance détruit le reffort. Pure illufion
; le defpotifme immédiat du Sultan fe
divife , au fortir de fes mains , pour paffer
dans celles des Ordonnateurs de fes volontés ;
il ravage de proche en proche ; l'exemple &
l'espoir de l'impunité enhardiffent tous les
fubalternes ; la mobilité des inveftitures en-
Aamme le defir de profiter d'une autorité
fujette à tant de viciffitudes ; la crainte du
châtiment s'affoiblit à la vue de tant de coupables
épargnés ; on fe familiarife avec les
158
MERCURE
exemples , & l'homme en place commet fes
injuftices lorfque les têtes de ſes pareils
roulent fumantes à fes pieds.
C'eft ainfi que M. de Tott a vû les Turcs
& leur régime politique ; il les a vûs vingttrois
ans ; il a joui de la confiance d'un de
leurs Souverains ; lui même a participé à
l'action de ce terrible Gouvernement ; il
l'a obfervé dans les circonstances les plus
critiques , il a été employé avec fes Adminiftrateurs
; enfin il connoiffoit la langue
nationale , moyen puiffant , fans lequel on
ne peut fe flatter de grands progrès dans
l'étude d'un peuple peu communicatif , défiant
, plein de mépris pour les étrangers.
Cer Ouvrage , Journal de l'Auteur , manque
de fuite , & n'eft point lié dans fes parties......
Du premier volume dont quelques
cérémonies quelques obfervations
topographiques & des détails fur les moeurs
privées des Ottomans , font la matière , M.
le Baron de Tott paffe aux Tartares dans le
fecond ; il revient aux Turcs & à l'hiftoire
de fes travaux militaires dans le troisième ;
le dernier eft confacré au récit d'un voyage
en Égypte & fur les côtes de la Syrie. Au
milieu de cette diverfité d'objets , l'attention
quelquefois égarée ne fe fatigue point , &
gémit prefque toujours. Peu de Livres font
auffi affligeans.
On ne me pardonneroit point de paffer
fous filence les plus triftes peintures de ce
tableau ; ce font les femmes. Il n'eft point ici
DE FRANCE. 159
queftion de leur fervitude : M. de Tott ne
dit point & n'a pu connoître juſqu'à quel
degré elles en reffentoient le malheur &
l'humiliation. Peut- être font - elles moins infortunées
dans la folitude des Harems , que
la plupart des femmes du grand monde
parmi nous. Le feu des paffions meurt chez
ces Reclufes fans les confumer ; elles n'ont
pas d'idée des douceurs d'une fociété libre ;
elles ignorent & les tourmens de l'imagination
, & ce befoin intarriffable de plaire à
tous les yeux , les moyens d'y parvenir , &
le chagrin d'y échouer. Si la jaloufie les agite
quelquefois , cette paflion ne peut être générale
parmi elles ; plufieurs compagnes rebutées
confolent d'une rivale heureuſe .
M. Porter avoit déjà détruit le préjugé abfurde
fur la multitude des Harems , & fur
les facilités de la Polygamie chez les Turcs.
Le Coran n'a permis à chacun d'eux que
quatre femmes légitimes , épouſes & non
efclaves ; la même loi a réglé les dots & les
répudiations. Outre le mariage civil , il s'en
forme un fous le nom de Kapin , qui eft un
concubinage à temps entre les parties , à peuprès
femblable à celui que le nouveau Code
vient de légitimer en Pruffe.
Quant aux efclaves , leur poffeffion eft un
luxe réservé à l'opulence , beaucoup moins
général par conféquent qu'on ne l'a imaginé.
Comme ailleurs , les plaifirs de la fenfualité
font réfervés en Turquie à un très petit
nombre d'hommes ; & en comparant leur
160 MERCURE
corruption à la nôtre , peut être n'y appercevra
t'on d'autre différence , finon que leurs
concubines leur appartiennent, & que trop
fouvent nous appartenons aux nôtres.
Cet efclavage , d'ailleurs , eft étranger aux
Sujettes de l'Empire : Turques & Grecquesfont
à l'abri de ce honteux marché ; le fer
où l'or à la main , l'avarice épuife de ces beau
tés lucratives les Provinces étrangères ;
dévastées par la guerre, ou expofées à ces pirateries
dans tous les temps ; c'est ainsi
qu'une foule de recrues font amenées de
Circailie & de Georgie pour peupler les
Harems où elles doivent perdre leur jeuneffe.
Le Grand Seigneur lui même n'oferoit
enlever une fille à fon père , une femme à
fon mari , une concubine à fon poffeffeur ,
fi la femme qu'il convoite étoit Ottomane .
M. de Tott doute de la beauté célébrée de
ces Georgiennes , parce que le hafard lui en
préfenta une qui , felon lui , pouvoit paffer
pour une jolie Servante de cabaret.
L'intérieur des Harems , premier objet de
la curiofité des Européens , toutes les fois
qu'il eft queftion de la Turquie , ne s'eft pas
ouvert devant l'Auteur de ces Mémoires ;
auffi les détails qu'il raconte à ce sujet ont ils
été dictés par Mine de Tott , qui fit une vifite
avec la mère à Afma Sultane , fille de
l'Empereur Achmet.
Après les premières cérémonies de l'introduction
& de la préfentation , les deux Chré
tiennes conversèrent avec la Sultane fur un
DE FRANCE. 161
fujet de circonftance , fur la liberté de nos
femmes , comparée avec les ufages du Harem.
La Sultane fe plaignit d'avoir été mariée
à treize ans à un vieillard dégoûtant ; mais
enfin , dit elle , il a crêvé ; d'après cela , l'on
peut croire que la difcuffion fe termina à
notre avantage. Après le dîné , l'Intendant
du Harem conduifit les étrangères dans le
jardin , au milieu duquel s'élevoit un Kiosk
richement meublé & bâti ſur un baffin d'eau.
Des efpaliers de rofes déroboient les murailles
de cette enceinte , dont la promenade
, formée de petits fentiers cailloutés en
mofaïque , étoit ornée de pots & de corbeilles
de fleurs . Le cortège s'étant aflis fur
un fopha , dix femmes efclaves exécutèrenc
des concerts , & plufieurs danfeufes des ballets
, auxquels fuccéda une joûte conduite par
douze femmes en habits d'hommes . A cette
defcription fe bornent les lumières que cont
tiennent ces Mémoires fur le Harem. Suivons
l'Auteur vers des objets plus importans.
M. de Tott a vû trois règnes durant fon
féjour en Turquie , celui d'Ofman III , de
Mustapha III & de l'Empereur régnant. Le
premier monta fur le trône en 1714 , après
avoir été 56 ans prifonnier dans un férail.
Il s'étoit livré d'abord au Sélictar Pacha ;
qu'il créa fon Vifir ; ce Favori comptant
fur la faveur , fe permit les plus énormes
concuffions : le cri public parvint aux oreilles
de l'Empereur , affez fage pour s'affurer luimême
de l'opinion du peuple , en fe dégui162
MERCURE
·
fant au milieu de lui , bien certain que ces
marmures ne perçoient jainais l'enceinte du
palais des Souverains : Ofman éclairé fit tomber
la tête du Viſir.
Sa place fut donnée à Racub Pacha , à qui
M. de Tott accorde les talens de fa place ;
favoir , l'audace & la perfidie , la méchanceté
& l'art de féduire , la force & l'atrocité du
caractère ; mais fous aucun Gouvernement
ces inclinations formeroient elles les talens
d'un premier Miniftre ? Dans l'audience qu'il
donna à l'Ambaffadeur de France , il fit couper
neuf têtes d'un feul gefte , & reprit le
difcours en fouriant. C'eft pendant l'adminiſtration
de ce Vifir fi abfolu , fi ferme , fi
redouté , qu'arriva un événement mémorable
, propre à jeter une grande lumière fur
cette prétendue autorité defpotique de la
Porte. Cette anecdote , déjà citée par M.
Porter , eft confirmée par l'Auteur de ces
Mémoires ; on ne peut la révoquer en doute
fur la parole de deux témoins de ce caractère.
Le monopole des grains avoit amené la difette
à Conftantinople ; leur altération , leur
mêlange empoisonné la rendoient encore plus
cruelle : le peuple affamé affaillifoit les fours
publics , le piftolet à la main. Cependant ,
Racub s'éroit flatté de maintenir la tranquillité
, lorfqu'une vieille femme de la popu
lace ameutant fes compagnes , s'achemine
vers les magafins de riz. L'Aga des Janiffaires
y accourt avec une troupe nombreuſe ,
DE FRANCE. 163
il eft repouffé à coups de pierre ; les magafins
font enfoncés , & le pillage commence ,
lorfqu'arrive le Grand Vifir. Sa préſence ne
déconcerte point l'Héroïne ; elle s'avance.
fièrement vers lui , le menace , le défie , le
harangue , le fait céder , & obtient une portion
de riz pour chacune des féditieufes.
Les Annales Turques renferment plus
d'un fait de cette efpèce ; & cette réſiſtance
à l'autorité n'eft pas limitée à la circonftance
'd'une famine. Tout en accufant de defpotifme
la conftitution politique & la régence
journalière de la Turquie , M. de Tott cite
nombre de faits qui prouvent contre fon fyltême
, & les récits combattent en ce cas les
conféquences qu'il en tire. Le préjugé, ditil
, aura toujours plus d'empire que la crainte ,
& plus de force que le defpotifme. Rien de
plus vrai , & cela même détruit le defpotifme.
Lorfqu'on voit Sultan -Ofman prefque
à l'agonie , forcé par les murmures publics
de paroître à la Moſquée le Vendredi , au
péril même de fa vie , & expirer fur la porte
du férail après avoir rempli cet acte de foumiffion,
on ſe demande où eft cette Puiffance,
délivrée de tous les freins , & ce prétendu
régime qui , felon le P. de Montesquieu , ne
connoit d'autre loi que la volonté momentanée
du Prince ?
Sultan Muſtapha renouvela , comme on
fait , les Loix Somptuaires , dont l'exécution
fut accompagnée des plus grandes rigueurs.
Ce fut à la même époque que a Caravanne.
164
MERCURE
pour la Mecque fut pillée & fon eſcorte détruite
par les Arabes du défert . En mêmetemps
l'équipage du vaiffeau Amiral de la
Flotte Ottomane , qui percevoit les tributs
dans l'Archipel , enleva le. navire & le conduifit
à Malthe . Ces deux catastrophes réveillèrent
l'indignation du peuple , il fit entendre
fes menaces ; le férail confterné trembloit
des fuites de cetre irritation ; il fallut la
diftraire , en répandant en public le projet de
couper l'Afie Mineure par un canal navigable
, propre au tranfport des denrées , &
à prévenir la famine à venir. Lorſque le
péril fut paffé , l'on altéra les monnoies ; le
commerce tomba dans la langueur , les artifans
manquèrent d'ouvrage , & les incendies
commencèrent. C'est par ce moyen violent
qu'on avertit l'autorité du mécontentement
public ; dans cette occafion , il fut appaifé
par la groffeffe d'une Sultane , & l'attente
des réjouiffances fit reprendre au commerce
fon activité. *
De ces différens traits , beaucoup de Lecteurs
ne conclueront pas avec M. de Tott ,
que ce n'est jamais que par de nouveaux défaftres
que l'humanité foumife au defpotifme
reçoit le foulagement de ceux qu'elle a foufferts.
L'humanité foumife au defpotifme
continue à le fouffrir par l'impuiffance de
* On a vû ces incendies médités fe renouveler en
1782 d'une manière effrayante , & faire dépofer
prefque tous les Miniftres du Grand Seigneur.
DE FRANCE. 165
le corriger , & ne le renverfe qu'en renverfant
l'État lui- même. En un mot , un pouvoir-
arbitraire & abfolu qui s'intimide ou fe
retracte à la voix de la multitude , paroîtra
toujours un être d'imagination .
Ce Gouvernement inexplicable , M. de
Tott nous le montre en action, dans fes rap-.
ports avec la force militaire , & dans le développement
de fes reffources pour la défenfe
extérieure de l'État . C'eſt le fujet de la
troisième partie des Mémoires.
Il eft à croire qu'une Nation , reftée avec
fes coutumes & fes préjugés au point de lumières
où elle fe trouvoit il y a deux fiècles ,
tandis que fes voifins ont perfectionné fans
relâche & leur art militaire & leur adminiftration
, montrera une très grande foibleffe
comparative , qu'un peuple foriné de vingt
peuples différens par la religion , par le climat
, par la langue , par les meurs , par les
relations , ne peut avoir d'intérêt commun ,
ni d'efprit national ; qu'en conféquence toute
la force de l'État réfidera dans l'armée , la
force de l'armée dans une cohue de Soldats ,
& que joignant l'ignorance à l'indifcipline
ce Corps mal organifé aura l'appareil de la
puiffance & fa nullité.
Outre ces vices , mis au grand jour par
l'Auteur des Mémoires , il impute aux
Túrcs un défaut prefque total d'intelligence
& de véritable valeur. Qu'on juge du tableau
qu'offre cet Ouvrage , des Ottomans les arnies
à la main !
166 MERCURE
Lorfqu'il fallut les prendre contre ces
Mofcovites , dont la Turquie connoiſſoit à
peine l'exiſtence il y a un fiècle , on fe trouvoit
fans marine , avec une artillerie auffi ridicule
qu'inutile , des Milices dont les défordres
forçoient chaque jour l'autorité de com- ^
pofer avec elle , des Généraux orgueilleux
& ignorans , des fubalternes non moins
ineptes & auffi préfomptueux. D'ailleurs
la mauvaiſe volonté , les friponneries , les
vexations , univerfelles : à tout cela ſe joignoit
le plus grand mépris pour les ennemis de
l'Empire. Ils fe prévalent , difoient les
" Turcs , de la fupériorité de leur feu ; mais
» .qu'ils ceffent ce feu abominable , & qu'ils
fe préfentent à l'arme blanche. » C'eft "
ainfi qu'on entendit , il y a deux ans , les
Janiflaires à qui des Officiers Européens confeilloient
de marcher ferrés comme leurs
ennemis , répondre : ils en ufent ainfi parce
qu'ils ont peur ›
& nous nous garderons bien
de les imiter.
Une guerre conduite par de femblables
Chefs , avec de femblables Soldats , & fur
de tels principes , fut ce qu'elle devoit être ,
une fuite de défaftres ; il faut en lire les inconcevables
détails & les caufes journalières
dans ces Mémoires , qu'il nous eft impoffible
d'abréger . Lorfque la Flotte Ottomane mit
en mer pour aller attendre les Ruffes dans
l'Archipel , de tous les Officiers qui la commandoient
, le feul Haffan , transfuge d'Alger
, & aujourd'hui Capitan Pacha , s'emDE
FRANCE. 167
barqua , felon M. de Tott , dans l'intention
de faire la guerre.
On a peine à croire , il faut en convenir,
qu'ayant fous les yeux des cartes confultées ,
& dans le port de Conftantinople des vaiffeaux
Danois & Suédois , les Turcs s'obftinaffent
à nier la communication de la Baltique
avec l'Archipel , ainfi que l'affirme M.
de Tott ; une pareille illufion ne pouvoit
naître ni d'ignorance ni de préfomption ,
mais d'une profonde ftupidité ; ce feroit aller
bien loin que d'en accufer une adminiſtration
entière , quelqu'aveugle qu'on la fuppofe
, & peut être l'Auteur a trop généralisé
la fottife de quelques individus . Quoi qu'il
en foit , la cataſtrophe qui fuivit , de longtemps
ne fera oubliée ; il feroit fuperflu de
la rappeler.
C'eſt après ce défaftre de Tfchefmé , que
le Grand Seigneur abandonna à M. de Tott
la défenſe des Dardanelles . Le Reis- Effendi ,
Ifmaël Bey fut chargé d'en conférer avec lui ;
au moment de l'entrevue , le Miniftre étoit
abforbé dans la recherche de deux fereins
qui chantaffent le même air : important objet
dont le grave Miniftre s'étoit occupé fans
fuccès. C'eft ce même Ifmael - Bey qui demandoit
à l'Auteur où pouvoit les conduire
une guerre auffi malheureufe ? Vis-à- vis ,
répliqua M. de Tott , en montrant la côte
d'Afie ; le Miniftre fe mit à la fenêtre , puis
ſe tournant avec un vifage riant : Mon ami ,.
il y a des vallons délicieux , nous y bâtirons
163
MERCURE
de jolis kiosk. Le mot de Catherine de Médicis
: Nous prierons Dieu en François , ou
celui d'un Officier Général qui , dans le pillage
de fon camp , regrettoit fpécialement
fon vin de Bourgogne , font moins gais ,
mais tout auffi patriotiques.
.. Les travaux de l'Auteur , fa conftance ,
fon courage à réfifter à tous les obftacles , à
braver tous les préjugés , à faire plier l'orgueil
, le fanatifme , l'entêtement , la jalou
fie ; enfin l'inaltérable confiance que prit en
lui le Grand Seigneur , juftifiée par des fuccès
étonnans , forment une fuite de détails dont
l'Hiftoire n'offre pas encore un premier
exemple. Avec les Mémoires de Saint Remi
& l'Encyclopédie , M. de Tott apprit lui-`
même les opérations qu'il fit adopter à fes dangereux
élèves.Il leur enfeigna à fondre,à mieux
perforer , à employer leur artillerie ; il
changea leurs armes , leurs évolutions , leur
difcipline , leurs principes d'architecture navale
& de fortification ; il fonda des écoles ,
& fut à la fois l'ouvrier méchanique de tant
de réformes , comme il en étoit le guide &
l'inventeur.
Ces Mémoires conftatent l'extrême facilité
avec laquelle les Ruffes pouvoient forcer le
détroit & s'emparer de Conftantinople. Deux
méchans vaiffeaux de guerre & une coûlevrine
de fer de 6 livres de balles au château
d'Europe , s'oppofoient feuls à l'entrepriſe
de leur Efcadre , lorfqu'apparemment une
fauffe idée des batteries des Dardanelles les
en
DE FRANCE. 169
-
enéloigna , pour les fixer au fiège de Lemnos.
L'efprit fuperftieux des Ottomans ne fut
pas la moindre difficulté à vaincre. Lorsqu'il
fut queftion de charger les canons dans un
ellai en préfence du Grand Vifir , on refufa
d'employer les refouloirs garnis de
broffes en poils de cochon ; le murmure
éclata de toutes parts , & ne fut affoupi que
par la preuve certifiée que les pinceaux des
Peintres qui travaillent aux Moſquées étoient
aufli de poils de cochon. Pendant cette
épreuve , le Grand Tréforier , dont la malveillance
pour l'Ingénieur n'avoit pas été déguifée
, s'avila de propofer un moyen de
charge impertinent , qui , fuivant lui , devoit
accélérer les coups ; M. de Tott lui ayantrepréſenté
le danger de cette opération poír
les Artilleurs : Bon ! répliqua t'il , quelques
Canonniers de plus ou de moins , qu'importe ?
Ce propos fut relevé à haute voix , & blâné
par l'Auteur aux applaudiffemens de la multitude.
Après la harangue , les Canonniers
enlevèrent l'Orateur, & crièrent : Eh , qu'importe
quelques Tréforiers de moins , pourvu
que le Grand Seigneur foit bien fervi ?
Sur
Dans les récits de l'Auteur , on apperçoit
néanmoins plus d'inexpérience chez les Turcs
que de défaut d'induftrie , plus de tiédeur
que de mauvaife volonté , plus d'ineptie
dans les Chefs que d'indocilité à l'inſtruction
parmi le peuple. Son ignorance n'étoit
fi invincible , fes inclinations fi indifcipli- .
nables , fa ftupidité fi groffière ni fi entêtée ,
Nº. 52 , 23 Décembre 1784.
H
pas
170 MERCURE
puifqu'un Étranger , un Infidèle étoit parvenu
, de fon propre aveu , à diſpoſer ainſi
& des caractères & des bras.
A en juger par fa narration , l'ignorance
des Turcs égale au moins celle des Sauvages
de l'Amérique ; elle eft pire , car ces derniers
ont du moins un bons fens naturel ,
dont ces Mémoires laiffent à peine ſoupçonner
des traces chez les Mufulmans de la
Propontide. Un jour le Kaimakan, ou Subftitut
du Grand Vifir , demanda à M. de
Tott fi l'Armée Ottomane étoit bien nombreuſe
? « C'eſt à vous que je m'adreſſerai
» pour le favoir , lui répondit l'Auteur. »
Je l'ignore , reprit le Vifir , mais la Gazette
de Vienne nous en inftruira. Cette étrange téponſe
reflemble beaucoup à une plaifanterie.
Je n'oferois pas la prendre au férieux.
D'ailleurs , une Armée qui ne ſe compofe
point fur un état militaire régulier , ne peut
guères être évaluée , & je doute que la Gazette
de Vienne en sût plus là deffus que le
Grand Vifir , peut être que le Général luimême
.
Comme un extrait n'eft point le Livre
même, nous fommes forcés d'omettre beaucoup
d'obſervations intéreffantes fur la vie
privée , fur les habitudes , fur les vices des
Turcs , nous voudrions pouvoir ajouter &
fur leurs vertus , mais chaque ligne de ces
Mémoires en bannir l'idée. On lira fans doute
avec fruit ce qu'avance l'Auteur fur l'Adminiftration
de la juftice civile & criminelle ,
DE FRANCE. 171
far les cérémonies , fur les fêtes , fur la politique
des Miniftres , fur les rufes des uns
pour parvenir , fur les brigandages des autres
après être parvenus ; c'est une chaîne de
crimes dont le bout , toujours fuivant M. de
Tott , eft dans la main du defpotifme.
Je ne puis m'empêcher cependant de citer
un divertiffement de dévotion particulier à
une fecte de Derviches. « Ils fe promènent
" gravement & à la file les uns des autres ,
autour de leurs Chapelles , & prononcent
» le nom de Dieu à haute voix & avec effort
» à chaque coup de tambour qu'on leur fait
» entendre. Bientôt les coups de baguette
preffés graduelleinent deviennent fi vifs ,
» que ces malheureux font contraints à de
» terribles efforts de poitrine ; les plus dévots
ne finiffent la Proceffion qu'en vomif-
» fant du fang. »
99
"
Pour foulager la raifon fatiguée de tant
d'abfurdités , & l'âme oppreffée de tant
d'images révoltantes , il faut fe réfugier chez
un Peuple que nos préjugés nous ont longtemps
repréfenté comme une race d'antropophages
. On refpire enfin en arrivant avee
l'Auteur près de ces hordes de la petite Tartarie
, dont il nous décrit les moeurs , le gouvernement
, le pays & les expéditions militaires.
Cette Nation toujours à cheval n'eft
point Nomade ; dans la Crimée & dans la
Befferabie elle habite des villes & des hameaux
; les Noguais peuplent , fous leurs
rentes , des vallons qui coupent les plaines du
Hij
172 MERCURE
Nord au Midi , & ces camps de Pafteurs
belliqueux s'étendent quelquefois fur une
fur face de plus de trente lieues .
La frugalité , la fimplicité , l'endurciffement
aux fatigues , le mépris du fuperflu
, l'hofpitalité , la bravoure, tout ce qui
compofe les moeurs paftorales ſe retrouvent
chez ces Peuples . Avec fix livres de farine
de millet le Tartare le fait une provifion de
trente jours , monte à cheval fans autre fubfiftance
, parcourt des plaines de trente
lieues à la recherche des troupeaux , foupe
avec fa farine , & dort fous le Ciel. Voilà
la vie de ces hommes ; il en résulte une
très grande population. Pour l'invaſion de la
Nouvelle Servie , le Kham leva deux cent
mille hommes ; il pouvoit en lever le double
fans préjudicier aux travaux habituels.
Lorfque J. J. Rouffeau s'avifa de dire dans
1: Contrat Social que ces Barbares pourroient
bien un jour fubjuguer l'Europe
tous nos beaux efprits le traitèrent d'imbécille.
Il eft à craindre , dit M. de Tott , qui
ne l'eft pas , qu'un Peuple auffi patient ne
fourniffe quelque jour un Militaire redou
table.
Il étoit gouverné par des Kams de la
famille de Gengis , à qui Mahomet II donna
l'inveftiture de la Crimée lorfqu'il en eut
chaffe les Génois. On retrouve dans ces contrées
notre ancien régime féodal , mais avec
de grandes différences . Quoique le Chef des
Tartares fût fuzerain du Grand Seigneur , la
DE FRANCE.. 173
Nation n'en étoit pas moins indépendante ,
puifque ce lien étoit le fruit d'un accord ve
lontaire & conditionnel . Ainfi la Ruffie, par
le Traité de Kaidnargi , méconnut le droit
public des Tartares fans augmenter leur
liberté. , D'ailleurs , dit fort bien M. de
Tott, déclarer libre une Nation qui n'a jamais
ceffé de l'être , eft le premier acte defon
affujétiffement. Les événemens de l'année
dernière ont pleinement juftifié cette affertion
.
Mackfoud Guéray étoit en poffeffion de
la Régence lorfque l'Auteur arriva en Crimée.
Ce Prince très- avide n'en étoit pas
moins d'une juſtice remarquable . L'efclave
d'un Juif ayant affafliné fon Maître , de
zélés Mufulmans le déterminèrent à fe faire
circoncire pour obtenir fa grâce . Il faut
obferver que la loi Tartare fait périr le
meurtrier par la main des parens du mort.
On objecta donc que le Turc ne pouvoit
être livré à des Juifs. « Je leur livrerois mon
frère , répondir le Kham , s'il étoit coupable
; je laiffe à la Providence de récompenfer
fa converfion fr elle eft pure , &
» je ne me dois qu'au foin de faire juftice . »
"
"J
"
A Mackfoud dépoffédé, fuccéda KrimGuéray
, âgé de foixante ans , Prince éclairé &
infatigable , ami des Arts , & , ce qui vaut
mieux , très verfé dans les affaires politiques,
très- zélé pour les intérêts de la Contrée , &
Guerrier honnête homme. Il aimoit la Coenédie
, & fe fit traduire le Tartuffe ; il lut
t
Hij
174 MERCURE
le Bourgeois Gentilhomme , fans croire à
l'existence d'un pareil travers dans une So-
-ciété où les Loix ont fixé la différence des
états.
M. de Tort fuivit le Kham dans l'invafion
de la Nouvelle Servie. Comparez le luxe de
nos armées , l'épicuréifme de leurs tables , la
profufion des befoins qui accompagnent le
Militaire fous les drapeaux , avec ces deux
cent mille Tartares auffi rapides dans leur
marche qu'endurcis contre les privations ,
contre un froid qui faifoit geler les fleuves
, & qui , avec un fac de quelques livres
de farine pendu à la felle de chaque cheval ,
allojent combattre & la difette & l'ennemi .
Pendant leur marche le froid devint fi aigu
que le fang fortoit aux foldats par les pores.
du nez, & la refpiration gelée aux mouftaches
y formoit des glaçons d'un poids dou
loureux. Quelques murmures fe font entendre
; M. de Tott s'en rend l'organe : Je ne
puis adoucir le temps , dit Krim Gueray, mais
je puis infpirer à l'armée le courage d'en fupporter
la rigueur. Auffitôt il demande un
cheval , & découvrant la tête enveloppée du
chal , il brave les frimats , & force tout ce
qui l'entoure à l'imiter.
Le tableau des horreurs commiſes pendant
cette incurfion dans la Nouvelle Servie
eft épouvantable ; peut être même le
fang- froid avec lequel ces dévaftations font
racontées ajoute à leur effet fur l'imagination.
Un feul trait fuffit pour juger du refte.
DE FRANCE. 179
Le bourg d'Adgemka , compofé de huit à
neufcent feux, fut livré au pillage . Les habitans
s'étoient enfuis , & toutes les recherches
pour les trouver furent inutiles ; mais
le furlendemain , au moment du départ , on
ordonna de mettre le feu à toutes les meules
de fourage ; elles étoient en flamimes lorfqu'on
en vit fortir de toutes parts ces malheureux
fugitifs , dont l'incendie dévoroit
les récoltes & les foyers. Tel eft le droit de
la guerre dans fa barbarie originelle . La deftruction
& la captivité en font les conféquences
naturelles , & en vérité il n'y a que
nos foldats modernes qu'on puiffe traîner à
la guerre fans efpérance du butin , fans motif
déterminant de s'expofer à la mort ou de
la donner. Le pillage des Tartares fut immenfe
, leur dextérité à le conſerver digne
de remarque: « Les enfans la tête hors d'un
» fac fufpendu au pommeau de la felle ,
» une jeune fille affife fur le devant foute-
» nue par le bras gauche , la mère en croupe ,
ور
"
le père fur un des chevaux de main , le
" fils fur un autre , moutons & boeufs en
» avant , tout marche , & rien ne s'égare
» fous l'oeil vigilant de l'heureux dépréda-
" teur. "
Voilà fans doute d'affez longs détails pour
fixer l'opinion de nos Lecteurs fur ces Mémoires
fi curieux. Ils feront recherchés dans
tous les temps , lus avec fruit par l'homme
du monde , dignes d'être médités par le Philofophe.
Hiv
176 MERCURE
Nous permettrat on quelques remarques
fur ce Livre , en les fouinettant à l'Auteur
lui même ?
L'existence d'une Nation telle que les
Turcs nous font ici dépeints , feroit déjà un
phénomène dans l'État focial ; mais la durée
de cette exiſtence n'eft - elle pas inexplicable ?
Conçoit on une Société politique régie depuis
plufieurs fiècles fur de pareils principes,
& outragée par de fi grands défordres , &
Toujours fubfiftante ? Comment cet Empire ,
où les mêmes coutumes & les mêmes loix
règnent fans révolutions depuis fi longtemps
a t- il eu des époques fi mémorables ?
Qui comprendra fa gloire paffée en voyant
dans ces Mémoires l'adminiftration qui le
frappe , & le peuple qui le remplit ? Qu'étoient
donc tous les États d'Europe & d'Afie
foumis ou contenus par les Ottomans jufqu'aux
batailles de Raab & de Péterwaradin ,
fi les vainqueurs étoient conduits à la victoire
par de femblables moeurs & de femblables
loix ? Scanderberg , Huniade , Sobieski
euffent reaverfé l'Empire qu'ils intimidèrent
s'il n'eût été défendu que par des
efclaves fans honneur , fans courage & fans
vertus.
M. de Tott explique par le defpotifme
tous les vices de ce monftrueux gouvernement
; mais le defpotifme dont on parle
beaucoup dans les Livres depuis quelques
années , ainfi que de la liberté , eft - il une
Légiflation ? Le P. de Montefquieu le défiDE
FRA N˚C E. 177
nit un État fans règle & fans loi ; & où exifte
une Société fans règle & fans loi ? Ce n'eft
pas en Turquie affurément. Le Coran eft le
regiftre du contrat entre la Nation & le Souverain
, & nous avons vu que celui ci ne le
violoit pas impunément. Selon M. de Tott
il exifte un pouvoir intermediaire dans le
corps des Gens de Loi ; mais , ajoute t - il ,
on apperçoit le choc & les débats qui doivent
naître entre deux Puiffances dont le droit eft
égal, & dont les intérêts font differens. Et
fans cette oppofition où feroit la poffibilité
de la réſiſtance ? Le fyftême des contre - forcesfur
lequel font fondés tous les Gouvernemens
mixtes n'a pas d'autre baſe.
Mais le Defpote emporte la balance.
Trouver on beaucoup de Monarchies où la
Puiffance fouveraine foit foumiſe à la céder
? Il a de terribles moyens de fe faire
obeïr; & de terribles fujets de crainte : en
un mot , le tableau qu'offre ces Mémoires
eft celui d'une grande Anarchie , de la force,.
feule dominatrice , d'un pouvoir incertain
tantôt redouté , tantôt foulé aux pieds par
la multitude , exercé , foutenu , réprimé tou
jours avec violence. Or l'État déchiré par cette
guerre inteftine du Prince à fes Officiers ,
des Miniftres aux Gens de Loi , & de la po
pulace à tous, eft un Gouvernement diffout . Si
ce régime tumultuaire eft le defpotifme , convenons
qu'il eft inexact de le ranger , comme
l'a fait le P. de Montefquicu , entre les for
mes régulières des Conftitutions politiques.
Hv
178
MERCURE
On conçoit l'indignation d'une âme noble
pour des ufages Hérriflans ; quelquefois même
le mépris que lui infpire la Nation qui
s'y eft foumife lui empêche de la juger impartialement
, fon humeur prend alors le caractère
de celle du Milantrope honnête dans
une Société corrompue , & fouvent un abus
local devient à fes yeux un ufage univerfel.
M. de Tott , par exemple , attaque la per
ception des tributs en nature en difant : De
cent turbots qu'un Pêcheur apporte , on lui
prend les dix plus beaux , & qui valoient feuls
tout le fretin qu'on lui laiffe ; mais le malheur
feroit encore plus grand fi l'on faignoit
la bourfe du Tributaire lorfque fes filets ont
été vuides. Voilà cependant l'image de l'impôt
par tout où il n'eft point affis fur le revenu.
La conclufion la plus défefpétante de
l'Auteur eft l'éternelle ignorance à laquelle
la nature de leur langue a condamné les Ot
tomans. L'Arabe néanmoins dont elle dérive
a bien autant de difficultés ; le Chinois fait
auffi l'étude d'une vie entière , & ni les Arabes
ni les Chinois n'ont été privés de connoiffances.
Obfervons que Pietro della Vallé dit
que cette même langue Turque eft auffi belle
que facile. L'Hiftoire des Voyages n'eft que
celle des contradictions .
Les opinions pourront varier fur la manière
d'interpréter les faits de ces Mémoires ,
fur les inductions à en tirer , fur les idées
politiques qui en résultent ; celles que nous
venons de foumettre au Public exigeroient
DE FRANCE. 179
des prenves & des développemens ; nous
fommes obligés de nous borner à leur indication
, & de dire en finiffant :
Si quid novifti rectius iftis ,
Candidus imperti , fi non his , utere mecum.
( Cet Article eft de M. Mallet du Pan. ) ¸
JEANNECROLOGIE.
EAN - CHARLES DE RELONGUE DE LÀ LOUPTIÈRE
, mort il y a quelques mois , étoit né
à la Louptière , Diocèfe de Sens , le 16 Juin
1724. Il s'étoit fait connoître avantageufe
ment par des Poéfies , dont la plupart ont paru
dans divers Recueils . Ses Ouvrages font plus
agréables que volumineux. Des hommages.
aux talens & des madrigaux aux Belles lui
avoient fait tout à la fois une réputation de
galanterie & d'honnêteté. Ce Journal a été
fi fouvent le dépofitaire de fes amuſemens
poétiques , qu'il eft bien jufte qu'on y confacre
quelques lignes à fa mémoire ; cet hommage
, qui ailleurs feroit un acte d'équité ,
devient pour nous un tribut de reconnoiffance.
De l'efprit , de la grâce , & , dans fes dernières
années fur tout , des vers bien tournés,
le faifoient remarquer parmi nos Poëtes Éro
tiques. Si fes fuccès n'ont pas été brillans , fes
prétentions ont été bornées; & fi on ne peut
pas lui décerner les grands honneurs Litté
H vj
180 MERCURE
raires , on ne peut pas l'accufer d'avoir fait
de vains efforts pour y parvenir ; en un mot ,
foit confcience , foit timidité , fon talent &
fon ambition fe font bornés aux Poéfies Fu
gitives.
Ce genre a toujours été cultivé par les
Mufes Françoifes , & il femble propre fur
tout au génie national. Un peu reffemblant
au vaudeville , né plutôt de la faillie que de
la méditation , & tenant plus du monde que
du cabinet , il a dû changer fouvent de nuance
& de caractère ; outre qu'il a toujours naturellement
dépendu des progrès de la Littérature
& des variations de la langue , il a dû
auffi prendre fucceffivement la teinte des
moeurs , des ufages & de la mode. Auffi
avons- nous une foule innombrable de poéſies
fugitives qu'on relit avec plaifir; & très peu
de Poëtes font cités comme ayant excellé
dans ce genre , parce que la plupart de nos
Écrivains s'y étant plus ou moins exercés ,
on n'a pu s'y faire un nom qu'en y portant
une phyfionomie particulière , ce caractère
original , qui feroit du génie dans un genre
plus élevé.
Marot eft le premier qui s'offre ici à l'imagination.
La grâce naïve , & le tour heureux
de fon ftyle dans les bons Ouvrages , lui prê
tent tout le charme que la langue de fon
temps pouvoit donner à la poéfie . Cet éclat
' d'un moment fut fuivi d'une longue inertie.
Jufques bien avant fous Louis XIV , aucun
Poëte ne porta dans les Poélies fugitives ce
DE FRANCE. 181
caractère original qui identifie le fouvenir
du nom de l'Écrivain avec celui du genredans
lequel il a écrit . * La République Littéraire
, fous le Dictateur Boileau , eroit occupée
de trop grands intérêts , pour laiffer aux
Mufes le temps de pourfuivre ces grâces Fugitives
; il falloit effacer la rouille antique
que le barbare Konfard avoit imprimée
à notre poéfie ; il falloit fixer la langue
; avant de lui permettre , pour ainfi
dire , de caufer dans le monde , il falloit lui
apprendre à parler le langage des Dieux.
Cette Mufe fut reffufcirée par le volup
tueux Chaulieu , dont les grâces négligées
offrent encore un modèle à nos Poëtes Érotiques.
Voltaire , héritier de tous les talens ,
fut lui prêter des charmes nouveaux , lui
donner une phyfionomie plus régulière &
plus piquante à la fois . Enfin Greffer
contemporain de Voltaire , cue llit dans le
même champ de nouveaux lauriers ; ils marchèrent
tous deux dans le même fentier , fars
être gênés l'un par l'autre . Ce qui prouve que
Greller y montra un talent original , c'eft
qu'on ne fongea pas même à examiner lequel
des deux avoit mieux réuffi , tant il eft vrai
que , dans le même genre , fouvent deux rivaux
ont entre- eux une phyfionomie fi dif-
Sarazin , que nous ne eitons point , mérita plus .
d'éloge que Voiture , qui dans fon élégant badinage ,
mit encore plus de mauvais goût que d'efprit,
182 MERCURE
tincte , qu'on oublie même qu'ils font
rivaux.
-
Peut être , quoique éloigné de fes_modèles
, Dorat fera- t'il cité après eux , comme
ayant montré un coin d'originalité dans quelques
poéfies très- piquantes , & qui n'ont
guères d'autre défaut que de fe trouver dans
fes oeuvres en trop nombreuſe compagnie.
M. de la Louptière ne fera pas cité parmi
les noms que nous venons de rappeler ; mais
fes poéfies , quoique fouvent foibles , feront
lûes avec plaifir parmi leurs Ouvrages. On
a peu de détails de fa vie privée . Il étoit de
l'Académie de Châlons & de celle des Arcades
de Rome. On a de lui les fix premières
Parties du Journal des Dames , de l'année
1761 , & un Recueil de Poéfies . Il ne fe permit
jamais l'efprit de l'épigramme , encore
moins celui de la fatyre : il aima mieux
célébrer les Grâces & l'Amour, que d'affliger
l'amour propre & les talens.
(Cet Article eft de M. Imbert. )
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LA troifième repréſentation de l'Opéra de
Dardanus ayant été retardée par l'indifpo
fition d'un Acteur , nous avons été forcé de
DE FRANCE. 183
différer nous - mêmes le compte que nous
avions à rendre de la mufique de cet Opéra ,
& fur tout de l'impreffion générale qu'elle
a paru faire fur les Spectateurs.
La feconde & la troifième repréfentation
ayant beaucoup moins laiffé à defirer dans
l'enſemble de l'exécution que la première ,
on a paru goûter davantage & rendre
plus de juftice à plufieurs morceaux , dignes
à beaucoup d'égards de la réputation
du grand Maître qui en a fait la mufique.
On a applaudi au premier Acte l'air
d'Antenor: Dardanus a pour lui les cieux ;
mais bien davantage & plus juftement encore
le fuperbe duo entre Antenor & Teucer,
& le chaur qui lui fuccède , où le Compofiteur
a réuni au ftyle le plus clair & à l'harmonie
la plus pure , une expreffion majeftueufe
& toute l'énergie que demandoient
les paroles de ce ferment. L'air que chante
Dardanus au fecond Acte : Jour heureux
efpeir enchanteur , a obtenu & mérité les
mêmes applaudiffemens. On y a admiré cette
mélodie , auffi douce que fenfible , & cette
grâce dans le chant & dans les accompagnemens
, qui femblent caractériſer particulièrement
le talent de M. Sacchini . La Scène entre
Iphife & Dardanus , dans le même Ace ,
mérite auffi des éloges. M. Sacchini a prefque
toujours rendu cette Scène , fi difficile à
traiter en récitatif , avec l'expreffion tourà-
tour fenfible , timide & ingénue que demandoient
les paroles charmantes que le
184 MERCURE
Poëte a miles dans la bouche de cette Princeffe
, lorfqu'elle fait à Dardanus , qu'elle
prend pour Ifmenor , l'aveu de la paffion
qu'elle reffent pour ce Prince ennemi de fon
père. Le duo entre cette Princeffe & Antenor,
au troisième Acte, & les choeurs des Conjurés
qui le terminent , ont paru avoir-le caractère
que demandoient les paroles & la fituation.
On a rendu la même juftice à la ritournelle
& au monologue de Dardanus lorſqu'il paroît
dans la prifon , au quatrième Acte. Le
duo qu'il chante avec Ifmenor: Vole, Amour,
a plû par la fraîcheur & la grâce fpirituelle
des accompagnemens , qui femblent préparer
la defcente des Génies transformés en
Amours , plus encore que par l'originalité du
chant. Les airs de danfe de ce Divertiffement
ont eu le plus grand fuccès , & l'on
a appiaudi fur tout celui que danfe Mlle
Guimard & le Sieur Veftris .
Après avoir loué avec plaifir tous les morceaux
dignes d'éloges que prefente cette
nouvelle compofition de M. Sacchini , nous
n'affecterons point de relever les défauts qu'on
fe plait trop à rechercher dans cet Opéra.
Nous croyons , que M. Sacchini eût pu mieux
faire ; Renaud & Chimène l'ont prouvé ;
mais nous croyons en même temps qu'on
juge cer Ouvrage avec trop de févéité ; que
les reproches que Pon fait à fon recitatif ne
fout effentiellement juftes que dans plufieurs
parties du rôle d'Ifmenor , auquel il n'a
pas toujours donné , foit dans le chant , foit
DE FRANCE.
(
185
dans les accompagnemens , cette couleur
fombre & impofante en même - temps qui
convenoit au caractère de ce Magicien ; &
ce que nous croyons fur tout plus encore ,
c'èft que le manque d'intérêt & de liaiſon
entre les diverfes parties de ce Poëme ont
affoibli , bien plus encore que les négligen
ces de la mufique , le fuccès qu'on fe plaifoit
à attendre de la célébrité du Poëme & da
mérite du Compofiteur.
Il nous refte à rendre compte de l'exécution
de cet Opéra. Mlle Maillard , qui , à
la première repréſentation , avoit manqué de
jufteffe & de précifion dans le rôle d'Iphife ,
a joué , dans les autres repréfentations , avec
des détails d'intelligence & de fenfibilité qui
lui ont mérité des applaudiffemens . Le fieur
Lainez a rendu celui de Dardanus avec l'intelligence
qu'on lui connoît. Le rôle de
Teucer a été joué deux fois par le fieur Larrivée;
& des raifons de fanté l'ont fans doute
forcé d'abandonner ce rôle à la troisième
repréſentation. Il y a été remplacé par le fieur
Moreau , dont le zèle conftant mérite la re
connoiffance de l'Académie Royale de Mufique
, & doit lui aflurer la bienveillance du
Public . Le fieur Laïs a chanté le rôle d'An
tenor avec le goûr qui caractériſe fon talent.
Les choeurs & l'orchestre n'ont rien laiffé
à défirer dans l'exécution de cet Opéra .
Le Ballet du premier Acte , le premier.
qu'ait compofé M. Gardel le cadet , nous
a paru bien deffiné. On cût regretté davan,
186 MERCURE
tage le pas qu'il y danfoit avec Mlle Saunier ,
si cette Danfeufe n'eût pas été remplacée par
Mlle Zacharie , dont les progrès fixent chaque
jour l'attention du Public de la manière
la plus favorable. Le Ballet du ſecond Acte
a déplu généralement . Des Magiciens armés
de baguettes , & s'en fervant pour faire une
efpèce d'exercice qui ne pouvoit être que
ridicule , ont fait fourire d'une manière aſſez
marquée les Spectateurs , lorfque Dardanus,
fufpendant ces longues évolutions prétendues
magiques , a dit :
C'en eft fait ; le fuccès paffe mon eſpérance.
Nous fentons que le Compofiteur a cru
devoir conferver l'ancienne tradition dans
la compofition de ce Ballet ; mais nous
croyons que , avec un talent comme le fien ,
on ne doit point s'afſujétir à ces vieilles
conventions théâtrales , lorfqu'elles font d'un
effer au moins nul , & qu'il devoit les remplacer
par des cérémonies telles à peu près
que celles que décrivent nos Poëtes en
parlant des opérations magiques des Médées
& des Circés ; mais le défaut de ce Ballet a
été réparé par la manière auffi gracieuſe que
piquante dont M. Gardel a traité le Ballet de
la Priſon. Il étoit difficile de préfenter un
tableau plus agréable , & d'y placer un pas
de deux plus féduifant que celui qu'ont exécuté
avec tant de grâces . & de légèreté
Mlle Guimard & le fieur Veftris. Le Ballet
qui termine cer Opéra nous a paru d'une
DE FRANCE. 187
compofition riche & variée , feul effet qu'on
doive attendre de ces fortes de Divertif
femens .
Cet Opera a été mis avec foin. La Décoration
du premier Acte nous a paru d'un
bon effet. Celle de la Prifon , la même qui
fut faite d'après le deffin de Piranèſe , lorfqu'on
donna cet Opéra pour la première
fois , a toujours réuni les fuffrages des gens
de l'Art. Nous obferverons cependant que
les balcons , les rampes & le genre d'Archi
tecture qu'elle préfente , femblent plutôt offrir
la vue d'une de nos prifons modernes,
que celle d'un Héros dans des temps fi re
culés.
(Cet Article eft de la même main que l'Analyfe
du Poëme, imprimée dans le Mercure
du 11 de ce mois . )
ANNONCES ET NOTICES.
LE petit Magafin des Enfans , ou les Etrennes
d'un Père , &c. , contenant un Cours complet &
précis d'Éducation mis à la portée des Enfans des
deux fexes , avec les Notions les plus exactes & les
plus lumineufes fur la Religion , la Géographie ,
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traduites de l'Anglois par ***. A Paris , chez
Cu het , rue & hôtel Serpente.
On connoît déjà cet Ouvrage par deux morceaux
qui en ont été inférés dans le Mercure. Il offre des
tableaux hiftoriques des États- Unis, & des fcènes touchantes
, qui ne fervent pas moins à peindre les
moeurs de l'Amérique Septentrionale. On en rendra
compte inceffamment.
DEUX Portraits faifant pendans , Henri IV & le
Czar Pierre Premier ; le premier , d'après François
Phorbus , gravé par Alexis Tardieu ; le fecond , d'après
Louis Caravague , premier Peintre du Czar , par P.
G. Langlois . Prix , 6 liv, chaque.
On doit les plus grands éloges aux jeunes Auteurs
de ces deux belles Gravures , pleines d'accord &
d'énergie , & qui ne laiffent appercevoir aucun des
DE FRANCE. 78
défauts ordinaires à de jeunes Artiftes. Le Portrait
du Czar , qu'on reconnoît pour être parfaitement
reffemblant , a été fait à Aſtracan en 1716. L'un &
l'autre fe vend chez M. Moreau le jeune , Deffinateur
& Graveur du Cabinet du Roi & de fon Académie
Royale de Peinture , rue du Coq S. Honoré.
Chez le même Artifte , ( M. Moreau ) ſe diſtribue
actuellement la treizième Livraiſon des Figures de
l'Histoire de France. C'eſt une des plus intéreffantes ,
& elle donne une nouvelle preuve de la brillante fécondité
de fon Auteur.
PORTRAIT de M. le Marquis de la Fayette
commandant la Divifion Américaine au fiège
prife de la Ville d'Yorck , par les Armées Combinées ,
peint par L. Lepaon , Peintre de Bataille de S. A. S.
Mgr le Prince de Condé , gravé par N. Lemire , des
Académies Impériales & Royales , &c. A Paris
chez l'Auteur , rue & porte S. Jacques , à côté du
Café d'Aubertin , N. 122. Prix , 12 liv.
Ce Portrait fait pendant à celui du Général Washington.
Ces deux Eftampes font très- intéreffentes .
tant par le fujet que par le brillant de l'exécution .
Le même Artifte annonce au Public, qu'il a fait l'
fon Eftampe de la Crainte , un changement qui
motive davantage le fujet. Cette Eftampe eft trèsagréable
; elle fait pendant au Verrou. Le prix eft
de , liv. Il en a de coloriées , comme le Tableau,
d'un prix différent pour les perfonnes qui en defireront.
L'on trouve chez lui le Temple de Gnide , de
M. de Montefquieu , orné de dix Gravures, de formar
grand in 8 °. , & autres Eſtampes.
-
LA Nymphe au Bain. La Nymphe fortant de
Bain , deux Eftampes gravées d'après Bonnieu ,
Peintre du Roi , par C. F. Letellier . Prix , a liv
190 MERCURE
chaque. A Paris , chez l'Auteur , maiſon d'un Boutonnier
, rue des Vieilles-Étuves S. Honoré.
LE Repos des Nymphes , Eftampe de 13 pouces
de haut fur 17 de large , gravé d'après Amiconi ,
par M. Legrand . Prix, 6 liv. en noir ; coloriée, 12 liv.
A Paris , chez Crépy , Marchand d'Eftampes , rue
S. Jacques , No. 252.
Cette Eftampe eft deſtinée à fervir de pendant à
Diane au bain.
SEIZIE ME Chapitre du Voyage de la Sicile.
A Paris , chez M. Houel , Peintre du Roi , rue du
Coq-Saint- Honoré , à côté du Café des Arts.
Ce Chapitre traite feulement du Théâtre de
Taormine , que l'Auteur a trouvé affez confervé pour
le confidérer comme un monument effentiel & propre
à faire connoître ce genre d'édifices chez les Anciens.
La première Planche repréfente l'aspect de ce
Théâtre vû au Midi , cù eft fa face principale. Cette
Eftampe le fait connoître prefque entièrement d'un
feul coup d'oeil , en réuniffant les avantages d'un
Deffin géométral & deux Vûes perspectives ; par la
hauteur modérée où l'Auteur a mis le point de vue ,
on voit le dedans & le dehors de cet Edifice en
même temps. La feconde Planche préfente effentiellement
la Vûe intérieure de fon avant- fcène , de
fon orchestre , de toute l'étendue du terrein incliné
où étoient les gradins de ce Théâtre : de ce point de
vûe on voit en deçà de l'avant- ſcène les environs de
la Ville de Taormine , & au- delà le mont Etna , qui
domine tout ce qui l'environne , quoiqu'il foit fur le
plan de l'horizon de ce tableau , ce qui prouve fon
extrême élévation. La troisième Planche préfente le
plan du rez de-chauffée de cet Edifice , & en fait
connoître les fouterreins & les autres particularités
intéreffantes. Le deuxième Plan occupe la quatrième
DE FRANCE. 191.
Planche ; il fert à développer ce que ce Théâtre a de
plus important intérieurement & extérieurement. Le
troifième & dernier Plan fait connoître les parties
fupérieures de ce Théâtre ; & la dernière & fixième
Planche préfente deux coupes chacune dans un fens
oppofé ; elles font connoître , felon la plus grande
vraisemblance , d'après ce qui refte de cet Edifice ,
l'ordonnance de l'Architecture qui décoroit fon intérieur.
On y voit la fcène exactement rétablie , les
Acteurs mis en action tels qu'ils étoient au jour des
grandes repréſentations . On trouve expliqué dans le
texte les différens ufages que l'on faifoit de ce Théâtre
lorsqu'on y repréſentoit des Tragédies , des Comédies
ou autres Drames.
On ne doit pas ceffer d'encourager M. Houet à
pourfuivre une Entrepriſe fi utile aux Amateurs de
I'Antiquité.
JOURNAL de Violon , dédié aux Amateurs ,
Numéro 12. Ce Journal , compofé de Duos , peut
fervir auffi pour deux Violoncelles . Prix , féparément,
2 liv. Abonnement 15 & 18 liv. A Paris , chez
le fiear Borner l'aîné , Profeffeur , & Marchand de
Mufique , au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires ,
près Saint Euftache.
L'accueil que le Public a fait à ce Journal , qui
paroît le premier de chaque mois avec une exacti
tude fcrupuleufe , engage l'Auteur à le continuer
l'année prochaine aux mêmes conditions.
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Royale des Sciences , & autres objets de
Papeterie, &c. A Paris , au Portefeuille Angiois , rue
Dauphine , vis- à - vis celle d'Anjou , nº. 26.
Nous avons déjà annoncé l'Encre & divers autres
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en maroquin, à foufflet & à écritoire , Néceffaire de
poche & pour la toilette , Encres de toutes couleurs
& fympathiques , &c. Le même Marchand prévient
que l'on trouvera chez lui , pour les Étrennes , de
très- jolies Écritoires à néceffaire & autres , auffi- bien
que des Boîtes ornées & garnies de papiers , enveloppes
, cire de toutes couleurs & à odeur , & c . Il
entreprend auffi les Boites avec compartimens les
plus compliqués, tant pour le filet que pour broder ,
couvertes & enjolivées dans le goût qu'on defirera.
ERRATA du Numéro so . Page 93 , Article
Quadrille des Enfans , par M. Berthaud , au lieu
de 24 Figures , lifez 84 .
ERRATA du Numéro 51. Page 109 , ligne 28
au lieu de croire , lifez penfer. Page 111 , ligne 7 ,
un foupir mystérieux , ôtez myßérieux.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez
Couvertures.
TABLE.
ERS qu'on intitulera com- Jur les Turcs & les Tatme
on voudra . ·145
tarcs ,
Charade , Enigme & Logo Nécrologie
152
179
gryphe , 147 Académie Roy. de Mufiq.182
Mémoires du Baron de Tott , Annonces & Notices , 187
J'AI
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 23 Décembre . Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'unpreſſion . A Paris ,
le 22 Décembre 1784. GUIDI.
Fermes Générales ,
I Janv. 1784.
M. à Amiens.
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toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
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Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
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NE
TABLE
Du mois d'Octobre 1784.
PIÈCES
FUGITIVES.
3
49
Epitre aux Femmes ,
L'Heureufe Défiance, Conte ,
A mon Pêcher ,
Les Crimes & les Châtimens ,
Fable ,
Portrait d'Aglaé ,
L'Ombre de M. de Gébelin ,
521
53
97
Invitation de la Loge des Neuf
Soeurs ;
Envoi d'Hurluberlu ,
99
ib.
80
Nouveaux Mémoires de l'Aca
démie de Dijon ,
Nouveau Théâtre Allemand ,
.
104
115 Les Hochets Moraux
L'Autómatie des Animaux, 119
La Promenade de Province ,
124
Difccurs qui a obtenu l'Acceffit
au jugement de l'Académie
de Befançon , 150
Le Criminel fans lefavoir, 167
Vers à M. le Comte de la Le Siècle des Ballons ,
Touraille ,
Couplet ,
145
146
L'Anatomifte Dupé, Conte 147
A M. le Comte d'Ocis , 193
Coupler à Mme la Comteffe de
C ***
194
A Mme la Comteſe Des ***
ibid.
Efai de Traduction d'un Dif
tique latin ,
170
Sermons de M. Hugh Blair ,
172
Euvres de M. le Marquis de
Pompignan ,
VARIÉTÉS .
200
Réponse de l'Auteur du Poëme
des Daneïdes , 86
Lettre aux Rédacteurs du Mercure
, 132
195 Lettrefur la Veftale de Legros .
185
ibid. Lettre au Rédacteur du Mer
Pour le Bufte de Mile Sophie
Arnoult ,
Charades , Enigmes & Logogryphes
, 23 , 59 , 101 , 148 ,
196
NOUVELLES IITTER.
cure ,
219
SPECTACLES ,
Aca.émie Roy. de Muſiq . 39 ,
Les Druïdes , Tragédie , 25 Comédie Françoife ,
Hiftoire de Provence ,
126
174
61 Comédie Italienne , 178 , 227
De la Tragédie , pour fervir Annonces & Splices , 42 92 ,
de fuite aux Lettres de Vol- 139 , 187 , 234 ,
taire , 71
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT ,
rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
L
SAMEDI 6 NOVEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE
LE PER LUISANT ET LE ROITELET ,
Fable.
UN Ver luifant , très -orgueilleux ,
Difoit , des affres radieux ,
Je fuis & l'égal & le frère ;
Pourquoi rampé je fur la terre ?
·
Je devrois habiter les cieux.
Un Roitelet du voifinage
Entend ce rifible langage,
Quitte fon petit hermitage ,
Et va droit à l'être brillant :
Vile & ftupide créature ,
Lui dit-il en le becquetant ,
அதா
Ignore-tu que ta parure
A ij
MERCURE
N'eft qu'un mépri fable clinquant
Que le grand jour fait diſparoître ?
J'apprends trop tard à me connoître ,
Répond l'Infecte en gémiflant :
Hélas ! au bout de ma carrière
Je ne fuis que trop convaincu
Que fans cette foible lumière
Tu ne m'aurois pas apperçu .
L'obfcurité convient au Sage ,
Elle plaît aux gens éclairés .
Demi- Savans , habits dorés ,
Cet apologue eft votre image .
(Par M. Crommelin de Guife. )
ÉPITAPHE de Madame LOBREAU ,
Ancienne Directrice de Spectacles de Lyon,
morte le 26 Août 1784 .
CI-Gir, dont les vertus honorèrent Thalie ,
Qui , pour plaire au Public , fut ne rien négliger ;
Et de tous les plaifirs qu'on perd avec la vie ,
Ne regretta que celui d'obliger .
(Par M. M*** de Saint- Aubin. )
DE FRANCE
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
E mot de la Charade eft Mercure; celui
de l'Enigme eft Flambeau ; celui du Logogryphe
eft Papier, où l'on trouve Pape , épi,
repi , tape , pipe , pie , Priape , apir , & la
note ré.
CHARADE.
Si vous m'enlevez mon premier ,
De mon tout je fuis le contraire ;
Et mon premier eft toujours néceffaire
A tel qui veut bien faire mon dernier .
(Par M. R..... , fils aîné , Abonné. )
ÉNIGM E.
On voit en l'air une maiſon N
Qui peut paffer pour labyrinthe ,
Où ceux qui cheminent fans crainte
Sont arrêtés en trahison.
C'est une fatale prifon ,
Un lieu de gêne & de contrainte
Ou leur pauvre vie eft éteinte,
Par un monftre plein de poifon.
Sa malice eft ingénieuſe ,
A iil
MERCURE
Et de Vulcain la main fameufe
Dreffe des pièges moins fubtils ;
Son art de bâtir eſt extrême ,
Et fa matière & fes outils
Se rencontrent tous en lui-même.
(Par M. l'Abbé le Dru , Prieur à Provins . ) ›
LOGOGRYPH E.
D'UN Dieu , fils de la nuit , je ſuis l'un des Miniftres ;
Tantôt doux , bienfaifant , tantôt des plus finiftres.
Soudain , par mon pouvoir , le pauvre eft enrichi ;
Le riche devient pauvre au fein de l'opulence ;
L'homme libré eft aux fers , l'efclave eft affranchi;
Par moi le malheureux voit luire l'efpérance ;
J'élève les petits & j'abaiffe les grands ;
Je détrône les Rois & confonds tous les rangs.
Voilà de mon empire une efquiffe légère .
Dans fept pieds je rečèle , à l'ombre du myftère ,
Ce nouvel Amphion , dont les fi doux accords
Ont sû toucher le Dieu qui règne aux fombres bords ;
Un chef d'oeuvre .Tragique enfanté par Voltaire ;
Une ville jadis Reine de l'Univers ;
En Grèce une prefqu'ifle à fes Maîtres rébelle ;
Un Grec déifié pour prix de fes beaux vers ;
Un élément perfide ; un des noms de Cybèle ;
Et ce métal enfin qui rend l'homme pervers.
( Par M. le B. de Valbert.)
DE FRANCE.
7
NOUVELLES LITTERAIRES.
ELOGE de Bernard de Fontenelle , Difcours
qui a remporté lePrix de l'Académie Francoife
en 1784 , par M. Garat. A Paris ,
chez Demonville, Imprimeur Libraire de
1 Académie Françoife , rue Chriftine.
SIP'amitié étoit néceffairement une raifon
de tour aimer , de tout louer aveuglément
dans l'Ouvrage d'un ami , de quelque peu de
poids que puiffe être mon jugement , je de
vrois me récufer ici , me défendre de rien
éctire fur le nouveau Difcours qui a mérité
à M. Girat une troifième couronne . Intimément
lié avec lui depuis le moment où il eft
entré dans la carrière Littéraire , accoutumé
avec lui à cette communication de penfées
qui a prefque l'intérêt de celle des fentimens
dans le commerce de deux Hommes de Lettres
, bien moins riche que lui dans ce commerce
, & y recevant beaucoup plus que je
n'y porte , on pourroit me croire , & je pourrois
me croire moi même féduit d'avance :
fi je fentois en moi cette difpofition , je me
la pardonnerois aifément , comme la plus
douce & la plus excufable des erreurs ; mais
je m'impoferois le filence ; je refpecterois
trop le Public , pour ne lui offrir que des
louanges qui rifqueroient d'être exagérées ,
A iv
$ MERCURE
lorfqu'il a droit d'attendre au moins une difcuffion
impartiale. Je chérireis affez la gloire
de mon ami , pour ne pas le priver d'un ſuffrage
plus libre & d'une critique utile , qu'il
pourroit recevoir d'un autre Homme de
Lettres. Je ne connois rien , pour le vrai
talent , je ne dirai pas de plus pernicieux ,
mais de moins flatteur , qu'une admiration
fans règles , fi ce n'eftune admiration de complaifance
& d'adulation. Votre Maitre n'at'ilpas
d'affez bonnes qualités pour que vous
puiffiez avouer fes défauts , difoit le bon , le
généreux , le brave Henri , à un Ambaffadeur
baffement circonfpect . Traitons les talens
comme les Puiffances ; honorens les par
notre franchiſe , comme par nos refpects ;
que la févérité de notre critique rende témoi
gnage de la fincérité de notre admiration . Il
elt des Ouvrages dont la critique même doit
couvrir la foibleffe par beaucoup d'indulgence
; il en eft d'autres qui ont droit à fa
plus rigoureufe juftice. Je ne diffimule pas que
je cherche ici la fatisfaction de faire entendre
ma voix dans le triomphe d'un ami ; mais
ma fincérité fera le premier hommage que
je lui rendrai . Je difcuterai fen Ouvrage ,
comme il a difcuté ceux de Fontenelle , &
comme je defirerois qu'il appréciât les miens ,
fi jamais ils devenoient dignes de foutenir
un tel examen. Au refte , ne donnons pas aux
chofes une importance & une gravité qu'elles
n'ont pas. Quel eft l'homme d'un goût affez
sûr pour ofer fe promettre d'afligner leur
DE FRANCE.
9
véritable rang aux productions de l'efprit ?
Il faudroit d'ailleurs qu'il jugeât à une certaine
diſtance des Ouvrages & des perfonnes;
qu'il pût échapper à l'influence de toutes
ces chofes qui relèvent ou abaiffent fi fouvent
les fuccès , fans décider du mérite. Ces
difcuffions Littéraires peuvent fouvent fatiguer
le plus grand nombre des Lecteurs , à
qui il en coûteroit trop de tant réfléchir fur
des objets qui les ont foiblement & vaguement
occupés. Mais en exerçant l'efprit des
gens de l'art , elles ont droit de les intéreffer ,
& même de les fervir. On les voudroit courtes
; mais elles ne peuvent avoir l'efpèce de
mérite qu'elles doivent chercher , fans quelqu'étendue.
Je préviens que je pourrai paffer
ici les bornes ordinaires. Mais la variété
piquante du fujet , le genre même de l'Ouvrage
fur lequel j'écris , Ouvrage qui eft inftitué
pour la gloire & l'utilité des talens , &
l'intérêt qu'infpire un jeune Écrivain , qui
ajoute fans ceffe aux grandes efpérances qu'il
a données , en m'entraînant dans de longs
détails , pourront les juftifier.
Le ton & la marche de Difcours que
M. Garat a adoptés , convenoient bien au
fujer ; j'en développerai tout - à - l'heure le
mérite & les avantages ; mais on peut bien
faire de plus d'une manière ; & je crois qu'il
fe préfentoit ici une raifon & un moyen de
changer heureuſement jufqu'à la forme de
ces Difcours .
Αν
10 MERCURE
Ce fujet , quoique très étendu & très varié
, ne préfentoit ni un grand eclat ni un vif
intérêt , il offre un Écrivain plus fingulier
qu'impofant ; un homme qui n'a rien de
plus frappant que l'habile fageffe qui a rendu
fi paifible une vie fi longue . Ainfi ce fujet ,
repouffant tout enthoufiafme , fe prêtoit
peu au ton oratoire. Le ton oratoire perdant
ici fon effer , n'eût il pas été adroit &
heureux , non feulement de le quitter fouvent
, mais même d'en prendre un contraire ,
de mettre autant de foin à l'éviter qu'on en
mettroit 'daus un autre Ouvrage à s'y élever
& sy foutenir ? Il eft ben fouvent d'imiter
le dépit de ce Peintre , qui , ne pouvant
reur à faire une Deefe , voulut rabaiffer
fon tableau à une fimple Bergère , & dut
encore un chef- d'oeuvre à fon défefpoir
même. On auroit pu cbtenir le même fuccès
en fe bornant à une aualy fe fine & élégante
du talent de Fontenelle , & à une peinture
fidelle de fon caractère . Par une rencontre
favorable , on trouvoit dans cet Écrivain
même le modèle du genre d'efprit & de ftyle
avec lequel il convenoit de le louer. Il eft
des oppofitions qui plaifent ; pour ne pas
fortir de l'efpèce de l'objet fur lequel je rar
fonne , on a été agréablement furpris de voir
l'admirable inftiut de La Fontaine fi bien
faifi par la fineffe des obfervations de M. de
Champfort. Mais une reflemblance du tom
avec l'objet , fur- tout lorfqu'elle fe trouve
difficile à faifir , plairoit encore plus sûre ,
DE FRANCE.
>
ment. Fontenelle a inftitué un genre d'éloges ;
c'eft là où il a particulièrement imprimé,
tous les caractères de fon talent . On auroit
aimé à le voir imité par celui qui le louoit
à le voir infpirer & diriger l'efprit qui s'oc- ¸
cupoit à le faifir & à le juger. Mais , en imi- ,
tan : Fontenelle , fon Panégyrifte , ou plutôt
fon Appréciateur , pouvoit , en plufieurs
points , s'écarter de fa manière . Fontenelle
parcouroit , avec une précifion heureute , les
diferentes parties de la gloire qu'il avoit à
célébrer; la fienne pouvoit être plus approfondie.
Les progrès même qu'il a fait faire
à l'efprit humain , permettent & ordonnent
d'entrer plus avant dans les choles. En
nous exerçant à la penfée & à la difcuffion
il nous a rendes capables d'embraffer plus
d'objets , & de les confidérer fous plus de
faces. Les vûes fuperficielles ne fuffifent
plus ; les forts réfultats nous accableroient
encore ; nous fommes à l'époque où les développemens
nous font utiles & néceffaires.
Fontenelle faifoit l'éloge d'hommes dont là
mott étoit récente . Le temps des ménagemens
n'étoit pas paffé , celui d'une vérité cntière
, d'un jugement libre & impartial ,
n'étoit pas venu . Pour lui , fa mémoire appartient
maintenant à la juftice des fiècles .
Il n'eft plas permis de parler de fes beautés ,
faus montrer fes défauts '; fon éloge ne peut
plus être féparé de notre inftruction ; fon
éloge même , pour éternifer fa gloire , doit
la renfermer dans les véritables bornes. D'ail
A vj
12 MERCURE
"
leurs , il a porté dans l'art des ménagemens
une retenue dont il ne faut pas toujours fe
faire une règle ; il eft digne qu'on porte fur
lui des regards plus hardis qu'il n'en portoit
fur les autres. Il convenoit auffi , en emprun
tant une forme d'éloge , propre à l'Acadé
mie des Sciences , de lui communiquer
quelques unes des chofes qui élèvent plus
haut ce genre dans l'Académie Françoiſe ,
d'autant plus qu'elles s'offrent d'elles mêmes
dans ce fujet , & qu'elles l'enrichiffent fans
le dénaturer. Malgré la fimplicité de fon
ton , & la févère préciſion de fa marche ,
ce Difcours le plaçoit dans un cadre impofant.
On ne peut juger Fontenelle fans
toucher aux deux plus belles époques de
l'efprit humain. Né dans le moment du plus
grand éclat du fiècle des Arts , Fontenelle
n'eut rien de commun avec tous ces grands
Hommes , au milieu defquels s'écoula une
partie de fa vie. Mort dans la plus grande
effervefcence du fiècle philofophique , il
parut préfider à une révolution où il fut encore
furpaffé par les contemporains. A quoi
a tenu une destinée fi fingulière ? Voilà le piquant
problême qu'offreit ce Difcours. Pour
le réfoudre , il falloit bien étudier l'Homme
& l'Écrivain , montrer l'influence qu'ils eurent
l'un fur l'autre. La féchereffe de l'ordre
chronologique pouvoit difparoître par une
divifion où le fujet fe feroit développé également.
Nous voyons d'abord dans Fontenelle
un Bel efprit , le Bel efplit devient enfuite
DE FRANCE.
un Philofophe , le Philofophe chez lui achève
FÉcrivain , l'Écrivain & le Philofophe fe
confondant avec l'homme , le montrent tout
entier. Le fujet pris ainfi , offroit quelqué
choſe de vif & de noble, qui s'agrandifoit par
le double lointain des deux beaux fiècles aux .
quels il s'unit de toutes parts , il admettoit
donc la verve du ftyle oratoire , même en
en excluant les formes & la marche. On
peut regretter que ce plan , qui fe préfentoit
affez facilement , n'ait pas été faifi par un
Écrivain digne de le remplir . Nous aurions
à comparer deux Ouvrages d'un genre oppofe
, qui , en offrant chacun les beautés qui
leur font propres , auroient pu encore fe
relever & s'embellir par leur contraste.
M. Garat a conçu fon Difcours fur un autre
plan. Il a vu que c'eût été manquer au
goût , à la raiſon , à la juſtice , à l'attente de
P'Académie & du Public , que de ne pas faire
un examen fincère des défauts & des beautés
de Fontenelle , que c'étoit trop peu de ne pas
louer fes mauvais Ouvrages , qu'il importoit
d'attaquer des défauts qui ont féduit &
qui pourroient féduire encore ; & il a cherché
dans le ton de fon Difcours la dignité
d'une forte de jugement fur un Écrivain
d'une grande renommée , d'an jugement
porté dans le premier Corps Littéraire de la
France , & , en quelque forte , en fon nom.
Pour juger Fontenelle , il falloit donc toujours
employer la difcuffion ; mais elle pou14
MERCURE
voit recevoir de l'éclat & du mouvement
par le tableau des objets fur lefquels le talent
de Fontenelle s'eft exercé , & par la comparaifon
des talens avec lefquels il a rivalife.
Alors le fujet offroit peu d'émotions pour
l'âme , mais beaucoup de vûes pour l'efprit.
Avec un fujet fi varié & un talent fi fecond
en idées , M. Garat ne pouvoit guères fe réfoudre
à faire des facrifices : auſſi , loin d'affecter
la précision , il étonne au contraire
par fon abon lance. Cette manière de voir &
defentir a produit un Difcours qui , en général,
a plus encore les formes que les effets de l'elo
quence, qui garde toujours un ton elevé , lors
même que les penfées ne font que fines ,
qui marche plutôt dans un calme impofant
qu'avec une rapidité brillante , qui ne reffemble
pas plus aux autres éloges de l'Académie
Françoife , qu'à ceux de l'Académie des
Sciences , & qui eft proprement une differtation
oratoire, non feulement fur les Écrits
& la perfonne de Fontenelle , mais encore
fur tous les objets de littérature, & de philo-,
fophie qu'a traité Fontenelle. Ce plan avoit
de grands avantages pour amener de grandes
"beautés ; mais il pouvoit affoiblir l'intérêt ,
car chaque efpèce d'Ouvrage a le fien.
Dans le deffein que j'ai de m'arrêter tours
à tour fur les beautés & les défauts qui me
frappent dans le Difcours de M. Garat , je
l'examinerai fous trois afpects : l'appréciation
du fajet , l'ordonnance de l'Ouvrage &
le ftyle.
DE FRANCE. IS
ils
Bien des gens croyent que le fuprême mé
rite dans un éloge , eft d exagérer habilement
le mérite du Héros , de paffer avec encore
plus d'adreffe fur les taches de fa vie , les
imperfections ou les écarts de fon génie.
C'est à ces endroits qu'ils obfervent l'Orateur
avec le plus de foin. S'ils le voyent par
ler en homme libre , ne rien diffimuler
quelquefois même blâmer ouvertement ,
crient à la mal adreffe , à la difconvenance ,
quelquefois même au fcandale. J'ai vû des
perfonnes , qui ont d'ailleurs du goût & de
la raifon , ferieufement révoltées des reftrictions
que M. Garat a miles fouvent à la plus
vive admiration que Fontenelle ait jamais
excitée. Ainfi, les ferviles ménagemens de nos
moeurs veulent régner jufques dans la philo
fophie & l'éloquence ; nous recherchons encore
les formes de la flatterie dans la diftri
bution de la gloire. Comment peut- on à ce
point aimer le faux & s'effaroucher du vrai ?
Qui a t'il donc de noble & d'utile dans ces
éloges que l'on décerne aux grands Hommes ,
fila juftice n'y préfide pas ? Quelle confiance
prendrai je dans votre admiration , fi elle ne
me gagne pas par des tons de vérité , fi vos
plaintes & vos reproches ne la fufpendent
pas quelquefois ? Et quelle vie n'a fes faures
? Quel mérite n'a fes taches ? Je dirai
plus ; fi l'objet propofé en éloge méritoit
plus de blâme que de louange , ce feroit le
blame qu'il faudroit lui prodiguer , pour ne
manquer ni au goût ni à la vertu . I eft vrai
16 MERCURE
qu'alors il faudroit effacer le mot d'éloge.
Et pourquoi ne le quitteroit- on pas dans tous
les cas ? Il fent encore trop l'adulation ; il
diminue l'autorité de la vraie gloire ; il embarraffe
quelquefois l'Écrivain ; il diffimule
au Public l'espèce d'Ouvrage que lui même
defire & qu'il doit juger. C'est donc un mérite
effentiel dans le Difcours de M. Garat ,
que d'être un jugement plutôt qu'un panégyrique
; & ce mérite , trop rare dans les éloges
, devoit fur tout commencer à celui de
Fontenelle. Voyons comment l'Auteur a apprécié
cet Écrivain. Je combattrai fouvent.
fes avis , quelquefois je lui reprocherai de
s'être mal à propos écarté de l'opinion géné
rale ; d'autres fois j'examinerai s'il n'y auroit
pas eu plus de jufteffe à en établir une contraire
: il fera aifé , fans qquuee jjee lleess marque , de
diftinguer ces divers objets.
Il faut bien que je commence par de
grands éloges , puifque le premier morceau
du Difcours me paroît excellent ; Fexorde eft
une vue ferme & noble fur tout le fujet ; il
annonce de plus le genre d'idées , la marche
de Difcours & le ton de ftyle qui doivent
régner dans tout l'Ouvrage .
"9
Qu'est ce que Fontenelle? Eft - ce un belefprit
, est- ce un homme de ralent , eft ce
» un homme de génie ? . Sa longue carrière à
» été partagée prefqu'également entre deux
fiècles , celui des Arts & celui de la Philofophie.
Dans le premier , Fontenelle a
eu pour ennemis & pour détracteurs , les
93
"
DE FRANCE. 17
*
" premiers Écrivains de la Nation , les arbi-
» tres du goût , les Racine , les Boileau , les
la Bruyère ; dans le fecond , Voltaire ,
Montefquieu , les premiers génies de la
France , l'ont mis au rang des grands Hom
» mes , & il n'a eu pour ennemis & pour
» détracteurs que ceux qui le font de tous
les noms célèbres , de toutes les réputa-
» tions éclatantes. La poftérité femble refter
encore indécife entre l'opinion de deux
fiècles ; & c'eſt à vous , Meffieurs , qu'il
appartenoit de dicter fes arrêts , de fixer
» la place de Fontenelle entre toutes les re-
» nommées Littéraires. En lui décernant un
éloge public , c'eft fans doute un jugement
» que vous avez demandé ; mais être jugé en
votrenom dans cette affemblée folemnelle,
» c'eft déjà un honneur qui n'a pu être accordé
qu'à un Écrivain du premier ordre.
Ainfi , chez un peuple fameux dans l'antiquité
, par les loix & par les uſages ,
"
13
>>
"
10
la
» cendre feule des Rois étoit foumife à ce
» Tribunal fuprême , qui accordoit ou refu-
» foit les honneurs du maufolée . Dans ces
» lieux , pleins du nom & de l'autorité de
» Racine & de Boileau , en louant Fontenelle
, je croirai parler toujours en leur
préfence ; mais c'eft par mon courage à
« dire la vérité , que je leur témoignerai fur-
" tout mon refpect . Heureux fans doute le
Panégyrifte d'un homme célèbre qui , ne
» voyant aucune tache dans le talent qu'il
va louer , peut fe livrer tout entier an
99
18 MERCURE
30
"
N
33
» fentiment fi doux de l'admiration & de la
» reconnoiffance ; qui , retraçant une gloire
» chère à tous les coeurs , refpectée des
goûts les plus divers , réveille facilement.
des impreffions gravées dans toutes les
âmes, & voit la fenfibilité d'une Nation
» entière prête à fuppléer à tout ce qui peut
» manquer à fon éloquence ! Heureux en-
» core celui qui , voyant dans un efprit fupérieur
des fautes que la haine & l'envie
ont exagérées , que l'esprit de fecte &
» l'amitié ont voulu diffimoler , s'avance au
milieu des enthoufiaftes & des détracteurs ,
" pour faire , avec candeur & avec vérité , le
"
"
partage de ce qu'on lui doit d'efime &
» de reproche , le blâme quelquefois fans
ménagement , pour acquérir le droit de
» le louer fans referve ! Je m'attacherai fur-
و د
"
tout , dans cet éloge , à tracer ce tableau
» unique dans notre Littérature , d'un Écrivain
qui , au moment où tous les Arts .
font parvenus à la perfection , féduit fou-
" vent le goût par les défauts , l'étonne &
le bleffe quelquefois par fes beautés même ,
échappe toujours , par fon extrême originalité,
au jugement de toutes les règles.
» connues , & n'a pu être apprécié que par
» de nouveaux principes & un nouveau
» fiècle de lumières . Sa vie , dans la morale ,
paroîtra une efpèce de phénomène , comme
fes Écrits dans la Littérature . Il éton .
» nera le Philofophe par le caractère de fes
> vertus , comme l'homme de goût par celui
"
"
DE FRANCE. 19
» de fes Ouvrages . Quels que foient les fen-
» timens & les opinions de ceux qui écou
» teront le Panégy rifte de Fontenelle , il n'eft
» perfonne qui ne doive s'intéreffer à fon
éloge : la prévention qui méconnoît ſon
» mérite , & celle qui l'exagère , doivent
» être également attentives ; car fi la gloire
» eft le tréfor le plus précieux dont difpo-
» fent les Nations , fi elle fait naître les talens
qu'elle récompenſe , il eft de l'intérêt
» de tous les hommes qu'elle foit difpenfée
» avec équité.
