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1784, 06, n. 23-26 (5, 12, 19, 26 juin)
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MERCURE
BLEE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENAN †
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres , les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c .
SAMEDI 5 JUIN 1784.
THEUTE
DU
PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de
rue des Poitevins .
"Avec Approbation & Brevet du Roi,
STOR
LIM
TABLE
Du mois de Mai 1784.
PIÈCES
FUGITIVES.
Madrigal ,
Quatrain ,
Eloge des Brunes
A Pauline ,
Romance ,
18
des Tribunaux ,
Sermons fur l'Aumône ,
Fragment de Xénophon , 10
ib. Etrennes Lyriques ,
49
Le Roi , fon Fils & l'Efclave,
Fable ,
Epire fur l'Ambition
55
Cécilia, Troisième Extrait, 103
Doutes fur différentes Opi-
120
124
151
Couplets à Mile Warefcot, 99 Hiftoire Naturelle des Oi-
52
nions ,
Etrennes du Parnaſſe ,
97
Galatee ,
A Madame de Meulan , 145 feaux ,
A M. Pujos 146 Nécrologie ,
A Madame *** ib.
Regrets d'une Mère ,
SPECTACLES
209
68
147 Concert Spirituel , 21 220 •
Epitre au Prince Ferdinand Acad . Koy. de Mufique , 23 ,
d'Autriche, 193
196
73 , 31 , 171
179
La Fauffe Rivalité , Ancc Comédie Françoife , 33 , 78 ,
dotę,
Charades , Enigmes & Logo Comédie Italienne , 36 , 182 ,
gryphes, 6 , 54 , 101 , 149,
208 Variétés ,
200
39,2-5
NOUVELLES LITTÉR. Annonces & Norices , 40 , 94 .
Efais fur l'Hiftoire Générale 136, 185 , 237
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Cône.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDIS JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES .
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à M.
Nous voici , cher M *** , dans des tranfes
cruelles ,
Je frémis d'y penfer ; nous allons déformais
Reflentir les dégoûts , les langueurs de la paix ,
Et nous fommes réduits à vivre fans nouvelles.
On voit dans tous les ports défarmer les vaiffeaux ,
Le commerce reprend fa bénigne influence ;
L'heureux Américain , fier de l'indépendance ,
A fe donner des Loix confacre fon repas ;
唇
Bouillé cède aux Anglois fa plus belle conquête ;
A de hafards plus doux la Fayette s'apprête ,
Rochambeau , Saint-Simon , Viomefuil , Buffy ,
Le favant Chatellux , du Portail & Fleury ,
Dès long tems d'Yorck-Town ont quitté les murailles,
Et ces Chefs renommés paroiffent à Verfailles.
A ij
4
MERCURE
Hood , Lord Howe & Rodney , fi fouvent enviés ,
De leurs concitoyens vivent prefqu'oubliés ;
Franklin , dont les fuccès ont couronné l'ouvrage ,
Voit à fes grands talens l'Europe rendre hommage ;
L'immortel Wafington , rendu dans les foyers ,
Aux champs qu'il a fauvés voit croître fes lauriers ,
Tant de fois couronné des mains de la Victoire ,
Suffren , près de fon Roi , vient jouir de ſa gloire.
DANS ce calme , où chercher un remède à l'ennui ?
Dans nos nombreux Papiers que trouver aujourd'hui ?
Leur longueur triftement fe borne à nous apprendre
Que Catane a péri , que Meffine eft en cendre ,
Qu'on voit renouveler les fureurs de l'Ethna ,
Que l'air eft obfcurci des vapeurs de l'Hécla ,
Qu'une Ifle fort des eaux par les feux dévorée ,
Que Bizance à la pefte eft fans ceffe livrée ,
Que la grêle détruit l'espoir de nos moiſſons ,
Que des torrens affreux ravagent nos vallons ,
Que la flamme défole ou nos bourgs ou nos villes ;
Enfin , pour achever fes articles ftériles ,
Le Courier de l'Europe ofe nous raconter
Qu'à Londres on veut prouver qu'à préfent fans obftacle,
A volonté fous l'eau nous pouvons habiter ,
Tandis que tout Paris voit un autre ſpectacle.
Un . Dédale nouveau part & monte à ſon gré ,
Fait fans rifque dans l'air une courfe rapide ,
¥ fuit avec fon char un chemin ignoré ,
DE FRANCE. SY
Reparoît & détruit le préjugé timide .
Jugeant qu'on ne croit guère à ces beaux rêves -là ,
Le Gazetier recourt à Francfort , à Cologne ,
Aux débats éternels des Diètes de Pologue ,
Et nous inftruit des deuils & des Cours en gala.
OU SONT ces temps heureux où l'Europe alarmée
Vous mettoit en commerce avec la Renommée ?
Pour publier au loin les plus rares exploits ,
Cette agile Déeffe empruntoit votre voix ;
On voyoit fur vos pas même les élégantes ,
Lorfqu'ouvrant les billers du fage d'Ar....,
Vous répandiez le bruit des conquêtes brillantes
D'Hayder-Kan , de Crillon , Galvès & Cordova.
Vous échappiez à peine à la gloire importune ,
Et votre gloire enfin nous devenoit commune .
Auprès de vous grouppés , marchans, à l'ombre aflis,
Nous attitions fur nous les regards de Paris.
Que les temps font changés ! quelle eft notre exiſtence !
Nous gémiffons en vain de notre oifiveté ,
Nous rentrons à jamais dans notre obſcurité ,
Et la paix nous ravit toute notre importance .
Quand l'injufte fortune acharnée envers nous ,
D'un revers accablant nous fait fentir les coups ,
Il nous importe bien qu'avec fon ministère
Louis foit occupé des deftins de la terre ,
Que fes bienfaits verfés en mille endroits divers ,
Eternifent fon nom cher à tout l'Univers ;
De les heureux Sujets que la reconnoiffance
T
I
A ij
6 MERCURE
Soit le plus beau tribut qui flatte fa puiffance.
Son Royaume à fes foins doit fa prospérité ,
Cela nous fauve -t'il de notre nullité ?
Pouvons- nous échapper à cette indifférence
Que le Public ingrat marque à notre exiſtence ?
Pour obtenir encor part à fon entretien ,
Courons voir le foleil fur le Méridien ,
Au jardin donner l'heure , agacer S *** ;
Après l'habit d'été montrer l'habit d'automne ,
Annoncer i le temps eft chaud , froid , laid ou beau ,
Combiner au café les dez d'un domino ....
Mais déjà l'on entend la Difcorde fatale ,
S'élançant à grands cris de la voûte infernale ,
Donner dans l'Orient le fignal des combats ,
Et Bellone en fureur va marcher fur les pas.
Quel plaifir , cher M *** , cet eſpoir nous inſpire !
Quel fpectacle frappant! la chûte d'un Empire ,
Des fiéges , des affauts , quels grands événemens
Vont fervir de matière à nos amuſemens ?
Sur les bords du Danube , aux champs de la Crimée,
On ne verra bientô: que fang & que famée ,
Et le Nord ébranlé va choquer le Midi ;
Achmet dans fon Sérail de frayeur eft faifi,
Trop vaine illufion ! aux rives du Boſphere
Louis prend la défenfe & négocie encore.
Ah ! que deviendrons nous , fi ce Roi tout- puiſſant
Pacific à ſon tour 1 Empire du Croiffant ?
(Par une Société de Nouvelliftes.)
DE FRANCE.
7
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Baldaquin ;
celui de l'Enigme eft Château ; celui du Logogryphe
et Pair , dont , en ôtant le
rekte air.
CHARA D E.
LORSQUE l'Hymen , en caprices fécond ,
Joint l'époufe méchante à l'époux trop bonhomme ;
La femme eft mon premier , le mari mon fecond ;
Mon tout dans vos vergers eft moins gros qu'une
pomme.
MON
( Par M. le Marquis de Fulvy. ),
ÉNIGM E.
ON nom doit t'être fort connu.
Vois , cherche un peu dans ta cervelle ,
Je contiens quand je fuis femelle;
Mais mâle , je fuis contena.
(Par M. Sam... )
A iv
MERCURE
LOGO GRYPH E.
LICTEUR,
■CTEUR, tu la connois ; elle eft grande , elle eſt
belle ,
Elle eut beaucoup d'éclat aux jours de fon printemps ;
Et , quoiqu'elle foit vieille , on fait que fes amans ,:
Toujours plus empreffés , voudroient régner fur elle .
Dans les quatorze pieds tout Amateur verra
Le fruit cher & tardif des amours de Sara ;
Une fête charmante où l'Hymen nous raſſemble ,
Où Plutus & l'Amour vont rarement enſemble ;
D'un jeune infortuné le frère criminel ;
D'un Poëte fublime un Ouvrage immortel ;
Un grand Saint qui toujours de chafteté fit preuve ,
Dont la vertu pourtant fat miſe à rude épreuve ;
Un corps de Citoyens , qui dans Rome autrefois
Fut le foutien du peuple & l'ennemi des Rois;
Un nom chez nous célèbre ; un fleuve ; ce grand
Homme ,
Qui d'un joug odieux voulut préferver Rome ,
Er dans l'adverfité , plus grand que fon vainqueur ,
S'eft acquis , en mourant , un immortel honneur ;
Un Empereur fameux par fa bonté propice ;
L'Écrit du Citoyen qui demande juftice ;
De l'art des Vignerons le célèbre inventeur 3
D'un peuple aimable & gai l'heureux Législateur ;
Cet Anglois vertueux , qui fut dans l'Amérique
DE FRANCE. 9
Fixer par fes bienfaits fa fecte pacifique ;
Des plaifirs les plus doux , ce fortuné féjour
D'où l'Hymen trop fouvent chaffa le tendre Amour ;
Une plaine fatale aux vainqueurs de la terre ;
L'amant trop curieux d'une beauté trop fière ;
Ce prodige d'efprit , de grâces , de beauté ,
Que fon fiècle admira , que Voltaire a chanté ;
Ce que j'ai vû fouvent ,fur le fein de Thémire.
Je ne finirois pas fi je voulois tout dire .
(Par M. Louvet. )
.
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECUEIL de quelques Ouvrages de
M. Watelet , de l'Académie Françoife &
de celle de Peinture. A Paris , chez Prault
Imprimeur du Roi , Quai des Auguſtins ,
1784. in 8°.
E Les Ouvrages qui compofent ce Recueil
font principalement dans le genre anacréontique
; la grâce & la délicateffe en font le
premier mérite ; on y trouve par - tout ce
molle atque facetum , qu'Horace attribue à
Virgile dans fes Églogues ; & on peut dire
de la plupart des détails :
Componit furtim fubfequiturque decor .
Sylvie , petit Roman Paftoral , eft tirée de
A v
19 MERCURE
l'Aminte du Taffe , & on en a tiré un Opéra
qui a réuffi . La modeftie a fans doute dicté
le jugement un peu fevère que M. Warélet
porte fur la profe poétique qu'il a employée
dans cet Ouvrage , & qui , felon lui , a preſque
toujours l'inconvénient de faire regretter
la poéfie , fans en dédommager par les ornemers
dont on cherche à parer la profe. Télémaque
& le Poëme d'Abel , cites par M.
Watelet , demandent grâce pour ce genre ;
on en peut dire autant de la Traduction de
Milton & de celle de quelques autres Poëtes .
Le Temple de Gnide , bien plus rapproché
du genre de Sylvie , forme un titre bien
puiffant en faveur de la profe poétique . On
ne peut pas dire de ce charmant petit Poëme
en profe , qu'il faffe regretter le moins du
monde la poefie ; des Poëtes , même bons ,
ont vainement effayé de l'embellir ; ils n'ont
fait que prouver que c'eſt , pour ainſi dire ,
une profe facrée , dont la poéhe même doit
respecter les beautés originales . Sylvie , dejà
imprimée en 7+ , & qui reparoît aujourd'hui
, fera un titre de plus en faveur
de ce genre ; elle offre des tableaux rians ,
d'une galanterie aimable , d'une volupté dou
ce & décente , & c'eft un fort beau ſtyle que
celui ci :
30
Les oifeaux ne chantoient point encore,
leurs plaifirs , les mortels ne recommençoient
point à fe plaindre de leurs peines ;
» rien n'annonçoit le lever de l'aurore : il
» étoit l'hemie où tout repofe , jufqu'aux
"
DE FRANCE. TI
» aman's malheurenx , lorfque , dans un ha-
» meau de l'Arcadie , la Bergère Sylvie s'é-
" veilla ; les Amours seveillèrent avec elle...
" Elle rempaffont l'Arcadie d'amans & de
> malheureux...... Elie fort , & les Grâces
qu'elle n'a point appelees , s'empreflent &
volent fur les pas. »
Componitfurtimfubfequiturque decor .
C'est un joh tableau , & bien dans la nature
innocenté & paftorale , que celui du umide
Aminte , qui aime Sylvie , qui veut parle &
entreprendre , qui s'anime en fon at fence ,
tremble & fe cache auditôt qu'elle paroit.
" Eh ! comment aurois je pu obtenir ce
que je ne lui ai jamais demande ? .... J'ai
toujours tremble devant elle .... Pourquoi
» redouter une jeune & craintive Bergère ?...
Non , non.... toure ma crainte a difparu .
Sylvie , lui dirois je.....
"
» Dans ce moment il l'apperçoit ... Dieux !
» nem'a t'elle pas entendu ? Il fe cacha auffi-
" tôt.... Tous les projets ſe bornèrent à l'ad-
» mirer & à fe taire . »
L'Oracle & Zénéïde font les deux chefd'oeuvres
de la féerie à la Comedie Françoife
, & c'étoient pour Mlle Gauffin les
deux chef- d'oeuvres du jeu thâtral . L'Auteur
de l'Oracle eft connu , celui de Zénéïde
ne l'étoit pas , du moins il ne l'étoit pas du
Public. Cet Aureur eft M Watelet . Sa Pièce
eft en profe comme l'Oracle. M. de Cahufac ,
à qui elle a été attribuée , n'a fait qu'en chan
A vj
12 MERCURE
ger
la forme & la mettre en vers , chan
gement très indifférent pour le fuccès , quois
qu'en ait penfé Cahufac. Le fuccès eft dû au
charme de la naïveté de Zénéïde , à la vivacité
d'Olinde , aux illufions de l'Amour , a
piquant des fituations , à tous ces traits de
fentiment , d'efprit & de délicateffe dont la
Pièce eft remplie , & tout cela eſt l'’Ouvrage
de M. Watelet.
Mais quelle eft l'hiftoire de ce plagiat , s'il
faut le nommer ainfi ? La voici.
"
сс
M. Watelet avoit abandonné cette Pièce à
M. de Cahufac , qui , après en avoir entendu
la lecture , la lui avoit demandée avec inftance.
« J'avois , dit l'Auteur , des raifons
pour ne pas montrer publiquement lé
goût qui me portoit dans mes premières
années à des ainufemens Littéraires ; ( &
ces raifons , connues de M. de Cahufac , furent
fans doute le fondement de fa demande )
j'avoue , continue l'Auteur , que je fentis
» auffi la curiofité d'éprouver , fans rifque ,
» les hafards de la repréſentation . Je fis ce-
ליכ
"3
pendant mes conditions. J'exigeai qu'on
me montreroit Scène à Scène la traduc-
» tion ; je demandai qu'on ne changeât point
ma fable , & fur tout que l'Ouvrage , heureux
ou malheureux , reftât anonyme. Ce
pacte , ainſi que tant d'autres plus im-
» portans , ne fut pas trop bien obfervé. On
ne me montra que la première Scène ver-
» fifiée . On l'avoit furchargée du récit d'une
' apparition de la Fée Urgande , que je
ور
وو
ود
·
DE FRANCE. 1
rayai impitoyablement . On ne me deman-
» da plus d'avis ..... En dépit de toute déli-
» cateffe d'Auteur , le père adoptif de Zé
» neïde la prit fur fon compte , fans reftric-
"
tion ; mais les amis qui é oient dans la
» confidence , furent indifcrets ..... & les
Almanachs des Théâtres apprirent au Pu
blic que j'avois eu part à cet Ouvrage ....
» Aujourd'hui je rends les vers à celui qui
» les a faits , & je donne la Pièce telle que
"
je l'ai écrite.... Je ne réclame que le petit
» mérite de l'invention , & cela , parce què
» bien certainement il m'appartient .
-
""
Ce mérite de l'invention n'eft pas le feul.
Le dialogue a bien plus de naturel & de
vérité ; les détails , les développemens , bien
plus de richeffe dans l'original que dans la
copie. Les mots même les plus précieux que
le verfificateur a confervés , ne viennent pas
auffi à propos , ne font pas auffi bien placés ,
n'ont pas le même degré de convenance , de
jufteffe , de prefteffe. L'avantage des vers ,
avantage qu'ils doivent à la contrainte même
de la meſure & de la rime , doit être de donner
plus d'éclat aux penfées , de les graver
dans la mémoire , d'obliger à mettre plus de
choix & plus de goût dans l'expreffion . L'avan
tage de la profe eft d'avoir plus de fimplicité
, de naturel , d'abandon , de reffemblèr
davantage à ce qu'elle imite , de fuivre de
plus près la Nature dans tous fes mouvemens
, dans la marche des idées & des fentimens
, mérite bien précieux dans PArt
14
MERCURE
Dramatique , fur- tout dans la Comédie.
Or , les vers de M. de Cahufac , quoiqu'en
général affez bien faits , ne nous paro :ffent pas
avoir le mérite propre aux vers, dans le même
degré où la profe de M. Watelet a le merite
dont la profe eft fufceptible. Lo fque les
deux Auteurs emploient les mêmes idées ,
l'avantage même de l'expreffion eft prefque
toujours du côté de la profe ; l'imita eur n'emploie
pas , à beaucoup près , tous les traits
heureux que fon modèle lui fournit ; & ceux
qu'il ajoute quelquefois de fon chef, font
moins effentiels à l'action , moins adaptés
au caractère du perfonnage , que tendans à'
montrer le Poëte & à provoquer les applau
diffemens.
Dès la première Scène de la Pièce en
profe , Zénéïde peint plus naïvement ſon
aimable caractère. Dans les vers , elle parle
à la Fée de fes bienfaits , mais il femble
qu'elle ne veuille qu'en avoir parlé , le trait
n'eft point placé ; il vient quand il peut &
comme il peut ; dans la profe il fort naïvement
du dialogue , comme du coeur de Zénéïde.
La Fee lui reproche d'avoir conté
toure fon hiftoire , d'avoir tout dit au jeune
inconnu qu'elle a trouvé au Bal.
ZÉN ÉID E.
1
« Mais .... mon hiftoire , n'est - ce pas vos
bienfaits ? Ah ! je me ferois reproché d'avoir
rien oublié. "
Dans la grande Scène entre Olinde & Zé
DE FRANCE.
15
néïde , où il s'agit d'établir l'opinion de la
prétendue laideur de celle- ci , Olinde dans
la profe eft bien plus galant , plus doux , plus
paffionné que dans les vers ; il n'a pas cette
teinte de Petit- Maître que Cahulaç lui donne
quelquefois ; il ne dit point brufquement ,
& d'un ton pique :
Paifque je fuis forcé d'être fincère......
On ne fe cache point quand on a de quoi plaire.
Il préfente la même idée ; mais avec quelles
précautions , avec quelles reftrictions , avec
quels correctifs ! comme on voit toujours
un amant qui craint d'offenfer ce qu'il aime!
Zéneïde fe fâche de ce qu'Olinde s'obftine
à la croire belle ; & cerre colère , où Olinde
n'entend rien , eft bien dans la fituation de
Zéneïde , à caufe de la menace d'Urgande ,
dont elle eſt inftruite , & qu'Olinde ne peut
favoir.
Votre obftination m'excède.
Je me connois , apparemment
Et je vous dis que je fuis laide .
Plus de difpute , ou.... je me fâcherai,
Ce ton d'humeur & d'autorité , ce ton d'enfant
gâté n'eft point du tout ce qui convient ;
l'obftination d'Olinde n'a rien d'excédent ,
elle eft obligeante ; il y a bien plus de fineſſe
& de raifon dans cette autre expreflion de
la même impatience.
“ Ne voilà- t'il pas qu'il me croit la plus
16 MERCURE
belle perfonne du monde ! Et point du
tout. Vous ne favez rien de tout ce que
" vous dites. Pourquoi parler comme un
3 étourdi fans connoître , fans....
و د
19
"3
OLIND E.
à
" Mais que voulez vous , vous même , me
faire entendre? Aimable Zénéïde , oh ! fi
» vous fentiez tout ce que je ſens , vous fau-
» ríez que le coeur devine , & devine bien
plus sûrement , bien plus promptement
que les yeux ne peuvent appercevoir. Eft-
» ce que vous ne vous êtes pas apperçue
» mes regards qu'on s'entend fans fe parler,
qu'on répond à ce qui n'a pas encore été
" prononcé , & qu'on ne fe trompe jamais
quand les fentimens font d'accord ? Hélas !
pourquoi ne nous comprenons - nous plus
depuis quelques momens ? »
»
"
ور
Au lieu de cette éloquence amoureufe , de
ce langage paffionné , on ne trouve dans la
copie que cette petite phrafe sèche & commune
en comparaifon de l'autre.
Non , je ne vous crois pas.
Mon coeur me parle , il me peint vos appas ;
Et c'eft lui feul que j'en veux croire.
Mais c'eft fur tout dans le monologue d'Olinde
que les deux Auteurs font le plus différens
, & que le Traducteur n'a pas même
eu le mérite de fentir celui de l'original.
Olinde croit Zénéïde laide , & il s'arrange
fur ce pied- là.
DE FRANCE. i7
ور
" Eh bien ! elle aura quelque petite dif
» formité , à la bonne heure ..... D'abord ,
fes yeux font très-beaux , je ne puis en
» douter ; je les ai bien vûs , & le maſque
» ne les cache point du tout.... Le tour du
» vifage eft encore le plus agréable du
monde..... Pour la bouche.... Ah ! je n'en
fais rien ; mais elle ne fauroit être diffor
me , à en juger par les fons fi doux & fi
intéreffans de fa voix. Le refte .... Oh ! le
» reſte eft fi peu de chofe ! & puis , dans ce
refte encore , ne faut il pas compter tout
» ce qui plaît dans fon maintien , ce qui
enchante dans ce qu'elle dit ; fa taille , fa
-démarche , fes jolies mains , fes jolis
pieds.... Oh ! la part de la laideur doit être
bien petite. Al
, د
Voilà , s'il eft permis de s'exprimer ainfi
du vrai comique de ſentiment ; voilà ce que
Térence appelle cum ratione infanire. Rien
n'eft plus dans la nature de l'amour & dans
le ton de la Comédie noble & délicate, Celá
eft d'un goût exquis. Comment fe prive
t'on d'un pareil morceau , quand on a le bon
Heur de le trouver dans l'original ? C'eft
pourtant ce qu'a fait le Traducteur. Voici à
quoi il réduit le tout.
Eft- il bien vrai qu'elle ait dit fon fecret ?
Seroit elle laide en effet ?
Qu'importe après tout ? je l'adore.
Ilimportoit beaucoup de ne pas rejeter avec
18 MERCURE
fi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce .
Le fond en étoit fi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réufsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien faiɛ
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie , malgré le petit fard de la verification
; car pour la poéfie , elle eft ici du côté
de la profe.
Cette Pièce a été composée en 1743 .
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en profe , a été composée en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle feulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ftatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de- là à la fiction
hardie & intéreffante que l'Auteur emploie.
Oracrites & Alcimène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , fe difputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
affemblés dans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête ; l'un prépare un Adonis , l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eft content
de fon Ouvrage; & chacun de fon côté , pour
saffurer la victoire , imagine le même ftratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hasard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont befoin. Un fils de
famille , échappé de la maifon paternelle ,
s'eft fait vendre à Oracrites , par Dave , fon
DE FRANCE. 19
Valet , déguifé en Marchand d'Efclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eft devenu
amoureux de Doride , qu'il n'a vûe qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauffes apparences lui font conjecturer
qu'elle eft chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'efclave & de modèle. C'eft dans l'efpérance
de fe rejoindre à elle qu'il le fait vendre
à Oracrites ; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à fes parens , elle lui a été vendue
comme efclave. Ce font ces deux jeunes
amans ( car en fe revoyant ils le deviennent )
que les deux Artiſtes , fans s'être concertés ,
& en voulant fe fupplanter l'un l'autre ,
placent dans le temple de Vénus. Le peuple
s'affemble , & regarde les ftatues d'une dif
tance qui ne lui permet pas d'appercevoir la
fapercherie. Tous les Athéniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Athéniennes
: Rien de fi parfait qu'Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne ? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné , difent les Athéniennes . Tous enfemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés . Le fort avoit nommé pour préfider
à la fête , deux vieillards , Naucratès , qui
pleuroit fon fils , lequel avoir difparu , Dé
mophon , qui pleuroit auffi fa fille qu'on lui
avoit enlevée , ces deux malheureux pères ,
en s'approchant , font frappés de la reffemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans ; chacun fe dirige vers celle
20
7
MERCURE
des ftatues qui l'intéreffe ; les ftatues s'ani
ment , les enfans tombent aux pieds de leurs
pères. Le peuple demande l'explication d'un
tel prodige , les deux Artiftes avouent leur
heureux artifice , demandent grâce & Pob
tiennent ; les deux amans font unis.
On ne pouvoit imaginer un fujet plus
anacréontique , une fiction plus intéreffante y
la Pièce eft parfaitement dans le goût de Térence
& dans le coftume antique. Tout y
refpire la fimplicité grecque & l'amour des
Arts. La jaloufie des Artiftes & leur enthoufiafine
font de main de Maître ; le tableau
du dénouement eft impofant & agréable ,
plein de charme & d'intérêt ; il ne pourroie
qu'avoir un très grand fuccès à la repréfentation
.
Les Veuves , ou la Matrone d'Éphèfe ,
Comédie en trois Actes & en vers , en a eu
dans des repréſentations particulières . Ce
fujet eft connu , il a fouvent été traité fous
toutes les formes.
44
S'il eft un conte ufé , commun & rebattu ,
C'eſt celui qu'en ces vers j'accommode à ma guife ;
Pourquoi le choifir , diras- tu ?
Qui t'engage à cette entrepriſe ?
Cette question n'embarrafferoit point M.
Watelet , il pourroit répondre : C'est pour
rendre ce fujet moral , ce qu'on a trop négligé
de faire.
Zelotidès , vieux mari jaloux , pour éprou
DE FRANCE. 24
ver fa jeune & fenfible épouſe , fait répandre
le bruit qu'il eft mort dans le cours d'un
voyage qu'il faifoit alors , & il revient fecrètement
pour furprendre fa femme ; il apprend
en arrivant qu'inconfolable de fa
mort , elle lui a élevé un tombeau dans lequel
elle s'eft enfermée , réfolue de ne lui
pas furvivre. Il veut jouir d'un fpectacle fi
doux , il s'approche en fe cachant , mais
c'est pour être témoin du moment où la
veuve , cédant aux voeux d'un nouvel amant ,
fort de fa trifte retraite pour le fuivre dans
un féjour plus riant. L'indiffolubilité de nos
mariages laiffoit d'abord quelque embarras
fur ce dénouement ; l'Auteur l'a corrigé d'une
manière très heureufe , par les moeurs mêmes
d'Athènes , qui admettoient le divorce de
part & d'autre. Zélotidès , & fon Valet qu'il
avoit entraîné dans la même faute , s'empreffent
de la réparer en allant chez l'Archente
faire leur déclaration de divorce
fuivant le confeil de Straton , vieillard , ami
dé Zélotidès.
Eftérie eft-elle coupable ?
Vous êtes tout feul condamnable.
Vous l'avez expofée au plus preffant danger ,
Vous lui devez de la rendre innocente.
Voici la moralité de la Pièce :
Pour vous , Meffieurs , de votre mieux
Tirez profit de notre extravagance :
Pour l'Auteur du confeil ayez quelque indulgence ,
22 MERCURE
Dans vos femmes fur- tout entière confiance ;
Et fur certains objets , ſouvenez- vous en bien ,
Contentez-vous de l'apparence ,
N'approfondiffez jamais rien.
Cette Pièce , compofée en 1757 & 1758 ,
eft verfifiée avec facilité , avec grâce. Il y a
sûrement une faute d'impreffion à la page
229 , où on trouve ce vers , qui n'en eft
pas un :
Ou je me trompe dans ma conjecture.
La Maifon de Campagne à la Mode , on
la Comédie d'après nature , Comédie en
deux Actes & en profe , compofée en 777 .
Cette Maifon de Campagne , où des circonftances
particulières artirèrent pendant
quelque temps un concours nombreux de
gens qui fe croyoient curieux , & qui n'étoient
qu'imitateurs & qu'entraînés par la mode ,
eft celle dont M. l'Abbé de Lille a fair cette
charmante deſcription .
Tel eft , cher Watelet , mon coeur me le rappelle ,
Tel eft le fimple afyle où, fufpendant fon cours ,
Pure comme tes mieurs , libre comme res jours ,
En canaux ombragés la Seine fe partage ,
Et vifite en fecret la retraite d'un fage.
Ton art la feconda , non cet art impofteur ,
Des lieux qu'il croit orner hardi profanateur .
Digne de voir , d'aimer , de fentir la Nature,
Tu traitas ſa beauté comme une Vierge pure
D'E
23
FRANC E.
Qui rougit d'être nue & craint les ornemens .
Je crois voir le faux- goût gâter ces lieux charmans,
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eft qu'un fon importun , qu'une meule qui crie ;
On l'écarte . Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui - même en roulant façonnés,
S'alignent triftement. Au lieu de la verdure
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture ,
L'eau dans des quais de pierre accuſe ſa priſon ,
Le marbre faftueux outrage le gazon ,
Et des arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis ofe ufurper la rive .
Barbares , arrêtez & refpectez ces lieux ;
Et vous , fleuve charmant , vous , bois délicieux ,
Si j'ai peint vos beautés , fi´dès mon premier âge
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long- temps à votre poffeffeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur .
La Pièce de M. Watelet eft compofée de
ce qu'on appelle Scènes à tiroir , dont l'avantage
eft d'offrir une grande variété de caractères
, fans qu'on foit obligé de mettre entreeux
les mêmes rapports & les mêmes contraftes
que dans les Pièces ou d'intrigue ou
de caractère ; elle eft animée par un intérêt
d'amour affez piquant , & par un grarfi danger
que court la perfonne aimée ; elle en eft
préfervée par l'amour ; & fon amant , qui
n'ofoit afpirer à elle , acquiert par là des
droits qui le font triompher de fes rivaux.
24
MERCURE
La Scène où cet amant timide & intéreffant ,
pour s'introduire dans le jardin où il eſpère
voir Lucinde , fe donne pour un Botaniste ,
& parle fans ceffe de Lucinde , en voulant
décrire une fleur qui l'attire , dit- il , dans ce
jardin , eft d'un agrément & d'un goût infini ,
& les mots amoureux qui lui échappent &
le trahiffent , font d'un comique noble & fin.
Dorival , c'est le nom de cet amant , enfeigne
la Botanique à Lucinde , & fous ce prétexte
lui parle fans ceffe d'amour , en lui
promettant toujours de n'en plus parler. Elle
s'en plaint avec douceur . « Ah ! charmante
» Lucinde ! s'écrie Dorival , quand je ne vous
parlerois même s'il m'étoit pollible , que
» des plantes & des fleurs , pourrois- je ne
" pas vous parler de ce qui anime toute la
Nature , de ce qui eft la bale du ſyſtême
» de l'Univers , de ce qui fait vivre tout ce
qui exifte .... Et qui me fera mourir ?
">
""
T
LUCINDE.
» Mais votre promeffe.....
DORIVA L.
Et ma promeffe , Lucinde , & vos or-
» dres fi puiffans peuvent-ils empêcher que
» l'Amour ne foit le moyen univerfel qui
foutient , qui anime , qui vivifie tout ce
» qui refpire...... tout......
"
LUCINDE.
Cela peut- être , Dorival ; mais ce n'eft
» que
DE FRANCE.
25
ม
que les fleurs dont il doit être queftion
" en ce moment.
❤
و ر
"3
"
"
و ر
DORIVA L.
Eh bien ces fleurs , Mademoiſelle ;
oui , ces fleurs , divine Lucinde , en éprouvent
les mouvemens , en pratiquent les
myftères ; elles ne fubfiftent que par un
penchant qui les dirige les unes vers les
autres : elles fe delirent , fe cherchent ,
s'approchent , s'épanouiffent , s'épanchent
» & meurent heureufes. Le foleil verfe fur
» elles cette âme , cet amour à qui elles
» doivent l'éclat qui les embellit ; elles lui
» doivent ces développemens qui les font
» renaître. Lorfque ce feu leur manque par
l'abfence de l'aftre du jour , l'affoupiffement
qu'elles éprouvent , c'eft le regret
d'être privées du bien qu'elles goûtoient,
Oui , Lucinde , ce font les peines de l'ab-
» fence. Eh bien ! vous allez m'accufer en-
» core de ne parler que de ce que j'éprouve ,
» de ce que je lens ......
ود
و ر
גכ
ر د
"
""
LUCINDE .
» Vous en convenez..... & je le devrois.
DORIVA L.
" Oui , je l'avoue . Rien de ce que je vois
» dans l'Univers ne touche mes fens & mon
» âme fans fe rapporter à Lucinde. Ce qui
» m'offre quelque perfection , c'eft Lucinde ;
ce qui peint des affections , des defirs ,
No. 23 , 5 Juin 1784.
ונ
B
25 MERCURE
ور
"
c'eft l'image d'un coeur où Lucinde fair
naître tous les fentimens & tous les defirs.
S'éloigne t'elle ? Il languit , il fe fane ,
» il fe ferme à toute efpèce de bonheur. Il
périra comme une plante que frappe un
fouffle furefle , & qui cft privée de l'aftre
» qui la faifoit vivre. »
93
ט
Cet art de rajeunir le langage de l'amour ,
de lui donner une éloquence nouvelle & une
forme piquante , en l'allociant à des idées
etrangères , eft certainement d'un grand
prix.
ور
Un autre mérite de cette Pièce , eft le ridicule
répandu fur les exagérations des faux
admirateurs le Public , dit M. Watelet ,
» pourra ne pas dédaigner quelques traits
» qui peut- être le feront fourire en lui rappelant
des exaltations de fentimens fac-
» tices , & des exagérations de termes qu'il
feroit utilé qu'on ridiculisât de nos tours
» avec autant de talent & de fuccès , que
Molière ridiculifa dans fon temps le pré-
» cieux & le faux favoir.
39
Réflexion importante. En effet , notre jargon
fuperlatif ne fert plus qu'à prouver
qu'on n'a pas les idées , qu'on n'éprouve pas
les fentimens qu'on prétend exprimer avec
cette fauffe énergie. Lorfqu'on veut donner
de la valeur aux mots , & de la fignification
aux chofes , on eft obligé d'en revenir aux
expreffions fimples . Je fuis fâché , dit plus
aujourd'hui que je fuis défefpéré; jefuis bien
aife , que je fuis enchante. Cet afpect eft
DE FRANCE. 27
riant , ceféjour est beau ; que cela eft divin ,
delicicux.
Tels font les Ouvrages les plus confidérables
que contient ce Recueil. Les autres
font des Poëmes Lyriques ; c'eft Milon , Intermède
Paftorale en un Acte , en vers , tiré
d'une Idylle de Gefner. L'A ureur , qui , ditil
, a trouvé deux jeunes amans
S'aimant comme on s'aimoit quand on me laiffeit
faire ,
Fait à la Bergère Chloé
Un conte bien calomnieux ,
Bien bon , comme les fait la bonne compagnie.
Ce conte la rend jaloufe , Milon l'appaife
; voilà tout , mais les détails font trèsjolis
.
Deucalion & Pyrrha , Opéta à grand fpectacle
, en quatre Actes , en vers , compofé
en 1765.
Le fpectacle en effet en doit être magnifique
, en fuppofant le mérite de l'exécution
égal à celui de l'intention .
Délie , Drame Lyrique , en un A&te & en
vers , compofé en 176. Une Ode d'Anacréon
a donné l'idée de ce Poëme , dont
Anacréon eft le Héros , & qui eft en effet
très Anacréontique dans l'idée principale &
dans les détails .
Phaon , Drame Lyrique , en deux A&tes ,
en vers mêlé d'ariettes , repréſenté devant
Leurs Majeftés à Choify en Septembre
17751
11
>
Bij
28 MERCURE
1
Un paffage de Lucien a fourni l'idée de ce
Drame , qui n'eft pas moins Anacreontique ,
que le précédent.
Nous regrettons que la longueur de cet
extrait , & la néceffité de le terminer , ne
nous permettent pas de tirer de ces Poëmes
Lyriques une foule de traits charmans ; on
y trouve par tout de la délicateffe & de la
grâce , une poéfie facile , & d'une harmonie
douce.
SCELTA di Poefie Italiane , de' più celebri
Autori d'ogni Secolo , raccolte , e ton
opportune Note illuftrate da Anton - Benedetto
Baffi , ou Recueil complet des plus
beaux morceaux de Poéfies Italiennes , Lyriques
, Erotiques & Fugitives , avec des
Remarques critiques fur le génie de la
Poéfie Italienne , par M. Baili , Membre
de plufieurs Académies. 2 vol . grand in 8 ° .
A Paris , de l'Imprimerie de M. Lambert ,
rue de la Harpe , près S. Côme. Le prix
des deux vol . in- 8 ° . brochés eft de 12 liv.;
celui de l'Édition in - 4° . , papier d'Angoulême
, eft de 30 liv. les deux vol . , &
48 liv. pour les mêmes deux vol . in -4 ° .
papier d'Hollande .
IL feroit intéreffant pour la Littérature
en général, qu'on eût un Recueil raifonné des
meilleures poéfies de chaque Nation , &
que ce Recueil fût fait par un homme de
goût , connoiffant la Littérature univerſelle ,
DE FRANCE. 29
& capable de juger la fienne avec impartialité.
C'est ce que Voltaire fouhaitoit particulièrement
pour les Italiens , dont la langue
eft la plus poétique de toutes les langues
vivantes ; & c'eft ce que vient d'exécuter
M. Baffi . Nous allons donner une idée
du plan qu'il a fuivi , pour mettre le Lecteur
à portée de juger du mérite de fon travail
& de l'utilité de fon Ouvrage. Il a renfermé
dans huit Volumes les plus belies
Pièces poétiques de fa Nation depuis l'origine
de la Poéfie Italienne jufqu'à nos jours.
Des obfervations critiques , des remarques
hiſtoriques , des notes fur l'idiôme poétique
& fur la fyntaxe grammaticale , accom
pagnent les morceaux qui en font fufceptibles
. Les Pièces font diftribuées de manière
à faire connoître l'Hiftoire de la Poéfie Italienne
, fes progrès , fes viciffitudes , fa dé
cadence , & la renaiffance du bon goût à
différentes époques . Pour remplir cet objet ,
il a fallu que le Rédacteur commencât par des
poéfies des plus anciens Auteurs , comme à
l'époque de la décadence des Lettres en Italie ,
il lui a fallu puifer chez des Poëtes pcu eftimés;
mais ces morceaux qui fuffifent pour faire
connoître ce qu'étoit la poéfie à ces diverfes
époques , ne font pas affez nombreux pour
rebutter les Lecteurs qui , contens de lire
des Ouvrages qui amufent leur goût & leur
imagination , ne font pas jaloux d'acheter
par la lecture de quelques morceaux infi-
Bij
30 MERCURE
pides , la connoiffance de l'hiftoire poétique
d'une Nation .
Les poéfies des Auteurs modernes font
en grand nombre ; & il y en a beaucoup qui
n'avoient pas encore vû le jour . On trouve à
la tête du premier Volume un effai critique
& hiftorique fur la Poéfie Italienne ; & au
commencement du fecond , une differtation
dans laquelle on développe une théorie nou.
velle fur l'harmonie muficale & poétique ,
& fur le technique de la verfification Italienne.
M. Baffi , en commençant fon effai , remonte
à l'état de la Littérature Italienne >
lorfque le fiège de l'Empire for tranſporté à
Conftantinople. Delà il paffe à l'époque où
Charlemagne fonda en Italie l'Académie
dite Palatine. Il entreprend de prouver que
depuis l'arrivée de Charlemagne , jufqu'à
celle de Charles d'Anjou , Comte de Provence
, le goût des Lettres s'est toujours
confervé plus ou moins en Italie ; ce qui le
conduit à combattre l'opinion de M. l'Abbé
Millor & du Père Papon , qui s'accordent à
dire qu'à l'arrivée de Charles d'Anjou , les
Italiens étoient plongés dans la plus profonde
ignorance , & qu'ils durent aux Troubadours
l'origine de leur poélie . Nous n'effayerons
pas de confirmer ni de réfuter à
cet égard l'opinion de M. Balli ; .nous obfer
verons feulement qu'il eft prefque impoffible
qu'un Écrivain fe dépouille entièrement
de tout préjugé national . Quoi qu'il en foir ,
DE FRANCE. 31
le Dante fut le créateur de la poésie , qui
acquit fous la plume de Pétrarque toute
l'harmonie & l'élégance dont elle étoit fufceptible.
Nous invitons nos Lecteurs à lire
l'article de ce dernier , après lequel M. Baffi
jette un coup d'oeil rapide fur les Poëtes qui
l'ont fuivi , pour arriver à l'époque de la renaiffance
des Lettres fous Laurent de Médicis .
Notre Hiftorien s'arrête à Bembo , le ref
taurateur de la langue Italienne ; & le portrait
qu'il en fait elt accompagné d'abfervations
civiques fur les travaux de ce célè
bre Littérateur. Parvenu à cette époque , où
le goût & la faine critique ont recommencé
à infpiter les Mufes Italiennes , M. Baſi
abandonne le projet de fuivre par ordre des
temps l'hiftoire de la poéfe ; & s'ouvrant
alors une plus vafte carrière , il la confidère
dans les différens genres. Il examine tour à
tour l'épique , le dramatique , le lyrique , le
paſtoral , le fatyrique , &c. Il divife l'épopée
en trois genres; favoir , le Roman épique.
le Poëme héroïque , & le Poëme héroï- comique.
Dans le premier genre , il place l'Orlando
Furiofo , de l'Ariofte ; à la tête des
Poëmes herciques , il met la Jerufalem Délivrée
; & il regarde la Secchia, rapita
comme le meilleur Poëme héroï comique qui
exifte dans la moderne Littérature.
>
En lifant cette divifion , il nous eft venu
deux idées , que nous croyons pouvoir com .
muniquer à M. Baffi . 1 ° . Nous ne voyons
pas bien clairement pourquoi il donne à la
Biv
34
MERCURE
ABRÉCÉ Latin de Philofophie , avec une
Introduction & des Notes Francoifes
par M. l'Abbé Hauchecorne , de la Maifon
& Société de Sorbonne , Profeffeur de
Philofophie au Collège des Quatre - Nations
. 2 vol. in 12. A Paris , chez l'Auteur;
Quillau , rue Chriftine ; Nyon le jeune ,
Quai des Quatre Nations .
LA première Partie de cet Ouvrage contient
la Logique , la Métaphyfique & la
Morale , avec les préceptes de la Rhérorique
; le fecond est tout entier fur la Phyfique
, & l'un & l'autre cft enrichi de notes
faites pour développer les queftions Latines ,
& tout ce qui , plus curieux que néceffaire ,
paroît étranger à la nature d'un Abrégé . On
voit que l'intention principale de l'Auteur
a été de fe rendre utile aux jeunes gens qui
veulent être Maîtres Ès Arts ; mais ce but
n'a point été le feul qu'il ait eu en vûe ; il
a voulu de plus offrir aux Penfions un Livre
élémentaire qui les préparât à la longue étude
de la philofophie des Claffes , ou leur fe vit
de fupplément dans le cas que les Élèves ne
vinffent point au College . Outre l'introduction,
dans laquelle il fuit la marche de la philofophie
, & l'analyfe qu'il donne de ce que
l'on enfeigne dans les Claffes , il expoſe en
François , pour être plus clair , tout ce qui
n'eft fufceptible que d'un Latin difficile &
obfcur. Par exemple , les machines , les obDE
FRANCE
35
fervations Aftronotaiques qui précèdent les
fyftemes de Ptolomes , de Copernic , de
- Tycho Brahe , les Eclipfes , les Me cores ,
les Tubes capillaires , les Notions tur le gaz
inflmmable & les globes aeroftatiques ; ce
mêlange ne paroîtra point une bigarrure
cho quante , & la clarté en fera le fruit. Il eſt
à préfumer que l'ordre & la méthode qui
règnent dans cet Abrégé le feront goûter ,
& peuvent même en faire un Livre d'ufage.
COLLECTION des Moralifies Modernes ,
L'Ami des Vieillards , préfenté au Roi ,
par M. l'Abbé Roy , Cenfeur Royal ,
Membre de plufieurs Académics , & c.
2 vol . in 18. Avec certe Epigraphe : Sur
le front des Fieillards lis tes devoirs écrits.
A Paris , de l'Imprimerie de MONSIEUR
1784 .
CET Ouvrage eft du petit nombre de ceux
qu'il importera toujours de mettre entre les
mains de la jeuneffe . On pourroit le ranger
dans la claffe des bons Livres Claffiques de
morale ; ifporte l'empreinte d'un coeur honnête
, & annonce un efprit fain & cultivé.
L'Auteur , dans fon Avertiffement fimple &
modefte, dit qu'il a travaillé comme un bon
Citoyen , qui n'écrit pas pour être admiré ,
mais pour être ' entendu ; il n'entre dans la
lice avec les gens de l'art , ni pour y rompre
des lances honorables , ni pour y difputer de
mérite , mais pour y faire preuve de zèle.
B vj
36 MERCURE
زا
L'Académie de Montauban avoit propofé ,
il y a quelques années , cette queſtion importante
à développer : Combien le refpect
pour la vieilleffe contribue au maintien des
moeurs publiques ?
nous
M. l'Abbé Roy la traita , felon l'ufage , en
forme de difcours ; il eft dommage qu'il n'ait
pas tenté l'épreuve du concours ,
croyons qu'elle n'auroit pu que lui être trèshonorable
. Il a préféré dans la fuite de diftribuer
fon travail par Chapitres . Les feuls
reproches qui pourroient lui être faits , fans
altérer toutefois le mérite réel de l'Ouvrage ,
il les a fentis & avoués ; ainfi nous n'en parlerons
point. Ce n'eft pas une differtation
Académique fur cette queftion : combien le
refpect pour la vieilleffe contribué au maintien
des moeurs publiques ? Ce n'est qu'un
choix de réflexions fages & utiles fur cette
matière. Plufieurs articles font écrits avec
force , d'autres ont le mérite du fentiment ';
tous généralement font marqués au coin du
jugement & de l'érudition.
A la fin du premier Chapitre , l'Auteur
oppofe la conduite du jeune homme de la
ville à celle des jeunes gens de la campagne ;
ee Chapitre finit ingénieufement par un
bel éloge de la Nature ; celui du vieillard
et également bien fait . Chapitre
fixième , ce que c'eft que la vieilleffe , nous a
paru réunir le double intérêt du folide & de
la gaîté ; nous regrettons de ne pouvoir rapDE
FRANCE. 37
porter ces morceaux tout au long . Le Chapitre
huitième eft encore un des meilleurs ;
M. l'Abbé Roy y prouve d'une manière claire
& précife l'obligation commune à tous les
hommes ,, de travailler , & le pouvoir que
les vieillards eux- mêmes ont de le faire à
leur manière,
ور
ود
ور
Il dit , Chapitre IX , en parlant des moeurs
publiques & particulières : « Les moeurs des
particuliers ne font autre chofe que les
parties homogènes qui forment le tout
» moral de même nature , appelé moeurs
publiques ; identifié avec elles , ce tout ne
» peut fubfifter fans ces parties , mi ne pas
» fubfifter avec elles ..... " Quant aux moeurs
publiques , il continue ainfi : " Repréfentezvous
les Sujets d'un même État , unis
enchaînés par le même lien aux mêmes
règles de bien , foit dans l'ordre politique ,
foit dans l'ordre focial , foit dans l'ordre
religieux , vous aurez alors l'idée d'un cla-
» vecin organique , incapable d'harmonie ,
fans le fecours puiffant de ces trois cordes
; la touche mâle & mefurée du vieillard
n'en tirera que des fons juftes &
précis , & c .
و ر
"3
∞
ور
"
מ
ود
3
Tous les traits cités de l'Hiftoire ancienne
y font exposés avec tout l'intérêt & le charme
qui convenoit au fujer.
Lé fecond Volume femble offrir quelque
chofe de plus légèrement tracé. Nous avons
remarqué les dix feptième & dix huitième
Chapitres ; le dix- feptième commence par
3.8
MERCURE
.
་
une tirade heureufe & vraie fur la mode; il
continue par de fages avis donnés adroitement
au beau fexe ; il roule enfuite fur le
danger de l'union de deux jeunes époux , &
fur l'ufage du bon vieux temps que l'Auteur
regrerte , & il établit l'âge convenable au
mariage pour les deux fexes . Vient après ,
dans le Chapitre dix neuvième , l'eloge de .
Louis XVI , d'autant plus heureufement
amcné , qu'il femble plus éloigné d'abord .
Mais un Chapitre remarquable par une noble
éloquence , c'eſt celui où M. l'Abbe Roy
prouve que le refpect pour la vie elle cft
avantageux pour le maintien de la religion ;
nous croyons faire plaifir à nos Lecteurs
en le citant en entier . L'apostrophe au Tems
eft belle , & n'en relève que mieux celle
qu'il adreffe enfuite à la Religion . " O toi ,
» caufe première & pure de l'harmonie
publique , ég de des bons Princes contre
les méchans , & des Sujets vertaicux contre
» les tyrans , fouffle divin , être , puifiant
» né pour la gloire du Createur & le bon-
» hur de l'homme, Religion fainte , âme de
" l'Univers , le premier des vieillards re
ور
و د
foutient ! L'Erernel lui dit au moment
» de la première heure du monde : je te
» donne l'empire fur l'Univers ; ouvrage de
» mes mains , toutes mes créatures difparoîtront
fuccellivement devant toi. Les
» hoalettes , les fceptres , les monumens ,
les Empires , rien de tout ce qui exifte ne
» pourra te réfifter Ma Religion feule re-
ود
DE FRANCE. 39
"
pofera triomphante fur tes ailes , & cette
faulx énorme dont tu feras toujours armé
» ne refpectera qu'elle.
ود
" Mais quel feroit ton fort , que devien-
» droient tes autels fans la main du vicil-
» lard ? Profcrite , abandonnee , importune
» & odieuſe à la jeuneffe , la vieilleffe fe
» chargeta du poids des ignominies dont le
fiècle s'efforce en vain de te couvrir ; elle
t'offiira dans fon fein un port affuré contre
la malignité de tes ennemis . »
و د
,
و د
و د
Ci
,
Citons encore cette belle tirade fur l'Hôtel
des Invalides. Que j aimerois à te contempler
fouvent , s'ecrie l'Auteur , fous
» ces voûtes fuperbes monumens inappréciables
de la noble piété d'un grand
» Roi ; fous ce dôme facré , plus précieux .
encore par l'encens pur dont il eft fans
ceffe parfumé , que par l'art merveilleux
» des Grands Maîtres dont il eft l'ouvrage !
Là , comme fous l'ombrage des aîles du
Très- Haut , je verrois fe raffembler plu-
» fieurs fois dans la journée , pour lui adref-
» fer leurs voeux & leurs prières , ces hom-
» mes du dernier fiècle , qu'il fuffit d'entre-
" voir pour être faifi de la plus profonde
» vénération . Ceux- là , remuant à peine un
corps mutilé , plus qu'à demi confumé ;
» ceux - ci , couverts de cicatrices , écrâfés
" fous le poids d'un corps chancelant , &
fe foutenant à peine , les yeux fermés à la
» lumière ; tous uniquement occupés de la
grandeur de leur Dieu , oubliant leurs
"
20
و د
"
40
MERCURE
"
"
triomphes paffés , achetés au prix du fang
de leurs frères ; Héros autrefois profanes
prodigues de leur fang pour la patrie ; &
» maintenant.Héros Chrétiens , regrettant
de n'en avoir plus à répandre par la caufe
» de Jéfus- Chrift . C'est ainsi que la Religion
confacre le nouvel héroïfme qui les
» diftingue ; c'eft ainfi qu'au lieu de ces lauriers
qui fe fanent , on les voit fe préparer
» la couronne de l'immortalité , récom
penſe de l'homme jufte. Jeune homme ,
lis tes devoirs écrits fur le front de ces
vieillards , & mets fur ta bouche le doigt
» refpectueux du filence. Malheur à qui-
" conque ofe porter fes pas dans cet afyle
fans en devenir meilleur.
ور
ور
">
>>
و د
Le morceau fur l'utilité des bénédictions
paternelles eft touchant , naturel & bien
penfé. Nous ne favons de quelle mère l'Auteur
a voulu parler au fujet de l'habitude
qu'elle a fait contracter à fa fille de lui demander
tous les jours à fon lever fa bénédiction.
On ne peut faire mieux , & plus à
propos , l'éloge de la vertu & de la beauté.
Nous exhortons l'Aureur à continuer l'exécution
du plan qu'il s'eft propofé dans la
Collection des Moraliftes Modernes, & nous
ofons promettre d'avance à fes travaux Littéraires
tout le fuccès qu'il a droit d'en attendre
.
DE FRANCE 41
ANNONCES ET NOTICES.
EMOU EMOIRE fur les Acides natifs du Verjus , de
l'Orang , du Citron , &c. par M. Dubuiffon , ancien
Maître Diſtillateur.
Nous avons dit , dans le Mercure du 20 Novembre
1779 , que l'Art du Diftillateur , par M. Dubuiffon
, étoit le meilleur Ouvrage qui ait paru dans
ce genre ; celui que nous annonçons en eft une
fuite d'autant plus intéreffante , que l'Auteur y rend
compte de fes expériences fur les fucs acides les plus
néceffaires , tant dans la pratique de la Médecine que
dans les ufages économiques. Il a trouvé l'art de purifier
ces fucs de manière à les conferver plufieurs
années avec leur faveur naturelle , & à pouvoir
fupporter les voyages de long cours , où ces acides
deviendront alors d'une refource précieuſe ; réduits
d'ailleurs à un moindre volume , ils feront d'un tranſ-
-port plus facile pour les Voyageurs , & moins coûteux
pour les Provinces éloignées. Nous n'infifterons
point fur l'utilité de cette découverte ; l'Auteur
l'a foumife au jugement de la Faculté & de la Société
Royale de Médecine , qui ont prononcé que les fucs
préparés ainfi feront très- utiles , tant en fanté que
dans le traitement des maladies .
Ce Mémoire fe diftribue gratis chez l'Auteur ,
boulevard du Mont- Parnaffe , à ceux qui ont acquis
& qui représenteront l'Art du Diftillateur , & aux
adreffes qui feront indiquées pour les exemplaires
qui ont paffé en Province , en affranchiffant les
lettres .
ESTAMPE repréfentant Latone vengée , d'après
le Tableau original de Philippe Laury , commencée
42 MERCURE
par Balechou , & confiée aux foins de M. Beauvarlet
pour être achevée. Propofée par foufcription .
Nous invitons à lire le Pro pectus fort bien fait
de cette Eftampe , qui doit intéreffer tous les Amateurs
de la Gravure . La Mythologie , pour nous
fervir des expreffions de l'Auteur de ce Profpectus ,
fi riche en fictions , fi libérale envers les Arts , n'avoit
jamais exercé fon burin ; il trouva dans le
cabinet de M. le Comte de Forbia un Tableau de
Philippe Lauri , repréſentant Latone vengée , & il le
choifit pour fervir de pendant aux Baigneufes qu'il
venoit de publier ; il en étoit occupé lorfqu'il mourut
en 1705. La Planche , alors fort avancée , vient
d'être confiée à M. Beauvarlet pour être terminée
fous fa direction. Les Ouvrages connus de cet Attifte
l'ont défigné aux Propriétaires de cette Planche,
comme un de ceux qui pouvoient le mieux faifir
l'efprit de l'Auteur original. Certs Eftampe , qu'on
propofe au Public par foufeription , aura 26 pouces
6 lignes de large , fer 18 pouces de hauteur , &
fera livrée dans le mois de Janvier 1785. On payera
6 livres en foulcrivant , & 6 livres en recevant l'Efampe.
On n'en tirera qu'un perit nombre d'Exem.
plaires au - delà de celui de la foufcription , & ceux
qui n'auront pas foufcrit les payeront 18 liv . Cette
foufcription fera ouverte jufqu'au premier Septembre
chez Chéreau fils , Graveur , rue des Mathurins
, au coin de la rue de Sorborne ; Dalac , Marchand
d'Eftampes , rue Saint Honoré , près de l'Oratoire
; Ifabey , Marchand d'Eftampes , rue de
Gêvres ; Couturier , Libraire , quai des Auguftins ,
& chez tous les Marchands d'Eftampes des Provinces.
On pourra voir dès à préfent chez les Perfonnes
indiquées une épreuve de l'Eftampe telle que
Balechou l'a laiffée. On jugera par- là de ce que
l'Artifte qui la finit a encore à y travailler pour la
rendre digne de l'un & de l'autre. Ceux qui vou
DE FRANCE.
43
dront avoir des épreuves avant la lettre , fe feront
infcrire chez les Marchands défignés , & payeront
le double de la foufcription ordinaire . Les Perfonnes
qui feront des demandes font priées d'affranchir les
lettres.
PORTRAIT de M. le Bailli de Suffren , deffiné
d'après nature par Fontaine , Peintre en miniature ,
& gravé par Goulet. A Paris , chez Fontaine , rue de
la Vieille Draperie , près S. Pierre des Arcis , maifon
de l'Épicier. Prix , I liv. 4 fols.
Il eft doux de voir les Arts concourir au triomphe.
des Bienfaiteurs de la Patrie.
FANNY , Comédie en un Alte & en profe , repréfentée
pour la première fois , à Paris , fur le Théâtre
de l'Ambiga-Comique , le 15 Décembre 1783. Irix ,
1 liv . 4 fols . A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
Un homme qui , dans un naufrage a été recueilli
& fauvé par une jeune Indienne , dont il a été aimé ,
& qui l'a rendu père ; un homme qui enfuite vend
pour de l'argent , comme un vil bétail , fa Libéras
trice , celle à qui il doit la vie ; c'eft un fujet trèsdifficile
, prefque impollible à mettre au Théâtre .
Peut - être l'Auteur de cette Comédie auroit - il dû
placer Jacfon dans l'alternative au moins de ne pou
voir retourner dans fa Patrie qu'il aime , faute d'argent,
ou de vendre fa maîtreffe . Mais un Capitaine
de Vaiffeau s'offre à le amener pour rien dans fon
pays ; cette circonftance le laiffe fans excufe.
On trouve à la même adreffe , l'Angloife Déguifée
, Comédie en un Acte & en profe , par M.
Régnier de la B ** , repréfentée pour la première
fois , à Paris , fur le Théâtre des Variétés Amufantes
, le 19 Juillet 1783 .
44 MERCURE
ESSA1 fur la Topographie d'Olivet , publié par
la Société Royale de Phyfique , d'Hiftoire Naturelle
& des Arts d'Orléans . A Orléans , chez Couret
de Villeneuve , Imprimeur du Roi , rue Vieille Poterie
; & à Paris , rue & hôtel Serpente.
Cet Ouvrage eft dediné à fervir de modèle aux
travaux de ce genre , que la Compagnie demande
à fes Correfpondans fur les différens Cantons de la
Province de l'Orléanois.
SAINTE BIBLE , traduite en François . Nowvelle
Édition. Tome feptième. A Nifmes , chez
Pierre Beaume , Imprimeur Libraire ; & fe trouve à
Paris , chez Guillaume Defprez , Imprimeur ordinaire
du Roi & du Clergé de France , rue S. Jacques .
La rapidité des Livraifons de ce grand Ouvrage,
fait efpérer qu'il fera bientôt achevé.
PORTRAIT d'A. Court de Gebelin , Auteur du
Monde Primitif, de diverfes Académies , Président
du Mufée de Paris , Cenfeur Royal , &c. deffiné par
A. Pujos , gravé par F Huot. A Paris , chez M. de
Launay , Graveur du Roi , rue de la Bucherie ,
N. 26 .
Ce Portrait nous a paru auffi bien gravé que reffemblant.
TABLEAU Hiftorique de la Nobleffe Militaire ,
contenant les noms , furnois & qualités , enſemble
la date de tous les grades , actions , fièges , campagnes
, bleffures de MM. les Officiers au Service de
Sa Majefté , & retirés ou employés à la fuite des
Corps , & dans les différens Etats - Majors des villes ,
tant au- dedans qu'au dehors du Royaume , & c . Ouvrage
enrichi d'un Recueil d'Ordonnances Militaires
, pour lequel la Soufcription fe paye d'avance
DE FRANCE. 45
à raifon de 6 liv. le vol. br. & 7 liv. franc de port
dans tout le Royaume ; par M. de Combles , Officier
d'Infanterie. A Paris , hôtel S. Pierre , rue des
Cordiers , près la place Sorbonne.
Nous avons tranfcrit le titre entier de cet Ouvrage
pour en faire connoître le plan & l'utilité.
NOUVELLE Carte d'Allemagne , en neuffeuilles ,
grand aigle , par M. Chauchart , Capitaine d'Infanterie
, & Ingénieur Géographe Militaire de Mgr. le
Comte d'Artois . Prix , 4 liv . la feuille . A Paris , chez
Dezauche , Géographe , rue des Noyers , & chez le
Suiffe de l'hôtel de Noailles , rue S. Honoré.
Il manquoit à l'étude de la Politique & des Guerres
de l'Allemagne une Carte détaillée de cet Empire.
Il en paroît trois Feuilles actuellement. Les trois
Feuilles Méridionales paroîtront dans les trois premiers
mois de 1785 , & les dernières vers Septembre
de la même année . On publie en même-temps une
Carte Générale de cet Empire en une Feuille.
HERBIER de la France , Numéros 41 , 42 &
43. A Paris , chez l'Auteur , rue des Poftes.
Cet Ouvrage a toujours le même fuccès , & il le
mérite par l'exactitude & la beauté de l'exécution.
DROIT Public d'Allemagne , contenant la forme
de fon Gouvernement , fes différentes Loix , &c. par
M Jacquet , Licentié ès Loix , 6 Volumes in -8 ° .
petit format. Prix , 10 liv. en Feuilles . A Strasbourg ,
& fe trouve à Paris , chez G. Defprez , Emprimeur
du Roi & du Clergé de France , rue Saint Jacques ,
près la rue des Noyers.
Cet Ouvrage peut être fur- tout utile à ceux qui
fuivent la carrière des négociations publiques dans
les Cours d'Allemagne .
46
MERCURE
LA Dame Joss E , Marchande de Rouge de la Cour,
vient de tranfporter fon Magafin à Paris , de la rue
du Mail dans la rue Coquillière, au premier étage audeffus
de l'entrefol , dans une maifon qui fait face
au Roulage de France , entre une Marchande de
Modes & un Ferblantier. Elle eft parvenue à ren
dre le Rouge Végétal & le Blanc qu'elle compo´e
auffi beaux & auffi agréables à l'oeil que les couleurs
naturelles ; au moyen d'un corps gras légèrement
aromatifé , ce Rouge , quoique plus fin , n'eft pas
fujet à tomber comme les autres ; il a même l'avantage
de nourrir & conferver la peau , ainſi qu'il eſt
conftaté par l'Approbation de la Société Royale de
Médecine .
Il y a des pots de Rouge
à 6 livres , 9 livres ,
12 livres & 24 livres ; celui du Blanc eft de 4 livres
le pot. Malgré
les différens
pix , le Rouge eft toujours
de même
nature , ainfi que les nuances
; mais la
fineffe diffère à raifen du prix , & les pots font plus
ou moins riches , c'est- à- dire , que ceux de 24 liv.
font de porcelaine
de Sève dorés & peints en miniature;
ceux de 12 liv. en porcelaine
dorés feulement
fur les bords ; ceux de 9 livres en porcelaine
fans
dorure
, & ceux de 6 liv. en belle fayence
,
Quant aux degrés des nuances , le plus tendre eftdu
numéro premier , ce qui va en augmentant jufqu'au
numéro 12 , qui eft le plus vif , & dont on fe
fert au Théâtre .
On prie les Dames qui demeurent en Province de
remettre à la pofte le prix du Rouge qu'elles defireront
, &: d'affranchir le port de leurs lettres .
PARTITION du Droit du Seigneur , Comédie en
trois Actes , dédiée à Mine la Ducheffe de Fronfac ,
mife en mufique par M. Martini , Amateur , repréfentée
à Fontainebleau le 17 Octobre , & à Paris ,
le 29 Décembre 1783. Prix , 24 liv . A Paris , chez
DE FRANCE. 47
Brunet , Libraire , place du Théâtre Italien , & chez
le Portier de M. le Normant d'Etioles
Sentier , No. 34.
rue du
Les parties féparées de cet Opéra , prix , 12 liv.;
& les Airs détachés , arrangés pour la Harpe ou le
Forté Piano , par l'Auteur même. Prix , 7 liv. 4 fols.
Se vendent aux mêmes Adreffes.
Le premier Acte du Droit du Seigneur contient les
préparatifs de la noce de Julien & de Babet ; la
Scène eft remplie de perfonnages , & les Auteurs ont
eu le bon efprit de n'y pas mettre de morceaux feuls
qui auroient laiffé les Interlocuteurs dans l'inaction. "
Ce font dene tous morceaux d'enſemble fort bien
faits , remplis de chant & d'expreffion , & qui font
très -bien en Scène. On en peut cependant détacher
plufieurs couplers agréables , entre autres une ronde
d'un caractère fort original. Le fecond offre un Air
d'effet chanté par le Comte ( haute contre ) & un
morceau charmant : Dans la prairie & fous l'ormeau.
Cet air , déjà connu avantageufement dans les Sociétés
, avoit été fait fur d'autres paroles que la
inufique exprimoit très -bien . Il eft ici en trio , &
dans une fituation différente ; mais l'Auteur , dans
fon Recueil d'airs détachés , a rétabli les anciennes
paroles , qui nous femblent y converir beaucoup
mieux. Cet Acte contient encore de fort beaux
morceaux d'enſemble , particulièrement le final qui
doit faire grand plaifir , même dans les Concerts cu
on pourra l'exécuter. Le troisième Acte commence
par un duo fort plaifant pour les paroles , & rendu
par le Muficien avec beaucoup d'efprit. Le Vaudeville
& d'autres petits airs font auffi très- agréables.
En général cette mufique , qui a contribué au fuccès
de l'Ouvrage , fait beaucoup d'honneur à M. Martini.
Il a lui -même arrangé fes petits airs pour la Harpe
on le Forté- piano. Il feroit à fouhaiter que tous les
Composteurs fe donnalent cette peine , & divraf48
MERCURE
fent le Public des productions fautives de ces malheureux
arrangeurs , qui ne vivent qu'en défigurant
le talent des autres .
Six Duos à deux Violons & un Violoncelle ,
dans lesquels l'Auteur a inféré des meilleurs morceaux
des Opéras- Comiques les plus nouveaux , &
traités avec le plus grand foin , pour la facilité &
l'agrément des Amateurs , & avec lefquels ils pourront
fe faire entendre & paroître des Virtuofes , par
M. Haillot , de la Comédie Italienne , Profeffeur de
Violoncelle , & Maître de Mufique Vocale. OEuvre
troiſième. Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez l'Auteur
, rue de Bourbon - Villeneuve , chez M. Poiré ,
Tapillier.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
3 morceaux de Poefics Ita-
E PITRE à M. ***
Charade , Enigme & Logo liennes ,
gryphe ,
28
7 Abrégé Latin de Philofophie ,
Recueil de quelques Ouvrages - 34
de M. Watelet , de l'Aca- Collection des Moraliftcs Modémie
Françoife , 9 dernes ,
Recueil complet des plus beaux Annonces & Notices ,
35
41
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Juin . Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 4 Juin 1784. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I 2 JUIN 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Son Alteffe Séréniffime Madame la
Ducheffe DE CHARTRES.
VERTUEUS ERTUEUSE Beauté que tout Paris adore ,
Quoiqué ton front repréſente fi bien
La Sageffe , au coeur pur , à l'augufte maintien ,
Tes moeurs la peignent mieux encore.
(Par M. l'Abbé Ferrand. )
FERS récités à Madame la Préſidente Dʊ
PATY , par fes Enfans , en lui préſentant
le Portrait de leur Père abfent , deffiné par
M. Pujos.
MAMAN AMAN , voilà Papa ! quelle aimable ſurpriſe !
C'est bien de cet air là qu'il nous regarde tous .
Le Peintre cependant a fait une méprife ;
Car Papa femble heureux & n'eft pas avec nous.
No. 24 , 12 Juin 1784.
C
so MERCURE
A Mile CONTAT , jouant le rôle de
Suzon dans le Mariage de Figaro,
CONTAT , que vous êtes jolie !
Que vous embelliſſez Suzon !
Jamais on eut l'air plus fripon ,
Plus de grâce & d'eſpièglerie ;
Jamais d'Angeville & Thalie
N'ont parlé d'un plus joli ton .
Contat , votre voix eſt ſi tendre ,
Et vos yeux ont tant de pouvoir ,
Que l'on ne fait auquel le rendre :
Le fourd doit craindre de vous voir ,
Et l'aveugle de vous entendre .
( Par M. le Ch. du Puy des Iflets . )
Notr. C'eft par erreur que dans le N °. 21 , on a
inféré fous le nom de M. H ... de Sech.. , un Quatrain
adreffé à M. Pujos.
K
DE FRANCE. st
A Mme CH ****** , qui me défapprouvoit
d'avoir donné aux Brunes la préférencefur
les Blondes.
AIR: La foi que vous m'avez promife.
QUOI! VOI ! tu prétends que pour la Brune ,
Abjurant mes goûts amoureux ,
D'un éloge qui t'importune
Je te venge au gré de tes voeux ?
Déjà de caprice on m'accuſe,
Et je fens qu'Amour , en ce cas ,
Pour faire approuver mon excuſe ,
A befoin de tous tes appas.
MAIS pour appuyer ton fyftême ,
Sans nous citer Flore & Phébus ,
Ne fuffit-il pas de toi - même ,
Ou de l'Amour ou de Vénus ?
Sur cet argument je me fonde ;
Sans doute pour le décider
A croire Vénus une blonde ,
Il fuffit de te regarder.
PRÈS de la tendre Gabrielle
Henri , dit - on , connut l'amour §
Mais s'il t'eût vic , en dépit d'elle ,
Embellir fon règne & la Cour ,
Cil
52
MERCURE
Il n'eût partagé fa couronne
Que pour en orner ta beauté ;
Si les Grâces ont droit au trône ,
Qui jamais l'a mieux mérité ?
DE TITON j'apperçois l'amante
Devançant le char du Soleil ;
Elle eft Blonde , elle eft raviffante,
On croit te voir à ton réveil ;
Heureux qui , grâce à ta tendreſſe ,
Finiſſant la comparaiſon ,
Perdroit avec toi la jeuneſſe
Au prix que la perdit Titon!
PETRARQUE écrit , Laure l'infpire ,
Je conçois fa félicité ;
Que ferviroit le don d'écrire
Si l'on n'écrit pour la Beauté ?
Pétrarque peint ce qu'il adore.
En effet, que peut- on , dis-moi ,
Feindre de plus charmant que Laure ,
A moins de peindre d'après toi ?
PEINT-ON une Beauté célefte ?
L'art ne la préſente à nos yeux
Qu'en faisant fur un cou modefte
Jouer l'or de fes blonds cheveux ;
Et ces Houris que tu rappelles ,"
Mahomet ne prouve- t'il pas ,
DE FRANCE. 35
En les imaginant &i belles ,
Qu'il a deviné tes appas ?
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Reine Claude ;
celui de l'Enigme eft Manche ; celui du Logogryphe
eft Conftantinople , où l'on trouve
Isác , noce , Cain , Cinna , Antoine , Sénat ,
Conti , Nil , Caton , Antonin , placet , Noé,
Solon , Penn , lit , cannes , Actéon , Ninon,
linon.
QUAND
CHARA D E.
UAND mon fecond veut guider mon premier
Jamais mon tout ne peut vous effrayer.
É NIG ME.
JE fers l'Amour & le Commerce ;
Je fuis chafte , quoique je berce
Toujours un homme dans mes bras ;
L'ingrat dort & ne m'aime pas ;
Mais le Public me rend féconde :
Pour lui je fais le tour du monde.
Avec cinq pieds je dois toujours trotter ;
Cij
$ 4 MERCURE
Souvent en ville on me fait arrêter ,
Cruellement on échange mes filles ,
On me les prend affreufes ou gentilles ,
Comme une troupe on les range à l'inſtant ,
Chacune après trouve fon logement.
Qui croiroit q'ue , par un fentiment tendre ,
Avec ardeur on leur ouvre le fein ?
Si de me voir on conçoit le deffein ,
Aux grands chemins il faut aller m'attendre.
( Par M. 3. J. de Montargis. )
JE
LOGO GRYPH E.
;
E fuis aveugle & je n'ai pas un ſou ;
Mais par l'effort de mon vafte génie ,
Je vis aux frais & du fage & du fou .
De mes talens admire la magie ;
A ce portrait tu me crois quinze-vingt.
Non. J'ai fept piés , mon fexe eft féminin
Sur mes billets chez moi l'argent abonde
Comme à l'hôtel de nos traitans fameux ,
Et , tous les mois , je rembourfe mon monde
Par un moyen qui ne plaît qu'aux heureux
Veux -tu , Lecteur , ailément me connoître ?
Prends ton fcalpel & difféque mon être.
Mes trois premiers expriment fans détour
Ce qu'aucun gagne à me faire la cour ;`
Tu vois en quatre , auffi fans rien défaire ,
DE FRANCE.
35
Pour les friands un poiffon de rivière.
Retourne-moi, tu verras dans mes flancs
Le vieux Jupin des peuples Allemands ;
Un ancien jeu qui plaifoit à nos mères ;
La paffion qui ne fied qu'aux Mégères 3
Un inftrument ; un fleuve ; un animal ;
Près du Saint- Père un fameux Tribunal ;
Ta sûreté ; le foutien d'un Empire.
Mais finiffons , j'en aurois trop à dire.
( Par M. Mazérou , au Blanc. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ALMANACH des Mufes , 1784. A Paris ,
chez Delalain l'aîné, Libraire , rue Saint-
Jacques , vis à- vis la rue du Plâtre.
ON remarquera fans doute que l'annonce
de cet Ouvrage fe trouve aujourd'hui fort
éloignée de l'époque de fon apparition ; &
il femble d'abord qu'une mention auffi tardive
porte évidemment atteinte au privilége
qui doit lui être commun avec les nombreufes
productions du mois de Janvier. Ent
effer , fi ce Recueil avoit la deftinée d'un
Almanach , comme il en porte le titre , ce
feroit choisir , pour notifier fon existence ,
refque l'époque de fa décrépitude ; car fa
urée fe renfermeroit déformais dans l'ef
Civ
$5
MERCURE
pace de fix mois . Mais par bonheur fon exiftence
n'eft pas auffi éphémère que fon titre
l'annonce ; peut - être même la fortune qu'il
a faite auroit- elle dû lui faire ôter cette dénomination
devenue un peu trop inodefte ; &
il ne l'a confervée fans doute que pour
rappeler & juftifier fon droit d'aîneffe
fur d'autres Recueils poétiques qui font nés
de fon fuccès , & appelés à fon inftar du
nom d'Étrennes ou d'Almanachs.
Quoi qu'il en foit , on fait que , chaque
année, l'apparition de ce Recueil n'eft pas
une petite affaire pour les Amateurs curieux ,
& qu'ils vont affiéger la porte du Libraire
qui le diftribue , pour épier le moment de
fa bienheureufe apparition. Non - feulement
il intéreffe & fait courir ceux qui aiment la
poéfie & ceux qui la cultivent , il a même de
quoi plaire aux Nouvelliftes politiques & aux
Nouvelliftes de ruelles , à ceux en un mot qui
veulent être au courant des grandes affaires
d'État & des petits événemens de Société ;
car tout y eft mentionné en grands ou petits
vers , en ftrophes ou en couplets . On pourroit
dire qu'on trouve dans cet Almanach
les annales de Paris , nous avons prefque dit
l'Hiftoire de France. En effet , toutes les
morts célèbres y font pleurées ; toutes les
grandes naiffances y font chantées ; tous les
mariages , enregistrés ; toutes les fêtes ,
chommées ; tous les événemens publics ,
configués ; toutes les découvertes , célébrées.
Il eft vrai qu'ordinairement les mêmes obDE
FRANCE. 57
jets y paroiffent efcortés de l'éloge & du
perfifflage ; mais tout cela ne peint que mieux
les moeurs de Paris.
Delà il réfulte que tous les genres, de
poéfie s'y reproduifent fans ceffe ; l'Épigramme
& le Madrigal , la Satyre & l'Éloge ,
' Idylle & les Ruptures , l'Épitre & l'Ode ,
le Conte & la Fable , tout jufqu'au Triolet
& aux Bouts rimés. On fent combien il feroit
aifé de plaifanter doucement fur ce petit
tableau encyclopédique ; mais il n'en eft pas
moins certain qu'on peut fuivre dans ce Recueil
les progrès ou la décadence de la
poélie , & s'il eft vrai qu'on y life des vers
qu'on croiroit ne devoir pas s'y trouver , il
faudra convenir aufli qu'il renferme toujours
les meilleurs qu'on ait faits dans l'année,
dont il recueille les productions. D'ailleurs
, fi l'on fonge que pour des Ouvrages
de la plus longue haleine , deux hommes de
goût & de bonne foi peuvent , jufqu'à un
certain point , différer d'opinion , on fentira
combien il eft poffible , facile même , que
l'un des deux , s'il fait un Recueil femblable
à celui - ci , rejette ou admette une petite
poélie fugitive , moins par caprice que par
jugement. Ajoutons qu'une Pièce de vers qui
n'eft que paffable , paroît bien plus foible
encore par le voisinage des meilleures productions
de nos meilleurs Poëtes ; & que
c'eft alors fur tout qu'on trouve jufte l'application
de ce vers de Boileau :
Il n'eft point de degré du médiocre au pire.
Cv
38 MERCURE
Tout cela explique pourquoi l'on trouve
fouvent dans un choix de poéfies , telles
Pièces dont l'admiffion paroît contredire la
réputation de goût qui eft acquife ou qu'on
fuppofe au Rédacteur.
Quant à celui de l'Almanach des Mufes ,
il eft connu pour un Littérateur éclairé , qui
fait fentir & apprécier les beautés & les
défauts de la profe & des vers ; qui , par des
analyfes eftimées & lûes avec intérêt prouve
ailleurs fa miffion de fage critique , & qui ,
en jugeant le ftyle d'un Écrivain , donne le
précepte & l'exemple tout- à- la- fois .
Jetons fur le tribut de cette année un
coup d'oeil qui puiffe adoucir un peu , s'il
eft poffible , nos regrets fur le déclin des
Mufes Françoifes. On y retrouve avec plaifir
prefque tous les noms des Poëtes qui ont
coutume d'enrichir annuellement ce Recueil
de leurs diverfes productions . Si nous voulons
commencer par la grande poćfie , nous
remarquerons une Ode de M. de Murville ,
fur les fleuves; Ouvrage riche en expreffions
& en harmonic , d'un ton noble , foutenu
& digne de nos bons Lyriques. On regrette
feulement , en le lifant , que le Poëte n'annonce
pas un but plus marqué , & n'ait pas
une marche plus fuivie ; on y defire non le
ton didactique d'une differtation , mais on y
voudroit plus fouvent cette logique toujours
néceffaire , qui par conféquent doit être
cachée , mais non abfente , dans un Poëme
Lyrique. Cette obfervation n'empêche pas
DE FRANCE. 59
que l'Ouvrage ne confirme les efpérances
que M. de Murville avoit fait concevoir de
fon talent pour les vers , & n'ajoute même
aux preuves qu'il en a données.
Nous avons trouvé l'expreffion de la grande
poéfie , de la fenfibilité , & un ton vraiment
lyrique dans un morceau imité des poéfies
erfes , par M. de Flins. M. Gudin de la
Brunellerie a célébré avec un enthoufiafme
juftement applaudi , la découverte de MM.
de Mongolfier ; & M. de Saint- Ange a augmenté
le nombre des partifans de fon talent
par un fragment de la Fable de Ceyx &
d'Alcyone ; on y a diftingué fur- tout la
defcription du Sommeil , qui eft écrite
avec élégance , & d'une harmonie foutenue
& imitative. Il y a dans le même Volume
un autre morceau de traduction de M.
de Saint Ange . C'eft une Élégie de Tibulle
que l'Auteur avoit foiblement traduite dans
fa jeunelle , & qu'on a réimprimée cette
année dans un autre Recueil avec de nouvelles
fautes , quoiqu'il l'eût corrigée quel .
ques mois auparavant , en l'inférant dans un
des Numéros du Mercure. M. de Saint Ange
n'avoue que la verfion inférée dans l'Almanach
des Mufes , qui en effet eft fupérieure
au premier effai.
و
Avant de quitter les grands vers , nous
n'oublierons pas de parler d'une Pièce de
M. de Maisonneuve , intitulée : l'Exemple
inutile. Cette Pièce eft écrire dans le goût le
plus fain ; point de recherche , toujours du
C vj
60
MERCURE
naturel dans le ftyle , qui n'en eft pas moins
poétiques de laraifon , & de l'élégance * .Outre
les vers heureux & piquans qu'on y rencontre ,
on y trouve des tirades d'un excellent ton de
verfification , telle que celle ci :
Cet antique pays , où la main des Poëtes
Ornant pour les beaux Arts d'agréables retraites ,
Fit couler le Permeffe , éleva l'Hélicon ,
Et fixa les Neuf Soeurs & la Cour d'Apollon ;
Ce pays qu'autrefois bordoit un précipice ,
Se préfente aujourd'hui fous un afpect propice ;.
L'accès en eft facile , & les chemins frayés
Semblent dans le lointain s'applanir fous nos pieds .
Bientôt nous ne trouvons que des routes connues ,
Dont vingt Auteurs fameux gardent les avenues ;
Corneille a fu bâtir un palais dans ce lieu ;
Ce bofquet enchanteur appartient à Chaulieu ;
Plus loin , & fur le haut de la double colline ,
Je vois & La Fontaine , & Molière & Racine ,
Voltaire , qui , par- tout courant tous les fentiers ,
Laiffe à peine une feuille aux plus riches lauriers.
QU'IMPORTENT à préfent la pompe d'une rime ,
Et tous ces vers vingt fois repaffés fous la lime ?
L'oreille dégoûtée écoute avec dédain
* M. de Maisonneuve étoit déjà connu par d'autres
Ouvrages plus férieux ; & l'on n'apprendra pas
fans intérêt qu'il a une Tragédie reçue , qui n'attend
que fon tour pour être jouée.
DE FRANCE. 61
De tant d'airs répétés le facile refrain ,
Et ces traits faftueux d'une morale ufée ,
Et ces enjambemens , cette profe brifée ,
Dont Ronfard autrefois eftropia nos vers ?
La feule vérité plaît aux efprits divers ;
Mais comment l'habiller d'une image nouvelle ,
Préciſe , ingénieuſe & toujours naturelle ?
L'Auteur doit marier l'image au fentiment , &c.
Le jeune Auteur du Souper des Six Sages
mérite auffi des éloges par la grâce & la facilité
de fon efprie
Mais parmi nos Poëtes Érotiques , il faut
diftinguer MM. de Parny & de Bert... , qui
femblent fe difputer le talent de Tibulle &
de Catulle. Si nous avions à prononcer fur
l'analogie de leurs talens , nous verrions
plutôt celui de Tibulle dans M. lễ Chevalier
de Parny , & celui de Catulle dans
M. le Chevalier de Bert... Parmi les preuves
que nous donnerions de la première reffemblance
, fe trouveroit le Tombeau d'Eu
charis , par M. de Parny , que nous allons
tranfcrire ici :
Elle n'eft déjà plus , & de fes heureux jours
J'ai vû s'évanouir l'aurore paffagère.
Ainfi s'éclipfe pour toujours
Tout ce qui brille fur la terre.
Toi, que fon coeur connut , toi , qui fis fon bonheur ,
Amitié confolante & tendre ,
ܐ6
MERCURE
De cet objet chéri viens recueillir la cendre.
Loin du monde froid & trompeur ,
Choififfons à fa tombe un abri folitaire ;
Entourons de cyprès fou urne funéraire ;
Que la jeuneffe en deuii y porte avec les pleurs
Des rofes à demi -fanées ;
Que les Grâces plus loin , triſtes & conſternées ,
S'enveloppent du voile , emblême des douleurs.
Repréfentons l'Amour , l'Amour inconfolable ,
Appuyé fur le monument ;
Ses pénibles foupirs s'échappent fourdement ;
Les pleurs ne coulent pas , le défefpoir l'accable.
L'inftant du bonheur eft paffé.
Fuyez , plaiſirs bruyans , importune allégreſſe.
Eucharis ne nous a laiffé
Que la trifte douceur de la pleurer fans ceffe.
M. le Chevalier de Ber... a peut être plus
de vivacité & moins de molleffe , & c'eft
en quoi il fe rapproche davantage du talent
de Catulle . Du refte , fa manière eft fpirituelle
& piquante ; & nous regrettons que fa
Pièce intitulée la Véndange , foit d'une
trop grande étendue pour être citéé.
M. Blin de Sainmore , dont la verfifica
tion cft connue depuis long-temps par des
tours heureux & une harmonie foutenue';
& M. Bérenger , qui , aux grâces du ftyle
joint la délicateffe des fentimens , n'ont pas
fourni beaucoup cette année à l'Almanach
des Mufes: Peu & Bien , c'eft une allez
DE FRANCE 63
་
.
bonne devife ! combien de nos Poëtes en
ont pris une toute contraire !
Ce reproche ne s'appliquera pas à M. le
Chevalier de Florian , qui ne publie que ce
que le travail ou un heureux naturel a perfectionné
, & qui fans doute confulte bien
plus le goût que l'impatience de jouir . Auffi
ne publie t'il rien qui ne foit digne de fon
talent aimable , déjà fi fouvent & fi juftement
récompenfé par le fuccès. Outre une
Romance courte , mais intéreffante par le
ftyle & par le fujet , il a donné des vers
agréables & ingénieux fur Anet.
>
Parmi d'autres Pièces qu'on lit avec beau
coup de plaifir , des vers à Mme la Comteffe
de Saint- Aulaire foutiennent la réputation
que s'eft faite M. de Choify, parmi nos jeunes
Poëtes. On diftinguera auffi de très jolis vers
aux Femmes , par M. de ** & une
Romance de M. Léonard , dont le talent a
toujours fait aimer la perfonne , avec une
imitation d'Ovide , par M. Rochon de Chabanes
; des Couplets intéreffans de M. Mugnerot
, & une Epître ingénieufe fur l'Air
Natal , dont nous ne connoiffons point
l'Auteur , & qui s'eft fignée que de la lettre
initiale G **. Elle feroit encore mieux fi elle
étoit moins longue .
M. Maffon de Morvilliers a fourni cette
année un certain nombre de Pièces, & c'eft tou
jours tant mieux pour le Recueil . M. de Saint-
Péravi , dont la Mufe femble fe complaire
particulièrement, ou dans la gaîté la plus dé64
MERCURE
cidée , ou dans la trifteffe la plus fombre , a
payé fon tribut par une jolie Pièce intitulée :
Les Trois Saurs Nayades. On ne lira pas
avec moins de plaifir quelques Pièces de M.
Vigée , Auteur des Aveux Difficiles , petite
Comédie qui a réuffi fur la Scène Françoife;
& de jolis vers de M. le Chevalier de
Rivarol , qui finiffent par celui ci :
J'ai perdu tout , quand j'ai tout obtenu.
C'eft avec un intérêt mêlé de furpriſe qu'on
voir dans ce Volume M. de la Place , le contemporain
& l'ami de tant de Littérateurs
que la mort nous a enlevés , femer de fleurs
les pas de fa Mufe en cheveux blancs , &
conferver dans fes vieux jours toute la gaîté
de la jeuneffe. Il y a de lui plufieurs Contes
pleins d'enjouement.
Ce mot de Conte nous rappelle un nouveau
concurrent dans ce genre ; c'eft M. de
Cambry. Son Jaloux puni a obtenu un fuccès
qui en promet d'autres à fon Auteur.
L'Édireur a recueilli auffi , fuivant fon
ufage , quelques vers de plufieurs Auteurs
moris depuis peu de temps ; de M. Borde
de M. Saurin , de M. de Treffan , & de M.
de la Louptière. On ne lit point ces Pièces ,
de quelque genre qu'elles foient , fans un
fentiment trifte , excité par le fouvenir de
leurs pertes. Tâchons d'effacer cette fombre
idée par une Épigramme de M. Pons de Verdun
, qui en a mis plufieurs dans ce Volume
:
DE FRANCE. 65
Les fuites d'une Affaire.
Vous difputez , mon cher ; moi , je m'enfuis.
Vive la paix ! Quelle crainte eft la vôtre ?
-
·Je n'eus jamais qu'une affaire , & depuis
J'ai bien juré de n'en avoir point d'autre .
Voici comment la chofe fe paffa :
Dans un café je buvois de la bière ,
Lorfqu'un matou , que mon voifin pinça ,
Voulut s'enfuir , & fit tomber mon verre;
Si qu'en tombant mon verre fe caffa .
Or , de fes fens on n'eft pas toujours maître ;
Je lache une f , j'en lache deux peut- être , -
Et mon voifin , qui n'aimoit pas les f,
Par un foufflet me répartit en bref.
Ciel ! un foufflet, devant une affemblée!
En plein café ! quoi ! férieufement !
-
L'affaire eut donc des fuites ? Oh ! vraiment ,
Pendant un mois j'en eus ka joue enfiée .
On regrette , en lifant ce Volume , de n'y
voir rien de M. de Fontanes , de M. Roucher ,
& trop peu de M. François de Neufchâteau ,
de M. le Chevalier de Cubières , & de M. de
Piis.
On voit encore au bas de Pièces agréables ,
les noms de MM. Goulard , le Comte
Raiecki , Mérard de Saint Juft , de la Montagne
, Pothier de Biele , Roman , le Comte
de S ** Guyétand , de la Chabeauffière , &
66 MERCURE .
de quelques autres que nous ne nommerons
pas , parce qu'il faudroit prefqu'autant de
temps pour écrire leurs noms que pour lire
leurs Ouvrages , tant ils font de peu d'étendue.
Il y a auffi parmi les Anonymes quelques
Pièces qui feront plaifir. Mais on en
trouve auffi d'autres que nous n'aurions pas
cru devoir être admifes , comme celle ci :
Certain bofu , grand engeoleur de filles ,
Pour en féduire une des plus gentilles ,
Lui promettoit , s'en croyant sûr déjà ,
Belle maiſon , diamans & carroffe.
Oh ! que nerni , dit- elle ! nenni dà !
Ce n'eft pas moi qui donne dans la boffe.
Nous en dirons autant d'une autre Épigramme
qui finit par ces deux vers :
Ou ne fauroit bouder long temps
Quand on boude contre fon ventre .
On pouvoit d'autant mieux fe paffer de cette
Épigramme , que l'Auteur , M. James , en a
fait d'autres qui font jolies .
On fait que l'Almanach des Mufes eft
auf le Parnaffe des Dames. Celles dont les
noms parent ce Volume font : Madame la
Ducheffe de B** , qui a adreffé de fort jolis
vers à Mile de Sivry; cette même Demoifeile
, qui a très - agréablement répondu aux
vers précédens ; Mlle de Gaudin , à qui nous
avons déjà donné de juftes éloges ; Madame
la Baronne de Bourdic , qui en mérite tous
DE FRANCE. 67
les jours de nouveaux ; Madame la Comteffe
de T**, qui a fait des Couplets charmans à
fon Mari , & Madame la Marquise de la
Fer*** , chez qui la fenfibilité parle toujours
le langage des Grâces . Cette Dame a
plufieurs Fables charmantes. Nous allons
citer celle qui nous a plû avantage.
Les deux Loups.
UN Loup malade , & gardant fa tannière ,
Déteftoit les forfaits de fa dent meurtrière ,
Et le coeur bien contrit renonçoit à pécher.
Un autre Loup voifin , fon ami , fon confrère ,
Pour de nouveaux exploits accourut le chercher ;
Le malade dévot fe met à lui prêcher
La morale la plus auftère.
" Troublerons nous , dit- il , fans ceffe le repos
» Et des Bergers & des troupeaux ?
» Sur leurs malheurs , hélas ! mon ârue eft attendrie :
» Grâce au ciel , je deviens auſſi doux , auſſi bon ,
? Qu'un Mouton ,
» Et je vais l'être enfin le refte de ma vie.
" Oui , files Dieux encor m'accordent quelques jours ,
Je veux les employer à courir au fecours
30 De tous les t oupeaux Ju village.
Crois -moi , devenons bonnes gens ;
Quel plaifir d'être aimé de tout le voisinage!
» On vit très-bien de racines , de glands ;
N'as - tu pas effrayé , dégoûté du carnage ?
Les végétaux font fains & plus appétiffans, »
63 MERCURE
Son voifin l'écoute , l'admire ,
Mais craint que l'Orateur ne foit dans le délire .
Il gémit , plaint fon fort ,
Fait les adieux & fe retire.
Trois jours après , tremblant qu'il ne fût mort,
Il veut revoir le pauvre fire :
Sans Médecins on guérit promptement ;
Il le trouve convalefcent
Et mangeant
Un jeune & tendre Agneau , puis apperçoit fa mère ,
Qui dans un coin de la tannière
Se débattoit encor & pleuroit fon enfant.
» Oh , oh ! dit il alors , flairant la bonne chère ,
» Tu devenois Mouton , difois - tu l'autre jour !
» Tu prenois fa douceur , fes goûts , fon caractère,
» Et tu voulois déformais tour-à- tour
ور
Protéger les Troupeaux ainfi que la Bergère ?
Ton pathétique & beau fermon
» Avoit fur mon efprit fait telle impreffion ,
Que j'allois me réduire enfin à la falade. 33
--
ככ
- Quoi ! tu ferois fi fot ? - On ne vit pas de rien ;
Tiens , partageons , cher camarade ,
» J'étois Mouton lorſque j'étois malade ,
" Mais je fuis Loup quand je me porte bien. »
Voilà ce que nous avons trouvé de plus remarquable
dans la lecture de ce Recueil ; mais
nous prendrons la précaution de mettre au
bas de ce compte rendu , fauf erreur ou
emiffion ; il y a tant de noms à lire , tant
DE FRANCE. 69
d'immortalités à enregiſtrer , que quelques
oublis en pareil cas feroient bien excufables
.
En général , ce Volume ne nous paroît
pas inférieur à celui des années précédentes.
On peut comparer ce Recueil à un vaiffeau
qui porte les pacotilles poétiques de l'année ;
il y a bien dans l'équipage quelques réformes
à faire , quelques obftacles à une bonne
navigation , mais qui ne l'empêchent pas
d'artiver au port ; & s'il a perdu de bons
Capitaines , tels que Voltaire , & c . ces Capitaines
ont laiffé de bons Lieutenans , qui ,
co-héritiers de leurs talens précieux , peuvent
bientôt dire d'eux- mêmes ce que Pom
pée , dans Corneille , dit de Sertorius :
De pareils Lieutenans n'ont des Chefs qu'en idée.
1
Ajoutons , pour terminer & completter
cette analyſe , qu'il y a auffi des Pièces de
nous , Auteur de cet article ; nous dirons
qu'il y en a beaucoup , & nous laifferens
difcrètement à d'autres le foin de dire , ce
que nous penfons , qu'il y en a trop.
( Cet Article eft de M. Imbert, )
70 MERCURE
HISTOIRE de Ruffie , Tomes II & III
in 4° . par M. le Clerc. A Paris , chez
Froullé , Libraire , Pont Notre Dame ,
vis- à- vis le Quai de Gêvres ; à Versailles ,
chez Blaizot , Libraire , rue Satory. Ouvrage
propofé par Soufcription .
Nous avons rendu compte , dans le Mercure
du 1 Octobre dernier , du premier
volume de l'Hiftoire Ancienne & du premier
volume de l'Hiftoire Moderne de la Ruffie ,
par M. le Clerc. Nous avons dit de quelle
manière cet Ouvrage avoit été conçu & s'exécutoit
. Nous en avons dit affez pour faire
fentir l'importance de l'Hiftoire , le mérite
& les défauts de l'Hiftorien. Nous aurons
quelques obfervations à faire fur ces deux
nouveaux volumes. Qu'on ne s'attende point
à nous voir appefantir la critique fur un
genre de travail qui doit être refpecté. Des
dépenfes , des recherches pénibles , un temps
confidérable , de bonnes vûes , de la candeur ,
l'amour de la vérité , voilà ce qui doit réconcilier
la Critique avec l'Hiftorien . Autrement,
qui oferoit le dévouer à un travail
long temps obfcur & prefque toujours rebutant
, s'il ne pouvoit compter fur un peu
d'indulgence ? M. le Clerc a dû nous trouver
circonfpect. En conféquence nous lui reprocherons
de ménager trop peu M. Levefque.
La rivalité ne permet pas la fatyre. La vérité
n'a pas befoin de cet aiguillon ; elle perfuade
DE FRANCE, 71
fans déchirer. Aux yeux de la poſtérité , la
meilleure des Hiftoires n'eft pas celle qui eft
la mieux écrite , c'eft celle qui eft la plus
vraie. Sans doute M. le Clerc peut craindre
qu'on ne puiffe pas prononcer avec équité
fur fon Hiftoire , parce que la Ruffie nous
eft très peu connue , & que des fables pourroient
, à certains égards , paffer pour des
vérités. A cela , que peuvent fes déclamations
? Rien . Il faut attendre tout du temps ,
fe refpecter & fe taire . M. le Clerc apporte
affez de preuves pour mériter la confiance.
Le ton de bonne foi qui règne dans les narrations
défarmeroit le pirrhonifie le plus
décidé. C'eft maintenant au temps à lui donner
cette fanction qui conftitue l'authenticité
hiftorique.
Le fecond Volume de l'Hiftoire Ancienne
commence en 12,5 . Nous invitons nos Lecteurs
à parcourir attentivement ce volumes
depuis l'année 1462. Ils verront à quelle dif.
tance la Ruffie étoit des autres Nations , &
quelles reffemblances elle avoit avec la
Suède & la Pologne. Ses guerres civiles , fes
intérêts politiques , les ufurpations continuelles
, le caractère des Ruffes , l'opiniâtreté
des Tatars offrent des tableaux variés , affreux
, qu'il importe de méditer. Quelques
vertus fauvages le montrèrent par intervalles
fur ce trône mal affermi. Le befoin d'une
civilifation générale enfanta quelques Loix
fages ; des Rois s'occupèrent de la Légiflation
; mais tien n'annonce une fuite de vûes ,
72 MERCURE
ni cette adminiſtration invariable , qui eſt lë
réfultat des calculs d'un peuple inftruit &
civilifé. Le feul trait de rapprochement qu'on
trouve entre les Ruffes & les autres Nations ,
c'eſt la trop grande puiffance que le Clergé
avoit alors , & la fuperftition terrible qui
tourmentoit l'opinion . Ces excès ne contribuèrent
pas peu aux maffacres , aux vio-,
lences qui fouillent les annales de la Ruffie.
Avant de paffer au fecond volume de
l'Histoire Moderne , nous nous permettrons
quelques obfervations fur le ftyle de M. le
C'erc. Nous lui avions reproché avec ménagement
le goût des métaphores , les fréquentes
comparaifons , & des citations déplacées.
Par exemple , ne pouvoit il pas dire autrement
ceci. « L'Hiftorien recevoit la plu-
» me des mains de la reconnoiffance . La
force qui a toujours été le fléau du droit
" naturel. Un trône placé dans la région
"
des orages. Celui qui a tort dit ordi-
» nairement à celui qui a droit , fi ce n'eft
» pas toi qui as troublé l'eau , c'est donc
» ton père. La poffeffion du trône vacant
par la mort de Demitri , va donner à André
un air de Prince légitime . Ce ne
furent point les Tatars qui mirent un col.
lier de force aux Princes Ruffes. La
" guerre purge les humeurs vicieufes des
» corps politiques , qui par leur fejour pro-
» duifent des fermentations orageufes.
» Lorfque tout le monde eft content , tout
le monde fe croit Prince ; mais dans l'af
"
""
"
و د
"
-
» fliction ,
DE FRANCE. 73
fliction , tout le monde cherche un Prince.
Ivan étoit né bon. Le difcours tou-
» chant d'Anaſtaſie fut un trait de lumière
"
ور
-
qui rendit le Czar à lui - même . Les bouf-
» fons , les flatteurs , les roués ou les roua-
» bles furent chaffés de la Cour. »
Il eft inutile d'aller plus loin . M. le Clerc
peut faire difparoître de femblables taches.
Il a certainement le ton d'un homme qui
écrit fes mémoires ; nous voudrions qu'il
prît plus fouvent celui de l'Hiftoire , qui
permet quelquefois à l'éloquence de venir à
fon fecours. Nous lui confeillons de rejeter
ces maximes triviales & ces longues réflexions
qui précèdent & terminent chaque
fection. Ce n'eft pas le trop dire qui perfuade
, c'eft le bien dire ; & pour cela , il
ne faut être ni verbeux ni trivial.
Ce Volume eft terminé par une Hiftoire
numifmatique qui étoit très - néceffaire , &
qui paroît exacte.Les premières monnoies que
M. le Clerc nous fait connoître dans ce
volume , font de l'an 1398 ; les dernières de
l'an 1610. Elles font toutes figurées avec
beaucoup de netteté fur des planches que le
Lecteur confultera avec plaifir. Cinq cent
trente fix ans s'étoient paffés depuis Rourie
jufqu'à Ivonovitz , avant qu'on eût fongé à
battre monnoie. M. le Clerc compare à
cette occafion les Ruffes aux Romains , qui
ne frappèrent des monnoies que cinq cent
ans après la fondation de Rome. Il auroit pu
ajouter que c'étoit à coup sûr une preuve
Nº. 24 , 12 Juin 17841 D
1 .
2
74
MERCURE
de fa nullité dans le commerce. M. Levefque
avoit affuré que la Ruffie n'avoit point une
Hiftoire numifmatique , M. le Clerc lui a
répondu par des faits contraires. Il a fait
imprimer en Latin certe Hiftoire , telle que
les Ruffes la connoiffoient : en général ces
monnoies font peu variées ; & il s'eft écoulé
bien du temps avant qu'un infipide blafon
les ait armoiriées. Le plus grand nombre repréfente
des hommes à cheva !, des Arbalêrriers
à pied , & ces animaux fymboles de
force , d'audace , de fidélité , de vigilance
ou de célérité. Quelques unes préfentent
deux hommes embraffant l'arbre de la paix ,
ou fe tenant en figne d'amitié. Il en eft qui
portent l'effigie des Empereurs ; celles qui
font armoiriées portent l'aigle au vol abaiffé ,
qui eft en général le fupport des écus des
Maiſons nobles & anciennes du Nord . Nous
ferions curieux de favoir quelle eft l'origine
de ces fupports. Toutes les fois que nous
aurons à revenir fur le travail , fur les foins
& fur les recherches de M. le Clerc , nous
lui donnerons volontiers des éloges mérités .
-
·
Le fecond Volume de l'Hiftoire Moderne
commence la dynaftie des Romanof en
1510. Nous emprunterons les expreffions de
l'Auteur. Rouvik & fes defcendans
avoient oublié que le devoir de conferver
les peuples fait le droit des Souverains
, & que la Loi ne les conferve plus
» dès qu'elle eft faite pour des efclaves. La
Loi n'eft rien fi elle ne commande pas à
DE FRANCE.
75
"
"
"
> tous ; fi elle ne protège pas les propriétés
perfonnelles & foncières. La dynaſtie des
" Romanof préfentera un autre tableau. Les
Chefs de l'État en protégeront les différens
ordres , & la Loi fera un glaive qui
promenera indiftinctement fur toutes
les têtes , & qui abattra tout ce qui ofera
» s'élever au- deffus d'elle. L'agriculture , les
» arts , le commerce & quelques Sciences
» naîtront à l'ombre du trône fur lequel
» fe
39
n
"3
régnera la justice diftributive. Ils écarte-
» ront peu à peu l'oifiveté , l'ignorance , le
fanatifme , l'antipathie de nation , & la
barbarie ; des Princes , qui connoîtront
» mieux le prix des hommes , s'occuperont
» du bonheur de tous , parce qu'ils fenti-
» ront que le bonheur des Princes eft le
33
22
, د
"
réfultat de toutes les felicités particulières.
Mais la marche du bien eft lente &
épineufe , comme celle de la vérité qui
apprend à le faire. La dynaftie des Ro-
» manof aura befoin de dix règnes , & peutêrre
plus , pour marcher
"3
"
33
93
ور
"
"
à pas pas dans
la carrière qui y conduit. Le troisième
» volunie ( c'eft le deuxième de l'Hiftoire
» Moderne ) de l'Hiftoire des Princes de
Ruffie , en fournira la preuve. Il comprend
un espace de 170 ans . Ce volume .
» dit M. le Clerc , dédommagera peut- être
le Lecteur des règnes fcandaleux qu'il
» vient de parcourir avec nous , & dont
» nous étions pour le moins auffi las que
» lui. »
ور
33
"
Dij
76
MERCURE
M. le Clerc rend juftice à Voltaire ; &
enfin il étoit temps qu'on sût que cet Écrivain
célèbre n'a point imaginé le Roman de
Pierre Ier , ainfi que l'en avoient accufé des
Critiques de mauvaiſe foi. M. le Clerctranfcrit
fouvent les expreffions de Voltaire , &
le cite volontiers en preuves. Il faut lire M.
le Clerc & Voltaire fi l'on veut connoître
parfaitement le Législateur de la Ruffie .
Quels pas de géant Pierre Ir a fait faire à ſa
Nation ! Quelles diftances il a franchies !
combien d'obftacles il a furmontés ! D'un
faut les Ruffes fe font prefque trouvés au
même point où des fiècles avoient amené
avec peine les autres puiffances. Que ne
peat point un grand Homme fur le trône !
Pierre a tout vaincu , fes ennemis & fes fujets.
La chaîne de fes travaux eft immenfe.
On rencontre toujours le Créateur , jamais
le Monarque oifif. Il n'a connu que les foucis
du trône , il n'a fenti que les jouiffançes
du génie. Il fut cruel , il dut l'être . Il par
donna trop peu , peut- être ne put - il pas être
plus clément. Sa conduite eft une leçon éternelle
laiffée à tous les Souverains , fi l'on
veut en retrancher le fupplice des dix mille
morceaux , les coups de doubine , le defpotifme
avec lequel il vouloit qu'on reçût fes
innovations , & la mort de fon fils , qu'il
regretta toute la vie , & au ſouvenir duquel
il fit frapper une médaille , avec cette infcription
: En mémoire d'une douleur i nconnue
Ce fils étoit incapable de réguer, Tous le
DE FRANCE. 77
foins que Pierre Ier donna à fon éducation
furent perdus. Son bouffon lui préfenta un
jour un papier plié , en lui difant : homme de
génie , efface ce pli , fi tu le peux ; allufion
au méchant naturel d'Alexis . Alexis haïffoit
fon père. Les Prêtres entretenoient cette
haine. Il s'accufa d'avoir fouhaité la mort
du Czar ; fon Confeffeur lui répondit , Dieu
vous le pardonnera , nous lui en fouhaitons
tous autant. Comment Pierre Ier avoit
il encouru l'animadverfion des Prêtres ? Il
avoit anéanti la dignité patriarchale , il avoit
attribué au trône le droit de préfider le
Clergé. Comment avoir il irrité les nobles ?
Il avoit créé une Inquifition d'État , fous le
nom de Chancellerie fecrette, pour prévenir
les fréquentes rébellions; il avoit forcé la haute
Nobleffe à fervir fous les Gentilshommes ,
en raifon des grades militaires . Il avoit contraint
les nobles qui auparavant refufoient
de fervir , de ſe faire dénombrer par le Magiftrat
, & d'entrer au Service à dix ans ; il
avoit donné plus de diftin&tions aux grades
mérités qu'à la naiffance. On l'avoit vû affifter
au convoi de le Fort , une pique à la
main , marchant après les Capitaines , au
rang de Lieutenant , qu'il avoit pris dans le
grand Régiment de ce Général . Après la bataille
navale d'Angoult , il vint lui- même
rendre compte de la victoire , en habit d'Officier
de Marine , au Général Romodanoski.
Les grands Seigneurs s'étoient adonnés au
commerce , & accaparoient tout. Il ne ref-
Div
28
MERCURE
toit rien aux roturiers , qui étoient foulés ;
le Czar en condamna quelques uns à être
pendus , & commua la peine en un châtiment
de coups de doubine , qui leur furent
diftribués dans l'intérieur de fon palais . La
juftice étoit vénale ; il avoit déplu aux Magiftrats
par fa févérité. Il difoit fouvent , en
les menaçant , quels biens ne peut pas faire
un Prince à fes Sujets , en achetant feuleinent
pour un rouble de cordes . Il avoit défendu
à tout homme en place de recevoir
des préfens. Tels étoient les motifs de la
haine qu'on portoit à ce grand Homme Le
peuple ne lui párdonnoit point d'avoir fait
couper la barbe , & raccourcir les habits .
Fatigué de menacer , Pierre I avoit pris le
parti de mettre un impôt fur la barbe & fur
les longs habits. On improuvoit les réglemens
qu'il avoit faits pour l'inftitution des
fêtes de fociété , inftitution ingénieufe digne
des beaux jours de la Grèce , & le feul
moyen peut être de jeter le germe des moeurs
douces , & d'une civilifation remplie d'urbanité.
Les Anti réformateurs fe liguèrent
avec la Princeffe Sophie , qui dut le grand
nombre de fes conjurés à l'amour de la barbe
& des longs habits. Les voyages du Czar
avoient été condamnés par les premiers Ordres
de l'Etat. Les Prêtres s'étoient appuyés
de l'autorité des Livres Saints , & difoient :
nous fommes bien comine nous fommes , &
nous ne voulons pas être mieux que nos
pères. Quand l'ignorance s'exprime de la
DE FRANCE.. 79
forte , il eft ailé de preffentir les obftacles
qu'un Réformateur rencontre dans fa route.
A la paix de Neuftadt , Pierre I tint au
Maréchal Munich , un langage que peu de
Souverains pourroient tenir. Je viens de
finir une guerre qui a duré plus de vingt ans ,
fans faire de dettes , & fi c'eft la volonté de
Dieu de m'en faire faire encore une autre
auffi longue , je la foutiendrai de même
fans m'endetter.- Après la journée d'Aland ,
il parla en ces termes aux Officiers : « -Mes
frères , eft- il quelqu'un de vous qui eût
penfé , il y a vingt ans , qu'il combattroit
" avec moi fur la mer Baltique , dans des
» vaiffeaux conftruits par vous mêmes , &
» que nous ferions établis dans ces contrées
"
"3
»
conquifes par nos travaux & notre con-
» rage ? Qui de vous auroit prévu que tant
d'hommes inftruits , d'Artiftes habiles ,
d'Ouvriers induftrieux , viendroient de
» toutes les contrées de l'Europe faire fleurir
» les Arts en Ruffie ? On place l'ancien fiège
» des Sciences dans la Grèce , elles s'etablirent
enfuite dans l'Italie , d'où elles fe
répandirent dans toutes les parties de l'Europe
, excepté en Ruffie , par la négligence
» de nos ancêtres. C'eft à préfent notie
» tour , fi vous voulez feconder mes def-
"
"
feins , en joignant l'émulation & l'étude à
» l'obéiffance . Les Arts circulent dans le
» monde comme le fang dans le corps hu
main , & peut être ils établiront leur
Div
Το MERCURE
">
empire parmi nous , pour retourner
» dans la Grèce , notre ancienne patrie. »
M. le Clerc compare Pierre I à Charlemagne.
Ce parallèle nous a paru de la plus
grande exactitude , & très bien fait. L'un &
l'autre ont créé leur Nation . Pierre I a réellement
mérité cette devife :
Etiam , in minimis , magnus.
Nous engageons nos Lecteurs à lire avec
foin ce Volume , qui contient des objets pré
cieux. La partie légiflative qui le termine eft
très- intéreffante. Nous répétons avee fatisfaction
que M. le Clerc n'a rien omis d'utile
ni d'inftructif. Son Édition eft foignée ; le
même burin continue de nous donner les
gravures qui enrichiffent l'Ouvrage. M. le
Clerc montre par - tour l'Écrivain rempli des
plus louables intentions.
DICTIONNAIRE Hiftorique d'Éducation
où ,fans donner depréceptes , onfe propofe
d'exercer & d'enrichir toutes les facultés
de l'âme & de l'efprit , en fubftituant les
exemples aux maximes , les faits aux raifonnemens
, la pratique à la théorie ; nouvelle
Édition , qui a été revue , corrigée
& augmentée d'un grand nombre d'articles
, & fur tour d'une Table hiftorique
des Perfonnages , plus ample , plus exacte
& plus intéreffante que celle qui accompagnoit
les précédentes Éditions de ce
DE FRANCE. 81
Dictionnaire ; par M. Fillaflier , des Académies
Royales d'Arras , de Toulouſe ,
de Lyon, de Marfeille , &c. 2 Volumes
in 8°. Prix rel. 12 liv. A Paris , chez Méquignon
l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers
, près des Écoles de Chirurgie.
Le but du Rédacteur de cette intéreffante
Collection a été de mener la jeuneffe à la
vertu par la voie des exemples . Il a cru qu'cn
l'accoutumant à ne voir que des traits frappans
de magnanimité , de fageffe , de bienfaifance
, &c. elle deviendroit fage , magnanime
, bienfaifante par émulation , & que
les grands Hommes , par leurs actions , pourroient
l'inftruire avec autant de fuccès que
les Philofophes par leurs préceptes . Ainsi ,
c'est dans les annales du genre humain qu'il
a puifé toutes les leçons qu'il donne ; & fi
la nature de cet Ouvrage ne lui laiffe que le
mérite du choix , au moins eft- il fait de manière
à lui concilier de plus en plus le fuffrage
de tous les fages Inftituteurs qui l'ont
adopté depuis long - temps , & qui trouveront
cette nouvelle Édition plus digne encore
de leur accueil que les précédentes.
Tout ce que l'Hiftoire offre de curieux &
de remarquable a enrichi cet utile répertoire
; & quelques traits pris au hafard feront
juger de tous les autres.
་ ་
Un Soldat envoyé par M.
» pour examiner un pofte , y
de Vauban ,
reſta long
D v
82 MERCURE
"
» temps malgré le feu des ennemis , & reçut
même une balle dans le corps. Il retourna
rendre compte de ce qu'il avoit obſervé ,
» & le fit avec toute la tranquillité poflible ,
» quoique le fang coulât en abondance de
» fa plaie . M. de Vauban voulut récompenfer
fa bravoure & le fervice qu'il venoit
» de rendre ; & ce Général lui préſenta de
» l'argent Non , Monfeigneur, lui dit le
» Soldat en le refufant , cela gâteroit mon
» action. » ( Amour de la gloire. )
"
"
"
ܕ
∞
:
-
*
Une femme fort pauvre , mais qui avoit
» la confolation d'avoir une fille aimable ;
fe préfenta avec cette jeune perſonne à
» l'audience du Cardinal Farnèfe. Elle lui
expofa qu'elle étoit fur le point d'être renvoyée
avec la fille d'un petit appartement
» qu'elles occupoient chez un homme fort
riche , parce qu'elles ne pouvoient lui
payer cinq fequins qui lui étoient dûs . Le
» ton d'honnêteté avec lequel elle faifoit
» connoître fon malheur , fit aifément comprendre
au Cardinalqu'elle n'y étoit tombée
que patce que la vertu lui étoit plus
chère que les richeffes. Il écrivit un mandat
, & la chargea de le porter à fon In-
» tendant. Celui - ci , après l'avoir ouvert ,
» compta fur le champ cinquante fequins.
Monfieur , lai dit cette femme , je ne
demandois pas tant , & certainement Monfeigneur
s'eft trompé. Il fallut , pour faire
ceffer la conteftation , que l'Intendant allâr
"
»
و د
99
ور
"
-
DE FRANCE. 83
"
lui- même parler au Cardinal . Son Émi-
» nence , en prenant fon mandat , dit aux
deux perfonnes qui étoient préfentes :
2
و ر
» Vous avez tous raifon , je m'etois trompé ,
» le procédé de Madame le prouve ; & , au
lieu de cinquante fequins il en écrivit cinq
» cent , qu'il engagea la vertueufe mère d'ac
» cepter pour marier fa fille. ( Libéralité. )
» Un Babillard , qui avoit l'honneur d'en-
» tretenir Ariftote , voyant que ce Philofophe
ne répondoit rien : - Je vous in-
» commode peut- être , lui dit- il ? Ces bagatelles
vous détournent de quelques
penfées plus férieuſes . Non ,
pouvez continuer , je ne vous écoute pas.
» ( Raillerie. )
99
ود
33
»
Vous
Non loin de la maifon d'un parvenu ,
un bon vieillard jouiffoit d'une cabane entourée
de quelques arpens de terre , &
» vivoit en paix fans defirer les richeffes de
» fon voifin . Les regards de l'homme opulent
furent choqués de la cabane fituée à
l'entrée de fon parc. Il fit appeler le fage
Villageois qui l'habitoit.
و د
39
- Sais tu bien
» que ta fortune eft faite Er vous ,
" Monfieur , favez- vous que le bon Dieu ,
» mes deux bras & mon champ ne m'ont
jamais laiffé manquer de rien ? On est bien
riche quand on a le néceffaire , & plus
" encore quand on fait mettre des bornes à
fes defirs. J'ai travaillé long-temps , bien
long temps. Aujourd'hui je me repofe,
» Mon fils me nourrit , afin que les enfans
93
"9
D vj
84 MERCURE
*
,, - le noutriffent à fon tour . Tout cela eft
" très bien , mon bonhomme ; mais il s'agit
» de me vendre ta cabane , & je te la payerai
» tout ce que tu voudras. Ah! Monfieur,
» ypenfez vous? C'eft le père de mon grand
père qui l'a rebâtie , & cela , avant qu'il
» fût queftion de votre château . - Mon
ود
-
ami , je le veux , point de réplique.
» Point de réplique ! j'y fuis né , les miens
" y font morts , j'y veux mourir auffi.
" Monfieur , ne vous fâchez pas, j'ai quatre-
*53
"
vingt- dix ans paffés : peut-être que mon
» fils ...... mais non , il a du coeur. Vous le
» favez , il n'a pas voulu entrer à votre fervice
: il eût été fans doute plus opulent ;
mais il n'auroit été que Valet chez vous ;
chez nous il eft maître . » ( Médiocrité. )
و د
On trouve dans un grand nombre d'articles
, & particulièrement fous les titres
Amour de la Patrie , Bienfaisance , Caractère
, Clémence , Héroïfine , Pardon , &c. &c.
les morceaux d'Hiftoire les plus attendrif
fans , & nous regrettons que les bornes de
cet extrait ne nous permettent pas d'en offrir
quelques uns à la fenfibilité de nos Lecteurs.
L'Ouvrage eft terminé par une table Hiftorique
& Alphabétique , que l'on peut regarder
comme une autre forte de Dictionnaire
non moins curieux que le premier , &
qui achevera de faire connoître les perfonnages
dont on a rapporté les actions ou les
paroles.
21.
DE FRANCE.
L'Auteur prévient qu'il ne reconnoît pour
bonne & légitime Édition que celle qui fera
fignée du Libraire au verfo du frontifpice du
tome premier.
VARIÉTÉ S.
Chronomètre & Plexichronomètre.
TOUTES OUTES les perfonnes qui s'intéreffent à la Mufique
, & à tout ce qui peut contribuer à ſa plus parfaite
exécution , defiroient depuis long - temps l'adoption
d'un Chronomètre , c'est-à-dire , d'un inftrament
qui détermine avec préciſion & qui conferve
dans toute la pureté le mouvement d'un morceau de
mufique , tel qu'il a été conçu par l'Auteur; plus
d'une fois cet inftrument leur avoit été propolé ;
Sauveur , Rouffeau , & dernièrement un Anonyme
dans une Brochure fort bien faite , avoient décrit &
l'inftrument & les avantages qui en devoient réfulter
, fans qu'aucun d'eux en ait pu affurer le fuccès.
Soit que notre Nation , qui reçoit fi avidement les
nouveautés frivoles , y regarde de bien plus près
quand il s'agit de nouveautés utiles , foit que les
Auteurs de ces premières pendules ne les ayent pas
affez perfectionnées , ou n'ayent pas en affez de patience
& de fuite dans l'efprit pour les faire valoir ;
foit plutôt qu'un vieux préjugé , dont on trouveroit
peut être encore des traces dans nos orcheſtres , ait
fait croire à ceux qui les conduïfent que leur talent
étoit compromis , & leur amour-propre bleffé par
l'adoption de cette machine , il n'en étoit refté qu'un
fouvenir confus , & le vain defir de la voir reçue
généralement .
Deux Artiftes à la fois renouvellent aujourd'hui
cette tentative, M. Breguet , Horloger très- diſtingué ,
86 MERCURE
d'après le defir d'un Amateur connu , vient d'imagi
ner un Chronomètre qui paroît plus parfait qu'aucun
de ceux qui l'ont précédé. C'eft un cadran coupé
perpendiculairement dans fon diamètre en deux
parties égales. Celle de la droite eft divisée en go
degrés de viteffe , & celle de la gauche en 90 degrés
de lenteur , indiqués par une aiguille qui aboutit à
deux cercles , fur l'un defquels font les chiffres
•
2
& fur l'autre I , 2 3 , à quoi le réduifent les temps
des différentes mefures de la mufique. Une aiguille
plus petite fert à fixer ces mouvemens
, & par conféquent
à déterminer les battemens de la grande. La
moyenne , indiquée par o , qui fépare les deux divihons
, eft de la durée d une feconde. Le N °. 90 du
côté de lenteur donne le mouvement le plus large en
prenant chacun des battemens
pour un demi-tems ,
un huitième de mefure ou une croche , pour la mefure
à deux temps. Le N ° . 90 , du côté víteſſe ,
donne le mouvement le plus vif, en prenant chaque
battement pour une mefure entière. L'opération
qui
fert à fixer ces mouvemens
, confifte à raccourcir
oa
rallonger le pendule au moyen d'une clé , comme
quand on monte une horloge. La marche de la grande
aigaille eft d'une précifion parfaite , & n'eft fujette
à aucune des ofcillations
qu'on remarque
aux aiguilles
à fecondes. La feule choſe peut être qui feroit
à defirer , c'eft que cette meſure mécanique
fe fît
fentir à l'oreille en même temps qu'aux yeux , ou
même de préférence. Un conducteur
d'orchestre
peut difficilement
fuivre en même-temps la mufique
qu'il exécute & le mouvement
de l'aiguille. Son attention
ne feroit pas interrompue
fi un autre fens
venoit à fon fecours. Il faudroit feulement
que le
bruit ne fût fenfible que pour lui , & pût même celler
à volonté. M. Breguet à qui cette idée a été communiquée
, la regarde comme d'une exécution facile,
& fe promet de l'employer
.
DE FRANCE. £7
D'an autre côté , M. Renaudin , Profeſſeur de
Mufique & Maître de Harpe , exécutoit un autre
inftrument qu'il appelle Plexichronomètre , dont le
réfultat eft à peu près femblable , quoique les
moyens & la forme en foient très différens. C'eft
une petite boîte contenant un rouage , ayant pour
modérateur un volant au lieu d'un pendule , lequel
fait mouvoir un , deux , trois ou quatre marteaux à
volonté , pour frapper chaque temps , ou feulement
la mefure , de manière à faire diftinguer le temps
fort du temps foible. Le but principal de M. Renaudin
a été de faciliter aux Écoliers l'étude de la mefure
, en leur donnant un inftrument qui la leur indiquât
en l'abſence du Maître , & d'une manière plus
jufte qu'aucun Maître ne le pourroit faire .
à Ce n'eft pas nous de décider fi une machine dirigée
par un volant peut avoir le même degré de précifion
que celle qui l'eſt par un pendule : c'eft au Public
à compenfer les avantages de la jufteffe , de la
forme , du prix, & c. , & d'affigner la préférence à
celle des deux qui lui paroîtra la mériter ; il nous
fuffit d'examiner quelle utilité réfuteroit pour l'Art
Mufical de l'adoption d'un Chronomètre quelconque,
& de détruire le préjugé qui , jufqu'ici , les a
éloignés de nos Orcheftres.
Celui qui propoferoit de faire fuivre pendant
toute la durée d'un morceau de Mufique un mouvement
d'une précifion auffi rigoureufe , prouveroit
qu'il eft entièrement privé du fentiment de cet Art.
Il y a tels traits où l'expreffion du chant & des
paroles exige un rallentiffement ou une accélération
infenfible auxquels fe prête un Conducteur
habile, & que ne permettroit pas un automate , mais
il importe de bien fixer d'abord ce mouvement. On
fait trop que tous les fignes multipliés , les mots
d'allegro , d'andante , &c . devenus vagues & prefque
arbitraires , ne donnent plus qu'une idée fort con88
MERCURE
fufe des intentions de l'Auteur quand il eft abfent ;
qui pourra mieux les établir dans toute leur jufteffe
qu'un Chronomètre , dont les dimenſions convenues
une fois , généralement adoptées , deviendroient un
langage clair & précis entre les Compofiteurs & les
Exécutans ? Ceux qui conduifent nos Orcheſtres à
Paris font pour la plupart fort habiles ; mais peuventils
être affez sûrs d'eux-mêmes pour retrouver demain
la même nuance de mouvement qu'ils avoient donnée
hier au même morceau , tandis que le fouvenir
de cette nuance , pourtant fi importante , a pu être
altéré par l'exécution d'autres morceaux , par la
difpofition différente de leurs organes , par mille
circonftances indépendantes de leur talent ? Qui n'a
pas entendu dans nos Provinces nos Opéras - Comiques
, ou d'autre Mufique dans les Concerts, exécutés
d'une manière fi éloignée du mouvement originel ,
qu'ils avoient perdu toute leur grâce , & n'étoient
plus reconnoiffables . Ces inconvéniens difparoîtront
à l'aide du Chronomètre . Il fuffira que le Compofiteur
écrive à la tête de chaque morceau le degré de
vîteffe & de lenteur qui lui convient pour que ce
mouvement foit également faifi par tout le monde ,
& fe conferve dans tous les temps.
On fait une objection. La nuance de mouvement,
dit-on , n'eft pas fi effentielle à un morceau qu'elle
ne foit encore foumife aux moyens du Chanteur ; en
forte que fi tel degré convient à la voix facile de
celui pour qui on l'a écrit ; un autre qui le chante
enfuite , a beſoin d'un plus grand degré de lenteur
pour ne pas manquer des traits que fa voix rendroit
avec peine. La réponſe eft facile. 19. Les
Chanteurs qui fe feront étudiés à exécuter avec la
précifion du Chronomètre auront habitué leur voix à
une flexibilité qui la rendra propre à tous les mou
vemens fans être obligés de les altérer . 29. Pour
ceux qui exiftent & qui auroient befoin de cette
DE FRANCE. 89
reffoarce , ils effayeront chez eux au Chronomètre le
mouvement qui leur convient, l'indiqueront au Maitre
, & il ne réfultera plus de cette variété de mouvement
auquel on eft fouvent obligé de fe plier , la
perte totale du mouvement originel.
Ces avantages & une foule d'autres doivent faire
defirer vivement à tous les véritables Amateurs que
cet Inftrument foit admis. Les Artiftes médiocres
pourront le craindre ; mais ceux d'un mérite ſupérieur
feront les premiers à l'adopter. On a déjà ouvert
une Soufcription chez M. Breguet pour en faire
conftruire un qu'on deftine à M. Hayden , au moyen
duquel on aura le véritable mouvement de fes
charmantes fymphonies. On dit qu'on en projette
un autre pour le Concert Spirituel . Si , comme
nous l'efpérons , l'Opéra & la Comédie Italienne
fuivent cet exemple, c'en cft affez pour fixer parmi
nous cette utile invention . Les abus s'introduifent
d'eux - mêmes & fans réfiftance ; il faut des coups
d'autorité pour faire adopter des ufages avantageux
.
On peut voir le Chronomètre de M. Breguet tous
les jours chez lui , au coin du quai des Morfondus ,
près le Pont- Neuf, & celui de M. Renaudin les
Lundis , Mercredis & Vendredis , rue Mauconfeil ,
vis à- vis l'ancienne Comédie Italienne.
ANNONCES ET NOTICES.
HEF- D'OEUVRES de l'Antiquité fur les Beaux-
Arts , Ouvrage orné de 70 planches , gravées en
taille douce , par Bernard Picart. Prix , 18 liv . le
Cahier A Paris , chez l'Auteur , rue Garencière ,
& chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins.
Nous avons annoncé le Profpectus de ce grand &
५० MERCURE
important Ouvrage. On voit que la première Livraifon
l'a fuivi de bien près. La Collection entière fera
compofée de quatre Cahiers pareils à celui ci , qui
nous a paru fort bien exécuté.
NOUVEAU Code des Tailles , on Recueil Chronolog
que & complet jufqu'à préfent des Ordonnances ,
Edits , Déclarations , A rêts & Réglemens rendus
fur cette matière , fur les Impofitions , fur la Jurif
prudence & fur la procédure des Cours des Aides &
des Sièges de leur reffort , ainfi que fur les Privilèges
& Droits des Officiers qui les compofent. Tomes
IV , V & VI ; pour fervir de fuite & de Supplément
aux trois Volumes imprimés en 1761 , avec une
Table générale & raifonnée des matières contenues
dans les cinq volumes de ce Recucil . 3 volumes
in- 12 . de petit caractère , & de plus de 600 pages
chacun au Prix de 12 liv. reliés , & de 10 liv. 10 f.
brochés. A Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi ,
Quai des Augufties.
Cet Ouvrage complette dans le quatrième & cinquième
vol. , la fuite chronologique des Réglemens
rendus fur les Tailles depuis 1761 jufqu'en 1782.
Le quatrième Vo'ume contient en outre un Supplément
aux Réglemens antérieurs à 1761. Cette Col-
Jection a exigé beaucoup de recherches. Le fixième
volume eft un Dctionnaire complet des matières
les plus ufaelles dans les Cours des Aides & dans les
Sièges de leur reffort.
Cet Ouvrage peut être d'une grande utilité à une
claffe nombreuſe de la Société. Au lieu de refondre
les trois premiers volumes , or a préféré l'intérêt du
Public , en épargnant à ceux qui les poſsèdent les frais
d'une nouvelle acquifition.
NOUVELLE Topographie de la France , par M.
Robert de Heffeln , Cenfeur Royal . Carte de la
DE FRANCE. 91
Région Eft , la huitième des neuf qui offrent le premier
degré des détails de la fuperficie du Royaume.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Jardinet , vis -à - vis
-celle du Paon.
Cette Carte eft accompagnée , comme les autres ,
d'un Difcours qui en indique les objets les plus inté
reffans. Elle contient la Haute- Alface , la partie Métidionale
de la Lorraine , la Franche- Comté , la
Bourgogne , avec la Dombes , la Breffe , le Bugey ,
le Val Romei & le pays de Gex , le Lyonnois , &
Ja partie du Bas-Dauphiné , qui contient le Diocèle
de Vienne. On y voit auffi une grande partie des
Frontières de la Souabe , de la Suiffe & de la Savoie.
DEUX Vues des Tuileries , gravées en couleur
par Delcourtis , d'après M. de Machy , Peintre da
Roi. Prix , 3 liv , les deux. A Paris , chez Defcourtis ,
rue des Grands Degrés , près la place Maubert , en
face de la rue Perdue.
On trouve à la même Adreffe les deux belles
Vues du Port S. Paul & de la Porte S. Bernard ,
gravées dans le même genre.
THEATRE François , Théâtre Italien , & le
Palais de Juftice , en trois petits Médaillons coloriés.
Prix , 2 livres les trois . Deffinés & gravés par
Campion le fils. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint.
Jacques , à la Ville de Rouen.
LE Verrou , Eftampe gravée d'après le Tableau
de H. Fragonard , Peintre du Roi , par M. Blot.
Prix , 9 livres. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Etienne des Grès , maifon du Collège de Montaigu.
La force & la grâce s'uniffent fans fe nuire dans
cette Gravure , qui eft d'un effet agréable & piquant.
MUCIUS Seévola , fujet tiré de l'Hiftoire Ro
92 MERCURE
1
maine , par P. Rubens , & gravé par G. Mar
chand , Eftampe de 18 pouces de haut , fur 15 pou
ces de large . Prix , 4 livres . A Paris , chez Voyfard ,
rue de la Harpe , nº . 18 , en face de la rue Serpente.
Cette Eftampe eft vigoureufement gravée , &
rend le caractère de l'original.
La Bienfait récompenfé , oa la Suite des
bonnes Gens , Comédie en un Ate & en profe , repréfentée
pour la première fois à Paris , fur le Théâtre
des Variétés Amufantes , le 25 Décembre 1783 .
Prix , 1 livre 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
On fait quel a été le fuccès de la famille Pointu
fur le Théâtre des Boulevards ; & il faut avouer
qu'ils s'y font montrés dans plufieurs Pièces fous des
formes intéreflantes. Dans celle ci , Boniface Pointu
eft dans le malheur ; il fe voit près d'être arrêté pour
40,000 liv. Ambroife & fa femme , de qui il a fait
la fortune dans une autre Pièce dont nous avons
rendu compte , fe difpofe à vendre fon auberge pour
venir à fon fecours . Heureufement André , un Commiffionnaire
, qui connoît & qui a déjà éprouvé le
bon coeur de Boniface Pointu , lui prête cette fomme
qu'il vient de gagner par hafard à la loterie . C'eft
la dernière Pièce qu'ait fourni cette famille , qui ,
quant à fa deltinée dramatique , a été comparée ,
par l'Auteur de Molière à la nouvelle Salle , à la
famille des Atrées .
On trouve chez le même l'Amour Quêteur, repréfenté
fur le Théâtre des grands Danfeurs du Roi.
Cette Pièce , faite d'après la chanfon fi connue fous
le même titre , préſente des tableaux agréables ; c'eſt
une des premières Comédies qui ont attiré de la
foule & une certaine claffe de Spectateurs fur les
Théâtres des Boulevards.
DE FRANCE. 93
RECHERCHES fur les Modifications de l'Atmof
phère , contenant l'Hiftoire critique du Baromètre &
du Thermomètre , un Traité fur la conftruction de
ces Inftrumens , des Expériences relatives à leurs
ulages , & principalement à la meſure des hauteurs
& à la correction des réfractions moyennes , avec
figures , dédiées à MM. de l'Académie Royale des
Sciences de Paris ; par J. A. de Luc , Citoyen de
Genève , Correfpondant des Académies Royales des
Sciences de Paris & de Montpellier , nouvelle Edition
, 4 Vol, in- 8 ° . Prix , 16 liv. brochés , 20 liv.
reliés. A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire ,
rue Saint Jacques,
Cet Ouvrage , diftingué déjà par les connoiffances
qu'il fuppofe dans fon Auteur , & par les
découvertes dont il a carichi la Phyfique , acquiert
un nouvel intérêt par les circonftances préfentes.
Ess41 fur l'Origine des Fiefs , de la Nobleffe
de la Haute- Auvergne , & fur l'Hiftoire Naturelle
de cette Province , par le Comte de Raugouge
de la Baftide , Confeiller d'Epée , Chevalier d'Honneur
du Roi au Préfidial de la Haute - Auvergne , &
Gentilhomme ordinaire de la Chambre. A Paris ,
chez Royez , quai des Auguftins.
Cet Ouvrage , qui nous paroît fait avec exactitude
, peut être d'une grande utilité.
On trouve à la même Adreffe Hiftoire Naturelle
de la France Méridionale , par M. de Soulavie
, 6 Vol. in- 8 °, Prix , 36 livres brochés , avec
figures,
liq752
T
•
EUTRES choifies de Boffuet , avec Panalyfe de
fes autres Ouvrages principaux, dédiées à Mgr . l'Archevêque
de Bordeaux , par M. l'Abbé de Sauvigny.
8 vol. in-8 . propofés par Soufcription. A Nifmes ,
chez Pierre Beaume , Imprimeur; & à Paris , chon
94
MERCURE
Guillaume Defprez , Imprimeur ordinaire du Roi &
du Clergé de France , rue S. Jacques , & chez les.
principaux Libraires , tant du Royaume que des
pays étrangers.
M. l'Abbé de Sauvigny obſerve , avec raifon
dans fon Profpectus , que Boffuet , qui , par fon éloquence
fublime s'eft placé à la tête de nos Orateurs ,
eft bien moins lû qu'admiré ; ce qu'il ne faut attribuer
qu'à la trop volumineufe étendue de fes Ouvrages ;
& il eft fondé à croire que le Public accueillera favorablement
une collection moins nombreuſe & peu
difpendieufe , deftinée à réunir ce qu'il y a de plus
intéreffant dans les productions de ce grand Homme .
Nous invitons nos Lecteurs à lire le Profpectus , qui
donné une idée avantageufe de l'intelligence qui
préſidé à cette rédaction. Ce qui prévient encore favorablement
pour cette Edition , c'eft qu'elle fe fait
chez M. Beaume , déjà connu par un zile infatigable
dans toutes les entreprifes qu'il a faites. Il ne
demande qu'une foumiffion aux Soufcripteurs , qui
ne payeront qu'à mesure qu'ils recevront les Volumes
, c'eft-à- dire , 12 liv. en recevant les Tomes
I & II en Juillet prochain ; 8 liv. en recevant les
Tomes III , IV & V en Septembre ; & 8 liv. en recevant
les Tomes VI , VII & VIII en Décembre.
* HISTOIRE d'Angleterre , repréfentée par figures ,
accompagnées d'un Precis Hiftorique de chaque fujet.
Les figures gravées par F. A. David , d'après les def
fins des plus célèbres Artiftes de l'Académie Royale
de Peinture, Sculpture , & c . A Paris , chez David ,
rue des Noyers , No. 17 , & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
On a déjà exécuté par figures & avec fuccès l'Hif
toire de France ; delà on a conclu qu'on accueilleroit
auffi fous les mêmes formes l'Hiftoire d'Angleserre.
En effet, après notre propre Hiftoire , il n'ca
> !
DE FRANCE.
9༩
eft point qui doive nous intéreffer autant que celle
de cette Nation rivale , dont les événemens font fi
fort liés à ceux du peuple François , qu'on ne fauroit
écrire l'une des deux Hiftoires fans y faire entrer une
partie de l'autre. Le nom de M. David doit prévenir
en faveur des gravures , & celui de M. le Tourneur
répond de la manière dont feront faits les Précis qui
doivent les accompagner. Les fujets feront exécutés
en hauteur. L'Hiftoire fera imprimée in-4 ° . & tirée
au nombre de 425 exemplaires fur papier fin double
des plus belles fabriques. Les planches feront
remifes enfuite au Cabinet des Eftampes de la Bibliothèque
du Roi. Le nombre des fujets fera environ
de 150 , divifés en 19 Livraiſons ; & il paroîtra tous
les deux mois un Cahier compofé de huit planches
& difcours . Prix , 12 liv. , que l'on payera en recevant
chaque Cahier. La première Livraiſon ſe fera
au premier Juillet prṛ chain .
―
PREMIER Concerto à Violoncelle principal à
grand Orchestre , par M. Bréval , OEuvre quatorzième.
Prix , 4 liv . 4 fols. A Paris , chez l'Auteur
rue Faideau , maifon de M. Jacob. Six Duos
pour Violon & Alto , par le même. OEuvre quinzième.
Prix , 7 liv. 4 fols. Même Adreffe , & chez
M. Deroullède , rue S. Honoré , près celle des
Poulies.
NUMERO IV du Journal de Harpe , par les
meilleurs Mattres , contenant l'Ouverture de Chimène
, par M. Ragué , la Romance du Droit du Seigneur
, & un Air de M. Albanèze , par M. Aubert.
Prix , 2 liv. 8 fols. L'abonnement eft de 15 liv. à
Paris & en Province , port franc par la poſte, Chez
M. Leduc , au magafin de Mufique , rue Traverfère
S. Honoré.
96
MERCURE
QUATORZIEME Symphonie Périodique à grand
Orchestre , compofée par J. Hayden. Prix , 3 liv.
A Paris , chez Imbault , rue & vis - à vis le Cloître
S. Honoré , maifon du Chandelier , & Siéber , même
rue , entre celles d'Orléans & des Vieilles Étuves ,
N °. 92.
Nous ne dirons rien de cette Symphonie , elle.eft
de M. Hayden.
NUMERO IV du Journal de Clavecin , par les
meilleurs Maîtres , viol. ad lib. troisième année ,
contenant l'Ouverture de Didon , arrangée par M.
Piccini fils , & un Menuet de M. Blin de la Codre.
Prix, 3 liv. Abonnement pour 12 Cahiers , 15 liv.
à Paris & en Province , port franc par la pofte. Chez
M. Leduc , au magafin de Mufique , rue Traversière
S. Honoré.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures .
TABLE.
A Son A. 8. Madame la phe ,
Duchefe de Chartres , 49 Almanach des Mufes .
Vers récités à Madame la Pre- Hiftoire de Ruffie
fidente du Pary ,
AMlle Contat
A Mme Ch ******
53
55
70
ib. Dictionnaire Hiftorique d'E-
50 ducation , 80
SI Variétés ,
85
89
Charade, Enigme & Logogry- Annonces & Notices ,
AP PROBATION.
J'AI lu par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure
de France , pour le Samedi
12 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion
. A Paris
le 11Juin 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à‹ MM. de la Société Patriotique
Bretonne pour les remercier de l'honneur
qu'ils m'ont fait en me proclamant Citoyenne.
*
JADIS ce Peuple belliqueux ,
L'orgueil & l'effroi de la terre ,
* La Société Patriotique Bretonne doit fon origine &
fon inftitution à M. le Comte de Sérent, Gouverneur de
la prefqu'Ile de Ruis , Commiſſaire Général des États de
Bretagne au Bureau de l'Adminiſtration , Membre de plufieurs
-Académies . C'eft dans la grande falle de fon château
de Kéralier que fe tiennent les Affemblées. On y voit une
tribune ,
, portant cette infcription : « Ici on fert fon Dieu
» fans hypocrifie , fon Roi fans intérêt , & fa Patrie fans
» ambition. » On a donné au lieu des Affemblées le nom
très - mérité de Temple de la Patrie . Les Patriotes Bretons,
Nº. 15 , 19 Juin 1784.
E
98
MERCURE
Les Romains régnoient par la guerre;
Vous êtes auffi braves qu'eux ;
Mais à la valeur , au courage ,
Vous réuniffez des vertus
Que n'avoient Caton ni Brutus ,
Héros d'humeur un peu fauvage .
Les Romains déteftoient les Rois :
Souvent dans leur fureur extrême
Ils leur ôtoient le diadême
Et les égorgeofent quelquefois.
Cet ufage n'eft point le vôtre.
Vous pensez qu'un Roi vertueux ,'
Qu'un Monarque tel que le nôtre ,
Eft le plus beau préfent des cieux,
A fes loix votre coeur fidèle ,
De l'aimer fait tout fon plaifir ,
Et ne brûle que du defir
De lui montrer un noble zèle.
Citoyens vraiment généreux ,
En France on eft un peu moins libre ;
Mais on eft cent fois plus heureux
Qu'on ne l'étoit aux bords du Tibre .
Vous le prouvez : chez les Romains
pour augmenter l'éclat de leurs folemi.ités , fe font affociés
plufieurs Femmes célèbres par leurs vertus & leurs talens ;
entre-autres Mme la Comteffe de Genlis , Mme la Baronne
de Bourdic , l'Auteur de cette Épître , & Mme la
Comteffe de Nantais , qui , reçue la première , a été l'iaproductrice
de ces Dames ,
DE FRANCE. 99
Mon fexe avoit peu d'avantages :
Plus fenfibles & plus humains ,
Vous nous adreffez vos hommages.
Les Romains avoient- ils un coeur ?
Non : épris d'une fauſſe gloire ,
Ils ne vouloient avec ardeur
Qu'atteindre au temple de mémoire.
Mais fans nous eft- il de bonheur ?
Grâces à la philofophie ,
Qui , chez vous , nous ouvre un accès
Dans le temple de la Patrie ,
Vous le fixerez à jamais.
QUE déjà mon regard avide
Y contemple avec volupté
Cette NANTAIS , nouvelle Armide ,
Dont votre coeur eft enchanté :
Qui , mère tendre & courageufe ,
A les vertus du bon vieux tems
Et confacre tous les inftans
A rendre fa famille heureuſe.
A fes côtés devoit s'affeoir
L'Auteur d'Adèle & Théodore.
>
Combien il m'eft doux de l'y voir !
Accourez , ô vous qui , de Flore ,
Compofez la riante Cour.
Que toutes vos fleurs en ce jour
Sous ma main s'empreffent d'éclore .
Je veux couronner à mon tour
E il
100 MERCURE
Cette Minerve qu'on adore.
Mufe , ne vas point oublier,
Dans ton délire pindarique ,
Le Héros de Kéralier ,
Notre fondateur pacifique.
Vois-tu fon frout patriotique
Sur tous les autres dominer?
C'eſt une couronne civique
Qui feule eft faite pour l'orner.
Voudra-t'il bien me pardonner
Mon indigence poétique ?
Ma Mufe , au lieu du chêne antique ,
N'a qu'une rofe à lui donner.
O POURQUOI l'Arbitre ſuprême
N'exauce- t'il pas tous mes voeux !
J'irois dans le temple que j'aime
Voir ces Patriotes heureux
Qu'aniffent les plus tendres noeuds ,
Et dont la fageffe eſt extrême.
J'irois ..... Mais quel rayon d'espoir
Éclaire tout-à- coup mon âme !
Ignorai- je donc le pouvoir
De la fumée & de la flamme ?
Ignorai-je qu'au fein de l'air ,
Où nos Icares intrépides
Ont fouvent affronté l'éclair ,
Un char peut voler dans l'Éther
Traîné par des oifeaux rapides ?
DE FRANCE. ΤΟΙ
Puifque nous fommes au printems ,
J'eſpère , ou plutôt je prétends
Que de légères hirondelles
Me conduisent en peu de temps
Chez mes patriotes fidèles.
Oui , tôt ou tard je m'y rendrai ;
Et c'eft- là que je trouverai
Des aigles & des tourterelles.
(Par Mme la Comteffe de Beauharnais. ).
VERS fur l'Homme ; Abrégé de la
Philofophie.
It faut rire de l'homme , hélas ! auffi le plaindre ,
Ne voir dans fes forfaits que d'aveugles erreurs ,
Soulager la misère , adoucir fes fureurs ,
Eufin lui pardonper , mais apprendre à le craindre .
( Par M. de la Roque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigny. )
IMPROMPTU à Madame DE..... après
l'avoir entendu chanter.
Vous entendre & vous voir font deux plaifirs bien
doux ;
Par deux fens à la fois vous nous donnez des chaînes.
Si jadis on cût vu des Belles comme vous ,
On n'eût pas diftingué les Grâces des Sirènes.
( Par le même. )
E inj
192 MERCURE
}
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Paſſage ; celui
de l'Enigme eft Malle ( du Courier ) ; celui
du Logogryphe eft Loterie , où l'on trouve
lot , lote , tor, tri , ire , lire , Loire , loir ,
rote & Loi.
CHARADE.
Drs habitans des airs mon chef eft l'apanage ;
Pour obtenir ma queue un Huiffier fait tapage ;
Mon tout chez les Savans brillera d'âge en âge.
(Par un Abonné de Châlons -fur- Saône. )
ENIGM E.
FRANÇOIS comme Latin , je fers à la cuifine ;
Mais Latin feulement , au Baru je domine .
J'ai trois pieds , cher Lecteur. Me tiens -tu ? Non ?
devine.
(Par M. Micro- Mégas. )
1
DE FRA'N CE. - 103
POUR
LOGO GRY PH E.
OUR un Rimeur , mes fix pieds en font trois ;
A bien des gens je donne fur les doigts ;
A me décompofer , fi votre efprit s'attache ,
Vous verrez fans peine , je crois ,
Une Beauté qui devint vache ;
Celui dont nous fuivons les Loix ;
Un océan nouveau , dompté par le génie ;
Un métal précieux ; un arbre toujours verd ;
En mufique une note ; une ville en Ruffie ;
Une aux bords Indiens ; ce que n'a point l'impie ;
Las ! ce que dit de moi .... le vice découvert ;
Mais en revanche on trouve l'épithète
Qui me convient & que je vous fouhaite.
E iv
104 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
&
THEATRE d'Ariftophane , traduit en François
, partie en vers , partie en profe , avec
les Fragmens de Ménandre & de Philémon,
par M. Poinfinet de Sivry , Penfionnaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans ,
Membre de la Société Royale des Sciences
& Belles - Lettres de Lorraine . A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur Libraire,
Quai des Auguftins ; Barrois l'aîné , Mérigot
le jeune , Onfroy , Barrois jeune ,
Libraires , Quai des Auguftins , & Durand ,
rue Galande.
ON n'avoit pas encore en François de Traduction
complette du Théâtre d'Ariftophane.
M. Poinfinet de Sivry étoit appelé à cette
entrepriſe par une profonde connoiffance
de la langue Grecque , & par plufieurs fuccès
dans ce genre de Littérature. Il a fait plufieurs
découvertes qui éclairciffent des détails juſqu'à
préfent inintelligibles ; il a redreffé plufieurs
fauffes interprétations ; & quand il
s'agit d'Auteurs auffi anciens & d'un auffi
grand mérite qu'Ariftophane , rectifier une
erreur , c'eft fouvent rétablir une foule de
beautés.
Il faut avouer que peut-être aucun Auteur
Dramatique n'étoit plus digne qu'Ariftophane
DE FRANCE.
1c5
de trouver un Interprète qui sût connoître ,
apprécier & faire fentir fes beautés. Il
fuffiroit de jeter un coup d'oeil rapide fur
les Pièces que renferment ces quatre Volumes
, pour faire l'éloge tout à- la- fois du
Poëte & du Traducteur. Ce qui frappe furtout
dans la lecture de ce Théâtre , c'eſt le
fel de plaifanterie , la verve fatyrique , &
une liberté qui n'eft permife & ne peut convenir
qu'à un génie Républicain. La Comedie
dans Athènes étoit une efpèce de cenfure pu
blique : quelle arme entre les mains d'un
Poëte auffi mordant , auffi hardi qu'Ariftophane
, & dans une ville où le moindre
Citoyen avoit le droit de demander compte
de fa conduite à l'homme puiffant & honoré
!
Un exemple bien mémorable de cette liberté
, de ce cynisme utile à la patrie , mais
dangereux , même pour la vertu , c'est la fameufe
Comédie des Nuées. On fait que le
divin Socrate , le plus fage des hommes , èft
le ridicule Héros de cette Pièce ; & qu'Ariftophane
eut la hardieffe de vouer à la rifée
publique , un Sage qui a mérité le reſpect
de fes contemporains , & l'admiration
des fiècles. M. de Sivry s'efforce de juftifier
ce procédé , & n'y voit qu'un acte
de courage & de patriotifme. Il regarde
ce Philofophe comme convaincu d'une
doctrine dangereufe & d'un fanatisme
puniffable ; mais même en adhérant à cette
inculpation , fi M. Poinfinet de Sivry n'eft
Ev
106 MERCURE
pas accufé d'injuftice envers Socrate , on lui
reprochera toujours un excès d'indulgence
envers Ariftophane ; car en fuppofant que
ce dernier ait fait l'office d'un citoyen zelé
& courageux en attaquant la doctrine de
Socrate , n'a t'il pas paffé les bornes lorſqu'il
lui a fait dire de ce Philofophe :
A l'aide d'un long croc ( fans qu'on l'ait pu furprendre)
Du mur de la Paleftre il détache un manteau .
Donner à Socrate le talent de décrocher des
c'eft pouffer un peu loin le zèle
& le patriotifme.
manteaux
›
Au refte , cette Comédie eut le fuccès
qu'elle devoit avoir chez un peuple auffi malin
& auffi railleur que celui d'Athènes.
On y trouve des traits bien étrangers à nos
moeurs & même à notre goût dramatique
: Socrate qui s'enlève dans des nuées ;
un choeur de Nuées qu'on entend fur la
Scène ; tout cela fur nos Théâtres nous paroîtroit
au moins bien étrange ; mais il y
a nombre de traits malins & plaifans , tels
que celui ci , qu'on a imité depuis : As tu de
la mémoire , demande Socrate à un de fes
Élèves ; & l'Élève lui répond :
Oui , de par Proferpine !
Si quelqu'un m'a fait un billet ,
Je m'en fouviens très - bien ; mais le voudrez - vous
croire ?
Cette excellente & sûre-& rapide mémoire ,"
Lorfque c'est moi qui dois ; m'abandonne tout net.
DE FRANCE. 187
On voir que cette Comédie eft traduite
en vers ; elle le meritoit , ne fûr ce que par
fa célébrité. Nous n'omettrons pas ici un
détail qui prouve la fagacité du Traducteur :
dans un endroit le choeur eft pieux ; il
eft impie dans un autre. M. Poinfinet
de Sivry explique cette contradiction en diftinguant
deux fortes de choeurs ; l'ordinaire ,
& celui que le Poëte adaptoit au fujet. Cette
'explication eft claire & vraifemblable.
dans
M. de Sivry a mérité le même éloge
pour la Comédie des Grenouilles
laquelle l'Auteur fait difcuter lequel doit
avoir la préférence , comme Poëte Tra
gique , d'Efchyle où d'Euripide. La queftion
ne fe décide pas à l'avantage de ce dernier ,
qui , là , comme dans d'autres Pièces d'Ariftophane
, eft traité de la manière la plus injurieufe.