En entrant dans fon fujet , l'Orateur com-,
mence par tracer un tableau de la Littérature
au moment où Fontenelle a commencé
d'y paroître. On a reproché à ce morceau
de n'avoir pas la magnificence des objets &.
la nouveauté des reflexions que promettoit
l'examen d'un Écrivain Philofophie. Jetroase
de la vérité dans ce reproche. Mais je ne puis
me refufer à détacher de ce morceau quel
ques lignes , où l'on reconnoîtra des oblarvations
auffi neuves que bien énoncées.
Du milieu de tous ces chef d'oeuvres des
" Arts , qui , en peignant l'homme & lana-
» ture , apprenoient à les connoître , commençoit
déjà à fortir une philofophie en
nemie des abftractions & des fyftêmes ,
» fondée , comme les talens de l'imagina
» tion , fur l'obfervation & l'expérience de
» nos fentinens : dejà l'on prévoyoit le mo
» ment où les Sciences alloient prendre quel
» que chofe de l'éclat des beaux Arts , où la
"
20 MERCURE
25 gloire du Philofophe feroit aufli brillante
» & auffi répandue que celle de l'Orateur &
du Poëte. »
On fait que Fontenelle a écrit dans prefque
tous les genres de Littérature , & qu'il
n'a commencé à fe montrer un Écrivain fupérieur
qu'en fe bornant aux Écrits d'un Littérateur
Philofophe & d'un favant homme
d'efprit. Comment a t'il pu fe méprendre à
ce point , & fi long- temps fur la vraic deſti•
nation ? C'est une question très piquante ,
& que l'Auteur a très bien développée & dé
cidée. Ce morceau me paroît traité avec une
métaphyfique excellente , mais qui n'eſt peutêtre
pas affez rapprochée du commun des
Lecteurs. J'aurai tant d'autres morceaux à
citer , que je ne puis le rapporter ici . Je prie
les Lecteurs qui mettent quelqu'intérêt à la
difcuffion qui m'occupe , de juger entre l'Au
teur & moi , en me fuivant dans l'examen de
ce Difcours.
L'examen de cette queftion conduit l'Aus
teur à ce réſultat.
"
« Fontenelle , dont l'efprit fage conçoit
" une ambition fi hardie , donnera un exemple
mémorable de la vérité qu'il a mé
» connue. On le voit , dans fes Écrits , ap
procher par degré de la perfection , à mefure
que les genres & les objets qu'il
traite exigent moins de fenfibilité & plus
de réflexion ; ne mériter aucun éloge
» comme Poëte ; joindre à des paradoxes
qui ne font qu'ingénieux , des vues neuves
» & profondes , en écrivant fur la poétiDE
FRANCE. 21
33
si que ,
fut la morale
& fur l'hiftoire
; &
» ne montrer
enfin toute l'étendue
, toute
» la jufteffe
& tous les caractères
de fon
efprit , que lorfque
, fortant
de lui même ,
» où il rencontre
toujours
des bornes
dans
» les bornes
de fes paffions
, il cherche
fa
gloire
dans l'étude
de la Nature
, qui n'a
point
de limites
, & qui est toute entière
» fous fes yeux. »
"
"
Sans l'avoir marquée , l'Auteur a fuivi la
marche que le fujet même indiquoit . Il commence
par s'arrêter fur les différentes poéfies
de Fontenelle , qui ne font que des productions
de bel efprit. On pouvoit les confidérer
en maſſe ; M. Garat n'a pas dédaigné de
s'arrêter long temps fur les deux parties principales
, les Opéras & les Églogues.
Il en fait une critique pleine de goût &
d'efprit ; mais enfuite ne les leue- t'il pas exceffivement
?
J'ai effayé plufieurs fois de lire les Opéras.
J'avoue que , ne portant d'autre intérêt
dans cet examen que mon plaifir , & ne le
trouvant jamais , je n'ai point achevé. Je ne
fuis donc pas en droit de leur conteſter toutes
les brillantes qualités que M. Garat y a vûes ;.
mais il me femble qu'il n'en a convaincu
perfonne ; & alors il eft fort à craindre qu'il
me fe foit troinpé.
J'ai les inêmes chofés à dire fur le morceau
des Églogues. Toujours une excellente
critique des défauts ; enfuite des éloges qui
me paroiffent outrés . J'avoue bien que dans
22 MERCURE
les dix Eglogues de Fontenelle , il y en a trois
ou quatre qui ont un fonds très piquant &
de très heureux détails . M. Garat les loue
fur- tout pour l'invention toujours agréable
des fujets, & le deffin toujours ingénieux &
fimple de l'action , & il prouve très bien ces
louanges par le tableau qu'il trace des fcènes
qui forment ces Églogues. Mais il ne dit pas
affez combien l'abfence continuelle d'inagination
& de fenfibilité détruit l'effet de ces
fcènes , & combien ces Ouvrages , n'ayant
jamais qu'un mérite qui ne leur convient pas ,
reftent au- deffous de ceux qui ont été pro
duits par le vrai talent . Il feroit injufte fans
doute de ne pas aimer beaucoup de chofes
dans les Églogues de Fontenelle. Mais peuton
les appeler des Ouvrages charmans ? Eftil
vrai encore qu'il y ait dans ces Églogues
un fi grand mérite philofophique ? Que Fontenelle
ait découvert tant de traits nouveaux
& prefque imperceptibles dans l'amour..... de
ces plaifirs que les âmes paffionnées laiſſent
perdre dans la foule ou dans les tranſports de
leurs jouiffances. Eft- il vrai que Fontenelle
rappelle des faits qu'on avoit oubliés , des
fenfations qu'on n'avoit jamais démêlées ;
que les fentimens de Fontenelle foyent des
apperçus profonds , &c. Je viens de relire fes
Églogues ; plufieurs m'ont plu beaucoup,
jamais elles ne m'ont intéreffé encore
moins charmé ; j'y ai remarqué une foule de
chofes très fines , très ingénicufes , quelques
traits qui ont vraiment de la grâce , & mêine
,
DE FRANCE. 23
de la poéfie ; mais je n'en ai reçu aucunes
de ces impreffions que M. Garat vient d'exprimer.
Je trouve dans cet endroit du Difcours
des idées d'une métaphyfique fi fine , que je
ferois fort tenté de les croire fauffes . Il eftdes
momens où les âmes les plus fenfibles , fatiguées
de leurspaffions , en aiment mieux l'hif
toire , qui les fait réfléchir avec intérêt , que
le tableau énergique qui les remue & les agite
encore. Voilà , felon l'Auteur , pourquoi
Fontenelle peut plaire encore après Téocrite
& Virgile. Cette explication me paroît amenée
de bien loin. Si Fontenelle plaît quelquefois
, c'eft par des traits qui fe rapprochent
du langage des vrais Poëtes :
Elle m'eut en fuyant dit quelques mots tout bas
Avec fa douce voix & fon doux embarras.
Voilà de la grâce de La Fontaine.
Quand il peint ainfi l'impatience amoureufe
d'un Berger :
Quel fiècle jufqu'au foir ! il/mefure des yeux
Le tour que le foleil doit faire dans les cieux ;
Il faut que fur ces monts ce grand aftre renaiſſe ,
S'élève lentement & lentement s'abaiffe.
Dans ces beaux vers , il y a quelque chofe
de Virgile . Dès qu'il rentre dans le ton
qui lui eft propre , il plaît d'une autre
manière , & il plaît moins . Il ne retrace
plus les fentimens où l'homme retrouve
fon coeur
& alors il ne dit plus rien
24 MERCURE
pour les âmes fenfibles. Je ne conçois pas.
trop comment il les déla feroit par l'hiftoire
des paffions , fans les remuer par leur tableau.
Il me femble que dans les âmes ſenſibles ,
tout ce qui rappelle les paffions les réveille ,
que dans leurs coeurs , les réflexions qu'elles
amènent ne vont jamais fans les mouvemens
qu'elles excitent . Cette idée de M. Garat me
paroît manquer de jufteffe ; mais elle manque
peut être encore plus d'intérêt . Elle ne
pouvoit venir qu'à un homme de beaucoup
d'efprit ; mais le goût veut que l'on rejette
fouvent des idées où l'efprit rifque au moins
de paroître avoir abufé de lui - même. J'ai cru
devoir infifter fur ce défaut , parce qu'il me
femble qu'il eft affez fréquent dans le Dif
cours de M. Garat. Chacun trouve dans fes
plus heureufes facultés la fource de fes fautes
; & c'eft du trop d'efprit que M. Garat a
le plus à fe garder.
Ce morceau des Églogues eft celui du Dilcours
qui a trouvé le plus de Cenfeurs ; je
ferai forcé d'y revenir , lorfque j'examinerai
l'ordonnance du Difcours.
J'arrive avec M. Garat aux Dialogues des
Morts. C'eft l'Ouvrage de Fontenelle , qui
me paroît avoir les plus effentiels défauts &
mériter le moins de grâce . Loin de juftifier
l'efpèce d'eftime que quelques perfonnes leur
confervent , je crois qu'il importe de la détruire.
Quel mérite peut- on trouver en effet
à un Livre qui ne reproduit les grands perfounages
& les grands événemens que pour
les
DE FRANCE. 25
les dégrader , qui ne les rapproche que par
les rapports les plus forcés , les plus choquans
, & ne tire de ces rapprochemens que
les plus frivoles réſultats; un Livre dont le plan
eft tout dramatique , & où les caractères les
plus impofans & les plus variés ont perdu
toute majefté , & paroiffent jetés dans le
même moule; où l'Auteur , ne pouvant s'élever
à leur ton , n'a pas craint de les ravaler
au fien ; un Livre enfin où l'on ne trouve jamais
ni fenfibilité , ni imagination , ni une
vraie & noble philofophie , où tout l'efprit
même qui y brille n'a rien de bien diftingué ,
& n'eft qu'un vice de plus ? Il eſt à remarquer
que c'est celui des Ecrits de Fontenelle
où l'on rencontre le moins de ces chofes fi
habilement apperçues & fi heureuſement
exprimées . Mais je prends ici une peine inutile.
Perfonne n'en a mieux marqué tous les
défauts que M. Garat. Comment a t'il pu
enfuite y admirer tant de chofes ?
Il parle d'abord de la vigueur &de l'étendue
qu'on apperçoit dans le deffin général de
ces dialogues. Faire entrer les morts illuftres
en conférence dans les Champs Elysées , ne
me paroît avoir rien de merveilleux , fur tout
après que cette idée avoit déjà été réalisée par
Lucien. C'eft dans la manière dont ils fe
roient mis en scène que confifteroit l'invention
; mais Fontenelle a manqué à tout dans
ce point ; je m'en rapporte fur ceci à la cri-,
tique même de M. Garat.
N°. 45 , 6 Novembre 1784. B
26 MERCURE
C
Voyez encore ce qu'il ajoute : Ces rapprochemens
fi inattendus , qui font naître des
idées fi nouvelles , ne font pas feulement les
artifices d'une compofition ingénieuſe , mais
le coup- d'oeil d'un efprit vafte , qui faifit des
rapports & des vérités aux plus grandes deftinées.
Cet éloge ne feroit pas indigne des
Lettres Perfanes ; & il eſt donné aux Dialogues
des Morts !
Il fe joue de la raiſon humaine , l'ébranle ,
la fait chancelerfur fes maximes les plus inconteftables,
l'arrache quelques inftans de tous'
fesfondemens, nonpour la renverfer, mais pour
la fairefortir d'un repos où elle devientfterile,
pour la porter plus loin , & lui donner de plus
folides appuis. Si quelqu'un vouloit juger de
TOuvrage de Fontenelle d'après cette idée ,
il pourroit s'atrendre à y trouver un Écrivai Y
plein de verve dans le ftyle , d'audace dans
les idées , de forces & de reffources pour
tout renverfer & tout reconftruire . S'il venoit
enfuite à ouvrir le Livre , il me femble
qu'il trouveroit terriblement à rabattre.
J'ofe dire que ce Livre méritoit toute la colère
des grands Écrivains du fiècle de Louis
XIV ; il les autorifoit en quelque forte à
prononcer une malédiction fur le talent de
I'Auteur. Aufi s'eft il élevé depuis à une autre
manière de voir & de peindre les objets ,
& c'eft pour cela qu'il s'eft placé tout à côté
des hommes du premier ordre. Il y avoit
quelque chofe à louer dans cet Ouvrage
mais ce n'étoit pas les dialogues , c'est la criDE
FRANCE... 27
tique qui en eft faite dans le Jugement de
Pluton. Fontenelle feul étoit peut être capa
ble de fe charger d'écrire lui même tous les .
reproches qu'on lui faifoit ; ce n'eft pas qu'il
les méprife , il paroît au contraire en fentit
la force & la jufteffe ; néanmoins il les écrit ,
il en fait une partie de fon Ouvrage même ;
il emploie tout fon efprit à les bien faifir , à
les bien rendre, il ne s'y épargne pas ; il s'at
taque jufques dans les endroits les plus fenfi
bles ; il s'attaque & il ne fe défend pas . Éclairé
& animé par la critique des bons juges qu'il
avoit indignés , en exprimant les plaintes des
Héros contre les idées & les difcours qu'il
leur a prêtés , il conçoit mieux leur ame
& leur génie , & cette fois il n'eft pas rou
jours indigne de les faire parler. Ce courage ,
ou cette indifference de l'Auteur , me paroiffent
un des traits les plus remarquables
du caractère de l'homme.
Déformais M. Garat va être plus à fon
aife ; il n'aura plus que de bons Ouvrages à
apprécier.
Je pale fur le níorceau où il examine enfemble
'Hiftoire des Oracles , l'origine des
Fables , les Réflexions fur la poétique , & le
petit Traité du Bonheur. Le jugement qu'il
porte fur tons ces Ouvrages , quoique moins
développé , n'en eft ni moins profond ni
moins juſte.
Le Livre des Mondes demandoit un mors
cean plein d'idées & d'imaginatión . M. Garat
templir ici l'attente de fon Lecteur. Mais it
Bij
28 MERCURE
"
me femble qu'il n'a pas fait des critiques ,
qu'un Écrivain auffi digne que lui de defendre
les vrais principes des Arts , ne devoit
pas omettre. Qu'on ne permette de dire
encore ici ma penſée .
Je fuis bien loin d'attaquer la brillante réputation
dont jouit encore cet Ouvrage , de
contefter l'utilité de fon deffein & l'agrément
de fon exécution . Sans doute c'étoit une belle
& heureuſe idée que celle d'apprendre aux
gens du monde qu'ils pouvoient pénétrer
dans les Sciences , & aux Savans comment
ils pouvoient fe faire entendre des gens du
monde ; & jamais on n'a porté plus de clarté,
de préciſion & d'élégance dans le développement
d'une Science qui n'avoit fu encore
s'exprimer qu'avec des termes de mathématiques.
A ces deux égards , les Mondes doivent
refter comme un des bons Livres de
notre Littérature ; mais ce Livre , en donnant
un bon exemple , n'a t'il pas donné un mauvais
modèle ?
Pour que les Loix de l'Univers
ne reftent
plus auffi cachées
dans les Sciences
que dans
le fein même
de la Nature
, fuivant
une belle
expreffion
de M. Garat
, il faut leur prêter
la langue
ordinaire
, & fur tout les fimplifier
par une logique
plus nette , par une méthode
plus facile
: c'eft ce qu'a fait admirablement
Fontenelle
. Pour
nous les rendre
agréables
& intéreffantes
, il faut les parer
des couleurs
de la poésie
, les animer
des mouvemens
de
l'éloquence
, Voilà
le feul embelliffement
qui
DE FRANCE. 29
leur convienne ; & c'eft ici où Fontenelle a
fait une méprife dangereufe. Son fujet des
Mondes admettoit de hautes idées , de riches
images ; il permettoit un ftyle vif & majeftueux.
Quel eft le ton que Fontenelle y a
porté ? Celui d'une froide galanterie. Il met
en fcène deux Interlocuteurs , un Philofophe
& une femme. Mais le Philofophe , au lieu
d'élever fon âme par la magnificence des
objets qu'il décrit , n'ofe en parler avec
la dignité qui leur eft propre ; il ſe fait un
bel efprit de toilette , pour parler du mouvement
des aftres ; cette femme , à qui il
pouvoit donner une envie de connoître ,
d'autant plus intéreffante , qu'une femme
dans ce temps étoit fouvent obligée de l'immoler
à un fot préjugé , cette femme , dont
l'imagination , la fenfibilité même pouvoient
s'exalter au milieu des auguftes révélations
d'une Science toute poétique & toute religieufe
, à peine daigne t'elle s'intéreffer aux
Loix de l'Univers. Elle les cherche avec une
curiofité avide , elle les pénètre avec une fagacité
rare; mais elle ne fait jamais les admirer
; elle femble n'avoir cherché qu'une
nouvelle occafion de ce froid badinage ,
qui eft le ton dominant de la Société.
N'est-ce pas là plutôt dégrader les Sciences
que les orner ? Si le fublime Auteur de
l'Hiftoire Naturelle avoit pris ce ton & ce
style , auroit- il mérité la gloire , ou plutôt
n'auroit il pas tout gâté dans les Sciences &
dans la Littérature : Je le répète , les orne-
Bii)
30
MERCURE
mens que l'on piête aux Sciences doivent
être dignes d'elles , ou elles doivent les rejetter.
Voici comment , quelques années
après la publication des Mondes , un Savant
commençoit une differtation fur l'Aftronomie.
»
»
#
Quand l'Aftronomie ne feroit pas auffi
abtolument néceffaire qu'elle l'eft pour la
Géographie , pour la Navigation , & même
pour le Culte divin , elle feroit infiniment
digne de la curiofité de tous les efprits, par
» le grand & le fuperbe ſpectacle qu'ell
>> leur préfente. Il y a dans certaines mines
très- profondes des malheureux qui y font
nés , qui y nourront fans avoir jamais vû
» le foleil. Telle eft à peu près la condition
» de ceux qui ignotent la nature , l'ordre ,
le cours de ces grands globes qui roulent
fur leurs têtes , à qui les plus grandes
beautés du ciel font inconnues , & qui
» n'ont point affez de luinières pour jouir
» de l'Univers. Ce font les travaux des Af
» tronomes qui nous donnent des yeux , &
>> nous dévoilent la prodigieufe magnificence
» de ce monde , prefque uniquement habité
→ par des aveugles. »
"3
Voilà le langage qui honore les Sciences
en les expliquant mieux. Veut- on maintenant
connoître l'Auteur de ce morceau ?
C'eft Fontenelle lui-même , lorfqu'enfin il fe
fur élevé au -deffus des prétentions du bel
efprit , & qu'Interprête des Sciences , &
D-E FRANCE. 31
€
entre elles & enyers le Public , fon génie fe
fut epure & agrandi dans leur commerce.
La fuite à un autre Mercure.
BALANCE de la Nature , par Mlle le
Maifon le Golft. A Paris , chez Barrois
l'aîné , Libraire , quai des Auguftins .
UN Ouvrage qui , par une marche auffi
facile qu'agreable , nous uret à même de
comparer & juger les principaux objets de
la Nature , ne peut manquer d'être favorablement
accueilli ; il trouvera même des
partifans parmi ces êtres privilégies pour qui
la Nature n'a rien de caché : en concourant
à l'avancement des Sciences , on acquiert
des droits à la reconnoiffance de ceux qui
les cultivent avec le plus de fuccès . Tel eft
l'Ouvrage publié par Mlle le Maffon le Golfe.
La Balance de la Narure , au premier coupd'oeil
, n'a l'air que d'un amufement ; il ca
che fous cet extérieur, modefte beaucoup
d'intérêt ; il prépare au grand Livre de la
Nature , en ce qu'il fonferait à nos yeux
le dédale effrayant du fyftême , jufqu'au moment
où , pénétrés de fes beautés , nos idées
s'agrandiffent, notre âme s'élève & le courage
ne nous abandonne plus. Mais comment
balancer le mérite de chacun des principaux
objets que la Nature nous préfente
avec une adinirable profufion: Chacun a fa
manière de voir & de juger ; les productions
Biv
32
MERCURE
1
de la Nature n'ont point une égale beauté ,
mais chacune a fa beauté particulière ; la
culture , le climat jettent entre- elles des différences
confidérables : tout eft prévu par
Mlle le Maffon . Quelques détails fuffifent
pour faire voir que l'idée d'une Balance de
la Nature exigeoit , pour être réaliſée , toute
la fineffe & la délicateffe du fexe auquel appartient
notre Auteur.
Cet Ouvrage embraffe les principaux objets
des trois règnes. Cédant par des raifons
particulières à des difficultés qu'elle étoit
bien faite pour applanir , l'Auteur nous a
privé du tableau de l'homme qu'elle avoit
efquiffé , & qui ne pouvoit qu'être fort intéreffant
fous ces quatre rapports , beauté ,
bonté, efprit &favoir. Les quadrupèdes font
donc le premier objet de cet Ouvrage ; les
oifeaux , les poiffons & les infectes le fecond;
viennent enſuite les végétaux , diftingués en
arbres, fleurs &fruits ; dans le règne minéral
on a choifi de préférence les pierres précieufes
& les métaux. Les quadrupèdes fe
confidèrent par laforme , la couleur & l'inf
tinct. Patmi ces trois rapports , quoique tous
également bien traités , il en eft un , la couleur
, qui fait l'éloge des connoiffances de
Mlle le Maffon ; les couleurs fervent bien à
diftinguer les objets & à les caractériſer d'une
manière particulière ; mais nous ne voyons
pas toujours ces couleurs telles qu'elles font ,
en confidérant l'objet qu'elles décorent ; comment
donc établir le degré relatif de beauté
DE FRANCE 33
parla couleur ? L'Auteur réfléchiffant à l'influence
de la lumière fur les couleurs , &
examinant ce qu'elles deviennent entre les
mains du Peintre , en fait la plus heureuſe
application à fa Balance . Une couleur peut
-être apperçue , dit l'Auteur , ou telle qu'
elle
eft , ou éclairée du Soleil , ou dans une demiteinte
, ou même dans une ombre légère ; elle
peut encore recevoir des altérations ou un nouveau
degré d'intensité par la réflexion des
corps voifins. La lumière réfléchie d'un corps,
pourpre fur un blanc , le teint en couleur de
rofe ; & fi l'un & l'autre étoient cerife , les,
reflets réciproques rendroient la couleur beaucoup
plus belle qu'elle ne l'est en effet. Les
couleurs reçoivent encore un degré de beauté
différent , à raifon de l'état actuel des furfaces,
plus ou moins liffes. La transparence y occafionne
auffi des différences fenfibles ; elles
reçoivent encore un nouvel éclat de la comparaifon
que l'ail en fait avec les couleurs.
voifines. L'Auteur n'a donc point feulement.
égard à la couleur propre des objets , elle
confidère fi cette couleur réfléchit plus on
moins de lumière ; fi , lorfqu'elle reçoit plus
ou moins d'ombre , elle conferve une partie de
fa beauté , de fon intenfité , defa fraicheur ,
defa fuavité, defon moelleux , ce qu'elle vaut
auprès d'une autre & réciproquement.
Les oifeaux font confidérés par la forme &
la couleur ; le poiffon par la forme , la couleur
& la faveur. On fait que la forme & la
couleur du quadrupède n'eft pas celle de
Bv
14 MERCURE
J
l'oifeau celle de l'oifeau ne reffemble en
rien à celle du poiffon , que chacun a ſa
beauté : nouveaux obftacles à la Balance de
Mile le Maffon . Tout eft apprécié de la manière
la plus fatisfaifante. La beauté des
poiffons , combinée de la forme , eft encore .
un des plus agréables endroits de cet Ouvrage.
Parmi les habitans de la mer , les principaux
mellufques n'ont pas été oubliés ; êtres
finguliers , dont nous devons la connoiſſance
au favant Abbé Dicquemane .
:
Les coquillages font appréciés par la forme
& la couleur la régularité fait la beauté de
la forme , & la richeffe apparente la beauté
de la couleur. Les infectes ajoutent à la forme
& la couleur , l'induftrie. Les arbres fe
diftinguent par la grandeur , la forme , la
couleur & l'utilité de leur bois ; les fleurs ,
par leur forme, la couleur & l'odeur ; les
fruits ont de plus la faveur. Tout y eft dif-.
cuté d'une manière fi fatisfaifante & fi utile
aux Amateurs , qu'on peut regarder comme
réunis dans la Balance de la Nature , le fentiment
& Vinftruction , caractères imprimés
aux Ouvrages du fexe aimable chez qui la
Beauté n'eft que le moindre avantage.
*
DE FRANCE 38
L'AMI de la Société , fuivi de l'Éloge de
Suger , par M. l'Abbé Percheron , Profeffeur
au Collège Royal de Chartres ,
avec cette Épigraphe , tirée de 1Ouvrage
même : Soyez gais & l'Univers eft à vous.
A Paris , chez Savoye , Libraire , rue
S. Jacques.
CETTE Brochure , qui eft dédiée à Mlle de
Luxembourg , eft compofée de plufieurs morceaux
: un Difcours fur l'Efprit de Société ,
un fur l'Émulation , un Éloge de la Gaîté ,
un de l'Enfance ; deux Lettres , dont l'une
adreffée à un arni devenu Milantrope , &
l'autre à une mère , fur la mort de l'une de
fes filles ; fix Dialogues , qui traitent de phyfique
, de conquêtes , de factions , de la
louange , du filence , & un éloge de l'Abbé
Suger.
A n'en juger que par le titre ou par l'épis
graphe du Livre , on pourroit le croire fort
gai , & l'on fe tromperoit affurément beaucoup.
Les differens Difcours & Dialogues
qu'il renferme ont été fans doute.compofes
pour des exercices publics au Collège de
Chartres ; & l'on pourroit foupçonner même
que l'éloge de l'enfance a été fait pour des
enfans du plus bas âge.
Dans le Difcours fur l'efprit de Société ,
l'Auteur examine ce qui a rapproché les
hommes les uns des autres , & il obferve
que les befoins moraux n'y ont pas moins
B vj
36
MERCURE
contribué que les befoins phyfiques. Il peint
enfuite la fociété , c'eſt- à - dire , les cercles
ou affemblées auxquels nous avons donné ce
nom . Il dit quel eft l'efprit que l'on y doit
porter pour être agréable & y trouver de
l'agrément. Sa morale eft indulgente , & propre
à infpirer une bienveillance univerfelle.
Par exemple , en recherchant quels font les
obftacles que les hommes oppofent à l'efprit
de fociété , M. l'Abbé Percheron nous dit
que c'eft l'égoïfme , la hauteur dans les
procédés , l'opiniâtreté dans les fentimens ,
» trop de rigueur dans la défenſe de ſes
» droits , trop d'apprêté dans l'humeur ,
99
>
&
la
rivalité qui règne entre les différentes con
dition qui partagent la fociété , le pen-
» chant pour la fatyre....... Ne confidérons
jamais nos femblables que fous le plus
» beau point de vûe , & nous nous accou-
» tumerons à les regarder comme parfaits ,
» ou du moins leurs défauts & leurs imper-
" fections feront fur nous moins de fenfa-
» tion. C'eft dans l'ordre de la Nature ,
و د
c'eft notre intérêt propre . Ne portons-
» nons pas tous des défauts & des imper-
» fections dans la fociété? Quel avantage ne
» réfulteroit il pas de cette indulgence ma-
" tuelle ? Chaque individu , en fe voyant
eftimé & conſidéré au delà de fes prétentions
, contracteroit l'obligation de deve
nir plus parfait. » Ce feroit mal faifir les
idées de M. l'Abbé Percheron , de conclure
que l'homme deviendra meilleur dès qu'il
DE FRANCE. 37
faura qu'on lui paffe tout. Ce n'eft point à
force de flatter les vicieux qu'on les fait renoncer
aux vices.
Dans l'Éloge de la gaîté , M. l'Abbé Percheron
décrit bien moins les effets qu'elle
produit fur le coeur & fur l'efprit que ce
qu'il feroit à fouhaiter qu'elle y produisît. Il
peint l'homme gai tel qu'il devroit être , &
non tel qu'il eft communément ; & pour for
mer des hommes gais , il donne un confeil
qu'on ne pourroit fuivre fans beaucoup de
difficultés . " Mères de familles , appliquez-
» vous , dit il , à corriger l'humeur de vos
enfans , & fur tout dans le fexe. Accouru-
» mez- les de bonne heure à la gaîté . S'ils pa
» roiffent devant vous avec un fourcil fron-
"
cé, avec un front fillonné par la tristeffe ,
" banniffez les de votre préfence ; qu'ils ne
» reparoiffent devant vous qu'avec un viſage
» ferein , la joie dans les yeux , le rire fur
les lèvres. Il faut les tracaffer , les railler ,'
» les contredire pour rompre leur humeur.
» Ne fouffrez pas en eux le moindre petit
» nuage , le moindre caprice ; c'est le plus
» grand fervice que vous puiffiez leur rendre
pour la vie fociale. »
"
و ر
»
"
L'Auteur n'a pas fans doute apperçu que
parmi les moyens qu'il propofe pour éta
blir le culte univerfel de la gaîté , il y en
avoit qui pourroient faire des hypocrites .
Il met dans la bouche d'un enfant un
éloge de l'enfance , qui fuppofe que l'enfant
eft tout-à- la fois Orateur , Moraliſte , Natu38
MERCURE
ralifte , Anatomifte , Dialecticien , Politique
Jurifconfulte , & en un mot il differte dans
les termes de toutes ces Sciences , relativement
à fon âge , comme un enfant qui auroit
vieilli dans les écoles.
·
Le Difcouts qui fuit , & qui traite de
l'émulation , eft très propre à infpirer aux
enfans l'idée des grandes choſes , & fur tout
des chofes utiles .
??
"
" Ce que l'émulation fait pour l'efprit ,
» obferve M. l'Abbé Percheron , elle l'opère
auffi fur le coeur ; à fa voix , les fentimens
s'élèvent comme les idées ; comme on fait
apprécier fes femblables , on fent enmême
» temps les égards qu'on leur doit. On eft
» plus délicat fur les procédés , on fait, fe
refpecter foi - même & refpecter les au-
" tres ; nos obligations s'étendent & fe mul
tiplient à nos yeux : mille actions qu'on
» négligeait rentrent dans l'ordre des den
voirs.
"
وي
ود
n
La Lettre fur la Milanthropie balance les
avantages & les inconvéniens de la Société ,
& , comme de raifon , prouve que ceux- là
l'emportent fur ceux- ci.
Nous ne dirons rien des autres morceaux
qui compofent cette Brochure. En général ,
ils ne peuvent guères étre goûtés que dans les
Colléges .
Nous nous tairons également fur l'Éloge
de Suger ; le fonds & le ftyle de ce Difcours
font fort au deffous du fujet , ainfi que prefque
tous les morceaux qui compofent cette
DE FRANCE. 39.
Brochure , comme on a pu l'appercevoir par
ce que nous en avons cité.
A
NOUVEAU Voyage Sentimental.
Londres , & fe trouve à Paris , chez
Baftien , Libraire , rue Saint - Hyacinthe.
in- 12 .
Tout le monde connoît le Voyage Sentimental
, par M. Stern , fous le nom d'Yorik;
celui que nous annonçons fous le même
titre , n'eft point une fuite de l'Ouvrage Anglois
; & quoique inférieur en mérite , nous
avons cru y voir des chofes très - agréables .
Il eft impoffible d'en rendre un compte exa
qui puiffe en faire connoître le fonds ; chaque
Chapitre n'a aucun rapport , aucune liaiſon
avec celui qui le précède & celui qui le fuit ;
ce font à chaque inftant de nouveaux perfonnages
qui ne font que pareître & difpa
roître , tantôt c'eft l'Auteur qui parle , tan
tôt fes perfonnages eux- mêmes ; d'autres fois
ce font des lettres qu'on lit. Cette manière
ne laille pas que de répandre de la variété ;
le ftyle eft toujours analogue au fonds , &
prend toutes les formes néceffaires . On trou
ve de la garé , de l'intérêt , du perfifflage &
de la philofophie. Nous citerons un morceau
qui fera connoitre la manière de l'Autcur.
Hrencontre dans un voyage un Piéton qu'il
terroge , & qui lui avoue qu'il eft Comédien
pour le moment. " ——---- Comment pour
Oui ; car demain , s'il faut » le moment ? ---
40 MERCURE
"
"
que je fois autre chofe , je le ferai . Il y a
fi long - temps que je fuis convaincu que
» tous les états balancent les avantages par
» des peines.... Enfant , j'avois des bonbons
» & des tapes.... Militaire , de l'honneur &
"
point de profit; Maltotier , du profit point
» d'honneur ; Riche , car je l'ai été , des jaloux
& point d'amis ; Auteur , loué dans
un Journal , décrié dans un autre ; marié
» d'abord à une jolie femme , aniour & ja-
» loufie ; enfuite à une laide , fécurité &
ennui ; enfin j'ai pris le parti d'être auffi
mobile que les circonftances. Il eft rare
» que j'aie dans ma poche de quoi -fubfifter
» huit jours ; & voilà dix ans que je fubfifte
» comme cela , & je vous avouerai que je
fais plus heureux que quand j'étois riche.
» Mon ventre plein , mon dos couvert , je
» n'ai plus rien àfonger ; auffi cette abſence
d'inquiétude m'a t'elle fait retrouver une
fanté qui s'étoit délabrée au fein de l'opulence.
Vous avez donc du talent ?
39
93
» Point du tout.
10
-
Cependant , pour bien
jouer la Comédie ?... Oui , pour la bien
--
―
-
Mais fi
Que
» jouer ; mais je la joue mal, En ce cas....
» En ce cas je ne gagne guères.
vos Auditeurs s'y connoiffent ?
m'importe ! je mets à contribution l'amour-
» propre des connoiffeurs comme l'admiration
des fots , & l'un me rapporte pour -
» le moins autant que l'autre. - Et lorfque
quelqu'un, trop preffé pour vous entendre,
» vous offre de l'argent comme s'il vous
99
DE FRANCE. 41
--
" avoit entendu? Je le refufe , parce que
» je ne reçois de l'argent que quand il eft le
» prix de mon travail , &c.....- Touchez-
» là , & continuez d'être heureux. »
ANNONCES ET NOTICES.
LA onzième Livraiſon de l'Encyclopédie eft actuellement
en vente . Cette onzième Livraiſon eft
compofée du Tome quatrième , première Partie de
la Jurifprudence ; du Tome premier , deuxième Partie
de la Marine ; du Tome troifième , première Partie
du Commerce , & du Tome deuxième , deuxième
Partie de l'Hiftoire Naturelle , contenant la fin des
Oifeaux , les Ovipares & les Serpens. Le Dictionnaire
Ornythologique eft terminé par le Tableau de
l'ordre dans lequel on doit lire les Articles qui y
font contenus ; & ce Tableau , que nous invitons les
Soufcripteurs à lire en entier , leur fera connoître
qu'on remplit exactement les vûes & le plan qu'on
s'eft propofé dans cette nouvelle Encyclopédie , puifque
chacun des Dictionnaires dont elle eft composée
peut , à la volonté du Lecteur , devenir un Traité
de Science. Après l'ordre de lecture , fuit l'ordre des
genres & des efpèces qu'ils renferment.
Le Dictionnaire d'Ornythologie , fuivant le Prof
petus de l'Encyclopédie , devant contenir les articles
relatifs à la Fauconnerie & à la Chaffe , & ces articles
fe trouvant en effet répandus dans tout l'Ouvrage
, M. Mauduit , Auteur de toute cette partie des
Oifeaux , dans laquelle il a fu répandre un trèsgrand
intérêt , & nombre de chofes neuves ,
l'a terminée
par un fecond Tableau fur la manière de lire
ce Dictionnaire relativement aux articles de Fauconnerie
& à ceux de Chaffe . Les noms latins des
·
42 MERCURE
CXV genres , fous lefquels font rangés les Oifeaux
décrits dans ce Dictionnaire , font préfentés à la fin
par ordre alphabétique .
Les animaux Quadrupèdes - Ovipares & les Serpens
, par M. Daubenton , de l'Académie des Sciences
, &c. forment le troisième Dictionnaire d'Hiftoire
Naturelle . Ce Dictionnaire eft précédé d'une
Introduction aux Serpens , d'un Difcours fur les
moyens de conferver les Quadrupèdes - Ovipares ,
& d'autres animaux après leur mort : d'un autre Difcours
fur la manière de préparer & de conferver des
peaux defféchées de Quadrupedes- Ovipares & de
Serpens , par M. Mauduit : d'une notice de différens
Ouvrages qui traitent des Quadrupedes - Ovipares &
des Se pens , par M. Brouffonet , des Sociétés Royales
de Montpellier & de Londres : vient enfuite le Dic-
'tionnaire des Animaux Quadrupèdes Ovipares & des
Serpens, par M. Daubenton , qui eft terminé , comme
celui des Oifeaux , par la manière de lire méthodiquement
ce Dictionnaire des Animaux Quadrupèdes-
Ovipares & des Serpens ; de forte que le Lecteur a
tout-à - la - fois ou un Traité ou un Dictionnaire dé
Sciences . C'eft à cette Encyclopédie qu'on doit lidée
ingénieufe de faire de ces Dictionnaires autant
de Traités , & vice versa. Par ce moyen , ils deviennent
les inftrumens les plus utiles de toutes les connoiffances
humaines. On ne peut plus dire qu'ils ne
font hons qu'à confulter. Chaque Dictionnaire ,
traité fous ce point de vue , eft un Traité méthodique,
auffi complet , aufli parfait que le permet l'état ac
tuel des connoiffances humaines . On a même dû faire
le Traité en entier , pour bien faire le Dictionnaire ,
le Dictionnaire n'étant que le Traité divifé par tous
les mots principaux qui le compofent Cette partie
des Quadrupèdes - Ovipares & des Serpens , eft terminée
par une Table Alphabétique des noms latins
& étrangers des Quadrupèdes- Ovipares & des SerDE
FRANCE. 43
pens , tirés de la Synonymie des Auteurs cités dans ce
Dictionnaire .
Le prix de cette onzième Livraiſon eſt de vingt,
quatre livres brochée , & de vingt - deux livres en
feuilles.
La Soufcription de cette Encyclopédie eft toujours
ouverte , & elle eft du prix de 751 liv.
On peut s'adreffer pour foufcrire , hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , N° . 17 , & chez les Libraires de
France & Etrangers.
Avis fur la Traduction Françoise du troisième
Voyage du Capitaine Cook , actuellement "fous
preffe , avec Privilège du Roi.
La Géographie de la moitié du Globe étoit couverte
de ténèbres , lor que l'immortel Cook a commencé
les Voyages autour du Monde . Les découvertes
fans nombre de fes deux premières expéditions
font connues de l'Europe entière ; la troificme a été
plus heureufe e core à cet égard. On peut voir dans
le Profpectus , joint à Avis de la neuvième Livraifon
, le détail de ces importantes découvertes , que
l'efpace ne nous permet pas de répéter ici .
L'Amiranté d'Angleterre , fatisfaite de la verfion
& de l'Édition Françoife des deux premiers Voyages
de Cook , a bien voulu permettre que les Cartes , les
Planches & les Feuilles du troifième nous fuffent envoyées
à mesure qu'elles fortoient de la preffe à
Londres ; & M. Demeunier s'eft occupé de la traduction
long-temps avant que l'original parût à Londres.
Au moment où l'on écrit cet Avis , il y en a
plus des deux tiers d'imprimé , & les Graveurs de
Paris travaillent aux Cartes & aux Planches , depuis
un an.
L'Édition originale a été mife en vente à Londres
le 4 du mois de Juin , & épuifée en quinze
44 MERCURE
jours. Les Exemplaires ont fur-le- champ doublé de
prix. Cette Édition contient quatre - vingt- fept Planches
ou Cartes plus magnifiques encore que celles
des deux premiers Voyages . Celles de la traduction ,
qu'on peut voir actuellement en partie , ne feront
pas inférieures , & on y trouvera de plus l'Eftampe
de la mort du Capitaine Cook , qui fe vend féparément
à Londres , & qui coûte 36 liv . La Médaille
que la Société Royale de Londres a fait graver en
l'honneur de ce célèbre Voyageur , & dont il n'a été
frappé que cinq en or , « dont une pour le Roi de
>> France comme un hommage dû à fon amour pour
les Sciences , à la générofité particulière qu'il a
» montrée en ordonnant pendant les dernières hoftilités
de laiffer paffer librement le Capitaine Cook,
» fans vifiter fes Vaiffeaux , fans le troubler en au-
» cune manière ; » cette Médaille , que Sa Majeſté a
bien voulu confier , fera gravée au Frontifpice du
premier Volume. Les Perfonnes qui defirent fe procurer
cet Ouvrage , doivent ſe faire infcrire à l'Hôtel
de Thou , rue des Poitevins , Nº. 17 , & elles feront
sûres d'avoir les premières épreuves.
Le Bal en Carême , Poëme de Carnaval , par
M. de Miramond. Prix , 20 fols . A Paris , chez
Belin , Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves .
Cet Ouvrage eft écrit d'une manière très diffufe .
Mais il y a de la facilité , & fouvent des vers qui
prouvent que l'Auteur peut faire mieux :
F
Mais les heures ſe règlent- elles
Sur les defirs de notre coeur ?
Non fans doute ; & fi les cruelles
Sont boiteufes dans la douleur ,
Le plaifir leur donne des aîles .
LES Livres Claffiques de l'Empire de la Chine, recueillis
par le Père Noël , précédés d'Obfervations
DE FRANCE.
45
fur l'origine , la nature & les effets de la Philofophic
morale & politique dans cet Empire. 2 vol. petit
format. A Paris , chez Debure , Barrois aîné &
Barrois jeune , Libraires , quai des Auguftins.
Cette Traduction , d'après une autre Traduction
latine du Père Noël , aura fans doute une fuite . Elle
ne contient encore de Confucius que deux Ouvrages ,
la Science des Adultes & le Milieu immuable. La
moralé de ce célèbre Philofophe ne nous étoit connue
que par un abrégé qu'en a publié le P. du Halde ,
& par les Mémoires concernant les Sciences chez les
Chinois , dans lefquels le nouveau Traducteur trouve
qu'ils font bien moins traduits que paraphraſés.
Les Livres de Confucius font ceux qu'on enfeigne
dans les Écoles de la Chine ; & on ne parvient aux
Charges & au Doctorat qu'après avoir été ſérieuſement
examiné fur la connoiffance de ces mêmes Livres.
On doit favoir gré à M. l'Abbé Pluquet d'avoir
recueilli & développé un fyftême de philofophie morale
& politique , qui régit & rend heureux depuis
trois mille ans un des plus grands Empires qui ayent
exifté.
Il a mis à la tête de fa Traduction un Difcours
Préliminaire fur les Chinois , qui comprend un Volume
entier , mais qu'on lira avec intérêt , quoiqu'il
foit beaucoup trop long , & écrit d'un ton monotone.
Le fyftême de la Légiflation des Chinois y eft préfenté
avec autant de clarté que de fageffe ; & l'on ne
peut lire qu'avec un fentiment religieux un corps de
morale & de politique qui offre , pour ainfi dire , le
Roman du bonheur & de la vertu .
L'Édition en est remarquable par la beauté du
papier & du caractère.
ENCYCLOPEDIE , ou Abrégé de toutes les Scienses
à l'ufage des Enfans , nouvelle Edition , refondue
, augmentée & corrigée dans toutes les parties,
46 MERCURE
afin de la rendre propre à l'ufage des Écoles des Pays
Catholiques , enrichie de dix planches en taille - douce.
in- 12 . Prix , 2 liv. 10 fols relié . A Bruxelles , chez
Lefrancq , Imprimeur- Libraire , & à Paris , chez
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins.
Nous avons déjà annoncé cet eftimable Ouvrage."
L'HOMME aux dix Écus , par un Enfant Trouvé.
A Séville , chez Bride-Oifon , au Patriotifme , 1784.
M. de Beaumarchais promet dix écus à celui qui
prouvera dans un bon Libelle Anonyme , qu'il y a
dans le projet de l'inftitution des Mères Nourrices un
deffous de carte malhonnête qu'on découvrira quelque
jour. C'eft cette phrafe qui a donné lieu au titre
de la Brochure que nous annonçons. L'Auteur prétend
démontrer qu'il y a une erreur dans les calculs de
M. de Beaumarchais , & qu'il faudroit que le Bureau
de Bienfaifance donnât au moins 18 liv , par mois au
lieu de neuf.
LETTRE d'un Bordelois au Père Hervier , en Réponfe
à celle que ce Savant a écrite aux Bordelvis à
Poccafion du Magnétifme Animal. A Paris , chez
Delalain le jeune , Libraire , rue S. Jacques,
ce
L'Auteur de cette Lettre le récrie beaucoup fur
qu'un Miniftre de l'Évangile , un Orateur Chrétien
abuſe de la confiance qu'il peut mériter à ce double
titre , pour donner comme certains des faits qui peuvent
être faux , & des principes qui ne font ni prouvés
ni probables.
L'AMI de Adolefcence , par M. Berquin ,
deuxième , troifième & quatrième Cahiers , formant
avec le premier Cahier deux Volumes de cet
Ouvrage .
Le deuxième Volume contient la première Partie
du Syſtème du Monde, mis à la portée de l'AdoDE
FRANCE
lefcence. La foufcription pour douze Volumes en
vingt-quatre Cahiers , eft de 13 livres 4 fois pont
Paris , & de 16 livres 4 fols franc de port pour la
Province. On s'adreffe à M. Leprince , à Paris ,
rue de l'Univerfité , n ° . 28.
La nouvelle carrière que vient de s'ouvrir_M.
Berquin eft plus difficile à parcourir. Ses premiers
pas promettent de l'inftruction & du plaifir à fes
Élèves , & lui annoncent à lui-même une réuffite
digne de fes premiers, fuccès.
NUMERO 10 de la quatrième année du Journal de
Harpe , par les meilleurs Maîtres . Prix , féparément
2 liv. 8 fols. Abonnement 15 liv. franc de port. A
Paris , chez Leduc , au Magafin de Mufique , que
Traverfière - Saint-Honoré..
NUMERO du Journal d'Orgue à l'ufage des
Paroiffes & des Communautés Religieufes , par M.
Charpentier , contenant quatre Hymnes pour la
Circoncifion , l'Épiphanie , la Purification & l'Annonciation
. Prix , 4 liv . 4 fols franc de port. Abonnement
24 liv. A Paris , chez Leduc , méme Adreffe
que ci deffus.
RECUEIL des Airs & Duos des deux Tuteurs &
autres petits Airs , avec Accompagnement de Harpe ,
par M Grenier , Organifte & Maître de Harpe ,
Cuvre VI. Prix , 7 livres 4 fols A Paris , chez l'Auteur
, Hôtel de Mme la Ducheffe de Villeroy , rue de
l'Univerfité ; Coufincau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'Ecole.
NUMERO 10 de la troisième année du Journal de
Clavecin , par les meilleurs Maîtres. Prix , féparément
3 liv. Abonnement 15 livres franc de port. A
48 MERCURE
Paris , chez M. Leduc , au Magafin de Mufique , rue
Traverhière -Saint-Honoré.
NUMEROS 7 & 8 du Recueil des Airs Italiens
des meilleurs Compofiteurs , traduits , gravés en partition
avec les parties féparées . Prix , 3 livres chaque .
A Paris , chez Imbault , rue & vis - à - vis le Cloître
Saint Honoré , maifon du Chandelier , & Siéber ,
même rue , près celle d'Orléans , maifon de l'Apothicaire
, no. 92.
-
Le Numéro 7 contient un Rondeau de M. Sacchini
, très agréable , & qui n'a point la tournure
commune des Rondeaux . Le Numéro 8 eft auffi un
Rondeau del fignor Martini .
FAUTE à corriger dans le Mercure précédent.
Page 200 , à la nouvelle queftion à réfoudre , au
lieu de , ou de tenir , lifez que de tenir.
• Voyez, pour les Annonces des Livres de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
LE Ver luifant & le Roitelet, nelle ,
Fable , 3 Balance de la Nature ,
Epitaphe de Mme Lobreau , 4 L'Ami de la Société ,
7
31
35
39
41
Charade , Enigne & Logo Nouveau Voyage Sentimental,
gryphe ,
Eloge de Bernard de Fonte- Annonces & Notices ,
APPROBATION.
J'AI Hu
par
ordre
de Mgr
le Garde
des
Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
6 Novembre
. Je
n'y
ai rien
trouvé
qui
puiffe
en
empêcher
l'impreffion
.
Paris
, les
Novembre
1784.
GUIDI
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13
NOVEMBRE
1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS A M. DE **
Portrait d'un Intendant.
ETRE l'Homme du Roi , du Peuple & de l'Etat ,
Répartir juflement le fardeau des Subfides ;
Prevenir , réprimer , fenfible Magiftrat ,
De la fifcalité les abus homicides ;
Veiller pour le maintien & de l'ordre & des Loix ;
Ofer des opprimés faire parler les droits ;
Porter jufqu'à la Cour les cris de l'infortune ,
Ces cris longs & touchans , dont la plainte importune
Expire fur le feuil du Palais de nos Rois ;
Par l'éloge & la récompenfe
Encourager les Vertus & les Arts ;
Aux Enfans de Cérès , de Neptune & de Mars
Nº. 46 , 13 Novembre 1784.
C
50 MERCURE
Servir enfin de Providence......
Tels font les grands devoirs qu'on t'impoſe aujourd'hui
,
Ton père les remplit durant vingt ans en Sage ;
Le bonheur & ton nom font le double préſage
Qu'on aimera dans toi , & qu'on admire en lui .
( Par M. Bérenger. )
INSCRIPTION pour une Statue de Femme,
faite d'un canon de bronze.
Æs lethale priùs fpargebam incendia , clades ,
Nunc formâ , illecebris , pectora cuncta domo.
( Par M. Trochereau de la Berlière . )
SUR une Fontaine qui a été long- temps
perdue , & dans laquelle , en la fouillant
on a trouve des Médailles .
NYMPHA YMPHA diù latuit , revocata numifmata fundit ,
Sic memorem duplici munere ditat herum.
(Par le même. )
J
DE FRANCE.
A M. DE GARDANNE , Medecin
de la Faculté de Paris.
Q
UE les détracteurs de notre âge ,
De fes prétendus torts cherchent d'autres témoins :
Pour moi je le paîrai d'un éternel hommage,
La plus tendre amitié m'a prodigué ſes ſoins ;
Le ferviteur le plus fidèle ,
( Un honnête & bon Allemand )
Jour & nuit m'a prouvé fon zèle ;
Mais fans toi , cher Docteur , c'eût été vainement.
Ce fléau redouté , la petite vérole ,
Auroit facrifié ma vie à fa fureur .
Mon ami , reçois donc l'expreffion d'un coeur
A qui ton Art conſerve la parole .
Quels fentimens nous te devons !
Auffi prompt à guérir que le Dieu d'Epidaure ,
Tu plais comme fon père , & tu joins à ces dons
La fenfibilité plus précieuſe encore .
Un tel libérateur ne fert pas à demi :
Le Docteur bannit mes alarmes ,
Et des jours qu'il me rend , ceux que prendra l'ami ,
Du bienfait doubleront les charmes.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
Cij
52 . MERCURE
BOUQUET pour le jour de la Saint - Louis ,
à Madame la Préfidente DE ** , qui
prétendoit ne plus inspirer de l'amour
parce qu'elle avoit une fille mariée.
Sur l'Air : Avec les Jeux dans le Village.
LOUISE , a bon droit l'on s's'étonne
De vous voir mesurer le temps ;
Quand on eft belle , aimable & bonne ,
N'eft- on pas toujours à vingt ans ?
En vain pour vous cacher , friponne ,
Vous vous couvrez de vos enfans ;
A travers les fruits de l'Automne
Nous voyons les fleurs du Printems.
UNE rofe fraîche & brillante
Qu'ornent plufieurs jolis boutons ,
Eft elle moins intéreſſante
A côté de fes rejetons ?
En la rendant plus impofante ,"
Ils n'écartent point le defir.
Et tandis que l'oeil s'en contente ,
La main brûle de la cueillir.
(Par M. le Comte de Barquier , Officier
de Cavalerie. )
DE FRANCE. 53
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Découdre ; celui
de l'Enigme eft Araignée ; celui du Logogryphe
eft Morphée ( l'un des Miniftres du
Sommeil qui préfentoit les Songes ) , où l'on
trouve Orphée , Mérope , Rome , Morée ,
Homère , mer & or.
CHARADE.
AM 1 Lecteur , pour avoir mon premier ,
Regarde dans les doigts de l'aimable Glycère ;
Et fi tu veux deviner mon entier,
De mon fecond devine le contraire.
DANS
( Par M. Victor de Saint- Cl *** . )
ÉNIG ME.
ANS ce monde changeant , plein d'intrigue &
d'appas ,
Je ſuis un Roi chéri , généreux & Prophète ,
Intrépide & galant , mais fier dans mes États ,
Et jaloux des plaifirs que fouvent j'y répète .
Quand quelque téméraire , au bruit de mes ébats ,
S'approche & veut tenter l'honneur d'une conquête ,
C iij
54
MERCURE
J'avance feul à lui, l'attaque & le combats
Sans expofer jamais ni fujet ni fujette.
S'il ofe réfifter à ma jufte fureur ,
Mon intrépidité redouble de vigueur ;
A l'inftant je l'écrâfe ou le force à la fuite.
Faut- il de ma valeur célébrer l'action ?
En rendre grâce aux Dicux ? L'on m'entend tout de
fuite ,
En vainqueur triomphant , chanter... ………… ..
(Par M. P. F. R. , Ancien Capit. de Volontaires.)
LOGOGRYPH E.
ON dit , avec raifor,
Que je fuis de faifon :-
Voici le temps de ma tournée."
Pour m'éviter , on met robe fourée ,
On fe couvre , on fe chauffe , on garde la maiſon ,
Le tout fouvent en vain ; on a beau s'en défendre ,
Après beaucoup de foins on finit par me prendre.
J'offre dans mes cinq pieds , en les décompofant ,
Un paffage public ; une herbe dangereufe ;
Un fruit ; une liqueur ; un morceau très- friand ;
L'appui d'un édifice , & cette onde orageufe
Dont la furface couvre un abyme effrayant.
( Par M. le B. de Valbert . )
DE FRANCE. 55
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
FIN de l'Extrait fur l'Éloge de
Fontenelle , par M. Garat.
OICI Voici enfin M. Garat arrivé au plus beau
monument de la gloire de Fontenelle , à fon
Hiftoire de l'Académie des Sciences , qui
renferme , comine on fait , les Extraits des
Mémoires des Savans & leurs Éloges . C'eft
un bel Ouvrage fur un grand fujer; & c'eſt
ce qu'il falloit au talent de M. Garat . On
fent ici qu'il eft parfaitement à fon aife; c'eft
dans la partie qui auroit pu accabler un antre
Écrivain qu'il triomphe. Toute cette par
tie de fon Difcours me paroît traite d'une
manière fimple & nette , riche & forte ; plus
d'écarts , plus de jugemens peu motivés , plus
d'éloges exagérés . Il s'arrête d'abord fur la
Préface de l'Hiftoire de l'Académie , Ouvrage
que le Difcours Préliminaire de l'Encyclopédie
a fait mieux goûter encore, même
en le furpaffant. De la hauteur où il s'eft
placé pour examiner les progrès de l'efprit
humain pendant cinquante années , M. Garat
confidère tous ces hommes dont les travaux
ont tant avancé leur fiècle ; il voit , il juge ,
il peint ce qu'ils ont fait & ce qu'ils furent ;
leur génie , leurs vertus fe préfentent à la
CIV
56 MERCURE
fois à fes pinceaux . C'eft ce moment qu'il a
choifi pour remplir la partie la plus difficile
& la plus piquante d'un Éloge de Fontenelle ,
en analyfant tous les fecrets du ftyle de cet
Écrivain. Il finit par tracer l'influence de cet
Écrivain fur le fiècle qui a vû naître les bons
Ouvrages , & qui lui a accordé une fi flatteufe
renommée , c'eft à dire , fur le nôtre.
Il m'en coûte de me livrer encore à la
critique dans cette belle , longue & importante
partie du Difcours de M. Garat ; mais
j'ai pris l'engagement d'être très fevère , &
de marquer une imperfection par- tout où
je l'apperçois. Il me femble que ce dernier
morceau de l'influence de Fontenelle a quelque
chofe de faux , en ce que l'Auteur peint
la révolution entière qui s'eft faite dans les
efprits depuis cinquante ans , & qu'il paroît
roujours la rapporter à Fontenelle ; c'eft
beaucoup trop lui accorder. On pourroit
defirer auffi que ce morceau , plein d'idées
profondes & neuves, fût un peu moins abftrait
. Peu de Lecteurs ont affez de réfultats
philofophiques dans l'efprit pour le bien
entendre , & il n'en eft point qui ne le lifent
ayec une fatigue que l'Auteur pouvoit leur
épargner , en rapprochant plus fes penfees
des notions communes , & en y répandant
plus d'intérêt.
Il m'eft enfin permis de me livrer à une
pleine admiration pour parler du morceau
fur les Savans. La première juſtice à lui
rendre feroit de le citer en entier ; mais la
DE FRANCE. 57
gloire même de l'Auteur me prive de cette
fatisfaction . Il a su mêler la plus belle philofophie
au plus beau ftyle pendant dix
pages ; & comment citer dix pages dans un
Extrait déjà fi long ? Le triomphe de M.
Garat eft ici d'autant plus flatteur , qu'il
avoit à lutter contre un des meilleurs Chapitres
d'un des plus beaux Ouvrages de ce
fiècle. Je parle de l'Effai fur les Éloges ,
Livre pour lequel l'estime s'accroît de jour
en jour , comme l'intérêt & la vénération
pour fon Auteur . Chaque fois que l'on
traite d'un grand objet en Morale , en Hiftoire
, en Littérature , on a une comparaiſon
à faire avec ce Livre , & cette comparaifon
fournit à un Homme de Lettres un plaifir
de plus , celui de payer un tribut au génie
& à la vertu. Ces deux inorceaux , qui méritent
d'être placés à côté l'un de l'autre , &
dont la rivalité eft fi honorable pour le plus
jeune de ces Écrivains , roulent fur les mêmes
objets ; ils offrent tous deux un tableau
en réfultat de l'Hiftoire des Savans, & une
appréciation du talent de l'Hiſtorien . La
gloire fe partage entre les deux Auteurs ; il
me femble que le tableau eft plus beau dans
M. Garat , que l'appréciation du ftyle & de
l'efprit de Fontenelle eft meilleure dans M.
Thomas.
Je ne craindrai pas d'exprimer tout ce
que ce tableau de l'Hiftoire des Savans m'a
fait fentir , je ne craindrai pas de dire qu'il
n'est peut- être pas de morceau dans aucun
C▾
$ 8 MERCURE
Difcours philofophique ou oratoire , qui
réuniffe plus de beautés , qui elève plus
l'âme , qui porte à l'efprit plus d'idées neu--
ves & vraies , qui offre à l'imagination des
couleurs plus riches & plus varices . Pour
qu'il n'y manque aucun des moyens des
grands effets , il y règne encore un très -heureux
contrafte entre le ton de la peinture des
travaux des Savans , & celle de leurs caractères
. La plus vétilleufe critique ne pourroit
y reprendre que quelques négligences de
ftyle . Mais quel Lecteur, tant foit peu fufceptible
d'enthoufiafme , pourroit rechercher
péniblement quelques négligences au milieu
de tant de beautes ? Je remarque avec joie
l'heureufe deflinée qui attend ce morceau ;
il deviendra aufli célèbre que l'Ouvrage fur
lequel il a été fait. Cheque fois qu'on relira
les Eloges des Savans, (& quel homime curieux
des Sciences & de la nature humaine , au
moment où il finit cette lecture , ne le promet
d'y revenir un jour ? ) chaque fois donc
qu'on la recommencera , on fera rappele ve: s
le morceau de M. Gerat comme à un tableau
qui , en nous retraçant plus vivement ce
que nous avons aime & admité , nous le
fait plus aimer & admirer encore. Ainfi fa
gloire fe mêlera tout- à la fois à celle de
Fontenelle, & à celle de ces hommes qu'il a
concouru auffi à nous rendre fi touchans &
fi refpeâables. Ce feul morceau auroit retenu
les infultes que certains Critiques vien
nent de faire au talent de l'Auteur, fi ceux
DE FRANCE $ 9
dont le métier eft de profiter toujours des
fautes du grand talent pour le contefter ,
étoient capables de quelque décence.
a
Le caractère de Fontenelle étoit digne de
toute l'attention d'un Philofophe , de tout
le talent d'un bon Écrivain ; auffi M. Garat
l'a til traité avec une véritable fupériorité.
Cette partie de fon Difcours eft celle qui
le plus de rapidité , de mouvement & déclat
. On y eft agréablement furpris de le
voir écrire avec chaleur fur un caractère
aufli pailible que celui de Fontenelle. Ce
contrafte entre le ton & l'objet a un effet
très piquant; il tient à ce que M. Garat parle
ici plutôt en apolog fte qu'en appréciateur .
Ce n'eft pas qu'il fe foit déguité à lui même
les vraies qualités de l'homme qu'il avoit
à peindre ; il en eft de plus élevées , de
plus intéreffantes ; mais elles furent auth
refpectables que fingulières ; c'eft toujours
fous ces deux afpects que M. Garat les envifage.
Il confidère Fontenelle dans cette
modération avec laquelle il aima la gloire
même , dans cette abfence de tous les écarts
& de toutes les illufions des paffions, qui lui
permit d'éviter toutes les peines & de goûter
tous les plaifirs de la vie ; il le fuit dans
fes liaifons avec les femmes , dans les amitiés
qu'il contracta , dans le monde , dans la
retraite , il peint le caractère de fes vertus ,
la prudence & l'adreffe de fa philofophie ,
la confidération publique qu'il fut tirer des
C vj
60 MERCURE
Lettres , & qu'il fut auffi leur rendre. Je ne
finirois pas , fi je voulois citer les traits charmans
, les belles idées , les fuperbes expreffions
qui abondent encore plus dans cette
Partie ; il me faudroit fouvent citer des
pages entières. En examinant le ftyle de ce
Difcours , après y avoir fait quelques critiques
, j'en releverai auffi les beautés , & je
les prendrai dans cette Partie.
Je continue ici d'examiner l'appréciation'
que M. Garat a faite du caractère de Fontenelle
; je trouve bien qu'il l'a peint avec les
traits qui lui appartiennent, mais il me paroît
qu'il a encore exagéré quelquefois même
fes meilleures qualités.
Écoutons - le parler de l'amitié de Fontenelle
& de Lamothe.
Lamothe & Fontenelle le rencontrent
» dans le monde dans l'âge qui n'eft plus
» celui des illufions pour perfonne , & avec
ور
"
des réputations déjà affez éclatantes pour
» être rivales ; & dès leur première entrevue
, ils uniffent leurs idées , leurs fenti-
» mens , leur exiflence & leur immortalité ;
ils jouiffent pendant près de trente ans de
» cette douceur infinie attachée à l'union
de deux Hommes de Lettres , dont les ef-
» prits s'étendent & s'enrichiffent l'un par
l'autre , qui raffemblent dans les Écrits de
chacun , les lumières & les beautés de
deux talens , poſsèdent chacun deux gloires,
» & ont chacun deux âmes à oppofer aux
attaques de la haine & de l'envie. Pen-
و ر
و د
93
23
DE FRANCE. 61
» dant trente ans, ils ont les mêmes ennemis
» & les mêmes admirateurs ; leurs noms
paroiffent toujours à côté l'un de l'autre
» dans la fatyre & dans l'éloge , & la Poſtérité
qui les prononce enfemble , éternife
» cette union qu'elle refpecte . »
Voilà un tableau délicieux. Mais ne
croiroit- on pas que c'eſt le portrait de Montagne
& de la Beotie , de ces deux âmes nées
pour l'amitié comme pour la philofophie ?
De bonne foi, deux hommes qui poffèdèrent
toujours leurs âmes dans une fi parfaite
tranquillité , pouvoient ils s'aimer avec tantd'abandon
? On peut encore aimer beaucoup
en fe donnant moins l'un à l'autre . Je me
repréſente dans Lamothe & Fontenelle deux
hommes qui fe convenoient entièrement de
principes & de caractère , qui changèrent
aifément leur eftime réciproque en un attachement
doux & folide , toujours entretenu
par des procédés nobles & délicats . Mais voilà
tout. Si leur amitié avoit été fi vive & fi généreufe
, celui de ces deux amis qui a furvécu
à l'autre , & à qui le fort avoit départi ,
comme une dernière faveur , d'avoir à fairefon
Éloge dans le Corps où ils fe trouvoient
enſemble , Fontenelle n'auroit pas laiffé à
M. Garat le beau tableau que nous venons
de lire ? Ce n'eft point ainsi qu'une femme
de beaucoup d'efprit , qu'une ancienne amie
de Fontenelle nous le dépeint . Les âmes fenfibles
, dit Mme de Lambert , fentent les befoins
du coeurplus que les autres néceffités de
62
MERCURE
la vie. Pour lui , il eft libre & dégagé; auffi,
ne's'unit- on qu'à fon efprit, on échappe à.
fon coeur.
Autre exemple de cette exagération .
M. Garat parle de la bienfaiſance de Fon- .
tenelle .
"
"
و ر
Λ
" Sa fage économie s'eft fait des fruits
» de fon talent un tréfor que les malheu
» reux feuls ont droit d'ouvrir ; mais fa,
générosité même a pris le caractère de fon.
» âme quand on vient lui confier des befoins
des malheurs , il écoute attentive-
» ment , mais ne paroît ni ému ni troublé ;:
" il ne preffe point les infortunés dans fon
» fein , il ne verfe point fur eux de ces lar-,
" mes qui font auffi un bienfait , mais tropfouvent
le feul qu'on leur accorde. Il fe
lève fans rien dire , & va chercher des
fecours que les fignes de l'émotion la plus
» vive ne leur auroient pas fait eſpérer , &
» tant de générofité ne lui paroît pas même
» une vertu ; il n'y voit qu'une dette qu'il
» paye au malheur. Celafe doit , dit- il , lorf
qu'il ne peut empêcher qu'on ne décou
" vre fes bienfaits , trop nombreux pour.
pouvoir toujours fe cacher. »
و د
و د
Voilà qui eft vrai & jufte . Ces traits font
anffi bien faifis qu'heureufement exprimés ;
mais au travers de ce morceau , M. Garat a
jeté cette idée : On diroit qu'ayant apperçu
d'une vue générale tous les maux qui font
dans le fort de l'humanité , aucun malheur
en particulier ne peut affez le furprendre pour
DE FRANCE 63
1
l'émouvoir ; que du premier coup d'ail qu'il a
jetéfur l'efpèce humaine , fon âme s'eft pour
toujours ouverte à la bienfaifance . Cette réflexion
eft grande & belle ; elle l'eft tellement
, qu'elle n'a plus aucune proportion
avec celui à qui elle cft appliquée ; vous ne
peignez plus cet homme que la droiture
feule de la raifon avoit rendu bienfaifant ;
vous peignez un homme fublime , le vrai
fage des Stoïciens , Caton d'Utique.
En général , Fontenelle , dans aucune par
tie , ne pouvoit être loué fans reftriction ; fa
vie reflemble à fes Ouvrages , elle offre plus
de fageffe & d'habileté que de grandeur : il
a droit à l'èftime , au refpect même ; mais
en rendant hommage à l'honnêteté de fon
caractère , à la pureté de fa conduire , à des
actions & des paroles dignes d'un grand
Homme , on voit encore quelque chofe de
trop froid dans fes vertus ; & il femble
qu'on doit à la morale de ne louer un tel
Philofophe qu'à condition d'en préférer un
plus courageux dans fes principes & plus
chaud dans les fentimens .
On voit que toutes mes critiques font
plutôt des idées différentes que j'établis, que
des défauts certains. Je crois pouvoir capendant
conclure ici que , pour tous les Lecteurs
, M. Garat a Louvent donné à Fontenelle
des mérites qu'il n'a pas. Un homme
qui a autant d'efprit & de talent doit toujours
le renfermer dans le vrai & dans le
jufte ; on le goûtera davantage , fans moins
64 MERCURE
remarquer l'abondance & la fineffe de fes
idées . Il eft ailé de le faire illufion fur la
gloire qu'on célèbre. De toutes les erreurs
c'eft la plus naturelle & la plus aimable ;
mais il me femble que M. Garat a trop de
penchant à s'y abandonner ; c'eft un défaut
qu'on a relevé dans tous les Éloges qu'il a
écrits . Plein d'idées & d'imagination , il ne
voit pas feulement dans les objets les chofes
qui y font , mais encore celles qu'il y porte.
Il reffemble en ceci à l'hom ne extraordinaire
, dont la mort récente vient d'étendre
encore la liste de nos grandes pertes dans la
Littérature & la Philofophie ; s'il lifoit un
Livre , le titre feul réveilloit en lui une foule
de pensées ; à force de les y chercher , il les y
trouvoit ; & le lendemain il parloit avec enthoufiafme
de ce Livre , qui n'avoit rien de
remarquable que les chofes que fon imagination
y avoit fuppofées. C'eſt déjà une diftinction
que de tomber dans un pareil défaut ;
mais il n'en eft pas moins vrai que , même
en enrichiffant un Ouvrage , il lui nuit . Au
refte , je dois répéter ici qu'aucun des défauts
de Fontenelle n'eft échappé à M. Garat ; il
eft prefque toujours fupérieur dans la critique
qu'il en fait comme dans l'éloge de fes
vraies beautés. Ainfi il aura réellement rempli
le but de cet Ouvrage , il aura fixé ce que
l'on doit penfer de Fontenelle. Déjà même
on revient à une plus grande eftime pour
lui ; on va fentir de plus en plus combien
on doit de reconnoiffance & d'admiration à
DE FRANCE. 65
cet homme que la Nature avoit doué de
l'efprit le plus net & le plus fin qui fût
jamais , qui n'étoit pas né fans doute pour
cultiver les Arts , mais pour y porter des
idées juftes & neuves ; qui n'étoit pas né non
plus pour créer dans les Sciences , mais
pour les étendre par la pénétration de fes
vûes , & les orner de la clarté de fes penſées ;
qui s'étant fait un ftyle propre à fa manière
de voir & de fentir , diffimule l'absence des
qualités qui lui manquent , & fait briller
davantage l'excellence de celles qui lui appar
tiennent , regagne par la furpriſe qu'il exite ce
qu'il ne peut obtenir de l'enthouſiaſme ; qui
n'étant que le premier des hommes d'efprit
, mais placé dans un temps , & ayant
à la fin adopté des fujers où l'efprit a une
grande puiffance , a laiffé tous les autres
bien loin de lui pour prendre fon rang parmi
les Philofophes les plus utiles & les Ecrivains
les plus originaux . Pour le bien apprécier
, il faut le lire dans la maturité de l'âge
& de l'efprit. Un des plus intéreffans morceaux
du Difcours de M. Garat , eft celui où
il lui fait réparation'pour les premiers jugemens
de fa jeuneffe . On eft toujours sûr de
remuer toutes les confciences juftes &
vraies quand on exprime les mouvemens de
la fienne avec une fidélité fi éloquente.
L'ordonnance & le ton général ont été les
chofes les plus critiquées dans le Difcours
de M. Garat. Qu'on me permette d'ofer ici
66 MERCURE
me placer entre l'Auteur & le Public , non
pas pour juger , mais pour examiner.
J'obferve d'abord que le plan du Difcours
porte fur une idée fimple & jufte . M. Garat
commence par fe demander qu'est ce que
Fontenelle ? Quel rang doit il occuper dans
leftime de la poftérite ? Il recueille fur tous
les points les opinions publiques , il les
étend ou les combat par fes propres idées ,
il amaffe tous les matériaux de ce jugement ,
en parcourant tous les Ouvrages de ce Philofophe
célèbre , enfin il l'établit & le prononce.
Ainfi il marche tonjours vers le but
qu'il s'eft propofé. Sous cer afpect , fon Dif-
Cours me paroît auffi bien compulé que bien
conçu .
y Son fujet eft très- varié , très étendu . Il
faut toujours marquer des défauts , en carac
térifant les beautés. Cette forte d'analyfe ,
exige des développemens. Le Difcours peut
donc être long , fans mériter aucun reproche
; en ce point , celui de M. Garat ne me
paroît pas excéder la mefure du fujet & du
genre de l'Ouvrage. Au refte , quand les Ouvrages
ne s'allongent que pour réunir plus .
de mérite , ils vallent bien ceux qui ne font
courts qu'à force d'objets omis ou de vûes .
fuperficielles.
M. Garat ne s'eft pas contenté des richef--
fes de fon fujet , il s'eft encore emparé de
toutes les comparaiſons , de toutes les réflexions
qu'il préfentoit . L'Auteur des Églogues
lui rappelle Théocrite , Virgile , les AuDE
FRANCE. 67
teurs de l'Aminte & du Paftor- Fido , Gelner
, &c. Celui des Dialogues des Morts le
conduit à examiner ce genre de Littérature ,
dont Lucien a éte le créateur , & c. ; & ainfi
fur tous les objets . En ceci , M. Garat ne peut
encore être blâme, puifqu'il fe propole d'apprécier
Fontenelle , il faut bien qu'il le tapproche
de fes modèles & de fes rivaux.
D'ailleurs , les premiers Ouvrages de Fonte
nelle , fans ces rapprochemens , n'auroient
pas fuffi à ce ten d'une difcuffion noble &
pleine qu'il avoit adopté.
Mais ne falloit il pas preffer davantage fa
marche , appuyer moins fur tous les objets
acceffoires? Voici feulement où commence le
défaut réel de plufieurs parties de fonDifcours.
Ilferoit trop long & faftidieux de chercher ce
defaur par- tout où il peut fe rencontrer. Mais
je crois utile de le développer avec quelque
fain dans la partie de ce Difcours qui a trou
vé le plus de défapprobateurs. On eft plus sûr
de critiquer avec jufteffe & avec fuccès ,
quand on parle d'après l'opinion publique.
Les effets dans un Difcours tiennent fouvent
à bien peu de chofe . Quand on fait un
long Difcours , on peut recourir à de
petits
artifices , qui peuvent le faire paroîtte
plus court , en foulageant l'attention. M.
Garat parcourt tous les Ouvrages de Fontenelle
; chacun lui fournit un morceau ;
mais long - temps il ne trouve que des Ouvrages
de Littérature . Si cette partie le trouvoit
féparée , elle feroit lûe avec plus de
I
68 MERCURE
plaifir . De plus , en la féparant , l'Auteur auroit
cherché à lui donner un ton particulier , `
& ce feroit encore un nouveau mérite.
Mais je viens à la partie des Ouvrages de
Littérature , dont la longueur a paru exceffive
, c'est le morceau des Églogues .
Fontenelle a écrit dix Églogues ; c'eft fon
meilleur Ouvrage Littéraire , il méritoit par
là une véritable attention ; mais il arrête M.
Garat pendant dix pages ; il faut convenir
que cela eft hors des proportions du fujęt
& de l'Ouvrage.
Mais ce n'eft pas encore là le feul inconvénient
de cette longueur. L'Auteur ayant
accordé dix pages aux Églogues , a été forcé
d'apprécier dans deux pages quatre Ouvrages
de Fontenelle , dont il n'y en a pas un qui
ne lui faffe plus d'honneur que fes dix Églogues.
Ce n'eft pas que l'Auteur ait pu fe réfigner
à ne faire que les effleurer ; mais il a
été obligé de les facrifier.
Il eft vrai que l'Auteur , dans ce long mor
ceau , fait l'hiftoire & trace les principes
d'un genre de poéfie plein de charmes & riche
en chef d'oeuvres. Un Difcours fur
l'Églogue eft fort bon en lui même ; mais il
ne doit pas entrer tout entier dans un Éloge
de Fontenelle .
J'aurois encore plufieurs autres critiques
à lui propofer fur ce morceau , mais il faut
finir , de peur de tomber moi- même dans la
faure que je lui reproche.
Le ton général du Difcours me paroît auffi
DE FRANCE. 69
•
pécher par des endroits confidérables.
Je fais que chaque Écrivain , né avec um
talent qui lui eft propre , en doit laiffer l'empreinte
dans tous les fujets qu'il traite ; nais
il faut cependant que fon originalité même
fe modifie fuivant les divers fujets. La perfection
confifte à allier les caractères de fon
talent avec les couleurs de la chofe qu'on
traite.
M. Garat eft naturellement porté à creufer
dans tous les objets : à des vûes générales de
fenfations très fines, il joint encore beaucoup
de détail. Ce talent convenoit parfaitement
pour l'Éloge de Fontenelle , mais point éga
lement dans toutes les parties ; & il y domine
d'un bout à l'autre . Chofe étonnante ! ce ton
appliquant d'un penfeur eft adouci & em--
belli par toutes les beautés du ftyle dans le
morceau fur les Savans , & il fe fait fentir ,
plus que la grâce du fujer , dans le morceau
des Eglogues .
L'impreffion de ce défaut s'augmente encore
par la forme de phrafe qu'a adoptée
l'Auteur. Il eft prefque continuement pério
dique. Par la raifon même que ce style eft
celui des grands effets , il ne faut pas le prodiguer.
Lorfqu'il n'enchante pas , il accable;
lorfqu'il ne fert pas la penfée , il l'embarraffe:
Dans tous les morceaux où il convenoit
, M. Garat a bien montré tout le parti
qu'il favoit en tirer. Pourquoi l'a t'il employé
avec fi peu de réſerve ? Je fuis d'autant plus
étonné de cette erreur de fon goût , que le
70
MERCURE
1
ftyle qui raffemble moias les objets doit fouvent
lui être néceffaire pour démêler l'etendue
& la variété de fes idees.
En ne parlant encore que du ton dominant
dans ce Difcours , je parle déjà de fon
ftyle ; ces deux parties de l'art ont tant de
rapports qu'on ne peut rien dire fur l'une qui
ne convienue à l'autre. Il me femble , vû
l'étendue & la variété de mes critiques , que
je mets aflez bien l'amitié à l'abri des reproches
de prévention & de partialité ; & peutêtre
M. Garat n'auroit t'il rien perdu à
fubir la critique d'un ennemi , pourvu que
cet ennemi ne fûr pas dénué du fentiment
des grandes beautés.
On a beaucoup reproché au ftyle de cet
Ouvrage l'affe tation & la recherche. Je
crois qu'en ceci on s'eft mépris.
On entend par un ſtyle affecté celui qui va
toujours chercher les expreffions hors du
vrai & du naturel , qui avertit fans ceffe de
toutes fes prétentions , & qui manque tou¬
jours fes effets .
Je ne crois pas que ce foit-là le vice qui le
fait quelquefois fentir dans la manière d'écrire
de M. Garat. En général , les efprits de fa
trempe font amis de la fimplicité ; ils font
trop au deffus des faux ornemens pour ne
pas les dédaigner.
Le vrai défaut de fon ftyle tient , ce me
femble , à un excès dans la qualité éminente
de fon talent.
DE FRANCE. 71
Il lui eft très facile de recevoir beaucoup
d'impreffions & d'idées dans la méditation.
des objets ; il a une grande force pour les
faifir & les manier ; penfant avec beaucoup
de promptitude , il n'en a pas moins pour
écrire. Il arrive delà que fouvent les idées
n'ayant pas pris affez de repos dans ſon eſprit
, elles reftent encore dans une forte
d'obfcurité & de vague , qu'elles font claires
pour lui fans être encore affez fenfibles
pour les Lecteurs ; qu'adoptées , avant d'avoir
été bien examinées , elles font plus
fines que juftes ; que lorfqu'elles ont de la
vérité , elles manquent de cet intérêt qui
tient à l'utilité , & que quelquefois les
plus nettes & les plus belles font offufquées
par d'autres , qu'un goût plus févère , un
jugement plus arrêté , & fur tout l'importante
règle de l'à propos auroient fait re
jetter. Il faut bien alors que les expreflions
reffemblent aux idées ; elles ont de la féchereffe
, de l'embarras , une teinte de fauffeté
& d'exagération , qui , fans être de l'affectation
, en produit l'effet . On eft heureux de
n'avoir que des défauts de cette nature , puif
qu'on a en foi les moyens de s'en corriger
Je ne demanderois que deux chofes à M.
Garat , plus de fobriété dans l'emploi des
idées qui viennent à fon efprit, & plus de
travail dans leur rédaction. Après cette critique
générale , les critiques de détail font
pen néceffaires.
Je lui indiquerai cependant , par quelques
72 MERCURE
E
exemples , les espèces de fautes qui me paroiffent
revenir le plus fouvent dans fon
ftyle.
c
Qui fit invoquer à Virgile le
» nom de Théocrite, comme la Mufe de l'Eglo-
» gue & de la Sicile , à Virgile , qui fem-
" bloit avoir fi peu befoin d'invoquer autre
chofe que fon génie. »
Invoquer autre chofe que fon génie , dans
un morceau où l'on peint la poélie de Théocrite
& de Virgile , me paroît d'une grande
inélégance.
39
"
ود
"
" C'eft à regret , je le fens , que le Panégyrifte
d'un Homme célèbre lui refufe ce
génie des Beaux Arts , dont l'éclat & la
gloire fubjugent l'imagination des peuples
, comme la gloire des conquérans . »
L'efprit ne fe prête pas aifément à ce rapprochement
; d'ailleurs , il a quelque chofe
de faux. La gloire des Beaux- Arts eſt bonne
aux peuples ; celle des conquérans leur eft
funefte.
ور
ور
Je ne puis approuver non plus cet autre
rapprochement. « L'efprit philofophique .....
qui eft peut être aux talens de l'imagination
, ce que l'art de régner avec fageffe
» eft à l'art d'étendre un Empire par des
conquêtes , ce que le génie de Titus & de
» Marc Aurèle eft au génie d'Alexandre &
de Gengiskan.
و ر
"3
99
» Dans le petit nombre de ceux qui culti-
» voient les Sciences ávant Fontenelle , un
» hafard
DE FRANCE. 73
"
"8
hafard extraordinaire pouvoit feul faire
» rencontrer des hommes de génie , & les
Sciences attendoient leurs progrès des pro
» diges de la Nature : plus d'un homme de
génie aujourd'hui peut fortir aisément de
la foule immenfe qui a fuivi les pas de
Fontenelle . "
N
J'avoue que j'ai eu toujours beaucoup de
peine à entendre cette phrafe. Elle fignifie
qu'il eft plus facile aujourd'hui à un homme
de génie , de l'appercevoir en lui , & de le
faire connoître.
D'abord , n'eſt ce pas terriblement forcer
la réalité des choſes , que d'attribuer cet effet
là à Fontenelle ? Et fi cela eft vrai , cela
n'avoit- il pas befoin d'être appuyé de quelques
preuves ? Mais voyez con bien la prépa
tation & les acceffoires de cette penſée accablent
l'efprit ! Un hafard extraordinaire pou
voit feulfaire rencontrer des hommes de génie.
Il faut commencer par examiner cette phras
fe , qui paroît très conteftable. Enfuite : Et
les Sciences attendcient leurs progrès des prodiges
de la Nature, Me voilà encore jeté dans
une idée bien plus générale. Voilà le chemin
que vous me faites faire pour arriver à
une idée qui pouvoit être énoncée fi fimplement.
C'est là , ce me femble , abuſer fortement
da don de raffembler beaucoup de
chofes autour de la pensée principale.
" Un efprit original fait fortir les Nations
de cette pareffe de la penfée , & montre
No. 46,13 Novembre 1754.
D
74 MERCURE
à l'imagination même un nouvel Univers
à peindre. "
Cette pareffe de la penfée eft une expreffion
qui , en elle même , a de la hardieffe & du
naturel ; mais elle auroit befoin de prépasation.
Ici , appliquée aux Nations , elle devient
vague , & parce qu'elle ne failit pas
tour de fuite , elle peut paroître emphatique
.
Je me laffe enfin de tant de critiques . J'ai
bien acquis le droit de dire maintenant que
quand M. Garat veut raffembler toutes fes
forces par une pleine méditation , & quand
illes employe dans des momens de verve ,
fon ftyle eft fouvent fublime . Pour le prouver
, je ne vais plus rapporter quelques traits ,
mais citer quatre pages.
" Il fut heureux ! ce mot qui a retenti avec
» joie dans mon âme , à peine j'ai ofé le prononcer
: je me fuis rappelé que la haine
& l'envie ont toujours reproché fon bonheur
à Fontenelle , qu'elles lui ont fait un
crime de n'avoir point attiré fur lui la
perfécution des préjugés de fon fiècle '; de
n'avoir indiqué qu'à demi la vérité qu'il
voyoit toute entière , de ne lui avoir ôté
les voiles qui la cachoient , que pour lui
» en donner d'autres qui la dérobent ; d'avoir
montré le génie tremblant devant les préjugés
qui devoient trembler devant lui.
Quelle paffion que l'envie ! elle pour-
» fuit fans relâche l'homme de génie , pour
» lui rendre tous les tourmens qu'elle en
23
DE FRANCE. 75
reçoit. S'il fait entendre des plaintes , elle
pretend qu'il s'avilit par la vengeance ; s'il
fe tait, elle affure qu'il eft infenfible à
» l'injure : fi fon âme impétueuſe attaque à
» découvert les erreurs populaires , elle le
» peint comme un efprit féditieux , pour
» qui rien n'eft facié ; fi fa fageffe adoucit
»» la vérité , pour ne pas l'expofer aux oufrages
de la multitude , elle l'accufe de
l'avoir étouffée dans fa penſée , d'avoir ſacrifié
les droits éternels du genre- humain à
» quelques jours de repos. J'admirerois fans
» doute ces âmes fortes & intrépides qui
annoncent la vérité avec l'éclat & la inajefte
qu'elle a priſe dans leur génie , & ,
» après la gloire de l'avoir découverte , veu
lent obtenir encoré celle de ſouffrir , &
s'il le faut , de mourir pour elle . Je ref-
» pecterai Fénelon écrivant le Télémaque
dans la Cour de Louis XIV , & Thomas
" Morus publiant l'Utopie dans le palais de
Henti VIII. Ces âmes fublimes confacrent
» les fiècles qui le font deshonorés en les
per fécutant. Mais en verfant des larmes
d'attendriffement & d'admiration fur ces
» dévouemens héroïques , on regrette que
l'efprit humain n'en ait pas retiré d'affez
" grands avantages . On ne fait point triom.
pher la vérité en s'immolant pour elle. La
perfécution qui étend les progrès de l'et
reur , arrête ceux de la raifon , & les Philofophes
ne fe multiplient point , comme
» les fanatiques , dans l'exil , dans les prifons
99
Dij
76
MERCURE
C
€
& fous la hache des bourreaux. Peut- être
il y a eu des pays & des fiècles où la vérité
la plus hardie , préfentée tout à coup à un
peuple fouverain , perfuadée à une mul-
» titude immenfe par l'afcendant de la pa-
ور
"
13
33
role , pouvoit faire une révolution auffi-
-tôt qu'elle étoit entendue ; & il étoit beau
de s'immoler à cette efpérance . Parmi
nous , ce n'eft qu'avec le temps que la vé
rité peut vaincre les préjugés ; il faut
qu'elle règne , non avec l'éclat d'une nou
velle création du génie , inais avec cette
force invifible de la raifon générale , qui a
» renversé les erreurs fans qu'on ait entendu
le bruit de leur chûte. Fontenelle paroît
voir dans la vérité cette ftatue antique
d'Ilis couverte de plufieurs voiles ; il croit
» que chaque fiècle doit en lever un , &
foulever feulement un autre pour le fiècle
» fuivant. Il connoît les hommes & il les
» craint , non feulement parce qu'ils peuvent
faire beaucoup de mal , mais parce
qu'il eft très difficile de leur faire du bien ;
& il en trouve les moyens dans un art qui
» n'auroit jamais été fans doute celui d'un
caractère plus énergique & plus impé-
» tueux , mais qui a fait fervir la timidité
" même & fa difcrétion à un grand progrès
» de l'efprit philofophique. Tantôt il fe
» courbe un inftant devant une erreur du
fiècle , & fe relève de ce refpect contraint ,
en frappant en la préfence une erreur
» toute ſemblable , qui a trompé l'anti-
39
""
»
DE FRANCE. 77
quité d'autre fois il met à côté d'elle une
» vérité qui femble lui facrifier & lui foumettre
, mais qui eft sûre de triompher ,
pourvu qu'on l'y laiffe , même à ce prix.
» Souvent il étale les préjugés avec toutes
leurs prétentions , & leur accorde même
ce qu'ils refufent , pour ne pas paroître
» trop abfurdes : dans les occafions où ils
» attendent un hommage , il paffe en filen-
>>
ce, & ce filence eft toujours placé dans
» l'endroit où on l'entend le mieux , & ou
» il offenfe le moins quelquefois , au con
traire, il fe preffe de paroître fans néceffité
, foumis & obéiffant , & montre par
» là des tyrans injuftes & foupçonneux dont
» il faut fe défier. En général , au lieu d'atta
» quer les erreurs les unes après les autres ,
» il s'attache à dévoiler , à tarir dans l'efprit
» humain les fources d'où elles naiffent ; il
"
ود
1
éclaire & fortifie la raifon , qui doit les
» renverfer toutes , & par- là leur fufcite
un ennemi éternel. Ainfi il les combat par
» fes refpects , les détruit par fes hommages ,
les perce de toutes parts de traits dont
elles n'ont pas le droit de fe plaindre ; &
quoiqu'elles ayent toujours l'oeil fur lui ,
comme fur l'ennemi le plus dangereux
il vit , il meurt en paix au milieu d'elles. "
Remarquez qu'il étoit très difficile de
rendre feulement avec netteté & intérêt ces
idées , & voyez quel mouvement , quelle
véhémence de logique , quel éclat d'images ,
quelle hardieffe & quelle invention d'ext
"3
·
>
D iij
78 MERCURE
preffions l'Orateur a fu y répandre ! Je ne
crois pas en trop dire ; quand on écrit fous
vent de pareils morceaux , on prend fa place
parmi les grands Écrivains de fon fiècle &
de fa nation .
**
Voici le troisième Difcours pour lequel
M. Garat eft couronné à l'Académie , & le
quatrième Éloge qu'il écrit ; car il faut
compter parmi les Ouvrages fon premier
Effai dans la carrière littéraire * , puifqu'indé
pendamment du grand talent qui fe faifoit déjà
fentir dans cet Ouvrage , il étoir accompa
gné de Notes du plus grand mérite , dont
une , qui eft un long morceau de philofophie
, par la profondeur des idées & l'éner
gie du ftyle, ne feroit pas indigne de Montef
quieu. La réputation déjà fi honorable de
M. Garat , a encore été beaucoup étendue par
les nombreux morceaux dont il a enrichi le
Mercure depuis fept à huit ans . Il s'eft fait
dans ce genre d'Écrits une manière qui a fes
abus ainfi que fes avantages , mais qui aura
peu d'imitateurs , parce qu'elle exige beaucoup
de connoiffances , de talent & d'ef
prit, & un grand travail joint à une grande
facilité. D'autres employent plus ou moins
* Un Eloge de L'Hopital , qui ne fut imprimé
qu'après le concours.fi
** C'eſt celle qui eft intitulée : Les trois époques
de la Légiflation, tiles us a blond alitup
elltop
DE FRANCE. 79
de fagacité , plus ou moins de goût à apprécier
un Livre, Pour M. Garat , ce genre de
travail femble fouvent le mettre à la gênes
il ne lui faut qu'une légère occafion pour en
fortir ; il trouve plus court & plus fimple de
faire un Livre fur le Livre. Sur tous les objets
de Littérature & de Philofophie , il jette
les idées & les vues avec une incroyable
abondance. Il lui eft arrivé fouvent d'étonner
& de fatiguer en même temps par cette
profufion ; mais il lui eft arrivé très- fouvent
auffi de fe fixer dans un cadre toujours
fort large , & alors il a prefque toujours fait
d'excellens morceaux. Ceux qui auront à
méditer ou à écrire fur les objets qu'il a traités
, lui pardonneront aifément fes longueurs
& fes écarts, en faveur des fecours qu'ils pour
ront en tirer ; mais il est vrai de dire qu'en
général il paroît dans ces Ouvrages plus
écrire pour lui que pour fes Lecteurs . Le
réfultat de ce genre de travail doit être de
beaucoup féconder le talent de l'Écrivain ;
ainfi le Public lui même doit un jour en retirer
les fruits , & il vient un moment où il
tient (compte de tout , mais c'eft en exigeant
toujours davantage . Ce moment eft
arrivé pour M. Garat ; on va déformais luit
demander plus impérieufement de quitter fes
défauts, & de remplir les grandes efpérances
qu'il a données. Il ne lui convient plus de borner
fon talent à des Extraits & même à des
Éloges ; il eft appelé à produire d'importans
Ouvrages , & c'eft ce qu'on attend de lui. La
Div
80 MERCURE
reconnoiffance des fecours que je puife jour
nellement dans fes confeils , ce plaifir f
doux que l'on goûte à entrer pour quelque
chofe dans les fuccès d'un ami , le plus vif
intérêt même que fa gloire peut répandre
fur l'amitié déjà ancienne qui n'unità lui ,
tout m'ergige & m'autorife à lui préfenter
moins mes propres penfées que les réflexions
que j'ai entendues . Il importe à l'entier
développement de fon talent , de donner
une attention plus févère aux plans de fes
Ouvrages , d'en bien lier , d'en bien proportionner
les parties , furtout de le faire une
habitude du courage & de l'art des facrifices,
d'embraffer moins d'objets pour donner plus
de foins à chacun ; il doit auffi plus cheifir
dins l'abondance de fes idées , les vérifier foigneufement
avant de les adopter , les tirer
d'une certaine profondeur voifine de l'obfcurité
, pour les réduire à la fimplicité & à la
jufteffe ; il doit enfin dans fon ftyle perfectionner
par l'élégance des détails , l'éclat des
chofes principales , aider les idees par la
netteté des expreffions , faire moins prédominer
fes penſées dans les fentimens , chercher
plutôt le charme de la facilité par un
travail heureux que par la négligence , attirer
enfin & rappeler fes Lecteurs par
un intérêt continu , c'est- à- dire , qui croiffe
ou s'affoibliffe avec les ebjets , mais fans
s'éteindre jamais , lors même qu'il les frappe
par la force , l'étendue & la nouveauté de
Les conceptions . C'est ainsi qu'il méritera la
DE 8 FRANCE.
place qui lui eft deſtinée dans la Littérature
de ce fiècle , & cette place fera belle.
( Cet Article eft de M. de L. C. )
HISTOIRE d'Eugénie Bedford , ou le
Mariage cru impoffible , par More de
Malarme. Deux Parties in - 12 . A Londres ;
chez Thomas Hookham , Libraire , N° .
147 , New Bonde Streat ; & fe trouve à
Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire ,
rue S. Jacques.
On doit à Mme la Comteffe te Malarme
plufieurs Romans qui ont obtenu le fuffrage
du Public. Nous avons rendu compte , il y a
peu de temps , d'Anne Rofe- Trée , qui eft
déjà fous preffe pour la feconde Édition. Il
paroît que cet Auteur a adopté la manière
de nos anciens Romanciers , les fables font
très intriguées ; & cette complication nous
force de renoncer au projet de préfenter ici
l'analyse exacte du Roinan que nous annon
çons . Ce n'eft pas que la marche en foit trop
embarraffée ; les différens fils fe croifent fans
fe mêler ; l'action ne fe dérobe pas à l'intelligence
du Lecteur , mais plufieurs des faits
qui la compofent peuvent quelquefois échapper
à fa mémoire ; & s'il ne faut pas la fagacité
d'un dipe pour en débrouiller la fable
, il faut au moins beaucoup d'attention.
pour en fuivre les détails . Quoique les carac
tères foient affez marqués pour être recon-
D v
$2
MERCUREC
nus , tant de noms font aifés à confondre
Cependant , comme on diftingue facilement
dans cet Ouvrage une action principale ,
c'eft de cette partie du Roman que nous allons
tâcher de donner une idée à nos Lecteurs.
Milord Bedfort , homme fenfible & vertueux
, père de deux enfans , Edward &
Eugénie , le trouve à la campagne voifin de
Milord Williams , perfonnage fans vertu &
fans delicatelle , père auffi de plufieurs enfans.
Eugénie infpire de l'amour aux deux
fils de Milord Williams , Auguftin & James.
Ce dernier , chéri par tout , & digne de
l'être , obtient d'Eugénie un tendre aveu ;
mais l'aîné , Auguftin , qui n'eft connu que
par fes vices , & qui eft le digne favori de
fon père , n'infpire à fa maîtreffe que le mé
pris le plus mérité. Auguftin , après avoir
traverfé vainement les amours de James &
d'Eugénie , prend un autre parti ; il feint de
renoncer à fes prétentions ; il demande même
& obtient pour fon frère la main de la fenfible
Eugénie. Mais la nuit même du mariage
, par une rufe qu'il eft inutile de rapporter
ici , il écarte l'époux , & à la faveur
de l'obfcurité , il s'introduit dans le lit
tial ; il trompe la tendreffe d'Eugénie , & fa
fcélérateffe ravit des faveurs que l'infortunée
n'accorde qu'à l'amour. A ce crime , Auguftin
en fait auffitôt fuccéder un autre ; il
enlève Eugénie , & la fait emprifonner dans
un château , où elle ne voit que fon ravifnupDE
FRANCE. 83
feur & deux perfonnes qui lui fervent de Geoliers.
Cependant , Milord Williams perd fon
rang & fa fortune , & Auguftin , diftrai: de
Les amours par cette catastrophe , abandonne
fa captive , qui fe fauve avec fa furveillante ,
& revient dans la maifon paternelle. Mais
James, que fon abfence involontaire avoit
réduit au défefpoir , étoit parti pour courir
après elle. Tandis qu'il traîne par- tout fa
douleur , Eugénie foupire après fon retour ,
quoique le crime d'Auguftin lui ait ravi l'efpoir
d'être jamais à James .
Milord Williams , après la difgrâce , paffe
en France avec les débris de fa fortune , qu'il
réalife ; ayant embraffe le négoce , il voit fés
entrepriſes profpérer , & augmente tous les
ans fon capital. Il eft aidé dans fon commerce
par un Commis très - intelligent &
d'une probité rare. En obfervant la conduite
de François ( c'eft le nom du Commis ) afin de
P'éprouver , il est étonné des vertus de ce
jeune homme , qui employoit fecrettement
à des actes de bienfaifance , tout ce qu'il
gagnoit chez le nouveau Commerçant . Celuici
, depuis fon nouvel état , avoit pris le
nom de Williamfon. L'exemple du Commis
change le coeur de Milord , qui ne fonge
plus qu'à expier le défordre de fa conduite
paffee.
Le coeur de fon fils Auguftin n'a pas été
corrigé par l'infortune. Le hafard l'a conduit
en France dans la même ville qu'habite fon
père. Ayant apperçu à fa fenêtre une jeune
D v)
84
MERCURE
perfonne fort jolie , il forme des projets fur
elle. L'habitude de fe livrer à fes paffions ,
ne le rend ni délicat ni timide fur les moyens.
Il la fait épier ; & il croit s'appercevoir que
le foir un vieillard , qu'on lui dit être un riche
commerçant , lui fait des vifites fort
longues & fort affidues . Il conclut , d'après
fon propre coeur , que la jeune female eft
vendue aux plaifirs du riche vieillard ; &
cette idée ne lui infpire rien moins que la
réfolution de fe venger de fon rival. Il le
guette un foir après fouper , le furprend fur
la porte de la belle inconnue , le force à fe
battre , & il reçoit de la main du vieillard
une bleffure morteile. Ce meurtre n'eft pas
un événement indifférent ; il amène deux
reconnoiffances , & produit un réfultat mo
ral & fatisfaifant.
Quel est le vieillard dont Auguftin vouloit
répandre le fang ? C'eft fon propre père,
Milord Williams , ou le Commerçant Williamfon
; cette dernière qualité avoit trompé
Auguftin dans les informations qu'il avoit
prifes fur fon prétendu rival , qu'il ne connoiffoit
point , il a reçu le digne châtiment
de fes vices ; mais le père indigné a brifé
tous les liens qui l'attachoient à lui. Monftre
, lui dit il , tu as comblé la mefure de tes
forfaits ; & alors laiffant échapper un fecret
qu'il avoit gardé trop long temps , il déclare
qu'Auguftin n'eft pas fon fils légitime. Ceci
mérite quelques mots d'explication .
Milord Williams , qui s'étoit marié pour
DE FRANCE.
83
obéir à fes parens , avoit pour maîtreffe une
jeune villagecife , qui devint mère en mêmetemps
que fa femme , & qu'on nommoit
Charlotte. Celle - ci , au moment d'accoucher
, témoigne des inquiétudes fur le fort de
fon enfant , qui ne pourra penſer à ſon exiftence
fans rougir. Son amant, qui l'aime avec
une tendreffe aveugle , exprime les plus vifs
regrets de ne pouvoir réparer ce malheur,
30
Vous le pouvez , lui répond Charlotte.
» Votre femme accouchera en même temps
» que moi , ou à peu près ; qui empêche
» que mon enfant prenne la place du lien? ».
Williams faifit cette idée avec tranfport ; &
les circonftances s'accommodent heureufement
à leur projet , qui réuffit au mieux.
L'enfant de la villageoife prend la place du
nouveau Lord , & celui de Milady fort de
fes bras pour aller dans ceux d'une nourrice
étrangère qui l'élève comme fils d'un payfan.
C'eft ce fils de Charlotte , qui , fous le nom
d'Auguftin , vient de mettre le comble à fes
crimes par le parricide.
Mais qu'eft devenu le véritable Milord ?
Nous avons parlé d'un jeune homme bienfaifant
, vertueux , nommé François , qui fert
de Commis à Williamfon . Après avoir ajouté
qu'il a eu le bonheur de fauver la vie à ce
dernier , apprenons à nos Lecteurs que c'eft
ce même enfant qui avoit été deshérité ,
abandonné par fon père. C'eft dans 1 hiftoire
que Williamfon raconte de fon indigne fils ,
que l'honnête François fe reconnoît & fe fair
86 MERCURE
connoître pour le véritable Auguſtin. Ainfi ,
ce vil fubrogé meurt le bras levé fur fon
père ; & le vertueux profcrit a expoſé fa vie
pour celui dont il l'a reçue.
La découverte de ce grand fecret brife la
barrière qui s'étoit élevée entre James & Eugénie
; les deux époux fe réuniffent , & Williams
, devenu vertueux , trouve dans leur
bonheur la récompenfe de fes bienfairs.
Ce Roman fe dénoue très naturellement ,
& fera fans doute accueilli comme les autres
productions de Mme de Malarme , qui fait
toujours preuve d'imagination dans fes plans ,
d'efprit & de fentiment dans l'exécution .
Plufieurs épifodes font intéreffans , & feront
lus avec plaifir. Nous indiquerons l'Hiftoire
de Mlle Dangerville , qui préfente des peintures
vraies & piquantes , telle que la fituation
de cette jeune perfonne, lorfqu'elle vient
implorer pour fon père , tombé dans l'indigence
, un des anciens amis de ce dernier.
C'est un vieux libertin , nommé d'Ambrefort.
Elle rencontre d'abord le fils , qui , marchant
fur les traces de fon père , prend des
libertés injurieufes avec la jeune perfonne.
A peine s'eft elle delivrée du fils , que le
père arrive , en s'écriant : Que fignifie ce
38 bruit Mademoiſelle >
"
vous auriez pa
» mieux choifir le lieu de vos rendez vous
» avec mon fils ? O ciel ! quoi ! Monfieur ,
vous ne reconnoiffez pas la fille de votre
ami , Mlle Dangerville ? - Pardon , Mademoiſelle,
je ne vous avois pas reconnue.
38
37
DE FRANCE. 87
» Retirez vous , mon fils , je réſerve pour
» un autre moment ce que j'ai à vous dire.
29
"
-
----
Entrez dans mon cabinet , Mademoiſelle ,
» vous m'inftiuirez de ce que je puis faire
" pour vous . Mettez- vous dans cette bergère
, belle Rofahe , c'est ainsi qu'on vous
» nomme; vous voyez bien que je ne vous
» ai point oubliée. Que defirez vous , mon
ange ? Vous n'ignorez pas , Monheur ,
» les malheurs qui nous font arrivés ; mais
» vous ne pouvez favoir l'état affreux dans
lequel languit votre malheureux ami.-
» J'ai toujours beaucoup eftimé votre père ;
» mais que puis- je pour lui ? Je vous inftruis
de fa misère , c'eft à votre coeur à
» vous dire le refte. Mon coeur ! il me
» dit bien des chofes agréables pour vous ,
» chère Roſalie ; je vous ai aimée dans l'opulence
, je vous adore dans la pauvreté;
payez moi de retour , & je ferai tout pour
» votre père . Ma reconnoiffance vous
» tiendra compte de votre générosité,
» Serez vous bien reconnoiffante ? Poffede-
» rai - je votre coeur ? Vous donnerez vous
» entièrement à moi ? Adieu , Monfieur ;
le prix que vous mettez à vos bienfaits ne
fauroit convenir à la fille de M. Dangerville.
Votre fierté , ma chère perite , eft
déplacée'; dans la misère , ce que vous re-
» gardez comme l'honneur , n'eft qu'un far-
» deau. Et chez vous ce n'eft , je le vois ,
"
2
38
99
"
19
―
―
qu'une chimère .
» vous oubliez.
---
----
Mademoiselle , vous
Oui , car je fuis encore
88 MERCURE
39
ici ; mais le reproche que je m'en fais ne
fera pas long. »
Nous aurions defiré ( car il faut toujours
que l'incivile critique , même en jugeant les
Grâces , laiffe voir un bout de fa ferule ) nous
aurions defiré quelquefois plus de développemens.
Ce défaut eft difficile à éviter dans
le genre adopté par Mme de Malarme , qui ,
multipliant les faits , eft quelquefois obligée
de les trop refferrer. Il lui eft échappé auffi
quelques fautes de langage . On ne dit pas
fon hideufe figure , mais , fa hideufefigure
parce que lh de hidenfe eft alpirée . On ne
dit pas , ce fut d'elle dont il paria le plus
mais , ce fut d'elle qu'il parla le plus , ou
bien ce fut elle dont il parla le plus . Il y a
dans ce genre plufieurs négligences , qui peuvent
n'être quelquefois que des fautes d'impreffion.
D'ailleurs , la dernière que nous
venons de relever eft échappée à Boileau
lui - même dans ce vers :
C'eſt à vous, mon efprit , à qui je veux parler.
Malgré cette dénonciation , il faut avouer
qu'on s'apperçoit très évidemment que Mme
de Malarme a beaucoup gigné du côté du
ftyle , depuis les premiers Ouvrages qu'elle a
publiés ; & qu'elle ajoute de jour en jour à
T'estime qu'on a conçue pour fon talent .
Cet Article eft de M. Imbert. )
DE FRANCE. 89
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE -MUSIQUE.
ON a donné , Vendredi 29 Octobre , une
repréſentation de l'Opéra de Caftor & Pollux.
Cet Ouvrage , le feul de nos anciens Opéras
que l'on redonne depuis la révolution opérée
fur ce Théâtre par la mufique de M. Gluck ,
a attiré la plus grande affluence . Miles
Levaffeur & Duplan , & les Sieurs Larrivée ,
Chéron & Rouffeau , ont rendu les principaux
rôles avec la fupériorité de talent qu'on
leur connoît . Nous ne dirons rien des Ballets
, où une multitude d'airs charmans &
variés ont donné au Compofiteur & anx
principaux Sujets de la Danfe l'occafion de
développer leurs talens dans tous les genres .
Nous nous bornerons ici à annoncer les progrès
fenfibles d'une jeune Danfeufe , qui
donne les plus grandes efpérances : Mile
Langleis , dont nous parlons , a mérité &
obtenu les applaudiffemens les plus flatteurs
dans le pas de deux qu'elle a danfé au fecond
Acte avec le fieur Veftris , dont le talent
fans exemple n'a plus beſoin d'éloge . La légèreté
, la force , la précifion caractérisent le
talent de cette Danfeufe ; attachée à ce Spectacle
depuis moins d'une année , fes progrès
ne peuvent être que le fruit des travaux les
90
MERCURE
plus affidus & des meilleures leçons . Nous
ne doutons pas que des difpofitions fi heureufes
, & un zèle fi marqué ne lui faffent
bientôt acquérir cet à - plomb , cette molleffe ,
cette rondeur & cet accord dans les mouvemens
, fur-tout de la tête & des bras , qui ,
faifant difparoître tout air d'effort , font du
corps du Danfeur un tout harmonieux , s'il
eft permis de s'exprimer ainfi , dont les parties
, animées du même fentiment , obéiſſent
à la fois à la même puiffance.
On fe prépare à donner à ce Théâtre
Dardanus , Poëme de la Bruère , avec des`
changemens confidérables , par M. Guillard ,
remis en mufique par M. Sachini.
ANNONCES ET NOTICES.
SUPPLEMENT
les terres .
UPPLEMENT néceffaire à la Science des Académies
ou des Phyficiens & Chimistes de tous les
pays , ou nouvelle Démonftration ( en y joignant
mes Ouvrages ) de mes principales Découvertes concernant
la vigne , les vins , les cidres ,
les grains , & par fuite les bois , &c. & l'établiffement
de la vigne dans les Provinces de France &
plufieurs des pays qui ne la cultivent point , joint à
mes Expériences à Sove , & en dernier lieu à Belleville,
Banlieue de Paris , par M. Maupin. Prix des
deux Ouvrages , 2 liv . avec le reçu figné de l'Auteur.
A Paris , chez Mufier & Gobreau , Libraires ,
quai des Auguftins.
Nous avons annoncé dans le Mercure du 22 Mai
dernier , No. 21 , tous les Ouvrages actuels de M.
Maupin , à l'exception de celui qu'il vient de donDE
FRANCE.
ner , & nous avons marqué les conditions fous lefquelles
il confent de les faire paffer aux perſonnes de
Province qui les lui demanderont. ( Au moyen de
Quvrage que nous annonçons, ils font actuellement
de 12 liv. 10 fols. ) Convaincus de la grande importance
des parties économiques dont M. Maupin
s'occupe avec tant de conftance depuis un grand
nombre d'années , nous avons excité les perfonnes
qu'elles regardent particulièrement, à juger fes Ouvrages
; mais comme nous ne fommes entrés dans
aucun détail fur cette importance , M. Maupin , dans
le nouvel Ouvrage que nous venons d'annoncer ,
s'eft attaché d'une manière particulière à la démontrer..
Air & fubfiftances , dit- il , deux chofes auffi
néceffaires à l'homme l'une que l'autre.
сс
Quantité fuffifante d'air & de fubfiftances ,
deux conditions habituellement & continuellement
néceffaires , & dont la privation entraîne inévitablement
la mort , & fouvent la mort la plus prompte ,
fuivant le degré de privation
ל כ
Mauvaife qualité de l'air & des fubfiftances
deux caufes générales , & fur - tour la dernière , de la
briéveté de la vie de la plus grande partie des hommes.
» 1
« Rien donc de plus néceffaire que les fubfiftanées
, que la quantité fuffifante des fubflftances , &
que la bonne qualité des fubfittances , puifqu'elles
font auffi néceffaires que l'air même. »
« Il entend par fubfiftances non feulement le
pain & tous les alimens , mais encore le bois & les
vêtemens , & en général tout ce qui eft habituellement
& univerfellement néceffaire à l'existence de
Phomine pauvre comme riche
сс Elles doivent encore être confidérées comme
objet d'induſtrie & de commerce ; elles font la premiere
& la principale fource des richelles ; fans
32 MERCURE
1
elles il n'y auroit ni induftrie ni commerce à exer
cer, comme fans elles il n'y auroit ni hommes ni
ticheffes. »
ес
Quel Art donc , continue M. Maupin , que
celui qui créé & multiplie les fubfiftances autfi né
ceffaires que l'air , qui nourrit les hommes & en
même- temps les enrichir,
PETITE Bibliothèque des Théâtres , No. 12. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte S. Roch ,
n°. 11 , où l'on foufcrit , ainfi que chez Belin , Libraire
, rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rac
de Marivaux , Place du Théâtre Italien .
Ce Volume offre aux Soufcripteurs un objet qui,
eft particulier à ce Recueil ; des Pièces des Boulcvards
, avec une Notice des différens Spectacles qui
y font établis. Les deux premières Pièces ont été
jouées avec beaucoup de fuccès fur le Théâtre des
grands Danfeurs , le Sabotier & le Rivalpar amitié ,
l'une anonyme & l'autre de Mme de F ** . Viennent
enfuite trois autres Pièces jouées fur le Théâtre des
Variétés , Gilles Raviffeur , par d'Helle ; Jérôme
Pointu , par M. de Beaunoir , & l'Anglois ou le
Fou raifonnable , par M. Patrat , toutes trois d'un
bon comique. Le Volume eft terminé par les
Quatre - Coins, Paftorale de M. de Beaunoir , jouée
fur le Théâtre des Élèves de l'Opéra , & tout cela,
( il faut le dire , dût-on choquer plus d'un amourpropre
, ) forme un Volume qui ne fera pas dédaigné
par les Amateurs de la bonne Comédie.
Les Rédacteurs de cette intéreflante Collection
viennent d'arriver à la fin de leur première année ,
& la manière dont ils l'ont complettée eft bien faite
pour engager les Scufcripteurs, au renouvellement
qui doit avoir lieu dans le courant de ce mois de
Novembre. Ils ont envoyé avec cette dernière Livraifon
des cartons pour quelques fautes effentielles
DE FRANCE: 93
qui s'étoient gliffées dans les Volumes précédens
Ils invitent leurs Soufcripteurs à ne pas faire encore
relie: les Volumes qu'ils ont reçus. La grande difficulté
qu'ils ont trouvée jufqu'à préfent à fe procurer⚫
les Portraits de divers Auteurs , retarde le préſent
qu'ils en font à leurs Souſcripteurs .
FTRENNES de Polymnie. Ce Volume que vont
donner les Rédacteurs de l'intéreſſante Bibliothèque
dont nous venons de parler , & qu'ils enverront
gratis à leurs Soufcripteurs, quoiqu'il ne leur ait pas
été promis, eft un Recueil de Chanfons , Romances ,
Vaudevilles , &c. paroles & mufique gravées trèsfoigneufement
, Volume in- 18 d'environ 250 pages.
Les Perfonnes qui n'ayant pas foufcrit pour la petite
Bibliothèque des Théâtres, voudront le procurer ce
Volume, le payeront 3 livres , & le recevront franc
de poit par la poſte dans tout le Royaume.
E La Valet à deux Maîtres , ou le Mari à deux
Femmes , Comédie en un Acte & en profe , repréfensée
pour la première fois à Paris,fur le Théâtre des
Variétés Amufantes , le 26 Septembre 1784. Prix ,
I livre 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur.
Libraire , rue Galande.
Le Héros de cette Comédie , M. Tamarini , eft
un Docteur à fpécifique . Brouillé avec l'Univerſité ,
mais s'étant fait 30000 liv . de rente, ( tout le monde
mettroit aisément le nom au bas de ce portrait , ) il
veut époufer une jeune perfonne qui n'a nulle envie
d'être la femme , & qui aime Dorville , plus aimable
& plus jeune que le Docteur. Le valet de Dorville
, pour le mieux fervit , paffe au fervice de M.
Tamarini voilà pourquoi la Piece s'appelle le
Valer à deux Maîtres ; & M. Tamarini , qui veut le
marier ici , eft déjà marié en Italie : voilà le motif du
fecond titre. On figne la minute du contrat ; mais la
94 MERCURE
femme du Docteur arrive d'Italie , & l'on fent que
le nouveau mariage ne peut avoir lieu .
Le fujet de cette petite Pièce eft affez ordinaire ;
⚫ & le dénouement eft plaifant , quoiqu'il pût l'être
davantage , & qu'il foit trop tôt prévu ; mais il y a
de la gaîté ; le dialogue en eft vif & piquant. Le
rôle du valet eft bien fait.
: On trouve chez le même Libraire Blaifé lé Ħar ·
gneux , Comédie en an Acte & en profe , par M.
Dorvigny , repréſentée fur le Théâtre des grands
Danfeurs du Roi , Pièce dans laquelle il y a de la
monotonie , mais de la gaité & du bon comique.
LE Sieur Strange , Graveur du Roi , a l'honneur
de prévenir le Public qu'il fera fous très- peu de temps
en état de mettre au jour l'eftampe annoncée en
Avril 1783 , pour faire pendant de celle de Charles
Premier , & dont le fujet offre plus d'intérêt éncore
pour la Nation Françoife. Le fieur Strange doit à la
bonté & à la complaifance du Roi d'Angleterre , le
choix plus heureux qu'il a fait d'un des plus précieux
originaux de Vandick , repréfentant Henriette de
France ,fille de Henri IV, & Reine d'Angleterre.
Elle tient dans fes bras le jeune Duc d'Yorck , qui
devint Jacques fecond , & elle a près d'elle le Prince
de Galles , qui a été Charles fécond.
On trouveroit difficilenient , même chez Vandick ,
une compofition qui fûr tout- à-la fois plus riché &
plus gracieufe. Le fieur Strange , animé par ſon modèle
, & foutenu par le defir de plaire à la Nation
Françoife , ofe fe flatter d'en obtenir ce fuffrage précieux
, dont l'espoir a été pour lui le premier & le
plus vif encouragement.
Un nouvel Avis indiquera précisément le jour de
la mife en vente.
PIERRE-ANDRÉ de Suffren , Vice- Amiral de
DE FRANCE.
France. Prix , 1 livre 10 fols. A Paris , chez Mile
Licottier , rue de Sève , près la rue du Bac , maiſon
de M. Cauvet.
CHARLES Gravier, Comte de Vergennes , Con
feiller d'Etat ordinaire , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & Chef du Confeil Royal des Finances ,
Eftampe de 18 pouces de haut , fur 13 de large ,
gravée par Vangelifti , d'après Callet , Peintre du
Roi. Prix , 18 livres . A Paris , à l'ancienne grande
Pofte aux chevaux , rue des Foffés Saint Germain
l'Auxerrois.
Cette Eftampe eft intéreffante par le fujet & par
la beauté de la gravure , qui joint la force à un
effet agréable .
MANUALE Rhetorices , &c . Manue! de Rhétorte
que à l'ufage de la jeuneffe des Collèges , nouvelle
Edition , augmentée d'un très grand nombre
d'exemples tirés de Cicéron , Quintilien , Horace ,
Virgile , &c. Maffillon , Fléchier , Boffuet , Corneille
, Racine , Boileau , Crébillon , & c. ; par M.
Hurtaut , Maître ès Arts & de Penfion de l'Univerfité
, ancien Profeffeur de l'Ecole Militaire . A Paris ,
chez l'Auteur , rue des Brodeurs , au-deffus des Incurables.
Cette nouvelle Edition , qui paroît fous les aufpices
de l'Univerfité , eft beaucoup plus complette
que les précédentes. Les préceptes font excellens ,
& les exemples choifis avec beaucoup de goût. C'eſt
une nouvelle preuve des talens de M. Hurtaut ,
déjà connu par plufieurs Ouvrages utiles , & nous ne
doutons pas de l'empreffement de tous les Profeffeurs
de Rhétorique à mettre cet Ouvrage entre les
mains de leurs Elèves.
DEUX Symphonies pour ie Clavecin , avec Ac
$ 6 MERCURE
compagnement de deux Violons , Alto & Baffe ,
Cors & Alto ad libitum , par M. Tapray , Organifte
de l'Ecole Militaire , & c . OEuvre XXI. Prix , 7 liv.
4 fals port franc par la pofte. A Paris , chez M.
Leduc , au magafin de Mufique , rue Traverfière
S. Honoré .
NUMÉRO 10 du Journal de Violon , ou Recueil
Airs nouveaux arrangés pour le Violon , l'Alto ,
la Flûte & la Baffe. Par foufcription 18 livres &
21 livres , féparément 2 liv. 8 fols. A Paris , chez
Baillon , Marchand de Mufique , rue Neuve des
Petits - Champs , au coin de celle de Richelieu , à la
Mufe Lyrique.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure •
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
VERS à M. de ***
Infcriptions ,
491 Fin de l'Extrait fur l'Éloge de
50 Fontenelle ,
؟؟
51 Hiftoire d'Eugénie Bedford ,
52
81
AM. Gardanne
Bouquetpour la S. Louis ,
Charade, Enigme & Logogry- Acad . Roy. de Mufique , 89
phe , 53 Annonces & Notices,
APPROBATION.
J'AI Ip , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 13 Novembre, Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
le 12 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 NOVEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
L'ELECTRICITÉ , ou le Règne Univerfel
de la Nature , Ode.
Fu fecret que je reffire ,
Puillant moteur de mes fens ,
Je célèbre ton empire;
Viens échauffer mes accens.
Je peins ta puiffance active ,
Tes loix , ta force attractive .
Ton règne far tous les corps.
Souffle pur que je réclame.
Tu peux feul élever l'âme
Et feconder mes accords.
QUEL tranfport brûlant m'anime!
Quels tableaux me font offerts !
Des ténèbres de l'abyme
Nº. 47 , 20 Novembre 1784.
E
98
MERCURE
Je vois fortir l'Univers.
Defcends , ô flamme immortelle ! .
Le ciel , la terre t'appelle ,
Dirige leurs mouvemens ;
Ame invifible du monde ,
Viens dans cette nuit profonde
Régner fur les élémens.
DEJA ta chaleur pénètre
Les abymes du chaos ;
Le foleil , que je vois naître ,
S'agite au fein du repos.
Les planètes étonnées
Partent , roulent entraînées
Dans leur cours impétueux s
Et de fa main fouveraine
Dieu lance , & ta loi ramène
Ces orbes majestueux ,
Du foleil qui te domine ,
O terre ! tu fuis la loi.....
Quelle planète voifine
S'avance & pèle fur toi ?
Un bruitfourd fe fait entendre :
La mer s'enfle & vient reprendre
Ses bords qu'elle avoit perdus.
Elle étonne la Nature ;
Et l'océan qui murmure
Craint pour les flots fufpendus.
Mais par de nouveaux prodiges
DE FRANCE. 99
Ta fignales ton effort :
Secret moteur tu diriges ,
L'aimant qui cherche le Nord.
Sous les aufpices de l'ourfe
L'homme vole dans fa courſe
Aux deux bouts de l'Univers ;
Et nous guidant fur les ondes ,
Tu rapproches les deux mondes.
Qu'avoient féparés les mers.
J'AI Vû par ton influence
La matière fe mouvoir ;
Tu vas fur l'être qui penfe
Manifefter ton pouvoir.
Dieux ! quel fouffle agite l'âme !
D'une impéricufe flamme
L'amant éprouve l'ardeur ;
Et , nourri dans les alarmes ,
Le Héros court , vole aux armes
Et refpire ta chaleur.
DOCTES filles de mémoire ,
Vous lui devez vos tranſports ;
De Neptune il fait la gloire ;
Cérès lui doit fes trésors.
Mortel , contemple Pomone ,
Qui s'applaudit chaque automne
De fes bienfaits éclatans;
Dans les larmes de l'aurore ,
Eij.
100 MERCURE
Vois ce feu qui fait éclore
Toutes les fleurs du printemps.
O NAÏADE fugitive !
L'hiver a glacé tes flots.
Dans ton lit , froide & captive ,
Tu gémis d'un long repos.
Subftance miraculeufe ,
Agite l'eau pareffeufe !
Rends-lui fon activité !
Et que cette fource pure
S'échappe , roule & murmure
Sur ce rivage enchanté.
TU FAIS circuler encore
Mon fang glacé dans ſon cours ;
Près de ma dernière aurore
Tu me rendras mes beaux jours .
Douce , bienfaifante , utile ,
Comme une sève fertile ,
Tu pénétreras mes fens ;
Et de la chaleur ſuivie ,
Tu redonneras la vie
A mes membres languiffaus .
MAIS quelle route me trace
Ce mortel , rival des Dieux ,
Qui , plein d'une noble audace ,
Va ravir le feu des cieux !
Il puiſe à ſon origine
DE FRANCE. 101
Cette fubftance divine ,
Et l'homme naît fous fes mains.
Ah , mon âme eft transportée !
J'égaler ai Prométhée ,
J'animerai les humains.
MORTEL ! quel brillant fpectacle !
Quels innombrables bienfaits !
Laisons à Dieu le miracle ,
Et jouiffons des effets,
Invefti de ce fluide ,
Là , fur un axe rapide ,
Ronle un orbe merveilleux ;
Tel que cet aftre fuprême ,
Qui roule autour de foi- même ,
Et qui nous verfe fes feux.
RESPIRONS Cette fubftance :
Déjà l'Hymen s'applaudit ;
Nous doublons notre exiſtence ;
Vénus enfin nous fourit.
Doux fluide , ah ! que j'admire
Cette pointe qui t'attire ,
Ces noeuds qui fixent ton cours
La chaîne où tes feux circulent ,
Le foyer où nos fens brûlent
Pour renaître à nos amours !
DANS la flatteufe eſpérance
De vaincre un funefte fort ,
E ii)
102 MERCURE
Quel infortuné s'avance
Déjà glacé par la mort?
Il réclame un feu fuprême
Quand la moitié de lui - même
Eſt dans la nuit du tombeau ;
Ce feu , par la vive atteinte ,
Bientôt d'une vie éteinte
A rallumé le flambeau.
SON excès qui te confume
Devient nuifible à tes jours :
Ton fang bouillonne , s'allume
Et s'irrite dans fon cours.
Mais dans ton fein renfermées,
Ces parcelles enflammées
D'un élément dangereux
Vont , de feux étincellantes ,
Fuir de tes veines brûlantes
Sur un globe fulphureux.
CRAINS dans ton erreur extrême ,
Artifan de ton malheur ,
De tourner contre toi- même
Les bienfaits du Créateur.
Là , ce fluide célefte ,
Au fond d'un vafe funefte ,
Raffemble fes traits cruels ;
Tel que la foudre , il s'échappe ,
Etincelle , éclate , frappe ,
Glace le coeur des mortels.
DE FRANCE. 103
LOIN qu'une folle manie
Attire fes traits fur nous
Employons notre génie
A nous parer de fes coups .
Prêt à foudroyer nos têtes ,
Je le vois dans les tempêtes ,
Au milieu des airs brûlans ,
Sortir en feux homicides
De ces nuages perfides
Dont il fillone les flancs.
IL CRAINT éclate dans les nues ,
Et tout frémit dans ces lieux.
Forgeons des armes aigues
Qui menaceront les cieux .
Je veux , mortel intrépide ,
Préfentant à ce fluide
Mes cylindres acérés ,
Parmi les feux , les orages ,
Le ravir à ces nuages
Par la foudre déchirés .
A LA Nue étincellante
J'ai déjà donné la loi ,
Et la foudre obéiffante
Eft muettedevant moi.
Que mon triomphe a de charmes !
J'aime à contempler ces armes
Dans mes pacifiques mains.
E iv
164
MERCURE
+
Le ciel fourit à la terre ,
Et j'enchaîne le tonnerre
Pour le bonheur des humains.
FAR l'orgueil & fes preftiges
L'homme fe laiffe éblouir ;
Il veut fonder ces prodiges ,
Il est né pour en jouir.
Qu'il borne- là fon étude ;
Nageant dans l'incertitude ,
Le Sage admire & ſe tait ,
Et fait pour fruit de fes veilles ,
Que l'Auteur de ces merveilles
Voile au monde fon fecret.
Par M. D *** , &Aix. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent,
LE mot de la Charade eft Dégoût ; celui
de l'Enigme et Coq de baffe cour ; celui du
Logogryphe eft Rhume , où l'on trouve rue ,
rhue , mûre , rhum , hure , mur , mer.
A
CHARADE.
PEINE fille a mon dernier ,
Qu'elle cherche mon tout pour avoir mon premier.
(Par Mlle Lacauche , à Dourdan. )
DE FRANCE.
105
ÉNIGME à corps , pour mettre entre
les deux Enigmes à tête & à queue des
Nos 27 & 44.
JE fuis poiffen avec mon corps ,
Je deviens tête fans mon corps ;
Je fuis fans dents avec mon corps ,
Mais j'ai bonnes dents fans mon corps ;
On m'avale quand j'ai mon corps ,
Et l'on me mange fans mon corps.
Enfin , Lecteur , avec mon corps ,
Je fuis moins gros que fans mon corps.
( Par M. H..... )
LOGO GRYPHE.
DANST
ANS mes trois pieds on paffe un membre ;
Sans lui je ferois fans vigueur.
Je paffe la nuit dans la chambre ,
Le jour on me met en longueur.
Lecteur , pour deviner mon être ,
Cherches ma tête en l'alphabet ;
La plus haute carte au piquet.
C'eſt affez me faire connoître.
( Par M. l'Abbé Defauniers . )
E v
106 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Six Nouvelles de M. de Florian , Capitaine
de Dragons ,. & Gentilhomme de
S. A. S. Mgr. le Duc de Penthièvre , des
Académies de Madrid & de Lyon ; petit
format. A Paris , de l'Imprimerie de Didot
l'aîné , rue Pavée Saint André des - Arcs ;
Debure l'aîné , quai des Auguftins.
S'IL 'IL eft vrai que nous n'ayons rien à oppofer
en particulier aux grands Romans
étrangers , tels que Clarice & Dom Quichotte
, la maffe entière de nos bons Romans
forme une bibliothèque intéreffante , à l2-
quelle les autres Nations n'ont peut être
rien à comparer. Nous nous fommes diftingués
notamment dans un genre que nous
croyons d'origine Eſpagnole , & que Scarron
a réuffi des premiers à naturalifer parmi
nous ; les Contes ou Nouvelles. M. de Florian
vient d'en publier de très courtes , puifque
les fix qui compofent fon volume , ne
forment eufemble que 227 pages. Si en rendant
compte de ce petit Recueil , nous pouvions
être embarraffés pour des motifs
d'éloge, nous en trouverions un dans le peu
d'étendue des Contes qu'il renferme. En
effet , la brièveté de ces fortes d'Ouvrages en
augmente la difficulté ; il eft plus difficile
DE FRANCE. 107
qu'on n'imagine , d'amufer l'efprit , & furtout
d'intéreffer le coeur en fi peu de pages.
Le coeur ne fe prend point , pour ainfi dire ,
d'affaut , il faut l'inveftir , en approcher , y
pénétrer pas
à pas.
Peut être trouvera t'on un peu d'affectation
dans ces fix titres rangés l'un à côté de
l'autre , Nouvelle Françoife , Nouvelle Allemande
, Nouvelle Espagnole , Nouvelle Grec
que , Nouvelle Portugaife , Nouvelle Perfane.
Cette prétention , trop ouverte à la variété ,
tourne par- là même vers la monotonie ,
d'autant plus que le petit cxorde de chaque
Nouvelle eft régulièrement confacré à l'éloge
de la Nation qui en a fourni le titre. La
Nouvelle Allemande commence par un éloge
des Allemands ; la Nouvelle Efpagnole , par
l'éloge des Espagnols , ainfi des autres . Hea
reufement l'Auteur avoit , pour varier fes
Contes , d'autres reffources que leurs titres ;
aucun ne reffemble à l'autre pour le fonds ,
& chacun d'eux a des grâces qui lui font
propres. Ne pouvant promener l'imagination
de nos Lecteurs dans tout ce riche
parterre , nous allons leur offrir quelquesunes
des fleurs dont il eft paré.
+
Bliomberis , Nouvelle Françoife , qui avoit
déjà paru dans la Bibliothèque des Romans ,
eft un Répertoire de combats Chevalerefques
, qui obtiennent au plus valeureux
amant le don d'amoureufe merci. On y re
marquera un étourdi de Prince qui livre un
combat à Bliomberis , pour un motif énoncé
E vj
Ic8
MERCURE
dans le difcours qu'on va lire , & qui peint
bien le perfonnage. « Le Nain de la char-
» mante Céline eft venu me porter une lettre
de cette Belle , qui m'apprend que Da
» nain , guéri de ſa bleſſure , doit partir au-
" jourd'hui avec Brnor , pour aller chez
le Roi Perles , & que leur abfence laiffe
» Celine maîtreffe de les actions & du châ
» tear. Sur le champ je fuis reparti pour re
» tourner auprès de Céline ; mais j'avois
trente licues à faire ; & jugeant bien que
» mon cheval ne pourroit pas y fuffire , j'ai
» juré de combattre tous les Chevaliers que
» je rencontrereis , pour les obliger de chan
" ger avec moi de courfier. Cette manière
» de relayer m'avoit réu , je n'étois plus
qu'à quatre lieues du château , quand ,
par malheur , je vous ai rencontrés. Le
Prince , en parlant ainsi , venoit d'être vaincu
& défarmé par Bliomberis , qui a pourtant
la générofité de lui prêter fon cheval pour
le conduire au château de la belle Céline.
3
~
Les lignes fuivantes donneront une idée de
la précision énergique avec laquelle l'Auteur
fait peindre les duels Chevalerefques , « Impa
tiers determiner ce combat, ils fe faififfent par
le milieu du corps , & fetiennent étroitement
embraffés. Ils font des effor's pour fe renverfer
; leurs chevaux fe dérobent fous eux ,
& les deux Paladins tombent enfemble ; mais
tombent debout & fans fe quitter. Pied
contre pied , poitrine contre poitrine , leurs
armes crient fous les efforts qu'ils font ; les
DE FRANCE. 409
2
के
>fecouffes violentes qu'ils fe donnent fem
blent mutuellement les raffermir ; leurs forces
font fi égales , que leur combat a l'air
d'un repos , & leur réfiftance réciproque les
fair paroître immobiles.w
Voici un morceau de la Nouvelle fuivante.
( Pierre ) qui contrafte parfaitement
avec celui qu'on vient de lire. Pierre s'étant
marié malgré le père de fa maîtreffe , réuilit
à le fléchir & à le toucher , en lui montrant
fa fille dans fon berceau. « Tu étois , ( c'eft
» Pierre lui même qui raconte fon hiſtoire à
» fa fiile devenue grande ) tu étois dans ton
berceau, Gertrude ; tu dormois , ton viſage
blanc & vermeil peignoit l'innocence &
» la fanté. Aimar te regarde , fes yeux le
» mouillent. Je te prends dans mes bras , je
» te préfente à lui . Voilà encore votre fille ,
"
"
"
"
و د
lui dis- je ; tu te réveillas à mon mouve-
» ment ; & , comme fi le ciel t'avoit infpirée
, loin de te plaindre , tu te mis à fou-
" rire; & tendant tes deux petits bras vers
» le vieux Aimar , tu faifis fes cheveux
» blancs , que tu ferrois dans tes doigts , en
rapprochant fon vifage du tien. Le vieil-
» lard te couvrit de baifers , me preffa con-
» tre fa poitrine ; & r'emportant avec lui :
allors trouver ma fille ; viers , mon fils ,
s'écria t'il, & c. ..
35
»
"
Pierre s'étoit fait Soldat par befoin. Il furprend
un jour fon Capitaine , qui , étant
devenu amoureux de la femme , employoit
prefque la violence pour triompher d'elle.
110 MERCURE
Dans fon premier mouvement, il plonge fon
épée dans le fein du Capitaine. Condamné
par le Confeil de Guerre , il alloit mourir ,
quand le jeune Capitaine , conduit par la
pitié & le remords , vient au milieu du Régiment
s'opposer à fon fupplice , & le fert
d'un heureux ftratagême pour le fauver.
" Je n'étois plus fon Officier , s'écrie t'il ,
je lui avois rendu fa liberté : voilà fon
congé figné de la veille ; il n'eft pas foumis
» à votre juftice. » Cette nouvelle eft écrite
avec préciſion & intérêt .
93
La belle Céleftine ( c'eſt le titre de la troifième
Nouvelle ) eft près d'être enlevée par
Don Pèdre , qu'elle aime. Trompée par un
accident imprévu , elle croit le fuivre , & fe
trompe de chemin ; les deux amans ont pris
deux routes oppofées , de façon qu'ils fe
fuyent en fe cherchant. Égarée dans un défert
, elle entend chanter , par un Berger ,
fur un air ruftique , ces paroles , fi analogues
à la fituation de cette amante infortunée ,
& qu'on ne fera pas fâché de trouver ici :
PLAISIR d'amour ne dure qu'on moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie,
J'ai tout quitté pour l'ingrate Silvie :
Elle me quitte & prend un autre amant.
Plaifir d'amour ne dure qu'un moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie.
TANT que cette eau coulera doucement
Vers le ruiffeau qui bor de la prairie ,
DE FRANCE. III
Je t'aimerai , me répétoit Silvie :
L'eau coule encore ; elle a changé pourtant.
Plaifir d'amour ne dure qu'un moment ;
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Céleftine emprunte au Chevrier qui chantoit
cette chanson , un habit de Pâtre ; fous ce
déguifement , elle va dans un village , & entre
au fervice d'un Alcade , après avoir pris le
nom de Marcelio . Par la fuite le faux Marcelio
devient Alcade lui même , & le hafard le
fait Juge de Don Pèdre , fon amant , qui ,
après des événemens multipliés , eft arrêté
pour avoir tué un malfaiteur ; ce qui amène
une reconnoiffance touchante. Don Pèdre
trouve l'occafion de délivrer le village d'un
incendie , & de troupes ennemies qui le ravageoient.
Ses bienfaits lui font obtenir fa
grâce pour le meurtre qu'il a commis ; fup-.
plié par les habitans de vouloir bien être leur
Alcade , il y confent ; & devenu l'époux de
Celeftine , il trouve parmi eux le bonheur
en les rendant heureux . Nous ne donnons
ici qu'une courte notice de cette Nouvelle ,
qui fait preuve d'imagination par les détails.
Nous nous arrêterions avec plaifir fur
l'intéreffante Anecdote qui a pour titre Sophronyme
, fi nous ne l'avions pas inférée
l'année dernière en entier dans ce Journal.
Nous en dirons aurant de Sanche , où l'on
trouve le détail attendriffant d'un amant qui ,
pour reconnoître la nuit une route où il
veut ramener fa maîtreffe , sème le chemin
112 MERCURE
des vis de fon armure , ce qui le fait vaincre
& bleffer enfuite en défendant ce qu'il aime
contre un difcourtois Chevalier.
Celle des fix Nouvelles qui mérite peutêtre
le plus d'éloges pour le fonds , c'eſt la
dernière , Bathmendi. Un vieillard en mouraut
, recommande à fes quatre fils d'aller
trouver , après la mort , le Génie Alzim ,
fon protecteur. I's obéiffent , & vont trouver
le Génie , qui n'accordoit les bienfaits
qu'à une condition , c'étoit de fuivre le confeil
qu'il donnoit. Tai, l'un des quatre frefes,
fongent que fon père avoit toujours fair des
fotrifes , quoique toujours confeillé par Alzim
, fe bouche les oreilles avec de la cire , pour
ne pas entendre le Confeil du Gérie. Celui ci
leur dit d'abord qu'ils ne peuvent être heureux
fans rencontrer un certain être , nommé
Bathmendi , dont tout le monde parle , &
que bien peu de gens connoiffent . Ecoutons
L'Auteur lui même. " Alzim prend en parti-
"3
culier Bekir , l'aîné des quatre frères :
» mon fils , lui dit- il , tu es né avec du cou-
" rage & de grands talens pour h guerre.
» Le Roi de Perfe vient d'envoyer une Ar-
" mée contre le Turc ; joins cette Armée ;
» c'eft dans le camp des Perfes que tu pour
» ras trouver Bathmendi. Bekir remercie le
Génie , & brûle déjà de partir.
"
"
"
» Alzim fait figne au fecond fils d'appro-
» cher; c'étoit Mefrou : tu as de l'efprit , lui-
* Bathmendi , en langue Perfane , fignifie bonheur.
DE FRANCE.
99
» dit- il , de l'adreffe & de grandes difpofi-
→ tions pour mentir ; prends le chemin d'Ifpaban
: c'eſt à la Cour que tu dois chercher
Bathmendi .
و د
"
"
Il appelle le troifième frère , qui s'ap
peloit Sadder toi , lui dit il , fu fus doué
d'une imagination vive & féconde ; tu vois
» les objets , non comme ils font , mais
comme tu veux qu'ils foient ; tu as fou-
» vent du génie , & pas fouvent le fens
» cominun tu feras Poëte. Prends le che-
» min d'Agra ; c'eft parmi les beaux efprits
» & les belles Dames de cette ville que ta
» pourras trouver Bathmendi .
19 Tai s'avance à fon tour ; & , grâce aux
» boules de cire , il n'entendit pas un mot
» de ce que lui difoit Alzim . On a fu depuis
qu'il lui avoit confeillé de fe faire Der-
» viche . "
93
Les trois frères vendent ce qui leur revenoit
de leur père ; Taï achette l'héritage entier
, le fait Agriculteur , & les laiffe courir
après Bathmendi . Leur courſe ne fut pas
heureuſe.
Bekir , après s'être convert de gloire par
fes vertus guerrières , devenu Général des
Perfes , mais en proie à mille jaloux , finit
par être battu par les Turcs , fait prifonnier
& enfermé dans un cachot pendant quinze
ans. Il revient en Perfe , fe préfente au Vilir ,
qui lui fait fermer la porte.
Le fecond frère , Mefrou , qui s'étoit fait
courtifan , s'étoit vû à la fois premier Mi
114 MERCURE
1
niftre , favori du Roi , amant de la Reine
Mère , maître de nommer & de déplacer les
Vifirs ; & une nouveile maîtreffe du Roi lui
avoit ménagé une chute fi complette , qu'il
s'eftima fort heureux de pouvoir prendre
la fuite.
Enfin Sadder , le favori des Mufes , pour
prix de fon génie poétique , fe voit réduit
à devenir Magifter d'un mauvais village ; &
aucun d'eux , comme vous voyez , n'avoit
rencontré Bathmendi.
Tous trois reviennent dans la maifon de
leur frère Taï. Ils le trouvent
"
+99
30 ན
dans une
chambre propre & fimplement meublée ,
» à table , au milieu de dix- fept enfans qui
mangeoient , rioiert & babilloient à la
fois. Tai aroit à fa drone fa femme
Amine, qui conpoit les morceaux de fon
» dernier fils , & à fa gauche étoit un petit
» vieillard d'une phyfionomie douce & gaie,
» qui verfoit à boire. » Ce vieillard eft
Bathmendi , avec qui font fucceffivement
connoiffance les trois frères , qui fe fixent
auprès de Taï.
En général , dans ces trois Nouvelles , un
ftyle gracieux & élégant , un efprit brillant ,
dont le fentiment adoucit l'éclat , de la
fineffe & de la naïveté , atteftent & rappellent
un talent aimable dont M. de Florian
a donné des preuves dans plus d'un Ouvrage.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
DE FRANCE.
115
VARIÉTÉ S.
ÉTAT actuel du Dépôt de Mendicité de la
Généralité de Soiffons ; troifième Compte ,
année 1783 .
COMMENT pouvez - vous Supporter la vie de tant
de douleurs & de tant de maux , demandoit- on à
Madame de Mautaufier , à la célèbre Julie de Rambouillet
, qui vifitoit fouvent les Hôpitaux ? C'est que
je les foulage , répondit Madame de Montaulier ; &
cette réponſe fait bien plus d'honneur à fa mémoire
que tous les madrigaux de cette guirlande dont tous
les beaux efprits du fiècle parèrent la jeuneffe.
Nous craignions l'année dernière de parler dans un
Journal , deitiné fur-tout aux Ouvrages de goût &
d'imagination , d'un compte du Dépôt de Mendicité
de Soillons , mais l'intérêt que le 1 ublic paru: prendre
aux moyens nouveaux qu'indiquoit M. l'Abbé
de Monilinot , pour foulager & pour coniger la
partie la plus fouffrante & la plus dégradée de la
Société , nous fit voir combien notre crainte étoit
mal fondée.
Cette année , les vûes & les obfervations de M.
de Montlinot fe font étendues , font devenues plus
profondes & plus intéreffantes ; & nous croyons ne
pas déplaire à nos Lecteurs en donnaut auffi plus
d'étendue à l'examen que nous allons en faire. Plus
un Auteur a d'idées , & plus il en fait naître qu'il n'a
pas eues lui- même . J'oferai quelquefois en ajouter
ou en oppofer à celles de M de Montlinot ; s'il s'y
trouve quelque chofe de vrai , je le lui dois ; fi je me
trompe , M. de Montlinot , qui obferve fi bien ,
116 MERCURE
m'oppofera quelques faits , & mes erreurs feront
évidentes.
En 1781 , le nombre des femmes avoit été plus
confidérable , & on le hâta de conjecturer que cette
proportion feroit toujours à peu près la même.
En 1782 , le nombre des honnes a excédé d'un
quart ; en 1783 , d'un tiers ; la première conjecture
eft détruite , & on n'ofe plus en former d'autres fur
cer objet.
Je prie qu'on remarque ici comment la philofo
phie , qui ne marche qu'à la fuite de l'obſervation
s'éclaire à chaque pas qu'elle fait.
En 1781 , M. de Montlinot n'avoit qu'un fait ,
& fur ce fait unique il établir une conjectare génétale.
En 1783 , il a deux faits contraires , & il n'ofe
plus établir aucune conjecture. Il a été d'abord plus
hardi avec un fait qu'avec deux faits enfuite .
La connoiffance de cette proportion feroit pourtant
très néceffaire pour connoître avec précision les
vraies fources de la mendicité ; c'est le fait de cé
genre , qui , bien approfondi , donneroit peut-être
Le plus de lumières , & fur les caufes de la mendicité
, & fur les moyens de la détruire.
Mais on voit du premier coup d'eil qu'il eft impoffible
de trouver là deffus une donnée fixe & conf
tante dans un feul dépôt.
Les mendians , les vagabonds paffent fans ceffe
d'une Province à l'autre ; fans ceffe poursuivis , ils
fuient des lieux où ils font connus , dans ceux où ils
ne le font pas encore. Quelquefois ce font les femmes
qui fe réfugient en plus grand nombre dans une
Province , & quelquefois ce font les hommes. Quand
donc même il y auroit une proportion conftante
dans tout le Royaume , il feroit impoffible de l'appercevoir
& de la fixer dans le dépôt d'une feule
Province .
Les obfervations devroient être faites à la fois
DE FRANCE. 117
dans tous les dépôts du Royaume , & leur rappre
chement pourroit conduire à quelque apperçu général.
Mais ce qu'on verroit le mieux d'abord , c'eſt que
dans tout le Royaume même , cette proportion doit
varier prodigieufement d'année en année.
Les caufes de la mendicité agiffent quelquefois fur
les hommes & quelquefois fur les femmes.
Que les productions d'un art exercé par des hommes
foient dédaignées par la mode , voilà des milliers
d'hommes fans travail , & par conféquent exposés à
la mendicité. 7
Que ce malheur arrive à un art exercé par des
femmes , ce font les femmes qui mandieront en
plus grand nombre.
La proportion des mendians & des mendiantes
variera donc avec les caprices de la mode , c'eſt-àdire
, avec ce qu'il y a au monde de plus mobile.
Une jolie femme de Paris , qui fe réveille le matin
avec une fantaisie nouvelle , ne fe doute pas qu'elle
fait une révolution dans le Royaume.
Je vois cependant un fait très- conftant , ce me
femble , & d'où l'on peut conjecturer que le nombre
des femmes qui mandient doit être plus confidérable,
Dans l'état actuel de la Société , il eft commun que
les hommes faffent vivre les femmes ; & il eft rare
que les femmes faffent vivre les hommes. Lorfque
les caufes de la pauvreté tombent fur les hommes ,
ils entraînent avec eux des femmes dans la mendicité
; lorfque les mêmes caufes tombent fur les fem
mes , ce malheur n'a pas les mêmes effets fur les
hommes.
Mais cette conféquence eft tirée d'un fait trop
général , & M. de Montiinot nous apprend , par fon.
exemple , qu'il ne faut donner une grande confiance
qu'à des obfervations particulières & des faits trèsprécis.
M. de Montlinot , en 1781 & 1782 , avoit ob118
MERCURE
fervé que prefque tous les mendians du dépôt de
Soiffons étoient au - deffous de la taille de cinq pieds
deux pouces : il en avoit conclu que les hommes dé
haute taille , les hommes forts , s'enrôloient , s'expatrioient
, ou foutenant mieux les travaux pénibles ,
étoient moins expofés aux maladies qui conduisent
à la pauvreté. Il en avoit conclu que les hommes
petits , foibles , que les races infimes produifoient
le plus grand nombre de mendians.
On concluoit encore naturellement de cette obfervation
importante , combien le Gouvernement & les
particuliers doivent veiller au maintien de la force phy.
fique dans les hommes ; combien il eft néceffaire
de prévenir la dégradation des races ; combien il
feroit important de trouver les moyens de les perfectionner,
Chofe fingulière ! les hommes ont fongé aux.
moyens de perfectionner les races de chevaux , de
chiens , de chameaux & ils les ont trouvés . Ils n'ont
jamais fongé aux moyens de perfectionner les races
d'hommes. Il me femble pourtant qu'il y a eu quelques
idées de ce genre dans les Législateurs de l'antiquité
; mais , à l'exception de Licurgue , ils ne les
ont eues que pour les races d'efclaves , c'eſt- à - dire ,
pour les hommes qu'ils confidéroient à peu-près du
même il que les chiens & les chevaux . Ce qui
m'étonne , difoit Pafcal , c'eft de trouver dans l'ef
prit humain des erreurs fi groffières à côté de la lumière
la plus vive . Paſcal , lui -même , a été un des
hommes chez lequel ce contrafte a été le plus étonnant.
Les obfervations tirées de la taille des mendians
en fe confirmant cette année , fe font étendues.
» La haute taille , dit M. de Montlinot , prefque
toujours unie avec le fervice militaire , fournit une
efpèce d'hommes dangereux , qu'il eft bien important
pour la sûreté publique de contenir dans des re
DE FRANCE. 119
fuges deftinés à cet ufage. Ce premier réſultat eft
effrayant. >>
La petite taille, qui paroît de peu de conféquence,
indique la principale fource de la mendicité dans la
foibleffe des individus , foibleffe ou naturelle ou acquife
par des travaux pénibles. Ce fecond réſultat
eft affligeant.»
Qui auroit imaginé que la hauteur ou la petiteffe
de la taille pouvoient décider à tel point du caractère
& du fort des hommes ! qu'un pouce de plus ou de
moins envoyoit un homme expirer fur la roue ou
mendier fur un grand chemin !
Dans le compte de l'année dernière , M. de Montlinot
, qui avoit obfervé deux années de fuite que
le plus grand nombre des mendians fortoient de la
claffe des Agriculteurs , en avoit tiré une conclufion
bien terrible c'eft que l'Agriculture dégrade ,
détruit & dévore les hommes autant que les métiers
& les arts de luxe .
:
Cette année , le nombre des mendians de cette
claffe eft encore de beaucoup la plus confidérable ;
& cette vérité terrible femble fe confirmer de plus
en plus. Ce qu'il y a de défefpérant encore , c'eft
que M. de Montlinot explique ce fait , non par des
caufes hypothétiques, non par des fyftêmes, mais par
des caufes qui font elles - mêmes des faits évidens . Un
Batteur en grange , dit-il , ne peut pas exercer ce
métier plus de quinze ans , fans atteindre à une vieilleffe
prématurée. Celui qui parcourt les campagnesfait
qu'ilfaut néceffairement de la jeuneffe , de la force &
de la fanté pour cultiver la terre.
Que M. l'Abbé de Montlinot nous permetre ici
quelques réflexions ; car il eft impoffible de foufcrire
aifément à ce réfultat ; c'eft à la dernière extrêmité
qu'on peut croire que le même art qui nourrit les
hommes les dévore ; que le premier art des Sociétés
naiffantes foit auffi funefte que les arts de luxe & des
120 MERCURE
Sociétés corrompues. Quel malheur ce feroit fi l'Agriculture
étoit juftement accufée auprès du genre hu
main ! Quel afyle , quel refuge lui refteroit - il alors ?
Il n'y auroit plus qu'une reffource ; il faudroit fuivre
le confeil qu'on a cru long- temps que Rouffeau nous
donnoit , abandonner nos villes , nos champs culti
vés , & rentrer dans les forêts. Mais prefque toutes
les forêts du globe font abattues . Ces antiques domiciles
de l'homme ne font plus ; & le genre- humain
reffembleroit à ces armées qui , en débarquant
fur un rivage , ont brûlé les vaiffeaux qui les y ont
transportées & , repouffées bientôt au rivage par une
force fupérieure , regrettent inutilement ces vaiffeaux
qu'elles ont livrés aux flammes .
Mais n'eft- ce pas plutôt la manière dont l'Agriculture
eft exercée, que l'Agriculture elle - même, qui
eft fi funefte aux hommes ? On a dit très-fou
vent on a imprimé que dix hommes pouvoient vivre
du travail d'un ſeul Laboureur ; & c'eſt peut être en
effet dans une proportion approchante de celle là
que le nombre de Laboureurs eft par- tout en Europe
avec le refte des hommes.
Je préfume que c'eft cette proportion qui rend les
travaux des champs fi pénibles , fi deſtructeurs.
Un homme peut en nourrir dix ; mais c'eſt en s'excédant
, en exténuant , fes forces , en abrégeant fa
jeuneffe d'abord , enfuite fa vie. Changez la proportion
; qu'au lieu d'un homme il y en ait deux cinployés
à nourrir dix hommes : chacun d'eux aura la
moitié moins de travail , pourra travailler dix an
nées , vingt années de plus , & ne perdra toutes fes
forces qu'avec la vie. Si cette proportion de deux
hommes à dix ne fuffifoit pas encore pour produire
les effets que j'indique , mettez- en trois dans le nombre
des Travailleurs. Un Batteur en grange ne peut
pas exercer plus de quinze ans ce métier fans atteindre
à une vieilleffe prématuréc. Eh bien ! qu'on cherche
DE FRANCE. 121
4
che les moyens de difpofer l'ordre de la Société de
manière qu'il pe l'exerce pas plus de quinze ans ,
qu'il ne l'exerce pas quinze ans même . C'eſt la multiplication
effrayante des troupes toujours fur pied ,
ce font les arts du luxe , qui , en enlevant continuellement
des hommes à l'Agriculture , ont établi cette
proportion fi funefte entre le nombre des Laboureurs
& le refte des Citoyens. On accuſe l'Agriculture des
maux que les arts de luxe & l'art de la guerre lui ont
fairs à elle-même ; ou plutôt ce font les défordres de
tout l'état focial parmi nous qui ont transformé
l'art facile & doux qui féconde les champs , en un
art de luxe qui détruit ceux qui l'exercent pour corrompre
ceux qui en jouiffent. Ce n'eſt pas la nourriture
des hoinmes qu'on demande aujourd'hui à la
terre , ce font leurs délices , leurs voluptés ; & il n'eft
pas étonnant que l'Agriculture , devenue un art de
luxe elle -même , foit auffi funefte que les arts de
luxe.
Quelques - uns ent penfé que le grand mal que
faifoit l'établiffement des Arts & des Manufactures
c'étoit de diminuer la culture des terres , de laiffer
retomber les champs en friches.
D'autres , au contraire , voyant que la culture des
terres , loin de diminuer , s'étendoit de jour en jour
avec les progrès des Arts , ont voulu conclure que les
champs étoient également peuplés , ou même davantage
, puifqu'ils étoient mieux cultivés .
11
peut
trompés
.
fe faire que les uns & les autres fe foient
La culture des terres ne diminue pas avec le nombre
des cultivateurs , fi un cultivateur double fon
travail lorsqu'un autre abandonne la charrue.
Les progrès de la culture ne prouvent pas les progrès
de la population , s'il eft poffible qu'un homme
faffe le travail qui étoit fait autrefois par deux ou
trois hommes.
Nº. / , 20 Novembre 1784. F
122 MERCURE
Mais ce qui paroît affez démontré , c'eft qu'un tel
état des chofes ne peut pas durer long- temps , parce
qu'il eft forcé , violent ; c'eft qu'il doit commencer
par ruiner la fanté , les forces des Agriculteurs , &
finir par ruiner l'Agriculture elle-même. Que faut- il
donc faire: Renvoyer, s'il éft poffible , les hommes dans
les champs c'est-à-dire , les y attacher & les y attirer
par la liberté , par une protection impartiale , par le
bonheur enfin . M. de Montlinot dit : l'Agriculture dévore
les hommes ; & cela peut être vrai dans ce moment;
mais je dirai à M. de Montlinot , c'eſt l'Agriculture
qui a peuplé la terre. Et ce mot d'un Laboureur
de la Sicile eft auffi vrai que beau : En femant
du bledje croisfemer des hommes.
Les obfervations de cette année ne donnent aucune
nouvelle donnée pour établir une proportion
entre les fous & les folles. On a remarqué feulement
que les accès de folie dans les femmes étoient plus
violens & plus fréquens dans les révolutions périodiques
& dans les temps critiques de leur fexe ; mais
cela même ne peut- il pas faire conjecturer que les
femmes foumifes à ces révolutions , doivent aufli être
plus fujettes à la folie , qui a tant de rapports avec ces
révolutions ? Il paroît cependant qu'il y a dans les
hommes deux grandes caufes de folie qui agiffent
moins puiffamment & moins conftamment chez les
femmes.
L'une eft l'ambition . Il y a un très grand nombre
de fous dont l'unique folie eft de fe croire Rois, Empereurs
,
fils de Dieu ou Père Éternel. Je n'ai pas entendu
dire que beaucoup de femmes euffent la folie
de fe croire Reines , Impératrices , fille ou mère de
Dieu.
L'autre caufe eft l'amour ; non l'amour moral ,
non cette paffion du coeur , prefque toujours plus
conftante , plus délicate & plus malheureuſe chez les
femmes ; non cette paffion intéreffante qui fait la
DE FRANCE. 123
folie de Clémentine & de Juliette ; mais ce defir ardent
effréné des jouiffances des fens , que la Nature
devoit donner à l'homme deftiné à l'attaque , &
qu'elle ne devoit pas donner au même degré à la
femme , qui doit faire femblant de fe défendre .
On conçoit que les Filles publiques amenées au
dépôt , peuvent fournir beaucoup d'obfervations
intéreffantes ; mais il eft affez difficile de favoir
d'elles l'hiftoire vraie de ce qui les a conduites à
l'extrême corruption de leur état , & de cette corruption
à la mendicité : elles ont toutes une hiſtoire
arrangée à peu près fur le même modèle , & leur
état leur a fait une fi grande néceflité & une fi grande
habitude du menfonge , qu'il eft prefque impallible
d'obtenir d'elles la moindre vérité.
M. de Montlinot a obfervé ces créatures dans le
•
dépôt ; & après leur fortie du dépôt , il a tâché de
favoir encore ce qu'elles devenoient. Prefque toutes
celles qui arrivent au dépôt , prennent de l'embonpoint
en y entrant ; ce qu'on peut attribuer à une
nourriture plus faine , plus égale , & au premier
moment de repos qu'elles goûtent en fortant des
inquiétudes continuelles de leur état. Mais bientôt
après des fièvres intermittentes les faififfent , & une
convalefcence longue les conduit à un affaiffement
que rien ne peut vaincre ce qu'on peut attribuer
à l'ennui qui fuccède à la douceur du premier moment
de repos , & au regret de cette vie licencieuſe
dont les vices leur paroient agréables lorfqu'elles
font privées par la force . M. de Montlinot affirme
que , fans exception , aucune de celles qui ont été
amenées au dépôt , n'a pu être corrigée par la détention
à terme . Elles reprennent leurs vices en fortant
de l'hofpice , & le féjour qu'elles y ont fait en
donnant une garantie fur leur fanté , ne les rend
que plus propres à tirer plus de profit de leur liberainage.