Ces deux Poëtes y font fuppofés
morts ; mais le Traducteur croit , avec raifon
, contre l'opinion reçue jufqu'ici , qu'Eu
ripide étoit encore vivant ; & il prouve
que le fel de cette fi pofition eft de faire
» entendre qu'Euripide n'a plus aucun talent
pour la Scène ; que fa verve eft étein-
» te ; qu'en un mot , il eft mort de fon
» vivant. »
Le titre de cette Pièce n'eft tiré que d'un
incident qui eft vers la fin du premier Acte ,
& dont il n'eft plus queftion dans le refte
de l'Ouvrage ; d'un concert de grenouilles .
dont Bacchus eft régalé en paffant la barque
de Caron. Cela prouve qu'Ariftophane n'y
,
E vj
108 MERCURE
regardoit pas de bien près pour intituler fes
Comédies.
Il y a plus de jufteffe dans le titre des Chevaliers.
(Les Chevaliers formoient à Athènes
la feconde claffe de l'État. ) Le perfonnage
joué dans cette Comédie , n'étoit rien moins
que Cléon , Général de l'Armée , & Tréforier
de l'Épargne , jouiffant alors de tout
fon crédit , malgré la haine des Chevaliers ,
qui n'avoient pas vû fans chagrin le fils d'un
Corroyeur s'élever par la brigue aux premiers
grades de l'Etat . Aucun Comédien
n'ayant été affez hardi pour jouer le rôle de
Cléon , ni aucun Ouvrier pour faire fon
mafque , le Poëte le fut affez pour s'en
charger lui- même , en fe barbouillant le
vifage de lie.
Ariftophane perfonnifie le peuple Athénien
, & en fait un vieillard imbécille , &
dupé par fon efclave de confiance , qui eft
Cléon , & qu'il appelle Paphlagon , c'est - àdire
, efclave correcteur. Deux autres efclaves
, Nicias & Démosthène , font foumis
à celui - ci , qui abufe de fon pouvoir ; ils
cherchent à le perdre auprès du maître , &
'ils y réuffiffent. On ne fera pas fâché de voir
ici dans quels termes on parle de Cléon , ce
perfonnage fi important. L'Auteur fuppofe
un Oracle qu'il fait tomber dans les mains
de Démosthène , qui le lit ainfi :
Nota. Les Acteurs en Scène avoient un maſque
reffemblant à la perfonae qu'ils vouloient jouer.
DE FRANCE. 1c9
"
DEMOSTHENE.
L'Oracle s'explique là deffus fans ambiguités.
Voici les paroles : D'abord un
Vendeur de toile gouvernera l'Etat.
NICIAS.
Nous connoiffons ce premier Vendeur.
( ** ) Enfuite ?
DEMOSTHENE.
» A ce premier fuccédera un Vendeur de
* Moutons. ( *** )
NICIAS.
» Et de deux. Mais fachons ce que ce fe-
» cond Vendeur devient.
DEMOSTHÈNE.
Après une courte domination , il meurt :
» & eft remplacé par un homme beaucoup plus
» pervers , par le Vendeur de Cuirs , par le
» Paphlagon , homme rapace , grand brail-
" leur , & dont la voix couvriroit le bruit du
? cyclobore en courroux. ( **** )
NICIAS.
» Il étoit donc écrit au livre des deftins
» que le Vendeur de moutons feroit remplacé
par le Corroyeur !
99
( ** ) Eucratès. ( *** ) Lyûciès. ( **** ) Fleuve
de l'Attique.
110 MERCURE
2
D. M O. STHÈNE.
Oui , par Jupiter !
NICIA S.
Quoi ! un Vendeur , un autre Vendeur ,'
" & toujours un Vendeur ! &c . »
Comme ce mot Vendeur fert bien la malignité
du Poëte ! L'Oracle défigne pour fucceffeur
à ce dernier , un homme paítri de
malice & de rufes. C'est un Chaircuitier. Dans
ce moment paffe un Chaircuitier en effet ;
(Agoracrite ) les deux efclaves fe mettent à lui
prouver , à fon grand étonnement , & d'une
manière fort comique , que c'eft lui qui doit
gouverner l'Etat à la place de Cléon ; cette
fituation très-théâtrale a été imitée par Mo
lière , dans fon Médecin malgré lui. On lui
fait voir les quatre Ordres de l'Etat , en lui
difant , tout cela eft à vous ; & l'autre en eft
tout étonné. On lui montre des ports , des
vaiffeaux , & , tout cela eft à vous , fert
de refrein. Enfin , lui dit- on , vous voyez
ces deux Provinces ? Eh bien , ce fera vous
qui les vendrez comme bon vous femblera.
Agoracrite ne revient pas de fa furpriſe , &
objecte le peu qu'il eft . Démosthène lui répond
que c'eft juftement parce qu'il eſt un
homme méchant & audacieux.
AGORA CRIT E.
» En conſcience , je ne fuis pas digne des
» honneurs dont vous me flattez..
DE FRANCE. IIF
2
"
DEMOSTHENE.
Il s'agit bien de fe croire digne ou indigne.
Ne diroit- on pas à l'entendre , que
c'eft un homme de probité ? Parlez net ;
» de quelle claffe d'hommes êtes vous ? Des
» bons ou des pervers ?
و ر
AGORA CRIT E.
» Je fuis un de ces derniers , par tous les
» Dieux !
DEMOSTHÈNE.
» Mortel trop fortuné ! vous avez donc
» tout ce qui conftitue un homme d'Etat. »
Voilà bien le ton de la fatyre & le talent
de la Comédie tout - à- la- fois ! A la fin Ago
racrite fe laiffe perfuader ; il dénonce Cléon
& fa prétention fe réalife.
La Comédie des Oifeaux offre un titre fingulier
, & le fujet en eft bien plus bizarre en
core. Des hommes habillés en oiſeaux , une
ville qu'on bâtit au haut des airs ; c'eft une
imagination dont le fel eft bien peu fenfible,
s'il n'y a pas quelque allufion fecrette. Ce
n'eft pas qu'il n'y ait des traits ingénieux &
plaifans. Un Député vient complimenter le
fondateur de la ville Aérienne , & lui dit que
depuis cet établiſſement , tout le monde a
adopté les moeurs des oifeaux , & qu'ils influent
même fur toutes les expreffions qu'a
dopte la mode :
On déniche de grand matin ;
112 MERCURE
On plume, autant qu'on peut , fon plus proche voifin;
On va graiffer la patte à quelque Commiſſaire ;
On fait lepied de grue au lieu de s'ennuyer ;
On tire l'alle pour payer ,
Et l'on fait le plongeon lorfqu'il eft néceffaire , &e.
Cette Comédie deviendroit même aujourd'hui
Pièce de circonftance. Tout le
monde n'y afpire qu'à voyager dans l'air , &
chacun cherche à fe pourvoir de bonnes
aîles. Le fondateur de la ville aérienne donne
des ordres pour qu'on rempliffe d'aîles des
corbeilles & des mannequins. Après quoi , le
choeur fait entendre ces mots ;
Arrangez à préfent ces différens plumages
Selon leurs différens ufages ;
Mettez moi chaque eſpèce à part :
Ici , les aîles poétiques ;
Auprès d'elles les prophétiques ;
Que tout foit en fa place . Enfin ayez égard
Aux defirs des humains ; & , felon leurs demandes ,
Sur l'une & l'autre épaule , ajuftez avec art
Des aîles petites ou grandes.
<f
Le fonds de la Comédie des Harangueu-
Jes , c'eft la réfolution que prennent les
femmes de s'emparer du Gouvernement
d'Athènes ; ce qui donne lieu à des tableaux
& à des détails plaifans & comiques.
Les femmes jouent encore un très-grand
tôle dans la Comédie de Lyfiftrate, Les Lacedémoniennes
& les Athéniennes, laffées de la
DE FRANCE. 113
guie
guerre que fe font Athènes & Sparte , par e
qu'elle les prive trop long tems de la compa-.
de leurs maris , prennent un parti fingu
lier pour la faire ceffer. Elles s'affemblent fecrètement
, & jurent de fe parer , d'ajouter à
lear beauté naturelle la féduction de la toi
lette , pour exciter les defirs de leurs époux ,
& enfuite de ne leur rien accorder qu'ils
n'ayent figné la paix. Le traité s'effectue , à
quelques infractions près de la part de plufieurs
jeunes femmes ; le projet réuffit , &
la paix fe fait. Il y a beaucoup d'obfcénités
dans cette Comédie.
Celle de Plutus eft traduite en vers , comme
les Nuées. L'aveugle Plutus tombe
dans les mains de Chrémyle , qui , par le fecours
d'Efculape , lui fait recouvrer la vûe.
Cet incident bouleverfe toutes les fortunes ,
parce que Plutus , voyant clair , retire les
bienfaits qu'il avoit difpenfés aveuglément .
Les Dieux font abandonnés ; on n'a plus de
voeux à leur offrir. Le Grand Prêtre n'a pas
même de quoi vivre , & vient s'en plaindre
à Chrémyle. Comment , s'écrie Carie , l'ef
clave de ce dernier
Mourir de faim étant Grand Prêtre !
Apprenez-moi comment ?
LE GRAND PRÊTRE.
Hélas! il le faut bien:
Je vivois de l'autel , l'autel ne rend plus rien.
II 4 MERCURE
CARIE.
Et depuis quand ?
LE GRAND PRÊT R E.
Depuis que tout le monde,
Grâce à votre Plutus , en richeſſes abonde.
Autrefois un Marchand qui rentroit dans le port ,
Offroit des dons aux Dieux protecteurs de ſon fort ;
Cet autre , appréhendant les yeux de la juſtice ,
A Jupiter Sauveur faifoit un facrifice ;
On me fêtoit auffi , &c.
par mettre fur
On fait bien pis ; on finit
l'autel Plutus à la place de Jupiter :
Et plaçons fur l'autel le Dieu de la richeſſe .
Termine cette Pièce ingénienfe .
Les Fêtes de Cérès font prefque d'un bout
à l'autre une fatyre contre Euripide , à qui
il paroît qu'Ariftophane en vouloit beaucoup.
Les femmes s'affemblent pour délibé
rer fur le moyen de punir Euripide du mal
qu'il dit fans ceffe de leur fexe dans fes Tragédies.
Son beau père conſent à s'habiller en
femme , pour s'introduire parmi elles , &
plaider la caufe de l'accufé. Il eft reconnu ;
mais après plufieurs incidens , Euripide luimême
le préfente , & fait fa paix avec fes
juges , en les menaçant de raconter leur conduite
à leurs maris au retour de l'armée .
Cette Pièce n'eft ni bien bonne ni décente.
Les Karniens , qui réuffirent beaucoup ,
DE FRANCE. 115
furent donnés par Ariftophane , pour engager
les Athéniens à faire la paix . Les Athé
niens couronnèrent le Poëte , & firent la
guerre.
Euripide revient encore dans cette Comédie
, & fournit même une Scène fort
plaifante.
La Paix eft une autre Comédie qui a le
même but , avec des moyens différens. Ariftophane
avoit fait encore une autre Pièce du
même fujet , & fous le même titre , qui ne
nous eft point parvenue. Dans celle qui nous
eft restée , Trygée monte fur un eſcarbot
pour arriver au ciel ; il y réuffit , ainſi qu'à
délivrer la Paix , que la Guerre avoit miſe
en prifon. Après l'avoir affranchie , Trygée
époufe la Paix , & la préfente aux Athéniens ,
qui lui font un doux accueil.
Ce n'eft pas fans intérêt qu'on rencontre
dans cette Collection la Comédie des
Guêpes , qui a fourni celle des Plaideurs.
M. de Sivry n'a traduit que ce qu'a imité
l'immortel Racine , c'est- à- dire , les trois
premiers Actes ; les deux derniers font inutiles
à l'action , & fort étrangers à nos
mours. L'Auteur des Plaideurs a fu ajouter
à fon original une foule de traits charmans,
comme il y en a qui lui ont échappé , ou
qui n'ont pu entrer dans fon plan . Il eft
plaifant de voir Philocléon , le Dandin
d'Ariftophane , exhaler en hyperboles le
chagrin qu'il a de fe voir enfermé par fon
fils , qui l'empêche d'aller juger. Après mille
116 MERCURE
<
fouhaits extravagans adreffés à Jupiter , il
ajoute : " ou tout au moins métamorphofe-
» moi en petite pierre à fuffrages , afin que
quelque Juge fe ferve de moi pour con- "
»
30
"
damner quelqu'un en jugement. » Déterminé
à fe fauver par la fenêtre , il dit à
ceux qui l'attendent en bas : « s'il m'arri-
» voit de me rompre le cou , ne poulfez ,
je vous prie , aucun gémiffement , &
daignez , fans bruit , m'enterrer fous le
» banc où j'ai coutume de jager. Plus
loin , après avoir eu l'air & même le defar
d'entendre raifon & d'écouter fon fils , qui
veut le guérir de fa manie , il s'écrie avec
enthoufiafme : « emporte , emporte toutes
» tes promeffes ; je ne refpire que le Bar
reau. Faites - moi , mes amis , entendre
le cri de l'Appariteur , faites - moi voir la
corbeille aux fuffrages. Quoi ! voudriezvous
que je donnaffe mon fuffrage le
dernier ? O mon âme , quitte mon corps ,
& vas juger fans lui . Simple ombre , tu
échapperas à mes geoliers ! & , par Hercules
! tu ne fouffriras pas que mon nom
foit pointé en qualité d'abfent fur le
tableau des Juges . Non , non , il ne fera
pas dit que Cléon vole la République ,
» & que je ne l'aurai pas décrété. »
"
30
Telles font les Pièces que renferment ces
quatre volumes , les feules que nous ayons
d'Ariftophane , qui en avoit fait plus de
cinquante. Ce Poëte joignoit les grâces du
ftyle aux charmes d'une imagination vive &
DE FRANCE. 117
brillante. Sa plume répand à grands flots dans
fes vers ce qu'on appelle lefel attique ; & l'épigramme
& le farcafme y jailliffent de toutes
parts . Rien ne peut épuifer fa verve , encore
moins l'intimider. Ce génie Républicain frappe
, en les nommant , fur les tyrans de fon
pays ; il ne pardonne pas même à fes Dieux.
Sans défendre le rire à Thalie, il lui a mis dans .
les mains le fouer fanglant de la fatyre.
Celui de nos Auteurs Comiques , qui , par
le farcafme , fe rapproche le plus d'Ariftophane
, c'est l'Auteur de Crifpin Rival & de
Turcaret; le Sage a fuivi parmi nous ce
qu'on peut appeler à bon droit la Comédie
Satyrique.
Une remarque affez fingulière , c'eft que
dans les onze Pièces d'Ariftophane , il n'y
en a pas une qui ait une intrigue amoureufe ;
au lieu qu'on reproche aux nôtres de finir .
toutes par le mariage ; différence qui tient
bien moins au goût qu'aux moeurs. De tous
les Ouvrages Littéraires , le Poëme Dramatique
eft le plus fubordonné à l'influence des
moeurs & du Gouvernement : delà un principe
bien fimple , c'eft que jamais le Théâtre .
d'une Nation ne peut reffembler parfaitement
à celui d'une autre ; même avec les
mêmes principes de goût , les formes doivent
varier.
Voilà qui explique l'extrême liberté avec
laquelle écrivoit Ariftophane ; c'eft qu'il
écrivoit dans un pays Républicain , & ,
comme nous l'avons déjà dit , dans un pays
718 MERCURE
>
où la Mufe de la Comédie exerçoit , pour
ainfi dire une cenfure publique ; elle
s'immifçoit dans les affaires du Gouvernement
; auffi tous les fujets des Comédies
d'Ariftophane font pris fur les lieux même ,
& font même toujours analogues aux affaires
du moment.
Voilà qui explique encore pourquoi dans
les Comédies d'Ariftophane , on trouve fi
fouvent le langage figuré. Qu'on y trouve de
la Mythologie , rien de plus naturel , Athènes
étoit le pays de la Mythologie ; mais on
y voit fouvent du merveilleux. C'eft qu'il
écrivoit chez un peuple dont les organes
étoient fi mobiles , fi fenfibles , & naturellement
ami de la fiction. Les Grecs mettoient
fouvent l'imagination à la place de la raiſon ;
ou , fi l'on aime mieux , la raifon chez eux
n'étoit jamais dépouillée des grâces de l'ima
gination . Peut- être avons nous donné dans
un excès contraire ; peut- être notre raiſon
eft elle fouvent froide , sèche & trop févère.
Cependant , fi l'on peut , fans impiété ,
difcuter le nérite des anciens , il fera
permis de dire , & il faut l'ofer , que notre
Théâtre l'emporte fur celui des Grecs pour
la perfection de l'art. On s'apperçoit , en lifant
Ariftophane , que la réflexion n'avoit
encore développé tous les fecrets de l'il
Jufion dramatique. Les entrées de fes perfonnages
font peu motivées ; c'eft tel ou tel
choeur d'une Comédie , fouvent très étranger
à l'action , qui en détermine le titre ; il
pas
DE FRANCE. 119:
néglige quelquefois les moyens d'illufion les
plus fimples & les plus faciles ; par exem
ple , page 352 & fuivantes du Tome Ier,
Nicias quitte la Scène pour aller chercher du
vin ; il revient , & en rapporte fans que l'Ac-.
teur qui eft refté , ait dit un mot . Il eſt
cláir que , ou ce dernier a eu le temps de
parler , ou l'autre n'a pas eu le temps d'aller
chercher du vin. Cependant , pour faire dif
paroître cette négligence , il n'en eût coûté
à l'Auteur qu'un monologue .
"
Mais ce qui frappe bien davantage , c'eſt
de voir très fouvent les Acteurs en pour- ,
parler avec les Spectateurs. On est tout étonné
d'entendre le choeur , vers la fin du premier
Acte des Nuées , dire au Public :
Spectateurs éclairés , que ce grand jour raffemble, &c,
Et plus loin :
Nous voulons vous apprendre , honorable affemblée ,
&c.
Molière n'a fait cette faute , ou ne s'eft
donné cette liberté qu'une fois , dans fon
Avare , où Harpagon demande au Parterre
des nouvelles de fon voleur. Ces irrégularités
, qui fembleroient ne devoir appartenir
qu'à l'enfance de l'art , détruifent toute illufion
. Une action dramatique eft cenfée n'avoir
aucun témoin ; ce qui fait fentir le ridi
cule ( fi commun encore aujourd'hui ) des Acteurs
qui adreffent au Public leurs à parte ,
c'eft à dire , ce qui eft cenfé n'être entendu
de perfonne,
120 MERCURE
D'après ces réflexions , que nous pour
fions étendre davantage , ayons l'orgueil &
la juftice de convenir que c'eft la France , que
c'eft Molière qui a perfectionné l'Art de la
Comédie ; que la Comédie par excellence ,
celle de caractère , nous appartient ; mais
convenons auffi que la belle Nature a préfidé
aux Ouvrages de l'antiquité ; que les
Grecs font des modèles auxquels il faut tou
jours revenir ; & que c'eft d'eux mêmes qu'il
nous a fallu apprendre à les furpaffer.
M. Poinnet de Sivry a joint au Théâtre
d'Ariftophane des Fragmens de Ménandre &
de Philémon. Quoiqu'il nous foit resté trop
peu de ces deux Poëtes , pour pouvoir les
juger comme Auteurs Comiques , ces Frag
mens font de beaux & précieux débris dignes
d'être confervés . Ils donnent un nouveau
prix à cette Edition , qui doit occuper une
place honorable dans nos Bibliothèques , &
ajouter à nos richelles Dramatiques.
M
VARIÉTÉ S.
ONSIEUR
Le Public a paru voir avec intérêt le Portrait du
Général Washington tracé par un des Chefs qui
ont commandé nos Troupes dans le Nouveau
Monde. Voici un morceau de la même main' , extrait
du même Ouvrage , mais d'un autre genre. On
croit lire Homère ou Plutarque quand on confidère
les moeurs & le caractère de M. Nelfon , qu'on va
connoître
DE FRANCE. 121
connoître en lifant le morceau fuivant. C'eft la
même fimplicité de moeurs & la même élévation ;
c'est une de ces âmes qui ne peuvent naître & fe
former que dans les Sociétés libres & naiffantes . A
côté de ces vertus fociales on verra auffi fans doute
avec plaifir le caractère fauvage , mais fenfible &
touchant de la jeune Pocahunta . Pecahunta &
Nelfon honorent infiniment la Société & la Nature ;
& il eft doux de connoître les vertus quelles peuvent
nous donner. On a dit tant de mal & de la Nature
& de la Société !
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , GARAT .
EXTRAIT du Journal d'un Voyage fait de
Williamsburg en Virginie , & Petersburg,
&c.
Après cette petite digreffion , pour laquelle on
aura fans doute quelque indulgence , il eft difficile de
trouver une tranfition qui me condaife à parler d'un
vieux Magiftrar , dont les cheveux blancs , la taille
élevée & la figure noble , commandent le reſpect &
la vénération ; le Secrétaire Nelſon , dont il s'agit
maintenant , doit ce titre à la place qu'il occupoit
fous le Gouvernement Anglois , en Virginie. Le Secrétaire
, chargé de conferver les registres de tous
les actes publics , étoit membre néceffaire du Confeil
dont le Gouverneur étoit le Chef. M. Nelfon a occupé
cette place pendant 30 ans . Il a vû l'aurore du
beau jour qui commençoit à fe lever fur fon pays ;
il a vû fe former les orages qui l'ont troublé ; il n'a
cherché ni à les raffembler ai à les conjurer : trop
avancé en âge pour defirer une révolution , trop
prudent pour l'arrêter fi elle étoit néceffaire , &
trop fidèle à fes Concitoyens pour féparer fes intérêts
des leurs , il a choifi pour le retirer des affaires
l'époque même de leur changement . Aing ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
F
122 MERCURE
·
defcendant du Théâtre lorfque de nouveaux Drames
demandoient de nouveaux Acteurs , il a pris fa
place parmi les Spectateurs , content de faire des
1- voeux pour le fuccès de la Pièce , & d'applaufir à
ceux qui joueroient bien leur rôle. Mais dans la dernière
campagne le bafard l'a remis fur la scène , &-
lui a donné une funcfte célébrité . Il habitoit à Yorck ,
cu il s'étoit fait bâtir ene très belle maison . Le
goût , & même le luxe Européen n'en avoient pas
été exclus ; on admiroit fur tout une cheminée &
quelques bas reliefs , de très - beaux marbres & trèsbien
travaillés , lorfque la deftinée conduifit Lord
Cornwalis dans cette ville pour le défarmer , ainfi
que fes Troupes , jufques là victorieufes. Le Secré
taire Nellon ne crut pas devoir fuir les Anglois , à
qui il ne pouvoit être odieux , ni infpirer aucun ombrage
. Il fut bien traité par le Général , qui choifit
fa maison pour y établir fon logement ; mais cette
maiſon , placée fur une hauteur dans la fituation de
la ville la plus agréable , étoit auffi placée près des
fortifications les plus importantes , c'étoit le premier
objet qui frappât les regards lorfqu'on appro
choit d'Yorck . Bientôt au lieu de l'attention des
Voyageurs , elle attira celle des Canoniers & des
Bombardiers ; bientôt elle fut prefqu'entièrement
détruite . M. Nelfon l'occupoit encore au moment
où nos batteries effayant leurs premiers coups ,
tuèrent un de fes Nègres à très -peu de diftance de
lui . Lord Cornwalis lui même fut obligé de chercher
un autre alyle ; mais quel aſyle auroit pu convenir
à un vieilard que la goutte privoit pour lors
de l'ufage de fes jambes ? Quel afyle fur - tout auroit
pu le défendre contre les angoiffes horribles
qu'éprouvoit un père affiégé par les propres enfans ;
car il en avoit deux dans l'armée Américaine ; de
forte que chaque boulet qui étoit tiré pouvoit porter
la mort dans fon fein , foit qu'il partît de la ville ,
DE FRANCE. 124
foit qu'il vint de la tranchée . J'ai été témoin de
l'anxiété cruelle d'un de ces malheureux jeunes gens,,
lor qu'après avoir envoyé un Flag pour redemander
fon père , il tenoit les yeux fixés fur la porte
de la ville par laquelle ce Flag devoit fortir , &
fembloit attendre la propre fentence de la réponſe
qu'il recevroit. Lord Cornwalis n'eut pas l'inhumapité
de fe refufer à une demande fi jufte. Je ne puis
me rappeler fans émotion d'avoir vu ce vieillard ,
au moment où il venoit de defcendre chez le Général
Washington ; il étoit affis , parce que fon
attaque de goutte continuoit encore ; & tandis que
nous étions debou : autour de lui , il nous racontoit ,
avec un vilage ferein , quel avoit été l'effet de nos
batteries , dont fa maiſon avoit éprouvé les premiers
coups .
La tranquillité qui a fuccédé à ces temps malheureux
, en lui donnant le loifr de compter fes
pertes , ne lui en a pas rendu le fouvenir plus amer.
Il vit heureux dans une de fes plantations , où il ne
lui faut pas fix heures d'avertiffement pour raffembler
une trentaine de fes enfans ou petits enfans
neveux ou petits neveux , qui font au nombre de
foixante - dix , tous habitans la Virginie . Le rapide
accroiffement de fa propre famille justifie ce qu'il
me difoit de la population générale. Les emplois
qu'il a occupés toute fa vie l'ont mis à portée d'en
avoir des notions exactes. En 1742 , les perfonnes
tailiables de LÉtat de Virginie , c'eft- à - dire , les mâles
blancs au deffus de 16 ans , & les mâles & femelles
noires au -deffus du même âge , étoient au nombre
* Flag fignifie proprement un Pavillon's a Flag of
Bruce , eit un pavillon de trêve. Envoyer un Flag , c'eſt envoyer
à l'ennemi un pavillon neutre ou Parlementaire.
Cette expreffion eft paffée du fervice de mer à celui de
terre. Tout Officier qui eft chargé d'une commiffion
'ennemi reçoit métaphysiquement le nom de Flag.
pour
Fij
124
MERCURE
de 63,000 , maintenant ils ' excèdent 160 mille.
Je partis de Powhatan le 24 d'affez bonne heure ,
& après m'être arrêté deux fois ; la première pour
déjeuner dans une petite maiſon affez pauvre à huir
milles de Powhatan , & la feconde à 24 milles plus
loin dans un lieu appelé Chefter Field court houfe ,
où je vis les reftes des cafernes occupées autrefois
par le Baron de Stubens , & brûlée depuis par les
Anglois , j'arrivai à Pétersburg à l'entrée de la nuit.
Cette journée fut encore de 44 miles. La ville de
Pétersburg eft fituée fur la rive droite de l'Apamatock.
Il y a bien quelques mailons fur la rive gauche
; mais cette efpèce de Fauxbourg eft un chef
lieu qui envoie des Dépurés à l'Aſſemblée , & qui
s'appelle Pocahunta. Je paffai la rivière fur un
Feriybout , & je fus conduit dans une petite auberge
, à 30 pas delà , qui n'avoit pas grande apparence.
Cependant , quand j'y entrai , je vis un appartement
très - proprement meublé , une grande
femme bien habillée & de rès -bon air , qui donnoit
tous les ordres néceffaires pour notre réception , &
une jeune Demoifelle non moins grande & trèséléganté
, qui étoit occupée à travailler. Je m'informai
de leurs noms , & je trouvai qu'ils n'étoient
pas moins impofans que leur extérieur . La maîtreffe
de la maifon , déjà veuve pour la feconde fois , s'appeloit
Miftriff Spemer , & fa fille , qui étoit du
premier hit , Miff Saunders. On me fit voir ma
chambre à coucher ; & la première chofe qui frappa
mes regards , fut un grand & magnifique clavecin ,
fur lequel il y avoit encore une guittare. Ces inftrumens
de musique appartenoient à Miſſ Saunders
qui favoit très- bien en faire ufage ; mais comme
j'avois plus befoin d'un fouper que d'un concert ,
Espèce de Eaq .
DE FRANCE. 125
ma première impreffion fut de trouver mes Hôtelles
de trop bonne compagnie , & de craindre d'avoir
moins d'ordre à donner que de complimens à faire.
Cependant il fe trouva que Mme Spemer étoit la
meilleure femme du monde , gaie , & même rieuſe,
difpofition très- rare en Amérique , & que la fille
toute élégante qu'elle paroiffoit , étoit douce , honnête
& de bonne converfation ; mais pour des
Voyageurs affamés , tout cela ne pouvoit encore
être confidéré que fous un feul point de vûe , c'eſtà-
dire , comme un bon augure pour le fouper. Ce
fouper ne le fit pas attendre . A peine avions- nous
admiré la propreté & la beauté de la nappe , que la
table fat couverte de très - bons plats , & fur- tout de
poiffons monftrueux & excellens . Nous allâmes
nous coucher, déjà très - bien avec nos Hôteffes , & le
lendemain matin nous déjeunâmes avec elles. J'étois
prêt à fortir pour me promener lorfque je reçus la,
vifite d'un étranger appelé M. Victor , que j'avois
déjà vû à Williamburg. C'eſt un Pruffien qui a fervi ,
autrefois , & qui , après avoir beaucoup voyagé en:
Europe , eft venu s'établir dans ce pays ci , où il a
d'abord fait fortune par fes talens , & a fini par devenir
Planteur comme les autres. Il eſt excellent
Muficien , & joue de toutes fortes d'inftrumens , ce
qui le fait rechercher dans tous les environs . Il me
dit qu'il étoit venu paffer quelques jours chez Mme.
Bowling , une des plus riches propriétaires de la
Virginie , & à qui la moitié de la ville de Pétersburg
appartient. Il ajouta qu'elle avoit appris mon
arrivée , & qu'elle comptoit que je viendrois diner
chez elle. J'acceptai la propofition , & je me mis
fous la conduite de M. Victor , qui me mena d'abord
voir les Ware-Houles , ou magasins de Tabac. Ces
magafins , dont on a conftruit une grande quantité
en Virginie , mais dont malheureusement une
partie a été brûlée par les Anglois , font fous la di
Fij
125 MERCURE
rection de l'autorité publique . Il y a des Inspecteurs
nommés pour vérifier la qualité du tabac que les
Planteurs y font porter ; & s'ils la trouvent bonne ,
ils donnent un reçu de la quantité. Alors le tabac
peut être confidéré comme vendu ; car les récépiffés
font monnoie dans le pays. Je fuppofe , par exem
ples que j'aie déposé à Pétersburg vingt hogs head,
ou boucauts de tabac , je puis m'en aller à so lieues
delà , comme à Alexandrie ou à Frédéricksburg ; &
fi j'ai befoin d'acheter des chevaux , des draps ou
toute autre chofe , je les paye avec mes reçus , lefquels
circuleront peut- être encore dans nombre de
mains avant de parvenir dans celles des Négocians
qui viennent enlever des tabacs pour les exporter. II
réfuté delà que le tabac eft non - feulement valeur
de banque , mais monnoie de commerce . On entend
dire fouvent : J'ai payé ma montre dix hogs heads
de tabac , ce cheval ma coûté 15 hogs heads , on
m'en a offert vingt , & c. Il eft vrai que le prix de
cette denrée , qui eft prefque toujours le même en
temps de paix , peut varier en temps de guerre ; mais
alors celui qui le reçoit en payement , faifant un
marché libre , calcule fes rifques & fes efpérances.
Enfin on doit regarder cet établiſſement comme
très-utile , puifqu'il met les denrées en valeur & en
circulation dès qu'elles font recueillies , & qu'il rend
en quelque forte le Cultivateur indépendant du
Marchand.
Les magafins de Pétersburg appartiennent à Mme
Bowling. Ils ont été épargnés par les Anglois , foit
parce que les Généraux Phillips & Arnold , qui ont
logé chez elle , ont eu quelque égard pour fa propriété
, foit parce qu'ils vouloient conferver le tabac.
qu'ils comptoient vendre à leur profit . Phillips moufut
dans la maifon de Mme Bowling , & alo : s le
commandement fe trouva dévolu à Arnold . J'ai oui
dire à Lord Cornwalis qu'à ſon arrivée il le trouva
DE FRANCE. 127
en grande di pure avec la Marine , qui prétendoit
que tout le butin devoit lui appartenir. Lord Cornwalis
termina la querelle eu failant brûler le tabac.
Mais Mine Bowling avoit eu le crédit & le temps
de le faire tranfporter hors de fes magafins. Elle n'a
pas été moins heureufe de fauver un fuperbe établiffement
qu'elle pofède dans la même ville : c'eft
un moulin qui fait mouvoir un fi grand nombre de
meules , de blutoirs , de vans , & c. & d'une manière
fi fimple & fi facile qu'il lui rapporte plus de
vingt mille livres de rente. Je paffai près d'une heure
à en examiner toutes les parties & à en admirer la
charpente & la conftruction . Ce font les eaux de
P'Apamatock qui le font mouvoir. On les a détournées
au moyen d'un canal creufé dans le roc.
Après avoir continué ma promenade dans la ville
où je vis nombre de boutiques , dont pluſieurs affez
bien fournies , je jugeai que le moment étoit venu
de faire une vifite à Mme Bowling , & je priai M.
Victor de me mener chez elle. Sa maifon , ou plutôt
fes maifons , car elle en a deux fymmétriques & fur
la même ligne , qu'elle fe propofe de joindre enfemble
par un corps de logis ; ces maiſons , dis- je ,
font fituées au haut d'un talus affez confidérable qui
s'élève du térrein où eft bâtie la ville de Pétersburg ,
& qui correspond fi parfaitement au cours de la ri
vière qu'il n'y a pas lieu de douter que ce ne fût
autrefois la rive même de l'Apamatock. Ce talus ,
& le plateau immenfe fur lequel la maifon de Mme
Bowling cft bâtie , font couverts d'herbes , & forment
un excellent pâturage qui appartient encore à
Mme Bowling. Il étoit autrefois entouré de barrières
, & elle y nourriffoit de très beaux chevaux ;
mais les Anglois ont brûlé les barrières & cminené
une grande partie des chevaux . A mon arrivée je
fus d'abord reçu par Mlle Bowling , jeune fille de
15 ans , fa mere, fon frère & fa belle feeur vintent
Fiv
128 MERCURE
enfuite. La première reffemble peu à fes compatriates
, c'est une femme de plus de 50 ans , vive ,
active , intelligente , qui fait bien gouverner fon
immenfe fortune , & , ce qui eft plus rare encore ,
qui fait en ufer Peur fon fils & fa belle - fille , je les
avois déjà vûs à Williamsburg. Le premier eft un
jeune homme qui paroît doux & honnête ; mais fa
femme , âge feulement de 17 ans , eft intéreflante
à connoître, non parce qu'elle a une figure & une
taille extrêmement délicates , & une tournure toutà
-fait Européenne , mais parce qu'avec cette taille &
cette figure délicate , elle eft defcendante de la Princelle
Sauvage Pocahunta , fille du Roi Powhatan ,
dont j'ai déjà parlé. Il faut croire que c'est plutôt
du caractère de cette aimable Américaine que de fes
formes extérieures que Mme Bowling a hérité. Peut
étre ceux qui n'ont pas lû l'Hiftoire particulière de
la Virginie ignorent- ils que Pocahunta fut la Protectrice
des Anglois , & les déroba fouvent de la
cruauté de fon père. Elle n'avoit que 12 ans lorf
que le Capitaine Smith , le plus brave , le plus intelligent
& le plus humain des premiers Colons ,
tomba entre les mains des Sauvages . Il étoit déjà
parvenu à entendre leur langage ; plufieurs fois il
avoit appailé les querelles qui naiffoient entre- eux &
les Européens; plufieurs fois aufli il avoit été obligé
de les combattre & de punir leur perfidie . Un jour ,
fous prétexte de commerce, il fut attiré dans une
embufcade ; il vit tomber les deux feuls compagnons
qu'il avoir ; mais il fut fe débarraffer à lui feul de
la troupe dont il étoit environné . Malheureuſement
pour lui , il crut pouvoir le fauver en traverfant un
marais , & il y refta embourbé de manière que les
Sauvages contre lefquels il ne lui reftoit plus aucuns
moyens de défenfe , purent enfin le prendre , le
lier & le conduire à Powhatan . Celui-ci fat fi fier
d'avoir en fa puiflance le Capitaine Smith , qu'il le
DE FRANCE. 129
fit promener en triomphe chez tous les Princes fes
Tributaires , ordonnant qu'on le fervit fplendidement
jufqu'à ce qu'il revînt fubir le fort qu'on lui préparoit.
Le moment fatal étoit enfin arrivé. Le Capitaine
Smith étoit déjà couché devant le foyer du
Roi Sauvage , la tête placée fur une large pierre
pour recevoir le coup de la mort ,lorfque Pocahunta ,
la plus jeune , la plus chérie des filles de Powhatan ,
fe jeta les bras étendus fur le corps du Capitaine
Smith , & déclara que fi la fentence cruelle étoit
exécutée , elle recevroit les premiers coups dont on
voudroit le frapper. Tous les Sauvages , y compris
les defpotes & les tyrans , font plus fenfibles aux
pleurs d'un enfant qu'à la voix de l'humanité :
Powhatan ne put réfifter aux larmes , aux prières de
fa fille. Le Capitaine Smith obtint donc la vie , à
condition qu'il payeroit fa rançon ; mais comment
pouvoit-il le procurer la quantité de moufquets , de
poudre & d'uftenfiles de fer qu'on lui demandoit ?
On ne vouloit pas le laiffer retourner à James-
Town ; on ne vouloit pas non plus que les Anglois
fuffent où il étoit , de crainte qu'ils ne le redeman-.
daffent les armes à la main . Le Capitaine Smith ,
qui n'avoit pas moins de tête que de courage , dit au
Roi que s'il vouloit feulement ordonner à un de fes
fujets de porter à James- Town une petite planche
qu'il lui remettroit , ti feroit trouver fous un arbre à
jour & à heure nommés tout ce qu'on exigeoit pour
fa rançon Powhatan y confentit fans ajouter foi à
ces promeffes , & croyant que c'étoit un artifice du
Capitaine pour prolonger fa vie ; mais celui- ci avoit
gravé fur la planche quelques lignes qui fuffifoient
pour rendre compte de fa fituation . Le meſſager
revint , on envoya au lieu indiqué , & on fut bien
furpris d'y trouver tout ce qu'on avoit demandé.
Powhatan ne pouvoit concevoir qu'il y eût un moyen
de tranfmettre ainfi fa penfée , & le Capitaine Smith
Fv
MERCURE
**
fut déformais regardé comme un grand Magicien , à
qui on ne pouvait trop témoigner de refpect I laila
les Sauvages dans cette opinion , & fe hâta de les
quitter . Mais deux ou trois ans après , quelques dif-"
férends étant encore furvenus entre- eux & les An - ´
glois , Powhatan , qui ne les croyoit p'us forci.rs ,
mais qui ne les en redoutoit pas moms , trama un
affreux complot pour le débarraffer d'eux . Il devoir
les attaquer au fein de la paix , & les égorger tous.
La nuit même que ce complot devoit s'exécuter
Locahunta profita de l'obfcurité & d'un orage af·
freux qui retenoit les Sauvages dans leurs cabañes ,
elle s'échappa de la maiſon de fon père , avertit les
Anglois de fe tenir fur leurs gardes, mais les conjura
d'épargner fa famille , de paroître ignorer ce
qu'elle leur avoit appris , & de terminer toute querelle
par un nouvel accommodement. Il feroit trop.
log de raconter tous les fervices que cet Ange de
paix rendit aux deux Nations. Je dirai feulement
les Anglois , je ne fais par quel motif, mais affuré
ment contre toute bonne -foi & contre toute équité ,
s'avisèrent de l'enlever à fon père. Elle pleura beaucoup
& long-temps ; mais ce fut une confolation
pour elle de retrouver le Capitaine Smith , qui lui tine
lieu de père : on la traita avec beaucoup de re pect ,
& en la maria à un Colon appelé Roff , qui bientôt
après l'amena en Angleterre. C'étoit fous le règne
de Jacques Premier . On prétend que ce Monarque'
pédant & ridicule en tous points , étoit fi infatuë des
prérogatives de la Royauté , qu'il trouva mauvais
qu'un de fes Sujets eût ofé époufer la fille d'un Roi
Sauvage . Il ne fera peut- être pas difficile de décider .
fi dans cette occafion c'étoit le Roi Sauvage qui étoit .
honoré de fe trouver placé fur une même ligne avec
Je Prince Européen , cù le Monarque Anglois , qui ,
par fon orguei! & les préjugés le mettoit au niveau
d'un Chef de Sauvage. Quoi qu'il en ſoit , le Capique
DE FRANCE fxf
taine Smith , qui étoit retourné à Londres avant Barrivée
de Pocahunta , fut empreffé de la revoir , mais
n'o'a pas la traiter avec la même familiarité qu'à
James Town . Dès qu'elle l'avoit apperçu , elle s'étoit
jetée dans les bras en l'appelant fon père ; mais
voyant qu'il ne répondoit pas affez à fes careffés ,
& qu'il ne l'appeloit pas fa fille , elle détourna la
tête , pleura anèrement , & fut long - temps fans
qu'on put obtenir d'elle une feule parole. Le Capitaine
Smith lui demanda plufieurs fois ce qui pouvoit
l'affliger. Quoi , lui dit elle enfin , n'aije pas
fauvé tes jours en Amérique ? Lorfque j'ai été arrachée
du fein de ma famille & conduite parmi tesi
frères , ne m'as tu pas promis de me tenir leu de
père? Ne m'as tu pas dit quefij'allois dans ton pays
tu ferois monpère & que je ferois ta file ? Tu m'as,
trompé , & je me trouve ici étrangère & orpheline.
On conçoit aifément qu'il ne fu: pas difficile au Capitaine
de faire fa paix avec cette charmante créa
türe , qu'il aimoit tendrement Il la préfenta ausd
perfonnes les plus confidérables des deux fexes ; mais
it n'ofa la mener à la Cour , dont elle reçut pourtant!
des bienfaits . Enfin, après avoir paffé plufieurs an
nées en Angleterre , où elle donna des preuves cont
tinuelles de vertu , de- piété & d'attachement à fon
mari , elle mourut comme elle étoit prête à s'embarger
pour retourner en Amétique . Elle n'avoit
e qu'un fils ; ce fils s'eft marié , & n'a laiffé que des
filles , celles - là que d'autres filles ; & c'eft anfi , par
une defcendance féminine , que le fang de l'aimable
Pocabunta coule maintenant dans les veines de la
eune & aimable Mme Bowling.
F vj
732 MERCURE
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LA Symphonie de M. Candeille , qui a
commencé le Concert du Jeudi 10 Juin , a.
paru d'un bon effet ; on ne peut que l'inviter
à cultiver ce genre de compofition . M.
l'Abbé le Sueur , nouvellement nommé
Maître de Mulique des Saints Innocens , a
fait entendre un Motet qui juftifie le choix
qu'on a fait de fes talens : un chant aimable
, une harmonie pure , un ftyle clair &
concis , font les qualités qu'on y a diftinguées
, chacun des morceaux a été fort applaudi.
Ce Motet a été très bien exécuté
par M. Rouffeau , dont les progrès fe font
de plus en plus admirer ; par M. Chéron ,
dont la fuperbe voix fait toujours un nouveau
plaifir , & par M. Murgeon , qui gagne
chaque jour fur l'opinion du Public à mefure
qu'il fe fait connoître. M. Zandonati a
exécuté un Concerto de Violoncelle. La manière
dont il tient fon archet nuit extrêmement
à la beauté , à la netteté du fon qu'il
tire de cet inftrument ; mais on a pu diftinguer
qu'il avoit beaucoup de préciſion &
de jufteffe . Les autres morceaux que nous
ne détaillons pas , parce qu'ils n'offrent aucune
nouveauté , ont cependant été applau
DE FRANCE. 133
dis avec plus de vivacité qu'à l'ordinaire ;
mais nous ne devons pas oublier une charmante
Symphonie concertante de M. Davaux
, rendue avec la plus grande perfection
par M. de Vienne pour la Flûte , & par
MM. Guérillor & Gervais pour le Violon..
L'Ouvrage & l'exécution ont eu le fuccès le
plus brillant & le mieux mérité.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredis de ce mois , on a donné ,
pour la première fois , le Temple de l'Hymen ,
Comedie Epifodique en trois Actes & en vers
libres , par M. Desforges.
Acte I. Le Théâtre repréfente une avenue,
qui conduit au Temple de l'Hymen . L'A..
mour & Momus ouvrent la Scène . Celui ci
porte un habit taillé en découpures , dans la
manière des Arlequins, Jupiter l'a envoyé
près de l'Hymen , dans le deffein de l'égayer ;
mais jufqu'ici fes efforts ont été inutiles , &
le Dieu , toujours trifte & chagrin , toujours
plus affecté des maux qu'on lui reproche ,
s'eft propofé d'interdite aux humains , l'approche
de fon Temple, Momus engage l'Amour
à guérir l'Hymen de fa mélancolie , en
fe réuniffant à lui. Le fonds du Théâtre s'ou
vre . L'Hymenfort defon Temple ; il s'avance
lentement , les yeux tournés vers la terre ,
& fans appercevoir Momus & l'Amour qui
l'écoutent. Il parle tout haut du projet qu'il
1341
MERCURE
a formé , & qu'il voudroit voir adopter par
l'Amour ; dela une Scène , dont le refultat eft
que l'Hymen rentiera dans fon Temple , que
Amour s'occupera de chercher des amans
fidèles , & que Momus veillera à la porte
du Temple de l'Hymen , pour n'introduire
que ceux qu'y conduira Amour. Dès quel
Momus eft leal , il apperçoit un Galcon petit
Maitre , qui leprend pour le Dieud Hymen ,
& qui le prie de le marier. Ce perfonnage
avoue tout naturellement qu'il ai ne une
femme qui eft déjà fur le retour de l'âge ;
mais qu'elle eft riche , & qu'il veut l'époufer
à caufe de fes grands biens . Momus ca
che fon indignation , perfiffle le fat , lui confeille
d'aller chercher l'objet de fon amour ,'
& de l'amener au Temple . Tandis qu'il fort
Four obeir à Momus , une vieille coquette
arrive en minaudant : c'eft l'amante du Gaf- *
con . Momus cherche à la dé romper , & l'engage
à éprouver la tendreffe de eclui qu'elle
veut époufer. En effet , lorfque le fat repa
roît , elle lui propofe de fe retirer à la campagne
, en ne confervant de fon bien , qu'elle '
diftribuera à fa famille , que ce qu'il faut
pour vivre dans une médiocre aifance. Le
Gafcon , après avoir tenté de lui faire rejeter
ce projet , renonce à époufer. L'amante
détrompée lui reproche 1 : baffeffe de fes
fentimens , le fat infolent plaifane fur fon
aventure , & Momus étonné de tant d'audace
, rentre dans le Temple de l'Hymen.
Acte II . Un célibataire arrive avec fon
DE FRANCE 135
neven . Après avoir long temps balancé a
prendre les chaînes de Hymen , il s'y eft
déterminé ; & il déclare à Momus , qu'il va
donner fon coeur & fa main à fa Pupille Hor
tenſe. L'air trifte & taciturne du, neveu inquiète
Momus , qui le foupçonne de ne voir
qu'avec chagrin les projets de fon oncle.
Momus ne fe trompe pas. Lorfqu'Hortenfe
paroît , elle déclare qu'elle a aimé fon Tuteur
, qu'elle a même ete difpofée à devenir
fa femme ; mais que le voyant , négligée par
celui dont elle défiroit l'amour , elle a donné
fon coeur , en un mot , qu'elle eft mariée. Le
Tuteur éclate , reproche à Hortenfe fon ingratitude
Momus le raille un peu fur fon
injuftice. Enfin l'époux qu'a choifi Hortenfe
patoît . Cet époux , c'eft le neveu lui même ;
il amène un jeune enfant , doux gage de
l'Amour d'Hortenfe . Le celibataire cft emu ,
avone fes torts , & donne fou confentement
au mariage de fon neveu & de fa Pupille.
Là deffus arrive un Empyrique Italien , qui
vient propofer de donner à l'Hymen les ailes
de l'Amour , afin d'empêcher celui ci d'être
volage . Momus lui répond qu'alors l'Hymen :
deviendroit tout fimplement l'Amour , &
que le mal pourroit être toujours le même.
Autre propofition de l'Empyrique : de laiffer
une aîle à l'Amour & de donner l'autre à
l'Hymen. Ah! dit Momus ,
Fi donc, fi jamais ce partage avoit lieu ,
Les railleurs auroient trop beau jen ,
136 MERCURE
Déjà l'on dit affez , j'en fuis témoin fidèle .
Que l'Hymen & l'Amour ne battent que d'une aîle ,
Et l'on dit vrai.
L'Empyrique eft écondui par Momus , les ,
amans entrent au Temple , fous la protection
du Dieu , & de l'aveu de leur oncle.
Acte III . L'Amour reparoît avec Momus.
Il eft chagrin. Plutus lui enlève tous
Les ſujets ; & depuis fon départ , il n'a trouvé
que deux vrais amans. Ces deux amans paroiffent
, & les Dieux fe rendent invifibles
pour les écouter. Felix & Hyacinthe s'aiment
de l'amour le plus rendre ; mais le père de
Félix ne veut point confentir à leur mariage ,
parce qu'Hyacinthe n'eft pas riche , il a
même chaffe fon fils de fa maifon. Félix , au
défelpoir , veut engager Hyacinthe à le fuivre
, à devenir fa femme malgré la volonté
de fon père. La tendre & vertueufe Hyacin
the le rappelle à des fentimens plus delicats ,
& le force à immoler l'amour à la vertu.
Les deux amans vont le dire un éternel adieu. ,
Momus & l'Amour touches paroiffent à leurs,
yeux , fe déclarent leurs protecteurs , & ,
l'Amour les introduit dans le paivis du Tem
ple de l'Hymen , tandis que Momus fe prépare
à entendre le père Gillet , Nicodème)
fon fils , la mère Vincent , & Rofe fa fille ,
qui arrivent tous enfemble. Le père Gillet
veur que fon fils époufe Rofe , & Nicodême
ne le veut point , parce qu'il ne l'aime pas.
Momus les intéroge les uns après les autres.
DE FRANCE. 137
De ces différentes Scènes il refulte que le
père Gillet eft un homme foible , qui fe
laiffe gouverner par la mère Vincent , femme
méchante & bavarde ; qu'il veut que fon
fils époufe Rofe , parce qu'elle doit être
riche ; que guidé par les confeils de la mère
Vincent , il a déjà banni de chez lui un fils
aîné , qui n'a point voulu époufer Roſe ; &
que cette Rofe cft une petite perfonne
très difpofée à devenir femme , dans l'unique
intention d'être fa maîtreffe , mais très peu
à faire le bonheur d'un époux . Cependant
le père Gillet veut être obéi. Nicodême
refufe ; fon père le chaffe. Avant de fortir ,
Nicodême lui reproche , les larmes aux
yeux , de fe priver de tous les enfans , & il
lui demande quelles confolations resteront
à fa vieilleffe. Le père Gillet s'attendrit ; la
mère Vincent veut ranimer fon courage.
Momus indigné lui ordonne de fortir après lui
avoir reproché fon inhumanité . Elle fort avec
fa fiile. Dès que Nicodême eft feul avec
fon père , il lui parle de fon frère . Momus
lui apprend la généreufe réfolution qu'Hyacinthe
& Felix ont voulu prendre pour
lui facrifier leur amour. Nicodême toujours
fenfible propoſe à fon père de donner une
dot à Hyacinthe, en lui cédant la part du bien
qui doit lui revenir un jour. Tout ce qu'il
entend , tour ce qu'il voit défarme le père ,
Giller ; il confent au bonheur de fon fils , le
temple s'onvre , l'Hymen & l'Amour fe réunif
fent pour ferrer les noeuds des deux amians.
138
MERCURE
Une Comedie epifodique eft un ' Ou
vrage peu fufceptible de produire un
grand interêt au Theatre. Si les epifodes font
attaches à une première intrigue , fouvent
les necellaires écrafent le principal . S'il n'y a
point d'intrigue . il n'y a point d'action ; &
fans action , qu'eſt ce que la Comédie ? Une
production de ce genre peut néanmoins
plaite par la gaîté , par le contrafte & la
variete des caractères & des tableaux ; mais
quand elle eft denuée de ces refforts , ellene
produit qu'un effet très mediocre , quelqu'efprit
d'ailleurs qu'on ait cherché à y répandie.
Le Temple de l'Hymen divifé en
rois Actes préfente trois petites actions
qui ne font point affez oppofées entreelles
, & qui relativement à la nature du
fujet ne pouvoient fans doute pas l'être.
Pour ôrer à fon Ouvrage la couleur monotone
& ifte que ces trois actions devoient
lui donner , Auteur a fait un gafcon de
fon petit maître ; caricature ufée au Théâtre,
& qui eft devenue faftidieule à force d'avoir
été employée . Il a introduit un empyrique
dont le caractère n'a rien de faillant , & qui
ne vient là que dans l'intention d'éveiller un
rire paffager. Le choix de ces moyens plutot
bouffens que comiques n'annonce pas
un goût bien délicat , & pourroit faire tort
à l'Auteur dans l'efprit des bons juges li fon
Ouvrage n'étoit pas femé de traits de fentiment
, d'efprit & de faifon faits pour capti !
ver tous les fuflages. Il y a de là philoſo¹
DE FRANCE 139
phie dans la Scène du Célibataire , beaucoup
de fenfibilite dans celle du père Gillet & de
fon fils. Au total , malgré les défauts que
nous avons indiqués & la négligence qu'on
peut reprocher au ftyle , cer Ouvrage a mérité
les applaudiffemens qu'il a reçus.
ANNONCES ET NOTICES.
Events choifies de l'Abbé Prévôt , avec figures.
Cinquième Livraifon , contenant , Voyages de Ro
bert Lade , 1 vol. , Hiftoire de Guillaume - le- Con».
quérant , 1 vol. , Pamela, 2 vol.
Certe intéreffante Collection va auffi vire qu'elle
peut aller. On foufcrit pour les OEuvres de l'Abbé
Prévôt , conjointement avec celles de le Sage , à
Paris , rue & hôtel Serpente , & chez les principaux
Libraires de l'Europe. )
:. La Collection des deux Auteurs formera 53 vol.
in 8 ° . ofnés de figures , faites fous la direction de
MM. Delaunay & Marillier ; favoir 18 vol des
Euvres de l'Abbé Prévôt , y compris l'Hiftoire de la
Vie de Cicéron , dont on n'avoir pas fait mention ,
mais qui a été demandée par MM . les Soufcriptours ,
& 15 vol . des Ouvres de le Sage , qui font actuelle
ment finies. Le prix de la Soufeription cft de 3 liv .
12 fols le vol broché. On a tiré 24 exemplaires
fur papier de Hollande à 12 liv . le vol . broché.
! LE Dictionnaire des Jardiniers , huitième Édi
tion , revue & corrigée fuivant les meilleurs fyf
têmes de Botanique , & ornée de plufieurs Planches
qui n'étoient point dins les Editions précédentes ,
publiée par Philippe Miller , F. R. S. Jardinier de la
}
140 MERCURE
Compagnie des Apoticaires à Chelfea , & Membre
de l'Académie Botanique de Florence , Ouvrage
traduit de l'Anglois , auquel on a ajouté un grand
nombre de Plantes inconnues a Miller , ainfi que
des Notes relatives à la Phyſique & à la Mätière
Médicale , & dans lequel on a retranché toutes les
dénominations Angloifes pour y fubftituer les nonis
François ; par une Société de Gens de Lettres . A
Paris , chez Guillot , Libraire de MONSIEUR , rüe
Saint Jacques , vis - à- vis celle des Mathurins.
De tous les Arts l'Agriculture a toujours été le
plus utile , & c'est une vérité qui n'a jamais été
mieux fentie qu'aujourd'hui. D'après cela on doit
très bien augurer du fuccès de ce Dictionnaire
qu'on propofe par foufcription, L'Ouvrage original
a toujours joui de la plus grande eftime ; & en
lifant le titre que nous venons de tranfcrite , on
fent qu'il a dû gagner encore par la traduction , &
qu'il a acquis par conféquent un nouveau degré
d'utilité .
On a choifi le format in 4° . comme le plus
commode; la compofition en caractère Cicero neuf
pourra fournit s Volumes de 6 à 700 pages cha
cun. Le premier Volume fera orné de plufieurs
Planches , ou feront gravées les différentes parties
des Plaures dont on fait ufage pour établir les
claffes de la Botanique. Le prix de chaque Volume
pour les Soufcripteurs fera de 12 livres , & pour
ceux qui n'auront pas fouferit de 15 liv. Les Souf.
cripteurs payeront 12 liv. en foufcrivant ; ils conti
nueront à payer la même fomme à chaque Livrai
fon des quatre premiers Volumes , & fe trouveront
avoir payé d'avance le dernier , qui leur fera
délivré gratuitement. La foufcription eft actuellement
ouverte , & fera fermée lorsque le premier
Volume paroîtra , c'eſt- à - dire , dans le courant da
mois deJuin.
DE FRANCE. 141
SOLUTION des trois Problêmes de Géométrie ,
par M. Papion de Tours , Brochure de 42 pages.
Prix , 1 liv. 4 fols . A Paris , chez L. Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguftins.
M. Papion de Tours s'étant occupé avec une efpèce
d'opiniâtreté de la Solution des trois fameux
Problêmes que nous a propofés l'Antiquité , favoir ,
la Trifection de l'Angle , la Quadrature du Cercle
& la Duplication du Cube , croit avoir enfin trouvé
ce qu'on a cherché fi long-temps en vain , & il
vient de donner la Démonſtration au Public, Bien
des Savans , qui marchent plus fûrement aujour
d'hui dans la carrière des Sciences , parce qu'ils y
marchent au flambeau de l'Algèbre , ont déclaré
cette Solution impoffible ; mais M. Papion prétend
qu'ils n'ont fans doute prononcé ainfi que parce
qu'ils n'ont pu réfoudre les équations qui réfultoient
de leurs recherches ; il dit que l'Algèbre n'eft qu'une
arithmétique compofée ; qu'elle calcule il eft vrai
les connues & les inconnues ; mais que l'applica
tion qu'on a faite de l'Algèbre à la Géométrie ne
lui a donné le droit que de calculer les commenfurables
, & qu'elle ne peut rien fur les incommenfurables
, au lieu que la Géométrie appliquée à l'Algèbre
rendra & réfoudra tous les Problèmes que cette
dernière lui propoſera ; qu'enfin cette Géométrie eft
la fynthèse que l'on a eu tort d'abandonner , & qu'il
a prife pour guide dans fes recherches.
En refufant de prononcer pour ou contre cette
découverte , nous ne ferons qu'imiter la fageffe de
l'Auteur lui- même , qui avoue que bien que les Mathématiques
ne foient pas une fcience arbitraire , les
démonftrations peuvent pécher , & qui , s'il fe trouve
dans ce cas , remercie d'avance ceux qui fe chargeront
de l'en faire appercevoir.
EXPOSITION du Calcul , fes quantités négatives.
142 MERCURE
A Avignon ; & à Paris , chez Cellot , Imprimeur-Libraire
, rue des grands Auguftins , in - 8 ° . Prix ,
3 liv . 12 fols.
Le projet de l'Auteur eft de prouver qu'en Algèbre
il n'y a ni inultiplicateur , ni quotient , ni expofant
, ni logarithme négatif, ni racine imaginaire ,
ni cas irréductible , ni interruption dans la defcription
des lignes courbes , ni progrellion géométrique
alternative , ni figne moins dans la formule du
fecond degré , ni fraction :: 2a ; que les ordonnées
négatives doivent répondre à des axes négatifs ,
que tout produit , toute équation d'un degré quelconque
n'eft compofé que d'une feule racine & de
Les répliques. Nous invitons les Savans en Algèbre
à lire les preuves , fur lefquelles nous nous abiliendrons
de prononcer.
METHODE d'Inftruction pour ramener les pré
tendus Réformés à l'Eglife Romaine , & confirmer
les Catholiques dans leur croyance , par M. de la
Foreft , Cuftode Curé de Sainte Croix de Lyon ,
Docteur de la Faculté de Théologie de Paris , &c . ,
in - 12. Prix , 2 liv . broché , 2 liv. 10 fols relié . A
Paris , rue & hôtel Serpente ; à Lyon , chez Aimé de
la Roche , Imprimeur de la Ville , aux Halles de la
Grenette.
Quarante ans d'expériences & d'inftructions
données aux Proteftans par l'Auteur de cet Ouvrage
doivent prévenir en faveur de la Méthode
qu'il a adoptée . Il a de la précifion & de la clarté
dans fa marche , & réunit plufieurs avantages qui
manquent aux Ouvrages qu'on a écrits fur la vérité
du Catholicifme , quoique nous en ayons d'excellens
fur cette matière
MOYEN de Direction que M. le Comte d'Albon
a inventé & adopté à fon Ballon , parti de fa maifon
DE FRANCE 143
de Campagne de Franconville , Gravure d'environ un
pied A Paris , chez Pagelet , Graveur , rue S. Julienle-
Pauvre.
RECUEIL des Airs du Droit du Seigneur &
autres petits Airs & Romance , avec Accompagnement
de Harpe , compofés par M. Grenier , Organifte
& Maître de Harpe , OEuvre V. Prix , 7 livres
* fols. A Paris , chez Coulineau , Luthier de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'École .
Ces Accompagnemens nous ont paru faits avec
goût , & les petits Airs de M. Grenier prouvent qu'il
a tort d'arranger la Mufique des autres .
PROSPECTUS . M. Krumpholtz à la follicitation
de plufieurs Amateurs propofe une foufcription de
deux Symphonies pour la Harpe exécutées par
Mme Krumpholtz au Concert Spirituel . Elles fonc
principalement compofées pour la nouvelle Harpe
à fourdine de M. Naderman , & peuvent aufli s'exécuter
fans accompagnement. On fouferit jufqu'au
premier Août chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , ancien
hôtel de la Prévôté , nº . 14. Prix , 9 livres pour
Paris , & ro liv. 1o fols pour la Province , paffé ce
terme l'Exemplaire coûtera 12 livres , & l'on n'en
trouvera que chez l'Auteur & chez le fieur Naderman
, Luthier de la Reine , rue d'Argenteuil. L'Auteur
prévient qu'il défavoue & déclare contrefaits
tous les Exemplaires qui fe vendroient ailleurs , à
moins qu'ils ne foient fignés de lui.
QUATRE Ouvertures par MM. Guglielmi , Wanhall
, Ditters & Hayden arrangées pour le Cla
vecin & deux Sonates , par MM Clémenti & Scarlati
Prix , 7 liv. 4 fols A Paris , chez Bailleux , à
la Clefd'or , rue S. Honoré, près celle de la Lingerie.
144
MERCURE
Cette Collection eft très agréable pour le bon
choix des Pièces & la manière dont elles font arrangées
, mais ce qui fur- tout la rend infiniment précieufe
, c'eſt la Sonate de Scarlati que M. Clémenti
exécutoit avec tant de fuccès après les fiennes . Les
Amateurs fauront beaucoup de gré à l'Éditeur de
l'avoir miſe au jour.
SEPTIEME Recueil d'Airs d'Opéras , contenant
Ouverture de Renaud , par M. Sacchini , & celle
Iphigénie en Aulide , par M. Gluck , arrangée pour
deux Flûtes ou Violons , par M. Muffard , Maître
de Flûte. Prix , 6 liv . A Paris , chez M. Muſſard ,
rue Aubri- le-Boucher , maiſon du Marchand de Vin.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
E PITRE à MM. de la So - gryphe
ciété Patriotique Bretonne , Théâtre d'Ariftophane ,
97 Variétés ,
Vers fur l'Homme, 101 Concert Spirituel ,
Impromptu à Mme de.... ib. Comédie Italienne ,
102
1ος
120
132
133
139
Charade , Enigme & Logo- Annonces & Notices ,
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr ! Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 19 Juin . Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 18 Juin 1984. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 JUIN 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Au Comie DE HAGA.
IL te revoit enfin , ce peuple aimable & brave ,
Qui , dès tes jeunes ans , jugea fi bien de toi !
Tu n'as point démenti le grand nom de Guftave ;
On eftima le Prince , on admire le Roi.
Combien de ta préfence augufte
Nos Citoyens font réjouis !
C'eft complaire à leur maître.... Ils favent qu'un Roi
jufte
Doit être l'ami de Louis.
Dans cet accueil touchant vois l'honorable
De nos voeux & de ton fuccès ;
marque
Faut-il plus dire encor ? .... Sois sûr que le François ,
S'il n'avoit fes Bourbons , te voudroit pour Monarque ,
Tant fur lui les vertus ont un attrait puiſſant !
Il n'eft point , tu le fais , d'État fi floriffant ,
N°. 26 , 26 Juin 1784. G
1146
MERCURE
Et point de beau diadême.
1
Quel est donc en effet le fort des Souverains !
Beaucoup fontrefpectés , d'autres, hélas ! font craints.
Ce n'eft qu'en France qu'on les aime.
( Par M. D....t. )
VERS contre les Vieillards , confacrés à la
gloire de leur plus brillant Doyen.
CROROIIRREE Cencor écrire en beaux vers ,
Se marier , livrer bataille
Quand on a quatre- vingt hivers ,
C'est s'expofer à trois revers ,
Dont fans pitié chacun fe raille.
Idolâtrer , fervir dans un âge auffi vieux
Les Amours , les Mufes , la Gloire ,
N'eft qu'un ridicule odieux.
Tous les vieillards font faits pour rater la Victoire,
L'homme au bord du tombeau , traînant fon corps
perclus ,
Même avant d'expirer fouvent n'existe plus.
Ainfi , Guerriers , Amans , Rimeu's octogénaires ,
Jogiffez du paffé , bornez -y vos chimères ,
Racontez vos exploits , lifez vos vers heureux ,
Sans effayer d'en faire d'autres ;
L'efprit baiffe & s'éteint dans un corps catarreux.
Mars , Phébus & l'Amour ne lancent plus leurs feux
Sur des coeurs vieux , ufés , glacés comme les vôtres.
DE FRANCE. 147
Ces vers , où je m'égaie aux dépens des vieillards ,
Furent lûs l'autre jour d'un ami des Beaux- Arts ,
Qui me dit : « N'en déplaife à votre poéfic ,
» Le modèle brillant de la galanterie ,
» Qui pilla de Vénus des grâces le tréſor ,
පා
Qui prit Chypre & Mahon en dépit de l'envie ,.
Qui reçut tour- à- tour une couronne d'or ,
» Des trois Dieux que vos vers veulent qu'un vieil-
» lard fuie :
» R ...... qui des Grands piqua la jalouſie ,
A quatre vingt- huit ans eft bien vivace encor.
L'âge n'a pas éteint ſa force & ſon génie. ,
"
32
J'en conviens , ce Héros vanté ,
גנ
Non moins favant dans l'art de Follard , de Polybe ,
Que dans l'art plus charmant de dompter la beauté,
Siffle par fa bonne fanté
Ma morale & ma diatribe.
En Grèce , les vieillards à leurs petits enfans
Difcient : « Ce bon Neftor qu'on révère & qu'on
29
"
לכ
aime ,
Qui raconte des faits auſſi vieux qu'étonnans ,
Qui vit Troye embrâfée & fes remparts croulans ,
» Nos pères comme nous l'ont toujours vû de même...
Je veux que R...... , par un bonheur extrême ,
Conferve comme lui fa vigueur & ſes ſens .
Que Bellone & Vénus l'adorent à cent ans.
Ces deux Belles encor , fans nuire à mon fyftème ,
Peuvent le couronner de leurs lauriers brillans .
Gij
148 MERCURE
Comme on voit dans l'hiver un beau jour de printems,
Par miracle une fois la fageffe ſuprême
Sufpend l'ordre & le cours de fes décrets conftans ,
Garantit un Héros des outrages du temps ,
Et le dérobe aux coups de la parque au teint blême.
Mais comme tout finit , quand ce Neſtor nouveau
Aura dans un efquif traversé l'onde noire ,
Voici ce que fur fon tombean
Gravera le burin des Filles de Mémoire :
сс « Paffant , qui que tu fois , apprends que dans ce lieu,
Sous ce marbre facré , repofe un demi - Dieu ,
Qui fixa fur les pas l'Amour & la Victoire ,
ود
"
33
Qui vit bien peu changer les deftins inconftans ,
Qui joignit de Vénus les myrtes éclatans
» Aux brillans lauriers de la gloire.
» Le plus aimable des François ,
39 Le plus grand aux yeux de Bellone ,
» Le ſauveur du Gênois , la terreur de l'Anglois ;
ود
""
L'ami de fon Monarque & l'appui de fon trône ;
ל כ
و د
39
Qui réunit tous les honneurs ,
Qui de Minerve eut les faveurs ,
Qui fubjugua toutes les Belles ;
Qui , fans languir jamais dans un obfcur repos ,
» Se montra près d'un fiècle un grand Homme , un
» Héros ;
» Il cueillit en tout temps des palmes immortelles . »
Si du Seigneur vanté , dont je peins les hauts faits ,
DE FRANCE. 149
Dans des vers moins beaux que fidèles ,
Je te tais le grand nom . Tu m'as` lû..... Tu le fais.
(ParM. le François , Ancien Officier de Cavalerie. )
IMITATION d'une Épigramme de
l'Anthologie.
Après les faveurs d'une Belle ,
Sais - tu ce que j'aime le mieux ?
Ami , c'eft le vin le plus vieux
Et la chanfon la plus nouvelle.
( Par M. le Vicomte de Br... de Vérac. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Voltaire ; celui
de l'Enigme eft Jus ( fuc , jus ) , Jus ( Droit de
Juftice ) ; celui du Logogryphe eft Figaro ,
où l'on trouve Io , Roi , air , or , if, fa ,
Riga, Goa , foi , fi , gai.
CHARA D E.
L'un de l'autre eft frère ,
Et le tout eft père.
( Par M. D***** D. ).
Gij
150 MERCURE
ÉNIGM E.
JE ne péris point par la corde ,
Et cependant il est bien clair
Qu'on me pend fans miféricorde ,
Et que je fuis, pendu même avant d'être en l'air.
(Par M. de la Roque , Capitaine en Secona au
Régiment de Baffigny. )
LOGO GRYPH E.
J'APPARTIENS par droit de conquête ;
Du plus fort je deviens la part.
J'ai cinq piés . Au pays Picard
Je fuis ville , en perdant ma tête.
Mes deux premiers à bas , fans être un Orateur ,
Je fus célèbre au Capitole.
Otes-moi tête & queue , & parlant à ton coeur
François , je nomme fon idole.
2
( Par M. le Marquis de Fuivy. Y
DE FRANCE: isi
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Veillées du Château , ou Cours de
Morale à l'ufage des Enfans , par l'Auteur
d'Adèle & Théodore. A Paris , de l'Imprimerie
de Lambert , rue de la Harpe ,
près S. Côme ; 1754. 3 vol. in- 8 ° . Prix ,
Is liv. brochés.
BC JEE fuis ; dit Madame de Genlis , le prémier
Auteur qui fe foit occupé de l'Édu-
» cation du Peuple . »
Elle auroit pu ajouter :
Et j'ai pris pour l'inftruire , la forme la
plus agréable , la plus intéreffante , la plus à
la portée comme au goût de tout le monde ,
la plus favorable à l'inftruction , la forme
dramatique.
Cet avantage méritoit fans doute d'être
réclamé. Mme de Genlis , en le réclamant ,
n'en rend pas moins à l'Auteur des Vûes Patriotiquesfur
l'Éducation du Peuple , &c. une
juftice que tout le monde ne lui a pas rendue ;
mais comment pouvoit on avoir oublié ce
quatrième Volume du Théâtre d'Éducation ,
uniquement deftiné aux enfans de Marchands
, d'Artifans , de perfonnes même au-
Ideffous de cette claffe ? Comment pouvoiton
fur- tout avoir oublié cette Rofière de
Giv
142 MERCURE .
Salency , l'un des plus touchans Ouvrages
qui exiftent dans nôtre langue , & le plus
touchant peut être de tous ceux de Mme de
Genlis ?
Quant à la queftion fi l'Auteur a voulu fe
peindre fous le nom de Mme d'Almane ,
dans Adèle & Théodore , il n'en fut jamais
de plus oifeufe. Quel Auteur d'Ouvrage en
forme , foit épique , foit dramatique ne
donne pas fes opinions & fes fentimens au
principal perfonnage , au perfonnage le plus
vertueux ? Fft- ce s'attribuer les vertus de ce
perfonnage , que d'annoncer qu'on penſe
comme on le fait agir ? Laiffons ces chicanes
nées de la grande célébrité du Livre
d'Adèle & de fon éclatant fuccès . Les Veillées
du Château vont bien exciter d'autres orages.
Premièrement , quelques Auteurs vivans y
font beaucoup loués , ce qui déplaît toujours
un peu à d'autres Auteurs vivans. Secondement
, des Auteurs illuftres , ou encore
vivans ou morts depuis peu , y fout beaucoup
critiqués , ce qui eft encore plus amer ;
& l'Auteur qui vivra éternellement , M. de
Voltaire , y eft iugé avec une févérité qui ne
paroîtra pas jufte à tout le monde. Marchons
d'un pas ferme & libre à travers toutes ces
opinions , en ne les confidérant que comme
des opinions qui ne font loi pour perfonne
, mais qui ne doivent être interdites à
perfonne. Reſpect & admiration pour tout
ce qui en mérite ; mais point de culte d' hom
me à homme , point de fuperftition . L'OyDE
FRANCE. 153
vrage le plus utile à faire , feroit peut être
un examen impartial , à charge & à décharge
des OEuvres de M. de Voltaire , parce que
c'eft l'Écrivain dont l'influence fur fon fiècle
a été la plus grande , tant en bien qu'en mal.
S'il y a un genre d'Ouvrage où l'on puiffe
s'attendre à trouver cet illuftre Écrivain traité
avec quelque rigueur , c'eft fans doute un
Livre confacré à l'éducation de la jeuneffe ;
& il faut permettre , quand même on ne
feroit pas de cet avis , de dire qu'il ne peut
être mis qu'avec précaution & avec choix
entre les mains des enfans & des jeunes gens .
La Préface des Veillées nous offre d'abord
une grande vérité à laquelle on ne fauroit
faire trop d'attention , c'est qu'il n'y a d'utiles
que les Livres agréables ; c'est que la morale
mife en action eft la feule qui agiffe fur
les âmes ; & que les Ouvrages qui ont le
plus influé fur les moeurs , ont tous une forme
agréable & intéreffante . Il en eft de
même de tous les genres d'inftruction : pour
inftruire , il fant plaire. Combien d'Ouvrages
adinirables pour la profondeur des recherches
& l'immenfité des connoiffances , n'ont
rien appris à perfonne , parce que leurs Auteurs
ont négligé de facrifier aux Grâces , ou
de prendre une forme attirante & attachante ;
car ce que nous difons ici en général de l'agrément
, tient d'une manière particulière à
la forme , malgré les défauts même de l'exécution.
Un exemple rendra ceci fenfible.
Tout le monde lit le Spectacle de la Nature ,
Gv
154
MERCURE
& tout le monde convient que , fans parler
dit fond , la forme dialogique n'en vaut rien.
L'Écolier eft déjà un petit pédant ; Madame
la Comteffe , à qui on a voulu donner , les
grâces d'une femme du grand monde , n'eſt
qu'une Bourgeoife qui a des airs ; M. le
Comte eft un gentillâtre affez épais ; M. le
Prieur eft un homme de College. Tel eft
cependant le charme de cette forme dramatique
, toute défectueuse qu'elle eft , qu'on
s'amufe en s'inftruifant dans le Spectacle de
la Naturé , & que l'Hiftoire du Ciel , du
même Auteur , où c'eft l'Auteur même qui
parle & enfeigne d'un ton raifonnable &
fenfé , ennuie & n'apprend rien .
De toutes les formes qu'on peut donner
à un Ouvrage d'inftruction , à toute forte
d'Ouvrages , la forme dramatique est toujours
la plus intéreffante ; l'Épopée même eft
obligée d'y recourir pour produire fes plus
grands effets ; auffi eft- ce la forme que Mme
de Genlis a cru devoir donner à prefque
tous les Ouvrages. C'eft le Théâtre d'Education
, c'eft le Théâtre de Société , toujours
fait dans un efprit relatif à l'éducation ; le
Roman moral & inftructif d'Adèle eft en
Lettres , par conféquent dramatique ; dans
les Veillées , tout prend la même forme ,
tout parle & agit fous les yeux du Lecteur.
La Baronne , & Mine de Clémire fa fille ,
qui racontent à leurs enfans , dans un vieux
château , les hiftoires de la veillée , ou qui
les font raconter par des perfonnages intéDE
FRANCE. 155
reffés à l'action , font agiffantes comme les
filles de Minée , dans les Métamorphofes ,
quand elles racontent la malheureufe aventure
de Pyrame & Thisbé , & d'autres hiftoires
femblables ; ou , comme Philoctère ,
lorfque d'après Sophocle il peint fi énergiquement
à Télémaque fes longues fouffrances
dans l'Ifle de Lemnos , fes touchantes"
fupplications à Pyrrhas , fes fureurs contre
Ulyffe , enfin la réconciliation avec ce même
Ulyffe & les Atrides , par l'entremiſe de Pyrrhus
& par l'ordre d'Hercule.
Les Hiftoires des Veillées , prifes toutes
enfemble , ont un grand objet moral , qui eft
le même que celui d'Adèle & des deux Theatres
; c'eft celui d'infpirer aux enfans les
goûts fimples & vertueux qui rapprochent
de la Nature , & qui font aimer la vie champêtre
; chaque hiftoire en particulier a auffi
fon but moral , fa vérité particulière à établir
& à infpirer ; & ici le plan romanefque &
dramatique eft poftérieur & fubordonné au
plan des idées : le conte eft fait pour la moralité,
non la moralité pour le conte. Quand
La Fontaine veut prouver qu'il faut avoir le
courage de fuivre fa vocation dans le choix
d'un état , ou fon goût dans les chofes indifférentes
, fans donner trop d'importance aux
jugemens frivoles , inconféquens & contradictoires
du vulgaire , la fable du Meûnier ,
fon Fils & l'Ane , établit très bien cette vérité
; tous les incidens s'y rapportent parfaitement
; on fent' que le conte a été fait pour
Gvj
146 MERCURE
la moralité ; quand , au contraire , dans une
fable ou prologue contre ceux qui ont legoût
difficile , il ellaye grotesquement divers tons
fans ceffer de donner prife à la critique , &
qu'il finit par dire :
Les délicats fent malheureux ,
Rien ne fauroit les fatisfaire .
Cette prétendue moralité n'eft qu'une défaite
par laquelle le Poëte fe joue de fon
Lecteur en finiffant , comme il s'en eft joué
dans tout le cours de l'Ouvrage : cette moralité
n'eft nullement établie. Eft on malheureux
de ne pas trouver que priant &
amant forment une rime bien riche Ici la
moralité a été faite pour la pièce , & non la
pièce pour la moralité , c'eft ce qui fait que
la moralité porte à faux. L'Auteur des Veillées
évite toujours cet inconvénient. Faits ,
incidens , caractères , jeu des pallions , tout
fe rapporte à la moralité , tout la développe
& la rend fenfible. L'enfant ne peut plus la
méconnoître ni l'oublier ; il a été amuſé
ému , intéreffé en apprenant fon devoir ; il
fent la raifon , il aime la vertu .
Ce n'eft pas tout de prouver à part , &
d'une manière ifolée , chaque vérité , il faut
qu'en s'enchaînant , elles fe fortifient & fe
prêtent un fecours mutuel ; ce n'eft point au
hafard que les diverfes Hiftoires qui compofent
ce Recueil fe trouvent placées à la fuite
les unes des autres ; la fuivante naît toujours
de la précédente, & des réflexions auxquelles
DE FRANCE. 157
elle a donné lieu ; ces hiftoires font difpofées
dans un ordre graduel , favorable &
adapté aux progrès de l'efprit des enfans, &
au développement de leur raiſon .
Par exemple , Mme de Clémire s'apperçoit
que des propos de Femmes de chambre & de
Domestiques intéreffés à regretter Paris , ont
jeté dans l'efprit des enfans des préventions
contre le fejour de la campagne ; elle reconnoît
d'abord la fource de ces préventions ,
& elle avertit fes enfans du danger de ces
converfations avec des Domeſtiques , à qui
le défaut d'éducation donne des idées & fuggère
des difcours qui ne peuvent que nuire
aux progrès de l'éducation . Cependant cette
règle de ne point caufer familièrement avec
les Domeftiques , reçoit d'abord toutes les
reftrictions dictées par l'humanité , par la
raifon , par l'élévation même, fi différente de
l'orgueil , elle reçoit auffi des exceptions ab
folues ; par exemple, lorfqu'un caractère dif
tingué , des vertus rares , ou le hafard d'une
éducation heureufe fe rencontrent dans ceux
qui ont le malheur d'être réduits à l'état de
Domestiques , ces exceptions font autant de
nouvelles vérités à démontrer , & c'est ce qui
amène la touchante hiftoire d'Ambroife &
celle de Marianne Rambour , dont l'action ,
difcutée dans un entretien intéreffant , qui
n'eſt point au deffus de la portée d'un enfant
bien élevé , eft jugée fupérieure à celle d'Ambroife
, laquelle fait peut être d'abord plus
d'effet. C'eft ainfi que chaque hiftoire eft un
158
MERCURE
petit Drame complet , faifant partie d'un
grand Drame , qui eft l'ouvrage entier. Ce
mêlange de récits , & de réflexions fur ces
récits , eft une méthode pleine d'intelligence
& de goût , qui double le mérite, des uns &
des autres ; les récits font valoir les réflexions
en les appliquant à quelque chofe de fenfible
, en leur ôtant cette généralité vague ,
cette féchereffe qu'elles ont dans les traits de
inorale purement dogmatiques ; les réflexions
à leur tour donnent du prix aux récits ,
elles en prolongent l'effet , elles en font fortir
les détails ; quelquefois même , en corrigeant
& modifiant certaines impreffions trop
fortes & trop promptes , elles rectifient ce
que les jugemens peuvent avoir eu , en conféquence
, de défectueux . Par exemple , dans
l'hiftoire de M. de la Palinière , Julie paroît
un exemple de la vertu opprimée & malheureuſe
, & les enfans doivent en juger
ainfi ; un examen plus févère , une difcuffion
plus fine fait appercevoir dans fa conduite
des fautes qui font la véritable caufe de fes
malheurs.
Ceft ainfi que la Baronne & Mme de
Clémire examinent tout , difcutent tout , pèfent
tout , jugent tout avec leurs enfans , &
leur font faire de leur raifon naiffante un
ufage toujours progreffif ; elles defcendent
noblement, fans petiteffe , fans minurie , jufqu'à
leurs enfans pour les élever jufqu'à
elles ; elles obfervent en grand ce beau précepte
de Juvénal : Respectez l'enfance , ne
DE FRANCE. 119
dédaignez point la foibleſſe des jeunes années.
Maxima debetur puero reverentia.......
.Ne tu pueri contempleris annos.
Voilà pour ce qui concerne le plan géné
ral & le lyftême d'après lequel l'Ouvrage eft
compofé.
Parcourons quelques détails .
La première & la plus importante leçon à
donner à des enfans, étoit de leur faire fentir
tout le prix de l'éducation , tout le malheur
d'en être privé , tout l'intérêt qu'ils ont de .
feconder par leur docilité les foins de leurs
parens , tout le befoin qu'ils ont de s'inftruire
& de prendre la raifon pour juge de toutes
leurs actions , de leur faire fentir enfin combien
la deftinée de ce qu'on appelle un enfant
gáté, peut être malheureufe.
C'eft l'objet de la première Hiftoire , qui
a pour titre : Delphine , ou l'heureufe guérifon.
Nous ne parlons plus ici du rapport
fenfible des faits & des caractères avec la
leçon qu'on veut donner ; ce mérite de convenance
, qui fe retrouve dans tout l'Ouvrage
, a été fuffifamment relevé : ce que
nous remarquons plus particulièrement ici ,
c'eft le talent de peindre & de graver les objets
dans l'imagination en traits ineffaçables ;
c'eft le jeu des petites paffions de Delphine ,
de fes caprices , de fes hauteurs , de fes fureurs
, de fes petites révoltes impuiffantes
contre la raiſon ferme & calme qui a entrepris
de les dompter , & qui en triomphe ;
160 MERCURE
c'eft la variété , c'eft le contrafte des caractères
& de la conduite ; ce font ces nuances
fines qui differencient les caractères du
même genre: M. & Mme Steinhauffe , Hen
riette , leur fille , Catau , leur Servante , font
tous caractères du même genre , toujours
guidés par la raifon ; ils font dans la même
caufe & dans les mêmes intérêts ; ils tendent
au même but , ils concourent au même ou
vrage , & cependant ils font tous différens.
Le mari eft réſervé pour les grandes occafions
: c'eft un Dieu fauveur qui ne paroît
que pour rendre la vie & la fanté ; on ne le
voit , pour ainfi dire , que dans le lointain.
C'eft fa femme qui eft chargée des détails du
régime & de la conduite ; elle oppoſe aux
contradictions , aux révoltes , aux tempêtes ,
le calme d'une raifon inaltérable ; l'autorité
dont elle eft dépofitaire , joint à fa douceur
une petite teinte de févérité ; par la raifon
contraire , on ne voit rien de femblable chez
Henriette ; fa raifon eft toujours douce , enjouée
, indulgente , aimable ; elle a , pour
ainfi dire , la fraîcheur & les grâces de la jeuneffe
; fa bonté , fa bienfaiſance en ont toure
l'ardeur. Catau eft , comme le dit Madame
Steinhauffe , une excellente fille , très patiente
, très douce ; la feule circonftance
d'être Allemande & de ne pas entendre un
mot de François , la diftingue fuffisamment
des autres , & contrafte plaifamment avec
les emportemens & les fureurs de Delphine.
Au milieu de cette tempête , Catau eft inDE
FRANCE. 161
fenfible & immobile comme un rocher ,
elle n'a d'action que contre les actions ; les
difcours ne lui font abfolument rien. Mais
ce qui eft fur tout ménagé avec un art infini ,
c'est le retour de Delphine à la raison & à
la vertu ; il fe fait par une gradation parfaitement
proportionnée au caractère de la
jeune fille , qui eft très- imparfaite , mais qui
n'eft point perverfe , & à l'influence que
-doivent avoir fur elle les événemens & les
exemples dont elle eft entourée. La réparation
qu'elle fait à Catau eft attendriffante ;
Delphine devient non- feulement bienfaifante
, mais delicate ; car la delicatefle , qui
ménage l'amour- propre , devient une partie
effentielle de la bienfaifance .
C'eft par les plus douces & les plus tendres
larmes que le Lecteur fait l'eloge de
l'Hiftoire qui a pour titre : Le Chaudronnier ,
ou la Reconnoiffance réciproque , & qui eft
déjà célèbre fous le nom d'Hiftoire d'Ambreife.
Cet Ambroife eft un Laquais qui
nourrit fa Maîtreffe , tombée dans la pauvreté.
Obligée de renvoyer tous les Domeltiques
, elle avertit Ambroise de chercher
une autre maiſon .
Non , je mourrai en ›
» vous fervant. Ambroise , vous ne con-
" noiffez pas ma fituation . - Madame ,
Vous ne connoiffez pas Ambroife . » Mot
fublime , dont toute la conduite d Ambroise
eft le développement. La reconnoiffance de
fa Maîtreffe n'eft pas moins touchante , &
le plaifir de voir leur vertu récompensée eft
162 MERCURE
66
و د
un bonheur dont le Lecteur a befoin,
L'Hiftoire des deux petits Payfans ' , Auguftin
& Colas , établit une efpèce de paradoxe
bien piquant en morale , & qui pourroit
être bien utile au genre humain ; c'eft
qu'il n'eft pas auffi naturel qu'on le croit
communément , de fe préférer aux autres.
Auguftin s'eft dépouillé de tous les habits ,
» parce qu'il fouffroit moins de la douleur
qu'il éprouvoit que de celle qu'enduroit
fon frère...... O quel fentiment fublime
» que la pitié , puifqu'il peut donner de
femblables vertus ! Loin d'amollir l'âme ,
» il l'élève , il fait oublier les dangers , bra-
» ver la mort & la douleur ! ..... Ne vous défendez
donc jamais d'un mouvement fi
» beau. Confervez avec foin cette paflion
» active & tendre , fi naturelle au coeur de
l'homme , & qu'il ne peut perdre qu'en
» fe corrompant. "
"9
"
Nous avons parlé de l'Hiftoire de Marianne
Rambour , qui remplit , à fes dépens
& fur les épargnes , les derniers vreux de fa
Maîtreffe , en fondant une école de charité
que fa Maîtreffe , en mourant , regrettoit de
n'avoir pu fonder. Elle en eft auffi récompenfée.
Ce qui donne lieu à l'Auteur d'établir
une autre maxime en morale , qui mériteroit
d'être toujours vraie , c'eſt que jamais
une action héroïque ne refte fans récompenfe ,
même dès ce monde.
La mauvaife éducation avoit donné des
vices à Delphine ; on fent aifément l'horreur
DE FRANCE. 163
1
du vice , on s'effraye moins des fimples défauts
; la négligence , par exemple , le défaut
de foin & d'ordre font affez ordinaires aux
enfans ; on fe les pardonne d'autant plus aifément
, que la morale n'y paroît pas d'abord
intéreffée , l'Auteur fait voir à quel point ils
peuvent être nuisibles ; c'eft l'objet de l'Hif
toire qui a pour titre : Eglantine , ou l'Indolente
corrigée. Le courage maternel de Doralice
( fait véritable ) eft un fuperbe incident
dans cette Hiftoire. Celle de M. de la Palinière
offre des fcènes tragiques , & montre
le danger des paffions. Eugénie & Léonce ,
où l'Habit de Bal. Cette Hiftoire eft une
des plus jolies Paftorales Dramatiques , &
nous ne ferions pas étonnés que ce fût celle
de toutes ces Hiftoires qui fit le plus de plai
fir à beaucoup de Lecteurs. La fcène eſt à la
campagne . Eugénie , femme de Léonce
jeune , fenfible & bien élevée , a reçu de fon
beau père une bourfe de foixante louis pour
fe faire faire un habit de bal . Cet ufage de
l'argent lui avoit été indiqué par fon beaupère.
Il s'agiffoit d'une grande fêre où elle
devoit fe trouver à Paris dans quelque tems.
Eugénie avoir vu dans la campagne un vieillard
à cheveux blancs , pauvre , chargé d'une
four paralytique & de cinq petits enfans
orphelins. Avec cinquante louis , dit - elle ,
j'aurai un habit affez beau ; ainsi , je vais
prendre dix louis fur cette fomme pour les
donner au pauvre Jérôme ( c'eft le nom du
vieillard ) : elle le trouve endormi aa bord
>
164 MERCURE .
d'un ruiffeau ; fa petite famille raffemblée
autour de lui , & protégeant fon fommeil ;
les uns chaffant les mouches & les coufins
avec des branches de faule , une autre éten
dant au- deffus de fa tête un tablier pour lui
donner de l'ombre , la naïveté de la petite
fille faifant figne du doigt à Eugénie de ne
pas faire du bruit , & ne confentant à lui
céder la place , ainfi que fes petits frères ,
qu'après qu'elle a promis de bien chaffer les
mouches ; tout cela forme un tableau enchanteur.
" Comme il dort pailiblement , dit Eugé-
» nie en le confidérant ! pauvre & refpec-
» table vieillard ! à foixante & quinze ans
" encore obligé de travailler fans relâche ! ...
» O qu'il feroit doux d'affarer la tranquil-
» licé de fes vieux jours ! ..... Dix louis ne feront
qu'un foulagement à fa misère ; mais
» cinquante le mettroient dans l'aifance ......
Valentine , ( c'eft la fille de fa Gouvernante )
» regarde ce vieillard ..... Avec quelle gaîté
» il fouperoit ce foir , entouré de fes petits
» enfans ! avec quelle joie pure il les em-
ود
"
"
99 braiferoit & recevroit leurs careffes !.... &
» moi , demain matin , je pourrois écrire
tour ce détail à ma mère...... O ma mère !
combien elle feroit heureufe en lifant
» certe lettre ! Elle convient avec Valentine
qu'elle doit confulter Léonce ; mais , ajoutet'elle
, éloignons - nous d'ici , car la vue de
" ce vieillard me caufe une tentation à laquelle
je ne pourrois réfifter. » Elle fe
33
98
"
DE FRANCE. 165
>
lève pour aller confulter Léonce , elle le voit
à fes pieds: caché derrière une haie , il avoit
tour vû , tout entendu , tout approuvé avec
tranfport. On peut fe figurer l'étonnement
l'attendriffement , la joie , la reconnoiffance
du vieillard à fon réveil . A travers tout ce
charme de vertu & de bienfaifance dont on
eft pénétré jusqu'au fond du coeur , Cefar ,
fils de Mme de Clémire , remarque la circonftance
de Léonce , caché derrière une haie
pour furprendre ; & malgré toutes les raiſons
qui l'excufoient , on le blâme de s'être caché,
on établit pour principe que dès qu'une
action eft condamnable par elle - même , on
ne doit jamais fe la permettre , quel que foit
le motif qui nous guide , & cette perite faute
n'a été mêlée parmi tant de bons fentimens ,
que pour éprouver la raifon des enfans , en
leur faifant démêler cette faute comme une
diffonnance ou une couleur trop tranchante .
L'Hiftoire qui a pour titre : Alphonfe &
Dalinde , ou la Féerie de l'Art & de la Nature
, eft le réſultat de lectures immenſes ;
c'eft un cours complet d'hiftoire naturelle &
de géographie : il feroit difficile d'inf
truire d'une manière plus agréable &
plus intéreffante ; mais nous devons peutêtre
avertir les Lecteurs frivoles , les Lecteurs
gens du monde , qu'ils feroient un
étrange contre fens s'ils prenoient ici le roman
pour l'objet principal , & l'inftruction
pour l'acceffoire . La manière la plus ucile de
lire cette hiftoire , eft d'avoir toujours les
166 MERCURE
notes & des cartes fous les yeux ; en un mot ,
c'eft une étude qu'il faut fe réfoudre à faire ,
mais une étude dans laquelle l'Auteur a pris
fur elle toute la peine , & n'a laillé au Lecteur
que l'agrément,
Il y a dans les converfations de Mme de
Clémire avec les enfans , beaucoup d'autres
inftructions femblables fur les Arts , fur
l'Hiftoire , fur la Morale , fur la Phyfique ,
fur tous les objets.
L'Hiftoire qui à pour titre : Paméla , ou
l'Heureufe Adoption , offre dans Pamela le
caractère le plus aimable qu'il foit poffible
de concevoir , & rien n'eft plus naturel ni
plus vrai que l'enthoufiafme de cet Anglois ,
qui s'écrie : Grâce au ciel , cet Ange eft une
compatriote.
319
Voici quelques traits de fon portrait.
" Son âme l'élevoit fans ceffe au deffus de
fon âge. Lorfqu'elle parloit de fes fenti-
» mens , elle n'avoit plus le langage ni les
expreffions de l'enfance. On pouvoit citer
d'elle mille traits charmans , des réponſes
» fines & délicates , & une foule de mots
» heureux & touchans que le coeur feul peut
infpirer. Cette fenfibilité vive & profonde
répandoit une grâce inexprimable fur
" toutes les actions de Paméla ; elle donnoit
» à fa douceur un charme qui pénétroit
l'âme , elle embelliffoit fa figure. On voyoit
» mille fois Paméla avant de favoir files
traits étoient réguliers , fi elle étoit belle
» ou jolie. On n'étoit frappé que de ſa phy.
و د
""
93
ཀ
"9
DE FRANCE. 167
» fionomie intéreffante , ingénue ; on ne remarquoit
que l'expreffion céleste de fon
» vifage. On ne pouvoit ni l'examiner ni la
louercomme une autre . Elle avoit de grands
» yeux bruns , de longues paupières noires.
» On ne difoit rien de fes yeux ; on ne par-
» loit que de fon regard. »
"
Olympe & Théophile , ou les Herneutes.
Cette hiftoire donne de grandes leçons aux
pères ambitieux qui forcent l'inclination de
leurs enfans. Un père qui a voulu facrifier
ainfi fon fils , & qui l'a réduit à la fuite ,
voyage , ou pour le retrouver ou pour diffiper
fes chagrins . A l'Ange Sund , en Hollande
, il eft frappé d'un tableau contraſtant
qui lui montre la récompenfe de l'indulgence
des parens , dans le bonheur d'une famille
nombreuſe & vertueufe , qui , ce jour - là ,
célèbre avec refpect & avec amour la naiffance
d'une vieille grand'mère , âgée de
quatre vingt quinze ans . Elle les bénit tous.
O mon Dieu , dit- elle , accordez à mon
64
39
3:3
fils , jufqu'à fon dernier moment , la féli-
» cité dont vous m'avez fait jouir ! que fes
» enfans foient toujours pour lui ce qu'il a
» été conftamment pour moi ! mon Dieu ,
béniffez les , tous ces enfans , qui font le
charme de mes vieux jours , & payez à
» mon fils foixante & douze ans de bonheur
» que je dois à fa tendreffe & à fes vertus. "
Les Solitaires de Normandie font une hiftoire
véritable , & c'eft un intérêt de plus ;
168
MERCURE
il est bien doux de ne pas regarder le fait
comme douteux.
Les trois Contes Moraux que renferme le
troifième volume , n'appartiennent plus aux
Keillées du Château , & ne pourront être à
la portée des enfans de Mme de Clémire que
quand ils feront plus avancés en âge. Daphnis
& Pandrofe eft un beau morceau de profe
poétique. Le Palais du Silence fournit des
contraftes plaifans entre ce que les perfon-1
nages difent & ce qu'ils veulent dire ; il en
réfulte des fituations piquantes . Mais le premier
de ces trois Contes , les Deux Répu
tations , eft celui qui excite le plus la curiofité,
& qui , fans l'aveu de l'Auteur , flatte
le plus la malignité du Public . C'eft là que
les grands coups font frappés. Des Écrivains
illuftres y font critiqués avec politeffe &
avec réſerve , mais avec févérité . Les uns
morts depuis peu , laiffent des amis zélés ;
les autres encore vivans ne font que trop
bons pour le défendre. Nous n'aurons pas le
ridicule de leur offrir un fecours dont ils
n'ont pas befoin ; nous aurons encore moins
latémérité de paffer condamnation pour eux.
Un Corps refpectable eft auffi attaqué dans
cet Écrit , mais le trait qu'on lui lance ne
peur porter coup , puifque pour le trouver
en faute , il a fallu avoir recours à la fiction .
En général on peut toujours attaquer impu
nément ce Corps ; le principe de fon filence
eft le même que celui de la patience d'un
des
DE FRANCE.
des perfonnages des Veillées : Je ne peux pas
le lui rendre , jofuis le plus fort . Mais les par
ticuliers ne font pas fi endurans. Forts ou
foibles , ils aiment la guerre , & ne fe perfuadent
pas aifément qu'on ait pu avoir un
motif pur pour les critiquer. Malgré toutes
les proteftations de l'Auteur , on attribuera
cette hoftilité au reffentiment qu'elle a conçu
d'un jugement qui a dû lui paroître en contradiction
avec celui du Public . C'eft le cas
de ces deux vers du Cid :
Dès que j'ai fu l'affront , j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Le mal eft que la vengeance appelle la
vengeance , & que les hoftilités entraînent
des hoftilités . Ceci n'eft encore qu'un badinage
; mais il pourroit aller trop loin.
Ludus enim genuit trepidum certamen & iram
Ira truces inimicitias & funebre bellum.
Le ciel préferve la Littérature du fchiſme
dont ces mouvemens femblent la menacer ,
& les Gens de Lettres les plus diftingués du
malheur d'avoir pour ennemie une femme
qui fait écrire avec tant d'efprit , de grâce ,
de fenfibilité , d'intérêt , d'éloquence , de
raifon , de goût , de politeffe , & mettre éga
lement dans fes intérêts ceux qui rient &
ceux qui pleurent.
Nº . 16 , 26 Juin 1784,
H
170
"MERCURE
ACADÉMIE FRANÇOISE.
MARDI 16 de ce mois , M. le Marquis
de Montefquiou a prononcé fon Difcours
de Réception à la place de M. de Coëtlof
quet , Précepteur de la Famille Royale , &
ancien Evêque de Limoges. Les vertus de
ce digne Prélat & les bienfaits de cette
éducation dont la Nation recueille les fruits
de jour en jour , ont été dignement loués
& vivement applaudis. M. Suard , en qua
lité de Directeur , a répondu par un Dif
cours qui ne pouvoit être plus heureufement
adapté à la circonſtance ; il a parlé de
l'éclat aufli utile que glorieux que les Grands
peuvent répandre fur les Lettres , foir en
encourageant leurs travaux , foit en y coopérant
eux-mêmes . On fait avec quelle clarté
élégante cer Académicien s'eft accoutumé à
exprimer fes idées ; on a retrouvé dans fon
Difcours fa raifon aimable & fon ftyle ingénieux
& piquant. Il a été d'autant plus ap
plaudi , que la préſence de M. le Comte de
Haga , en augmentant l'éclat de cette brillante
Affemblée , ajoutoit au Difcours un
nouveau degré d'intérêt. Ce Prince a reçu
des deux Académiciens un tribut d'hommages
qui a été confirmé par les applaudiffemens
les plus vifs & les plus réitérés.
M. de la Harpe a lû enfuite un Chant
d'un Poëme fur les Femmes , fujet riche
DE FRANCE. 171
fans doute , mais par- là peut-être plus dangereux
à traiter. Souvent l'imagination du
Lecteur ou de l'Auditeur , exaltée par un
titre qui la féduit , en voyant au- delà de ce
que promet le fujet, exige au delà de ce qu'il
peut tenir. Voilà peut- être ce qui a dérobé
à M. de la Harpe une partie des applaudiffemens
qu'il auroit pu prétendre fous un
titre qui eût moins promis à l'imagination..
La Séance a été teriminée par la lecture de
quelques Fables charmantes de M. le Duc
de Nivernois , qui ont excité le plus vif enthoufiafme.
La fineffe des penfées , la vérité
du ftyle & la beauté de la morale.
y brillent par tout ; par tout les grâces
de l'efprit y font aimer les leçons de la
faine Philofophie. *
-
VARIÉTÉ S.
SUITE des Sermons de l'Abbé Poude ;
comparés à ceux de Bourdaloue & de
Maffillon.
JE n'ai comparé Maffillon à Bourdaloue , que ,
parce qu'il m'a paru jufte & utile de mettre ces deux
hommes à leur place. Je n'établirai pas de parallèle
entre Bourdaloue & l'Abbé Poule ; je n'aurois à
développer qu'une vérité qui me paroît toute évi-
Les Difcours fe vendent chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie , rue Chriftine . Prix , 24 fals
Hij
172 MERCURE
dente & toute fenfible , c'eſt que l'un manque abfas
lument des grandes qualités de l'Orateur , & que
l'autre les possède éininemment ; mais Maffillon &
l'Abbé Poule font de véritables objets de comparaifon
l'un pour l'autre , par la différence même de
leurs talens. Cependant , en embraffant toutes les
confidérations , il me femble que Maffillon mérite à
plufieurs égards cette plus grande eftime qu'on lui
accorde.
D'abord , il a répandu fon talent dans un plus
grand nombre de travaux. Il y a peut- être dans fa
Collection une vingtaine de Difcours qu'on relig
toujours avec une nouvelle fatisfaction . Peu d'Écri
vains font auffi riches en excellens Ouvrages . L'Abbé
Poule fur- tout l'eft bien moins. Il faut fe rappeler
plufieurs fairs fur fon caractère perfonnel , que j'ai
rapportés dans un précédent Extrait. Il étoit trèspareffeax
, foit par l'empire de fes goûts , foir par
une certaine difficulté dans fon efprit a ſe fair
de toutes fes forces . Il a prêché pendant trente ans
& il n'a jamais fait que douze Difcours , parmi lefquels
il y en a un tiers qui ne peuvent rien faire
pour la réputation.
Il étoit auffi peu inftruit qu'il étoit pareſſeux . On
fait que toutes les lectures fe réduifoient aux Livres
faints , dont il étoit rempli , & à un petit nombre de
Poëtes & d'Orateurs. Il n'en a pas été moins élo
quent , parce qu'on l'eft par fon âme & fon imagi
nation , & non par les connoiffances ; mais auffi
lorfqu'il ceffe d'être éloquent , il ne fe foutient pas
par
d'autres fortes de mérite. Il tiroit fouvent de cet
enthoufiafme qui le dominoit , de grandes vûes fur
fes fujets ; mais en général il cherchoit plutôt dans
fes plans un cadre à tous les beaux morceaux vers
lefquels il fe fentoit entraîné , qu'un développement
complet & précis de fes fajets. Si on dépouilloit fes
plans de toute l'éloquence qui les féconde & les
DE FRANCE. 173
anime, ils montreroient trop les bornes de fon cfprit;
j'en excepte le Sermon fur le Ciel, dont je parferai
tout- à- l'heure. Il procéde dans fes plans d'une
manière bien moins grande encore ; on eſt ſouvent
défagréablement furpris de voir des morceaux admirables
en eux-mêmes , amenés par ces formules ufées
qu'il emprunte des plus médiocres Prédicateurs , ou
qu'il partage avec eux ; mais il faut dire auffi que ces
bearx morceaux font communément de fi grandes
maffes dans le Difcours , qu'ils étendent leur impreffion
fur tout le Difcours. Maffillon avoit plus
d'étendue , de foupleffe dans l'efprit , & un art
plus favant & plus heureux.
Je ne puis m'empêcher de reconnoître encore à
Maffillon un avantage bien précieux & bien ho
norable , celui de mieux remplir l'objet d'un Prédica
teur , de mieux gagner les coeurs aux vertus qu'il en
feigne. Je fuis loin de dire que l'Abbé Poule eût un
coeur moins touché des vérités morales , & un zèle
moins pur & moins vif ; mais je crois qu'il fut donné
à Maffillon d'aimer davantage la vertu de la manière
qui fait le mieux en répandre le goût ; peut - être
auffi la nature de fon talent le favorifoit- elle dans
ce point fi intéreffant. Il entre mieux dans les replis
intimes de la confcience ; il s'appuie de raiſons
plus perfuafives ; il accorde mieux la morale avec le
fond de nos fentimens. Il eft l'Orateur du coeur.
L'Abbé Poule eft celui de l'imagination. Celui - ci
étonne , ébranle , tranfporte ; mais ces grands
effets tournent plutôt à la gloire de fon éloquence
qu'à l'efficacité de fes exhortations . Maffillon femble
choifir à deffein des impreffions moins vives , mais
plus durables. Rapprochez les Sermons fur l'Aumône
de ces deux Orateurs. Dans celui de Maffillon
, vous puifez ou des leçons ou des fentimens
qui trouvent fans ceffe où s'appliquer ; c'eft un
code de loix touchantes que vous emportez avec
Hiv
774
MERCURE
vous. Dans celui de l'Abbé Poule, vous trouvez des
figures fublimes , des mouvemens du plus grand
pathétique ; vous êtes plus frappé qu'inftruit , plus
ému que changé. Il me femble qu'il y a entre ces
deux Orateurs cette différence, qu'on ne peut guères
entendre l'un fans abandonner fon âme à la fincérité
& à l'onction de fes difcours ; au lieu qu'on
peut beaucoup admirer l'autre fans fe fourmettre à
fes leçons ; & , je le répète , cela tient effentiellement
à leur manière de fentir la vertu.
C'eft en citant beaucoup Maffillon , que j'ai
tâché d'expliquer les caractères propres de fon éloquence.
J'appuyerai auffi de nombreuſes citations
mon jugement fur le talent de l'Abbé Poule. Ce
qui me paroît le diftinguer & le placer dans la claffe
des plus grands Orateurs , c'eft un profond enthou
fiafme & une vive imagination . Tant que fon âme ou
fon imagination ne font pas éinues , il refte dans des
vûes & une manière communes ; mais dès qu'il s'échauffe
& s'anime, ce n'eft plus le même homme, c'eſt
un véritable Orateur, c'eft très- fouvent un Prophète . Il
lui vient de fublimes idées ; il fe place dans des attitudes
on tout ſon ſujet obéit aux impreffions de fon
âme. Alors fon difcours devient une fcène , où l'on
voit commencer, fe développer & finir une grande
action. C'eft tantôt un événement au milieu duquel
il fe transporte , tantôt une vifion à laquelle il fe
livre , tantôt un ordre du Ciel qu'il reçoit & qu'il
exécute . Alors ce ne font plus des idées qui s'enchaînent
à des idées , & des fentimens qui s'y mê,
lent ; tout eft image & mouvement ; & vous le voyez
fouvent atteindre fans ceffe de nouveaux degrés fur
ces hauteurs où fon génie l'a tranfporté.
Comme tous les grands talens , il offre un heureux
mêlange de grâce & d'énergie , d'abondance & de précifion.
On croiroit quelquefois que le fond de fon ſtyle
eft l'onction la plus aimable ; mais plus ſouvent encore
DE FRANCE. 175
il s'élève au ton le plus fublime. Il eſt aifé cependant
d'appercevoir que la force domine toujours
dans fon élégance. J'en donnerai pour exemple la
peroraifon de Yon Difcours fur les Afflictions.
1
23
Et ou en ferois- je , Seigneur , fans ce coup de
» votre miféricorde qui m'a jeté entre vos bras ? Je
le déclare à la face du ciel & de la terre , & pour
» l'intérêt de votre gloire ; il m'eft avantageux que
vous m'ayez humilié : Bonum mihi quia humiliafti
me. Je n'aurois jamais eu le courage de bri-
» fer tant de liens , de faire tant de facrifices , de
me foumettre à cette pénitence rigoureuſe. Vous
m'y avez forcé malgré moi. Comment reconnoîtrai-
je un fi grand bienfait ? Quid retribuam
Domino pro : omnibus qua retribuit mihi ? Vous
m'en fourniſſez le moyen. Je prendrai le Calice
d'amertume que vous me préfentez , & que vous
» avez confacré vous- même en y portant le pre-
» mier vos lèvres divines ; je le boirai jufqu'à la
lie. Il renferme un breuvage de falut pour moi ;
il eft le gage de votre amour , mon efpérance ,
» ma force , ma pénitence , na religion : Calicem
falutaris accipiam. Je mêlerai mes afflictions
avec vos humiliations & vos fouffrances. Vous
» mêlerez vos mérites infinis avec mon indignité &
» ma foibleffe , & par cette union ineffable , je
» ſouffrirai en hemme , je mériterai en Dieu : Ét
» nomen Domini invocabo. Si je vous demande ,
ל כ
Seigneur , d'éloigner de moi ce Calice de douleur
» & d'opprobre , ne m'exaucez pas ; il y va de mon
» falut. Défiez- vous de ma malice ; tenez- moi toujours
dans cette efpèce d'impoffibilité de vous
» offenfer. Frappez , il m'échappera peut- être quel-
´ques foupiis ; je les défavoue par avance. Ce
font les cris d'une nature aveugle qui veut fe
perdre. Je fuis un furieux ; arrachez - moi ces
» armes meurtrières dont je ne me fervirois que
39
Hiv
196 MERCURE
» pour me percer. Frappez ; périffent pour moi
le fiècle & fes enchantemens , & fes plaifirs &
» fes richeffes ; donnez- moi feulement la patience,
» & vous me rendrez plus que vous ne m'ôterez.
Frappez , & fortifiez-moi , n'ayez point d'égard à
ma délicateffe ; employez le fer & le feu ; appliquez
par- tout une opération de mort. Que le
vieil homme, avec fes inclinations corrompues ¿'
s'anéantifle fous vos coups. Frappez , & ne vous
* arrêtez pas. Ne vous contentez pas d'avoir com-
» mencé , ô mon Dieu ; achevez votre ouvrage , il
ne peut avancer que fous vos mains ; il périroit
dans les miennes. »
23
La Religion n'a pas de fentimens plus doux , ni
l'Eloquence d'expreffions plus vives . Ce n'eft
cependant pas là l'onction de Maffillon. Voyez
'comme il eft rapide dans la phrafe & dans l'idée ,
comme il paffonne fa réfignation même , comme il
y mêle une vigueur inattendue : Frappez ; il m'échappera
peut- être quelques foupirs ; je les défavoue
par avance. - Ce font les cris d'une nature aveugle
qui veut fe perdre. Appliquez par-tout une opéra
tion de mort. Remarquez encore comme il fait tirer
des effets des plus petits moyens. Périffent pour moi le
fiècle &fes enchantemens , &fes plaifrs & fes richesses.
En redoublant la particule & avec chaque objet , il
femble tirer de fon âme un nouveau détachement ,
& c'eft ainfi que l'on peut agrandir les impreffions
de l'Eloquence avec la feule coupe des mots. On
reconnoît bien ici que chaque Ecrivain conferve
roujours le caractère principal de fon talent , même
dans les choſes où il paroît entrer dans le goût & là
manière d'un autre Ecrivain.
L'Abbé Poule fe plaifoit auffi à peindre la beauté
le bonheur de la vertu ; mais l'amour de la
vertu dans cette imagination paffionnée , devenoit
DE FRANCE. 177
une ivreffe & fon bonheur une extafe. Ouvrons
fon Sermon fur le Ciel , dont voici l'Exorde.
30
30
לכ
Ecce merces veftra copiofa eft in Calis. Une
grande récompenfe vous eft préparée au Ciel.
Que faites - vous cependant , mes très -chers
» Frères , dans cette vallée de larmes ? Infenfibles
» aux voeux des premiers nés de l'Eglife qui vous
appellent, vous vous laiffez enchanter à la figure
du monde ; vous vous plaifez dans votre exil.
Que dis-je? Vous voudriez pouvoir le perpétuer.
Vous ne fongez feulement pas que vous avez
une autre patrie , ou vous n'y pensez qu'avec chagrin.
Eh comment pratiqueriez-vous les devoirs
pénibles du chriftianilme, fi vous en craignez jufqu'aux
récompenfes ? C'eft dans le defir du Ciel
que les Martyrs ont puifé cette intrépidité qui leur
faifoit braver la cruauté des tyrans. C'eft dans
l'efpérance du Ciel que des Vierges généreufes &
des Solitaires fervens ont quitté le monde , & fe
font quittés eux -mêmes pour s'enfevelir dans la
retraite. C'eft pour s'affurer la conquête du Ciel
» que tant de Saints ont embraffé les travaux rigoureux
de la pénitence. Vous auriez les mêmes
» vertus , fi vous aviez la même foi. Erfans des
hommes , jufqu'à quand aimerez - vous la vanité ,
» & pourſuivrez - vous le menfonge ? Cette félicité ,
après laquelle vous foupirez , n'eft pas où vous la
» cherchez. Elevez vos coeurs appefantis ; entrez
avec nous en efprit dans ce Royaume de la charité
, où tout eft faint , où tout eft pur , où tout
eft éternel, Nous allons , à la faveur des divines
Ecritures , vous découvrir une partie des fecrets
» de l'Eternité , & foulever un coin du voile myftérieux
qui vous dérobe sant de merveilles . Que ce
fpectacle doit être intéreflant pour des Chrétiens !
je ne fall f on cft jainais entré dans fon fija
HY
178
MERCURE
d'une manière plus heureufe. Il va vous parler du
Ciel , & déjà la douce paix , les délices éternelles de
ce féjour le font communiquées à fes idées , à fes
fentimens , à fes paroles. A la manière dont il nous
appelle vers le Ciel , on croiroit qu'il en defcend luimême.
Que faites - vous cependant , mes très - chers
Frères , dans cette vallée de larmes ? Le charme de
ce début pouvoit préparer un écueil à l'Orateur
par la difficulté de le foutenir pendant tout un difcours.
Eh bien ! ce charme ne fait que s'augmenter.
-Tout ce que l'âme la plus aimante , tout ce que
l'imagination la plus heureufe peuvent voir & fen
tir dans un tel fujet , fe développe & fe communique
dans fes tableaux . Ce que les fens ont de plus
vif dans leurs impreffions , lui fert pour décrire des
objets qu'ils ne peuvent atteindre. Les Cieux lui
font ouverts , & il vous y tranfporte avec lui . Ce
qu'il y a encore d'extraordinaire dans ce Difcours ,
où l'intérêt , ou plutôt l'enchantement s'accroît fans
ceffe , c'eft qu'il eft prefque entièrement composé
de paffages tirés des textes facrés ; mais ils y font fi
heureufement fondus , fi heureufement fupplées ,
qu'ils forment un tout parfait , & qu'ils reçoivent de
cet emploi une grâce & une beauté nouvelles. On
parte volontiers de ce qu'on aime vivement. J'ai
interrogé plufieurs perfonnes fur ce Difcours , qui
me paroît l'Ouvrage le plus accompli de l'Abbé
Poule , & une des plus délicieufes lectures qu'une
âme tendre & religieufe puiffe faire. Peu l'ont lû ,
peu l'ont affez goûté. Peut - être cette indifférence
tient- elle à une prévention affez jufte contre le
fujet; on peut craindre de n'y trouver qu'une ima
gination en délire ; mais jamais l'Abbé Poule n'a
réuni à tout fon talent tant de goût dans le ftyle &
tant de fagetle dans l'efprit.
J'ai dit que l'Abbé Poule s'élevoit fouvent aux
plus fublimes idées , & qu'il faififſoit dans ſon ſujet
DE FRANCE.
des vues toutes nouvelles . Le Sermon fur le Ciel eft
plein de beautés de ce genre ; mais une des plus
frappantes
eft ce morceau du Sermon fur la Foi.
« Le Chrétien , confidéré fous ce point de vûe ,
» eſt un être d'une espèce toute fingulière , qu'il eft
difficile de définir. Il n'appartient ni au temps ,
puifqu'il travaille fans ceffe à s'en détacher , ni à
l'Eternité , puifqu'il n'en jouit pas encore , & il
participe cependant de tous les deux.
» Homme du temps , il remplit exactement tous
fes devoirs : Monarque bienfaifant , il veille fans
relâche à la félicité des Peuples foumis à fon cmpire
; en rendant fes Sujets heureux , il a trouvé le
vrai , l'unique moyen de les multiplier : Citoyen
» zélé , il confacre fes travaux , fes talens , & , s'il
le faut , fes jours même à l'avantage de la patrie :
époux fidèle , il refpecte religieufement les faints
» noeuds qui l'enchaînent : père doublement père ,
s'il ne gravoit de bonne heure fes vertus dans le
coeur de fes enfans , il regarderoit le jour qu'il
leur a donné comme le préfent le plus funefte ;
ainfi paffe d'âge en âge l'héritage précieux de fa
juftice : protecteur généreux , il eft le défenfeur
de l'innocent , l'appui du foible , le refuge de la
» veuve & de l'orphelin , l'arbitre des différends , le
rémunérateur du mérite. Riche , compatiffant &
→ libéral , il répare les malheurs des temps ; il fou
» lage l'indigence ; il borne la mendicité , il aide le
节
travail ; il vivifie les afyles de miféricorde. Homme
≫ de l'Eternité , il relève toutes les actions par la
fublimité des motifs qui l'animent & de la fin
» qu'il fe propofe , il voit Dieu dans tout & par-
» tour , & il ne voit que Dien. Homme du temps,
des tentations fans nombre l'affiègent ; les fcandales
offenfent la pureté de fes regards ; des
exemples éclatans alarment fa vertu ; l'impiété
lui fait entendre fes blafphêmes ; mille objets
Hvj ´
180 MERCURE
C
» féducteurs dreffent fous fes pas des embûches
» fecrètes ; l'ange des ténèbres , ce lion rugifant , le
pourfuit comme une proie qu'il eft avide de dévo-
20 rer, & fans fortir de lui-même , fes paflions lui
déclarent une guerre inteftine & perfévérante.
2 Homme de l'Eternité, il lève les yeux vers la
montagne fainte , d'où lui viennent les grâces &
les fecours ; il fe couvre du bouclier impénétra-
» ble de la Foi ; il fe foutient , il le défend par fes
prières & par fes espérances. Homme du temps ,
» des perfécutions troublent la férénité de fes jours ;
23
20
פ כ
19
23
la calompie fe fait un jeu cruel de noircir la répu-
» tation ; l'injuftice lui difpute les biens , & quelquefois
l'en dépouille ; des difgrâces inattendues
renverfent de fond en comble l'édifice de fa fortune
; heureux , il avoit des envieux ; malheu
reux , il n'a plus d'amnis. Il languiroit abandonné
» dans le creufet des tribulations, s'il n'étoit accompagné
de fa vertu . Homme de l'Eternité , qu'auroit-
il à redouter de cette confpiration générale !
Ses ennemis font fur la terre ; il eft prefque dans
» le Ciel. Il voit fans émotion fe former fous fes
pieds ces orages impuiffans . Il fait d'ailleurs que
les épreuves font nécefaites ; il contemple la cou-
» ronne de juftice qui l'attend après le faint combat
de la Foi , ce grand combat de toute la vie .
» Homme du temps , il paffe triftement à travers
l'inépuisable menfonge du monde , ce féjour fabu
leux & variable où tout eft inconftant ou faux :
promeffes , engagemens , biens , gloire , titres ,
paroles , fermens , joies , larmes , vertus même,
où l'on ne trouve de réel , de ftable que la haine,
l'intérêt , l'ambition , la volupté , l'orgueil , paffions
perpétuelles & fouveraines , qui , fe reproduifant
fous toutes fortes de formes , hormis leur
forme naturelle , varient à l'infini la scène changeante
du monde , réfiftent à l'effort des loix hue
D
f
DE FRANCE. 181
93.
maines , des fiècles , de la Religion , réuniffent &
divifent les hommes , & font de la Société un
compofé monstrueux de Palais & de prifons ,
d'Eglifes & de théâtres , de réjouiflces & de
» calamités , de politeffes & de perfidies , de mariages
& de divorces , de luxe & d'indigence ,
» d'une enveloppe d'agrémens fuperficiels & d'un
22
33.
abyme d'horreurs profondes. Quelle demeure
» pour un citoyen du Ciel ! Homme de l'Eternité ,
» il foupire , avec faint Paul , après la deftruction
» de ce vafe d'argile qui l'attache à tant de vanités
30
,
& de misères. Il dir avec le Prophète : Qui me
» donnera les aîles de la colombe ? Ah ! comme je
» fortireis de cette terre de malédiction , de ce
pays des apparences ! J'irois , je m'éleverois & je
me repoferois dans le fein de la paix & de la vé
» rité. Homme du temps & de l'Eternité tout en-
» femble comme ces Anges que Jacob vit en
fonge, lefquels moutoient fans celle fur l'échelle
» myftérieufe , & fans ceffe en defcendoient ; il
vole au Ciel pour jouir ; il revient fur la terre
pour mériter; il revole au Ciel par toute fon
» âme ; il retourne fur la terre lentement , à regret ,
» & entraîné par le fardeau des befoins & des né-
» ceffités,
23
Il y a peut-être quelques longueurs , quelques
idées & quelques tournures communes dans le commencement
de ce morceau . Mais dans un morceau
fi grandement conçu , fi fortement exécuté , les
beautés de l'enfemble couvrent toutes les imperfections
de détail , & il feroit petit de s'en offenfer
affez pour avoir le befoin de les critiquer.
J'ai encore un autre mérite à développer dans
l'Abbé Poule , celui de ces belles attitudes où il fait fe
placer pour déployer toute la véhémence d'unvéritable
Orateur, & toute l'autorité d'un Miniftre de l'Evan
gile, La feconde Partie du Sermon fur la Parole de
782 MERCURE
Dieu eft admirable par cette efpèce de beautés 3
j'en citerai la fin toute entière. Ce qui eſt auſſi beau
ne peut être trop long.
29
35
33
сс
Après le retour de la captivité , Efdras monta
fur un lieu élevé pour y faire la fimple lecture de
la loi aux Ifraélites affemblés . Tous les mots qu'il
prononçoit leur rappeloient les bienfaits de Dieu ;
» ces bienfaits leur reprochoient leurs prévarications
; leurs prévarications leur préſentoient les
menaces des châtimens mérités ; l'image de ces
» châtimens excitoit leur terreur. Confus de leur
ingratitude , épouvantés du poids de la colère du
» Seigneur dont ils étoient menacés , ils ne répondoient
à tous les articles de la loi que par leurs
» larmes & par leurs fanglots . Et les Lévites ! ....
» Les Lévites étoient obligés d'aller de rang en
rang, & de leur dire : Faites filence , & ceffez de
vous affliger: Tacete & nolite dolere. Des foins
» bien différens occupent à ' préfent les Miniftres
évangéliques . Une loi plus parfaite vous eft annoncée
; des infractions plus énormes vous font
reprochées des châtimens plus affreux vous
» font préparés . Verfez vous une feule larme ?
» Pouffez-vous le moindre foupir ? Faifons- nous
fur vous la plus légère impreffion ? Eh quoi !
Nous prononçons à des criminels leur fentence
de mort , & de mort éternelle ; nous leur mon→
trons le glaive du Seigneur fufpendu fur leur
» tête ; nous ouvrons aux yeux de leur foi les
abymes de l'enfer prêts à les engloutir ; nous
menaçors , nous éclatons , nous tonnons. Ah !
» nous nous attendons d'être interrompus par leurs
gémiffemens & par leurs cris ; nous nous préparons
à modérer les mouvemens trop impétueux
» de leur crainte & de leur défeſpoir excités par des
images fi terribles . Et que voyons - nous ? Des
Auditeurs infenfibles , que les objets les plus inté
:
DE FRANCE. 183
reffans de la Religion n'attachent pas , & qui
» s'endorment au bruit de nos anathêmes ; des Au-
» diteurs volages & légers , que tout diffipe , dont
» l'attention nous échappe à tout moment , & que
» nous ne faurions fixer ; des Auditeurs inquiets , à
» qui notre miniftère pèfe , qui nous écoutent im-
» patiemment , & ne foupirent qu'après la fin de
nos Difcours ; des Auditeurs prévenus , déterminés
par avance à ne nous pas croire , qui font un
pacte avec eux mêmes de ne fe pas laiffer toucher
, encore moins convertir , & qui ne pren-
» nent de nos inftructions que l'amufement ; des
Auditeurs facrileges, qui font une espèce d'affaut
→ avec nous , qui bravent avec intrépidité les traits
» de notre centure , qui ne rougiffent pas d'étaler en
ร ว
19
ces faints lieux toutes les mondanités du fiècle que
» nous anathématifons, qui , par l'indécence de leur
» maintien, raffurent les confciences timorées contre
» les terreurs de notre ministère , & jufques fous
» nos yeux , nous difputent effrontément la conquête
des âmes ; des Auditeurs , ou plutôt des
Spectateurs , qui affiftent feulement à nos inftrucstions
, & ne les écoutent pas des Auditeurs fuper-
» ficiels , peu frappés de la rigueur de nos arrêts ,
» uniquement occupés de la manière dont nous les
exprimons; des Auditeurs critiques , obfervateurs
" févères de nos défauts , qui examinent avec ſoin
» tous nos geftes , difcutent avec rigueur tous nos
» raifonnemens , pèfent avec fcrupule toutes nos
expreflions , & fongent moins à profiter de pos
exhortations qu'à les blâmer. A quoi étions - nous
donc deftinés ? Et qui le croiroit ? Du milieu de
→ ces difciples que nous inftruifons & de ces crimi-
» nels que nous condamnons, s'élève un tribunal re-
» doutable , devant lequel on nous traduit. Et tan-
» dis que de la part de Dieu nous jugeons les autres
و د
Jce
en tremblant , à regret , & peut-être pour l'éter
くだ
處
184 MERCURE
"
» nité , on noas juge impitoyablement nous- mêmes.
Et quel droit avez - vous fur nous ? Sommes - nous
s des Orateurs baffement orgueilleux qui venons
mendier vos applaudiffemens ? Vos applaudiffemens
! Comme Chrétiens , nous devons les craindre
; ils pourroient nous féduire comme Miniftres
de Jéfus - Chrift , nous les méprifons ; ils nous
dégraderoient. Vos applaudiffemens ! Pour payer
nos veilles , nos travaux , nos fueurs ! nous les mettons
à un plus haut prix. Il nous faut les plus grands
facrifices , des larmes amères , des fentimens de
componction , des coeurs humiliés , brifés dé
" douleur & de repentir . Vos applaudiffemens ! A
vous , Seigneur , l'honneur & la gloire à nous ,
dirons -nous, le mépris ? Non , notre miniſtère en
fouffriroit ; mais à nous l'oubli . Eh ! que fom- '
mes-nous fans votre grâce ? Un airain fonnant
, des cymbales retentiffantes , la voix qui
crie au défert : Nous pouvons tout au plus amufer
l'efprit , flatter les oreilles ; vous feul parlez au
99
20
55
t
T
coeur.
Tels font cependant les fruits ordinaires de
», notre miffion , ou l'ennui , ou le dégoût , ou des
cenfures , ou des éloges. Et quoi , mes ,très - chers
Frères , jamais de converfion , jamais de converfion
! Devons - nous renoncer à cette douce
efpérance , la feule récompenfe digne du miniftère
que nous exerçons ?
*
33
93
Si un infidèle, à qui notre fainte Religion & la
langue que nous parlons feroient inconnues, entroit
tout- à-coup dans cette Églife , & qu'il nous
vit , nous , émus , enflammés , tantôt nous livrer à
» toute l'impétuofité de notre zèle , tantôt étendre
» les bras vers vous dans une pofture de fuppliant
, tantôt élever nos regards vers le Ciel ,
* tantôt accompagner nos inflances de fanglets &
de larmes , & qu'il vous vit , vous , tranquilles ,
DE FRANCE. 185
indifférens , peut- être diftraits , prêter à peine
l'oreille à nos fupplications preffantes & redoublées
, ne s'imagineroit-il pas que c'eft an criminel
déjà condamné, qui tâche par toutes fortes de
» moyens d'attendrir , de fléchir une multitude de
juges infenfibles à fon infortune ? Cet infidèle ne
fe tromperoit qu'en partie , mes très- chers Frères.
Oui , nous voulons vous fléchir , mais pour
vous-mêmes. Oui , il s'agit ici de votre intérêt, &
as de votre intérêt le plus cher , puifqu'il s'agit de
→ votre falut éternel & de la gloire de Dieu .
D
לכ
» Levez-vous , grand Dieu , votre gloire l'exige ;
nous vous remettons notre miniſtère ; il eft prefque
fans force fur nos lèvres. Nous annonçons
» votre parole ; mais nous n'avons pas votre voix.
Faites vous-même ce que nous ne pourrions ac-
» complir. Voilà les prévaricateurs de votre loi ; ils
font enfin fortis de leurs retranchemens & de
leurs forts : attirés par la curiofité , ils font entrés
dans votre Temple ; ils y font enfermés.
» Nous ne demandons pas que vous envoyiez un
Ange exterminateur pour les détruire ; ils font
nos Frères. Nous ne demandons pas que vous
armiez contre eux les mains facrées de vos Lévites
, comme vous fites autrefois contre l'impie
& barbare Athalie ; vous êtes un Dieu de paix ,
» la miféricorde même ; vous avez des vengeances
» fi douces, des vengeances qui font des bien-
"
faits. Convertiffez & n'exterminez pas. Votre
» parole a -t- elle donc perdu toute fa force ? Elle
» a tiré le monde du néant ; elle a pu des pierres
mêmes fufciter des enfans à Abraham ; elle a
» rappelé Lazare à la vie ; d'un perfécuteur elle en
a fait un Apôtre ; ne pourroit- elle pas de vos
» ennemis ( ils font déjà Chrétiens ) en faire au-
• tant d'adorateurs en efprit & en vérité ? Vous
» devez ce prodige au crédit de notre miniftère, qui ,
ל כ
186
MERCURE
» s'affoiblit de plus en plus ; mais ne différez pas.
» Nous ne retenons encore ces pécheurs que par
» effort : dans quelques momens ils vont nous échapper
; peut - être..... ne leur en donnez pas le
temps. Que votre voix les terraffe fur le chemin
» de Damas , & qu'ils ne fe relèvent avec Paul, que
pour aller trouver un autre Ananie qui les con-
» duife dans les voies de la pénitence. »
ככ
Quelle élévation , quelle majefté ! Voyez d'abord
ce beau contrafte entre la confternation des Juifs au
récit de leurs prévarieations , & l'endurciffement des
Chrétiens actuels , & quelle vigueur dans le tableau
de leur infenfibilisé à la parole divine ! Comme
tous les traits les plus frappans en font faifis & préfentés
: Des Auditeurs qui s'endorment au bruit de
nos anathêmes... qui nous difputent effrontement la
conquête des âmes.... obfervateurs févères de nos
défauts , &c. Comme il s'arrête à ce dernier trait !
Comme il s'indigne de n'être qu'admiré ! Enfuite il
vous repréſente un infidèle entrant dans un de nos
Temples , & c'elt avec cette image de la plus heureuſe
invention, qu'il achève de confondre les Auditeurs.
Mais bientôt du fond de cette cenfure même ,
il tire un retour de charité vers eux : Vous ne vous
trompez pas , nous voulons vous fléchi:, mais pour
vous-même. Enfin , il fait une invocation à Dieu ,
& voyez fur quoi il la motive : Vos ennemis font
enfin fortis de leurs retranchemens ; ils font entrés
dans votre Temple .... convertiffez- les .... vous
devez ce prodige au crédit de notre ministère ....
mais ne différez pas ; nous ne retenons ces pécheurs
que par effort.... ils vont rentrer dans la corruption
du fiècle.... peut- être.... ne leur en donnez pas le
temps...... Voilà , ce me feinble , de la plus fublime
Eloquence. Il n'y a peut-être que Boffuet qui s'élève
à une plus grande hauteur , & qui s'y foutient
plus long-temps.
DE FRANCE. 187
Quand on fe recueille dans le featiment de
tant de beautés , on reconnoît avec plaifir que
l'Abbé Poule nous fournit un grand Homme de
plus à compter dans notre fiècle. Quoiqu'il ait peu
travaillé , quoiqu'il n'ait pas donné à fes Ouvrages
toute la perfection dont il étoit capable , on peut
dire néanmoins qu'il a honoré la Littérature de fa
Nation . Loin d'être affez admiré , il n'eſt pas même
affez connu . S'il eft doux de rendre juftice à un
grand talent , il l'eft encore davantage de la lui
faire rendre , & j'avouerai que c'eft la fatisfaction
que j'ai ofé me propofer dans cet Ecrit. Malgré un
Extrait de M. de la Harpe fur les Sermons de
l'Abbé Poule , plein de goût & d'une jufte admiration
, j'ai cru qu'il pouvoit encore être utile d'offrir
de nouveau ce ſujet à l'attention de ceux qui aiment
& fentent encore la véritable Eloquence.
Quelques Réflexions fur l'Eloquence de la Chaire
dans un autre Mercure.
ANNONCES ET NOTICES.
ON vient de mettre en vente à l'Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , à Paris , l'Hiftoire Naturelle des
Minéraux , par M. de Buffon . Teme Deuxième in-4®.
Prix , 15 liv. en feuilles , 15 liv. 10 fols broché ,
17 liv. relié.
Le Vingt-quatrième Cahier des Quadrupèdes enluminés
, prix , 7 liv. 4 fols.
HISTOIRE générale de la Chine , ou Annales de
cet Empire , traduites du Tong-Kien- Kang-Mou ,
par le feu Père Jofeph- Anne- Marie de Moyriac de
Mailla , Jéfuite François , Miffionnaire, à Pékin ,
revues & publiées par M. le Roux des Hautes188
MERCURE
Rayes , Confeiller , Lecteur du Roi , Profeffeur
d'Arabe au College Royal de France , Interprête de
Sa Majefté pour les Langues Orientales ; Ouvrage,
enrichi de Figures & de nouvelles Carres Géogra
phiques de la Chine ancienne & moderne levées par
ordre du feu Empereur Kang Hi , & gravées pour
la première fois , Tomes XI & XII. A Paris , chez
Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi , rue
Saint Jacques.
1
Les deux Volumes que nous annonçons termi
nent ce grand Ouvrage . Il eft traduit du Chinois ;
& la manière dont on fait que l'Hiftoire s'écrit dans
la Chine , en nous garantiflant la vérité des événemens
, nous met à portée de connoître ce Peuple fi
extraordinaire , & dont on a parlé fi diverſement.
Le dernier Volume contient la Table alphabétique ,
précédée des Nien- Hao, ou noms que les Empereurs
ont donnés aux années de leurs règnes , d'une Nomenclature
Géographique , &'de trois Mémoires ou
Notices Hiftoriques fur la Cochinchine , fur le
Tong-King & fur les premières entreprifes contre
les Chinois.
PROSPECTUS de la parfaite Intelligence du
Commerce , ou Traité complet & portatif de la
Science des Négocians , 2 Vol. in-8 ° . de plus de
800 pages chacun. Prix , 18 livres , & pour les Soufcripteurs
12 livres , dont 6 liv, en fe faifant inferire,
3 liv. en retirant le Tome I , & 3 liv. en retirant le
Tome II. A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des
Auguftins , & chez les principaux Libraires de France
& des Pays étrangers.
Si cet Ouvrage, qu'on propofe par foufcription, eft
bien exécuté , comme on l'affure , il fera de la plus
grande utilité aux Banquiers , Agens de Change ,
Notaires , Gens d'Affaires , &c. Il fera divifé en
quatre Parties ; la première contiendra un précis de
DE FRANCE. 139
la Géographie moderne ; le fecond un Dictionnaire
contenant des renfeignemens fur plus de dix mille
Villes , Lieux & Contrées commerçantes des quatre
parties du Globe ; le troisième un Dictionnaire pour
les termes généraux de commerce , & pour les réglemens
, ftaturs , &c. qui y font analogues ; la
quatrième enfin traitera des poids , mefures , &c. ,
foires , marchés , productions locales , droits à percevoir
, tarifs , Jurifdictions Confulaires , ordre des
Courriers , tableau des voitures publiques , indication
des découvertes modernes , &c , & l'on fe propofe
de profiter encore , pour la perfection de l'Ouvrage
, de tous les avis qu'on pourra donner à
l'Éditeur.
PETITE Bibliothèque des Théâtres , n °. 8. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte Saint
Roch , où l'on foufcrit , comme chez Belin , Libraire
, rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rue
de Marivaux , Place du Théâtre Italien .
Le huitième Volume de cette intéreffante Collec
tion renferme une Pièce en cinq Actes , les Amis
démafqués , d'Autreau , Pièce qui n'a jamais été
jouée , qui n'a même été imprimée qu'après la mort
de l'Auteur ; avec trois petites Pièces , la Magie de
L'Amour , agréable Paftorale du même , Ouvrage
de fa vieilleffe , qui eut du fuccès à la repréfentation
; les deux autres petites Pièces , le Cercle & le
Somnambule font auffi jolies qu'elles font connues.
Le Cercle eft de Poinfinet , cet Auteur fi mystifié de
fon vivant ; le Somnambule eft attribué à M. le
Comte de Pont-de- Veyle.
Les nouveaux Rudimens de la Langue Latine ,
par M. Mathieu , Profeffeur du Collège de Gy. A
Paris , de l'Imprimerie de Cailleau , rue Galande .
La clarté & la précision que le Cenfeur de cet
190 MERCURE
Ouvrage y reconnoît , peuvent le rendre utile dans
les Colléges.
DEUX Médaillons d'un plâtre très - fin , du Roi
de Suède, &fon revers de Médaille à cheval. Prix,
15 fols la pièce fans glace . A Paris , chez Lauraire ,
de l'ancienne Académie de S. Luc , rue des Prêtres
S. Germain l'Auxerrois .
Le Vignole moderne , ou Traité élémentaire
d'Architecture , troisième Partie , par J. R. Lucotte ,
Architecte. A Paris , chez les Frères Campion
Marchands d'Eftampes , rue Saint Jacques,
Ville de Rouen.
la
Dans cette troisième Pastie font expliqués les
principes & la manière d'appliquer aux édifices les
cinq ordrés de J. B. de Vignole.
L'AMOUR Phyficien , ou l'origine des Ballons ,
Comédie en un Acte & en profe , repréfentée pour la
première fois à Paris , fur le Théâtre de l'Ambigu
Comique , le premier Janvier 1784. Prix , 1 liv.
4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur- Libraire ,
rue Galande.
Ce que nous venons de voir inventé par la connoiffance
de la Phyfque , fe fait par amour dans
cette Comédie , c'eft un amant qui imagine un ballon ,
& qui s'en fert pour enlever fa maîtreffe. ,
On trouve à la même adreffe l'Avocat Chanfonnier
, ou qui compte fans fon Hôte compte deux
fois , Comédie Proverbe , par M. d'Orvigny , repréfentée
fur le même Théâtre. C'eft une eſpèce d'Avocat
Petit-Maître , qui compte für plufieurs foupers ,
& qui finit par n'en pas trouver un. Il y a dans
cette bagatelle de la gaîté & un dialogue vraiment
comique.
DE FRANCE. 191
NUMERO f du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Prix , 2 liv . féparément. L'Abonnement
eft de 15 livres , & 18 livres pour la Province. A
Paris , chez le fieur Bornet l'aîné , Marchand de
Mufique , au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires.
Ce Journal contient des Airs de toute efpèce arrangés
pour deux Violons ou un Violon & un
Violoncelle ; il paroît régulièrement le premier de
chaque mois.
SIX Trios concertans pour Flûte , Alto &
Baffe ,, par M. de Vienne le jeune , Muficien de la
Chambre de Mgr. le Cardinal de Rohan. Prix
7 liv. Paris & la fols Province franc de port
4 pour
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverfiere
Saint-Honoré.
NUMERO 5 du Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
Abonnement , 15 liv . port franc par la poſte. Même
Adreffe.
Ce Numéro contient un Air & un Menuet de la
Caravane. Le petit Air , mon cher André, de
Théodore & Paulin , & un Air du Droit du Seigneur.
GALATHÉE , ou Recueil de douze petits Airs
pour un Deffus , avec Accompagnement de Forte-
Piano , tirés du Roman de Galathée , & mis en
mufique par M. G. Prix , 7 livres 4 fols . A Paris
chez M. Leduc , rue Travelfière- Saint- Honoré , au
Magasin de Mufique.
>
Ces petits Airs ont une grâce naïve qui les rend
très-dignes des paroles, Ils font précédés de ftances
dédicatoires remplies d'une délicatefle qui fatt reconnoître
l'Auteur de la Confeffion de Zulmé,
OUVERTURE de Didon , arrangée pour le Forte-
L
192 MERCURE
Piano , Violon ad libitum , par M. Mezguer. Prix ,
3. liv. Ouverture de la Caravane , idem , arran
gée par M. Céfar. Prix , 2 lív. 8 fols . A Paris , chez
M. Boyer, rue Neuve des Petits - Champs , près celle
Saint Roch , n° . 83 , & Mme Lemenu , rue du
Roule , à la Clé d'or.
"
I HUIT Numéros du Journal de Guittare , conte-
Rant différens morceaux. avec Accompagnemens ,
la plupart de M. Porro. On foufcrit pour ce Journal
, qui paroît très- exactement , chez M. Baillon ,
tue Neuve des Petits - Champs , au coin de celle de
Richelieu .
JOURNAL de Violon , ou Recueil d'Airs nouveaux
arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Prix de l'année entière 18 livres à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque Cahier 2 livres 8 fols,
A Paris , chez M. Baillon, Même Adreſſe..
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
Au Comte deHaga , 14 | Académie Françoiſe ,
170
Vers contreles Vieillards, 146 Suite des Sermons de l'Abbé
Charade, Enigme & Logogry Poule ,
phe , 149 Annonces & Notices ,
Les Veillées du Château , 1511
APPROBATION.
171
187
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 26 Juin . Je n'y ai
rien trouvé qui puiſe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
le 25 Juin 1784 GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANNEMARCK,
DE COPENHAGUE , le 8 Mai.
N s'occupe dans cet Arfenal de l'exécution
de l'ordre du Roi pour équiper l'ef
cadre de 6 vaiffeaux de ligne & de 8 frégates
, qui doivent être mis en état de partir au
premier ordre; on enrole des matelots dans
toutes les Provinces de ce Royaume ; & de
pareilles levées fe font dans la Norwege .
Les Officiers de cette efcadre font déja nommés
; elle fera fous les ordres de l'Amiral de
Fontenay. Lorfqu'elle fera prête , on équippera
4 autres vaiffeaux de ligne , & un cutter
qui refteront armés en rade.
Le Régiment du Corps fait fes difpofitions
pour fe rendre à Hellingor , où il a
reçu ordre de fe porter.
Le fenaut la Fama , Capitaine Brig , eſt en
rade : il eft deftiné à fervir de vaiffeau de
garde dans le Belt .
No. 23 , 5 Juin 1784.
( 2 )
Les Ordonnances contre les émigrations
ont été renouvellées dernierement , & les
peines ont été aggravées.
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 20 Avril.
La Religion Catholique Romaine n'a
point eu d'exercice public dans ce Royaume,
depuis le regne de Guftave Waza , c'eſtà
-dire , depuis plus de 250 ans ; ceux qui la
profeffent , n'avoient d'autres Eglifes que les
Chapelles des Miniftres des Cours Catholiques
. En 1779 les Etats du Royaume accorderent
une entiere liberté de confcience :
& en 1781 le Roi accorda aax Catholiques
le libre exercice de leur Religion .
Le Pape ayant été informé de cet événement
envoya en Suède M. Pafchal Ofter , Docteur
en Théologie , du diocèfe de Metz , en qualité
de Vicaire Apoftolique , pour régler les affaires
des Catholiques de ce Royaume. Arrivé dans cette
Capitale au mois de Juillet de l'année derniere ,
préfenté au Roi auquel il remit une lettre du
Souverain Pontife , il en obtint des lettres patentes
qui l'autorifoient à remplir les fonctions dont
il étoit chargé. A une affemblée des Catholiques
de cette Capitale qu'il convoqua le 8 Février
dernier l'on a nommé pour l'aider dans fes travaux
quatre Sur - Intendants qui font MM . le
Fevre , Gouverneur des Pages des Princes , freres
du Roi , Capitaine au fervice de France , Uttini ,
Sur- Intendant de la Mufique du Roi , Schurer &
Heffe , Négocians. En attendant que l'Eglife
( 3 ) L
que le Roi leur a permis de bâtir foit conftruite
, S. M. leur a bien voulu céder une grande
falle de la maifon de Ville. L'inauguration de
cette chapelle s'eft faite le jour de Pâque par
le Vicaire Apoftolique , fecondé par MM . Dahmin
& d'Ibarraram , Ecléfiaftiques attachés à la
légation de Vi nne & à celle d'Espagne , les feuls
Prêtres catholiques qu'il y ait ici. La meffe qui y
a été célébrée pour la premiere fois , a été
chantée par la mufique du Roi , ainfi que le Te
Deum qui l'a été après les vêpres. Le Duc de
Sudermanie , frere du Roi , a affifté à cette folemnité
, ainfi qu'un grand nombre de perfonnes
de diftinction ; & la Comteffe de Wrede , Dame
d'honneur de la Reine , a diftribué le pain béni .
M. Ofter prononça à cette occafion un
difcours , dans lequel il expliqua d'une maniere
très-fuccincte , toutes les prieres , les
cérémonies & les rits adoptés pour le Service
divin des Catholiques ; il faifit cette occafion
de rappeller les vues bienfaifantes du
feu Roi , auxquelles on doit dans le principe
cet efprit de tolérance, qui depuis eft devenu
général en Suede .
» La réfolution des Etats en 1779 , ajoutà
M. Ofter , eft une preuve non équivoque de fes
progrès. J'ai eu moi - même plus d'une fo's occafion
de m'en convaincre . Je me fais un devoir
de rendre un hommage public aux difpofitions
qui caractériſent fi bien les lumieres & les vertus
fociales de cette Nation Nos neveux béniront
dans le nouveau temple les cendres de
ceux qui ont contribué à leur procurer le bien
fait de ce rétabliffement ; l'hiftoire tranfmettra
leurs noms à la Poftérité ; elle ne les prononcera
--
a 2
( 4 )
qu'avec attendriffement ; elle aimera autant que
nous les qualités bienfaifantes de Guſtave III ,
qui n'eft pas moins chéri de l'étranger que du
Suédois ; il ravira les fuffrages de nos defcendans
comme il ravit les fentimens & les coeurs de fes
contemporains ; ils n'entendront jamais fon nom
fans verfer des larmes que la joie & la gratitude
feront couler.... La conduite du digne Chef.
qui dirige la barque de J. C. avec autant de
fagefle que de piété , qui eft occupé à conferver
les dogmes dans leur pureté originelle , à
maintenir les pieufes folemnités du culte &
l'exactitude de la difcipline , à procurer par là
la fanctification des ames , nous avertit bien hautement
qu'il faut rendre à Céfar ce qui appartient
à Céfar »,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 18 Mai.
L'opinion générale ici , eft que l'Empereur
fera rétablir le port d'Anvers , & aflurera
à fes fujets la libre navigation de l'Efcaut ;
l'exécution de ce plan femble être le but de
tout ce qui s'eft paffé , & de ce qui fſe paſſe
encore dans la Flandre Autrichienne.
S. M. I. , par un Réglement qui vient de
paroître , a affujetti les fucceffions ouvertes
à des parens collatéraux dans le Tyrol , à un
droit de ro pour cent , payable au Fifc . Ce
Réglement , dit - on , aura auffi lieu dans
l'Autriche.
Les droits d'entrée impofés ci devant fur
(3 )
la farine & les boeufs de Hongrie , viennent
d'être retirés .
La Commiffion , chargée de la cenfure
des livres , pour remédier à l'abus que
l'on n'a pas manqué de faire de la liberté
de la preffe , vient d'arrêter que les Auteurs
, ou les libraires , en remettant à la
Commiffion les Manufcrits qu'ils fe propofent
de faire imprimer , dépoferont en même
temps 6 ducats . Si le Manufcrit enfuite n'eft
point approuvé , cette fomme fera perdue
pour eux , & confifquée au profit des pauvres.
Les émigrations qui fe font de différentes
parties de l'Empire , au profit des Etats Autrichiens
, où fe rendent prefque tous les infortunés
, que la mifere force de s'expatrier ,
ont beaucoup augmenté depuis les dernieres
inondations qui ont caufé par-tout tant de
dégats. On voit arriver prefque journellement
ici des familles qu'on partage en trois
divifions , qu'on envoye les unes en Hongrie
, les autres dans la Bohême , & pluſieurs
dans la Pologne Autrichienne ; l'Empereur
fait donner à chacun de ces émigrans 2 florins
par jour ; & ils trouvent quand ils font
rendus au lieu de leur deftination , des maifons
, des terres , des matieres , & des inftrumens
de labourage.
Il circule ici un Etat imprimé de la popu
lation de cette Capitale ; il differe de quelques
autres qui ont déja paru ; celui-ci a été
a 3
( 6 )
fait à la fin du mois de Février ; en voici le
réfultat. 5378 maifons , 45928 familles
compofant 254181 individus , au nombre
defquels on compte 2139 Eccléfiaſtiques ,
12530 Militaires avec leurs familles , &
30550 Etrangers , Grecs-unis & Juifs.
DE HAMBOURG , le 18 Mai.
La plupart de nos papiers continuent à
préfenter des apparences de troubles & de
divifions. Selon eux, les derniers arrangemens
pris avec les Turcs , n'écartent pas encore
les fujets d'inquiétude ; toutes les Puiflances
intéreffées ne font pas également fatisfaites :
ils obfervent , que l'armée Autrichienne
affemblée fur les frontieres , n'eft pas encore
féparée , & qu'il n'y a que quelques Régimens
qui aient été renvoiés dans leurs quartiers
de cantonnement . D'un autre côté on
prétend que la Porte n'eft pas fans défiance ,
& on fcait qu'elle continue fes préparatifs
de guerre
.
7 C'eft à une influence particuliere , lit - on dans
une lettre de Berlin , qu'on attribue la lenteur
des négociations avec les députés de Dantzick ;
on efpere peut- être par là d'occuper le Roi de
cette affaire , & de détourner fon attention, de
quantité d'autres qu'on craint qu'il ne ſurveille
de trop près ; on ne croit pas que ce plan ,
s'il a été formé , ait quelque fuccès. Quoique
tout foit tranquille en apparence , il y a des
mouvemens dans les cabinets , & certainement le
Roi ne perd pas de vue les grandes affaires qui
(7)
s'y traitent relativement à toute l'Europe en gé
néral , & à l'Allemagne en particulier .
P
Les lettres de Conftantinople n'offrent
que les détails fuivans à la curiofité.
Le Conful de Ruffie qui réfide à Buccharest
une de principales Villes de la Wallachie , a
porté des plaintes au Grand Seigneur contre
l'Hofpodar , qu'il accufe de vexer les peuples
qu'il gouverne par des extorfions . S. H. a trouvé
fingulier qu'un étranger pri : la défenſe de fes
propres fujets , & le mélât des affaires intérieures
du Gouvernement d'une province Ottomane ;
elle avoit quelque répugnance à faire attention
à fes représentations. Cependant les
circonftances exigeoient des ménagemens il a
été tenu une affemblée du Divan fur ce fujet .
On ignore les détails de ce qui s'y eft paffé ;
mais on en fait le réfultat : il a été envoyé à
l'Hofpodar défenfe de paffer les limites dans
la perception des droits. Cependant les politiques
ottomans voient avec inquiétude une pareille
démarche de la part d'un Conful Ruffe :
elle leur fait craindre de fa part de cette Puiffance
des vues fur la Wallachie , & que la protection
accordée à fes habitans ne tendent à préparer
les efprits à quelque révolution femblable
celle qui vient de fe paffer dans la Crimée & dans
le Cuban. On parle de mouvemens qui fe
font du côté des frontieres d'Arménie par le
Prince Héraclius : c'eft après des nouvelles reçues
de ce côté , que l'on a expédié les ordres
pour faire fortifier les deux villes arméniennes
de Kars & d'Akatifique , qu'il en a été envoyé
d'autres au Bacha d'Erzerum de raffembier des
troupes , de les employer à leur défenfe . Ces
mouvemens du côté de l'Afie ont rallentiles armea
4
( 8. )
--
mens maritimes , & donné lieu à des recrues en
Europe pour les faire paffer en Afie. Le grand
Vifir , toujous occupé de ce qui intéreſſe le bien
de l'Empire , s'occupe des moyens de mettre en
état de défenfe les provinces européennes. La
fortereffe d'Oczacow doit être ceinte de nouvelles
fortifications , & avoir toujours une garnison
plus nombreufe que ci -devant . On doit faire les
mêmes travaux à toutes les autres places fronxieres.