Voilà tout ce qu'on gagne à les renfermer,
en.
Fij
124 MERCURE
& on n'en eft point furpris : il n'y a guère , & il ne
peut guère y avoir dans leur amie de fentiment qui
les rappelle à l'honnêteté.
M. de Montlinor diftingue avec raifon , des Filles
publiques , les Filles enceintes fuyant leur domicile
& arrêtées fur les routes : il oblige celles- ci à nourrir
leurs enfans , ou plutôt il le leur permet , & cette
grace qu'il leur accorde , les fentimens de la tendreffe
maternelle qu'elles cultivent en nourriffant
leurs enfans, les relèvent fouvent de la honté de leur
foibleffe, & les difpofent à une vie honnête. Plufieurs
d'elles ont montré des moeurs irréprochables au
fortir du dépôt.
Cette obfervation très- importante , ne peut - elle
pas faire naître une efpérance fur les Filles publiques ?
Ne pourroit -on pas tâcher de former par des moyens
avoués des maurs & des loix , quelque union
légitime entre elles & ceux des hommes du dépôt
qui ont pris le goût du travail & induftrie de
quelques métiers ? S'il y a quelque choſe au monde
qui puiffe élever une Fille corrompue , aux bonnes
meurs , ce font les foins d'une femme de ménage
& les fentimens d'une mère : & heureufement la
plus extrême corruption même n'étouffe pas toujours
ces fentimens ; mais peut - être les hommes
renfermés au dépôt , dans l'ignominie même de leur
condition , refuferoient-ils de fe lier à elles par le
mariage. Les hommes de tous les états vont quelquefois
chercher des plaifirs auprès d'elles , & le
Mendiant même ne veut pas en faire fa femme.
Il y a une obfervation terrible à faire fur le nombre
total des femmes amenées au dépôt , c'eſt que
la plus grande partie eft formée de Filles publiques ,
& de Veuves de journaliers Laboureurs. Quel rapprochement
! Il eft affreux , défefpérant; & c'eft peutêtre
pour cela que M. de Montlinot ne l'a pas fait.
L'année dernière , M. de Montlinot a propofé un
DE FRANCE. 125
›
moyen excellent & facile de préferver de la mendicité
les Journaliers vieillis avant le temps par les
travaux de la terre. Cette année il propofe un
moyen qui nous paroît également bon pour préferver
du même malheur leurs Veuves & leurs enfans.
-Ce fetoit d'établir pour ces veuves un Hofpice où on
éleveroit leurs enfans dans les Arts de la campagne
dans les travaux de l'Agriculture ; les plus foibles
feroient élevés pour les métiers ; les plus forts pour
le labourage. Les Filles en fortiroient à l'âge de
14 ans , & les Garçons à 16 ; ceux-cì , pour être
d'excellens valets de Fermiers , & les Filles pour
être chez le Cultivateur , des fervantes qui auroient
de bonnes moeurs ; efpèce de femines qui manquent
fingulièrement aux campagnes. M. de Montinot
ofe affirmer que , par ce moyen , on attaqueroit la
mendicité dans fa fource , & que cet Hoſpice coûteroit
infiniment peu à la Province.
-
Oferois -je ajouter à ces vûts excellentes , quelques
idées qui ne font pas neuves fan , doute , mais
qu'il peut être urile de reproduire de temps en
temps. Dans toutes les Provinces , dans toutes
les grandes Villes du Royaume , la bienfaifance du
Gouvernement & la charité publique , ont élevé
des maifons où on recueille les Eafans trouvés ,
où ou les nourrit , où on les élève jusqu'à un certain
âge. Ces maifons font toujours établies dans
les Villes , & le nombre de ces malheureux enfans
augmente , dit - on , prodigieufement chaque
année . L'Adminiftration chaque année en devient
plus coûteufe & plus difficile ; & , par toutes ces caufes
à la fois , leur éducation devient toujours plus
mauvaiſe,
On fait nourrir , il eft vrai , la plupart de ces enfans
à la campagne , & à un certain age on envoie
les garçons chez des Fermiers ; mais alors l'Adminif
tration les perd totalement de vûe ; ce qui n'est pas
Fiil
126 MERCURE
fans de grands inconvéniens , & d'ailleurs après les
mois de nourrice , ces enfans rentrent dans les hof
pices.
Pourquoi ne tranfporte t- on pas ces maiſons des
Villes qu'elles infectent , & qui les infectent , dans les
campagnes , & furtout dans les campagnes les plus
éloignées , dans les deferts du Royaume , car la
France a encore des deferts ?
Que d'avantages il a été prouvé qu'on pourroit
airer de ce fimple changement de place !
!
1. Les enfans , plus fenfibles à toutes les impreffions
de l'air , prennent & communiquent les maladies
contagieufes avec une extrême facilité : & chez eux ;
dans ces petits corps fpongieux,pour ainfi- dire, prefque
toutes les maladies font contagieufes . Dans les Hofpices
des Villes où on les amoncèle les uns fur les
autres , il y a une contagion fixée parmi eux , &
on peut dire qu'ils vivent toujours avec une maladie
mortelle. J'ai entendu dire à un Médecin très - éclairé,
que pour les enfans , la pefte étoit toujours dans ces
maifons. Dans les campagnes , on les placeroit à
d'affez grandes diftances , pour couper ailément
toutes les routes de communication à leurs maladies
contagieutes . De cela feul réfulteroit trois grands
biens : on en conferveroit infiniment davantage
Fair des Villes feroit délivré d'un grand foyer de
corruption , & l'entretien de ces maifons feroit fou
lagé des frais de tous les remèdes qu'on fait prendre
à ces enfans continuellement malades.
>
2. N'eft il pas étrange que ce foit dans les
Villes ou le luxe enchérit tout , ou Populence même
& l'induftrie la plus active ont rant de peine à vi
vre , qu'on place des maifons qui doivent fubfifter de
la charité du Gouvernement & de la Nation ? Qu'on
les tranfporte dans les campagnes où tout eft à
meilleur marché , leur entretien coûtera un tiers ,
ane moitié , deux tiers de moins , fuivant les lieux ,
DE FRANCE. 127
1
& ce qu'elles dépenferont , ce qu'elles confommeront
, fera une fource de fécondité pour ces mêmes
campagnes .
>
3°. Il le préfente à mon efprit ure confidération
que j'ole à peine énoncer : on a dit , & je ſouffre à
le répéter, que les Employés à la régie de ces maisons
ont fouvent dépouillé le pauvre des deniers donnés
par la charité publique ; qu'ils fe font enrichis trèsfouvent
, en dérobant le pain à la faim dévorante
en volant à l'enfant qui le meurt , le remède qui
devoit lui fauver la vie . Le brigand couvre fouvent
la nudité du pauvre ; le plus féroce affaffin foutient
l'homme qui tombe en défaillance , & dans ces adminiftrations.....
, c'eft le crime qui accufe à la fois ,
qui outrage & qui révolte le plus I humanité. Il ne peut
être commis que dans des lieux où les plus grands
excès font devenus des befoins ; où les paflions faus
ceffe irritées & toujours promptement fatisfaites ,
font paffer continuellement les ames du délire , de
la fureur des defirs, à cet affoupiffement des voluptés
& de la molleffe , dans lequel on n'a pas la force d'avoir
un fentiment ; où l'on eft cruel & barbare par
Timpuiffance de recevoir les douces émotions de la
piie : il ne peut être commis
que dans des lieux où
les objets du luxe vous cachent pour ainfi dire la
nature ; où la foule vous dérobe à chaque inftant à
vous-même ; où le bruit des plaifirs étouffe & fair
taire la voix intérieure de l'ame & de la confcience ;
où, vivant continuellement dans des Spectacles qui
ne font qu'illufion , on finit par oublier qu'on eft
homme , & qu'on vit avec des hommes. Un
tel crime ne peut être commis que dans les villes
à grand luxe. Dans les campagnes , où l'on ne
fent guères que les befoins de la nature , où les paffions
font moins féductrices & moins enivrantes ,
on ne voit rien qu'on foit tenté d'acheter par un
fi grand crime. Les Adminiftrateurs reftant continucl
Fiv
128 MERCURE
lement près des enfans malheureux confiés à leurs
foins , entendroient mieux à la fois , dans le filence
des campagnes , & la voix de leur confcience & le
cri de l'infortune . La vue continuelle de tant de
jeunes infortunés , leur deviendroit trop cruelle
s'ils ne s'occupoient du foin d'adoucir leur fort ; ils
feroient pitoyables & bons , même par intérêt petfonnel.
,
>
Il fe préfente ici une objection , & elle eſt unique
à ce que je crois on peut dire que ces mailons
éloignées des grandes villes où four aufli les grandes
fortunes , ne feroient plus auffi bien placées pour
attirer fur elles les bienfaits de la charité: en les perdant
de vue , la pitié s'affoibli ojt peut-être ; elles
ne s'enrichiroient plus des expiations du crime &
des dons généreux de la vertu . D'ailleurs , plus
éloignées du Gouvernement , elles paroîtroient audi
recevoir moins immédiatement fa prorection . On
peut faire à cela des réponſes bien faciles cc me
femble. Il ne faut pas croire que ce foient les mouvemens
fugitifs & inftantanés de la pitié qui attirent
des bienfaits fur ces maifons : elles font trèspeu
connues dans les grandes villes au milieu defquelles
elles font placées : elles y font auffi cachées
qu'elles pourroient l'être dans les campagnes ;
c'cit
le fentiment réfléchi & conftant de la Religion ou
de l'humanité qui leur porte des préfens , & ces
deux fentimens favent aller chercher au loin les objets
de leurs libéralités : c'eſt communément par
les dernières volontés de la vie , par les teftamens
qu'on leur laiffe des biens , & la penfée d'un homme
qui difpofe de fa fortune pour le temps il ne fera
plus, n'eft pas plus éloignée des malheureux qui font
à cinquante lieues de lui , que de ceux qui font à
fes côtés. La crainte que je combats ici , auroit pu
être fondée dans les temps où il y avoit peu de communication
entre les parties les plus voisines d'un
DE FRANCE 129
, que
état ; où les hommes , renfermés dans une cité ou
dans un hameau , croyoient à peine qu'il exiftât
des hommes loin de leur ville & de leur village :
Aujourd'hui les liens & les relations des
hommes de tous les pays , de toutes les contrées ſe
font étendus avec les lumières , on s'unit intimement
à la destinée des hommes qui font féparés de nous
par les mers & par les Empires. Nous fentons les
biens & les maux qui arrivent à nos femblables
à cent lieues de nous ; & fans gémir même fur
leur malheur , on éprouve le befoin de les foulager :
les réflexions & les lumières , en répandant au loin
le fentiment de l'humanité , l'ont peut- être affoibli ;
mais elles l'ont fingulièrement étendu on pleure
moins , on fecourt davantage. La pitié prompte &
paffionnée eft la générofité des fiècles barbares ; la
générofité réfléchie & combinée , eft la pitié des
fiècles éclairés. Il ne faut donc pas croire que la
fource des charités particulières & publiques tarit
dans nos villes fi on en éloignoit les Hofpices.
des Enfans- trouvés ; elle couleroit en fe fécondant
dans la route jufqu'aux lieux éloignés où l'on tranfporteroit
ces maifons. Quant à la protection du
Gouvernement , un Gouvernement , tel que le
nôtre , porte aifément toute la puiffance aux points
les plus éloignés de l'Empire ; c'eft l'avantage particulier
des Monarchies Une efpérance qui fe pré-.
fente encore bien naturellement , c'eſt que ce changement
infpiré au Gouvernement par l'amour de
T'humanité , en réveilleroit plus vivement le fentiment
dans toutes les ames , & que cette époque feroit
celle où ces établiſſemens auroient été les plus
enrichis par la bienfaiſance univerfelle de la Nation.
+
4. Les avantages que nous avons relevés jufqu'à
préfent , regardent fur tout les hofpices mêmes ; il
s'en préfente de bien plus confidérables pour la
Nation entière. On s'eft plaint de tout temps ,
F.v
MERCURE
depuis un demi fiècle les plaintes ont fingulièrement
redoublé , de ce penchant aveugle & malheureux
qui fait abandonner à tous les hommes les
campagnes pour les villes : qui peuple les attelicrs
des Arts & les Manufactures des hommes qui manquent
à la colture des champs. L'établ ::Tement des
Maifons de charité dans les villes , eft très propre à
entretenir à augmenter ce défordre. Les enfans .
qu'on y nourrit ne peuvent être élevés que pour les
métiers & pour les villes . Le travail fédentaire des
métiers tue les enfans , dont le premier befoin eft
de courir , de fauter & de s'ébattre. Et c'eft-là fûrcment
une des caufes de la mortalité effray ante établie
dans ces maifons. Si on tranfporte ces maiſons dans
les les enfans que
campagnes , l'Etat y nourrit , feront
nourris & élevés pour les campagnes. Le Gouvernement
qui aura toujours dans les mains certe
fource de la population , la répandra , la diftribuera
à fon gé für les terres du Royaume ; & tandis que
les vices naturels de la Société entraînént les hommes
des campagnes dans les villes , les lumières du Gouvernement
les feront refluer des villes dans les campagnes
Produits la plupart par les vices des cités .
ces infortunés enfans feront élevés du moins dans les
bonnes moeurs & dans la fimplicité des champs : on
fe fervira des fruits même de la corruption pour en
arrêter les progrès . Alors on en confervera davantage
, & loin de craindre , on pourra defirer d'en
voir augmenter le nombre . L'Etat qui fera pour eux
& par eux de grands établiffemens de culture , les
regardera du même il que le Labourer regarde
'fes nombreux enfans dans lequel il voit fa richeffe.
Adoptés par le Gouvernement , le Gouvernemene a
légitimement fur eux deux espèces de pouvoirs , celui
de Souverain & celui de Père. Par la puiffance
paternelle à laquelle on pourroit donner légitimement
toute la puiffance qu'elle a dans les Loix
·
DE FRANCE 131
Romaines , le Gouvernement auroit un droit
abfolu & fur leur éducation , & fur les fruits des
travaux de toute leur première jeuneffe. Que d'expériences
& que d'effais avantageux à ces enfaus
eux-mêmes & à la Nation entière , un Gouverné→
ment aufli éclairé que le rôtre pourroit faire dans
la culture , dans la légiflation & dans les moeurs de
ccs Colonies naiffantes ! Que d'antiques ufages on
pourroit y détruire ! Que de vues , qui paroiffent des
fyftêmes, y prendroient l'autorité des faits ! Les préjugés
, les erreurs , les abus deviennent éternels en
fe tranfmettant des pères aux enfans ; ces enfans
fans pères , adoptés par un Gouvernement trèséclairé
, fe trouveroient tout à coup fans abus , fans
erreurs , fans préjugés : au fein d'un Empire antique
s'éleveroit , pour ainsi dire , un
>
nouveau
peuple ! J'ofe croire que s'il y a quelques moyens
de peupler & de féconder les landes de la Normandie
& de la Champagne les deferts qui
font entre Bayonne & Bordeaux , on ne les trouvera
que dans ce nouvel emploi des enfans & des hommes
renfermés dans les Hofpices de la Nation.
Voilà un beau rêve , dira t on peut-être , & il
eft bien long ; j'en conviens : il eft doux de rêver
au bonheur public , & on craint de fe réveiller.
}
Un chapitre infiniment curieux dans le nouveau
compte du dépôt de Soiffons , c'eft le chapitre des
Mendians de race. Les accidens inévitables de la vie,
Ies vices de la Société , font chaque jour de nouveaux
mais left une pauvres ; clafle de pauvres qui fe
perpétuent d'eux- mêmes ; qui font de la mendicité
une espèce d'art & de métier , qu'ils fe trafinetteng
de père en fils , de génération en génération . Ils
ont leurs principes , leurs moeurs , & pour ainfi dire
leurs loix : fans domicile fixe , fans fubfiftance affurée
, entendant beaucoup mieux un jargon qu'ils
fe font fait , que les langues qu'on parle autour
F vj
132 MERCURE
d'eux ; we terant au refte des hommes, ni par la
morale ni par la Religion ; ils errent de Province
en Province , ont des poftes de rendez -vous cù ils
fe réuniffent , & d'où ils fe diftribuent ; c'eft , pour
ainfi - dire , une nation invifible de fauvages , au
milieu d'une grande nation civilifée : & ceue vie ,
dans laquelle ils ne fentent ni les peines ni les plaifrs
de la Société , a pour eux un charme infini .
M. de Montlinot dit que dans cette vie , ce font les
femmes qui prefque toujours , nourriffent les hommes;
& c'eft précisément auffi ce qu'on voit chez la plûpart
des Sauvages. Cette conformité eft remarquable,
mais n'eft pas étonnante .
Ila fallu fans doute bien de l'adreffe & bien de la
pénétration à M. l'Abbé de Montinot , pour décou
vrir ainfi tous les fecrets de l'exiftence de cette na .
tion de Mendians. Il paroît auffi que tous les pauvres
du dépôt en général , ont affez de confiance en
lui , pour lui révéler beaucoup de chofes ; & le
moyen qu'il emploie pour obtenir cette confiance fi
importante dans une pareille place , eft à-peu près
infaillible. L'ordre , la iègle qu'il a établie dans l'adminiſtration
de l'Hospice , n'eft pas cruelle , mais
elle doit être & elle eft très- févère : lui , au contraire, fe
montre toujours facile & doux. Par-là , les Mendians
font difpofés à croire que la févérité rigide de l'adminiftration
, tient à la nature des chofes , & que la
bonté , la douceur feule de M. de Montlinot lui
font perfonnelles . Ils ne l'accufent point de la rigueur
des Loix , & font attirés vers lui par fon humanité
; & fans les aveux , fans les confidences qu'il
obtient par ces moyens , fes obfervatious feroient
elles fi étendues & fi curieufes ? Dans combien de
places un pareil talent feroit encore plus néceffaire
& produiroit des lumières plus utiles à la Société !
On gouverne les hommes , & on ne les connoît
point, on ne fait rien pour les connoître.
DE FRANCE. 133
Un malheureux accufé d'un crime qui peut le
mener à l'échafaud , eft affis fur une fellette : on
l'interroge , mais fur fon crime uniquement ; & fi
fon crime paroît établi , on l'envoie à la mort fans
lui rien demander de plus. Il ne fe confeffe qu'à
l'oreille d'un Miniftre de la Religion , dans le
fein duquel tous les fecres de fa vie doivent fe
perdre. On ne doit plus que de la pitié aux crimi
nels même , lorfqu'ils ont entendu leur Sentence de
mort : car dès ce moment ils ont déjà fubi leur
plus grande peine. Que le Magiftrat qui la leur a
prononcée , faffe fuccéder à ce miniftere fi terrible
pour lui-même , un miniftère qui le confole d'avoir
été auffi févère que la Loi : qu'en témoignant de la
pitié & de la compaffion aux malheureux qu'il a été
obligé de condamner , il penetre dans leurs ames
déjà déchirées par le repentir & par la douleur ;
qu'il en obtienne l'aveu des fatales circonftances
qui les ont égarés dans les voies du crime . Qué de
lumières ! quelle nouvelle connoiffance & de l'homine
& de la Société , on verroit réfulter de ces confeffions
faites aux Prêtres de la Loi ! Et qu'on ne croie
point qu'il fûr fi difficile d'obtenir ces révélations
de la bouche de ces infortunés. L'homme qui va
mourir a bien peu de chofe à diffimuler : interrogé
par des Magiftrats éclairés & philofophes , ( & il y
en a de nos jours ) , par des Magiftrats qui connoftroient
cette langue que l'humanité doit parler
aux malheureux ; ces infortunés éprouveroient à
s'entretenir des vices qui les ont perdus , cette ef
pèce d'attrait que l'homme éprouve à raconter fes
malheurs. Il eft d'ailleurs dans la nature humaine ,
de trouver je ne fais quelle confolation , je ne fais
quel foulagement à faire des aveux dont on n'a rien
à craindre : il femble que l'ame , oppreffée du poids
de fes remords , le reierté & s'en délivre en faisant
raven de fes fautes ; & c'eft ainfi que la 'confeffion ,
134
MERCUR-E
qui eft d'inftitution divine , eft auffi d'inftitution de
la nature.
On pourroit avoir le talent d'obſerver les hommes,
fans avoir du tout celui de les gouverner. M. de
Montlinot heureufement paroit les pofféder tous
les deux au mêine degré. Les chapitres où il rend
compre de la police & des réglemens du dépôt ,
font encore fort au - deffus de tous les autres.
Graces à fon extrême habileté dans ce genre ,
un dépôt de pauvres & de vagabonds , eft devenu
une espèce de petite fociété , qui n'offre de toute
part que l'image de l'ordre , du travail & de la paix .
Tous ceux qu'il emploie en fous-ordre, à l'exception
de trois Surnuméraires de la Maréchauffée , font
des Mendians eux mêmes ; ils font Gouvernans &
gouvernés , & ils gouvernent bien , ils obéiſſent
bien. Pour faire d'un Mendiant un Prévôt , M. de
Montlinot le choifit d'abord de haute taille ,de mine
impofante . Mais s'il étoit vêtu comme les autres
les autres pourroient fe fouvenir qu'il n'eft qu'un
Mendiant comme eux ; on met fur fa vefte de
3
groffe toile un large galon de laine rouge
qui coûte dix fols & voilà le Prévôt revêtu
d'un caractère refpectable On peut fourire ; mais
ce qui fait le Prévôt du dépôt de Soiffons , a
fait quelquefois des Empereurs à Conftantinople.
Dans les derniers temps du Bas - Empire , le premier
gueux qui trouvoit dans la rue un morceau de
pourpre & le jetoit fur fes épaules , étoit fuivi
avec refpect par d'autres
falué & adoré
comme Empereur. On voit dans l'Hiftoire de M.
le Beau , que plufieurs révolutions du Trône & de
l'Empire de Conftantinople , n'ont pas eu d'autres
caufes . Dans tous les pays & dans tous les fiècles
les galons de laine rouge ont eu plus de puiffance
qu'on ne croit .
gueux ,
Les hommes , les femmes , les enfans , tout traDE
FRANCE. 135
vaille dans le dépôt , foit à polir des glaces , foit
faire de la toile , foit à tricoter des bas. A ceux qui
travaillent le mieux , on leur donne un banc & les
voilà Maîtres. Il faut que tout le dépôt les appelle
Mattres , & M. de Montlinot en donne l'exemple.
Les Maîtres ont des Apprentifs . Un de ces Administrateurs
qui veulent out faire & qui font toat
mal , auroit voulu fe réferver le droit d'indiquer &
de donner les Apprentifs aux Mattres. Sous M. de
Montiinot , les Maîtres choififfent , renvoyent , reprennent
les Apprentifs à leur gré point de loix
réglémentaires & prohibitives ; des droits violés
dans beaucoup de grandes Sociétés , font refpectés
dans cette efpèce de prifon .
:
Le gain eft pour les travailleurs , & il eft natu
rel que ceux qui travaillent le plus , confomment
davantage. Il y a dans le dépôt même des mar
chands de vin , de pain , de fruits , de légumes ,
de bière , & la liberté d'y aller marchander
acheter foi même ; l'afpect de ces petites boutiques ,
fait oublier qu'on eft dans un dépôt , fait croire
qu'on eft dans un village , dans un hameau.
"2
un
Il faut finir ; & c'eft trop tard fans doute que
nous finiffons . Je veux , diloit M l'Intendant de
Soifons , qu'on traite le malheureux comme
ami , le pauvre comme un homme , le vagabond
comme un être capable d'être régénéré. Le Public
eft en état de juger fi M. le Pelletier de Morfontaine
a fu bien choifir l'homme capable d'exécuter
de f pures & de fi faintes intentions .
( Cet Article eft de M. Garat. )
136 MERCURE
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Samedi 6 de ce mois , on a donné ,
pour la première fois , la Fauffe Coquette ,
Comédie en trois Actes & en vers , par M.
Vigée .
Céphife , jeune Veuve , aimable , fpirituelle
& fenfible , eft aimée d'un M. de Florval
, dont les foins ont fu la toucher , mais
dont elle ne connoît point encore l'amour ,
parce que celui ci s'eft fait un fyftême de ne
point foupirer , & de laiffer plutôt deviner
fa tendreffe que d'en faire l'aveu. Lifette ,
femme de chambre de Céphife , qui a fu
lire dans le coeur de Florval, confeille à fa
Maîtreffe de jouer l'indifférence & même la
coquetterie , afin d'éprouver fon amant , &
de punir fon amour - propre par la jaloufie.
La Veuve ne fe prête que difficilement à
cette feinte , parce que la franchiſe de fon
caractère répugne à tout ce qui tient à la
diffimulation . Cependant le defir de favoir
fi elle eft & comment elle eft aimée lá détermine.
En conféquence , elle fe propofe
de donner accès chez elle à tout ce que
l'on appelle bonne compagnie ; elle le déclare
à Florval, traite avec douceur & bonté,
quoiqu'en fe le reprochant tout bas , un
DE FRANCE. 137
certain Gerfeuil , ami de Florval , fat
jufqu'à l'impudence , & avantageux juſqu'à
la fottife: Elle fe montre même en public
avec lui ; enfin , elle fe comporte de façon
que, tant à caufe de la conduite qu'elle tient,
que par les aveux qu'une crédnie & très cré
dule fatuité arrache à Gerfeuil , Florval fe
trouve en proie à tous les tourmens de la
jaloufie la plus décidée. Dans le premier accès
de fon humeur, jaloufe , Florval écrit à
Céphife un billet très piquant que l'offcienx
Gerfenil fe charge de remettre , en fe
faifant fort d'en faire apporter la réponſe
par la Veuve elle-même. En effet , la remife
du billet eſt bientôt Quivie du retour de Cé .
phife , & de là réfuire phife une explication dans
laquelle Florval , retenu vingt - fois par une
fauffe honte , craint d'avouer qu'il aime , &
finit par en faire l'aveu le moins équivoque ,
en laiffant éclater les rranfports de l'amour
le plus tendre. Céphife , dont le coeur s'eft
contraint avec beaucoup de gêne , écoute
ce: te déclaration avec plaifir , y répond avec
une expreffion très intéreffante , & donne
fa main à Florval. Gerfeuil entre pour être
témoin de leur accord , & le retire en déclarant
à la Veuve que les regrets qu'elle éprou
vera fuffiront pour. fa vengeance.
Ce fonds n'eft pas très- neuf , & l'intrigue
en eſt un peu nue . Le titre de l'Ouvrage
nous paroît même hafardé. Céphife n'eft
point une fauffe coquette ; elle ne s'entoure
point , pour en impoſer à Florval , de
138 MERCURE
toutes les reffources de la coquetterie ; elle
fuit avec peine les confeils d'une Soubrette
intelligente , & ce n'eft que d'une voix alté
rée , avec un embarras fenfible qu'elle cher
che à prendre aux yeux de fon amant des
dehors véritablement incapables d'en impofer
à un homme exercé dans le manège de
la coquetterie & des intrigues . Or , Florval
l'eft ou doit l'être. Le tableau du fyftême
qu'il s'eft fait en amour , les raiſons fur le f
quelles il a bâti ce lyftême , & qu'il fait connoîtré
au Public , en les confiant à fon Valet
, ( manière d'expofer un peu bizarre &
hors de nos mceurs actuelles ) en font une
preuve convaincante. Pourquoi donc Florval
eft il trompé ? Parce que , dans les vûes
de l'Auteur , il étoit néceffaire qu'il le fût
mais Céphife joue fi mal la coquette , &
Florval a acquis tant d'expérience , qu'il ne
devroit pas l'être . Au refte , à d'autres égards ,
le caractère de cet amant est bien tracé . Il
n'a point encore confulté fon coeur ; il ignore
jufqu'à quel point l'amour s'en est rendu le
maître ; il badine avec lui , & finit par fe
trouver l'efclave d'un fentiment qu'il croyoit
pouvoir gouverner à fon gré. Nous n'en
dirons pas autant du perfonnage de Gerfeuil.
C'est un fat d'une espèce alfez commune.
On reconnoît en lui plufieurs traits de reffemblance
avec d'autres fats de notre Théâtre
, & malheureufement ces traits ne font
pas les plus agréables . La fatuité le rend fi
crédule & fi aveugle , il fe loue avec une
DE FRANCE. 139
complaifance fi commune , qu'il n'a pas
même le petit mérite de paroître un inftant
aimable. Malgré toutes ces obfervations , cette
Pièce doit donner une idée avantageufe des
talens de fon Auteur , parce que l'on y remarque
fouvent de la vérité dans le dialogue
des idées riantes & des intentions
comiques. Le ftyle eft très faillant , il a fait
affez généralement fortune. C'est une imitation
fort exacte du jargon à la mode aujourd'hui
dans nos Cercles les plus renommés. H
eft à craindre que les Spectateurs de Province
ne le comprennent pas auffi facilement
que les Habitans de la Capitale , &
que fi d'ici à quelques années le goût & la
vérité produifent dans la Société une révo
lution un peu heureufe , ce ftyle fi vanté ,
tant applaudi , ne devienne une énigme dont
le mot foit impoffible à donner..
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Jeudi 4 Novembre , on a donné la
première repréfentation des Amours de Chérubin
, Comédie en trois Actes & en profe ,
mêlée de mufique & de vaudevilles.
Malgré les nombreufes critiques que l'on
a faites du Mariage de Figaro , en dépit des
épigrammes , en profe , en vers , clandeftines
ou imprimées , que l'on a faites contre cette
Comédie , elle a produit une fenfation fi
140 MERCURE
générale , & fon fuccès s'eft fi bien maintenu
, que tout Ouvrage qui a eu avec elle un
rapport direct ou indirect , a excité la curiofité
publique. Les Théâtres Forains ont les
premiers profité de l'effervefcence , & par le
fecours du nom de Figaro , ont attiré la
foule. Les Amours de Chérubin ont à leur
tour procuré à la Comédie Italienne une trèsnombreufe
affluence de Spectateurs ; mais
elle a été de peu de durée. Le même jour a vû
reparoître & difparoître ce Page fi fouvent fêté
à la Comédie Françoife . A l'inftant où nous
écrivons cet article ( le 12 Novembre ) & où
nous nous mettons en devoir de faire connoître
l'intrigue de cette efpèce d'Opéra-
Comique , nous apprenons qu'il doit être inceffainment
remis au Théâtre , revu , corrigé
& confidérablement diminué , puifque
de trois Actes il fera réduit à un . Nous at
tendrons donc cette reprife pour en rendre
compte. En refondant fon Ouvrage , l'Auteur
aura vraisemblablement fait difparoître
les longueurs , les inutilités , les redires qui
ont amené fa chûte ; nos obfervations , fouvent
trop inutiles , le feroient donc encore
davantage dans certe circonftance. Il nous
refte à defirer-, lorfque nous analyferons les
amours de Chérubin , d'avoir feulement des
éloges à leur donner , & d'être difpenfés de
toute réflexion critique,
DE FRANCE. 141
ANNONCES ET NOTICES.
→
ATLAS Eccléfiaftique , Civil , Politique , Mili
taire & Commerçant de la France & de l'Europe
ou Étrennes portatives , utiles & agréables , pour
l'année 1785, vol . in - 24, de 200 pages . A Paris , chez
Beauvais , maifon de M. Lambert , Imprimeur- Libraire
, rue de la Harpe , & Frouilé , Libraire , quai
des Auguftins. Prix , I livre 4 fols broché ; avec les
Cartes coloriées , 1 livre 10 fols.
Les augmentations confidérables faites à cet Almanach
, qui a paru avec fuccès l'année dernière , donnent
une idée avantageufe de la fuite ; il remplit
exactement fon titre , & les Cartes dont il eft enrichi
réuniffent l'agréinent à l'exactitude . -
ETRENNES Provinciales , ou Tablettes du
Citoyenpour l'année 1785. Prix , 12 fols brochées, A
Paris , mêmes Adreffes que ci- deffus . 3 7
Ces Tablettes contiennent à - peu-près tout ce
qu'un Particulier doit favoir dans le commerce de la
vie & elles font enrichies de Notes curieufes & intéreſſantés
fur toutes les Provinces du Royaume.
DECOUVERTE des Principes de l'Aftronomie ,
cette clefdes principes particuliers de la Géographie ,
de la Navigation , de la Médecine , du Moral , de la
Morale , &c. &c. &c. par M. René Trottier A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Seine , F. S G. Nº . 68 .
M. Trottier dit que cette Brochure n'eft qu'un Extrait
d'un plus grand Ouvrage. « Il démontre l'abfurdité
de tous les fyftêmes Aftronomiques connus
» de nos jours ; il démontre ( c'eft M. Trottier qui
parle ) que le foleil , ni la lune , ni la terre n'exécutent
point de courfes , & n'en ont que l'appa
·
142 MERCURE
לכ
rence ; M. Trottier a découvert la clef de toutes
les Sciences , que les beaux Génies & les Savans
de toutes les Nations cherchoient en vain depuis
fi long-temps ; dès-lors cette découverte ( c'eft toujours
M. Trottier qui parle ) devient l'aurore du
plus beau jour qui ait encore lui fur l'humanité ,
» & il ne peut y avoir rien de plus intérellant que
cet Ouvrage .
සා
ככ
20
L'Auteur a cru fans doute qu'un Ouvrage dans
lequel fe trouvoient réunies tant de rares qualités ,
pouvoit fe paffer du mérite du ftyle anfi a - t'il écrit
celui- ci avec auffi peu de goût que de connoiffance
de la langue Françoiſe . Au refte , il apprend au Public
que le Gouvernement a ordonné que fon Ou- -
vrage , definé a l'Éducation de Mgr . le Dauphin ,
fût rende public , & qu'il a obtenu la pluralité des
voix ou fuffrages de l'Académie des Sciences . M. de
Fonchy vient de démentir publiquement cette dernière
affertion ; & fon défaveu doit foulager tous
ceux qui s'intéreffent à la gloire de la Société dont il
eft Membre.
OBSERVATIONS fur les deux Rapports de MM.
les Commiffaires nommés par Sa Majesté pour
l'examen du Magnétifme Animal , par M. Deflon .
A Philadelphie ; & fe trouve à Paris , chez Pierre J.
Duplain , Libraire , cour du Commerce , rue de
l'ancienne Comédie Françoife.
LES Vetales, gravées d'après le Tableau original
de J. Raoux , Peintre du Roi , par P. H. Jonais .
Prix , 4 livres. A Paris , chez M. Delaunay, des Académies
Royales de Paris & Copenhague , rue de la
Bucherie, nº . 26.
Cette Gravure eft du ton qui convient au fujet,
& rend toute l'expreffion de l'original.
DE FRANCE. 143
LES Figures des Fables de La Fontaine , gravées
par Simon & Coiny , d'après les Deflins du
fieur Jacques Vivier, Peintre , Elève de M. Cafanove
, le texte gravé , format in- 16 , papier d'Hollande.
Prix , 3 livres par Livraiſon. A Paris , chez
Simon & Coiny , Graveurs , au Bureau du Voyage
Pittorefque de la Grèce , rue Pagevin , nº . 16.
La première Livraifon de cet Ouvrage paroît
actuellement , & nous la croyons digne de l'accueil
du Public. Les Eftampes en font très - foignées , & le
texte eft gravé avec beaucoup d'exactitude & de
netteté . Il exiftoit avec des Gravures deux Editions
du Fabulifte François ; mais l'une , gravée d'après
Oudry, fort belle fans contredit , eft peu commode
par fon format in folio , & l'autre in - 8 ° . par Feffard,
eft mal exécutée. Celle que nous annonçons réunit
l'avantage du format à une bonne exécution , & les
Eftampes peuvent s'adapter à toutes les Editions in- 16
des Fables de La Fontaine , avec les Commentaires ou
fans les Commentaires de Cofte , telles que l'Edition
de M. Didot . On en promet une Livraiſon tous
les quinze jours.
LES Rubans, ou le Rendez-Vous , Opéra Comique
en un Acte & en vers , repré enté par les Comédiens
Italiens , mis en mufique par M. de Blois.
Prix , 15 liv . A Paris , chez Houbaut , Place du
Théâtre Italien.
Les deux Auteurs ont mis peu de prétention à cet
Ouvrage. Le fujet en eft foible , & le Muficien n'a
pas eu l'occafion de s'élever ; mais fa teinte générale
eft gracieufe , & plufieurs morceaux méritent d'être
diftingués.
PREMIER Recueil d'Airs , Romances , Chanfons
& Duo , avec Accompagnement de Piano- Forte ou de
Harpe , par M. de Saint- Amans , Maître de l'Ecole
144 MERCURE
Royale de Mufique N. B. Les trois premiers Airs font
tirés de la Rofière de Salency , Opéra - Comique de M.
Favart , mis en mufique par l'Auteur de ce Recueil ,
& repréfenté à Bruxelles. Prix , 7 livres 4 fols. A
Paris , chez l'Auteur , rue Poiffonnière , la cinquième
porte à gauche après le Boulevard , & Leroy, Place
du Palais Royal , Café de la Régence .
M. de Saint- Amans , dont le talent pour le Cla--
vecin & la compofition eft avantageufement connu ,
n'eft pas fait pour arranger la musique des autres,
Les morceaux qu'il publie aujourd'hui font compo
fés par lui , & ont déjà obtenu en Province le fuccès
qu'ils méritent.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes , le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
TABLE.
L'Electricité , Ode,
Charade , Enigme &
gryphe ,
Les Six Nouvelles de
Florian
97 dicité de la Généralité de
Soiffons , Logo-
Tos Comédie Françoise ,
M. de Comédie Italienne,
106 Annonces & Notices
Etat actuel du Dépôt de Men- |
APPROBATION.
115
136
139
141
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Novembre. Je n'
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
Paris , le 19 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 27 NOVEMBRE 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Pour être mis fous le Bufte du Prince
HENRI de Pruffe.
DANS .Cette image auguſte & chère ,
Tout Héros verra ſon rival ,
Tout Sage verra ſon égal ,
Et tout Hemme verra fon frère .
(Par M. le Chevalier de B. **, )
N°. 46, 27 Novembre 1784 G
146 MERCURE
ENVOI à Mme la Comteffe GABRIELLE
DE DIGOINE , Chanoineffe de S. Martinde-
Salles , âgée de 14 ans , & relevant
d'une grande maladie.
Vous avez l'âge de Thémire ,
Et vous la furpaffez par vos heureux talens .
Sapho vous a légué fa lyre ,
Et la meilleure des mamans
Fait naître & partage un délire
Bien préférable à celui des amans.
De vos heureux parens vous fixez la tendreffe ;
Ils ont tremblé pour vos beaux jours :
Mais Apollon vous rendant au Permeſſe ,
Va diffiper leur profonde trifteffe
Et rendre une foeur aux Amours.
( Par M. le Chevalier de P.... de Names . )
DE FRANCE. 147
LE RÉVERBÈRE ET LA CHAUVESOURIS
, Fable.
UN
Réverbère
magnifique
Réfléchiffoit les feux de fon triple foyer
Sous les voûtes d'un temple antique .
Une Chauve - Souris vint s'y réfugier.
Au vif éclat de la lumière
Vous euffiez vû l'oiſeau , fombre amant de la nuit ,
Baiffer triftement la paupière
Et fuir dans un obſcur réduit.
Mais à peine le Réverbère
De fon difque d'argent laiffe amortir les feux ,
Que la Chauve- Souris de fon trou ténébreux ,
S'élance en frémiffant , pouffe un cri de Mégère ;
Et prenant fon effor vers le globe fatal ,
Qui venoit d'offufquer la prunelle débile ,
Elle cherche à brifer fa prifon de crpal.
Mais le Réverbère immobile
Méprifa noblement le courroux de l'oiſeau ,,
Et dès le lendemain brilla d'un f.u nouveau.
ILLUSTRE GÉBELIN ! tandis qu'à ton génie
D'Albon préparoit un autel ,
Ainfi nous avons vû les ferpens de l'envie
Attaquer vainement ton Ouvrage immortel.
( Par M. Bailly , Membre du Musée de la
rue Dauphine.)
Gij
148 MERCURE
LE PRÉJUGÉ NATIONAL DÉTRUIT
Anecdote hiftorique & véritable.
LES haines Nationales naiffent & s'alimentent
communément par la guerre , plus fréquente
entre des États voifins qu'entre ceux
qui font plus éloignés les uns des autres ;
mais c'eft fur tout dans les Gouvernemens
où le peuple s'imagine d'avoir quelque part
à l'adminiftration générale , que ces haines
femblent incurables : là , il croit , par tradition
, que la haine pour les ennemis ou pour
fes rivaux eft la vertu patriotique par excellence
; & les gens éclairés n'abjurent fouvent
qu'avec peine le préjugé qui les a rendus
aveugles & injuftes à cet égard , comme le
peuple. Voici un exemple récent de cette
-vérité.
Pendant la dernière guerre , l'Efcadre Françoife
, aux ordres du Comte de Barras , avoit
débarqué quelques Troupes de terre à
Newport , dans le Rhode Island . Afin de ne
pas furcharger la place de bouches inutiles ,
on décida que les malades feroient envoyés
dans les environs ; le Capitaine B. , da Régiment
de.... , attaqué violemment de fcorbut ,
étoit de ce nombre ; & fur un ordre du
Major de l'Armée Continentale , fon quartier
lui fut affigné à fix milles de Newport ,
chez le Planteur Sir George Olivier. Le CheDE
FRANCE. 149
valier L. , neveu du Capitaine , & Sous- Lieutenant
au même Régiment , obtint la permiffion
d'accompagner fon oncle pour le
foigner , avec la promeffe d'être rappelé à ,
fes drapeaux dès l'inftant que le Service exigeroit
fon retour à Newport.
Ces deux Officiers fe mettent en route
avec un Guide qui leur fervoit d'Interprète.
En arrivant chez leur Hôte , ils furent reçus
avec une froideur qui étonna le Chevalier,
bien plus que fon oncle. Sir George demanda
à voir l'ordre qui amenoit chez lui deux
François ; & après l'avoir lû avec humeur,
il déclara qu'il n'avoit qu'un lit à donner..
Cependant , ajouta t'il , puifque l'un des
deux eft malade , l'autre qui lui fervira de
gardien pourra coucher dans fa chambre fur.
un ballot de pelleteries qui eft ici depuis
trois ans , & que cette maudite guerre m'a
empêché d'expédier en Europe. L'Interprète
rendoit les termes de Sir George au Cap ,
taine . Le Chevalier auroit pu remplir cette .
fonction , car il poffédoit très- bien la langue.
Angloife ; mais , par le confeil de fon oncle ,
il feignoit de ne pas l'entendre , afin de moins
gêner & de mieux démêler l'efprit de leur
Hôte.
Sir George Olivier , puifqu'il faut le pein .
dre , n'étoit qu'un franc égoïfte , quoiqu'il
fe crûr un profond politique , parce qu'il
haifoit les François & qu'il lifoit la gazette..
Le grand objet de la liberté prochaine de
fon pays , le touchoit infiniment moins que,
Giij
150 MERCURE
Finterruption actuelle de fon commerce &2
l'abandon forcé de la culture de fes domai
nes. Sa famille étoit compofée d'une fille &
de trois garçons , dont les deux aînés ferveient
malgré lui dans l'Armée Continentale.
Le troisième , nommé Charles , partageoit.
avec Milf Georgette , fa foeur , les foins de
la ferme & du ménage . Sir George étoit veuf.
I ordonna à fon fils d'éviter avec foin toute
liaifon avec les François ; quant à Georgette ,
toute communication avec eux lui fut abfolument
interdite . Cependant , l'état du Capitaine
exigeant des fecours affidus & journaliers
, Charles ne put en refufer quelquesuns
à la demande du Chevalier , il fe plaifoit
fur tout à prononcer avec lui quelques:
mots François qu'il avoit appris à l'Univer
fité de Philadelphie. Il avoit dix - neuf ans
comme le Chevalier ; ces raifons étoient
plus que fuffifantes pour faire naître entreeux
une amitié vive & prompte malgré les
défenfes du père , tant le befoin d'aimer eft
preffant pour deux jeunes coeurs .
Celui de Sir George , endurci par l'âge ,
étoit l'efclave foumis des anciens préjugés
de fon efprit : âgé de foixante ans , il avoit
combattu les François dans la précédente
guerre , & il s'obtinoir à voir encore des
ennemis dans ces mêmes François qui voloient
an fecours de fa patrie. Dès la première vifite
au Capitaine , il ne lui diffimula pas fa
façon de penfer à cet égard. L'Interprète
étoit en tiers : Par quel événement étrange ,
DE FRANCE. 151 K
lui dit- il , votre Souverain envoie t'il une
Armée dans nos Provinces ? Parce que
-
-
vous lui avez demandé des ſecours . Ge
n'eft pas moi , c'eft le Congrès .... Vous allez
donc conquérir nos Provinces du Sud ? -
Nous allons les défendre contre l'ennemi
commun , & vous affranchir d'un joug qui
vous eft infupportable. - C'eſt à dire, effayer
de le changer contre un autre ? -Non . - Éh !
quel fervice la France attend- t'elle de tant
d'efforts ? Votre liberté. Mais qu'y ga
gnera votre Souverain ? La gloire de fe
montrer généreux en faifant votre bonheur.
-Cette générofité eft grande , fans doute ;
mais quel en fera le prix réel ? Il femble , à
vous entendre , que les Rois d'Europe font
le bien fans intérêt , & pour le feul plaifir
de le faire . Le nôtre donne en ce moment
l'exemple de cette vertu ; & la fin de la guerre ...
La fin de la guerre amènera fans doute
des demandes confidérables ? Je n'en
doute pas. Eh , qu'exigera de nous la Frahce
? Beaucoup. - Combien de Provinces ?
-
--
Aucune. Eh , quoi donc ? -Votre
amitié. Je le defire plus que je ne l'efpère .....
Er tout à coup , changeant de converfation :
comment vous trouvez vous , demanda Sir
George au Capitaine ? Je lens , répondit celuici
, qu'un peu de laitage ou de viande fraî
che contribueroit à mon rétabliffement. -
Charles , vas dire à Georgette de faire traire
une chèvre & taer un moutor ..... Le Capitaine
, touché de ce mouvement de fenfibi-
Giv
482 MERCURE
lité , alloit en témoigner fa reconnoiffance à
fon Hôte ; mais Sir George fe déroba brufquement
à des remercîmens , en le quittant.
Le nom de Georgette , qu'il entendoit
prononcer pour la première fois , frappa
vivement le Chevalier; & à peine Sir George
fe fut-il éloigné qu'il demanda avec empref
fement à Charles quelle étoit cette Georgette.
Suivez- moi , répondit Charles , c'eſt
ma foeur , vous la verrez. Ils volent enfemble
auprès de cette aimable fille , qui travailloit
dans fa chambre. Elle fit un cri d'étonnement
à la vue du Chevalier; fon frère la
rafura , & la pria de rendre le fervice demandé
par leur père pour l'oncle de fon ami.
Georgette leva deux grands yeux bleus fur
eet ami , les baiffa foudain , & quittant précipitamment
fon ouvrage , elle les conduifit
à la prairie , où elle preffa elle mênie les
mamelles de la première chèvre qu'elle ren
contra ; enfuite elle remit le vafe à Charles ,
& elle ajouta avec grâce : ne perdez pas un
moment pour porter ce lait tout chaud à
l'oncle de votre ami. Un fecond regard jeté à
la dérobée fur le Chevalier , la fit rougir , &
elle prit la fuite avec légèreté , laiffant voir
à l'ami de fon frère une taille de Nymphe ,
& un coeur ardent pour fervir les infortunés.
Chemin faifant , le Chevalier fe fit expliquer
, ou plutôt répéter par Charles les dou
ces paroles de Miff Georgette , quoiqu'il les
eût placées déjà dans le fond de fon coeur.
Ils arrivent enfemble chez le Capitaine , &
DE FRANCE. 153
le neveu , en préfentant le lait à fon oncle ,
lui parla avec tant de feu & d'enthoufiafme
de l'aimable Georgette , que le Capitaine le
crut fou. Il l'étoit en effet , fi l'amour , &
fur- tout le premier amour , eft une folie.
Le Chevalier , élevé jufqu'à feize ans dans
une École Militaire , & embarqué depuis
trois , avoit un coeur tout neuf ; celui de
Georgette , affligé de feize ans , ne l'étoit pas
moins : à ces âges le premier coup d'oeil eft
décifif; & Georgette , la douce Georgette ,
concevoit moins que jamais pourquoi fon
père haïffoit tant les François. Ah ! qu'elle
étoit loin de ce ſentiment injufte ! Le tendre
attachement du Chevalier pour fon oncle &
pour Charles , fon frère , étoit le fujer con
tinuel de fes réflexions. Elle en concluoit
qu'il avoit le coeur excellent , & elle aimoit
déjà la France , fans que la politique eût aucune
part à ce fentiment dans le coeur de la
fille de Sir George..
Cependant la première entrevue avoit
enflammé le Chevalier au point qu'il ne cef
foit de parler à Charles du bonheur de voir
fouvent Georgette. Mais comment éluder les
ordres févères de Sir George ? Il fouffroit
impatiemment de voir la liaifon entre le Chevalier
& fon fils fe refferrer chaque jour. Si
Charles prononçoit devant lui quelquesmots
François , il étoit tancé d'importance ;
l'oncle & le neveu avoient beau lui repré
fenter que l'union actuelle entre les François
& les Américains exigeoit qu'ils parlaffent la
Gy
154
MERCURE
même langue . Eh bien , leur répondoit il, que
les François apprennent la nôtre ! Charles
repréfentoit que pour l'apprendre , il étoit
néceffaire pour des François de parler fou
vent avec un Anglois ; alors un coup - d'oeil
terrible de Sir George mettoit fin à toute
réplique ultérieure.
La févérité exceffive du père produisit un
effet tout oppofé à fon but ; les deux amis
fe virent moins ouvertement , & s'en aimèrent
davantage . C'eft dans leurs entretiens
dérobés que le Chevalier ofa propofer à
Charles d'y appeler Georgette. Vous ferviriez
, difoit-il , d'Interprète dans les leçons.
d'Anglois & de François que nous nous don
nerions tous trois ; elle ignore ma langue
encore plus que je n'ignore la fienne ; & fi
jainais mon refpe &t pour cette aimable foeur
pouvoit s'égarer dans fes expreffions , mon
ami me corrigeroit. Quoique le bon Charles
ne vit aucun danger dans ces converfations ,
il différa cependant de les propoſer à Georgette
; mais le Chevalier revint à la chargè
avec tant d'inftance , qu'il les lui propofa
enfin. Eh ! mon père , s'écria Georgette à la
première cuverture?-11 ne le faura pas.
-
Et fi le Chevalier alloit m'aimer ? Il
ne t'aimeri pas , répliqua le naïf Charles
tranfpotté du plaifir d'obliger fon ami. Il
avoit bien reifon , le Chevalier adoroit déjà
fa four; & Georgette elle même , en témoignant
la crainte d'être aimée , ne difoit pas
vrai. Dans ces difpofitions générales de bienDE
FRANCE fif
veillance & d'amitié , peu de jours fuffirent
pour rapprocher ces trois perfonnes . Voilà
donc le trio de l'amitié bien établi à l'infçu
du père. Le premier foin des amis fut de
s'entendre , & la langue , le premier fujet
de leurs entretiens. Le loyal Chevalier fut ,
d'abord fur le point de fe trahir par la rapidiré
de fes progrès dans la langue de Georgette
; mais il s'apperçut bientôt de la faute
qu'il alloit commettre , & on en vint aux
conjugaisons des verbes .
C'est une chofe affez digne de remarque
que le premier verbe de toutes les langues
fait le verbe aimer , verbe dangereux quand
le Maître & l'Écolière font jeunes : Georgette
& le Chevalier prononcèrent avec embarras
le préfent ; mais le Chevalier , plus hardi ,
refufa obftinément de prononcer le futur ,
& Georgette ne lui en fut pas mauvais gré:
Cette intelligence , dès les premières leçons ,
indique affez quels furent les progrès des
fuivantes. Il fuffira de dire que Georgette
devenoit de jour en jour plus inquiette &
plus prévoyante pour cacher à fon père fes
entretiens fecrets avec fon frère & l'ami de
ce fière. Qu'on ne croye pas pour cela qu'ils
fuffent infidèles l'une à fon devoir & l'autre
à l'hofpitalité , ils avoient tous deux l'âme
honnête , & Charles fut toujours témoin de
leur attachement réciproque .
Le Chevalier étoit trop plein de fon
amour pour ne pas l'épancher par tour. Il fe
montroir plus attentif pour Sir George , mais
G vj
1,6
MERCURE
c'eft dans le fein de fon oncle qu'il verfoit
avec délices le fecret de fon coeur; & ce cher
oncle , tout en feignant de blâmer l'amour
du jeune homme , forma , fans le lui dire ,
le projet d'une ouverture de mariage à Sir
George ; mais il falloit auparavant détruire
fes préjugés contre les François : l'entrepriſe
étoit difficile & périlleufe. Les nouvelles que
le Capitaine recevoit de Newport , & qu'il
communiquoit à fon Hôte , avoient établi
entre eux une espèce de commerce politi
que qui étoit plus affidu que dans les commencemens.
Chaque événement de la guerre
fourniffoit à Sir George un nouveau texte
de déclamations contre ce qu'il appeloit l'am
bition de la France : arrivoit- il quelques vaiffeaux
ou quelques Troupes de cette Nation ,
il revenoit toujours à dire & à parier que
les François avoient des deffeins fecrets fur
quelque partie du Continent Américain. Le
Capitaine ne parioit point , mais il foutenoit
fermement que dès l'inftant que les Provin
ces feroient en sûreté , les François s'éloigne
roient. Cependant chaque entretien finiffant
par un peu plus d'entêtement de la part de Sir
George , ce qui occafionnoit des débats affez
vifs , il s'en falloit de beaucoup que le duo
de la politique fût auffi d'accord que le trio
de l'amitié.
Dans ces entréfaites , on apprit que l'Armée
Françoife , aux ordres du Comte de Rochambeau
, avoit joint . par un long détour ,
P'Armée Continentale fous Yorck- Town , &
DE FRANCE. 117
que l'Armée Navale des Antilles alloit pren
dre pofte à l'entrée de la baye de Chéfapéak .
Sir George , toujours aveuglé par le préjugé ,
ne vit dans ce grand projet que le deffein
qu'il avoit toujours prêté à la France , de
conquérir une partie du continent ; & en
voyant arriver à l'entrée de la nuit un Exprès.
de Newport , il ne douta pas que cet Exprès
ne fût porteur d'un ordre de rappel pour le
Capitaine & pour fon neveu.
L'Exprès s'adreffa à lui ; il court chercher
le Chevalier chez fon oncle ; celui ci repofoit
, le neveu n'étoit pas auprès de lui , il le
cherche vainement par tout , & enfin il parvient
dans la chambre de Charles , dont il
ouvre brufquement la porte. Quelle fut :fafurprife
& fa colère d'y trouver réunis fon fils,
fa fille & le Chevalier ; il enlève fa fille en la
maltraitant , il chaffe Charles & accable d'injures
le Chevalier ; ce dernier fuit auprès de
fon oncle , où Sir George le rejoint bientôt ::
c'eft là que les plus violentes imprécations
furent lancées contre la France & les François.
Le Capitaine n'oppofa à cette fureur
qu'un phlegme tranquille ; & lorfque fon
Hôte , excédé de fatigue & de rage , ne put
plus parler , il gronda vivement fon neven ,
& finit par le renvoyer . Demeuré fenl avec.
Sir George , il convint que le Chevalier
étoit bien criminel d'avoir enfreint fes ordres
; mais enfin , ajouta t'il , vous ne le verrez
plus , puifqu'il va joindre. Je fais fon
amour pour votre file ; mais je fais auffi
158 MERCURE
T'honnêteté de l'un & de l'autre , & Charles
ne les a jamais quittés.... Les voilà ces François
fì généreux , difoit Sir George entre fes
dents. Qui , ils le font , répliqua le Capitaine
, & je parie qu'après le fuccès de la
grande expédition qui fe projette , ils aban
donneront vos Provinces pour les laiffer heus
reufes & triomphantes fous l'empire de la
liberté.... Parieriez vous gros , s'écria Sir
George ? Tout ce que j'ai de plus cher au
monde , mon neveu. Que voulez vous
dire? Il aime votre charmante & refpectable
fille , promettez - moi de la lui donner
en mariage , s'il ne refte pas un feul François
dans vos contrées après que nos armes combinées
les auront rendues libres..... En vous
le promettant , répliqua Sir George , je crois
ne rien promettre.
-
-
Promettez - moi donc
ce rien. Soit , parole d'Anglois .... & ils fe
ferrèrent la main.
Les trois amis , difperfés & confternés , attendoient
, chacun de leur côté , les terriribles
effets de la colère de Sir George ;
Georgette , en proie aux larmes les plus
amères , fe défoloit dans fa chambre forfqu'elle
voir entrer fon père. Dans ce mómeur
elle fe crut more. Sir George , d'une
voix fombre & forte , lui ordonne d'écrire
à fes frères , & de leur mander tout ce qui
s'étoit paffé dans leur abfence , il n'accompagna
cet ordre d'aucune autre parole , fi ce
n'eft qu'il falloir que la lettre fut prête pour
le lendemain matin , & il fortit.
DE FRANCE. 159
Le Chevalier , revenu près de fon oncle ,
le trouva ferein & même gai , il ne favoit
à quoi attribuer ce changement foudain ; le
Capitaine lui dit alors : vous partez demain
pour l'Armée ; je vous remettrai une lettre ;
mais j'exige votre parole d'honneur que
vous ne l'ouvrirez que quand vous faurez
que les Armées de terre & de mer vont
quitter ces parages. Le Chevalier denna fa
parole , & alla tout arranger pour fen
départ.
Georgette paffa toute la nuit à écrire , recommencer
, déchirer , écrire de nouveau
la lettre pour fes frères : quel embarras pour
elle ! il falloit obéir à fon père ; il falloit tout
dire , & elle ne doutoit pas que Sir George
ne dût lire cette lettre fi difficile ; elle ignoroit
encore quien feroit le porteur.
Sir Charles aida fon ami , & dans cette
occupation le jour parut . Son père ſurvint
dès le bon matin , lui ordonna d'aller ehercher
Georgette , & de la conduire chez le
Capitaine , où il devoit donner à déjeûner
au Chevalier avant fon départ. L'heure indiquée
arrive ; Georgette tremblante paroît
pour la première fois devant fon père , le
Capitaine , le Chevalier & fon frère . On déjeure
affez triflement. Sir George demande
enfuite à fa fille la lettre pour fes frères , elle
la tire en tremblant de fa poche , & la donne
fans être cachetée. Pourquoi n'a t'elle pas de
cachet , demanda- t'il ?...... Mettez y en un.
Georgette obéit , elle la préſente de nouveau
160 MERCURE
à fon père. Ce n'eft pas à moi , dit- il , c'eſt
au Chevalier qu'il faut la remettre ; il part
toute à - l'heure pour l'Armée . Elle tend les
bras vers le Chevalier , fes genoux fléchif
fent , elle laiffe tomber la lettre , & tombe
elle même évanouie. Le Chevalier fe précipite
en larmes à fes pieds. Ce fpectacle , qui
déchira le coeur de tous les affiftans , ébranla
le fier Sir George , & regardant fixement
l'oncle , il ne lui dit que ces mots expreffifs :
Je fouhaite de perdre mon pari. On rappela
Georgette de fon évanouiffement , & le Capitaine
eut la cruauté d'exiger qu'elle temat
elle-même la lettre qu'il avoit faite pour fon
neveu. A peine l'eut- il entre les mains , qu'il
fe déroba par la fuite à la fituation terrible
qu'il ne pouvoit plus fupporter , & il partit,
1
Les regrets , la douleur , les géniiflemens
de tant de gens défolés de fe féparer ne peut
fe peindre. Suivons le Chevalier. L'affaire
d'Yorck Town ne fut pas longue ; l'un des
frères de Miff Georgette fut bleffé , & le
Chevalier en prit un foin vraiment frarernel.
Dès que la capitulation fut fignée , l'Armée
Françoife s'embarqua & cingla vers les Antilles
. Le Chevalier ouvrit alors la lettre de
fon oncle. Elle ne contenoit que ces mots :
39
Si toute l'Armée Françoife quitte le Con-
» tinent , viens fur le champ avec les fils de
» Sir George , rejoindre ton ami & tout ce
» que tu aimes le plus. Le Chevalier ,
plein d'espérance & d'amour , obtient un
paffe - port , & amène avec lui fes frères ,
DE FRANCE. 161
arrive chez Sir George ; il avoit inftruit auparavant
fon oncle , de forte qu'en arrivant,
l'oncle , Sir George , Sir Charles & Miff
Georgette furent à la rencontre des trois
Guerriers ; & Sir George s'approchant du
Chevalier , lui préfenta fa fille , en difant :
" J'ai perdu mon pari ; voilà votre époufe...
Il eft temps de fe repofer : la félicité de certe
heureufe famille s'accrût par ce mariage &
par le rétabliffement du Capitaine. Enfin
après fix mois les nouveaux époux pafsèrent
én France avec Charles , leur frère ; Sir
George Olivier , revenu de fon erreur , les
combla de préfens , & il exigea que l'enfant
que portoit fa fille fût nommé George Louis.
Cer honnête Planteur voulut aufli réparer
fon injuftice. « Les François , difoit- il fanst
» ceffe à fes enfans , font généreux comme
leur Roi ; aimez les comme je les aime
depuis que je les connois . Nous avons
beaucoup à faire pour nous acquitter en-
» vers eux & leur Souverain. »
"9
"
(Par M. Artaud. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Mariage ; celui
de l'Enigme eft Haitre , dont en ôtant les
deux lettres du milieu , restera Hure ; celui
du Logogryphe eſt Bas.
162 MERCURE
·
M
CHARADE.
ON premier très fouvent s'emploie en harmonie ;
Plus mon fecond eft gros , plus il vous fait envie ;
Pour vous offrir mon tout , un Savoyard le crie.
(Par le Vifiteur du Couvent du Buiffon de May.)
ENIG ME.
JE fuis d'une bonté reconnue infinie ,
ལ་པ་འདང
Et l'homme me terraffe & me brife de coups.
Après ce traitement , cher Lecteur , croyez-vous
Que je meurs & renais pour lui donner la vie ?
( Par M. Bouvet , à Gifors . )
LOGO GRYP HE.
AU pénible travail , à l'âge , au plaifir même
Je dois mon existence & mon pouvoir fuprême .
Jeune , vieux , foible , fort, grand , petit , fujet , Roi ,
Tous tombent fous mes coups , tous fubiffent ma loi.
Si je femble plier devant un art magique ,
Ma vengeance eft certaine & mon retour tragiques
Tu fiiffonnes , Lecteur ! ce n'eft pas fans raiſon :
Oui , ton corps de mes traits fentira le poifon :
Je t'avois précédé quand tu vis la lumière ; ……. -
Je dois fermer un jour ta débile paupière.
DE FRANCE. 163
Alors ton teint livide & ton front fillonné
Feront couler les pleurs d'un ami confterné.
J'ai fept pieds , que tu peux déranger à ta guife :
D'abord tu trouveras l'oppofé de franchiſe ;
Deux villes ; la première eft en Franche- Comté ,
La feconde , Normande , a titre de Comté ;
L'appui de la fortune. En veux- tu davantage ?
Eh bien , dérange encor : que vois- tu ? Ce qu'un Mage
Offrit à ton Sauveur ; un ton ; ce nom pompeux
Que porte un Noble Anglois ; ce qu'un corps lumineux
Produit ; ce qu'un Acteur avant tout doit apprendre, "
Une rivière en France ; & fi , pour me comprendre , 12
Tu defires encor quelque chofe de plus , 3829, 1950s
Mon tout en un inftant
peut te rendre perclus."
( Par M. de Fontenai , Capitaine de Dragons. )
7
RÉPONSES A LA QUESTION :
" Ef- ce une jouiffance plus douce pour
» un coeur bien amoureux ,
d'enrichir fa
maitreffe , que de tenir d'elle fa fortune ? »
10
1
1.
JE ne fais fur cepoint comment l'efprit raifonne ;
Mais j'écoute mon coeur. Or , en amour , il croit
Que le plaifir que l'on reçoit
Ne vaut pas celui que l'on donne.
( Par M. Sallais. )
164
MERCURE
I I.
UN AMANT eft heureux d'enrichir ce qu'il aime :
L'amant qu'on enrichit eft plus heureux encor.
Le premier craint toujours d'être aimé pour fon or ;
L'autre est toujours certain d'être aimé pour luj mêmes
(Par M. Theveneau. Y
III.
En s'uniffant à moi , qu'Aglaé m'enrichiſſe ,
L'amour-propre murmure & l'Amour est heureux ;
Que je faffe pour elle us pareil facrifice ,
L'amour-propre & l'Amour font fatisfaits tous deux. -
Par M. Châtelain , Contrôleur des Aydes. Y
IV.
S'IL we faut choisir en ce jour ,
Enrichir mon Amant auta la préférence ;
Si je lui devois tout , je craindrois que
Ne für diflrait par la reconnoiffance.
l'Amour
(Par Mile Eléonore D.... )
V.
SANDIS , être adoré pour des bienfaits réçus ,
Vous appelez céla félicité fuprême !
Jé tremblerois toujours qu'on n'aimât mes écus ;
J'aimé mieux être aimé moi - même.
(Par M. Ourry , Négociant. )
DE FRANCE.
165
V I. VI.
DAMON , riche & galant , aveugle en fa tendreffe ,
Court porter chaque jour aux pieds de fa maîtreffe
Sa fortune & fon coeur ; mais Valère fans bien
Tient tout de la maîtreffe , & ne lui donne rien.
Quel eft le plus heureux ? Deux mots lefontconnoître :
Damon fe croit aimé , Valère est sûr de l'être .
VII.
JE fuis bien sûr de mon amour
Pour la jeune & belle Climène ;
En fuis je payé de retour ?
La chofe n'eft pas fi certaine :
Mon coeur pourtant s'en eft flattés
Mais , hélas ! l'infidélité
Eft dans ce fiècle fi commune
Qu'il faut pour ma fécurité
Que l'Amour faffe ma fortune.
་ ་ ་
( Par M. B. M. Cabarrus . )
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE.
"
Quelle conquête doit le plus flatter une
» Belle ? La conquête d'un coeur qui repouffoit .
» l'amour , ou celle d'un coeur qu'elle enlève
» à une rivale ? »
166 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DÉLASSEMENS de l'Homme Senfible , ou
Anecdotes diverfes par M. d'Arnaud .
Tome III , Parties & 6. A Paris , chez
Auteur , rue des Poftes , près l'Eftrapade ,
maifon de M. de Fouchy , & la Veuve
Ballard & fils , Imprimeur du Roi , rue
des Mathurins.
IL n'eft pas étonnant que ce Recueil ait
eu le fuccès de tous les Ouvrages de fentiment
qu'a publiés M. d'Arnaud , l'intérêt &
la variété des morceaux qui le compofent ,
doivent plaire à tous fes Lecteurs. Le ton de
morale qui y règne , y ajoute un prix que le
Roman pourroit toujours avoir , mais que
malheureufement il n'a pas toujours , & le
rend très utile à la jeuneffe , qu'il peut inftruire
en l'amufant.
La première fur tout des deux Parties que
nous annonçons , c'eft à dire , la cinquième ,
offre une lecture des plus aurachantes. Norf
ton & Suzanne , ou le malheur , qui commence
cette cinquième Partie , infpire la
terreur la plus profonde. Suzanne & Norfton
font deux époux fans fortune , mais vertueux
: leurs befoins ne font qu'augmenter
malgré leur ardeur pour le travail , leurs
DE FRANCE. 167
dettes s'accumulent , & ils fe trouvent en
proie aux plus bárbares créanciers . La jeune
femme eft jolie , pas un bienfaiteur honnête
ne fe préfente ; mais elle eft environnée de
féducteurs. Parmi ces derniers fe trouve un
Jonathan , dont le coeur eft auffi dur & vicieux
que fa paffion pour Suzanne eft criminelle.
Il offre des bienfaits ; mais à une condition
qui eft rejetée avec l'indignation d'un
coeur vertueux. Suzanne cache ce fecret à
fon mari , qui , déchiré par le fpectacle de
fa femme & de plufieurs enfans manquant
de tout , va folliciter la charité de fon Pafteur.
Il trouve chez lui , non pas le refus
infultant d'un riche fans humanité , mais la
ftérile pitié d'un Prêtre hypocrite. Cependant
l'infortune des deux époux eft à fon
conble; la fenfible Suzanne ne pouvant fupporter
la vue de fon mari & de les enfans expirans
dans le befoin , fort de chez elle ,
égarée par la douleur & le défefpoir , dans le
deffein d'implorer pour eux la charité du
premierhomme fenfible qu'elle rencontrera.
Mais en traverfant un petit bois voiſin de
fa maiſon , c'elt Jonathan qui s'offre à fes
yeux , une bourfe à la main. Suzanne veur
fuir , fa foibleffe la fair tomber fans connoiffance
; cet homme fans délicateffe abufe
de fon évanouiffement , & confomme fon
crime. La malheureufe victime de fa fcélérareffe
n'ouvre les yeux que pour tomber
dans le plus affreux défefpoir. Elle famaffe
Por que Jonathan a luiffe , retourne dans fa
168 MERCURE
maifon , & jette la bourfe au milieu de fes
enfans , en s'écriant : voilà le fruit da crime.
Norfton , accablé de ce nouveau malheur.
mais reconnoiffant l'innocence de fa femme ,
croyoit au moins avoir epuife fon infortuue ;
mais à peine a-t'il pourvu aux befoins de fes
enfans , à peine a - t'il fatisfait les avides
créanciers , qu'il le voit emprisonné avec la
famille comme faux monnoyeur . La bourfe
que Jonathan avoit donnée étoit pleine de
faux louis fabriqués par lui même. L'innonce
des deux époux eft reconnue ; & le perfide
Jonathan eft puni de tous les forfaits ;
mais ce n'eft qu'après la mort de Norton &
de Suzanne , qui expirent de défefpoir & de
chagrin.
La nouvelle fuivante , intitulée : Les vrais
Plaifirs , offre d'abord la même fituation ,
c'est- à- dire , l'innocence & la vertu dans le
malheur; mais avec un réfultat bien difféfent
, & qui repofe l'âme du Lecteur , tourmentée
par l'hiftoire précédente. C'eft un
jeune homme qui , rencontrant une jeune
& jolie perfonne qu'on lui offre à prix d'argent
pour fecourir une famille tombée dans
la plus profonde misère , préfère aux plaifirs
qu'il pourroit acheter , celui d'être le bienfaiteur
vertueux de l'innocence infortunée.
On voit que la fenfibilité de l'Auteur des
Delaffemens le porte à une indulgence aimable
, qui fe manifefte fouvent comme
nalgré lui. Tel eft dans l'Anecdote intitulée ,
La Reconnoiffance , le morceau où'il juſtiſe
une
DE 169
8
FRANCE.
une très- pauvre femme de fon attachement
pour fon chien : « Une pauvre femme fans
» párens , fans amis , abandonnée à fa mi--
» sère , aux maux inféparables de la vieilleffe
, n'avoit pour unique fociété , pour
» toute confolation , qu'un chien auquel elie
» étoit extrêmement attachée. Tous les jours
» on fe livre à la dûreté & à l'injuftice d'ac
» cufer ces infortunés obfcurs , d'aimer des
» animaux ; eh ! la fentibilité n'eft elle point
de tous les rangs , de toutes les condi-
» tions ? N'eft ce pas un de nos premiers
"
befoins que celui d'aimer & d'être aimé? )
» Comment ces malheureux le fatisfe-
» roient- ils ; ce befoin inhérent à notre na-
» ture ? Ils n'éprouvent de notre part que
» de la froideur , de l'indifférence , & quelquefois
le mépris & l'infolence homicide
» de la fortune. Qui reçoit leurs larmes ,
» leurs careffes ? Qui fe prêre à leurs accès
» de mauvaiſe humeur , ( il eft rare que l'ins
و د
ود
ود
digence fouffrance n'entraîne point avec
elle ce défaur ) ? Qui , en un mot , leur
témoigne cet intérêt , cet attendriffement
, une des plus nobles fenfations de
l'existence ? Un miférable chien dont ils
» ont fait leur ami , qui partage avec une
» reconnoiffance inexprimable le morceau
de pain qu'ils mendient , & qui fouvent
eft arrofé de leurs pleurs ; il paroît les entendre
, il leur voue fa fidélité incorrup-
» tible ; quand une fois il s'eft décidé à leur
Nº . 48 , 27 Novembre 1784, H
"
170 MERCURE
"
engager fon attachement , il ne les quitteroit
pas pour aller fervir l'homme le plus
riche , & c. "
3
M. d'Arnaud , préférant le plaifir d'être
utile à celui de faire briller fon talent , a
terminé cette cinquième Partie de fon Recueil
,
pat 10 &ZRUNE
morceau de l'Hiftoire
du Bas-Empire par M. le Beau ; ce fragment
, qui offre le plus beau réſultat de morale
, & qui peut être comparé aux plus
beaux morceaux des meilleurs Hiftoriens
connus , eft le tableau de la Sédition d'Antioche.
Nous invitons nos Lecteurs à le lire
dans l'Ouvrage même.
La fixième Partie , quoique inférieure à
celle dont nous venons de parler , offre encore
plufieurs morceaux intéreffans . Il y a
auffi quelques Anecdotes agréables , qui , par
la gaîté de la narration , ſemblent vouloir
juftifier M. d'Arneud du reproche qu'on lui
a fait de fe plaire à multiplier dans fes Quvrages
les tableaux fombres & attriftans. Ce
qu'il y a de plus vrai encore , c'eft que tous
refpirent la fenfibilité la plus vraie , & fouvent
la plus énergique.
J Z
Sap
DE FRANCE. 171
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
MARDI ARDI 16 de ce mois , on a donné fur
ce Theatre une repréſentation de l'Armide
de M. Gluck , dans laquelle Mlle Saint-
Huberty a joué le rôle d'Armide , rendu dans
fa nouveauté avec tant de fuccès par Mlle
Levaffeur. Toutes les fois qu'une grande Actrice
fe chargera d'un rôle ancien , fufceptible
de grands effets , elle le rajeunira & le
renouvellera pour ainfi dire , parce qu'elle
le rendra d'après elle même , & qu'elle
afforti à fes vûes
& à fes moyens. Celui d'Armide , marqué
d'un bout à l'autre par des intentions fpirituelles
& paffionnées, étoit bien digne d'exercer
la profonde intelligence & le talent
fupérieur de Mlle Saint Huberty ; auffi
voit -on qu'elle l'a étudié avec foin ; elle y a
mis un mouvement & une variété de nuances
qui ont été vivement fentis , & lui ont
mérité les applaudiffemens les plus vifs
& les plus univerfels . Elle a parfaitement
fenti que le caractère de fierté qui diftingue
Armide doit être à chaque inftant
adouci par les mouvemens de la paffion
dont elle eft animée . Si le caractère de
fon organe n'a pas toujours répondu à fon
lui donnera un caractermo
Hij
172
MERCURE
fentiment dans quelques inftans de force &
de herté , elle n'a prefque rien laille à defirer
dans les momens fenfibles & paffionnés .
Toujours à la fcene, & en fituation , elle
fembloit
aninner
fon jeu le jeu
encore
des Acteurs en feène avec elle ; elle a rendu
avement
le plus jufte le monologue
le
auffi difficile à bien
jouer
qua bien chanter :
Enfin il eft en ma puiffance , &c. On ne peut
nil
trop louer l'art infini qu'elle a montré dans
la fcène & le monologue qui termine le
cinquième Acte , dont l'exécution eft fi pélneinbclee
desunta par la vio durée & la
qui s'y fuccèdent.
Nous ne diffimulerons pas qu'il y
a eu quelques endroits où elle n'a pas cu
dans fan chant & dans fon action l'à plomb
& la precifion qu'on a droit d'attendre d'elle,
mais nous fommes perfuades qu'elle l'a
mieux que nous , d'autant que ces inattentions
& ces défauts , fi difficiles à éviter dans
un grand rôle qu'on joue pour la première
fois, ont déjà prefque difparu à la feconde
re réfentation.
Le feur Rouffeau qui , par fon zèle & les
progrès , devient de plus en plus agréable au
Public , a joué avec intelligence & chanté
avec beaucoup de goût le rôle de Renaud,
Sans parler de plusieurs morceaux où il a
été généralement applaudi , il a joué avec
autant de fenfibilité que de vérité la dernière
feène avec Armide ; il a chanté avec
une grâce touchante la fcène & le duo qui
DE FRANCE. 2153
cominence le cinquième Acte ; le parfait
enfemble qu'il y a eu entre cet Acteur &
Mlle Saint Huberty ont excité des applau
diffemens univerfels & redoublés à plufieurs
repriſes.
3
Les choeurs ont été en général chantés
& joues avec un enſemble & une préciſion
qu'on n'avoit pas trouvés aux dernières
reprifes de cet Opera. La partie de l'orcheftre
a été exécutée avec toute l'intelligence &
la chaleur qu'on pouvoit defirer. Les Ballets
ont été remis avec foin , & les premiers
fujets de la danfe s'y font diftingués à l'envi ;
mais nous ne pouvons nous difpenfer de
dire que le fieur Gardel , dejà fi fupérieur
dans un genre précieux où les grands talens
feront toujours rares , s'eft furpaffé lui - même
dans la chaconne du cinquième Acte , &
qu'il y a obtenu les applaudillemens les plus
flatteurs & les mieux mérités.
Certe réunion de talens & de zèle a donné
à cet Opéra tout l'effet d'une nouveauté , &
Taffluence,déjà très confidérable à la première
repréfentation , a augmenté à la feconde.
Il nous refte à faire ici une obfervation
critique fur un jeu de Theatre qui à bleffé.
beaucoup de gens de goût. Dans la dernière
Scène du troisième Acte , à ces mots prononcés
par la Haine , & répétés par le choeur
des Demons :
Sors , fors du fein d'Armide : Amour , brife ta chaîne.
L'Actrice qui repréfente la Haine , s'appro-
H iij
174 MERCURE
che d'Armide, & la faifit par le corps avec
une violence & des mouvemens aufli contraires
à la vérité qu'aux bienféances ; les Démons
de l'autre côté ne manquent pas de
répéter cette action , qui , de leur part , de
vient encore plus choquente. Il eft abfurde
que la Haine perfonnifiée prétende faire
fortir l'Amour du fein d'Armide , en lui déchirant
la poitrine , apparemment pour y
entrer à fa place ; il eft également abfurde
que des efprits malins toujours aux® ordres
d'une Enchantereffe , fe permettent
de telles familiarités avec leur Souveraine.
Nous ignorons ce jeu de eft une
Theatre
ancienne tradition ; mais nous croyons qu'il
ne peut être juflifié par aucun principe de
goût ni de raison.
LE Jeudi, fuivant , 18 , on a donné une
répréſentation de Renaud , dans laquelle
Mlle Dozon a joué le rôle d'Armide. Son
premier effai , dans ce rôle , n'a pas été
auffi complettement heureux que fon debut.
On a eu beaucoup de reproches à lui faire
dans le premier Acte , & pour fon chant &
pour fon action ; mais elle s'eft bien relevée
dans le fecond Acte , où l'on a admiré
& vivement applaudi les difpofitions & les
talens extraordinaires qu'elle a déployés avec
tant de fuccès dans Chimène. Si elle n'a pas
produit le même effet dans le troiſième Acte ,
c'eft que fon rôle dans cet Acte n'en eft pas
fufceptible.
DE FRANCE. 175
Nous n'entrerons ici dans aucun détail fur
les éloges & fuf les critiques qu'elle a mérités
à cette première repréſentation: Nous attendrons
qu'une feconde lait mife à portée d'éviter
les fautes ou elle est tombée & de mettre
plus deprécision & d'à -plomb dans l'enfemble
de fon rôle de
at obrisiq, sodiumolog shish £f sm
COMÉDIE FRANÇOISE.
de tramalags fra li zorla el ángr
L'AUTEUR de Cléopatre , qu'on a donnée
Samedi 13 de ce mois , occupe un rangetrop
diftingue dans la Littérature moderne , pour
que la repréſentation de fon Ouvrage air pu
trouver des Spectateurs indifférens. Il étoit
naturel que tout Juge impartial s'intéreſsât
vivement à fes beautés , & que la malignité
exerçâr tout fon zèle pour y découvrir des
défants . Tel eft en effet le fort que vient
d'ouver cette Tragedie! Cléopâtre , jouée
d'abord en 1730 , avoit eu onze répréfentations
máis M. Marmontel vient de la refaire
prefque en entier . Nous allons l'analyſer ici
telle qu'elle vient de paroître , afin qu'en la
comparant avec la Pièce imprimée , on puiſſe
difcurer les obfervations que nous hafar deronsns
fur cet Ouvrage.
Ventidius , ami d'Antoine , homme franc
courageux , reproche à Cléopâtre le malheur
de fon ami , & lui annonce que le Sénat
Romain eft indigné de l'amour de ce Héros.
Cléopâtre promer de le rendre à fon pays ,
Hiv
176 MERCURE.
à la gloire ; mais l'entretien qu'elle a avec lui
ne fert qu'à rallumer fa pallion . Antoine gémit
d'avoir été vaincu par Octave ; la Reine
cherche à effacer en lur le fentiment de fa
défaite , en lui rappelant les victoires , l'entretient
fur ton de la rendreffe qu'elle a pour
luis & l'on voit qu'Antoine eft difpofe à tout
facrifier à fon amour. Cependant Ventidius
vient annoncer l'arrivée d'Octavie , femme
d'Antoine foeur d'Octave , elle vient tâcher
de réconcilier ces deux illuftres rivaux, Cléo-
·pâtre , frappée d'abord de cette nouvelle ,
après avoir été quelque temps combattne
par la jaloufe, fe determine enfin à ceder à
› la générofité ; elle accueille Octavie‚¹ pro
met de ferénnir avec elle pour les vrais intérêts
d'Antoine.si ab antiga es , diet sono
ན
Le fecond Acte s'ouvre par une Scène
vive & éloquente entre Antoine & Venti
dius , qui veut arracher fon ami'aux fers de
•Cléopâtre Cléopâtre amène elle mênie la
fenfible Octavie , & la preſente à fon éépoux ;
Antome , refté feul avec Octavie , rend hom
mage à fa vertu , bs'abandonne au remords
qui le déchire mais fans diflimuler l'amour
dont il brûle encores Enfin elle obrient de
lui qu'il écoutera Octave , qui vient lui parler
de paix . nos amis quiorą "hodi
Cléopâtre paroît devant Octave , lui parle
avec une modération qui peut paffer pour de
l'adreffe , & le montre difpofée à facrifier
fon amour aux intêrêts de Rome & au
bonheur d'Antoine. Vient enfuite l'entrevue
SIDE FRANCE
.
177
d'Antoine & d'Octave. Ces deux fuperbes
rivaux luttent , pour ainfi dire , de caractère ,
& développent leurs divers projets , Antoine
propofe à Octave de mettre bas les arines ,
& d'aller fe prefenter tous deux au Sénat en
fimples Citoyens. Ce mot de Citoyen effraye
T'ambition d'Octave, qui finit par lui offeir
la première place fous lui , L'orgueil d'An
toine s'en indigne , il vent partager le monde
avec fon rival , ou s'en remettre au fort des
combats. Enfin, ils s'accordent à fe rendre
tous deux à Rome , afin qu'elle feule en dé
cide. Alors la généreufe Octavie vient implorer
fon frère & lon époux en faveur de
Cleopatre ; elle croit que cette Reine infor
tunée fait les apprêts de la mort à ce mor ,
Antoine alarmé court auprès d'elle , & laiffe
Octave courroncé.vins pol &
An quatrième Acte , on apprend que la
paix eft rompus; qu'Antoine combat contre
Octave , & lui même arrivedéfefpéré, furieux ,
& amonce fa défaite à Cléopâtre. La Reine , à
qui la Confidente vient d'apporter des afpics
dans une urne remplie de fleurs , propoſe à
fon amant de mourir avec lui , en fe faiſant piquer
par ces reptiles dont le venin donne une
mort prompte & fans douleur. Comme ils
font for le point d'effectuer leur projet, ils font
interrompus par Ventidius, qui leur apprend
que trois Légions Romaines veulent fauver
Antoine , en fuyant avec lui ; mais le temps
preffe, & il faut que Cléopâtre abandonne
le projet d'accompagner Antoine dans fa
Hv
178 MERCURE
fuite , parce qu'elle fe trouve chargée de la
haine des deux partis. Cléopâtre veut fe
facrifier à fon amant en renonçant à le fui
vre , lorsqu'un biller apprend à Antoine
qu'Octave a refolu d'emmener à Rome Cléo
pâtre enchaînée à fon char. Antoine , indigné ,
craindroit d'être accufé de lâcheté fifa fuite
livroit Cléopâtre à Octave , & il veut la fanver
ou périr avec elle. obdog.94
7.
Au cinquième Acte , Cléopâtre ne voit
d'autre moyen pour décider Antoine à fuir
fans elle , que de faire courir le bruit de la
mort. Elle fe réfugie dans les Pyramides , &
delà elle écrit à Octavie qu'elle a ceffé de
vivre pour fauver Antoine. Cette lettre le
plonge dans le plus affreux défefpoir , la fen
fible Octavie cherche à le confoler ; mais
Octave , qui a foupçonné le ftratagême de
Cléopâtre , vient dire à Antoine qu'elle le
trahit , & qu'elle eft encore vivante. En
effet , elle la fait arracher de l'afyle où elle
étoit cachée . Le malheureux · Antoine la
voyant arriver , ne doute plus de fa trahifon
, & fe tue avant de lui avoir parlé. Mais
avant d'expirer , il a le temps d'apprendre
que Cléopâtre eft innocente au moins envers
l'amour , elle porte la mort dans fonfein ,
& vient mourir aux genoux d'Antoine.
On voit , par cette analyfe , que M. Marmontel
a fait dé très - grands changemens
cette Tragédie ; il a beaucoup retranché &
ajouté, il fait mourir hors de la Scène Cléopâtre
; il a fupprimé un perfonnage , Cefarion,
>
DE FRANCE. 179
fils de Cléopâtre & de Célar, & il en a inroduit
un nouveau, la femme d'Antoine , perfonnage
très difficile à mettre fur la Scene Françoife.
Les trois premiers Actes ont obtenu les applaudiffemens
les plus univerfels , & mérité
la plus grande eftime ; les deux derniers n'ont
pas réuffi d'abord. On a blamé le foin que
prend Cléopâtre de faire porter fur une table
, par fa Confidente , l'urne qui renferme
les afpics ; précaution à laquelle on a trouvé
un air d'apprêt & d'affectation. Mais ce qui
a elfuyé le plus de critiques , c'eft le rôle de
Cléopâtre. Ce caractère , tel qu'il nous eft
trace par PHiftoire , ne feroit peut être pas
fupporté fur notre Scène. D'après cela , M.
Marmontel a cru devoir en changer la phy
honomie ; au lieu de la repréfenter comme
une coquette ambitieufe , il en a fait une
ainante fidelle.
S'il nous eft permis de propofer quelques
doutes à l'Auteur de cet eftimable Ouvrage ,
uous aurions voulu , puifqu'il étoit décidé à
adoucir le caractère de Cléopâtre , à lui donner
un amour vrai , fincère , nous aurions
voulu qu'il eût éloigné d'elle tout ce qui peut
la faire foupçonner d'artifice . Cléopâtre ,
dans la Tragédie , aime véritablement Antoine
, puifque dans un moment où elle doit
parler d'après fes propres fentimens , c'eft
à- dire , dans un monologue , elle s'écrie après
avoir rappelé les charmes de fa rivale Octavie
:
Mais eft-elle fenfible & tendre comme moi ?
H vj
瘫
180 M. Marmon RCURE G
hui a donc donné
amour
vrai pour fon amant , cependant tout ce qui
l'environne , les difcours d'Octave , de Ventidius
, femblent perfuader , ou rappellent
du moins qu'elle n'eft qu'artificieufe. One
voit que l'Auteur voudroit tout- à la fois
conferver la phyfionemie du perfonnage ,
pour refter fidèle à l'Hiftoire , & donner de
la fincérité à Cléopâtre , pour jeter plus d'in
térêt dans fa Pièce. Dela vient que cette Reine
montre un caractère indécis. En un mot"
dans le changement que l'Auteur a fait à ce
caractère , il nous femble avoir trop our trop
peu ofé.
070-200m ,noiniqɔ S
Le rôle d'Octavie , quiqucomme nous
l'avons déjà dit , étoit fi dificile à préfenter
fur notre Scène, a trouvé auffi des contradic
teurs. Nous avouerons que fa générolité nous
a pau exagérée , & par conféquent peu naª
turelle , quand elle vient implorer fon époux
en faveur de Cléopâtre. S'il y avoir quelque
motif qui lui fit un devoir de cette démar
che , elle feroit intéreffante & dramatique ,
mais ſe charger gratuitement de ce foin , c'eft
outrepaffer un peu les bornes de la généro
fité & meriter le reproche d'invraiſerblance.
Voilà des obfervations que nous croyons
devoir foumettre à M. Marmontel lui même ;
ce qui nous confole un peu de la néceffité de
les mettre au jour , c'eſt que ces défauts , s'ils
font réels , ne nous femblent pas impoffibles à
corriger ; on peut s'en rapporter , pour les
779
DE FRANCE. 181
faire difparoître , a un Litterateur aufli confonume
, qur , nourri des grands modèles , a
paffé de longues années à donner par les Ouvrages
des leçons de goût & des
talent. Slusions up
des preuves de
Sitavec D
plus de plaifir que nous
allons parler du mérite qui diftingue cet
Ouvrage, Le rôle d Octavie eft plein de
traits de fenfibilité. Une partie du Public a
pente qu'on ne pouvoit pas voir avec plaifir
fur la Scène la femine & la maîtreffe du
même Perfonnage. Sans vouloit difcuter
cette opinion , nous croyons que nous por
t
tons au Theatre
une delicateffe
exagérée
, ce
qui occafionne
fouvent
d'injuftes
critiques
.
Notre imagination
felaiffe
difficilement
conduire
, où le Poëre dramatique
veut nous,
tranfporter
, & fouvent
nous ne mettons
pas allez de difference
entre des moeurs
étrangeres
& des moeurs
invraisemblables
.
L'Auteur
de cet article a vu au Théâtre
Ita
lien le Parterre
indigné
contre
Soliman
( dans les trois Sultanes
) , qui lailfort
tomber
une jolie femme
à fes genoux . On vou
loit que le grand Turc eût la galanterie
d'un
François
.
Nous ajouterons une réflexion particu
lière au rôle d'Octavie. C'eft que le divorce
chez les Romains étant autorifé par les
Loix , le mariage y étoit bien moins facié :
or la maîtreffe d'un Romain pouvant en un
moment prendre la place de fa femme, les
182 MERCURE
convenances en pareil cas doivent être moins
rigoureufes .
Antoine eft un caractère très dramatiquement
tracé , il eft par - tout paffionné , & l'on
retrouve dans tout fon rôle l'homme qui
s'eft peint d'abord lui - même par ces deux
vers:
L'Empire étoit à moi , j'en étois idolâtre ;
Il ne put dans mon coeur balancer Cléopâtre .
Les derniers mots qu'il prononce refpirent 1
la paffion. A peine a - t - il entendu Cléopâtre
fe juftifier qu'il fe foulève en écartant , pour
ainfi dire , les ombres de la mort , & s'adreffant
à Octave , il s'écrie d'une voix défaillante
: Eh bien , fuis je trahi ?"
Octave eft un perfonnage fi important
dans l'Hiftoire qu'on auroit voulu lui voir
jouer un plus grand rôle dans cette Tragé
die ; mais il faut obferver qu'ici il doit être
fubordonné au caractère d'Antoide. Atreft ,
le portrait que tracent de lui dans plufieurs
'endroits Antoine & Ventidius eftfait de main
de maître.
Quant au ftyle , on y remarque , nous ne
dirons pas de beaux vers comme dans tant
de pièces mal écrites , mais de belles tirades.
La verfification n'y eft jamais défigurée par
le mauvais goût , comme l'action n'y eft
furchargée d'aucun incident épifodique ; ce
font les caractères qui forment l'intrigue &
amènent les fituations ,,& l'intérêt y fort de
la peinture des moeurs : en un mot ,
la
DE FRANCE. 183
Pièce eft dans les vrais principes de l'Art
Dramatique , & ces exemples- là ne font pas
inutiles à donner aujourd'hui .
Pour la moralité , cette Tragédie offre un
des plus terribles exemples des défordres &
des malheurs que peut caufer un amour exceffif.
M. Marmontel femble avoir voulu
remplir le titre de Dryden , qui en traitant
le même fujet a intitulé fa Pièce : Tout pour
P'Amour.
Si l'on ajoute à ces éloges que M. Marmontel
dans cette. Tragédie a montré la plus
profonde connoiffance & tracé les plus brillans
tableaux de la fituation & de la politi
que des Romains à la grande époque où il a
puifé fon fujet , on conviendra que fans un
grand effort de philofophie il pourra fe confoler
de n'avoir pas eu une réuffite complette.
S'il n'a pas eu le bonheur de faire une Tra
gédie qui ait obtenu un fuccès d'affluence , il
aura toujours donné un Ouvrage qui fait
honneur à fon talent , eftimé par tant d'autres
productions littéraires .
A la feconde repréfentation , les deux der
niers Actes de cette Tragédie ont été beaucoup
plus heureux. On à fupprimé l'apparition
de l'urne , ce qui , joint à quelques re
tranchemens , en a fait reffortir toutes les
beautés de détails . Le troisième Acte a paru
un peu appauvri , venant fur tout après
le fecond , qui eft d'une beauté vraiment
fupérieure; mais quel que foit défor
184
MERCURE
3.1
mais le fort de cet Ouvrage , il ne peut rien
ôter à l'estime que fon Auteur a toujours
confervée à tant de titres differens.storm of
( Cet Article n'eft pas du Rédacteur ordinaire. )
aciqinätuni Stogong nolup sestvoć
iq no 1920's son
ANNONCES ET NOTICESoc
ཉ . aclarvalop ziua , el en
NOUVELLE Edition Grecque & Françoife des
OEuvres complettes d'Homere , Traduction nouvelle
, dédiée au Roi , par M. Gin , Confeïller” ¹à
Grand Confeitildid, mol 19mol meiob up 257413
by
au
Cette Edit on en buit Volumes in- 29. papier
fuperfin & Annonai , grand raifin des Preffes de M.
Didot l'aîné , ne fera tirée qu'à cinq cent Exem
plaires , dour deux cent avec le Texte Grec , auquel
M. Didot confacre les prémices d'un Calitere
Gree, que Firmin Didor, fon fils , déjà connupar fes
Caractères Italiques , doit graver inceffamment
Elle fera ornée de quarante huit Eftampes & de
deux Frontifpices exécutés par les meilleurs Maitres
fous la Direction de M. Ponce , Graveur de Mgr.
Comte d'Artois , & fur les Delfins de M. Bomer,
de l'Académie Royale de Peinture. On y jondra
une Carte Géographique , par M. Mentelle , Hiftoriographe
de Mgr. Comte d'Artois . On ne demande
aucune fomme d'avance , mais feulement l'engagement
de payer chacun des Volumes à mesure qu'ils
paroîtront. On donnera deux Volumes au moins par
année. Les Soufcripteurs jouiront des premières
Epreuves. Le prix de la foufcription eft de 36 livres
par Volume de la Traduction avec Carte & Eftampes
, & de 18 livres en fus pour chaque Volume
qui contiendra le Texte Grec .
022
La foufcription est ouverte depuis le premier No
• ferafermo
NGE
. 185
vembre,& qu'au premier Avril 1785 ,
chez M. Dido: FaineImprimeur Libraire , rue Pavée-
Saint-André , chez lequel on trouvera des Profpectus
de même format, papier , caractère que l'Édition. {
BIBLIOTHEQUE Univerfelle des Dames . Cet
Ouvrage, qu'on propofe par foufcription , ne pouvoit
trouver un plus heureux à propos . Les femmes,
pour plaire aujourd'hui dans le monde, ont befoin
d'être plus inftruites qu'autrefois d'un autre côté,
les devoirs de la fociété , les plaifits mêmes s'étant
multipliés autour d'elles , combien n'eft- il pas
effentiel qu'elles foient dirigées fur le choix des
Livres qui doivent former leur Bibliothèque . Sans ce
choir , on fait qu'on peut employer beaucoup de
temps à la lecture pour en retirer fort pen de profit.
Ceft le motif qui a fait entreprendre à une
Société de Gens de Lettres l'Ouvrage que nous an
nonçons, & qui , regardant la plu belle moitié de la
10
ciété , doir par-là même intéreffer la Société entière.
Cerre Collection renfermera tout ce que pens
vent fournir de connoiffances utiles & agréables;
les Voyages , Hiftore , la Philofophic , les Blles
Lettres , les Sciences & les Apps.b norberictal pro
Quant à la fornie des Volumes, on s'eft décidé
pour celle qui eft la plus portative on a adopté le gl
format
in
1890s
On les dé ivrera reliés en veau écaillé ,
avec ficts & tranches dorées On veut que cette
Collection puiffe fe tranfporter aisément & fans
dans les plus longs voyages, on veut ens
de fallon , & qu'on
embarras dans ICS P
core qu'elle forme un 2005 2950 un ornement de ſal
puiffe enfin ne s'en féparer jamais. ༡༤ )
A compter du premier Avril 1785 , il paroîtra
vingt - quatre Volumes par année ou deux Volumes
par mois , qui feront dé ivrés francs de port à MM.
les Scufcripteurs les premier & 15 de chaque mois.
Les Volumes feront compofés d'environ 300 pages,
186
MERCURE
que
reliés en veau écaillé ou fauve , au choix des Soutcripteurs
, & dorés fur tranche. On les délivrera
brochés aux Soufcripteurs de Province , attendu
la pofte ne fe charge point de livres reliés à moins
toutefois qu'ils n'aiment mieux faire prendrentes
Volumes au Bureau , ou indiquer la manière des les
leur faire parvenir reliésung's Justu smâm ɔl are
a
Ceux des Souferipteurs qui voudrone Pouvrage
relié , payeront en foufcrivant poinvinge quatre
Volumes, la fomme de 72 livresjndungpour lademiannée
la fomme de 36 livres Ceux quiles prendront
brochés payeront également pour la demiságnée
27 liv. pour Paris , & 30 livres fols francs déport
pour la Province. nonih levnON G115) "
On adreffera les lettres d'avis , franches de port,
avec le reçu du Directeur des PoftesyAu Directeur de
Ja Bibliothèque des Dames , à Paris , rue d'Anjou , la
deuxiènie porte-cochère à gauche par la rue Dauphine.
On foufcrit dès- à-préſent pour la demi-année , ou
même pour l'année entière. Le Bureau ferà ouverr
tous les matins depuis neuf heures julqu'à une heure ,
excepté les Dimanches & Fêtes. əl xamour ta k
Pour répandre plus de variété dans des différentes
Livraifons , & pour mettre un plus grand nombre
de Lecteurs à portée de s'inftruire & de s'amufer , on
fera paroitre dans le même mois des Volumes de
claffes différentes. Ou promet que les Livraiſons
n'effuyeront aucun retard , & l'on affure qu'on a
pris les mesures néceffaires pour qu'au premier Avril
il y ait au moins fix Volumes inprimés,
N, B. On offre à chacun des Soufcripteurs de
faire imprimer fon nom au frontispice de tous les
Volumes qui formeront fa collection. Ainfi , après le
titre général de Bibliothèque Univerfelle des Dames ,
le premier feuillet portera ces mots : Bibliothèque
de Madame ici. ) Ce moyen a été
imaginé pour faire rentrer plus facilement dans
DE FRANCE “ ዶን
chaque Bibliothèque les Volumes , que l'on aura
prêtésben . Sixar is
up Ubnails , univos arɔ , 3. Dc HCA
CECELLOUSMémoires d'une jeune Héritière ,
nouvellement traduits de l'Anglois , & rédigés avec
beaucoup de foin 4petits volumes Evélina ,
par le même Auteur, 2 petits volumes . AsBouillon ,
la Société Typographique, & à Paris , chez Defenne ,
au Palais Royal paffage de Richelieu & les Libraites
qui vendent les Nouveautés
Ces deux Romans onteu le plus grand fuccès en
Angleterre & en France, malgré la foibleffe de la
Traduction combien plus facilement doit réuflir
cette nouvelle Édition , où les deux Ouvrages reparoiffent
purges des fautes du Traducteur & même
de celles de l'Auteur Anglois ? L'Éditeur , en rendant
justice an balent mare de Mi Burnty obferve que
des longueurs & desiputilisés affez fréquentés dans
fes deux Romans , avoient juſtement ariné la cri
tiques Il n'en a point refondu la marche, à laquelle il
donne des éloges mérités ; mais en homme de goût,
il en á corrigé les acceffoires ; il a retouché le ftyle ;
& les heureux foins qu'il a pris pour le perfectionner,
femblentlui aurer le fuccès de fon travail , zuo“
dron busig wig on ens
LE Mercure de France, d'après le Tableau peint
par M. Lavreince , Peintre du Roi de Suède , & de
l'Académie Royale de Stockholin , gravé par Guttemberg
le jeune. 618 : A
Le fujet , d'une compofition agréable , eſt un
des mieux gravés d'après ce Peintre . Laprincipale
figure eft M. de Beaumarchais lifant dans le Mercure
l'Extrait de Figaro. Prix, 6 liv . A Paris , chez
Vidal , Graveur , rue des Noyers , nº . 29.
CARTE du Théâtre de la Guerre , comprenant les
Pays-Bas , avec partie des Provinces - Unies , ou de
188 MERCURE
3
- •
la Hollande , de Allemagne & de la France, en
deux feuilles. Prix , liv. Carte très détaillée &
à grana point des environs d'Anvers , d'Hulft, de
Saint Nicolas, d' Axel & du Sas de Gand , compre
nant auſſi le Théâtre de la Guerre , enluminée à la
manière Hollandoife . Prix , 3 liv. A Paris , chez
Defnos , Ingénieur- Géographe & Libraire du Roi de
Danemarck , rue S. Jacques , au Globe. 3
On trouve chez le même , l'Atlas du Théâtre de
la Guerre , contenant , en 18 Cartes très - détaillées ,
·les Pays-Bas & les Frontières des Provinces- Unies
avec celles de la France. Piix , 20 liv. rendu franc de
port par-tout le Royaume.
On trouve auffi chez le même , la Géographie Familière
, in- 16. Prix , a liv . 10 fols , & les Tablettes
Aftronomiques , par M. Brion , même prix.
LETTRE d'un Médecin de la Faculté de Paris à
M Court de Gébelin , en Réponse à celle que ce Sa
vant a adreffée à fes Souferipteurs , dans laquelle il
fait un éloge triomphant du Magnéifme Anima'. A
Paris, chez les Marchands de Nouveautés.
Tout ce que l'Auteur de cette Lettre a pu dire pour
prouver que M. de Gébelin n'avoit point éré guéri
par le Magnétifme Animal , eft moins concluant que
la mort funefte qui a enlevé ce Savant eſtimable ;
mais ce qu'on y lira avec plaifir, c'eft la difcuffion
des ving:-fept propofitions dans lefquelles M. Mefmer
a voulu inférer la prétendue doctrine ; ony verra que
non - feulement il y a plusieurs affertions qui fe
contreifent , & d'autres qui font du galimatias tout
pur, qu'il eft impoffible d'entendre , & que M. Mefmer
lui-même n'a pu s'entendre en les écrivant,
Le Lever des Ouvrières en Modes , peint à la
gouache par N. Lavreince , Peintre du Roi de
Suède , & de l'Académie de Stockholm , gravé par
DE FRANCE. 1891
F.Dequevauvillet . Prix , 6 livres. A Paris , chez Dequevauviller
, tuer
Hyacin
he , près la Place
Saint Michel, n° . 47 .
Gette Eftampe , qui eft d'un effet agréable , pent
faire fuite à deux autres des mêmes Auteurs que
nous avons annoncées avec de juftes éloges.
3
LBS Sabots , peint à la gouache par Lavreince ,
Peintre du Roi de Suède , gravé par J. Couché.
Prix , livres. A Paris , chez J. Couché , Graveur ,
rue Saint Hyacinthe , n°. ft.
Cette Eftainpe , qui a de la grâce , repréfente le
moment de laa peme PPiièce des Sabots où la jeune
Villageoife mange des cerifes.
wing mobik , 500
LAMOUR à l'épreuve , Comédie en un Ade , en
vers, représentée pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le Vendredi 13
Août 1784. A Paris , chez Prault , Imprimeur du
Roi , quai des Auguftins , & Bruner , Libraire ,
Place
de la Comédie Italienne.
Lainval, Tuteur de Rofalie , qui avoit d'abord eu
l'envie de l'époufer , apprend qu'elle aime Dorlis , I
renonce à les prétentions ; mais pour punir Rofalie
du myftère qu'elle lui a fait de fon amour , & pour
inquiéter un peu les deux amans , il fait femblant de .
perfifter dans fa pourfuite ; il va même jufqu'à for--
cer les deux amans à renoncer mutuellement l'un à
l'autre dans un entretien qu'il leur ménage , &
qu'il écoute fans être vû . Cette Scène , qui auroit
pû être plus fortement motivée , eft au moins fortbien
faites elle amule & intéreffe tout - à- la fois,
Enfin , le Tuteur , après s'être diverti de leur embarras,
le termine err les mariant,
II
y
Cette petite Pièce a joui d'un fuccès mérité.
de la naïveté, de la grâce & des détails intéreffans.
190 MERCURE
COLLECTION des anciens Monumens d'Architecture.
M. Renard , Architecte , ancien Penfionnaire
du Roi , & qui pendant fon féjour en Italie
s'eft occupé de deffiner les détails des anciens Monumens
d'Architecture pour les tranfmettre aux ATtiftes
, vient de publier la troisième Livraiſon de
sette précieufe Collection , qui eft compofée de
cinquante Deffins grand in-folio , & gravés dans la
manière du crayon. Le texte qui accompagné chaque
Livraiſon démontre d'une manière fort claire les
beautés & les défauts de ces ornemens , & indique :
l'application qu'on peut en faire dans les édifices.
L'Auteur a ajouté des obfervations qui doivent néceffairement
diriger dans le choix à raiſon des occafions
où on peut les y employer.
Cet Ouvrage a été proposé par foufcription , &
fe continuera dans le cours de fon exécution Tous
les mêmes conditions ; mais comme l'Auteur a eu
pour principal objet de fe rendre utile aux Artiftes ,
& particulièrement aux jeunes gens qui fe deftinent
à l'étude de l'Architecture , pour leur en donner
une preuve , il confent en leur faveur de leur fournir
les Cahiers à mesure qu'ils paroîtront, en les
prenant chez lui , & en fe foumettant à prendre la
fuite de l'Ouvrage , il leur fera une remife .
On fouferit chez l'Auteur , au petit hôtel da
Tillet , Fauxbourg Saint Martin , chez Joulain ,
Marchand de Tableaux & d'Eftampes , quai de la
Mégifferie , & chez Cloutier , Imprimeur Libraire
, rue des Mathurins.
L'Ouvrage fe trouve auffi chez Chéreau ,
Jombert le jeune , Lamy , Iffabey , Gangueri , Li❤
braires & Marchands d'Eftampes.
Il fe vend 72 liv. par foufcription.
NUMEROS 3 à 40 du Journal de Guittare ,
DE FRANCE. 191
pour lequel on fouferit chez Baillon , Marchand de
Mufique , rue Neuve des Petits Champs , au coin de
celle de Richelieu , à la Mufe Lyrique. Prix, 12 liv.
& 18 liv.
QUATRE Sonates non difficiles pour la Harpe
feule ou Accompagnement de Violon & Violoncelle ,
par M. Krampholtz , OEuvre XII. Prix , 9 livres. A
Paris , chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , Butte Saint
Roch , n . 14, Naderman , Luthier , même rue , &
Coufineau auffi Luthier , rue des Poulies. Les
Exemplaires font fignés de l'Auteur.
On voit toujours paroître avec plaifir la Mufique
de M. Krumpholtz , dont le talent me ſe borne
pas à l'exécution.
RECUEIL de Divertiffemens pour la Harpe ;
Violon obligé , par M. Grenier , Organiſte & Maître
de Harpe, Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez l'Auteur
, hôtel de Mme la Ducheffe de Villeroy , rue
de l'Univerfité ; Coufineau père & fils , Luthiers,
brevetés de la Reine , & Salomon , Luthier , Place
de l'École.
TROISIÈME Concerto pour la Flûte , par M. de
Vienne le jeune. Prix , 4 livres 4 fols franc de port
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc , au Magafin
de Mufique , rue Traverfière-Saint-Honoré,
--
NUMERO 11 de la quatrième année du Journal
de Harpe , par les meilleurs Maîtres. Abonnement ,
15 liv. port franc par la pofte ; féparément , 2 livres
8 fols. Numéro 6 du Journal d'Orgue à l'ufage
des Paroiffes & Communautés Religieufes , par M.
Charpentier, Organifte de Notre- Dame , S. Paul ,
&c. , contenant une Meffe Royale de Damont en ré
192 MERCURE
mineur . Prix , 24 livres , & féparément 4 liv. 4 fols
port franc par la pofte. A Paris , chez M. Leduc ,,
même Adreffe que ci - deffus .
NUMERO 11 du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs , pouvant auffi ſervir à deux Violoncelles,
Frix , féparément 2 liv . Oa fouferit moyennant, 15
qa 18 liv. chez le feur Bornet l'aîné , rue des Prouvaires,
au Bureau de Loterie , près S. Euftache.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
I
TABLE.
VERS pour le Bufte du Prin- Charade , Enigme & Logogry
ce Henri de Pruffe , 145 phe , 162
Envoi à Mme la Comteffe Ga- Delafemens de l'Homme Senbrielle
de Digoine , 146 fible, 166
175
Le Réverbère & la Chauve- Acad, Roy . de Musique , 171
Sourts , Fable, 147 Comédie Françoife ,
Le Préjugé National détruit . Annonces & Notices , 184
Anecdote
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſe en empêcher l'impreffion . A Paris
le 26 Novembre 1784. GUIDI
MERCURE
S
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles,
les Caufes célèbres; les Académies de Paris & di
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c,
SAMEDI 4 DÉCEMBRE 1784.
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE .
Du mois de Novembre 1784. 1
PIÈCES
IÈCES FUGITIVES . L'Ami de la Société , 35
Le Ver Luifant & le Roitelet , Nouveau Voyage Sentimental,
Fable ,
Epitaphe de Mme Lobreau ,
Portrait d'un Intendant ,
Infcriptions ,
A M. Gardanne ,
Bouquet pour la S. Louis ,
L'Electricité , Ode ,
f
39
43 Fin de l'Extrait fur l'Eloge de
55
49
ད 。
51
Fontenelle ,
Hiftoire d'Eugénie Bedford,
81
52 Les Six Nouvelles de M. de
97
Florian , 106
Vers pour le Bufte du Prin Delafemens de l'Homme Sence
Henri de Pruffe ,, 145
fible ,
Envoi à Mme la Comteffe Ga-
*
VARIÉTÉS.
166
115
brielle de Digaine, 146 Etat actuel du Dépôt de Men-
Le Réverbère & la Chauve- dicité de la Generalité de
Jouris , Lable, 147 Soiffons ,
Le Préjuge National détruit , SPECTACLES.
148 Acad. Roy . de Mufique , 89, Anecdote ,
Charades , Enigmes & Logo- 171
gryphes , 5, 53 105 , 162 Comédie Françoife , 136 , 175
NOUVELLES LITTER . Comédie Italienne , 139
Eloge de Bernard de Fonte Annonces & Norices , 41 , 90,
nelle,
Balance de la Nature
7
3
141 , 184
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT .
rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 4 DÉCEMBRE 1784%
PIECES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
MES MALHEURS ,
Stances faites le premier Novembre 1784 ;
à Sainte Affife , par le Coufin Jacques
foufflant la Comédie.
EH! voici bien une autre hiſtoire !
J'arrive pour fouffler , mais non ......
Voyez combien j'ai de guignon !
Tout le monde a de la mémoire.
POUR faire effai de ma ſcience ,
Je cherche l'Acteur en défaut ;
Mais pour me réduire au filence ,
On s'eft , je crois , donné le mot.
EN VAIN je porte la parole;.
Mom zèle n'aboutit à rien.
1.2
A ij
MERCURE
On femble avoir appris fon rôle
Expres pour fe paffer du mien.
NE ME foufflez , dit telle & telle ,
Que quand je vous regarderai.
Avoir un regard d'une Belle ! .....
Oh ! oh ! je vous obſerverai.
J'OBSERVE donc, hélas ! j'épie
L'inftant où l'on fe troublera.
Ah ! plus chaque Actrice eft jolie ,
Et plus j'aurois l'âme ravie
D'en voir au moins une à quia !......´
COMME on punit d'un téméraire
Le defir trop ambitieux ! ......
Jamais jene vois deux beaux yeux
-Solliciter mon ministère !
POUR comble de maux ,
la Nature
Ne m'a muni que de deux mains ;
Or , il m'en faudroit , je vous jure,
Deux fois plus qu'aux autres humains.
MON calcul eft fimple & facile ;
Il m'en faut deux premièrement.
Pour tenir un livre inutile ,
Et pour la forme feulement ;
DE FRANCE.
ET QUAND , par un jeu plein de charmes ,
Le Souffleur fe fent attendrir ,
Il en faut deux pour applaudir,
Et deux pour effuyer fes larmes.
VERS A ÉG LÊ.
AH ! que l'Amour fait bien `entre les Belles
Pour les deffeins partager fes faveurs !
Là , deux beaux yeux domptent les plus tebelles ;
Grâce modeffe içi gagne les cours.
L'une a la taille élégante & légère
L'autre un éclat dont les lys font jalouz .
Tous les moyens d'attacher & de plaire ,.
Charmante Eglé , ſe rencontrent chez vous.
Qu'on eft flatté , que l'oreille eft contente
Quand votre lyre à vos doigts obéit ! ***
Comme aux accens de votre voir touchante
Le coeur ému s'étonne & s'attendrit !
Ainfi que vous Melpomene foupire ;
Si vous danfez , vous nous enchantez tous.
Ce que l'on aime & ce que l'on admire,
Brillante Églé, ne fe trouve qu'en vous.
( Par Mme Verdier , de la ville d'Uzès , de
l'Acad. des Arcades , & deplufieurs autres. )
A iij
6 MERCUR
ROMANCE du Barbier de Séville ,
Mufique de M. Paëfiello.
Vous l'or-donnez , je me fe- rai con-
Roi- tre ; Plus in con-nu , j'o-fois vous
a- do---
rer , plus in con-nu , j'o--`
fois vous a- do - rer. En ne nom- mant
que pourrois-je ef-pé- rer ? N'importe ; il
faut o bé ir a fon Maître.
Coupler.
Je fuis Lindor , ma naiffance eft com-mu-
Wh
DE FRANCE
ne ; Mes voeux font ceux d'un fim- ple Bache
- lier , mes voeux font ceux d'un
fim- ple Ba- che- iler . Que n'ai -je hélas !
- d'un bril - lant Che- va- lier ,
A vous
重車
of- frir le rang & la for- tu
ne
se . Conslet.
Tous les matins , i- ci , d'une voix tendre
, Je chan- te- rai mon amour fans
ef -
poir , je chan- te- rai mon a-
A iv
MERCURE
mour fans ef-poir ; Je bor- ne- rai mes
plaifirs à vous voir , Et puif- fiezvous
en trou- ver à m'en- ten dre ! -
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Falot ; celui de
l'Enigme eft le bled ; celui du Logogryphe eft
Douleur , où l'on trouve Dol , Dôle , Eu ,
roue, or, 1é, Lord , lueur , rôle , la Dore.
CHARA D E.
Trois quarts de mon fecond annoncent ma première
,
Et préfentent un jeu dont elle tient le nom ; "
Avec un quart de plus on trouve mon fecond;
Mon tout , ami Lecteur , ne voit point la lumière.
(Par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur
"
du Roi à Orléans. )
DE FRANCE.
ENIGM E.
DE la Grèce , Lecteur , je tiens mon origine ,
Je fuis Grec en un mot : nul n'en pourroit douter ,
Puifqu'ainfi mon nom ſe termine.
Quoi qu'il en foir , à bien compter ,
Je n'ai qu'un pied ; il ne faut
pas omettre
Que fort fouvent il en vaut deux.
C'eft ici que tu dois t'attacher à la lettre.
I
Ne me cherches pas loin , je fuis devant tes yeux.
( Par M. F. G.... , de Sédan . )
SUR
LOGO GRYPHE.
UR mes hait pieds , aux Princes de la Terre
Je verſe un nectar précieux ;
Mon chef à bas , une tendre Bergère
Me fait entendre aux échos amonreux.
(Par Mile Brifoult , à Saint- Dizier. )
10 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de Fontenelle , Difcours qui a obtenu
'une mention honorable au jugement de
l'Académie Françoife en 174 , par M. le
Roi , Ancien Commillaire de la Marine ..
En écrivant j'ai toujours tâché de m'entendre.
Font. A Paris , chez Demon ille ,
Imprimeur Libraire de 1 Académie Fran
coife , rue Chriftine.
LE Difcours de M. le Roi , préfenté deux
fois au Concours de l'Académie Françoife ,
y a toujours eu beaucoup, de fuccès. Il vient
d'obtenir cette année une mention honorable
, & l'année dernière plufieurs voix
opinèrent pour lui décerner le Prix . M. le
Roi s'eft plaint , en vers très heureux , de
n'avoir obtenu que l'honneur d'une méntion
; & cela peut être fâcheux en effet après
avoir touché à la couronne. Les plaintes de
ce genre font communes ; mais ce qui n'eft
pas commun , c'eft de les faire comme M.
le Roi , en vers pleins de douceur & d'aménité.
Quelle idée excellente on doit prendre
de l'âme qui exhale ainfi fes reffentimens !
M. le Roi a choifi pour épigraphe ces
mots de Fontenelle , qui paroiffent fi fimples
& qui font fi fins : En écrivantj'ai toujours
A
DE FRANCE. If
táché de m'entendre. On voit que M. le Roi
y a toujours réufli , & il ne paroît pas qu'il y
ait tâché. Son ftyle pur & tranfparent laiffe
voir au premier coup d'oeil jufqu'au fond
de fes idees. C'est un mérite qui ne devroit
pas être remarqué s'il n'avoit jamais approfondi
fon fujet ; mais il eft clair lors même
qu'il eft ingénieux ; il fait entendre facilement
à tout le monde ce que lui feula penfé :
c'eft là le mérite. Je connois des Écrivains
qui fe vantent d'être fort clairs ; & je vo's
en effer qu'ils difent fans obfcurité des chofes
que tout le monde dit clairement depuis des
fiècles. Mais fi quelqu'un fe vantoit de voir
clair en plein jour , ferois je obligé pour cela
de prendre une haute idée de l'excellence de
fa vûe ? Ce qui eft difficile , & ce qui mé→
rite des éloges , c'eft d'avoir des idées qui
n'ont jamais été exprimées , & de les exprimer
avec netteté. C'eft de pénétrer dans des
endroits obfcurs & d'y porter la lumière ;
le génie même n'y parvient pas toujours au
premier coup. Lifez le fecond Livre du Contrat
Social de Rouffeau , vous croyez parcourir
des théorèmes de géométrie énoncés
en fignes algébriques. Voyez. enfuite les mêmes
idées exprimées vingt ans après dans
fon écrit fur la Légiflation de la Pologne ;
elles ont pris de la facilité , de la clarté,
de la couleur , ce ne font plus que les fentimens
univerfels de l'homme , revetus des
plus belles images de la Nature . On eft obligé
d'être plus clair encore dans les matières de
, ا
A vj
12 MERCURE
goût ; car , comme le dit fi bien Vauvenargue
, ce qu'on ne comprend pas au
premier coup , n'eft pas du reffort du bon
gour. On fe tromperoit pourtant encore fi
l'on prenoit cet excellent principe à la lettre .
Que d'intentions , que de beautés dans le
ftyle de Racine , qui font demeurées longtemps
cachées pour les commoiffeurs les plus
délicats ! Dans un Poëre , une beauté qu'on.
ne fent pas , c'eft comme une idée qu'on ne
comprend pas dans un Philofophe. Il a fallu
un fiècle , a dit le Panégyrifte de Racine ,
pour découvrir toutes les beautés de fon
ftyle. Racine ne manquoit pas de clarté ,
mais fes Lecteurs manquoient de lumière.
A cette facilité continuelle de fon ftyle ,
M. le Roi joint continuellement je ne fais
quelle aménité qui eft dans le ftyle un ca
ractère bien plus aimable encore ; fes idées
paroiffent moins naître de la réflexion, que
d'un fentiment vrai & honnête des chofes ;
& voilà pourquoi fans doute leur lumière
eft fi pure & fi douce. Dès l'exorde on fent
cette impreffion qui fe répand fur tout le
Difcours.
" En commençant l'Éloge de Fontenelle ,
» je me trouve embarraffé , je l'avoue , non
des chofes que j'ai à dire ; car quel fujet
fut plus abondant ! mais du ton que je
» dois prendre & de l'accord qui doit régner
» entre mon fujet & mon ftyle . Non feulement
le Panégyrique fe prête difficilement
» aux grands mouvemens de l'éloquence ;
I
DE FRANCE. 13
mais de plus les vertus & les talens de
Fontenelle ne lui compofant qu'un mérite
■ d'un ordre privé , permettent moins d'elé-
"
vation à l'Orateur , que les talens & les
» vertus publiques des d'Aguefſeau , des
» Montaufier , des L'Hôpital. Craignons
» donc ici la fauffe chaleur & la déclama
» tion. Ofons prendre , s'il le faut , un ftyle
"
33
39
fimple. O Fontenelle ! heureux qui, comme
» toi , fauroit répandre des grâces fur cette
fimplicité ! Mais du moins el pérons beaucoup
de l'intérêt que ton nom feul inf
pire, à quel véritable Amateur des Lettres
feroit- il indifferent ? Je vois dans cette Af-
» ſemblée , & parmi les Membres de cette
» Académie , quelques perfonnes qui t'ont
» connu , & qui étoient dignes de te con
» noître : il en eft dont la postérité le fou-
» viendra comme de toi . C'eft en leur pré-
» fence que nous célébrons ta mémoire ; ra
gloire eft mûre pour les éloges , quoique
» la génération qui t'a vû ne foit pas encore
» éteinte. Heureux vieillard ! tu embraffas
» dans une carrière de cent années la moitié
» de notre fiècle & du beau fiècle de Louis
» XIV : ta fus l'ornement de tous les deux ,
»
93
& comme le lien qui les unit. Tes Écrits
» influèrent d'une manière marquée fur tous
» les efprits ; tu fus joindre aux grâces de la
» poéfie la févérité des ſciences ; mais malgré
» l'étendue & la variété de tes talens , qui
fixèrent fur toi l'admiration publique , le
Philofophe te trouve plus admirable &
39
23
14
MERCURE
1
999
plus intéreffant encore par ta modération
» & par ta fagcffe . "
On peut faire fans doute des reproches à
cer exorde. Quelques idées manquent de
jufteffe , quelques exprefiions aufli . Il ne
peut être vrai que le Panegyrique fe prête
difficilement aux grands mouvemens de l'élor
quence ; au contraire , il s'y prête merveil
feufenient. Le Panégyrique ne célèbre d'ordi
maire que des talens & des vertus qui ont
fair des révolutions mémorables dans l'ef
prit humain & dans les Empires ; c'eſt l'expreffion
de l'admiration , de l'amour , de la
reconnoiffance des peuples , & rien n'eft
plus près de l'enthoufiafme , de l'élévation &
des mouvemens oratoires. Dans les Oraifons
Funèbres de Bolluet , qui ne font que des
Panégyriques , la langue Françoife eft aufli
birdie dans fes mouvemens , aufli paffionnée
dans fes expreffions , que daus les Tragédies
de Racine & de Voltaire . Mais il eft vrai
que parmi les Hommes célèbres il y en a
dont le Panégyrique ne doit pas être écrit de
ce style. M. de Chamfort a dit , en commençant
l'Éloge de Molière : Je n'imiterai
point les Comédiens François , qui ont fait
habiller le portrait de Molière en Empereur
Romain. C'est appeler & rajeunir avec
beaucoup d'efprit un principe de goût trèsincontestable.
Mais il eft fi vrai que le Panégyrique
& l'Éloge admettent en général le
Fon de la grande éloquence , que la néceffité
Len prendre un autre n'eft jamais fans in
DE FRANCE.
convénient pour l'Orateur. Si vous faites
defcendre le ton de votre ftyle , même fans
trop le baiffer , on vous dit qu'il ne convient
pas au genre des Éloges & des Dif-
Cours Oratoires ; fi vous l'élevez , on vous
dit qu'il ne convient pas à l'homme dont
vous prononcez l'Éloge: le genre demande
un ton , le fujer en demande un autre ; &
la critique , dont le regard malveillant vous
voit marcher entre ces deux écueils , eft fouvent
affez abfurde peur vouloir prouver que
vous êtes tombé dans tous les deux. L'Éloge
de Fontenelle préfentoit tous ces inconve
niens ; mais il faut avouer auffi qu'il offroit
de grandes reffources au talent pour prendre
tous les rons & plaire à tous les goûts.
Le ftyle des Fontenelle , fon caractère
comme Écrivain , eft familier & piquant ,
mais les objets & les vues de fes Ouvrages
ont le plus fouvent de la grandeur & de la
magnificence ; le Panégyrifte étoit autoriſé à
prendre quelquefois le ton des objets &
quelquefois le ron de l'Écrivain.
In'y avoir à cela qu'une difficulté , c'étoit
d'avoir un talent qui sûr être tour à tour pit
quant & magrifique ; & voilà ce qui nous
paroît très aife, à nous , qui éclairons le génie
& le goût par extraits.
M. le Roi n'a peut être pas dit précisément
ce qu'il vouloit dire en parlant du mérite
d'un ordre privé de Fontenelle. Il n'y a rien
de moins privé , rien de public , comme le
mérite d'un Philofophe dont les Ouvrages
16. MERCURE
ont éclairé la France , l'Europe , les générations
de plufieurs fiècles dans l'Europe &
dans la France. M. le Roi ne s'eft point rappele
que les plus grands Écrivains même
du fiècle de Louis XIV , n'ont pas eu de leur
vivant une célébrité auffi brillante , auffi étendue
qué Fontenelle ; que des étrangers font
partis exprès des extrêmités de l'Europe pour
venir voir Fontenelle à Paris ; que dans le
Nouveau Monde , à Lima , les femmes apprenoient
la langue Françoife , uniquement
pour lire l'Hiftoire de l'Académie des Scien
ces de Fontenelle.
Mais ce qui eft vrai , c'eft que Fontenelle
a déployé ce mérite , dont les influences ont
été fi publiques & fi durables; dans un talent
modefte , pour ainſi dire ; dans un ſtyle qui
n'afpiroit jamais aux dehors impofans du
fyle oratoire ou poëtique ; & voilà fans
doute ce que M. le Roi a voulu dire.
Nous croyons qu'il eft auffi trop fort de
prétendre que Fontenelle a été l'ornement des
deux fiècles ; & quoiqu'il foit heureux de
dire qu'il a été comme le lien qui les unit ,
peut- être cela n'eft- il pas affez vrai de Fontenelle.
Cet Éloge ne peut appartenir qu'à
l'Écrivain qui , placé entre les deux fiècles ,
auroit eu le génie des Arts du premier & le
génie philofophique du ſecond . C'eſt le traitcaracteristique
de Voltaire ; il ne peut convenir
à Fontenelle , qui n'a rien eu du génie
des Beaux - Arts , qui a formé un contrafte
frappant avec les bons Écrivains du règne de
DE FRANCE. 17
Louis XIV, qui a plutôt féparé qu'uni les
denx fiècles.
Ces obfervations paroîtront peut- être un
peu fubtiles ; mais dans les Arts de l'imagination
& du goût , tout eft nuance ; &
l'efprit même d'analyfe tombe à chaque
inftant dans de grandes erreurs , s'il n'eft pas
guidé par un tact fin & délicat qui fépare les
nuances les plus légères .
+
Au refte, tout cet exorde a le grand mérite
de réveiller les principales idées que le fujet fait
naître , & de les rendre avec une fenfibilité
vraie & douce qu'on n'attendoit pas du fujet.
Ce mouvement: O Fontenelle ! heureux
qui , comme toi , fauroit répandre des grâces
Jur cette fimplicité , eft heureux & paroît
naturel, quoique placé dans le début. Ce re
gard , que le Panegyrifte jette fur les Membres
de l'Académie qui ont connu Fonte:
nelle ; ces expreffions : Ta gloire eft mûre
pour les éloges , quoique la génération qui t'a
vú ne foit pas encore éteinte. Ces idées & ce
ftyle appartiennent bien au gente des Éloges
& à l'Éloge de Fontenelle. J'ai d'abord été
furpris de certe apostrophe fage vieil
lard ! & c. &c. Car enfin , Fonreuelle n'a pas
toujours été un vieillard , il a commencé
auffi par être jeune , mais en reflechiffant
qu'il n'a jamais connu les erreurs de la
jeunelle , que c'eft fa vieilleffe furtout qui
a été célèbre , que ce n'est que dans cet âge
de décadence pour les autres hommes que.
18 MERCURE
Fontenelle a été heureux & honoré ; j'ai
alez aimé cette expreffion qui concentre ,
pour ainsi dire , toute la vie dans l'époque
de fon bonheur & de fa gloire.
a
- Je n'oublierai point , dit M. le Roi , que
» jé dois moins analyfer les Écrits de Fon
tenelle que le talent qui les infpira , &
» dans lequel il me femble qu'on peut diftinguer
trois qualités bien remarquables :
» les grâces du ftyle , la fineffe & la netteté
» des idées , les vues philofophiques .
"
12
Le projet d'analyfer le talent , plutôt que
les Écrits , eft l'idée d'un homme d'efprit qui
a réfléchi fur le genre des Éleges ; mais le
fujet ici demandoit peut- être une exception
à ce principe qui eft très- vrai en général. Si
je loue Racine ou Voltaire , leurs Ouvrages
font préfens à la mémoire de tous les hommes
de goût ; je réveillerai facilement des impreffions
gravées dans toutes les âmes ; j'anrai
affez fait leur éloge fi je peins avec fenbilité
les émotions qu'ils m'ont données.
Mais Fontenelle , depuis dix ans , n'eft guèrès
lû que des Hommes de Lettres, qui ne le lifent
peut--être pas affez. On connoît aujourd'hui
beaucoup plus fa gloire que fes Ouvrages ; &
fes Écrits font naître beaucoup plus d'idées
qu'ils ne donnent d'émotions ; fi je me contente
de dire ce que j'ai fenti en le lifant ,
j'aurai peu de chofe à dire , & peu de gens fau
ront de quoi je parle . Il falloit donc , ce me
femble , qu'une analyfe affez étendue rappelât
des Ouvrages trop négligés ; alors chaDE
FRANCE. 19
eun autoit eu fous les yeux les objets dont
POrateur l'entretient ; alors les traits caractéristiques
de l'efprit & du talent de Fonte
nelle , feroient fortis d'eux mêmes de l'analyle
de les Écrits ; & l'imagination auroit
vû fe fuccéder affez rapidement les tableaux
variés de fes Ouvrages , fi divers & fi nombreux.
Le grand reproche qu'on a fait au Dif
cours de M. le Roi , c'eft de n'avoir pas affez
fait connoître dans Fontenelle l'Écrivain Philofophe
, de Savant aimable. A peine en effet
dans ce Difcours eft-il queftion des Eglogues,
des Dialogues des Morts , des Mondes ,
de l'Hiftoire des Oracles ; & ce défaut tiem
précifément à ce qu'il a voulu analyfer le
talent plutôt que les Écrits de Fontenelle .
Il n'y a rien de fi dangereux que les prin
cipes généraux lorsqu'on ne les plie pas à
propos aux circonftances.
On ne conteftera point à M. le Roi que
Fontenelle n'ait des grâces dans fon ftyle ;
c'eft même ce qu'on dit communément,
Mais en faifant de cette qualité un des traits
caractéristiques de Fontenelle , peut - être
falloit il y mettre plus de préciſion . Le ſtyle
de Fontenelle a plutôt des agrémens que des
grâces. Voltaire a des grâces , Fontenelle a
des agrémens , & cette difference vient fars
doute de ce que l'un puifoit fes idées dans
une imagination prompte & fenfible , l'autre
dans une réflexion fine & ingénieuſe .
f
M. le Roi fe demande en quoi confiftoient
20
MERCURE
les graces duftyle de Fontenelle , d'où naît
ce charme que nous font éprouver fes Ouvra
ges. Et la réponse qu'il fe fait eft un des morceaux
de fon Difcours où il nous paroît avoir
le plus approfondi le mérite de Fontenelle &
Je plas montré le fien. Je vais le citer en
entier.
" C'eft que dans les bons Écrivains toutes
les idées s'enchaînant l'une à l'autre, & ,
» fe développant fuccellivement , forment
» un tour que l'efprit faifit fans peine ; cet
» art confifte autant à rejeter les idées fu-
» perflues , qu'à n'omettre aucune de celles
» qui feront néceffaires. Si quelques Écri-
» vains aiment à fupprimer les idées intermédiaires
en faveur de la préciſion & de
», l'énergie , ils fuivent toujours dans celles
qu'ils préfentent l'ordre fecret qui les unit.
Mais cette manière piquante pour les Lec
» teurs intelligens , parce qu'elle offre à leur
» teur ,
amour propre la récompenfe des efforts
» qu'ils ont faits pour fuivre l'Auteur , eft
» faremont exempre d'un peu d'affectation.
»» Fontenelle ne tombe jamais dans ce défaut.
S'il , Aatte l'amour propre du Lecc'ent
par la fineffe de fes pensées ;
mais quoique très precis , il n'affecte point
de le paroître. Sa clarté cache fa précifion .
Son but est toujours d'épargner de la
peine. Il eft clair , parce qu'il abiège , &
» facile , parce qu'il n'a pas l'air d'abréger.
» Placé au- deffus de fon fujet , il voit d'un
coup d'oeil ce qu'il doit faifir & ce qu'il
DE FRANCE. 21
99
24
doit rejeter. Tantôt il raffemble en une
idée générale une foule d'idées particulières
, comme on réunit les rayons fo
laires au foyer d'une lentille ; & le Lecteur
» eft frappé d'une lumière plus vive. Tantôt
il fépare ce qui a beſoin d'être divifé pour
≫ être mieux compris. Mais il ne lui fuffit
pas d'être clair & précis pour être agréable
..... Tantôt ce font des rapprochemens
» heureux ; tantôt des contraftes piquans.
Quelquefois il applique , par une allufion
fine , les expreflions d'une fcience à l'au-
» tre ; quelquefois il fait fortir de l'objet
dont il parle des traits de morale univer-
» felle ; fons des expreffions toujours natu-
» relles & fimples , fous des images quelque
fois familières , il cache des idées fines
que la réflexion trouve profondes .... Chez
lui le favant n'eft jamais feul , il eft tou
jours accompagné du moralifte inftruit des
fecrets du coeur humain , parlant de nos
paffions & de nos travers avec la fupé-
» riorité tranquillé d'un Philoſophe qui les
Lobferve d'autant mieux qu'il les partage
moins. Delà ce mépris fecret, qui , comme
on l'a remarqué , perce dans fes Ouvrages;
mais ce mépris n'indiſpoſe pas , parce qu'il
eft plus fenti que prononcé , & que la
raifon l'infpire & non pas l'orgueil.
33
38
: Fontenelle lui - même auroit fans doute
quelque plaifir à voir les fecrets de fon efprit
& de fa compofition , démêlés avec cette fagacité.
C'eft prefque prendre fon talent fur le
22 MERCURE
>
fait, Fontenelle , nous dit l'Abbé Trubler
lorfqu'il vouloit louer beaucoup un morceau
, une penfée , difoit : Cela eft bien
vú . L’Abbé Trublet croit & nous
croyons aufli que ces expreffions & ordinaires
aujourd'hui , des vues neuves , des vues
grandes , des vues fines , c'eft Fontenelle.
qui les a fait paffer dans la langue ; on ne
les trouveroit peut être pas beaucoup dans
les autres Écrivains du fiècle de Louis XIV.
Quoi qu'il en foit , nous fommes perfuadés
qu'en écoutant ce morceau de M.
le Roi , Fontenelle eût pu dire fuivant
fon ufage , cela eft bien vû. Peut - être même
Féloge qu'il eût reçu le plus volontiers ,
eût été celui de ces expreffions toujoursfim
ples & naturelles ; mais nous avouons que de
tous les éloges de ce morceau , c'eſt le feul
qui ne foit pas mérité. Fontenelle croyoit
être très fimple , très naturel , parce qu'il
étoit familier ; mais on peut être familier
& recherché , & c'est ce qui lui arrivoit
fouvent c'est ce qui eft arrivé auffi trèsfouvent
à Marivaux & à quelques Écri
vains de ce fiècle , qui croyoient qu'il
fuffit de n'être pas enflé pour être naturel ;
qui croyoient qu'il fuffit de ne pas élever
fon ftyle pour être fimple , & ne fongeoient
pas que c'eft lorfque la pensée & le ftyle
s'élèvent davantage qu'ils ont communément
le plus de fimplicité. Mais nous parlerons de
ce principe de leur ftyle , dans quelques re-
Lexions que nous nous propofons d'impri
DE FRANCE. 25
mer fur Fontenelle, fur les Panégyriftes, & fur
quelques - uns de fes Ouvrages.
M. le Roi a dit de très bonnes chofes fur
l'efprit de conciliation que Fontenelle , Secrétaire
de l'Académie , porta parmi les Savans
; il en eût pû cire de belles s'il avoit
peint l'efprit de lumière que Fontenelle
porta dans les Sciences . C'eft - là le titre
le plus folide & le plus éclatant de fa
gloire ; c'étoit le plus beau moment de fon
Eloge , & le feul peut être où fon Panégyriste
pût déployer les richeffes de l'imagination
, & ces vûes grandes & générales de la
Philofophie qui appellent fi naturellement
les pinceaux de l'Éloquence. Il falloit repréfenter
Fontenelle raffemblant dans fon efprit
les lumières éparles dans toutes les
Sciences , & les répandant enfuite de fon
efprit fur toutes les Sciences , plus pures ,
plus vives & plus brillantes ; révélant à la
multitude les myftères des Sciences auffi in
pénétrables jufqu'alors pour elle que les
myftères de la Nature ; créant une langue
avec laquelle tous les hommes peuvent entrer
dans les entretiens des hommes de
génie , fondant à jamais fa gloire fur cette
époque , où ce qui n'étoit que la grandeur de
quelques efprits , eft devenu réellement la
grandeur de l'efprit humain.
•
21 FL
Il eft fàcheux que ce tableau, fur lequel la
penſée & l'imagination des Panégyriftes de
Fontenelle devolent fur- tout s'arrêter , foir
241 MERCURE
!
celui que M. le Roi paroît avoir le plús né
gligé.
Tout le monde a avoué que M. le Roi
avoit infiniment mieux réuffi à peindre le
caractère que l'efprit de Fontenelle ; On
voit à la fois dans ce tableau l'âme de Fon--
tenelle & celle de fon Panégyrifte , toutes
deux fe reffemblant beaucoup , toutes deux
pleines de modération & d'indulgence ;
toutes deux fermées aux orages des paffions,
& ouvertes aux plaifirs de la Nature & de
la Société; celle du Panégyrifte plus fenfible
fans doute , mais feulement pour avoir plus
de douceur & plus d'aménité, Heureux
l'Orateur qui trouve dans fon âme & dans
fon caractère les traits dont il doit peindee
le caractère & l'âme , qu'il célèbre ! Quels
regrets amers , au contraire , auroit dû fentic
celui dont la main, traçant le même tableau,
eut été obligé d'honorer publiquement de fes
Éloges l'ordre & la fageffe qu'il n'auroit jamais
pa établie dans fon âme & dans fa conduite
!
On a dit de Fontenelle qu'il paroît mé
ptifer les hommes , mais qu'il ne laiſſe échapper
ce fecret qu'à demi. M. le Roi dévoile
bien aufli quelquefois la malignité des
hommes , leurs paflions petites & miférables
; mais il les plaint , & ne les méprife
pas ; le trait que fon efprit alloit leur lancer
eft émouffé par fa benté naturelle , & l'indulgence
de fon âme devient alors une grâce
pour
DE FRANCE. 25
1
pour fon ftyle. C'eft ce que j'ai cru fentir au
moins lorfque M. le Roi ſe plaint à Racine
de les injuſtices envers Fontenelle .
32
" O Racine ! étoit ce à vous , dont
l'amour propre étoit li foible contre les
plus injuftes critiques , à humilier auff
cruellement l'Auteur d'Afpar ? N'eût- il
» pas été plus digne de vous d'aider de vos
» confeils cette Mufe égarée , de la confoler
, de la raffermir dans fa difgrâce ,
d'oublier que Fontenelle étoit le neveu
de Corneille , ou plutôt de vous en fou-
> venir. »
N
La tournure eût été plus piquante , le
trait de l'épigramme eût été plus aiguifé ; fi
M. le Roi avoit dit de vous fouvenir que Fontenelle
étoit le neveu de Corneille , ou plutôt
de l'oublier. Mais on aime mieux , ce me
femble , que le trait foit un peu émouflé.
On aime à voir le talent adoucir les arrêts
qu'il a droit de prononcer contre l'injuſtice.
Quant aux motifs de la haine de Racine
contre Fontenelle , il y en a eu d'autres fans
doute; mais cet objet doit être difcuté ailleurs.
M. le Roi , en parlant du ton que Fontenelle
portoit dans le monde , dit que ce
bon ton n'eft autre chofe dans la Société que
ce qu'est le bon goût dans les Ouvrages.
Ce rapprochement eft ingénieux , & cela
eft très - bien dit ; je ne fais pas jufqu'à quet
point cela eft vrai. On connoît des Hommes
de Lettres qui ont en général le goût
N° 49, 4 Décembre 1784.
B
26 MERCURE
très fain & le ton très- mauvais . Fontenelle
3.
au contraire avoit toujours le ton excellent
dans le monde , & fon goût n'a pas été
toujours très sûr dans les Ouvrages .
Le morceau dut Difcours de M. le Roi
qui a fait le plus d'impreffion , & dans le
Concours de l'Académie & dans le monde
c'eft un parallèle de Fontenelle & de Voltaire.
Nous voudrions le citer tout entier ;
mais il a paru trop long dans le Diſcours , il
le paroîtroit davantage dans un Extrait . Nous
choifirons les traits que nous jugeons les
plus heureux , & peut - être ne perdront- ils
rien à être ainfi rapprochés.
Co
ir..
嘴
Ce n'eft pas que les Ouvrages de Vol-
» taire & de Fontenelle puiffent foutenir
» ce parallèle; les genres en font trop dif-
» férens , & ceux de Voltaire trop fupé-
» rieurs. Nous obferverons feulement que
" tous les deux , doués d'an génie étendu &
flexible , ont embraffe plufieurs objets &
cultivé les Lettres & les Sciences ; mais
Voltaire , bien plus grand que Fontenelle
» dans les Lettres , n'a écrit fur les Sciences
que paffagèrement & d'une plume moins
» sûre & moins ferme. Le contraire eft arrivé
à Fontenelle. Fontenelle a de la rai-
»و ر
"
ور
fon & de la grâce ; Voltaire a donné à la
» raifon de la grâce & de la vigueur. L'ef
» prit du premier a fans doute influé fur
» celui du fecond . Fontenelle avoit accou
» tumé tous les efprits à cet art d'orner la
» raifon en évitant le ftyle emphatique &
DE FRANCE. 27
ود
93
ود
ampoule. Voltaire femble avoit faifi de
bonne heure ce mérite de Fontenelle, Il
referva la majefté du ftyle pour la haute
» Poene , & la profe , facile , elegante &
pure , le rapproche prefque toujours du
» ton de la converfation fans en avoir les
" familiarités ni les négligences, ou f
(1
»
»
»
»
fa
Tous deux nés avec une conftitution
faible , ont fourni une longue carrière.
» Fontenelle fut prolonger la fienne par fa
moderation , au lieu qu'on eûr dit que
» l'âme impétueufe de Voltaire , tout en
» tourmentant fon corps , le foutenoit &
» lui donnoit, de nouvelles forces. L'un a
» terminé la carrière l'âme & le corps affaifles
fous le poids des années ce qui
eft fans doute un bonheur , puifqu'il a
» rendu la vie comme nous la recevon
fans le fentir ; l'autre aa conferve jufqu'au
dernier moment , finon toute la vigueur ,
au moins toute la grâce & toute la viva-
» cité de fon efprit ; ce qui eft un bonheur
plus grand encore . Tous deux font du très-
Tous
petit nombre d'Écrivains que les Lettres
» ayent enrichis. Fontenelle
la toujours de
» fa fortune fans fafte. Voltaire , daus fa
vieilleffe , & lorfque l'avarice achève de
» l'âme du commun des hommes ,
» a joui de la fienne avec magnificence.
» Les vertus de Fontenelle rendient principalement
à fa raifon ; la prudence y dominoit;
celle de Voltaire , aux élans d'une
» âme ardente & fenfible , elles furent mê
39
"2
retre
.
Bij
28 MERCURE
1
1
93
lées de quelques foibleffes. Fontenelle ,
" cifconfsect & réſerve avec les Grands,
» lauloir entre eux lui une certaine diſ-
» tance ; & obavoir appris d'eux ce fecret de
» deur politelle. Voltaire 39sûrlede les rel-
» fources, cachoit fous les grâces & Pamabilité
de foncel pait , l'ait de liberté qu'il
prenoit avec un Leur commerce avec
Fontenelle n'a pas peu contribué à les rap
» procher des Gens de Lettres , celui de
Volthieqa fini par donner beaucoup à
penfer sex uns & aux autres fione liaifon
» Trop intime leur convient. La prudence
» de Fontenelle caldoit l'envié , le caractère
deVoltaire l'irritoir. L'un conjuroit , l'au-
» tre défioit l'orage . Fontenelle avoit été le
premier dans la république des Lettres
» Voltaire , fur la fin de les jours , ſembloit
avoit changé cette république en mogarchiesi
alad sb silo sb sibèg
Nous n'avons pas cité la moitié des traits
de ce parallèle. Parmi ceux que nous avons
fupprimés il en eſt d'autres aulli ingénieux
que ceux qu'on vient de lire , Mais,
comme on avoit od morceau est beaucoup
trop long pour un parallèle, On, ne met les
chofes & les hommes en parallèle que par
les traits les plusfrappans qu'ils préfentent , &
ces morceaux n'admettent ui détails, ni preuyes.
On ne doit voir que des téfultats , &
chaque réfultat aloit fortit par un trait court ,
vif & faillant. Autant qu'il fe peut , il faur
qu'on voie toujours les deux hommes dans
DEnFRANCE. 29
19
A
la même phrafe ; & que dans la phale chacum
occupe à peu près le même efpace. Les
éloges Acadéntiques quizonte du amener néceffairement
des zicompacaifens entre les
Hommes célèbres ont enrichi notre langue
d'excellens morceaux en ce genre, Le paral
lèle de Molière & de La Fontaine , spar M.
de Champfore celui des Contes de La Fonraine
& des Contes de Volcare par M.
Ducis celti da ſtyle de Racine & du Ayle
deVoltaire , par M. de la Harpe , font des
modèles tous les trois , & ont tous les trois
uf mérite & des caractères differens. Dans
le premier , le rapprochement du Fabulifte
& du Porte Comique du peintre du Milantrope
& du peintre de leannot Lapin , paroit
d'abord un pew forcé : pour le rendre
nittfel, Mrate Champfort erend les idées
que nous avions de la Fable & de la Comédie
, & de Molière & de La Fontaine , &
chaquetraitedus parallèle joint augmérite
d'être vrais le mérite d'être encore une décou
verte nouvelle Lebparallèle des Contes de
Voltaire & des Contes de La Fontaine offre
à chaque inftane dans la même phrafe les
grâces niives de La Fontaine, & les grâces
brillantes de Voltaire. C'eft une espèce de
lutte , où chaque Conteur perd & reprend
tour- à- tour l'avantage , & en finiffant il eft
difficile de favoir auquel des deux Conteurs
l'avantage eft refté. Lo parallèle du ſtyle
de Racine & du ftyle de Voltaire eft un
morceau d'un goût exquis jufques dans les
१
ཚ
T
Bil
30
MERCURE
moindres details . Le même fonds d'idées s'y
reproduit peut être trop souvent , mais toujours
enrichi de nouvelles idées accelloires
& de nouvelles grâces dans l'expreffion
Si M. le Roi réduifoit fon parallèle de
Voltaire & de Fontenelle à l'étendus de ceux
que nous venons de citer ; s'il donnoit
a quelques rapprochemens une tournure
plus vive & plus piquante; fi les traits
mis en contrafte jouoient plus fouvent, dans
le cadre de la même phrafe, ce morceau de
fon Difcours pourroit être anis , fans doute ,
rang de ces modèles. au
On voit combien M. le Roi auroit rort de
refpecter le ferment qu'il a fait en vers de
ne plus afpirer aux prix de la profe Henreu
fement les fermens qu'on fait contre la gloire
n'engagent pas plus que ceux qu'on prononce
contre une maîtreffe ; on jure de la fuir, pour
jar ais , & on eft fouvent à fes genoux avant
que le terment foit achevé. Le Public , qui
paroît avoir beaucoup, goûte le Difcours de
M. le Roi , le relève fans doute d'un you
qu'il ne lui a pas été permis de faire contre
les plaifirs du Public, anitroqu) siot
par Cet article eft de M. Garat. )
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DE FRANCE.
90.9m
MEMOIRE fur le premier Drap de Laine
Superfine du crû de la France , lû ala
rentree publique de l'Académie Royale
des Sciences , le 27 Avril 1784 , par M.
Daubenton , de la même Académie . A
Paris , de l'Imprimerie Royale. on
*£ { ftyi} } att
"
M. DAUBENTON n'eſt pas un de ces Savans
dont la fagacité ne s'exerce que fur des objets
patement oilcus ; qui ne donnent à leurs
études d'autre bur que l'amufement; bu qui ,
n'ayant de motif qu'une vaine curiofité
n'ambitionnent
"d'autre prit qu'une vaine
gloire, Tous les travaux font confacrés à
P'utilite ; fes découvertes font des bienfaits ;
& chaque ritre de gloire qu'il obtient , eſt
un nouveau droit à la reconnoiffance publique.
mud @ 95 swi no ( siloniare sau e dife
Nous croyons devoir faire connoître à
nos Lecteurs le nouveau Mémoire qu'il a
communiqué à la favante Société dont il eſt
Membre , & dans lequel il expofe comment
pour
il eft parvenu à
obten
és
draps fins ,
la foie fuperfine qu'on étoit forcé d'acheter
chez les étrangers. Le Gouvernement
ayant fait venir fucceffivement des beliers &
des brebis de Rouffillon , de Flandré , d'Angleterre
, de Maroc , du Tibet & d'Espagne ,
M. Daubenton mit toutes ces races dans la
même bergerie , en plein air ; nuit & jour ,
toute l'année , fans aucun abri , & dans un
canton un peu montueux , c'eft à dire , fa-
Biv
32 MERCURE
vorable à la production des laines furesfires.
Son expérience eut un plan fucccs
allié les beliers a line très fire , avec des
brebis à laine jartcute , qui avoient autant
de poil que de laine , il en refulta un beer
à laine fupe fine. M. Daubenton avoir d'autant
plus lieu d'être content de cette ruliite ,
qu'il avoit employé un belier de Roullilon
n'en ajant pas encore rech d'Espagne,
2.
En 776 , moyennant des beliers & des
brebis qui lui vinrent d'Elpagne , poffetant
fept races très dilliuctes , y compris celle de
l'Auxois , pays où eft fituee fa bergerie , il a
mené de front deux opérations differentes ;
il a perpétué toutes ces races fans aucun mề-
lange , pour voir quelle influence elles recevroient
du changement de nit & en
même temps il a allié ces fept races entréelles
, pour avoir des races
voir à quel degré ce métiffes , & pour
mêlange influeroit fur
la laine. Enfin , le réfultat des experiences de
M. Daubenton a éré d'obtenir des laines
aufii fines que celles d'Elpagne , fans le fervir
de nouveaux beliers d'Elpagne ni de Rouffillon.
Il reftoit à faire l'épreuve de la fabrication
des draps ; épreuve des plus heureufes , puifqu'on
s'eft convaincu que les nouvelles laines
, avec la même finelle à l'oeil , la même
douceur au toncher que celles d'Espagne ,
avoient encore plus de force & de nerf ;
qu'elles fe tirent auffi fin à la filature ; qu'ellesfouffrent
un tors plus confidérable fans fe
DE FRANC, E 33
caffer , & qu'elles donnent aux draps une
chaîne plus nerveufe & plus forte.
Cette decouverte eft très im o tinte fans
doute pour les Manufactures & pour l' nterêr
du commerce National. M , Daubenton a
"donné dans plufieurs Memoi es des movens
faciles & peu difpendieux de faire croire des
laines fuperfines ; & les longues expériences
qu'il a faites ne laiffent aucun doute fur la
durée de cette amelioration.
?
19SPECTACLES.
52721 ジ
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
"MILLE DOZON a continué de jouer le rôle
d'Armide's dans l'Opéra de Renaud. Elle a
repare dans les deux dernières repréfentations
les défaurs qu'on lui avoit reprochés à
la première. Elle a laffe très peu de chole à
defirer dans le fecond & le troisième A&te.
On ne peut s'empêcher d'être toujours vivement
frappé du degré d'intelligence , de chaleur
& de mouvement qu'elle met dans fon
action , dans un âge fi peu avancé & avec
fi peu d'expérience. On n'eft pas moins éronné
de lui voir mettre dans four chant une expreffion
auffi fenlible & auli vae , qui ne
nuit prefque jamais ni à la beuré des fons
ni à la jufteffe de l'intonation . Elle a eté ap-
B
34
MERCU RET
र
plaudie avec tranſport à chacune de ces recroyons
qu'on ne fauroit préfentations : talent
qui
doit devenir
trop encourager un
fi précieux pour la Scène Lyrique.
nob s no ziom ɔɔ skai jbïM 3
A 211510€ 25b norisinisiga
6A
istanc
<
C
I
Le Jeudi 23 , dans le Divertiffement du
troifième Acte de Renaud on a vû repa
roître la jeune Dlle Elisberg , élève de M.
Dauberyal , dans une entrée feule Poù elle
a cu le plus grand fucces . On a remarqué
Chippy/
2les
ones
febribles
,
M
a faits depuis qu'on ne l'a vue , für foue podr
la légèreté & la precision de fes pas , & poftr
l'action qu'elle met dans fa danfe! IPa été ailé
allofineide
reconnaître dans ces progrès
pes & les leçons de habile Maitre quis de
cupe de développer fes talens . Nous devons
cependant obferver à cette jeune & aimable
Danfeufe qu'on a trouvé un peu de manière
& d'exageration dans les attitudes qu'elle
pourroit éviter d'avoir continuellement le
corps courbe & la tête un peu trop en avant ,
& qu'elle n'a pas befoin de tant de rechetpour
être très agréable au Publie, nem
291 29300 esh egetul He's sinmos
097913 291 10) 2997791 2009- coth
sola - ind & , ampẴ ab uq, e9nic
basiles enab Strom 3 , ev-niolg
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moflold 169 299mad zogo1q - &-lom
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che
t
als 250p
DE FRANCE 35
»
1 COMEDIE ITALIENNE.
a LE
E Mardi 16 de ce mois , on a donné la
première repréfentation des Docteurs Modernes
Comédie Parade , eu un Acte , en -
profe & en vaudevilles , fuivie d'un Divertiffement
analogue, mêlé de couplets.
5 M. Callandre , inventeur du Magnétifme
Animal, veut trouver dans la crédulité pu
blique les fonds d'une fortune rapide &
brillante, mais pour réuflir dans cette entreprife
, il a beſoin d'un homme qui devienne
J'Aporre de fa découverte , & qui foit perfonnellement
intéreffé à en faire valoir les
fuccès & l'efficacité. Il a choifi , en conféquence
, un de fes Confrères , dont il fe
propofe de faire fon gendre , & il ordonne
afa fille Ifabelle de fe préparer à lui donner
la main. Mais la fille de M. Caffandre , fuivant
les us & coutumes de toutes !les Ifabelles
eft amoureufe
d'un jeune homme qu'elle n'a vu
palices, pretentes &
futuresan mo
ment, & ce jeune homme s'appelle Léandre,
comme c'eft l'ufage dans toutes les Comé
dies -Parades repréfentées fur les tréteaux des
Foires ou des Remparts , à huit - clos ou en
plein- vent , & même dans celles dont quelques
zélés reftaurateurs des Turlupinades , fi
mal- à- propos bernées par Molière , cherchent
depuis quelques années à enrichir le
Répertoire de la Comédie Italienne . Après
B vj
36 MERCURE!
&
deux ou trois Scenes , dont une entre Callandre
& le Docteur , eft extrêmement plaifante.
Leandre, qui eft deveau amoureux d'Ilabelle
fans la connoître , qui a vainement cherché
à découvrir le nom, & lademeure des fa
bien - aimée , & qui éprouvé des fentimens
qui lui étoient inconnus jufquialors vient
chez M. Caffandre pour le faite magnétifers
dans l'efpoir de trouver un remède à fon
mal. Il y rencontre fa chère amante: A fon
afpect , il fent un trouble , un embarras , des
mouvemens qui infpirent un très vifintérêt
à la jeune, perfonne. Fille véritablement dil
gne d'un père tel que M. Caflandre , Habelle
s'arme du talifman dans lequel dft contenue !
la médecine univerfelle , & magnétile fons
amant, qui , enhardi par tant de bonté, foulagés
par tant de complaifance, ofe laffer éulator :
tout fon amour , & tombe aux genoux de fav
inaîtreffe. L'arrivée des deux Docteurs décon
certe un peu les jeunes gens, mais comhiep
Léandre fe trouve être le neveu du . Confrère
de M.1. Caffandre , & qu'il n'eft pas difficile
de s'appercevoir qu'il aime & qu'il eltaine ,
on confent à lui donner la main d'Isabelleide
& les Docteurs n'en font pas moins unisu Josh
V
Au Divertiffement qui fuir , le Théatre
repréſente une vafte falle , au milieu de
laquelle on voit un énorme biquen entourés
d'un grand nombre de performes des deux
fexes , qui attendent avec une vivelimpas
tience les Docteurs magnétifans . A feur arrivée
l'alegreffe devient générale ; chacun
DIE FRANCE. 37
C
siécrie & domande la préféance ; mais il faut
que chacun paffea fon tour. Un Galcon vient
dizel à Caffandre qu'il vekt battu le matin ,
imais quederfen de fori ennéthi , étant magné •
fé, luba caufeus mouvementfréquent qui l'a
fait tomberà la renverſe il a donc bel
foiny derdomplecourscoafa " de pouvoir
avec un fer apprêté y travailler à son tour
font ennemis à travers une groffe murdille.