Les forts qu'on a commencés à l'embouchure
du canal dans la mer Noire font déja
bien avancés ; lorfqu'ils feront finis , ils défendront
l'entrée de ce canal , où il ne fera plus
poffible à aucun vaiffeau , en tems de guerre , de
paffer fans permiffion .
On a parlé précédemment de la révolution
dans l'adminiftration Danoife ; une lettre
de Copenhague qui paroît dans tous les
Papiers publics , en préfente ainfi les détails.
Les circonftances relatives à la révolution nagueres
arrivée dans cette Cour fe développent
de plus en plus . L'on croit même que les fuites
de cet événement important ne feront gueres
moins intére Tantes que celles de la révolution
de 1772 c'eft le Prince- Royal feul qui l'a terminé
. Touché de la fituation où fe trouvoit le
Roi , irrité de la contrainte où lui -même étoit
affujetti par la Reine Douairiere & fon fils , il
forma la réfolution de brifer fes propres entraves
& celles de fon illuftre Pere , qui , à cet effet ,
adopta S. A. R. pour Co -Régent. Ce jeune Prince
prit des mefures fi juftes , garda fi bien le fecret ,
que perfonne n'en foupçonna rien , qu'au mo
ment où il exécuta heureuſement le plan qu'il
avoit conçu. Le 14 du mois paffé vers le
foir , le Confeil d'Etat étant comme à l'ordi(
9 )
9
naire , affemblé chez S. M. le Prince Royal en
ouvrit la féance par cette Déclaration : Que la
mauvaiſe fanté du Roi empêchant fouvent S. M.
de développer toute fon activité : S. A. R. , en
fa qualité d'héritier , croyoit être le premier
qui dût affifter le Roi , fon Pere , dans le gouvernement
de fes Etats . Il produifit enfuite un
écrit , & le préfenta au Roi pour le figner :
S. M. déclare dans cet écrit , le Prince Royal
pour Co- Régent , avec cette claufe exprefle :
Que tous les Ordres du Cabinet , pour être
valables feroient à l'avenir aufli fignés par
S. A. R. Le Prince Frederic, frere uterin de S. M. ,
fe donna , il est vrai , bien des mouvemens pour
engager le Roi à ne pas ratifier cet écrit . Mais
fur les inftances preflantes du Prince Royal ',
S. M. le figna & le rendit à S. A. R. , qui , après
s'être profondement incliné , baifa la main de
fon Augufte Pere , & retourna à fa place. Ce
Prince donna fur - le-champ une preuve du pouvoir
fuprême que le Roi venoit de lui conférer ,
en remerciant tout le Confeil d'Etat- Privé , à
l'exception de deux Membres , le Comte Thott
& M. Schack Rathlovv. On envifage en général
cette révolution importante comme l'avantcoureur
d'événemens beaucoup plus confidéra
bles encore , & prêts à éclore . Le Prince promet
infiniment par fon élévation d'efprit , fa conduite
prudente , & en particulier par une connoiffance
peu commune des hommes , & il vient d'en
donner une preuve non équivoque dans le choix
des Miniftres d'Etat & des Confeillers qu'il a
nommés. Tous font avantageufement connus par
leur patriotisme , par leurs qualités excellentes ;
& c'étoit , avec regret , que le Public éclairé
les avoit vu difgraciés par l'adminiſtration pré
cédente , & éloignés de la Cour.
On ob
a 5
( 10 )
ferve avec beaucoup de fatisfaction , chaque fois
que le Prince Royal paroît en public , que les
habitans l'entourent de tous côtés , font des voeux
finceres pour fa confervation , & le comblent de
bénédictions .
On a préfenté des tableaux de la population
de divers Etats de l'Empire ; un papier
public offre les détails fuivans fur celle d'une
partie des Etats d
l'Electeur Palatin , Duc
de Baviere.
Il porte la population des Duchés de Juliers
& de Berg , & du Comté de Ravenſtein , à
400,000 ames , celle du Palatinat Electoral à
300,000 , du Duché de Neubourg à 100,000 , &
du Duché de Baviere à 879,898 . Dans ce total
qui eft de 1,679,898 , on ne comprend pas la po
pulation du haut Palatinat , du Landgraviat de
Leuchtenberg , du Duché de Sulzbach , de la
Seigneurie de Mindelheim , du Margraviat de
Bergopzoom , des Seigneuries & Comtés dans
les cercles de Baviere , de Franconie & de Souabe
, & du grand Balliage d'Uneftadt qui eft
encore confidérable . Mais les liftes qu'on en a
données jufqu'à préfent font peu exactes. Les
revenus de l'Electeur pour les Duchés de Juliers
& de Berg , & le Comté de Ravenſtein "
montent à deux millions & demi de florins ; ceux
du Palatinat , du Duché de Sulzbach & de Neubourg
, a deux millions , & ceux de la Baviere à
cinq , ce qui fait en tout neuf millions & demi
de florins , qui font plus de vingt millions &
demi de livres tournois. Le même papier affure
que les dettes de la Baviere feront toutes payées
à la fin de 1791 , en conféquence des arrangemens
pris pour leur extinction,
-
( 11 ) .
ITALIE.
DE FLORENCE , le 30 Avril.
Le nouveau Cimetiere conftruit hors de
cette ville eft terminé ; le 27 il a été béni par
l'Archevêque de cette ville , & c'eft demain
qu'on commencera à en faire ufage ; le Réglement
publié à cette occafion par le
Grand -Duc , contient les difpofitions fuivantes.
A compter du 1 Mai prochain on ne fera plus
aucune inhumation dans Florence ; on n'exceptė
aucun habitant , quelque foit fon rang , fi ce
n'eftfles Religieufes qui continueront d'être enterrées
dans les fépultures qu'elles ont dans l'en .
ceinte de leurs cloitres . Toutes celles qui exiftent
dans les Eglifes tant dans la ville que dehors
feront fermées. Les cadavres feront tranfportés
par les compagnies qui en ont pris l'engagement
dans le dépôt de Sainte Catherine chaque
foir , & dela on les portera avant le jour au cimetiere
; ceux de l'Hôpital de Sainte- Marie -neuve
ne pafferont point au dépôt & feront portés directement
au cimetiere . Lorfque la juſtice ordinaire
ou les parens défireront l'ouverture
d'un cadavre , elle ne fera faite que dans ledit
hôpital où il fera tranfporté pourêtre porté enfuite
directement dela au cimetiere . Toutes les cérémonies
religieufes des funérailles fe feront au
dépôt ; un chapelain avant leur départ pour
le cimetiere les bénira , & perfonne ne les accompagnera.
Comme l'heure du transport des
cadavres au dépôt eft fixée , on ne pourra pas
a 6
(( 12 )
fuivre ftri&tement la regle qui preferit de les garder
pendant 24 heures dans les maifons ; on
comprendra dans le nombre de 24 celles qu'ils
pafferont dans le dépôt. Lorfque la corruption du
corps fera prompte & ne permettra pas d'attendre
l'heure réglée pour le porter au dépôt , on aura
recours au commiffaire du quartier qui après
avoir vérifié la néceffité de procéder fur le
champ à l'enterrement le fera transporter au
dépôt & porter fur le champ au cimetiere le plus
voifin , mais hors de la ville , avec l'attention
de faire faire ce tranfport dans le temps où il
y aura le moins de concours dans les rues . Le
Préfident du bas gouvernement , les Commiffaires
de quartier veilleront à l'obſervation de ce
réglement . Les tranfgreffions feront punies par une
amende de so écus , applicable , moitié au délateur
, moitié à l'hôpital , & à de plus grandes
peines s'il y écheoit.
Les lettres de Milan contiennent les détails
fuivans. !'
On continue de fupprimer ici différens couvens
, & les Religieufes paffent du centre de la
ville dans les fauxbourgs pour y occuper les maifons
de celles qui , conformément aux ordres du
Gouvernement , ont été obligées de les abandonner.
Le Comte de Colloredo qui vient
d'être nommé à la place de Préſident de la Cham.
bre des Comptes de -Mantoue , eft arrivé ici pour
prêter ferment en cette qualiré. On avoit dit
que le Mantouan devoit être réuni au Milanois.
Cette nomination donne lieu de croire qu'un
pareil bruit eft deftitué de tout fondement .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 1 Mai.
Le Confeil de guerre , chargé d'examiner
( 13 )
les plaintes & les charges portées contre D.
Jofeph Solano , Lieutenant - Général des Armées
navales , n'a prononcé que depuis peu ,
& a déclaré que la conduite de ce Général
étoit irréprochable : il lui a été écrit en conféquence
que fes arrêts étoient levés , & qu'il
pouvoit paroître à la Cour.
Les préparatifs de l'expédition contre Alger
fe continuent avec beaucoup d'activité
à Carthagene , D. Antonio Barcelo preffe
lui-même à Majorque ceux que l'on fait auſſi
dans cette ifle .
Cet Officier Général , lit - on dans quelques
lettres , y a éprouvé des contrariétés.
Ayant demandé au Commandant de
Majorque divers matériaux néceffaires à la
conftruction des bâtimens de guerre qu'il
fait bâtir fous fes yeux , pour fervir à l'expédition
dont il eft chargé , ils lui ont été d'abord
refufés , quoiqu'il eut des ordres précis
du Roi qu'il avoit communiqués à ce
Commandant, & en vertu defquels tout ce
qu'il demanderoit , devoit lui être fourni.
D. Antonio Barcelo , mécontent des motifs
fur lefquels on fondoit ce refus , en a porté
des plaintes à la Cour , qui a renouvelé fes
ordres à cet effet , & ils ont été exécutés .
La Caiffe des penfions des ex- Jéfuites
s'affoibliffant de jour en jour par fes charges
, le Gouvernement s'occupe des moyens
de diminuer la fortie des efpeces de la Monarchie
; le bruit s'étoit répandu en confé(
14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Com
miffaires Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiffe , mais depuis quelque
temps on n'en parle plus .
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin nous faifirons celle - ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occafion de donner , & qui peuvent
piquer la curiofité de nos lecteurs.
Dans ces occafions , il y a des Officiers nommés
pour faire la vifite des voûtes inférieures du
Palais de Westminſter , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir fi tout eft en ordre , s'il n'y à
point de poudre à canon , ni de matieres combuftibles
qui y foient cachées. Cet ufage qui rappelle
la fameufe confpiration des poudres , et
toujours fuivi , & on s'y eft conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi fe foit rendu au Parlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté ; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leur Orateur , pour le préfenter le lendemain à
S. M. Cette élection " comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro
( FS )
.
pofa de l'élire de nouveau . Sir George Howard
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune ob .
jection . M. Fox qui fe leva pour témoigner la
fat sfaction qu'il avoit de donner fa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la feffion qui alloit s'ouvrir ,
faifit cette occafion de jeter un coup d'oeil fur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceffité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puifque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'êtoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
fur ce qui s'étoit paffé à Weſtminſter , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , fur la vérification du
fcrutin arrêtée par le grand Bailli . M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obfervant
que tout ceci étoit étranger au choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intérefloit que
lui , auroit fon tour quand celle des élections feroit
portée à la Chambre. M. Fox ne refta
pas fans replique : il obferva que ce qu'il difoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit . Suppofons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on fe
fut conduit comme le Bailli de Weſtminſter ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye ( c'eft le lieu que repréſente M.
Cornwal ) n'eut point été fait , la chambre qui a
tant de raifons de defirer de nommer ce digne
membre pour fon Orateur , le pourroit- elle ? -
M. Pitt parla à fon tour , tout fe paffa d'une maniere
paifible , & M. Cornwall fut élu .
Le 19 le Roi fe rendit à la Chambre haute ,
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
le préfenta à la barre , & adreffa un difcours
( 16 )
au Roi pour lui annoncer fon élection , témoigner
une défiance modefte'de fes propres forces , &
fupplier S. M. d'ordonner un autre choix . Le
Chancelier lui répondit , que le Roi approuvoit
fon élection & la voyoit avec plaifir. M. Cornwal
adreffa un remerciement à S. M. dans lequel
, en follicitant de l'indulgence pour lui , ilreclama
la confirmation des privileges des Communes
, & fur- tout celui d'avoir toujours un libre
accès au pied du Trône. Lorsque le Chancelier
en eut donné l'affurance au nom du Souverain ,
S. M. adreffa le difcours fuivant au Parlement :
Milords & Meffieu's , j'ai la plus grande fatisfaction
de vous voir réunis aujourd'hui , après
avoir eu recours , dans un moment auffi importint
, à l'opinion de mon peuple ; j'ai la plus jufte
& la plus entiere confiance que vous êtes animés
des mêmes fentimens de loyauté & d'attachement
à notre excellente conftitution , que j'ai
eu le plaifir de voir fi pleinement manifeftés dans
toutes les parties de mon Royaume . Les heureux
effets d'une pareille difpofition paroîtront , je n'en
doute pas , dans la modération & la fageffe de vos
délibérations , & dans la prompte expédition des
objets importans des affaires publiques qui demadent
votre attention : ils me procureront la
fatisfaction particuliere de trouver que l'exercice
du pouvoir que la conftitution m'a confié a produit
des avantages fi utiles à mes fujets , dont
les intérêts & le bonheur feront toujours ce que j'ai
de plus cher..
MM. de la Chambre des Communes , j'ai ordonné
qu'on mette fous vos yeux les eſtimations pour
l'année courante je m'en rapporte à votre zele
& à votre affection ponr parvenir aux moyens
de les remplir , & pour employer les fommes
accordées par le dernier Parlement comme il fera
X
( 17 )
jugé néceffaire. Je regrette fincérement tout ce
qui ajoute aux charges de mon peuple ; mais il
reconnoîtra , j'en fuis perfuadé , la néceffité de
pourvoir, après une guerre longue & difpendieufe ,
au maintien de la foi nationale , & de notre crédit
, qui intéreffent fi effentiellement la puiffance
& la profpérité de l'Etat .
Milords & Meffieurs , les progrès alarmans des
fraudes dans les revenus , accompagnées dans plufieurs
occafions de violences , ne manqueront
pas d'exciter votre attention . Je recommande en
même tems à vos plus férieufes confidérations , les
réglemens de commerce qui peuvent être néceffaires
dans le moment préfent. Les affaires de la
Compagnie des Indes font intimément liées avec
les intérêts généraux de ce pays : pendant que
vous éprouvez une jufte anxiété de pourvoir à
l'adminiftration de nos poffeffions dans cette partie
du monde , vous ne perdrez , je crois , jamais
de vue l'effet que les mesures que vous adopterez
peuvent avoir fur notre conftitution & nos plus
chers intérêts ici . Vous me trouverez toujours
empreffé de concourir avec vous dans toutes les
mefures qui pourront être d'un avantage durable
pour mon peuple. Mon unique voeu eft de produire
fa profpérité par une attention conſtante à
l'intérêt national , un attachement inviolable aux
vrais principes de notre libre conftitution , à foutenir
, à conferver dans un jufte équilibre les
droits & les principes de chaque branche de la
légiflation .
1
Le Roi s'étant retiré enſuite , & les Communes
étant retournées à leur Chambre , le Comte de
Macclesfield fit dans celle des Pairs la motion
pour l'Adreffe en réponse au Difcours de S. M.
Cette piece , comme toutes les autres de cette
efpece , eft la répétition du Difcours ; elle offre
( 18 )
en particulier des remercimens au Roi de l'exercice
qu'il a fait de la prérogative dans la diffolution
du dernier Parlement , & quelques réflexions
fur les efforts de la faction qui étoit parvenue
à attirer à fon parti une branche de la
Légiflation. Le Lord Fitz- William témoigna
qu'il défapprouvoit ces réflexions ; mais l'Adreffe
n'éprouva aucune objection & fut préfentée le 20 .
Les Communes occupées du foin de fe former,
de recevoir les fermens des membres qui les compofent
, ne fe font occupées d'affaires qu'hier ,
encore l'adreffe n'a - t- elle pas été la premiere
affaire ; celle de l'élection de Weftminster a eu
la préférence. M. Lée , après s'être élevé contre
la conduite du Grand- Bailly en ordonnant le
ſcrutin , l'avoir repréfentée comme une ufurpation
contraire à toutes les loix , termina en
tournant en motion la propofition fuivante ,
qu'ayant reçu l'ordre de procéder à l'élection de
Weftminſter & de recueillir les voix , il devoit
en envoyer le réſultat dans le terme prefcrit par
l'ordre qu'il avoit reçu . M. Sheridan approuva
cette motion , contre laquelle s'éleverent le Lord
Mahon , M. Kennyon , qui juftifierent le Bailly
qu'on ne devoit pas condamner fans l'entendre,
& qui citerent un grand nombre de cas qui prouvoient
la néceffité de prolonger l'élection pour
la vérification d'un fcrutin , lorfqu'elle étoit jugée
néceflaire Le Lord North parla auffi , mais en
faveur de la motion ; on s'attend bien que M.
Fox ne garda pas le filence ; mais dans le premier
effai des forces des deux partis , le Miniftere a
eu l'avantage ; il a eu 283 voix , & l'oppofition
136 , ce qui fait 147 de majorité pour le Miniftere.
Il fut fimplement ordonné que le Bailly
feroit mandé aujourd'hui à la barre de la Chambre
, & que le fous- Bailly l'accompagneroit.in
( 19 )
Ce point réglé , on en vint à l'adreſſe en réponſe
au difcours du Roi , M. Hamilton prit la parolle ,
il s'étendit fur chaque partie du difcours qui
doit entrer dans la réponse , & il n'oublia pas
celle où le Roi parle de la nécefíité où il a été de
recourir à l'opinion de fon peuple . Il ne s'agit rien
moins , quant à ce point , que de remercier S. M.
d'avoir diffous le Parlement , & d'annoncer qu'en
effet l'opinion de la nation étoit contraire à celle
de la Chambre des Communes. Le Lord Surrey ,
en approuvant Padreffe , défapprouva cette partie
de la motion pour en demander la fuppreffion ;
mais cette derniere motion ne fut pas plus
heureufe ; la majorité pour le Miniftere fut de
168 voix. Dans le cours des débats , l'apologie
du dernier Parlement fut faite par M. Fox ; il
en refulta la critique de l'Administration actuelle,
Parmi les reproches qu'il lui fit , il rappela que la fignature
du traité de paix avec la Hollande avoit
été faite , mais il défapprouva qu'elle eût eu
lieu à Paris , ce qui étoit une conceffion faite à
l'ennemi , qui pouvoit donner plus de hauteur
à la France. M. Pitt répondit légerement à ce reproche
, il parla auffi légérement de leur nature ;
& bien certain de la majorité , & que les fentimens
du peuple étoient pour le Gouvernement actuel ,
il traita avec un peu de févérité M. Fox qui fembloit
n'avoir infpiré de pitié qu'à un Bourg éloigné
d'Ecoffe , qui lui avoit affuré un fiege au
Parlement , lorfque fon élection pour Weſtminſter
étoit encore incertaine.
C'eft le 28 que doit commencer la vérification
du fcrutin , qui décidera de l'Election
de M. Fox , & de celle de fir Cecil Wray ;
le premier n'eft pas content du parti qu'a
pris le Bailli dans cette occafion. On prétend
( 20 )
qu'il lui intentera un procès , pour le dédommagement
des dépenfes que lui coûtera le
fcrutin , s'il a lieu ; car il n'eft pas encore décidé
s'il avoit le droit de l'ordonner.
La question fuivante , toute fimple qu'elle
eft , décidera peut-être , vis- à- vis du Public impartial
, combien la conduite du grand Bailli
eft peu conforme aux principes du droit ou de la
conftitution . Le grand Bailli auroit- il pu , par
fon autoriré privée , procéder à l'Election de
Westminster , avant le moment fixé par la Loi ,
pour fon ouverture ? Tout homme un peu verfé
dans les loix & les ufages de fon pays , répondra
certainement qu'il ne l'auroit pas pu Si donc
le Bailli ne pouvoit pas commencer l'Election
avant le jour fixé par la Loi , comment fe peutil
faire qu'il ait la faculté de la continuer audelà
du terme fixé pour fa clôture par la mêine
autorité ? La Loi détermine également les bornes
des pouvoirs de cet Officier à cet égard ; & tout
homme qui ne contefte pas que le Bailli ne pous
voit pas procéder à l'Election , immédiatement
après la diffolution du Parlement , fans attendre
la communication officielle de fes pouvoirs , de
la part des Sheriffs , ne peut pas avancer avec
raifon ni avec bon fens , que cet Officier jouit
d'une puiffance officielle , lorsque les pouvoirs
que lui accorde la Loi , ont ceffé.
En attendant que cette difcuffion foit finie
, les partifans de M. Fox ont fait des réjouiffances
à l'occafion de fon élection .
Le Prince de Galles a donné lui - même une
Fete dans fes jardins , le 14 de ce mois ; plus
de fix cents perfonnes y ont affité , il y avoit
des tables dreffées fous neuftentes , avec toutes
fortes de rafraîchiffemens , une mafique déli(
21 )
cieufe , & on a danfé depuis neuf heures du
matin jufqu'à fix heures du foir ; une fociété
choifie de trente perfonnes , au nombre defquelles
étoit M.Fox , eut l'honneur de dîner avec S. A R.
M. Fox la remercia de fes bontés & de l'intérêt
qu'elle avoit bien voulu prendre à fon Election ;
& ce Prince lui répondit qu'il n'avoit été que
guidé par la conviction où il étoit de la fupé--
riorité de fes talens , de la juítice & du définiéreffement
de les motifs . Cette Fête a été répétée
hier.
S'il faut en croire nos papiers , la nouvelle
Chambre des Communes eft compofée de
558 membres ; on compte 214 anciens amis
de M. Pitt , 167 de M. Fox, 153 nouveaux
membres , 16 qui n'étoient pas préfens aux
derniers troubles , 6 doubles élections conteflées
, & les 2 membres de Weltminfter
qui ne font pas encore décidés, On prétend
que parmi les nouveaux , M. Fox à beau
coup de partifans ; & on doute que la majorité
du Miniftere foit de plus de 100. Les
sou 6 premieres femaines après l'ouverture
feront fuviies ; cela ira enfuite en décroiffant
; & vers la fin de Juillet , fi les affaires
prolongent la feflion jufques - là , à peine
croit-on pouvoir raffembler affez de membres
pour tenir aſſemblée .
Les mécontentemens en Irlande ne font
pas près de finir. L'Adminiftration de ce
Royaume , embarraffée des plaintes qui s'élevent
de tous côtés , ne néglige rien pour
fe procurer des témoignages de fatisfaction
qu'elle puiffe leur oppoler ; & on dit qu'elle
( 22 )
follicite en conféquence des adreffes de différens
corps
.
·
Il y a quelques jours , écrit- on de Dublin , que
le Comité choisi des Catholiques de cette ville
s'affembla à la requête du Lord K... qui , difoit-il,
avoit à foumettre à fa confidération des matieres
de la plus haute importance , & qui intérefloiert
effentiellement les Catholiques . Laffemblée fut
très-nombreuſe ; auffitôt que le Lord arriva , on
le pria de dire que le étoit la nature de l'affaire
pour laquelle il l'avoit convoquée ; il demanda
qu'on nomma un Préfident ; mais on ne voulut
pas le faire , avant de favoir fi en effet l'objet de
l'aflemolée méritoit une difcuffion . Le Lord alors
dit que le Gouvernement étoit très - mécontent de
plufieurs pamphlets qui avoient été publiés dernierement
. Plufieurs étoient propresà répandre l'alarme
& la révolte ; quelques uns contiennent
même des invitations aux ennemis du pays , à
tenter une invafion . Il conclut qu'il lui paroiffoit
néceffaire que les Catholiques défavouaffent tous
ces pamphlets, dans une Adreffe préſentée en leur
nom au Viceroi , parce que dans ce tems de trouble
& de fermentation , ils étoient foupçonnés
d'avoir une part fecrette à ces infinuations . L'affemblée
fut très - furprife de cette dernière réflexion
qui attaquoit la loyauté des Catholiques , &
cet amour que tous les Irlandois s'honorent d'avoir
pour leur pays . On demanda au Lord s'il avoit
quelque meffage par écrit du Gouvernement ,
il répondit qu'il n'avoit eu fur ce fujet qu'une
converfation avec M. Orde. Il employa tous fes
efforts pour décider l'affemblée à faire ce qu'il
lui propofoit , & à tranquillifer le Gouvernement
dont les alarmes , ajouta t - il , étoient fondées ;
mais il ne réuffit point ; l'affemblée regarda le
( 23 )
elle crut que
prétexte de fa convocation comme une injure ;
des accufations auffi vagues , auffi
injuftes ne méritoient pas fon attention , & elle
Le fépara fans vouloir s'en occuper.
On parle de plufieurs autres démarches
femblables qui ont été faites avec auffi peu
de fuccès. On en a eu davantage dans la
grande affemblée des repréfentans de la Nation
, qui prétend cependant n'être pas repréfentée
.
Le Parlement d'Irlande , conformément à fon
ajournement , s'eft ralfemblé le 11 de ce mois ; à
trois heures quarante minutes , l'Orateur ayant
pris la place, on lut un meffage des Pairs qui annonçoit
leur aveu aux amendemens du bill pour
priver le Lord Srang ford du droit de voter. Il
y eut enfuite un ajournement d'une demie- heure.
qui fut occafionné parce qu'on attendoit une
perfonne. Après cela on reprit les délibérations .
Le Lord Kilwarlin propofà une adreffe au Vice-
Roi pour le remercier de la fageffe & de la prudence
qu'il montroit dans fon adminiftration ;
l'adreffe étoit prête & fut lue par M. Hattan .
Elle contenoit l'éloge du Duc de Rutland.
M. Jones fe leva auffitôt . » C'est avec regret ,
dit-il , que je fuis obligé de m'oppofer à une
adreffe de compliment que je ne crois pas que
l'ufage juftifie. Je ne puis donner mon aveu à
des actions de grace , quand ma confcience ne
me montre de tous côtés que des fujets de plaintes
& de reproches. De quoi , je vous prie , avonsnous
à remercier le Duc de Rutland ? Eft- ce de
fon oppofition au vou de la Nation pour une
réforme parlementaire ? de l'abandon qu'il a fait
du plan de mettre de l'égalité dans le commerce ?
du bill pour un bureau de pofte qui nous prive
( 24 )
ככ
de nos privileges & charge le peuple avec excès ?
de fon oppofition à la taxe fur ceux qui s'abfentent
du Royaume ? de ce qu'il a rempli nos
rues d'une foule de mandians ? des infultes répétées
qu'il nous a faites ? d'avoir transformé
la Chambre des Communes en une Chambre de
l'Etoile , & le Château de Dul lin en une Baltille
? Comme repréfentant du peuple , comme
homme , je dois défapprouver une adreffe qui
ne contient pas la cenfure de l'adminiftration du
Duc de Rutland , M. Molyneux appuya l'o
pofition de M. Jones , & dit que fi une adminiftration
avoit été jamais calculée pour femer
la diffention entre ce Royaume & l'Angleterre ,
c'étoit celle du Vice- Roi. » Quand au chef de
cette adminiftration , ajouta t -il , je penfe que
c'est un homme honnête & qui veut le bien ;
mais il a confié les affaires de ce Royaume à un
homme qui a une mauvaiſe tête & un coeur pire.
Le Sécretaire d'Etat eft refponfable de ce qui eft
arrivé , & fur- tout d'avoir conféré des honneurs
à un homme marqué du reproche public ; il
femble que fon motif, en agiffant ainfi , a été de
montrer au peuple qu'il n'eft pas content de l'opprimer
, mais qu'il le méprife . Je lui ferai feulement
quelques queftions ; fa réponſe fixera mon
opinion fur l'adreile ; fon filence dira plus que la
loquacité de fes prédécefleurs . Je l'interpelle de
dire à la Chambre, aux dépens de qui a été acheté
la Chancellerie , pour un hommé qui a mis à peine
le pied dans ce Royaume. L'office de Maître des
rôles doit - il être acheté auffi ? un Préfident du
Confeil doit - il être établi avec un gros falaire ?
-Perfonne n'ayant répondu , M. Molyneux conclut
en difant : Je vois que nous n'avons à chercher
de fecours qu'en nous- même ; j'aime le peuple à
cauſe de la meſure qu'il a adoptée , j'admire fur-
"
tout
( 25 )
tout celle ... ici , il fut interrompu par des voix
qui s'éleverent du banc de la Trésorerie pour
l'appeller à l'ordre , & il continua en difant
j'admire le peuple pour la réfolution qu'il a prife
de ne faire ufage que des produits de nos Manufactures
.
M. Griffith , qui parla enfuite , ne s'oppofa
point à l'adreffe qu'il ne regardoit que comme
une formalité ; il voulut qu'on y ajoutât quelques
mots fur la fituation du Royaume , une priere
au Viceroi de confidérer l'état des manufacturiers
, de repréfenter au Roi la néceffité de l'égalité
& de la réciprocité dans le commerce des
deux Royaumes . Cet amendement fut rejeté à
une pluralité de foixante- deux voix , & l'adreffe
fut ordonnée . La même motion fut faite le 12
dans la Chambre haute , où elle paffa également
après avoir donné lieu à quelques obfervations
fans fuccès : l'une & l'autre de ces adreffes furent
préfentées le 13. Le lendemain , le Duc
de Rutland fe rendit au Parlement pour donner
Ja fanction royale à quarante-un Bills pu ! lics ,
& quinze particuliers : à la tête des premiers
eft
celui qui reftraint la liberté de la Preffe , qu'on
croyoit ne devoir pas paffer au Confeil . Après cela ,
il prorogea le Parlement au 29 Juin prochain.
On a fait dans un de nos papiers la lifte
fuivante des places prifes pendant la derniere
guerre , & reftituées ou cédées à la paix.
Conquis par la Grande Bretagne , & rendu d
la France , les ifles de S. Pierre & de Miquelon ,
près de Terre- Neuve , Sainte - Lucie , dans les
Indes occidentales , les ifles de Gorée en Afrique
, Pondichéry dans les Indes orientales ..
Conquis par la France fur la Grande Bretagne ,
& rendu à ce le ci , les ifles de Grenades , Grenadines
, S Vincent , la Dominique , S. Chrif
N°. 23 , 5 Juin 1784.
b
( 26 )
tophe , Nevis , & Montferrat aux Indes occidentales.
Conquis par l'Espagne fur la Grande-Bretagne ,
& rendu , les illes de Bahama & de Providence
dans l'Atlantique.
Conquis par la France , & cédé à elle à perpétuité,
l'ifle fertile de Tabago , aux Indes occidentales
, la riviere de Sénégal en Afrique ; tous
les forts bâtis fur elle , le commerce exclufif fur
cette riviere.
Conquis par l'Espagne , & cédé à S. M. C. ,
Minorque dans la Méditerranée
"
la Province
entiere de la Floride occidentale , dans laquelle
il y a plus de 8000 planteurs anglois.
Non conquis mais cédé à l'Espagne comme le
prix de la paix , la Floride orientale dans un état
plus floriffant que l'occidentale.
Parmi les dernieres dépêches de l'Inde , il
y en a une qui , felon tous nos papiers , contient
l'article fuivant qu'ils ont copié.
Typpofaïb éleve toujours des difficultés fur la
paix , & le traité définitif n'eft pas prês d'être
terminé. Ce Prince dit au Général Macleod :
c'eft
Anglois & François , vous n'avez qu'un feul
objet qui vous divife , l'intérêt de votre commerce
: pour nos dépouilles que vous vous
battez ; elles vous attirent & vous enflamment
parce qu'elles vous enrichiffent. Vous n'avez
fait la paix , que parce que vous n'aviez plus
d'argent . Vous allez retourner en Europe , économifer
le produir de vos fubfides , & vous reviendrez
enfuite vous égorger les uns & les autres
parmi nous , & vous difputer nos richeffes ».
Cela montre affez que les Européens com- mencent à être conmus fur les trois côtes.
On défefpere depuis long-temps d'avoir
( 27 )
jamais des nouvelles du Caton & de l'Amiral
Hyde Parker ; on conjecture que ce vaiſſeau
a péri fur les côtes de Malabar ; l'équipage
d'un bâtiment Indien des Ifles de Lacquedives
, arrivé à Bombay , rapporte qu'il a vu
un vaiffeau brûlant auprès de ces côtes , à
une époque où l'on fuppofe que l'Amiral
Parker étoit en route pour aller fe réparer
à Bombay des dommages qu'il avoit effuiés
dans une tempête durant les mouffons . Cet
Amiral eft très - regretté. Ce n'étoit point
des motifs d'ambition mais l'état de fa
fanté qui lui avoit fait accepter le commandement
dans l'Inde. Attaqué depuis longtemps
d'un aſthme , il n'avoit éprouvé de
foulagement que dans les climats chauds.
?
Des lettres de Bombay , arrivées par le dernier
Courier , nous apprennent qu'en Novembre der
nier , cette Ifle avoit été infectée de grenouilles
qui ont dévoré les herbes & le petit poiffon :
elles fe font répandues dans tous les étangs , par
quantité incroyable. Quelques unes pefoient de
quatre à cinq livres , & avoient deux pieds de
longueur depuis l'extrêmité des bras jufqu'à celle
des pattes , dans toute leur extenfion . Quelque
extraordinaire que paroiffe cet événement , on peut
compter fur fon authenticité.
Selon des lettres du Bengale , les Danois ont
formé dernierement un nouvel établiffement fur
la rive orientale du Molveira , qui eft une des branches
du Gange ; ils ont obtenu pour cet effet une
permiffion du Grand- Mogol auquel le Roi de
Dannemark avoit envoyé un Ambaſſadeur qui
eft encore à Dehli . Le nouveau fort qu'ils ont
b2
( 28 )
bâti s'appelle Fridéricksbourg ; il eft peuplé par
des Colons qui ont été envoyés d'Elseneur &
du Duché de Holftein . On a formé la garnifon
de quelques troupes européennes qu'on a tirées
de Tranquebar fur la côte de Coromandel . Ce
nouvel établiffement , fitué dans cet endroit ,
eft à 200 mille de Calcutta , ce qui n'eft peut - être
pas fans inconvénient. Mais ils font compenfés
par les grandes apparences de profit qu'il préfente
& qu'il doit avoir naturellement par fa pofition
dans le coeur du pays où le trafic avec les naturels
eft plus confidérable & plus avantageux que fur
les côtes .
FRANCE.
DE VERSAILLES, le Juin.
Le 22 du mois dernier , la Comteffe Jofeph de
la Ferronnays eut l'honneur d'être préfentée aų
Roi & à la Reine par Madame Adélaïde de France,
en qualité de Dame pour accompagner cette Prin,
-ceffe . Le 23 la Ducheffe de Caylus eut l'honneur
d'être préfentée à L. M. & à la Famille Royale ,
par la Ducheffe de Caylus douairiere , & de prendre
le tabouret . La Vicomteffe de Béthify fut
auffi préfentée par la Comteſſe de Béthify.
•
Le même jour L. M. & la Famille Royale fignerent
les contrats de mariage du Vicomte de
Lons , Capitaine des Gardes - du - Corps de Monfieur
, en furvivance , avec Mademoiſelle d'Ennery;
du Comte de Langerón , Capitaine au Régiment
de Condé , avec Mademoiſelle de la Vaupaliere
; du Marquis de Baleroy , Capitaine au Régiment
d'Orléans , avec Mademoifelle de la Vaupaliere;
& du Comte de Clermont - Tonnerre de
Thoury , Sous-Lieutenant des Gardes - du - Corps
du Roi , avec Mademoiſelle de Froget .
( 29 )
Les Etats d'Artois furent admis le même jour
à l'Audience du Roi , préfentés par le Maréchal
Ducde Lévis , Gouverneur général de la Province ,
& le Maréchal de Ségur , Miniftre de la Guerre .
La députation conduite par MM. de Nantouillet
& de Vatronville , Maître & Aide des Cérémonies
, étoit compofée , pour le Clergé , de l'Abbé
de Bart , Prévôt de l'Eglife Cathédrale , Vicaire
général du Diccefe d'Arras , qui porta la parole
; pour la Nobleffe du Comte de Cunchy de
Fleury , Major du Régiment Provincial d'Artil
lerie de Befançon ; & pour le Tiers- Etat , de M.
Brunel , Avocat , ancien Penfionnaire de la Ville
d'Arras , ancien Député général ordinaire des
Etats.
DE PARIS , le 1 Juin.
Toutes les lettres de l'Inde apportées par
les vaiffeaux nouvellement arrivés , font un
tableau effrayant de la famine horrible qui
a dévasté la côte , & de la maladie épidémique
auffi cruelle que la pefte qui en a été
la fuite.
Les Européens , difent ces lettres , ont échappé
à la premiere , parce qu'eux feuls ont les moyens
de faire des provifions & des amas de riz ; mais
la derniere les a frappés , ainfi que les naturels , &
Pondichery fur-tout a fouffert prodigieufement .
Les Anglois ont profité de ce tems de calamité
pour débaucher le petit nombre de Tifferands
qu'on avoit confervés dans les Aldées võilines.
Ces malheureux , privés de fubfiftance
fuivi la main qui leur préfentoit une nourriture
affurée. La famine à été caufée d'un côté par les
monopoleurs , & de l'autre principalement par
ont
b3
( 30 )
les grandes fournitures faites aux armées des différentes
Puiffances en guerre , & encore plus par
les dévaftations des Marattes & de Tippo-Saib.
Ce dernier , depuis que l'armée françoife s'eft
féparée de lui , n'a pas laiffé de tenir la campagne
, & les divifions des Anglois lui ont donné
tout le temps qu'il lui falloit pour faire beaucoup
de mal à fes ennemis : il a ruiné & brûlé
Arcate , ainfi que Paliacate ; il a été juſqu'aux
portes de Madras , & n'a pas laiffé pierre fur
pierre dans fes fauxbourgs ,, appellés la ville
noire. Ainfi le plus beau pays du monde & le
plus fertile eft le plus malheureux , graces à l'ambition
& à l'avarice des Européens.
C'eft le 26 du mois dernier , que M. le
Comte d'Aranda , Ambaffadeur de S. M. C.
eſt arrivé ici de retour du voyage qu'il avoit
fait en Eſpagne.
Le Roi de Suede eſt attendu le 9 de ce
mois. L'Académie Françoife a renvoié jufqu'au
25 la réception de M. le Marquis de
Montefquiou , afin que ce Prince puiffe être
témoin d'une de fes Séances publiques . Les
Comédiens Francois lui réfervent de leur
côté la premiere Repréſentation de Semiris
Tragédie nouvelle de M, le Mierre.
La nouvelle machine aéroftatique que M. Mont
golfier a conftruite pour le Roi eft entiérement
finie. Elle eft d'une capacité , & par conséquent
d'un diametre beaucoup plus confidérable que
l'ancienne : il fait avec elle deux ou trois fois par
femaine , des expériences dans le jardin Réveillon.
Ces jours derniers , trois dames & quelques autres
perfonnes , accompagnées de M. Pilatre du Rofier
, monterent dans la galerie : on les éleva
( 31 )
jufqu'à deux cens pieds , le ballon étant retenu
par des cordes. On croit qu'il fervira aux expériences
que le Roi de Suede defire voir. Le
globe des freres Robert paroît être réſervé pour
le même objet.
A l'occafion des ballons , nous placerons
ici la lettre fuivante de S. Savin. Nous ne
garantirons point le fait fingulier dont il y
eft queftion.
Deux Ballons partis le même jour & à la
même heure ; l'un de Saint - Savin , & l'autre de
Montmorillon , petites villes da Poitou , diftantes
de quatre lieues , fe font rencontrés à peu près
à moitié chemin , ils le font heurtés violemment ;
celui de Saint- Savin , plus robufte , a culbuté
l'autre qui eft tombé auprès d'un Château du
voifinage : le Seigneur a fait dreffer un procèsverbal
de ce Phenomene. Le Ballon vainqueur
a continué fa route: on ignore encore l'endroit
de fa chûre ; mais on préfume que s'il n'a pas
rencontré de nouveaux adverfaires , il doit avoir
été fort loin. Cet événement auffi piquant par
fa curiofité , qu'intéreffant pour l'Aréoflat , peut
jetter quelques lumieres fur cette découverte ;
les deux Ballons étoient de forme Sphéroïde ,
le temps étoit calme. J'ignore le Phlogistique
qu'on avoit employé , qui vraisemblablement
étoit différent . Je laiffe aux Phyficiens à raisonner
fur cet événement.
Le 23 du mois dernier , M. Blanchard a
fait à Rouen l'expérience de fon bateau volant
; c'est ainsi qu'on en rend compte dans
une lettre de cette ville.
Il eft parti des anciennes cafernes à 7 heures
20 minutes , fon barometre étant à 28 pouces
4. lignes , & s'eft élevé majestueufement dans
b 4
( 32 )
l'air. Il a plané long temps fur le Ville ; après
quoi un vent violent contre lequel il a lutté ,
a brifé fon gouvernail . Alors il ne s'eft plus occupé
que de faire des obfervations & de monter &
defcendre au moyen de fes ailes. A 7 heures 35
minutes 10 fecondes , il a remarqué que fon
barometre étoit defcendu à 19 pouces 8 lignes .
Au même moment il a traversé un petit nuage
blanchâtre , enfuite un autre très - épais , qui l'a
confidérablement mouillé , puis il s'eft élevé à
une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de
la glace . Son habit humide par la traverſée du
nuage , eft devenu roide ; dans cette température ,
il a fait 2 lieues en 2 minutes ; & dans un petit
calme qu'il a épreuvé , il a bu & mangé. Il ne
s'eft décidé à defcendre , que parce qu'il appercevoit
un nuage orageux , & qu'il voyoit la mer .
Heft défcendu fans ouvrir la foupape de fon
Globe , mais feulement en faifant agir fes ailes
en fens contraire , dans la plaine de Glaville-
Motteville , à 5 lieues de l'endroit, de fon départ.
A l'infiant où il defcendit , vinrent deux payfans
auxquels il propofa d'arrêter fon Globe , moyennant
une corde qu'il leur jetta : l'un accepta la
propofition ; mais l'autre ne fachant à qui il
avoit affaire , & craignant de fe compromettre ,
ne voulut pas mettre la main à une chofe qui lui
paroiffoit fufpecte . La frayeur des habitants fut
égale à celle des payfans de Goneffe , avec cette
différence que ceux de Claville fe font armés
pour guerroler contre le phénomene .
On a beaucoup parlé d'un Suicide , commis
dernierement par un jeune homme âgé
de 25 ans , après avoir dîné au Palais - Royal
chez un reftaurateur. On dit que c'est l'amour
qui a infpiré ce coup défefpéré ; & en
( 33 )
effet les excès funeftes de cette efpece ont
prefque toujours leur fource dans la foibleffe
de l'efprit , dans un état de maladie ,
ou dans une paflion extrême. Le teftament
de cet infortuné en fournit la preuve . En
nous la communiquant , on y a joint les réflexions
fuivantes .
On peut le fouvenir que J. J. Rouffeau daigna
approuver & même louer la réfolution de
ces deux amans de Lyon qui fe tuerent au pied
d'un autel . Mais dans ce dévouement il n'y eut
que celui de la fille qui fut méritoire : l'amant
étoit malade & fouffrant , ce qui feul pouvoit
le porter à fe donner la mort. Il n'en est pas de
même du jeune homme qui vient d'en donner un
exemple récent ; fon dévouement a bien un
autre caractere , & fon ame devoit être d'une
trempe extraordinaire : fon action cût été bien
plus admirée de J. J. Rouffeau , puifqu'il prodiguoit
fon admiration à ces fortes d'action . II
n'auroit pas manqué de faire valoir la fimplicité ,
l'énergie de fon teftament de mort , & la délicateffe
de ce malheureux jeune homme à ne pas
nommer l'objet de fa paffion. Voici cette piece
très-certainement véritable & remarquable , &
telle qu'elle a été trouvée ſur la table cù elle
avoit été écrite , lorfque le Commiflaire vint dref
fer fon procès-verbal. - Cr« Le contrafte inconcevable
qui fe trouve entre la robleffe de mes
fentimens & la baffelle de ma naiffance , un amour
auffi violent qu'infurmontable pour une fille
adorable , la crainte de caufer fon deshonneur ,
la néceffité de choisir entre le crime & la mort ,
tout m'a déterminé à abandonner la vie. J'étois
né pour la vertu , j'allois être criminel , j'ai préféré
mourir ».
b S
( 34 )
On a arrêté ces jours derniers un Fauffaire,
qui faifoit non- feulement de fauffes lettres
de change , mais auffi les lettres d'avis.
Il en avoit envoyé une d'Amiens , dont la
fauffeté fut reconnue : on fuivit le Commiffionnaire
qui vint chercher l'argent , & on
découvrit l'Auteur , par le plus grand haſard,
dans un Caffé voifin de l'endroit que fon
camarade , car ils étoient deux , avoit indiqué
au Commiffionnaire , pour y apporter
l'argent. Son complice s'eft fauvé.
M. le Chevalier d'Angos , Directeur de l'Obfervatoire
de Malte , a découvert une comete le
11 Avril dans la confellation du renard , elle
étoit fort petite fans queue , & ne paroiffoit que
comme une légere nébulofité. Le 15 à trois heu
res dix- huit minutes du matin , elle avoit 307
degrés d'afcenfion droite , & 15 degrés 28 minutes
de déclinaifon boréale. Elle faifoit par
jour près de 2 degrés vers l'occident & vers le
midi. La comete que l'on avoit obfervée à Paris
au mois de Janvier , a été vue après la conjonction
, par M. Méchain de l'Académie Royale
des Sciences.
M. Houel continue la publication de fon
yoyage intéreffant de Sicile ; les livraiſons fe
fuccédent avec beaucoup de rapidité : la
11e, & la 12e. ne ſe font pas. fait attendre.
L'Auteur continue , dans la derniere qu'il vient
de publier , de faire connoître complettement le
refte des ifles & des écueils de Lipari dont il avoit
commencé de traiter dans le chapitre précédent ;
foit qu'il les confidere comme volcans , ou fimplement
comme productions de volcan , il diftingue
en Naturalife éclairé les matieres dont
( 35 )
ils font compofés , explique les changemens qu'ils
ont éprouvés dans le tems & depuis leur formation
; & par des planches auffi exactes que foignées
, préfente à l'oeil du Lecteur les alpects
divers de ces ifles , les particularités qui marquent
les époques effentielles des grandes révolutions
que leur ont fait éprouver des explofions ou
des commotions confidérables . La derniere plan
che du 12e chapitre offre la bouche du volcan
Stromboli , lançant une gerbe de pierre dans
l'état de charbons ardens , repréfentation auffi rare
qu'intéreffante. La premiere repréſente un bain
d'eau chaude à Lipari , avec les Scenes qui fe
paffent dans ces lieux de fanté , pendant que les
malades les fréquentent. La ze . , l'afpe&t d'une
faline , du fommet de laquelle on découvre quantité
d'objets intéreffans , & entre autres le mont
Etna , qui eft à plus de 25 lieues de diftance ;
ce qui peut faire juger de la hauteur de cette
faline qui domine les montagnes les plus élevées
de la Sicile. Dans le texte de ce chapitre , l'Auteur
traite avec intérêt d'autres détails , quelques
objets du commerce de ces ifles , de leurs ufages
domeftiques & des religions ; il obferve & fait
connoître tout ce que ces lieux anciennement
habités , offrent encore de débris & de monumens
antiques , qui font placés dans les Eftampes ,
& qui marquent les époques où différentes
nations ont habité ces ifles ( 1 ) .
?
"
Nous avons annoncé la premiere livraiſon
des eftampes repréfentant les conquêtes de l'Empereur
de la Chine , réduites & gravées par M.
Helman ; on fait que les deffins en furent faits
à Pekin , & envoyés en France en 1765 , pour
être gravés par nos meilleurs Artistes , & ren- y
(1 ) Ce voyage fe trouve chez l'Auteur , rue du Coq faing
Honoré,
b6
( 36 )
voyés avec les cuivres en 1774. Il n'en refta
qu'un petit nombre d'exemplaires deftinés pour
1 Famille royale & la Bibliotheque du Roi ;
elles font fi rares , que le prix , quand le hafard
los fait rencontrer , en eft porté à 8001 .
M. Helman offre la collection entiere à 48 1 .
La premiere livraiſon en a paru au mois d'Octobre
dernier ; la feconde paroît aujourd'hui
la troifieme paroîtra dans quatre mois , & après
un pareil efpace , la quatrieme & derniere fera
diftribuée (1 ).
Le fieur Belon , Peintre à Rouen , a imaginé
de concilier les deux fyftêmes aftronomiques de
Ptolomée & de Copernic. Sans entrer ici dans
les détails du fyftéme qu'il a composé de ces
deux , ce qui eft au moins inutile , nous nous
bornerons à donner une idée des machines qu'il
a inventées pour l'expliquer autant à l'oeil qu'à
l'efprit , & qui font réellement ingénieures. La
premiere eft compofée d'une table ou planifphere
de quatre pieds de diametre . Les degrés & les
fignes du Zodiaque , les mois , les folftices , les
équinoxes , le rapport de chaque figne à chaque
mois , &c. tout fe trouve réglé fuivant les principes
reçus en Aftronomie. Le foleil roule fur
fon char & fait fa courfe & fes révolutions au
"
(1 ) Le prix de chaque livraifon eft de 12 liv . Elles fe
trouvent chez M. Helman rue S. Honoré , vis -à- vis
Phôtel de Noailles , Cet Artiſte a acquis plufieurs Planches
du fond de M. le Bas , qu'il propofe aux Amateursà
un rabais de moitié de leur ancien prix , pendant
cette année feulement , paffe laquelle il n'en donne a plus
qu'au prix o dizaire. D'après Vonfalces , la Prife du Hron
, 3 liv. au lieu de 6 liv . Le Départ de chaffe , idem ,
D'après. Chudin , le Bon- homme , 16 fols , au lieu de 30,
Le Neglige , idem . De Bouchardon , Sculpteur du Roi ,
livre d'après l'antique , de 2 feuilles , 2 liv au lieu de
La réputation de toutes ces Eftampes eft faite depuis 30
205.
4.
( 37 )
9
tour des planettes qu'il éclaire de fes feux ; la
terre paroît conduire le char , la lune l'accom
pagne & ne le quitte point , faifant autour d'elle
fa révolution en vingt - neuf jours & demi ; ces
deux planettes forment des ellipfes très variées ;
le centre commun les retient , le foleil les attire ;
cette attraction étant réciproque , le foleil ne
quitte pas la terre, mais il la force de s'incliner un
peu à caufe du changement de fes orbites , La
terre tourne fur elle - même en 24 heures , accompagnée
de la lune & du foleil tournant avec elle .
& n'a qu'un centre commun à toutes les planetes ;
la lune montre toujours la même face à la terre ,
& démontre d'une façon très-jufte fes différentes
éclipfes , ainfi que celles du foleil dans les noeuds
qui arrivent deux fois l'année. Une feule aiguille
marque les heures du jour & de la nuit , les
femaines , le quantieme du mois , & c . Toutes
les pieces fe meuvent en même - tems , par le
moyen d'une manivelle & d'une corde de fparterie.
La feconde machine fert de fupplément à
la premiere , attendu que le mouvement des
autres planetes , leur rotation , autour du centre
commun , le correspondent toujours entr'elles
en raison de leur viteffe & de l'étendue de leurs
orbit s , à l'exception toutefois du foleil , qui
éclaire de tous côtés les différens globes .
On connoît la magie du pinceau de M. Fragonard
, les graces & la vérité qu'il a répandues
dans fes tableaux ; la gravure en a multip'ié plufieurs
que les amateurs fe font empreffés d'accueillir
. M. Blot vient d'en graver un qui offre
une eftampe charmante , intitulée le verroux ; le
fujet eft galant & rendu de maniere à produire
l'effet le plus agréable ( 1 ) .
9 (1 ) Le prix de cette eftar . pe eft de liv . Elle ſe trouve
chez M. Blo:, rue S. Etienne - des- Griz , maifon du College
de Montaigu.
( 38 )
A cette eftampe nous en joindrons une autre
qui eft le coup d'effai d'un jeune Artiſte , &
qui annonce un talent diftingué & de grandes efpérances
pour l'avenir. Le fujet eft tiré de l'Hiltoire
Romaine ; c'eft Mutius Scevola , furpris
dans le camp de Porfenna , où il avoit paffé
pour l'affaffiner , défiant les tourmens , & lui
donnant une preuve de fon courage & de fa
fermeté , en mettant fa main dans un brafier
ardent. Le tableau eft de Rubens (1).
Parmi les inventions utiles on diftinguera
celle- ci.
Le fieur Regnier , Mechanicien de S. A. S.
Mgr. le Duc de Chartres , vient de perfectionner
un appareil de filature , qu'il avoit inventé précédemment
, & avec lequel il peut aujourd'hui
filer des cordes de fer , folidement treffées & cablées
, & prefqu'auffi fouples que certaines cordes
de chanvre. C'eft avec ces cordes de fer , que
cet Artiſte forme des conducteurs pour les Paratonnerres.
La ville de Semur , fa patrie , en eft
déja prefqu'entiérement armée ; plufieurs Châteaux
de la Bourgogne en font également munis ,
& notamment celui de M. le Comte de Buffon ,
à Montbard. Les prix de ces cordes font de
10 à 12 fols le pied , felon leur groffeur. Il faut
s'adreffer à Semur en Auxois , où le fieur Regnier
réfide , il les fera paffer aux Adreffes qui lui
feront indiquées ; mais on eft prié d'affranchir
le port de l'argent & de la lettre. Ledit fieur
Reynier vient auffi d'inventer un fufil ou briquet
de défenfe , utile aux perfonnes qui habitent des
maifons ifolées , pour le mettre en fureté contre
les malfaiteurs . Ce briquet de défenfe eft com-
(1 ) Ceste Eftampe de 18 pouces de haut fur 15 de
large , a été gravée par M. Marchand , & fe vendliv.
chez M. Voylard , rue de la Harpe , n° . 18 , vis à vis la
rue Se pente,
( 39 )
`pofé d'une Lanterne légere , dont la bougie s'allume
, au moyen d'une mêche , par la feule détente
d'une batterie de piftolet , il eſt armé en
avant d'une bayonnette .
L'Académie des Belles- Lettres , Sciences &
Arts , propofa , l'année derniere , à l'invitation
de MM. les Maire , Echevins & Affeffeur , un Prix
de 1200 liv. & une Médaille d'or de 300 , pour le
meilleur Plan d'Education , propre à la ville de
Marfeille , confidérée comme maritime & commerçante
. Elle a reçu divers Mémoires , dont elle
en a diftingué trois qui contiennent d'excellentes
vues ; mais l'Académie de vant fe conformer fcrupuleufement
aux vues patriotiques des Officiers
Municipaux , elle a trouvé que les Auteurs n'ont
pas affez étendu le plan des Etudes relatives au
Commerce & à la Navigation ; elle a en conféquence
cru devoir réserver le Prix , & prévenir
les Auteurs qu'ils doivent s'attacher. 1 ° . A expofer
avec précision les diverfes efpèces de Commerce
que l'on fuit à Marseille, foit d'importation,
foit d'exportation , d'entrepôt , d'économie , & des
diverfes Manufactures de la ville. 2°. A indiquer
le genre d'étude & de connoiffances le plus propre
à faciliter , diriger & étendre , toutes les diverfes
branches de Commerce extérieur & intérieur.
3°.Apropofer les études néceffaires pour acquérir
une bonne théorie du Commerce en général , cette
profeffion étant la feule peut- être où l'on fe livre
fans préparation à la pratique , & dans laquelle on
fait dépendre la théorie des leçons tardives de
l'expérience . 4. L'étude des Langues vivantes ,
fur- tout de celles des Peuples avec qui Marſeille
a & peut avoir à l'avenir les relations les plus fuivies
& les plus intéreffantes , doit entrer dans le
Plan d'Education que l'on defire ; on n'oubliera
point l'étude de la Géographie , de la Navigation
, de l'Architecture navale , des Méchaniques ,
( 40 )
de l'Hiftoire Naturelle , & de la Chymie . 5°. Le
mouvement continuel d'un grand Commerce , le
choc varié des intérêts qu'il réunit & qu'il divife ,
produifant chaque jour des prétentions opposées ,
des différends & des procès , il paroît effentiel que
le Négociant apprenne de bonne heure ces Loix
fimples qui , en le ramenant aux regles feules de la
probité , & lui apprenant à éviter les ſurpriſes &
les fraudes , le préparent à devenir le juge de
fes égaux ; il faut donc indiquer une espèce d'Ecole
de Jurifprudence mercantile . 6º . Il paroît
utile de donner aux jeunes Gens quelques notions
d'Adminiſtration publique : les Négocians font
quelquefois appellés à éclairer le Législateur fur
les befoins du Commerce , fur les Ordonnances
qui le lient au bien & à l'intérêt public , fur la
protection qui le foutient ; enfin fur les diverfés
circonftances générales par rapport à l'Etat , &-
particulieres par rapport à la Province & à la
Ville qu'ils habitent , foit relativement à leur
climat , à la fertilité du fol , à leur population ,
au génie & au befoin des Peuples environnans .
7 °. Pour fe diftinguer dans la profeffion qu'on
embraffe , on ne doit pas fe reftreindre aux feules
connoiffances qui font propres à cette profeffion ;
il faut donc que le Négociant qui fe deftine aux
grandes entreprifes de Commerce , ait quelque
connoiffance de la Politique des Nations , & qu'il
foit inftruit des Traités qui , depuis un fiecle ,
n'ont eu que le Commerce pour objet. .Les
Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au 1er de
Mars 1785 , & doivent être adreffés franc de
port , à M. l'Abbé de Robineau , Secretaire perpérvel
.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 58 , 41,75 ,
34 , & 31 .
( 41 ) 41 )
DE BRUXELLES , le 1 Mai.
Les lettres de Liege portent que l'élection
d'un Prince -Evêque étoit décidemment arrêtée
il y a quelques jours , & on croit qu'elle
eft actuellement faite en faveur du Comte de
Hoensbroech , Tréfoncier . Les concurrens
étoient l'Archevêque de Cambray , & l'Evêque
de Tournay ; le premier voyant le dernier
réfolu de ne point céder , n'a pas voulu
faire durer la conteftation ; & comme il
étoit maître de l'élection , en fe décidant
pour le prétendant qu'il voudroit , à caufe
du grand nombre de voix dont il pouvoit
difpofer , il les a toutes données à M. le
Comte de Hoensbroech .
On mande de la Haye , que la députation
des Etats de Hollande & de Weft- Frife , qui
s'eft rendue le 14 du mois dernier auprès du
Stadhouder , pour avoir des éclairciffemens
fur un acte , par lequel , felon le bruit géné
ral , il s'étoit engagé fous ferment , lors de fa
majorité , à fe fervir conftamment des confeils
du Feld - Maréchal Prince de Brunſwick ,
en a reçu la réponſe fuivante .
« Je ne fais point difficulté de répondre à MM.
les Députés de L. N. & G. P. les Seigneurs Etats
de Hollande & de Weftfrife , en les priant de
communiquer cette préfente réponse auxdits
Seigneurs Etats , que je ne fuis pas interrompu
S A. le Feld- Maréchal Duc de Brunſwick ,
à expédier les ordres qui auroient pu fervir à
prémunir contre toute agreffion les frontieres
de l'Etat mais quoique je ne fois pas tenu de
par
:
( 42 )
rendre compte de mes geftions en qua'ité de Capitaine
général de l'Union , à perſonne qu'à
L. H. P. , je fuis prêt , pour marque de ma déférence
aux volontés de L. N. & G. P. , de leur
donner , fi elles le deſirent , ouverture des raiſons
& motifs qui m'ont engagé à ne point envoyer
un grand nombre de troupes vers les frontieres ,
avant la prise de la réfolution du 7 du courant .
Quant à l'acte paffé entre le fufdic Seigneur
Duc & moi le 3 Mai 1766 , mais que je n'ai
jamais att té par ferment , je m'étois déja propo
fé par moi- même , en apprenant les bruits défavantageux
& deftitués de tout fondement qui ſe
répandoient , de ne le plus tenir fecret , & je ne
manquerai point de communiquer fous peu de
jours , une copie authentique dudit acte à L. N.
&G. P. !
Les lettres de la Haye rendent ainfi compte
du Jugement rendu dans l'affaire de l'Enfeigne
de Witte, du jardinier van-Brackel, &
de fon exécution.
Le premier , qui étoit en prifon depuis le 27
Septembre 1782 , a été déclaré déchu de fa
charge militaire , condamné à être enfermé dans
une place de fûreté pendant fix ans , au bout
defquels il fera banni pour toujours de Hollan
' de , Zélande , Frife & Utrecht. Qnant au Jardinier
, prifonnier depuis le 15 Octobre de la
même année , il a été condamné à être conduit
la corde au cou fous la potence , à y être
fouetté & marqué , à être enfermé enſuite dans
une maison de correction pendant vingt- cinq
ans , pour y gagner fa vie & fon entretien par
le travail de fes mains . Après ce terme , il eft
banni des quatre Provinces fufdites fous peine
de mort. Le malheureux a ſubi fa Sentence le 21
du mois dernier.
( 43 )
Des lettres poftérieures de la Haye portent,
que le 20 du mois dernier au foir ,
l'Ambaffadeur de France fe rendit chez des
Membres du Gouvernement , pour leur annoncer
que fa Cour n'avoir aucune répugnance
à intervenir par fes bons offices
entre l'Empereur & L. H. P. , pour l'applaniffement
des différends élevés entre
ces deux Etats. Sur cette communication
intéreffante , une députation de L. H. P. , à
la tête de laquelle étoit le Préfident de femaine
, fe rendit chez l'Ambaſſadeur pour
lui porter les témoignages de la reconnoiffance
de l'Etat .
Le 11 de ce mois , écrit- on de Berlin , le Roi
vint ici de Charlottembourg pour faire un vifite
à la Princeffe Amélie ; il a donné le même jour
audience à Charlottembourg , à MM. les Prince's
de Lambefc & de Vaudemont , ainfi qu'aux autres
Officiers François qui s'y étoient rendus. Le
12 , à cinq heures du matin , S. M. paffa en revue
tous les régimens en garnifon dans cette Ville , &
retourna à Potſdam : la ſanté s'eſt rétablie , & elle
ira faire la revue des troupes affemblées à Magde
bourg , à Cuftrin & dans la Poméranie. Elle par
tira le 25 Mai , & reviendra le 12 Juin.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Au milieu des troubles & des mécontentemens
de l'Irlande , on ne néglige pas les plaifirs
à Dublin ; le Dire&eur du théâtre de cette ville
a engagé Miftriff Siddon à y faire un voyage ;
& le traité qu'il a fait avec elle , eft de lui donner
24000 liv. fterl. pour 22 repréfentations . Mif(
44 )
triff Siddon en fe rendant à Dublin , paffera à
Edimbourg, où elle donnera 12 repréſentations ,
dont la derniere fera à fon profit .
On s'attend à quelques mouvemens dans les
places de l'adminiftration . On prétend que le
comte de Shelburne fera fait premier Lord de
la Trélorerie , & que M. Henri Dundas aura
une place de Secrétaire d'Etat .
Quelques lettres de Madras portent que l'avarice
a fait un tel progrès , qu'à peine le Gouver
neur donne- t- il , & rarement , une poignée de
riz à un defcendant de Tamerlan , qui vient
mendier à fa porte. Vingt Zemindars demandent
fur les grands chemins ; & leurs femmes
, abandonnées aux horreur de la pauvreté
font forcées , pour vivre , de faire le métier de
courtifannes.
Nos papiers prétendent qu'il y a une négociation
entre l'Impératrice de Ruffie & les Etats-
Généraux pour une ceffion à faire par ces derniers
au moyen d'un équivalent d'une Ifle dans les
Indes Occidentales . On dit que ce fera celle de
S. Martin & on ignore comment les autres
puiffances regarderont ces arrangemens. Les
Ruffes s'occupent à donner à leur commerce toute
l'extenfion dont il eft fufceptible ; ils ont toujours
défiré des poffeffions en Amérique & en Afie , &
dans la Méditerranée ; fi Minorque n'avoit pas
été pris par les Eſpagnols , peut - être en feroitelle
maîtreffe à préfent ; & on eft perfuadé que
lorfque cette ifle nous a été enlevée , il y avoit
une négociation ouverte qui en auroit donné la
propriété à la Ruffie.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS , GRAND'CHAMBRE.
Caufe entre la dame T.... & le fieur T ... Son
mari. Séparation de corps.
La féparation de corps eft un moyen que la
( 45 )
Juftice n'emploie qu'avec ménagement ; par
exemple lorfque la patience d'une femme a été
mife à l'épreuve pendant un certain tems , qu'elle
n'a plus aucun espoir de ramener fon mari à des
fentimens plus doux ; qu'il y a même un danger
imminent de la laiffer au pouvoir d'un homme
qui ne ceffe de la maltraiter. D'après ces principes
, il eft difficile d'accueillir favorablement
une demande en féparation , formée après fix
mois de mariage ; & il faudroit que le caractere
d'un mari fùt bien violent & bien intraitable
pour donner lieu . dans un fi court eſpace , à un
éclat auffi funefte. Si les femmes étoient de bonne
foi , elles avoueroient que ce font presque toujours
des confeils étrangers qui préparent ces
divifions , & qui menent par degré à la perverfité
, un coeur pur , une ame innocente , faite pour
fuivre fans contrainte le chemin de la vertu :
dans une femblable occurrence , quel parti doit
prendre la Justice ? C'eft, avant faire droit définiti
vement fur la demande en féparation , d'autorifer
la femme à demeurer penda nt un délai fixé dans
une maifon décente , où le mari , en prétence
de témoins , ait la liberté de voir fa femme , de
lui prouver qu'il n'eft pas indigne de fon amitié.
C'eft le parti que la Cour vient de prendre dans
la caufe de la dame T ... mariée au mois de
Janvier 1783 , & qui avoit formé fa demande en
féparation des les premiers jours de Juillet , fur
des motifs de févices , d'injures & de mauvais
traitemens , & de diffamation . La cauſe plaidée
au Châtelet , Sentence y eft intervenue le zo
Décembre 1783 , qui a admis les Parties à la
preuve des faits refpectifs , a appointé en droit
fur le fonds , & a joint à l'appointement les enquêtes
à faire. Sur l'appel en la Cour , Arrêt
du 20 Mars 1784 , qui furfeoit à faire droit
-
46 )
pendant un an , pendant lequel tems la dame T...
Tera tenue de fe retirer dans une maifon indiquée
par une aſſemblée de parens , tenue en préfence
d'un Commiffaire de la Cour. Perinet au mari de
la voir en préfence defdits parents : ordonne
qu'elle fera payée pendant ladite année d'une
penfion , tant pour elle que pour fon enfant
qu'elle eft autorisée à conferver : dépens compenfés.
Caufe extraite du Journal des caufes célébres.
PARRICIDE exécuté en Flandres.
Les philofophes qui ont obfervé avec plus
d'attention la marche des paffions ; ceux qui ont
pénetré, pour ainfi dire , dans l'abîme du coeur
humain , s'accordent tous à regarder comme un
phénomène , qu'un homme vertueux devienne
tout à coup un fcélérat. Cette opinion honorable
pour le genre humain , a été adoptée dans
tous les temps. Il faut avouer cependant que
cette règle , admife en morale , n'eft pas , malheureusement
, fans exception . La Flandre
vient de voir expirer , dans les tourmens du plus
cruel fupplice , un monftre qui paroît avoir franchi
brufquement la ligne qui fépare la vertu du
crime. Quelques inftans avant fon forfait , c'étoit,
dit - on, un citoyen irréprochable . - Jean- Baptifte
Lacquemant deineuroit à Beuvry, dépendance
de Marchienne . Si l'on en croit tous les habitars
du canton , il étoit l'exemple du village. Ennemi
de toute espece de diffipation , & fur tout de ces
fêtes de cabaret auxquelles les gens du peuple
ne le livrent que trop fouvent , il n'étoit occupé
que de travaux ruftiques , des pratiques religieufes
& du bonheur de fa famille ( car il joignoit à la
qualité d'homme réputé vertueux , le mérite
d'être époux & pere ) ; il jouiſſoit enfin de la paix
( 47 )
H
domeft que , de l'eftime de lui-même , & de celle
des autres, lorfqu'un fordide intérêt caufa tout - àcoup
, en lui , la révolution la plus étrange & la
plus affresfe. Son pere étoit veuf : las , apparamment
de cet état , il conçut le projet
de fe remarier , & jetta fes vues fur une veu
ve du canton . Le fils , qui , avant cette
époque étoit cité comme un modèle de fageffe
& de modération , devint furieux , lorsqu'il vit
que le deffein de fon pere alloit le traverter dans
fes petits projets économiques. Il réfolur , à quelque
prix que ce fût , de mettre obftacle au
mariage projetté, Travefti & armé d'un bâton ,
il alloit , la nuit , chercher & attendre fon pere ,
à deffein de le détourner , par des terreurs , du
deffein qu'il avoit conçu . Soit que ce moyen eut
réuffi , foit par tout autre motif, le pere promit
de ne plus aller voir la veuve . La veille de
l'Epiphanie , les gens de la campagne le réunif
fent en famille pour célébrer la fête des Rois :
Lacquemant , qui croyoit avoir fait perdre à fon
pere tout penchant pour le mariage , l'invita à
Touper le 5 janvier 1784. Dans la gaieté du
repas , le bon vieillard par quelque propos déclara
fa perfévérance pour la veuve. Lorsqu'ils fe
furent féparés ( vers dix heures & demie ) , le
fils inquiet , voulut s'aflurer fi fon pere étoit
rentré dans fa maifon ; 1 s'y tranſporta , & ne
l'y ayant point trouvé , il prévit qu'il étoit chez
la veuve ; & auffi -rót de fe livrer à tous les exès
de la fureur. Il court chez lui , fe déguife ,
s'arme d'un gros bâton de cerifier , va fe potter
fur le paffage de fon pere , l'attend pendant une
heure & demie , & l'ayant enfin apperçu , s'élance
, lui porté , avec violence , plufieurs coups
de bâton fur les jambes ; elles font rompues
; .... le malheureux vieillard fe releve fur
...
( 48 )
les genoux , reconnoît fon fils , frémit d'hor
reur , ... la douleur l'effroi d'une mort vio-,
lente , le fpectacle affreux d'un fils affaffinant
fon pere , tout l'enfer déchirant fon coeur, La
terreur fur le front , les joues livides & creusées
des cheveux blancs hériffés , les bras tremblans ,
tendus vers fon parricide , il s'exhile en gémiffemens
, il implore fa pitié; .... le monftre , d'une,
main horriblement fure , lui porte fur la tête le
coup de la mort..... Le lendemain [ 6 Jan-,
vier ] le cadavre de cet infortuné vieillard fut
trouvé dans l'endroit même ou il avoit été
affaffiné. Jamais les foupçons n'euffent tombé
fur J. B. Lacquemant , fi ce malheureux n'avoit
lui -même été au- devant par fes inquiétudes &
fes remords . Bientôt il fut décrété , arrêté ; les
hommes de fef de la cour féodale de la ville de
Marchiennes inftruifirent la procédure , & fur
les preuves qui en résulterent , ils condamnerent
le parricide à être rompu & brùlé . Leur
fentence a été confirmée par le parlement de
Douay , le 29 - Janvier 1784. Deux jours après
Jean-Baptifte Lacquemant, fubitfon fupplice dans
toute fa rigueur , mais avec une réfignation que
la religion feule peut infpirer . Moins effrayé
des tourmens dont il voyoit l'affreux appareil, que
de l'horreur de fon crime, ce malheureux , en montnt
à l'échafaud , dit aux religieux qui l'accompagnoient
, que les tranfes qui le bouleverfoient , n'avoient
point pour caufe l'approche du fupplice qui lui
étoit préparé , mais la crainte que ce fupplice ne fuffic
pas pour expier fon forfait devant Dieu ; qu'une autre
allarme , non moins déchiranté pour lui , étoit fon
incertitude fur les difpofitions de l'ame de fon pere ,
lorfqu'il expira. Ce fut dans des fentimens
auffi touchans , que mourut celui qui s'étoit
fouillé du plus abominable de tous les crimes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 16 Mai.
La
A révolution qui vient de changer la face
de notre Cour s'affermit & fe développe
de plus en plus. On vient de fupprimer plufieurs
Dicafteres de l'adminiſtration , notamment
ceux des Finances , de la Marine & de
l'Amirauté : ils font réunis au nouveau Confeil
d'Etat , préfidé par le Prince Royal , &
formé de cinq membres , MM. le Comte de
Bernstorff , de Schack Ratlow , de Rofenkrantz
, de Stampe & de Huth. Le premier,
éloigné depuis long - temps des affaires & de
la Cour , eft non-feulement Miniftre des
affaires étrangeres ; il vient de plus d'étre
nommé Préfident du département de la
Chancellerie Allemande .
L'armement de la flotte fe continue avec
activité on en ignore encore le motif & la
deftination. Les changemens actuels paroif-
Nº. 24, 12 Juin 1784.
( 50 )
fant devoir influer fur l'adminiftration inté
rieure de l'Etat , & fur fes intérêts politiques ,
il n'eft pas inutile d'entrer dans quelques détails
fur la fituation préfente de ce Royaume.
Le Danemarck feul , felon Bufching , contient
850 milles géographiques quarrés ; les Duchés
d'Holftein & de Slefwick 979 ; la Norwege eft àpeu-
près de l'étendue de la Grande - Bretagne ;
' Iflande & le Groënland n'ont jamais été exactement
mefurés: ce dernier renferme 10,000 habitans
, & la totalité des fujets Danois en Europe
peut s'évaluer à 2,200,000 : en y joignant les
colonies, cette population eft portée à 2,500,000.
Douze principaux Colleges d'adminiftration
étoient réunis à Copenhague , & plufieurs d'entreux
préfidés par le Prince Frédéric . On fait
que , par la foi royale de 1661 , le Roi de Dannemarck
eft fouverain abfolu; il doit être luthérien ,
& ne peut aliéner les biens réunis à la Couronne :
voilà les feules limites à ſon autorité toute .
puiffante , comme on fait , depuis ce pacte célebre
dont aucune nation n'avoit encore offert
d'exemple .
晋
La fucceffion de la Couronne eft héréditaire
dans la ligne régnante , mâ'e ou femelle . Si
toute la postérité de Frédéric III venoit à s'éteindre
, le Tróne pafferoit aux defcen tans des filles
de ce Prince : d'elles fortent la Maifon Electorale
de Saxe , celle de Holftein- Gottorp , la Maifon
Royale de Suede , & la Maifon Impériale,
de Ruffie. La différence de Religion rendroit la
Saxe & la Ruffe inhabiles à la fucceffion .
h
Sous le miniftere de l'infortuné Comte de
Struenfée , on fonda une Société royale d'économie
rurale , une autre des Arts , Commerce &
Manufactures , une troisieme de Chirurgie , &
ane Société de Médecine. On n'ignore point que
les Danois ont un théâtre national , dont plufreurs
pieces ont été traduites en langues étrangeres.
5
Le Code civil de loix Danoifes eft peut- être
le meilleur de l'Europe , court & clair , chaque
fanction préciſe & bien déterminée . Molefworth ,
détracteur des établiffemens du Danemarck
rend juftice aux loix de ce Royaume on n'y
fouffre ni citation ni mêlange de loix étrangeres.
La police y eft très- bien adminiftrée dans
toutes les parties . Un avantage particulier à
cet Etat et l'uniformité des poids & meſures ;
en la doit prefque en entier aux foins du Comte
de Bernitorf.
L'agriculture eft floriffante dans les Provinces
où elle eft fecondée par la nature du terrein .
Tel payfan du Slefwic poffede 10,000 rixdales ,
en d'autres diftricts il manque du néceffaire . Les
Sociétés économiques qui , comme ailleurs , n'y
ont point été des écoles de verbiages , ont fu
répandre dans cette partie , avec difcernement ,
& des récompenfes , & de l'émulation . Les fabriques
des chofes de néceffité ont fait des progrès
fenfibles ; celles de draps fourniſſent toute
l'armée & la flotte.
Autrefois le commerce maritime du Danemarck
fut très- confidérable ; la derniere guerre
l'avoit porté au point où il fut dans le moyen
àge. On connoît les diverfes Compagnies établies
dans le Royaume. La plupart de celles qui
opprimoient le commerce intérieur ont été
fupprimées. Quoique la balance avec l'étranger
foit défavorable au Danemarck en particulier ,
cette perte eft compenfée par les bénéfices de la
Norwege , dont la plupart des Nations maritimes
fonttributaires.
C 2
( 52 )
Entre les établiffemens utiles au commerce
li faut compter celui du canal de Sleswick &
Holftein ; il doit fervir à joindre les deux mers
pour éviter un long & dangereux détour. Un
million de rixdales efl deftiné à cet objet :
en 1777 on a commencé les travaux. On comp
Loit 2053 vaiffeaux , en 1771 , dans les divers
ports du Royaume : ce nombre a bien augmenté
depuis .
Les revenus de la Couronne fe tirent des domaines
, des droits de régale , des péages , poftes
, mines , monnoies , & contributions. Il en
refulte une recette d'environ 7 millions de rixdales
; le feul péage du Sund en rapporta près
de 500,000 dans l'année 1777 .
En 1782 , l'armée étoit compofée de 78,000
hommes. On comptoit en 1771 foixante vailfeaux
de guerre , dont vingt-fix de ligne , &
portant 2660 canons , & demandant 10,964 marelors
, outre 5600 foldats de marine ...
D'après cet expofé , on peut apprécier le
degré d'influence que pourroit avoir le Dannemarck
, dans le fyftême du Nord , & dans
la balance politique . Nous renvoyons à l'un
des Numéros fuivans les détails qui concerpent
la Norwege.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 16 Mai .
De divers voyages dont le projet a été
attribué à l'Empereur , celui de Hongrie eſt
arrêté . On fixe à demain le départ de S. M.
I. : le Feld-Maréchal , Comte de Lafcy , eft
( 53 )
nommé pour l'accompagner. Comme la
Cour de Tofcane eft attendue ici inceffamment
, le voyage du Monarque ne fera pro
bablement que de trois femaines.
Il vient de paroître une Ordonnance portant
diminution des droits de taxes des
Chancelleries Eccléfiaftiques. Cette piece eft
conçue en ces termes.
« Nous JOSEPH ; & c. & c. & c. Pour faciliter
autant que poffible le paiement des droits ou
taxes à acquitter par ceux qui ont des réfolutions
, actes & autres documens à retirer des
Chancelleries Eccléfiaftiques des Evêques diocéfains
, & établir à cet égard une parfaite uniformité
dans tous nos pays héréditaires , nous or
donnons & ftatuons par la préfonte : Article I.
Qu'à commencer du premier Juillet de cette
année , les réglemens & ufages qui ont fubfifté
jufqu'à préfent feront tenus pour abrogés , & que
les taxes des Chancelleries épifcopales n'auront
déformais d'autre regle que celle qui eft pref
crite par la préfente Ordonnance générale.
II. Que relativement à ces taxes , chacun fera
traité également fans diftinction de rang , de
religion , de dignité & fans aucune différence entre
les nationaux & les étrangers. Ill . Excepté
pourtant que ceux qui , par des certificats en bonne
& due forme , peuvent prouver l'infuffisance de
leurs moyens , feront entiérement exempts du
paiement de ces taxes . IV. La taxe défignée ici
eft uniquement accordée pour tenir lieu de
droits de copie ou d'expédition , attendu qu'il
n'eft abfolument rien dû aux Evêques , non
plus qu'à aucun de leurs Employés eccléfiaftiques
C. 3
( 54)
& autres perfonnes du Confiftoire , pour tout ce
qui tient à l'exercice de leur fonction de Pafteur.
V. Sur chaque acte ou document expédié
doit être marqué exactement la taxe qui en aura
été payée. VI. Il ne fera expédié des actes en
forme que dans les cas défignés expreffément par
le préfente Ordonnance. Toutes les autres réfo- .
lutions des Evêques feront communiquées en
forme d'explications ou d'inftructions , & fi les
Chancelleries épifcopales délivroient des actes
qui ne fuffent pas autorifés par la préfente Ordonnance
, il n'y auroit aucun paiement à faire
pour cette expedition . VII . Sous prétexte de
défaut de paiement , on ne fufpendra pas l'expédition
de l'affaire dont il s'agira ; on fe contentera
feulement de tenir note de ce qui restera
à acquitter , pour en exiger le paiement à la fin
du mois. Les taxes à payer fuivant cette Ordonnance
, appartiendront à l'Evêque diocésain , fi
la Chancellerie eft entretenue à fes frais ; mais
fi elle eft foldée par la caiffe de religion , c'eft
auffi à celle-ci qu'on en devra tenir compte , &
en remettre exactement le produit. IX. S'il vient
à être perçu une taxe plus forte que celle qui eft
fixée dans cette Ordonnance , ou fi l'on fait payer
quelque droit dans les cas où cette loi ne défigne
aucune taxe , celui qui commettra cet abus d'autorité
fera condamné à . reftituer au Gouvernement
civil de la Province dix fois la valeur de
ce qui avoit été perçu injustement , & la moitié
de cette fomme appartiendra au dénonciateur ».
Tarif des droits ou taxes des Chancelleries ecclefiaftiques.
Premiererubrique à raison defix kreutzers, « Cette
taxe fera payée , 1 °. pour chaque réſolution de
( 55 )
·
l'Evêque diocéfáin , ou de fon confiftoire , quel
qu'en foit l'objet , en affaires qnt de leur
reffort , ou qui , n'en étant pas font renvoyées
par eux. 2. Pour chaque demi feuille d'une
copie demandée à la Chancellerie eccléfiaftique
qui doit d'ailleurs obferver de ne pas grever le
requérant par une extenfion trop longue & inu- ,
tile. Seconde rubrique à raifon de trente kreutzers.
Cette taxe fera payée , 1
pour chaque actè ou
- document pour tonfure , les quatre moindres , le
Sous-diaconat , le Diaconat , la prêtrife, 2 °.
Pour la permiffion de recevoir la Prêtrife dans
un autre diocefe , ou des mains d'un autre Evêque.
3. Pour le premier acte de permiffion de
dire la Meffe , la prolongation devant en être
payée feulement fur le pied d'une réfolution
fimple. 4 ° . Pour l'ae qui conftitue la jurifdicdation
d'un Curé . 5. Pour l'acte qui pourvoit
ad interim à une Cure vacante jufqu'à ce qu'il en
ſoit diſpoſé. 5º . Pour la légalisation d'un acte de
Baptême , mariage , Enterrement , & c . , dans les
cas où cette légalifation feroit demandée par la
partie intéreffée , attendu que perfonne n'eft dans
I'obligation de fe pourvoir d'un pareil document.
7. Pour le premier acte de permiffion donnée au
moins pour la durée d'un an à un Prêtre , à l'effet
de dire la Meffe dans une chapelle particuliere ,
la prolongation n'en devant être payée que fur
le pied d'une réfolution ſimple . 8 °. Pour permiffion
de dire la Meffe dans une Chapelle particuliere
, & qui an moins doit être donnée pour
l'espace d'un an , la prolongation n'en devant
être payée que fur le pied d'une réſolution fimple.
Pour approbation & confentement de
pouvoir changer de Cure , ou la réfigner ensiérement.
1. Pour expédition requifitoriale à
un autre Tribunal eccléfiaftique ou civil , fur la
C 4
( 56 )
demande exprese des Parties. 11 ° . Pour confe
cration d'un Autel . 12°. Pour confécration de
cloches. Teme rubrique à raifon de trois florins.
Cette taxe fera payée , 1. pour acte d'inftallation
dans une Cure , Chapellenie ou autre dignité
eccléfiaftique [ mineure ] fans exception . 2. Pour
les difpenfes accordées à un candidat , à l'effet
de lever les obftacles qui l'empêchent , en maziere
purement fpirituelle , de parvenir à la prê
arife. 3. Pour acte de confécration d'une Eglife.
40. Pour acte de confécration d'un Cimetiere
5 °. Pour acte de démiffion . 6º. Pour document
d'une fondation . Pour l'envoi d'une portatile , à
condition qu'il ne foit rien payé à part pour
cette pierre facrée ou autre chofe y appartenant.
"Quatrieme rubriqu ?, à raifon de douze florins . Cette
taxe comprend uniquement l'acte délivré au
fajet promu au rang de Confeiller cccléfiaftique
ou autre dignité ( non comprife fous la Lettre cideffus.
) Ce qui s'entend pour les feuls Officiers
& Employés dont les Evêques font autorisés à
faire expédier dins leurs Chancelleries les actes
de nomination ou de confirmation «‹ . S. M. veut
& ordonne en outre , que pour l'information des Parzies
, un exemplaire de cette Ordonnance foit con-
Servé dins chaque Chancellerie de l'Evêque Diocéfain.
Vienne le 21 Avril 1784. JOSEPH.
DE FRANCFORT , le 20 Mars.
On donne l'anecdote fuivante pour authentiq
te ; nous la rapporterons fans la garantir.
On trouva il y a quelques mois un
libelle affiché à l'Eglife proteftante nouvellement
bâtie à Vienne : l'Empereur y étoit
qualifié de la maniere la plus indécente ; ort
( 57 )
ly appelloit entr'autres , félucteur de l'Epou
fe de Chrift. Ce Prince , inftruit de l'exiſtence
du Libelle , a ordonné qu'on l'imprimât , &
l'argent provenu de la vente a été remis aux
anciens de l'Eglife mentionnée , pour être
diftribué aux pauvres.
ITALIE.
DE VENISE , le 12 Mai.
La République s'eft toujours piquée de
magnificence & de nouveauté dans les fêtes
qu'elle a données aux divers Souverains
qui ont voyagé chez elle . La fituation de la
ville & le goût national ont de tout temps
diftingué ces fpectacles de ceux qu'on voit
ailleurs. Ceux dont on amufa les Comtes du
Nord , à leur paffage , tenoient plus de
la Féerie que du genre des divertiffemens
ufités par tout. On s'eft piqué de traiter
le Roi de Suede avec la même fomptuofité
: S. M. paroît avoir été fur-tout fingulierement
frappée de la Régate , ou courſes
de barques & de gondoles fur le grand canal.
Cette Naumachie a été exécutée avec
la magnificence & l'adrefle particulieres à ce
spectacle.
·
Le départ de S. M. S: a été retardé par
une légere indifpofition. On préfume que ce
Prince fe rendra à Milan , & delà à Turin ,
puis en France , après avoir vifité une partie
de la Suiffe.
( 58 )
Notre Efcadre fous le commandement
du Chevalier Emo , fera compofée de frégates
, & autres vaiffeaux de guerre de moindre
force. Ces jours derniers on a lancé la
bombarde la Diftruttrice , qui doit faire partie
de cette efcadre. Le Triton & la Concordia,
vailleaux de ligne du fecond rang font
fortis du baffin. Le rendez -vous général eft
à Corfou , d'où l'efcadre appareillera pour
aller croifer contre les Tunifiens.
ESPAGNE.
DE MADRID, le 10 Mai.
Dans le N°. 5. du Journal de Geneve de
cette année , on avoit rapporté fur la foi véritablement
très fufpecte de tous les papiers
publics , une prétendue Bulle du Pape , relative
à la difcipline eccléfiaftique , & publiée
, ajoutoit on, dans la Gazette de Madrid
du mois de Décembre dernier. Par
cette Bulle, les Religieux devoient être foumis
en Efpagne à la Jurifdiction épifcopale,
fans aucune dépendance de leurs Généraux
étrangers.
Nous nous empreffons de démentir cette
fauffeté , comme nous le ferons toujours ,
lorfque , malgré notre vigilance à être en
garde contre les affertions des Gazettes &
des Journaux , il nous arrivera d'avoir été
induit en erreur. En conféquence , nous pu
( 59 )
blions ici la lettre qui nous a été adreffée à
ce fujet par une perfonne d'un rang fupé-
•
rieur.
Tout Auteur d'un Journal qui prend pourdevife
vérité & impartiabilité , devrait être fur
fes gardes pour ne pas inférer indifféremment
dans fon ouvrage les allégués des Gazettes étrangères
, dont les Auteurs mal informés ou mal
intentionnés hafardent fouvent des faits faux ,
fur tout ce qui concerne la religion & les reli
gieux . C'est ce qui eft arrivé à l'égard de la
prétendue Bulle du Pape régnant dont il est fait
mention n°. 5 , à l'article Efpagne. Cette Bulle
n'a jamais exifté : c'est au moment de la
promulgation de la Bulle qui accorde à S. M.
C. le tiers des revenus de tous les bénéfices , à
la réserve des évéchés & des bénéfices à charge
d'ames , que des particuliers , on ne fait par
quels motifs , ont répandu clandeftinement dans
toutes les maifons religieufes de Madrid la fauffe
cédule dont il eft queftion . Le Gouvernement
qui en a été informé a fait retirer tous les exemplaires
, & a donné ordre d'en rechercher &
punir les Auteurs.
Le 9 de ce mois , l'Inquifition a célébré
un Autillo , ou diminutif d'Auto - da-fé. Le
coupable étoit un de ces Impofteurs qu'on
appelle Charlatans , & que le S. Office reclame
ici comme Sorciers . Celui- ci employoit
des poudres fympathiques , ou
aphrodifiaques, à la féduction des perfonnes
du fexe. Ce délit n'a point été puni' de peines
plus graves que celles ufitées par-tour.
Le corrupteur & deux femmes fes complices
, ont été condamnés au fouet , à la
C 6
( 60 )
promenade avec infamie dans les rues de
Madrid , & à la prifon perpétuelle.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le Juin.
Jufqu'à ce jour ,, les procédés du nouveau
Parlement n'ont pas eu d'objets intéreffans
pour les étrangers. Les deux partis
, y ont fait l'effai de leurs forces : plus
de 140 votes de différence ont marqué
la fupériorité du Miniftere , de ce même Miniftere
toujours battu dans la précédente ſeſfion,
Si l'on obferve que les familles les plus
opulentes , ou les plus accréditées dans les
élections , les Cavendish , les Spencer , les
Ducs de Bedfort , de Marlboroug & de
Portland , les Comtes d'Hertford , de Fitz-
Williams , &c. , &c. , ont uni leurs intérêts
à ceux de la coalition ; & que d'un autre
côté le Ministère offroit peu de ces noms
illuftres dans la haute nobleffe , & encore
moins d'appuis équivalens , on regardera for
triomphe actuel comme l'effet certain du
voeu national .
En. fe manifeftant , celui- ci a donc prononcé
fur la fageffe de la diffolution du Parlement.
On n'a jamais vû , on ne reverra peutêtre
jamais ce concours du trône & de la
nation contre l'influence & la conduite des
répréfentans de cette nation même,
( 61 )
Le jugement des élections conteftées , occupe
en ce moment la Chambre des Communes. Un
acte ou bill , paffé fur une motion de M. George
Grenville , Chef de la Trésorerie en 1763 , a
réglé la nature de ges Elections admiſes au recours :
on a perfectionné encore , il y a dix ans , la forme
de ces décifions. Autrefois , elles é.nanoient de
la Chambre entiere , & les témoins n'étoient point
affermentés : maintenant un Comité de 15 Jurés ,
Membres de la Chambre , eft chargé de ce jugement.
Pour lui ôter toute apparence de par
tialité , de 100 Membres affians à l'affemblée ,
on en tire au fort 49 ; chacun des Candidats appellans
en recule un tour- à-tour , jufqu'à ce que
le Comité foit réduit à treize Juges pour completter
le nombre de quinze , les Candidats choififfent
deux Adjoints à leur gré fur la totalité de
la Chambre.
Celle de ces petitions qui a fait le plus
de bruit a été jugée inadmiffible. Le 28 du
mois dernier elle a été portée par M. Fox
& fes adhérens , au fujet de la demande d'une
revifion de fuffrages accordée au Chevalier
Wrray,, par le Grand - Baflli de Weſtminſter :
cette revifion eft ce que les Anglois appellent
Scrutiny , dont notre mot de Scrutin , ainfi
que la chofe qu'il exprime font précisément
l'oppofé.
Selon fa maniere , M. Fox , dans la difcuffion
de fa demande , fit plus d'ufage de fon élo
quence que des loix du Royaume , & des écarts
à la queftion , que de la queftion même. M. Pitt
1'y ramena en lui difant « qu'il ne s'agiffoit point
de favoir jufqu'où il avoit à feplaindre de l'ini
itié de l'adminiftration , ni de tous les lamen(
62 )
tables récits des vexations fous lesquelles il avoit
failli fuccomber ; mais de décider fi la pétition ,
actuellement fur la table , étoit compriſe ou non
dans le bill de M. Grenville » .
La Chambre s'étant déclaré pour la négative ;
les amis de M. Fox le bornerent à demander , ce
qu'ils obtinrent , qu'il fut entendu par les Confils
à la barre de la Chambre , contradi& oirement
avec le Grand- Baillif.
On a remarqué que dans fon difcours ,
M. Pitt n'a pas craint de dire que , proba
blement après l'examen des fuffrages le Chevalier
Wray feroit déclaré éiu. Il eft facile de
conjecturer du moins , d'après les efforts de
M. Fox pour prévenir cette opération , qu'il
en craint les fuites : quant à la dépenfe trèsconfidérable
, il y a de la délicateſſe dans
la tentative de M. Fox pour épargner ce nouveau
facrifice à fes adhérens .
Cette conteftation a rappellé celle qui eut
lieu en 1754 , auffi pour Weſtminſter , entre
le Comte Gower actuel , alors Lord Trentham
& George Vandeput ; mais ce qu'on
n'a pas dit , & ce qui eft très-vrai , c'eft qu'un
des prétextes les plus forts oppofés alors à
Lord Trentham , fut l'encouragement qu'on
l'accufoit d'avoir donné à une troupe de
Comédiens François projettant de s'établir
à Londres. Dans la revifion qui ent lieu ,
1500 votes de part ou d'autres furent déclarées
nulles.
Cette cenfure des fuffrages a commencé
le 28 du mois dernier, Elle fera néceffaire(
63 )
ment très - longue : fi M. Fox étoit exclus , il
lui refteroit fa place de repréfentant des bourgs
de Kirkvall , Wick & Dinckwall en Ecoffe :
il l'a due au crédit de M. Thomas Dundas ,"
l'un des principaux Lairds ou Seigneurs de
ces diftricts , & M. Sinclair concurrent de .
M. Fox pour cette élection , vient auffi d'en
conteſter la légitimité.
7.
Cette derniere petition fut- elle rejettée ;
une fi mince victoire ne confoleroit pas
M. Fox de fa défaite à Weſtminſter. Tomber
de la feconde Cité du Royaume , à un bourg
du nord de l'Ecoffe , la chûte feroit accablante
pour l'homme du peuple. Ce bourg
de Kirkvall eft fitué dans les Ifles Orckney
ou Orcades , à la pointe feptentrionale de
l'Ecoffe. Autrefois elles appartenoient à la
Norwege , ainfi que les Ifles Shetland qui
en font voifines . On y parle la langue gallique,
& les vieillards y entendent le norwegien
; les ennemis de M. Fox n'ont point manqué
de dire qu'il étoit occupé à étudier ces
deux idiômes pour aller remercier fes conftituans
de leur bonne volonté.
A cette occafion on a fait un tableau de
ces ifles très- peu fréquentées par les Anglois
eux-mêmes. On y voit la couleur de la caricature
nationale , mais le fond de ce précis
eft affez authentique .
Dans les ifles d'Orckney & de Sthetland qui
s'étendent du 59 ° au 61 ° degré de la latitude
nord , tous les objets font de la plus petite dimenſion
, excepté la ftature de la nobleffe . Les
1.64 >
chevaux n'y font font pas plus gros que des ânes
les vaches y ont la taille de nos brebis , les brebis
celle de nos oyes & de nos coqs d'Inde ; les
oyes y équivalent à nos canaris , les canards à
des moineaux ; ceux - ci ainfi que tous les autres
oifeaux dégénèrent en purs infectes ici , la nature
animale ceffe & meurt . Si l'on trouve dans
ces ifles quelques infectes , ils ne font viſibles
qu'au microfcope.
Lorfqu'un habitam de Sthetland va dans les
parties fupérieures de l'Ecoffe , l'eflain & le :
bourdonnement des infotes , des mouches , papillons
, chenilles , & c. &c . le faifit de furprife
& de frayeur. Bon Dieu ! s'écrie- t-il , quelle infinité
de volatiles !
Arrive- t- il dans quelque havre de ces ifles une
barque chargée de houx , de genêt ; de branches
d'arbres ? la cloche fonne pour avertir les
habitans qu'il vient d'arriver un vaiffeau avec
une cargaison de bois. Les navets & les pommes
de terre font annoncés avec la même folemnité.
Quelques Naturaliſtes ont obfervé que la dimenfion
du regne animal étoit dans les diffé
rentes contrées , en proportion avec la quantité
des denrées qu'elles fourniffent. Conformément
à cette théorie , les habitans des deux fexes aux
Orcades & Shetland font au- deffous de la taille
moyenne. Leur nourriture confifte en gruau ,
avec un peu de pain d'orge , & une espece de
poudre d'arrêtes de poiffons que ces Infulaires ramaffent
en partie dans les fumiers , les cours ,
les places, devant les portes des Gentilshommes.
Ce n'el pas que la pêche fur les côtes & le commerce
da poiffon ne foient confidérables ; mais une
portion fert à payer le Laird, l'autre à fe procurer
quelque argent pour fe fournir d'habits & d'autres
chofes néceffaires à la vie, Lorſqu'un domeſ(
65 )
tique , de quelque conféquence , s'engage auprès
d'un Fermier , il ftipule qu'outre le pain , fa
foupe fera compofée de farine & de légumes.
Nous avons dit que la taille des Gentilshom
mes faifoit une exception à cette loi générale de
rappétiffement. Dans les contrées du Nord , l'air
eft plus fain , plus fubtil , plus pénétrant ; il provoque
l'appétit , & néceffite une nourriture fabltantielle.
Or , les Lairds & autres gens de cette,
claffe n'en manquent point. Ils mangent avec la
veracité des lions , des loups & des matelots.
Auffi leur ftature eft - elle élevée ; témoin , M.
Sinclair d'Ulfter , l'Apollon du Belvedere de la
Grande-Bretagne . Par la même raifon que les
riches font ict des géans , les pauvres y restent
des pigmées.
Cet état de choſes rend un feftin dans une maifon
de Gentilhomme aux Orcades & Shetland , un
objet de curiofité pour l'étranger. Miladi vous
demande fi vous préférez l'éclanche de mouton au
gigot ; elle vous fert l'un ou l'autre fur votre affiet
te ; fi vous voulez un coę ou une poule ; &c . &c .
Quant aux oeufs, c'eft un article effentiel de tous les
foupers & déjeûnés de ce pays- là . On les fert dans
une grande quantité de plais creux ; on les affai- '
fonne de beurre battu ; & on les mange avec des
cuillieres , comme nous mangeons les pois verds.
[ La fin au numéro prochain . ]
Ce fera un fingulier texte de réflexions &
de comparaifons , que les derniers arrêtés du
précédent Parlement , rapprochés de l'adreſſe
que le nouveau a décidé de préſenter au
Roi , en Réponse au difcours de S. M. Voici
le contenu de la réfolution de la Chambre
à ce fujet.
Qu'une humble Adreffe fera préfentée à S. M.
( 66 )
pour la remercier du très- gracieux Difcours dont
elle a fait part àcette Chambre .
Pour affurer S. M. de nos fentimens de fidélité
pour fa perfonne , & de notre inviolable attachement
à notre excellente Conftitution ; fentimens
qui , felon nous , font inféparables dans les coeurs
de fes fideles Sujets.
Quenous reconnoiffons avec la plus vive gratitu
de & fatisfactionla prudence & le bon efpritdeS.M .
enrecourant dans ce moment à l'avis de fon peuple,
& que nous penfons qu'elle aufé à propos d'un pouvoir
que lui a confié la Conftitution, acte dont nous
artendons les plus utiles & les plus heureux effets.
Pour affurer S. M. que fes fideles Communes
font prêtes à prendre les mefures néceffaires pour
l'application des fommes votées par le dernier Parlement
, & d'accorder des fubfides ultéri : urs , fi la
néceffité l'exige , perfuadées que tous les Sujets de
S. M. par un effet de leur loyauté & de leur zele
pour les intérêts de la patrie , feront prêts à fupporter
ce fardeas ; fardean devenu inévitable par
les fuites d'une guerre difpendieufe , & néceflaire
au maintien de la foi & du crédit publics , effentiels
à la puiflance & à la profpérité nationale .
Pour affurer S. M. que nous donnerons toute
notre attention aux moyens de prévenir les fraudes
croiffantes dans le revenu public , ainfi qu'aux réglemens
de commerce que pourront exiger les circonftances
.
Que dans nos Délibérations fur les affaires de la
Compagnie des Indes , fi étroitement liées avec.
l'intérêt national , nous pourvoirons artentivement
à donner un bon gouvernement à nos poffeffions
dans cette partie du globe , fans perdre de vue que
les mesures à cet effet doivent s'accorder avec nɔtre
précieufe Conftitution & les plus chers intérêts.
de la contrée.
( 67 )
Que nous fommes vivement pénétrés de la gracitufe
& paternelle affection de S. M. pour fon
peuple , de fon attention royale à chaque objet du
bien public , ainfi qu'aux vrais principes de notre
libre Conftitution , qui ne peut étre affermie que
par le maintien de la jufte balance des droits &
priviléges de chaque branche du pouvoir législatif.
On parle , mais encore affez vaguement ,
de quelques changemens à venir dans les
premieres places. Ces jours derniers on affuroit
que Lord Cambden feroit Garde du
Sceau privé , & M. Henri Dundas , Secrétaire
d'Etat , à la place du Marquis de Carmarthen
, deftiné à l'Ambaffade de France .
Quant à Lord Shelburne , il est toujours
derriere la toile , & encore douteux s'il en
fortira . Nulle apparence quelconque d'avancement
pour les membres de la Coalition .
On a auffi nommé le Vicomte Sackville
parmi les membres in petto du Cabinet ;
mais ce bruit ne paroît pas avoir de fondement.
Il n'y en a peut être pas davantage au
retour prochain du Chevalier Yorck à la
Haye , quoique la longue habitude de cet
Envoyé , fes liaifons en Hollande , & la famille
de Ladi Yorck foyent de grands motifs
de rapprochemens. Lord Chesterfield eft
revenu de Madrid , & l'on foupçonne qu'il
réfignera fon Ambaffade , n'étant point dans
les intérêts du Miniftere actuel.
Ces intérêts au refte , font envifagés aujourd'hui
par beaucoup de gens bien diffé
remment de ce qu'ils l'étoient il y a 3 mois,
( 68 )
3
Composé d'hommes dont l'intégrité , la modération
, & la capacité font généralement
reconnues , confacré en quelque forte par la
fanction publique , le Miniftere a ramené à
lui une partie des Oppofans , que le reſpect
des arrêtés de la défunte Chambre des Communes
avoit animés . Au premieres féances ,
on a déja vu de ces converfions : on s'at
tend qu'avant peu , les Miniftres auront une
majorité de 200 voix. Lord North en compta
une pareille en fa faveur ; aujourd'hui il
ne lui refte que 40 fuffrages dans l'affemblée.
Le théâtre des nouvelles apocryphes eft
affurément l'Amérique Septentrionale. Depuis
l'origine de la querelle qui l'a rendue
fouveraine , les menfonges de toute espece
ont paffé les mers , & ont été tellement multipliés
à ce fujet en Europe , felon les intérêts
, qu'un fceptique peut fagement révo
quer en doute tout ce qu'on nous a débité
fur ce pays - là fans lafler notre crédulité.
En 1775 , le Congrès faifoit monter la
population des Etats-Unis à 3,37,869 ames.
En Janvier dernier eft venue une autre fupputation
qui réduit la premiere à 2,389,300
habitans. La fouveraineté de l'Amérique lui
auroit donc coûté près d'un million de fujets.
Dans ce nombre il faudroit compter au
moins 980,000 fujets mâles : aucune guerre,
aucune guerre civile , fans en excepter les
profcriptions , n'auroit été fignalée par une
pareille deftruction.
( 69 )
De cette multitude il faut excepter les
Loyalistes expatriés. On prétend ici actuelle
ment , qu'il en eft paffé 40,000 dans les établiffemens
de la Nouvelle-Ecoffe : cette colonie
dont on nous faifoit , il y a 6 mois ,
de fi lamentables defcriptions , eft aujourd'hui
, dit- on , dans la fituation la plus heureufe
& la plus riante. Comment s'affurer du
fait ? Aller fur les lieux on peut en diré autant
de toutes les nouvelles.
Un particulier vient de propofer ici un
prix de 50 guinées pour l'auteur de la meilletre
Differtation angloife ou latine , & en
profefur lefuicide. Il faut que le differtateur
foit ou ait été membre de l'Univerfité de
Cambridge : les juges font deux Evêques &
trois Docteurs. Nul pays où cette importante
queſtion ait des obfervateurs & des
arbitres plus exercés , mais nul auffi , où par
les caufes même de cette maladie de l'efprit
humain, la profe ou les vers , pour la guérir,
foient plus infuffifants .
Le 24 du mois dernier , le marquis de
Carmarthen a communiqué au Lord Maire
la fignature du traité de paix définitif entro
l'Angleterre & la Hollande , fignature effectuée
à Paris entre les plénipotentiaires refpectifs
le 20 du même mois. Cette nouvelle
a été rendue publique par S. S. Il n'y a en
aucun changement aux préliminaires arrêtés
ci-devant.
( 70%)
DE DUBLIN , le Mai.
Si l'adreffe des Communes britanniques
contraſte avec les adreffes de ces mêmes
Communes avant leur réformation , il n'y a
pas une moindre diffonnance entre les verbiages
de nos Volontaires & le difcours de
notre Parlement au Vice-roi . Voici de quelle
maniere la chambre des pairs a parlé au duc
de Rutland .
Nous , les refpe &tueux & fideles fujets de S.
M. , les Pairs Spirituels & Temporels , affemblés
en Parlement , demandons qu'il nous foit permis ,
avant la clôture de la ceffion , de vous témoiger
notre fatisfaction complette de fa fageffe & de la
fermeté dont vous avez donné des preuves dès
le commencement de votre adminiftration . La
jufteffe & l'efficacité des mesures que vous avez
prifes relativemens aux affaires publiques , ajou
tent la conviction à la perfuafion où nous étions
déja , que votre ame eft fupérieure à l'influence
des partis & des préjugés , & que vous n'avez en
vue que le bien général .
Les actes de cette ceffion ne laiffent pas le
moindre doute fur le zele avec lequel chaque
branche de la légiflature a coopéré à la
profpérité de ce Royaume. Les mesures prifes
pour prévenir une dépopulation plus rapide , la
fûreté des propriétés particulieres , l'augmentation
du crédit public , les travaux entrepris dans
la capitale pour fon établiffeinent ou pour la
commodité des citoyens , les encouragements
donnés à l'agriculture , au commerce & aux manufactures
, atteftent de la maniere la plus hono(
178-)
rable le zele & l'attention du Parlement pour le
bien de ce Royaume.
Si les befoins du pays exigent des réglements
ultérieurs , notre pleine confiance en votre Grâce,
ne nous permet point de douter qu'on ne prenne
les mefures les plus douces & les plus efficaces .
Attentifs à ne hafarder aucun moyen prématuré ,
nous confidérons la profpérité de l'Irlande
comme inféparable d'une union fincere d'efprit
& d'intérêts avec fa foeur la Grande- Bretagne ;
& cette union ne peut être opérée que par un
échange mutuel de procédés & par une attention
réfléchie à concourir au bien de l'autre.
Nous avons faits des efforts unanimes pour
arrêter les progrès de la licence & de la fédition
qui , felon nous , n'alterent pas fenlement les .
moeurs du peuple , mais tendent cncore à renverfer
la vraie liberté . Nous avons hautement
publié combien nous nous eftimons heureux
dans. la pofeffion des biens dont nous fait jouir
notre excellente conftitution , & nous avons
manifefté d'une maniere énergique notre attachement
fincere à la Perfonne Royale de S. M.
& à fon Gouvernement .
Nous faisons des voeux ardents pour qu'il
plaife à S. M. de continuer long temps votre
Grace dans le Gouvernement de Irlande , perfuadés
que Tous les aufpices d'un chef , héritier
de toutes les vertus , qui ont diftingué de fiecle
en fiecle la longue fuite de fes illuftres ancêtres ,
notre zele & nos fervices ne manqueront pas
d'être portés au pied du trône & d'obtenir l'approbation
qui fait un de nos voeux les plus
ardents.
Aujourd'hui , le Vice-roi s'eft rendu au
Parlement, il y a fanctionné les bills paffés
( 72 )
durant la feffion actuelle , & a prorogé enſuite
cette affemblée jufqu'au 29 Juin prochain.
Ces difpofitions du Parlement feront peu
goûtées des citoyens , encore plus bruyans
qu'échauffés , qui manient aujourd'hui la plume
& le fufil en faveur de la liberté. Quoique
cette apparente effervefcence femble nous annoncer
des fcenes fubféquentes , les obfervateurs
n'en craignent aucune , différente de
celles qui ont eu lieu jufqu'à ce jour : elles
font dans le caractère national. Les inftigateurs
de ces mouvemens en connoiffent
bien le jeu , & rient des terreurs qu'elles
peuvent infpirer. Cependant il feroit difficile
que la multitúde réfiftât aux peines qu'on fe
donne pour l'animer : dans une affemblée de
ces manufacturiers , qui fe plaignent d'être
fans travail , & qui paffent leur jour à l'exercice
des volontaires : on a pris la réſolution
fuivante :
Réfolu unanimement , que , fi dans ces tems de
détreffe publique , quelqu'un eft affez téméraire
pour fe fervir de marchandiles Angloifes ; dans ce
cas , ( défapprouvant l'ufage de renvoyer ou de
brûler ces marchandiſes ) nous avons ordonné d'acheter
& de difpofer dans notre Salle d'Affemblée
un baril du meilleur goudron des Barbades , un
demi - quintal de plumes molles , & une demidouzaine
des meilleures broffes , aux fins de gaudronner
& d'emplumer lefdits Contrevenans.
Cette burleſque ordonnance rappelle celle
des Boſtoniens ; mais , comme on l'a dit fou
vent
( 73 )
vent , pour être Alexandre , il ne fuffit pas
d'avoir le cou penché .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 2 Juin.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Sablonceaux
, Ordre de S. Auguftin , diocefe de
Saintes , l'Abbé de Bourgonge , Confeiller
Clerc de Grand'Chambre au Parlement de
Paris ; à celle d'Iffoire , Ordre de S. Benoît ,
diocefe de Clermont , l'Abbé de Siran , Vicaire
général de Mende ; & à celle de S. André
- du - Jau , Ordre de Cîteaux , dioceſe de
Perpignan , l'Abbé Mefnard de Chouzy ,
Vicaire général de Bourges.
Le Cardinal de Rohan , Grand - Aumônier
de France , en remettant au Roi le dernier
rôle de ceux à qui S. M. veut bien faire grace
, à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Dauphin , a préſenté , le 23 de ce
mois , à S. M. les Maîtres des Requêtes
nommés par le Roi pour compofer la Commiffion
des graces ; favoir , les fieurs Brocchet
de S. Preft , Chaillou de Jonville , de
Tolozan , de Chévignard , le Camus de Néville
, Gravier de Vergennes , Amelot de
Chaillou , de Chaumont & de Sartine.
Le 30 du mois dernier , jour de la Pentecôte,
les Chevaliers , Commandeurs & Offciers
de l'Ordre du Saint-Efprit , s'étant af-
No. 24, 12 Juin 1784.
d
( 74 )
1
femblés dans le grand Cabinet du Roi , S. M.
tint un Chapitre , dans lequel elle nomma
Prélat -Commandeur de l'Ordre , l'Evêque
d'Autun. S. M. devant laquelle marchoient
deux Huiffiers de la Chambre portant leurs
maſſes , ſe rendit à la Chapelle , précédé de
Monfieur , de Monfeigneur Comte d'Artois,
du Duc d'Orléans , du Duc de Chartres , dù
Prince de Condé , du Duc de Bourbon , du
Prince de Conti , du Duc de Penthievre , &
des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre , entre lefquels marchoient , en
habits de Novices , le Duc de Clermont-
Tonnerre , le Duc de Liancourt , le Comte
d'Apchon & le Bailli de Suffren . Le Roi ,
après la Meffe , étant monté fur fon Trône ,
les reçut Chevaliers de l'Ordre du Saint-
Efprit , & fut reconduit à fon appartement
dans le même ordre qu'il étoit venu . Lạ
Reine , Madame , Madame Comteffe d'Artois
& Madame Elifabeth de France , affifterent
dans la Tribune à la grand'Meffe
chantée par la Mufique du Roi , & célébrée
par l'Archevêque de Narbonne , Prélat-
Commandeur de l'Ordre. La Marquife de
Clermont - Tonnerre y fit la quête.
L'après - midi le Roi & la Famille Royale ,
après avoir entendu le Sermon prononcé par
l'Abbé Lévis , Prêtre de la Communauté de
S. Sulpice , affifterent aux Vêpres chantées
par la Mufique de S. M. , & auxquelles
l'Abbé de Ganderatz , Chapelain de la
grande Chapelle , officia ,
( 75 )
Leurs Majeftés fouperent ce jour , à leur
grand couvert. Pendant le repas , la Mufique
du Roi exécuta différens morceaux , fous la
conduite du fleur Girouft , Surintendant de
la Mufique de Sa Majeſté .
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné le même jour , le contrat de mariage
du Vicomte de Valence , Mestre de camp
en fecond du régiment de care
terie , avec Demoiſelle de Geals
Le même jour le Maréchal Mouche
pris congé de Leurs Majeftés & de la Ante
Royale , pour fe rendre à fon Connandement
du Gouvernement général de Guveure,
Le fieur Bertrand de Moleville , Mafra
des Requêtes , nommé le 2 du mois dormier
à l'Intendance de Bretagne , vacante par la
nomination du fieur Caumartin de Saint-
Ange à celle de Franche - Comté, a en ihon
neur de prendre congé de Sa Majefté.
DE PARIS, le 10 Juin.
C'est au 15 qu'on fixe aujourd'hui l'arri
vée du Roi de Suede en cette Capitale . Toutes
ces variantes prouvent l'incertitude de
cette époque. On prétend que le Vifiteer
des Poftes , chargé de préparer les relais for
le paffage de ce Prince , eft allé , dit- on , à
Antibes , dans l'idée que S. M. S. fera par
mer le trajet de Gênes en Provence . Cette
courfe du Vifiteur feroit bien à pure pors
puifque , ainfi que nous l'avions rapporté ,
di
( 76 )
Filluftre Voyageur doit traverfer la Lombar-
- die , le Piémont , & une partie de la Suiffe ,
où il doit dîner chez un Ecrivain très - célébre
qui a fixé ſa retraite dans cette partie de
l'Europe,
On a déja cité divers paffages affez équivoques
pour établir que le principe de la découverte
de MM. de Montgolfier avoit été
apperçu par divers Phyficiens du dernier fiecle.
On en a oublié un , dont le nom feul
vaut une Académie , c'eft Léibnitz . Un particulier
de Caën nous a écrit à ce fujet une
lettre qui n'eſt pas indifférente.
Monkeur , puifque tout est actuellement au
ballon , les chapeaux au ballon , les converſations
au ballon , les dragées au ballon , &c , ne
doit-on pas accueillir favorablement ceux qui
cherchent à faire connoître l'inventeur de ce
nec plus ultrà des connoiffances humaines , & fixer
irrévocablement ce point effentiel qui partage
les Phyficiens , & qui doit faire époque dans les
fiecles à venir.
Les Espagnols , les Italiens , les François
qui le croiroit même , les Anglois , ce peuple ,
fi profond , devenu tout - à - coup fi léger , ont
cherché à s'attribuer tour-à tour exclufivement
l'honneur de l'invention des machines aéroftatiques
, ou plutôt l'art d'habiller la fumée ; pourquoi
ne mettrions- nous pas fur les rangs les Allemands
: ce font de bonnes gens felon nous ; mais
c'est à ces bonnes gens - là que nous devons dans
les fciences & dans les arts les plus heureufes
découvertes. Confultons Léibnitz , l'homme le
plus univerfel de fon fiecle , qui joignit aux
connoiffances les plus folides & les plus éten(
77 )
dues , une étude profonde & raifonnée de la nature
, & voyons ce qu'il dit dans fon art de voler .
Tome 6 , p. 298. Leibnitziana , ex otio hanoverano
.
Tom. 2 , part. 2 , p . 13. Theoria motus concreti .
« Si un corps eft plus léger que l'air dans le
voifinage duquel il eft placé , il s'élevera dans
Patmo phere jufqu'à ce qu'il foit parvenu à une
région plus haute , plus fubtile , & par conféquent
plus légere que lui-même , où il fe tiendra
en équilibre : c'eft auffi la raison pourquoi la
la fumée monte , & les nuées font fufpendues dans
Pair ; fi l'induftrie humaine pouvoit donc nous
procurer des corps plus légers que l'air , on ne
feroit point fans efpérance de découvrir un jour
l'art de voler. C'étoit le fentiment de Lana , auteur
très-fubtil , fuivi fur ce point par Vosjius :
& on l'établit de cette maniere.
» Soit un vafe concave , affez grand pour que
l'air qu'il renferme foit plus péfant que le vare
lui feul : l'air ayant été pnpé par la méthode
que tout le monde fait , & le vafe , que je fuppofe
de verre , étant boucké hermétiquement ,
le vafe alors fera plus léger qu'un pareil volume
d'air ; or, un corps plus léger qu'un fluide de
méme volume monte dans ce fluide ; donc le
vale , dont nous parlerons , montera dans les airs .
Mettons en calcule ce raiſonnement ,
prenant des nombres plus grands que ceux qu'avoit
choifis Lana.
en
» Soit un globule de verrè affez petit , pour
que l'eau qui y eft contenue & le verre qui la
contient foient à- peu -près de même poids. Prenons
pour mesure de capacité le demi diamêtre
de ce globule , que nous appellons A ; prenons
pour mesure du poids , que nous cherchons , le
poids du verre ou de l'eau du globule , qui eft le
d 3
( 78)
même par hypothefe , & appellons - le B. Suppofens
encore , d'après les obfervations de l'illuftre
Boyle & de plufieurs autres , que l'air eft
mille fois plus léger que l'eau.
» Maintenant , foit un globe de verre de
même épaiffeur que le globule , mais dont le
demi diamêtre foit mille fois plus grand , c'eftà-
dire feit 1000 A ; la fuperficie fphérique ou
le verre du globe fera au verre du globule en
raifon doublé du rayon , & par conféquent péfera
1000,000 B. L'eau , contenue dans le globe ,
fera à l'eau contenue dans le globule , en rai
fon triplée du rayon , & par conféquent péfera
1000,000 B ; donc , fi ce globe étoit rempli
d'air , au lieu d'être rempli d'eau , l'air étant
mille fois plus léger que l'eau par hypothefe ;
le volume d'air contenu dans ce globe péferoit
feulement 100,000 B : & par conséquent fereit
auffi péfant que le verre du globe. Suppoons
maintenant qu'on tire l'air du globe auffi
exactement qu'il eft poffible , le globe fera àpeu
près de même péfanteur qu'un même volume
d'air ; donc , fi nous faifons la fuppofition
d'un globe qui , au lieu de 1000 A , eût 1500 A
pour rayon , il feroit beaucoup plus léger que
T'air de pareil volume ; & par conféquent , s'éléveroit
rapidement dans les airs. Si la proportion
de l'air à l'eau étoit plus grande , qu'on ne
le croit communément
, on n'a qu'à ſuppoſer un
globe plus grand dans la même proportion ».
Si je vous fait paffer ces détails , Monfieur ,
ce n'eft pas je fois jaloux de la gloire de M. de
Montgolfier. Quand même il ne feroit pas l'inventeur
de la machine , il fuffit qu'il l'ait perfectionnée
, pour avoir bien mérité de fes concitoyens.
Il feroit poffible qu'un autre m'eût prévenu
( 79
& eût lu avant moi le paffage ci- deffus , dans
les Ouvrages de Leibnitz ; alors , la chofe eft
toute fimple , regardez cette lettre comme non
avenue ; mais au contraire je fuis le premier qui
ait fait cette obfervation , faites- en mention
dans votre mefure .Vous rendrez peut - être fervice à
ceux qui recherchent tout ce qui peut contribuer
à l'éclairciffement de la vérité.
Il ne feroit pas difficile de citer une foule
de Phyficiens anciens & modernes , qui ont
attribué la faculté de s'élever aux corps plongés
dans un air fpécifiquement plus léger
que celui de l'atmoſphere. On fcait bien encore
que cet air plus léger étoit connu . L'illuftre
Hales fut le précurfeur de cette découverte
de l'air fixe ; le modefte & favant
Black , Chymifte d'Edimbourg , l'a développée
le premier par fes belles expériences ;
le Docteur Priestley & d'autres Chymiftes
François ou Allemands , font venus enfuite ;
mais perfonne n'avoit fongé à réalifer l'ufage
d'un principe connu , ni à le rendre praticable
& économique : cette ingénieufe application
a été le fecret de MM . de Montgolfier
, & rend la gloire de leur fuccès indifputable.
Jufqu'à préfent la perfection des cryſtaux
artificiels avoit été réfervé à l'Angleterre en
ce genre. Ses ouvrages de luxe & d'utilité
n'avoient été encore que bien foiblement
imités Les propriétaires des Verreries Royales
près de Bitche en Lorraine , annoncent
la vente d'un nouveau cryftal de leur fabrid
4
( 80 )
cation , auffi parfait que celui d'Angleterre.
' Ils l'ont foumis au jugement de l'Académie
des Sciences , qui leur a été favorable , d'après
l'examen fait en 1782 par MM. Macquer &
Fougeroux de Bondaroy .
Pour faire la comparaison que nous defirions ,
difent les deux Commiffaires dans leur rapport ,
l'un de nous s'eft tranfporté au magafin du petit
Dunkerque , tenu par le fieur Granchés , où l'on
frouve un bel affortiment de toute cfpece de bijouterie
d'Angleterre , & fpécialement ce qu'il
y a de plus beau en cryftaux de ce pays . Les
verres à boire & carafons Anglois étoient mêlés
dans ce magafin avec de pareilles pieces du cryſtal
du fieur Beaufort ; & avec quelque foin que nous
les ayons examinées , la blancheur , la netteté , la
belle transparence , le poids & le fon de tous ces
cryftaux nous ont paru fi femblables , qu'il ne
nous a pas été poffible de diftinguer les cryftaux
Anglois d'avec les François , & que nous avons
été dans le cas de nous en rapporter au fieur Granchés
pour faire l'acquifition de quelques pieces ,
bien certainement Angloifes , que nous voulions
nous procurer pour faire en particulier la comparaifon
que nous avions en vue . ——— Cette comparaifon
nous a confirmés dans l'idée que nous
avions déja de la reffemblance du nouveau cryftal
de France avec celui d'Angleterre. On fait
que jufqu'à préfent nous avons été obligés de tirer .
de ce pays les beaux verres de montres , & que
ceux qui font faits dans nos verreries de France
leur font très-inférieurs pour la netteté & pour le
fervice ; ces derniers dont le prix eft auffi fort inférieur
, étant fujets à perdre en peu de tems leur
poli & leur transparence par une infinité de petites
gerfures qui s'y font , défaut que le vulgaire
( 81 )
1
defigne , en difant que ces verres font fujets à
jetter leur fel , & qu'on leur procure en un inftant
en les chauffant à un certain degré : c'eſt même
une épreuve auffi sûre que prompte pour diftinguer
les verres de montres François d'avec les
Anglois . Nous avons fait cette épreuve fur des
verres de montres du fieur Beaufort , & ils l'ont
foutenue auffi bien que ceux d'Angleterre . Auffi ,
depuis quelques années , un Fabriquant de verres
de montres à Londres , qui eft venu s'établir ici ,
ne tire t-il plus que de la verrerie du fieur Beaufort
les boules de crystal dont il fe fert pour fa¬
briquer ces verres ; il n'en tire plus d'Angleterre ,
& les cryftaux de montres de fa fabrique , qui eft
devenue très confidérable , font employés par nos
Horlogers comme cryftaux Anglois . Nous
ajouterons à cela que . l'un de nous a fait effayer
le crystal du fieur Beaufort à la Manufacture des
Porcelaines du Roi , établie à Sêves , dans des
procédés de couleurs pour lesquels , jufqu'à préfent
, on n'a pu employer que du cryftal d'Angleterre
, parce qu'aucun de ceux qu'on a effayés d'y
fubftituer , n'a pu le remplacer , & que le cryftal
du fieur Beaufort a eu plein fuccès.
―
On fait
que le cryftal d'Angleterre a une fort grande pefanteur
fpécifique , & qu'elle eft dûe à une quantité
confidérable de cuicuium ou de quelque autre
chaux de plomb qui entre dans la compofition de
ce cryſtal ; il y a encore à cet égard une reffemblance
très-marquée entre le nouveau cryſtal de
France & celui d'Angleterre , & cela donne lieu
d'efpérer que fi le fieur Beaufort augmente beaucoup
dans la verrerie , la fabrication de fon cryftal
, dont il n'a encore fait jufqu'à préfent que
des effais , il fe trouvera que fur un grand nombre
de pots , il y en aura quelques- uns dont la matiere
fera affez nette pour être employé dans les
ds
( 82 )
objectifs des lunettes achromatiques , comme cela
eft arrivé au cryftal d'Angleterre .
Nous venons d'apprendre que S. M. S. ,
fous le nom de Comte de Haga , vient d'arriver
en cette ville.
DE BRUXELLES , le 1 Juin.
Les Etats- Généraux , comme on l'a rapporté
précédemment , ayant demandé la
communication de l'Acte paffé par le Stathouder
à ſa majorité , avec le Duc de Brunfwick
, fon ancien Tuteur , le Prince d'Orange
leur a adreffé cet Acte , avec une Lettre
qui l'accompagnoit : l'un & l'autre de ces
morceaux font dignes d'attention.
Miffive de S. A. S. Mgr. le Prince d'Orange
de Naffau , Stadhouder- Héréditaire , Capitaine-
Général & Amiral des Provinces Unies à Leurs
Hautes Puiffances les Seigneurs Etats- Généraux.
HH . & PP. SS. Les bruits défavantageux ,
deftitués de tout fondement , qui fe font répan
dus depuis quelque tems à l'occafion de certain
acte paffé entre S. A. le feigneur duc de Brunf
wick & Nous , le 3 Mai 1766 , lefquels bruits
nous ont paru n'être pas moins à confidérer
comme flétriflans pour notre réputation que pour
celle du fusdit feigneur duc , nous ont porté à
publier cet acte , pour ouvrir par - là les yeux à
un chacun , & faire voir que ce qui s'étoit répandu
, comme fi nous nous étions engagé par
ferment à demander & fuivre dans toutes les affaires
le confeil dudit feigneur duc , n'eft qu'une
pure calomnie : mais nous avons penſé qu'il ne
nous convenoit point de nous compromettre avec
( 83 )
ne
des écrivains anonymes , & de publier une réfutation
de ce qui fe débitoit dans ces écrits , à
notre charge ; mais qu'auffi long tems que VV.
HH. PP. ni aucun des hauts Confédérés ,
trouvoient bon de demander quelques informations
à l'égard de cet acte , nous pouvions en
fufpendre la communication. Mais les feigneurs
Etats de Hollande & Weft Frife ayant jugé à
propos le 22 de ce mois , de réfoudre de nous
envoyer une députation pour s'informer à l'égard
dudit acte , & nous prier de le porter fur la table
& à la délibération des fufdits Seigneurs Etats ;
nous avons promis , pour donner une preuve de
notre déférence aux defirs defdits Seigneurs Etats ,
de communiquer dans peu de jours une copie authentique
dudit acte à LL. NN. & GG. PP.; mais
nous avons cru de notre devoir d'en fournir en
même-tems à VV. HH. PP . une copie authentique
, ainfi qu'aux Etats de toutes les provinces
refpectives . Nous ne doutons point que la lecture
de cette piece fera ceffer les bruits qui fe
font répandus à cet égard , & qu'il paroîtra à
chacun que l'acte ne contient rien qui puiffe être
regardé en la moindre chofe comme défavantageux
ou préjudiciable au pays , que nous n'avons
point pris d'engagement qui puiffe être
confidéré comme incompatible avec notre devoir
; & cela d'autant plus , que ce n'a point
été fans la connoiffance préalable & l'agrément
de V. H. P. que nous nous fommes fervi des
fages confeils & affiftance du feigneur - duc de
Brunswick. Ayant appris le 8 Mars 1766 , que
fur la propofition de M. de Bronkhorft qui préfidoit
en ce temps à l'affemblée , il avoit été
réfolu unanimement par V. H. P. de commettre
une députation folemnelle , compofée de
kuit feigneurs du fein de leur affemblée , pour
d 6
( 84 )
fe rendre chez le fufdit feigneur - duc de Brunf
wick , afin de le féliciter à l'égard de ce jour
& lui témoigner de la maniere la plus férieufe ,
la plus complette gratitude , & la plus profonde
reconnoiffance , que V. H. P. avoient & conferveroient
à jamais pour les grands & éminens
fervices rendus au pays par lui feigneur - duc ,
en ajoutant que V. H. P. ne fouhaitoient ¸rien
plus ardemment que d'avoir occafion de mettre
au jour leurs fentimens intérieurs , & d'en convaincre
pleinement le feigneur duc , & que V.
H. P. pour faire monter leur reconnoiffance au
plus haut degré l'avoient prié de la maniere la
plus amicale , de vouloir bien continuer à em.
ployer fes grands talens au bien - être de la république
, l'affurant qu'il y feroit toujours ré→
pondu de leur côté par toutes les marques de
haute eftime & affection pour fa féréniffime perfonne
; nous avons prié M. le Confeiller- Penfionnaire
Stein de rapporter aux feigneurs députés
de V. H. P. pour les affaires étrangeres ,
que nous avions appris avec beaucoup de contentement
la commiffion décernée cedit matin
par V. H. P. au feigneur- duc de Brunfwick pour
le remercier de tous les fervices qu'il a rendus
à la république ; & en particulier que V. H.
P. avoient à cette occafion prié ledit feigneur
duc de continuer à employer fon zele au fervice
de l'Etat , & que comme rien ne pouvoit
nous être plus agréable que de voir jouir la
république encore long- tems des talens éminens
du fufmentionné feigneur , & d'avoir en mêmetems
l'occafion de nous fervir de fes fages con →
feils & affiftance , nous avons cru que pour y
parvenir il feroit néceffaire que la Cour de
Vienne , du confentement de laquelle ledit feigneur-
duc eft venu en ce pays , l'année 1750 ,
( 85 )
à la priere & inftances du feu feigneur noire
pere , en fut convenablement informée : donnant
en confidération à M. de Burmannia , en -
voyé extraordinaire de V. H P. à la Cour de
LL. MM. II. & RR. , s'il ne pourroit point
être recommandé de faire le devoir néceffaire
à ce fujet , afin que cela pût avoir lieu de l'agrément
de la Cour impériale , laquelle propofition
a été acceptée , & a été réfolu d'ordonner
audit M. de Burmannia : que voyant par
la miffive & réfolution prile fur ce jour , que
nous étions entrés dans l'exercice des hautes
charges & dignités dévolues héréditairement à
nous , & que par- là la repréfentation de S. A.
le duc de Brunswick étoit venue à ceffer ; que
LL. HH. PP. ayant connoiffance par une lon
gue expérience du mérite & capacité non- commune
du fulmentionné feigneur - duc , & ne de
firant rien de plus que de pouvoir le conferver
encore long- tems dans les fonctions qui lui ont
été confiées dans ce pays , nous avions aufli remarqué
avec fatisfaction que nous jouirions en
core quelque tems de fes fages confeils & affif
tance ; que lui M. de Burmannia en donneroit
connoiffance de la maniere qu'il le trouveroit
le plus convenable à LL. MM . HH. & RR.
en témoignant que LL. HH. PP. fe flattoient
& fe confioient que LL. MM . voudroient bien
agréer & confentir que ledit feigneur- duc puiffe
continuer ultérieurement à refter au ſervice de
l'Etat fur quoi LL. HH . PP . reçurent une
réponſe favorable , par un Mémoire de feu M.
le Baron de Reiſchach , envoyé - extraordinaire
de la Cour de Vienne , lequel il préfenta au
nom de LL. MM . le 27 Juin 1766.
Nous nous référons , pour abréger , à la lecture
du fufdit acte , par lequel il paroîtra que
( 86 )
nous ne nous fommes jamais obligé à prendre
les confeils & avis du feigneur - duc , bien moins
encore de devoir les fuivre , ni que nous nous
y ferions aftreints par ferment ; mais que ledit
feigneur- duc s'eft engagé par ferment de fidélité
prêté entre nos mains , pour , en toutes chofes
& en tout tems , lorfque nous le requérerions
de lui , & que nous le jugerions nécefſaire
, nous aſſiſter de fon confeil , & nous fournir
fidelement fon avis dans toutes les affaires
qui feroient remifes par nous entre ſes mains :
pendant qu'il reftoit toujours à notre volonté de
faire ufage , ou non , de fes confeils & avis ,
& cela encore uniquement auffi long- tems que
nous le trouverions néceffaire ; ledit acte étant
feulement dreffé par provifion & jufques à révocation
des deux côtés . Nous jugeons que par
la nature de l'engagement contracté avec ledit
feigneur duc par ledit acte , il en résulte de foimeme
la justice de la contre- demande ftipulée
par lui dans ledit acte , favoir que nous l'indemniferions
& libérerions de toute obje &tion & re?-
ponfabilité à l'égard de tout ce qu'il auroit fait
en vertu de fon engagement & pour les confeils
exigés de lui , avec la déclaration y jointe
qu'il ne feroit refponfable à perfonne autre que
nous , comme auffi point à qui que ce foit de
nos héritiers , s'il nous furvenoit un accident attaché
à l'humanité , pendant la durée de cet
engagement ; & que cela doit être d'autant plus
qu'il nous étoit libre de prendre ou de rejetter
le confeil dudit feigneur - duc , & après l'avoir
pris , de le fuivre ou ne pas le fuivre ; & enfin
qu'après avoir embrailé le confeil dudit feigneurduc
, nous avons fait de ce confeil le nôtre , &
avons pris fur nous la refponfabilité de ce qui en
réfulceroit . En conféquence , nous ne pouvons
( 87 )
point cacher à VV. HH. PP. notre peine fenfible
à l'égard des changemens que nous remarquons
dans les idées de beaucoup de membres
de la régence de ce pays depuis quelque tems
relativement audit feigneur - duc ; & que dans
le tems qu'il a été donné tant par VV. HH.
PP, que par les Etats des provinces refpectives ,
lors de notre majorité , les plus fortes marques
de leur contentement à l'égard de l'adminiftration
des charges & emplois qui lui ont été confiés
durant notre minorité , & que jufques à préſent
il n'ait été rien allégué de fixe & de légitime
contre ledit feigneur duc , & bien moins
encore rien de prouvé , il doive continuellement
voir que divers membres s'expriment à fon fujet
dans leurs avis en termes de haine & injurieux
: le voulant faire confidérer comme l'auteur
des maux furvenus depuis quelque tems à
la patrie ; pendant que nous pouvons affirmer
en toute fécurité , que nous fommes affurés que
ledit feigneur duc atoujours tâché , autant qu'il
a dépendu de li , de procurer par les confeils
& actions le bien - être de la république , & de
bien la fervir dans les poftes qui lui ont été
confiés par V. H. P. Nous nous tonons affurés
que ces ouvertures à l'égard dudit acte , données
par nous , tant à V. H. P. qu'aux Etats
des provinces refpectives , ferviront à faire ceffer
les bruits défavantageux qui ont été répandus
relativement à cedit acte , & dont la fauffetê
perce de la maniere la plus claire par fà fimple
lecture defirant ardemment qu'ayant actuellement
prouvé la faufleté de ce qui a été
allégué à la charge de S. A. le feigneur- duc ,
comme s'il avoit fait , peu de tems après notre
majorité , mauvais ufage de nos fentimens d'a.
mitié pour fa perfonne , en nous induiſant à paf(
88 )
fer un acte par lequel nous nous ferions engagés
à des chofes contraires à ce que nous devons
au pays dans nos diverfes dignités ; & que
puiffent enfin renaître les précédens fentimens
de la haute eftime que l'on avoit pour ledit ſeigneur-
duc.
COPIE autentique de l'ACTE paffé le 3 Mai 1766 ,
entre S. A. Mgr le Veld Maréchal Duc de Brunfwick
, & S. A. S. Mgr le Prince d'Orange & de
Nafu , S'a houder- éréditaire , Capitaine - Général
& Amiral des Provinces - Unies , &c. &c.
Nous GUILLAUME , par la Grace de Dieu ,
Prince d'Orange & de Naffau , Stadhouder- Héréditaire
, Capitaine - Héréditaire , Général & Amiral
des Provinces - Unies des Pays-Bas , &c . &c . &c.
Comme nous avons pris , à notre majorité &
commencement de Régence , itérativement & lérieufement
en confidération , comment feu le Sei
geur notre Pere , de glorieuse mémoire , avoit ,
dès & avant l'année 1747 , jugé néceffaire d'engager
par les inflances les plus fortes le Seigneur Di c
Louis de Brunswick , qui fe trouvoit pour lors au
fervice de LL. MM . II . & RR à paffer au fervice
de la République , fous le nom & avec le titre de
Veli- Maréchal des Troupes de l'Etat : mais dans
le fond , pour aider à porter en effet & en réalité
avec notre fufdit Seigneur Pere la charge du département
militaire , pour être confidéré fur le
pied d'un ami intime & parent , agir avec ledit
Seigneur Prince de concert , & pour faire ufage de
fes talens & bons confeils en tout ce qui regarde
le commandement de l'armée , & l'état militaire :
en quelque façon & bien principalement avec
cette grande vue & fin importante que s'il plaifoit
au ciel de difpofer de bonne heure de les jours ,
S. A. R, & moi , ainfi que Madame notre Soeur ,
trouveroient dans ledit Seigneur Duc un ami &
( 89 )
parent dont les confeils & affiftance feroient d'une
grande utilité pour nous ; ainsi que ces témoigna
ges énergiques fe trouvent verbalement dans la
Lettre écrite dé la main propre dudit Seigneur
notre Pere , en date du 11 Novembre 1749 & 18
Janvier fuivant , adreffée audit Seigneur Duc de
Brunfwick; comme ledit Seigneur de Brunswick a
cédé à fes inftances réité : ées , ayant quitté la Cour
de Vienne où il fe trouvoit placé fur un pied
très avantageux , dans la relation la plus heureufe
de faveur & étroite liaifon de parenté avec LL.
MM . II . & RR. qu'il a quittées , & eft arrivé ici ,
après avoir obtenu à cet effet l'agrément de LL.
MM. II. & RR. , auxquelles le Seigneur notre
Pere avoit demandé la poffeffion dudit Seigneur
Duc , comme une faveur fpéciale , par Miffive du
10 Novembre 1749 ; hautes & fages précautions
du Seigneur notre Pere , que les événemens qui
font arrivés du depuis ont pleinement juflifiées , &
ont été pour nous , par une expérience fenfible ,
de la plus grande utilité & des fuites les plus falutaires
: pendant que le moment fatal où nous avons
été privé dudit Seigneur notre Pere a fait bientôt
exifter le cas de ces falutaires précautions , dans
l'engagement & emploi du Seigneur Duc de
Brunfwick,par où nous & notremaiſon avons trou→
vé des effets fi utiles , que feue S. A. R. Madame
notre Mere , de glorieufe mémoire , n'a point
héfité de prier & nommer par fes dernieres difpofitions
le fufdit Seigneur Duc , qui pour lors étoit
déja nommé par les Seigneurs Etats de toutes les
Provinces en qualité de repréfentant du Capitaine
Général , exécuteur teftamentaire & tuteur adminiftrant
de Nous & de la Dame notre très -aimée
Soeur. Et comment enfin par l'événement lugubre
qui nous a ravi S. A. R. Madame notre
Mere , les bonnes & fages précautions du Seigneur
-
( 90 )
-
notre Pere ont éclatées en nous fourniffant cet
avantage ineſtimable , que nous avons trouvé dans
le fufdit Seigneur Duc de Brunswick , par tout ce
qu'il a fait pour nous , tant à l'égard de fa qualité
de repréfentant du Capitaine- Général , qu'en particulier
à l'égard de notre éducation , beaucoup
plus que ce à quoi le Seigneur notre Pere auroit
pu attendre de les fages précautions , & de fon
entiere confiance audit Seigneur Duc. : Et comme
nous defirons volontiers d'avoir occafion de
nous fervir encore quelque tems des fages confeils
& affistance dudit Seigneur Duc de Brunswick , &
que ledit nous a décla qu'attaché à Nous par les
liens les plus forts & aie affection paternelle , il
étoit prêt & difpolé nous offrir encore pour
quelque tems fes talens , dans le cas où ils pourroient
nous être de quelque utilité : = En conféquence
nous fommes convenus , & avons accordé
avec ledit Seigneur Duc de Brunſwick, réciproquement
& enſemble , les articles ou points fuivans .
a
S
-I.Que ledit Seigneur Duc de Brunſwick s'engagera
& fe liera à nous , comme il s'engage &
fe lie par la préfente , de vouloir nous aider de fes
confeils dans la direction des affaires , tant du département
militaire , que de tout autre département
appartenant à notre pouvoir , en tout tems ,
autant que nous le réquérerons de lui , & que nous
le jugerons utile & néceffaire. II . Que ledit
Seigneur Duc fera obligé de nous fervir fidele
ment dans toutes les affaires que nous lui remettrons
entre les mains , de nous affifter de fes confeils
& avis , en agiflant felon fa confcience comme
il croira convenir pour la confervation de notre
autorité , prérogatives , & droits , & pour la plus
grande profpérité de cet Etat : fans s'en éloigner
par faveur ou dé faveur pour quelque Province
particuliere , Villes , College , ou Membre d'i
( 91 )
--
-
ceux , ou pour quelque autre caufe de quelque
nature qu'elle puiffe être ; n'ayant rien autre en
vue que ce qui pourra tendre de la maniere la plus
efficace au foutien de nos vrais intérêts , au bien
commun & à l'avancement de la profpérité da
pays. III. Que ledit Seigneur Duc de Brunfwickle
tiendra pour cet effet continuellement proche
de notre perfonne , & fera en particulier obligé
de nous accompagner dans notre voyage que
nous entreprendrons dans peu dans les Provinces ,
Villes & Places reffortans de notre Stadhoudérat-
Héréditaire . IV. Nous nous engageons par
contre de la maniere la plus forte en faveur dudit
Seigneur Duc , de l'indemnifer & libérer entierement
, à l'égard de tout ce qu'il aura fait pour la
preftation de cet engagement , en donnant les confeils
requis , & affiftance , de toute reſponſabilité
quelconque , comme nous l'en indemnifons & libérons
par la préfente : ne voulant point que ledit
Seigneur Duc foit tenu de rendre compte à qui
que ce foit , autre que nous en propre perfonne
& d'être refponfable au cas qu'il nous furvint
durant cet engagement quelque accident, Voulons
& prétendons que le fufdit Duc de Brunfwick
foit libéré de tout , en remettant à notre Secrétairerie
fecrette & y faifant dépofer les pieces &
papiers regardans notre direction , lefquels pour
roient le trouver pour lors fous la haute garde ,
fans que le fufdit Seigneur foit obligé de donner
àquelqu'un de nos héritiers , fucceffeurs , ou ceux
quien auront obtenu le droit , aucunes ouvertures :
bien moins être tenu de refponfabilité , ou qu'il y
puiffe être obligé & néceffité de quelque maniere
que ce foit.
Le tout par proviſion & jufqu'à
fufpenfation réciproque . Ainfi convenu entre nous
fouffignés & fcellés des cachets de nos armes . Fait
à la Haye le 3 Mai 1766. ( Signė ) G. Pr. d'Og
( 92 )
RANGE. L. DUC DE BRUNSWICK .- Aujourd'hui
3 Mai 1766, S. A. le Seigneur Duc de Brunſwick
a preté ferment fur l'engagement ci deffus entre
mains de S. A. S. le Prince Stadhouder-Hérélitaire.
( Signé ) T. J DE LARREY,
La grande affaire d'une alliance à former
entre la France & les Provinces Unies , eft
enfin décidée. Les Etats de Hollande ont
pris une réfolution formelle à ce fujet ; elle a
été imitée par les Etats-Généraux , qui ont
arrêté de charger les Ambaffadeurs . de la
République à Paris , de faire l'ouverture de
cette alliance .
La Bourgeoifie d'Utrecht étant apparemment
auffi paffionnée que la Régence pour
la liberté , vient d'adopter & de répandre un
nouveau plan de légiflation politique . Il
confifteroit à diftribuer cette bourgeoifie en
compagnies militaires , & à lui redonner fon
influence perdue fur le choix des places.
Elle feroit de plus repréfentée par 16 Commettans
, chargés de la défenfe de fes droits ,
d'opiner fur les impôts, & d'affifter à la reddition
des Comptes.
Si l'état intérieur de la Hollande afflige
les vrais citoyens , la délicateffe de fes difcuffions
actuelles avec la Maifon d'Autriche
fembleroit devoir fufpendre les inimitiés
inteftines. Quoique les prétentions de
l'Empereur paroiffent uniquement un objet
de négociation amiable , les Hollandais ne
l'ont pas attendue pour pourvoir à leur sû(
23 )
reté. Divers régimens , dont trois Suiffes ,
fe font réunis à Maftricht , où le Prince de
Naffau- Weilbourg , Gouverneur de la Place
eft arrivé le 18 Mai. Il s'étoit même répandu
que la République alloit envoyer des
vaiffeaux de guerre à l'embouchure de l'Efcaut
cette nouvelle fans doute étoit prématurée
.
On fait que Mafiricht eft la clef des Provinces-
Unies du côté de la Meufe & du Brabant. Cette
place eft devenue encore plus importante depuis
la deftruction des fortereffes barrières Elle
fut cédé à la République par la paix de Munfter
& fait partie de ce qu'on appelle Pays de
Généralité , c'est - à- dire appartenant à l'Union &
non à aucune des Provinces.
Ses fortifications très étendues & redoutables
exigent en cas de fiége , une garnifon de 15 à
20000 hommes. Elle fut affiégée & prife en
1673 par l'armée de Louis XIV : elle foutint
un nouveau fiége en 1748 , & le danger de cette
place prête à fuccomber accéléra la paix d'Aix
la Chapelle. ر
Dans cette même année 1673 où Mafiricht
fut pris , les Hollandais promirent à Charles II
Roi d'Espagne de lui céder cette ville & le Comté
de Vronhoven , fi ce Prince voulait les fecourir
; il fit valoir cette ceffion à la paix de Nimégue
, mais inutilement , & depuis , elle paraiffait
tombée en défuétude.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
On avoit débité dans les Gazettes étrangères
que le Chevalier Lowther refufa la pairie , à
moins qu'on y joignit le titre de Duc. Sur le
refus de la Cour , on ajoutoit que Sir James
Lowther paffoit dans l'oppofition avec 15 de fest
Adhérens . Il n'y a pas un mot de vrai dans ce
( 94 )
récit. Le nouveau Pair , fous le titre de Comte de
Lonsdale , en a remercié le Roi le 28 du mois
dernier.
on a
La Commémoration ou Jubilé d'Handel a
été célébré avec la plus grande pompe
joué les plus beaux Oratario de ce célébre compofiteur
, & ils ont été executés par 500 Mufi
ciens , entre lefquels étoit Madame Mara . En 7
repréfentations , cette folemnité a rendu 18000 liv.
fterl . au profit des établiffemens de charité , & de
quelques vieux Muficiens .
Le Dutton , le Rodney & le Henri , vaiffeaux
de la Compagnie des Indes , font arrivés
faufs , le premier aux Dunes , & les autres fà
Torbay.
M. Whitbread , répréfentant de la ville de
Bedford & beau-frcre de Lord Cornwallis donne
800 liv. fterl. par an , à M. Coxe Auteur des
Voyages en Suiffe , en Pologne , & des découvertes
des Ruffes pour accompagner fon fils
dans fes voyages . Ce que fait ici un fimple particulier
, peu de grands feigneurs , & même de
fouverains , le feroient ailleurs.
Caufe extraite du Journal des caufes célebres .
EMPOISONNEUR de fa femme & de fes enfans ,
condamné à être rompu vif.
Les grands crimes font ordinairement la fuite
de la dépravation des moeurs. On commence par
fe familiarifer avec le vice. L'ame fe flétrit. On
conçoit la poffibilité de commettre le crime &
d'échapper aux recherches de la juftice . Du crime
aux forfaits , il n'y a qu'un pas ..... Il feroit à
defirer que cette échelle effrayante fut fans ceffe
fous les yeux des hommes qui fe livrent à leurs
paffions ; ils verroient que fouvent celui qui
commence par céder à un penchant criminel ,
finit par fouiller fa vie par des forfaits . Le procès
criminel dont nous allons rendre compte
( 95 )
fournit un exemple de cette trifte vérité. Un
journalier , nommé François Moinot , vivoit en
bonne union avec fa femme , dans la paroiffe de
Saint- Romain , fénéchauffée de Cibray. Son travail
& celui de fa femme fuffifoient à leur fubfif
tance & à celle de leurs enfans . Si Moinot n'eût
pas cédé à une paffion criminelle , ces époux vivroient
encore en paix , & un forfait abominable
n'auroit pas été ajouté à la lifte trop nombreuſe
de ceux qui fouillent les annales criminelles de
ce fiecle . Moinot ayant fait connoiffance avec la
fille d'un laboureur d'une paroiffe voifine , conçut
la paffion la plus forte pour cette fille . Il
paroît que cette derniere ( qui s'appelloit Catherine
Segaret ) fut fenfible à l'amour de Moinot
, puifqu'il étoit prouvé au procès qu'ils
avoient eu ensemble des habitudes criminelles.
On prétend que ces coupables amans formerent
le projet de s'unir , & que , pour l'exécuter ,
Moinot conçut le deffein d'empoifonner fa femme
& fes enfans . Ce n'étoit pas allez pour ce monftre
d'une victime , il vouloir tout- à- la-fois immoler à
fa paffion les êtres qui devoient être les plus
chers à fa tendreffe. Ce fcélérat ayant acheté de
l'arfenic , épia le moment où il pourroit confommer
fon forfait. Etant rentré dans fa maifon ,
lorfque fa femme étoit fortie avec les enfans , il
mit le fatal poifon dans la foupe deſtinée pour le
dîner de fa famille . Sa femme & fes enfans n'eurent
pas plutot mangé de cette foupe , qu'ils éprouverent
tous les fymptômes de l'empoifonnement,
L'ainé des enfans de Moinot étant mort dans des
convulfions affreufes , le bruit de cet événement
fe répandit dans le village , & les foupçons s'arrêterent
, fur le champ , fur Moinot. La juftice
ayant fait conftater le délit , le coupable & fa
complice furent conduits en prifon. Après une
( 96 )
inftruction très- ampie , Meinot fut déclaré con
vaincu d'avoir empoisonné fa femme & les enfans
, & , pour réparation , condamné à être
rompu vif & jetté au feu .
-
Sur l'appel de la fentence des premiers juges ,
les accufés ont été transférés à la conciergerie ,
& la fille Segaret y eft morte le 21 Septembre
1783. Six jours après , Moinot a été con lamné ,
par le Parlement , à faire amende honorable , avec
écriteau , portant ces mots : Empoisonneur de fa
femme & de fes enfans , au- devant de la principale
porte de l'Eglife faint Nicolas de Civray , & à
être enfuite rompu vif , mis fur une roue , & de
fuite jetté dans un bûcher ardent , pour y être ré
duit en cendres , & fes cendres jettées au vent.
Il ne fut jamais de condamnation plus jufte que
celle qui a été prononcée contre ce monfire. Le
délit dont il avoit été accufé avoit été conftaté de
la maniere la plus authentique , & les preuves les
plus évidentes fe réunifloient contre le coupable .
Il faut en effet le concours de ces deux efpeces
de preuves pour opérer la condamnation en matiere
d'empoisonnement , il faut fur- tout que le
délit foit conftaté , parce que c'eft ce fait qui doit
fervir de bafe aux accufations de ce crime . Les
premiers juges ne peuvent donc , fans courir les
rifques de s'égarer , négliger cette importante
formalité. Pour montrer les dangers qui pour
roient réfulter de leur négligence ou de l'impéritie
des gens de l'art chargés de visiter les cadavres.
On trouve à la fuite de ce procès ; l'analyſe
d'une brochure publiée depuis peu par un médecin
fur cette matiere importante . Les juges ne
peuvent trop méditer les obfervations qu'on
trouve dans cette brochure. Elles ont été dictées
par l'humanité & par le defir d'épargner des
erreurs funeftes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Avril.
Dsmyrne ,avec affez de violence , pour
EPUIS un mois la pefte s'eft déclarée à
écarter de cette ville une grande partie de
fes habitans. Le commerce languit , d'au
tant plus que les cantons voifins font égale;
ment infectés de la contagion.
On affure que les Monténégrins fe font
révoltés contre le Pacha , & qu'ils ont forcé
fes troupes à fe retirer avec perte. Cette affaire
, dit- on , a eu lieu le 7 Avril , entre
Linda & le mont Hatter.
сс
L'échange de la ratification de la convention
conclue entre la Cour de Ruffie & la Porte ,
au fujet des provinces Tartares , s'eft fait fans
beaucoup de cérémonies dans une des maisons
de plaifance du Grand- Seigneur , nommée Ainelikavat
, & fituée au nord du port de Conftantinople
, la même où le font tenues la plupart des
conférences entre le Miniftre de Ruffie & ceux
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
( 98 )
de la Porte. Le lendemain de cette affemblée ;
compofée , d'une part , du Capitan Pacha , du
Reis - Effendi, & de l'Ortou-Cedifi , ou Juge de
Parmée , & de M. de Bulhakow , de l'autre y
ce dernier a envoyé fon Secretaire chez les Miniftres
Turcs , avec les préfens qui leur étoient
deftinés , & qui leur ont été offerts , non comme
venant de la part de l'Impératrice , parce
qu'alors ils n'auroient pu les accepter , mais de
celle de M. de Bulhakow. Ce font les mêmes
préfens qui avoient été envoyés l'année der
niere par la Cour de Rufie , à l'occaſion de la
conclufion du traité de commerce , pour être
diftribués entre les Miniftres de la Porte , &
qui alors avoient été refufés : ils confiftent d . ns
les pieces fuivantes : au Grand- Vifir, un miroir
entouré de brilians , une bague de diamans , unet
montre , & un étui richement garni de brillans ,
outre une peliffe de la plus belle martre , quarante
autres peaux de martre , & un peliffe de
renard noir au Capitan- Pacha , un pommeau
gurni de brillans , propre pour un baton de com .
mandement , & plufieurs pelleteries de grande
valeur à l'Ordou- Cadiffi , une tabatiere enrichie
de brillans , & quarante pieces de la plus
belle martre au Reis Effendi , une boite d'or ,
une peliffe de martre , & quarante pieces de même
pelleterie :au Breiliski - Effendi , ou premier
Commis de la Chancellerie Turque , une boîte
d'or quarante pieces de martre : au Dragoman
de la Porte , une riche tabatiere , une bague de
la valeur de 2500 piaftres , quarante peaux de
marrre , & deux très belles peliffes. Le lendemain
le même Dragoman , apportant en reanche
les préfens du Grand- Vifir au Minifte
Ve Ruffie , qui confiftent pour la plupart en riches
dtoffes des Indes , en requt'encore des mains de
( 99 )
M. de Bulhakow une très belle montre avec fa
chaîne ».