Deujeunes femmes Aglaé & Hortenfe ,
fuécèdent du Gafcon celle-ci veut auffi fe
faire magnétifera Le bruit infernal que font
lės malades d'engage à les obſerver. Elle reconnoît
ſon imati dans un Procureur affis &
la droitedu baquer, & qui a la branche magnétique
appuyée fur le front. Sa maladie
confifter en del fréquens maux de tête , dont
iheft affligé depuis fon mariage . Hortenfé ne
vent pas refter: elle demande au Chelatan
s'il ne va poim en wille , & celui - ci l'affure
qualyva , pourvu qu'on ait le foin de l'aver
tir la veille. Après quoi Hortenfe fort avec
Aglaérem fe moquano de fon mari , qui ne
l'a point apperçuerant il eft plein de fon
objet: Enfin het queſtion de magnétifer le
Procureur on lui touche de front, on lui
préfente und glace , on lai fait fixer les yeux
furtune pendule qui fonne coucou , i tombe
dans un fauteuil. Peu à peu la vertu magnétique
lopère fur tous les malades , qui fe lè
vent en chantant tour à tour , für láir d'un
canon très fancien am 10ɔßol 25
+
C
Je fais un fou , Meffieurs , où me fogerez -vous , &c.
38 MERCURE
G
A chacune de ces queſtions , les Docteurs
répondent à lafalle des crifes ell efter on
les conduit dans cette falle , qu'on apperçoit
dans le fond du Théâtre. Puis un Duo, entre
les Docteurs , dans lequel ils fe félicitent
mutuellement de l'heureux fuccès de
leup entreprife, & de l'argent qu'elle leur
vaudra.his 3976 tiongroys nievod qua
On entend fans ceffe,répéter qu'il ne faut
pas juger des bagatelles avec févérité , & au
premier coup d'oeil on eſt aſſez ordinairement
la dupe de cette manière de penfer ;
mais avec un peu de réflexion vil reſt pas
difficile de s'appercevoir qu'à force d'indul .
gence pour les bagatelles , on autorife les
jeunes Auteurs à ne plus s'occuper que de
futilités , on habitue les Spectateurs à une
efpèce de jouiflances propres à dénaturer le
goût , à introduire la licence , & à leur faire
oublier tous les principes de l'honnêteté publique.
De quel seil , fi ce n'eft avec celui du
mépris , & même du dégoût , des hommes
raifopnables, ceux qui croyent encore que la
décence n'eft pas un mor vague & yuide de
fens devroient - ils confidérer cet amas indigefte
de Rebus, de Calembourgs , d'équivoques
, de jeux de mots , de plaifanteries hafardées
, & qui ne doivent fouvent tout leur
fel qu'à un vieux refrain mis en oeuvre avec
une intention libertine ? Néanmoins , nous
voyons tous des jours les gens qui , par leur
état , leur naiffance & leur caractère , devroient
être les ennemis de ces miférables
2
DE FRANCE 39
productions les applaudis saved tranfport ,
en devenit les prôneurs & les appuis. On ne
fauroit refufer beaucoup d'efprit àd'Auteur
quelconque des Docteurs Modernes .Ses cour
plets font tournés avec grâce , coppés avec
facilité, & quelques uns d'eux font vecminés
par des épigrammes très- ingénieufes , & que
tout Écrivain avoueroit avec plaifir; mais
( nous l'avons déjàdio & nous ne nous
lafferons pas de le répéter ) comment un
homme d'efprit , au dieu de travailler pour
fa réputation d'une manière utile & honorable,
defcendit-il jufqu'à fe proftituer , pour
ainfi dite, d'une façonaviliffante ? On aicomparé
le Mariage de Figaro à une Laïs : à qui
Comparefa ton la Comédies Paradestelle
qu'elle vient d'être régénérée au Théâtre Italien
Il faut , par délicareffe , s'abstenir de la
comparaifen. Il nous femble pourtant indifpenfable
de remarquer qu'il eft bien éton-
Hane que ce foit au moment même que la
Comédie Italienne a obtenu le privilége de
représenter la Comédie Françoife , qu'elle
aft ouvert la carrière à un genre qui met fa
Séêne au niveau de celles des Remparts ? -
C'étoit las difort on , que nous devions voir
fe former cette feconde Trouper long - tems
demandée & fp néceffaires à la reftauration
de l'Art. Si c'eft ainfi qu'on remplie nos efpérances
, nous ferons bientôt réduits au
Teul plaifir de méditer nos chef d'oeuvres
Dramatiques dans le filence du cabinet . On
dévoue , & le Gouvernement permet de dé-
12
40 MERCURE
vouer au ridicule les Charlatans qui vien
nent nous apporter les maladies & même la
mort , en nous annonçant la fanté : & cotle
tolérance peut être fort lage , mais on devtoir
anili permettre quel'on exposât à larifée publique
ces empyriques Littéraires qui femblent
avoir conjure à la fois la perte du goût &
celle de la décence , & qui ne favent exciter
le rire qu'aux dépens de la pudeur. I peſt
pas fi indifferent qu'on le penfe de maintenir,
dans habitude des plaifirs honnêtes & des
jauiffances délicates , une Nation talle queila
nôtre , à laquelle on ne fauroic refufer deda
grandeur , mais dont l'efprit capricieux &
frivole eft fufceptible d'être facilement egate,
& de
friendre!Pombre quomo
petréalité
, &
l'ivreffe pour du plair, M6217A
efprit corrompu ne fut jamais fublime,
96 916 90
Memuat al LASTOM MLG 25905 ' , 20
a dit Voltaire. En littérature.comme en morale
, ce principe eſt unconteſtable ; & pearêtre
eft il déjà plus que remps de réfléchir fur
la vérité qu'il renferme, Rome s'avilit avec
l'amour effréné des Pantomimes ; les femmes
Romaines en devinrent folles , eltlieess commu
niquèrent leur enthoufafme à leurs époux
à leurs parens , à leurs amis ; de proche en
proche le mal devint général, un luxe effréné
avoit préparé la révolution los monisife
relâchèrent, la vertu fe cacha , le vice leva
un front audacieux , & le génie Romain s'abâtardit.
En formes Hous la Finitons- nous
comme les Vainqueurs du Monde ?
J
E
>
DE FRANCE ན་
* Top 208 11:00 251 SiusiBIT DE TRUCT
ANNONCES ET NOTICES.
½ : sinst al suspnonts abou no hom <
„ObraDaire univerfel & raisonné de Jurif
prudence Ouvrage des ph fieurs Jurifconfess
eno dre & pab ié par M Gayot , soavelle Edition
corriger & agmentée , dix - fept Volums in 4 cn
caractère petit Komain. A Paris , chez Vill , rue de
la Ha se , près la rue Serpente.
>
free cet. Ouvrage paroit
actuellement ,
& le Tome VI Paroltra dans le courant de te mois.
Jusqu'à ce que les cinq derniers Volumes qu'on doit
livrep gratis (aux Seufcripteurs paroiffent , fon conti-
Dutrase tecevoir des fouferiptions far le pied do
168 liy, diftribuées en treize payemens , dont le premier
oft fixé à 34 livres , & les atres à 12 livres
l'un en reurant chacun des douze Premiers Volumes.
Av1s à MM. les Sofferipteurs des Figures de
Hiftoire de France , comenajes par feu M. le
Bas, & continuées par M. Moreau le jeune , Deffinateur.
& Graveur du Cabinet du Roi , & debfon
Académie Royale de Peinture & de Sculpture, sa
2
A l'époque de la mort de M. le Bas , les Etampes
étoient au nombre de cent quarante- quatre ,
divifées en huit Livraifons de dix - huit chacune. M.
s'étant apperçu que ce nombre de dix - huit
Eftampes pat Livraifon croit d'une trop longue execution,
& retardoit la jouillance de MM. les Soufcripteurs
d'après cette réfexion , il a pris le parti
de divifer les hair premières Livraiſons en douze
de douze Eftampes chacune , ce qui fait toujours
les cent quarante - quatre Estampes. Par cet arran
gement , qui fera invariable , la Livraison qu'il
délivre dans ce moment eft la treizième des Figures
de l'Hiftoire de France , auffi de douze Eftampes."
MERCURE
$
Le prix eft toujours le même , de vingt fols par
Eftampe, ce qui fait liv. pour cette Livraifon A
Paris , chez M.Moreau le jeune , rue du Coq-
Saint-Honoré , pprès du Louvre ,
ainfi que les Vues
des Monumens des environs de Paris , & la fourcription
des Ouvres de M. de Voltaire , dont il
paroit quatre Livraisons in- 8 . & in - 12 ; de dix
Eftampes chacunegmozas ils & Calarasimh
ET
MM. les Soulcripteurs font priés de faire retirer
leurs Livraifons.jozusb case polup og mot 38 , color
2nd ab
ATLAS de la Géographie ancienne , par M.
Bonne , premier Hidrographe du Roi , avec des
Tableaux Hiftoriques & Chronologiques des ptincipales
Révolutions depuis les Empires connus jafqu'au
moyen Age, fervant d'explication pour chaque
Carte , avec une Table alphabétique de comparaifon
des noms anciens avec les modernes par M. de
Grace , Cenfeur Royal . Prix 21 liv , als Car Ouvrage,
demandé & attendu depuis long- temps du Publie , eft
du même format de l'Arlas moderne fuivant la Géographie
de feu M T'Abbé Nicolle de la Croix connu
du Public , & en eft le complément , qui le porte à
cent feuilles. On en trouvera de reliés enſemble ou
féparément , à Paris , chez le ficur Lattré , Graveur
ordinaire du Roi , rue Saint Jacques y la portecochère
vis a vis la rue de la Parcheminerie , nº 20.
On trouvera chez le même Artifte un très-beau Plan
de Paris fur la feuille de papier grand Aigle de Hollande
, avec tous les nouveaux alignemens , même
ceux projectés .
. Ce Plan ne fe vend que lavé , prix ,
7 liv. 4 fols ; un autre réduit à moitié fur la feuille de
Nom de Jefus de Hollande. Priz , 6 liv . lavé ; un de
quatre feuilles dédié au Roi par feu M. Jaillor , Géographe
ordinaire du Roi , fur lequel tous les changemens
ont été portés , un beau Plan de Rouen en
deux grandes feuilles , dédié à M. de Crofne , Inten-
9
I
DE FRANCE. 43
с
T
མ་
dant de la Généralité, Prix , 4 liv, 4 fols ; une réduc
tion du même Plan dédié à M M. du Corps de Ville.
Prix, livre 16 fols ; une Carte des États - Unis , de
l'Amérique , avec la nouvelle divifion fuivant le
Traité de Paix de 1783 , dédiée & préfentée à M.
Franklin , Miniftre des Etats Unis de l'Amérique
presla Cour de France . Cette Carte eft fur une feuille
& demie d'Aigle , & eft accompagnée d'un Abrégé
Hiflorique des Expéditions Militaires, Brix , 2 liv.
Yo fols , & tout ce qu'on peut defirer en Géographie ;
des Ecrans de tous genres proprement faits , & pluheurs
objets d'étrennes curieux & utiles , J » A
29b povs jo ob odger orbift winstg Sudes
aura Choifies de l'Abbé Preveſt , avec
Figungs , meuvième Livraiſon , contenant les Mémeires
d'unejeune Dare , trois Volumes. Cetic inréreflante
Collection touche bientôt à la fin,
sh On fouferit pour le sites Duvres , conjointement
avce calles de le Sage , à Paris , chez Curhet , rue &
horst Serpente , & chez les principaux Libraires de
Europe Le prix de la fouferption eft de livres
hools le Volume braché. On a tiré vingt , quatre
Exemplaires fur papier de Hollande à 12 liv. le Yolume/
brochéilt ob stavolt us n✪ 25lliust sa
QeverƆed tod et esilo + geral consinberat
211
LAMANS de Mythologie , avec Analyfe des
Poemes d'Homère & de Virgile, fuivie de l'explication
allégorique à l'usage des jeunes Perfonnes de
L'un & de Dautre fexe par M. de Bafville , ine 8 .
Prix , 6 livres broché. A Genève , chez Barthélemi
Chirol , Libraire , & fe trouve à Paris , chez Lautent
, Libraire , rue de Tournons muselo
sh Get Ouvrage eft une compilation , mais une
compilation uile, & qui annonce de l'inftruction
& du zèle de la part de fon Auteur. Il refpire & il
eft fait pour inspirer l'amour de l'Antiquité . Il y a
un très-grand nombre de figures , moyen propre à
44
MERCURE
erprofondément
dans
i
amufer la jeuneffe, & à
mémoire ce que l'on veut y faire entrer.
9
if
egold vo , zrin I of my iguj zaJAKUTKOZ
Es's furles convenances grammaticales de la
Langue Françoise ou l'on traire effentiellement
des rapports qu'ont entre eux ou avec les objets de
nospidéesyo &c , par M. Rouffel de Breville an
cien Avocat au Parlement. A Lyon, chez Jeans
Marie Bruyffer père & fils , rue S. Dominique, plsup
Le merre de cet Ouvrage eft aufli réel que fe
titre en eft vmodefte. On y trouvera des apperçus
neufs fur notre Langue , de fages difcuffions eN
un mory cette production est également eftimable ,
& par les principes qu'elle renferme, & par lacingthode
aveclaquelle ils font préfentés, bm na is-alla
1391100 25b mt a y ( asibiḍu) el toilevadƆ al
La Vie de M. Bourdoife , premier Prare de la
Communaute & Séminaire de Saint Nicolas du
Chardonnet Teconde Édition , revue , corrigée &
abrégée, 12. Pris , liv broché , livro fots
relié. A Paris , chez Morin , Imprimeur Librairey
rue Saint Jacques alteri cosi 3190 101 29ld
1
3
"
C'eft l'abrégé d'un Ouvrage édifiant & très-an
cien , qui a joui d'un grand fuccès dans fa noud
veauté. Nous croyons , comme l'Editeur, qu'une
chofe bien étonnante c'eft qu'un homme fans
nom , fans bien , fans crédit avec des talens még
diocres & peu d'étude , ait pu parvenir à corriger de
nombreux abus dans l'Eglife , y ramener l'ancienne
difcipline , & concourir à l'établiſſement de tant de
Séminaires & de Communautés Religieufes.
200
On trouve chez le même Libraire ; & à Rennes
chez les Dembifelles Vatar , Libraires , les trois
Héroïnes Chrétiennes , ou Vies édifiantes de trois
jeunes Dembifelles par M. l'Abbé *** Get Cus
vrage avoit déjà paru avec un fuccès mérité, &
DE 45
FRANCE.
Edition eft
Petsintereſſance
d'une
nouvelle
Vie
&
de traits
29105_326) Y JUv noi sup 90 sitom .
FONTENELLE jugé par fes Pairs , ou Eloge de
Fontenelle en forme de Dialogue entre trois Acadé
mittens des Académies Françoife des Sciences &
des Belles Lettres, feconde Edition précédées d'un
Extrate des Jugemens que MM'Abbé Royou a portés
de cet Ouvrage, &fuivie d'une Galenie Poétique de
quelques Evénemens de l'année 783. A Paris , chez
Belin Libraire, rae Saint Jacques , près Son Yves;
Baily Libraire rue Saint Honorégovis-à- visə la
Barrière des Sergensband og 10) duer
5
Nous avons annoncé da première Éditions de
cef Ouvrage , & nous lai avons donné des éloges.
Celle- ci en mérite d'autantophis sque Auteurs ( M .
le Chevalier de Cubières ) y a fait des corrections
& des augmentations très - heurenfes, Les Pièces que
repforme la Galerie Poétique ont toutes paru dans
les courant de l'année 1783 année à jamais mémorableopard
découverte de M. de Montgolfier. On
trouve dans certe Galerie denx Pieces, fort agréables
fur cette découverte intéreffante , l'une intitulée
les Prodiges des Sciences , & des Arts, & l'autre
l'anti -Philofophe l'Epitre à l'Auteur du Séducteur
dorfqu'il étoit encore Anonyme ; les vers f
fur
la mo de M. d'Alembert que nous avions déjà
publiés le tremblement de terre de Melfine, ou la
mor de la Marquise de Spadara , Poëme Lyrique ;
la Promenade au Sallon de 1783; l'Epitre, aux Auteurs
des Voyages de Rofine , &foonos 3 anilgisi
29lapigile 2010scummoƆ ab 2, ispion?
DISSERTATIONS & Lettres fur le Méphitifme &
Lanti-Mipritime , adreffées à M. Cadet , par M.
Janin de Combe Blanche , A Vienne , & fe trouvent
à Paris chez les Marchands de Nouveautés
e
3
L'Auteur fe plaint beaucoup de pailieurs Mem
46 MERCURE
bres de l'Académie , qui , après s'être déclarés
contre l'anti Mephitifme , l'ont adopté , & s'en
font dit Auteurs.; quoique l'objet de cette difcuffion
foit intereffant par lui - même , nous avons
trouvel'Ouvrage un peu verbeux; nous ne déciderons
pas le fonds de la querelle , & laiferons aux
Lecteurs le foin de vérifier la vérité des faits, l'exactitude
des citations , la folidité des principes & la
juiteffe des raifonnemens . Au refte , cet anti - Méphitique
n'eft autre chofe que du vinaigre mêlé avec de
l'eau que l'on jette dans les folles d'ailance lorfqu'on
en fait l'ouverture.nog ub rengiai suol & X20;
igo, amovib, eso stang 2011 nov
MEDECINE des Animaux domefiques, renfer
mant les différens remèdes qui conviennent pour les
maladies des chevaux , des vaches , des brebis , des
cochons , de la volaille , des oifeaux de fauconnerie ,
des petits oifeaux , &c.; par M. Buchoz , Auteur de
différens Ouvrages économiques , feconde Edition ,
augmentée. A Paris, chez l'Auteur, ue de la Ha
Harpe
la première porte - cochère au deffus du Collège
d'Harcour.
+
·
226523211
Tout le monde connoît les Ouvrages de M.
Buc'hoz Celui - ci a le mérite d'intereffer, une
claffe de Citoyens bien précieufe , les Agriculteurs.
MÉMOIRES du Mafée de Paris. Sciences.
No. 1. A Paris , chez Moutard , Imprimeur - Libraire
, rue des Mathurins , hôtel de Cluny,
On a applaudi au projet de publier les Mémoires
du Mufée. Cette première Livraifon traite du feu
complet , par M. Ducarfa. La longueur de ce Mémoire
& des Pièces qui y font relatives , a empêché
qu'on ne fit paroître le Difcours préliminaire ; on le
donnera à la deuxième Livraison.veld
) ob Juicy
paiz eb
A, B , C, ou Jeu des Lettres de l'Académic des
DE FRANCE. 47
Enfans , & Recueil de leurs Etudes , nouvelle Edition
, divifé en trois Parties , ornées de Figures &
d'un petit Atlas élémentaire , le tout mis dans un
ordre très méthodique , par M. Frefeau , Inftiruteur
pres A Paris , chez l'Auteur , Place de l'Ecole ,
D
près le Pont Neuf , la Verve Heriffant , Imprimeur-
Libraire , rue de la Parcheminerie , & Savoye ,
Libraire, rue Saint Jacques A Verfailles chez
Blaizor & Leguay, Libraires.
DANO 255 ni
Nous avons annoncé les Cayers de l'eftimable
à mesure qu'ils ont paru . Il
Ouvrage de M.
Frefnica opres à attacher les Enya
joint de petits Jeux "
fans , & à leur infpirer du goût pour l'étude . On
peut voir la Note & les prix de ces divers objets
dans un Extrait que M. Frelicau communique gratuitement
chez lui: sup zablomst ans-stu
290 21dsid asb zaray zabyxumado en cat
9SIX Duos très-faciles pour deux Violons , par M.
Prot , Mufiçien de la
Comédie Françoife , Cuvie V.
Pfit , liy 4fols. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Honoré , près celle Saint Nicaife , maifon de M.
Roblate Epiciet, & à la Comédie Françoife pendant
le Spectacle.
1.0916
On deit favoir gré à M. Prot , qui a déjà donné
plufieurs Ouvrages pareils , de confacrer les talens à
l'avantage des Commençans, ca 2013- b C
2
PAUDEVILLE du Marioge de Figaro , avec
hdit variations arrangées pour le Clavecin , par M.
B...., Profeffeur. Prix livre 16-fols. A Paris , chez
Mlle Levaffeur , rue Saint Honoré , entre celle du
Four & celle des Prouvatires , maifon de M Sedillot.
3М 90 90 100
,
SNUMERO 20 des Ariettes & petits Airs pour
Le Clavecin ou la Harpe , par M Dreux le jeune ,
Maître de Clavecin. Prix , réparément 2 liv . 8 fols .
Abonnement de vingt- quatre Cahiers 36 & 48 liv.
art, se a
48 MERCURE
1
t
A Paris , chez Mlle Girard , rue de la Monnoie , à la
Nouveauté.
DEUX Duos , le premier pour deux Harpes ou
Harpe & Violon , le fecond pour Harpe & Violon
obligés , par M. Mayer. Prix , 7 liv. 4 fols. A Paris ,
chez l'Auteur , rue Neuve des Capucins , Chauffée
d'Antin , hôtel de M. le Marquis de Choiſeul.
L'ART de jouer de la Harpe démontré dans fes
Principes , dédié aux Amateurs de cet Inftrument
fuivi de deux Sonates , par M. Cardon , OEuvre XII.
Nota. Les premiers Élémens fe trouvent dans la
Méthode du fieur Coufineau fils . Prix , 9 livres. A
Paris , chez MM . Coufineau père & fils , rue des
Poulies.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes, le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
Me's
Matheurs ,
Vers d Egle ,
TABLE.
Romance du Barbier de Sé
ville
3 Mémoire fur le premier Drap
de Lainefup rfine du crû de
la France , 3 ་
6 Aca émie Roy. de Mufiq. 33
Charade, Enigme & Logo gry Comédie Italienne ,
phe
Floge de Fontenelle
AI
9 Annonces & Nonces ,
10
APPROBATIO N.
35
JAT lu
. par ordre
de Mgr
le Garde
des Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
4 Décembre
. Je n'y
ai rien
trouvé
qui
puifle
en empêcher
l'impreffion
. A
Paris
, le
Décembre
1784.
GUIDI
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II DÉCEMBRE 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LES VOYAGES DE COLOMB ELLE
JET VOLONTAIRETTE.
Sur l'Air des infortunés Amours de Gabrielle de
Vergy & de Raoul de Coucy.
COLOMBELLE &
VOLONTAIRETTE
Vivoient enfemble , étoient deux fours :
L'une étoit volage & coquette ,
Changeant & de goûts & d'humeurs,
L'autre étoit fage autant que belle,
Et fuivoit en tout la raiſon ;
Volontairette & Colombelle
Sont peintes affez par
leur nom.
UN BEAU jour on vient leur apprendre
Qu'un ordre du Grand Zuliman
N°. so, it Décembre 1784. C
so
MERCURE
Toutes deux les force à fe rendre
Près de ce Monarque Ottoman.
Il re falloit d'autre réponſe
Qu'une révérence & partir ;
Soudain Volontairette annonce
Qu'elle ne peut y confentir.
« MA SOEUR , eft- il fi néceſſaire ,
» Dit-elle , de quitter ces lieux ?
» Entre nous , il ne peut
"
fe faire
Qu'un feul amant ſuffiſe à deux.
» Devons-nous obéir aux hommes ?
35
53
Quel eft leur empire fur nous ?
Vingt adorateurs où nous fommes ,
» M'amufent plus qu'un trifte époux.
« L'HYMEN eft un Dieu mércénaire ,
» Et je hais l'Amour en turban :
» Je fais ce qu'il faut que j'eſpère
» Des careffes d'un Mufulman.
ور
--
Ma four , il follicite , il preffe ;
Pourquoi fuirions-nous fes regards ?
" De ces lieux foyez la Déeffe ;
» Qu'on vous encenfe , moi je pars. »
A CES mots , changeant de langage ,
Volontairette fuit ſa ſoeur ;
L'Amour dans ce pélerinage
Leur fert , dit-on , de conducteur.
DE FRANCE
st
Bientôt une belle prairie
Leur offre
pour lit de repos
Des gazons dont l'herbe fleurie
Verdit au bord des clairs ruiffeaux.
COLOMBELLE , toujours frappée
Des voeux de fon royal amant ,
Toujours à lui plaire occupée ,
Lui compofe un bouquet charmant.
L'infenfible Volontairette ,
Évitant les feux du foleil ,
Loin de cueillir la violette ,
S'affied , & fe livre au fommeil.
UNE abeille vole autour d'elle ,
Et voyant l'éclat de fon teint ,
Conçoit l'efpérance infidelle
D'y puifer le plus doux butin.
En vain feroit- elle accusée
D'avoir fait naître fa douleur :
Le dard de l'abeille abusée
A cru pénétrer une fleur .
VOLONTALETTE confternée ,
Vientafe plaindre & fe lamenter.
Pourquoi , lui dit fa foeur aînée ,
Сс
» Dormir au lieu de m'imiter ?
De cette four trop peu chérie
La main effaie alors fes pleurs ;
"
Cij
5.2 MERCURE
Bientôt une autre étourderie
L'expoſe à de nouveaux malheurs,
DE BONS villageois , que les grâces
Ont remplis d'un reſpect touchant,
S'arrêtent tantôt fur les traces,
Tantôt l'admirent en marchant.
Avec elle ils font loin de comptes
Il faut plus à fa vanité ;
Sur un tas d'épis elle monte
Pour montrer toute fa beauté.
DE- LA fon regard fe promène
Sur les nombreux admirateurs ;
Elle a l'air d'une Souveraine
Qu'entourent les adorateurs.
Mais que de maux l'orgueil attire !
Son pied gliffe , & l'entraîne en bas....
Aux refpects fuccède le tire
Qui circule en bruyans éclats.
COLOMBELLE accourt éperdue
Au bruit de fa calamité ,
La voit fur le fable étendue
Et la relève avec bonté :
De ce nouveau revers ſurpriſe ,
Elle la gronde tendrement ;
Sages
avis
que l'on méprife
Et qu'emporte l'aîle du vent.
DE FRANCE
13
ELLE apperçoit la cour vieillie
D'un vafte temple inhabité ,
Où des Dieux qu'adoroit l'Afie
Jadis fiégea la majesté ;
Prompte à fecouer la contrainte
Où la foeur la retient toujours ,
De la demeure autrefois fainte ,
Elle veut voir tous les détours.
DE PROFANES Devinereffes
Y vont par fois tenter le fort :
C'eſt-là que ces enchantereffes
Prédient la vie ou la mort :
Volontairette veut s'inftruire
Des mystères de fon deftin ,
Et foudain fe fait introduire
Au feuil d'un antre fouterrain,
UNE Voix fombre & prophétique
Lui crie auffitôt d'avancer ;
Au milieu d'un cercle magique
Debout elle la fait placer ;
Une main , de fa chevelure
Vient dérouler les blonds anneaux ,
Que fait errer à l'aventure
Le fouffle des Dieux infernaux.
AUTOUR de la jeune imprudente
On allume de noirs brandons
Ciij
54
MERCURE
Paitris d'une réfine ardente
Et de la graiffe des lions .
La Circé de ce fombre aſyle
Se met à hurler , à beugler ;
D'affreux ferpens viennent par mille
Entre les flambeaux circuler.
TOUT-A- COUP la poix enflammée
Fait au loin voltiger fes feux ;
De Volontairette alarmée
Ils atteignent les longs cheveux :
Elle s'élance de l'enceinte
Cù l'on cherche à la retenir.
Souvent où l'on entre fans crainte ,
On n'en fort pas fans repentir.
ELLE va joindre Colombelle ,
Qui pleuroit fa déſertion .
« Hélas ! ma chère , lui dit-elle ,
J'arrive du fac d'Ilion :
» Vois mes cheveux & mon viſage ,
» Comme le feu les a noircis !
و د
Ma foeur , il falloit- être fage
» Et profiter de mes avis, »
LÉGÈREMENT elle l'écoute ,
Et de la ville cependant
Toutes deux reprennent la route ,
Non fans un nouvel accident.
DE FRANCE.
55
La ville où le fort les appelle ,
Déjà vient frapper leurs regards ;
Mais la victoire arrive - t'elle
Sans qu'on ait vû mille hafards ?
DE ROCHERS une énorme chaîne
L'environne de tous côtés ;
Le pied ne peut gravir qu'à peine
Sur leurs fommets infréquentés.
Ọ terre ! ô fortuné rivage !
Que tu vas caufer de douleurs !
Tu n'es plus qu'une vaine image
Qui fuit devant l'une des foeurs .
DU CREUX de ces roches affieufes
Un aigle part en ce moment ,
Et vient près des deux voyageufes
Planer majeſtueuſement.
Volontairette , pour le fuivre ,
S'élance après lui ..... Mais , hélas !
A quel efpoir elle le livre!
Le précipice eft fous les pas.
DIEUX ! veillez fur fa deftinée !
Défendez -lui d'en approcher !
Vau fuperflu ..... L'infortunée
Roule de rocher en rocher ;
Et portée au fond d'un abyme ,
Où ne pénètrent point les yeux ,
Cv
56
MERCURE
De les erreurs trifte victime ,
Meurt les bras tendus vers les cieur.
LA MALHEUREUSE Colombelle ,
Vainement à cris redoublés ,
D'une voix mourante l'appelle ;
Les feuls échos en font troublés.
Dans cette folitude horrible ,
Laffe enfin de fe lamenter ,
Au fond de l'abyme terrible
Elle-même veut fe jeter.
JE VAIS , ma foeur , je vais , dit- elle......
Les Envoyés de Zuliman ,
Heureufement pour cette Belle ,
L'arrêtent par fon doliman ;
Survenus au moment funefte
Où les jours vont ſe terminer ,
Pour en mettre à couvert le refle
Ils fe hâtent de l'emmener.
ADOREZ , lui dit-on , Madame ,
» De Zuliman la volonté ;
» Pour vous de la plus vive flamme
→ Son noble coeur eft tourmenté . »
Ils difent , baifent la pouffière
Qu'agite fon pied d'élicat ,
Et dans une riche litière
La conduifent au Potentat,
DE FRANCE.
17
ZULIMAN , frappé de fes charmes
Au même inſtant veut l'époufer :
« Jugez , dit- elle , par mes larmes ,
Si ma douleur peut s'appaifer.
33 Jugez de la pompe ordonnée
» Si je goûterois la douceur ;
» Doit- on fonger à l'hymenée
Le jour qu'on a perdu fa foeur ? »
* EH BIEN ! répond t'il , à ſa cendre
Rendons les honneurs qui font dûs:
» De mon trône je vais deſcendre
Pour payer ces juftes tributs. »
A ces mots , fon âme enflammée
Enchaînant fes vives ardeurs ,
Aux larmes de fa bien aimée
Zuliman vient mêler fes pleurs.
LE LENDEMAIN , au rang fuprême
Affife auprès de fon amant ,
On voit un brillant diadême
Parer le front le plus charmant ;
Que tout l'éclat qui l'environne
Préfente un utile tableau !
La foeur prudente eft fur le trône ,
Et l'étourdie eft au tombeau.
(Par M. le Chevalier de Cubières. )
Cv
5S MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Quinze- Vingits ;
celui de l'Enigme eft la lettre ; celui du
Logogryphe eft Échanfon.
CHARADE à Madame
qui s'y reconnoîtra .
Mon premier avec pompe éleva les Héros
Qui vengèrent jadis Rome de fes rivaux.
Belle Églé , nion ſecond eſt une ville en France ;
Mais vous êtes mon tout.... foit dit fans qu'on s'offenfe.
( Par M. Boinvilliers Foirefter. )
ENIG ME.
JE fuis en fens différent
Un double dépofitaire
Dont chacun eft à fe taire
Condamné diverfement ;
L'un chez les Grands néceffaire ,
Des petits eft refpecté ;
Et fon infidélité
N'eft jamais involontaire ;
DE FRANCE.
19
1
Un ufage plus vulgaire
A mon double eſt réſervé ;
Et fi , comme
il peut
Son dépôt eft violé ,
fe faire ,
Ne l'appelez pas un traître ,
C'eft un malheur qui , peut-être ,
Ne feroit pas arrivé
Sans la faute de fon maître.
JE
LOGO GRYPHE. 4
E fuis une prifon où les captifs ferrés
Gémiffent détenus fous des verroux dorés ;
De cet obfcur cachot le Geolier , s'il eft fage ,
Pour le bien des captifs doit fermer ce paffage
A tous les élémens. Ciel ! qu'il eft malheureux ,
T'écrîras-tu , Lecteur , d'être en de pareils lieux !
Garde- toi de le croire : on eft digne d'envie
Quand on peut s'y gêner tous les jours de fa vie.
En fouillant mes fept pieds , tu trouveras dans moi
Les armes , & le nom , & le titre d'un Roi ;
Une lourde monnoie en vogue en fon empire ;
L'un des frippons , Iris , pour lefquels je ſoupire ;
Un proche parente ; un goût , une fureur
Dont l'immortel Regnard nous retrace l'horreur ;
Un animal aîlé ; ce miroir de nos âmes
Que l'âge enfin ternit , & que plâtrent nos Dames.
C vj
60. MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Staniflas Premier , Roi de
Pologne , Duc de Lorraine & de Bar , par
M. l'Abbé Proyart , de plufieurs Académies
Nationales & Étrangères. 2 vol.
in 12. A Lyon , chez Pierre Bruyſet-
Ponthus , & à Paris , chez Berton , Libraire
, rue S. Victor.
L'e'HISTOIRE d'un Roi , l'honneur & l'amour
de la Pologne ; qui renonce à une couronne
pour épargner le fang humain ; dont les vertus
pacifiques ont égalé les qualités guerriè
res qui a confacré les dernières années de
fa vie à faire le bonheur d'une grande Province
, & qui enfin , après avoir donne à la
France une Reine adorée , devient le modèle
de tous les Souverains ; eft un objet bien
intéreffant pour un François. M. l'Abbé
Proyart a rempli certe tâche avec le même
zèle qu'il a mis à écrire l'Hiftoire du Dauphin
, Élève de Fénelon , & celle du Dauphin
père de Louis XVI . Son ſtyle joint à la clarté
la fimplicité qui convient à l'Hiftoire ; il a
travaillé d'après de bons matériaux , & les manufcrits
que lui ont communiqués M. Aillot ,
Commiffaire de la Maifon de Stanislas , &
DE FRANCE. 61
&
M. de Solignac , Secrétaire de ce Prince ,
de l'Académie de Nancy , font de sûrs garants
de la fidélité & de l'exactitude des faits renfermés
dans cet Ouvrage.
Le premier volume contient l'Hiftoire de
Stanillas, divifée en fix Livres , dont le premier
conduit depuis l'enfance de Staniflas juſqu'à
Félection d'Augufte HI ; le deuxième , depuis
cette élection jufqu'à la dépofition d'Augufte ,
fuivie de l'élection de Staniflas ; dans le troifième
, on voit la fuite des mouvemens qui
agirèrent le Nord depuis l'election de Staniflas
jufqu'à fa retraite en France ; le quatrième
offre l'hiftoire des révolutions que ce
Prince éprouva dans fa fortune jufques à
fa feconde élection ; le tableau des vertus
royales que Stanifles fit briller fur le trône
de Lorraine , & le détail des qualités de fon
coeur & des vertus de fon âme , font la matière
des deux derniers.
Le fecond volume contient ce que le Roi
de Pologne a écrit de plus intéreffant fur
divers fujets.
Si le Roi Staniflas étoit moins apprécié
fi la plupart de nos Concitoyens n'avoient été
les témoins de fes vertus & de fes bienfaits ,
nous nous emprefferions de faire connoître
cet augufte perfonnage ; mais ſa naiffance , fa
double élection au trône de Pologne , for
Voyage en Turquie , fon intimité avec Charles
XII ont été tracés dans toutes les Hiftoires
du temps ; & nous croyons faire plaifir
à nos Lecteurs en cherchant à leur faire con62
MERCURE
noître Stanislas dans les propres Ouvrages.
Ils refpirent par tout les vertus dont fon
coeur étoit pénétré, on y voit tout ce qu'il
avoit fait pour établir dans la Lorraine &
dans fon propre Palais la plus fage adminif.
tration ; on y trouve des réflexions fur le
Gouvernement de Pologne , qui prouvent
toute la tendreffe qu'il avoit pour des fujets
dont il auroit fait le bonheur ; on y lit avec.
intérêt des réflexions fur l'éducation des enfans
, & principalement des Princes. Il a
adreffé ces dernières à Mgr. le Dauphin ,
fon petit fils , & père du Roi , on y voit
combien il étoit perfuadé que les Rois ne
font que les pères de leurs peuples , qu'il
fentoit tout le danger de la flatterie , & qu'il
favoit bien difcerner parmi les Courtifans
ceux qui pouvoient mériter fon eftime en
méritant celle de la Nation . L'article des
grâces & des bienfaits y eft traité avec difcernement
; & lorfqu'il parle de la juſtice ,
il fait concilier l'amour de l'ordre avec les
droits de l'humanité.
Le portrait du Philofophe , tracé de la
main de ce Prince , donnera une idée de fon
ftyle.
39
" Un Philofophe doir s'étudier à régler la
» marche de fon efprit , à difcuter les
principes , à examiner les vraisemblances ,
» à chercher le vrai avec autant de difcerne-
» ment que de bonne foi. Exempt de préjugés
, ennemi de tout paradoxe , il doit
» connoître le prix de la raiſon , en étendre
"
DE FRANCE, 63
"
» les facultés , mais en refecter les bornes ;
» affurer où elle peut atteindre , douter où
» elle ne peut parvenir. .... ne pas cftimer les
grands états de la vie plus qu'ils ne valent ,
» niles baffles conditions plas petites qu'elles
» ne font. Il doit jouir des plaifus fans en
» être efclave , des richeffes fans s'y atta
cher , des honneurs fans orgueil & fans
fafte ; fupporter les difgrâces fans les
craindre & fans les braver , regarder com-
» me inutile tout ce qu'il n'a pas , comme
» fuffifant à fon bonheur tout ce qu'il pof-
» sède : toujours égal dans l'une & l'autre
» fortune , toujours tranquille , & d'une
"9
99
gaîté fans art , il doit aimer l'ordre &
» le mettre dans tout ce qu'il fait ; épris
des vertus de fon état , n'être extrême
» fur aucune , & les pratiquer toutes ,
» même fans témoins ; févère à ſon égard ,
» être indulgent à l'égard des autres , franc
» & ingénu fans rudeffe , poli fans faufferé ,
93
prévenant fans baffeffe ; il faut que , pé-
» nétré de l'amour du bien public , il aime
fa patrie autant que les plus fiers Romains
chériffoient la leur , qu'il y vive fans en-
» vie , fans intrigues , fans ambition ; qu'inac-
» ceffible à tout mouvement de vanité , il
» ne cherche point à y être connu , quoiqu'il
ne pûr que gagner à l'être ; qu'il s'y
» rende utile fans éclat & fans bruit ; en un
" mot , le Philofophe doit avoir le cou-
» rage de fe paffer de toute forte de gloire ,
"
» & , fans celler de fe refpecter , ignorer fes
"
64
MERCURE
.
•
» vertus , & compter pour rien juſqu'à la
philofophie même. »
Quelques autres morceaux pris au hafard,
achèveront de faire connoître fa manière ;
& comme il s'eft peint dans fes Ouvrages ,
ils ferviront en même temps à juftifier la
haute opinion que l'on avoit conçue de ce
Roi Philofophe.
"
"Les Arts utiles , protégez - les ; les Arts
agréables , fouffrez - les ; les Arts frivoles ,
rançonnez- les ; les Arts dangereux , proſ-
» crivez les.
33.
~
Quel est aujourd'hui le Bénéficier qui
» fe regarde comme l'économe & non le
propriétaire de fes revenus , qui font le
» bien des pauvres , & fur lequel il ne lui
» eft permis de prendre qu'une honnête
» fubfiftance ? Les plus riches Bénéficiers qui
devroient faire la gloire & le foutien de
la Religion , font ceux qui en font la honte
& le fcandale ; ils ont entre les mains le
» bien des pauvres ; & au lieu de foulager
leur misère , ils lui infultent par un faſte
» infolent.
"
L'autorité arbitraire n'a point de plus
grand ennemi qu'elle- même ; le defpotif-
» me abrutit la raifon dans les uns & l'aigrir
» dans les autres ; il ne peut y avoir que des
» efclaves fous un tel Gouvernement ; les
» fujets font les efclaves nés du Souverain ,
» & le Souverain l'eſt lui même de la crain-
» te & des foupçons . On doit bien cependant
le donner de garde d'écouter dans un
DE FRANCE. 65
-
לכ
95
» État ces fujets vicieux toujours prêts à
crier au defpotifme , dès que l'autorité fe
met en devoir d'enchaîner leur licence
» pour affurer l'ordre public. Les Empires
qui fe détruifent par le defpotifme , ne
» peuvent fe foutenir que par une fermeté
» conftante à venger les loix du mépris des
» méchans ; la foibleffe , qui ne punit rien ,
» eft foeur de la cruauté , qui punit trop ; on
» ne ménage jamais l'homme vicieux qu'au
préjudice de la fociété , & une clémence
aveugle eft la plus odieufe des tyrannies.
» Les divorces font moins d'éclat en
" France aujourd'hui , parce qu'ils y font
plus fréquens ; & le plus grand des fcan-
» dales , c'eft qu'ils n'y foient plus fcan-
" daleux.
"
"
" Le bon Miniftre eft celui qui s'applique
» à mettre en place le mérite plutôt que le
~ nom ; qui a le de fouffrir que les
courage
" Courtilans difent du mal de lui , pourvu
» que le peuple en dife du bien.
" Le Général que fe choifiroit une Armée,
vaudroit prefque toujours mieux que celui
» qu'on lui donne. »
Un jour Staniflas entra dans une Églife de'
Lorraine au moment où un Curé faifoit le
catéchifme aux enfans de fa Paroiffe ; il lui
demanda s'il le faifoit fouvent : « Trois fois
» la femaine , lui répondit le Curé : une fois
pour les inftruire de la Religion , & deux
fois pour la leur faire aimer. »
ور
»
"
Nous croyons que nos Lecteurs nous fau66
MERCURE
ront gré d'avoir multiplié ces citations , au
lieu de leur préfenter l'image de quelques
combats fanglans ou le fiege de quelques
villes , dont les noms barbares ne feroient pas
même reftés dans leur mémoire.
Nous aurions defiré que M. l'Abbé Proyart,
à qui on doit des éloges pour cet Ouvrage ,
eût été un peu plus précis , plus rapide dans
fon premier volume , & un peu plus févère
dans le choix des Ouvrages qui forment le
fecond. On y remarque fur tout plufieurs
lettres adreffées au Roi de Pologne par plufieurs
Souverains , qui font aujourd'hui
bien peu intérellantes , & qui répandent
une grande monotonie fur cette partie de
l'Ouvrage , puifqu'elles contiennent toutes
les mêmes chofes , n'étant que des réponses
uniformes à une circulaire écrite par Stanislas
à chacun d'eux. ·
M. l'Abbé Proyart fe juftifieroit peut- être
plus difficilement de fon zèle un peu amer
contre la philofophie ; peut être eft il peu
conforme à la charité fur tout , d'aller réveiller
& provoquer la juftice contre un u
vrage qui , comme il le dit , eft entre les
mains de tout le monde , & d'avoir l'air de
vouloir foulever le Clergé & les Magiftrats
contre une Académie ; fans doute les Académies,
tant Nationales qu'Étrangères , dont
M. l'Abbé Proyart fe fait honneur, & a vrai
femblablement recherché à être Membre ,
font plus éclairées , plus fages , plus religieufes
que celle contre laquelle il s'élève ;
DE FRANCE. 67
1
fans cela , il y auroit de l'inconféquence
dans fa conduite , & c'est ce qu'on ne fauroit
préfumer.
BLANCHARD , Poëme en deux Chants ,
par M. Duchofal. A Rouen , & fe trouve
à Paris , chez les Marchan is de Neuveautés.
Si parmi la foule prodigieufe des Ouvrages
nouveaux qui nous accablent , & qui font
devenus aux progrès des études & des talens ,
un obstacle non moins puiffant peut être que
le fut autrefois l'extrême rareté des Livres ,
on doit avant tout s'empreffer de rendre
compre de ceux qui font des monumens de
goût & de raifon , ou qui tendent à agrandir
la fphère des connoiffances humaines ; on
ne doit pas pour cela négliger de diftinguer
parini les Brochures éphémères , celles qui
ne pouvant pas intéreffer par elles mêmes ,
foit par le mauvais choix du fujet , foit par
le vice du plan & le défaut d'enſemble , annoncent
néanmoins les germes non équivo
ques d'un talent , qui n'a befoin que d'encouragemens
pour le développer par le travail
& la culture , & pour produire dans fa
maturité des fruits dignes d'être favourés par
les gens de goût. C'eft dans cette vûe qu'on
a cru pouvoir parler du Poëme intitulé
Blanchard. Sans nous arrêter au Héros de ce
Poëme , fans parler du plan , citons au hafard
68 MERCURE
quelques tirades qui prouvent que M. Du
chofal eſt né pour parler la langue du Poëte.
Cependant le Veſper & fes crêpes funèbres
Viennent fur l'horizon répandre les ténèbres ;
L'Artifan fatigué s'abandonne au repos;
Les bois n'entendent plus gazouiller les oifeaux;
Ou bien fi quelque bruit fuccède à leur ramage ,
C'eſt Zéphyr qui murmure à travers le feuillage ;
Enfin , pour abréger la longueur du récit ,
Le jour qui difparoît faifoit place à la nuit.
Cette defcription n'a rien de recherché ;
elle eft d'autant plus gracieufe qu'elle eft
plus naturelle. L'Auteur joint à ce mérite ſi
rare , de l'élan & de l'imagination .Voici deux
vers qui prouvent de l'effor poétique :
A ces mots il conçoit , il enfante , il détruit ;
L'art combat & triomphe , & le globe eft conftruit.
Il montre de l'imagination dans la peinture
qu'il trace de l'opinion.
Il eft une Déeffe errante & vagabonde ,
Qui , fur un vent léger , circule dans le monde ;
Elle naquit un jour avec l'entêtement ,
Et fon père, dit- on , fat le défoeuvrement.
Son temple eft révéré dans l'enceinte des villes ,
Et renferme un effaim de mortels inutiles ,
Des Moines , des Robins , de Commis & des Clercs.
La Déeffe y paroît fous vingt mafques divers ,
DE FRANCE.
Et du haut des autels partageant les fyftêmes ,
De l'orgueil à l'erreur conduit les fages mêmes.
On ne peut refufer à M. Duchofal une
tournure de vers facile , & cet heureux choix
de mots harmonieux , qui eft un des premiers
caractères du Poëte ; mais en l'encourageant
, on doit l'avertir qu'il a des torts à
expier ; il a débuté par une fatyre ; il a cru
fans doute marcher fur les traces de Boileau ,
& il a commencé par attaquer M. l'Abbé de
Lille , qui eft de Boileau du fiècle. Il ne peut
trop & trop tôt renoncer au métier d'un
Satyrique , qui , pour citer fes propres vers ,
Qai, diftillant par-tout le venin de la rime ,
Pour titer du néant fon Apollon pervers,
Vous condamne à l'oubli qui menace ſes vers.
Il faut que ce foit un bien mauvais genre ,
puifqu'il a forcé un jeune Écrivain que nous
croyons honnête , à encadrer dans fes premiè
res rimes le nom même de M. Thomas , dont
la perfonne & les Ouvrages doivent inſpirer
le refpect à tous ceux qui aiment les vertus
& les Lettres. Nous n'avons rien à ajouter
après cette réflexion.
7.0
MERCURE
LA Fortification Perpendiculaire , par M. le
Marquis de Montalembert , Maréchal- de-
Camp , de l'Académie Royale des Sciences
& de celle de Saint Pétersbourg. Vol.
in 4. grand papier, ornés de 104 grandes
planches. A Paris , chez Denis Pierres ,
Imprimeur Libraire , rue S. Jacques , &
Alexandre Jombert le jeune , Libraire ,
rue Dauphine , No. 116.
PUISQUE l'art de fortifier les Places & de
les défendre , a jufqu'à préfent été furpaffé
par celui de les attaquer & de s'en rendre
maître , il eft inconteftable que le premier
a befoin d'être perfectionné.
Mais il ne fuffifoit pas qu'une vérité auffi
importante fût fentie , il falloit qu'elle le
fût par un Militaire doué d'un eſprit d'ob
fervation , éclairé par l'expérience , qui ,
après avoir fupporté les fatigues de la guerre ,
fe livrât au travail de l'étude , & ne s'en
laifsât pas impofer par les grands noms des
Vauban , des Cohorn , qui , comme le remarque
M. le Maréchal de Saxe , ont em
ployé des fommes énormes pour fortifier des
Places fans le rendre plus fortes .
M. le Marquis de Montalembert , après
avoir fait quinze campagnes , commandé
à l'Ile d'Oléron , dans le temps qu'elle
étoit menacée de toutes les forces de l'Angleterre
, qui s'étoit déjà emparée de Belle Ifle
en 176 ; après avoir obfervé & vifité la
DE FRANCE. 71
plus grande partie des Places de guerre de
l'Europe , a employé tous les efforts pour
parvenir à ce point defirable pour l'huma
nité , celui de rendre la défenſe fupérieure à
l'attaque.
Il a publié en 1776 , 777 & 1778 , quatre
volumes in 4° . enrichis de 7 grandes planches
, qui font le fruit du long & utile travail
auquel il s'étoit livré jufqu'alors .
Mais la guerre étant furvenue à la fin de
la même année 1778 , elle lui a fourni de
nouvelles occafions de faire ufage de fesconnoiffances.
Ayant été chargé de fortifier
l'Ile d'Aix , & le local ni le temps ne lui permettant
pas de faire ufage d'aucune des méthodes
qu'il avoit déjà publiées , il a eu recours
à d'autres moyens qui ont donné encore
plus d'étendue à fes principes . C'eſt une
partie de ce qu'il a fait exécuter pendant cinq
ans pour la défenfe de la rade de l'Ifle d'Aix ,
& celle du port de Rochefort , qui fait le fujet
du cinquième volume qu'il vient de publier ,
orné de 17 grandes planches .
Les gens de l'Art peuvent maintenant fe
convaincre par les démonstrations que M. le
Marquis de Montalembert en donne dans
tous le cours de fon Ouvrage , que fon fyftême
eft préférable à ceux qui , juſqu'à préfent
, ont été adoptés. Sans même avoir. recours
à ces démonstrations , il s'élève fans
doute un préjugé très - avantageux en fa faveur
: c'eft que dans l'exécution qu'il a cue en
1761 , & qu'il vient d'avoir en 1779 , juſ
72
MERCURE
1
1
1
qu'à la paix , il a été approuvé de tous ceux
qui ont été dans le cas de le connoître , &
qu'il paroît revêtu du fuffrage de l'Académie
Royale des Sciences , qui ne l'a accordé que
fur le rapport de MM. les Comtes de Maillebois
& de Treffan , Lieutenans Généraux ,
du Comte de Buffon , le Ror , & de Borda
Capitaines de Vaiffeaux , tous Membres diftingués
de cette Académie.
Cet Ouvrage n'étant pas à la portée de
tout le monde , & n'étant conforme au goût
que de peu de Lecteurs , nous fommes forcés
de renoncer à le faire connoître par ane
exacte analyfe ; mais nous devons dire en
général que ce fyftêine de M. le Marquis de
Montalembert eft abfolument neuf ; que
c'eft un traité complet de l'art défenſif , applicable
depuis les plus petites Garnisons
jufqu'aux Armées , dans des lignes ou des
camps tetranchés , il comprend également
l'artillerie dans tous les differens ufages ;
embraffe & traite par confequent de toutes
les parties de la guerre les plus utiles , & l'on
peur ajouter les plus ingrates .
A l'égard du ftyle , il réunit le mérite rare
de la clarté , de la fimplicité & de la nobleffe
dans l'expreffion . On fent que l'Auteur ne
s'eft occupé que du foin de fe faire comprendre
; & on peut dire qu'il a parfaitement
réuffi , même dans la partie qui tient uniquement
à l'Art ; car cer Ouvrage n'eft pas
feulement élémentaire ; fi les principes y
font la bafe du fyftême , les faits viennent
DE FRANCE.
73
à l'appui des principes ; de façon que chaque
volume contient une partie hiftorique plus
ou moins étendue , qui ne doit pas faire
moins d'honneur à l'Auteur que ce qui s'y
trouve de purement fcientifique.
ACADÉMI E.
SUR le Prix de Morale fondé à
l'Académie Françoife.
DEPUIS trois ans , un des fujets les plus utiles , les
plus intéreffans , eft propofé par l'Académie Françoife
, à qui le Fondateur en a confié le jugement ,
& à peine eft-il connu dans le monde , & même
parmi les Gens de Lettres . Comment le fait - il que
ce qui mérite tant d'attention en ait fi peu obtenu ?
Il vaut mieux faire ceffer cette indifférence que de
s'arrêter à l'expliquer , & pour cela il faut rappeler
dans un fournal auffi répandu que celui - ci l'objet
de cet Ouvrage. Voici le Programme qui a été
publié dans le mois de Mars 1781 .
« Un Particulier zélé pour le bien public, & qui
penfe qu'une bonne éducation y peut beaucoup contribuer,
defireroit qu'il fût compofé un Traité élémentaire
de Morale qui expliquât & prouvât les
devoirs de l'homme & du citoyen. Il voudroit que
ce Traité fût fait d'après les principes du droit naturel
; qu'il fût clair , méthodique & propre à toutes
les Nations, •
Comme il eſt deſtiné aux Écoles , on defire qu'il
foit court & écrit dans un ſtyle fimple , qu'il n'excède
pas cent ou cent vingt pages d'une impreffion
in-12 , d'un caractère ordinaire , afin que fervant
Nº. 59 , 11 Décembre 1704. D
74 MERCURE
aux enfans qui apprennent à lire , il puiffe être lû &
retenu dans le cours de l'éducation , & qu'il puiffe
être acheté à un très - bas prix.
Pour engager les Gens de Lettres à la compofition
de cet Ouvrage , on a déposé 1200 livres chez
Me Sauvaige , Notaire , rue de Buffy.
On prévient qu'il faut que l'Ouvrage foit imprimé
& approuvé; ou fi l'on ne veut pas rifquer les
frais d'impreffion , il faut que le manufcrit foit revêtu
d'une approbation ou permiffion d'impreffion .
Les Exemplaires imprimés ou manufcrits & permis
d'être imprimés , feront remis audit fieur Sauvaige
, Notaire , d'ici au premier Mai 1782 , fans
nom d'auteur , mais avec une Sentence ou Épigraphe
, dont pareille fera enfermée avec le nom de
Ï'Auteur dans un papier cacheté , qui ne fera ouvert
que lors de la diftribution du Prix . Ce Prix fera
donné le jour de la Saint Louis 1786. »
L'Académie n'ayant reçu aucun Ouvrage digne
du Prix en 1782 , l'avoit remis à l'année 1784 ; elle
n'a pas été plus heureufe ; & connoiffant de plus en
plus les difficultés , comme l'importance de cet Écrit ,
elle a cru devoir accorder encore deux années aux
Auteurs. L'inftruction qu'elle a joint à fon nouveau
¡ Programme fera encore pour eux un plus précieuxavantage
; elle perfuade au Public tout l'intérêt qu'il
doit donner à cet Ouvrage ; elle leur montre tous
les obftacles qu'ils ont à vaincre , mais auffi toute la
gloire qui les attend ; elle leur trace des principes ,
& leur indique les principaux objets qui doivent les
arrêter dans ce travail fi noble , fi touchant & fi difficile.
En lifant ce morceau le Fondateur de ce
Prix a dû fe féliciter de nouveau d'avoir remis le
jugement du Concours qu'il a ouvert, à une Compagnie
non moins accoutumée aux utiles qu'aux beaux
Ecrits , & faits pour préparer par leurs vûes & leurs
leçons , l'Ouvrage même qu'ils doivent , couronner.
›
DE FRANCE. 75
L'Académie elle · même a dû fe trouver heureufe
d'avoir daus fon Secrétaire an Écrivain toujours
propre à préfenter d'une manière digne d'elle les
inftructions qu'elle doit répandre. Il eft malheureux
que l'étendue & le nombre des Ouvrages que l'Académie
avoit à offrir au Public dans la Séance de la
Saint Louis , n'ait pas permis la lecture de ce mor.
ceau ; il eût encore ajouté à l'éclat de cette Séance.C'eſt
une raiſon de plus de nous hâter de l'offrir au Public.
« Le Prix deſtiné à un Ouvrage élémentaire de Morale
n'eft pas donné , & l'Académie , en le réſervant ,
croit devoir laiffer aux Gens de Lettres encore l'efpace
de deux années pour méditer avec plus de loifir
& traiter avec plus de foin un fujet de cette importance
. Ainfi le nouveau Concours eft remis à l'année
1786 , & les Ouvrages y feront préfentés avant le
premier de Mai de cette même année .
Sans vouloir décourager ceux qui s'occupent de
ce travail , l'Académie fe croit obligée de les avertir
de l'extrême difficulté dont il eft , & de l'attention
qu'il exige.
De bons élémens de Morale , d'une affez grande
fimplicité , d'une clarté affez frappante pour être à
l'ufage des enfans , feront le chefd'oeuvre de l'ana
lyfe , de la méthode , de l'art de divifer , de définir ,
de développer les idées & de les circonfcrire, de les
faire émaner d'une fource commune , & fe fuccéder
l'une à l'autre dans l'ordre le plus naturel ; enfin ,
de l'art de les énoncer dans les termes les plus fenubles
, les plus clairs & les plus précis . 20 11
Deux conditions à remplir , felon l'énoncé du
Programme , font que l'Ouvrage foit élémentaire , &
foit en même-temps l'extrait & comme la fubftance
d'un Traité de Morale.
Ea dire affez pour le faire entendre à des enfans ,
dire affez pour ne laiffer dans leur entendement
Dij
76 MERCURE
aucune idée effentielle à éclaircir , à fuppléer , aucun
doute , aucun embarras dans la conception des
principes , dans la liaiſon des conféquences , aucun
naud, aucune rupture dans le fil qu'on préfente à
-leur foible raiſon , & qu'on peut bien appeler le fil
du labyrinthe de la vie humaine première difficulté
, qui feule étonneroit les meilleurs efprits.
-
En même temps réduire ce développement au
plus petit efpace ; & d'un ample volume de méditations
, exprimer comme la quinteffence de la Morale
univerfelle , en obfervant que la préciſion &
des idées & du langage n'ait rien de trop aride, &
que la féchereffe des préceptes foit corrigée , tantôt
par une image , tantôt par un exemple , quelquefois
par un trait de fenfibilité ; enfin , par le charme d'un
ftyle agréablement animé : autre condition qui ,
combinée avec la première , rendroit l'entreprife
décourageante , fi l'on n'étoit pas foutenu par un
puiffant motif de gloire , c'e - à-dire , d'utilité
publique.
Mais c'eft du côté de la méthode qu'eft la plus
grande difficulté.
En fuppofant même qu'on écrivit pour des hommes
déjà pourvus des notions communes , & à qui
l'ufage vulgaire de la Langue fût familier , on
feroit encore à chaque pas interrompu , détourné de
fa route par des idées accidentelles à éclaircir ou à
rectifier , & l'on doit bien fentir que fi l'on écrit
pour des enfans , les obftacles fe multiplient. On a
de moins , it eft vrai , l'embarras d'effacer de premières
impreflions ; mais, dans la tête des enfans, fi la
place eft encore fi nette , c'est parce qu'elle eft
vuide leur intelligence neuve & libre eft difpofée à
tout recevoir , mais elle manque de tout. Il eft
donc naturel aux enfans de fe livrer à cette curiofité
vague , inquiète & légère , qui prend le change à
chaque idée nouvelle ; & plus elle fera vive &
DE FRANCE. 77
prompte , plus elle aura befoin d'un guide sûr qui la
retienne , la captive ou la remette fur la voi:, dès
qu'il la voit s'en écarter.
Pour raifonner de morale avec Socrate , il eût
fallu moins de méthode que pour en parler à un
enfant ; car au moins les détours du Philofophe
n'étoient qu'un cercle qui ramenoit l'interlocuteur à
fon but ; au lieu que les écarts de l'enfant n'aboutiffen
: à rien , & nous égarent avec lui.
C'est donc à l'enfant même , fi c'eſt lui qui intertoge
, qu'il faut avoir foin de prêter une logique
naturelle ; & fi , dans le dialogue , on permet quelquefois
que des difficultés incidentes le détournent
du droit chemin , il faut que ces détours reffemblent
aux finuofités d'un fentier, qui n'allongent un peu la
route que pour la rendre plus facile.
C'eft -là fur-tout ce que l'Académie a defiré
dans le plus grand nombre des Ouvrages mis au
Concours, Ce n'eft pas feulement à développer les
principes d'une faine morale que l'on doit s'appli
quer , c'est encore à les expofer dans l'ordre le plus
direct & le plus fimple , & à faire de leur enſemble
comme une eſpèce de chaîne dont un enfant puiffe
tenir dans les mains les deux bouts , meſurer l'étendue
, & compter les anneaux.
Mais quelque univerfelle & quelque répandue
que foit la fcience de nos devoirs , tous les principes
n'en font pas fi familiers & fi pleinement éclaircis
qu'elle n'exige encore dans celui qui l'enſeigne une
raifon trè - mûre , & un difcernemènt très - délicat &
très- profond.
3
Les caractères du bien & du mal , & non - feule,
ment les grands traits , mais les nuances qui les dif
tinguent; ce qui , dans les inclinations , dans les
affections , dans les actions des hommes , eft criminel
, vicieux , déshonnête , méprifable & aviliffant ,
puniffable ou répréhenſible ; ce qui décèle la malice
- D iij
78
MERCURE
ou n'accufe que la foibleffe ; ce qui doit inspirer de
l'indignation ou feulement de la pitié ; ce qui fait
aimer la bonté , admirer la force de l'âme , eftimier
la droiture, adorer la vertu ; ce qui dans nos devoirs
eft de rigueur ou de bienféance , prefcrit par la Nature
ou par l'opinion ; la véritable & la fauffe
honte, la véritable & la fauffe gloire ; le vrai mésite
, & ce qui n'en eft que l'ombre ; l'eftime & la
leuange , le mépris & le blâme , pefés dans leur
jufte balance & févèrement difpenfés ; toutes ces
notions , dis- je , ont leur fource dans les principes
de la Morale , & ces principes dérivent tous de la nature
de l'homme , & de fes relations dans l'état de fociété.
L'homme eft né foible , indigent , timide , attaché
à la vie , fenfible à la douleur , affiégé de befoins
, affailli de dangers , incapable de fe fuffire ,
defireux de jouir avec tranquillité des douceurs de
fon exiſtence : de- là tous fes devoirs ; de-là tous fes
liens , depuis l'inftitution de cette première fociété
domeftique , de cette monarchie paternelle dont la
Nature fut la légiflatrice , jufqu'à cette grande confraternité
qui embraffe tout le genre humain.
Ainfi la Famille , la Cité , la Patrie , la Société univerfelle
ont le même lien , le befoin réciproque , &
te bien de chacun dans l'intérêt de tous .
"
- Mais cette chaîne à développer n'eft pas l'affaire
de quelques jours , ni l'ouvrage d'une attention
fuperficielle & rapide. Boffuet regardoit un bon Catéchifine
religieux comme le chef- d'oeuvre de la
Théologie ; il n'entreprit le fier: que paffé l'âge de
foixante ans. Un bon Catéchisme de Morale eft au
moins auffi difficile.
Le pacte entre la fociété & l'individu libre , leurs
rapports fi multipliés , leurs droits , leurs devoirs ref
pectifs font le fujet le plus épineux , le plus compli
qué , le plus vafte, comme le plus intéreflant où puiffe:
s'exercer l'intelligence humaine ; & lorfqu'on aura
DE FRANCE. 79
bien compris que l'Ouvrage dont il s'agit doit être
le précis , le réfultat de ce travail immenfe , on jugera
que ce n'eft pas feulement une médaille d'or ,'
mais une très- grande réputation qui attend l'Écrivain
Philofophe de qui l'Académie ou plutôt notre
fiècle aura reçu ce beau préfent.
C'eft ce que paroît avoir fenti l'Auteur d'un Ouvrage
mis au Concours , & que l'Académie a jugé
digne d'une mention honorable. Il a pour titre : Les
Devoirs de l'Homme & du Citoyen , & pour"
devife : Quid verum atque decens curo & rogo; &
omnis in hoc fum. Cet Ouvrage , qui n'eft pas fini ,
& qui doit être le tableau raiſonné des devoirs de
l'homme dans tous les âges & dans les principales
fituations de la vie , n'étoit pas fait pour obtenir le
Prix , & l'Auteur l'annonce dans fa Préface : il eft
trop au- deffus de la portée des enfans , à qui doit
convenir l'Ouvrage couronné : mais il eſt le travail
préliminaire dont nous parlons ; il eft la première
élaboration de ces idées principales qui doivent
en fubftance former l'Ouvrage élémentaire.
Dans ce travail ( fur lequel l'Auteur a voulu confulter
l'Académie , & lui foumettre , comme il le
dit lui- même , fes vûes & fon plan , ) tout n'eft pas
également bien. Il y a des longueurs & des négligences
; mais regardé comme un effai & comme
un premier apperçu , il donne de l'Ouvrage élémentaire
qui doit le fuivre l'opinion la plus favorable
; & plufieurs parties qui s'y font diftinguer
par ia jufteffe , la clarté , la précision des idées , &
par l'heureux choix de l'expreflion la plus fimple
& la plus fenfible , annoncent un homme d'un excellent
efprit , verfé dans l'art de penſer & d'écrire, »
'Ce n'est ni une indifcrète vanité , ni même une
jufte fenfibilité à des éloges encourageans qui me
porte à me déclarer l'Auteur de cet Ellai dont l'Aca
Div
80 MERCURE
démie vient de parler , & auquel elle auroit accordé
l'honneur d'en faire lire quelques morceaux à fa
Séance publique, fi le temps l'avoit permis. Cet aveu ,
d'ailleurs eft fans inconvénient , parce que ce premier
Ouvrage n'étant point celui demandé par
l'Académie , ne peut entrer dans le Concours ; mais
il tient à un plan que l'Académie a goûté , qui peut
être utile , qui peut fur - tout ſe perfectionner par les
vûes & les confeils de ceux qui ont réfléchi on qui
voudront réfléchir à ce beau fujet. Je l'ai développé
dans un Difcours préliminaire trop étendu pour
être inféré ici ; il demande un article à part. En
attendant qu'il puiffe être offert au Public dans ce
Journal , je demande la permiffion de lui en tracer
une légère idée.
Dès que le fujet d'un Catéchifme de Morale a été
propofé , il a vivement intéreffé mon âme & excité
mon émulation ; mais il n'eft pas toujours accordé à,
tous les Gens de Lettres de donner leur temps & leur
efprit aux Ouvrages qui les attirent le plus. Un engagement
que j'ai contracté l'année dernière pour
le Dictionnaire de Morale de la nouvelle Encyclopédie
, m'a fait un heureux devoir d'un travail qui
avoit des rapports intimes avec celui propofé par l'Académie ; j'ai réfolu d'entreprendre
ce dernier , &
d'en faire une partie du travail que demande un
Dictionnaire de Morale. Je demande pardon de ces
détails ; mais la manière dont on eft amené au plan
d'un Ouvrage , contribue fouvent à y mettre plus
d'étendue & de jufteffe , & peut fervir à ceux qui
veulent l'apprécier.
En voulant m'occuper d'abord du Catéchisme de
Morale , je me fuis apperçu , dès mes premières méditations
, que je commençois mal ; j'ai fenti que ce
Code de Morale élémentaire ne pouvoit être que le
réfultat du fyftême approfondi de la Science entière.
J'ai d'autant plus lieu de m'applaudir de cette
J
DE FRANCE. 81
vue, que M. Marmontel , au nom de l'Académie ,
cru devoir la développer comme le confeil le plus
utile pour ceux qui s'appliqueront à ce fujet. J'ai
donc vû qu'un Ouvrage très- court & très - fimple
devoit être précédé d'un Ouvrage long & difficile ;
que mon travail pour l'Encyclopédie devoit préparer
celui que je deftinois à l'Académie ; j'ai reconnu en
même-temps que fi l'un devoit être fait avant l'autre,
ils pouvoient & ils devoient être faits l'un pour
l'autre , qu'il en réſulteroit pour chacun un double
mérite .
Voici comment j'ai conçu la correſpondance dé
ces deux Ouvrages.
L'Ouvrage le plus précieux en morale refte encore
à faire , ce feroit celui qui embrafferoit &
développeroit tout le fyftême de nos devoirs comme
hommes & comme citoyens.
S'il feroit fi bon d'en préfenter toutes les règles
dans la forme la plus fimple , il ne le feroit pas
moins d'en développer tous les principes dans une
jufte étendue. Cicéron n'avoit fait fon Livre de
Officiis ni pour les enfans ni pour le peuple ; cependant
jamais Livre n'a porté un titre plus intéreſſant ,
& n'a eu un objet plus utile .
Frappé de l'heureux projet de rendre la Morale
élémentaire , j'ai apperçu avec joie que cet avan
tage pouvoit appartenir à un Traité comme à un
Catéchifme de Morale ; que fi celui- ci étoit ſeul à
la portée des enfans & des hommes du peuple,
l'autre devoit être rendu propre à entrer dans l'éducation
lettrée , dans celle que nous recevons dans les
Colléges , & convenir d'ailleurs à des efprits plus
mûrs & encore plus exercés à l'étude & à la méditation.
Quoique ces deux Ouvrages foient abfolument
féparés par leur forme & leur objet , ne pourroit on
pas cependant encore les faire concourir au meilleur
D v
82 MERCURE
effet l'un de l'autre ; tellement lier les principes aux
préceptes , les développemens aux réſultats , qu'on
faififfe mieux les premiers par les feconds , & qu'on
foit préparé par ceux- ci à entrer dans les autres ?
Pourquoi l'homme du peuple , après avoir appris
fes devoirs dans la forme d'inftruction qui lui eft
propre , ne pourroit- il pas , dans un âge plus avancé,
& à l'aide d'une médiocre culture d'efprit , pénétrer
dans leurs motifs & leurs caufes , apprendre à fe
rendre compte de ce qu'il fent , tandis que le jeure
homme inftruit rechercheroit toute la fcience qu'il
auroit étudiée dans les règles- pratiques auxquelles
elle fe réduit ? Si ceci ne peut arriver toujours , ne
doit - on pas faire en forte que cela puiffe arriver
fouvent ?
a
Voilà les trois vues principales fous lesquelles j'ai
confidéré ces deux Ouvrages , & par lefquelles je
voudrois les réunir . Mon Diſcours préliminaire explique
auffi les objets que j'ai deflein d'embraffer
dans l'un & l'autre Traité , les formes d'ouvrage &
les genres de ftyle que je crois leur convenir le
mieux. Si quelques unes des idées qu'il renferme
paroiffent juftes & utiles aux Écrivains qui fe propofent
de traiter au moins l'un de ces deux fujets ,
je tiendrai à bonneur de les leur avoir infpirées ; je .
me faurai gré de ne les avoir pas conçues pour noi
feul.
Cet article s'allonge ; mais je ne puis le finir fans
faire quelques réflexions fur une des idées principales
& du Programine & du Difcours de M. de
Marmontel . Le Programme demande que l'Ouvrage
foit affez fimple pour qu'il puiffe fervir à apprendre
à lire aux enfans , & M. de Marmontel a fort bien
obfervé que c'étoit de là que naifloit la plus grande
difficulté de l'Ouvrage.
Il me femble qu'il n'eft pas feulement difficile ,
mais impoffible de faire entendre même les preDE
FRANCE. 83
.
mières règles de la Morale à un enfant qui en eft
encore à apprendre à lire , & il ne faut pas le propo
fer plus qu'on ne peut , de peur de manquer même
ce qu'on peut réellement. Prefque tous nos devoirs
tiennent à nos paffions qu'ils doivent régler , & à
l'expérience de la vie de famille & de celle de citoyen
où ils doivent nous guider . Ce n'eft que par l'épreuve
de ces fentimens & l'apperçu de ces rapports que la
confcience s'éveille . Pour enfeigner quelque chofe à
un enfant , il faut le prendre par les idées qu'il a
déjà acquifes. Or , celles d'un enfaut de cinq à fix ans
ne font elles pas trop bornées , trop éloignées de
toutes les impreffions qui nous difpofent à l'intelli
gence de nos devoirs , pour permettre de le conduite
à leur intime connoiffance ? Comment lui
ferez - vous comprendre les devoirs d'un père , d'un
époux , d'un ami & tous ceux du citoyen , lorsqu'il
n'a encore en lui - même ni de quoi connoître ni de
quoi fentir ce que c'eft qu'un père , un époux , un
ami , un citoyen ? L'enfant peur à peine appercevoir
fes propres devoirs :: comment entendroit- il ceux
d'un autre âge ? D'ailleurs , il faudroit faire une langueniquement
fondée fur les idées que l'on peut
avoir cet âge , & que pourroit - on exprimer avecune
langue fi courte & fi imparfaite ? Un père , en
caufant aveo fon enfant peut bien l'amener quelquefois
à une conclufion morale & métaphysique ,
car il y a toujours un peu de métaphyfique dars les
notions morales ; mais c'eft par un long circuit où,
il a foin d'écarter tous les objets & d'éviter tous les
mots qui font au deflus de la pensée d'un enfant.
S'il faut procéder ainfi pour expliquer toutes les règles
de nos devoirs , nous aurcas fur chacune un long
difcours à faire , dans lequel nous rifquerons encore :
de n'être ni fuivi , ni'entendu. Laiffons cette marche
d'inftruction , dont les Converfations d'Emilie nous
offrent un modèle , parfait , aux talens des pères &
D'vj
84
MERCURE
des maîtres ; laiffons - leur la varier fuivant le plus
ou moins d'avancement de leurs Élèves . Pour nous
de tous ,
qui devons faire un Livre qui puiſſe être entendu
& qui apprenne tout ce qu'il importe tant
de bien favoir , attendons que le temps foit venu
pour parler , laiffons arriver les enfans à l'époque
du commencement de la jeuneffe ; c'eſt le temps ou
ils comprendront d'autant mieux nos leçons , qu'ils
les goûteront davantage. Défabufons - nous des projets
chimériques. Il n'y a pas un Livre entièrement
à la portée des enfans , il n'y en aura jamais.
Ce n'eft pas à dire qu'on ne puiffe occuper utilement
leur efprit fur des Livres plus rapprochés d'eux ;
& fi un Catéchisme de Morale eft bien fait , il
fera un des Ouvrages qui leur conviendra le mieux.
Mais ne nous flattons pas qu'ils l'entendent dès qu'ils
pourront le lire. Entreprendre un Livre dans ce deffein ,
ce feroit s'égarer foi-même avant d'égarer l'enfant.
( Cet Article eft de M. D. L. C. )
LETTRE à M. de LACRETELLE , Avocat
au Parlement , de Paris.
LES
1
Es Membres de l'Académie qui reçoivent le
Mercure , y ont lû , Monfieur , vos obſervations fur
fon dernier Programme , & ont cru devoir en rendre
compte à la Société Royale. Elle me charge de vous
mander , 1 ° . qu'elle ne peut changer l'énoncé de
fon Programme ; 2 ° . qu'un Mémoire dans lequel
on réfoudroit les queftions que vous préfentez , &
dans l'ordre que vous indiquez , feroit certainement
admis au Concours ; 3 °. que néanmoins des Mémoires
qui traiteroient la matière fous d'autres points
de vûe, ou qui feroient rédigés fur un autre plan ,
pourroient également y être admis.
DE FRANCE 8.5
Comme vous avez pris la voie du Mercure pour
faire connoître vos idées à l'Académie & en mêmetemps
au Public , la Société Royale croit , Monfieur ,
qu'il eft indifpenfable que fa réſolution ſoit auſſi publiée
dans le Mercure , elle vous fera obligée de
vouloir bien y faire inférer ma lettre.
J'ai l'honneur d'être avec un très fincère attachement
, Monfieur ,
Votre très - humble & trèsobéiffant
ferviteur LEPAYEN ,
Secrétaire Perpétuel.
Metz, le 8 Novembre 1784.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné , Mardi 30 Novembre , la première
repréſentation de Dardanus , Tragédie
Lyrique , Poëme de la Bruère , avec des changemens
, par M. Guillard , la mufique eft de
M. Sacchini .
Le Poëme de Dardanus eft , de nos anciens
Poëmes d'Opéra , un de ceux qui a eu
le plus de réputation ; fes repriſes multipliées
& leur fuccès en ont toujours fait regarder
la mufique comme un des chefd'oeuvres
du célèbre Rameau . Mais ce Poëme,
qui offre plufieurs Scènes charmantes , &
très fouvent de beaux vers , eût été remis
difficilement fur notre Théâtre Lyrique fans
des changemens que la révolution opérée
dans la forme de nos Poëmes , comme dans
86 MERCURE
la mufique , a rendu abfolument néceffaires..
L'inimitable Poëme d' Armide , qui auroit pu)
fervir de poétique commne de modèle de ſtyle
aux fucceffeurs de Quinault dans l'ancien
genre d'Opéra ,femble au contraire les avoir
égarés. Cette réflexion peut s'appliquer plus
particulièrement à la Bruère , qui a voulu
introduire dans Dardanus , comme Quinault
dans Armide , ce genre de magie , qui
femble plus convenir aux temps de la Chevalerie
gothique qu'aux fiècles héroïques de la
Fable , moyen toujours froid lorſqu'il ne produit
aucun de ces grands effets , qui feuls peuvent
en juftifier l'emploi. Unreproche plus gra
ve , mais qui ne pouvoit être fenti que depuis
que notre Théâtre Lyrique s'eft eniichi des
Iphigénie , des Alcefle , des Didon , &c . eft
le peu d'intérêt que préfente cette Tragédie ;
intérêt encore affoibli par la manière peu
motivée dont fe fuccèdent les diverfes incidens
qui forment la Fable de Dardanus.
M. Guillard a effayé de remédier à quelques
uns de ces défauts par des retranchemens
, qui , en refferrant l'action du Poëme ,
pouvoient en accroître l'intérêt , fur tout
en motivant la captivité de Dardanus , furt
laquelle eft fondée effentiellement tout l'intérêt
de cette Tragédie.
Nous croyons devoir tranferite ce que
M. Guillard a fait imprimer dans un Avertiffement
, pour juftifier les changemens'
qu'il a cru devoir faire à l'ancien Poëme.
Perfuadé qu'une action rapide eft tou
DE FRANCE. 87
"3
» jours avantageufe au Théâtre Lyrique ,
qui permet peu de développemens , fur-
» tout quand le fujet ne comporte pas un
» très grand intérêt , j'avois ofé , en liant
» enfemble le deuxième & le troiſière Acte
du Poëme ancien , me permettre de faire
"3
"
و د
-
arrêter Dardanus fur le Théâtre , au mo
» ment où perdant de vûe la défenfe d'Iſme
» not , il laiffoit tomber les baguettes ; l'ac-
» tion ainfi preffée , il me fembloit que j'en
tirois un grand avantage , celui de motiver
la captivité de Dardanus , qui me paroît
" ne l'avoir jamais été fuffifamment. Mais
cette coupe , qui a eu lieu à la Cour avec
» fuccès , ayant donné à craindre à beau-
» coup de perfonnes que l'action , à force
d'être preffée , ne parût tronquée , & que
le Public ne regrettât quelques retranche-
» mens confidérables qu'elle entraînoit , je
» me fuis décidé à reprendre l'ancienne
marche , & c. »
99
Nous croyons que la première intention
de M. Guillard étoit non- feulement plus rar
fonnable, mais encore plus dramatique que le
parti qu'il a pris de prolonger l'action par des
Scènes qui ne fervent qu'à la refroidir. Dardanus
, entouré & arrêté aux yeux des Spec-'
tateurs . par les Soldats de Tencer , an inoment
où , abandonnant fa baguette , il tom
boit aux genoux d'Iphife ; le mouvement
dramatique des Soldats qui demandent au
même inftant fa mort , & la fituation intéreffante
d'Iphife nous ont paru , aux pre88
MERCURE
mières répétitions faites pour la Cour , produire
un intérêt plus vif , & mieux préparer
celui de l'Acte de la prifon , que les Scènes
qu'il a cru devoir ajouter enfuite pour former
un quatrième Acte à cet Opéra.
Mais nous ne juftifierons pas la manière
dont M. Guillard a fondu le quatrième &
le cinquième Ate de cet Opéra . La Bruère
fait fortir , au quatrième Acte , Iphife avec
Dardanus , qui vole au combat . M. Guillard
la fait refter feule dans la prifon , pendant
que fon amant va combattre fon père. Cette
fituation , & le long monologue de cette
Princeffe , nous paroiffent fans vraifemblance
, & par-là même fans intérêt.
Quelque prévention qu'il y ait en général
contre la tâche ingrate , ou plus difficile
qu'on ne croit , de retoucher aux anciens
Opéras , les perfonnes impartiales trouveront
du mérite & du talent dans la plupart
des changemens & des additions que M. Guil .
lard a faits au Poëme de Dardanus .
Le fuccès de la première repréſentation
de cet Opéra n'a pas été auffi complet qu'on
devoitl'attendre & de la réputation du Poëme
& de celle du Compofiteur. Nous attendrons
, pour rendre compte de la mufique ,
que d'autres repréſentations nous ayent mis
en état d'en apprécier les beautés , & de recueillir
les jugemens du Public éclairé , afin
d'en rendre compte à nos Lecteurs , ainfi
que des différentes parties de l'exécution .
( Cet Article n'eft pas du Rédacteur ordinaire. )
DE FRANCE. 89
ANNONCES ET NOTICES.
MORCEAUX choifis de Tacite , traduits en Franfois
avec le Latin à côté ; on y ajoint des Notes , des
Obfervations fur l'Art de traduire , & la Traduction
de quelques autres morceaux de différens Auteurs
anciens & modernes , par M. d'Alembert , Secrétaire
Perpétuel de l'Académie Françoiſe , Membre des Aca.
démies Royales des Sciences de France , de Pruffe ,
d'Angleterre , de Ruffie , de Portugal , &c . &c . 2 vol .
in 12. Prix liv . reliés. A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur-Libraire , hôtel de Cluny , rue des Ma
thurins.
"
C'eft une nouvelle Édition d'un Ouvrage qui , dans
La nouveauté , éprouva des cenfures rigoureufes ,
même injuftes, à caufe du nom de fon Auteur , ( affez
illuftre pour mériter de nombreux ennemis ) & qui
confervé pour partifan le plus grand nombre des
connoiffeurs , à caufe de fon mérite réel & inconteftable.
Cette Traduction eft remarquable par la clarté
& la pureté du ftyle , fur- tout par une précision qui
lutte avec celle de l'original ; & les nouveaux changemens
qu'y a faits l'Auteur, lui ont donné un nouveau
degré de perfection. A la fuite des morceaux
traduits de Tacite , ce peintre vrai & énergique , M.
d'Alembert a placé des morceaux de Velleius Paterculus
; il a voulu mettre par- là fes Lecteurs à portée
de faire une utile & piquante comparaifon des portraits
hardis de l'un avec les peintures baffement
flattées de l'autre , qui eft auffi remarquable par fon
adulation que par l'élégance de fon ftyle.
Ces morceaux font fuivis d'une Traduction de la
Péroraifon de Cicéron pour Milon , des plus belles
Scènes du Caton d'Addiſſon , & de quelques pensées ,
90 MERCURE
morales & philofophiques du Chancelier Bacon.
« Ainfi , dit M. d'Alembert lui-même , par les diffé
rens effais de Traduction que j'ai foumis au jugement
du Public , j'ai voulu le mettre à portée
» autant qu'il eft en moi , de connoître & d'appré
» cier la manière de penfer & d'écrire d'un Hifto-
» rien Philofophe , d'un Hiftorien courtiſan , d'un
Orateur illuftre , d'un célèbre Poëte Tragique
étranger & moderne , erfin d'un des premiers reftaurateurs
des Sciences , qui a fait parler la raifon
» dans fes Ouvrages avec autant d'éloquence que
d'énergie.
»
93 53
EUVRES de Plutarque , traduites du Grec par
Jacques Amyot , treizième Livraiſon , treizieme
Volume de la Collection , & fecond Volume des
Favres reliés , in- 8 ° . & in 4 ° . papier double d'Angoulême
, d'Hollande & vélin.
La quatorzième Livraifoh , troifième & dernier
Volume des Euvres mêlées & de la Collection des
Euvres de Plutarque , paroîtra dans le courant du
mois prochain. La Table , qui contiendra un volume
entier , ne paroîtra qu'après les trois Volumes de
Supplément qui fe fuccéderont très- rapidement.
On foufcrit pour cet Ouvrage , à raifon de 7 liv.
10 fols le volume in-8 ° , & de 15 liv . in-4° . , & à
proportion fuivant les différens Volumes , à Paris ,"
chez Baftien , Libraire , rue S. Hyacinthe , place '
S. Michel , & chez les principaux Libraires du'
Royaume.
Le Mariage conclu , peint par Antoine Borel , &
gravé par R. de Launay le jeune. Prix , 3 liv. A
Paris , chez l'Auteur , rue & porte S. Jacques , la`
porte-cochère près le Petit Marché, No. 112 .
Cette Eftampe fait pendant au Mariage rompu,
que nous avons annoncé avec de juftes éloges . CelleDE
FRANCE. 91
ci n'en mérite pas moins par l'effet du tableau & la
fineffe du burin qui a rendu avec intérêt toute l'expreffion
du fentiment.
L'INDICATEUR Fidèle , ou Guide des Voyageurs
, qui enfeigne toutes les Routes Royales &
particulières de la France , Routes levées topographiquement
dès le commencement de ce fiècle , &
affujéties à une graduation géométrique , accompagné
d'un Itinéraire inftructif & raifonné fur cha-, .
que Route , qui donne le jour & l'heure du départ ,
de la dînée & de la couchée tant des Coches par eau
que des Carroffes , Diligences & Meffageries du
Royaume , avec le nombre des lieues que ces diffé
rentes Voitures font chaque jour ; dreffé par le fieur
Michel , Ingénieur Géographe du Roi à l'Obfervatoire
, mis au jour & dirigé par le fieur Defnos , Ingénieur
Géographe pour les Globes & Sphères , &
Libraire de Sa Majefté Danoife. A Paris , rue Saint
Jacques , quatrième Edition , corrigée & confidérablement
augmentée en 1784 , Volume in - 4° . Prix ,
13 livres broché. Le même en petit in 18 pour la
poche, Prix , 8 liv. relié en maroquin.
·
Cet Ouvrage est très- utile aux Commerçans , Navigateurs
, &c. , & il a dû coûter à l'Auteur beaucoup
de peines & de foins.
CALENDRIER perpétuel , par M. Gilles. A
Paris , chez l'Auteur , rue de Paradis , vis-à - vis
l'hôtel Soubife , & chez Latré , rue Saint Jacques , à
la Ville de Bordeaux.
Ce Calendrier fingulier eft remarquable par la
méthode & fa précifion..
ALMANACH Parifien , en deux Parties ; nouvelle
Édition , ornée de jolies gravures , repréfentant les
monumens les plus récens , pour l'année 1785. Prix ,
92 MERCURE
2 liv. 8 fols broché : relié , 3 liv. A Paris , chez la
Veave Ducheine , Libraire , rue S. Jacques.
Cet Almanach , dont plufieurs Éditions atteftent
le fuccès , indique tout ce qu'il y a de curieux à voir
dans Paris & aux environs ; ce qui le rend très- utile
aux Étrangers & aux perfonnes qui defirent jouir des
agrémens qu'offre la Capitale. On ſe propoſe de le
reimprimer tous les ans , comme on vient de le
faire , en y ajoutant les nouveaux embelliffemens
quifauront eu lieu dans l'année.
LA Fécondité, dédiée à Mme la Comteffe de
Vergennes , gravée d'après P. P. Rubens , par Mlle
C.... A Paris , chez Chéreau , rue des Mathurins.
Prix , 1 liv. 4 fols .
mir
Cette Eftampe eft un coup d'effai qui doit préve
pour le talent de fon jeune Auteur.
- L'HEROISME de l'Amour. Les Victimes de
Amour. Deux Eftampes faiſant pendant , gravées
d'après B. Cauvet , par Beljambe & Allix . Prix
livres les deux. A Paris , chez les Auteurs , rue des
Foffés M. le Prince , nº . 28.
.
Le fujet de ces deux Eftampes eft pris de l'inté
reffant Ouvrage des Délaffemens de l'Homme Sen
fible , par M. d'Arnaud , à qui elles font dédiées.
饔
>
૩ .
HENRIETTE de France , fille de Henri IV, &
Reine d'Angleterre , deffinée & gravée d'après
Vandick , par R. Strange , Graveur du Roi . A Paris ,
chez l'Auteur , hôtel d'Espagne , rue Guénégaud.
Tout le monde connoît la fuperbe Eftampe de
Charles Premier , que nous avons annoncée avec
des éloges confirmés depuis par des fuffrages univerfels.
Celle que nous annonçons , & qui en eft le
pendant , intéreffe plus particulièrement la Nation
DE FRANCE. 9 ་
Françoife , puifqu'elle repréfente une Fille d'un des
Monarques qu'elle chéiit le plus ; c'eſt Henriette
tenant dans fes bras le jeune Duc d'York , depuis
Jacques II , & ayant près d'elle le Prince de Galles ,
depuis Charles II . C'eſt un des plus beaux Ouvrages
de Vandick , & la gravure rend la beauté de
l'original.
On peut voir chez l'Auteur un beau Tableau
d'Hiftoire peint par M. Weft , appartenant au Roi
d'Angleterre , & qu'il le propofe auffi de graver.
C'eft annoncer de nouvelles jouiffances aux Ama
\ teurs du vrai talent.
LE Quadrille des Enfans , par feu M. Berthaud,
avec lequel , par le moyen de vingt- quatre Figures ,
& fans épeler , ils peuvent, à l'âge de quatre ou cinq
ans & au- deffous , être mis à portée de lire en trois
ou quatre mois ; nouvelle Édition , revue par M.
Alexandre , Profeffeur - Émérite & penfionné de
l'École Royale Militaire. Se vend chez la Veuve
Berthaud , à la Penfion du Fauxbourg S. Honoré,
´nº . 42. Prix , 6 liv.
& Le mérite de cette Méthode eft déjà connu ,
cette nouvelle Édition , beaucoup plus claire &
plus fimple que les autres , fait honneur à l'Editeur ,
à qui l'on peut s'adreffer en cas que l'on fût arrêté
par quelque difficulté ; il demeure rue Montmartre,
maifon de M. Caftellan près la rue Plâtrière. Cette
Edition eft dédiée aux Enfans de Mgr. le Duc de
Chartres ; c'étoit pour eux que cette Méthode avoit
été adoptée.
MOYEN de diriger les Aéroftats , par M.
Maffe , Architecte .
Ce Moyen confifte en deux pattes d'oyes offrant
'à l'air plus de douze pieds qnarrés chaque pour le
freffer & forcer la Machine d'avancer. Ces pattes
94
MERCURE
T
font adaptées aux deux côtés de la Machine , dont
M. Maffe a fait faire un modèle au quart de l'exécution
, & qui ne pèfe que cinquante livres. Aux
deux extrémités font deux gouvernails de plus de
fix pieds quarrés auffi en forme de pattes d'oyes , &
qui fervent à faire tourner le Ballon en les préſen
tant à fens contraire.
L'Auteur a fait graver fa Machine , ainfi que le
Ballon & toutes les manoeuvres. L'explication eft au
bas. Si quelqu'un vouloit tenter l'exécution de fa
Machine , l'Auteur s'engage à la conftruire de manière
à pouvoir aller fur l'eau de même qu'un batelet
, & propre à porter fon équipage ( en cas d'accident.
) Il promet auffi de traverser la mer de Calais
à Londres ou de Londres à Calais .
Cette Gravure fe trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue de la Monnoie , la porte - cochère vis -à- vis la rue
Boucher, au fond de la cour.
FEUILLES de Terpfichore , on nouvelle Etude
de Harpe , dédiées aux Dames , dans lesquelles on
trouvera fucceffivement l'agréable , l'aifé & le difficile
, compofées par les Profeffeurs les plus recherchés
pour cet Inftrument. Prix , 1 livre 4 fols
chaque feuille , qui paroît tous les Lundis. A Paris,
chez Coulineau père & fils , Luthiers brevetés de la
Reine & de Mme la Comteffe d'Artois , rue des
Poulies , & Salomon , Luthier , Place de l'École.
Le Numéro 1 eft compofé de deux feuilles , l'une
contenant deux petits Airs de Richard-Coeur- de-
Lion , avec Accompagnement de Harpe , par MM.
Tiffier & Grenier ; l'autre un de ces Airs varié pour
le Clavecin , par M Charpentier. Le Numéro 2 eft
auffi compofe de deux feuilles , l'une contenant la
Romance de M. Fodor pour la Harpe , par M.
DE FRANCE. 195
Couarde , & l'autre un Air pour le Clavecin , par
M. Grenier.
NUMERO II de la troisième année du Journal
de Clavecin , par les meilleurs Maîtres , Violon ad
libitum. Prix , féparément 3 liv . Abonnement 15 liv.
porr franc. A Paris , chez M. Leduc , au Magaſin de
Mufique , rue Traverfière- Saint- Honoré,
NOUVELLE espèce de Toupets en frifure naturelle ,
chez le Sieur Chaumont , Maître Perruquier , rue
des Poulies , à gauche , en entrant par la rue Saint-
Honoré.
, Ces Toupets , inventés par le Sieur Chaumont
honoré de l'Approbation de l'Académie des Sciences ,
pour plufieurs découvertes relatives à fon Art , viennent
d'être préfentés à cette Compagnie. Ils font
compofés de longs & courts cheveux naiffans , qui
font placés fans tiffa près de la peau , & d'une manière
affez ſemblable à ceux qui fortent naturellement
de la tête . La bordure de ces Toupets eft trèsfine
& ils s'identifient , pour ainfi dire , fur le
bord du front par le moyen d'une pommade attractive
, qui , les faiſant tenir fur la tête fans aucun inconvénient
, leur donne l'air de la chevelure la mieux
plantée. Cette Pommade fe vend 3 liv. le bâton de
deux onces.
LE ST DUBOST, Enclos du Temple , offre des effais
gratis de fa nouvelle Pommade de Ninon , pour ôter
les taches de rouffeur, blanchir, nourrir la peau & eff .
cer les rides ; de celle du foir pour ôter le rouge & rafraîchir
la peau ; & d'une nouvelle Effence de Beauté
pour le teint des Dames & la barbe . Les prix font, Pommade
de Ninon , 6 liv. le pot , & celle du foir , 3 liv.
L'Effence de Beauté , depuis 3 liv. la bouteille jufqu'à
12 liv. On trouve auffi ces trois articles dans
96 MERCURE
les Bureaux annoncés dans un de nos précédens
Mercures. Il continue toujours de vendre l'Ecorce
d'orme, à 3 livres la livre ; le Rouge de Paris ,
tiré du règne végétal fuperfin , à 6 liv. le pot, &
3 liv. l'inférieur ; les Cuirs à Rafoir qui difpenfent
de fe fervir de la pierre ; la Limonade sèche , rafralchiffante
& diurétique, à 6 liv. la livre , & c. On
trouve auffi chez lui toutes les Plantes Médicinales
& Fleurs de toute espèce.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABL E.
LES Voyages de Colom - La Fortification Perpendicu
belle & Volontairette . 49 laire
Charade, Enigme & Logo Académie,
gryphe >
70
73
8 Lettre à M. de Lacretelle ,
Avocat au Parlement de
Paris ,
84 Hiftoire de Stanislas Premier ,
Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , 60 Académie Roy. de Mufiq. 85
Blanchard , Poëme en deux Annonces & Notices 89
Chants , 67
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 11 Décembre. Je n'y si
xien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion . A Paris >
le 10 Décembre 1784. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 18 DÉCEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE
VERS
A M. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU ,
fur fa Réception en qualité de Procureur-
Général du Roi au Confeil- Supérieur du
Cap , Ile Saint Domingue.
A
4
SON aurore il chanta fur fa lyre
Des vers aifés , doux & charmans ,
De la Nature heureux enfans ,
Et l'Univers fe plaît à les relire.
Aujourd'hui de Thémis il devient le foutien ;
A ce fublime emploi fon mérite l'appelle ;
Et s'il quitte Apollon & fa troupe immortelle ,
C'est pour notre bonheur bien plus que pour le fien .
(Par un Citoyen du Cap. )
No. 51 , 18 Décembre 1784 .
E
$8
MERCURE
A une Dame qui critiquoit une de mes
Chanfons.
Si je n'eus point de l'efprit en partage ,
Bien loin de pleurer ce malheur ,
Du fort je refpecte l'outrage ,
Je m'en confole avec mon coeur.
Et fi ma Muſe , encor fimple & fidelle ,
Avoit ofé te prendre pour objet ,
Elle auroit trouvé grâce en faveur du fujet ,
Et le Peintre eût brillé des traits de fon modèle.
( Par Mlle de Saint-Léger. )
VERS mis au bas du Portrait de Mime la
Comteffe DE GEnlis.
VIRTUS ; ERTUS , Grâces , Talens, Efprit jufte , enchanteur,
Elle a tout ce qu'il faut pour embellir la vie ;
C'eſt le charme des yeux , de l'oreille & du coeur
Et le défefpoir de l'envie .
( Par M. de Sauvigny . 】
DE FRANCE.
99
INSCRIPTION latine fur la Pompe à Feu
de Chaillot.
SERVE
ER VA alibi natura triumphans imperet arti ;
Hic natura artis vincula ferva trahit.
Scandit Neptunus confcendere nefcius urbem
Vulcanufque fitim quàm parit ipfe levat .
( Par M. l'Abbé Ferrand. )
LE PREMIER MINISTRE DE LA MORT ,
Apologue.
Près d'un antre où règne l'horreur
Et toujours une nuit profonde ,
La Mort examinant le monde ,
Se repofoit en belle humeur ;
Elle tenoit fa faulx terrible ;
D'une voix tremblante elle dit :
« Ne puis-je pas , fans être horrible ,
33
Faucher , ravager ce qui vit ?
" Je fais que la nature humaine
» De mes coups veut le garantir ;
» Suivons le penchant qui l'entraîne ,
» Détruifons-la par le plaifir.:
ג כ
AUSSITÔT de fa voûre obfcure
Elle franchit les noirs détours ;
>
E ij
100 MERCURE
A tous les maux de la Nature
Le monftre adreffe ce difcours
D'un ton caffé , fier & finiftre :
« J'ai beſoin d'un premier Miniftre ;
» Je veux farmi vous le choiſir ;
» Le fléau le plus redoutable ,
» Le plus digne de me fervir,
» Aura cette place honorable.
La Goutte vient d'un pas traînant ,
Par la Molleffe foutenue ,
מ
Le pied gonflé , la main crochue;
L'Ivreffe rit en la voyant.
La Mort , d'un air fombre & févère ,
Lui lance un regard dédaigneux .
« Va , ta fureur eft paffagère ;
» Tes coups ne font pas dangereux. »
Agitant fa torche brûlante ,
La Fièvre difcute les droits ,
Et dit : « Cette arme défolante
Abat les Bergers & les Rois . »
EN VANTANT fa douleur poignan 、e ,
La Gravelle élève la voix ;
L'Indigeftion argumente ;
Un Hocquet bruïant l'interrompt.
La Pefte dit : « Rien n'eft plus prompt
25 Que mon ravage fur la terre ;
» Je n'accorde point de répit ;
20 Une Nation toute entière
DE 211 FRANCE.
!
» Par mon fouffle brûlant périt,
Paroiffent enfin l'Éthifie ,
3
Le Point-d'Honneur en habit noir ,
La Faim , la Soif, le Déſeſpoir ,
Le Marafme , l'Apoplexie.
Quoi ! dit la Mort d'un air bénin ,
« Au concours point de Médecin !
» C'est par excès de modeftie ;
» Le grand mérite a la manie
De rechercher l'obscurité ;
» Ne gênons point fa liberté.
Amis , c'eft fur L'INTEMPERANCE
» Que je prétends fixer mon choix ;
» Elle vous fert tous à la fois ;
Nous lui devons la préférence . »
Par M. Crommelin de Guife. )
LE FLEUVE ET LE RUISSEAU , Fable.
LA foibleffe eft fouvent un bien ; voici ma preuve
Un ruiffeau très- obfcur menoit gaîment les eaux
A l'urne immenfe d'un beau Fleuve ,
Qui lui tint un jour ce propos:
D'honneur , je plains ta deſtinée ,
Pauvre Ruiffeau ;
Par Neptune qu'elle eſt bornée !'
Des Villageois , quelques troupeaux
E ii)
102 MERCURE
Fréquentent feuls tes bords tranquilles ,
Que ne parcourent point les plus fiêles bateaux.
Dans mon empire on compte plus de villes
Que tu n'as chez toi de rofeaux .
Quelques nouvelles eaux qu'en ton fein le ciel verſe ,
D'une enjambée on te traverſe ;
Perfonne ne te craint ; tout tremble fous ma loi ;
Des maifons par mes flots font fouvent renverfécs ;
Je culbute des ponts , je détruis des chauffées ;
Dans les Papiers publics il n'eft bruit que de moi.
Oh ! je conviens que Journal & Gazette
Ne me connoiffent pas , iui dit le Raiffeau ; mais
S'il arrive que l'en-m'y mette ,
Je veux y prolonger l'article des bienfaits .
L'été brûle- t'il les prairies ?
Je leur partage ma fraîcheur ;
Mon eau pure rend la vigueur
Aux habitans des bergeries ;
Jfers tant que je peux , & je ne nuis jamais ;
J'offre un bain clair & sûr ; pas un chat ne s'y noie.
de bien que je leur fais
Du
peu
Le chant de mes voisins me témoigne leur joie ;
Et duffent vos honneurs m'être offerts par les Dieux ,
De tous mon coeur je les en tiendrois quittes ;
Car, Monfeigneur , plus vous m'en dites,
Et moins de votre éclat je me trouve envieux.
Sans regrets je renonce à la magnificence
Qui ne me frappe point par des traits généreux ;
DE FRANCE. 103
Et je détefte la puiſſance
Qui ne fait que des malheureux.
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
HISTOIRE du Miniftre LA ROCHE , *
Conte imité de l'Anglois.
ASSIS
ssis dans un lieu champêtre , fur les
bords tians de la Seine , Wolnar , au lever
de l'aurore , fe livront aux charmes d'une
meditation profonde , lorfqu'une ancienne
Domestique vient lui annoncer qu'un homme
d'un certain âge & fa fille , faiſant route
pour un pays très éloigné , étoient arrivés
dans le village le foir précédent ; que le père
avoit été tout à- coup attaqué d'une maladie
fi dangereufe , qu'elle faifoit craindre pour
Les jours; & que c'étoit un fpectacle vraiment
attendriffant de voir le bon vieillard
paroître moins affligé de fon propre malheur
que de la peine qu'il caufoit à fa
fille.
Le Philofophe fuit fa Gouvernante chez
le malade.
On lui avoit donné le meilleur appartement
de la petite chaumière où ils étoient
defcendus. Cependant Wolmar fut obligé
de fe courber pour y entrer. Le fol , tantôt
* Voyez dans les Effais Périodiques , publiés à
Édimbourg en 1779 , The Hiftory ofla Roche.
E iv
104 MERCURE
élevé par buttes , tantôt creux , n'étoit pavé
que d'un argile anguleux & rude ; quelques
folives , à peine fufpendues au plancher ,
menaçoient ruine. Dans un coin de la chambre
il apperçut le bon vieillard couché fur
un affez mauvais matelas , fous lequel on
avoit mis en travers quelques éclats de bûche
pour l'empêcher de pofer fur la terre
humide. Sa fille , affife au pied de fon lit ,
n'avoit pour vêtement qu'un fimple corfer
blanc , d'une propreté éblouiffante. Ses beaux
cheveux noirs Hottoient à groffes boucles
fur fes épaules . Inquiette , & doucement
penchée , elle avançoit la tête pour épier &
recueillir les regards languiffans de fon père.
Wolmar étoit tefte quelques momens
dans la chambre fans être remarqué de la
jeune perfonne. Enfin la Domestique cria
de loin , à voix baffe : Mademoiselle ! Wilhelmine
, comme fans y penfer , fe retourne ,
& préfente à leurs yeux étonnés un front
timide & pâle que le défordre de la douleur
embelliffoit encore. A la vûe d'un étranger ,
la furprife & ces égards qu'exigent les bienféances
d'une éducation honnête , animèrent
fon teint des rofes de la pudeur. Son
âme aimante & fenfible paffa toute entière
dans fes regards , & le doux fon de la voix
fit une impreffion vive fur le coeur du Philofophe.
Sans perdre un temps précieux en complimens
frivoles , Wolmar leur offrit fes
fervices avec empreffement. " Montieur eft ་་
DE FRANCE. 105
» ici bien mal couché ! S'il étoit poffible de
» le tranſporter ailleurs , dit la Gouver
» nante ? Si l'on pouvoit le tranfporter à la
» maiſon , reprit vivement le Philofophe ? »
On remercioit , on s'excufoit , on refufoit ;
mais les offres de Wolmar font fi généreuses ,
qu'elles font enfin évanouir toutes les craintes
de l'étranger ; & la modefte réſiſtance de
Wilhelmine cède à la douce perfuafion que
la fanté de fon père fe rétablira plus promptement.
En effet , au bout d'une femaine le
vieillard fut en état de remercier fon bienfaiteur.
Wolmar, refpectant les malheurs du vieil
lard , n'avoit ofé lui demander fon nom ;
bientôt il apprit de lui même qu'il fe
nommoit la Roche , & qu'il étoit Miniftre
Proteftant Suiffe ; il venoit de perdre fa
fenime , après une maladie longue & douloureufe
, pour laquelle on lui avoit con
feillé de la faire voyager. Fatigué d'une courfe
auffi inutile que pénible , le vieillard s'en
retournoit alors dans fa patrie avec la fille.
Le Philofophe voyant que la Roche & fa
fille fe préparoient à rendre à Dieu des actions
de grâces , fortit dans la campagne
pour les laiffer feuls, « La Gouvernante de
» Wolmar , en ſe joignant à leurs prières
» leur dit en confidence : mon maître.....
» hélas ! il ne croit pas qu'il existe un Dieu !
» Et cependant il a fauvé mon père , s'écrie
» Wilhelmine ! je fouhaiterois ..... Un long
foupir trahit le voeu de fon coeur. Ils furent
و د
و د
" "
Ev
106 MERCURE
tour à- coup interrompus par l'arrivée du
maître de la maifon , qui prit avec douceur
la main de Wilhelmine. La modefte Wilhelmine
la retira lentement , en filence , &
baillant les yeux ..
"Une idée m eft venue. Savez- vous bien ,
» lui dit le Philofophe , que , premier Médecin
de votre père , je me tiens refpon-
» fable de fon entière guérifon . Qui prendra
» foin fur la route de notre convalefcent ?
» Je ne fuis jamais allé en Suiffe ; j'ai grande
envie de vous y accompagner. »
A ces mots , il auroit fallu voir briller les
yeux de la Roche , & comme Wilhelmine ,
tranfportée de joie , courut embraffer fon
père ! car ils aimoient réellement leur bienfaiteur
; leurs cours n'étoient pas formés
pour être infenfibles , & la cruelle intolé
rance ne les avoit point endurcis .
Ils allèrent à petites journées . Wolmar ,
fidèle à fa promeffe , appréhendoit toujours.
qu'une trop longue marche ne fatiguât le bon
vieillard . Après un voyage de trois semaines ,
ils arrivèrent à la demeure de la Roche.
Elle étoit fituée dans une de ces vallées du
Canton de Berne , où la Nature a fermé fa
retraite de montagnes inacceffibles , & femble
fe repofer dans le calme d'un profond
fommeil. Au deffus de fa maiſon , on voyoit
dans l'éloignement un fleuve immenfe , qui ,
du haut des montagnes , fe précipitoit dans
la plaine , avec cet horrible fracas qui infpire
au Voyageur éloigné un agréable frémifDE
FRANCE. 107
fement. Toutes ces eaux arrofoient de vaftes
prairies ; & ſe réuniffant à l'entrée du village ,
elles y formoient un fuperbe lac , au bout
duquel on découvroit un temple.
Wolmarjouiffoit de la beauté majeſtueuſe
d'un tableau fi raviffant ; mais pour les deux
amis que ces mêmes lieux étoient triftes !
comme il étoit défenchanté pour eux , cet
augufte fpectacle qui leur rappeloit une
époufe chérie , une tendre mère qu'ils avoient
perdue ! La douleur du bon vieillard étoit
ilencieufe ; Wilhelmine fanglottoit toute
baignée de pleurs. La Roche , ce digne époux ,
ce bon père , preffe avec tranfport contre
fon coeur la main de Wilhelmine , la couvre
de baifers , regarde le ciel en foupirant , &
tout à- coup avec la main de fa fiile effuyant
une larme brûlante qui defcend fur la joue :
Voyez- vous , dit- il au Philofophe , les objets
frappans que nous offre cette perfpective
? Et du doigt ii lui montroit ceux
qu'il n'avoit pas remarqués.
""
و د
""
Le coeur du Philofophe étoit attendri de
la noble fimplicité du bon Miniftre , & de
la modefte candeur de fon aimable fille. Il
retrouvoit en eux cette franchife ingénue
des premiers âges , avec la culture & la poli
teffe des fiècles les plus éclairés . Il fe livroit
à tous les fentimens doux & honnêtes que
lui infpiroit la plus belle des femmes ; il
n'en étoit pas éperduement épris ; cependant
il fe fentoit heureux d'aimer Wilhelmine.
E vi
108 MERCURE
Que la Roche & fa fiile furent détrompés
! Ils ne voyoient rien en Wolmar de cet
air de fuffifance que des talens fupérieurs
ont coutume de donner à nos prétendus
fages. Comme eux , il ſe mêloit à tous les
plaifirs d'une vie privée. Son langage étoit
celui de tous les hommes . Si quelquefois la
grandeur de fon fujet l'entraînoit malgré
lui , toujours fimple & clair , il élevoit tout
le monde à la hauteur de fon génie .
و ر
"
و د
33
33
Entends tu fonner huit heures ? dit un
" foir là Roche à fa fille . Monfieur , c'eſt
» le figual de la prière. La cloche nous appelle
. Nous avons ici une grande falle où
» tous mes Paroiffiens fe réuniffent une fois
la femaine pour prier en commun . Voulez
vous voir toute la ferveur de ces bons
Payfans ? venez ; finon voici quelques livres
» qui pourroient vous amufer. Non, répondit
» Wolmar , j'accompagnerai s'il vous
plaît , Mademoiſelle au temple. C'eſt no-
" tre Organiſte , ajouta le bon vieillard :
allons , venez entendre ma Wilhelmine
" animer l'alégreffe de nos chants . Un peu
d'indulgence , dit il en fecret à Wolmar ;
» elle n'a jamais eu pour maître que feue fa
" pauvre mère , hélas ! » Et tous les trois
enfemble ils entrèrent dans la grande falle .
"
33
و ر
و د
> L'orgue étoit placé dans l'enfoncement
& caché fous de fimples rideaux blancs .
Wilhelmine les ouvrit ; & fitôt qu'elle fe fut
affife à fa place , elle les referma fur elle ,
comme pour fauver à fon coeur trop fenfible
DE FRANCE. 109
la crainte modefte d'attirer tous les regards.
Wilhelmine , fans autre guide que fon
coeur , forme des fons fublimes. Wolmar
n'étoit pas infenfible aux charmes de la mufique
, & la beauté de ces accords le frappa
d'autant plus vivement qu'il étoit loin de s'y
attendre.
Ce prélude folemnel annonçoit une hymne
d'amour & de reconnoiffance. Tout l'auditoire
chantoit avec un faint enthoufiafine
les paroles de ce cantique , tirées , pour la
plupart , de l'Écriture. Il chantoit les louanges
du Créateur , les foins paternels qu'il
prend de l'homme vertueux. On y parloit
de la mort des juftes , de ceux qui s'endorment
dans le fein d'un père. …………….. Et
l'orgue touché d'une main moins sûre ,
faifoit des paules , tout- à- coup fe taifoit ,
& l'on entendoit à fa place les foupirs & les
fanglots de Wilhelmine.
,
Son père fait figne de ceffer la pfalmodie ,
& fe lève pour prier. Tout pâle , fa voix
expire fur fes lèvres ; mais déjà le feu de fon
zèle triomphe de fa fenfibilité. Les Paroiffiens
s'échauffent de l'ardeur du bon vieillard.
Le Philofophe lui - même fentit fon
coeur émiu ; & il oublia , pour un moment ,
de croire qu'il ne devoit pas l'être .
La religion de la Roche étoit une religion
de fentiment. Wolmar étoit l'ennemi déclaré
de toutes difputes. Aufli leurs difcours ne
les conduifoient ils jamais à des questions
indifcrettes fur leur croyance mutuelle . Ce110
MERCURE
•
pendant le bon vieillard, comme pour foulager
fon coeur , aimoit à l'entretenir de la
fienne. Mon ami , dit- il un jour au Philofophe
, lorfque vous nous entendiez , ma
» fille & moi , parler de ces plaiſirs fi purs
» que nous donne la mufique , vous regret-
» tiez de ne pouvoir fentir comme nous
» toute la douceur de l'harmonie. C'eft ,
" difiez- vous , une fenfation de l'âme que la
» Nature m'a prefque entièrement refufée ;
» & d'après les effets qu'elle me paroît pro-
» duire fur les autres hommes , ce doit être
» une jouiffance bien délicieufe ! Pourquoi
" ne diroit - on pas la même chofe de la reli-
" gion ? Croyez- moi , cher Wolmar , cette
"
99
99
و د
religion m'infpire une énergie , un enthoufiafme.......
que je voudrois vous faire
fentir ! Suis - je heureux ? elle ajoute encore
» à mon bonheur. Quand les malheurs me
frappent , & j'en ai eu d'affreux à foutenir
! n'eft - ce pas elle qui verſe un baume
» fur mes bleffures ? »
99
Qu'il eût été cruel au Philofophe de ravir
à cet honnête vieillard une idée fi confolante
!
Comme étranger , on lui faifoit voir ce
qu'il y avoit de remarquable dans le Canton
de Berne. Pour varier fes plaifirs , que d'attentions
ingénieufes à lui préfenter fous différens
points de vie , ces montagnes chargées
de neige dans toutes les faifons de l'année
! Le Philofophe faifoit à la Roche mille
queftions fur ce qu'il favoit de leur hiftoire
DE FRANCE. 111
naturelle. Pour la Roche , il mefuroit d'un
oeil refpectueux la hauteur effrayante de
leurs fommets. Il s'étonnoit de la fublimité
des idées que lui infpiroit le fpectacle im
pofant de ces maffes énormes. " Ah! fi on
les voyoit de la Flandre ! dit Wilhelmine
avec un foupir mystérieux : voilà , reprit
Wolmar en fouriant , une remarque affez
fingulière. Elle rougit , & il n'ofa pas
en demander davantage.
و ر
»
" "3
Ce ne fut pas fans regret que le Philofophe
quitta cette fociété dans laquelle il fe
trouvoit fi heureux . Comme on promit mu
tuellement de s'écrire ! Wolmar jura que
tous les ans , une fois au moins , il revien
droit embraffer les amis.
Deux ans après notre Philofophe arrive
à Genève. Cette chaîne de montagnes entalfées
, dont il avoit tant de fois admiré la
hauteur avec la Roche & fon aimable fille ,
lui rappelle ce qu'il leur avoit fi folemnellement
promis. Ce fouvenir lui fait auffi
fentir la douleur d'avoir manqué à leur écrire
depuis plus de fix mois.
Pendant qu'il béfitoit encore pour favoir
s'il iroit embraffer le bon la Roche , il reçut
une lettre du vieillard , qui lui avoit été
adreffée en France. Elle contenoit de bien
doux reproches fur ce qu'il avoit manqué à
fa promeffe ; mais on l'y affuroit mille fois
d'une éternelle reconnoiffance pour les bienfaits.
La Roche le regardant comme un ami ,
fenfible au bonheur de fa famille , lui an
112 MERCURE
nonçoit les noces de fa Wilhelmine avec un
jeune Officier Suiffe. Attachés l'un à l'autre
dès la plus tendre enfance , ils avoient été
féparés par la valeur bouillante du jeune
bomme, qui lui avoit fait rejoindre les Trou
pes Auxiliaires du Canton de Berne , alors
en Flandre , & voilà ce qui explique l'exclamation
que nous avons rapportée de Wilhelmine.
Dans cette campagne il ne s'étoit
pas moins diftingué par fon courage que par
tous le autres talens qu'il avoit cultivés dans
fa patrie fous les yeux de fon amante. Le
terme de fon Service Militaire étoit enfin
arrivé , & le fenfible vieillard attendoit fon
retour dans quelques femaines pour les unir
enfemble , & les voir heureux avant de
mourir.
Le Philofophe fentit fon coeur intéreffé à
cet événement ; il ne fe trouvoit pas aufli
content d'apprendre la nouvelle du mariage
de Mlle la Roche que fon père fe l'étoit
imaginé. Dans l'idée de la voir paffer dans les
bras d'un autre , il éprouvoit même je ne
fais quel faififfement dont il ne pouvoit démêler
la caufe. Cependant il regarde cette
union comme préparée par la néceffité qui
enchaîne tous les évenemens , & , fur le
champ , fe difpofe à partir pour être témoin
du bonheur de fes reípectables amis : bien
sûr qu'il va l'augmenter encore en le partageant
avec eux.
Le dernier jour de fon voyage , plufieurs
accidens avoient retardé fon arrivée. La nuit
DE FRANCE. 113
la plus fombre le furprit avant qu'il pût fe
reconnoître dans les environs de la demeure
de fon ami. Il s'en croyoit même encore trèséloigné
, lorfqu'il fe trouva vis- à- vis ce lac
qui étoit dans le voifinage de la Roche . Une
lumière , qui fembloit fortir de fa maiſon ,
étincelloit en longs fillons de feu fur cette
nappe d'eau , puis s'enfonçoit lentement dans
- le bois , fuivant toujours les bords du lac . On
la voyoit tour-à- tour briller & difparoître ,
jufqu'à ce qu'enfin , fortie de la fombre épaiffeur
de la forêt , elle s'arrêta.
Suppofant que ce pouvoit être quelque
rejouillance de noces , Wolmar tourna fon
cheval vers cette forêt . D'abord il fut faifi de
voir que cette clarté venoit d'une torche
funèbre qu'une perfonne vêtue de deuil por.
toit à la tête d'un nombreux convoi . Plufieurs
affiftans en manteaux noirs , tenant
auffi des flambeaux à la main , récitoient
quelques chants lugubres , & tous , ils fembloient
rendre à leur ami les triftes honneurs
de la fépulture .
es
Qui enterrez- vous là , dit Wolmar aux
" Folfoyeurs L'un d'eux , avec un accent
plus touchant qu'on ne doit l'attendre des
perfonnes qui exercent cette profeſſion , répondit
en foupirant : « Vous, Monfieur, vous
» n'avez pas connu la plus aimable ......... La
Roche s'écria le Philofophe. » Hélas , en
effet , c'étoit elle- même!
La furpriſe & la douleur de Wolmar attirèrent
l'attention d'un jeune Miniftre. « Je
114
MERCURE
39
"
» m'apperçois , Monfieur , lui dit - il en s'ap
prochant de lui , que vous connoiffiez auffi
" Mile la Roche ? Si je la connoiffois
grand dieu ! Quand ? ...... comment ?......
» où eft elle ?.... où eft fon père ?.... C'eft
» la douleur qui a brife fon coeur fenfible !
» Un bon jeune homme, fi beau , fi aimable ,
» fi digne d'elle , le jour même qu'elle al-
"
loit l'époufer, a été tué en duel par un
» Officier François , fon intive ami , qui ,
» dans fon défefpoir , s'eft plonge for fon
épee. L'on n'efpère pas non plus qu'il en
» guériffe ; fa famille eft là défe fpérée , il
» refufe tous les fecours , les cris de fa dou-
» leur font affreux ; le père & la foeur
» font aufli là près de fon lit ; & c'eft
encore la Roche qui les confole . Et moi ,
pauvre orphelin , dont ils ont élevé l'enfance
, je n'ai plus l'efpoir d'être recon-
» noiffant ! ...... moi qu'ils ont fantei-
» mé ! ..... Le refpectable la Roche ſupporte
"
la perte de fa fille avec une réfignation qui
» tient de l'héroïfme. Affez calme pour être
» en ce moment dans le temple , il y va
donner quelques exhortations à fes Paroiffiens
, comme il eft ici d'ufage dans ces
» triftes circonftances. Suivez- moi , Mon-
» fieur , vous allez l'entendre. Wolmar
fuivit le jeune homme fans proférer une
parole.
"
33
Le temple , tendu de noir , étoit fombrement
éclairé. Les Paroiffiens , comme infenfibles
, fembloient refpecter la deul ar
DE FRANCE.
d'un père. Une lampe funèbre , placée à l'un
des côtés de la chaire de ce vénérable vieillard
, lançoit tous les rayons de fa lumière
fur la tête , à peine couverte de quelques
cheveux blancs. Il la tenoit cachée dans fes
mains ; quelquefois , dans le filence du recueillement
, il la foulevoit en tournant
vers le ciel fes yeux à demi fermés . De
groffes larmes , qu'il s'efforçoit de retenir ,
rouloient dans fa paupière , & l'on diftinguoit
fur fes pâles joues la profondeur des
fillons que l'âge y avoit traces ; à chaque foupir
qui lui echappoit , les Paroiffiens attendris
lui répondoient par des fanglots & des
cris étouffes . Le coeur de Wolmar étoit déchiré.
30
Le vieillard fe lève. Erre Éternel , par- K
donne , pardonne ; j'ai peut être un droit
» à ta clémence ! ..... Oh ! mes amis , c'eft
» dans ces jours de nos malheurs qu'il eft
» grand d'élever fon âme à Dieu ..... Quelle
» eft vaine & défefpérante la fageffe des
" fages du monde ! à les en croire ils veulent
» nous rendre heureux , & ils étouffent la
fenfibilité , fource unique des vrais plai-
» firs , des plaifirs purs.... Si ma fille n'eût
» pas été fi fenfible..... ( fes yeux fe remplif
foient de larmes ) non , je ne rougirai
point d'avoir un coeur fenfible. »
99
"3
" Vous voyez un vieillard qui pleure fon
feul enfant , fa feule efpérance fur la
» terre. Et quel enfant, ô ciel ! je fais qu'il
116 M-ER CURE
» ne convient pas à fon père de parler de
» fes vertus. Cependant , puifque c'étoit
» envers moi qu'elles étoient exercées , ne
» dois je pas les publier au moins par récon
» noiffance ? Ces derniers jours de fête ,
» vous l'avez vûe là , dans ce faint temple ,
" fi belle & fi heureufe ! Vous , qui êtes
pères , jugez quelle étoit alors ma féli-
» cité ! .... jugez de ma douleur !
"
ود
99
"
Que ne puis- je vous faire fentir com-
> bien il eft doux d'épancher fon coeur quand
" il eft rempli d'amertume , de verfer dans
» le fein d'un ami fon âme toute entière ! .....
» Hélas ! nous ne fommes pas de ceux qui
» meurent fans eſpérance !..... Levez- vous ?
» effuyez vos larmes. Ne pleurez donc pas
fur mon fort ; je n'ai point perdu mon
enfant ! ...... Quelques jours encore , &
» nous ferons tous réunis ..... Et vous tous
» n'êtes vous pas auffi mes enfans ? .... Voulez
vous que je ceffe de verfer des larmes
» fi dans ma douleur affreufe je n'ai plus
» rien pour me confoler ? O ma fille ! ..... ô
» mes enfans ! vivez comme elle a vécu ! ....
" Quand votre mort fera venue, que ce puiffe
» être la mort du jufte , & que votre heure
» dernière foit femblable à la fienne? »
"
L'auditoire fondoit en larmes ; mais le
vieillard n'avoit plus de larmes à répandre ,
& fur fon front radieux brilloit la lumière
de l'efpérance.
Wolmar le fuivit jufques dans fa maiſon.
DE FRANCE. 117
La Roche , attendri par fa prefence imprévue
, faillit fuccomber à fa douleur . L'enthoufiafme
de la chaire étoit paffe . Comme
il preffe en fanglottant fon ami contre fon
fein ! ils s'embraffent ; leurs larmes fe confondent.
un
19
&
Les yeux troublés de pleurs ils erroient en
filence dans toute la maifon , lorfque le hafard
conduifit leurs pas dans la grande faile
où l'on célébroit l'Office du foir. Les rideaux
de l'orgue étoient ouverts.... La Roche , effrayé
, recule , fe couvrant la tête d'un pan
de fa robe , & s'écrie d'une voix fi gémiſfante
, fi douloureufe : Où es - tu , ma fille ?...
» ma fille ! qu'il arracha au Philofophe
cri involontaire. Wolmar revient à
lui - même , fait un pas en avant
ferme doucement les rideaux. Le vieillard
effuya fes pleurs ; & ferrant avec tranſport
la main tremblante de fon ami : « Vous
" voyez ma foibleffe , c'eft la foibleffe de
» l'humanité ; mais en me voyant fouffrir ,
» connoillez vous auffi le fentiment qui me
" confole?- Je viens de vous entendre dans
» le temple. - O mon ami ! s'il y a des
» hommes qui doutent de l'exiftence d'un
» Dieu confolateur , qu'ils penſent donc ,
» par pitié , combien cette efpérance eft
-
douce aux malheureux ? Puifqu'ils ne peu-
» vent nous rendre notre bonheur , qu'ils
» ne nous enlèvent pas au moins ce qui nous
» confole dans nos peines. C'eft ôter l'âme
» à la vertu . »
"
J
118
MERCURE
Au fouvenir de cette fcène attendriffante ,
Wolmar répand toujours des larmes.
( Par M. N. de Bonneville. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Charmante ;
celui de l'Enigme eft Secrétaire ; celui du
Logogryphe eft Soulier , où l'on trouve lis ,
Louis , Sire ,fou , oeil ,foeur ,jeu , oie , joue.
A Madame I ** , qui me prioit de lui
faire fur le champ une Charade.
UNE Charade , Églé ? vous n'avez qu'à vouloir,
En mufique ailément mon premier fe fait voir ;
Vous êtes mon fecond fans art & fans parure ;
Ne foyez pas mon tout , l'Amour vous en conjurè,
( Par M. Berthier, Officier au Rég, de Picardie. )
DE FRANCE.
119
ÉNIGM E.
Tour mon mérite à moi , c'eſt la malignité ,
OU
Et fouvent mes bons mots ont un trifte falaire ;
Mais celui que j'ai maltraité
Ne s'enprend jamais qu'à mon père.
( Par M. Philoſphinx. 】
LOGO GRYPH E.
Au milieu des combats fignalant ma valeur ,
Je fais braver la mort pour voler à la gloire .
Décomposé par toi , Lecteur,
Dans mes huit pieds , fans ufer de grimoire ,
Je t'offre un terme de mépris ;
Un meuble que chérit l'Avare ;
Un métal fort comman ; un autre bien plus rare;
Ce qu'eft un riche dans Paris ;
Un ton de la mufique ; une longue prière ;
Puis un arbre de ton parterre.
(Par M. Gratton , Capitaine de Canonniers . )
1
120 MERCURE
!
NOUVELLES LITTERAIRES.
L'HONNEUR FRANÇOIS , ou Hiftoire.
des Vertus & des Exploits de notre Nation
depuis l'établiffement de la Monarchie
jufqu'à nos jours , par M. de Sacy , Cenfeur
Royal , Membre de l'Inftitut Royal
d'Hiftoire de Gottingen , des Académies
de Caën , d'Arras , & c. Tomes XI & XII .
A Paris , chez Nyon l'aîné , Libraire , rue
du Jardinet , quartier Saint - André - des-
Arcs.
Nous avons parlé avec de juftes éloges
des précédens Volumes de cet Ouvrage national
, qui eft enfin terminé. La critique
obfervera fans doute à M. de Sacy que dans
ces derniers Volumes il a excédé les bornes
de fon plan. En effet , parmi les victoires &
les faits glorieux qui en compofent le récit ,
on rencontre nombre de défaites & d'événemens
défaftreux , & les défaites & les
événemens défaftreux ne femblent pas devoir
entrer dans un Ouvrage intitulé l'Honneur
François. Affurément l'objet de M. de Sacy
n'étoit pas de confacter le menfonge ; il
n'avoit ni le droit ni le projet d'altérer les
faits historiques ; mais fon but étant moins
de rendre un hommage à la vérité que d'elever
un trophée à l'orgueil national ; en un
inot ,
DE
FRANCE.
121
፡
mot, cherchant plus à nous infpirer l'eftime.
de nous mêmes qu'à nous inftruire & nous
entretenir de notre Hiftoire , c'étoit uniqueinent
des traits qui honorent la Nation qu'il
devoit compofer les ſujets de ſes tableaux.
1 Ainfi on peut faire à M. de Sacy le reproche
de s'être quelquefois écarté de fon
fujet , quoiqu'il ne l'ait pourtant pas perdu
de vûe; mais quel attrait pour cet Hiftorien.
de pouvoir donner aux François une hiftoire
complette de leurs Colonies , Ouvrage
qui leur manquoit ! Si l'on ajoute que nous
n'avions pas de Mémoires fur l'Hiftoire de
France depuis 1762 , & qu'on defiroit un
tableau des principaux événemens de la
dernière guerre , n'eft ce pas établir finon
une juftification , au moins une excuſe pour
l'Historien, & un motif de
reconnoiffance
pour les Lecteurs ?
Avec quelle douce
fatisfaction on parcourt
cette foule d'événemens , dont plufieurs
font affez récens pour
appartenir à
notre âge, & font pourtant affez éloignés de
nous pour avoir acquis la fanction de l'antiquité
! Avec quel intérêt on retrouve les
noms de M. de la Bourdonnaye , cet homme
fi eftimable quand il n'auroit pas été perfécuté
de M. Dupleix , fon digne rival ; du
Maréchal de Lowendal ; des Marquis de
Vaudreuil & de Moncalm ; de M. de Chevert
; de M. de Lally , qui a excité & mérité
peut être à- la- fois
l'indignation & la pitié ,
&c. &c.; enfin des
Washington , des la
Nº. 51 , 18 Décembre 1784 ·
F
122 MERCURE
Fayette , des d'Estaing , des la Motte-Piquet,
des Crillon , des Suffren , &c.
Si M. de Sacy rapporte quelquefois des
faits étrangers à fon plan ( dans fes derniers
Volumes) , au moins n'oublie til aucun de
ceux qui peuvent y entrer avec avantage ,
de ceux qui honorent la Nation. C'est dans
cet efprit qu'il n'a pas manqué de rapporter
la lettre que nous allons tranfcrire ici . Elle
eft écrite par le Chef des Marates à M. de la
Bourdonnaie , & honore également cet eftimable
Guerrier & la Nation Françoife . » Elle
" eft donc prife , cette ville de Madras , fi
célèbre par fa beauté , par fon commerce ,
fi redoutée pour le courage & le nombre
de fes habitans ! elle a été prife par les
François en fi peu de jours ! j'ai peine à
le comprendre , & ne puis attribuer un
fuccès fi prodigieux qu'à la valeur plus
qu'humaine du Général & des Soldats qui
» ont planté leur pavillon fur la tête des Anglois
. La Bourdonnaie , le foleil éclaire le
» monde depuis fon lever jufqu'à fon coucher
; mais dès qu'il difparoît , il eft ou
blié , on n'en parle plus. Il n'en eſt pas
ود
"
و د
و د
33
>>
32
ود
و د
de
» même des exploits des François . La nuit .
» comme le jour , nous ne ceflons de parler
d'eux & de leur invincible Chef. »
Ce témoignage rendu au courage des François
par te vaillant Chef d'un des plus vaillains
peuples cornus , devoit trouver place
dans cet Ouvrage.
Les portraits font une des qualités ( au
DE FRANCE. 123
93
و د
و د
•
Ci
moins brillantes ) d'un Hiftorien. Le fuivant
fera juger de la manière & du ftyle de l'Auteur
de l'Honneur François . C'eft du Comte
de Saxe qu'il parle. Son plus bel éloge eft
» l'hiftoire de fa vie . La Nature fembloit
» l'avoir préparé aux fatigues de la guerre
» par une force plus qu'humaine . On peut
le placer à la tête des célèbres batards qui
» ont illuftré le fang dont ils fortoient , &
qui, par des victoires , fe fout vengés d'un
odieux préjugé , & ont légitimé leur naif-
» fance. Si un injufte opprobre entoura fon
berceau , la gloire accompagna fes pas
dans la jeuneffe & dans l'âge mûr , & cette
gloire eft fon ouvrage. Si fa naiflance fut
» une faute , ce ne fut point la fienne ; mais
fa vic eft à lui . C'est par l'étude profonde
de la tactique ancienne qu'il perfectionna
la tactique moderne ; c'eft par une vigilance
continuelle qu'il garantit les camps
» de toute furprife. C'est par des plans adap
tés à tous les cas poffibles , qu'il fe trouva
toujours en état de recevoir l'ennemi &
» de le vaincre , c'eft par fa bonté familière ,
vertu peu cultivée dans les Cours d'Alle
» magne , qu'il acquit la confiance & l'amour
و د
"
"
99
י נ כ
ود
des Soldats. Il donna peu au hafard & ne
» lui dut rien , &c. »
篡
Quelquefois par une Anecdote , par un
mot , M. de Sacy peint fes perfonnages . Il y
a de la précision & tout ce qu'il falloit dire
dans ce qu'il dit de M. de Chévert. Il n'étoit
que Lieutenant lorfqu'une Compagnie de
Fij
124
MERCURE
22
33
"
ود
fon Régiment vint à vaquer. Le Colonel
» la demanda pour un de fes Favoris ; l'an-
» cienneté de M. de Chévert lui donnoit deş
» droits ; il court à Verfailles ; & , perfuadé
qu'on lui a nui dans l'efprit du Miniftre :
Ecrivez , lui dit il , à mon Colonel que
» vous avez befoin d'un Officier habile &
» brave , pour un coup auffi important que
difficile. Le Colonel nomma Chévert , &
il fut Capitaine . Il étoit fier de l'obfcurité
» de fa naiffance comme un autre de fa nobleffe.
On prétend que tant qu'il ne fut
que Légionnaire , quelques parens orgueilleux
de leur opulence n'avoient pas voulu
» le reconnoître. Lorfqu'il fut parvenu aux
premiers grades , des Gentilshommes pré-
» tendirent lui être attachés par les liens du
fang. Un , entre autres , vint en qualité de
parent réclamer føn crédit à la Cour : Êtes-
" yous Gentilhomme , lui dit Chévert ? - Si
je le fuis ? Pouvez- vous en douter ? - En
» ce cas , Monfieur , nous nefommes point
» parens ; car je fuis le premier & le feul
» Gentilhomme de ma famille,
ود
و د
"
ود
"
M. de Sacy coupe fouvent fon récit par des
réflexions philofophiques , genre de beauté qui
donne de l'intérêt à la narration , quand il n'y
mêle point de la prétention ou de la féchereffe.
L'air de Sainte- Lucie , dit- il , eft
contagieux ; cette Ifle fut toujours le tom-
" bean de fes Conquérans & de fes- Cultivateurs
; mais fa fituation la rend importante
; & telle eft dans le fyftême politi-
و ر
ar
DE FRANCE. x25
» que actuel , la trifte condition des hom-
» mes , qu'ils font fouvent obligés de fe dif-
» puter au prix de leur fang , des contrées
» où les maladies détruifent ce que la guerre
» a épargné , &c. »
C'eft avec ce même efprit de véritable
philofophie , que M. de Sacy parle du Pilote
Bouffard , furnommé le Brave Homme. « M.
» le Comte de Béhague , dit- il , eut le même
" courage & le même bonheur. Je ne crains
point d'affocier à ce nom celui de Bouffard
; l'un étoit illuftre , l'autre eft illuftré.
» Une même gloire a placé fur la même
ligne le Commandant de Belle- Ifle & le
» Pilote de Dieppe. »
"
"
"
Nous allons terminer cet article par une
Anecdote bien honorable pour notre jeune
Monarque ; il s'agit de l'ordre donné à tous
Les Sujets de refpecter , pendant la guerre ,
le vaiffeau du célèbre Cook. Voici dans quels
termes étoit conçue la lettre du Miniftre :
" Le Capitaine Cook , qui eft parti de Ply-
» mouth au mois de Juillet 1778 , à bord
» du vaiffeau la Réfölution , dans la vûe de
faire des découvertes fur les côtes , les
» Ifles & dans les mers au Nord du Japon &
» de la Californie , eft fur le point de reve-
» nir en Europe , ayant encore fous les or-
» dres un autre vaiffeau nommé la Décou
" verte, commandé par le Capitaine Clarke;
» & comme les découvertes de cette nature
» font d'une utilité générale pour toutes les
Nations , la volonté du Roi eft que le Ca-
93
Fiil
126 MERCURE
pitaine Cook foit traité de même que s'il
» commandoit un bâtiment des Puiffances
neutres & amies , & qu'il foit ordonné à
» tous les vaiffeaux en courſe , qu'en cas
qu'ils rencontrent fur mer ce fameux
Voyageur , ils lui faffent part des ordres
qui ont été donnés à fon fujet ; mais qu'ils
» lui fignifient en même temps qu'il ait de
» fon côté à s'abftenir de toutes hoftilirés. »
و د
TRADUCTION nouvelle de l'Énéïde , avec
des Notes & des Difcours Préliminaires ,
par M. Leblond. 2 vol. in - 12 . avec le texte.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Foin an
Marais , Lefclapart , Pont Notre Dame ;
Belin , rue S. Jacques ; Nyon , rue du Jardinet
; Royez , quai des Auguftins , &
Durand , rue Galande.
Nous avons annoncé l'année dernière une
Traduction que M. Leblond avoir déjà publiée
des Georgiques. Ne croyant pas lui devoir
une indulgence humiliante, nous avons
parlé des fautes que nous avions cru appervoir
dans fon Ouvrage , nous avons été févères
par eftime pour fon talent. Soit que
d'après le jugement du Public , M. Leblond
ait donné plus de foins à fa Traduction , foit
que fon talent pour traduire ait acquis plus
de forces en s'exerçant , les deux volumes
qu'il vient de publier , & qui renferment
Énéide, méritent plus d'éloges que le premier.
Nous allons citer au hafard un morDE
FRANCE. $ 117
ceau avec le texte , afin de mettre nos Lecteurs
à portée de prononcer fur le mérite
de la Traduction. C'eft Didon qui parlerà
Énée :
Diffimulare etiam fperafti , perfide , tantum
5
Poffe nefas , tacitufque mea defcendere terra ?
Nec te nofter amor nec te data dextera quondam ,
Me moritura tenet crudeli funere Dido?
Quin etiam hyberno moliris fidere claffem ,
Et mediùs properas aquilonibus ire per altum
Crudelis ! quid , fi non arva aliena , domofque
Ignotas peteres , & Troja antiqua maneret ,
Troja per undofum peteretur claffibus aquor ?
Mene fugis ? Per ego has lacrimas , dextramque
tuam , te
( Quandò aliùd mihijam miſera nihil ipfa reliqui )
Per connubia noftra , per inceptos hymenaos ;
Si bene quid de te merui , fuit aut tibi quicquam
Dulce meum , miferere Domus labentis , & iftam ,
Oro , fi quis adhuc precibus locus , exue mentem ,
Te propter Libyca gentes , Nomadumque Tyranni
Odere , infenfi Tyrii ; te propter eundem
Extinctus pudor , & quà folâ fydera adibam ;
Fama prior : cui me moribundum deferis , hofpes ?
( Hocfolum nomen quodiam de conjuge reftat . )
Quid moror ? An mea Pygmalion dùm maniafrater
Deftruat ? &c. &c.
"Perfide ! as tu donc efpéré me cacher cette
horrible trahifon ? As- tu imaginé pouvoir à
Fiv
#28 MERCURE
>
mon infçu fortir de mes États ? Quoi, ni
mon amour , ni les gages que j'ai reçus de
ta tendreffe , ni la mort cruelle qui attend
une amante malheureuſe , n'ont pu t'enchaîner?
Er c'eft au milieu des rigueurs de
l'hiver que tu prépares ta flotte ; & pour me
fuir tu vas braver les aquilons furicux ?
Cruel ! fi tu ne cherchois pas des demeures
étrangères , des contrées inconnues ; fi Troye
fubfiftant encore , te rappeloit dans fon fein ,
irois - tu chercher Troye au milieu d'une mer
oragcufe : Eft ce moi que tu fuis ? Ah ! je
t'en conjure par ces larmes , par ta main
puifque ce font les feuls gages qui restent à
une amante infortunée ; je t'en conjure par
les liens qui nous uniffent , par notre hymen
commencé. Si mes bienfaits t'ont prévenu
fi jamais Didon a eu pour toi quelques charmes
, prends pitié d'une maiſon qui va périr
& fi ma prière a encore des droits fur ton
coeur , renonce à cette funefte réfolution.
Pour toi je fuis devenu en horreur à toute la
Lybie , au Roi des Nomades , à mes Tyriens
mêmes , je t'ai facrifié ma pudeur , & , ce qui
m'égaloit prefque aux Dieux , la renommée
de ma vertu ô toi que j'ai accueilli , cher
Hore ! ( puifque c'eft le feul nom que je
peux encore donner à mon époux ) en quelles
mains me laiffes - tu mourante ? Que me
refte-t'il à attendre dans mon infortune ?
Que Pygmalion vienne , renverfer ces murailles,
&c. &c. »
Cette tirade ne mérite aucun reproche ,
DE FRANCE 129
& laiffe bien peu à defirer. Les gages que
j'ai reçus de ta tendreffe , rendent un peu
vaguement , data dextera , ma main ou ta
main donnée. O toi que j'ai accueilli , eft
ajouté au latin , & n'étoit pas néceffaire , &
quid moror , eft un peu paraphrafé par ces
mots : Que me refte- t'il à attendre dans mon
infortune ? A cela près , tout le reste mérite
des éloges. Citons encore un autre morceau
moins long & d'un autre genre : le Portrait
célèbre de la Renommée :
Extemplo Libya magnas it fama per urbes ,
Fama , malum quo non aliùd velocius ullum ;
Mobilitate viget , virefque aquirit eundo ;
Parva metu primò , mox fefe attollit in auras ,
Ingrediturque folo , & caput inter nubila condit.
Illam terra Parens , ira irritata deorum ,
Extremam ( ut perhibent ) Cao Enceladäque fororem
Progenuit , pedibus celerem & pernicibus alis :
Monftrum horrendum , ingens : cui quotfunt corpore
pluma ,
Tot vigiles oculi ſupter ( mirabile diu )
Tot lingua , totidem ora fonant , tot fubrigit aures ;
Nocte volat coeli medio terraqueper umbram
Stridens , nec dulci declinat lumina fomno .
Lucefedet cuftos , aut fummi culminė tecti ,
Turribus aut altis , & magnas territat urbes ;
Tamfuti , pravique tenax , quàm nuntia veri.
Auffitôt la Renommée vole au milieu des
Fv
130 MERCURE
villes de Libye , la Renommée , fléau le plus
agile de tous , qui s'accroît par la célérité &
fe fortifie dans fa courfe. D'abord , humble
& craintive , bientôt elle s'élève d'un vol audacieux
; de fes pieds elle touche la terre ,
& cache dans les cieux fa tête fuperbe. On
dit que la Terre , pour braver les Dieux , la
donna pour dernière foeur á Cée & à Encelade
, & la doua de la rapidité de la courle
& de la légèreté du vol . Monftre horrible ,
énorme , qui cache fous les plumes dont il
eft couvert , autant d'yeux toujours ouverts ,
autant de langues & de bouches toujours
bruyantes , & autant d'oreilles toujours at
tentives la nuit , aumilieu des airs , elle fait
retentir les ombres du bruit de fes aîles.
Jamais le paifible fammeil n'approche de fes
paupières ; le jour , fixée tantôt fur les toits ,
tantôt fur de hautes tours , elle porte partout
fes avides regards , jette l'effroi dans lès
villes , & fe charge également d'annoncer le
* bien & le mal , la vérité & le menſonge , &c.
Nous ne croyons pas qu'il foit élégant de
traduire mobilitate viget , par s'accroît par
la célérité; d'ailleurs s'accroît ne peut fe dire
que d'une chofe & non d'une perfonne ; on
me dit pas qu'un homme s'accroít ; or , la
Renommée eft ici perfonnifiée..
Autant d'oreilles toujours attentives , rend
bien le fens de tot fubrigit aures; mais on y
cherche en vain l'image de fubrigit aures ,
qui fignifie dreffe autant d'oreilles .
M. Leblond a bien voulu conferver l'ima
DE FRANCE 13.1
و
ge de ftridens per umbram ; mais on ne peut
pas dire fait retentir les ombres comme on
dit fait retentir les airs ; & la raifon de cette
différence fe fait fentir fans qu'on la dife.
Ces obfervations prouvent combien il eft
difficile de traduire un grand Poëte d'une
manière abfolument irréprochable ; car ces
deux morceaux méritent des éloges comme
le refte de la Traduction de M. Leblond. S'il
n'a pas toujours dans fon ftyle cette chaleur
qu'on defireroit , il fait être fidèle fans un
air de contrainte & de gêne ; & fon expreſfon
eft prefque toujours propre , & jamais
familière , fes notes annoncent un bon Littérateur.
Enfin , nous croyons que cette Traduction
doit être accucillie , & peut être
utile dans les Colléges .
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL
ΑυU Concert du 8 de ce mois , M. Sallenin
a fait entendre un Concerto de hautbois
d'un très joli ftyle , & qu'il a exécuté avec
une perfection étonnante ; on a admiré la
jufteffe & le moelleux de fonembouchure, le
brillant de fes doigts , la fenfibilité de fon
expreffion. Nous rendons juſtice avec plaifir
à ce jeune Artifte , dont nous avons vu les
Ev
132 MERCURE
progrès rapides , & qui eft aujourd'hui le
plus charmant Hautbois que nous ayons. Il
joue de la flûte à l'Opéra. M. Bertheaume a
exécuté un Concerto de Violon d'une manière
digne de la réputation qu'il s'eft acquife
. Mlle Windling eft une jeune Élève de
M. Raff , dont la voix douce , légère & facile
, malgré fa timidité , mérite des encouragemens.
L'Oratorio de Mlle Beaumenil a
eu un fuccès complet , & qui eût été plus
grand encore fi l'exécution des choeurs eûr
répondu au mérite de la compofition . On y
a trouvé ce qu'il étoit impoffible que Mile
Beaumenil n'y mit pas , de l'efprit , de la
grâce , de la fenfibilité ; & même dans le
dernier morceau , ce que les femmes n'ont
pas ordinairement lorfqu'elles compofent ,
de la force & de l'énergie.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 26 Novembre , on a joué ,
pour la première fois , la Fauffe Inconftance ,
Comédie en un Acte & en vers , par M. R...
Un Chevalier & un Marquis aiment une
Comteffe , qui n'a pas encore prononcé entre
les deux Rivaux , quoiqu'elle ait fu apprécier
chacun d'eux à fa jufte valeur. Le
Chevalier eft un de ces jeunes fats devenus.
fiers d'avoir fubjugué quelques beautés furan
nées ou quelques vertus plus qu'équivoques ;
qui ne parlent d'eux , ne penfent à eux &
DE FRANCE. 133
ne jettent les yeux fur leurs perfonnes qu'avec
une douce complaifance ; en un mot , il a
cette espèce de fatuité qui , aujourd'hui , ne
paroît pas même digne d'obtenir un ridicule.
Le Marquis eft un homme honnête , timide
& fenfible. Entre deux amans d'un caractère
fi oppofé , le choix n'eft pas difficile ;
aufli la Comteffe fe détermine t'elle à éloigner
l'un & à époufer l'autre. Elle écrit au
Chevalier pour lui donner fon congé. Celuici
eft d'abord furieux ; enfuite il fe propofe
d'égayer l'aventure ; & voici cominent. La
lettre de la Comteffe lui eft arrivée fous enveloppe
, & ne contient rien qui lui foit perfonnel
. En conféquence il fait une nouvelle
enveloppe , contrefait l'écriture de la Comteffe
, & fait remettre l'épître au Marquis.
On peut juger de la douleur , des tranſports
de ce dernier. Il ne doute pas que le Chevalier
ne foit l'amant préféré , & il s'en explique
avec lui dans des termes & avec ce
ton d'humeur qu'infpirent l'amour jaloux
& l'amour propre humilié. Quelle est fa
furprife , lorfqu'il voit fon rival époufer fon
reffentiment , blâmer la Comteffe , & déclarer
qu'il renonce à la voir jamais ! Néanmoins
, comme il imagine que le Chevalier
peut feindre , il lui demande s'il pourra fe
déterminer à le fuivre à Paris , où il veut fe
rendre à l'inftant ; ( car la Scène fe paffe à
la campagne ) . Le perfide accepte la propofition
avec un empreffemenr qu'il eft facile
de deviner , & fort afin de tour difpofer
-
134
MERCURE
pour un prompt départ . D'un autre côté la
Comteffe , après avoir fignifié au Chevalier
le congé le plus abfolu , a fait dreffer un
contrat de mariage au nom du Marquis &
au fien . Le jour même , fon Notaire doit
venir en faire la lecture & recevoir la fignature
des parties. Le Marquis ignore tout
cela. Franche & fenfible , la Comteffe
vient parler à fon amant de leur prochain
bonheur. La nature des reproches qu'elle
.effuie brife fon coeur , confond fa raifon &
réveille fon orgueil. Heureufement le Notaire
apporte le contrat ; ce qu'il dit éclairepeu
- à- peu le Marquis , & amène une explication
, par le moyen de laquelle tout le
découvre. Le Chevalier ne rentre que pour
être témoin du bonheur des deux amans .
Afin d'être exacts autant qu'il eſt poſible de
l'être , nous devons ajouter que la Comteffe
a une Suivante qui a pour amans le Valet du
Marquis & celui du Chevalier ; que ces rivaux
fubalternes jouent exactement les mê
mes rôles que les premiers , & que les Scènes
qui en réfultent offrent tout fimplement la
caricature de celles qui mettent leurs Maîtresen
jeu ; moyen ufe , rebattu , toujours fufceptible
de produire quelque impreffion ,
quoi qu'il annonce moins la connoiffancedes
effets comiques , que l'impuiffance d'en
varier les motifs & d'en multiplier les caufes.
Cette petite comédie a été écoutée avec:
indulgence , elle a même obtenu des applau
diffemens , parce qu'on y remarque de l'ef
DE FRANCE. 135
prit & des détails agréables . Aujourd'hui
c'eft à peu près tout ce que demande la
plus grande partie des Spectateurs , & c'est
à peu près auffi tout ce qu'on lui donne..
Ce qui faifoit autrefois dans les Ouvrages
Dramatiques la matière d'un fimple incident,
fait maintenant la matière première de nos
Comédies modernes. Puifque le Public s'en
contente , il ne faut pas être plus difficile
que lui , fur- tout quand fon fuffrage ne
s'arrête que fur des productions éphémères
où la décence n'eft point bleffée , & dans
lefquelles les moeurs font refpectées . La
Fauffe Inconftance n'eſt donc qu'une bluctte
dont une anecdote récente a fourni le
fonds. L'Auteur l'a diftribuée en Scènes à
fa manière , fans y rien ajouter du fien , que
de l'efprit dans quelques détails , comme
nous l'avons déjà dit ; mais depuis que tous
les matins un quart de la ville fe réveillepour
travailler à donner aux trois autres.
quarts une manière quelconque de penfer
& de s'expliquer furtout depuis l'orthographe
jufqu'à la Chimie , l'efprit eft devenu
, comme les fuccès , une marchandife
bien commune.
136 MERCURE
*
ANNONCES ET NOTICES.
V
INAIGRES & autres objets d'agrément & dutilité.
A Paris , chez le ficur Maille , Vinaigrier- Diftillateur
du Roi , rue S. André- des- Arcs.
Rendre une juftice publique aux hommes qui ,
par leur induftrie & leurs travaux s'élèvent au-deffus
de l'état qu'ils exercent , & en reculent les bornes
par des découvertes utiles , c'eft tout-à- la- fois un
acte de juftice & de reconnoiffance. C'eft un tribut
que nous avons déjà payé , & que nous fommes
jaloux de payer encore à M. Maille , qui a porté
fon Art à un degré inconnu juſqu'à lui. Il débite
avec le plus grand fuccès , & il envoie dans les
pays les plus reculés , plus de 200 fortes de Vinaigres
de fa compofition . Nous nous contenterons de citer
le Vinaigre Romain , qui prévient la carie des dents.
& l'haleine forte , le véritable Vinaigre des Quatre-
Voleurs , fi connu par fa vertu anti - putride ; le Vinaigre
Storax , ou Crême de Vinaigre , propre à
donner de la blancheur au teint & à garantir la
peau des rides ; le Vinaigre de Rouge , qui , à l'avantage
du rouge ordinaire joint celui de cacher le be--
foin qu'on a d'en ufer , en imitant les couleurs naturelles.
Ce Vinaigre n'eft compofé que de fimples
ce qui doit raffurer contre la crainte de tout inconvénient
pour la peau & pour la farté , & on l'enlève
facilement en fe frottant le vifage avec un linge
trempé dans du Vinaigre de Mille Pertuis . Parmi
les Vinaigres pour la Toilette , nous ne parlerons
que du nouveau Blanc de Vinaigre & de celui qui
fert à ôter. le feu du razoir. Enfin cet habile Artiſte
ne laiffe rien à defirer pour la table ; & l'on trouve
dans fon maga in plufieurs efpèces de Moutardes
>
DE FRANCE. 137
"
fines , qui acquièrent plus de vogue & d'eftime de
jour en jour.
Après ces éloges donnés aux talens variés de M.
Maille, nous en devons à fa bienfaifance qui l'engage
à diftribuer gratis aux Pauvres de la Moutarde
pour les angelures . Cette diftribution fe fait tous les
Dimanches , depuis le premier Novembre juſqu'à
Pâques.
PORTRAIT de M. Necker , ancien Directeur-
Général des Finances , gravé par Aug. de Saint-
Aubin , Graveur du Roi & de fa Bibliothèque ,
d'après le tableau criginal de J. S. Dupleffis , qu'on
a vû au Sallon en 1783 , de 12 pouces de haut fur
9 pouces de large. Prix , 4 liv. A Paris , chez l'Aurue
des Prouvaires , la porte- cochère vis- à- vis
le magafin de Montpellier.
-teur ,
Ce Portrait réunit tous les genres d'intérêt ; l'eftime
qu'on a pour le perfonnage qu'il repréfente
une parfaite reflemblance & une grande fupériorité
de burin. C'eft une des meilleures têtes que la gravure
nous ait données depuis long temps . Les perfonnes
qui fe font fait infcrire pour des épreuves de
choix , peuvent les faire retirer. Le même Artiſte
travaille au même Portrait in-4° . pour les perfonnes
qui defireront le placer à la tête du Compte Rendu .
Dès qu'il fera terminé , les Amateurs feront avertis
par de nouvelles annonces.
ANALYSE raifonnée des Rapports aes Commiffaires
chargés par le Roi de l'examen du Magnétifme
Animal , par J. B. Bonnefoy , Membre du Collège
Royal de Chirurgie de Lyon . A Paris , chez Prault ,
Imprimeur du Roi , quai des Auguftins.
Peu de Livres en faveur du Magnétifme , réuniffent
comme celui - ci la clarté à la précifion & à la
décence. Les Partiſans du Magnétiſme trouveront
138 MERCURE
•
dans cet Ouvrage une difcuffion fage & bien raifonnée
du Rapport des Commiffaires , & c'eſt un de
ceux que l'on peut lire avec le plus de fruit & de
-fatisfaction , en attendant que l'on décide le fonds
d'une querelle auf importante.
DOUTES d'un Provincial propofés à MM les
Commiffaires chargés par le Roi de l'examen du Magnétifme
Animal. A Paris , chez Prault , Imprimeur
du Roi, quai des Auguftins.
Cette Brochure , qui eft remplie de farcafmes
très- piquans contre la Médecine , eft d'un ancien
Malade qui croit avoir été foulagé par le Magnétifime
des maux que la Médecine ordinaire n'avoit
fait qu'aigrir . Ses Doutes annoncent un homme de
beaucoup d'efprit & une imagination vive. Son Ouvrage
fera lû avec plaifir , même par ceux qu'il ne
perfuadera point.
OBSERVATIONs fur le Gouvernement & les
Loix des Etats- Unis de l'Amérique , par M. l'Abbé
de Mably.
ble
La première Edition de cet Ouvrage , remarquapar
le nom de fon Auteur , eft épuisée. Celle que
nous annonçons fe vend chez Hardouin , Libraire ,
au Palais Royal , nº . 14. Prix , ↑ liv . 16 fols.
VOYAGE autour de la Terre avec le Globe
Aéroftatique , par M. L.... de M.... A Paris , chez
Lefelapart , Libraire , Pont Notre - Dame , & chez les
Marchands de Nouveautés .
Piaifanterie écrite rapidement , & qu'on ne doit
pas juger à la rigueur.
L'ENFANT chéri , peint par J. B. Leprince ,
Peintre du Roi , & gravé par N. Delaunay , Graveur
des Académies Royales de Paris & de CopenDE
FRANCE. 139
hague. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Bucherie ,
n °, 26.
Cette jolie Eftampe eft la feptième faifant fuite
à celles déjà connues & eftimées fous les titres de la
Gaîté Conjugale, la Félicité Villageoife, & c. Ony reconnoîtra
le buin gracieux & le fini qui caractérifent
les productions de cet Artifle .
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Traduction
des Pièces qui ont paru avec fuccès fur les Théâtres
des Capitales de l'Allemagne , par MM. Friédel &
de Bonneville , Volume X. A Paris , au Cabinet de
Littérature Allemande , rue Saint Honoré , au coin
de la rue de Richelieu , chez la Veuve Duchefne ,
Couturier fils , Nyon l'aîné & Barrois le jeune , Libraires
. Le prix des dix Volumes eft de 40 livres
-rendus franc de port par la pofte en s'adreffant directement
à M. Friédel , Profeffeur des Pages du Roi ,
rue Saint Honoré , au coin de la rue de Richelieu.
www --
DISCOURS fur l'Hiftoire Univerfelle , par M.
Boffuet, Collection in - 4° . imprimée par ordre du
Roi pour l'Éducation de M. le Dauphin , tirée à
deux cent Exemplaires fur papier grand raifin vélin,
1 Volume. Prix , 48 liv. broché en carton . Ce Vo
lume eft le cinquicine de la Collection in - 4 ° ..Il a
déjà paru. Télémaque , 1 Vol. Les Euvres
de Racine , 3 Vol . Le même Difcours fur l'Hif
toire Univerfelle , par M. Boffuet , imprimé par
ordre du Roi pour la Collection in 18 de M. le
Dauphin , 4 Vol. Prix , 24 hv. brochés en carton .
Cette Collection fous les formats in-4 °. ,
& in- 18 eft fur papier vélin de la fabrique de MM .
Mathieu Jobannot père & fils , d'Annonay ; & nous
pouvons dire , pour dire beaucoup en peu de mots ,
que ces deux Editions font des plus belles qui foient
forties des Preffes de cet Artifte renommé.
in - 8 .
>
K
140 MERCURE
ETRENNES de la Vertu , pour l'année 1785 ;
contenant les Actions de Bienfaifance , de Courage ,
d'Humanité, &c . qui fe font faites dans le courant
de l'année 1784 , anxquelles on a joint quelques
autres Anecdotes intéreffantes. A Paris , chez Savoye
, Libraire , rue Saint Jacques.