Par le dernier Traité arrêté entre la Sublime
Porte & la Ruffie , on prétend que la
dignité d'Hofpodar en Moldavie & en Valachie
a été rendue inamovible , fauf pour raifon
de plaintes graves portées à Sa Hauteffe
contre l'un ou l'autre des deux Hofpodars.
DANEMAR CK.
DE COPENHAGUE , le 20 Mai.
L'Ordonnance contre les émigrations affujettit
toutes les perfonnes , allant à nos colonies
des Antilles , à donner une caution
avant leur départ. Si un navire fe charge de
paffagers non munis de paffe - ports , il ſera
faifi comme contrebandier.
Voici le précis fur la Norwege , qui fait
fuite à celui fur le Danemarck , que nous
avons donné dans le N°. précédent.
La furface de la Norwege eft de 7000 milles
quarrés. La partie du fud eft affez bien cultivée ,
celle du nord l'eft très- peu . D'après un calcul
moyen de dix ans , it naît en Norwege annuellement
23,100 enfans : en comptant la proportion
des naiffances à la population totale , dans
le rapport de 1 à 31 , la Norwege auroit
720,000 habitans .
L'un dans l'autre , chaque mille contient
donc 103 habitans ; mais dans la partie la plus
cultivée du pays , & dans le voifinage des villes ,
il faut porter ce nombre à 153 ; il eſt réduit à
€ 2
( 100 )
23 par mille dans les diftris du nord . Bergen ,
la ville la plus confidérable du Royaume , a
16000 habitans. Dans le nord , aucune ville , excepté
la fortereffe de Vardhus , gardée par 40
hommes.
Le produit territorial en bled ne fuffit pas à
la nourriture des Norwégiens , il faut importer
de cette denrée pour 700,000 rixdalers par année
, pour un million même , fi la récolte n'a pas
été favorable.
Ls produit de la pêche et évalué à 2,400,000
rixdalers : il feroit quadruple fi les nations étrangeres
pouvoient être entiérement exclues de ce
commerce.
le
,ܘ
L'armée de la Norwege eft diftin &te de celle
de Danemarck . D'après l'état de 1763 , elle confifte
en 29,038 hommes. Un Colonel reçoit annuellement
800 rixdalers , un Capitaine
fimple foldat rien du tout. L'entretien de la
cavalerie , qui n'eft habillée que tous les douze
ans , coûte à - peu près 30,000 rixdalers , &
celui de l'armée entiere 183,000 rixd . annuellement.
Si l'on ajoute à cette armée 14,600 matelots
que porte l'état militaire , & 8000 mineurs qu'on
emploië en tems de guerre , on verra que la
Norwege peut oppofer près de 60,000 hommes à
une invafion .
La Couronne devroit percevoir fur la Norwege
un revenu de 1,600,000 rixdales . Cette eftimation
eft calculée fur le produit naturel de l'impôt
fur les métairies , de la dixme du cuivre exploité
, des mines de fer , du commerce des
bois , des péages , des droits fur les confommations
& des contributions extraordinaires ;
mais le revenu effectif eft au- deffous de cette
eftimation , & ne paffe pas 1,200,000 rixdalers.
( 101 )
Une grande partie de l'armée n'étant poing
payée en argent , la défenſe du pays n'eft nullement
difpendieufe , & les montagnes élevées
qui couvrent la Norwege du côté de la Suede
font des frontieres autant de fortereffes naturelles
..
A défaut de Lled , les habitans pauvres fe nourriffent
d'un pain d'écorce de fapin , dont l'ufage
eft très dangereux . On a propofé ſouvent
d'imiter pour la pêche de la Norwege l'acte de
navigation des Anglois ; mais ce projet eft reſté
fans exécution .
Le Roi a nommé le Confeiller privé de
Guldencrone , fon Miniftre Plénipotentiaire
près la Cour de Pétersbourg.
Le 19 , le vaiffeau de guerre l'Oldenbourg
Capitaine Buddé , eft allé en rade. Le même
jour il eft arrivé ici in eftafette de Peterfbourg.
Le prix des dernieres actions de la Com
pagnie d'Afie , a été de 928 & 929 rixdalers ;
celui des actions de la Compagnie de la
Baltique 94 & 95 rixdalers , & celui des actions
de la Compagnie d'affurance maritime
230 rixdalers.
ALLEMAGNE
DE HAMBOURG , le 22 Mai.
On écrit de Dantzick , que la navigation
fufpendue par la longueur du dernier hyver ,
n'a recommencé qu'à la fin d'Avril . Il y eft
acrivé peu de bâtimens Polenois , mais un
e 3
( 102 ))
a
grand nombre d'Anglois & de la Baltique ,
pour les emplettes de grains . Le bled cons
mence à devenir rare à Dantzick , mais les
tranfports attendus de Pologne rameneront
l'abondance. L'étendue des commiffions à
fait hauffer le prix de cette denrée.
On trouve dans un Recueil Allemand les
détails fuivans , au fujet du commerce de
Dantzick .
Les productions de Pologne font le principal
objet de commerce d'exportation de cette ville.
Elle en reçoit , une année portant l'autre , 50 à
60,000 lafts de bled , dont le prix varie beau→
coup , & fe regle annuellement fur les prix de
Hollande. En comparant ensemble les divers
prix de plufieurs années , les Dantzickois paient
le laft de bled à
qui , pour 60,000 lafts , produit une fomme dé
2,080,000 ducats . Les autres productions , com
me bois , cendre , potaffe , toile , cuir , miel , &c.
que les Négocians de Dantzick reçoivent de la
Pologne montent environ à la même fomme,
Ainfi cette ville met dans ce commerce un capital
annuel de fix millions de rixdalers. Elle
gagne là - deffus 20 pour 100 , & fait par conféquent
un bénéfice de 1,200,000 rixdalers ; mais
elle en paie au Roi de Pologne , à titre d'impofitions
& d'autres droits , une fomme annuelle de
150,000 rixdalers , & environ autant pour les in
térêts des fommes dues à l'Angleterre & à la
Hollande . Certe réduction faite , il refte aux
Dantzickois un bénéfice net de 900,000 rixdalers ,
qui , faute de fabriques & de manufactures dans
la ville , paffent à l'étranger pour en faire venis
ce dont ils ont befoin dans ce genre. Malheureufement
la plus grande partie de cet argent eft
oon
de
dix
-huit
ducats
,
ce
( 103 )
employé pour des objets de luxe qui va toujours en
croiffant dans cette petite République. D'après
cela on peut affurer avec vérité que puifque là
Ville de Dantzick dépenfe autant qu'elle gagne,
la balance de fon commerce eft en équilibre au
jourd'hui , & que dans peu , fi elle ne prend pas
d'autres melures , fon commerce ne fuffira plus
pour fournir à les dépenfes. Il n'y a aujourd'hui
que les anciennes maifons de commerce qui fe
foutiennent encore , les nouvelles qui s'y étoient
formées font prefque toutes tombées peu de tems
après leur établiffement . La maifon de Rothembourg
eft la feule qui ait fait fortune , & dont les
affaires font en très-bon état ; c'eft cette maiſon
qui fait prefque toutes les commiffions pour la
France.
Le nombre des bâtimens arrivés à Dantzick
en 1783 , étoit 681 , & celui des bâtimens
fortis 694.
Le tableau fuivant des revenus que perçoivent
plufieurs Couronnes du commerce
du Tabac , peut donner une idée affez
exacte de l'étendue de ce commerce.
En 1753 , le Roi de Portugal a affermé le tabac
pour la fomme annuelle de
Le Roi d'Efpagne en tire
Le Roi de France
Le Roi des Deux - Siciles
Le Roi de Danemarck
L'Empereur •
·
2,500,000
rixd.
8,158,400
3,802,400
• 370,125
· 40,000
1,800,000. ·
16,670,808 rixd
M. Bufching porte les revenus que le Roi de
Pruffe tire de cette branche de commerce plus
haut que ceux que ce Souverain perçoit de fes
Domaines confidérables dans la Marche Elec
torale.
( 104 )
(
DE FRANCFORT , le 4 Juin.
Les pronoftics , ou plutôt les rêveries fur
l'emploi futur des Aeroftats , ayant menacé
les places de guerre & les armées de cette
artillerie aérienne , on prétend qu'un Docteur
Allemand s'eft occupé férieufement des
moyens d'en prévenir les effets. A ce qu'on
rapporte , il a inventé une lentille ou miroir
ardent , capable d'incendier les ballons &
leur équipage à la hauteur de 2 ou 3 lieues.
.. M. le Confeiller Eybel , à qui l'on a attri
bué l'ouvrage fameux , Qu'est- ce que le Pape,
eft chef de l'une des Commiflions nommées
par l'Empereur pour la vifite des Eglifes &
des Couvens. On raconte qu'étant arrivé
dans l'Eglife de Braunau en Autriche , à
l'inftant où le Prédicateur s'échauffoit contre
les innovations récentes , il le laiffa continuer
fans fortir de l'incognito. Après le fermon
, le Moine averti vint fe jetter aux ge-.
noux de M. Eybel , en le priant d'oublier
fon éloquence. Mon Pere , lui répondit le
Vifiteur , j'aurai foin de faire examiner attentivement
votre affaire.
Le 17 le mariage futur du Duc Charles-
Louis Frédéric de Mecklenbourg Strelitz ,
avec la Princeffe Charlotte - Chriftiane-Marie
fille du feu Prince George Guillaume de
Heffe -Darmſtad , a été déclaré publiquement
à la Cour du Landgrave.
( 105 )
On mande de Vienne que l'Empereur
vient de fupprimer les Couvens des Carmes ,
des Peres de l'Ordre de S. François de
Paule , des Servites , des Dominicains & des
Urfulines. La garnifon de Vienne , ajoute-tfera
renforcée & portée à l'avenir à
25 à 30 mille hommes .
on ,
L'affaire de l'Evêché de Paffau avec la Cour
Impériale a été , dit- on , arrangée de la maniere
fuivante : l'Evêché renonce à perpétuité à la Jurifdiction
eccléfiaftique dans la haute & baffe Autriche,
& à celle dans le quartier del' Inn cédé à la
Maifon d'Autriche par la paix de Tefchen , &
s'engage à payer annuellement 25,000 florins au
nouvel Evêché de Linz ; cette fomme fera acquittée
partie en argent comptant , & partie en
Bénéfices cédés pour cet objet . La Cour Impériale
, de fon côté , reftitue à l'Evêché les diftricts
, dîmes , maifons , &c . qu'elle avoit mis en
fequeftre. La haute Autriche , d'après cet
arrangement , & le quartier del ' Inn , feront attribués
au Diocèfe de Linz , deux quarts de la baffe
Autriche à l'Evêque de S. Poltin , & le reste à
l'Archevêque de Vienne.
Les confcriptions militaires font recommencées
pour cette année , & on preffe même la levée des
troupes.
ITALI E.
DE VENISE , le -23 Mai.
On a répandu que la pefte s'étoit manifef
tée dans la Dalmatie , & notamment à Spalatro.
En conféquence les ports du golfe
Adriatique font munis des précautions.
es -
( BOG )
dufage : Sa Sainteté a même fait fermer le
port de Finigaglia aux navires venant de
nos côtes , & interdit la foire célebre qui a
lieu toutes les années dans cette ville .
Cependant la nature de cette maladie contagieufe
eft encore très - équivoque. Elle regna
déja l'année derniere , & on l'attribua
au retour d'un nombre d'émigrans paffés en
Turquie , & rentrés dans la Province par
les montagnes . On croit d'autant moins
cette épidémie peftilentielle , que divers malades
ayant été traités dans l'Hôpital de Spalatro,
ils ont été bientôt rétablis.
Le Gouvernement vient d'envoyer fur
les lieux le Sénateur Diedo , pour vérifier
ces craintes , & pour porter remede à la contagion
quelconque radicalement.
DE NAPLES ,
le
13 Mai.
L'efcadre destinée à joindre les Eſpagnols
dans leur nouvelle expédition contre Alger,
doit appareiller le 16. Elle eft compofée de
deux vaiffeaux de ligne , de deux frégates
& de deux chebecs , fans compter les bâtimens
munitionnaires , & un vaiffeau d'hôpital.
L'état déplorable de la Calabre occupe
toujours le Gouvernement. Il s'eft tenu à ce
fujet , un Confeil des Miniftres d'Etat , auquel
S. M. a affifté , ainfi que le Maréchal
Pignatelli , chargé l'année derniere du com(
107 )
mandement de cette Province. Ce Général ,
à ce qu'on dit , fe prépare à y retourner ,
pour y faire exécuter un Bref de S. S. relatif
à la fécularifation des Religieux , Novices
encore , lors de la deftruction des Monafteres
fupprimés .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 2 Mai.
La flotille qu'on équippe pour l'expédi
tion d'Alger , fera compofée de So bâtimens
, chaloupes canonnieres ou bombardes
; fous la protection d'un vaiffeau de ligne
& de quelques frégates , & de 10 chebecs.
Vu le nombre de troupes qui paroiffent
deftinées à s'embarquer fur cette efcadre
, on préfume qu'il fera queftion d'un
débarquement , & non pas feulement de
bombarder Alger. Les travaux fe pouffent
à Carthagene avec la plus grande activité :
de leur côté , les Maures ne font pas oififs.
On annonce qu'indépendamment de leurs
anciennes batteries , ils en ont conftruit fept
autres fur des ouvrages avancés , d'où ils fe
propofent d'incendier à boulets rouges , les
bâtimens qui fe mettront à portée de bombarder
la ville .
*
6
( 108 ).
PORTUGAL,
DE LISBONNE , le 2 Mai.
Le mariage prochain de l'Infante Marie-
Anne Victoire avec l'Infant d'Efpagne Dom
Gabriel a été déclaré à la Cour. On parle
auffi d'unir l'Infante Charlotte , fille aînée'
du . Prince des Afturies avec l'Infant Dom
Juan , fils puîné de LL.. MM . Le premier de
ce mariage paroît devoir fe conclure au
mois d'Octobre prochain.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 8 Juin.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Amésique
Septentrionale font mention des ravages
qu'a occafionné le dégel des rivieres en
divers endroits. Une lettre de Wyoming
dit :
» Dans la nuit du 15 de ce mois , ( Mars ) la
riviere qui arrofe cette Ville , en moins de 36
minutes à éprouvé un débordement fi confidérable
, qu'elle a inondé toutes les terres baſſes
de notre Colonie . Elle a einporté des maiſons
entieres , des beftiaux , des grains , &c . & plufieurs
familles qui n'ont pas eu le temps de fortir
de leurs foyers , ont été entraînées dans les bâtimens
à cinq mille de diftance. On a vû des
mailons flotter au milieu des courants avec du
1
( 109 )
monde & des lumières dedans. Enfin jamais on
n'a vû de déſaſtre femblable . La Garnifon qui
étoit logée dans le lieu le plus élevé du pays
étoit noyée de quatre pieds d'eau . Les troupes
ont été obligées de fe refugier dans les montagnes
& de laiffer armes & bagages . Les terres
font dans ce mom nt ci couvertes de glaces
épaiffes de quatre & cinq pieds . Nous devons
à l'extrême folidité du Fort de n'avoir pas vu
nos cafernes détruites. Mais ce qui nous arrache
des larmes c'eft la fituation malheureufe d'une
foule de femmes & d'enfans deftitués de vêtemens
& même de vivres par cette déſaftrueuſe inondation.
Les accidens ont été auffi fâcheux fur la
Delaware.
La navigation de la riviere , écrit - on , qui
avoit été interrompue par les glaces depuis le
26 Décembre dernier , vient enfin d'être ouverte
; un nombre de bâtimens après avoir été
obligés d'errer dans la baye & dans la riviere ,
en éprouvant beaucoup d'incommodité , eft entré
ces jours ci dans le port. Pendant la
rude faifon , la glace , en formant fur la riviere
une route sûre pour la communication de cette
Ville avec les rives oppofées , nous a du moins,
procuré de grands foulagemens pour l'article important
du bois à brûler , qu'on apportoit en,
quantité du nouveau Jerfey. Le dégel a malheureufement
caufé , dit - on , bien du dégat dans
les établiffemens de la fiviere de Schuylkill.
-
Aux Falls , à environ 5 mille de cette Ville ,
les eaux fe font accrues prodigieufement , & les
glaces qu'elles ont entraînées , ont détruit beaucoup
de bâtimens , tels que des granges, des
écuries , des pêcheries , des enceintes , & des
¡
( 110 )
habitations . Un moulin à papier a été entiérement
renverfé & plufieurs autres fort endommagés .
Ces malheurs joints à la détreffe qu'a néceffairement
occafionné un hiver , fans exemple depuis
40 ans, ont bien vexé les pauvres Bien des particuliers
qu'on croyoit être au - deſſus du beſoin ,
ont eu de la peine à paſſer l'hiver.
Enfin l'on mande de Baltimore les détails
fuivans.
Hier , à force de travail & de perfévérance ,
on a achevé au milieu des glaces un canal qu'on
avoit commencé á ouvrir il y a quelques jours
depuis la pointe de Fell , juſqu'à celle de Whetſtone
Parce moyen une vingtaine de Bâtimens
& une foule de petites Barques de la Baye qui
avoient éprouvés de la part des glaces un long
& penible retaid , font entrées dans le port á la
fois . Ils ont formé un ſpectacle très - gréable aux
Habitans qui les ont falués de trois acclama
tions , auxquelles les équipages ont répondu
avec le même plaifir & la même cordialité.
Le 19 Avril , l'Etat de Maffachuſett Bay
a fait l'élection annuelle des Chefs de fon
gouvernement : M. Jean Hancock a été réélu
Gouverneur , & dans le nombre des fix nouveaux
Sénateurs , fe trouve M. Samuel
Adams.
L'Affemblée générale de Penfylvanie a
reçu le rapport du Comité , chargé d'examiner
les intérêts commerciaux de cet Etar.
Le Comité ayant examiné la lettre du Gouverneur
Horrifon , en date du 21 Décembre , &
les mémoires des Marchands de la Penſylvanie
qu'on voudroit établir fur les bâtimens britans
niques , a repréfenté dans fon rapport :
( n )
.5
Que le Comité regarde le foin de rédiger
des réglemens de commerce comme une entrepriſe
très étendue ; & que , d'après fes principes de
politique les plus fains , il pense que rien ne mérite
davantage l'attention de la Légiflation que
les mefures qui ont rapport aux intérêts commerciaux
de l'Etat.
Que la proclamation du Roi de la G. B. qui ,
en reftreignant le commerce entre ces Etats & les
Colonies à fucre d'Angleterre , tend à décourager
notre navigation & notre commerce , doit trouver
la plus conftante oppofition de la part des Etats-
Unis.
Que d'après le mémoire préfenté par le Commerce
de ces Etats , il paroît que les Marchands
s'occupent , de concert avec ceux des autres
Etats , de la rédaction d'un plan général de commerce
pour les Etats Unis .
Que l'efficacité de ces efforts combinés , jointe
aux démarches particulieres dont nous fommes
capables , engage le Comité à propofer la réfo
lution fuivante.
Réfolu que l'on nommera un Comité pour former
un bill qui autorife les Etats - Unis affemblés
en Congrés à défendre l'importation de toutes
denrées ou marchandifes du crû ou du produit
d'aucune des Colonies à fucre de l'Angleterre ,
dans ces Etats - Unis , ou à adopter tels autres
actes de réciprocité vis-à- vis de la G. B. relativement
au commerce des Etats - Unis , tant que les
reftrictions en queftion auront lieu de la part de
l'Angleterre.
Pourvu toute-fois que cet acte ne puiffe fortir
fon plein effet que lorsqu'il aura été approuvé par
les autres Etats de l'union .
On écrit d'Hallifax , dans la Caroline Sep(
112 )
tentrionale , que le Général Rutherford , qui
avoit fait une excurfion du côté du Miffifipi ,
avec un corps nombreux de Volontaires ,
dans la vue de faire quelques découvertes
dans les parties occidentales , a été furpris
par les fauvages , & entiérement défait. On
prétend que le Général lui- même a perdu la
vie avec fes infortunés compagnons , qui ne
penfoient nullement à faire la guerre ; mais
dont l'objet au contraire étoit d'acquérir ,
fans effufion de fang ; un très -vafte territoire.
Les féances du Par'ement font toujours
auffi vives , fans en être plus inftructives , au
moins pour tout ce qui n'eft pas Anglois.
Les débats ont pris un caractere d'aigreur &
de févérité qu'on a rarement remarqué dans
les difcuffions les plus importantes . Celle
qui continue d'agiter la Chambre , eft tou-,
jours relative à la queftion , fi le Grand Baillif
de Weftminfter fera admis , ou non , à
procéder à la vérification des fuffrages . L'un
& l'autre parti mettent à cette querelle une
chaleur qui leur fait oublier non - feulement
les bienféances , mais ce qui eft encore pis ,
les regles de la Chambre.
On ne fera pas furpris de cet échauffement
, fi l'on confidere que le crédit de M.
Fox tient en grande partie au fiege qu'il occupe
par interim ; que s'il en eft dépoffédé ,
il acheve de perdre l'avantage de l'opinion
qui le croit maître de la confiance du peu(
113 )
1
ple , opinion auffi utile que cette confiance
même ; enfin , que Dictateur il y a deux
jours d'un parti prépondérant dans les Communes
, il court le rifque d'être exclus de
ces Communes mines .
Il y a auffi une réclamation
, comme
nous
l'avons
dit l'Ordinaire
précédent
, contre
fon élection
dans un bourg
d'Ecoffe
. Son
concurrent
, fortement
foutenu
à n'en pas
douter , lui oppofe
des illégalités
de toute
efpece. M. Fox n'eft ni bourgeois
, ni habitant
, ni propriétaire
, ni he paye les
taxes dans aucun des bourgs
qu'il doit repréfenter
, ce qui eft formellement
contraire
aux actes du Parlement
d'Ecoffe
, relatifs
à l'élection
des 16 Pairs & des 45 Députés
qui l'ont remplacé
. Cependant
ces objec
tions n'ayant
pas paru infurmontables
, le
Candidat
plaignant
s'eft retranché
fur les
prévarications
commifes
durant
l'élection
.
Lord Surrey
, il eft vrai , ami zélé de M.
Fox , ayant été élu pour trois bourgs
différens
, lui ménage
une reffource
; mais il eft
dur , après tant de fupériorité
, d'en être réduit
là
Quoiqu'il en foit , il paroît certain que la
verification des Votes fera ordonnée par la
Chambre des Communes. M. Fox d'une
part, & le grand Baillif Corbett de l'autre
ont plaidé leur caufe dévant l'Affemblée ,
par le miniftere d'Avocats refpectifs. Cette
plaidoyerie a entraîné plufieurs féances fort
( 114 )
avant dans la nuit ; elles fe font prolongées ,
par débats incidentels qui fe font élevés
entre les membres eux - mêmes . Le plus
important de ces débats a eu pour objet de
décider , fi l'on devoit entendre ou non , les
témoins amenés par le grand Baillif pour
certifier l'authenticité réelle ou fuppofée des
fuffrages frauduleux reprochés à M. Fox.
Malgré la forcé des expreffions de cet Orateur
, & les argumens de fes Avocats , la
motion affirmative a paffé à la pluralité de
85 voix.
Aujourd'hui , 8 , cette plaidoyerie a été
terminée , & fera jugée demain : il eft fu
perflu d'en faire preffentir la décifion .
Dans la défenſe qu'a produit le Grand-
Bailli , ou plutôt l'expofé de fes motifs en
accordant la vérification , cet officier a af
firmé que, dans les dix premiers jours de l'Elec
tion, qu'ily avoit eu 100 fuffrages de donnés,
en tout plus de 1200000 , tandis qu'à
F'élection conteſtée entre Lord Trentham
& M. Vandeput , le nombre des votans ne
paffa pas 9200. Tant que M. Fox , ajouta
» M. Corbett , a eu la minorité , il a me-
» nacé ouvertement de demander la revifion ;
» aujourd'hui , il la trouve illégale ; mais le
» changement de fes intérêts , peut- il avoir
»fait changer la nature de l'opération ?
Les petitions au fujet d'élection illégale
fe multiplient chaque jour ; encore quelquesunes
, & le Parlement entier fera bientôt en
( 115 )
conteftation . Le temps perdu à l'examen
de ces demandes , & de la grande affaire
de Weſtminſter , n'a cependant point interrompu
le cours des objets effentiels. Les
affaires de l'Inde , l'acte pour régler le commerce
d'Amérique , & les fubfides ont fixé
l'attention de la Chambre.
Quant au premier objet , on parle encore
trop vaguement du plan du Miniſtere pour
en hafarder quelque chofe ici ; mais il paroit
sûr que Lord Cornwallis a accepté le
commandement général dans cette partie du
'monde.
Pour le fervice de la Marine en 1784,
la Chambre a accordé 26000 matelots
y compris 4445 foldats de marine. Chaque
homme étant paffé fur le pied de 4 liv.
fterl. par mois , en ajoutant à cette fomme,
celle qu'exige l'artillerie de la marine , c'eſt
une dépenfe de 12,53000 liv. fterl. pour
l'année.
Cet état et plus tort de 10,000 matelots
que celui arrêté en 1764 , après la paix ,
Tous le Miniftere de M. Grenville ; la dé
penfe ne fut alors que de 832,000 . Sous
George II on ne vota jamais plus de 10000
matelots en temps de paix . Un plus grand
nombre de bâtimens employés à courir fur
les contrebandiers explique en partie cette
différence .
M. Sawbridge a déjà réparu deux fois avec fa
motion pour la réforme conftitutive du Parle
( 116 )
ment. Cette motion a été encore éludée , ou
plutôt écartée pour le moment. Il eft à croire
que le ministère actuel prendra un biais afin de ne
pas la rejetter ni l'admettre entierement. La
néceffité de cette réforme , confidérée abftraitement
, a été fentie par tous les partis , excepté
par celui du Lord North ; mais en quoi confiftera-
t- elle ? Voilà ce qui divife les opinions à
l'infini . Les uns veulent abréger la durée du
Parlement , d'autres une élection plus générale .
Les premiers ont contr'eux la plupart des objections
formées par le dernier Parlement contre
fa diffolution les meilleurs écrivains de la
nation ont fait obferver aux feconds que la populace
, très -différente du peuple , feroit peu de
cas d'un pouvoir qui ne lui rendroit aucun émolument
, qu'un chaudronnier préféreroit de rajuf
ter une chaudière pour fix fols , à réformer la
conftitution pour rien , qu'un bucheron ne laifferoit
pas fes fagots pour faire des loix , & qu'un
filou aimeroit toujours, mieux voler dans les
poches durant les élections , que d'y donner fon
uffrage.
}
Il paffe pour certain que M. de Saint- Saphorin
, Envoyé de Dannemarc à la Haye ,
a fait ici la demande d'une de nos Princeffes
pour le Prince Royal de Dannemarc.
Le choix tombera , à ce qu'on affure fur
la Princeffe Augufte Sophie, fille uinée de.
leurs Majeftés : elle aura 16 ans au mois
de Novembre prochain , & le Prin ce Royal
en a 17 .
Les partifans modérés du Miniftere ,
ont obfervé avec peine , l'efpece d'emportementavec
lequel il paroit pourfu vie M. Fox
( 117 )
& fes adhérens. Si v . Pit garde plus de
réferve & de décence dans cette guerre
de paroles ; il n'en eft pas de même de
divers autres membres de l'adminiftration .
Les gens de loi furtout, fe font remarquer par
leur dureté. Si les circonftances ne permettent
pas de mettre de la meſure dans les hoftilités
légales , du moins devra t- on la conferver
dans les procédés. M. Fox , il eft vrai , ne
s'en eft jamais piqué ; il n'a jamais cru
que les ménagemens entraffent dans les devoirs
d'un Homme d'état ; mais fon impétuofité
naturelle rendoit plus excufables ces
écarts de l'éloquence . Les Papiers publics
dévoués au Miniftere , font remplis d'horreurs
dégoûtantes contre cet Orateur.
Ils ne ceffent de le comparer à Cromwell
mais celui- ci , ont dit les écrivains attachés à
M. Fox , fut- il un Orateur facile , élégant , univerfel
? Non; fut-il d'un caractere ouvert & mâle ?
plaifant & fpirituel dans la converfation ? Non ;
infenfible à fes propres intérêts jufqu'à fervir le
peuple au rifque de fa fanté, de fon crédit & de fon
pouvoir? Sûrement non. Les adverfaires de M.
Fox , prenant le revers de ce parallele , conviennent
qu'il manque de jufteffe ; car , difentils
, M. Fox eft - il connu pour un brave & heureux
Général ? eft- il la terreur de toute l'Europe ?
l'a t - on jamais trouvé en prieres ? Ses cheveux
font- ils flottans fans poudre fur fes épuales ? eft-il
remarquable par la tempérance ? eft- ce un homme
d'une propriété parfaitement libre ? Non. En
quoi donc reffembleroit il à Olivier Cromwell ?
Quoique les variations d'idés & de pár(
118 )
tis , à force de fe multiplier , ne fe faffent
plus remarquer dans le Parlement , celles
de M. Fox paroiffent l'emporter fur tous les
exemples de ce genre. On l'a vu pour &
contre la guerre d'Amérique ; contre les intérêts
du peuple dans l'affaire de l'élection de
Midlefex , & revenir à ce même peuple
après avoir été difgracié ; tour-à-tour ami
chaud & ennemi déclaré de Lord North ,
de Lord Shelburne , de M. Pitt ; foutenir
que la voix du peuple n'exiftoit pas dans
l'enceinte des communes , & fixer enfuite
cette voix dans cette même enceinte , &c .
&c. &c .
Le Chevalier Elijah Empey , ci-devant
chef de Juftice dans le Bengale , eſt revenu
de l'Inde par ordre du Gouvernement, pour
rendre compte de fa conduite , & M. Pitt
en a donné connoiffance à la Chambre des
Communes.
Lord Cheſterfield eft reparti fubitement
pour l'Espagne, départ auffi inattendu que
fon retour , & dont on connoît auffi peu
les motifs. C'eft le Chevalier Harris , cidevant
Miniftre de notre Cour à Petersbourg
, qui paffe à la Haie ; il en a fait fes
remerciemens à S. M.
DE DUBLIN , le 10 Mai.
La Réponse du Viceroi au difcours du
Parlement étoit dans les termes fuivans :
( 119 )
Milords & Meffieurs , je faifis avec plaifir cette
occafion de vous témoigner ma reconnoiffance
de la réception cordiale que vous m'avez faite ,
& de la confiance que vous m'avez accordée . Je
me félicite en même - tems d'avoir à vous communiquer
de la part de S. M. fa parfaite fatisfac
tion de votre conduite fur tout ce qui concerne
le bien public .
Meffieurs de la Chambre des Communes ,"
J'obéis avec joie aux ordres de S. M. qui me
commande de vous remercier du zele avec le
quel vous avez pourvu aux befoins de l'Etat ,
& coopéré à la gloire de fon gouvernement. Qu'il
me foit permis , de mon côté , de vous affurer de
la plus grande attention de ma part , à ce que
l'économie & la prudence préfident à la perception
& à l'emploi des fubfides que vous avez ac
cordés avec tant de loyauté.
Milords & Meffieurs , vous ne pouvez qu'éprouver
la plus vive fatisfaction , en réfléchillant
que les différens objets foumis à votre confeit
dès l'ouverture de cette feffion , fuivant le droit
d'un peuple libre , & qui fait fes propres loix ,
ont été difcutés , fuivis & arrêtés avec la diligence
& l'attention qu'ils méritoient .
Vous avez fagement donné votre ſanction aux
moyens extraordinaires que les circonstances exigeoient
, pour garantir ce Royaume de la famine .
C'eft avec un vif plaifir que j'envifage que ce
fléau eft éloigné pour l'avenir de cette contrée ,
& que c'eft par la fageffe de vos nouveaux réglemens:
fur les grains & les améliorations nombreufes
que vous avez faites à votre agriculture ,
que vous êtes parvenus à le faire ,
Je reffens une vraie joie en voyant les effets de
ce principe humain & généreux , qui vous a
portés à encourager l'induftrie nationale par les
( 120 )
réglemens les plus favorables & les reſtrictions
les plus fages. Je n'ai rien de plus à coeur que
l'augmentation de votre commerce , & le fuccés
de vos manufactures ; je ne manquerai pas
de donner par la fuite la plus grande attention
aux objets que les circonftances particulieres de
l'Etat n'ont point permis de rechercher ou d'approfondir
encore , & j'aurai le plus grand ſoin
qu'ils foient foumis à votre fage difcuffion , avant
de faire aucun réglement.
Les réglemens utiles qu'on a propofé d'introduire
dans la perception & l'emploi des revenus
publics ; la sûreté des propriétés , & l'extenfion
da crédit national , en dépoſant dans la banque
d'Irlande les fonds en litige dans les Cours de la
Chancellerie ou de l'Echiquier ; les projets pour
l'embelliffement de la Capitale ; votre réfolution
unanime de défendre la liberté de la conftitution
contre les attaques de la licence , & votre
zele à foutenir les inflitutions charitables , font
des témoignages non équivoques de votre fa
geffe , de votre humanité & de votre juſtice .
Je n'ai pas manqué de porter au pied du
Trône la fatisfaction que vous avez hautement
annoncé des avantages dont vous jouiffez fous
le gouvernement de Sa Majefté. Senfibles , comme
vous l'êtes , à ces avanages , je n'ai pàs befoin
de fouhaiter que vous faffiez vos efforts pour
communiquer aux autres les fentimens qui vous
animent. La fupériorité de vos lumieres & de
Votre rang ne peut manquer de vous donner
Pinfluence la plus étendue & la mieux méritée .
J'ai une ferme confiance que , pendant votre
féjour dans les provinces , vous n'oublierez rien
pour encourager l'induftrie de vos voifins , & la
diriger fur les objets qui conviennent le mieux à
leur fituation & au bien général de l'Irlande ;
YOUS
vous mettrez à leur portée toutes les reffources
'd'un pays libre & fertile , favorifé des avantages
de la paix , & protégé par les loix les plus dou--
ces ; vous ne fouffrirez pas que des craintes mal
fondées les arrêtent , ou que de mauvais confeils
les égarent .
Je mets men bonheur à penſer , & je m'enorgueillis
en réfléchiffant que nos efforts communs
ont été & font dirigés vers les mêmes
objets : le maintien & l'avancement de vos droits ,
la dignité es la profpérité de l'Irlande , & le bien
général de l'Empire Britannique.
Cette femaine , doit avoir lieu une affemblée
générale des Nobles , du Clergé & des
Bourgeois & Francs-Tenanciers de cette
Ville. On y dreffera une requête au Roi ,
pour demander à S. M. une réforme qui
répartiffe avec plus d'égalité les repréféntans
du Peuple en Parlement. Cette pétition ,
dit-on , fera fuivie de celles de toutes les
autres Villes du Royaume. Tout le monde ,
ajoutent les Feuilles publiques , excepté les
monopoliftes , corrupteurs des Bourgs &
leurs vils partifans , ne fait qu'un voeu pour
cette réforme. Si les Miniftres de la Grande-
Bretagne perfuadent au Roi de rejetter les
reprefentations de la Nation Irlandoiſe , le
peuple de ce Royaume ne devra plus avoir
de confiance en aucun des Membres de
l'Adminiſtration Britannique , & fera luimême
la juftice que le Roi & fes Miniftres
lui refufent.
Samedi dernier , M. Andreas , qui a été longtemps
détenu en prifon , fur l'accufation dont
Nº. 25 , 19 Juin 1784 .
£
( 122 )
on l'a chargé , d'avoir confpiré l'affaffinat de
plufieurs Membres du Parlement , a été amené
devant la Cour du banc du Roi (Kinsbench) ,
où l'on a pleinement délibéré des deux parts fa
décharge. Le Lord Earlsfort & une majorité de
fes confreres , ont conclu en faveur des privileges
conftitutionnels dont il appartenoit à Mandren
de jouir , & en conféquence l'on a admis
la caption.
Un vaiffeau arrivé à Corck de Gibraltar , a
rapporté les détails fuivans :
·
La frégate la Thétis , de 38 canons , eſt arrivée
d'une croifiere le 2 de ce mois . Le Thrufty
monté par le Commodore , eft toujours mouillé
dans la Baye . Le Orpheus & le Kingo - Fisher ont
mis à la voile pour différentes croifieres. Le
San Sarmento , frégate espagnole de vingtquatre
canons , venant de Barcelonne à Cadix ,
& commandée par Don Juan Sauride , a été attaquée
par deux corfaires de 16 canons , qui ont
hiffe pavillon maroquin , quoiqu'on les foupçonne
d'être algériens . Pendant l'action , qui
dura une heure de tems , les pirates tenterent
deux fois l'abordage fur les frégates. Mais l'un
d'eux ayant perdu fon grand mát , & le vent
étant devenu favorable , la frégate parvint à fe
dégager , & fit voile pour cette Baye , toujours
pourfuivie par les corfaires , jufqu'à la Baye de
Rozia , où le canon du fort les obligea de l'abandonner.
Les Efpagnols ont eu 14 hommes de
tués , & 15 dangereufement bleffés , qu'on a dé
barqués à terre pour être mis à l'hôpital de cette
ville. On a donné avis á Cadix de cette action
par la voie d'Algéfire , & le San - Sarmento eft
en radoub à la Baye de Rozia.
( 123 )
प.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 13 Juin..
t
Le 6 de ce mois , le Comte de Choifeul-
Gouffier , que le Roi avoit précédemment
nommé fon Ambaffadeur à la Porte , a eu
l'honneur de prendre congé de Sa Majeſté ,
pour le rendre à fa deftination , lui étant
préſenté par le Comte de Vergennes , Chef
du Confeil royal des finances , Miniſtre &
Secrétaire, d'Etat ayant le département des
Affaires étrangeres.
Ce jour , la Comteffe d'Aranda , Ambaffadrice
d'Espagne , fut préfentée à Leurs
Majeftés & à la Famille Royale avec les
formalités accoutumées.
Le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniftre & Secrétaire
d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres , & Grand Tréforier des Ordres
du Roi , ayant prié Sa Majeſté d'agréer
fa démiflion de cette derniere charge , le
Roi en a difpofé en faveur du fieur de Calonne
, Miniftre d'Etat , Contrôleur général
des finances , qui , en cette qualité , a prête,
le 13 de ce mois , ferment entre les mains
de Sa Majesté.
DE PARIS , le 15 Juin.
M. le Comte de Haga eft arrivé le 7 à
Verſailles. De Gênes ce Prince eft venu par
mer en Provence , & fans s'arrêter à Touf
2
( 124 )
fon , ni à Marſeille , il s'eft rendu dans cette
Capitale , où il étoit attendu quelques jours
plus tard. Le Roi qui étoit à la chaſſe à Rambouillet
, & qui devoit y fouper , revint à
Verfailles , où il précéda d'une demie heure
M. le Comte de Haga . Ce Prince a affifté
aux trois grands Spectacles de la Capitale ,
& ne prolongera pas fon féjour içi , felon le
bruit public , au delà du 22.
La Médufe , ancienne frégate du Roi ,
donnée à M. de Grand Clos Melé pour le
commerce de l'Inde , & la Driade font revenues
de la Chine. Elles ont laiffé à Canton
41 bâtimens tant François , qu'Anglois ,
Hollandois , Danois , &c. &c. Cette concurrence
avoit fait renchérir le thé au- deffus dú
prix commun des marchés de l'Orient. On
craint que les Actionnaires ne perdent 40
pour cent de leur mife dans cette entreprife ,
excepté ceux qui ont placé à la groſſe, L'énorme
quantité de thé dont l'Europe va être
furchargée , fera ouvrir les magaſins Hollandois
& Danois , & baiffer la valeur de cette
feuille .
M. le Comte d'Estaing a fait préfent à
M. le Bailli de Suffren d'un trophée en
bronze doré d'or moulu , dont la pendule.
n'eft que l'acceffoire . Le Trophée eft analogue
aux belles actions de M. de Suffren
dans l'Inde. On lui a fait ce beau préſent à
Verfailles , au moment où il fur reçu Chevalier
des Ordres. On affure que le Landgrave
de Heffe - Caffel , qui a quitté fa réfi(
123 )
dence le 2 de ce mois , ne tardera pas à arriver
dans cette Capitale.
On a affecté d'inférer dans différentes Ga
zettes & Papiers publics , des articles tendans
à perfuader que plufieurs perfonnes avoient
peri dans le traitement électrique des fieurs
Ledru , & que d'autres y avoient éprouvé
des accidens graves. On peut affurer , d'après
la vérification la plus exacte , que tout
ce qui a été dit à cet égard dans ces Ecrits
périodiques , eft entierement fuppofé.
Il paroît des Lettres - Patentes enregistrées
au Parlement le 27 du mois de Mai , por
tant fuppreffion des Echoppes de cette ville.
Depuis long- temps , le Public defiroit cette
fuppreffion on ne peut qu'applaudir à la
fageffe de la Police à cet égard , d'autant
plus qu'en remédiant aux inconvéniens de .
ces conftructions , elle a ménagé, autant que
cela fe pouvoit les intérêts des propriétaires
.
Dans un inftant où les fyftêmes de la
Phyfique du jour , occupent tous les efprits ,
on ne verra pas avec indifférence la Lettre
fuivante , au fujet des phénomenes météorologiques
de l'année derniere , expliqués fr
diverſement.
L'ufage de propofer des fyftêmes nouveaux
fans qu'un nombre d'expériences & de faits en
établiffent l'évidence , femble prévaloir aujourd'hui
le goût de la nouveauté , qui est devenu
la manie de notre fiecle a paffé des atteliers
des artifans dans les cabinets des fçavans ; &
"
f 3
( 126 )
1
oees derniers s'enflamment pour tout ce qui en
porte l'empreinte , jufqu'à vouloir faire plier.
fous l'empire dangereux de leurs opinions nouvelles
les faits les plus propres à les détruire.
Pour ju fier mon affertion , voici un abrégé
da fyftême nouveau annoncé dans le Journal de
Paris , du 6 Avril ; au ſujet des chaleurs , du
brouillard , des orages de l'année derniere , & -
du froid exceffif qui leur a fuccédé .
L'harmonie de toutes les parties du globe ,
fuivant les Auteurs du Journal , confifte dans,
une égale répartition du fluide électrique
» entre les couches inférieures de l'Atmoſphere
& les couches fupérieures de la Terre.... La
» conſtitution des années qui ont précédé 1783,
n'a pas peu contribué à déranger cette égale
répartition. Ces années ont été remarquables
» ou par une féchereife extrême , ou par un
» partage très-inégal dans la chute des pluies ....
» Les vents du Nord out produit une évapoaration
forcée ; en épuifant ainfi la terre de
fon humidité , ils ont fupprimé la cauſe des
» météores aqueux ; & plus de météores aqueux,
plus de conducteurs du fluide éle@rique ,
» plus de moyens par conféquent de l'éparpiller
» & de le répandre.... La voie de circulation
de ce fluide , ainfi interceptée entre la Terre
& l'Atmosphere , il a été forcé de fe refugier
» aux extrêmités , & y a préparé la convulfion
» du globe.... Sa premiere crife s'eft manifeftée
par le bouleversement de la malheureuſe Calabre.
La feconde crife a fuivi de près la premiere
, elle s'eft annoncée par un brouillard
» électrique qui a couvert l'Europe entiere , &,
» ne s'eft confumé que par une fucceffion rapide
» des orages incendiés qui fe font formés dans
fon fein , & ont duré depuis le mois de Juiller
( 127 )
» jufqu'à la fin d'Octobre .... ; alors a commencé
» la troifiente crife qui n'eſt pas encore_finie.....
» Cette crife eft un état de congélation ex-
» traordinaire pour les endroits où il ne s'eft
point fait d'accumulation de ce Auide ; &.
» de là font venus les neiges , les frimats , &
» enfin le froid rigoureux & conſtant que nous
» venons d'éprouver »....
Voilà donc l'électricité devenue tout- à-la - fois
la caufe de deux effets contraires , le froid & le
chaud. Déformais , l'électricité ainfi que l'air
inflammable & le magnétisme animal , fera le
feul pivot , fur lequel rouleront tous les Phénomenes
de phyfique & d'économie animale. Ces
trois principes circonfcriront à l'avenir le cercle
de toutes nos idées , au point qu'il ne nous fera
plus permis d'aller chercher ailleurs les caufes
des nouvelles révolutions du Globe.
Je fçais que l'électricité est un des anneaux
importans de la chaîne des caufes ; mais je fçais
auffi que prérendre tout expliquer par ce principe
, c'est reffembler à un malade attaqué de la
jauniffe , & qui transporte à tout ce qu'il voit
la couleur dont fon organe eft teinte.
La nature eft conftante & uniforme dans fæ
marche , elle produit toujours les mêmes effers
par les mêmes caufes. C'est là un principe contre
lequel , malgré le goût dominant de la nou
veauté , on n'a pas encore ofé former aucun
doute. C'est donc ce principe qui doit fervir de
baſe à la réfutation du fyftême dont il s'agit .
1º. Les conftitutions des années qui ont précédé
celle de 1783 , ont été fréquemment les .
mêmes dans des temps antérieurs. Souvent &
très fouvent il y a eu des années de féchereffe
extrême , un partage très-inégal dans la chute
des pluies ; fouvent une évaporation forcée de
£ 4
( 128 )
l'humidité de la terre , a occafionné le defféchement
des puits , le tariffement des fources &
un abaiffement prodigieux des rivieres ; fouvent
des vents du Nord ont defféché la terre lui
ont été fon état d'aggrégation , & fe font oppofé
par-là à la formation des météores aqueux.
Le fluide électrique, alors privé de fes conducteurs
, auroit donc dû , dans ces temps qui nous
ont précédés , comme dans celui dont on parle ,
fe retirer aux extrémités du Globe , s'enfoncer
dans les entrailles de la Terre , y préparer des
révolutions femblables à celles du défaſtre de la
Calabre , y former des ifles volcaniques pareilles .
à celles nouvellement forties du fein des mers
de l'Ilande. Cependant aucun de ces effets ,
malgré la coexistence de leurs caufes génératrices
, n'a été produit . On n'a point vu la mer
s'élever alors de fon lit immenfe , des villes
renversées , des montagnes fendues , tranfportées, -
des Provinces entieres englouties , des Contrées
immenfes arrachées du Continent , de vaftes pays
abymés , d'autres déconverts & mis à fec. Le
Auide électrique auroit il dono eu alors moins
d'énergie qu'aujourd'hui , lorfque les caufes qui
durent le concentrer dans les entrailles de la
zerre , étoient alors elles- mêmes plus efficaces &
plus abondantes ?
2º. On fait que les hivers de 1709 , 1749 ,
1776 , ont été plus rigoureux , quoique moins
longs que celui que nous venons d'éprouver . La
congélation extraordinaire arrivée à ces trois
différentes époques , dut alors être l'effet, comme
aujourd'hui , d'une accumulation du fluide électrique
, de fa répartition inégale dans l'air & fur
la terre ; il auroit donc dû alors , comme aujourd'hui
préparer les mêmes convulfions , produire
les mêmes crifes , renverfer des royaumes ,
( 129 )
en faire paroître de nouveaux . Rien de tout
cela cependant n'a précédé les hivers dont nous
parlons ; le Globe & l'Atmosphere n'eurent
aucun de ces accès qu'il plaît aux Auteurs du
fyflème d'appeller des crifes falutaires.
3. L'Europe eft à peine revenue de la frayeur
que lui a caufée l'affreufe catastrophe de la Capitale
du Portugal , le rer. Novembre 1755 ',
Lisbonne fut prefque totalement renversée par
un tremblement de terre , qui fe fit fentir le
même jour jufqu'aux extrémités de l'Europe. Ce
défafire affreux fut accompagné d'un foulevement
prodigieux des eaux de la mer , qui furent portées
avec violence fur toutes les côtes occidentales
de notre Continent.
L'Amérique même ne fut point exempte de
ces triftes ravages ; puifque , vers ce temps là
la ville de Quito fut renversée .
Jufqu'ici on avoit attribué ces commotions
aux commotions inteftines du Globe , produites
par l'action de l'air , de l'eau & du feu , fur les
matieres inflammables accumulées dans le fein
de la terre. Aujourd'hui de nouveaux Phyficiens
viennent nous dire : Apprenez que ces révolutions
qui vous étonnent , font l'effet fimple
naturel & même falutaire d'un fluide électrique
qui , ayant perda fes conducteurs , les voies de
communication entre la furface de la Terre &
l'Atmosphere , s'eft refugié aux Pôles , & y a
opéré ces convulfions qui jettent dans vos ames
la terrcur & l'épouvante .
Si la catastrophe de Lisbonne fut l'effet du
fluide électrique refugié aux extrémités du Pôle ,
au moins ne peut - on pas dire qu'en 1755 .
ce fluide fe concentra dans les entrailles de la
terre , pour avoir perdu fes conducteurs . Il y eut,
f S
( 130 )
dans les années qui précéderent la révolution
du Portugal , plus de météores aqueux qu'on
n'en vit jamais . Les conftitutions de ces années
furent ablalument différentes de celles qui ont
précédé 178 ;; il n'y eut , dans ce temps - là , ni
féchereffe extrême , ni partage inégal dans la
chute des pluies Le refoulement du fluide élecrique
aux Poles auroit donc eu , en 1755 , une
caufe contraire à celle de 1783. Cette contradiction
dans les caufes n'établit pas un préjugé
favorable pour la nouvelle opinion .
Les bornes d'une lettre ne me permettent pas ,
Meffieurs , de m'étendre ici fur toutes les autres
raifons qui doivent faire refuſer au fluide électrique
la puiffance qu'on lui fuppofe , de pro
duire les événemens extraordinaires dont nous
avons été les témoins : les météores aqueux feront
, fi on le veut , les conducteurs qui feront
alternativement paffer ce fluide de la furface du
Globe aux couches inférieures de l'Atmoſphere ;
mais cette voie de communication ne peut jamais
étre interceptée par la fuppreffion des météores ;
au point de forcer ce fluide à fe concentrer dans
les entrailles de la Terre , ou dans les Régions
les plus élevées de l'Atmoſphere. Si toure cette
théorie lumineufe eft en effet d'un Auteur habitué
à confidérer la nature en grand , comme le difent
les Auteurs du Journal , on doit donner le confeif
au Phyficien , Obfervatur en grand , de fe défier
des illufions d'optique , ' qui font d'autant plus
fréquentes , que l'angle , fous lequel on voit les
objets , eft plus ouvert.
Tout en avouant mon ignorance , Meffieurs ,
fur les véritables caufes des événemens qu'on a
prétendu expliquer par le fluide électrique , on
n'en pourroit rien conclure en faveur de l'opinion
que je viens de combattre ; cependant après
( 131 )
avoir détruit , il faut élever. Voict donc mon
opinion , dont je foumets la jufteffe au jugement
même de ceux qui ont un fentiment différent .
Le bouleversement de la Calabre me paroît
être la feule caufe fimple & naturelle , 1 ° . de
ce brouillard qu'on appelle électrique , qui pendant
trois mois a fervi de rideau à toute l'Europe
; 2 °. de ces chaleurs exceffives qui l'ontaccompagné
; 3. des orages affreux qui fuivirent.
fa diffolution ; 4°. enfin du froid exceffif qui a
terminé la fuite de cette crife. Voici les raifons
qui femblent donner du poids à cette opinion.
On fait que le feu , l'air & l'eau , ces agens
les plus puiffans de la nature, exercent particu
liérement leur action dans l'intérieur de notre
globe ; que ces couches immenfes de charbon
de terre , d'amas de bitume , de foufre , d'alun ,
de pyrites , font des matieres fur lesquelles ces
agens univerfels exercent leurs forces ; que ces
matieres combuflibles , réunies en un même
foyer & difpolées à l'inflammation , cherchent
alors une iffue , & font effort en tous fens pour
s'ouvrir un paffage ; que toutes les fois que ces
embrafemens s'operent , la face du globe éprou
veroit les changemens les plus faneftes , fi la
nature , qui met toujours le bien à côté du mal ,
n'eût donné à ces matieres embrafées un paffage
propre à rallentir les fermentations intérieures .
Ces iffues font les volcans placés dans toutes
les parties du globle , mais particuliérement
dans les climats les plus chauds , où ces fermentations
font plus fréquentes. Ces volcans
font les foupiraux de la terre , les cheminées
par lefquelles elle fe débarraffe des matieres
embratées qui dévorent ſon ſein . Ces cheminées
fourniffent un libre paffage à l'air & à l'eau qui
ont été mis en expanfion par les fourneaux qui
fG
( 132 )
font à leur bafe . Ces volcans , loin d'être envifagés
comme un malheur de la nature , font donc
un de fes bienfaits , puifqu'ils fourniffent au
feu & à l'air un libre paffage qui les empêche de
porter leurs ravages au- delà de certaines bornes ,
& de bouleverler totalement la furface du globe.
Plus ces fermentations tardent à fe manifefter
, plus alors les pays qu'elles avoifinent font
menacés d'une fecouffe violente . Les matieres enflammées
s'accumulent avec d'autant plus d'abondance
que ces éruptions font moins fréquentes ;
& lorfqu'enfin l'air , l'eau & le feu viennent à
agir puiffamment , le volcan ne devient plus
le feul foupirail de ces fermentations ; les terres
voifines contre lefquelles l'embralement fait
effort , en deviennent avec le volcan les bouches
communes . Telle a été la caufe de l'éruption qui
a englouti la Calabre .
Depuis long- tems les éruptions de l'Etna &
du Véluve avoient été foibles & lentes , les
iffues ordinaires devenues infuffifantes pour les
explosions , les pays voifins ont dû y fuppléer
& participer dès - lors à la fubverfion. Voilà la
premiere époque de cet événement mémorable.
Cette explosion n'a pu fe faire fans que
de
routes ces matieres enflammées , les parties les
plus déliées ne fe foient répandues dans l'atmofphere
, & n'aient perdu de leur denfité à meſure
qu'elles ont acquis de l'expanfion . Ces matieres
ainfi volatilifées , mêlées avec celles que le volen
a continué de vomir après fa premiere exp'ofion
, ont dů fuffire pour répandre fur toute
'Europe un nuage de foufre qui a dû donner au
foleil & à l'atmoſphere une teinte rouge . Ce
nuage devenu caufe furabondante de chaleur
dans l'air , a dû y augmenter l'action du feu élec(
133 )
trique , & occafionner dès- lors des chaleurs exceffives
, des orages violens ; c'eft là la caufe du
fecond état du ciel , depuis le mois de Juillet
jufqu'en Octobre 1783 .
Enfin les vents du nord , éminemment doués
en effet d'une verta diffolvante , font venus purger
l'atmosphere de ce nuage malfaifant , mais
c'eft en y opérant une congélation exceffive ,
c'eft en y diminuant le fluide électrique , c'eſt
en y apportant les principes propres à opérer une
congelation. Voilà la cauſe du rigoureux hiver
qui , au tems où j'écris , ne paroît pas encore à
fon terme. \
Si le témoignage de l'hiftoire peut donner
un nouveau poids à mon opinion , je puis invoquer
fon autorité avec avantage.
Tite Live nous rapporte que fous les Confulats
de C. Martius & de T. Manlius Torquatus , il y
eut des embrafemens du Véluve dont les exhalaifons
furent affez épaiffes pour dérober la lumiere
pendant le jour aux habitans de Rome ,
& nox vifa eft interdiu in urbe Roma .... Dion
rapporte que lors d'un autre fameux embrafement
du Véfuve , arrivé fous l'Empereur Vefpafien
, le vent porta les céndres & la fumée que
vomiffoit cette montagne , non - feulement jufqu'à
Rome , mais même jufqu'en Egypte ..
La chronique du C. Marcellin obferve que fous
le Confulat de Marius & de Feftus , cette même
montagne s'étant embrafée , les cendres qui en
fortirent fe répandirent par toute l'Europe ...
Dans l'embrafement du mont Etna , arrivé en
1537 2 la cendre fur portée à plus de 200 lieues
de la Sicile , fuivant l'hiftoire de ce Royaume , & c .
L'Abbé TABOUET, Avocat.
Le 8 de Mai dernier , l'Académie Royale
des Sciences a élu M. Quatremere d'Isjon(
134 )
val , pour la place de Chymifte , vacante
par la mort de M. Macquer.
On écrit d'Aix qu'une Demoiselle du nom
de *** , mariće à M. *** le fils , Préſident au
Farlement , a été trouvée égorgée dans ſon lit :
elle étoit fort jolie , & n'avoit pas 24 ans . Com
me il n'a manqué que fa bourſe , & qu'on n'a
point touché à fes bijoux , ni à fes diamans , on
foupçonne que des voleurs n'ont pas commis cet
attentat . Les domeftiques & fa femme de chambre
fe font rendus d'eux - mêmes en prifon.
Les Juin , vers midi & demie , le village de
Belloy-fur-Somme , firué fur la route d'Amiens
à Abbeville , a effuyé le plus terrible incendie .
En moins de 5 quarts d'heure , le Presbytere ,
1 Eglife avec tous les effets qu'ils renfermoient ,
& 158 maiſons , avec tous les bâtimens en dépendans
, ont été dévorés par les flammes . JI
n'eit refté que quinze maifons aux différentes
extrémités du village , difpofées de maniere
qu'elles paroiffoient n'y être placées que pour
marquer la circonfcription. Le village entier eft
un champ : les habitans , au nombre de 8 à
goɔ , n'ont pu fauver qu'une partie de leurs
beftiaux , & le font difperfés dans les villages
circonvoifins . Ils font d'autant plus dignes de
compaffion & de fecours , qu'ils ont effuyé dans
les premiers mois de cette année des ravages de
volcans , une maladie épidémique , qui a enlevé
iu très grand nombre de chefs de famille , &
qui avoient déja dévaſté ce malheureux pays en
1776 .
Les Numéros fortis au Tirage de la Lorerie
Royale de France , font : 31 , 11 , 16 ,
17 , & 2.
( 135 )
DE BRUXELLES , le 10 Juin .
On ne fait fur quel fondement on avoit
publié que la France alloit ouvrir un emprunt
de quatre - vingt millions en Hol
lande. Il y a d'autant plus lieu de s'étonner
qu'on en ait répandu le bruit , que le cours
des effets publics de ce Royaume , l'abondance
du Numéraire , & la grande exactitude
des paiemens n'y annoncent aucun
befoin.
Dans le N°. précédent , nous avions parlé
des projets de liberté , & des démarches
de la Bourgeoifie d'Utrecht. Cette effervef
cence paroît avoir allarmé les Etats de la
Province , qui en conféquence ont rendu la
publication fuivante le 30 Mai.
Les Députés des Etats du pays d'Utrecht ,
ayant appris avec autant de regret que de mécontentement
, que l'efprit de divifion parmi les
habitant de cette Ville & du plat pays augmente
de plus en plus , & qu'il eft à craindre que fi la
licence qui commence à le manifeſter à cet égard
n'est réprimée par l'exercice d'une juftice rigoureufe
, il en pourroit réfulter les fuites les
plus pernicieufes pour le repos public ; afin d'y
pourvoir , trouvent bon d'avertir un chacun de
fe conduire comme il convient à de paisibles
& tranquilles habitans , avec déférence & refpet
pour la Régence légitime de ce pays , &
de fe garder de donner quelque occafion au dérangement
du repos & union parmi les habi.
tans.
( 136 )
!
Défendant à cette fin , de la maniere la plus
férieufe , à un chacun , de s'infulter ou attaquer
par des paroles ou des faits , foit en fe donnant
des noms injurieux , lefquels démontrent quelque
efprit de parti : défendant auffi fans aucune acception
, les cris féditieux ou offenfans , les pro-
Vocations , les menaces ; comme auffi de tirer ou
montrer des armes fur les chemins , rues , places
publiques ou ailleurs ; enfin toute contrainte ,
infulte , ou voie de fait envers qui que ce foit.
- Défendant également les affemblées non
convenables , les conciliabules , & en général
tout difcours offenfant pour la Régence légitime
du pays. Et afin de prévenir toutes diftinc-"
tions lefquelles donnent lieu à des infultes , nous
défendons de même à tous les habitans du plat
Fays de cette Province de porter aucune marque
diftinctive de cou eur quelconque qui puiffe les
diftinguer des autres habitans , ou à démontrer
quelque parti : le tout fous peine de punition arbitraire
fuivant l'exigence des cas , & même del
punition corporelle . Et afin que perfonne n'en
puiffe prétendre caufe d'ignorance , la préfente
1era affichée & publiée par-tout où beſoin ſera , `
&c. &c. & c.
Le 28 de Mai , M. le Duc de la Vauguyon
prit congé des Etats - Généraux , en leur
adreffant le Diſcours ſuivant.
Hauts & Puiffans Seigneurs. Je viens m'acquitter
du devoir , qui me refte à remplir auprès
de Vos Hautes Puiffance La Lettre de S. M. , que
j'ai l'honneur de leur remettre , leur fera connoître
la fatisfaction , qu'elle a daigné avoir de
l'ambaffade , qu'elle a bien voulu me confier ;
& elle leur offrira en même temps une nouvelle
preuve des fentimens , dont j'ai eu le bonheur
( 137 )
d'être fi fouvent l'organe . S. M. m'ordonne ,
en terminant ma carriere auprès de V. H. P.
de leur témoigner , de la maniere la plus expreffive
, la perfévérance de fon Amitié & de fon
intérêt pour elles . Je me féliciterai toute
ma vie , HH. & PP . SS . , d'avoir vu , pendant
la durée de ma Miffion , ſe former
s'étendre , & fe cimenter le fyftême d'une confiance
mutuelle entre S. M. & V. H. P. , qui
doit devenir la fource de la profpérité de la
république , & la bafe de l'union de tous fes
membres. J'éprouvai de tous les temps la plus
fenfible fatisfaction 9 en apprenant que Vos
Hautes Puiffances recueillent ces fruits précieux
de la fageffe de leurs délibérations ; & je me flatte ,
qu'elles voudront bien être perfuadées , que ma
nouvelle deſtination , en donnant un terme à
mes fonctions auprès d'elles , ne fauroit mettre
de bornes aux voeux ardents , que je ne cefferai
de faire pour leur bonheur & leur gloire ,
ni au fouvenir des témoignages d'eftime , qu'elles ,
m'ont accordés , & dont je conferverai à jamais,
la plus vive reconnoiffance.
A ce difcours le Baron de Lynden , Seigneur
de Hemmen , qui préfidoit à l'Affemblée
de Leurs Hautes Puiffances de la part
de la Province de Gueldre , répondit en ces
termes :
Monfeigneur l'Ambaffadeur , LL . HH. PP. ,
fenfibles à toutes les bontés du Roi , dont vous
avez bien voulu renouveller les affurances , m'ont
chargé de témoigner à Votre Excellence leur
fincere regret de fon depart . Elles auroient fou-'
haité & permettez que j'ofe y ajouter mes
propres voeux ) qu'elle eût pu continuer encore
pour quelque temps les fonctions de fon minif
1
I
( 138 )
tere auprès d'elles : Mais , le fervice , de S. M.
exigeant vos foins ailleurs , elles vous fouhaitent
un bon & heureux voyage , en vous priant de
vouloir donner de leur part à S. M. les affurances
les plus pofitives de leur défir conftant à donner
des preuves non équivoques de leur reconnoiffance
pour les bienfaits du Roi , qui fe font tant
manifefté dans le befoin , & dont un traité ,
fondé fur le bonheur des deux Nations , va
être la bafe. Elle fe flattent , que vous voudrez
bien , quoiqu'abfent d'ici , continuer vos bons
offices pour confolider une union , qui eft votre
vrage , & qui , felon les defirs de LL. HH .
PP. , fera la fource de la profpérité des deux
Nuions.
Leurs Hautes puiffances avoient chargé
leurs Miniftres à Bruxelles d'une déclaration
provifionnelle auprès du Gouvernement des
Pays -Bas . Elles y témoignoient leur furpriſe
des nouvelles demandes de S. M. I. en an…”
nonçant qu'elles alloient travailler à en examiner
l'objet. Il s'eft répandu , mais fans fondement
encore , que cette démarche n'a pas
eu l'effet defiré , & qu'au préalable la Cour de
Bruxelles a perfifté dans fes prétentions .
4 Le projet de l'affranchiffement de l'Escaut
a allarmé tous les corps de l'Etat. Les Ami
rautés , à ce qu'on dit , ont' remis des Mémoires
à L. H. P. , pour leur repréfenter le
tort infini qui en réfulteroit pour la République.
Il eft certain qu'elle fera croifer quelques
vaiffeaux de guerre à l'embouchure de
l'Eſcaut, pendant toute la durée des Conférences.
( 139 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Mademoiſelle Macaulay , connue par une hif
toire d'Angleterre affez eftimée , malgré l'efprit
de parti & l'emportement qui y dominent , va
partir pour les Etats - Unis : elle fe flatte , diton
, d'y être Légiflatrice de ces contrées , & d'y
trouver plus de foi à fes rêveries démocratiques
qu'on n'a voulu lui en accorder en Angleterre
.
33
"
>
Tous les papiers Irlandois ont rapporté le fait
fuivant: « Le Rouffeau , Capitaine Simpfon
» chargé d'hommes , femmes & enfans émigrans
de ce pays - ci , eft arrivé à Charlestown ; fa
cargaifon a été mise en vente . Une très -jolie
» fille , nommée Nancy , a été achetée , dès la
premiere heure , à très bon prix. Son père ,
fa mere & fa four furent vendus peu de temps
après le frere , âgé de 12 ans , a eu le même
5 -fort »,
L'intérêt que notre Monarque , écrit - on de
Naples , prend au fuccès de l'expédition de notre
Efcadre , ne fauroit le rendre . Pendant quatre
jours confécutifs , il s'eft tranfporté à bord de
Tous les vaiffeaux où il a paffé la journée entiere
, dinant avec les premiers Officiers & encourageant
tous les Soldats. Avant hier il fe
tranfporta de nouveau à bord , accompagné de
la Reine . Leurs Majeftés furent reçues au bruit
d'une double falve d'Artillerie ; le Roi fe rendie
enfuite à la maison de plaifance du Feu Prince
de Francavilla , où il dina avec les Officiers de
l'Escadre ; & après le dîner , il retourna à bord
avec le Prince héréditaire , Hier au foir , l'ES
cadre , après avoir fait les fignaux accoutumés
appareilla : elle eft commandée , comme on l'a
( 140 )
dit , par le Capitaine Bologna , qui a reçu ordre
de n'ouvrir fes inftructions qu'à une certaine
diſtance en mer . On prétend que l'Eſcadre va
à Cartagene , pour s'y joindre à l'Eſcadre , Epagnole.
Les troupes embarquées fur cette E
cadre , confiftent en un bataillon de troupes de
la marine , deux cens Grenadiers , Liparotes &;
autres troupes, Les côtes de la Sicile feront protégées
contre les Barbarefques par les quatre
galeres de S. M. , lefquelles font restées ici
& qui font prêtes à mettre à la voile au premier
ordre.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
PARLEMENT De Paris.
Caufe entre la Dame le Rafle de Villeneuvre & le
Sieur B. ... Curé de V.... S.. B....
Le Juge de Glize eft compétent pour connoître
des délits communs , commis par les Eccléftaftiques
& prononcer les réparations qu'ils exigent .
Le fieur B.... Curé de V.... S………. B... ...
avoit fufcité différens procès aux fieur & Dame
le Rafle de Villeneuve , qui avoient tourné à
fon défavantage . - Ce mauvais fuccès l'irrita de
plus en plus , & charitablement il chercha à
s'en venger. La Dame de Villeneuve avoit cou
tume de le placer dans la nef de l'églife , au bas
de la balustrade , près l'autel dédié à la fainte
Vierge , la balustrade lui fervoit à s'appuyer , &
à poler fes livres . Le Curé , en faisant la cé 11
( On foufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eft de 15 liv . par an , chez M. Mats , Avocar, rue
& Hôtel de Serpente,
( 141 )
1
rémonie de l'eau - bénite & en donnant l'encens
affecta de renverser les chaifes de la Dame de
Villeneuve. Il ne s'en tint pas là ; il fit pofer
deux rangs de pointes de fer très - aigues
fur la balustrade , afin de la gêner ou de la
bleffer s'il étoit poffible . Enhardi par la patience
des Sieur & Dame de Rafle , le Curé
fe permit des méchancetés plus conféquentes ; il
prit le parti de les diffamer , de les infulter dans
les promenades , d'apostropher la Dame de Villeneuve
, de lui prodiguer les épitletes les plus
fales , de lui arracher fon bonnet , de menacer
le fieur le Rafle lui- même de l'affommer. Tant
d'excès pouvoient- ils refter impunis ? Les
Sieur & Dame de Villeneuve rendirent plainte
devant l'Official d'Orléans , & ils ajouterent aux
faits dont on vient de parler , qu'un Dimanche
le Curé n'avoit point dit la Meffe à fes Paroiffiens
pour aller célébrer une fête de Patron chez
un de fes Confreres. La plainte fut reçue &
fuivie d'informations , d'un décret d'affigné pour
être oui , de l'interrogatoire du Curé , & d'une
Sentence du 12 Janvier 1781 , qui , Parties
oüies , enſemble le Promoteur , fans avoir égard
à la furſéance demandée par le fieur B.... ni
aux reproches par lui fournis contre les témoins ,
ordonne qu'il fera paffé outre à la lecture des
charges & informations , laquelle faite , & fur le
tout oui de nouveau le Promoteur en fes conclufons
, fans qu'il foit befoin de paffer à plus ample
inftruction , recollement & confrontation , en
conféquence de la preuve réſultante tant de l'information
, que des aveux du fieur B... portés
en fon interrogatoire ; fait très- expreffes inhi
bitions & défenfes au fieur B ... de plus à l'avenie
injurier , menacer les Sieur & Dame le Rafle ,
comme auffi tenir aucuns propos contre les moeurs
( 142 )
réputation de ladite Dame le Rafle , ni fe
permettre vis - à- vis d'elle aucunes voies de fait :
& pour l'avoir fait , le condamne à faire réparation
aux Sieur & Dame Rafle par acte au
Greffe ; le condamne en outre en 50 livres de
dommages - intérêts civils , applicables , de leur
confentement , aux pauvres de la paroiffe de
Villeneuve , dont la diftribution fera par eux
faite , & aux dépers. Au furplus , reçoit le
Promoteur , Partie intervenante ; & faifant droit
fur les conclufions , enjoint au fieur B .... de
faire ôter à fes frais les pointes de fer miſes ſur
la balustrade de l'autel de la fainte Vierge , & ce
dans huitaine ; finon autorife le Promoteur à les
faire ôter . Comme aufli fait défenfes au feur
B .., de laiffer les habitans fans Meffe les jours
de Fêtes & Dimanche ; lui enjoint de remplir
fes fonctions avec exactitude , & pour s'être abfenté
de fa Paroiffe le Dimanche 3 Septembre
dernier , & avoir laiffé la Paroiffe fans Meffe , ni
Office , le condamne en 6 livres d'aumône , applicables
aux réparations de l'auditoire. Le
fieur B ... a interjetté appel en la Cour , tant
comme de Juge incompétent qu'autrement . La
Dame de Rafle , après la mort de fon mari , a
pourfuivi la confirmation de la Sentence.
Arrêt rendu en vacation le 11 Septembre 1782
qui a mis l'appellation au néant , ordonné que
ce dont eft appel fortiroit fon plein & entier
-effet ; condamne l'appellant en l'amende & aux
dépens ; ordonné l'impreffion de l'Arrêt au nombre
de cent exemplaires aux frais du Curé.
P
&
Oppofitions à Mariages.
La Jurifprudence rejette affez conftamment
les confidérations de dif arités de naiſſance & de
fortune, lorsqu'il s'agit de mariage dans la claffe
( 143 )
de le bourgeoifie , auffi les oppofitions formées
en pareil cas ne fervent - elles le plus fouvent
qu'à retarder des unions qu'il n'eſt guere poffible
d'empêcher. Les deux Arrêts que nous allons
rapporter confirment encore ce qui fe
pratique à cet égard.
Catherine Carpantier , fille mineure de dixhuit
ans , orpheline de pere & de mere , eft née
de parens honnêtes qui lui ont laiflé une certaine
fortune ; elle a pour tuteur le fieur Carpantier
fon oncle paternel . Cette mineure a été élevée
dans une de ces penfions particulieres où le ton &
les moeurs du fiecle ne s'introduisent que trop facilement
, & où la trop grande habitude de voir
des étrangers fait néceflairement perdre de vue.
les avantages fpécieux d'une vie paifible & retirée.
La demoiselle Carpantier a été élevée chez
les demoiselles L.... & A.... ; le neveu d'une de
ces maîtreffes a eu occafion de la voir fréquemment
chez la tante : ce neveu a fu fixer fon coeur,
& l'on prétend que la tante n'a pas nui aux difpofitions
favorables que ces jeunes gens ont prises
l'un pour l'autre. Le fieur A.... a donc demandé
en mariage la demoiselle Carpantier : une grande
partie de la famille de cette jeune perfonne a
confenti à l'union propofée : un feul oncle , le
fieur Carpantier , tuteur , crayant que le goût
de fa niece avoit été déterminé par l'Inftitutrice
, & que d'ailleurs il y avoit difparité de
naiffance & de fortune , s'y eft oppofé formellement.
En conféquence , Sentence du Châtelet ,
quia ordonné un furfis au mariage jufqu'à ce que
la mineure ait atteint vingt ans accomplis. Appel
de la demoiſelle Carpantier.
Arrêt du 9 Juin 1783 , qui met l'appellation
au néant , émendant , fait main - levée des oppofitions
formées par la Partie de Lacroix ( le fieur
( 144 )
f
Carpantier ) au mariage de celle de Coquebert ,
dépens compenfés.
---
A la même Audience on a encore ſtatué fur
une oppofition à un mariage : les circonstances
étoient plus fingulieres . Elle étoit formée par un
frere cadet , ci-devant Maitre Braſſeur , au mariage
de fon frere aîné , âgé de cinquante trois
ans , ancien Gendarme , avec une demoiſelle
âgée de trente , qui tenoit jadis un Café que le
Gendarme lui avoit fait quitter. Ce moyen
d'oppofition étoit la difparité dé naiffance & dé
fortune , l'inconduite du futur avec la fille G...
qui avoit eu un enfant d'un autre ; le Gendarme
avoit été interdit pour mauvaiſe conduite , &
n'avoit été relevé qu'avec nomination de feu
Me. Gervaile pour Confeil , fans lequel il ne
pouvoit paffer aucun engagement . Me. Gervaiſe
dont il avoit requis le confentement avoit néanmoins
déclaré que le fait du mariage ne le regardoit
pas ; qu'il avoit été nommé feulement
pour veiller aux biens , & non à la perfonne.
Le fieur R.... vouloit fe marier fans faire de
contrat de mariage , parce que la Coutume de
Paris pourvoit aux conventions de ceux qui fe
marient fous fon empire.
Le fieur R.... écartoit les moyens d'oppofition
en un mot. Disparité d'état : les qualités des Parties
fervoient de réponse . Inconduite du prétendu
avec la future : le mariage fervoit à la réparer. La
fille avoit eu un enfant d'un autre : ce fait ne regardoit
que le Gendarme , qui recherchoit néanmoins
la demoiſelle G .... , malgré tous les faux
pas qu'elle avoit pu faire dans la vie.
Arrêt du 9 Avril 1783 , qui fait main - levée de
T'oppofition de la Partie de Me. Aujollet au mariage
de celle de Me . Thiloriez ; condamne l'op
polant aux dépens.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE le 5. Juin
E Duc de Brunſwick Bevern , ancien
LGouverneur de cette Capitale , & qui a
réfigné fes emplois , comme on l'a rapporté,
vient de quitter ce Royaume : il eft parti
M. de Fontanelle qui , pendant huit ans entiers a rédigé
ce Journal avec fuccès , étant actuellement chargé de la
compofition de la Gazette de France , a été obligé d'abandonner
le travail de ce Journal , qui à compter des
deux derniers Numéros , a été , & fera à l'avenir l'ouvrage
de M. Mallet Dupan , qui a rédigé deux années , à
Geneve fa patrie , les Mémoires Hiftoriques , Politiques &
Littéraires fur l'état préfent de l'Europe. C'eft à M. Mallet
à Paris , rue de Tournon , N. 5, que l'on doit déformais
envoyer tout ce qui concerne la rédaction de ce Journal
, en affranchiffant les lettres & tous les envois . Pour
tout ce qui regarde les Abonnemens & l'expédition , il faut
toujours s'adreffer au Directeur du Mercure , hôtel de
Thou rue des Poitevins. "
Le Propriétaire de ce Journal s'étant procuré de nouvelles
& les plus sûres Correfpondances , on fe flatte que
cet Ouvrage aura de plus en plus le mérite de la nou
veauté , du choix & de la variété.
N°. 26, 26 Juin 1784. 09
( 146 )
pour l'Allemagne avec la Ducheffe fon
épouſe.
La Cour eft au château de Frédérichsberg
où elle doit paſſer l'Eté , & la Reine - Douairiere
ne tardera pas à fe rendre à Friedenfbourg.
Les vaiffeaux de guerre l'Oldenbourg , la
Sophie Frédérique , le Ditmarschen , & la
Wagrie font actuellement en rade , ainſi que
les Frégates le Cronenbourg & le Kiel,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le Juin..
La Miffive de l'Empereur à fes Confeillers
, concernant le nouveau projet de contribution
, vient d'être imprimé. Avant de
mettre ce projet à exécution dans les Etats
Autrichiens, S. M. I. a ordonné , à ce qu'on
affure , des effais préliminaires , pour vérifier
fi chaque propriétaire de terres peut fournir
aux befoins publics le 40 pour cent du produit
net de fon revenu. Cette taxe reſſemble,
roit beaucoup à l'impót unique , dont il a été
queftion il y a quelques années dans les écrits
des Economiftes en France.
Prefbourg, Peft & d'autres villes de Hongrie
ont transféré les cimetieres hors de leur
enceinte , à l'imitation de la Capitale.
Des lettres de Szegedin rapportent que
les champs y font couverts de fauterelles
( 147 )
qui dévorent les récoltes. Le même fléau
affligea l'Andaloufie l'année derniere ; heu-"
reulement il n'eft pas épidémique.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi continue fes revues avec une activité
infatigable . De Magdebourg S. M.
étoit revenue à Potzdam , d'où elle eft repartie
le de ce mois , pour faire la revue
des troupes raffemblées dans la Poméranie .
Le Roi a témoigné fa fatisfaction à divers
de fes Généraux , par des préfens plus ou
moins confidérables , & en particulier à M.
de Mollendorf, Gouverneur de cette ville ,
Officier d'un mérite diftingué , également
aimé & eftimé, du Souverain & du Public ;
& qui réunit les qualités d'un homme jufte ,
éclairé, aimable , à la capacité la plus émi
nente dans fon état , capacité dont il a donné
des preuves éclatantes dans la derniere
guerre de Baviere .
2
Le jour de l'Anniverfaire de l'avénement
du Roi 'au trône , l'Académie a tenu une
féance publique , dont M. Formey , felon
Tufage , a fait l'ouverture par le panégyrique
de S. M. Il annonça enfuite que la claffe
de Belles Lettres avoit jugé les difcours fur
l'univerfalité de la langue Françoife. Le prix
a été partagé entre la differtation Allemande
de M. Schwab , Profeffeur à Stuttgard , &
celle en François du Comte de Rivarol.
A
g 2
( 148 )
L'Acceffit a été donné à un troifieme Difcours
auffi en François , portant pour épigraphe
: François ! de la raifon , des grâces &
du goût , votre langue en tous lieux devient
T'heureux langage. On a obſervé avec raiſon ,
qu'un Difcours fur les avantages de la langue
Françoife , où l'on lifoit en tête que
cette langue devenoit un heureux langage,
ne prévenoit pas en faveur de cette langue,
DE FRANCFORT , le 15 Juin.
Le mois dernier quatre mille hommes ,
formant la derniere divifion des troupes Hef
foifes paffées en Amérique , font débarqués
à Carlshaven , trois régimens de cette divifion
étant arrivés à Caffel , le Landgrave les
a paffé en revue , après quoi ils ont été
tepartis en différentes garnifons.
On écrit de Pologne deux anecdotes
qu'il fuffit de rapporter pour en apprécier
l'authenticité.
Le Hofpodar de Moldavie a affermé à un vieux
& riche Boyard la vente excluſive du tabac : un
Grec , qui peut - être n'avoit pas connoiffance de
ce privilege , & qui avoit apporté quantité de tabac
à la derniere foire , reçut les défenfes les
plus féveres de vendre cette marchandiſe. Le
Conful Ruffe ayant fait demander de ce tabac ,
le Grec s'excufa de lui en vendre , alléguant les
ordres qu'il venoit de recevoir. Bon ! dit le Conful
, vends ta marchandiſe & repofe- toi fur moi,
fi l'on veut t'inquiéter. Sur cette affurance le
Grec yendit fon tabac ; Hofpodar en ayant été
149 )
inftruit , envoya un bas- Officier pour faifir cet
homme & le lui amener. Le Grec fut affez heu
reux pour échapper au fatellite & fe réfugia
dans la maifon du Conful : le bas - Officier la
fuivit & le récláma . Le Conful arrive , donne
des coups de canne au bas- Officier , & ordonne
au Grec d'aller achever de vendre tranquillement
fon tabac.
Un Boyard ne pouvant paffer avec fon carroffe
dans une rue embarraffée par des voitures
& charettes de payfan , avoit inutilement deman→
dé qu'on lui fit place . Voyant que les paroles
ne produifoient aucun effet , il fit donner par un
'de les domeftiques des coups de bâton à un pay
fan qui lui paroiffoit plus intraitable que les au
tres , & continua fon chemin. Celui - ci fut fe
plaindre au Conful Ruffe qui , fachant que le
Boyard devoit repaffer , le fit attendre , l'obligea
de fortir de fa voiture & de recevoir la baitonade.
Le Boyard fe plaignit au Hofpodar , qui
lui déclara qu'il ne pouvoit rien dans cette affaire.
On prétend qu'il a porté fes plaintes à la Cour
de Ruffie , & l'on attend avec impatience le dé❤
nouement de cette finguliere aventure.
Quand ces traits feroient auffi exacts qu'ils
font peu vraisemblables , il fuffit d'un peu
de bon fens pour fentir qu'aucun Souverain
n'autorife fes Confuls à de pareilles violences
; qu'à moins qu'il ne foit ivre , un Conful
ne fe les permet pas , & qu'elles fuffiroient
pour aliéner les Grecs de la Moldavie , bien
loin d'étendre l'influence de la Czarine fur
ces contrées , comme on le prétend.
L'hiver dernier l'Electeur de Treves prof-
& 3
( 150 )
crivit dans fes Etats la Loterie Génoife ,
connue fous le nom de Lotto. Ces établiſſemens
viennent également d'être fupprimés
à Liege. La ville de Vervier avoit déja fait
des repréfentations au Prince défunt à ce
fujet elles furent écoutées , & les Lotos
anéantis. Durant Pinterregne , le Chapitre
de Liege a généraliſé certe défenſe , qui a
été applaudie de tous les Citoyens .
Nous pouvons donner le réſumé fuivant ,
comme parfaitement authentique . Depuis
1750 , date de fon établiſſement à Vienne ,
jufqu'en 1769 , le Lotto a reçu 21,000,000
de florins ( plus de deux millions de France
une année dans l'autre ) . Le Gouvernement
qui avoit affermé cette loterie, a reçu dans
le même efpace 3,460,000 florins : l'entretien
des Emploiés a abſorbé 2,080,000 flor.
les gains payés par le Lotto font montés à
7,000,000 florins : le profit des fermiers a
été par conféquent de 8,000,000 de florins.
DE VENISE, le 22 Mai.
La cérémonie des époufailles de la mer
s'eft faite le 20 avec toute la pompe imaginable.
Les vaiffeaux de l'efcadre deftinée
contre Tunis , étoient rangés en ligne dans
le grand canal. Le départ de cette efcadre
eft très -prochain ; elle fera compoſée d'environ
60 voiles , y compris les bâtimens de
tranſport.
( 1st )
ITALIE .
DE GENES , le 2's Mai.
Le 15 de ce mois un petit bâtiment Amé
ricain arriva dans ce port ; cleft le premier
qui y foit venu avec le Pavillon du Congrès.
Il étoit parti de Terre Neuve le 4 Décem
bre , & en dernier lieu de la Martinique vers
la fin de Février. Sa cargaifon confifte en
500 cuirs. Ce bâtiment eft commande par
un Capitaine Américain .
Les Barbarefques infeftent tous les parages
de la Méditerranée. Jamais leurs pirateries
n'ont été plus audacieufes & plus mul
tipliées. De toutes parts on reçoit des avis
de leurs prifes ou des fignalemens. Deux
de nos galeres ont mis à la voile, pour aller
à la pourfuite de ces Corfaires .
De Civita Vecchia on apprend que 3 galeres
de S. S. ont donné chaffe à trois bâtimens
Algériens qui croifoient près de Monte
Chrifto , l'un de ces bâtimens a été pris , à
ce qu'on ajoute.
DE LIVOURNE , le 26 Mai .
Le 20 , l'efcadre Ruffe fit le premier ſignal
de partance , mais elle n'a appareillé que le
23 , vers les 6 heures du foir.
Un calme étant furvenu , on a pu voir
encore aujourd'hui , du rivage les vaiffeaux
obligés de mouiller fur la côte.
g 4
( 152 )
L'efcadre Napolitaine, deſtinée pour la
Méditerranée, a été auffi priſe de calme : elle
étoit le 18 à la vue de ce port.
Les lettres de Venife portent que deux
chebecs de cette République , qui étoient en
croifiere dans l'Archipel , pour y protéger
les bâtimens Vénitiens contre les , Corfaires
de Tunis , avoient rencontré une galéaffe
Vénitienne qui avoit voulu leur échapper en
prenant la fuite , que l'un de ces chebecs
étant parvenu à les joindre , s'en étoit emparé,
& l'avoit mené à Corfou. Les gens de
l'équipage ayant été interrogés par les Juges
de l'endroit , quelques- uns d'eux avouerent
qu'ils étoient allés en courfe , & qu'ils
avoient pris 12 ou 13 bâtimens de diverſes
nations , mettant à mort tous les gens de
leurs équipages , & qu'après avoir fait choix
des marchandifes les plus précieufes ils
avoient jetté les autres à la mer ; ils dépoferent
en outre , que lesdites marchandifes
avoient été déchargées à différentes fois dans
une ifle de l'Archipel , où avoient débarqué
ceux qui étoient intéreffés dans cette entreprife
, abandonnant l'armement au reste de
L'équipage , pour faire de nouvelles prifes.
Deux bâtimens Vénitiens ayant été pris
par des corfaires de Tunis dans les parages
de Tripoli , cette derniere Régence , indignée
d'une telle infulte , en a fait porter des
plaintes à la Régence de Tunis , & l'a fommée
de reftituer lefdits bâtimens , avec me(
153 )
nace d'en tirer vengeance , fi elle s'y refufoit.
DE NAPLES , le 21 Mai.
Maintenant que notre efcadre eft partie ,
on va s'occuper , dit- on , à perfectionner le
plan relatif à l'armée de terre . On prétend
que le Miniftre l'a déja communiqué au
Prince de Stigliano , Capitaine des Gardes
du Corps , & à divers autres Officiers en
chef.
L'Ordonnance du Roi qu'a publié le Gé
néral Pignatelli , dans fon gouvernement
des deux Calabres , aura fans doute une influence
fur le fort de cette malheureufe Province
: on peut l'efpérer d'après les difpofi
tions fuivantes de ce Referit.
,
न
Le coeur compatiffant du Roi , toujours
attentif à chercher les moyens les plus propres
& les plus convenables pour foulager fes fujets ,
& particuliérement ceux qui font encore campés
fur les ruines occafionnées par le tremblement
de terre dans la Calabre ultérieure a ordonné
que les rentes de tous les monafteres , couvens
& autres communautés religieufes de l'un &
Fautre fexe dans la fufdite province , foient converties
& employées au rétabliffement des maifons
détruites & au foulagement des pauvres, Le
St Pontife ayant voulu concourir avec ſa béné
diction à ce deffein pieux de S. M. , le Roi veut
& ordoane que tous les Religieux de ces maifons
foient répartis dans d'autres monaftetes ou cou
vens de leurs ordres refpectifs qui fubfiftent dans
le Royaume , excepté feulement les fupérieurs
& procureurs qui doivent donner les renfeigne-
€ S
( 154 )
mens néceffaires , & rendre compte de leur ad
miniftration ; & que les Religieufes foient remifes
entre les mains de leurs plus proches parens ,
ou autres perſonnes d'une honnêteté & probité
réconnue , qui leur fourniront les moyens de fub-.
fiftance convenables : veut en outre. S. M. que
tous les novices foient fécularifés ; & quant aux
Freres lais & Clercs qui voudront le faire fécularifer
, qu'ils demandent l'agrément de l'Ordinaire
du lieu , fans que toutefois ils foient déliés
in fubftantialibus des voeux contenus dans
l'acte de leur profeffion folemnelle : S. M. fe
réfervant de prendre foin de leur fubfiſtance &
de leur fort . Quant à la maniere dont tous les
Religieux doivent être traités tant dans leurs
Voyages que dans les autres conjonctures où ils
pourroient ſe trouver , la volonté du Roi eft qu'on
ufe envers eux de toutes les attentions qui conviennent
à des perfonnes diftingués par leur caractere
, & que le Roi veut regarder comme fes
fujets les plus obéiffans & les plus pénétrés de la
jufte néceffité où ils font de concourir au foulagement
des pauvres d'une province auffi malheu
reufe ».
DE MILAN , le 26 Mai.
L'Empereur voulant feconder les vues de
notre Gouvernement , qui lui avoit propofé
de fonder un Couvent de Chanoineffes
fur le modele de ceux qui exiftent dans les
Pays- bas Autrichiens , S. M. a rendu un
Edit en date du 5 décembre , par lequel il
autorife notre Gouvernement à choifir dans
l'une des villes de ce Duché , un édifice propre
à recevoir ces Chanoineffes qui feront
tenues de faire des preuves de Nobleffe ,
& qui ne feront admifes que du confentement
de S. M. I.
On apprend de Florence , que le départ
de l'Archiduc François pour Vienne eft trèsprochain.
Le Comte de Colloredo l'accompagnera
, en fa qualité de Gouverneur de
S. A. R. Ce Seigneur eft remplacé dans
l'éducation des jeunes Princes par le Marquis
Frédéric , Colonel du Régiment de
Stein.
ESPAGNE. wol and A
DE MADRID, le 25 Mai.
Le Comte de Bournonville , Capitaine de
la Compagnie Flamande des Gardes du
Corps , eft mort ici le 29 du mois dernier ,
âgé de 68 ans . Il fervoit depuis 1736. On
affure que le Roi a difpofé de cette Compa
gnie vacante , en faveur du Prince Mafle
rano , Brigadier de fes armées.
On a tenté ici d'enlever un Globe ; après
des effais réitérés & infructeux , on eft parvenu
à en élever un , monté par un François
mais ilavoit apparamment mal pris fes
précautions ; à la defcente de la Machine il
a culbuté , & eft tombé d'environ cent pieds
de haut. L'Infant Dom Gabriel , qui favorifoit
fon entreprife , lui a donné beaucoup
de marques de fenfibilité , & y joindra
dit on, de grands bienfaits , s'il en réchappe
comme on l'efpere . En attendant , la cour
g 6
( 1861 )
lui a affigné 2500 liv. de penfion, dont on
a payé fix mois d'avance.
DE VALENCE, le 18 Mai.
Cette ville a vu le renouveller une catal
trophe malheureufement top ordinaire dans
les fêtes publiques. ་ ་ ་ ་
Celle qu'on a célébrée ici avoit pour objet la
naiffance des deux Jumeaux dont la Princeffe des
Afturies eft accouchée.
t
« La Proceffion , qui fit l'ouverture de la fête ,
fut très-magnifique & très nombreuſe , ornée de
chars de triomphes , d'emblêmes , &c. Les rues
par lefquelles elle paffa , & les maifons étoient
tapiffées & ornées de la maniere la plus fomptueufe
d'ailleurs il y régna le plus grand ordre s
mais il n'en fut pas de même le fois , l'allégreffe
publique fe changea en deuil. Parmi ces réjouif
fances l'on avoit projetté trois feux d'artifice
l'un repréfentant un château fur la Place- Royale,
vis-à-vis le Palais , & deux autres fur la place de
S. Dominique : on devoit les tirer fucceffivement,
en commençant par celui de la Place Royale ;
celui- ci s'exécuta fans accident , mais au moment
qu'on venoit de le tirer , la foule curieufe fe
preffa fi inconfidérément pour aller voir tirer auffi
les autres , qu'il en arriva un très grand malheur .
Pour gagner la place de S. Dominique , en venant
de la Place- Royale , il falloit paffer un pont. La
multitude , fe heurtant & fe pouffant de tous
côtés , ne put le déboucher auffi promptement
qu'il le falloit , il y eut un engorgement , & bientôt
nombre de gens furent non-feulement meurtris
& bleffés , mais renversés à terre , foulés aux
pieds , fuffoqués ou écrafés : d'autres , cédant à
une prefle irrésistible , tomberent du pont dans
( 897 )
Peau & fe noyerent . On ignore le nombre de
ceux qui ont péri, dans cette confufion d'une ou
d'autre maniere , ceux qui ont été reconnus ayant
été emportés par leurs parens ou leur famille
les inconnus , qui n'ont été réclamés par per
fonne , & qu'on a transférés àl'hôpital , font au
nombte de 21 , la plupart à ce qu'il paroîte)
artifans ou journaliers. Celui des bleffés eft bien!
plus confidérable encore ; il n'y a eu prefque perfonne
dans cette foule qui n'ait éré froiffé ou
n'en ait emporté quelque meurtriffure ».
ANGLETERRE
DE LONDRES , le 15 Juin.
Le 8 de ce mois , la Chambre des Com
munes a prononcé fur la difpute relative à
Westminster. Cette déciſion a été précédée
'des débats attendus : en voici la fuccinte
analyfe.
M. Walbore Ellis , pendant quarante ans
T'homme de la Cour & fur - tout des Mi
niftres , accablé de toutes les calomnies qui
ont fuivi la retraite du Comte Bute , auquel
il étoit attaché , ce Sénateur vétéran , en un
mot , à qui dans fa longue carriere il n'étoit
jamais échappé une motion contraire au væn
du pouvoir exécutif, a préféré de lui manquer
de fidélité , plutôt qu'à lord North ,
dont il eft depuis 15 ans l'acolyte le plus
zélé. Il a ouvert la féance du 8 par la motion
fuivante :
Qu'il paroit à cette Chambre que Thomas
( 158 )
Corbett , baillif des libertés de la Cité de
Weſtminſter , ayant reçu ordre du Schériff de
» Midleſex , d'élire deux citoyens pour fervir
ladite cité en Parlement , & ayant terminé le
17 Mai dernier l'opération de recevoir les fuffrages
, pour nommer le lendemain les deux
>> membres élus , felon la teneur du writ , il foit
» tenu de fe conformer à ce writ , & de procla
mer les deux membres choifis .
Lord Mulgrave , M. Campbell , Lord
Avocat d'Ecoffe , M. Powis , le chevalier
Erskine , ayant fucceffivement rappellé de
part & d'autre les argumens pour & contre
la queſtion, M. Fox s'en empara ; ce qui eſt
incroyable pour les étrangers , & qui ne l'eft
point pour ceux qui ont entendu cet ancien
Miniftre , il parla trois heures confécutives
avec une force & une facilité dont l'élaquence
politique , inême en Angleterre, offre
peu d'exemples.
Selon fa méthode , M. Fox commença
par féparer fon intérêt de celui de la queſtion.
сс« L'élection de Weftminfter , dit - il dans fon
» exorde , n'eſt point ma caufe propre , mais
celle de tous les Electeurs de la Grande- Bretagne
, & de mes conftituans en particulier.
» Quant à ce qui me regarde perſonnellement ,
dans ce débat , il a été fuffisamment difcuté à
>> la Barre par mes fayans Confeils , & éclairci
par les illuftres membres qui
ui ont démontré
que , fans manquer à fa propre dignité , à la
» décence , à l'impartialité à la Juftice , la
» Chambre ne pouvoit fe refufer à la moron
» de mon honorable ami . C'eft ici la cauſe de la
patrie & de la conftitution : j'aurois perdu
>>
( 159 )
toute fenfibilité , toute reconnoiffance pour le
Peuple Anglois , fi je n'employois tous les
» efforts poffibles à mes foibles talens , pour
» ramener les efprits de la Chambre au véritable
2 état de la queftion .
Après cet exorde , M. Fox récapitula fa
défenſe avec la plus grande étendue. Le
Bailli de Weſtminſter , fon Député, les Miniftres
, les Membres oppofés à la motion ,
furent tour-à-tour l'objet de fes plaintes , de
fes argumens , de fes farcafmes.
Lorfque je confidere , dit-il en concluant , les
manoeuvres fcandaleufes employées durant l'élec
tion & à fa clôture , pour me diffamer moi &
mes amis , ainfi que la conduite du Grand Baili
le 17 & le 18 du mois de Mai , je n'ai aucun lieu
de douter que le Gouvernement ne foit interve
nu pour ôter aux électeurs dé Weftminfter l'exercice
de leurs droits , & pour me priver de l'honneur
de fiéger ici comme leur repréfentant .
Lorfque je vois , de plus , les troupes mifes fur
pied dans la forme la plus oppofée à la conftitution
, la puffance civile employée fous un Magiftrat
de Weftminfter , dont le devoir & l'office
immédiats font de maintenir la paix & de prévenir
le defordre , devenir non- feulement la premiere
caufe du tumulte , mais encore l'inftrument
du meurtre ; enfin , après avoir confidéré
qu'en conféquence de ce meurtre , les hommes
les plus honnêtes , les plus innocens ont été mis
à la barre de l'Old Bailey , & que mes amis ,
chers à mon coeur par leurs éminentes qualités ,
refpectables par leurs caracteres , jouiffant au plus
haut degré de l'eftime publique , ont été impliqués
dans une affaire qui expofoit leur honneur
& leur vie , s'ils ne fe fuffent pleinement jufti .
( 160 )
fiés ; toutes ces circonstances raffemblées me démontrent
que toute la force du Gouvernement
eft dirigée contre moi , que mes ennemis ne fe
lafferont jamais de me perfécuter , & qu'ils ne fe
lafferont que lorfqu'ils auront détruit mon exiltence
politique. Que ceux qui ont le pouvoir en
main triomphent avec plus de modération ; qu'ils
agilent avec plus de prudence , leurs efforts pour
tourmenter un individu ne fervent qu'à ouvrie
les yeux de la nation & à démontrer la fauffété
des bruits répandus contre cet individu avec un
artifice & une cruauté fans exemple. Au furplus ,
je ne mets point l'honorable membre , qui eft en
face de moi , M. Pitt , au nombre de mes perfécuteurs
de deffein prémédité. Je lui rends la
juftice de déclarer que je ne le crois pas le vil
inftrument d'une atrocité fi infame , je fuis perfuadé
qu'il ne s'eft engagé dans cette affaire que
par une trop foible condefcendance pour ceux
dont le caractere eft de har avec tenacité & de
faire le mal fans remords. Je lui confeille cependant
de confidérer le danger de pouffer trop loin
le reffentiment & l'oppreffion , de réfléchir futtout
à l'effet que la décifion de la Chambre doit
produire fur les droits des électeurs en général ,
& par conféquent fur la conftitution du pays ;
s'il veut envifager de fang-froid les funeftes con
féquences qui en réfulteront infailliblement , je
ne doute point qu'il ne foit d'avis que la Chambre
doit ou adopter la motion préfente , ou arrê
ter qu'il foit donné un nouveau writ d'élection .
M. Pitt , qui jufqu'à ce moment avoit
gardé le filence , prit la parole & dit :
Je crois devoir faire quelques remarques fur
les affertions hafardées dont il a plu à M. Fox
de femer fon difcours & je commencerai par
rappeller à la Chambre que l'ordre actuel porte ,
1
( 161 )
que tout Membre , contre lequel il aura été préfenté
une pétition , portant plainte d'élection illégale , fera
obligé de s'abfenter toutes les fois que la Chambre
agitera le fujet de la pétition qui le concerne. Au
lieu de fe conformer à cet ordre , l'honorable
Membre s'eft levé plufieurs fois pour parler, de
l'élection de Weftminſter , en profitant du droit
accidentel qu'il a de fiéger comme repréfentant
de Kvikwall. J'efpere qu'avant que la Chambre
ajoute foi aux accufations violentes que
M. Fox a ofé avancer directement contre le
Miniftere , il faudra qu'il en apporte des preuves
inconteftables , fans lefquelles je crois qu'il
lui fera difficile de fe libérer de l'imputation
de calomnie. Ce ne font point fes accufations
qui noirciront le Miniftere. Ces efforts pour exciter
l'intérêt & la compaffion du Public , en fe
repréfentant comme l'objet de la perfécution la
plus inexorable de la part des Miniftres , n'au
ront point leur effet tant que fes affertions ne
Terone point completiement juftifiées . Des accu-
-fations du genre de celles que M. Fox a jette
négligemment & avec une légereté répréhenfi
ble , ne font point d'une nature indifférente
& elles font auffi malignes, que calomnieufes.
Leur importance fera pleinement fentie fi l'on
confidere qu'elles avoient pour but , fans cependant
apporter de preuves , que le Miniftere avoit
employé le Magiftrat de Weftminster , & les Of
ficiers fous fes ordres ; 1º , pour troubler la
paix publique en encourageant le tumulte &
les émeutes ; 2 ° , pour commettre le crime de
meurtre : , pour fuborner de faux témoins.
( Ici , M. Fox s'écria tout haut , je n'ai pas dit cela.)
Il a ajouté , continua M. Pitt , que la main puif.
fante du Gouvernement étoit marquée vifible .
ment dans tout ce qui s'étoit paflé. Si ce fait
( 162 )
eft vrai , c'eft à M. Fox à fuivre fon accufa
tion , & à la prouver. La main du Gouvernement
n'eft point allez puiffante pour détourner des ac
cufations formelles , ni pour éviter la haîne &
la difgrace publique qui en feroient le châtiment
Je préfume d'ailleurs que le Miniftere ne fera
jamais aflez foible pour être atteint par des affertions
fans preuves . M. Fox s'eft plû à invoquer
plufieurs fois le Miniftere pour le prier de l'épar
gner , & de celler de le perfécuter . Ses inftances
au Miniftere n'étoient point néceffaires , & la
la Chambre ne les demandoit point. Les Miniftres
favent trop bien que le feul moyen de
Héttir leur réputation , d'affermir & d'exalter
celle de M. Fox , eft de faire de cet Orateur
l'objet de leurs perfécutions. Au refte , on ne
doit pas être furpris de fon zele & de fon ardeur
pour acquérir dans le monde le titre
de victime du Miniftere ; perfonne ne dois le
defirer plus que M. Fox ; peut-être même fouffriroit
-il le martyre pour obtenir ce qui feroic
le prix de fa canonifation , c'eft- à- dire , de recouvrer
l'eftime publique & la confiance du peuple
qu'il a perdues par fa conduite déteftable en politique.
M. Pitt fit enfuite quelques obfervations fur
l'affaire qui occupoit la Chambre dans ce mament.
I examina les diverfes dépofitions qu'avoient
faites les témoins à la barre , dont plufieurs
avoient été interrogés par M. Fox lui-même,
& conclut que le Grand - Bailli avoit agi avec
toute la droiture qu'exigeoient les devoirs de la
place , & la folemnité de fon ferment ,
Suppofons pour un moment " dit M. Pitt en
terminant , qu'un des Candidats pour Weftminfter
fût un homme de mauvaiſe foi , que , dads
les premiers jours , il chargeât précipitamment
( 163 )
Félection d'une fi grande quantité de votes qu'il
fût impoffible au Grand- Bailli de les examiner.
pendant le cours de l'élection ; qu'après avoir fait
ce manége au point de s'affurer de la majorité , il
prit la voix toute contraire du déla , pour trai
ner l'élection en longueur , en n'apportant qu'un
ou deux fuffrages par heure , jufqu'à la veille du
jour fixé pour déclarer les Candidats élus ; qu'au
moyen de ces menées il prévint la poffibilité
d'une vérification ; alors ce Candidat feroit un
ufurpateur. Dans l'hypothefe que je viens de
fuppofer , il y auroit un abus manifefte du droit
d'élection , & comme ce cas eft certainement
poffible , il faut fanctionner une nouvelle doi
pour régler les élections & limiter leur durée, de
maniere que le Bailli ait le tems de faire la
vérification , s'il étoit néceffaire , avant le terme
fixé pour le rapport qu'il en doit faire. Croire
que la formation d'un bill à ce fujet feroit une
injuftice envers les Electeurs de Weftminster ,
c'est une doctrine à laquelle je ne faurois foufcrire.
Quand doivent fe faire les loix nouvelles
fi ce n'eft au moment où leur néceffité eft prouvée
par des inconvéniens & des abus ?
La Chambre ayant paffé aux fuffrages ,
la motion fut rejetée à la pluralité de 78 voix.
Lord Mulgrave en fit immédiatement une
feconde pour ordonner au grand Bailli de
procéder fans délai à la vérification ; après
quelques débats , cette motion fut agréée
par une majorité de 88 voix. Il eft à remarquer
que onze des partifans du Ministère ,
foit à deffein , foit fincérement , votèrent
avec impartialité en faveur de la motion de
M. Welbore Ellis.
( 164 )
Le 1o , le grand Bailli & fon député , lord
Hood , fir Cecil Wray & fes confeils , s'étant
rendus à l'abbaye de Weftminſter pour procéder
à la vérification , ni M. Fox ni aucun
de ſes amis ne parurent à cette affemblée . On
y lut une lettre de M. Sheridan , qui annonçoit
dans la journée une réponſe finale de
M. Fox. La Cour s'ajourna au lendemain
pour commencer la revifion , fans ultérieur
renvoi.
Nous l'avons remarqué , la crainte de voir
mettre au jour les prévarications commifes
dans l'élection , a feule déterminé une auffi
forte oppofition à cet examen légal . Si M. Fox
n'a réellement dû fa majorité qu'à des fuffrages
illégitimes , fon élection eft une évidente
injuftice envers fon concurrent & envers
les électeurs. La conftitution ne peut
l'avoir autorifée ; & en pareil cas , c'est une
défenfe bien fufpecte , que des fubtilités fur
un point de forme , pour couvrir une illégalité
réelle.
Il s'eft élevé une queftion très-importante ,
dans l'élection pour Asburthton , c'eft de favoir
fi un eccléfiaftique Anglican eft éligible
pour une place au Parlement : un ufage non
interrompu a décidé le problême , mais la loi ,
-à ce qu'il paroît, le laiffe irréfolu. Si le Clergé
acquiert ce droit précieux , on ne tardera pas
à voir en Parlement les membres les plus diftingués
par leurs connoiffances politiques ,
comme M. Tucker , doyen de Glocefter ,
( 165 )
le docteur Jebb & d'autres . Ce privilege jetteroit
dans l'ordre entier une émulation utile ,
& décideroit plufieurs fujets de ménte à embraffer
un état dont l'illustration eit aujourd'hui
affez limitée .
A la formation du précédent Parlement ,
il y eut quarante élections conteftées : aujour
d'hui leur nombre eft de cinquante-une . Six
mois, une année même fe pafferont avant que
toutes ces pétitions ayent été jugées ; circonf
tance inévitable qui fuffit pour renverfer la
chimere des Parlemens annuels , renouvellée
de tems à autre par l'oppofition.
Dans la féance du 11 , la Chambre s'oc
cupa de l'eftimation des dépenfes de l'artillerie.
L'état en fut préfenté par le Capitaine James
Luttrell , Intendant- Général de ce dé
partement , & porté à 810,699 1. ft.
M. Luttrell juftifia cette demande par les
frais néceffaires des réparations aux ouvrages
de Gibraltar , des fortifications à ajouter aux
ifles rendues dans les Indes-Occidentales , &
des poftes à établir dans les poffeffions que
conferve l'Angleterre fur le continent de l'Amérique.
Il comprit auffi dans fon eſtimation
les dettes à payer, qui réfultent en partie des
avances d'argent faites au bureau fur des contrats
où les prêteurs efcomptoient 28 pour
100. Malgré l'énormité de cette dépente en
tems de paix, la Chambre accorda ce fubfide
après quelques difcuffions .
Dans le détail des dépenfes d'artillerie , il s'eft
trouvé un article de 500,000 liv. ft. pour les for
( 166 )
tifications de Portsmouth & de Plymouth , fur le
quel M. Huffey & le Capitaine M Bride fe font
récriés en obfervant que la défenfe de l'Angleterre
ne devoit réfider que dans fa Marine , & que
tant que ce Royaume auroit des vaiffeaux , les
places fortes ne lui ferviroient point ; mais le Colonel
Luttrel répondit à ces deux Membres qu'ils
avoient apparemment oublié le tems où M. d'Or
villiers croifoit dans la Manche , & où le Cabinet
de S. - James lui meme trembloit que cé Général
François ne détruifit tous les Chantiers & tous les
Arfenaux de la Marine Britannique , à l'aide feulement
d'une ou deux frégates & de quelques:
Volontaires tirés des garnifons de fes vailleaux.
M. Burke a produit les motions fur le Difcours
du Roi , mais elles n'ont point été admiſes .
La motion de M. Sawbridge a été remife.
Le 14 , le Secrétaire de la guerre demanda
à la Chambre un fubfide de 928,662 liv . fterl..
pour la paie & l'entretien de l'armée en 1784 ,
foit de 17,483 hommes effectifs , y compris
2036 invalides & officiers fans commiffion ,
pour les troupes employées aux Colonies &
a Gibraltrar , ainfi que pour un régiment de
Dragons légers , & cinq bataillons d'infanterie
employés aux Indes-Orientales.
Le célebre lord Mansfield dont on avoit
fauffement annoncé la retraite , a repris fes
fonctions au banc du Roi où il a préfidé. Il
a pris pendant quelque tems des bains de
mer , qui paroiffent avoir achevé ſon rétabliffement.
Le Roi a remis au Tréforier de la Société.
qui a célébré le Jubilé d'Handel , une fomme
de soo liv. fterl. , à joindre aux charités aux(
8167 )
quelles fera employée la recette des concerts
qui ont eu lieu derniérement. On a confacré
cette cérémonie par une infcription en marbre
qui a été placée au- deffous du monument
d'Handel dans l'abbaye de Weftminſter,
Des ouvriers creufant , il y a quelques jours
un canal dans les jardins du Palais Archiepifcopal
de Lambeth , trouverent une piece.
de métal qui les engagea à étendre leur fouille.
A trois pieds de profondeur, ils découvrirent
101 larges pieces d'or ( des Jacobus ) 36 plus
petites , & 40 dont chacune environ de la
valeur d'une demi- guinée. Ce tréfor ayant
été vendu à un orfevre , la part de chaque
ouvrier a été de 23 liv. ferl . Malgré le fecret
qu'ils s'étoient promis , l'un d'eux l'a divulgué
en achetant une montre. On préfume que
ces monnoies furent enterrées au moment de
l'infortune de l'Archevêque Laud.
ל כ
»
Dans le nombre des fatyres de tout genre
que produifent ici la liberté & l'efprit de
parti , il en paroît une dont l'idée eft affez
plaifante ; c'eft le codicile d'un chef de ca
bale ; « cn lui fait léguer fon éloquence aux
» Empyriques , fa modeftie Irlandoife à M.
Courtney , fon intégrité à M. Welbore
» Ellis , fon patriotifme au Colonel North ,
» fon efprit conféquent au Général Con-
" way, fon courage à lord Keppel , fa chaf
» teté au Duc de Queenfberry , fa piété à
» lord Sandwick, fes fleurs de rhétorique à
la chaire, fa battologie au Barreau, & fa
➡ réputation au fleuve d'oubli.
( 168 )
IRLAN DE..
DE DUBLIN , leleg Juin.
D'après le rapport du Comité de notre
Chambre des Communes , il paroît que l'importation
des laineries angloifes dans ce
Royaume , a été
de 1779 à 1780 de la fomme 64970 1. fterl.
de 1780 à 1781
de 1781 à 1782
de 1782 à 1783
308126
322393
311445
La diftribution de 15000 liv. ftr accordées en
gratification par le Parlement d'Irlande , pour
encourager les manufactures nationales , fe fait
de la maniere fuivante , favoir 7500 liv. ft . en
gratifications de cinq pour cent de la valeur des
marchandifes aux premiers acheteurs , après le
premier Juin 1784 ; cinq pour cent fur toutes
les laineries exportées après la même date ;
1500 liv. ft. en gratifications de cinq pour cent
fur les cotons ou cotons mêlés ; 3 liv . 6 f. 3 d .
fur toutes les toiles de coton fabriquées en Irlande
, & imprimées enfuite ; 1500 liv. en gratification
aux fabriques de fer , de cuivre , de
caracteres d'imprimerie & de quincaillerie .
Le 31 du mois dernier , les Volontaires
de Dublin ont paſſé en revue à Phenix-Park
devant leur General , le Comte de Charlemont
. Hs étoient au nombre de 1000. Par
complaifance pour eux la revue de la garnifon
a été renvoiée de deux jours.
Avant-hier 7, les habitans & Francs-Tenanciers
( +169 )
nanciers de la ville & Comté de Dublin fa
font affemblés pour délibérer fur la réforme
de la repréſentation Parlementaire. Il eft
forti de ces Comices une fuite de réfolutions
qui préparent des fcenes fi étranges , qu'on
ne peut fe difpenfer de les faire connoître
dans leur entier.
Arrêté unanimement , que la repréſentation
imparfaite , actuellement fubfiftante , & la longue
durée des Parlemens , font des griefs inconftitutionnels
& intolérables .
Arrêté unanimement , que le fuffrage des Communes
d'Irlande n'eft pas moins néceffaire à chaque
objet législatif que le fuffrage du Souverain ou des
Pairs , & que par conféquent le peuple réclame ce
privilége comme jufte , inhérent à lui & inaliénable
, afin que ce peuple puiffe corriger les abus
dans la représentation , toutes les fois que ces abus
fe feront multipliés au point de le priver de la part
que lui donne la Conftitution dans fon Gouvernement.
Arrêté unanimement que le peuplejouit & a tou
joursjoui d'un droit évident , inaliénable & irrévocable
, à une fréquence d'Elections , auffi bien qu'à
une repréſentation proportionnelle & égale , droit
établi fur une baſe plus forte qu'aucun des actes du
Parlement , & que l'obtention de ces objets importans
& conftitutionnels , eft le moyen le plus sûr de
rétablir& d'affermir l'indépendance du Parlement.
Arrêté unanimement, que la repréſentation inégale
, exiftante aujourd'hui, & la longue durée des
Parlemens détruifent l'équilibre qui par notre conftitution
devroit fubfifter entre les trois branches
de la Légiflature , rendent indépendans da peuple
les Membres de la Chambre des Communes , procurent
des majorités décidées en faveur de chaque
Nº. 26 , 26 Juin 1784. -
h
( 170 ).
Adminiſtrateur , & nous menacent d'une Monarchie
abfolue , ou , ce qui eft encore beaucoup plus
odieux , d'une Ariftocratie tyrannique .
Arrêté unanimement , que la plus grande partie
de la Chambre des Communes n'eft pas élue par le
peuple , mais par les intrigues des Pairs du Royaume
& autres , foit pour de pauvres bourgs , où à
peine il exifte quelques habitans , foit pour des
villes & cités confidérables , ou peu de pertonnes
font revêtues du pouvoir électif.
Refolu unanimement , que la vénalité & la corruption
de la Chambre des Communes actuelle ,
démontrée par les différens actes arbitraires qu'elle
a paffés dans la derniere feffion , & le mépris &
l'indignité avec lefquels elle a traité les demandes
& les pétitions du corps conftituant , nous
obligent de folliciter le peuple pour qu'il s'uniffe
à nous , afin d'obtenir une plus jufte repréfentation
, & afin de préfenter une pétition au
Trône , pour hâter la diffolution du Parlement
actuel.
Réfolu unanimement , que la force d'une nation
fe fonde fur l'union de fes individus.
Refolu unanimement ( une feule voix s'y étant
oppofée ) ; que la participation aux droits généraux
dont jouiffent tous les individus de la nation
, doit les engager à opérer efficacement les
uns pour les autres .
Réfolu en conféquence ( une feule voix s'y
étant oppofée) , que de faire participer nos freres
Catholiques Romains au droit de fuffrage , toujours
enpréfervant dans toute fon étendue le gouvernement
proteftant actuel de ce pays , ce feroit une meſure
d'où refulteroient les plus heureuſes conféquen
& qui eft très-propre à affurer de plus en
plus la liberté civile .
ces ,
Refolu unanimement qu'un comité de vingt &
( 171 )
un membres fera auffi - tot nommé pour la rédaction
d'une adreffe au peuple , pour lui demand rfa
coopération , & d'une pétition au Roi dans laquelle
on lui rendra compte de nos calamités , & par
laquelle on lui demandera la diffolution du Parlement
actuel , dont la corruption nous force à lui
reirer notre confiance ; & que ledit comité nous
prefentera ces deux pieces dreffées , le Lundi 2 1
Juin.
Réfolu unanimement que nous rendrons les plus
vifs remerciemens à l'Ecuyer John Talbot Ashenhurft
, des foins particuliers qu'il s'eft donné pour
remplir l'office de Secretaire , tant en cette aflemblée
que dans les précédentes.
Refolu unanimement que les réfolutions préfentes
feront publiées dans les papiers publics.
Alexandre Kirkpatrick junior , Benjamin Smith ,
Sheriffs .
ETATS-UNIS De l'Amérique.
BOSTON , le 27 Avril.
Un comité des deux chambres de la législature
de Maffachuffeft , a arrêté que la fociété
de Cincinnatus ne peut point être tolérée,
& que fi elle n'eft point détruite , elle
troublera la paix & la liberté des Etats - Unis
en général , & fur - tout de Maffachuffeft.
Cet arrêté a été lu aux deux chambres affemblées
, & approuvé par elles après mûre délibération.
"L'hérédité attachée à cet ordre eft une
efpèce de nobleffe que les Etats Unis affemh
2
( 1727)
blés en Congrès n'auroient point eux-mêmes
le droit de donner , conformément à
l'article VI de la confédération ; & cette
confidération a contribué le plus fans
doute à faire profcrire l'affociation de Cincinnatus
du Maffachuffeft. On ignore ce que
feront les autres Etats à cet égard.
Nous apprenons de la Havanne que le
Gouvernement efpagnol exécute avec la plus
grande rigueur fes édits fur le commerce .
Plufieurs particuliers , du nombre defquels
font un où deux Américains , ayant été pris
en contravention , ont été condamnés à trois
ans d'esclavage à la Vera- Crux.
Un Négociant de Kingfton , dans la Jamaïque
, ayant été foupçonné ou convaincu
de la même contrebande , a été auffi condamné
à huit ans de prifon à la Vera- Crux ,
& à une amende de 130,000 piaftres :
On écrit d'Annapolis que le Congrès a pris les
arrangemens relatifs au territoire de l'Oueft . Des
Commiffaires font nommés pour traiter avec les
Sauvages , à l'effet d'établir une paix générale ,
& de fe procurer , par vente ou autrement , une
étendue de terrein dont la limite n'eft pas précifément
déterminée , mais qui s'étendra à l'Oueft
jufqu'à la riviere Miami , & qui pourra compo
fer plufieurs Etats. Cette
negu
aura lieu
dans le cours de l'été prochain . Les Commiffaires
ont ordre de fe trouver à New - Yorc le
10 du mois préfent , & d'y prendre les mesures
neceffaires à la conclufion du traite. Il eft à defrer
qu'en agifle avec modération par rapport à
( 173 )
1.
l'argent qu'il faudra tirer de ce pays . Quoi qu'il
en foit , comme le fol eft fertile & que fes eaux
font navigables , on ne doute point qu'il ne devienne
une fource immenfe de force & de profpé
rité pour ces Etats , lorfqu'il fera cultivé & peuplé
convenablement ; & même dès à préfent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique .
4 FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin,
.A L
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Cour
ture , Ordre de S. Benoît , dioceſe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre , Vicaire général de Nevers
, fur la nomination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; à celle
de Preuilly, même Ordre , diocefe de Tours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaffonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , diocefe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre , diocefe d'Agen ,
l'Abbé de Villeneuve -Efclapon ; & à celle
d'Hérivaux , Ordre de S. Auguftin , diocefe
de Paris, l'Abbé de Damas d'Autigny.
Le Comte de Mouftier , Miniftre plénipo .
tentiaire du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de 9. M.
pour retourner à fa deftination , étant préfenté
par le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniftre & Sesd
( 174 )
4
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres .
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteffe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préfentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale ; l'une par la
Marquife de Bombelles , Dame pour ac-1
compagner Madame Elifabeth de France ;
& l'autre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon féjour
jufqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter fon goût ,
lui ont été ménagés foit à la ville , foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand fuccès. La décoration
du bocage où Renaud fe repofe ' ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne
, ont été fur tout remarquées : l'exécution
entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Mufique.
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'on jouoit Blaife & Babet,
Les ballons font du nombre des fpectacles
dont jouira M. le Comte de Haga, Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 173 )
l'argent qu'il faudra tirer de ce pays . Quoi qu'il
en foit , comme le fol eft fertile & que les eaux
font navigables , on ne donte point qu'il ne devienne
une fource immenfe de force & de profpé
rité pour ces Etats , lorfqu'il fera cultivé & peuplé
convenablement ; & même dès à préfent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin,
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Cour
ture , Ordre de S. Benoît , diocefe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre , Vicaire général de Nevers
, fur la nomination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; à celle
de Preuilly, même Ordre , diocefe de Tours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaffonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , diocefe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre , diocele d'Agen ,
l'Abbé de Villeneuve Efclapon ; & à celle
d'Hérivaux , Ordre de S. Auguftin , diocefe
de Paris , l'Abbé de Damas d'Autigny.
Le Comte de Mouftier , Miniftre plénipo .
tentiaire du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de S. M.
pour retourner à fa deftination , étant préfenté
par le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances, Miniftre & Se(
174 )
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres.
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteffe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préfentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale ; l'une par ļa
Marquife de Bombelles , Dame pour accompagner
Madame Elifabeth de France ;
& Fautre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon féjour
jufqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter fon goût ,
lui ont été ménagés foit à la ville , foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand fuccès . La décoration
du bocage où Renaud fe repofe ' ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne
, ont été fur tout remarquées : l'exécution
entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Mufique.
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'onjouoit Blaife & Babet .
Les ballons font du nombre des fpectacles
dont jouira M. le Comte de Haga, Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 173)
+
huit jours dans leur Aeroftat. La grande
Montgolfiere eft commandée pour le 22. Elle
fera conduite par M. Pilaftre de Rozier qui
fe promet de faire beaucoup de chemin' ;
cette immenfe machine étant reftée l'autre
jour près des heures en l'air , dans la derniere
expérience faite à huis clos , & quoiqu'elle
fut retenue par des cordes.
L'enthoufiafme pour ces aeroftats , trèsaffoupi
depuis quelque temps , reçoit une
nouvelle fecouffe en ce moment. Voici ce
qu'on écrit de Dijon le 12 Juin.
Je me hâte de vous annoncer la réuffite de
notre feconde expérience aéroftatique : le ballon
eft parti aujourd'hui à fept heures un quart , par
le plus beau tems du monde , dirigé par M. de
More
pres & de Virely ( Préfident à notre Chambre
des je dis dirige , parce que malgré la
foibleffe des moyens qu'on accufoit M. de
Morveau d'employer , & malgré tous les farcafmes
des incrédules , ces Melfieurs ont réellement dirigé ;
ils ont plané très - long- tems fur la Ville & fur
les environs , à une très- petite élévation , contre
de courant du yent ; ils le font abaiffés deux fois
à :erre à volonté , ils font remontés aux aftres où
nous les avons perdus de vue.
Nous venons d'apprendre que ces Meffieurs
font defcendus à dix heures environ à trois lieues
d'ici , après avoir fait toutes leurs évolutions.
Voilà certainement une grande oeuvre , fi
tant eft que ces Meffieurs aient avancé horifontalement
contre le vent. Les incrédules en
dourent beaucoup ; quant au moyen de
s'abaiffer & de monter à volonté , il n'eft
h 4
( 1761)
pas contéfté. Au refte nous aurons de plus
grandes certitudes dans 3 ou 4 jours , lorfque
le rapport de M. de Morveau , qu'on
nous promet , nous fera parvenu .
Jufqu'alors les douteurs demanderont à
Meffieurs de Dijon , pourquoi avec leur
moyen de direction , ils ne font pas venus
dîner à Dijon , au lieu de defcendre à trois
lieues , dans un mauvais village.
Puifque nous en fommes aux Ballons , on
nous accuferoit de trop d'indifférence , fi
nous ne parlions pas de celui de Lyon , lancé
en préfence du Roi de Suede . Il enleva
le Conftructeur & Madame Tible Lyonoife,
au moment que la derniere corde fut coupée
par le Comte de Haga , cette femme
hardie déploya , en s'envolant , un Drapeau
aux Armes de France & de Suede : elle ne
refta que 4 minutes en l'air , traverfa les deux
rivieres , & fut tomber à 3 lieues de fon
départ.
On nous permettra quelques doutes fur
Ja velocité de ce trajet. 3 lieues en 4 minutes
C'eft une diligence bien extraordinaire. Les
rapports au fujet de quelques expériences
récentes , ont appris à fe défier des récits des
entrepreneurs & & des témoins eux- mêmes.
Ces jours derniers , on a
arrêta aux Italiens un
homme qui s'amufoit à voler les dragonnes , au
moment qu'il coupoit celle de M. Changran. Il
avoit un habit bleu avec un bouton blanc ,
chargé d'une fleur- de- lys , & un ruban noir à la
boutonniere.
#
( 177 )
Quelques accidens arrivés récemment
ont donné lieu à un difcours fur . la
vente libre des poilons , prononcé par M.
Macors , Apothicaire de Lyon , en préfence .
du Corps Municipal. Dans l'examen d'une
caufe affreufe , où une dofe d'arfenic , imprudemment
vendue avec de la caffonade ,
avoit failli conduire un pere de famille à
l'échaffaud , l'un de nos écrivains les plus éloquens
, M. Servan , préfenta des obfervations
énergiques fur l'infuffifance des réglemens
relatifs à la vente des poiſons . Les
Marchands , dit- il , n'en vendront pas moins
leurs drogues impunément , & les plieront au
befoin dans une feuille de l'Edit. M. Macors
a développé ces inconvéniens en citoyen
plein d'humanité & de fageffe . Comme on
ne fauroit trop ramener l'attention fugitive
du public fur un objet auffi effentiel , nous
confignons ici un précis de ce difcours intéreifant.
De toutes les marchandifes qui fe vendent dans
le commerce , il n'en eft fans doute aucune à
laquelle on dût preferire plus de bornes qu'à la
vente des poifons.
Le danger journalier auquel on eft exposé nonfeulement
par la facilité qu'on a de fe les procurer
, mais encore par le défordre qui regne
dans
les magafins des Marchands auxquels ils font
confiés , par leur impéritie ou lear inadvertance ,
n'a pu être détourné par les réglemens les plus
févéres & les plus fages. Les abus les plus dangereux
fe font maintenus , multipliés même ,
hs !
( 178 )
t
3
2
malgré une infinité d'Ordonnances dont le but
étoit cependant de les prévenir.
Dans tous les tems , dans tous les fiecles la
liberté abfolue de la vente des poifons a été funefte
à des milliers de familles ; dans tous les tems
auffi le Gouvernement s'eft occupé du foin d'y
remédier ; mais malgré les efforts , les effers les
plus terribles n'ont été que trop malheureufement
la fuite de fa confiance a penfer que fa
furveillance fuffifoit pour les prévenir.
Comme les fubftances minérales qui conftituent
les poifons dont il est queſtion font d'une
néceffité indifpenfable dans les arts , il n'eft pas
poffible de les profcrire entiérement . Si la chofe
eût pu fe faire , il eût été bien facile fans doute
d'arrêter tous les défordres qu'ils peuvent jeter
dans la fociété ; mais nos connoiffances ne nous.
ayant pas encore montré qu'il nous fût poffible
de les remplacer pardes objets moins dangereux ,
ce moyen n'a donc pu mi ne peut être employé , &
Conféquemment la vente de ces minéraux eft
devenue & eft encore néceffaire & indifpenfable.
Sous le Regne de Louis XIV , il etoit permis ,
comme il l'eft encore de nos jours , aux Marchands
Epiciers Droguistes de tenir & vendre ces
vénéfices; mais avec des réferves qui jettent
les débitans dans des entraves trop pénible pour
que la loi ne foit pas bientôt oubliée. V. IQrdonnancede
1682 , art: 7 & 8.
Je ne fuis pas le premier à fentir tous les dangers
attachés à la vente des poifons ; mais peu
ont ofé élever la voix pour démontrer que la
vente libre de toute fubftance venéneufe eft
l'un des plus terribles maux qui accablent
l'humanité. On ne peut , fans friffonner , fonY
179
2
7
a er à tous les crimes auxquels elle a dans tous
les tems donné lieu. En effet , les malfaiteurs
avec un peu d'argent , peuvent fans entraves fe
munir des moyens d'exécuter leur abominable
complot. Le poifon eft indiftinctement dans toutes
les mains , & rien n'eft plus facile que de s'en
procurer de toute efpece .
Cet objet n'eft point encore le moins effrayant
des dangers qui résultent de la liberté de la vente
des poitons ; mon deffein n'eft point de porter la
terreur dans l'efprit de perfonne ; mais combien
de coupables qui feroient reftés integres fans la
dangereufe facilité avec laquelle un homme ,
dans un inftant de délire , peut fe procurer ce
qu'il lui faut pour affouvir une paffion dont il
eût pu fe rendre maître , fi le moindre obftacle
lui eut donné le tems de rentrer en luimême.
Je ne craindrois pas de mettre dans le plus
grand jour les juftes conféquences que l'on doit
tirer du dépôt qu'on laiffe indiftin&tement chez
tous les Epiciers : comment feroit -il poffible que
les Réglemens foient obfervés par des Marchands
qui ne font guidés que par le defir du gain ;
je parle ici du général , & je fuis fort éloigné
de douter qu'il n'y en ait parmi eux d'allez
inftruits & d'affez honnêtes pour favoir apprécier
Ice qu'ils doivent à leur confcience & à l'Etat.
Cependant , j'ofe le dire , le plus grand nombre
de ces Marchands , ceux qui vendent fur- tout au
détail , femblent ignorer qu'il exifte des Réglemens
fur la vente des poifons , un coup d'oeil
fuffit pour s'en convaincre , & porter l'effroi
dans le coeur de toute perfonne capable de fentir
la conféquence du défordre qui regne chez
eux le verd- de-gris eft expofé fur leurs bouti
h 6
( 180 )
ques , en vente à côté du fromage ; ſouvent
même fur la même place , la caffonade eft à côté
de la cérufe , &c.
Si l'oeil des magiftrats pouvoit pénétrer dans
ces magalns , où les poiſons font indiftin &ement
mêlés avec les épiceries qui entrent dans nos
alimens , dans ces magafins où prefque tout eft
à découvert , où fans la moindre précaution , ces
mêmes peifons font pilés & tamifés ; fans faire
attention à la vapeur meurtriere qui s'en éleve ,
& va fe dépoſer fur les chofes dont nous faifons un
ufage journalier. Si , dis-je , les Magiftrats pouvoient
feulement foupçonner que l'on portat f
peu d'attention à des objets d'auffi grande con- ↓
féquences il y a long-tems fans doute que l'on
auroit banni de ces magafins toutes ces fubftances
meurtrieres , & qu'on auroit fait dans chaque
Ville un dépôt particulier.
On fait que le Gouvernement a fupprimé les
balances de cuivre chez les débitans de tabac , à
cauſe du verd- de- gris qui pourroit s'y former:
pourquoi n'efpérerions - nous pas que le Miniftre
qui ne ceffe de nous donner des preuves de la
bienveillance , ne fupprimât le verd- de- gris en
fubftance dés magaſins où il eft pefé dans la même D
balance que le poivre , le fucre , le café , &c.
Cette fuppreffion qui néceffiteroit celle de toutes
Jes fubftances minerales qui , comme le verd- degris
, portent avec elles la fatalité de nuire à la
vie des hommes , ne peut donc fe faire qu'en
faveur d'un entrepôt général de tous ces objets
dans un même lieu pour chaque ville , & dans
lequel on ne tiendroit que des marchandifes de 12
cette qualité.
Perfonne n'ignore encore que la plupart des
Epiciers , fans en connoître toute la conféquen
( 180 ) )
>
e, préparent & vendent , pour raccommoder
les vins gâtés , des poudres qui contiennent fout
vent de la litharge & d'autres matieres auffi nuifibles
, c'eft dans les grandes villes fur- tout qu'on
s'apperçoit le plus des funeftes effets de cette
fraude , qu'on ne doit cependant attribuer qu'à
l'impéritie des Marchands qui les débitent . On
fait encore que pour prévenir les effets dange
reux de ces fortes de mixtions tous les Parle
mens ont rendu différens Arrêts ; celui de Nancy
particuliérement en a rendu un le 3 Août 1782 ,
qui ordonne que toutes mixtions de plomb , litharge
, & c. dans le vin , à quelques fins que ce
puifle être , feront réputées au nombre des peifons
capables de procurer la mort précipitée ou
lente & que ceux qui auront pratiqué telles
mixtions , leurs complices , participants ou adhérants
, ceux même qui auront diftribué au public
des vins ou vinaigres ainfi préparés , feront réputés
empoisonneurs , ou comme tels pourfuivis
extraordinairement , & punis felon la rigueur des
Joix.
Comme il ne fuffit pas feulement d'éloigner les
effets qui proviennent du défordre dans la vente
des poifons , l'inftitution de cet entrepôt que je
propofe doit être telle que les malfaiteurs qui
voudroient fe procurer des vénéfices , ne le puiffent
en aucune maniere en conféquence nous
établirions , je fuppofe ,
Que l'entrepôt général des poifons utiles aux
arts & au commerce feroit fait dans un endroit
aéré , & dirigé par un Infpecteur qui für appré
cier la qualité des marchandifes qui y feroient
enfermées ;
Qu'il y feroit tenu un regiftre ouvert où fe
roient écrits , par date de jour , la qualité & la ,"
quantité des marchandifes vendues , ainfi que da
nom de l'acheteur ;
( 182
Que l'Inspecteur feroit tenu , à la fermeture
de fon magafin , qui fe feroit à fix heures du foir
en hiver , & à huit heures en été , de faire
porter chez M. le Lieutenant Criminel & chez
M. le Lieutenant de Police , une copie journaliere
de fa vente , ainſi que du nom & de la demeure
de l'acheteur ;
Que les Apothicaires feroient feuls chargés de
la compofition , vente & diftribution des émétiqués
, & de toutes les préparations antimohiales
;
Qu'il feroit défendu à tout Apothicaire de donher
aucune préparation os plante vénéneuſe ,
telles que la ciguë , l'opium brut , l'opium préparé
, le laudanum , l'aconit & fon extrait , le
Atramonium , & c. fans une ordonnance du Médecin
du lieu , & c . & c . & c .
A fes nombreuſes expériences fur l'électricité
, M. l'Abbé Bertholon , Profeffeur de
Phyfique expérimentale , en a joint une nouvelle
digne d'être rapportée.
Ayant fait un petit aéroftat en baudruche ,
rempli d'air atmosphérique , il l'a fixé à l'extremité
d'un fil qu'il retenoit avec la main par
l'autre bout. Dans cet état , le petit globe aéroftatique
, préfenté à une certaine distance audeffous
du conducteur d'une machiné éleЯrique ,
s'eft élevé vers le conducteur par un effet de l'attraction
électrique . Lorfqu'on retenoit le fil ,
l'aéroftat reftoit fu pendu en l'air , en proie à
deux forces oppofées qui fe contrebalançoient ;
fi on lâchoit le fil , il montoit , & fon elévation
étolt proportionnelle à la longueur du fil
qu'on déployoit , jufqu'à ce qu'enfin il fûten
contact avec le conducteur . En rentrant le fil ,
on éprouvoit bien fenfiblement la force attrac(
183 )
ative de l'électricité fur l'aéroftat , qui de nouveau
refloit en ftation , ou s'élevoit fucceffivement
, comme dans les premieres expériences .
Notre Phyficien en conclut avec raifons.comme
il l'a prouvé dans plufieurs ouvrages , que
l'électricité qui regne dans l'atmosphere exerce
ſon attraction fur tous les corps légers , tels que
les vapeurs & les exhalaifens qui s'échappent de
la terré ; & fpécialement fur les globes aéroftatiques
, qu'elle eft. feule capable de produire
cet effet , ainsi qu'il paroît par l'expérience précédente
, où nulle autre caufene concourt ,
puifque le petit globe aéroftatique n'eft point
rempli d'air inflammable ni d'air raréfié par la
chaleur ; mais d'air atmoſphérique. Dans l'élévation
ordinaire des aréoſtats , où l'on a recours
à l'une de ces deux caufes , l'élévation eft un
effet composé de l'attraction électrique & de la
différence des gravités fpécifiques du fluide
contenu , & de celui qui eft ambiant.
Table des Matières , ou Précis par ordre alphabétique
de la Gazette de France de l'année 1782 .
Cette Table , qui a paru pour la première fois en
1762 , & qui fe donne tous les ans , eft trèsutile
même pour les perfonnes qui ne font
point de Colle &ion des volumes de la Gazette
de France. En 1776 , on y a joint un Index de
tous les noms françois mentionnés dans la Gazetre
de l'année , au moyen duquel il n'eft point
d'évènemens rapportés fur quelque particulier
du Royaume , que l'on ne puiffe facilement retrouver.
La T ble & l'Index le trouvent chez
les Directeurs des deux Bureaux de la Gazette ,
qui débitent auffi l'Abrégé des cent trente - cinq
premiers volumes in - 4 ·
DE BRUXELLES , le 22 Juin .
Jufqu'ici on n'avoit pas eu connoiffance ,
184
Z
ni même parlé d'aucun Mémoire , qui eût
accompagné les demandes de l'Empereur aux
Etats Généraux. Ce Mémoire cependant a
été remis fimultanément aux Plénpotentiaires
de la République par M. de Comte
de Belgiojofo cidevant Ambaſſadeur
Impérial à Londres , aujourd'hui Miniftre
Plénipotentiaire de Sa Majefté dans nos
Provinces. Cer Ecrit jettant un grand jour
fur la nature des négociations qui vont fuivre
, il eft important de le connoître. Il eſt
conçu dans les termes fuivans :
Le Plénipotentiaire de l'Empereur enrame ,
avec autant de plaifir que de confiance , une négociation
, dont conformément aux intentions de
S. M. , confignées dans un Mémoire que le Gouvernement-
général a remis à M. le Baron de
Hop le 12 Novembre 1783 , & confirmées encore
par la teneur du plein - pouvoir de S. M. , l'objet
porte fur l'établiffement & le raffermiffement
d'une amitié fincere , durable & inviolable entre
1'Empereur & la République. S. M. étant véritablement
animée de ce defir , il fera la base &
l'objet de la conduite & des procédés de fon Plénipotentiaire
dans cette négociation ; & il ne fait
point de doute , que L. H. P. ayant , comme elles
l'ont exprimé en tant d'occafions , l'intention de
marquerleur attachement à S. M. , le prix qu'ellès
mettent à fon amitié , à fa bienveillance , & le
defir fincere de vivre en bonne intelligence avec
elle , ce ne foit- là auffi la bafe des inftructions de
leurs Plénipotentiaires ; & que ces MM. ne répondent
d'ailleurs par leur inclination & leur concours
perfonnel , à la franchife , & aux facilités qu'apportera
le Plénipotentiaire de l'Empereur dans
( 185 )
tout ce qui pourra concerner un ouvrage , qui
fera auffi agréable à S. M. , qu'intéreffant pour la
République , & qui fera exifter un nouvel état
plein d'agrémens & de fatisfaction réciproque ,
affis fur le fondement folide d'une confiance inébranlable
& mutuellement fans bornes. Dans
cette vue , le Plénipotentiaire de l'Empereur regardera
comme conforme aux intentions & aux
fentimens des Souverains refpectifs , d'abréger
autant que poffible les formes & les détails ; de
dégager la négociation du ton de difcuffion , qui
n'eft pas convenable , ni fait pour un ouvrage
de conciliation entre deux Etats , qui de bonnefoi
ont réſolu de s'entendre pour toujours ; & de
conduire la marche & la forme de négociation
d'après ce que dicte le defir réciproque & les
vues qui y ont donné lieu . Il eft dans la confiance
que MM. les Plénipotentiaires agiront de
leur côté dans le même efprit & d'après les mêmes
principes , & il fe félicitera avec eux d'avoir pu
concourir à donner à cette négociation une fin.
heureufe , en employant à cet effet les feules
voies qui foient faites pour réuffir , & qui conviennent
autant aux fentimens & à l'intérêt de
la République , qu'à la dignité & aux principes
de S..M...
1 Pour ne pas différer de donner à MM . les Plénipotentiaires
de L. H. P. connoiffance des droits
& prétentions que l'Empereur réclame , fon Plénipotentiaire
a l'honneur de leur remettre ci-joint
un Ecrit , ayant pour titre : Tableau Sommaire
& qui indique ces mêmes droits & prétentions :
On le promet du côté de S. M. , que la réponfe
qui y fera faite , confirmera la confiance où elle
eft fur l'équité & la juftice de L. H. P. Fait à
Bruxelles , le 4 Mai 1784.
Il s'eft répandu qu'à l'exemple des Hollan
( 18 )
dois , notre Gouvernement alloit faire márcher
des troupes fur les frontieres : jufqu'ici
ce, rapport eft dénué d'authenticité. Au refte
les inconvéniens de cette digence des Hol
Jandois à renforcer les garnifons de leurs
frontieres , n'ont point échapé au Prince
Stathouder. On lui a reproché d'avoir at
tenda une réfolution des Etats de Hollande ,
pour mettre les troupes en mouvement , il
vient de fe juftifier de ce délai dans une Lettre
aux Etats, où il expofe les confidérations
& les démarches fuivantes.
Nous avons cru devoir préfumer que l'inten
tion de L. H. P, éroit de prévenir tout ce qui
'pourroit quelque
donner Bruxe
mécontentement au
Gouvernement de Bruxelles , & qu'ainsi l'ordre
de faire marcher beaucoup de troupes vers les
frontieres pourroit donner ombrage, que fi , fans
'avoir reçu d'ordre ultérieur nous y faifions beau,
coup de mouvemens , nous pourrions êre confidérés
comme avoir provoqué la guerre avec
S. M. I. , n'ignorant pas fur-tout les bruits défa
vantageux qui couroient à notre égard fur ce
fujet , & que l'on mettoit à notre charge d'avoit
envoyé un ordre fecret au Lieutenant Colonel
de Schweinitz de chercher occafion à quelqué
› différend avec le Gouvernement de Bruxelles
en faifant enterrer quelqu'un de la garniſon de
Liefkenshoek dans le village de Doel , avec les
honneurs militaires : ce qui nous rendoit d'autant
plus circonspect à rien prendre en ceci fur nous ,
ou à faire quelque démarche qui pût donner lieu
a des mal-intentionnés de renouveller les bruits ,
& de répandre que nous tâchions d'engager la
République dans une guerre , par des vues qui、
( 187 ).
ne s'accordent point avec les intérêts de l'Etat.
Nous avons principalement craint d'envoyer
un grand nombre de troupes dans la Flandre Hollandoife
, fans une réquifition exprelle de L. H.P.
vû que les troupes qu'on y'envoie , peuvent être
Confidérées comme coupées ou féparées , ne pouvant
y être tranfportées autrement que par eau ,
par le manque de communication entre la Flandre
& le Brabant Hollandois par terre , fans paffer fur
le territoire de S. M. I. ; & notre crainte a encore
augmenté , lorfque nous avons réfléchi à l'infalubrité
de ces places de garnifon , d'autant qu'on a
*peu de fervices à attendre des troupes qui féjournent
pendant l'été & l'arriere -faifon dans lefdites
places , fur tout lorfque l'été eft fec & chaud ,
ayant befoin d'un long temps pour le remettre
des maladies auxquelles elles font expofees .
Telles font les raifons qui nous ont engagés à
ne pas faire marcher plus de troupes , & en particulier
dans la Flandre Hollandoife , avant da
Réfolution ultérieure de L. H. P. , du 7 du préfent
: à quoi nous pouvons encore ajouter , que
nous avons confidéré que fi les navires de tranfport
fe trouvoient prêts , les troupes que l'on
trouveroit bon d'y envoyer pourroient être
promptement tranfportées ; que les forces de
P'Etat ont déja été augmentées dans la Flandre
Hollandoife de 4 Bataillons dont 1 à Hulft , 1 au
Sas de Gand , à Axel & 1 à Philippine , &
que dès que tous les arrangemens nécellaires auront
été pris , quelques autres Bataillons s'y rendront
encore , s'il arrive que les circonftancès
Pexigent.
Au milieu de ces dangereufes difcuffions .
celle qui concerne le Duc de Brunſwick
agite de nouveau les différens partis. Lie
( 188 )
7
Feld Maréchal s'eft vu dans la néceffité de
publier un expofé hiſtorique & juftificatif,
au fujet de l'acte entre le Prince fon neveu
& lui , dont nous avons rendu compte . Le
Duc de Brunfwick écrit au Stathouder à ce
fujet dans les termes fuivans : 7
Pai été ,, comme de
attaques
publiques
qu'on a fait depuis long tems
à mon honneur
& à ma réputation
, & d'avoir été
depuis quelque
tems continuellement
exposé
aux plus atroces
calomnies
; auffi long- tems
qu'on ne produifit
rien de fpécifique
à ma
charge.
oon
, très
- fenfible
aux
J'aurois tranquillement perfifté dans cette réfolution
, fi depuis quelques femaines on n'avoit
pas trouvé à propos de m'attaquer particuliére .
ment fur le contenu & l'exiſtence d'un acte qui a
été paffé entre Votre Alteffe & moi le 3 Mai
1766.023
>
Etant d'une notoriété publique juſqu'à quel
point on pouffe les infinuations malicieuſes contre
moi r tant par rapport à l'exiftence de cet acte
que par rapport à fon contenu , & combien on
tâche de me rendre fufpect aux yeux du public,
en m'attribuant les deffeins les plus finiftres ,
il
m'a paru que pour la confervation & pour la défenfe
de mon honneur & réputation , j'étois indifpenfablement
obligé de produire & de publier
aux yeux de l'univers entier cet acte ; & je ferois
par conféquent d'intention de le donner en
fon entier aux yeux du public , en y ajoutant un
court expofe , tel que je prends la liberté de le
préfenter ci - joint à V.A.
Mais confidérant que cet acte eft un inftrument
dans lequel V. A. paroît comme haut contractant,
& que par confequent il dépend de la bon
( 189 )
2
ne volonté de V. A. , fifofe rendre public cet
ace , je prends la libertéde folliciter pour cet ef
fet la haute approbation & le gracieux confentement
de V. A. , en la fuppliant très - humblement
de vouloir avoir la grace de me faire favoir les intentions
à cet égard.
Le parti Ariftocratique vient de perdre un
de fes plus ardens défenfeurs , le Baron de
Capelle de Poll. Il eft mort à Zwoll , d'une
fievre rhumatifmale , à l'âge de 48 ans. Les
écrits & les difcours de ce Seigneur font
connus de tous ceux qui ont donné quelqu'attention
aux affaires de la Hollande. Les
uns le regrettent comme le plus ferme appui
de la liberté nationale ; les autres le regardent
comme un difcoureur incendiaire ,
infiniment dangereux pour le repos public.
Tels font les jugemens ordinaires des fac-.
tions : ce n'eft pas d'après leur organe qu'on
peut apprécier le mérite ou le démérite réels
des Acteurs qui les ont fervies ou contrariées.
Le Baron de Capelle avoit été
Chambellan du Stathouder , & introduit
par les recommandations de ce Prince dans
le corps des Nobles d'Overyffel.
On n'a point perdu le fouvenir des fcenes
populaires qui précéderent en 1747 le rétabliffement
du Stathouderat. On fait encore
qu'en plufieurs villes de la Hollande & des
autres Provinces , il s'eft formé des Compagnies
de Volontaires armés fous l'autorité
des Régences. A Rotterdam , le Peuple & le
Gouvernement ayant vu cette inftitution de
( 192 )
Miftrefs Siddons , à ce qu'on mande d'Edimbourg
, a exalté les têtes écoloifes comme les
nôtres, La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en fe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le ſpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures & demie. La perte des chapeaux ;
des cannes , des ſouliers même a été le moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été complettement fiddonifé.
Miftrefs Farmer de New-Yorc a préſenté à
l'affemblée de cette province un excellent portrait
original de Chriftophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eftimable préfent avec reconnoiffance ,
& l'a fait placer dans la falle d'affemblée.
Un Officier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique, forti de fa patrie pour une affaire
d'honneur , d'une heureufe phyfionomie , jeune ,
& ayant des talens pour le Génie , fe trouvoit à
Amfterdam , fans reffource , & projettoit de paffer
en Pruffe. Ne recevant de fecours ni de fa
famille , ni de perfonne , il s'eft caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amfterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreffe d'une de fes parentes , il avoit écrit ces
deux vers de Mérope :
Quand on a tour perdu , quand on n'a plus d'eſpoir ,
La vie est un opprobre , & la mort un devoir,
Dans une fituation pareille , ces citations de vers fi
communes dans les fuicides françois font tellement
forcées qu'elles font foupçonner plus d'exaltation
dans la tête du mort que de défefpoir dans fon ame.
Cet Officier , dit-on , eft Lorrain , & fe nomme
de Montluifant.
ERRATA pour le dernier N°. , Pag. 114 , 100 fuf
frages de donnés , en tout plus de 120000 ; lifez ,
1000fuffrages , & en tout plus de 12000.
( 191 )
1
extérieure ou autrement ; interdifant tout attroupement
quelconque dans les rues , devant les mailons
, &c . à peine que ceux qui feront pris fur
le fait , ou convaincus d'avoir contrevenu à la
préfente publication , feront punis comme pers
turbateurs du repos public & féditieux , felon les
loix & placards du pays , comme il fera trouvé
convenir.
Et comme le vénérable Magiftsat feroit ext rêmement
mortifié qu'il arrivât aux bons habitans
& bourgeois de cette Ville aucuns dommages &
malheurs , il engage & conteille à tous coux
qui par état ne font point obligés de le mêler de
des mouvemens tumultueux de le tenir chez eux
avec leur famille , afin d'éviter tous accidens qui
pourroient leur arriver.
Mais comme il importe à la juftice , pour le
maintien du bon ordre , que les chefs & auteurs
de ces troubles foient découverts , la Régence de
cette Ville promet une prime de rooo florins à
quiconque pourra les dénoncer de maniere à ce
qu'ils foient mis entre les mains de la justice , &
convaincus du fait , le nom du dénonciateur ref
tant fous le fecret s'il l'exige. Ainft arrêté à
Leyde le ro Juin 1784 , lu & affiché ledit jour, &c.
& c. & c.
Le contre - Amiral de Kingsbergen eft
chargé du commandement de l'efcadre deftinée
à relever dans la Méditerranée celle du
Vice-Amiral Reynft , mife hors de fervice
par les tempêtes.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL,
Les réfolutions prifes à Dublin ont donné lieu ,
-dit-on , à un comité chez M. Pitt , & à l'iffue
duquel on a expédié un courier au Duc de Rutland
.
( 192 )
Miftrefs Siddons , à ce qu'on mande d'Edin
bourg , a exalté les têtes écoffoifes comme les
nôtres. La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en ſe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le fpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures & demie. La perte des chapeaux ;
des cannes , des fouliers même a été le moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été contplettement fiddonifé.
Miftrefs Farmer de New- Yorc a préfenté à
l'affemblée de cette province un excellent portrait
original de Chriftophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eftimable préfent avec reconnoiffance ,
& l'a fait placer dans la falle d'affemblée.
Un Officier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique, forti de fa patrie pour une affaire
d'honneur , d'une heureufe phyfionomie , jeune ,
& ayant des talens pour le Génie , fe trouvoit à
Amfterdam , fans reffource , & projettoit de paffer
en Pruffe. Ne recevant de fecours ni de fa
famille , ni de perfonne , il s'eft caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amfterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreffe d'une de fes parentes , il avoit écrit ces
deux vers de Měrope :
Quand on a tour perdu , quand on n'a plus d'eſpoir ,
La vie est un opprobre , & la mort un devoir,
Dans une fituation pareille , ces citations de vers fi
communes dans les fuicides françois font tellement
forcées qu'elles font foupçonner plus d'exaltation
dans la tête du mort que de défefpoir dans ſon ame.
Cer Officier , dit-on , eft Lorrain , & fe nomme
de Montluifant.
ERRATA pour le dernier No. , Pag. 114 , 100 fuffrages
de donnés , en tout plus de 120000
BLEE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENAN †
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres , les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c . &c .
SAMEDI 5 JUIN 1784.
THEUTE
DU
PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de
rue des Poitevins .
"Avec Approbation & Brevet du Roi,
STOR
LIM
TABLE
Du mois de Mai 1784.
PIÈCES
FUGITIVES.
Madrigal ,
Quatrain ,
Eloge des Brunes
A Pauline ,
Romance ,
18
des Tribunaux ,
Sermons fur l'Aumône ,
Fragment de Xénophon , 10
ib. Etrennes Lyriques ,
49
Le Roi , fon Fils & l'Efclave,
Fable ,
Epire fur l'Ambition
55
Cécilia, Troisième Extrait, 103
Doutes fur différentes Opi-
120
124
151
Couplets à Mile Warefcot, 99 Hiftoire Naturelle des Oi-
52
nions ,
Etrennes du Parnaſſe ,
97
Galatee ,
A Madame de Meulan , 145 feaux ,
A M. Pujos 146 Nécrologie ,
A Madame *** ib.
Regrets d'une Mère ,
SPECTACLES
209
68
147 Concert Spirituel , 21 220 •
Epitre au Prince Ferdinand Acad . Koy. de Mufique , 23 ,
d'Autriche, 193
196
73 , 31 , 171
179
La Fauffe Rivalité , Ancc Comédie Françoife , 33 , 78 ,
dotę,
Charades , Enigmes & Logo Comédie Italienne , 36 , 182 ,
gryphes, 6 , 54 , 101 , 149,
208 Variétés ,
200
39,2-5
NOUVELLES LITTÉR. Annonces & Norices , 40 , 94 .
Efais fur l'Hiftoire Générale 136, 185 , 237
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Cône.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDIS JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES .
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à M.
Nous voici , cher M *** , dans des tranfes
cruelles ,
Je frémis d'y penfer ; nous allons déformais
Reflentir les dégoûts , les langueurs de la paix ,
Et nous fommes réduits à vivre fans nouvelles.
On voit dans tous les ports défarmer les vaiffeaux ,
Le commerce reprend fa bénigne influence ;
L'heureux Américain , fier de l'indépendance ,
A fe donner des Loix confacre fon repas ;
唇
Bouillé cède aux Anglois fa plus belle conquête ;
A de hafards plus doux la Fayette s'apprête ,
Rochambeau , Saint-Simon , Viomefuil , Buffy ,
Le favant Chatellux , du Portail & Fleury ,
Dès long tems d'Yorck-Town ont quitté les murailles,
Et ces Chefs renommés paroiffent à Verfailles.
A ij
4
MERCURE
Hood , Lord Howe & Rodney , fi fouvent enviés ,
De leurs concitoyens vivent prefqu'oubliés ;
Franklin , dont les fuccès ont couronné l'ouvrage ,
Voit à fes grands talens l'Europe rendre hommage ;
L'immortel Wafington , rendu dans les foyers ,
Aux champs qu'il a fauvés voit croître fes lauriers ,
Tant de fois couronné des mains de la Victoire ,
Suffren , près de fon Roi , vient jouir de ſa gloire.
DANS ce calme , où chercher un remède à l'ennui ?
Dans nos nombreux Papiers que trouver aujourd'hui ?
Leur longueur triftement fe borne à nous apprendre
Que Catane a péri , que Meffine eft en cendre ,
Qu'on voit renouveler les fureurs de l'Ethna ,
Que l'air eft obfcurci des vapeurs de l'Hécla ,
Qu'une Ifle fort des eaux par les feux dévorée ,
Que Bizance à la pefte eft fans ceffe livrée ,
Que la grêle détruit l'espoir de nos moiſſons ,
Que des torrens affreux ravagent nos vallons ,
Que la flamme défole ou nos bourgs ou nos villes ;
Enfin , pour achever fes articles ftériles ,
Le Courier de l'Europe ofe nous raconter
Qu'à Londres on veut prouver qu'à préfent fans obftacle,
A volonté fous l'eau nous pouvons habiter ,
Tandis que tout Paris voit un autre ſpectacle.
Un . Dédale nouveau part & monte à ſon gré ,
Fait fans rifque dans l'air une courfe rapide ,
¥ fuit avec fon char un chemin ignoré ,
DE FRANCE. SY
Reparoît & détruit le préjugé timide .
Jugeant qu'on ne croit guère à ces beaux rêves -là ,
Le Gazetier recourt à Francfort , à Cologne ,
Aux débats éternels des Diètes de Pologue ,
Et nous inftruit des deuils & des Cours en gala.
OU SONT ces temps heureux où l'Europe alarmée
Vous mettoit en commerce avec la Renommée ?
Pour publier au loin les plus rares exploits ,
Cette agile Déeffe empruntoit votre voix ;
On voyoit fur vos pas même les élégantes ,
Lorfqu'ouvrant les billers du fage d'Ar....,
Vous répandiez le bruit des conquêtes brillantes
D'Hayder-Kan , de Crillon , Galvès & Cordova.
Vous échappiez à peine à la gloire importune ,
Et votre gloire enfin nous devenoit commune .
Auprès de vous grouppés , marchans, à l'ombre aflis,
Nous attitions fur nous les regards de Paris.
Que les temps font changés ! quelle eft notre exiſtence !
Nous gémiffons en vain de notre oifiveté ,
Nous rentrons à jamais dans notre obſcurité ,
Et la paix nous ravit toute notre importance .
Quand l'injufte fortune acharnée envers nous ,
D'un revers accablant nous fait fentir les coups ,
Il nous importe bien qu'avec fon ministère
Louis foit occupé des deftins de la terre ,
Que fes bienfaits verfés en mille endroits divers ,
Eternifent fon nom cher à tout l'Univers ;
De les heureux Sujets que la reconnoiffance
T
I
A ij
6 MERCURE
Soit le plus beau tribut qui flatte fa puiffance.
Son Royaume à fes foins doit fa prospérité ,
Cela nous fauve -t'il de notre nullité ?
Pouvons- nous échapper à cette indifférence
Que le Public ingrat marque à notre exiſtence ?
Pour obtenir encor part à fon entretien ,
Courons voir le foleil fur le Méridien ,
Au jardin donner l'heure , agacer S *** ;
Après l'habit d'été montrer l'habit d'automne ,
Annoncer i le temps eft chaud , froid , laid ou beau ,
Combiner au café les dez d'un domino ....
Mais déjà l'on entend la Difcorde fatale ,
S'élançant à grands cris de la voûte infernale ,
Donner dans l'Orient le fignal des combats ,
Et Bellone en fureur va marcher fur les pas.
Quel plaifir , cher M *** , cet eſpoir nous inſpire !
Quel fpectacle frappant! la chûte d'un Empire ,
Des fiéges , des affauts , quels grands événemens
Vont fervir de matière à nos amuſemens ?
Sur les bords du Danube , aux champs de la Crimée,
On ne verra bientô: que fang & que famée ,
Et le Nord ébranlé va choquer le Midi ;
Achmet dans fon Sérail de frayeur eft faifi,
Trop vaine illufion ! aux rives du Boſphere
Louis prend la défenfe & négocie encore.
Ah ! que deviendrons nous , fi ce Roi tout- puiſſant
Pacific à ſon tour 1 Empire du Croiffant ?
(Par une Société de Nouvelliftes.)
DE FRANCE.
7
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Baldaquin ;
celui de l'Enigme eft Château ; celui du Logogryphe
et Pair , dont , en ôtant le
rekte air.
CHARA D E.
LORSQUE l'Hymen , en caprices fécond ,
Joint l'époufe méchante à l'époux trop bonhomme ;
La femme eft mon premier , le mari mon fecond ;
Mon tout dans vos vergers eft moins gros qu'une
pomme.
MON
( Par M. le Marquis de Fulvy. ),
ÉNIGM E.
ON nom doit t'être fort connu.
Vois , cherche un peu dans ta cervelle ,
Je contiens quand je fuis femelle;
Mais mâle , je fuis contena.
(Par M. Sam... )
A iv
MERCURE
LOGO GRYPH E.
LICTEUR,
■CTEUR, tu la connois ; elle eft grande , elle eſt
belle ,
Elle eut beaucoup d'éclat aux jours de fon printemps ;
Et , quoiqu'elle foit vieille , on fait que fes amans ,:
Toujours plus empreffés , voudroient régner fur elle .
Dans les quatorze pieds tout Amateur verra
Le fruit cher & tardif des amours de Sara ;
Une fête charmante où l'Hymen nous raſſemble ,
Où Plutus & l'Amour vont rarement enſemble ;
D'un jeune infortuné le frère criminel ;
D'un Poëte fublime un Ouvrage immortel ;
Un grand Saint qui toujours de chafteté fit preuve ,
Dont la vertu pourtant fat miſe à rude épreuve ;
Un corps de Citoyens , qui dans Rome autrefois
Fut le foutien du peuple & l'ennemi des Rois;
Un nom chez nous célèbre ; un fleuve ; ce grand
Homme ,
Qui d'un joug odieux voulut préferver Rome ,
Er dans l'adverfité , plus grand que fon vainqueur ,
S'eft acquis , en mourant , un immortel honneur ;
Un Empereur fameux par fa bonté propice ;
L'Écrit du Citoyen qui demande juftice ;
De l'art des Vignerons le célèbre inventeur 3
D'un peuple aimable & gai l'heureux Législateur ;
Cet Anglois vertueux , qui fut dans l'Amérique
DE FRANCE. 9
Fixer par fes bienfaits fa fecte pacifique ;
Des plaifirs les plus doux , ce fortuné féjour
D'où l'Hymen trop fouvent chaffa le tendre Amour ;
Une plaine fatale aux vainqueurs de la terre ;
L'amant trop curieux d'une beauté trop fière ;
Ce prodige d'efprit , de grâces , de beauté ,
Que fon fiècle admira , que Voltaire a chanté ;
Ce que j'ai vû fouvent ,fur le fein de Thémire.
Je ne finirois pas fi je voulois tout dire .
(Par M. Louvet. )
.
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECUEIL de quelques Ouvrages de
M. Watelet , de l'Académie Françoife &
de celle de Peinture. A Paris , chez Prault
Imprimeur du Roi , Quai des Auguſtins ,
1784. in 8°.
E Les Ouvrages qui compofent ce Recueil
font principalement dans le genre anacréontique
; la grâce & la délicateffe en font le
premier mérite ; on y trouve par - tout ce
molle atque facetum , qu'Horace attribue à
Virgile dans fes Églogues ; & on peut dire
de la plupart des détails :
Componit furtim fubfequiturque decor .
Sylvie , petit Roman Paftoral , eft tirée de
A v
19 MERCURE
l'Aminte du Taffe , & on en a tiré un Opéra
qui a réuffi . La modeftie a fans doute dicté
le jugement un peu fevère que M. Warélet
porte fur la profe poétique qu'il a employée
dans cet Ouvrage , & qui , felon lui , a preſque
toujours l'inconvénient de faire regretter
la poéfie , fans en dédommager par les ornemers
dont on cherche à parer la profe. Télémaque
& le Poëme d'Abel , cites par M.
Watelet , demandent grâce pour ce genre ;
on en peut dire autant de la Traduction de
Milton & de celle de quelques autres Poëtes .
Le Temple de Gnide , bien plus rapproché
du genre de Sylvie , forme un titre bien
puiffant en faveur de la profe poétique . On
ne peut pas dire de ce charmant petit Poëme
en profe , qu'il faffe regretter le moins du
monde la poefie ; des Poëtes , même bons ,
ont vainement effayé de l'embellir ; ils n'ont
fait que prouver que c'eſt , pour ainſi dire ,
une profe facrée , dont la poéhe même doit
respecter les beautés originales . Sylvie , dejà
imprimée en 7+ , & qui reparoît aujourd'hui
, fera un titre de plus en faveur
de ce genre ; elle offre des tableaux rians ,
d'une galanterie aimable , d'une volupté dou
ce & décente , & c'eft un fort beau ſtyle que
celui ci :
30
Les oifeaux ne chantoient point encore,
leurs plaifirs , les mortels ne recommençoient
point à fe plaindre de leurs peines ;
» rien n'annonçoit le lever de l'aurore : il
» étoit l'hemie où tout repofe , jufqu'aux
"
DE FRANCE. TI
» aman's malheurenx , lorfque , dans un ha-
» meau de l'Arcadie , la Bergère Sylvie s'é-
" veilla ; les Amours seveillèrent avec elle...
" Elle rempaffont l'Arcadie d'amans & de
> malheureux...... Elie fort , & les Grâces
qu'elle n'a point appelees , s'empreflent &
volent fur les pas. »
Componitfurtimfubfequiturque decor .
C'est un joh tableau , & bien dans la nature
innocenté & paftorale , que celui du umide
Aminte , qui aime Sylvie , qui veut parle &
entreprendre , qui s'anime en fon at fence ,
tremble & fe cache auditôt qu'elle paroit.
" Eh ! comment aurois je pu obtenir ce
que je ne lui ai jamais demande ? .... J'ai
toujours tremble devant elle .... Pourquoi
» redouter une jeune & craintive Bergère ?...
Non , non.... toure ma crainte a difparu .
Sylvie , lui dirois je.....
"
» Dans ce moment il l'apperçoit ... Dieux !
» nem'a t'elle pas entendu ? Il fe cacha auffi-
" tôt.... Tous les projets ſe bornèrent à l'ad-
» mirer & à fe taire . »
L'Oracle & Zénéïde font les deux chefd'oeuvres
de la féerie à la Comedie Françoife
, & c'étoient pour Mlle Gauffin les
deux chef- d'oeuvres du jeu thâtral . L'Auteur
de l'Oracle eft connu , celui de Zénéïde
ne l'étoit pas , du moins il ne l'étoit pas du
Public. Cet Aureur eft M Watelet . Sa Pièce
eft en profe comme l'Oracle. M. de Cahufac ,
à qui elle a été attribuée , n'a fait qu'en chan
A vj
12 MERCURE
ger
la forme & la mettre en vers , chan
gement très indifférent pour le fuccès , quois
qu'en ait penfé Cahufac. Le fuccès eft dû au
charme de la naïveté de Zénéïde , à la vivacité
d'Olinde , aux illufions de l'Amour , a
piquant des fituations , à tous ces traits de
fentiment , d'efprit & de délicateffe dont la
Pièce eft remplie , & tout cela eſt l'’Ouvrage
de M. Watelet.
Mais quelle eft l'hiftoire de ce plagiat , s'il
faut le nommer ainfi ? La voici.
"
сс
M. Watelet avoit abandonné cette Pièce à
M. de Cahufac , qui , après en avoir entendu
la lecture , la lui avoit demandée avec inftance.
« J'avois , dit l'Auteur , des raifons
pour ne pas montrer publiquement lé
goût qui me portoit dans mes premières
années à des ainufemens Littéraires ; ( &
ces raifons , connues de M. de Cahufac , furent
fans doute le fondement de fa demande )
j'avoue , continue l'Auteur , que je fentis
» auffi la curiofité d'éprouver , fans rifque ,
» les hafards de la repréſentation . Je fis ce-
ליכ
"3
pendant mes conditions. J'exigeai qu'on
me montreroit Scène à Scène la traduc-
» tion ; je demandai qu'on ne changeât point
ma fable , & fur tout que l'Ouvrage , heureux
ou malheureux , reftât anonyme. Ce
pacte , ainſi que tant d'autres plus im-
» portans , ne fut pas trop bien obfervé. On
ne me montra que la première Scène ver-
» fifiée . On l'avoit furchargée du récit d'une
' apparition de la Fée Urgande , que je
ور
وو
ود
·
DE FRANCE. 1
rayai impitoyablement . On ne me deman-
» da plus d'avis ..... En dépit de toute déli-
» cateffe d'Auteur , le père adoptif de Zé
» neïde la prit fur fon compte , fans reftric-
"
tion ; mais les amis qui é oient dans la
» confidence , furent indifcrets ..... & les
Almanachs des Théâtres apprirent au Pu
blic que j'avois eu part à cet Ouvrage ....
» Aujourd'hui je rends les vers à celui qui
» les a faits , & je donne la Pièce telle que
"
je l'ai écrite.... Je ne réclame que le petit
» mérite de l'invention , & cela , parce què
» bien certainement il m'appartient .
-
""
Ce mérite de l'invention n'eft pas le feul.
Le dialogue a bien plus de naturel & de
vérité ; les détails , les développemens , bien
plus de richeffe dans l'original que dans la
copie. Les mots même les plus précieux que
le verfificateur a confervés , ne viennent pas
auffi à propos , ne font pas auffi bien placés ,
n'ont pas le même degré de convenance , de
jufteffe , de prefteffe. L'avantage des vers ,
avantage qu'ils doivent à la contrainte même
de la meſure & de la rime , doit être de donner
plus d'éclat aux penfées , de les graver
dans la mémoire , d'obliger à mettre plus de
choix & plus de goût dans l'expreffion . L'avan
tage de la profe eft d'avoir plus de fimplicité
, de naturel , d'abandon , de reffemblèr
davantage à ce qu'elle imite , de fuivre de
plus près la Nature dans tous fes mouvemens
, dans la marche des idées & des fentimens
, mérite bien précieux dans PArt
14
MERCURE
Dramatique , fur- tout dans la Comédie.
Or , les vers de M. de Cahufac , quoiqu'en
général affez bien faits , ne nous paro :ffent pas
avoir le mérite propre aux vers, dans le même
degré où la profe de M. Watelet a le merite
dont la profe eft fufceptible. Lo fque les
deux Auteurs emploient les mêmes idées ,
l'avantage même de l'expreffion eft prefque
toujours du côté de la profe ; l'imita eur n'emploie
pas , à beaucoup près , tous les traits
heureux que fon modèle lui fournit ; & ceux
qu'il ajoute quelquefois de fon chef, font
moins effentiels à l'action , moins adaptés
au caractère du perfonnage , que tendans à'
montrer le Poëte & à provoquer les applau
diffemens.
Dès la première Scène de la Pièce en
profe , Zénéïde peint plus naïvement ſon
aimable caractère. Dans les vers , elle parle
à la Fée de fes bienfaits , mais il femble
qu'elle ne veuille qu'en avoir parlé , le trait
n'eft point placé ; il vient quand il peut &
comme il peut ; dans la profe il fort naïvement
du dialogue , comme du coeur de Zénéïde.
La Fee lui reproche d'avoir conté
toure fon hiftoire , d'avoir tout dit au jeune
inconnu qu'elle a trouvé au Bal.
ZÉN ÉID E.
1
« Mais .... mon hiftoire , n'est - ce pas vos
bienfaits ? Ah ! je me ferois reproché d'avoir
rien oublié. "
Dans la grande Scène entre Olinde & Zé
DE FRANCE.
15
néïde , où il s'agit d'établir l'opinion de la
prétendue laideur de celle- ci , Olinde dans
la profe eft bien plus galant , plus doux , plus
paffionné que dans les vers ; il n'a pas cette
teinte de Petit- Maître que Cahulaç lui donne
quelquefois ; il ne dit point brufquement ,
& d'un ton pique :
Paifque je fuis forcé d'être fincère......
On ne fe cache point quand on a de quoi plaire.
Il préfente la même idée ; mais avec quelles
précautions , avec quelles reftrictions , avec
quels correctifs ! comme on voit toujours
un amant qui craint d'offenfer ce qu'il aime!
Zéneïde fe fâche de ce qu'Olinde s'obftine
à la croire belle ; & cerre colère , où Olinde
n'entend rien , eft bien dans la fituation de
Zéneïde , à caufe de la menace d'Urgande ,
dont elle eſt inftruite , & qu'Olinde ne peut
favoir.
Votre obftination m'excède.
Je me connois , apparemment
Et je vous dis que je fuis laide .
Plus de difpute , ou.... je me fâcherai,
Ce ton d'humeur & d'autorité , ce ton d'enfant
gâté n'eft point du tout ce qui convient ;
l'obftination d'Olinde n'a rien d'excédent ,
elle eft obligeante ; il y a bien plus de fineſſe
& de raifon dans cette autre expreflion de
la même impatience.
“ Ne voilà- t'il pas qu'il me croit la plus
16 MERCURE
belle perfonne du monde ! Et point du
tout. Vous ne favez rien de tout ce que
" vous dites. Pourquoi parler comme un
3 étourdi fans connoître , fans....
و د
19
"3
OLIND E.
à
" Mais que voulez vous , vous même , me
faire entendre? Aimable Zénéïde , oh ! fi
» vous fentiez tout ce que je ſens , vous fau-
» ríez que le coeur devine , & devine bien
plus sûrement , bien plus promptement
que les yeux ne peuvent appercevoir. Eft-
» ce que vous ne vous êtes pas apperçue
» mes regards qu'on s'entend fans fe parler,
qu'on répond à ce qui n'a pas encore été
" prononcé , & qu'on ne fe trompe jamais
quand les fentimens font d'accord ? Hélas !
pourquoi ne nous comprenons - nous plus
depuis quelques momens ? »
»
"
ور
Au lieu de cette éloquence amoureufe , de
ce langage paffionné , on ne trouve dans la
copie que cette petite phrafe sèche & commune
en comparaifon de l'autre.
Non , je ne vous crois pas.
Mon coeur me parle , il me peint vos appas ;
Et c'eft lui feul que j'en veux croire.
Mais c'eft fur tout dans le monologue d'Olinde
que les deux Auteurs font le plus différens
, & que le Traducteur n'a pas même
eu le mérite de fentir celui de l'original.
Olinde croit Zénéïde laide , & il s'arrange
fur ce pied- là.
DE FRANCE. i7
ور
" Eh bien ! elle aura quelque petite dif
» formité , à la bonne heure ..... D'abord ,
fes yeux font très-beaux , je ne puis en
» douter ; je les ai bien vûs , & le maſque
» ne les cache point du tout.... Le tour du
» vifage eft encore le plus agréable du
monde..... Pour la bouche.... Ah ! je n'en
fais rien ; mais elle ne fauroit être diffor
me , à en juger par les fons fi doux & fi
intéreffans de fa voix. Le refte .... Oh ! le
» reſte eft fi peu de chofe ! & puis , dans ce
refte encore , ne faut il pas compter tout
» ce qui plaît dans fon maintien , ce qui
enchante dans ce qu'elle dit ; fa taille , fa
-démarche , fes jolies mains , fes jolis
pieds.... Oh ! la part de la laideur doit être
bien petite. Al
, د
Voilà , s'il eft permis de s'exprimer ainfi
du vrai comique de ſentiment ; voilà ce que
Térence appelle cum ratione infanire. Rien
n'eft plus dans la nature de l'amour & dans
le ton de la Comédie noble & délicate, Celá
eft d'un goût exquis. Comment fe prive
t'on d'un pareil morceau , quand on a le bon
Heur de le trouver dans l'original ? C'eft
pourtant ce qu'a fait le Traducteur. Voici à
quoi il réduit le tout.
Eft- il bien vrai qu'elle ait dit fon fecret ?
Seroit elle laide en effet ?
Qu'importe après tout ? je l'adore.
Ilimportoit beaucoup de ne pas rejeter avec
18 MERCURE
fi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce .
Le fond en étoit fi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réufsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien faiɛ
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie , malgré le petit fard de la verification
; car pour la poéfie , elle eft ici du côté
de la profe.
Cette Pièce a été composée en 1743 .
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en profe , a été composée en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle feulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ftatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de- là à la fiction
hardie & intéreffante que l'Auteur emploie.
Oracrites & Alcimène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , fe difputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
affemblés dans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête ; l'un prépare un Adonis , l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eft content
de fon Ouvrage; & chacun de fon côté , pour
saffurer la victoire , imagine le même ftratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hasard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont befoin. Un fils de
famille , échappé de la maifon paternelle ,
s'eft fait vendre à Oracrites , par Dave , fon
DE FRANCE. 19
Valet , déguifé en Marchand d'Efclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eft devenu
amoureux de Doride , qu'il n'a vûe qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauffes apparences lui font conjecturer
qu'elle eft chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'efclave & de modèle. C'eft dans l'efpérance
de fe rejoindre à elle qu'il le fait vendre
à Oracrites ; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à fes parens , elle lui a été vendue
comme efclave. Ce font ces deux jeunes
amans ( car en fe revoyant ils le deviennent )
que les deux Artiſtes , fans s'être concertés ,
& en voulant fe fupplanter l'un l'autre ,
placent dans le temple de Vénus. Le peuple
s'affemble , & regarde les ftatues d'une dif
tance qui ne lui permet pas d'appercevoir la
fapercherie. Tous les Athéniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Athéniennes
: Rien de fi parfait qu'Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne ? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné , difent les Athéniennes . Tous enfemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés . Le fort avoit nommé pour préfider
à la fête , deux vieillards , Naucratès , qui
pleuroit fon fils , lequel avoir difparu , Dé
mophon , qui pleuroit auffi fa fille qu'on lui
avoit enlevée , ces deux malheureux pères ,
en s'approchant , font frappés de la reffemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans ; chacun fe dirige vers celle
20
7
MERCURE
des ftatues qui l'intéreffe ; les ftatues s'ani
ment , les enfans tombent aux pieds de leurs
pères. Le peuple demande l'explication d'un
tel prodige , les deux Artiftes avouent leur
heureux artifice , demandent grâce & Pob
tiennent ; les deux amans font unis.
On ne pouvoit imaginer un fujet plus
anacréontique , une fiction plus intéreffante y
la Pièce eft parfaitement dans le goût de Térence
& dans le coftume antique. Tout y
refpire la fimplicité grecque & l'amour des
Arts. La jaloufie des Artiftes & leur enthoufiafine
font de main de Maître ; le tableau
du dénouement eft impofant & agréable ,
plein de charme & d'intérêt ; il ne pourroie
qu'avoir un très grand fuccès à la repréfentation
.
Les Veuves , ou la Matrone d'Éphèfe ,
Comédie en trois Actes & en vers , en a eu
dans des repréſentations particulières . Ce
fujet eft connu , il a fouvent été traité fous
toutes les formes.
44
S'il eft un conte ufé , commun & rebattu ,
C'eſt celui qu'en ces vers j'accommode à ma guife ;
Pourquoi le choifir , diras- tu ?
Qui t'engage à cette entrepriſe ?
Cette question n'embarrafferoit point M.
Watelet , il pourroit répondre : C'est pour
rendre ce fujet moral , ce qu'on a trop négligé
de faire.
Zelotidès , vieux mari jaloux , pour éprou
DE FRANCE. 24
ver fa jeune & fenfible épouſe , fait répandre
le bruit qu'il eft mort dans le cours d'un
voyage qu'il faifoit alors , & il revient fecrètement
pour furprendre fa femme ; il apprend
en arrivant qu'inconfolable de fa
mort , elle lui a élevé un tombeau dans lequel
elle s'eft enfermée , réfolue de ne lui
pas furvivre. Il veut jouir d'un fpectacle fi
doux , il s'approche en fe cachant , mais
c'est pour être témoin du moment où la
veuve , cédant aux voeux d'un nouvel amant ,
fort de fa trifte retraite pour le fuivre dans
un féjour plus riant. L'indiffolubilité de nos
mariages laiffoit d'abord quelque embarras
fur ce dénouement ; l'Auteur l'a corrigé d'une
manière très heureufe , par les moeurs mêmes
d'Athènes , qui admettoient le divorce de
part & d'autre. Zélotidès , & fon Valet qu'il
avoit entraîné dans la même faute , s'empreffent
de la réparer en allant chez l'Archente
faire leur déclaration de divorce
fuivant le confeil de Straton , vieillard , ami
dé Zélotidès.
Eftérie eft-elle coupable ?
Vous êtes tout feul condamnable.
Vous l'avez expofée au plus preffant danger ,
Vous lui devez de la rendre innocente.
Voici la moralité de la Pièce :
Pour vous , Meffieurs , de votre mieux
Tirez profit de notre extravagance :
Pour l'Auteur du confeil ayez quelque indulgence ,
22 MERCURE
Dans vos femmes fur- tout entière confiance ;
Et fur certains objets , ſouvenez- vous en bien ,
Contentez-vous de l'apparence ,
N'approfondiffez jamais rien.
Cette Pièce , compofée en 1757 & 1758 ,
eft verfifiée avec facilité , avec grâce. Il y a
sûrement une faute d'impreffion à la page
229 , où on trouve ce vers , qui n'en eft
pas un :
Ou je me trompe dans ma conjecture.
La Maifon de Campagne à la Mode , on
la Comédie d'après nature , Comédie en
deux Actes & en profe , compofée en 777 .
Cette Maifon de Campagne , où des circonftances
particulières artirèrent pendant
quelque temps un concours nombreux de
gens qui fe croyoient curieux , & qui n'étoient
qu'imitateurs & qu'entraînés par la mode ,
eft celle dont M. l'Abbé de Lille a fair cette
charmante deſcription .
Tel eft , cher Watelet , mon coeur me le rappelle ,
Tel eft le fimple afyle où, fufpendant fon cours ,
Pure comme tes mieurs , libre comme res jours ,
En canaux ombragés la Seine fe partage ,
Et vifite en fecret la retraite d'un fage.
Ton art la feconda , non cet art impofteur ,
Des lieux qu'il croit orner hardi profanateur .
Digne de voir , d'aimer , de fentir la Nature,
Tu traitas ſa beauté comme une Vierge pure
D'E
23
FRANC E.
Qui rougit d'être nue & craint les ornemens .
Je crois voir le faux- goût gâter ces lieux charmans,
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eft qu'un fon importun , qu'une meule qui crie ;
On l'écarte . Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui - même en roulant façonnés,
S'alignent triftement. Au lieu de la verdure
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture ,
L'eau dans des quais de pierre accuſe ſa priſon ,
Le marbre faftueux outrage le gazon ,
Et des arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis ofe ufurper la rive .
Barbares , arrêtez & refpectez ces lieux ;
Et vous , fleuve charmant , vous , bois délicieux ,
Si j'ai peint vos beautés , fi´dès mon premier âge
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long- temps à votre poffeffeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur .
La Pièce de M. Watelet eft compofée de
ce qu'on appelle Scènes à tiroir , dont l'avantage
eft d'offrir une grande variété de caractères
, fans qu'on foit obligé de mettre entreeux
les mêmes rapports & les mêmes contraftes
que dans les Pièces ou d'intrigue ou
de caractère ; elle eft animée par un intérêt
d'amour affez piquant , & par un grarfi danger
que court la perfonne aimée ; elle en eft
préfervée par l'amour ; & fon amant , qui
n'ofoit afpirer à elle , acquiert par là des
droits qui le font triompher de fes rivaux.
24
MERCURE
La Scène où cet amant timide & intéreffant ,
pour s'introduire dans le jardin où il eſpère
voir Lucinde , fe donne pour un Botaniste ,
& parle fans ceffe de Lucinde , en voulant
décrire une fleur qui l'attire , dit- il , dans ce
jardin , eft d'un agrément & d'un goût infini ,
& les mots amoureux qui lui échappent &
le trahiffent , font d'un comique noble & fin.
Dorival , c'est le nom de cet amant , enfeigne
la Botanique à Lucinde , & fous ce prétexte
lui parle fans ceffe d'amour , en lui
promettant toujours de n'en plus parler. Elle
s'en plaint avec douceur . « Ah ! charmante
» Lucinde ! s'écrie Dorival , quand je ne vous
parlerois même s'il m'étoit pollible , que
» des plantes & des fleurs , pourrois- je ne
" pas vous parler de ce qui anime toute la
Nature , de ce qui eft la bale du ſyſtême
» de l'Univers , de ce qui fait vivre tout ce
qui exifte .... Et qui me fera mourir ?
">
""
T
LUCINDE.
» Mais votre promeffe.....
DORIVA L.
Et ma promeffe , Lucinde , & vos or-
» dres fi puiffans peuvent-ils empêcher que
» l'Amour ne foit le moyen univerfel qui
foutient , qui anime , qui vivifie tout ce
» qui refpire...... tout......
"
LUCINDE.
Cela peut- être , Dorival ; mais ce n'eft
» que
DE FRANCE.
25
ม
que les fleurs dont il doit être queftion
" en ce moment.
❤
و ر
"3
"
"
و ر
DORIVA L.
Eh bien ces fleurs , Mademoiſelle ;
oui , ces fleurs , divine Lucinde , en éprouvent
les mouvemens , en pratiquent les
myftères ; elles ne fubfiftent que par un
penchant qui les dirige les unes vers les
autres : elles fe delirent , fe cherchent ,
s'approchent , s'épanouiffent , s'épanchent
» & meurent heureufes. Le foleil verfe fur
» elles cette âme , cet amour à qui elles
» doivent l'éclat qui les embellit ; elles lui
» doivent ces développemens qui les font
» renaître. Lorfque ce feu leur manque par
l'abfence de l'aftre du jour , l'affoupiffement
qu'elles éprouvent , c'eft le regret
d'être privées du bien qu'elles goûtoient,
Oui , Lucinde , ce font les peines de l'ab-
» fence. Eh bien ! vous allez m'accufer en-
» core de ne parler que de ce que j'éprouve ,
» de ce que je lens ......
ود
و ر
גכ
ر د
"
""
LUCINDE .
» Vous en convenez..... & je le devrois.
DORIVA L.
" Oui , je l'avoue . Rien de ce que je vois
» dans l'Univers ne touche mes fens & mon
» âme fans fe rapporter à Lucinde. Ce qui
» m'offre quelque perfection , c'eft Lucinde ;
ce qui peint des affections , des defirs ,
No. 23 , 5 Juin 1784.
ונ
B
25 MERCURE
ور
"
c'eft l'image d'un coeur où Lucinde fair
naître tous les fentimens & tous les defirs.
S'éloigne t'elle ? Il languit , il fe fane ,
» il fe ferme à toute efpèce de bonheur. Il
périra comme une plante que frappe un
fouffle furefle , & qui cft privée de l'aftre
» qui la faifoit vivre. »
93
ט
Cet art de rajeunir le langage de l'amour ,
de lui donner une éloquence nouvelle & une
forme piquante , en l'allociant à des idées
etrangères , eft certainement d'un grand
prix.
ور
Un autre mérite de cette Pièce , eft le ridicule
répandu fur les exagérations des faux
admirateurs le Public , dit M. Watelet ,
» pourra ne pas dédaigner quelques traits
» qui peut- être le feront fourire en lui rappelant
des exaltations de fentimens fac-
» tices , & des exagérations de termes qu'il
feroit utilé qu'on ridiculisât de nos tours
» avec autant de talent & de fuccès , que
Molière ridiculifa dans fon temps le pré-
» cieux & le faux favoir.
39
Réflexion importante. En effet , notre jargon
fuperlatif ne fert plus qu'à prouver
qu'on n'a pas les idées , qu'on n'éprouve pas
les fentimens qu'on prétend exprimer avec
cette fauffe énergie. Lorfqu'on veut donner
de la valeur aux mots , & de la fignification
aux chofes , on eft obligé d'en revenir aux
expreffions fimples . Je fuis fâché , dit plus
aujourd'hui que je fuis défefpéré; jefuis bien
aife , que je fuis enchante. Cet afpect eft
DE FRANCE. 27
riant , ceféjour est beau ; que cela eft divin ,
delicicux.
Tels font les Ouvrages les plus confidérables
que contient ce Recueil. Les autres
font des Poëmes Lyriques ; c'eft Milon , Intermède
Paftorale en un Acte , en vers , tiré
d'une Idylle de Gefner. L'A ureur , qui , ditil
, a trouvé deux jeunes amans
S'aimant comme on s'aimoit quand on me laiffeit
faire ,
Fait à la Bergère Chloé
Un conte bien calomnieux ,
Bien bon , comme les fait la bonne compagnie.
Ce conte la rend jaloufe , Milon l'appaife
; voilà tout , mais les détails font trèsjolis
.
Deucalion & Pyrrha , Opéta à grand fpectacle
, en quatre Actes , en vers , compofé
en 1765.
Le fpectacle en effet en doit être magnifique
, en fuppofant le mérite de l'exécution
égal à celui de l'intention .
Délie , Drame Lyrique , en un A&te & en
vers , compofé en 176. Une Ode d'Anacréon
a donné l'idée de ce Poëme , dont
Anacréon eft le Héros , & qui eft en effet
très Anacréontique dans l'idée principale &
dans les détails .
Phaon , Drame Lyrique , en deux A&tes ,
en vers mêlé d'ariettes , repréſenté devant
Leurs Majeftés à Choify en Septembre
17751
11
>
Bij
28 MERCURE
1
Un paffage de Lucien a fourni l'idée de ce
Drame , qui n'eft pas moins Anacreontique ,
que le précédent.
Nous regrettons que la longueur de cet
extrait , & la néceffité de le terminer , ne
nous permettent pas de tirer de ces Poëmes
Lyriques une foule de traits charmans ; on
y trouve par tout de la délicateffe & de la
grâce , une poéfie facile , & d'une harmonie
douce.
SCELTA di Poefie Italiane , de' più celebri
Autori d'ogni Secolo , raccolte , e ton
opportune Note illuftrate da Anton - Benedetto
Baffi , ou Recueil complet des plus
beaux morceaux de Poéfies Italiennes , Lyriques
, Erotiques & Fugitives , avec des
Remarques critiques fur le génie de la
Poéfie Italienne , par M. Baili , Membre
de plufieurs Académies. 2 vol . grand in 8 ° .
A Paris , de l'Imprimerie de M. Lambert ,
rue de la Harpe , près S. Côme. Le prix
des deux vol . in- 8 ° . brochés eft de 12 liv.;
celui de l'Édition in - 4° . , papier d'Angoulême
, eft de 30 liv. les deux vol . , &
48 liv. pour les mêmes deux vol . in -4 ° .
papier d'Hollande .
IL feroit intéreffant pour la Littérature
en général, qu'on eût un Recueil raifonné des
meilleures poéfies de chaque Nation , &
que ce Recueil fût fait par un homme de
goût , connoiffant la Littérature univerſelle ,
DE FRANCE. 29
& capable de juger la fienne avec impartialité.
C'est ce que Voltaire fouhaitoit particulièrement
pour les Italiens , dont la langue
eft la plus poétique de toutes les langues
vivantes ; & c'eft ce que vient d'exécuter
M. Baffi . Nous allons donner une idée
du plan qu'il a fuivi , pour mettre le Lecteur
à portée de juger du mérite de fon travail
& de l'utilité de fon Ouvrage. Il a renfermé
dans huit Volumes les plus belies
Pièces poétiques de fa Nation depuis l'origine
de la Poéfie Italienne jufqu'à nos jours.
Des obfervations critiques , des remarques
hiſtoriques , des notes fur l'idiôme poétique
& fur la fyntaxe grammaticale , accom
pagnent les morceaux qui en font fufceptibles
. Les Pièces font diftribuées de manière
à faire connoître l'Hiftoire de la Poéfie Italienne
, fes progrès , fes viciffitudes , fa dé
cadence , & la renaiffance du bon goût à
différentes époques . Pour remplir cet objet ,
il a fallu que le Rédacteur commencât par des
poéfies des plus anciens Auteurs , comme à
l'époque de la décadence des Lettres en Italie ,
il lui a fallu puifer chez des Poëtes pcu eftimés;
mais ces morceaux qui fuffifent pour faire
connoître ce qu'étoit la poéfie à ces diverfes
époques , ne font pas affez nombreux pour
rebutter les Lecteurs qui , contens de lire
des Ouvrages qui amufent leur goût & leur
imagination , ne font pas jaloux d'acheter
par la lecture de quelques morceaux infi-
Bij
30 MERCURE
pides , la connoiffance de l'hiftoire poétique
d'une Nation .
Les poéfies des Auteurs modernes font
en grand nombre ; & il y en a beaucoup qui
n'avoient pas encore vû le jour . On trouve à
la tête du premier Volume un effai critique
& hiftorique fur la Poéfie Italienne ; & au
commencement du fecond , une differtation
dans laquelle on développe une théorie nou.
velle fur l'harmonie muficale & poétique ,
& fur le technique de la verfification Italienne.
M. Baffi , en commençant fon effai , remonte
à l'état de la Littérature Italienne >
lorfque le fiège de l'Empire for tranſporté à
Conftantinople. Delà il paffe à l'époque où
Charlemagne fonda en Italie l'Académie
dite Palatine. Il entreprend de prouver que
depuis l'arrivée de Charlemagne , jufqu'à
celle de Charles d'Anjou , Comte de Provence
, le goût des Lettres s'est toujours
confervé plus ou moins en Italie ; ce qui le
conduit à combattre l'opinion de M. l'Abbé
Millor & du Père Papon , qui s'accordent à
dire qu'à l'arrivée de Charles d'Anjou , les
Italiens étoient plongés dans la plus profonde
ignorance , & qu'ils durent aux Troubadours
l'origine de leur poélie . Nous n'effayerons
pas de confirmer ni de réfuter à
cet égard l'opinion de M. Balli ; .nous obfer
verons feulement qu'il eft prefque impoffible
qu'un Écrivain fe dépouille entièrement
de tout préjugé national . Quoi qu'il en foir ,
DE FRANCE. 31
le Dante fut le créateur de la poésie , qui
acquit fous la plume de Pétrarque toute
l'harmonie & l'élégance dont elle étoit fufceptible.
Nous invitons nos Lecteurs à lire
l'article de ce dernier , après lequel M. Baffi
jette un coup d'oeil rapide fur les Poëtes qui
l'ont fuivi , pour arriver à l'époque de la renaiffance
des Lettres fous Laurent de Médicis .
Notre Hiftorien s'arrête à Bembo , le ref
taurateur de la langue Italienne ; & le portrait
qu'il en fait elt accompagné d'abfervations
civiques fur les travaux de ce célè
bre Littérateur. Parvenu à cette époque , où
le goût & la faine critique ont recommencé
à infpiter les Mufes Italiennes , M. Baſi
abandonne le projet de fuivre par ordre des
temps l'hiftoire de la poéfe ; & s'ouvrant
alors une plus vafte carrière , il la confidère
dans les différens genres. Il examine tour à
tour l'épique , le dramatique , le lyrique , le
paſtoral , le fatyrique , &c. Il divife l'épopée
en trois genres; favoir , le Roman épique.
le Poëme héroïque , & le Poëme héroï- comique.
Dans le premier genre , il place l'Orlando
Furiofo , de l'Ariofte ; à la tête des
Poëmes herciques , il met la Jerufalem Délivrée
; & il regarde la Secchia, rapita
comme le meilleur Poëme héroï comique qui
exifte dans la moderne Littérature.
>
En lifant cette divifion , il nous eft venu
deux idées , que nous croyons pouvoir com .
muniquer à M. Baffi . 1 ° . Nous ne voyons
pas bien clairement pourquoi il donne à la
Biv
34
MERCURE
ABRÉCÉ Latin de Philofophie , avec une
Introduction & des Notes Francoifes
par M. l'Abbé Hauchecorne , de la Maifon
& Société de Sorbonne , Profeffeur de
Philofophie au Collège des Quatre - Nations
. 2 vol. in 12. A Paris , chez l'Auteur;
Quillau , rue Chriftine ; Nyon le jeune ,
Quai des Quatre Nations .
LA première Partie de cet Ouvrage contient
la Logique , la Métaphyfique & la
Morale , avec les préceptes de la Rhérorique
; le fecond est tout entier fur la Phyfique
, & l'un & l'autre cft enrichi de notes
faites pour développer les queftions Latines ,
& tout ce qui , plus curieux que néceffaire ,
paroît étranger à la nature d'un Abrégé . On
voit que l'intention principale de l'Auteur
a été de fe rendre utile aux jeunes gens qui
veulent être Maîtres Ès Arts ; mais ce but
n'a point été le feul qu'il ait eu en vûe ; il
a voulu de plus offrir aux Penfions un Livre
élémentaire qui les préparât à la longue étude
de la philofophie des Claffes , ou leur fe vit
de fupplément dans le cas que les Élèves ne
vinffent point au College . Outre l'introduction,
dans laquelle il fuit la marche de la philofophie
, & l'analyfe qu'il donne de ce que
l'on enfeigne dans les Claffes , il expoſe en
François , pour être plus clair , tout ce qui
n'eft fufceptible que d'un Latin difficile &
obfcur. Par exemple , les machines , les obDE
FRANCE
35
fervations Aftronotaiques qui précèdent les
fyftemes de Ptolomes , de Copernic , de
- Tycho Brahe , les Eclipfes , les Me cores ,
les Tubes capillaires , les Notions tur le gaz
inflmmable & les globes aeroftatiques ; ce
mêlange ne paroîtra point une bigarrure
cho quante , & la clarté en fera le fruit. Il eſt
à préfumer que l'ordre & la méthode qui
règnent dans cet Abrégé le feront goûter ,
& peuvent même en faire un Livre d'ufage.
COLLECTION des Moralifies Modernes ,
L'Ami des Vieillards , préfenté au Roi ,
par M. l'Abbé Roy , Cenfeur Royal ,
Membre de plufieurs Académics , & c.
2 vol . in 18. Avec certe Epigraphe : Sur
le front des Fieillards lis tes devoirs écrits.
A Paris , de l'Imprimerie de MONSIEUR
1784 .
CET Ouvrage eft du petit nombre de ceux
qu'il importera toujours de mettre entre les
mains de la jeuneffe . On pourroit le ranger
dans la claffe des bons Livres Claffiques de
morale ; ifporte l'empreinte d'un coeur honnête
, & annonce un efprit fain & cultivé.
L'Auteur , dans fon Avertiffement fimple &
modefte, dit qu'il a travaillé comme un bon
Citoyen , qui n'écrit pas pour être admiré ,
mais pour être ' entendu ; il n'entre dans la
lice avec les gens de l'art , ni pour y rompre
des lances honorables , ni pour y difputer de
mérite , mais pour y faire preuve de zèle.
B vj
36 MERCURE
زا
L'Académie de Montauban avoit propofé ,
il y a quelques années , cette queſtion importante
à développer : Combien le refpect
pour la vieilleffe contribue au maintien des
moeurs publiques ?
nous
M. l'Abbé Roy la traita , felon l'ufage , en
forme de difcours ; il eft dommage qu'il n'ait
pas tenté l'épreuve du concours ,
croyons qu'elle n'auroit pu que lui être trèshonorable
. Il a préféré dans la fuite de diftribuer
fon travail par Chapitres . Les feuls
reproches qui pourroient lui être faits , fans
altérer toutefois le mérite réel de l'Ouvrage ,
il les a fentis & avoués ; ainfi nous n'en parlerons
point. Ce n'eft pas une differtation
Académique fur cette queftion : combien le
refpect pour la vieilleffe contribué au maintien
des moeurs publiques ? Ce n'est qu'un
choix de réflexions fages & utiles fur cette
matière. Plufieurs articles font écrits avec
force , d'autres ont le mérite du fentiment ';
tous généralement font marqués au coin du
jugement & de l'érudition.
A la fin du premier Chapitre , l'Auteur
oppofe la conduite du jeune homme de la
ville à celle des jeunes gens de la campagne ;
ee Chapitre finit ingénieufement par un
bel éloge de la Nature ; celui du vieillard
et également bien fait . Chapitre
fixième , ce que c'eft que la vieilleffe , nous a
paru réunir le double intérêt du folide & de
la gaîté ; nous regrettons de ne pouvoir rapDE
FRANCE. 37
porter ces morceaux tout au long . Le Chapitre
huitième eft encore un des meilleurs ;
M. l'Abbé Roy y prouve d'une manière claire
& précife l'obligation commune à tous les
hommes ,, de travailler , & le pouvoir que
les vieillards eux- mêmes ont de le faire à
leur manière,
ور
ود
ور
Il dit , Chapitre IX , en parlant des moeurs
publiques & particulières : « Les moeurs des
particuliers ne font autre chofe que les
parties homogènes qui forment le tout
» moral de même nature , appelé moeurs
publiques ; identifié avec elles , ce tout ne
» peut fubfifter fans ces parties , mi ne pas
» fubfifter avec elles ..... " Quant aux moeurs
publiques , il continue ainfi : " Repréfentezvous
les Sujets d'un même État , unis
enchaînés par le même lien aux mêmes
règles de bien , foit dans l'ordre politique ,
foit dans l'ordre focial , foit dans l'ordre
religieux , vous aurez alors l'idée d'un cla-
» vecin organique , incapable d'harmonie ,
fans le fecours puiffant de ces trois cordes
; la touche mâle & mefurée du vieillard
n'en tirera que des fons juftes &
précis , & c .
و ر
"3
∞
ور
"
מ
ود
3
Tous les traits cités de l'Hiftoire ancienne
y font exposés avec tout l'intérêt & le charme
qui convenoit au fujer.
Lé fecond Volume femble offrir quelque
chofe de plus légèrement tracé. Nous avons
remarqué les dix feptième & dix huitième
Chapitres ; le dix- feptième commence par
3.8
MERCURE
.
་
une tirade heureufe & vraie fur la mode; il
continue par de fages avis donnés adroitement
au beau fexe ; il roule enfuite fur le
danger de l'union de deux jeunes époux , &
fur l'ufage du bon vieux temps que l'Auteur
regrerte , & il établit l'âge convenable au
mariage pour les deux fexes . Vient après ,
dans le Chapitre dix neuvième , l'eloge de .
Louis XVI , d'autant plus heureufement
amcné , qu'il femble plus éloigné d'abord .
Mais un Chapitre remarquable par une noble
éloquence , c'eſt celui où M. l'Abbe Roy
prouve que le refpect pour la vie elle cft
avantageux pour le maintien de la religion ;
nous croyons faire plaifir à nos Lecteurs
en le citant en entier . L'apostrophe au Tems
eft belle , & n'en relève que mieux celle
qu'il adreffe enfuite à la Religion . " O toi ,
» caufe première & pure de l'harmonie
publique , ég de des bons Princes contre
les méchans , & des Sujets vertaicux contre
» les tyrans , fouffle divin , être , puifiant
» né pour la gloire du Createur & le bon-
» hur de l'homme, Religion fainte , âme de
" l'Univers , le premier des vieillards re
ور
و د
foutient ! L'Erernel lui dit au moment
» de la première heure du monde : je te
» donne l'empire fur l'Univers ; ouvrage de
» mes mains , toutes mes créatures difparoîtront
fuccellivement devant toi. Les
» hoalettes , les fceptres , les monumens ,
les Empires , rien de tout ce qui exifte ne
» pourra te réfifter Ma Religion feule re-
ود
DE FRANCE. 39
"
pofera triomphante fur tes ailes , & cette
faulx énorme dont tu feras toujours armé
» ne refpectera qu'elle.
ود
" Mais quel feroit ton fort , que devien-
» droient tes autels fans la main du vicil-
» lard ? Profcrite , abandonnee , importune
» & odieuſe à la jeuneffe , la vieilleffe fe
» chargeta du poids des ignominies dont le
fiècle s'efforce en vain de te couvrir ; elle
t'offiira dans fon fein un port affuré contre
la malignité de tes ennemis . »
و د
,
و د
و د
Ci
,
Citons encore cette belle tirade fur l'Hôtel
des Invalides. Que j aimerois à te contempler
fouvent , s'ecrie l'Auteur , fous
» ces voûtes fuperbes monumens inappréciables
de la noble piété d'un grand
» Roi ; fous ce dôme facré , plus précieux .
encore par l'encens pur dont il eft fans
ceffe parfumé , que par l'art merveilleux
» des Grands Maîtres dont il eft l'ouvrage !
Là , comme fous l'ombrage des aîles du
Très- Haut , je verrois fe raffembler plu-
» fieurs fois dans la journée , pour lui adref-
» fer leurs voeux & leurs prières , ces hom-
» mes du dernier fiècle , qu'il fuffit d'entre-
" voir pour être faifi de la plus profonde
» vénération . Ceux- là , remuant à peine un
corps mutilé , plus qu'à demi confumé ;
» ceux - ci , couverts de cicatrices , écrâfés
" fous le poids d'un corps chancelant , &
fe foutenant à peine , les yeux fermés à la
» lumière ; tous uniquement occupés de la
grandeur de leur Dieu , oubliant leurs
"
20
و د
"
40
MERCURE
"
"
triomphes paffés , achetés au prix du fang
de leurs frères ; Héros autrefois profanes
prodigues de leur fang pour la patrie ; &
» maintenant.Héros Chrétiens , regrettant
de n'en avoir plus à répandre par la caufe
» de Jéfus- Chrift . C'est ainsi que la Religion
confacre le nouvel héroïfme qui les
» diftingue ; c'eft ainfi qu'au lieu de ces lauriers
qui fe fanent , on les voit fe préparer
» la couronne de l'immortalité , récom
penſe de l'homme jufte. Jeune homme ,
lis tes devoirs écrits fur le front de ces
vieillards , & mets fur ta bouche le doigt
» refpectueux du filence. Malheur à qui-
" conque ofe porter fes pas dans cet afyle
fans en devenir meilleur.
ور
ور
">
>>
و د
Le morceau fur l'utilité des bénédictions
paternelles eft touchant , naturel & bien
penfé. Nous ne favons de quelle mère l'Auteur
a voulu parler au fujet de l'habitude
qu'elle a fait contracter à fa fille de lui demander
tous les jours à fon lever fa bénédiction.
On ne peut faire mieux , & plus à
propos , l'éloge de la vertu & de la beauté.
Nous exhortons l'Aureur à continuer l'exécution
du plan qu'il s'eft propofé dans la
Collection des Moraliftes Modernes, & nous
ofons promettre d'avance à fes travaux Littéraires
tout le fuccès qu'il a droit d'en attendre
.
DE FRANCE 41
ANNONCES ET NOTICES.
EMOU EMOIRE fur les Acides natifs du Verjus , de
l'Orang , du Citron , &c. par M. Dubuiffon , ancien
Maître Diſtillateur.
Nous avons dit , dans le Mercure du 20 Novembre
1779 , que l'Art du Diftillateur , par M. Dubuiffon
, étoit le meilleur Ouvrage qui ait paru dans
ce genre ; celui que nous annonçons en eft une
fuite d'autant plus intéreffante , que l'Auteur y rend
compte de fes expériences fur les fucs acides les plus
néceffaires , tant dans la pratique de la Médecine que
dans les ufages économiques. Il a trouvé l'art de purifier
ces fucs de manière à les conferver plufieurs
années avec leur faveur naturelle , & à pouvoir
fupporter les voyages de long cours , où ces acides
deviendront alors d'une refource précieuſe ; réduits
d'ailleurs à un moindre volume , ils feront d'un tranſ-
-port plus facile pour les Voyageurs , & moins coûteux
pour les Provinces éloignées. Nous n'infifterons
point fur l'utilité de cette découverte ; l'Auteur
l'a foumife au jugement de la Faculté & de la Société
Royale de Médecine , qui ont prononcé que les fucs
préparés ainfi feront très- utiles , tant en fanté que
dans le traitement des maladies .
Ce Mémoire fe diftribue gratis chez l'Auteur ,
boulevard du Mont- Parnaffe , à ceux qui ont acquis
& qui représenteront l'Art du Diftillateur , & aux
adreffes qui feront indiquées pour les exemplaires
qui ont paffé en Province , en affranchiffant les
lettres .
ESTAMPE repréfentant Latone vengée , d'après
le Tableau original de Philippe Laury , commencée
42 MERCURE
par Balechou , & confiée aux foins de M. Beauvarlet
pour être achevée. Propofée par foufcription .
Nous invitons à lire le Pro pectus fort bien fait
de cette Eftampe , qui doit intéreffer tous les Amateurs
de la Gravure . La Mythologie , pour nous
fervir des expreffions de l'Auteur de ce Profpectus ,
fi riche en fictions , fi libérale envers les Arts , n'avoit
jamais exercé fon burin ; il trouva dans le
cabinet de M. le Comte de Forbia un Tableau de
Philippe Lauri , repréſentant Latone vengée , & il le
choifit pour fervir de pendant aux Baigneufes qu'il
venoit de publier ; il en étoit occupé lorfqu'il mourut
en 1705. La Planche , alors fort avancée , vient
d'être confiée à M. Beauvarlet pour être terminée
fous fa direction. Les Ouvrages connus de cet Attifte
l'ont défigné aux Propriétaires de cette Planche,
comme un de ceux qui pouvoient le mieux faifir
l'efprit de l'Auteur original. Certs Eftampe , qu'on
propofe au Public par foufeription , aura 26 pouces
6 lignes de large , fer 18 pouces de hauteur , &
fera livrée dans le mois de Janvier 1785. On payera
6 livres en foulcrivant , & 6 livres en recevant l'Efampe.
On n'en tirera qu'un perit nombre d'Exem.
plaires au - delà de celui de la foufcription , & ceux
qui n'auront pas foufcrit les payeront 18 liv . Cette
foufcription fera ouverte jufqu'au premier Septembre
chez Chéreau fils , Graveur , rue des Mathurins
, au coin de la rue de Sorborne ; Dalac , Marchand
d'Eftampes , rue Saint Honoré , près de l'Oratoire
; Ifabey , Marchand d'Eftampes , rue de
Gêvres ; Couturier , Libraire , quai des Auguftins ,
& chez tous les Marchands d'Eftampes des Provinces.
On pourra voir dès à préfent chez les Perfonnes
indiquées une épreuve de l'Eftampe telle que
Balechou l'a laiffée. On jugera par- là de ce que
l'Artifte qui la finit a encore à y travailler pour la
rendre digne de l'un & de l'autre. Ceux qui vou
DE FRANCE.
43
dront avoir des épreuves avant la lettre , fe feront
infcrire chez les Marchands défignés , & payeront
le double de la foufcription ordinaire . Les Perfonnes
qui feront des demandes font priées d'affranchir les
lettres.
PORTRAIT de M. le Bailli de Suffren , deffiné
d'après nature par Fontaine , Peintre en miniature ,
& gravé par Goulet. A Paris , chez Fontaine , rue de
la Vieille Draperie , près S. Pierre des Arcis , maifon
de l'Épicier. Prix , I liv. 4 fols.
Il eft doux de voir les Arts concourir au triomphe.
des Bienfaiteurs de la Patrie.
FANNY , Comédie en un Alte & en profe , repréfentée
pour la première fois , à Paris , fur le Théâtre
de l'Ambiga-Comique , le 15 Décembre 1783. Irix ,
1 liv . 4 fols . A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
Un homme qui , dans un naufrage a été recueilli
& fauvé par une jeune Indienne , dont il a été aimé ,
& qui l'a rendu père ; un homme qui enfuite vend
pour de l'argent , comme un vil bétail , fa Libéras
trice , celle à qui il doit la vie ; c'eft un fujet trèsdifficile
, prefque impollible à mettre au Théâtre .
Peut - être l'Auteur de cette Comédie auroit - il dû
placer Jacfon dans l'alternative au moins de ne pou
voir retourner dans fa Patrie qu'il aime , faute d'argent,
ou de vendre fa maîtreffe . Mais un Capitaine
de Vaiffeau s'offre à le amener pour rien dans fon
pays ; cette circonftance le laiffe fans excufe.
On trouve à la même adreffe , l'Angloife Déguifée
, Comédie en un Acte & en profe , par M.
Régnier de la B ** , repréfentée pour la première
fois , à Paris , fur le Théâtre des Variétés Amufantes
, le 19 Juillet 1783 .
44 MERCURE
ESSA1 fur la Topographie d'Olivet , publié par
la Société Royale de Phyfique , d'Hiftoire Naturelle
& des Arts d'Orléans . A Orléans , chez Couret
de Villeneuve , Imprimeur du Roi , rue Vieille Poterie
; & à Paris , rue & hôtel Serpente.
Cet Ouvrage eft dediné à fervir de modèle aux
travaux de ce genre , que la Compagnie demande
à fes Correfpondans fur les différens Cantons de la
Province de l'Orléanois.
SAINTE BIBLE , traduite en François . Nowvelle
Édition. Tome feptième. A Nifmes , chez
Pierre Beaume , Imprimeur Libraire ; & fe trouve à
Paris , chez Guillaume Defprez , Imprimeur ordinaire
du Roi & du Clergé de France , rue S. Jacques .
La rapidité des Livraifons de ce grand Ouvrage,
fait efpérer qu'il fera bientôt achevé.
PORTRAIT d'A. Court de Gebelin , Auteur du
Monde Primitif, de diverfes Académies , Président
du Mufée de Paris , Cenfeur Royal , &c. deffiné par
A. Pujos , gravé par F Huot. A Paris , chez M. de
Launay , Graveur du Roi , rue de la Bucherie ,
N. 26 .
Ce Portrait nous a paru auffi bien gravé que reffemblant.
TABLEAU Hiftorique de la Nobleffe Militaire ,
contenant les noms , furnois & qualités , enſemble
la date de tous les grades , actions , fièges , campagnes
, bleffures de MM. les Officiers au Service de
Sa Majefté , & retirés ou employés à la fuite des
Corps , & dans les différens Etats - Majors des villes ,
tant au- dedans qu'au dehors du Royaume , & c . Ouvrage
enrichi d'un Recueil d'Ordonnances Militaires
, pour lequel la Soufcription fe paye d'avance
DE FRANCE. 45
à raifon de 6 liv. le vol. br. & 7 liv. franc de port
dans tout le Royaume ; par M. de Combles , Officier
d'Infanterie. A Paris , hôtel S. Pierre , rue des
Cordiers , près la place Sorbonne.
Nous avons tranfcrit le titre entier de cet Ouvrage
pour en faire connoître le plan & l'utilité.
NOUVELLE Carte d'Allemagne , en neuffeuilles ,
grand aigle , par M. Chauchart , Capitaine d'Infanterie
, & Ingénieur Géographe Militaire de Mgr. le
Comte d'Artois . Prix , 4 liv . la feuille . A Paris , chez
Dezauche , Géographe , rue des Noyers , & chez le
Suiffe de l'hôtel de Noailles , rue S. Honoré.
Il manquoit à l'étude de la Politique & des Guerres
de l'Allemagne une Carte détaillée de cet Empire.
Il en paroît trois Feuilles actuellement. Les trois
Feuilles Méridionales paroîtront dans les trois premiers
mois de 1785 , & les dernières vers Septembre
de la même année . On publie en même-temps une
Carte Générale de cet Empire en une Feuille.
HERBIER de la France , Numéros 41 , 42 &
43. A Paris , chez l'Auteur , rue des Poftes.
Cet Ouvrage a toujours le même fuccès , & il le
mérite par l'exactitude & la beauté de l'exécution.
DROIT Public d'Allemagne , contenant la forme
de fon Gouvernement , fes différentes Loix , &c. par
M Jacquet , Licentié ès Loix , 6 Volumes in -8 ° .
petit format. Prix , 10 liv. en Feuilles . A Strasbourg ,
& fe trouve à Paris , chez G. Defprez , Emprimeur
du Roi & du Clergé de France , rue Saint Jacques ,
près la rue des Noyers.
Cet Ouvrage peut être fur- tout utile à ceux qui
fuivent la carrière des négociations publiques dans
les Cours d'Allemagne .
46
MERCURE
LA Dame Joss E , Marchande de Rouge de la Cour,
vient de tranfporter fon Magafin à Paris , de la rue
du Mail dans la rue Coquillière, au premier étage audeffus
de l'entrefol , dans une maifon qui fait face
au Roulage de France , entre une Marchande de
Modes & un Ferblantier. Elle eft parvenue à ren
dre le Rouge Végétal & le Blanc qu'elle compo´e
auffi beaux & auffi agréables à l'oeil que les couleurs
naturelles ; au moyen d'un corps gras légèrement
aromatifé , ce Rouge , quoique plus fin , n'eft pas
fujet à tomber comme les autres ; il a même l'avantage
de nourrir & conferver la peau , ainſi qu'il eſt
conftaté par l'Approbation de la Société Royale de
Médecine .
Il y a des pots de Rouge
à 6 livres , 9 livres ,
12 livres & 24 livres ; celui du Blanc eft de 4 livres
le pot. Malgré
les différens
pix , le Rouge eft toujours
de même
nature , ainfi que les nuances
; mais la
fineffe diffère à raifen du prix , & les pots font plus
ou moins riches , c'est- à- dire , que ceux de 24 liv.
font de porcelaine
de Sève dorés & peints en miniature;
ceux de 12 liv. en porcelaine
dorés feulement
fur les bords ; ceux de 9 livres en porcelaine
fans
dorure
, & ceux de 6 liv. en belle fayence
,
Quant aux degrés des nuances , le plus tendre eftdu
numéro premier , ce qui va en augmentant jufqu'au
numéro 12 , qui eft le plus vif , & dont on fe
fert au Théâtre .
On prie les Dames qui demeurent en Province de
remettre à la pofte le prix du Rouge qu'elles defireront
, &: d'affranchir le port de leurs lettres .
PARTITION du Droit du Seigneur , Comédie en
trois Actes , dédiée à Mine la Ducheffe de Fronfac ,
mife en mufique par M. Martini , Amateur , repréfentée
à Fontainebleau le 17 Octobre , & à Paris ,
le 29 Décembre 1783. Prix , 24 liv . A Paris , chez
DE FRANCE. 47
Brunet , Libraire , place du Théâtre Italien , & chez
le Portier de M. le Normant d'Etioles
Sentier , No. 34.
rue du
Les parties féparées de cet Opéra , prix , 12 liv.;
& les Airs détachés , arrangés pour la Harpe ou le
Forté Piano , par l'Auteur même. Prix , 7 liv. 4 fols.
Se vendent aux mêmes Adreffes.
Le premier Acte du Droit du Seigneur contient les
préparatifs de la noce de Julien & de Babet ; la
Scène eft remplie de perfonnages , & les Auteurs ont
eu le bon efprit de n'y pas mettre de morceaux feuls
qui auroient laiffé les Interlocuteurs dans l'inaction. "
Ce font dene tous morceaux d'enſemble fort bien
faits , remplis de chant & d'expreffion , & qui font
très -bien en Scène. On en peut cependant détacher
plufieurs couplers agréables , entre autres une ronde
d'un caractère fort original. Le fecond offre un Air
d'effet chanté par le Comte ( haute contre ) & un
morceau charmant : Dans la prairie & fous l'ormeau.
Cet air , déjà connu avantageufement dans les Sociétés
, avoit été fait fur d'autres paroles que la
inufique exprimoit très -bien . Il eft ici en trio , &
dans une fituation différente ; mais l'Auteur , dans
fon Recueil d'airs détachés , a rétabli les anciennes
paroles , qui nous femblent y converir beaucoup
mieux. Cet Acte contient encore de fort beaux
morceaux d'enſemble , particulièrement le final qui
doit faire grand plaifir , même dans les Concerts cu
on pourra l'exécuter. Le troisième Acte commence
par un duo fort plaifant pour les paroles , & rendu
par le Muficien avec beaucoup d'efprit. Le Vaudeville
& d'autres petits airs font auffi très- agréables.
En général cette mufique , qui a contribué au fuccès
de l'Ouvrage , fait beaucoup d'honneur à M. Martini.
Il a lui -même arrangé fes petits airs pour la Harpe
on le Forté- piano. Il feroit à fouhaiter que tous les
Composteurs fe donnalent cette peine , & divraf48
MERCURE
fent le Public des productions fautives de ces malheureux
arrangeurs , qui ne vivent qu'en défigurant
le talent des autres .
Six Duos à deux Violons & un Violoncelle ,
dans lesquels l'Auteur a inféré des meilleurs morceaux
des Opéras- Comiques les plus nouveaux , &
traités avec le plus grand foin , pour la facilité &
l'agrément des Amateurs , & avec lefquels ils pourront
fe faire entendre & paroître des Virtuofes , par
M. Haillot , de la Comédie Italienne , Profeffeur de
Violoncelle , & Maître de Mufique Vocale. OEuvre
troiſième. Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez l'Auteur
, rue de Bourbon - Villeneuve , chez M. Poiré ,
Tapillier.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
3 morceaux de Poefics Ita-
E PITRE à M. ***
Charade , Enigme & Logo liennes ,
gryphe ,
28
7 Abrégé Latin de Philofophie ,
Recueil de quelques Ouvrages - 34
de M. Watelet , de l'Aca- Collection des Moraliftcs Modémie
Françoife , 9 dernes ,
Recueil complet des plus beaux Annonces & Notices ,
35
41
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Juin . Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 4 Juin 1784. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I 2 JUIN 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Son Alteffe Séréniffime Madame la
Ducheffe DE CHARTRES.
VERTUEUS ERTUEUSE Beauté que tout Paris adore ,
Quoiqué ton front repréſente fi bien
La Sageffe , au coeur pur , à l'augufte maintien ,
Tes moeurs la peignent mieux encore.
(Par M. l'Abbé Ferrand. )
FERS récités à Madame la Préſidente Dʊ
PATY , par fes Enfans , en lui préſentant
le Portrait de leur Père abfent , deffiné par
M. Pujos.
MAMAN AMAN , voilà Papa ! quelle aimable ſurpriſe !
C'est bien de cet air là qu'il nous regarde tous .
Le Peintre cependant a fait une méprife ;
Car Papa femble heureux & n'eft pas avec nous.
No. 24 , 12 Juin 1784.
C
so MERCURE
A Mile CONTAT , jouant le rôle de
Suzon dans le Mariage de Figaro,
CONTAT , que vous êtes jolie !
Que vous embelliſſez Suzon !
Jamais on eut l'air plus fripon ,
Plus de grâce & d'eſpièglerie ;
Jamais d'Angeville & Thalie
N'ont parlé d'un plus joli ton .
Contat , votre voix eſt ſi tendre ,
Et vos yeux ont tant de pouvoir ,
Que l'on ne fait auquel le rendre :
Le fourd doit craindre de vous voir ,
Et l'aveugle de vous entendre .
( Par M. le Ch. du Puy des Iflets . )
Notr. C'eft par erreur que dans le N °. 21 , on a
inféré fous le nom de M. H ... de Sech.. , un Quatrain
adreffé à M. Pujos.
K
DE FRANCE. st
A Mme CH ****** , qui me défapprouvoit
d'avoir donné aux Brunes la préférencefur
les Blondes.
AIR: La foi que vous m'avez promife.
QUOI! VOI ! tu prétends que pour la Brune ,
Abjurant mes goûts amoureux ,
D'un éloge qui t'importune
Je te venge au gré de tes voeux ?
Déjà de caprice on m'accuſe,
Et je fens qu'Amour , en ce cas ,
Pour faire approuver mon excuſe ,
A befoin de tous tes appas.
MAIS pour appuyer ton fyftême ,
Sans nous citer Flore & Phébus ,
Ne fuffit-il pas de toi - même ,
Ou de l'Amour ou de Vénus ?
Sur cet argument je me fonde ;
Sans doute pour le décider
A croire Vénus une blonde ,
Il fuffit de te regarder.
PRÈS de la tendre Gabrielle
Henri , dit - on , connut l'amour §
Mais s'il t'eût vic , en dépit d'elle ,
Embellir fon règne & la Cour ,
Cil
52
MERCURE
Il n'eût partagé fa couronne
Que pour en orner ta beauté ;
Si les Grâces ont droit au trône ,
Qui jamais l'a mieux mérité ?
DE TITON j'apperçois l'amante
Devançant le char du Soleil ;
Elle eft Blonde , elle eft raviffante,
On croit te voir à ton réveil ;
Heureux qui , grâce à ta tendreſſe ,
Finiſſant la comparaiſon ,
Perdroit avec toi la jeuneſſe
Au prix que la perdit Titon!
PETRARQUE écrit , Laure l'infpire ,
Je conçois fa félicité ;
Que ferviroit le don d'écrire
Si l'on n'écrit pour la Beauté ?
Pétrarque peint ce qu'il adore.
En effet, que peut- on , dis-moi ,
Feindre de plus charmant que Laure ,
A moins de peindre d'après toi ?
PEINT-ON une Beauté célefte ?
L'art ne la préſente à nos yeux
Qu'en faisant fur un cou modefte
Jouer l'or de fes blonds cheveux ;
Et ces Houris que tu rappelles ,"
Mahomet ne prouve- t'il pas ,
DE FRANCE. 35
En les imaginant &i belles ,
Qu'il a deviné tes appas ?
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Reine Claude ;
celui de l'Enigme eft Manche ; celui du Logogryphe
eft Conftantinople , où l'on trouve
Isác , noce , Cain , Cinna , Antoine , Sénat ,
Conti , Nil , Caton , Antonin , placet , Noé,
Solon , Penn , lit , cannes , Actéon , Ninon,
linon.
QUAND
CHARA D E.
UAND mon fecond veut guider mon premier
Jamais mon tout ne peut vous effrayer.
É NIG ME.
JE fers l'Amour & le Commerce ;
Je fuis chafte , quoique je berce
Toujours un homme dans mes bras ;
L'ingrat dort & ne m'aime pas ;
Mais le Public me rend féconde :
Pour lui je fais le tour du monde.
Avec cinq pieds je dois toujours trotter ;
Cij
$ 4 MERCURE
Souvent en ville on me fait arrêter ,
Cruellement on échange mes filles ,
On me les prend affreufes ou gentilles ,
Comme une troupe on les range à l'inſtant ,
Chacune après trouve fon logement.
Qui croiroit q'ue , par un fentiment tendre ,
Avec ardeur on leur ouvre le fein ?
Si de me voir on conçoit le deffein ,
Aux grands chemins il faut aller m'attendre.
( Par M. 3. J. de Montargis. )
JE
LOGO GRYPH E.
;
E fuis aveugle & je n'ai pas un ſou ;
Mais par l'effort de mon vafte génie ,
Je vis aux frais & du fage & du fou .
De mes talens admire la magie ;
A ce portrait tu me crois quinze-vingt.
Non. J'ai fept piés , mon fexe eft féminin
Sur mes billets chez moi l'argent abonde
Comme à l'hôtel de nos traitans fameux ,
Et , tous les mois , je rembourfe mon monde
Par un moyen qui ne plaît qu'aux heureux
Veux -tu , Lecteur , ailément me connoître ?
Prends ton fcalpel & difféque mon être.
Mes trois premiers expriment fans détour
Ce qu'aucun gagne à me faire la cour ;`
Tu vois en quatre , auffi fans rien défaire ,
DE FRANCE.
35
Pour les friands un poiffon de rivière.
Retourne-moi, tu verras dans mes flancs
Le vieux Jupin des peuples Allemands ;
Un ancien jeu qui plaifoit à nos mères ;
La paffion qui ne fied qu'aux Mégères 3
Un inftrument ; un fleuve ; un animal ;
Près du Saint- Père un fameux Tribunal ;
Ta sûreté ; le foutien d'un Empire.
Mais finiffons , j'en aurois trop à dire.
( Par M. Mazérou , au Blanc. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ALMANACH des Mufes , 1784. A Paris ,
chez Delalain l'aîné, Libraire , rue Saint-
Jacques , vis à- vis la rue du Plâtre.
ON remarquera fans doute que l'annonce
de cet Ouvrage fe trouve aujourd'hui fort
éloignée de l'époque de fon apparition ; &
il femble d'abord qu'une mention auffi tardive
porte évidemment atteinte au privilége
qui doit lui être commun avec les nombreufes
productions du mois de Janvier. Ent
effer , fi ce Recueil avoit la deftinée d'un
Almanach , comme il en porte le titre , ce
feroit choisir , pour notifier fon existence ,
refque l'époque de fa décrépitude ; car fa
urée fe renfermeroit déformais dans l'ef
Civ
$5
MERCURE
pace de fix mois . Mais par bonheur fon exiftence
n'eft pas auffi éphémère que fon titre
l'annonce ; peut - être même la fortune qu'il
a faite auroit- elle dû lui faire ôter cette dénomination
devenue un peu trop inodefte ; &
il ne l'a confervée fans doute que pour
rappeler & juftifier fon droit d'aîneffe
fur d'autres Recueils poétiques qui font nés
de fon fuccès , & appelés à fon inftar du
nom d'Étrennes ou d'Almanachs.
Quoi qu'il en foit , on fait que , chaque
année, l'apparition de ce Recueil n'eft pas
une petite affaire pour les Amateurs curieux ,
& qu'ils vont affiéger la porte du Libraire
qui le diftribue , pour épier le moment de
fa bienheureufe apparition. Non - feulement
il intéreffe & fait courir ceux qui aiment la
poéfie & ceux qui la cultivent , il a même de
quoi plaire aux Nouvelliftes politiques & aux
Nouvelliftes de ruelles , à ceux en un mot qui
veulent être au courant des grandes affaires
d'État & des petits événemens de Société ;
car tout y eft mentionné en grands ou petits
vers , en ftrophes ou en couplets . On pourroit
dire qu'on trouve dans cet Almanach
les annales de Paris , nous avons prefque dit
l'Hiftoire de France. En effet , toutes les
morts célèbres y font pleurées ; toutes les
grandes naiffances y font chantées ; tous les
mariages , enregistrés ; toutes les fêtes ,
chommées ; tous les événemens publics ,
configués ; toutes les découvertes , célébrées.
Il eft vrai qu'ordinairement les mêmes obDE
FRANCE. 57
jets y paroiffent efcortés de l'éloge & du
perfifflage ; mais tout cela ne peint que mieux
les moeurs de Paris.
Delà il réfulte que tous les genres, de
poéfie s'y reproduifent fans ceffe ; l'Épigramme
& le Madrigal , la Satyre & l'Éloge ,
' Idylle & les Ruptures , l'Épitre & l'Ode ,
le Conte & la Fable , tout jufqu'au Triolet
& aux Bouts rimés. On fent combien il feroit
aifé de plaifanter doucement fur ce petit
tableau encyclopédique ; mais il n'en eft pas
moins certain qu'on peut fuivre dans ce Recueil
les progrès ou la décadence de la
poélie , & s'il eft vrai qu'on y life des vers
qu'on croiroit ne devoir pas s'y trouver , il
faudra convenir aufli qu'il renferme toujours
les meilleurs qu'on ait faits dans l'année,
dont il recueille les productions. D'ailleurs
, fi l'on fonge que pour des Ouvrages
de la plus longue haleine , deux hommes de
goût & de bonne foi peuvent , jufqu'à un
certain point , différer d'opinion , on fentira
combien il eft poffible , facile même , que
l'un des deux , s'il fait un Recueil femblable
à celui - ci , rejette ou admette une petite
poélie fugitive , moins par caprice que par
jugement. Ajoutons qu'une Pièce de vers qui
n'eft que paffable , paroît bien plus foible
encore par le voisinage des meilleures productions
de nos meilleurs Poëtes ; & que
c'eft alors fur tout qu'on trouve jufte l'application
de ce vers de Boileau :
Il n'eft point de degré du médiocre au pire.
Cv
38 MERCURE
Tout cela explique pourquoi l'on trouve
fouvent dans un choix de poéfies , telles
Pièces dont l'admiffion paroît contredire la
réputation de goût qui eft acquife ou qu'on
fuppofe au Rédacteur.
Quant à celui de l'Almanach des Mufes ,
il eft connu pour un Littérateur éclairé , qui
fait fentir & apprécier les beautés & les
défauts de la profe & des vers ; qui , par des
analyfes eftimées & lûes avec intérêt prouve
ailleurs fa miffion de fage critique , & qui ,
en jugeant le ftyle d'un Écrivain , donne le
précepte & l'exemple tout- à- la- fois .
Jetons fur le tribut de cette année un
coup d'oeil qui puiffe adoucir un peu , s'il
eft poffible , nos regrets fur le déclin des
Mufes Françoifes. On y retrouve avec plaifir
prefque tous les noms des Poëtes qui ont
coutume d'enrichir annuellement ce Recueil
de leurs diverfes productions . Si nous voulons
commencer par la grande poćfie , nous
remarquerons une Ode de M. de Murville ,
fur les fleuves; Ouvrage riche en expreffions
& en harmonic , d'un ton noble , foutenu
& digne de nos bons Lyriques. On regrette
feulement , en le lifant , que le Poëte n'annonce
pas un but plus marqué , & n'ait pas
une marche plus fuivie ; on y defire non le
ton didactique d'une differtation , mais on y
voudroit plus fouvent cette logique toujours
néceffaire , qui par conféquent doit être
cachée , mais non abfente , dans un Poëme
Lyrique. Cette obfervation n'empêche pas
DE FRANCE. 59
que l'Ouvrage ne confirme les efpérances
que M. de Murville avoit fait concevoir de
fon talent pour les vers , & n'ajoute même
aux preuves qu'il en a données.
Nous avons trouvé l'expreffion de la grande
poéfie , de la fenfibilité , & un ton vraiment
lyrique dans un morceau imité des poéfies
erfes , par M. de Flins. M. Gudin de la
Brunellerie a célébré avec un enthoufiafme
juftement applaudi , la découverte de MM.
de Mongolfier ; & M. de Saint- Ange a augmenté
le nombre des partifans de fon talent
par un fragment de la Fable de Ceyx &
d'Alcyone ; on y a diftingué fur- tout la
defcription du Sommeil , qui eft écrite
avec élégance , & d'une harmonie foutenue
& imitative. Il y a dans le même Volume
un autre morceau de traduction de M.
de Saint Ange . C'eft une Élégie de Tibulle
que l'Auteur avoit foiblement traduite dans
fa jeunelle , & qu'on a réimprimée cette
année dans un autre Recueil avec de nouvelles
fautes , quoiqu'il l'eût corrigée quel .
ques mois auparavant , en l'inférant dans un
des Numéros du Mercure. M. de Saint Ange
n'avoue que la verfion inférée dans l'Almanach
des Mufes , qui en effet eft fupérieure
au premier effai.
و
Avant de quitter les grands vers , nous
n'oublierons pas de parler d'une Pièce de
M. de Maisonneuve , intitulée : l'Exemple
inutile. Cette Pièce eft écrire dans le goût le
plus fain ; point de recherche , toujours du
C vj
60
MERCURE
naturel dans le ftyle , qui n'en eft pas moins
poétiques de laraifon , & de l'élégance * .Outre
les vers heureux & piquans qu'on y rencontre ,
on y trouve des tirades d'un excellent ton de
verfification , telle que celle ci :
Cet antique pays , où la main des Poëtes
Ornant pour les beaux Arts d'agréables retraites ,
Fit couler le Permeffe , éleva l'Hélicon ,
Et fixa les Neuf Soeurs & la Cour d'Apollon ;
Ce pays qu'autrefois bordoit un précipice ,
Se préfente aujourd'hui fous un afpect propice ;.
L'accès en eft facile , & les chemins frayés
Semblent dans le lointain s'applanir fous nos pieds .
Bientôt nous ne trouvons que des routes connues ,
Dont vingt Auteurs fameux gardent les avenues ;
Corneille a fu bâtir un palais dans ce lieu ;
Ce bofquet enchanteur appartient à Chaulieu ;
Plus loin , & fur le haut de la double colline ,
Je vois & La Fontaine , & Molière & Racine ,
Voltaire , qui , par- tout courant tous les fentiers ,
Laiffe à peine une feuille aux plus riches lauriers.
QU'IMPORTENT à préfent la pompe d'une rime ,
Et tous ces vers vingt fois repaffés fous la lime ?
L'oreille dégoûtée écoute avec dédain
* M. de Maisonneuve étoit déjà connu par d'autres
Ouvrages plus férieux ; & l'on n'apprendra pas
fans intérêt qu'il a une Tragédie reçue , qui n'attend
que fon tour pour être jouée.
DE FRANCE. 61
De tant d'airs répétés le facile refrain ,
Et ces traits faftueux d'une morale ufée ,
Et ces enjambemens , cette profe brifée ,
Dont Ronfard autrefois eftropia nos vers ?
La feule vérité plaît aux efprits divers ;
Mais comment l'habiller d'une image nouvelle ,
Préciſe , ingénieuſe & toujours naturelle ?
L'Auteur doit marier l'image au fentiment , &c.
Le jeune Auteur du Souper des Six Sages
mérite auffi des éloges par la grâce & la facilité
de fon efprie
Mais parmi nos Poëtes Érotiques , il faut
diftinguer MM. de Parny & de Bert... , qui
femblent fe difputer le talent de Tibulle &
de Catulle. Si nous avions à prononcer fur
l'analogie de leurs talens , nous verrions
plutôt celui de Tibulle dans M. lễ Chevalier
de Parny , & celui de Catulle dans
M. le Chevalier de Bert... Parmi les preuves
que nous donnerions de la première reffemblance
, fe trouveroit le Tombeau d'Eu
charis , par M. de Parny , que nous allons
tranfcrire ici :
Elle n'eft déjà plus , & de fes heureux jours
J'ai vû s'évanouir l'aurore paffagère.
Ainfi s'éclipfe pour toujours
Tout ce qui brille fur la terre.
Toi, que fon coeur connut , toi , qui fis fon bonheur ,
Amitié confolante & tendre ,
ܐ6
MERCURE
De cet objet chéri viens recueillir la cendre.
Loin du monde froid & trompeur ,
Choififfons à fa tombe un abri folitaire ;
Entourons de cyprès fou urne funéraire ;
Que la jeuneffe en deuii y porte avec les pleurs
Des rofes à demi -fanées ;
Que les Grâces plus loin , triſtes & conſternées ,
S'enveloppent du voile , emblême des douleurs.
Repréfentons l'Amour , l'Amour inconfolable ,
Appuyé fur le monument ;
Ses pénibles foupirs s'échappent fourdement ;
Les pleurs ne coulent pas , le défefpoir l'accable.
L'inftant du bonheur eft paffé.
Fuyez , plaiſirs bruyans , importune allégreſſe.
Eucharis ne nous a laiffé
Que la trifte douceur de la pleurer fans ceffe.
M. le Chevalier de Ber... a peut être plus
de vivacité & moins de molleffe , & c'eft
en quoi il fe rapproche davantage du talent
de Catulle . Du refte , fa manière eft fpirituelle
& piquante ; & nous regrettons que fa
Pièce intitulée la Véndange , foit d'une
trop grande étendue pour être citéé.
M. Blin de Sainmore , dont la verfifica
tion cft connue depuis long-temps par des
tours heureux & une harmonie foutenue';
& M. Bérenger , qui , aux grâces du ftyle
joint la délicateffe des fentimens , n'ont pas
fourni beaucoup cette année à l'Almanach
des Mufes: Peu & Bien , c'eft une allez
DE FRANCE 63
་
.
bonne devife ! combien de nos Poëtes en
ont pris une toute contraire !
Ce reproche ne s'appliquera pas à M. le
Chevalier de Florian , qui ne publie que ce
que le travail ou un heureux naturel a perfectionné
, & qui fans doute confulte bien
plus le goût que l'impatience de jouir . Auffi
ne publie t'il rien qui ne foit digne de fon
talent aimable , déjà fi fouvent & fi juftement
récompenfé par le fuccès. Outre une
Romance courte , mais intéreffante par le
ftyle & par le fujet , il a donné des vers
agréables & ingénieux fur Anet.
>
Parmi d'autres Pièces qu'on lit avec beau
coup de plaifir , des vers à Mme la Comteffe
de Saint- Aulaire foutiennent la réputation
que s'eft faite M. de Choify, parmi nos jeunes
Poëtes. On diftinguera auffi de très jolis vers
aux Femmes , par M. de ** & une
Romance de M. Léonard , dont le talent a
toujours fait aimer la perfonne , avec une
imitation d'Ovide , par M. Rochon de Chabanes
; des Couplets intéreffans de M. Mugnerot
, & une Epître ingénieufe fur l'Air
Natal , dont nous ne connoiffons point
l'Auteur , & qui s'eft fignée que de la lettre
initiale G **. Elle feroit encore mieux fi elle
étoit moins longue .
M. Maffon de Morvilliers a fourni cette
année un certain nombre de Pièces, & c'eft tou
jours tant mieux pour le Recueil . M. de Saint-
Péravi , dont la Mufe femble fe complaire
particulièrement, ou dans la gaîté la plus dé64
MERCURE
cidée , ou dans la trifteffe la plus fombre , a
payé fon tribut par une jolie Pièce intitulée :
Les Trois Saurs Nayades. On ne lira pas
avec moins de plaifir quelques Pièces de M.
Vigée , Auteur des Aveux Difficiles , petite
Comédie qui a réuffi fur la Scène Françoife;
& de jolis vers de M. le Chevalier de
Rivarol , qui finiffent par celui ci :
J'ai perdu tout , quand j'ai tout obtenu.
C'eft avec un intérêt mêlé de furpriſe qu'on
voir dans ce Volume M. de la Place , le contemporain
& l'ami de tant de Littérateurs
que la mort nous a enlevés , femer de fleurs
les pas de fa Mufe en cheveux blancs , &
conferver dans fes vieux jours toute la gaîté
de la jeuneffe. Il y a de lui plufieurs Contes
pleins d'enjouement.
Ce mot de Conte nous rappelle un nouveau
concurrent dans ce genre ; c'eft M. de
Cambry. Son Jaloux puni a obtenu un fuccès
qui en promet d'autres à fon Auteur.
L'Édireur a recueilli auffi , fuivant fon
ufage , quelques vers de plufieurs Auteurs
moris depuis peu de temps ; de M. Borde
de M. Saurin , de M. de Treffan , & de M.
de la Louptière. On ne lit point ces Pièces ,
de quelque genre qu'elles foient , fans un
fentiment trifte , excité par le fouvenir de
leurs pertes. Tâchons d'effacer cette fombre
idée par une Épigramme de M. Pons de Verdun
, qui en a mis plufieurs dans ce Volume
:
DE FRANCE. 65
Les fuites d'une Affaire.
Vous difputez , mon cher ; moi , je m'enfuis.
Vive la paix ! Quelle crainte eft la vôtre ?
-
·Je n'eus jamais qu'une affaire , & depuis
J'ai bien juré de n'en avoir point d'autre .
Voici comment la chofe fe paffa :
Dans un café je buvois de la bière ,
Lorfqu'un matou , que mon voifin pinça ,
Voulut s'enfuir , & fit tomber mon verre;
Si qu'en tombant mon verre fe caffa .
Or , de fes fens on n'eft pas toujours maître ;
Je lache une f , j'en lache deux peut- être , -
Et mon voifin , qui n'aimoit pas les f,
Par un foufflet me répartit en bref.
Ciel ! un foufflet, devant une affemblée!
En plein café ! quoi ! férieufement !
-
L'affaire eut donc des fuites ? Oh ! vraiment ,
Pendant un mois j'en eus ka joue enfiée .
On regrette , en lifant ce Volume , de n'y
voir rien de M. de Fontanes , de M. Roucher ,
& trop peu de M. François de Neufchâteau ,
de M. le Chevalier de Cubières , & de M. de
Piis.
On voit encore au bas de Pièces agréables ,
les noms de MM. Goulard , le Comte
Raiecki , Mérard de Saint Juft , de la Montagne
, Pothier de Biele , Roman , le Comte
de S ** Guyétand , de la Chabeauffière , &
66 MERCURE .
de quelques autres que nous ne nommerons
pas , parce qu'il faudroit prefqu'autant de
temps pour écrire leurs noms que pour lire
leurs Ouvrages , tant ils font de peu d'étendue.
Il y a auffi parmi les Anonymes quelques
Pièces qui feront plaifir. Mais on en
trouve auffi d'autres que nous n'aurions pas
cru devoir être admifes , comme celle ci :
Certain bofu , grand engeoleur de filles ,
Pour en féduire une des plus gentilles ,
Lui promettoit , s'en croyant sûr déjà ,
Belle maiſon , diamans & carroffe.
Oh ! que nerni , dit- elle ! nenni dà !
Ce n'eft pas moi qui donne dans la boffe.
Nous en dirons autant d'une autre Épigramme
qui finit par ces deux vers :
Ou ne fauroit bouder long temps
Quand on boude contre fon ventre .
On pouvoit d'autant mieux fe paffer de cette
Épigramme , que l'Auteur , M. James , en a
fait d'autres qui font jolies .
On fait que l'Almanach des Mufes eft
auf le Parnaffe des Dames. Celles dont les
noms parent ce Volume font : Madame la
Ducheffe de B** , qui a adreffé de fort jolis
vers à Mile de Sivry; cette même Demoifeile
, qui a très - agréablement répondu aux
vers précédens ; Mlle de Gaudin , à qui nous
avons déjà donné de juftes éloges ; Madame
la Baronne de Bourdic , qui en mérite tous
DE FRANCE. 67
les jours de nouveaux ; Madame la Comteffe
de T**, qui a fait des Couplets charmans à
fon Mari , & Madame la Marquise de la
Fer*** , chez qui la fenfibilité parle toujours
le langage des Grâces . Cette Dame a
plufieurs Fables charmantes. Nous allons
citer celle qui nous a plû avantage.
Les deux Loups.
UN Loup malade , & gardant fa tannière ,
Déteftoit les forfaits de fa dent meurtrière ,
Et le coeur bien contrit renonçoit à pécher.
Un autre Loup voifin , fon ami , fon confrère ,
Pour de nouveaux exploits accourut le chercher ;
Le malade dévot fe met à lui prêcher
La morale la plus auftère.
" Troublerons nous , dit- il , fans ceffe le repos
» Et des Bergers & des troupeaux ?
» Sur leurs malheurs , hélas ! mon ârue eft attendrie :
» Grâce au ciel , je deviens auſſi doux , auſſi bon ,
? Qu'un Mouton ,
» Et je vais l'être enfin le refte de ma vie.
" Oui , files Dieux encor m'accordent quelques jours ,
Je veux les employer à courir au fecours
30 De tous les t oupeaux Ju village.
Crois -moi , devenons bonnes gens ;
Quel plaifir d'être aimé de tout le voisinage!
» On vit très-bien de racines , de glands ;
N'as - tu pas effrayé , dégoûté du carnage ?
Les végétaux font fains & plus appétiffans, »
63 MERCURE
Son voifin l'écoute , l'admire ,
Mais craint que l'Orateur ne foit dans le délire .
Il gémit , plaint fon fort ,
Fait les adieux & fe retire.
Trois jours après , tremblant qu'il ne fût mort,
Il veut revoir le pauvre fire :
Sans Médecins on guérit promptement ;
Il le trouve convalefcent
Et mangeant
Un jeune & tendre Agneau , puis apperçoit fa mère ,
Qui dans un coin de la tannière
Se débattoit encor & pleuroit fon enfant.
» Oh , oh ! dit il alors , flairant la bonne chère ,
» Tu devenois Mouton , difois - tu l'autre jour !
» Tu prenois fa douceur , fes goûts , fon caractère,
» Et tu voulois déformais tour-à- tour
ور
Protéger les Troupeaux ainfi que la Bergère ?
Ton pathétique & beau fermon
» Avoit fur mon efprit fait telle impreffion ,
Que j'allois me réduire enfin à la falade. 33
--
ככ
- Quoi ! tu ferois fi fot ? - On ne vit pas de rien ;
Tiens , partageons , cher camarade ,
» J'étois Mouton lorſque j'étois malade ,
" Mais je fuis Loup quand je me porte bien. »
Voilà ce que nous avons trouvé de plus remarquable
dans la lecture de ce Recueil ; mais
nous prendrons la précaution de mettre au
bas de ce compte rendu , fauf erreur ou
emiffion ; il y a tant de noms à lire , tant
DE FRANCE. 69
d'immortalités à enregiſtrer , que quelques
oublis en pareil cas feroient bien excufables
.
En général , ce Volume ne nous paroît
pas inférieur à celui des années précédentes.
On peut comparer ce Recueil à un vaiffeau
qui porte les pacotilles poétiques de l'année ;
il y a bien dans l'équipage quelques réformes
à faire , quelques obftacles à une bonne
navigation , mais qui ne l'empêchent pas
d'artiver au port ; & s'il a perdu de bons
Capitaines , tels que Voltaire , & c . ces Capitaines
ont laiffé de bons Lieutenans , qui ,
co-héritiers de leurs talens précieux , peuvent
bientôt dire d'eux- mêmes ce que Pom
pée , dans Corneille , dit de Sertorius :
De pareils Lieutenans n'ont des Chefs qu'en idée.
1
Ajoutons , pour terminer & completter
cette analyſe , qu'il y a auffi des Pièces de
nous , Auteur de cet article ; nous dirons
qu'il y en a beaucoup , & nous laifferens
difcrètement à d'autres le foin de dire , ce
que nous penfons , qu'il y en a trop.
( Cet Article eft de M. Imbert, )
70 MERCURE
HISTOIRE de Ruffie , Tomes II & III
in 4° . par M. le Clerc. A Paris , chez
Froullé , Libraire , Pont Notre Dame ,
vis- à- vis le Quai de Gêvres ; à Versailles ,
chez Blaizot , Libraire , rue Satory. Ouvrage
propofé par Soufcription .
Nous avons rendu compte , dans le Mercure
du 1 Octobre dernier , du premier
volume de l'Hiftoire Ancienne & du premier
volume de l'Hiftoire Moderne de la Ruffie ,
par M. le Clerc. Nous avons dit de quelle
manière cet Ouvrage avoit été conçu & s'exécutoit
. Nous en avons dit affez pour faire
fentir l'importance de l'Hiftoire , le mérite
& les défauts de l'Hiftorien. Nous aurons
quelques obfervations à faire fur ces deux
nouveaux volumes. Qu'on ne s'attende point
à nous voir appefantir la critique fur un
genre de travail qui doit être refpecté. Des
dépenfes , des recherches pénibles , un temps
confidérable , de bonnes vûes , de la candeur ,
l'amour de la vérité , voilà ce qui doit réconcilier
la Critique avec l'Hiftorien . Autrement,
qui oferoit le dévouer à un travail
long temps obfcur & prefque toujours rebutant
, s'il ne pouvoit compter fur un peu
d'indulgence ? M. le Clerc a dû nous trouver
circonfpect. En conféquence nous lui reprocherons
de ménager trop peu M. Levefque.
La rivalité ne permet pas la fatyre. La vérité
n'a pas befoin de cet aiguillon ; elle perfuade
DE FRANCE, 71
fans déchirer. Aux yeux de la poſtérité , la
meilleure des Hiftoires n'eft pas celle qui eft
la mieux écrite , c'eft celle qui eft la plus
vraie. Sans doute M. le Clerc peut craindre
qu'on ne puiffe pas prononcer avec équité
fur fon Hiftoire , parce que la Ruffie nous
eft très peu connue , & que des fables pourroient
, à certains égards , paffer pour des
vérités. A cela , que peuvent fes déclamations
? Rien . Il faut attendre tout du temps ,
fe refpecter & fe taire . M. le Clerc apporte
affez de preuves pour mériter la confiance.
Le ton de bonne foi qui règne dans les narrations
défarmeroit le pirrhonifie le plus
décidé. C'eft maintenant au temps à lui donner
cette fanction qui conftitue l'authenticité
hiftorique.
Le fecond Volume de l'Hiftoire Ancienne
commence en 12,5 . Nous invitons nos Lecteurs
à parcourir attentivement ce volumes
depuis l'année 1462. Ils verront à quelle dif.
tance la Ruffie étoit des autres Nations , &
quelles reffemblances elle avoit avec la
Suède & la Pologne. Ses guerres civiles , fes
intérêts politiques , les ufurpations continuelles
, le caractère des Ruffes , l'opiniâtreté
des Tatars offrent des tableaux variés , affreux
, qu'il importe de méditer. Quelques
vertus fauvages le montrèrent par intervalles
fur ce trône mal affermi. Le befoin d'une
civilifation générale enfanta quelques Loix
fages ; des Rois s'occupèrent de la Légiflation
; mais tien n'annonce une fuite de vûes ,
72 MERCURE
ni cette adminiſtration invariable , qui eſt lë
réfultat des calculs d'un peuple inftruit &
civilifé. Le feul trait de rapprochement qu'on
trouve entre les Ruffes & les autres Nations ,
c'eſt la trop grande puiffance que le Clergé
avoit alors , & la fuperftition terrible qui
tourmentoit l'opinion . Ces excès ne contribuèrent
pas peu aux maffacres , aux vio-,
lences qui fouillent les annales de la Ruffie.
Avant de paffer au fecond volume de
l'Histoire Moderne , nous nous permettrons
quelques obfervations fur le ftyle de M. le
C'erc. Nous lui avions reproché avec ménagement
le goût des métaphores , les fréquentes
comparaifons , & des citations déplacées.
Par exemple , ne pouvoit il pas dire autrement
ceci. « L'Hiftorien recevoit la plu-
» me des mains de la reconnoiffance . La
force qui a toujours été le fléau du droit
" naturel. Un trône placé dans la région
"
des orages. Celui qui a tort dit ordi-
» nairement à celui qui a droit , fi ce n'eft
» pas toi qui as troublé l'eau , c'est donc
» ton père. La poffeffion du trône vacant
par la mort de Demitri , va donner à André
un air de Prince légitime . Ce ne
furent point les Tatars qui mirent un col.
lier de force aux Princes Ruffes. La
" guerre purge les humeurs vicieufes des
» corps politiques , qui par leur fejour pro-
» duifent des fermentations orageufes.
» Lorfque tout le monde eft content , tout
le monde fe croit Prince ; mais dans l'af
"
""
"
و د
"
-
» fliction ,
DE FRANCE. 73
fliction , tout le monde cherche un Prince.
Ivan étoit né bon. Le difcours tou-
» chant d'Anaſtaſie fut un trait de lumière
"
ور
-
qui rendit le Czar à lui - même . Les bouf-
» fons , les flatteurs , les roués ou les roua-
» bles furent chaffés de la Cour. »
Il eft inutile d'aller plus loin . M. le Clerc
peut faire difparoître de femblables taches.
Il a certainement le ton d'un homme qui
écrit fes mémoires ; nous voudrions qu'il
prît plus fouvent celui de l'Hiftoire , qui
permet quelquefois à l'éloquence de venir à
fon fecours. Nous lui confeillons de rejeter
ces maximes triviales & ces longues réflexions
qui précèdent & terminent chaque
fection. Ce n'eft pas le trop dire qui perfuade
, c'eft le bien dire ; & pour cela , il
ne faut être ni verbeux ni trivial.
Ce Volume eft terminé par une Hiftoire
numifmatique qui étoit très - néceffaire , &
qui paroît exacte.Les premières monnoies que
M. le Clerc nous fait connoître dans ce
volume , font de l'an 1398 ; les dernières de
l'an 1610. Elles font toutes figurées avec
beaucoup de netteté fur des planches que le
Lecteur confultera avec plaifir. Cinq cent
trente fix ans s'étoient paffés depuis Rourie
jufqu'à Ivonovitz , avant qu'on eût fongé à
battre monnoie. M. le Clerc compare à
cette occafion les Ruffes aux Romains , qui
ne frappèrent des monnoies que cinq cent
ans après la fondation de Rome. Il auroit pu
ajouter que c'étoit à coup sûr une preuve
Nº. 24 , 12 Juin 17841 D
1 .
2
74
MERCURE
de fa nullité dans le commerce. M. Levefque
avoit affuré que la Ruffie n'avoit point une
Hiftoire numifmatique , M. le Clerc lui a
répondu par des faits contraires. Il a fait
imprimer en Latin certe Hiftoire , telle que
les Ruffes la connoiffoient : en général ces
monnoies font peu variées ; & il s'eft écoulé
bien du temps avant qu'un infipide blafon
les ait armoiriées. Le plus grand nombre repréfente
des hommes à cheva !, des Arbalêrriers
à pied , & ces animaux fymboles de
force , d'audace , de fidélité , de vigilance
ou de célérité. Quelques unes préfentent
deux hommes embraffant l'arbre de la paix ,
ou fe tenant en figne d'amitié. Il en eft qui
portent l'effigie des Empereurs ; celles qui
font armoiriées portent l'aigle au vol abaiffé ,
qui eft en général le fupport des écus des
Maiſons nobles & anciennes du Nord . Nous
ferions curieux de favoir quelle eft l'origine
de ces fupports. Toutes les fois que nous
aurons à revenir fur le travail , fur les foins
& fur les recherches de M. le Clerc , nous
lui donnerons volontiers des éloges mérités .
-
·
Le fecond Volume de l'Hiftoire Moderne
commence la dynaftie des Romanof en
1510. Nous emprunterons les expreffions de
l'Auteur. Rouvik & fes defcendans
avoient oublié que le devoir de conferver
les peuples fait le droit des Souverains
, & que la Loi ne les conferve plus
» dès qu'elle eft faite pour des efclaves. La
Loi n'eft rien fi elle ne commande pas à
DE FRANCE.
75
"
"
"
> tous ; fi elle ne protège pas les propriétés
perfonnelles & foncières. La dynaſtie des
" Romanof préfentera un autre tableau. Les
Chefs de l'État en protégeront les différens
ordres , & la Loi fera un glaive qui
promenera indiftinctement fur toutes
les têtes , & qui abattra tout ce qui ofera
» s'élever au- deffus d'elle. L'agriculture , les
» arts , le commerce & quelques Sciences
» naîtront à l'ombre du trône fur lequel
» fe
39
n
"3
régnera la justice diftributive. Ils écarte-
» ront peu à peu l'oifiveté , l'ignorance , le
fanatifme , l'antipathie de nation , & la
barbarie ; des Princes , qui connoîtront
» mieux le prix des hommes , s'occuperont
» du bonheur de tous , parce qu'ils fenti-
» ront que le bonheur des Princes eft le
33
22
, د
"
réfultat de toutes les felicités particulières.
Mais la marche du bien eft lente &
épineufe , comme celle de la vérité qui
apprend à le faire. La dynaftie des Ro-
» manof aura befoin de dix règnes , & peutêrre
plus , pour marcher
"3
"
33
93
ور
"
"
à pas pas dans
la carrière qui y conduit. Le troisième
» volunie ( c'eft le deuxième de l'Hiftoire
» Moderne ) de l'Hiftoire des Princes de
Ruffie , en fournira la preuve. Il comprend
un espace de 170 ans . Ce volume .
» dit M. le Clerc , dédommagera peut- être
le Lecteur des règnes fcandaleux qu'il
» vient de parcourir avec nous , & dont
» nous étions pour le moins auffi las que
» lui. »
ور
33
"
Dij
76
MERCURE
M. le Clerc rend juftice à Voltaire ; &
enfin il étoit temps qu'on sût que cet Écrivain
célèbre n'a point imaginé le Roman de
Pierre Ier , ainfi que l'en avoient accufé des
Critiques de mauvaiſe foi. M. le Clerctranfcrit
fouvent les expreffions de Voltaire , &
le cite volontiers en preuves. Il faut lire M.
le Clerc & Voltaire fi l'on veut connoître
parfaitement le Législateur de la Ruffie .
Quels pas de géant Pierre Ir a fait faire à ſa
Nation ! Quelles diftances il a franchies !
combien d'obftacles il a furmontés ! D'un
faut les Ruffes fe font prefque trouvés au
même point où des fiècles avoient amené
avec peine les autres puiffances. Que ne
peat point un grand Homme fur le trône !
Pierre a tout vaincu , fes ennemis & fes fujets.
La chaîne de fes travaux eft immenfe.
On rencontre toujours le Créateur , jamais
le Monarque oifif. Il n'a connu que les foucis
du trône , il n'a fenti que les jouiffançes
du génie. Il fut cruel , il dut l'être . Il par
donna trop peu , peut- être ne put - il pas être
plus clément. Sa conduite eft une leçon éternelle
laiffée à tous les Souverains , fi l'on
veut en retrancher le fupplice des dix mille
morceaux , les coups de doubine , le defpotifme
avec lequel il vouloit qu'on reçût fes
innovations , & la mort de fon fils , qu'il
regretta toute la vie , & au ſouvenir duquel
il fit frapper une médaille , avec cette infcription
: En mémoire d'une douleur i nconnue
Ce fils étoit incapable de réguer, Tous le
DE FRANCE. 77
foins que Pierre Ier donna à fon éducation
furent perdus. Son bouffon lui préfenta un
jour un papier plié , en lui difant : homme de
génie , efface ce pli , fi tu le peux ; allufion
au méchant naturel d'Alexis . Alexis haïffoit
fon père. Les Prêtres entretenoient cette
haine. Il s'accufa d'avoir fouhaité la mort
du Czar ; fon Confeffeur lui répondit , Dieu
vous le pardonnera , nous lui en fouhaitons
tous autant. Comment Pierre Ier avoit
il encouru l'animadverfion des Prêtres ? Il
avoit anéanti la dignité patriarchale , il avoit
attribué au trône le droit de préfider le
Clergé. Comment avoir il irrité les nobles ?
Il avoit créé une Inquifition d'État , fous le
nom de Chancellerie fecrette, pour prévenir
les fréquentes rébellions; il avoit forcé la haute
Nobleffe à fervir fous les Gentilshommes ,
en raifon des grades militaires . Il avoit contraint
les nobles qui auparavant refufoient
de fervir , de ſe faire dénombrer par le Magiftrat
, & d'entrer au Service à dix ans ; il
avoit donné plus de diftin&tions aux grades
mérités qu'à la naiffance. On l'avoit vû affifter
au convoi de le Fort , une pique à la
main , marchant après les Capitaines , au
rang de Lieutenant , qu'il avoit pris dans le
grand Régiment de ce Général . Après la bataille
navale d'Angoult , il vint lui- même
rendre compte de la victoire , en habit d'Officier
de Marine , au Général Romodanoski.
Les grands Seigneurs s'étoient adonnés au
commerce , & accaparoient tout. Il ne ref-
Div
28
MERCURE
toit rien aux roturiers , qui étoient foulés ;
le Czar en condamna quelques uns à être
pendus , & commua la peine en un châtiment
de coups de doubine , qui leur furent
diftribués dans l'intérieur de fon palais . La
juftice étoit vénale ; il avoit déplu aux Magiftrats
par fa févérité. Il difoit fouvent , en
les menaçant , quels biens ne peut pas faire
un Prince à fes Sujets , en achetant feuleinent
pour un rouble de cordes . Il avoit défendu
à tout homme en place de recevoir
des préfens. Tels étoient les motifs de la
haine qu'on portoit à ce grand Homme Le
peuple ne lui párdonnoit point d'avoir fait
couper la barbe , & raccourcir les habits .
Fatigué de menacer , Pierre I avoit pris le
parti de mettre un impôt fur la barbe & fur
les longs habits. On improuvoit les réglemens
qu'il avoit faits pour l'inftitution des
fêtes de fociété , inftitution ingénieufe digne
des beaux jours de la Grèce , & le feul
moyen peut être de jeter le germe des moeurs
douces , & d'une civilifation remplie d'urbanité.
Les Anti réformateurs fe liguèrent
avec la Princeffe Sophie , qui dut le grand
nombre de fes conjurés à l'amour de la barbe
& des longs habits. Les voyages du Czar
avoient été condamnés par les premiers Ordres
de l'Etat. Les Prêtres s'étoient appuyés
de l'autorité des Livres Saints , & difoient :
nous fommes bien comine nous fommes , &
nous ne voulons pas être mieux que nos
pères. Quand l'ignorance s'exprime de la
DE FRANCE.. 79
forte , il eft ailé de preffentir les obftacles
qu'un Réformateur rencontre dans fa route.
A la paix de Neuftadt , Pierre I tint au
Maréchal Munich , un langage que peu de
Souverains pourroient tenir. Je viens de
finir une guerre qui a duré plus de vingt ans ,
fans faire de dettes , & fi c'eft la volonté de
Dieu de m'en faire faire encore une autre
auffi longue , je la foutiendrai de même
fans m'endetter.- Après la journée d'Aland ,
il parla en ces termes aux Officiers : « -Mes
frères , eft- il quelqu'un de vous qui eût
penfé , il y a vingt ans , qu'il combattroit
" avec moi fur la mer Baltique , dans des
» vaiffeaux conftruits par vous mêmes , &
» que nous ferions établis dans ces contrées
"
"3
»
conquifes par nos travaux & notre con-
» rage ? Qui de vous auroit prévu que tant
d'hommes inftruits , d'Artiftes habiles ,
d'Ouvriers induftrieux , viendroient de
» toutes les contrées de l'Europe faire fleurir
» les Arts en Ruffie ? On place l'ancien fiège
» des Sciences dans la Grèce , elles s'etablirent
enfuite dans l'Italie , d'où elles fe
répandirent dans toutes les parties de l'Europe
, excepté en Ruffie , par la négligence
» de nos ancêtres. C'eft à préfent notie
» tour , fi vous voulez feconder mes def-
"
"
feins , en joignant l'émulation & l'étude à
» l'obéiffance . Les Arts circulent dans le
» monde comme le fang dans le corps hu
main , & peut être ils établiront leur
Div
Το MERCURE
">
empire parmi nous , pour retourner
» dans la Grèce , notre ancienne patrie. »
M. le Clerc compare Pierre I à Charlemagne.
Ce parallèle nous a paru de la plus
grande exactitude , & très bien fait. L'un &
l'autre ont créé leur Nation . Pierre I a réellement
mérité cette devife :
Etiam , in minimis , magnus.
Nous engageons nos Lecteurs à lire avec
foin ce Volume , qui contient des objets pré
cieux. La partie légiflative qui le termine eft
très- intéreffante. Nous répétons avee fatisfaction
que M. le Clerc n'a rien omis d'utile
ni d'inftructif. Son Édition eft foignée ; le
même burin continue de nous donner les
gravures qui enrichiffent l'Ouvrage. M. le
Clerc montre par - tour l'Écrivain rempli des
plus louables intentions.
DICTIONNAIRE Hiftorique d'Éducation
où ,fans donner depréceptes , onfe propofe
d'exercer & d'enrichir toutes les facultés
de l'âme & de l'efprit , en fubftituant les
exemples aux maximes , les faits aux raifonnemens
, la pratique à la théorie ; nouvelle
Édition , qui a été revue , corrigée
& augmentée d'un grand nombre d'articles
, & fur tour d'une Table hiftorique
des Perfonnages , plus ample , plus exacte
& plus intéreffante que celle qui accompagnoit
les précédentes Éditions de ce
DE FRANCE. 81
Dictionnaire ; par M. Fillaflier , des Académies
Royales d'Arras , de Toulouſe ,
de Lyon, de Marfeille , &c. 2 Volumes
in 8°. Prix rel. 12 liv. A Paris , chez Méquignon
l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers
, près des Écoles de Chirurgie.
Le but du Rédacteur de cette intéreffante
Collection a été de mener la jeuneffe à la
vertu par la voie des exemples . Il a cru qu'cn
l'accoutumant à ne voir que des traits frappans
de magnanimité , de fageffe , de bienfaifance
, &c. elle deviendroit fage , magnanime
, bienfaifante par émulation , & que
les grands Hommes , par leurs actions , pourroient
l'inftruire avec autant de fuccès que
les Philofophes par leurs préceptes . Ainsi ,
c'est dans les annales du genre humain qu'il
a puifé toutes les leçons qu'il donne ; & fi
la nature de cet Ouvrage ne lui laiffe que le
mérite du choix , au moins eft- il fait de manière
à lui concilier de plus en plus le fuffrage
de tous les fages Inftituteurs qui l'ont
adopté depuis long - temps , & qui trouveront
cette nouvelle Édition plus digne encore
de leur accueil que les précédentes.
Tout ce que l'Hiftoire offre de curieux &
de remarquable a enrichi cet utile répertoire
; & quelques traits pris au hafard feront
juger de tous les autres.
་ ་
Un Soldat envoyé par M.
» pour examiner un pofte , y
de Vauban ,
reſta long
D v
82 MERCURE
"
» temps malgré le feu des ennemis , & reçut
même une balle dans le corps. Il retourna
rendre compte de ce qu'il avoit obſervé ,
» & le fit avec toute la tranquillité poflible ,
» quoique le fang coulât en abondance de
» fa plaie . M. de Vauban voulut récompenfer
fa bravoure & le fervice qu'il venoit
» de rendre ; & ce Général lui préſenta de
» l'argent Non , Monfeigneur, lui dit le
» Soldat en le refufant , cela gâteroit mon
» action. » ( Amour de la gloire. )
"
"
"
ܕ
∞
:
-
*
Une femme fort pauvre , mais qui avoit
» la confolation d'avoir une fille aimable ;
fe préfenta avec cette jeune perſonne à
» l'audience du Cardinal Farnèfe. Elle lui
expofa qu'elle étoit fur le point d'être renvoyée
avec la fille d'un petit appartement
» qu'elles occupoient chez un homme fort
riche , parce qu'elles ne pouvoient lui
payer cinq fequins qui lui étoient dûs . Le
» ton d'honnêteté avec lequel elle faifoit
» connoître fon malheur , fit aifément comprendre
au Cardinalqu'elle n'y étoit tombée
que patce que la vertu lui étoit plus
chère que les richeffes. Il écrivit un mandat
, & la chargea de le porter à fon In-
» tendant. Celui - ci , après l'avoir ouvert ,
» compta fur le champ cinquante fequins.
Monfieur , lai dit cette femme , je ne
demandois pas tant , & certainement Monfeigneur
s'eft trompé. Il fallut , pour faire
ceffer la conteftation , que l'Intendant allâr
"
»
و د
99
ور
"
-
DE FRANCE. 83
"
lui- même parler au Cardinal . Son Émi-
» nence , en prenant fon mandat , dit aux
deux perfonnes qui étoient préfentes :
2
و ر
» Vous avez tous raifon , je m'etois trompé ,
» le procédé de Madame le prouve ; & , au
lieu de cinquante fequins il en écrivit cinq
» cent , qu'il engagea la vertueufe mère d'ac
» cepter pour marier fa fille. ( Libéralité. )
» Un Babillard , qui avoit l'honneur d'en-
» tretenir Ariftote , voyant que ce Philofophe
ne répondoit rien : - Je vous in-
» commode peut- être , lui dit- il ? Ces bagatelles
vous détournent de quelques
penfées plus férieuſes . Non ,
pouvez continuer , je ne vous écoute pas.
» ( Raillerie. )
99
ود
33
»
Vous
Non loin de la maifon d'un parvenu ,
un bon vieillard jouiffoit d'une cabane entourée
de quelques arpens de terre , &
» vivoit en paix fans defirer les richeffes de
» fon voifin . Les regards de l'homme opulent
furent choqués de la cabane fituée à
l'entrée de fon parc. Il fit appeler le fage
Villageois qui l'habitoit.
و د
39
- Sais tu bien
» que ta fortune eft faite Er vous ,
" Monfieur , favez- vous que le bon Dieu ,
» mes deux bras & mon champ ne m'ont
jamais laiffé manquer de rien ? On est bien
riche quand on a le néceffaire , & plus
" encore quand on fait mettre des bornes à
fes defirs. J'ai travaillé long-temps , bien
long temps. Aujourd'hui je me repofe,
» Mon fils me nourrit , afin que les enfans
93
"9
D vj
84 MERCURE
*
,, - le noutriffent à fon tour . Tout cela eft
" très bien , mon bonhomme ; mais il s'agit
» de me vendre ta cabane , & je te la payerai
» tout ce que tu voudras. Ah! Monfieur,
» ypenfez vous? C'eft le père de mon grand
père qui l'a rebâtie , & cela , avant qu'il
» fût queftion de votre château . - Mon
ود
-
ami , je le veux , point de réplique.
» Point de réplique ! j'y fuis né , les miens
" y font morts , j'y veux mourir auffi.
" Monfieur , ne vous fâchez pas, j'ai quatre-
*53
"
vingt- dix ans paffés : peut-être que mon
» fils ...... mais non , il a du coeur. Vous le
» favez , il n'a pas voulu entrer à votre fervice
: il eût été fans doute plus opulent ;
mais il n'auroit été que Valet chez vous ;
chez nous il eft maître . » ( Médiocrité. )
و د
On trouve dans un grand nombre d'articles
, & particulièrement fous les titres
Amour de la Patrie , Bienfaisance , Caractère
, Clémence , Héroïfine , Pardon , &c. &c.
les morceaux d'Hiftoire les plus attendrif
fans , & nous regrettons que les bornes de
cet extrait ne nous permettent pas d'en offrir
quelques uns à la fenfibilité de nos Lecteurs.
L'Ouvrage eft terminé par une table Hiftorique
& Alphabétique , que l'on peut regarder
comme une autre forte de Dictionnaire
non moins curieux que le premier , &
qui achevera de faire connoître les perfonnages
dont on a rapporté les actions ou les
paroles.
21.
DE FRANCE.
L'Auteur prévient qu'il ne reconnoît pour
bonne & légitime Édition que celle qui fera
fignée du Libraire au verfo du frontifpice du
tome premier.
VARIÉTÉ S.
Chronomètre & Plexichronomètre.
TOUTES OUTES les perfonnes qui s'intéreffent à la Mufique
, & à tout ce qui peut contribuer à ſa plus parfaite
exécution , defiroient depuis long - temps l'adoption
d'un Chronomètre , c'est-à-dire , d'un inftrament
qui détermine avec préciſion & qui conferve
dans toute la pureté le mouvement d'un morceau de
mufique , tel qu'il a été conçu par l'Auteur; plus
d'une fois cet inftrument leur avoit été propolé ;
Sauveur , Rouffeau , & dernièrement un Anonyme
dans une Brochure fort bien faite , avoient décrit &
l'inftrument & les avantages qui en devoient réfulter
, fans qu'aucun d'eux en ait pu affurer le fuccès.
Soit que notre Nation , qui reçoit fi avidement les
nouveautés frivoles , y regarde de bien plus près
quand il s'agit de nouveautés utiles , foit que les
Auteurs de ces premières pendules ne les ayent pas
affez perfectionnées , ou n'ayent pas en affez de patience
& de fuite dans l'efprit pour les faire valoir ;
foit plutôt qu'un vieux préjugé , dont on trouveroit
peut être encore des traces dans nos orcheſtres , ait
fait croire à ceux qui les conduïfent que leur talent
étoit compromis , & leur amour-propre bleffé par
l'adoption de cette machine , il n'en étoit refté qu'un
fouvenir confus , & le vain defir de la voir reçue
généralement .
Deux Artiftes à la fois renouvellent aujourd'hui
cette tentative, M. Breguet , Horloger très- diſtingué ,
86 MERCURE
d'après le defir d'un Amateur connu , vient d'imagi
ner un Chronomètre qui paroît plus parfait qu'aucun
de ceux qui l'ont précédé. C'eft un cadran coupé
perpendiculairement dans fon diamètre en deux
parties égales. Celle de la droite eft divisée en go
degrés de viteffe , & celle de la gauche en 90 degrés
de lenteur , indiqués par une aiguille qui aboutit à
deux cercles , fur l'un defquels font les chiffres
•
2
& fur l'autre I , 2 3 , à quoi le réduifent les temps
des différentes mefures de la mufique. Une aiguille
plus petite fert à fixer ces mouvemens
, & par conféquent
à déterminer les battemens de la grande. La
moyenne , indiquée par o , qui fépare les deux divihons
, eft de la durée d une feconde. Le N °. 90 du
côté de lenteur donne le mouvement le plus large en
prenant chacun des battemens
pour un demi-tems ,
un huitième de mefure ou une croche , pour la mefure
à deux temps. Le N ° . 90 , du côté víteſſe ,
donne le mouvement le plus vif, en prenant chaque
battement pour une mefure entière. L'opération
qui
fert à fixer ces mouvemens
, confifte à raccourcir
oa
rallonger le pendule au moyen d'une clé , comme
quand on monte une horloge. La marche de la grande
aigaille eft d'une précifion parfaite , & n'eft fujette
à aucune des ofcillations
qu'on remarque
aux aiguilles
à fecondes. La feule choſe peut être qui feroit
à defirer , c'eft que cette meſure mécanique
fe fît
fentir à l'oreille en même temps qu'aux yeux , ou
même de préférence. Un conducteur
d'orchestre
peut difficilement
fuivre en même-temps la mufique
qu'il exécute & le mouvement
de l'aiguille. Son attention
ne feroit pas interrompue
fi un autre fens
venoit à fon fecours. Il faudroit feulement
que le
bruit ne fût fenfible que pour lui , & pût même celler
à volonté. M. Breguet à qui cette idée a été communiquée
, la regarde comme d'une exécution facile,
& fe promet de l'employer
.
DE FRANCE. £7
D'an autre côté , M. Renaudin , Profeſſeur de
Mufique & Maître de Harpe , exécutoit un autre
inftrument qu'il appelle Plexichronomètre , dont le
réfultat eft à peu près femblable , quoique les
moyens & la forme en foient très différens. C'eft
une petite boîte contenant un rouage , ayant pour
modérateur un volant au lieu d'un pendule , lequel
fait mouvoir un , deux , trois ou quatre marteaux à
volonté , pour frapper chaque temps , ou feulement
la mefure , de manière à faire diftinguer le temps
fort du temps foible. Le but principal de M. Renaudin
a été de faciliter aux Écoliers l'étude de la mefure
, en leur donnant un inftrument qui la leur indiquât
en l'abſence du Maître , & d'une manière plus
jufte qu'aucun Maître ne le pourroit faire .
à Ce n'eft pas nous de décider fi une machine dirigée
par un volant peut avoir le même degré de précifion
que celle qui l'eſt par un pendule : c'eft au Public
à compenfer les avantages de la jufteffe , de la
forme , du prix, & c. , & d'affigner la préférence à
celle des deux qui lui paroîtra la mériter ; il nous
fuffit d'examiner quelle utilité réfuteroit pour l'Art
Mufical de l'adoption d'un Chronomètre quelconque,
& de détruire le préjugé qui , jufqu'ici , les a
éloignés de nos Orcheftres.
Celui qui propoferoit de faire fuivre pendant
toute la durée d'un morceau de Mufique un mouvement
d'une précifion auffi rigoureufe , prouveroit
qu'il eft entièrement privé du fentiment de cet Art.
Il y a tels traits où l'expreffion du chant & des
paroles exige un rallentiffement ou une accélération
infenfible auxquels fe prête un Conducteur
habile, & que ne permettroit pas un automate , mais
il importe de bien fixer d'abord ce mouvement. On
fait trop que tous les fignes multipliés , les mots
d'allegro , d'andante , &c . devenus vagues & prefque
arbitraires , ne donnent plus qu'une idée fort con88
MERCURE
fufe des intentions de l'Auteur quand il eft abfent ;
qui pourra mieux les établir dans toute leur jufteffe
qu'un Chronomètre , dont les dimenſions convenues
une fois , généralement adoptées , deviendroient un
langage clair & précis entre les Compofiteurs & les
Exécutans ? Ceux qui conduifent nos Orcheſtres à
Paris font pour la plupart fort habiles ; mais peuventils
être affez sûrs d'eux-mêmes pour retrouver demain
la même nuance de mouvement qu'ils avoient donnée
hier au même morceau , tandis que le fouvenir
de cette nuance , pourtant fi importante , a pu être
altéré par l'exécution d'autres morceaux , par la
difpofition différente de leurs organes , par mille
circonftances indépendantes de leur talent ? Qui n'a
pas entendu dans nos Provinces nos Opéras - Comiques
, ou d'autre Mufique dans les Concerts, exécutés
d'une manière fi éloignée du mouvement originel ,
qu'ils avoient perdu toute leur grâce , & n'étoient
plus reconnoiffables . Ces inconvéniens difparoîtront
à l'aide du Chronomètre . Il fuffira que le Compofiteur
écrive à la tête de chaque morceau le degré de
vîteffe & de lenteur qui lui convient pour que ce
mouvement foit également faifi par tout le monde ,
& fe conferve dans tous les temps.
On fait une objection. La nuance de mouvement,
dit-on , n'eft pas fi effentielle à un morceau qu'elle
ne foit encore foumife aux moyens du Chanteur ; en
forte que fi tel degré convient à la voix facile de
celui pour qui on l'a écrit ; un autre qui le chante
enfuite , a beſoin d'un plus grand degré de lenteur
pour ne pas manquer des traits que fa voix rendroit
avec peine. La réponſe eft facile. 19. Les
Chanteurs qui fe feront étudiés à exécuter avec la
précifion du Chronomètre auront habitué leur voix à
une flexibilité qui la rendra propre à tous les mou
vemens fans être obligés de les altérer . 29. Pour
ceux qui exiftent & qui auroient befoin de cette
DE FRANCE. 89
reffoarce , ils effayeront chez eux au Chronomètre le
mouvement qui leur convient, l'indiqueront au Maitre
, & il ne réfultera plus de cette variété de mouvement
auquel on eft fouvent obligé de fe plier , la
perte totale du mouvement originel.
Ces avantages & une foule d'autres doivent faire
defirer vivement à tous les véritables Amateurs que
cet Inftrument foit admis. Les Artiftes médiocres
pourront le craindre ; mais ceux d'un mérite ſupérieur
feront les premiers à l'adopter. On a déjà ouvert
une Soufcription chez M. Breguet pour en faire
conftruire un qu'on deftine à M. Hayden , au moyen
duquel on aura le véritable mouvement de fes
charmantes fymphonies. On dit qu'on en projette
un autre pour le Concert Spirituel . Si , comme
nous l'efpérons , l'Opéra & la Comédie Italienne
fuivent cet exemple, c'en cft affez pour fixer parmi
nous cette utile invention . Les abus s'introduifent
d'eux - mêmes & fans réfiftance ; il faut des coups
d'autorité pour faire adopter des ufages avantageux
.
On peut voir le Chronomètre de M. Breguet tous
les jours chez lui , au coin du quai des Morfondus ,
près le Pont- Neuf, & celui de M. Renaudin les
Lundis , Mercredis & Vendredis , rue Mauconfeil ,
vis à- vis l'ancienne Comédie Italienne.
ANNONCES ET NOTICES.
HEF- D'OEUVRES de l'Antiquité fur les Beaux-
Arts , Ouvrage orné de 70 planches , gravées en
taille douce , par Bernard Picart. Prix , 18 liv . le
Cahier A Paris , chez l'Auteur , rue Garencière ,
& chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins.
Nous avons annoncé le Profpectus de ce grand &
५० MERCURE
important Ouvrage. On voit que la première Livraifon
l'a fuivi de bien près. La Collection entière fera
compofée de quatre Cahiers pareils à celui ci , qui
nous a paru fort bien exécuté.
NOUVEAU Code des Tailles , on Recueil Chronolog
que & complet jufqu'à préfent des Ordonnances ,
Edits , Déclarations , A rêts & Réglemens rendus
fur cette matière , fur les Impofitions , fur la Jurif
prudence & fur la procédure des Cours des Aides &
des Sièges de leur reffort , ainfi que fur les Privilèges
& Droits des Officiers qui les compofent. Tomes
IV , V & VI ; pour fervir de fuite & de Supplément
aux trois Volumes imprimés en 1761 , avec une
Table générale & raifonnée des matières contenues
dans les cinq volumes de ce Recucil . 3 volumes
in- 12 . de petit caractère , & de plus de 600 pages
chacun au Prix de 12 liv. reliés , & de 10 liv. 10 f.
brochés. A Paris , chez Prault , Imprimeur du Roi ,
Quai des Augufties.
Cet Ouvrage complette dans le quatrième & cinquième
vol. , la fuite chronologique des Réglemens
rendus fur les Tailles depuis 1761 jufqu'en 1782.
Le quatrième Vo'ume contient en outre un Supplément
aux Réglemens antérieurs à 1761. Cette Col-
Jection a exigé beaucoup de recherches. Le fixième
volume eft un Dctionnaire complet des matières
les plus ufaelles dans les Cours des Aides & dans les
Sièges de leur reffort.
Cet Ouvrage peut être d'une grande utilité à une
claffe nombreuſe de la Société. Au lieu de refondre
les trois premiers volumes , or a préféré l'intérêt du
Public , en épargnant à ceux qui les poſsèdent les frais
d'une nouvelle acquifition.
NOUVELLE Topographie de la France , par M.
Robert de Heffeln , Cenfeur Royal . Carte de la
DE FRANCE. 91
Région Eft , la huitième des neuf qui offrent le premier
degré des détails de la fuperficie du Royaume.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Jardinet , vis -à - vis
-celle du Paon.
Cette Carte eft accompagnée , comme les autres ,
d'un Difcours qui en indique les objets les plus inté
reffans. Elle contient la Haute- Alface , la partie Métidionale
de la Lorraine , la Franche- Comté , la
Bourgogne , avec la Dombes , la Breffe , le Bugey ,
le Val Romei & le pays de Gex , le Lyonnois , &
Ja partie du Bas-Dauphiné , qui contient le Diocèle
de Vienne. On y voit auffi une grande partie des
Frontières de la Souabe , de la Suiffe & de la Savoie.
DEUX Vues des Tuileries , gravées en couleur
par Delcourtis , d'après M. de Machy , Peintre da
Roi. Prix , 3 liv , les deux. A Paris , chez Defcourtis ,
rue des Grands Degrés , près la place Maubert , en
face de la rue Perdue.
On trouve à la même Adreffe les deux belles
Vues du Port S. Paul & de la Porte S. Bernard ,
gravées dans le même genre.
THEATRE François , Théâtre Italien , & le
Palais de Juftice , en trois petits Médaillons coloriés.
Prix , 2 livres les trois . Deffinés & gravés par
Campion le fils. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint.
Jacques , à la Ville de Rouen.
LE Verrou , Eftampe gravée d'après le Tableau
de H. Fragonard , Peintre du Roi , par M. Blot.
Prix , 9 livres. A Paris , chez l'Auteur , rue Saint
Etienne des Grès , maifon du Collège de Montaigu.
La force & la grâce s'uniffent fans fe nuire dans
cette Gravure , qui eft d'un effet agréable & piquant.
MUCIUS Seévola , fujet tiré de l'Hiftoire Ro
92 MERCURE
1
maine , par P. Rubens , & gravé par G. Mar
chand , Eftampe de 18 pouces de haut , fur 15 pou
ces de large . Prix , 4 livres . A Paris , chez Voyfard ,
rue de la Harpe , nº . 18 , en face de la rue Serpente.
Cette Eftampe eft vigoureufement gravée , &
rend le caractère de l'original.
La Bienfait récompenfé , oa la Suite des
bonnes Gens , Comédie en un Ate & en profe , repréfentée
pour la première fois à Paris , fur le Théâtre
des Variétés Amufantes , le 25 Décembre 1783 .
Prix , 1 livre 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
On fait quel a été le fuccès de la famille Pointu
fur le Théâtre des Boulevards ; & il faut avouer
qu'ils s'y font montrés dans plufieurs Pièces fous des
formes intéreflantes. Dans celle ci , Boniface Pointu
eft dans le malheur ; il fe voit près d'être arrêté pour
40,000 liv. Ambroife & fa femme , de qui il a fait
la fortune dans une autre Pièce dont nous avons
rendu compte , fe difpofe à vendre fon auberge pour
venir à fon fecours . Heureufement André , un Commiffionnaire
, qui connoît & qui a déjà éprouvé le
bon coeur de Boniface Pointu , lui prête cette fomme
qu'il vient de gagner par hafard à la loterie . C'eft
la dernière Pièce qu'ait fourni cette famille , qui ,
quant à fa deltinée dramatique , a été comparée ,
par l'Auteur de Molière à la nouvelle Salle , à la
famille des Atrées .
On trouve chez le même l'Amour Quêteur, repréfenté
fur le Théâtre des grands Danfeurs du Roi.
Cette Pièce , faite d'après la chanfon fi connue fous
le même titre , préſente des tableaux agréables ; c'eſt
une des premières Comédies qui ont attiré de la
foule & une certaine claffe de Spectateurs fur les
Théâtres des Boulevards.
DE FRANCE. 93
RECHERCHES fur les Modifications de l'Atmof
phère , contenant l'Hiftoire critique du Baromètre &
du Thermomètre , un Traité fur la conftruction de
ces Inftrumens , des Expériences relatives à leurs
ulages , & principalement à la meſure des hauteurs
& à la correction des réfractions moyennes , avec
figures , dédiées à MM. de l'Académie Royale des
Sciences de Paris ; par J. A. de Luc , Citoyen de
Genève , Correfpondant des Académies Royales des
Sciences de Paris & de Montpellier , nouvelle Edition
, 4 Vol, in- 8 ° . Prix , 16 liv. brochés , 20 liv.
reliés. A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire ,
rue Saint Jacques,
Cet Ouvrage , diftingué déjà par les connoiffances
qu'il fuppofe dans fon Auteur , & par les
découvertes dont il a carichi la Phyfique , acquiert
un nouvel intérêt par les circonftances préfentes.
Ess41 fur l'Origine des Fiefs , de la Nobleffe
de la Haute- Auvergne , & fur l'Hiftoire Naturelle
de cette Province , par le Comte de Raugouge
de la Baftide , Confeiller d'Epée , Chevalier d'Honneur
du Roi au Préfidial de la Haute - Auvergne , &
Gentilhomme ordinaire de la Chambre. A Paris ,
chez Royez , quai des Auguftins.
Cet Ouvrage , qui nous paroît fait avec exactitude
, peut être d'une grande utilité.
On trouve à la même Adreffe Hiftoire Naturelle
de la France Méridionale , par M. de Soulavie
, 6 Vol. in- 8 °, Prix , 36 livres brochés , avec
figures,
liq752
T
•
EUTRES choifies de Boffuet , avec Panalyfe de
fes autres Ouvrages principaux, dédiées à Mgr . l'Archevêque
de Bordeaux , par M. l'Abbé de Sauvigny.
8 vol. in-8 . propofés par Soufcription. A Nifmes ,
chez Pierre Beaume , Imprimeur; & à Paris , chon
94
MERCURE
Guillaume Defprez , Imprimeur ordinaire du Roi &
du Clergé de France , rue S. Jacques , & chez les.
principaux Libraires , tant du Royaume que des
pays étrangers.
M. l'Abbé de Sauvigny obſerve , avec raifon
dans fon Profpectus , que Boffuet , qui , par fon éloquence
fublime s'eft placé à la tête de nos Orateurs ,
eft bien moins lû qu'admiré ; ce qu'il ne faut attribuer
qu'à la trop volumineufe étendue de fes Ouvrages ;
& il eft fondé à croire que le Public accueillera favorablement
une collection moins nombreuſe & peu
difpendieufe , deftinée à réunir ce qu'il y a de plus
intéreffant dans les productions de ce grand Homme .
Nous invitons nos Lecteurs à lire le Profpectus , qui
donné une idée avantageufe de l'intelligence qui
préſidé à cette rédaction. Ce qui prévient encore favorablement
pour cette Edition , c'eft qu'elle fe fait
chez M. Beaume , déjà connu par un zile infatigable
dans toutes les entreprifes qu'il a faites. Il ne
demande qu'une foumiffion aux Soufcripteurs , qui
ne payeront qu'à mesure qu'ils recevront les Volumes
, c'eft-à- dire , 12 liv. en recevant les Tomes
I & II en Juillet prochain ; 8 liv. en recevant les
Tomes III , IV & V en Septembre ; & 8 liv. en recevant
les Tomes VI , VII & VIII en Décembre.
* HISTOIRE d'Angleterre , repréfentée par figures ,
accompagnées d'un Precis Hiftorique de chaque fujet.
Les figures gravées par F. A. David , d'après les def
fins des plus célèbres Artiftes de l'Académie Royale
de Peinture, Sculpture , & c . A Paris , chez David ,
rue des Noyers , No. 17 , & chez les principaux Libraires
de l'Europe.
On a déjà exécuté par figures & avec fuccès l'Hif
toire de France ; delà on a conclu qu'on accueilleroit
auffi fous les mêmes formes l'Hiftoire d'Angleserre.
En effet, après notre propre Hiftoire , il n'ca
> !
DE FRANCE.
9༩
eft point qui doive nous intéreffer autant que celle
de cette Nation rivale , dont les événemens font fi
fort liés à ceux du peuple François , qu'on ne fauroit
écrire l'une des deux Hiftoires fans y faire entrer une
partie de l'autre. Le nom de M. David doit prévenir
en faveur des gravures , & celui de M. le Tourneur
répond de la manière dont feront faits les Précis qui
doivent les accompagner. Les fujets feront exécutés
en hauteur. L'Hiftoire fera imprimée in-4 ° . & tirée
au nombre de 425 exemplaires fur papier fin double
des plus belles fabriques. Les planches feront
remifes enfuite au Cabinet des Eftampes de la Bibliothèque
du Roi. Le nombre des fujets fera environ
de 150 , divifés en 19 Livraiſons ; & il paroîtra tous
les deux mois un Cahier compofé de huit planches
& difcours . Prix , 12 liv. , que l'on payera en recevant
chaque Cahier. La première Livraiſon ſe fera
au premier Juillet prṛ chain .
―
PREMIER Concerto à Violoncelle principal à
grand Orchestre , par M. Bréval , OEuvre quatorzième.
Prix , 4 liv . 4 fols. A Paris , chez l'Auteur
rue Faideau , maifon de M. Jacob. Six Duos
pour Violon & Alto , par le même. OEuvre quinzième.
Prix , 7 liv. 4 fols. Même Adreffe , & chez
M. Deroullède , rue S. Honoré , près celle des
Poulies.
NUMERO IV du Journal de Harpe , par les
meilleurs Mattres , contenant l'Ouverture de Chimène
, par M. Ragué , la Romance du Droit du Seigneur
, & un Air de M. Albanèze , par M. Aubert.
Prix , 2 liv. 8 fols. L'abonnement eft de 15 liv. à
Paris & en Province , port franc par la poſte, Chez
M. Leduc , au magafin de Mufique , rue Traverfère
S. Honoré.
96
MERCURE
QUATORZIEME Symphonie Périodique à grand
Orchestre , compofée par J. Hayden. Prix , 3 liv.
A Paris , chez Imbault , rue & vis - à vis le Cloître
S. Honoré , maifon du Chandelier , & Siéber , même
rue , entre celles d'Orléans & des Vieilles Étuves ,
N °. 92.
Nous ne dirons rien de cette Symphonie , elle.eft
de M. Hayden.
NUMERO IV du Journal de Clavecin , par les
meilleurs Maîtres , viol. ad lib. troisième année ,
contenant l'Ouverture de Didon , arrangée par M.
Piccini fils , & un Menuet de M. Blin de la Codre.
Prix, 3 liv. Abonnement pour 12 Cahiers , 15 liv.
à Paris & en Province , port franc par la pofte. Chez
M. Leduc , au magafin de Mufique , rue Traversière
S. Honoré.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ;
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures .
TABLE.
A Son A. 8. Madame la phe ,
Duchefe de Chartres , 49 Almanach des Mufes .
Vers récités à Madame la Pre- Hiftoire de Ruffie
fidente du Pary ,
AMlle Contat
A Mme Ch ******
53
55
70
ib. Dictionnaire Hiftorique d'E-
50 ducation , 80
SI Variétés ,
85
89
Charade, Enigme & Logogry- Annonces & Notices ,
AP PROBATION.
J'AI lu par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure
de France , pour le Samedi
12 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion
. A Paris
le 11Juin 1784. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à‹ MM. de la Société Patriotique
Bretonne pour les remercier de l'honneur
qu'ils m'ont fait en me proclamant Citoyenne.
*
JADIS ce Peuple belliqueux ,
L'orgueil & l'effroi de la terre ,
* La Société Patriotique Bretonne doit fon origine &
fon inftitution à M. le Comte de Sérent, Gouverneur de
la prefqu'Ile de Ruis , Commiſſaire Général des États de
Bretagne au Bureau de l'Adminiſtration , Membre de plufieurs
-Académies . C'eft dans la grande falle de fon château
de Kéralier que fe tiennent les Affemblées. On y voit une
tribune ,
, portant cette infcription : « Ici on fert fon Dieu
» fans hypocrifie , fon Roi fans intérêt , & fa Patrie fans
» ambition. » On a donné au lieu des Affemblées le nom
très - mérité de Temple de la Patrie . Les Patriotes Bretons,
Nº. 15 , 19 Juin 1784.
E
98
MERCURE
Les Romains régnoient par la guerre;
Vous êtes auffi braves qu'eux ;
Mais à la valeur , au courage ,
Vous réuniffez des vertus
Que n'avoient Caton ni Brutus ,
Héros d'humeur un peu fauvage .
Les Romains déteftoient les Rois :
Souvent dans leur fureur extrême
Ils leur ôtoient le diadême
Et les égorgeofent quelquefois.
Cet ufage n'eft point le vôtre.
Vous pensez qu'un Roi vertueux ,'
Qu'un Monarque tel que le nôtre ,
Eft le plus beau préfent des cieux,
A fes loix votre coeur fidèle ,
De l'aimer fait tout fon plaifir ,
Et ne brûle que du defir
De lui montrer un noble zèle.
Citoyens vraiment généreux ,
En France on eft un peu moins libre ;
Mais on eft cent fois plus heureux
Qu'on ne l'étoit aux bords du Tibre .
Vous le prouvez : chez les Romains
pour augmenter l'éclat de leurs folemi.ités , fe font affociés
plufieurs Femmes célèbres par leurs vertus & leurs talens ;
entre-autres Mme la Comteffe de Genlis , Mme la Baronne
de Bourdic , l'Auteur de cette Épître , & Mme la
Comteffe de Nantais , qui , reçue la première , a été l'iaproductrice
de ces Dames ,
DE FRANCE. 99
Mon fexe avoit peu d'avantages :
Plus fenfibles & plus humains ,
Vous nous adreffez vos hommages.
Les Romains avoient- ils un coeur ?
Non : épris d'une fauſſe gloire ,
Ils ne vouloient avec ardeur
Qu'atteindre au temple de mémoire.
Mais fans nous eft- il de bonheur ?
Grâces à la philofophie ,
Qui , chez vous , nous ouvre un accès
Dans le temple de la Patrie ,
Vous le fixerez à jamais.
QUE déjà mon regard avide
Y contemple avec volupté
Cette NANTAIS , nouvelle Armide ,
Dont votre coeur eft enchanté :
Qui , mère tendre & courageufe ,
A les vertus du bon vieux tems
Et confacre tous les inftans
A rendre fa famille heureuſe.
A fes côtés devoit s'affeoir
L'Auteur d'Adèle & Théodore.
>
Combien il m'eft doux de l'y voir !
Accourez , ô vous qui , de Flore ,
Compofez la riante Cour.
Que toutes vos fleurs en ce jour
Sous ma main s'empreffent d'éclore .
Je veux couronner à mon tour
E il
100 MERCURE
Cette Minerve qu'on adore.
Mufe , ne vas point oublier,
Dans ton délire pindarique ,
Le Héros de Kéralier ,
Notre fondateur pacifique.
Vois-tu fon frout patriotique
Sur tous les autres dominer?
C'eſt une couronne civique
Qui feule eft faite pour l'orner.
Voudra-t'il bien me pardonner
Mon indigence poétique ?
Ma Mufe , au lieu du chêne antique ,
N'a qu'une rofe à lui donner.
O POURQUOI l'Arbitre ſuprême
N'exauce- t'il pas tous mes voeux !
J'irois dans le temple que j'aime
Voir ces Patriotes heureux
Qu'aniffent les plus tendres noeuds ,
Et dont la fageffe eſt extrême.
J'irois ..... Mais quel rayon d'espoir
Éclaire tout-à- coup mon âme !
Ignorai- je donc le pouvoir
De la fumée & de la flamme ?
Ignorai-je qu'au fein de l'air ,
Où nos Icares intrépides
Ont fouvent affronté l'éclair ,
Un char peut voler dans l'Éther
Traîné par des oifeaux rapides ?
DE FRANCE. ΤΟΙ
Puifque nous fommes au printems ,
J'eſpère , ou plutôt je prétends
Que de légères hirondelles
Me conduisent en peu de temps
Chez mes patriotes fidèles.
Oui , tôt ou tard je m'y rendrai ;
Et c'eft- là que je trouverai
Des aigles & des tourterelles.
(Par Mme la Comteffe de Beauharnais. ).
VERS fur l'Homme ; Abrégé de la
Philofophie.
It faut rire de l'homme , hélas ! auffi le plaindre ,
Ne voir dans fes forfaits que d'aveugles erreurs ,
Soulager la misère , adoucir fes fureurs ,
Eufin lui pardonper , mais apprendre à le craindre .
( Par M. de la Roque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigny. )
IMPROMPTU à Madame DE..... après
l'avoir entendu chanter.
Vous entendre & vous voir font deux plaifirs bien
doux ;
Par deux fens à la fois vous nous donnez des chaînes.
Si jadis on cût vu des Belles comme vous ,
On n'eût pas diftingué les Grâces des Sirènes.
( Par le même. )
E inj
192 MERCURE
}
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Paſſage ; celui
de l'Enigme eft Malle ( du Courier ) ; celui
du Logogryphe eft Loterie , où l'on trouve
lot , lote , tor, tri , ire , lire , Loire , loir ,
rote & Loi.
CHARADE.
Drs habitans des airs mon chef eft l'apanage ;
Pour obtenir ma queue un Huiffier fait tapage ;
Mon tout chez les Savans brillera d'âge en âge.
(Par un Abonné de Châlons -fur- Saône. )
ENIGM E.
FRANÇOIS comme Latin , je fers à la cuifine ;
Mais Latin feulement , au Baru je domine .
J'ai trois pieds , cher Lecteur. Me tiens -tu ? Non ?
devine.
(Par M. Micro- Mégas. )
1
DE FRA'N CE. - 103
POUR
LOGO GRY PH E.
OUR un Rimeur , mes fix pieds en font trois ;
A bien des gens je donne fur les doigts ;
A me décompofer , fi votre efprit s'attache ,
Vous verrez fans peine , je crois ,
Une Beauté qui devint vache ;
Celui dont nous fuivons les Loix ;
Un océan nouveau , dompté par le génie ;
Un métal précieux ; un arbre toujours verd ;
En mufique une note ; une ville en Ruffie ;
Une aux bords Indiens ; ce que n'a point l'impie ;
Las ! ce que dit de moi .... le vice découvert ;
Mais en revanche on trouve l'épithète
Qui me convient & que je vous fouhaite.
E iv
104 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
&
THEATRE d'Ariftophane , traduit en François
, partie en vers , partie en profe , avec
les Fragmens de Ménandre & de Philémon,
par M. Poinfinet de Sivry , Penfionnaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans ,
Membre de la Société Royale des Sciences
& Belles - Lettres de Lorraine . A Paris ,
chez Didot le jeune , Imprimeur Libraire,
Quai des Auguftins ; Barrois l'aîné , Mérigot
le jeune , Onfroy , Barrois jeune ,
Libraires , Quai des Auguftins , & Durand ,
rue Galande.
ON n'avoit pas encore en François de Traduction
complette du Théâtre d'Ariftophane.
M. Poinfinet de Sivry étoit appelé à cette
entrepriſe par une profonde connoiffance
de la langue Grecque , & par plufieurs fuccès
dans ce genre de Littérature. Il a fait plufieurs
découvertes qui éclairciffent des détails juſqu'à
préfent inintelligibles ; il a redreffé plufieurs
fauffes interprétations ; & quand il
s'agit d'Auteurs auffi anciens & d'un auffi
grand mérite qu'Ariftophane , rectifier une
erreur , c'eft fouvent rétablir une foule de
beautés.
Il faut avouer que peut-être aucun Auteur
Dramatique n'étoit plus digne qu'Ariftophane
DE FRANCE.
1c5
de trouver un Interprète qui sût connoître ,
apprécier & faire fentir fes beautés. Il
fuffiroit de jeter un coup d'oeil rapide fur
les Pièces que renferment ces quatre Volumes
, pour faire l'éloge tout à- la- fois du
Poëte & du Traducteur. Ce qui frappe furtout
dans la lecture de ce Théâtre , c'eſt le
fel de plaifanterie , la verve fatyrique , &
une liberté qui n'eft permife & ne peut convenir
qu'à un génie Républicain. La Comedie
dans Athènes étoit une efpèce de cenfure pu
blique : quelle arme entre les mains d'un
Poëte auffi mordant , auffi hardi qu'Ariftophane
, & dans une ville où le moindre
Citoyen avoit le droit de demander compte
de fa conduite à l'homme puiffant & honoré
!
Un exemple bien mémorable de cette liberté
, de ce cynisme utile à la patrie , mais
dangereux , même pour la vertu , c'est la fameufe
Comédie des Nuées. On fait que le
divin Socrate , le plus fage des hommes , èft
le ridicule Héros de cette Pièce ; & qu'Ariftophane
eut la hardieffe de vouer à la rifée
publique , un Sage qui a mérité le reſpect
de fes contemporains , & l'admiration
des fiècles. M. de Sivry s'efforce de juftifier
ce procédé , & n'y voit qu'un acte
de courage & de patriotifme. Il regarde
ce Philofophe comme convaincu d'une
doctrine dangereufe & d'un fanatisme
puniffable ; mais même en adhérant à cette
inculpation , fi M. Poinfinet de Sivry n'eft
Ev
106 MERCURE
pas accufé d'injuftice envers Socrate , on lui
reprochera toujours un excès d'indulgence
envers Ariftophane ; car en fuppofant que
ce dernier ait fait l'office d'un citoyen zelé
& courageux en attaquant la doctrine de
Socrate , n'a t'il pas paffé les bornes lorſqu'il
lui a fait dire de ce Philofophe :
A l'aide d'un long croc ( fans qu'on l'ait pu furprendre)
Du mur de la Paleftre il détache un manteau .
Donner à Socrate le talent de décrocher des
c'eft pouffer un peu loin le zèle
& le patriotifme.
manteaux
›
Au refte , cette Comédie eut le fuccès
qu'elle devoit avoir chez un peuple auffi malin
& auffi railleur que celui d'Athènes.
On y trouve des traits bien étrangers à nos
moeurs & même à notre goût dramatique
: Socrate qui s'enlève dans des nuées ;
un choeur de Nuées qu'on entend fur la
Scène ; tout cela fur nos Théâtres nous paroîtroit
au moins bien étrange ; mais il y
a nombre de traits malins & plaifans , tels
que celui ci , qu'on a imité depuis : As tu de
la mémoire , demande Socrate à un de fes
Élèves ; & l'Élève lui répond :
Oui , de par Proferpine !
Si quelqu'un m'a fait un billet ,
Je m'en fouviens très - bien ; mais le voudrez - vous
croire ?
Cette excellente & sûre-& rapide mémoire ,"
Lorfque c'est moi qui dois ; m'abandonne tout net.
DE FRANCE. 187
On voir que cette Comédie eft traduite
en vers ; elle le meritoit , ne fûr ce que par
fa célébrité. Nous n'omettrons pas ici un
détail qui prouve la fagacité du Traducteur :
dans un endroit le choeur eft pieux ; il
eft impie dans un autre. M. Poinfinet
de Sivry explique cette contradiction en diftinguant
deux fortes de choeurs ; l'ordinaire ,
& celui que le Poëte adaptoit au fujet. Cette
'explication eft claire & vraifemblable.
dans
M. de Sivry a mérité le même éloge
pour la Comédie des Grenouilles
laquelle l'Auteur fait difcuter lequel doit
avoir la préférence , comme Poëte Tra
gique , d'Efchyle où d'Euripide. La queftion
ne fe décide pas à l'avantage de ce dernier ,
qui , là , comme dans d'autres Pièces d'Ariftophane
, eft traité de la manière la plus injurieufe.
Ces deux Poëtes y font fuppofés
morts ; mais le Traducteur croit , avec raifon
, contre l'opinion reçue jufqu'ici , qu'Eu
ripide étoit encore vivant ; & il prouve
que le fel de cette fi pofition eft de faire
» entendre qu'Euripide n'a plus aucun talent
pour la Scène ; que fa verve eft étein-
» te ; qu'en un mot , il eft mort de fon
» vivant. »
Le titre de cette Pièce n'eft tiré que d'un
incident qui eft vers la fin du premier Acte ,
& dont il n'eft plus queftion dans le refte
de l'Ouvrage ; d'un concert de grenouilles .
dont Bacchus eft régalé en paffant la barque
de Caron. Cela prouve qu'Ariftophane n'y
,
E vj
108 MERCURE
regardoit pas de bien près pour intituler fes
Comédies.
Il y a plus de jufteffe dans le titre des Chevaliers.
(Les Chevaliers formoient à Athènes
la feconde claffe de l'État. ) Le perfonnage
joué dans cette Comédie , n'étoit rien moins
que Cléon , Général de l'Armée , & Tréforier
de l'Épargne , jouiffant alors de tout
fon crédit , malgré la haine des Chevaliers ,
qui n'avoient pas vû fans chagrin le fils d'un
Corroyeur s'élever par la brigue aux premiers
grades de l'Etat . Aucun Comédien
n'ayant été affez hardi pour jouer le rôle de
Cléon , ni aucun Ouvrier pour faire fon
mafque , le Poëte le fut affez pour s'en
charger lui- même , en fe barbouillant le
vifage de lie.
Ariftophane perfonnifie le peuple Athénien
, & en fait un vieillard imbécille , &
dupé par fon efclave de confiance , qui eft
Cléon , & qu'il appelle Paphlagon , c'est - àdire
, efclave correcteur. Deux autres efclaves
, Nicias & Démosthène , font foumis
à celui - ci , qui abufe de fon pouvoir ; ils
cherchent à le perdre auprès du maître , &
'ils y réuffiffent. On ne fera pas fâché de voir
ici dans quels termes on parle de Cléon , ce
perfonnage fi important. L'Auteur fuppofe
un Oracle qu'il fait tomber dans les mains
de Démosthène , qui le lit ainfi :
Nota. Les Acteurs en Scène avoient un maſque
reffemblant à la perfonae qu'ils vouloient jouer.
DE FRANCE. 1c9
"
DEMOSTHENE.
L'Oracle s'explique là deffus fans ambiguités.
Voici les paroles : D'abord un
Vendeur de toile gouvernera l'Etat.
NICIAS.
Nous connoiffons ce premier Vendeur.
( ** ) Enfuite ?
DEMOSTHENE.
» A ce premier fuccédera un Vendeur de
* Moutons. ( *** )
NICIAS.
» Et de deux. Mais fachons ce que ce fe-
» cond Vendeur devient.
DEMOSTHÈNE.
Après une courte domination , il meurt :
» & eft remplacé par un homme beaucoup plus
» pervers , par le Vendeur de Cuirs , par le
» Paphlagon , homme rapace , grand brail-
" leur , & dont la voix couvriroit le bruit du
? cyclobore en courroux. ( **** )
NICIAS.
» Il étoit donc écrit au livre des deftins
» que le Vendeur de moutons feroit remplacé
par le Corroyeur !
99
( ** ) Eucratès. ( *** ) Lyûciès. ( **** ) Fleuve
de l'Attique.
110 MERCURE
2
D. M O. STHÈNE.
Oui , par Jupiter !
NICIA S.
Quoi ! un Vendeur , un autre Vendeur ,'
" & toujours un Vendeur ! &c . »
Comme ce mot Vendeur fert bien la malignité
du Poëte ! L'Oracle défigne pour fucceffeur
à ce dernier , un homme paítri de
malice & de rufes. C'est un Chaircuitier. Dans
ce moment paffe un Chaircuitier en effet ;
(Agoracrite ) les deux efclaves fe mettent à lui
prouver , à fon grand étonnement , & d'une
manière fort comique , que c'eft lui qui doit
gouverner l'Etat à la place de Cléon ; cette
fituation très-théâtrale a été imitée par Mo
lière , dans fon Médecin malgré lui. On lui
fait voir les quatre Ordres de l'Etat , en lui
difant , tout cela eft à vous ; & l'autre en eft
tout étonné. On lui montre des ports , des
vaiffeaux , & , tout cela eft à vous , fert
de refrein. Enfin , lui dit- on , vous voyez
ces deux Provinces ? Eh bien , ce fera vous
qui les vendrez comme bon vous femblera.
Agoracrite ne revient pas de fa furpriſe , &
objecte le peu qu'il eft . Démosthène lui répond
que c'eft juftement parce qu'il eſt un
homme méchant & audacieux.
AGORA CRIT E.
» En conſcience , je ne fuis pas digne des
» honneurs dont vous me flattez..
DE FRANCE. IIF
2
"
DEMOSTHENE.
Il s'agit bien de fe croire digne ou indigne.
Ne diroit- on pas à l'entendre , que
c'eft un homme de probité ? Parlez net ;
» de quelle claffe d'hommes êtes vous ? Des
» bons ou des pervers ?
و ر
AGORA CRIT E.
» Je fuis un de ces derniers , par tous les
» Dieux !
DEMOSTHÈNE.
» Mortel trop fortuné ! vous avez donc
» tout ce qui conftitue un homme d'Etat. »
Voilà bien le ton de la fatyre & le talent
de la Comédie tout - à- la- fois ! A la fin Ago
racrite fe laiffe perfuader ; il dénonce Cléon
& fa prétention fe réalife.
La Comédie des Oifeaux offre un titre fingulier
, & le fujet en eft bien plus bizarre en
core. Des hommes habillés en oiſeaux , une
ville qu'on bâtit au haut des airs ; c'eft une
imagination dont le fel eft bien peu fenfible,
s'il n'y a pas quelque allufion fecrette. Ce
n'eft pas qu'il n'y ait des traits ingénieux &
plaifans. Un Député vient complimenter le
fondateur de la ville Aérienne , & lui dit que
depuis cet établiſſement , tout le monde a
adopté les moeurs des oifeaux , & qu'ils influent
même fur toutes les expreffions qu'a
dopte la mode :
On déniche de grand matin ;
112 MERCURE
On plume, autant qu'on peut , fon plus proche voifin;
On va graiffer la patte à quelque Commiſſaire ;
On fait lepied de grue au lieu de s'ennuyer ;
On tire l'alle pour payer ,
Et l'on fait le plongeon lorfqu'il eft néceffaire , &e.
Cette Comédie deviendroit même aujourd'hui
Pièce de circonftance. Tout le
monde n'y afpire qu'à voyager dans l'air , &
chacun cherche à fe pourvoir de bonnes
aîles. Le fondateur de la ville aérienne donne
des ordres pour qu'on rempliffe d'aîles des
corbeilles & des mannequins. Après quoi , le
choeur fait entendre ces mots ;
Arrangez à préfent ces différens plumages
Selon leurs différens ufages ;
Mettez moi chaque eſpèce à part :
Ici , les aîles poétiques ;
Auprès d'elles les prophétiques ;
Que tout foit en fa place . Enfin ayez égard
Aux defirs des humains ; & , felon leurs demandes ,
Sur l'une & l'autre épaule , ajuftez avec art
Des aîles petites ou grandes.
<f
Le fonds de la Comédie des Harangueu-
Jes , c'eft la réfolution que prennent les
femmes de s'emparer du Gouvernement
d'Athènes ; ce qui donne lieu à des tableaux
& à des détails plaifans & comiques.
Les femmes jouent encore un très-grand
tôle dans la Comédie de Lyfiftrate, Les Lacedémoniennes
& les Athéniennes, laffées de la
DE FRANCE. 113
guie
guerre que fe font Athènes & Sparte , par e
qu'elle les prive trop long tems de la compa-.
de leurs maris , prennent un parti fingu
lier pour la faire ceffer. Elles s'affemblent fecrètement
, & jurent de fe parer , d'ajouter à
lear beauté naturelle la féduction de la toi
lette , pour exciter les defirs de leurs époux ,
& enfuite de ne leur rien accorder qu'ils
n'ayent figné la paix. Le traité s'effectue , à
quelques infractions près de la part de plufieurs
jeunes femmes ; le projet réuffit , &
la paix fe fait. Il y a beaucoup d'obfcénités
dans cette Comédie.
Celle de Plutus eft traduite en vers , comme
les Nuées. L'aveugle Plutus tombe
dans les mains de Chrémyle , qui , par le fecours
d'Efculape , lui fait recouvrer la vûe.
Cet incident bouleverfe toutes les fortunes ,
parce que Plutus , voyant clair , retire les
bienfaits qu'il avoit difpenfés aveuglément .
Les Dieux font abandonnés ; on n'a plus de
voeux à leur offrir. Le Grand Prêtre n'a pas
même de quoi vivre , & vient s'en plaindre
à Chrémyle. Comment , s'écrie Carie , l'ef
clave de ce dernier
Mourir de faim étant Grand Prêtre !
Apprenez-moi comment ?
LE GRAND PRÊTRE.
Hélas! il le faut bien:
Je vivois de l'autel , l'autel ne rend plus rien.
II 4 MERCURE
CARIE.
Et depuis quand ?
LE GRAND PRÊT R E.
Depuis que tout le monde,
Grâce à votre Plutus , en richeſſes abonde.
Autrefois un Marchand qui rentroit dans le port ,
Offroit des dons aux Dieux protecteurs de ſon fort ;
Cet autre , appréhendant les yeux de la juſtice ,
A Jupiter Sauveur faifoit un facrifice ;
On me fêtoit auffi , &c.
par mettre fur
On fait bien pis ; on finit
l'autel Plutus à la place de Jupiter :
Et plaçons fur l'autel le Dieu de la richeſſe .
Termine cette Pièce ingénienfe .
Les Fêtes de Cérès font prefque d'un bout
à l'autre une fatyre contre Euripide , à qui
il paroît qu'Ariftophane en vouloit beaucoup.
Les femmes s'affemblent pour délibé
rer fur le moyen de punir Euripide du mal
qu'il dit fans ceffe de leur fexe dans fes Tragédies.
Son beau père conſent à s'habiller en
femme , pour s'introduire parmi elles , &
plaider la caufe de l'accufé. Il eft reconnu ;
mais après plufieurs incidens , Euripide luimême
le préfente , & fait fa paix avec fes
juges , en les menaçant de raconter leur conduite
à leurs maris au retour de l'armée .
Cette Pièce n'eft ni bien bonne ni décente.
Les Karniens , qui réuffirent beaucoup ,
DE FRANCE. 115
furent donnés par Ariftophane , pour engager
les Athéniens à faire la paix . Les Athé
niens couronnèrent le Poëte , & firent la
guerre.
Euripide revient encore dans cette Comédie
, & fournit même une Scène fort
plaifante.
La Paix eft une autre Comédie qui a le
même but , avec des moyens différens. Ariftophane
avoit fait encore une autre Pièce du
même fujet , & fous le même titre , qui ne
nous eft point parvenue. Dans celle qui nous
eft restée , Trygée monte fur un eſcarbot
pour arriver au ciel ; il y réuffit , ainſi qu'à
délivrer la Paix , que la Guerre avoit miſe
en prifon. Après l'avoir affranchie , Trygée
époufe la Paix , & la préfente aux Athéniens ,
qui lui font un doux accueil.
Ce n'eft pas fans intérêt qu'on rencontre
dans cette Collection la Comédie des
Guêpes , qui a fourni celle des Plaideurs.
M. de Sivry n'a traduit que ce qu'a imité
l'immortel Racine , c'est- à- dire , les trois
premiers Actes ; les deux derniers font inutiles
à l'action , & fort étrangers à nos
mours. L'Auteur des Plaideurs a fu ajouter
à fon original une foule de traits charmans,
comme il y en a qui lui ont échappé , ou
qui n'ont pu entrer dans fon plan . Il eft
plaifant de voir Philocléon , le Dandin
d'Ariftophane , exhaler en hyperboles le
chagrin qu'il a de fe voir enfermé par fon
fils , qui l'empêche d'aller juger. Après mille
116 MERCURE
<
fouhaits extravagans adreffés à Jupiter , il
ajoute : " ou tout au moins métamorphofe-
» moi en petite pierre à fuffrages , afin que
quelque Juge fe ferve de moi pour con- "
»
30
"
damner quelqu'un en jugement. » Déterminé
à fe fauver par la fenêtre , il dit à
ceux qui l'attendent en bas : « s'il m'arri-
» voit de me rompre le cou , ne poulfez ,
je vous prie , aucun gémiffement , &
daignez , fans bruit , m'enterrer fous le
» banc où j'ai coutume de jager. Plus
loin , après avoir eu l'air & même le defar
d'entendre raifon & d'écouter fon fils , qui
veut le guérir de fa manie , il s'écrie avec
enthoufiafme : « emporte , emporte toutes
» tes promeffes ; je ne refpire que le Bar
reau. Faites - moi , mes amis , entendre
le cri de l'Appariteur , faites - moi voir la
corbeille aux fuffrages. Quoi ! voudriezvous
que je donnaffe mon fuffrage le
dernier ? O mon âme , quitte mon corps ,
& vas juger fans lui . Simple ombre , tu
échapperas à mes geoliers ! & , par Hercules
! tu ne fouffriras pas que mon nom
foit pointé en qualité d'abfent fur le
tableau des Juges . Non , non , il ne fera
pas dit que Cléon vole la République ,
» & que je ne l'aurai pas décrété. »
"
30
Telles font les Pièces que renferment ces
quatre volumes , les feules que nous ayons
d'Ariftophane , qui en avoit fait plus de
cinquante. Ce Poëte joignoit les grâces du
ftyle aux charmes d'une imagination vive &
DE FRANCE. 117
brillante. Sa plume répand à grands flots dans
fes vers ce qu'on appelle lefel attique ; & l'épigramme
& le farcafme y jailliffent de toutes
parts . Rien ne peut épuifer fa verve , encore
moins l'intimider. Ce génie Républicain frappe
, en les nommant , fur les tyrans de fon
pays ; il ne pardonne pas même à fes Dieux.
Sans défendre le rire à Thalie, il lui a mis dans .
les mains le fouer fanglant de la fatyre.
Celui de nos Auteurs Comiques , qui , par
le farcafme , fe rapproche le plus d'Ariftophane
, c'est l'Auteur de Crifpin Rival & de
Turcaret; le Sage a fuivi parmi nous ce
qu'on peut appeler à bon droit la Comédie
Satyrique.
Une remarque affez fingulière , c'eft que
dans les onze Pièces d'Ariftophane , il n'y
en a pas une qui ait une intrigue amoureufe ;
au lieu qu'on reproche aux nôtres de finir .
toutes par le mariage ; différence qui tient
bien moins au goût qu'aux moeurs. De tous
les Ouvrages Littéraires , le Poëme Dramatique
eft le plus fubordonné à l'influence des
moeurs & du Gouvernement : delà un principe
bien fimple , c'eft que jamais le Théâtre .
d'une Nation ne peut reffembler parfaitement
à celui d'une autre ; même avec les
mêmes principes de goût , les formes doivent
varier.
Voilà qui explique l'extrême liberté avec
laquelle écrivoit Ariftophane ; c'eft qu'il
écrivoit dans un pays Républicain , & ,
comme nous l'avons déjà dit , dans un pays
718 MERCURE
>
où la Mufe de la Comédie exerçoit , pour
ainfi dire une cenfure publique ; elle
s'immifçoit dans les affaires du Gouvernement
; auffi tous les fujets des Comédies
d'Ariftophane font pris fur les lieux même ,
& font même toujours analogues aux affaires
du moment.
Voilà qui explique encore pourquoi dans
les Comédies d'Ariftophane , on trouve fi
fouvent le langage figuré. Qu'on y trouve de
la Mythologie , rien de plus naturel , Athènes
étoit le pays de la Mythologie ; mais on
y voit fouvent du merveilleux. C'eft qu'il
écrivoit chez un peuple dont les organes
étoient fi mobiles , fi fenfibles , & naturellement
ami de la fiction. Les Grecs mettoient
fouvent l'imagination à la place de la raiſon ;
ou , fi l'on aime mieux , la raifon chez eux
n'étoit jamais dépouillée des grâces de l'ima
gination . Peut- être avons nous donné dans
un excès contraire ; peut- être notre raiſon
eft elle fouvent froide , sèche & trop févère.
Cependant , fi l'on peut , fans impiété ,
difcuter le nérite des anciens , il fera
permis de dire , & il faut l'ofer , que notre
Théâtre l'emporte fur celui des Grecs pour
la perfection de l'art. On s'apperçoit , en lifant
Ariftophane , que la réflexion n'avoit
encore développé tous les fecrets de l'il
Jufion dramatique. Les entrées de fes perfonnages
font peu motivées ; c'eft tel ou tel
choeur d'une Comédie , fouvent très étranger
à l'action , qui en détermine le titre ; il
pas
DE FRANCE. 119:
néglige quelquefois les moyens d'illufion les
plus fimples & les plus faciles ; par exem
ple , page 352 & fuivantes du Tome Ier,
Nicias quitte la Scène pour aller chercher du
vin ; il revient , & en rapporte fans que l'Ac-.
teur qui eft refté , ait dit un mot . Il eſt
cláir que , ou ce dernier a eu le temps de
parler , ou l'autre n'a pas eu le temps d'aller
chercher du vin. Cependant , pour faire dif
paroître cette négligence , il n'en eût coûté
à l'Auteur qu'un monologue .
"
Mais ce qui frappe bien davantage , c'eſt
de voir très fouvent les Acteurs en pour- ,
parler avec les Spectateurs. On est tout étonné
d'entendre le choeur , vers la fin du premier
Acte des Nuées , dire au Public :
Spectateurs éclairés , que ce grand jour raffemble, &c,
Et plus loin :
Nous voulons vous apprendre , honorable affemblée ,
&c.
Molière n'a fait cette faute , ou ne s'eft
donné cette liberté qu'une fois , dans fon
Avare , où Harpagon demande au Parterre
des nouvelles de fon voleur. Ces irrégularités
, qui fembleroient ne devoir appartenir
qu'à l'enfance de l'art , détruifent toute illufion
. Une action dramatique eft cenfée n'avoir
aucun témoin ; ce qui fait fentir le ridi
cule ( fi commun encore aujourd'hui ) des Acteurs
qui adreffent au Public leurs à parte ,
c'eft à dire , ce qui eft cenfé n'être entendu
de perfonne,
120 MERCURE
D'après ces réflexions , que nous pour
fions étendre davantage , ayons l'orgueil &
la juftice de convenir que c'eft la France , que
c'eft Molière qui a perfectionné l'Art de la
Comédie ; que la Comédie par excellence ,
celle de caractère , nous appartient ; mais
convenons auffi que la belle Nature a préfidé
aux Ouvrages de l'antiquité ; que les
Grecs font des modèles auxquels il faut tou
jours revenir ; & que c'eft d'eux mêmes qu'il
nous a fallu apprendre à les furpaffer.
M. Poinnet de Sivry a joint au Théâtre
d'Ariftophane des Fragmens de Ménandre &
de Philémon. Quoiqu'il nous foit resté trop
peu de ces deux Poëtes , pour pouvoir les
juger comme Auteurs Comiques , ces Frag
mens font de beaux & précieux débris dignes
d'être confervés . Ils donnent un nouveau
prix à cette Edition , qui doit occuper une
place honorable dans nos Bibliothèques , &
ajouter à nos richelles Dramatiques.
M
VARIÉTÉ S.
ONSIEUR
Le Public a paru voir avec intérêt le Portrait du
Général Washington tracé par un des Chefs qui
ont commandé nos Troupes dans le Nouveau
Monde. Voici un morceau de la même main' , extrait
du même Ouvrage , mais d'un autre genre. On
croit lire Homère ou Plutarque quand on confidère
les moeurs & le caractère de M. Nelfon , qu'on va
connoître
DE FRANCE. 121
connoître en lifant le morceau fuivant. C'eft la
même fimplicité de moeurs & la même élévation ;
c'est une de ces âmes qui ne peuvent naître & fe
former que dans les Sociétés libres & naiffantes . A
côté de ces vertus fociales on verra auffi fans doute
avec plaifir le caractère fauvage , mais fenfible &
touchant de la jeune Pocahunta . Pecahunta &
Nelfon honorent infiniment la Société & la Nature ;
& il eft doux de connoître les vertus quelles peuvent
nous donner. On a dit tant de mal & de la Nature
& de la Société !
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , GARAT .
EXTRAIT du Journal d'un Voyage fait de
Williamsburg en Virginie , & Petersburg,
&c.
Après cette petite digreffion , pour laquelle on
aura fans doute quelque indulgence , il eft difficile de
trouver une tranfition qui me condaife à parler d'un
vieux Magiftrar , dont les cheveux blancs , la taille
élevée & la figure noble , commandent le reſpect &
la vénération ; le Secrétaire Nelſon , dont il s'agit
maintenant , doit ce titre à la place qu'il occupoit
fous le Gouvernement Anglois , en Virginie. Le Secrétaire
, chargé de conferver les registres de tous
les actes publics , étoit membre néceffaire du Confeil
dont le Gouverneur étoit le Chef. M. Nelfon a occupé
cette place pendant 30 ans . Il a vû l'aurore du
beau jour qui commençoit à fe lever fur fon pays ;
il a vû fe former les orages qui l'ont troublé ; il n'a
cherché ni à les raffembler ai à les conjurer : trop
avancé en âge pour defirer une révolution , trop
prudent pour l'arrêter fi elle étoit néceffaire , &
trop fidèle à fes Concitoyens pour féparer fes intérêts
des leurs , il a choifi pour le retirer des affaires
l'époque même de leur changement . Aing ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
F
122 MERCURE
·
defcendant du Théâtre lorfque de nouveaux Drames
demandoient de nouveaux Acteurs , il a pris fa
place parmi les Spectateurs , content de faire des
1- voeux pour le fuccès de la Pièce , & d'applaufir à
ceux qui joueroient bien leur rôle. Mais dans la dernière
campagne le bafard l'a remis fur la scène , &-
lui a donné une funcfte célébrité . Il habitoit à Yorck ,
cu il s'étoit fait bâtir ene très belle maison . Le
goût , & même le luxe Européen n'en avoient pas
été exclus ; on admiroit fur tout une cheminée &
quelques bas reliefs , de très - beaux marbres & trèsbien
travaillés , lorfque la deftinée conduifit Lord
Cornwalis dans cette ville pour le défarmer , ainfi
que fes Troupes , jufques là victorieufes. Le Secré
taire Nellon ne crut pas devoir fuir les Anglois , à
qui il ne pouvoit être odieux , ni infpirer aucun ombrage
. Il fut bien traité par le Général , qui choifit
fa maison pour y établir fon logement ; mais cette
maiſon , placée fur une hauteur dans la fituation de
la ville la plus agréable , étoit auffi placée près des
fortifications les plus importantes , c'étoit le premier
objet qui frappât les regards lorfqu'on appro
choit d'Yorck . Bientôt au lieu de l'attention des
Voyageurs , elle attira celle des Canoniers & des
Bombardiers ; bientôt elle fut prefqu'entièrement
détruite . M. Nelfon l'occupoit encore au moment
où nos batteries effayant leurs premiers coups ,
tuèrent un de fes Nègres à très -peu de diftance de
lui . Lord Cornwalis lui même fut obligé de chercher
un autre alyle ; mais quel aſyle auroit pu convenir
à un vieilard que la goutte privoit pour lors
de l'ufage de fes jambes ? Quel afyle fur - tout auroit
pu le défendre contre les angoiffes horribles
qu'éprouvoit un père affiégé par les propres enfans ;
car il en avoit deux dans l'armée Américaine ; de
forte que chaque boulet qui étoit tiré pouvoit porter
la mort dans fon fein , foit qu'il partît de la ville ,
DE FRANCE. 124
foit qu'il vint de la tranchée . J'ai été témoin de
l'anxiété cruelle d'un de ces malheureux jeunes gens,,
lor qu'après avoir envoyé un Flag pour redemander
fon père , il tenoit les yeux fixés fur la porte
de la ville par laquelle ce Flag devoit fortir , &
fembloit attendre la propre fentence de la réponſe
qu'il recevroit. Lord Cornwalis n'eut pas l'inhumapité
de fe refufer à une demande fi jufte. Je ne puis
me rappeler fans émotion d'avoir vu ce vieillard ,
au moment où il venoit de defcendre chez le Général
Washington ; il étoit affis , parce que fon
attaque de goutte continuoit encore ; & tandis que
nous étions debou : autour de lui , il nous racontoit ,
avec un vilage ferein , quel avoit été l'effet de nos
batteries , dont fa maiſon avoit éprouvé les premiers
coups .
La tranquillité qui a fuccédé à ces temps malheureux
, en lui donnant le loifr de compter fes
pertes , ne lui en a pas rendu le fouvenir plus amer.
Il vit heureux dans une de fes plantations , où il ne
lui faut pas fix heures d'avertiffement pour raffembler
une trentaine de fes enfans ou petits enfans
neveux ou petits neveux , qui font au nombre de
foixante - dix , tous habitans la Virginie . Le rapide
accroiffement de fa propre famille justifie ce qu'il
me difoit de la population générale. Les emplois
qu'il a occupés toute fa vie l'ont mis à portée d'en
avoir des notions exactes. En 1742 , les perfonnes
tailiables de LÉtat de Virginie , c'eft- à - dire , les mâles
blancs au deffus de 16 ans , & les mâles & femelles
noires au -deffus du même âge , étoient au nombre
* Flag fignifie proprement un Pavillon's a Flag of
Bruce , eit un pavillon de trêve. Envoyer un Flag , c'eſt envoyer
à l'ennemi un pavillon neutre ou Parlementaire.
Cette expreffion eft paffée du fervice de mer à celui de
terre. Tout Officier qui eft chargé d'une commiffion
'ennemi reçoit métaphysiquement le nom de Flag.
pour
Fij
124
MERCURE
de 63,000 , maintenant ils ' excèdent 160 mille.
Je partis de Powhatan le 24 d'affez bonne heure ,
& après m'être arrêté deux fois ; la première pour
déjeuner dans une petite maiſon affez pauvre à huir
milles de Powhatan , & la feconde à 24 milles plus
loin dans un lieu appelé Chefter Field court houfe ,
où je vis les reftes des cafernes occupées autrefois
par le Baron de Stubens , & brûlée depuis par les
Anglois , j'arrivai à Pétersburg à l'entrée de la nuit.
Cette journée fut encore de 44 miles. La ville de
Pétersburg eft fituée fur la rive droite de l'Apamatock.
Il y a bien quelques mailons fur la rive gauche
; mais cette efpèce de Fauxbourg eft un chef
lieu qui envoie des Dépurés à l'Aſſemblée , & qui
s'appelle Pocahunta. Je paffai la rivière fur un
Feriybout , & je fus conduit dans une petite auberge
, à 30 pas delà , qui n'avoit pas grande apparence.
Cependant , quand j'y entrai , je vis un appartement
très - proprement meublé , une grande
femme bien habillée & de rès -bon air , qui donnoit
tous les ordres néceffaires pour notre réception , &
une jeune Demoifelle non moins grande & trèséléganté
, qui étoit occupée à travailler. Je m'informai
de leurs noms , & je trouvai qu'ils n'étoient
pas moins impofans que leur extérieur . La maîtreffe
de la maifon , déjà veuve pour la feconde fois , s'appeloit
Miftriff Spemer , & fa fille , qui étoit du
premier hit , Miff Saunders. On me fit voir ma
chambre à coucher ; & la première chofe qui frappa
mes regards , fut un grand & magnifique clavecin ,
fur lequel il y avoit encore une guittare. Ces inftrumens
de musique appartenoient à Miſſ Saunders
qui favoit très- bien en faire ufage ; mais comme
j'avois plus befoin d'un fouper que d'un concert ,
Espèce de Eaq .
DE FRANCE. 125
ma première impreffion fut de trouver mes Hôtelles
de trop bonne compagnie , & de craindre d'avoir
moins d'ordre à donner que de complimens à faire.
Cependant il fe trouva que Mme Spemer étoit la
meilleure femme du monde , gaie , & même rieuſe,
difpofition très- rare en Amérique , & que la fille
toute élégante qu'elle paroiffoit , étoit douce , honnête
& de bonne converfation ; mais pour des
Voyageurs affamés , tout cela ne pouvoit encore
être confidéré que fous un feul point de vûe , c'eſtà-
dire , comme un bon augure pour le fouper. Ce
fouper ne le fit pas attendre . A peine avions- nous
admiré la propreté & la beauté de la nappe , que la
table fat couverte de très - bons plats , & fur- tout de
poiffons monftrueux & excellens . Nous allâmes
nous coucher, déjà très - bien avec nos Hôteffes , & le
lendemain matin nous déjeunâmes avec elles. J'étois
prêt à fortir pour me promener lorfque je reçus la,
vifite d'un étranger appelé M. Victor , que j'avois
déjà vû à Williamburg. C'eſt un Pruffien qui a fervi ,
autrefois , & qui , après avoir beaucoup voyagé en:
Europe , eft venu s'établir dans ce pays ci , où il a
d'abord fait fortune par fes talens , & a fini par devenir
Planteur comme les autres. Il eſt excellent
Muficien , & joue de toutes fortes d'inftrumens , ce
qui le fait rechercher dans tous les environs . Il me
dit qu'il étoit venu paffer quelques jours chez Mme.
Bowling , une des plus riches propriétaires de la
Virginie , & à qui la moitié de la ville de Pétersburg
appartient. Il ajouta qu'elle avoit appris mon
arrivée , & qu'elle comptoit que je viendrois diner
chez elle. J'acceptai la propofition , & je me mis
fous la conduite de M. Victor , qui me mena d'abord
voir les Ware-Houles , ou magasins de Tabac. Ces
magafins , dont on a conftruit une grande quantité
en Virginie , mais dont malheureusement une
partie a été brûlée par les Anglois , font fous la di
Fij
125 MERCURE
rection de l'autorité publique . Il y a des Inspecteurs
nommés pour vérifier la qualité du tabac que les
Planteurs y font porter ; & s'ils la trouvent bonne ,
ils donnent un reçu de la quantité. Alors le tabac
peut être confidéré comme vendu ; car les récépiffés
font monnoie dans le pays. Je fuppofe , par exem
ples que j'aie déposé à Pétersburg vingt hogs head,
ou boucauts de tabac , je puis m'en aller à so lieues
delà , comme à Alexandrie ou à Frédéricksburg ; &
fi j'ai befoin d'acheter des chevaux , des draps ou
toute autre chofe , je les paye avec mes reçus , lefquels
circuleront peut- être encore dans nombre de
mains avant de parvenir dans celles des Négocians
qui viennent enlever des tabacs pour les exporter. II
réfuté delà que le tabac eft non - feulement valeur
de banque , mais monnoie de commerce . On entend
dire fouvent : J'ai payé ma montre dix hogs heads
de tabac , ce cheval ma coûté 15 hogs heads , on
m'en a offert vingt , & c. Il eft vrai que le prix de
cette denrée , qui eft prefque toujours le même en
temps de paix , peut varier en temps de guerre ; mais
alors celui qui le reçoit en payement , faifant un
marché libre , calcule fes rifques & fes efpérances.
Enfin on doit regarder cet établiſſement comme
très-utile , puifqu'il met les denrées en valeur & en
circulation dès qu'elles font recueillies , & qu'il rend
en quelque forte le Cultivateur indépendant du
Marchand.
Les magafins de Pétersburg appartiennent à Mme
Bowling. Ils ont été épargnés par les Anglois , foit
parce que les Généraux Phillips & Arnold , qui ont
logé chez elle , ont eu quelque égard pour fa propriété
, foit parce qu'ils vouloient conferver le tabac.
qu'ils comptoient vendre à leur profit . Phillips moufut
dans la maifon de Mme Bowling , & alo : s le
commandement fe trouva dévolu à Arnold . J'ai oui
dire à Lord Cornwalis qu'à ſon arrivée il le trouva
DE FRANCE. 127
en grande di pure avec la Marine , qui prétendoit
que tout le butin devoit lui appartenir. Lord Cornwalis
termina la querelle eu failant brûler le tabac.
Mais Mine Bowling avoit eu le crédit & le temps
de le faire tranfporter hors de fes magafins. Elle n'a
pas été moins heureufe de fauver un fuperbe établiffement
qu'elle pofède dans la même ville : c'eft
un moulin qui fait mouvoir un fi grand nombre de
meules , de blutoirs , de vans , & c. & d'une manière
fi fimple & fi facile qu'il lui rapporte plus de
vingt mille livres de rente. Je paffai près d'une heure
à en examiner toutes les parties & à en admirer la
charpente & la conftruction . Ce font les eaux de
P'Apamatock qui le font mouvoir. On les a détournées
au moyen d'un canal creufé dans le roc.
Après avoir continué ma promenade dans la ville
où je vis nombre de boutiques , dont pluſieurs affez
bien fournies , je jugeai que le moment étoit venu
de faire une vifite à Mme Bowling , & je priai M.
Victor de me mener chez elle. Sa maifon , ou plutôt
fes maifons , car elle en a deux fymmétriques & fur
la même ligne , qu'elle fe propofe de joindre enfemble
par un corps de logis ; ces maiſons , dis- je ,
font fituées au haut d'un talus affez confidérable qui
s'élève du térrein où eft bâtie la ville de Pétersburg ,
& qui correspond fi parfaitement au cours de la ri
vière qu'il n'y a pas lieu de douter que ce ne fût
autrefois la rive même de l'Apamatock. Ce talus ,
& le plateau immenfe fur lequel la maifon de Mme
Bowling cft bâtie , font couverts d'herbes , & forment
un excellent pâturage qui appartient encore à
Mme Bowling. Il étoit autrefois entouré de barrières
, & elle y nourriffoit de très beaux chevaux ;
mais les Anglois ont brûlé les barrières & cminené
une grande partie des chevaux . A mon arrivée je
fus d'abord reçu par Mlle Bowling , jeune fille de
15 ans , fa mere, fon frère & fa belle feeur vintent
Fiv
128 MERCURE
enfuite. La première reffemble peu à fes compatriates
, c'est une femme de plus de 50 ans , vive ,
active , intelligente , qui fait bien gouverner fon
immenfe fortune , & , ce qui eft plus rare encore ,
qui fait en ufer Peur fon fils & fa belle - fille , je les
avois déjà vûs à Williamsburg. Le premier eft un
jeune homme qui paroît doux & honnête ; mais fa
femme , âge feulement de 17 ans , eft intéreflante
à connoître, non parce qu'elle a une figure & une
taille extrêmement délicates , & une tournure toutà
-fait Européenne , mais parce qu'avec cette taille &
cette figure délicate , elle eft defcendante de la Princelle
Sauvage Pocahunta , fille du Roi Powhatan ,
dont j'ai déjà parlé. Il faut croire que c'est plutôt
du caractère de cette aimable Américaine que de fes
formes extérieures que Mme Bowling a hérité. Peut
étre ceux qui n'ont pas lû l'Hiftoire particulière de
la Virginie ignorent- ils que Pocahunta fut la Protectrice
des Anglois , & les déroba fouvent de la
cruauté de fon père. Elle n'avoit que 12 ans lorf
que le Capitaine Smith , le plus brave , le plus intelligent
& le plus humain des premiers Colons ,
tomba entre les mains des Sauvages . Il étoit déjà
parvenu à entendre leur langage ; plufieurs fois il
avoit appailé les querelles qui naiffoient entre- eux &
les Européens; plufieurs fois aufli il avoit été obligé
de les combattre & de punir leur perfidie . Un jour ,
fous prétexte de commerce, il fut attiré dans une
embufcade ; il vit tomber les deux feuls compagnons
qu'il avoir ; mais il fut fe débarraffer à lui feul de
la troupe dont il étoit environné . Malheureuſement
pour lui , il crut pouvoir le fauver en traverfant un
marais , & il y refta embourbé de manière que les
Sauvages contre lefquels il ne lui reftoit plus aucuns
moyens de défenfe , purent enfin le prendre , le
lier & le conduire à Powhatan . Celui-ci fat fi fier
d'avoir en fa puiflance le Capitaine Smith , qu'il le
DE FRANCE. 129
fit promener en triomphe chez tous les Princes fes
Tributaires , ordonnant qu'on le fervit fplendidement
jufqu'à ce qu'il revînt fubir le fort qu'on lui préparoit.
Le moment fatal étoit enfin arrivé. Le Capitaine
Smith étoit déjà couché devant le foyer du
Roi Sauvage , la tête placée fur une large pierre
pour recevoir le coup de la mort ,lorfque Pocahunta ,
la plus jeune , la plus chérie des filles de Powhatan ,
fe jeta les bras étendus fur le corps du Capitaine
Smith , & déclara que fi la fentence cruelle étoit
exécutée , elle recevroit les premiers coups dont on
voudroit le frapper. Tous les Sauvages , y compris
les defpotes & les tyrans , font plus fenfibles aux
pleurs d'un enfant qu'à la voix de l'humanité :
Powhatan ne put réfifter aux larmes , aux prières de
fa fille. Le Capitaine Smith obtint donc la vie , à
condition qu'il payeroit fa rançon ; mais comment
pouvoit-il le procurer la quantité de moufquets , de
poudre & d'uftenfiles de fer qu'on lui demandoit ?
On ne vouloit pas le laiffer retourner à James-
Town ; on ne vouloit pas non plus que les Anglois
fuffent où il étoit , de crainte qu'ils ne le redeman-.
daffent les armes à la main . Le Capitaine Smith ,
qui n'avoit pas moins de tête que de courage , dit au
Roi que s'il vouloit feulement ordonner à un de fes
fujets de porter à James- Town une petite planche
qu'il lui remettroit , ti feroit trouver fous un arbre à
jour & à heure nommés tout ce qu'on exigeoit pour
fa rançon Powhatan y confentit fans ajouter foi à
ces promeffes , & croyant que c'étoit un artifice du
Capitaine pour prolonger fa vie ; mais celui- ci avoit
gravé fur la planche quelques lignes qui fuffifoient
pour rendre compte de fa fituation . Le meſſager
revint , on envoya au lieu indiqué , & on fut bien
furpris d'y trouver tout ce qu'on avoit demandé.
Powhatan ne pouvoit concevoir qu'il y eût un moyen
de tranfmettre ainfi fa penfée , & le Capitaine Smith
Fv
MERCURE
**
fut déformais regardé comme un grand Magicien , à
qui on ne pouvait trop témoigner de refpect I laila
les Sauvages dans cette opinion , & fe hâta de les
quitter . Mais deux ou trois ans après , quelques dif-"
férends étant encore furvenus entre- eux & les An - ´
glois , Powhatan , qui ne les croyoit p'us forci.rs ,
mais qui ne les en redoutoit pas moms , trama un
affreux complot pour le débarraffer d'eux . Il devoir
les attaquer au fein de la paix , & les égorger tous.
La nuit même que ce complot devoit s'exécuter
Locahunta profita de l'obfcurité & d'un orage af·
freux qui retenoit les Sauvages dans leurs cabañes ,
elle s'échappa de la maiſon de fon père , avertit les
Anglois de fe tenir fur leurs gardes, mais les conjura
d'épargner fa famille , de paroître ignorer ce
qu'elle leur avoit appris , & de terminer toute querelle
par un nouvel accommodement. Il feroit trop.
log de raconter tous les fervices que cet Ange de
paix rendit aux deux Nations. Je dirai feulement
les Anglois , je ne fais par quel motif, mais affuré
ment contre toute bonne -foi & contre toute équité ,
s'avisèrent de l'enlever à fon père. Elle pleura beaucoup
& long-temps ; mais ce fut une confolation
pour elle de retrouver le Capitaine Smith , qui lui tine
lieu de père : on la traita avec beaucoup de re pect ,
& en la maria à un Colon appelé Roff , qui bientôt
après l'amena en Angleterre. C'étoit fous le règne
de Jacques Premier . On prétend que ce Monarque'
pédant & ridicule en tous points , étoit fi infatuë des
prérogatives de la Royauté , qu'il trouva mauvais
qu'un de fes Sujets eût ofé époufer la fille d'un Roi
Sauvage . Il ne fera peut- être pas difficile de décider .
fi dans cette occafion c'étoit le Roi Sauvage qui étoit .
honoré de fe trouver placé fur une même ligne avec
Je Prince Européen , cù le Monarque Anglois , qui ,
par fon orguei! & les préjugés le mettoit au niveau
d'un Chef de Sauvage. Quoi qu'il en ſoit , le Capique
DE FRANCE fxf
taine Smith , qui étoit retourné à Londres avant Barrivée
de Pocahunta , fut empreffé de la revoir , mais
n'o'a pas la traiter avec la même familiarité qu'à
James Town . Dès qu'elle l'avoit apperçu , elle s'étoit
jetée dans les bras en l'appelant fon père ; mais
voyant qu'il ne répondoit pas affez à fes careffés ,
& qu'il ne l'appeloit pas fa fille , elle détourna la
tête , pleura anèrement , & fut long - temps fans
qu'on put obtenir d'elle une feule parole. Le Capitaine
Smith lui demanda plufieurs fois ce qui pouvoit
l'affliger. Quoi , lui dit elle enfin , n'aije pas
fauvé tes jours en Amérique ? Lorfque j'ai été arrachée
du fein de ma famille & conduite parmi tesi
frères , ne m'as tu pas promis de me tenir leu de
père? Ne m'as tu pas dit quefij'allois dans ton pays
tu ferois monpère & que je ferois ta file ? Tu m'as,
trompé , & je me trouve ici étrangère & orpheline.
On conçoit aifément qu'il ne fu: pas difficile au Capitaine
de faire fa paix avec cette charmante créa
türe , qu'il aimoit tendrement Il la préfenta ausd
perfonnes les plus confidérables des deux fexes ; mais
it n'ofa la mener à la Cour , dont elle reçut pourtant!
des bienfaits . Enfin, après avoir paffé plufieurs an
nées en Angleterre , où elle donna des preuves cont
tinuelles de vertu , de- piété & d'attachement à fon
mari , elle mourut comme elle étoit prête à s'embarger
pour retourner en Amétique . Elle n'avoit
e qu'un fils ; ce fils s'eft marié , & n'a laiffé que des
filles , celles - là que d'autres filles ; & c'eft anfi , par
une defcendance féminine , que le fang de l'aimable
Pocabunta coule maintenant dans les veines de la
eune & aimable Mme Bowling.
F vj
732 MERCURE
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LA Symphonie de M. Candeille , qui a
commencé le Concert du Jeudi 10 Juin , a.
paru d'un bon effet ; on ne peut que l'inviter
à cultiver ce genre de compofition . M.
l'Abbé le Sueur , nouvellement nommé
Maître de Mulique des Saints Innocens , a
fait entendre un Motet qui juftifie le choix
qu'on a fait de fes talens : un chant aimable
, une harmonie pure , un ftyle clair &
concis , font les qualités qu'on y a diftinguées
, chacun des morceaux a été fort applaudi.
Ce Motet a été très bien exécuté
par M. Rouffeau , dont les progrès fe font
de plus en plus admirer ; par M. Chéron ,
dont la fuperbe voix fait toujours un nouveau
plaifir , & par M. Murgeon , qui gagne
chaque jour fur l'opinion du Public à mefure
qu'il fe fait connoître. M. Zandonati a
exécuté un Concerto de Violoncelle. La manière
dont il tient fon archet nuit extrêmement
à la beauté , à la netteté du fon qu'il
tire de cet inftrument ; mais on a pu diftinguer
qu'il avoit beaucoup de préciſion &
de jufteffe . Les autres morceaux que nous
ne détaillons pas , parce qu'ils n'offrent aucune
nouveauté , ont cependant été applau
DE FRANCE. 133
dis avec plus de vivacité qu'à l'ordinaire ;
mais nous ne devons pas oublier une charmante
Symphonie concertante de M. Davaux
, rendue avec la plus grande perfection
par M. de Vienne pour la Flûte , & par
MM. Guérillor & Gervais pour le Violon..
L'Ouvrage & l'exécution ont eu le fuccès le
plus brillant & le mieux mérité.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredis de ce mois , on a donné ,
pour la première fois , le Temple de l'Hymen ,
Comedie Epifodique en trois Actes & en vers
libres , par M. Desforges.
Acte I. Le Théâtre repréfente une avenue,
qui conduit au Temple de l'Hymen . L'A..
mour & Momus ouvrent la Scène . Celui ci
porte un habit taillé en découpures , dans la
manière des Arlequins, Jupiter l'a envoyé
près de l'Hymen , dans le deffein de l'égayer ;
mais jufqu'ici fes efforts ont été inutiles , &
le Dieu , toujours trifte & chagrin , toujours
plus affecté des maux qu'on lui reproche ,
s'eft propofé d'interdite aux humains , l'approche
de fon Temple, Momus engage l'Amour
à guérir l'Hymen de fa mélancolie , en
fe réuniffant à lui. Le fonds du Théâtre s'ou
vre . L'Hymenfort defon Temple ; il s'avance
lentement , les yeux tournés vers la terre ,
& fans appercevoir Momus & l'Amour qui
l'écoutent. Il parle tout haut du projet qu'il
1341
MERCURE
a formé , & qu'il voudroit voir adopter par
l'Amour ; dela une Scène , dont le refultat eft
que l'Hymen rentiera dans fon Temple , que
Amour s'occupera de chercher des amans
fidèles , & que Momus veillera à la porte
du Temple de l'Hymen , pour n'introduire
que ceux qu'y conduira Amour. Dès quel
Momus eft leal , il apperçoit un Galcon petit
Maitre , qui leprend pour le Dieud Hymen ,
& qui le prie de le marier. Ce perfonnage
avoue tout naturellement qu'il ai ne une
femme qui eft déjà fur le retour de l'âge ;
mais qu'elle eft riche , & qu'il veut l'époufer
à caufe de fes grands biens . Momus ca
che fon indignation , perfiffle le fat , lui confeille
d'aller chercher l'objet de fon amour ,'
& de l'amener au Temple . Tandis qu'il fort
Four obeir à Momus , une vieille coquette
arrive en minaudant : c'eft l'amante du Gaf- *
con . Momus cherche à la dé romper , & l'engage
à éprouver la tendreffe de eclui qu'elle
veut époufer. En effet , lorfque le fat repa
roît , elle lui propofe de fe retirer à la campagne
, en ne confervant de fon bien , qu'elle '
diftribuera à fa famille , que ce qu'il faut
pour vivre dans une médiocre aifance. Le
Gafcon , après avoir tenté de lui faire rejeter
ce projet , renonce à époufer. L'amante
détrompée lui reproche 1 : baffeffe de fes
fentimens , le fat infolent plaifane fur fon
aventure , & Momus étonné de tant d'audace
, rentre dans le Temple de l'Hymen.
Acte II . Un célibataire arrive avec fon
DE FRANCE 135
neven . Après avoir long temps balancé a
prendre les chaînes de Hymen , il s'y eft
déterminé ; & il déclare à Momus , qu'il va
donner fon coeur & fa main à fa Pupille Hor
tenſe. L'air trifte & taciturne du, neveu inquiète
Momus , qui le foupçonne de ne voir
qu'avec chagrin les projets de fon oncle.
Momus ne fe trompe pas. Lorfqu'Hortenfe
paroît , elle déclare qu'elle a aimé fon Tuteur
, qu'elle a même ete difpofée à devenir
fa femme ; mais que le voyant , négligée par
celui dont elle défiroit l'amour , elle a donné
fon coeur , en un mot , qu'elle eft mariée. Le
Tuteur éclate , reproche à Hortenfe fon ingratitude
Momus le raille un peu fur fon
injuftice. Enfin l'époux qu'a choifi Hortenfe
patoît . Cet époux , c'eft le neveu lui même ;
il amène un jeune enfant , doux gage de
l'Amour d'Hortenfe . Le celibataire cft emu ,
avone fes torts , & donne fou confentement
au mariage de fon neveu & de fa Pupille.
Là deffus arrive un Empyrique Italien , qui
vient propofer de donner à l'Hymen les ailes
de l'Amour , afin d'empêcher celui ci d'être
volage . Momus lui répond qu'alors l'Hymen :
deviendroit tout fimplement l'Amour , &
que le mal pourroit être toujours le même.
Autre propofition de l'Empyrique : de laiffer
une aîle à l'Amour & de donner l'autre à
l'Hymen. Ah! dit Momus ,
Fi donc, fi jamais ce partage avoit lieu ,
Les railleurs auroient trop beau jen ,
136 MERCURE
Déjà l'on dit affez , j'en fuis témoin fidèle .
Que l'Hymen & l'Amour ne battent que d'une aîle ,
Et l'on dit vrai.
L'Empyrique eft écondui par Momus , les ,
amans entrent au Temple , fous la protection
du Dieu , & de l'aveu de leur oncle.
Acte III . L'Amour reparoît avec Momus.
Il eft chagrin. Plutus lui enlève tous
Les ſujets ; & depuis fon départ , il n'a trouvé
que deux vrais amans. Ces deux amans paroiffent
, & les Dieux fe rendent invifibles
pour les écouter. Felix & Hyacinthe s'aiment
de l'amour le plus rendre ; mais le père de
Félix ne veut point confentir à leur mariage ,
parce qu'Hyacinthe n'eft pas riche , il a
même chaffe fon fils de fa maifon. Félix , au
défelpoir , veut engager Hyacinthe à le fuivre
, à devenir fa femme malgré la volonté
de fon père. La tendre & vertueufe Hyacin
the le rappelle à des fentimens plus delicats ,
& le force à immoler l'amour à la vertu.
Les deux amans vont le dire un éternel adieu. ,
Momus & l'Amour touches paroiffent à leurs,
yeux , fe déclarent leurs protecteurs , & ,
l'Amour les introduit dans le paivis du Tem
ple de l'Hymen , tandis que Momus fe prépare
à entendre le père Gillet , Nicodème)
fon fils , la mère Vincent , & Rofe fa fille ,
qui arrivent tous enfemble. Le père Gillet
veur que fon fils époufe Rofe , & Nicodême
ne le veut point , parce qu'il ne l'aime pas.
Momus les intéroge les uns après les autres.
DE FRANCE. 137
De ces différentes Scènes il refulte que le
père Gillet eft un homme foible , qui fe
laiffe gouverner par la mère Vincent , femme
méchante & bavarde ; qu'il veut que fon
fils époufe Rofe , parce qu'elle doit être
riche ; que guidé par les confeils de la mère
Vincent , il a déjà banni de chez lui un fils
aîné , qui n'a point voulu époufer Roſe ; &
que cette Rofe cft une petite perfonne
très difpofée à devenir femme , dans l'unique
intention d'être fa maîtreffe , mais très peu
à faire le bonheur d'un époux . Cependant
le père Gillet veut être obéi. Nicodême
refufe ; fon père le chaffe. Avant de fortir ,
Nicodême lui reproche , les larmes aux
yeux , de fe priver de tous les enfans , & il
lui demande quelles confolations resteront
à fa vieilleffe. Le père Gillet s'attendrit ; la
mère Vincent veut ranimer fon courage.
Momus indigné lui ordonne de fortir après lui
avoir reproché fon inhumanité . Elle fort avec
fa fiile. Dès que Nicodême eft feul avec
fon père , il lui parle de fon frère . Momus
lui apprend la généreufe réfolution qu'Hyacinthe
& Felix ont voulu prendre pour
lui facrifier leur amour. Nicodême toujours
fenfible propoſe à fon père de donner une
dot à Hyacinthe, en lui cédant la part du bien
qui doit lui revenir un jour. Tout ce qu'il
entend , tour ce qu'il voit défarme le père ,
Giller ; il confent au bonheur de fon fils , le
temple s'onvre , l'Hymen & l'Amour fe réunif
fent pour ferrer les noeuds des deux amians.
138
MERCURE
Une Comedie epifodique eft un ' Ou
vrage peu fufceptible de produire un
grand interêt au Theatre. Si les epifodes font
attaches à une première intrigue , fouvent
les necellaires écrafent le principal . S'il n'y a
point d'intrigue . il n'y a point d'action ; &
fans action , qu'eſt ce que la Comédie ? Une
production de ce genre peut néanmoins
plaite par la gaîté , par le contrafte & la
variete des caractères & des tableaux ; mais
quand elle eft denuée de ces refforts , ellene
produit qu'un effet très mediocre , quelqu'efprit
d'ailleurs qu'on ait cherché à y répandie.
Le Temple de l'Hymen divifé en
rois Actes préfente trois petites actions
qui ne font point affez oppofées entreelles
, & qui relativement à la nature du
fujet ne pouvoient fans doute pas l'être.
Pour ôrer à fon Ouvrage la couleur monotone
& ifte que ces trois actions devoient
lui donner , Auteur a fait un gafcon de
fon petit maître ; caricature ufée au Théâtre,
& qui eft devenue faftidieule à force d'avoir
été employée . Il a introduit un empyrique
dont le caractère n'a rien de faillant , & qui
ne vient là que dans l'intention d'éveiller un
rire paffager. Le choix de ces moyens plutot
bouffens que comiques n'annonce pas
un goût bien délicat , & pourroit faire tort
à l'Auteur dans l'efprit des bons juges li fon
Ouvrage n'étoit pas femé de traits de fentiment
, d'efprit & de faifon faits pour capti !
ver tous les fuflages. Il y a de là philoſo¹
DE FRANCE 139
phie dans la Scène du Célibataire , beaucoup
de fenfibilite dans celle du père Gillet & de
fon fils. Au total , malgré les défauts que
nous avons indiqués & la négligence qu'on
peut reprocher au ftyle , cer Ouvrage a mérité
les applaudiffemens qu'il a reçus.
ANNONCES ET NOTICES.
Events choifies de l'Abbé Prévôt , avec figures.
Cinquième Livraifon , contenant , Voyages de Ro
bert Lade , 1 vol. , Hiftoire de Guillaume - le- Con».
quérant , 1 vol. , Pamela, 2 vol.
Certe intéreffante Collection va auffi vire qu'elle
peut aller. On foufcrit pour les OEuvres de l'Abbé
Prévôt , conjointement avec celles de le Sage , à
Paris , rue & hôtel Serpente , & chez les principaux
Libraires de l'Europe. )
:. La Collection des deux Auteurs formera 53 vol.
in 8 ° . ofnés de figures , faites fous la direction de
MM. Delaunay & Marillier ; favoir 18 vol des
Euvres de l'Abbé Prévôt , y compris l'Hiftoire de la
Vie de Cicéron , dont on n'avoir pas fait mention ,
mais qui a été demandée par MM . les Soufcriptours ,
& 15 vol . des Ouvres de le Sage , qui font actuelle
ment finies. Le prix de la Soufeription cft de 3 liv .
12 fols le vol broché. On a tiré 24 exemplaires
fur papier de Hollande à 12 liv . le vol . broché.
! LE Dictionnaire des Jardiniers , huitième Édi
tion , revue & corrigée fuivant les meilleurs fyf
têmes de Botanique , & ornée de plufieurs Planches
qui n'étoient point dins les Editions précédentes ,
publiée par Philippe Miller , F. R. S. Jardinier de la
}
140 MERCURE
Compagnie des Apoticaires à Chelfea , & Membre
de l'Académie Botanique de Florence , Ouvrage
traduit de l'Anglois , auquel on a ajouté un grand
nombre de Plantes inconnues a Miller , ainfi que
des Notes relatives à la Phyſique & à la Mätière
Médicale , & dans lequel on a retranché toutes les
dénominations Angloifes pour y fubftituer les nonis
François ; par une Société de Gens de Lettres . A
Paris , chez Guillot , Libraire de MONSIEUR , rüe
Saint Jacques , vis - à- vis celle des Mathurins.
De tous les Arts l'Agriculture a toujours été le
plus utile , & c'est une vérité qui n'a jamais été
mieux fentie qu'aujourd'hui. D'après cela on doit
très bien augurer du fuccès de ce Dictionnaire
qu'on propofe par foufcription, L'Ouvrage original
a toujours joui de la plus grande eftime ; & en
lifant le titre que nous venons de tranfcrite , on
fent qu'il a dû gagner encore par la traduction , &
qu'il a acquis par conféquent un nouveau degré
d'utilité .
On a choifi le format in 4° . comme le plus
commode; la compofition en caractère Cicero neuf
pourra fournit s Volumes de 6 à 700 pages cha
cun. Le premier Volume fera orné de plufieurs
Planches , ou feront gravées les différentes parties
des Plaures dont on fait ufage pour établir les
claffes de la Botanique. Le prix de chaque Volume
pour les Soufcripteurs fera de 12 livres , & pour
ceux qui n'auront pas fouferit de 15 liv. Les Souf.
cripteurs payeront 12 liv. en foufcrivant ; ils conti
nueront à payer la même fomme à chaque Livrai
fon des quatre premiers Volumes , & fe trouveront
avoir payé d'avance le dernier , qui leur fera
délivré gratuitement. La foufcription eft actuellement
ouverte , & fera fermée lorsque le premier
Volume paroîtra , c'eſt- à - dire , dans le courant da
mois deJuin.
DE FRANCE. 141
SOLUTION des trois Problêmes de Géométrie ,
par M. Papion de Tours , Brochure de 42 pages.
Prix , 1 liv. 4 fols . A Paris , chez L. Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguftins.
M. Papion de Tours s'étant occupé avec une efpèce
d'opiniâtreté de la Solution des trois fameux
Problêmes que nous a propofés l'Antiquité , favoir ,
la Trifection de l'Angle , la Quadrature du Cercle
& la Duplication du Cube , croit avoir enfin trouvé
ce qu'on a cherché fi long-temps en vain , & il
vient de donner la Démonſtration au Public, Bien
des Savans , qui marchent plus fûrement aujour
d'hui dans la carrière des Sciences , parce qu'ils y
marchent au flambeau de l'Algèbre , ont déclaré
cette Solution impoffible ; mais M. Papion prétend
qu'ils n'ont fans doute prononcé ainfi que parce
qu'ils n'ont pu réfoudre les équations qui réfultoient
de leurs recherches ; il dit que l'Algèbre n'eft qu'une
arithmétique compofée ; qu'elle calcule il eft vrai
les connues & les inconnues ; mais que l'applica
tion qu'on a faite de l'Algèbre à la Géométrie ne
lui a donné le droit que de calculer les commenfurables
, & qu'elle ne peut rien fur les incommenfurables
, au lieu que la Géométrie appliquée à l'Algèbre
rendra & réfoudra tous les Problèmes que cette
dernière lui propoſera ; qu'enfin cette Géométrie eft
la fynthèse que l'on a eu tort d'abandonner , & qu'il
a prife pour guide dans fes recherches.
En refufant de prononcer pour ou contre cette
découverte , nous ne ferons qu'imiter la fageffe de
l'Auteur lui- même , qui avoue que bien que les Mathématiques
ne foient pas une fcience arbitraire , les
démonftrations peuvent pécher , & qui , s'il fe trouve
dans ce cas , remercie d'avance ceux qui fe chargeront
de l'en faire appercevoir.
EXPOSITION du Calcul , fes quantités négatives.
142 MERCURE
A Avignon ; & à Paris , chez Cellot , Imprimeur-Libraire
, rue des grands Auguftins , in - 8 ° . Prix ,
3 liv . 12 fols.
Le projet de l'Auteur eft de prouver qu'en Algèbre
il n'y a ni inultiplicateur , ni quotient , ni expofant
, ni logarithme négatif, ni racine imaginaire ,
ni cas irréductible , ni interruption dans la defcription
des lignes courbes , ni progrellion géométrique
alternative , ni figne moins dans la formule du
fecond degré , ni fraction :: 2a ; que les ordonnées
négatives doivent répondre à des axes négatifs ,
que tout produit , toute équation d'un degré quelconque
n'eft compofé que d'une feule racine & de
Les répliques. Nous invitons les Savans en Algèbre
à lire les preuves , fur lefquelles nous nous abiliendrons
de prononcer.
METHODE d'Inftruction pour ramener les pré
tendus Réformés à l'Eglife Romaine , & confirmer
les Catholiques dans leur croyance , par M. de la
Foreft , Cuftode Curé de Sainte Croix de Lyon ,
Docteur de la Faculté de Théologie de Paris , &c . ,
in - 12. Prix , 2 liv . broché , 2 liv. 10 fols relié . A
Paris , rue & hôtel Serpente ; à Lyon , chez Aimé de
la Roche , Imprimeur de la Ville , aux Halles de la
Grenette.
Quarante ans d'expériences & d'inftructions
données aux Proteftans par l'Auteur de cet Ouvrage
doivent prévenir en faveur de la Méthode
qu'il a adoptée . Il a de la précifion & de la clarté
dans fa marche , & réunit plufieurs avantages qui
manquent aux Ouvrages qu'on a écrits fur la vérité
du Catholicifme , quoique nous en ayons d'excellens
fur cette matière
MOYEN de Direction que M. le Comte d'Albon
a inventé & adopté à fon Ballon , parti de fa maifon
DE FRANCE 143
de Campagne de Franconville , Gravure d'environ un
pied A Paris , chez Pagelet , Graveur , rue S. Julienle-
Pauvre.
RECUEIL des Airs du Droit du Seigneur &
autres petits Airs & Romance , avec Accompagnement
de Harpe , compofés par M. Grenier , Organifte
& Maître de Harpe , OEuvre V. Prix , 7 livres
* fols. A Paris , chez Coulineau , Luthier de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'École .
Ces Accompagnemens nous ont paru faits avec
goût , & les petits Airs de M. Grenier prouvent qu'il
a tort d'arranger la Mufique des autres .
PROSPECTUS . M. Krumpholtz à la follicitation
de plufieurs Amateurs propofe une foufcription de
deux Symphonies pour la Harpe exécutées par
Mme Krumpholtz au Concert Spirituel . Elles fonc
principalement compofées pour la nouvelle Harpe
à fourdine de M. Naderman , & peuvent aufli s'exécuter
fans accompagnement. On fouferit jufqu'au
premier Août chez l'Auteur , rue d'Argenteuil , ancien
hôtel de la Prévôté , nº . 14. Prix , 9 livres pour
Paris , & ro liv. 1o fols pour la Province , paffé ce
terme l'Exemplaire coûtera 12 livres , & l'on n'en
trouvera que chez l'Auteur & chez le fieur Naderman
, Luthier de la Reine , rue d'Argenteuil. L'Auteur
prévient qu'il défavoue & déclare contrefaits
tous les Exemplaires qui fe vendroient ailleurs , à
moins qu'ils ne foient fignés de lui.
QUATRE Ouvertures par MM. Guglielmi , Wanhall
, Ditters & Hayden arrangées pour le Cla
vecin & deux Sonates , par MM Clémenti & Scarlati
Prix , 7 liv. 4 fols A Paris , chez Bailleux , à
la Clefd'or , rue S. Honoré, près celle de la Lingerie.
144
MERCURE
Cette Collection eft très agréable pour le bon
choix des Pièces & la manière dont elles font arrangées
, mais ce qui fur- tout la rend infiniment précieufe
, c'eſt la Sonate de Scarlati que M. Clémenti
exécutoit avec tant de fuccès après les fiennes . Les
Amateurs fauront beaucoup de gré à l'Éditeur de
l'avoir miſe au jour.
SEPTIEME Recueil d'Airs d'Opéras , contenant
Ouverture de Renaud , par M. Sacchini , & celle
Iphigénie en Aulide , par M. Gluck , arrangée pour
deux Flûtes ou Violons , par M. Muffard , Maître
de Flûte. Prix , 6 liv . A Paris , chez M. Muſſard ,
rue Aubri- le-Boucher , maiſon du Marchand de Vin.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE.
E PITRE à MM. de la So - gryphe
ciété Patriotique Bretonne , Théâtre d'Ariftophane ,
97 Variétés ,
Vers fur l'Homme, 101 Concert Spirituel ,
Impromptu à Mme de.... ib. Comédie Italienne ,
102
1ος
120
132
133
139
Charade , Enigme & Logo- Annonces & Notices ,
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr ! Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 19 Juin . Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 18 Juin 1984. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 JUIN 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Au Comie DE HAGA.
IL te revoit enfin , ce peuple aimable & brave ,
Qui , dès tes jeunes ans , jugea fi bien de toi !
Tu n'as point démenti le grand nom de Guftave ;
On eftima le Prince , on admire le Roi.
Combien de ta préfence augufte
Nos Citoyens font réjouis !
C'eft complaire à leur maître.... Ils favent qu'un Roi
jufte
Doit être l'ami de Louis.
Dans cet accueil touchant vois l'honorable
De nos voeux & de ton fuccès ;
marque
Faut-il plus dire encor ? .... Sois sûr que le François ,
S'il n'avoit fes Bourbons , te voudroit pour Monarque ,
Tant fur lui les vertus ont un attrait puiſſant !
Il n'eft point , tu le fais , d'État fi floriffant ,
N°. 26 , 26 Juin 1784. G
1146
MERCURE
Et point de beau diadême.
1
Quel est donc en effet le fort des Souverains !
Beaucoup fontrefpectés , d'autres, hélas ! font craints.
Ce n'eft qu'en France qu'on les aime.
( Par M. D....t. )
VERS contre les Vieillards , confacrés à la
gloire de leur plus brillant Doyen.
CROROIIRREE Cencor écrire en beaux vers ,
Se marier , livrer bataille
Quand on a quatre- vingt hivers ,
C'est s'expofer à trois revers ,
Dont fans pitié chacun fe raille.
Idolâtrer , fervir dans un âge auffi vieux
Les Amours , les Mufes , la Gloire ,
N'eft qu'un ridicule odieux.
Tous les vieillards font faits pour rater la Victoire,
L'homme au bord du tombeau , traînant fon corps
perclus ,
Même avant d'expirer fouvent n'existe plus.
Ainfi , Guerriers , Amans , Rimeu's octogénaires ,
Jogiffez du paffé , bornez -y vos chimères ,
Racontez vos exploits , lifez vos vers heureux ,
Sans effayer d'en faire d'autres ;
L'efprit baiffe & s'éteint dans un corps catarreux.
Mars , Phébus & l'Amour ne lancent plus leurs feux
Sur des coeurs vieux , ufés , glacés comme les vôtres.
DE FRANCE. 147
Ces vers , où je m'égaie aux dépens des vieillards ,
Furent lûs l'autre jour d'un ami des Beaux- Arts ,
Qui me dit : « N'en déplaife à votre poéfic ,
» Le modèle brillant de la galanterie ,
» Qui pilla de Vénus des grâces le tréſor ,
පා
Qui prit Chypre & Mahon en dépit de l'envie ,.
Qui reçut tour- à- tour une couronne d'or ,
» Des trois Dieux que vos vers veulent qu'un vieil-
» lard fuie :
» R ...... qui des Grands piqua la jalouſie ,
A quatre vingt- huit ans eft bien vivace encor.
L'âge n'a pas éteint ſa force & ſon génie. ,
"
32
J'en conviens , ce Héros vanté ,
גנ
Non moins favant dans l'art de Follard , de Polybe ,
Que dans l'art plus charmant de dompter la beauté,
Siffle par fa bonne fanté
Ma morale & ma diatribe.
En Grèce , les vieillards à leurs petits enfans
Difcient : « Ce bon Neftor qu'on révère & qu'on
29
"
לכ
aime ,
Qui raconte des faits auſſi vieux qu'étonnans ,
Qui vit Troye embrâfée & fes remparts croulans ,
» Nos pères comme nous l'ont toujours vû de même...
Je veux que R...... , par un bonheur extrême ,
Conferve comme lui fa vigueur & ſes ſens .
Que Bellone & Vénus l'adorent à cent ans.
Ces deux Belles encor , fans nuire à mon fyftème ,
Peuvent le couronner de leurs lauriers brillans .
Gij
148 MERCURE
Comme on voit dans l'hiver un beau jour de printems,
Par miracle une fois la fageffe ſuprême
Sufpend l'ordre & le cours de fes décrets conftans ,
Garantit un Héros des outrages du temps ,
Et le dérobe aux coups de la parque au teint blême.
Mais comme tout finit , quand ce Neſtor nouveau
Aura dans un efquif traversé l'onde noire ,
Voici ce que fur fon tombean
Gravera le burin des Filles de Mémoire :
сс « Paffant , qui que tu fois , apprends que dans ce lieu,
Sous ce marbre facré , repofe un demi - Dieu ,
Qui fixa fur les pas l'Amour & la Victoire ,
ود
"
33
Qui vit bien peu changer les deftins inconftans ,
Qui joignit de Vénus les myrtes éclatans
» Aux brillans lauriers de la gloire.
» Le plus aimable des François ,
39 Le plus grand aux yeux de Bellone ,
» Le ſauveur du Gênois , la terreur de l'Anglois ;
ود
""
L'ami de fon Monarque & l'appui de fon trône ;
ל כ
و د
39
Qui réunit tous les honneurs ,
Qui de Minerve eut les faveurs ,
Qui fubjugua toutes les Belles ;
Qui , fans languir jamais dans un obfcur repos ,
» Se montra près d'un fiècle un grand Homme , un
» Héros ;
» Il cueillit en tout temps des palmes immortelles . »
Si du Seigneur vanté , dont je peins les hauts faits ,
DE FRANCE. 149
Dans des vers moins beaux que fidèles ,
Je te tais le grand nom . Tu m'as` lû..... Tu le fais.
(ParM. le François , Ancien Officier de Cavalerie. )
IMITATION d'une Épigramme de
l'Anthologie.
Après les faveurs d'une Belle ,
Sais - tu ce que j'aime le mieux ?
Ami , c'eft le vin le plus vieux
Et la chanfon la plus nouvelle.
( Par M. le Vicomte de Br... de Vérac. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Voltaire ; celui
de l'Enigme eft Jus ( fuc , jus ) , Jus ( Droit de
Juftice ) ; celui du Logogryphe eft Figaro ,
où l'on trouve Io , Roi , air , or , if, fa ,
Riga, Goa , foi , fi , gai.
CHARA D E.
L'un de l'autre eft frère ,
Et le tout eft père.
( Par M. D***** D. ).
Gij
150 MERCURE
ÉNIGM E.
JE ne péris point par la corde ,
Et cependant il est bien clair
Qu'on me pend fans miféricorde ,
Et que je fuis, pendu même avant d'être en l'air.
(Par M. de la Roque , Capitaine en Secona au
Régiment de Baffigny. )
LOGO GRYPH E.
J'APPARTIENS par droit de conquête ;
Du plus fort je deviens la part.
J'ai cinq piés . Au pays Picard
Je fuis ville , en perdant ma tête.
Mes deux premiers à bas , fans être un Orateur ,
Je fus célèbre au Capitole.
Otes-moi tête & queue , & parlant à ton coeur
François , je nomme fon idole.
2
( Par M. le Marquis de Fuivy. Y
DE FRANCE: isi
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Veillées du Château , ou Cours de
Morale à l'ufage des Enfans , par l'Auteur
d'Adèle & Théodore. A Paris , de l'Imprimerie
de Lambert , rue de la Harpe ,
près S. Côme ; 1754. 3 vol. in- 8 ° . Prix ,
Is liv. brochés.
BC JEE fuis ; dit Madame de Genlis , le prémier
Auteur qui fe foit occupé de l'Édu-
» cation du Peuple . »
Elle auroit pu ajouter :
Et j'ai pris pour l'inftruire , la forme la
plus agréable , la plus intéreffante , la plus à
la portée comme au goût de tout le monde ,
la plus favorable à l'inftruction , la forme
dramatique.
Cet avantage méritoit fans doute d'être
réclamé. Mme de Genlis , en le réclamant ,
n'en rend pas moins à l'Auteur des Vûes Patriotiquesfur
l'Éducation du Peuple , &c. une
juftice que tout le monde ne lui a pas rendue ;
mais comment pouvoit on avoir oublié ce
quatrième Volume du Théâtre d'Éducation ,
uniquement deftiné aux enfans de Marchands
, d'Artifans , de perfonnes même au-
Ideffous de cette claffe ? Comment pouvoiton
fur- tout avoir oublié cette Rofière de
Giv
142 MERCURE .
Salency , l'un des plus touchans Ouvrages
qui exiftent dans nôtre langue , & le plus
touchant peut être de tous ceux de Mme de
Genlis ?
Quant à la queftion fi l'Auteur a voulu fe
peindre fous le nom de Mme d'Almane ,
dans Adèle & Théodore , il n'en fut jamais
de plus oifeufe. Quel Auteur d'Ouvrage en
forme , foit épique , foit dramatique ne
donne pas fes opinions & fes fentimens au
principal perfonnage , au perfonnage le plus
vertueux ? Fft- ce s'attribuer les vertus de ce
perfonnage , que d'annoncer qu'on penſe
comme on le fait agir ? Laiffons ces chicanes
nées de la grande célébrité du Livre
d'Adèle & de fon éclatant fuccès . Les Veillées
du Château vont bien exciter d'autres orages.
Premièrement , quelques Auteurs vivans y
font beaucoup loués , ce qui déplaît toujours
un peu à d'autres Auteurs vivans. Secondement
, des Auteurs illuftres , ou encore
vivans ou morts depuis peu , y fout beaucoup
critiqués , ce qui eft encore plus amer ;
& l'Auteur qui vivra éternellement , M. de
Voltaire , y eft iugé avec une févérité qui ne
paroîtra pas jufte à tout le monde. Marchons
d'un pas ferme & libre à travers toutes ces
opinions , en ne les confidérant que comme
des opinions qui ne font loi pour perfonne
, mais qui ne doivent être interdites à
perfonne. Reſpect & admiration pour tout
ce qui en mérite ; mais point de culte d' hom
me à homme , point de fuperftition . L'OyDE
FRANCE. 153
vrage le plus utile à faire , feroit peut être
un examen impartial , à charge & à décharge
des OEuvres de M. de Voltaire , parce que
c'eft l'Écrivain dont l'influence fur fon fiècle
a été la plus grande , tant en bien qu'en mal.
S'il y a un genre d'Ouvrage où l'on puiffe
s'attendre à trouver cet illuftre Écrivain traité
avec quelque rigueur , c'eft fans doute un
Livre confacré à l'éducation de la jeuneffe ;
& il faut permettre , quand même on ne
feroit pas de cet avis , de dire qu'il ne peut
être mis qu'avec précaution & avec choix
entre les mains des enfans & des jeunes gens .
La Préface des Veillées nous offre d'abord
une grande vérité à laquelle on ne fauroit
faire trop d'attention , c'est qu'il n'y a d'utiles
que les Livres agréables ; c'est que la morale
mife en action eft la feule qui agiffe fur
les âmes ; & que les Ouvrages qui ont le
plus influé fur les moeurs , ont tous une forme
agréable & intéreffante . Il en eft de
même de tous les genres d'inftruction : pour
inftruire , il fant plaire. Combien d'Ouvrages
adinirables pour la profondeur des recherches
& l'immenfité des connoiffances , n'ont
rien appris à perfonne , parce que leurs Auteurs
ont négligé de facrifier aux Grâces , ou
de prendre une forme attirante & attachante ;
car ce que nous difons ici en général de l'agrément
, tient d'une manière particulière à
la forme , malgré les défauts même de l'exécution.
Un exemple rendra ceci fenfible.
Tout le monde lit le Spectacle de la Nature ,
Gv
154
MERCURE
& tout le monde convient que , fans parler
dit fond , la forme dialogique n'en vaut rien.
L'Écolier eft déjà un petit pédant ; Madame
la Comteffe , à qui on a voulu donner , les
grâces d'une femme du grand monde , n'eſt
qu'une Bourgeoife qui a des airs ; M. le
Comte eft un gentillâtre affez épais ; M. le
Prieur eft un homme de College. Tel eft
cependant le charme de cette forme dramatique
, toute défectueuse qu'elle eft , qu'on
s'amufe en s'inftruifant dans le Spectacle de
la Naturé , & que l'Hiftoire du Ciel , du
même Auteur , où c'eft l'Auteur même qui
parle & enfeigne d'un ton raifonnable &
fenfé , ennuie & n'apprend rien .
De toutes les formes qu'on peut donner
à un Ouvrage d'inftruction , à toute forte
d'Ouvrages , la forme dramatique est toujours
la plus intéreffante ; l'Épopée même eft
obligée d'y recourir pour produire fes plus
grands effets ; auffi eft- ce la forme que Mme
de Genlis a cru devoir donner à prefque
tous les Ouvrages. C'eft le Théâtre d'Education
, c'eft le Théâtre de Société , toujours
fait dans un efprit relatif à l'éducation ; le
Roman moral & inftructif d'Adèle eft en
Lettres , par conféquent dramatique ; dans
les Veillées , tout prend la même forme ,
tout parle & agit fous les yeux du Lecteur.
La Baronne , & Mine de Clémire fa fille ,
qui racontent à leurs enfans , dans un vieux
château , les hiftoires de la veillée , ou qui
les font raconter par des perfonnages intéDE
FRANCE. 155
reffés à l'action , font agiffantes comme les
filles de Minée , dans les Métamorphofes ,
quand elles racontent la malheureufe aventure
de Pyrame & Thisbé , & d'autres hiftoires
femblables ; ou , comme Philoctère ,
lorfque d'après Sophocle il peint fi énergiquement
à Télémaque fes longues fouffrances
dans l'Ifle de Lemnos , fes touchantes"
fupplications à Pyrrhas , fes fureurs contre
Ulyffe , enfin la réconciliation avec ce même
Ulyffe & les Atrides , par l'entremiſe de Pyrrhus
& par l'ordre d'Hercule.
Les Hiftoires des Veillées , prifes toutes
enfemble , ont un grand objet moral , qui eft
le même que celui d'Adèle & des deux Theatres
; c'eft celui d'infpirer aux enfans les
goûts fimples & vertueux qui rapprochent
de la Nature , & qui font aimer la vie champêtre
; chaque hiftoire en particulier a auffi
fon but moral , fa vérité particulière à établir
& à infpirer ; & ici le plan romanefque &
dramatique eft poftérieur & fubordonné au
plan des idées : le conte eft fait pour la moralité,
non la moralité pour le conte. Quand
La Fontaine veut prouver qu'il faut avoir le
courage de fuivre fa vocation dans le choix
d'un état , ou fon goût dans les chofes indifférentes
, fans donner trop d'importance aux
jugemens frivoles , inconféquens & contradictoires
du vulgaire , la fable du Meûnier ,
fon Fils & l'Ane , établit très bien cette vérité
; tous les incidens s'y rapportent parfaitement
; on fent' que le conte a été fait pour
Gvj
146 MERCURE
la moralité ; quand , au contraire , dans une
fable ou prologue contre ceux qui ont legoût
difficile , il ellaye grotesquement divers tons
fans ceffer de donner prife à la critique , &
qu'il finit par dire :
Les délicats fent malheureux ,
Rien ne fauroit les fatisfaire .
Cette prétendue moralité n'eft qu'une défaite
par laquelle le Poëte fe joue de fon
Lecteur en finiffant , comme il s'en eft joué
dans tout le cours de l'Ouvrage : cette moralité
n'eft nullement établie. Eft on malheureux
de ne pas trouver que priant &
amant forment une rime bien riche Ici la
moralité a été faite pour la pièce , & non la
pièce pour la moralité , c'eft ce qui fait que
la moralité porte à faux. L'Auteur des Veillées
évite toujours cet inconvénient. Faits ,
incidens , caractères , jeu des pallions , tout
fe rapporte à la moralité , tout la développe
& la rend fenfible. L'enfant ne peut plus la
méconnoître ni l'oublier ; il a été amuſé
ému , intéreffé en apprenant fon devoir ; il
fent la raifon , il aime la vertu .
Ce n'eft pas tout de prouver à part , &
d'une manière ifolée , chaque vérité , il faut
qu'en s'enchaînant , elles fe fortifient & fe
prêtent un fecours mutuel ; ce n'eft point au
hafard que les diverfes Hiftoires qui compofent
ce Recueil fe trouvent placées à la fuite
les unes des autres ; la fuivante naît toujours
de la précédente, & des réflexions auxquelles
DE FRANCE. 157
elle a donné lieu ; ces hiftoires font difpofées
dans un ordre graduel , favorable &
adapté aux progrès de l'efprit des enfans, &
au développement de leur raiſon .
Par exemple , Mme de Clémire s'apperçoit
que des propos de Femmes de chambre & de
Domestiques intéreffés à regretter Paris , ont
jeté dans l'efprit des enfans des préventions
contre le fejour de la campagne ; elle reconnoît
d'abord la fource de ces préventions ,
& elle avertit fes enfans du danger de ces
converfations avec des Domeſtiques , à qui
le défaut d'éducation donne des idées & fuggère
des difcours qui ne peuvent que nuire
aux progrès de l'éducation . Cependant cette
règle de ne point caufer familièrement avec
les Domeftiques , reçoit d'abord toutes les
reftrictions dictées par l'humanité , par la
raifon , par l'élévation même, fi différente de
l'orgueil , elle reçoit auffi des exceptions ab
folues ; par exemple, lorfqu'un caractère dif
tingué , des vertus rares , ou le hafard d'une
éducation heureufe fe rencontrent dans ceux
qui ont le malheur d'être réduits à l'état de
Domestiques , ces exceptions font autant de
nouvelles vérités à démontrer , & c'est ce qui
amène la touchante hiftoire d'Ambroife &
celle de Marianne Rambour , dont l'action ,
difcutée dans un entretien intéreffant , qui
n'eſt point au deffus de la portée d'un enfant
bien élevé , eft jugée fupérieure à celle d'Ambroife
, laquelle fait peut être d'abord plus
d'effet. C'eft ainfi que chaque hiftoire eft un
158
MERCURE
petit Drame complet , faifant partie d'un
grand Drame , qui eft l'ouvrage entier. Ce
mêlange de récits , & de réflexions fur ces
récits , eft une méthode pleine d'intelligence
& de goût , qui double le mérite, des uns &
des autres ; les récits font valoir les réflexions
en les appliquant à quelque chofe de fenfible
, en leur ôtant cette généralité vague ,
cette féchereffe qu'elles ont dans les traits de
inorale purement dogmatiques ; les réflexions
à leur tour donnent du prix aux récits ,
elles en prolongent l'effet , elles en font fortir
les détails ; quelquefois même , en corrigeant
& modifiant certaines impreffions trop
fortes & trop promptes , elles rectifient ce
que les jugemens peuvent avoir eu , en conféquence
, de défectueux . Par exemple , dans
l'hiftoire de M. de la Palinière , Julie paroît
un exemple de la vertu opprimée & malheureuſe
, & les enfans doivent en juger
ainfi ; un examen plus févère , une difcuffion
plus fine fait appercevoir dans fa conduite
des fautes qui font la véritable caufe de fes
malheurs.
Ceft ainfi que la Baronne & Mme de
Clémire examinent tout , difcutent tout , pèfent
tout , jugent tout avec leurs enfans , &
leur font faire de leur raifon naiffante un
ufage toujours progreffif ; elles defcendent
noblement, fans petiteffe , fans minurie , jufqu'à
leurs enfans pour les élever jufqu'à
elles ; elles obfervent en grand ce beau précepte
de Juvénal : Respectez l'enfance , ne
DE FRANCE. 119
dédaignez point la foibleſſe des jeunes années.
Maxima debetur puero reverentia.......
.Ne tu pueri contempleris annos.
Voilà pour ce qui concerne le plan géné
ral & le lyftême d'après lequel l'Ouvrage eft
compofé.
Parcourons quelques détails .
La première & la plus importante leçon à
donner à des enfans, étoit de leur faire fentir
tout le prix de l'éducation , tout le malheur
d'en être privé , tout l'intérêt qu'ils ont de .
feconder par leur docilité les foins de leurs
parens , tout le befoin qu'ils ont de s'inftruire
& de prendre la raifon pour juge de toutes
leurs actions , de leur faire fentir enfin combien
la deftinée de ce qu'on appelle un enfant
gáté, peut être malheureufe.
C'eft l'objet de la première Hiftoire , qui
a pour titre : Delphine , ou l'heureufe guérifon.
Nous ne parlons plus ici du rapport
fenfible des faits & des caractères avec la
leçon qu'on veut donner ; ce mérite de convenance
, qui fe retrouve dans tout l'Ouvrage
, a été fuffifamment relevé : ce que
nous remarquons plus particulièrement ici ,
c'eft le talent de peindre & de graver les objets
dans l'imagination en traits ineffaçables ;
c'eft le jeu des petites paffions de Delphine ,
de fes caprices , de fes hauteurs , de fes fureurs
, de fes petites révoltes impuiffantes
contre la raiſon ferme & calme qui a entrepris
de les dompter , & qui en triomphe ;
160 MERCURE
c'eft la variété , c'eft le contrafte des caractères
& de la conduite ; ce font ces nuances
fines qui differencient les caractères du
même genre: M. & Mme Steinhauffe , Hen
riette , leur fille , Catau , leur Servante , font
tous caractères du même genre , toujours
guidés par la raifon ; ils font dans la même
caufe & dans les mêmes intérêts ; ils tendent
au même but , ils concourent au même ou
vrage , & cependant ils font tous différens.
Le mari eft réſervé pour les grandes occafions
: c'eft un Dieu fauveur qui ne paroît
que pour rendre la vie & la fanté ; on ne le
voit , pour ainfi dire , que dans le lointain.
C'eft fa femme qui eft chargée des détails du
régime & de la conduite ; elle oppoſe aux
contradictions , aux révoltes , aux tempêtes ,
le calme d'une raifon inaltérable ; l'autorité
dont elle eft dépofitaire , joint à fa douceur
une petite teinte de févérité ; par la raifon
contraire , on ne voit rien de femblable chez
Henriette ; fa raifon eft toujours douce , enjouée
, indulgente , aimable ; elle a , pour
ainfi dire , la fraîcheur & les grâces de la jeuneffe
; fa bonté , fa bienfaiſance en ont toure
l'ardeur. Catau eft , comme le dit Madame
Steinhauffe , une excellente fille , très patiente
, très douce ; la feule circonftance
d'être Allemande & de ne pas entendre un
mot de François , la diftingue fuffisamment
des autres , & contrafte plaifamment avec
les emportemens & les fureurs de Delphine.
Au milieu de cette tempête , Catau eft inDE
FRANCE. 161
fenfible & immobile comme un rocher ,
elle n'a d'action que contre les actions ; les
difcours ne lui font abfolument rien. Mais
ce qui eft fur tout ménagé avec un art infini ,
c'est le retour de Delphine à la raison & à
la vertu ; il fe fait par une gradation parfaitement
proportionnée au caractère de la
jeune fille , qui eft très- imparfaite , mais qui
n'eft point perverfe , & à l'influence que
-doivent avoir fur elle les événemens & les
exemples dont elle eft entourée. La réparation
qu'elle fait à Catau eft attendriffante ;
Delphine devient non- feulement bienfaifante
, mais delicate ; car la delicatefle , qui
ménage l'amour- propre , devient une partie
effentielle de la bienfaifance .
C'eft par les plus douces & les plus tendres
larmes que le Lecteur fait l'eloge de
l'Hiftoire qui a pour titre : Le Chaudronnier ,
ou la Reconnoiffance réciproque , & qui eft
déjà célèbre fous le nom d'Hiftoire d'Ambreife.
Cet Ambroife eft un Laquais qui
nourrit fa Maîtreffe , tombée dans la pauvreté.
Obligée de renvoyer tous les Domeltiques
, elle avertit Ambroise de chercher
une autre maiſon .
Non , je mourrai en ›
» vous fervant. Ambroise , vous ne con-
" noiffez pas ma fituation . - Madame ,
Vous ne connoiffez pas Ambroife . » Mot
fublime , dont toute la conduite d Ambroise
eft le développement. La reconnoiffance de
fa Maîtreffe n'eft pas moins touchante , &
le plaifir de voir leur vertu récompensée eft
162 MERCURE
66
و د
un bonheur dont le Lecteur a befoin,
L'Hiftoire des deux petits Payfans ' , Auguftin
& Colas , établit une efpèce de paradoxe
bien piquant en morale , & qui pourroit
être bien utile au genre humain ; c'eft
qu'il n'eft pas auffi naturel qu'on le croit
communément , de fe préférer aux autres.
Auguftin s'eft dépouillé de tous les habits ,
» parce qu'il fouffroit moins de la douleur
qu'il éprouvoit que de celle qu'enduroit
fon frère...... O quel fentiment fublime
» que la pitié , puifqu'il peut donner de
femblables vertus ! Loin d'amollir l'âme ,
» il l'élève , il fait oublier les dangers , bra-
» ver la mort & la douleur ! ..... Ne vous défendez
donc jamais d'un mouvement fi
» beau. Confervez avec foin cette paflion
» active & tendre , fi naturelle au coeur de
l'homme , & qu'il ne peut perdre qu'en
» fe corrompant. "
"9
"
Nous avons parlé de l'Hiftoire de Marianne
Rambour , qui remplit , à fes dépens
& fur les épargnes , les derniers vreux de fa
Maîtreffe , en fondant une école de charité
que fa Maîtreffe , en mourant , regrettoit de
n'avoir pu fonder. Elle en eft auffi récompenfée.
Ce qui donne lieu à l'Auteur d'établir
une autre maxime en morale , qui mériteroit
d'être toujours vraie , c'eſt que jamais
une action héroïque ne refte fans récompenfe ,
même dès ce monde.
La mauvaife éducation avoit donné des
vices à Delphine ; on fent aifément l'horreur
DE FRANCE. 163
1
du vice , on s'effraye moins des fimples défauts
; la négligence , par exemple , le défaut
de foin & d'ordre font affez ordinaires aux
enfans ; on fe les pardonne d'autant plus aifément
, que la morale n'y paroît pas d'abord
intéreffée , l'Auteur fait voir à quel point ils
peuvent être nuisibles ; c'eft l'objet de l'Hif
toire qui a pour titre : Eglantine , ou l'Indolente
corrigée. Le courage maternel de Doralice
( fait véritable ) eft un fuperbe incident
dans cette Hiftoire. Celle de M. de la Palinière
offre des fcènes tragiques , & montre
le danger des paffions. Eugénie & Léonce ,
où l'Habit de Bal. Cette Hiftoire eft une
des plus jolies Paftorales Dramatiques , &
nous ne ferions pas étonnés que ce fût celle
de toutes ces Hiftoires qui fit le plus de plai
fir à beaucoup de Lecteurs. La fcène eſt à la
campagne . Eugénie , femme de Léonce
jeune , fenfible & bien élevée , a reçu de fon
beau père une bourfe de foixante louis pour
fe faire faire un habit de bal . Cet ufage de
l'argent lui avoit été indiqué par fon beaupère.
Il s'agiffoit d'une grande fêre où elle
devoit fe trouver à Paris dans quelque tems.
Eugénie avoir vu dans la campagne un vieillard
à cheveux blancs , pauvre , chargé d'une
four paralytique & de cinq petits enfans
orphelins. Avec cinquante louis , dit - elle ,
j'aurai un habit affez beau ; ainsi , je vais
prendre dix louis fur cette fomme pour les
donner au pauvre Jérôme ( c'eft le nom du
vieillard ) : elle le trouve endormi aa bord
>
164 MERCURE .
d'un ruiffeau ; fa petite famille raffemblée
autour de lui , & protégeant fon fommeil ;
les uns chaffant les mouches & les coufins
avec des branches de faule , une autre éten
dant au- deffus de fa tête un tablier pour lui
donner de l'ombre , la naïveté de la petite
fille faifant figne du doigt à Eugénie de ne
pas faire du bruit , & ne confentant à lui
céder la place , ainfi que fes petits frères ,
qu'après qu'elle a promis de bien chaffer les
mouches ; tout cela forme un tableau enchanteur.
" Comme il dort pailiblement , dit Eugé-
» nie en le confidérant ! pauvre & refpec-
» table vieillard ! à foixante & quinze ans
" encore obligé de travailler fans relâche ! ...
» O qu'il feroit doux d'affarer la tranquil-
» licé de fes vieux jours ! ..... Dix louis ne feront
qu'un foulagement à fa misère ; mais
» cinquante le mettroient dans l'aifance ......
Valentine , ( c'eft la fille de fa Gouvernante )
» regarde ce vieillard ..... Avec quelle gaîté
» il fouperoit ce foir , entouré de fes petits
» enfans ! avec quelle joie pure il les em-
ود
"
"
99 braiferoit & recevroit leurs careffes !.... &
» moi , demain matin , je pourrois écrire
tour ce détail à ma mère...... O ma mère !
combien elle feroit heureufe en lifant
» certe lettre ! Elle convient avec Valentine
qu'elle doit confulter Léonce ; mais , ajoutet'elle
, éloignons - nous d'ici , car la vue de
" ce vieillard me caufe une tentation à laquelle
je ne pourrois réfifter. » Elle fe
33
98
"
DE FRANCE. 165
>
lève pour aller confulter Léonce , elle le voit
à fes pieds: caché derrière une haie , il avoit
tour vû , tout entendu , tout approuvé avec
tranfport. On peut fe figurer l'étonnement
l'attendriffement , la joie , la reconnoiffance
du vieillard à fon réveil . A travers tout ce
charme de vertu & de bienfaifance dont on
eft pénétré jusqu'au fond du coeur , Cefar ,
fils de Mme de Clémire , remarque la circonftance
de Léonce , caché derrière une haie
pour furprendre ; & malgré toutes les raiſons
qui l'excufoient , on le blâme de s'être caché,
on établit pour principe que dès qu'une
action eft condamnable par elle - même , on
ne doit jamais fe la permettre , quel que foit
le motif qui nous guide , & cette perite faute
n'a été mêlée parmi tant de bons fentimens ,
que pour éprouver la raifon des enfans , en
leur faifant démêler cette faute comme une
diffonnance ou une couleur trop tranchante .
L'Hiftoire qui a pour titre : Alphonfe &
Dalinde , ou la Féerie de l'Art & de la Nature
, eft le réſultat de lectures immenſes ;
c'eft un cours complet d'hiftoire naturelle &
de géographie : il feroit difficile d'inf
truire d'une manière plus agréable &
plus intéreffante ; mais nous devons peutêtre
avertir les Lecteurs frivoles , les Lecteurs
gens du monde , qu'ils feroient un
étrange contre fens s'ils prenoient ici le roman
pour l'objet principal , & l'inftruction
pour l'acceffoire . La manière la plus ucile de
lire cette hiftoire , eft d'avoir toujours les
166 MERCURE
notes & des cartes fous les yeux ; en un mot ,
c'eft une étude qu'il faut fe réfoudre à faire ,
mais une étude dans laquelle l'Auteur a pris
fur elle toute la peine , & n'a laillé au Lecteur
que l'agrément,
Il y a dans les converfations de Mme de
Clémire avec les enfans , beaucoup d'autres
inftructions femblables fur les Arts , fur
l'Hiftoire , fur la Morale , fur la Phyfique ,
fur tous les objets.
L'Hiftoire qui à pour titre : Paméla , ou
l'Heureufe Adoption , offre dans Pamela le
caractère le plus aimable qu'il foit poffible
de concevoir , & rien n'eft plus naturel ni
plus vrai que l'enthoufiafme de cet Anglois ,
qui s'écrie : Grâce au ciel , cet Ange eft une
compatriote.
319
Voici quelques traits de fon portrait.
" Son âme l'élevoit fans ceffe au deffus de
fon âge. Lorfqu'elle parloit de fes fenti-
» mens , elle n'avoit plus le langage ni les
expreffions de l'enfance. On pouvoit citer
d'elle mille traits charmans , des réponſes
» fines & délicates , & une foule de mots
» heureux & touchans que le coeur feul peut
infpirer. Cette fenfibilité vive & profonde
répandoit une grâce inexprimable fur
" toutes les actions de Paméla ; elle donnoit
» à fa douceur un charme qui pénétroit
l'âme , elle embelliffoit fa figure. On voyoit
» mille fois Paméla avant de favoir files
traits étoient réguliers , fi elle étoit belle
» ou jolie. On n'étoit frappé que de ſa phy.
و د
""
93
ཀ
"9
DE FRANCE. 167
» fionomie intéreffante , ingénue ; on ne remarquoit
que l'expreffion céleste de fon
» vifage. On ne pouvoit ni l'examiner ni la
louercomme une autre . Elle avoit de grands
» yeux bruns , de longues paupières noires.
» On ne difoit rien de fes yeux ; on ne par-
» loit que de fon regard. »
"
Olympe & Théophile , ou les Herneutes.
Cette hiftoire donne de grandes leçons aux
pères ambitieux qui forcent l'inclination de
leurs enfans. Un père qui a voulu facrifier
ainfi fon fils , & qui l'a réduit à la fuite ,
voyage , ou pour le retrouver ou pour diffiper
fes chagrins . A l'Ange Sund , en Hollande
, il eft frappé d'un tableau contraſtant
qui lui montre la récompenfe de l'indulgence
des parens , dans le bonheur d'une famille
nombreuſe & vertueufe , qui , ce jour - là ,
célèbre avec refpect & avec amour la naiffance
d'une vieille grand'mère , âgée de
quatre vingt quinze ans . Elle les bénit tous.
O mon Dieu , dit- elle , accordez à mon
64
39
3:3
fils , jufqu'à fon dernier moment , la féli-
» cité dont vous m'avez fait jouir ! que fes
» enfans foient toujours pour lui ce qu'il a
» été conftamment pour moi ! mon Dieu ,
béniffez les , tous ces enfans , qui font le
charme de mes vieux jours , & payez à
» mon fils foixante & douze ans de bonheur
» que je dois à fa tendreffe & à fes vertus. "
Les Solitaires de Normandie font une hiftoire
véritable , & c'eft un intérêt de plus ;
168
MERCURE
il est bien doux de ne pas regarder le fait
comme douteux.
Les trois Contes Moraux que renferme le
troifième volume , n'appartiennent plus aux
Keillées du Château , & ne pourront être à
la portée des enfans de Mme de Clémire que
quand ils feront plus avancés en âge. Daphnis
& Pandrofe eft un beau morceau de profe
poétique. Le Palais du Silence fournit des
contraftes plaifans entre ce que les perfon-1
nages difent & ce qu'ils veulent dire ; il en
réfulte des fituations piquantes . Mais le premier
de ces trois Contes , les Deux Répu
tations , eft celui qui excite le plus la curiofité,
& qui , fans l'aveu de l'Auteur , flatte
le plus la malignité du Public . C'eft là que
les grands coups font frappés. Des Écrivains
illuftres y font critiqués avec politeffe &
avec réſerve , mais avec févérité . Les uns
morts depuis peu , laiffent des amis zélés ;
les autres encore vivans ne font que trop
bons pour le défendre. Nous n'aurons pas le
ridicule de leur offrir un fecours dont ils
n'ont pas befoin ; nous aurons encore moins
latémérité de paffer condamnation pour eux.
Un Corps refpectable eft auffi attaqué dans
cet Écrit , mais le trait qu'on lui lance ne
peur porter coup , puifque pour le trouver
en faute , il a fallu avoir recours à la fiction .
En général on peut toujours attaquer impu
nément ce Corps ; le principe de fon filence
eft le même que celui de la patience d'un
des
DE FRANCE.
des perfonnages des Veillées : Je ne peux pas
le lui rendre , jofuis le plus fort . Mais les par
ticuliers ne font pas fi endurans. Forts ou
foibles , ils aiment la guerre , & ne fe perfuadent
pas aifément qu'on ait pu avoir un
motif pur pour les critiquer. Malgré toutes
les proteftations de l'Auteur , on attribuera
cette hoftilité au reffentiment qu'elle a conçu
d'un jugement qui a dû lui paroître en contradiction
avec celui du Public . C'eft le cas
de ces deux vers du Cid :
Dès que j'ai fu l'affront , j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Le mal eft que la vengeance appelle la
vengeance , & que les hoftilités entraînent
des hoftilités . Ceci n'eft encore qu'un badinage
; mais il pourroit aller trop loin.
Ludus enim genuit trepidum certamen & iram
Ira truces inimicitias & funebre bellum.
Le ciel préferve la Littérature du fchiſme
dont ces mouvemens femblent la menacer ,
& les Gens de Lettres les plus diftingués du
malheur d'avoir pour ennemie une femme
qui fait écrire avec tant d'efprit , de grâce ,
de fenfibilité , d'intérêt , d'éloquence , de
raifon , de goût , de politeffe , & mettre éga
lement dans fes intérêts ceux qui rient &
ceux qui pleurent.
Nº . 16 , 26 Juin 1784,
H
170
"MERCURE
ACADÉMIE FRANÇOISE.
MARDI 16 de ce mois , M. le Marquis
de Montefquiou a prononcé fon Difcours
de Réception à la place de M. de Coëtlof
quet , Précepteur de la Famille Royale , &
ancien Evêque de Limoges. Les vertus de
ce digne Prélat & les bienfaits de cette
éducation dont la Nation recueille les fruits
de jour en jour , ont été dignement loués
& vivement applaudis. M. Suard , en qua
lité de Directeur , a répondu par un Dif
cours qui ne pouvoit être plus heureufement
adapté à la circonſtance ; il a parlé de
l'éclat aufli utile que glorieux que les Grands
peuvent répandre fur les Lettres , foir en
encourageant leurs travaux , foit en y coopérant
eux-mêmes . On fait avec quelle clarté
élégante cer Académicien s'eft accoutumé à
exprimer fes idées ; on a retrouvé dans fon
Difcours fa raifon aimable & fon ftyle ingénieux
& piquant. Il a été d'autant plus ap
plaudi , que la préſence de M. le Comte de
Haga , en augmentant l'éclat de cette brillante
Affemblée , ajoutoit au Difcours un
nouveau degré d'intérêt. Ce Prince a reçu
des deux Académiciens un tribut d'hommages
qui a été confirmé par les applaudiffemens
les plus vifs & les plus réitérés.
M. de la Harpe a lû enfuite un Chant
d'un Poëme fur les Femmes , fujet riche
DE FRANCE. 171
fans doute , mais par- là peut-être plus dangereux
à traiter. Souvent l'imagination du
Lecteur ou de l'Auditeur , exaltée par un
titre qui la féduit , en voyant au- delà de ce
que promet le fujet, exige au delà de ce qu'il
peut tenir. Voilà peut- être ce qui a dérobé
à M. de la Harpe une partie des applaudiffemens
qu'il auroit pu prétendre fous un
titre qui eût moins promis à l'imagination..
La Séance a été teriminée par la lecture de
quelques Fables charmantes de M. le Duc
de Nivernois , qui ont excité le plus vif enthoufiafme.
La fineffe des penfées , la vérité
du ftyle & la beauté de la morale.
y brillent par tout ; par tout les grâces
de l'efprit y font aimer les leçons de la
faine Philofophie. *
-
VARIÉTÉ S.
SUITE des Sermons de l'Abbé Poude ;
comparés à ceux de Bourdaloue & de
Maffillon.
JE n'ai comparé Maffillon à Bourdaloue , que ,
parce qu'il m'a paru jufte & utile de mettre ces deux
hommes à leur place. Je n'établirai pas de parallèle
entre Bourdaloue & l'Abbé Poule ; je n'aurois à
développer qu'une vérité qui me paroît toute évi-
Les Difcours fe vendent chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie , rue Chriftine . Prix , 24 fals
Hij
172 MERCURE
dente & toute fenfible , c'eſt que l'un manque abfas
lument des grandes qualités de l'Orateur , & que
l'autre les possède éininemment ; mais Maffillon &
l'Abbé Poule font de véritables objets de comparaifon
l'un pour l'autre , par la différence même de
leurs talens. Cependant , en embraffant toutes les
confidérations , il me femble que Maffillon mérite à
plufieurs égards cette plus grande eftime qu'on lui
accorde.
D'abord , il a répandu fon talent dans un plus
grand nombre de travaux. Il y a peut- être dans fa
Collection une vingtaine de Difcours qu'on relig
toujours avec une nouvelle fatisfaction . Peu d'Écri
vains font auffi riches en excellens Ouvrages . L'Abbé
Poule fur- tout l'eft bien moins. Il faut fe rappeler
plufieurs fairs fur fon caractère perfonnel , que j'ai
rapportés dans un précédent Extrait. Il étoit trèspareffeax
, foit par l'empire de fes goûts , foir par
une certaine difficulté dans fon efprit a ſe fair
de toutes fes forces . Il a prêché pendant trente ans
& il n'a jamais fait que douze Difcours , parmi lefquels
il y en a un tiers qui ne peuvent rien faire
pour la réputation.
Il étoit auffi peu inftruit qu'il étoit pareſſeux . On
fait que toutes les lectures fe réduifoient aux Livres
faints , dont il étoit rempli , & à un petit nombre de
Poëtes & d'Orateurs. Il n'en a pas été moins élo
quent , parce qu'on l'eft par fon âme & fon imagi
nation , & non par les connoiffances ; mais auffi
lorfqu'il ceffe d'être éloquent , il ne fe foutient pas
par
d'autres fortes de mérite. Il tiroit fouvent de cet
enthoufiafme qui le dominoit , de grandes vûes fur
fes fujets ; mais en général il cherchoit plutôt dans
fes plans un cadre à tous les beaux morceaux vers
lefquels il fe fentoit entraîné , qu'un développement
complet & précis de fes fajets. Si on dépouilloit fes
plans de toute l'éloquence qui les féconde & les
DE FRANCE. 173
anime, ils montreroient trop les bornes de fon cfprit;
j'en excepte le Sermon fur le Ciel, dont je parferai
tout- à- l'heure. Il procéde dans fes plans d'une
manière bien moins grande encore ; on eſt ſouvent
défagréablement furpris de voir des morceaux admirables
en eux-mêmes , amenés par ces formules ufées
qu'il emprunte des plus médiocres Prédicateurs , ou
qu'il partage avec eux ; mais il faut dire auffi que ces
bearx morceaux font communément de fi grandes
maffes dans le Difcours , qu'ils étendent leur impreffion
fur tout le Difcours. Maffillon avoit plus
d'étendue , de foupleffe dans l'efprit , & un art
plus favant & plus heureux.
Je ne puis m'empêcher de reconnoître encore à
Maffillon un avantage bien précieux & bien ho
norable , celui de mieux remplir l'objet d'un Prédica
teur , de mieux gagner les coeurs aux vertus qu'il en
feigne. Je fuis loin de dire que l'Abbé Poule eût un
coeur moins touché des vérités morales , & un zèle
moins pur & moins vif ; mais je crois qu'il fut donné
à Maffillon d'aimer davantage la vertu de la manière
qui fait le mieux en répandre le goût ; peut - être
auffi la nature de fon talent le favorifoit- elle dans
ce point fi intéreffant. Il entre mieux dans les replis
intimes de la confcience ; il s'appuie de raiſons
plus perfuafives ; il accorde mieux la morale avec le
fond de nos fentimens. Il eft l'Orateur du coeur.
L'Abbé Poule eft celui de l'imagination. Celui - ci
étonne , ébranle , tranfporte ; mais ces grands
effets tournent plutôt à la gloire de fon éloquence
qu'à l'efficacité de fes exhortations . Maffillon femble
choifir à deffein des impreffions moins vives , mais
plus durables. Rapprochez les Sermons fur l'Aumône
de ces deux Orateurs. Dans celui de Maffillon
, vous puifez ou des leçons ou des fentimens
qui trouvent fans ceffe où s'appliquer ; c'eft un
code de loix touchantes que vous emportez avec
Hiv
774
MERCURE
vous. Dans celui de l'Abbé Poule, vous trouvez des
figures fublimes , des mouvemens du plus grand
pathétique ; vous êtes plus frappé qu'inftruit , plus
ému que changé. Il me femble qu'il y a entre ces
deux Orateurs cette différence, qu'on ne peut guères
entendre l'un fans abandonner fon âme à la fincérité
& à l'onction de fes difcours ; au lieu qu'on
peut beaucoup admirer l'autre fans fe fourmettre à
fes leçons ; & , je le répète , cela tient effentiellement
à leur manière de fentir la vertu.
C'eft en citant beaucoup Maffillon , que j'ai
tâché d'expliquer les caractères propres de fon éloquence.
J'appuyerai auffi de nombreuſes citations
mon jugement fur le talent de l'Abbé Poule. Ce
qui me paroît le diftinguer & le placer dans la claffe
des plus grands Orateurs , c'eft un profond enthou
fiafme & une vive imagination . Tant que fon âme ou
fon imagination ne font pas éinues , il refte dans des
vûes & une manière communes ; mais dès qu'il s'échauffe
& s'anime, ce n'eft plus le même homme, c'eſt
un véritable Orateur, c'eft très- fouvent un Prophète . Il
lui vient de fublimes idées ; il fe place dans des attitudes
on tout ſon ſujet obéit aux impreffions de fon
âme. Alors fon difcours devient une fcène , où l'on
voit commencer, fe développer & finir une grande
action. C'eft tantôt un événement au milieu duquel
il fe transporte , tantôt une vifion à laquelle il fe
livre , tantôt un ordre du Ciel qu'il reçoit & qu'il
exécute . Alors ce ne font plus des idées qui s'enchaînent
à des idées , & des fentimens qui s'y mê,
lent ; tout eft image & mouvement ; & vous le voyez
fouvent atteindre fans ceffe de nouveaux degrés fur
ces hauteurs où fon génie l'a tranfporté.
Comme tous les grands talens , il offre un heureux
mêlange de grâce & d'énergie , d'abondance & de précifion.
On croiroit quelquefois que le fond de fon ſtyle
eft l'onction la plus aimable ; mais plus ſouvent encore
DE FRANCE. 175
il s'élève au ton le plus fublime. Il eſt aifé cependant
d'appercevoir que la force domine toujours
dans fon élégance. J'en donnerai pour exemple la
peroraifon de Yon Difcours fur les Afflictions.
1
23
Et ou en ferois- je , Seigneur , fans ce coup de
» votre miféricorde qui m'a jeté entre vos bras ? Je
le déclare à la face du ciel & de la terre , & pour
» l'intérêt de votre gloire ; il m'eft avantageux que
vous m'ayez humilié : Bonum mihi quia humiliafti
me. Je n'aurois jamais eu le courage de bri-
» fer tant de liens , de faire tant de facrifices , de
me foumettre à cette pénitence rigoureuſe. Vous
m'y avez forcé malgré moi. Comment reconnoîtrai-
je un fi grand bienfait ? Quid retribuam
Domino pro : omnibus qua retribuit mihi ? Vous
m'en fourniſſez le moyen. Je prendrai le Calice
d'amertume que vous me préfentez , & que vous
» avez confacré vous- même en y portant le pre-
» mier vos lèvres divines ; je le boirai jufqu'à la
lie. Il renferme un breuvage de falut pour moi ;
il eft le gage de votre amour , mon efpérance ,
» ma force , ma pénitence , na religion : Calicem
falutaris accipiam. Je mêlerai mes afflictions
avec vos humiliations & vos fouffrances. Vous
» mêlerez vos mérites infinis avec mon indignité &
» ma foibleffe , & par cette union ineffable , je
» ſouffrirai en hemme , je mériterai en Dieu : Ét
» nomen Domini invocabo. Si je vous demande ,
ל כ
Seigneur , d'éloigner de moi ce Calice de douleur
» & d'opprobre , ne m'exaucez pas ; il y va de mon
» falut. Défiez- vous de ma malice ; tenez- moi toujours
dans cette efpèce d'impoffibilité de vous
» offenfer. Frappez , il m'échappera peut- être quel-
´ques foupiis ; je les défavoue par avance. Ce
font les cris d'une nature aveugle qui veut fe
perdre. Je fuis un furieux ; arrachez - moi ces
» armes meurtrières dont je ne me fervirois que
39
Hiv
196 MERCURE
» pour me percer. Frappez ; périffent pour moi
le fiècle & fes enchantemens , & fes plaifirs &
» fes richeffes ; donnez- moi feulement la patience,
» & vous me rendrez plus que vous ne m'ôterez.
Frappez , & fortifiez-moi , n'ayez point d'égard à
ma délicateffe ; employez le fer & le feu ; appliquez
par- tout une opération de mort. Que le
vieil homme, avec fes inclinations corrompues ¿'
s'anéantifle fous vos coups. Frappez , & ne vous
* arrêtez pas. Ne vous contentez pas d'avoir com-
» mencé , ô mon Dieu ; achevez votre ouvrage , il
ne peut avancer que fous vos mains ; il périroit
dans les miennes. »
23
La Religion n'a pas de fentimens plus doux , ni
l'Eloquence d'expreffions plus vives . Ce n'eft
cependant pas là l'onction de Maffillon. Voyez
'comme il eft rapide dans la phrafe & dans l'idée ,
comme il paffonne fa réfignation même , comme il
y mêle une vigueur inattendue : Frappez ; il m'échappera
peut- être quelques foupirs ; je les défavoue
par avance. - Ce font les cris d'une nature aveugle
qui veut fe perdre. Appliquez par-tout une opéra
tion de mort. Remarquez encore comme il fait tirer
des effets des plus petits moyens. Périffent pour moi le
fiècle &fes enchantemens , &fes plaifrs & fes richesses.
En redoublant la particule & avec chaque objet , il
femble tirer de fon âme un nouveau détachement ,
& c'eft ainfi que l'on peut agrandir les impreffions
de l'Eloquence avec la feule coupe des mots. On
reconnoît bien ici que chaque Ecrivain conferve
roujours le caractère principal de fon talent , même
dans les choſes où il paroît entrer dans le goût & là
manière d'un autre Ecrivain.
L'Abbé Poule fe plaifoit auffi à peindre la beauté
le bonheur de la vertu ; mais l'amour de la
vertu dans cette imagination paffionnée , devenoit
DE FRANCE. 177
une ivreffe & fon bonheur une extafe. Ouvrons
fon Sermon fur le Ciel , dont voici l'Exorde.
30
30
לכ
Ecce merces veftra copiofa eft in Calis. Une
grande récompenfe vous eft préparée au Ciel.
Que faites - vous cependant , mes très -chers
» Frères , dans cette vallée de larmes ? Infenfibles
» aux voeux des premiers nés de l'Eglife qui vous
appellent, vous vous laiffez enchanter à la figure
du monde ; vous vous plaifez dans votre exil.
Que dis-je? Vous voudriez pouvoir le perpétuer.
Vous ne fongez feulement pas que vous avez
une autre patrie , ou vous n'y pensez qu'avec chagrin.
Eh comment pratiqueriez-vous les devoirs
pénibles du chriftianilme, fi vous en craignez jufqu'aux
récompenfes ? C'eft dans le defir du Ciel
que les Martyrs ont puifé cette intrépidité qui leur
faifoit braver la cruauté des tyrans. C'eft dans
l'efpérance du Ciel que des Vierges généreufes &
des Solitaires fervens ont quitté le monde , & fe
font quittés eux -mêmes pour s'enfevelir dans la
retraite. C'eft pour s'affurer la conquête du Ciel
» que tant de Saints ont embraffé les travaux rigoureux
de la pénitence. Vous auriez les mêmes
» vertus , fi vous aviez la même foi. Erfans des
hommes , jufqu'à quand aimerez - vous la vanité ,
» & pourſuivrez - vous le menfonge ? Cette félicité ,
après laquelle vous foupirez , n'eft pas où vous la
» cherchez. Elevez vos coeurs appefantis ; entrez
avec nous en efprit dans ce Royaume de la charité
, où tout eft faint , où tout eft pur , où tout
eft éternel, Nous allons , à la faveur des divines
Ecritures , vous découvrir une partie des fecrets
» de l'Eternité , & foulever un coin du voile myftérieux
qui vous dérobe sant de merveilles . Que ce
fpectacle doit être intéreflant pour des Chrétiens !
je ne fall f on cft jainais entré dans fon fija
HY
178
MERCURE
d'une manière plus heureufe. Il va vous parler du
Ciel , & déjà la douce paix , les délices éternelles de
ce féjour le font communiquées à fes idées , à fes
fentimens , à fes paroles. A la manière dont il nous
appelle vers le Ciel , on croiroit qu'il en defcend luimême.
Que faites - vous cependant , mes très - chers
Frères , dans cette vallée de larmes ? Le charme de
ce début pouvoit préparer un écueil à l'Orateur
par la difficulté de le foutenir pendant tout un difcours.
Eh bien ! ce charme ne fait que s'augmenter.
-Tout ce que l'âme la plus aimante , tout ce que
l'imagination la plus heureufe peuvent voir & fen
tir dans un tel fujet , fe développe & fe communique
dans fes tableaux . Ce que les fens ont de plus
vif dans leurs impreffions , lui fert pour décrire des
objets qu'ils ne peuvent atteindre. Les Cieux lui
font ouverts , & il vous y tranfporte avec lui . Ce
qu'il y a encore d'extraordinaire dans ce Difcours ,
où l'intérêt , ou plutôt l'enchantement s'accroît fans
ceffe , c'eft qu'il eft prefque entièrement composé
de paffages tirés des textes facrés ; mais ils y font fi
heureufement fondus , fi heureufement fupplées ,
qu'ils forment un tout parfait , & qu'ils reçoivent de
cet emploi une grâce & une beauté nouvelles. On
parte volontiers de ce qu'on aime vivement. J'ai
interrogé plufieurs perfonnes fur ce Difcours , qui
me paroît l'Ouvrage le plus accompli de l'Abbé
Poule , & une des plus délicieufes lectures qu'une
âme tendre & religieufe puiffe faire. Peu l'ont lû ,
peu l'ont affez goûté. Peut - être cette indifférence
tient- elle à une prévention affez jufte contre le
fujet; on peut craindre de n'y trouver qu'une ima
gination en délire ; mais jamais l'Abbé Poule n'a
réuni à tout fon talent tant de goût dans le ftyle &
tant de fagetle dans l'efprit.
J'ai dit que l'Abbé Poule s'élevoit fouvent aux
plus fublimes idées , & qu'il faififſoit dans ſon ſujet
DE FRANCE.
des vues toutes nouvelles . Le Sermon fur le Ciel eft
plein de beautés de ce genre ; mais une des plus
frappantes
eft ce morceau du Sermon fur la Foi.
« Le Chrétien , confidéré fous ce point de vûe ,
» eſt un être d'une espèce toute fingulière , qu'il eft
difficile de définir. Il n'appartient ni au temps ,
puifqu'il travaille fans ceffe à s'en détacher , ni à
l'Eternité , puifqu'il n'en jouit pas encore , & il
participe cependant de tous les deux.
» Homme du temps , il remplit exactement tous
fes devoirs : Monarque bienfaifant , il veille fans
relâche à la félicité des Peuples foumis à fon cmpire
; en rendant fes Sujets heureux , il a trouvé le
vrai , l'unique moyen de les multiplier : Citoyen
» zélé , il confacre fes travaux , fes talens , & , s'il
le faut , fes jours même à l'avantage de la patrie :
époux fidèle , il refpecte religieufement les faints
» noeuds qui l'enchaînent : père doublement père ,
s'il ne gravoit de bonne heure fes vertus dans le
coeur de fes enfans , il regarderoit le jour qu'il
leur a donné comme le préfent le plus funefte ;
ainfi paffe d'âge en âge l'héritage précieux de fa
juftice : protecteur généreux , il eft le défenfeur
de l'innocent , l'appui du foible , le refuge de la
» veuve & de l'orphelin , l'arbitre des différends , le
rémunérateur du mérite. Riche , compatiffant &
→ libéral , il répare les malheurs des temps ; il fou
» lage l'indigence ; il borne la mendicité , il aide le
节
travail ; il vivifie les afyles de miféricorde. Homme
≫ de l'Eternité , il relève toutes les actions par la
fublimité des motifs qui l'animent & de la fin
» qu'il fe propofe , il voit Dieu dans tout & par-
» tour , & il ne voit que Dien. Homme du temps,
des tentations fans nombre l'affiègent ; les fcandales
offenfent la pureté de fes regards ; des
exemples éclatans alarment fa vertu ; l'impiété
lui fait entendre fes blafphêmes ; mille objets
Hvj ´
180 MERCURE
C
» féducteurs dreffent fous fes pas des embûches
» fecrètes ; l'ange des ténèbres , ce lion rugifant , le
pourfuit comme une proie qu'il eft avide de dévo-
20 rer, & fans fortir de lui-même , fes paflions lui
déclarent une guerre inteftine & perfévérante.
2 Homme de l'Eternité, il lève les yeux vers la
montagne fainte , d'où lui viennent les grâces &
les fecours ; il fe couvre du bouclier impénétra-
» ble de la Foi ; il fe foutient , il le défend par fes
prières & par fes espérances. Homme du temps ,
» des perfécutions troublent la férénité de fes jours ;
23
20
פ כ
19
23
la calompie fe fait un jeu cruel de noircir la répu-
» tation ; l'injuftice lui difpute les biens , & quelquefois
l'en dépouille ; des difgrâces inattendues
renverfent de fond en comble l'édifice de fa fortune
; heureux , il avoit des envieux ; malheu
reux , il n'a plus d'amnis. Il languiroit abandonné
» dans le creufet des tribulations, s'il n'étoit accompagné
de fa vertu . Homme de l'Eternité , qu'auroit-
il à redouter de cette confpiration générale !
Ses ennemis font fur la terre ; il eft prefque dans
» le Ciel. Il voit fans émotion fe former fous fes
pieds ces orages impuiffans . Il fait d'ailleurs que
les épreuves font nécefaites ; il contemple la cou-
» ronne de juftice qui l'attend après le faint combat
de la Foi , ce grand combat de toute la vie .
» Homme du temps , il paffe triftement à travers
l'inépuisable menfonge du monde , ce féjour fabu
leux & variable où tout eft inconftant ou faux :
promeffes , engagemens , biens , gloire , titres ,
paroles , fermens , joies , larmes , vertus même,
où l'on ne trouve de réel , de ftable que la haine,
l'intérêt , l'ambition , la volupté , l'orgueil , paffions
perpétuelles & fouveraines , qui , fe reproduifant
fous toutes fortes de formes , hormis leur
forme naturelle , varient à l'infini la scène changeante
du monde , réfiftent à l'effort des loix hue
D
f
DE FRANCE. 181
93.
maines , des fiècles , de la Religion , réuniffent &
divifent les hommes , & font de la Société un
compofé monstrueux de Palais & de prifons ,
d'Eglifes & de théâtres , de réjouiflces & de
» calamités , de politeffes & de perfidies , de mariages
& de divorces , de luxe & d'indigence ,
» d'une enveloppe d'agrémens fuperficiels & d'un
22
33.
abyme d'horreurs profondes. Quelle demeure
» pour un citoyen du Ciel ! Homme de l'Eternité ,
» il foupire , avec faint Paul , après la deftruction
» de ce vafe d'argile qui l'attache à tant de vanités
30
,
& de misères. Il dir avec le Prophète : Qui me
» donnera les aîles de la colombe ? Ah ! comme je
» fortireis de cette terre de malédiction , de ce
pays des apparences ! J'irois , je m'éleverois & je
me repoferois dans le fein de la paix & de la vé
» rité. Homme du temps & de l'Eternité tout en-
» femble comme ces Anges que Jacob vit en
fonge, lefquels moutoient fans celle fur l'échelle
» myftérieufe , & fans ceffe en defcendoient ; il
vole au Ciel pour jouir ; il revient fur la terre
pour mériter; il revole au Ciel par toute fon
» âme ; il retourne fur la terre lentement , à regret ,
» & entraîné par le fardeau des befoins & des né-
» ceffités,
23
Il y a peut-être quelques longueurs , quelques
idées & quelques tournures communes dans le commencement
de ce morceau . Mais dans un morceau
fi grandement conçu , fi fortement exécuté , les
beautés de l'enfemble couvrent toutes les imperfections
de détail , & il feroit petit de s'en offenfer
affez pour avoir le befoin de les critiquer.
J'ai encore un autre mérite à développer dans
l'Abbé Poule , celui de ces belles attitudes où il fait fe
placer pour déployer toute la véhémence d'unvéritable
Orateur, & toute l'autorité d'un Miniftre de l'Evan
gile, La feconde Partie du Sermon fur la Parole de
782 MERCURE
Dieu eft admirable par cette efpèce de beautés 3
j'en citerai la fin toute entière. Ce qui eſt auſſi beau
ne peut être trop long.
29
35
33
сс
Après le retour de la captivité , Efdras monta
fur un lieu élevé pour y faire la fimple lecture de
la loi aux Ifraélites affemblés . Tous les mots qu'il
prononçoit leur rappeloient les bienfaits de Dieu ;
» ces bienfaits leur reprochoient leurs prévarications
; leurs prévarications leur préſentoient les
menaces des châtimens mérités ; l'image de ces
» châtimens excitoit leur terreur. Confus de leur
ingratitude , épouvantés du poids de la colère du
» Seigneur dont ils étoient menacés , ils ne répondoient
à tous les articles de la loi que par leurs
» larmes & par leurs fanglots . Et les Lévites ! ....
» Les Lévites étoient obligés d'aller de rang en
rang, & de leur dire : Faites filence , & ceffez de
vous affliger: Tacete & nolite dolere. Des foins
» bien différens occupent à ' préfent les Miniftres
évangéliques . Une loi plus parfaite vous eft annoncée
; des infractions plus énormes vous font
reprochées des châtimens plus affreux vous
» font préparés . Verfez vous une feule larme ?
» Pouffez-vous le moindre foupir ? Faifons- nous
fur vous la plus légère impreffion ? Eh quoi !
Nous prononçons à des criminels leur fentence
de mort , & de mort éternelle ; nous leur mon→
trons le glaive du Seigneur fufpendu fur leur
» tête ; nous ouvrons aux yeux de leur foi les
abymes de l'enfer prêts à les engloutir ; nous
menaçors , nous éclatons , nous tonnons. Ah !
» nous nous attendons d'être interrompus par leurs
gémiffemens & par leurs cris ; nous nous préparons
à modérer les mouvemens trop impétueux
» de leur crainte & de leur défeſpoir excités par des
images fi terribles . Et que voyons - nous ? Des
Auditeurs infenfibles , que les objets les plus inté
:
DE FRANCE. 183
reffans de la Religion n'attachent pas , & qui
» s'endorment au bruit de nos anathêmes ; des Au-
» diteurs volages & légers , que tout diffipe , dont
» l'attention nous échappe à tout moment , & que
» nous ne faurions fixer ; des Auditeurs inquiets , à
» qui notre miniftère pèfe , qui nous écoutent im-
» patiemment , & ne foupirent qu'après la fin de
nos Difcours ; des Auditeurs prévenus , déterminés
par avance à ne nous pas croire , qui font un
pacte avec eux mêmes de ne fe pas laiffer toucher
, encore moins convertir , & qui ne pren-
» nent de nos inftructions que l'amufement ; des
Auditeurs facrileges, qui font une espèce d'affaut
→ avec nous , qui bravent avec intrépidité les traits
» de notre centure , qui ne rougiffent pas d'étaler en
ร ว
19
ces faints lieux toutes les mondanités du fiècle que
» nous anathématifons, qui , par l'indécence de leur
» maintien, raffurent les confciences timorées contre
» les terreurs de notre ministère , & jufques fous
» nos yeux , nous difputent effrontément la conquête
des âmes ; des Auditeurs , ou plutôt des
Spectateurs , qui affiftent feulement à nos inftrucstions
, & ne les écoutent pas des Auditeurs fuper-
» ficiels , peu frappés de la rigueur de nos arrêts ,
» uniquement occupés de la manière dont nous les
exprimons; des Auditeurs critiques , obfervateurs
" févères de nos défauts , qui examinent avec ſoin
» tous nos geftes , difcutent avec rigueur tous nos
» raifonnemens , pèfent avec fcrupule toutes nos
expreflions , & fongent moins à profiter de pos
exhortations qu'à les blâmer. A quoi étions - nous
donc deftinés ? Et qui le croiroit ? Du milieu de
→ ces difciples que nous inftruifons & de ces crimi-
» nels que nous condamnons, s'élève un tribunal re-
» doutable , devant lequel on nous traduit. Et tan-
» dis que de la part de Dieu nous jugeons les autres
و د
Jce
en tremblant , à regret , & peut-être pour l'éter
くだ
處
184 MERCURE
"
» nité , on noas juge impitoyablement nous- mêmes.
Et quel droit avez - vous fur nous ? Sommes - nous
s des Orateurs baffement orgueilleux qui venons
mendier vos applaudiffemens ? Vos applaudiffemens
! Comme Chrétiens , nous devons les craindre
; ils pourroient nous féduire comme Miniftres
de Jéfus - Chrift , nous les méprifons ; ils nous
dégraderoient. Vos applaudiffemens ! Pour payer
nos veilles , nos travaux , nos fueurs ! nous les mettons
à un plus haut prix. Il nous faut les plus grands
facrifices , des larmes amères , des fentimens de
componction , des coeurs humiliés , brifés dé
" douleur & de repentir . Vos applaudiffemens ! A
vous , Seigneur , l'honneur & la gloire à nous ,
dirons -nous, le mépris ? Non , notre miniſtère en
fouffriroit ; mais à nous l'oubli . Eh ! que fom- '
mes-nous fans votre grâce ? Un airain fonnant
, des cymbales retentiffantes , la voix qui
crie au défert : Nous pouvons tout au plus amufer
l'efprit , flatter les oreilles ; vous feul parlez au
99
20
55
t
T
coeur.
Tels font cependant les fruits ordinaires de
», notre miffion , ou l'ennui , ou le dégoût , ou des
cenfures , ou des éloges. Et quoi , mes ,très - chers
Frères , jamais de converfion , jamais de converfion
! Devons - nous renoncer à cette douce
efpérance , la feule récompenfe digne du miniftère
que nous exerçons ?
*
33
93
Si un infidèle, à qui notre fainte Religion & la
langue que nous parlons feroient inconnues, entroit
tout- à-coup dans cette Églife , & qu'il nous
vit , nous , émus , enflammés , tantôt nous livrer à
» toute l'impétuofité de notre zèle , tantôt étendre
» les bras vers vous dans une pofture de fuppliant
, tantôt élever nos regards vers le Ciel ,
* tantôt accompagner nos inflances de fanglets &
de larmes , & qu'il vous vit , vous , tranquilles ,
DE FRANCE. 185
indifférens , peut- être diftraits , prêter à peine
l'oreille à nos fupplications preffantes & redoublées
, ne s'imagineroit-il pas que c'eft an criminel
déjà condamné, qui tâche par toutes fortes de
» moyens d'attendrir , de fléchir une multitude de
juges infenfibles à fon infortune ? Cet infidèle ne
fe tromperoit qu'en partie , mes très- chers Frères.
Oui , nous voulons vous fléchir , mais pour
vous-mêmes. Oui , il s'agit ici de votre intérêt, &
as de votre intérêt le plus cher , puifqu'il s'agit de
→ votre falut éternel & de la gloire de Dieu .
D
לכ
» Levez-vous , grand Dieu , votre gloire l'exige ;
nous vous remettons notre miniſtère ; il eft prefque
fans force fur nos lèvres. Nous annonçons
» votre parole ; mais nous n'avons pas votre voix.
Faites vous-même ce que nous ne pourrions ac-
» complir. Voilà les prévaricateurs de votre loi ; ils
font enfin fortis de leurs retranchemens & de
leurs forts : attirés par la curiofité , ils font entrés
dans votre Temple ; ils y font enfermés.
» Nous ne demandons pas que vous envoyiez un
Ange exterminateur pour les détruire ; ils font
nos Frères. Nous ne demandons pas que vous
armiez contre eux les mains facrées de vos Lévites
, comme vous fites autrefois contre l'impie
& barbare Athalie ; vous êtes un Dieu de paix ,
» la miféricorde même ; vous avez des vengeances
» fi douces, des vengeances qui font des bien-
"
faits. Convertiffez & n'exterminez pas. Votre
» parole a -t- elle donc perdu toute fa force ? Elle
» a tiré le monde du néant ; elle a pu des pierres
mêmes fufciter des enfans à Abraham ; elle a
» rappelé Lazare à la vie ; d'un perfécuteur elle en
a fait un Apôtre ; ne pourroit- elle pas de vos
» ennemis ( ils font déjà Chrétiens ) en faire au-
• tant d'adorateurs en efprit & en vérité ? Vous
» devez ce prodige au crédit de notre miniftère, qui ,
ל כ
186
MERCURE
» s'affoiblit de plus en plus ; mais ne différez pas.
» Nous ne retenons encore ces pécheurs que par
» effort : dans quelques momens ils vont nous échapper
; peut - être..... ne leur en donnez pas le
temps. Que votre voix les terraffe fur le chemin
» de Damas , & qu'ils ne fe relèvent avec Paul, que
pour aller trouver un autre Ananie qui les con-
» duife dans les voies de la pénitence. »
ככ
Quelle élévation , quelle majefté ! Voyez d'abord
ce beau contrafte entre la confternation des Juifs au
récit de leurs prévarieations , & l'endurciffement des
Chrétiens actuels , & quelle vigueur dans le tableau
de leur infenfibilisé à la parole divine ! Comme
tous les traits les plus frappans en font faifis & préfentés
: Des Auditeurs qui s'endorment au bruit de
nos anathêmes... qui nous difputent effrontement la
conquête des âmes.... obfervateurs févères de nos
défauts , &c. Comme il s'arrête à ce dernier trait !
Comme il s'indigne de n'être qu'admiré ! Enfuite il
vous repréſente un infidèle entrant dans un de nos
Temples , & c'elt avec cette image de la plus heureuſe
invention, qu'il achève de confondre les Auditeurs.
Mais bientôt du fond de cette cenfure même ,
il tire un retour de charité vers eux : Vous ne vous
trompez pas , nous voulons vous fléchi:, mais pour
vous-même. Enfin , il fait une invocation à Dieu ,
& voyez fur quoi il la motive : Vos ennemis font
enfin fortis de leurs retranchemens ; ils font entrés
dans votre Temple .... convertiffez- les .... vous
devez ce prodige au crédit de notre ministère ....
mais ne différez pas ; nous ne retenons ces pécheurs
que par effort.... ils vont rentrer dans la corruption
du fiècle.... peut- être.... ne leur en donnez pas le
temps...... Voilà , ce me feinble , de la plus fublime
Eloquence. Il n'y a peut-être que Boffuet qui s'élève
à une plus grande hauteur , & qui s'y foutient
plus long-temps.
DE FRANCE. 187
Quand on fe recueille dans le featiment de
tant de beautés , on reconnoît avec plaifir que
l'Abbé Poule nous fournit un grand Homme de
plus à compter dans notre fiècle. Quoiqu'il ait peu
travaillé , quoiqu'il n'ait pas donné à fes Ouvrages
toute la perfection dont il étoit capable , on peut
dire néanmoins qu'il a honoré la Littérature de fa
Nation . Loin d'être affez admiré , il n'eſt pas même
affez connu . S'il eft doux de rendre juftice à un
grand talent , il l'eft encore davantage de la lui
faire rendre , & j'avouerai que c'eft la fatisfaction
que j'ai ofé me propofer dans cet Ecrit. Malgré un
Extrait de M. de la Harpe fur les Sermons de
l'Abbé Poule , plein de goût & d'une jufte admiration
, j'ai cru qu'il pouvoit encore être utile d'offrir
de nouveau ce ſujet à l'attention de ceux qui aiment
& fentent encore la véritable Eloquence.
Quelques Réflexions fur l'Eloquence de la Chaire
dans un autre Mercure.
ANNONCES ET NOTICES.
ON vient de mettre en vente à l'Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , à Paris , l'Hiftoire Naturelle des
Minéraux , par M. de Buffon . Teme Deuxième in-4®.
Prix , 15 liv. en feuilles , 15 liv. 10 fols broché ,
17 liv. relié.
Le Vingt-quatrième Cahier des Quadrupèdes enluminés
, prix , 7 liv. 4 fols.
HISTOIRE générale de la Chine , ou Annales de
cet Empire , traduites du Tong-Kien- Kang-Mou ,
par le feu Père Jofeph- Anne- Marie de Moyriac de
Mailla , Jéfuite François , Miffionnaire, à Pékin ,
revues & publiées par M. le Roux des Hautes188
MERCURE
Rayes , Confeiller , Lecteur du Roi , Profeffeur
d'Arabe au College Royal de France , Interprête de
Sa Majefté pour les Langues Orientales ; Ouvrage,
enrichi de Figures & de nouvelles Carres Géogra
phiques de la Chine ancienne & moderne levées par
ordre du feu Empereur Kang Hi , & gravées pour
la première fois , Tomes XI & XII. A Paris , chez
Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi , rue
Saint Jacques.
1
Les deux Volumes que nous annonçons termi
nent ce grand Ouvrage . Il eft traduit du Chinois ;
& la manière dont on fait que l'Hiftoire s'écrit dans
la Chine , en nous garantiflant la vérité des événemens
, nous met à portée de connoître ce Peuple fi
extraordinaire , & dont on a parlé fi diverſement.
Le dernier Volume contient la Table alphabétique ,
précédée des Nien- Hao, ou noms que les Empereurs
ont donnés aux années de leurs règnes , d'une Nomenclature
Géographique , &'de trois Mémoires ou
Notices Hiftoriques fur la Cochinchine , fur le
Tong-King & fur les premières entreprifes contre
les Chinois.
PROSPECTUS de la parfaite Intelligence du
Commerce , ou Traité complet & portatif de la
Science des Négocians , 2 Vol. in-8 ° . de plus de
800 pages chacun. Prix , 18 livres , & pour les Soufcripteurs
12 livres , dont 6 liv, en fe faifant inferire,
3 liv. en retirant le Tome I , & 3 liv. en retirant le
Tome II. A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des
Auguftins , & chez les principaux Libraires de France
& des Pays étrangers.
Si cet Ouvrage, qu'on propofe par foufcription, eft
bien exécuté , comme on l'affure , il fera de la plus
grande utilité aux Banquiers , Agens de Change ,
Notaires , Gens d'Affaires , &c. Il fera divifé en
quatre Parties ; la première contiendra un précis de
DE FRANCE. 139
la Géographie moderne ; le fecond un Dictionnaire
contenant des renfeignemens fur plus de dix mille
Villes , Lieux & Contrées commerçantes des quatre
parties du Globe ; le troisième un Dictionnaire pour
les termes généraux de commerce , & pour les réglemens
, ftaturs , &c. qui y font analogues ; la
quatrième enfin traitera des poids , mefures , &c. ,
foires , marchés , productions locales , droits à percevoir
, tarifs , Jurifdictions Confulaires , ordre des
Courriers , tableau des voitures publiques , indication
des découvertes modernes , &c , & l'on fe propofe
de profiter encore , pour la perfection de l'Ouvrage
, de tous les avis qu'on pourra donner à
l'Éditeur.
PETITE Bibliothèque des Théâtres , n °. 8. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte Saint
Roch , où l'on foufcrit , comme chez Belin , Libraire
, rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rue
de Marivaux , Place du Théâtre Italien .
Le huitième Volume de cette intéreffante Collec
tion renferme une Pièce en cinq Actes , les Amis
démafqués , d'Autreau , Pièce qui n'a jamais été
jouée , qui n'a même été imprimée qu'après la mort
de l'Auteur ; avec trois petites Pièces , la Magie de
L'Amour , agréable Paftorale du même , Ouvrage
de fa vieilleffe , qui eut du fuccès à la repréfentation
; les deux autres petites Pièces , le Cercle & le
Somnambule font auffi jolies qu'elles font connues.
Le Cercle eft de Poinfinet , cet Auteur fi mystifié de
fon vivant ; le Somnambule eft attribué à M. le
Comte de Pont-de- Veyle.
Les nouveaux Rudimens de la Langue Latine ,
par M. Mathieu , Profeffeur du Collège de Gy. A
Paris , de l'Imprimerie de Cailleau , rue Galande .
La clarté & la précision que le Cenfeur de cet
190 MERCURE
Ouvrage y reconnoît , peuvent le rendre utile dans
les Colléges.
DEUX Médaillons d'un plâtre très - fin , du Roi
de Suède, &fon revers de Médaille à cheval. Prix,
15 fols la pièce fans glace . A Paris , chez Lauraire ,
de l'ancienne Académie de S. Luc , rue des Prêtres
S. Germain l'Auxerrois .
Le Vignole moderne , ou Traité élémentaire
d'Architecture , troisième Partie , par J. R. Lucotte ,
Architecte. A Paris , chez les Frères Campion
Marchands d'Eftampes , rue Saint Jacques,
Ville de Rouen.
la
Dans cette troisième Pastie font expliqués les
principes & la manière d'appliquer aux édifices les
cinq ordrés de J. B. de Vignole.
L'AMOUR Phyficien , ou l'origine des Ballons ,
Comédie en un Acte & en profe , repréfentée pour la
première fois à Paris , fur le Théâtre de l'Ambigu
Comique , le premier Janvier 1784. Prix , 1 liv.
4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur- Libraire ,
rue Galande.
Ce que nous venons de voir inventé par la connoiffance
de la Phyfque , fe fait par amour dans
cette Comédie , c'eft un amant qui imagine un ballon ,
& qui s'en fert pour enlever fa maîtreffe. ,
On trouve à la même adreffe l'Avocat Chanfonnier
, ou qui compte fans fon Hôte compte deux
fois , Comédie Proverbe , par M. d'Orvigny , repréfentée
fur le même Théâtre. C'eft une eſpèce d'Avocat
Petit-Maître , qui compte für plufieurs foupers ,
& qui finit par n'en pas trouver un. Il y a dans
cette bagatelle de la gaîté & un dialogue vraiment
comique.
DE FRANCE. 191
NUMERO f du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Prix , 2 liv . féparément. L'Abonnement
eft de 15 livres , & 18 livres pour la Province. A
Paris , chez le fieur Bornet l'aîné , Marchand de
Mufique , au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires.
Ce Journal contient des Airs de toute efpèce arrangés
pour deux Violons ou un Violon & un
Violoncelle ; il paroît régulièrement le premier de
chaque mois.
SIX Trios concertans pour Flûte , Alto &
Baffe ,, par M. de Vienne le jeune , Muficien de la
Chambre de Mgr. le Cardinal de Rohan. Prix
7 liv. Paris & la fols Province franc de port
4 pour
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverfiere
Saint-Honoré.
NUMERO 5 du Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
Abonnement , 15 liv . port franc par la poſte. Même
Adreffe.
Ce Numéro contient un Air & un Menuet de la
Caravane. Le petit Air , mon cher André, de
Théodore & Paulin , & un Air du Droit du Seigneur.
GALATHÉE , ou Recueil de douze petits Airs
pour un Deffus , avec Accompagnement de Forte-
Piano , tirés du Roman de Galathée , & mis en
mufique par M. G. Prix , 7 livres 4 fols . A Paris
chez M. Leduc , rue Travelfière- Saint- Honoré , au
Magasin de Mufique.
>
Ces petits Airs ont une grâce naïve qui les rend
très-dignes des paroles, Ils font précédés de ftances
dédicatoires remplies d'une délicatefle qui fatt reconnoître
l'Auteur de la Confeffion de Zulmé,
OUVERTURE de Didon , arrangée pour le Forte-
L
192 MERCURE
Piano , Violon ad libitum , par M. Mezguer. Prix ,
3. liv. Ouverture de la Caravane , idem , arran
gée par M. Céfar. Prix , 2 lív. 8 fols . A Paris , chez
M. Boyer, rue Neuve des Petits - Champs , près celle
Saint Roch , n° . 83 , & Mme Lemenu , rue du
Roule , à la Clé d'or.
"
I HUIT Numéros du Journal de Guittare , conte-
Rant différens morceaux. avec Accompagnemens ,
la plupart de M. Porro. On foufcrit pour ce Journal
, qui paroît très- exactement , chez M. Baillon ,
tue Neuve des Petits - Champs , au coin de celle de
Richelieu .
JOURNAL de Violon , ou Recueil d'Airs nouveaux
arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Prix de l'année entière 18 livres à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque Cahier 2 livres 8 fols,
A Paris , chez M. Baillon, Même Adreſſe..
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
Au Comte deHaga , 14 | Académie Françoiſe ,
170
Vers contreles Vieillards, 146 Suite des Sermons de l'Abbé
Charade, Enigme & Logogry Poule ,
phe , 149 Annonces & Notices ,
Les Veillées du Château , 1511
APPROBATION.
171
187
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 26 Juin . Je n'y ai
rien trouvé qui puiſe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
le 25 Juin 1784 GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANNEMARCK,
DE COPENHAGUE , le 8 Mai.
N s'occupe dans cet Arfenal de l'exécution
de l'ordre du Roi pour équiper l'ef
cadre de 6 vaiffeaux de ligne & de 8 frégates
, qui doivent être mis en état de partir au
premier ordre; on enrole des matelots dans
toutes les Provinces de ce Royaume ; & de
pareilles levées fe font dans la Norwege .
Les Officiers de cette efcadre font déja nommés
; elle fera fous les ordres de l'Amiral de
Fontenay. Lorfqu'elle fera prête , on équippera
4 autres vaiffeaux de ligne , & un cutter
qui refteront armés en rade.
Le Régiment du Corps fait fes difpofitions
pour fe rendre à Hellingor , où il a
reçu ordre de fe porter.
Le fenaut la Fama , Capitaine Brig , eſt en
rade : il eft deftiné à fervir de vaiffeau de
garde dans le Belt .
No. 23 , 5 Juin 1784.
( 2 )
Les Ordonnances contre les émigrations
ont été renouvellées dernierement , & les
peines ont été aggravées.
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 20 Avril.
La Religion Catholique Romaine n'a
point eu d'exercice public dans ce Royaume,
depuis le regne de Guftave Waza , c'eſtà
-dire , depuis plus de 250 ans ; ceux qui la
profeffent , n'avoient d'autres Eglifes que les
Chapelles des Miniftres des Cours Catholiques
. En 1779 les Etats du Royaume accorderent
une entiere liberté de confcience :
& en 1781 le Roi accorda aax Catholiques
le libre exercice de leur Religion .
Le Pape ayant été informé de cet événement
envoya en Suède M. Pafchal Ofter , Docteur
en Théologie , du diocèfe de Metz , en qualité
de Vicaire Apoftolique , pour régler les affaires
des Catholiques de ce Royaume. Arrivé dans cette
Capitale au mois de Juillet de l'année derniere ,
préfenté au Roi auquel il remit une lettre du
Souverain Pontife , il en obtint des lettres patentes
qui l'autorifoient à remplir les fonctions dont
il étoit chargé. A une affemblée des Catholiques
de cette Capitale qu'il convoqua le 8 Février
dernier l'on a nommé pour l'aider dans fes travaux
quatre Sur - Intendants qui font MM . le
Fevre , Gouverneur des Pages des Princes , freres
du Roi , Capitaine au fervice de France , Uttini ,
Sur- Intendant de la Mufique du Roi , Schurer &
Heffe , Négocians. En attendant que l'Eglife
( 3 ) L
que le Roi leur a permis de bâtir foit conftruite
, S. M. leur a bien voulu céder une grande
falle de la maifon de Ville. L'inauguration de
cette chapelle s'eft faite le jour de Pâque par
le Vicaire Apoftolique , fecondé par MM . Dahmin
& d'Ibarraram , Ecléfiaftiques attachés à la
légation de Vi nne & à celle d'Espagne , les feuls
Prêtres catholiques qu'il y ait ici. La meffe qui y
a été célébrée pour la premiere fois , a été
chantée par la mufique du Roi , ainfi que le Te
Deum qui l'a été après les vêpres. Le Duc de
Sudermanie , frere du Roi , a affifté à cette folemnité
, ainfi qu'un grand nombre de perfonnes
de diftinction ; & la Comteffe de Wrede , Dame
d'honneur de la Reine , a diftribué le pain béni .
M. Ofter prononça à cette occafion un
difcours , dans lequel il expliqua d'une maniere
très-fuccincte , toutes les prieres , les
cérémonies & les rits adoptés pour le Service
divin des Catholiques ; il faifit cette occafion
de rappeller les vues bienfaifantes du
feu Roi , auxquelles on doit dans le principe
cet efprit de tolérance, qui depuis eft devenu
général en Suede .
» La réfolution des Etats en 1779 , ajoutà
M. Ofter , eft une preuve non équivoque de fes
progrès. J'ai eu moi - même plus d'une fo's occafion
de m'en convaincre . Je me fais un devoir
de rendre un hommage public aux difpofitions
qui caractériſent fi bien les lumieres & les vertus
fociales de cette Nation Nos neveux béniront
dans le nouveau temple les cendres de
ceux qui ont contribué à leur procurer le bien
fait de ce rétabliffement ; l'hiftoire tranfmettra
leurs noms à la Poftérité ; elle ne les prononcera
--
a 2
( 4 )
qu'avec attendriffement ; elle aimera autant que
nous les qualités bienfaifantes de Guſtave III ,
qui n'eft pas moins chéri de l'étranger que du
Suédois ; il ravira les fuffrages de nos defcendans
comme il ravit les fentimens & les coeurs de fes
contemporains ; ils n'entendront jamais fon nom
fans verfer des larmes que la joie & la gratitude
feront couler.... La conduite du digne Chef.
qui dirige la barque de J. C. avec autant de
fagefle que de piété , qui eft occupé à conferver
les dogmes dans leur pureté originelle , à
maintenir les pieufes folemnités du culte &
l'exactitude de la difcipline , à procurer par là
la fanctification des ames , nous avertit bien hautement
qu'il faut rendre à Céfar ce qui appartient
à Céfar »,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 18 Mai.
L'opinion générale ici , eft que l'Empereur
fera rétablir le port d'Anvers , & aflurera
à fes fujets la libre navigation de l'Efcaut ;
l'exécution de ce plan femble être le but de
tout ce qui s'eft paffé , & de ce qui fſe paſſe
encore dans la Flandre Autrichienne.
S. M. I. , par un Réglement qui vient de
paroître , a affujetti les fucceffions ouvertes
à des parens collatéraux dans le Tyrol , à un
droit de ro pour cent , payable au Fifc . Ce
Réglement , dit - on , aura auffi lieu dans
l'Autriche.
Les droits d'entrée impofés ci devant fur
(3 )
la farine & les boeufs de Hongrie , viennent
d'être retirés .
La Commiffion , chargée de la cenfure
des livres , pour remédier à l'abus que
l'on n'a pas manqué de faire de la liberté
de la preffe , vient d'arrêter que les Auteurs
, ou les libraires , en remettant à la
Commiffion les Manufcrits qu'ils fe propofent
de faire imprimer , dépoferont en même
temps 6 ducats . Si le Manufcrit enfuite n'eft
point approuvé , cette fomme fera perdue
pour eux , & confifquée au profit des pauvres.
Les émigrations qui fe font de différentes
parties de l'Empire , au profit des Etats Autrichiens
, où fe rendent prefque tous les infortunés
, que la mifere force de s'expatrier ,
ont beaucoup augmenté depuis les dernieres
inondations qui ont caufé par-tout tant de
dégats. On voit arriver prefque journellement
ici des familles qu'on partage en trois
divifions , qu'on envoye les unes en Hongrie
, les autres dans la Bohême , & pluſieurs
dans la Pologne Autrichienne ; l'Empereur
fait donner à chacun de ces émigrans 2 florins
par jour ; & ils trouvent quand ils font
rendus au lieu de leur deftination , des maifons
, des terres , des matieres , & des inftrumens
de labourage.
Il circule ici un Etat imprimé de la popu
lation de cette Capitale ; il differe de quelques
autres qui ont déja paru ; celui-ci a été
a 3
( 6 )
fait à la fin du mois de Février ; en voici le
réfultat. 5378 maifons , 45928 familles
compofant 254181 individus , au nombre
defquels on compte 2139 Eccléfiaſtiques ,
12530 Militaires avec leurs familles , &
30550 Etrangers , Grecs-unis & Juifs.
DE HAMBOURG , le 18 Mai.
La plupart de nos papiers continuent à
préfenter des apparences de troubles & de
divifions. Selon eux, les derniers arrangemens
pris avec les Turcs , n'écartent pas encore
les fujets d'inquiétude ; toutes les Puiflances
intéreffées ne font pas également fatisfaites :
ils obfervent , que l'armée Autrichienne
affemblée fur les frontieres , n'eft pas encore
féparée , & qu'il n'y a que quelques Régimens
qui aient été renvoiés dans leurs quartiers
de cantonnement . D'un autre côté on
prétend que la Porte n'eft pas fans défiance ,
& on fcait qu'elle continue fes préparatifs
de guerre
.
7 C'eft à une influence particuliere , lit - on dans
une lettre de Berlin , qu'on attribue la lenteur
des négociations avec les députés de Dantzick ;
on efpere peut- être par là d'occuper le Roi de
cette affaire , & de détourner fon attention, de
quantité d'autres qu'on craint qu'il ne ſurveille
de trop près ; on ne croit pas que ce plan ,
s'il a été formé , ait quelque fuccès. Quoique
tout foit tranquille en apparence , il y a des
mouvemens dans les cabinets , & certainement le
Roi ne perd pas de vue les grandes affaires qui
(7)
s'y traitent relativement à toute l'Europe en gé
néral , & à l'Allemagne en particulier .
P
Les lettres de Conftantinople n'offrent
que les détails fuivans à la curiofité.
Le Conful de Ruffie qui réfide à Buccharest
une de principales Villes de la Wallachie , a
porté des plaintes au Grand Seigneur contre
l'Hofpodar , qu'il accufe de vexer les peuples
qu'il gouverne par des extorfions . S. H. a trouvé
fingulier qu'un étranger pri : la défenſe de fes
propres fujets , & le mélât des affaires intérieures
du Gouvernement d'une province Ottomane ;
elle avoit quelque répugnance à faire attention
à fes représentations. Cependant les
circonftances exigeoient des ménagemens il a
été tenu une affemblée du Divan fur ce fujet .
On ignore les détails de ce qui s'y eft paffé ;
mais on en fait le réfultat : il a été envoyé à
l'Hofpodar défenfe de paffer les limites dans
la perception des droits. Cependant les politiques
ottomans voient avec inquiétude une pareille
démarche de la part d'un Conful Ruffe :
elle leur fait craindre de fa part de cette Puiffance
des vues fur la Wallachie , & que la protection
accordée à fes habitans ne tendent à préparer
les efprits à quelque révolution femblable
celle qui vient de fe paffer dans la Crimée & dans
le Cuban. On parle de mouvemens qui fe
font du côté des frontieres d'Arménie par le
Prince Héraclius : c'eft après des nouvelles reçues
de ce côté , que l'on a expédié les ordres
pour faire fortifier les deux villes arméniennes
de Kars & d'Akatifique , qu'il en a été envoyé
d'autres au Bacha d'Erzerum de raffembier des
troupes , de les employer à leur défenfe . Ces
mouvemens du côté de l'Afie ont rallentiles armea
4
( 8. )
--
mens maritimes , & donné lieu à des recrues en
Europe pour les faire paffer en Afie. Le grand
Vifir , toujous occupé de ce qui intéreſſe le bien
de l'Empire , s'occupe des moyens de mettre en
état de défenfe les provinces européennes. La
fortereffe d'Oczacow doit être ceinte de nouvelles
fortifications , & avoir toujours une garnison
plus nombreufe que ci -devant . On doit faire les
mêmes travaux à toutes les autres places fronxieres.
Les forts qu'on a commencés à l'embouchure
du canal dans la mer Noire font déja
bien avancés ; lorfqu'ils feront finis , ils défendront
l'entrée de ce canal , où il ne fera plus
poffible à aucun vaiffeau , en tems de guerre , de
paffer fans permiffion .
On a parlé précédemment de la révolution
dans l'adminiftration Danoife ; une lettre
de Copenhague qui paroît dans tous les
Papiers publics , en préfente ainfi les détails.
Les circonftances relatives à la révolution nagueres
arrivée dans cette Cour fe développent
de plus en plus . L'on croit même que les fuites
de cet événement important ne feront gueres
moins intére Tantes que celles de la révolution
de 1772 c'eft le Prince- Royal feul qui l'a terminé
. Touché de la fituation où fe trouvoit le
Roi , irrité de la contrainte où lui -même étoit
affujetti par la Reine Douairiere & fon fils , il
forma la réfolution de brifer fes propres entraves
& celles de fon illuftre Pere , qui , à cet effet ,
adopta S. A. R. pour Co -Régent. Ce jeune Prince
prit des mefures fi juftes , garda fi bien le fecret ,
que perfonne n'en foupçonna rien , qu'au mo
ment où il exécuta heureuſement le plan qu'il
avoit conçu. Le 14 du mois paffé vers le
foir , le Confeil d'Etat étant comme à l'ordi(
9 )
9
naire , affemblé chez S. M. le Prince Royal en
ouvrit la féance par cette Déclaration : Que la
mauvaiſe fanté du Roi empêchant fouvent S. M.
de développer toute fon activité : S. A. R. , en
fa qualité d'héritier , croyoit être le premier
qui dût affifter le Roi , fon Pere , dans le gouvernement
de fes Etats . Il produifit enfuite un
écrit , & le préfenta au Roi pour le figner :
S. M. déclare dans cet écrit , le Prince Royal
pour Co- Régent , avec cette claufe exprefle :
Que tous les Ordres du Cabinet , pour être
valables feroient à l'avenir aufli fignés par
S. A. R. Le Prince Frederic, frere uterin de S. M. ,
fe donna , il est vrai , bien des mouvemens pour
engager le Roi à ne pas ratifier cet écrit . Mais
fur les inftances preflantes du Prince Royal ',
S. M. le figna & le rendit à S. A. R. , qui , après
s'être profondement incliné , baifa la main de
fon Augufte Pere , & retourna à fa place. Ce
Prince donna fur - le-champ une preuve du pouvoir
fuprême que le Roi venoit de lui conférer ,
en remerciant tout le Confeil d'Etat- Privé , à
l'exception de deux Membres , le Comte Thott
& M. Schack Rathlovv. On envifage en général
cette révolution importante comme l'avantcoureur
d'événemens beaucoup plus confidéra
bles encore , & prêts à éclore . Le Prince promet
infiniment par fon élévation d'efprit , fa conduite
prudente , & en particulier par une connoiffance
peu commune des hommes , & il vient d'en
donner une preuve non équivoque dans le choix
des Miniftres d'Etat & des Confeillers qu'il a
nommés. Tous font avantageufement connus par
leur patriotisme , par leurs qualités excellentes ;
& c'étoit , avec regret , que le Public éclairé
les avoit vu difgraciés par l'adminiſtration pré
cédente , & éloignés de la Cour.
On ob
a 5
( 10 )
ferve avec beaucoup de fatisfaction , chaque fois
que le Prince Royal paroît en public , que les
habitans l'entourent de tous côtés , font des voeux
finceres pour fa confervation , & le comblent de
bénédictions .
On a préfenté des tableaux de la population
de divers Etats de l'Empire ; un papier
public offre les détails fuivans fur celle d'une
partie des Etats d
l'Electeur Palatin , Duc
de Baviere.
Il porte la population des Duchés de Juliers
& de Berg , & du Comté de Ravenſtein , à
400,000 ames , celle du Palatinat Electoral à
300,000 , du Duché de Neubourg à 100,000 , &
du Duché de Baviere à 879,898 . Dans ce total
qui eft de 1,679,898 , on ne comprend pas la po
pulation du haut Palatinat , du Landgraviat de
Leuchtenberg , du Duché de Sulzbach , de la
Seigneurie de Mindelheim , du Margraviat de
Bergopzoom , des Seigneuries & Comtés dans
les cercles de Baviere , de Franconie & de Souabe
, & du grand Balliage d'Uneftadt qui eft
encore confidérable . Mais les liftes qu'on en a
données jufqu'à préfent font peu exactes. Les
revenus de l'Electeur pour les Duchés de Juliers
& de Berg , & le Comté de Ravenſtein "
montent à deux millions & demi de florins ; ceux
du Palatinat , du Duché de Sulzbach & de Neubourg
, a deux millions , & ceux de la Baviere à
cinq , ce qui fait en tout neuf millions & demi
de florins , qui font plus de vingt millions &
demi de livres tournois. Le même papier affure
que les dettes de la Baviere feront toutes payées
à la fin de 1791 , en conféquence des arrangemens
pris pour leur extinction,
-
( 11 ) .
ITALIE.
DE FLORENCE , le 30 Avril.
Le nouveau Cimetiere conftruit hors de
cette ville eft terminé ; le 27 il a été béni par
l'Archevêque de cette ville , & c'eft demain
qu'on commencera à en faire ufage ; le Réglement
publié à cette occafion par le
Grand -Duc , contient les difpofitions fuivantes.
A compter du 1 Mai prochain on ne fera plus
aucune inhumation dans Florence ; on n'exceptė
aucun habitant , quelque foit fon rang , fi ce
n'eftfles Religieufes qui continueront d'être enterrées
dans les fépultures qu'elles ont dans l'en .
ceinte de leurs cloitres . Toutes celles qui exiftent
dans les Eglifes tant dans la ville que dehors
feront fermées. Les cadavres feront tranfportés
par les compagnies qui en ont pris l'engagement
dans le dépôt de Sainte Catherine chaque
foir , & dela on les portera avant le jour au cimetiere
; ceux de l'Hôpital de Sainte- Marie -neuve
ne pafferont point au dépôt & feront portés directement
au cimetiere . Lorfque la juſtice ordinaire
ou les parens défireront l'ouverture
d'un cadavre , elle ne fera faite que dans ledit
hôpital où il fera tranfporté pourêtre porté enfuite
directement dela au cimetiere . Toutes les cérémonies
religieufes des funérailles fe feront au
dépôt ; un chapelain avant leur départ pour
le cimetiere les bénira , & perfonne ne les accompagnera.
Comme l'heure du transport des
cadavres au dépôt eft fixée , on ne pourra pas
a 6
(( 12 )
fuivre ftri&tement la regle qui preferit de les garder
pendant 24 heures dans les maifons ; on
comprendra dans le nombre de 24 celles qu'ils
pafferont dans le dépôt. Lorfque la corruption du
corps fera prompte & ne permettra pas d'attendre
l'heure réglée pour le porter au dépôt , on aura
recours au commiffaire du quartier qui après
avoir vérifié la néceffité de procéder fur le
champ à l'enterrement le fera transporter au
dépôt & porter fur le champ au cimetiere le plus
voifin , mais hors de la ville , avec l'attention
de faire faire ce tranfport dans le temps où il
y aura le moins de concours dans les rues . Le
Préfident du bas gouvernement , les Commiffaires
de quartier veilleront à l'obſervation de ce
réglement . Les tranfgreffions feront punies par une
amende de so écus , applicable , moitié au délateur
, moitié à l'hôpital , & à de plus grandes
peines s'il y écheoit.
Les lettres de Milan contiennent les détails
fuivans. !'
On continue de fupprimer ici différens couvens
, & les Religieufes paffent du centre de la
ville dans les fauxbourgs pour y occuper les maifons
de celles qui , conformément aux ordres du
Gouvernement , ont été obligées de les abandonner.
Le Comte de Colloredo qui vient
d'être nommé à la place de Préſident de la Cham.
bre des Comptes de -Mantoue , eft arrivé ici pour
prêter ferment en cette qualiré. On avoit dit
que le Mantouan devoit être réuni au Milanois.
Cette nomination donne lieu de croire qu'un
pareil bruit eft deftitué de tout fondement .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 1 Mai.
Le Confeil de guerre , chargé d'examiner
( 13 )
les plaintes & les charges portées contre D.
Jofeph Solano , Lieutenant - Général des Armées
navales , n'a prononcé que depuis peu ,
& a déclaré que la conduite de ce Général
étoit irréprochable : il lui a été écrit en conféquence
que fes arrêts étoient levés , & qu'il
pouvoit paroître à la Cour.
Les préparatifs de l'expédition contre Alger
fe continuent avec beaucoup d'activité
à Carthagene , D. Antonio Barcelo preffe
lui-même à Majorque ceux que l'on fait auſſi
dans cette ifle .
Cet Officier Général , lit - on dans quelques
lettres , y a éprouvé des contrariétés.
Ayant demandé au Commandant de
Majorque divers matériaux néceffaires à la
conftruction des bâtimens de guerre qu'il
fait bâtir fous fes yeux , pour fervir à l'expédition
dont il eft chargé , ils lui ont été d'abord
refufés , quoiqu'il eut des ordres précis
du Roi qu'il avoit communiqués à ce
Commandant, & en vertu defquels tout ce
qu'il demanderoit , devoit lui être fourni.
D. Antonio Barcelo , mécontent des motifs
fur lefquels on fondoit ce refus , en a porté
des plaintes à la Cour , qui a renouvelé fes
ordres à cet effet , & ils ont été exécutés .
La Caiffe des penfions des ex- Jéfuites
s'affoibliffant de jour en jour par fes charges
, le Gouvernement s'occupe des moyens
de diminuer la fortie des efpeces de la Monarchie
; le bruit s'étoit répandu en confé(
14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Com
miffaires Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiffe , mais depuis quelque
temps on n'en parle plus .
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin nous faifirons celle - ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occafion de donner , & qui peuvent
piquer la curiofité de nos lecteurs.
Dans ces occafions , il y a des Officiers nommés
pour faire la vifite des voûtes inférieures du
Palais de Westminſter , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir fi tout eft en ordre , s'il n'y à
point de poudre à canon , ni de matieres combuftibles
qui y foient cachées. Cet ufage qui rappelle
la fameufe confpiration des poudres , et
toujours fuivi , & on s'y eft conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi fe foit rendu au Parlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté ; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leur Orateur , pour le préfenter le lendemain à
S. M. Cette élection " comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro
( FS )
.
pofa de l'élire de nouveau . Sir George Howard
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune ob .
jection . M. Fox qui fe leva pour témoigner la
fat sfaction qu'il avoit de donner fa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la feffion qui alloit s'ouvrir ,
faifit cette occafion de jeter un coup d'oeil fur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceffité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puifque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'êtoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
fur ce qui s'étoit paffé à Weſtminſter , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , fur la vérification du
fcrutin arrêtée par le grand Bailli . M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obfervant
que tout ceci étoit étranger au choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intérefloit que
lui , auroit fon tour quand celle des élections feroit
portée à la Chambre. M. Fox ne refta
pas fans replique : il obferva que ce qu'il difoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit . Suppofons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on fe
fut conduit comme le Bailli de Weſtminſter ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye ( c'eft le lieu que repréſente M.
Cornwal ) n'eut point été fait , la chambre qui a
tant de raifons de defirer de nommer ce digne
membre pour fon Orateur , le pourroit- elle ? -
M. Pitt parla à fon tour , tout fe paffa d'une maniere
paifible , & M. Cornwall fut élu .
Le 19 le Roi fe rendit à la Chambre haute ,
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
le préfenta à la barre , & adreffa un difcours
( 16 )
au Roi pour lui annoncer fon élection , témoigner
une défiance modefte'de fes propres forces , &
fupplier S. M. d'ordonner un autre choix . Le
Chancelier lui répondit , que le Roi approuvoit
fon élection & la voyoit avec plaifir. M. Cornwal
adreffa un remerciement à S. M. dans lequel
, en follicitant de l'indulgence pour lui , ilreclama
la confirmation des privileges des Communes
, & fur- tout celui d'avoir toujours un libre
accès au pied du Trône. Lorsque le Chancelier
en eut donné l'affurance au nom du Souverain ,
S. M. adreffa le difcours fuivant au Parlement :
Milords & Meffieu's , j'ai la plus grande fatisfaction
de vous voir réunis aujourd'hui , après
avoir eu recours , dans un moment auffi importint
, à l'opinion de mon peuple ; j'ai la plus jufte
& la plus entiere confiance que vous êtes animés
des mêmes fentimens de loyauté & d'attachement
à notre excellente conftitution , que j'ai
eu le plaifir de voir fi pleinement manifeftés dans
toutes les parties de mon Royaume . Les heureux
effets d'une pareille difpofition paroîtront , je n'en
doute pas , dans la modération & la fageffe de vos
délibérations , & dans la prompte expédition des
objets importans des affaires publiques qui demadent
votre attention : ils me procureront la
fatisfaction particuliere de trouver que l'exercice
du pouvoir que la conftitution m'a confié a produit
des avantages fi utiles à mes fujets , dont
les intérêts & le bonheur feront toujours ce que j'ai
de plus cher..
MM. de la Chambre des Communes , j'ai ordonné
qu'on mette fous vos yeux les eſtimations pour
l'année courante je m'en rapporte à votre zele
& à votre affection ponr parvenir aux moyens
de les remplir , & pour employer les fommes
accordées par le dernier Parlement comme il fera
X
( 17 )
jugé néceffaire. Je regrette fincérement tout ce
qui ajoute aux charges de mon peuple ; mais il
reconnoîtra , j'en fuis perfuadé , la néceffité de
pourvoir, après une guerre longue & difpendieufe ,
au maintien de la foi nationale , & de notre crédit
, qui intéreffent fi effentiellement la puiffance
& la profpérité de l'Etat .
Milords & Meffieurs , les progrès alarmans des
fraudes dans les revenus , accompagnées dans plufieurs
occafions de violences , ne manqueront
pas d'exciter votre attention . Je recommande en
même tems à vos plus férieufes confidérations , les
réglemens de commerce qui peuvent être néceffaires
dans le moment préfent. Les affaires de la
Compagnie des Indes font intimément liées avec
les intérêts généraux de ce pays : pendant que
vous éprouvez une jufte anxiété de pourvoir à
l'adminiftration de nos poffeffions dans cette partie
du monde , vous ne perdrez , je crois , jamais
de vue l'effet que les mesures que vous adopterez
peuvent avoir fur notre conftitution & nos plus
chers intérêts ici . Vous me trouverez toujours
empreffé de concourir avec vous dans toutes les
mefures qui pourront être d'un avantage durable
pour mon peuple. Mon unique voeu eft de produire
fa profpérité par une attention conſtante à
l'intérêt national , un attachement inviolable aux
vrais principes de notre libre conftitution , à foutenir
, à conferver dans un jufte équilibre les
droits & les principes de chaque branche de la
légiflation .
1
Le Roi s'étant retiré enſuite , & les Communes
étant retournées à leur Chambre , le Comte de
Macclesfield fit dans celle des Pairs la motion
pour l'Adreffe en réponse au Difcours de S. M.
Cette piece , comme toutes les autres de cette
efpece , eft la répétition du Difcours ; elle offre
( 18 )
en particulier des remercimens au Roi de l'exercice
qu'il a fait de la prérogative dans la diffolution
du dernier Parlement , & quelques réflexions
fur les efforts de la faction qui étoit parvenue
à attirer à fon parti une branche de la
Légiflation. Le Lord Fitz- William témoigna
qu'il défapprouvoit ces réflexions ; mais l'Adreffe
n'éprouva aucune objection & fut préfentée le 20 .
Les Communes occupées du foin de fe former,
de recevoir les fermens des membres qui les compofent
, ne fe font occupées d'affaires qu'hier ,
encore l'adreffe n'a - t- elle pas été la premiere
affaire ; celle de l'élection de Weftminster a eu
la préférence. M. Lée , après s'être élevé contre
la conduite du Grand- Bailly en ordonnant le
ſcrutin , l'avoir repréfentée comme une ufurpation
contraire à toutes les loix , termina en
tournant en motion la propofition fuivante ,
qu'ayant reçu l'ordre de procéder à l'élection de
Weftminſter & de recueillir les voix , il devoit
en envoyer le réſultat dans le terme prefcrit par
l'ordre qu'il avoit reçu . M. Sheridan approuva
cette motion , contre laquelle s'éleverent le Lord
Mahon , M. Kennyon , qui juftifierent le Bailly
qu'on ne devoit pas condamner fans l'entendre,
& qui citerent un grand nombre de cas qui prouvoient
la néceffité de prolonger l'élection pour
la vérification d'un fcrutin , lorfqu'elle étoit jugée
néceflaire Le Lord North parla auffi , mais en
faveur de la motion ; on s'attend bien que M.
Fox ne garda pas le filence ; mais dans le premier
effai des forces des deux partis , le Miniftere a
eu l'avantage ; il a eu 283 voix , & l'oppofition
136 , ce qui fait 147 de majorité pour le Miniftere.
Il fut fimplement ordonné que le Bailly
feroit mandé aujourd'hui à la barre de la Chambre
, & que le fous- Bailly l'accompagneroit.in
( 19 )
Ce point réglé , on en vint à l'adreſſe en réponſe
au difcours du Roi , M. Hamilton prit la parolle ,
il s'étendit fur chaque partie du difcours qui
doit entrer dans la réponse , & il n'oublia pas
celle où le Roi parle de la nécefíité où il a été de
recourir à l'opinion de fon peuple . Il ne s'agit rien
moins , quant à ce point , que de remercier S. M.
d'avoir diffous le Parlement , & d'annoncer qu'en
effet l'opinion de la nation étoit contraire à celle
de la Chambre des Communes. Le Lord Surrey ,
en approuvant Padreffe , défapprouva cette partie
de la motion pour en demander la fuppreffion ;
mais cette derniere motion ne fut pas plus
heureufe ; la majorité pour le Miniftere fut de
168 voix. Dans le cours des débats , l'apologie
du dernier Parlement fut faite par M. Fox ; il
en refulta la critique de l'Administration actuelle,
Parmi les reproches qu'il lui fit , il rappela que la fignature
du traité de paix avec la Hollande avoit
été faite , mais il défapprouva qu'elle eût eu
lieu à Paris , ce qui étoit une conceffion faite à
l'ennemi , qui pouvoit donner plus de hauteur
à la France. M. Pitt répondit légerement à ce reproche
, il parla auffi légérement de leur nature ;
& bien certain de la majorité , & que les fentimens
du peuple étoient pour le Gouvernement actuel ,
il traita avec un peu de févérité M. Fox qui fembloit
n'avoir infpiré de pitié qu'à un Bourg éloigné
d'Ecoffe , qui lui avoit affuré un fiege au
Parlement , lorfque fon élection pour Weſtminſter
étoit encore incertaine.
C'eft le 28 que doit commencer la vérification
du fcrutin , qui décidera de l'Election
de M. Fox , & de celle de fir Cecil Wray ;
le premier n'eft pas content du parti qu'a
pris le Bailli dans cette occafion. On prétend
( 20 )
qu'il lui intentera un procès , pour le dédommagement
des dépenfes que lui coûtera le
fcrutin , s'il a lieu ; car il n'eft pas encore décidé
s'il avoit le droit de l'ordonner.
La question fuivante , toute fimple qu'elle
eft , décidera peut-être , vis- à- vis du Public impartial
, combien la conduite du grand Bailli
eft peu conforme aux principes du droit ou de la
conftitution . Le grand Bailli auroit- il pu , par
fon autoriré privée , procéder à l'Election de
Westminster , avant le moment fixé par la Loi ,
pour fon ouverture ? Tout homme un peu verfé
dans les loix & les ufages de fon pays , répondra
certainement qu'il ne l'auroit pas pu Si donc
le Bailli ne pouvoit pas commencer l'Election
avant le jour fixé par la Loi , comment fe peutil
faire qu'il ait la faculté de la continuer audelà
du terme fixé pour fa clôture par la mêine
autorité ? La Loi détermine également les bornes
des pouvoirs de cet Officier à cet égard ; & tout
homme qui ne contefte pas que le Bailli ne pous
voit pas procéder à l'Election , immédiatement
après la diffolution du Parlement , fans attendre
la communication officielle de fes pouvoirs , de
la part des Sheriffs , ne peut pas avancer avec
raifon ni avec bon fens , que cet Officier jouit
d'une puiffance officielle , lorsque les pouvoirs
que lui accorde la Loi , ont ceffé.
En attendant que cette difcuffion foit finie
, les partifans de M. Fox ont fait des réjouiffances
à l'occafion de fon élection .
Le Prince de Galles a donné lui - même une
Fete dans fes jardins , le 14 de ce mois ; plus
de fix cents perfonnes y ont affité , il y avoit
des tables dreffées fous neuftentes , avec toutes
fortes de rafraîchiffemens , une mafique déli(
21 )
cieufe , & on a danfé depuis neuf heures du
matin jufqu'à fix heures du foir ; une fociété
choifie de trente perfonnes , au nombre defquelles
étoit M.Fox , eut l'honneur de dîner avec S. A R.
M. Fox la remercia de fes bontés & de l'intérêt
qu'elle avoit bien voulu prendre à fon Election ;
& ce Prince lui répondit qu'il n'avoit été que
guidé par la conviction où il étoit de la fupé--
riorité de fes talens , de la juítice & du définiéreffement
de les motifs . Cette Fête a été répétée
hier.
S'il faut en croire nos papiers , la nouvelle
Chambre des Communes eft compofée de
558 membres ; on compte 214 anciens amis
de M. Pitt , 167 de M. Fox, 153 nouveaux
membres , 16 qui n'étoient pas préfens aux
derniers troubles , 6 doubles élections conteflées
, & les 2 membres de Weltminfter
qui ne font pas encore décidés, On prétend
que parmi les nouveaux , M. Fox à beau
coup de partifans ; & on doute que la majorité
du Miniftere foit de plus de 100. Les
sou 6 premieres femaines après l'ouverture
feront fuviies ; cela ira enfuite en décroiffant
; & vers la fin de Juillet , fi les affaires
prolongent la feflion jufques - là , à peine
croit-on pouvoir raffembler affez de membres
pour tenir aſſemblée .
Les mécontentemens en Irlande ne font
pas près de finir. L'Adminiftration de ce
Royaume , embarraffée des plaintes qui s'élevent
de tous côtés , ne néglige rien pour
fe procurer des témoignages de fatisfaction
qu'elle puiffe leur oppoler ; & on dit qu'elle
( 22 )
follicite en conféquence des adreffes de différens
corps
.
·
Il y a quelques jours , écrit- on de Dublin , que
le Comité choisi des Catholiques de cette ville
s'affembla à la requête du Lord K... qui , difoit-il,
avoit à foumettre à fa confidération des matieres
de la plus haute importance , & qui intérefloiert
effentiellement les Catholiques . Laffemblée fut
très-nombreuſe ; auffitôt que le Lord arriva , on
le pria de dire que le étoit la nature de l'affaire
pour laquelle il l'avoit convoquée ; il demanda
qu'on nomma un Préfident ; mais on ne voulut
pas le faire , avant de favoir fi en effet l'objet de
l'aflemolée méritoit une difcuffion . Le Lord alors
dit que le Gouvernement étoit très - mécontent de
plufieurs pamphlets qui avoient été publiés dernierement
. Plufieurs étoient propresà répandre l'alarme
& la révolte ; quelques uns contiennent
même des invitations aux ennemis du pays , à
tenter une invafion . Il conclut qu'il lui paroiffoit
néceffaire que les Catholiques défavouaffent tous
ces pamphlets, dans une Adreffe préſentée en leur
nom au Viceroi , parce que dans ce tems de trouble
& de fermentation , ils étoient foupçonnés
d'avoir une part fecrette à ces infinuations . L'affemblée
fut très - furprife de cette dernière réflexion
qui attaquoit la loyauté des Catholiques , &
cet amour que tous les Irlandois s'honorent d'avoir
pour leur pays . On demanda au Lord s'il avoit
quelque meffage par écrit du Gouvernement ,
il répondit qu'il n'avoit eu fur ce fujet qu'une
converfation avec M. Orde. Il employa tous fes
efforts pour décider l'affemblée à faire ce qu'il
lui propofoit , & à tranquillifer le Gouvernement
dont les alarmes , ajouta t - il , étoient fondées ;
mais il ne réuffit point ; l'affemblée regarda le
( 23 )
elle crut que
prétexte de fa convocation comme une injure ;
des accufations auffi vagues , auffi
injuftes ne méritoient pas fon attention , & elle
Le fépara fans vouloir s'en occuper.
On parle de plufieurs autres démarches
femblables qui ont été faites avec auffi peu
de fuccès. On en a eu davantage dans la
grande affemblée des repréfentans de la Nation
, qui prétend cependant n'être pas repréfentée
.
Le Parlement d'Irlande , conformément à fon
ajournement , s'eft ralfemblé le 11 de ce mois ; à
trois heures quarante minutes , l'Orateur ayant
pris la place, on lut un meffage des Pairs qui annonçoit
leur aveu aux amendemens du bill pour
priver le Lord Srang ford du droit de voter. Il
y eut enfuite un ajournement d'une demie- heure.
qui fut occafionné parce qu'on attendoit une
perfonne. Après cela on reprit les délibérations .
Le Lord Kilwarlin propofà une adreffe au Vice-
Roi pour le remercier de la fageffe & de la prudence
qu'il montroit dans fon adminiftration ;
l'adreffe étoit prête & fut lue par M. Hattan .
Elle contenoit l'éloge du Duc de Rutland.
M. Jones fe leva auffitôt . » C'est avec regret ,
dit-il , que je fuis obligé de m'oppofer à une
adreffe de compliment que je ne crois pas que
l'ufage juftifie. Je ne puis donner mon aveu à
des actions de grace , quand ma confcience ne
me montre de tous côtés que des fujets de plaintes
& de reproches. De quoi , je vous prie , avonsnous
à remercier le Duc de Rutland ? Eft- ce de
fon oppofition au vou de la Nation pour une
réforme parlementaire ? de l'abandon qu'il a fait
du plan de mettre de l'égalité dans le commerce ?
du bill pour un bureau de pofte qui nous prive
( 24 )
ככ
de nos privileges & charge le peuple avec excès ?
de fon oppofition à la taxe fur ceux qui s'abfentent
du Royaume ? de ce qu'il a rempli nos
rues d'une foule de mandians ? des infultes répétées
qu'il nous a faites ? d'avoir transformé
la Chambre des Communes en une Chambre de
l'Etoile , & le Château de Dul lin en une Baltille
? Comme repréfentant du peuple , comme
homme , je dois défapprouver une adreffe qui
ne contient pas la cenfure de l'adminiftration du
Duc de Rutland , M. Molyneux appuya l'o
pofition de M. Jones , & dit que fi une adminiftration
avoit été jamais calculée pour femer
la diffention entre ce Royaume & l'Angleterre ,
c'étoit celle du Vice- Roi. » Quand au chef de
cette adminiftration , ajouta t -il , je penfe que
c'est un homme honnête & qui veut le bien ;
mais il a confié les affaires de ce Royaume à un
homme qui a une mauvaiſe tête & un coeur pire.
Le Sécretaire d'Etat eft refponfable de ce qui eft
arrivé , & fur- tout d'avoir conféré des honneurs
à un homme marqué du reproche public ; il
femble que fon motif, en agiffant ainfi , a été de
montrer au peuple qu'il n'eft pas content de l'opprimer
, mais qu'il le méprife . Je lui ferai feulement
quelques queftions ; fa réponſe fixera mon
opinion fur l'adreile ; fon filence dira plus que la
loquacité de fes prédécefleurs . Je l'interpelle de
dire à la Chambre, aux dépens de qui a été acheté
la Chancellerie , pour un hommé qui a mis à peine
le pied dans ce Royaume. L'office de Maître des
rôles doit - il être acheté auffi ? un Préfident du
Confeil doit - il être établi avec un gros falaire ?
-Perfonne n'ayant répondu , M. Molyneux conclut
en difant : Je vois que nous n'avons à chercher
de fecours qu'en nous- même ; j'aime le peuple à
cauſe de la meſure qu'il a adoptée , j'admire fur-
"
tout
( 25 )
tout celle ... ici , il fut interrompu par des voix
qui s'éleverent du banc de la Trésorerie pour
l'appeller à l'ordre , & il continua en difant
j'admire le peuple pour la réfolution qu'il a prife
de ne faire ufage que des produits de nos Manufactures
.
M. Griffith , qui parla enfuite , ne s'oppofa
point à l'adreffe qu'il ne regardoit que comme
une formalité ; il voulut qu'on y ajoutât quelques
mots fur la fituation du Royaume , une priere
au Viceroi de confidérer l'état des manufacturiers
, de repréfenter au Roi la néceffité de l'égalité
& de la réciprocité dans le commerce des
deux Royaumes . Cet amendement fut rejeté à
une pluralité de foixante- deux voix , & l'adreffe
fut ordonnée . La même motion fut faite le 12
dans la Chambre haute , où elle paffa également
après avoir donné lieu à quelques obfervations
fans fuccès : l'une & l'autre de ces adreffes furent
préfentées le 13. Le lendemain , le Duc
de Rutland fe rendit au Parlement pour donner
Ja fanction royale à quarante-un Bills pu ! lics ,
& quinze particuliers : à la tête des premiers
eft
celui qui reftraint la liberté de la Preffe , qu'on
croyoit ne devoir pas paffer au Confeil . Après cela ,
il prorogea le Parlement au 29 Juin prochain.
On a fait dans un de nos papiers la lifte
fuivante des places prifes pendant la derniere
guerre , & reftituées ou cédées à la paix.
Conquis par la Grande Bretagne , & rendu d
la France , les ifles de S. Pierre & de Miquelon ,
près de Terre- Neuve , Sainte - Lucie , dans les
Indes occidentales , les ifles de Gorée en Afrique
, Pondichéry dans les Indes orientales ..
Conquis par la France fur la Grande Bretagne ,
& rendu à ce le ci , les ifles de Grenades , Grenadines
, S Vincent , la Dominique , S. Chrif
N°. 23 , 5 Juin 1784.
b
( 26 )
tophe , Nevis , & Montferrat aux Indes occidentales.
Conquis par l'Espagne fur la Grande-Bretagne ,
& rendu , les illes de Bahama & de Providence
dans l'Atlantique.
Conquis par la France , & cédé à elle à perpétuité,
l'ifle fertile de Tabago , aux Indes occidentales
, la riviere de Sénégal en Afrique ; tous
les forts bâtis fur elle , le commerce exclufif fur
cette riviere.
Conquis par l'Espagne , & cédé à S. M. C. ,
Minorque dans la Méditerranée
"
la Province
entiere de la Floride occidentale , dans laquelle
il y a plus de 8000 planteurs anglois.
Non conquis mais cédé à l'Espagne comme le
prix de la paix , la Floride orientale dans un état
plus floriffant que l'occidentale.
Parmi les dernieres dépêches de l'Inde , il
y en a une qui , felon tous nos papiers , contient
l'article fuivant qu'ils ont copié.
Typpofaïb éleve toujours des difficultés fur la
paix , & le traité définitif n'eft pas prês d'être
terminé. Ce Prince dit au Général Macleod :
c'eft
Anglois & François , vous n'avez qu'un feul
objet qui vous divife , l'intérêt de votre commerce
: pour nos dépouilles que vous vous
battez ; elles vous attirent & vous enflamment
parce qu'elles vous enrichiffent. Vous n'avez
fait la paix , que parce que vous n'aviez plus
d'argent . Vous allez retourner en Europe , économifer
le produir de vos fubfides , & vous reviendrez
enfuite vous égorger les uns & les autres
parmi nous , & vous difputer nos richeffes ».
Cela montre affez que les Européens com- mencent à être conmus fur les trois côtes.
On défefpere depuis long-temps d'avoir
( 27 )
jamais des nouvelles du Caton & de l'Amiral
Hyde Parker ; on conjecture que ce vaiſſeau
a péri fur les côtes de Malabar ; l'équipage
d'un bâtiment Indien des Ifles de Lacquedives
, arrivé à Bombay , rapporte qu'il a vu
un vaiffeau brûlant auprès de ces côtes , à
une époque où l'on fuppofe que l'Amiral
Parker étoit en route pour aller fe réparer
à Bombay des dommages qu'il avoit effuiés
dans une tempête durant les mouffons . Cet
Amiral eft très - regretté. Ce n'étoit point
des motifs d'ambition mais l'état de fa
fanté qui lui avoit fait accepter le commandement
dans l'Inde. Attaqué depuis longtemps
d'un aſthme , il n'avoit éprouvé de
foulagement que dans les climats chauds.
?
Des lettres de Bombay , arrivées par le dernier
Courier , nous apprennent qu'en Novembre der
nier , cette Ifle avoit été infectée de grenouilles
qui ont dévoré les herbes & le petit poiffon :
elles fe font répandues dans tous les étangs , par
quantité incroyable. Quelques unes pefoient de
quatre à cinq livres , & avoient deux pieds de
longueur depuis l'extrêmité des bras jufqu'à celle
des pattes , dans toute leur extenfion . Quelque
extraordinaire que paroiffe cet événement , on peut
compter fur fon authenticité.
Selon des lettres du Bengale , les Danois ont
formé dernierement un nouvel établiffement fur
la rive orientale du Molveira , qui eft une des branches
du Gange ; ils ont obtenu pour cet effet une
permiffion du Grand- Mogol auquel le Roi de
Dannemark avoit envoyé un Ambaſſadeur qui
eft encore à Dehli . Le nouveau fort qu'ils ont
b2
( 28 )
bâti s'appelle Fridéricksbourg ; il eft peuplé par
des Colons qui ont été envoyés d'Elseneur &
du Duché de Holftein . On a formé la garnifon
de quelques troupes européennes qu'on a tirées
de Tranquebar fur la côte de Coromandel . Ce
nouvel établiffement , fitué dans cet endroit ,
eft à 200 mille de Calcutta , ce qui n'eft peut - être
pas fans inconvénient. Mais ils font compenfés
par les grandes apparences de profit qu'il préfente
& qu'il doit avoir naturellement par fa pofition
dans le coeur du pays où le trafic avec les naturels
eft plus confidérable & plus avantageux que fur
les côtes .
FRANCE.
DE VERSAILLES, le Juin.
Le 22 du mois dernier , la Comteffe Jofeph de
la Ferronnays eut l'honneur d'être préfentée aų
Roi & à la Reine par Madame Adélaïde de France,
en qualité de Dame pour accompagner cette Prin,
-ceffe . Le 23 la Ducheffe de Caylus eut l'honneur
d'être préfentée à L. M. & à la Famille Royale ,
par la Ducheffe de Caylus douairiere , & de prendre
le tabouret . La Vicomteffe de Béthify fut
auffi préfentée par la Comteſſe de Béthify.
•
Le même jour L. M. & la Famille Royale fignerent
les contrats de mariage du Vicomte de
Lons , Capitaine des Gardes - du - Corps de Monfieur
, en furvivance , avec Mademoiſelle d'Ennery;
du Comte de Langerón , Capitaine au Régiment
de Condé , avec Mademoiſelle de la Vaupaliere
; du Marquis de Baleroy , Capitaine au Régiment
d'Orléans , avec Mademoifelle de la Vaupaliere;
& du Comte de Clermont - Tonnerre de
Thoury , Sous-Lieutenant des Gardes - du - Corps
du Roi , avec Mademoiſelle de Froget .
( 29 )
Les Etats d'Artois furent admis le même jour
à l'Audience du Roi , préfentés par le Maréchal
Ducde Lévis , Gouverneur général de la Province ,
& le Maréchal de Ségur , Miniftre de la Guerre .
La députation conduite par MM. de Nantouillet
& de Vatronville , Maître & Aide des Cérémonies
, étoit compofée , pour le Clergé , de l'Abbé
de Bart , Prévôt de l'Eglife Cathédrale , Vicaire
général du Diccefe d'Arras , qui porta la parole
; pour la Nobleffe du Comte de Cunchy de
Fleury , Major du Régiment Provincial d'Artil
lerie de Befançon ; & pour le Tiers- Etat , de M.
Brunel , Avocat , ancien Penfionnaire de la Ville
d'Arras , ancien Député général ordinaire des
Etats.
DE PARIS , le 1 Juin.
Toutes les lettres de l'Inde apportées par
les vaiffeaux nouvellement arrivés , font un
tableau effrayant de la famine horrible qui
a dévasté la côte , & de la maladie épidémique
auffi cruelle que la pefte qui en a été
la fuite.
Les Européens , difent ces lettres , ont échappé
à la premiere , parce qu'eux feuls ont les moyens
de faire des provifions & des amas de riz ; mais
la derniere les a frappés , ainfi que les naturels , &
Pondichery fur-tout a fouffert prodigieufement .
Les Anglois ont profité de ce tems de calamité
pour débaucher le petit nombre de Tifferands
qu'on avoit confervés dans les Aldées võilines.
Ces malheureux , privés de fubfiftance
fuivi la main qui leur préfentoit une nourriture
affurée. La famine à été caufée d'un côté par les
monopoleurs , & de l'autre principalement par
ont
b3
( 30 )
les grandes fournitures faites aux armées des différentes
Puiffances en guerre , & encore plus par
les dévaftations des Marattes & de Tippo-Saib.
Ce dernier , depuis que l'armée françoife s'eft
féparée de lui , n'a pas laiffé de tenir la campagne
, & les divifions des Anglois lui ont donné
tout le temps qu'il lui falloit pour faire beaucoup
de mal à fes ennemis : il a ruiné & brûlé
Arcate , ainfi que Paliacate ; il a été juſqu'aux
portes de Madras , & n'a pas laiffé pierre fur
pierre dans fes fauxbourgs ,, appellés la ville
noire. Ainfi le plus beau pays du monde & le
plus fertile eft le plus malheureux , graces à l'ambition
& à l'avarice des Européens.
C'eft le 26 du mois dernier , que M. le
Comte d'Aranda , Ambaffadeur de S. M. C.
eſt arrivé ici de retour du voyage qu'il avoit
fait en Eſpagne.
Le Roi de Suede eſt attendu le 9 de ce
mois. L'Académie Françoife a renvoié jufqu'au
25 la réception de M. le Marquis de
Montefquiou , afin que ce Prince puiffe être
témoin d'une de fes Séances publiques . Les
Comédiens Francois lui réfervent de leur
côté la premiere Repréſentation de Semiris
Tragédie nouvelle de M, le Mierre.
La nouvelle machine aéroftatique que M. Mont
golfier a conftruite pour le Roi eft entiérement
finie. Elle eft d'une capacité , & par conséquent
d'un diametre beaucoup plus confidérable que
l'ancienne : il fait avec elle deux ou trois fois par
femaine , des expériences dans le jardin Réveillon.
Ces jours derniers , trois dames & quelques autres
perfonnes , accompagnées de M. Pilatre du Rofier
, monterent dans la galerie : on les éleva
( 31 )
jufqu'à deux cens pieds , le ballon étant retenu
par des cordes. On croit qu'il fervira aux expériences
que le Roi de Suede defire voir. Le
globe des freres Robert paroît être réſervé pour
le même objet.
A l'occafion des ballons , nous placerons
ici la lettre fuivante de S. Savin. Nous ne
garantirons point le fait fingulier dont il y
eft queftion.
Deux Ballons partis le même jour & à la
même heure ; l'un de Saint - Savin , & l'autre de
Montmorillon , petites villes da Poitou , diftantes
de quatre lieues , fe font rencontrés à peu près
à moitié chemin , ils le font heurtés violemment ;
celui de Saint- Savin , plus robufte , a culbuté
l'autre qui eft tombé auprès d'un Château du
voifinage : le Seigneur a fait dreffer un procèsverbal
de ce Phenomene. Le Ballon vainqueur
a continué fa route: on ignore encore l'endroit
de fa chûre ; mais on préfume que s'il n'a pas
rencontré de nouveaux adverfaires , il doit avoir
été fort loin. Cet événement auffi piquant par
fa curiofité , qu'intéreffant pour l'Aréoflat , peut
jetter quelques lumieres fur cette découverte ;
les deux Ballons étoient de forme Sphéroïde ,
le temps étoit calme. J'ignore le Phlogistique
qu'on avoit employé , qui vraisemblablement
étoit différent . Je laiffe aux Phyficiens à raisonner
fur cet événement.
Le 23 du mois dernier , M. Blanchard a
fait à Rouen l'expérience de fon bateau volant
; c'est ainsi qu'on en rend compte dans
une lettre de cette ville.
Il eft parti des anciennes cafernes à 7 heures
20 minutes , fon barometre étant à 28 pouces
4. lignes , & s'eft élevé majestueufement dans
b 4
( 32 )
l'air. Il a plané long temps fur le Ville ; après
quoi un vent violent contre lequel il a lutté ,
a brifé fon gouvernail . Alors il ne s'eft plus occupé
que de faire des obfervations & de monter &
defcendre au moyen de fes ailes. A 7 heures 35
minutes 10 fecondes , il a remarqué que fon
barometre étoit defcendu à 19 pouces 8 lignes .
Au même moment il a traversé un petit nuage
blanchâtre , enfuite un autre très - épais , qui l'a
confidérablement mouillé , puis il s'eft élevé à
une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de
la glace . Son habit humide par la traverſée du
nuage , eft devenu roide ; dans cette température ,
il a fait 2 lieues en 2 minutes ; & dans un petit
calme qu'il a épreuvé , il a bu & mangé. Il ne
s'eft décidé à defcendre , que parce qu'il appercevoit
un nuage orageux , & qu'il voyoit la mer .
Heft défcendu fans ouvrir la foupape de fon
Globe , mais feulement en faifant agir fes ailes
en fens contraire , dans la plaine de Glaville-
Motteville , à 5 lieues de l'endroit, de fon départ.
A l'infiant où il defcendit , vinrent deux payfans
auxquels il propofa d'arrêter fon Globe , moyennant
une corde qu'il leur jetta : l'un accepta la
propofition ; mais l'autre ne fachant à qui il
avoit affaire , & craignant de fe compromettre ,
ne voulut pas mettre la main à une chofe qui lui
paroiffoit fufpecte . La frayeur des habitants fut
égale à celle des payfans de Goneffe , avec cette
différence que ceux de Claville fe font armés
pour guerroler contre le phénomene .
On a beaucoup parlé d'un Suicide , commis
dernierement par un jeune homme âgé
de 25 ans , après avoir dîné au Palais - Royal
chez un reftaurateur. On dit que c'est l'amour
qui a infpiré ce coup défefpéré ; & en
( 33 )
effet les excès funeftes de cette efpece ont
prefque toujours leur fource dans la foibleffe
de l'efprit , dans un état de maladie ,
ou dans une paflion extrême. Le teftament
de cet infortuné en fournit la preuve . En
nous la communiquant , on y a joint les réflexions
fuivantes .
On peut le fouvenir que J. J. Rouffeau daigna
approuver & même louer la réfolution de
ces deux amans de Lyon qui fe tuerent au pied
d'un autel . Mais dans ce dévouement il n'y eut
que celui de la fille qui fut méritoire : l'amant
étoit malade & fouffrant , ce qui feul pouvoit
le porter à fe donner la mort. Il n'en est pas de
même du jeune homme qui vient d'en donner un
exemple récent ; fon dévouement a bien un
autre caractere , & fon ame devoit être d'une
trempe extraordinaire : fon action cût été bien
plus admirée de J. J. Rouffeau , puifqu'il prodiguoit
fon admiration à ces fortes d'action . II
n'auroit pas manqué de faire valoir la fimplicité ,
l'énergie de fon teftament de mort , & la délicateffe
de ce malheureux jeune homme à ne pas
nommer l'objet de fa paffion. Voici cette piece
très-certainement véritable & remarquable , &
telle qu'elle a été trouvée ſur la table cù elle
avoit été écrite , lorfque le Commiflaire vint dref
fer fon procès-verbal. - Cr« Le contrafte inconcevable
qui fe trouve entre la robleffe de mes
fentimens & la baffelle de ma naiffance , un amour
auffi violent qu'infurmontable pour une fille
adorable , la crainte de caufer fon deshonneur ,
la néceffité de choisir entre le crime & la mort ,
tout m'a déterminé à abandonner la vie. J'étois
né pour la vertu , j'allois être criminel , j'ai préféré
mourir ».
b S
( 34 )
On a arrêté ces jours derniers un Fauffaire,
qui faifoit non- feulement de fauffes lettres
de change , mais auffi les lettres d'avis.
Il en avoit envoyé une d'Amiens , dont la
fauffeté fut reconnue : on fuivit le Commiffionnaire
qui vint chercher l'argent , & on
découvrit l'Auteur , par le plus grand haſard,
dans un Caffé voifin de l'endroit que fon
camarade , car ils étoient deux , avoit indiqué
au Commiffionnaire , pour y apporter
l'argent. Son complice s'eft fauvé.
M. le Chevalier d'Angos , Directeur de l'Obfervatoire
de Malte , a découvert une comete le
11 Avril dans la confellation du renard , elle
étoit fort petite fans queue , & ne paroiffoit que
comme une légere nébulofité. Le 15 à trois heu
res dix- huit minutes du matin , elle avoit 307
degrés d'afcenfion droite , & 15 degrés 28 minutes
de déclinaifon boréale. Elle faifoit par
jour près de 2 degrés vers l'occident & vers le
midi. La comete que l'on avoit obfervée à Paris
au mois de Janvier , a été vue après la conjonction
, par M. Méchain de l'Académie Royale
des Sciences.
M. Houel continue la publication de fon
yoyage intéreffant de Sicile ; les livraiſons fe
fuccédent avec beaucoup de rapidité : la
11e, & la 12e. ne ſe font pas. fait attendre.
L'Auteur continue , dans la derniere qu'il vient
de publier , de faire connoître complettement le
refte des ifles & des écueils de Lipari dont il avoit
commencé de traiter dans le chapitre précédent ;
foit qu'il les confidere comme volcans , ou fimplement
comme productions de volcan , il diftingue
en Naturalife éclairé les matieres dont
( 35 )
ils font compofés , explique les changemens qu'ils
ont éprouvés dans le tems & depuis leur formation
; & par des planches auffi exactes que foignées
, préfente à l'oeil du Lecteur les alpects
divers de ces ifles , les particularités qui marquent
les époques effentielles des grandes révolutions
que leur ont fait éprouver des explofions ou
des commotions confidérables . La derniere plan
che du 12e chapitre offre la bouche du volcan
Stromboli , lançant une gerbe de pierre dans
l'état de charbons ardens , repréfentation auffi rare
qu'intéreffante. La premiere repréſente un bain
d'eau chaude à Lipari , avec les Scenes qui fe
paffent dans ces lieux de fanté , pendant que les
malades les fréquentent. La ze . , l'afpe&t d'une
faline , du fommet de laquelle on découvre quantité
d'objets intéreffans , & entre autres le mont
Etna , qui eft à plus de 25 lieues de diftance ;
ce qui peut faire juger de la hauteur de cette
faline qui domine les montagnes les plus élevées
de la Sicile. Dans le texte de ce chapitre , l'Auteur
traite avec intérêt d'autres détails , quelques
objets du commerce de ces ifles , de leurs ufages
domeftiques & des religions ; il obferve & fait
connoître tout ce que ces lieux anciennement
habités , offrent encore de débris & de monumens
antiques , qui font placés dans les Eftampes ,
& qui marquent les époques où différentes
nations ont habité ces ifles ( 1 ) .
?
"
Nous avons annoncé la premiere livraiſon
des eftampes repréfentant les conquêtes de l'Empereur
de la Chine , réduites & gravées par M.
Helman ; on fait que les deffins en furent faits
à Pekin , & envoyés en France en 1765 , pour
être gravés par nos meilleurs Artistes , & ren- y
(1 ) Ce voyage fe trouve chez l'Auteur , rue du Coq faing
Honoré,
b6
( 36 )
voyés avec les cuivres en 1774. Il n'en refta
qu'un petit nombre d'exemplaires deftinés pour
1 Famille royale & la Bibliotheque du Roi ;
elles font fi rares , que le prix , quand le hafard
los fait rencontrer , en eft porté à 8001 .
M. Helman offre la collection entiere à 48 1 .
La premiere livraiſon en a paru au mois d'Octobre
dernier ; la feconde paroît aujourd'hui
la troifieme paroîtra dans quatre mois , & après
un pareil efpace , la quatrieme & derniere fera
diftribuée (1 ).
Le fieur Belon , Peintre à Rouen , a imaginé
de concilier les deux fyftêmes aftronomiques de
Ptolomée & de Copernic. Sans entrer ici dans
les détails du fyftéme qu'il a composé de ces
deux , ce qui eft au moins inutile , nous nous
bornerons à donner une idée des machines qu'il
a inventées pour l'expliquer autant à l'oeil qu'à
l'efprit , & qui font réellement ingénieures. La
premiere eft compofée d'une table ou planifphere
de quatre pieds de diametre . Les degrés & les
fignes du Zodiaque , les mois , les folftices , les
équinoxes , le rapport de chaque figne à chaque
mois , &c. tout fe trouve réglé fuivant les principes
reçus en Aftronomie. Le foleil roule fur
fon char & fait fa courfe & fes révolutions au
"
(1 ) Le prix de chaque livraifon eft de 12 liv . Elles fe
trouvent chez M. Helman rue S. Honoré , vis -à- vis
Phôtel de Noailles , Cet Artiſte a acquis plufieurs Planches
du fond de M. le Bas , qu'il propofe aux Amateursà
un rabais de moitié de leur ancien prix , pendant
cette année feulement , paffe laquelle il n'en donne a plus
qu'au prix o dizaire. D'après Vonfalces , la Prife du Hron
, 3 liv. au lieu de 6 liv . Le Départ de chaffe , idem ,
D'après. Chudin , le Bon- homme , 16 fols , au lieu de 30,
Le Neglige , idem . De Bouchardon , Sculpteur du Roi ,
livre d'après l'antique , de 2 feuilles , 2 liv au lieu de
La réputation de toutes ces Eftampes eft faite depuis 30
205.
4.
( 37 )
9
tour des planettes qu'il éclaire de fes feux ; la
terre paroît conduire le char , la lune l'accom
pagne & ne le quitte point , faifant autour d'elle
fa révolution en vingt - neuf jours & demi ; ces
deux planettes forment des ellipfes très variées ;
le centre commun les retient , le foleil les attire ;
cette attraction étant réciproque , le foleil ne
quitte pas la terre, mais il la force de s'incliner un
peu à caufe du changement de fes orbites , La
terre tourne fur elle - même en 24 heures , accompagnée
de la lune & du foleil tournant avec elle .
& n'a qu'un centre commun à toutes les planetes ;
la lune montre toujours la même face à la terre ,
& démontre d'une façon très-jufte fes différentes
éclipfes , ainfi que celles du foleil dans les noeuds
qui arrivent deux fois l'année. Une feule aiguille
marque les heures du jour & de la nuit , les
femaines , le quantieme du mois , & c . Toutes
les pieces fe meuvent en même - tems , par le
moyen d'une manivelle & d'une corde de fparterie.
La feconde machine fert de fupplément à
la premiere , attendu que le mouvement des
autres planetes , leur rotation , autour du centre
commun , le correspondent toujours entr'elles
en raison de leur viteffe & de l'étendue de leurs
orbit s , à l'exception toutefois du foleil , qui
éclaire de tous côtés les différens globes .
On connoît la magie du pinceau de M. Fragonard
, les graces & la vérité qu'il a répandues
dans fes tableaux ; la gravure en a multip'ié plufieurs
que les amateurs fe font empreffés d'accueillir
. M. Blot vient d'en graver un qui offre
une eftampe charmante , intitulée le verroux ; le
fujet eft galant & rendu de maniere à produire
l'effet le plus agréable ( 1 ) .
9 (1 ) Le prix de cette eftar . pe eft de liv . Elle ſe trouve
chez M. Blo:, rue S. Etienne - des- Griz , maifon du College
de Montaigu.
( 38 )
A cette eftampe nous en joindrons une autre
qui eft le coup d'effai d'un jeune Artiſte , &
qui annonce un talent diftingué & de grandes efpérances
pour l'avenir. Le fujet eft tiré de l'Hiltoire
Romaine ; c'eft Mutius Scevola , furpris
dans le camp de Porfenna , où il avoit paffé
pour l'affaffiner , défiant les tourmens , & lui
donnant une preuve de fon courage & de fa
fermeté , en mettant fa main dans un brafier
ardent. Le tableau eft de Rubens (1).
Parmi les inventions utiles on diftinguera
celle- ci.
Le fieur Regnier , Mechanicien de S. A. S.
Mgr. le Duc de Chartres , vient de perfectionner
un appareil de filature , qu'il avoit inventé précédemment
, & avec lequel il peut aujourd'hui
filer des cordes de fer , folidement treffées & cablées
, & prefqu'auffi fouples que certaines cordes
de chanvre. C'eft avec ces cordes de fer , que
cet Artiſte forme des conducteurs pour les Paratonnerres.
La ville de Semur , fa patrie , en eft
déja prefqu'entiérement armée ; plufieurs Châteaux
de la Bourgogne en font également munis ,
& notamment celui de M. le Comte de Buffon ,
à Montbard. Les prix de ces cordes font de
10 à 12 fols le pied , felon leur groffeur. Il faut
s'adreffer à Semur en Auxois , où le fieur Regnier
réfide , il les fera paffer aux Adreffes qui lui
feront indiquées ; mais on eft prié d'affranchir
le port de l'argent & de la lettre. Ledit fieur
Reynier vient auffi d'inventer un fufil ou briquet
de défenfe , utile aux perfonnes qui habitent des
maifons ifolées , pour le mettre en fureté contre
les malfaiteurs . Ce briquet de défenfe eft com-
(1 ) Ceste Eftampe de 18 pouces de haut fur 15 de
large , a été gravée par M. Marchand , & fe vendliv.
chez M. Voylard , rue de la Harpe , n° . 18 , vis à vis la
rue Se pente,
( 39 )
`pofé d'une Lanterne légere , dont la bougie s'allume
, au moyen d'une mêche , par la feule détente
d'une batterie de piftolet , il eſt armé en
avant d'une bayonnette .
L'Académie des Belles- Lettres , Sciences &
Arts , propofa , l'année derniere , à l'invitation
de MM. les Maire , Echevins & Affeffeur , un Prix
de 1200 liv. & une Médaille d'or de 300 , pour le
meilleur Plan d'Education , propre à la ville de
Marfeille , confidérée comme maritime & commerçante
. Elle a reçu divers Mémoires , dont elle
en a diftingué trois qui contiennent d'excellentes
vues ; mais l'Académie de vant fe conformer fcrupuleufement
aux vues patriotiques des Officiers
Municipaux , elle a trouvé que les Auteurs n'ont
pas affez étendu le plan des Etudes relatives au
Commerce & à la Navigation ; elle a en conféquence
cru devoir réserver le Prix , & prévenir
les Auteurs qu'ils doivent s'attacher. 1 ° . A expofer
avec précision les diverfes efpèces de Commerce
que l'on fuit à Marseille, foit d'importation,
foit d'exportation , d'entrepôt , d'économie , & des
diverfes Manufactures de la ville. 2°. A indiquer
le genre d'étude & de connoiffances le plus propre
à faciliter , diriger & étendre , toutes les diverfes
branches de Commerce extérieur & intérieur.
3°.Apropofer les études néceffaires pour acquérir
une bonne théorie du Commerce en général , cette
profeffion étant la feule peut- être où l'on fe livre
fans préparation à la pratique , & dans laquelle on
fait dépendre la théorie des leçons tardives de
l'expérience . 4. L'étude des Langues vivantes ,
fur- tout de celles des Peuples avec qui Marſeille
a & peut avoir à l'avenir les relations les plus fuivies
& les plus intéreffantes , doit entrer dans le
Plan d'Education que l'on defire ; on n'oubliera
point l'étude de la Géographie , de la Navigation
, de l'Architecture navale , des Méchaniques ,
( 40 )
de l'Hiftoire Naturelle , & de la Chymie . 5°. Le
mouvement continuel d'un grand Commerce , le
choc varié des intérêts qu'il réunit & qu'il divife ,
produifant chaque jour des prétentions opposées ,
des différends & des procès , il paroît effentiel que
le Négociant apprenne de bonne heure ces Loix
fimples qui , en le ramenant aux regles feules de la
probité , & lui apprenant à éviter les ſurpriſes &
les fraudes , le préparent à devenir le juge de
fes égaux ; il faut donc indiquer une espèce d'Ecole
de Jurifprudence mercantile . 6º . Il paroît
utile de donner aux jeunes Gens quelques notions
d'Adminiſtration publique : les Négocians font
quelquefois appellés à éclairer le Législateur fur
les befoins du Commerce , fur les Ordonnances
qui le lient au bien & à l'intérêt public , fur la
protection qui le foutient ; enfin fur les diverfés
circonftances générales par rapport à l'Etat , &-
particulieres par rapport à la Province & à la
Ville qu'ils habitent , foit relativement à leur
climat , à la fertilité du fol , à leur population ,
au génie & au befoin des Peuples environnans .
7 °. Pour fe diftinguer dans la profeffion qu'on
embraffe , on ne doit pas fe reftreindre aux feules
connoiffances qui font propres à cette profeffion ;
il faut donc que le Négociant qui fe deftine aux
grandes entreprifes de Commerce , ait quelque
connoiffance de la Politique des Nations , & qu'il
foit inftruit des Traités qui , depuis un fiecle ,
n'ont eu que le Commerce pour objet. .Les
Ouvrages ne feront reçus que jufqu'au 1er de
Mars 1785 , & doivent être adreffés franc de
port , à M. l'Abbé de Robineau , Secretaire perpérvel
.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 58 , 41,75 ,
34 , & 31 .
( 41 ) 41 )
DE BRUXELLES , le 1 Mai.
Les lettres de Liege portent que l'élection
d'un Prince -Evêque étoit décidemment arrêtée
il y a quelques jours , & on croit qu'elle
eft actuellement faite en faveur du Comte de
Hoensbroech , Tréfoncier . Les concurrens
étoient l'Archevêque de Cambray , & l'Evêque
de Tournay ; le premier voyant le dernier
réfolu de ne point céder , n'a pas voulu
faire durer la conteftation ; & comme il
étoit maître de l'élection , en fe décidant
pour le prétendant qu'il voudroit , à caufe
du grand nombre de voix dont il pouvoit
difpofer , il les a toutes données à M. le
Comte de Hoensbroech .
On mande de la Haye , que la députation
des Etats de Hollande & de Weft- Frife , qui
s'eft rendue le 14 du mois dernier auprès du
Stadhouder , pour avoir des éclairciffemens
fur un acte , par lequel , felon le bruit géné
ral , il s'étoit engagé fous ferment , lors de fa
majorité , à fe fervir conftamment des confeils
du Feld - Maréchal Prince de Brunſwick ,
en a reçu la réponſe fuivante .
« Je ne fais point difficulté de répondre à MM.
les Députés de L. N. & G. P. les Seigneurs Etats
de Hollande & de Weftfrife , en les priant de
communiquer cette préfente réponse auxdits
Seigneurs Etats , que je ne fuis pas interrompu
S A. le Feld- Maréchal Duc de Brunſwick ,
à expédier les ordres qui auroient pu fervir à
prémunir contre toute agreffion les frontieres
de l'Etat mais quoique je ne fois pas tenu de
par
:
( 42 )
rendre compte de mes geftions en qua'ité de Capitaine
général de l'Union , à perſonne qu'à
L. H. P. , je fuis prêt , pour marque de ma déférence
aux volontés de L. N. & G. P. , de leur
donner , fi elles le deſirent , ouverture des raiſons
& motifs qui m'ont engagé à ne point envoyer
un grand nombre de troupes vers les frontieres ,
avant la prise de la réfolution du 7 du courant .
Quant à l'acte paffé entre le fufdic Seigneur
Duc & moi le 3 Mai 1766 , mais que je n'ai
jamais att té par ferment , je m'étois déja propo
fé par moi- même , en apprenant les bruits défavantageux
& deftitués de tout fondement qui ſe
répandoient , de ne le plus tenir fecret , & je ne
manquerai point de communiquer fous peu de
jours , une copie authentique dudit acte à L. N.
&G. P. !
Les lettres de la Haye rendent ainfi compte
du Jugement rendu dans l'affaire de l'Enfeigne
de Witte, du jardinier van-Brackel, &
de fon exécution.
Le premier , qui étoit en prifon depuis le 27
Septembre 1782 , a été déclaré déchu de fa
charge militaire , condamné à être enfermé dans
une place de fûreté pendant fix ans , au bout
defquels il fera banni pour toujours de Hollan
' de , Zélande , Frife & Utrecht. Qnant au Jardinier
, prifonnier depuis le 15 Octobre de la
même année , il a été condamné à être conduit
la corde au cou fous la potence , à y être
fouetté & marqué , à être enfermé enſuite dans
une maison de correction pendant vingt- cinq
ans , pour y gagner fa vie & fon entretien par
le travail de fes mains . Après ce terme , il eft
banni des quatre Provinces fufdites fous peine
de mort. Le malheureux a ſubi fa Sentence le 21
du mois dernier.
( 43 )
Des lettres poftérieures de la Haye portent,
que le 20 du mois dernier au foir ,
l'Ambaffadeur de France fe rendit chez des
Membres du Gouvernement , pour leur annoncer
que fa Cour n'avoir aucune répugnance
à intervenir par fes bons offices
entre l'Empereur & L. H. P. , pour l'applaniffement
des différends élevés entre
ces deux Etats. Sur cette communication
intéreffante , une députation de L. H. P. , à
la tête de laquelle étoit le Préfident de femaine
, fe rendit chez l'Ambaſſadeur pour
lui porter les témoignages de la reconnoiffance
de l'Etat .
Le 11 de ce mois , écrit- on de Berlin , le Roi
vint ici de Charlottembourg pour faire un vifite
à la Princeffe Amélie ; il a donné le même jour
audience à Charlottembourg , à MM. les Prince's
de Lambefc & de Vaudemont , ainfi qu'aux autres
Officiers François qui s'y étoient rendus. Le
12 , à cinq heures du matin , S. M. paffa en revue
tous les régimens en garnifon dans cette Ville , &
retourna à Potſdam : la ſanté s'eſt rétablie , & elle
ira faire la revue des troupes affemblées à Magde
bourg , à Cuftrin & dans la Poméranie. Elle par
tira le 25 Mai , & reviendra le 12 Juin.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Au milieu des troubles & des mécontentemens
de l'Irlande , on ne néglige pas les plaifirs
à Dublin ; le Dire&eur du théâtre de cette ville
a engagé Miftriff Siddon à y faire un voyage ;
& le traité qu'il a fait avec elle , eft de lui donner
24000 liv. fterl. pour 22 repréfentations . Mif(
44 )
triff Siddon en fe rendant à Dublin , paffera à
Edimbourg, où elle donnera 12 repréſentations ,
dont la derniere fera à fon profit .
On s'attend à quelques mouvemens dans les
places de l'adminiftration . On prétend que le
comte de Shelburne fera fait premier Lord de
la Trélorerie , & que M. Henri Dundas aura
une place de Secrétaire d'Etat .
Quelques lettres de Madras portent que l'avarice
a fait un tel progrès , qu'à peine le Gouver
neur donne- t- il , & rarement , une poignée de
riz à un defcendant de Tamerlan , qui vient
mendier à fa porte. Vingt Zemindars demandent
fur les grands chemins ; & leurs femmes
, abandonnées aux horreur de la pauvreté
font forcées , pour vivre , de faire le métier de
courtifannes.
Nos papiers prétendent qu'il y a une négociation
entre l'Impératrice de Ruffie & les Etats-
Généraux pour une ceffion à faire par ces derniers
au moyen d'un équivalent d'une Ifle dans les
Indes Occidentales . On dit que ce fera celle de
S. Martin & on ignore comment les autres
puiffances regarderont ces arrangemens. Les
Ruffes s'occupent à donner à leur commerce toute
l'extenfion dont il eft fufceptible ; ils ont toujours
défiré des poffeffions en Amérique & en Afie , &
dans la Méditerranée ; fi Minorque n'avoit pas
été pris par les Eſpagnols , peut - être en feroitelle
maîtreffe à préfent ; & on eft perfuadé que
lorfque cette ifle nous a été enlevée , il y avoit
une négociation ouverte qui en auroit donné la
propriété à la Ruffie.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS , GRAND'CHAMBRE.
Caufe entre la dame T.... & le fieur T ... Son
mari. Séparation de corps.
La féparation de corps eft un moyen que la
( 45 )
Juftice n'emploie qu'avec ménagement ; par
exemple lorfque la patience d'une femme a été
mife à l'épreuve pendant un certain tems , qu'elle
n'a plus aucun espoir de ramener fon mari à des
fentimens plus doux ; qu'il y a même un danger
imminent de la laiffer au pouvoir d'un homme
qui ne ceffe de la maltraiter. D'après ces principes
, il eft difficile d'accueillir favorablement
une demande en féparation , formée après fix
mois de mariage ; & il faudroit que le caractere
d'un mari fùt bien violent & bien intraitable
pour donner lieu . dans un fi court eſpace , à un
éclat auffi funefte. Si les femmes étoient de bonne
foi , elles avoueroient que ce font presque toujours
des confeils étrangers qui préparent ces
divifions , & qui menent par degré à la perverfité
, un coeur pur , une ame innocente , faite pour
fuivre fans contrainte le chemin de la vertu :
dans une femblable occurrence , quel parti doit
prendre la Justice ? C'eft, avant faire droit définiti
vement fur la demande en féparation , d'autorifer
la femme à demeurer penda nt un délai fixé dans
une maifon décente , où le mari , en prétence
de témoins , ait la liberté de voir fa femme , de
lui prouver qu'il n'eft pas indigne de fon amitié.
C'eft le parti que la Cour vient de prendre dans
la caufe de la dame T ... mariée au mois de
Janvier 1783 , & qui avoit formé fa demande en
féparation des les premiers jours de Juillet , fur
des motifs de févices , d'injures & de mauvais
traitemens , & de diffamation . La cauſe plaidée
au Châtelet , Sentence y eft intervenue le zo
Décembre 1783 , qui a admis les Parties à la
preuve des faits refpectifs , a appointé en droit
fur le fonds , & a joint à l'appointement les enquêtes
à faire. Sur l'appel en la Cour , Arrêt
du 20 Mars 1784 , qui furfeoit à faire droit
-
46 )
pendant un an , pendant lequel tems la dame T...
Tera tenue de fe retirer dans une maifon indiquée
par une aſſemblée de parens , tenue en préfence
d'un Commiffaire de la Cour. Perinet au mari de
la voir en préfence defdits parents : ordonne
qu'elle fera payée pendant ladite année d'une
penfion , tant pour elle que pour fon enfant
qu'elle eft autorisée à conferver : dépens compenfés.
Caufe extraite du Journal des caufes célébres.
PARRICIDE exécuté en Flandres.
Les philofophes qui ont obfervé avec plus
d'attention la marche des paffions ; ceux qui ont
pénetré, pour ainfi dire , dans l'abîme du coeur
humain , s'accordent tous à regarder comme un
phénomène , qu'un homme vertueux devienne
tout à coup un fcélérat. Cette opinion honorable
pour le genre humain , a été adoptée dans
tous les temps. Il faut avouer cependant que
cette règle , admife en morale , n'eft pas , malheureusement
, fans exception . La Flandre
vient de voir expirer , dans les tourmens du plus
cruel fupplice , un monftre qui paroît avoir franchi
brufquement la ligne qui fépare la vertu du
crime. Quelques inftans avant fon forfait , c'étoit,
dit - on, un citoyen irréprochable . - Jean- Baptifte
Lacquemant deineuroit à Beuvry, dépendance
de Marchienne . Si l'on en croit tous les habitars
du canton , il étoit l'exemple du village. Ennemi
de toute espece de diffipation , & fur tout de ces
fêtes de cabaret auxquelles les gens du peuple
ne le livrent que trop fouvent , il n'étoit occupé
que de travaux ruftiques , des pratiques religieufes
& du bonheur de fa famille ( car il joignoit à la
qualité d'homme réputé vertueux , le mérite
d'être époux & pere ) ; il jouiſſoit enfin de la paix
( 47 )
H
domeft que , de l'eftime de lui-même , & de celle
des autres, lorfqu'un fordide intérêt caufa tout - àcoup
, en lui , la révolution la plus étrange & la
plus affresfe. Son pere étoit veuf : las , apparamment
de cet état , il conçut le projet
de fe remarier , & jetta fes vues fur une veu
ve du canton . Le fils , qui , avant cette
époque étoit cité comme un modèle de fageffe
& de modération , devint furieux , lorsqu'il vit
que le deffein de fon pere alloit le traverter dans
fes petits projets économiques. Il réfolur , à quelque
prix que ce fût , de mettre obftacle au
mariage projetté, Travefti & armé d'un bâton ,
il alloit , la nuit , chercher & attendre fon pere ,
à deffein de le détourner , par des terreurs , du
deffein qu'il avoit conçu . Soit que ce moyen eut
réuffi , foit par tout autre motif, le pere promit
de ne plus aller voir la veuve . La veille de
l'Epiphanie , les gens de la campagne le réunif
fent en famille pour célébrer la fête des Rois :
Lacquemant , qui croyoit avoir fait perdre à fon
pere tout penchant pour le mariage , l'invita à
Touper le 5 janvier 1784. Dans la gaieté du
repas , le bon vieillard par quelque propos déclara
fa perfévérance pour la veuve. Lorsqu'ils fe
furent féparés ( vers dix heures & demie ) , le
fils inquiet , voulut s'aflurer fi fon pere étoit
rentré dans fa maifon ; 1 s'y tranſporta , & ne
l'y ayant point trouvé , il prévit qu'il étoit chez
la veuve ; & auffi -rót de fe livrer à tous les exès
de la fureur. Il court chez lui , fe déguife ,
s'arme d'un gros bâton de cerifier , va fe potter
fur le paffage de fon pere , l'attend pendant une
heure & demie , & l'ayant enfin apperçu , s'élance
, lui porté , avec violence , plufieurs coups
de bâton fur les jambes ; elles font rompues
; .... le malheureux vieillard fe releve fur
...
( 48 )
les genoux , reconnoît fon fils , frémit d'hor
reur , ... la douleur l'effroi d'une mort vio-,
lente , le fpectacle affreux d'un fils affaffinant
fon pere , tout l'enfer déchirant fon coeur, La
terreur fur le front , les joues livides & creusées
des cheveux blancs hériffés , les bras tremblans ,
tendus vers fon parricide , il s'exhile en gémiffemens
, il implore fa pitié; .... le monftre , d'une,
main horriblement fure , lui porte fur la tête le
coup de la mort..... Le lendemain [ 6 Jan-,
vier ] le cadavre de cet infortuné vieillard fut
trouvé dans l'endroit même ou il avoit été
affaffiné. Jamais les foupçons n'euffent tombé
fur J. B. Lacquemant , fi ce malheureux n'avoit
lui -même été au- devant par fes inquiétudes &
fes remords . Bientôt il fut décrété , arrêté ; les
hommes de fef de la cour féodale de la ville de
Marchiennes inftruifirent la procédure , & fur
les preuves qui en résulterent , ils condamnerent
le parricide à être rompu & brùlé . Leur
fentence a été confirmée par le parlement de
Douay , le 29 - Janvier 1784. Deux jours après
Jean-Baptifte Lacquemant, fubitfon fupplice dans
toute fa rigueur , mais avec une réfignation que
la religion feule peut infpirer . Moins effrayé
des tourmens dont il voyoit l'affreux appareil, que
de l'horreur de fon crime, ce malheureux , en montnt
à l'échafaud , dit aux religieux qui l'accompagnoient
, que les tranfes qui le bouleverfoient , n'avoient
point pour caufe l'approche du fupplice qui lui
étoit préparé , mais la crainte que ce fupplice ne fuffic
pas pour expier fon forfait devant Dieu ; qu'une autre
allarme , non moins déchiranté pour lui , étoit fon
incertitude fur les difpofitions de l'ame de fon pere ,
lorfqu'il expira. Ce fut dans des fentimens
auffi touchans , que mourut celui qui s'étoit
fouillé du plus abominable de tous les crimes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 16 Mai.
La
A révolution qui vient de changer la face
de notre Cour s'affermit & fe développe
de plus en plus. On vient de fupprimer plufieurs
Dicafteres de l'adminiſtration , notamment
ceux des Finances , de la Marine & de
l'Amirauté : ils font réunis au nouveau Confeil
d'Etat , préfidé par le Prince Royal , &
formé de cinq membres , MM. le Comte de
Bernstorff , de Schack Ratlow , de Rofenkrantz
, de Stampe & de Huth. Le premier,
éloigné depuis long - temps des affaires & de
la Cour , eft non-feulement Miniftre des
affaires étrangeres ; il vient de plus d'étre
nommé Préfident du département de la
Chancellerie Allemande .
L'armement de la flotte fe continue avec
activité on en ignore encore le motif & la
deftination. Les changemens actuels paroif-
Nº. 24, 12 Juin 1784.
( 50 )
fant devoir influer fur l'adminiftration inté
rieure de l'Etat , & fur fes intérêts politiques ,
il n'eft pas inutile d'entrer dans quelques détails
fur la fituation préfente de ce Royaume.
Le Danemarck feul , felon Bufching , contient
850 milles géographiques quarrés ; les Duchés
d'Holftein & de Slefwick 979 ; la Norwege eft àpeu-
près de l'étendue de la Grande - Bretagne ;
' Iflande & le Groënland n'ont jamais été exactement
mefurés: ce dernier renferme 10,000 habitans
, & la totalité des fujets Danois en Europe
peut s'évaluer à 2,200,000 : en y joignant les
colonies, cette population eft portée à 2,500,000.
Douze principaux Colleges d'adminiftration
étoient réunis à Copenhague , & plufieurs d'entreux
préfidés par le Prince Frédéric . On fait
que , par la foi royale de 1661 , le Roi de Dannemarck
eft fouverain abfolu; il doit être luthérien ,
& ne peut aliéner les biens réunis à la Couronne :
voilà les feules limites à ſon autorité toute .
puiffante , comme on fait , depuis ce pacte célebre
dont aucune nation n'avoit encore offert
d'exemple .
晋
La fucceffion de la Couronne eft héréditaire
dans la ligne régnante , mâ'e ou femelle . Si
toute la postérité de Frédéric III venoit à s'éteindre
, le Tróne pafferoit aux defcen tans des filles
de ce Prince : d'elles fortent la Maifon Electorale
de Saxe , celle de Holftein- Gottorp , la Maifon
Royale de Suede , & la Maifon Impériale,
de Ruffie. La différence de Religion rendroit la
Saxe & la Ruffe inhabiles à la fucceffion .
h
Sous le miniftere de l'infortuné Comte de
Struenfée , on fonda une Société royale d'économie
rurale , une autre des Arts , Commerce &
Manufactures , une troisieme de Chirurgie , &
ane Société de Médecine. On n'ignore point que
les Danois ont un théâtre national , dont plufreurs
pieces ont été traduites en langues étrangeres.
5
Le Code civil de loix Danoifes eft peut- être
le meilleur de l'Europe , court & clair , chaque
fanction préciſe & bien déterminée . Molefworth ,
détracteur des établiffemens du Danemarck
rend juftice aux loix de ce Royaume on n'y
fouffre ni citation ni mêlange de loix étrangeres.
La police y eft très- bien adminiftrée dans
toutes les parties . Un avantage particulier à
cet Etat et l'uniformité des poids & meſures ;
en la doit prefque en entier aux foins du Comte
de Bernitorf.
L'agriculture eft floriffante dans les Provinces
où elle eft fecondée par la nature du terrein .
Tel payfan du Slefwic poffede 10,000 rixdales ,
en d'autres diftricts il manque du néceffaire . Les
Sociétés économiques qui , comme ailleurs , n'y
ont point été des écoles de verbiages , ont fu
répandre dans cette partie , avec difcernement ,
& des récompenfes , & de l'émulation . Les fabriques
des chofes de néceffité ont fait des progrès
fenfibles ; celles de draps fourniſſent toute
l'armée & la flotte.
Autrefois le commerce maritime du Danemarck
fut très- confidérable ; la derniere guerre
l'avoit porté au point où il fut dans le moyen
àge. On connoît les diverfes Compagnies établies
dans le Royaume. La plupart de celles qui
opprimoient le commerce intérieur ont été
fupprimées. Quoique la balance avec l'étranger
foit défavorable au Danemarck en particulier ,
cette perte eft compenfée par les bénéfices de la
Norwege , dont la plupart des Nations maritimes
fonttributaires.
C 2
( 52 )
Entre les établiffemens utiles au commerce
li faut compter celui du canal de Sleswick &
Holftein ; il doit fervir à joindre les deux mers
pour éviter un long & dangereux détour. Un
million de rixdales efl deftiné à cet objet :
en 1777 on a commencé les travaux. On comp
Loit 2053 vaiffeaux , en 1771 , dans les divers
ports du Royaume : ce nombre a bien augmenté
depuis .
Les revenus de la Couronne fe tirent des domaines
, des droits de régale , des péages , poftes
, mines , monnoies , & contributions. Il en
refulte une recette d'environ 7 millions de rixdales
; le feul péage du Sund en rapporta près
de 500,000 dans l'année 1777 .
En 1782 , l'armée étoit compofée de 78,000
hommes. On comptoit en 1771 foixante vailfeaux
de guerre , dont vingt-fix de ligne , &
portant 2660 canons , & demandant 10,964 marelors
, outre 5600 foldats de marine ...
D'après cet expofé , on peut apprécier le
degré d'influence que pourroit avoir le Dannemarck
, dans le fyftême du Nord , & dans
la balance politique . Nous renvoyons à l'un
des Numéros fuivans les détails qui concerpent
la Norwege.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 16 Mai .
De divers voyages dont le projet a été
attribué à l'Empereur , celui de Hongrie eſt
arrêté . On fixe à demain le départ de S. M.
I. : le Feld-Maréchal , Comte de Lafcy , eft
( 53 )
nommé pour l'accompagner. Comme la
Cour de Tofcane eft attendue ici inceffamment
, le voyage du Monarque ne fera pro
bablement que de trois femaines.
Il vient de paroître une Ordonnance portant
diminution des droits de taxes des
Chancelleries Eccléfiaftiques. Cette piece eft
conçue en ces termes.
« Nous JOSEPH ; & c. & c. & c. Pour faciliter
autant que poffible le paiement des droits ou
taxes à acquitter par ceux qui ont des réfolutions
, actes & autres documens à retirer des
Chancelleries Eccléfiaftiques des Evêques diocéfains
, & établir à cet égard une parfaite uniformité
dans tous nos pays héréditaires , nous or
donnons & ftatuons par la préfonte : Article I.
Qu'à commencer du premier Juillet de cette
année , les réglemens & ufages qui ont fubfifté
jufqu'à préfent feront tenus pour abrogés , & que
les taxes des Chancelleries épifcopales n'auront
déformais d'autre regle que celle qui eft pref
crite par la préfente Ordonnance générale.
II. Que relativement à ces taxes , chacun fera
traité également fans diftinction de rang , de
religion , de dignité & fans aucune différence entre
les nationaux & les étrangers. Ill . Excepté
pourtant que ceux qui , par des certificats en bonne
& due forme , peuvent prouver l'infuffisance de
leurs moyens , feront entiérement exempts du
paiement de ces taxes . IV. La taxe défignée ici
eft uniquement accordée pour tenir lieu de
droits de copie ou d'expédition , attendu qu'il
n'eft abfolument rien dû aux Evêques , non
plus qu'à aucun de leurs Employés eccléfiaftiques
C. 3
( 54)
& autres perfonnes du Confiftoire , pour tout ce
qui tient à l'exercice de leur fonction de Pafteur.
V. Sur chaque acte ou document expédié
doit être marqué exactement la taxe qui en aura
été payée. VI. Il ne fera expédié des actes en
forme que dans les cas défignés expreffément par
le préfente Ordonnance. Toutes les autres réfo- .
lutions des Evêques feront communiquées en
forme d'explications ou d'inftructions , & fi les
Chancelleries épifcopales délivroient des actes
qui ne fuffent pas autorifés par la préfente Ordonnance
, il n'y auroit aucun paiement à faire
pour cette expedition . VII . Sous prétexte de
défaut de paiement , on ne fufpendra pas l'expédition
de l'affaire dont il s'agira ; on fe contentera
feulement de tenir note de ce qui restera
à acquitter , pour en exiger le paiement à la fin
du mois. Les taxes à payer fuivant cette Ordonnance
, appartiendront à l'Evêque diocésain , fi
la Chancellerie eft entretenue à fes frais ; mais
fi elle eft foldée par la caiffe de religion , c'eft
auffi à celle-ci qu'on en devra tenir compte , &
en remettre exactement le produit. IX. S'il vient
à être perçu une taxe plus forte que celle qui eft
fixée dans cette Ordonnance , ou fi l'on fait payer
quelque droit dans les cas où cette loi ne défigne
aucune taxe , celui qui commettra cet abus d'autorité
fera condamné à . reftituer au Gouvernement
civil de la Province dix fois la valeur de
ce qui avoit été perçu injustement , & la moitié
de cette fomme appartiendra au dénonciateur ».
Tarif des droits ou taxes des Chancelleries ecclefiaftiques.
Premiererubrique à raison defix kreutzers, « Cette
taxe fera payée , 1 °. pour chaque réſolution de
( 55 )
·
l'Evêque diocéfáin , ou de fon confiftoire , quel
qu'en foit l'objet , en affaires qnt de leur
reffort , ou qui , n'en étant pas font renvoyées
par eux. 2. Pour chaque demi feuille d'une
copie demandée à la Chancellerie eccléfiaftique
qui doit d'ailleurs obferver de ne pas grever le
requérant par une extenfion trop longue & inu- ,
tile. Seconde rubrique à raifon de trente kreutzers.
Cette taxe fera payée , 1
pour chaque actè ou
- document pour tonfure , les quatre moindres , le
Sous-diaconat , le Diaconat , la prêtrife, 2 °.
Pour la permiffion de recevoir la Prêtrife dans
un autre diocefe , ou des mains d'un autre Evêque.
3. Pour le premier acte de permiffion de
dire la Meffe , la prolongation devant en être
payée feulement fur le pied d'une réfolution
fimple. 4 ° . Pour l'ae qui conftitue la jurifdicdation
d'un Curé . 5. Pour l'acte qui pourvoit
ad interim à une Cure vacante jufqu'à ce qu'il en
ſoit diſpoſé. 5º . Pour la légalisation d'un acte de
Baptême , mariage , Enterrement , & c . , dans les
cas où cette légalifation feroit demandée par la
partie intéreffée , attendu que perfonne n'eft dans
I'obligation de fe pourvoir d'un pareil document.
7. Pour le premier acte de permiffion donnée au
moins pour la durée d'un an à un Prêtre , à l'effet
de dire la Meffe dans une chapelle particuliere ,
la prolongation n'en devant être payée que fur
le pied d'une réfolution ſimple . 8 °. Pour permiffion
de dire la Meffe dans une Chapelle particuliere
, & qui an moins doit être donnée pour
l'espace d'un an , la prolongation n'en devant
être payée que fur le pied d'une réſolution fimple.
Pour approbation & confentement de
pouvoir changer de Cure , ou la réfigner ensiérement.
1. Pour expédition requifitoriale à
un autre Tribunal eccléfiaftique ou civil , fur la
C 4
( 56 )
demande exprese des Parties. 11 ° . Pour confe
cration d'un Autel . 12°. Pour confécration de
cloches. Teme rubrique à raifon de trois florins.
Cette taxe fera payée , 1. pour acte d'inftallation
dans une Cure , Chapellenie ou autre dignité
eccléfiaftique [ mineure ] fans exception . 2. Pour
les difpenfes accordées à un candidat , à l'effet
de lever les obftacles qui l'empêchent , en maziere
purement fpirituelle , de parvenir à la prê
arife. 3. Pour acte de confécration d'une Eglife.
40. Pour acte de confécration d'un Cimetiere
5 °. Pour acte de démiffion . 6º. Pour document
d'une fondation . Pour l'envoi d'une portatile , à
condition qu'il ne foit rien payé à part pour
cette pierre facrée ou autre chofe y appartenant.
"Quatrieme rubriqu ?, à raifon de douze florins . Cette
taxe comprend uniquement l'acte délivré au
fajet promu au rang de Confeiller cccléfiaftique
ou autre dignité ( non comprife fous la Lettre cideffus.
) Ce qui s'entend pour les feuls Officiers
& Employés dont les Evêques font autorisés à
faire expédier dins leurs Chancelleries les actes
de nomination ou de confirmation «‹ . S. M. veut
& ordonne en outre , que pour l'information des Parzies
, un exemplaire de cette Ordonnance foit con-
Servé dins chaque Chancellerie de l'Evêque Diocéfain.
Vienne le 21 Avril 1784. JOSEPH.
DE FRANCFORT , le 20 Mars.
On donne l'anecdote fuivante pour authentiq
te ; nous la rapporterons fans la garantir.
On trouva il y a quelques mois un
libelle affiché à l'Eglife proteftante nouvellement
bâtie à Vienne : l'Empereur y étoit
qualifié de la maniere la plus indécente ; ort
( 57 )
ly appelloit entr'autres , félucteur de l'Epou
fe de Chrift. Ce Prince , inftruit de l'exiſtence
du Libelle , a ordonné qu'on l'imprimât , &
l'argent provenu de la vente a été remis aux
anciens de l'Eglife mentionnée , pour être
diftribué aux pauvres.
ITALIE.
DE VENISE , le 12 Mai.
La République s'eft toujours piquée de
magnificence & de nouveauté dans les fêtes
qu'elle a données aux divers Souverains
qui ont voyagé chez elle . La fituation de la
ville & le goût national ont de tout temps
diftingué ces fpectacles de ceux qu'on voit
ailleurs. Ceux dont on amufa les Comtes du
Nord , à leur paffage , tenoient plus de
la Féerie que du genre des divertiffemens
ufités par tout. On s'eft piqué de traiter
le Roi de Suede avec la même fomptuofité
: S. M. paroît avoir été fur-tout fingulierement
frappée de la Régate , ou courſes
de barques & de gondoles fur le grand canal.
Cette Naumachie a été exécutée avec
la magnificence & l'adrefle particulieres à ce
spectacle.
·
Le départ de S. M. S: a été retardé par
une légere indifpofition. On préfume que ce
Prince fe rendra à Milan , & delà à Turin ,
puis en France , après avoir vifité une partie
de la Suiffe.
( 58 )
Notre Efcadre fous le commandement
du Chevalier Emo , fera compofée de frégates
, & autres vaiffeaux de guerre de moindre
force. Ces jours derniers on a lancé la
bombarde la Diftruttrice , qui doit faire partie
de cette efcadre. Le Triton & la Concordia,
vailleaux de ligne du fecond rang font
fortis du baffin. Le rendez -vous général eft
à Corfou , d'où l'efcadre appareillera pour
aller croifer contre les Tunifiens.
ESPAGNE.
DE MADRID, le 10 Mai.
Dans le N°. 5. du Journal de Geneve de
cette année , on avoit rapporté fur la foi véritablement
très fufpecte de tous les papiers
publics , une prétendue Bulle du Pape , relative
à la difcipline eccléfiaftique , & publiée
, ajoutoit on, dans la Gazette de Madrid
du mois de Décembre dernier. Par
cette Bulle, les Religieux devoient être foumis
en Efpagne à la Jurifdiction épifcopale,
fans aucune dépendance de leurs Généraux
étrangers.
Nous nous empreffons de démentir cette
fauffeté , comme nous le ferons toujours ,
lorfque , malgré notre vigilance à être en
garde contre les affertions des Gazettes &
des Journaux , il nous arrivera d'avoir été
induit en erreur. En conféquence , nous pu
( 59 )
blions ici la lettre qui nous a été adreffée à
ce fujet par une perfonne d'un rang fupé-
•
rieur.
Tout Auteur d'un Journal qui prend pourdevife
vérité & impartiabilité , devrait être fur
fes gardes pour ne pas inférer indifféremment
dans fon ouvrage les allégués des Gazettes étrangères
, dont les Auteurs mal informés ou mal
intentionnés hafardent fouvent des faits faux ,
fur tout ce qui concerne la religion & les reli
gieux . C'est ce qui eft arrivé à l'égard de la
prétendue Bulle du Pape régnant dont il est fait
mention n°. 5 , à l'article Efpagne. Cette Bulle
n'a jamais exifté : c'est au moment de la
promulgation de la Bulle qui accorde à S. M.
C. le tiers des revenus de tous les bénéfices , à
la réserve des évéchés & des bénéfices à charge
d'ames , que des particuliers , on ne fait par
quels motifs , ont répandu clandeftinement dans
toutes les maifons religieufes de Madrid la fauffe
cédule dont il eft queftion . Le Gouvernement
qui en a été informé a fait retirer tous les exemplaires
, & a donné ordre d'en rechercher &
punir les Auteurs.
Le 9 de ce mois , l'Inquifition a célébré
un Autillo , ou diminutif d'Auto - da-fé. Le
coupable étoit un de ces Impofteurs qu'on
appelle Charlatans , & que le S. Office reclame
ici comme Sorciers . Celui- ci employoit
des poudres fympathiques , ou
aphrodifiaques, à la féduction des perfonnes
du fexe. Ce délit n'a point été puni' de peines
plus graves que celles ufitées par-tour.
Le corrupteur & deux femmes fes complices
, ont été condamnés au fouet , à la
C 6
( 60 )
promenade avec infamie dans les rues de
Madrid , & à la prifon perpétuelle.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le Juin.
Jufqu'à ce jour ,, les procédés du nouveau
Parlement n'ont pas eu d'objets intéreffans
pour les étrangers. Les deux partis
, y ont fait l'effai de leurs forces : plus
de 140 votes de différence ont marqué
la fupériorité du Miniftere , de ce même Miniftere
toujours battu dans la précédente ſeſfion,
Si l'on obferve que les familles les plus
opulentes , ou les plus accréditées dans les
élections , les Cavendish , les Spencer , les
Ducs de Bedfort , de Marlboroug & de
Portland , les Comtes d'Hertford , de Fitz-
Williams , &c. , &c. , ont uni leurs intérêts
à ceux de la coalition ; & que d'un autre
côté le Ministère offroit peu de ces noms
illuftres dans la haute nobleffe , & encore
moins d'appuis équivalens , on regardera for
triomphe actuel comme l'effet certain du
voeu national .
En. fe manifeftant , celui- ci a donc prononcé
fur la fageffe de la diffolution du Parlement.
On n'a jamais vû , on ne reverra peutêtre
jamais ce concours du trône & de la
nation contre l'influence & la conduite des
répréfentans de cette nation même,
( 61 )
Le jugement des élections conteftées , occupe
en ce moment la Chambre des Communes. Un
acte ou bill , paffé fur une motion de M. George
Grenville , Chef de la Trésorerie en 1763 , a
réglé la nature de ges Elections admiſes au recours :
on a perfectionné encore , il y a dix ans , la forme
de ces décifions. Autrefois , elles é.nanoient de
la Chambre entiere , & les témoins n'étoient point
affermentés : maintenant un Comité de 15 Jurés ,
Membres de la Chambre , eft chargé de ce jugement.
Pour lui ôter toute apparence de par
tialité , de 100 Membres affians à l'affemblée ,
on en tire au fort 49 ; chacun des Candidats appellans
en recule un tour- à-tour , jufqu'à ce que
le Comité foit réduit à treize Juges pour completter
le nombre de quinze , les Candidats choififfent
deux Adjoints à leur gré fur la totalité de
la Chambre.
Celle de ces petitions qui a fait le plus
de bruit a été jugée inadmiffible. Le 28 du
mois dernier elle a été portée par M. Fox
& fes adhérens , au fujet de la demande d'une
revifion de fuffrages accordée au Chevalier
Wrray,, par le Grand - Baflli de Weſtminſter :
cette revifion eft ce que les Anglois appellent
Scrutiny , dont notre mot de Scrutin , ainfi
que la chofe qu'il exprime font précisément
l'oppofé.
Selon fa maniere , M. Fox , dans la difcuffion
de fa demande , fit plus d'ufage de fon élo
quence que des loix du Royaume , & des écarts
à la queftion , que de la queftion même. M. Pitt
1'y ramena en lui difant « qu'il ne s'agiffoit point
de favoir jufqu'où il avoit à feplaindre de l'ini
itié de l'adminiftration , ni de tous les lamen(
62 )
tables récits des vexations fous lesquelles il avoit
failli fuccomber ; mais de décider fi la pétition ,
actuellement fur la table , étoit compriſe ou non
dans le bill de M. Grenville » .
La Chambre s'étant déclaré pour la négative ;
les amis de M. Fox le bornerent à demander , ce
qu'ils obtinrent , qu'il fut entendu par les Confils
à la barre de la Chambre , contradi& oirement
avec le Grand- Baillif.
On a remarqué que dans fon difcours ,
M. Pitt n'a pas craint de dire que , proba
blement après l'examen des fuffrages le Chevalier
Wray feroit déclaré éiu. Il eft facile de
conjecturer du moins , d'après les efforts de
M. Fox pour prévenir cette opération , qu'il
en craint les fuites : quant à la dépenfe trèsconfidérable
, il y a de la délicateſſe dans
la tentative de M. Fox pour épargner ce nouveau
facrifice à fes adhérens .
Cette conteftation a rappellé celle qui eut
lieu en 1754 , auffi pour Weſtminſter , entre
le Comte Gower actuel , alors Lord Trentham
& George Vandeput ; mais ce qu'on
n'a pas dit , & ce qui eft très-vrai , c'eft qu'un
des prétextes les plus forts oppofés alors à
Lord Trentham , fut l'encouragement qu'on
l'accufoit d'avoir donné à une troupe de
Comédiens François projettant de s'établir
à Londres. Dans la revifion qui ent lieu ,
1500 votes de part ou d'autres furent déclarées
nulles.
Cette cenfure des fuffrages a commencé
le 28 du mois dernier, Elle fera néceffaire(
63 )
ment très - longue : fi M. Fox étoit exclus , il
lui refteroit fa place de repréfentant des bourgs
de Kirkvall , Wick & Dinckwall en Ecoffe :
il l'a due au crédit de M. Thomas Dundas ,"
l'un des principaux Lairds ou Seigneurs de
ces diftricts , & M. Sinclair concurrent de .
M. Fox pour cette élection , vient auffi d'en
conteſter la légitimité.
7.
Cette derniere petition fut- elle rejettée ;
une fi mince victoire ne confoleroit pas
M. Fox de fa défaite à Weſtminſter. Tomber
de la feconde Cité du Royaume , à un bourg
du nord de l'Ecoffe , la chûte feroit accablante
pour l'homme du peuple. Ce bourg
de Kirkvall eft fitué dans les Ifles Orckney
ou Orcades , à la pointe feptentrionale de
l'Ecoffe. Autrefois elles appartenoient à la
Norwege , ainfi que les Ifles Shetland qui
en font voifines . On y parle la langue gallique,
& les vieillards y entendent le norwegien
; les ennemis de M. Fox n'ont point manqué
de dire qu'il étoit occupé à étudier ces
deux idiômes pour aller remercier fes conftituans
de leur bonne volonté.
A cette occafion on a fait un tableau de
ces ifles très- peu fréquentées par les Anglois
eux-mêmes. On y voit la couleur de la caricature
nationale , mais le fond de ce précis
eft affez authentique .
Dans les ifles d'Orckney & de Sthetland qui
s'étendent du 59 ° au 61 ° degré de la latitude
nord , tous les objets font de la plus petite dimenſion
, excepté la ftature de la nobleffe . Les
1.64 >
chevaux n'y font font pas plus gros que des ânes
les vaches y ont la taille de nos brebis , les brebis
celle de nos oyes & de nos coqs d'Inde ; les
oyes y équivalent à nos canaris , les canards à
des moineaux ; ceux - ci ainfi que tous les autres
oifeaux dégénèrent en purs infectes ici , la nature
animale ceffe & meurt . Si l'on trouve dans
ces ifles quelques infectes , ils ne font viſibles
qu'au microfcope.
Lorfqu'un habitam de Sthetland va dans les
parties fupérieures de l'Ecoffe , l'eflain & le :
bourdonnement des infotes , des mouches , papillons
, chenilles , & c. &c . le faifit de furprife
& de frayeur. Bon Dieu ! s'écrie- t-il , quelle infinité
de volatiles !
Arrive- t- il dans quelque havre de ces ifles une
barque chargée de houx , de genêt ; de branches
d'arbres ? la cloche fonne pour avertir les
habitans qu'il vient d'arriver un vaiffeau avec
une cargaison de bois. Les navets & les pommes
de terre font annoncés avec la même folemnité.
Quelques Naturaliſtes ont obfervé que la dimenfion
du regne animal étoit dans les diffé
rentes contrées , en proportion avec la quantité
des denrées qu'elles fourniffent. Conformément
à cette théorie , les habitans des deux fexes aux
Orcades & Shetland font au- deffous de la taille
moyenne. Leur nourriture confifte en gruau ,
avec un peu de pain d'orge , & une espece de
poudre d'arrêtes de poiffons que ces Infulaires ramaffent
en partie dans les fumiers , les cours ,
les places, devant les portes des Gentilshommes.
Ce n'el pas que la pêche fur les côtes & le commerce
da poiffon ne foient confidérables ; mais une
portion fert à payer le Laird, l'autre à fe procurer
quelque argent pour fe fournir d'habits & d'autres
chofes néceffaires à la vie, Lorſqu'un domeſ(
65 )
tique , de quelque conféquence , s'engage auprès
d'un Fermier , il ftipule qu'outre le pain , fa
foupe fera compofée de farine & de légumes.
Nous avons dit que la taille des Gentilshom
mes faifoit une exception à cette loi générale de
rappétiffement. Dans les contrées du Nord , l'air
eft plus fain , plus fubtil , plus pénétrant ; il provoque
l'appétit , & néceffite une nourriture fabltantielle.
Or , les Lairds & autres gens de cette,
claffe n'en manquent point. Ils mangent avec la
veracité des lions , des loups & des matelots.
Auffi leur ftature eft - elle élevée ; témoin , M.
Sinclair d'Ulfter , l'Apollon du Belvedere de la
Grande-Bretagne . Par la même raifon que les
riches font ict des géans , les pauvres y restent
des pigmées.
Cet état de choſes rend un feftin dans une maifon
de Gentilhomme aux Orcades & Shetland , un
objet de curiofité pour l'étranger. Miladi vous
demande fi vous préférez l'éclanche de mouton au
gigot ; elle vous fert l'un ou l'autre fur votre affiet
te ; fi vous voulez un coę ou une poule ; &c . &c .
Quant aux oeufs, c'eft un article effentiel de tous les
foupers & déjeûnés de ce pays- là . On les fert dans
une grande quantité de plais creux ; on les affai- '
fonne de beurre battu ; & on les mange avec des
cuillieres , comme nous mangeons les pois verds.
[ La fin au numéro prochain . ]
Ce fera un fingulier texte de réflexions &
de comparaifons , que les derniers arrêtés du
précédent Parlement , rapprochés de l'adreſſe
que le nouveau a décidé de préſenter au
Roi , en Réponse au difcours de S. M. Voici
le contenu de la réfolution de la Chambre
à ce fujet.
Qu'une humble Adreffe fera préfentée à S. M.
( 66 )
pour la remercier du très- gracieux Difcours dont
elle a fait part àcette Chambre .
Pour affurer S. M. de nos fentimens de fidélité
pour fa perfonne , & de notre inviolable attachement
à notre excellente Conftitution ; fentimens
qui , felon nous , font inféparables dans les coeurs
de fes fideles Sujets.
Quenous reconnoiffons avec la plus vive gratitu
de & fatisfactionla prudence & le bon efpritdeS.M .
enrecourant dans ce moment à l'avis de fon peuple,
& que nous penfons qu'elle aufé à propos d'un pouvoir
que lui a confié la Conftitution, acte dont nous
artendons les plus utiles & les plus heureux effets.
Pour affurer S. M. que fes fideles Communes
font prêtes à prendre les mefures néceffaires pour
l'application des fommes votées par le dernier Parlement
, & d'accorder des fubfides ultéri : urs , fi la
néceffité l'exige , perfuadées que tous les Sujets de
S. M. par un effet de leur loyauté & de leur zele
pour les intérêts de la patrie , feront prêts à fupporter
ce fardeas ; fardean devenu inévitable par
les fuites d'une guerre difpendieufe , & néceflaire
au maintien de la foi & du crédit publics , effentiels
à la puiflance & à la profpérité nationale .
Pour affurer S. M. que nous donnerons toute
notre attention aux moyens de prévenir les fraudes
croiffantes dans le revenu public , ainfi qu'aux réglemens
de commerce que pourront exiger les circonftances
.
Que dans nos Délibérations fur les affaires de la
Compagnie des Indes , fi étroitement liées avec.
l'intérêt national , nous pourvoirons artentivement
à donner un bon gouvernement à nos poffeffions
dans cette partie du globe , fans perdre de vue que
les mesures à cet effet doivent s'accorder avec nɔtre
précieufe Conftitution & les plus chers intérêts.
de la contrée.
( 67 )
Que nous fommes vivement pénétrés de la gracitufe
& paternelle affection de S. M. pour fon
peuple , de fon attention royale à chaque objet du
bien public , ainfi qu'aux vrais principes de notre
libre Conftitution , qui ne peut étre affermie que
par le maintien de la jufte balance des droits &
priviléges de chaque branche du pouvoir législatif.
On parle , mais encore affez vaguement ,
de quelques changemens à venir dans les
premieres places. Ces jours derniers on affuroit
que Lord Cambden feroit Garde du
Sceau privé , & M. Henri Dundas , Secrétaire
d'Etat , à la place du Marquis de Carmarthen
, deftiné à l'Ambaffade de France .
Quant à Lord Shelburne , il est toujours
derriere la toile , & encore douteux s'il en
fortira . Nulle apparence quelconque d'avancement
pour les membres de la Coalition .
On a auffi nommé le Vicomte Sackville
parmi les membres in petto du Cabinet ;
mais ce bruit ne paroît pas avoir de fondement.
Il n'y en a peut être pas davantage au
retour prochain du Chevalier Yorck à la
Haye , quoique la longue habitude de cet
Envoyé , fes liaifons en Hollande , & la famille
de Ladi Yorck foyent de grands motifs
de rapprochemens. Lord Chesterfield eft
revenu de Madrid , & l'on foupçonne qu'il
réfignera fon Ambaffade , n'étant point dans
les intérêts du Miniftere actuel.
Ces intérêts au refte , font envifagés aujourd'hui
par beaucoup de gens bien diffé
remment de ce qu'ils l'étoient il y a 3 mois,
( 68 )
3
Composé d'hommes dont l'intégrité , la modération
, & la capacité font généralement
reconnues , confacré en quelque forte par la
fanction publique , le Miniftere a ramené à
lui une partie des Oppofans , que le reſpect
des arrêtés de la défunte Chambre des Communes
avoit animés . Au premieres féances ,
on a déja vu de ces converfions : on s'at
tend qu'avant peu , les Miniftres auront une
majorité de 200 voix. Lord North en compta
une pareille en fa faveur ; aujourd'hui il
ne lui refte que 40 fuffrages dans l'affemblée.
Le théâtre des nouvelles apocryphes eft
affurément l'Amérique Septentrionale. Depuis
l'origine de la querelle qui l'a rendue
fouveraine , les menfonges de toute espece
ont paffé les mers , & ont été tellement multipliés
à ce fujet en Europe , felon les intérêts
, qu'un fceptique peut fagement révo
quer en doute tout ce qu'on nous a débité
fur ce pays - là fans lafler notre crédulité.
En 1775 , le Congrès faifoit monter la
population des Etats-Unis à 3,37,869 ames.
En Janvier dernier eft venue une autre fupputation
qui réduit la premiere à 2,389,300
habitans. La fouveraineté de l'Amérique lui
auroit donc coûté près d'un million de fujets.
Dans ce nombre il faudroit compter au
moins 980,000 fujets mâles : aucune guerre,
aucune guerre civile , fans en excepter les
profcriptions , n'auroit été fignalée par une
pareille deftruction.
( 69 )
De cette multitude il faut excepter les
Loyalistes expatriés. On prétend ici actuelle
ment , qu'il en eft paffé 40,000 dans les établiffemens
de la Nouvelle-Ecoffe : cette colonie
dont on nous faifoit , il y a 6 mois ,
de fi lamentables defcriptions , eft aujourd'hui
, dit- on , dans la fituation la plus heureufe
& la plus riante. Comment s'affurer du
fait ? Aller fur les lieux on peut en diré autant
de toutes les nouvelles.
Un particulier vient de propofer ici un
prix de 50 guinées pour l'auteur de la meilletre
Differtation angloife ou latine , & en
profefur lefuicide. Il faut que le differtateur
foit ou ait été membre de l'Univerfité de
Cambridge : les juges font deux Evêques &
trois Docteurs. Nul pays où cette importante
queſtion ait des obfervateurs & des
arbitres plus exercés , mais nul auffi , où par
les caufes même de cette maladie de l'efprit
humain, la profe ou les vers , pour la guérir,
foient plus infuffifants .
Le 24 du mois dernier , le marquis de
Carmarthen a communiqué au Lord Maire
la fignature du traité de paix définitif entro
l'Angleterre & la Hollande , fignature effectuée
à Paris entre les plénipotentiaires refpectifs
le 20 du même mois. Cette nouvelle
a été rendue publique par S. S. Il n'y a en
aucun changement aux préliminaires arrêtés
ci-devant.
( 70%)
DE DUBLIN , le Mai.
Si l'adreffe des Communes britanniques
contraſte avec les adreffes de ces mêmes
Communes avant leur réformation , il n'y a
pas une moindre diffonnance entre les verbiages
de nos Volontaires & le difcours de
notre Parlement au Vice-roi . Voici de quelle
maniere la chambre des pairs a parlé au duc
de Rutland .
Nous , les refpe &tueux & fideles fujets de S.
M. , les Pairs Spirituels & Temporels , affemblés
en Parlement , demandons qu'il nous foit permis ,
avant la clôture de la ceffion , de vous témoiger
notre fatisfaction complette de fa fageffe & de la
fermeté dont vous avez donné des preuves dès
le commencement de votre adminiftration . La
jufteffe & l'efficacité des mesures que vous avez
prifes relativemens aux affaires publiques , ajou
tent la conviction à la perfuafion où nous étions
déja , que votre ame eft fupérieure à l'influence
des partis & des préjugés , & que vous n'avez en
vue que le bien général .
Les actes de cette ceffion ne laiffent pas le
moindre doute fur le zele avec lequel chaque
branche de la légiflature a coopéré à la
profpérité de ce Royaume. Les mesures prifes
pour prévenir une dépopulation plus rapide , la
fûreté des propriétés particulieres , l'augmentation
du crédit public , les travaux entrepris dans
la capitale pour fon établiffeinent ou pour la
commodité des citoyens , les encouragements
donnés à l'agriculture , au commerce & aux manufactures
, atteftent de la maniere la plus hono(
178-)
rable le zele & l'attention du Parlement pour le
bien de ce Royaume.
Si les befoins du pays exigent des réglements
ultérieurs , notre pleine confiance en votre Grâce,
ne nous permet point de douter qu'on ne prenne
les mefures les plus douces & les plus efficaces .
Attentifs à ne hafarder aucun moyen prématuré ,
nous confidérons la profpérité de l'Irlande
comme inféparable d'une union fincere d'efprit
& d'intérêts avec fa foeur la Grande- Bretagne ;
& cette union ne peut être opérée que par un
échange mutuel de procédés & par une attention
réfléchie à concourir au bien de l'autre.
Nous avons faits des efforts unanimes pour
arrêter les progrès de la licence & de la fédition
qui , felon nous , n'alterent pas fenlement les .
moeurs du peuple , mais tendent cncore à renverfer
la vraie liberté . Nous avons hautement
publié combien nous nous eftimons heureux
dans. la pofeffion des biens dont nous fait jouir
notre excellente conftitution , & nous avons
manifefté d'une maniere énergique notre attachement
fincere à la Perfonne Royale de S. M.
& à fon Gouvernement .
Nous faisons des voeux ardents pour qu'il
plaife à S. M. de continuer long temps votre
Grace dans le Gouvernement de Irlande , perfuadés
que Tous les aufpices d'un chef , héritier
de toutes les vertus , qui ont diftingué de fiecle
en fiecle la longue fuite de fes illuftres ancêtres ,
notre zele & nos fervices ne manqueront pas
d'être portés au pied du trône & d'obtenir l'approbation
qui fait un de nos voeux les plus
ardents.
Aujourd'hui , le Vice-roi s'eft rendu au
Parlement, il y a fanctionné les bills paffés
( 72 )
durant la feffion actuelle , & a prorogé enſuite
cette affemblée jufqu'au 29 Juin prochain.
Ces difpofitions du Parlement feront peu
goûtées des citoyens , encore plus bruyans
qu'échauffés , qui manient aujourd'hui la plume
& le fufil en faveur de la liberté. Quoique
cette apparente effervefcence femble nous annoncer
des fcenes fubféquentes , les obfervateurs
n'en craignent aucune , différente de
celles qui ont eu lieu jufqu'à ce jour : elles
font dans le caractère national. Les inftigateurs
de ces mouvemens en connoiffent
bien le jeu , & rient des terreurs qu'elles
peuvent infpirer. Cependant il feroit difficile
que la multitúde réfiftât aux peines qu'on fe
donne pour l'animer : dans une affemblée de
ces manufacturiers , qui fe plaignent d'être
fans travail , & qui paffent leur jour à l'exercice
des volontaires : on a pris la réſolution
fuivante :
Réfolu unanimement , que , fi dans ces tems de
détreffe publique , quelqu'un eft affez téméraire
pour fe fervir de marchandiles Angloifes ; dans ce
cas , ( défapprouvant l'ufage de renvoyer ou de
brûler ces marchandiſes ) nous avons ordonné d'acheter
& de difpofer dans notre Salle d'Affemblée
un baril du meilleur goudron des Barbades , un
demi - quintal de plumes molles , & une demidouzaine
des meilleures broffes , aux fins de gaudronner
& d'emplumer lefdits Contrevenans.
Cette burleſque ordonnance rappelle celle
des Boſtoniens ; mais , comme on l'a dit fou
vent
( 73 )
vent , pour être Alexandre , il ne fuffit pas
d'avoir le cou penché .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 2 Juin.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Sablonceaux
, Ordre de S. Auguftin , diocefe de
Saintes , l'Abbé de Bourgonge , Confeiller
Clerc de Grand'Chambre au Parlement de
Paris ; à celle d'Iffoire , Ordre de S. Benoît ,
diocefe de Clermont , l'Abbé de Siran , Vicaire
général de Mende ; & à celle de S. André
- du - Jau , Ordre de Cîteaux , dioceſe de
Perpignan , l'Abbé Mefnard de Chouzy ,
Vicaire général de Bourges.
Le Cardinal de Rohan , Grand - Aumônier
de France , en remettant au Roi le dernier
rôle de ceux à qui S. M. veut bien faire grace
, à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Dauphin , a préſenté , le 23 de ce
mois , à S. M. les Maîtres des Requêtes
nommés par le Roi pour compofer la Commiffion
des graces ; favoir , les fieurs Brocchet
de S. Preft , Chaillou de Jonville , de
Tolozan , de Chévignard , le Camus de Néville
, Gravier de Vergennes , Amelot de
Chaillou , de Chaumont & de Sartine.
Le 30 du mois dernier , jour de la Pentecôte,
les Chevaliers , Commandeurs & Offciers
de l'Ordre du Saint-Efprit , s'étant af-
No. 24, 12 Juin 1784.
d
( 74 )
1
femblés dans le grand Cabinet du Roi , S. M.
tint un Chapitre , dans lequel elle nomma
Prélat -Commandeur de l'Ordre , l'Evêque
d'Autun. S. M. devant laquelle marchoient
deux Huiffiers de la Chambre portant leurs
maſſes , ſe rendit à la Chapelle , précédé de
Monfieur , de Monfeigneur Comte d'Artois,
du Duc d'Orléans , du Duc de Chartres , dù
Prince de Condé , du Duc de Bourbon , du
Prince de Conti , du Duc de Penthievre , &
des Chevaliers , Commandeurs & Officiers
de l'Ordre , entre lefquels marchoient , en
habits de Novices , le Duc de Clermont-
Tonnerre , le Duc de Liancourt , le Comte
d'Apchon & le Bailli de Suffren . Le Roi ,
après la Meffe , étant monté fur fon Trône ,
les reçut Chevaliers de l'Ordre du Saint-
Efprit , & fut reconduit à fon appartement
dans le même ordre qu'il étoit venu . Lạ
Reine , Madame , Madame Comteffe d'Artois
& Madame Elifabeth de France , affifterent
dans la Tribune à la grand'Meffe
chantée par la Mufique du Roi , & célébrée
par l'Archevêque de Narbonne , Prélat-
Commandeur de l'Ordre. La Marquife de
Clermont - Tonnerre y fit la quête.
L'après - midi le Roi & la Famille Royale ,
après avoir entendu le Sermon prononcé par
l'Abbé Lévis , Prêtre de la Communauté de
S. Sulpice , affifterent aux Vêpres chantées
par la Mufique de S. M. , & auxquelles
l'Abbé de Ganderatz , Chapelain de la
grande Chapelle , officia ,
( 75 )
Leurs Majeftés fouperent ce jour , à leur
grand couvert. Pendant le repas , la Mufique
du Roi exécuta différens morceaux , fous la
conduite du fleur Girouft , Surintendant de
la Mufique de Sa Majeſté .
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné le même jour , le contrat de mariage
du Vicomte de Valence , Mestre de camp
en fecond du régiment de care
terie , avec Demoiſelle de Geals
Le même jour le Maréchal Mouche
pris congé de Leurs Majeftés & de la Ante
Royale , pour fe rendre à fon Connandement
du Gouvernement général de Guveure,
Le fieur Bertrand de Moleville , Mafra
des Requêtes , nommé le 2 du mois dormier
à l'Intendance de Bretagne , vacante par la
nomination du fieur Caumartin de Saint-
Ange à celle de Franche - Comté, a en ihon
neur de prendre congé de Sa Majefté.
DE PARIS, le 10 Juin.
C'est au 15 qu'on fixe aujourd'hui l'arri
vée du Roi de Suede en cette Capitale . Toutes
ces variantes prouvent l'incertitude de
cette époque. On prétend que le Vifiteer
des Poftes , chargé de préparer les relais for
le paffage de ce Prince , eft allé , dit- on , à
Antibes , dans l'idée que S. M. S. fera par
mer le trajet de Gênes en Provence . Cette
courfe du Vifiteur feroit bien à pure pors
puifque , ainfi que nous l'avions rapporté ,
di
( 76 )
Filluftre Voyageur doit traverfer la Lombar-
- die , le Piémont , & une partie de la Suiffe ,
où il doit dîner chez un Ecrivain très - célébre
qui a fixé ſa retraite dans cette partie de
l'Europe,
On a déja cité divers paffages affez équivoques
pour établir que le principe de la découverte
de MM. de Montgolfier avoit été
apperçu par divers Phyficiens du dernier fiecle.
On en a oublié un , dont le nom feul
vaut une Académie , c'eft Léibnitz . Un particulier
de Caën nous a écrit à ce fujet une
lettre qui n'eſt pas indifférente.
Monkeur , puifque tout est actuellement au
ballon , les chapeaux au ballon , les converſations
au ballon , les dragées au ballon , &c , ne
doit-on pas accueillir favorablement ceux qui
cherchent à faire connoître l'inventeur de ce
nec plus ultrà des connoiffances humaines , & fixer
irrévocablement ce point effentiel qui partage
les Phyficiens , & qui doit faire époque dans les
fiecles à venir.
Les Espagnols , les Italiens , les François
qui le croiroit même , les Anglois , ce peuple ,
fi profond , devenu tout - à - coup fi léger , ont
cherché à s'attribuer tour-à tour exclufivement
l'honneur de l'invention des machines aéroftatiques
, ou plutôt l'art d'habiller la fumée ; pourquoi
ne mettrions- nous pas fur les rangs les Allemands
: ce font de bonnes gens felon nous ; mais
c'est à ces bonnes gens - là que nous devons dans
les fciences & dans les arts les plus heureufes
découvertes. Confultons Léibnitz , l'homme le
plus univerfel de fon fiecle , qui joignit aux
connoiffances les plus folides & les plus éten(
77 )
dues , une étude profonde & raifonnée de la nature
, & voyons ce qu'il dit dans fon art de voler .
Tome 6 , p. 298. Leibnitziana , ex otio hanoverano
.
Tom. 2 , part. 2 , p . 13. Theoria motus concreti .
« Si un corps eft plus léger que l'air dans le
voifinage duquel il eft placé , il s'élevera dans
Patmo phere jufqu'à ce qu'il foit parvenu à une
région plus haute , plus fubtile , & par conféquent
plus légere que lui-même , où il fe tiendra
en équilibre : c'eft auffi la raison pourquoi la
la fumée monte , & les nuées font fufpendues dans
Pair ; fi l'induftrie humaine pouvoit donc nous
procurer des corps plus légers que l'air , on ne
feroit point fans efpérance de découvrir un jour
l'art de voler. C'étoit le fentiment de Lana , auteur
très-fubtil , fuivi fur ce point par Vosjius :
& on l'établit de cette maniere.
» Soit un vafe concave , affez grand pour que
l'air qu'il renferme foit plus péfant que le vare
lui feul : l'air ayant été pnpé par la méthode
que tout le monde fait , & le vafe , que je fuppofe
de verre , étant boucké hermétiquement ,
le vafe alors fera plus léger qu'un pareil volume
d'air ; or, un corps plus léger qu'un fluide de
méme volume monte dans ce fluide ; donc le
vale , dont nous parlerons , montera dans les airs .
Mettons en calcule ce raiſonnement ,
prenant des nombres plus grands que ceux qu'avoit
choifis Lana.
en
» Soit un globule de verrè affez petit , pour
que l'eau qui y eft contenue & le verre qui la
contient foient à- peu -près de même poids. Prenons
pour mesure de capacité le demi diamêtre
de ce globule , que nous appellons A ; prenons
pour mesure du poids , que nous cherchons , le
poids du verre ou de l'eau du globule , qui eft le
d 3
( 78)
même par hypothefe , & appellons - le B. Suppofens
encore , d'après les obfervations de l'illuftre
Boyle & de plufieurs autres , que l'air eft
mille fois plus léger que l'eau.
» Maintenant , foit un globe de verre de
même épaiffeur que le globule , mais dont le
demi diamêtre foit mille fois plus grand , c'eftà-
dire feit 1000 A ; la fuperficie fphérique ou
le verre du globe fera au verre du globule en
raifon doublé du rayon , & par conféquent péfera
1000,000 B. L'eau , contenue dans le globe ,
fera à l'eau contenue dans le globule , en rai
fon triplée du rayon , & par conféquent péfera
1000,000 B ; donc , fi ce globe étoit rempli
d'air , au lieu d'être rempli d'eau , l'air étant
mille fois plus léger que l'eau par hypothefe ;
le volume d'air contenu dans ce globe péferoit
feulement 100,000 B : & par conséquent fereit
auffi péfant que le verre du globe. Suppoons
maintenant qu'on tire l'air du globe auffi
exactement qu'il eft poffible , le globe fera àpeu
près de même péfanteur qu'un même volume
d'air ; donc , fi nous faifons la fuppofition
d'un globe qui , au lieu de 1000 A , eût 1500 A
pour rayon , il feroit beaucoup plus léger que
T'air de pareil volume ; & par conféquent , s'éléveroit
rapidement dans les airs. Si la proportion
de l'air à l'eau étoit plus grande , qu'on ne
le croit communément
, on n'a qu'à ſuppoſer un
globe plus grand dans la même proportion ».
Si je vous fait paffer ces détails , Monfieur ,
ce n'eft pas je fois jaloux de la gloire de M. de
Montgolfier. Quand même il ne feroit pas l'inventeur
de la machine , il fuffit qu'il l'ait perfectionnée
, pour avoir bien mérité de fes concitoyens.
Il feroit poffible qu'un autre m'eût prévenu
( 79
& eût lu avant moi le paffage ci- deffus , dans
les Ouvrages de Leibnitz ; alors , la chofe eft
toute fimple , regardez cette lettre comme non
avenue ; mais au contraire je fuis le premier qui
ait fait cette obfervation , faites- en mention
dans votre mefure .Vous rendrez peut - être fervice à
ceux qui recherchent tout ce qui peut contribuer
à l'éclairciffement de la vérité.
Il ne feroit pas difficile de citer une foule
de Phyficiens anciens & modernes , qui ont
attribué la faculté de s'élever aux corps plongés
dans un air fpécifiquement plus léger
que celui de l'atmoſphere. On fcait bien encore
que cet air plus léger étoit connu . L'illuftre
Hales fut le précurfeur de cette découverte
de l'air fixe ; le modefte & favant
Black , Chymifte d'Edimbourg , l'a développée
le premier par fes belles expériences ;
le Docteur Priestley & d'autres Chymiftes
François ou Allemands , font venus enfuite ;
mais perfonne n'avoit fongé à réalifer l'ufage
d'un principe connu , ni à le rendre praticable
& économique : cette ingénieufe application
a été le fecret de MM . de Montgolfier
, & rend la gloire de leur fuccès indifputable.
Jufqu'à préfent la perfection des cryſtaux
artificiels avoit été réfervé à l'Angleterre en
ce genre. Ses ouvrages de luxe & d'utilité
n'avoient été encore que bien foiblement
imités Les propriétaires des Verreries Royales
près de Bitche en Lorraine , annoncent
la vente d'un nouveau cryftal de leur fabrid
4
( 80 )
cation , auffi parfait que celui d'Angleterre.
' Ils l'ont foumis au jugement de l'Académie
des Sciences , qui leur a été favorable , d'après
l'examen fait en 1782 par MM. Macquer &
Fougeroux de Bondaroy .
Pour faire la comparaison que nous defirions ,
difent les deux Commiffaires dans leur rapport ,
l'un de nous s'eft tranfporté au magafin du petit
Dunkerque , tenu par le fieur Granchés , où l'on
frouve un bel affortiment de toute cfpece de bijouterie
d'Angleterre , & fpécialement ce qu'il
y a de plus beau en cryftaux de ce pays . Les
verres à boire & carafons Anglois étoient mêlés
dans ce magafin avec de pareilles pieces du cryſtal
du fieur Beaufort ; & avec quelque foin que nous
les ayons examinées , la blancheur , la netteté , la
belle transparence , le poids & le fon de tous ces
cryftaux nous ont paru fi femblables , qu'il ne
nous a pas été poffible de diftinguer les cryftaux
Anglois d'avec les François , & que nous avons
été dans le cas de nous en rapporter au fieur Granchés
pour faire l'acquifition de quelques pieces ,
bien certainement Angloifes , que nous voulions
nous procurer pour faire en particulier la comparaifon
que nous avions en vue . ——— Cette comparaifon
nous a confirmés dans l'idée que nous
avions déja de la reffemblance du nouveau cryftal
de France avec celui d'Angleterre. On fait
que jufqu'à préfent nous avons été obligés de tirer .
de ce pays les beaux verres de montres , & que
ceux qui font faits dans nos verreries de France
leur font très-inférieurs pour la netteté & pour le
fervice ; ces derniers dont le prix eft auffi fort inférieur
, étant fujets à perdre en peu de tems leur
poli & leur transparence par une infinité de petites
gerfures qui s'y font , défaut que le vulgaire
( 81 )
1
defigne , en difant que ces verres font fujets à
jetter leur fel , & qu'on leur procure en un inftant
en les chauffant à un certain degré : c'eſt même
une épreuve auffi sûre que prompte pour diftinguer
les verres de montres François d'avec les
Anglois . Nous avons fait cette épreuve fur des
verres de montres du fieur Beaufort , & ils l'ont
foutenue auffi bien que ceux d'Angleterre . Auffi ,
depuis quelques années , un Fabriquant de verres
de montres à Londres , qui eft venu s'établir ici ,
ne tire t-il plus que de la verrerie du fieur Beaufort
les boules de crystal dont il fe fert pour fa¬
briquer ces verres ; il n'en tire plus d'Angleterre ,
& les cryftaux de montres de fa fabrique , qui eft
devenue très confidérable , font employés par nos
Horlogers comme cryftaux Anglois . Nous
ajouterons à cela que . l'un de nous a fait effayer
le crystal du fieur Beaufort à la Manufacture des
Porcelaines du Roi , établie à Sêves , dans des
procédés de couleurs pour lesquels , jufqu'à préfent
, on n'a pu employer que du cryftal d'Angleterre
, parce qu'aucun de ceux qu'on a effayés d'y
fubftituer , n'a pu le remplacer , & que le cryftal
du fieur Beaufort a eu plein fuccès.
―
On fait
que le cryftal d'Angleterre a une fort grande pefanteur
fpécifique , & qu'elle eft dûe à une quantité
confidérable de cuicuium ou de quelque autre
chaux de plomb qui entre dans la compofition de
ce cryſtal ; il y a encore à cet égard une reffemblance
très-marquée entre le nouveau cryſtal de
France & celui d'Angleterre , & cela donne lieu
d'efpérer que fi le fieur Beaufort augmente beaucoup
dans la verrerie , la fabrication de fon cryftal
, dont il n'a encore fait jufqu'à préfent que
des effais , il fe trouvera que fur un grand nombre
de pots , il y en aura quelques- uns dont la matiere
fera affez nette pour être employé dans les
ds
( 82 )
objectifs des lunettes achromatiques , comme cela
eft arrivé au cryftal d'Angleterre .
Nous venons d'apprendre que S. M. S. ,
fous le nom de Comte de Haga , vient d'arriver
en cette ville.
DE BRUXELLES , le 1 Juin.
Les Etats- Généraux , comme on l'a rapporté
précédemment , ayant demandé la
communication de l'Acte paffé par le Stathouder
à ſa majorité , avec le Duc de Brunfwick
, fon ancien Tuteur , le Prince d'Orange
leur a adreffé cet Acte , avec une Lettre
qui l'accompagnoit : l'un & l'autre de ces
morceaux font dignes d'attention.
Miffive de S. A. S. Mgr. le Prince d'Orange
de Naffau , Stadhouder- Héréditaire , Capitaine-
Général & Amiral des Provinces Unies à Leurs
Hautes Puiffances les Seigneurs Etats- Généraux.
HH . & PP. SS. Les bruits défavantageux ,
deftitués de tout fondement , qui fe font répan
dus depuis quelque tems à l'occafion de certain
acte paffé entre S. A. le feigneur duc de Brunf
wick & Nous , le 3 Mai 1766 , lefquels bruits
nous ont paru n'être pas moins à confidérer
comme flétriflans pour notre réputation que pour
celle du fusdit feigneur duc , nous ont porté à
publier cet acte , pour ouvrir par - là les yeux à
un chacun , & faire voir que ce qui s'étoit répandu
, comme fi nous nous étions engagé par
ferment à demander & fuivre dans toutes les affaires
le confeil dudit feigneur duc , n'eft qu'une
pure calomnie : mais nous avons penſé qu'il ne
nous convenoit point de nous compromettre avec
( 83 )
ne
des écrivains anonymes , & de publier une réfutation
de ce qui fe débitoit dans ces écrits , à
notre charge ; mais qu'auffi long tems que VV.
HH. PP. ni aucun des hauts Confédérés ,
trouvoient bon de demander quelques informations
à l'égard de cet acte , nous pouvions en
fufpendre la communication. Mais les feigneurs
Etats de Hollande & Weft Frife ayant jugé à
propos le 22 de ce mois , de réfoudre de nous
envoyer une députation pour s'informer à l'égard
dudit acte , & nous prier de le porter fur la table
& à la délibération des fufdits Seigneurs Etats ;
nous avons promis , pour donner une preuve de
notre déférence aux defirs defdits Seigneurs Etats ,
de communiquer dans peu de jours une copie authentique
dudit acte à LL. NN. & GG. PP.; mais
nous avons cru de notre devoir d'en fournir en
même-tems à VV. HH. PP . une copie authentique
, ainfi qu'aux Etats de toutes les provinces
refpectives . Nous ne doutons point que la lecture
de cette piece fera ceffer les bruits qui fe
font répandus à cet égard , & qu'il paroîtra à
chacun que l'acte ne contient rien qui puiffe être
regardé en la moindre chofe comme défavantageux
ou préjudiciable au pays , que nous n'avons
point pris d'engagement qui puiffe être
confidéré comme incompatible avec notre devoir
; & cela d'autant plus , que ce n'a point
été fans la connoiffance préalable & l'agrément
de V. H. P. que nous nous fommes fervi des
fages confeils & affiftance du feigneur - duc de
Brunswick. Ayant appris le 8 Mars 1766 , que
fur la propofition de M. de Bronkhorft qui préfidoit
en ce temps à l'affemblée , il avoit été
réfolu unanimement par V. H. P. de commettre
une députation folemnelle , compofée de
kuit feigneurs du fein de leur affemblée , pour
d 6
( 84 )
fe rendre chez le fufdit feigneur - duc de Brunf
wick , afin de le féliciter à l'égard de ce jour
& lui témoigner de la maniere la plus férieufe ,
la plus complette gratitude , & la plus profonde
reconnoiffance , que V. H. P. avoient & conferveroient
à jamais pour les grands & éminens
fervices rendus au pays par lui feigneur - duc ,
en ajoutant que V. H. P. ne fouhaitoient ¸rien
plus ardemment que d'avoir occafion de mettre
au jour leurs fentimens intérieurs , & d'en convaincre
pleinement le feigneur duc , & que V.
H. P. pour faire monter leur reconnoiffance au
plus haut degré l'avoient prié de la maniere la
plus amicale , de vouloir bien continuer à em.
ployer fes grands talens au bien - être de la république
, l'affurant qu'il y feroit toujours ré→
pondu de leur côté par toutes les marques de
haute eftime & affection pour fa féréniffime perfonne
; nous avons prié M. le Confeiller- Penfionnaire
Stein de rapporter aux feigneurs députés
de V. H. P. pour les affaires étrangeres ,
que nous avions appris avec beaucoup de contentement
la commiffion décernée cedit matin
par V. H. P. au feigneur- duc de Brunfwick pour
le remercier de tous les fervices qu'il a rendus
à la république ; & en particulier que V. H.
P. avoient à cette occafion prié ledit feigneur
duc de continuer à employer fon zele au fervice
de l'Etat , & que comme rien ne pouvoit
nous être plus agréable que de voir jouir la
république encore long- tems des talens éminens
du fufmentionné feigneur , & d'avoir en mêmetems
l'occafion de nous fervir de fes fages con →
feils & affiftance , nous avons cru que pour y
parvenir il feroit néceffaire que la Cour de
Vienne , du confentement de laquelle ledit feigneur-
duc eft venu en ce pays , l'année 1750 ,
( 85 )
à la priere & inftances du feu feigneur noire
pere , en fut convenablement informée : donnant
en confidération à M. de Burmannia , en -
voyé extraordinaire de V. H P. à la Cour de
LL. MM. II. & RR. , s'il ne pourroit point
être recommandé de faire le devoir néceffaire
à ce fujet , afin que cela pût avoir lieu de l'agrément
de la Cour impériale , laquelle propofition
a été acceptée , & a été réfolu d'ordonner
audit M. de Burmannia : que voyant par
la miffive & réfolution prile fur ce jour , que
nous étions entrés dans l'exercice des hautes
charges & dignités dévolues héréditairement à
nous , & que par- là la repréfentation de S. A.
le duc de Brunswick étoit venue à ceffer ; que
LL. HH. PP. ayant connoiffance par une lon
gue expérience du mérite & capacité non- commune
du fulmentionné feigneur - duc , & ne de
firant rien de plus que de pouvoir le conferver
encore long- tems dans les fonctions qui lui ont
été confiées dans ce pays , nous avions aufli remarqué
avec fatisfaction que nous jouirions en
core quelque tems de fes fages confeils & affif
tance ; que lui M. de Burmannia en donneroit
connoiffance de la maniere qu'il le trouveroit
le plus convenable à LL. MM . HH. & RR.
en témoignant que LL. HH. PP. fe flattoient
& fe confioient que LL. MM . voudroient bien
agréer & confentir que ledit feigneur- duc puiffe
continuer ultérieurement à refter au ſervice de
l'Etat fur quoi LL. HH . PP . reçurent une
réponſe favorable , par un Mémoire de feu M.
le Baron de Reiſchach , envoyé - extraordinaire
de la Cour de Vienne , lequel il préfenta au
nom de LL. MM . le 27 Juin 1766.
Nous nous référons , pour abréger , à la lecture
du fufdit acte , par lequel il paroîtra que
( 86 )
nous ne nous fommes jamais obligé à prendre
les confeils & avis du feigneur - duc , bien moins
encore de devoir les fuivre , ni que nous nous
y ferions aftreints par ferment ; mais que ledit
feigneur- duc s'eft engagé par ferment de fidélité
prêté entre nos mains , pour , en toutes chofes
& en tout tems , lorfque nous le requérerions
de lui , & que nous le jugerions nécefſaire
, nous aſſiſter de fon confeil , & nous fournir
fidelement fon avis dans toutes les affaires
qui feroient remifes par nous entre ſes mains :
pendant qu'il reftoit toujours à notre volonté de
faire ufage , ou non , de fes confeils & avis ,
& cela encore uniquement auffi long- tems que
nous le trouverions néceffaire ; ledit acte étant
feulement dreffé par provifion & jufques à révocation
des deux côtés . Nous jugeons que par
la nature de l'engagement contracté avec ledit
feigneur duc par ledit acte , il en résulte de foimeme
la justice de la contre- demande ftipulée
par lui dans ledit acte , favoir que nous l'indemniferions
& libérerions de toute obje &tion & re?-
ponfabilité à l'égard de tout ce qu'il auroit fait
en vertu de fon engagement & pour les confeils
exigés de lui , avec la déclaration y jointe
qu'il ne feroit refponfable à perfonne autre que
nous , comme auffi point à qui que ce foit de
nos héritiers , s'il nous furvenoit un accident attaché
à l'humanité , pendant la durée de cet
engagement ; & que cela doit être d'autant plus
qu'il nous étoit libre de prendre ou de rejetter
le confeil dudit feigneur - duc , & après l'avoir
pris , de le fuivre ou ne pas le fuivre ; & enfin
qu'après avoir embrailé le confeil dudit feigneurduc
, nous avons fait de ce confeil le nôtre , &
avons pris fur nous la refponfabilité de ce qui en
réfulceroit . En conféquence , nous ne pouvons
( 87 )
point cacher à VV. HH. PP. notre peine fenfible
à l'égard des changemens que nous remarquons
dans les idées de beaucoup de membres
de la régence de ce pays depuis quelque tems
relativement audit feigneur - duc ; & que dans
le tems qu'il a été donné tant par VV. HH.
PP, que par les Etats des provinces refpectives ,
lors de notre majorité , les plus fortes marques
de leur contentement à l'égard de l'adminiftration
des charges & emplois qui lui ont été confiés
durant notre minorité , & que jufques à préſent
il n'ait été rien allégué de fixe & de légitime
contre ledit feigneur duc , & bien moins
encore rien de prouvé , il doive continuellement
voir que divers membres s'expriment à fon fujet
dans leurs avis en termes de haine & injurieux
: le voulant faire confidérer comme l'auteur
des maux furvenus depuis quelque tems à
la patrie ; pendant que nous pouvons affirmer
en toute fécurité , que nous fommes affurés que
ledit feigneur duc atoujours tâché , autant qu'il
a dépendu de li , de procurer par les confeils
& actions le bien - être de la république , & de
bien la fervir dans les poftes qui lui ont été
confiés par V. H. P. Nous nous tonons affurés
que ces ouvertures à l'égard dudit acte , données
par nous , tant à V. H. P. qu'aux Etats
des provinces refpectives , ferviront à faire ceffer
les bruits défavantageux qui ont été répandus
relativement à cedit acte , & dont la fauffetê
perce de la maniere la plus claire par fà fimple
lecture defirant ardemment qu'ayant actuellement
prouvé la faufleté de ce qui a été
allégué à la charge de S. A. le feigneur- duc ,
comme s'il avoit fait , peu de tems après notre
majorité , mauvais ufage de nos fentimens d'a.
mitié pour fa perfonne , en nous induiſant à paf(
88 )
fer un acte par lequel nous nous ferions engagés
à des chofes contraires à ce que nous devons
au pays dans nos diverfes dignités ; & que
puiffent enfin renaître les précédens fentimens
de la haute eftime que l'on avoit pour ledit ſeigneur-
duc.
COPIE autentique de l'ACTE paffé le 3 Mai 1766 ,
entre S. A. Mgr le Veld Maréchal Duc de Brunfwick
, & S. A. S. Mgr le Prince d'Orange & de
Nafu , S'a houder- éréditaire , Capitaine - Général
& Amiral des Provinces - Unies , &c. &c.
Nous GUILLAUME , par la Grace de Dieu ,
Prince d'Orange & de Naffau , Stadhouder- Héréditaire
, Capitaine - Héréditaire , Général & Amiral
des Provinces - Unies des Pays-Bas , &c . &c . &c.
Comme nous avons pris , à notre majorité &
commencement de Régence , itérativement & lérieufement
en confidération , comment feu le Sei
geur notre Pere , de glorieuse mémoire , avoit ,
dès & avant l'année 1747 , jugé néceffaire d'engager
par les inflances les plus fortes le Seigneur Di c
Louis de Brunswick , qui fe trouvoit pour lors au
fervice de LL. MM . II . & RR à paffer au fervice
de la République , fous le nom & avec le titre de
Veli- Maréchal des Troupes de l'Etat : mais dans
le fond , pour aider à porter en effet & en réalité
avec notre fufdit Seigneur Pere la charge du département
militaire , pour être confidéré fur le
pied d'un ami intime & parent , agir avec ledit
Seigneur Prince de concert , & pour faire ufage de
fes talens & bons confeils en tout ce qui regarde
le commandement de l'armée , & l'état militaire :
en quelque façon & bien principalement avec
cette grande vue & fin importante que s'il plaifoit
au ciel de difpofer de bonne heure de les jours ,
S. A. R, & moi , ainfi que Madame notre Soeur ,
trouveroient dans ledit Seigneur Duc un ami &
( 89 )
parent dont les confeils & affiftance feroient d'une
grande utilité pour nous ; ainsi que ces témoigna
ges énergiques fe trouvent verbalement dans la
Lettre écrite dé la main propre dudit Seigneur
notre Pere , en date du 11 Novembre 1749 & 18
Janvier fuivant , adreffée audit Seigneur Duc de
Brunfwick; comme ledit Seigneur de Brunswick a
cédé à fes inftances réité : ées , ayant quitté la Cour
de Vienne où il fe trouvoit placé fur un pied
très avantageux , dans la relation la plus heureufe
de faveur & étroite liaifon de parenté avec LL.
MM . II . & RR. qu'il a quittées , & eft arrivé ici ,
après avoir obtenu à cet effet l'agrément de LL.
MM. II. & RR. , auxquelles le Seigneur notre
Pere avoit demandé la poffeffion dudit Seigneur
Duc , comme une faveur fpéciale , par Miffive du
10 Novembre 1749 ; hautes & fages précautions
du Seigneur notre Pere , que les événemens qui
font arrivés du depuis ont pleinement juflifiées , &
ont été pour nous , par une expérience fenfible ,
de la plus grande utilité & des fuites les plus falutaires
: pendant que le moment fatal où nous avons
été privé dudit Seigneur notre Pere a fait bientôt
exifter le cas de ces falutaires précautions , dans
l'engagement & emploi du Seigneur Duc de
Brunfwick,par où nous & notremaiſon avons trou→
vé des effets fi utiles , que feue S. A. R. Madame
notre Mere , de glorieufe mémoire , n'a point
héfité de prier & nommer par fes dernieres difpofitions
le fufdit Seigneur Duc , qui pour lors étoit
déja nommé par les Seigneurs Etats de toutes les
Provinces en qualité de repréfentant du Capitaine
Général , exécuteur teftamentaire & tuteur adminiftrant
de Nous & de la Dame notre très -aimée
Soeur. Et comment enfin par l'événement lugubre
qui nous a ravi S. A. R. Madame notre
Mere , les bonnes & fages précautions du Seigneur
-
( 90 )
-
notre Pere ont éclatées en nous fourniffant cet
avantage ineſtimable , que nous avons trouvé dans
le fufdit Seigneur Duc de Brunswick , par tout ce
qu'il a fait pour nous , tant à l'égard de fa qualité
de repréfentant du Capitaine- Général , qu'en particulier
à l'égard de notre éducation , beaucoup
plus que ce à quoi le Seigneur notre Pere auroit
pu attendre de les fages précautions , & de fon
entiere confiance audit Seigneur Duc. : Et comme
nous defirons volontiers d'avoir occafion de
nous fervir encore quelque tems des fages confeils
& affistance dudit Seigneur Duc de Brunswick , &
que ledit nous a décla qu'attaché à Nous par les
liens les plus forts & aie affection paternelle , il
étoit prêt & difpolé nous offrir encore pour
quelque tems fes talens , dans le cas où ils pourroient
nous être de quelque utilité : = En conféquence
nous fommes convenus , & avons accordé
avec ledit Seigneur Duc de Brunſwick, réciproquement
& enſemble , les articles ou points fuivans .
a
S
-I.Que ledit Seigneur Duc de Brunſwick s'engagera
& fe liera à nous , comme il s'engage &
fe lie par la préfente , de vouloir nous aider de fes
confeils dans la direction des affaires , tant du département
militaire , que de tout autre département
appartenant à notre pouvoir , en tout tems ,
autant que nous le réquérerons de lui , & que nous
le jugerons utile & néceffaire. II . Que ledit
Seigneur Duc fera obligé de nous fervir fidele
ment dans toutes les affaires que nous lui remettrons
entre les mains , de nous affifter de fes confeils
& avis , en agiflant felon fa confcience comme
il croira convenir pour la confervation de notre
autorité , prérogatives , & droits , & pour la plus
grande profpérité de cet Etat : fans s'en éloigner
par faveur ou dé faveur pour quelque Province
particuliere , Villes , College , ou Membre d'i
( 91 )
--
-
ceux , ou pour quelque autre caufe de quelque
nature qu'elle puiffe être ; n'ayant rien autre en
vue que ce qui pourra tendre de la maniere la plus
efficace au foutien de nos vrais intérêts , au bien
commun & à l'avancement de la profpérité da
pays. III. Que ledit Seigneur Duc de Brunfwickle
tiendra pour cet effet continuellement proche
de notre perfonne , & fera en particulier obligé
de nous accompagner dans notre voyage que
nous entreprendrons dans peu dans les Provinces ,
Villes & Places reffortans de notre Stadhoudérat-
Héréditaire . IV. Nous nous engageons par
contre de la maniere la plus forte en faveur dudit
Seigneur Duc , de l'indemnifer & libérer entierement
, à l'égard de tout ce qu'il aura fait pour la
preftation de cet engagement , en donnant les confeils
requis , & affiftance , de toute reſponſabilité
quelconque , comme nous l'en indemnifons & libérons
par la préfente : ne voulant point que ledit
Seigneur Duc foit tenu de rendre compte à qui
que ce foit , autre que nous en propre perfonne
& d'être refponfable au cas qu'il nous furvint
durant cet engagement quelque accident, Voulons
& prétendons que le fufdit Duc de Brunfwick
foit libéré de tout , en remettant à notre Secrétairerie
fecrette & y faifant dépofer les pieces &
papiers regardans notre direction , lefquels pour
roient le trouver pour lors fous la haute garde ,
fans que le fufdit Seigneur foit obligé de donner
àquelqu'un de nos héritiers , fucceffeurs , ou ceux
quien auront obtenu le droit , aucunes ouvertures :
bien moins être tenu de refponfabilité , ou qu'il y
puiffe être obligé & néceffité de quelque maniere
que ce foit.
Le tout par proviſion & jufqu'à
fufpenfation réciproque . Ainfi convenu entre nous
fouffignés & fcellés des cachets de nos armes . Fait
à la Haye le 3 Mai 1766. ( Signė ) G. Pr. d'Og
( 92 )
RANGE. L. DUC DE BRUNSWICK .- Aujourd'hui
3 Mai 1766, S. A. le Seigneur Duc de Brunſwick
a preté ferment fur l'engagement ci deffus entre
mains de S. A. S. le Prince Stadhouder-Hérélitaire.
( Signé ) T. J DE LARREY,
La grande affaire d'une alliance à former
entre la France & les Provinces Unies , eft
enfin décidée. Les Etats de Hollande ont
pris une réfolution formelle à ce fujet ; elle a
été imitée par les Etats-Généraux , qui ont
arrêté de charger les Ambaffadeurs . de la
République à Paris , de faire l'ouverture de
cette alliance .
La Bourgeoifie d'Utrecht étant apparemment
auffi paffionnée que la Régence pour
la liberté , vient d'adopter & de répandre un
nouveau plan de légiflation politique . Il
confifteroit à diftribuer cette bourgeoifie en
compagnies militaires , & à lui redonner fon
influence perdue fur le choix des places.
Elle feroit de plus repréfentée par 16 Commettans
, chargés de la défenfe de fes droits ,
d'opiner fur les impôts, & d'affifter à la reddition
des Comptes.
Si l'état intérieur de la Hollande afflige
les vrais citoyens , la délicateffe de fes difcuffions
actuelles avec la Maifon d'Autriche
fembleroit devoir fufpendre les inimitiés
inteftines. Quoique les prétentions de
l'Empereur paroiffent uniquement un objet
de négociation amiable , les Hollandais ne
l'ont pas attendue pour pourvoir à leur sû(
23 )
reté. Divers régimens , dont trois Suiffes ,
fe font réunis à Maftricht , où le Prince de
Naffau- Weilbourg , Gouverneur de la Place
eft arrivé le 18 Mai. Il s'étoit même répandu
que la République alloit envoyer des
vaiffeaux de guerre à l'embouchure de l'Efcaut
cette nouvelle fans doute étoit prématurée
.
On fait que Mafiricht eft la clef des Provinces-
Unies du côté de la Meufe & du Brabant. Cette
place eft devenue encore plus importante depuis
la deftruction des fortereffes barrières Elle
fut cédé à la République par la paix de Munfter
& fait partie de ce qu'on appelle Pays de
Généralité , c'est - à- dire appartenant à l'Union &
non à aucune des Provinces.
Ses fortifications très étendues & redoutables
exigent en cas de fiége , une garnifon de 15 à
20000 hommes. Elle fut affiégée & prife en
1673 par l'armée de Louis XIV : elle foutint
un nouveau fiége en 1748 , & le danger de cette
place prête à fuccomber accéléra la paix d'Aix
la Chapelle. ر
Dans cette même année 1673 où Mafiricht
fut pris , les Hollandais promirent à Charles II
Roi d'Espagne de lui céder cette ville & le Comté
de Vronhoven , fi ce Prince voulait les fecourir
; il fit valoir cette ceffion à la paix de Nimégue
, mais inutilement , & depuis , elle paraiffait
tombée en défuétude.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
On avoit débité dans les Gazettes étrangères
que le Chevalier Lowther refufa la pairie , à
moins qu'on y joignit le titre de Duc. Sur le
refus de la Cour , on ajoutoit que Sir James
Lowther paffoit dans l'oppofition avec 15 de fest
Adhérens . Il n'y a pas un mot de vrai dans ce
( 94 )
récit. Le nouveau Pair , fous le titre de Comte de
Lonsdale , en a remercié le Roi le 28 du mois
dernier.
on a
La Commémoration ou Jubilé d'Handel a
été célébré avec la plus grande pompe
joué les plus beaux Oratario de ce célébre compofiteur
, & ils ont été executés par 500 Mufi
ciens , entre lefquels étoit Madame Mara . En 7
repréfentations , cette folemnité a rendu 18000 liv.
fterl . au profit des établiffemens de charité , & de
quelques vieux Muficiens .
Le Dutton , le Rodney & le Henri , vaiffeaux
de la Compagnie des Indes , font arrivés
faufs , le premier aux Dunes , & les autres fà
Torbay.
M. Whitbread , répréfentant de la ville de
Bedford & beau-frcre de Lord Cornwallis donne
800 liv. fterl. par an , à M. Coxe Auteur des
Voyages en Suiffe , en Pologne , & des découvertes
des Ruffes pour accompagner fon fils
dans fes voyages . Ce que fait ici un fimple particulier
, peu de grands feigneurs , & même de
fouverains , le feroient ailleurs.
Caufe extraite du Journal des caufes célebres .
EMPOISONNEUR de fa femme & de fes enfans ,
condamné à être rompu vif.
Les grands crimes font ordinairement la fuite
de la dépravation des moeurs. On commence par
fe familiarifer avec le vice. L'ame fe flétrit. On
conçoit la poffibilité de commettre le crime &
d'échapper aux recherches de la juftice . Du crime
aux forfaits , il n'y a qu'un pas ..... Il feroit à
defirer que cette échelle effrayante fut fans ceffe
fous les yeux des hommes qui fe livrent à leurs
paffions ; ils verroient que fouvent celui qui
commence par céder à un penchant criminel ,
finit par fouiller fa vie par des forfaits . Le procès
criminel dont nous allons rendre compte
( 95 )
fournit un exemple de cette trifte vérité. Un
journalier , nommé François Moinot , vivoit en
bonne union avec fa femme , dans la paroiffe de
Saint- Romain , fénéchauffée de Cibray. Son travail
& celui de fa femme fuffifoient à leur fubfif
tance & à celle de leurs enfans . Si Moinot n'eût
pas cédé à une paffion criminelle , ces époux vivroient
encore en paix , & un forfait abominable
n'auroit pas été ajouté à la lifte trop nombreuſe
de ceux qui fouillent les annales criminelles de
ce fiecle . Moinot ayant fait connoiffance avec la
fille d'un laboureur d'une paroiffe voifine , conçut
la paffion la plus forte pour cette fille . Il
paroît que cette derniere ( qui s'appelloit Catherine
Segaret ) fut fenfible à l'amour de Moinot
, puifqu'il étoit prouvé au procès qu'ils
avoient eu ensemble des habitudes criminelles.
On prétend que ces coupables amans formerent
le projet de s'unir , & que , pour l'exécuter ,
Moinot conçut le deffein d'empoifonner fa femme
& fes enfans . Ce n'étoit pas allez pour ce monftre
d'une victime , il vouloir tout- à- la-fois immoler à
fa paffion les êtres qui devoient être les plus
chers à fa tendreffe. Ce fcélérat ayant acheté de
l'arfenic , épia le moment où il pourroit confommer
fon forfait. Etant rentré dans fa maifon ,
lorfque fa femme étoit fortie avec les enfans , il
mit le fatal poifon dans la foupe deſtinée pour le
dîner de fa famille . Sa femme & fes enfans n'eurent
pas plutot mangé de cette foupe , qu'ils éprouverent
tous les fymptômes de l'empoifonnement,
L'ainé des enfans de Moinot étant mort dans des
convulfions affreufes , le bruit de cet événement
fe répandit dans le village , & les foupçons s'arrêterent
, fur le champ , fur Moinot. La juftice
ayant fait conftater le délit , le coupable & fa
complice furent conduits en prifon. Après une
( 96 )
inftruction très- ampie , Meinot fut déclaré con
vaincu d'avoir empoisonné fa femme & les enfans
, & , pour réparation , condamné à être
rompu vif & jetté au feu .
-
Sur l'appel de la fentence des premiers juges ,
les accufés ont été transférés à la conciergerie ,
& la fille Segaret y eft morte le 21 Septembre
1783. Six jours après , Moinot a été con lamné ,
par le Parlement , à faire amende honorable , avec
écriteau , portant ces mots : Empoisonneur de fa
femme & de fes enfans , au- devant de la principale
porte de l'Eglife faint Nicolas de Civray , & à
être enfuite rompu vif , mis fur une roue , & de
fuite jetté dans un bûcher ardent , pour y être ré
duit en cendres , & fes cendres jettées au vent.
Il ne fut jamais de condamnation plus jufte que
celle qui a été prononcée contre ce monfire. Le
délit dont il avoit été accufé avoit été conftaté de
la maniere la plus authentique , & les preuves les
plus évidentes fe réunifloient contre le coupable .
Il faut en effet le concours de ces deux efpeces
de preuves pour opérer la condamnation en matiere
d'empoisonnement , il faut fur- tout que le
délit foit conftaté , parce que c'eft ce fait qui doit
fervir de bafe aux accufations de ce crime . Les
premiers juges ne peuvent donc , fans courir les
rifques de s'égarer , négliger cette importante
formalité. Pour montrer les dangers qui pour
roient réfulter de leur négligence ou de l'impéritie
des gens de l'art chargés de visiter les cadavres.
On trouve à la fuite de ce procès ; l'analyſe
d'une brochure publiée depuis peu par un médecin
fur cette matiere importante . Les juges ne
peuvent trop méditer les obfervations qu'on
trouve dans cette brochure. Elles ont été dictées
par l'humanité & par le defir d'épargner des
erreurs funeftes.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Avril.
Dsmyrne ,avec affez de violence , pour
EPUIS un mois la pefte s'eft déclarée à
écarter de cette ville une grande partie de
fes habitans. Le commerce languit , d'au
tant plus que les cantons voifins font égale;
ment infectés de la contagion.
On affure que les Monténégrins fe font
révoltés contre le Pacha , & qu'ils ont forcé
fes troupes à fe retirer avec perte. Cette affaire
, dit- on , a eu lieu le 7 Avril , entre
Linda & le mont Hatter.
сс
L'échange de la ratification de la convention
conclue entre la Cour de Ruffie & la Porte ,
au fujet des provinces Tartares , s'eft fait fans
beaucoup de cérémonies dans une des maisons
de plaifance du Grand- Seigneur , nommée Ainelikavat
, & fituée au nord du port de Conftantinople
, la même où le font tenues la plupart des
conférences entre le Miniftre de Ruffie & ceux
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
( 98 )
de la Porte. Le lendemain de cette affemblée ;
compofée , d'une part , du Capitan Pacha , du
Reis - Effendi, & de l'Ortou-Cedifi , ou Juge de
Parmée , & de M. de Bulhakow , de l'autre y
ce dernier a envoyé fon Secretaire chez les Miniftres
Turcs , avec les préfens qui leur étoient
deftinés , & qui leur ont été offerts , non comme
venant de la part de l'Impératrice , parce
qu'alors ils n'auroient pu les accepter , mais de
celle de M. de Bulhakow. Ce font les mêmes
préfens qui avoient été envoyés l'année der
niere par la Cour de Rufie , à l'occaſion de la
conclufion du traité de commerce , pour être
diftribués entre les Miniftres de la Porte , &
qui alors avoient été refufés : ils confiftent d . ns
les pieces fuivantes : au Grand- Vifir, un miroir
entouré de brilians , une bague de diamans , unet
montre , & un étui richement garni de brillans ,
outre une peliffe de la plus belle martre , quarante
autres peaux de martre , & un peliffe de
renard noir au Capitan- Pacha , un pommeau
gurni de brillans , propre pour un baton de com .
mandement , & plufieurs pelleteries de grande
valeur à l'Ordou- Cadiffi , une tabatiere enrichie
de brillans , & quarante pieces de la plus
belle martre au Reis Effendi , une boite d'or ,
une peliffe de martre , & quarante pieces de même
pelleterie :au Breiliski - Effendi , ou premier
Commis de la Chancellerie Turque , une boîte
d'or quarante pieces de martre : au Dragoman
de la Porte , une riche tabatiere , une bague de
la valeur de 2500 piaftres , quarante peaux de
marrre , & deux très belles peliffes. Le lendemain
le même Dragoman , apportant en reanche
les préfens du Grand- Vifir au Minifte
Ve Ruffie , qui confiftent pour la plupart en riches
dtoffes des Indes , en requt'encore des mains de
( 99 )
M. de Bulhakow une très belle montre avec fa
chaîne ».
Par le dernier Traité arrêté entre la Sublime
Porte & la Ruffie , on prétend que la
dignité d'Hofpodar en Moldavie & en Valachie
a été rendue inamovible , fauf pour raifon
de plaintes graves portées à Sa Hauteffe
contre l'un ou l'autre des deux Hofpodars.
DANEMAR CK.
DE COPENHAGUE , le 20 Mai.
L'Ordonnance contre les émigrations affujettit
toutes les perfonnes , allant à nos colonies
des Antilles , à donner une caution
avant leur départ. Si un navire fe charge de
paffagers non munis de paffe - ports , il ſera
faifi comme contrebandier.
Voici le précis fur la Norwege , qui fait
fuite à celui fur le Danemarck , que nous
avons donné dans le N°. précédent.
La furface de la Norwege eft de 7000 milles
quarrés. La partie du fud eft affez bien cultivée ,
celle du nord l'eft très- peu . D'après un calcul
moyen de dix ans , it naît en Norwege annuellement
23,100 enfans : en comptant la proportion
des naiffances à la population totale , dans
le rapport de 1 à 31 , la Norwege auroit
720,000 habitans .
L'un dans l'autre , chaque mille contient
donc 103 habitans ; mais dans la partie la plus
cultivée du pays , & dans le voifinage des villes ,
il faut porter ce nombre à 153 ; il eſt réduit à
€ 2
( 100 )
23 par mille dans les diftris du nord . Bergen ,
la ville la plus confidérable du Royaume , a
16000 habitans. Dans le nord , aucune ville , excepté
la fortereffe de Vardhus , gardée par 40
hommes.
Le produit territorial en bled ne fuffit pas à
la nourriture des Norwégiens , il faut importer
de cette denrée pour 700,000 rixdalers par année
, pour un million même , fi la récolte n'a pas
été favorable.
Ls produit de la pêche et évalué à 2,400,000
rixdalers : il feroit quadruple fi les nations étrangeres
pouvoient être entiérement exclues de ce
commerce.
le
,ܘ
L'armée de la Norwege eft diftin &te de celle
de Danemarck . D'après l'état de 1763 , elle confifte
en 29,038 hommes. Un Colonel reçoit annuellement
800 rixdalers , un Capitaine
fimple foldat rien du tout. L'entretien de la
cavalerie , qui n'eft habillée que tous les douze
ans , coûte à - peu près 30,000 rixdalers , &
celui de l'armée entiere 183,000 rixd . annuellement.
Si l'on ajoute à cette armée 14,600 matelots
que porte l'état militaire , & 8000 mineurs qu'on
emploië en tems de guerre , on verra que la
Norwege peut oppofer près de 60,000 hommes à
une invafion .
La Couronne devroit percevoir fur la Norwege
un revenu de 1,600,000 rixdales . Cette eftimation
eft calculée fur le produit naturel de l'impôt
fur les métairies , de la dixme du cuivre exploité
, des mines de fer , du commerce des
bois , des péages , des droits fur les confommations
& des contributions extraordinaires ;
mais le revenu effectif eft au- deffous de cette
eftimation , & ne paffe pas 1,200,000 rixdalers.
( 101 )
Une grande partie de l'armée n'étant poing
payée en argent , la défenſe du pays n'eft nullement
difpendieufe , & les montagnes élevées
qui couvrent la Norwege du côté de la Suede
font des frontieres autant de fortereffes naturelles
..
A défaut de Lled , les habitans pauvres fe nourriffent
d'un pain d'écorce de fapin , dont l'ufage
eft très dangereux . On a propofé ſouvent
d'imiter pour la pêche de la Norwege l'acte de
navigation des Anglois ; mais ce projet eft reſté
fans exécution .
Le Roi a nommé le Confeiller privé de
Guldencrone , fon Miniftre Plénipotentiaire
près la Cour de Pétersbourg.
Le 19 , le vaiffeau de guerre l'Oldenbourg
Capitaine Buddé , eft allé en rade. Le même
jour il eft arrivé ici in eftafette de Peterfbourg.
Le prix des dernieres actions de la Com
pagnie d'Afie , a été de 928 & 929 rixdalers ;
celui des actions de la Compagnie de la
Baltique 94 & 95 rixdalers , & celui des actions
de la Compagnie d'affurance maritime
230 rixdalers.
ALLEMAGNE
DE HAMBOURG , le 22 Mai.
On écrit de Dantzick , que la navigation
fufpendue par la longueur du dernier hyver ,
n'a recommencé qu'à la fin d'Avril . Il y eft
acrivé peu de bâtimens Polenois , mais un
e 3
( 102 ))
a
grand nombre d'Anglois & de la Baltique ,
pour les emplettes de grains . Le bled cons
mence à devenir rare à Dantzick , mais les
tranfports attendus de Pologne rameneront
l'abondance. L'étendue des commiffions à
fait hauffer le prix de cette denrée.
On trouve dans un Recueil Allemand les
détails fuivans , au fujet du commerce de
Dantzick .
Les productions de Pologne font le principal
objet de commerce d'exportation de cette ville.
Elle en reçoit , une année portant l'autre , 50 à
60,000 lafts de bled , dont le prix varie beau→
coup , & fe regle annuellement fur les prix de
Hollande. En comparant ensemble les divers
prix de plufieurs années , les Dantzickois paient
le laft de bled à
qui , pour 60,000 lafts , produit une fomme dé
2,080,000 ducats . Les autres productions , com
me bois , cendre , potaffe , toile , cuir , miel , &c.
que les Négocians de Dantzick reçoivent de la
Pologne montent environ à la même fomme,
Ainfi cette ville met dans ce commerce un capital
annuel de fix millions de rixdalers. Elle
gagne là - deffus 20 pour 100 , & fait par conféquent
un bénéfice de 1,200,000 rixdalers ; mais
elle en paie au Roi de Pologne , à titre d'impofitions
& d'autres droits , une fomme annuelle de
150,000 rixdalers , & environ autant pour les in
térêts des fommes dues à l'Angleterre & à la
Hollande . Certe réduction faite , il refte aux
Dantzickois un bénéfice net de 900,000 rixdalers ,
qui , faute de fabriques & de manufactures dans
la ville , paffent à l'étranger pour en faire venis
ce dont ils ont befoin dans ce genre. Malheureufement
la plus grande partie de cet argent eft
oon
de
dix
-huit
ducats
,
ce
( 103 )
employé pour des objets de luxe qui va toujours en
croiffant dans cette petite République. D'après
cela on peut affurer avec vérité que puifque là
Ville de Dantzick dépenfe autant qu'elle gagne,
la balance de fon commerce eft en équilibre au
jourd'hui , & que dans peu , fi elle ne prend pas
d'autres melures , fon commerce ne fuffira plus
pour fournir à les dépenfes. Il n'y a aujourd'hui
que les anciennes maifons de commerce qui fe
foutiennent encore , les nouvelles qui s'y étoient
formées font prefque toutes tombées peu de tems
après leur établiffement . La maifon de Rothembourg
eft la feule qui ait fait fortune , & dont les
affaires font en très-bon état ; c'eft cette maiſon
qui fait prefque toutes les commiffions pour la
France.
Le nombre des bâtimens arrivés à Dantzick
en 1783 , étoit 681 , & celui des bâtimens
fortis 694.
Le tableau fuivant des revenus que perçoivent
plufieurs Couronnes du commerce
du Tabac , peut donner une idée affez
exacte de l'étendue de ce commerce.
En 1753 , le Roi de Portugal a affermé le tabac
pour la fomme annuelle de
Le Roi d'Efpagne en tire
Le Roi de France
Le Roi des Deux - Siciles
Le Roi de Danemarck
L'Empereur •
·
2,500,000
rixd.
8,158,400
3,802,400
• 370,125
· 40,000
1,800,000. ·
16,670,808 rixd
M. Bufching porte les revenus que le Roi de
Pruffe tire de cette branche de commerce plus
haut que ceux que ce Souverain perçoit de fes
Domaines confidérables dans la Marche Elec
torale.
( 104 )
(
DE FRANCFORT , le 4 Juin.
Les pronoftics , ou plutôt les rêveries fur
l'emploi futur des Aeroftats , ayant menacé
les places de guerre & les armées de cette
artillerie aérienne , on prétend qu'un Docteur
Allemand s'eft occupé férieufement des
moyens d'en prévenir les effets. A ce qu'on
rapporte , il a inventé une lentille ou miroir
ardent , capable d'incendier les ballons &
leur équipage à la hauteur de 2 ou 3 lieues.
.. M. le Confeiller Eybel , à qui l'on a attri
bué l'ouvrage fameux , Qu'est- ce que le Pape,
eft chef de l'une des Commiflions nommées
par l'Empereur pour la vifite des Eglifes &
des Couvens. On raconte qu'étant arrivé
dans l'Eglife de Braunau en Autriche , à
l'inftant où le Prédicateur s'échauffoit contre
les innovations récentes , il le laiffa continuer
fans fortir de l'incognito. Après le fermon
, le Moine averti vint fe jetter aux ge-.
noux de M. Eybel , en le priant d'oublier
fon éloquence. Mon Pere , lui répondit le
Vifiteur , j'aurai foin de faire examiner attentivement
votre affaire.
Le 17 le mariage futur du Duc Charles-
Louis Frédéric de Mecklenbourg Strelitz ,
avec la Princeffe Charlotte - Chriftiane-Marie
fille du feu Prince George Guillaume de
Heffe -Darmſtad , a été déclaré publiquement
à la Cour du Landgrave.
( 105 )
On mande de Vienne que l'Empereur
vient de fupprimer les Couvens des Carmes ,
des Peres de l'Ordre de S. François de
Paule , des Servites , des Dominicains & des
Urfulines. La garnifon de Vienne , ajoute-tfera
renforcée & portée à l'avenir à
25 à 30 mille hommes .
on ,
L'affaire de l'Evêché de Paffau avec la Cour
Impériale a été , dit- on , arrangée de la maniere
fuivante : l'Evêché renonce à perpétuité à la Jurifdiction
eccléfiaftique dans la haute & baffe Autriche,
& à celle dans le quartier del' Inn cédé à la
Maifon d'Autriche par la paix de Tefchen , &
s'engage à payer annuellement 25,000 florins au
nouvel Evêché de Linz ; cette fomme fera acquittée
partie en argent comptant , & partie en
Bénéfices cédés pour cet objet . La Cour Impériale
, de fon côté , reftitue à l'Evêché les diftricts
, dîmes , maifons , &c . qu'elle avoit mis en
fequeftre. La haute Autriche , d'après cet
arrangement , & le quartier del ' Inn , feront attribués
au Diocèfe de Linz , deux quarts de la baffe
Autriche à l'Evêque de S. Poltin , & le reste à
l'Archevêque de Vienne.
Les confcriptions militaires font recommencées
pour cette année , & on preffe même la levée des
troupes.
ITALI E.
DE VENISE , le -23 Mai.
On a répandu que la pefte s'étoit manifef
tée dans la Dalmatie , & notamment à Spalatro.
En conféquence les ports du golfe
Adriatique font munis des précautions.
es -
( BOG )
dufage : Sa Sainteté a même fait fermer le
port de Finigaglia aux navires venant de
nos côtes , & interdit la foire célebre qui a
lieu toutes les années dans cette ville .
Cependant la nature de cette maladie contagieufe
eft encore très - équivoque. Elle regna
déja l'année derniere , & on l'attribua
au retour d'un nombre d'émigrans paffés en
Turquie , & rentrés dans la Province par
les montagnes . On croit d'autant moins
cette épidémie peftilentielle , que divers malades
ayant été traités dans l'Hôpital de Spalatro,
ils ont été bientôt rétablis.
Le Gouvernement vient d'envoyer fur
les lieux le Sénateur Diedo , pour vérifier
ces craintes , & pour porter remede à la contagion
quelconque radicalement.
DE NAPLES ,
le
13 Mai.
L'efcadre destinée à joindre les Eſpagnols
dans leur nouvelle expédition contre Alger,
doit appareiller le 16. Elle eft compofée de
deux vaiffeaux de ligne , de deux frégates
& de deux chebecs , fans compter les bâtimens
munitionnaires , & un vaiffeau d'hôpital.
L'état déplorable de la Calabre occupe
toujours le Gouvernement. Il s'eft tenu à ce
fujet , un Confeil des Miniftres d'Etat , auquel
S. M. a affifté , ainfi que le Maréchal
Pignatelli , chargé l'année derniere du com(
107 )
mandement de cette Province. Ce Général ,
à ce qu'on dit , fe prépare à y retourner ,
pour y faire exécuter un Bref de S. S. relatif
à la fécularifation des Religieux , Novices
encore , lors de la deftruction des Monafteres
fupprimés .
ESPAGNE.
DE MADRID , le 2 Mai.
La flotille qu'on équippe pour l'expédi
tion d'Alger , fera compofée de So bâtimens
, chaloupes canonnieres ou bombardes
; fous la protection d'un vaiffeau de ligne
& de quelques frégates , & de 10 chebecs.
Vu le nombre de troupes qui paroiffent
deftinées à s'embarquer fur cette efcadre
, on préfume qu'il fera queftion d'un
débarquement , & non pas feulement de
bombarder Alger. Les travaux fe pouffent
à Carthagene avec la plus grande activité :
de leur côté , les Maures ne font pas oififs.
On annonce qu'indépendamment de leurs
anciennes batteries , ils en ont conftruit fept
autres fur des ouvrages avancés , d'où ils fe
propofent d'incendier à boulets rouges , les
bâtimens qui fe mettront à portée de bombarder
la ville .
*
6
( 108 ).
PORTUGAL,
DE LISBONNE , le 2 Mai.
Le mariage prochain de l'Infante Marie-
Anne Victoire avec l'Infant d'Efpagne Dom
Gabriel a été déclaré à la Cour. On parle
auffi d'unir l'Infante Charlotte , fille aînée'
du . Prince des Afturies avec l'Infant Dom
Juan , fils puîné de LL.. MM . Le premier de
ce mariage paroît devoir fe conclure au
mois d'Octobre prochain.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 8 Juin.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Amésique
Septentrionale font mention des ravages
qu'a occafionné le dégel des rivieres en
divers endroits. Une lettre de Wyoming
dit :
» Dans la nuit du 15 de ce mois , ( Mars ) la
riviere qui arrofe cette Ville , en moins de 36
minutes à éprouvé un débordement fi confidérable
, qu'elle a inondé toutes les terres baſſes
de notre Colonie . Elle a einporté des maiſons
entieres , des beftiaux , des grains , &c . & plufieurs
familles qui n'ont pas eu le temps de fortir
de leurs foyers , ont été entraînées dans les bâtimens
à cinq mille de diftance. On a vû des
mailons flotter au milieu des courants avec du
1
( 109 )
monde & des lumières dedans. Enfin jamais on
n'a vû de déſaſtre femblable . La Garnifon qui
étoit logée dans le lieu le plus élevé du pays
étoit noyée de quatre pieds d'eau . Les troupes
ont été obligées de fe refugier dans les montagnes
& de laiffer armes & bagages . Les terres
font dans ce mom nt ci couvertes de glaces
épaiffes de quatre & cinq pieds . Nous devons
à l'extrême folidité du Fort de n'avoir pas vu
nos cafernes détruites. Mais ce qui nous arrache
des larmes c'eft la fituation malheureufe d'une
foule de femmes & d'enfans deftitués de vêtemens
& même de vivres par cette déſaftrueuſe inondation.
Les accidens ont été auffi fâcheux fur la
Delaware.
La navigation de la riviere , écrit - on , qui
avoit été interrompue par les glaces depuis le
26 Décembre dernier , vient enfin d'être ouverte
; un nombre de bâtimens après avoir été
obligés d'errer dans la baye & dans la riviere ,
en éprouvant beaucoup d'incommodité , eft entré
ces jours ci dans le port. Pendant la
rude faifon , la glace , en formant fur la riviere
une route sûre pour la communication de cette
Ville avec les rives oppofées , nous a du moins,
procuré de grands foulagemens pour l'article important
du bois à brûler , qu'on apportoit en,
quantité du nouveau Jerfey. Le dégel a malheureufement
caufé , dit - on , bien du dégat dans
les établiffemens de la fiviere de Schuylkill.
-
Aux Falls , à environ 5 mille de cette Ville ,
les eaux fe font accrues prodigieufement , & les
glaces qu'elles ont entraînées , ont détruit beaucoup
de bâtimens , tels que des granges, des
écuries , des pêcheries , des enceintes , & des
¡
( 110 )
habitations . Un moulin à papier a été entiérement
renverfé & plufieurs autres fort endommagés .
Ces malheurs joints à la détreffe qu'a néceffairement
occafionné un hiver , fans exemple depuis
40 ans, ont bien vexé les pauvres Bien des particuliers
qu'on croyoit être au - deſſus du beſoin ,
ont eu de la peine à paſſer l'hiver.
Enfin l'on mande de Baltimore les détails
fuivans.
Hier , à force de travail & de perfévérance ,
on a achevé au milieu des glaces un canal qu'on
avoit commencé á ouvrir il y a quelques jours
depuis la pointe de Fell , juſqu'à celle de Whetſtone
Parce moyen une vingtaine de Bâtimens
& une foule de petites Barques de la Baye qui
avoient éprouvés de la part des glaces un long
& penible retaid , font entrées dans le port á la
fois . Ils ont formé un ſpectacle très - gréable aux
Habitans qui les ont falués de trois acclama
tions , auxquelles les équipages ont répondu
avec le même plaifir & la même cordialité.
Le 19 Avril , l'Etat de Maffachuſett Bay
a fait l'élection annuelle des Chefs de fon
gouvernement : M. Jean Hancock a été réélu
Gouverneur , & dans le nombre des fix nouveaux
Sénateurs , fe trouve M. Samuel
Adams.
L'Affemblée générale de Penfylvanie a
reçu le rapport du Comité , chargé d'examiner
les intérêts commerciaux de cet Etar.
Le Comité ayant examiné la lettre du Gouverneur
Horrifon , en date du 21 Décembre , &
les mémoires des Marchands de la Penſylvanie
qu'on voudroit établir fur les bâtimens britans
niques , a repréfenté dans fon rapport :
( n )
.5
Que le Comité regarde le foin de rédiger
des réglemens de commerce comme une entrepriſe
très étendue ; & que , d'après fes principes de
politique les plus fains , il pense que rien ne mérite
davantage l'attention de la Légiflation que
les mefures qui ont rapport aux intérêts commerciaux
de l'Etat.
Que la proclamation du Roi de la G. B. qui ,
en reftreignant le commerce entre ces Etats & les
Colonies à fucre d'Angleterre , tend à décourager
notre navigation & notre commerce , doit trouver
la plus conftante oppofition de la part des Etats-
Unis.
Que d'après le mémoire préfenté par le Commerce
de ces Etats , il paroît que les Marchands
s'occupent , de concert avec ceux des autres
Etats , de la rédaction d'un plan général de commerce
pour les Etats Unis .
Que l'efficacité de ces efforts combinés , jointe
aux démarches particulieres dont nous fommes
capables , engage le Comité à propofer la réfo
lution fuivante.
Réfolu que l'on nommera un Comité pour former
un bill qui autorife les Etats - Unis affemblés
en Congrés à défendre l'importation de toutes
denrées ou marchandifes du crû ou du produit
d'aucune des Colonies à fucre de l'Angleterre ,
dans ces Etats - Unis , ou à adopter tels autres
actes de réciprocité vis-à- vis de la G. B. relativement
au commerce des Etats - Unis , tant que les
reftrictions en queftion auront lieu de la part de
l'Angleterre.
Pourvu toute-fois que cet acte ne puiffe fortir
fon plein effet que lorsqu'il aura été approuvé par
les autres Etats de l'union .
On écrit d'Hallifax , dans la Caroline Sep(
112 )
tentrionale , que le Général Rutherford , qui
avoit fait une excurfion du côté du Miffifipi ,
avec un corps nombreux de Volontaires ,
dans la vue de faire quelques découvertes
dans les parties occidentales , a été furpris
par les fauvages , & entiérement défait. On
prétend que le Général lui- même a perdu la
vie avec fes infortunés compagnons , qui ne
penfoient nullement à faire la guerre ; mais
dont l'objet au contraire étoit d'acquérir ,
fans effufion de fang ; un très -vafte territoire.
Les féances du Par'ement font toujours
auffi vives , fans en être plus inftructives , au
moins pour tout ce qui n'eft pas Anglois.
Les débats ont pris un caractere d'aigreur &
de févérité qu'on a rarement remarqué dans
les difcuffions les plus importantes . Celle
qui continue d'agiter la Chambre , eft tou-,
jours relative à la queftion , fi le Grand Baillif
de Weftminfter fera admis , ou non , à
procéder à la vérification des fuffrages . L'un
& l'autre parti mettent à cette querelle une
chaleur qui leur fait oublier non - feulement
les bienféances , mais ce qui eft encore pis ,
les regles de la Chambre.
On ne fera pas furpris de cet échauffement
, fi l'on confidere que le crédit de M.
Fox tient en grande partie au fiege qu'il occupe
par interim ; que s'il en eft dépoffédé ,
il acheve de perdre l'avantage de l'opinion
qui le croit maître de la confiance du peu(
113 )
1
ple , opinion auffi utile que cette confiance
même ; enfin , que Dictateur il y a deux
jours d'un parti prépondérant dans les Communes
, il court le rifque d'être exclus de
ces Communes mines .
Il y a auffi une réclamation
, comme
nous
l'avons
dit l'Ordinaire
précédent
, contre
fon élection
dans un bourg
d'Ecoffe
. Son
concurrent
, fortement
foutenu
à n'en pas
douter , lui oppofe
des illégalités
de toute
efpece. M. Fox n'eft ni bourgeois
, ni habitant
, ni propriétaire
, ni he paye les
taxes dans aucun des bourgs
qu'il doit repréfenter
, ce qui eft formellement
contraire
aux actes du Parlement
d'Ecoffe
, relatifs
à l'élection
des 16 Pairs & des 45 Députés
qui l'ont remplacé
. Cependant
ces objec
tions n'ayant
pas paru infurmontables
, le
Candidat
plaignant
s'eft retranché
fur les
prévarications
commifes
durant
l'élection
.
Lord Surrey
, il eft vrai , ami zélé de M.
Fox , ayant été élu pour trois bourgs
différens
, lui ménage
une reffource
; mais il eft
dur , après tant de fupériorité
, d'en être réduit
là
Quoiqu'il en foit , il paroît certain que la
verification des Votes fera ordonnée par la
Chambre des Communes. M. Fox d'une
part, & le grand Baillif Corbett de l'autre
ont plaidé leur caufe dévant l'Affemblée ,
par le miniftere d'Avocats refpectifs. Cette
plaidoyerie a entraîné plufieurs féances fort
( 114 )
avant dans la nuit ; elles fe font prolongées ,
par débats incidentels qui fe font élevés
entre les membres eux - mêmes . Le plus
important de ces débats a eu pour objet de
décider , fi l'on devoit entendre ou non , les
témoins amenés par le grand Baillif pour
certifier l'authenticité réelle ou fuppofée des
fuffrages frauduleux reprochés à M. Fox.
Malgré la forcé des expreffions de cet Orateur
, & les argumens de fes Avocats , la
motion affirmative a paffé à la pluralité de
85 voix.
Aujourd'hui , 8 , cette plaidoyerie a été
terminée , & fera jugée demain : il eft fu
perflu d'en faire preffentir la décifion .
Dans la défenſe qu'a produit le Grand-
Bailli , ou plutôt l'expofé de fes motifs en
accordant la vérification , cet officier a af
firmé que, dans les dix premiers jours de l'Elec
tion, qu'ily avoit eu 100 fuffrages de donnés,
en tout plus de 1200000 , tandis qu'à
F'élection conteſtée entre Lord Trentham
& M. Vandeput , le nombre des votans ne
paffa pas 9200. Tant que M. Fox , ajouta
» M. Corbett , a eu la minorité , il a me-
» nacé ouvertement de demander la revifion ;
» aujourd'hui , il la trouve illégale ; mais le
» changement de fes intérêts , peut- il avoir
»fait changer la nature de l'opération ?
Les petitions au fujet d'élection illégale
fe multiplient chaque jour ; encore quelquesunes
, & le Parlement entier fera bientôt en
( 115 )
conteftation . Le temps perdu à l'examen
de ces demandes , & de la grande affaire
de Weſtminſter , n'a cependant point interrompu
le cours des objets effentiels. Les
affaires de l'Inde , l'acte pour régler le commerce
d'Amérique , & les fubfides ont fixé
l'attention de la Chambre.
Quant au premier objet , on parle encore
trop vaguement du plan du Miniſtere pour
en hafarder quelque chofe ici ; mais il paroit
sûr que Lord Cornwallis a accepté le
commandement général dans cette partie du
'monde.
Pour le fervice de la Marine en 1784,
la Chambre a accordé 26000 matelots
y compris 4445 foldats de marine. Chaque
homme étant paffé fur le pied de 4 liv.
fterl. par mois , en ajoutant à cette fomme,
celle qu'exige l'artillerie de la marine , c'eſt
une dépenfe de 12,53000 liv. fterl. pour
l'année.
Cet état et plus tort de 10,000 matelots
que celui arrêté en 1764 , après la paix ,
Tous le Miniftere de M. Grenville ; la dé
penfe ne fut alors que de 832,000 . Sous
George II on ne vota jamais plus de 10000
matelots en temps de paix . Un plus grand
nombre de bâtimens employés à courir fur
les contrebandiers explique en partie cette
différence .
M. Sawbridge a déjà réparu deux fois avec fa
motion pour la réforme conftitutive du Parle
( 116 )
ment. Cette motion a été encore éludée , ou
plutôt écartée pour le moment. Il eft à croire
que le ministère actuel prendra un biais afin de ne
pas la rejetter ni l'admettre entierement. La
néceffité de cette réforme , confidérée abftraitement
, a été fentie par tous les partis , excepté
par celui du Lord North ; mais en quoi confiftera-
t- elle ? Voilà ce qui divife les opinions à
l'infini . Les uns veulent abréger la durée du
Parlement , d'autres une élection plus générale .
Les premiers ont contr'eux la plupart des objections
formées par le dernier Parlement contre
fa diffolution les meilleurs écrivains de la
nation ont fait obferver aux feconds que la populace
, très -différente du peuple , feroit peu de
cas d'un pouvoir qui ne lui rendroit aucun émolument
, qu'un chaudronnier préféreroit de rajuf
ter une chaudière pour fix fols , à réformer la
conftitution pour rien , qu'un bucheron ne laifferoit
pas fes fagots pour faire des loix , & qu'un
filou aimeroit toujours, mieux voler dans les
poches durant les élections , que d'y donner fon
uffrage.
}
Il paffe pour certain que M. de Saint- Saphorin
, Envoyé de Dannemarc à la Haye ,
a fait ici la demande d'une de nos Princeffes
pour le Prince Royal de Dannemarc.
Le choix tombera , à ce qu'on affure fur
la Princeffe Augufte Sophie, fille uinée de.
leurs Majeftés : elle aura 16 ans au mois
de Novembre prochain , & le Prin ce Royal
en a 17 .
Les partifans modérés du Miniftere ,
ont obfervé avec peine , l'efpece d'emportementavec
lequel il paroit pourfu vie M. Fox
( 117 )
& fes adhérens. Si v . Pit garde plus de
réferve & de décence dans cette guerre
de paroles ; il n'en eft pas de même de
divers autres membres de l'adminiftration .
Les gens de loi furtout, fe font remarquer par
leur dureté. Si les circonftances ne permettent
pas de mettre de la meſure dans les hoftilités
légales , du moins devra t- on la conferver
dans les procédés. M. Fox , il eft vrai , ne
s'en eft jamais piqué ; il n'a jamais cru
que les ménagemens entraffent dans les devoirs
d'un Homme d'état ; mais fon impétuofité
naturelle rendoit plus excufables ces
écarts de l'éloquence . Les Papiers publics
dévoués au Miniftere , font remplis d'horreurs
dégoûtantes contre cet Orateur.
Ils ne ceffent de le comparer à Cromwell
mais celui- ci , ont dit les écrivains attachés à
M. Fox , fut- il un Orateur facile , élégant , univerfel
? Non; fut-il d'un caractere ouvert & mâle ?
plaifant & fpirituel dans la converfation ? Non ;
infenfible à fes propres intérêts jufqu'à fervir le
peuple au rifque de fa fanté, de fon crédit & de fon
pouvoir? Sûrement non. Les adverfaires de M.
Fox , prenant le revers de ce parallele , conviennent
qu'il manque de jufteffe ; car , difentils
, M. Fox eft - il connu pour un brave & heureux
Général ? eft- il la terreur de toute l'Europe ?
l'a t - on jamais trouvé en prieres ? Ses cheveux
font- ils flottans fans poudre fur fes épuales ? eft-il
remarquable par la tempérance ? eft- ce un homme
d'une propriété parfaitement libre ? Non. En
quoi donc reffembleroit il à Olivier Cromwell ?
Quoique les variations d'idés & de pár(
118 )
tis , à force de fe multiplier , ne fe faffent
plus remarquer dans le Parlement , celles
de M. Fox paroiffent l'emporter fur tous les
exemples de ce genre. On l'a vu pour &
contre la guerre d'Amérique ; contre les intérêts
du peuple dans l'affaire de l'élection de
Midlefex , & revenir à ce même peuple
après avoir été difgracié ; tour-à-tour ami
chaud & ennemi déclaré de Lord North ,
de Lord Shelburne , de M. Pitt ; foutenir
que la voix du peuple n'exiftoit pas dans
l'enceinte des communes , & fixer enfuite
cette voix dans cette même enceinte , &c .
&c. &c .
Le Chevalier Elijah Empey , ci-devant
chef de Juftice dans le Bengale , eſt revenu
de l'Inde par ordre du Gouvernement, pour
rendre compte de fa conduite , & M. Pitt
en a donné connoiffance à la Chambre des
Communes.
Lord Cheſterfield eft reparti fubitement
pour l'Espagne, départ auffi inattendu que
fon retour , & dont on connoît auffi peu
les motifs. C'eft le Chevalier Harris , cidevant
Miniftre de notre Cour à Petersbourg
, qui paffe à la Haie ; il en a fait fes
remerciemens à S. M.
DE DUBLIN , le 10 Mai.
La Réponse du Viceroi au difcours du
Parlement étoit dans les termes fuivans :
( 119 )
Milords & Meffieurs , je faifis avec plaifir cette
occafion de vous témoigner ma reconnoiffance
de la réception cordiale que vous m'avez faite ,
& de la confiance que vous m'avez accordée . Je
me félicite en même - tems d'avoir à vous communiquer
de la part de S. M. fa parfaite fatisfac
tion de votre conduite fur tout ce qui concerne
le bien public .
Meffieurs de la Chambre des Communes ,"
J'obéis avec joie aux ordres de S. M. qui me
commande de vous remercier du zele avec le
quel vous avez pourvu aux befoins de l'Etat ,
& coopéré à la gloire de fon gouvernement. Qu'il
me foit permis , de mon côté , de vous affurer de
la plus grande attention de ma part , à ce que
l'économie & la prudence préfident à la perception
& à l'emploi des fubfides que vous avez ac
cordés avec tant de loyauté.
Milords & Meffieurs , vous ne pouvez qu'éprouver
la plus vive fatisfaction , en réfléchillant
que les différens objets foumis à votre confeit
dès l'ouverture de cette feffion , fuivant le droit
d'un peuple libre , & qui fait fes propres loix ,
ont été difcutés , fuivis & arrêtés avec la diligence
& l'attention qu'ils méritoient .
Vous avez fagement donné votre ſanction aux
moyens extraordinaires que les circonstances exigeoient
, pour garantir ce Royaume de la famine .
C'eft avec un vif plaifir que j'envifage que ce
fléau eft éloigné pour l'avenir de cette contrée ,
& que c'eft par la fageffe de vos nouveaux réglemens:
fur les grains & les améliorations nombreufes
que vous avez faites à votre agriculture ,
que vous êtes parvenus à le faire ,
Je reffens une vraie joie en voyant les effets de
ce principe humain & généreux , qui vous a
portés à encourager l'induftrie nationale par les
( 120 )
réglemens les plus favorables & les reſtrictions
les plus fages. Je n'ai rien de plus à coeur que
l'augmentation de votre commerce , & le fuccés
de vos manufactures ; je ne manquerai pas
de donner par la fuite la plus grande attention
aux objets que les circonftances particulieres de
l'Etat n'ont point permis de rechercher ou d'approfondir
encore , & j'aurai le plus grand ſoin
qu'ils foient foumis à votre fage difcuffion , avant
de faire aucun réglement.
Les réglemens utiles qu'on a propofé d'introduire
dans la perception & l'emploi des revenus
publics ; la sûreté des propriétés , & l'extenfion
da crédit national , en dépoſant dans la banque
d'Irlande les fonds en litige dans les Cours de la
Chancellerie ou de l'Echiquier ; les projets pour
l'embelliffement de la Capitale ; votre réfolution
unanime de défendre la liberté de la conftitution
contre les attaques de la licence , & votre
zele à foutenir les inflitutions charitables , font
des témoignages non équivoques de votre fa
geffe , de votre humanité & de votre juſtice .
Je n'ai pas manqué de porter au pied du
Trône la fatisfaction que vous avez hautement
annoncé des avantages dont vous jouiffez fous
le gouvernement de Sa Majefté. Senfibles , comme
vous l'êtes , à ces avanages , je n'ai pàs befoin
de fouhaiter que vous faffiez vos efforts pour
communiquer aux autres les fentimens qui vous
animent. La fupériorité de vos lumieres & de
Votre rang ne peut manquer de vous donner
Pinfluence la plus étendue & la mieux méritée .
J'ai une ferme confiance que , pendant votre
féjour dans les provinces , vous n'oublierez rien
pour encourager l'induftrie de vos voifins , & la
diriger fur les objets qui conviennent le mieux à
leur fituation & au bien général de l'Irlande ;
YOUS
vous mettrez à leur portée toutes les reffources
'd'un pays libre & fertile , favorifé des avantages
de la paix , & protégé par les loix les plus dou--
ces ; vous ne fouffrirez pas que des craintes mal
fondées les arrêtent , ou que de mauvais confeils
les égarent .
Je mets men bonheur à penſer , & je m'enorgueillis
en réfléchiffant que nos efforts communs
ont été & font dirigés vers les mêmes
objets : le maintien & l'avancement de vos droits ,
la dignité es la profpérité de l'Irlande , & le bien
général de l'Empire Britannique.
Cette femaine , doit avoir lieu une affemblée
générale des Nobles , du Clergé & des
Bourgeois & Francs-Tenanciers de cette
Ville. On y dreffera une requête au Roi ,
pour demander à S. M. une réforme qui
répartiffe avec plus d'égalité les repréféntans
du Peuple en Parlement. Cette pétition ,
dit-on , fera fuivie de celles de toutes les
autres Villes du Royaume. Tout le monde ,
ajoutent les Feuilles publiques , excepté les
monopoliftes , corrupteurs des Bourgs &
leurs vils partifans , ne fait qu'un voeu pour
cette réforme. Si les Miniftres de la Grande-
Bretagne perfuadent au Roi de rejetter les
reprefentations de la Nation Irlandoiſe , le
peuple de ce Royaume ne devra plus avoir
de confiance en aucun des Membres de
l'Adminiſtration Britannique , & fera luimême
la juftice que le Roi & fes Miniftres
lui refufent.
Samedi dernier , M. Andreas , qui a été longtemps
détenu en prifon , fur l'accufation dont
Nº. 25 , 19 Juin 1784 .
£
( 122 )
on l'a chargé , d'avoir confpiré l'affaffinat de
plufieurs Membres du Parlement , a été amené
devant la Cour du banc du Roi (Kinsbench) ,
où l'on a pleinement délibéré des deux parts fa
décharge. Le Lord Earlsfort & une majorité de
fes confreres , ont conclu en faveur des privileges
conftitutionnels dont il appartenoit à Mandren
de jouir , & en conféquence l'on a admis
la caption.
Un vaiffeau arrivé à Corck de Gibraltar , a
rapporté les détails fuivans :
·
La frégate la Thétis , de 38 canons , eſt arrivée
d'une croifiere le 2 de ce mois . Le Thrufty
monté par le Commodore , eft toujours mouillé
dans la Baye . Le Orpheus & le Kingo - Fisher ont
mis à la voile pour différentes croifieres. Le
San Sarmento , frégate espagnole de vingtquatre
canons , venant de Barcelonne à Cadix ,
& commandée par Don Juan Sauride , a été attaquée
par deux corfaires de 16 canons , qui ont
hiffe pavillon maroquin , quoiqu'on les foupçonne
d'être algériens . Pendant l'action , qui
dura une heure de tems , les pirates tenterent
deux fois l'abordage fur les frégates. Mais l'un
d'eux ayant perdu fon grand mát , & le vent
étant devenu favorable , la frégate parvint à fe
dégager , & fit voile pour cette Baye , toujours
pourfuivie par les corfaires , jufqu'à la Baye de
Rozia , où le canon du fort les obligea de l'abandonner.
Les Efpagnols ont eu 14 hommes de
tués , & 15 dangereufement bleffés , qu'on a dé
barqués à terre pour être mis à l'hôpital de cette
ville. On a donné avis á Cadix de cette action
par la voie d'Algéfire , & le San - Sarmento eft
en radoub à la Baye de Rozia.
( 123 )
प.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 13 Juin..
t
Le 6 de ce mois , le Comte de Choifeul-
Gouffier , que le Roi avoit précédemment
nommé fon Ambaffadeur à la Porte , a eu
l'honneur de prendre congé de Sa Majeſté ,
pour le rendre à fa deftination , lui étant
préſenté par le Comte de Vergennes , Chef
du Confeil royal des finances , Miniſtre &
Secrétaire, d'Etat ayant le département des
Affaires étrangeres.
Ce jour , la Comteffe d'Aranda , Ambaffadrice
d'Espagne , fut préfentée à Leurs
Majeftés & à la Famille Royale avec les
formalités accoutumées.
Le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniftre & Secrétaire
d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres , & Grand Tréforier des Ordres
du Roi , ayant prié Sa Majeſté d'agréer
fa démiflion de cette derniere charge , le
Roi en a difpofé en faveur du fieur de Calonne
, Miniftre d'Etat , Contrôleur général
des finances , qui , en cette qualité , a prête,
le 13 de ce mois , ferment entre les mains
de Sa Majesté.
DE PARIS , le 15 Juin.
M. le Comte de Haga eft arrivé le 7 à
Verſailles. De Gênes ce Prince eft venu par
mer en Provence , & fans s'arrêter à Touf
2
( 124 )
fon , ni à Marſeille , il s'eft rendu dans cette
Capitale , où il étoit attendu quelques jours
plus tard. Le Roi qui étoit à la chaſſe à Rambouillet
, & qui devoit y fouper , revint à
Verfailles , où il précéda d'une demie heure
M. le Comte de Haga . Ce Prince a affifté
aux trois grands Spectacles de la Capitale ,
& ne prolongera pas fon féjour içi , felon le
bruit public , au delà du 22.
La Médufe , ancienne frégate du Roi ,
donnée à M. de Grand Clos Melé pour le
commerce de l'Inde , & la Driade font revenues
de la Chine. Elles ont laiffé à Canton
41 bâtimens tant François , qu'Anglois ,
Hollandois , Danois , &c. &c. Cette concurrence
avoit fait renchérir le thé au- deffus dú
prix commun des marchés de l'Orient. On
craint que les Actionnaires ne perdent 40
pour cent de leur mife dans cette entreprife ,
excepté ceux qui ont placé à la groſſe, L'énorme
quantité de thé dont l'Europe va être
furchargée , fera ouvrir les magaſins Hollandois
& Danois , & baiffer la valeur de cette
feuille .
M. le Comte d'Estaing a fait préfent à
M. le Bailli de Suffren d'un trophée en
bronze doré d'or moulu , dont la pendule.
n'eft que l'acceffoire . Le Trophée eft analogue
aux belles actions de M. de Suffren
dans l'Inde. On lui a fait ce beau préſent à
Verfailles , au moment où il fur reçu Chevalier
des Ordres. On affure que le Landgrave
de Heffe - Caffel , qui a quitté fa réfi(
123 )
dence le 2 de ce mois , ne tardera pas à arriver
dans cette Capitale.
On a affecté d'inférer dans différentes Ga
zettes & Papiers publics , des articles tendans
à perfuader que plufieurs perfonnes avoient
peri dans le traitement électrique des fieurs
Ledru , & que d'autres y avoient éprouvé
des accidens graves. On peut affurer , d'après
la vérification la plus exacte , que tout
ce qui a été dit à cet égard dans ces Ecrits
périodiques , eft entierement fuppofé.
Il paroît des Lettres - Patentes enregistrées
au Parlement le 27 du mois de Mai , por
tant fuppreffion des Echoppes de cette ville.
Depuis long- temps , le Public defiroit cette
fuppreffion on ne peut qu'applaudir à la
fageffe de la Police à cet égard , d'autant
plus qu'en remédiant aux inconvéniens de .
ces conftructions , elle a ménagé, autant que
cela fe pouvoit les intérêts des propriétaires
.
Dans un inftant où les fyftêmes de la
Phyfique du jour , occupent tous les efprits ,
on ne verra pas avec indifférence la Lettre
fuivante , au fujet des phénomenes météorologiques
de l'année derniere , expliqués fr
diverſement.
L'ufage de propofer des fyftêmes nouveaux
fans qu'un nombre d'expériences & de faits en
établiffent l'évidence , femble prévaloir aujourd'hui
le goût de la nouveauté , qui est devenu
la manie de notre fiecle a paffé des atteliers
des artifans dans les cabinets des fçavans ; &
"
f 3
( 126 )
1
oees derniers s'enflamment pour tout ce qui en
porte l'empreinte , jufqu'à vouloir faire plier.
fous l'empire dangereux de leurs opinions nouvelles
les faits les plus propres à les détruire.
Pour ju fier mon affertion , voici un abrégé
da fyftême nouveau annoncé dans le Journal de
Paris , du 6 Avril ; au ſujet des chaleurs , du
brouillard , des orages de l'année derniere , & -
du froid exceffif qui leur a fuccédé .
L'harmonie de toutes les parties du globe ,
fuivant les Auteurs du Journal , confifte dans,
une égale répartition du fluide électrique
» entre les couches inférieures de l'Atmoſphere
& les couches fupérieures de la Terre.... La
» conſtitution des années qui ont précédé 1783,
n'a pas peu contribué à déranger cette égale
répartition. Ces années ont été remarquables
» ou par une féchereife extrême , ou par un
» partage très-inégal dans la chute des pluies ....
» Les vents du Nord out produit une évapoaration
forcée ; en épuifant ainfi la terre de
fon humidité , ils ont fupprimé la cauſe des
» météores aqueux ; & plus de météores aqueux,
plus de conducteurs du fluide éle@rique ,
» plus de moyens par conféquent de l'éparpiller
» & de le répandre.... La voie de circulation
de ce fluide , ainfi interceptée entre la Terre
& l'Atmosphere , il a été forcé de fe refugier
» aux extrêmités , & y a préparé la convulfion
» du globe.... Sa premiere crife s'eft manifeftée
par le bouleversement de la malheureuſe Calabre.
La feconde crife a fuivi de près la premiere
, elle s'eft annoncée par un brouillard
» électrique qui a couvert l'Europe entiere , &,
» ne s'eft confumé que par une fucceffion rapide
» des orages incendiés qui fe font formés dans
fon fein , & ont duré depuis le mois de Juiller
( 127 )
» jufqu'à la fin d'Octobre .... ; alors a commencé
» la troifiente crife qui n'eſt pas encore_finie.....
» Cette crife eft un état de congélation ex-
» traordinaire pour les endroits où il ne s'eft
point fait d'accumulation de ce Auide ; &.
» de là font venus les neiges , les frimats , &
» enfin le froid rigoureux & conſtant que nous
» venons d'éprouver »....
Voilà donc l'électricité devenue tout- à-la - fois
la caufe de deux effets contraires , le froid & le
chaud. Déformais , l'électricité ainfi que l'air
inflammable & le magnétisme animal , fera le
feul pivot , fur lequel rouleront tous les Phénomenes
de phyfique & d'économie animale. Ces
trois principes circonfcriront à l'avenir le cercle
de toutes nos idées , au point qu'il ne nous fera
plus permis d'aller chercher ailleurs les caufes
des nouvelles révolutions du Globe.
Je fçais que l'électricité est un des anneaux
importans de la chaîne des caufes ; mais je fçais
auffi que prérendre tout expliquer par ce principe
, c'est reffembler à un malade attaqué de la
jauniffe , & qui transporte à tout ce qu'il voit
la couleur dont fon organe eft teinte.
La nature eft conftante & uniforme dans fæ
marche , elle produit toujours les mêmes effers
par les mêmes caufes. C'est là un principe contre
lequel , malgré le goût dominant de la nou
veauté , on n'a pas encore ofé former aucun
doute. C'est donc ce principe qui doit fervir de
baſe à la réfutation du fyftême dont il s'agit .
1º. Les conftitutions des années qui ont précédé
celle de 1783 , ont été fréquemment les .
mêmes dans des temps antérieurs. Souvent &
très fouvent il y a eu des années de féchereffe
extrême , un partage très-inégal dans la chute
des pluies ; fouvent une évaporation forcée de
£ 4
( 128 )
l'humidité de la terre , a occafionné le defféchement
des puits , le tariffement des fources &
un abaiffement prodigieux des rivieres ; fouvent
des vents du Nord ont defféché la terre lui
ont été fon état d'aggrégation , & fe font oppofé
par-là à la formation des météores aqueux.
Le fluide électrique, alors privé de fes conducteurs
, auroit donc dû , dans ces temps qui nous
ont précédés , comme dans celui dont on parle ,
fe retirer aux extrémités du Globe , s'enfoncer
dans les entrailles de la Terre , y préparer des
révolutions femblables à celles du défaſtre de la
Calabre , y former des ifles volcaniques pareilles .
à celles nouvellement forties du fein des mers
de l'Ilande. Cependant aucun de ces effets ,
malgré la coexistence de leurs caufes génératrices
, n'a été produit . On n'a point vu la mer
s'élever alors de fon lit immenfe , des villes
renversées , des montagnes fendues , tranfportées, -
des Provinces entieres englouties , des Contrées
immenfes arrachées du Continent , de vaftes pays
abymés , d'autres déconverts & mis à fec. Le
Auide électrique auroit il dono eu alors moins
d'énergie qu'aujourd'hui , lorfque les caufes qui
durent le concentrer dans les entrailles de la
zerre , étoient alors elles- mêmes plus efficaces &
plus abondantes ?
2º. On fait que les hivers de 1709 , 1749 ,
1776 , ont été plus rigoureux , quoique moins
longs que celui que nous venons d'éprouver . La
congélation extraordinaire arrivée à ces trois
différentes époques , dut alors être l'effet, comme
aujourd'hui , d'une accumulation du fluide électrique
, de fa répartition inégale dans l'air & fur
la terre ; il auroit donc dû alors , comme aujourd'hui
préparer les mêmes convulfions , produire
les mêmes crifes , renverfer des royaumes ,
( 129 )
en faire paroître de nouveaux . Rien de tout
cela cependant n'a précédé les hivers dont nous
parlons ; le Globe & l'Atmosphere n'eurent
aucun de ces accès qu'il plaît aux Auteurs du
fyflème d'appeller des crifes falutaires.
3. L'Europe eft à peine revenue de la frayeur
que lui a caufée l'affreufe catastrophe de la Capitale
du Portugal , le rer. Novembre 1755 ',
Lisbonne fut prefque totalement renversée par
un tremblement de terre , qui fe fit fentir le
même jour jufqu'aux extrémités de l'Europe. Ce
défafire affreux fut accompagné d'un foulevement
prodigieux des eaux de la mer , qui furent portées
avec violence fur toutes les côtes occidentales
de notre Continent.
L'Amérique même ne fut point exempte de
ces triftes ravages ; puifque , vers ce temps là
la ville de Quito fut renversée .
Jufqu'ici on avoit attribué ces commotions
aux commotions inteftines du Globe , produites
par l'action de l'air , de l'eau & du feu , fur les
matieres inflammables accumulées dans le fein
de la terre. Aujourd'hui de nouveaux Phyficiens
viennent nous dire : Apprenez que ces révolutions
qui vous étonnent , font l'effet fimple
naturel & même falutaire d'un fluide électrique
qui , ayant perda fes conducteurs , les voies de
communication entre la furface de la Terre &
l'Atmosphere , s'eft refugié aux Pôles , & y a
opéré ces convulfions qui jettent dans vos ames
la terrcur & l'épouvante .
Si la catastrophe de Lisbonne fut l'effet du
fluide électrique refugié aux extrémités du Pôle ,
au moins ne peut - on pas dire qu'en 1755 .
ce fluide fe concentra dans les entrailles de la
terre , pour avoir perdu fes conducteurs . Il y eut,
f S
( 130 )
dans les années qui précéderent la révolution
du Portugal , plus de météores aqueux qu'on
n'en vit jamais . Les conftitutions de ces années
furent ablalument différentes de celles qui ont
précédé 178 ;; il n'y eut , dans ce temps - là , ni
féchereffe extrême , ni partage inégal dans la
chute des pluies Le refoulement du fluide élecrique
aux Poles auroit donc eu , en 1755 , une
caufe contraire à celle de 1783. Cette contradiction
dans les caufes n'établit pas un préjugé
favorable pour la nouvelle opinion .
Les bornes d'une lettre ne me permettent pas ,
Meffieurs , de m'étendre ici fur toutes les autres
raifons qui doivent faire refuſer au fluide électrique
la puiffance qu'on lui fuppofe , de pro
duire les événemens extraordinaires dont nous
avons été les témoins : les météores aqueux feront
, fi on le veut , les conducteurs qui feront
alternativement paffer ce fluide de la furface du
Globe aux couches inférieures de l'Atmoſphere ;
mais cette voie de communication ne peut jamais
étre interceptée par la fuppreffion des météores ;
au point de forcer ce fluide à fe concentrer dans
les entrailles de la Terre , ou dans les Régions
les plus élevées de l'Atmoſphere. Si toure cette
théorie lumineufe eft en effet d'un Auteur habitué
à confidérer la nature en grand , comme le difent
les Auteurs du Journal , on doit donner le confeif
au Phyficien , Obfervatur en grand , de fe défier
des illufions d'optique , ' qui font d'autant plus
fréquentes , que l'angle , fous lequel on voit les
objets , eft plus ouvert.
Tout en avouant mon ignorance , Meffieurs ,
fur les véritables caufes des événemens qu'on a
prétendu expliquer par le fluide électrique , on
n'en pourroit rien conclure en faveur de l'opinion
que je viens de combattre ; cependant après
( 131 )
avoir détruit , il faut élever. Voict donc mon
opinion , dont je foumets la jufteffe au jugement
même de ceux qui ont un fentiment différent .
Le bouleversement de la Calabre me paroît
être la feule caufe fimple & naturelle , 1 ° . de
ce brouillard qu'on appelle électrique , qui pendant
trois mois a fervi de rideau à toute l'Europe
; 2 °. de ces chaleurs exceffives qui l'ontaccompagné
; 3. des orages affreux qui fuivirent.
fa diffolution ; 4°. enfin du froid exceffif qui a
terminé la fuite de cette crife. Voici les raifons
qui femblent donner du poids à cette opinion.
On fait que le feu , l'air & l'eau , ces agens
les plus puiffans de la nature, exercent particu
liérement leur action dans l'intérieur de notre
globe ; que ces couches immenfes de charbon
de terre , d'amas de bitume , de foufre , d'alun ,
de pyrites , font des matieres fur lesquelles ces
agens univerfels exercent leurs forces ; que ces
matieres combuflibles , réunies en un même
foyer & difpolées à l'inflammation , cherchent
alors une iffue , & font effort en tous fens pour
s'ouvrir un paffage ; que toutes les fois que ces
embrafemens s'operent , la face du globe éprou
veroit les changemens les plus faneftes , fi la
nature , qui met toujours le bien à côté du mal ,
n'eût donné à ces matieres embrafées un paffage
propre à rallentir les fermentations intérieures .
Ces iffues font les volcans placés dans toutes
les parties du globle , mais particuliérement
dans les climats les plus chauds , où ces fermentations
font plus fréquentes. Ces volcans
font les foupiraux de la terre , les cheminées
par lefquelles elle fe débarraffe des matieres
embratées qui dévorent ſon ſein . Ces cheminées
fourniffent un libre paffage à l'air & à l'eau qui
ont été mis en expanfion par les fourneaux qui
fG
( 132 )
font à leur bafe . Ces volcans , loin d'être envifagés
comme un malheur de la nature , font donc
un de fes bienfaits , puifqu'ils fourniffent au
feu & à l'air un libre paffage qui les empêche de
porter leurs ravages au- delà de certaines bornes ,
& de bouleverler totalement la furface du globe.
Plus ces fermentations tardent à fe manifefter
, plus alors les pays qu'elles avoifinent font
menacés d'une fecouffe violente . Les matieres enflammées
s'accumulent avec d'autant plus d'abondance
que ces éruptions font moins fréquentes ;
& lorfqu'enfin l'air , l'eau & le feu viennent à
agir puiffamment , le volcan ne devient plus
le feul foupirail de ces fermentations ; les terres
voifines contre lefquelles l'embralement fait
effort , en deviennent avec le volcan les bouches
communes . Telle a été la caufe de l'éruption qui
a englouti la Calabre .
Depuis long- tems les éruptions de l'Etna &
du Véluve avoient été foibles & lentes , les
iffues ordinaires devenues infuffifantes pour les
explosions , les pays voifins ont dû y fuppléer
& participer dès - lors à la fubverfion. Voilà la
premiere époque de cet événement mémorable.
Cette explosion n'a pu fe faire fans que
de
routes ces matieres enflammées , les parties les
plus déliées ne fe foient répandues dans l'atmofphere
, & n'aient perdu de leur denfité à meſure
qu'elles ont acquis de l'expanfion . Ces matieres
ainfi volatilifées , mêlées avec celles que le volen
a continué de vomir après fa premiere exp'ofion
, ont dů fuffire pour répandre fur toute
'Europe un nuage de foufre qui a dû donner au
foleil & à l'atmoſphere une teinte rouge . Ce
nuage devenu caufe furabondante de chaleur
dans l'air , a dû y augmenter l'action du feu élec(
133 )
trique , & occafionner dès- lors des chaleurs exceffives
, des orages violens ; c'eft là la caufe du
fecond état du ciel , depuis le mois de Juillet
jufqu'en Octobre 1783 .
Enfin les vents du nord , éminemment doués
en effet d'une verta diffolvante , font venus purger
l'atmosphere de ce nuage malfaifant , mais
c'eft en y opérant une congélation exceffive ,
c'eft en y diminuant le fluide électrique , c'eſt
en y apportant les principes propres à opérer une
congelation. Voilà la cauſe du rigoureux hiver
qui , au tems où j'écris , ne paroît pas encore à
fon terme. \
Si le témoignage de l'hiftoire peut donner
un nouveau poids à mon opinion , je puis invoquer
fon autorité avec avantage.
Tite Live nous rapporte que fous les Confulats
de C. Martius & de T. Manlius Torquatus , il y
eut des embrafemens du Véluve dont les exhalaifons
furent affez épaiffes pour dérober la lumiere
pendant le jour aux habitans de Rome ,
& nox vifa eft interdiu in urbe Roma .... Dion
rapporte que lors d'un autre fameux embrafement
du Véfuve , arrivé fous l'Empereur Vefpafien
, le vent porta les céndres & la fumée que
vomiffoit cette montagne , non - feulement jufqu'à
Rome , mais même jufqu'en Egypte ..
La chronique du C. Marcellin obferve que fous
le Confulat de Marius & de Feftus , cette même
montagne s'étant embrafée , les cendres qui en
fortirent fe répandirent par toute l'Europe ...
Dans l'embrafement du mont Etna , arrivé en
1537 2 la cendre fur portée à plus de 200 lieues
de la Sicile , fuivant l'hiftoire de ce Royaume , & c .
L'Abbé TABOUET, Avocat.
Le 8 de Mai dernier , l'Académie Royale
des Sciences a élu M. Quatremere d'Isjon(
134 )
val , pour la place de Chymifte , vacante
par la mort de M. Macquer.
On écrit d'Aix qu'une Demoiselle du nom
de *** , mariće à M. *** le fils , Préſident au
Farlement , a été trouvée égorgée dans ſon lit :
elle étoit fort jolie , & n'avoit pas 24 ans . Com
me il n'a manqué que fa bourſe , & qu'on n'a
point touché à fes bijoux , ni à fes diamans , on
foupçonne que des voleurs n'ont pas commis cet
attentat . Les domeftiques & fa femme de chambre
fe font rendus d'eux - mêmes en prifon.
Les Juin , vers midi & demie , le village de
Belloy-fur-Somme , firué fur la route d'Amiens
à Abbeville , a effuyé le plus terrible incendie .
En moins de 5 quarts d'heure , le Presbytere ,
1 Eglife avec tous les effets qu'ils renfermoient ,
& 158 maiſons , avec tous les bâtimens en dépendans
, ont été dévorés par les flammes . JI
n'eit refté que quinze maifons aux différentes
extrémités du village , difpofées de maniere
qu'elles paroiffoient n'y être placées que pour
marquer la circonfcription. Le village entier eft
un champ : les habitans , au nombre de 8 à
goɔ , n'ont pu fauver qu'une partie de leurs
beftiaux , & le font difperfés dans les villages
circonvoifins . Ils font d'autant plus dignes de
compaffion & de fecours , qu'ils ont effuyé dans
les premiers mois de cette année des ravages de
volcans , une maladie épidémique , qui a enlevé
iu très grand nombre de chefs de famille , &
qui avoient déja dévaſté ce malheureux pays en
1776 .
Les Numéros fortis au Tirage de la Lorerie
Royale de France , font : 31 , 11 , 16 ,
17 , & 2.
( 135 )
DE BRUXELLES , le 10 Juin .
On ne fait fur quel fondement on avoit
publié que la France alloit ouvrir un emprunt
de quatre - vingt millions en Hol
lande. Il y a d'autant plus lieu de s'étonner
qu'on en ait répandu le bruit , que le cours
des effets publics de ce Royaume , l'abondance
du Numéraire , & la grande exactitude
des paiemens n'y annoncent aucun
befoin.
Dans le N°. précédent , nous avions parlé
des projets de liberté , & des démarches
de la Bourgeoifie d'Utrecht. Cette effervef
cence paroît avoir allarmé les Etats de la
Province , qui en conféquence ont rendu la
publication fuivante le 30 Mai.
Les Députés des Etats du pays d'Utrecht ,
ayant appris avec autant de regret que de mécontentement
, que l'efprit de divifion parmi les
habitant de cette Ville & du plat pays augmente
de plus en plus , & qu'il eft à craindre que fi la
licence qui commence à le manifeſter à cet égard
n'est réprimée par l'exercice d'une juftice rigoureufe
, il en pourroit réfulter les fuites les
plus pernicieufes pour le repos public ; afin d'y
pourvoir , trouvent bon d'avertir un chacun de
fe conduire comme il convient à de paisibles
& tranquilles habitans , avec déférence & refpet
pour la Régence légitime de ce pays , &
de fe garder de donner quelque occafion au dérangement
du repos & union parmi les habi.
tans.
( 136 )
!
Défendant à cette fin , de la maniere la plus
férieufe , à un chacun , de s'infulter ou attaquer
par des paroles ou des faits , foit en fe donnant
des noms injurieux , lefquels démontrent quelque
efprit de parti : défendant auffi fans aucune acception
, les cris féditieux ou offenfans , les pro-
Vocations , les menaces ; comme auffi de tirer ou
montrer des armes fur les chemins , rues , places
publiques ou ailleurs ; enfin toute contrainte ,
infulte , ou voie de fait envers qui que ce foit.
- Défendant également les affemblées non
convenables , les conciliabules , & en général
tout difcours offenfant pour la Régence légitime
du pays. Et afin de prévenir toutes diftinc-"
tions lefquelles donnent lieu à des infultes , nous
défendons de même à tous les habitans du plat
Fays de cette Province de porter aucune marque
diftinctive de cou eur quelconque qui puiffe les
diftinguer des autres habitans , ou à démontrer
quelque parti : le tout fous peine de punition arbitraire
fuivant l'exigence des cas , & même del
punition corporelle . Et afin que perfonne n'en
puiffe prétendre caufe d'ignorance , la préfente
1era affichée & publiée par-tout où beſoin ſera , `
&c. &c. & c.
Le 28 de Mai , M. le Duc de la Vauguyon
prit congé des Etats - Généraux , en leur
adreffant le Diſcours ſuivant.
Hauts & Puiffans Seigneurs. Je viens m'acquitter
du devoir , qui me refte à remplir auprès
de Vos Hautes Puiffance La Lettre de S. M. , que
j'ai l'honneur de leur remettre , leur fera connoître
la fatisfaction , qu'elle a daigné avoir de
l'ambaffade , qu'elle a bien voulu me confier ;
& elle leur offrira en même temps une nouvelle
preuve des fentimens , dont j'ai eu le bonheur
( 137 )
d'être fi fouvent l'organe . S. M. m'ordonne ,
en terminant ma carriere auprès de V. H. P.
de leur témoigner , de la maniere la plus expreffive
, la perfévérance de fon Amitié & de fon
intérêt pour elles . Je me féliciterai toute
ma vie , HH. & PP . SS . , d'avoir vu , pendant
la durée de ma Miffion , ſe former
s'étendre , & fe cimenter le fyftême d'une confiance
mutuelle entre S. M. & V. H. P. , qui
doit devenir la fource de la profpérité de la
république , & la bafe de l'union de tous fes
membres. J'éprouvai de tous les temps la plus
fenfible fatisfaction 9 en apprenant que Vos
Hautes Puiffances recueillent ces fruits précieux
de la fageffe de leurs délibérations ; & je me flatte ,
qu'elles voudront bien être perfuadées , que ma
nouvelle deſtination , en donnant un terme à
mes fonctions auprès d'elles , ne fauroit mettre
de bornes aux voeux ardents , que je ne cefferai
de faire pour leur bonheur & leur gloire ,
ni au fouvenir des témoignages d'eftime , qu'elles ,
m'ont accordés , & dont je conferverai à jamais,
la plus vive reconnoiffance.
A ce difcours le Baron de Lynden , Seigneur
de Hemmen , qui préfidoit à l'Affemblée
de Leurs Hautes Puiffances de la part
de la Province de Gueldre , répondit en ces
termes :
Monfeigneur l'Ambaffadeur , LL . HH. PP. ,
fenfibles à toutes les bontés du Roi , dont vous
avez bien voulu renouveller les affurances , m'ont
chargé de témoigner à Votre Excellence leur
fincere regret de fon depart . Elles auroient fou-'
haité & permettez que j'ofe y ajouter mes
propres voeux ) qu'elle eût pu continuer encore
pour quelque temps les fonctions de fon minif
1
I
( 138 )
tere auprès d'elles : Mais , le fervice , de S. M.
exigeant vos foins ailleurs , elles vous fouhaitent
un bon & heureux voyage , en vous priant de
vouloir donner de leur part à S. M. les affurances
les plus pofitives de leur défir conftant à donner
des preuves non équivoques de leur reconnoiffance
pour les bienfaits du Roi , qui fe font tant
manifefté dans le befoin , & dont un traité ,
fondé fur le bonheur des deux Nations , va
être la bafe. Elle fe flattent , que vous voudrez
bien , quoiqu'abfent d'ici , continuer vos bons
offices pour confolider une union , qui eft votre
vrage , & qui , felon les defirs de LL. HH .
PP. , fera la fource de la profpérité des deux
Nuions.
Leurs Hautes puiffances avoient chargé
leurs Miniftres à Bruxelles d'une déclaration
provifionnelle auprès du Gouvernement des
Pays -Bas . Elles y témoignoient leur furpriſe
des nouvelles demandes de S. M. I. en an…”
nonçant qu'elles alloient travailler à en examiner
l'objet. Il s'eft répandu , mais fans fondement
encore , que cette démarche n'a pas
eu l'effet defiré , & qu'au préalable la Cour de
Bruxelles a perfifté dans fes prétentions .
4 Le projet de l'affranchiffement de l'Escaut
a allarmé tous les corps de l'Etat. Les Ami
rautés , à ce qu'on dit , ont' remis des Mémoires
à L. H. P. , pour leur repréfenter le
tort infini qui en réfulteroit pour la République.
Il eft certain qu'elle fera croifer quelques
vaiffeaux de guerre à l'embouchure de
l'Eſcaut, pendant toute la durée des Conférences.
( 139 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Mademoiſelle Macaulay , connue par une hif
toire d'Angleterre affez eftimée , malgré l'efprit
de parti & l'emportement qui y dominent , va
partir pour les Etats - Unis : elle fe flatte , diton
, d'y être Légiflatrice de ces contrées , & d'y
trouver plus de foi à fes rêveries démocratiques
qu'on n'a voulu lui en accorder en Angleterre
.
33
"
>
Tous les papiers Irlandois ont rapporté le fait
fuivant: « Le Rouffeau , Capitaine Simpfon
» chargé d'hommes , femmes & enfans émigrans
de ce pays - ci , eft arrivé à Charlestown ; fa
cargaifon a été mise en vente . Une très -jolie
» fille , nommée Nancy , a été achetée , dès la
premiere heure , à très bon prix. Son père ,
fa mere & fa four furent vendus peu de temps
après le frere , âgé de 12 ans , a eu le même
5 -fort »,
L'intérêt que notre Monarque , écrit - on de
Naples , prend au fuccès de l'expédition de notre
Efcadre , ne fauroit le rendre . Pendant quatre
jours confécutifs , il s'eft tranfporté à bord de
Tous les vaiffeaux où il a paffé la journée entiere
, dinant avec les premiers Officiers & encourageant
tous les Soldats. Avant hier il fe
tranfporta de nouveau à bord , accompagné de
la Reine . Leurs Majeftés furent reçues au bruit
d'une double falve d'Artillerie ; le Roi fe rendie
enfuite à la maison de plaifance du Feu Prince
de Francavilla , où il dina avec les Officiers de
l'Escadre ; & après le dîner , il retourna à bord
avec le Prince héréditaire , Hier au foir , l'ES
cadre , après avoir fait les fignaux accoutumés
appareilla : elle eft commandée , comme on l'a
( 140 )
dit , par le Capitaine Bologna , qui a reçu ordre
de n'ouvrir fes inftructions qu'à une certaine
diſtance en mer . On prétend que l'Eſcadre va
à Cartagene , pour s'y joindre à l'Eſcadre , Epagnole.
Les troupes embarquées fur cette E
cadre , confiftent en un bataillon de troupes de
la marine , deux cens Grenadiers , Liparotes &;
autres troupes, Les côtes de la Sicile feront protégées
contre les Barbarefques par les quatre
galeres de S. M. , lefquelles font restées ici
& qui font prêtes à mettre à la voile au premier
ordre.
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
PARLEMENT De Paris.
Caufe entre la Dame le Rafle de Villeneuvre & le
Sieur B. ... Curé de V.... S.. B....
Le Juge de Glize eft compétent pour connoître
des délits communs , commis par les Eccléftaftiques
& prononcer les réparations qu'ils exigent .
Le fieur B.... Curé de V.... S………. B... ...
avoit fufcité différens procès aux fieur & Dame
le Rafle de Villeneuve , qui avoient tourné à
fon défavantage . - Ce mauvais fuccès l'irrita de
plus en plus , & charitablement il chercha à
s'en venger. La Dame de Villeneuve avoit cou
tume de le placer dans la nef de l'églife , au bas
de la balustrade , près l'autel dédié à la fainte
Vierge , la balustrade lui fervoit à s'appuyer , &
à poler fes livres . Le Curé , en faisant la cé 11
( On foufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eft de 15 liv . par an , chez M. Mats , Avocar, rue
& Hôtel de Serpente,
( 141 )
1
rémonie de l'eau - bénite & en donnant l'encens
affecta de renverser les chaifes de la Dame de
Villeneuve. Il ne s'en tint pas là ; il fit pofer
deux rangs de pointes de fer très - aigues
fur la balustrade , afin de la gêner ou de la
bleffer s'il étoit poffible . Enhardi par la patience
des Sieur & Dame de Rafle , le Curé
fe permit des méchancetés plus conféquentes ; il
prit le parti de les diffamer , de les infulter dans
les promenades , d'apostropher la Dame de Villeneuve
, de lui prodiguer les épitletes les plus
fales , de lui arracher fon bonnet , de menacer
le fieur le Rafle lui- même de l'affommer. Tant
d'excès pouvoient- ils refter impunis ? Les
Sieur & Dame de Villeneuve rendirent plainte
devant l'Official d'Orléans , & ils ajouterent aux
faits dont on vient de parler , qu'un Dimanche
le Curé n'avoit point dit la Meffe à fes Paroiffiens
pour aller célébrer une fête de Patron chez
un de fes Confreres. La plainte fut reçue &
fuivie d'informations , d'un décret d'affigné pour
être oui , de l'interrogatoire du Curé , & d'une
Sentence du 12 Janvier 1781 , qui , Parties
oüies , enſemble le Promoteur , fans avoir égard
à la furſéance demandée par le fieur B.... ni
aux reproches par lui fournis contre les témoins ,
ordonne qu'il fera paffé outre à la lecture des
charges & informations , laquelle faite , & fur le
tout oui de nouveau le Promoteur en fes conclufons
, fans qu'il foit befoin de paffer à plus ample
inftruction , recollement & confrontation , en
conféquence de la preuve réſultante tant de l'information
, que des aveux du fieur B... portés
en fon interrogatoire ; fait très- expreffes inhi
bitions & défenfes au fieur B ... de plus à l'avenie
injurier , menacer les Sieur & Dame le Rafle ,
comme auffi tenir aucuns propos contre les moeurs
( 142 )
réputation de ladite Dame le Rafle , ni fe
permettre vis - à- vis d'elle aucunes voies de fait :
& pour l'avoir fait , le condamne à faire réparation
aux Sieur & Dame Rafle par acte au
Greffe ; le condamne en outre en 50 livres de
dommages - intérêts civils , applicables , de leur
confentement , aux pauvres de la paroiffe de
Villeneuve , dont la diftribution fera par eux
faite , & aux dépers. Au furplus , reçoit le
Promoteur , Partie intervenante ; & faifant droit
fur les conclufions , enjoint au fieur B .... de
faire ôter à fes frais les pointes de fer miſes ſur
la balustrade de l'autel de la fainte Vierge , & ce
dans huitaine ; finon autorife le Promoteur à les
faire ôter . Comme aufli fait défenfes au feur
B .., de laiffer les habitans fans Meffe les jours
de Fêtes & Dimanche ; lui enjoint de remplir
fes fonctions avec exactitude , & pour s'être abfenté
de fa Paroiffe le Dimanche 3 Septembre
dernier , & avoir laiffé la Paroiffe fans Meffe , ni
Office , le condamne en 6 livres d'aumône , applicables
aux réparations de l'auditoire. Le
fieur B ... a interjetté appel en la Cour , tant
comme de Juge incompétent qu'autrement . La
Dame de Rafle , après la mort de fon mari , a
pourfuivi la confirmation de la Sentence.
Arrêt rendu en vacation le 11 Septembre 1782
qui a mis l'appellation au néant , ordonné que
ce dont eft appel fortiroit fon plein & entier
-effet ; condamne l'appellant en l'amende & aux
dépens ; ordonné l'impreffion de l'Arrêt au nombre
de cent exemplaires aux frais du Curé.
P
&
Oppofitions à Mariages.
La Jurifprudence rejette affez conftamment
les confidérations de dif arités de naiſſance & de
fortune, lorsqu'il s'agit de mariage dans la claffe
( 143 )
de le bourgeoifie , auffi les oppofitions formées
en pareil cas ne fervent - elles le plus fouvent
qu'à retarder des unions qu'il n'eſt guere poffible
d'empêcher. Les deux Arrêts que nous allons
rapporter confirment encore ce qui fe
pratique à cet égard.
Catherine Carpantier , fille mineure de dixhuit
ans , orpheline de pere & de mere , eft née
de parens honnêtes qui lui ont laiflé une certaine
fortune ; elle a pour tuteur le fieur Carpantier
fon oncle paternel . Cette mineure a été élevée
dans une de ces penfions particulieres où le ton &
les moeurs du fiecle ne s'introduisent que trop facilement
, & où la trop grande habitude de voir
des étrangers fait néceflairement perdre de vue.
les avantages fpécieux d'une vie paifible & retirée.
La demoiselle Carpantier a été élevée chez
les demoiselles L.... & A.... ; le neveu d'une de
ces maîtreffes a eu occafion de la voir fréquemment
chez la tante : ce neveu a fu fixer fon coeur,
& l'on prétend que la tante n'a pas nui aux difpofitions
favorables que ces jeunes gens ont prises
l'un pour l'autre. Le fieur A.... a donc demandé
en mariage la demoiselle Carpantier : une grande
partie de la famille de cette jeune perfonne a
confenti à l'union propofée : un feul oncle , le
fieur Carpantier , tuteur , crayant que le goût
de fa niece avoit été déterminé par l'Inftitutrice
, & que d'ailleurs il y avoit difparité de
naiffance & de fortune , s'y eft oppofé formellement.
En conféquence , Sentence du Châtelet ,
quia ordonné un furfis au mariage jufqu'à ce que
la mineure ait atteint vingt ans accomplis. Appel
de la demoiſelle Carpantier.
Arrêt du 9 Juin 1783 , qui met l'appellation
au néant , émendant , fait main - levée des oppofitions
formées par la Partie de Lacroix ( le fieur
( 144 )
f
Carpantier ) au mariage de celle de Coquebert ,
dépens compenfés.
---
A la même Audience on a encore ſtatué fur
une oppofition à un mariage : les circonstances
étoient plus fingulieres . Elle étoit formée par un
frere cadet , ci-devant Maitre Braſſeur , au mariage
de fon frere aîné , âgé de cinquante trois
ans , ancien Gendarme , avec une demoiſelle
âgée de trente , qui tenoit jadis un Café que le
Gendarme lui avoit fait quitter. Ce moyen
d'oppofition étoit la difparité dé naiffance & dé
fortune , l'inconduite du futur avec la fille G...
qui avoit eu un enfant d'un autre ; le Gendarme
avoit été interdit pour mauvaiſe conduite , &
n'avoit été relevé qu'avec nomination de feu
Me. Gervaile pour Confeil , fans lequel il ne
pouvoit paffer aucun engagement . Me. Gervaiſe
dont il avoit requis le confentement avoit néanmoins
déclaré que le fait du mariage ne le regardoit
pas ; qu'il avoit été nommé feulement
pour veiller aux biens , & non à la perfonne.
Le fieur R.... vouloit fe marier fans faire de
contrat de mariage , parce que la Coutume de
Paris pourvoit aux conventions de ceux qui fe
marient fous fon empire.
Le fieur R.... écartoit les moyens d'oppofition
en un mot. Disparité d'état : les qualités des Parties
fervoient de réponse . Inconduite du prétendu
avec la future : le mariage fervoit à la réparer. La
fille avoit eu un enfant d'un autre : ce fait ne regardoit
que le Gendarme , qui recherchoit néanmoins
la demoiſelle G .... , malgré tous les faux
pas qu'elle avoit pu faire dans la vie.
Arrêt du 9 Avril 1783 , qui fait main - levée de
T'oppofition de la Partie de Me. Aujollet au mariage
de celle de Me . Thiloriez ; condamne l'op
polant aux dépens.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE le 5. Juin
E Duc de Brunſwick Bevern , ancien
LGouverneur de cette Capitale , & qui a
réfigné fes emplois , comme on l'a rapporté,
vient de quitter ce Royaume : il eft parti
M. de Fontanelle qui , pendant huit ans entiers a rédigé
ce Journal avec fuccès , étant actuellement chargé de la
compofition de la Gazette de France , a été obligé d'abandonner
le travail de ce Journal , qui à compter des
deux derniers Numéros , a été , & fera à l'avenir l'ouvrage
de M. Mallet Dupan , qui a rédigé deux années , à
Geneve fa patrie , les Mémoires Hiftoriques , Politiques &
Littéraires fur l'état préfent de l'Europe. C'eft à M. Mallet
à Paris , rue de Tournon , N. 5, que l'on doit déformais
envoyer tout ce qui concerne la rédaction de ce Journal
, en affranchiffant les lettres & tous les envois . Pour
tout ce qui regarde les Abonnemens & l'expédition , il faut
toujours s'adreffer au Directeur du Mercure , hôtel de
Thou rue des Poitevins. "
Le Propriétaire de ce Journal s'étant procuré de nouvelles
& les plus sûres Correfpondances , on fe flatte que
cet Ouvrage aura de plus en plus le mérite de la nou
veauté , du choix & de la variété.
N°. 26, 26 Juin 1784. 09
( 146 )
pour l'Allemagne avec la Ducheffe fon
épouſe.
La Cour eft au château de Frédérichsberg
où elle doit paſſer l'Eté , & la Reine - Douairiere
ne tardera pas à fe rendre à Friedenfbourg.
Les vaiffeaux de guerre l'Oldenbourg , la
Sophie Frédérique , le Ditmarschen , & la
Wagrie font actuellement en rade , ainſi que
les Frégates le Cronenbourg & le Kiel,
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le Juin..
La Miffive de l'Empereur à fes Confeillers
, concernant le nouveau projet de contribution
, vient d'être imprimé. Avant de
mettre ce projet à exécution dans les Etats
Autrichiens, S. M. I. a ordonné , à ce qu'on
affure , des effais préliminaires , pour vérifier
fi chaque propriétaire de terres peut fournir
aux befoins publics le 40 pour cent du produit
net de fon revenu. Cette taxe reſſemble,
roit beaucoup à l'impót unique , dont il a été
queftion il y a quelques années dans les écrits
des Economiftes en France.
Prefbourg, Peft & d'autres villes de Hongrie
ont transféré les cimetieres hors de leur
enceinte , à l'imitation de la Capitale.
Des lettres de Szegedin rapportent que
les champs y font couverts de fauterelles
( 147 )
qui dévorent les récoltes. Le même fléau
affligea l'Andaloufie l'année derniere ; heu-"
reulement il n'eft pas épidémique.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi continue fes revues avec une activité
infatigable . De Magdebourg S. M.
étoit revenue à Potzdam , d'où elle eft repartie
le de ce mois , pour faire la revue
des troupes raffemblées dans la Poméranie .
Le Roi a témoigné fa fatisfaction à divers
de fes Généraux , par des préfens plus ou
moins confidérables , & en particulier à M.
de Mollendorf, Gouverneur de cette ville ,
Officier d'un mérite diftingué , également
aimé & eftimé, du Souverain & du Public ;
& qui réunit les qualités d'un homme jufte ,
éclairé, aimable , à la capacité la plus émi
nente dans fon état , capacité dont il a donné
des preuves éclatantes dans la derniere
guerre de Baviere .
2
Le jour de l'Anniverfaire de l'avénement
du Roi 'au trône , l'Académie a tenu une
féance publique , dont M. Formey , felon
Tufage , a fait l'ouverture par le panégyrique
de S. M. Il annonça enfuite que la claffe
de Belles Lettres avoit jugé les difcours fur
l'univerfalité de la langue Françoife. Le prix
a été partagé entre la differtation Allemande
de M. Schwab , Profeffeur à Stuttgard , &
celle en François du Comte de Rivarol.
A
g 2
( 148 )
L'Acceffit a été donné à un troifieme Difcours
auffi en François , portant pour épigraphe
: François ! de la raifon , des grâces &
du goût , votre langue en tous lieux devient
T'heureux langage. On a obſervé avec raiſon ,
qu'un Difcours fur les avantages de la langue
Françoife , où l'on lifoit en tête que
cette langue devenoit un heureux langage,
ne prévenoit pas en faveur de cette langue,
DE FRANCFORT , le 15 Juin.
Le mois dernier quatre mille hommes ,
formant la derniere divifion des troupes Hef
foifes paffées en Amérique , font débarqués
à Carlshaven , trois régimens de cette divifion
étant arrivés à Caffel , le Landgrave les
a paffé en revue , après quoi ils ont été
tepartis en différentes garnifons.
On écrit de Pologne deux anecdotes
qu'il fuffit de rapporter pour en apprécier
l'authenticité.
Le Hofpodar de Moldavie a affermé à un vieux
& riche Boyard la vente excluſive du tabac : un
Grec , qui peut - être n'avoit pas connoiffance de
ce privilege , & qui avoit apporté quantité de tabac
à la derniere foire , reçut les défenfes les
plus féveres de vendre cette marchandiſe. Le
Conful Ruffe ayant fait demander de ce tabac ,
le Grec s'excufa de lui en vendre , alléguant les
ordres qu'il venoit de recevoir. Bon ! dit le Conful
, vends ta marchandiſe & repofe- toi fur moi,
fi l'on veut t'inquiéter. Sur cette affurance le
Grec yendit fon tabac ; Hofpodar en ayant été
149 )
inftruit , envoya un bas- Officier pour faifir cet
homme & le lui amener. Le Grec fut affez heu
reux pour échapper au fatellite & fe réfugia
dans la maifon du Conful : le bas - Officier la
fuivit & le récláma . Le Conful arrive , donne
des coups de canne au bas- Officier , & ordonne
au Grec d'aller achever de vendre tranquillement
fon tabac.
Un Boyard ne pouvant paffer avec fon carroffe
dans une rue embarraffée par des voitures
& charettes de payfan , avoit inutilement deman→
dé qu'on lui fit place . Voyant que les paroles
ne produifoient aucun effet , il fit donner par un
'de les domeftiques des coups de bâton à un pay
fan qui lui paroiffoit plus intraitable que les au
tres , & continua fon chemin. Celui - ci fut fe
plaindre au Conful Ruffe qui , fachant que le
Boyard devoit repaffer , le fit attendre , l'obligea
de fortir de fa voiture & de recevoir la baitonade.
Le Boyard fe plaignit au Hofpodar , qui
lui déclara qu'il ne pouvoit rien dans cette affaire.
On prétend qu'il a porté fes plaintes à la Cour
de Ruffie , & l'on attend avec impatience le dé❤
nouement de cette finguliere aventure.
Quand ces traits feroient auffi exacts qu'ils
font peu vraisemblables , il fuffit d'un peu
de bon fens pour fentir qu'aucun Souverain
n'autorife fes Confuls à de pareilles violences
; qu'à moins qu'il ne foit ivre , un Conful
ne fe les permet pas , & qu'elles fuffiroient
pour aliéner les Grecs de la Moldavie , bien
loin d'étendre l'influence de la Czarine fur
ces contrées , comme on le prétend.
L'hiver dernier l'Electeur de Treves prof-
& 3
( 150 )
crivit dans fes Etats la Loterie Génoife ,
connue fous le nom de Lotto. Ces établiſſemens
viennent également d'être fupprimés
à Liege. La ville de Vervier avoit déja fait
des repréfentations au Prince défunt à ce
fujet elles furent écoutées , & les Lotos
anéantis. Durant Pinterregne , le Chapitre
de Liege a généraliſé certe défenſe , qui a
été applaudie de tous les Citoyens .
Nous pouvons donner le réſumé fuivant ,
comme parfaitement authentique . Depuis
1750 , date de fon établiſſement à Vienne ,
jufqu'en 1769 , le Lotto a reçu 21,000,000
de florins ( plus de deux millions de France
une année dans l'autre ) . Le Gouvernement
qui avoit affermé cette loterie, a reçu dans
le même efpace 3,460,000 florins : l'entretien
des Emploiés a abſorbé 2,080,000 flor.
les gains payés par le Lotto font montés à
7,000,000 florins : le profit des fermiers a
été par conféquent de 8,000,000 de florins.
DE VENISE, le 22 Mai.
La cérémonie des époufailles de la mer
s'eft faite le 20 avec toute la pompe imaginable.
Les vaiffeaux de l'efcadre deftinée
contre Tunis , étoient rangés en ligne dans
le grand canal. Le départ de cette efcadre
eft très -prochain ; elle fera compoſée d'environ
60 voiles , y compris les bâtimens de
tranſport.
( 1st )
ITALIE .
DE GENES , le 2's Mai.
Le 15 de ce mois un petit bâtiment Amé
ricain arriva dans ce port ; cleft le premier
qui y foit venu avec le Pavillon du Congrès.
Il étoit parti de Terre Neuve le 4 Décem
bre , & en dernier lieu de la Martinique vers
la fin de Février. Sa cargaifon confifte en
500 cuirs. Ce bâtiment eft commande par
un Capitaine Américain .
Les Barbarefques infeftent tous les parages
de la Méditerranée. Jamais leurs pirateries
n'ont été plus audacieufes & plus mul
tipliées. De toutes parts on reçoit des avis
de leurs prifes ou des fignalemens. Deux
de nos galeres ont mis à la voile, pour aller
à la pourfuite de ces Corfaires .
De Civita Vecchia on apprend que 3 galeres
de S. S. ont donné chaffe à trois bâtimens
Algériens qui croifoient près de Monte
Chrifto , l'un de ces bâtimens a été pris , à
ce qu'on ajoute.
DE LIVOURNE , le 26 Mai .
Le 20 , l'efcadre Ruffe fit le premier ſignal
de partance , mais elle n'a appareillé que le
23 , vers les 6 heures du foir.
Un calme étant furvenu , on a pu voir
encore aujourd'hui , du rivage les vaiffeaux
obligés de mouiller fur la côte.
g 4
( 152 )
L'efcadre Napolitaine, deſtinée pour la
Méditerranée, a été auffi priſe de calme : elle
étoit le 18 à la vue de ce port.
Les lettres de Venife portent que deux
chebecs de cette République , qui étoient en
croifiere dans l'Archipel , pour y protéger
les bâtimens Vénitiens contre les , Corfaires
de Tunis , avoient rencontré une galéaffe
Vénitienne qui avoit voulu leur échapper en
prenant la fuite , que l'un de ces chebecs
étant parvenu à les joindre , s'en étoit emparé,
& l'avoit mené à Corfou. Les gens de
l'équipage ayant été interrogés par les Juges
de l'endroit , quelques- uns d'eux avouerent
qu'ils étoient allés en courfe , & qu'ils
avoient pris 12 ou 13 bâtimens de diverſes
nations , mettant à mort tous les gens de
leurs équipages , & qu'après avoir fait choix
des marchandifes les plus précieufes ils
avoient jetté les autres à la mer ; ils dépoferent
en outre , que lesdites marchandifes
avoient été déchargées à différentes fois dans
une ifle de l'Archipel , où avoient débarqué
ceux qui étoient intéreffés dans cette entreprife
, abandonnant l'armement au reste de
L'équipage , pour faire de nouvelles prifes.
Deux bâtimens Vénitiens ayant été pris
par des corfaires de Tunis dans les parages
de Tripoli , cette derniere Régence , indignée
d'une telle infulte , en a fait porter des
plaintes à la Régence de Tunis , & l'a fommée
de reftituer lefdits bâtimens , avec me(
153 )
nace d'en tirer vengeance , fi elle s'y refufoit.
DE NAPLES , le 21 Mai.
Maintenant que notre efcadre eft partie ,
on va s'occuper , dit- on , à perfectionner le
plan relatif à l'armée de terre . On prétend
que le Miniftre l'a déja communiqué au
Prince de Stigliano , Capitaine des Gardes
du Corps , & à divers autres Officiers en
chef.
L'Ordonnance du Roi qu'a publié le Gé
néral Pignatelli , dans fon gouvernement
des deux Calabres , aura fans doute une influence
fur le fort de cette malheureufe Province
: on peut l'efpérer d'après les difpofi
tions fuivantes de ce Referit.
,
न
Le coeur compatiffant du Roi , toujours
attentif à chercher les moyens les plus propres
& les plus convenables pour foulager fes fujets ,
& particuliérement ceux qui font encore campés
fur les ruines occafionnées par le tremblement
de terre dans la Calabre ultérieure a ordonné
que les rentes de tous les monafteres , couvens
& autres communautés religieufes de l'un &
Fautre fexe dans la fufdite province , foient converties
& employées au rétabliffement des maifons
détruites & au foulagement des pauvres, Le
St Pontife ayant voulu concourir avec ſa béné
diction à ce deffein pieux de S. M. , le Roi veut
& ordoane que tous les Religieux de ces maifons
foient répartis dans d'autres monaftetes ou cou
vens de leurs ordres refpectifs qui fubfiftent dans
le Royaume , excepté feulement les fupérieurs
& procureurs qui doivent donner les renfeigne-
€ S
( 154 )
mens néceffaires , & rendre compte de leur ad
miniftration ; & que les Religieufes foient remifes
entre les mains de leurs plus proches parens ,
ou autres perſonnes d'une honnêteté & probité
réconnue , qui leur fourniront les moyens de fub-.
fiftance convenables : veut en outre. S. M. que
tous les novices foient fécularifés ; & quant aux
Freres lais & Clercs qui voudront le faire fécularifer
, qu'ils demandent l'agrément de l'Ordinaire
du lieu , fans que toutefois ils foient déliés
in fubftantialibus des voeux contenus dans
l'acte de leur profeffion folemnelle : S. M. fe
réfervant de prendre foin de leur fubfiſtance &
de leur fort . Quant à la maniere dont tous les
Religieux doivent être traités tant dans leurs
Voyages que dans les autres conjonctures où ils
pourroient ſe trouver , la volonté du Roi eft qu'on
ufe envers eux de toutes les attentions qui conviennent
à des perfonnes diftingués par leur caractere
, & que le Roi veut regarder comme fes
fujets les plus obéiffans & les plus pénétrés de la
jufte néceffité où ils font de concourir au foulagement
des pauvres d'une province auffi malheu
reufe ».
DE MILAN , le 26 Mai.
L'Empereur voulant feconder les vues de
notre Gouvernement , qui lui avoit propofé
de fonder un Couvent de Chanoineffes
fur le modele de ceux qui exiftent dans les
Pays- bas Autrichiens , S. M. a rendu un
Edit en date du 5 décembre , par lequel il
autorife notre Gouvernement à choifir dans
l'une des villes de ce Duché , un édifice propre
à recevoir ces Chanoineffes qui feront
tenues de faire des preuves de Nobleffe ,
& qui ne feront admifes que du confentement
de S. M. I.
On apprend de Florence , que le départ
de l'Archiduc François pour Vienne eft trèsprochain.
Le Comte de Colloredo l'accompagnera
, en fa qualité de Gouverneur de
S. A. R. Ce Seigneur eft remplacé dans
l'éducation des jeunes Princes par le Marquis
Frédéric , Colonel du Régiment de
Stein.
ESPAGNE. wol and A
DE MADRID, le 25 Mai.
Le Comte de Bournonville , Capitaine de
la Compagnie Flamande des Gardes du
Corps , eft mort ici le 29 du mois dernier ,
âgé de 68 ans . Il fervoit depuis 1736. On
affure que le Roi a difpofé de cette Compa
gnie vacante , en faveur du Prince Mafle
rano , Brigadier de fes armées.
On a tenté ici d'enlever un Globe ; après
des effais réitérés & infructeux , on eft parvenu
à en élever un , monté par un François
mais ilavoit apparamment mal pris fes
précautions ; à la defcente de la Machine il
a culbuté , & eft tombé d'environ cent pieds
de haut. L'Infant Dom Gabriel , qui favorifoit
fon entreprife , lui a donné beaucoup
de marques de fenfibilité , & y joindra
dit on, de grands bienfaits , s'il en réchappe
comme on l'efpere . En attendant , la cour
g 6
( 1861 )
lui a affigné 2500 liv. de penfion, dont on
a payé fix mois d'avance.
DE VALENCE, le 18 Mai.
Cette ville a vu le renouveller une catal
trophe malheureufement top ordinaire dans
les fêtes publiques. ་ ་ ་ ་
Celle qu'on a célébrée ici avoit pour objet la
naiffance des deux Jumeaux dont la Princeffe des
Afturies eft accouchée.
t
« La Proceffion , qui fit l'ouverture de la fête ,
fut très-magnifique & très nombreuſe , ornée de
chars de triomphes , d'emblêmes , &c. Les rues
par lefquelles elle paffa , & les maifons étoient
tapiffées & ornées de la maniere la plus fomptueufe
d'ailleurs il y régna le plus grand ordre s
mais il n'en fut pas de même le fois , l'allégreffe
publique fe changea en deuil. Parmi ces réjouif
fances l'on avoit projetté trois feux d'artifice
l'un repréfentant un château fur la Place- Royale,
vis-à-vis le Palais , & deux autres fur la place de
S. Dominique : on devoit les tirer fucceffivement,
en commençant par celui de la Place Royale ;
celui- ci s'exécuta fans accident , mais au moment
qu'on venoit de le tirer , la foule curieufe fe
preffa fi inconfidérément pour aller voir tirer auffi
les autres , qu'il en arriva un très grand malheur .
Pour gagner la place de S. Dominique , en venant
de la Place- Royale , il falloit paffer un pont. La
multitude , fe heurtant & fe pouffant de tous
côtés , ne put le déboucher auffi promptement
qu'il le falloit , il y eut un engorgement , & bientôt
nombre de gens furent non-feulement meurtris
& bleffés , mais renversés à terre , foulés aux
pieds , fuffoqués ou écrafés : d'autres , cédant à
une prefle irrésistible , tomberent du pont dans
( 897 )
Peau & fe noyerent . On ignore le nombre de
ceux qui ont péri, dans cette confufion d'une ou
d'autre maniere , ceux qui ont été reconnus ayant
été emportés par leurs parens ou leur famille
les inconnus , qui n'ont été réclamés par per
fonne , & qu'on a transférés àl'hôpital , font au
nombte de 21 , la plupart à ce qu'il paroîte)
artifans ou journaliers. Celui des bleffés eft bien!
plus confidérable encore ; il n'y a eu prefque perfonne
dans cette foule qui n'ait éré froiffé ou
n'en ait emporté quelque meurtriffure ».
ANGLETERRE
DE LONDRES , le 15 Juin.
Le 8 de ce mois , la Chambre des Com
munes a prononcé fur la difpute relative à
Westminster. Cette déciſion a été précédée
'des débats attendus : en voici la fuccinte
analyfe.
M. Walbore Ellis , pendant quarante ans
T'homme de la Cour & fur - tout des Mi
niftres , accablé de toutes les calomnies qui
ont fuivi la retraite du Comte Bute , auquel
il étoit attaché , ce Sénateur vétéran , en un
mot , à qui dans fa longue carriere il n'étoit
jamais échappé une motion contraire au væn
du pouvoir exécutif, a préféré de lui manquer
de fidélité , plutôt qu'à lord North ,
dont il eft depuis 15 ans l'acolyte le plus
zélé. Il a ouvert la féance du 8 par la motion
fuivante :
Qu'il paroit à cette Chambre que Thomas
( 158 )
Corbett , baillif des libertés de la Cité de
Weſtminſter , ayant reçu ordre du Schériff de
» Midleſex , d'élire deux citoyens pour fervir
ladite cité en Parlement , & ayant terminé le
17 Mai dernier l'opération de recevoir les fuffrages
, pour nommer le lendemain les deux
>> membres élus , felon la teneur du writ , il foit
» tenu de fe conformer à ce writ , & de procla
mer les deux membres choifis .
Lord Mulgrave , M. Campbell , Lord
Avocat d'Ecoffe , M. Powis , le chevalier
Erskine , ayant fucceffivement rappellé de
part & d'autre les argumens pour & contre
la queſtion, M. Fox s'en empara ; ce qui eſt
incroyable pour les étrangers , & qui ne l'eft
point pour ceux qui ont entendu cet ancien
Miniftre , il parla trois heures confécutives
avec une force & une facilité dont l'élaquence
politique , inême en Angleterre, offre
peu d'exemples.
Selon fa méthode , M. Fox commença
par féparer fon intérêt de celui de la queſtion.
сс« L'élection de Weftminfter , dit - il dans fon
» exorde , n'eſt point ma caufe propre , mais
celle de tous les Electeurs de la Grande- Bretagne
, & de mes conftituans en particulier.
» Quant à ce qui me regarde perſonnellement ,
dans ce débat , il a été fuffisamment difcuté à
>> la Barre par mes fayans Confeils , & éclairci
par les illuftres membres qui
ui ont démontré
que , fans manquer à fa propre dignité , à la
» décence , à l'impartialité à la Juftice , la
» Chambre ne pouvoit fe refufer à la moron
» de mon honorable ami . C'eft ici la cauſe de la
patrie & de la conftitution : j'aurois perdu
>>
( 159 )
toute fenfibilité , toute reconnoiffance pour le
Peuple Anglois , fi je n'employois tous les
» efforts poffibles à mes foibles talens , pour
» ramener les efprits de la Chambre au véritable
2 état de la queftion .
Après cet exorde , M. Fox récapitula fa
défenſe avec la plus grande étendue. Le
Bailli de Weſtminſter , fon Député, les Miniftres
, les Membres oppofés à la motion ,
furent tour-à-tour l'objet de fes plaintes , de
fes argumens , de fes farcafmes.
Lorfque je confidere , dit-il en concluant , les
manoeuvres fcandaleufes employées durant l'élec
tion & à fa clôture , pour me diffamer moi &
mes amis , ainfi que la conduite du Grand Baili
le 17 & le 18 du mois de Mai , je n'ai aucun lieu
de douter que le Gouvernement ne foit interve
nu pour ôter aux électeurs dé Weftminfter l'exercice
de leurs droits , & pour me priver de l'honneur
de fiéger ici comme leur repréfentant .
Lorfque je vois , de plus , les troupes mifes fur
pied dans la forme la plus oppofée à la conftitution
, la puffance civile employée fous un Magiftrat
de Weftminfter , dont le devoir & l'office
immédiats font de maintenir la paix & de prévenir
le defordre , devenir non- feulement la premiere
caufe du tumulte , mais encore l'inftrument
du meurtre ; enfin , après avoir confidéré
qu'en conféquence de ce meurtre , les hommes
les plus honnêtes , les plus innocens ont été mis
à la barre de l'Old Bailey , & que mes amis ,
chers à mon coeur par leurs éminentes qualités ,
refpectables par leurs caracteres , jouiffant au plus
haut degré de l'eftime publique , ont été impliqués
dans une affaire qui expofoit leur honneur
& leur vie , s'ils ne fe fuffent pleinement jufti .
( 160 )
fiés ; toutes ces circonstances raffemblées me démontrent
que toute la force du Gouvernement
eft dirigée contre moi , que mes ennemis ne fe
lafferont jamais de me perfécuter , & qu'ils ne fe
lafferont que lorfqu'ils auront détruit mon exiltence
politique. Que ceux qui ont le pouvoir en
main triomphent avec plus de modération ; qu'ils
agilent avec plus de prudence , leurs efforts pour
tourmenter un individu ne fervent qu'à ouvrie
les yeux de la nation & à démontrer la fauffété
des bruits répandus contre cet individu avec un
artifice & une cruauté fans exemple. Au furplus ,
je ne mets point l'honorable membre , qui eft en
face de moi , M. Pitt , au nombre de mes perfécuteurs
de deffein prémédité. Je lui rends la
juftice de déclarer que je ne le crois pas le vil
inftrument d'une atrocité fi infame , je fuis perfuadé
qu'il ne s'eft engagé dans cette affaire que
par une trop foible condefcendance pour ceux
dont le caractere eft de har avec tenacité & de
faire le mal fans remords. Je lui confeille cependant
de confidérer le danger de pouffer trop loin
le reffentiment & l'oppreffion , de réfléchir futtout
à l'effet que la décifion de la Chambre doit
produire fur les droits des électeurs en général ,
& par conféquent fur la conftitution du pays ;
s'il veut envifager de fang-froid les funeftes con
féquences qui en réfulteront infailliblement , je
ne doute point qu'il ne foit d'avis que la Chambre
doit ou adopter la motion préfente , ou arrê
ter qu'il foit donné un nouveau writ d'élection .
M. Pitt , qui jufqu'à ce moment avoit
gardé le filence , prit la parole & dit :
Je crois devoir faire quelques remarques fur
les affertions hafardées dont il a plu à M. Fox
de femer fon difcours & je commencerai par
rappeller à la Chambre que l'ordre actuel porte ,
1
( 161 )
que tout Membre , contre lequel il aura été préfenté
une pétition , portant plainte d'élection illégale , fera
obligé de s'abfenter toutes les fois que la Chambre
agitera le fujet de la pétition qui le concerne. Au
lieu de fe conformer à cet ordre , l'honorable
Membre s'eft levé plufieurs fois pour parler, de
l'élection de Weftminſter , en profitant du droit
accidentel qu'il a de fiéger comme repréfentant
de Kvikwall. J'efpere qu'avant que la Chambre
ajoute foi aux accufations violentes que
M. Fox a ofé avancer directement contre le
Miniftere , il faudra qu'il en apporte des preuves
inconteftables , fans lefquelles je crois qu'il
lui fera difficile de fe libérer de l'imputation
de calomnie. Ce ne font point fes accufations
qui noirciront le Miniftere. Ces efforts pour exciter
l'intérêt & la compaffion du Public , en fe
repréfentant comme l'objet de la perfécution la
plus inexorable de la part des Miniftres , n'au
ront point leur effet tant que fes affertions ne
Terone point completiement juftifiées . Des accu-
-fations du genre de celles que M. Fox a jette
négligemment & avec une légereté répréhenfi
ble , ne font point d'une nature indifférente
& elles font auffi malignes, que calomnieufes.
Leur importance fera pleinement fentie fi l'on
confidere qu'elles avoient pour but , fans cependant
apporter de preuves , que le Miniftere avoit
employé le Magiftrat de Weftminster , & les Of
ficiers fous fes ordres ; 1º , pour troubler la
paix publique en encourageant le tumulte &
les émeutes ; 2 ° , pour commettre le crime de
meurtre : , pour fuborner de faux témoins.
( Ici , M. Fox s'écria tout haut , je n'ai pas dit cela.)
Il a ajouté , continua M. Pitt , que la main puif.
fante du Gouvernement étoit marquée vifible .
ment dans tout ce qui s'étoit paflé. Si ce fait
( 162 )
eft vrai , c'eft à M. Fox à fuivre fon accufa
tion , & à la prouver. La main du Gouvernement
n'eft point allez puiffante pour détourner des ac
cufations formelles , ni pour éviter la haîne &
la difgrace publique qui en feroient le châtiment
Je préfume d'ailleurs que le Miniftere ne fera
jamais aflez foible pour être atteint par des affertions
fans preuves . M. Fox s'eft plû à invoquer
plufieurs fois le Miniftere pour le prier de l'épar
gner , & de celler de le perfécuter . Ses inftances
au Miniftere n'étoient point néceffaires , & la
la Chambre ne les demandoit point. Les Miniftres
favent trop bien que le feul moyen de
Héttir leur réputation , d'affermir & d'exalter
celle de M. Fox , eft de faire de cet Orateur
l'objet de leurs perfécutions. Au refte , on ne
doit pas être furpris de fon zele & de fon ardeur
pour acquérir dans le monde le titre
de victime du Miniftere ; perfonne ne dois le
defirer plus que M. Fox ; peut-être même fouffriroit
-il le martyre pour obtenir ce qui feroic
le prix de fa canonifation , c'eft- à- dire , de recouvrer
l'eftime publique & la confiance du peuple
qu'il a perdues par fa conduite déteftable en politique.
M. Pitt fit enfuite quelques obfervations fur
l'affaire qui occupoit la Chambre dans ce mament.
I examina les diverfes dépofitions qu'avoient
faites les témoins à la barre , dont plufieurs
avoient été interrogés par M. Fox lui-même,
& conclut que le Grand - Bailli avoit agi avec
toute la droiture qu'exigeoient les devoirs de la
place , & la folemnité de fon ferment ,
Suppofons pour un moment " dit M. Pitt en
terminant , qu'un des Candidats pour Weftminfter
fût un homme de mauvaiſe foi , que , dads
les premiers jours , il chargeât précipitamment
( 163 )
Félection d'une fi grande quantité de votes qu'il
fût impoffible au Grand- Bailli de les examiner.
pendant le cours de l'élection ; qu'après avoir fait
ce manége au point de s'affurer de la majorité , il
prit la voix toute contraire du déla , pour trai
ner l'élection en longueur , en n'apportant qu'un
ou deux fuffrages par heure , jufqu'à la veille du
jour fixé pour déclarer les Candidats élus ; qu'au
moyen de ces menées il prévint la poffibilité
d'une vérification ; alors ce Candidat feroit un
ufurpateur. Dans l'hypothefe que je viens de
fuppofer , il y auroit un abus manifefte du droit
d'élection , & comme ce cas eft certainement
poffible , il faut fanctionner une nouvelle doi
pour régler les élections & limiter leur durée, de
maniere que le Bailli ait le tems de faire la
vérification , s'il étoit néceffaire , avant le terme
fixé pour le rapport qu'il en doit faire. Croire
que la formation d'un bill à ce fujet feroit une
injuftice envers les Electeurs de Weftminster ,
c'est une doctrine à laquelle je ne faurois foufcrire.
Quand doivent fe faire les loix nouvelles
fi ce n'eft au moment où leur néceffité eft prouvée
par des inconvéniens & des abus ?
La Chambre ayant paffé aux fuffrages ,
la motion fut rejetée à la pluralité de 78 voix.
Lord Mulgrave en fit immédiatement une
feconde pour ordonner au grand Bailli de
procéder fans délai à la vérification ; après
quelques débats , cette motion fut agréée
par une majorité de 88 voix. Il eft à remarquer
que onze des partifans du Ministère ,
foit à deffein , foit fincérement , votèrent
avec impartialité en faveur de la motion de
M. Welbore Ellis.
( 164 )
Le 1o , le grand Bailli & fon député , lord
Hood , fir Cecil Wray & fes confeils , s'étant
rendus à l'abbaye de Weftminſter pour procéder
à la vérification , ni M. Fox ni aucun
de ſes amis ne parurent à cette affemblée . On
y lut une lettre de M. Sheridan , qui annonçoit
dans la journée une réponſe finale de
M. Fox. La Cour s'ajourna au lendemain
pour commencer la revifion , fans ultérieur
renvoi.
Nous l'avons remarqué , la crainte de voir
mettre au jour les prévarications commifes
dans l'élection , a feule déterminé une auffi
forte oppofition à cet examen légal . Si M. Fox
n'a réellement dû fa majorité qu'à des fuffrages
illégitimes , fon élection eft une évidente
injuftice envers fon concurrent & envers
les électeurs. La conftitution ne peut
l'avoir autorifée ; & en pareil cas , c'est une
défenfe bien fufpecte , que des fubtilités fur
un point de forme , pour couvrir une illégalité
réelle.
Il s'eft élevé une queftion très-importante ,
dans l'élection pour Asburthton , c'eft de favoir
fi un eccléfiaftique Anglican eft éligible
pour une place au Parlement : un ufage non
interrompu a décidé le problême , mais la loi ,
-à ce qu'il paroît, le laiffe irréfolu. Si le Clergé
acquiert ce droit précieux , on ne tardera pas
à voir en Parlement les membres les plus diftingués
par leurs connoiffances politiques ,
comme M. Tucker , doyen de Glocefter ,
( 165 )
le docteur Jebb & d'autres . Ce privilege jetteroit
dans l'ordre entier une émulation utile ,
& décideroit plufieurs fujets de ménte à embraffer
un état dont l'illustration eit aujourd'hui
affez limitée .
A la formation du précédent Parlement ,
il y eut quarante élections conteftées : aujour
d'hui leur nombre eft de cinquante-une . Six
mois, une année même fe pafferont avant que
toutes ces pétitions ayent été jugées ; circonf
tance inévitable qui fuffit pour renverfer la
chimere des Parlemens annuels , renouvellée
de tems à autre par l'oppofition.
Dans la féance du 11 , la Chambre s'oc
cupa de l'eftimation des dépenfes de l'artillerie.
L'état en fut préfenté par le Capitaine James
Luttrell , Intendant- Général de ce dé
partement , & porté à 810,699 1. ft.
M. Luttrell juftifia cette demande par les
frais néceffaires des réparations aux ouvrages
de Gibraltar , des fortifications à ajouter aux
ifles rendues dans les Indes-Occidentales , &
des poftes à établir dans les poffeffions que
conferve l'Angleterre fur le continent de l'Amérique.
Il comprit auffi dans fon eſtimation
les dettes à payer, qui réfultent en partie des
avances d'argent faites au bureau fur des contrats
où les prêteurs efcomptoient 28 pour
100. Malgré l'énormité de cette dépente en
tems de paix, la Chambre accorda ce fubfide
après quelques difcuffions .
Dans le détail des dépenfes d'artillerie , il s'eft
trouvé un article de 500,000 liv. ft. pour les for
( 166 )
tifications de Portsmouth & de Plymouth , fur le
quel M. Huffey & le Capitaine M Bride fe font
récriés en obfervant que la défenfe de l'Angleterre
ne devoit réfider que dans fa Marine , & que
tant que ce Royaume auroit des vaiffeaux , les
places fortes ne lui ferviroient point ; mais le Colonel
Luttrel répondit à ces deux Membres qu'ils
avoient apparemment oublié le tems où M. d'Or
villiers croifoit dans la Manche , & où le Cabinet
de S. - James lui meme trembloit que cé Général
François ne détruifit tous les Chantiers & tous les
Arfenaux de la Marine Britannique , à l'aide feulement
d'une ou deux frégates & de quelques:
Volontaires tirés des garnifons de fes vailleaux.
M. Burke a produit les motions fur le Difcours
du Roi , mais elles n'ont point été admiſes .
La motion de M. Sawbridge a été remife.
Le 14 , le Secrétaire de la guerre demanda
à la Chambre un fubfide de 928,662 liv . fterl..
pour la paie & l'entretien de l'armée en 1784 ,
foit de 17,483 hommes effectifs , y compris
2036 invalides & officiers fans commiffion ,
pour les troupes employées aux Colonies &
a Gibraltrar , ainfi que pour un régiment de
Dragons légers , & cinq bataillons d'infanterie
employés aux Indes-Orientales.
Le célebre lord Mansfield dont on avoit
fauffement annoncé la retraite , a repris fes
fonctions au banc du Roi où il a préfidé. Il
a pris pendant quelque tems des bains de
mer , qui paroiffent avoir achevé ſon rétabliffement.
Le Roi a remis au Tréforier de la Société.
qui a célébré le Jubilé d'Handel , une fomme
de soo liv. fterl. , à joindre aux charités aux(
8167 )
quelles fera employée la recette des concerts
qui ont eu lieu derniérement. On a confacré
cette cérémonie par une infcription en marbre
qui a été placée au- deffous du monument
d'Handel dans l'abbaye de Weftminſter,
Des ouvriers creufant , il y a quelques jours
un canal dans les jardins du Palais Archiepifcopal
de Lambeth , trouverent une piece.
de métal qui les engagea à étendre leur fouille.
A trois pieds de profondeur, ils découvrirent
101 larges pieces d'or ( des Jacobus ) 36 plus
petites , & 40 dont chacune environ de la
valeur d'une demi- guinée. Ce tréfor ayant
été vendu à un orfevre , la part de chaque
ouvrier a été de 23 liv. ferl . Malgré le fecret
qu'ils s'étoient promis , l'un d'eux l'a divulgué
en achetant une montre. On préfume que
ces monnoies furent enterrées au moment de
l'infortune de l'Archevêque Laud.
ל כ
»
Dans le nombre des fatyres de tout genre
que produifent ici la liberté & l'efprit de
parti , il en paroît une dont l'idée eft affez
plaifante ; c'eft le codicile d'un chef de ca
bale ; « cn lui fait léguer fon éloquence aux
» Empyriques , fa modeftie Irlandoife à M.
Courtney , fon intégrité à M. Welbore
» Ellis , fon patriotifme au Colonel North ,
» fon efprit conféquent au Général Con-
" way, fon courage à lord Keppel , fa chaf
» teté au Duc de Queenfberry , fa piété à
» lord Sandwick, fes fleurs de rhétorique à
la chaire, fa battologie au Barreau, & fa
➡ réputation au fleuve d'oubli.
( 168 )
IRLAN DE..
DE DUBLIN , leleg Juin.
D'après le rapport du Comité de notre
Chambre des Communes , il paroît que l'importation
des laineries angloifes dans ce
Royaume , a été
de 1779 à 1780 de la fomme 64970 1. fterl.
de 1780 à 1781
de 1781 à 1782
de 1782 à 1783
308126
322393
311445
La diftribution de 15000 liv. ftr accordées en
gratification par le Parlement d'Irlande , pour
encourager les manufactures nationales , fe fait
de la maniere fuivante , favoir 7500 liv. ft . en
gratifications de cinq pour cent de la valeur des
marchandifes aux premiers acheteurs , après le
premier Juin 1784 ; cinq pour cent fur toutes
les laineries exportées après la même date ;
1500 liv. ft. en gratifications de cinq pour cent
fur les cotons ou cotons mêlés ; 3 liv . 6 f. 3 d .
fur toutes les toiles de coton fabriquées en Irlande
, & imprimées enfuite ; 1500 liv. en gratification
aux fabriques de fer , de cuivre , de
caracteres d'imprimerie & de quincaillerie .
Le 31 du mois dernier , les Volontaires
de Dublin ont paſſé en revue à Phenix-Park
devant leur General , le Comte de Charlemont
. Hs étoient au nombre de 1000. Par
complaifance pour eux la revue de la garnifon
a été renvoiée de deux jours.
Avant-hier 7, les habitans & Francs-Tenanciers
( +169 )
nanciers de la ville & Comté de Dublin fa
font affemblés pour délibérer fur la réforme
de la repréſentation Parlementaire. Il eft
forti de ces Comices une fuite de réfolutions
qui préparent des fcenes fi étranges , qu'on
ne peut fe difpenfer de les faire connoître
dans leur entier.
Arrêté unanimement , que la repréſentation
imparfaite , actuellement fubfiftante , & la longue
durée des Parlemens , font des griefs inconftitutionnels
& intolérables .
Arrêté unanimement , que le fuffrage des Communes
d'Irlande n'eft pas moins néceffaire à chaque
objet législatif que le fuffrage du Souverain ou des
Pairs , & que par conféquent le peuple réclame ce
privilége comme jufte , inhérent à lui & inaliénable
, afin que ce peuple puiffe corriger les abus
dans la représentation , toutes les fois que ces abus
fe feront multipliés au point de le priver de la part
que lui donne la Conftitution dans fon Gouvernement.
Arrêté unanimement que le peuplejouit & a tou
joursjoui d'un droit évident , inaliénable & irrévocable
, à une fréquence d'Elections , auffi bien qu'à
une repréſentation proportionnelle & égale , droit
établi fur une baſe plus forte qu'aucun des actes du
Parlement , & que l'obtention de ces objets importans
& conftitutionnels , eft le moyen le plus sûr de
rétablir& d'affermir l'indépendance du Parlement.
Arrêté unanimement, que la repréſentation inégale
, exiftante aujourd'hui, & la longue durée des
Parlemens détruifent l'équilibre qui par notre conftitution
devroit fubfifter entre les trois branches
de la Légiflature , rendent indépendans da peuple
les Membres de la Chambre des Communes , procurent
des majorités décidées en faveur de chaque
Nº. 26 , 26 Juin 1784. -
h
( 170 ).
Adminiſtrateur , & nous menacent d'une Monarchie
abfolue , ou , ce qui eft encore beaucoup plus
odieux , d'une Ariftocratie tyrannique .
Arrêté unanimement , que la plus grande partie
de la Chambre des Communes n'eft pas élue par le
peuple , mais par les intrigues des Pairs du Royaume
& autres , foit pour de pauvres bourgs , où à
peine il exifte quelques habitans , foit pour des
villes & cités confidérables , ou peu de pertonnes
font revêtues du pouvoir électif.
Refolu unanimement , que la vénalité & la corruption
de la Chambre des Communes actuelle ,
démontrée par les différens actes arbitraires qu'elle
a paffés dans la derniere feffion , & le mépris &
l'indignité avec lefquels elle a traité les demandes
& les pétitions du corps conftituant , nous
obligent de folliciter le peuple pour qu'il s'uniffe
à nous , afin d'obtenir une plus jufte repréfentation
, & afin de préfenter une pétition au
Trône , pour hâter la diffolution du Parlement
actuel.
Réfolu unanimement , que la force d'une nation
fe fonde fur l'union de fes individus.
Refolu unanimement ( une feule voix s'y étant
oppofée ) ; que la participation aux droits généraux
dont jouiffent tous les individus de la nation
, doit les engager à opérer efficacement les
uns pour les autres .
Réfolu en conféquence ( une feule voix s'y
étant oppofée) , que de faire participer nos freres
Catholiques Romains au droit de fuffrage , toujours
enpréfervant dans toute fon étendue le gouvernement
proteftant actuel de ce pays , ce feroit une meſure
d'où refulteroient les plus heureuſes conféquen
& qui eft très-propre à affurer de plus en
plus la liberté civile .
ces ,
Refolu unanimement qu'un comité de vingt &
( 171 )
un membres fera auffi - tot nommé pour la rédaction
d'une adreffe au peuple , pour lui demand rfa
coopération , & d'une pétition au Roi dans laquelle
on lui rendra compte de nos calamités , & par
laquelle on lui demandera la diffolution du Parlement
actuel , dont la corruption nous force à lui
reirer notre confiance ; & que ledit comité nous
prefentera ces deux pieces dreffées , le Lundi 2 1
Juin.
Réfolu unanimement que nous rendrons les plus
vifs remerciemens à l'Ecuyer John Talbot Ashenhurft
, des foins particuliers qu'il s'eft donné pour
remplir l'office de Secretaire , tant en cette aflemblée
que dans les précédentes.
Refolu unanimement que les réfolutions préfentes
feront publiées dans les papiers publics.
Alexandre Kirkpatrick junior , Benjamin Smith ,
Sheriffs .
ETATS-UNIS De l'Amérique.
BOSTON , le 27 Avril.
Un comité des deux chambres de la législature
de Maffachuffeft , a arrêté que la fociété
de Cincinnatus ne peut point être tolérée,
& que fi elle n'eft point détruite , elle
troublera la paix & la liberté des Etats - Unis
en général , & fur - tout de Maffachuffeft.
Cet arrêté a été lu aux deux chambres affemblées
, & approuvé par elles après mûre délibération.
"L'hérédité attachée à cet ordre eft une
efpèce de nobleffe que les Etats Unis affemh
2
( 1727)
blés en Congrès n'auroient point eux-mêmes
le droit de donner , conformément à
l'article VI de la confédération ; & cette
confidération a contribué le plus fans
doute à faire profcrire l'affociation de Cincinnatus
du Maffachuffeft. On ignore ce que
feront les autres Etats à cet égard.
Nous apprenons de la Havanne que le
Gouvernement efpagnol exécute avec la plus
grande rigueur fes édits fur le commerce .
Plufieurs particuliers , du nombre defquels
font un où deux Américains , ayant été pris
en contravention , ont été condamnés à trois
ans d'esclavage à la Vera- Crux.
Un Négociant de Kingfton , dans la Jamaïque
, ayant été foupçonné ou convaincu
de la même contrebande , a été auffi condamné
à huit ans de prifon à la Vera- Crux ,
& à une amende de 130,000 piaftres :
On écrit d'Annapolis que le Congrès a pris les
arrangemens relatifs au territoire de l'Oueft . Des
Commiffaires font nommés pour traiter avec les
Sauvages , à l'effet d'établir une paix générale ,
& de fe procurer , par vente ou autrement , une
étendue de terrein dont la limite n'eft pas précifément
déterminée , mais qui s'étendra à l'Oueft
jufqu'à la riviere Miami , & qui pourra compo
fer plufieurs Etats. Cette
negu
aura lieu
dans le cours de l'été prochain . Les Commiffaires
ont ordre de fe trouver à New - Yorc le
10 du mois préfent , & d'y prendre les mesures
neceffaires à la conclufion du traite. Il eft à defrer
qu'en agifle avec modération par rapport à
( 173 )
1.
l'argent qu'il faudra tirer de ce pays . Quoi qu'il
en foit , comme le fol eft fertile & que fes eaux
font navigables , on ne doute point qu'il ne devienne
une fource immenfe de force & de profpé
rité pour ces Etats , lorfqu'il fera cultivé & peuplé
convenablement ; & même dès à préfent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique .
4 FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin,
.A L
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Cour
ture , Ordre de S. Benoît , dioceſe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre , Vicaire général de Nevers
, fur la nomination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; à celle
de Preuilly, même Ordre , diocefe de Tours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaffonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , diocefe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre , diocefe d'Agen ,
l'Abbé de Villeneuve -Efclapon ; & à celle
d'Hérivaux , Ordre de S. Auguftin , diocefe
de Paris, l'Abbé de Damas d'Autigny.
Le Comte de Mouftier , Miniftre plénipo .
tentiaire du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de 9. M.
pour retourner à fa deftination , étant préfenté
par le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniftre & Sesd
( 174 )
4
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres .
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteffe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préfentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale ; l'une par la
Marquife de Bombelles , Dame pour ac-1
compagner Madame Elifabeth de France ;
& l'autre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon féjour
jufqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter fon goût ,
lui ont été ménagés foit à la ville , foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand fuccès. La décoration
du bocage où Renaud fe repofe ' ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne
, ont été fur tout remarquées : l'exécution
entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Mufique.
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'on jouoit Blaife & Babet,
Les ballons font du nombre des fpectacles
dont jouira M. le Comte de Haga, Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 173 )
l'argent qu'il faudra tirer de ce pays . Quoi qu'il
en foit , comme le fol eft fertile & que les eaux
font navigables , on ne donte point qu'il ne devienne
une fource immenfe de force & de profpé
rité pour ces Etats , lorfqu'il fera cultivé & peuplé
convenablement ; & même dès à préfent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin,
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Cour
ture , Ordre de S. Benoît , diocefe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre , Vicaire général de Nevers
, fur la nomination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; à celle
de Preuilly, même Ordre , diocefe de Tours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaffonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , diocefe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre , diocele d'Agen ,
l'Abbé de Villeneuve Efclapon ; & à celle
d'Hérivaux , Ordre de S. Auguftin , diocefe
de Paris , l'Abbé de Damas d'Autigny.
Le Comte de Mouftier , Miniftre plénipo .
tentiaire du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de S. M.
pour retourner à fa deftination , étant préfenté
par le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances, Miniftre & Se(
174 )
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres.
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteffe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préfentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale ; l'une par ļa
Marquife de Bombelles , Dame pour accompagner
Madame Elifabeth de France ;
& Fautre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon féjour
jufqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter fon goût ,
lui ont été ménagés foit à la ville , foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand fuccès . La décoration
du bocage où Renaud fe repofe ' ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne
, ont été fur tout remarquées : l'exécution
entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Mufique.
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'onjouoit Blaife & Babet .
Les ballons font du nombre des fpectacles
dont jouira M. le Comte de Haga, Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 173)
+
huit jours dans leur Aeroftat. La grande
Montgolfiere eft commandée pour le 22. Elle
fera conduite par M. Pilaftre de Rozier qui
fe promet de faire beaucoup de chemin' ;
cette immenfe machine étant reftée l'autre
jour près des heures en l'air , dans la derniere
expérience faite à huis clos , & quoiqu'elle
fut retenue par des cordes.
L'enthoufiafme pour ces aeroftats , trèsaffoupi
depuis quelque temps , reçoit une
nouvelle fecouffe en ce moment. Voici ce
qu'on écrit de Dijon le 12 Juin.
Je me hâte de vous annoncer la réuffite de
notre feconde expérience aéroftatique : le ballon
eft parti aujourd'hui à fept heures un quart , par
le plus beau tems du monde , dirigé par M. de
More
pres & de Virely ( Préfident à notre Chambre
des je dis dirige , parce que malgré la
foibleffe des moyens qu'on accufoit M. de
Morveau d'employer , & malgré tous les farcafmes
des incrédules , ces Melfieurs ont réellement dirigé ;
ils ont plané très - long- tems fur la Ville & fur
les environs , à une très- petite élévation , contre
de courant du yent ; ils le font abaiffés deux fois
à :erre à volonté , ils font remontés aux aftres où
nous les avons perdus de vue.
Nous venons d'apprendre que ces Meffieurs
font defcendus à dix heures environ à trois lieues
d'ici , après avoir fait toutes leurs évolutions.
Voilà certainement une grande oeuvre , fi
tant eft que ces Meffieurs aient avancé horifontalement
contre le vent. Les incrédules en
dourent beaucoup ; quant au moyen de
s'abaiffer & de monter à volonté , il n'eft
h 4
( 1761)
pas contéfté. Au refte nous aurons de plus
grandes certitudes dans 3 ou 4 jours , lorfque
le rapport de M. de Morveau , qu'on
nous promet , nous fera parvenu .
Jufqu'alors les douteurs demanderont à
Meffieurs de Dijon , pourquoi avec leur
moyen de direction , ils ne font pas venus
dîner à Dijon , au lieu de defcendre à trois
lieues , dans un mauvais village.
Puifque nous en fommes aux Ballons , on
nous accuferoit de trop d'indifférence , fi
nous ne parlions pas de celui de Lyon , lancé
en préfence du Roi de Suede . Il enleva
le Conftructeur & Madame Tible Lyonoife,
au moment que la derniere corde fut coupée
par le Comte de Haga , cette femme
hardie déploya , en s'envolant , un Drapeau
aux Armes de France & de Suede : elle ne
refta que 4 minutes en l'air , traverfa les deux
rivieres , & fut tomber à 3 lieues de fon
départ.
On nous permettra quelques doutes fur
Ja velocité de ce trajet. 3 lieues en 4 minutes
C'eft une diligence bien extraordinaire. Les
rapports au fujet de quelques expériences
récentes , ont appris à fe défier des récits des
entrepreneurs & & des témoins eux- mêmes.
Ces jours derniers , on a
arrêta aux Italiens un
homme qui s'amufoit à voler les dragonnes , au
moment qu'il coupoit celle de M. Changran. Il
avoit un habit bleu avec un bouton blanc ,
chargé d'une fleur- de- lys , & un ruban noir à la
boutonniere.
#
( 177 )
Quelques accidens arrivés récemment
ont donné lieu à un difcours fur . la
vente libre des poilons , prononcé par M.
Macors , Apothicaire de Lyon , en préfence .
du Corps Municipal. Dans l'examen d'une
caufe affreufe , où une dofe d'arfenic , imprudemment
vendue avec de la caffonade ,
avoit failli conduire un pere de famille à
l'échaffaud , l'un de nos écrivains les plus éloquens
, M. Servan , préfenta des obfervations
énergiques fur l'infuffifance des réglemens
relatifs à la vente des poiſons . Les
Marchands , dit- il , n'en vendront pas moins
leurs drogues impunément , & les plieront au
befoin dans une feuille de l'Edit. M. Macors
a développé ces inconvéniens en citoyen
plein d'humanité & de fageffe . Comme on
ne fauroit trop ramener l'attention fugitive
du public fur un objet auffi effentiel , nous
confignons ici un précis de ce difcours intéreifant.
De toutes les marchandifes qui fe vendent dans
le commerce , il n'en eft fans doute aucune à
laquelle on dût preferire plus de bornes qu'à la
vente des poifons.
Le danger journalier auquel on eft exposé nonfeulement
par la facilité qu'on a de fe les procurer
, mais encore par le défordre qui regne
dans
les magafins des Marchands auxquels ils font
confiés , par leur impéritie ou lear inadvertance ,
n'a pu être détourné par les réglemens les plus
févéres & les plus fages. Les abus les plus dangereux
fe font maintenus , multipliés même ,
hs !
( 178 )
t
3
2
malgré une infinité d'Ordonnances dont le but
étoit cependant de les prévenir.
Dans tous les tems , dans tous les fiecles la
liberté abfolue de la vente des poifons a été funefte
à des milliers de familles ; dans tous les tems
auffi le Gouvernement s'eft occupé du foin d'y
remédier ; mais malgré les efforts , les effers les
plus terribles n'ont été que trop malheureufement
la fuite de fa confiance a penfer que fa
furveillance fuffifoit pour les prévenir.
Comme les fubftances minérales qui conftituent
les poifons dont il est queſtion font d'une
néceffité indifpenfable dans les arts , il n'eft pas
poffible de les profcrire entiérement . Si la chofe
eût pu fe faire , il eût été bien facile fans doute
d'arrêter tous les défordres qu'ils peuvent jeter
dans la fociété ; mais nos connoiffances ne nous.
ayant pas encore montré qu'il nous fût poffible
de les remplacer pardes objets moins dangereux ,
ce moyen n'a donc pu mi ne peut être employé , &
Conféquemment la vente de ces minéraux eft
devenue & eft encore néceffaire & indifpenfable.
Sous le Regne de Louis XIV , il etoit permis ,
comme il l'eft encore de nos jours , aux Marchands
Epiciers Droguistes de tenir & vendre ces
vénéfices; mais avec des réferves qui jettent
les débitans dans des entraves trop pénible pour
que la loi ne foit pas bientôt oubliée. V. IQrdonnancede
1682 , art: 7 & 8.
Je ne fuis pas le premier à fentir tous les dangers
attachés à la vente des poifons ; mais peu
ont ofé élever la voix pour démontrer que la
vente libre de toute fubftance venéneufe eft
l'un des plus terribles maux qui accablent
l'humanité. On ne peut , fans friffonner , fonY
179
2
7
a er à tous les crimes auxquels elle a dans tous
les tems donné lieu. En effet , les malfaiteurs
avec un peu d'argent , peuvent fans entraves fe
munir des moyens d'exécuter leur abominable
complot. Le poifon eft indiftinctement dans toutes
les mains , & rien n'eft plus facile que de s'en
procurer de toute efpece .
Cet objet n'eft point encore le moins effrayant
des dangers qui résultent de la liberté de la vente
des poitons ; mon deffein n'eft point de porter la
terreur dans l'efprit de perfonne ; mais combien
de coupables qui feroient reftés integres fans la
dangereufe facilité avec laquelle un homme ,
dans un inftant de délire , peut fe procurer ce
qu'il lui faut pour affouvir une paffion dont il
eût pu fe rendre maître , fi le moindre obftacle
lui eut donné le tems de rentrer en luimême.
Je ne craindrois pas de mettre dans le plus
grand jour les juftes conféquences que l'on doit
tirer du dépôt qu'on laiffe indiftin&tement chez
tous les Epiciers : comment feroit -il poffible que
les Réglemens foient obfervés par des Marchands
qui ne font guidés que par le defir du gain ;
je parle ici du général , & je fuis fort éloigné
de douter qu'il n'y en ait parmi eux d'allez
inftruits & d'affez honnêtes pour favoir apprécier
Ice qu'ils doivent à leur confcience & à l'Etat.
Cependant , j'ofe le dire , le plus grand nombre
de ces Marchands , ceux qui vendent fur- tout au
détail , femblent ignorer qu'il exifte des Réglemens
fur la vente des poifons , un coup d'oeil
fuffit pour s'en convaincre , & porter l'effroi
dans le coeur de toute perfonne capable de fentir
la conféquence du défordre qui regne chez
eux le verd- de-gris eft expofé fur leurs bouti
h 6
( 180 )
ques , en vente à côté du fromage ; ſouvent
même fur la même place , la caffonade eft à côté
de la cérufe , &c.
Si l'oeil des magiftrats pouvoit pénétrer dans
ces magalns , où les poiſons font indiftin &ement
mêlés avec les épiceries qui entrent dans nos
alimens , dans ces magafins où prefque tout eft
à découvert , où fans la moindre précaution , ces
mêmes peifons font pilés & tamifés ; fans faire
attention à la vapeur meurtriere qui s'en éleve ,
& va fe dépoſer fur les chofes dont nous faifons un
ufage journalier. Si , dis-je , les Magiftrats pouvoient
feulement foupçonner que l'on portat f
peu d'attention à des objets d'auffi grande con- ↓
féquences il y a long-tems fans doute que l'on
auroit banni de ces magafins toutes ces fubftances
meurtrieres , & qu'on auroit fait dans chaque
Ville un dépôt particulier.
On fait que le Gouvernement a fupprimé les
balances de cuivre chez les débitans de tabac , à
cauſe du verd- de- gris qui pourroit s'y former:
pourquoi n'efpérerions - nous pas que le Miniftre
qui ne ceffe de nous donner des preuves de la
bienveillance , ne fupprimât le verd- de- gris en
fubftance dés magaſins où il eft pefé dans la même D
balance que le poivre , le fucre , le café , &c.
Cette fuppreffion qui néceffiteroit celle de toutes
Jes fubftances minerales qui , comme le verd- degris
, portent avec elles la fatalité de nuire à la
vie des hommes , ne peut donc fe faire qu'en
faveur d'un entrepôt général de tous ces objets
dans un même lieu pour chaque ville , & dans
lequel on ne tiendroit que des marchandifes de 12
cette qualité.
Perfonne n'ignore encore que la plupart des
Epiciers , fans en connoître toute la conféquen
( 180 ) )
>
e, préparent & vendent , pour raccommoder
les vins gâtés , des poudres qui contiennent fout
vent de la litharge & d'autres matieres auffi nuifibles
, c'eft dans les grandes villes fur- tout qu'on
s'apperçoit le plus des funeftes effets de cette
fraude , qu'on ne doit cependant attribuer qu'à
l'impéritie des Marchands qui les débitent . On
fait encore que pour prévenir les effets dange
reux de ces fortes de mixtions tous les Parle
mens ont rendu différens Arrêts ; celui de Nancy
particuliérement en a rendu un le 3 Août 1782 ,
qui ordonne que toutes mixtions de plomb , litharge
, & c. dans le vin , à quelques fins que ce
puifle être , feront réputées au nombre des peifons
capables de procurer la mort précipitée ou
lente & que ceux qui auront pratiqué telles
mixtions , leurs complices , participants ou adhérants
, ceux même qui auront diftribué au public
des vins ou vinaigres ainfi préparés , feront réputés
empoisonneurs , ou comme tels pourfuivis
extraordinairement , & punis felon la rigueur des
Joix.
Comme il ne fuffit pas feulement d'éloigner les
effets qui proviennent du défordre dans la vente
des poifons , l'inftitution de cet entrepôt que je
propofe doit être telle que les malfaiteurs qui
voudroient fe procurer des vénéfices , ne le puiffent
en aucune maniere en conféquence nous
établirions , je fuppofe ,
Que l'entrepôt général des poifons utiles aux
arts & au commerce feroit fait dans un endroit
aéré , & dirigé par un Infpecteur qui für appré
cier la qualité des marchandifes qui y feroient
enfermées ;
Qu'il y feroit tenu un regiftre ouvert où fe
roient écrits , par date de jour , la qualité & la ,"
quantité des marchandifes vendues , ainfi que da
nom de l'acheteur ;
( 182
Que l'Inspecteur feroit tenu , à la fermeture
de fon magafin , qui fe feroit à fix heures du foir
en hiver , & à huit heures en été , de faire
porter chez M. le Lieutenant Criminel & chez
M. le Lieutenant de Police , une copie journaliere
de fa vente , ainſi que du nom & de la demeure
de l'acheteur ;
Que les Apothicaires feroient feuls chargés de
la compofition , vente & diftribution des émétiqués
, & de toutes les préparations antimohiales
;
Qu'il feroit défendu à tout Apothicaire de donher
aucune préparation os plante vénéneuſe ,
telles que la ciguë , l'opium brut , l'opium préparé
, le laudanum , l'aconit & fon extrait , le
Atramonium , & c. fans une ordonnance du Médecin
du lieu , & c . & c . & c .
A fes nombreuſes expériences fur l'électricité
, M. l'Abbé Bertholon , Profeffeur de
Phyfique expérimentale , en a joint une nouvelle
digne d'être rapportée.
Ayant fait un petit aéroftat en baudruche ,
rempli d'air atmosphérique , il l'a fixé à l'extremité
d'un fil qu'il retenoit avec la main par
l'autre bout. Dans cet état , le petit globe aéroftatique
, préfenté à une certaine distance audeffous
du conducteur d'une machiné éleЯrique ,
s'eft élevé vers le conducteur par un effet de l'attraction
électrique . Lorfqu'on retenoit le fil ,
l'aéroftat reftoit fu pendu en l'air , en proie à
deux forces oppofées qui fe contrebalançoient ;
fi on lâchoit le fil , il montoit , & fon elévation
étolt proportionnelle à la longueur du fil
qu'on déployoit , jufqu'à ce qu'enfin il fûten
contact avec le conducteur . En rentrant le fil ,
on éprouvoit bien fenfiblement la force attrac(
183 )
ative de l'électricité fur l'aéroftat , qui de nouveau
refloit en ftation , ou s'élevoit fucceffivement
, comme dans les premieres expériences .
Notre Phyficien en conclut avec raifons.comme
il l'a prouvé dans plufieurs ouvrages , que
l'électricité qui regne dans l'atmosphere exerce
ſon attraction fur tous les corps légers , tels que
les vapeurs & les exhalaifens qui s'échappent de
la terré ; & fpécialement fur les globes aéroftatiques
, qu'elle eft. feule capable de produire
cet effet , ainsi qu'il paroît par l'expérience précédente
, où nulle autre caufene concourt ,
puifque le petit globe aéroftatique n'eft point
rempli d'air inflammable ni d'air raréfié par la
chaleur ; mais d'air atmoſphérique. Dans l'élévation
ordinaire des aréoſtats , où l'on a recours
à l'une de ces deux caufes , l'élévation eft un
effet composé de l'attraction électrique & de la
différence des gravités fpécifiques du fluide
contenu , & de celui qui eft ambiant.
Table des Matières , ou Précis par ordre alphabétique
de la Gazette de France de l'année 1782 .
Cette Table , qui a paru pour la première fois en
1762 , & qui fe donne tous les ans , eft trèsutile
même pour les perfonnes qui ne font
point de Colle &ion des volumes de la Gazette
de France. En 1776 , on y a joint un Index de
tous les noms françois mentionnés dans la Gazetre
de l'année , au moyen duquel il n'eft point
d'évènemens rapportés fur quelque particulier
du Royaume , que l'on ne puiffe facilement retrouver.
La T ble & l'Index le trouvent chez
les Directeurs des deux Bureaux de la Gazette ,
qui débitent auffi l'Abrégé des cent trente - cinq
premiers volumes in - 4 ·
DE BRUXELLES , le 22 Juin .
Jufqu'ici on n'avoit pas eu connoiffance ,
184
Z
ni même parlé d'aucun Mémoire , qui eût
accompagné les demandes de l'Empereur aux
Etats Généraux. Ce Mémoire cependant a
été remis fimultanément aux Plénpotentiaires
de la République par M. de Comte
de Belgiojofo cidevant Ambaſſadeur
Impérial à Londres , aujourd'hui Miniftre
Plénipotentiaire de Sa Majefté dans nos
Provinces. Cer Ecrit jettant un grand jour
fur la nature des négociations qui vont fuivre
, il eft important de le connoître. Il eſt
conçu dans les termes fuivans :
Le Plénipotentiaire de l'Empereur enrame ,
avec autant de plaifir que de confiance , une négociation
, dont conformément aux intentions de
S. M. , confignées dans un Mémoire que le Gouvernement-
général a remis à M. le Baron de
Hop le 12 Novembre 1783 , & confirmées encore
par la teneur du plein - pouvoir de S. M. , l'objet
porte fur l'établiffement & le raffermiffement
d'une amitié fincere , durable & inviolable entre
1'Empereur & la République. S. M. étant véritablement
animée de ce defir , il fera la base &
l'objet de la conduite & des procédés de fon Plénipotentiaire
dans cette négociation ; & il ne fait
point de doute , que L. H. P. ayant , comme elles
l'ont exprimé en tant d'occafions , l'intention de
marquerleur attachement à S. M. , le prix qu'ellès
mettent à fon amitié , à fa bienveillance , & le
defir fincere de vivre en bonne intelligence avec
elle , ce ne foit- là auffi la bafe des inftructions de
leurs Plénipotentiaires ; & que ces MM. ne répondent
d'ailleurs par leur inclination & leur concours
perfonnel , à la franchife , & aux facilités qu'apportera
le Plénipotentiaire de l'Empereur dans
( 185 )
tout ce qui pourra concerner un ouvrage , qui
fera auffi agréable à S. M. , qu'intéreffant pour la
République , & qui fera exifter un nouvel état
plein d'agrémens & de fatisfaction réciproque ,
affis fur le fondement folide d'une confiance inébranlable
& mutuellement fans bornes. Dans
cette vue , le Plénipotentiaire de l'Empereur regardera
comme conforme aux intentions & aux
fentimens des Souverains refpectifs , d'abréger
autant que poffible les formes & les détails ; de
dégager la négociation du ton de difcuffion , qui
n'eft pas convenable , ni fait pour un ouvrage
de conciliation entre deux Etats , qui de bonnefoi
ont réſolu de s'entendre pour toujours ; & de
conduire la marche & la forme de négociation
d'après ce que dicte le defir réciproque & les
vues qui y ont donné lieu . Il eft dans la confiance
que MM. les Plénipotentiaires agiront de
leur côté dans le même efprit & d'après les mêmes
principes , & il fe félicitera avec eux d'avoir pu
concourir à donner à cette négociation une fin.
heureufe , en employant à cet effet les feules
voies qui foient faites pour réuffir , & qui conviennent
autant aux fentimens & à l'intérêt de
la République , qu'à la dignité & aux principes
de S..M...
1 Pour ne pas différer de donner à MM . les Plénipotentiaires
de L. H. P. connoiffance des droits
& prétentions que l'Empereur réclame , fon Plénipotentiaire
a l'honneur de leur remettre ci-joint
un Ecrit , ayant pour titre : Tableau Sommaire
& qui indique ces mêmes droits & prétentions :
On le promet du côté de S. M. , que la réponfe
qui y fera faite , confirmera la confiance où elle
eft fur l'équité & la juftice de L. H. P. Fait à
Bruxelles , le 4 Mai 1784.
Il s'eft répandu qu'à l'exemple des Hollan
( 18 )
dois , notre Gouvernement alloit faire márcher
des troupes fur les frontieres : jufqu'ici
ce, rapport eft dénué d'authenticité. Au refte
les inconvéniens de cette digence des Hol
Jandois à renforcer les garnifons de leurs
frontieres , n'ont point échapé au Prince
Stathouder. On lui a reproché d'avoir at
tenda une réfolution des Etats de Hollande ,
pour mettre les troupes en mouvement , il
vient de fe juftifier de ce délai dans une Lettre
aux Etats, où il expofe les confidérations
& les démarches fuivantes.
Nous avons cru devoir préfumer que l'inten
tion de L. H. P, éroit de prévenir tout ce qui
'pourroit quelque
donner Bruxe
mécontentement au
Gouvernement de Bruxelles , & qu'ainsi l'ordre
de faire marcher beaucoup de troupes vers les
frontieres pourroit donner ombrage, que fi , fans
'avoir reçu d'ordre ultérieur nous y faifions beau,
coup de mouvemens , nous pourrions êre confidérés
comme avoir provoqué la guerre avec
S. M. I. , n'ignorant pas fur-tout les bruits défa
vantageux qui couroient à notre égard fur ce
fujet , & que l'on mettoit à notre charge d'avoit
envoyé un ordre fecret au Lieutenant Colonel
de Schweinitz de chercher occafion à quelqué
› différend avec le Gouvernement de Bruxelles
en faifant enterrer quelqu'un de la garniſon de
Liefkenshoek dans le village de Doel , avec les
honneurs militaires : ce qui nous rendoit d'autant
plus circonspect à rien prendre en ceci fur nous ,
ou à faire quelque démarche qui pût donner lieu
a des mal-intentionnés de renouveller les bruits ,
& de répandre que nous tâchions d'engager la
République dans une guerre , par des vues qui、
( 187 ).
ne s'accordent point avec les intérêts de l'Etat.
Nous avons principalement craint d'envoyer
un grand nombre de troupes dans la Flandre Hollandoife
, fans une réquifition exprelle de L. H.P.
vû que les troupes qu'on y'envoie , peuvent être
Confidérées comme coupées ou féparées , ne pouvant
y être tranfportées autrement que par eau ,
par le manque de communication entre la Flandre
& le Brabant Hollandois par terre , fans paffer fur
le territoire de S. M. I. ; & notre crainte a encore
augmenté , lorfque nous avons réfléchi à l'infalubrité
de ces places de garnifon , d'autant qu'on a
*peu de fervices à attendre des troupes qui féjournent
pendant l'été & l'arriere -faifon dans lefdites
places , fur tout lorfque l'été eft fec & chaud ,
ayant befoin d'un long temps pour le remettre
des maladies auxquelles elles font expofees .
Telles font les raifons qui nous ont engagés à
ne pas faire marcher plus de troupes , & en particulier
dans la Flandre Hollandoife , avant da
Réfolution ultérieure de L. H. P. , du 7 du préfent
: à quoi nous pouvons encore ajouter , que
nous avons confidéré que fi les navires de tranfport
fe trouvoient prêts , les troupes que l'on
trouveroit bon d'y envoyer pourroient être
promptement tranfportées ; que les forces de
P'Etat ont déja été augmentées dans la Flandre
Hollandoife de 4 Bataillons dont 1 à Hulft , 1 au
Sas de Gand , à Axel & 1 à Philippine , &
que dès que tous les arrangemens nécellaires auront
été pris , quelques autres Bataillons s'y rendront
encore , s'il arrive que les circonftancès
Pexigent.
Au milieu de ces dangereufes difcuffions .
celle qui concerne le Duc de Brunſwick
agite de nouveau les différens partis. Lie
( 188 )
7
Feld Maréchal s'eft vu dans la néceffité de
publier un expofé hiſtorique & juftificatif,
au fujet de l'acte entre le Prince fon neveu
& lui , dont nous avons rendu compte . Le
Duc de Brunfwick écrit au Stathouder à ce
fujet dans les termes fuivans : 7
Pai été ,, comme de
attaques
publiques
qu'on a fait depuis long tems
à mon honneur
& à ma réputation
, & d'avoir été
depuis quelque
tems continuellement
exposé
aux plus atroces
calomnies
; auffi long- tems
qu'on ne produifit
rien de fpécifique
à ma
charge.
oon
, très
- fenfible
aux
J'aurois tranquillement perfifté dans cette réfolution
, fi depuis quelques femaines on n'avoit
pas trouvé à propos de m'attaquer particuliére .
ment fur le contenu & l'exiſtence d'un acte qui a
été paffé entre Votre Alteffe & moi le 3 Mai
1766.023
>
Etant d'une notoriété publique juſqu'à quel
point on pouffe les infinuations malicieuſes contre
moi r tant par rapport à l'exiftence de cet acte
que par rapport à fon contenu , & combien on
tâche de me rendre fufpect aux yeux du public,
en m'attribuant les deffeins les plus finiftres ,
il
m'a paru que pour la confervation & pour la défenfe
de mon honneur & réputation , j'étois indifpenfablement
obligé de produire & de publier
aux yeux de l'univers entier cet acte ; & je ferois
par conféquent d'intention de le donner en
fon entier aux yeux du public , en y ajoutant un
court expofe , tel que je prends la liberté de le
préfenter ci - joint à V.A.
Mais confidérant que cet acte eft un inftrument
dans lequel V. A. paroît comme haut contractant,
& que par confequent il dépend de la bon
( 189 )
2
ne volonté de V. A. , fifofe rendre public cet
ace , je prends la libertéde folliciter pour cet ef
fet la haute approbation & le gracieux confentement
de V. A. , en la fuppliant très - humblement
de vouloir avoir la grace de me faire favoir les intentions
à cet égard.
Le parti Ariftocratique vient de perdre un
de fes plus ardens défenfeurs , le Baron de
Capelle de Poll. Il eft mort à Zwoll , d'une
fievre rhumatifmale , à l'âge de 48 ans. Les
écrits & les difcours de ce Seigneur font
connus de tous ceux qui ont donné quelqu'attention
aux affaires de la Hollande. Les
uns le regrettent comme le plus ferme appui
de la liberté nationale ; les autres le regardent
comme un difcoureur incendiaire ,
infiniment dangereux pour le repos public.
Tels font les jugemens ordinaires des fac-.
tions : ce n'eft pas d'après leur organe qu'on
peut apprécier le mérite ou le démérite réels
des Acteurs qui les ont fervies ou contrariées.
Le Baron de Capelle avoit été
Chambellan du Stathouder , & introduit
par les recommandations de ce Prince dans
le corps des Nobles d'Overyffel.
On n'a point perdu le fouvenir des fcenes
populaires qui précéderent en 1747 le rétabliffement
du Stathouderat. On fait encore
qu'en plufieurs villes de la Hollande & des
autres Provinces , il s'eft formé des Compagnies
de Volontaires armés fous l'autorité
des Régences. A Rotterdam , le Peuple & le
Gouvernement ayant vu cette inftitution de
( 192 )
Miftrefs Siddons , à ce qu'on mande d'Edimbourg
, a exalté les têtes écoloifes comme les
nôtres, La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en fe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le ſpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures & demie. La perte des chapeaux ;
des cannes , des ſouliers même a été le moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été complettement fiddonifé.
Miftrefs Farmer de New-Yorc a préſenté à
l'affemblée de cette province un excellent portrait
original de Chriftophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eftimable préfent avec reconnoiffance ,
& l'a fait placer dans la falle d'affemblée.
Un Officier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique, forti de fa patrie pour une affaire
d'honneur , d'une heureufe phyfionomie , jeune ,
& ayant des talens pour le Génie , fe trouvoit à
Amfterdam , fans reffource , & projettoit de paffer
en Pruffe. Ne recevant de fecours ni de fa
famille , ni de perfonne , il s'eft caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amfterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreffe d'une de fes parentes , il avoit écrit ces
deux vers de Mérope :
Quand on a tour perdu , quand on n'a plus d'eſpoir ,
La vie est un opprobre , & la mort un devoir,
Dans une fituation pareille , ces citations de vers fi
communes dans les fuicides françois font tellement
forcées qu'elles font foupçonner plus d'exaltation
dans la tête du mort que de défefpoir dans fon ame.
Cet Officier , dit-on , eft Lorrain , & fe nomme
de Montluifant.
ERRATA pour le dernier N°. , Pag. 114 , 100 fuf
frages de donnés , en tout plus de 120000 ; lifez ,
1000fuffrages , & en tout plus de 12000.
( 191 )
1
extérieure ou autrement ; interdifant tout attroupement
quelconque dans les rues , devant les mailons
, &c . à peine que ceux qui feront pris fur
le fait , ou convaincus d'avoir contrevenu à la
préfente publication , feront punis comme pers
turbateurs du repos public & féditieux , felon les
loix & placards du pays , comme il fera trouvé
convenir.
Et comme le vénérable Magiftsat feroit ext rêmement
mortifié qu'il arrivât aux bons habitans
& bourgeois de cette Ville aucuns dommages &
malheurs , il engage & conteille à tous coux
qui par état ne font point obligés de le mêler de
des mouvemens tumultueux de le tenir chez eux
avec leur famille , afin d'éviter tous accidens qui
pourroient leur arriver.
Mais comme il importe à la juftice , pour le
maintien du bon ordre , que les chefs & auteurs
de ces troubles foient découverts , la Régence de
cette Ville promet une prime de rooo florins à
quiconque pourra les dénoncer de maniere à ce
qu'ils foient mis entre les mains de la justice , &
convaincus du fait , le nom du dénonciateur ref
tant fous le fecret s'il l'exige. Ainft arrêté à
Leyde le ro Juin 1784 , lu & affiché ledit jour, &c.
& c. & c.
Le contre - Amiral de Kingsbergen eft
chargé du commandement de l'efcadre deftinée
à relever dans la Méditerranée celle du
Vice-Amiral Reynft , mife hors de fervice
par les tempêtes.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL,
Les réfolutions prifes à Dublin ont donné lieu ,
-dit-on , à un comité chez M. Pitt , & à l'iffue
duquel on a expédié un courier au Duc de Rutland
.
( 192 )
Miftrefs Siddons , à ce qu'on mande d'Edin
bourg , a exalté les têtes écoffoifes comme les
nôtres. La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en ſe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le fpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures & demie. La perte des chapeaux ;
des cannes , des fouliers même a été le moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été contplettement fiddonifé.
Miftrefs Farmer de New- Yorc a préfenté à
l'affemblée de cette province un excellent portrait
original de Chriftophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eftimable préfent avec reconnoiffance ,
& l'a fait placer dans la falle d'affemblée.
Un Officier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique, forti de fa patrie pour une affaire
d'honneur , d'une heureufe phyfionomie , jeune ,
& ayant des talens pour le Génie , fe trouvoit à
Amfterdam , fans reffource , & projettoit de paffer
en Pruffe. Ne recevant de fecours ni de fa
famille , ni de perfonne , il s'eft caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amfterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreffe d'une de fes parentes , il avoit écrit ces
deux vers de Měrope :
Quand on a tour perdu , quand on n'a plus d'eſpoir ,
La vie est un opprobre , & la mort un devoir,
Dans une fituation pareille , ces citations de vers fi
communes dans les fuicides françois font tellement
forcées qu'elles font foupçonner plus d'exaltation
dans la tête du mort que de défefpoir dans ſon ame.
Cer Officier , dit-on , eft Lorrain , & fe nomme
de Montluifant.
ERRATA pour le dernier No. , Pag. 114 , 100 fuffrages
de donnés , en tout plus de 120000
Qualité de la reconnaissance optique de caractères