Le Public a applaudi à l'idée de ce Recueil , dont
nous annonçons le quatrième Volume , & nous
avons joint nos éloges à ceux des autres Ecrivains
périodiques. L'année qui eft prête à finir a fourni un
plus grand nombre de belles actions , & c'eſt une
idée confolante pour l'humanité.
TRAITE Elémentaire d'Algèbre , par M. l'Abbé
Boffut , de l'Académie Royale des Sciences , Honoraire
, Affocié libre de l'Académie Royale d'Architecture
, de l'Inftitut de Bologne , de l'Académie Impériale
des Sciences de Saint Pétersbourg , de la Société
Provinciale des Sciences & des Arts d'Utrecht,
Examinateur des Elèves du Corps Royal du Génie ,
Infpecteur général des Machines & Ouvrages Hydrauliques
des Bâtimens du Roi , in 8 ° . A Paris ,
chez Volland , Libraire , quai des Auguſtins.
Pour faciliter l'achat de cet Ouvrage , le Libraire ,
au lieu de 3 liv. 5 f. , l'a mis au prix de 2 liv. 10 fol .
LA Folle Soirée , Parodie de Figaro en un
Acte , profe & Vaudevilles , préſentée à la Comédie
Italienne le 14 Juillet 1784 , par M. l'Abbé B ……….
de B..... , de deux Académies. Prix , 1 livre 10 fols .
A Gattières ; & fe trouve à Paris , chez Couturier,
Imprimeur-Libraire , quai des Auguftins.
C'eft l'Ouvrage d'un homine d'efprit , qui fait
même exprimer fes idées ; mais fa Pièce eft trop
longue , n'étant qu'un dialogue fans aucune espèce
d'action jufqu'à la dix -feptième Scène. Ce qui ôte
auffi de la clarté à fa marche , c'eft qu'il femble
DE FRANCE. 141
confondre fouvent l'Auteur & la Fièce , les Perſonnages
& les Acteurs. Par exemple , on complimente
Figaro de ce qu'il a parfaitement joué ; voilà donc
l'Auteur ; enfuite , & dans la même Scène , le même
Figaro raconte qu'il a été d'abord Barbier à Séville
, &c. , & voilà le Perfonnage revenu. Cela
jette du louche dans le dialogue de cette Parodie ,
où d'ailleurs les mots de la Folle Journée ſont quelquefois
adroitement enchâſſés.
CHEFS- D'OUVRES de l'Antiquité fur les Beaux-
Arts , Monumens précieux de la Religion des Grecs
& des Romains , de leurs Sciences , de leurs Loix ,
&c. , tirés des principaux Cabinets de l'Europe , gravés
en taille- douce par Bernard Picart , & publiés
par M. Poncelin de la Roche- Tilhac , Écuyer , Confeiller
du Roi à la Table de Marbre. A Paris , chez
l'Auteur , rue Garancière , & Lamy , Libraire , quai
des Auguftins.
Voilà la troisième Livraifon de ce grand Ouvrage
, qui comprendra cinq Cahiers pareils , dont
le cinquième fera diftribué gratis aux Soufcripteurs.
Le titre feul en montre l'importance , & le nom de
Bernard Picart eft un préjugé favorable pour les
Gravures. Le prix de chaque Cahier eft de 18 liv .
DIALOGUES des Morts de Lucien , traduits en
François , en deux Parties , avec des Remarques élémentaires
, à l'ufage des Collèges de l'Univerfité,
nouvelle Edition , revue, corrigée & augmentée par
M. l'Abbé Gail , Docteur aggrégé de l'Univerfité de
Paris , in- 12 . Prix , 2 liv, relié, A Paris , chez l'Auteur
, rue de la Harpe , au Collège d'Harcour ;
Brocas , rue Saint Jacques ; Nyon , au Pavillon des
Quatre- Nations ; Colas , Place Sorbonne, & Guillot,
Libraires , rue Saint Jacques.
Cette Traduction eft un des Livres claffiques
1
1
142 MERCURE
adoptés par l'Univerfité , & fon mérite a juftifié fon
fuccès. Cette Édition nouvelle a un avantage particulier
, elle eft divifée en deux Parties , qu'on peut
acheter féparément. La première eft deſtinée aux
Commençans ; elle eft compofée de Dialogues traduits
, avec des explications grammaticales & des
détails qui en facilitent l'intelligence. La feconde ,
qui eft deftinée à des Écoliers plus avancés , n'offre
pas des fecours qui font fuppofés inutiles.
LES Promenades de Clariffe & du Marquis de
Valzé , ou nouvelle Méthode pour apprendre les
Principes de la Langue & de l'Orthographe Fran
foifes , à l'ufage des Dames , par M. T ***. A
Paris , chez Cailleau , Imprimeur - Libraire , rue
Galande ; Jombert , rue Dauphine ; Mérigot , vis- àvis
l'Opéra ; Bailly , Libraires , rue Saint Honoré , &
chez les Marchands de Nouveautés .
L'Auteur de cette Méthode fe propoſe de donner
tous les mois un Cahier ; l'Ouvrage complet en
contiendra vingt - quatre, & formera quatre petits
Volumes , dont le premier traitera des parties du
Difcours ; le fecond , de l'Orthographe ; le troisième,
de l'accord des mots & de la conftruction des phrafes
; le quatrième , de l'Eloquence & de la Verfification.
Les premiers Numéros de cet Ouvrage qui ont
déjà paru en donnent une idée avantageufe ; les
Règles y font traitées avec clarté , & dépouillées de
La féchereffe qui les accompagne ordinairement.
Le prix de chaque Cahier eft de 12 fols , & les
Perfonnes qui foufcriront d'avance ne payeront pour
les vingt - quatre Cahiers que y liv. francs de port à
Paris , & 12 livres en Province , au lieu de 14 livres
8 Tols & 18 liv.
LETTRE de M. Galart de Montjoye à M. Bailly,
DE FRANCE. 143
T'un des Commiffaires nommés par le Roi pour l'exa
men du Magnétifme Animal. A Philadelphie ; & le
trouve à Paris , chez Pierre J. Duplain , Libraire ,
cour du Commerce , rue de l'ancienne Comédie
Françoife , in- 8° . Prix , 1 liv . 16 fols broché .
L'objet de cet Ouvrage eft de répondre au Rapport
des Commiffaires de l'Académie & de ia Faculté
; mais ce n'eft pour l'Auteur qu'une occafion de
difcuter quelques opinions de M. Mefmer , & de les
comparer à celles de M. Bailly , de Descartes , Newton
& autres Savans , même à celles de l'Antiquité
& du Peuple , ce qui amène divers apperçus & comme
autant de petits Traités fur la nature du feu , de la
lumière , des fluides , & fur les crifes , les convui .
fions , l'imitation , l'imagination , & c. Le ftyle de
cet Ouvrage , quoiqu'il ne foit pas exempt de caufticité
, nous a paru en général clair & décent.
HUITIEME Recueil d' Airs de l'Epreuve Villageoife
, du Faux Lord & autres Opéras nouveaux ,
avec Accompagnement de Guittare , par M. Corbelin
, Profeffeur , pour fervir de fuite à fa Méthode
de Guittare . Prix , 6 livres . A Paris , chez l'Auteur ,
Place Saint Michel , maifon du Chandelier. - Neuvième
Recueil , contenant dés Airs de Richard-
Coeur-de Lion , les deux Rubans , &c. par le même ,
même Adreffe. Prix , 6 liv,
Grete
Deux jolis Airs , dont M. Corbelin a fait les
paroles & la mufique , prouvent que fon talent s'étend
à plus d'un genre , & doivent faire diftinguer ce
Recueil.
NUMÉRO 11 du Journal de Violon , Recueil
d'Airs nouveaux pour Violon , Alto , Flûte & Bafe.
Prix , féparément 2 liv . 8 fols . Abonnement 18 liv.
& 21 liv .
Ce Journal paroît exactement à la fin de chaque
144 MERCURE
mois. A Paris , chez Baillon , rue Neuve des Petits-
Champs , au coin de celle de Richelieu , à la Mufc
Lyrique.
NUMEROS 3 & 4 des Feuilles de Terpfychore ,
ou nouvelle Etude de Harpe & de Clavecin , dédiées
aux Dames , dans lesquelles on trouve fucceffivement
l'agréable , l'aifé & le difficile , compofées par
les Auteurs les plus recherchés pour ces Inſtrumens.
Il paroît tous les Lundis une Feuille pour la Harpe
& une pour le Clavecin. Prix , 1 livre 4 fols chaque.
A Paris , chez Coufineau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'Ecole.
ERRATA. Le fieur Duboft , annoncé dans le Mercure
précédent , demeure à l'Abbaye S. Germain ,
Cour des Princes, & non pas dans l'Enclos du Temple.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
TABLE.
VERS à M. François de Hiftoire du Miniftre la Roche,
Neufchâteau .
A une Dame ,
971 Conte,
98 Charade , Enigme & Logogry
Pour le Portrait de Mme de
Genlis ,
Infcription,
phe
ibid. L'Honneur François ,
2
103
118
120
99 Traduction nouvelle de l'ELe
premier Miniftre de la neïde ,
Mort , Apologue , ibid. Concert Spirituel ,
Le Fleuve & le Ruiffeau , Comédie Italienne,
Fable ,
126
131
132
211 Annonces & Notices , 136
JAT lu
APPROBATION.
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 18 Décembre. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A
Paris , le 17 Décembre 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25 DÉCEMBRE 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS qu'on intitulera comme on voudra.
J'AI ri vingt fois des vains propos *
D'un petit maître qui s'oublie ;
Qui s'immole dans fes bons mots
Nos pères que je déïfie ,
Sème fa trifte raillerie
Sur leurs vénérables tombeaux .
Mais j'excufe tous les défauts ;
Le monde , hélas ! je le parie ,
N'a plus que de frêles cerveaux !
L'homme vicillit , il balbutie.
Quoi ! notre orgueil ſe glorifie
* Cette Pièce eft tirée d'un Recueil de Maximes Philo
fophiques , qui doivent paroître dans le cours de l'année
prochaine .
Nº. 52 , 25 Décembre 1784. G
146 MERCURE
De tant de fyftêmes nouveaux
Marqués au coin de la folie ,
De voir la franchiſe avilie ,
Le noble amour de la Patrie
Délaiffé froidement aux fots
Comme un refte de barbarie !
Ah ! Nos aïcux , quoique dévots ,
Eurent un peu plus de génie ;
Leur fublime philofophie , *
De l'amour au ſein du repos ,
Savoit tirer fon énergie ;
Leur grande âme étoit ennoblie
Par l'écueil même des Héros.
Vantons nos grâces minaudières ;
Moins grimaciers dans leurs humeurs ,
Nos bons aïeux avoient des moeurs ,
Et nous n'avons que des manières.
Nos grands hommes font les créfus ;
Nos fages font les agréables ;
Nos aieux , bien plus eftimables ,
Eurent de farouches vertus ;
Nous avons des travers aimables.
Vantons notre jargon brillant ;
Mais convenons ingénument
Que notre froide politeffe
* Je fais allufion à ces tournois où les femmes étoient
admiſes pour enflammer les coutages & pour les cou-
Bonner. Note de l'Aureum
DE FRANCE. 147
Sut s'élever avec adreffe
Sur les débris du fentiment :
L'efprit fut faire un compliment
Quand le coeur n'eut plus de tendreffe.
Renaiffez , enfans du Dieu Mars ;
Renaiſſez , généreux ancêtres ,
Moins connus par de Petits-Maitres ,
Que célèbres par vos Baïards.
(Par M. Aillaud , Chanoine Hebdomadier.
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Rebelle ; celui
de l'Enigme eft Épigramme ; celui du Logogryphe
eft Officier , où l'on trouve fi , coffre ,
fer, or ,fier, ré, office , if.
CHARADE.
EN pronom poffeffif , au pluriel , ami ,
Ma première moitié le préfente feulette ;
Jamais fur ma feconde on ne fut en brouette ;
Quand on glofe mon tout , ce n'eft pas à demi.
(Par M. Jalaberd.
Gij
148 MERCURE
ENIG ME.
JE fus, je fuis , ferai , voilà mon exiſtence ;
Je triomphe de tout , aidé de la conftance ;
Je fuis le feul remède aux maux les plus amers.
En me cherchant, Lecteur, prends garde, tu me perds.
( Par M. Propiac , Offic . au Régim. de Picardie. )
LOGO GRYPH E.
JE fuis fouvent l'effroi de l'Angleterre .
Pour connoître mon nom , penſe au Dieu de la Guerre,
Lecteur ; faut-il te parler clair ?
Tu vois dans d'Estaing tout mon air.
Je puis m'offrir encor fous le nom d'un Poëte ,
Dont la Mufe trop indiferette
En cenfurant les moeurs fe fit des ennemis .
Dans les fept pieds qui compofent mon être ,
Je t'offre ce qu'on fait & qui n'eft pas permis ;
Un mois qu'avec plaifir tout vieillard voit renaître ;
Un couple dont Paris applaudit les talens ;
Une douce liqueur que fouvent au printemps
On prend pour fa fanté , de plus , un meuble utile
Au pauvre , ainfi qu'au riche , au village , à la ville ;
Un animal qui va pillant & ravageant
Les caves , les greniers ; un être qui ſouvent
DE FRANC E. 149
Paroît plus mauffade qu'aimable ;
Enfin cet afyle agréable
Où Delille chantoit , faifoit aimer les champs.
Devine , cher Lecteur ; je te quitte , il eft temps.
(Par M. Gontier , Comédien du Roi à Versailles . )
RÉPONSES A LA QUESTION :
CA
Quelle conquête doit le plus flatter, une
» Belle ? La conquête d'un coeur qui repouffoit
l'amour, où celle d'un coeur qu'elle enlève
» à une rivale ?
و ر
"2
I.
TRIOMPHER d'un Amant , l'enlever à ſa Belle ,
C'eſt moins s'en faire aimer que le rendre infidèle.
Livrer un coeur farouche à l'amoureux tourment ,
C'eſt plus que triompher , c'eſt créer fon Amant.
(Par M. le Chevalier de Meude-Monpas. )
I I.
SOUMETTRE , apprivoifer un coeur libre , indompté,
Du tendre Amour c'eſt la félicité :
Ravir d'une Rivale & l'Amant & la gloire ,
Conquérir fon captif , l'enchaîner à fes yeux ,
C'eft remporter une double victoire ,
Et l'orgueil & l'Amour font fatisfaits tous deux.
Giij
150
MERCURE
II I.
A SA Rivale enlever un Amant ,
C'eft triompher par le parjure.
Mais foumettre à ſes loix une âme neuve & pure,
C'eft vaincre par le fentiment.
I V.
TRIOMPHER de l'indifférence
Eft plus flatteur pour la Beauté ;
On tient bien moins à la conftance
Qu'on ne tient à ſa liberté.
(Par M. Dehauffy de Robécourt , de Péronne. )
V.
L'AMOUR d'un fexe & la haine de l'autre
Règnent fur une femme en partageant fon coeurs
L'hommage que lui rend le nôtre
Eft fans doute pour elle un tribut bien flatteur.
Mais infulter une Rivale ,
Mais lui ravir un Amant fans retour
Ce triomphe , que rien n'égale ,
Satisfait à la fois fa haine & fon amour.
( Par un Membre de la Chambre Littéraire
de Rennes . )
V I.
Le coeur le plus fauvage à l'Amour cft ouvert ,
Et l'on peut l'attendrir fans un effort fuprême ;
DE FRANCE: ISI /
On l'enlève avec gloire à la Beauté qu'il aime ;
L'un eft un bien qu'on trouve ,
acquiert.
& l'autre un qu'on
(Par un Abonné. )
VII.
RENDRE un Amant infidèle à fon choix,
Ce n'est qu'un feul triomphe ; aux amoureufes loix
Soumettre un coeur qui les a mépriſées ,
C'eft triompher tout-à- la- fois
De cent Rivales dédaignées.
(Par M. le Comte de P...... ) § .
NOUVELLE QUESTION A RÉSOUDRE .
«
Lequel déplait davantage aux Femmes ,
» le Poltron ou l'Indifcret. »
Avis fur les Questions à réfoudre.
Il n'eft pas inutile d'avertir que le Mercure étant
clos long - temps avant de paroître , telle Réponse
faite pour être admife , peut en être exclue fi elle
arrive tard , parce qu'une Queſtion nouvelle une
fois propofée , on ne revient plus fur la précédente.
Giv
152 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
MÉMOIRES du Baron de Tott ,fur les Turcs
& les Tartares. vol. A Amfterdamn
& fe trouvent à Paris , chez les Marchands
de Nouveautes . Prix , 2 liv.
UN Rhéteur Athénien croyant plaire au
Spartiate Antalcidas , s'annonça à lui comme
Auteur d'un Éloge d'Hercule. Un Eloge
d'Hercule ! reprit le Lacédémonien , eh !
qui est-ce qui le blâme ? Ce mot judicieux ,
applicable à tant de Panégyriques , le feroic
à toute approbation litteraire de ces Mémoires
, objet de la curiofité générale , &
bien propres à la juftifier. Mais lorsqu'il
s'agit de la connoiffance d'un grand Empire ,
des loix qui le gouvernent , des ufages qui
le caractérisent , des moeurs qui le deshonorent
, on ne doit point précipiter fa confiance
à l'Hiftorien . Plus il en eft digne
plus il faut pefer avec lui des obfervations.
faites pour entraîner la voix publique.
On s'est étonné fouvent de notre igno-.
rance fur les Turcs ; il feroit bien plus étonnant
que nous fullions parvenus à les connoître.
Il faut tant de patience , de moyens
& de lumières pour approfondir une Nation
! L'Obfervateur en état de la juger , fe
DE FRANCE * 13
défié de fes notions , ferme ſon portefeuille ,
& laiffe au commun des voyageurs de tromper
la terre après l'avoir parcourue . Sommes.
nous bien inftruits des ufages , des loix , des
véritables habitudes des Nations qui nous
avoifinent ? La diverfité des jugemens portés
fur elles , eft une preuve de la légèreté avec
laquelle on les a étudiées . Que fera - ce
donc lorfqu'il faudra tourner une vûe aufli
trouble vers l'extrêmité orientale de l'Europe
, fur des peuples où , depuis la langue
julqu'aux vêtemens, tout préfente un tableau
abfolument différent de celui de nos contrées
?
L'Anglois Ricault écrivit au commencement
du fiècle un Etat de l'Empire Ottoman,
à peu près comme Amelot de la Houflaye
fit celui de la République de Venife ; le Comte
Marfigli publia aufli des Rema ques fur les
Turcs & fur leur Gouvernement ; remarques
dont la plus judicieufe fut qu'il eft prefque
impoffible de juger exactement de cette Nation
: le premier , il en repréfenta le régime
comme une démocratie militaire , conforme
à celle d'Alger & de Tunis ; ce qui pouvoit
être vrai alors , & a ceffé de l'être depuis
l'affoibliffement des Janiffaires On fait d'ail
leurs combien de paradoxes , des baladins
politiques ont imaginés fur cette affertion de
Marfigli . Lady Wortley Montaigu lui fuccéda
; d'un pinceau animé par l'imagination
& par l'amour de la volupté , elle nous
Gv
154
MERCURE
traca des peintures de fantaiſie ; à la lecture
de ces fameufes Lettres , plus agréables que
fidelles , on eft tenté de prendre le turban :
enfin , nous avons dû à M. Porter , Envoyé
Britannique à la Porte , les premières obfervations
réfléchies , & des détails fur les coutu
mes , appuyés fur des faits avérés. L'efprit de
doute & de réflexion avec lequel l'Ouvrage
de ce Miniftre eft compofé , devoit lui mériter
l'attention publique : on l'a traduit ; à
peine a t'il été connu en France .
Quant à la foule des Voyageurs ordinaires,
ils ont compilé foigneufement la nomenclature
méthodique des Offices de la Porte ;
ftudieux à les nommer plus qu'à les définir ,
ils nous ont fatigués de mots barbares en les
défigurant ; enfin ils ont complerté cet Almanach
Royal de la Cour du Grand Seigneur
, en interprêtant les fonctions de fes
Officiers par celles de leurs corrélatifs dans
nos Monarchies : parallèle dont il n'eſt réfulté
que des idées fauffes & des mépriſes.
Comme l'Hiftoire d'une Nation eft le
vrai tableau de fon caractère , dont les révo
lutions ont été le réfultat , les Annales Ottomanes
du Prince Cantemir font peut être le
miroir le plus fidèle du génie des Turcs , de
l'efprit & de l'influence de leur Gouyernement.
Or , que nous préfente cette Hiftoire ?
Des moeurs , des maximes politiques , un
accord entre les loix & la religion , un
efprit général , inaltérables , qui foumiDE
FRANCE. 155
rent au Croiffant prefque tous les peuples
qu'il eut à combattre ; l'énergie altière , la .
turbulence naturelle , l'amour des conquêtes
, fuites du Gouvernement militaire & déprédateur
des Tartares , dont les Ottomans
font defcendus ; des hordes de brigands fortis
des roches du Caucafe , formant un Empire
également terrible à l'Europe & à l'Afie ,
victorieufes de la Perfe , de l'Égypte , de la
Chrétienté , défolant de leurs invafions
tous leurs voifins , & , durant trois fiècles ,
promenant leurs armes triomphantes du Nil
au Borifthène , & de l'Euphrate à l'Archipel.
Dans l'intérieur , l'Empire toujours tranquille
, l'autorité refpectée , la puiffance redoutable
, tant qu'un Sélim I , un Soliman
II , un Amurath IV , inſpirèrent leur audace
aux Ottomans en maîtriſant leur impétuofité.
Au contraire , fous les règnes léthargiques
, le trône avili , toujours ébranlé , &
fouvent teint de fang ; mais la multitude &
la milice jamais opprimées impunément ; la
plupart des féditions , 'efficaces ; la loi fondamentale
confervée cependant avee un refpect
religieux ; des Miniftres , des Sultans
étranglés fans que les Soldats ofent difpofer
du trône , comme les Prétoriens fous les
Céfars , & déférer la fouveraineté au premier
monftre qui a fu les corrompre, Aufli l'État
a beau changer de maîtres , il n'eft jamais
renverfé , & la révolution dans le Sérail con
facre l'immutabilité des loix.
Aujourd'hui , qu'eft devenu ce même peu-
Gvj
155 MERCURE
ple Sous quels traits nous eft il repréſenté :
dans ces Mémoires ?
Comme uniffant tous les excès de la molleffe
Orientale à ceux de fa férocité origi
nelle , ne fortant de la léthargie que par
ivreffe , auffi indelent que fanguinaire , lâche
dans fes pailions toujours honteufes
toujours effrénées ; infenfible à tout ce qui
n'affecte ni fon intérêt ni fa pufillanimité ;
fanatique d'une croyance dont les préceptes
moraux font l'objet de fa dérifion ; commertant
des meurtres en riant ; fans réflexion
comme fans prévoyance ; abruti par l'ignorance
dont il fe glorifie ; non moins orgueilleux
que ftupide , dénaturé par infouciance ,
vil fans honte , miférable fans douleur , fupportant
la tyrannie dans l'efpoir d'en devenir
l'inftrument s'il n'en eft pas la victime ; ne.
fentant les coups du defpotifine qu'à l'inftant
d'expirer de faim ; déteftant les ennemis
de l'Empire fans aucune étincelle d'efprit
public , également difpofé à l'infolence & à
l'abjection ; fans valeur , fans induftrie , fans.
intelligence , & dans fon mépris pour la
mort ne montrant que la baffeffe d'efprit.
avec laquelle il fe foumet à la recevoir.
Selon M. le Baron de Tott , c'eſt le climat
, c'eſt le Gouvernement qui ont fait ce
peuple là.
Le pouvoir qui le captive ne fera fans
doute ni moins extraordinaire dans fa nature
, ni moins irrégulier dans fa marche ,
ni moins affreux dans fes effets.
DE FRANCE. 157
A qui obéira donc cette Nation que le
frein mutile fans la fatiguer ? A un Automate
fouverain , caché , hébêté la moitié de fa.
vie dans le filence d'un ferail , entre le fabre
& le cordeau ; paffant à la grandeur fuprême
Aétri des liens de la captivité ; efclave hier,
& demain faifant trembler cinquante millions
d'hommes ; fatigué de refpects , ne
voyant autour de lui que les formes de la
plus aveugle obéiffance , & ne le faifant
obéir que par des menaces ou par des fupplices
; écrâfant toujours ceux qu'il veut
punir ; foumis religieufement à des loix cérémonielles
& au- deffus des faintes règles qui
dérivent de l'état focial & des rapports du
Prince aux Citoyens ; un Vendredi , n'ofant
s'abfenter de la Mofquée , & au fortir infligeant
des fupplices pour confommer des
exactions. Mais du moins fon Gouvernement ,
fi cela s'appelle gouverner , perdra de fa rigueur
en s'éloignant du centre de fon action
, & la multitude échappera à une force
dont la diftance détruit le reffort. Pure illufion
; le defpotifme immédiat du Sultan fe
divife , au fortir de fes mains , pour paffer
dans celles des Ordonnateurs de fes volontés ;
il ravage de proche en proche ; l'exemple &
l'espoir de l'impunité enhardiffent tous les
fubalternes ; la mobilité des inveftitures en-
Aamme le defir de profiter d'une autorité
fujette à tant de viciffitudes ; la crainte du
châtiment s'affoiblit à la vue de tant de coupables
épargnés ; on fe familiarife avec les
158
MERCURE
exemples , & l'homme en place commet fes
injuftices lorfque les têtes de ſes pareils
roulent fumantes à fes pieds.
C'eft ainfi que M. de Tott a vû les Turcs
& leur régime politique ; il les a vûs vingttrois
ans ; il a joui de la confiance d'un de
leurs Souverains ; lui même a participé à
l'action de ce terrible Gouvernement ; il
l'a obfervé dans les circonstances les plus
critiques , il a été employé avec fes Adminiftrateurs
; enfin il connoiffoit la langue
nationale , moyen puiffant , fans lequel on
ne peut fe flatter de grands progrès dans
l'étude d'un peuple peu communicatif , défiant
, plein de mépris pour les étrangers.
Cer Ouvrage , Journal de l'Auteur , manque
de fuite , & n'eft point lié dans fes parties......
Du premier volume dont quelques
cérémonies quelques obfervations
topographiques & des détails fur les moeurs
privées des Ottomans , font la matière , M.
le Baron de Tott paffe aux Tartares dans le
fecond ; il revient aux Turcs & à l'hiftoire
de fes travaux militaires dans le troisième ;
le dernier eft confacré au récit d'un voyage
en Égypte & fur les côtes de la Syrie. Au
milieu de cette diverfité d'objets , l'attention
quelquefois égarée ne fe fatigue point , &
gémit prefque toujours. Peu de Livres font
auffi affligeans.
On ne me pardonneroit point de paffer
fous filence les plus triftes peintures de ce
tableau ; ce font les femmes. Il n'eft point ici
DE FRANCE. 159
queftion de leur fervitude : M. de Tott ne
dit point & n'a pu connoître juſqu'à quel
degré elles en reffentoient le malheur &
l'humiliation. Peut- être font - elles moins infortunées
dans la folitude des Harems , que
la plupart des femmes du grand monde
parmi nous. Le feu des paffions meurt chez
ces Reclufes fans les confumer ; elles n'ont
pas d'idée des douceurs d'une fociété libre ;
elles ignorent & les tourmens de l'imagination
, & ce befoin intarriffable de plaire à
tous les yeux , les moyens d'y parvenir , &
le chagrin d'y échouer. Si la jaloufie les agite
quelquefois , cette paflion ne peut être générale
parmi elles ; plufieurs compagnes rebutées
confolent d'une rivale heureuſe .
M. Porter avoit déjà détruit le préjugé abfurde
fur la multitude des Harems , & fur
les facilités de la Polygamie chez les Turcs.
Le Coran n'a permis à chacun d'eux que
quatre femmes légitimes , épouſes & non
efclaves ; la même loi a réglé les dots & les
répudiations. Outre le mariage civil , il s'en
forme un fous le nom de Kapin , qui eft un
concubinage à temps entre les parties , à peuprès
femblable à celui que le nouveau Code
vient de légitimer en Pruffe.
Quant aux efclaves , leur poffeffion eft un
luxe réservé à l'opulence , beaucoup moins
général par conféquent qu'on ne l'a imaginé.
Comme ailleurs , les plaifirs de la fenfualité
font réfervés en Turquie à un très petit
nombre d'hommes ; & en comparant leur
160 MERCURE
corruption à la nôtre , peut être n'y appercevra
t'on d'autre différence , finon que leurs
concubines leur appartiennent, & que trop
fouvent nous appartenons aux nôtres.
Cet efclavage , d'ailleurs , eft étranger aux
Sujettes de l'Empire : Turques & Grecquesfont
à l'abri de ce honteux marché ; le fer
où l'or à la main , l'avarice épuife de ces beau
tés lucratives les Provinces étrangères ;
dévastées par la guerre, ou expofées à ces pirateries
dans tous les temps ; c'est ainsi
qu'une foule de recrues font amenées de
Circailie & de Georgie pour peupler les
Harems où elles doivent perdre leur jeuneffe.
Le Grand Seigneur lui même n'oferoit
enlever une fille à fon père , une femme à
fon mari , une concubine à fon poffeffeur ,
fi la femme qu'il convoite étoit Ottomane .
M. de Tott doute de la beauté célébrée de
ces Georgiennes , parce que le hafard lui en
préfenta une qui , felon lui , pouvoit paffer
pour une jolie Servante de cabaret.
L'intérieur des Harems , premier objet de
la curiofité des Européens , toutes les fois
qu'il eft queftion de la Turquie , ne s'eft pas
ouvert devant l'Auteur de ces Mémoires ;
auffi les détails qu'il raconte à ce sujet ont ils
été dictés par Mine de Tott , qui fit une vifite
avec la mère à Afma Sultane , fille de
l'Empereur Achmet.
Après les premières cérémonies de l'introduction
& de la préfentation , les deux Chré
tiennes conversèrent avec la Sultane fur un
DE FRANCE. 161
fujet de circonftance , fur la liberté de nos
femmes , comparée avec les ufages du Harem.
La Sultane fe plaignit d'avoir été mariée
à treize ans à un vieillard dégoûtant ; mais
enfin , dit elle , il a crêvé ; d'après cela , l'on
peut croire que la difcuffion fe termina à
notre avantage. Après le dîné , l'Intendant
du Harem conduifit les étrangères dans le
jardin , au milieu duquel s'élevoit un Kiosk
richement meublé & bâti ſur un baffin d'eau.
Des efpaliers de rofes déroboient les murailles
de cette enceinte , dont la promenade
, formée de petits fentiers cailloutés en
mofaïque , étoit ornée de pots & de corbeilles
de fleurs . Le cortège s'étant aflis fur
un fopha , dix femmes efclaves exécutèrenc
des concerts , & plufieurs danfeufes des ballets
, auxquels fuccéda une joûte conduite par
douze femmes en habits d'hommes . A cette
defcription fe bornent les lumières que cont
tiennent ces Mémoires fur le Harem. Suivons
l'Auteur vers des objets plus importans.
M. de Tott a vû trois règnes durant fon
féjour en Turquie , celui d'Ofman III , de
Mustapha III & de l'Empereur régnant. Le
premier monta fur le trône en 1714 , après
avoir été 56 ans prifonnier dans un férail.
Il s'étoit livré d'abord au Sélictar Pacha ;
qu'il créa fon Vifir ; ce Favori comptant
fur la faveur , fe permit les plus énormes
concuffions : le cri public parvint aux oreilles
de l'Empereur , affez fage pour s'affurer luimême
de l'opinion du peuple , en fe dégui162
MERCURE
·
fant au milieu de lui , bien certain que ces
marmures ne perçoient jainais l'enceinte du
palais des Souverains : Ofman éclairé fit tomber
la tête du Viſir.
Sa place fut donnée à Racub Pacha , à qui
M. de Tott accorde les talens de fa place ;
favoir , l'audace & la perfidie , la méchanceté
& l'art de féduire , la force & l'atrocité du
caractère ; mais fous aucun Gouvernement
ces inclinations formeroient elles les talens
d'un premier Miniftre ? Dans l'audience qu'il
donna à l'Ambaffadeur de France , il fit couper
neuf têtes d'un feul gefte , & reprit le
difcours en fouriant. C'eft pendant l'adminiſtration
de ce Vifir fi abfolu , fi ferme , fi
redouté , qu'arriva un événement mémorable
, propre à jeter une grande lumière fur
cette prétendue autorité defpotique de la
Porte. Cette anecdote , déjà citée par M.
Porter , eft confirmée par l'Auteur de ces
Mémoires ; on ne peut la révoquer en doute
fur la parole de deux témoins de ce caractère.
Le monopole des grains avoit amené la difette
à Conftantinople ; leur altération , leur
mêlange empoisonné la rendoient encore plus
cruelle : le peuple affamé affaillifoit les fours
publics , le piftolet à la main. Cependant ,
Racub s'éroit flatté de maintenir la tranquillité
, lorfqu'une vieille femme de la popu
lace ameutant fes compagnes , s'achemine
vers les magafins de riz. L'Aga des Janiffaires
y accourt avec une troupe nombreuſe ,
DE FRANCE. 163
il eft repouffé à coups de pierre ; les magafins
font enfoncés , & le pillage commence ,
lorfqu'arrive le Grand Vifir. Sa préſence ne
déconcerte point l'Héroïne ; elle s'avance.
fièrement vers lui , le menace , le défie , le
harangue , le fait céder , & obtient une portion
de riz pour chacune des féditieufes.
Les Annales Turques renferment plus
d'un fait de cette efpèce ; & cette réſiſtance
à l'autorité n'eft pas limitée à la circonftance
'd'une famine. Tout en accufant de defpotifme
la conftitution politique & la régence
journalière de la Turquie , M. de Tott cite
nombre de faits qui prouvent contre fon fyltême
, & les récits combattent en ce cas les
conféquences qu'il en tire. Le préjugé, ditil
, aura toujours plus d'empire que la crainte ,
& plus de force que le defpotifme. Rien de
plus vrai , & cela même détruit le defpotifme.
Lorfqu'on voit Sultan -Ofman prefque
à l'agonie , forcé par les murmures publics
de paroître à la Moſquée le Vendredi , au
péril même de fa vie , & expirer fur la porte
du férail après avoir rempli cet acte de foumiffion,
on ſe demande où eft cette Puiffance,
délivrée de tous les freins , & ce prétendu
régime qui , felon le P. de Montesquieu , ne
connoit d'autre loi que la volonté momentanée
du Prince ?
Sultan Muſtapha renouvela , comme on
fait , les Loix Somptuaires , dont l'exécution
fut accompagnée des plus grandes rigueurs.
Ce fut à la même époque que a Caravanne.
164
MERCURE
pour la Mecque fut pillée & fon eſcorte détruite
par les Arabes du défert . En mêmetemps
l'équipage du vaiffeau Amiral de la
Flotte Ottomane , qui percevoit les tributs
dans l'Archipel , enleva le. navire & le conduifit
à Malthe . Ces deux catastrophes réveillèrent
l'indignation du peuple , il fit entendre
fes menaces ; le férail confterné trembloit
des fuites de cetre irritation ; il fallut la
diftraire , en répandant en public le projet de
couper l'Afie Mineure par un canal navigable
, propre au tranfport des denrées , &
à prévenir la famine à venir. Lorſque le
péril fut paffé , l'on altéra les monnoies ; le
commerce tomba dans la langueur , les artifans
manquèrent d'ouvrage , & les incendies
commencèrent. C'est par ce moyen violent
qu'on avertit l'autorité du mécontentement
public ; dans cette occafion , il fut appaifé
par la groffeffe d'une Sultane , & l'attente
des réjouiffances fit reprendre au commerce
fon activité. *
De ces différens traits , beaucoup de Lecteurs
ne conclueront pas avec M. de Tott ,
que ce n'est jamais que par de nouveaux défaftres
que l'humanité foumife au defpotifme
reçoit le foulagement de ceux qu'elle a foufferts.
L'humanité foumife au defpotifme
continue à le fouffrir par l'impuiffance de
* On a vû ces incendies médités fe renouveler en
1782 d'une manière effrayante , & faire dépofer
prefque tous les Miniftres du Grand Seigneur.
DE FRANCE. 165
le corriger , & ne le renverfe qu'en renverfant
l'État lui- même. En un mot , un pouvoir-
arbitraire & abfolu qui s'intimide ou fe
retracte à la voix de la multitude , paroîtra
toujours un être d'imagination .
Ce Gouvernement inexplicable , M. de
Tott nous le montre en action, dans fes rap-.
ports avec la force militaire , & dans le développement
de fes reffources pour la défenfe
extérieure de l'État . C'eſt le fujet de la
troisième partie des Mémoires.
Il eft à croire qu'une Nation , reftée avec
fes coutumes & fes préjugés au point de lumières
où elle fe trouvoit il y a deux fiècles ,
tandis que fes voifins ont perfectionné fans
relâche & leur art militaire & leur adminiftration
, montrera une très grande foibleffe
comparative , qu'un peuple foriné de vingt
peuples différens par la religion , par le climat
, par la langue , par les meurs , par les
relations , ne peut avoir d'intérêt commun ,
ni d'efprit national ; qu'en conféquence toute
la force de l'État réfidera dans l'armée , la
force de l'armée dans une cohue de Soldats ,
& que joignant l'ignorance à l'indifcipline
ce Corps mal organifé aura l'appareil de la
puiffance & fa nullité.
Outre ces vices , mis au grand jour par
l'Auteur des Mémoires , il impute aux
Túrcs un défaut prefque total d'intelligence
& de véritable valeur. Qu'on juge du tableau
qu'offre cet Ouvrage , des Ottomans les arnies
à la main !
166 MERCURE
Lorfqu'il fallut les prendre contre ces
Mofcovites , dont la Turquie connoiſſoit à
peine l'exiſtence il y a un fiècle , on fe trouvoit
fans marine , avec une artillerie auffi ridicule
qu'inutile , des Milices dont les défordres
forçoient chaque jour l'autorité de com- ^
pofer avec elle , des Généraux orgueilleux
& ignorans , des fubalternes non moins
ineptes & auffi préfomptueux. D'ailleurs
la mauvaiſe volonté , les friponneries , les
vexations , univerfelles : à tout cela ſe joignoit
le plus grand mépris pour les ennemis de
l'Empire. Ils fe prévalent , difoient les
" Turcs , de la fupériorité de leur feu ; mais
» .qu'ils ceffent ce feu abominable , & qu'ils
fe préfentent à l'arme blanche. » C'eft "
ainfi qu'on entendit , il y a deux ans , les
Janiflaires à qui des Officiers Européens confeilloient
de marcher ferrés comme leurs
ennemis , répondre : ils en ufent ainfi parce
qu'ils ont peur ›
& nous nous garderons bien
de les imiter.
Une guerre conduite par de femblables
Chefs , avec de femblables Soldats , & fur
de tels principes , fut ce qu'elle devoit être ,
une fuite de défaftres ; il faut en lire les inconcevables
détails & les caufes journalières
dans ces Mémoires , qu'il nous eft impoffible
d'abréger . Lorfque la Flotte Ottomane mit
en mer pour aller attendre les Ruffes dans
l'Archipel , de tous les Officiers qui la commandoient
, le feul Haffan , transfuge d'Alger
, & aujourd'hui Capitan Pacha , s'emDE
FRANCE. 167
barqua , felon M. de Tott , dans l'intention
de faire la guerre.
On a peine à croire , il faut en convenir,
qu'ayant fous les yeux des cartes confultées ,
& dans le port de Conftantinople des vaiffeaux
Danois & Suédois , les Turcs s'obftinaffent
à nier la communication de la Baltique
avec l'Archipel , ainfi que l'affirme M.
de Tott ; une pareille illufion ne pouvoit
naître ni d'ignorance ni de préfomption ,
mais d'une profonde ftupidité ; ce feroit aller
bien loin que d'en accufer une adminiſtration
entière , quelqu'aveugle qu'on la fuppofe
, & peut être l'Auteur a trop généralisé
la fottife de quelques individus . Quoi qu'il
en foit , la cataſtrophe qui fuivit , de longtemps
ne fera oubliée ; il feroit fuperflu de
la rappeler.
C'eſt après ce défaftre de Tfchefmé , que
le Grand Seigneur abandonna à M. de Tott
la défenſe des Dardanelles . Le Reis- Effendi ,
Ifmaël Bey fut chargé d'en conférer avec lui ;
au moment de l'entrevue , le Miniftre étoit
abforbé dans la recherche de deux fereins
qui chantaffent le même air : important objet
dont le grave Miniftre s'étoit occupé fans
fuccès. C'eft ce même Ifmael - Bey qui demandoit
à l'Auteur où pouvoit les conduire
une guerre auffi malheureufe ? Vis-à- vis ,
répliqua M. de Tott , en montrant la côte
d'Afie ; le Miniftre fe mit à la fenêtre , puis
ſe tournant avec un vifage riant : Mon ami ,.
il y a des vallons délicieux , nous y bâtirons
163
MERCURE
de jolis kiosk. Le mot de Catherine de Médicis
: Nous prierons Dieu en François , ou
celui d'un Officier Général qui , dans le pillage
de fon camp , regrettoit fpécialement
fon vin de Bourgogne , font moins gais ,
mais tout auffi patriotiques.
.. Les travaux de l'Auteur , fa conftance ,
fon courage à réfifter à tous les obftacles , à
braver tous les préjugés , à faire plier l'orgueil
, le fanatifme , l'entêtement , la jalou
fie ; enfin l'inaltérable confiance que prit en
lui le Grand Seigneur , juftifiée par des fuccès
étonnans , forment une fuite de détails dont
l'Hiftoire n'offre pas encore un premier
exemple. Avec les Mémoires de Saint Remi
& l'Encyclopédie , M. de Tott apprit lui-`
même les opérations qu'il fit adopter à fes dangereux
élèves.Il leur enfeigna à fondre,à mieux
perforer , à employer leur artillerie ; il
changea leurs armes , leurs évolutions , leur
difcipline , leurs principes d'architecture navale
& de fortification ; il fonda des écoles ,
& fut à la fois l'ouvrier méchanique de tant
de réformes , comme il en étoit le guide &
l'inventeur.
Ces Mémoires conftatent l'extrême facilité
avec laquelle les Ruffes pouvoient forcer le
détroit & s'emparer de Conftantinople. Deux
méchans vaiffeaux de guerre & une coûlevrine
de fer de 6 livres de balles au château
d'Europe , s'oppofoient feuls à l'entrepriſe
de leur Efcadre , lorfqu'apparemment une
fauffe idée des batteries des Dardanelles les
en
DE FRANCE. 169
-
enéloigna , pour les fixer au fiège de Lemnos.
L'efprit fuperftieux des Ottomans ne fut
pas la moindre difficulté à vaincre. Lorsqu'il
fut queftion de charger les canons dans un
ellai en préfence du Grand Vifir , on refufa
d'employer les refouloirs garnis de
broffes en poils de cochon ; le murmure
éclata de toutes parts , & ne fut affoupi que
par la preuve certifiée que les pinceaux des
Peintres qui travaillent aux Moſquées étoient
aufli de poils de cochon. Pendant cette
épreuve , le Grand Tréforier , dont la malveillance
pour l'Ingénieur n'avoit pas été déguifée
, s'avila de propofer un moyen de
charge impertinent , qui , fuivant lui , devoit
accélérer les coups ; M. de Tott lui ayantrepréſenté
le danger de cette opération poír
les Artilleurs : Bon ! répliqua t'il , quelques
Canonniers de plus ou de moins , qu'importe ?
Ce propos fut relevé à haute voix , & blâné
par l'Auteur aux applaudiffemens de la multitude.
Après la harangue , les Canonniers
enlevèrent l'Orateur, & crièrent : Eh , qu'importe
quelques Tréforiers de moins , pourvu
que le Grand Seigneur foit bien fervi ?
Sur
Dans les récits de l'Auteur , on apperçoit
néanmoins plus d'inexpérience chez les Turcs
que de défaut d'induftrie , plus de tiédeur
que de mauvaife volonté , plus d'ineptie
dans les Chefs que d'indocilité à l'inſtruction
parmi le peuple. Son ignorance n'étoit
fi invincible , fes inclinations fi indifcipli- .
nables , fa ftupidité fi groffière ni fi entêtée ,
Nº. 52 , 23 Décembre 1784.
H
pas
170 MERCURE
puifqu'un Étranger , un Infidèle étoit parvenu
, de fon propre aveu , à diſpoſer ainſi
& des caractères & des bras.
A en juger par fa narration , l'ignorance
des Turcs égale au moins celle des Sauvages
de l'Amérique ; elle eft pire , car ces derniers
ont du moins un bons fens naturel ,
dont ces Mémoires laiffent à peine ſoupçonner
des traces chez les Mufulmans de la
Propontide. Un jour le Kaimakan, ou Subftitut
du Grand Vifir , demanda à M. de
Tott fi l'Armée Ottomane étoit bien nombreuſe
? « C'eſt à vous que je m'adreſſerai
» pour le favoir , lui répondit l'Auteur. »
Je l'ignore , reprit le Vifir , mais la Gazette
de Vienne nous en inftruira. Cette étrange téponſe
reflemble beaucoup à une plaifanterie.
Je n'oferois pas la prendre au férieux.
D'ailleurs , une Armée qui ne ſe compofe
point fur un état militaire régulier , ne peut
guères être évaluée , & je doute que la Gazette
de Vienne en sût plus là deffus que le
Grand Vifir , peut être que le Général luimême
.
Comme un extrait n'eft point le Livre
même, nous fommes forcés d'omettre beaucoup
d'obſervations intéreffantes fur la vie
privée , fur les habitudes , fur les vices des
Turcs , nous voudrions pouvoir ajouter &
fur leurs vertus , mais chaque ligne de ces
Mémoires en bannir l'idée. On lira fans doute
avec fruit ce qu'avance l'Auteur fur l'Adminiftration
de la juftice civile & criminelle ,
DE FRANCE. 171
far les cérémonies , fur les fêtes , fur la politique
des Miniftres , fur les rufes des uns
pour parvenir , fur les brigandages des autres
après être parvenus ; c'est une chaîne de
crimes dont le bout , toujours fuivant M. de
Tott , eft dans la main du defpotifme.
Je ne puis m'empêcher cependant de citer
un divertiffement de dévotion particulier à
une fecte de Derviches. « Ils fe promènent
" gravement & à la file les uns des autres ,
autour de leurs Chapelles , & prononcent
» le nom de Dieu à haute voix & avec effort
» à chaque coup de tambour qu'on leur fait
» entendre. Bientôt les coups de baguette
preffés graduelleinent deviennent fi vifs ,
» que ces malheureux font contraints à de
» terribles efforts de poitrine ; les plus dévots
ne finiffent la Proceffion qu'en vomif-
» fant du fang. »
99
"
Pour foulager la raifon fatiguée de tant
d'abfurdités , & l'âme oppreffée de tant
d'images révoltantes , il faut fe réfugier chez
un Peuple que nos préjugés nous ont longtemps
repréfenté comme une race d'antropophages
. On refpire enfin en arrivant avee
l'Auteur près de ces hordes de la petite Tartarie
, dont il nous décrit les moeurs , le gouvernement
, le pays & les expéditions militaires.
Cette Nation toujours à cheval n'eft
point Nomade ; dans la Crimée & dans la
Befferabie elle habite des villes & des hameaux
; les Noguais peuplent , fous leurs
rentes , des vallons qui coupent les plaines du
Hij
172 MERCURE
Nord au Midi , & ces camps de Pafteurs
belliqueux s'étendent quelquefois fur une
fur face de plus de trente lieues .
La frugalité , la fimplicité , l'endurciffement
aux fatigues , le mépris du fuperflu
, l'hofpitalité , la bravoure, tout ce qui
compofe les moeurs paftorales ſe retrouvent
chez ces Peuples . Avec fix livres de farine
de millet le Tartare le fait une provifion de
trente jours , monte à cheval fans autre fubfiftance
, parcourt des plaines de trente
lieues à la recherche des troupeaux , foupe
avec fa farine , & dort fous le Ciel. Voilà
la vie de ces hommes ; il en résulte une
très grande population. Pour l'invaſion de la
Nouvelle Servie , le Kham leva deux cent
mille hommes ; il pouvoit en lever le double
fans préjudicier aux travaux habituels.
Lorfque J. J. Rouffeau s'avifa de dire dans
1: Contrat Social que ces Barbares pourroient
bien un jour fubjuguer l'Europe
tous nos beaux efprits le traitèrent d'imbécille.
Il eft à craindre , dit M. de Tott , qui
ne l'eft pas , qu'un Peuple auffi patient ne
fourniffe quelque jour un Militaire redou
table.
Il étoit gouverné par des Kams de la
famille de Gengis , à qui Mahomet II donna
l'inveftiture de la Crimée lorfqu'il en eut
chaffe les Génois. On retrouve dans ces contrées
notre ancien régime féodal , mais avec
de grandes différences . Quoique le Chef des
Tartares fût fuzerain du Grand Seigneur , la
DE FRANCE.. 173
Nation n'en étoit pas moins indépendante ,
puifque ce lien étoit le fruit d'un accord ve
lontaire & conditionnel . Ainfi la Ruffie, par
le Traité de Kaidnargi , méconnut le droit
public des Tartares fans augmenter leur
liberté. , D'ailleurs , dit fort bien M. de
Tott, déclarer libre une Nation qui n'a jamais
ceffé de l'être , eft le premier acte defon
affujétiffement. Les événemens de l'année
dernière ont pleinement juftifié cette affertion
.
Mackfoud Guéray étoit en poffeffion de
la Régence lorfque l'Auteur arriva en Crimée.
Ce Prince très- avide n'en étoit pas
moins d'une juſtice remarquable . L'efclave
d'un Juif ayant affafliné fon Maître , de
zélés Mufulmans le déterminèrent à fe faire
circoncire pour obtenir fa grâce . Il faut
obferver que la loi Tartare fait périr le
meurtrier par la main des parens du mort.
On objecta donc que le Turc ne pouvoit
être livré à des Juifs. « Je leur livrerois mon
frère , répondir le Kham , s'il étoit coupable
; je laiffe à la Providence de récompenfer
fa converfion fr elle eft pure , &
» je ne me dois qu'au foin de faire juftice . »
"
"J
"
A Mackfoud dépoffédé, fuccéda KrimGuéray
, âgé de foixante ans , Prince éclairé &
infatigable , ami des Arts , & , ce qui vaut
mieux , très verfé dans les affaires politiques,
très- zélé pour les intérêts de la Contrée , &
Guerrier honnête homme. Il aimoit la Coenédie
, & fe fit traduire le Tartuffe ; il lut
t
Hij
174 MERCURE
le Bourgeois Gentilhomme , fans croire à
l'existence d'un pareil travers dans une So-
-ciété où les Loix ont fixé la différence des
états.
M. de Tort fuivit le Kham dans l'invafion
de la Nouvelle Servie. Comparez le luxe de
nos armées , l'épicuréifme de leurs tables , la
profufion des befoins qui accompagnent le
Militaire fous les drapeaux , avec ces deux
cent mille Tartares auffi rapides dans leur
marche qu'endurcis contre les privations ,
contre un froid qui faifoit geler les fleuves
, & qui , avec un fac de quelques livres
de farine pendu à la felle de chaque cheval ,
allojent combattre & la difette & l'ennemi .
Pendant leur marche le froid devint fi aigu
que le fang fortoit aux foldats par les pores.
du nez, & la refpiration gelée aux mouftaches
y formoit des glaçons d'un poids dou
loureux. Quelques murmures fe font entendre
; M. de Tott s'en rend l'organe : Je ne
puis adoucir le temps , dit Krim Gueray, mais
je puis infpirer à l'armée le courage d'en fupporter
la rigueur. Auffitôt il demande un
cheval , & découvrant la tête enveloppée du
chal , il brave les frimats , & force tout ce
qui l'entoure à l'imiter.
Le tableau des horreurs commiſes pendant
cette incurfion dans la Nouvelle Servie
eft épouvantable ; peut être même le
fang- froid avec lequel ces dévaftations font
racontées ajoute à leur effet fur l'imagination.
Un feul trait fuffit pour juger du refte.
DE FRANCE. 179
Le bourg d'Adgemka , compofé de huit à
neufcent feux, fut livré au pillage . Les habitans
s'étoient enfuis , & toutes les recherches
pour les trouver furent inutiles ; mais
le furlendemain , au moment du départ , on
ordonna de mettre le feu à toutes les meules
de fourage ; elles étoient en flamimes lorfqu'on
en vit fortir de toutes parts ces malheureux
fugitifs , dont l'incendie dévoroit
les récoltes & les foyers. Tel eft le droit de
la guerre dans fa barbarie originelle . La deftruction
& la captivité en font les conféquences
naturelles , & en vérité il n'y a que
nos foldats modernes qu'on puiffe traîner à
la guerre fans efpérance du butin , fans motif
déterminant de s'expofer à la mort ou de
la donner. Le pillage des Tartares fut immenfe
, leur dextérité à le conſerver digne
de remarque: « Les enfans la tête hors d'un
» fac fufpendu au pommeau de la felle ,
» une jeune fille affife fur le devant foute-
» nue par le bras gauche , la mère en croupe ,
ور
"
le père fur un des chevaux de main , le
" fils fur un autre , moutons & boeufs en
» avant , tout marche , & rien ne s'égare
» fous l'oeil vigilant de l'heureux dépréda-
" teur. "
Voilà fans doute d'affez longs détails pour
fixer l'opinion de nos Lecteurs fur ces Mémoires
fi curieux. Ils feront recherchés dans
tous les temps , lus avec fruit par l'homme
du monde , dignes d'être médités par le Philofophe.
Hiv
176 MERCURE
Nous permettrat on quelques remarques
fur ce Livre , en les fouinettant à l'Auteur
lui même ?
L'existence d'une Nation telle que les
Turcs nous font ici dépeints , feroit déjà un
phénomène dans l'État focial ; mais la durée
de cette exiſtence n'eft - elle pas inexplicable ?
Conçoit on une Société politique régie depuis
plufieurs fiècles fur de pareils principes,
& outragée par de fi grands défordres , &
Toujours fubfiftante ? Comment cet Empire ,
où les mêmes coutumes & les mêmes loix
règnent fans révolutions depuis fi longtemps
a t- il eu des époques fi mémorables ?
Qui comprendra fa gloire paffée en voyant
dans ces Mémoires l'adminiftration qui le
frappe , & le peuple qui le remplit ? Qu'étoient
donc tous les États d'Europe & d'Afie
foumis ou contenus par les Ottomans jufqu'aux
batailles de Raab & de Péterwaradin ,
fi les vainqueurs étoient conduits à la victoire
par de femblables moeurs & de femblables
loix ? Scanderberg , Huniade , Sobieski
euffent reaverfé l'Empire qu'ils intimidèrent
s'il n'eût été défendu que par des
efclaves fans honneur , fans courage & fans
vertus.
M. de Tott explique par le defpotifme
tous les vices de ce monftrueux gouvernement
; mais le defpotifme dont on parle
beaucoup dans les Livres depuis quelques
années , ainfi que de la liberté , eft - il une
Légiflation ? Le P. de Montefquieu le défiDE
FRA N˚C E. 177
nit un État fans règle & fans loi ; & où exifte
une Société fans règle & fans loi ? Ce n'eft
pas en Turquie affurément. Le Coran eft le
regiftre du contrat entre la Nation & le Souverain
, & nous avons vu que celui ci ne le
violoit pas impunément. Selon M. de Tott
il exifte un pouvoir intermediaire dans le
corps des Gens de Loi ; mais , ajoute t - il ,
on apperçoit le choc & les débats qui doivent
naître entre deux Puiffances dont le droit eft
égal, & dont les intérêts font differens. Et
fans cette oppofition où feroit la poffibilité
de la réſiſtance ? Le fyftême des contre - forcesfur
lequel font fondés tous les Gouvernemens
mixtes n'a pas d'autre baſe.
Mais le Defpote emporte la balance.
Trouver on beaucoup de Monarchies où la
Puiffance fouveraine foit foumiſe à la céder
? Il a de terribles moyens de fe faire
obeïr; & de terribles fujets de crainte : en
un mot , le tableau qu'offre ces Mémoires
eft celui d'une grande Anarchie , de la force,.
feule dominatrice , d'un pouvoir incertain
tantôt redouté , tantôt foulé aux pieds par
la multitude , exercé , foutenu , réprimé tou
jours avec violence. Or l'État déchiré par cette
guerre inteftine du Prince à fes Officiers ,
des Miniftres aux Gens de Loi , & de la po
pulace à tous, eft un Gouvernement diffout . Si
ce régime tumultuaire eft le defpotifme , convenons
qu'il eft inexact de le ranger , comme
l'a fait le P. de Montefquicu , entre les for
mes régulières des Conftitutions politiques.
Hv
178
MERCURE
On conçoit l'indignation d'une âme noble
pour des ufages Hérriflans ; quelquefois même
le mépris que lui infpire la Nation qui
s'y eft foumife lui empêche de la juger impartialement
, fon humeur prend alors le caractère
de celle du Milantrope honnête dans
une Société corrompue , & fouvent un abus
local devient à fes yeux un ufage univerfel.
M. de Tott , par exemple , attaque la per
ception des tributs en nature en difant : De
cent turbots qu'un Pêcheur apporte , on lui
prend les dix plus beaux , & qui valoient feuls
tout le fretin qu'on lui laiffe ; mais le malheur
feroit encore plus grand fi l'on faignoit
la bourfe du Tributaire lorfque fes filets ont
été vuides. Voilà cependant l'image de l'impôt
par tout où il n'eft point affis fur le revenu.
La conclufion la plus défefpétante de
l'Auteur eft l'éternelle ignorance à laquelle
la nature de leur langue a condamné les Ot
tomans. L'Arabe néanmoins dont elle dérive
a bien autant de difficultés ; le Chinois fait
auffi l'étude d'une vie entière , & ni les Arabes
ni les Chinois n'ont été privés de connoiffances.
Obfervons que Pietro della Vallé dit
que cette même langue Turque eft auffi belle
que facile. L'Hiftoire des Voyages n'eft que
celle des contradictions .
Les opinions pourront varier fur la manière
d'interpréter les faits de ces Mémoires ,
fur les inductions à en tirer , fur les idées
politiques qui en résultent ; celles que nous
venons de foumettre au Public exigeroient
DE FRANCE. 179
des prenves & des développemens ; nous
fommes obligés de nous borner à leur indication
, & de dire en finiffant :
Si quid novifti rectius iftis ,
Candidus imperti , fi non his , utere mecum.
( Cet Article eft de M. Mallet du Pan. ) ¸
JEANNECROLOGIE.
EAN - CHARLES DE RELONGUE DE LÀ LOUPTIÈRE
, mort il y a quelques mois , étoit né
à la Louptière , Diocèfe de Sens , le 16 Juin
1724. Il s'étoit fait connoître avantageufe
ment par des Poéfies , dont la plupart ont paru
dans divers Recueils . Ses Ouvrages font plus
agréables que volumineux. Des hommages.
aux talens & des madrigaux aux Belles lui
avoient fait tout à la fois une réputation de
galanterie & d'honnêteté. Ce Journal a été
fi fouvent le dépofitaire de fes amuſemens
poétiques , qu'il eft bien jufte qu'on y confacre
quelques lignes à fa mémoire ; cet hommage
, qui ailleurs feroit un acte d'équité ,
devient pour nous un tribut de reconnoiffance.
De l'efprit , de la grâce , & , dans fes dernières
années fur tout , des vers bien tournés,
le faifoient remarquer parmi nos Poëtes Éro
tiques. Si fes fuccès n'ont pas été brillans , fes
prétentions ont été bornées; & fi on ne peut
pas lui décerner les grands honneurs Litté
H vj
180 MERCURE
raires , on ne peut pas l'accufer d'avoir fait
de vains efforts pour y parvenir ; en un mot ,
foit confcience , foit timidité , fon talent &
fon ambition fe font bornés aux Poéfies Fu
gitives.
Ce genre a toujours été cultivé par les
Mufes Françoifes , & il femble propre fur
tout au génie national. Un peu reffemblant
au vaudeville , né plutôt de la faillie que de
la méditation , & tenant plus du monde que
du cabinet , il a dû changer fouvent de nuance
& de caractère ; outre qu'il a toujours naturellement
dépendu des progrès de la Littérature
& des variations de la langue , il a dû
auffi prendre fucceffivement la teinte des
moeurs , des ufages & de la mode. Auffi
avons- nous une foule innombrable de poéſies
fugitives qu'on relit avec plaifir; & très peu
de Poëtes font cités comme ayant excellé
dans ce genre , parce que la plupart de nos
Écrivains s'y étant plus ou moins exercés ,
on n'a pu s'y faire un nom qu'en y portant
une phyfionomie particulière , ce caractère
original , qui feroit du génie dans un genre
plus élevé.
Marot eft le premier qui s'offre ici à l'imagination.
La grâce naïve , & le tour heureux
de fon ftyle dans les bons Ouvrages , lui prê
tent tout le charme que la langue de fon
temps pouvoit donner à la poéfie . Cet éclat
' d'un moment fut fuivi d'une longue inertie.
Jufques bien avant fous Louis XIV , aucun
Poëte ne porta dans les Poélies fugitives ce
DE FRANCE. 181
caractère original qui identifie le fouvenir
du nom de l'Écrivain avec celui du genredans
lequel il a écrit . * La République Littéraire
, fous le Dictateur Boileau , eroit occupée
de trop grands intérêts , pour laiffer aux
Mufes le temps de pourfuivre ces grâces Fugitives
; il falloit effacer la rouille antique
que le barbare Konfard avoit imprimée
à notre poéfie ; il falloit fixer la langue
; avant de lui permettre , pour ainfi
dire , de caufer dans le monde , il falloit lui
apprendre à parler le langage des Dieux.
Cette Mufe fut reffufcirée par le volup
tueux Chaulieu , dont les grâces négligées
offrent encore un modèle à nos Poëtes Érotiques.
Voltaire , héritier de tous les talens ,
fut lui prêter des charmes nouveaux , lui
donner une phyfionomie plus régulière &
plus piquante à la fois . Enfin Greffer
contemporain de Voltaire , cue llit dans le
même champ de nouveaux lauriers ; ils marchèrent
tous deux dans le même fentier , fars
être gênés l'un par l'autre . Ce qui prouve que
Greller y montra un talent original , c'eft
qu'on ne fongea pas même à examiner lequel
des deux avoit mieux réuffi , tant il eft vrai
que , dans le même genre , fouvent deux rivaux
ont entre- eux une phyfionomie fi dif-
Sarazin , que nous ne eitons point , mérita plus .
d'éloge que Voiture , qui dans fon élégant badinage ,
mit encore plus de mauvais goût que d'efprit,
182 MERCURE
tincte , qu'on oublie même qu'ils font
rivaux.
-
Peut être , quoique éloigné de fes_modèles
, Dorat fera- t'il cité après eux , comme
ayant montré un coin d'originalité dans quelques
poéfies très- piquantes , & qui n'ont
guères d'autre défaut que de fe trouver dans
fes oeuvres en trop nombreuſe compagnie.
M. de la Louptière ne fera pas cité parmi
les noms que nous venons de rappeler ; mais
fes poéfies , quoique fouvent foibles , feront
lûes avec plaifir parmi leurs Ouvrages. On
a peu de détails de fa vie privée . Il étoit de
l'Académie de Châlons & de celle des Arcades
de Rome. On a de lui les fix premières
Parties du Journal des Dames , de l'année
1761 , & un Recueil de Poéfies . Il ne fe permit
jamais l'efprit de l'épigramme , encore
moins celui de la fatyre : il aima mieux
célébrer les Grâces & l'Amour, que d'affliger
l'amour propre & les talens.
(Cet Article eft de M. Imbert. )
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LA troifième repréſentation de l'Opéra de
Dardanus ayant été retardée par l'indifpo
fition d'un Acteur , nous avons été forcé de
DE FRANCE. 183
différer nous - mêmes le compte que nous
avions à rendre de la mufique de cet Opéra ,
& fur tout de l'impreffion générale qu'elle
a paru faire fur les Spectateurs.
La feconde & la troifième repréfentation
ayant beaucoup moins laiffé à defirer dans
l'enſemble de l'exécution que la première ,
on a paru goûter davantage & rendre
plus de juftice à plufieurs morceaux , dignes
à beaucoup d'égards de la réputation
du grand Maître qui en a fait la mufique.
On a applaudi au premier Acte l'air
d'Antenor: Dardanus a pour lui les cieux ;
mais bien davantage & plus juftement encore
le fuperbe duo entre Antenor & Teucer,
& le chaur qui lui fuccède , où le Compofiteur
a réuni au ftyle le plus clair & à l'harmonie
la plus pure , une expreffion majeftueufe
& toute l'énergie que demandoient
les paroles de ce ferment. L'air que chante
Dardanus au fecond Acte : Jour heureux
efpeir enchanteur , a obtenu & mérité les
mêmes applaudiffemens. On y a admiré cette
mélodie , auffi douce que fenfible , & cette
grâce dans le chant & dans les accompagnemens
, qui femblent caractériſer particulièrement
le talent de M. Sacchini . La Scène entre
Iphife & Dardanus , dans le même Ace ,
mérite auffi des éloges. M. Sacchini a prefque
toujours rendu cette Scène , fi difficile à
traiter en récitatif , avec l'expreffion tourà-
tour fenfible , timide & ingénue que demandoient
les paroles charmantes que le
184 MERCURE
Poëte a miles dans la bouche de cette Princeffe
, lorfqu'elle fait à Dardanus , qu'elle
prend pour Ifmenor , l'aveu de la paffion
qu'elle reffent pour ce Prince ennemi de fon
père. Le duo entre cette Princeffe & Antenor,
au troisième Acte, & les choeurs des Conjurés
qui le terminent , ont paru avoir-le caractère
que demandoient les paroles & la fituation.
On a rendu la même juftice à la ritournelle
& au monologue de Dardanus lorſqu'il paroît
dans la prifon , au quatrième Acte. Le
duo qu'il chante avec Ifmenor: Vole, Amour,
a plû par la fraîcheur & la grâce fpirituelle
des accompagnemens , qui femblent préparer
la defcente des Génies transformés en
Amours , plus encore que par l'originalité du
chant. Les airs de danfe de ce Divertiffement
ont eu le plus grand fuccès , & l'on
a appiaudi fur tout celui que danfe Mlle
Guimard & le Sieur Veftris .
Après avoir loué avec plaifir tous les morceaux
dignes d'éloges que prefente cette
nouvelle compofition de M. Sacchini , nous
n'affecterons point de relever les défauts qu'on
fe plait trop à rechercher dans cet Opéra.
Nous croyons , que M. Sacchini eût pu mieux
faire ; Renaud & Chimène l'ont prouvé ;
mais nous croyons en même temps qu'on
juge cer Ouvrage avec trop de févéité ; que
les reproches que Pon fait à fon recitatif ne
fout effentiellement juftes que dans plufieurs
parties du rôle d'Ifmenor , auquel il n'a
pas toujours donné , foit dans le chant , foit
DE FRANCE.
(
185
dans les accompagnemens , cette couleur
fombre & impofante en même - temps qui
convenoit au caractère de ce Magicien ; &
ce que nous croyons fur tout plus encore ,
c'èft que le manque d'intérêt & de liaiſon
entre les diverfes parties de ce Poëme ont
affoibli , bien plus encore que les négligen
ces de la mufique , le fuccès qu'on fe plaifoit
à attendre de la célébrité du Poëme & da
mérite du Compofiteur.
Il nous refte à rendre compte de l'exécution
de cet Opéra. Mlle Maillard , qui , à
la première repréſentation , avoit manqué de
jufteffe & de précifion dans le rôle d'Iphife ,
a joué , dans les autres repréfentations , avec
des détails d'intelligence & de fenfibilité qui
lui ont mérité des applaudiffemens . Le fieur
Lainez a rendu celui de Dardanus avec l'intelligence
qu'on lui connoît. Le rôle de
Teucer a été joué deux fois par le fieur Larrivée;
& des raifons de fanté l'ont fans doute
forcé d'abandonner ce rôle à la troisième
repréſentation. Il y a été remplacé par le fieur
Moreau , dont le zèle conftant mérite la re
connoiffance de l'Académie Royale de Mufique
, & doit lui aflurer la bienveillance du
Public . Le fieur Laïs a chanté le rôle d'An
tenor avec le goûr qui caractériſe fon talent.
Les choeurs & l'orchestre n'ont rien laiffé
à défirer dans l'exécution de cet Opéra .
Le Ballet du premier Acte , le premier.
qu'ait compofé M. Gardel le cadet , nous
a paru bien deffiné. On cût regretté davan,
186 MERCURE
tage le pas qu'il y danfoit avec Mlle Saunier ,
si cette Danfeufe n'eût pas été remplacée par
Mlle Zacharie , dont les progrès fixent chaque
jour l'attention du Public de la manière
la plus favorable. Le Ballet du ſecond Acte
a déplu généralement . Des Magiciens armés
de baguettes , & s'en fervant pour faire une
efpèce d'exercice qui ne pouvoit être que
ridicule , ont fait fourire d'une manière aſſez
marquée les Spectateurs , lorfque Dardanus,
fufpendant ces longues évolutions prétendues
magiques , a dit :
C'en eft fait ; le fuccès paffe mon eſpérance.
Nous fentons que le Compofiteur a cru
devoir conferver l'ancienne tradition dans
la compofition de ce Ballet ; mais nous
croyons que , avec un talent comme le fien ,
on ne doit point s'afſujétir à ces vieilles
conventions théâtrales , lorfqu'elles font d'un
effer au moins nul , & qu'il devoit les remplacer
par des cérémonies telles à peu près
que celles que décrivent nos Poëtes en
parlant des opérations magiques des Médées
& des Circés ; mais le défaut de ce Ballet a
été réparé par la manière auffi gracieuſe que
piquante dont M. Gardel a traité le Ballet de
la Priſon. Il étoit difficile de préfenter un
tableau plus agréable , & d'y placer un pas
de deux plus féduifant que celui qu'ont exécuté
avec tant de grâces . & de légèreté
Mlle Guimard & le fieur Veftris. Le Ballet
qui termine cer Opéra nous a paru d'une
DE FRANCE. 187
compofition riche & variée , feul effet qu'on
doive attendre de ces fortes de Divertif
femens .
Cet Opera a été mis avec foin. La Décoration
du premier Acte nous a paru d'un
bon effet. Celle de la Prifon , la même qui
fut faite d'après le deffin de Piranèſe , lorfqu'on
donna cet Opéra pour la première
fois , a toujours réuni les fuffrages des gens
de l'Art. Nous obferverons cependant que
les balcons , les rampes & le genre d'Archi
tecture qu'elle préfente , femblent plutôt offrir
la vue d'une de nos prifons modernes,
que celle d'un Héros dans des temps fi re
culés.
(Cet Article eft de la même main que l'Analyfe
du Poëme, imprimée dans le Mercure
du 11 de ce mois . )
ANNONCES ET NOTICES.
LE petit Magafin des Enfans , ou les Etrennes
d'un Père , &c. , contenant un Cours complet &
précis d'Éducation mis à la portée des Enfans des
deux fexes , avec les Notions les plus exactes & les
plus lumineufes fur la Religion , la Géographie ,
I'Hiftoire , la Morale , l'Hiftoire Naturelle , &c.
fuivi d'un Abrégé des Dieux & des Héros de la
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brochés. A Paris , chez Fournier , Libraire , rue du
Hurepoix , & Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet,
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On trouve auffi chez Fournier , ainfi qu'à Troyes ,
chez la Veuve Gobelet , Imprimeur du Roi , à Nogent-
fur-Seine , & chez l'Auteur , à Nogent- fur-
Seine auffi , un Effai d'Arithmétique à l'ufage des
Enfans , contenant les premiers Elémens de cette
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On trouve auffi chez le même l'Almanach néceffaire
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Pays-Bas Autrichiens , François , & la Hollande.
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il diftribue le Précis gratis.
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W. S. Ecuyer , depuis l'année 1770 jusqu'en 1781 ,
traduites de l'Anglois par ***. A Paris , chez
Cu het , rue & hôtel Serpente.
On connoît déjà cet Ouvrage par deux morceaux
qui en ont été inférés dans le Mercure. Il offre des
tableaux hiftoriques des États- Unis, & des fcènes touchantes
, qui ne fervent pas moins à peindre les
moeurs de l'Amérique Septentrionale. On en rendra
compte inceffamment.
DEUX Portraits faifant pendans , Henri IV & le
Czar Pierre Premier ; le premier , d'après François
Phorbus , gravé par Alexis Tardieu ; le fecond , d'après
Louis Caravague , premier Peintre du Czar , par P.
G. Langlois . Prix , 6 liv, chaque.
On doit les plus grands éloges aux jeunes Auteurs
de ces deux belles Gravures , pleines d'accord &
d'énergie , & qui ne laiffent appercevoir aucun des
DE FRANCE. 78
défauts ordinaires à de jeunes Artiftes. Le Portrait
du Czar , qu'on reconnoît pour être parfaitement
reffemblant , a été fait à Aſtracan en 1716. L'un &
l'autre fe vend chez M. Moreau le jeune , Deffinateur
& Graveur du Cabinet du Roi & de fon Académie
Royale de Peinture , rue du Coq S. Honoré.
Chez le même Artifte , ( M. Moreau ) ſe diſtribue
actuellement la treizième Livraiſon des Figures de
l'Histoire de France. C'eſt une des plus intéreffantes ,
& elle donne une nouvelle preuve de la brillante fécondité
de fon Auteur.
PORTRAIT de M. le Marquis de la Fayette
commandant la Divifion Américaine au fiège
prife de la Ville d'Yorck , par les Armées Combinées ,
peint par L. Lepaon , Peintre de Bataille de S. A. S.
Mgr le Prince de Condé , gravé par N. Lemire , des
Académies Impériales & Royales , &c. A Paris
chez l'Auteur , rue & porte S. Jacques , à côté du
Café d'Aubertin , N. 122. Prix , 12 liv.
Ce Portrait fait pendant à celui du Général Washington.
Ces deux Eftampes font très- intéreffentes .
tant par le fujet que par le brillant de l'exécution .
Le même Artifte annonce au Public, qu'il a fait l'
fon Eftampe de la Crainte , un changement qui
motive davantage le fujet. Cette Eftampe eft trèsagréable
; elle fait pendant au Verrou. Le prix eft
de , liv. Il en a de coloriées , comme le Tableau,
d'un prix différent pour les perfonnes qui en defireront.
L'on trouve chez lui le Temple de Gnide , de
M. de Montefquieu , orné de dix Gravures, de formar
grand in 8 °. , & autres Eſtampes.
-
LA Nymphe au Bain. La Nymphe fortant de
Bain , deux Eftampes gravées d'après Bonnieu ,
Peintre du Roi , par C. F. Letellier . Prix , a liv
190 MERCURE
chaque. A Paris , chez l'Auteur , maiſon d'un Boutonnier
, rue des Vieilles-Étuves S. Honoré.
LE Repos des Nymphes , Eftampe de 13 pouces
de haut fur 17 de large , gravé d'après Amiconi ,
par M. Legrand . Prix, 6 liv. en noir ; coloriée, 12 liv.
A Paris , chez Crépy , Marchand d'Eftampes , rue
S. Jacques , No. 252.
Cette Eftampe eft deſtinée à fervir de pendant à
Diane au bain.
SEIZIE ME Chapitre du Voyage de la Sicile.
A Paris , chez M. Houel , Peintre du Roi , rue du
Coq-Saint- Honoré , à côté du Café des Arts.
Ce Chapitre traite feulement du Théâtre de
Taormine , que l'Auteur a trouvé affez confervé pour
le confidérer comme un monument effentiel & propre
à faire connoître ce genre d'édifices chez les Anciens.
La première Planche repréfente l'aspect de ce
Théâtre vû au Midi , cù eft fa face principale. Cette
Eftampe le fait connoître prefque entièrement d'un
feul coup d'oeil , en réuniffant les avantages d'un
Deffin géométral & deux Vûes perspectives ; par la
hauteur modérée où l'Auteur a mis le point de vue ,
on voit le dedans & le dehors de cet Edifice en
même temps. La feconde Planche préfente effentiellement
la Vûe intérieure de fon avant- fcène , de
fon orchestre , de toute l'étendue du terrein incliné
où étoient les gradins de ce Théâtre : de ce point de
vûe on voit en deçà de l'avant- ſcène les environs de
la Ville de Taormine , & au- delà le mont Etna , qui
domine tout ce qui l'environne , quoiqu'il foit fur le
plan de l'horizon de ce tableau , ce qui prouve fon
extrême élévation. La troisième Planche préfente le
plan du rez de-chauffée de cet Edifice , & en fait
connoître les fouterreins & les autres particularités
intéreffantes. Le deuxième Plan occupe la quatrième
DE FRANCE. 191.
Planche ; il fert à développer ce que ce Théâtre a de
plus important intérieurement & extérieurement. Le
troifième & dernier Plan fait connoître les parties
fupérieures de ce Théâtre ; & la dernière & fixième
Planche préfente deux coupes chacune dans un fens
oppofé ; elles font connoître , felon la plus grande
vraisemblance , d'après ce qui refte de cet Edifice ,
l'ordonnance de l'Architecture qui décoroit fon intérieur.
On y voit la fcène exactement rétablie , les
Acteurs mis en action tels qu'ils étoient au jour des
grandes repréſentations . On trouve expliqué dans le
texte les différens ufages que l'on faifoit de ce Théâtre
lorsqu'on y repréſentoit des Tragédies , des Comédies
ou autres Drames.
On ne doit pas ceffer d'encourager M. Houet à
pourfuivre une Entrepriſe fi utile aux Amateurs de
I'Antiquité.
JOURNAL de Violon , dédié aux Amateurs ,
Numéro 12. Ce Journal , compofé de Duos , peut
fervir auffi pour deux Violoncelles . Prix , féparément,
2 liv. Abonnement 15 & 18 liv. A Paris , chez
le fiear Borner l'aîné , Profeffeur , & Marchand de
Mufique , au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires ,
près Saint Euftache.
L'accueil que le Public a fait à ce Journal , qui
paroît le premier de chaque mois avec une exacti
tude fcrupuleufe , engage l'Auteur à le continuer
l'année prochaine aux mêmes conditions.
ENCRE du Sieur Salmon , approuvée par l'Académie
Royale des Sciences , & autres objets de
Papeterie, &c. A Paris , au Portefeuille Angiois , rue
Dauphine , vis- à - vis celle d'Anjou , nº. 26.
Nous avons déjà annoncé l'Encre & divers autres
objets du même Magasin , tels que du Papier battu
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& lavé pour la Mufique & le Deffin , Portefeuilles
en maroquin, à foufflet & à écritoire , Néceffaire de
poche & pour la toilette , Encres de toutes couleurs
& fympathiques , &c. Le même Marchand prévient
que l'on trouvera chez lui , pour les Étrennes , de
très- jolies Écritoires à néceffaire & autres , auffi- bien
que des Boîtes ornées & garnies de papiers , enveloppes
, cire de toutes couleurs & à odeur , & c . Il
entreprend auffi les Boites avec compartimens les
plus compliqués, tant pour le filet que pour broder ,
couvertes & enjolivées dans le goût qu'on defirera.
ERRATA du Numéro so . Page 93 , Article
Quadrille des Enfans , par M. Berthaud , au lieu
de 24 Figures , lifez 84 .
ERRATA du Numéro 51. Page 109 , ligne 28
au lieu de croire , lifez penfer. Page 111 , ligne 7 ,
un foupir mystérieux , ôtez myßérieux.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez
Couvertures.
TABLE.
ERS qu'on intitulera com- Jur les Turcs & les Tatme
on voudra . ·145
tarcs ,
Charade , Enigme & Logo Nécrologie
152
179
gryphe , 147 Académie Roy. de Mufiq.182
Mémoires du Baron de Tott , Annonces & Notices , 187
J'AI
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 23 Décembre . Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'unpreſſion . A Paris ,
le 22 Décembre 1784. GUIDI.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères