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1783, 09-10, n. 36-43 (6, 13, 20, 27 septembre, 4, 11, 18, 25 octobre)
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Texte
MERCURE
=
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 6 SEPTEMBRE 1783 .
APARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Juillet 1783 .
PIÈCES FUGITIVES . moeurs de divers Animaux
3
L'Honnête Famille , Anec- Annales Poétiques ,
Rofine & Mirtil étrangers , 59
66
dote ,
Traité d'Architecture
9
, 71
Air de Blaise & Babet , 23
Traité des Scrophules , 75
Inscription du Cardinal Barberin,
Versen Réponse à une Lettre 50
BonMot,
Geneviève de Cornouailles . 123
Médecine Domeftique ,
L'Agriculture, Poëme , ICS
129
49
52 Apperçu d'un Citoyen fur la
réunion des deux Marines
Stances imitées de Gefner , 12
Tableau des Amusemens Na en France ,
turels ,
132
97 Hiftoire des Animaux d'Arif
Le Retour vers ſes Pénates , tote , en Grec ,
Couplets , 145
153
Fables & Discours en vers, 165
Le Magistrat & l'Officier , Moyen proposépour perfection .
149 ner promptement dans le
Royaume laMeuncrie & la
Fable,
Le Petit Souper , 193
Conte, 195
Vors pour mettre au bas d'un
Oranger 196
Couplets à MmeD** , 197
Charades , Enigmes & Logo
gryphes , 25 , 54 , 104 ,
11,198
NOUVELLES LITTER.
Eloge de M. l'Abbé Poulle ,
26
Boulangerie, 168
Vers fur la Paix, 170
Doutes fur différentes Opinions
reçues dans la Société,
172 200
Le Désastre de Meffine , Ode
Philofophique , 185
Eudoxie , Nouvelle Hiſtorique
,
Necrologie ,
2.20
225
188
Dictionnaire Univerſel des SPECTACLES,
Sciences Morale , Economi- Concert Spirituel ,
que , Politique & Diploma Acad. R. de Musiq. 79 , 228
Comédie Françoise , 85 , 229
tique, 36
Le tres deM. de Windischfur Comédie Italienne , 134 , 229
lejoueur d'Echecs de M. de Variétés ,
Kempelen,
OEuvre de Cicéron ,
42.Anecdotes,
55
230
138 , 233
Annonces & Notices , 43 , 93 ,
Effais Philofophiques fur les
139,188,235
▲Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , pròs 8. Come.
Compl.acts
singhoff
7910481
24009
"MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 6 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE DIABLE , Conte.
AuU temps jadis un bon Guré Gaulois
Vouloit prouver à certain Caufidique ,
Que des enfers le préſident inique
En ce bas- monde apparoiſſoit par fois.
Après mains dits , mainte & mainte réplique :
Crâne obſtiné , dit le Paſteur têtu ,
Ace trait-ci , que répliqueras-tu ?
Hier au ſoir je l'ai vû ſous la forme
D'un baudet noir , portant oreille énorme ;
Juſqu'à la nuit il ſuivit tous mes pas ;
Je me ſignai crainte de mal encombre ...
<<<Bon , bon! reprit l'Élève de Cujas ,
>>>Vous eûtes peur, je gage , de votre ombre.
( Par M. Sylva. )
A ij
MERCURE
COUPLETS à M. GRIGNON , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Correspondant
de l'Académie des Sciences & Belles-
Lettres de Paris , & Inspecteur des Mines
-de France , le jour de ſa Fête.
AIR: Chantez , dansez , amusez-vous.
AQUOI bon tous ces vains diſcours
Qu'avec tant d'art l'eſprit apprête ?
Le coeur a réuſſi toujours
Près de celui qu'ici l'on fête :
Les vers font toujours aſſez bons ,
Il lui ſuffit que nous l'aimions.
Dis Beaux-Arts dont il eſt l'appui ,
Il approfondit le myſtère ;
Mais à table , ailleurs , ou chez lui ,
Il n'en fait pas moins boire & plaire :
Qu'a-t'il à defirer de plus ?
Il ſert Minerve, il fert Bacchus.
MÁIS ces mines qu'il va cherchant
Dans des abymes qu'il entr'ouvre ,
Ne valent pas aſſurément
Les mines qu'ici l'on découvre ;
Qu'a-t'il à defirer de plus ?
Il ſert Minerve , il ſert Vénus.
} bis.
bis.
}bis.
1
DE FRANCE. 5
Ce cordon , que fans aucuns droits
Trop ſouvent l'orgueil follicite ,
Il nous prouve au moins cette fois
Qu'il eſt le cordon du mérite :
Que peuvent defirer de plus
Et ſes talens & fcs vertus ?
AMIS , qu'il eſt doux d'eſpérer
Que, pour prix de nos voeux ſincères ,
Unjour il pourra figurer
Dans la lifte des centenaires;
Qu'il puiffe à cent ans révolus
Servir & Minerve & Vénus !
( Par M. Damas. )
bis .
bis .
LE SOUPER SENTIMENTAL , Come.
SI vous me demandiez , Mesdames , le
nom de celui qui le premier apporta les
vapeurs en France , je vous dirois : C'eft
un Florentin ; & quand j'aurois ajouté : C'eſt
un Abbé ( * ) , vous me croiriez fur parole.
S'il falloit auſſi vous donner l'origine des
Petits-Maîtres vous me croiriez , quand
je vous dirois : Condé , le vainqueur de
Rocroi , étoitungrand maître & ces jeu-
(*) L'Abbé Ruccelai Florentia , fils d'un partiſan
conſidéré ſous Louis XIII.
Ainj
6 MERCURE
nes gens deCour qui s'attachèrent à lui , finges
infidèles du grand homme , furent appelés
Petits- Maitres. Mais je ſerois bien
embarraffé de vous nommer l'aimable inventeur
de nos petits ſoupers : toujours eftil
bienvrai que l'époque ne remonte pas audelà
de Louis XII. Ce bon Roi , qu'on réprimanda
fi févèrement pour avoir reculé fon
coucher à dix heures , amuſoit ſans doute ,
par un petit ſouper , les longs tête- à-têtes
qu'il avoit avec Marie d'Angleterre.
Il eſt bien vrai auſſi que Louis XIV , ce
Roi que Frédérica nomméle grand Magicien
de l'Europe , f magnifique , fi galant , n'a
pas porté la délicateffe des ſoupers au point
où ſon ſucceffeur l'a vue s'étendre depuis fon
retour de Metz. Minuit marquoit toujours
la ligne de démarcation du jour & de la
nuit ; aujourd'hui la nuit n'a plus d'ombres :
unfaiſceaude bougies eſt attaché au flambeau
pâliſſant du jour ; l'oeil trompé cherche en
vain les ténèbres. Alors on ne ſavoit point
ſe retrancher contre l'éclat du ſoleil pour
dormir en plein midi. Long temps on ne
ſavoit que donner quatre parties à la journée;
le travail s'emparoit avidement de deux
moitiés ; la troiſième étoit conſacrée au repos.
Que reſtoit- il pour les plaiſirs ? C'eſt
aujourd'hui que des mains charmantes déſoupent
ingénieuſement lajournée , & cou
cent àla robe du tems des heures délicieuſes.
Les fallons ( car tous les arts ſe tiennent,
DE FRANCE.
7
&fur tout les arts d'agréinent ) vinrent bien
vîte au ſecours des petits foupers. Bientôtle
compas , dirigé par le goût , traça des cloifons
, abaiſſa les voûtes , retrécit lesvaftes
falles , plus propres àdes conférences d'Ambaffadeurs
Suiffes qu'àdepetits foupers. Les
grandes cheminées diſparurent : àune ſculpture
groſſière , à des Amours mal maçonmes
& mal affis ſur les angles , ſuccédèrent
les glaces de Veniſe ; au cuir doré ,
le damas , le ſatin & la perſe. Ces fauteuils
matériellement tournés , à longs dos , à longs
bras, furent remplacés par des bergères, des
ottomanes , &c. &c. La réforme avoit déjà
gagné les moeurs. Déjà , grâces à Richelieu
les grands vaffaux enchaînés auprès du Trône,
devenus plus humains , apprivoisés par les
arts , adoucis par les femmes , parloiont
moins de nobleſſe , de ferfs , & parloient
davantage de plaifir. Il eſt vrai qu'on ſe ferrailloit
encore pour le haut du pavé , &
que , pour conſerver la ridicule distinction
des éperons dorés , on rendoit des viſites
en bottes , & on arrivoit crotté. Dans
tout cela rien ne regarde les Dames.
,
Que vous dirai-je des femmes ? Si la
tradition étoit inuette , jejugerois ce qu'elles
ont été d'après ce qu'elles font. Il est bien
vrai qu'elles furent aimables dans tous les
temps ; toujours le goût les avertit vingt
années avant nous des réformes néceſſaires.
Elles avoient mis de la poudre d'or
A iv
8 MERCURE
dans leurs cheveux , avant que nous euffions
tailladé notre barbe ; elles avoient inventé
les corps & les baleines , & nous
avions encore nos fouliers carrés. Avant
que nous euffions ſongé à dénouer la large
agraffe de nos manteaux , elles faifoient
ufage de ces gazes officieuſes , auxquelles
la décence & l'amour fourient également.
Sans doure elles aimoient , plaifoient , faifoient
des ſottiſes comme aujourd'hui :
l'art de plaire eſt un ſecret qu'elles n'ont
jamais appris , qu'elles ont toujours fu
avec cette difference que chaque ſiècle a
imprimé fon cachet ſur chacune de leurs
manières.
,
Notre ſiècle a fans contredit beaucoup
d'avantages fur ceux qui l'ont précédé ; mais
je puis le comparer à un Metteur en oeuvre
, qui , à force d'affiner fon métal , diminue
ſon poids ; ou plutôt à ce Marivaux ,
ſi juſtement célèbre , qui pour trop vouloir
ductiliſer ſa penſée , en émouſſoit le
trait. La politeffe a altéré nos couleurs primitives
: on portoit autrefois ſon caractère ,
fon attitude dans les fallons. Le beau Lauzun
dut à cette originalité la main de l'auguſte
Montpenfier . On remarquoit dans la phyſionomie
& dans l'expreffion des traits ſaillans;
aujourd'hui nous nous reſſemblons tous; plus
de couleurs , point d'expreſſion. Il ſemble
qu'un niveau eſt ſuſpendu dans nos antichambres
, & qu'on n'oſe en outrepaffer la
hauteur. Fous , ſi c'eſt porte ouverte à la fo-
1
DE FRANCE .
,
2
lie : Catons , i l'on veut; c'eſt une hypocrifie
continuelle dans le maintien : le vice & la
vertu en un mot , dépendent de l'affiche
qu'on lit en entrant, fur le front de la Dame
du lieu. Je ſais qu'il feroit facile d'entreprendre
notre apologie. Je fais que la bienfeance
& l'honnêtetéy trouvent leur compre.
Plus de détonation : c'eſt un concert exécuté
à voix baſſe , avec peu de chaleur , fi l'on
veut , mais d'accord. Plus de ces oui opiniâtres
; plus de ces non effrontés , éternels
ſujets de diſcorde parmi nos francs
ayeux : la penſée polie & retournée vingt fois
fortlentementde la filière des convenances ,
& flatte on ſe tait. Point d'accent ;
calme toujours égal. Mais l'amitié , mais la
confiance y ont- elles gagné ? Moi , je preférerois
le ſiècle qui ne cache point ſes vices
à selui qui cache ſes vices ſous ſes defauts....
Pardon , Meſdames; c'eſt d'un ſouper que
j'ai à vous entretenir.
Un
Hier au ſoir Montcalde ſe promenoit, avee
l'air du déſoeuvrement, dans ce jardin dont
un Régent aimable avoit confié la clef aux
Amours. Montcalde , jeune , riche, aimable ,
n'étoit pas fait pour être abandonnné furlefablemouvantd'une
allée. Il eſt pourunhomme
aimable mille reſſources : autrefois les portes
ne s'ouvroient qu'aprèsdes informations
interminables : D'où vient- il ? Quel eſt-il ?...
Il eſt vrai qu'autrefois c'étoit Monfieur qui
ouvroit la porte : aujourd'hui c'eſt Madame.
Av
10 MERCURE
Est- il aimable ? Oui .... Amenez - le , & voilà
tous les préliminaires : l'inconnu eſt impatronifé
ſans autres lettres de creance , fi bien !
favite! Il ſemble qu'on craint de n'avoir
pas le tems de pouvoir ſe connoître. Il
eſt vraiqu'on n'a jamais mieux connu le prix
de l'occaſion .
.....
VoilàMontcalde accoſté par un de ces hommes
charmans , qui ſemblent emprifonner
les plaiſirs dans leurs tablettes , & dont les
tablettes renferment un calendrier fidèle des
plus beaux jours ; qui ont toujours un moment
à donner au plaifir , & unplaiſir deftiné
au moment ; qui ont toujours un lieu
où la beauté les attend , & une heure où ils
vont attendre la Beauté. Un bal .... un fouper....
que fais je ? Ai je beſoin de tout dire ?
Heureux mortel ! il manquoit quelque choſe
à Montcalde pour reſſembler entièrement à
Joinville : ( c'eſt le nom du Merveilleux ) Il
n'étoit pas tout- à- fait ce qu'on appelle à la
rigueur un Homme àfemmes. Il avoit des diftractions
, étoit trop gai , & n'avoit pas dans
l'ame ce fonds tendre, qui promet aux Dames
de faire de nous de légers camaïeux, qu'elles
effacent, retournent & decompoſent.
Le voilà introduit chez Euphrofine. Il ne
connoiffoit point Euphrofine ; mais , fidèle
à l'uſage , il ne demanda point : Où ſuis je ?
Euphroſine étoit jolie , c'étoit le premier titre
de nobleffe, titre incontestable : elle étoit
aimable , c'étoit le ſecond ; elle plaiſoit ,
DE FRANCE. 11
n'of-
,
c'étoit le troiſième. Je pourrois lui donner
douze quartiers auſſi incontestables , ſignés
l'Amour, & plus bas , nous tous qui l'avons
vue. Euphroſine ſans rouge , fans blanc ,
ſourcils noirs , foſſettes au menton
froit pas non plus un faux baptiftaire. Elle
annonçoit , je ne ſais pas ſi c'eſt dix-huit ans,
mais je fais bien que c'étoit le bel âge. Peignons
le caractère d'Euphroſine : elie n'étoit
point bruyante ; elle parloit à voix baſſe
parloit peu. C'étoient des inflexions , des
aſpirations.... Elle ſembloit dire à tout le
monde : Je ne parle que d'après mon coeur.
Elle ne diſoit point : Je fais cela , mais je
ſens cela. Elle ne répondoit point : Cela eſt
bien dit, mais cela eſt ſenti. Vouloit - elle
louer? elle ne diſoit point : Monfieur a de
l'eſprit ; mais Monfieur a de l'ame . Le ſentiment
étoit ſur ſeslèvres avec autant de vérité
qu'il étoit dans ſon coeur . Tout , autour
d'elle , en portoit la tendre livrée.
Cependant venoient d'arriver Elife , brune
piquante, dont les traits décéloient l'enjoûment
; Hortenfe , blonde , grande , ſeche ,
qui n'avoit jamais eu que de l'orgueil & de
la maigreur dans l'ame ; Lucile , qui n'avoit
pas vingt huit ans , & qui étoit tentée de parler
àtoutmoment. Ces diſparates s'évanouirent
au premier regard d'Euphroſine , & ces
trois viſages ſe peignirent auſſi tôtde la couleur
tendre du licu. Auprès d'elles étoit un
de ces quarantenaires , encuiraffes fous une
triple nacre , portant l'audace ſur le front ,
Avj
12 MERCURE
& l'impudence dans les yeux : des jeunes
gens fans vices , ſans vertus , équivoques ,
grands enfans , qui , après avoir foufflé des
boules de ſavon le matin , jouoient l'importance
le foir ; des foi- difans penſeurs , fléaux
de la ſociété , gens aſſis ſur la règle & fur le
compas , entre unfi& un mais , definiflant ,
analyfant & comptant les plis de la ceinture
de Vénus , au lieu de la chiffonner : tel
étoit le cercle d'Euphroſine. On eût dit qu'ils
n'avoient qu'une ame , qu'une même façon
de penſer , celle d'Euphroſine , tant le ſceau
desbienfeances eſt impérieux. Il eût étépoffible
de tirer de cette diverſité d'eſprits & de
caractères un meilleur parti ; mais le volant
reſtoit à terre , perſonne qui osât prendre la
raquette& le baletter. Un fouper fut ſervi
avec élégance & fans profuſion : il ſembleit
avoir été ordonné par une Fée. C'étoit un
ſouper à la mode , où l'oeil appercevoit du
premier coup toutes les ſaiſons & tous les
climats , & où l'on ne trouve pas un fuc
nourticier pour l'eftomac , pas une boiffon
défaltérante : en revanche on pouvoit parler ,
&on parloit.
Euphrofine avoit donné le mouvement ,
&perſonne n'oſoit s'écarrer de cette monotonie
ſentimentale. C'étoient des phraſes interrompues
par des exclamations , ou coupées
par des foupirs. J'ai dit que Montcalde
étoit gai : ce ton le décontenançoit. Il favoit
qu'on eſt jugé au premier coup d'oeil ;
il craignoit de s'énoncer mal. Son embarras
>
DE FRANCE.
13
croiſſoit de moment en moment , car de
moment en moment la converſation prenoit
une teinte plus ſombre : une hiſtoire
triſte finiſſoit , une autre plus triſte recommençoit.
On en vint à l'éloge des abſens;
de l'éloge à l'oraiſon funèbre il n'y
a qu'un pas. Montcalde ſe crut perdu. Quelle
contenance garder , lui qui étoit gai , parmi
desperſonnes qui étoient prêtes à larmoyer !
On regrettoit un ami ! Un ami ! A ce nom ,
un ſoupir univerſel fit friffonner tous les
coeurs. Montcalde fut pénétré du ton fur lequel
on célébroit l'amitié.Eh ! ſans doute, ditil
tout bas à Euphrofine, je ſuis dans le Temple
deCaſtor & Pollux ; je croyois n'être que
dans celui des Graces. AimablesGrecs , c'eſt
votre imagination qui perſonifia avec tant
d'agrément tous ces êtres moraux ! C'eſt
vous qui , les premiers , donnâtes un nom &
un corps au ſentiment, & qui , fatigués de
reffembler à Ixion embraſſant une nue ,
donnâtes à Caſtor , Pollux; à Niſus , Euriale.
Amitie ! c'eſt toi qui dictas le teftament immortel
d'Euladymas. Moncalde , en prononçant
mentalement cette proſopopée , étoit
pénétré , mais n'étoit point attendri . Euphrofine
continuoit l'oraiſon funèbre de ſon ami ;
elle avoit rendu avec un touchant intérêt les
derniers & triftes périodes de ſa vie : des
larmes couloient des yeux d'Euphrofine.
Tout le monde , mouchoir en main , ſechoit
ſes pleurs. Moncalde étoit déſeſpéré
de ne pas pouvoir pleurer. Il appelle fon
14 MERCURE
imagination au ſecours , s'inveſtit des ſouvenirs
les plus noirs , confulte à la fois
ſa mémoire , ſon eſprit & fon coeur; fonge
à fon père , à ſa mère , à ſa ſoeur , à fes
amis , à ſa maîtreſſe , à tous les défunts
poſſibles ; enfin une larme s'échappe de ſes
yeux. Il tira auſſitôt ſon mouchoir avec
bruit : on eût dit que c'étoit la bannière de
ralliement. Tous les yeux ſe fixèrent ſur lui :
une inclination admirative lui annonça qu'il
étoit réconcilié. Euphroſine lui dit : Vous
êtes ſenſible , Monfieur ; la première qualité
de l'homme aimable , c'eſt la ſenſibilité: conſervez
la ; c'eſt le feu ſacré ; une fois éteint ,
il faut un miracle pour le rallumer. Le
Ciel aujourd'hui eſt avare de ſemblables
prodiges. Revenez ſouvent me voir. Moncalde
fit de fon mieux pour tirer parti de
fon maintien : ilbrûloit de rire aux éclats .
Heureuſement une Dame lui offrit une
place dans ſa voiture , & le jetta chez une
folle où il rit de tout ſon coeur. Je pourrois
vous peindre Hortenſe riant à ne pas s'entendre
, au moindre mot ; badinant à tort
&àtravers , faiſant mille queſtions , n'attendant
jamais la réponſe , chantant , ſautant ,
parlant tout-à- la- fois; changeant de place
àchaque ſeconde , n'étant bien nulle part ,
&diſant : Lebonheur eſt par- tour. Je pourrois
placer Moncalde àſon aiſe : mais qu'en
concluriez vous ? Qu'il eſt des foux triftes&
des foux gais dans le Fauxbourg St-Germain
commedansle Marais ; que nous avons
DE FRANCE. 15
tous notregrain de folie ,& que le plus ſage
eſt celui qui fait mieux le cacher ; onen
tire meilleur parti. La femme ſenſible &
la folle ont chacune leur prix : heureux
ceux qui ſavent manier ces précieux diamans
avec des doigts de roſe. Malneur au ſauvage
ou au méchant qui ne les ménage point ,
&ne les honore point affez .
(Par M. de Mayer.)
Explication des Charades , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Lemot de la première Charade eft Épicure ;
celui de la ſeconde eſt Bonnet ; celui de
l'Enigme eſt Lys ; celui du Logogryphe eſt
Étoile , où l'on trouve toile, étole & toi.
LES
ÉNIGME.
ES Princes & les Rois viennent loger chez moi ,
Les Pontifes ſacrés , & puis les Gens de Loi.
Moi , je loge chez tout le monde;
Et d'après mon avis , l'on eſtime ou l'on gronde ,
Tantôt le Fourniſſeur , tantôt le Cuifinier ;
Carje goûte à tout le premier.
;
16 MERCURE
LOGOGRYPΗ Ε.
AMI
MI Lecteur , tu dois bien me connoître ,
Plus d'une fois je fatiguai tes yeux ;
En t'amuſant, plus d'une fois peut-être
Je t'effrayai par mon aſpect hideux.
Diviſe mes ſept pieds, tu trouveras trois villes;
Un mois qui rend la vie aux campagnes ſtériles ;
Un nom , pour nos aïeux , dans tous les temps ſacré ,
Un nom qui de nos jours eſt bien peu révéré ;
Le bruit dont un enfant te rompt ſouvent la tête ;
Certain mot très- groffier qui fut jadis honnête ;
•Un autre mot fi doux qu'on ne peut ſe laſſer
1 Etde l'entendre & de le prononcer ;
Un jeune audacieux célèbre dans la Fable ;
De l'arrière ſaiſon un jour très-remarquable ;
Cequ'un Soldat vaincu demande à ſon vainqueur ;
Ce que femme offenſée a toujours dans ſon coeur ;
Unoiſeau fort commun; deux notes de muſique;
Un petit mot latin ; un art diabolique;
Le nom d'un Magiſtrat ; un excellent poiſſon ;
D'un animal chéri la gentille priſon ;
Undes quatre élémens ; un pronom ; une pierre ;
D'un homme grand & ſec l'épithète ordinaire .
Te voilà , cher Lecteur , ſuffisamment inſtruit ,
Etd'ailleurs je craindrois de laſſer ton eſprit.
(Par M. Louvet. )
DE FRANCE.
17
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ILIADE & L'Odyssée , d'Homère traduites
en vers François , par M. de Rochefort ,
de l'Académie Royale des Inſcriptions &
Belles- Lettres . A Paris , de l'Imprimerie
Royale ; 1781 & 1782. in- 4°. 2 Vol.
ON ne peut annoncer un plus beau titre
Littéraire pour l'Auteur , un Ouvrage plus
intéreſſant pour le Lecteur , qu'une Traduction
d'Homère en vers , l'entrepriſe ſeule
feroit toujours noble , dût- on y échouer , ce
ſeroit le cas de dire :
Quemfi non tenuit , magnis tamen excidit auſis.
Il eſt beau même d'en tomber.
C'eſt en vers ſans doute qu'il faut traduire
les Poëtes , quand on le peut ; la fidélité
littérale peut y perdre , mais la fidelité
véritable , celle qui conſiſte à conferver la
vie , le mouvement , la couleur , les grâces ,
l'éloquence , l'original , en un mot , cette
fidélité ne peut qu'y gagner .
Les pédans diſent qu'ils aiment les Anciens;
ils ſe trompent , ils connoiffent le
matériel des mots , l'Auteur tout entier leur
'échappe ; au défaut des beautés réelles qu'ils
ne fentent pas , ils en imaginent de chimériques;
les fauſſes fineffes & les lourdes Tra
18 MERCURE
ductions des Dacier * & de leurs ſemblables,
dégoûteroient à jamais les ignorans des
originaux qu'on veut leur faire admirer. Le
véritable , le digne admirateur des Anciens ,
eſt le Poëte qui fait paſſer leurs beautés dans
ſes Ouvrages , ſoit par une Traduction , ſoit
par une fimple imitation.
Quand l'Auteurde la Henriade, déplorant
la mort du Duc de Bourgogne , s'écrie :
Ciel ! quelle nuit ſoudaine à mes yeux l'environne !
La mort autour de lui vole ſans s'arrêter.....
O mon fils ! des François vous voyez le plus juſte....
Grand Dicu ! ne faites -vous que montrer aux humains
Cette fleur paſſagère , ouvrage de vos mains ? ....
Ojours remplis d'alarmes !
Ocombien les François vont répandre de larmes ,
Quand ſous la même tombe ils verront réunis
Et l'époux & la femrae , & la mère & le fils !
On ſent qu'il s'eſt attendri , & qu'il a pleuré
comme Octavie , en liſant ces beaux vers
de Virgile fur la mort de Marcellus :
Sed nox atra caput triſti circumvolat umbrâ....
Onate , ingentem luctum ne quare tuorum !
Oftendent terris hunc tantumfata , neque ultrà
Effefinent .......
Quantos ille virûm magnam Mavortis ad urbem
* Nous devons à un homme de ce nom , bien
différent du premier , & qui n'a rien de commun avec
lui que d'être Savant , d'excellentes Traductions
d'Elien & de Xénophon.
DE
19
FRANCE.
Campus aget gemitus , vel qua , Tyberine , videbis
Funera , cùm tumulum praserlabere recentem !
Quand le pédant Desfontaines , qui ne
trouvoit pas un défaut dans l'Énéïde , la
traduit toute entière en profe sèche &
froide , je vois évidemment qu'il n'a rien
ſenti en lifant Virgile; il efface toute image ,
il éteint tout ſentiment.
Nous pouvons mettre Racine au rang des
Traducteurs , ou du moins des imitateurs
d'Homère , dans ce morceau touchant des
adieux d'Hector & d'Andromaque . Il avoit
Homère ſous les yeux , il le portoit tout entier
dans ſon ſein, lorſqu'il faifoit dire à Andromaque
ces vers pathétiques :
Hélas! je m'en ſouviens , le jour que fon courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda ſon fils ,& le prit dans ſes bras .
Chère épouſe ( dit-il en effuyant mes larmes )
J'ignore quel ſuccès le ſortgarde à ines armes ;
Je te laiſſe mon fils pour gage de ma foi ;
S'il me perd , je prétends qu'il me retrouve entoi.
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chère ,
Montre au fils à quel point tu chérifſſois le père.
Le tableau de l'enfant qui , effrayé du cafque
de ſon père , ſe rejette dans le ſein de ſa
nourrice , ne pouvoit trouver place parmi
les mouvemens tragiques qui occupoient
ſeuls Racine. Ce tableau a fourni de beaux
vers à M. de Rochefort :
20 MERCURE
Hector , ce fier Guerrier , dans un tranſport de père ,
Les deux bras étendus , s'avance vers ſon fils .
Mais l'enfant s'épouvante , il pouſſe de grands cris ;
Au ſein de ſa nourrice il ſe preſſe & ſe cache ;
Il frémit à l'aſpect du ſuperbe panache ,
Dont l'aigrette terrible & les touffes de crin
S'élèvent en flottant ſur le caſque d'airain .
Hector voit ſa frayeur avec des yeux de père ,
Et regardant le fils , ſourit avec la mère.
Auffitôt découvrant ſon front majestueux ,
Hector poſe à l'écart ſon caſque radieux ;
Il retourne à ſon fils , le prend & le careffe :
Dieux , dit- il , écoutez les voeux de ma tendreffe :
Faites que cet enfant ſoit un jour comme moi ,
L'honneur de nos Guerriers , des ennemis l'effroi.
Souverain d'Ilion , qu'il y règne avec gloire ;
Dans ſes brillans exploits , ſuivi de la victoire ,
Qu'il puiſſe entendre dire à nos peuples furpris :
Le père est en cejour éclipſé par le fils .
Qu'avec un beau trophée il revienne dans Troye ,
Que ſa mère l'embraſſe & treſſaille de joie.
Les deux Pièces de M. Gruet & de M. de
Murville , couronnées à l'Académie Françoiſe
en 176 , étant des Traductions de ce
même morceau , les Lecteurs peuvent les
comparer avec la Traduction de M. de Rochefort.
Boileau peut , ainſi que Racine , ſervir de
modèle aux Traducteurs d'Homère. Voyez
DE FRANCE. 21
cet endroit du vingtième Livre de l'Iliade ,
que Longin cite pour exemple de la ſublimité
dans les penſées , & qui ne l'eſt pas
moins de la ſublimité dans les images .
L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie.
Pluton ſort de fon trône , il pâlit , il s'écrie :
Il a peur que ce Dieu , dans cet affreux ſéjour ,
D'un coup de ſon trident ne faſſe entrer le jour ,
Et par le centre ouvert de la terre ébranlée ,
Ne faſſe voir du ſtyx la rive déſolée ,
Ne découvre aux vivans cet empire odieux , -
Abhorré des mortels , & craint même des Dieux.
Ce morceau n'eſt pas un des moins bons
de la Traduction de M. de Rochefort ; c'eſt
un de ceux où l'on retrouve le plus les mouveinens
& les images de l'original.
Neptune ſous ſes coups faiſoit trembler la terre ,
La terre & ſes vallons & ſes vaſtes forêts ,
Les fondemens d'Ida , ſes ſourcilleux ſommets ,
Les navires des Grecs & la ville ennemie.
De ſon trône agité Pluton s'élance & cric;
Il pâlit , il a peur que le Tyran des mers
Ne briſe en ſon courroux la voûte des enfers ,
Et par le centre ouvert , &c.
1
Ces quatre derniers vers ſont ceux de Boileau
, que M. de Rochefort a conſervés.
Le morceau qui ſuit eſt cité par Longin
comme un exemple de ces tranfitions imprévues
qui donnent du mouvement & de
22 MERCURE
l'âme à la poétie. La première Traduction
eſt encore de Boileau .
Mais Hector , de ſes cris rempliſſant le rivage,
Commande à ſes Soldats de quitter le pillage ,
D'aller droit aux vaiſſeaux fur les Grecs ſe jeter ;
Car quiconque mes yeux verront s'en écarter ,
Moi-même dans ſon ſangj'irai laver ſahonte.
M. de Rochefort eſt reſté encore plus près
que Boileau de l'original , en joignant à la
menace d'ôter la vie , celle de priver de la
ſépulture , menace qui eſt dans Homère , &
qui n'étoit pas la moins effrayante chez les
anciens.
Quand Hector àgrands cris commande à ſes cohortes
De quitter le pillage &d'attaquer les camps :
Car malheur au premier qui s'écarte des rangs ,
Je lui perce le ſein , & devant nos murailles
Je l'abandonnerai privé de funérailles..
La deſcription de la marche de Neptune ,
foit ſur la terre , ſoit ſur les flots , dans le
treizième Livre de l'Iliade , a encore été
rendue par Boileau .
Neptune ainſi marchant dans ces vaſtescampagnes,
Fait trembler ſous ſes pieds & forêts & montagnes...
Il attèle ſon char , & montant fièrement ,
Lui fait fendre les flots de l'humide élément.
Dès qu'on le voit marcher ſur ces liquides plaines ,
D'aiſe on entend ſauter les peſantes baleines ;
L'eau frémit ſous le Dieu qui lui donne la loi ,
Et ſemble avec plaiſir reconnoître ſon Roi.
:
DE FRANCE. 23
Traduction de M. de Rochefort.
Il deſcend en fureur de ces hautes montagnes ;
Ses pas précipités font trembler les campagnes.....
Il deſcend dans l'abyme , il attèle ſoudain
Ses courfiers aux crins d'or , armés de pieds d'airain ,
Il monte ſur ſon char & vole ſur les ondes.
La baleine ſortant de ſes grottes profondes ,
Bondit, & rend hommage au Souverain des eaux ;
La mer ſe réjouit & fait céder ſes flots .
L'eſſieu du char divin , dans ſa courſe rapide ,
Effleure le cryſtalde la plaine liquide.
Nous avouons avec grand plaiſir que M.
de Rochefort , en cet endroit , ne nous paroît
point inférieur à Boileau.
Voici encore un dernier morceau où Boileau
peut être propoſé pour modèle aux
Traducteurs d'Homère; c'eſt une comparaiſon
tirée du quınzième Livre de l'Iliade ,
& qui contient la deſcription d'une tempête.
Comme l'on voit les flots ſoulevés par l'orage ,
Fondre ſur un vaiſſeau qui s'oppoſe à leur rage.
Levent avec fureur dans les voiles frémit ,
La mer blanchit d'écume , & l'air au loin gémit ;
LeMatelot troublé que ſon art abandonne ,
Croit voir dans chaque flot la mort qui l'environne .
M. de Rochefort.
Ainſi le flot nourri par l'Aquilon rapide ,
Du bout de l'horiſon levant ſon dos humide ,
Tombe ſur unvaiſſeau , s'y briſe avec efforts , J
24 MERCURE
Etd'une large écume enveloppe ſes bords ;
Le vent fiffle & mugit ſur la voile flottante ,
Le Nautonnier pâlit dans une affreuſe attente ,
Et ne voit plus qu'un pas entre la mort & lui.
,
M. de Rochefort , dans cette nouvelle
Édition a fait à ſa Traduction de l'Iliade ,
des corrections nombreuſes , & quelquefois
conſidérables , qui routes tendent à perfectionner
l'Ouvrage.
Il en a uſé de même à l'égard de l'Odyffée ,
quoique ſon talent plus exercé ait dû laiſſer
moins de taches & de négligences dans ce
ſecond Poëme.
Cette nouvelle Édition eſt d'une beauté
diftinguée , quant à l'execution typographique
& aux ornemens des Arts ; chacun des
deux Poëmes forme un gros Volume in - 4° .
à grandes marges & en beau papier. Dans
l'un& dans l'autre Poëme , on a mis à la tête
de chaque Livre une vignette tirée des
pierres gravées ou des bas- reliefs antiques ;
on a eu foin , le plus qu'il étoit poffible ,
qu'elle eût un rapport direct avec le ſujet du
Livre ; " ainſi , dit l'Auteur , chaque vi-
>> gnette peut ſervir à annoncer & à carac-
>> rériſer chaque Livre , & à faire connoître
وب
دم
la manière dont les anciens Artiſtes ont
traduit en quelque forte les beautés fim-
» ples d'Homère. »
( L'abondance des matières nous force à renvoyer
au Mercure prochain la Réponse de M. Garat àla
Lettre inférée dans le Nº. précédent. ) ..
ACADÈMIE
DE FRANCE.
25
ACADÉMIE FRANÇOISE .
L'ACADÉMIE Françoiſe a tenu , fuivant
l'uſage , ſa Seance publique le 25 Août , före
de S. Louis. M. l'Archevêque d'Aix , comme
Directeur actuel , a annoncé que les Difcours
qui avoient concouru pour l'Eloge de Fontenelle
, n'ayant pu obtenir les fuiriages de
l'Academie , le même Sajer ſcroit propoſé
pour l'année 1784. Il a fait en même temps
quelques obfervations ſur le genre d'e pric
de Fontenelle , qu'en a beaucoup applaudies ,
& qui pourront guider ceux qui entreprendront
de le louer.
Afin de remplir les vûes du Citoyen bienfaifant
qui a fondé ua Prix pour l'action
la plus veitueuſe de l'annee , au jugement
de l'Académie , le Directeur a cité quelques
actes de charité & de defintéreſſement qui
avoient attiré l'attention de cette Compagnie
; mais il a voué à l'admiration publique
une Garde Malade qui a donné à la perſonne
confiée à ſes ſoins les preuves les plus
longues & les plus réitérées de l'attachement
le plus généreux; qui a facrifié tout ce
qu'elle poffedoit , & tout ce que.fon crédit
a pu lui procurer. Cette femme eſtimable a
été préſentée à l'Assemblée , qui l'a reçue
avec les applaudiſſemens qu'elle méritoit.
M. le Marquis de Condorcer a lû un
Portrait Historique de Fontenelle , fait par
Nº. 33 , 6 Septembre 1753. B
26 MERCURE
M. Duclos , & rédigé par M. d'Alembert ,
qui a ſu ajouter à la reſſemblance par quelques
traits de caractère qu'il y a joints. Ces
deux célèbres Académiciens font connoître
tout ce que les Sciences doivent à leur Confrère
, & le vengent du reproche d'indifférence
, & même d'inſenſibilité , que lui
avoient fait ſes contemporains.
M. le Mierre a lû enſuite quelques Scènes
du premier Acte de ſa Tragédie de Barnevelt.
Des moreeaux détachés d'une action dramatique
ne peuvent exciter un intérêt bien vif;
mais on a applaudi à quelques tirades de
vers dans leſquelles on a trouvé des idées
neuves , grandes , & exprimées avec énergie.
Le portrait de Henri IV , ſi ſouvent préſenté
& toujours reſſemblant, fut accueilli avec
enthouſiaſme.
La Séance fut terminée par la lecture des
deux Programmes : l'un annonce d'abord
l'Éloge de Fontenelle , propoſé de nouveau
pour l'année prochaine; & enſuite le Prix
de Poéſie pour la même année 1784. Le
poëme ſera de cent vers au moins & de
deux cent au plus; le ſujet, le genre de la
Pièce & la meſure des vers font au choix
des Auteurs. Nous allons tranſcrire l'autre
Programme.
PRIX extraordinaire & annuel , proposé
par l'Académie Françoise.
UnCitoyen, qui ne s'eſt fait connoître
qu'au Secrétaire de l'Académie , & qui veut
DE FRANCE. 27
d'ailleurs garder l'anonyme , a préſenté à la
Compagnie , en 1782 , le Mémoire ſuivant.
AMeſſieurs de l'Académie Françoise.
MESSIEURS ,
«Tous les genres de talens obtiennent des ré-
>> compenfes ; la vertu ſeule n'en a pas. Si les
>> moeurs étoient plus pures , & les ames plus éle-
>>>vées , la ſatisfaction intérieure d'avoir fait le
>> bien, ſeroit un ſalaire ſufficant du ſacrifice qu'exige
>> la vertu : mais , pour la plupart des homines ,
>> il faut un autre prix , il faut qu'une action louable
>>ſoit louée. Ces éloges ont été le premier objet
>> des Lettres ; & c'eſt en effet la fonction la plus
>> honorable que puiſſe avoir le génie .
>> L'Académie Françoiſe s'eſt rapprochée de cette
> inſtitution antique , lorſqu'elle a propoſé à l'élo-
>>-quence le Panégyrique des Sully , des d'Aguef
>> ſeau , des Fénelon , des Catinat, des Montaufier
, & d'autres grands Perſonnages. Mais il
>> n'eſt dans une Nation qu'un petit nombre d'hom-
>>>mes dont les actions aient un caractère de célé-
>> brité; & le ſort du:Peuple eſt que ſes vertus
>>>ſoient ignorées. Tirer ces vertus de l'obscurité
>> c'eſt les récompenfer , & jeter dans le Public la
>> ſemence des moeurs.
>> Pénétré de cette vérité , un Citoyen prie l'Aca-
>>démie Françoiſe d'agréer la fondation d'un Prix
>> dont voici l'objet & les conditions :
» 1 ° . L'Académie Françoiſe fera tous les ans ,
>> dans une de ſes Aſſemblées publiques , lectare
>> d'un Difcours qui contiendra l'éloge d'un acte de
>>vetu.
>> 2 ° . L'Auteur de l'action célébrée , homme ou
>> femme , ne pourra être d'un état au-deſſus de la
Bij
28 MERCURE
» Bourgeoisie ; & il est à desirer qu'il soit choisi
dans les derniers rangs de la Société,
, >> 3 °. Le fait qui donnera matière à l'Éloge
>ſe ſera paflé dans l'étendue de la ville ou de la
banlieue de Paris , & dans l'espace des deux années
qui précéderont la distribution du Prix. A
>> l'Éloge feront jointes des atteſtations du fait ,
>>propres à en conſtater la vérité. On choiſit Paris ,
>>parce que l'Académie y étant établie , a plus de
facilité pour vérifier les faits ; d'ailleurs , nulle
patt les moeurs du Peuple n'ont plus beſoin de
réforme que dans les Capitales .
» 4°. Le Discours ſera en Profe , & ne ſera pas
>> de plus d'un demi quart d'heure de lecture; un
temps plus long ne feroit employé qu'à des dif
fertations étrangères à l'objet de l'inftitution .
>> La fondation fera de douze mille livres ; &
>l'intérêt de cette ſomme ſera employé à payer
deux Médailles dont une pour l'Auteur du
Diſcours , l'autre pour l'Auteur de l'action có
lébrée.
,
» 6 °. Cette ſomme de douze mille livres fera.
placée en rente viagère ſur la tête du Roi &
fur celle de Monſeigneur le Dauphin ; & le
Diſcouts , lu dans la Séance publique , fera
préſenté à ce jeune Prince. Ainſi , ſes premiers.
regards ſeront portés ſur une claſſe d'hommes
éloignée du Trôônnee , & il apprendra de bonne
heure que parmi eux il exxiifſttee des vertus
L'Académie , avant d'accepter ces offres ,
a cru devoir propoſer au Donateur les changemens
qui fuivent ;
18. Le Diſcours ou Récit fera fait par le Directeur
de la Compagnie.
L'Académie ne pourroit accepter la dona-
)
DE FRANCE 29
tion propo ſée , fi elle renfermoit la moindre difpoſition
qui pût intéreſſer perſonnellement quelqu'un
de ſes Membres. En conféquence , le revenu
annuel des douze mille livres ſera entièrement employé
à payer une feule Médaille , qui fera donnée
pour Prix de l'acte de vertu .
Le Donateur ayant adopté ces changemens,
la Compagnie a , d'une voixunanime ,
& de l'aveu du Roi , fon auguſte Protecteur ,
accepté la donation .
Elle annonce donc que , dans ſon Affemblé publique
du 25 Août 1984 , elle donnera ce Prix
en se conformant aux conditions prefcrites par le
Donateur , & aux légers changemens qu'elle y a
faits.
Elle ne portera de jugement que ſur les actes de
vertu dont le détail lui aura été remis par écrit ,
& fera muni d'attestations ſuffifantes.
Ce détail ſera adrellé , franc de port , au fieur
DEMONVILLE , Imprimeur- Libraire de l'Académie,
rue Chriftine & ſera envoyé avant le
Premier Juin 1784 exclufivement. Ce terme eſt de
rigueur.
,
La date de chaque fait dont on enverra le détail
, ne pourra remonter au delà de deux ans
avant l'époque fixée pour la réception des piècesjuſtificatives
, c'est-à-dire , au- dela du Premier Juin 1782 .
L'Académie choiſira parmi ces fairs celui qu'elle
croira le plus digne du Prix , se réſervant , de
l'aveu du Donateur , la liberté de le partager , fi
elle le juge convenable.
Si la perſonne qui aura mérité le Prix eſt préfente
à la Séance publique , & qu'elle en ait fait
prévenir quelques jours auparavant le Secrétaire de
la Compagnie, la Médaille ſera donnée à cette
B
30
MERCURE
perfonne , par le Directeur préſidant à l'Affemblée.
L'Académie donnera tous les ans un Prix femblable
, qui fera indiqué par un Programine.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE..
Nous ous avons annoncé pour Mardi 26 dụ
mois , la première repréſentation d'Alexandre
dans les Indes , Tragédie Opéra , paroles
de M. Morel , muſique de M. de Méreaux .
Nous allons donner une idée du Poëme.
Alexandre , vainqueur de Darius & des
Perſes , pénètre dans les Indes. Le bruit de ſa
renommée & de ſes exploits a déjà répandu
Palarmeà la Cour de Porus, où ſe paſſe l'action
du premier Acte . La Scène repréſenteuntemple
de Bacchus , environné de palmiers &
d'autres arbres chargés des fruits &des leurs
qui croiffent dans ces climats . On y prépare
un facrifice à ce Dieu vainqueur & protecteur
de l'Inde. Axiane , au milieu de ſes
Femmes, ouvre la Scène, en annonçant toutes
les terreurs que lui inſpire ce Conquérant
redoutable qui vient attaquer Porus au ſein
de ſes États , au moment même où ce Prince
alloit s'unir à elle par les noeuds de l'hymenée.
Le Théâtre ſe remplit de Peuple &
des Guerriers qui demandent à grands cris
qu'on les mêne au combat; Porus paroît ,
encourage leur ardeur ; mais avant de les
DE FRANCE. 31
mener au combat, il ordonne les aprêts du
facrifice à Bacchus. Reſté ſeul avec Axiane ,
elle lui peint ſes alarmes . Voyez , lui dit- elle ,
Tous les humains tremblans au ſeul nom d'Alexandre ;
Voyez tous ces Rois enchaînés ,
Alahonte , à la mort par ce Roi condamnés .
Rien ne peut intimider ſon amant. Il lui
répond :
Ce fils de Jupiter , adoré par l'erreur ,
N'a vaincu que des Rois vaincus par la molleſſe ;
C'eſt un homme à mes yeux , je le vois ſans terreur ;
Je vois un grand Guerrier qu'un Guerrier peut abattre;
Ces Rois ſe font rendus ſans ofer le combatire.
Porus eſpère tout de ſon courage & des
troupes nombreuſes qu'il oppoſe à ce fier
Conquérant. Le Grand-Prêtre , ſuivi des
Prêtres & des Prêtreſſes de Bacchus & des
Guerriers , commence la cérémonie du facrifice
par une Hymne à ce Dieu. Des danſes
de Prêtreffes , d'Indiennes & de Guerriers
ſuccèdent au ſacrifice , & font interrompues
par l'arrivée d'Épheſtion , Ambaſſadeur d'Alexandre
, qui vient offrir à Porus ou la
guerre ou la paix au nom du Conquérant &
dumaître du monde. Porus lui répond , en
dépoſant ſon are ſur l'aurel de Bacchus :
Jejure par ces autels ,
De nepas imiter le reſte des mortels .
Vas redire à ton Maître , au tyran de la terre ,
Que Porus lui déclare une éternelle guerre.
Épheſtion fort , & l'Acte ſe termine par
Biv
32 MERCURE
un chooeur de Guerriers qui marchent au
combat fur les pas de Porus .
Le combat ſe paſſe dans l'entre-Acte .
La décoration du ſecond Acte offre une
partie du champ de bataille. Porus entre en
tâchant de rallier ſes troupes fugitives; mais
la terreur les rend fourdes à ſa voix ; il reſte
feul , & tombe accablé de fatigue & de
déſeſpoir. Grandartès , un de ſes Généraux ,
veut en vain l'engager à la retraite , & à conferver
fa vie & pour ſa patrie & pour
Axiane ; Porus ne veut que la mort ,&illa
cherche à la tête de quelques Soldats qui ſe
raffemblent autour de lui , avec lesquels il
oſe s'oppofer aux Grecs vainqueurs qui viennent
l'affaillir ; il en renverſe pluſieursà ſes
pieds ; mais accablé ſous le nombre & défarmé
, il eft prêt à périr , lorſqu'Alexandre
paroît, & ordonne à ſes Soldats de reſpecter
la valeur de cet Indien , quil prend pour
un ſimple Guerrier. Il l'interroge ; Porus ,
fans ſe faire connoître , répond avec une
fierté qui inſpire de l'eſtime à ſon vainqueur;
celui- ci le charge d'offrir la paix à Porus. Ce
Roi répond que Porus ne recevra point une
paix honteuſe. La réponſe d'Alexandre eft
noble& généreuſe :
S'il préfère un combat , dis - lui qu'il s'y prépare ;
Queje lui rends en toi le Guerrier le plus rare ,
Son plus grand défenſeur.
Ton bras eſt déſarmé: je dois à ta valeur
Un éclatant hommage.
Reçois ce fer , qu'il ſoit le prix de ton courage.
T
DE FRANCE.
33
Porus , en le quittant, lui dit :
J'accepte ce préſent , il eſt cher à mon coeur ,
Puifque c'eſt contre toi que j'en dois faire uſage .
Tu te reflouviendras
D'avoir armé mon bras ;
Et prêt à te frapper , tu me reconnoîtras.
Les Macédoniens célèbrent la victoire
d'Alexandre , & leurs chants de triomphe
font interrompus par l'arrivée d'Axione , qui
defcend d'un navire , ſuivie de ſes Femmes ,
chargées de préſens. Elle veut ſejeter aux pieds
d'Alexandre qui la relève ; elle lui demande
Porus; elle veut le voir s'il refpire encore ;
elle l'a cherché en vain; elle le croit au nombre
des morts. Alexandre ellaye de calmer
ſa douleur ; mais la vie lui eſt odieuſe ; elle
invoque la mort , ſon unique eſpérance ,
lorſqu'Ephefſtion vient annoncer que Porus
refpire , & qu'il a rejoint ſon armee. L'efpoir
rentre dans le coeur d'Axiane ; elle engage
Alexandre à ne plus pourſuivre un
Guerrier malheureux ; elle lui propofe de
venir dans ſes États conclure la paix avec un
rival digne de lui par ſon courage. Alexandre
cède à ſes voeux , reçoit les dons que lui
offrent les Femmes de la ſuite d'Axiane , &
après l'avoir reconduite à ſon vaiffeau , ſe
diſpoſe à la fuivre avec ſon armée.
Au troiſième Acte , la Scène offre l'intérieur
du palais de Porus; il s'indigne qu'Axiane
le foit abaiffée à aller elle-même in
plorer la faveur d'Alexandre , qui , peut être,
Bv
34、
MERCURE
a pu être ſenſible à ſes charmes ; mais ce
ſentiment de jaloufie momentanée cède
bientôt au foin de ſa défenſe. Axiane arrive ,
& lui annonce les diſpoſitions pacifiques
d'Alexandre ; mais Porus n'écoute que le
fentiment de la vengeance & de la valeur ;
il perdra plutôt la vie que de céder à ce vainqueur.
Son amante veut en vain le flechir ;
les cris de fes Soldats , qui arinoncent qu'Alexandre
s'avance pour attaquer leurs remparts,
l'arrachent des bras d'Axiane , malgré
fes cris & fes larmes , pour voler au combat.
Axianereſtée ſeule, égarée par la crainte
& la douleur , croit entendre des cris funèbres
qui difent : Porus n'est plus. Elle voit
l'ombre de fon amant qui la cherche , qui
lui tend les bras , qui lui échappe : épuifée
de douleurs & preſque inanimée , les cris des
combattans la rappellent à la vie , enflamment
fon courage,& lui inſpirent la réſolution
d'aller elle même au milieu des combattans
fauver fon amant ou mourir près de lui.
Le Théâtre change , & reprefente l'intérieur
de la Ville , terminé par les fortifications
que défend Porus à la tête de ſes
troupes ; on les voit lancer des traits &
des feux fur les Macédoniens , qui pénètrent
enfindans la place en faifant écrouler une
partie des forrifications : Porus tombe an
milieu des décombres ; il eſt ſaiſi par les
Grecs , qui ſe précipitent en foule ſur le
Théâtre. Alexandre s'avance lui même , &
au même moment , Axiane éperdue paDE
FRANCE.
55
.....
roît& ſe précipite entre lui & fonamant ,
en criant : Arrêtez ! reconnoiffez Poras.
Son vainqueur ſe reproche de ne l'avoir
pas reconnu à ſa valeur , lui demande
comment il veut qu'on le traite. Il en reçoit
la réponſe que l'Histoire & Racine ont
conſacrée. Il rend à Porus ſon trône , & l'unit
à Axiane . Porus, vaincu par la ſeule généroſité
d'Alexandre , ſe ſoumet, en difant :
Il fautcéder.... je ſens qu'un aſcendant vainqueur
Enchaîne à tes deſtins & mon bras & mon coeur ;
Pourfuis , &que le fort à ta valeur réponde.
Le Ciel t'a réſervé la conquête du monde.
On voit , par cette analyſe du Poëme ,
que le plan en eſt fort ſimple , & peutêtre
l'eſt- il trop. Racine & Méraſtaſe ont
traité le même ſujet , & tous les deux ont
fait Alexandre amoureux. On a reproché
à Racine d'avoir dégradé par là le caractère
de fon Héros & la grandeur de fon
fujer. L'Auteur du nouvel Opéra a voulu
éviter ce reproche; il a cru pouvoir trouver
affez d'intérêt dans les caractères &
la fituation d'Alexandre & de Porus , &
dans l'importance de l'action même , ſans
avoir recours à un amour qui lui a paru
peu digne de la Tragédie. Cet amour de
la fimplicité eſt très louable , & rient à
de bons principes, mais peut-être que le
fujer ne pouvoit guère ſe paſſer d'un moyen
que Racine & Métaſtaſe ont jugé néceffaire
.. En effet , l'action ſe trouvant ré
Bvj
36 MERCURE
duite à une lutte guerrière entre Alexandre
& Porus , l'intérêt ne peut tenir qu'à
l'incertitude du ſuccès depart ou d'autre ;
mais l'imagination est trop naturellement
prévenue en faveur d'Alexandre , pour ne
pas preffentir naturellement le triomphe de
l'un & la défaite de l'autre. On fent auffi
que les ſentimens fiers & nobles doivent
dominer dans ce ſujet , le caractère tendre
d'Axiane adoucit , il eſt vrai , par des teintes
douces , la févérité du ton général , mais
ſa ſituation & ſon ſentiment ne comportent
pas affez de varieté. Avec tous ces déſavantages
, on doit ſavoir gré à M. Morel
d'avoir trouvé dans le développement ſeul
descaractères , dans l'importance de l'action ,
dans la noblefſe des ſentimens & dans la
richefle des acceſſoires , de quoi foutenir &
graduer l'intérêt.
La marche du Poëme eſt ſage , la coupe
en eſt lyrique ; le ſtyle , en géneral , eſt
correct , clair , fouvent élégant. Plufieurs
morceaux entiers & beaucoup de vers détachés
ont mérité d'être applaudis à la
repréfentation , ſuccès peu commun à ce
Theatre. On s'étonne ſeulement de rencontrer
des vers d'une extrême négligence
à côté de morceaux écrits avec ſoin ,
& de très bon goût.
La muſique de cet Opéra fait honneur
an Compofiteur ; c'eſt ſon premier effai
dans une carrière que des chef d'oeuvres
multipliés rendent de jour en jour plus
DE FRANCE.
37
difficile& plus périlleuſe. Ce premier Ouvrage
annonce une profonde connoiffance
de fon Art , &, ce qui eſt plus rare , de
bons principes ſur la muſique convenable
au genre dramatique.
Le récitatifa paru en général naturel , bien
aſſorti aux paroles , & bien lié avec le chant
meſuré. Un grand nombre de morceaux de
différens caractères ont été fort applaudis :
peut être que d'autres feront plus d'effet ,
lorſque l'exécution aura acquis toute la
perfection dont elle eſt fufceptible. Le reproche
le plus général qu'on y ait fait
c'eſt de manquer ſouvent d'originalité , &
fur-tout de variété. Nous attendrons , pour
en relever plus en détail les beaurés & les
défauts , que la ſuite des repréſentations
nous ait mis en état de recueillir l'opinion
du Public , & de motiver nos propres obſervations.
,
M. Larrivée a joué le rôle de Porus
avec une nobleffe & une énergie qui ont
ajouté au caractère donné de ce Héros.
Il a rendu d'une manière terrible & vraiment
pittoreſque , le moment où , affailli
&accablé par les Grecs , Porus fe fait un
rempart des foldats qui tombent fous fes
coups, & femble foulever ceux qui fe fufpendent
à ſes bras pour le défarmer .
M. Lainez a faiti avec beaucoup d'intelligencele
caractère different de grandeur & de
courage que doit offrir Alexandre , & dont
l'éclat , quoiqu'en oppofition à celui de Po
38 MERCURE
rus , n'en doit obſcurcir aucun trait.
, Mlle Maillard , qui , depuis deux mois
fixe d'une manière fi intéreſſante l'attention
du Public , a joué le rôle d'Axiane. C'eſft
le premier rôle que cette jeune Actrice a
joué d'original , & il eſt peut être fans exemple
fur ce Theatre qu'un rôle aufli important
ait été confié àun fujet de fon âge. Elle
a juftifié les encouragemens que le Public
lui donne; elle l'a joué avec un intérêt &
ane vérité même que ſes ſuccès précédens
ne faifoient pas efpérer , & a déployé prefque
continuellement dans ſon chant les accens
de la voix la plus pure & la plus
fenfible. Nous ne doutons pas qu'elle ne
perfectionne dans les repréſentations fuivantes
des détails où elle a laiſſe quelque
choſe à defirer.
Le feul Ballet qu'il y ait dans cet Opéra -
eſt de la compofition de M. Gardel l'aîné.
On ne peut que louer le caractère qu'il
a ſu donner à la danſe des Prêtreffes & à
celle des Indiennes. Mais ce qu'on doit
louer davantage , eſt la marche des Prêtres
& Prêtreffes de Bacchus. Cette partie de
l'action a été traitée avec un goût & une
étude de l'antique qui fait un honneur infini
à ce Compoſiteur. Mlles Dorival , Dupré
, & le fieur Gardel le cadet ont exécuté
, avec beaucoup degrâce & d'originalité,
les entrées de ce Ballet. Le Public
a paru deſirer que cet Opéra fût terminé par
une fête , qui offriroit naturellement le conDE
FRANCE. 39
traſte de la danſe ſévère des Grecs en oppofition
aux grâces voluptueuſes & piquantes
des Indiens. Nous ne doutons pas que M.
Gardel ne mérite , par ce nouveau travail
, les éloges que nous venons de faire
de ſes talens , & la justice que nous rendons
avec plaifir à fon zèle.
Les décorations de cet Opéra ont été
très foignées ; celle du premier Acte offre
le ſite le plus agréable & le plus pittorefque
celle du troiſième Acte , deja connue
en partie , a fait un nouveau plaiſir.
Toutes les évolutions militaires , &furtout
le moment où les vainqueurs ſe précipitent
dans la ville par la brèche , ont
été renduesavecl'ordre & la précision qu'on
eft accoutumé , depuis quelque temps , à
applaudir dans les manoeuvres de ce genre,
Le coſtume général de cet Opéra , mais furtout
celui dePorus , d'Alexandre , d'Axiane ,
& du Grand Prêtre de Bacchus , prouvent
beaucoup de talent & un très-bon goût dans
l'Artiſte ( M. Dugourt )qui les a dirigés . L'armurede
Porus a obtenu fur- tout des applaudiſſemens
univerſels , au moment où ce Roi a
paru au milieu de ſes troupes. C'étoit le Porus
du tableau de Lebrun , vivant & animé .
Onne fauroit trop louerles foins & la magnificence
avec lesquels l'Adminiſtration a
mis cet Opéra , & en a foigné les moindres
acceffoires.
Le ſuccèsde cette nouveauté a été brillant
&décidé aux deux premières repréſentations,
40
MERCURE
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Jeudi 14 Août , M. Dorfeuille a débuté
dans l'emploi des Premiers rôles , par
Oreste , dans Iphigénie en Tauride. Depuis
il a joué les rôles de Rhadamiste , de Cinna
&du Cid.
>
Depuis la mort du célèbre Lekain , nous
avons vû debuter pluſieurs Acteurs Tragiques.
Les uns étoient entres depuis trop
long temps dans la carrière pour préſenter
l'eſpérance de les voir ſe perfectionner un
jour. Les autres , encore timides & fans expérience
ont laiffe appercevoir des éclairs
de talent qui ont difparu preſqu'à l'inftant
où ils avoient frappé les yeux. Un feul ,
d'abord beaucoup trop vanté , & qui depuis
n'a pas toujours été affez bien apprécié par
le Public , a mérité d'être diftingué. Son zèle
&ſes progrès méritent des éloges : ils prouvent
qu'il étoit digne d'être encouragé. L'Aeteur
dont nous annonçons le debut , nous
paroît avoir , comme M. de Saint- Prix , des
droits à une diftinétion particulière. On peut
lui reprocher de très grands défauts ; une
contenance affectée , des geftes monotones ,
dénués dé foupleſſe & de grâce ; trop de rapidré
dans le débit ; des tranfitions trop
brufques; quelquefois & ſouvent même de
la recherche , peut-être auſſi de la manière
dans l'expreſſion. Malgré ces défauts ,
:
DE FRANCE. 41
qui ſont très- conſidérables , M. Dorfeuille
nous paroît donner les plus grandes efpérances.
On voit qu'il a étudié , approfondi
les caractères des Perſonnages qu'il
eſt chargé de repréſenter ; qu'il a cherché
à ſaiſir , & qu'il a très- ſouvent faiſi avec
une grande intelligence les développemens
qui les expoſent aux yeux des Spectateurs :
ce qui annonce l'eſprit , le jugement & les
connoiſſances dont a beſoin tout Comédien
qui veut prétendre à quelque renommée.
Son organe a de la force & de la rondeur ;
il s'altère quelquefois un peu trop dans les
pleurs ; mais ce défaut difparoîtra facilement
, ſi M. Dorfeuille apprend à ſe rendre
le maître de ſes mouvemens , s'il cherche à
modérer les écarts de ſon âme & l'explotion
de ſa ſenſibilité. C'eſt dans les ſituations
énergiques , dans l'expreſſion animée des
pailions que le Comédien doit fur- tout appeler
l'Art au ſecours de la Nature. Ce n'eſt
qu'ainſi qu'il peut adoucir ces accens aigres
& aigus qui fatiguent trop l'oreille pour
parler au coeur , ce n'est qu'à l'aide de cette
étude qu'il ſe familiariſe avec les moyens
qui peuvent donner de la nobleſſe à l'expref.
fion des ſentimens doux; expreffion qui devient
quelquefois enfantine & même niaiſe ,
quand l'Acteur , en cherchant à être ſimple
& vrai , oublie que le Théâtre eſt un tableau
qui doit également fatisfaire les yeux ,
l'oreille , l'eſprit & l'âme. Un des plus précieux
avantages que le Comédien puiffe re
42
MERCURE
:
cevoir de la Nature , c'eſt la facilité de donner
à ſon maſque de l'expreffion & de la
mobilité ; M. Dorfeuille jouit de cet avantage.
Mais c'eſt encore à l'Art à perfectionner
ici l'ouvrage de la Nature. C'eſt lui qui peut
inſtruire un Comédien, réellement enflammé
de l'amour de ſon état , à peindre dans les
traits de ſa phyſionomie les ſentimens dont
il doit être agité ; à en nuancer , à en graduer
l'expreffion , à la modifier enfin de manière
que le Spectateur puiſſe le ſuivre dans le
détail de fes paffions , & trouver un accord
exact entre l'effet apparent de ſon jeu & les
refforts cachés de fon âme. Ce travail , dont
tous les Comédiens ne s'occupent pas , paroît
avoir été l'objet des réflexions de M.
Dorfeuille. Ce qu'il a déployé de moyens
dans le rôle de Cirna , a ſu nous en convaincre
, & a forcé le Public à reconnoître le véritable
germe du talent tragique. Oferonsnous
faire ici une obſervation qui ſans
doure ne ſera pas adoptée par tout le monde ?
C'eſt principalement dans les Tragédies de
Corneille qu'on peut juger de l'intelligence,
de l'eſprit & de la judiciaire du Comédien .
Cegrand homme éblouit moins par le charme
du ſtyle que ſes rivaux ; mais il eſt plus
fortde choſes ; ſesidées ont une liaiſon plus
vraie , plus conſtante , plus ſuivie : fa logique
eſt plus ferme & plus sûre , par conféquent
plus difficile à ſaiſir par les eſprits
dénués d'un certain ordre dans les idées ,
&qui ne font pas capables de fondre , pour
DE FRANCE
43
ainſi dire , les élans de l'ame dans les méditations
d'un jugement ſain & vigoureux. Réſumons.
M. Dorfeuille a beaucoup à vaincre
, mais il a tout ce qui ne s'acquiert
point. Aux qualités qui ont atténué l'effet de
ſes défauts , il en joint deux bien rares aujourd'hui
; la modeſtie & la docilité. Avec tant
dediſpoſitions àbien faire , il nous paroît impoſſible
que le travail &la réflexion ne le con
duiſent pas un jour à une réputation brillante.
Le Jendi 21 Août , on a remis le Bienfait
rendu , ou le Négociant , Comédie en cinq
Actes & en vers , par M. Dampierre .
Un Négociant de Bordeaux a prêté au
Comte de Bruyancourt une ſomme de cent
mille écus. En reconnoiſſance celui - ci s'eſt
engagé à marier ſa fille Angélique avec le
neveu de ſon Créancier. Ce neveu , qu'on
appelle Verville , arrive à Paris , ſe préſente
chez le Comte , & y eſt reçu d'une manière
très- malhonnête par la Prétendue ,
par fon beau- père , & par ſa belle mère futurs.
Le Négociant lui-même n'eſt guères
plus favorablement reçu que Verville. Malgré
l'état de détreſſe , malgré l'embarras
dans lequel ſetrouve la famille du Comte ,
elle est tellement infatuée de ſa Nobleſſe ,
qu'elle ne penſe qu'en frémiſſant s'allier
avec un Négociant. Cependant l'oncle de
Verville , indigné de tant de hauteur &
d'ingratitude , éclate en reproches. Il re44
MERCURE
a
pouffe la morgue & les hauteurs de la
famille du Comte , par la comparaiſon
qu'il fait de la nullité d'un Noble qui abuſe
de fa naiflance pour ſurcharger l'Etat , avec
les travaux utiles d'un Commerçant , qui
entretient& propage l'abondance ; mais il
effraye encore davantage par la menace qu'il
fait de poursuivre fon debiteur. Pendant
que tout ceci ſe paſſe , Verville conçoit
d'autres projets. Il a vû une amie d'Angélique
,& ne l'a vueque pour l'aimer. Julie ,
(c'eſt ſon nom ) ſage , belle , jeune , modefte
& fpirituelle enchaîné ſon coeur
pour jamais. Fille d'un homme bien né',
plein de probité & de nobleffe , mais
pauvre , elle n'a pour dot que ſes verrus ,
& voilà la dot que Verville defire. Pour
tirer d'embarras le Comte de Bruyancourt ,
& tâcher de parvenir à épouſer Julie , il
fait prêter au Comte les cent mille écus
qu'il doit à ſon oncle. En vain il a cherché
à ne pas être connu. La nature des
billets que Bruyancourt remet au Négociant
découvre le myſtère. Le Comte , confondu
par tant de générofité , déreſte ſon orgueil
& les hauteurs de ſa famille : mais Verville
n'épouſe point Angélique. Il reçoit
le coeur & la main de Julie , de l'aveu de
fon oncle , & du confentement du reſpectable
père de ſa Maîtreffe.
CettePièce, repréſentée pour la première
foisen 1768 , fut plutôt conſidérée comme
un Ouvrage raiſonnable , que comme une
DE FRANCE.
45
production capable de produire l'effet que
le Theatre exige. On obſerve qu'il y avoit
trop peu de gaîté , pour qu'on pût la ranger
dans la claſſe des Comédies , & trop peu
dintérêt pour qu'elle fût placée dans celle
des Drames . Ce qu'on avoit pensé en 1768 ,
on l'a penfé encore en 1783. Les tableaux
rapprochés de l'inutilitę orgueilleuſe de
certains Nobles , & de l'importance des travaux
d'un Négociant , ont été applaudis ,
parce qu'ils font bien faits . On a trouvé dans
le ſtyle , de la vérité &du naturel : mais on
s'eſt accordé pour convenir que , malgré les
choſes louables qu'on y rencontre , l'Ouvrage
eſt dénué de ces moyens qui donnent
de la vie aux ouvrages Dramatiques,
Enfin , on a répété avec Boileau :
Vos froids raiſonnemens ne feront qu'attiédir
Un Spectateur toujours pareſſeux d'applaudir ,
Et qui des vains efforts de votre réthorique
Juſtement fatigué , s'endort ou vous critique.
ANNONCES ET NOTICES.
DICTIONNA ICTIONNAIRE Élémentaire de Botanique , ou
Exposition par ordre Alphabétique des préceptes de
lą Botanique & de tous les termes , tant François
que Latins , consacrés à l'étude de cette Science , par
M. Bulliard. Prix , 15 liv. A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Poftes , au coin de celle du Cheval Verd ;
chez Didot le jeune, Imprimeur Libraire , Quai des
Auguſtins; Barrois le jeune, Quai des Auguftins ,
&Belin , rue S. Jacques,
46 MERCURE
Les Souſcripteurs de l'Herbier de la France ont
defiré que l'Auteur donnât ſur cette Science un Ouvrage
élémentaire. Le Dictionnaire que nous annonçons
eſt fait pour remplir leur attente. On ſent qu'un
pareil Ouvrage n'eſt pas ſuſceptible d'être analyſé.
Nous nous contenterons de dire que l'Auteur a mis
dans ſa Préface le plan qu'il s'eſt propoſé de ſuivre
pour fon Herbier. La première Partie ( l'Histoire des
Plantes vénéneuſes du Royaume ) eſt finie ; le Difcours
qui doit la précéder , ainſi que ſa table & ſon
titre , vont être mis inceſſamment ſous pretle. La
ſeconde Partie de cet Ouvrage ( l'Histoire des Plantes
Médicinales du Royaume ) ſera faite ſur le même
plan. La troiſième Partie ( l'Hiftoire des Champignons
) paroitra avec une petite méthode pour cette
partiede la Botanique ſeulement. La quatrième ( la
Collection des Plantes graffes ) , c'est-à -dire , des
Plantes qu'on ne peut conſerver en herbier , parce
qu'elles ne font pas ſuſceptibles de deſfication. La
cinquième ( la Collection des Frumentacées & des
Plantes qui peuventfaire les meilleurs fourages , ) &
ainſi de ſuite .
Le Nº . 36 de l'Herbier paroît actuellement. Prix ,
3 liv. On publie de cet Ouvrage un Cahier chaque
mois.
L'ORDRE François , trouvé dans la nature ;
préſenté au Roi le 21 Septembre 1776 par M.
Ribart de Chamouſt , orné de Planches gravées
d'après les deffins de l'Auteur. Prix , 24 livres. A
Paris , aux dépens de l'Auteur , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue du Jardinet , quartier Saint-Andrédes-
Arcs.
Nous ne prononcerons point ſur le ſuccès que
peut ou doit avoir ce nouveau ſyſtême. Les idées
neuves , même lesplus heureuſes , ne réuſſiſſent que
tard & difficilement. Les préjugés les plus indiffé47
DE
FRANCE.
rens ſont toujours
fortement protégés , & le temps
ſeul peut pervenir à les vaincre. Le Nouvel Ordre
d'Architecture
propoſé par M. Ribart de Chamouſt
, n'est-il contraire qu'aux uſages reç s ? La
raiſon
l'approuvet-elle au moins , quand l'opinion
adoptée le
condamne ? C'eſt aux gens de l'Art à
prononcer là-deflus , & au temps à caffer ou à confirmer
leur
Jugement : mais nous ne
pouvons
diſſimuler le plaifir que nous aurions à le vir
adopter. Cette idée est heureuſe &
patriotique ; &
ſon ſuccès
vaudroit à
l'Auteur la
reconnoiſſance
de la Nation : nous croyons meine , qu'àtout évé-
* nement , il eſt toujours glorieux de l'avoir propoſée.
TRAITE des
Principes de l'Art de la
Coeffure
des
Femmes , où il est
démontré qu'avec un peu de
réflexion , on peut apprendre avec facilité à coëffer, &
foi-même& toutes autrespersonnes . Seconde Edition ,
revue &
corrigée ; dédiée au Beau- Sexe , par M.
Lefevre , Maître
Coëffeur
breveté. A Paris , chez
l'Auteur , rue
Montmartre , vis-à-vis du cul-de- fac
Saint- Pierre , dans la porte cochère du
Parfumeur ;
& chez le Gras ,
Libraire , quai de Conty .
Cetre ſeconde Édition prouve que dans ce ſiècle ,
qu'on accuſe de frivolité , le Public accueille pourtant
les ouvrages utiles. D'ailleurs , le ton modefte
avec lequel
l'Auteur parle de ſon Art , étoit fait
pour intéreſſer ; car ilne ſe croit pas fortau deſſus des
Peintres & des
Sculpteurs. « Ce n'eſt pas ,
> que je me croie bien ſupérieur aux talens de ces dit-il,
>> deux Arts , dont j'admire , comme tout le monde,
> avec extaſe , les
productions qui me font ref-
> pecter ces
hommes célèbres; mais ſi leur ou-
» vrage leur donne
l'avantage de s'étern ſer à jamais
, ils n'en ſont pasmoins des hommes , par
>
conféquent frères , &, qui plus eft , confrères avec
tous les états , puiſqu'ils copient tout ce qu'is
48 MERCURE
voient , avec la plus exacte vérité. » Voilà même,
comme on voit , de la Philoſophie.
L'Auteur a augmenté ſon Ouvrage d'un Projet
d'une Ecole générale de Coëffure. Ce projet est très
avantageux pour le bien des moeurs , l'intérêt public
, & le foulagement des pauvres malheureux .
O heureux fiècle , ô véritable ſiècle d'or , où tous
les Arts , juſqu'à la Coëffure , concourent au bien
de l'humanité!
CHOIX de Têtes d'expreſſion , d'après les Grands
Maîtres , en façon de Portrait ; gravées par N. J.
Voyez. Prix , I liv. 4 ſols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Zacharie , près celle de S. Severin .
Les deux premières têtes qui paroiffent actuellemest
, & qui plairont sûrement aux Connoiffeurs ,
font la douleur & le defir ; l'une & l'autre font d'après
le Brun , premier Peintre de Louis XIV.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
LEDiable, Conte ,
31 mêre, 17
25 Couplers à M. Grignon , 4 Académie Françoife ,
LeSouperfentimental , Conte , Académ Koyalede Musiq. s
4 Comédie Françoise ,
Enigme & Logogryphe , 15 Annonces & Notices ,
L'Iliade & l'Odyssée d'Ho-
APPROBATION.
40
45
J'ar lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure deFrance , pour leSamedi 6 Septembre. Je n'y ai
rien tronvé qui puifie en empécher V'impretion. A Fans ,
les Septembre 753. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI Ε.
De PÉTERSBOURG , le 31 Août.
LE ſupplément de la Gazette de cette
Ville nous offre aujourd'hui l'article
ſuivant :
Un Courier expédié par le Prince Grégoire-
Alexandre Potemkin , Général en chef , Gouverneur
de Catharinoflow , Aftracan & Saratow , vient d'arriver
avec des dépêches datées de Karas-Bafar en
Crimée, où ce Prince a établi fon quatier général.
Elles portent que le Manifette ſuivant a été publié
dans la preſqu'iſle de Crimée , l'iſle de Taman & le
Cuban, par ordre de S. M. I.
>>> Nous , Catherine , &c. Dans la dernière guerre
contre la Porte Ottomane , lorſque la force & le
ſuccès de nos armes nous autoriſoient pleinement à
conſerver pour nous la Crimée qui étoit en notre
puiſſance, nous avons facrifié cette province & les
autres conquêtes étendues que nous avions faites au
deſir de rétablir l'amitié & la bonne intelligence
entre nous & la Porte Ottomane ; & nous étions
perfuadées que nous trouverions dans la liberté &
l'indépendance des peuples Tartares , les moyens
d'éloigner à jamais les ſources de diviſions & de
6 Septembre 1783. a
( 2 )
refroidiſſement occaſionnés, entre la Ruffie & la
Porte , par la conſtitution politique de ces peuples .
-Cependant nous n'avons pas obtenu , ſur les
frontières de cette partie de notre Empire , le repos
&la sûreté qui devoient être le fruit de cet arrangement.
Les Tartares mis en mouvement par des infinuations
étrangères , ſe ſont conduits d'une manière
contraire à l'heureuſe ſituation que nous leur avions
procurée; le Khan qu'ils avoient choiſi eux-mêmes ,
lors du changementde leur conſtitution , fut déplacé
par un étranger qui n'avoit d'autre intention que de
les faire rentrer ſous le joug de leurs anciens maîtres.
Une partie de la Nation ſe joignitaveuglémentàlui ,
&l'autre n'étoit pas en état de faire réſiſtance. Les
choſes en étant venues à ce point , ne pouvant mettre
autrement hors de danger la place qui ſe conſtruic
par nos ordres , & qui eſt une de nos meitreures
acquiſtions , nous fûmes obligées de prendie fous
notre protection les Tartares bien intentionnés , de
leur procurer la liberté de ſe choiſir un autre Khan
légitime a la place de Sahib Guéray , & de l'établir
dans ſon autorité. Il fut néceſſaire pour cela de
mettie en mou ement nos forces militaires , de faire
partir pour la Crimée des corps conſidérables de nos
troupes , dans la faiſon la plus rude , de les y entretenir
long-tems , &d'agir contre les ſéditieux par la
force des armes , d'où il faillit réſulter une nouvel'e
guerre avec la Porte, comme chacun peut s'en
fouvenir encore facilement; cependant l'orage s'éloigna
pour cette fois , la Porte ayant reconnu le
Khan légitime des Tartares , dans la perſonne de
Sahim Guéray. Les dépenſes que ce changement
occafionna à notre Empire ne furent pas médiocres ;
mais nous eſpérions du moins que rous en trouverions
le dédommagement à l'avenir dans la sûreté
du volfinage; mais le tems a détruit cette eſpérance,
&même affez promptement ; une nouvelle révolte ,
élevée l'année dernière , & dont les véritables cauſes
( 3 )
-
me nous ſont point inconnues , nous força de rechef
à faire des armemens ſérieux , & à envoyer nos
troupes vers la Crimée & le Cuban , où elles font
encore; car fans cette précaution , la paix , le repos
& le bon ordre n'euſſent jamais reparu parmi les
Tartares; une expérience de pluſieurs années démontre
de toutes les manières que comme leur ancienne
dépendance de la Porte avoit occafionné entre
lesdeux Puiſſances des méſintelligences & des refroidiflemens
, de même leur formation en Etat libre
& indépendant , & leur incapacité de goûter les
fruits d'une pareille liberté , nous avoient perpétuellement
caufédes difficultés , des défenſes & des inquiétudes.
Tout le monde fait qu'ayant eu
plus d'une fois les raiſons les plus légitimes de faire
marcher nos troupes ſur le territoire Tartare , cependantauffi
long-tems quel'intérêt de notre Empire
a pu ſe lier avec l'eſpérance d'un meleur avenir ,
nous nous sommes abſtenus de nous approprier aucune
domination fur ce pays , & que nous n'avons
pris même aucune vengeance de ceux des Tartares
qui avoient exercé des hoftilités contre les troupes
quenous avions envoyées pour ſoutenir les bien intentionnés
, & pour appaiſer les troubles.
tenant lorſque nous cor ſidérons les ſommes confidérables
que nous avons employées ou contre les
Tartares ou par rapport à eux , ſommes qui s'élèvent
àplus de 12 millions de roubles , fans compter la
perte en hommes bien plus précieuſe encore que
toutes les dé enfes en argent; quand d'un autre côté
nous ne pouvons plus douter que la Porte Ottomane
ne recommence à exercer le pouvoir ſuprême ſur le
territoire Tartare , & notamment ſur l'iſle de Taman
, cù un Officier Turc qui y étoit arrivé avec
des gens de guerre , a fait décapiter publiquement
unAgent que le Khan avoit envoyé pour s'informer .
des raiſons de fon arrivée , & déclaré les habitans
de Taman ſujets de la Porte ; nous jugeons que cette
-Main-
22
( 4 )
conduire anéantitnos engagemens précédens relatifs
à la liberté & à l'indépendance des peuples Tartares .
Elle nous perfuadede plus en plus que les arrangemens
que nous avions pris à la paix pour leur procurer
cette indé, endance , ne ſont point ſuffilans
pour étouffer les ſemences de divifions dont ils peuvent
être le ſujet , & nous rétablit dans tous les
droits que nos victoires nous avoient donné fendant
la dernière guerre , & qui ont conſervé leur force &
leur valeur juſqu'à la dernière paix : ainſi donc par
notre ſollicitude pour rendre durables le bonheur
la gloire , les avantages & la sûreté de notre Empire
, & pour trouver un moyen certain d'écarter à
jamais les raiſons fâcheuſes qui pourroient troubler
la paix éternelle qui a été conclue entre les Empires
Ruffe & Ottoman , & dont la conſervation eſt l'objet
de tous nos voeux , comme auffi pour nous dédommager
& indemnifer de toutes nos pertes &dé.
pentes , nous avons réſolu de prendre & attacher à
notre domination la preſqu'iſſe de Crimée , l'iſfie de
Taman & tout le Cuban. En notifiant par ce
préſent manifeſte aux habitans de ces contrées ce
changement dedomination , nous leur donnons notre
promeſſe ſacrée & inviolable pour nous & pour
nos ſucceſſeurs , de les traiter à l'égal de nos ſujets
naturels , de protéger & défendre leurs perſonnes ,
leurs biens , leurs temples , leur religion , dont nous
leur permettons le libre exercice avec tous les uſages,
de fairejouir tous les états de leur ſociété des priviléges
& avantages qui font attachés à ces mêmes
états en Ruffie , & nous attendons & nous exigeons
de la reconnoiſſance de nos nouveaux ſujets , que de
l'état de révolte & de licence , ils paſſerontà celui de
la tranquillité , du repos & du bon ordre , & qu'ils
s'efforceront d'égaler nos anciens ſujets par leur fidélité
, leur zèle & leurs bonnes moeurs , & de mériter
comme eux notre grace & notre bienveillance
Impériale.- Donné dans notre réſidence de Saint-
-
Pétersbourg le 8 Avril 1783 & le 21 de notre
rezne ".
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 3 Août.
Le voyage du Roi pour Carlſcron eſt
encore incertain ; il n'aura lieu que lorſque
S. M. fera parfaitement rétablie , & on efpère
que cet heureux moment n'eſt pas
éloigné.
On a appris qu'il eſt arrivé à Gothembourg
trois vaiſſeaux de la Compagnie des
Indes Orientales , ils viennent de Canton
en Chine avec des cargaiſons précieuſes.
Vendredi prochain le Comte de Moufkin
Pouskin , Ambaſſadeur de Ruſſie , aura
ſon audience de congé ; il ſe diſpoſe à
retourner à Pétersbourg immédiatement
après ; & on ignore quand ſon ſucceſſeur
arrivera.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 16 Août.
L'EMPEREUR n'a quitté qu'hier le Palais
de l'Augarten pour ſe rendre au Château
de Laxembourg , d'où il ira aſſiſter aux
grandes manoeuvres du Camp de Minakendorf
, qui ne commenceront qu'à fon arrivée.
Il a été publié à Peſt , & dans d'autres
Villes de la Hongrie , que les Négocians
& Artiſans des religions tolérées dans les
a 3
( 6 )
Etats de l'Empereur qui voudront s'établir
dans la Ville d'Arad jouiront de l'exemption
de toute impoſition pendant so ans.
On mande de Leopold que l'on a tranfféré
, dans le Collége des Ex- Jéſuites de
cette Ville , tous les Départemens Civils ,
&que l Egliſe de ce College ſervira à l'avenir
pour l'Affemblée des Etats de ce pays.
L'Empereur a fait préſent d'une terre
confid rable dans la Pologne Autrichienne
au Baron de Tratner , Imprimeur Libraire
de la Cour.
Conformément aux ordres de l'Empereur
pour rendre la rivière de Grann navigable ,
le Conſeil du Comittat de Grann ſe difpoſe
à faire commencer les travaux néceffaires.
De HAMBOURG , le 20 Août.
La priſe de poſſeſſion de la Crimée &
la réunion de ce pays à l'Empire Ruſſe ,
ne font plus douteuſes depuis la publication
du manifeſte de l'Impératrice ; cet évênement
, felon les lettres de Conſtantinople,
y fait la plus grande ſenſation ; les
préparatifs de guerre ont été repris avec
une nouvelle vigueur; les troupes d'Aſſe
arrivent en grand nombre , & on travaille
avec toute la célérité poffible à approviſionner
la flotte. Les Miniſtres étrangers
qui réſident dans cette Capitale y paroiffent
fort occupés , & il ſe paſſe peu de
jours que quelques uns des principaux n'en
( 7 )
voyent des Couriers à leurs Cours. On attend
avec impatience quel ſera l'effet de
ces grands différends dont l'arrangement à
préſent paroît plus difficile ,&qui ſemblent
devoir amener infailliblement une rupture ;
comme la ſaiſon eſt à préſent très- avancée ,
on eſpère que ſi elle a lieu , elle n'éclatera
pas cette année ; en attendant on voit partout
des préparatifs .
>>Le 8 de ce mois , écrit-on de Vienne , il yeut
un Conſeil dans le Cabinet de S. M. I. Le Miniftre
dela Cour de Pétersbourg y affifta & auſſi-tôt qu'il
fur fini , on fit partir pour Pétersbourg deux coutiers
qui portorent les mêmes dépêches ; on obſerve
quecette précaution ne ſe prend ordinairement que
dans des circonstances de la plus grande importance;
onignore leur contenu; mais on remarque que
les mouvemens militaires recommencent avec plus
de vivacité. Les régimens aſſemblés du côté de la
Turquieont reçu ordre de ſe rapprocher davantage
des frontières ; & la permiſſion de lever des Corps
libres ou volontaires ſera , dit-on , bientôt accordée;
le Capitaine de Gerndorfa déjà obtenu celle
d'en lever un dans laGalicie de 1600 hommes & de
200 Chaffeurs. Le 4 de ce mois nous avons vu
paſſer ici uncourier venant de Conftantinople avec
des dépêches pour la Cour de France ; il a remis à
fon paffage au Prince de Kaunitz une lettre du Mi.
niſtère Ottoman dont il étoit chargé «.
-
Ces mouvemens & cette activité donnent
lieu à une infinité de conjectures ; mais
le véritable objet de ceux de l'Empereur est
toujours un myſtère que le tems ſeul peut
débrouiller ; on remarque que la Porte ne
néglige rien pour entretenir la bonne intelligence
entre les deux Cours.
a 4
( 8 )
>> Le Commandant de Belgrade , lit-on dans une
Lettre de Syrmie , avoit fait des difficultés au ſujet
du paffage da bâtiment de Baron de Taufferer ; il
ne vouloit pas lui permettre de continuer ſa route ,
& il l'avoit arrêté pendant quelque tems. Des ordres
précis duGrand- Seigneur lui arrivèrent le 29 Juillet
& lai preſcrivirent non-feulement de laiffer paſſer
fibrement ce vaiſſeau , mais de lui porter aufli tous
les ſecours poſſibles s'il en avoit beſoin ; & de publier
par tout que ceux qui s'oppoſeroient à ſa navigation
ſeroient punis avec la plus grande rigueur.
-
Pluſieurs femmes Turques , ajoutent quelquesaines
de ces lettres , ont trouvé le moyen de s'échasper
du harem avec leurs enfans &ſe ſont réfugiées
ſur le territoire de l'Empereur ; on les a reçues avec
bonté , & on les a envoyées à Koſtainicza où elles
ont été baptiſées avec leurs enfans .
S'il faut en croire quelques lettres de la
Hongrie , l'Empereur , mécontent de la
conduite de la plupart des Membres du
Conſeil Municipal de Presbourg , les a
congédiés , & n'en a conſervé que quatre ;
ils ont été condamnés en même tems à
payer 18,000 florins. On dit que le motif
de cette diſgrace eſt la diffipation des deniers
de la maiſon des Orphelins.
Un Médecin établi à Poſega , dans l'Efclavonie
, ayant fait pêcher des coquillages
dans la rivière du Comittat , en a ouvert
pluſieurs dans leſquels il a trouvé des perles
; il y en a une entr'autre qu'on dit parfaite
, & du poids de deux grains; les autres
ſont plus petites & au nombre de 90 ;
on les dit auffi belles que celles de l'Orient.
( و )
Selon les lettres de Dantzick cette ville
a envoyé deux Députés à Vienne & deux
à Pétersbourg pour ſolliciter l'interpofition
de ces deux Puiſſances pour obtenir de la
Cour de Berlin la fuppreffion de quelques
nouveaux péages qu'elle a établis , & qu'elle
retire les troupes qu'elle a miſes ſur ſon
territoire.
On écrit de Munich que l'Electeur Palatin
a défendu dans ſes Etats de ſonner
les cloches à l'approche des orages , & de
Carlſruhe que le Margrave de Bade a aboli
toutes les eſpèces de ſervitude qui exiſtoient
dans ſes Etats.
ITALI Ε .
De NAPLES , les Acût.
LES derniers déſaſtres qu'a éprouvés,
la Sicile , ont donné lieu aux obſervations
ſuivantes ſur le ſort de Meſſine en particulier.
>> Cette ville n'avoit rien à envier aux premières
de l'Italie , par ſon commerce , ſa population & fa
richeſſe . En 1743 elle éprouvaun fléau terrible ; la
peſte la dépeupla preſqu'entièrement ; & deux ans
après une petite vérole d'une nature putride lui enleva
en 6 mois de tems près de 60,000 ames ; le
nombre de ſes habitans en 1777 n'étoit guères audelà
de 30,000 ; ſon commerce n'exiſtoit preſque
plus , & les ſuperbes édifices qui entouroient fon
port étoient à peine habités . Le Comte de Borch dans
ſon voyage de Sicile , témoin de cet état de langueur
où elle ſe trouvoit , la comparoit à une belle
25
( 10 )
femme privéedu principe de vie; les derniers tremblemens
de terre ont mis le comble à cette ſuite extraordinaire
& conftante d'infortunes (1 ) «.
De LIVOURNE , le 8 Août.
UNE polacre Vénitienne a amené ici de
Tripoli Mehemed Bey , gendre du Bacha
de cette Régence , & fon Ambaſſadeur à la
Cour de Maroc; il a débarqué au Lazareth ,
(1 ) Nos Lecteurs nous fauront gré de leur annoncer ici
l'Eſtampe qui repréſente cette dernière Ville telle qu'elle étoit
avant ce déſaſtre , & qui ſera ſans doute recherchée , comme
tout ce qui reſte d'elle. C'eſt la Vue de la Ville de Meſſine
d'après M. Honel , Auteur du Voyage Pittoresque de Sicile
. Cette Vue eſt priſe au Nord , d'où l'on voit partie des
Montagnes aux pieds deſquelles elle eft bâtie ; on voit à gauche
la mer qui baigne un quai orné de cette longue fuite de
Palais qui décoroient de ce côté la Ville dans une étendue
d'un mille . Ce même point de Vue permet de voir les Tours ,
Baftions , Fortereſſes , qui défendoient fon Port , dont la
forme eft circulaire ; on apperçoit dans le lointain la Ville
de Reggio en Calabre . Elle est accompagnée , ainſi que tous
les autres objets intéreſlans de ce Tableau , par des chiffres
qui renvoyent à l'explication gravée au bas de l'Eſtampe ,
qui offre quantité de détails piquans , tels que fon commerce
, ſa population , le degré de longitude : de latitude.
Cette Gravure , exécutée avec le plus grand foin & du
meilleur effet , ne peut qu'être accueillie avec empreffement;
fon prix eſt de 6 liv .; elle se trouve chez M. Houel ,
ue du Coq Saint- Honoré , à côté du Café des Arts. On
diftribue à la même adreſſe le huitième cahier du Voyage
de Sicile; l'indication des matières ſuffit pour en montrer
rour l'intérêt . L'Auteur , en partant de Palerme , eft conduit
la maiſonde campagne du Prince de Refutana qu'il décrit ,
-de-là il paſſe à la Bagaria à 12 milles de Palerme , où il
fait connoître la poſxion de la Ville antique de Solunte ,
&préſente dans une demi-planche les ruines qui lui ont
paru mériter quelqu'attention. En allant à Thermini il
obſerve les Ponts nouvellement conftruits qu'il trouve fur
fa route ; ce cahier eft accompagné des Planches toutes
intéreffantes & curieuses . Cet Ouvrage ſe publie par foufcription
, & le'prix de chaque cahier eſt de 12 liv.
( 11 )
&après avoir fait la quarantaine il ſe rembarquera
pour ſa deſtination.
S. A. R. vient de ſupprimer , par un décret
adreſſé à l'Evêque de Piſtoie , les congrégations
du Saint-Eſprit , de la Trinité &
de Sainte- Marie de la Place , ainſi que divers
autres Corps Eccléſiaſtiques ; le nombre
des Paroiffes de cette ville a été auſſi
diminué; il ſera fait des penſions aux Menbres
des congrégations ſupprimées.
La néceſſité d'éloigner les ſépultures &
de les porter loin des habitations des hommes
eſt ſentie généralement ; S. A. R. a
ordonné de conſtruire des cimetières hors
des villes , & elle vient de faire publier
un Règlement relatif au transport des cadavres
, qui y feront tous inhumés fans
diftinction , à l'exception de celui de l'Evêque
du lieu . Tous les tombeaux des Egliſes
ſeron fermés; les droits des particuliers
fur quelques - uns font annullés ; les Religieux&
Religieuſes même ſeront portés dans
les ſépultures publiques ; on permet ſeu
lement à ces dernières , ſi leur répugnance
eſt invincible , de choiſir dans
leur enclos un endroit où elles feront enterrées
; mais il leur est défendu de l'être
dans leurs Eglifes .
>> Notre ifle , écrit-on de Malte , eſt très-petites
elle n'a ri montagnes ni forêts dans ſon enceinte ;
cependant nous y éprouvons depuis le 20 Juin ce
brouillard épais qui a été remarqué dans toute
l'Europe , & qui nous dérobe le jour ; le 1er Juillet
nous avons cu un orage qui a duré 24 heures; peaa6
( 12 )
A
dant ce tems le tonnerre eſt tombé fréquemment , &
il a caufé beaucoup de dégâts dans les villages &
dans les campagnes . Le Grand-Maître a
fait publier une amniſtie générale pour tous les
Maltois employés au ſervice des galères de la Religion
& qui ont déſerté; on leur donne un an pour
revenir dans leur pays & profiter de cette grace « .
ESPAGNE.
De MADRID , le 19 Août.
D. Antonio Barcelo eſt de retour de ſon
expédition ; le II de ce mois il rentra à
Carthagène avec tous ſes vaiſſeaux à l'exception
du St-Pafchal , de la frégate la Ste-
Rofe , & du chébec le St-Sébastien qu'il a
laiſſés en croiſière devant la baie d'Alger.
Son Journal , que l'Officier porteur de ſes
premières dépêches avoit laiſſé au 3 de ce
mois , offre les détails ultérieurs ſuivans.
>>>Le Général fit une nouvelle attaque le 4 au
matin qui dura depuis s heures & un quart juſqu'à
7 heures & demie. Il jetta 558 bombes ſur la ville
&tira 490 boulets qui causèrent un égal dommage
dans l'intérieur de la ville & aux fortifications extérieures
. Pluſieurs bâtimens tentèrent de s'approcher
de la ligne , mais ils furent repouffés par les chaloupes
canonnières avec des dommages qui forcerent
d'en remorquer plufieurs. Les le tems empêcha
toute attaque ; mais le lendemain il y en eut deux
une le matin & l'autre le foir dont l'effet parut être
prodigieux; les ennemis y répondirent avec beaucoup
de vivacité , mais toujours fans nous faire
beaucoup de mal ; ils tentèrent une nouvelle fortie
avec leurs bâtimens ; mais les chaloupes camonnières
les contraignirent à ſe retirer fans approcher de trop
près notre ligne qui continua àbattre la place avec
fuccès. Le 7ſe paſſa comme lejour précédent. Les
( 13 )
bombardes approviſionnées deux fois attaquèrent
deux fois &lancèrent 874 bombes & 948 boulets ,
auxquels les ennemis répondirent par 2841 boulets
&59 bombes . Le lendemain on fit encore deux attaques
,mais plustard à cauſede la contrariété des
vents; & le 9 le Général obſervant que la ſaiſon
étoit avancée , que ſes vaiſſeaux avoient épuisé leurs
proviſions , les pilotes étant d'avis d'ailleurs que la
mer n'étoit pas tenable plus long-tems , il revint à
Carthagêne où il arriva le 11. Le nombre des bombesemployées
dans cette expédition eft de 3752 ;
celui des boulets de 3833. Les ennemis y ont répondu
par 399 bombes & 11,284 boulets. Nous avons
perdu 24hommes dont un Officier , & nous avons
cu 16 bleſfés dont 3 Officiers - La forme des maifons
d'Alger qui fonttoutes terminées en terraſſe &
à-peu-prèsde la même hauteur n'a pas permis de juger
enmer de l'effet de nos bombes ; mais le feu qui a
pris en divers endroits , la certitude que toutes font
tombées ſur la Ville & fur le Port à l'exception de
celles de la première attaque dont quelques-unes tombèrentdans
l'eau , font penſer qu'elles ont fait beaucoup
de mal. D. Antonio Barcelo étoit toujours à la
tête des bombardes. Il ne s'étoit point trompé en
prévoyant que la mer alloit ceffer d'être tenable, car à
peine eut-ilquitté la baie le 9 qu'en vent furieux s'éleva,
& il l'auroit jetté à la côte s'il ne s'étoit éloignéà
tems «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 26 Août.
Ce n'eſt que le 13 de ce mois que la
ratificarion du traité proviſionel avec les
Etats-Unis a été échangée à Paris par les
Miniſtres du Roi & ceux du Congrès ; il
s'eſt écoulé entre la fignature du traité qui
cut lieu le 30 Novembre dernier , &
( 14 )
cet échange , plus de 8 mois; l'éloignement
qui eſt la ſeule cauſede ce délai , fait
croire que l'échange du traité définitif ,
quand il ſera à ſon tour conclu & figné ,
ne pourra guère avoir lieu que vers le printems
prochain.
S'il faut en croire nos papiers , il y a
toujours de la fermentation en Amérique ;
les Affemblées des divers Etats , dilent- ils ,
ont montré de la jalouſie au ſujet du
pouvoir qu'il s'agit d'accorder au Congrès
pour le bien général de la Confédération ;
il y en a , ajoute-t- on , qui ont en contéquence
refufé quelques -unes des demandes
qu'il avoit faites ; mais tous ont
accordé une fomme d'argent dont il peut
diſpoſer. En général tout ce qu'on dit à ce
fujet est fort exagéré ; la plupart des détails
même qu'on donne de l'Amérique , ne font
puiſés que dans la Gazette de New-Yorck ;
c'eſt d'après elle qu'on a publié la nouvelle
des troubles qu'on dit ſurvenus à Philadelphie;
une lettre particulière en réduit ainſi
les exagérations.
Peu de jours avant le 21 Juin , les troupes de la
ligne de Penſylvanie , baraquées dans les environs de
cette ville , furent jointes par un pasti de Lancaster ,
qui eſt éloigné de 68 milles , qui avoit été excité
par un ou deux Officiers à réclamer les arrérages
qui étoient dus , & à employer même la V10-
lence pour les obtenir. Le Congrès & le Confeil
exécutif tiennent leurs féances dans le même édifice ;
le premier s'étoit prorogé au Mardi 24; le 21 , les
ſoldats inftruits que le Conſeil exécutif ſe trouveroit
ſeul àla ſalle de l'aſſemblée, ſe réunirent au nombre
( 15 )
d'environ 400 , pour aller lui demander ce qui leur
étoit dû. Leurs diſpoſitions n'avoient pas été fi
fecrettes que leCongrèsn'en füt inſtruit,& il s'afſembla
extraordinairement ce jour là , peur délibérer
ſur les meſures à prendre à ce ſujet. Les ſoldats
avancèrent ; le Congrès ne voulant pas s'occuper
d'affaires pendant qu'il étoit inveſti par des gens
aimés , ſe ſépara , après avoir cependant témoigné
aux troupes l'indignation que leur caufoit leur conduite
, & s'ajourna àPrince-Town. Les follats retournerent
à leurs baraques fans avoir rien obtenu
& regardant leur demarche imprudente ſous ſon vrai
point de vue. Les Officiers qui les avoient excités
prirent la fuite , & les troupes empreſſées de réparer
ce qu'elles avoient fait , ſe rendirent le lendemam
chez le Gouverneur , mais fans armes , & Ini expri
mèrent leur regret & leur repentir. Celui - ci les reçut
avec bonté , leur repréſenta les conféquences de leur
démarche , leur promit de mettre leur repentir ſous
les yeux du Congrès ,& d'intercéder pour elles fi
leur conduite à venir le méritoit. Après cela les
foldats ſe retirèrent ſans déſordre , & depuis ce tems
tout est tranquille à Philadelphie.
On ne parle point encore de l'évacuation
de New-Yorck; ce n'eſt , dit on , que lorfque
le traité définitif ſera ſigné que nos
troupes fortiront de cette place; elles confaſtent,
ſelon les derniers états , en détachemens
de 17 régimens de cavalerie , &
l'infanterie eſt compoſée des 3,7,8,9 ,
26 , 27 , 28 , 29 , 30 , 31 , 33 , 34 , 35 ,
36,37,38,39,40,42,43,44,46 ,
47 , 49 , 53 , 54 , 55 , 57 , 62 , 63 , 64 ,
69 , 70 , 71 , 74 , 76 ; 80 , 82 , 83 & 84e.
régimens en tout 40. Mais le nombre des
hommes effectifs n'eſt point déterminé ,
& on ſait qu'il a été prodigieuſement réduit.
د
( 16 )
La frégate le Crocodile de 24 canons ,
chargée de dépêches pour l'Inde , a quitté
l'ifle de Ste Hélène le 12 Avril ; elle a Pordre
de faire la plus grande diligence ; elle porte
à nos Commandans Sir Edouard Hughes
& Sir Richard Bickerton , l'ordre de revenir
; l'Amiral Hyde Parker parti dans le
mois d'Octobre dernier , reſtera dans cette
ſtation avec deux vaiſſeaux de 74 , deux
de 64 , un de so , deux frégates & deux
floops , le reſte de notre eſcadre reviendra
en deux diviſions , l'une ſous les ordres de
Sir Edouard Hughes , & l'autre ſous ceux
de Bickerton . Comme le Crocodile ne peut
arriver dans l'Inde qu'en Septembre , ce n'eſt
que dans le mois ſuivant que nos Amiraux
feront leurs diſpoſitions pour leur retour ;
& ce n'eſt que dans le printems prochain
qu'on peut les attendre en Angleterre.
On a beaucoup parlé de la priſe de Trin .
quemale ; & on n'en a point de relation
détaillée ; voici ce qu'on en lit dans
nos papiers.
La place fut attaquée le 22 Août 1782 , & rendue
le 30 du même mois à MM. Suffren & Deſſoys , à
condition que les troupes Européennes ſeroient envoyées
à Madraſs , & que les Sipays feroient libres
de prendre parti au ſervice des François ou des
Hollandois . Le fort capitula aux mêmes conditions.
On trouva dans la place 50,000 piastres , 20 milliers
de poudre , 1800 boulets , des provifions pour fix
mois , 1200 arquebuſes , 4 pièces de campagne , 3
mortiers , 20 canons , & dans le fort 40 pièces
d'artillerie dont 20 de fonte , & grande quantité de
munitions. Il éteit & bien fortifié , que ſa conquête
( 17 )
auroit du coûter plus cher ,& fur-tout plus detems ;
il y avoit en garniſon soo Européens & 800 Sipays .
M. de Suffren y a mis 1500 hommes , François ,
Hollandois & Sıpays ; M. Defioys les commande.
Le nouvel établiſſement de la Marine
doit coûter beaucoup plus qu'il ne coûte
ordinairement en tems de paix; on prétend
que le Ministère , occupé de vues économiques
, ſe propoſe d'y fournir ſans furcharger
encore la Nation ; on vendra les
Forêts & les Landes de la Couronne , on fera
des réformes dans pluſieurs Départemens ,
& ce que produiront ces deux objets ſuffira
, dit- on , & diſpenſera de faire un nouvel
emprunt l'année prochaine , comme
on le craignoit , & qui ne pourroit qu'ajouter
au fardeau qui charge déja la Nation .
On peut être curieux , obſerve un de nos papicis ,
de voir le commencement & les progrès de la dette
publique de ce pays; elle n'exiſtoit point avant la
révolution ; ainſi ſon origice ne remonte pas bien
haut; elle ne commença que pendant les neuf premières
années qui ſuivirent cette époque. A la mort
du RoiGuillaume , elle étoit environ de 14 millions
ſterling. Le règne de la Reine Anne la porta à ſo
millions ; en 1722, elle étoit de 52. En 1726 , elle
éprouva une légère diminution de 3 millions , & en
1739 elle n'étoit plus que de 47. En 17 ans de paix ,
on n'étoit , comme l'on voit , parvenu à la réduire
quedes millions. En 1763 , elle étoit déja de 146 ,
& en 1775 , époque la plus funeſte à la Grande-Bretagne,
elle étoit ſeulement de 135 milions ; aujourd'hui
à la conclufion de la guerre Américaine,elle paſſe
les 250 millions. Lorſqu'on confidère ce tableau ,
on ne peut s'empêcher de s'alarmer de toutes les
meſures qui peuvent augmenter ce fardeau.
( 18 )
Parmi les calculs piquansque préſentent
quelquefois nos papiers , en voici un qui
peut faire plaifir à nos Lecteurs.
Les revenus du Clergé de ce Royaume montent ,
d'après les calculs des Ecrivains les mieux inſtruits
ſur cette matière , à partir de Warnerjaſqu'a Watfon
Evêque de Llandaff , à 2100co liv. ft. Mais la
diſtributionde ces mêmes revenus ne fauroit être
plus inégale On les partage en deux lots , dont le
premier qui est de 100,000 liv. ft. , appartient
tour entier à 24 Evêques , & l'autre de 110,000 fait
la part du reſte du Clergé , & particulièrement de la
partie qui fait le ſervice de toutes les Paroiſſes & de
toutes les Egliſes du Royaume. Le nombre de ces
Eccléſiaſtiques eſt , dit- on , de 10,500 ;& il y en a
plus de la moitié qui , en conféquence d'un règlement
de la Reine Anne ,n'auront pas d'ici à un ſiècle,
100 liv, ſtel. de revenu. Selon le Prélat Watſon ,
les propriétés foncières ſeulement qui appartiennent
au Clergé Ang'ois , font un objet de 1,490,000 l. ft.
D'autres Ecrivains les évaluent un peu plus haut;
Warner les porte à 1,680,000,Young à 1,600,000 &
Burk à 1,500,000.
Les lettres d'Irlande annoncent la conftance
des diſpoſitions des habitans de ce
royaume à maintenir ſa liberté & ſon indépendance
, & à ſe ſouſtraire entiérement
à toute entrepriſe de la part de la légiflationBritannique.
Ils veulent , dit-on , établir
une Marine particulière qui agira de concert
dans les occafions avec celle de la
Grande - Bretagne , mais qui ſera ſous la
direction d'une Amirauté Irlandoiſe , &
qui ſera ſpécialement chargée de la défenſe
des Côtes & de la protection du Commerce
de ce royaume. On prétend encore
1
( 19 )
qu'à cet établiſſement ils veulent joindre
celui d'une armée dont la ſubordination
émanera d'un acte du Parlement d'Irlande ;
ces projets qui n'ont peut- être aucun fondement
paroiffent donner de l'inquiétude.
Les riches Propriétaires de terre qui viennent
dépenſer leurs revenus dans cette capitale
, ſont menacés d'une loi qui les forceroit
à retourner dans leur pays. On dit
que l'on fait jurer à tous les Membres qu'on
élit pour le nouveau Parlement , qu'ils
employeront tous leurs efforts pour obtenir
une réforme parlementaire & l'impofition
d'une taxe ſur tous les Propriétaires Irlandois
abſens.
לכ La proſpérité future de ce pays , dit un de nos
papiers , dépend en quelque forte du traité de commerce
qui doit être conclu avec Its Etats Unis de
l'Amérique Septentrionale ; il est très intéreſſant de
ſavoir le parti qui ſera pris relativement à la navigagationdu
Continent aux Iſles ; fi les Américains obtiennent
le droit d'y alier avec leurs propres bâtimens
ſans restriction , ils parviendront à la longue
ànous enlever une partie du produit de ce commerce.
Tous les pays payent le tranſport des articles qu'ils
confomment ; fi ces articles font apportés ſur des
bâtimens étrangers , les consommateurs en payent
le fretà l'étanger. Toute Nation commerçante doit
donc tranſporter , autant qu'elle le peut , ces objets
fur ſes propres navires , puiſqu'elle gagne ainſi le
prix de ce même fret, qui ſans ce moyen enrichit l'éi
tranger. Les paysqui employent le plus de bâtimens ,
ſontceux qui payent le moins de fret ; & la misère
eſt le fort que doit attendre toute Nation chez
laquelle les eſpèces ſe détournent continuellement
du centre de leur circulation actuelle.
( 20 )
Nous placerons ici le reſte de la lettre
du Général Washington .
Dans cet état de liberté abſolue & de ſécurité par
faite qui pourroitmarquerde la répugnanceàdétacher
une très-petite portion de ſa propriété, pour foutenir
les intérês communs de la ſociété , & donner de la
confiftanceà laprotection du Gouvernement ? Qui ne
fe rappelle pas les déclarations ſi ſouvent répétées
au commencement de la guerre , que nous ferions
complètement fatisfaits fi au prix de la moitié de
nos poſſeſſions nous pouvions défendre le reſte ?
Oùtrouvera t-on unhomme qui veuille être redevable
de la défenſe de ſa perſonne &de ſa propriété ,
aux efforts , à la bravoure , à l'effuſion du ſang d'autrui
, ſans faire lui -même un généreux effort pour
acquitter la dette de l'honneur & de la reconnoilſance
? Dans quelle partie du Continent trouveronsnous
un homme ou un corps d'hommes qui oſe ,
ſans rougir , propoſer des meſures tendantes à fruftrer
le ſoldatde ſa ſolde, le créancier public de ce
qui lui eſt dû &s'il étoit poffible que l'on vît
jamais un exemple d'injustice ſi révoltante , n'allumeroit-
il pas l'indignation générale , n'attireroit-il pas
ſur ceux qui le donneroient la vengeance la plus
marquée du Ciel ; au reſte , ſi l'on voyoit ſe manifeſter
dans aucun des Etats un eſprit de déſunion ,
d'entêtement & de perverſité ; ſi les diſpoſitions fi
flétriſſantes tendoient à nous frustrer de tous ces
heureux effets que nous avions lieu d'attendre de
l'union ; ſi l'on ſe refuſoit à la demande faite de
fonds deſtinés à payer l'intérêt annuel de la dette
publique ; & fi un pareil refus faiſoient revivre toutes
les inquiétudes , produiſoit tous les maux dont
nous venons de voir l'heureux terme ; le Congrès
qui , dans tout ce qu'il a fait , a montré beaucoup de
magnanimité & de justice , ſera justifié aux yeux de
Dieu & des hommes , & celui des Etats-Unis qui
,
( 21 )
agiſſant en oppoſition à la ſageſſe collective du Continent
, ſe livreroit à des conſeils ſi pernicieux , épondroit
ſeul de toutes les conféquences. - Quant
à moi , convaincu dans le fond de ma confcience ,
d'avoir , tout le tems que j'ai été le ſerviteur du public,
agi de la manière qui m'a paru la plus avantageuſe
aux intérêts réels de mon pays ; en confé.
quence de ce que je croyois devoir être , m'étant en
quelque forte rendu garant envers l'armée , que fon
pays finiroit par lui faire justice ample & complete;
ne cherchant à dérober aux yeux de l'univers aucune
partie de ma conduite officielle , j'ai jugé convenabledemettre
ſous les yeux de V. E. , la col'ection
des papiers ci- inclus , relatifs à la demi-paye , & à
l'arrangement qui lui a été ſubſtitué , & que le
Congrès à accordé aux Officiers de l'armée : la communication
de ces pièces expliquera clairement les
principes de mes ſentimens , &les raiſons qui me
portèrent à recommander de la manière la plus (érieufe
& la plus preſſante l'adoption de cette meſure.
Comme les procédés du Congrès , ceux de l'armée
& les miens , ſont ſous les yeux de tout le monde ,
& préfentent à ce que je penſe une ſource d'information
ſuffiſante pour détruire les préventions & les
erreurs qui peuvent s'être emparées de quelques
eſprits; je crois ſuperflu d'en dire davantage , & je
mebornerai àobſerver que les réſolutions du Congrès
, dont il s'agit ici , ont auſſi indubitablement
&abſolument force de loi ſur les Etats-Unis , que
les actes les plus folemnels de confédération ou de
législation.- Quant à l'idée que je fais avoir été
conçue, que la demi paye & ſa commutation ( en
une ſomme une fois payée ) ne doivent être confidérés
que ſous le point de vue odieux de penſions ;
c'eſt une idée qu'il faut abſolument rejetter. Cette
meſure ne doit être conſidérée que comme une compenſation
raisonnable offerte par le Congrès , dans
un tems où il n'avoit autre choſe à offrir aux Of
ficiers de l'armée pour des ſervices qui étoient
( 22 )
alors à rendre : c'étoit l'unique moyen qui lui reftat
d'empêcher l'abandon total du ſervice; c'étoit une
partie de leur contrat d'engagement , & l'on me
permettra de dire que c'étoit le prix de leur fang
&de votre indépendance : c'eſt donc plus qu'une
dette ordinaire , c'eſt une dette d'honneur ; on ne
peut la regarder , ni comme penſion , ni coname
gratificacion ; elle ne peut ceſſer d'exiſter que lorfque
la bonne foi l'aura acquittée. Quant à ce qui a
été objecté relativement à ladistinction entre l'officier
& le ſoldat , il ſuffit , pour y répondre , que
l'expérience uniforme de toutes les nations dumonde,
combinée avec la nôtre , prouve l'utilité de cetre
diftin&ion ; le public doit incontestablement , àtous
ſes ſerviteurs , des récompenfes proportionnées à
l'importance des ſervices qu'il en tire. Dans quelques
lignes de l'armée, à raiſon des amples gratifications
qu'ils ont reçues , les foldats en général
ont peut- être autant reçu qu'il peut revenir aux
officiers de la commutation propoſée ; dans d'autres
, fi , indépendamment des concetſions de terre ,
du paiement des arrérages , des vêtemens & des
gages ( articles pour lesquels tout ce qui compofe
un armée doit être porté ſur le même pied ) nous
évaluons les gratifications que pluſieurs foldats ont
reçues & celle d'une année de paye entière promiſe
àtous, toutes ces circonstances peſées , peut être le
fort des foldats vaudra t- il celui des officiers : au
reſte , a l'on croyoit juſte de leur accorder des
récompenfes ultérieures, j'oſe aſſurer que perſonne
ne verra avec plus de plaiſir que moi , que l'on accorde
aux braves défenſeurs de la cauſe de leur
pays , une exemption de taxes pour un tems limité
(ce qui a été demandé ) ou route autre eſpèced'immunité
; mais que cette propoſition ſoit adoptée ou
rejettée , elle ne peut en aucune manière affecter ,
àplus forte raiſon elle ne peut militer contre l'acte
du Congrès , par lequel il offre aux officiers de
l'armée cinq années de paye entière , au lieu de la
<
( 231
demi-paye à vie. Avant de quitter le ſujet de la
justice publique , je ne puis me diſpenſer de faire
mention des obligations qu'a ce pays à cette clotle
méritante de vétérans , tant officiers ſubalternes que
foldats qui , en conféquence d'une réſolution du
Congrès du 23 Avril 1782 , ont été congédiés
comme hors d'état de ſervir , avec une penfion
viagère : leurs fouffrances particulières , les droits
qu'ils ont fi juſtement acquis à ce qu'il fût ainſi
pourvu à leurs beloins , ne demandent que d'être
connus pour intéreſſer en leur faveur : rienne peut
les ſouſtraire à la miſere la plus compliquée que le
paiement ponctuel de ce qui leur est accordé annuellement
: & il n'eſt pas poſſible de concevoir un ſpectacle
plus affligeant, que le ferait celui de tant de
braves gens qui ont verſé leur fang ou perdu leurs
membres au ſervice de lear pays , fans alyle , fans
protection , dénués des moyens de ſe procurer
les choſes nécefaires à la vie , ou qui la rendent
inſupportable , & obligés de mandier leur pain de
porte en porte. Permettez que je recommande
ceux de cette claſſe qui appartiennent à votre Etat ,
à la protection la plus active de V. E. & du corps
légiflarif.-J'ai peu de choſe àdire ſur le troiſième
article qui concerne particulièrement la défenſe de
la République ; il n'eſt guère douteux que le Congrès
ne recommande un établiſſement convenable
en tems de paix , & qu'il ne fafle en même-tems
attention à la néceſſité de mettre les milices de l'Union
ſurun pied régulier & reſpectable. S'il en étoit
beſoin, je demanderais la permiffion d'en démon
trer les avantages dans les termes les plus forns.
La milice de ce pays doit être regardée comme le
palladium de notre sécurité,& comme la reſſource
àlaquelle il faudroit d'abord recourir en cas d'hoftilités
: il eſt par conféquent effentiel qu'elle ſoit
:entièrement montée ſur un ſeul & même ſyſtême;
que la formation& la diſcipline de la milice du Continent
ſoient abfolument uniformes, & que l'on
( 24 )
-
,
introduiſe dans les Etats-Unis , l'uſage des mêmes
armes , accoutremens & appareils militaires : à moins
qu'on ne l'ait appris par expérience , perſonne ne
peut concevoir les difficultés , les dépenses & la confuſion
qui réſultent d'un ſyſtême contraire , ou des
arrangemens vagues qui ont été pris juſqu'à préfent.
Si , en traitant des points politiques , j'ai
donné une étendue plus qu'ordinaire à cette adreſſe
l'importance de la criſe & l'immensité des objets
diſcutés ſeront mon excuſe: je ne defire cependant
& n'attends aucun égard pour les obſervations
précédentes , qu'autant qu'elles paroîtront dictées
par la bonne intention , conformes aux règles
immuables de la justice , calculées pour produire
un ſyſtême libéral de politique , & fondées ſur
tout ce que peut avoir acquis l'expérience , par
une longue application aux affaites publiques .
Sur ce dernier point je pourrois parler avec plus de
confiance , d'après mes propres obſervations ; & fi
je ne craignois d'étendre cette lettre déja prolixe ,
au-delà des bornes que je me ſuis preſcrites ,je pou
rois démontrer à quiconque a l'eſprit ouvert à la
conviction , qu'en moins de tems , avec beaucoup
moins de dépenſes , on auroit pu conduire la guerre
à cette même iſſue favorable, ſi l'on cût développé
d'une manière favorable les reſſources du Continent :
que les détreſſes , les attentes fruſtrées qui ſe ſont
renouvellées ſi ſouvent , ont dans beaucoup de cas
réſulté d'un défaut d'énergie dans le Gouvernement
continental , plutôt que d'un défaut de moyens de la
part des Etats individuels ; que l'inefficacité des mefures,
réſultant d'un défautd'autorité ſuffiſante dans
le pouvoir ſuprême , d'une condeſcendance pareille ,
de la part de quelques Etats , aux réquifitions du
Congrès , & d'un défaut de ponctualité de la part
de quelques autres , en refroidiſſant le zèle de ceux
qui étoient portés à mieux faire , ne ſervoit qu'à
accumuler les dépenſes de la guerre , & à faire manquer
( 25 )
quer l'effet des plans les mieux concertés ; qu'enun
mot le découragement occaſionné par les difficultés
& les embarras dans lesquels nos affaires ſe trouvoient
enveloppées par ce moyen , eût produit il y
along- tems la diſlolution de toute armée moins
patiente, moins vertueuſe & moins perſévérante que
celle que j'ai eu l'honneur de commander.-Mais ,
en failart mention de ces faits qui font notoises, &
que je cite comme autant de défauts de notre conſtitution
fédérale , particulièrement plus ſenſibles dans
la conduite d'une guerre ,je defire qu'il ſoit entendu
que de même que j'ai toujours pris plaifir à reconnoître
publiquement l'aſſiſtance que j'ai reçue de
toutes les claſſes de Citoyens , de même je m'eftimerai
toujours heureux de rendre juflice aux efforts
ſans exemple qu'ont faits en beaucoup d'occaſions
intéreſſantes les Etats individuels.-J'ai expoſé ainſi
tout ce que je defirois faire connoître , avant de réſigaer
monemploi public entre les mains de ceux qui
me l'ont confié : ma tâche eſt remplie , je prends
actuellement congé de V. E. en qualité de premier
Magiſtrat de votre Etat. Je fais en même-tems mes
derniers adieux aux ſoins attachés aux places & à
tous les emplois de la vie publique.- La ſeule &
dernière requête qui me reſte à faire à V. E. eſt de
communiquer cesſentimens à votre Corps législatif,
à ſa premièreAffemblée , &qu'ils foient confidérés
commeun legs fait de la part d'un homme qui , en
toutes occaſions , a ardemment deſité d'être utile à
fon pays , & qui même dans l'ombre de la retraite ,
ne ceflera d'implorer ſur lui la bénédiction divine.
Laprière fervente que j'adreſſe dans ce moment au
Ciel , eſt que Dies vous prenne , ainſi que l'Etat que
vous préſidez , dans ſa ſainte protection ; qu'il difpoſe
le coeur des Citoyens à cultiver l'eſprit de ſubordination
& d'obéiſſance au Gouvernement ; à ſe
porter mutuellement une affection fraternelle , étendue
fur tous les concitoyens des Etats-Unis , en gé-
6 Septembre 1783. b
( 26 )
néral , & particulièrement fur ceux de leurs frères
qui ont ſervi au champ de Mars ; qu'enfin il lui plaiſe
très-gracieuſement , nous diſpoſer tous à fairejustice ,
à aimer la clémence , & à nous conduire avec cette
charité , cette humilité & cet eſprit pacifique qui
formoient le caractère de l'Auteur divin de notre
fainte Religion : fans une humble imitation de l'exemple
qu'il nous a donné dans toutes ces chofes
nous ne pouvons jamais eſpérer de devenir une
Nation heureuſe «,
FRANCE.
De VERSAILLES , le 2 Septtembre .
LE 25 du mois dernier , jour de St- Louis ,
le Roi a nommé aux places de Grand Croix ,
vacantes dans l'Ordre de St-Louis pour le
ſervice de terre , le Comte de Dufort ,
Lieutenant-Général , & M. de Bellecombe ,
Maréchal de Camp , Gouverneur-Général
des Ifles ſous le Vent ; il a nommé auffi
aux places de Comniandeur , vacantes pour
lemême ſervice, M. de Sombreuil, Maréchal
de Camp , Lieutenant de Roi à Lille , &
leMarquis du Chilleau , Maréchal de Camp.
S. M. a reçu cedernierdans ſon cabinet ; les
autres étant abſens , il leur a été envoyé
les décorations & la permiffion de les
porter.
eurent
Ce jour les Princes & Princeſſes , les
Seigneurs & Dames de la Cour ,
l'honneur de préſenter leurs reſpects au
Roi , à l'occaſion de la fête de S. M.
LeRoi a nommé à l'Abbaye de St- Maurice
, Ordre de St Benoît , Diocèse d'Agen ,
( 27 )
l'Abbé de Gallard Saldebru , Vicaire Géné
ral de Leictoure , à celle de St Amand de
Boix , Diocèle d'Angoulême , l'Abbé Marie ,
Sous Précepteur de Mgr. Comte dArtois ,
fur la nomination & préſentation de ce
Prince en vertu de ſon apanage.
Le 27 Août les Députés des Etats de
Languedoc furent admis à l'audience du
Roi , cù ils furent conduits par MM. de
Nantouillet & de Watronville , Maître &
Aide des Cérémonies , & préſentés par le
Maréchal Duc de Biron , Gouverneur de
la Province , & le Comte de Vergennes ,
Chef du Conſeil Royal des Finances ,
Miniſtre & Secrétaire d'Etat ayant le département
des affaires étrangères , à cauſe
de l'indiſpoſition de M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Province .
La députation étoit compoſée pour le
Clergé de l'Evêque d'Uſez qui porta la
parole , pour la Nobleſſe du Comte du
Roure ,Baron de Barjac , & pour le Tiers-
Etat de M. de Garcy , Capitoul de Toulouſe
, du Chevalier de Leſpinaſſe , Député
d'Uſez , & du Marquis de Montferrier ,
Syndic-Général de la Province ; elle cut
enfuite audience de la Fami le Royale.
Le Vicomte de Moy qui a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi , a eu celui de monter
dans les carroſſes de S. M. &de chaſſer
avec elle.
La Comtefle de Marcicu a eu l'honneur
d'être préſentée , le 17 Août , à
b2
( 28 )
LL. MM. & à la Famille Royale par la
Marquiſe de Marcieu.
De PARIS , le 2 Septembre.
On a reçu des nouvelles de l'Inde par
M. Bouvet , fils du Capitaine de Vaiſſeau
decenom , arrivé de Trinquemale à l'Orient
fur la corvette la Fortune. En attendant la
publicité des lettres particulières que ce
bâtiment peut avoir apportées , voici ce que
l'on mande de l'Orient.
La Fortune qui vient d'arriver ici eſt partie de
Trinquemale le 13 Avril ; tout ce que nous ſavons
desdépêches qu'elle a apportées , c'eſt qu'à l'époque
de ſon départ , M. de Suffren qui étoit revenu à
Trinquemale , ſe préparoit à en ſortir , pour retourner
à la côte de Coromandel , où il ne craignoit pas
que les Anglois vinſſent le chercher , leur eſcadre
étant en très- mauvais état , & trop inférieure à la
nôre pour ſe préſenter devant elle. M. de Bufly
étoit arrivé à Trinquemale le 13 Mars ; il ſe portoit
bien & ſes troupes étoient en bon état lors du
départ de la Fortune. Les maladies avoient emporté
quelques hommes de la garniſon de la place depuis
le mois de Janvier , & le Baron d'Agoult qui y
commandoit avoit éré l'une de leurs premières victimes.
M. Bouvet a appris que la paix étoit faite
en touchant au cap de Bonne-Eſpérance où cependant
cette nouvelle intéreſſante n'étoit pas encore
parvenue officiellement. Cer Officier avoit ordre
d'aborder à Cadix ; mais un bâtiment qu'il a arraiſonné
ſur ſa route , lui ayant donné des aſſurances
poſitives de la ceſſation des hoftilités , il s'eſt déterminé
à venir mouiller à l'Orient . Nous aurons dans
quelques jours les lettres particulières qu'il a apporsées
de l'Inde , &avec elles de plus grands détails
,
( 29 )
for ce qui s'eſt paſſe dans ces contrées éloignées de
puis le mois de Décembre dernier juſqu'au 13
Avril «.
On a des copies de la lettre de Péking ,
adreffée à M. Bertin , & qui contient les
détails du déſaſtre de l'iſle Formoſe ; elle
eſt du 14 Juillet 1782 .
Les eaux de l'Océan ont failli d'enlever à la Chine
une des plus belles poſſeſſions qu'elle ait for la
mer. Peu s'en eſt fallu qu'elles n'ayen: englouti l'iſle
de Tay- ouan , connue en Europe ſous le nom de
l'iſle de Formole. On a débité ici qu'une partie de la
montagne qui partage cette iſle s'étoit enfoncée &
avoit difparu , que le refte avoit été comme bouleverfé
, & qu'une grande partie des habitans avoit
Féti . Tels ont été pendant quelques jours les bruits
populaires de certe Capitale. Le Gouvernementles
a fait ceffer en inſtruiſant le public de l'exacte vérité
te'le qu'elle avoit été annoncée à l'Empereur par
lesOfficiers qui ont dans leur ciſtrict cette petite portion
de des états. Je ne puis rien faire de mieux que
de tranſcrire ce qu'ils en difent.
Les dépêches des Officiers Chinois ,
adreſſées à l'Empereur , ſont conçues ainfi.
Bechen , Gouverneur - Général des Provinces du
Fou- Kien & di Tche Kyang ya , Vice Roi du
Fou-Kien , & les autres , font ſavoir à V. M. le
déſaſtre nouvellement arrivé à l'ifle de Tay- ouan .
Mon-ha-hon , & les autres principaux Officiers de
cette ifle nous ont écrit que le 21 de la 4me lune
( 22 Mai 1782 ) un vent des plus fusieux accompagné
d'une greffe pluie & d'une marée plus
haute qu'on ne l'avoit jamais vue , les avoit tenus
dans la crainte continnel'e d'être engloutis dans
la mer , ou abymés dans les entrailles de la terre ,
depuis l'heure yn ( les heures Chinoiſes ſont le doub3
( 30 )
ble des nôtres , l'heure yn commence à 3 heures du
matin & fiait à cinq heures ) , juſqu'à l'heure quei
( l'heure ouei commence à 3 heures après-midi
& finit à5. ); cet affreux orage s'an onça en même .
tems des quatre parties du monde , & continua avec
la même violence, pendant tout cet e'pace de tems ;
lesbâtimens où ſe tiennent les tribunaux , les gre .
niers publics , les caſernes , les greniers à ſel , aina
que les ſalines , tout a été renverſe , tout a été per .
du, les boutiques des marchands & des ouvriers ,
ainſi que les maiſonsdu peuple ne montrent plus pour
la plupart que des matériaux amoncelés ſans ordre.
De 17 vaiſſeaux de guerre qu'il y avoit dans le
port , 12 ont diſparu , 2 autres ont éé mis en
pieces , & to auties ont été fraciſſés de manière
à être enrièrement hors de ſervice ; les autres moindres
vaiſſeaux ou navires de différente grandear
qui étoient au nombre de plus de cent ont eu un
pareil fort. Il y en a eu environ 80 engloutis ; 5
qui étoient nouvellement chargés de riz pour le
Fou-Kien ont été ſubmergés , & la cargaiſon qui
ſe montoit à 100,000 beiffeaux entièrement perdue:
peer cequ des autres navires tant grands
que petits qui n'étoient point encore entrés dans ce
port , on en compte 10 ou 12 des plus gros qui
ont été engloutis ; les moindres ainſi qu'une quantité
prodigieuſe de barques , bateaux & autres de
route eſpèce , ont diſparu ſans même laiffer des débris.
- Comme toute l'iſle a été couverte d'eau ,
les denrées ont été ou emportées ou gâtées de façon
à devenir muiſibles à la ſanté de ceux qui les
conſomment dans l'état où elles ſont ; les récoltes
abſolument perdues. Ce n'eſt ici qu'un à-peuprès
écrit à la hate; quand nous ferons i ſtruits
plus en détail , nous ne manquerons pas de vous
en informer au plutôt; après avoir reçu come lettre
de Mon-ha-hon & des autres principaux Officiers
qui font de réſidence à Tay- ouan , j'ai fait toutes
( 31 )
mes diligences pour procurer à cette ifle infortunée
tous les ſecours qui dépendoiert de moi , &
j'ai donné mes ordres au Commiſſaire ambulant ,
&ad Trey-ouer général de la Province , pour qu'ils
ayent à s'inſtruire dans le plus grand détail du
nombre de ceux qui ont péri & des maiſons qui
ont été détruites , de la quantité de ſel & antres
denrées qui a été perdue. Je leur ai pareillement
enjoint de relever au plutôt les tribunaux , greniers
& autres bâtimens publics , d'envoyer à la
découverte des vaiſſeaux , navires &c. , qui avoient
diſparu , de radouber les vaiſſeaux qui n'étoient
pas hors de ſervice , d'envoyer promptement chercher
le ſel & autres provifions néceffaires ſur les
lieex les plus voiſios , mais fur-tout de s'informer
exactement des différentes pertes qu'a fait le peuple
, & du nombre précis des hommes qui ont péri
, afin que je puiſſe moi-même en informer V. M.
&c.
L'Empereur de la Chine a fait publier luimême
ces détails , & y a joint la lettre
ſuivante.
>>Tchang-Yu , &c. Tchem-hoci-Thon-Tiongten,
ou Fou-Kien & les autres , m'ont fait ſavoir le triſte
évènement qui a eu lieu dans l'ifle de Tay- ouan , qui
eſt un district de la Province de Fou-Kien. Ils m'ort
écrit que le 22 4º de la Lune. ( L'Empereur répète
ici ce qui eſt dit dans la lettre qu'on vient de lire ,
&continue ainfi. ) J'ordonre au Tſon-ton de s'informer
exactement de tous les dominages en différens
genres qu'auront ſoufferts à cette occafion les
habitans de l'ifle , & de m'en inſtruire , dans les plas
grands détails , afin que je puiſſe leur donner tous
les ſecours néceſſaires pour les réparer , mos intention
eſt qu'on relève à mes propres frais toutes les
maiſons abattues , qu'on répare celles qui n'auront
été qu'endommagées , & qu'on leur affigne les proviſions
de bouche & de toutes choses qui font du
b4
1321
premierbeſoin. J'entends que cela s'exécute en toute
rigueur , à l'égard de tous ceux , fans exception ,
qui font dans ce cas ; je ſerois faché qu'un ſeul
d'entr'eux fût oublié. C'eſt pourquoi je recommande
Fa plus grande diligence & la plus exacte recherche ;
je veux que mes Sujets ne doutent en aucune manière
de la tendre affection que j'ai pour eux , & qu'ils
ſachent que tous ſont ſous mes yeux , & que je veux
pourvoir moi-même à leurs beſoins . Pour ce qui
eſt de mes vaiſſeaux de guerre , des Tribunaux , des
greniers & autres édifices publics, qu'on les rétabliſſe
dans leur premier état , en prenant dans le tréfor de
l'Etat tout l'argent qui ſera néceſſaire pour cette
dépenſe , & qu'on m'en préſente le réſultat , &c .
Tout le reſte eſt de ſtyle ".
LeMiffionnaire qui envoie ces nouvelles ,
ajoute que dans ces lettres il n'eſt pas queftion
du tremblement de terre auquel on
doit attribuer ce déſaſtre ; mais il dit que
le volcan qui l'a occaſionné doit être à une
très-grande profondeur ſous la mer. Il ne
prétend pas en donner l'explication ; il ſe
contente d'obſerver que tout paroît s'être
paffé à l'ifle Formoſe comme à Lima & à
Lisbonne.
L'expérience ingénieuſe que MM. de
Montgolfier avoient faite à Annonay , a été
répétée à Paris par les ſoins de pluſieurs
Phyſiciens qui avoient ouvert une ſoufcription
qui n'a pas tardé à être remplie.
On ne ſera pas fâché d'en trouver ici les
détails.
M. Faujas de Saint-Fond fat chargé , par l'affemblée
des premiers Souſcripteurs , de diriger l'opération.
On doit rendre justice à l'activité , à l'intelligence
, à la chaleur qu'il mit à répondre à leur con
( 33 )
fiance. Il imagina d'employer le taffetas enduit de
gomme élastique & l'air it flammable. Le gaz &
l'enveloppe dont s'étoient ſervi MM. 1- Mongifier,
n'étant pas connus , M. Faujas , inftruit que MM.
Robert , jeunes Mécaniciens du premier mérite , of
fédoient le ſecret de diffoudre la gemme é aftique ,
eut recours à leur talent , à leurs lumières . M. Charles
vo lut bien ſe prêter & contribuer aux diverſes ex.
périences qu'on fit chez lui. Jufy'a'ors on n'avoit
obſervé l'air inflammable que dans les piſtoleas de
Volta, dans des bouteilles de gomme laſtique , dans
desbuiles de ſavon ; il étoit à cai de qu'un grand
volume de matière auſſi ſubtile te don ât des réſultats
dangereux. Il parut pru'ent de n'aflembler
le Public qu'après quelques eſſais : i's forent faits ,
&tranqui ifèrent. Le vingturois , la machine s'éleva
juſqu'au deſſus des toits. L'affrence du peuple indiqua
quelle ſeroit ſa curiofité le jour de l'expérience.
On craignit que les bar ières du terrain de
MM. Perriere , où l'expérience devoit d'abord être
faite , ne fuflent trop foibles : cette ſage confidération
fit préférer le champ de Mars. La nuit du
25 au 26 MM. Robertde chargèrent de porter &
de veiller eux-mêmes la machine. El e avoit 12 pieds
de diamètre , & rempl.celle peſoit 25 livres. L'opération
indiquée eut lieu le 27 à cinq heures préciſes .
Une mèche allumée donna le fignal , & deux coups.
de canon annoncèrent au Public le moment de
l'expérience ; ils avoient auſſi pour objet d'avertir
des Obſervateurs placés à différentes ſtations. Auffitôt
après le fignal le Globe s'éleva , & au bout de
deuxminutes&demie il diſparut, Deux autres coups
decanon annoncèrent ce dernier moment. Le nuage
qui éclipſoit le Globe s'étant diſſipé , on le vit de
nouveau. Son petit volume apparent a fait juger
qu'il étoit à une hauteur conſidérable & la circonftancedu
mauvais tems en a rendu l'appréciation difficile.
Des applaudiſſemens réitérés ont prouvé l'inbs
:
( 34 )
térêt du Public. Toute la gloire de cette découverte
appartient à MM.de Montgolfier; & cette expérience
n'a été faite que pour la conftater. Les Soufcripteurs
ſe croiront trop heureux fi leur exemple
excite à ſervir les Sciences & les Arts en facilitant
des épreuves trop coûteuſes pour être faites par
de ſimples particuliers.
On a appris depuis que le Bal'on , après avoir
voyagé pendant trois quarts d'heure dans les régions
de l'air& hors de la vue , tomba à Goneffe ,
àquatre lieues de Paris. L'on y a reconnu une ouverture
produite par l'exploſion qui a dû ſe faire
lorſque leGlobe a atteint un air qui , lui oppoſant
moins de réſiſtance , a permis au gaz inflammable de -
réagir à ſon tour conrre l'air atmosphérique. Cet
accident ne ſeroit certainement pas arrivé , & l'on
auroit eu le plaihr de jouir plus longtems de cette
fuperbe expérience & d'y appliquer les calculs ,fi
l'on ne l'avoir pas rempli d'une trop grande quantité
de gaz. Pluſieurs ſavans Académiciens , & M.
Faujas de Saint- Fond lui - même, étoient d'avis , avant
l'opération de ne pas remplir le ballon en entier ;
maisune circonstance particulière n'ayant pas permis
àces Meſſieurs d'entrer dans l'enceinte, le ballon a été
rempli ſans combinaiſon & ſans méthode , & c'eſt
ce qui a occaſionné cet accident , qu'il ſeroit injufte
d'attribuer à M. Faujas de Saint Fond , ni même à
MM. Robert. L'on doit dire auſſi que le Public a
été très-étonné de ce qu'on n'a pas admis dans cette
même enceinte M. de Montgolfier , que le voeu général
y appelloit , & que tout ce qu'il y a de plus
illuſtredans la Nation defiroit de voir .
Le Gouvernement ayant jugé qu'il convenoit
de donner connoiſſance de cette découverte
curieuſe pour prévenir les terreurs
qu'elle pourroit cauſer parmi le peuple , a
fait publier l'avis ſuivant.
( 135 )
>>En calculant la différence de péſanteur, entre
l'air appellé inflammable & l'air de notre atmosphère,
on a trouvé qu'un ballon rempli de cet air inflammable
, devoit s'élever de lui-même vers le ciel .
pour ne s'arrêter qu'au moment où les deux airs
ſeroient en équilibre , ce qui ne peut être qu'à une
très-grande hauteur. La première expérience en a
été faite à Annonay , en Vivarais , par MM. Montgolfier
, Inventeurs ; un globe de toile & papier de
103 pieds de circonférence rempli d'airinflammable ,
s'eſt élevé de lui- même à une hauteur qu'on n'a pu
calculer. La même expérience vient d'être renouvelléc
à Paris , en préſence d'un nombre infini de perſonries.
Unglobe de taffetas , enduit de gomme élastique ,
de36 piedsde tour , s'eſt élevé du Champ de Mars
juſques dans les nues , où on l'a perdu de vue........
On fe propoſe de répéter cette expérience avec des
globes beaucoup plus gros. Chacun de ceux qui
découvriront dans le ciel de pareils globes qui préfentent
l'aſpect de la lane obſcurcie , doit donc être
prévenu que loin d'être un phénomène effrayant ,
ce n'est qu'une machine toujours compoſée de
taffetas ou de toile légère , revêtue de papier , qui ne
peut caufer aucun mal , &dont il eſt à préſumer
qu'on fera quelque jour des applications utiles
aux besoins de la ſociété «.
M. de Montgolfier a conſtruit une nouvelle
machine en toile & en papier collé
deſſus , qu'on dit être de 35 pieds de diamètre
&qui fera lancée inceſſamment du
haut de l'Obſervatoire.
Le 3 de ce mois , fur les 7 heures da foir ,
nous avons effuyé dans les environs de Filmes un
orage accompagné de grêle qui a cauſe le dommage
le plus grand.
1:
Refſon , Voigniſon , Party, Mont-fur-Courville,
S. Gilles , Mezières ,le petit bois Digny, les Zèles ,
b6
( 36 )
font les Villages & Fermes qui ont été les plus
maltraités . On venoit d'ouvrir les moiſſons , on
avoit encore rien refferre ; en moins d'un quart
d'heure toutes les espérances des Cultivateurs ont
été détruites , au point que , dans pluſieurs de ces
Villages , les moiffonneurs ont été renvoyés ; il n'y
aplus rien à couper , plus de moiſſon à faire; tous
les épis battus abſolument , la paille hachée , fans
pouvoir eſpérer d'en tirer le moindre avantage;
les vignes qui donnoient les plus belles eſpérances ,
ravagées en un moment; les ceps ſans feuilles , les
raiſins à bas , le bois ciblé & coupé par le milieu ;
les pauvres malheureux qui ſe lamentoient autour
de leurs héritages : tout cela offroit un ſpectacle
déchirant. Les grêlons étoient plus gros que des
oeufs de pigeon & à trois angles : on a trouvé
dans les champs beaucoup de gibier de tué &
pluſieurs perſonnes ont été grèvement bleſſées.
M. l'Abbé de Coucy , Aumônier de la Reine , qui
ſe trouvoit alors dans ſon abbaye d'Igny , qu'avoifinent
tous ces malheureux Villages , touché de cer
affreux déſaſtre , a, deux jours après, fait venir
vous ſes Fermiers ; ils étoient dix , tant de ſa dépendance
que de celle des Religieux , qui avoient
pour ainſi dire tout perdu; & après la cérémonie
de la poſe d'une première pierre à l'égliſe de ſon
abbaye , qu'on reconftruit à neuf, M. l'Abbé &
les Religieux , ont cru ne pouvoir mieux célébrer
ce jour , qu'en remettant à ces bons pères de
famille quittance totale de'eur redevance , en leur
promettant des ſecours pour renſemencer, & des
nourritures pour eux & leurs beftiaux. Qu'il eſt
doux de pouvoir ainfi confolert'humanité fouffrante.
Cet acte de bienfaiſance
quarante perfonnes dans la douleur la plus défefpérante.
a rendu la vie à au moins
On mande d'Arras que le 18 du mois
dernier , vers les neuf heures & demie du
( 37 )
foir, ony vit une étoile filante qui produifit
entombant une clarté plus vive que celle
de la pleine lune : le même phénomène y
avoit été remarqué à peu près à la même
heure quelques ſemaines auparavant. L'étoile
filante du 18 laiſſa ſur ſon paffage qui
étoit du nord au midi , une traînée de feu
conſidérable ; elle diſparut après s'être diviſée
en pluſieurs globes par une explofion
qui fit entendre un bruit ſemblable à celui
d'une fuſée volante qui éclate en l'air. On
a vu un phénomène à peu près pareil à Lille
le même jour.
,
>>>La Société Royale de Médecine, dans ſa Séance
publique tenue le 26 du mois dernier a partagé
entre deux Mémoires le Prix de 2 o liv. dont le
fonds a été fait par un de ſes Membres ſur le ſujer
ſuivant , déterminer par des obfervations exactes fi
leScorbut eft contagieux ; l'un a pour Auteur M.
Goguelin , Docteur en Médecine , Correſpondant à
Moncontour en Bretagne , & l'autre M. Bougourd ,
Doctear en Médecine & en Chirurgie , Correfpondant
à St Malo. Elle a diſtribué dans la même Séance
6jetons d'or aux Auteurs des meilleurs M'moires
fur le traitement des Epidemies , MM. Barrère ,
Correſpondant de la Société à Mont Louis en Rouffillon,
Baumes à Lunel en Languedoc, Gired Affocié
régnicole à Besançon , Bouffey Correſpondant à
Argentan , Companyo , neveu , à Cereten Routfil
lon , & Le Jana Phalezbourg en Alface . Les 3 Prix
qu'elle avoit à diftribuer pour la Topographie Médicale
ont été donnés à MM. Caſtara , Chirurgien
du Roi à Luneville , & Perly , Docter en Médecine,
Chirurgien-Major du régiment de Berry Cavalerie ,
à M. Didelot , Docteur en Médecine à Remiremont ,
&àM. Darlac:-La Société n'ayant point été arisfairedes
Mémoires qu'elle a reçus ſur cettequeſtion,
( 38 )
)
-
déterminerpar l'analyse chymique quelle est la nature
des Remèdes antiſcorbutiques tirés de lafamille
des cruciferes , propoſe de nouveau ce ſujet avec les
modifications ſuivantes : quelle est la nature des
Plantes antifcorbutiques priſes dans la claſſe des
crucifères ; mais elle n'exige point un travail chymique
completſur toutes les plantes de cette famille;
ilsuffira que les Auteursfaſſent l'analyse exacte
de2 ou 3 de ces plantes , telles que le cochlearia ,
lecreſſon , le raisin . - Ellepropoſe pour le ſujet
du Prix de 600 liv. fondé par le Roi , de déterminer
quelsfont les avantages & les dangers du Quinquina
, adminiſtré dans le traitement des différentes
espèces defièvres remittentes . Le Prix ſera denné
en 1785 , & les Mémoires doivent être envoyés
avant le premier Mai de la même année. La
Société donnera auſſi des Prix d'encouragement à
l'ordinaire aux meilleurs Mémoires & Obſervations
fur la conſtitution médicale des ſaiſons & fur les
maladies épidémiques du Royaume. - Après la
lecture des Programmes , M. Mauduit a lu un Mémoire
fur quelques nouveaux moyens d'adminiftier
l'Electricité médicale ; le Secrétaire une notice ſur la
vie & les écrits de MM. Harmant , Préſident du
Collége Royal de Nancy , Buttet , Chirurgien à
Etampes , & Vetillart du Ribert , Médecin au Mans .
On a lu enſuire un Mémoire de MM. de Laffone
père & Cornette , ſur une nouvelle manière de préparer
à peu de frais & en très-pen de tems l'extrait
d'opium par digeftion , & ſur ſes effets comparés
avec l'extrait d'opium préparé par une digeftion de 6
mois. Le Secrétaire perpétuel a terminé la Séance
par l'Eloge du Docteur Pringle , célèbre Médecin
Anglois , Affocié étranger de la Société.
Nous avons rendu compte , il y a quelque
tems , du procès & du fupplice de
l'antropophage Blaiſe Ferrage , ſurnommé
Seyé , du Comté de Cominge , & qui ,
( 39 )
retiré dans un antre plus propre à ſervir
de retraite à un ours qu'à un homme ,
attaquoit les paſſans & répandoit la terreur
dans les environs. On fait qu'il en
vouloit fur-tout aux femmes auxquelles il
faiſoit violence , & dont il dévoroit les
ſeins & le foie. Un Artiſte qui a beaucoup
de talens vient de graver ce monftre
, & le préſente dans une de ſes expéditions
, arrêtant une femme au milieu des
bois. Rien de plus intéreſſant que la figure
de celle- ci , l'effroi ne lui fait rien perdre
de fes graces; Ferrage avec une ceinture
de piſtolets , un fuſil en bandoulière , une
dague au côté , & un autre piſtolet à la
main , offre , dans toute leur énergie , la
férocité & la brutalité qui le caractériſent.
Ce Tableau eſt d'un effet très- pittoreſque ;
le deſſein eſt de M. J. B. Hilais , & la
gravure de M. J. Mathieu . ( 1 )
Le 19 du mois d'Août , M. l'Abbé Margaron , de
Lyon , a eu l'honneur de préſenter à LL. AA. RR.
l'Archiduc Ferdinand & l'Archiducheſſe Béa rix , un
jeune homme ſourd & muet de naiſſance qu'il inf
truit depuis is mois. Cet Elève a fait un compli
ment au Prince en ces termes :
Mon Prince ,
Que je ſuis heureux de paroître aujourd'hui devant
Votre Alteſſe Royale ! La nature m'avoit refuſé
le don de m'exprimer ; mais , par le ſecours de
(1) Le prix en eſt de 3 liv. , elle ſe trouve chez M. Mathieu
, rue de la Harpe , près la rue Serpente , maiſon de
M. Seguin , Avocat , vis-à-vis le Notaire.
140 )
l'art, je pourrois vous dire tout ce que la renommée
publie de vos qualités éminentes.
Le Prince& la Princeſſe ont été très - fatisfaits des
réponſes de cet Elève aux différentes queſtions que
LL. AA. RR. ont permis à M. l'Abbé Margaron de
Jui faire. Le Prince Albani , la Marquise Luzani , &
M. le Comte de Bauce étoient préſens.
M. Didot l'aîné , vient de terminer ſa
Collection choiſie des OEuvres de Corneille.
Elle contient la Vie de ce Père du Théâtre
François , par Fontenelle ,& de ſesPièces ,
dont le Public a lui même fait le choix. On
peut regarder cette Edition comme le plus
beau monument élevé à la gloire de ce grand
homme ; & M. Didot étoit digne de le lui
conſacrer. Nousn'ajouterons rienisià ce que
nous avons dit , en parlant du premier volu
me , de la beauté de ſes caractères & de
celle du papier grand raiſin de France , de
la fabrique de M. Mathieu Johannot d'Annonay
, que M. Didot a employés. Tout ce
qui fort de ſes preſſes eſt fait pour fatisfaire
le Public , juſte & échiré , & pour faire
le déſeſpoir de ſes détracteurs ( 1 ) .
Parmi les productions intéreſſantes des
Arts , nos Lecteurs feront bien aiſes que
nous leur faffions connoître la nouvelle
Eſtampe allégorique à la Paix , dédiée au
Roi , d'après le deſſin de M. le Chevalier
(1) Les 2 vol. tités à 200 Exemplaires coûtent 72 liv. , &
ſe trouvent chez M. Didot l'aîné, rue Pavée Saint-Andrédes-
Arts,
( 41 )
d'Agoty , Peintre de la Reine & de Madame
, & gravée par lui- même. Elle a pour
titre les Travaux de Minerve.
Minerve deſcend ſur ſon Autel couvert de bran-)
ches d'olivier , autour duquel font attachés les écuffons
des Paiſſances belligérantes qu'elle a invitées.
La Déeſſe , ſuivie du Commerce & des Beaux Arts ,
caractériſés par leurs Génies , montre d'une main aux
Nations l'Angleterre qu'elle a déterminée à la paix ,
&de l'autre elle tient une couronne qu'elle deſtine
à l'Amérique. L'Angleterre ſeule & proche de l'Autel
, ſaifit d'une main une branche d'olivier , & tend
l'autre aux Nations en figne de réconciliation. Le
Léopard eſt couché à ſes pieds , avec les griffes rentrées
; de l'autre côté de l'Artel , la France , accompagnée
de l'Eſpagne & de la Hollande , conduir
l'Amérique & lui montre la couronne qu'elle lui a
obtenue; le joug brisé auprès de cette derrière , &
le Lézard qui s'en échappe , indiquent fon indépendance.
Sur le devant dela ſcène le tems terraffela
Diſcorde, dont il a coupé les aîles d'en coup de
faulx; cette furie rente en vain de rallumer fon
flambeau éteint. L'Hiſtoire la Peinture & la
Muſique , s'empreſſent de célébrer cet évènement ;
les génies des Nations réunies danſent autour d'un
amas d'armes qu'ils viennent d'embra er.-Rien de
plus ingénieux & de plus majestueux que ce ſujer.
L'invention & l'exécution font au-deſſus de tour
loge ( 1 ).
M. Danzel , Graveur de S. M. I. & R. dont nous
avons annoncé l'année dern è quelques produ& ons
très intéreſſantes , vient d'en publier une nouvelle ,
que nous nous empreſſons de faire connoître; c'eft
une Eſtampe d'après un Tableau de Fr. de Troy ,
(1) Cette Eftampe , dont la ſouſcription eſt actuellement
fermée, ſe vend à Paris chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue Chriftine , & à Verfailles
chez Blaizot , & le ſieur Lamel , Boulevard du Roi.
( 42 )
Peintre du Roi ; elle repréſente Créuse brûlée par
la robe de Médée. Elle vient de mettre ce prétent
funeſte , dont elle éprouve les effets avant de quitter
la toilette , qui est encore dreſſée ; la douleur
de ſes femmes ,le déſeſpoir de ſon père qui eſt préſent,
celui de Jaſon , le trouble de toutes les perſonnes
préſentes , font rendus avec autant de vérité
quede variété; peu d'Estampes offrent plus de force
& d'effet. C'est un Tableau dans le grand genre ,
ſupérieur même à l'original (2).
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 58 , 5,37,17
& 36.
De BRUXELLES , le 2 Septembre.
La réſolution ſuivante de l'Empereur ,
en date du 9 Juillet dernier , vient d'être
publiée à Bruxelles & dans les autres villes
des Pays-Bas Autrichiens.
>> S. M. I. voulant encourager & favoriſer la pêche
nationale de ſes Sujets dans ces Provinces , a
ordonné , 1 °. que les poiſſons ſalés de la péche nationale
ſeront exempts de tout droit quelconque. 2°.
Que ceux qui mettront quelque obſtacle à la pêche
nationale ou qui ferent quelque chose de contraire
à la teneur de cette réſolution , ferent reſponſables
des dommages qu'i's pourront occafionner pour les
Pêcheurs. 3 °. Que les poiſſons ſalés pourront être
vendus par-tout dans les Pays-Bas Autrichiens , &
qu'il ſera permis aux Patrons des bâtimens pêcheurs
de les faire vendre par-tout , même par leursgens ,
ſans être obligés de ſe faire recevoir dans la corporation
des Pêcheurs «.
(2) On trouve cette Eſtampe chez l'Auteur , rue du Puits-
Certain , maiſon de l'Epicier au coin de la rue Saint-JeandeBauvais
.
( 43 )
Les Etats de Hollande & de Weſtfriſe
qui devoient s'aſſembler le 27 du mois dernier,
ont été convoqués extraordinairement
pour le 22 , en vertu de lettres circulaires
adreſſées à tous les Membres ; on eft perſuadé
qu'il y a été queſtion du traité de
paix , parce que cette convocation a ſuivi
de près l'arrivée d'un courier de Verfailles.
On dit que l'Angleterre preſſe la concluſion
du traité qui n'a été que trop retardée
par les difficultés qui ſont peut-être
venues pour la plupart de la part de la
République. S'il faut en croire quelques
avis , la ſignature aura lien inceſſamment ,
& le jour en paroît fixé au commencement
de ce mois.
>> Les Etats de Hollande & de Weſtfriſe , écrit-on
de laHaye , s'occupent du grand ouvrage de la paix ;
mais ils n'ont encore rien terminé; cependant une
décifion parut pafer. On prétend que nous ferons
obligésddeefacrifier Négapatnam ; une de nos Villes
s'eſt exprimée à cette occaſion dans l'Aſſemblée de
la manière la plus vive & la plus vigoureuſe contre
ceux qui ont traverſé les mesures pour augmenter
ou faire agir les forces de mer de la République ;
mesures qui , ſenles , dans la circonstance embarraſſante
où elle s'eſt trouvée , auroient pu la ſaaver.
Il y a quelques perſonnes qui croient que l'Angleterre
ne demande Négaparnam que pour s'en faire
un titre , en le rendant aux Etats-Généraux , pour
les engager à renouveller les anciens Traités «.
Il y a toujours de la fermentation à
Arnhem; on y attendoit un nouveau Commandant
pour remplacer M. Quadt ; & ce
Commandant n'y eſt envoyé , dit - on , que
( 44 )
pour maintenir le parti du Magiſtrat. La
Bourgeoisie infiſte toujours ſur ſes premières
demandes. Le pont de bateaux qui étoit
fur le Rhin avoit été enlevé à la nouvelle
de l'approche d'un détachement militaire ,
& la milice bourgeoiſe étoit toujours poftée
hors de la porte de Velpe .
>> On apprend dans le moment , écrit on de Naples
, en date du 9 Août , que les ſcènes fatales de
tremblement de terre ſe renouvellent en calabre ;
que dans la nuit du 28 au 29 , on éprouva à une
heure après-minuit une ſecouffe violente qui mit
tout le monde en alarmes. A fix heures du
matin , il y en eut une deuxième fi terrible & ff
longue , qu'on la croit plus forte encore que toute
celles que l'on a éprouvées. Les baraques n'ont pas
paru affez füres , & tout le monde a fui dans la
campagne. Quare villages de ceux qui avoient été
épargnés , ont été renversés. Cotrone a confilerablement
fouffert ; & tout ce que l'on avoit recommencé
à rebâtir à Coſenza , eſt dans un état à obliger
de le démolir de nouveau. On ne dit pas s'il a
péri du monde; mais comme c'eſt la ſecorde ſecouffe
qui a été la plus forte , la première a dû en prévenir
le danger. La commotion de ce dernier tremblement
de terre s'eſt fait reſſentir à Meſſine d'une
manière affez forte pour qu'elle ait pu encore y cauſer
du dommage ".
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 27 Août.
Une lettre de New-Yorck rapporte un fait particulier
; c'est qu'un vaiſſeau Anglo's arrivé dans la
Delaware n'avoit pu obtenir la permiffion d'y dé
ployer ſon pavillon , tandis qu'on y avoit laiſſs entrer
un bâtiment Irlandois déployant la harpe & la
croix de St- Patrice.
Undenos papiers raconte ainſi l'origine des diffi .
cultés élevées au ſujet du pavillon. Un navire Amé
( 45 )
ricain étant arrivé à New- Yorck , le Capitaine fe
condusfit d'une manière peu décente , ce qui déserminates
vaiſſeaux de guerre à l'obliger de te reti er ;
il retourna dans la Chesapeak , & la manière dont il
raconta le fait aigrit les Américains qui ſe promirent
d'ufer de repréfailles ; l'occaſion s'en préſenta bien .
tôt ; un bâtiment Anglois arriva ; il avoit été d'abord
un bâtiment corſaire qui avoit fait quelques
priſes , &dont les priſonniers avoient eu à le plaindre,
& on lui refuſa la permiffion d'arborer fon
pavillon.
Les papiers étrangers ne ceſſent de faire l'éloge
des Etats-Unis d'Amérique. Ils affurent que le foule.
vement des foldats aété appaiſéà la fatisfaction de
toutes les Parties; que , pour 5 , 6 & 7 années de
ſervice , le Congrès leur accorde une certaine érenduede
terrein ; qu'il a été fait un fonds pour la liquidationdes
dettes de l'Amérique qui ſe montent à 9
millions ſterling ; qu'il y a une banque publique établie
àPhiladelphie , & que les effets Américains vort
ceffer d'être un objet de mépris dans le monde. C'eſt
àla ſageſſedu Congrès à prévenir dès-a-préſent les
abus qui peuvent naître d'une pareille inſtitution ,
car il viendra probablement un tems où le crédit
public de l'Amérique la jettera dans les plus grands
embarras. C'eſt le crédit public de l'Angleterre qui
lui a occaſionné une dette fi énorme , des taxes i
lourdes , & une révolte de la part de ſes enfans .
Cela peut ſervir d'exemple aux Etats- Unis d'Amérique.
Le traité de commerce avec la France eſt , dit-on ,
très-avancé; mais parmi tous les articles qu'il contient
il n'y en a aucun auſſi utile & même auſſi nécefſaire
que le ſeroit l'échange des vins de France contre
notre quincaillerie.
Au lieudenous abandonner à de vaines lamentations
ſur les territoires que nous avons perdus ea
Amérique , ne vaudroit- il pas mieux s'occuper des
moyens de tirer le meilleur parti poſſible de celui qui
( 46 )
nous refte en Europe. Il eft certain qu'il y a dan la
Grande-Bretagnedes friches immenfes dont la culthre
mettroit ce Royaume en état de recouvrer fon
ancienne ſplendeur , pourvu qu'on dont at en mêmetems
les encouragemens convenables au commerce ,
&à celles de nos manufactures qui employent les
matériaux de leur crû.
Il ſe fait tous les ans une importation conſidérable
degrains en Angleterie & fur tout d'avoine. D'après
les calculs qui ont été fans cette année les François
ont rempli fur cette denrée un déficit que l'on évalue
au produit de 60 mille arpens d'avoire. Il est vrai
que leurs grands Seigneurs ont l'honnêteté de nous
faire trouver une balance avantageuſe dans l'expor
tation denos chevaux .
Les querelles politiques en Irlande ſont portées
au point d'occaſionner ſans cefle des duels . Cette
rage a déjà coûté la vie à un grand nombre de ferſonnes
tuées ſur le champ de bataille ou qui ſont
mortes des bleſſures qu'elles y avoient reçues. Les
Membres du Parlement nouvellement élus ne l'ont
été qu'à la condition de voter pour la réforme du
Parlement.
On parle beaucoup du projet du Duc de Bedford
de ſe rendre à la Chine par terre en traverſant la
Turquie Européenne , la Perſe , les Indes , &c. &
d'en revenir par la Tartarie & la Ruſſie ; on dit qu'il
areçu quantitéde lettres de Savans detous les pays
qui lui demandent de l'accompagner ; en dit que
leDuc de Chaulnes auſſi zélé que lui pour les Sciences
lui a écrit qu'il avoit une envie démesurée de
ſe promener aveclui autour du monde , & fur- tout
de parcourir à pied l'Empire Chinois.
Le peuple eft encore dans l'effroi de l'apparition
d'un météore fingulier qui a traverſé le 18 une partie
del'Angleterre; on le vit ſur Londres à 9 heures &
demiedu ſoir , ſous la forme d'un globe de feu venant
du N. O. & allant au S. E. Les lettres de Portfmouth
apprennent qu'il arriva fur cette ville à 10
( 47 )
heures &quelques minutes , venant duN. O. portant
pareillement au S. E. où il a été perdu de vue en trèspeu
detems. Lorſqu'il pafla for Londres l'horifon
fut éclairé pendant 20 fecondes. Un Phyficien qui ſe
trouvoit dans les environs de cette ville vers le tems
de fon apparition aſſure l'avoir vu ſortir d'un nuage
qui paroiffoit être au N. O. Quelques inſtans avantil
entendit un roulement ſourd; bientôt tout le nuage
parut en feu& lança le météore dont on vient de
parler. De tous les endroits où il a été obſervé il n'a
pas paru décliner vers la terre. -Preſque toutes les
gazettes font remplies de prédictions bizarres ſur ce
phénomène. Lesunes annoncent la paix& les antres
la guerre ; quoi qu'il en ſoit le peuple eſt véritablement
frappé ; & la contagion qui ravage les villes c
les campagnes ajoute encore à ſa terreur.
Ondonne l'anecdote ſuivante comme un fait. Un
homme riche acheta ily a 3 mois de belles boucles
d'oreillesqui lui coûtèrent soo guinées, chez un célèbrejouaillier;
il n'eut rien de plus preſſé que de les
porter à une maitreſſe à laquelle il les deſtinoit. Ce
bijou depuis ce tems a été mistrois fois en gage chez
un honnêteufurier pour 7 guinées chaque fois. On
demande ſi l'acheteur n'est pas un fou , ſi le jouaillier
eſt honnête ou le prêteur un connoiffeur.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE (1 ) .
PARLEMENT DE PARIS ,GRAND CHAMBRE.
Condamné à mort par contumace , n'ayant purgé
Sa contumace , est censé mort civilement , & par
conféquent incapable de tester.
C'eſtuneconféquence de l'article 29 du titre 17
de 1670, qui répute le contumace , qui ne s'eſt pas
repréſenté dans les cinq ans , mort civilement du jour
de l'exécution de la Sentence de contumace; le droit
de teſter étant un droit appartenant au Citoyen , il
(1) On ſoufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſt de 15 liv. par an , chez M. Mais , Avocat , fue
&Hôtel Serpente.
( 48 )
2
s'enfuit néceſſairement qu'il en eſt privé par la mort
civile , & que ſon teſtament eſt nul. - En 1766 ,
J. M. P. a été condamné à mort par Jugement des
Traites foraines de . qui a été exécuté par
effigie. Le condamné , pallé en Amérique , ne s'eſt
pas repréſen.é pour purger ſa contumace. Après y
avoir acquis une fortune conſidérable , il eſt revenu
en France , s'eſt fixé à la Rochelle , y a fait différentes
acquiſitions , & y eſt mort en 1781. Après
avoir fait ſon teftament en 1780 , par lequel il a
fait le ſieur B. fon légataire univerſel. Les héritiers
du ſieur J. M. P. aina fruſtrés de ſa ſucceſſion , ont
en première Inſtance , au Préſidial de la Rochelle ,
eſſayé de conteſter le teſtament de leur oncle ſous
divers prétextes , ſans néanmoins révéler ſon déshonneur
, qui , ſelon le préjugé national , eſt ſolidaire
, & ſe répand ſur la famille da condamné. Les
Juges de la Rochelle ont cependant ordonné l'exécutiondu
teftament , fait délivrance du legs & condamné
les héritiers aux dépens. Arrêt du 12 Juillet
1783 , qui a mis l'appellation & ce, au néant , émendant,
déchargé les héritiers des condamnations contre
eux prononcées. Ce faiſant , a ordonné au ſieur
B. de remettre aux héritiers l'inventaire & tous les
titres & papiers de la ſucceſſion , enſemble de leur
tenir compte des revenus des biens de ladite ſucceffion,
& de toutes ſommes qu'il a pu recevoir des
créanciers & débiteurs du ſieur J. M. P. avec intérêts
, à compter ſeulement du jour que les héritiers
ont articulé la nullité du teſtament , réſultante du
Jugement rendu contre ledit J. M. P. , en retenant
néanmoins les frais & avances que B. juſtifieroit
avoir faites pour le recouvrement de cette ſucceffion,
dépens compensés.
Le reste de cette feuille eſt conſacré à la Cauſe
de MM. de Monteſquiou , dont nous avons déja
rendu compte.
ERRATA. Au Nº. 35 , p. 227 , lig. 6 , M. Chevalier
d'Aunay , ajoutez , Procureur à la Chambre des Comptes.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13 SEPTEMBRE 1783
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
LE PUBLIC ET LE GLOBE TERRESTRE ,
Dialoguefur le Tremblement d. Terre qui
'estfaitfentir en Bourgogne,
GLOBE
LE PUBLIC.
LOBE jadis obſcur que Buffon fit connoître ,
Aqui Buffon ſembla donner un nouvel être ,
Tandis que de ſon mal vainement tourmenté ,
Paiſible en ſon fauteuil que la gloire environne,
Au flambeau du génie & de la vérité ,
Ce ſecond créateur t'achève & te façonne ,
Tu manques ſous ſes pas , & ta témérité
Ébranle ſans égards ſon fauteuil reſpecté.
LE GLOBE.
Oui, fans doute , à l'aſpect de ce Sage vanté,
Le fluide électrique en mes veines bouillonne ,
N°. 37 , 13 Septembre 1783. C
50
MERCURE
Juſqu'à mon point central je me ſens agité :
Tel un courfier fougueux frémit , tremble , friſſonne
J
Sous l'écuyer qui l'a dompté.
L'ABSENCE.
EUNE époux de la terre , aimable & doux printems ,
On dit votre ſaiſon chérie
Des Poëtes & des Amans ;
Cependant, enivré d'amour , de poéfie ,
Votre retour m'annonce des tourmens.
Vous ranimez les coeurs , mais mon âme eſt flétrie ,
Puiſque vous rappelez Glycère dans les champs.
Elle fuit , tout me quitte; inquier , folitaire ,
Sur ſes traces ma voix en gémiſſant ſe perd....
J'abandonne ces lieux où la foule légère
Du plaifir inconſtant carefſe la chimère ,
Et pour moi ſon abſence en a fait un déſert.
Ces jardins odorans , ces brillantes allées ,
Où des airs rafraîchis cent beautés raſſemblées
Viennent goûter le calme & la ſérénité ,
Ne ſont pour moi qu'une bruyante ſcène ,
Où pour rêver en liberté
- J'attends que la nuit ramène
Le filence & l'obscurité.
O maGlycère ! ô toi dont le ſourire
Verſoit plus qu'un beau jour le calme dans mon coeur !
Etre divin , pour qui ſeul je reſpire , :
DE FRANCE.
SI
Et néceſſaire à mon bonheur :
Nulle Belle aujourd'hui ne peut plus me ſéduire ;
J'abjure pour jamais ces paſſions d'un jour ,
Et ces voeux arrachés par la coquetterie ,
Et ces hommages vains que la galanterie
Uſurpe ſouvent ſur l'amour :
Qui n'aime pas a le temps d'être aimable;
Pour moi , que la langueur accable ,
La centrainte me ſuit, le filence me plaît ,
Et pour moi dans tous lieux le rire eſt indiſcret.
J'ai viſité , Glycère , ces demeures
Où près de toi j'ai vu ſouvent les heures
Paffer comme un inſtant ;
Tu manquois à ces jeux où ſe plaît l'innocence ;
Et je n'ai vû dans un cercle charmant
Que l'objet adoré dont je pleure l'abſence.
Je veux quitter ces murs privés de tes appas,
Pour viſiter ta retraite chérie ;
Oui , je ſuis étranger où Glycère n'eſt pas ,
Et ſademeure eſt ma patrie.
Mais ſi j'étois trompé par des ſonges fi doux,
S'il étoit vrai que Glycère m'oublie ,
J'aime encor mieux mourir à ſes genoux
Que paffer loin d'elle ma vie.
(Par M. Martin de Choify.)
:
Cij
52
MERCURE
LE BON CONSEIL , Conte.
L'AUTRE jour je diſois au cauftique Damon :
Je ſuis bien las d'être célibataire ;
J'aime à cauſer , ſur-tost dans la froide ſaiſon ,
Et le ſoir très - ſouvent je languis ſolitaire.
Senſible , & dans l'âge de plaire ,
Je ne me plains pas fans raiſon .
DAMON me répondit : je vais à votre guiſe
En bon ani vous inſtaller ;
Dès demain épouſez la coquette Florife ,
Vous trouverez à qui parler.
( Par M.le Comte de Rofières , Officieros
Régiment d'Aunis. )
A UN NOVICE AU COUVENT DE ***.
0
τοι, dont l'eſprit & le coeur
Firent le charme de ma vie !
Toi qui m'appris l'art ſéducteur
Que t'avoit inſpiré Sylvie ,
Artdont le preſtige flatteur
Joint la peinture à l'harmonie ;
Jeune Linus , Sylphe enchanteur,
Sur lesbords fleuris du Permeſſe ,
Quand tu fais te déſaltérer ,
DE 53
FRANCE.
7
Du froid poiſon de la triſteſſe
Pourquoi fans ceſſe t'enivrer ?
Pareil à la naiſſante aurore ,
Qui , perçant le voile des airs ,
De ſes rais embellit & dore
La terre , les cieux & les mers;
Ton génie empreint dans tes vers
A chaque inſtant peut faire éclore
Des fleurs & des parfums divers ;
Au feu brillant de ſes éclairs
Tout s'anime , tout ſe colore ;
Les dons de Zéphyre & de Flore
Émaillent les gazons plus verds ;
Ton pinceau magique décore
Juſqu'au front glacé des hivers ;
Et le plus féduiſant phoſphore
Entoure ce triſte Univers.
Du ſombre ennui qui te dévore ,
Si tu veux chaſſer les horreurs ,
Retourne au Pinde , & monte encore
Sur le char des douces erreurs .
Vole aux bocages de Cithère ;
Et là, couronne tes cheveux
D'une guirlande imaginaire.
Malgré le cilice & la haire ,
Va , tu ſeras encore heureux.
Sur l'aîle agile des menſonges ,
Fuis l'impreſſion du malheur ;
Ciij
$4 MERCURE
Il eſt réel , & le bonheur
N'exiſte, hélas ! que dans nos ſonges.
( Par M. Sylva. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Palais ; celui du
Logogryphe eſt Grimace , où l'on trouve
Égra, Riga , Caire , ami , cri , garce, aimer ,
Icare , S. Remi , merci , ire , geai , ré , mi ,
ager; magie , Maire , raie , cage , air , ma
craie , maigre.
CHARADE.
AIR : O ma tendre Musette.
DÉBUT ÉBUTER par un crime ,
N'eſt pas avantageux ;
Pour gagner votre eſtime ,
Le trait n'eſt pas heureux ;
Sidu libertinage
Mon premier eft le fruit ;
Mon ſecond eſt du ſage
Le véritable eſprit.
Mon tout eſt d'un grand Homme
Le nom cher & fameux ;
DE FRANCE. 55
Des Pontifes de Rome ,
Cenſeur trop rigoureux ,
Il écrivit l'hiſtoire ,
Il chanta les Héros ,
Et jouit de ſa gloire
En dépit des Cagots.
(Par M. Pinault , Subdélégué à Roſay en Brie ,
Juge du Comté d'Armainvilliers. )
LE
ÉNIGME.
E décès de mon père a produit ma naiſſance ;
Ilm'engendre; en naiſſant je lui donne la mort ;
Mon apparition à peine à l'exiſtence ,
Et mon fils , qui me tue , éprouve même ſort.
J
( Par un Songeur.)
LOGOGRYPH Ε.
E fuis plus vite & plus légère
Que le vaiſſean voguant ſur l'onde amère.
Je vole au haut des cieux ; je deſcends aux enfers;
Je puis te tranſporter au bout de l'Univers.
Souvent auſſi quelle métamorphoſe !
Je rampe humble & timide à côté de la roſe.
De mes fix pieds , Lecteur , ſi tu prends la moitié,
Tatrouveras le nom du Sage
Qui fit régner la paix & l'amitié
Civ
56 MERCURE
Dans un hémisphère ſauvage;
En moi tu vois encore un Héros Phrygien ;
Puis une plante utile à l'art de Galien.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VIE de Michel-Ange Buonarroti , Peintre ,
Sculpteur & Architecte de Florence , par
M. l'Abbé Hauchecorne. Prix , 2 liv. 8 f.
A Paris , chez L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue des Grands Auguftins,
LE but & le réſultat de l'Hiſtoire ne font
que l'inſtruction des vivans ; ce n'eſt que
pour préſenter aux vivans de grands modèles
à ſuivre , qu'on loue les grands Hommes
après leur mort. En effet , ces morts
que nous célébrons , ne jouiffent point de
nos louanges ; la gloire qu'on leur décerne
n'existe pas pour eux , puiſqu'ils n'exiftent
plus eux- mêmes. Mais que cet acte de juſtice
eſt doux à exercer ! Qu'il eſt noble dans fon
principe , & utile dans ſes effets ! Combien
de belles actions , combien d'ouvrages , de
monumens immortels , ſont dûs à l'eſpoir
de cette gloire , toute chimérique qu'elle
eft! Cet eſpoir d'obtenir une célébrité dont
on ne jouira pas , eſt une jouiſſance réelle
pour l'homme qui y prétend ; c'eſt un ſalaire
qu'il recueille d'avance ; il jouit de l'eſtime
DE FRANCE.
57
de la poſtérité , comme on jouit du pallé
par le ſouvenir. Si l'eſpérance de vivre après
ſa mort eſt une illufion , une idée contradictoire
, c'eſt au moins une illufion au
douce que profitable ; c'eſt le foyer des vertus
&des talens. Cette douce chimère a tant de
charmes pour nous , que notre imagination ,
ſoigneuſe de nos plaiſirs , cherche quelquefois
à la réaliſer. Avec quelle fatisfaction
ne ſe figure t'on pas les morts célèbres , jouifſans
des tributs que l'on paye à leur mémoire
! Souvent l'envie a cherché de leur
vivant à obſcurcir leur gloire & a leur dérober
le prix de leurs travaux ; c'eſt une idée
confolante de les rendre témoins d'un triomphe
tardif , mais peu ſuſpect ; de croire que
le cri de notre admiration retentit encore à
leurs oreilles , & que leurs mânes , préfens
quoique inviſibles , ſont conſolés par nos
hommages.
Parmi ceux qui auroient à ſe louer d'entendre
le langage de la poſtérité , on comptera
ſans doute Michel Ange Buonarroti ,
dont M. l'Abbé Hauchecorne vient de publier
l'Hiſtoire. Il eſt difficile de raſſembler
des titres plus nombreux & plus réels à l'admiration
des hommes. Cette vie eſt une
Traduction libre de celle qu'avoit écrite en
Italien le Condivi , Élève de Michel- Ange ,
rémoin & confident de ſon maître. M.
l'Abbé Hauchecorne a fait entrer dans
cette Hiſtoire quelques digreſſions fur les
grands Hommes qui ont été les protes
Cv
$8 MERCURE
teurs & les amis de Michel Ange , & fur
les divers événemens dont l'Italie étoit alors
le Théâtre. Nous allons entrer dans quelques
details ſur la vie & les ouvrages de cet homme
célèbre , qui a mérité tous les éloges de
fon Hiftorien , quoique ce dernier ſemble
les lui avoir prodigués .
Avant de commencer ſon Hiftoire , il
fait voir ce que les Arts étoient alors en Italie
; & ce tableau devient ſeul un pompeux
éloge de fon Héros , en rappelant le point
d'où il eſt parti . Rome , tant de fois prife ,
ſaccagée , détruite enfin , étoit tombée toutà
la fois fous le joug de ſes vainqueurs &
dans les ténèbres de l'ignorance. Le génie
desArts enfeveli avec fes triſtes ruines, dormoit
fur les débrisdes monumens qui avoient
embelli cette Capitale du monde , & qui
auroient ſuffi pour l'immortaliſer. Il y avoit
encore des Peintres , des Architectes & des
Sculpteurs; mais ils étoient tous inſpirés &
dirigés par le mauvais goût , tyran plus difficile
à détruire que l'ignorance. Quelquesuns
cependant eſſayèrent de le chaffer
du beau ciel de l'Italie ; mais il ſemble que
la renaiſſance des Arts ſoit toujours foumiſe
à la condition de paſſer de nouveau par
les divers âges de la vie ; avant de recouvrer
leur maturité , ils doivent languir encore
dans la débilité de l'enfance. La Sculpture
& l'Architecture furent les premières à ſe
ranimer ; Léonard de Vinci , célèbre par
l'univerſalité de ſes talens, redonna à la PeinDE
FRANCE.
ال
ture une veritable illuſtration ; en un mot ,
les prédéceſſeurs & les rivaux de Michel-
Ange , n'avoient point, malgré leurs ſuccès
emporté la palme de leur Art ; mais ils
avoient appris à leurs contemporains à en
connoître les beautés ; ils avoient préparé à
Michel Ange des juges dignes d'apprécier
les productions de fon génie.
Les premiers pas de ce grand Homine
furent des triomphes. Jamais talent ne ſe
montra d'une manière plus précoce ni plus
brillante. Nous ne dirons point , d'après
deux Hiſtoriens , le Condivi & le Savari, qui
avoient, comme tant d'autres , du goût pour
les prodiges , nous ne dirons point que les
aftres à ſa naiſſance s'expliquèrent par des
fignes miraculeux; les véritables prodiges qui
devoient immortaliſer Michel - Ange , c'étoient
les créations de ſon talent. Nous ne
nous arrêterons pas non plus à la nobleffe
de fon origine , * afin d'arriver plus vîte à
fon illustration perſonnelle. Dès ſon basâge
, entraîné par la voix impérieuſe de ſon
génie , il alloit deſſinant par tout; ce qui
alarma ſes nobles parens; ils craignoient que
leur fils n'acquît dans cet Art- là affez de
gloire pour déshonorer leur Maiſon. On
* « Michel - Arge , dit ſon nouvel Hiſtorien ,
>> tiroit fon origine des Comtes de Canoffe , Famille
>> du territoite de Reggio , noble & illuftre , tant
>> par fon propre mérite que par ſon alliance avec
>> le Sang Impérial.
Cvj
60 MERCURE
crut devoir oppoſer à ce penchant les confeils
, les réprimandes , les châtimens même ;
mais il eſt plus facile de perfecuter le genie
que de le changer ; & Michel-Ange ne quitta
un moment le crayon que pour prendre le
pinceau.
On ne lit preſque jamais la vie d'un grand
Homme , foit dans les Lettres , ſoit dans les
Arts , fans avoir à s'indigner contre d'aveugles
parens qui ont contrarié ſon premier
effor. Ce mouvement d'indignation eſt naturel
ſans doute à l'enthouſiaſme des talens ;
mais ces pères font- ils ſans excuſe aux yeux
de la raiſon ? Dans la poſition où nous fommes
, nous ne voyons qu'un grand Homme
perfécuté par eux , tandis qu'ils ne contrarioient
qu'un enfant indocile. Parmi deux
cent perſonnes qui s'élancent dans la carrière
du génie , à peine un ſeul arrive au but , les
autres paffent leur vie entre le mépris &
l'obſcurité ; un faux penchant pour les Lettres
& pour les Arts a ſouvent le caractère ,
l'opiniâtreté du véritable génie. Dans ce dédale
effrayant , quel préſage affez sûr peut
raffurer le coeur d'un père ? N'eſt il pas naturel
que la crainte d'avoir un fils malheureux
l'emporte fur l'eſpoir d'une gloire fi
incertaine ? D'après cela , pardonnons à
l'amour paternel des inquiétudes , même tyranniques
, comme nous pardonnons au génie
de s'indigner des obſtacles qu'on lui
oppoſe.
Parmi les coups d'eſſai qui ſignalèrent le
DE FRANCE 61
pinceau de Michel-Ange , on peut compter
une tête qu'on lui donna à copier. Il en fit
une copie ſi parfaite , que Dominique de
Ghirlandaio, ſon Maître, qui étoit un Peintre
eſtimé , la prit pour l'original.
Vers le même temps , il fit quelque choſe
de plus étonnant encore ; il entreprit ſans
conſeil & fans guide , un grand tableau qui
repréſentoit Dominique peignant à freſque ,
avec quelques Allemands. Il avoit mis dans
ce tableau les Élèves de Dominique avec
l'attitude & les habits qu'il leur avoit vús.
Cette peinture étoit ſi belle , que Dominique
ne put s'empêcher de s'écrier qu'il
étoit vaincu ; & Michel - Ange avoit alors
treize ans.
La Nature n'avoit pas borné le talent de
Michel - Ange à l'Art de la Peinture ; une
ftatue de Faune , qu'il fit dans les jardins de
Laurent de Médicis , lui valut la protection
& l'amitié de ce célèbre bienfaiteur des
Muſes & des Arts , qui le logea dans fon
palais. Une mort trop prompte enleva Laurent
; & Michel-Ange , frappé de la douleur
la plus profonde , ſe retira dans la maiſon
paternelle , où le chagrin ſuſpendit l'effor de
ſon génie ; la reconnoiſſance put ſeule le réveiller;
il prit le ciſeau pour repréſenter fon
illuftre ami ſous les traits d'Hercule.
Pendant qu'il s'occupoit de ce nouveau
travail , il tomba une étonnante quantité de
neige. Pierre de Médicis , fils aîné& fuccefſeur
de Laurent , eut envie d'en faire faire
62 MERCURE
une ſtatue dans la cour de ſon palais , & ce
futpour le charger de ce digne monument
qu'il ſe reſſouvint de Michel Ange. Étrange
deftinée du génie ! le père de Michel- Ange
le traitoit de Tailleur de Pierres , & fon
Mécène l'occupoit à des ſtatues de neige !
Ajoutons un trait , pour conſoler , s'il ſe
peut , par l'exemple , les talens qu'on humilie.
Ce même Pierre de Médicis ſe vantoit
d'avoir chez lui deux hommes rares :
Michel- Ange & un Valet-de pied qui égaloit
à la courſe le cheval le plus agile.
A l'âge de ving-neuf ans, Michel- Ange
fut appelé à Rome par Jules II , qui voulut
ſe faire ériger un tombeau. Ce Pape avoit
pour lui tant d'eftime & d'amitié , qu'il fit
faire exprès un pont levis qui alloit de la
galerie à ſon attelier , pour aller le voir travailler
ou pour cauſer avec lui. Les honneurs
qu'on rendoit à Michel-Ange , armè--
rent contre lui plufieurs envieux , & notamment
le Bramante , qui étoit auſſi dans les
bonnes grâces de Jules. Cet Artiſte , jaloux
& de mauvaiſe foi, parvint à perfuader au
Pape que c'étoit un ſoin de mauvais augure
que de s'occuper de ſon tombeau ; ce qui le
refroidit d'abord ſur ſon projet . Bientôt
même il parvint à l'indiſpoſer contre Michel-
Ange. Ce dernier s'étant préſenté chez Jules
pour lui demander de quoi payer des mar
bres qu'il venoit de recevoir , on lui dit que
Sa Sainteté étoit occupée. Il revint une autre
fois ; mais comme il entroit dans l'anti-
-
DE FRANCE. 63
chambre , un Domeſtique l'arrêta , en lui
diſant : excusez - moi , j'ai ordre de ne pas
vous laiſſfer entrer. Un Évêque qui etoit
préſent , lui dit avec humeur : Est - ce
que tu ne fais pas quel est cet homme là ?
Pardonnez moi ,reprit le Domestique , mais
j'exécute les ordres de mon Maître. Eh bien ,
s'écria Michel-Ange avec indignation , dites
au Pape que s'il veut me trouver , il me cherche
ailleurs. En effet, il prit fur le champ la
pofte , & partit pour Florence .
C'eſt là qu'il fit ce fameux carton de la
Salle du Confeil , qui devint une étude pour
tous ceux qui ſe conſacrèrent à la Peinture.
Cependant Jules , qui vouloit le ravoir ,
avoit écrit deux fois à Florence ; & par une
troiſième lettre à la Seigneurie , il mena
çoit d'y porter la guerre ſi l'on ne lui rendoit
Michel Ange. Enfin celui ei ſe décida à s'aller
remettre dans ſes mains. Le Pape le reçut
d'abord d'un front courroucé. Michel Ange
à ſes genoux , s'excuſoit fur le depit qu'il
avoit eu de ſe voir chaffé ; & le Pape , d'un
air troublé , tenoit la tête baiffee ſans lui
répondre. Un Évêque , qui vouloit jouer le
rôle de médiateur , dit à Jules : Que votre
Sainteté lui pardonne ; c'est par ignorance
qu'il apéché;& c'est ainſi que tous ces Peintres
fontfaits. Jules rougit de voir Michel Ange
fi platement excuſe; il ſe retourne vers le
Prélat , & lui dit d'un ton terrible : Vous lui
dites des injures , & je ne luien dis pas , moi.
C'est vous qui êtes un ignorant. Sortez. Jules
64 MERCURE
ayant ainfi épuiſe ſa colère ſur l'Évêque ,
pardonna à Michel Ange , cauſa familière.
ment avec lui ; & quelque temps après , il le
chargea de jeter en fonte ſa ſtatue plus grande
que nature, pour la placer ſur le frontiſpice de
l'Égliſe de Saint Perrone à Bologne. Michel-
Ange en ayant fait le modèle en terre , & ne
ſachant que lui mettre dans la main gauche ,
demanda au Pape s'il vouloit qu'il lui fit
tenir un livre. Un livre , répliqua le Saint
Père ? Une épée ; je la ſais mieux manier.
Cette ſtatue fut exécutée; mais elle fut brifée
enfuite par le peuple, quand les Bentivogli
rentrèrent dans Bologne. Alphonse d'Eſt ,
Duc de Ferrare , en acheta la matière. Il en
fit faire une pièce d'artillerie , qu'il appela
la Julienne , & il garda la tête dans ſon cabinet.
Le détail de tous les Ouvrages de Michel-
Ange nous meneroit trop loin ; nous renvoyons
à l'Ouvrage même pour la liſte &
la deſcription de ſes productions immortelles:
nous nous contenterons de rappeler
ici qu'il excella dans la Peinture , dans la
Sculpture & dans l'Architecture. Comme
Peintre , il eut plus d'énergie que Raphaël ,
mais moins de goûts plus de hardiefle , mais
moins de pureté. L'Abbé du Bos l'appelle
le Corneille de la Peinture , comme Raphaël
en eſt le Racine ; il négligea les grâces du
coloris ; mais il étonne par la hardieffe , la
richeſſe de ſon pinceau, & la grandeur de ſes
idées. Comme Sculpteur , Michel- Ange alla
-
DE FRANCE. 65
encore plus loin. Ce qu'il y a de plus remarquable
, c'eſt que ſon ciſeau n'avoit
point cette dureté qu'on reproche ſouvent
à fon pinceau. Cette main , comme
>> dit ſon Historien , qui quelquefois fut
>> dure , tranchante & trop hardie quand
ود
وہ
elle manioit le pinceau , fit éclore ſous le
ciſeau des formes douces & coulantes, des
>>> contours moëlleuſement arrondis. » Mais
c'eſt ſur- tout comme Architecte qu'il furpaſſa
tous ſes rivaux anciens & modernes ,
qu'il recula même les bornes de fon Art.
Une foule d'Ouvrages en ce genre , qui furent
les délaſſemens de ſa vieilleſſe , notamment
Saint Pierrede Rome, atteſtent auxyeux
des connoiffeurs ſon étonnante ſupériorité.
On a vu Michel - Ange enfanter des prodiges
dès ſon bas âge ; il conſerva fon génie
créateur juſques dans une extrême vieilleſſe ;
car il travailla juſqu'à ſa mort , & il a vécu
go ans. La carrière du génie ſembla ſe pro-
Jonger pour lui. La Nature voulut lui faire
les honneurs d'un prodige; elle avança pour
lui l'époque de ſa fécondité , & elle en recula
les limites.
Il faut lire dans l'Ouvrage même la defcription
de ſes obsèques , célébrées à Florencepar
l'Académie de Peinture , Sculpture
& Architecture. Ces obsèques furent dignes
de lui. Le luxe & l'or n'y furent point prodigués
; on jugea que c'étoit aux Arts ſeuls
a célébrer celui qui en avoit fait revivre toute
la ſplendeur ; que le génie , en un mot , de
66
1
MERCURE
voit honorer le génie ;& des chef d'oeuvres
de Sculpture & de Peinture , enfantés rapidement,
furent le ſeul luxe de ces funérailles.
Michel - Ange fut auſſi eſtimable par ſes
qualités perſonnelles que par ſon talent ; la
fierté de ſon âme répondoit à celle de fon
génie. Il eut des protecteurs , dont il n'acheta
jamais les bounes grâces par des bafſſeſſes.
Il répondoit aux bienfaits par le zèle le plus
empreſſe; mais il repouffoit l'injustice ou
l'orgueil par la fierté la plus courageuſe. On
a dejà vu comment, pour ſe venger de l'affront
qui lui fut fait chez le Pape Jules II ,
il partit fur le champ de Rome pour ſe retirer
à Florence. Paul III , fucceffeur de Clément
VII , ayant voulu qu'il achevât le jugement
dernier qu'il avoit commencé pour la
Chapelle Sixte , defira y faire mettre ſes armes.
Il en pria Michel- Ange , qui eut le
courage de le refufer; il lui répondit que
l'ouvrage ayant été propoſé parClément VII,
c'étoit à lui ſeul que l'honneur en étoit dû.
Paul III fut affez grand pour lui ſavoir gré
de ſa franchiſe ; & il ne vit qu'avec plus de
reſpect celui qu'il avoit toujours regardé
avec admiration. Une autre fois , Paul IV
trouvant des nudités indécentes dans ſon jugement
dernier , lui fit dire de le corriger.
Dites au Pape , répondit Michel- Ange , que
ce qui le bleſſe n'est qu'une misère que l'on
peut aisément réparer ; qu'il change lemonde,
enfuite on changera les peintures.
DE FRANCE. 67
Quand on a vû le génie ſe montrer fier &
courageux , quel plaiſir de le trouver ſenſible
! c'eſt ce qui arrive en lifant l'Hiftoire de
Michel- Ange. Un de ſes amis , qui connoiffoit
ſa ſenſibilité , ayant appris qu'il avoit
perdu un Domeſtique qu'il aimoit , lui écrivit
pour le conſoler. Voici la réponſe qu'il
reçut de Michel-Ange.
ود
"
• Meffire Georges , mon ami , je ne puis
que vous écrire mal ; cependant il faut
que je vous réponde. Vous ſavez comment
Urbin eft mort; c'eſt pour moi une
>> grande faveur de Dieu & en même temps
» un grand malheur. La faveur eſt que cet
honnête homme , qui avoit ſoin de moi
» pendant ſa vie , en mourant m'a non-
>> ſeulement appris à mourir , mais même à
ود
"
ود
ود
defirer la mort. Il a été vingt- fix ans avec
moi : c'étoit un Domestique fidèle & rare;
&après l'avoir enrichi , lorſque je croyois
>> trouver en lui le ſoutien & l'appui de ma
vieilleſſe , je le perds , & n'ai plus d'autre
>> eſpérance de le revoir que dans l'autre vie.
J'ai un gage de ſon bonheur dans la ma
nière dont il eſt mort. Ce qui l'affligeoit ,
>> ce n'étoit pas de ceſſer de vivre; mais de
>> me laiſſer dans les infumités au milieu
"
"
"
ود
وہ
d'un monde méchant & trompeur. Il eſt
vrai que la majeure partie de moi même
l'a déjà ſuivi , & tout ce qui me reſte n'eſt
>> plus que misère & que peines. Je me re
> commande à vous . »
On ne voit point dans cette réponſe une
68 MERCURE
douleur étudiée ; le ſentiment en eſt auſl
vrai que l'expreſſion en eſt ſimple & naturelle.
Cet Urbin qu'il regrette , avoit éré
comblé de ſes bienfaits. Urbin , lui dit - il
un jour ,fi je venois à mourir queferois tu ?
J'en fervirois un autre, répondit Urbin. O
mon pauvre ami , reprit Michel - Ange ,
je veux t'empêcher d'être malheureux. Et en
une ſeule fois il lui fit préſent de deux mille
écus.
Ce trait n'a pas empêché qu'on n'accusat
Michel- Ange d'avarice ; tant il est vrai que
l'envie , quand elle n'a pu obſcurcir la gloire
d'un homme de génie , tâche de ſe conſoler
en calomniant ſes moeurs ! Ce Michel Ange ,
qu'on accuſoit d'avarice , donnoit à fon Domeſtique
deux mille écus , de temps en
temps dix ou douze mille livres à fon neveu
Léonard Buonarroti ; il faiſoit préſent
d'Ouvrages qu'il auroit pû vendre fort cher ;
foutenoit par ſes bienfaits des jeunes gens
pauvres qui entroient dans la carrière des
Lettres & des Arts ; il fit des aumônes con
Gdérables; il maria & dota pluſieurs jeunes
fillesfaus fortune.
Si Michel- Ange eut des ennemis , s'il effaya
des perfécutions , les honneurs qu'il
reçut étoient bien faits pour le conſoler. Il
eut moins pour protecteurs que pour amis ,
Laurent de Médicis ; Jules II , qui , malgré
ſes emportemens , l'aimoit & l'eftimoit fi
fort , qu'il alloit déclarer la guerre à Florence
pour le ravoir ; Léon X & Clément
DE FRANCE. 69
VII; Paul III , & Jules III qui auroit , dit-il ,
donné de ſon ſang pour prolonger la vie de
ce grand Homme. Tous les Princes & Souverains
de l'Europe lui firent les propofitions
les plus honorables & les plus avantageuſes;
il vécut familièrement avec les Cardinaux
Hypolite de Médicis , Polo , Farneze
, Ridolphi , Maffei , Bembo , Carpi ,
Idolo , Crifpi , & une foule d'autres Prélats.
Le Cardinal Hypolite l'eſtimoit
qu'ayant appris qu'il aimoit à voir un beau
cheval Turc qu'il avoit dans ſes écuries , il
le lui envoya avec dix mulets chargés de grain .
tant ,
Tels ont été les talens & la gloire de cet
homme étonnant. On lira ſon Hiftoire avec
plaifir. L'Auteur n'a pas encore ce qu'on
appelle un ſtyle fait; mais il eſt digne de
parler des Arts , & d'être l'Hiftorien de
Michel- Ange.
( Cet Article est de M. Imbert. )
TABLE Chronologique des Diplômes ,
Chartres , Livres & Actes imprimés concernant
l'Histoire de France , par M. de
Bréquigny , de l'Académie Françoiſe &
de celle des Inſcriptions &Beiles- Lettres ,
& M. Mouchet , Adjoint à ce travail.
3 Vol. in folio . A Paris , de l'Imprimerie
Royale , & ſe vend, ainſi que les deux
premiers Vol . , chez Viſſe , rue de la
Harpe. Prix , 21 liv . le Vol.
:
La vérité des faits , ſans laquelle il n'y a
70
MERCURE
د
point d'hiſtoire , ne peut être établie que
fur les monumens authentiques qui font parvenus
juſqu'à nous. La difficulté d'avoir recours
aux Diplômes aux Chartres aux
Actes de toute eſpèce , épars dans une multitude
immenſe de dépôts , n'a laiffé longtemps
à nos Hiſtoriens d'autres ſources que
des Chroniques pleines d'inexactitude , de
partialité & d'erreurs. Ce n'eſt que lorſque
Catel joignit en 1623 , à fon Hiftoire des
Comtes de Toulouſe, lesPièces ſur leſquelles
il avoit travaillé , qu'on ſentit la néceſſité
d'avoir un fonds de matériaux hiſtoriques
rangés ſelon l'ordre des temps, avec lequel
ceux qui voudroient s'occuper de l'Hiſtoire ,
pourroient avancer sûrement dans les recherches
qu'elle exige. L'Angleterre nous
préſenta bientôt ce Recueil précieux ; & la
vaſte Collection des Actes de Rymer produiſit
l'Hiftoire de Rapin Thoyras , qui n'auroit
pu paroître ſans elle. Baluze nous donna
les Capitulaires de nos Rois des deux premières
races ; Louis XIV ordonna de rafſembler
celles de la troisième, & il en parut
un eſpèce d'eſſai , ou catalogue affez informe
; en 1723 , on publia le premier volume
des Ordonnances ; & en même temps la
Collection généraledes Hiſtoriens de France,
imaginée par Pithou , continuée par Duchefne
, fut confiée aux Religieux de la Congrégation
de S. Maur. Les Chartres , les Diplômes
particuliers avoient été exclus du
planqu'ons'étoit propoſé de remplir; ils pouDE
FRANCE. 71
voient former pluſieurs volumes. C'eſt alors
que MM. Secouffe , de Foncemagne & de
Sainte Palaye qui s'étoient livres à l'étude de
notre Hiftoire , formèrent le projet de faciliter
la connoiſſance &l'uſage de cette quantité
de Pièces qui l'intéreſſent , & qui font
comme égarées dans un grand nombre de
volumes ; ils ſe livrèrent à un travail auffi
ingrat que peu apprécié. M. de Bréquigny ,
lie avec eux par une eſtime réciproque , &
par le même goût d'occupation , s'affocia à
leurs recherches , & publia , en 1769 , le
premier volume de la Table Chronologique,
qui fut reçu comme il le meritoit , &
qu'on regarda comme un ſupplément utile à
la Bibliothèque Hiſtorique du Père le Long ,
perfectionnée par M. de Fontenelle. L'une
eſtun Catalogue exact de tous les Ouvrages
qui traitentde notre Hiſtoire; l'autre eſt une
indication complette des Actes connus qui.
doivent en être les fondemens ; Hiftoire
Eccléſiaſtique , politique , civile , diplômes ,
actes tirés des archives publiques , des chartriers
des Égliſes , des Monastères , des maifons
particulières , conſtitutions , pactes ,
lettres , fragmens , &c. tout ce qui peut répandre
quelque lumière ſur notre Hiſtoire
n'a pas été oublié. Ce n'eſt cependant pas une
notice critique & raisonnée que M. de Bréquignya
voulu donner, mais unſimple catalogue
de Chartres : il a voulu indiquer & nonjuger.
Mais il n'y a aucune de ces Pièces qui n'ait
quelque rapport , ſoit aux parties effentielles
72 MERCURE
de l'Hiſtoire Générale , à la Géographie , à la
Chronologie , aux Généalogies , ſoit aux
parties les plus importantes de l'Histoire particulière
, aux loix , aux uſages , aux moeurs
de nos ancêtres .
Le ſecond volume de cet utile Ouvrage
parut en 1775 ; il contenoit les titres de fix
mille Pièces , & comprenoit les règnes de
Henri I, Philippe I & Louis VI. Le troiſième
volume qui vient de paroître ne renferme
que le règne de Louis VII , parce que les
Actes ſe multiplient lorſqu'on ſe rapproche
des fiècles mieux connus. C'eſt à cette époque
très - remarquable de notre Hiſtoire , qui
mériteroit d'être obſervée par un Écrivain
Philoſophe , que les communes furent établies
, l'état des perſonnes fixé , que nos Rois
reſaiſirent le pouvoir , & les François la
liberté. C'eſt ſous Louis VII que les armoiries
furentmiſes en uſage,que les Officiaux furent
inftitués , que les Écoles furent multipliées
dans les Égliſes & dans les Monastères ; on
y enſeignoit les Sciences & les Lettres ; mais
quelles Sciences ? Les Eccléſiaſtiques étudièrent
le Latin , & les Religieuſes mêmes furent
obligées de l'apprendre pour entendre
les Prières qu'elles récitoient. Cette inſtitution
fut obſervéejuſqu'au quatorzième ſiècle ,
& devroit l'être encore. La langue nationale
ne fut point négligée ; & S. Bernard s'en fervit
avec ſuccès dans ſes Sermons , dont on
peat voir le manufcrit à la Bibliothèque des.
Feuillans. Cependant les fillons de l'ignoranco
DE FRANCE.
73
rance , & des faufles opinions qu'elle entraîne
, étoient trop profonds pour pouvoir
êrre effacés par les premières connoillances;
on ajoutoit toujours foi aux pretendus Livres
des Sybilles; Suger croyoit aux Prophéties
de Merlin , & les ſuperftiticuſes & inutiles
épreuves du fer chaud, du duel , &c .
ſubiſtoient toujours ; c'eſt même ſous ce
règue qu'on place l'origine de nos Almanachs
à pronoſtics , dont l'uſage qui fubfiſte
encore , à la honte de notre fiècle ,
ne ſert qu'à entretenir l'imbécille crédulité
du peuple.
On voit quelle eſt l'étendue du travail de
M. de Bréquigny; quelles font les nombreuſes
recherches qu'il a été obligé de faire ,
les immenfes lectures auxquelles il a fallu ſe
livrer , les difficultés minutieuſes qu'il a rencontrées
, & les reſſources infanies qu'il
offre à ceux qui ſe dévoueront à l'étude de
'Hiftoire.
EXAMEN de la Question : Si les Infcriptions
des Monumens publics doivent être
en langue Nationale ? A Amſterdain , &
ſe trouve à Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés,
ON ſe ſouvient d'avoir vû dans le Journal
de Paris cette queſtion difcutée à plufieurs
repriſes. M. Roucher , qui avoit déjà prouvé
qu'à la connoiffance de la langue françoiſe ,
il joignoit le talent de la faire patler en beaux
N°. 37, 13 Septembre 1783 . D
74 MERCURE
vers , a voulu prouver qu'on devoit l'employer
pour les inferiptions des monumens
publics; & un adverſaire , qui n'a fait connoître
que ſon érudition & ſa politeſſe , a
pris la défenſe de la langue Latine. L'Auteur
de la Brochure que nous annonçons ayant
peſé les raiſons des deux partis , ſe déclare
pour M. Roucher ; & les raiſons qu'il oppoſe
en ſa faveur ſont bien propres à fortifier
ſon parti. Après avoir tranſcrit une des
lettres du défenſeur de la langue Latine , il
y répond par quatre queſtions différentes ,
dont l'examen ſert à réfuter les principes
de l'anonyme .
Il examine d'abord fi les langues vivantes
s'altèrent toujours auffi vite que l'anonyme
le prétend. Il trouve deux cauſes d'altération
pour les langues; les causes extérieures
& les causes intérieures. Les extérieures ſont
l'afferviſſement ou les conquêtes d'un peuple,
ſon mêlange avec d'autres peuples , &c.
& celles-là font très-puiſſantes; c'eſt ainſi
qu'ont péri les langues Grecque & Latine.
Les cauſes intérieures proviennent de
l'imperfection de la langue elle-même avant
qu'elle foit formée; & ce danger ſubſiſte
juſqu'à ce que des hommes de génie l'ayent
accommodée à leurs idées , & l'ayent fait
fervir à compoſer des Ouvrages immortels ;
Icette époque ſa durée s'attache à la durée
de la Nation qui la parle , ou du moins ellé
ne ſe dégrade qu'au moment où la barbarie
revient dégrader la Nation elle - même.
1
DE FRANCE.
75
“
33
D'ailleurs , ajoute notre Auteur , fi nos
monumens ſont faits pour la pofterité ,
> nos inſcriptions ſont faites pour nos mo-
>> numens , & ne dureront pas plus qu'eux.
ود Ne diroit-on pas que nous les élevons in-
> deftructibles , &c . ? »
Est-ce par un orgueil déplacé , & parce
que la langue Grecque étoit vivante , que
les Romains n'en faifoient pas ufage dans
leurs inſcriptions ? Voilà la ſeconde queftion
qu'examine l'Auteur de la Brochure. Il
attribue cet ufage des Romains à un noble
orgueil national ; & il forme des regrets fur
ce que nous renonçons à un moyen de réveiller
l'amour patriotique. Nous ne fom-
> mes pas des Romains , dit- il ,& ce ne fera
>> pas par des inſcriptions en langue na-
ود tionale que nous le deviendrons. Je fais
>> que le principal eſt de faire des actions
> dignes d'inſcriptions & de monumens.
Mais puiſque les monuinens ſuppoſene
les actions , quand nous aurons fait quel-
> que choſe de grand , ſervons nous de no-
>> tre langue pour l'écrire. >>
ود
"
NotreAuteur prouve enſuite que le nombre
de ceux qui entendent le Latin , même
parmi ceux qui liſent , n'eſt pas auffi confdérable
que l'imaginent les érudits . D'ailleurs,
il trouve de la barbarie à compter le
peuple pour rien. Il convient que de tous les
moyens d'élever l'âme du peuple, celui de
le mettre à portée de lire nos infcriptions ,
est peut- être le moindre; mais comme il eſt
Dij
96 MERCURE
auſſi le plus facile & le moins ſujet à inconvéniens
, n'eſt ce pas un mal que d'y renoncer
?
Enfin, en quatrième lieu , l'Auteur s'étend
fur la néceſſité de defigurer , quand on les
écrit en Latin , nos noms propres , nos
noms de dignités , d'emplois , &c. étrangers
aux Romains , & qui par conſequent ne peuvent
être exprimés par aucun terme de lear
langue , ou qui du moins ne peuvent l'être
fans donner lieu à de nombreuſes équivoques,
Après avoir diſcuté cette quatrième queftion
, l'Auteur continue ainfi : " Ajoutons à
> toutes ces conſidérations que qui prouve
» trop ne prouve rien. Or , il réſulteroit
>> des raiſons de l'Anonyme , que nous ferions
bien , non- feulement d'inſcrire en
Latin tous nos monumens , mais encore
* d'écrire ainſi tous nos Ouvrages ; car s'ils
font faits pour la poſtérité, ſi nos langues
> ſont changeantes , pourquoi ne pas les
confier à une langue qui ſoit à l'abri de
> toute variation, "
১০
L'Auteur de cette Brochure a défendu la
langue Françoiſe avec eſprit & jugement;
&il eſt difficile de le lire ſans defirer qu'il
ait raiſon, Au fond, l'orgueil national , qu'il
eſt toujours bon d'encourager , parce qu'il
eſt la ſource de bien des vertus , nous paroît
un puiffant motif pour empleyer notre langue
à nos inferiptions publiques; & les inconvéniens
qu'on oppoſe à cet avantage ,
DE FRANCE.
77
ne nous paroiffent pas faits pourle balancer.
Mais comme dans toutes les difcuffions ,
on va preſque toujours au delà , les partiſans
de la langue Françoiſe ont voulu prouver
qu'elle étoit auſſi propre que la Latine au
ſtyle lapidaire , c'eſt à dire , qu'elle avoit la
même préciſion. C'eſt ce qu'on appelle prow
ver trop. Le génie , dit-on , maîtriſe la langue;
& l'on ne defire rien au ſtyle de nos
grands Écrivains. Cela peut- être; mais cela
fait l'éloge de nos grands Écrivains , & non
de la langue qu'ils ont employée; & fi vous
nous prouvez que le génie donne quel piefois
de la préciſion à la langue Françone ,
nous vous prouverons que la langue Latine
en a toujours naturellement & fans effort.
Il ſe peut qu'en prenant une infcription Latine
vous la traduiez avec plus de laconiſme
encore ; mais cela prouvera que vous
avez mieux fait que l'Auteur Latin , fans
prouver que votre langue ſoit meilleure ,
plus laconique que la ſienne .
Il étoit poſſible de justifier les infcriptions
Françoiſes ſans exagérer le mérite
de notre idiome. Les Auteurs qui ont tiré
lemeilleur parti de notre langue ont reconnu
la ſupériorité de celle des Romains ; & il
y a dans cet aveu plus de juftice que de modeftie;
mais qu'on nous laiſſe nous Hatter
que la langue qui a fervi d'organe à leur
génie, peut prétendre à l'immortalité que
les Écrivains du fiècle d'Auguſte ont donnée
la leur. Des révolutions imprévues
Diij
78 MERCURE
peuvent renverſer la nation qui parle François;
mais qu'on nous permette d'eſpérer
que fa langue fera lûe encore lorſqu'elle ceffera
d'être parlée. La ſupériorité d'un idiôme
n'eſt pas la ſeule cauſe qui en prolonge &
en érende l'uſage chez les autres peuples; la
langne Grecque eſt plus belle , plus riche
que la langue Latine , & cette dernière eſt
pourtant bien plus répandue. Enfin , qu'on
ne nous envie point cette douce perfuation ,
que notre langue, conſacrée par tant de chefd'oeuvres
, parviendra , ſoit comme langue
vivante , foit comme langue morte , juſques
dans les fiècles à venir.
VARIÉTÉS.
RÉPONSE de M. GARAT à la Lettre
J
inférée dans le Mercure , Nº. 35 .
E hais les querelles Littéraires , Monfieur , mais
je ne fuis pas fâché d'avoir été l'occafion d'une dif
pure entre des gens du monde qui prennent à laLietérature
ſes lumières , &lui laiſſent ſes haines , ſes
jaloufies , & tout ce qui la déshonore ; & ne ſentezvous
pas , ne dites-vous pas que quelquefois , comme
notre bon La Fontaine , qui n'étoit aſſurément ni
vain ni querelleur ,
La diſpute eft d'un grand ſecours ;
Sans la diſpute , on dormiroit toujours ?
J'entre donc en lice , Monfieur , fans avoir la prétention
de monter ſur un tribunal ; le Public nous
DE FRANCE. 79
jugere ,puiſque votre Lettre nous mettous lesdeux
fous ſes yeux . C'eft en tout genre le juge ſupréme ,
il eſt fâcheux ſeulement que ſes arrêts ſoient ſi difficiles
à recueillir.
Je l'avoue , M. , j'ai dit que de ce que Rouſſeau a
imprimé , il réſalte que dans l'état de nature l'homme
eftfans vertus: & mon affertion,dont le ton vous aparu
ferme , a été pourtant affez modérée. Non- ſeulement
cela réſulte de l'eſprit général du Difcours, mais Rouffeau
le dit expreflément lui-même. Prenez votre exemplaire
, Monfieur , & fuivez , je vous prie , des yeux
le paſſage que je vais tranfcrire. « Il paroît d'abord
» que les hommes dans cet état n'ayant entre- cux
>> aucune relation morale , ni de devoirs connus
> ne pouvoient être ni bons ni méchans , & n'a-
>>> voient ni vices ni vertus . Tout le reſte du paffage
, comme vous devez le voir , fi vous continuez
àle lire, eſt un développement de la même propofition
, & l'affirme avec plus de force encore.
Me fuis -je trompé davantage en aſſurant que
Rouffeau , loin de dire , comme on le croit affez
généralement , que l'homme n'eſt point fait pour la
Société , a dit le contraire ? Ouvrons encore le Dif
cours , Monfieur , & liſons enſemble. Ceci reſſemble
un peu à la fameuſe diſpute fur les cing propoſitions
qui étoient ou n'étoient pas dans Janſénius ; mais
nous ne reſſemblons pas au moins à ces pères qui
ne citoient jamais ce qu'ils trouvoient toujours ; nous
avons plus de courage ou plus de complaiſance l'un
pour l'autre.
<<<Mais quand les difficultés qui environnent toutes
>> ces queſtions , laiſſeroient quelque lieu de diſpute
לכ fur cette différence de l'homme & de l'animal, il
>> y a une autre qualité très-ſpécifique qui les dif-
>>>tirgue , & fur laquelle il ne peut y avoir de con-
>> teſtation ; c'est la faculté de se perfectionner , fa-
ود culté qui , à l'aide des circonstances , développe
DIV
80 MERCURE.
fucceſſivement toutes les autres , & réſide parmi
> nous, tant dans l'eſpèce que dans l'individu ; au
>> lieu qu'un animal eft au bout de quelques mois
>> cequ'il fera toute ſa vie ,&ſon eſpèce au bout de
>> mille ans ce qu'elle étoit la première année de ces
mille ans.
L'individu pourroit avoir la faculté de ſe perfectionner
& n'être pas né pour la Société ; mais cette
faculté , quand elle ſe rencontre dans une eſpèce entière,
ſuppoſe néceſſairement qu'elle eſt ſociable. En
diſant que la nature avoit diftingué l'eſpèce humaine
de toutes les autres , par lafaculté deſeperfectionner ,
Kouffean a donc dit que la nature l'avoit deſtinée à
la Société. Entre ces deux propoſitions , je vois bien
une différence de mots , mais je n'y découvre pas
une autre différence . Obſervez encore , Monfieur ,
comment cette même vérité ſe rétrouve dans les
deux parties du Difcours,& les lie enſemble.Dans la
première , Rouffeau dit que l'eſpèce humaine eſt
perfectible , c'est-à-dire ſociable; dans la ſeconde , il
fait voir comment les circonfiances , en développant
fucceſſivementfa perfectibilité , ont produit les arts ,
les talens & toutes les créations de la Société civile.
Tout ſe fuit & ſe ſoutient; &, ſuivant le beau présepte
de Fénelon , le Diſcours entier n'eft qu'une
propofition développée.
J'ai pourtantquelque fcrupule encore ſur la force
de cette preuve elle a quelque choſe qui reſſemble
trop à un raiſonnement , à une conféquence ;
quand on difpute & qu'on parie , on ne ſe laiſſe pas
perfuader par des interprétations , par des inductions;
on eſt bien autrement difficile pour un pari
que pour la vérité : c'eſt beaucoup alors ſi les faits
même ſont reçus comme des preuves : ſuivons donc
encore Jean- Jacques dans la ſeconde Partie de fon
Diſcours ; il n'y parle que de la Société : c'eſt-là
qu'il nous dira tout ce qu'il en penſe. Après avoir
DE FRANCE. 8(
retracé les circonstances qui apprennent aux hommes
àperfectionner leurs armes naturelles , à réunir leurs
forces contre les animaux , à faire utage du feu
qu'ils ont vû s'allumer & s'éteindre dans les volcans ;
après avoir fait voir comment les langues ont pu ſe
former & s'étendre dans les cabanes établies à côté
les unes des autres , comment le plaifir , le chant &
la danſe ont raſſemblé pluſieurs familles ſous le
même arbre ; comment les jeunes gens des deux
ſexes, par une fréquentation ſuivie , acquièrent les
idées de beauté , de grâce , de mérite ; comment de
ces idées naiffent les douces préférences & les combats
fanglans de l'amour ; enfin , après avoir ſuivi
les progres de l'eſpèce humaine dans tous ces rapports
, qui conſtituent véritablement la Société
Roufſeau ajoute : « Ainfi , quoique les hommes fuf-
ככ
ſent devenus moins endurans , & que la pitié na-
>> turelle eût déjà fouffert quelqu'altération , ce pé-
>> riode du développement des facultés humaines ,
>>>tenant un juſte milieu entre l'indolence de l'état
>> primitif, & la pétulante activité de notre amour-
>> propre, dût être l'époque la plus heureuse & la plus
>> durable : plus en y réfléchit, plus on trouve que
>> cet état étoit le moins ſujet aux révolutions , le
meilleur à l'homme , & qu'il n'en a dû fortir que
par quelque funeſte hafard , qui , pour l'utilité
>> commune , eût dû ne jamais arriver. >>>
Me trompai- je , Monfieur ? Cet état que Roufſeau
juge le meilleur à l'homme , n'est - il pas un
véritable état de ſociété auſh éloigné de l'état de
nature tel qu'il l'a conçu & décrit , que de la civilifation
telle qu'on la voit dans les grands Empires ?
Rouſſeau lui-même lui donne le nom de Société; if
a donc dit de la manière la plus forinelle & la plus
poſitive que l'homme eſt fait pour la ſociété ; ce ne
font plus ici des inductions , ce ſont ſes propres mots,
&je les ai copiés dans ce Diſcours , d'où vous ne
Dv
$2 MERCURE
m'avez pas permis de ſortir pour chercher des preuves
de mes affertions .
Vous allez me demander peut-être ce qu'il faudra
donc faire de ce commencement de la ſeconde
Partie du même Diſcours , de ce paſſage que vous
m'avez cité , & qui paroît ſi oppoſé à celui que je
vous cite ? Est- ce une de ces contradictions qu'on a
ſi ſouvent reprochées à Rouſſeau ? Oui , Monfieur ,
c'eſt précisément une contradiction du même genre ;
elle paroît frappante au premier coup - d'oeil ; elle
s'évanouit lorſqu'on entre dans les idées de l'Auteur,
&qu'on en fuit bien la chaîne.
,
Tâchons , Monfieur, de faifir & de ſuivre la liaifondes
idées principales de Rouſſeau fur cette queftion
& peut - être ces deux paſſages , qui paroiffent
fi contradictoires , vont - ils ſe réunir & fe
concilier lorſque nous les aurons mis à leur place
dans le ſyſtème de l'Auteur .
Rouffeau diftingue nettement trois périodes dans
la vie de l'eſpèce humaine .
Le premier , l'état primitif ou l'état de nature
dans lequel l'homme , ſans aucune union durable
avec ſes ſemblables , toujours iſolé & folitaire , erre
confondu dans les bois avec les animaux , fans idées
& fans affections morales , ſans langue pour les exprimer,
n'ayant ni ſouvenir du paflé ni prévoyance
de l'avenir. Aucune relation de Voyageur , aucune
des Hiſtoires qui remontent à l'antiquité la plus reculée,
ne nous montre l'homme dans cet état. Roufſeau
a fait pour l'homme ce que M. de Buffon a fait
pour la Nature ; il a créé à la vie humaine des époques
qui ne ſe trouvent point dans l'Hiſtoire du
temps.
Le ſecond période , amené par une très-longue
fucceffion de progrès , eſt celui d'une civiliſation
commencée à cette époque les hommes font
rapprochés & unis par des beſoins & des intérêts
DE FRANCE. とう
communs; les langues ont étendu leurs idées , les
paflions ont développé leur âme : déjà on voit paroître
avec éclat toutes les facultés qui diftinguent éminemment
l'eſpèce humaine de toutes les eſpèces
d'animaux , & conftituent les droits de l'homme à
l'empire qu'il s'eſt établi ſur la terre ; mais la Nature
feule forme encore preſque tous les liens de cette
union ; cette ſociété laiſſe aux hommes preſque toute
leur égalité primitive; ils ne connoiffent point les
vertus fublimes , la douce fécurité qu'une légiflation
impartiale & éclairée pourroit leur donner ; mais ils
jouiffent à-la-fois du ſecours des forces unies & de
l'indépendance des paffions.
Le troifième période commence à l'établiſſement
de la propriété; il en eſt une ſuite. L'inégalité des
partages que fait la propriété dans ſon origine ou
celle qu'elle introduit bientôt , ailame à- la - fois dans
toutes les âme l'orgueil ou la foif des richeffes &
des diftinctions; toutes les paflions s'exhaltent ,
toutes les facultés de l'homme prennent des accroifſemens
prodigieux ; ceux qui dans cette révolution
ont perdu leur portion de Phéritage univerſel ,
veulent la reprendre par la violence ; le riche
appelle la loi au fecours de fes ufurpations; les Gouvernemens
s'établiſſent ; ils prennent fucceſſivement :
toutes les formes pour chercher une baſe équitable
à un édifice élevé par l'injustice ; l'injustice originelle:
ſe reproduit ſous toutes les formes de gouverne--
ment: par-tout les intérêts du petit nombre dictent
les loix; les paffions & les fantaisies du Magiftrat
les exécutent. Au milieu de cette lurte tantôt fourde
& tantôt éclatante des vices de la fortune & des:
vices de la pauvreté, l'eſprit humain s'étend & s'en--
richit; les Arts viennent décorer & accroître les
défordres de la ſociété ; les talens cherchent la gloire
en flattant les paffions ; les honneurs & les délices
ſe refferrent toujours ſur un plus petit nombre de
Dvj
84 MERCURE
perſonnes , & le deſpotiſme élevant enfin ſa tête
hideuſe au milieu des Peuples amollis & dégradés par
toutes ces créations qui ſembloient annoblir & perfectionner
l'eſpèce humaine , ne laiſſe plus voir dans
les ſociétés que le ſpectacle effrayant & ſcandaleux
d'une multitude de grandes Nations occupées à fervir
les vices de quelques tyrans qu'elles vont bienvêt
égorger fur leurs trônes,
Voilà les trois périodes que Rouſſeau décrit , rapproche&
compare dans ſon Difcours.
Le premier ne lui paroît pas le meilleur à l'homme,
mais il le juge afſſez bon ; il imagine que la Nature
, en créant même l'eſpèce humaine perfectible ,
avoit oppoſé de grands obitacles au développement
de cette faculté dont elle l'avoit douée ; il penſe que
fi nous fuffions reſtés dans cet état primitif, nous
n'aurions point eu à nous plaindre de notre deftinée.
Le troiſième période lui paroît affreux ; c'eſt-là
qu'il trouve les ſources de la propriété de l'inégalité
des conditions , des arts de luxe , de la tyrannie
& de la ſervitude, toutes choſes qui font à-peurès
les mêmes dans le ſyſtême de Roufſeau.
Mais entre ces deux périodes il laiſſe voir le
fecond comme un aſyle ouvert au genre humain
rabaiflé au bonheur des animaux , ou flétri des
maux de l'eſclave dans les deux autres .
Le paſſage que vous avez cité regarde le troiſième
période ou la civiliſation corrompue , & c'eſt du
fecond période ou de la ſociété naturelle qu'il eſt
queſtion dans le paſſage que j'ai tranſcrit.
Vous voyez, Monfieur, que , comme je vous le
DE FRANCE 85
difois, tout ſe concilie & s'accorde lorſqu'on veut
fuivre Rouſſeau au lieu de le chicaner ; mais c'eſt
une grâce qu'on n'accorde guère aux grands Écrivains
, & Rouſſeau ſemble être celui à qui on
la refuſe d'avantage. Je ne crois point ſon ſyftême
vrai , mais il eſt admirablement lié dans
toutes ſes parties; c'eſt un tiſſu parfait , les couleurs
ſeulement reſſortent davantage & font plus
éclatantes dans certains endroits . Rouſſeau eft un
grand penſeur comme tous les grands Écrivains ;
mais il m'étonne moins encore par ſes idées que par
fon art à les lier enſemble pour en former un corps
de doctrine & d'opinions. Si vous le comparez , par
exemple, phrafe à phraſe à Montesquieu , il ne ſoutient
pas le parallèle ; il reſte toujours au-deſſous
pour l'étendue & l'élévation de la penfee , pour l'é
clat& l'originalité de l'expreſſion ; mais comparez
un Chapitre à un Chapitre , un Livre à un Livre ,
Montesquieu n'a plus le même avantage. Rouffeau,
en foutenant & fortifiant ſes idées les unes par les
autres , en liant enſemble , pour ainſi dire , toutes les
ſenſations qu'il vous donne , finit par laiſſer dans
votre âme un auſſi long ſouvenir de fon génie. L'inconvénient
de cette manière de procéder, c'eſt qu'elle
exigeroit une attention égale & continuelle de la
part des Lecteurs , & que l'éloquence de l'Écrivain,
qui ne peut pas être par - tout la même , porte & fixe
inégalement leur attention fur les morceaux qu'elle
embellit & qu'elle anime davantage. L'imagination
attachée aux tableaux & aux couleurs du ſtyle ,
détourne l'eſprit d'une ſuite de raiſonnemens qui ne
font pas aufli agréables. J'avois lû vingt fois peutêtre
le Difcours ſur l'inégalité des conditions , &
frappé vivement du tableau de l'état de nature & de
celui de la civilisation corrompue , tout le reste
86 MERCURE
m'étoit échappé ; je croyois alors comme vous,
Monfieur , que Rouſſeau ne trouvoit de bonheur
pour l'homme qu'à être iſolé & folitaire , à errer
dans les forêts comme les animaux. Cet inconvénient
au reſte eft commun aux Ouvrages de tous les
Écrivains philoſophes , qui ſont en même - temps de
grands coloriftes. Lorſqu'après avoir lû quelques
morceaux de Platon , de Montagne , de Bacon , de
Shafterbury ou de M. de Buffon , je cherche dans
ma mémoire les vérités ou les opinions que j'ai remportées
de leur lecture; j'y retrouve en foule des.
comparaiſons ingénieuſes ou riches en couleurs, des
expreffions hardies & heureuſes, des tableaux charmans
ou fublimes , & pas autre choſe . J'ai beau me
demander qu'est - ce qu'ils ont prouvé, j'ai toute
forte de peine à retrouver une vérité au milieu de
tous ces objets qui ont rempli & enchanté mon imagination
; je fors de leur lecture comine d'une promenade
que j'aurois faite dans un lieu qui raffem--
bleroit tous les grands aſpects de la Nature, ou au
milieu d'une Ville qui me montreroit tout le ſpectacle
des Arts & des fonctions dela ſociété, l'eſprit plein
de grandes images qui dominent fur une foule d'idées
incertaines & confules: que faire ? Attendre que cette
vive impreſſion ſoit calmée, & les relire encore en
ſe défendant, s'il eſt poſſible , des charmes & des
paffions de leur éloquence. Qu'il eſt beau , Monfieur ,
de mériter le reproche de donner trop de plaifir &
des fenfations trop fortes à ſes Lecteurs!
Vous me demandez , Monfieur , ſi je ne ſuis pas
tenté de croire qu'il y a eu de l'amour dès qu'il y a eu
un homme & une femme : j'en ferois bien tenté , &
c'eſt l'idée qui ſe préſente d'abord. Mais lorſque je
m'applique à éviter quelqu'erreur , je tâche de réfifteràla
tentation des premières idée:s ah, Monfieur!
il m'eſt arrivé ſi ſouvent dans la réflexion d'y trouver
mes paffions &mes goûts au lieude la vérité, quej'avois
DE FRANCE. 87
cru d'abordy voir. Au reſte, il faut s'entendre. Ce mot
amour, qui, danstoutes les langues, ſembleroit devoir
étre le plus clair& le plus ſenſible de tous, reçoit prefqu'autant
de ſens divers que les termes les plus
abſtraits de la philoſophie Il y a aurant de manières
de l'entendre que de manières d'aimer , & cela pourroit
être infini . Si vous entendez par Amour cet attrait
ſeulement, ce defir des ſens qui , dans toutes
les eſpèces d'êtres animés , entraîne les deux ſexes
l'un vers l'autre pour ſe perpétuer & ſe détruire dans
le ſein des plaifirs , il eſt hors de doute qu'il y a en
de l'amour dès qu'un homme & une femme ont été
placés à côté l'un de l'autre. Mais fi , au lieu de cet
inftinct aveugle qui ſe porte ſans choix for tous les
objets du même ſexe , l'amour étoit un deûr éclairé
& guidé par les idées acquiſes de la beauté & des
grâces , une paſſion exclufive qui réunit tous les
voeux & tous les mouvemens de l'âme ſur l'objet
Tarique où elle voit le plus de charmes & le plus de
perfection ; fi , au lieu de n'être que la premièredes
jouiſſances , il étoit encore un ſentiment profond
qui remplit la vie entière de ſes délices, je penſe ,
Monfieur , que cet amour est ignoré de l'homme
qui cherche une ſubſiſtance toujours incertaine dans
les forêts ou ſur le rivage des mers; il me paroît
que l'homme ne peut le connoître que dans une
fituation où , tranquille ſur ſes premiers beſoins , il
peut s'occuper des goûts de ton imagination & de
ſon âme , les ſentir avec plus de force encore que les
defirs des ſens , & faire entrer les talens & les vertus
même parmi les charmes qu'il adore. Cette ſituation
ne commence pour l'homme que dans la vie paſtorale
, d'où j'ai préſumé que c'eſt là l'origine de cette
union fi ancienne entre les images de la vie paſtorale
& celles de l'amour. Je vous invite , Monfieur,
àlire Ouvrage de Millar ; vous y verrez que dans
l'homme Sauvage cet amour même , qui n'est qu'un
beſoin& un dear , eſt toujours très - foible & très
88 MERCURE
languiſſant. Les ſens du Sauvage ſont froids comme
fon coeur. On a cru que l'indifférence des Américains
pour leurs femmes étoit particulière aux Sauvages
du Nouveau- Monde ;M. de Buffon , M. Paw ,
&après eux tout le monde en a cherché la cauſe
dans le climat du nouvel hémisphère ; le climat peut
ſans doute l'avoir fortifiée , mais elle réſide dans la
vie Sauvage , puiſque tous ceux qu'on a pu obſerver
fur tout le globe ont montré à peu-près la même
froideur & la même indifférence . C'est dans la Société
, au milieu de tous les Arts & de tous les talens
, que les deſirs ſatisfaits renaiſſent ſans ceffe
dans les imaginations enflammées ; c'eft-là que ,
Des plaiſirs les plus doux l'image retracée
Revient à chaque inſtant occuper la penſée.
Le coeur a toujours envie de croire l'amour éternel;
mais, hélas ! il ne l'eſt pas plus dans l'eſpèce que
dans l'individu ; il n'existe pas encore avant que les
Sociétés aient acquis une certaine perfection ; il ceffe
d'exiſter lorſqu'elles font très -corrompues ; c'eſt dans
les époques les plus heureuſes de la civiliſation
qu'on le voit avec tous ſes charmes & toute fon
énergie. Comme le feu ſacré de Veſta , il ne brûle
éternellement que lorſqu'il eſt gardé par les plus
belles âmes ; & quand il pâlit , ceux qui ont comparé
la marche des paſſions & celle desempires , peuvent
prédire le déclin des Nations.
Adieu , Monfieur : j'ai dû être ſans doute très-
Aatté de vos complimens ; mais je vous remercie
fur tout d'avoir combattu mes opinions avec une
honnêteté qui m'a permis de les défendre. Vous pourrez
perſiſter dans les vôtres ; mais ce ſera ici ma
ſeule réponſe , à moins que je n'aie à vous dire : j'ai
eu tort , je me rétracte. Ces objets font importans ,
mais férieux , & un peu difficiles. Chaque Lecteur
ſemble dire aujourd'hui aux Écrivains:
DF FRANCE. 89
Le raifonneur triſtement s'accrédite;
Ah ! croyez -moi , l'erreur a fon mérite.
On répère ſérieusement ce qu'a dit dans un joli
Conte , en parlant de Chevaliers & de Fées , un
grand Homme qui a paſſe ſoixante ans de ſa vie à
chercher la vérité& la raiſon ſur tous les objets qui
intéreſſent l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c. GARAT.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné , Vendredi s de ce mois , la
troiſième repréſentation d'Alexandre dans
les Indes, avec une Fête analogue à l'action ,
que le Public avoit paru detirer , & que les
Auteurs y ont ajourée.
Le ſuccèsde cette troiſième repréſentation
a éte plus brillant encore que celui des deux
precedentes. L'affluence des Spectateurs , le
grand enſemble que l'exécution a acquis , la
nobleffe & la pompe du Spectacle , & le
nouveau Ballet qui le termine , confirment
l'opinion avantageuſe que nous avions donnée
de cet Opéra en rendant compte des deux
premières repréſentations.
CenouveauBaliet a obtenu les plus grands
applaudiſſemens. Après le denouement &
la paix convenue entre Porus & Alexandre ,
les murs , les tours & les machines de
guerre même qui ont ſervi au ſiège , ſe garniffent
d'une multitude de Soldats. L'Armée
entre par la brêche , & défile devant Porus
,
१०
MERCURE
:
&Alexandre ſur une marche d'un caractère
original & d'un excellent effet. Le Compofiteur
de Ballet a ſagement oublié dans cette
marche l'uniformité qu'on reprochoit en
général à toutes celles qu'on exécute fur ce
Théâtre. Toutes ces Troupes, diviſées en différens
pelotons , & portant devant elles des
enfeignes dans le gente antique , contraſtent
heureuſement par la différence des coſtumes
Grec, Perfan & Indien; leur contenance ,
leurs pas , la manière dont ils marcheut ferrés,
&celle dont ils ſe développent enſuite par
différentes évolutions , préſentent un coupd'oeil
impoſant&pittoreſque qui offre à l'oeil
du Spectateur ce que l'on connoît de cette
partie de la tactique des anciens par l'hiftoire&
par les monumens que le tems a épargnés.
Un choeur général ſuccède à cette marche
, & les danſes contraſtées des différens
peuples de l'Inde & des Grecs terminent
heureuſement ce Spectacle. Tous les principaux
Sujets de la danſe y ont paru avec la
fupériorité de talens qu'on leur connoîr.
Les Diles Gervais & Dupré; le ſieur Nivelon,
& fur- tout le ſieur Veftris , y ont mérité les
plus grands applaudiſſemens. Les Airs de
danſe ont paru avoir en général le caractère
qui leur convenoit.
Ce Ballet fait honneur aux talens de M.
Gardell'aîné ; le goût & la variété des différens
coſtumes en fait beaucoup à l'Artiſte qui les a
deffinés , & aux ſoins que l'Adminiſtration
s'eſt donnés pour leur exécution,
DE FRANCE.
91
ANNONCES ET NOTICES.
INSTITUTION
NSTITUTION aux Loix Ecclésiastiques de France
, ou Analyse des Actes & Titres qui compofent
tes Mémoires du Clergé , avec des Extraits des queftions
les plus importantes recueillies dans les rapports
d'Agence, depuis 1715juſqu'à préfent , par M. l'Abbé
de V*** , Vic. Gen. de Cahors. 3 Vol. in- 12 . A
Paris , chez Demonville , Imprimeur - Libraire de
l'Académie Françoiſe , rue Chriſtine.
MM. Lemerre , père & fils , ont donné un Rocueil
des Mémoires du Clergé. M. l'Abbé de V***,
en rendant juſtice à cet important Ouvrage , n'a pas
pû ſe diffimuler qu'il y avoit un peu de confusion ;
ce qui ,joint à la très-grande étendue du Recueil ,
le rendoit preſque inabordable au Lecteur. Fâché de
voir un Ouvrage fi utile & fi peu lû , il a voulu ,
en le refferrant en trois Volumes , en rendre le
plan plus facile à ſuivre. Dans la dernière Édition
qui a paru des Mémoires du Clergé , on a donné
in quatorzième Volume , rédigé par M. l'Abbé du
Saulzet , & qui préſente l'abrégé des douze Volumes
précédens. M. l'Abbé de V *** loue cette Rédaction
; mais il lui reproche la ferme de Dictionnaire.
C'eſt ce qu'il a voulu éviter dans ſon Inftitution aux
Loix Ecclésiastiques de France. " Suivre pas à pas
w ſon modè e , en prendre les traits les plus faillans ,
>> les ranger dans le même ordre , & procurer la fa-
> cilité au Lecteur de comparer à chaque inſtant la
>>copie à l'original : >> Tel eſt le but qu'il s'eft propolé.
Nous croyons que les perſonnes intéreffées lai
lauront gré de ſon travail , & applaudiront au ſuccès
de cette utile entrepriſe .
Σ
L'ART de rendre les Femmes fidelles , troiſième
92 MERCURE
,
Edition , avec des changemens & des corrections ;
en deux Parties . A Genève , & ſe trouve à Paris
chez Couturier fils , Imprimeur- Libraire , quai des
Auguſtins , près l'Eglife .
Béni ſoit l'Auteur à qui l'idée d'un pareil Ou
vrage eſt venue ! Louange à celui qui vient de le reffufciter&
de le commenter ! Puiſque voilà une troiſième
Edition , beaucoup de perſonnes l'auront lâu ,
beaucoup en auront mis les principes en uſage ;
&fans doute le nombre de nos Femmes fidelles eſt
depuis peu confidérablement augmenté. L'Auteur de
ce Traité étoit un grave Préſident , qui avoit appris
aux maris contemporains à rendre leurs femmes
fidelles , & qui vit enfuite la ſienne propre manquer
à la foi conjugale. C'eſt avoir bien du malheur
! Après cet accident , il n'oſa plus réimprimer
fonOuvrage , dont l'Édition avoit été épuisée. Heureuſement
un Homme de Lettres de nos jours a
bien voulu ſe charger de ce ſoin. Il a fait plus ;
il l'a expliqué & commenté. L'Éditeur eſt un peu
moins ſérieux que l'Auteur ; il ſe permet quelquefois
de rire en cegraveſujet. Au reſte , il faut pour
tant convenir que le Commentaire eſt plus agréable
à lire que le Texte , qui de ſon côté eſt fort
ſouvent édifiant. Les notes ſont d'un Écrivain ingénieux
, d'un homme inſtruit , même hardi , car il
ofe quelquefois critiquer juſqu'à fou grave Auteur.
BIGARRURES Littéraires . A Paris , chez J. Fr.
Baſtien , Libraire , rue Ste Hyacinthe , la première
porte - cochère à gauche en entrant par la Place
S. Michel.
L'Auteur de ce Volume, foit qu'il n'ait pas eu
vent de ſa publication , ſoit qu'il l'ait permiſe , a
caché fon nom ; mais les Éditeurs ſemblent le faire
connoître dans un court Avertiſſement qu'ils ont mis
entête. Nous en rendrons compte inceſſamment.
DE
93
FRANCE.
L'AMI des Enfans , par M. Berquin. A Paris ,
au Bureau del'Ami des Enfans , rue de l'Univerſité,
aucoinde celle du Bacq.
Le Nº. 8 de cet intéreſſant Ouvrage a paru II
faut toujours s'adreſſer à M. le Prince, Directeur.
THEATRE choisi de P. Corneille. Tome 2. A
Paris , de l'Imprimerie du ficur Ambr. Didot l'aîné.
Cette Édition , dont le prix eſt de 72 livres les
deux volumes , brochés en carton , a été imprimée
au nombre de 200 exemplaires , avec les rouveaux
caractères de Didot l'a'né , ſur du papier grand
raiſin de France , de la Fabrique de Mathieu Johannot
, d'Annonay en Vivarais ; c'eſt-a dire , qu'elle
ne laiſſe rien à defirer aux Amateurs de l'Art Typographique.
On fent combien de parcils Ouvrages
augmenteront de prix , & par la rareté des exemplaires
, & par la beauté de l'exécution .
ANTIQUITES d'Herculanum. A Paris , chez l'Auteur
, rue des Noyers.
M. David, Graveur , continue toujours avec le
même ſuccès ſon intereffant Ouvrage des Antiquités
d'Herculanum . Il vient de publier les Numéros 3.4 .
5& 6 du Tome IV . qui répondent pour l'exécution
àtout ce qui a précédé. On ſouſcrit pour cet Ou
vrge, en payant deux Cahiers d'avance.
ESTAMPE repréſentant Louis XVI. Prix , 3 liv.
A Paris , chez Alibert , Marchand d'Eſtampes , au
Palais Royal .
Cette Gravure repréſente Louis XVI occupé
du bonheur de ſes Sujets , & ſe promenant dans
une campagne ; il tient à la main la lance de
Minerve, qui , en touchant la terre , fait naître
un olivier , dontune des branches paſſe ſur le corps
de Sa Majesté , tandis que d'une autre branche un
94
MERCURE
Génie a fait une couronne , qu'il place ſur la tête
du Prince. Deux autres Génies montrent une deviſe
latine , dont le ſens eſt : qu'il n'appartient qu'à
lui , après avoir affranchi l'Amérique , & rétabli
la liberté des mers , de donner la paix ; & Minerve ,
fatisfaite de voir le voeu du Souverain accompli ,
retourne dans les Cieux .
Le double Trio de feu Jacques Huguenel , Ordinaire
de la Muſique de la Chapelle & Chambre du
Roi. Prix , 4 liv. 4 ſols. A Paris, chez Mlle Caftagnery
, Privilégiée du Roi , à la Musique Royale ,
rue des Prouvaites , près celle S. Honoré.
A-propos d'an Avertiſſement , qu'on lit au bas du
titre, nous demanderons à l'Éditeur 1 ° . comment il eſt
prouvé que l'Auteur de cet Ouvrage connut la baſſe
fondamentale avant la publication du Traité d'Harmonie
de Rameau. S'il daigne nous répondre , nous
le prions de nous dire bien clairement ce qu'il entend
par la baffe fondamentale.Sa définition , d'après une
affertion pareille , doit être curieuſe. Ce morceau eft
tout fimplement une ſymphonie à deux orcheſtres ,
l'un d'inſtrumens à cordes , l'autre d'inſtrumens à
vent; fans aucun chant , ſans aucune expreffion ( il
ne peut y en avoir ) mais avec beaucoup d'imitations
&de mouvemens de contre-point.
2°. Nous demanderons encore à l'Éditeur comment
ce morceau a pu paſſer pour un chef-d'oeuvre
de l'Art , & nous le prierons , avant de nous répondre,
de jeter les yeux ſur les quatre dernières mefures
de la page deux , & les quatre premières de la
page trois. Il y verra deux parties marchant à quinte
avec la baſſe. Quelques-unes à la vérité ſont faufſes ,
mais il y en amême pluſieurs de juſtes de ſuite. Après
cet examen , s'il eſt harmoniſte , conſeillera-t'il encore
l'étude de ce morceau à ceux qui apprennent à
compoſer?
DE FRANCE.
95
NUMÉROS 61 & 62 du Journal d' Ariettes , Scènes
&Duos , traduits , imités ou parodiés de l'Italien
parM. C. Ainateur.
RECITATIF , Scène & Rondeau del Signor Paifiëllo.
Prix , 3 liv. 12 fols , & Ariette Bouffonne , du
même. Prix , 2 liv. 8 ſols. A Paris , chez Madame
Béraud , Marchande de Muſique , rue de l'ancienne
Comédie Françoiſe , près le Carrefour de Bufly ; &
chez M. de Roullède , au Duc de Valois , ruc Saint-
Honoré , entre celle des Poulies & l'Oratoire .
NOUVEL Étamage à Couche épaiſſe , économique
& de ſanté , rougiſſant au feu fans se fondre .
Perſonne n'ignore le danger & les funeftes
effets du cuivre dans l'uſage journalier des uſtenfiles
de cuifine , & combien eſt inſuffiſant &
équivoque le préſervatif de l'étamage actuel. La
Vouvelle Manufacture offre au Public un alliage
, qui non - ſeulement réſiſte au plus grand
feu , ſans ſe fondre , mais qui s'applique ſur le
cuivre , & même ſur le fer , avec telle épaiſſeur
que l'on veut , depuis un huitième de ligne juſqu'à
trois ou quatre lignes ; & la plus légère de ces
couches forme dans le vaſe , par ſon épaiffeur &
fon infuſibilité , un obſtacle inſurmontable au mordant
des acides. Les épreuves de la nouvelle méthode
ont été multipliées par la Faculré de Médecine
, par l'Académie des Sciences , & la Société
Royale de Médecine. A l'avantage ſi précieux de la
sûreté pour la vie & la ſanté , le nouvel étamage
réunit encore par ſa durée , le bénéfice d'une
économie ſenſible. Il en coûtera beaucoup moins
au bout de l'année , pour acquérir cette sûreté
puiſque les uſtenſiles de l'uſage le plus fréquent ,
n'auront beſoin d'étre érames , tout au plus , que
deux fois par an ; d'ailleurs ces mêmes uſtenſiles ,
,
,
96
MERCURE
qui ne ſeront point gratées , dureront infiniment
plus. Il fera payé pour chaque pièce , étamée ſuivant
le nouveau procédé , garantie pour au moins
fix mois ; ſavoir : Pour les plus petites pièces ,
jusqu'à celles de fix pouces de diamètre 18 fols.
Pour celles au-deſſus de fix pouces jusqu'à neuf ,
* livre 4 fols. Pour celles au- deſſus de neufpouces
juſqu'à douze , I livre to fofs. Pour celles au- deſſus
de douze pouces juſqu'a quinze , I livre 16 fols .
Toutes les pièces qui patſeront ces mesures , front
arbitrées , ainſi qu'il eſt d'uſage pour l'étamage
ordinaire .
La Manufacture eft fituée rue Thévenot , la première
porte cochère à gauche en entrant par celle
Saint- Denis , au Nº . 6. L'on y trouvera fous peu
un affortiment des différens uſtenſiles de cuifine ,
& autres , étamés ſuivant le nouveau procédé.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librai
riefur la Couverture.
TABLE.
12
LE Fublic &le Globe Ter- Table Chronologique des Direftre,
Dialogue ,
L'Absence,
Lebon Co feil ,
49
50 Examen de la Question : Si les
plômes , &c . 69
Infcriptions des Monumens
A un Novice au Couvent publics doivent être en lande***
ib . gueNationale ? 73
78 Charade, Enigme& Logogry-Réponse de M. Garat ,
phe
54 Aca témie Roy. de Musiq. 89
Vie de Michel-Ange Buonar Annonces & Notices ,
56
91
roti ,
APPROΒΑΤΙΟΝ
.
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le MercuredeFrance , pour le Samed 13 Septmbre Jen'y ai
rien trouvé qui puiffe en empecher 'impreſſion A Paris ,
le 12 Septembre 1783. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUI E.
1
:
DE CONSTANTINOPLE , le 22 Juillet.
aap-
ES préparatifs de guerre paroiſſent avoir
Lredouble d'activité, depuis que l'on
pris que les Ruſſes avoient pris poffeffionde
la Crimée ; les Albanois & le peuple demandentqu'onprenneles
armespourvenger l'honneur
Ottoman qu'ils trouvent violemment
offenſé par cetre démarche ,& les principaux
membres du Gouvernement paroiffent embarraffés
ſur les ſuites . Le Divan s'aſſemble
fréquemment , mais on ignore ce qui y est
décidé; on fait ſeulement que les mouvemens
des Troupes continuent. Nous avons
déja prés de 160000 hommes campés les uns
àBelgrade , les autres à Choczim , & les derniers
ſur la Save ; on en attend 30,000 à
Scutari , ils viennent d'Afie comme les premiers.
Trente Odas, ou Compagnies de
Janiſſaires ſont partis avant hier pour joindre
les Troupes qui montrent beaucoup d'ar-
13 Septembre 1783 . c
( 50 ) :
deur , &qui difent qu'elles ne marchent pas
pour faire la guerre , mais pour défendre la
ſplendeur de la fublime Porte. On leura envoyé
beaucoup d'Officiers étrangers pour les
former aux évolutions militaires.Le nombre
de ces Officiers augmente tous les jours ;
le traitement que leur accorde le Sultan eſt
très-propre à les attirer ; il en eſt arrivé en -
core une vingtaine ces jours derniers.
:
L'Eſcadre eſt entiérement armée , pourvue
de tout ,& prête à mettre en mer , mais elle
ne part point encore ; on ignore quand elle
fortira. Juſqu'à préſent la préſence du Capitan
Bacha paroît abſolument néceſſaire dans
cette Capitale , où la fermentation eſt trèsgrande
, & où il peut feul, par la confiance
qu'il infpire , & par la crainte que donne en
même-remps ſa fermeté , entretenir la tranquillité&
prévenir les troubles.
La peſte continue d'exercer ſes ravages ;
mais on remarque qu'ils font plus grands
dans cette ville que dans les provinces. Prefque
tous ceux qui en font attaqués meurent ,
&ſouventquelques heures ſuffiſent pour enlever
la victime qui en eſt frappée. Les Européens
même, malgre leurs précautions, font
ſouvent ſaiſis de ce mal terrible , & dès que
les ſymptomes font une fois déclarés , on n'a
plus l'eſpoir d'y ſurvivre.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Août.
Selon les dépêches du Prince Potenkin
( 51)
lapublication dumanifeſte de l'Impératrice
dans les pays qu'elle vient de réunir à fon
Empire alloit être bientôt ſuivie de la preſtatien
du ferment de fidélité de la part des habitans
, & il prenoit les meſures néceſſaires
pour cette cérémonie indiſpenſable dans un
pays nouvellement acquis.
La grande Duchefſe eſt accouchée le ,
de ce mois d'une Princeſſe , & ſe trouve
auſſi-bien que fon état le comporte ; la Princeffe
nouvellement née a reçu les noms d'Alexandra
Pawlowna.
:
:
SUÈDE . :
DE STOCKHOLM , le's Août.
Le Roi & la Famille Royale font toujours
àDrottningholm, où ils jouiſſent de la meilleure
ſanté. L'uſage des bains froids a fait
beaucoup de bien àSa Majesté , qui ne fent
plus àpréſent aucune douleur à fon bras.
LeComtede Creutz , qui eſt toujours indiſpoſé,
ſur le defir que le Roi a témoigné
de l'avoir auprès de ſa perſonne, s'eft fait
tranſporter àDrottningholm , où il eſt actuellement
, & où il jouit d'un repos que ſa
ſanté lui rend néceſſaire pendant quelque
temps.
Onparle beaucoup ici de la miſſion d'un
Eccléſiaſtique de marque, arrivé depuis peu
dans cette capitale; on le dit chargé par la
Cour de Rome de travailler à în arrangement
ſur le libre exercice de la Religion Ca-
C2
( 52 )
cholique. S. M. l'a permis dans ſes Etats ,
mais au moyen de quelques reſtrictions , fur
leſquelles le S. Siege defire quelques chan
gemens.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 14 Août.
Les avis de Lemberg portent que pendant
Le ſéjour de l'Empereur dans cette ville , le
jeune Prince Jablonowski lui fut préſenté,
S. M. I. daigna l'accueillir avec bonté , &
l'affurer que non - feulement la dignité de
Prince de l'Empire , accordée à fa maifon
par l'Empereur Charles VII , ſeroit maintenue
, mais qu'il feroit encore rendu à ſa mere
la plus promptejuſtice ſur toutes ſes prétentions
en litige dans la Galicie & la Lodomerie.
:
S'il faut en croire quelques nouvelles de
l'Armée Ruſſe , l'Ifle de la Crimée , Taman
& le Cuban ont déjà rendu hommage &
prêté le ferment de fidélité à l'Impératrice ;
mais on ne dit pas quand cette cérémonie
s'est faite , &de quelle maniere les Tartares
s'y ſont préſentés. En général on doute que
'ces pays rentrent jamais ſous la domination
Ottomane, &les diſpoſitions qu'on y fait
font entierement oppoſées aux principes
qu'on avoit auparavant.
>>Mustapha,renégat Anglois, chefdu Corps des
Bombardiers &de la fonderie de Canons de cette
ville , lit-on dans une Lettre de Conſtantinople ,
a été expoſé dernierement au plus grand danger.
Undeſes Officiers , lepremier en commandement
13
( 53 )
après lui , qui le voyoit fréquemment,& qui ſous
P'apparence de l'amitié , fumoit un jour avec lui
ane pipe ſur un ſopha , ſe leva bruſquement , &
tira fon poignard pour lui porter un coup mor
tel. Mais Mustapha , qui est très-agile , ſe levant
à fon tour , prévint ſon adverſaire & le défarma.
Dans ce moment pluſieurs de ſes domeſtiques en
trerent ; il fit faiſir l'Officier qui fut conduit ens
fuite devant le Grand-Viſir; celui-ci le fit étran
gler ſur le champ. Mustapha eſt en grand crédit
auprès de S. H. , du Grand- Vifir & du Capitan .
Bacha; & on croit qu'il ſera élevé inceflamment
au grade de Grand-Maître de l'Artillerie.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 27 Août.
Il y aura un camp près de Prague , qui
ſera compoſé de la gatniſon de cette ville &
de quelques autres Régimens qui ont eu ordre
de le joindre, & on s'attend que l'Empereur
s'y rendra inceſſamment , à préſent
que les grandes manoeuvres ſont finies a
Minckendorf.
- Le Comte de Salm , Auditeur de Rote à
la Cour de Rome , fut admis , le 18 de ce
mois , à l'audience de S. M. I. Le Miniſtre
d'Angleterre lui préſenta le même jour le
Général Boyd, fous-Gouverneur de Gibral
trar, qui fut conduit enſuite à l'audience de
l'Archiduc Maximilien , qui s'entretint longtemps
avec ce Général des détails du fiege
deGibraltar.
Pendant le ſéjour de l'Empereur à l'Augarten ,
on trouva un matin les potagers dévaſtés par les
cerfs , qui des forêts voiſines étoient venus au travers
du Danube pour en ébrouter les efpaliers ,
C3
( 54 )
L'Empereur ordonna qu'on l'avertit auſſitôt qu'on
appercevroit quelques -uns de ces animaux. On
vint unjour les lui annoncer, dans un moment ou
il travailloit dans fon cabinet avec un Secrétaire :
à l'inſtant il prit un fufil , dit au Secrétaire d'en
prendre un autre , & de venir avec lui à la pourfuite
du cerf. L'Empereur tire , & manque l'animal.
Le Secrétaire ſe difpoſe à tirer ſon coup ; dans
Pinſtant même où il preſſoit la détente , l'Empereur
qui le croyoit près de lui , avance la main
pour lui prendre ſon fufil,ſans perdre le cerf de
l'oeil ; la balle pafla à côté de ce Monarque , mais
heurenfement ſans le toucher. Le Secrétaire ne
s'en fut pas plutôt apperçu , qu'il tomba lui-même
évanoni ; & l'Empereur frappé d'une marque fi
ſenſible d'attachement , s'empreſſa de le ranimer
&de le raffurer, & lui fit préfent à fon retour
d'une riche tabatiere d'or.
1.
!
DE HAMBOURG , le 27 Août.
Les apparences de guerre prennent jour
nellement plus de confiſtance : on ne croit
pas que le Gouvernement Ottoman puiffe
fermer plus long-temps les yeux fur l'invaſion
de la Crimée ; on préfume qu'il fe
diſpoſera enfin à céder aux voeux du peuple
qui marque , de la maniere la plus violente
combien il veutla guerre ; & on commence
à déſeſpérer du ſuccès de la médiation des
Puiffances Européennes , qui ont fait juſqu'à
préfent , & qui font encore tout ce qu'elles
peuvent pour l'empêcher d'éclater. En attendant
des nouvelles ultérieures des événemens
qui le préparent, nos papiers font remplis de
ſpéculations politiques qui reviennent toujours
à celles qui ont été déjà faites fur le
( 55 )
projet de chaffer les Ottomans d'Europe. Le
célébre Buſching commence le XXXIII.e
Numéro de fes Ephémérides par les obfervations
ſuivantes.
Les variations continuelles qu'éprouve notre
globe , n'ont peut-être jamais été affez remarquées
; le rapprochement de quelques-unes ne peut
qu'être piquant. Pendant les 25 premieres années
du fiecle précédent , les Polonois, dominoient en
Ruffie. Mais,dans ce ſiecle , ce font les Ruſſes qui
font la loi en Pologne. Depuis le milieu du 139.
ficcle , les Tartares étoient à peu près les maîtres
en Moſcovie; & à préſent la plupart des nations
Tartares ſont ſous la domination Ruffer Juſqu'à la
fin du 16º fiecle , les Tartares , & en particulier
ceux de la Crimee faifoient des incurfions fréquentes
juſqu'au centre de la Ruffie; cet Empire
leur a payé chaque année juſqu'en 1635 un préfent
d'environ 100 , ooo roubles , pour racheter
ceuxde ſes ſujets qu'ils avoient enlevés ; maintenant
le. Kan de Crimée vient de céder tous ſes
Erats à la Ruffie. Pendant la premiere moitié de
ce ficcle , les Ottomans s'étoient rendus très- formidables
aux empires d'Allemagne & de Ruſſie , à
préſent les Turcs les redoutent l'un & l'autre.- Le
Général Feld-Maréchal , comte de Munich , dans
la 80°. année de ſa vie , offrit à Catherine II , à
peine montée ſur le trône , ſa vie & ſes ſervices
pour la conquête de Conſtantinople & de tout ce
que les Turcs poſlédent en Europe. C'est ainſi que
s'exprimoit ce Général , dans une Lettre adreffiée
à ſa Souveraine.- Lorſque le Grand-Duc aura
atteint la 17. année , mon voeu eſt de le ſaluer
en qualité de Généraliſſime des armées Rufſes , de
leconduite, conformément aux deſſeins glorieux
de Pierre I, à Constantinople , pour planter les
étendards Rufies ſur les murs de cette ville,& aller
C4
( 56 )
remercier leciel de cette conquête dans l'égliſe dediée
à Sainte Sophte. Ce Général , après avoir
eſſayé de prouver que depuis le ſiege d'Azoff en
1695 , juſqu'à ſa mort arrivée en 1725 , Pierre le
Grand s'étoit toujours propoſe la conquête de
Conftantinople , l'expulfion des Tures & des Tartares
de l'Europe , & le rétabliſſement de l'Empire
Grec, il expoſe ſonplan relatif à cette entrepriſe.
C'eſt pendant ſon exil en Sibérie qu'il l'avoit rédigé:
mais dans des circonstances douloureuſes il
l'avoit jetté au few; dans un moment où il étoit
accablé d'affaires , il voyoit avec peine le temps
qu'il lui en coûteroit pour en rédiger un nouveau
d'une maniere détaillée; & il ſe borna à en donner
une idée Sur la demande qui lui fut faite par
'Impératrice; ſavoir fi la conquête de la Crimée
étoit praticable , il répondit qu'ayant été le premier
à pénétrer dans ce pays jufqu'à Barchifaari ,
réſidence des Kans, il ſe flattoit de connoître à
-fond toutes les difficultés d'une entrepriſe de cette
nature , & les moyens néceſſaires pour les furmonter.
s'est
Toutes ces difficultés paroiffent en effet
levées : la Ruffie, en ſe mélant des troubles
intérieurs des Tartares indépendans , en envoyant
dans leur pays des corps de troupes
qui ſe ſont renforcés ſucceſſivement ,
miſe en effet en état de s'en emparer, pour
mettre efficacement fin à leurs diviſions : ce
n'eſt donc plus une conquête à faire , c'eſt
une poffeffion àconferver, ce qui ſans doute
eſt plus facile. Il faut voir maintenant ſi la
Porte ne jugera pas qu'il eſt de ſon intérêt
de la troubler dans cette poffeſſion , s'il lui
convient de la laiſſer maitreffe paiſible d'une
contrée voiſine , d'où elle peut ſi facilement
د
( 57 )
aller juſqu'à la capitale de l'Empire , &exécu
ter le projet qu'on lui prête depuis longtemps
. Quoiqu'il en ſoit , tout eſt prêt à
Conftantinople pour l'ouverture d'une campagne.
>> Le départ & l'arrivée des Couriers pour différentes
Cours , écrit- on de Vienne , devenant tous
les jours plus fréquens , perfuadent ànos ſpéculateurs
que nous ſommes arrives au moment de la
criſe qui doit décider du repos de l'Europe . Nos
préparatifs continuent fans interruption , ceux des
Tures font immenfes. L'Edit de Tolérance , qu'on
dit toujours que la Porte a publié , & qui paroiffoit
néceſſaire dans la circonſtance actuelle , attire
un grand nombre d'Etrangers. On en forme des
Corps ſéparés , bien payés , bien armés , & exercés
par des Officiers expérimentés qui ont paflé en
grand nombre à ſon ſervice. On donne la liſte ſaivante
des Vaiſſeaux de guerre qu'elle eſt prête à
mettre à la voile. L'Elia Suleyman , de 76 canons
& 900 hommes d'équipage ; Achmet , de 70 &
860 hommes ; le Nigrelli , l'Hierufalem , & la Sultane
Nifredi , de même force en hommes & en
canons ; l'Illerim , el Vincenza , Sancta Sophia ,
le Caftagnie , le Negriponte , l'Eyzantinelli , tous
de so canons & de 700 hommes d'équipage ; le
Belvidera , de 50 c . & de 470 hommes ; le Narenzac
& le Duraffelle , de 40 Canons & 390 hommes
; le Guigeftane , de 30 & de 300 hommes ; en
tout 15 Vaiſſeaux.
En attendant l'iſſue de ces grands démêlés ,
nos papiers font remplis de conjectures & de
ſpéculations ſur l'occupation de la Crimée.
Parmi ces pieces , quelques - unes peuvent
piquer la curiofité ,& c'eſt à ce titre que nous
placerons ici celle- ci .
Lorſqu'on enviſage Fiminenſe étendue de
CS
( 58 )
L'Empire Ruffe & le grand nombre de Nations
différentes qui lui font ſoumiſes : on ne peut
gueres s'imaginer que le ſeui deſir de regner encore
fur d'autres Contrées nouvelles , ait porté l'Impératrice
a ſe faire prêter hommage dans les arides
Plaines du Cuban. Il faut donc en chercher ailleurs
les raiſons. Elle expoſe dans ſon Manifeſte , qu'en
prenant poffeflion de ta Crimée & du Cuban , elle
avoulu » : 1º. ſe procurer une indemnifation convenable
des ſommes exorbitantes qu'elle a facrifiées
pour conferver la tranquillité publique &la concorde
dans la Crimée ; 2. faire disparoître une fois pour
toutes la pomme de diſcorde qui afait naître tans
de différends avec la Porte ; enfin , par la réunion
de ces Pays avecles autres Etats de l'Empire Rufſe,
mettre dorénavant ſes Sujets à l'abri des incursions
continuelles des Tartares . « Ce n'eſt pas à nous de
décider ſi ces motifs ſuffiſent pour ſoumettre au
Sceptre abſolu & monarchique une nation qu'en.
1774 le Traité de Kainardgi déclaroit indépendante
& auffi libre que l'air qu'elle reſpiroit. On
eſtdu moins parvenu au but que PIERRE I. s'étoit
dit-on propoſé , de ſe rendre , au moyen de la Crimée
, maître de toute la Mer Noire : ce qui , outre
les avantages immenfes qui en réſultent pour le
commercedes Habitans de la Ruſſie , fert encore
àdonner de ce côte- là ,& en tout temps , des entraves
à l'Empire Ottoman. On demande fi le Khan
a le droit de tranſmettre ſes Etats à une autre
Puiſſance ? Puiſqu'il ne gouverne pas d'une maniere
abfolue , qu'il eſt tenude confulter fur toutes
les affaires importantes les Murſes ou Nobles de
éepays , ſans le conſentement deſquels il ne peut
faire la guerre ; il ſemble que l'approbationde ces
mêmes Nobles cût été requiſe pour une démarche
de cette nature. Les Murſes , très-nombreux en
Crimée , ainſi que le Peuple , reconnoiffent à la
vérité le Khan pour leur conducteur & leur chef;
) و (
ils obéiſſent à ſes Ordres , mais ſcuſement autant
qu'ils font compatibles avec les Loix & les prérogatives
nationales , avec l'indépendance du Pays ,
dont le Khan , en ſe chargeant du Gouvernement
, a juré la défenſe. Dès que les ordres d'am
Khan ſont en oppoſition avec les Loix , les autres
Princes Tartares & les principaux de la Nobleffe
s'y oppoſent & l'obligent de les révoquer. On dit
que pour la ceſſion volontaire de ſes Erats à la
Ruffie , Sahin-Gueray jouira d'un revenu annuel
de 80,000 roubles. Ses prédéceſſeurs étoient en
uſage d'entretenir une Cour très - nombreuſe ;
mais , quoique leurs revenus , avec ce qu'ils recevoient
chaque année de la Porte comme une efpece
de ſubſides , montaſſent , ſuivant quelques
Auteurs , à environ trois millions par an ; ces
ſommes ſuffiſoient rarement pour faire face à leur
dépenſes ; & ils étoient obligés de recourir a
d'autres moyens. Ainfi le Khan perd , par fa
ceffion volontaire , une partie fort conſidérable de
ſes revenus. La Nobleſſe Tartare jouiffoit de la
prérogative d'élire elle-même ſes Khans , que la
Cour Ottomanne ne faiſoit que confirmer. Cette
Election ſe faiſoit d'entre un nombre de plus de
cent Sultans ou Princes , tous iſſus de la famille de
Gueray , dont chacun avoit l'eſpoir d'obtenir à fon
tour cette dignité. Il ſeroit étonnant que ces mêmes
Sultans , poflédant preſque tous , non- feulement
en Crimée , mais auſſi dans la Romélie & en d'autres
Provinces de l'Empire Ottoman , quelques
Villes ou villages , renonçaſſent auſſi volontairement
à cette prerogative , pour ſe foumettredans
la ſuite à l'autorité d'un Gouverneur Ruffe . Une
grande partie du Cuban , Contrée où eſt ſituée
Azow, Ville & Fortereffe Ruſſe , a déjà été fubjuguée
par l'Impératrice Anne en 1736. Quant au
refte , auſh bien que toute la Petite-Tartarie , à
l'exception de la ſeule Crimée, c'eſt un pays aride ,
€ 6
( 60 )
,
imhabité , dénué de Villes , où ſe trouvent à peine
quelques Bourgs ou Villages , & feulement un petit
nombre de Hordes Tartares , rodant de côté
&d'autres avec leurs tentes , ou plutôt leurs cabanes
mobiles . Ce Pays- là n'eſt donc d'aucune importance
réelle. L'Ifle de Taman , au contraire
T'eft infiniment à cauſe de ſa poſition avantageuſe ;
car elle défend le Détroit de Caffa , ſeul paſlage de
la mer d'Azow dans la mer Noire. Mais de toutes.
ces diverſes Contrées , la Crimée eſt la plus importante
par ſa fertilité , le nombre de ſés Ports
excellens , qui peuvent en tout temps mettre en
fûreté une Flotte nombreuſe de vaiſſeaux de guerre
Ruffes. Cette Preſqu'Iſle , qui a 40 milles d'Allemagne
, ou 187 milles de France de circuit , eſt ,
àune bande étroite près , tout-à- fait entourée par
la mer Noire & celle d'Azow : outre onze Villes
affez grandes , elle contient un grand nombre de
Bourgs & de Villages. Ses Habitans font beaucoup
plus civiliſés que le reſte des Tartares . Elle est fi
tuée fi avantageuſement pour le commerce , que
dès les temps les plus reculés , ſous les anciens
Grecs , & enſuire depuis le milieu du douzieme
fiécle juſqu'en 1471 , ſous les Génois , qui s'étoient
rendus maîtres de tous ſes Ports , le négoce
y a toujours été exercé avec le plus grand ſuccès.
La Porte doit être vivement affectée de voir au
pouvoir des Ruſſes un pays qui les met en état de
dominer fur la mer Noire , &d'intercepter à leur
volenté le tranſport des vivres de-là à Conſtantinople
; qui , enfin , au premier nuage de méconsentement
entre les deux Cours , leur donne la facilité
de répandre la terreur & la dévaſtation jufqu'au
fond du Serrail. Toutes ces confidérations
Eveillent la curioſité publique ſur le réſultat de
certe entrepriſe; elles font préſumer avec beaucoup
de vraiſemblance que la Porte , à moins qu'elle ne
fot convaincue de l'épuiſement total deſes forces,
;
( 61 )
sâchera de s'oppoſer avec autant de vigueur que de
zéle , à cet accroiſſement conſidérable de la puiffance
de l'Empire Ruffe » .
S'ilen faut croire quelques lettres , il y a
un traité d'alliance entre les deux Cours Impériales
d'Autriche &de Ruſſie ; un de nos
papiers s'exprime ainſi ſur ce ſujet.
Ce traité a été notifié miniſtériellement à l'envoyé
de S. M. Ruflienne à Pétersbourg , le même
jour que le Miniſtre Ruſſe à Berlin en faisoit part
au Roi. On s'eſt contené , en faiſant cette communication
verbale , de déclarer que ce traité étoit
le même que celui qui avoit été dreſſé en 1781 ,
& qu'il ne contenoit rien de contraire aux intérêts
du Roi ni à la paix de Teſchen. On ajoute , à l'occaſion
de ce traité dont on a dit qu'il exiſtoit déja
des copies qui ſeroient fans doute bientôt publiques
, que peut-être il n'y en a aucune , & qu'afin
-d'éviter toute diſcuſſion au ſujet des titres & de
la prééminence , les deux Cours Impériales ſont
convenues par lettres , de leur accord , de leur alliance
, ſans dreſſer un traité dans la forme ordinaire.
Cette nouvelle , ſans qu'on ſache encore fi
elle est fondée , donne lieu à une multitude de
conjectures , par leſquelles on cherche à pénétrer
leparti que prendra le Roi de Prufſe , ſans lequel ,
depuis près de 30 ans , ſes voiſins n'ont fait aucune
démarche importante.
Diverſes lettres confirment que tous les
Couvens de Capucins ſitués en Autriche doivent
être ſupprimes inceſſamment , à l'exception
de trois , où l'on réunira les infirmes à
ceux qui aimeront mieux reſter dans leurs
Couvens querentrer dans le ſiecle. Suivant un
calcul qui vient d'être publié , l'indépendance
actuelle des Evêques & du Clergé régulier ,
( 62 )
&les autres arrangemens faits enAutriche ,
font perdre à la Cour de Rome 18,876,947
florins , qu'elle tiroit auparavant chaque année
de ce ſeul Archiduché.
ITALI Ε.
"DE LIVOURNE , le 12 Août.
Le grand Duc , informé que les trois
académies de la Toſcane , la Florentine , la
Crufca & les Apatiſtes, étoient tombées dans
l'inaction , & jaloux de faire revivre le goût
des ſciences & des arts dans ſes Etats , a
fupprimé ces trois corps , & a ordonné que
parmi les membres qui les compofoient , on
en choiſiroit quelques-uns qui formeront déformais
une ſeule académie , ſous le nom
d'Académie Florentine. S. A. R. a créé en
même temps des Profeſſeurs, qui enſeigneront
publiquement, dans cette académie , le
grec , les mathématiques & les inſtitutions
civiles.
Le Comte de Molkte , Contre-Amiral au ſervice
du roi de Danemarck , écrit- on de Tunis , arriva ici
le 6 Juin , venant d'Alger , où il avoit porté les
préſens du roi ſon maître : il eſt venu s'acquitter
ici d'une pareille commiffion. Ses préſens ont été
remis au Bey & à ſes freres; ils confiftent en
une montre à répétition , enrichie de diamans ,
une bague avec un gros brillant , une tabatiere
d'or, un ballot de drap pour le Bey , deux montres
& deux rabatieres d'or pour ſes freres. Ces
préſens malheureuſement n'ont pas fatisfair le
Chef de notre Régence , qui a refuſé d'abord
de les accepter , malgré toutes les inſtances du
( 63 )
Conful Danois; il n'a cédé qu'à la fin , & à condition
qu'il en ſeroit envoyé d'autres ; & on a écrit
au Conful une liſte des munitions de guerre &
des munitions navales qu'on dafiroit. Comme on
a inſiſté avee beaucoup d'empreſſement fur la permiſſion
d'arborer le pavillon de Danemarck ſur
la maiſon conſulaire , le Bey déclara qu'il s'attendoit
àdes préſens tels que ceux que la Suede avoir
envoyés ily a ſept ans; ils confiftoient en 24 pieces
de canons de 24 & de 12 livres de balle , & en
munitions à proportion. Cet incident a donné l'occafion
de faire une ſemblable demande au Conful
Hollandois.
Selon les letttes de Venise, le Gouvernement
a arrêté la ſuppreſſion de cing monafreres
, qui font, celui des Chanoines de faint
Sauveur, fur le territoire de Padoue , & les
quatre autres de S. Jean de Latran , qui font
à Padoue , à Vérone , à Breſcia & à Bergame.
Il a été mis ſous les yeux du Pape , écrit- on de
Rome , unnouveau cadastre , contenant une meſure
exacte de toutes les terres de l'Etat Eccléſiaſtique ,
qui doit fervir à former une nouvelle répartition
des taxes. - On prétend que Sa Sainteté ayant
communiqué au ſacré College , dans le dernier
Confiftoire , l'intention où elle étoit de faire un
emprunt de trois millions à Genes , il régna un
profond filence fur cette propoſition : une voix
le rompit, en demandant ſur quel motif étoit
fondé le beſoinde cette ſomme; perſonne , ajoutet-
on , ne répondit, & les chofes en reſterent-là.
-On fuit , par les ordres du ſonverain Pontife ,
diverſes entrepriſes qui rendent de plus en plus fon
Pontificat glorieux. Le Couvent de l'Egliſe de
S. Pierre a chargé le fameux orfevre & fondeur
Louis Valadier , de refondre la grande cloche de
( 64 )
cette Eglife, qui ſe caſſa il y a quelques années.
On décore avec beaucoup de magnificence la tribune
de S. Pierre de Latran ; l'or & les cristaux
brilleront de tous côtés dans ce vaſte édifice .
*
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 2 Septembre.
La paix maintenant n'eſt plus douteuſe
M. Fox qui s'étoit toujours excuſé de répondre
aux queſtious qui lui étoient faites
au Parlement ſur l'époque où elle feroit définitivement
ſignée , en diſant qu'il ne vouloit
pas s'expoſer à l'inconvénient qu'avoient
éprouvé les Miniſtres précédens , en annonçant
un événement qui ne s'étoit confirmé
que très -tard , paroît n'avoir plus rien à craindre.
Il a écrit le 29 Août au Lord Maire ,
pour lui apprendre que les dépêches du Duc
de Mancheſter du 26 du même mois fixoient
cette ſignature au 3 de celui-ci ; nous pouvons
en conféquence nous attendre à recevoir
inceſſamment les Traités énoncés.
Toutes les difficultés qui s'étoient élevées ſur
cet objet , dit un de nos papiers , font enfin applanies
, & tout eſt arrangé entre les Puiſſances
contractantes . Les Hollandois d'abord , & M. Fox
enfuite , par des prétentions que l'Eſpagne déſavouoit
, avoient fait traîner les négociations en
longueur. Les Etats-Généraux déſiroient la reſtitution
de Négapatnam ; notre cabinet n'étoit pas
éloigné d'y conſentir , mais avec un équivalent.
M. Tor offrit en échange un comptoir dans
rifle de Sumatra , M. Fox le refuſa. Les Hollandois
en propoferent un ſecond ſitué dans un
1
( 65 )
autre endroit , avec un ſupplément en argent,i
fut refuſé encore , parce que ce comptoir eſt du
nombre de ceux qui font le plus à charge aux
Hollandois , & qu'ils ſe propoſent d'abandonner
cux-mêmes. Les choſes paroiſſent en être reftées
là , & Négapatnam nous demeurera vraiſemblablement.
- Quant aux obſtacles qui ſuſpendoient
le Traité avec l'Eſpagne , ils naiſſoient de ce que ,
dans les articles préliminaires , il avoit bien été
permis d'aller couper du bois de campêche dans
la baie de Honduras , mais non de naviguer , &
encore moins d'aborder ſur la côte de Moſquitos,
M. Fox prétendit que le dern'er article devoit être
fous-entendu , & que des Côtes ſi voiſines des endroits
où nos Vaiſſeaux pouvoient mouiller , ne
pouvoient pas leur être interdites. Mais l'Eſpagne
qui connoît tout ce que cette navigation lui a
coûté par le commerce interlope que venoient y
faire les Vaiſſeaux de la Jamaïque , par les armes
, la poudre , &c. que les Indiens ſe procuroient
d'eux , & dont ils fervoient pour inquiéter
fans ceſſe ſes colons , & vivre dans un état continuel
de rebellion , s'étoit précautionnée ; elle s'étoit
fait donner , dit- on , avant la fignature des
préliminaires une reconnoiffance du Lord Grantham
, par laquelle le cabinet de Saint-James entendoit
ne jouir de la faculté qu'on accordoit à ſes
Vaiſſeaux de mouiller dansla baie de Honduras
que pour y aller couper du bois , & non pour naviguer
ſur les Côtes voifines , ſous quelque prétexte
que ce fût. Lorsque l'original de cette déclaration
a été préſenté à M. Fox qui n'en avoit
point trouvé de copies dans ſes Bureaux , il a bien
-fallu qu'il en reconnût & approuvât la teneur , non
fans ſe permettre peut-être de la reprocher un
jour à l'ancien Miniftere » .
fe
La concluſion de ce grand & important
ouvrage ,dont le retard donnoit lieu à tant
( 66. )
de fauſſes conjectures , détruit tous les brüits
qui s'étoient répandus des embarras de la
nouvelle République Américaine , & furtout
de ce que l'on diſoit des diviſions auxquelles
elle étoit en proie par le manque
d'une tête fédérale. Nous avons cependant
traité avec cette République , & nos Miniftres
ont ſu ſans doute avec qui ils traitolent ,
& s'ils le faifoient ſurement. Si le Gouvernement
Britannique eut été porté à n'y regarder
pas de ſi près , on ne peut ſuppoſer
que les autres Puiſſances qui font intéreſſées
à une paix folide , n'y euſſent pas fait plus
d'attention . Quoi qu'il en ſoit , les nouvelles
de l'Amérique ne laiſſent plus douter que
tousles défordres dont on a parlé à Philadelphie
, ne foient entiérement étouffés ,& que
la plupart des papiers qui en ont parlé ne
les aient beaucoup exagérés. On doit en général
ſe défier de tous les détails qui nous
viennent de New-Yorck . Les différentes
pieces publiées par le Congrès ont donné
lieu à quelques réflexions , dont l'objet eſt
d'exagérer les difficultés qui peuvent s'oppofer
à leur exécution. Nous citerons ici celle
qui a donné lieu à ce qu'on a publié de la
jalouſie des Etats particuliers contre le Congrès;
c'eſt l'adreſſe que ce dernier envoya
àtous les Etats-Unis , pour leur expoſer ſes
ſentimens ſur la poſition actuelle des affaires
,& les meſures qu'il croyoit devoir leur
conſeiller.
L'eſpérance de la paix , dont nous avions la
perſpective , vient enfinde ſe réaliſer..Dans cette
( 67 )
circonftance le Congrès a dû examiner les dettes
que la Guerre a fait contracter aux Etats Unis ,
pour y pourvoir , & s'occuper des moyens de prévenir
tout ce qui pourroit troubler l'harmonie &
la tranquilité de la confédération. On a le réſultat
de ſes délibérations ſur des objets de cette importance
, dans ſes différentes recommandations jointes
à la préſente. Quoiqu'elles portent avec elles les
principes fur leſquels elles ſont fondées & la fin
qu'elles ſe propoſent , il ne ſera pas inutile d'ajouter
ici quelques éclairciſſemens , pour mieux faire
fentir la néceſſité de s'y conformer.-Le premier
objet qu'y recommande le Congrès , c'eſt de pourvoir
d'une maniere efficace aux dettes des États-
Unis , qui montent à 42, 000, 375 dollars. (1 )
Cette fomme , effectuée en un ſeul paiement , ou
àdes termes peu éloignés , eſt un effort qui excede
évidemment nos reſſources , & , quand cette opé
ration ſeroit pratiquable , le bien public deman
deroit que cette dette ſuivît le cours d'une extinc
tion graduelle , & qu'il fût fait des fonds pour
payer en attendant les intérêts annuels , qu'on
peut évaluer à 2, 415, 956 dollars: il faut donc
pourvoir àdes fonds qui procurent au moins cette
fomme par an. Les moyens de remplir le Tréfor
public , tels qu'ils font réglés par les articles de la
Confédération , conſidérés avec l'attention la plus
férieuſe , ſont inſuffifans & inapplicables à la
forme qu'il faut donner à la dette publique. II
paroît impoſſible de concilier avec la ponctualité
eſſentielle dans le paiement des intérêts de cette
dette, les délais & les incertitudes auxquels eft
expoſé un revenu à établir & à percevoir à diverſes
époques , par treize autorités indépendantes. Il étoit
(1 ) Nous en avons donné l'état détaillé dans le
Journal du mois de Juin , page 15 , &fuir,
( 68 )
impoſſible que le Congrès , dans ſes recommanda
tions , ne s'écartât pas un peu de la Conftitution
fédérative ; mais un écart ſi léger ne rend point
l'opération incompatible avec l'objet qu'on a en
vue , & il eſt d'ailleurs motivé fur les confidérations
folides de l'intérêt général & de la ſaine politique.
Le fond auquel on a pensé d'abord , eft
une taxe ſur les importations. Parmi les raifons
qui militent en faveur de cette meſure , il ſuffira
de rappeller que les taxes ſur les conſommations
font toujours les moins onéreuſes , parce qu'elles
font fupportées par ceux qui ont à la fois la volonté
& les facultés de les payer : & celles qui portent
fur le commerce étranger font les plus compatibles
avec le génie & la politique des États libres ; mais ,
d'après les'pofitions relatives de quelques uns des
États les plus commerçans, onne peut faire uſage
de cette reſſource . fans une conformité concertée
par l'entremiſe du Congrès. - En renouvellant
cette propoſition , nous n'avons point oublié les
oppofitions qui ont autrefois empêché de l'adopter
unanimement. Nous avons limité la durée du
revenu à vingt-cinq ans , laiflé aux États la nomination
des Officiers qui doivent le percevoir.
Selon les ftrictes maximes du crédit national , le
revenu ne devroit pas être ſéparé de fon objet , &
devroit refter joint à la même autorité , qui , par
ſa nature diſpenſe le premier , & eft refponfable
du ſecond. Le Congrès , en fe relâchant fur
eet objet , efpere qu'on verra dans cette condefcendance
ſa diſpoſition à fe prêter dans tous
les tems aux voeux de ſes Conftituans , & for
voeu ardent pour l'établiſſement d'un fonds qui
le mette en état de ſarisfaire aux obligations que
lui impoſent l'honneur & la justice. Pour rendre
cefonds auſſi productif qu'il eſt poſſible , & donner
moins de priſes aux colluſions & à la fraude
on a du recommander une impofition aſſez forte
( 69 )
rale. -
fur les articles les plus fufceptibles de taxe , &
dont la conſommation eſt plus égale & plus géné-
Le montant de ce fonds eſt évalué à
915 , 956 dollars. Il ne faut point s'attendre à une
préciſion rigoureuſe , dans un premier eſſai fur
une matiere aufli compliquée , & ſujette àtant de
variations ; mais on croit cette évaluation affez
près de la vérité. L'intérêt eſt de 1, 500, coo dol-
Jars; on abandonne aux États le ſoin d'y pourvoir ,
par les fonds qu'ils jugeront les plus convenables.
Dans cette occafion , le Congrès s'écarte encore
des maximes du crédit public , pour ſe conformer
au voeu de ſes conſtituans ; néanmoins il ne
faut pointdéguiſer que la maniere dont cette portiondes
revenus doit être levée , diffère ſi peu de
celle preſcrite dans les articles de Confédération ,
&que les différences ſont ſi propres à remplir le
but, qu'il eſpere que ce plan ſera adopté ſans la
moindre oppofition. En fixant les quote-parts de
cette ſomme , le Congrès n'a été guidé que par des
apperçus très-imparfaits ,& il eſt poffible qu'il en
foit réſulté quelques inégalités qui ne peuvent
être que paſſageres.- Il eſt évident qu'il faut
faire pour les deux fonds ci-deſſus un Acte indiviſible
& irrévocable : fans cela , il pourroit arriver
qu'on ne fit qu'un fonds partiel,& il eſt effentiel
de pourvoir à la totalité: les États d'ailleurs
pourroient préferer un des fonds , & les autres le
ſecond, d'où il réſulteroit qu'il n'en feroit fait
aucun. L'acte doit être irrévocable ; autrement un
ſeul État ſeroit le maître toutes les fois qu'il le
jugeroit à propos , de forcer les autres à une banqueroute,
dont ta poſſibilité ſeule oppoſeroit un
obstacle funeſte àl'établiſſement du crédit national.
Sans entrer dans toutes les diſcuſſions que
préſente un pareil ſujet, nous nous bornerons à
foumettre les deux obſervations ſuivantes à la
juſtice &à la ſageſſe des différents Corps Légif
(70
latifs. 1. Les Créanciers actuels , ou plutôt ceux
d'entr'eux qui ſont nos Compatriotes , ont prêté
leur argent pour un terme qui eſt expire, ou dans
le principe même , ne ſontdevenus créanciers qu'involontairement;
ils ont donc les uns & les autres
un droit égal à demander le principal de leurs
créances , & à ne ſe point contenter de l'intérêt
annuel. Le remboursement de ce capital étant impoffible;
il faut au moins en affuser l'intérêt d'une
maniere ſi authentique. qu'ils puiffent , s'ils le
jugent à propos , tranſporter à d'autres leurs
fonds ſans rien perdre de leur valeur. 2°. Si les
fonds ſont conftitués d'une maniere aſſez ſure pour
inſpirer une confiance entiere ; il y a lieu d'eſperer
que le capital de la dette domeſtique , qui
porte l'énorme intérêt de 6 pour , pourra être
éteint par d'autres emprunts , obtenus à un
intérêt plus modéré. Pour acquitter le principal
au terme aſſigné , nous comptons ſur l'accroiffenent
naturel du revenu provenant du
commerce ; fur les demandes qui feront faites de
tems en tems à cet effet ſelon les circonstances ,
&fur la perfpective des territoires ; ſi ces reflources
ſe trouvent infuffifantes , il faudra bien à l'expiration
des vingt-cinq ans , continuer les fonds
actuellement recommandés , ou en établir d'autres .
-
Le dernier point recommandé , eſt le changementconſtitutionnel
du réglement en vertu duquel
doit ſe faire la répartition des charges communes :
lanéceſſité de cette opération a été démontrée par
les plaintes particulieres auxquelles a donné lieu
l'évaluation des terreins dans tous les Etats où
l'épreuve en a été faite. Si les évaluations font remiſes
aux différens Etats , tout le monde n'en ſera
pas content : fi elles font faites par des Officiers
parcourant le pays pour cet objet , les déperſes
feront auffi énormes que nuiſibles . Si l'on adopte
le moyen pris dans l'acte du 17 Février dernier,
( 71 )
segardé comme le moins inaparfait , l'infuffifance
deladonnée pour l'objet auquel elle doit être appliquée,
affoiblira toujours beaucoup la confiance
dans l'exactitude du réſultat , fi elle ne la détruit
pas entierement. D'ailleurs , en ſuppoſant ce réfultat
auſſi juſte qu'il eſt poſſible , on n'en feroit redevable
qu'au principe ſur lequel eſt fondé le réglement
que nous proposons de fubftituer à l'ancien.
Ce réglement , quoiqu'il ne foit point à l'abri de
touze objection , donne cependant moins de priſfe
à la cenfure qu'aucun autre. Le ſeul inconvénient
grave qu'y ait trouvé le Congrès, c'eſt la difficulté
de fixer la différence convenable du travail & de
l'induſtrie , entre des hommes qui font libres &
d'autres qui ne le ſont pas . La réſolution à laquelle
il s'eſt enfin arrêté , a été l'effet de conceffions réciproques
; &fi on ne la croit pas encore parfaitement
bien appropriée à fon objet, le même eſprit
decondeſcendance & de conciliation parmi tous les
Corps reſpectifs , l'emportera fans doute ſur les
petites inégalités que l'on pourroit appercevoir. Le
Congrès , malgré ſa confiance dans le ſuccès de ſa
propofition , convient que l'événement peut tromper
fon attente , & il requiert que l'on continue de
prendre les informations demandées dans l'acte du
17 Février dernier , & qui feront effentielles dans
cette circonstance.-C'eſt maintenant aux Conftituans
du Congrès à prononcer ſur le fort de ce
plan: tous les objets qu'il embraffe importent à la
proſpérité de la République ; ils ferent trouver
ſeuls,dans les fruits de la révolution , une récompenſe
proportionnée aux ſoins , aux fatigues , au
fang& à tous les maux qu'elle a coutés. Mais l'objet
dont la néceſſité eſt la plus ſenſible, & fur lequel
le Congrès infiſte , c'eſt celui des fonds à faire pour
ladette nationale : quoiqu'elle ſoit forte, elle l'eft
cependant moins qu'on ne devoit s'y attendre ; &
lorſque l'on penſe à ſa cauſe, qu'on la compare
( 72 )
aux charges que des guerres d'ambition & de vaine
gloire ont accumulées ſur d'autres nations , elle
doit être ſupportée non - ſeulement avec plaifir ,
mais avec orgueil. Au ſurplus , l'étendue de la
dette eſt un objet étranger à la queſtion actuelle;
il ſuffit qu'elle ait été légitimement contractée , &
que la justice& la bonne for demandent qu'elle ſoit
payée. Le Congrès n'a que l'option entre les différens
moyens : ce n'eſt auſſi que ſur cette option
que peuvent porter les délibérations des différens
Etats. Celui qu'une diſcuſſion auffi longue que laborieuſe
& réfléchie a fait adopter de préférence ,
eft le moins imparfait de tous ceux que l'on auroit
pu imaginer. Dans cette confiance , nous fommons
les différens Etats , au nom de la justice & de la
foi publique folemnellement engagée , de donner à
/ cette meſure tout l'effet qu'elle doit avoir , de réfléchir
à ce qui pourroit arriver fi elle étoit rejettée ,
&de ſe ſouvenir que le Congrès ne ſeroit pas refponſabledes
conféquences .-Si , dans une occafion
comme celle-ci , l'on pouvoit avoir recours
àd'autres conſidérations qu'à celles de la justice ,
aucune Nation n'en a jamais eu de plus déterminantes.
En effet , quels font les créanciers que
nous devons payer ? D'abord un Allié qui a défendu
notre cauſe , non-feulement par ſes armes , mais
par ſes tréſors , & dont l'amitié , non contente de
nous prêter des ſommes confidérables, a ſignalé,
par lesdons les plus généreux , une magnificence
que fon coeurmagnanime a empreinte juſques dans
les ſecours que nous avons obtenus de lui par nos
emprunts.- En ſecond lieu , les particuliers dans
un pays étranger, les premiers à nous donner des
marques fi précieuſes de la confiance que leur infpiroitnotre
équité, &de leur affection pour notre
caufe, & membres d'une République qui a été la
ſeconde à reconnoître notre rang parmi les Nations.
U exiſte encore une autre claſſede créanciers
,
( 73 )
ders, c'est ce nombre infini de nos illuftres & vrais
Compatriotes , dont le ſang & la valeur ont défendu
la liberté de ce pays , qui , au milieu de toutes
les détreſſes qu'ils éprouvoient , ont fouffert patiemment
celle de la privation de leur folde , tant
que les calamités de leur Pays l'ont mis dans l'impuiſſance
de reconnoître , au moins par un fi foible
prix , tout ce qu'il doit à leurs ſervices , & qui
actuellement même, ne demandent , fur tout ce
qui leur eſt légitimement dû, que la portion indif
penſablement néceſſaire pour ſe retirer , du champ
de la victoire & de la gloire , dans le ſein de la
tranquillité domeftique , & rentrer dans la claſſe
privée du citoyen,& ne follicitent , pour le reſte de
leurs droits , qu'une fûreté efficace , telle que leur
Patrie eft certainement en état de l'accorder à
leurs juſtes réclamations. -Le reſte des créanciers
eſt compofé en partie de ceux de nos concitoyens
qui ont dans l'origine prêté leurs fonds à la Nation ,
ou qui depuis ont manifeſté la plus grande confiance
en leur Pays , en recevant des tranſports
des prêteurs ; & en partie de ceux dont les biens
ont été avancés ou pris pour le ſervice public.
Vouloir établir des diſtinctions entre leurs droits ,
feroit une entrepriſe auſſi inutile pour la Nation ,
qu'odieuſe pour les particuliers. Si la voix de l'humanité
parle plus haut en faveur de certains d'entre
eux , la voix de la politique , d'accord avec celle de
la justice , parle en faveur de tous. Une Nation
ſage ne ſouffrira jamais que ceux qui ſecourent
leur Patrie dans ſes beſoins , ou ceux qui mettent
la plus grande confiance dans ſa foi , dans ſa
fermeté & dans ſes reſſources , ſouffrent les uns
plus que les autres des événemens qui ont pu déranger
ſes ſpéculations . Refſouvenons-nous enfin
d'une circonſtance qui a toujours inſpiré un
noble & jufte orgueil à l'Amérique , c'eſt que les
droits pour la défenſe deſquels elle avoit pris les
13 Septembre 1783 .
-
d
( 74 )
armes, font les droits de l'humanité. Grace à
l'efficacité que l'auteur de ces droits a daigné donner
aux moyens employés pour les faire valoir , ils ont
triomphe de toutes les oppofitions , & ils forment
actuellement la baſe inébranlable fur laquelle repoſent
treizeEtats indépendans. Un Gouvernement
Républicain n'a jamais eu & n'aura jamais une
occaſion ſi brillante de justifier par les effets les
formes pures qui compoſent fa conſtitution. Sous
ce point de vue, les citoyens des Etats-Unis font
comptables du dépôt le plus important qui ait jamais
été confié à une Société politique . Si la justice ,
'la bonne foi , l'honneur , la gratitude , & toutes
les autres qualités qui ennobliſſent le caractere
'd'une Nation , en même temps qu'elles rempliffent
l'objet du Gouvernement , font les fruits de nos
établiſſemens , la cauſe de la liberté acquerra un
luſtre & une digniré qu'elle n'a jamais eu , &
nous aurons la gloire de donner un exemple qui
ne peut qu'avoir l'influence la plus favorable fur
les droits de l'humanité . Mais fi , d'un autre côté ,
nos Gouvernemens ont le malheur de fe déshonorer
par une conduite directement oppoſée aux
vertus dont nous venons de parler , & qui font les
plus effentielles pour l'Amérique , la grande cauſe
que nous nous fommes chargés de venger , fera
avilie& trahie ; la derniere & la plus célebre des
épreuves en faveur des droits des humains , tour-
"nera contre eux-mêmes , & on verra leurs protecteurs
& leurs amis infultés & réduits au filence par
les vils fuppôts de la tyrannie & de l'ufurpation.
Une piece qui tientimmédiatement à cellelà,
& qui peut donnr une idée juſte de l'état
actuel de l'Amérique , & de ce qu'elle pent
faire , eſt la recommandation ſuivante adreffée
aux Etats-Unis par le Congrès le 18
Avril dernier.
( 75 )
Arrêté par neuf Etats , qu'il ſera recommandé
aux divers Etats , comme un objet d'une néceffité
indiſpenſable pour le rétabliſſement du crédit
public , & le paiement ponctuel & honorable des
dettes publiques , d'autoriſer le Congrés à lever
les droits fuivants fur les marchandiſes importées
dans leſdits Etats par les bâtimens venans d'un
port étranger quelconque , d'une ifle ou colonie.
- Sur tous rum de la Jamaïque par gallon ,
4-90emes, d'un dollar ; fur toutes les autres liqueurs
fpiritueuſes , 3-90 ; fur le vin de Madere ,
12-90; fur tous les autres vins , 6-90 ; fur le
thé-bou.commun , par livre , 6-90; ſur tous les
autres thés , 24-90; ſur le poivre , par livre , 3-903
fur le fucie brun , par livre , -90 ; ſur le ſucre
en pain , 2-90; ſur tous les autres ſucres , 1-90 ;
fur les melaſſes , par gallon , 1-90; fur le cacao
& le caffé , par livre , 1-90. - Sur toutes les
autres marchandiſes un droit de cinq p . , ſelon.
leur valeur au temps & à l'endroit où elles font
importées. Leſdits droits ne feront appliqués
qu'au paiement de l'intérêt ou du principal des
dettes contractées fur la foi des Etats Unis pour
foutenir la guerre , conformément àl'arrêté du
16 décembredernier & ils ne feront perçus que
pendant 25 ans ; les Receveurs feront nommés
par les Etats dans l'étendue deſquels ils exerceront
leurs fonctions ; mais ils ſeront jufticiables
du Congrés qui pourra les priver de leur emploi ;
dans le cas où un Eraton'aura pas falt cette no-
-mination un mois après qu'il aura été requisd'y
procéder , elle pourra être faire par le Congrés.
-Qu'il ſera en outre recommandé aux divers
Etats d'établir pour un terme limité à 25 ans ,
&de deſtiner au paiement de l'intérêt du principal
des dettes , des revenus ſolides & effectifs & de
la nature qu'ils jugeront la plus convenable pour
fournir annuellement leurs contingens reſpectifs
d2
( 76 )
de la ſomme de 1,500,000 dollars , excluſivement
des droits ſuf-mentionnés , lequel contingent
ſera fixé & égalisé de temps à autre , conformément
à la regle qui eſt ou pourra être prefcrite
par les articles de confédération. Dans le
cas où les revenus établis par un Erat quelconque
rendroient une ſomme qui excede ſon contingent
effectif , cet excédent lui ſera reſtitué ; & s'il ſe
trouvoit un déficit dans les revenus d'un Etat quelconque
, il ſera tenu d'y ſuppléer & de pourvoir
à ce qu'il ne s'en trouve plus à l'avenir. En at
tendant la regle de confédération , les contingens
deſtinés à former la ſomme de 1,500,000 dollars ,
feront répartis ainſi :-New-Hampshire , 52,7085
Maſſachuſett , 224,427 ; Rhodeifland , 32,3185
Connecticut , 132,091 ; Newyorck , 128,2435
New - Jerſey , 83,358 ; Penſilvanie , 205,189 ;
Delaware , 22,443 ; Maryland , 141,517 ; Virginie,
156,467 ; Caroline ſeptentrionale , 109,006;
Caroline méridionale , 96,183 ; Géorgie , 16,030 .
-Il ſera dreſſé tous les ans un compte du produit
& de l'emploi de ces revenus ; ce compte
ſera tranſmis aux divers Etats ; l'on y énoncera
ſéparément le produit de chacun des articles ſpécifiés
, le montant de tout le revenu reçu de
chaque état , & le ſalaire accordé aux Officiers
chargés de le lever. Aucune des réſolutions
précédentes ne ſortira ſon effet qu'aprés qu'elles
auront été toutes agréées par chaque Etat ; mais
dès qu'elles feront regardées comme formant un
accord mutuel entre tous les Etats , elles ne pourront
être révoquées par aucun & par plufieurs
d'entreux ſans le concours de tous ou d'une majorité
des Etats Unis aſſemblés en Congrés .
Pout hâter l'extinction des dettes & établir la
bonne harmonie , il fera recommandé aux Etats
qui n'ont paflé aucun acte à l'effet d'approuver
Les réſolutions du Congrés des 6 Septembre &
( 77 )
10 Octobre 1780 , relativement à la ceſſion de
prétentions territoriales , de faire les ceffions recommandées
en icelles ; & à ceux qui peuvent
avoir paſſé des actes où ces réſolutions ne font
approuvées qu'en partie , de revoir ces actes , &
donner leur plein confenteemmeennttà ces réſolutions.
-A l'effet d'avoir une regle plus sûre & plus
commode pour déterminer les contingens que les
Etats devront fournir respectivement au tréſor
commun , le changement dans les articles de confédération
& d'union perpétuelle eſt arrêté en
Congrés , & les divers Etats font avertis d'autorifer
leurs Délégués reſpectifs à figner & ratifier
ce changement , comme faiſant partie dudit acte
d'union. - Le 8°. article de cet acte portoit :
a Tous les frais de la'guerre & toutes les autres dépenſes
qui feront faires pour la défenſe commune
ou pour l'avantage général , & qui feront ordonnés
par l'aſſemblée des Etats Unis feront payés des
fonds d'un tréſor commun. Ce tréſor commun
ſera formé par les divers Etats , en proportion
de toutes les terres quidans chaque Etat auront
été accordées à une perſonne quelconque , d'autantque
ces terres, ainſi que leur amélioration& les
bâtimens qui en dépendent feront évalués conformément
à la regle qui ſera preſcrite de temps à autre
par l'aſſemblée des Etats Unis » . Tout cet énoncé
eſt révoqué & déclaré nul , & les Etats Unis afſemblés
en Congrés déclarent que tous les frais
de la guerre& toutes les autres dépenſes qui ont
été ou qui feront faites pour la défenſe commune
ou pour l'avantage général , & qui feront
ordonnées par l'aſſemblée des Etats Unis , à moins
qu'il n'en foit ordonné autrement, feront payées
des fonds d'un tréſor commun qui ſera formé par
les divers Etats , en proportion du nombre total
de blancs & autres citoyens libres & habitans ,
de tout âge , ſexe on qualité , y compris ceux
d3
(:78)
qui font réduits à l'esclavage pour quelques années
& trois cinquiemes des autres individus qui
n'ont pas été dénommés ci-deſſus , à l'exception
des Indiens exemptés de taxe dans chaque Etat ;
il ſera fait tous les trois ans un dénombrement
dans lequel ſera marqué le nombre ſuſ-mentioné ,
& ce dénombrement ſera envoyé au Congrés .
Les lettres d'Irlande annoncent toujours
beaucoup de fermentation dansce royaume.
Parmi les inftructions que la ville deDublin
veutdonnerà ſes repréſentans au Parlement,
on compte celles-ci .
Ils doivent demander un bill déclaratoire des
droits des citoyens dans leur plus grande étendue ;
que le Parlement s'aſſemble tous les ans ; une répartition
égale des droits payables ſur toutes efpeces
d'effets , ſoit qu'ils arrivent de la Grande-
Bretagne , ou qu'ils y foient portés ; une taxe fur
tous les Irlandois abſens quels qu'ils foient , & à
quelque titre que ce ſoit ; l'abolition de l'addition
nouvellement faite aux droits impoſés ſur les vins
de France en faveur de ceux de Portugal , à moins
que la CourdeLisbonne ne permette l'entrée des
marchandises d'Irlande ſur le même pied que celles
d'Angleterre ; l'abrogation de la Cour d'Amirauté
Britannique , du bureau des Poſtes , & de tous les
veſtiges d'ufurpation ſubſiſtant encore en Irlande .
:
Il circule ici une lettre de l'Inde écrite vers
la fin de Décembre : ſes détails , s'ils font
exacts , font de la plus grande importance.
>> Il ſe prépare dans nos climats une révolution
qui peut-être diminuera en Europe l'ardeur des
projets de conquête. Les peuples du Décan , heureux
ſous le regne de Nifan-el-Moulouk , ſe trouvent
aujourd'hui fatigués de la guerre qui déſole
ce Royaume & le Carnate; ils accuſent de leurs
malheurs les Européens , & veulent prendre les
( 79 )
armes contre eux , à condition que Tipoh-Saib ,
fils & fucceſſeur d'Ayder- Aly s'alliera avec le Nabab
de Lackanor , d'Aoul & d'Eleabad , pays voifins
du Bengale. Ce Nabab , qui jouit d'une grande
autorité , eſt Grand-Viſir à la Cour de Dehli ,
fous le regne actuel de Chan Alem , Empereur
du Mogol. Il déteſte la domination angloiſe , & ,
auſſi jaloux de conſerver la gloire que les tréſors
de ſon pays , il a obſervé que les ſujets des Nababs
de l'Inde ne s'entredéchiroient les uns les autres ,
& n'étoient opprimés & oppreſſeurs tour-à-tour ,
que pour l'intérêt des Européens , les ſeuls auteurs
de leurs diviſions &de leur mifere. Son projet eft ,
dit-on , d'attaquer la partie de l'Eſt , tandis que
Tipoh- Saib attaquera celle de l'Oneſt. Hréſulte, de
l'état continuel de guerre dans ces contrées , que
les ouvriers ſont vexés ſans relâche , par l'avidité
européenne ; & cette avidité eſt plus active ,
depuis qu'une partie des richeſſes des Indiens, a
paffé dans les mains des Anglois ».
L'intérêt que l'infortuné Ryland excite ,
ramene fans ceſſe à ſa poſition malheureuſe ,
&ſes talens qui le diftinguent de la foule
des coupables deſtinés à fubir fon fort , ajoutent
à la pitié qu'il inſpire.
Le 22 on fit à S. M. le rapport des coupables
condamnés à la mort ; & dans la liſte qui a été
renvoyée de ceux qui doivent être exécutés , fe
trouve le nom de Ryland. On dit qu'il y eut beaucoup
de débats dans le Cabinet à ſon ſujet , lorſque
la requête en ſa faveur y fut portée ; ils durerent
plus long-temps que tous ceux qui ont jamais cu
lieu en pareille occafion ; mais l'effet n'a rien changé
àfon fort. Cet infortuné a cinq enfans , dont l'un
eſtdans les Indes Orientales. Le 27 fa femme alla
à Saint-James , préſenter une nouvelle requête au
Roi: on fut obligé de la porter dans l'appartement ,
d 4
( 80 )
&de la foutenir , lorſqu'elle ſe mit à genoux avee
fon papier à la main. Cette derniere démarche n'a
pas eu plus de ſuccès que les précédentes. Cet infortuné,
en ſubiſſant ſon ſupplice, a laiflé imparfaites
trois belles planches qu'il avoit commencées ; les
ſujets font, le Roi Jean délivrant la grande charte
à ſes Barons ; Edwen & Elwine , & la Bataille
d'Agincourt. Parmi ſes effets , ſont les principaux
tableaux d'Angélique Kauffman. Ce fut le 29 du
mois dernier qu'il fut exécuté. La foule n'avoit
jamais été ſi conſidérable à Tyburn , depuis la fin
du Docteur Dord ; on a remarqué qu'il y a eu des
fenêtres louées depuis fix juſqu'a dix guinées.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 9 Septembre.
Le Roi a nomméà l'Intendance de Tours ,
qui a vaqué par la morr de M. du Clufel ,
M. Daines , Intendant de la Généralité de
Limoges ; à l'Intendance de Limoges , M.
Meulan d'Ablois, Intendant de Montauban ;
& à l'Intendance de Montauban , M. de
Trimond , Maître des Requêtes.
Le Chevalier de Viviers , Miniſtre plénipotentiaire
du Roi près les Princes & Etats
du cercle de la baſſe Saxe , de retour en cette
ville par congé , eut, le 4 de ce mois , l'honneur
d'être préſenté à S. M. par le Comte de
Vergennes , Chef du conſeil royal des finances,
Miniſtre & Secretaire d'Etat , ayant
Le département des affaires étrangeres .
DE PARIS , le 9 Septembre.
Le 3 de ce mois , entre midi & une heure ,
lesPlénipotentiaires s'étant aſſemblés à Verfailles
chez M. le Comte de Vergennes , le
( 81 )
traité définitif de paix entre l'Eſpagne &
l'Angleterre fut ſigné , & enfuite celui entre
la France & l'Angleterre. Dans la matinée ,
celui des Etats-Unis avoit été ſigné ici par
les Commiſſaires reſpectifs ,& la veille , les
préliminaires de la paix entre la Grande-Bretagne&
la Hollande l'avoient été également
à Paris . On dit que les Miniſtres des Etats-
Généraux ayant reçu des pleins pouvoirs
pour tout terminen , auroient déſiré figner
auſſi le traité définitif le 3 , mais que le Duc
de Mancheſter s'eſt excuſe ſur le défaut d'inf
tructions de ſa Cour à ce ſujet,
En attendant la publication des traités , voici ce
que l'on en dit dans le public. Le nôtre eſt compoſé
de 24 articles , on ne dit point qu'il differe
enriendes préliminaires. Celui des Eſpagnols eft
en 12 articles. Leplus long fixe les limites du diſtrict
accordé auxAnglois pour la coupe du-bois de campêche
,& prévient toute diſpute ultérieure à ce ſujer.
C'eſt tout ce qu'on a ajouté aux préliminaires ;
le reſte y eſt entiérement conforme. Quant au
traité avec les Etats-Unis , on n'a rien changé à
ce qui avoit été convenu par les premiers pactes.
Ceux que les Hollandois ont figné font en 11 articles.
Les plus eſſentiels font 1º. la ceſſion de
Négapatnam que les Etats-Généraux font à la
Grande-Bretagne ; ( celle - ci conſent cependant par
le Ve Article à rendre cette poſſeſſion que les Hollandois
jugent fort importante , ſi on lui offre en
compenfation quelqu'objet qui puiſſe la dédommager
de ce facrifice. ) 2°. La libre navigation dans
l'Inde; elle n'eſt , dit- on , exprimée que par une ſeule
ligne. Les Hollandois ne troubleront pas la navigation
des Sujets de la Grande-Bretagne dans les
ds
( 82 )
mers des Indes Orientales. Il n'eſt point queſtion
dans ces préliminaires de renouveller les traités de
commerce entre les deux Nations ; il y eſt ſeulement
ſtipulé que le falut en mer aura lieu de la
Paarrtt des Hollandois comme parle paſſé.
Tous les Plénipotentiaires dînerent enfuite
chez M, le Comte de Vergennes à une
table de 31 couverts. Les Ambaſſadeurs des
Etats-Généraux & les Miniſtres des Etats-
Unis s'étoient rendus pour cet effet de Paris
à Verſailles . Il y avoit 11 perſonnes préſentes
à la ſignature des Traités , M. le Comte de
Vergennes , M. le Vicomte de Vergennes ,
ſon fils , M. de Rayneval , M. le Comte
d'Aranda , M. le Chevalier de Heredia , M.
le Duc de Mancheſter , M, le Comte de
Mercy & fon Secrétaire d'Ambaffade ; M.
le Prince de Bariatinski , M. de Markoff;
& le Secrétarre d'Ambaſſade Ruffe.
Les Officiers nommés par le Roi pour
le Conſeil de guerre qui doit examiner l'affaire
du 12 Avril font M. le Comte de Breugnon
, Préſident , MM. le Comte de Guichen
, de Lafcary, Deshayes de Cry , Darbaud
de Jonques , & de la Motte-Piquet ,
Lieutenans-Généraux ; MM. de Marin , d'Apchon&
deCherifaye ,Chefs d'Eſcadre : MM.
de Nieuil, de Balleroy,Huon de Kermadec ,
& de Thévenaud , Capitaines de Vaiſſeaux;
ce dernier eſt Commandant du port de l'Orient
, où doit ſe tenir le Conſeil de guerre.
Il n'en eſt pas de l'expérience de MM. de
Montgolfier , comme de ces modes futiles ,
&de ces inventions communes qu'un feul
P
( 83 )
jour voit naître& rejetter. Depuis qu'elle eft
connue , depuis qu'elle a été répétée ici avec
ſuccès , il n'eſt queſtion à la Cour & à la
ville que d'en faire de nouvelles. Avant de
parler de celles qu'on propoſe , nous dirons
encore unmot du Globe tombé à Goneffe.
Les Phyſiciens prétendent qu'il feroit reſté
plus long-temps en l'air , s'il avoit été moins
plein de gaz inflammable. D'autres avec plus
de raiſon attribuent ſa chute précoce , non
à la détonation du gaz , mais à la réſiſtance
qu'oppoſa l'air athmoſphérique dont on avoit
achevé de le remplir , qui le trouvant dans
unair plus rare lorſque leGlobe fut à une
certaine hauteur ,&n'étant plus contenu par
l'air extérieur , fit éclater la machine. Quoiqu'il
en ſoit de ces explications , le Globe
tomba affez lentement , & fut vu par des
payſans qui le prirent pour un monitre.
Paris qui vit avec étonnement s'élever la machine
aëroſtatique , le 27 du mois dernier , nous
écrit-on d'Arnouville près Goneffe , ne ſera peutêtre
pas faché d'apprendre quelques circonstances
de ſa chûte. L'hiſtoire en eſt aſſez plaiſante. A cinq
heures trois quarts du ſoir de ce méme jour , elle
fut apperçue un peu au deſſus de Goneffe par deux
Charretiers occupés à labourer. Elle commençoit
alors à deſcendre ,& fon volume groſſiffoit à vue
d'oeil. Saifis à l'aſpect de ce phénomène inoui , ils
ceffent leur travail , débarraſſent leurs chevaux , &
ſe mettent à fuir. Cependant , comme ils étoient
naturellement courageux , confus de leur peur,ils
oſent regarder derriere eux. La Machine alors étoit
tombée : mais comme ils la virent ſe remuer , s'agiter
, bondir & tourner en tout fens , ſe rappel
d6
( 84 )
lant alors les menaces d'un Berger voifiu , & perfuadés
que c'étoit un de ſes tours , ils reprennent
leur courſe avec plus de violence qu'auparavant .
Mais ce fut en vain : un coup de vent fit rouler le
monſtre de leur côté , & il les eut bientôt atteints.
Il fallut donc ſe réſoudre à combattre . Se ſentant
talonnés , & n'ayant point de temps à perdre , ils
s'arment de pierres qu'ils lancent avec fureur.
L'animal , toujours agité & roulant , évita les premiers
coups. Mais enfin il en reçut un mortel qui
lui fit pouffer un long ſoupir. Alors ce fut un cri
de victoire ; un nouveau courage ranime les combattans.
Le plus hardi des deux , comme un a
tre Dom Quichotte , s'approche du monftre expirant
, & d'une main encore tremblante lui enfonce
fon couteau dans, le ſein. Le couteau y entra ſans
réſiſtance, & donna paſſage à un air infect qui punit
auffitôt le téméraire. Le globe étoit encore
aſſez gonflé pour préſenter un gros volume , &
inſpirer de l'effroi. Les deux charretiers vainqueurs
voyant de loin un autre de leur compagnon avec
fa voiture , l'appellerent pour le charger de ce
fortilege. ( Car c'eſt ainſi qu'ils nommoient la
Machine. ) Celui- ci refuſa conſtamment de porter
cette malédiction chez fon maître , & ſe retira
avec précipitation. La machine fut donc attachée
'à la queue d'un cheval & roulée dans la boue
jusqu'àGoneſſe, où elle entra toute défigurée. La
preuve qu'elle ſe faiſoit encore redouter dans cet
état, c'eſt que les chartetiers , avant d'entrer dans
la ferme , crurent devoir avertir leur maitreſſe de
me rien craindre , parce qu'ils l'avoient miſe hors
d'état de faire aucun mal. L'Ingénieur , à qui le
globe appartenoit , le vint redemander le lendemain
, & donna avec peine une petite récompenſe
aux charretiers , qui vraiſemblablement en au
roient reçu une plus grande , s'ils euffent eu la
précaution de faire un cours de Physique,
L
( 85 )
Lanouvelle expérience que propoſe M.
Montgolfier lui-même ſera ſurement très-intéreſſante.
Une perſonne qui a vu & meſuré
la machine nous en adonné les détails fuivans.
« Elle étoit déjà fort avancée , puiſque les Commiſſaires
de l'Académie des Sciences devoient
bientôt en faire l'expérience. Cette machine , qui
a 72 pieds de long , ( c'est- à-dire qu'il y a peu de
maiſons auſſi élevées )& 38 pieds de diamêtre dans
ſa plus grande largeur , eſt terminée cu forme de
bonnet de Prêtre ; l'autre extrémité , l'inférieure ,
reſtera abſolument ouverte . La Machine eft compoſée
d'une toile commune , quoique affez fine ,
revêtue en dehors & en dedans d'un papier exactement
collé , qu'on peindra au dehors en forme de
nuages C'est une choſe vraiment curieuſe que d'y
voir travailler M. de Montgolfier ; il entre dans
ſa machine , fait du gaz la toile , ſe leve , & les
ouvriers , hommes & femmes , ſont ſur des échelles
&couſent â meſure , en forte que ce qui ſervira à
l'élever dans les airs , fert auſſi à ſa prompte conftraction.
Voilà où l'homme de génie ſe fait connoître
; c'eſt par la ſimplicité des moyens qu'il emploie;
il en a couté à MM. Robert & Charles près
de 1200 liv . degaz inflammable pour remplir une
Machine deux fois plus petite que celle de M. de
Montgolfier ; celui- ci , pour un louis , en aura aſſez
pourconſtruire la fienne& la faire élever dans l'air .
Le procédé de cet habile homme eſt encore un ſecret
, quoiqu'il ſoit prêt à le donner quand on le
lui demandera ; on fait que ſon gaz eſt tiré de la
matiere animale , telle que les tripes de boeuf, de
mouton , &c. J'ai dit que la Machine reſtera onvertepar
le bas; il n'eſt pas à craindre pour cela que
legaz fe perde auſſi vite qu'on pourroit le croire;
ſa nature eſt de s'élever ,& quand même il vou
( 86 )
droit s'échapper par cette ouverture, l'air extérieur
le forceroir de rentrer. M. de Montgolfier
peut encore , à ce qu'il dit , ſuppléer à cette déperdition
, en attachant à cette ouverture une cor .
beille ou toute autre machine qui fourniroit du
nouveau gaz pendant un long eſpace de temps.
Ce Globe s'élevera avec une force de 1200 livres ,
enſorte qu'il pourroit foulever ailément des moutons
, des boeufs ou toute autre bête , ſi l'on vouloit
juger , lorſqu'il fera à une grande hauteur , de
l'effet de l'air ſur un animal vivant. Un particulier ,
dévoré de l'amour des ſciences , a offert à l'Académie
de s'attacher à la Machine pour s'élever avec
elle ; l'Académie ne devoit ni ne pouvoit accepter
cette offre. Ondit qu'après la premiere expérience ,
lorſqu'on fera afſuré que M. de Montgolfier peut
modérer & fufpendre les mouvemens de fa Machine,
qu'il peut la faire retomber doucement , &c .
il fera permis alors à trois particuliers , dont on
tait les noms , de naviguer dans l'air avec elle.
Ces expériences doivent ſe faire fauxbourg S.
Antoine dans l'endroit même où la Machine
ſe conſtruit; on ne doit admettre dans l'enceinte
que les Commiſſaires de l'Académie ; mais des hau.
teurs de Charonne & de Bagnolet les Curieux
pourront jouir de ce ſpectacle. On ne doit pas l'abandonner
à elle-même , mais la retenir avec des
cordes , ainſi qu'un cerf- volant , parce que le Roi
veut la voir. Cette expérience ſe répétera incefſamment
dans une enceinte capable de contenir
toute la Cour , pratiquée à cet effet dans le parc
de Verſailles » .
,
Quelque curieux que puiſſe étre l'eſſai des
perſonnes qui voudront voyager dans l'air ,
il paroît fans doute délicat; mais il ne rebute
pas biendes hommes qui ſe propoſent de le
tenter; l'un d'eux a fait inférer dans quel
( 87 )
ques papiers publics l'avis ſuivant.
Tous les Phyficiens doivent , je penſe , croire
actuellement à la poſſibilité de la navigation aërienne.
Le plus difficile eft fait ; & il ne s'agit plus
que de trouver les moyens de diriger & faire
monter & defcendre la machine aëroſtatique. Un
gouvernail , une voile & la faculté de pouvoir diminuer
ou augmenter le diamètre horizontal du
globe vaincroient les dernieres difficultés . Je ſuis
tellement perfuadé des reſſources de la Phyſique &
de la Méchanique réunies & employées habilement
à cet égard , que s'il ſe trouve une Société
de Savans & d'Amateurs qui veuillent faire les
frais des expériences qui conduiroient à la conftruction
d'un globe , fait de maniere à cheminer
pluſieurs lieues par air , je la monterai & le conduirai.
La récompenfe de mon audace fera l'honneur
d'avoir été le premier navigateur aërien. On
ſe tromperoit , ſi l'on croyoit que cette propofition
eſtd'un fol enthouſiaſte , ou d'un homme fans
état. J'écris ceci avec réflexion & mon état est sûr
& honnête. Je ne me nommerai pourtant qu'à
une ſeule perſonne de la Société que je defirerois
'ſé former. Protecteurs des Sciences , Savans illuftres
, Artiſtes renommés , c'eſt à vous qu'il appar-
'tient de faciliter & perfectionner cette fublime découverte
, qui doit prouver , plus qu'aucune qui
ait jamais été faite , la puiſſance & le génie de
Thomme. Si l'on m'indique , M. par la voie de
'votre Journal , un Savant connu ou un Amateur
diftingué , auquel je puiffe me confier , je me ferai
bientôt connoître à lui.
*
DE BRUXELLES , le 9 Septembre.
La fignature des Traités définitifs de paix
entre toutes les Puiſſances belligérantes , à
Fexception de la Hollande qui n'a figné que
( 88 )
le Traité préliminaire de la ſienne , eſt un
événement intéreſſant. On attend avec impatience
l'échange des ratifications , pour
avoir la connoiſſance pleine de ces Traités.
En attendant qu'ils folent publiés , on ſera
bien aiſe de trouver ici le véritable état des
négociateurs de la République. Le préavis
arrêté ſur ce grand objet dans l'aſſemblée
des Etats de Hollande & de West- Friſe expoſe
ainſi les préliminaires propoſés par l'Angleterre
à la République.
M. Jean de Kuffeler , Député de cette Province
a l'aſſemblée de L. H. P. les Etats Généraux des
Provinces-Unies , ayant envoyé copie d'une lettre
de nos Miniſtres à Paris , en date du 13 de ce mois
& adreſſée à M.le Greffier Fagel , dans laquelle ils
expoſent en général l'état des négociations de la
paix , & en particulier que le Ministere Anglois infifte
SUR LA CESSION DE NÉGAPATNAM , LA LIBRE
NAVIGATION SUR LES MERS DES INDES ORIENTALES
, ET SUR L'OBLIGATION DU SALUT SUR
L'ANCIEN PIED EN BAISSANT LE PAVILLON , &c.
Que, forcés par l'extrême néceſſité , ils avoient
réſolu de confentir à la ceſſion de Négapatnam ,
fous condition que le Ministere Anglois accepteroit
de ſon côté les autres articles propoſés , dont copie
étoit jointe à leur lettre , & ſpécialement qu'il n'infiſteroit
plus ultérieurementfur la libre navigation ,
& l'obligation du ſalut ; deux points auxquels ils
n'étoient point autoriſés à confentir : mais que
l'Ambaſſadeur d'Angleterre n'ayant point voula
s'en défifter , ils demandoient des inſtructions ultérieures
& promptes à L. H. P. , M. de Vergennes
leur ayant formellement communiqué , « que les
affaires entre la France , l'Espagne & l'Angleterre
étoient entiérement arrangées , & les traités collationnés
enpréſence des deux Cours Impériales;qu'en
( 89 )
conféquence on auroit pu procéder à la fignature ;
fi l'on n'avoit pas jugé qu'il convenoit de ne rien
précipiter avant que les affaires de la Républiqne
fuffent également applanies : inſiſtant de la maniere
laplus ſérieuſe que la fituation actuelle des affaires
de l'Europe exigeoit que par la conclufion d'une
paix définitive, tout fut porté à un repos abſolu
de ce côté ci ; & que les autres Puiſſances intéreſſées
preffoient avec beaucoup de chaleur la concluſion
&la fignature finales >>.- Sur quoi ayant été mûrement
délibéré , & pris en conſidération que dans
les circonstances critiques , à tous égards , où la
République ſe trouve,elle ne peut choiſir qu'une
de ces trois alternatives , ſavoir : Ou que la République
rejette les conditions actuellement offertes ,
&que pendant que les autres Puiſſances concluent
la paix , elle continue ſeule la guerre contre la
Grande-Bretagne : ou que , pendant que les négo
ciations ont lieu en France , l'on cherche à traiter
directement avec l'Angleterre , afin d'en obtenir
des conditions plus avantageuſes : Ou enfin que la
République concourre de la meilleure maniere poffible
, & même aux conditions qui nous ſont offerzes
, quelques dures qu'elles ſoient, à la paix générale.
La premiere de ces alternatives ſeroit ſans
doute la plus honorable , en ce qu'elle s'accorde
non-ſeulement avec la dignité de la République ,
mais qu'elle eſt conforme au ſyſtême propoſé par
cette Province dès le commencement de la guerre ,
ſavoir : d'employer toutes les forces de la République
, afin de la pouſſer de la maniere la plus vigoureuſe,
&par-lå de ſe délivrer , pour le préſent
&pour toujours , de l'influence ruineuſe & honteuſe
de l'Angleterre ſur cette République. Les
Etats de la Province de Friſe ont pluſieurs fois fait
connoître leur maniere de penſer à ce ſujet , & particulierement
au cominencement de la guerre , en
propoſant une alliance formelle avec la France ,
( १० )
alliance par laquelle on autoit fait cauſe commune ,
tant pendant laguerre qu'à la conclufion de la paix ;
mais cette propoſition n'a eud'autre effet que d'être
rendue commiſſoriale , ſans qu'il en aitjamais été
fait aucun rapport. Cette Province l'a encore plus
fenfiblement démontré , en précédant les autres
Confédérés dans le refus d'une paix particuliere
avec la grande Bretagne , offerte à la République
fous l'apparence de conditions favorables. Elle
avoit enfin montré combien c'étoit ſon intention
férieuſede pouffer la guerre avec force , lorſqu'elle
avoit propoſé aux Confédérés , à l'occaſion de la
non-exécution de l'envoi des vaiſſeaux à Breſt , de
faire des recherches pour découvrir les coupables
à eet égard , mais principalement d'améliorer , s'il
étoit poſſible, la direction des affaires maritimes ,
fi viſiblement mauvaiſe , & d'écarter une fois pour
toutes les empêchemens aux ordres du Souverain :
laquelle propofition n'a pas eu plus de ſuccès que la
premiere : la lettre circulaire expédiée à cet effer
aux Confédérés étant reſtée ſans réponſe , & fans
produire en rien le ſuccès defiré.- Conféquemment
Leurs Nobles Puiſſances ( confiiérant la direction
défavorable qui a eu lieu juſqu'ici dans la
guerre, le peu d'effet de leurs efforts bien intentionnés
pour les améliorations,& la perspective que
les choſes pourroient être coutinuées ſur le même
pied, au cas qu'avec les autres Confédérés , elles
tinflent pour la premiere alternative ) ſe trouvent
obligées d'y renoncer.
Que leurs Nobles Puiſſances ne rencontrent pas
moins de difficultés dans le ſecond parti : car quoiqu'il
parût très-plausible , même à LL. NN. PP. ,
qu'en traitant directement avec l'Angleterre , l'on
pût obtenir la conſervation de Négapatnam , &
peut-être plus de condefcendance ſur l'article de la
navigation libre dans les mers des Indes Orientales,
il ne paroît d'ailleurs pas moins certain que
( 91 )
ces faveurs de la Grande-Bretagne ne pourroient
être obtenues qu'à des conditions moins avantageuſes
& plus humiliantes , que par le renouvellement
des Traités précédens , que ce Royaume a fi
infidelement rompus , & expliqués felon fon intérêt
particulier : démarche par laquelle la République
, non-feulement ſe trouveroit entraînée plus
que jamais ſous le joug de l'Angleterre , mais ſe
précipiteroit peut- être encore , par relation avec
d'autres Puiſlances voifines , dans des circonstances
non moins dengereuſes. Vu la fituation des plus
critiques où la République ſe trouve , & qu'elle
eft encore aggravée par le congé prématuré accordé
aux matelots expérimentés ,& par la ſuſpenfion
des primes pour les enrôlemens , il ne reſte d'autre
parti , quelque humiliant que cela puiſſe être , que
de ſe borner à la derniere alternative , c'est -à- dire ,
d'accéder de la meilleure maniere poſſible à la paix
générale. Ainfi il a été trouvé bon qu'il ſoit ordonné
audit M. J. de Kuffeler , d'autoriſer , conjointement
avec les Hauts Confédérés , & notamment
avec la Province de Hollande , les Ambaffadeurs
de la République à conclure de la meilleurę
maniere poffible les préliminaires , afin d'avoir part
à la paix générale , en faiſant tous leurs efforts
pour y ſtipuler les conditions les plus avantageuſes
qu'il pourroit obtenir .
Ce pré- avis fut envoyé à Paris le 28 du
mois dernier après midi. Peu d'heures après
le départ du Courier qui en étoit chargé ,
il en arriva un extraordinaire , dont les dépéches
étoient de la plus grande importance ,
puiſque les Etats-Généraux s'aſſemblerent à
huitheures du foir. Le lendemain matin on
fit partir un Courier qui porroit à Paris la
réſolution finale de L. H. P. , qui paroît
avoir été conforme au pré- avis de la province
( 92 )
de Hollande , auquel les autres provinces
ont accédé.
Les dernieres lettres du Nord ne contiennent
rien de déciſif , relativement à la guerre
entre la Ruffie & la Porte ; mais elles confirment
qu'elle eſt toujours regardée comme
inévitable , à moins que par la médiation des
Puiſſances qui ne ceſſentd'y employer leurs
efforts , la Porte ne céde ſur toutes ces prétentions
qu'on forme contr'elle.
PRÉCIS DES Gazettes Angl . du 3 Septembre.
Nos Officiers de marine ont obtenu , dit- on ,
la permiffion de ſervir dans les armées navales
de l'Impératrice de Ruſſie, ſous la condition de
revenir fix mois après la proclamation qui ſera
rendue pour leur rappel.
Il y a actuellement chez nos plus habiles conf
tructeurs douze jeunes Ruſſes qui y ſont en penfion
, & que leur Souveraine a envoyés ici pour
faire un cours d'architecture navale.
L'invafion de la Crimée , dit le Général Advertiſer,
eſt un événement qui doit fixer l'attention
de toutes les Puiflances commerçantes , &
tourner de ce côté les regards de l'inquiétude &
de la jaloufie. Si l'Angleterre eſt ſage , elle n'en
voudra pas aux Nations qui pourront eſſayer de
maintenir la balance du pouvoir de ce côté. La
fituation avantageuſe de la Crimée qui eſt une
preſqu'ifle , met la Ruſſie en état d'augmenter fi
rapidement ſes forces navales , que, fi elle n'éprouve
point d'obſtacles à préſent , nos deſcendans
pourront la voir maîtreſſe des . mers.
A qui , dit un autre de nos papiers , la Ruffie
doit- elle les progrès qu'elle a fait dans la guerre ?
à laGrande-Bretagne. Le Général Gordon , Ecoffois
, qui commanda les troupes Rufſes ſous le
Regne de Pierre- le-Grand , les fit paffer de l'état,
( 93 )
,
de barbarie & d'ignorance où elles étoient plon
gées à la connoiffance de la tactique & de la
difcipline militaire; avant que cet Officier cût
été appellé à leur tête , Charles XII , avec 700
Suédois avoit défait une armée de 80,000
Ruffes. Elle est encore redevable de ſa marine a
laGrande-Bretagne ; car avant que l'amirauté eût
été confiée à l'Amiral Greig , qui étoit autli Ecoffoiss,,
cette marine étoit a peine à fon berceau.
Elle lui doit également ſes connoiſſances actuelles
dans les ſciences & dans les arts ſes ſavans les
plus diftingués font venus d'Angleterre , ou y ont
été élevés. Ainſi l'on peut dire que la Ruſſie doit à
la Grande-Bretagne l'art militaire , la ſcience de
la navigation , les connoiſſances qu'elle a acquiſes
dans la littérature , la philofophie & le commerce ,
ſon exiſtence morale & politique.
On dit qu'il ſe trouve dans nos ports des Agens
de la Porte Ottomane qui ne ſe procurent pas
moins de nos vieux navires pour les convertir
en frégates , que la Ruffie n'en afait acheter de fon
côté.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE .
Révocation de don mutuel fait par une femme àfon
mari , demandée par les héritiers de sa femme ,
pour cause d'ingratitude , & dont la Séparation
de corpsfervoit de preuve.
Unmari & une femme s'étoient fait , par contrat
de mariage , un don mutuel en toute propriété , de
l'univerſalité de leurs biens. La femme fut obligée
de plaider en ſéparation de corps ; elle demandoit
en même temps la révocation du don mutuel. Sentence
qui prononce la Céparation , mais déboute la
femne de fa demande en révocation du don mutuel.
Eile fait fignifier à ſon mati la fentence de
féparation par alle obtenue , ſous toutes proteſtations
& réſerves de ſe pourvoir par appel contre
la deuxieme diſpoſition de la Sentence. Elle meurt
( 94 )
fans avoir interjetté ſon appel. Les héritiers de la
femme ſe rendent appellans de la ſentence , quand
au ſecond chef, & ſoutiennent que le don mutuel
doit être révoqué. Le mari les ſoutient non-recevables
, attendu le filence de la femme.- Arrêt du
6 Février 1782 , qui met l'appellation & ce au
néant ; émendant , révoque le don mutuel , & condamne
le mari aux dépens .
COUR DES AIDES DE PARIS .
Les procès-verbaux des délits commis dans les bois
du Clermontois , rédigés par les Greffiers des
Sieges, fur le rapport des gardes , font-ils fujets
au contrôle?
Le 19 Juillet 1779 , Nicolas Hains , Controleur
général des fermes , dans le Clermontois ,
dreſſa procès-verbal de ce que , vérifiant le regiſtre
du contrôle des exploits , il y trouva , à la date
du 24 de ce mois , vingt- un enregiſtremens d'aſſignations
données le 22 par Jean-Baptiste Benard,
Sergent , à la requête du Procureur-fiſcal de la
Juſticede Vienne-le-Château , par ſuite de vingtun
rapports de délits commis dans les bois de
Vienne-le-Château , non contrôlés . Le même jour
autre procès-verbal de ce que le ſieur Huguenin ,
Greffier de la même juſtice , avoit refuſe de lui
donner communication de ſes regiſtres & liaſſes .
Enfin le 30 Août , nouveau procès - verbal , qui
conſtate que le Contrôleur des exploits avoit retenu
quatre exploits d'aſſignations données le 27 Août -
par le ſieur Benard , en vertu de quatre rapports
pareillement non contrôlés.-Ces trois procèsverbaux
donnerent lieu à trois demandes de la part
du fieur Conty , Fermier général du Clermontois ,
portées devant le Prévôt de Clermont en Argonn ;
lapremiere contre les ſieurs Huguenin , Greffier.,
&Benard , Huiffier , tendante à ce qu'ils fuſſent
condamnés en 4400 liv. d'amende , à raiſon de
200 liv. pour chacun des vingt-un rapports non
contrôlés ; le Greffier , pour les avoir rédigés ſans
4
( 95 )
les faire contrôler ; l'Huiffier , pour en avoir fait
ufage. La ſeconde , contre le ſicur Huguenin feul ,
tendante à une amende de 100 liv. , avec injonction
de communiquer à l'avenir ſes regiſtres , minutes
& liaſſes. La troifieme , contre les ficurs
Huguenin & Benard , tendante aux mêmes fins que
la premiere.- Le 26 Avril 1780 , deux Sentences
par défaut adjugerent au ſieur Conty les fins &
concluſions de ſes deux premieres demandes. Le 7
Juin troiſieme Sentence ſur la troiſieme demande ,
qui prononce un délibéré.- Le 7 Octobre 1780 ,
les fieurs Huguenin & Benard reçus oppoſans à
la Sentence du -7 Juin, obtinrent permiffion de
dénoncer les demandes du ſieur Conty, & les Sentences
par lui obtenues , aux habitans de Viennele-
Château , pour qu'ils euffent à en faire ceſſer
l'effet. Ces habitans demanderent le و Octobre
à être reçus intervenans ſur la Sentence du 7 Juin ,
oppoſans aux deux autres. Ils demanderent acte de
ce qu'ils prenoient le fait & cauſe des ſieurs Hu
guenin& Benard; que faiſant droit fur leur intervention
& oppofition , les trois inſtances fuſſent
rétablies & jointes ; les deurs Huguenin & Benard
déchargés des condamnations contr'eux prononcées
: ils conclurent en outre à de forts dommages
& intérêts , fondés ſur ce qu'en retenant les exploits
d'aſſignations , le ſieur Conty avoit empêché de
fuivre la réparation des délits commis dans les bois ,
&de ceux qui s'étoient commis depuis .-Par Sentence
du 25 Juillet 1781 , le Prévôt de Clermont
en Argone, faiſant droit ſur les interventions &
oppoſitions des habitans de Vienne- le-Château
les débouta de leur demande en dommages- interêts
, mais débouta pareillement le ſieur Conty de
toutes ſes demandes , & le condamna aux dépens
envers toutes les partics .- Sur l'appel porté en la
premiere Chambre de la Cour , Arrèt dù 16 Juillet
1703 , qui met l'appel au néant , avec amende &
dépens.
,
( 96 )
PARLEMENT DE NORMAMDIE.
Fraude &folde de deniers dans un contrat de fieffe ,
le rendent clamable.
Par contrat du 11 Septembre 1748 , le fieur
Truaud , Prêtre , propriétaire de, douze petites
pieces de terre dans la Paroiſſe deSaint-Hymer , les
fieffa à Jacques Allais, qui en tenoit déjà huît à
ferme; le contrat porte que le premier n'entrera en
jouiſlance que du jour du décès du bailleur,que le
bailleur fournira , s'il en eſt beſoin , à ſes frais au
preneur des copies collationnées des titres ; que le
preneur ſe charge d'entretenir les maiſons & les
plans , & de faire au bailleur Iso liv, de rente
fonciere , perpétuelle & inacquitable , à courir du
jour du décès du bailleur ; que le bailleur ſe réſerve
ledroit de faire aux maiſons ce qu'il jugera à propos,
foit pour réparations , augmentations , même
de faire abattre les arbres qu'il aviſera bien.- Le
13 Février 1753 , nouveau contrat entre le fieffant
&le fieffataire , par lequel la jouiſſance du premier
eſt fixée au jour de Noël 1752 , & le bailleur
renonce à fon droit d'ufufruit.-Le 10 Septembre
1778 , le fieur Abbé Truaud mourut. Le ſieur
Monblanc , ayant épousé ſon héritiere , clama
l'effet de ces deux contrats , prétendant qu'il y
avoit en ſolde de deniers , ce qui rendoit les
deux contrats clamables . - Le 11 Janvier 1779 ,
premiere Sentence qui appointe le clamant à
prouver qu'il y a cu folde de deniers , ou choſe
equipolente ; que le fieur Abbé Truaud s'étoit retenu
une falle dans la maiſon du fieur Gafil , fur les
fonds , le fruit des eſpaliers & des fagots ; qu'enfin
le fieffataire & fon fils avoient reconuu que les retenues
valoient so livr. par an. La même Sentence
a appointé le fieffataire à la preuve des faits contraires
, & à prouver , de ſon côté , que le fieffant
Jui avoit tenu compte , fur les arrérages de la rente
de fief, des fournitures dont il s'agit , à l'exception
des fruits , qui lui avoient été donnés.
,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Madame DE BOURDIC ,furfon Eloge
de Montaigne , lú à l'Académie de Nîmes,
ΟN fait à la Cour d'Apollon
Les vers heureux que jadis pour Phaon
Sapho compoſoit à Cythère ,
Mais Sapho , d'une voix légère ,
N'a jamais embelli Platon.
Vous qui favez parler comme elle ,
Et qui raiſonnez comme lui ;
Vous , de qui Montaigne aujourd'hui
Reçoit une grâce nouvelle ,
Vous cachez vainement la taille de Cypris
Sous le mantcau de la Philofophie.
De vos regards, 'f'i le dooeur ſe défie ,
Par vos accens vous charmez les eſprits.
Oui , tour- à-tour vosgrâces , vos ouvrages
N°. 18 , 20 Septembre 1783 . E
:
:
98
MERCURE
1
Offrent le mal & le contre-poiſon ;
Auprès de vous une ſeule leçon
Rameneroit les foux à la raiſon ,
Ou tourneroit la tête à tous les ſages ;
Et votre Auteur , qui n'eut de foi , dit- on ,
Qu'aux vérités que par les ſens on touche ,
Avos côtés reconnoîtroit deux Dieux ,
Celui d'Amour qui règne par vos yeux ,
Celui des vers qui plaît par votre bouche.
(ParM. de..... , de Montpellier. )
A Mademoiselle SIMONET , première
Actrice du Spectacle de Bordeaux.
QUEULELLLEE eſt cette jeune merveille ?
Tout ce qu'elle chante on l'entend;
Tout ce qu'elle exprime on le ſent.
Aqui charme à la fois les regards & l'oreille ,
Que le coeur eft obéiffant !
La ſenſibilité , la nobleffe & les grâces
Au Théâtre ſuivent ſes traces.
Sonpère l'y conduit , &, reprenant ſon bras ,
En triomphe revient , rentre avec complaiſance
Sous le toit fortuné qui couvre la décence
Et le talent joint aux appas.
L
Tor qu'on admire ou qu'on envie,
Charmante Simonet ,goûte bien les douceurs
Qu'un aufli pur amour doit verſer ſur ta vie.
DE FRANCE
99
Le talent s'ennoblit & s'accroît par les moeurs .
Le front ceint de laurier , laiſſe , crois- moi , ces fleurs
Qu'un amour trompeur te préſente.
Le vent le plus léger peut ternir lears couleurs ,
Et la foudre , dans ſes fureurs ,
Reſpecte du laurier la tige triomphante.
Grains tous ces prétendans qui forment des projets
Que la vanité leur inſpire;
Crains de partager ton empire ,
Laiſſe-les parmi tes ſujets .
MAIS , dis-moi , par quelle folie
Négligeas ru juſqu'à ce jour
D'embellir la riante Cour
De la véritable Thalie ?
CetteMuſe t'attend , & ton fort eſt certain.
Oui , jenne Simonet, tout ſuccès eſt poſſible
Pour qui de Doligni joint l'âme ſi ſenſible
Aux yeux , à la voix de Gauſſin .
(Par M. leMarquis de S *. M**. )
ÉPITAPHE de DIANE , Chienne de
Chaffe , morte en chaſſant.
CI - GIT I - GIT Diane. O vous , que le fort a fait naître
Pour aimer & ſervir , prenez ſes ſentimens :
Fidelle à ſes devoirs juſqu'aux derniers momens ,
Elle eſt morte à la chaſſe en regardant fon maître.
( Par M. le Chevalier de Florian. )
E ij
100 MERCURE
VERS à Mademoiselle DE GAUDIN , fur
les mêmes rimes de l'invocation de fon
Idylle , intitulée : Rofine & Mirtil ,
inférée dans le Mercure , Nº. 31 .
Tor , qui chantes l'Amour ,te crois-tu ſans amant,
Crois-tu qu'impunément on écoute ta lyre ?
O! que la Muſe qui t'inſpire
Sait placer en tes mains un pinceau ſéduisant!
Ce n'eſt plus Geffner qu'on admire ,
Ton ſtyle vrai , toujours plus attachant ,
Anime de tes feux les tableaux qu'il préſente ;
Il fait aimer l'Amour qu'il chante.
Comme il peint bien le ſentiment !
Qui , ton fexe & ton âge , & ta vertu touchante,
Doublent le prix de ton talent.
Pour te peindre , Gaudin , j'ai volé ton pinceau :
Que n'ai-je pu voler auſſi ta main divine !
Pardonne , mais ravi de ton joli tableau ,
Je me fuis cru Mirtil & t'ai pris pour Rofine.
(Par un Abonné de Province , qui n'a pas
l'avantage de connoître Mlle de Gaudin. )
DE FRANCE. 101
LETTRE de M. DE LA HARPE au
Rédacteur du Mercure , fur la Traduction
de l'Effai fur l'Homme , par M. de
Fontanes . *
QUOIQUE UOIQUE je m'applaudiſſe tous les jours du parti
que j'ai pris , il y a long temps , de renoncer à la
critique , parce que le repos & la liberté ſont audeſſus
de tour , cependant , lorſqu'il paroît un Ovrage
d'un mérite diftingué , il m'arrive quelquefois
de regretter le plaifir quej'aurois eu à rendre à l'Auteur
une juftice publique. J'ai dit quelque part que la
louange étoit la partie confolante de la péniblefonction
de juger ; & vous avez raiſon de penfer que
l'Ouvrage de M. de Fontanes m'auroit fait goûter
cette eſpèce de confolation. Je me souviens du planir
que j'ai eu à voir dans ſes premiers eſſais tout ce qu'il
pouvoit devenir , & à l'annoncer auPublic comme un
homme né pour être Poëte . Je ne le conno ſlois pont
alors, & ne l'avois jamais vû ; & quoique aujourd'hui,
la manière dont il s'eſt exprimé a mon égard, puile ,
en quelque forte , infirmer mon fuffrage ,j'ole vous
affurer que ſi ce ſuffrage , quel qu'il foit , peut avoir
quelque valeur , ce n'eſt que par l'eſprit d'équiré qui
l'a toujours dicté , & que les intérêts de mon amourpropre
n'ont point , ce me temble, altéré Je re commencerai
pas à être flatteur pour un Ecrivain qui a f
peu beſoin qu'on le flatre ;& je ne ſerai embarraf ni
dela cenfure ni de la louange. La meſure de l'une &
de l'autre , fi difficile à garder avec la médiocrité , elt
*Nous nous diſpoſions à rendre compte de cet Ouvrage
guand cette Lettre de M. de la Harre nous eft parverus.
Nous croyons qu'elle peut tenir lieu d'un extrait , & qu'on
nous faura gré de l'avoir imprimée.
Einj
MERCURE
toujours facile à ſaiſir avec le talent véritable. Je
vous préviens d'avance que j'aurai beaucoup plus
à approuver qu'à reprendre ; mais en vérité , ce
n'eſt pas ina faute; & après tout il ne faut pas , pour
éviter de paroître trop reconnoiffant , s'expoſer à
devenir injuſte.
Vous ſavez , Monfieur , que nous avions déjà une
Traduction en vers de l'Effai fur l'Homme , qui a
Joui long-temps d'une réputation au- deffus de fon
mérite , & qui même ouvrit à l'auteur , l'Abbé du
Reſnel , les portes de l'Académie Françoiſe. Ilfait
bon veniràpropos , m'a dit ſouvent M. de Voltaire.
Quand cet Ouvrage parut , on aimoit encore les
vers; on commençoit à connoître & à goûter la
Littérature Angloiſe , qui étoit pour nous une
eſpèce de nouveauté ; Pope jouiſſoit , quoique vi
vant , de la réputation du premier Poëte d'Angle-.
terre ; & il faut avouer encore , à la gloire de
l'Abbé du Reſnel , que c'étoit la première Traduction
en vers qu'on eût pû lire avec quelque plaifir. Elle
eſt en général pure & correcte , & quelquefois élé
gante. C'eft en l'examinant de plus près , à côté de
Poriginal , lorſque la langue Angloiſe a été plus
cultivéeparmi nous , que l'on a ſenti combien cetre
paraphrafe foible , diffuſe , & languiſſante , s'éloignoit
des principaux caractères du ſtyle de Pope , la
préciſion , la rapidité & l'énergie. On ne fongea
point alors à faire cette comparaiſon , & l'Abbé du
Reſnel n'eſſaya guères d'autre reproche que d'avoir
traduit un Poëme dont le fond paronſoit contraire à
la doctrine du péché originel. Pope,dans une Lettre à
Racine le fils , rejette ce reproche d'hérérodoxie fur
le Traducteur qui , s'il faut en croire le Poëte An
glois , a embelli ſes vers & défiguré ſon ſyſteme.
C'eſt pourtant tout le contraire , & il y a dans ce
langage plus de modeſtie que de borne - foi. Les
vers de Pope perdent beaucoup ſous la plume de fon
DE FRANCE. 103
Traducteur; mais ſes principes y font fidèlement
conſervés. Ce n'est pas la faute de l'Abbé du Reſnel
ſi l'optimi me (quoi qu'en dife Warburton , dont M.
de Fontanes a cru devoir adopter l'avis ) ne peut s'accorder
avec la Genèſe ; mais ce qui n'est pas moins
vrai , c'eſt qu'une hypotheſe philofophique , ornée
des couleurs de la poéfie, ne doit pas être jugée
comme un Livre de Théologie.
M. de Fontanes re paroît pas , à beaucoup près ,
dans des circonstances auffi favorables. On est également
raſſatié de vers & de métaphyfique. Les ef
prits ſévères trouvent qu'il n'y a pas plus à gagner à
l'un qu'à l'autre , & le grand nombre ne pardonre
àla poéfie qu'en faveur des ſujets qui parlent à
v'âme ou à l'imagination , qui égayent ou intéreffent.
Des longs raiſonnemens les Muſes s'effarouchent.
cerre
▲ fort bien dit M. l'Abbé de Lille; & quoique Pore
miſonne fort éloquemment en vers , ſon Ouvrage ,
juſtement admiré des connoiffeurs , est trop auſtère
pour la mulitude , en même-temps que ſon ſyſteme
eft trop chimérique aux yeux des Philofophes. La
mode , qui ſe mêle de tout , a aufli décrédité l'opsimifine,
& M. de Voltaire , dans Candide , a jeté du
ridicule ſur la doctrine de ce Poëme , qu'il regardoit
pourrantcommeune des plus belles productions de
l'eſprit humain. L'inſtant même où s'annonce
nouvelle Traduction de l'Eſai furtHomme , ſemble
fait pour le réfuter; & un Auteur qui feroit de cette
réfotation le ſujet d'un Poëme, travailleroit peut- être
fur un fond plus heureux que celui qu'a traité Pope ;
car rienn'eſt ſi éloquent que la plainte , & fi touchant
que le malheur. Certes , ce n'est pas le moment
de dire aux hommes que tout est bien , quand
la Nature déploye plus que jamais cette force terrible
qu'elle a pour ſa propre deſtruction ; quand la
-
Eiv
104 MERCURE
terre tourmentée s'ébranle & s'ouvre de toutes parts ;
quand la Calabre a diſparu ſous les débris des volcans ;
que les mers, foulevées ont couvert Mefline & Formofe;
& que les ſecouſſes & les déſaſtres du globe
ſe multiplient depuis les bords de l'océan oriental
Juſqu'aux rives de notre méditerranée.
M. de Fontanes ne peut donc guères avoir pour
lui que ſon mérite poétique , celui d'une verfion gé
néralement adelle , & de la difficulté ſouvent vaincue.
Tout cela n'exiſte que pour un petit nombre de
juges , & ne peut valoir à l'Auteur que de l'eſtime &
descritiques.
On voit d'abord qu'il a cherché à ſe rapprocher ,
autant qu'il lui étoit poſſible , de la manière de Pope.
Ses vers font fermes & pleins ; il n'en a guères mis
dans ſa Traduction plus qu'il n'y en a dans l'original
, & c'eſt peut-être à cette eſpèce d'étude , quel
quefois pouffée trop loin , qu'il faut attribuer un
peu de ſéchereſſe& de contrainte que l'on remarque
en quelques endroits. Je ne prétends point le diffimuler;
car M. de Fontanes mérite une eſtime ſévère ;
&quand les beautés prédominent , il ne faut pas
craindre de marquer les défauts. Ces beautés font en
grand nombre , & ſe préſentent à tout moment. II
ſoutient le parallèle avec Pope dans la plupart des
morceaux où ce grand Homme appelle la poéſie au
ſecours de ſa philoſophie, quelle qu'elle ſoit. Voyez ,
par exemple , cette brillante proſopopée où il fait
parler la vanité humaine.
Pourquoi les feux du ciel brillent- ils ? Et pourquoi
Ce monde est-il formé ? L'orgueil dit : c'eſt pour moi.
Pour moi naît le printemps : c'eſt à moi que la terre
Prodigue de fes fruits le luxe tributaire .
Pour moi la roſe entrouvre un bouton parfumé ,
Et la grappe ruiffelle en nectar embaumé.
D'un or qui m'appartient la mine ſe féconde ;
DE
τος
FRANCE.
Les mers que j'aſſervis ſous moi courbent leur onde ;
Unfoleil ſe promène au tour de mon palais ;
Cette terre eft mon trône , & le ciel eſt mon dais.
Il n'y a rien à reprendre dans ces beaux vers. On
peut ſeulement obſerver qu il y en a un dont l'idée
principale n'eſt pas exactement celle du texte.
Lesmers que j'aſſervis fous moi courbent leur onde .
Ce vers exprime particulièrement l'effet de l'induſtrie
&de l'audace humaine ; au lieu que Pope a voulu ,
comme dans tout le morceau , exprimer ſur tout la
deſtination finale de chaque être , ſuivant les idées
de notre orgueil.
Seas roll to waft me.
« Les mers roulent pour me porter. » Ce qui eſt
plus précis & plus conféquent.
Que ton oeil , protégé de ſa triple enveloppe ,
S'éclaire tout à-coup du perçant microſcope
Qu'a donné la Nature au léger moucheron ;
Tu perds l'immenſité pour fixer un ciron .
Aiguiſe ton toucher: des douleurs plus fubtiles
Vontbleffer le tiſſu de tes nerfs plus fragiles.
Du rapide odorat fi l'aimant eſt plus ført ,
Dans l'haleine des fleurs tu reſpires la mort ;
Et fi tu peux entendre , en leur marche infinie ,
Tonner des cieux roulans l'effrayante harmonie ,
Neregrettes-tu pas le doux bruit des ruiſſeaux ,
Et le zéphir du ſoir qui careſſe leurs eaux ?
Queceux qui entendent l'Anglois comparent le
texte & la verſion , & je crois qu'ils donneront la
préférence à celle- ci , qui l'emporte , ce me ſemble,
par la quantité d'expreſſions heureuſes & par les
contraſtes d'harmonie imitative .
Vois l'abeille avec art , ſur l'herbe envenimée ,
Ev
106 MERCURE
1
Pomper , en voltigeant , ſa liqueur parfumée ;
Vois ourdir l'araignée: elle vit à la fois
Dans tous les fils tremblans qu'entrelacent ſes doigts.
Ce dernier vers eſt admirable. Le vers Anglois ſe
fait remarquer fur-tout par la précifion :
Feal al each thread and lives à long the line.
« Qui ſent dans chaque fil & vit dans ſon ouvrage.»
Mais le vers François ſemble imiter le mouvement
&le bruit de la toile & de l'inſecte.
Dans le morceau ſuivant , qui eſt d'un ton plus
élevé , vous obſerverez la marche impoſante & foutenue
de la phraſe poétique , & cet art de couper le
vers ſans le réduire à la proſe , & de varier le
rhythme ſans le détruire ; deux chofes différentes ,
& qu'aujourd'hui l'ignorance & le mauvais goût
confondent fi ſouvent.
Side l'Ange un moment l'homme uſurpe les droits,
L'inſecte nous atteint: la Nature eſt ſans loix.
Sa marche avec terreur s'arrête interrompue;
Qu'un anneau ſe détache , & la chaîne eſt rompue,
S'il eſt diverſes loix pour les globes divers ,
Unſeul en s'écroulant fait crouler l'Univers .
Que la terre au haſard de fon orbe élancée,
Par l'air qui la ſoutient ne ſoit plus balancée ,
Les planètesfoudain , le foleil étonné
S'égarent en déſordre , & l'Ange détrőné
Laiſſe échapper d'effroi leurs rênes vagabondes ,
Etles mondes briſés retombent ſur les mondes.
1
Cet hémiſtiche , s'égarent en déſordre >> eft rejeté
avec beaucoup d'art , & l'image qui fuit eſt du
plus grand effet: elle n'eſt point dans Pope, & ici
encore fon Traducteur l'embellit. Ce commencement
de vers , « les planètes fondain >> ne devoir
DE FRANCE. 107
/
:
pas être ainſi négligé dans un grand tablean. Il falloit
un hémiſtiche qui s'accordât avec le ſuivant :
« Le ſoleil étonné. >>>Ce vers doit être changé. Ceux
qui terminent la ſeconde Épître me paroiffent encore
fupérieurs à tout ce que je viens de citer :
Cependant des mortels ſouveraine volage ,
Errante à nos regards ſur un léger nuage ,
L'opinion qui charme & qui trompe toujours ,
De ſes rayons changeans fait embellir nos jours .
Audéfaut du bonheur l'homme en a l'apparence
Ses voeux ſont ſes tréſors : l'inviſible eſpérance ,
Qui daigne ànos côtés voyager ici bas ,
Veille encor près de nous au moment du trépas.
C'eſt elle qui, ſans ceſſe au banquet de la vie ,
Telle qu'un hôte aimable , en riant nous convie ,,
Etverſe en notre coupe un délire éternel :
Le rêve du bonheur est un bonheur réel..
Voilà des vers dignes du bon ſiècle ; voilà la perfection
du ſtyle. Pourquoi ? C'eſt qu'à toutes les
beautés de dérail que l'art & le travail peuvent trouver
, ils joignent ce charme de la facilité qui les
anime toutes , cet enſemble qui les lie , cet heureux
accord qui les rend ſenſibles pour tous les Lecteurs..
C'eſt le grand ſecret de l'art d'écrire en proſe comme
envers. On voit que M. de Fontanes le connoît , &
it en a plus d'une fois fait uſage. Il lui reſte d'en acquérir
l'habitude; & il ne doit plus travailler dans ſa
compoſition qu'à faire diſparoître le travail. C'eſt le:
dernier degré de la perfection , & il eſt fait pour y
parvenir. Qu'il laiſſe le vulgaire des Critiques s'extâfier
ſur une expreffion ou ſur un hémiſtiche , efpècede
mérite qui n'est pas étranger au plus médiocre
Écrivain. Un eſprit auffi éclairé que M. de
Fontanes, doit ſentir que le tiſſu d'un ſtyle , où tout
eft à la place , qui attache plus qu'il n'étonne , où
E vj
108 MERCURET
les idées brillent ſous un voile tranſparent d'images
juſtes & naturelles , & ne ſe cachent pas fous un
nuage de métaphores accumulées & de figures bizarres
; qu'enfin ce grand mérite de l'enſemble eſt
celui qui appartient excluſivement aux maîtres , celui
que par cette raiſon même la foule des Écoliers a
intérêt de méconnoître & de décréditer, celui dont
les ridicules Ariſtarques d'un fiècle de décadence ſe
gardent bien de parler , parce qu'il n'eſt jamais donné
qu'à l'homme ſupérieur , & marque tôt ou tard la
diſtance qui est entre lui & la médiocrité.
J'excéderois de beaucoup les bornes d'une Lettre
i je voulois citer tous les endroits que M. de Fontanes
a fingulièrement empreints de ſon talent poétique
; mais plus ce talent eſt précieux , plus il eſt important
de l'avertir des fautes & des négligences
qu'il peut corriger. Ce n'est pas que j'aye la prétention
de rien enſeigner à M. de Fontanes; c'eſt ànos
Légiflateurs en titre à dicter orgueilleuſement an
génie les leçons de l'ignorance ; c'eſt aux Gens de
Lettres qui aiment les Arts & la vérité , à s'éclairer
mutuellement , en ſe communiquant ce qui peut
échapper au travail de la compoſition .
C'eft , par exemple, une inadvertance d'avoir dit ,
en parlant de l'action néceſſaire à notre âme , à notre
efprit:
L'eſprit meurt dans le calme , & veut être exercé .
Le met propre étoit repos , oifiveté. Le calme formelà
une forte de contre-fens . Il étoit d'ailleurs facile
de rendre beaucoup mieux le vers Anglois par unc
verfion littérale :
Strenght ofmind is exerciſe , no rest.
Sa force eſt l'exercice & non pas le repos.
Penſée que Voltaire a embellie dans ces deux vers :
L'âme eſt un feu qu'il faut nounir,
DE FRANCE.
109
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.
C'eſt une affectation blamable d'avoir répété des
conftructions forcées , telles que celles- ci :
Voyons- nous quelquefois les couleurs du pigeon ,
De leur beauté changeante adoucir le faucon.
Veux- tu , filsde la terre , en tes folles penfes ,
Atteindre encor le ciel de roches entaffées ?
On ne dit point adoucir defa beauté , ni atteindre de
roches. Quoique le de ablatif puiſſe être mis à la place
depar, & même quelquefois heureutement; le goût
doit en régler l'uſage. On dit , par exemple , être
atteint d'une bleſſure; on ne diroit pas dans le fens
actif: il l'atteint d'une bleſſure. Il faut diftinguer ces
différences , dont il ſeroit trop long de détailler les
raiſons , mais qui font fondées ſur la logique du
langage.
Je ne blâmerois pas fi décidément les familles
de l'herbe en parlant des inſectes ; mais j'avoue
que cette expreffion ne paroît vague & louche , & je
n'aime pas davantage cet hemiftiche , l'oeil de la
taupe échappe , pour dire qu'il eſt imperceptible. Ce
fontdes ſcrupules que je propoſe; ils font peut- être
mal fondés ; mais voici des vers qu'il me ſemble que
M.de Fontanes ne doit pas laiſſer.
Degrès univerſels , où rien n'eſt déſuni !
- Quels termes oppofes ! le néant , l'infini !
Dieu commence; après lui l'Ange , l'homme & l'infete.
On n'entend pas ce que c'eſt que des degrès univerfels.
Rien n'eſt en effet plus oppeſé que le néant
&l'infini : cela est trop vrai , & ce n'est pas ce que
ditPope. Dieu commence ; après lui , &c. tout cela
manque de nobleſſe , d'élégance & de clarté. Cos
Ito MERCURE
deux vers ſur l'homme ſont défectueux d'une autre
manière :
Lui qui ſeul a les droits , le nom d'être penſant ,
Se plaindra-t'il toujours , s'il n'eſt pas tout-puifiant ?
Ils font trop loin de la préciſion & de la force de
l'original :
Be pleaſed witta nothing, is no bleſſed with all ?
N'eft il content de rien , s'il n'a tout obtenu ?
Je ferai la même obſervation ſur ces vers de la
ſeconde Épître :
Quand l'oeil des Séraphins vit dans ces derniers jours
Unfeul homme embraſſer la Nature infinie , &c.
Dansses derniersjours eſt trop proſaïque. Un feul
eſt une cheville , & il n'en faut pas davantage pour
gâter non-feulement le vers , mais le fens. Si les Séraphins
s'étonnent , ce n'est pas de ce qu'un feul
homme embraffe la Nature , c'eſt de cequ'un homme,
un mortel , mortal man , dit l'Anglois , explique
les loix de la Nature. Embraffer_eſt trop vague.
Newton n'a point embraſſé la Nature; il l'a devinée.
Même défaut de juſteſſe & de préciſion dans ces
vers?
Et l'indolent Hermite , & l'avide Marchand,
Et leHéros fuperbe , & le modeste Sage ,
Chacun dit : J'ai reçu la raison pourpartage.
Outre que le dernier hémiſtiche eſt dur , ce n'eft
pas-là le ſens. Il n'est pas queſtion d'avoir reçu la
raiſon en partage , ce qui appartient à tous les hommes
, mais d'avoir la raiſon de fon côté. Findreason
on their five , dit le texte Anglois , d'avoir fait le
meilleur choix , avantage que chacun croit avoir
exclufivement. Le modeſte ſage eſt une autre eſpèce
decontre- fens. On a toujours raiſon d'êtrejuſte &
DE FRANCE.
modefte. Pore dit: le ſage oifif , ce qui est bien
différent. On peut reprendre quelques autres veis ,
ou durs ou proſaïques :
L'Amour propre en avant toujours ſe précipite.
De l'or , des rangs, des arts que foif vous dévore.
Auqueldes deux pouvoirs devra- i'on plus de foi?
•
Envahir , tu le peux , tous les biens par le crime ;
Le plus grand bien toujours te manque , c'est l'estime.
Ces vers , & quelques autres , font de la proſe foible,
Celui - ci :
Si , Roi des animaux tu leur donnes des fers , &c.
Commence d'une manière désagréable. Ces deux
autres:
Le bonheur , qui tantôtfuit & s'offre à nos yeux ,
Nulle part ne ſe trouve , & se trouve en tous lieux.
manquent d'exactitude & de correction dans la penſée
&dans les termes . Il falloit abſolument pour la conf
truction , le bonheur qui , tantôt fuit , tantôt s'offre
ànos yeux ; & dans le ſecond vers , il faut mettre :
Nuale part ne ſe trouve ou ſe trouve en tous lieux.
La disjonctive ou eſt néceſſaire pour le ſens ; elle eſt
dans l'original :
Tis ne where to be found or everivohere ..
Il y a quelques expreſſions impropres.
Desrangs multipliés qui diffèrent entre eux ,
Naiffent les doux beſoins dont la loi fouveraine
Des intérêts divers ſait combattre la haine.
La haine des intérêts ne peut jamais fignifier leur
112 MERCURE
diverſité , leur diſcorde ; c'eſt une mauvaiſe expreffion.
Dés êtres animés l'hymne reconnoiffant
Du temple des forêts s'élevoit à leur père.
L'Auteur veut dire que les forêts leur ſervoient de
temple; & cet hémiſtiche , le temple des forêts »
gnifie proprement le temple qui eſt dans les forêts .
Avant d'être figuré , il faut fonger à être clair. Ce
n'eſt pas à M. de Fontanes que cet avis s'adreſſe , il
en a trop rarement beſoin ; mais les vérités communes
ne peuvent pas être perdues aujourd'hui ; il
faut bien les oppofer aux nouvelles extravagances
des nouvelles doctrines .
Un tronc jadis fauvage adopte ſur ſa tige
Des fruits dont ſa vigueur hâte l'heureux prodige.
Hâter le prodige des fruits , eſt une métaphore trèsobfcure.
C'est peut être la ſeule fois que l'Auteur
s'eſt approché du ſtyle à la mode , & Dieu me préſerve
de le lui paſſer!
Vous voyez , Monfieur , avec quelle ſévérité jele
traite; mais fi je lui reproche les défauts qu'il a ,
d'autres lui reprocheront ceux qu'il n'a pas , & cela
conſole. Il lui eſt facile , d'ailleurs , de faire diſparoître
ce petit nombre de fautes dans une nouvelle
Édition,& il nous la doit. M. l'Abbé de Lille , dans
celle qu'il vient de dønner de ſes Géorgiques , les a
beaucoup perfectionnées ; c'eſt un exemple à ſuivre
pour M. de Fontanes. Il parle dans ſes notes d'une
autre Traduction de l'Eſſai fur l'Homme , par ce
même Écrivain , à qui celle des Géorgiques a fait
tant d'honneur, & il en parle avec ce reſpect modeſte
qui fied ibien à un jeune Candidat qui peut
ſe trouver en concurrence avec un Maître de l'Art.
Tous deux font dignes de traduire Pope , & Pope
méritoit de les avoir tous deux pour Traducteurs .
DE FRANCE.
113
Les notes de M de Foutanes ſont d'un eſprit judicieux
& d'un homme très-inftruit. Je crois pourtantqu'il
ſe trompe , quand il affirme que les mots
connexion gradation , attraction feroient rejetés aujourd'hui
, même d'une proſe élégante. Je n'imagine
point d'ouvrage , dans le genre le plus noble
& le plus foutenu , où l'on ne pût faire entrer la
connexion des idées , la gradation des objets & des
nuances , Pattration naturelle qui ſe trouve entre
certains eſprits , &c. Il y a de l'abus à multiplier les
termes abſtraits; il y en a à les proſcrire entièrement.
Eft modus in rebus .
Le Difcours Préliminaire a eu un ſuccès général.
C'eſt un excellent morceau de Littérature , & tel
qu'il eſt bien rare d'en rencontrer aujourd'hui . Une
marche sûre & rapide , de la juſteſſe & de l'énergie
dans les idées , de l'imagination dans le ſtyle , partout
cette meſure , qui eft la marque de la véritable
force & du véritable eſprit , un jugement ſain , nourri
de réflexions & de connoiſſances , enfin tout ce qui
caractériſe le vrai Littérateur , & ce qu'il eft , fur
tout de nos jours ,fi néceſſaire & fi rare de joindre
au talent de la poćfie.
J'allongerois trop certe Lettre , déjà trop longue ,
ſi je cédois au plaihr de tranfcrire de la profe
de M. de Fontanes ; il faut lire & relire le Difcours
entier.
Je ſuis , &c.
A la Ferté- Vidame , ce 15 Août 1783 .
r
114
MERCURE
Explication des Charades , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eft Voltaire ; celui
de l'énigme eſt l'Instant préſent; celui du
Logogryphe eft Pensée, oùl'on trouve Pen ,
Légillateur de la Pensylvanie , Enée,féné.
A
CHARADE.
VEC mon premier , tout peut être;
Preſque toujous mon fecond eſt un fot ,
Et la totalité du mot
N'appartient plus à fon vrai maître.
TOUT,
(Par unjeune Rabin.)
ENIGME.
OUT , chez moi , tient du merveilleux.
Suis -je fils ? Deviendrai-je père ?
J'ai , dit- on , bon nombre d'aïeux ,
Et je n'ai jamais eu de mère.
(Aux Fauxbvargs de la Rochelle , par leM. de
C. C. M. de Dr. , Mandarin de la Chine.)
DE FRANCE. 19
LOGOGRYPΗ Ε.
JE ſuis de ces gens à deux faces
Qu'on ne devine pas d'abord ,
Amoins que , par un doux effort,
On n'ait pénétré leurs furfaces ;
En me voyant , on peut être aſſuré
Que je reffemble à cet Apôtre
Qui , dans un ſtyle figuré ,
Nous déſigne une choſe en nous parlant d'un autre,
Avec un ſoin particulier ,
Combine mes neuf pieds , cher Lecteur , & fans peine
Tu trouverasle Dieu qui fait tout oublier ;
Une des faiſons de l'année ;
Une mère , une Reine aux pleurs abandonnée ;
Ce qu'un voleur a mérité ;
Un habitant de la brûlante Afrique;
Ce qui ſe dilate en été ;
Un métal précieux commun en Amérique ;
Celle qu'un malheureux appelle à ſon ſecours;
Un bruit ſcandaleux qui fait rire ;
Ce que le Matelot defire
Dans un voyage de long cours ;
Une ville jadis maîtreſſe de la terre ;
Un Magiftrat Républiquain ;
Un gros tuyau du corps hunain ;
Ce que l'on ne doitjamais faire.
116 MERCURE
Je t'en dirois juſqu'à demain ,
Il eſt plus prudent de me taire.
(Parlemême.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
FONTENELLE jugéparfes Pairs , Éloge
de Fontenelle , en forme de Dialogue entre
trois Académiciens des Académies Françoise
, des Sciences & des Belles- Lettres ,
par M. le Chevalier de Cubières ; avec
cette Épigraphe : Il a comblé l'abyſme qui
Séparoit les Philofophes & le vulgaire.
Diſcours de réception de M. le Duc de
N*** . A Paris , chez Belin , Libraire
rue S. Jacques , près S. Yves .
>
GET Éloge de Fontenelle eſt une eſpèce
de Drame oratoire , dont la ſcène ſe paſſe
chez Mde Geoffrin , un mois après la mort
de Fontenelle. L'Abbé Trublet y lit ſes Mémoires
fur la vie & les Ouvrages de cet
homme célèbre , devant Myladi Stella , Mde
de Forgeville , & trois Académiciens des
Académies Françoife , des Sciences & des
Belles- Lettres. L'Abbé s'extaſiant dans ces
Mémoires, fur les Ouvrages de fon ami , &
les trouvant tous admirables , il réſulte de
ces louanges exagérées , que Milady Stella ,
qui eſt étrangère , ne fait plus à quoi s'en
tenir fur les talens de Fontenelle.Mde Geoffrin,
qui s'apperçoit du peu de fatisfaction
DE FRANCE. 117
que lui ont donné les Mémoires , propoſe
à chacun des Académiciens de dire ſon avis
fur l'illuftre mort , & de le juger à ſa manière.
On trouve l'idée heureuſe : chacun
des Académiciens apprécie les travaux de
Fontenelle , relativement à la Compagnie
dont il eſt membre ; & de ces trois jugemens
, réſulte le portrait le plus fidèle
de l'Auteur des Mondes . C'eſt Mde de
Forgeville qui y met le dernier trait , ou
plutôt le premier, en faiſant l'eloge de ſes
qualités morales ; & l'on finit par aller voir
Thétis & Pelée , qui ſe donne ce jour- là ,
n'imaginant pas qu'on puifle rendre un plus
bel hommage au génie , que d'applaudir ſes
productions au Theatre. Tel eſt le cadre de
l'Ouvrage que nous annonçons. Ce cadre éſt
neuf & ingénieux ; mais l'Auteur ne l'a pas
toujours rempli heureuſement. Après avoir
fait dire au Membre de l'Académie des Sciences
que l'Ouvrage où M. de Fontenelle eſt
plus grand que par tout ailleurs , c'eſt l'Hiftoire
de l'Académie des Sciences, voici comme.
il continue de le faire parler :
>>Depuis le flambeau du jour qui ſe voile
de nuages , juſqu'à l'infecte qui ſe cache dans.
une galle de chêne ; & fi des Ouvrages de
l'homme on remonte à ceux du Créateur ,
depuis les mouvemens réglés d'une montre ,
juſqu'à l'ordre que foivent ſi ponctuellement
les corps célestes qui nous éclairent ,
&ceux qui font éclairés par d'autres , eft il
rien dans cette hiſtoire , qui ne ſoit expliqué,
118 MERCURE
analyſé & développé d'une manière , finon
vraie , du moins toujours vraiſemblable ?
La route que décrivent ces corps lumineux
ou opaques , leur volume , leur forme ,
n'est- ce point dans ce Livre qu'on apprend
à les connoître ? N'eſt ce point là qu'on voit
Thomme fuppléant à la foibleffe de fon bras ,
par l'audace de ſa penſée , poſer dans une
balance imaginaire & pourtant très- exacte ,
ces maſſes épouvantables que la main de
Dieu put fufpendre ſur nos têtes, & qu'elle
ſeule, empêchant de ſe précipiter dans leur
centre commun , fait rouler filencieuſement
dans l'orbite qu'il leur a tracée ? N'eſt - ce
point là que le retour des comètes , annoncé
dans les Cieux que nous voyons , nous fai
fant ſuppoſer des Cieux que nous ne voyons
pas , nous conduit ainſi de Cieux en Cieux ,
juſqu'à l'Etre éternel qui les voûta l'un fur
l'autre pour ſervir de marches à ſon Trône ? »
« Si des marches de ce Trône auguſte, nous
redeſcendons ſur le globe où rampe fi orgueilleuſement
lever à deux pieds , qu'on appelle
homme , que de merveilles ne nous offre
point encore cette hiſtoire Deſirez - vous
connoître l'herbe vile ſur laquelle vous marchez;
celle qu'un art transforme pour vous
en nourriture ſolide , celle qu'un art plus
urile peut être , change en filtre falutaire
& qui , appliquée ſur vos bleſſures, ou mêlée
à vos alimens , vous rend la ſanté & la
vie ? Suivez le grand Tournefort , dans ſes
nombreux pélerinages : voyez - y ce noble
,
DE FRANCE.
119
amant de la Science s'enfoncer tantôt dans
une ſombre vallée , tantôt gravir des monts
eſcarpes , ſe ſuſpendre d'un pied aux bords
d'un abîme , ſe tenir d'une main à la pointe
d'un rocher , &de l'autre cueillir fièrement
les plantes les plus rares. Voyez - le
revenir tout chargé de ces tréſors de la nature
fauvage , les claſſer dans un herbier
les ranger par famille , fixer dans ſa mémoire
juſqu'aux moindres ramifications de
leurs fibres les plus déliées , & par une méthode
auſſi ſimple que fublime , imprimer
dans la mémoire des plus ignorans , la figure ,
le genre & les propriétés de ces plantes ,
de manière à leur faire démêler ce qu'il y
a de plus confus , à ſoumettre au calcul ce
qui peut à peine être dénombré , & à mettre
de l'ordre dans le déſordre même. Malgré
ces conquêtes multipliées dans l'empire des
connoiffances utiles , voyez le , peu content
d'en avoir tant acquis, chercher àen acquerir
encore , quitter de nouveau la maiſon paternelle
, de nouveau parcourir les campagnes
les plus arides , pénétrer dans les plus
épaiſſes forêts , s'y arrêter à l'entrée d'une
grotte affreuſe y deſcendre hardiment
au milieu des dangers qui le menaçoient , y
furprendre, le creiroit-on ? y ſurprendre des
marbres qui végettent ,& être ainſi payé de
fon audace, parla découverte d'm prodige. "
د
" Inſtruit de la nature de ces corps , dont
l'ame , s'ils en ont une , ne peur former an
cune penſée, voulez-vous paſſer à la contemplation
des corps animés qui raiſonnent ?
120 MERCURE
voyez-y tel ou tel Naturaliſte , un microfcope
à la main , obſerver un infecte viſible
feulement par des yeux de verre; le ſuivre
dans tous ſes mouvemens, étudier ſes moeurs,
fes inclinations, ſes caprices ; dévoiler à tous
les regards les myſtères de ſa vie cachée
comprerjuſqu'aux articulations de ſes imperceptibles
antennes ; &, vous le montrant tout
entier, vous dire, fans prononcer uneparole,
mais feulement en dirigeant ſon doigt versla
terre : Homme , arrête , tu vas fouler un chefd'oeuvre.
»
Voilà certainement un des beaux morceaux
de proſe que nous ayons dans
notre langue ; mais est- il bien placé dans
l'Éloge de Fontenelle ? & ne pouvons nous
pas dire avec raiſon à M. le Chevalier de'
Cubières: Cuprefſſumſcisfimulare, quid hoc?
HOR. ART. POET. Toute cette bellotirade ,
dont nous n'avons cité qu'une partie , fait
l'éloge de l'Histoire de l'Académie des
Sciences ; & cette hiſtoire , comme on fair ,
n'eſt point de Fontenelle ; il eſt rare , d'ailleurs,
il eſt même contre toute vraiſenblance
qu'un ſavant s'exprime d'une manière
fioratoire en parlantd'Ouvrages de Géométrie.
Fontenelle eft beaucoup mieuxapprécié
par les deux autres Académiciens. Dansle
jugement du Savant, ilya plus de pompe que
dejuſteſſe; dans les autres , ily a plus de jufteſſe
que de pompe; mais il ne falloit que de
la juſteſſe pour faire l'Eloge de Fontenelle ;
&voilà peut-être pourquoi le concours de
cette
DE FRANC : 121
cette année a été ſi peu nombreux. Si le talent
qui produit eſt commun , le talent
qui apprécie eft rare , &il faut quelquefois
bien des ſiècles pour produire un d'Alembert
& un Fontenelle. Voyez combien de
Tragédies , bonnes ou mauvaiſes , il a paru
depuis la renaiſſance des Lettres en France !
A- t il paru beaucoup d'Ouvrages comme les
Mondes , &le Discours préliminaire de l'Encyclopédie?
Si dans l'Éloge que nous annonçons , le
portrait de Fontenelle n'est pas toujours
exact , il eſt du moins affez fini. Fontenelle
y eft conſidéré ſous tous les aſpects qui peuvent
le rendre eſtimable; cet Éloge enfin
eftune eſpèce de ſupplément à ſes OEuvres ,
&tous ceux qui ont lu ces dernieres doivent
defirer de l'y joindre.
,
La Préface de cet Ouvrage eſt intéreſſante.
M. le Chevalier de Cubières y propoſe de
donner une forme dramatique aux Éloges.
Il croit qu'elle y jetteroit plus de variété &
de mouvement ; & il cite avec raiſon
comme unepreuve victorieuſe , le bel éloge
de Marc Aurelle , par M. Thomas. L'Auteur
lui - même a heureuſement introduit
cette forme dans l'Éloge de Fontenelle ; mais
feroit- il toujours poſſible de l'adopter ? &
n'eft il pas de ſujets qui la rejettent abſolument
? Nous invitons les Gens de Lettres qui
onttravaillé dans ce genre, de réfoudre cette
queſtion. Les bornes de ce Journal ne nous
permettent pas de nous y arrêter davantage.
N°. 38 , 20 Septembre 1783 .
F
1
122 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
EXPOSITION des Peintures , Sculptures ,
Deffins & Gravures de MM, de l'Académie
Royale , en 1783 .
CETTE
LETTE expofition eſt un ſpectacle qui ſe renouvelle
tous les deux ans , & qui dure pendant un
mois , depuis le 25 d'Août. Peut-être ſeroit-il à de-
Grer qu'elle eût lien tous les ans pour que les Artiſtos
fuſſent plus à portée de faire connoître kurs productions
, celles fur-tout qui ont une deftination
hors de Paris . Plus les talens font en préſence l'un
de l'autre , plus l'émulation s'anime & prend d effor.
C'est ainſi que Michel Ange & Raphaël , luttant
dans les falles da Vatican , portèrent , par une noble
Avalité , la Peinture à une perfection qui fait encore
Rome l'étonnement & l'objet des études des étran
gers. D'ailleurs , cete expofirion répand ic goût &
les connoiffances , el'e multiplie les Amateurs éclairés
, acquiert de la corſidération aux Maîtres , &
relève le prix de leurs trava ix, On en peut juger par
Pempreſſement des Citoyens à jour des briliantes
illuſions de ces Beaux Arts, qui annoncent avec tant
d'éclat la grandeur , la richeſſe & le bonheur d'une
Nation puiſſante , gouvernée par un Monarque proteur
des talens.
Le Spectateur a fans doute le droit de dire ce qu'il
penſe des Ouvrages qu'on foumet a fes regards ;mais
ine faut pas qu'il donne on ſentiment comme l'opinion
de Public ; car on lui demanderoit où ce Fu-
Wic rend ſon jugement. Il faut convenir auffi que la
DE FRANCE. 123
ririque d'un morceau de Beirate cu de Souprare
doit être d'autant plus circonfpecte , que le tableau c
le maror; ne peuvent vivrel'écrit Cityrique pour ſe
défendre conte la préven ion , ignorance & la
maligniré. Un farcitine , un calembourg , une injure
ne fort pas des raiſons , & es trais infα της
viennent Couvert des attentats criminels qui bleffert&
dicouragent le mérite. Pluſieurs habites Maitres
, d'une fonfibioté trop grande , évitent même
déjà de le montrer dans la carrière des Arts par la
crainte de ces Libelliſtes imprudens & malhonnêtes
qui ne font rien,& noiſent à qui veut faire. C'est donc
avecmoderation & a ec de juſtes égards que ce Journal
doit compte aux Provinces & aux Pays Errangers
de ce qui attire les habitans de la Capitale au
Sallon du Louvre. L'ordre du Catalogue imprimé
ſera celui qui va être obf. rvé dans cette efquiffe.
PEINTURES.
M. VIEN , Chevalier de l'Ordre du Roi , ancien
Directeur de l'Académie de France à Rome , a repréſenté
( dans un tableau de 13 pieds de large tur
to de haut , ordonné par le Roi ) Priam partant
pour ſupplier Achille de lui rendre le corps de for
fils Hector.
La compoſition de cetableau eſt impoſante, elle
eſt ſage,elle est noble. Les caractères de têtes d'Hé
cube& de Priam font majestueux; Andromaque a
l'abandonde la douleur ; mais on a de la peine à reconnoître
le beau Paris tel qu'Homère le repréſente
Les acceſſoires font riches &bien rendas. Les draperies
font jetées avec légèrcré. L'architecture est d'un
grand genre , & parfaitement traitée. La couleur eft
yraie, &le deffin correct & facile Il y a de l'harmorie
dans l'enſemble ; enfin c'est l'ouvrage d'un
grand Matere que a médité ſon Art M. Vien a le
zincean tranquille &favant du Pouffin ; il a le ſtyle
Fij
124 MERCURE
pur&raiſonné des anciens Grecs. Pourquoi lui demanderoit-
on plus de chaleur & de mouvement ?
Les deux Veuves d'un Indien qui se disputent
t'honneur de monter fur le bûcher de leur mari défunt
pour y être brûlées avec lui , font le ſujet de la compoſition
de M. DE LA GRENÉE l'ainé , Directeur de
l'Académie de France à Rome. Ce tableau , ordonné
par le Roi , eſt de la grandeur du précédent.
La diſpute des deux femmes Indiennes n'eft peutêtre
pas rendue affez ſenſible par la fuite de celle
qui eſt vaincue , & par la tranquillité de celle qui
triomphe ; mais d'ailleurs que cette compofition eft
brillante, que fa diftribution en eſt riche & bien ordonnée
, que ces caractères de têtes ſont intéreſſans ,
que ces grouppes ſont ſavamment contraſtés ! On y
trouve de beaux effets , on admire la touche ferme
d'un pinceau libre & hardi , un enchaînement des
clairs &des ombres bien entendu , & en général un
deſſin pur & gracieux. Le coloris en eſt harmonieux ;
cependant oudefireroit un ton moins gris & moins
vaporeux. Au reſte , M. de la Grenée nous montre
dans ce tableau , envoyé de Rome , combien il y a
àgagner pour un Peintre dans le ſéjour de l'Italie
cetteterre claffique desArts, ſuivant l'expreffion d'un
AmateurAnglois.
,
Les autres petits tableauxde ce Maître ſont d'une
compoſition ingénieuſe , d'une touche facile , &
peints dans la manière précieuſe de l'Albane.
M. VANLOO a repréſenté Zéphire & Flore , ou
le Printemps , dans un grand tableau de dix pieds ,
ordonné pour le Roi. On dit & on voit que cet ouvrage
eſt deſtiné à ſervir de modèle pour des Tapifferies.
C'eſt ſans doute ce qui a engagéM. Vanloo
à chercher un coloris plus brillant que moëlleux
, & à donner à ſes figures , comme aux ас-
ceſſoires , des teintes vives & tranchantes , afin d'en
tendre l'imitation facile & d'un effet piquant.
DE FRANCE. 125
LeZèle de Mathathias tuant un Juif qui facrie
fioit aux idoles; tel eſt le ſujet d'un grand tableau
exécuté par M. LÉPICIÉ , & ordonné pour le Roi. La
pureté du deffin , la juſteſſe de l'expreffion des figures
, & pluſieurs belles parties de cette compoſition ,
atteſtent un habile Maures mais on defteroit des
plans mieux ménagés , une couleurplus vraie , & plus
d'accord dans l'enſemble. M. Lépicié eſt plus heureux
dans ſes petits tableaux , où il y a des vérités
de nature , & des détails très -agréables. Son Déjeûné
des Elèves eſt une ſcène gaic , & rendue avec une
naïveré charmante.
Voici encore un tableau de huit pieds de large ,
fur dix de haut , commandé tour le Roi, C'eſt Vin
ginius prêt àpoignarder fa fille ; ſujet dificile , con.
fié au pinceau de M. BRENET. Il y a des beautés
dans le groupe de Virginius & de fa fille : la Virginie
eft intéreſſante , & repréſentée dans une fisuation
naturelle & vraie; l'attitude du père n'est pas fi
heureuſc. Appius pouvoit étre mieux placé. Ce
tablean eft peint avec force , & d'un effet piquant ;
cependant , le tragique de cette action atroce ne s'y
fait point affez fentir.
M. Brenet a repréſenté auſſi la Courtoific du Chevalier
bayard , lorſqu'après la prise de Breffe , il
protégea un père , & l'honneur de ses deux filles.
Un ſujet fi noble , ſi intéreſſfant , la fraicheur &
l'éclat des couleurs , rexacte obſervation des cotumes
dans leshabillemens & dans les acceſſoires,une
exécution franche & facile , rendent ce tableau trèsagréable
. Les têtes des femmes pourroient être d'un
plus beau choix.
Dans un autre grand tableau ordonné par le
Roi , M. DURAMEAU a repréſenté Herminie ſous
les armes de Clorinde. Nous n'avons ni éloge ni
critique à détailler fur cet. Ouvrage , où l'on ne
reconnoît pas affez les foins & lefaire d'un Maître
Fuj
126 MERCURE
qui a mérité par les talens d'être nommé Peintre
de la Chambre & du Cabinet du Roi.
,
M. DE LA GRENÉE lejeune a composé pour le
Roi la Fête à Bacchus , ou l'Automne ; ordonnance
riche & variée , exécution facile , coloris brillant
quelques incorrections dans le deſſin,peu d'expreffion
dans les figures, des négligences dans les détails :
voilà les beautés & les défauts de Fhabile Artiſte à
qui l'on doit cette grande compofition .
Son Saint Jean , prêchant dans le Défert, n'a pas ,
fous le pinceau gracieux de ce Peintre , l'énergie &
P'austérité de ſon caractere. Mais que de fraîcheur ,
de grâces , de douceur & d'amabilité dans ſes petits
tableaux de Bacchus apporté par Mercure auxCorybanthes
, d'une Femme au bain ; d'une autre, offrant
un facrifice, de la Mort d'Adonis , des deux Sujers
de Télémaque , des deux Jeux d'enfants , &c.
Unmorceau encore plus précieux , plus foigné
, digne fruit des talens aimables de ce Maitre
, &de la protection du Mécène des beaux Arts ,
c'eſt a l'Attégorie relative à l'établiſſement du Mufæum
dans l'ancienne Galerie des plans au Lou-
>> vre. Près du Piédeſtal ſur lequel on voit le Bufte
>> du Roi , l'Immortalité reçoit des mains de la
>>> Peinture , de la Justice & de la Bienfaiſance ,
le Portraitde M. le Comte d'ANGIVILLER , pour
>>>être placé dans ſon Temple. Derrière la figure
-de l'Immortalité , le Génie des Arts relève un
>> rideau , & l'on apperçoit une partie de la grande
Galerie , où pluſieurs petits Génies tranſportent'
>& placent les tableaux du Roi. »
Ce tablean , de 2 pieds de large fur 18 pouces de
haur, eft feint à l'huile & collé fur glace(par Madame
de Montpetit) , ainſi que les arabeſques de la
bordure. L'Auteur en a fait préfent à l'Académie.
Le Sacrifice de Noé au fortir de l'Arche , par M.
TARAVAL, est encoreune des grandes compoſitions
DE FRANCE. 127
ordonnées pour le Roi. Ce tableau fait beaucoup
dhonneur à ce Maître ; l'ordonnance en eft fage
& ſavante , les figures ont un grand catact re ,
le coloris a de l'harmonie , la touche en eſt vigou
reuſe , l'exécution en eſt ferme & foutenue ; enfin
les beautés y font bien ſupérieures aux défauts que
l'e'l jaloux de la critique y pourroit appercevoir .
Le même Maître a peint avec vérité le portrait de
M l'Abbé Trois ; mais il nous paroît bien infé
rieur à 'ui-même dans ſon petit tableau d'un Amour
battant le tambour avec fon flambeau.
M. MENAGEOT a peint pour le Roi un grand
tableau , repréſentant Afiyanax arraché des bras
d'Andromaque', par l'ordre d'Ulyffe. On reconnoît
toujours cet habile Maître à un faire qui est à lui , à la
riche ordonnance de ſa comrofition , à la correction
de fon deffin , à la favarte diſtribit on des ombres &
des clairs à l'ac ord de fon coleris avec le tout enſemb'e
, à la nobleſſe de es caractè es de têtes , à la
diftribu ion graduéede fes plans ; enfin à l'expreffion
de ſes figures On ne jouir qu'imparfaitement de tou
tes ces beautés au Salon , par la trop grande élévation
du tableau. Cependant on defireroit une douleur plus
prononcée dans Andromaque , on voudroit qu'A
tyanax ne for pas comme enveloppé d'un voile qui
le dérobe à la vue : on cherche le tombeau d'où le
fils d'Hector vient d'ême enlevé , & Ulyffe n'eſt
peut-être pas affez caractériſé d'après les traits qu'Homère
a donnés de ce Roi.
Le tableau allégorique au sujet de la naiſſance de
Monseigneur le Dauphin , eſt un monument d'autant
plus précieux , qu'il rappelle une des époques les
plus heureuſes de la Morarchie , & que la reffemblance
du Gouverneur & des Magiſtrats de la Ville
y eſt parfaitement conſervée.Quelle beauté dans ce
groupe nombreux qui repréſente la joie publique ,
set épiſodeeſt untraitde géniemis en oeuvrepar un
Fav
128 MERCURE
grand talent , & il fuffiroit foul pour couvrir les défauts
qu'on pourroit relever dans les détails de ce
magnifique ouvrage .
On voit de M. SUVÉE , une Fête à Pales ou
l'Eté, grande compofition ordonnée pour le Roi.
Un tel ſujet inſpire peu le Peintre , qui n'a ni
paffion , ni caractère , ni grand événement à rendre.
Il en réſulte que fon Ouvrage eſt froid. Cependant
un habile maître peut ſe ſauver par la
beauté des détails ; mais il faudroit que ces ſujets
champêtres fufflent alors traités , du moins en partie
, par des payſagiſtes. Au reſte , on remarque fur
le premier plan de ce tableau une figure bien defſinée
, beile , & parfaitement rendue.
Il y a de beaux tons de couleur , unc ordonnance
timple & fage , un coloris vrai , & des figures
fièrement deſſinées dans ſon tableau de la Réfurrection.
Cependant le Chriſt eſt d'une touche
trop vague , & les Soldats d'une proportion trop
coloffale.
2
Le Portrait en pied de M. Vanoutryve , enveloppé
dans un vaſte manteau écarlate a beaucoup
de vérité; il eſt grandement deſſine , parfai
tement drapé , & peint d'une manière large&facile.
Nous ne nous arrêterons pas à deux autres tableaux
de ce Maître , le Don réciproque , ou l'Amour
& la Fidélité ; & une Allegorie relative à la
dévotion du Sacré Coeur.
,
On ne peut ſe tromper aux deux tableaux ,
dont l'un repréſente un Lever& l'autre un Coucher
du Soleil. On reconnoît bientôt M. VERNET. Perſonne
n'a mieux entendu la perspective aërienne
n'a fait un meilleur choix des fites , n'a donné
plus d'eſprit à ſes petites figures , & n'a enrichi ſes
compoſitions de détails plus charmans : c'eſt le ſecret
de cet habile Maître , de ſavoir juſqu'à quel
point il doit outrer les tons de certaines couleurs s
DE FRANCE.
129
&fi elles nous paroiſſent un peu tranchantes à cauſe
de leur fraîcheur, il fait bien qu'elles s'aſſourdiront ,
qu'elles ſe mettront d'accord , & qu'elles acquer
rontavec le temps , dans le cabinet de l'Amateur
cette douce harmonie qu'on admire dans tout ce qui
fort de ſon pinceau .
M. ROSLIN a expoſé un grand nombre de portraits
remarquables ſur- tout par la beauté & la vérité
de ſes étoffes .
M. DE MACHY s'eſt diſtingué dans ſes petits
tableaux d'Architecture , par une exactitude de détails
, & par des effets de perſpective qui font la
plus agréable illufion..
Le Vandick de l'Ecole Françoiſe, M. DUPLESSIS
a orné le Sallon de portraits admirables. On n'a
point traité ce genre avec plus de vigueur de
coloris , plus de vérité , plus d'intelligence dans les
caractères de tête , & dans l'art de rendre les étoffes.
Qui n'eſt point frappé dans ces deux grands tableaux
de la reffemblance parfaite de M. & Madame
Necker!
Dans un des tableaux,ordonnés pour le Roi ,
M. BEAUFORT a peint le Duc de Guiſe chez le Préfident
deHarlay. On doit des éloges au beau ca
ractère de tête de ce Magiftrat , & à la belle fim .
plicité de cette compoſition ; mais le de'fin & le co
loris ont paru d'ailleurs un peu négligés.
M. CASANOVA reparoît avec avantage dans ſes
charmans payſages , où la nature eft rendue avec
une vérité piquante.
M. GUERIN nous donne encore dans ſes petits
tableaux le ſouvenir de ſes talens agréables.
M. ROBERT eſt inépuiſable dans l'art de varier
ſes compoſitions , & de les enrichir de détails avans
qui rappellent les plus beaux morceaux d'Architecture
& de Sculpture des Grecs & des Romains.
Par exemple , quel intérêt , quels effers piquans de
tv
130
MERCURE
1
Jumière, quelle abondance ce Peintre charmant n'at-
il pas répandu dans l'intérieur d'un Atelier de
Rome où l'on restaure des Statues antiques !
M. CLERISSEAU eft reconnoiſflable à fes morceaux
d'Architecture ancienne , qu'il tait rendre toujours
avec une égale perfection.
On voit avec plaifir les portraits en miniature
& en émail de M. PASQUIER , renommé par la
fineffe & les graces de ſon pinceau &par lon talentà
faifir la reſſemblance .
Madame VALLAYER - COSTER ſe montre und
digne rivale de la nature dans la repréſentation,
des fleurs & des fruits , qu'elle peint avec autant
de fraîcheur que de vérité.
Le Frappement du Rocher eſt une des grandes
compoûtions ordonnées pour le Roi , & trance par
M. JOLLAIN. Il y a des parties bien compoſées
dans cette grande machine , mais le tout enſemble
Shiffe beaucoup à defirer.
Dans un autre grand tableau pour le Roi , M.
BERTHELEMY a repréſenté Maillard qui tue le
factieux Marcel , la nuit , à la clarté desflambeaux.
Ce ſujet est traité avec beaucoup de chaleur , de
fierté & de vigueur dans le deſſin & le coloris.
La pofition de ce tableau , trop élevé dans le Salon ,
ne permet pas de désailler les acceſſoires , ni de
juger des effers de lumière. Il doitgagner infiniment
étant placédans ſon point de perspective.
1
M. VAN-SPAENDONCK n'a point d'émule dans
l'art de peindre les fleurs , les plantes , les fruits , ni
dans le manière de les grouper dans de beauxvaſes.
On ne peur le comparer qu'à VanHuysum
ou plutôt qu'à la nature qu'il rend dans route fa
fraicheur , ſon éclat , ſa vivacité.
L'Enlèvement d'Orithie , grandtableau deM.
VINCENT , produit de grands effets avec pan de
Sgures ; mais elles font du plus beau choix , &
DEFRANCE.
131
Jun deffin pur & favant ; compoſition pleine de
chaleur , & d'un coloris doux & harmonieux.
Son Paralytique guéri à la piscine, eft encore un
morceau du plus grand genre , qui fait également
honneur au génie & au pinceau de ce Maître , quoique
le Sauveur n'ait pas ce beau caractère qui lui
convient & qu'il y ait quelques autres négligences
dans les détails.
Achille , Secouru par Vulcain contre les fleuves
du Xante & du Simoïs , eſt une autre grande compofition,
dans laquelle. M. Vincent s'eft livréà la fougue
de ſon pinceau , & au mouvement de ſon ſujet.
M HUE eſt un ſavant Payſagiſte , qui s'eſt
montré avec le plus grand ſuccès dans estableaux
nombreux & variés qui ornent le Salon .
و
Les tableaux de M. SAUVAGE ſont des enchantemens
par l'illufion & la vérité trompeaſe
qu'il met dans ſon imitation de la nature morte
des bas -reliefs , & de tout ce que fon pinceau
réalife.
,
On ne peur ſe préſenter dans la carrière des Arts
avec plus d'avantages que Madame LE BRUN , qui
ſoutient par ſes Ouvrages la réputation de ſes aimables
talens. Cette jeune Artiſte adonné les Por.
traits de la Reine , de Monfieur , de Madame , de
TaMarquise de Guiche, de Madame Grant & d'elle
même , &c. dans lesquels on remarque de beaux
tons de couleur , & le mérite de la reſſemblance.
Ses autres tableaux font la Paix ramenant l'abon
dance ; Junon venant emprunter la Ceinture de
Venus; Vénus liant les ailes de l'Amour. On ne
fauroit aſſurément peindre avec des couleurs plus
riches , plus vives , plus brillantes; mais auſſi leur
trop grand éclat fait diffonance , & choque l'harmonie
du coloris . On est encore en droit de demander
à un talent ſi dilingue & qui promet beat
coup , plus de correction dans le deffin , plusde
Fvj
132 MERCURE
feudans ſes compoſitions , & plus d'âme dans ſes
figures.
Madame GUIARD a peint avec une mâle vigueur
le Portrait de M. Brizard , dans le rôle du Roi
Léar. Ses autres Portraits de MM. Vien , Pajou ,
Bachelier , Gois , Suvée , Beaufort , Voiriot , &
delle-même atteſtent un grand talent malgré
quelques négligences .
د
,
M. HALL eſt toujours un Peintre admirable &
ſupérieur dans ſes miniatures & dans ſes Portraits
en émail.
Nous ne nous arrêterons point aux tableaux de
M. MARTIN , de M. ROBIN , de M. WILLE fils, de
M. BARDIN , de M. LENOIR , de M. LE BARBIER ,
qui ont des beautés & des défauts que nous ne pourrions
affez motiver dans cette Notice.
M. BUCOURT nous rappelle dans ſes charmantes
compoſitions les effets de couleur , & le fini précieux
desPeintres de l'Ecole Flamande.
On retrouve M. DAVID dans le beau tableau , où
ce ſavant Artiſte a peint la douleur & les regrets
d'Andromaquefur le corps d'Hector fon mari.
M. RENAUD , dans ſon éducation d'Achillepar le
Centaure Chiron , a eu l'art de faire une compofition
riche , grande & impofante , avec deux perſonnages
fièrement deſſines & Tavamment coloriés.
Il n'a pas réuſſi de même , quoiqu'il y ait des beautés
, dans ſon tableau de Perfée qui remet Andromède
entre les mains de ses parens .
La naiſſance de Louis XIII , par M. TAILLASSON ,
eſt ungrand tableau bien compofé. Beaux caractères ,
deſſin pur , plans heureuſement gradués , fituation
rendue avec intérêt. Que manque-t-il à ce bel ouvrage
? Il lui manque d'être peint avec plus de chaleur
&d'harmonie.
Nous ne pouvons pas applaudir au Triomphe d' Aurélien
, quoique M. JULIEN ait mis de la fraîcheur
DE FRANCE.
133
dans ſon coloris ; mais toutes les autres parties de
cette compoſition font négligées.
M. DE MARNE , dans les paysages , dans ſes ruines,
dans fon marché d'animaux , dans ſon attaque
de Huffards , &c. donne de bons effets de couleur ;
&ſes tableaux font très-agréables , quoique les détails
laiſſent quelquefois à defirer par rapport à la vérité
de la nature , & à la correction du deſſin .
M. NIVARD a fait auſſi des Vues charmantes &
bien peintes , de Château , de Village , de Ferme ,
d'Eglife.
Enfin M. VERTMULLER , Peintre de portraits , ſe
montre ſupérieur dans fon genre. Il ſuffiroit pour
ſa réputation du portrait en pied de M. le Baron de
Stahl , ſavamment traité & artiſtement coftumé.
SCULPTURES.
Turenne, ſtatue en marbre , de 6 pieds de proportion
, ordonnée pour le Roi , eſt un ouvrage qui
ajoute à la réputation de M. PAJOU. La noble fierté
de ce grand Général , ſon attitude impoſante , la
ſcience des détails , la richeſſe & le fini du travail ſe
font admirer , & attachent les yeux fur cette figure
fublime.
Le même Maître a donné un buſte charmant &
reſſemblant de Mme Lebrun , Académicienne.
Son bas- relief allégorique de l'Amitié, eſt d'une
compoſition ingénieuſe & parfaitement deſſinée.
Onvoit legrand modèle en plâtre de Molière , par
M. CAFFIERI. Cette figure eſt belle ; mais dans l'exécution
en marbre ce Maître adoucira ſans doute les
traits du Père de la Comédie , qui étoit plutôt un Philoſophe
obſervateur qu'un Poëte inſpiré.
Les buſtes que M. Caffiéri a faits de Rotrou , de
Thomas Corneille , de M. Favart, font admirables.
Vauban , autre grand modèle en plâtre , par M.
134
MERCURE
BRIDAN , eſt une belle figure , quoiqu'un peu froide;
mais fans doute l'habile Artiſte l'animera dans le
marbre.
M Gors a expoſé un magnifique projet d'un
piédeſtal à la gloire de Henri IV & de LouisXVI.
Ses petits modèles en cire font délicieux & d'un
fini précieux.
La Fontaine , grand modèle en p'âtre , par M.
JULIEN , eft parfait. On retrouve le bonhomme tout
entier dans cette figure fi ingenue, fi franche ,fi aimable
1
M. LECOMTE a bien rendu en marbre le
portrait de la Reine , ainſi que celui de M. d'Aubenton.
Tous les buſtes engrand nombre de M. HOUDON
font animés.
Il faut s'arrêter auffi au buſte de Racine &à celui
de M. Vernet , par M. Boizor.
Catinat , grande figure en marbre, par M. DE
Joux rappellera la ſimplicité de ce Général.
Montefquieu a été parfaitement ſculpté en marbre
parM. CLODION MICHEL.
MM. ROLAND & MOITTE ont expoſé des basreliefs
& des buſtes qui font honneur à leur talent.
Il eſt inutile de détailler ici les Estampes qui ont
l'avantage de ſe multiplier& de ſe rendre aux defirs
de l'Amateur ; & l'on connoît aſſez par la Gravure
les charmans deflins de M. MOREAU lejeune , & les
portraits de M. DE SAINT- AUBIN.
Voilà tout ce que letemps & l'efpace de ce Journal
nous permettent de dire ſur les travaux & les
ſuccès de ces Arts agréables & utiles, fi noblement
fécondés par la magnificence du Roi , fi heureuſement
animés par la protection de ſon Miniftre , & i
juſtement encouragés par les homunages empreſſés du
Public,
:
DE FRANCE 135
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
Nous ignorons fi la ſymphonie de M.
Toëfchi , par laquelle a commence le Concert
du a de ce mois , eſt nouvellement faite ,
mais elle n'avoit pont encore ere entendue
ici. Elle eſt d'un bel effet, on n'y trouve pas
peut être les tournures brillantes de M.
Hayden ; mais elle eft , comme tous les Ouvrages
de ce grand Maitre , d'une harmonie
vigoureuſe & d'une manière hardie , qui a
bien auffi ſon merite. M. Nonnini , qui a
chanté deux airs Italiens , n'a pas une voix
très forte , mais elle eft douce & agreable.
On a trouvé la methode remplie de goût &
de grace , & l'on n'a pas à lui reprocher l'affectation
, quelquefois trop commune aux
tenors Iraliens. La muſique qu'il chante eft
très- bien choiſie , & donne une nouvelle
preuve de fon goût. Il a joué auffi un Concerto
de mandoline. Il a été fort applaudi ,
malgré la ſéchereſſe de cet inſtrument , & le
ſouvenir des talens fuperieurs de M. Leoni
&de quelques autres. C'eſt ſur tout du côté
du chant qu'il a paru meriter les plus grands
éloges. M. Laïs a chante un nouveau Motet
à voix ſeule de M. Kigel , de manière à feutenir
la brillante réputation qu'il s'eſt faite
36 MERCURE
au Théâtre . Mile Buret l'aînée, MM. Duport,
Michel & Viotti ont mérité de nouveaux applaudiſſemens.
COMÉDIE ITALIENNE.
a ILy long-temps que nous aurions pu rendre
compte des Débuts de M. Périgny. Cet
Acteur a paru , avec quelque fuccès , dans
l'emploi des Pères , appelés Grimes , en ſtyle
de Théâtre , & ce ſuccès a été ſuivi d'un ordre
de réception à quart de part, Nous l'avouerons
, cette préference hâtive ne nous a
pas paru s'accorder avec la nature des talens
de M. Périgny. Nous nous ſommes promis
de les examiner avec beaucoup d'attention ,
dans une longue ſuite de rôles , avant d'en
entretenir nos Lecteurs . L'examen que nous
en avons fait nous a convaincus que nous
ne nous étions point trompés ſur les défauts
de ce Comédien ; mais il nous a fait auſſi
connoître des qualités propres à l'emploi
dont il s'eſt chargé, En conféquence , en
parlant des unes avec éloge , nous allons lui
indiquer les autres , ainſi que les moyens que
nous croyons propres , finon à les faire abfolument
difparoître , au moins à diminuer
ce que , dans l'effet dramatique , ils peuvent
avoir de pénible & de fatiguant pour le
Spectateur. On a ſouvent mis en queſtion fi
le Comédien devoit rire & pleurer pour
parvenir à exciter la gaîté & les larmes. Les
DE FRANCE.
137
avis ont été partagés & la queſtion eſt reſtée
indésiſe. Il nous paroît pourtant facile de la
décider. Oui , le Comédien doit commencer
par éprouver l'impreſſion qu'il veur communiquer
aux Spectateurs , mais non s'y
livrer fans réſerve; trop d'abandon dans la
joie ou dans les pleurs doit néceffairement
altérer les moyens & nuire à l'effet qu'il veut
produire. L'homme de la ſociété qui fuit
tout ſimplement les impulfions de la nature ,
peut les faire partager par le petit cercle qui
P'entoure ; mais le Comédien , dans la vaſte
optique où il eſt placé , doit non- ſeulement
parler également à tous les yeux & à tous les
efprits, non ſeuleinent il doit chercher à
émouvoir , mais encore il doit chercher á
plaire. Il ne fauroit donc trop s'occuper de la
recherche des moyens qui peuvent y conduire;
& il les trouvera plus facilement dans
l'iunitation de la nature que dans la nature
elle-même, parce que celle - ci donneroit a
ſes traits & à ſes accens une altération trop
marquée , & que ſon imitation , guidée par
l'Art , garantira les uns & les autres des excès&
des écarts réprouvés par le goût. Si ce
principe eſt vrai , on peut reprocher à M.
Périgny non-feulement de ſe livrer quelquefois
à une gaîté exceſſive , mais aufli d'affecter
le rire & la joie; de donner à fon mafque
une expreſſion affectée & grimacière;
défaut bien plus repréhenſible que le premier
, & qui ſe trouve ſi rarement confondu
avec lui dans la même perſonne que nous
138 MERCURE
avons cru quelque temps que, M. Périgny
n'eroit pas naturellement gai. Appuyons le
pincipe que nous venons d'établir par des
faits connus & récens Nos Lecteurs ſe rappellent
combien l'luftre Lekain etoit pathé
tique & touchant , comme il preffoit le
coeur , comme il déchiroit l'ame ; c'eſt dans
P'imitation de la nature qu'il avoit trouvé les
reff rts de ce talent ſi rare. Peu de Comédiens
ont éré auſſi agréables dans l'expreffion
du rite & même dans ſes éclats que feu
Bellecourr ; Mme Bellecourt , ſa veuve , préfente
encore aujourd'hui dans la même expreſſion
peut être plus d'agrément & de
vérité ? Qui leur a donné cet art qui fait le
charme du Spectareur , & lui fait éprouver
la joie que le Comédien a ſu peindre ? L'imitationde
la nature. De telles autorités nous
ſemblent faites pour convaincre. Nous reprocherons
encore à M. Périgny une démarche
lourde & commune , un balancement
perpétuel dans les bras , qui lui donne l'air
effoufflé &palpitant d'un fantaſſin qui vient
de faire une longue courſe. Nous lui confeillerons
auffi de retenir les élans de ſa voix ,
de chercher à ſe rapprocher du diapazon de
ſes Interlocuteurs ,& de donner à ſa manière
de dialoguer un ton plus vrai & moins chantant.
Au reſte , ce Comédien n'eſt point indigne
de la préférence qu'on lui a accordée.
en le recevant avant la fin de fes Débuts ,
&il mérite la plus grande partie des applaudiſſemens
que le Public lui prodigue quelDE
FRANCE.
139
quefois. Il a une belle intelligence , fon
debit eſt raifonnable , ſouvent bien ſenti ;
&lorſqu'il ne court point apres l'expreffion ,
fon geſte a de la rondeur & de la verite. Ce
qu'il a de louable doit l'engager à travailler
fur ſes defauts , à perfectionner les bonnes
qualités , en un mot, à fe rendre vraiment
digne , aux yeux des Amateurs tévères , de la
diftinction flatteuſe dont on l'a honoré.
Le Mercredi 3 Septembre , on a joué , pour
la première fois , la Sorcière par Hifard ,
Comédie en deux Actes mêlée d'arieres.
Une jeune femme a renonce à la ville ,&
s'eſt retirée à la campagne , dans l'eſpérance
d'y fatisfaire en paix le goût qu'elle a pour
les Sciences. Les inſtrumens de phyſique &
d'aſtronomie qu'elle a fait apporter de la
ville , les études qu'elle fait lui donnent dans
le village le renom d'une Sorcière. Il n'eſt
pas juſqu'à un Valet , qu'elle a emmené avec
elle , qui , effrayé par cetre idée , ne veuille
renoncer à ſon ſervice , quoiqu'il la connoiffe
pour une femme juſte bonne & fenfible.
Deux jeunes gens perfécutés par un
vieux Tuteur , qui , ſuivant l'uffge , veut
épouſer ſa Pupille ,viennent la confulter for
le ſuccès de leurs amours. Elle fait entrer le
jeune homme dans ſon cabinet , & le fair
voir à ſa maîtreffe, qui regarde cette apparition
comme un prodige de magie. Le vieux
Tuteurvient à ſon tour, moins pour la con
140
MERCURE
fulter , car il fait l'eſprit fort , que pour l'em
barraffer par ſes propoſitions.On ſe fait un
plaifir de le jouer. Dans l'inſtant où il tremble
le plus , quoiqu'il tâche de paroître ferme
& affure , on l'affuble d'un voile noir ,
on enlève les bougies , on fait paroître en ſa
préſence Adrienne , ſa Pupille , & le jeune
Hyacinte ; puis on l'enferme dans un cabir
net , dont on l'aſſure qu'il ne pourra , ſans
courir de gres riſques , fortir avant que
T'horloge ait frappé huit heures. Les jeunes
gens enfermés dans l'appartement cherchent à
foretirer, ils ſe rencontrent, entendent fonner
l'heure, & à l'inſtant le vieux paylan quitte
le cabinet où il étoit renfermé. Ils le reconnoiffent
: quant à lui la crainte a tellement
faili fon âme , qu'il ſe croit toujours ſous le
charme de la fauſſe Sorcière. Après quelques
momens , en rapporte les bougies , on
inftruit le vieillard de l'amour des jeunes
gens , on l'engage à confentir à leur hymen ,
&la fauffe Sorcière ſe fait connoître pour
ce qu'elle eft réellement. La Pièce finit par
ees quatre vers , qui ſont placés dans labouche
d'une Actrice :
Dans le monde on connoît une forcellerie ,
C'eſt l'art de faite des heureux ;
Celle-là , je l'avoue , & je m'en glorifie ,
Je m'en fers tant que je le peux.
Ces quatre vers ont excité de grands éclats
de rire& les applaudiemens les plus vifs.
Ils ont été redemandés , & , ce que nous
DE FRANCE. 141
croirions à peine, ſi nous n'en n'avions pas
été les témoins , l'Actrice a eu la bonté de les
répéter ; ce qui a produit de nouveaux applaudiffemens&
de nouveaux éclats .
Le fonds de cet Ouvrage reſſemble un
peu à celui de la Fauſſe Magie ; mais cette
dernière Comédie n'a été jouée ſur le Théâtre
de la Comédie Italienne qu'en 1775 , &
celle dont nous venons de rendre compte
avoit été exécuté chez Mme la Ducheffe de
Villeroy , en 1768. Comme il paroît qu'elle
n'étoir, ou ne devoit être regardée que comme
une plaifanterie de Société , nous obferverons
ſeulement qu'il falloit la rendre digne
des regards du Public , avant de lui faire
affronter lejugement des Spectateurs ſévères.
La muſique eſt agréable ; elle eft , ainſi que
les paroles , d'an Amateur qui a fair une
étude particulière des partitions Italiennes
, & qui paroît avoir bien profité de
fes études. On peut l'engager à moins étendre
ſes motifs , à ne pas donner à ſon expreffion
une intention qui devient quelquefois
vague à force d'être nuancée. Nous lui donnons
ce conſeil avec d'autant plus de plaifir ,
que ſa muſique préſente des morceaux très.
bien écrits , de la vérité , de la grâce , de la
mélodie& de la gaîté, & s'eft encore une
raiſon pour l'inviter à donner à ſon ſtyle
une marche moins uniforme , &à ſes motifs
une variété plus raarquée.
142
MERCURE
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
tale ,
M
MOIRE fur la Poste , qui , en 1771 , ravagea
l'Empire de Rule fur-tout Mofiou ; la Capi-
& oùfont indiqués les remides pour la guéri
, & les moyens a s'en préferver ; par M. B.
Sau oric witz , Aflefer de S. M. 1. de toutes les
Rothes. DeEtour en Médecine , Chirurgien- Major
du Sénatde Mofcou , Membre de la Comm ffion
contre la poſte dans la méme Ville , Aſſocie des
Académies de Dijor & de Nîmes , du Collège Royal
des Médecins de Nancy , & du Musée de Paris ,
des Académies de Toulouſe & de Padoue , dédié à
fa Souveraine Anne-Catherine II. Prix 3 livres
12 fols br. A Paris , chez Leclerc , Libraire , quai
des Auguſtins; à St -Pétersbourg , chez M. Wilkowsky
; à Mofcou , chez M. Borifiakow , Lib.
Commiſſaires de l'Académie Impériale des Sciences
de Saint Pétersbourg.
,
M. Samoï'owitz s'eſt fait connoître avantageuſement
dans certe branche de la Médecine ; c'eſt
un préjugé favorable pour ce nouvel Ouvrage,
Le même Libraire a acquis : Differtation fur
Apocalypse , in-42. ou in-4". 4 liv. 15 f. br.
&Differtation fur le rappel des Juifs , 2 vol. in-
12. ou in - 48 . 6 liv. br. 3 ce font deux Ouvrages de
M. Rondet , qui font ſuite à la Bible dite de Vence,
dont il eſt Éditeur.
. TABLEAU de la Parole ou Nouvelle Manière
d'apprendre aux Enfans à lire , en jouant ;
ar Mlie P **, de N ...S. S. Prix , 12 fols. A
Paris , de l'Imprimerie de J. C Defaint , rue St
Jacques.
• La Lecture , dit l'Auteur de ce petitOuvrage,
DE FRANCE.
143
• eft le premier & le plus grand chagrin des en-
> fans . Que ne doit-on pas faue pour leur rend e
> plastiger ce premier fard. ude la vie ? » D'après
cette idée , Mile P * de N .. SS a imaginé un
Jeu ingénieux , qui leur aprend à lire
amulant. On ne pour qu'applaud r à ces vues d'humanité
, qui nous paroiffent avoir tout le ſuccès
que l'Auteur pouvoit prétendre.
en les
VOYAGE Pittoreſque , on Notice exacte de tout ce
quly a àvoi d'inté effant dans 'a ville d' Am ens
&dans unepa tie defes alentours faite en l'année
1783. A Amiens , de l'imprimerie de J. B. Caron
l'aîné , Imprimeur du Roi.
Cet Ouvrage eſt utile pour ceux qui voyagent
dans la Ville d'Amions. It feroit à defirer qu'il y cut
de pareils Ouvrages pour toutes les Villes qui rer .
ferment des monumens dignes des regards des
Voyageurs ils ne font pas tous à portée d'avoir
des perſonnes qui puiſſent diriger leurs obſervations.
OBSERVATIONS Astronomiques , faites à Tou
louse par M. Durgayer , Afſocié de l'Académe
Royale des Sciences , Inſcriptions & Belles- Lettres
de la même Ville , & Correſpondant de l'Acadé
mie des Sciences de Paris , ſeconde Partie. A Paris!,
chez Laporte , Libraire , in - 4° , broché , 1783 ,
8 livres.
Ce volume ſert de ſuite aux Obfervations Aftro
nomiques du même Auteur , imprimées à Avignon
en 1777 , que l'on trouve chez le même Libraire
au prix de to liv, in-4 °, broché,
NUMÉRO & du Journal de Clavecin , contenant
un Air ge Blaise & Babet , un autre de Ster'kel, un
Rondeau de Mme Lebrua , un Andanté de Giardini ,
144 MERCURE
arrangé par Mile Caroline Vuel , & un Air du
Ballet de Céphale , par M. Drux . Prix , 2 liv. 8 ſols ,
Is liv. l'année entière. A Paris , chez M. Leduc , au
magaſin de Muſique , rue Traverſière.
QUATRIÈME Suite d' Opéras & Opéras- Comiques,
arrangés pour deux Clarinettes , par M. Stumpff.
Prix , 3 liv. A Paris , chez Boyer , au Magaſin de
Muſique , rue Neuve des Petits Champs , nº. 83 ;
& chezMme le Menu , rue du Roule , à la Clefd'or.
Cette quatrième Suite , ainſi que la troiſième ,
nous a paru digne des deux premières , qui ſont de
M. V. Roeter.
DEUX Symphonies Concertantes ; la première ,
pour deux Violons à grand Orcheſtre ; la ſeconde,
pour deux Violons & un Violoncelle , auſſi à grand
Orchestre , par M. Bréval , OEuvre onzième. Prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue Faydeau ,
la ſeconde porte - cochère après la rue neuve de
Montmorency.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE
AMme de Bourdic ,
A Mlle Simonet
97 Fontenellejugé parses Pairs ,
98
وو
116
de MM. de l'Académie
Epitaphe de Diane, Chienne Expofition des Peintures , &c .
deChaffe ,
Vers à Mille de Gaudin , 1oo Royale, en 1783 ,
Lettre de M. de la Harpe au Concert Spirituel ,
Rédacteur du Mercure, 101 Comédie Italienne ,
Charade , Enigme & Logogry- Annonces & Notices ,
phe , 114
APPROBATION.
122
135
136
142
J'AI la, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 19 Septembre 1783. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 28 Juillet.
L&'Aga des Janiſſaires déposé derniérement,
& remplacé par Kouli-Kiaga , n'a , diton
, encouru cette diſgrace , que parce qu'il
refufoit de ſe prêter aux changemens ordonnés
par le Grand-Viſir dans la diſcipline des
troupes.
Parmi les Officiers étrangers qui arrivent
journellement , & que le Grand- Seigneur
prend à ſon ſervice , il y en a un dont on
ignore le nom , & qui paſſe pour un homme
diftingué. On prétend que d'après pluſieurs
conférences qu'il a eues avec le Grand-
Viſir , le Capitan Bacha & le Chefdu Corps
des Bombardiers , il a été ordonné pluſieurs
changemens importans dans les Fonderies
de Tophana qu'il avoit viſitées. Les Francs ,
que la curioſitéporte à ſuivre ſes démarches ,
l'ayant vu examiner , il v a quelques jours ,
letombeau du fameux Comte deBonneval ,
No. 38.20 Septembre 1783.
( 98 )
lui ſuppoſent le deſſein de prendre auſſi le
Turban. Ce tombeau eſt dans un Couvent
de Moines Turcs , & l'on lit fur la pierre
qui le couvre l'épitaphe ſuivante :
ec Bonneval-Ahmet , Pacha , connu par tout
l'univers , a abandonné ſa fortune & fon pays
pour la foi Muſulmane ; jouifiant d'une grande
réputation dans ſa patrie , il eft venu chercher
parmı les Fideles la gloire & l'eternité. Il fut compté
dans le petit nombre des ſages ſur la terre , où il
éprouva la grandeur & la nullité des chofes de
ce monde ; il connur le bon & le mauvais , le
beau & le laid. Convaincu de l'inſtabilité de la
vie humaine , il ſaiſit un inſtant opportun pour
paſſer à l'éternité , en buvant dans la coupe de
la mort la nuit du Vendredi , qui étoit celle de
la naiſlance du plus glorieux des Prophetes. 11
choiſit ce moment heureux pour recourir à la
miféricorde , & paſſa avec fermeté dans l'autre vie,
Que le paradis foit l'endroit de repos de Bonneval-
Ahmet , Pacha , mort le 12 de la Lune de Rebis
evvel ! 1160 de l'hegire (le 23 Mars 1747 ).
RUSSIE,
DE PETERSBOURG , le 15 Août
:
Le Comte de Balmen , & les Officiers
qui font ſous ſes ordres , ont reçu dans la
Criméele ferment de fidélité des Imans , des
Beys , & autres perſonnes de rang de cette
pén nſule , ainſi que des villes de Karas-Baza
, Batch farai,Achmetſchat ,Kaffa, Koflow,
Tazchanskoi kul , New-Bazar , & du dif-
* trict de Prérop. Dans le Cuban , le Général
Suvaror empli la même cérémonie auprès
des Hordes Edissanski , Dsjamboluz ,
2
( وو )
des quatre branches de celle d'Editschkul ,
du Sultan Alim Gheray & de ſes vaffaux ,
ainſi que des Tartares de Budziak & de
Baſchlein. Le Prince Potenkin a fait prêter
ferment aux peuples établis dans laTartarie
au-delà du Cuban , & an Sultan Batir Ghiray
& à ſes vaſſaux. S. M. I. a cru devoir
témoigner ſa ſatisfaction au Prince Grégoire
Potemkin , Général en chef , & principal
auteur de cet événement , en récompenfant
par des marques honorifiques les Genéra ix
qui ont agi ſous lui. Elle a décoré de l'Ordre
de S. Wladimirle frere du Prince Potemkin
& le Général Suwarow , & de celui de
S. Alexandre Newski le Comte de Balmen
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Août.
Les Gabarres Françoiſes qui pafferent le
Sund le 27 Juin dernier pour aller à Riga
charger des bois de conſtruction , font revenues
dans notre rade.On dit que lorſqu'elles
parurent dans le port de Riga , elles
étoient armées , & que ce ſpectacle caufa
quelque ſurpriſe , & fit prendre diverſes précautions.
On envoya même un courier a
Pétersbourg, pour demanderdes inſtructions
fur la maniere dont on devoit ſe conduire ,
&il fut ordonné de faire à ces Bâtimens un
traitement amical&conforme à ce qui avoit
été obſervé précédemment dans une circonſtance
ſemblable. Leurs Commandans ,
ajoute-t-on , n'ont pas voulu ſe ſoumettre à
e2
( 100 )
Ja viſite qu'on eft dans l'uſage de faire des
Navires Marchands. Comme ces Vaiſſeaux
portent le pavillon de S. M. T. C. & qu'ils
Tont commandés par des Officiers de ſa Marine
royale , on ignore fi notre Adminiſtration
inſiſtera ſur ce qu'ils acquittent la douane
du Sund , pour la raiſon qu'ils ont des cargaiſons
marchandes à bord.
MM. Stampi & Numſen , Conſeillers intimes
, ont demandé & obtenu leur démifſion
de leurs places de Directeurs de la Banque.
LesComtes de Reventlau & de Schimmelman
ont auſſi quitté leurs poftes , & on
ignore le motif de la diſgrace de ces derniers.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 17 Août.
Le Prince Raczinski , Général de la
grande Pologne , qui étoit ſur ſes terres , eſt
arrivé ici hier ſur une dépêche qui lui avoit
été envoyée par un exprès pour preffer fon
retour dans cette capitale , où les circonftances
rendent ſa préſence néceſſaire ; il a
diné hier chez l'Ambaſſadeur de Ruffie.
Les troupes Ruſſes qui font ſur les terres
de la République font encore tranquilles ; le
cordon qu'elles ont établi ſur la frontiere
veille avec ſoin pour empêcher la commu--
nicationde la peſte , & nous en avons établiunde
troupes Polonoifes d'un autre côté
pour le même effet.
* S'il faut en croire les dernieres lettres de
( 101 )
Conftantinople , les armées Ruſſes ne prendront
pas les Turcs au dépourvu,car la Porte
a , dit-on , en ce moment 200,000 hommes
prêts à leur faire face.
On dit que l'Impératrice de Ruſſie fait
faire à Vienne , par le Jouaillier de la Cour
Impériale, un panache de brillans qu'elle deftine
à Sahim-Gheray , ci- devant Khan de
Crimée.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 30 Août.
C'eſt demain que l'Empereur doit quitter
le camp de Brunn en Moravie pour ſe rendre
à celui de Prague , où il reſtera quelques
jours , après quoi il reviendra ici pour être
préſent à la grande proceſſion qui a lieu tous
les ans , en mémoire de la levée du Siege de
cette ville par les Turcs en 1683. Il s'eſt
écoulé un ſiecle depuis cette époque ; & le
terme du voeu de l'Empereur Léopold qui
ordonna cette proceſſion eſt expiré. Elle fe
fera en conféquence pour la derniere fois le
14 du mois prochain ,& on ſe propoſe d'y
mettre plus de pompe que dans toutes les
années précédentes.
Les Religieuſes du Couvent de S. Laurent
ont reçu ordre de congédier leurs Penſionnaires.
On attend l'Edit de ſuppreffion
de 28 Couvens , & on dit qu'il en ſera ſupprimé
pluſieurs dans la Hongrie où il y en
a de très-riches.
« La ſemaine derniere on a vendu 5625 florins
e3
( 102 )
un fuperbe chafuble brodée en perles; fois pea
de jours on en doit mettre en vente une autre
eſtimée 15000 florins ; on dit qu'un Marchand a
commiffion de l'acheter pour la Ruffie. On présend
que cette derniere appartes oit à des Religieufes
qui , pour ſe la procurer , ſe privoient depuis
25 ans d'un quart de leurs repas , & de l'uſage du
vin à leur diner.
DE HAMBOURG , le 3 Septembre.
On attend quel fera le réſultat des grands
préparatifs qui ſe font de toutes parts ,& qui
préparent à une guetre prochaine que l'invafion
de la Crimée ſemble rendre inévitable.
Les lettres de Conſtantinople du 8 de ce
mois n'annoncent point encore que le manifeſte
de la Ruſſie ait été notifié au Divan ;
mais on en connoît le contenu , & on n'y
a pas été peu furpris de quelques-uns des
griefs de S. M. I.
« Parmi ces griefs qu'elle regarde , lit-on dans
une de ces lettres , comme un motif ſuffiſant qui
justifie l'occupation qu'elle a faite de la Crimée ;
il en eſt un ſur lequel il paroît que l'Imperatrice a
été trompée de la maniere la plus extraordinaire.
On lui a repréſenté la mort d'un Envoyé du Khan
desTartares dans l'iſle de Taman , comme l'ouvrage
d'un Officier de la Porte. Voici le fait , tel
qu'on en a eu ici les détails. Le Bacha de Soudjak
informé que des Tartares du Cuban vouloient
paſſer en Crimée pour redemander deux Sultans
que le Khan avoit fait empriſonner , envoya fon
Kiaja à Taman , où ces Tartares devoient paſſer ,
afin de les engager à retourner ſur leurs pas ; mais
loin de réuffir dans cedeſſein, il vit ces Tartares
&les Habitans de Taman ſe réunir pour ſe etter
( 103 )
fur un homme du Khan, venu dans l'Iſle pour le
même objet que le Kiaja, & qui le mirent en piéces .
Il paroît qu'à préſent que la Ruffie eſt maitreffe
des pays qu'elle occupe , ce n'eſt plus
le cas d'entrer dans des diſcuſſions qui ne
feront pas écoutées, ni par là qu'on peut eſpérer
de les lui faire évacuer : il faut recourir à la
grande raifon des Souverains & prendre les
armes ; on ignore ſi la Porte prendra ce par
ti ; il paroît du moins que ſa puiſſante Rivale
, qui n'a plus aucun intérêt de l'attaquer
, &à qui lapoſſeffionde la Crimée rend
l'acquiſition d'Oczakow inutile , attendra
tranquillement les Turcs , & qu'elle prendra
leur démarche pour une agreffion ; que
peut-être elle partira delà pour réclamer les
ſtipulations défenſives du Traité , qu'on dit
toujours exifter entr'Elle & l'Autriche.
« La Cour de Vienne , lit-on dans quelquesuns
de nos papiers , fait rechercher dans toutes
les Archives des Chancelleries Autrichiennes , ce
que rendoient jadis les parties de la Boſnie , de la
Servie , & la Walachie ; quelle étoit leur adminiſtration
, quels droits de douane on acquittoit
alors fur la Save , &c. On ne manque pas d'en
inférer que l'on ſe propoſe de réclamer ces pays;
d'autres ſpéculatifs confidérant le peu d'utilité que
l'Autriche retireroit de la Servie & de la Boſnie ,
ſuppoſent qu'a raiſon du Commerce ſur la mer
Noire , & la communication déjà ouverte avec la
Ruffie , dans ces contrées , elle préfereroit un équivalent
le long du Danube , c'est-à-dire les Principautés
de Walachie & de Moldavie , qui avoifinent
cette riviere : on prétend en général que le
plan propofé & arrêté entre les deux Cours Impériales
eft te ſuivant.-De renvoyer abſolument
€4
( 104 )
1
les Turcs au-delà du Danube; d'établir dans les
parties encore exiſtantes de la Walachie & de la
Moldavie , un Hoſpodar indépendant à tous égards
de la Porte; de mettre l'Autriche en poffefſion du
district fort étendu le long du Danube , depuis le
Bannat , juſqu'à la Beſſarabie , tandis que la Ruſſie
occuperoit la Beſſarabie & la Crimée ce qui
mettroit de ce côté l'Autriche & la Ruffie , Puiffances
limitrophes , en état de commercer enſemble.
Ceux qui s'attachent à ce plan , fe fondent
fur les préparatifs qu'ils voyent faire en Autriche ;
lesdépenſes qu'elle a faites excedent déjà , dit- on
de 6 millions de Florins les ſommes affectées aux
opérations militaires en tems de paix. 5
Les Lettres de Conſtantinople montrent
qu'on n'y eſt pas non plus fans inquiétude
fur les projets des deux Puiſſances , & que
c'eſtà cette inquiétude , autant qu'aux cris
du peuple , qui croit ſa religion intéreſſée à
1a conſervation des Domaines Ottomans
dans toute leur intégrité , qu'on doit le redoublement
des préparatifs qui s'y font.
« Il eſt probable, diſent ees lettres , que le projetde
la Ruſſie eſt de nous éloigner autant qu'elle
le pourradu voisinage de la Crimée , & qu'en s'en
emparant , elle a cherché à nous engager dans une
guerre dont elle eſpere que l'iſſue ſeroit de nous
chaffer tout-à-fait de l'Europe. Elle étoit parvenue
pendant la derniere guerre à faire révolter le
Prince de Géorgie ; & , fi elle réuſſit à nous empêcher
de la bannir des côtes de la mer Noire ,
depuis la Crimée juſqu'en Géorgie , elle portera
ſes limites au fud au-delà du 45. degré 30 min.
de latitude . On lui croit le défir d'établir le Danube
pour bornes entre la Turquie d'Europe &
1
( 105 )
د
ſon Empire ; mais ſi nous nous laiſſions reſſerrer
par elle à ce point, qui ſçait juſqu'ou l'Empereur
voudroit étendre les frontieres de la Hongrie ? Qui
peut déterminer ce qui conviendroit à la République
de Veniſe , dans une autre partie de notre
Empire ? Quand même nous conſentirions à le
laiſſer démembrer on nous chercheroit quelqu'autre
querelle : la Porte en eſt perfuadée , &
le Divan ne ſemble balancer , que pour donner
aux Puiſſances amies le temps de négocier. Au
refte , peu importe que les Ruſſes ſoyent entrés
ou non en Crimée ; il feront toujours obligés d'y
voiturer des vivres & juſqu'à de l'eau ; enſorte que
le fort de cette Preſqu'ifle dépendra , comme il a
toujours dépendu , de celui de la guerre ſur les
rives du Danube & fur la mer Noire. »
En attendant qu'ils puiſſent recueillir des
faits , les papiers publics ne font remplis que
de ſpéculations ſur l'augmentation de Puiffance
à laquelle la Ruſſie tend avec tant de
rapidité. Ils rappellent la fameuſe prophétie
de J. J. Rouſſeau , qui a dit qu'elle donneroit
un jour des loix au Midi , & ils partent
de-là pour prévoir les obſtacles qui peuvent
s'élever contre l'exécution des projets qu'elle
a formés Une lettre de Pétersbourg ſemble
annoncer quelque crainte que cette idéene
ſe réaliſe , & eſſaie ainſi de raſſurer l'Europe.
« A voir la maniere dont les papiers publics
cherchent à prouver que l'Europe eſt en danger ,
ſi quelques provinces Ottomanes changent dedomination
, on croiroit le fort de tout l'Univers
attaché à celui de ces provinces ; cet événement ,
felon eux , doit entraîner une guerre générale. Les
Ecrivains qui l'annoncent avec tant de légereté ,
ignorent ſans doute les difficultés incroyables
es
( 106 )
qu'éprouvent les Gouvernemens les plus riches ?
toutes les fois qu'il faut tirer du canon , ils
comptent bien à peu près les hommes que ce canon
tue; mais ils ne parlent pas de ceux que le fleau
de la guerre ruine au ſein de leurs foyers. Cependant
, l'exemple de la derniere guerre eſt ici d'un
grand poids , pour ceux qui penſent que l'étincellequi
éclatedans l'Orient , n'occaſionnera pas un
incendiegénéral. On a vu pendant certe guerre prof.
perer uniquement les Etats neutres qui n'y avoient
prisaucune part. Il en ſera àpeu près de même dans
le moment actuel. L'établiſſement d'une nation.
commerçante & induſtrieuſe ſur les bords de la
Propontide , augmentera le commerce de cette mer ,
&fera naître une nouvelle branche de navigation
dans des climats dont les Turcs tiroient auparavant
bien peu d'avantage. On peut ajouter d'après les
principes connus de la neutralité armée que toutes
les Nations feront libres de prendre part à ce nouveau
commerce furtout celles que leur fituazion
géographique a mis plus à portée que les
autres de s'y intéreſſer. Il réſulte de toutes ces
conſidérations , que non-feulement la guerre ne
deviendra pas générale ; mais que ſi les autres
Puiſſances ne s'en mêlent pas , la moitié de la mer
Noire paſſera en d'autres mains , preſque ſans
effort , & qu'elle fournira un aliment nouveau aux
Speculateurs commerçants de tous les peuples de
l'Europe. >>
د
On lit dans quelques-uns,de nos papiers
l'anecdote ſuivante du dernier voyage de
l'Empereur en Tranſylvanie,
« Etant arrivé dans certain endroit de cette
Principauté , on lui raconta avec beaucoup de détails
qu'il y avoit du côté des montagnes des revenans
, qui en rendoient l'accès impraticable &
dépouilloient tous ceux qui en approchoient. Sa
( 107 )
Majesté Impériale ſourit de ce recit , & ſe propoſa
de rendre elle-même ſur les lieux , accompagnée
du Juge du lieu ; mais comme il pouvoit y avoir
dudanger à courir , le Comte de Colloredo obtint
d'aller viſiter auparavant l'endroit , & de rapporter
ce qu'il auroit vu. Il ſe rendit effectivement au
licu indiqué par le Juge , & revint dire à l'Empe
reur qu'il y avoit vû un homme dans le coſtume
de l'ancienne chevalerie , qui lui avoit fait figne
avec la main de s'éloigner. Ce rapport piqua la
curioſité de Sa Majesté Impériale , qui voulut verifier
elle-même l'avanture. Elle partit accompagnée
de quelques perfonnes ; à ſon arrivée , le Chevalier
ſe préſenta & fit figne de ſe retirer ; mais l'Em
pereur continua de s'avancer , & il dit au Chevalier
: je ſuis l'Empereur Joſeph , qui êtes vous ?
Le Chevalier ſe jetta à genoux , ôta la vifiere de
fon caſque,&répondit:: Sire , je fuis un voleur.
Mais , que faites-vous ici , continua l'Empereur ?
Je ſuis de garde aujourd'hui. - Quel est votre
nombre ? Près de trois cents hommes. Pourquoi
préférez-vous cette vie criminelle , aux travaux
& aux ſervices honnêtes ? Nous ſommes
de malheureux ſujets de Votre Majesté Impériale ,
qui , quoique de bonne extraction , ont eu le malheur
de tomber dans la miſere , au point que
nous nous ſommes vûs forcés de choiſir cette alter
native , de voler , ou de périr de faim. Nous
n'aſſaſſfinons point ; & nous ne volons qu'autant
qu'il nous faut pour nos beſoins. Depuis qu'on
parlede la guerre contre Turcs , nous placions
toute notre eſpérance dans cette circonstance ,
pour ſortir de cet état , & pour ſervir S. M. I.
L'Empereur répondit : je vous donnerai du pain ,
ſans qu'il y ait guerre ; il quitta le Chevalier ,
qui parût touché de la plus vive reconnoiſſance
& on aſſure que l'Empéreur a donné les ordres
néceſſaires pour s'occuper de ces gens. >
CG
( 108 )
ESPAGNE.
DE MADRID , le 24 Août.
Le Roi vient de donner à M. Gérard de
Rayneval une marque flatteuſe de ſa ſatisfaction
du zèle avec lequel il s'eſt occupé
des intérèts de l'Eſpagne durant ſa miffion
enAngleterre ; Sa Majefté l'a nommé Chevalier
de fon Ordre de Charles III , & Elle
a chargé M. le Comte d'Aranda de lui remettre
fon portrait richement garni de diamant.
ANGLETERREDE
LONDRES , le 9 Septembre.
Les traités définitifs de paix ſignés à Paris
font enfin arrivés le 6de ce mois; le Capitaine
Warner qui les a apportés eft deſcendu
au Bureau de M. Fox , qui , après avoir examiné
les paquets avec les autres Miniftres ,
les a envoyés ſur le champ à Windfor , & a
écrit à 11 heures & demie du ſoir la lettre
ſuivante au Lord Maire.
« Mylord , j'ai l'honneur de vous informer que
le Capitaine Warner vient d'arriver avec les articles
préliminaires entre S. M. & les Etats- Généraux
des Provinces-Unies , ſignés à Paris le 2 de ce
mois ; les Traités définitifs entre la France & l'Efpagne
, ſignés à Versailles le 3 par les Miniftres
&Plénipotentiaires de ces deux Puiſſances , & le
Duc deMancheſter , Ambaſſadeur extraordinaire
de S. M. Le traité définitif de paix avec les Etats-
Unis d'Amérique a été ſigné audià Paris le même
1
( 109 )
jour par M. Hartley & les Plénipotentiaires des
Etats-Unis ; M. Hartley l'apportera lui-même. Je
vous fais part ſur le champ de ces événemens importans
, afin que vous puiffiez les publier dans la
Cité ſans perte de temps.
Ce grand ouvrage eſt enfin terminé , &
maintenant on doit s'attendre à la reſtitution
réciproque & prompte des Iſles ; elle
doit avoir lieu avant Noël , conformément
aux articles préliminaires . On l'attend avec
beaucoup d'impatience. Les Habitans de la
plupart des Ifles qui nous ont été priſes pendant
la guerre , ont ſemblé juſqu'à préſent
en proie à une défiance qui ne leur a permis
aucune ſpéculation , & leur commerce en
conféquence a beaucoup langui.
L'évacuation de New-Yorck ne fauroit
tarder à préfent. On aſſure qu'elle ſera entiérement
terminée dans le courant du mois
prochain , & le Vaiſſeau le Centurion de so
Canons eſt celui qui ramenera en Angleterre
le Général Carleton & les principaux
Officiers qui ſe trouvent avec lui à New-
Yorck. C'eſt ſur ce Vaiſſeau que l'Amiral
Digby a arboré fon pavillon.
S'il faut en croire les lettres de New-
Yorck , les chaleurs exceſſives qui ont régné
pendant quelque temps ont été três-préjudiciables
à la ſanté. Il s'eſt manifeſté ſur-tout
dans l'Etat de New-Jerſey des maladies contagieuſes
qui ont fait beaucoup de ravages
parmi les Habitans , & fur-tout parmi les
Negres.
«Cette Ville , lit-on dans une des lettres de
( 110 )
1
Newyorck commence à ſe dépeupler confidéras
blement par le départ des Loyaliſtes , qui l'ont
quittée ſucceſſivement , & qui la quittent tous les
jours ; il n'y reſte preſque que les troupes Britanniques
& lorſqu'elles s'en feront tout- à- fait retrées
, on y verra à peine des Habitans.- Nos
avis de la nouvelle Ecoffe portantque la nouvelle
Ville que bâtiffent les Loyaliſtes avance; les Habitans
s'empreſſent d'élever leurs maiſons & de
les couvrir avant l'arrivée de l'hiver . On fait que
cette Ville porte le nom de Shelburne ; elle n'auroit
point eu d'existence ſi le Ministre qui a fair
la paix avoit pu obtenir des Américains plus de
modération & un meilleur traitement envers les
Loyaliſtes.
L'Etat de Virginie a pris les réſolutions
ſuivantes les du mois de Juillet dernier.
Réſolu que les articles de paix négotiés par les
CommiſſairesAméricains & leMiniftereBritannique
font honorables à l'Amérique , & qu'ils doivent
être exécutés.-Que les dettes Britanniques à cet
état doivent être payées ; mais qu'on accordera du
temps aux débiteurs , & les intérêts feront abandonnés
par les créanciers depuis le commencement
de la guerre.- Que toutes les perſonnes qui nous
ont quitté volontairement , & ont pris les armes
pour le ſervice de S. M. B. & qui ont contribué
directement ou indirectement à ravager nos côtes ,
n'ont plus de droit au titre & aux prérogatives de
citoyen.-Que le papier- monnoye qui a été porté
dans le tréſor de la Virginie pour le paiement des
dettes Brittaniques , doit être réduit par l'échelle
de la dépréciation & la balance payée par celui qui
la doit. Que l'écrit contenant des exceptions contre
le 3º & le 4º Article de la paix , ne préſente pas
les ſentimens de ce pays.-Que quiconque tentera
d'élever des troubles , ou d'enfreindre les articles
( 1 )
du traité de paix , doit être regardé comme l'en
nemi de ce pays, une peſtede la ſociéte qui ſe réjouit
du mal de fes compatriotes . - Que les préſentes
réſolutions feront imprimées dans les papiers publics
La Gazette de New-Yorck nous préſente
l'article ſuivant à la fuite de quelques nouveaux
détails fur la conſtance de la conduite
des Américains envers les Loyaliftes .
<«<Une lettre de Sir John Johnson , adreſſée à
une de ſes parentes , & dont on a des copies ici ,
écrit-on de Charles- town , en date du 10 Juillet ,
nous apprend que les Indiens menacent nos établiſſemens
de derriere avec plus de fureur que
jamais. Ayant été inſtruits que les Américains ont
ſaiſi les biens de Sir John , & que quelques- uns
des Chefs du grand Roi , ont réſolu de facrifier ſes
intérêts & les leurs à l'ennemi commun ; ils ſe ſont
affemblés , & ont pris la réſolution d'embraffer la
défenſe de leur ami , & de laver l'injußice dans le
fang de leurs ennemis. Ce peuple ſimple & brave
ne croira jamais que ſon frere George , le grand
Mingo , ( le Roi ) a fait la paix ſans la participation
de ſes amis , avec ſes ſujets révoltés ; il dira
que c'eſt un artifice de ces ennemis pour lui
faire quitter la hache. Sir John ajoute que ce
ſera la plus pénible action de ſa vie que celle d'informer
ces bons Sauvages , qu'en effet le grand Roi
a été obligé de faire la paix avec les Américains .
Il eſt en ſon pouvoir de laiſſer agir les Sauvages , ſi
on ne lui rend pas ſes biens , ou de les faire payer
bien cher ; & il eſt douteux qu'il puiſſe contenir
leur fureur. »
Les Marchands de Liverpool , propriétaires
du Vaiſſeau le Prince noir , employé
à la traite des Negres , ont reçu du Capitaine
Tomlins une lettre dont on donne
( 112 )
ainſi l'extrait , elle eſt datée de la côte d'Afrique.
fe
« Je ſuis fâché d'avoir une nouvelle deſaſtreuſe
à vous donner : j'avois fait ma traite , avec affez
de ſuccès , & j'étois parti pour me rendre à ma
déſtination ; je n'étois pas beaucoup éloigné , lorfque
les Negres que j'avois , au nombre 175 ,
fouleverent , & après avoir tué Jean- Thomas &
trois autres hommes qui les gardoient , ils enfermerent
à fond de cale tout l'équipage , à l'exception
de quatre matelots & de moi ; ils me forcerent
de prendre le gouvernail , & les autres de me ſeconder
, en nous ſurveillant avec beaucoup d'attention
, armés de coutelas qu'ils avoient pris dans la
caiſſe d'armes avant de la jetter à la mer ; ils ne
craignoient que cette caiſſe , & ils n'avoient point
de connoiſſance de l'uſage de la mouſquetterie ;
lorſque nous ſommes arrivés près de la côte , ils
ont jetté tous les canons à la mer avec 12 tonnes
d'ivoire , pour alléger le vaiſſeau afin qu'il pût
's'approcher du rivage le plus près poſſible. Quelques-
uns des Negtes qui ſe ſauverent les premiers
fur la chaloupe , la conduifirent fur des rochers
où elle ſe brila , & où ils périrent. Le vaiſſeau à
moins fouffert que je ne le craignois , vû le danger
, parce que je ne ſuis pas un Pilote compétant.
Tous mes eſclaves ont fui , les Negres de la côte
ont été occupés jour& nuit à plonger dans la mer
pour repêcher l'ivoire ; ils ont ſauvé quelques
pieces ; mais nous n'avons pû retirer de leurs
mains que trois dents ; & j'ai été obligé d'en payer
une deux ſchelings par livre , ce qui fait les deux
tiers de leur premier prix.
Le Parlement qui devoit s'aſſembler aujourd'hui
a été prorogé au 16 du mois prochain;
celui d'Irlande qui devoit ouvrir ſes
féances le 6 de ce mois , ne les ouvrira que le
*
( 113 )
14 Octobre. On fait que ce dernier eft un
nouveau Parlement , & on craint bien qu'il
ne foit encore plus difficile que le précédent.
Les Membres à leur élection ont été obligés
de jurer qu'ils ſoutiendront l'émancipation
de l'Irlande , & qu'ils voteront en faveur
de tous les objets qui peuvent l'intéreffer.
Tout confirme , dit un de nos papiers , que l'Angleterre
laiſſe le champ de la Méditerranée ouvert
aux puiſſances qui pourroient avoir quelque différend
à y ajuſter; & l'eſcadre d'obſervation que
f'on croyoit devoir s'y rendre de Portsmouth , n'eſt
autre choſe que lacontinuation de l'uſage où l'on eſt
enAngleterre , d'exercer des vaiſſeaux de garde en
leur faiſant faire de courtes croiſieres. Voilà à quoi
aboutiſſent nos préparatifs actuels. Il n'en eſt pas
demême des conſtructions auxquelles on travaille
ſans relâche. Selon une liſte qu'on dit authentique
des vaiſſeaux que nous avons ſur les chantiers , il
y en a 3 de 108 canons ;4 de 98 ; 2 de 90 ; 28
de 74 ; 5 de 64 ; 3 de 50; 12 de 44; 5 de 36 ;
4 de 39 ; 9 de 28 ; 5 de 16 ; 4 de 14; 2 de 12 ;
en tout 96 : on compte en commencer encore d'autres
cette année ; l'un de 108 canons & nommé
la Ville de Paris ; l'autre de 74 portera le nom
de Rodney.
On écrit d'Irlande qu'un particulier nommé
Stewart arrivé en ce moment de Philadelphie
, eſt chargé de propoſer , ſoit à la Société
de Dublin, ſoit aux communes d'Irlande
, le projet de tranſporter un certain
nombre de Caſtors du Canada ſur les bords
de ceux des lacs d'Irlande qui fourniffent
les eaux du Shannon.On penſe que les bords
de ces lacs & quantité d'autres endroits fai--
fant partie des rivages de cette magnifi(
114 )
que riviere , ont , par leur fite , la maniere
dont ils font entrecoupés de ruiſſeaux , &
dont ils font couverts de verdure , des rapports
ſi frappants avec les retraites lauvages
desCaſtors du Canada , qu'ils s'appercevront
à pe ne qu'ils auront changé de lieu.
On prétend qu'il y a un plan de finances
qui occupe actuellement le Cabinet , & que
l'on croit qui fera adopté;il diſpentera , diton
, de faire un emprunt l'année prochaine.
On ne fondera plus aucun billet de marine ,
mais on en paiera une petite partie ; on acquittera
chaque demi-année l'intérêt fur le
pied des fonds; & quand les quatre pour
cent feront au pair , on fondera alors la dette
de la Marine. Ce plan aura , à ce qu'on efpere
, un grande influence ſur le crédit public.
On remarque qu'on n'y a pas une trèsgrande
confiance dans ce pays ,& on prétend
que dans les pays étrangers on ne penſe
pas demême.
On ne peut expliquer , dit un de nos papiers ,
comment il ſe fait que le prix de nos fonds ſoit
toujours plus conſidérable dans les marchés étrangers
qu'à la bourſe de Londres ; fuivant des lettres
d'Amſterdam , les fonds conſolidés s'y font
vendus à 2 & 2 p. plus haut que le cours
d'Angleterre. La banque fermée depuis le s de
ce mois ſera rouverte le 24 Octobre prochain.
Les anciennes annuités de la mer du ſud vont
être fermées depuis le 19 de ce mois juſqu'au
22 Octobre ; les 3 p. , les anuités réduites , les
4 p. confolidés ne feront rouverts que le 24.
Un Exprès arrivé de Rye dans le Comté
de Suffex , nous a appris qu'il a paru le 1.
"( 113 )
de ce mois dans cette rade , deux grandes
chaloupes pleines d'hommes armés. En débarquant
ils ont mis en pieces une de ces
chaloupes; pluſieurs ont pris toutes les voi
tures qu'ils ont trouvées dans la ville , & en
font partis avec elles pour venir à Londres ;
au départ de l'Exprès qui a apporté cette
nouvelle, ilyavoit encore 40 de ces hommes.
On n'a pas douté que cette troupe ne fat
compoſée de partie des coupables condamnés
a être tranſportés dans la nouvelle
Ecoffe , & qui étoient déja embarqués ; ce
ſoupçon a été confirmé par quelques uns de
ces malheureuxqui ont été arrétés. Leur conduite
a été infolente; mais ils n'ont fait a icune
injure aux Habitans ; on a pris toutes les
meſures néceſſaires pour les faifir;& leGou
vernementpour prevenir de pareils embarras,
a ordonné qu'à l'avenir il yaura toujours fur
les Vaiſſeaux deſtinés à tranſporter des cr'-
minels en Afrique ou en Amérique des So'-
datsde marine chargés de veiller fur eux &
de les empêcher de s'évader.
Les brigandages ſe multiplient , dit un de nos
papiers,& il n'y a pointde moyens que n'imaginent
les ſcélérats pour s'introduire dans les maiſons
qu'ils veulent piller. Pendant l'orage qui eut lieu
ces jours derniers , il ſe préſenta quelques hommes
à lapoite d'un Médecin , en priant d'ouvrir
pour recevoir un infortuné que la foudre venoit
de frapper , & qui peut-être étoit en étatde recevoir
quelques ſecours ; le Médecin étoit abſent ;
ſa domeſtique , qui étoit ſeule , refuſa d'ouvrir ;
les brigands employerent inutilement les prieres &
les menaces , & briferent les fenetres avec des
( 116 )
pierres. Le guet accourut , ils prirent la fuite ; le
prétendu mort ne fut pas le moins agile.-La
défiance augmente depuis que ces excés ont lieu.
Un particuliet riche, entendant un de ces ſoirs
du bruit à ſa porte, crut que l'on vouloit la forcer
, il s'arme auſſi-tôt , ainſi que ſes domeſtiques ,
& ouvre. Le premier objet qui s'offre à ſes yeux
eft une jeune fille très -bien miſe & très - jolie ,
qui s'étoit pendue à ſa porte avec ſa jarretierre. il ſe
hâta de couper le cordon ; il la ſoigna , la rappella
à la vie. Il a appris de cette infortunée qu'elle appartient
à une famille honnête , qu'elle a quittée il
ya trois ans pour ſuivre un Officier de Marine , qui
étant parti pour les Indes Orientales , l'a oubliée
malgré ſes promeſſes. Privée de toutes reſſources,
menacée d'être miſe en priſon pour une dette
qu'elle ne pouvoit acquitter , n'ayant pas d'autre
alternative que la proſtitution ou la mort , elle
avoit préféré cette derniere. Son libérateur après
l'avoir ſauvée du déſeſpoir , ſe propoſe de la reconcilier
avec ſes parens.
Les orages ont été très-fréquents depuis
quelque tems; dans un des derniers on a fait
les obſervations ſuivantes que nous tranfcrirons
.
<<<Le tonnerre qu'on a entendu ces jours derniers
étoit d'une force dont on ne ſe rappelle
aucun exemple. D'après un calcul fondé ſur les
principes de la viteſſe du ſon , de la rapidité avec
laquelle il ſe propage , un Phyſicien en meſurant
l'intervale qui s'écoule entre l'éclair & le bruit
prétend que le nuage qui portoit la foudre ne devoit
pas être éloigné de la terre de plus de 150
verges : la commotion de l'air étoit telle , que
pluſieurs maiſons ont été ébranlées. On a remarqué
entr'autres cet effet dans la priſon du Banc
du-Roi : le Lieutenant Bourne qui y eſt enfermé ,
( 117 )
en conféquence du jugement prononcé dans ſon
affaire avec le Capitaine Sir James Wallace , ſentit
ſa chambre trembler ; & l'agitation étoit telle
que des verres qu'il avoit ſur ſa table tomberent &
ſe briferent. >>>
Les duels font très-fréquens depuis quelque
tems; il y en a eu dernierement un
entre lesColonels Thomas & Gordon, dans
lequel le premier a été tué. La juſtice qui ferme
les yeux fur ces excès , les a ouverts ſur
celui-ci; il a été fait des pourſuites ; on a interrogé
des témoins ; le valet du mort, le
Chirurgien qui étoit préſent au combat &
qui lui a retiréune balle du corps ont été entendus.
On n'a pas publié tout ce que cette
procédure a appris; ce que l'on fait , c'eſt
qu'un juré choiſi a prononcé que le Colonel
Gordon étoit coupable d'un horrible aſſaſſinat.
Il a été expédié en conféquence un ordre
pour l'arrêter ; mais il avoit déja pris la fuite;
il eſt bleſſé lui-même & dangereuſement. On
dit que leur querelle a pris naiſſance à
New-Yorck , que le Colonel Thomas avoit
accuſé M. Gordon de n'avoir pas fait ſon
devoir à l'affaire du 23 Juin 1780 , contre
lesAméricains à Springfields; en conféquence
de cette accufation il y eut un conſeil de
guerre à New-Yorck le 4 Septembre 1782 ;
&le ColonelGordon fut déchargé; depuis ce
tems ces deux Officiers étoient ennemis , &
leur haine a fini par la mort de l'un.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 16 Septembre.
Le 7 de ce mois ! Leurs Majestés & la Fa(
118 )
milleRoyale ſignerent le contrat de mariage
du Comte de Menou , Capitaine au Régiment
du Roi , avec Mademoiselle Bochart
de Saron. Le même jour , le Corps-de-Ville
deParis eut une audience du Roi , à qui il
fut préſenté par le Comte de Vergennes ,
Chef du Confeil Royal des Finances , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au département
des Affaires étrangeres , à cauſe de l'indifpoſition
de M. Amelot , Secrétaire d'Etat
ayant le département de Paris. Il étoit conduit
par M. de Nantouillet , Maître des Cérémonies.
M. le Fevre de Caumartin , continué
Prévôt des Marchands , & MM. Mercier
& Cofferon , nouveaux Echevins , prêterent
le ferment , dont M. le Comte de Vergennes
fit la lecture , ainſi que du ſcrutin
qui avoit étépréſenté par M. Douet , Maître
des Requêtes. Le Corps-de-Ville eut enſuite
l'honneur de rendre ſes reſpects à la Reine ,
à Monſeigneur le Dauphin , & à la Famille
Royale.
Les Agens généraux du Clergé eurent
auſſi l'honneur de préſenter le mème jour
au Roi , à Monfieur , & à Monſeigneur
Comte d'Artois les Procès-verbaux des Afſemblées
de 1780 & 1782 .
DE PARIS , le 16 Septembre.
Le public impatient s'attendoit à la publication
des traités inimédiatement après leur
fignature ; mais ils ne peuvent être imprimés
qu'après avoir été ratifiés par les Cours ref(
119 )
pectives; le notre ne paroîtra qu'après l'arrivée
du Courier de Londres qui eſt attendu
inceſſamment; vers le commencement de la
femaine prochaine , on aura vraiſemblablement
celui d'Eſpagne , & le premier Courier
qui arrivera enſuite en apportera des
exemplaires imprimés. Ce qui nous arrivera
ſans doute plutôt , ce ſont les préliminaires
de la Hollande qui ſe trouveront dans les
premieres gazettes de ce pays.
La Flute du Roi la Bretonne , de Brest , lit -on
dans une lettre de Nantes , eſt arrivée ici chargée
de fucre , indigo , &c. elle est de 300 tonneaux ;
les Navires le Voltigeur de Bordeaux , de 200
tonneaux ; la Mariamne de Durkerque , de 100 ;
la belle Arfene , d'Oſtende , de 140 ; la Notre-
Dame de Délivrance & Sainte Eulalie , de Lis
bonne , de 200 ; le Chevalier de Fumel , de Bordeaux
, de 180 , la bonne Société , de Nantes , de
100 ; la Notre- Dame de Mont- Carmel & Saint-
Antoine , de Lisbonne , de 120 , le Lodunois , de
la Rochelle , de 200 ,& la Marie-Je inne, de Gand,
de 350 , font auſſi entrés dans le port , venant les
uns des Ifles , & les autres de Philadelphie.
L'approche de l'équinoxe a caufé ici des
coups de vents violents ; il y en a eu pluſieurs
accompagnés de pluie ; ils ont endommagé
la machine aéroſtatique que conſtruit M. de
Montgolfier , malgré les toiles dont elle
avoit été couverte ; il a fallu travailler fur
-nouveau frais , & l'expérience qui devoit en
être faite a été retardée. On l'attend avec
beaucoup d'impatience ; la machine fera
bientôt rerablie & dans toute ſa perfection,
Lejour où on la lancera en préſence du Roi
( 120 )
:
dans le parc de Verſailles , eſt fixé , dit-on ,
au vendredi 19 de ce mois.
Depuis l'expérience publique du Champde-
Mars , toutes les têtes ſemblent être en
fermentation ; & , à l'exception de celles de
quelques véritables Phyſiciens , on pourroit
dire qu'elles font remplies de vent. I.es eſſais
en petit fe multiplient ; on defire de les faire
en grand , & on ſe flatte de parvenir , par
ce moyen, à voyager dans l'air. Nous avons
donné la lettre d'un Anonyme qui offre de
monter dans la machine. Le Méchanicien
qui , avec fon vaiſſeau volant , devoit étonner
tout Paris , qui n'a pas encore eu le plaifir
de le voir s'élever d'un pied de terre ,
dont on a tant parlé & dont on ne parloit
plus , vient de s'annoncer de nouveau avec
ſes prétentions , en répondant à l'Anonyme
qui aſpire à l'honneur d'être le premier navigateur
aérien pour le lui diſputer.
<<<Vous n'êtes pas , Monfieur , le ſeul perfuadé
de la poſſibilité de la navigation aérienne ; permettez
que j'entre en lice avec vous pour vous diſputer
l'honneur d'être le premier Navigateur aérien.
Sous peu de jours , je ſerai en état de vous faire
voir une machine aéroſtatique , qui montera , defcendra
, & ira même à volonté horisontalement :
je ſerai moi-même dedans , & j'ai aſſez de confiance
dans mon procédé pour ne point craindre
le fort d'Icare. Je jouis d'avance du plaiſir de
partager avec vous l'honneur du premier Navigateur
aérien.
Un Phyſicien plus inſtruit , plus modeſte ,
mais zélé pour les progrès des Sciences , &
empreſſé de ſuivre les découvertes & d'en
faire
( 121 )
faire des applications , propoſe par ſouſcription
une eſtampe en l'honneur de M. de
Montgolfier,dont le produit fervira àfaire une
machinede nouvelle forme&de fon invetion,
avec laquelle il s'élevera auſſi dans l'air.
Le 12 du mois dernier , entre trois & quatre
henres du ſoir , le tonnerre tomba fur ta tour de
l'Egliſe Cathédrale de Lombès, tandis qu'on fonnoit
les cloches , ſuivant la coutume uſitée pendant
les orages. Toute la couverture & la charpente
ont été brifées , l'un des ſonneurs bleſſé trèsdangereuſement
, & dix à douze perſonnes qui l'avoient
accompagné au clocher , renverſées, fans
qu'il leur foit heureuſement arrivé aucun mal. La
foudre a enfuite pénétré dans la ſalle des Archives
, qu'elle a percé dans huit à dix endroits ; delà
elle eſt tombée ſur l'Orgue refait à neuf , & l'a
confidérablement endommagé dans toutes ſes parties.
Peu de jours après , la foudre eſt également
tombée ſur le clocher de l'une des paroiſſes du
même dioceſe , en a tué le ſonneur,& grievement
bleſſé un jeune homme qui l'avoit ſuivi. Malgré
ces accidens réitérés le peuple croit toujours trouver
dans le fon des cloches un préſervatif aſſuré
contre l'orage , & le zele des Evêques & des Curés
a été juſqu'à préſent inſuffifant pour diffiper ce
funeſte préjugé.
M. Croharé , Chymiſte de Monſeigneur
le Comte d'Artois , engagé par un homme
éclairé à taire l'examen de la poudre , dite
fuprême ou unique de M. de Godernaux ,
a préſenté à l'Académie des Sciences le réfultatde
ſon travail. Son objet intéreſſe trop la
ſanté des citoyens , pour que nous n'entrions
pas dans quelques détails dont le public nous
faura gré.
N°. 38. 20 Septembre 1783 .
f
( 122 )
Avant d'expoſer ſes expériences , M. Crohaté
rappelle & fixe les caracteres chimiques de chacun
des fels que l'on obtient de la combinaiſon du
mercure avec l'eſprit du ſel marin , dont la plus
ou moins grande quantité fait un remede ut'le ou
un poifon mortel. Après avoir parlé du caractere
qui diftingue le ſublimé-corrofif , le mercure doux
&la panacée de la Brune dont Louis XIV acheta
la recette , & qui est le même mercure doux fublimé
douze fois , il vient au précipité blanc.
Cette préparation , dit Lemery , le praticien le
plus hardi dans la preſcription des remedes mercuriels
, pris intérieurement , occaſionne le vomiſſemert
& le crachement de ſang , à caufe des
acides qu'elle contient. C'eſt à raiſon de ces accidens
preſque toujours funeſtes , que les Médecins
prudens ont proſcrit ce mercure de l'uſage interne
, & ne l'emploient qu'à l'extérieur embarraffé
& étendu dans les graifles & les pomades (1 ) . M.
Croharé paſſe enſuite à l'examen de la poudre de
M. de Godernaux , & fupprimant pluſieurs expériences
, il rapporte les trois ſuivantes , qui fuffifent
pour démontrer quelles ſubſtances la compofent.
Premiere Expérience. Trois priſes de la poudre
réunies dans une balance peſoient 33 grains ,
par conféquent chaque priſe eſt du poids de onze.
Cette poudre d'un blanc ſale , mêlée de quelques
points noirs charbonneux , à la couleur près ,
reſſemble aſſez bien , par ſon volume , au mercure
précipité blanc. En broyant ces 33 grains de poudre
dans un mortier de crystal avec 4 grains de
maille d'acier & quelques gouttes d'eſprit de
( 1 ) Boerhaave faifoit quelquefois ufage d'une poudre
compoſée de trois parties de ſucre & d'une partie de
mercure précipité blanc , mais il obſerve que neuf grains
de ce mélange qui ne contenoit que deux grains & un
quart de mercure faifoient yomir , & donnoient des trans
chées à fes malades,
( 123 )
vien pour humecter le mêlange , j'ai ramane 17
grains de mercure revivifié , fluide & brillant. Seconde
Expérience. J'ai fait digérer dans une once
d'eau diſtillée à une chaleur douce pendant une
nuit trois priſes de la poudre unique peſant 33
grains ; j'ai décanté l'eau , & fait paffer fur la poudre
une autre once d'eau distillée ; après la digeltion
j'ai décanté de nouveau & réuni les deux
onces d'eau , fur laquelle j'ai verſé quelques goutres
d'alkali- volatil qui l'ont rendue louche & laiteuſe
; le peu de précipité qu'elle a déposé s'eft
trouvé être du mercure. La poudre ramaflée avec
foin & féchée à l'air n'a plus peſé que 28 grains .
Dans cette expérience il y en a eu cinq de perte ,
dont partie a été dufoute par l'eau qui a donné le
précipité. Troisieme Expérience. Deux priſes de
poudre peſant 22 grains , ont été ſoumiſes à la
distillation dans une cornue de verre neuve & fechée
, d'un volume proportionné. Dès le commencement
de l'opération , il s'eſt élevé vers le
milieu du col de la cornue un peu d'humidité. La
poudre s'eft fublimée , comme toutes les préparations
de mercure par l'acide du fel marin , en petites
aiguilles déliées.& très- brillantes. On fait
qu'après les fublimations du mercure falin , il refte
au fond des vaiſſeaux plus ou moins d'une poudre
jaune , que quelques Chymiſtes ont pris mal-àpropos
, pour de la terre mercurielle provenant de
Ladécompoſition partielle de ce métal ; mais qui ,
comme je l'ai démontré , eft produite par les vaifſeaux
dans lesquels on avoit broyé le mercure. J'ai
eu auffi cette terre jaune , qui , ramaſſée avec
ſoin , n'a pu me donner le poids d'un demi grain .
En faiſant bouillir de l'eſprit-de-vin dans la cornue
, j'ai détaché & raſſemblé tour le ſel ſublimé ,
qui après avoir été féché à l'air peſoit vingtgrains ,
cefel n'eſt point diſſoluble dans l'eau ni dans l'efprit-
de-vin , il eſt abſolument dans l'état de vrai
£ 2
( 124 )
mercure doux. Dans cette expérience il y a cứ
deux grains de perte qui ont produit l'humidité du
colde la cornue & le peu de terre jaune. Ces faits
démontrent 1 °. que la poudre de M. Goderneaux
n'est qu'un compoſé très-ſimple , réſultant de la
diffolution du mercure par l'acide marin. 2°. qu'elle
eſt un véritable précipité blanc , mal lavé & ſali
àdeflein . 3° . Que les nauſées , les vomiſſemens ,
les douleurs aux articulations , & les tranchées
qu'elle donne quelquefois aux malades qui en font
ufage , ſont produits par la petite portion diffoluble
démontrée dans la ſeconde expérience. Nous
poſlédons la préparation du précipité blanc depuis
l'Arabe Geber , vers le ſeptieme fiecle ; & c'eſt de
ſes écrits qu'elle a paſſé dans tous les livres de
Chymie , d'Alchymie & de Pharmacie ; elle ſe
trouve dans le Codex des médicamens de la Faculté
de Médecine de Paris, page 270. Elle n'a donc
pas été découverte par un des ancêtres de M. de
Goderneaux ; car l'addition qu'il y fait de quelques
grains de charbon , ne donne pas des droits
fur une préparation pharmaceutique qui , depuis
mille ans , eft dans les mains de tout le monde (1 ) .
M. Croharé joint ici le détail des frais pour la production
d'une livre de précipité blanc , d'après la
formule du diſpenſaire de la Faculté. Pour une liv.
de mercure purifié , 6 liv. Ponr 18 onces d'eau
forte , I liv . to f. Pour 8 onces de ſel marin , 71.
Pour les vaiſſeaux , 1 liv. 4 f. Total 9 liv. 1 f.
Cette doſe donne 14 à 15 onces de précipité blanc.
En portant d'après ce calcul, un peu exagéré , la
livre de précipité blanc à dix livres; la livre don-
( 1 ) Onze jours après que l'Académie a été munie de
Vexamen de certe analyſe , j'envoyai prendre de la pou
dse unique au Bureau de M. de Goderneaux , & j'obfer
vai qu'on avoit ſubſtitué au charbon quelques globules
demercure coulant. Je conſerve pluſieurs priſes de poudre
ainſi déguiſée avec le charbon & le mercure.
:
( 125 )
mant 831 priſes de pondre unique du poids de 11
grains chaque prife , & divifant enfuite les dix liv .
en 832 parties , on aura le prix des frais pour
chaque priſe de poudre. Le rapport de MM. Macquer
, cadet & Bertholet , que l'Académie des
Sciences a nommé pour Commiſſaires , contient
quelques nouvelles expériences qui confirment
celles de M. Croharé ; & cette Compagnie ſavante
penſe qu'elles font très- concluantes & qu'elles ne
laillent aucun doute fur la nature de la poudre
unique de M. de Goderneaux & fur fes dangers.
Elle obſerve que la priſe de cette poudre , qui ſe
vend 48 fols , coûte, ſelon l'évaluation de M.
Croharé , moins de trois deniers à fon diftributeur .
Le 14 du mois dernier , M. Enault de la
Ganterie , Négociant à Segré en Anjou ,
prêta ferment entre les mains de M. de Bourbon
- Buffet , premier Gentilhomme de
Monſeigneur Comte d'Artois en qualité de
Gentilhomme fervant de ce Prince.
Le 25 Juillet dernier , écrit- on du Dauphiné ,
le nommé Jean-Baptiste Sadon , vist de Sillant à
Saint- Etienne de Saint-Geoirs pour faire quelques
réparations à un puits , d'environ 35 pieds de profondeur.
A peine fut-il deſcendu au fonds , que
la partie ſupérieure de la maçonnerie s'écroula ,
l'enſevelit ; une heure après , le Châtelain de la
communauté , à qui l'en fit le rapport de l'événement
, examina l'état des choſes : l'écroulement
ne s'étant point enfoncé il préſuma que les débris
ne ſeroient point allés juſqu'au fond ,&que l'ouvrier
vivoit encore. Deux ou trois perſonnes au
plusregardoienttranquillement & n'oſoient pas travailler.
Le Châtelain les follicita en vain. N'ayant
pas été plus heureux auprès de plufieurs payſans
qu'il alla chercher dans leurs maisons , il prit le
parti de commander la corvée. Ils'écoula plus de
f 3
( 126 )
Aeux heures avant qu'on eût pu déterminer trois
ou quatre hommes à venir travailler. Après avoir
creuſé huit à neuf pieds , on crut entendre la voix
de Sadon , & les travailleurs prirent courage; mais
à l'inſtant ils faillirent à être écrasés eux-mêmes
par l'éboulement de la terre , & cet événement les
fit fuir; un ſeul reſta à l'ouvrage , mais fur un
autre plan : on lui fit faire une ouverture plus
large , & d'environ 22 pieds de diametre. On parvint
à encourager & à multiplier les travailleurs.
Après quelques heures on entendit diftinctement
des cris plaintifs , & ils exciterent les manoeuvres
plus que toutes les exhortations. De nouveanx
éboulemens ne les rebuterent plus , & l'on travailla
toute la nuit à la lueur des flambeaux qu'on fit apporter.
Le lendemain , à dix heures du matin ,
après 27 heures du travail le plus pénible & le
plus foutenu , on apperçut Sadon enfeveli dans les
débris du puits. Les pierres s'étoient arrangées
autour de lui , de maniere à former une eſpece de
voûte qui l'avoit empêché d'étre écraſé par le poids
des matériaux . On l'enleva avec beaucoup de précautions
; bientôt après il vomit une affez grande
quantité de terre ; mais les ſoins du Chirurgien le
remirent bientôt en état de ſe retirer chez lui. Il
en a été quitte pour quelques bleſſures & beaucoup
de meurtriffures , & il jouit actuellement de la
meilleure ſanté.
On vient de nous faire paſſer la note ſuivante
:
Il y a actuellement 200 ans que Tycho -Braché
commença dans l'iſle d'Huene , ſur la côte
du Dannemarck , une ſuite d'obſervations importantes.
Le Prince EMMANUEL DE ROHAN , Grand-
Maître de Malte , vient d'entreprendre la même
choſe dans ſon ifle & dans ſon palais ; il y fait
conſtruire un obſervatoire complet ; il y a placé
M. le Chevalier d'ANGOs , déjà connu dans l'AC
( 127 )
'tronomie par fon courage & fon habilete ; il
a fait conſtruire à Paris un excellent quart de
cercle par M. Megnié ; & l'Aftronomie va jouir
de l'établiſſement le plus complet , fait ſous le plus
beau ciel , où l'heureux Aftronome n'éprouvera
point les contrariétés & les viciffitudes des faifons
qui , dans nos climats ſeptentrionaux , défolent
fans ceſſe l'obſervateur , & retardent les
progrès de l'Aftronomie. C'est là que l'on peut
eſpérer de trouver fréquemment des cometes que
l'inclémence des ſaiſons dérobe aux obfervateurs
de France , d'Angleterre & de Suede , & d'obtemir
enfin un catalogue complet des étoiles boréales
, dont l'Aftronomie a le plus grand beſoin .
Il faudra pour cet effet placer dans l'oferva
toire un grand mural de huit piés de rayons qui
rendra complet ce nouveau monument élevé à
la gloire des ſciences & de l'Ordre de Malte. Déja
M. le Chevalier d'ANGOs , par une éclipſe d'étoile
obſervée le 10 Juillet à 9 h. 31 min . 18
fec. , a trouvé la pofition de Malte 48 min. 28 fec .
de temps à l'orient du méridien de Paris . Détermination
importante pour la navigation de la
méditéranée.
1
Ce fut le 20 Août dernier , que M. le
Contrôleur-Général des finances poſa la premiere
pierre au marché Ste-Catherine,ala requifition
de M. Marchant du Colombier ,
Avocat au Parlement , ancien Conſeiller du
Roi , Affeffear , Adjudicataire général des
terreins ſur leſquels il doit être bâti , depuis
le 21 Mai 1778 . :
Cette pierre a été placée avec une médaille d'argent
portant , d'un côté , le portrait du Roi , &
fur le revers la légende ſuivante : Médaille frappée
à l'occasion de la premiere pierre posée au
marché Sainte- Catherine , par Monseigneur d'Orf4
(128 ) +
,
messon , Contrôleur-Général des Finances , le 20
Août 1783. A cette médaille on a joint une plaque
de cuivre , au haut de laquelle a été gravél'écuffon
des armes de M. d'Ormeflon au bas duquel
on lit : Du Regne de Louis XVI , le 20
Août 1783. Cette premiere pierre a été poséepar
très-haut & très - puiſſant Seigneur Monseigneur
Henri - François - de - Paule Lefevre d'Ormeſſon ,
Chevalier Marquis a Ormeſſon , Seigneur de
France & autres
Con-
Mauregard du Ménil en
lieux , Confeiller d'Etat & Ordinaire au
Seil Royal , Contrôleur - Général des Finances ,
Chef du Conseil d'administration du temporel de
la Maiſon Royale de Saint- Cyro , en ce marché ,
nommé Sainte Catherine , à la priere de M. Marchant
du Colombier , Avocat en Parlement , and
cien Confeiller du Roi , Affeffeur , & de Madame
Haasfon épouse , propriétaires des terreins & em
placement dudit marché , dont le plan a été conçu
par M. Caron, Confeiller du Roi , Juge Général
des bâtimens de S. M. , ponts & chauffées de
France , Architecte dudit marché , qui en a fait
jeter les fondemens ſous la vigilence & les foins
de M. Sébastien Guyot, Entrepreneur dudit marché,
déjà connu par les monumens publics qu'il a
fait construire dans pluſieurs villes du Royaume.
-L'une & l'autre furent miſes ſur la retraite au
rez de chauffée & à l'encoignure formant le pan
coupé de la place du marché & de la rue nommée
d'Ormeffon , qui, fortant de celle de Couture-
Sainte-Catherine, traverſe le devant de la
place , la rue neuve du Colombier & celle de
Marvilles , pour aller communiquer à la place
royale & à la rue Saint - Antoine ou place de
Birague. Ce marché ſitué au centre d'un des
beaux quartiers de Paris , à la proximité de la
place royale , de la rue Saint-Louis & de quan .
ité d'autres rues adjacentes , de l'Arſenal , du port
( 129 )
Saint-Paul, des quays des Ormes & des Célettins
, du Port- au-bled, &c . , entouré des rues St.-
Antoine, ouplace de Birague , Culture- St. - Catherine,
rue neuve St. -Catherine & de celle de l'égout,
ne peut qu'offrir des commodités & des avan tages à
ungrand nombre de Citoyens ; ils feront généralement
communs au nouveau quartier du boulevard
, ainſi qu'à tout le Marais. Le marché qui
a cinq entrées , eſt composé d'une place circulaire
ſervant de dégagement , donnant fur quatre rues ;
fur la place du marché ſont placées deux halles
couvertes , l'une pour le pain , l'autre pour les denrées.
D'un côté eſt le corps des boucheries en
boutiques , y faiſant face d'une part & de l'autre
fur une nouvelle rue ; & pour mieux y conferver
la viande , on les a placées au levant & au
couchant. De l'autre côté de cette place eſt un
rang de maiſons avec des boutiques & leurs arrieres
- boutiques pour les Marchands de toutes
eſpeces , & au retour deux pavillons pour le même
uſage , donnant ſur la place & fur la rue neuve
du Colombier , qui conduit à celle de Saint-Antoine
ou place de Birague. -Ce marché percé
de quatre rues, ſera encore composé d'une halle
à poiſſon où l'on trouve toutes les commodités
néceffaires pour la conſervation de cette denrée ; à
côté fera une fontaine , tant pour laver la poiffonnerie
, à laquelle elle fournira de l'eau pour
garder le poiffon vivant , au moyen des tuyaux
de plomb qu'on y établira , que pour maintenir
Ja propreté & la falubrité dans le marché &dans
toutes les rues garnies également de maiſons marchandes
, ſous leſquelles on a établi des caves
ou magaſins.- Toutes les maiſons , tant fur les
places, que celles qui auront face , même ſur deux
rues , feront au nombre de tiente , & contiendront
quatre- vingt- fix boutiques avec leurs arrieres
boutiques , & quarante - fix magaſins ; leur
fs
( 130 )
,
élévation uniforme fur le rez de chauffée fera
de quatre étages quarrés , un attique & comble..
-Dans l'enceinte feront deux Corps de garde
un pour les Soldats du guet , & un pour les Pompiers.
Une obſervation que l'on ne doit pas cu
blier en finiflant cet article , c'eſt que , en 1215 ,
il y a 569. ans , Saint Louis , âgé de 17 mois
poſa la premiere pierre de l'Eglife qui étoit en
ce lieu , & que le petit fils de M. le Préſident
d'Ormeffon , nommé Louis , ayant auſſi 17 mois,
a achevé de perfectionner , ſous les yeux de M.
le Contrôleur-Général , neveu de M. le Préfident
auili préfent , la poſe de la premiere pierre du
marché , à l'aide des outils qu'il y a fait mouvoir.
Les Curé , Marguilliers , Syndics &Habitans
de la Paroiſſe d'Epernay fur Seine ,
ont fait célébrer , le 8 de ce mois , dans leur
Eglife , le Salut qu'ils ont fondé à perpétuité
en 1779 , pour la conſervation des jours
précieux du Roi & de la Reine , & la profpérité
des armes de la France , avec diftribu.
tion de pain aux pauvres de ladite Paroiffe ,
conformément à la fondation.
Jacques -Antoine de Barathier , Marquis
de Saint-Auban , Commandeur de l'Ordres
royal & militaire de S. Louis , Lieutenant-
Général des armées du Roi , eſt mort à Paris
les de ce mois dans la 71º année de fon
âge. Ses ſervices militaires , ſes lumieres &
fes talens , lui ont aſſuré une gloire durable,
&ſes vertus rendront ſon ſouvenir toujours
cher aux amis qui l'ont perdu.
Marie-Charlotte de Bethune, Comteffe
'de Teffe , Douairiere , ancienne Dame de
feue: Madame la Dauphine , mourut ici le.7
du mois dernier , âgée de 70 ans .
( 131 )
François-Joſeph de Picot, Chevalier de
Merac , Capitaine Commandant du Réziment
de Breile infanterie , Chevalier de Saint
Louis , eſt mort à Montmerey-le-Château ,
Bailliage de Dole en Franche-Comté , dans
la 49 année de fon âge .
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 12,39 , 21 , 29
& 56.
DE BRUXELLES , le 16 Septembre.
Selon les lettres de la Have , on a commencé
à retirer du rivage de la côte de Hol-
Iande les Canons qui avoient été placés pendant
la guerre pour en écarter les Anglois ,
& les Détachemens qui y ont fait la garde
font retournés dans leurs garnisons refpecsives.
Les mêmes lettres portent que les Etats de
Hollande & de Weſtfriſe ont arrêté que les
Troupes réparties dans la premiere de ces
provinces , retirerent juſqu'à la fin de cette
année l'augmentation de folde qui ne lear
avoit été d'abord accordée que juſqu'au pre
mier de ce mois .
La nouvelle de la fignature de la paix n'a
pas été reçue avec le même tranſport dans
pluſieurs provinces qu'elle l'auroit été , fi la
République n'avoit en aucun facrifice à faire..
On ne ſe déguiſe point que la maniere dont
la guerre a été conduite , eſt la principale
cauſede ces facrifices . On s'éronne que l'Angleterre
ait perſiſté avec tant de conſtance
dans la demande de ceux qu'elle exigeoit
après l'aveu que M. Fox avoit fait en pleira
G
( 132 )
Parlement , que l'examen le plus exact des
papiers miniſtériels ne lui avoit pas montré
P'ombre même d'un prétexte pour attaquer
les Hollandois. Quoi qu'il en ſoit , la négociation
de la République , rélativement à la
paix , ne peut qu'intéreſſer nos Lecteurs ;
c'eſt ainſi qu'on en rend compte dans un papierHollandois.
« Le premier trait d'ancienne inclination des
Plénipotentiaires Britanniques envers les Hollan -
dois , fut de terminer les préliminaires avec les
autres Puiſſances belligérantes , avant d'entrer en
négociations avec eux. L'injuſtice des conditions
offertes enfuite , particulierement la ceffion de Negapatnam
, fur laquelle ils infifterent , firent traîner
ces négociations juſqu'au 7 Avril , que les Etats-
Généraux autoriſerent leurs Plénipotentiaires à
concourir enfin à la concluſion des Traités , aux
conditions les plus favorables , ſi , malgré leurs
repréſentations& leurs inſtances , ils voyoient les
autres Puiſſances prêtes à ſigner le Traité définitif
fans le concours de l'Etat. Nos Plénipotentiaires
infifterent donc auprès du miniſtre Anglois , pour
qu'il diſposât ſa Cour àdes conditions plus équitabies
, fur-tout à renoncer à la poffeffion de Negapatnam
, qui continuoit d'érre la pierre d'achoppement
, qù les négociations venoient ſe heurter :
Mais , elles n'eurent aucun effet ; M. Fitz Herbert
perfiſtant dans ſes prétentions.Nos miniſtres chercherent
, de concert avec les députés de la compagnie
des Indes préſens à Paris , quelque équivalent
à cette pofieffion ; & ils offrirent de céder
àla place , les établiſſemens de la Compagnie fur
la côte Occidentale de Sumatra & à Suratte . Le
miniftere Anglois répondit après un temps confidérable
, que cette nouvelle propoſition ne pouvoit
être acceptée , ces établiſſemens importans ne
pouvant être d'aucune utilité pour l'Angleterre. II
( 133 )
propoſa d'autres articles , dans lesquels , outre la
ceſſion de Negapatnam & de ſes dépendances , &
la liberté illimitée de naviguer dans les mers Orientales
, l'Angleterre exigeoit de la part de la République
le ſalut , conformément à l'article IV du
Traité deWestminster de 1674 ; & , que pour prévenir
toutes les plaintes , relativement à la navigation
ſur la côte d'Afrique , on s'obligea réciproquemneenntt
à n'apporter aucun empéchement au
conmmerce des nations étrangeres dans les ports
de l'une ou de l'autre puiſlance fur cette côre.
Nos Plénipotentiaires dreſſerent de leur côté un
autre projet de Traité préliminaire ; mais , après
une longue négociation , l'Angleterre perfiftant
dans ſes demandes, on offrit pour Negapatnam ,
un équivalent en argent , qui dans la poſition des
finances de la Grande-Bretagne , paroifloient de
nature a être accepté avec empreflement; & ce
n'auroit pas été la premiere fois qu'au moyen d'un
facrifice de cetre eſpece , la République cût fait la
paix avec la Cour de Londres. La réponſe tarda
plus de deux mois. Enfin le 10 Août , le duc de
Manchester declare que les miniftres du Roi , fon
maître , ayant pris en conſidération toutes les propoſitions
de la République , trouvoient qu'on ne
différât que fur trois points , les ceſſions àfaire ,
la libre navigation dans les mers Orientales , & la
ftipulation du falut : que ſur le premier , ils ne pouvoient
ſe départir de la demande de Negapatnam
avec ſes dépendances ; mais que l'Ambafſfadeur employeroit
volontiersſes bons offices , pour qu'en confidération
de l'importance que la République attachoit
à la confervation de cet établiſſement , & να
que dans le moment préſent elle ne pouvoit offrir un
équivalent convenable ; elleſe refervât la faculté de
Selefaire reftituer en tout temps , dés qu'elle pouvoit
dédommager l'Angleterre par quelque autre ceſſion.
Quant à la navigation dans les mers Orientales ,
on n'avoit pas beſoin d'entrer en conférence pour
( 134 )
en ftipuler la liberté : la mer étant ouverte & libse
à tout le monde, les ſujets Anglois avoient toujours
navigué dans ces mers & continueroient d'y
naviguer ; que , fi la Compagnie n'y avoit apporté
des empêchemens , s'il n'avoit été fait à ſa charge
des plaintes très -graves de mauvais traitemens , on
n'auroit pas mis cet objet ſur le tapis ; qu'ainſi l'on
ne pouvoit ſe départir de cet article ; que , fi la
République vouloit entrer dans l'examen de cetre
maticre , l'Angleterre renouvelleroit tous ſes anciens
griefs depuis la paix de Munster ; & exigeroit que
la République produisît les titres du droit , que fa
Compagnie prétendoit avoir dans les Moluques :
Enfin , ils ne pouvoient ſe déſiſter de leur demande,
relativement à l'obligation de ſaluer fur mer ; &
ne pouvoient s'imaginer que la République feroit
des difficultés à ect égard. Il paroit que la négocintion
, malgré les efforts de nos miniftres , en eft
reftée là , & que c'eſt ſur ces conditions , qu'ils ont
été enfin autorifés à ſigner le Traité préliminaire » .
De nouvelles diviſions menacent encore
la République , par le refus que perſiſte à
faire la province de Friſe de pâyer une partie
de fon contingent. Le comité des Etats
Généraux fur cette affaire en a fait fon rapport
à L. H. P, & il porte en fubſtance:
ce Qu'ils regardent dorénavant tous Moyens de
perfuafion , celui même d'une Députation, comme
inutiles : Que l'honneur & l'intérêt de la République
exigent d'ailleurs , que l'irrégularité de la
part des Seigneurs Etats de Friſe ſoit réparée :
qu'il n'y a pas de temps à perdre , & que pour y
remédier , on doit faire uſage des moyens que les
Loix fondamentales de l'UNION énoncent pour
des cas de cette nature , afin de prévenir ladé
fertion parmi les troupes & les défordres qui pourroient
en réſulter ; qu'à cette fin la Friſe doit acquitter
totalement ce qui , à ſa répartition , off
( 135 )
porté ſur l'ETAT DE GUERRE ORDINAIRE Foar
l'année courante . A cet effet les Commités font
d'avis : Qu'il convient de requérir & d'autorifer
be Conſeil des Etats à faire calculer le montant de
tous les articles portés fur l'ETAT ORDINAIRE DE
GUERRE , pour l'année courante , à la répartition
de la Province de Frife , au paiement desquelles
cette Province n'a confenti que jusques & compris
le Août de cette année , & pas au dela ; quand.
cette opération aura été terminée , de faire négocier
la fomme à laquelle tous les articles réunis
pendant les cinq derniers mois de cette année pour
ront monter , pour le compte & à la charge de
la Province de Frise contre l'intérêt qu'on paie
ordinairement , pour , au moyen de ces deniers ,
faire le paiement des poftes mentionnés , auxquels
la Province de Friſe ne pourvoit point , depuis le
1 Août , autoriser encore le Confeil d'Etat à avertir
les Seigneurs Etats de Friſe du montant de
ces deniers négociés , les intéréis y compris , avec
instance & requifition , qu'il leur plaife faire remettre
& rembourser fur le champ , du moins au.
plus tard avant la fin de l'année courante , ces
mêmes deniers au Comptoir général de l'UNION ,
contre la repriſe des ordonnances. & quittances des
paiemens , lesquelles auront été dépêchées & données
à cet effet : enfin , au cas que , contre toute
attente , les Seigneurs Etats de Frife manquaffent
à l'objet en question , de recevoir alors , par voie.
d'exécutionfur ladite Province , le remboursement.
de ces deniers par tous les mayens que le Confeil
des Etats , après avoir délibéré avec S. A. S. ,
jugera les plus propres & les plus convenables ; à
L'effet dequoi il conviendroit de folliciter S. A. S.
en particulier , afin que dans ce cas il lui plaife
y contribuer de fon pouvoir & de fon autorité :
finalement, pour communiquer civilement les mêmes
réfolutions aux Seigneurs Etats. de Friſe avec
instance preffante de vouloir bien , en acquittam
( 136 )
ce qui est dû , prévenir l'effet de cette démarche.
Sur ce rapport , la Gueldre & l'Overyſſel ont jugé
devoir ſe déclarer ultérieurement; la Hollande &
Westfrise ainſi que la Zélande, en ont pris copie
pour en faire communication plus amples dans
leurs Provinces reſpectives , tandis que les autres
our réitéré leurs réſolutions antérieurement remiſes
fur cet objet.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG. du 10 Septembre.
Ondoit propoſer au Parlement, à la prochaine
aſſemblée , une loi relative à la franchiſe des lettres;
on n'abolira pas le droit des membres de l'une
& de l'autre chambre , de faire paſſer les leurs
•franches de port : on ne prétend que remédier aux
abus , & exiger que toutes les lettres qui partiront
ſous leur ſceau & avec l'adreſſe écrite de leur main ,
*foient réellement d'eux , & qu'ils le certifient fur
l'enveloppe. Si on parvient en effet à faire ceſſer les
abus dans cette partie , le revenu des poftes augmentera
confidérablement.
Ondoit faire cette année l'arpentage des terres
de la couronne, & on ſe propoſe d'y apporter la
plus grande attention. Les miniſtres actuels , à
l'exemple de leurs prédéceſſcurs immédiats , paroiffent
s'occuper ſérieusement de cet objet , &
n'être point éloignés de vendre une partie de ces
domaines.
Ilyaura bientôt, écrit-on de Dublin , deux Parlemensdans
ce royaume , tous deux choifis par le
peuple. L'un s'aſſemblera à Dunganon , & l'autre
ici ; le premier doit ſurveiller le ſecond , qui ,fans
cela , pourroit devenir le Parlement du Miniftere .
Cela reſſemblera en quelque forte à la conſtitution
de l'ancienne Sparte , où les Ephores ou Inſpecteurs
étoient créés pour veiller ſur la conduite des Rois :
réglement ſouvent néceſſaire. Les parlemens rempliſſoient
autrefois cet emploi ; mais aujourd'hui les
( 137 )
Surveillans ont beſoin d'être ſurveillés eux-mêmes .
Le Miniſtre qui fait , à Gretna- Green en Ecoffe ,
les mariages que les jeunes couples imprudens vont
y contracter malgré leurs parens , est un Forgeron.
Selon la loi de ce royaume , tout homme au-deſſus
de l'âge de ſeize ans eſt qualifié pour bénir un mariage
, qui n'eſt cependant valide qu'autant qu'il eſt
confommé . Le Cyclope Miniſtre a chez lui un lit,
deftiné à completter la cérémonie , qui a fervi à des
milliers de couples. Il ne peut figner l'acte que
lorſqu'elle eſt remplie & certifiée par deux témoins ,
qui font ordinairement deux de ſes principaux onvriers
, qu'il appelle pour cet effet , & qui fignent
avec lui . Cette condition, affez finguliere , a donné
lieu ſouvent à quelques ſcenes plaifantes. Un Officier
Irlandois ſe rendit , il y a quelques mois , à
Gretna-Green, avec une jeune daine du Comté de
Northampton; le Forgeron ayant joint leurs mains ,
leur expola , à l'ordinaire , qu'ils devoient terminer
le mariage chez lui : fignez , fignez , Pasteur , lui
ditl'Irlandois , tout étoit fini avant d'arriver ici. Le
Miniſtre ayant infifté ſur la loi , qui exigeoit qu'elle
ſe fit auſſi en Ecofle , l'Officier ne renita pius.
Le Commodore Affleck , qui doit avoir le commandement
aux Iſles du vent, eſt déjà à Antigues ,
où il a arboré ſa Cornette à bord du Leander
de so. L'Amiral Digby a le commandement à
New-Yorck .
En Hollande & en Irlande il n'y a guere de manufactures
ou de fabriques un peu conſidérables
éloignées de plus d'un mille de quelque riviere navigable
, & les tranſports par eau font un quart
moins chers que ceux qui ſe font par terre . C'eſt
à ces avantages qu'il faut fur - tout attribuer le
grand commerce & l'opulence des Hollandois ; mais
tous les pays commerçans devroient profiter de cet
exemple pour établir & perfectionner la navigation
intérieure par- tout où la ſurface de la terre &
( 138 )
d'autres circonstances locales ne rendront pas im
praticable la conſtruction des canaux.
Les Négocians Américans , & fur-tout ceux de
Virginie , ont des Agens à Londres , pour établir
une correfpondance de commerce avec différentes
maiſons ; mais les plus confidérables ne ſe ſoucient
point de prendre aucun engagement avant que la
fignature du traité définitif ait fixé le rang que la
G. B. doit avoir parmi les Puiſſances , & fur tout
parmi les Puiſſances commerçantes .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ).
PARLEMENT DE PARIS.
Grand Chambre.
Concert frauduleux d'un Prêteur ſur gages & de fon
Courtier, pourvendre à vilprix un gage précicux,
àl'infu dupropriétaire .
Le nommé Gouliart , Prêteur ſur gages , avoit
prêté, par l'entremife du ſieur Ducout, fon Courtier
, une ſomme de 1700 livres , à un particulier ,
fur dix- fept épingles de diamans. Quelques années
après , le ſieur Gouliart n'étant pas payé , obtint au
Châtelet , contre le ſieur Ducout , une Sentence
qui l'auto: iſa à vendre les effets . Il n'en inſtruifit
pas le propriétaire , & fit vendre les diamans , dont
le prix ne fut porte qu'à 1500 livres. Le propriétaire
, environ deux ans après , fit affigner le fieur
Gouliart ſur l'appel de la Sentence du Châtelet,
qui avoit autorisé la vente , & demanda que le
fieur Gouliart fût condamné à lui reftituer ſes
diamans , finon à lui en payer la valeur ſuivant
l'eſtimation , fous la déduction de la ſomme prêtée.
(+) On fouferit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſtde 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocat , rue
& Hôtel de Serpente,
( 139 )
Arrêt du 10 Mars 1783 , qui a mis l'appellation
& ce au néant , émendant, condamne Gouliart
àpayer au propriétaire des diamans la ſomme de
4000 livres , ou l'eftimation , ſuivant la defcription
faite des diamans fur les regiſtres de Gouliart & de
Ducout , déduction faite de la ſomme prêtée , &
a condamné Gouliart aux dépens .
Tournelle .
La Cour vient de donner une nouvelle preuve
de ſon attention à réparer les atteintes portées à la
liberté des citoyens . Claude- François- Remi Poirſon
, ancien Gendarme , étoit venu de Neufchátel
en Lorraine à Paris , pour y fuivre différentes
affaires; il étoit defcendu à l'hôtel du Saint- Eſprit ,
rue de Beauvais. Le 19 Avril 1781 , un Exempt
avec lequel il avoit cu quelques démélés , ſe permit
de l'arrêter ſous prétexte d'eſcroquerie , le
conduiſit au Fort-l'Evêque , & l'écroua a la requête
de la partie publique , pour efter à droit, & répondre
devant le Lieutenant-Criminel de Robe-
Courte.-Les faits contenus dans le procès-verbat
d'emprisonnement , parurent affez graves à M. le
Procureur du Roi pour exciter ſon zele , & le déterminer
à rendre plainte. Cependant , n'ayant pu
être appuyé d'aucune preuve , trois ſemaines après
fa détention , le fieur Poi fon a obtenu ſur requête
for élagiſſement proviſoire , à la charge de ſe repréſenter
en état d'aſſigné , pour être ouï .
premier uſage qu'il a fait de ſa liberté , a été d'interjetter
appel en la Cour , de toute la procédure ,
& d'y intimer M. le Procureur-Général , comme
prenant le fait & caufe de fon Subſtitut au Châtelet.-
Arrét en la Tournelle le 6 Août 1783 ,
qui déclare nul le procès - verbal d'emprisonnement ,
ainſi que la procédure inſtruite par le Lieutenant-
Criminel de Robe Courte , ordonne que l'écrou
du ſieur Poirfon feroit rayé & biffé des regiſtres du
- Le
( 140 )
Fort-l'Evêque , & de tous autres où il auroit pu
être infcrit; & faiſant droit ſur les conclufions de
M. le Procureur-Général , défenſes ont été faites
à l'Exempt d'ufer à l'avenir de pareilles voies , à
peine d'interdiction .
Grand Chambre.
:
Cauſe entre la Communauté des Maîtres Tonneliers
de Biois & le fieur Roullet.-Bourgeois peut
faire fabriquer des poinçons neufs chez lui dans
la ville , pour fon usage , pourvu qu'il n'en faffe
pas commerce .
Ainfi jugé par Arrêt du 2 Août 1783 , conforme
aux conclufions de M. l'Avocat Général d'Aguefſeau
, en faveur du ſieur Roullet , Commiſſionnaire
de vin , Bourgeois de la ville de Blois , contre les
Syndics & Adjoints de la Communauté des Maîtres
Tonneliers.
PARLEMENT DE DIJON.
Affaire de Laliy.
Peu de procès ont été plus fameux que celui- ci.
Perſonne en Europe ne l'a ignoré , puiſque la plupart
des faits qui y ont donné lieu , & des circonstances
qui les ont accompagnés , ſe ſont paffés dans une
vaſte régionhabitée pardifférens peuples , & éloignée
de nous de plus de 6000 lieues ; ainfi , pour donner
une notice exacte de cette affaire extraordinaire ,
dont tous les papiers publics ont parlé , il faudroit
remonter à ſon origine. Un détail auſſi étendu
n'eſt pas du reffort de cette Feuille ; on ſe bornera
àfaire connoître l'Arrêt rendu par le Parlement de
Dijon le 23 Août dernier .- » LA COUR, Grand'-
Chambre affemblée , ſans s'arrêtet aux demandes ,
fins& concluſions priſes par Trophinne-Gérard de
Lally Tolendal, qualité qu'il agit , a déclaré &
déclare Thomas Arthur de Lally duement atteint
( 141 )
&convaincu de n'avoir pas fuivi ſes inſtructions,
d'abus d'autorité ; d'avoir , par des diſcours outra
geans , manifeſté ſa haine contre le Conſeil & les
Habitans de Pondichery ; d'avoir exercé pluſieurs
vexations , tart contre les membres dudit Confeil ,
que contre les Habitans blancs & noirs de la Colonie
; d'avoir tenu des propos propres à inſpirer le
découragement;d'avoir dans le temps même où elle
étoit dans un besoin prefiant , commis l'uſure en
exigeant de la Compagnie des Indes , ſous le nom
d'une perſonne prépolée , des intérêts à 30 pour
100 ; d'avoir , par ſa capitulation , abandonné &
facrifié les intérêts des Habitans de Pondichery &
de toute la Colonie , & par- là , & autres faits
mentionnés au procès , d'avoir accéléré la perte
defdites Ville & Colonie ; pour réparation de quoi ,
&autres cas réſultans des procédures , a condamné
&condamne la mémoire dudit Thomas Arthur de
Lally; déclare ſes biens ſitués en pays où confiſcation
a lieu , acquis & confiſqués au profit de qui it
appartiendra. En ce qui concerne Jofeph- François
de Fer , ordonne que ledit de Fer ſe retirera par
devers leRoi, pour ſe ppoourvoir de lettres de rémiſſion
, fi jà n'a été fait.- En ce qui concerre
Armand-Antoine- François Fretard de Gadeville
l'a mis & met hors de Cour , ordonne qu'il ſera
élargi , &e.- En ce qui concerne Jacques-Hugues
deChaponnay, Jacques de Pouilly , Luc Alleu , &
Jean- Ferdinand Rochette , ayant égard aux demandes
, fins & conclufions priſes dans leurs rea
quêtes , les renvoie des accufations contre eux
intentées ; ordonne qu'ils feront élargis ; que les
écroux faits de leurs perſonnes feront rayés & biffés
fur tous regiſtres où ils ſeront inſcrits , & ce , par
le premier Huiſſier requis , lequel fera mention , en
marge , d'iceux , du préſent Arrêt ; auquel effer ,
tous Concierges & Geoliers feront tenus de repréfenter
leurs regiſtres , à quoi faire contraints , meme
( 142 )
-
-
-
par corps , quoi faiſant , déchargés.-Permet auxdits
de Chaponnay , Pouilly , Alleu & Rochette de.
faire imprimer & afficher le préſent Arrêt par-tout
où beſoin fera . En ce qui concerne Norouha ,
le frere Funch , Ramatinga , Hurpy , Jacquelot &
les deux quidams Lieutenans au Régiment de Lorraine
, met iceux hors de Cour. Renvoie Guillaume
Meaglier, Jean Deſchaux & Charles Foacier,
des accufations contre eux intentées ; ordonne que
les écroux faits de leurs perſonnes feront rayés &
biffés ſur tous regiſtres où ils ſeront infcrits , ſi jà
n'a été fait ; à quoi faire tous Concierges & Géoliers
, &c. Renvoie Auguſtin-Antoine Dérard de
Chamboy de toutes accufations .- En ce qui con-,
cerne Jean-Georges de Fumel , ayant égard aux
demandes , fins & concluſions priſes dans ſa requête
, le renvoie de toutes accufations. Décharge
la mémoire d'Anne-Antoine d'Aché , ainſi
que celle de Charles- François de Bazin , de toutes
accufations contre eux intentées . Prononçant
fur les plus amples requifitions du Procureur-Général
du Roi , ordonne que les Mémoires imprimés
& fignifiés au Procureur-Général du Roi , au Parlement
de Paris , de la part de Thomas Arthur de
Lally, & joints à ſa requête d'attenuation , feront
ſupprimés , comme contenant des faits faux & calomnicux
; ordonne à toutes perſonnes qui ont en
leur puiſſance des exemplaires deſdits Mémoires ,
de les apporter au Greffe de la Cour , pour y être
parcillement fupprimés .-Ordonne que le Mémoire
prétendu produit au Conſeil du Roi , imprimé
à Rouen en 1779 , chez la veuve Beſogne
& fils , fignifié au Procureur-Général de la part
de Trophinne-Gérard de Lally Tolendal , qualité
qu'il agit , ſera lacéré & brûlé par l'Exécuteur de
laHaute-Juſtice , au-devant de la principale porte
du Palais , comme contenant des faits calomnieux ,
faux dans leur ſubſtance , dans leur énoncé & dans
-
( 143 )
les circonstances , contraire au reſpect dû à la Magiftrature
, en outre calomnieux & injurieux à la
mémoire & aux perſonnes d'un grand nombre de
bons & fideles ferviteurs du Roi , de tous rargs &
érats.- Fait très expreſſes défenſes & inhibrions
à tous Libraires & Imprimeurs , Colporteurs &
autres , d'imprimer , vendre & débiter , ou autrement
diftribuer , en quelque maniere que ce puiſſe
être , ledit Mémoire , à peine de punition corporelle
; enjoint à tous ceux qui en ont des exemplaires
, de les remettre & apporter inceſſamment
au Greffe de la Cour , pour y être ſupprimés.
-Prononçant ſur l'intervention de Jacques Duval
d'Epremeſnil , ainſi que ſur ſes demandes , fins &
conclufions jointes au procès , en lui donnant acte
de ſon département de l'inventaire de production
par lui remis au Greffe criminelde la Cour , le 27
Juin dernier , déclare ledit inventaire de production
comme non avenu ; ordonne que les Mémoires
joints à la requête dudit Duval d'Epremeſnil , autres
que ceux fur leſquels il a été déjà prononcé , demeureront
fupprimés , comme faux & calomnicux
en ce qui touche la mémoire de Georges Duval de
Leyrit.-Condamne ledit Lally Tolendal, qualité
qu'il agit , aux dépens de ladite intervention ; permet
audit Duval d'Epremeſnil de faire imprimer &
afficher le préſent Arrêt par-tout où beſoin fera ,
aux frais & dépens dudit Lally Tolendal , ſuſdite
qualité , juſqu'à concurrence de cinq cens exeraplaires
; & fur toutes plus amples demandes , fins
&conclufions des Parties , a mis & met icelles
hors de Cour. - Prononçant ſur les plus amples
requifitions du Procureur Général du Roi , ordonne
que les huit pieces de procédure produites
par ledit de Pouilly , fous cote 3 de fa production ,
en feront tirées , & que leſdites huit pieces feront
aſſoupies au Greffe de la Cour , & jointes à la
procédure criminelle. Ordonne qu'à la diligence du
( 144 )
1
Procureur-Général du Roi , ledit Arrêt ſera in
primé & affiché par-tout où beſoin fera.
PARLEMENT DE FLANDRES.
Interprétationde l'article premier de l'Edit du mois
ďAoût 1779 .
>> Nous éteignons & aboliſſons , dans toutes les
>> terres & ſeigneuries de notre domaine , la main-,
>> morte & condition ſervile , enſemble tous les
>>droits qui en ſont des ſuites &des dépendances
-Ainfi s'exprime notre auguſte Monarque dans
cette loi bienfaiſante , qui fera bénir ſa mémoire.
dans les ſecles les plus reculés. - La terre de
Curgiesen Hainault eſt domaniale : une ancienne
Sentence du Bureau des Finances de Lille , l'a
déclarée telle , & cela n'eſt point conteſté . - Les
Habitans de cette terre ne font foumis à aucuns
droits ſeigneuriaux , même à la mutation par rente ,
mais juſqu'à préſent ils ont été ſujets au droit de
morte-main , ou meilleur caſtel , c'est- à-dire , au
droit que pluſieurs Seigneurs ont en Hainault ,
de prendre, à la mort de leurs anciens Serfs à qui
ils ont donné la liberté , le plus beau meuble qui
ſe trouve dans la ſucceſſion. Voyez le Répertoire
de Jurisprudence , verb. Caftell. -Ce droit eft
une ſuite & une dépendance de la condition ſers
vile. M. de Sars , Conſeiller honoraire au Parie.
ment de Flandres , Seigneur de Curgies , a prétendu
l'exercer encore : cependant le droit dont il s'agit a
été aboli de nouveau par Arrêt du , Août 1783 ,
qui adéclaré les Habitans de Curgies déchargés du
droit , par L'article premier de l'Edit ci-deſſus , &
condamné le Seigneur aux dépens.
ERRATA . Au lieu de ces mots le Coclearia
le Creffon &le Raisin , qui ſe trouvent page 382
ligne to du Journal du 6 de ce mois , lifez le
Cochlearia , le Creffon & le Raifort..
:
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 27 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES .
EN VERS ETEN PROSE.
A Madame la Princeffe DE CRACOVIE ,
Soeur du Roi de Pologne. *
MA
A Mufe un peu trop téméraire
Aplus d'un Roi vint offrir ſon encens ;
Puis -je à vos pieds en ces momens
En mettre un grain ſans vous déplaire ?
Il fut en nos jardins un arbre très-cité,
Du menteur nouvelliſte en tout temps fréquenté ,
Que nommoit la plaiſanterie ,
Par un pur jeu de mots , l'arbre de Cracovie ;
Ceux qui feront de vous l'éloge mérité ,
Et fans doute ils ſeront ſans nombre ,
Ne ſe ſeront jamais repoſés ſous ſon ombre.
(Par la Muse Limonadière. )
* Ces vers ont été lûs à une Séance Publique du Musée d
Paris , le premier du préſent mois de Septembre .
N°. 39 , 27 Septembre 178 G
146 MERCURE
A Mademoiselle DE SAINT - P**.
AIR : Avec les Jeux dans le Village , & c.
J''AAIIMMEERROOIISSbien une Bergère
Auſſi naïve que Myrthé;
Qui plût ſans ſavoir l'art de plaire ,
Et ne connût point ſa beauté ;
Qui, par ſa tendreſſe innocente ,
Plus que par un charme trompeur ,
Fit naître une flamme conſtante ,
Et fixât pour jamais un coeur.
J'AIMEROIS bien une Bergère
Au doux ſourire , au regard fin ,
Qui , ſage , ſans être ſévère ,
Charmât par un air enfantin ;
Qui , par ſon eſprit agréable ,
Sût briller au ſacré vallon ,
Et ſe montrer la plus aimable
De toutes les Soeurs d'Apollon.
J'AIMEROIS bien une Bergère
Senfible aux cris du malheureux,
( Qui gémît ſur ſa plainte amère ,
Et rendit ſon ſort moins affreux.
Par la nature libérale ,
Cesdons par-tout ſont difperfes ;
DE FRANCE. 147
Ces dons chéris que rien n'égale ,
Philis, vous les réuniſſés.
(ParM. Cébyde Beauvais. )
Vers à Rose , en recevant un Anneau
deses cheveux.
ROSE , j'ai Ose , j'ai ton coeur fans partage ;
Tu m'en as fait l'aveu flatteur.
Que ton anneau ſoit donc le gage
Et le taliſman du bonheur.
Ah! fans doute que ſa puiſſance
Doit à jamais ſceller nos noeuds ;
Le temps peut blanchir tes cheveux ,
Mais ſans affoiblir ma conftance .
( Par M. le Comte de Rofières , Officier au
Régiment d'Aunis. )
LE MOMENT DE LA RECETTE ,
Conte qui n'en est pas un , dédié à MM. les
Épigrammatistes.
QVEL métier que celui de faire une Épigramme !
Comment trouve-t'on quelque attrait
A médire , à contrifter l'âme
D'un homme qu'à peine on connoît !
Si les divers Écrits que votre Muſe immole ,
1
Gij
148 MERCURE
:
De la ſatyre amère ont mérité les traits ,
Critique intolérant , croyez -en ma parole ,
Il eſt affez puni celui qui les a faits.
Il eût , je l'avoûrai , mieux fait de ne rien faire ;
Sans doute il a tort ; mais enfin
Pourquoi l'injurier , & fimple fantaffin ,
Vouloir à tous faire la guerre ?
Quel fut le fort de Roi , de Rouſſeau , de Piron ?
Ils voyoient , direz -vous , la bonne Compagnie ,
Je le ſais ; toutefois en aimant leur faillie ,
On redoutoit leur aiguillon .
Ce deſtin à vos yeux eſt- il digne d'envie ?
Encor fi le mépris dont on vous couvre , un jour
Étoit le ſeul chagrin dont vous puiffiez vous plaindre !
Quand on a fu ſe faire craindre
On doit bientôt craindre à fon tour.
Trop d'outrage à la fin laſſe la patience ;
On guette l'homme aux vers méchans ;
Sur fon-dos à plaifir on venge ſon offenſe....
Perſonne n'eſt tenté de prendre ſa défenſe ,
On l'eſt de rire à ſes dépens.
CHEZ la Marquiſe de Mimeure,
Avec le ſatyrique Roi ,
Lubert avoit ſoupé ; bientôt chaffé par l'heure ,
L'un & l'autre s'apprête à gagner ſon chez ſoi ;
Mais d'accompagner Roi , Lubert eut de l'effroi .
-Eh peurquoi , Préſident , demande le Poëte ,
Ne pas me faire cet honneur ?
DE 149
FRANCE.
Il eſt minuit ſonné , dit Lubert , ſerviteur ,
C'est le moment de la Receite.
( Par M. Laus de Boiſſy . )
L'AUTOMNE ET LE PRINTEMPS ,
Fable.
L'AUTOMNE diſoit au Printemps :
« Ne vantez plus les agrémens
* Que vous procurez à la terre ;
>> Vous faites naître des deſirs ,
>> Et moi je donne des plaiſirs.
>> Lequel des deux vaut mieux , mon frère ?
ככ
-Ma ſoeur , vous avez bien raiſon
> De préférer votre ſaiſon ;
• Plus que la mienne elle eſt féconde ;
>>>Mais fi je ſuis plus cher au monde ,
و د
C'eſt que les fleurs font dans mes mains
>>>L'eſpérance de la Nature.
>> Je reſſemble à l'Amour, qui plaît plus aux humains
>>Par les biens qu'il promet que par ceux qu'il procure.
( Par M. Hoffman , de Nanci . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryshe du Mercure précedent.
Le mot de la Charade eſt Sion ; celui de
l'Enigme eſt Phænix ; celui du Logogryphe
est Métaphore , où l'on trouve Morphée ,
Été, Mérope ,hart , more , pore , or mort
port,Rome , Ephore , aorte , trop .
150 MERCURE
JE
ÉNIGME.
Efuis bienpetit&biengrand;
Mais dans un ſens très-différent.
Dans le premier je fais de légères bleffures ;
On me trouve dans l'eau , j'exiſte dans les bois.
L'autre a de plus nobles allures ,
C
Il travaille au bonheur des Peuples & des Rois.
Celui- là peut orner labyrinthe & parterre ;
Celui- ci fait briller la divine équité.
Onne voit entre eux deux aucune égalité ;
Mais nous ſommes connus aux deux bouts de la terre.
J
LOGOGRYPΗ Ε.
E ne fuis du goût de perſonne ,.
Et cependant chacun me donne
Des qualités &des vertus .
J'ai quatre pieds & rien de plus.
Ony peut voir avec adreſſe
Un des ſéjours de la tendreſſe ;
La sûreté du Citoyen ;
Et l'inſtrument du Galérien ;
Un amas d'eaux toujours mouvantes ;
Un amas d'eaux toujours dormantes .
(Par un Abonné.)
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LESGéorgiques de Virgile, en vers François,
par M. l'Abbe de Lille. De l'Imprimerie
de Didot l'aîné , à Paris , chez Bleuet ,
Libraire , pont S. Michel , 1783. in - 16 .
GRACE à M. l'Abbé de Lille , on lit Virgile
en François ; & le goût des Savans , fi
long temps accuſé d'erreur , eſt juſtufie : les
éloges prodigués à l'antiquité étoient devenus
ſuſpects à force de mauvaiſes Traductions.
Voilà donc ce qu'on nous vante , difoient
les ignorans. Eh non ! leur répondoiton,
quand des Savans fans talent & fans
goût veulent , à la faveur d'un peu de Grec
&de Latin s'emparer de l'antiquité & en
faire leur domaine , c'eſt une ufurpation ,
c'eſt une profanation.
Impiushactam culta novalia miles habebit ,
Barbarus hasfegetes ?
....
Floribus auftrum
Et liquidis immittunt fontibus aprum.
Quand M. Dacier traduit Horace en lourde
proſe , & le furcharge encore de lourdes
notes ; quand Madame Dacier elle- même
traduit Homère en proſe traînanté & glacée;
quand le pédant Desfontaines , qui ne trouvoit
pas un defaut dans Virgile , le traduit
GIV
152 MERCURE
en proſe sèche & meurtrière , qui n'y fait
pas trouver une beauté , qui ne laiſſe fubfifter
ni un ſentiment, ni une image , ni un
mouvement , vous n'avez ni Homère , ni
Horace , ni Virgile , vous avez M. & Mme
Dacier & l'Abbe Desfontaines. Ces gens là
diſent qu'ils aiment les anciens , ils ſe trompent;
ils aiment le Grec & le Latin , parce
qu'ils ont eu la peine de les apprendre ; mais
quand Fénelon , dans le quinzième Livre de
Télémaque , traduit en proſe poétique le
Philoctète de Sophocle , aujourd'hui ſi bien
traduit en vers; quand Boileau , dans les réflexions
ſur Longin, traduit en vers des morceaux
choiſis d'Homère ou d'Efchyle ; quand Racine
fond fi habilement dans ſes belles Tragédies
les grandes beautés d'Euripide; quand
M. de Voltaire adapte à la Henriade , tantôt
les regrets touchans de Virgile ſur la moit de
Marcellus , tantôt la comparaiſon du cheval
, tirée d'Homère & de Virgile , alors vous
avez à la fois Sophocle & Fénelon , Homère
& Boileau , Euripide & Racine , Virgile &
Voltaire. Les vrais amis des anciens font
ceux qui en fentent , qui en expriment , qui
en reproduiſent , qui en augmentent les
beautés ,& non ces zélateurs aveugles, & fuperftitieux
dont Rouſſeau ſe moque ſi bien
dans une épigramme contre Longepierre.
Mais des morceaux n'étoient que des
morceaux ; on pouvoit croire encore qu'un
Ouvrage entier de Virgile , par exemple , ne
méritoit pas d'être traduit , ou qu'il ne pou
DE FRANCE.
153
voit l'être , du moins en François ; car chez
les Anglois , Homère avoit trouvé Pope , &
Virgile Dryden , & nous n'avions que Segrais
, vanté par Boileau pour l'Églogue ,
mais qu'on ne liſoit plus ; enfin on vit paroître
Publius Virgilius de Lille , comme
l'appeloit un grand Homme ; il choiſit l'Ouvrage
de Virgile le plus parfait peut être ,
mais sûrement le plus difficile à traduire , &
par la nature des objets qu'il falloit peindre ,
& par le préjugé qui a long - temps avili
parmi nous des détails champêtres reſpectés
chez l'antiquité. L'on peut dire que la poéfic
de M. l'Abbé de Lille a concouru , avec la
philoſophie du ſiècle , à venger d'un injufte
mépris les utiles inſtrumens du plus utile des
Arts.
Il a choiſi de plus la manière de traduire
la plus difficile , mais la ſeule digne peutêtre
d'un Poëte ; il a traduit en vers , & il a
été pour les Traducteurs mêmes en profstan
modèle de fidélité : il rend le ſens auffi bien
qu'eux , & de plus il traduit les beautés , &
non pas des beautés poétiques en général ,
comme il arrive quelquefois à M. Greffet
d'en rendre dans ſa toible Traduction ou
imiration des Églogues de Virgile , mais les
beautés qui caractériſent le plus particulièrement
fon Auteur, les beautés de Virgile ,
en un mot , & de Virgile ſeul. Voyez dans
le Diſcours Préliminaire , page 17 & fuivantes
, la comparaiſon de quelques morceaux
de la Traduction de M. l'Abbé de
Gv
154 MERCURE
:
Lille , & des mêmes morceaux dans l'Abbé
Desfontaines , vous ferez étonné de voir.
que toute la fidélité eſt du côté des vers.
M. l'Abbé de Lille eſt toujours aufli près
de l'original par le mouvement du ſtyle , par
T'harmonie , ſur- tout par l'harmonie imitative
, par la hardieſſe , par la préciſion ,
par les beautés enun mot, que le génie différent
des deux langues peut le permettre;
mais on fait que deux langues ne correfpondent
jamais en tout l'une à l'autre , &
que , comme le dit l'Auteur , une extrême
fidelité, en fait de Traduction , ſeroit une
extrême infidélité. Souvent d'une langue à
l'autre , à un mot noble répond un mot bas ,
à un mot hardi un mot dur , à une phraſe
harmonieuſe , une ſuite de ſons apres & défagréables
: ſouvent une expreffion forte &
préciſe ne peut être rendue que par une périphraſe;
M. l'Abbé de Lille remédie à cet
inconvénient par la méthode des équivalens ,
ſelon la doctrine qu'il expoſe , page 62 &
ſuivantes du Diſcours Préliminaire ; car il
fant, dit il , être quelquefois ſupérieur à fon
original , préciſement parce qu'on lui eft
trés- inférieur. Toutes les fois que les deux
langues ſe correſpondent , ou qu'au moins
leurs génies ſe rapprochent , point d'autre
règle que d'être fidèle .
Or, un merite, juſqu'à préſent ſans exemple,
de cette Traduction , c'eſt que dans les
endroits mêmes où le Traducteur fuit pas à
pas ſon modèle ,& où il eſt le plus littéral ,
DE FRANCE.
il ne ceſſe point d'être original ; plus il retſemble
a Virgile , plus il paroît être luimême
: toujours libre dans fes chaines &
vainqueur des difficultés , l'Ouvrage femble
toujours avoir ete penfe& compoſe en François
; & cetre aifance, cette demarche libre
& facile d'un original , ſe retrouve dans les
moindres details. Voyez , par exemple ,
comme, loin deviter ou de refferrer les enumérations
, les détails géographiques de Virgile
, il ſemble sy complaire , & les enrichit
encore.
Nonne vides croceos ut Tmolus odores .
India mittit ebur molles ſua thura Sabai
At Chalybes nudi ferrum , viroſaque Pontus
Caflorea , Eliadum palmas Epirus equarum ?
Le Fmole eft parfumé d'un ſafran précieux ;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les Dieux ;
L'Euxin voit le caftor ſe jouer dans ſes ondes.
Le Pont s'énorgueillit de ſes mines fécondes ;
L'Inde produit l'ivoire; & dans ſes champs guerriers
L'Épire pour l'Élide exerce ſes courfiers .
Voilà bien un de ces endroits où le Traducteur
eſt forcé d'être ſupérieur à Poriginal
pour les autres endroits où il ſera forcé de
lui être inférieur. Virgile , par le choix du
mot mittit , qui s'applique indiftinctement à
tous les objets dont il parle , a pu être aufi
concis qu'il l'a voulu, & n'a point cherché
d'autre mérite. M. l'Abbé de Lille , peut- être
Gvj
156 MERCURE
faute d'un mot ſemblable , a été obligé de
varier & d'enrichir ſon énumération , le
Tmole estparfumé defafran ; à Saba l'encens
croît pour les Dieux ; l'Euxin voit le caftor
Se jouer; le Font s'énorgueillit deſes mines';
l'Inde produit l'ivoire , l'Epire exerce ses
courfiers. Pas deux traits ſemblables ; variété
riche comme celle de la Narure , dont il s'agiffoit
en effet de peindre la variété dans les
différens terreins & dans leurs différentes
productions ; certainement le Poëte qui , en
pareil cas , varie le plus ſes tours & fes expreffions
, eft celui qui obtient le prix.
Phafimque Lycumque ,
Et caput unde altus primùm fè erumpit Enipeus ,
Unde pater Tiberinus , & unde Aniena fluenta , -
Saxofumque fonans Hypanis , Mysusque Caicus ,
Etgemina auratus Taurino cornua vultu
Eridanus , quo non alius perpinguia.culta
In mare purpureum violentior influit amnis.
Dela parlent le phaſe & le vaſte Lycus ,
Le père des moiſſons , le riche Caïcus ,
L'Énipée orgueilleux d'orner la Theffalic ,
Le Tibre encor plus fier de baigner l'Italie ;
L'Hypanis ſe brifant ſur des rochers affreux ,
Et l'Anio paiſible & l'Éridan fougueux.
1
Si le Traducteur n'a pas rendu Gemina
auratus taurino cornua vultu , il a bien dédommagé
le Lecteur par les beautés qu'il lui
adonnées en échange ; il a enrichi le Caïcus ,
DEFRANCE.
157
il a fur tout beaucoup orné l'Enipée , le Tibre
, l'Hypanis , & le rapprochement rend
plus fenfible le contraſte de l'Anio paitible
&de l'Eridan fougueux .
A- propos de ces détails géographiques ,
nous demandons qu'il nous foit permis de
faire ici une réflexion qui ne regarde qu'indirectement
M. l'Abbé de Lille , mais qui intéreſſe
la poéſie , & qui n'a peut- être pas été
faite.
Un Traducteur d'Homère , en vers , n'avoit
tradnit qu'en proſe le dénombrement
qui termine le ſecond Chant , l'ayant regardé
, dit- il , comme une eſpèce de table
géographique , peu fufceptible de l'harmonie
des vers.
Nous ne croyons pas qu'on puiſſe avancer
une hérélie plus forte en poéfie. La géographie
eft , au contraire , la ſource la plus
feconde des vers harmonieux &des richeffes
poétiques . A la deſcription des lieux , de leur
nature , de leur poſition , de leur afpect ,
de leurs diſtances , de leurs rapports , de
leurs contraſtes , tant phyfiques que poétitiques
, du caractère des habitans , de leurs
moeurs , de leurs intérêts , elle joint ces fouvenirs
intéreffans , ces traits , ces monumens
conſacrés par la Fable ou par l'Hiſtoire ,
enfin tout ce qui anime & vivifie ; quoi de
plus favorable à la poéſie ! Dans Homère ,
dans Virgile , dans les Métamorphofes d'Ovide
, dans le Télémaque , rien de plus magnifique
&de plus harmonieux que les def
158 MERCURE
criptions géographiques. Dirat'on que la
vertification Françoiſe y repugne ? On vient
de voir les deux morceaux de M. l'Abbe de
Lille. Dans nos Tragédies mêmes , ces fortes
de deſcriptions ſont toujours les plus riches
& les plus poétiques , préciſement parce
qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique
, elles ont plus beſoin de la pompe
épique. Voyez dans Phèdre ces beaux vers
que dit Théramène :
Déjà pour fatisfaire à votre juſte crainte ,
J'ai couru les deux mers que ſépare Corinthe ,
J'ai demandé Théſée aux peuples de ces bords ,
Où l'on voit l' A chéron ſe perdre chez les morts ;
J'ai vifité l'Élide , & laiſſant le Ténare ,
Paſſe juſqu'à la mer qui vit tomber Icare.
Ces deux mers que jépare Corinthe , ces
bords où l'on voit l'Acheron se perdre chez
les morts, cette mer qui vit tomber Icare.
Voilà bien ce mêlange de beautés géograrhiques
& hiſtoriques ou mythologiques dont
nous avons parlé.
Dans Mithridate, voyez comment la route
politique & militaire de ce Prince eſt tracée :
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deuxjours
Aux lieux oùle Danube y vient finir ſon cours ?
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée? .....
Daces , Pannoniens , la fière Germanie,
Tous n'attendent qu'un Chef contre la tyrannie.
DE FRANCE.
150
Voyez comment l'Aſtronomie eſt jointe à
la Geographie dans ces vers d'Alzire , &
voyez quels vers !
J'ai conſumé mon âge au ſein de l'Amérique ;
Je montrai le premier aux peuples du Mexique
L'appareil inoui pour ces mortels nouveaux
De nos châteaux aîlés qui voloient ſur les eaux.
Des mers de Magellan juſqu'aux aftres de l'ourſe ,
Les vainqueurs Caftillans ont dirigé ma courſe.....
De la Zône brûlante , & du milieu du monde ,
L'aſtre du jour a vû ma courſe vagabonde
Juſqu'aux lieux où ceſſant d'éclairer nos climats ,
Il ramène l'année & revient ſur ſes pas .
Dans la Mort de Céfar:
L'Euphrate attend César , & je pars dès demain.
Brutus & Caffius me ſuivront en Afie ;
Antoine retiendra la Gaule & l'Italie ;
De la mer Atlantique & des bords du Bétis ,
Cimber gouvernera les Rois afſujétis.
Je donne à Décimus la Grèce & la Lycie,
A Marcellus le Pont , à Caſca la Syrie.
Dans l'Orphelin de la Chine :
Vous, dans l'Inde ſoumiſe , humble dans ſa défaite ,
Soyez de mes décrets le fidèle interprête ,
Tandis qu'en occident je fais voler mes fils
Des murs de Samarcande aux bords du Tanaïs.
Dans Tancrède :
LeGrec aſous ſes loix les peuples de Meſſine ,
160 MERCURE
Le hardi Solamir infolemment doinine
Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna ,
Dans les murs d'Agrigente , aux campagnes d'Enna.
De quel droit un Coucy vint-il dans Syracuſe ,
Des rives de la Seine aux bords de l'Aréthuſe ? ....
On voit même en nos jours
Trois fimples écuyers , ſans biens& fans ſecours ,
Sortis des flancs glacés de l'humide Neuſtrie ,
Aux champs Apuliens ſe faire une patrie ......
Grecs , Arabes , François , Germains tout nous
dévore ;
د
Et nos champs malheureux par leur fécondité
Appellent l'avarice & la rapacité
Des brigands du Midi , du Nord & de l'Aurore.
On voit que ces vers Géographiques font
précisément les vers les plus harmonieux qui
forent dans notre langue.
,
Revenons à M. l'Abbé de Lille; ce n'eſt
pas quitter les vers harmonieux , on n'eſt
embarraffé que du choix. Nous indiquerons
cependant plus particulièrement à nos Lecteurs
comme des morceaux encore plus
parfaits que les autres , dans le premier Livre
la Deſcription de la Charrue , chefd'oeuvre
de difficulté vaincue , && l'énumération
des prodiges arrivés à la mort de
Céfar , morceau d'une majeſté impoſante &
terrible.
Livre Second. L'éloge de l'Italie , la Traduction
de la tirade .
DE FRANCE. 161
Ver adeò fronai nemorum , ver utile fylvis , & c.
le Tableau de la vie champêtre :
Ofortunatos nimium , ſuaſi bona norint ! & c.
Livre Troiſième . Les amours des animaux ,
la mortalité des beftiaux.
Livre Quatrième. L'épiſode d'Ariftée.
Les changemens les plus confiderables
que le Traducteur a faits dans cette nouvelle
Édition , ſe trouvent dans la defcriprion
du Printemps , Livre II ; l'eloge de la
Chèvre , Livre III ; la defcente d'Orphée
aux Enfers , Livre IV.
Aveć ces divers morceaux on connoîtra
l'érendue des talens de M. l'Abbé de Lille
dans tous les genres , & fa facilité à prendre
tous les tons de fon modèle.
Nous allons parcourir de moindres détails
où le Traducteur nous paroît tantôt égal ,
tantôt ſupérieur, tantôt inférieur à l'original .
Dans ces petits objets que de grandes merveilles !
Ces mots , grandes merveilles , nous paroif.
ſent avoir acquis une forte de trivialité &
d'habitude , d'être employés en dérifion , qui
les rend peu propres au ſtyle noble , ces
nuances tiennent à des bagatelles ; les plus
grandes merveilles ne me déplairoient point ,
& ces mots deviennent même impofans dans
ces vers de Racine :
Quoi ! toujours les plus grandes merveilles ,
Sans ébranler ton coeur , frapperont tes oreilles !
162 MERCURE
Admiranda tibi leviumſpectacula verum ,
eſt auſſi très-impoſant.
Moins le ſujer eſt grand , plus ma gloire va l'étre.
Le indéclinable peut-il ſe mettre ainfi potur
le feminin , quand le mot qu'il rappelle eſt
au mafculin ? C'eſt un ſcrupule.
Et dans un foible corps s'allume un grand courage.
Ce vers eſt de Racine le fils , dans le Poëme
de la Religion ; mais il n'y a pas d'autre manière
de rendre
Ingentes animos angufto in pettore verſant.
Primus vere rofam atque autumno carpere poma.
Il cueilloit le premier les roſes du printemps ,
Le premier , de l'automne amaſſoit les préſens.
:
Voilà deux vers pour un; mais la répétition
de ce mot : lepremier, donne au François un
agrément particulier.
En revanche voici deux vers latins rendus
en un ſeul vers françois :
Quotque inflore novo pomis ſefertilis arbor
Induerat , totidem autumno matura tenebat.
Chaque fleur du printemps étoit un fruit d'automne.
Ce vers précis eſt préparé & développé d'avance
par ces vers ingenieux :
Jamais Flore chez lui n'oſa tromper Pomone .
Ce vers , ſi l'on veut, n'eſt pas littéralement
DE FRANCE. 163
dans l'original; mais voilà une charmante
manière de traduire.
Regum aquabat opes animis.
Lui donnoient le bonheur qui s'enfuit loin des Rois.
Voilà encore ce qui n'eſt pas dans l'original ,
&tant pis pour l'original , qui a de moins ce
trait de philofophie.
Alii taurinis follibus aures
Accipiunt redduntque.
L'un tour-à-tour enferme & déchaîne les vents.
Le françois eft- il ici auſſi clair que le latin ?
Aliiftridentia tingunt
Æra lacu , gemit impofitis incudibus Æina :
Illi interfefemagnâ vi brachia tollunt
In numerum , verſantque tenaci forcipeferrum.
L'harmonie imitative de ces vers nous paroît
auſſi bien rendue dans ceux-ci qu'elle pouvoit
l'être :
L'autre plonge l'acier dans les flots frémiſſans ;
L'autre du fer rougi tourne la maſſe ardente ;
L'Etna tremblant gémit ſous l'enclume peſante ;
Et leurs bras vigoureux lèvent de lourds marteaux
Qui tombent en cadence , & domptent les métaux.
L'aurore luit , tout part: la nuit vient , tout s'aſſemble,
a bien plus de préciſion que les vers de Virgile,
qui commençoient d'abord de même.
Manè ruunt portis , nusquam mora : rursus eafdem
164 MERCURE
*Vefper ubi è paſtu tandem decedere campis
Admonuit , tum tefta petunt.
Le Dieu roulant des yeux pleins de courroux ,
Apeine de ſes ſens dompte la violence ,
Et tout bouillant encor , rompt ainſi le filence.
Le latin a ici plus d'expreſſion :
Adhac vates vì denique multâ
Ardentes oculos intorfit lumine glauco ,
Et graviterfrendens ,ficfatis ora refolvit.
Lumine glauco n'eſt pas rendu , & graviter
frendensl'eſt foiblement par cet hémiſtiche :
Et tout bouillant encor.
Il y a des vers qu'il faut néceſſairement
rendre en un ſeul vers ; tel eſt celui -ci :
Ignofcenda quidem , fcirentfi ignofcere manes.
-Bien digne de pardon , ſi l'enfer pardonnoit.
Conditque natantia lumina fomnus.
Ce natantia , pris ainſi abſolument , n'eſt
peut être pas une expreflion complette , elle
ne le feroit pas du moins en françois ; &
Virgile a dit ailleurs :
Oculos in morte natantes ,
ce qui complette l'image ; M. l'Abbé de
Lille ſuit , avec raiſon, ce dernier modèle :
Déja je ſens dans un nuage épais
Nager mes yeux éteints & fermés pour jamais .
DE 165 FRANCE.
Etdes enfers , charmés de reſaiſir leur proie ,
Trois fois le gouffre avare en retentit de joie.
Terquefragorstagnis auditus avernis.
Ce bruit inconnu qu'on entend juſqu'à trois
fois fortir des étangs de l'Averne , eſt , d'un
côté , plus court , plus ſimple , plus dans le
goût antique; de l'autre , il a quelque choſe
de plus myſtérieux , de plus pittorefque , de
plus impoſant que cette joie des enfers charmés
de refaifir leur proie ; le gouffre avare eſt
auffi trop recherché , du moins pour le moment
, & il ne nous paroît pas juſtifié ici par
Pavare Acheron ,
Tum quoque , marmoreâ caput à cervice revulfum
Gurgite cùm medio portans Ægrius hebrus
Volveret , Eurydicen vox ipfa & frigida lingua ,
Ah ! miferam Eurydicen animâ fugiente vocabat ;
Eurydicen toto referebant flumine ripa.
L'hèbre roula ſa tête encor toute fanglante :
Là , ſa langue glacée & ſa voix expirante ,
Juſqu'au dernier ſoupir formant un foible fon ,
D'Eurydice en flottant murmuroit le doux nom ,
Eurydice , ô douleur ! touché de ſon ſupplice ,
Les échos répétoient: Eurydice! Eurydice !
Ces rives , qui répètent le nom d'Eurydice
dans tout le cours du fleuve , font d'un
goût plus fimple & plus antique , que ce ſentimentde
pitié donné aux échos. Tout le refte
eſt au moins auſſi bien dans la Traduction .
Les trois vers les plus touchans de cette
166 MERCURE
Fable d'Orphée , ſont parfaitement rendus
par trois autres , où les tournures & les
formes de l'original font heureuſement conſervées.
Ipfe cavâ folans egrum teftudine amorem ,
-Te , dulcis conjux , tefolo in littore fecum ,
Te veniente die , te decedente canebat.
Là, ſeul , touchant ſa lyre , & charmant ſon veuvage ,
Tendre époufe ! c'eſt toi qu'appeloit ſon amour ,
Toi qu'il pleuroit la nuit , toi qu'il pleuroit le jour.
On entrevoit par ces exemples , & nous
oſons allurer d'après un plus grand examen ,
que , calcul fait des beautés littéralement traduites
, & des beautés fournies en équivalent
, quand la Traduction n'a pas pu être
littérale , M. l'Abbé de Lille n'eft inférieur
à ſon modèle qu'autant que le françois eft
inférieur au latin ; & que ſi ceux qui ne peu- .
vent pas lire Virgile dans l'original , croyent
l'avoir lû dans l'Abbé de Lille , on peut leur
dire : Non erraftis , nam & hic Alexander eft.
Quand la Traduction des Georgiques parut
, l'envie s'empreſſa, comme de raiſon ,
d'en diminuer le ſuccès ; le prétexte qu'elle
prit fut de trouver une prétendue différence
entre les morceaux de poéfie deſcriptive &
les morceaux de ſentiment , tels que l'epiſode
d'Ariſtée ; l'objet de cette diftinction
étoit de refuſer au Traducteur la ſenſibilité ,
puiſqu'on ne pouvoit lui refufer le talent de
peindre. Il ſe peut faire que , dans de cerDE
FRANCE. 167
taines deſcriptions , comme celle de la charne,
la difficulté même ait forcé l'Auteur à
plus de travail & à plus de perfection encore;
mais l'épiſode d'Ariſtee eſt ce qu'il doit
être , & la diftinction eft chimérique.
sed
On n'a pas manqué non plus d'exagérer la
difference de l'original & de la copie , &
l'inferiorité de celle-ci. C'eſt un propos toujours
bon à tenir , 1°. parce qu'il n'oblige
pas celui qui le tient d'avoir une idee , ni de
connoître le rapport des deux langues . 2° .
Parce qu'il donne l'air d'un zelateur des anciens
, d'un défenſeur de la bonne cauſe..
Parce qu'il ſuppoſe que celui qui parle , ſait
le latin , ce qui n'eſt pas toujours vrai , quoiqu'on
l'ait appris.
Il reftoit une reſſource. M. l'Abbé de Lille
étoit un Poëte excellent ; mais il n'étoit qu'un
Traducteur , il avoit traduit Virgile & des
morceaux de Pope ; mais on ne voyoit point
d'Ouvrage conſidérable qui lui appartînt en
entier: on ſe hâta de prédire qu'on n'en verroit
pas , qu'il falloit que M. l'Abbé de Lille
ſe trainât fur les pas d'un modèle , qu'il ne
pouvoit ſe paſſer d'un guide & d'un appui .
A cela , M. l'Abbé de Lille répond par le
Poëme des Jardins , qui , en un an , a fix Éditions
; la réponſe eſt forte , car affurément le
Poëme des Jardins n'eſt pas la Traduction
du P. Rapin.
La reſſource alors fut de dire que le Poëme
des Jardins ne valoit pas la Traduction des
Georgiques , qu'il fallut bien louer alors
168 MERCURE
pour décrier les Jardins ; car l'Ouvrage nouveau
eſt l'ennemi préſent contre lequel on
emploie tout juſqu'à l'éloge des Ouvrages
plus anciens du même Auteur , s'il peut en .
réſulter la critique du nouveau. La vérité eſt
que dans les Georgiques , le mérite de M.
l'Abbé de Lille étoit d'être Virgile; dans les
Jardins , d'être lui même. Les beautés qu'il
ofoit prêter à Virgile par la méthode des
équivalens , devoient être aſſorties aux autres
, & être du même caractère. Il ne falloit
pas que le François prît la place du Romain;
mais ces règles ſouffrent des exceptions : il
eft bien difficile que l'eſprit François ne
perce pas un peu dans l'Ouvrage d'un François
. Si Virgile dit ſimplement que le bois de
myrthe eſt propre à faire des traits , le Traducteur
François dit :
Le myrthe de Vénus fournit des traits à Mars.
Il ne peut s'empêcher de ſaiſir en paſſant ce
rapport naturel , mais ingénieux.
Si Virgile dit qu'autant l'arbre ſe couvroit
de fleurs au printemps , autant il portoit de
fruits mûrs en automne , l'Abbé de Lille dit :
Jamais Flore chez lui n'oſa tromper Pomone.
Si Virgile dit que ſon vieillard Jardinier , par
le contentement de fon âme , égaloit les richeffes
des Rois , M. l'Abbé de Lille , comme
nous l'avons vû encore, lui donne un bonheur
qui s'enfuit loin des Rois. Si toute la
Traduction étoit ainfi , ce ſeroit un Ouvrage
plein
DE FRANCE. 169
plein d'agrément ; mais ce ne ſeroit pas
peut être une bonne Traduction.
Or , cet eſprit dont M. l'Abbé de Lille
avoit tant à ſe défendre en traduifant Virgile
, il s'y livre entièrement dans ſon Poëme
des Jardins , comme il le pouvoit & comme
il le devoit ; il varie & contraſte ſes couleurs
avec un goût exquis ; il amuſe encore plus
qu'il n'inftruit ; il multiplie les moyens de
plaire; il unit tous les tons pour plaire à tous
les goûts ; tour- a-tour ſolide & ingenieux ,
touchant & enjoué , il fait rêver & il fait
rire ; il cauſe , il joue avec ſes Lecteurs.
Ouvrez , leur dit- il , vos parcs au boeuf, à
la vache ,
Ils ne dégradent plus ni vos parcs ni mes vers.
Otez moi ces lions.... Ces monftres me font peur...
Et ces triftes Céſars , cent fois plus monſtres qu'eux.
Il couvre de ridicule le mauvais goût. Virgile
, dans les Georgiques , ne devoit pas
épargner les préceptes , il traitoit un ſujet
utile ; M. l'Abbé de Lille, dans les Jardins ,
ne devoit pas épargner les ornemens , il
traitoit un ſujet d'ornemens ; M. l'Abbé de
Lille, dans les Géorgiques , n'est qu'un Poëte
excellent; dans les Jardins , c'eſt un Poëte
charmant; des grâces , dans les Géorgiques ,
devoient être ſevères , elles étoient Romaines;
elles devoient être familières & variées
dans les Jardins , elles étoient Françoiſes.
Voici une nouvelle Édition des Géorgiques
qui les rajeunit ,& qui redonne le droit
Nº. 39 , 27 Septembre 1783 . H
170
MERCURE
d'aîneſſe aux Jardins , l'envie va peut- être à
leur tour louer ceux- ci pour rabaiſſer les
Autres.
P. S. Un mot encore ſur le Diſcours Préliminaire
des Géorgiques. Les vers de M.
FAbbe de Lille font fi beaux , qu'on oublie
de parler de ſa profe, qui fuffiroit ſeule pour
le mettre au rang des meilleurs Écrivains.
Ce Difcours Préliminaire contient fur les
langues , ſur le goût , ſur la Traduction , des
idées philofophiques & lumineuſes , préfenrées
avec beaucoup d'art , d'eſprit & de
grâce; le ſtyle en eſt excellent.
La petite Edition in 16, que nous annonnonçons,
eſt jolie; mais une grande Édition
in 4°. qu'on publie en même temps , eſt un
chef d'oeuvre typographique. Le nom des
Didot eſt devenu aufli fameux dans la typographie
que celui de l'Abbé de Lille dans la
poefic.
L'ISLE Inconnue , ou Mémoires du Chevalier
des Gaftines , recueillis & publiés par
M. Grivel, des Académies de Dijon & de
la Rochelle. 4 Vol. in- 12. A Paris , chez
Moutard, Imprimeur Libraire de la Reine ,
rue des Mathurins , hôtel de Cluny.
On ne doit pas mettre au nombre de
ces productions frivoles fi fort multipliées
& fi facilement oubliées , ces Mémoires intéreſfans
dans lesquels l'Auteur nous montre
la vraie origine des Sociétés , les progrès
DE FRANCE. 171
de la civiliſation , le développement des
paffions, les reſſources du beſoin , les créations
de l'industrie humaine livrée à la néceflité.
Ce Chevalier des Gaſtines , Habitant
d'une Ifle deſerte , n'eſt d'abord qu'une
copie de Robinson - Crufoé ; mais lorſque
l'Auteur donne à cet homme iſolé une compagne
, dès- lors la reſſemblance difparoit :
on voit une famille ſe former , s'accroître ,
ſe lier à la terre par l'agriculture ; les membres
de cette famille s'aider , ſe multiplier
ſe diviſer & former une nation ; c'eſt l'hiftoire
du genre- humain. Le principal Acteur
de ces Mémoires s'embarque fur un vaifſeau
Anglois de la Compagnie des Indes ,
pour ſuivre Éléonore d'Aliban , qu'un père
un peu tyran alloit marier dans le Bengale ,
au fils d'un de ſes amis , qu'il ne connoiffoit
pas. A la hauteur des Iſles Maldives , le bâtiment
battu depuis pluſieursjours par la tempête,
échoue fur des rochers ; le Chevalier des
Gaſtines ſauve Éléonore. Ils abordent dans une
Ifle que la nature enrichiffoit de tous fes
dons; ils y forment un établiſſement dont
les détails doivent plaire à ceux qui voudront
connoître tous les moyens d'induſtrie ,
toutes les inventions dont Thomme , livré à
lui- même , peut être capable. Ils trouvent
dans le vaiſſeau nauffrage , mais non détruit ,
les inſtrumens , les matériaux qui leur étoient
néceſſaires pour ſe mettre à l'abri des intempéries
de l'air , & des attaques des animaux ;
ils ont des grains pour enfemencer la terre ,
Hij
172 MERCURE
des animaux pour former une baffe- cour ,
des armes pour ſe défendre ; avec ces ſecours
, la Nouvelle Colonie eſt bien établie ,
& le Chevalier des Gaſtines est heureux. De
fon union avec Éléonore , qu'il avoit méritée
par des épreuves & par des ſacrifices ,
il voit naître une génération nombreuſe qui
lui promet d'être le chef d'un Peuple nouveau.
Les principes de J. J. Rouſſean ſur l'Education
de la première enfance , ſont mis
en pratique par des parens qui veulent avoir
des enfans ſains , robuſtes & courageux : la
courſe, les fauts ,le jeu dudiſque&de la barre,
le mail, la bague, la longue paume, toutes
les parties de cette gymnaſtique qui peuvent
donner de l'afſurance , dela hardieſſe , de la
légèreté, de la ſoupleſſe , furent l'objet de l'émularion
de la petite famille. Le maniement
des armes , l'uſage de l'arc , l'exercice de la
chaffe , de la pêche , & toutes les facultés qui
convenoient à ſon état futur , furent cultivées.
L'Agriculture , le premier des arts , le
fondateur des grandes Sociétés , fut le principal
exercice , le travail eſſentiel des jeunes
habitans de la Colonie. Il faut lire dans l'Ou
vrage les dérails que l'Auteur a cru devoir
y donner , fur la nature des terres , ſur la
différente culture qui pouvoit leur convenir
, ſur le ſoin des prairies , ſur la taille des
arbres , &c . L'éducation morale occupe encore
plus le Chevalier des Gaſtines ; aucun
fentiment , aucun defir , aucune action de
ſes enfans , ne lui étoit échappée ; il lui fut
DE FRANCE.
173
aifé de connoître le caractère de chacun
d'eux , & de les diriger vers les affections
les plus néceffaires à leur bonheur & à l'union
de la Société. Il ne put éviter que les
paffions, qui font toujours amalgamées avec
l'homme , ne troublaſſent ſa tranquillité &
ſes jouiffances. Dans une ſociété où l'intérêt
&l'ambition ne pouvoient avoir aucune activité,
l'amour ſeul devoity porter le trouble.
Un des fils de des Gaſtines , vif, emporté &
amoureux d'une foeur deſtinée à un autre ,
après avoir été tourmenté par toutes les
fureurs de la jaloufie , s'enfuit pour n'être
pas témoin du bonheur de fon frère. En
vain dans la partie oppoſée de l'ifle , avec
un de ſes frères , qui auroit bien voulu partager
ſon fort, il eſt apperçu& pourſuivi par
des Sauvages , qui le forcent à retourner dans
le ſein parernel. Ces Sauvages cherchent
bientôt à découvrir le ſéjour de ces deux
hommes ſi differens d'eux ; de- là , la néceſſité
de ſe défendre, de- là , la guerre auſſi ancienne
que la ſociété; enfin la population augmentant,
il fallut s'agrandir, multiplier les travaux,
deftiner à chaque famille une propriété , donner
à la Société naiſſante , un code qui pût la
gouverner d'abord , & fervir enfuite à une
Légiflation plus étendue & plus analogue à un
peuple nombreux. L'Auteur développe ici
ſes principes fur l'origine des Sociétés , &
croit que la puiſſance paternelle a été le
modèle de l'autorité légiflative & la baſe de
toutGouvernement politique. D'après cette
Hiij
174 MERCURE
opinion , le nouveau Législateur forme une
conftitution convenable à la Société qu'il
crée. Il établit le droit de propriété comme
la Loi naturelle & fondamentale de toute
affociation ; de ce droit dérive la loi de Juftice
, qui défend de violer la propriété. Pour
aſſurer ce droit , il eſt néceſſaire qu'il exifte
une autorité publique. Des principes confti
tutifs de l'ordre ſocial , l'Auteur paffe aux
Loix poſitives qui déterminent l'état du Citoyen
, & qui lui font connoître ſes obliga-
Mons envers la Société; ces Loix ſont ſimples
& précises , parce qu'il est néceſſaire
qu'elles foient à portée de ceux qui doivent
les obſerver. Le nouveau Gouvernement folidement
établi , la Colonie s'eſt enrichie par
la population & par le ſuperflu , les arts ſe
font multipliés , le commerce a pris naifſance
, l'induſtrie l'a étendu , & l'aſſociation
a acquis cette vigueur de conſtitution que
PAgriculture ſeule peut donner , & que de
fages Loix maintiennent.
On peut juger par le coup-d'oeil rapide
que nous avons jeté ſur ces quatre Volumes ,
que M. Grivel a voulu nous donner un
Ouvrage intéreſſant ſous une envelope romaneſque
; qu'en mettant l'homme aux priſes
avec le beſoin , il a montré toutes les reffources
qu'il pouvoit trouver en lui mêmes
qu'en le plaçant à la tête d'une Société , il
a prouvé qu'on pouvoit mettre en pratique
les ſages principes de Légiflation , de pror
priété , d'éducation , qui ont été développés
DE FRANCE.
175
dans des Ouvrages , qu'on a plus critiqués
qu'entendus. Ces détails ont néceſſairement
entraîné des longueurs dont l'Auteur convient
, mais qui étoient indiſpenſables. Cer
Ouvrage que l'amour du bien & le defir
du bonheur focial ont dicté , annonce des
connoiffances étendues , & l'ame vertuenſe
& honnête de celui qui l'a écrit.
PHYSIQUE du Monde , dédiée au Roi , par
M. le Baron de Marivetz & par M.
Gouflier. Tome III , in - 4°. avec des
planches enluminées , & un Dictionnaire
des termes peu uſités. AParis , chez Didot
le jeune , quai des Auguftins ; Cellot , rue
des Grands Auguſtins ; Quillau , Imprimeur
, rue du Fouarre ; Merigot le jeune ,
quai des Auguftins ; Nyon l'aîné , rue du
Jardiner; Barrois le jeune , quai des Auguſtins;
l'Esclapart , Pont Notre- Dame ;
au Bureau du Journal de Phyſique , rue
& hotel Serpente , & chez le ſieur de la
Folfe , Graveur , rue du Petit- Carrousel .
Prix , 18 liv. broché; prix des trois Vol.
avec les Dictionnaires & les Cartes ,
45 livres .
PEU d'Ouvrages, aucun peut-être n'a été
tracé fur un plan auſſi vaſte que celui que
préſente l'Ouvrage dont nous annonçons le
troiſième Volume. C'eſt le ſyſtême mechani
que général & particulier de la Naturs
que les Aureurs ſe propoſent d'expo
176 MERCURE.
fer. Selon eux , toutes les actions de notre
monde , c'est-à-dire, tous les phénomènes
que nous pouvons obſerver , doivent ſe déduire
, avec autant d'évidence que de clarté ,
d'une feule action primitive ; cette action ,
que l'on ne peut attribuer qu'à l'éternel Ouvrier
de la machine de l'Univers , une fois
connue & démontrée , l'Univers n'eſt plus
qu'une montre dont tous les rouages font
foumis à une marche néceſſaire ; on doit en
calculer facilement tous les mouvemens
dans tous les points de l'eſpace , dans tous
les inſtans de la durée ; toujours on peut , ou
defcendre ou remonter l'échelle des caufes
&des effets , & parcourir , fans craindre de
s'égarer , tout l'intervalle entre la cauſe première
& l'effet que l'on ſe propoſe de confidérer.
Nous ne pouvons qu'applaudir au courage
qui a porté les Auteurs vers cette entrepriſe
immenfe; mais , fans vouloir cependant les
effrayer par l'incertitude du ſuccès , nous ne
pouvonsqueprévoirlenombreinfinid'écueils
qu'ils trouveront ſur leur route. Leur marche
nous paroît juſqu'à préſent auffi rapide &
aufli méthodique qu'elle eſt hardie. Le premier
Volume contient le plan de l'Ouvrage ;
ce plan eft deſſiné d'une manière large , il
eſt expoſé avec clarté. On trouve dans ce
Volume un eſſai intéreſſant ſur l'hiſtoire de
la Coſmogonie , & l'analyſe de tous les ſyſtêmes
Coſmogoniques qui ont paru jufqu'à
préſent. On y voit déjà des idées
DE FRANCE. 177
vaſtes , & tout - à- fait neuves , ſur la
cauſe des grandes ſciſſures qui contiennent
les mers , & qui ſéparent nos continens, fur
des périodes d'incalefcence & de refroidiffement
de notre globe ; mais ces périodes
ne font ici qu'indiquées , on ſe reſerve
de les prouver & de les calculer dans la ſuite
de l'Ouvrage.
Le ſecond Volume renferme toute l'aftronomie-
phyſique : rien n'arrête les Auteurs; à
l'aide de leur principe unique , la rotation
du ſoleil , ils parcourent les cieux comme
Théſée , à l'aide du fil d'Ariane , parcouroit
le labyrinthe. Le ſuperbe édifice qu'ont élevé
nos célèbres Aftronomes eſt reſpecté dans ſon
entier; les Auteurs expliquent ſeulement, par
un principe nouveau, les loix de ſa conftruction.
Ce principe les conduit à l'explication
de ce qui avoit paru juſqu'à préſent inexplicable.
Pour répondre à l'objection qui leur a
été faite , que l'hypothèſe de l'attraction fuffiſoit
pour expliquer la phyſique céleste , &
qu'ainſi les Aftronomes étoient affez indifférens
ſur le principe phyſique primitif,
voici comment ils s'expliquent , Tome III ,
Avant-propos , page 13 : " Enfin , pour ré-
>> pondre à l'Aſtronome même , que nous
>>avons ſuppoſe ſi indifférent entre l'hypo-
>> theſe& la réalité, n'avons nous pas prou-
» vé que l'attraction ne rendoit pas raiſon
> des. plus grands mouvemens des corps céleftes
? Pourquoi les planètes tournent-
» elles autour du ſoleil ? Pourquoi tour-
CS
HvV
173 MERCURE
» nent - elles toutes dans le même ſens ?
>>Pourquoi tournent- elles dans le même
" ſens que le ſoleil ? Pourquoi tournent
>>elles dans un ſens preſque parallèle à fon
>> équateur ? Pourquoi tournent elles fur
>> elles- mêmes ? Voila des queſtions à la ſo-
Jution deſquelles ne conduit point l'hypo-
>> thèſe , elle réduit même à la triſte necef
> ſité de les regarder comme inſolubles ;
> nous avons interrogé notre théorie , &
>> toute obſcurité a diſparu. »
En annonçant cette nouvelle théorie
nous ne prétendons point la preſenter comme
démontrée . Ce n'eſt que d'un examen ſevère ,
fait par nos plus ſavans Aſtronomes , par nos
plus illuftres Phyſiciens , qu'elle peut recevoir
ſa ſanction. Les Auteurs de cet Ouvrage,qui ne
paroiffent detiret que la vérité, appellent à cet
examen tous lesSavans, & ils les provoquent
de la manière la plus preffante & la plus honnête
en même tems . Neufpropofitions renferment
toute leur théorie ; ſi l'on démontre la
fauffeté de la déduction d'une ſeule de ces
propofitions , tout le ſyſteme s'écroulera.
Nous defirons , pour l'avantage de la ſeience
, que ce ſyſtème trouve enfin des contradicteurs
, ce n'eſt que du choc des opinions
que peut naître la lumière de la vérité.
Le troisième Volume contient toute la
théorie de la lumière ; On y trouve avec
la plus grande exactitude , & avec la plus
grande clarté , quoique ſommairement ,
les opinions de tous les Savans qui ont
DE FRANCE.
179
précédé. M. le Baron de Mariverz analyſe
enfuite toutes ces opinions , & preſente enfin
une théorie qui s'ecarte de celles de Defcartes
, de Newton, & c. & c. &c. , mais qui
ſe rapproche beaucoup de celle du trèsilluftre
M. Euler. Cette autorité pourroit
prévenir en ſa faveur, ſi dans les Sciences
exactes les autorités pouvoient impofer.
Toute cette theorie ne formant qu'un enſemble
qu'il eſt impofuble, ou qu'il feroit
au moins trop long d'analyſer , nous invitons
les Lecteurs à la ſuivre dans l'Ouvrage
même avec toute l'attention qu'exige une
pareille matière; nous nous permettrons feulement
de dire que l'expofition nous paroît
méthodique & claire , qu'elle est à la portée
des Lecteurs les moins inſtruits , * qu'elle
eſt accompagnée de planches très bien faites
, très faciles à ſuivre , & que , par une
attention qui ne peut être regardee comme
un luxe typographique , l'Auteur les a fait
enluminer. Tous les phénomènes de l'optique
, tous les inftrumens dont ſe lert cette
Science , font repréſentés & décrits avec la
plus grande exactitude .
M. de Marivetz a cru devoir auſſi joindre
à ſes explications phyſiques des confidérations
philoſophiques , afin , dit il , que les
* Les Dictionnaires des termes peu uſités qui
font joints à chaque Volume , rendent l'intelligence
de cet Ouvrage très- facile aux Lecteurs peu familiarifés
avec la langue des Sciences .
:
Hvj
180 MERCURE
deux lumières de notre entendement ſe prêtent
des ſecours mutuels pour éclairer la
route dans laquelle il ſe propoſe de conduire
ſes Lecteurs , route qui doit parcourir tour
le dédale de la nature . L'Auteur traite dans
ce Volume de la nature des ſenſations , des
organes des ſens , & il a placé à la fin un
morceau très intéreſlant ſur la perfectibilité
de ces organes.
Quant au ſtyle , mérite ſur lequel il eſt
plus facile de prononcer, que ſur un ſyſtême
du monde , il paroît que celui de cet Onvrage
a réuni les fuffrages des Lecteurs les
plus difficiles. Un Écrivain qui n'auroit
qu'un ton , laiſſeroit beaucoup à defirer à
cet égard; mais le ſtyle du Systéme du Monde
a la richeſſe&la variété duſujet qu'ont choiſi
les Auteurs.
CHOIX de Pièces du Théâtre François.
Chef d'oeuvres de Dancourt. 4 Vol. in- 12 .
Prix , 8 liv . broc. , 10 liv, rel. A Paris ,
chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques.
4
Ces quatre Volumes ſont une ſuite d'une
Collection commencée par la Veuve Duchefne
, & interrompue pendant quelques
années. L'utilité d'un pareil projet eft facile
à concevoir. Aujourd'hui que les Livres ,
même les bons , font exceſſivement multitipliés
, il ſeroit utile qu'on nous donnật ,
•dans chaque genre de Littérature , de petites
DE FRANCE. 181
bibliothèques pour nous empêcher de nous
noyer dans les grandes. Comme il devient
impoffible de lire tous nos Ouvrages Dramatiques,
les Amateurs feront charmés de trouver
un Recueil qui , ne lui préſentant que des
Pièces revêtues du ſuffrage publie , les mette
à l'abri de perdre un temps toujours cher à
des lectures faftidieuſes.
Les Volumes qui avoient précédé ceux- ci ,
contenoient les chef d'oeuvres de Corneille ,
de Voltaire & de Piron. Ils ont été favorablement
accueillis ; & ceux - ci doivent prétendre
au même ſort. Dancourt, dont les
meilleures Pièces compoſent les quatre Volumes
que nous annonçons , n'a pas fait la
Métromanie , & n'a rien de commun avec
Corneille & Voltaire; mais il a eu des ſuccès
nombreux&mérités ; & il eſt digne d'occuper
une place honorable parmi nos Auteurs Dramatiques.
Un naturel piquant, & une gaîté
ſouvent un peu trop libre, forment le caractère
de ſon dialogue. Il ſe plaiſoit beaucoup
à mettre en Scène les Payſans , & il y réuffiffoit
à merveille. Mais ce qui le diftingue
bien autant que tout le reſte, c'eſt le goût
qu'il avoit pour ce qu'on appelle les Pièces
de Vaudeville , c'est- à- dire , celles dont
une Anecdote du moment fournit le ſujet..
Ce genre eſt affez déſintéreſſé du côté de la
gloire , parce qu'il eſt naturel que de ſems!
blables Comédies meurent avec l'aventure
qui les fit naître. Néanmoins Dancourt avoit
tant d'aptitude à traiter de pareils ſujets,
182 MERCURE
qu'il a fait reſter nombre de ces Pièces- là au
Theatre.
Outre les moeurs villageoiſes , Dancourt
repréſentoit bien au naturel les moeurs bourgeoiſes
& Parifiennes. Il avoit le trait quelquefois
un peu vif, mais toujours plaifant
&gai. Le repertoire des Pièces qu'on joue
encore de lui eſt affez nombreux ; & toutes
celles que renferment ces quatre Volumes
font reſtees au Theâtre , où elles reparoiffent
fort ſouvent. Il ſe trouva en grande rivalité
avec Dufreſny. Celui ci avoit un talent qui
valloit bien celui de Dancourt; mais il avoit
un tort , celui de ne lui trouver aucun
talent ; il vouloit abſolument que Dancourt
fût bête ; ce n'étoit pas-là pour le mo
ment faire preuve d'eſprit.
NÉCROLOGIE.
C'EST acquitter une dette nationale que de
rendre hommage , après leur mort , à ceux
qui , par leur zèle & par leurs lumières, ont
bien mérité de leurs concitoyens. Tel a été
M. l'Abbé, Gros de Beſplas , Docteur de
Sorbonne , Aumônier de MONSIEUR , &
Abbé Commendataire de l'Abbaye Royale
de l'épau. Une mort imprévue vient de l'enlever
à l'âge de 48 ans. Né à Caftelnaudary
en Languedoc , élevé à Paris , il prit l'habit
Eccléſiaſtique , & le fit remarquer de bonne
heure par cette vivacité d'eſprit qui ne proDE
FRANCE. 183
duit quelquefois qu'une frivole amabilité ,
mais que notre jeune Abbé ſut nourrir &
féconder par l'étude. Il montra des talens
qui furent employés avec ſuccès , mais qu'on
ne récompenſa qu'après de longs & pénibles
travaux. Il remplit long temps , avec autant
decourage que de charité , une des fonctions
les plus delicates & les plus effrayantes de
fon mimſtère; celle de ſuivre & d'encourager
dans leurs derniers momens , de rappeler
à la piété ces victimes coupables que
le glaive de Themis immole à la sûreté publique
, & que la Religion , mère tendre & .
compatiffante , veut derober au moins à la
justice divine. Quelle fermeré ne faut il pas
dans ſon Miniftre, fur- tout s'il eſt doué d'une
âme ſenſible , pour conſerver le fang froid
de la raiſon , & la ferveur de la piété , au
milieu d'un appareil qui effraye l'imagination!
Quelle perfévérance infatigable pour
ſe faire entendre d'un infortuné , qui n'eſt
frappé bien fouvent que des apprêts de mort
qui l'environnent ! quel zèle adroit , pour
ramener au repentir un être que la douleur
pouſſe ſans ceffe vers le déſeſpoir , pour l'engager
à pardonner à des hommes qui ne lui
pardonnent point , qui épuiſent ſur lui leur
vengeance!
Tel eſt le pénible & difficile emploi que.
M. l'Abbé de Beſplas exerça long-temps ;
emploi d'autant plus douloureux pour lui ,
que , né avec des moeurs douces & un coeur
ſenſible , il eut fans ceſſe à lutter entre la
184 MERCURE
pitié qui enchaînoit ſes facultés morales ,&
le zèle qui lui faisoit un devoir d'exercer
fon miniſtère. Mais cette ſenſibilité active
Ini rendoit cher l'infortuné dont l'heure
dernière étoit , pour ainſi dire , en dépôt
dans ſes mains ; & ce ſentiment lui donnoit
le courage dont il avoit beſoin pour ſecourir
fa foibleſſe.
Ayant conſacré ſon talent à l'éloquence de
la chaire , il en remplit les fonctions les plus
honorables. Il prêcha devant Sa Majeſté ; &
quoique la rapidité de ſon débit fît perdre un
peu d'effer à ſes Diſcours , il réuffit affez
pour être defiré dans les principales chaires
de la Capitale. Il prononça dans la Chapelle
du Louvre , en préſence de l'Académie Françoiſe
, le Panégyrique de S. Louis. Son Difcours
, qu'on n'imprima point , fut reçu
avec des battemens de mains qui étonnèrent,
vû l'endroit où il étoit prononcé. Mais le
ſuccès le plus flatteur qu'il ait obtenu ,
c'eſt à l'époque d'un Sermon ſur la Cène, qu'il
prononça devant le Roi. Il y eut dans ce Difcours,
un fublime morceau d'éloquence ſur le
mauvais état de nos priſonniers , qui fit une
fi grande impreffion , que nos priſons , rendues
plus commodes & plus ſaines , & l'établiſſement
de l'Hôtel de la Force en furent
les heureux effets . C'eſt en mémoire de cette
glorienſe révolution qu'on grava ſon portrait
il y a quelques mois ; il ſeroit à defirer
qu'on accordât toujours au même prix les
honneurs du burin ; & cette anecdote doit
DE FRANCE. 185
être conſervée dans les faſtes de ſa famille ,
comme un acte d'illuſtration .
Mais il n'avoit pas conſacré ſon talent
tout entier à l'Art oratoire ; ou du moins il
ſe délaſſa de ſes travaux apostoliques , par
des Ouvrages qui tendoient encore au bien
de l'humanité. Outre un Traité de l'Eloquence
de la Chairé, production de ſa jeuneffe
, qu'il retoucha depuis avec plus de
fuccès , il en a fait paroître une autre intrtulée:
Des causes du bonheur public , Ouvrage
plein de bonnes vues politiques &
morales , enrichi de belles & grandes idées ,
& auquel il n'a manqué que d'être rédigé
avec plus d'ordre & de méthode. Nous favons
qu'il étoit occupé de ce travail quand
la mort eſt venu le ſurprendre , preſqu'au
milieu de ſa carrière , & a frappé tous fes
amis de la triſteſſe la plus profonde.
M. l'Abbé de Beſplas poffedoit les dons
du coeur les plus précieux; bienfaifant par
goût autant que par principe , il n'épargnoit
pour être utile ni ſes démarches ni fontems ,
perfuadé qu'une bonne action vaut toujours
mieux qu'un bon ouvrage ; il ſembloit qu'il
regardât comme des bienfaits les occafions
qu'on lui offroit de repandre les fiens.
L'eſprit qu'il portoit dans le monde étoit
un mélange aimable de vivacité & de douceur;
il ſavoit y plaire ſans ſcandale , & être
décent fans pédanterie; c'étoit cette ſérénité ,
cette gaîté douce , compagne d'un coeur honnête&
content de lui-même. Il vivoit dans la
186 MERCURE
plus heureuſe union avec trois frères eſtimés
pour leurs qualités perſonnelles ,&qui méri
toient de le poffeder plus long temps.
L'Auteur de cet article étoit lie avec lui
par les noeuds de l'amitié. Il ne craint point
que cet aveu le faſſe accuſer d'exagération
par ceux qui ont connu M. l'Abbé de Befplas.
Il est bien sûr , en écrivant cette notice,
de n'avoir pas été au delà de la vérité;
auffi fon expreſſion eſt elle reſtée bien audeſſous
de ſes ſentimens.
1
( Cet Article est de M. Imbert. )
SCIENCES ET ARTS.
:
PARMI
SCULPTURE.
ARMI les Ouvrages de Scupture expoſés cetre
année au Salon du Louvre , on a oublié de parler
dans le dernier Mercure de différens morceaux de
M. MONNOT, qui font le plus grand honneur à ſon
génie & à ſon talent. Il nous paroît un des Artiſtes
qui a le mieux fenti les effets de ſon Art , dont le
ciſeau rend la nature avec le plus de ſenſibilité. On
diftingue entre- autres une figure en plâtre repréſentant
un Vidimaire qui attend l'ordre du Sacrificareur
pour immoler la victime. Beau choix de nature
, vivacité d'expreffion , bel accord dans l'enferm
ble , hardieffe & pureté de deſſin , voilà ce qui caractériſe
ce bel Ouvrage. Les buftes en marbre de
M.le Comte & de Madame la Comteſſe de Ségur ,
fontde la plus ſavante exécution & d'une reffem
DEFRANCE. 187
blance parfaite. On croit encore entendre le célèbre
Père Elifée , déployant ſon zèle apoftolique dans la
chaire de vérité: c'eſt lui- même , il eft parlant. Cuoi
de plus aimable, en même-temps de plus frappant ,
que leBuſte en marbre de Mgr. le Duc d'Angoulême
? Mais ce qui ſurprendra le plus , c'eſt que M.
Monnot ait rendu avec tant de vérité , de nature , &
avec autant de grâce que de nobleſſe le Portrait du
Prince Royal de Prufſe , qu'il n'ajamais vû , n'étane
guidé que par une miniature , ou plutôtpar les traits
de ſouvenir des perſonnes de la Cour de ce Prince ,
amateur des Arts , & protecteur de l'Aruſte qui s'eft
montré ſi digne de le repréſenter.
ANNONCES ET NOTICES,
ATLAS Ecclésiastique , Littéraire , Civil, Potitique
, Militaire & Commerçant de la France & du
Globe,divisé par Tableaux & Cartes coloriés , ou
Étrennes portatives , uti'es & agréables , pour l'année
1784 , format in- 24 , avec Approbation & Privilége
du Roi . A Paris , chez Beauvais , maiſon de M.
Lambert, Imprimeur - Libraire , rue de la Harpe ,
près S. Côme ; Froullé , Libraire , Pont Norre-Dame.
LebutdecesÉtrennes , qui n'ont pas encore paru ,
eſtdepréſenter au premier coup- d'oeil , & dans l'or
dre le plus clair , tous les détails que l'on a droit
d'attendre de leurs diviſions. Elles ſont compofées
des cinq Tableaux ci-après indiqués , contenant les
noms , rargs , dignités , réceptions , &c. &c. de
to tes les perſonnes qui compoſent les cinq Ordres de
PÉtat. Le premier tableau préſente la France Eccléfiastique
& Littéraire ; le ſecond , la France Civile ;
le troiſième , la France Politique ; le quatrième , la
France Militaire ; le cinquième , la France Com
188 MERCURE
merçante. Derrière chaque tableau eſt une Carte
Géographique , lavée à la manière des Plans , autour
de laquelle règne la deſcription ſommaire des pays
qu'elle renferme , leurs qualités , leur climat , &c.
Ces Cartes font : la Mappe- Monde , la France .
l'Europe , l'Afie , l'Afrique , l'Amérique Sept. &
Mérid. MM. les Commandeurs des Ordres Royaux
&Militaires de France ſont indiqués dans cet Ou-
Vrageavec leurs Cordons coloriés , ainſi que les Uniformes
des Troupes. Le tout eſt précédé d'un Calendrier
, contenant , outre les choſes ordinaires , les
Curioſités de Paris & des environs , les principales
Foires de France , jour par jour , ce en quoi elles
confiftent , & leur durée & franchiſe. Le prix eſt
de 30 fols broché.
-
L'Auteur ſe propoſe de donner chaque année une
fuite à cetOuvrage.
HISTOIRE des progrès de lapuiſſance Navale de
l'Angleterre , avec des Obfervations fur l'Acte de
Navigation , & des Pièces Justificatives , 2 vol.
in-12.
CetOuvrage , dont l'objet eſt très-important dans
les circonstances préſentes , a été imprimé dans les
PaysÉtrangers , & loin de l'Auteur , qui n'a pu empêcher
qu'il ne s'y gliſsat bien des fautes. Quand
elles auront diſparu dans une autre Édition , nous
rendrons compte de cette Hiſtoire , écrite avec affez
d'exactitude & d'impartialité , pour mériter le ſuffrage
des deux Nations rivales que la paix vient
de réunir.
:
VERS à Madame Lebrun , de l'AcadémieRoyale
de Peinture , fur les principaux Ouvrages dont elle
a décoré le Sallon cette année , par M. de Miramond.
A Paris , chez Gueffier , Imprimeur - Libraire , au
basde la rue de la Harpe.
DF FRANCE. 189
Ces vers rappellent les principaux Ouvrages de
Mme Lebrun , dont l'éloge eft amené tantôt avec
adreſſe , tantôt avec chaleur. La Poésie ne ſe compromet
pas à célébrer la Peinture ; ce font des louanges
qui ne fortent point de la famille ; & l'Auteur
ne pouvoit mieux faire que de choifir pour l'objet de
ſes éloges les charmans Ouvrages de Mme Lebrun.
Au reſte , il écrit avec eſprit & facilité. Voici ce qu'il
dit du portrait de la Reine:
Si le trône embelli t'offre un digne modèle ,
Que des traits enchanteurs font bientôt reconnus !
Al'orgueil d'Alexandre il falloit unAppelle ;
C'eſt Lebrun qu'il faut à Vénus.
Le Triumvirat des Arts , ou Dialogue entre un
Peintre , un Muficien & un Poëte , ſur les Tableaux
expoſés au Louvre ,' année 1783 , pour ſervir de
continuation au Coup de Patte &à la Patte de velours.
Prix , I liv. 4 fols. Aux Antipodes , & ſe trouve
chez les Marchands de Nouveautés,
Cette Brochure eſt faire avec eſprit , & l'Auteur
y parie ſouvent de la Peinture en homme qui fait
apprécier les Ouvrages de ce genre. Nous aurions
defiré quelquefois un peu plus de ménagement dans
ſes expreſſions ; en un mot , nous avons cra y voir.
plusde coups depatte que depattes de velours.
OEUVRES de Plutarque , traduites du Grec par
Jacques Amyot. Tome neuvième. A Paris , chez
Jean- François Baſtien , Libraire, rue S. Hyacinte ,
la première porte- cochère à droite en entrant par la
Place S. Michel.
C'eſt ici la quatrième Livraiſon des OEuvres de
Plutarque , & elle ne le cède en rien pour l'exécution
Littéraire & Typographique aux volumes précédens.
C'eſt le Tome neuvième de la Collection & le ſe
190 MERCURE
cond des OEuvres morales. Sous un mois, on recevra
le troiſième volume des Hommes Illustres , qui
ſera le troiſième volume de la Collection , & la
cinquième Livraiſon .
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuses de tous les
Peuples du monde, en 15 Livraiſons in -folio , qu'on
pourra faire relier en 4 vol.
La onzième Livraiſon eſt actuellement en vente ,
& ſe paye to liv . On prie les souſcripteurs de faire
retirer les Livraiſons à fur & à mesure qu'elles fe
diftribuent ; le Libraire ne promet pas de compléter
ceux qui auront négligé de les retirer. On peut
s'adreſfler encore peur cet Ouvrage , dont il ne reſte
que très -peu d'exemplaires , à Raris , chez Lapórie ,
Libraire , rue des Noyers , & en Province , chez les
Libraires les mieux affortis. La dernière Livraiſon
de cet Ouvrage paroîtra en Décembre prochain.
TRAITĖ Pratique de la Confervation des Grains,
des Farines & des Etuves Domestiques , avec
Figures ; avec des Notes & Observations fur
l'Agriculture & la Boulangerie , par César Bucquet ,
ancien Meûnier de l'Hôpital-Général de Paris Prix,
3 liv. A Paris , chez Onfroy , Libraire , rue du
Hurepoix ; & Belin , rue St. Jacques .
Le titre de cet Ouvrage en annonce l'utilité ; &
l'expérience de l'Auteur dans cette ſcience , doit
fairebien augurer des Principes qu'il renferme. Nous
aurions ſeulement defiré qu'il eût traité avec plus de
ménagement deux Chimiſtes connus par leurs lumières
& par leur amour pour l'humanité. L'ouvrage
eſt divifé en deux Parties , dont la feconde ſe vend
ſéparément I liv. 16 fols.
On trouve chez les mêmes Libraires & par le
même Auteur , le Maruel du Meûnier. Prix , 3 1.
DE FRANCE.
191
CARTE des environs de la Mer Noire, où se
trouvent l'Ukraine , la Petite Tartarie , la Circaffie ,
la Géorgie & les Confins de la Ruffie Européenne &
de la Turquie , par M. Delamarche , Géographe ,
1783. Prix 2 liv. 8 fols. A Paris , chez les Sieurs
Fortin & Delamarche , ci- devant rue de la Harpe ,
actuellement rue du Foin S. Jacques , au College de
Me Gervais .
CetteCarte eſt dreſſée d'après de nouvelles Cartes
manufcrites pour les opérations actuelles & la connoiſſance
exacte des lieux , avec les écueils , courans ,
bancs de fable , &c .
QUATRIÈME Cahier de Têtes de différens caractères,
deſſinées par J. B. Greuze , Peintre du Roi.
Prix , 1 liv. 4 fols chaque A Paris , chez Levellier ,
rue des Vieilles Étuves Saint Honoré , maiton d'un
Boutonnier
Les ſix Têtes qui compoſent ce quatrième Cahier,
font deſſinées avec beaucoup d'expreffion ; ce qui
n'étonne point , dès qu'on fait qu'on les doit au
crayondu célèbre M. Greuze. Les caractères en font
très-variés , & l'on doit des éloges au burin foigneux
de M. Letellier , qui en a rendu fidèlement les divers
effets.
SIX Sonates pour Violoncelle ou Violon & Baffe,
par M Bréval . Prix ,7 liv. 4 fols ; OEuvre douzième .
A Paris , chez l'Auteur , meine adreſſe que cideſſus.
Le nom de M. Bréval eſt fait pour donner une
idée avantageuſe de ces deux OEuvres .
RECUEIL d'Ariettes choifies , avec accompagnement
de Guittare , & trois Airs connus variés
dédié à M. de Cournol par M. Alberti , OEuvre
quatrième. Prix , 4 liv. 4 ſols. A Paris , chez Guil
,
192
MERCURE
laume , Luthier , Marchand de Muſique , rue de
Beaune ; & Mlle Girard , rue de la Monnoye. On
trouve dans ce Recueil une fingularité; il contient un
Air, dont les Paroles & la Muſique ſont de l'Editeur,
&un autre , dont M. de Cournol , à qui le Recueil
eſt dédié , a fait pareillement les Paroles & la Mufique.
Ce dernier nous a paru fort joli , fur-tout pour
lesParoles.
ERRATA. Dans le dernier Mercure , Article Fontenellejugé
par ſes Pairs , page 120 , ligne 22 : Et
Histoire , comme on Jait, n'est point de Fontenelle
: lifez : Et cette Hiſtoire , comme on fait , n'eſt
point , en entier , de Fontenelle,
cette
,
Voyez, pour les Annonces des Livres de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture,
TABLE.
AMme la Princeſſe de Cra-1 vers François ,
covie , 145 L'Isle Inconnue ,
A Ml'ede Saint P** , 146 Physique du Monde ,
Vers à Rofe ,
Erençois ,
Fable, 149 Sculpture,
151
170
175
147 Choix de Pièces du Théâtre
Lemoment de la Recette , ibid.
L'Automne & le Printemps , Nécrologie ,
Enigme& Logogryphe , 150 Annonces &Notices ,
LesGeorgiques de Virgile , en
APPROBATIΟΝ.
180
182
186
187
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Septmbre . Je n'y ai
rien trouve qui puiffe en empêcher l'impreffio.nAParis,
le 22 Septembre 1783. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 30 Août.
L
ES Loix fomptuaires établies par les Ordonnances
qui ont paru , ily a quelque
temps , ne font pas obſervées auffi exactement
qu'on ſe le promettoit. Le luxe eſt une
épidémie qui ſe propage aisément , & à laquelle
il n'eſt pas toujours facile de s'oppofer
; peut-être , quoi qu'on en dife , eſt - il
néceſſaire dans un Etat monarchique.
Le Roi vient de donner encore de nouvelles
preuves de ſes ſoins paternels pour le
bonheur de ſes peuples & l'avantage du commerce
, en avançant une ſomme de 100,000
rixdalers à une des principales maiſons commerçantes
du Royaume , & une autre de
20,000 à un Marchand de cette ville.
Les habitans des trois villages ſitués aux environs
de cette Capitale , pénétrés de reconnoifſance
pour les bienfaits du feu Miniſtre Comte
deBernstorff dont ils dépendoient , & qui les af
franchit de la ſervitude de la glebe & encoura
N°. 39. 27 Septembre 1783 . g
( 146 )
gea leurs cultures , ont fait exécuter à leurs frais
un monument qui a été érigé avant hier avec
beaucoup de cérémonies dans les champs deGientoff
, près du chemin qui conduit au Château
royal de Friedensbourg. C'eſt un obéliſque de
marbre de dix aunes de hauteur , ſur les deux
faces duquel il y a une Inſcription Danoiſe &
une Latine conçue ainſi : Diis manibus Johannis-
Hartvici-Ernesti Comitis de Bernstorff, qui arva
deferta immunia hereditaria largiendo induftriam
opes omnia impertiit , in exemplum pofteritati 1767.
P. SS. grati Coloni 1783 .
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 30 Août.
-- Le Roi a dîné Dimanche dernier chez le
Comte de Stackelberg , Ambaſſadeur de
Ruffie,&l'on ne remarque point que l'entrée
des troupes de cette Puiſſance ſur les terres
de la République , quoiqu'elle ait d'abord
donné lieu à des repréſentations , ait des ſuites
ultérieures.
Suivant des lettres de la Moldavie , les
Turcs viennent de raſſembler à Brahilow
tout ce qui est néceſſaire pour conſtruire
un pont debateaux ; on dit cependant qu'ils
tranſporteront leurs pontons à Sewerin,& que
c'eſt de ce côté qu'ils jetteront un pont ſur
le Danube. Quoi qu'il en ſoit , les habitans
de la Moldavie &de la Valachie ſe flattent
encore que l'on pourra détourner l'orage.
Selon les dernieres lettres de la premiere
de ces Principautés, le nouvel Hoſpodar
Drako-Suzo n'y étoit pas encore arrivé ,&
(147 )
on ſe promettoit beaucoup de ſon gouver
nement. !
Le Comte de Mniszech , ci-devant Maréchal
de la Cour de Lithuanie , actuellement
grand Maréchal de la Couronne , a déja fait
pluſieurs réglemens relatifs à ſa jurisdiction ;
on aſſure que dans peu il fera promulguer
quelques nouvelles Ordonnances pour la
police de cette Capitale.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 6 Septembre.
L'Empereur a dû quitter le 3 de ce mois
le camp de Moravie pour ſe rendre à celui
de Prague; on dit que pendant ſon ſéjour en
Bohême , S. M. I. donnera l'inveſtiture à
pluſieurs de ſes vaſſaux , & que delà Elle ira
viſiter les fortereſſes que l'on éleve ſur les
frontieres de ce Royaume.
L'accommodement dont on eſpéroit le
ſuccès avec l'Archevéché de Paſſau , ſouffre ,
dit- on , de grandes difficultés ; & quelques
perſonnes prétendent même qu'il eſt rompu.
Selon le terme de cet accommodement ,le
Prince Evêque devoit renoncer à la partie
de ſon Dioceſe qui s'étendoit dans la baſſe
Autriche , & à celle de la portion de laBa
viere nommée l'Inathal ; il devoit conſentir
à payer 150,000 florins à titre d'indemnifation;
mais il a refuſé la redevance annuelle
de 50,000 florins , & la ceſſion de la Seigneuriede
Guttenbrunn qui lui avoient été
demandées, Si cela eſt , la Diete de Ratis
82
( 148 )
bonne va continuer à s'occuper de cette
affaire.
La réforme générale des Couvens a été
arrêtée de la maniere ſuivante. Il n'en reſtera
dans toute la baſſe Autriche que so , compoſés
de 578 Religieux , dont 286 à Vienne.
On abolira fuccellivement 38 Couvens , &
huit à la fois. Dans ce nombre feront les Religieux
de S. Paul , premier Hermite , les
Trinitaires , les Freres de la Miféricorde , les
Carmes preſque en totalité. Les Capucins de
la ville ferontincorporés à ceux du fauxbourg.
DE HAMBOURG , le 9 Septembre.
Les nouvelles des frontieres de la Pologne
&de celles de la Turquie préparent toujours
à une guerre prochaine & inévitable ; les
préparatifs continuent de tous côtés fans re-
Lache. Les Turcs , quoique juſqu'à préſent ils
aient témoigné le defir de conſerver la paix ,
qu'ils aient même , dit-on , envoyé à Pétersbourg
la ratification du traité de commerce
conclu à Conftantinople le 21 Juin , & que
l'Impératrice de Ruffie ait envoyé les préſens
d'uſage aux Miniſtres Ottomans , n'ont
point diſcontinué les leurs.
CC Il ne ſe compoſe point de papier nouvelle
dans cette ville , écrit- on de Conſtantinople en
date du 10 Août; on y voit même rarement une
gazette étrangere. Nous ne ſommes inſtruits de
ce qui ſe paſſe & ce qui ſe dit chez les peuples
qui nous appellent Infideles , & auxquels nous
rer.dons bien ce nom injurieux , que par des lettres
dont nous ſouhaitons que les auteurs foient
misax informés des affaires de leur pays qu'ils
ne paroiſſent l'être des nôtres. Selon ces lettres,
: ( 149 )
nos vaiffeaux armés montentà peine à 35 de dif
férentes grandeurs; les préparatifs que nous fai
fons ont un autre but que la guerre ; notre Gouvernement
eſt dans une apathieſemblable à celle
que l'on reprochoit à cet Empereur Romain , qui fir
la réponſe ſuivante àceux qui lui annonçoient que
l'Egypte étoit révoltée : he bien ne faurions - nous
vivre fans le linge d'Egypte ? Rien n'eſt plus cer
sain , qu'au lieu de 35 vaiſſeaux armés , nous
en avors 70 , non tous de ligne àla vérité , mais
de différentes forces ; que nos préparatifs ont
bienun autre but que de faire une vaine paradę
des forces de cet Empire ; que notre Gouverment
eſt bienéloigné de l'état de léthargie où se trouva
Gallien lorſqu'il apprit que les Scythes & les Illy
riens, &c. lui enlevoient ſes plus belies provinces.
Juſqu'à préſent les vaſtes préparatifs qui
ſe font par-tout n'ont point encore été employés
; on ignore s'ils le feront ; on ne fait
pas davantage le parti que prendra la Mai
ſon d'Autriche qui en afait de conſidérables ;
&dont la treve avec l'Empire Ottoman n'expire
point dans ce mois , comme l'ont dit
preſque tous les papiers , puiſque cette treve
de trente ans a été convertie en définive.
On a garni les bords du Danube de redoutes
& de poſtes qui correſpondent les
uns aux autres. Les mêmes précautions ont
été priſes ſur les bords de la Save,où de cent
pas en cent pas il y a fix foldats & un bas
Officier , & de diſtance en diſtance des piquets
qui fourniſſent aux gardes avancées.
Le bruit qui s'étoit répandu que l'Empereur
auroit une entrevue avec le Roi de
Pruſſe , ne paroît pas ſe confirmer ; S. M.
85
( 150 )
Pruſſienne arrivée le 25 Août Breflau y a
paffé en revue les troupes qui y étoient ,&
les a fait manoeuvrer juſqu'au 29 qu'Elle en
eſt partie pour le camp de Bettlern où Elle
a dû reſter trois jours ,&retourner enſuite à
Potsdam,où Elle a dû arriver le 2 de ce mois.
S'il faut en croire des avis de Péters
bourg, l'Eſcadre Ruſſe qui a mouillé fi long
temps à Cronſtadt , en a appareillé le 18 du
mois dernier ; mais fon objer n'eſt pas encore
de ſe rendre dans la Méditerranée ; elle
ſe contentera de faire une croiſiere dans la
Baltique. Depuis qu'on en a déſarmé 2 Vaiffeaux
pour en envoyer les matelots fur la
mer Noire , elle n'eſt plus que de neufVaifſeaux
de ligne , trois Frégates & cinq Bâtimens
plus petits.
Dans la ſituation actuelle des choſes , au
moment où la guerre eſt prête à éclater entre
la Ruffie & la Porte , on ne ſera pas
fâché de trouver ici quelques détails ſur la
précédente.
Tel étoit l'état des forces Rufſes en 1768
& 1769 au commencement de cette guerre.
Ils avoient au nord une grande armée de
107,090 hommes ; l'armée d'Ukraine de 49,900 ;
les Calmouks du Don faiſant 30,000 hommes ;
les forces du Prince Héraclius 42,000 ; celles de
Leskis 12,000. Total 231,900 hommes. - Au
midi ils avoient les forces des Montenegrins au
nombre de 30,000 ; ce qui portoit leurs armées
de terre à 201,900 hommes. -Les forces de
mer confiſtoient en 3 eſcadres , celle de Roman
ow étoit compoſée de 13 vaiſſeaux de ligne ,
3 petits bâtiments , 60 pieces de campagne ,
( 151 )
8910matelots, 1600 foldats .-Celle d'Elphint
ton avoit 8 vaiſſeaux de ligne , 39 petits bâtiments
, 3960 matelots , & 860 foldats. Celle
du Don étoit de 65 bâtimens , 1045 canons ,
&12409 Matelots & Soldats. Les troupes de mer
de la Ruſſie montoient à 27,730hommes.- Les
Turcs oppoſerent à ces forces 3 grandes armées ,
l'une en Pologne , l'autre en Ukraine , & la troiſieme
du côté d'Aſtracan. On forma des magaſins
le long du Danube , & l'on fit avancer la
principale armée vers Choczim pour paſſer le
Dnieſter aux environs , & ſe jetter ſur la Podolie
& la Volhinie , tandis que le Kan des Tartares
eut ordre d'envahir l'Ukraine. Quand l'armée
turque paſſale Danube , elle étoit preſque
de 300,000 combattans & au nombre de 400,০০০
ames. Dès le mois de février , Krim-Gherei ,
Kan des Tartares , perça les lignes ruſſes , pénétra
dans la nouvelle Servie , dont il brila
toutes les maiſons , emmena 14,000 familles captives
, prit 100,000 têtes de bétail , brûla 184
villes , bourgs & villages , & ſe retira , malgré
les Ruſſes qui lui livrerent une ſanglante bataille,
dans laquelle il eut l'avantage , puiſqu'il emmena
ſonbutin. Cette expédition lui couta la vie ;
il mourut à ſon retour de ſes fatigues. C'étoit
un Princed'un grand mérite , connoiſſant l'hiftoire
& les intérêts politiques de toutes les nations
de l'Europe ; il aimoit les étrangers , & fe
prêtoit avec une patience finguliere à l'embarras
de ceux qui commençoient àparler ſa langue ;
les Turcs firent en lui une perte irréparable.
Leur armée n'arriva à Andrinople que vers la
fin d'avril . Le Prince de Galitzin battit Caraman-
Pacha le 30 avril, le pouſſa ſous les murs de Coczim,&
repaſſa le Dnieſter avec précipitation , ſans
profiter de ſon avantage. Le Grand - Seigneur
regarda cette retraite comme une victoire ; il
g4
( 152 )
ſe rendit à la Moſquée pour en remercier le
ciel , & reçut de l'Iman le titre de Gazi ( Conquérant
) ; ſur ces entrefaites , le Général Romanzov
ayant attaqué ſous le canon d'Oczakow ure
petite armée turque, fut repoufié avec beaucoup de
perte. Cependant le Prince de Galitzin ayant
repaffé le Dnieſter , affiégea de nouveau Choczim
& fut obligé d'en lever encore le fiege &
de repaſſer le fleuve ; il perdit dans cette occafion
30 canons & plus de 3000 hommes ; il
fut pourſuivi par les Turcs en Pologne , il les
obligea de retourner au - delà du Dnieſter. Le
Grand- Viſir fut alors déposé. Moldovanhi-Ali-
Pacha , homme violent , lui ſuccéda; il fit paſſer
le Dnieſter à l'élite de ſes troupes , & il les
perdit ; le 9 ſeptembre il eſſaya de paſſer de nouveau
ce fleuve,& fut défait encore ; enfin l'armée
zurque , indignée contre ſon Viſir , déſerta , &
laiſſa Choczim , dont 230 Grenadiers Ruſſess'emparerent.
L'armée turque ſe retira de l'autre côté
du Danube , &GregorioGikou livra aux Ruſſes
la Valachie & la Moldavie . Le Grand-Vifir fut
dépoſe , & Romanzow n'oſa cependant pénétrer
bien avant dans les provinces ouvertes par ladé
fection de l'armée turque.
Tel eſt le précis que nos papiers offrent
de cette premiere campagne , qui couta
beaucoup en hommes & en argent à la
Ruffie , & qui ne produiſit d'autre avantage
que la priſe de Choczim .
Labibliotheque militaire , ouvrage périodique
, qui s'imprime à Hanovre , porte à
deux millions d'hommes la totalité des armées
en Europe ; un de nos ſpéculateurs a
préſenté à ce ſujet les réflexions ſuivantes.
>> En ne comptant qu'à une livre tournois
l'ouvrage que ce nombre de foldats pourroit faire
en un jour, voilà 2 millions perdus pour l'a
( 153 )
griculture , l'induſtrie & le commerce ; ajoutezy
un demi-million pour leur paio, habillement ,
&c. , à 5 ſols par jour , cela forme par an un
total de 912,500,000 liv. ; en ne comptant parmi
eux que 5000,000 célibataires capables de procréer
chacun 2 enfans , c'eſt un million d'hommes
enlevés à la population. Les Moines , les
Prêtres qui vivent dans le célibat , les valets
inutiles & trop nombreux , les gens de mer , &c .,
forment une autre maſſe de dépenſe &de perte
qui pourroit être diminuée. Les lecteurs ſenſibles
feront des voeux pour que les Souverains de
l'Europe ſe réuniſſent pour aviſer entr'eux les
moyens d'épargner les hommes & l'argent. Ce
n'eſt que par un accord mutuel & au moyen de
quelqu'objet qui les réuniſſent tous , qu'ils pourront
parvenir à faciliter ſur le ſol ingrat de
P'Europe la réprodution de l'eſpece humaine ;
peut-être l'Amérique procurera-t - elle un jour
ce bien à l'Europe , en établiſſant l'émulation ,
peut- être n'aurons - nous pas d'autre moyens de
ne pas être écrasés par elle que l'économie ;
elle n'a que peu de troupes à entretenir , peu
de fortereſſes à garder peu de Puiſſances & d'intérêts
divers : le mal d'un petit Prince de l'Empire
met ſouvent l'Europe en combustion. Les
Caciques qui commandent les nations ſauvages
de l'Amérique quittent ce monde , ſans qu'on
puiffe s'en reſſentir à Philadelphie.
ITALIE.
DE NAPLES , le 23 Août.
Il s'eſt élevé à Scanno une conteſtation
entre les Peres Conventuels & le Curé de
ce lieu , au ſujet des enterrenmens des Religieux
que le dernier réclamoit. Le Roi a
décidé qu'il ne feroit que ſe rendre au Cou
$ 5
( 154 )
vent pour benir le cadavre , & l'accompagner
dans l'Egliſe du Monastere , & qu'il
laiſſeroit aux Religieux le ſoin des autres
cérémonies eccléſiaſtiques , & celui de lui
donner la ſépulture. Cet arrangement a déja
été preſcrit dans d'autres endroits ſur des
difficultés ſemblables , & S. M. a ordonné
qu'il feroit ſuivi généralement dans ſes Etats.
Le projet de déplacer les deux Statues équeſ
tres qui font face au Palais Quirinal , & un des
principaux ornemens de la place , écrit-on de
Rome , dans le deſſein d'élever entr'elles l'obéliſque
trouvé l'année derniere dans les fondemens
de S. Roch , n'eſt pas d'une exécution
facile ; il s'agit de remuer les piédeſtaux entiers
, & de les tourner. Ces mafſes ſont compoſées
de pierres liées enſemble , & peuvent ſe
Téparer par l'effort ; l'Architecte Antenori qui
eft chargé de ce travail , après avoir préparé ſes
cabeſtans , ſes leviers & ſes cables , en a fait
P'eſſai le 19 , en préſence d'une foule innombrable
, attirée par la curiofité , & du Pape luimême
qui étoit à une des fenêtres du Palais . Cet
efſai n'a point réuſſi , tous les cables ont rompu
après trois quarts-d'heure d'effort ; le piédeſtal ,
autour duquel on les avoit diſpoſés eſt reſté immobile.
On compte le renouveller inceſſamment
; mais on craint que , loin de contribuer
à l'embéliſſement de la place , comme on ſe le
propoſe , cette entrepriſe ne cauſe la perte des
deux pieces qu'on veut déplacer , & qui peuvent ,
ſi l'on parvient à ébranler les piédeſtaux , s'écrouler
avec eux.
Le Duc de Cafacalenda , veuf depuis
quelque temps , déſire épouſer une foeur de
ſa défunte femme ; pour cela il a beſoin de
( 155 )
diſpenſes de la Cour de Rome , & il ne peut
y recourir ſans en avoir l'agrément du Roi.
Le Duc de Campolieto ſon pere s'oppoſe
au projet de ce ſecond mariage. S, M. avoit
chargé la Chambre royale d'examiner cette
affaire , & de lui en rendre compte. Cette
Chambre avoit déjà décidé qu'on pouvoit
permettre au Duc de Caſacalenda de s'adreſſer
au Saint-Siege ; mais ſur les repréſentations
de l'Avocat de la Couronne , le
Roi a ordonné que cette affaire fut examinée
de nouveau.
ANGLETERRE.
DELONDRES , le 16 Septembre.
Les nouvellesdel'Amérique Septentrionale
recherchées aujourd'hui avec moins d'impatiencene
ſont peut-être pas moins intéreſſantes
qu'autrefois; ceux qui ont vu les efforts d'un
pays luttant contre l'oppreſſion , & travaillant
à ſon indépendance , ne peuvent être
fans curioſité ſur le premier uſage qu'il en
fait à préſent qu'il l'a obtenu. On a vu les
divers Etats partagés d'opinion ſur la forme
fédérative , & notamment ſur le plus ou le
moins de pouvoir , à donner au Corps repréſentatif
de l'Union , s'accorder preſque
généralement ſur le danger qu'il y auroit à
rétablir dans leurs droits & leurs poffeffions
les loyaliſtes fugitifs & expatriés , & fur la
néceſſité de maintenir le crédit public , &
de pourvoir au paiement des créanciers de
la République , ainſi qu'à celui de l'armée
g 6
( 156 )
Le premier objet a été réglé preſque de la
même maniere par- tout. Quant au ſecond ,
les aſſemblées particulieres ont fini , après
quelques difcuffions , par adopter une mefure
auffi utile& auffi intéreſſante ; pluſieurs
ont autoriſé les Etats-Unis aſſemblés en Con
grès à lever certains droits pour remplir ce
grand objet. Rhode-Iſland , qui a été avec
la Virginie l'état qui s'eſt d'abord le plus oppoſé
à revêtir le Congrès de ce pouvoir ,
a fini par céder ; il craignoit que leCongrès
n'en abusat , & qu'il ne ſurprît par degrés la
ſouveraineté individuelle de chaque Etat. On
adû remarquer que toutes ces difcuffions
ſur le ſyſtême politique de l'union Américaine
, n'avoient rien ôté au bien-être des
citoyens des Etats reſpectifs , & les lettres de
divers endroits de cette partie du monde
n'offrent que le tableau des avantages que
l'indépendance & la paix ont aſſurés.
Les bénédictions de la Paix, lit- on dans une
Lettre de Boſton , ſont viſibles par-tout fur ce
Continent , excepté à New-York & à Halifax.
Notre Port eſt rempli de Vaiſſeaux : L'on y voit
flotter huit Pavillons différents . Il ne ſe paſſe point
de jour , qui n'y amene , ou dans quelque autre
Port des Etats-Unis , dix ou douze Cargaiſons.
Les Productions des divers Etats paſſent & repaſſent
par eau ; & tout honnête Citoyen a l'aiſe
&lafatisfaction peintes ſur le viſage. Nous avons
une quantité étonnante de Marchandiſes Angloiſes:
dans ce Pays : New-York eſt un Magaſin continuel
d'un bout à l'autre. Aufſi , par la grande
abondance de ces Marchandiſes , elles ſe vendent
au prix qu'elles ont coûté enAngleterre ; Celui
( 157 )
des Proviſions tombe également ; & il n'exiſte
plus de beſoin d'aucun objet de cette eſpece.
Je ſouhaiterois très- fort , que le bon Peuple de
Hollande eût autant lieu de ſe louer de la Paix
que nous . Les Torys font vraiment miférables.
New-York offre à cet égard une ſcene de
détreffe , dont il ſeroit difficile de trouver la
pareille , vu que la plupart des Etats ont porté
des Loix très - expreſſes pour leur fermer le retour
à jamais. Le Général Carleton fait des préparatifs
pour évacuer New York ; mais l'on penſe
que cette évacuation n'aura pas lieu avant l'Automne
, attendu qu'il faudra une Flotte énorme
de Tranſports pour le paſſage des Troupes & des
Munitions , for-tout d'un auffi grand nombre de
Torys . L'Armée a reçu un congé pour un
temps illimité ; & notre illuſtre Général ſe retire
avec autant d'honneur que jamais mortel
en a acquis Au lieu d'Illuminations & de Réjouiſſances
publiques , l'Etat de Maſſachusetts a
recommandé un Jour folemnel d'Actions de graces
: Quoique les événemens politiques ne doivent
gueres étre mêlés avec la Religion , il y a cependant
de la décence & même de la dignité
dans cette recommendation. En effet , le bienêtre
, dont nous jouiffons par la Paix , mérite
toute notre gratitude : mais il s'écoulera encore
au moins deux ans , avant que nous puiſſions
faire affez d'argent de nos Productions pour envoyer
des remites en payement de celles de l'Europe
: & pour cette raiſon je ne ſçaurois que
regretter le mauvais ſuccès de nombre d'Etrangers
, qui font venus en Amérique , ou qui y
viendront encore , dans la vue d'établir des Maifons
de Commerce: ils y trouveront fi peu d'objets
d'échange & une telle diſette d'eſpeces , qu'ils
nous quitteront probablement avec dégoût ».
LecommercedesEtats-Unis devient tous
( 158 )
les jours plus actif & plus floriſſant ;dans
tous leurs ports on conſtruit des Vaiſſeaux
neufs ; ils en ont fait conſtruire également
pluſieurs en Europe ,& on n'en comptoit pas
moins de 600 au mois de Juin dernier qu'ils
employoient à leur commerce.
Les lettres de New-Yorck portent que la
plupart des troupes qui étoient dans cette
place l'ont évacué ,& qu'il n'y reſte preſque
que la garnifon. La plupart de nos Régimens
ont été embarqués pour les Indes occidentales
; les Corps Heſſois l'ont été pour
l'Europe,où il en eſt déja arrivé quelques-uns.
Quant aux Loyaliſtes , ils ont pris la route
de la nouvelle Ecoſſe & du Canada ; leur
établiſſement dans le premier de ces endroits
promet de devenir intéreſſant. On lit dans
IaGazette de New-Yorck la lettre ſuivante
ecrite par un Loyaliſte à un de ſes amis ,
&datée de Saint-John,baie de Fundy dans
la nouvelle Ecoſſe le 21 Juillet dernier.
>> Selon ma promeſſe , je ſaiſis toutes les occafions
de vous informer de la ſituation du nouvel
établiſſement que nous formons ici , & dont je
m'apperçois que vous ne vous faites pas une idée
juſte : je ferai enchanté de vous en donner une
meilleure & du pays & des nouveaux Colons. -
En quittant Rhode - Iſland , nous avons eu des
vents favorables qui ne nous ont pas quittésjuſqu'au
Havre de Saint -Jean où nous débarquâmes
le 13 Juin , étant en très-bonne ſanté.
Nous nous occupâmes auſſi - tôt de notre établiſſement
: l'Agent de la Cour , auquel nous demandâmes
ſur le champ l'emplacement où on de.
voit nous fixer , étoit embarraffé ; cela nous au
( 159) )
roit expoſés à des délais défagréables , fi nous
n'avions pris le parti de viſiter les lieux & de
choiſir nous mêmes. Nous nous décidâmes pour
un endroit agréablement ſitué , ayant vue ſur
la Baye , & également favorable pour la chaſſe
& pour la pêche. Nous nous mîmes ſur le champ
à couper les bois , à nettoyer le terrein , & à
dreſſer des hutes en attendant que nous pufſions
bâtir des maiſons. Nous dreſſames auſſi des
tentes pour y recevoir nos familles ; un grand
nombre d'autres nous joignirent , & ſe préparerent
à s'établir avec nous , tandis que pluſieurs
choiſirent des places convenables à diverſes diftances.
Nous avons déjà partagé le terrein ſur
lequel nous bâtiſſons notre Ville : nous remarquons
dans toutes les parties que nous avons
nettoyées que le ſol eſt excellent , arrofé de
ſources d'eau vive , très - propre à la culture
de toutes fortes de fruits. Nous avons des proviſions
pour trois mois , & elles nous dureront
plus long-temps , parce que le gibier & le poiſſon
nous permettront de les économiſer. Comme
nous craignons les lenteurs dans l'arrivée du grain
qu'on nous a promis , nous nous ſommes décidésà
réſerver une partie de celui que rous avons
pour des ſemences , & nous avons déjà préparé
des champs. L'année prochaine nous ſommes sûrs
de nous ſuffire à nous-mêmes , & de vivre dans
l'abondance ; nous pourrons éprouver quelque
gêne juſques - là ; mais nous en ferons garantis
fi le Gouvernement nous fournit à temps les ſecours
qu'il nous a promis » .
Les émigrations des Loyaliſtes qui quittent
leur patrie , parce qu'ils y font forcés ,
pour chercher des établiſſemens ſous ladomination
Britannique , ſont ſans doute une
perte pour la population de la nouvelle Ré
( 160)
publique; mais peut-être en eſt-elle amplement
dédommagée par la quantité d'Anglois
, d'Ecoffois &d'Irlandois qui quittent
à leur tour leur pays pour aller demander
des terres en Amérique , & fur-tout poury
porter une induſtrie qui mettra cette partie
du monde en état de ſe paſſer bientôt des
manufactures de l'Europe. Ces émigrations
font affez conſidérables pour alarmer , & l'on
s'empreſſe de publier dans nos papiers toutes
fortes de détails pour en détourner ceux qui
ſeroient tentés de s'expatrier ; ainſi l'un d'eux
a donné derniérement l'article ſuivant.
>> L'émigration pour l'Amérique ſeroit certainement
beaucoup moins conſidérable , fi toutes
les perſonnes qui prennent ce parti avoient lu les
Obſervations ſuivantes , tirées de l'Ouvrage du
Lord Sheffield , ſur le Commerce des Etats-Unis.
-Les Emigrans d'Europe , pour les Etats-Unis ,
feront , dit- il , bien cruellement trompés dans
leur attente ; néanmoins je ne ſerois pas ſurpris
qu'ils y attiraſſent d'autres Colons , ne fut-ce
que pour avoir des compagnons d'infortunes.
Après avoir furmonté des difficultés ſans nombres
, que doivent néceſſairement éprouver des
Avanturiers & des Etrangers il leur faudra
payer les taxes , quoique le défir de ſe ſouſtraire
à ces impoſitions ait peut-être été un des principaux
motifs qui les a déterminés à quitter
leur pays , & , fi ce ſont des Anglois , à facrifier
des avantages ineftimables. Les mêmes dépenſes
, la même induſtrie dont ils auront befoin
pour ne pas périr de miſere en Amérique ,
Leur auroient procuré un établiſſement avantageux
en Europe, fans qu'ils fuffent obligés d'abandonner
leurs parens & leurs amis dont ils
6
( 161 )
-
regretteront toujours la ſociété , & dans l'affec
tion deſquels ils auroient trouvé , tôt ou tard >
ou des ſecours pour être plus heureux , ou des
confolations dans l'infortune . La nécef
ſité indiſpenſable de développer tous les efforts
de l'industrie dans un pays inconnu & au milieu
de déferts , où les nouveaux Colons n'ont d'ailleurs
aucune occafion de ſe livrer à la diſtraction
des plaifirs , la difficulté , la honte même
de retourner chez ſoi , font les feuls liens par
leſquels les Emigrans puiffent être retenus fur
une terre qui les tourmente & les repouſſe ſans
ceffe. Toutes les chimeres brillantes qui avoient
tant exalté leur imagination ſe réduiſent à un
terrein en friche , ouvert de tous côtés aux in
curfions des Sauvages. L'émigration eſt la
reſſource ordinaire des malfaiteurs & des mauvais
ſujets en général ; mais je ne la conſeillerai
jamais à tout homme qui ne craint ni la Juftrce
ni le travail ».
Le traité de paix avec l'Amérique que
l'on attendoit encore eſt arrivé dernierement ;
leRoi dans un Conſeil tenu après, les a tous
ratifiés & fignés ; ils ont été ſcellés enfuite;
&on compte en conféquence , que la proclamation
publique de cet heureux événement
ne tardera pas à être faite. Le Public
s'attendoit qu'elle auroit lieu auffitôt
après l'arrivée du Capitaine Warner . le
Lord-Maire avoit déja commencé les préparatifs
néceſſaires. On dit qu'il y a eu trois
Conſeils fucceffifs à ce ſujet, à l'iſſue de chacun
deſquels on avoit dépéché des ordres
contraires ; le dernier a ſuſpendu cette publication
qu'on croit que rien ne doit plus retarder
à préſent. On n'a pas remarqué que la
( 162 )
nouvelle de la paix ait rien produit en faveur
de nos fonds; il y en a eu beaucoup fur la
place,& ils font reſtés au tau où ils étoient ;
cependant le payement que l'on va faire
de partie des billets de la marine pour une
ſommede 1,100,000 liv. ſterlings étoit fait
pour ranimer la confiance. Il paroît que ce
n'eſt que le tems qui pourra la rétablir.
Letraitéde commerce avec l'Amériquen'eſtpas
encoreune affaire terminée; iléprouve,dit-on,bien
desdifficultés , on raconte àce ſujet la converſation
ſuivante qu'ondit avoir eu lieu entre M. Hartley &
M. Frankklliinn.. Cedernierdemanda ſi l'Irlandeneſeroit
pas nommée dans ce traité ; le premier qui
ne s'attendoit pas à cette queſtion & qui n'y étoit
point préparé , parut embaraffé & répondit enfin
négativement. Le docteur Franklin obſerva alors
que comme l'Irlande étoit un Royaume indépendant
, il étoit eſſentiel de ſavoir , ſous quel
point de vue il falloit le regarder dans un traité
où il ne ſeroit pas expreſſément nommé. L'affaire
du Portugal , ajouta-t- il , montre la néceſſité de
déſigner l'Irlande dans ce traité pour éloigner
tout ſujet de diſpute , ſoit de la part de l'Angleterre
, ſoit de celle de l'Amérique , ſoit de celle
de l'Irlande ; il pria M. Hartley de prendre les
inſtructions de ſa Cour; on prétend que depuis
ce tems notre Miniſtre n'a plus parlé de cette
affaire au Miniſtre Américain.
Il eſt décideque quelle que ſoit l'iſſue des
démêlés entre la Ruffie & la Porte , l'Angleterre
n'y prendra aucune part active;le beſoin
qu'elle a de la paix la décide à ſe contenter
d'en être ſimple ſpectatrice. On laiſſera les
deux Puiſſances s'arranger enſemble , & on
fe bornera à faire des voeux ſecrets pour l'une
ou pour l'autre.
( 163 )
Dans un moment où l'attention eſt tournée
de ce côté , on n'a pas lu ſans intérêt ce
que diſent les papiers étrangers du chefdes
Bombardiers ottomans. On le dit Anglois ,
&il eſt tout fimple qu'on ait cherché ici à
connoître plus particulierement ce perſonnage
, puiſqu'il tient à la nation. Peut- être
les recherches qu'on a faites ne ſont-elles pas
exactes ; felon les unes , c'eſt le malheureux
Capitaine Jone qui , accuſé il y a neuf à dix
ans , d'un crime dont le cri unanime des
femmes ſembloit le juſtifier , condamné fur
le ſeul témoignage de ſon accuſateur , profita
de l'occaſionqui lui fut offerte pour s'évader
&difparut. Comme depuis ce temps on n'a
point eu de ſes nouvelles , qu'on fait qu'il
avoit des connoiſſances particulieres fur l'artillerie
on ſuppoſe qu'il s'eſt refugié en
turquie , qu'il y a pris le turban ,&qu'il s'eſt
élevé au poſte qu'occupa avant lui le fameux
Comte de Bonneval. Tout cela n'eſt
vraiſemblablement qu'une ſuppoſition ; en
voici peut- être une autre que nous donnerons
telle qu'on la lit dans tous nos papiers.
,
ce Mustapha eſt Anglois , & né dans le Comté
de Stafford. Il fut deſtiné parſes parens à l'artillerie
, & pendant quelque temps il fréquenta
l'Ecole Militaire de Woolwich ; mais fon imagination
ardente & romaneſque lui fit quitter
ſes Précepteurs , & voyager par l'Angleterre.
Il mena cette vie errante pendant quelque tems ,
rempliſſant toutes fortes d'emplois & quelquefois
de très-bas pour vivre. Fatigué enfin de cette
conduite , il retourna chez ſes parens , qui lui
voyant du goût pour les armes , ſe propoſerent
( 164 )
de lui procurer une commifion. Ce projet traîna
en longueur. Son caractere vif ne lui permit pas
d'attendre ; fous le prétexte d'aller folliciter luimême,
il tira une fomine de ſes parens , ſe rendit
à Londres, de- là àDouvres d'où il pafía en France,
il parcourut ce Royaume à pied : viſita les écoles
d'artillerie , vécut avec pluſieurs Officiers céle
bres , auxquels il doit la plus grande partie de
ſes connaiſiances. Se voyant au bout de fon argent
, il alla à Marseille & s'y embarqua fur un
vaiſſeau qui partoit pour laGrece ; il yreſta quel ,
que temps dans l'emploi d'un marchand du plus
bas ordre. Ayant fait connoiffance avec quelques
Turcs , qui retournoient à Conſtantinople ,
il obtint d'eux qu'ils l'y conduiroient ; arrivé dans
cette ville , il érudia la langue des Turcs , en prit
les coutumes ; ſes premieres études militaires
Jui firent remarquer de grands défauts dans la
fonte & l'emploi des canons ottomans ; Il fit des
mémoires ſur ce ſujet ; ils furent tellement goûtés
du grand Viſir auquel il les prétenta , qu'il
en reçut une ſomme conſidérable. Ce ſuccès
eveilla fon ambition ; il pouvoit aſpirer aux
richefſſes & aux honnenrs ; pour écarter tout
obstacle , il renonça publiquement au chriſtianilme
& ſe fit circoncire ; devenu alors Turc
il obtint une place dans l'artillerie, & par dé
gré il eſt monté à celle de Combardgi Bafchi.
Il jouit de la faveur des principaux Miniſtres
du Grand Seigueur ; il eſt conſulté ſur tous les
objets relatifs à la guerre ; & au moment où
Pon eſt menacé d'en voir éclater une , ſon crédit a
augmenté. On ne doit pas oublier que Muſiapha
s'eſt empreílé de ſe procurer tout ce que la loi
de Mahomet permet ; ila un ſferrail choifi. Son
age eſt de 57 ans; il eſt fort & vigoureux. Son
nom Anglois eſt Benjamin Swinburne ».
On racontedu Prince de Galles une anec(
165 )
dotetrès-intéreſſante que nous nous empref
ſons de placer ici , comme on la trouve dans
quelques-uns de nos papiers.
Ce Prince , dit-on , pafle pour aimer la dépenſe;
on n'en devroit pas erre étonné à fon
age ; mais on ignore à quoi il contacre ſes depenſes
; & lever une partie du voile dont il enveloppe
la bienfaiſance & la ſenſibilité de fon
coeur , c'eſt le rendre plus cher à lanation . On lait
quelle eſtla la perſonne qui eſt chargée de pourvoir
à ſes beſoins ; étonnée un jour de la cha
leur avec laquelle le Prince lui demandoit 500
guinées , & infiftoit fur le jour , l'heure & la
•minute où il defiroit l'avoir , elle fut curieuſe
de ſavoir quel étoit l'emploi qu'il en vouloit faire,
&le motif de ſes inſtances ; elle fit remettre la
fomme au Prince & le fit épier. S. A. R. , en
recevant l'argent , ſe dépouillaauſſi -tôt de ſes
vêtemens , en prit,un très-ſimple; fans plaque,
ſans ordre , ſans marque diſtinctive ; & retrouffant
ſes cheveux avec un peigne ſous un grand chapeau
, il fortit ſur la brune & ſe rendit à pied
dans une rue près de Covent- Garden; il entra dans
une maiſon de peu d'apparence ; monta au dernier
étage, où on lui ouvrit une chambre miférable dans
laquelle étoient un homme , une femme & plufieurs
enfans avec la livrée de la miſere ; fans
ſe faire connoître il leur remit la ſomme , en
diſant qu'on s'intéreſſoit à eux , & en les exhortant
à donner de leurs nouvelles au Colonel
Lake , dont il leur laiſſa l'adreſſe en ſe retirant .
Les infortunés qu'il soulage , & qui ignorent le
nom de leur bienfaiteur , font un Officier revenu
depuis peu d'Amérique & fa famille. Des
detres qu'il avoit été forcé de contracter pour
fournir à ſes beſoins & à ceux de ſes enfans ,
l'expoſoient à être enfermé en vertu d'un ordre
obtenu par ſes créanciers , & le Prince les a
( 166 )
mis en état de les fatisfaire &d'attendre une cir
conſtance plus favorable pour ſortir d'embarras .
De pareils faits n'ont pas beſoin de commentaires;
tant de ſenſibilité &de bienfaifance ne ſont
pas dans une ame ſans toutes les autres vertus,
Acette anecdote nous en joindrens une
autre , & ce ſera encore la Famille royale qui
nous la fournira.
La Princeſſe Royale n'a point eu d'autre inſtitutrice
que la Reine , qui a donné à toutes les
meres un exemple qu'elles trouvent rarement
dans celles de ce rang ; auſſi n'y a-t- il point de
Princeſſes en Europe qui aient été mieux élevées
&qui foient auſſi inſtruites. Dès ſon enfance ſon
augufle inſtitutrice s'eſt attachée à cultiver ſon
eſprit ,& à le remplir des connoiſſances les plus
utiles. A l'âge de 4 ans en lui faiſoit lire tous
les jours pendant deux heures des livres à ſa portée,
& le ſoir il falloit qu'elle rendit compte
au Roi & à la Reine de ſa lecture ; ce qui l'accoutumoit
à lire avec fruit , & à donner de l'ordre
aux idées qu'elle acquéroit nouvellement. La
méthode employée pour ſon inſtruction étoit ſans
doute la plus propre à remplir ce but. On profitoit
de l'occaſion de tous les événemens qui
faiſoient un peu de bruit , & dont tout le monde
s'entretenoit devant elle , pour lui faire lire tous
les récits d'événemens de ce genre conſervés
par les Hiſtoriens ; il en étoit de même quand
il paroiſſoit un ouvrage nouveau ; on lui mettoit
entre les mains tous ceux de la même efpece
, on lui apprenoit à les comparer : ſe faiſoit-
il une découverte , on lui faiſoit apprendre
ainſi toutes celles qui l'avoient précédée & qui l'avoient
amenée; la converſation de la Princeſſe
étoit dirigée ſur l'objet particulier qu'on
étudioit on l'accoutumoit à ne rien
effleurer , mais à tout approfondir ; elle aime
,
&
( 167 )
beaucoup l'hiſtoire naturelle, &elle a faitdes progrès
dans la partie théorique qui s'apprend dans
les livres . Lorſque M. Herſchel a découvert
une nouvelle planete , elle a été obligé de lire
tout ce qu'il faut pour donner une hiſtoire claire
de toutes les découvertes de ce genre ; le ſuccès
qu'a eu cette partie de ſon inſtruction étonna
beaucoup le Roi , qui ne s'y attendoit pas ſur
un objet auſſi abſtrait. La converſation de la
Princeſſe ſe reſſent de ces connoiſſances ; & plufieurs
de nos Courtiſans , qui n'ont pas employé
comme elle la premiere partie de leur jeuneſſe,
l'évitent avec ſoin , de peur de montrer leur
ignorance.
On a parlé dans l'article précédent de la
découverte de M. Herſchel , on ne ſera pas
fâché de trouver ici ce que diſent nos papiers
de ſes nouvelles obſervations.
« Après des calculs fondés ſur des obſervations
aſtronomiques , diſent-ils , M. Herschel a
trouvé que la nouvelle planete qu'il a découvert
a quatre fois & demi le diametre de la
terre , & que ſa diſtance réelle eſt d'un milliard
800 millions de mille. Il apperçut pour la premiere
fois cette planete le 13 Mars 1781 , entre
dix à onze heures du ſoir , en examinant les petites
étoiles qui ſont aux pieds des gemeaux ;
l'inſtrumentdont il ſe ſervoit alors , groſſiſſoit 2 27
fois. Il a portè enſuite ce pouvoir de groſſir à
2010. On dit que depuis , il eſt parvenu à perfectionner
quelques-uns de ſes téleſcopes à un
point bien extraordinaire , puiſqu'ils augmentent
les objets de 6 à 7000 fois. L'effet de ces inſtrumens
ſur les étoiles fixes dont on a découvert
pluſieurs qu'on croyoit auparavant être de ſimples
étoiles , lui ſuggéra l'idée d'en trouver la
parallaxe, &c'eſt en faiſant des obſervations pour
y parvenir , qu'il découvrit la nouvelle planete.
( 168 )
On lit dans une lettre de Dublin les détails
ſuivans qui offrent un exemple fingulier
de la ſagacité & de l'attachement des
chiens.
Un enfant de 5 ans ſe promenant dans une
cour, ſe laiſſa tomber dans un puit. Dans ce
moment tout le monde étoit à diner ; il n'y
avoit qu'un chien à la chaîne , qui fit tant
par ſes efforts qu'il s'en débarraſſa& ſe jetta après
l'enfant dans le puit , le ſouleva , & lui tint la
tête hors de l'eau , en aboyant par intervalle
pour avertir ; l'on vint enfin , & ce ne fut qu'après
uneheure de travail qu'il arriva du ſecours
on retira l'enfant qu'on rappella à la vie , &
qu'on porta à ſa mere ; on retira auſſi le chien,
qui en le foutenant hors de l'eau avoit empêché
qu'il ne fût ſuffoqué.
L
FRANСЕ.
DE VERSAILLES , le 25 Septembre:
I e Roi a nommé à l'Abbaye de Ponteau ,
Ordre de Cîteaux , Diocèse d'Aire , l'Abbé
de Viella , Vicaire-Général de Viviers , &
à celle de Notre-Dame du Palais , même
Ordre , Diocèſe de Limoges , l'Abbé de
Gain , Comte de Lyon , Vicaire-Général de
Riés.
M. Thierry de Ville-d'Avrai a eu , le 14
de ce mois , l'honneur de faire ſes remercimens
au Roi pour la ſurvivance & l'adjonction
à la charge de Commiſſaire-Général
de la Maifon du Roi , au département du
Garde meuble de la Couronne , dont eſt
pourvu en titre , M. de Fontanieu .
DE
( 169 )
DE PARIS , le 23 Septembre.
Il circule dans le public pluſieurs lettres
particulieres arrivées de l'Inde avec la Corvette
la Fortune , à bord de laquelle eſt revenu
M. Bouvet ; l'une , en date de Trinquemale
, le 12 Avril , contient entre autres
les détails ſuivans :
« Depuis le combat qui ſuivit la priſe de Trinquemalle
, & qui fut le fixieme de cette campagne
, il n'y a eu aucun événement de mer important.
L'eſcadre alla hyverner à Achem dans
l'ile de Sumatra , pour y attendre la diviſion de
M. de Buffy & celle de M.de Soulanges annoncée
d'Europe La premiere fut long-temps retenue
à l'île de France par les maladies , &ne nous a
joint ici que le 13 Mars : l'armée de M. Buſſy a
débarqué à Goudelour. Quant à la diviſion de
M. de Soulanges , partie de Brest & fur laquelle
nous comptions pour des agrets & des munitions,
vous favez l'accident qui nous a privés de ce ſecours
ſi eſſentiel . Le zele , l'activité , le patriotiſme
de M. de Suffren ont fuppléé à tout , & il
s'eſt foutenu dans l'Inde avec peu , & pour ainſi
dire , avec point de moyens. Ce Général ſentoit
combien il étoit importantde ne pas retourner à
l'Iſle de France , afin de ne pas laiſſer l'ennemi
maîtredes mers qu'il avoit à protéger , & fon courage
a réſiſié à tout ce qui le ſollicitoit de quitter
des parages où il ſe trouvoit fans port , ſans dépôt
; obligé de traîner avec ſoi dans les combats
nos flutes ; de voir nos priſes tour-à-tour occupées
à combattre & à nous réparer ; contraint de
démâter ces priſes , nos corvettes & même des frégates
, pour en tirer des mats de hune & quelques
agrets. Les priſes ont été ſuceſſivement envoyées
No. 39. 27 Septembre 1783. h
( 170 )
au Pégu , à Malaca , aux Manilles & à Batavia ,
pour y prendre des bois & d'autres ſecours ; enfin
elles nous ont fourni des vivres , & de l'argent ,
avec lequel nous avons acheté des munitions de
serre & de mer , qui ont foutenu l'armée , &
fur-toutdes boulets dontnous manquions. Pendant
cette campagne nous avons pris à l'ennemi le vaifſeau
l'Annibal de 50 canons , & la frégate le Coventry
de 28. Nous avons enlevé ou détruit environ
150 bâtimens , & nous n'avons perdu qu'un
feul cutter , pris dans le port de Tranquebar , poffeffion
Danoiſe , où il étoit mouille , & où il ſe
croyoit en sûreté ſur la foi des traités .-Achem
où nous avons hiverné pendant trois mois , eſt un
très- bon pays , où l'on trouve beaucoup de rafraichiſſemens
, qui en rendent la relâche très-bonne ,
c'eſt là que nous avons trouvé le plus excellent
fruit du monde , appellé le Mangcustan. Les Malais
duRoyaume d'Achem ſont un peuple méchant;
ils portent toujours une arme empoiſonnée qu'ils
appellent Cri. Il y a beaucoup d'or dans ce pays ,
mais les Naturels en connoiſſent tout auſſi bien le
prix que les Européens.- Dès que la ſaiſon de
Phyvernage a permis de quitter Achem , le Bailli
de Suffren eſt retourné à Trinquemalle , place
importante par ſa ſituation , & qui ayant été enlevée
aux Anglois , les a contraints de ſe retirer à
Bombay ſur la côte de Malabar , d'où ils ſont attendus
inceſſamment. Nous venons d'apprendre
qu'ils ont laiſſé dans ce port deux vaiſſeaux de ligne
en radoub ; de forte que s'ils paroiſſent de
nouveau fur la côte de Coromandel , nous serons
en forces égales ; 15 vaiſſeaux de ligne contre 15 .
Le 7 Décembre dernier , nous avons perdu
notre brave allié Hyder-Aly , qui eſt mort d'un
abcès au côté. Son fils Typoſaeb a hérité de toutes
fes poſleſtions ,de ſa haine pour les Anglois & de
( 171 )
ſon amitié pour nous. Il eſt bien à defirer qu'il ait
hérité de même de ſes talens militaires , c'eſt ce
dontla campagne qui va s'ouvrir, décidera . Il vient
d'être obligé de repaſſer les montagnes des Gates ,
pour voler au ſecours de ſes poffeffions vers les
côtes de Malabar , que les Anglois ont attaquées
pour faire une utile diverſion . En quittant la côte
de Coromandel , il a laiſſé 20 milles hommes à M.
de Buſſy. Nous ignorons les projets de ce Général
de terre , qui jouit de la meilleure ſanté &de la
plushaute conſidération. -Quant à nous , nous
attendons l'eſcadre Angloiſe , & s'il y a une nouvelle
affaire , elle ſera déciſive. La priſe importate
de Trinquemalle au commencement de cette
campagne , a été un coup de partie , en ce qu'elle
nous adonné unport& ena privél'ennemi. LeHéros
fe montredans toutes les occaſions avec la plus
grande diſtinction ; & fi les bruits de paix qui commencent
à courir ici ne ſe réaliſent pas bientôt, ily
a tout lieu de croire que ſon exemple ſera généralementimité,
& que l'honneurdu pavillon François
, connu dans toutes les mers de l'Inde , mettra
une finglorieuſe a la guerre actuelle , &c » .
, A cette lettre , d'un Oficier de mer
nous en joindrons une autre écrite par un
Oficier de terre , datée du camp de Machi--
cupan le 1 Avril.
La flotte Françoiſe mit à la voile de l'île de
Bourbon le 24 Décembre. Sa traverſée a été heureuſe
, mais longue & déſagréable à cauſe des calmes
fréquens , dont il réſulte des chaleurs exceffives
, dont nous avons beaucoup ſouffert .... Les
mers des Indes ſont les plus belles mers du monde ;
après de gros vents , lors même qu'ils ont ſoufflé
pendant pluſieurs jours , dès que le calme renaît ,
la mer redevienten peud'heures auſſibelle & auſſi
h2
( 172 )
- Ce
unie qu'elle l'étoit auparavant. Le contraire arrive
dans celles d'Europe où , quoique le calme ait
ſuccédé au gros temps, elles reſtent encore agitées
pendant trois ou quatre jours. Nous n'avons point
eu de malades , ni été inquiétés par l'ennemi.
Nous reconnûmes l'ile de Sable quelques jours
après notre départ. Le 27 de Février nous décou -
vrimes la côte de Sumatra , qui eſt très- élevée ,
couverte de bois, & qu'on voit à près de 30 lieues.
Le Général ayant détaché une frégate àAchem ,
pour ſavoir des nouvelles de l'armée ennemie &
de la nôtre , croiſoit à la pointe ſeptentrionale de
l'ile. Nous apprimes que la Corvette la Fortune
étoit partie depuis huit jours d'Achem , que les
Anglois n'étoient point encore ſur la côte , & que
M. de Suffren ſe trouvoit à Trinquemale.
port eſt le plus beau & le plus grand que l'on
puiſſe voir ; il doit tous ſes avantages à la nature ;
Inville qui n'est qu'un grand fort , à une demilieue
du port , est dévaſtée en dedans : on n'y voit
que des ruines. Le côté où l'on a fait l'attaque
eft démoli: ontravaille à réparer les ouvrages &
même à les augmenter : le pays eſt beau , les Indiens
grands&bienfaits ; leur habillement confif
te en un turban , un grand morceau de toile de
coton qui leur couvre l'épaule & un autre ſur les
cuiſſes ; leur teint eſt olivatre , plus ou moins
noir : tous portent des moustaches , & pluſieurs
laiſſent croître leur barbe. Ils mâchent continuellement
du betel , qui leur rougit les dents. Ils
paroiſſent avoir le caractere doux ; ils aiment les
François , & ſont contens d'eux. Leurs ornemens
font des anneaux d'or qu'ils portent aux oreilles
en fi grand nombre , que ce poids les allonge de
deuxpouces ; des anneaux d'argent qu'ils mettent
aux bras & aux jambes ; des bagues aux doigts
des mains & à ceux des pieds , de l'or gravé dans
( 173 )
Je front,& fouventun anneau ou une pierre enchaffée
dans de l'or qu'ils ſuſpendent à leur nez ,
percé à cet effet. Les femmes y font auffi laides
que les hommes font beaux. - L'activité de
M. le Commandeur de Suffren eſt incroyable . If
n'admet rien d'impoffible pour fournir les moyens
néceſſaires à l'exécution des ordres qu'il donne .
Sa prudence égale ſa bravoure & fon intrépidité.
Dès le moment de notre arrivée , le Comte
de la Mark a été envoyé en ambaſſade au fils
d'Hyder- Ali , Tippo - Saib ( dort le pere étoit
mort , il y a quelque temps ). Le troifeme jour
l'Ecadre appareilla avec les differens bâtimens
chargés de munitions de guerre , pour la côte de
Coromandel. Le 16 au foir , nous mouillâmes à
Porto - novo. Adeux heures de la nuit , on donna
les ordres pour le débarquement des troupes , qui
s'opéra avec le plus grand ordre , nous paísâmes
cettejournée à terre dans le même ordre. M. de
Buſſy débarqua le matin. Tous les bâtimens le
faluerent de 10 coups de canon. Le Commandant
Indien de la grande Pagode de Schedenbouroug
étoit ſur le rivage , à cheval , ſuivi de ſes
gardes & de fa muſique , avec pluſieurs magnifiques
palanquins pour recevoir le Général. II
paſſa l'armée en revue , & les Officiers des différens
Corps lui firent leur viſite. L'arrivée de
M. Buffy a fait une vive impreſſion : les Anglois
craignent ſa préſence , à caute de la confiance
qu'il inſpire aux Indiens & aux Princes du pays.
- Le jour de notre arrivée , nous nous mimes
en marche à fix heures du ſoir fur Goudelour.
Le 17 au matin , nous en étions à une demilieue;
on nous fit faire halte pour que la troupe
prit du repos. Nous nous remîmes le même
foir en marche pour Machicupan , où nous pafsâmes
pluſieurs nuits au bivouac , avant que les
h3
( 174 )
équipages fufſent débarqués. Le 24 nos tentes
furent dreffées & les troupes camperent. -Julqu'à
préſent notre Armée ne manque de rien ;
elle aduris , de la viande & de l'arack . L'Armée
angloiſe , moins confidérable que la nótre , manque
de tout , excepté d'argent. Le ſoldat anglois
eft bien payé & ne trouve point à fe nourrir. II
nous vient des déſerteurs qui ſe plaignent ame--
rement.-Les dépenſes des officiers ſont confidérables.
Ils ſont obligés d'avoir un cheval &
au moins deux boeufs. Les chevaux ſont ici fort
chers & forr médiocres. Cette dépenſe forme un
objet de 40 Louis. Il faut un Dobachi , ( valet
de chambre ), un Pion , ( laquais ) , un Tonigachi
(domeftique dont la fonction eſt d'aller chercher
l'eau & le bois ) , un cuisinier , un Culi ( domeftique
employé aux gros ouvrages ) , un Bouvier ;
un Cavaler , & un Nerler ; ainſi le moindre Officier
a 8 hommes à ſon ſervice , ce qui lui coute
6 louis par mois . - -Les Indiens ſont en proje
à une détreffè affreuſe : ils périſſent faute d'alimens
, & il n'y a pas long -temps que l'on voyoit
les chemins jonchés de morts . Maintenant encore
leur miſere eft très -grande ; ils demandent partout
la charité & de la nourriture fur - tout à
Porto Novo'; je n'yai vu que des ſquéletes ambulans
; ces malheureux retracent par leur extrême
maigreur l'image de la mort. Par- tout où nous
avons paſſé , les maiſons ſont ruinées & abandon.
nées , les champs incultes ,& ce pays le plus beau
de l'Univers , n'offre que le tableau de la dévaftation.
La chaleur eſt exceſſive , mais l'air très-falubre.-
Nous marcherons dans peu pour rejoindre
la grande Armée.
,
Les lettres de Marseille nous apprennent
que les frégates de Malte la Sainte Elifabeth
&la Sainte Marie, commandées par le Com(
75)
mander de Suffren S. Trogés , y arriverent
al commencement de ce mois , de retour de
P'expédition d'Alger , & qu'elles devoient en
remettre à la voile peu de jours après pour
retourner à Malte.
Les Gabarres du Roi, écrit-on de Dunkerque,
qui revenoient du Nord , où elles ont éré chargerdes
matures & du bois de conſtruction , ent
mouillé ici les de ce mois; elles n'ont pas été
auffi heureuſes en revenant que dans leur pre
mier trajet , qui ne fut que de peu de jours de
Breſt à Riga ; elles ont mis un mois à leur retour
pour venir ici , & elles ont été fort contrariées
par les vents. On dit qu'en arrivant à Riga ,
elles y ont trouvé une quantité prodigieuſe de
Navires dont la plupart étoient Anglois. Dès que
le vent le permettra , elles remettront à la voiles
On continue de s'entretenir beaucoup de
la machine aëroſtatique ; les expériences que
M. de Montgolfier devoit faire , le 12 de ce
mois , en préſence des Commiſſaires de l'Académie
des Sciences , eurent lieu en effer
ce jour là , malgré un vent affez fort , & la
pluie qui les contrarioient.
Pluſieurs perfonnes qui y avoient été inv:-
tées , & même quelques Commiffaires de l'Aca
démie ne s'y trouverent point , perfuadé que
le temps étoit trop mauvais pour riſquer d'ét
ver en l'air cette grande machine. Cependant ,
comme tout avoit été préparé pour l'expérience ,
M. de Montgolfier ne crut pas devoir la retarder
, ſa machine s'éleva à une hauteur fuffifante
pour faire conflater ſa découverte par l'Académie.
Quoiqu'elle ne fût qu'à demi remplie de
gaz inflammable,qu'on l'eût chargée d'un poids de
h 4
( 176 )
,
600 livres , & que 30 hommes la retinſſent fortement
avec des cordes ce ballon , temblable à
an animal furieux , ne connoiſſoit aucun frein ,
il ſe débattoit & ſembloit vouloir s'élever ; tous
les fils de la toile , tous les cables étoient dans
une tenfion qui faifoient craindre qu'on ne pût
pas le ramener à terre , & il fut queſtion un moment
de l'abandonner à lui-même. Mais comme
il devoit fervir à l'expérience que le Roi à voulu
voir , on ſedécida à le contenir , &à le deſcendre
, en employant de nouvelles forces . Ce fut
alors que balloté par le vent & par la force intérieure
qu'il lui oppofoit , ainſi que par les efforts
qu'on faisoit pour le retenir , il fut dégradé en
pluſieurs endroits , au point qu'on ne jugea pas
à propos de le raccommoder ,quoique toutes les
perſonnes préſentes s'offriffentàaider les ouvriers,
&que les Dames même euſſent demandé qu'on
les employât toute la journée à coudre avec les
femmes chargées de ce travail. Cette machine
avoit 20 pieds de hauteur de plus que la porte
Saint-Denis . Comme elle avoit été conftruite aux
frais de l'Académie , M. de Montgolfier avoit
cru devoir y mettre de l'économie. La toile étoit
un fimple canevas qui , couvert ſeulement de papier,
ne pouvoit pas réſiſter à une longue pluie
&à un coup de vent.
La machine qu'on s'eſt occupé à conftruire
le lendemain eſt d'une bonne toile deRouen ,
dont il eſt entré 600 aunes ; on l'airendue
très-folide , & on l'a miſe à l'abri des intempéries
de l'air en l'enduiſant d'un vernis . Sa
forme eſt celle d'une tente de 60 pieds de
haut fur 40 de diametre , à fond d'azur ,
avec ſon pavillon & tous ſes ornemens en
couleur d'or. Elle contient 40,000 pieds
( 177 )
cubes de gaz , & pourroit enlever environ
1200 liv.; mais dans l'expérience indiquée
pour le 19 de ce mois à Versailles , où elle a
été tranſportée , on ſe propoſoit de ne porter
ſa charge qu'à 600 livres & d'y attacher
une cage dans laquelle on renfermeroit des
animaux. Voici les détails que nous avons
reçus de cette derniere expérience.
«Elle a été faite dans la premiere cour du
Château de Versailles , au milieu d'un concours
prodigieux de ſpectateurs . On tira une premiere
boîte à une heure après midi pour annoncer le moment
de l'introduction du gaz dans la machine.
Une ſeconde boîte indiqua celui où elle fut remplie
, ſous les ordres de M. de Montgolfier. Cette
opération dura 10 minutes ou environ. Une troifieme
boîte annonça l'inſtant où l'on coupa les
cordes qui la retenoient pour la livrer à ellemême.
Elle s'enleva auſſi-tôt , & produiſt fur
tous les ſpectateurs une eſpece d'admiration pour
ſon volume impofant.On avoit attaché à la partie
inférieure de ce ballon un panier d'ofier , dans
lequel étoient un mouton , un canard & un coq ,
&au-deſſous un barometre. L'aſcenſion de cette
machine paroît avoir été d'environ 200 toiſes .
Le vent d'oueſt l'a forcée à prendre un cours
boriſontal qui a duré 27 ſecondes ; après quoi
elle a commencé à décliner plus ſenſiblement ,
&a fini par tomber dans le bois de Vaucreſſon ,
au lieu appellé le Carrefour Maréchal , diſtant
d'une demi-lieue da point de ſon départ. M. Pi-
Jatre du Rofier y eſt arrivé le premier ; il a trouvé
le ballon ſéparé du panier où étoit les animaux
par un amas de bois coupé. Le mouton
mangeoitdans ſa cage ; le canard paroiſſoit nahs
( 178 )
voir point fouffert , le coqavoit eu latête caſlée ,
& le barometre étoit renversé ſans fracture » .
M. Franklin a fait une excellente réponſe
à ceux qui ne ceſſent de répéter à quoi cela
fera-t-il bon ? quelle utilité en retirera- t-on ?
Meffieurs , répondit le profond penfeur , c'eft
un enfant qui vient de naître ; peut- être ferat-
il un imbécille on un homme de beaucoup
d'efprit ; attendons pour le juger que son élucationfoit
achevée.
>> Les habitans de la Paroiſſe de Suré au Perche ,
qui avaient éprouvé la plus grande perte par l'orage
& la grêle extraordinaire du 13 Août dernier
, viennent d'effuyer un ſecond événement
qui met le comble àleur infortune. La grele du
3 Août avait détruit en moins des minutes les
bleds , chanvres , fruits & généralement tout ce
qui conſtituait la récompenſe de l'art & de la
nature depuis un an , lorſque le tonnerre qui a
dépouillé la fleche de cette Paroiſſe de toutes
les ardoiſes qui la couvraient n'a laiſſé que la
charpente dont il a fendu une piece longue de
40 pieds , en en détachant la moitié ſans déranger
l'autre partie qui eft reſtée ſur place ; la
foudre rentrant dans l'Egliſe a féparé le pilier
qui ſoutient un des angles du clocher , du mur
du choeur ; elle a confumé toute la cire d'un
cierge qui était ſur l'autel , ſans avoir brulé la
meche reſtée blanche & fans être dérangée de
fa ligne. Le bois qui ſervait d'addition au cierge
a été régulierement ouvert par le milieu , une
partie reſtée avec la meche ſur l'Autel , l'autre
tranſportée ſur la tablette du banc de l'oeuvre.
Les effets ont été auffi finguliers qu'accablans
pour les habitans de Suré , qui , après avoir
perdu plus de 20000 liv. le trois Août , ſe voient
( 179 )
encore chargés d'une réparation de plus de cent
piſtoles. Comme les grosDécimateurs de cettelaroiſſe
ſont éloignés , je vous prie , Monfieur ,
de faire mention de ces deux événemens dans
votre Journal , afin qu'ils en foient inſtruits.
On a fait , les de ce mois , à S. Severin ,
la diſtribution du prix de vertu fondée par
M. Artau , & qui a lieu tous les ans en faveur
des filles ſages de cette Paroifle ; pluſieurs
perſonnes charitables ont ſecondé le
zele du Curé en ajoutant quelques dons à
cette récompenfe de la vertu; & il feroitbien à
ſouhaiter que cette inſtitution ſi utile à la
ſociété , & fi honorable pour les moeurs , excitât
avec plus de ſuccès encore , la ſenſibilité&
la bienfaiſance des bons citoyens .
>>>L'Académie des Sciences , Belles-Lettres &
Arts d'Amiens , dans ſa ſéance du 25 Août , a
adjugé le Prix des Sciences , dont le ſujet étoit
es ca uses des Hernies , & les moyens de les prévenir
& de les guérir , à M. Munnick , Docteur en Médecine
, & Profeſſeur en l'Univerfté de Groningue.
L'Acceffit a été donné à M. Langler ,
Chirurgien-Major de l'Hotel-Dieu de Beauvais .
L'Eloge de Greſſet , ſujet du Prix littéraire , eft
propoſé pour la troiſieme fois , & ce Prix ſera
triple , c'est-à-dire , de trois Médailles d'or , valant,
chacune , 500 liv . Un Prix de soo liv. eſt
propoſé à celui des citoyens de la Picardie , qui
aura fait la plus belle action d'humanité , de quelque
maniere quelle s'entende ; ou à celui qui aura
découvert un Remede des plus utiles à la ſanté , ou
qui aura inventé quelque Machine , Métier , Instrument
propre à la perfection de l'Agriculture , des
Arts , du Commerce, pricipalement dans la Pro
h6
( 180 )
wince. Ce Prix a été fondé par M. de la Tour ,
Peintre du Roi , Conſeiller de l'Académie royale
de Peinture , & Honoraire de l'Académie d'Amiens.
Cet Académicien , qui , dans ſes portraits ,
peint fi bien l'ame , & qui en a une ſi belle ,
eſt auſſi illustre par la bienfaiſance que par le
génie. Les Ouvrages ou Mémoires ſeront envoyés
, franc de port , avant le 1 Juillet 1784,
àM. Baron, Secrétaire de l'Académie , à Amiens .
M. le Griel vient de nous faire paffer l'obſervation
ſuivante faite à Barneville près
Honfleur , du Météore fingulier qui a été vu
dans plufieurs endroits de l'Europe.
Le 18 Août de cette année , à neuf heures
vingt-cinq minutes du ſoir , le Barometre étant
à 28 pouces 4 lignes , & le Thermometre à 18
degrés felon M. de Réaumur ; un très -léger
vent fouflant à peu-près du côté du Nord : j'apperçus
, dans le vrai Nord du monde , à 20 degrés
vers l'Oueſt , la variation de l'aimant corrigée
, à la hauteur de 40 degrés ſur l'horifon ,
un Globe de feu de forme ſphérique , dont la
groſſeur repréſentoit àpeu-près celle de la Lune
dans ſon plein , qui parcourut dans le ciel un
arc de 100 degrés ;& ce fut là où un groupe
d'arbres me le cacha ; peu de ſecondes avant ,
c'est-à-dire , éloigné d'environ 40 degrés du zenith
, il me parut que le feu de ce météore
manquoit d'aliment , car ſa lumiere commençoit
à diminuer ſenſiblement ; il paſſa à 10 degrés
vers l'Eſt du zenith ,& mit environ 90 fecondes
à parcourir cette portion de l'arc du ciel : fa
marche étoit accompagnée d'un pétillement ſemblable
à celui d'une très-forte électricité , &
laiſſoit après lui une longue queue cu longué
traînée de feu , que j'ai attribué , non pas.aux
cendres embraſées du Globe , qui étant aban(
181 )
données après lui dans ſa courſe paroiffoient enflamées
tant qu'elles étoient embrâfées , & difparoiſſoient
fitôt après leur refroidiflement : mais
à la vitelle extrême avec laquelle ce Globe s'eſt
mû ; car comme la foibleſſe de notre organe ne
me permettoit pas de diftinguer les endroits
qu'il venoit d'abandonner , & que l'imprefſion
de la lumiere ſubſiſtoit encore dans mes yeux ,
je croyois voir tout cet eſpace en feu : en
effet , la viteffe avec laquelle il s'eſt mû étoit
fi grande que je ne pouvois point diſtinguer leurs
différentes parties , mais que je ne ſaiſiffois que
leur maſſe locale : la forme de cette queue qui
comprenoit en ligne droite différents Globes
qui diminuoient de volume , à meſure qu'ils
reſtoient en arriere , me confirme cette ſuppofition.
La clarté de la lumiere de ce Globe
annonçoit une matiere fort condenſée & compoſée
, car la couleur blanche de ce feu me fait
ſuppoſerque cette matiere eſt un compoſé preſque
entiérement nitreux , & très -légérement fulphureux
: cependant , en ſuppoſant que la matiere
ſulphureuſe y dominat , il faudroit , dans cette
ſeconde hypotheſe , ſuppoſer le ſouffre extrêmement
volatiliſé. La forme ſphérique de ce météore
n'eſt due qu'à ſa propre marche ; car comme
c'étoit un fluide embráſé qui nageoit alors dans
l'air , qui , lui-même , eſt un autre fluide , il a
pris une forme ſphérique. L'action des vents n'a
dû nullement influer ſur l'extrême viteſſe de ſa
marche , puiſque , au moment de fon apparition
, l'air étoit fort calme: de plus , l'action des
vents , fi forts qu'ils soient , n'auroit pû le faire
mouvoir avec tant de promptitude ; & je crois
que , juſqu'à ce jour , la Phyſique n'a pû décou
vrir la force projectile qui anime ces fortes
de météores, Le jour qui précéda cette ob
( 182 )
ſervation , le temps fut affez beau , peu nebuleux;
le vent affez conftament calme , & fouflant du
côté du Nord ; le Barometre toujours à 28
pouces , 4 lignes , & le thermometre à 20 degrés
ſelon M. de Réaumur , & peu après le coucher
du Soleil il parut, dans la région du Nord,
à 20 degrés près de l'horiſon , quelques petites
nuées électriques , que la lumiere de la Lune
éclipfa». :
>> L'Académie Françoiſe croit devoir apprendre
au Public que la Médaille du Prix de Vertu
qu'elle a donnée dans la ſéance de la Saint-
Louis de cette année , & qu'elle donnera de
même dans toutes les ſuivantes , a été gravé
gratuitement par M. Gatteaux , Graveur des Médailles
du Roi , Artiſte plein de talent , d'honnêteté
& de zele patriotique , dont il a donné ,
par cet acte généreux , la marque la plus diftinguée
& la plus digne de l'eſtime de tous les
bons citoyens. Cette Médaille , éxécutée avec
tout l'art , le goût , & toute l'intelligence poffible
, repréſente , d'un côté , Minerve , debout ,
tenant une couronne de laurier , & porte de
l'autre cette Inſcription : Prix de Vertu , entourée
d'une couronne civique. L'Académie Françoiſe
, pour témoigner , quoique faiblement , fa
reconnoiffance à M. Gatteaux , l'a prié d'acceр-
ter un Exemplaire de ſon Dictionnaire , un Billet
d'entrée , pour lui , à toutes les ſéances publiques
, & deux autres Billets , pour donner à
qui il voudra ».
René Comte de Turpin , Meſtre de
Camp de Dragons de la Maiſon de Turpin
de Jouhé , établie en Angoumois dès
le douzieme fiecle , eſt mort en ſon Château
de Nalliers en Poitou , le , Juillet dernier
( 183 )
âgé de 45 ans. Il étoit le dernier de la branche
établie en Poitou depuis trois fiecles . II
a laiſſé un frere admis au Chapitre de Lyon ,
& trois filles ; l'aînée Chanoineſſe de l'Argenton
, & les deux autres de Neuville.
DE BRUXELLES , le 23 Septembre.
On a fait il y a quelque tems à Bonheyden
en préſence de L. A. R. & du Comte de
Belgiojofo , Miniſtre de l'Empereur , l'épreuve
de fufils d'une nouvelle invention, imaginés
& conftruits par le ſieur Marder, Armurier
de l'Electeur de Cologne , & dont on a
fabriqué un grand nombre dans la manufacture
Impériale du ſieur de Gamby. On avoit
envoyé à Bonheyden un détachement de
Grenadiers & de Dragons de la garnifon de
cette ville , pour faire les épreuves ; on les a
faitexercer & tirer àdifférentes diſtances avec
'ces nouveaux fufils , & on a reconnu qu'ils
étoient plus juftes , & que dans le même
eſpace de tems on tiroit beaucoup plus de
coups & plus facilement qu'avec les autres .
Selon les Lettres de la Haye , la Compagnie
des Indes a renouvellé aux Etats Généraux
la demande qu'elle leur avoit faite
précédemment d'un ſecours de 14 millions
de florins qui lui font néceſſaires pour continuer
fon commerce, faire face aux Lettres de
change qu'on a tirées ſur elle; elle n'areçu
encore que 12 tonnes quilui ont été avancées
par la province d'Hollande,& qui ne peuvent
ſuffire àſesbeſoins, Elle eſt preſſée d'envoyer
( 184 )
dans l'Inde des Matelots qui y manquent ,
pour équiper les vaiſſeaux qui doivent charger
& apporter en Europe les marchandiſes
dépoſées depuis fi long-tems dans, ſes différens
Comptoirs. Cette nouvelle requête a été
priſe en conſidération & expédiée aux provinces
reſpectives avec priere de l'examiner le
plutôt qu'il leur ſera poſſible.
Les mêmes Lettres portent que les Etats
d'Hollande ont abandonné le procès de
l'Enſeigne de Witte & du Jardinier Van-
Brakel au Tribunal de la Cour de cette
Province qui prononcera. L'Enſeigne s'eſt
adreſſé à L. N. G. P. pour obtenir ſa grace ,
& ſa requête a étérenvoyée à la Cour avec
les pieces du procès.
On a reçu enfin le traité préliminaire de
paix entre l'Angleterre& les ProvincesUnies;
nous nous empreſſons de le tranſcrire.
Le roi de la G. B. & les Etats Genéraux des
Provinces-Unies , animés d'un deſir égal de faire
ceffer les calamités de la guerre , ont déja autorifé
leurs miniſtres plénipotentiaires reſpectifs ,
à figner une déclaration entr'eux pour fufpenfion
d'armes :& voulant rétablir entre les deux nations
l'union&la bonne intelligence auſſi néceſſaires
pour le bien de l'humanité en général que pour
celui de leursEtats & ſujets reſpectifs , ont nommé
à cet effet , ſavoir : de la part de S. M B le trèsilluftre&
très Excellent SeigneurGeorge duc &
comte de Mancheſter &c. &c. fon ambaſſadeur
extraordinaire& plénipotentiaire près S. M. T.
C. & de la part de LL. HH. PP. leſdits Etats-
Généraux les très-Excellens ſeigneurs Mathieu
L'Eſtevenon de Berkenrode , & Gerard Brantfen,
( 185 )
reſpectivement leurs ambatfadeur & ambaſſadeur
extraordinaire & plénipotentiaires. - Leſquels
après s'être duement communiqué leurs pleinspouvoirs
enbonne forme , ſont convenus de articles
préliminaires ſuivant : -1º. Auffitot que les
préliminaires ſeront ſignés & ratifiés , l'amitié fincere
& conftante ſera rétablie entre S. M. В. ,
Etats & ſujets , & LL. HH. PP. les Etats-Généraux
, leurs Etats & ſujets , de quelque qualité
on condition qu'ils ſoient fans exception delieux
nide perſonnes ; en ſorte que les hautes parties
contratantes apporteront la plus grande attention
àmaintenir entre Elles & leurs Etats & ſujets
cette amitié & correſpondance réciproque , fans
permettre dorénavant que de part ni d'autre on
commette aucune forte d'hoftilités par mer ou
par terre pour quelque cauſe ou fous quelque
prétexte que ce puille étre: & on évitera foigneuſement
tout ce qui pourroit altérer à l'avenir
Punion heureuſement rétablie : s'attachant au
contraire à ſe procurer réciproquement en toure
occafion tout ce qui pourroit contribuer à leur
gloire , intérêts& avantages mutuels , fans donner
aucun fecours ou protection , directement ou
indirectement , à ceux qui voudroient porter quel.
que préjudice à l'une ou l'autre deſlites hautes
parties contractantes . Il y aura un oubli général
de tout ce qui a pu être fait ou commis avant ou
depuis le commencement de la guerre qui vient
de finir.-2°. A l'égard des honneurs & du falut
en merpar les vaiſſeaux de la république vis-àvis
de ceux de S. M. B. , il en ſera uſe reſpectivement
de la même maniere qui a été pratiquée
avant le commencement de la guerre qui vient
de finir.- 3°. Tous les priſonniers faits de part
&d'autre , tant par terre que par mer , & les
étages enlevés ou donnés pendant la guerre , &
juſqu'à ce jour , feront reſtitués ſans rançon dans
( 186 )
fix ſemaines au plus tard , à compter du jour de
l'échange de la ratification de ces articles préli
minaires : chaque puiſſance foldant reſpectivement
les avances qui auront été faites pour la
ſubſiſtance & l'entretien de ſes priſonniers par le
ſouverain du pays où ils auront été détenus
conformément aux reçus & états conflates , &
autres titres authentiques qui feront fournis de
part&d'autre ; & il ſera donné réciproquement
des ſuretés pour le paiement des dettes que les
priſonniers auroient pu contracter dans les Etats
où ils auroient été déténus juſqu'à leur entiere liberté
, & tous les vaiſſeaux tant de guerre que
marchands , qui auroient été pris depuis l'expiration
des termes convenus pour la cefſation des
hoſtilités par mer , feront pareillement rendus
debonne foi avec tous leurs équipages & cargaifons;
& on procédera à l'exécution de cet arricle
immédiatement après l'échange des ratifications
de ce traité préliminaire.-4°. Les Etats-
Généraux cédent&garantiſſent en toute propriété
à S. M. B. la ville de Négapatnam avec les dépendances
d'icelle : mais vu l'importance que les
Etats-Généraux attachent à la poffeffion de la ſu
dite ville , le roi de la G. B. pour marque de ſa
bienveillance envers les ſuſdits Etats , promet ,
non-obſtant la ſuſdite ceſſion , de recevoir & de
traiter avec eux pourla reſtitution de ladite ville ,
en cas que les Etats auroient à l'avenir quelque
équivalent à lui offrir.-5°. Le roi de la G. B.
reftituera aux Etats-Généraux Trinconomale ,
ainſi que toutes les autres villes , forts , havres
&établiſſemens qui dans le cours de la guerre
préſente ont été conquis dans quelques parties
du monde que ce ſoit par les armes de S. M. B.
ou par celles de la compagnie des Indes-Orientales
, angloife , & dont il le trouveroit en poffeffion
le tout dans l'état où ils ſe trouveront.
,
-
( 187 ) .
-
,
6°. Les Etats-Généraux promettent & s'engagent
à ne point gêner la navigation des tujets britans
niques dans les mers orientales . -7°. Comme
il s'eſt élevé des différends entre la compagnie
africaine angloiſe , & la compagnie des Indes
Occidentales hollandoiſe , relativement à la navi.
gation ſur les côtes de l'Afrique , ainſi qu'au ſujet
du Cap Appollonia : pour prévenir toute caute
de plainte entre les ſujets des deux nations ſur ces
côtes, il eſt convenu que de part & d'autre on
nommera des commiſſaires pour faire à ces égards
des arrangemens convenables. 8°. Tous les
pays & territoires qui pourroient avoir été conquis
, ou qui pourroient l'être dans quelque
partie du monde que ce ſoit , par les armes de
S. M. B. ainſi que par celles des Erats Généraux ,
qui ne font pas compris dans les préfens articles ,
ni à titre de ceffions , mi à titre de reſtitutions ,
feront rendus fans difficulté & fans exiger de
compenfation . - 9°. Comme il est néceſſaire
d'affigner une époque fixe pour les reſtitutions &
évacuations à faire , il eſt convenu que le roi de
la G. B. fera évacuer Trinconomale , ainſi que
toutes les villes , & territoires dont ſes armes ſe
font emparées , & dont il ſe trouve en poſſeffion
(à l'exception de ce qui eſt cédé par ces artioles
à S. M. B. ) à la même époque que ſe feront
les reſtitutions & évacuations entre la G. B. & la
France. Les Etats Généraux remettront à la
même époque les villes & territoires dont leurs
armes ſe ſeroient emparées ſur les Anglois dans
les Indes-Orientales. En conféquence de quoi
les ordres néceſſaires ſeront envoiés par chacune
des hautes parties contractantes . avec des paſſeports
réciproques pour les vaiſſeaux qui les porteront
immédiatement après la ratificarion de ces
articles préliminaires.- 10°. S. M. B. & LL.
HH. PP. promettent d'obſerver fincerement &
( 188 )
debonne foi tous les articles contenus & établis
dans ce préſent traité préliminaire : & elles ne
fouffriront pas qu'il y foit fait de contravention
directe ou indirecte par leurs ſujets reſpectifs : &
les ſuſdites hautes parties contractantes ſe garantiſſent
généralement & réciproquement toutes les
ftipulations des préſens articles.-11°. Les ratifications
des préſens articles préliminaires , expédiées
en bonne & due forme , feront échangées
en cette ville de Paris entre les hautes parties
contractantes , dans l'eſpace d'un mois , ou plutôt ,
fi faire ſe peut , à compterdu jour de la fignature
des préſens articles.-En foide quoi nous ſouffignés
, leurs ambaſſadeurs & plénipotentiaires ,
avons fignéde notre main , en leur nom , & en
vertude nos pleins- pouvoirs , les préſens articles
préliminaires , &avons fait appoſer le cachetde
nosarmes.-Faità Paris le 2 Septembre 1883.
Signé L, S. Mancheſter , L. S. L'Eſtevenon van
Berkenrode , L. S. Brantſen.
1
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES .
Le 24 Août , écrit- on de Dublin , deux officiers
anglois appartenant à un régiment britannique
qui eſt dans cette ville, ſe battirent en duel
dans le parc du phenix. Au premier coupdepiftolet
qu'ils tirerent , ils ſe bleſſerent tous les
deux; au ſecond ils reſterent l'un & l'autre morts
fur le carreau .
On aſſure que les marchands d'Irlande ont le
defſein de faire le commerce des Indes-Orienzales
ſur leurs propres vaifſeaux. Si ce projet
s'effectue , on craint que la compagnie des Indes
dont les embarras ſont déja très-grands , ne puiffe
pas ſe ſoutenir.
Plus de 300 lieutenans; Midshipmens & chirurgiens
de la marine angloiſe ſe ſont embarqués
pour Petersbourg, dans l'intention d'aller ſervir
àbord des vaiſſeaux de guerre Ruffe.
( 189 )
On eſt parvenu à arrêter la plupart des criminels
qui s'étoient ſauvés du vaiſſeau qui devoit
les tranſporter dans la nouvelle Ecoſſe. Un de
ces malheureux interrogé ſur le but qu'il pouvoit
avoir en s'échappant , a répondu que lui & pluſieurs
de ſes compagnons ſe propoſoient de gagner
le premier port , pour s'engager au ſervice
de la Ruffie , où ils eſperoient trouver de l'encouragement
& reſter inconnus.
Lesmiffions d'uſage àRome dans quatre différentes
places de cette ville finirent le 15 Août,
On ne peut exprimer le concours du peuple qui
a aſſiſté à ces prédications , & les fruits qu'elles
ont produits ; il ſuffit dedire ici que dans la place
de Traſtevere où l'on en attendoit le moins , on
a vu quantité de jeunes gens apporter ſur les
trétaux du miffionaire les armes defendues qu'ils
portoient. Unejeune femme ydépoſa ſon miroir,
& une autre un livre obſcène. Gazetta univerfale
deFlorence.
Une compagnie compoſée de François &
d'Ang'ois , s'offre à exploiter les riches mines
de cuivre que recèle le territoire des baies
d'Hudſon & de Bafin. M. Coriolis de Leſpinouſe
affure , dit- on , que la qualité de ce cuivre eſt
au deſſus de celle de tout le cuivre d'Europe , &
il ajoute qu'il n'y ena pasde plus propre à doubler
les vaiſſeaux. Gazette d'Utrecht , No. 63 .
Sahim-Gueray eſt à Cherſon ; il a beaucoup de
François à ſon ſervice; on fait qu'il aime les
langues européennes , les ſciences &les belle.s
lettres ; il ſe propoſe , dit-on , de faire traduire
l'Encyclopédie à ſes frais en langue tartare . -
Les officiers étrangers qui font entrés au ſervice
du Grand-Seigneur , font tous employés dans
l'artillerie & dans le genie ; ils n'ont pu être
placés dans les autres corps , à cauſe de leur ignorance
de la langue , & du refus que les officiers
( 190 )
musulmans ont fait de fervir avec ceux qu'ils appellent
des Infideles. Nouvelliſte politique d'Allemagne
, No. 145 .
Depuis hier , le bruit court ici , ( à Vienne ) ,
qu'il eſt ſurvenu une grande révolution à Conftantinople&
que leGrand-Seigneur a été détrôné.
Il eſt inutile d'avertir que ce n'eft qu'un bruit .
Gazette de la Haye , No. 94 .
Il paroit que la ville d'Alger eſt preſque détruite
& fon port brûlé , & que l'arſenal ainfi
que les navires ont beaucoup fouffert , & feront
pour quelque temps hors de ſervice. Si la conftance
du Roi d'Eſpagne & de ſon miniftere , renouvelle
lamême vifite tous les ans à ce repaire
depirates , comme on le dit , ce ſera employer
plus honorablement l'argent que ne font d'autres
nations qui leur payent un tribut honteux
& qui répondent à ces pirates par le bien pour le
mal qu'ils nous font , au moyen de leur influence
& des ſecours qu'elles portent aux Barbareſques.
Un intérêt mal combiné les fait agir contre les
principes d'humanité & de politique dont elles
aiment à ſe vanter. Gazette d'Amſterdam , N° .74 .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS, GRAND CHAMBRE .
Interdit , différence entre un Prêtre Diocésain &
& un PrêtreEtranger.
L'interdit mis au nombre des cenfures eccléfiaſtiques
, ne doit être prononcé que pour caufes
graves, les canons exigent même qu'il ſoit précédé
de monitions. Ces formalités ont été introduites ,
pour procurer à l'évêque , avant de lancer l'interdit
, une preuve juridique du délit imputé au
prêtre, Mais il n'eſt tenu d'obſerver ces formalités
que vis-à-vis des prêtres ſes diocéſains : il
n'en eſt pas de même du prêtre qui a quitté ſon
diocèſe pour paſſer dans un autre : ce prêtre
étranger ne peut ſe plaindre , lorſque l'évêque
( 191 )
jugeà propos de lui retirer ſes pouvoirs.-Le
fieur ***né à C ... de parens honorables , ayant été
ordonné prêtre dans ſa ville , en Septembre 1775,
paſſa en 1776 , du conſentement de ſon évêque ;
muni de lettres d'exeat , dans le diocèſe de
Rouen , & y obtint des lettres de vicariat pour
l'égliſe paroiſſiale de M... où il eſt reſté jufqu'en
1778. Il a exercé enſuite dans le diocèſe
de Paris la place de vicaire à M...= En 1780 ,
il s'eſt retiré dans le diocèſe de Chartres où , du
confentement de l'évêque , il a exercé une
place de ſous-vicaire , & prêtre habitué de la paroiffe
de M... l'A... où le curé lui a confié la
place de ſacriſtain , ou clercde l'oeuvre , receveur
du caſuel des prêtres , qui étoit venue à vaquer.
En Décembre 1780 , huit mois après l'arrivée
du ſieur ... à M... l'A ... le curé ſur
quelques mécontentemens en fit demander la retraite
à l'évêque de Chartres . Un grand-vicaire
lui écrivît que le prélat enverroit un prétre de
l'ordination prochaine pour remplir la place de
vicaire qu'il occupoit , & que dès-lors ſes ſervices
devenant inutiles , l'intention de l'évêque
étoit qu'il ſe retiråt dans ſon propre diocéſe , celui
de C... , le ſieur *** répondit en proteſtant de
ſe pourvoir contre ce renvoi ; & il annonça au
curé de M... l'A... que ſon intention étoit de
conſerver l'une des places de prêtre habitué de la
Paroiffe, fondé en laditeEgliſe&de ſacriſtain , à
laquelle il prétendoit avoir été nommé ; il réclama
les honoraires à lui dûs pour l'exercice de fonctionsde
vicaire pendant ſept mois , fit même af
figner le curé à l'effet de les lui payer ,&afin que
défenſes lui fuſſent faites de le troubler dans les
fonctions de facriftain =le 9 Janvier 1781 , 1Evêque
de Chartres interdit le ſieur * * * de toutes
ſesfonctions dans ſon diocèſe. Le même jour délibération
des E abriciens de MIA ***, priſe dans
( 192 )
uneaſſemblée convoquée par le curé , par laquelle
après avoir reconnu que la place de facriftain étoit
àla pleine , entiere & libre difpofition du curé , qui
déclara qu'il ne s'étoit lié en aucune maniere en
la fa fant exercer au fieur *** qui , en conféquence
de Pinterdit lancé contre lui , ne pouvoit plus en
continuer les fonctions ; il fut arrêté que le Sr ***
feroit contr int , à leur requête , de remettre les
clefs , regiſtres , efters , & généralement tout ce
qu'il pourroit avoir entre les mains , appartenant
à la Fabrique. Cette délibération fut notifiée le
lendemain 10 au ſieur abbé *** avec ſommation
d'y fatisfaire. Il proteſta contre la ſommation , &
s'oppoſa formellement à ladélibération. Les curé
&marguilliers prirent le parti de le faire aſſigner
à l'effet de rendre les clefs , regiſtres , &c ; & par
provifion , attendu qu'il leur importoit d'avoir
ſeuls la diſpoſition de la facriſtie , & d'en interdire
Puſage au fieur *** , ils demanderent à être autorités
à faire faire de nouvelles clefs . = Le Juge
rendit ſon ordonnance , portant permiffion d'afligner,
& accorda la provifion par itérative ſommationt.
Sur cela de Promoteur de l'Officialité de
Chartres ayant fait fignifier au fieur *** l'interdit
lancé contre lui, celui-ci en interjetta appel comme
d'abus , &interjetta aufli appel ſimple de l'ordonnance
du Juge ; ildemanda en même tems l'évocation
en la Cour de différentes demandes pendantes
à M. I'A ***, Arrêt du 23 Mai 1783 qui
faifant droit fur l'appel comme d'abus , a déclaré
qu'il n'y avoit abus , & condamné l'appellant en
l'amende & aux dépens. Faifant droit ſur l'appel
ſimple de l'ordonnance du Juge de M. l'A ***
amis l'appellation au néant ; a fait défenſes au
beur *** de s'immiſcer dans les fonctions de facriftain;
ordonne la reſtitution des clefs , titres &
regiftres de la ſacriſtie de M. *** &de toutes
choſes y appartenantes , fi fait n'a été , condamne
T'appellant en l'amende&aux dépens .
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PARUNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
2
:
CONTENANT
**Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
- Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spetacles ,
les Causes celebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 4 OCTOBRE 1783 .
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
PIÈCES
TABLE
Du mois de Septembre 1783.
IÈCES FUGITIVES .
Le Diable, Conte ,
Couplets à M.Grignon ,
3
Table Chronologique des Di..
plômes , &c . 69
Examen de la Question : Si les
Le Souperfentimental, Conte ,
5
Le Public & le Globe Terpublics
doivent être en langue
Nationale?
Infcriptions des Monumens
73
reftre , Dialogue , 49
Fontenellejugé parſes Pairs ,
116
L'Absence ,
Le bon Confeil , 52
Les Georgiques de Virgile , en
A un Novice au Couvent vers François , 151
de *** ib. L'Ifle Inconnue , 170
AMme de Bourdic , 97 Physique du Monde, 175
A Mlle Simonet ,
Choix de Pièces du Théâtre
98
Dancourt
de Chaffe , 99
Epitaphe de Diane, Chienne François , chefd' OEuvres de
Versà Milede Gaudin , 100 Nécrologie ,
Lettre de M. de la Harpe au Académie Françoise ,
180
182
25
135
30,89
40
Rédacteur du Mercure, 101 SPECTACLES ,
A Mme la Princeſſede Cra- Concert Spirituel ,
covie , 145 Acad. R. de Musiq.
A Mlle de Saint P** , 146 Comédie Françoise ,
Vers à Rofe , 147 Comédie Italienne ,
Lemomentde la Recette , ibid.
L'Automne & le Printemps ,
Fable , 149
Charades , Enigmes & Logogryphes
, 15. 54 , 114 ,
NOUVELLES LITTÉR .
I
L'Iliade & l'Odyssée d'Homère
, 17
561
Vie de Michel-Ange Buonar
roti ,
136
SCIENCES ET ARTS .
Exposition des Peintures , &c.
de MM. de l'Académie
Royale , en 1783 , 122 , 186
VARIÉTÉS .
Réponse de M. Garat àla Lettre
inférée dans le Mercure ,
N°. 35 , 78
Annonces & Notices , 45 , 91 ,
142,187
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT &F. J.
BAUDOUIN , tue de la Harpe , près S. Côme,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 4 OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS faits pendant mon féjour à Anet.
VALLON ALLON délicieux , aſyle du repos ,
Bocages toujours verds , où l'onde la plus pure
Roule paiſiblement ſes flots ,
Et vient mêler ſon deux murmure
Aux tendres concerts des oiſeaux ,
Quemon coeur eſt ému de vos beautés champêtres !
J'aime à me rappeler , ſous ces rians berceaux ,
Qu'en tout temps Anet eut pour Maîtres
Ou des Belles ou des Héros.
Henri bâtit ces murs , monument de tendreſſe;
Il y grava par-tcut le nom de ſa Maîtreffe ,
Chaque pierre offre encor des croiſſans , des carquois ,
Et nous dit que Diane ici donna des loix.
Vendôme , couronné des mains de la Victoire ,
A ij
4 MERCURE
Sous ees antiques peupliers
Along- temps repoſé ſa gloire ;
Etlorſque de Philippe il guidoit les Guerriers,
Qu'il faifoit fuir l'Anglois & foumettoit l'Ibère ,
Accablé ſous le poids des grandeurs , des lauriers ,
Vendôme , ſeul ſoutien d'une Cour étrangère ,
A regretté d'Anet le vallon ſolitaire.
Enfin , de ce beau lieu Penthièvre eſt poffefſeur :
Avec lui la bonté , la douce bienfaiſance
Dans le palais d'Anet habitent en filence ;
Les vains plaiſirs ont fui , mais non pas le bonheur.
Bourbon n'invite point les folâtres Bergères
A s'aſſembler ſous les ormeaux.
Il ne ſe mêle point à leurs danſes légères ,
Mais il leur donne des troupeaux.
Maîtreſſe dans l'art de féduire ,
Diane l'apprit dans ces lieux :
Vendôme y méditoit l'art cruel de détruire :
Penthièvre exerce l'art de faire des heureux.
Que ton orgueil ſur ces titres ſe fonde ;
D'avoir changé de Maître , Anet , te plaindrois-tu ?
Toi ſeul tu poffédas tous les biens de ce monde ,
L'Amour , la Gloire & la Vertu.
( Par M. le Chevalier de Florian.)
DE FRANCE. S
A M. DUPRÉ DE SAINT - MAUR ,
Intendant de Bordeaux.
Vous tenez dans vos mains la balance&lalyre,
Et vous ſavez tout-à-la- fois ,
Par de ſavans Écrits, & par de ſages Loix ,
Nous rendre heureux & nous inſtruire .
( Par M. Latour de la Montagne. )
INVITATION à dîner à ALBINE ,
Chienne de Madame AD ****.
LORSQU'HIER la jeune Dorine
Vint embellir mon horifon ,
Quoi , fans pitié , ma pauvre Albine
On t'a laiſſée à la maiſon ?
Du mal de la quitter je ſais la violence ,
Le vuide , le néant qui ſuivent ſes adieux ;
Et je ſens ta même ſouffrance
Lorſque le voile de l'abſence
M'ôre la clarté de ſes yeux.
Ан ! quelle rigueur inhumaine !
Nous ſéparer dans un commun bonheur!
En le goûtant j'ai mieux ſenti ta peine ,
J'entendois ton cri dans mon coeur.
Je crois l'entendre encor ce doux cri qui l'appelle;
Aiij
6 MERCURE
Je te vois t'agiter , courir , gémir , errer ,
Sur fa trace la reſpirer.
Je te vois te ſaiſfir de ce qui reſte d'elle ;
De ce qui la toucha la moindre bagatelle
Aux lieux qu'elle a quittés tient ſa place à tes yeux.
Albine, c'eſt ainſi que nous trompons tous deux
Les maux d'une abſence cruelle .
Mon-bonheur ne tint plus ſouvent qu'à des cheveux
Que m'abandonıra l'infidelle
En revolant à d'autres noeuds.
Sur ſes voiles épars long-temps ton choix héſite ,
Tu vas , tu viens, tu ſens pour te chercher un gîte
Qù calmer les maux de ton coeur.
C'eſt ſur ſesjupons qu'il palpite
Avec un peu moins de douleur.
Tu crois de fon giron reſpirer la chaleur.
T
La voilà de retour. Va tourner autour d'elle ,
Baiſe ſes jolis piés , pleure , gémis , obtien
De la ſuivre chez moi. Que ta voix lui rappelle
L'inſtant de m'abréger une abſence cruelle.
Ah ! viens , tout mon bonheur s'augmentera du tien.
Dieux ! comme un coeur ſenſible abonde quand il aime!
Sur les moindres objets que je goûte un doux bien
A rejeter l'excès qui ſurcharge le mien !
Que dis -je , Albine , quel blaſphême !
Eft- il rien que l'Amour n'élève au rang ſuprême !
Le Chien d'une maîtreſſe eſt-il encor un Chien ?
C'eſt un ami. Pour le traiter de même ,
DE
7
FRANCE.
Albine, on n'épargnera rien.
Sur des carreaux couverts de deux nappes bien nettes ,
Je te ferai ſervir demain
Dans le crystal brillant tu boiras de ma main ;
Etje t'invite à des gimblettes.
( Par M. le Baron de T ***. )
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Gravier , ( Cable )
& Gravier de Vergennes ; celui du Logogryphe
eſt Amer , où l'on trouve âme , arme ,
rame, mer , mare.
JE
CHARADE.
:
E fuis fleur , & ma tête , ami , vit de ma queue.
( Par M. *** , de Beaumont-le- Vicomte. )
SANS
ÉNIGME.
ANS que je fois un arbriſſeau ,
Deux branches forment tout mon étre.
L'art fait de ma tête un fourneau
Où le feu meurt au lieu de naître.
Cependant mon premier devoir
Eſt de l'entretenir ſans ceſſe ;
Aiv
8 MERCURE
Veſta ne pouvoit pas avoir
De plus vigilante Prêtrefle .
Sur ma voiſine en certain cas
J'opère une cure nouvelle ;
En lui mettant le chef en bas ,
Je la rends plus vive & plus belle.
On ne me voit guère à la Cour ;
Mais il eſt rare en récompenſe
Que j'aille établir mon ſéjour
Sous l'humble toit de l'indigence.
Enfin , pour parler ſans détour ,
De la nuit, compagne fidelle ,
Je ne fais rien pendant le jour ,
Mais je travaille à la chandelle.
(ParM. Bl... , d'Arras )
LOGOGRYPHE A GRÉGOIRE.
U
NE cuiſine eſt mon poſte ordinaire.
Accepte , ami Grégoire , un paſſable repas .
Je t'attends ſur dix pieds. Pour épicer les plats
J'aurai recours à ma Mercière.
Une raie , un ramier feront mes premiers mets ,
Je donnerai ma crême après.
Si tu n'as plus de dents , je t'offre de la mie;
Le vin me manque , hélas ! je n'ai que de la lie.
Tu me diras peut- être : « ô tu n'as point de vint
>> Comment puis-je manger ſans boire ?
:
2
DE FRANCE.
>>Ami , tu connois peu Grégoire ;
>>Garde pour ta Mercière un repas ſi meſquin. >>
( Par M. Bouvet , à Gifors. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ERREURS Populaires fur la Médecine ,
Ouvrage composé pour l'instruction de ceux
qui ne profeffent pas cette Science , avec
l'explication des termes de l'Art dont on
n'a
pas pu se dispenser defe fervir , par
M. d'Iharce , Écuyer , Docteur en Médecine,
& Médecin Breveté du Roi. A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Viarmes , Nº. ,
ou rue S. Jacques , au College Dupleſlis ;
& chez Méquignon l'aîné , Libraire , rue
des Cordeliers.
C'E'ESSTT depuis que les Sciences ont abandonné
le langage mystérieux dans lequel
elles s'enveloppoient , qu'elles ont fait les
plus grands progrès. La Médecine , ſur- tout ,
paroît avoir beaucoup gagné à devenir populaire
& à parler les langues vivantes. Quelques
Médecins , il eſt vrai , ont condamné
ceux de leurs Confrères qui ſont ſortis de
leur Gres & de leur Latin pour ſe faire entendre
de tout le monde , & pour s'entendre
eux- mêmes ; ils ont feint de penfer qu'il
étoit dangereux de mettre la Médecine à la
Av
10 MERCURE
portée de tout le monde, parce que de mauvais
eſprits & le peuple peuvent en abuſer.
Cette crainte eſt bien mal fondée , le peuple
ſe fait une Médecine quand il ne connoît
point la vraie ; il adopte celle des Charlatans
& des vieilles femines. Quel bien n'a
point produit l'Avis au Peupleſurſaſanté,
de M. Tiffot ! des Docteurs en Médecine
lui en ont fait preſqu'un crime ; tout le
monde , difent ils , fe croit Médecin avec ce
Livre; on ſe traite foi- même , & on ſe tue ,
on veut traiter les autres , & on les affaffine;
mais ces Docteurs font , je crois , dans une
erreur très grande. Il y a toujours un certain
nombre de perſonnes qui , ſans avoir
rien lû , ont la fureur de faire la Médecine ,
& ce Livre ne ſert qu'à rendre leur manie
moins dangereuſe. Il a éclairé la charité, fouvent
funeſte de ceux qui ſoignent & veillent
les malades. Il a appris la Médecine aux
Chirurgiens qui la pratiquent dans les campagnes
fans l'avoir jamais étudiée ; les Médecins
eux- mêmes y trouvent , dans un ordre
clair & facile , des principes qu'ils ont
ſouvent mal compris dans les Écoles ; il eſt
poffible d'avoir reçu le bonnet de Docteur ,
&de ne pas avoir encore une aufli bonne
tête que celle qui a écrit l'Avis au Peuple
furfafanté. Nous ſommes perfuadés que ce
Livre de M. Tiffot a beaucoup diminué les
erreurs populaires fur la Médecine.
Plufieurs Médecins ont écritfur les erreurs
populaires; mais leurs Ouvrages , qui por
-
DE FRANCE. II
tent le même titre , n'ont guère d'ailleurs
d'autre reflemblance. Le premier , qui parut
dans le fixième ſiècle , eſt celui de Lau
rent Joubert , Médecin du Roi. Il eut dans
le temps un prodigieux ſuccès , & mérite
d'être estimé encore. Joubert étoit un de ces
hommes dont le ſens droit ſaiſit toujours ce
qu'il y a de plus vrai & de plus vraiſemblable
dans les connoiſſances du ſiècle où ils
vivent ; mais les queſtions qu'il traite , dans
ſa naïveté un peu gauloiſe , nous paroîtroient
aujourd'hui plus gaies qu'importantes.
Nous pouvons être tentés de rire lorfqu'il
examine commentſe doit entendre qu'une
heure plus tôt ou plus tard on engendre fils
ou fille ; il eſt difficile de garder le ſérieux,
lorſqu'il diſcute gravement fi cela fait à la
délivrance que lafemme étant en travail dife
trois fois , en remuantfort víte le pouce :j'ai
froid, j'ai chaud. Le bon Laurent Joubert:
traite beaucoup d'autres queſtions du même
genre , & les détails font quelquefois fu
naïfs , qu'en lifant un Traité de Medecine
on croit lire un Conte de la Reine de
Navarre.
ת
Primeroſe , Médecin de Bordeaux, donna
pluſieurs années après un Ouvrage en latin ,,
fous le même titre : ( De vulgi erroribus im
Medicina . ) L'Art depuis Joubert avoit fait:
des progrès , & Primeroſe avoit plus de génie.
L'Ouvrage eſt plus court & plus com--
plet; en combattant les erreurs du vulgaire ,
L'Auteur établit les principes les plus certainss
A vj
12 MERCURE
de la Science. Il penſe avec vigueur , & s'exprime
avec une préciſion très- claire. C'etoit
un homme de la trempe des Hippocrate,des
Boerhaave , des Duffault, des Bordeu . Zacutus
Lufitanus vouloit que le Livre de
Vulgi erroribus , fut toujours dans les mains
des Médecins. Mais Primeroſe a paru trop
tôt pour déployer tout ſon génie. On peut ,
par une ſeule citation , prouver combien , de
ſon temps, l'Art de la Médecine étoit encore
dans ſon enfance; il conſacre tout un Chapitre
à démontrer contre l'autorité même de
plufieurs Médecins que les fièvres tierces ne
font pas incurables.
Thomas Brown a écrit auſſi un Eſſai en
deux Volumes ſur les Erreurs Populaires;
mais cet Ouvrage d'un Médecin n'est pas un
Livre de Médecine ; Brown relève en Méta
phyfieien les erreurs de la morale , de l'hiftoire,
de la phyſique. Ce qu'il y a de curieux,
c'eſt que l'Auteur , qui connoît à merveille
toutes les folies de l'entendement humain ,
croit lui- même aux forciers, aux revenans; on
croit être aux Petites Maiſons, & entendre cet
homme , qui , après avoir fait promener un
étranger dans toutes les loges, après lui avoir
expliqué avec beaucoup de raifon & de ſens
le genre de démence & de délire de chaque
fou , finit par lui dire : Voyez- vous celui- ci ?
c'est leplus étrange de tous ; ilſe croit Jésus-
Chrift; & moi qui fuis le Père Eternel, je
fais bien qu'il n'est pas monfils.
Ilyaquelques années que M. de Brainville,
ン
DE FRANCE.
13
Médecin Hollandois , publia un Vo'ume
ſous le même titre. A la chaleur du ſtyle ,
on croit reconnoître un jeune homme qui
rend compte de ſes études plutôt que des
réſultats de ſon expérience. C'eſt l'Ouvrage
d'un Philoſophe & d'un homme de bien ,
qui a vû que la bonne morale étoit la meil
leure des Hygiènes; mais a on le confidère
relativement aux lumières que le Publie doit
attendre d'un Médecin , on peut le trouver
incomplet & infuffifant; c'eſt plutôt un ben
plan qu'un bon Ouvrage.
Enfin, il y a près d'un demi ſiècle que parut
enAngleterre, fous un autre titre , mais fur
le même ſujet , ſur l'Hygiène , un Ouvrage
qui fit beaucoup de bruit parmi les Médecins
& parmi les gens du monde , un Effai
fur la nature & fur le choix des alimens. Cer
Ouvrage eſt du Docteur Arbuthnot , homme
de Lettres aimable , & grand Médecin ,
qui travailloit au Spectateur avec Addiffon ,
&vouloit créer une Médecine fondée toute
entière ſur ſes propres obſervations. Ceux
même qui ne le connoiffent point par les
Écrits , le connoiffent par l'excellente Épitre
que lui adreſſa Pope. On le nommoit à Londres
le Machaon du nouvel Homère. Pope
avoit coutume de dire , c'eſt Arbuthnot qui
me fait vivre , ſentir & penſer; s'il y a quelque
verve & quelque bon ſens dans mes
vers , je dois à mon ami Arbuthnot mon
génie& ma gloire , & mes Lecteurs lui doivent
les plaiſirs que je leur donne. L'Ouvrage
14 MERCURE
dont nous parlons eft fondé ſur une idée
qui , par ſa hardieſe , dût porter un grand
étonnement dans la Médecine. Arbuthnot
analyſe en Chimifte les principes des humeurs
du corps humain , & les élémens de
tout ce qui peut ſervir d'aliment à l'homme ,
végétaux , liqueurs , animaux , il rapproché,
les réſultats de ces deux analyſes , & croit y
découvrir tous les rapports des ſubſtances.
alimentaires avec le corps humain : le tempérament
de l'homme , & l'eſpèce d'aliment
donné , Arbuthnot annonce les réſultats
d'une digeftion avec autant de certitude que
MM. Darcet & de Morveau ceux d'une opération
Chimique , dont leurs yeux auront
ſuivi vingt fois tous les accidens dans les
fourneaux. C'eſt voir en grand ; mais la Nature
, qui ſemble vouloir humilier l'orgueil
de l'eſprit humain , ne ſe dévoile guère à
ceux qui l'obſervent avec tant de confiance&
d'audace ; on diroit qu'elle réſerve ſes plus
importans ſecrets à ceux qui ſuivent ſes tra
ces avec le plus de timidité & le plus de modeſtie.
Arbuthnot produit plus d'étonnement
que de confiance;&après l'avoir lû ,
on reſte perfuadé que les loix de la digeftion,
font encore auffi ignorées que celles de la gé-,
nération; on finit toujours par ſe dire : nous
naiffons , nous vivons ,nous mourons fans
favoir comment.
L'Ouvrage de M. d'Iharce qui paroît fous.
le même titre que pluſieurs de ceux dont
nous venons de parler , renferme cependant.
DE FRANCI
I5
beaucoup de choſes neuves , & celles même
qui ne le font point, ſont vûes & dites d'une
manière nouvelle , non nova , fed novè.
La choſe la plus néceſſaire dans l'état de
ſanté , c'eſt de connoître les alimens & les
habitudes de vie qui maintiennent cet érar.
Dans la maladie , c'eſt de ſavoir à quels
Agnes nous reconnoîtrons le Médecin qui
mérite qu'on remette entre ſes mains le
dépôt de ſa vie .
Cedouble point de vue a diſpoſé tout le
plan de l'Ouvrage de M. d'Iharce .
Dans la première Partie , qui eſt une Hygiène
, il établit ſur la théorie de la diverſité
des tempéramens , & fur l'analyſe des alimens
que nous prenons , les principes d'un
régime propre à conferver la ſanté & à prolonger
la vie. Dans la ſeconde , il trace le
tableau des études , des conndifſances & des
talens qui conſtituent le vrai Médecin .
Il nous eft impoſſible de ſuivre M. d'Iharce
dans tous les Chapitres de ces deux Parties.
Onverra par- tour un très bon eſprit, nourri
de connoiffances très étendues , & doué du
talent de l'obſervation. Tous les Médecins
Théoriſtes ont parlé des influences de l'air,
des eaux , de toutes les cauſes qu'ils appellent
naturelles. M. d'Iharce en parle comme
eux ; mais ce n'eſt pas d'après eux. Il enrichit
cette partie de l'Hygiène, qui tient à la
phyſique générale , des vûes & des découvertes
nouvelles fur la nature des eaux , des
airs , du feu , ſur ce qu'il y a de plus mo16
MERCURE
derne dans la Chimie & dans la Phyſique expérimentale.
On voit qu'il porte ſur tous les
détails de notre manière de vivre cette attention
fcrupuleuſe qui, dans de petits objets
, apperçoit ſouvent des vérités importantes.
Il obſerve , par exemple , à l'occafion
de l'uſage ſi commun de boire des eaux
filtrées , que dans les filtres étroits par où on
les fait paffer , les eaux dépoſent une partie
de l'air qu'elles contiennent , & dont elles
ſe chargent dans les rivières en roulant expoſées
à l'action de l'atmosphère : c'eſt cet
air qui rend les eaux de rivière ſi préférables
aux eaux de ſource; mais le filtre le leur
enlève , elles deviennent plus pures à l'oeil
& moins ſaines au corps. On comprendra
combien toutes les obſervations qu'on fait
fur cet élément font importantes , fi l'on
fonge que pluſieurs grands Médecins , parmi
leſquels on doit diftinguer Hoffman , ont
regardé l'eau comme un remède univerſel ,
comme une véritable panacée pour toutes les
maladies des premières voies.
M. d'Iharce , qui ſent combien les principes
généraux exigent de modifications dans
preſque tous les cas , les applique toujours
ainſi à l'état actuel de nos moeurs , à nos
pafions dominantes , à notre manière de
vivre.
Beaucoup de gens, après s'être enfin laiſſé
démontrer que les excès dans le manger font
la cauſedu plus grand nombre de nos maux ,
imaginant que , pour être ſobre , il fuffifoie
DE FRANCE. 17
de ne faire qu'un ſeal repas , ont tranſporté
dans un dîné la gourmandiſe de toute la
journée. M. d'Iharce porte ſur leur erreur
une lumière qui doit les faire trembler.
Nous exhortons tous ces habitués de table
d'hôte , qui , mettant tout l'intérêt & toutes
les penſées de leur vie au ſeul repas qu'ils
font par jour , ſe promenent le matin pour
s'y préparer , & tout le reſte du temps pour
le digerer , nous les exhortons à lire dans
l'Ouvrage de M. d'Iharce le Chapitre de ceux
qui ne font qu'unseul repas parjour , & ils
verront à combien de dangers ils expoſent
chaque jour leur ſanté, par cet unique repas
qu'ils prennent pour une preuve de leur
tempérance. Ce noble Vénitien , qui prolongea
fi long temps ſa vie , & qui eſt dovenu
immortel par fon régime , le célèbre
Cornaro mangeait pluſieurs fois le jour ;
mais ce qu'il mengeoit dans un mois entier ,
ne ſuffiroit pas à ce qu'on mange dans ce
ſeul repas établi par la fobriété de nos jours .
M. d'Iharce examine auſſi avec un grand
foin la nature & les effets de ces liqueurs alimentaires
dont nous faiſons un fi grand uſage
depuis un ſiècle , du café , du thé , du chocolat.
Plufieurs Médecins ont voulu les profcrire
comme des poiſons dont les climats
étrangers ont infecté l'Europe. Cette colère
eſt quelquefois dans les Médecins une politique
habile. Comme les moraliſtes , ils
réuſſiffent également auprès des hommes par
la grande ſévérité & par l'extrême facilité
18 MERCURE
des principes , en faiſant trembler ou en
raffurant. Souvent auffi leur averfion pour
les productions étrangères , vient de ce
qu'ils les regardent comme des choſes non
naturelles ; comme fi elles n'étoient point
naturelles au climat qui les voient naître
ou que ces climats fuffent hors de la Nature !
comme fi la Nature n'avoit point placé
la fièvre en nos climats & le remède en Amérique
! Un Médecin foutenoit devant Fontenelle
que le café eft un poiſon lent. Oui ,
lui dit Fontenelle , bien lent , Docteur , car il
y a quatre vingt ans que j'en prends tous les
jours. M. Tiffot ſemble être le Médecin de
ce ſiècle qui s'eſt élevé avec le plus de force
contre l'uſagede ces boiffons; c'eſt une grande
autorité , mais il faut la reſpecter & l'examiner.
Ce qui paroît prouvé à M. d'Iharce ,
c'eſt que ces boiffons ont en général une action
prompte & vive fur nos liqueurs & fur
nos organes; que la Médecine doit regarder
tout ce qui agit ſur le corps humain comme
des inſtrumens de ſon Art, qu'elle doit ſe féliciter
fur-tout de pouvoir agir par des alimens
plutôt que par des remèdes . Il analyſe
les dangers & les avantages du cafe, du thé,
du chocolat , ſuivant la diverſité des circonf
tances & des tempéramens ; il tient la ba
lance , & on la voit pencher tantôt du côté
du mal , tantôt du côté du bien.
Il ſoumer à la même analyſe les alimens
même dont la bonté ne peut guère être un
fujet de doute , le pain entre autres; & à ce
1
DEFRANCE. 19
ſujet il rapporte une opinion de M. Linguet ,
qui , dans le temps, parut fort extraordinaire.
On peut ſe ſouvenir que cet Avocat
célèbre a fait contre le pain un Factum écrit
avec beaucoup de veheinence : Nous mangeons
du pain , nous autres Occidentaux ,
diſoit M. Linguer avec émotion. On ne conteſtoit
point le fait à M. Linguet , mais on
tâchoit de lui faite comprendre que parmi
ces pauvres Occidentaux qui mangent du
pain , il n'y a de malheureux que ceux qui
n'en ont point à manger. M. d'Iharce ne
réfute pas précisément M. Linguet , mais il
met les affertions de cet Écrivain à côté de
l'analyſe chimique de cet aliment ; & quand
il s'agit de juger la nature du pain , la thétorique
d'un Avocat fait un plaifant effet à
côté d'une analyſe chimique. Il y a du bon
goût dans cette manière de combattre une
erreur; le Chapitre eſt écrit d'ailleurs avec
beaucoup de modération; M. d'Iharce , en
rappelant les paradoxes de M. Linguet , paroît
aufli ſe ſouvenir de ſes malheurs. Nous
croyons cependant qu'il eût été mieux encore
de ne point parler de Pouvrage d'un
Avocat dans un Livre de Médecine , & d'oublier
, comme le Public , ces opinions , qui
ne doivent un moment d'éclat qu'à cette bizarrerie
même qui les condamne bientôt à
un oubli éternel.
Le tableau que trace M. d'Iharce , dans
la feconde Partie de ſon Ouvrage , des études
& des connoiffances qui conſtituent le vé
20 MERCURE
ritable Médecin , atteſte la haute idée qu'il
s'eſt faite de ſon Art; la manière dont il en
parle fait prefumer qu'il a ſuivi lui-même
le plan qu'il trace aux autres. Qu'il nous permette
cependant de lui faire quelques obfervations
qui ne ſeront dictées que par le ref
pect même de l'Art , dont il parle avec tant
de chaleur & tant de zèle .
Pour guérir le corps humain , il faut fans
doute le connoître , & le Médecin doit être
Anatomiſte ; pour ordonner ſans danger un
remède tiré des végétaux & des minéraux ,
il faut connoître les principes qui les comftituent
, & le Médecin doit être Chimiſte ;
L'Hydraudinamique devroit auſſi lui révéler
toutes les loix du mouvemant des fluides &
des ſolides ; car la ſanté & la vie dépendent
ſouvent de la régularité du frottement des
folides & du cours des fluides. Mais eft il
vrai que ces Sciences, dans l'état où elles
font aujourd'hui , ayent fait affez de progrès
pour être d'une grande utilité à la pratique
de la Médecine ? Étudiez , dit M. d'Iharce ,
aux jeunes Élèves d'Hippocrate, l'Anatomie,
la Chimie, l'Hidraudinamique. Mais où, dans
quel Livre , dans quelle École iront- ils les
étudier ? On diroit qu'il y a une Anatomie
&une Chimie qui font par- tout les mêmes,
&qui par tout enſeignent également au
Médecin tout ce qu'il a beſoin d'apprendre
d'elles. Mais il en eſt bien autrement : la
Chimie de Boerrhaave a été détruite par celle
de Sthal , & celle de Sthal ne ſe ſoutient
5
DE FRANCE. 21
plus , dit- on , contre les nouvelles découvertes.
Laquelle choiſir ? Et quand on prendroit
dans toutes les vérites démontrees
que chacune profeſſe , quels ſervices toutes
enſemble pourront elles rendre au Medecon
qui eſt à côté du lit d'un malade mourant ?
Newton & d'Alembert ſe font immortalifes
par leurs decouvertes ſur les loix du mouve
ment des Auides & des folides ; mais les folides
& les fluides dans le corps humain ne
font pas foumis aux mêmes loix que dans
l'Univers ; le ſang ne coule pas dans mes
attères&dans mes veines , comme un fleuve
dans ſes rives . Demandez à d'Alembert fi
parmi les Medecins qui connoiffent le mieux
fes belles decouvertes ſur l'Hydraudinamique,
il en a trouvé un qui y ait appris à le guérir
des douleurs que lui fait fouffrir le Ande
qui coule dans ſes reins & dans ſa vetlie ?
Il faut l'avouer , toutes les connoiffances
de Statique & d'Hydraulique fervent trop
peu lorſqu'il s'agit de réparer la machine
humaine.
Sthal , frappé de l'impoſſibilité d'expliquer
par la mécanique les mouvemens de
la vie , a placé une âme dans chacun de nos
organes. En cela , ſemblable à peu près à
ces Mages , premiers obſervateurs du ciel ,
qui , ne pouvant expliquer par des loix
matérielles le mouvement régulier & harmonieux
des planètes, placèrent dans chacune
un génie qui en dirigeoit le cours
&en tenoit les rênes. Ce ſyſtème de Sthal
22 MERCURE
eft trop ſpirituel pour être beaucoup du
goût de notre ſiècle; nous ne ſommes pas
très-diſpoſes à croire à tant d'âmes. Mais
lifez les Ecrits de Bordeu , ce génie original
, qui a trouvé tant de vûes nouvelles
en ſuivant les traces de Sthal ; lifez
cet Ouvrage plein de charmes & de
philoſophie , que M. Rouffel , jeune encore
, a écrit fur la conflitution physique
& morate de la femme : vous ferez étonné
du degré de probabilité & de vraiſemblance
que prend un ſyſtême qui révolte nos ſens ,
& fait trembler notre timide philoſophie.
Il vous fera prouvé du moins que ce qui
vit ſuit d'autres loix que ce qui ne fait
que ſe mouvoir ; que les corps animés demandent
une autre mécanique & une autre
hydraulique , & qu'enfin il ne faudra
parler des loix du mouvement en Médecine
, que lorſque la Médecine aura eu
un Newton qui expliquera par de nouveaux
principes mécaniques ce que Sthal
avoulu expliquer pardes âmes &des génies.
L'Anatomie , même dans ſon état actuel
, peut rendre ſans doute de plus grands
ſervices à la Médecine ; mais qu'on ſe rappelle
le mot d'un Anatomiſte célèbre :
Nous autres Anatomiſtes , nous sommes
comme les Savoyards de Paris , qui connoiffent
très bien les rues , & ne javent jamais
ce qui je paſſe dans les maisons. Quel aveu !
L'Anatomie , s'il eſt permis de ſuivre la
même comparaiſon , eſt-elle montée deDE
FRANCE.
23
puis, des rues dans les maiſons ? A-t- elle
franchi l'intervalle qui ſépare le corps
mort ſur lequel elle opère, du corps vivant
qu'elle doit connoître ? Il a paru des
hommes qui ſe ſont illuftrés depuis dans
la même ſcience.
Par l'éloquent Petit vous êtes conſolé ,
Il fait l'art de guérir autant que l'art de plaire ;
Demandez à Petit par quel fecret myſtère
Ce pain , cet aliment dans mon corps digéré ,
Se transforme en un lait doucement préparé ;
Et ſe filtrant toujours par des routes certaines ,
En longs ruiffeaux de pourpre il court enfier mes
veines ,
A mes refforts ufſés rend un pouvoir nouveau ,
Fait palpiter mon coeur & penfer mon cerveau ?
Il ne le ſaura point , il s'incline , il s'écrie :
Demandez-le à ce Dieu qui nous donna la vie !
Heureux encore ſi cet Anatomiſte qui a
porté ſur le corps humain un tact fi fin ,
fi prompt & fi sûr , avoit donné au Public
toutes ſes lumières ! mais il ne les a
communiquées qu'à quelques Elèves dans
lesleçonstoujours unpeu tumultueuſes d'une
Ecole publique. Si on en excepte quelques
Mémoires publiés dans le Recueil de l'Acadérnie
des Sciences , le Docteur Petit n'a
rien imprimé fur l'Anatomie , qui attendoit
de lui de fi grands progrès. On ne peut afſez
déplorer un tel malheur ; on ne fau24
MERCURE
د
roit lui faire des reproches trop graves ,
ſi les ſervices qu'il rend tous les jours à
l'humanité par ſa pratique , n'expioient la:
pareffe preſque coupablede ſa plume. Que
dis je ? Il vit , il est encore parmi nous.
Son filence feroit - il donc irréparable ?
Homme célèbre , la vieilleſfe en fe repoſant
fur ta tète , a pu ſans doute affoiblir
l'eclat de cette imagination brillante
qui devinoit avant de voir , & fe foumettoit
pourtant à voir après avoir devine
: tes mains peuvent avoir perdu quelque
choſe de ce tact délicat , de cette foupleſſe
ſenſible , qui voyoit tout ce qu'elle
touchoit , qui , en quelque forte , plaçoit
au bout de tes doigts un nouvel organe
de la vue : le temps des découvertes &
des créations eft paffé; mais auſſi l'âge des
paffions n'eſt plus , & le repos qu'elles
laiſſent enfin à ta vieilleſſe peut être fécond
encore. On ne te demande plus de
penfer , mais de jeter ſur le papier tes
anciennes penſées. Vois l'homme voluprueux
parvenu à l'âge qui le rend inhabile
aux plaiſirs des ſens ; fa mémoire jouit
encore de tous ceux qu'il a perdus ; comme
Chaulieu ,
Il fait mettre , en dépit de l'âge qui le glace ,
Ses ſouvenirs à la place
De l'ardeur de ſes plaiſirs.
Le génie n'auroit- il donc pas le même pouvoir
DE FRANCE. 25
voir que la volupté ? Rappelle les ſouvenirs
de ton eſprit ; dis nous ce que tu as
penſe dans la force de l'âge , comme
Chaulieu , deja ſexagénaire , peignoit en
traits de flamme les voluptés qu'il avoit
goûtées à trente ans dans les bras de ſa
maitreffe. Quand je me promenerai à tes
côtés dans ta jolie retraite de Fontenai aux
roses , permets moi de tourmenter ta pareffe
, de la forcer à laitfer fortir de ta
mémoire les verités ou les vûes qu'elle y
recèle. Publier res pensées , ce ſera les
créer une ſeconde fois ; tu donneras de
nouveau des leçons de ton Art , non plus
dans l'enceinte étroite d'une Ecole , mais
devant l'Europe entière , & la poſterité
même ſera un de tes Elèves .
Ce que nous demandons ici au Docteur
Petit , la France peut l'artendre également
de quelques Anatomiſtes déjà celèbres dans
l'Europe , quoiqu'ils foient encore dans
l'âge de la force & des découvertes. Les
Connoiffeurs ont admiré comme un chefd'oeuvre
l'analyſe Anatomique du cerveau
par M. Vicq d'Azir : les plus grandes efpérances
de l'Anatomie ſe fondent aujourd'hui
ſur ce Médecin , qui , ennemi des
conjectures , des ſyſtêmes , étonne plus par
ce qu'il trouve , que les autres par ce qu'ils
imaginent , qui embraſſe par l'étendue &
l'activité de ſon eſprit autant d'objets que
les autres par l'imagination la plus ardente.
Mais interrogez le Docteur Petit , inter-
Nº . 40 , 4 Octobre 1753 . B
い
26 MERCURE
,
rogez M. Vicq - d'Azir ſur ce que l'Anatomie
, telle qu'elle eſt dans nos Livres
peut faire aujourd'hui pour la Médecine ;
je doute qu'ils en attendent autant de ſecours
& de merveilles que M. d'lharce.
Les ſciences compoſées de pluſieurs ſciençes
doivent marcher plns lenteinent que
les autres , & telle eſt la Médecine. Dans
ſes plus grands ſuccès même , elle ne ſera
guère qu'un empyriſme plus ou moins heureux
, juſqu'à ce que toutes les Sciences naturelles
ayent fait leurs plus grands progrès.
M. d'Iharce , à beaucoup d'égards , paroît
lui même convaincu de cette vérité
& c'eſt en elle ſans doute qu'il puiſe ſurtout
cette haine vigoureuſe qu'il fait éclater
dans fon Livre contre les Charlatans de
toure eſpèce. Les plus dangereux & les
plus mépriſables ne lui paroiffent pas ceux
qui raſſemblent la canaille autour de leurs
tréteaux : il peint de couleurs plus effrayantes
ceux qui , ayant quelques connoiſſances
de Médecine , s'en ſervent pour
couvrir leurs impoſtures , & faire entrer
des gens éclairés parmi leurs dupes. Il flétrit
d'un mépris également juſte & ineffaçable
, & ceux qui vantentdes ſecrets qu'ils
n'ont point , & ceux qui , ayant fait des
découvertes , les tiennent cachées & fecrettes.
Il n'est pas impoſſible , en effet ,
que parmi tous les agensde la Nature qui
nous font inconnus , par hafard ou par ſes
recherches , un homme ne trouve un agent
DE FRANCE, 27
qui ait la plus grande influence , & même
la plus heureuſe , ſur nos organcs. Si le
quinquina & l'émétique n'etoient connus
que d'un ſeul Médecin , qui les employeroit
comme un ſecret , cet homme opéreroit
des cures qui paſſeroient pour des
miracles , & ne ſeroient que des chofes
très-naturelles. Mais quel eſt l'homme qui
cacheroit long temps à l'humanité ſouffrante
le bienfait d'une pareille decouverte;
qui , pour gagner quelques écus
de plus , laifferoit périr dans la douleur
des milliers de ſes ſemblables que fon remède
auroit pu ſauver , employé par tous
les Médecins ? Je conçois que dans ces
arts qui ne fervent qu'à nos plaiſirs & à
nos voluptés , que dans tous les arts de
luxe , un Artiſte faſſe une découverte &
la tienne ſecrette ſans regret & fans remords;
ce qu'il nous cache nous donneroit
probablement plus de vices encore que
de jouiffances. Mais annoncer une découverte
que l'on dit importante pour la vie
des hommes , avec laquelle on prétend guérir
les maladies les plus affreuſes & les
plus incurables , & la tenir ſecrette , ne
pas la publier à l'inſtant , ne pas la faire
pénétrer ſur le champ par tout où il y a
des hommes qui fouffient & qui meurent ;
c'eſt déclarer aux hommes qu'on a le moyen
de ſoulager leurs maux, mais qu'on ſe ſoucie
fort peu de leur vie & de leur bonheur :
c'eſt ſe rendre coupable de la mort de
Bij
28 MERCURET
tous les infortunés , à qui la publication
de la découverte auroit conſervé l'existence.
Mais tant de génie & cette baffe &
cruelle avidité ne peuvent guère ſe rencontrer
enſemble : il n'y a point d'exemple
d'une découverte glorieuſe à fon Auteur
& utile à l'humanité , qui ſoit reftéc
long temps ſecrette ; l'âme la plus commune
prend de la grandeur & de la
générofité au moment qu'elle a un grand
bienfait à répandre ſur les hommes ;
elle eſt impatiente de jouir de leur bonheur
, de leur reconnoiffance & de ſa
gloire. Et celle même à qui il faudroit
un autre prix & une autre récompenfe ,
celle qui ſeroit affez vile pour porter fes
voeux en ce moment ſur la fortune , la
verroit prête à combler tous les defirs
de ſa baffeſſe. On pourroit , au nom de
tous les Gouvernemens , lui affarer qu'il
n'y en a aucun aujourd'hui dans l'Europe
éclairée qui ne versat les richeſſes ſur celui
qui voudroit avilir un pareil bienfait
en le vendant à l'humanité. Il faut donc
conclure que , fi , dans ce genre , il y a
des gens qui gardent long temps un ſecret,
c'eſt qu'ils n'ont point de découverte ;
leur voile ne cache rien , & c'eſt pour
cela qu'ils ne le lèvent jamais ; ou s'il cache
quelque choſe , c'eſt ſeulement leurs
impoſtures. En vain mille récits étalent les
prodiges qu'ils opèrent ; en vain on racontecomme
des miracles les vapeurs qu'ils
DE FRANCE
29
ont données à des femmes vaporeuſes , les
convullions qui tourmentent en leur préſence
des épileptiques , les ſueurs que fait
fortir leur Agent des corps chez leſquels
la nature eft toujours au moment d'une
crife ; l'imagination des foibles , c'est-àdirede
preſque tous les hommes , fera toujours
un Agent qui produira quelquefois
ades merveilles dans les mains mêmes des
Charlatans & des impofteurs. Mais ces
merveilles ne donneront la ſanté à perfonne
, & la feront perdre à beaucoup de
gens ; elles rempliront les eſprits d'idees
vagues & fuperftitieuſes , & nuiront aux
progrès du veritable Art de guérir , en humiliant
les Médecins , & en dégradant la
Médecine . Une découverte eft quelquefois
d'un grand homme ; mais un ſecret eft
toujours d'un Charlatan.
Qu'on pardonne cette digreſſion au ſentiment
que nous a communiqué l'Ouvrage
de M. d'lharce : fon livre , qui eſt d'un excellent
eſprit , eft aufli d'une ame pleine
de candeur & de fincérité. Il montre la
plus vive confiance pour fon Art, mais il
en connoît trop les reſſources pour les
exagérer , & le mot de Montagne , que
faisje ? eſt auſſi ſouvent fon mot.
Biij
30 MERCURE
HISTOIRE Littéraire de la Ville d'Amiens.
A Amiens ,, chez les Libraires de la
Ville; à Paris, chez Durand , Mérigot ,
• Barrois & Delalain le jeune , Libraires ,
1 Volume in - 4°. Prix, 10 livres 4 fols
broché.
IL s'en faut bien que nous dédaignions
ces entrepriſes Littéraires dont le but eſt de
préſenter l'hiſtoire de chaque Ville. Cette
eſpèced'apothéoſe élevé par le Citoyen, ſur le
berceau du Citoyen qui n'eſt plus , a quelque
choſe de plus relatif à chaque individu. Les
faſtes nationaux n'ont ſouvent qu'une petite
place à confacrer à un nom ; les Annales de
la Province ont des pages entières à offrir à
'Homme célèbre , & cette perſpective eft
encourageante. Nos grandes & longues
hiſtoires devroient ſe borner à peindre le
geniedes Peuples , fon mouvement d'accélération
ou rétrograde à chaque règne , ſes
inftans de langueur & ſes variantes dans ſon
régime. Il eſt juſte que les Provinces qui
fournirent des Soldats , des Héros , des Artiſtes
, &qui furent lesthéâtresde nos guerres,
ayent des Hiftoriens, & puiffent célébrer
leurs Citoyens. L'émulation ne pourroit
qu'y gagner. Nos chroniques ſeroient conſervées
, les monumens reſpectés , l'enfant
apprendroit à l'école du Bourg le catéchiſme
hiſtorique des grands Hommes de la contrée.
Pourquoi l'Italie ne nous fert elle point
DE FRANCE. 31
encore de modèle ? Toutes ſes Bourgades
offrent au Voyageur un agenda , un manuel
hiſtorique où , depuis leur fondation, tousles
monumens , tous les Hommes célèbres ainfi
que l'indication des chef- d'oeuvres ſont rapprochés
avec un afſerviſſement ſcrupuleux à
la chronologie. Ce ſont des eſpèces d'Appendices
de l'hiſtoire ancienne & moderne
de Rome. L'Étranger a bientôt connu le ſol
qu'il vient viſiter , & il le parcourt avec des
fentimens d'eſtime.
On commence d'écrire ces hiſtoires particulières.
Quelques unes ont le mérite du
genre , d'autres ſont à recommencer. L'envie
de faire des Volumes empêche qu'on ne
réduiſe à peu de feuilles une hiſtoire aride
de laquelle il ne falloit rapporter que les
faftes. Quelques - unes en font reftées au
défrichement laborieux de l'Écrivain nédiocre
à qui il a manqué du génie & une
bonne critique. Une ſotte crédulité eſt en
général le cachet de ces faiſeurs d'hiſtoires
de Province. Ils admirent tout , croient tout,
recueillent tout & expliquent tour. Quelques
bienféances dont l'Écrivain ſupérieur
fait s'affranchir, ne manquent jamais de les
arrêter; ils ralentiffent leur marche par des
differtations complaiſantes ſur les prérogatives
de l'échevinage, d'une Collégiale, & fur
les généalogies des Nobles du canton. Leur
travail, qui eût été intéreſſant , devient partial
, ſuſpect & puérile .
Ces réflexions peuvent s'appliquer à Thif
Biv
32
MERCURE
toire d'Amiens . Il nous ſemble qu'un Ouvrage
dans lequel il n'y a point d'époques
diftinctes , pointde chaîne dans les faits , où
on ne trouve ni deſcription géographique ,
ri tableau hiſtorique, ni chronologie , en
un mot rien de ce qui peut marquer le ſite ,
la population , la richeffe , l'induſtrie , l'adminiftrarion
d'une Province , ne peut s'appeler
une hiſtoire. Il nous ſemble qu'un
Livre qui ne renferme que des noms d'Artitles
& de Poëtes médiocres ſéparés par des
alinea remplis de notices d'ouvrages inconnus
& de manufcrits qu'on ne lira jamais , à
la fuite deſquels ſe trouvent les ſtaturs des
fix Corps & Métiers , les noms des Baillis ,
Sénéchaux , Échevins & Marchands , n'eft
qu'un Almanach dont l'utilité eſt inconteftable;
mais d'un Almanach à une Hiſtoire
il y a une diſtance un peu grande.
Nous obſerverons à l'occafion des épitaphes,
dont l'Auteur a recueilli une trop
grande quantité, que cette recherche exige
beaucoup de choix & beaucoupdefobriété.
L'épitaphe que la piété d'un fils vient graver
fur le tombeau de ſon père , bien honnête
homme & bien obfcur , n'eſt honorable que
pour lui. Il faut la laiffer ſur le plomb ,
d'où la lime du temes ſaura la faire diſparoître.
Il en eit de même de celles que l'adulation(
car on eſt flatteur auſſi dans les Provinces)
conſacre aux Élus , aux Prefidens ,
aux Officiers municipaux , à des Doyens de
Chapitre & à quelques Évêques. Nous pen
DE FRANCE.
33
ſons que l'inſcription qui n'indique,point
un événement public, qui ne marque pas la
place où gît l'homme illuftre , doit être laiffee
fans honneur ſur les murs noircis du
cimetière où elle fut poſée. Malgré le mérite
de la ſculpture & la dorure de l'écuſſon,
les Hiſtoriens judicieux ont toujours dedaigné
cette afferetie. Les François ont peutêtre
aufli un peu trop négligé le genre lapidaire
que la Grèce & Rome avoient rendu
fi énergique& fi concis. Nous avons cependant
des Héros & de grands Hommes.
Pourquoi la Nation, qui fut trouver cette
infcription i belle à Louis XIV après sa
mort,n'at-elle pu graver ſur la tombe du
meilleur des Miniſtres que ces inots : Ci-git
Suger ? Pourquoi ſes épitaphes font - elles
fi verbeuſes ? pourquoi les prodigue- t- elle
tant , &pourquoi en est- elle quelquefois ſi
avare ? Qù ſont les épitaphes de Duqueſne ,
de Lhopital, de Catinat & de tant d'autres ?
Faut- il que les Anglois nous offrent aujourd'hui
des modèles dans ce genre ?
-Nous allons citer quelques- unes des anecdotes
contenues dans cette nouvelle hiftoire.
C'eſt dans le douzième fiècle que les
Égliſes de France & celles d'Amiens commencèrent
de chanter au Peuple les Építres
farcies,Epiftola cum farfia. " C'était l'Epître
du jour, dont le texte latin étoit en-
1 tremêlé, phrafe à phrafe , d'une explica-
»tion paraphraſée en langue vulgaire, Du
>> haut de la Tribune ou du Jubé , le Sou
By
34
MERCURE
ود diacre chantoit le texte ſacré, &un ou
>> deux Enfans de choeur chantoient l'explica-
>> tion. On voit des monumens de cet uſage
ود dans l'ancien Ordinaire de Soiffons , ſous
» l'Évêque Nivelon I. »
La métaphyſique d'amour qui étoit générale
en France en 270, avoit auſſi ſes Bacheliers
& fes Docteurs à Amiens. On foutenoit
dans des thèſes des queſtions aufli
oiſenſes que la ſuivante : « Si l'on aime-
» roit mieux que ſa femme sût que ſon
>> mari la fait wihote , & qu'elle en fût
» jalouſe , ou qu'elle le fit wihot ſans
» qu'il en sût rien. » -Pas un de ces Argumentans
n'avoit ſu trouver la réponſe
charmante de La Fontaine :
१.
Quand on l'ignore ce n'est rien ,
Quand on le fait c'eſt peu de choſe. 1
Les Conciles , les Mandemens des Évêques,
les vieux Sermons font des Archives dans
leſquelles l'Hiftorien retrouve une peinture
fidelle des vices de chaque ſiècle. Il ne
manque jaunais de les confulter. A coupsûr
une réforme auſtère n'est qu'un remède
employé à un mal violent. Les Ordonnances
de François de Puiſſeleur , Évêque d'Amiens
en 546 , donnent une idée des déſordres
du Clergé de France. Ce Prélat ordonne
aux Prêtres de fon Diocèse " de porter une
ود
«
foutane qui defcende juſqu'aux talons ; il
défend les fouliers à jour , découpés ou
garnis de brillans-& de petits miroirs,
DE FRANCE.
35
>> calceos fenestratos; il leur preſcrit de ne
>> pas forut ſans chaperons ni bonnets,
» finè caputiis ; il oblige les Prêtres mer
هد
ود
cenaires à affifter aux Offices de Paroiffe ;
il défend à tous le concubinage , le com-
» merce , l'exercice des Profeffions de No-
>>> taires , d'Avocat ou de Procureur ; il or-
- donne aux Curés de lire au Prône les
ود Prières communes qui commençoient par
» bonnes gens. Défenſes étoient faites de
>> baptifer l'enfant dans le ventre de ſa mère
» s'il n'en paroît rien au-dehors , d'avoir
>> des Hiftrions , des Muſiciens , des danſes
>> au repas d'une première Meſſe. Quicon-
» que ne communioit pas à Pâques étoit
> privé de la ſépulture. »- De ſemblables
Réglemens prouvent beaucoup plus contre
les moeurs du Clergé du ſeizième fiècle , que
ne ſauroient faire des déclamateurs violens
ou ſuſpects. François Faure , Évêque en
1655 , fut obligé de défendre de confeffer
plus tard que le ſoleil couché , à moins de
prendre des lumières. On conçoit aiſement
la cauſe de cette prohibition ; mais il eſt difficile
d'imaginer les motifs qui ont porté cet
Évêque à défendre aux Prêtres l'uſage du
tabac.
On fait que le Savant eſtimable que Dom
Mabillon appeloit ſon Maître , le célèbre
Ducange, eſt né à Amiens. Greffet y reçut
auffi le jour en 1709. Les vers de ce Poëte
ingénieux & facile ont aſſuré ſa renommée.
L'Auteur que nous fuivons nous apprend
B vj
36 MERCURE
que ce Poëte acheva fa carrière par un Couplet
à une Dame qu'il engageoit à ne plus
veiller. L'anecdote étoit , comme on voit ,
très intéreſſante. Un abſcès crevé dans lapoitrine
l'enleva en 1777. Le deuil fut mené
pompeusement par le Maire de la Ville. Ces
honneurs rendus au Poëte , honorent encore
plus ceux qui furent fentir qu'ils devoient
ces égards à l'Homme célèbre qui en mourant
laiffoit à ſa patrie un ſouvenir dont
elle alloit s'énorgueillir. Nous n'avons ce
pendant point oublié avec quelle diſtinction
le Corps municipal d'Amiens reçut le
malheureux J. J. Rouleau , qui fuyoit pourfuivi
par un décret, & qui dut la liberté au
Prince de Conti , qui veilloit ſur lui bien
plus en ami qu'en protecteur. Le Magiſtrat
en robe longue offroit au Philoſophe l'hommage
qu'il n'accorde qu'aux Princes , aux
Rois & aux Commiſſaires du Monarque ;
c'étoit le préſent qu'on appelle le vin de
Ville. Greffet accompagnoit le Magiſtrar.
L'Auteur afſure que ce Poëte étoit Chrétien ,
ce qui ſans doute ſignifie pieux. Un M. de
Rodes , bel efprit de la Ville, va plus loin ,
&prouve ainſi la ſainteté de Greffet. Vertu,
dit il , dont on s'apperçoit aisément.
L'odeur de fainteté par-tout fe communique
Comme un bel inſtrument en ſalle de muſique
Par-tout ſe fait entendre & fait impreffion.
Ce même bel eſprit voudroit qu'Apollon ſe
rendît propriétaire de la maiſon de Greffer,
:
DE FRANCE.
37
& qu'on y vir une cascade d'eau qui ſans
doute repréſenteroit le Perineſſe.
Nous apprenons dans cette histoire que
M. Legrand , Rédacteur des Fabliaux , & qui
a eſſayé d'enlever aux Troubadours Provençaux
l'antique ſceptre de la Littérature pour
le remettre dans les mains des Trouvères
Picards plus modernes , est né à Amiens. Il
n'eſt pas étonnant qu'il ait ſuccombé au
defir ſi puiſſant d'honorer ſa patrie. Nous
lui pardonnons ſa prévention. Peut être au
roit- il dû en faire l'aveu au riſque de paroître
juge& partie. Nous avons rendu compte
dans la nouveauté de l'Édition des Fabliaux ,
dont nous ſomines bien éloignés de contefter
le mérite..
Nous finirons par le Quatrain ſuivant ,
qui appartient à M. Clergé , & qui fut
adreffé à M. Martin de Bonnaire :
Qu'en ce jour mille fleurs couronnent votre tête ;
Votre coeur fut toujours le fiége des vertus ;
Et fi le vrai mérite avoit un nom de fête ,
Vous auriez un patron de plus.
Cette penſée a été reſſaffée par bien des
Poëtes ; nous ne décélerons point les plagiats;
c'eſt à nos Lecteurs à nommer les
Plagiaires .
!
38 MERCURE
DIPE , Tragédie de Sénèque , Traduction
nouvelle , ſuivie d'une comparaison de
différentes Piècesſur leſujet d'Edipe , par
M. de Limes. Prix , 1 liv. 4 ſols. A Amfterdam
,& ſe trouveà Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur- Libraire , rue Galande , visà-
vis celle du Fouarre .
M. de Limes donne cet Edipe pour fonder
le goût du Public ſur une Traduction
entière qu'il veut publier de Sénèque. Cette
Tragédie eſt trop connue pour en donner
ici l'analyſe ; nous n'avons qu'un mot àdire
du ſtyle du nouveau Traducteur. Il nous paroît
avoir vivement ſenti les beautés de ſon
original , & il ne cherche pas à en diffimuler
les défauts. Son projet a été de traduire avec
une exacte fidélité. " La Traduction , dit- il ,
> eſt une copie qui ne peut mieux reflem-
>> bler que lorſqu'elle eſt calquée ſur l'ori-
>> ginal. » Mais peut être faudroit- il s'entendre
un peu mieux ſur ce mot calquée. Souvent
rien n'eſt plus infidèle qu'une Traduction
littérale , parce qu'un accouplement de
certains mots , qui eſt naturel dans une langue
, devient plus d'une fois monftruenx
dans une autre. On ne peut donc quelquefois
calquer le caractère d'un Autenr qu'en cherchantdes
expreffions qui correſpondent ſans
reffembler.
L'oubli de ce principe a fait tomber leTraducteur
dans quelques tournures bizarres ;
DE FRANCE. 39
mais en général il nous a paru pénétré de l'eſprit
de fon Auteur , qu'il veut rendre avec ſes
beautés & fes defauts, & fa Traduction mérite
des éloges.
On trouve à la fin de cette Pièce , (& le
projet de M. de Limes eſt d'en faire aurant
pour toutes les Tragédies de Sénèque ) une
comparaiſon de celles qu'on a faites fur le
ſujet d'Edipe. Il loue avec enthouſiaſme
celui de Sophocle ; & nous croyons cet enthouſiaſme
plus juſte que la manière dont
il parle de l'Edipe de Voltaire. Il nous a
paru juger cette dernière Tragédie , qui n'eſt
pas fans défauts , avec un peu trop de ſé
vérité.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 19 Septembre, on a donné
la première repréſentation d'Amélie &
Monrose , Drame en quatre Actes & en
profe.
Monroſe & Surrey aiment Amélie. Le
premier a quitté l'Angleterre , après avoir
vû fon père tomber ſous le fer des bourreauxde
Charles Premier. Le ſecond , ami
deMonroſe & favori de Cromwel , a obtenu
le conſentement de Suffolk , père d'Amelie
, & l'un des partiſans de l'ufurpateur:
40
MERCURE !
mais c'eſt en vain que Suffolk veut engager
ſa fille àépouſer Surrey; fidelle à fon amant,
elle refuſe d'obéir à ſon père. Cependant
Monroſe eſt revenu ſecrètement en Angleterre
; il ſe rend auprès d'Amelie , & lui
propoſe de s'embarquer avec lui pour la
France. Après avoir réſiſté quelque temps
aux inſtances d'un amant ſenſible & malheureux
, elle conſent à le ſuivre. Monroſe
afait inftruire Surrey de ſon retour. Celuici
, emporté par l'amour & par la jaloufie ,
confie ce myſtère à Sadley , perſonnage à
peu près ſemblable au Cécil du Comte
d'Effex , & plus mépriſable que lui. Sadley
offre à Surrey de le venger , en dénonçant
Monroſe à Cromwel ; mais cette propoſition
eſt rejetée avec horreur. Monrofe
ignore que Surrey eft fon rival , ſon âme
franche & confiante ſe déploie toute entière
ſous les yeux de Surrey. Il lui confie.
ſon amour , ſes projets de fuite, & l'engage
à les fervir. Surrey eſt en proie à des mouvemens
de jalousie , qui ſont combattus dans
fon coeur par le ſentiment de l'amitié. Il ne
peut ſe déterminer à favorifer la fuite d'Amélie
, ni à trahir ſon rival. Sadley vient
trouver Suffolk , & lui demande un entretien
particulier dont il eſt facile de deviner
la cauſe. En effet , tandis qu'Amélie , Fanni
ſa Gouvernante , & l'amoureux Monroſe ſe
préparent à fuir , Suffolk reparoît. On ſe
ſaiſit de l'amant infortuné , on le défarme ,
on l'entraîne ; mais il eſt bientôt réclamé par
DE FRANCE
41
Cromwel , que Sadley a informé de fon retour.
Surrey ne reſpire que la vengeance , &
fort dans l'intention de percer le coeur du
lâche qui a cauſé le malheur de fon amı. Ici
la Scène , qui , pendant les deux premiers
Actes , a repréſenté une campagne ſituée aux
environs de Londres , fait place à une prifon
dans laquelle on a conduit Monroſe. L'amant
d'Amélie y reçoit les confolations de Suffolk ,
d'un vieux Domeftique qui a ſervi ſon père ,
& qui rappelle un peu le Jarvis de Beverley .
Surrey s'y rend auſſi. Il a puni le criminel
Sadley; mais c'eſt en vain qu'il a voulu fléchir
Gromwel. Le barbare ufurpateur eft
avide du ſang du profcrit , & la mort de
Monroſe eſt réfolue. Tout ce que Surrey
peut faire encore , c'eſt de ſervir tout-à-lafois
l'amitié , &de ſe punir de fon indifcrétion,
en prenant la place de ſon ami. Enveloppé
dans le manteau dont Surrey étoit
couvert , Monroſe peut échapper à l'oeil de
ſes Gardes; mais il ne veut point accepter
cette propofition : Surrey infiſte ; enfin ,
après un long combat , où l'amitié s'impute
un ſacrifice dont elle a donné plus d'un
exemple , Monroſe conſent à partir. Ici la
Scène change encore , & repréſente l'appartement
de Suffolk. Amélie veut aller trouver
fon amant dans ſa priſon , & partager ſes
maux; il vient ſe jeter à ſes pieds , lui apprendre
le dévouement noble & courageux
de l'héroïque Surrey; mais content de l'avoir
vûe , & de lui avoir rendu ſon dernier hom
42 MERCURE
mage , il va brifer les fers de Surrey , &porter
ſa tête à Cromwel. Cette ſituation , qui
augmente l'infortune d'Amélie , dont l'âme
s'étoit ouverte à l'eſpérance , eſt ſuivie du
retour inopiné de Surrey. C'eſt à l'amourdu
peuple qu'il a dû ſa delivrance. On a ſu la
détention de Monroſe , ſa cauſe , le ſacrifice
de ſon ami : toutes les âmes ont été entraînées
, & toutes les voix ſe ſont élevées en
faveur de l'infortuné. Ennemi implacable ,
mais politique fin& délié, Cromwel a ſacrifié
ſa haine à la néceſſité de paroître clément.
Surrey engage Suffolk à unir Amélie &
Monroſe , il les exhorte à ſe rendre promptementauprès
de leur Koi légitime. L'amour
&l'amitié triomphent.
Ce Drame a eu un très grand ſuccès. Il
feroit facile de démontrer qu'il manque quel
quefois de vraiſemblance; que les Scènes
ne ſont pas liées; que les fituations , nous
parlons de celles qui ſont vraiment intéreſſantes
, n'ont pas le mérite de la nouveauté;
que le ſtyle eſt diffus , haché , quelquefois
même obſcur ; enfin , on pourroit , par la
réuſſite même de ce Drame , prouver que le
Public s'accourume de plus en plus à confondre
tous les genres; & qu'aujourd'hui
l'on voit , ſans ſurpriſe , ſubſtituer aux tableaux
dramatiques , les tableaux qu'un goût
plus pur &plus ſévère faiſoit autrefois reléguer
dans les Romans. Certe diſcuſſion , qui
donneroit lieu à de très- longs détails, ſeroit à
peu- près inutile. Aujourd'hui, on nedemande
DE FRANCE.
43
pas ſi un Ouvrage eſt bien fait; on demande
s'il a plu. Et que dire à des Spectateurs engoués
, que dire au Public , quand il prouve
le plaifir qu'il reffent , tant par les applaudiſſemens
qu'il prodigue , que par les mouvemens
dont il eſt agité ? Rien. Tout l'art
de l'Auteur d'Amélie , & c'en eſt un puiffant,
eſt d'attacher & d'intéreſſer. Sarrey ,
favori de Cromwel , ami de Monrofe , amant
d'Amélie , emporté par les fureurs de la jalouſie
juſqu'à trahir le ſecret de l'amitié ,
mais revenant à lui- même , honteux de ſon
égarement , facrifiant ſon amour , & même
ſa vie , au defir de ſe punir d'une erreur ,
offre un caractère auſſi touchant que noble..
C'eſt le premier , peut- être même le ſeul ,
qui ſoit bien foutenu dans tout le cours du
Drame , & c'eſt lui qui en a fait le ſuccès.
ANNONCES ET NOTICES.
Cinquième Livraiſon de l'Encyclopédie , par ordre
de Matières , premier Octobre 1783 .
LA CIN
A CINQUIÈME Livraiſon de l'Encyclopédie
eft actuellement en vente. Cette cinquième Livraifon
eſt compoſée du Tome premier , ſeconde Par .
tie de l'Histoire Naturelle , contenant les Oiseaux ;
du Tome troiſième , première Partie de la Jurifprudence;
du Tome ſecond , première Partie du
Commerce; du Tome premier , première Partic
de la Marine.
Cette Partie des Oiseaux , par M. Mauduit ,
44 MERCURE
( eſt précédée de pluſieurs Diſcours : 1º. du
Plan de l'Ouvrage : 2°. d'un premier Diſcours
fur l'organiſation des Oiseaux , leurs fens , facultés
, habitudes : 3 °. d'un ſecond Discours ſur la
néceſſité de chaffer les Oiseaux , & fur les Auteurs
de l'Ornithologie : 4°: d'un troiſième Difcours
ſur le parallèle des Oiseaux des diverſes
Contrées , ſentimens ſur leurs émigrations ou le
paffage des Oiseaux : sº . d'un quatrième Diſcours
fur la durée de la vie des Oiseaux , leurs inaladies ,
la manière de les tranſporter vivans , les Collections
d'Oiſeaux difféqués ou empaillés .
,
Le Volume de la Marine , par MM. Blondeau
&Vial du Clairbois , eſt précédé d'un Diſcours
& ſuivi d'un Tableau Analytique ou Syſteme
Encyclopédique de Marine indiquant l'ordre
fuivant lequel doivent être lus les articles de
ce Dictionnaire pour en tirer le fruit d'un Traité ;
il eſt ſuivi de l'Arbre Encyclopédique de la Marine.
On fera le même travail fur toutes les autres
Parties qui en feront fufceptibles , ainſi qu'on s'y eſt
engagé par le Profpectus ; mais la plupart des
Ouvrages exigent que ces Tableaux & ces Arbres
Encyclopédiques ne foient mis qu'à la fin de
chacun d'eux. Le prix en feuilles de cette Livraiſon
eft de 22 liv. broché , 24 liv. Le port eſt au compte
des Souſcripteurs.
Il y a actuellement 18 Parties ſous preffe de ce
grandOuvrage.
La fixième Livraiſon , composée d'un Volume
de Planches & d'un Volume de Diſcours, paroîtra
en Décembre.
JOURNAL d'Education , par M Luneau de Boisjermain.
A Paris, chez l'Auteur; rue S. André des
Arcs,près la rue Contreſcarpe.
• Parmi les Journaux qui ont un objet réel & direct
DE FRANCE. 45
d'utinté, on doit compter celui que nous annonçons.
Il traitera ſucceſſivement de tous les objets qui intéreſſent
l'Éducation phyſique & morale des jeunes
perſonnes ; l'étude des langues étrangères , de l'Hiftoire
ancienne & moderne , de la Géographie , de la
Phyſique & de l'Histoire Naturelle , de la Morale ,
des Belles-Lettres , des principes & des manoeuvres
des Arts.
Il paroît déjà les quatre premiers Cahiers du cours
de la langue Italienne. Par la méthode de l'Auteur ,
qui eſt de joindre au texte Italien une Traduction
interlinéaire & littérale , on pourra en très-peu de
temps , fans maître , ſans dictionnaire & fans grammaire
, ſe mettre en état de lire tous les Ouvrages
écrits dans cette langue. Il en fera autant pour les
autres langues étrangères.
On ſouſcrit chez l'Auteur , & l'on paye actuellement
15 liv. pour les huit Cahiers qui completteront
le-Coursde Langue Italienne. Le dernier Cahier paroîtra
à la fin de Novembre.
OEUVRES choiſies de le Sage , avec figures , troifième
Livraiſon , contenant Roland l'amoureux , 2
vol. in-8°. Estevanille de Gonzalez , 1 vol . in- 8 ° .
Théâtre François , 1 vol . in- 8 ° .
On ſouſcrit pour leſdites Cavres , conjointement
avec celles de l'Abbé Prévost , à Paris , rue &
hôtel Serpente , &chez les principaux Libraires
de l'Europe. Le prix de la Souſcription eſt de 3 liv.
12 fols le vol. br. , & fera maintenu ainſi juſqu'à la
fin de Décembre prochain ; paſſé lequel temps , on
ne pourra plus ſouſcrire , & les volumes feront alors
du prix des liv. br. , & 6 liv rel . La quatrième Livraiſon
ſe feraàla fin du préſent mois de Septembre ,
&fera compofée de 4 vol.
L'Éditeur vient de donner une nouvelle preuve de
fon zèle , en envoyant aux Souſcripteurs des cartons
46 MERCURE
pour quelques fautes qui ſe ſont glifiées dans la première
Livraiſon.
CARTETopographyque de la partie Septentrionale
de l'Empire Ottoman , par M. Rizzi Zannony. Prix ,
12 liv. A Paris , chez Verrier , Géographe du Roi &
des Enfans de France , rue des Quatre- Fils , au
marais.
Cette Carte, d'une partie intéreſſante du Globe ,
eſt diviſée en trois feuilles.
GEOGRAPHIE COmparée , ou Analyſe de laGéographie
ancienne & moderne des Peuples de tous les
pays & de tous les âges , accompagnée de Tableaux
Analytiques & d'un grand nombre de Cartes , les
unes comparatives de l'état ancien & de l'état actuel
despays ; les autres plus détaillées , & représentant
ces pays dans leur état ancien ou dans leur état
moderne ; par M. Mentelle, Hiftoriographe de Mgr.
leComte d'Artois , Penſionnaire du Roi , Profeffeur
Émérite d'Hiſtoire & de Géographie à l'École Royale
Militaire , de l'Académie des Sciences & Belles-Lettres
de Rouen , de l'Académie Royal de la Hiſtoria
de Madrid, Cenſeur Royal , &c. A Paris , chez
l'Auteur , à l'hôtel de Mayence , près du Notaire ,
rue de Seine , F. S. Germain ; Nyon l'aîné , Libraire ,
rue du Jardinet , &Nyon le jeune , quai des Quatre
Nations.
Ce Vol. , qui vient de paroître avec ſept planches ,
traite de l'Eſpagne moderne , & ſe vend pour les
Souſcripteurs 7 liv. 4 fols. L'exécution de cet important
Ouvrage eſt trop difficile & trop pénible , &
l'Auteur y apporte trop de ſoins pour qu'il puiſſe',
par la célérité , fatisfaire à l'impatience du Public.
M. Mentelle , connu par ſes profondes connoiſſances
enGéographie , y travaille avec la plus ſcrupuleuſe
attention; outre les lumières qu'il implore dans tous
DE FRANCE. 47
les pays dont il s'occupe , il envoye ſouvent fon manufcrit
fur les lieux inême avant de le livrer à l'impreſſion,
afin de pouvoir être averti des moindres
erreurs qui peuvent lui échapper. Le volume qui paroît
aujourd'hui ſur l'Espagne moderne , avec celui
qui avoit précédé ſur l'Espagne ancienne , forme la
deſcription la plus exacte & la plus complette qui ait
encore paru ſur ce Royaume. Ces deux Parties ſe
vendront ſéparément is liv.
M. Mentelle avoit fait graver une Vûe de Gibral
tar; mais ayant reconnu qu'elle n'étoit pas exacte ,
il l'a fupprimée pour en faire graver une autre d'après
un original qu'on lui a promis.
Après avoir donné la Deſcription du Portugal,
dont il a envoyé le manuscrit à Lisbonne , pour y
être examiné , il paſſera à la Géographie des Pays-
Bas & des Provinces - Unies .
La réimpreffion de la ſeconde Livraiſon vient
d'être achevée ; les perſonnes qui ne l'ont pas reçue
ſont priées d'en écrire à l'Auteur.
chez
LETTRE écrite de Palerme , relative'au désastre
de Meſſine , traduite de l'Italien . A Paris
Cailleau , Impr. Libr. rue Galande.
,
Cette Lettre eſt écrite avec chaleur , & annonce
une imagination vive& ardente,
LETTRE de l'Auteur du Monde Primitif à MM,
Ses Soufcripteurs , in-4°. de 47 pages .
L'Auteur de cette Brochure s'excuſe de n'avoir pas
publié cette année le dixième volume du Monde
Primitifà cauſede ſa mauvaiſe ſanté. Il entre enfuite
dans divers détails ſur une découverte intéreſ
ſante à laquelle il doit ſon rétabliſſement. Voici les
queſtions qu'il ſe fait. « Ai-je été malade ? Ai- je été
>> guéri ? Suis-je mieux ? A qui dois-je ce micux?
MERCURE
» &c. &c. » La manière dont il répond à toutes
>'ces queſtions eft très-piquante & très - curienſe.
Quatre Pots pourris , arrangés & Dialogués pour
deux Violons, par M. Thiémé , ci- devant Maître de
Muſique de la Con.édie de Rouen, & premier Violon
du Concert , OEuvre quatrième. Prix , 7 livres
rue des 4 fois. A Paris , chez Mile Castagnery
Prouvaires ; & à Rouen , chez l'Auteur , rue du
PetitEnfer.
,
AIR de Malboroug, arrange per due Flauto o
Violono. ( il eft vraiſemblable qu'on a voulu dire
pour deux Flûtes ou Violons , ) avec trente-trois variations
, par M. ****. Prix , 2 liv. & fols. A
Paris , chez Mlle Girard, rue de la Monnoie.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
VERS faits pendant mon fe- Erreurs Populairesfurla Méjour
àAnet , 3 decine, 9
AM Dupré de Saint -Maur, Histoire Littéraire de la Ville
Invitation à dîner à Albing , d'Amiens , 30
Chienne de Mme Ad**. ib. Edipe , Trag de Sénèque , 38
Charade, Enigme & Logogry Comédie Italienne,
7Annonces & Notices ,
39
43
phe ,
APPROΒΑΤΙΟΝ
.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mereure de France , pour le Samedi 4 Octobre. Jen'y ai
rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion.A Paris ,
le 3 O&obre 1783. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 15 Août.
N
ce qui ſera OUS ignorons encore ici
décidé relativement à la paix ou à la
guerre ; mais le Divan eſt fort occupé , &
les préparatifs que nous faifons , & qui font
immenfes ne font point rallentis. La conftruction
des Navires ſe pouffe avec la plus
grande activité ; il arrive fans ceſſe des troupes
de l'Aſie , qui défilent ſur le champ du
côté des frontieres , où il ſe raſſemble des
forces qui font déja très - conſidérables. Les
Bachas ont reçu ordre de fortifier , & de
mettre dans le meilleur état de défenſe poffible
les places qui leur font confiées ; &
tous les jours , quelquefois même deux fois
par jour , il part d'ici des trains formidables
d'artillerie , & des tranſports prodigieux de
munitions de guerre de toute eſpece. Le
peuple demande la guerre à grands cris , il
N° . 40. 4 Octobre 1783 .
( 2)
eſt animé par le motif le plus puiſſant , celui
de la religion , & les gens de loi paroiſſent
regarder comme un attentat aux décrets du
Prophete , le démembrement de la Crimée
qui eſt ſoumiſe à l'autorité du Calife .
و
Le bruit qui s'étoit répandu du rappel du
Miniſtre Autrichien n'a aucun fondement ;
ce Miniſtre est toujours ici & envoie
preſque chaque ſemaine deux à trois Couriers
à ſa Cour , qui lui en expédie à ſon
tour preſque autant. Le Miniftere Ottoman
manifeſte d'une maniere marquée le defir
qu'il a de vivre en bonne intelligence avec
cette Puiſſance , à laquelle il vient , dit- on ,
d'accorder encore de grands avantages pour
le commerce de ſes Sujets ; mais on ne fait
pas en quoi ils confiftent.
La peſte exerce toujours ſes ravages dans
cette Capitale , chaque jour elle enleve un
grand nombre de victimes , parmi leſquelles
oncompte la fille du Médecin de S. H. Ce
fléau ne fe fait pas fentir moins vivement
dans les environs.
:
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 28 Août .
Le Comte de Raczinsky , nouvellement
éluMaréchalde la Couronne & de la Cour ,
prêta ferment le 23 de ce mois entre les
mains du Roi , ainſi que le Prince Jérôme
de Radzivill , nommé Marechal de la Cour
de Lithuanie.
( 3 )
Les lettres de Constantinople annoncent
toujours la guerre ; s'il faut les en croire , les
Turcs tenteront inceſſamment une entrepriſe
fur la Crimée ; les ſpéculations qui ne font
pas moins nombreuſes dans cette Capitale
qu'ailleurs , arrangent ainſi le plan de la campagne
qu'ils croient devoir s'ouvrir inceffamment.
>>> Le Grand-Viſir , à la tête d'une armée compoſéede
l'élitedes troupes Ottomanes , ſuivra les
mouvemens des Ruſſes, de maniere à s'oppoſer à
cequ'ils paſſent le Dnieſter , & à couvrir par conſéquent
la fortereſſe de Chozcim . En même tems
le Capitan -Bacha mettra à la voile avec ſon eſcadre,
qu'on renforcera , le plus qu'il ſera poſſible ,
pour aller mettre obſtacle à la réunion des forces
Ruſſes fur la mer Noire , & les retenir dans les
divers ports dela Crimée , où elles ſont ſéparées ;
il eſſaiera de les détruire , s'il eſt poſſible , avant
qu'elles puiſſent nuire ou agir de concert avec les
forces qu'elles attendent de la Méditerranée. On
raffemblera auſſi , ſous les ordres d'un nouveau
Khan, ceux des Tartares de la Crimée qui ont
réſiſté aux promeſſes & aux menaces de laRuſſie;
eny joindra ceux du Cuban , du Budziac & des
bords du Kopa , & on les emploiera à inquiéter
detout leur pouvoir les troupes Ruſſes qui avoifineront
la Crimée& celles qui l'occupent déjà , à
rendre leur ſubſiſtance difficile &précaire , à brûler
les fourrages, & à les harceler ſans ceſſe. C'eff
un beau plan , fans doute ; mais il reſte à l'exé-
:
cuter «.
.: DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 4 Septembre.
Le Général d'Eichstedt , Miniſtre d'Etat
22
(4)
le Baron de Roſencron, Miniſtre des Affaires
✓étrangeres , Confeiller de conférence , &
M. Colbiorfen , Conſeiller de Juſtice , viennent
d'être nommes Directeurs de la Banque
royale , à la place de M. de Nuntzen
le Comte de Reventlau , M. Stampe & le
Comte de Schimmelmann qui ont donné
Jeur démiffion.
,
>>>Des bâtimens arrivés le premier de ce mois
de l'ifle d'Iſlande , ont apporté la nouvelle de l'irruption
de pluſieurs nouveaux volcans , dans le
diflrist de Scaptefield , aux environs du mont
Hecla. Ils vomiſſent une quantité prodigieuſe de
lave , qui a déjà emporté trois Egliſes & d'autres
édifices .Elle couvre , dans le voiſinagede la riviere
de Skaptaa , une étendue de pays de 15 milles de
long fur 7 milles de large. Une vapeur épaiſſe ,
remplie d'une pouſſiere très - fine & fulfureuſe ,
occupe l'athmoſphere & obfcurcit le ſoleil. L'ifle
nouvellement ſortie de la mer , près de Reikenos ,
reçoit tous les jours des accroiſſemens; il s'en
exhale continuellement du feu & de la fumée.
D'après ces circonstances , & ce qui s'eſt paffé dans
1a Sicile , il faut conclure que les deux principaux
foyers renfermés dans le ſein de la terre , au nord
&au midi de l'Europe , ſont aujourd'hui dans une
activité plus qu'ordinaire .
On mande d'Helſingor qu'il viene de
mouiller dans ce port deux Vaiſſeaux de
guerre Ruffes de 60 Canons , conſtruits
nouvellement à Archangel , & ſe rendant à
Cronſtadt. On écrit auſſi qu'il y a dans le
méme port un Navire Anglois fur lequel ſe
( 5 )
trouvent 16 Officiers & 20 Chirurgiens de
cette nation qui ſe ſont engagés au ſervice
de l'Impératrice de Ruffie.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 13 Août.
Le mauvais temps qui regne depuis quel-.
que temps a ſuſpendu les grandes manoeuvres
du camp de Hlaupietin en Bohême ;*
elles ont commencé ſeulement le decemois.
On dit que le Prévôt du Chapitre de
Neutra a encouru la diſgrace de S. M. I. qui
l'a privé de fa dignité , & des autres béné
fices qu'il avoit. Parmi les chofes qu'on lui
impute , il y en a de très-graves & de trèsétranges
. Telle eſtl'imprudence qu'il a eue
de ſe préſenter, dit- on , à la Cour de Lisbonne
, comme ayant une commiſſion particuliere&
fecrette de la part de l'Empereur.
Il paroît décidé qu'on exécutera dans per
l'ancien projet d'incorporer les diſtricts de la
Hongrie en-deçà de la Raab à l'Autriche , &
ceux qui font limitrophes à la Moravie à
cette derniere province. De cette maniere la
Hongrie ſera ſéparée de l'Autriche & de la
Moravie par la Raab en-deçà du Danube ,
& au -delà par laWaag. Presbourg deviendra
une ville d'Autriche , & Bude fera regardée
comme la capitale de ce royaume.
Les corps de baleine viennent d'être défendus
dans les maiſons d'éducation pour
les Demoiselles.
23
( 6)
DE HAMBOURG , le 16 Septembre.
Rien de plus incertain &de plus contradictoire
que les nouvelles relatives aux armemens
des deux Cours Impériales & des
Turcs.
>> On écrit de Carlſtadt, lit- on dans quelquesunsde
nos papiers , que le 20 du moisdernier il y
eut un rude combat entre les Turcs ,fur les fron-
Aieresde la Croatie ; il paroît que des diviſions inzernes
, parmi des troupes indiſciplinées ,& l'efprit
de mutinerie , long-temps & difficilement
contenu, n'en ont pas été la caufe. Les corps
Afiatiques & Européens faiſant dans la nuit la
viſite du cordon , ſe prirent , en ſe rencontrant ,
pour un parti étranger ; le feu dura , dit-on , jufqu'au
jour. Il y eut un grand carnage , & pluſieurs
Officiers furent maſſacrés en voulant rétablir la
tranquillité «.
Selon quelques-uns de ces papiers , on
attribue la dépoſition de Nicolas Caraggia ,
Hoſpodar de la Valachie , à des liaiſons fecrettes
qu'on lui ſuppoſoit avec la Ruffie. Si
elles exiſtoient en effet , elles ne pouvoient
être vues de bon oeil par le Gouvernement
Ottoman fur -tout dans un moment où l'on
regarde ce qui vient de ſe paſſer en Crimée
comme une fuite de celles de Sahim Gheray
avec la même Cour.
Selon les avis de Pologne , un corps confidérable
de Ruffes s'eſt avancé vers la fortereſſe
d'Oczakow , & on porte à 100,000
le nombre des troupes de cette nation qui
eft entrée fur les terres de la République.
( 7 )
Onprétend qu'outre les armées Ruſſes déja
en mouvement de divers côtés , il y en a
une autre conſidérable,mais partagée en pluſieurs
petites diviſions , en marche par les
frontieres de la Perſe , & on ne manque pas
d'annoncer que ſi la guerre éclate , les Perfans
ne reſteront point ſpectateurs oififs.
Mais on a toujours lieu de croire que la Cour
de Pétersbourg évitera d'uſer la premiere
des voies de fait , pour être en droit de réclamer
, lors d'une attaque des Ottomans ,
le ſecours qui lui eſt promis dans ce cas par
fon traité avec la Cour de Vienne.
Les diſpoſitions de la maiſon d'Autriche
dans cette circonſtance font toujours un
myſtere ; elle a fait des préparatifs immenfes
, & qui lui ont coûté fort cher , puifqu'on
les évalue à fix millions de florins audelà
de ce que lui coûte ſon état de guerre
ordinaire. On remarque que ſes prépar artifs
augmentent , que les embarquemens de munitions
ſur le Danube ſe renouvellent tous
les jours ; que ſes troupes s'avancent vers les
frontieres ; on dit même que l'armée s'aſſemblera
bientôt dans le bannat de Témefwar.
Ce qu'on avoitditici de l'entrevue que l'Empereur
devoit avoir avec le Roi de Pruſſe eſt
totalement tombé. Cette entrevue n'a point
eu lieu , & on apprend de Berlin que S. M.
eſt arrivée à Potzdam le 2 de ce mois.
Nos papiers , en attendant des lumieres
moins incertaines ſur la tournure que prendront
les démêlés entre la Ruffie & la Porte,
a4
( 8 )
préſentent quelques obſervations ſur les ef.
fets de l'occupation de la Crimée, de l'iſle
de Taman & du Cuban.
Selon eux , elle affure à la Puiſſance qui s'en eſt
emparée , l'empire de la mer Noire , & de grands
avantages pour la pêche & le commerce avec
l'Italie . L'importation ſeule du poiſſon dans cette
contrée , a valu , diſent ils , des millions aux Anglois
& aux Hollandois , qui l'ont faite pendant
leng-temps. Cette poſſeſſion ouvre aux Ruſſes
l'entrée de la Méditerranée , & les Turcs ne peuvent
guere y mettre obſtacle , puiſqu'il eſt facile
àune eſcadre d'entrer , quelque vent qu'il faffe,
de la mer Noire dans le canal de Conſtantinople" ;
elle leurprocure encore du bois de conſtruction ,
du fer , tous les matériaux néceſſaires & deux
ports excellens ; elle offre auffi à leur commerce
une route nouvelle & intéreſſante , tant pour la
Perſe que pour les Indes orientales , & elle donne
enfin à l'Impératrice près de 2,000,000+ de nouveaux
Sujets , & environ 3,000,০০০ d'écus de
revenu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 12 Septembre.
On prépare à Carthagene deux Vaiſſeaux
'de ligne qui , ſous les ordres du Brigadier
Anſtizabal , iront à Conſtantinople porter les
préſens que l'on eſt dans l'uſage de faire après
la conclufion d'un traité tel que celui que
nous avons fait avec le Grand-Seigneur.
D. Antonio Barcelo eſt ici depuis quelques
jours , il a été à S. Ildéphonſe où il a
été très-bien accueilli. Nous attendons un
autre Général qui ne fera pas moins bien
) و (
!
reçu , c'eſt D. Bernard de Galvez . On a
appris par un Courier qu'il vient de mouiller
à Cadix ; il revient de la Havane qu'il a
quittée le 16 Juillet à bord du Saint-Jean-
Nepomucene ; il a ramené la plus grande
partie de nos troupes qui font arrivées avec
lui fur 36 Bâtimens de tranſport. Un Bâriment
qui avoit paru quelques jours avant
lui , nous avoit annoncé fon départ , &nous
avoit donné en même temps la facheuſe
nouvelle de la perte du Dragon , de 60 Canons,
qui a péri ſur les bas fonds de Campêche.
Par bonheur ce Vaiſſeau étoit accompagné
de deux autres qui font parvenus à
fauver preſque tout l'équipage. Le Dragon
alloit à la Vera-Cruz chercher des fruits &
de l'argent. Avant le départ de D. Galvez ,
la Frégate la Sainte Lucie étoit arrivée à la
Havane avec deux millions de piaſtres pour
te Commerce qu'elle avoit apportées de la
Vera-Cruz , & qui furent embarquées fur
le champ à bord du Saint-Jean-Népomucene.
Les enfans nouvellement nés ,dont la Princeſſe
des Afturies eſt accouchée les de ce
mois , ſe portent à merveille , ainſi que leur
mere. Ils furent baptifés le même jour , &
eurent le Roi pour parrein. Le premier né a
reçu les noms de Charles -François de Paulė-
Dominique-Antoine-Joſeph-Raimond-Diegue-
Vincent-Ferrier- Jean - Népomucene-Ifidore-
Pafchal-Pierre- Pierre- d'Alcantara- Ferdinand-
Philippe- Louis - Cajetan - Grégoire-
Joachim -Laurent-Justinien &Julien ; le feas
( 10 )
cond a reçu les noms de Philippe-Françoisde-
Paule , & tous les autres noms déja donnés
à fon frere.
On vient d'éprouver, écrit-on d'Almeria , un
événement terrible , qui ſembloit devoir être plus
funeſte , & dans lequel heureuſement perſonne
n'a péri. Le 18 Août , à cinq heures du matin ,
une flammeche eſt tombée ſur la tour du château
de la Roquette , où eſt placé le magafin à poudre;
elleya mis le feu , & une partie des bâtimens à
été ruinée. LeLieutenant - Alcade D. Tomas
Abad, eſt reſté enſeveli ſous les ruines ainſi que
fafamille. Contre tonte eſpérance , on eft parvenu
à les retirer de deſſous les décombres , & à les
trouver légerement bleſſes. Deux hommes appar
tenant à la Marine , & qui , au moment de l'exploſion
, s'étoient réfugiés ſous les murs , ont eu le
même bonheur. Les murs extérieurs ſont ouverts
en pluſieurs endroits , & en attendant qu'ils
foient réparés , on a pris les mesures nécéffaires
pour la garde& lafuretédu château.
r Le même jour la ville de Malaga a été expoſée
à un pareil déſaſtre; c'eſt ainſi qu'une
Lettre du 19 en préſente les détails.
« Le Magaſin a poudre de cette ville ſitué autrefois
au centre du château de Gibralfaro , qui
la domine , a été éloigné depuis deux ans , à
une lieue d'ici , ſur les repréſentations du Ma .
giftrat , qui craignoit l'effet d'un accident qui y
eût mis le feu. Il ne reſtoit dans l'ancien emplacement
que quelques artifices & des grenades
chargées. Hier on a éprouvé combien la précaution
qu'on avoit priſe étoit prudente; on a effuyé
un orage violent , pendant lequel la foudre
eſt tombée ſur ce magaſin ; les ruires cauſées par
l'explosion ont étéheureuſement portées aunord ,
1
( It )
d'un côté où il n'y avoit point d'habitations &
perſonne n'a été bléifé , pas même parmi les ſoldats
qui étoient de garde'dans le château. Si le
magaſin avoit contenu toute la poudre qui y étoit
il y a deux ans , ce qu'on évalue à 6 milliers ,
c'en étoit fait de cette ville . Le tonnerre eſt tombé
en fix endroits différens ; mais il n'a cauſé
aucun dommage , il a ſeulement bléſfé légerement
deux femmes : comme l'orage a duré toute
Ja nuit avec la plus grande violence , on a craint
pour les campagnes , mais on ignore le dommage
qu'ila pû y caufer . >>>
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 23 Septembre.
S'ilfaut en croire quelques lettres de New-
Yorck adreſſées à un Marchand de Dublint ,
les Loyaliſtes ne déſeſperent pas encore d'obtenir
quelque adouciſſement aux réſolutions
rigoureuſes priſes contr'eux dans tous les
Etats-Unis. Malgré la vive oppoſition de
quelques-uns des délégués au Congrès , la
majorité , dit-on , a été dans une des dernieres
aſſemblées pour conſeiller de l'indulgence
en faveurde ceux qui , pendant la
guerre , ont cherché un aſyle ſous la protetion
Britannique. Elle n'exclut ajouter
t-on , que ceux qui ont accepté des commiffions
militaires ,& fe font rendus coupables
d'excès , de vexations & de cruautés
envers les ſujets des Etats-Unis. Cependant
toutes les autres lettres , tous les papiers de
l'Amérique ſeptentrionale ne préſentent rien
a 6
( 12 )
qui puiffe fonder cette eſpérance; elles annoncent
que par-tout les Loyaliſtes font rejettés
, & qu'on n'a pas même permis le plus
court ſéjour à ceux qui ont cru pouvoir fe
rendre dans quelques endroits.
On a lu dans pluſieurs papiers publics
que les Américains fongeant à ſe donner un
code de loix avoient conſulté pluſieurs favans
étrangers ; un citoyen de la nouvelle
République, pour prouver qu'ellea des hommes
en état de la fervir à cet égard , & qu'elle
n'a pas beſoin de recourir au-dehors , & d'y
chercher des fecours , a publié la déclaration
des droits dreſſée par M. George Mafon ,
un des citoyens les plus diſtingués de Virginie
, & fur laquelle tous les Etats-Unis
fonderent en 1776 leurs gouvernemens. Leur
code a été rédigé enfuite , & la même déclaration
des droits lui a fervi de fondement ;
elle eft conçue ainſi :
19. Tous les hommes créés également libres &
indépendans , ont certains droits naturels & inhérents
, dont ils ne sçauroient priver ni dépouiller
leur poſtérité ſous aucuns prétexte : parmi ces
droits font la jouiſſance de la vie& de la liberté ,
les moyens d'acquérir & de pofféder des biens ,
de poursuivre & d'obtenir leur bien-être & leur
fûreté. 1º. Tout pouvoir étant donné par Dieu
&la nature au peuple , c'eſt ce dernier qui en eft
la ſource : les Magiſtrats ne font que les dépofizairesde
celui qu'il leur a confié ; ils ſont ſes Serviteurs
,refponfables à lui en tout tems 3° . Tout
Gouvernement eſt ou doit être inſtitué pour l'avantage
commun , la protection & la ſûreté du
peuple ,de la nation, ou la communauté ; des
( 13 )
différentés eſpeces ou formes deGouvernement, la
meilleure eſt celle qui produit le plus de bien- être
&de fûreté ,& qui affure contre le danger d'une
mauvaiſe adminiſtration : toutes les fois qu'un
Gouvernement ſe trouve insuffisant ou contraire
àce but , la majorité de la Communauté a un
droit indubitable , inaliénable& impreſcriptible ,
de le reformer , l'altérer , l'abolir. 4º. Aucun
homme ni claſſe d'hommes n'a droit à des avantages
ou priviléges exclufifs ou diftincts de la
Communauté , finon en conſidération de ſervices
publics , leſquels ne paſſant point de pere en Fils ,
les charges de Magiftrat ,de Légiflateur , ou de
Juge ne doivent pas non plus être héréditaires .
5°. Les Puiffances Législative & Exécutrice de:
l'Etat doivent être ſéparées&diſtinctes de la Puifſance
de juger; les Membres des deux premieres
n'opprimeront point , quand ils partageront les
fardeaux du Peuple ; als doivent donc à des épo--
ques fixes , être réduits à l'état de ſimples particuliers
, rentrer dans le corps d'où ils avoient été
tirés originairement ; & les places vacantes doivent
être remplies par des élections fréquentes ,
certaines , & régulieres. 6°. Les Elections des repréſentans
du peuple dans le Corps Légiflatif ,
doivent être libres; & tous les hommes qui auront
évidemment un intérêt commun avec la Société
peuvent réclamer le droit de fuffrage ; ils ne
ſçauroient étre taxés ni dépouillés de leur propriété
pour des uſages publics , fans leur confentement
ou celui de leur repréſentans élus de cette
maniere , ni liés par aucune loi , à laquelle ils
n'auroient pas confenti de la même maniere pour
le bien commun . 7 ° . Tout pouvoir de ſuſpendre
des Loix ou leur exécution fans le conſentement
des repréſentans du peuple eft léfif pour ſes.
droits & ne doit pas s'exercer. 8°. Dans toutes
,
2
( 14 )
procédures capitales ou criminelles unhommea
droit de demander , qu'on lui déclare la cauſe &
la nature de ſon accufation , & qu'on le confronte
avec les accuſateurs & les témoins; d'appeller des
témoins à ſa décharge ; & de réclamer un Jugement
prompt par un Juré impartial de ſon voifinage,
ſans le conſentement unanime duquel il
ne ſçauroit être déclaré coupable : on ne peut le
forcer à donner témoignage contre lui -même ;
&aucun homme ne peut être privé de ſa liberté ,
finon envertu de la loi du pays ou du Jugementde
ſes Pairs. 9°. Il ne faut pas exiger des cautions
exceſſives , ni impoſer des amendes exorbitantes
, ni infliger des peines cruelles & inufirées
. 10º. Dans des queſtions concernant la propriété,
&dans des procès entre homme & homme,
l'ancien Jugement par Juré eſt préférable à tout
autre& doit être tenu pour ſacré . 11 °. La liberté
de la preſſe eſt l'un des grands boulevards de la
liberté , & elle ne sçauroitjamais être reſtreinte
que par des Gouvernemens deſpotiques. 12º. Une
Milice bien réglée , compofée du corps du peuple
, exercée au maniment des armes, eſt la défenſe
fûre , propre , & naturelle d'un Etat libre ;
des armées permanentes en tems de paix doivent
être évitées comme dangereuſes pour la liberté ;
&dans tous les cas les Militaires doivent être ſous
une ſubordination rigoureuſe au pouvoir Civil &
gouvernés par lui. 13°. Aucun Gouvernement
libre , ni la liberté , ne sçauroient être conſervés
par aucun Peuple , ſans une adhéſion ferme àla
juſtice, à la modération , à la tempérance , à la
frugalité , & à la vertu , & d'un recours frequent
aux principes fondamentaux. 14º La Religion
ou le culte que nous devons à notre Créateur ,
ainſi que la maniere de remplir ce devoir , ne
sçauroit être dirigée que par la raiſon & la
( 15 ) .
conviction , & non par la force on la violence
parconféquent tous les hommes doivent jouir de la
tolérancelaplus complette dans l'exercice dela Religion,
conformément à ce que leur dicte leur confcience
, fans être punis ni reſtreints par le Magif
trat , à moins que ſous prétexte de Religion quel.
qu'un ne troublåt le repos , le bien , ou la fûreté de
la Société : & c'eſt le devoir réciproque de tous
les Hommes de pratiquer la patience , l'amour
&la charité Chrétienne l'un envers l'autre .
L'établiſſement des Loyalistes dansla nouvelleEcoffe
peut faire défirer quelques dérails
fur cette province; nous nous empref
ferons d'en placer ici quelques-uns .
La Nouvelle -Ecoffe embraſſe une étendue de
plus de 300 lieues. Elle est très-propre par la
poſition à ſervir d'aſyle aux bâtimens qui viennent
des Antilles , à cauſe du grand nombre de
ſes Ports , où l'on entre & d'où l'on fort par tous
les vents. Ses rivages offrent beaucoup de morue ,
on en trouve encore une plus grande quantité
fur de petits bancs qui n'en ſont éloignés que
de quelques lieues . Cette preſqu'Iſle peut faire
aifément le commerce des Pelleteries . Ses Côtes
arides préſentent un gravier excellent pour ſé
cher le poiffon; la bonté des terres intérieures
invite à toute eſpece de culture. Ses bois font
propres à tous les uſages. On y éprouve des cha
leurs exceſſives, &de grands froids ;mais les brouil-
Jards qui durent preſque toute l'année , tem
perent la chaleur & le froid, & en rendent le
Léjour affez ſain . Le premier établiſſemeut y fut
fondé en 1604 par des Français , qui lui donnerent
le nom d'Acadie . Ils n'avaient en vue
que d'y former un Entrepôt pour les Pelleteries
du Canada ; voilà ce qui leur fit élever leurs
( 16 )
"
Cabanes à l'Oueſt dans la partie la moins avanta
geuſe. La Colonie étoit à ſon berceau) , lorfque
les Anglais fonderent dans ſon Voiſinage
les premiers établiſſemens de la Nouvelle-Angleterre.
La rivalité s'éleva bientôt entr'eux.
Les Français ſurent mettre de leur Parti les
Abenaquis Sauvages , leurs voiſins , qui commirent
beaucoup de cruautés contre les Anglais.
Mais ceux- ci ſe rendirent à la fin Maîtres de
Port-Royal , qui prit le nom d'Annapolis. Depuis
cette époque il ſe forma une Colonie d'hommes
neutres dans l'intérieur des terres , qui ne
reconnoiſſoit point le Gouvernement Anglois
mais qui lui étoit utile. En 1749 Elle comptoit
18,000 ames . Ce fut à cet époque que les Anglais
fonderent une nouvelle Ville à l'Eſt dans
un endroit appelle Chibenoton. Ils lui denne
rent le nom d'Hallifax. Le gouvernement procura
mille encouragemens. Plus de 3000 Perſonnes
vinrent d'une ſeule fois l'habiter. Hallifax
une fois fortifié , voulut faire la loi à la Peuplade
neutre , dont partie déſerta & ſe rendit
dans la Nouvelle-France. L'Angleterre fit périr
le reſte de ces François neutres pour qu'ils
ne retournaſſent pas à la France. C'eſt une acrocité
à joindre à la liſte de celles que les Européens
ont commiſes dans le nouveau Monde.
Depuis ce tems , il s'en faut que Hallifax ait
proſpéré ; cependant le gouvernement lui adonné
tous les ans au moins 40000 livres ſterling ; en
1757 , ſes richeſſes mobilieres & immobilieres
étoient eſtimées à près de 3000,000 livres ſterling.
Il s'eſt formé dans lamême preſqu'Iſle une
autre Colonie d'Allemands , qui ont appellé leur
établiſſement Lunebourg. Cette peuplade prof
pére. Il eſt à eſpérer que la ville de Shelburne
aura le même ſort. Elle va être habitée par des
( 17 )
gens actifs & induſtrieux , qui ne manqueront
pas de tirer parti de ſon ſol excellent ,de ſes
Ports nombreux & de ſes pêches » .
Le Lieutenant-Colonel Thomas écrivit
ainſi ſon teſtament la veille du jour de fon
combat avec le Colonel Gordon.
>> J'ai reçu un appel; la loi que l'on appelle
honneur m'oblige de l'accepter. Dieu ſeul ſçait
quelle en ſera l'iſſue; je ſçais ſeulement que j'ai
fait mon devoir. J'écris en conféquence ce teftament
, par lequel je révoque & j'anéantis tous
ceux que j'ai faits en différens temps . J'abandonne
d'abord mon ame à Dieu ; je me confie en ſa miféricorde
& j'implore d'avance ſon pardon pour
Paste criminel que je vais commettre en obéiffant
à une coutume coupable , établie par un monde
pervers. -Je laiffe 150 liv. ſterling , jointes
ici en billets de banque , à mon frere Jean
Thomas , Ecuyer des Gardes , à la réſerve d'une
ſomme ſuffiſante pour payer mes dettes , qui font
peu de choſes. Je lui donne également tous mes
livres , mon mobilier , & tout ce que je poſſede.
Je legue à mon valet Thomas Hobber 50 liv. ,
que je prie mon frere de lui payer , ainſi que
d'acquitter ſur le champ le peu de dettes que je
puis avoir. Ce 3 Septembre 1783 .
Cette piece montre quelles étoient les difpoſitions
du Lieutenant-Colonel Thomas ,
& fa répugnance en ſe préſentant au combat.
Le fait a été mal repréſenté dans notre
dernier Journal ; le voici tel qu'il eſt.
Le Conſeil de guerre tenu à New-Yorck
le 4 Septembre 1782 ayant déchargé , comme
nous l'avons dit , M, Gordon de toute
accufation intentée contre lui , il exigea de
( 18 ) :
M. Thomas qu'il ſe rétractât , ou du moins
qu'il lui fit quelque excuſe. Sur le refus de
celui-ci , M. Gordon en demanda raiſon
deux fois , d'abord en Amérique , & enfuite
en Angleterre. Mais M. Thomas éluda la
demande toutes les deux fois ſous différens
prétextes. La querelle de ces deux Officiers
devint alors un affaire de corps , &le duel
fut inévitable. Ils tirerent trois coups à la
diſtance de huit pas l'un de l'autre. Au premier
coup le piſtolet deThomas rata ; Gordon
lui permit de tirer de nouveau , & de
tirer ſeul , &fut bleſſé à la cuiſſe. Le fecond
coup fut manqué des deux côtés. Au troiſieme
, M. Thomas reçut une bleſſure que
M. Gordon fit panſer ſur le champ par un
Chirurgien Major qu'il avoit amené avec
lui ; M. Thomas mourut le lendemain. A
L'enquête du Coroner, Officier de Juſtice en
Angleterre , député pour connoître en premiere
inſtance du cas de mort violente , le
Juré prononça que M. Gordon étoit coupable
d'avoir tué Thomas , & cela fondé
fur la dépoſition de deux témoins , dont le
premier, valet-de-chambre du défunt, déclara
qu'il avoit vu tomber ſon maître , en conſéquence
d'un coup de piſtolet tiré par M.
Gordon , & l'autre , Chirurgien , que la bleffure
reçue de ce coup étoit la cauſe de mort.
M. Barolett , Suiſſe de nation , ayant vécu
pluſieurs années à Yarmouth,avecMM. Cotton
& Gorch , négocians de cette ville , fut
envoié à Bruges , pour y terminer quelques
( 19 )
affrires. Peu de jours après ſon arrivée , il fut
arrêté & conduit en priſon , comme étant
réellement un certain Durand, qui avoit été
convaincu d'avoir commis un aſſaffinat , le
22 Septembre 1782 , condamné à mort , &
qui s'étoit échappé de ſon cachot. Ce qu'il
yeut de plus fingulier , c'eſt que le Juge qui
avoit interrogé Durand, jura que M. Barolett
étoit le même qu'il avoit jugé ; le géolier
& s autres perſonnes fortifioient ce témoignage
; & malgré les proteſtations qu'il étoit
un autre homme , il devoit être exécuté le
jour ſuivant , ſi le lord Torrington, qui ſe
trouvoit à Bruges , n'eût ſollicité & obtenu
avec beaucoup de peine un ſurſis , & procuré
à M. Barolett les moyens d'envoyer à
Yarmouth, pour en fairevenir ſa juftification.
M. Cotton , à l'arrivée de cette nouvelle , ſe
procura tous les certificats , prouvant que
M. Barolett étoit à Yarmouth,dans le temps
où le meurtre fut commis àBruges , & qu'il
n'avoit pas quitté cette ville juſqu'au moment
où il avoit été envoié pour affaires.
Ces certificats ne furent pas trouvés ſuffifans
: le Juge dit qu'ils prouvoient ſeulement
que M. Barolett étoit alors à Yarmouth,mais
non que celui qui prenoit ce nom, ne fût pas
Durand. Le lord Torrington fut obligé de
folliciter encore un ſurſis. M. Gorch s'eſt
rendu lui-même à Bruges , pour prouver l'identité
de la perſonne : il a emporté les livres
que M. Barolett a tenus pluſieurs mois ,
20 ) .ا )
avant & après le crime , où il n'y a pas une
ligne d'une autre main que de la fienne. On
ne doute pas que ces pieces ne foient victorieuſes.
M. Barolett fera relâché : mais quel
dédommagement accordera-t- on à l'infortuné
que la Juſtice a accablé , traité en criminel
, & qu'elle auroit égorgé ſans le lordTorrington
, parce que la nature , par unjeu fingulier&
bien funeſte pour lui, a produit une
reſſemblance ſi parfaite entre lui &Durand.
Les dernieres dépêches reçues de l'Inde
par la voie de terre ont donné la confirmation
de la paix avec les Marattes. Elle fut
conclue le 17 Mai 1782 , ratifiée au fort
William le 6 Juin ſuivant ,& fut échangée
enfin avec toutes les formalités publiques
entre M. Anderſon & Madajée Sindia le 24
Février dernier.
La Cour des Directeurs de la Compagnie
s'eſt aſſemblée fur ces dépêches dont elle n'a
publié aucun détail ; nos papiers fuppléent
ainſi à fon filence.
>> Les troupes , diſent-ils , après divers avantages,
ſous les ordres du Général Mathews & du
Colonel M' Leod , ſe font emparées de Mangalor
le 6 Mars dernier. Cette Place eſt ſur la
Côte de Malabar , à 50 lieues environ du Sud
d'Onore , qui avoit été priſe le 5 Janvier précédent.
C'estune des principales villes de Tipofaïb ,
mais non fa Capitale , qui eſt Seringa-Patnam ,
éloignée d'environ 60 milles de Mangalor. Tipofaïb
étoit dans cette Place lorſque le fiége en fut
commencé , & il ne la quitta que quelques jours
avant ſa reddition. Avant que les Portugais ſe
( 21 )
fuſſent établis àGoa , dont ils ont fait leur prins
cipal établiſſement, Mangaloretoit la Capitale de
l'ancien Royaume de Vilapour, quia plus de 300
milles d'étendue ; cette Ville eſt dans la même latitude
que Madraff, au côté oppoſé de la pref
qu'île occidentale de l'inde , & la diſtance entr'elles
eſt de 400 milles. On attribue principalement
le ſuccès à la prudence du Général Mathews,
qui pour avancer ſur l'ennemi & lui livrer
bataille , ſaiſit le moment où la mort d'Hyder-
Ali venoit d'être généralement connue , & ou
Peſprit de défection qui en étoit la ſuite naturelle
s'étoit généralement répandu.-Selon les
mêmes Dépêches , la Flotte de l'Amiral Hugues,
eſt partie de Bombay le 17 Mars dernier ; elle
confiftoit en un Vaiſſeau de 80 canons , quatre
de 74 , deux de 70 , fix de 64 , deux de 50 ,
une Frégate , un Brulot , deux Bombardes , &
trois Vailleaux armés en Flutte. Elle devoit toucher
à Goa pour y prendre trois Vaiſſeaux qui
s'y réparoient. A cette époque l'Eſcadre fran
çaiſe étoit encore mouillée àTranquebal ».
9.
On a reçu d'autres nouvelles de l'Inde par
un Vaiſſeau arrivé à Limeria & parti
de Bengale le 23 Avril dernier ; elles conſiſtent
principalement en une gazette de
Calcutta en date du mois de Mars , contenant
des détails des événemens qui ont précédé
la prife de Mangalor.
Tout le pays de Benador étoit en la poſſeſſion
du Général Matthew le 27 Janvier dernier; le
Gouverneur Indien avoit offert de remettre le
pays à nos troupes , & les conditions les plus avantageuſes
pour la Compagnie , puiſqu'il ſecoue la
dépendance de Typpo-faib , qu'il paiera la protection
des Anglois par un tribu annuel de 15 laks
de pagodes , & qu'il leur remettra , pour gage de
( 22 )
ſa fidélité , les places fortes du pays.-Ces đétails
ſont ſuivisd'unelettre de S. Georges endatedu
9Mars , qui confirme la priſe faite par l'ennemi ,
de la frégate le Coventry. Le Capitaine Light ,
qui la commandoit , ayant obtenu la liberté , eſt
revenu à S. Georges fur un vaiſſeau Portugais. II
rapporte que lorſqu'il a quitté M. de Suffren , ce
Commandant , qui avoit 12 vaiſſeaux de ligne &
3 frégates , dont une ſeule en mauvais état , & le
reſtedans le meilleur ordre , bien équipé , avoit
reçu àTrinquemale 2 autres frégates & 300 hommes
de troupes , & il attendoit du Cap-de-Bonne-
Eſpérances vaiſſeaux françois , 5 Hollandois &
quelques frégates , avec 4000 hommes ; leGénéral
François faiſoit réparer une de ſes priſes ,
conſtruite à Bombay , & la faiſoit monter de so
canons ; il étoit arrivé un vaiſſeau Hollandois de
50 , avec des proviſions , & on ignoroit ſi on le
mettroit en ligne . M. de Buſſy étoit attendu à
chaque inſtant avec 3 vaiſſeaux de ligne & 2 frégates,
28 tranſports avec des troupes. Le Vengeur
avoit été complettement réparé & doublé en cuivre
à Trinquemale. La Subtile y étoit arrivée avec
des mâts , des bois &des planches. - La même
Gazette offre une lettre de Madras , du 10 Mars ,
où l'on lit que M. de Suffren ayant envoyé le Coventry
à Pondichéry pour prendre des informations,
avoit appris que , dans le coup de vent qui
eut lieu en Octobre , quatre des vaiſſeaux de Sir
Edouard Hugues avoient péri, 2 autres manquoient.
Les François ne doutoient point de cette
nouvelle , & ils n'attendoient que l'arrivée de
M. de Buſſy pour aller à Madras. Le Paquebot le
Rodney a été pris ainſi que le Vengrur , qui a été
réparé. On craint auſſi qu'ils ne ſe fuſſent emparé
de l'Haftings , Capitaine Jamieſon , qui étoit le
Lauriſton , à qui nous avons donné ce nom après
l'avoir armé. Ce qui ſeul entretient l'incertitude
( 23 )
&nos eſpérances , c'eſt qu'on a reçu une lettre de
ce Capitaine , qui marque qu'il ſe propoſoit de
prendre ſa route par le Pegu ; & s'il l'a fait , il
n'eſt pas étonnant qu'on n'en ait point de nous
velles.
Le paquebot parti dernierement pour les
Indes Orientales y porte les traités définitifs
de paix , & des ordres pour le retour des
vaiſſeaux de guerre & des troupes à qui on
avoit déja envoyé celui de revenir , & qu'on
dit devoir être en plus grand nombre; on
laiſſera moins de vaiſſeaux danscette ſtation.
Le Baptême de la Princeſſe dont la Reine
eft accouchée , a eu lieu le 18 de ce mois à
7 heures du ſoir. Les Pairs , les Miniſtres
étrangers avec leurs épouſes , qui y furent
préſens , furent introduits dans la chambre
du Grand-Conſeil, où la Reine étoit couchée
furun lit de fatin blanc , fous un dais de velours
cramoiſi brodé en or. Le Roi étoit à
côté , le Prince de Galles aux pieds , avec la
Princeſſe Royale & la Princeſſe Auguſte ;
des deux côtés étoient les autres enfansdu
Roi chacun fuivant fon âge. Le Docteur
Moore , Archevêque de Cantorbery , fit la
cérémonie. Le Prince de Galles , la Princeſſe
Royale & la Princeſſe Auguſte , tinrent fur
les Fonts lajeune Princeſſe qui fut nommée
Amelie.
LePublic paroît généralement fatisfait des con
ditionsde la paix avec la Hollande , & fur- tout
de la conſervation de Negapatnam. Cette place
par ſa poſition avantageufe coupe toute communication
entre les Hollandois & les Indiens , &
( 24 )
met les Employés de la Compagnie a portée
d'épier toutes les négotiations& les meſures qui
pourroient être contraires aux intérêts de la G. B.
Négapatnam faitd'ailleurs uncommerce intérieur
très-riche ſur les deux rivieres qui baignent ſes
murs , & d'ailleurs cette place commande le pays
de Tanjaour , ainſi que les poſſeſſions du Nabab
d'Arcate , qui doivent être ſurveillés de près tant
que l'Angleterre voudra avoir des poffeffions territoriales
dans l'Inde .
La paix ne fera proclamée publiquement
avec les formalités ordinaires , que lorſque
le Traité définitif avec la Hollande fera ſigné ,
&on affure que cela ne fera pas long.
Le choix que la Cour a fait du Chevalier
Lineſay pour commander dans la méditerranée ,
eſt univerſellement approuvé. Cet Officier a
beaucoup de fortune, l'eſprit des affaires & une
grande expérience comme marin. Le jour de
fon départ n'eſt point encore fixé ; mais toutes
les lettres des ports diſent qu'on travaille ſans
relache à l'armement des vaiſſeaux qui n'ont pas
encore joint l'eſcadre à Spithead. Les troupes
qui doivent paffer à Gibraltar font raffemblées
&preſque toutes embarquées : les Colonels ont
faittout ce qu'ils ont pu pour porter leur corps
au complet avant leur départ. Les lettres de
Portsmoulth du 9 parlent d'un Seigneur Ruffe qui
adéjà paſſé quelque temps dans ce port , & qui
ſe propoſe , diſent - elles d'aller bientôt à
Lisbone. On attend , dit-on à Gibraltar l'efcadre
de Cronſtad ; & le Gouvernement déter.
miné à garder la neutralité la plus ſtricte entre
laRuffie & la Porte , a envoyé dans ce port l'ordre
de donner aux vaiſſeaux de l'Impérarrice
tous les ſecours compatibles à cette réſolution,
( 25 )
-Le traité de commerce entre l'Angleterre&
cette puiſſance expire cette année ; on s'occupe
àpréſent de le renouveller.
Selon des lettres de Gibraltar , les débris
des batteries flottantes qui ont coulé bas ne
ſe trouvant que cinq ou fix pieds ſous l'eau ,
lemouillage du vieux mole eſt devenu trèsdangereux.
La péche deGroenland a eu cette année un ſuc
cèspeu commun,& fort au-deſſus de celui qu'elle
avoit eu dans aucune faiſon pendant les 40 dernieres
années. On en peut juger par le nombre
des baleines priſes par les vaifleaux Anglois employés
à cette pêcherie. Ni les Hollandois , ni les
François , ni les Danois , ni aucune autre Nation
n'ont ſi bien reuſſi ; on l'attribue à la perfection
que nous avons donnée à la maniere d'équiper les
vadſeaux& d'employer les harpons. Le nombre
des vailleaux &des baleines priſes eſt le ſuivant,
19 batimens de Londres ont pris 107 baleines;
5 de Newcastle 26 ; 2 de Hull 11 ; 3 de Liverpool
19 ; 1 de Topsham 7 ; 5 de Bristol 27 ;
I de Lancafter 9 ; I de l'Iſle de Mann 8 ; 1 de
Dartmouth 5 ; 6 de Leith 34; 3 de Dundée 29 ;
2d'Aderdcen 16 ; 2 de Borowſtowneſſ 12 ; 1 de
Glaſgow; 2 d'Orkney 11. Totaux , so batimens,&
330 poiffons . Cette pêche mérite l'attention
du Gouvernement; à la ſaiſon prochaine on
peut augmenter le nombre des vaiſſeaux , & employer
à ce commerce ſeul près de 2000 Matelots.
Parmi les traits finguliers que préſentent
quelquefois ces papiers , en voici un qui s'eſt
paſſé derniérement au Tribunaldu Old Bailey.
La nommée Marie Lewis , condamnée à mort
comme.complice de faux monnoyeurs , a ob
N° . 40. 4 Octobre 1783. b
( 26 )
M
teru ſa grace , ſous condition d'être tranfportée
pour 7 ans ; lorſqu'on lui a annoncé cette faveur
, elle a déclaré qu'elle y renonçoit , &
qu'elle aimoit mieux mourir que de quitter ſon
pays natal pour aller vivre dans un autre dont
les habitans lui feroient étrangers. Les Juges
l'ont renvoyée en priſon pour lui donner le
temps de réfléchir ſurle choix qu'elle a à faire;
&on trouve affez fingulier qu'elle héſite entre
latranſportation&la potence. Le nombre des voleurs
eſt prodigieuſement augmenté depuis quelque
temps ; en parcourant les regiſtres du Old
Bailey on ne voit aucun exemple d'un fi grand
nombre de coupables jugés & condamnés à ce
Tribunal que pendant la ſeſſion actuelle.
Peu d'étrangers étant informés que l'on
ne vend rien en Angleterre qu'à force d'avertiſſemens
; que ces avertiſſemens coûtant
beaucoup , les perſonnes qu'ils chargent de
vendre pour leur compte les épargnent , ce
qui nuit au débit: on les prévient qu'il va
s'établir à Londres un entrepôt , cù , indépendamment
de la vente de toutes fortes de
marchandiſes étrangeres , on ſe chargera
d'ouvrir des ſouſcriptions pour les objets qui
en font fufceptibles , tels que Nouveautés
en eſtampes , Livres &c. qui feront annoncés
Sans frais avec tous les articles que l'entrepôt
annonce pour fon compte. Pour participer
à cet avantage , on s'adreſſera à M. de
JaBeulieàCalais , en affranchiffant les lettres .
FRANCE.
DE VERSAILLES , ie 30 Septembre.
La Comteſſe de Maler a eu l'honneur
( 27 )
d'être préſentée à L. M. & à la Famille
Royale par la Comteſſe de Meller.
LePrince héréditaire de Heſſe-Darmſtadt
aeu , le 23 de ce mois , l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Comte de Vergennes ,
Chefdu Conſeil Royal des Finances , Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département
des affaires étrangeres , & a eu de S. M.
une audience particuliere à laquelle il a été
conduit par le ſieur de Tolozan , Introducteurdes
Ambaſſadeurs .
DE PARIS , le 30 Septembre.
Le départ de la Cour pour Choiſy eft fixé
au 4du mois prochain; de-là elle ira à Fontainebleau
, & la Reine s'y rendra par eau
dans le yacht de M. le Duc d'Orléans , qui
eſtpluscommodeque lesgondolesdeChoify.
Madame, fille du Roi , eſt du voyage; Monſeigneur
le Dauphin le paſſera à la Muette.
Le premier Spectacle ſur le théatre de Fontainebleau
eſt fixé au 11 , en attendant les
répétitions des Operas de MM. Piccini &
Sacchini ſe font aux menus plaiſirs , où elles
attirent beaucoup de monde.
M. le Chevalierde Vigny s'eft rendu , diton
,à Morlaix pour purger ſa contumace ; &
il produit ſes moyens de défenſes pour la
réviſion de fon procès. Le Confeil de guerre
de l'Orient, fera retardé juſqu'après que cette
affaire aura été décidée.
On a renvoié au to du mois prochain , c'est-àdire,
à une autre marée , écrit on de Cherbourg ,
b 2
: ( 28 ) .
le tranſport de la grande cage , préparée ici pour
être coulée à une lieue en mer dans l'endroit où
doit s'élever un fort qui protégera la rade. Le
mauvais temps a empéché les gabarres & autres
bâtimens , qui devoient ſervir au tranſport de
cette grande machine , de fortir du Havre à la
derniere marée. Le ſuccès de cette entrepriſe ,
auſſi hardie que diſpendieule , paroît toujours
douteux àbien des gens ; mais il ſera toujours
beau de l'avoir tentée. Celle de Rome pour le
déplacement des chevaux du Quirinal paroiſſoit
folle auffi , furtout lorſque le premier eſſai eut
manqué ; il n'y eut forte de paſquinades qu'on
ne ſe permit contre l'architecte& contre ſes pro -
tecteurs . Cependant on vient d'apprendre qu'un
nouvel eſſai , fait le i de ce mois , a complettement
réufli : l'Architecte a tenu parole ; & pourquoi
n'auroit-on pas le même ſuccès à Cherbourg ?
M. le Dru , plus connu ſous le nom de
Comus , ayant continué ſes cures merveilleuſes,
par le moyen de l'électricité , dans le
petit Hofpice que M. le Lieutenant-Général
dePolice lui avoit procuré , va former , par
la manificence du Roi , un établiſſement
fixe. S. M. lui a donné, pour bâtir un hôpital
, les terreins vagues près l'ancienne maiſon
des Célestins près l'Arſenal. On fait que
l'épilepsie ne réſiſte pas à ſon traitement , il
Ja guérit radicalement quelque invétérés
qu'elle foit. La médecine n'avoit obtenu
que rarement de pareils ſuccès .
Selon des lettres d'Eſpagne , le Courier ,
porteur du Traité de paix , arriva à S. Ildefonfe
le Lundi 8 de ce mois au matin , c'eſtà-
dire , en 4 jours & 20 heures ; cela paroit
3
( 29 )
au moins extraordinaire lorſqu'en calculant
la longueur du chemin on voit qu'il a falia
qu'il ait fait à-peu-près trois lieues par heure.
L'Exprès qui nous a anoncé le déſaſtre des
batteries flottantes , vint de Madrid en 4
jours 22 heures ; & il y a environ 26 ans ,
qu'on en vit arriver un en 4 jours 9 heures.
Voilà,dit-on,les ſeuls exemples d'une courſe
ſi longue faite , ainſi que celle d'aujourd'hui ,
avecune viteſſe auſſi extraordinaire.
Le 20 Août dernier , entre 7 & 8 heures du
matin , la foudre tomba fur la maiſon Curiale
de la Paroifle de Troches ; elle la parcourut ,
endommagea la couverture & les inurs , fans faire
aucun mal à neuf perſonnes qui s'y trouvoient
dans différens appartemens. La foutre en tombant
fur la maison paroît s'être partagée en deux,
puiſqu'elle a fait deux ouvertures fur les tis ,
ſéparés par un tuyau de cheminée ; elle a brife
d'un côté trois chevrons , a fendu le mur , a pénérré
dans une chambre au-deſſous du grenier ,
a fracaſſé un ciel de lit , & paſſé par la fenêtre
qui donne ſur la place. L'autre partie de la foudrea
briſé un chevron qu'elle a ſuivi juſqu'au
mur , qu'elle a fendu auſſi dans une autre partie
, eſt deſcendue dans la même chambre , a
paſſe derriere la chaiſe du Curé , affis le long
du mur avec crois femmes occupées à charpir de
la laine. En fortant de cette chambre , elle eſt
deſcendue dans le ſalon , paffant entre le mur
&latapiſſerie, eſt entréedans la cuiſine où étoient
quatre perſonnes , a paſſe ſous la chaiſe du V.-
caire , àqui elle a donné une commotion aux
jambes , a mis toute la cuiſine en feu ; rentrée
dans le ſalon , & de-là dans la chambre où
étoit le Curé qui faisoit ſes prieres , & à qui elle
b3
( 30 )
ne fit d'autre mal qu'une frayeur dont il n'a pu
revenir encore , elle laiffa partout une puanteur
infupportable. Ce moment paflé toutes les perſonnes
ſe réunirent au Curé pour rendre à Dieu
des actions de graces d'avoir échappé auffi heureuſement
à un fi terrible évenement .
M. l'Evêque de Boulogne- fur- Mer a ſaiſi
la premiere occaſion qui s'eſt préſentée de
faire l'éloge de Benoît-Joſeph Labre,né dans
fon Diocele , & mort, il y a trois mois , à
Rome , en odeur de ſainteté . C'eſt dans un
Mandement où il ordonne des Prieres publiques
pour la conſervation des biens de
la terre , qu'on trouve quelques articles concernant
ce faint perſonnage (1) .
Ala ſuite de ce Mandement , on lit la traduction
françoire de l'inſcription latine , miſe avea
l'approbation du S. Siege , ſur le cercueil de
B. J. Labre , & a lettres écrites à M. l'évêque de
Boulogne par M. Fontaine , chargé à Rome des
affaires de la Congrégation de la Miſſion dont il
eft membre. Ildit dans la derniere , datée du 4
Juin de cette année , qu'on parle d'une multitude
innombrable de miracles opérés ſur le tombeau
du ſerviteur de Dieu , & par l'application de ſes
images; qu'un événement , qui peut être regardé
comme le plus grand & le p'us précieux de
tous les miracles, et la converfon d'un Anglois .
di-devant miniſtre à Boſton , homme très -inſtruit
( 1 ) L'ouvrage favori de B. J. Labre étoit le recueil
des fermons du P. le Jeune , dit l'Aveugle, On en trouve
des exemplaires chez le fleur LAPORTE , rue des
Noyers , ro vol. in 12, br. 25 liv, & 30 liv. reliés,
( 31 )
&très éclairé , qui ayant pouffé la curioſité juſ
qu'au point de rechercher par lui-même les preuves
de pluſieurs guériſons opérées par l'interceffion
de ce ferviteur de Dieu , étoit arrivé à ſe
convaincre de la réalité de pluſieurs; qu'en conſéquence
il s'étoit fait inſtruire , & qu'il avoit
fait abjuration , le dimanche avant la date de
cette lettre. M. Fontaine ajoute qu'on avoit commencé
, le 4 Juin , le procès de béatification , &
qu'il étoit étonnant de voir le zele avec lequel
le public s'empreſſoit de contribuer aux dépenfes
néceffaires pour les informations .
Le College de Pharmacie , dans ſa Séance
publique du 4 de ce mois, a fait à ſes Eleves
ladiſtubation des Prix fondés par M. Le
Noir , Lieutenan: Général de Police.
Celui de Chymie a été donné à M. Louis-Jean
Hardy ,de Val - Saint Pere , dioceſe d'Amiens ,
éleve de M. Guiard; celui d'hiſtoire naturelle à
M. Vincent Rebouel de Montpellier , éleve de
M. Mitouard, qui avoit eu l'année derniere le
ſeul prix qui fut diſtribué , & qui étoit celui de
Chymie ; le premier de Botanique a été donné
à M. Jean -Baptiste Rouſſeau de S. Yrien en Limoſin
, éieve de M. Guiard, dont le fils a obtenu
le ſecond.
Dans cette Séance , il a été fait pluſieurs
lectures intéreſſantes. M. Quinquet , entr'autres
, en a fait une d'un Mémoire fur des expériences
très -curieuſes , ſur lesquelles on
nous faura gré d'entrer dans quelques détails,
L'objet de ſes expériences eſt de former la
pluie , le givre , la neige & la gréle , par le
moyen de l'électricité. Elle est la cauſe du ton
b4
(32 )
nerre. Onavoit conjecturé , &entr'autres M. Argand
, Phyficien de Geneve , qu'elle était également
la cauſe de la grêle; mais il reſtoit à le
démontrer , c'eſt ce que fait M. Quinquet. Lorfqu'il
ſe rencontre deux nuages électriſes, l'un en
plus P'autre en moins ,la tendance du fluide élec
trique à ſe mettre en équilibre fait que le nuage
électriſé en plus décharge la furabondance qu'il
a de matiere électrique dans le nuage électrifé
enmoins , & les deux nuages ſe confondent. C'eft
ce choc, certe réunion , cette reſtitution ſubite
qu'un nuage fait à l'autre de la furabondance
de matiere électrique , qui produit tous les météores
aqueux. Si l'effet a lieu dans la région
moyenne & chaude , il en réſulte de la pluie. Si
Peau est dans l'état de vapeurs au lieu d'être en
maffe comme elle l'eſt dans les nuages , alors it
ſe forme du givre , de la neige & quelquefois de
Ja neige & de la grêle tout enſemble. Maintehant
paffons aux expériences & voyons tous ces
météoresformés non pas dans l'atmosphere , mais
dans l'appareil électrique de M. Quinquet. Il a un
bain d'eau froide à 18 dégrés & demi au - deſſous
de zéro. Il y place un vaſe de crystal rempli
d'eau. Il y décharge une grande quantité de matiere
électrique , que ſur le champ il foutire pour
la reſtituer au réſervoir commun , c'est-à-dire au
bain d'eau froide ; enſorte que la matiere électrique
n'a faitque paſſer à travers l'eau du vaſe.
C'eſt cette intromiſſion & cette ſouſtraction , en
fin ce paſſage ſubit du fluide êlectrique dans
l'eau , qui en opere la converſion en grêle . Ce
vaiſſeau contient abſolument le même réſultat
que ſi, dans un tems de grêle , on l'eût placé
au milieu de l'atmosphere ; il ſeroit empli de
grêlon & d'eau . C'eſt de la pluie qu'on obtien.
dra au lieu de grêle , ſi l'expérience ſe fain dans
!
( 33 )
une température moyenne. M. Quinquet imbibe
d'eau à cet effet une corde de coton , ce qui repréſente
l'eau ſoutenuedans le nuage. Il foumet
cette corde au fluide électrique , & du moment
où il a déchargé la furabondance de fa matiere
électrique ſur ce nuage artificiel , le coton ſe
refferre & exprime fon eau ſous forme de pluie.
pour imiter le givre , il a fait paſſer de l'eau réduite
en vapeur dans un récipient , expoſé dans
le bain froid à 18 dég . A l'inftant l'intérieur
du récipient a été couvert de véritable givre ;
dans le progrès de l'expérience il s'eſt formé une
quantité de neige telle que le vaiſſeau n'a pas
tardé à en être rempli , & fur le champ cette
neige a été convertie en grêle, en déchargeant ,
comme dans les expérience précédentes , une
quantité de matiere électrique à travers le vaifſeau
qui contenoit cette neige. Sur treize expériences
pour la converſion de l'eau en grele , il
n'y en a que deux qui aient complettement réuffi ,
il en eſt peut être de même , & fort heureutement
, dans la nature , c'eſt à dire qu'il y a pour
elle , comme pour le Phyficiem, un mode diricile
à faifir dans cette reſtitution de la matiere
électrique d'un nuag à l'autre , mode dans lequel
la grêle n'a pas lieu. Une conféquence que M.
Quinquet tire de ſes expériences , eit que nous
pouvons, par le moyen du paratonnerre , préſerver
nos édifices de 1 foudre ; mais ces pointes qui
ſuffiſent pour foutirer la matiere électrique des
nuées ne peuvent pas agir juſques dans les régions
plus élevées où ſe forment les orages. Peut être
la Machine Aeroſtatique de MM. de Montgoifier ,
di poſée de maniere à faire conducteur , pour
rost elle , fufceptible comme elle l'eſt de s'élever
àdes hauteurs conſidérables , aller ſouſtraire aux
nuages les plus exhauffés leur matiere électrique
bs
( 34 )
qu'elle tapporteroit dans un baſſin ,un puits , un
ruiſſeau , une riviere , qui ſerviroient de réſervoir
à la matiere électrique , & préſerver par ce moyen
nos vignobles , nos champs des effets de la grêle ,
plus dommageables cent fois que ceuxdutonnerre.
Cette application , fi des expériences en grand
enjustifient le ſuccès , eſt déjà une réponſe à cette
demande à quoi bon la Machine de MM de
Montgolfier?
Cettequeſtion ſur l'utilité de la machine
aëroſtatique ſe fera vraiſemblablement encore
long-temps. Et on ne doit pas en être étonné,
fi l'on confidere la fermentation qu'elle caufe
dans bien des têtes , & les ſpéculations auxquelles
elle donne lieu ; les vrais Phyſiciens
s'attachent à ſuivre les expériences , &à réfléchirſurleurs
réſultats. Les imaginations vives,
àqui il ne faut que des preuves données,vont
plus loin , & forment des ſpéculations. Plufieurs
ne voient dans le fecret de s'élever en
l'air qu'une poſſibilité d'y naviguer. Cette idée
paroît avoir féduit déjà bien du monde ; & le
nombre de ceux qui s'offrent pour s'expoſer
les premiers à cette expérience délicate& périlleuſe,
augmente tous les jours ; un homme
inſtruit , après avoir raifonné ſur lamachine ,
préſente ainſi les applications qu'il croit qu'on
enpeut faire.
Puiſque le Globe s'éleve avec affez de force
pour porter avec lui un autre corps peſant ,
eſſayons de mettre à profit cette force ſuperflue ;
fuivons ce Globe dans les airs , faiſons-en augmenter
&diminuer le volume à volonté , & nous
parviendrons àmonter & deſcendre ſans inconvémient
:dirigeons enfin la marche de ce Globe ,
( 35 )
profitons du calme & du vent , & nous pourrons
facilement nous tranſporter d'un pays dans un
autre ; voici les moyens qui me paroiſſent devoir
réuffir . Pourremplir le premier objet, il ſuffira de
fixer un fort tuyau de cuir aux deux parties ſupérieure
& inférieure du Globe ; ce tuyau foutenu
par quatre coriages , dans toute la longueur ,
fera prolongé , dans la partie inférieure hors du
globe ; c'eſt - là qu'il ſera diviſe en quatre rameaux
, dont chacun ſera également foutenu par
quatre petites cordes ; mais la partie qui traver-
Tera diamétralement le Globe , ſera percée d'une
multitude de trous, afin que le gaz ou la fumée
puiffe s'introduire & fortir librement du Globe.
Les quatre rameaux aboutiront dans un réſervoir
établi au fond d'un léger vaiſſeau cylindrique :
dans ce réſervoir hermétiquement, fermé , feront
pratiqués deux corps de pompes , fort légers ,
afpirans & foulans , à doubles pédales ; deux des
rameaux ſerviront à évacuer à l'aide des pompes
&des ſoupapes , l'air du Globe , & le porter dans
le réſervoir du vaiſleau cylindrique ; & quand on
voudra le reſtituer au Globe , on n'aura qu'à ouvrir
à volonté un ou deux robinets qui feront fixés
aux deux autres tuyaux. On pourra fixer une loupape
de fûreté , qui est indispensable dans tous
les cas àla partie ſupérieure du grand tuyau de
cuir , nourricier de la machine. Le moyen
de ſe diriger ſera d'adapter fixement au vaiſſeau
cylindrique un long gouvernail , ſitué verticalement
ſur la hauteur du vaiſſeau ; ce gouvernail
qui fera la fonction d'une girouette , tiendra toujours
la ligne du vent: un ſecond gouvernail ,
beaucoup moins grand , ſera poſé hors du vaiſſeau
-cylindrique , diamétralement en face du premier ;
ce dernier ſera mobile & armé d'un petit levier
qui agira horizontalement fur un are diviſé , &
b6
( 36 )
ſervira à aller obliquement , ſuivant les vents ;le
forte qu'il fera poffible d'aller avec le même vent
auſſi bien deParis àLondres,que de Paris àVienne .
Quant au moyen deprofiterdu temscalme,il fuffira
dedéfairele gouvernail de l'avant,&de l'enchainer
de maniere que le Globe qu'on chargera d'air à
volonté , venant à s'élever , y tiendra une ligne
oblique , proportionnée à l'élévation verticale
du gouvernail; & lorſqu'on voudra deſcendre ,
afinde continuer route , on changera le gouvernaildans
une inclinaiſon oppoſée à la premiere ,
& on pompera l'air : de cette maniere , on ira
très-vite & où l'on voudra, par un tems calme .
Quant au moyen de ſe préſerver de l'effet de l'air :
en pourra furmonter le vaiſſeau cylindrique d'un
vitrage , pouvant s'ouvrir & ſe fermer à volonté ;
& fi l'on fait uſage, dans la maifon cylindrique ,
d'un ventillateur , dont je donnerai le détail, on
pourra ſe procurer une température à-peu- près
égale à toutes les hauteurs , en infpirant eu expirant
à volonté l'air atmosphérique . -Ma propofition
'rouvera des antagoniſtes : mais ſi l'on
veut en faire la dépenſe , j'offre de faire établir
la machine , & d'en conflater par moi-même le
fuccès aux yeux de la nation.
Il faut joindre à un grand goût pour les
progrès des fciences & des découvertes , un
courage qui mérite fans doute des éloges ,
pour s'exnofer à cet effar; l'accident arrivé an
coq qui étoit dans la cage attachée an globe
qui a fervi à l'expérience de Verſailles le 19
dece mois, peat être à craindre. En attendant
que cet enfant nouveau ne ait reçu l'éduca
tion qu'il doit avoir, & avant laquelle, felon
un homme célebre , on auroit tort dejuger
( 37 )
s'il vaudra quelque choſe ou rien , nous placerons
ici une fable charmante &pleine d'un
grand ſens , qui eſt la meilleure réponſe que
Yon puiſſe faire à toutes les ſpéculations de
ce genre. Elle a pour titre , la ( arpe & l'Oie .
Une Oie , un jour , toute ébahie ,
A la Carpe s'en vint conter
Qu'on avoit vu dans l'air certain vaiſſeau monter ;
Que cette région alloit être envahie .
C'eſt l'homme, il n'en faut point douter ,
Qui conſtruit de telles machines :
Les Oiseaux , ma Commere , ont tout à redouter .
S'il peut de près ſur eux exercer ſes rapines.
La Carpe avoit trente ans;c'eſt l'âge de raiſon
Ou jamais. Va , lui dit cette bonne cervelle ,
Va confier ta peur, ma mie , à quelque Oiſon .
Au haut des airs la machine tient-elle ?
Oh! non.
Elle vole & retombe , encore telle quelle :
Du moins , chacun dans le canton ,
Rapporte ainſi la chose. Eh ! bien donc , que
craint-on ?
Autant vaudroit que l'homme , avec quelque
machine ,
:
Effayat de voguer , ma mie , entre deux eaux !
De ce vaſte élément nous fommes les oiſeaux :
Qui fait juſqu'où va l'autre & ce qui le termine ?
Partant, demeurez en repos .
Si , comme fur le dos de la plaine liquide ,
CeTyran fur celui de l'air
Parvenoit à conftruire un bâtiment ſolide ,
Il y feroit porté , comme il l'eſt par la mer,
Lorſque l'avarice l'y guide.
Mais , quoique dans l'air il foit né ,
Ainſi que nous au ſein de l'onde ,
Quoiqu'il s'oſe vanter d'être le Roi du monde ,
( 38 )
1
Il eſt par fa nature à la terre enchaîné;
Et, plus que vous & nous borné ,
Loin qu'il puifle de l'air atteindre la ſurface ,
D'en franchir ſeulement un médiocre eſpace ,
Le pouvoir, comme à vous , ne lui fut pas donné.
Pour remplir les deſirs , auffi trompeurs qu'avides ,
Il plonge quelquefois dans nos grottes humides ,
Je le fais; mais voit-on qu'il y reſte long-temps ?
Va , crois que , malgré ſon audace,
S'il prétend pénétrer la région des vents ,
Il n'y tiendra pas plus en place.
DE BRUXELLES , le 30 Septembre.
On mande de Zutphen que lorſque les
Etats de cette province aſſemblés extraordinairement
eurent accédé à la réſolution de la
province d'Hollande relativement à la paix ,
M. Chapelle de Marſch en laiſſant paffer
cette réſolution , fit infcrire ſur les regiſtres
des délibérations la note ſuivante qui fut également
ſignée par le Baron de Nyvenheim
& fes deux fils , les Barons de Lynden ,
d'Oldenaller , & Zuylen de Nyeveld.
Vula fituation critique &déplorable , où la
République ſe trouve plongée , & qui doit uniquement
ſon origine à la perfide influence que
la G. B. a ſu ſe procurer ſur tout notre ſyſtème
politique , ( influence, qui ébranle encore aujourd'hui
notre conſtitutionjuſques dans ſes fondemens
, & qui , ſi elle n'eſt arrêtée efficacement&
anéantie par cette nation trop long-tems
irritée , entraînera certainement la ruine aſſurée
de notre patrie ) ; la continuation d'une guerre
juſtede notre part, mais qui nous a été déclarée
de la maniere la plus injuſte , ſeroit fans doute
( 39 )
le moyen le plus propre à réprimer un ennemi
étranger , déja épuisé par une longue guerre ,
& pour écrafer à jamais cette cabale pernicieuſe ,
qui , fixée au milieu de nous , a concouru avec
lui à couper l'artère vitale à notre liberté & à
notre bien être. Pour cet effet , notre nation auroit
affez de courage & aſſez de reſſources : Oui ,
notre république ſe trouveroit abondamment en
état d'y fuffire , ſi la méme influence ruineuſe ne
faiſant échouer toutes les mesures qu'on prendroit
dans ce deffein : c'eſt pourquoi il ne reſte à notre
patrie tourmentée & maltraitée d'autre parti ,
que d'accepter dès ce moment la paix , telle
qu'elle eſt préſcrite , & déja arrêtée entre les
puiſſances belligérantes , pour prévenir une alternative
encore plus pernicieuſe , notamment le
renouvellement des anciens traités avec l'Angleterre.
Quant à nous , nous laiſſerons paffer , fans
donner notre fuffrage , la conclufion pour ſe joindre
à cet égard à la réſolution de la Hollande :
mais , reſponſables àla nation , aux générations
préſente & future , nous ne faurions jamais donner
notre aveu à la ſignature d'une paix ſi ruineuſe
& fi fletriſſante. Et à cet égard , N. &
P. S. , nous agiſſons conformément au ſyſtème ,
que nous avons déclaré ſi ſouvent en cette affemblée
, relativement à l'adminiſtration des affaires.
De concert avec d'autres membres de la confé.
dération , nous n'avons ceſſé d'infitter pour
qu'il fût effectué une alliance formelle avec la
France ; alliance , qui , fi elle eût på avoir lieu ,
nous auroit garanti d'une ſituation auffi humiliante
: nous avons préſagé les ſuites , qui réſufteroient
de la réſolution d'accorder les convois
avec limitation , anſi que du délai qu'on a mis à
accéder à la neutralité-armée qui nous avoit été
offerte : nous avons fait des plaintes itératives fur
,
1
(40 )
linactivité ſi ſurprenante , & fur la mauvatſe
àce -
direction de notre marine , dont l'effet devoit
être naturellement , qu'on mit l'ennemi à mêrie
d'exécuter ſes deſſeins: à l'égard de la non-exécution
de l'expédition pour Breſt , nous nous
ſommes déja expliqués dans le temps; & nous
avons conſidéré la déſobéiſſance qui a eu lieu en
cette occafion , comme le ſymptôme du danger,
dont un pareil procédé menaçoit la dignité , le
falut meme de la république , à moins qu'on ne
prit ſur le champ les meſures les plus efficaces
ſujet. Mais qu'eſtil beſoin de parler plus
au long de cette direction de la marine , qui a vifiblement
choqué toutes les regles ?Ce qui vient
de ſepaffer tout récemment, en mettant pluſieurs
vaiſſeaux de guerre hors de commiffion , & en
congédiant un nombre conſidérable de matelots
experts , au moment que la république étoit encore
en guerre contre un ennemi perfide , -
procédé prouve plus que ſuffifaiment , que les
foupçons de la nation entiere ne font que trop
bien fondés. Nous laiſſons donc les ſuites de cetre
malheureuſe paix pour le compte de ceux qui en
ont été les cauſes premieres . Que ceux-là juftifient
leur conduite près de la nation , qui ne ſe
laiffe pas contenter par des juſtifications voluinineuſes
, mais forcées , & qui fait apprécier à leur
juſte valeur tous les efforts finceres pour le falut
de la patrie ! Pour nous , nous aurons ſoin de laver
notre conduite devant fontribuual ; & à cette
fin nous réſervens notre annotation ultérieure .
ce
La République , qui n'attribue les malheurs
de la derniere guerre & les traitemens
qu'elle aeſſuyés qu'à la foibleſſe dans laquelle
ſe trouva d'abord ſa marine , & enfrite à la
mauvaiſe direction de ce Département , ſe
propoſe d'y remédier pendant la paix.
(41)
« Les Etats de Hollande , par leur réſolution
du 27 Août dernier , avoient ordonné aux Coileges
d'Amirautés réſidants dans la province , de
rendre compte à L. N. &G. P. le plus promptement
poflible, del'état actuel de la Marine , tant
pour ce qui regarde le nombre & le rang des
vaiſſeaux , que leurs équipages , des raiſons pour
leſquelles on a congédie 1200 marins , & en vertu
de quel ordre on l'a fait avant qu'on fût certain
de l'iſſue des négociations de paix. Le College
de l'Amirauté de la Meuſe a fatisfait fur le champ
àcette requifition ; il a montré qu'il avoit encore
en ſervice , & bien équipés , s vaiſſeaux de 60
canons , I de 50 , 3 de 40 , 3 de 36 , un de zo ,
I briq de même force , 2 corvettes de 20 canons
auffi , & une de 12 ; il n'a déſarmé que les vaifſeau
de garde , conformément à la réſolution de
L. H. P. Quant à l'Amirauté d'Amſterdam , elle
n'a fait qu'une réponſe évafive , en diſant qu'il
ne lui étoit pas poffible de fatisfaire auffi - tốt
qu'elle l'auroit défiré aux ordres de L. N. & G.
P. , vû la quantité de papiers qu'elle avoit à
extaire. Les Etats de Hollande ont en conféquence
écrit à ce College de répondre dans la
huitaine à leur réſolution du 27 Août , & particulierement
ſur l'article du licentiement des
matelots.
Selon d'autres lettres de la Haye , on dit
que les articles préliminaires entre l'Angleterte
& la République feront inférés dans le
traité de paix , & que dans trois ou quatre
femaines tout ſera conclu entre les deux
Priſſances.
Il circule ici des copies d'une lettre de
Varſovie en date du 25 Août , que nous
nous contenterons de tranſcrire.
( 42 )
«Les papiers publics vous ont appris que les
Ruffes ont occupé la Crimée , le Cuban & l'ine
de Taman; les armemens des Turcs n'en vont
pas plus vite , & les Rufſes ſe préparent à une
campagne d'hiver. Les troupes Impériales font
également en mouvement & en marche vers les
frontieres de la Turquie ; les Otroinans continuent
d'être circonfpects , & évirent de donner aucuns
prétextes plaufibles de les attaquer. Ils ont ra
ſemblés en Afie 100, 000 hommes qui marchent
par la Géorgie , & ſe dirigent vers la mer noire t
on compte ici que dans le moment actuel , il y
aeu des coupsde fufil tirés& des têtes coupées
car le Prince de Repnin a, dit-on , ordre de mar
cher à Andrinople,avec un corps de 30 , 006
hommes, fans s'arrêter à aucunes ffoortereſſes;il
ſeraapproviſionné par les Autrichiens , au moyen
du Danube. 30, 000 hommes font devant Oczakow,
& une armée d'obſervation occupe cette
contrée ; une autre attend les Turcs qui viennent
d'Afie.= P. S. Dans l'inſtant j'apprends la
confirmation du projet incroyable dont on veut
que le Prince de Repnin ſoit chargé. Le Comte
de Soltikow doit aſſurer les derrieres ; mais il y
a à Oczakow , à Bender , Choczim & dans les
fortereſſes fur le Danube plus de troupes qu'il
n'en faut pour s'oppoſer â la marche de ce corps ,
&le. Irarceler de tous côtés.
PRÉCIS desGazettesAngl. Es autres écrrangeres.
>> Pluſieurs Papiers prétendent que le Cabinet
eſt divisé au fujer de la Guerre qui paroit prête à
éclater entre les Ruſſes & les Turcs ; ils difent
que M. Fox , dans un moment où il ſe livroit
à ſa gaieté avec les amis , a laiffé échapper
quelques mots, d'après leſquels on aconclu qu'il
étoiu feul d'avis dans le Confeil qu'on aidat la
Rufie du mieux qu'on pourroit . 4
( 43 )
On affure quil eſt abfolument faux que les négociations
pour le Traité de Commerce avec
P'Amérique foient rompues. M. Hartley eſt donc
venu à Londres pour prendre de nouvelles inttructions
ſur un point de diſcuſſion ; il eſt certain
qu'il partira ſous peu de jours. Il y atoute .
apparence que cette affaire ſera terminée dans
peu , & à ce qu'on eſpere d'une maniere favo
rable aux intérêts de l'Angleterre..
Le Vaiſſeau le Financier , Capitaine Lobeck ,
a coulé bas auprès de Scilly. On raconte de ce
Vaiſſeau qu'il portoit ci-devant le nom de Lord
North : arrivé à Charles Town , ce nom a bieffe
les oreilles des Américains , qui ont exigé du
Capitaine qu'il le changeât, & celui ci a été obli
gé d'y conſentir pour obtenir la permiſtion de
débarquer ſes marchandises , avec le quelles ,
fans cette compladance , il auroit été obligé de
s'en retourner.
La Compagnie des Indes reclame , dit on , une
fommede 7000 liv. ſterlings ſur la ſucceſſion du
malheureux Ryland,
•Sa Majefté prenant un jour de la ſemaine der
niere l'air à cheval , à environ cinq milles de
Windfor , rencontra une meute de chiens au
milieu de la forêt ; c'étoit une Chafie ; elle vou
lut y prendre part; en la ſuivant elle s'approcha
d'une riviere peu large, mais profonde , dont le
pont n'avoit qu'un parapet uſe ; fon cheval ſauta
dans l'eau , & avec fon fardeau précieux fur le
dos; le danger étoit éminent , par la profondeur
&la rapidité du courant ; mais les ſecours du
zele & de l'atrachement furent prompts, & cet
accident n'eut heureuſement d'autre fuite que
celle de caufer beaucoup d'effroi aux affiſtans.
Morning poft.
Lebruit ſe répand qu'en conféquence des diffé
( )
rens élevés entrela Courde Naples & la république
de Ragufe; la Chambre Royale à propoſéde chaffer
des Deux Siciles tous ceux de ſes ſujets qui
s'y font établis , & d'interdire tout commerce
avec la république , commerce qui ne confiite
qu'en manteaux de Marinier qu'elle vend , &
pour lesquels elle ne prend en retour que de l'argent.
Gazette Univerſale de Florence Nº. 70 .
Dupuis 15 jours on parle ici (à Mairid ) d'une
nouvelle alliance que le Portugal a contractée
avec la Maiſon de Bourbon ; on avoit cru d'abord
que le traité conclu le 9 & le 13 Août n'avait été
figné que par le Comte de Monmorin , Ambaſſadeur
de France& le Marquis de Lourical, Miniſtre
de S. M. T. F. Mais on prétend à préſent que
l'Eſpagne eſt auſſi une des Parties contractantes ;
le contenu du traité doir, dit-on , étre encoretenu
1ecretpendant 2 mois; en attendant on affure que
c'en est un d'alliance & de commerce , par lequel
la Cour de Portugal en ſe réuniſſant à la Maiſon
de Bourbon lui accorde tous les avantages
dont la nationAngloiſe jouiſſoit dans les prêtsà
l'exclufion de toutes les autres nations. Même
Gazete.
Le bruit court que le Prince, Evêque de Paſſau
veut reliquer , & retourner à ſon Evêché de
Gurck. Nouvellifte politique d'Allemagne , nº 147.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE (1) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Cause entrela Marquise des Barres , la Vicomteſſe de
la Bedayere, & le Chevalier des Barres.-Un
fils , après avoir exécuté pendant longtemps le
testament de fon pere, en avoir requis l'homologarion
en Justice, est-il recevable à l'arguer de
nullité?- En Bourgogne , les pres & meres
peuvent-ils disposer inégalement de leurs biens par
( 45 )
testament , & quelles formes sont- ils obligés de
Suivre dans cet afte ?
Telles font lès queſtions importantes qui ont
été agitées dans cette Caufe. - Le Comte des
Barres , d'une très-ancienne Maiſon de Bourgogne,
de la fucceffion de Cujus , eut de fon mariage
avec la Demoiselle de Saint-Chamand trois
enfans måles , Antoine- Claude , Marquis des
Barres , pere de la Vicomteſſe de la Bedoyere ,
Partie au procès ; Jacques-Gabriel- Philippe des
Barres , Bailli de l'Ordre de Malthe , & Paul-
Henri-François des Barres , Chevalier non-profès
du même Ordre.- Tourmenté du défir naturel
de laiſſer un héritier de ſon nom , capable
par ſa fortune d'en foutenir l'éclat , il choiſit le
Marquis des Bartes, ſon fils ainé, porta les deux
puînés dans l'Ordre de Malthe , maria l'aîné de
ce nom , lui fit , par contrat de mariage dus
Novembre 1747 , donation des Terres de Cuffigny,
Mowa , Moutol & Priſſey , tous referve
d'ufufruit ; & pour indemnité de la ſuſpenſion
de la jouiſſance , lui donma la Terre de Riviere ,
fituée en Champagne , s'obligeant de loger ,
nourrir , & défrajer de tout dans ſon Chateau
de Cufſigny , lui , ſa femme , leurs enfants ,
leurs domeſtiques & chevaux. Il fit enſuite , le
11 Avril 1749 , le teftament , dont le Chevalier
des Barres demande la nullit-é. Par(e
teſtament, il legue à la Dame, ſon épouſe , l'uſufruit
de ſes propres , ſes acquets , ſes meubles ,
ſon argenterie , & tous ſes effets mobiliers , à
la charge , par elle , de payer les arrérages échus
&à échoir de ce qui ſera dû à ſon décès , &
de nourrir & entretenir , dans le Château de
Cuffigny ,le Marquis des Barres , conformément
aux claufes de ſon contrat de mariage ; enſuite
il a légué à jacquesGabriel-Philippe , ſon ſe
( 46 )
cond fils,20000 liv. , pareil legs à Paul-Henri ,
ſon troiſieme fils , le Chevalier des Barres , &
inſtitue Antoine-Henri-Claude des Barres , ſon
fils aîné , ton héritier univerſel . -lar un codicile
du 10 Octobre 1753 , le Comte des Barres ,
confirmant & approuvant fon teſtament , réduifit
à 15000 liv. le legs qu'il a fait à ſon ſecond
& troiſieme fils, à raiſon , dit- il , des fommes
qu'il leur a payées pour leur acheter une
Compagnie. Il eſt mort au mois de Juin 1755.
Le ſecond fils ayant fait Profeffion dans l'Ordre
de Malthe , il n'y avoit plus que deux héritiers
habiles à ſuccéder. Le troiſieme fils , le
Chevalier des Barres, étoit alors à Malthe. Inftruit
de la mort de ſon pere , il repafía en
France; mais déjà le Marquis , ſon frere , avoit
fait lever les ſcellés , mis ſur les effets de la
fucceffion , & jouiſſoitde tout ſans avoir fait inventaire.
Le Chevalier des Barres , de retour
, préſente , conjointement avec la Dame,
ſa mere ,& le Marquis , ſon frere , uue requête
au Bailliage de Nuits , par laquelle ils demandent
acte de leur conſentement à ce que le teſftament&
le codicile foient homologués & exécutés:
ſentence qui donne acte deſdits confentemens;
ce faiſant , après la publication des actes ,
déclare qu'ils demeureront homologués pour étre
exécutés felon leur forme &teneur , & regiſtrés
fur le regiſtre . -En 1759 , inventaire fait à
l'amiable entre la mere & ſes enfans , tous majeurs.
Partage & liquidation tant des droits
&repriſesde la mere , que des droits des enfans :
liquidation , notamment des droits légitimaires
du Chevalier des Barres , qui donne quittance
des ſommes qu'il reçoit. Mort de la Comteffe
des Barres en Juin 1764 , nouveaux acte de partage&
liquidation de tous les droits ouverts par
( 47 )
cette fucceffion , contenant de nouveaux acquiefcemens
& ratification des précédens &de la vo-
Jonté de la Dame des Barres , mere , qui legue
au Chevalier , pour ſa portion légitimaire , la
même ſomme léguée par le pere. Quittance des
arrérages des principaux dûs pour leſdits droits
légitimaires , donnée purement & fimplement
par le Chevalier à ton frere aîné , depuis lef
dites époques juſqu'à la mort dudit frere aîné ,
arrivée en 1772. Le Chevalier des Barres , projettant
de revenir contre ces divers actes , ceſſa
de donner à la veuve de fon frere des quittances
pures & fimples ; ce qui la força à le faire affigner
, pour voir ordonner l'exécution des actes
de partage & liquidation , & le payement des
arrérages , fur des quittances pures & fimples ,
finon ladite Dame autoriſée à configner les ſommes
qu'elle pourroit devoir. Pour réponſe , le
Chevalier forma , le 16 Décembre 1772 , au Baslliage
de Nuits , une demande en ouverture & partage
de tous les biens délaiſſés par le feu Comte
des Barres , fon pere , pour être , ſa part héréditaire
, fixée & liquidée , d'après tous les inventaires&
titres dépendans de la fucceffion . -L'affignation
donnée au Bailliage de Nuits fut revoquée
au Châtelet , où , après les défenſes fournies
de part &d'autre , la nomination du Chevalier
des Barres au Prieuré de Sexte-Fontaine
le détermina en 1773 a ſe déſiſter de ſes prétentions
:'il écrivit à ſa belle- foeur , pour lui annoncer
ſon déſiſtement , qu'il promit ſous la parole
d'honneur. En 1780), la perte de ſes neveux ,
qui , ſeuls , pouvoient perpétuer ſon nom , lui
fit concevoir un projet de mariage avec la niece ,
pour empêcher l'extinction de la Maiſon ; mais
ladiſproportion d'âges y mit obſtacle. Alors le
Chevalier fit revivre ſes premieres prétentions ,
( 48 )
il commença par obtenir , le 16 Mars 1781, uno
ſentence du Châtelet , qui déclara l'inftance de
1772 entre ſa ſoeur & lui périe , & le 17 Mars
de la même année , il fit aſſigner ſa belle foeur ,
au Parlement de Dijon. Sur l'appel par lui interjetré
de la ſentence du Bailliage de Nuits ,
il en demanda l'onfirmation , la nullité du teſtament
& codicile de ſon pere , & le partage de
ſa ſucceſſion , ab inteftat . Alors la Com efle des
Barres interjetta appel de la ſentence du Châteletde
Paris, qui avoit déclaré l'inſtanee de 1772
périe, & obtint Arrét qui la déclara ſubſiſtante.
Elle obrint ainſi un ſecond Arrêt du Parlement
de Paris , qui ordonna qu'il ſeroit procédé devant
lui ſur l'appel de la fentence du Bailliag.e..
de Nuits : ce qui fit naître une inſtance , en
réglement des Juges , qui fut terminée par un
Arret du Conſeil , du 28 Février 1782 , qui
renvoya les Parties en la Cour. A cette époque ,
mariage de la Demoiselle des Barres avec le Vicomte
de la Bedoyere : Arrêt d'évocation de la
demande formée au Châtelet par la Marquife
des Barres , belle-foeur : la cauſe ainſi en état ,
fut jugée le 15 Avril 1783 , en la Grand-
Chambre , où il intervint Arrêt , qui , fans s'arréter
aux requêtes & défenſes du Chevalier des
Barres, dont il eſt débouté , faiſant droit fur l'appel
de la ſentence du Bailliage de Nuits , évoqué
en la Cour par Arrêt du Conſeil , enſemble
fur celle du Châtelet de Paris , rendue en 1772 ,
déclare ledit Chevalier des Barres non-recevable
; ordonne l'exécution du teftament du Marquis
des Barres , enſemble de tous les actes de
partage & liquidation de la portion légitimaite
du Chevalier , fait , en conféquence , & conformément
à la ſentence du Bailliage de Nuits ,
homologation dudit testament, & rendue fur le
conſentement mutuel des Parties , & condamne
le Chevalier des Barres aux dépens,
4
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
L'ÉLECTRICITÉ , Ode. *
TΟΙ qui ſuis une route obſcure ,
Guidé par de foibles lueurs ,
Etqui prétends de la Nature
Sønder les vaſtes profondeurs ,
Si ta main ſouvent téméraire ,
De ſon ténébreux ſanctuaire
Oſa ſoulever le rideau ,
Éclaire ma raiſon bornée ,
Satisfais mon âme étonnée
Sur ce phénomène nouveau.
QUEL enchantement ! quel preſtige
1
*Cette Ode a été lûe à la Séance publique du Muſéc
de Paris , le premier du mois de Septembre.
Nº. 41 , 11 Octobre 1783 . G
50
MERCURE
C
Captive mes regards ſurpris !
Quelle est la cauſe du prodige
Qui frappe mes ſens interdits ?
D'où vient cette force rapide
Qui contraint un ardent fluide
A s'élancer de tous les corps.
Il paroît , fuit , revient ſans ceſſe,
Il attire , il repouſſe , il preſſe
Par de mystérieux refforts.
CET être inconnu , dont j'admire
L'inépuiſable activité ,
Anime tout ce qui reſpire ,
Donne à tout la fécondité;
Lui ſeul pénétrant la matière
De ſes feux & de ſa lumière ,
Remplit l'eau , la terre & les airs ;
De la Nature agent fuprême ,
C'eſt le ſouffle pur de Dieu même ,
Et l'âme de cet Univers.
AINSI la Fable a peint Protée,
Qui fuit dans ſes, antres fecrets ,
Etfous une forme empruntée ,
Échappe aux mortels indifcrets.
Ici , le pétillant fluide ,
Juſqu'au milieu même du vuide ,
Jailliten faiſceaux radieux ;
Là, porté dans le ſein d'un vaſe,
DE FRANCE.
Il agite l'air , il l'embraſe ,
Et vomit la flamme à mes yeux.
SANS doute il nourrit , il allume
Dans ces effroyables volcans
Le ſoufre ardent , le noir bitume
Qui coulent en flots dévorans ,
Quand les entrailles de la terre ,
Qu'ébranle une inteſtine guerre ,
Frémiſſent de crainte & d'horreur ;
Lorſque les villes englouties
Sous l'herbe ſont enſevelies ,
N'en accuſez que ſa fureur.
QU'ENTENDS - JE ? Quel bruit formidable
Aglacé tout-à-coup mes ſens ?
Une Puiſſance redoutable
Trouble l'ordre des élémens.
Toute la Nature eſt émue :
Les flancs ténébreux de la nue
Sont fillonnés par les éclairs ;
Les longs fifflemens des tempêtes ,
Mille feux roulans fur nos têtes
Viennent menacer l'Univers .....
DISPAROISSEZ , vaines alarmes.
Contre ce fléau deſtructeur
Francklin a ſu créer des armes ,
Il oſe enchaîner ſa fureur :
Ce bienfait raſſure la terre ;
Cij
$2 MERCURE
Nous pouvons braver ce tonnerre ,
Tyran des mortels effrayés ;
Et la foudre , aujourd'hui docile ,
N'eſt qu'une vapeur inutile
Qui s'évanouit à nos piés.
De Japet le fils téméraire ,
Au méprisdu courroux des Dieux ,
Franchit les børnes de la terre ,
Et déroba le feu des cieux ;
Mais ſon audace fut punic.
Jupiter lui laiſſa la vie
Pour éternifer ſes tourmens ;
Et lorſque Francklin le déſarme ,
Le Dieu vaincu cède à ſon charme ,
Et ſes carreaux ſont impuiſſans.
C'est ainſi que par le génie
L'homme s'égale aux Immortels.
Feu ſacré , divine énergie ,
Tu lui mérites des autels.
Au milieu de Rome naiſſante,
De Numa la voix impoſante
Afes peuples dicta des loix ,
Et l'étude de la Nature
Le tira de la foule obfcure
Où font confondus tantdeRois.
Un champ fi fécond en merveilles
Vous offre de nouveaux progrès
:
DE FRANCE. 53
Savans , dont les pénibles veilles
Nous ont valu ces grands ſecrets.
Dans une heureuſe ſolitude
Que vos jours , remplis par l'étude ,
Soient voués à l'humanité ,
Et vos noms chers à la Patrie ,
Portés ſur l'aîle du génie ,
Iront à l'immortalité.
(ParM. Bodard.)
Réponse aux Vers qui m'ont été adreſſés
J
dans le Nº. du 20 Septembre 1783 .
E ne reconnois pas mes rimes dans les vôtres ;
Vous volez mon pinceau , mais c'eſt pour l'embellir.
J'y gagne de la gloire & beaucoup de plaifir ;
Vos larcins , différens des autres ,
Enrichiſſent loin d'appauvrir .
( Par Mlle de Gaudin. )
Chacun afes goûts ; à Chloé, qui prétendoit
que je n'en avois aucun.
QU'AU gré de fes inftraire,
defirs , cherchant à nous
Tout moderne conteur aille dans les forêts ,
Prêtant aux animaux le fiel de la ſatyre ,
Nous faire fermonner fur nos penchans ſecrets.
Pour dégrader des traits formés par la Nature ,
Ciij
54
MERCURE
Qu'un Peintre ingénieux , au gré de ſon pinceau ,
Vole à Flore des fleurs , à Vénus ſa ceinture ,
Afin de mieux groupper ſon magique tableau.
Peu jaloux de l'éclat de leur gloire immortelle,
Si jamais je prenois ma plume ou mes crayons ,
De Chloé je ferois une Grâce nouvelle ;
Et pour endoctriner nos jeunes Apollons ,
Je leur dirois à tous : voilà votre modèle;
Faites de ſes vertus l'objet de vos leçons.
ENVO Ι.
Si les traits échappés des mains d'un Miſantrope ,
A tes yeux délicats manquoient de coloris ,
Je dirois: ce n'eſt point aux forges d'un Cyclope
Qu'on broya les couleurs des tableaux de Cypris.
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Chevre- feuille ;
celui de l'énigme eſt Mouchettes; celui du
Logogryphe eſt Cremaillière , où l'on trouve
Mercière raie , ramier creme , mie, lie.
DE FRANCE. ss
CHARADE.
M.
On dernier du premier affoiblit les ardeurs ,
Et mon tout ceint l'Amour d'épines ou de fleurs.
J
ÉNIGME.
E ſuis Latin , François ; en veux-tu voir la preuve ?
Latin , je donne rien , François , je donne un fleuve.
(Par M. Barraud )
LOGOGRYPΗΕ.
NZE pieds de mon nom compoſent la ſtructure.
En le décompoſant , on trouve à l'aventure
Un animal utile & pourtant décrié ;
:
Ce qui met à l'abri le Pilote effrayé ;
Des mortels paſſagers l'immortel apanage ;
Deux mots qu'Amour met ſouvent en uſage ;
Le nom d'une Bergère , & celui d'une fleur;
"Un fruit qui des vents froids redoute la rigueur ;
Ce qu'à Toulon fait mouvoir l'eſclavage.
T'apprendre mon féjour , c'est décliner mon nom.
N'importe , il faut t'aider : j'habite l'Acheron .
(Par M. Berthier , Officier au Régiment
de Picardie. ) :
Civ
56 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE Physique , Morale , Civile &
Politique de la Ruffie ancienne & moderne ,
par M. le Clerc , Chevalier de l'Ordre du
Roi . Tome Ier de l'Hiſtoire Ancienne &
Tome Ier de l'Hiſtoire Moderne. Ouvrage
propoſe par Souſcription .
Nous n'avions ſur la Ruffie que desMémoires
, des Cartes , & les Lettres de quelques
Voyageurs. Deux François ont entrepris
l'Hiſtoire de cet Empire étendu , &
qui pèſe maintenant dans le baffin de la balance
de l'Europe. Nous avons rendu compte
des travaux de M. Levêque. M. le Clerc
marche ſur ſes traces , ou , pour parler plus
juſte , eſt ſon rival. Son Ouvrage , qui doit
avoir cinq vo'umes in 4°. eſt enrichi de
carres & de gravures. Il paroît que M. le
Clerc n'a voulu épargner ni l'argent ni les
foins. Une Hiſtoire feroit en effet un monument
bien plus durable que ces maffes de
pierre que la Sculpture ennoblit & taille au
milieu de nos places publiques , ſi elle rempliffoit
entièrement la tâche , vaſte & glorieuſe.
Cette réflexion nous conduit à l'examen
de celle de M. le Clerc. A t'il , n'a t'il
pas rempli cette tâche dans toute ſon étendue
?
DE FRANCE.
57
Sans doute nous ſommes bien éloignés de
vouloir qu'un Hiftorien s'enferme dans le
cadre etroit ou vuide de chaque règne , pour
n'en jamais fortir , & prenne le Heros ou
le Tyran , ou l'imbécille Monarque des le
berceau , pour ne le quitter que dans la
tombe. Cette manière longue , sèche &
froide , qui ne fait connoître que des Princes
ſouvent peu dignes d'étre connus , étourdit
l'oreille par le bruit répété des batailles ; l'efprit
du Lecteur ſe repoſe à peine ſur de
courts inftans de paix ; il cherche en vain ces
analyſes importantes du Code National .
Comune on a trop parlé du Prince , on femble
n'avoir plus de place pour s'occuper du
peuple. Il eſt telle Hiſtoire où on ſeroit embarraffé
de connoître le ſol , le climar , l'étendue
, le degré , la richeſſe d'une Nation ,
fon genie & fes revenus.
M. le Clerc s'eſt écarté de ce plan. Les
matériaux de l'Histoire , dit il , font les tempéramens
, les caractères des peuples , les
refforts fecrets des paſſions , la legiflation
qui les enchaîne , les principes & les vûes
de la politique , les vices & les vertus des
peuples , felon qu'ils font bien ou mal gouvernés;
l'invention , la perfection , le rapport
des Sciences & des Arts pour l'utilité
& l'agrément de la vie ; les écarts de l'imagination
, les monumens de la folie , ceux
du génie & de la ſageſſe ; l'influence de l'ordre
, des lumières & des moeurs fur la feli
cité publique & particulière.
Cv
58 MERCURE
Oui , telle 'eſt la conduite d'un bon Hiftorien.
M. le Clerc , qui l'a très bien devinée
, la t'il exactement tenue ? Oui & non .
Rien ne manque dans ſon Hiſtoire. Il eſt
defcendu dans tous les détails ; peut être en
a t'il trop mis , & de ceux qui font trop
au- deffous de l'importance de ſon ſujet ;
peut être s'eſt il longuement appeſanti fur
des parties qui ne demandoient qu'un léger
coup d'oeil.
Voici la coupe des deux Volumes , dont
l'un eft le premier de l'Histoire Ancienne ,
&l'autre le premier de l'Hiſtoire Moderne.
Chaque règne eft diviſé par Section. Ces Sections
font courtes ; il n'eſt pas long temps
queſtion du Monarque dont on voit le portrait
grave; il eſt très peu parlé des guerres
& des peuples voiſins quelques troubles intérieurs
, voilà l'Hiſtoire des Souverains de
la Rutlie. Le ſtyle eſt ſouvent gâté par des
métaphores , & des comparaiſons qu'un
goût ſévère auroit dû rejeter. Jamais Nation
ne combattit ſi long temps contre ſes
voiſins que les Ruffes; à peine connoiffonsnous
dans cette Hiſtoire quels étoient les intérêts
des Grecs , des Bulgares , des Mogols
& des Tatars qui combattoient. De Rouvik
juſqu'à Volodimir , & de ce Prince juſqu'à
Olgovitz , on eſt étonné de ne lire rien d intéreſſant
fur l'empire Ruffe. Parmi tant de
Princes, ou ufurpateurs ou détrônés , parmi
tant de guerres civiles qui ont fait , ſuivant
l'expreffion de M. le Clerc , de la Ruffie une
DEFRANCE.
59
boucherie , on n'eſt frappé d'aucun de ces
traits qui éclairent chez toutes les Nations
le grand tableau de l'Histoire. Les criſes répérées
ne produiſent ni des inonftres ni des
Héros. On parle de rébelles , on ne voit ni
Chef, ni conjuration ; on conduit un Roi
dans un Monastère , où il eſt maffacré deux
ans après , on ne fait pourquoi,
Nous rendrions un mauvais ſervice à M.
le Clerc fi nous bornions à ces obfervations
l'analyſe de ſon Ouvrage. Il faut dire maintenant
ce qu'il contient d'eftimable , & qui
a dû exiger des recherches , de l'opiniâtreté
& des vûes. Mais ici nous devons changer le
nom , & nous ferons parfaitement d'accord ;
s'il veut qu'on accueille ſon travail comme
des Mémoires , ou un Recueil de Traités
fur chaque partie de la Conſtitution , de la
Police & de la Légiflation de l'Empire de
Ruflie , on n'a que des éloges à lui donner.
Chaque Traité ou Diſcours nous a paru
complet ; M. le Clerc ne laiſſe rien à defirer
fur les ſujets qu'il embraſſe. Mais nous
croyons qu'il a trop étendu ſon plan , en entrant
dans des détails qui appartiennent à la
Botanique & à la Médecine . L'Hiſtoire peut
& doir parler des maladies de l'eſprit ; la
morale eſt toute entière de fon reffort; mais
les maux phyſiques & leurs remèdes n'en
font plus. Si une Nation (& elle n'en feroit
pas plus à plaindre pour cela ) ne devoit
avoirqu'un ſeul Livre, ſans douteil faudroit
que ce Livre fût univerſel. Mais comme cha
Cvj
60 MERCURE
que Science a droit auſſi d'avoir ſes archives,
ſes Profeffeurs, ſes Dictionnaires & fes
chef- d'oeuvres , il eſt eſſentiel de voir dans une
Hiſtoire les indigeſtions du Compilateur.
Nous ne ſuppoſons point que nos obfervations
empêchent le Public de ſe procurer
cet Ouvrage , qui ( nous l'avons déjà dit) ne
laiffe rien à defirer du côté de l'inſtruction.
L'Empire peut avancer ou rétrograder , quelque
grands que foient ſes pas , il ne changera
point juſqu'à rendre méconnoiſſable ,
comme il arrive à bien des Hiſtoriens , le
portrait que M. le Clerc en a tracé. Il a tout
calculé , dépenfes , revenus , excédent, population
, numéraire , troupes , charges , commerce
, bénéfice , rapports avec les étrangers;
fes beſoins phyſiques ou artificiels , ſes
chaînes , ſes loix, le ſol , le climat , les maladies
particulières à la Nation , les remèdes ,
les mines , le cadastre des temps ; il a tout
dit. Et il faut avouer qu'on ne peut rien demander
de plus. Il faut convenir qu'il eſt
peu d'Hiftoriens qui ayent embraffé , comme
M. le Clerc , une Nation dans toute ſa plénitude.
Il a rejeté ces fables abſurdes qui
naiſſoient dans l'oiſiveté des cloîtres , où des
Moines ignorans jugeoient les Rois en raifon
de leur dévotion , non de leurs lumières.
Il a ſuivi cette chaîne des moeurs , des uſages
&des coſtumes , qui eſt pour un Hiftorien
Philofophe le fil conducteur dans le dédale
des vieilles chroniques , des fables & des
origines.
DE FRANCE. 61
Nous allons préſenter à nos Lecteurs quel
ques faits intéreſſans. Il paroît , par l'Hiftoire
de M. le Clerc , que la population de
la Ruſſie ſe monte à dix neufmillions d'âmes.
L'Empire embraſſe neuf cent quarante-neuf
mille trois cent ſoixante- quinze lieues quarrées.
C'eſt trop peu d'habitans pour une fi
grande étendue. A cette dépopulation , ſi
l'on ajoute la levée de quatre cent mille
hommes qui compoſent les Troupes régulières
& irrégulières , on verra que la Ruffie
eſt , de tous les États , le moins peuplé. Les
revenus ſe montent à 103,097,840 liv. ; ſols
9 den. argent de France. Les dépenſes ſont
portées à 45,425,884 liv. 13 ſols 6 den.; les
revenus excèdent de 57,671,955 liv. 10 fols
9 den. Ce calcul fait à coup sûr l'éloge de
Catherine , Impératrice régnante , s'il eſt
vrai que l'excédent ſoit employé à des monumens
de luxe , qui rendent une Nation
chère aux Arts & reſpectable à la poſtérité.
La balance de ſon commerce eſt à dix- ſept
millions de bénéfice annuel fait ſur l'étranger.
M. le Clerc prétend prouver par les rapports
entre les productions du ſol , des ininéraux
, des foſſiles , que l'Amérique étoit
jointe autrefois avec l'Afie Septentrionale ,
& que celle- ci a conféquemment peuplé
l'autre. La côte de l'Afie Septentrionale n'eſt
éloignée au plus que de ſept lienes de celle
du Nord - Ouest de l'Amérique. Dans les
temps anciens , la Ruffie & la Pologne for
62 MERCURE
moient enſemble la Scythie. Rouvik eſt le
premier Roi que l'Empire ait connu , & c'eſt
Jui qui forgea le premier anneau de la fervitude.
Les premières Loix datent de l'an
1016. L'invation des Mogols , que nous n'avons
point trouvée aſſez développée , eut
lieu en 1237. Le feu Grégeois , employé par
les Grecs ,'ayoit été lancé en 915 contre la
flotte d'igor. Les Ruffes ont toujours été
enclins à une parfaite ſoumiſſion. On ne
voit point que la Religion ait enfanté le fanatifme;
il eſt vrai qu'on ne voit point
qu'ils tînſſent beaucoup à leur Religion. Vo
lodimir ſe fait Chretien, les Ruſſes reçoivent
avec empreſſfoment le baptême, & diſent: fi
cela n'étoit pas bien, le Prince& les Boyards
ne l'auroient pas fait. Ils ſe bornoient à en--
tendre la Meſſe les Dimanches & les Fêtes ;
& après avoir rempli ce devoir, ils ouvroient
leurs boutiques & travailloient. Ce n'eſt
que depuis le Patriarche Nilion que les
Ruſſes célèbrent en plein les Dimanches &
les Fêtes. Volodimir avoit en cinq épouſes
& trois cent concubines. Il fut en Ruffie ce
que Clovis avoit été en France. Il étendit le
pouvoir du Clergé , créa les dixmes , & affermit
l'autorité ſpirituelle. " Lorſque les
ود Princes Ruffes vouloient ſe marier , ils
>> faifoient publier un Oukaz , par lequel il
» étoit ordonné à tous les pères de famille
>> de conduire à la Cour leurs filles nubiles ,
-> en cas qu'elles fuffent affez belles pour
>> prétendre au choix du Souverain. ArriDE
FRANCE. 63
30
ود
ود
vées dans la Capitale , la grande Maîtreffe
de la Cour les recevoit chez elle , les lo-
>> geoit ſeparément, & les farfoit manger
toutes enſemble. Le Prince les voyoit , ou
fous un norn emprunté , ou ſous un déguifement.
Pendant la nuit on les examinoit
attentivement. Celles qui avoient le ſommeil
inquiet , des rêves turbulens , étoient
exclues du choix. Le jour du mariage
ود
وو
ود
" étoit fixé ſans que le choix du Prince fût
> connu. On préſentoit un habit de noce à
>> celle qui étoit choifie. » Cette coutume
ramenoit du moins un peu cette égalité primitive
, qui paroît aux Souverains une fable
populaire. Les Rules ſe marioient comme
leur noi , fins connoître leurs épouſes ,
même de figure. Les filles & les femmes vivoient
à la mode Atiatique , enfermées &
voilées. Pierre le-Grand voulut qu'on ſe
connût au moins fix ſemaines avant le mariage.
Les jeunes mariées déchauffoient leurs
époux le premier jour de leurs noces. Les
pères & les mères ont fur leurs enfans la
même autorité que les Loix Romaines ac
cordoient aux chefs de familles.
Le nulle a payé , comme les autres peuples
, un tribut à la ſuperftition & aux fables.
Quand le tonnerre ſe faifoit entendre ,
il croyoit que le Prophète Élie rouloit carroffe.
Il étoit Chrétien comme les Saxons
l'éroient fous Charlemagne. Quand je trouve
ſous ma main quelque choſe qui me convient
, difoit un Ruffe ,pourquoi ne le pren
64 MERCURE
drois-je pas ? Il faut pécher ſi l'on veut que
Dieu pardonne. Me prenez vous pour un
chien on pour un payen , diſoit un Voleur à
ſes Juges , j'ai maſſacré beaucoup d'hommes ,
pris tout ce que j'ai pu prendre ; mais Dieu
fait que je n'ai jamais mange de viande les
jours maigres. " Les Ruſſes , à la mort , dif-
>> tribuent du thé, du vin, du cafe, de l'eau de-
> vie, du punch à tous les aliſtans du convoi
> funéraire; on boit autour du mort , qui
30 eft rafé , friſé; le cercueil eſt ordinairement
» peint , & quelquefois doré on argenté ,
» &doublé de fatin ou d'autres étoffes de
ود
"
وہ
ſoie , ſelon le rang , la dignité , la fortune
>> du mort , qui eſt revêru de ſes plus riches
habits ; on lui met aux mains des gants
blancs , & il tient une croix , un paffe-
>> port, & unbouquet.Cepaſſeporteſtadreſſé
directement à S. Nicolas , qui doit recevoir
l'âme du mort , & l'introduire en
Paradis. Des pleureuſes ſuivent le convoi ,
» & vendent leurs larmes.» Les Ruffes , defcendus
originairement des Slaves , avoient
eu une Mythologie calquée ſur celle des
Grecs. Ils reconnoiſſoient le feu facré , ils
avoient le Dieu des eaux , le Dieu protecteur
des troupeaux , des eſprits domeftiques , la
Déeffede la chaffe , le Zéphyr , le Dieu des
productions de la terre , une Vénus , dont
les remples étoient riches. Ils avoient des
Magiciens , & croyoient à la divination ; ils
reconnoiffcient un Dieu blanc & un Dieu
noir , un Dieu fuprême , un Plutus , un Dieu
DE FRANCE. 65
fort , un Dieu des bois & des ſonges, des
Divimtes inférieures des eaux & des bois :
Bellone étoit leur Divinité infernale , la
femme d'or ou la mère des Dieux. Leurs facrifices
étoient courts.
Ufcbold eft le premier Prince Ruſſe qui
ait ajoute le nom de fon père au fien , &
cet uſage , né en 1078 , s'eſt perpétué. Le
nom propre du fils , terminé par celui du
père , y est regardé comme une marque de
diftinction particulière aux Nobles , aux
Grands , aux Princes & aux Princeſſes du
Sang Impérial. Le reproche de lâcheté étoit
le plus ſenſible de tous les affronts, Boleflas ,
vaincu par la defertion du Vaivode Ufebold
qui l'avoit abandonne lâchement , ne ſe vengea
de cette perfidie qu'en lui envoyant une
peau de lièvre , une quenouille & un fufeau.
Le Vaivode , outré de ce reproche , ſe donna
la mort , pour ne pas ſurvivre à ſa honte.
La Littérature Ruſſe tient une place conſidérable
dans le premier Volume de l'Hiftoire
Moderne. La langue Ruffe , dit M. le
Clerc , fille de la langue Slave , belie , riche ,
renferme un grand nombre de ces mots imitatifs
qui peignent les choſes par le fon.
Elle a les augmentatifs & les diminutifs du
Latin & de l'Italien. La prononciation eft
douce. Le commerce a étendu la ſphère des
idées du peuple; ſon langage eſt animé , &
toujours ſuivi du geſte. L'etonnement &
l'admiration dont ſon ignorance le rend fufceptible
, l'entraînent violemment à l'exagé
66 MERCURE
ration. La langue des Livres diffère beaucoup
du langage. Elle a confervé l'ancienne
majeſté des langues mères. Les Ruffes tu-
-toyent leur Prince , les Saints & leur Dieu.
Ils ont adopré le plus grand nombre des caractères
Grecs .
Leurs faftes littéraires remontent vers la
fin du dixième ſiècle. Alors ils avoient des
chanſons. Dès le onzième ſiècle ils traduifirent
la Bible , & furent le premier peuple
*moderne qui osât prier Dieu dans ſa langue
maternelle. Leur premier Historien naquit
en 1056 ; & un demi fiècle auparavant i's
avoient eu quelque connoiffance de la fonte
des métaux & de la ſculpture en bois. Trois
fiècles s'ecoulèrent avant qu'elle eût fait un
pas de plus ; & il paroît que juſqu'en 1700
il eft inutile de chercher des Littérateurs
dans la Ruffie ; elle eſt cependant , dit M. le
Clerc , par fa poſition & par fon étendue ,
à portée d'entretenir un commerce réglé avec
preſque toute l'Afie , & de faire paſſer en
Europe les richeſſes Littéraires d'une multitude
de peuples , dont à peine nous ſavons
les noms. Le ſtyle oriental ſe retrouve dans
la plupart des poéfies Ruſſes modernes. Le
premier Profeffeur d'Éloquence , qui luimême
donna le premier des règles fur la
poefie Ruſſe, n'a été établi qu'en 1745. Le
renouvellement des Lettres en Ruſſie eſt dû
au Prince Kantemir , qui cultiva les Muſes ,
& enrichit ſa Littérature par des Traductions
des meilleures Auteurs François.
DE FRANCE. 67
Nous defirons que M. le Clerc s'occupe
davantage de la politique des Ruffes ; nous
eſpérons qu'il deſſinera à grands traits les
têres du Czar Pierre & celle de Catherine.
Il peut animer ſes narrations , & abréger ſes
réflexions , dont il eſt un peu trop prodigue.
Son Ouvrage eſt de nature à orner les bibliothèques
ou comme des Mémoires ou
comme une Hiſtoire. Un Hiſtorien qui a vû
& a vécu long-temps dans le pays dont il
rédige les faftes , a bien des avantages ; M.
le Clerc eſt plus capable qu'un autre de
mettre en oeuvre ſes connoiffances locales.
On voit d'ailleurs que c'eſt un homme trèsinſtruit
, & dans plus d'un genre .
د
Le prix de la Souſcription eſt de 120 liv.
& celui de l'Ouvrage de 160 liv. pour ceux
qui n'auront pas foufcrit.
7
Les Souſcriptions ſe payeront d'avance ,
ou en quatre termes ; ſavoir : 30 liv . en
fouſcrivant ,,oliv. en retirant les deux premiers
volumes , 30 liv. en recevant le troifième
, & 30 liv. en retirant les deux derniers.
On ſouſcrit à Verſailles , chez Blaizot ,
Libraire du Roi & de la Famille Royale ; à
Paris , chez Froullé , Libraire , Pont Notre-
Dame , vis- à- vis le Quai de Gêvies.
*
68 MERCURE
ESSAI fur l'Histoire de la Société Civile ,
par M. Adam Ferguson , Profeſſeur de
Philofophie Morale à l'Univerſité d'Edimbourg
; Ouvrage traduit de l'Anglois par
M. Bergier. 2 vol. in 12. A Paris , chez
la Veuve Deſaint , Libraire , rue du Foin
S. Jacques.
Les différens ſyſtêmes ſur la nature de
l'homme , ſur l'origine des Sociétés , fur les
progrès de la civiliſation , ne nous ont rien
appris ſur l'état réelde l'homme dans les pre-
-miers temps de ſon existence. Les uns l'ont
dégradé juſqu'à le borner à une ſenſibilité
purement animale , & l'ont privé d'idees , de
ſentimens & de patlions ; les autres l'ont
placé dans un état de guerre continuelle, entretenu
par l'intérêt & l'ambition du pouvoir.
Les Poëtes ont imaginé l'âge d'or , dans
lequel il n'avoit que des plaiſirs , & ne trouvoit
aucun obitacle à ſon bonheur. Toutes
ces hypothèſes font autant de Romans qui
ne nous préfentent l'homme que comme
leurs Auteurs l'ont voulu faire pour l'ajuſter
à leurs opinions. Les archives de l'hiſtoire ,
les obſervations des Philoſophes , les relations
, tant anciennes que modernes , de
toutes les parties du monde , nous montrent
l'eſpèce humaine raſſemblée dans tous les
temps par troupe , & l'individu lié d'affection
à une Société. C'eſt ſur cette afſociation
immémoriale que M. Ferguson établit toute
DE FRANCE. 69
ſon Hiſtoire ; c'eſt d'après les hommes en
maffe , & non d'après l'être iſolé , qu'on
peut appercevoir les progrès de la civilifation
: il eſt facile alors de ſuivre le chemin
qu'elle a fait , & de remonter juſqu'à ces
temps inconnus où les monumens & la tradition
nous abandonnent , & où les commencemens
de cette ſcène , pleine de merveilles
, font effacés. " En étudiant l'homme
ود
2
dans ſa vie & dans ſes penchans , on trouve
la ſociété auſſi ancienne que lui- même ,
>> l'uſage de la parole auſſi univerſel que
celui des mains & des pieds. S'il fut un
>> temps où il dût ſe lier avec ſon eſpèce , où
د
" il eut des facultés à acquérir , il ne reſte
>> aucun veſtige de ce temps , & nos opinions
à cet égard ne peuvent aboutir à
>> rien , étant deſtituées de toute certitude. »
L'homme est né en Société, dit Montefquieu
, & il y refte. Que de motifs d'intérêt
l'y attachent ! que d'attraits puiſſans l'y retiennent
! Le commerce de ſes ſemblables.
eſt un beſoin qui naît avec lui ; que ſa foible
ſſe , ſes rapports, ſes liens, le ſouvenir
de ce qu'il en a reçu , de ce qu'il en eſpère ,
entretiennent. Pour prouver que les hom
mes ne tiennent pas à la Société , ſeulement
par les avantages qu'ils y trouvent , M. Fergufon
montre que certe affection n'a jamais
plus d'activité que lorſqu'elle rencontre les
plus grands obſtacles. Il cite celle d'un père
lorſqu'il voit ſon enfant dans le danger ,
celle d'un homme affecté des malheurs de
•
70
MERCURE
ſon ami , ou des déſaſtres de ſon pays, l'attachement
du Sauvage pour ſa Tribu , l'amour
excluſif des Grecs , & le patriotiſme
exalté des anciens Romains. Il compare ces
exemples à l'effet que produit l'eſprit qui
règne dans un Érat commerçant , où l'intérêt
relâche fans ceffe les liens de la Société.
L'Auteur Anglois adopte les qualités caractériſtiques
que Montesquieu a données
aux différens Gouvernemens établis parmi
nous , & il rend hommage aux grandes
vûes & anx profondes méditations de ce
génie légiflateur ; il recherche les cauſes qui
affoibliffent , modifient , rapprochent ou décompoſent
, par des gradations ſouvent imperceptibles
, les formes de ces Gouvernemens.
Ces changemens , quels qu'ils foient ,
ſe trouvent plus ou moins compr s ſous les
Chefs de République , de Monarchie , de
Deſpotiſme , ſuivant les divers degrés d'influence
qu'ils donnent à la vertu , à l'honneur
, à la crainte ſur les actions des hommes
, & la théorie générale eſt plus ou moins
applicable aux circonſtances particulières
qu'ils offrent. Par exemple : " Le Defpotif-
>> me & la Démocratie parfaite ſemblent
être les extrêmes oppoſés auxquels les
>> Conftitutions aboutillent quelquefois.
ود L'une exige une vertu parfaite , l'autre
> ſuppoſe une corruption totale. Cepen-
- dant , à l'égard de la forme ſeulement,
>> comme il n'y a bi dans l'un ni dans l'au-
- tre rien de fixe par rapport aux rangs , &
DE FRANCE.
71
"
"
2.
» qu'on n'y connoît de distinctions que celle
que donne la poſſeſſion accidentelle &
momentanée du pouvoir , les Sociétés paffent
aiſement d'une ſituation où tous les
individus ont un égaldroit de cominander,
à une ſituation où tous ſont également
deftinés à ſervir. Dans l'une & dans l'au-
>> tre , les mêmes qualités , le courage , l'ef-
>> prit populaire , l'affabilité , l'adreſſe , les
ود
ود
وہ
دو
ود
ود
ود
talens militaires élèvent l'ambitieux à la
» prééminence. Avec ces qualités , ſouvent
le Citoyen ou l'Eſclave fort des rangs
pour prendre le commandement d'une
armée , & paffe fubitement d'un pofte
obfcur farun théâtre brillant. Dans l'une
& dans l'autre , une ſeule perſonne peut
>> gouverner avec une autorité ſans bornes ,
& la populace peut également renverſer
les barrières de l'ordre , & rompre le frein
>> des loix. »
ود
"
وو
"
Après avoir établi les principes généraux
qui ont donné la première forme à la Société,
M. Ferguson s'occupe dans la ſeconde
Partie de l'Hiſtoire des Nations Sauvages.
L'origine des peuples a été la même ; on voit
aiſement la marche lente & graduelle de
leur civiliſation. Les Grecs , ſi célèbres par
leurs Arts &par leur politeffe; les Romains,
fi puiffans par leurs conquêtes ; les Gaulois ,
les Germains , les habitans de la Grande-
Bretagne, n'étoient , à bien des égards, que ce
que font aujourd'hui les naturels de l'Amérique-
Septentrionale : comme eux , ils igno-
1.
72 MERCURE
roient l'Agriculture, ſe peignoient le corps ,
& ne connoiffoient d'autres vêtemens que
les peaux de bêtes. L'amour de la patrie ,
l'intrépidité dans les dangers , le mépris des
richeſſes , la conſtance à fupporter les fatigues
& les calamites , ont été l'apanage des .
Nations ſimples ; & c'eſt delà que nous de
vons commencer nos recherches ſur le caractère
original de l'eſpèce humaine. Les
antiquités domeſtiques & les traditions populaires
peuvent nous guider ; mais ce ne
doit être qu'avec une extrême circonfpection
: elles ne ſont ſouvent que des fictions
des âges poſtérieurs ; elles préſentent l'empreinte
, non des temps qu'elles décrivent ,
mais de ceux par leſquels la tradition les a
fait circuler. Les légendes d'Hercule , d'Edipe
, de Théſée , l'Illiade , l'Odyffée ne ſauroient
ſervir d'autorité en matière de faits ,
mais on peut les citer pour faire connoître
la manière de penſer & de fentir des ſiècles
d'où nous viennent ces productions, & pour
caractériſer le génie du peuple au goût duquel
elles furent aſſorties ; c'eſt ainſi que les
Fables des Grecs répandent de la clarté ſur
un période de temps dont ilne refte aucune
autre tradition. Les Romains qui nous ent
laiflé les ſeules notions hiſtoriques que nous
ayons , ſe ſont occupés àdéprimer nos ancêtres
, à qui ils n'avoient à reprocher que
de reſſembler aux leurs ; ils nous ont donné
cependant les ſeules connoiſſances authentiques
que nous ayons des Tribus dont nous
deſcendons ;
DE FRANCE. 73
deſcendons ; & c'eſt ainſi que les premières
Nations civiliſées ont laiſſe aux peuples , qui
ne font parvenus que très tard à l'etas de
civiliſation , les traits de leur exiftence primitive.
Si jamais une Horde Arabe , ou un
peuple Américain parvenoit à ſe civiliſer ,
ce ſeroit dans les relations de nos Voyageurs ,
qu'après pluſieurs ſiècles ces peuples feroient
obligés de chercher les matériaux de leur
Hiſtoire. Il eſt difficile de diftinguer un
Germain , un Breton , d'un Américain , dans
les manières , dans les idées , dans l'extérieur
même. Tacite & Charlevoix , nous
peignent les mêmes hommes. L'Auteur
Anglois traite , dans les deux Chapitres qui
terminent ce Livre , des Nations groffières
avant&après l'établiſſement de la propriété;
il diftingue l'état Sauvage , où l'idée de propriété
eſt encore inconnue , & l'etat de Barbarie,
où la propriété , quoiqu'elle ne ſoit
pas garantie par des Loix , eſt un objet capital
de defir & de ſoins. Il obſerve la marche
lente & pénible de la civiliſation , depuis
l'homme qui ne ſubſiſte que de la pêche , de
la chaffe , & des productions naturelles du
fol , juſqu'aux peuples qui , raffemblés en
Horde guerrière , & obéiffant à un Chef,
furent fubjugés par la police & la difcipline
des Romains. Il trouve dans les moeurs de
ces peuples , dans l'influence du climat , dans
la liberté des paffions , les caufes des différens
établiſſemens que les beſoins , la force
& l'industrie formerent ſucceſſivement , &
Nº. 44 , 11 Octobre 1783 .
D
74 MERCURE
les gradations par leſquelles les aſſociations
humaines paſsèrent pour parvenir à la formation
de tel ou tel Gouvernement.
Ayant enfin trouvé un point fixe pour
pouvoir avancer avec clarté dans l'Histoire
de l'eſpèce humaine , M. Ferguſon ſe ſert
avec avantage des matériaux abondans que
lui préſentent la population , la richeſſe , la
force , la liberré , le commerce , les Arts ,
&c. Le troiſième Livre de ſon Ouvrage eft
curieux par les développemens & les moyens
de ſociabilité qu'il préſente. Il eſt perfuade
que ces inoyens ſont plus particuliers à certaines
contrées & à certaines races d'hommes.
Il eſt conſtant , dit il , que c'eſt ſous
» la Zône tempérée que l'homme a toujours
» atteint le plus haut degré de perfection
ود
ود
dont il foit capable : les Arts qu'il a inventés
à pluſieurs repriſes , l'étendue de ſa
>> raiſon , la fécondité de ſon imagination ,
>> la force de ſon génie pour les Lettres , la
>> police & la guerre , prouvent affez ou un
>> avantage conſidérable du côté de la ſitua-
» tion , ou une ſupériorité naturelle dans les
» eſprits. » Ici M Ferguson met en parallèle
la marche de l'eſpèce humaine & celle
de l'individu dans les différens climats qu'il
habite ; & c'eſt à cet agent naturel qu'il attribue
les variétés de caractères , de goûrs , de -
talens qui ont toujours mis tant de diffé
rence entre l'Arabe & le Lapon , entre le
cheval & la renne. C'eſt chez les peuples
méridionaux qu'on trouve cette mythologie
DEFRANCE.
75
ingénieuſe , ces traditions embellies , cet efprit
chevalereſque , produit d'une imagination
brillante. Dans le Nord , l'induſtrie &
les fciences ont fait les plus rapides progrès
, &les bords de la Baltique ſe font il-
Juftrés par les Copernic , les Tycobrahé , les
Képler , tandis que ceux de la Méditerranée
abondoient en Poëtes , en Hiſtoriens , en
Orateurs. Les paßious ont lamême progreffion
: à la Louiſiane , les femmes règnent
par le double aſcendant de la ſfuperftition &
de la paffion ; en Canada , elles font eſclaves;
on ne les confidère que par leurs travaux
& par le ſervice domeſtique. En parcourant
l'équateur , on voit toutes les variations
du tempérament & du caractere ; les
fureurs de l'amour & les tourmens de la
jalouſie règnent dans les férails de l'Afie &
de l'Afrique ; lorſque la chaleur diminue ,
ces paffions ſe changent en un fentiment
momentané qui s'empare de l'âme ſans l'af
foiblir , & qui la porte à des faits romaneſques
. Plus avant dans le Nord , c'eſt une
galanterie de moeurs qui occupe plus l'imagination
que le coeur ; en s'éloignant du ſoleil
, cette paffion n'en eſt plus une , c'eſt une
habitude à peine ſuffiſante pour foriner les
liens de la Société. La terre préſente à notre
Obſervateur Philoſophe les différences qu'il
y a entre les peuples qui habitent les mêmes
parallèles,& que produiſent la nature du ſol,
la poſition des lieux , l'éloignement ou le
voiſinage de la mer , les grandes maffesd'eau,
Dij
76 MERCURE
les vaſtes forêts qui , en affectant l'atmofphère
, doivent avoir des effets marqués ſur
l'économie animale. Il ne veut pas expliquer
par là comment le climat peut influer fur
le tempérament & former le génie des peuples.
Il faudroir , pour réſoudre ce problême,
pouvoir connoître la ſtructure de ces organes
fi deliés dont dépendent les opérations
de l'âme. On peut ſeulement indiquer les
particularités qui , dans la poſition d'un
peuple , le conduiſent aux objets de ſon attention
& de ſes pourſuites , décident ſes
habitudes & fon genre de vie, lui donnent
un plan reflechi d'actions & d'effets , dont
la liaiſon eſt plus familière & plus connue.
C'eſt ainſi qu'on peut expliquer comment
le Hollandois , qui eſt ſi actif & fi induftrieux
en Europe , devient nonchalant &
pareffeux dans l'Inde .
M. Ferguson reprend l'Hiſtoire de la Civiliſation
, & il prouve que c'eſt le haſard ,
ou, ſi l'on veut , une ſuite de circonſtances
momentanées & de fituations qui a formé
les Gouvernemens qu'on admire ; il ôte à
Lycurgue , à Romulus ,& aux autres Légiflateurs,
tout leur mérite conſacré par les ſiècles.
* On joint perpétuellement l'auteur à l'ou-
>> vrage , comme onjoint l'effet à la cauſe ,
» & l'on regarde comme les fruits de la fa-
>> geffe ce qui ne fut probablement que les
> conféquences de la ſituation antérieure ,
& d'une longue ſuite d'evenemens. Dans
les afſociations naiſſantes , il cherche les
DE FRANCE.
77
cauſes qui firent adopter la Démocratie aux
unes , le Monarchisme aux autres ; qui , dans
des âges poftérieurs & des poſitions différentes
, conduiſirent les hommes à former
de ces conſtitutions ſimples , ce mélange de
tous les pouvoirs qui a donné naiſſance à
cette variété de formes politiques qu'on voit
répandues ſur le globe , & il parvient à nous
montrer comment les Nations de l'Europe
font arrivées à l'état de ftabilité où nous les
voyons. La défenſe nationale, l'adminiſtration
de la juſtice , la conſervation & la profpérité
intérieure, une fois établies ſur une baſe
folide, les Nations adoptèrent quelques points
de vûe favoris, certains objets de prédilection
qui les diftingua & qui produiſit des différences
dans leurs moeurs comme dans leurs
inſtitutions. Les Romains durent leur puiffance
à leur force militaire , & leurs richefſes
à leurs conquêtes; les peuples modernes
ne ſe ſont agrandis , & n'ont acquis un pouvoir
prépondérant que par le commerce :
delà leur population & leurs richetſes. Il fait
voir le danger qui peut réſulter pour un
corps politique, de la tendance générale des
eſprits vers les ſpéculations d'intérêt ; il parle
enfuite de la défenſe Nationale & de la conquête,
de la liberté civile , de l'histoire des
Arts & de la Littérature. Ce n'eft que lorfque
la Société eſt entièrement formée que
lesArts & les Sciences s'y perfectionnent;
leurs progrès ſont en raiſon de la civiliſation
; mais ils reftent concentrés dans laNa
Diij
78 MERCURE
tion qui en jouit, tant que les peuples voifins
ne font pas arrivés au même degré de
ſociabilité ; on voit qu'ils ne franchirent que
lentement les limites des Colonies Grecques.
Marſeille étoit une école d'inſtruction & de
goût,& les Gaules étoient encore barbares ;
Ies Romains adoptoient les Arts de laGrèce ,
&les Thraces , les Illyriens continuoientà
les regarder d'un oeil indifférent. Les Colonies
Romaines les répandirent , peu à peu
juſqu'à l'extrêmité de l'Empire. Les races
modernes qui s'emparèrent de ces Provinces
cultivées , ne confervèrent que les Arts né
ceſſaires à leur manière de vivre & qu'ils
connoiffoient déjà : ils détruifirent tout le
reſte ; les Générations ſuivantes furent obligées,
de créer de nouveau , & de recourir
aux modèles qui avoient échappé à la barbarie
: on imita , on étudia ces debris . Les
eſſais informes de poéſie des Provençaux &
des Italiens , reſſemblent à ceux des Grecs
&des anciens Romains, " Quelles euffent
>> éré nos productions , à quel degré de
» mérite feroient elles parvenues, fi , def-
>> tituées de modèle , elles ſe fuffent per-
ود fectionnées ſucceſſivement ? Avons nous
>> plus gagné à imiter que nous n'avons
>> perdu à nous éloigner du ſyſtême original
>> de nos idées , de notre tour d'eſprit , de
>> notre goût de fiction ? Ce font là des queftions
qu'il faut abandonner aux conjec-
>>> tures.»
Dans toutes les Nations où les Arts ont
A
DE FRANCE.
79
concouru au perfectionnement de la Société
, la poéſie a toujours fait des progrès
plus rapides que les autres genres de Littérature
, foit parce qu'elle a été cultivée la
première , ſoit qu'elle ait un attrait particulier
pour les imaginations vives , qui font
auſſiles plus propres à perfectionner l'éloquence
de leur langue naturelle. " Sophocle
& Euripide précedèrent les Hiftoriens &
les Moraliftes; Ennius & Mævius , qui
écrivirent en vers l'Histoire de Rome ,
>> Lucilius , Plaute , Térence , furent ante-
>> rieurs à Cicéron , à Sallufte , à Céfar. Le
- Dante & Petrarque failoient les délices
ود
ود
ود
ود de l'Italie avant qu'elle eût un bon Écri-
» vain en profe; Corneille & Racine com-
» mencent le beau ſiècle des compofitions
» en tout genre , & l'Angleterre avoit ſes
» Chaucer , ſes Spencer , fes Shakeſpéar ,
>> ſes Milton , tandis que l'Hiftoire & la
Science étoient encore dans l'enfance. C'eſt
» un fait remarquable , que non ſeulement
» dans les pays où tous les genres de com-
>> poſition font indigènes , mais même à
>> Rome , & dans l'Europe moderne , où ils
> ne ſe font introduits que d'après des mo-
ود
ود dèles étrangers , on trouve dans toutes les
» langues, des Poëtes qu'on lit avec plaiſir ,
» tandis que les Proſateurs contemporains
>> ne méritent aucune attention . L'Auteur
Anglois prouve , par l'exemple de la
Grèce , de Rome , & des peuples modernes ,
que la tranquillité, le loiſir , la retraite ne
ود
DIV
80 MERCURE.
ſont pas l'état le plus favorable à la culture
des talens Littéraires : ce fut au milieu des
troubles de l'Italie qu'elle ſe ranima ; elle
pénétra dans le Nord , & fe répandit avec le
même efprit qui renverſa l'édifice de la police
gothique. " L'expérience prouve affez
» que les faveurs verſées ſur des Sociétés
> ſavantes , & le loiſir dont elles jouiffent,
>> ne ſont pas les moyens les plus sûts pour
> féconder le génie. » Cette opinion de
M. Ferguson , trouvera ſans doute des contradicteurs
; mais elle aura auſſi des partifans.
La Société , parvenue enfin au plus haut
degré de perfectibilité , eſt bien près alors
de ſa dégradation , de ſa décompoſition
même. Dans les deux dernières Parties de
fon Ouvrage , qui traitent du déclin des
Nations , le Profeſſeur d'Édimbourg en
cherche & en affigne les cauſes. Les Empires
d'Afie , Carthage & Rome lui fourniffent
des preuves incontestables du retour
des Puiffances politiques à l'état de foibleſſe,
d'obſcurité , & enfin de deſtruction ; il recherche
en même temps les motifs de cette
inſtabilité , les ſources de cette décadence
intérieure , à laquelle la conſtitution la plus
parfaite eſt alſujétie , le principe de cette
corruption finale qui anéantit les talens &
l'induſtrie , qui ôte au Citoyen l'occaſion
d'agir comme membre du corps politique ,
qui écraſe ſon eſprit , étouffe ſon activité ,
avilit ſes ſentimens , & le rend incapable
DE FRANCE. St
de toute fonction ſociale. Il l'attribue à une
grande étendue de territoire qui diviſe &
affoiblit la vigueur nationale ; à un long état
de paix qui derend les refforts politiques ; à
un goût général pour les Arts de commerce ,
qui ne donne de prix qu'aux richeſſes : toures
ces cauſes iſolent le Citoyen , relâchent les
liens communs de la Société , & produiſent
cet égoïſme qui abſorbe tout ſentiment d'affection
publique , qui répand la corruption
des moeurs dans toutes les conditions , &
multiplie les beſoins impérieux du luxe qui
bouleverſent les fortunes &décompoſent la
Société. Ce relâchement des eſprits , cette
dégradation de l'âme , cette débilité nationale
conduiſent à l'eſclavage politique. Ce réfultat
eſt le dernier objet des réflexions de l'Auteur.
Le ſort des Nations à ce période n'offre
plus rien aux recherches du Moraliſte & de
l'Obfervateur.
Un extrait ne peut faire connoître qu'imparfaitement
un Ouvrage qui contient l'Hiftoire
de l'Homme , depuis le développement
de ſes facultes & de ſes penchans , jufqu'à
ſes premières liaiſons avec ſes ſemblables
, & depuis les premiers progrès de la
Société juſqu'à une entière & parfaite civilifation.
Cette carrière eſt immenfe , & M.
Ferguson l'a parcourue , non en ſe livrant à
des ſyſtemes , mais en s'appuyant ſur des
faits. Cette production peut être regardée
comme un très - beau périſtile placé devant
le vaſte monument que Monteſquieu a élevé
Dv
:
$2 MERCURE
à la gloire de ſa Nation & de l'eſprit humain
. On defiroit depuis longtemps de poffeder
dans notre langue un Effai li bien
conçu . M. Bergier mérite infiniment de nous
l'avoir traduit avec fidélité & avec élégance ;
il n'a point mêlé ſes idées avec celles de fon
original ; il n'a point critiqué certaines opinions
de fon Auteur , qui ont pû lui paroître
où paradoxales ou fingulières. Il s'eſt contenté
de nous faire connoître l'âme , l'eſprit & la
morale douce & bienfaiſante de M. Fergufon
, avec la manière facile , animée &
pleine d'images qu'il a employée lui-même
dans les Chapitres les plus abſtraits de fon
Ouvrage. Il ſe propofe de donner bientôt ,
conjointement avec M. Demeunier , laTraduction
d'une Histoire des progrès & de la
destruction de l'Empire Romain , que l'Au
teur Anglois vient de publier depuis peu.
VARIÉTÉS.
RÉPONSE au premier Extrait des Doutes ,
qui a paru dans le Mercure du Samedi
23 Αοΐε 1783 .
LES ES Critiques de M. de laC..... , fuffent-elles
beaucoup moins meſurées & beaucoup moins honnêtes
, il pourroit encore être sûr que je n'en ſerois
pasbleffée ; & par la juftice que je rends à fes inten-
Nota. Les endroits guillemetés ſont tirés du Livre des
Doutes.
DE FRANCE. 8;
tions droites & obligeantes , & parce que je trouve
très fimple que l'on voie & que l'on penſe différemment
que moi ; c'eſt donc fans aucun ſentiment mé
content ou chagrin , que je vais eſſayer de défendre
la plupart des opinions qu'il attaque.
<< Tout eſt médiocre dans l'homme médiocre , le
>> coeur , l'âme , l'eſprit ; il eſt ſans vertus comme il
* eſt ſans vices; il n'eſt acceſſible ni aux émotions
29 de la joie ni aux angoiſſes de la douleur ; il eſt
>> content ou il eſt mécontent, rien au- delà. On
בכ
ce
peut l'incommoder , mais on ne l'ennuie pas ; on
>> lui convient facilement ; on ne lui plaît jamais ,
>> on ne l'amuſe point, il eſt inamuſable ; il n'eſt
pas trifte , il n'eſt pas gai ; il pleure par politeffe;
>> il rit par complaifance ; il ſourit par maintien ; il
approuve peu , car les beautés ſimples lui paroif-
>> fent communes ; les beautés fortes lui ſemblent
>> exagérées ; il n'entend pas ce qui eſt fin , ne fent
>> point ce qui est délicat , & ne goûte pas ce qui
>> eſt ſpirituel. »
Critique qui en a étéfaite.
Il me femble que la plupart de ces traits ne conviennent
point à l'objet. On peut être médiocre à la
fois dans l'âme & dans l'eſprit ; mais on peut l'être:
aufli dans l'un ſans l'être dans l'autre. Un parfait
honnête homme ſe trouve ſouvent être un génie
borné ; un coeur foible & bas eſt ſouvent joint avec
un eſprit très-vaſte & très -élevé. Pourquoi d'ailleurs
êter à l'homme médiocre des vices & des vertus ( 1 )
tout ce qui eft grand ne lui convient pas ; mais il y
ades vertus faciles ( 2) & des vices bas qui vont à
l'homme médiocre beaucoup mieux qu'à tout autre ..
(1) Notes de l'Auteur. C'eſt par cette raiſon qu'il ne peur
avoir ni vertus ni vices.
(2) Je n'en connois point de cette eſpèce.
D vj
84 MERCURE
Je conçois encore moins pourquoi il n'éprouveroit
ni joie ni douleur , &c. cela convient à l'imbécille ;
mais il y a loin de l'imbécille à l'homme médiocre.
Réponse. Je crois que , généralement parlant , la
médiocrité de l'eſprit entraîne toutes les autres ; mais
lorſque par une exception rare , on rencontre dans
un homme d'un médiocre eſprit , ſoit un coeur noble,
ſoit une âme généreuſe , cet homme afſurément
eſt à une haute distance de la médiocrité. Je
n'entends done par homme médiocre , que l'homme
dont la médiocrité eſt completre , l'homme ſans
vûes , ſans énergie, ſans refforts , dont l'existence ,
entièrement pallive, le rend incapable , & des efforts
que coûte la vertu , & de l'activité que demande le
vice. Untel homme ne peut donc avoir que des qualités
& des défauts auſſi peu prononcés que ſon caractère
, & qui ne peuvent prendre le titre important
de vice ou de vertu. Son âme sèche ne peut
recevoir ni les émotions vives ni les impreſſions violentes.
Son eſprit froid ne ſait ni goûter la joie , ni
approfondir le malheur; les ſaillies de la gaîté lui
font étrangères ; il n'en peut ſentir ni l'agrément ni
la fineſſe. On l'avertit lorſqu'il faut pleurer ou lorfqu'il
faut rire ; il fait ce que font les autres ; va ,
comme dit Sénèque , non où il faut aller , mais où
l'on va.
Tout ceci n'aſſimile point l'homme médiocre à
l'imbécille ; il y aura toujours entre-eux une diſtance
réelle : celle de peu à rien.
CC Apartir d'après les ſots jugemens de la Société,
» bon & bête ſemblent être fynonymes ; on diroit
> que la bêtiſe eſt un brevet de bonté.
Critique. Il en a peut-être été ainſi autrefois ; if
me ſemble que cela eſt changé ; & il faut faire juftice
à ſon ſiècle en bien comme en mal. On commence
àſentir ce qu'il y a de touchant , & même
d'honorable dans la bonté , &c. &c. &c.
DE FRANCE. 85
Réponse. J'aurois dû écrire béte & bon ſemblent
ſynonymes , & M. de la C. .... n'en auroit pas conclu
que j'accuſois la Société de faire peu de cas de
la bonté ; elle la doit priſer depuis l'inſtant où elle
a cu beſoin d'elle , & cette époque doit être reculée.
Je ne reproche ici à la Société que de profaner le
titre de bon en l'accordant à toutes les pécores .
<En ne diſant du mal que des gens de mérite ,
>> on ne paſſe guère pour être méchant , & je le
>> conçois , c'eſt ne dire du mal que de ført peu de
>> monde; & d'ailleurs la critique du mérite trouve.
>> beaucoup d'approbateurs . >>
Critique. L'Auteur ne s'eſt-il pas laiſſé prendre
ici à l'éclat d'un ſophifme ? Cherchons toujours la
vérité de ces choſes-ci dans l'expérience du monde ,
&c. &c. &c.
Réponse. Ici l'expérience de M. de la C..... ſe
trouve en contradiction avec la mienne ; il n'y a
point à diſputer là- deſſus.
ככ
« Beaucoup de gens s'excuſent du mauvais choix
>> de leur Société ſur la néceffité de recevoir habi-
>> tuellement chez eux des parens fort mauffades.
>> J'avoue que, pèèrree & mère exceptés,je ne ſens pas
l'obligation de ſacrifier ſon goût & de livrer fon
bon ſens à la bêtiſe de ſa famille. Une femme
* diſoit à une de ſes amies qui avoit perpétuelle-
>> ment chez elle une troupe de cousins fort fots &
>> fort gauches: Si j'avois même des frères & des
foeurs de cette eſpèce , tout ce que je pourrois en
faveur du ſang , ſeroit de leur donner à dîner le
> jour des Rois. »
১১
ככ
Critique, On ſent à quoi il faut réduire cette plaifanterie
, dont l'exagération fait le ſel; mais plaifanterie
à part , l'Auteur avouera fans doute qu'il
faut mettre des bornes à tout , même à la haine des
fots. Il est bon de ſavoir quelquefois ſecouer lejoug
importun des coufins & des coufines ; mais il ſeroit
86 MERCURE
odieux ( 1 ) de les exclure de ſa maiſon. Celui qui les
éloigne , prouve un goût difficile ; celui qui les ſupporte
, prouve de l'indulgence & de la vertu , &c.
&c. &c . Pour moi , j'avoue que j'aime à voir un
homme d'eſprit defcendre de fa hauteur , & fe faire
petit avec les petits ; (2) & c'eſt d'ailleurs te meilleur
parti qu'il ait à prendre .
« L'eſprit naturei eſt l'eſprit le plus aimable ; l'ef-
>> prit facile eſt l'eſprit le plus rare. >>
Critique. Je dirois : l'eſprit facile eſt l'eſprit le
moins rare ; & il me ſemble que cela ſe prouveroit
aiſément. J'entends par la facilité , une manière de
penſer , d'écrire & de parler qui ſatisfaffe l'attention
fans beaucoup l'exercer ; c'eſt-là certainement une
qualité très-heureuſe ; & celui qui en manqueroit
totalement , manqueroit de quelque choſe d'eſſen--
tiel. Tout ce qui eſt pénible ne peut être entièrement.
beau , parce que ce qui eſt doux & agréable fait
partie du beau ; mais il eſt queſtion ici de perſonnes
chez qui la facilité eſt la qualité dominante ; &
parmi les hommes d'eſprit & de talens , ce ſont
ceux qui me paroiſſent les moins rares. A quoi tient
cette facilité ? A une conception très-vive , à une
comparaiſon rapide des objets ou des idées , à une
mémoire sûre & féconde ; or , il eſt naturel que ces
qualités , d'ailleurs fi heureuſes , excluent un peu la
forte méditation & le profond enthouſiafine d'où
naiffent les grandes idées & les grands ſentimens .
(1 ) Odieux ! c'eſt ſans doute rigoureux que M. de la
C..... a voulu dire.
(2) Se raperiffer , à la bonne heure ; mais ſe fottifier
pour ſes couſins , quel dévouement à ſa famille! L'indulgence&
la fenfibilité de M. de la C...... l'abuſent ; &je
Paſſure qu'il feroit moins touché qu'il ne penſe du ſpectacle
que lui donneroit un homme d'efprit, qui , defcendant
de ſa hauteur, ſe feroit for avec les fois, ces lots
fuffent ils même ſes oncles.
DE FRANCE. 87
}
Auſſi , quoique la facilité ſe ſoit ſouvent alliée à
Poriginalité , jamais elle ne fut le premier caractère
du génie. La Fontaine plaît par elle; c'eſt par d'autres
qualités qu'il eſt ſi délicieux & fi admirable.
Lorſque Voltaire eft fi grand dans ſes belles Tragédies
, il eſt encore plus paffionné que facile. La
facilité d'ailleurs appartient bien plus au ſentiment
qu'à la penſée. Les ſentimens entrent dans l'âme
bien plus aifément que les idées dans l'eſprit. Aufli
le grand moyen ,pour les penſeurs originaux , d'obtenir
le charmede la facilité, c'eſt de réveiller beaucoup
de ſentimens dans l'expoſition de leurs idées , &c.
Lorſque Montesquieu a combiné pluſieurs idées qu'il
veut renfermer dans une ſeule phrase , il ne cherche
pas un tour aifé , les expreſſions qui s'appellent &
s'uniffent le plus naturellement ; une perſée fi pleine
ne peut s'imprimer dans le langage fans de puiffans
efforts ; il faut qu'elle ſubjugue les mots avant de les
adopter; qu'elle les plie ſous cette analogie hardie
qui la compoſe elle même ; qu'elle les arme de force
& de précifion , & qu'elle forte plus mette & plus
vivante de cet accord forcé des ſignes qui la reproduiſent.
Il vous montre tout ſon travail, mais vous
l'admirez ; il vous paye de la peine par une plus
grande fatisfaction de lui & de vous-même. Il en
eſt ainſi des eſprits légers & aimables dans la Société
, ils en font l'agrément le plus continuel ; mais
les âmes fortes & les eſprits énergiques y font bien
une autre impreffion lorſqu'ils ſe réveillent & s'animent.
De tout cela je crois pouvoir conclure qu'à
aucun égard, les eſprits faciles ne ſont ni les premiers
ni les plus rares .
Réponſe. Il paroît que M. de la C..... confond
la facilité de l'eſprit avec la légèreté de l'eſprit
mais quelqu'aralogie qu'ayent ces deux qualités ,
elles font néanmoins très-diftinctes ; & fi ſouvent
elles ſe réuniffent , qüelquefois anti elles ſe ſéparent
88 MERCURE
La légèreté ne ſuppoſe qu'une facilité fort Hmitée.
Tout ce qui eſt agrément , répartie vive, plaifanterie
fine , raillerie piquante , flatterie délicate , eft
ledomaine le plus étendu qu'on puiffe lui accorder.
Celui de la facilité , infiniment plus riche , ne ſe
borne qu'où le poſſible s'arrête ; car au moral comme
au phyſique , c'eſt de la force que provient la facilité.
Je conviens que tous les eſprits faciles ne font
pas toujours , à beaucoup près , uſage de toutes leurs
forces ; que le plus ſouvent ils ſont préſomptueux &
pareſſeux; que trop preffés de jouir ou de paroître ,
ils abandonnent à des eſprits moins heureux , mais
plus laborieux , la gloire d'aller , non auffi loin qu'ils
pouvoient aller , mais plus loin qu'ils ne vont ; &
Racine eſt peut-être le ſeul génie ſupérieurement facile
, qui , ne ſe fiant pas trop à ſa facilité , ſemble
avoir été preſque auſſi loin que ſes forces.
د
M. de la C..... ne penſe pas que la facilité fût
l'avantage dominant de l'eſprit de Racine ; & il
fonde ſon opinion ſur ce que Racine employoit un
temps conſidérable à la compoſition de ſes Ouvrages.
Mais a t'on l'exemple qu'une Tragédie ( de toutes
les productions du talent, la plus haute , la plus difficile
) a- t'on , dis-je , l'exemple qu'une Tragédie
auffi parfaite que celle d'Athalie d'Iphigénie
même de Britannicus , ait été faite dans un temps
plus court ? D'ailleurs , ſi la promptitude eſt un des
avantages de la facilité , elle n'en eſt pas le premier.
Étre ouvert àtoutes les Sciences , propre à tous les
genres , acceffible à tous les tons , ſenſible à tous les
goûts , flexible à toutes les formes , diſpoſer , ſinon
également , du moins habituellement de ſes ralens &
de ſon eſprit , travailler avec le moins d'effort penſer
avec le moins de fatigue , méditer avec le moins
de contrainte , trouver avec le plus de bonheur ;
voilà quels font les prodigieux avantages de l'éminente
facilité. Je perfiſte donc à croire que l'eſprit
DE FRANCE. 89
facile eſt l'eſprit le plus précieux & le plus rare.
M. de la C..... finit ce premier extrait par des
réflexions ſur le goût , le talent & l'eſprit , faites
pour être lûes , goûtées , applaudies par les perſonnes
les plus difficiles.
Il faut , dit enfin M. de la C..... , que
l'Aureur ſe ſoit fait d'une belle converſation , un
modèle idéal , pour trouver qu'elle appelle tous les
genres d'eſprit , & qu'elle ne peut appartenir qu'au
talent le plus rare , &c. &c . &c.
C'eſt parce que j'ai quelquefois joui de toutes
les délices d'une converſation excellente & fublime
; c'eſt parce que j'ai joui quelquefois encore
detous les charmes d'une converſation agréable &
légère ; enfin c'eſt auſſi parce que j'ai quelquefois
joui de ces converſations animées & piquantes , dont
l'enjouement & la vivacité conduiſent à ces débauches
d'eſprit & d'imagination fi plaiſantes & fi
gaies; que je tiens une bonne conversation , pour
le plus utile , le plus féduisant & le plus entraînant
de tous les plaiſirs. C'eſt de même parce que dans
le cours d'une vie déjà longue , la converſation m'a
fi peu ſouvent offert ces différens attraits , que je
regarde le talent de la converſation comme un des
plus rares. Eh ! comment M. de la C..... le peut- il
eſtimer fi commun , lorſque , de ſon aveu , le plus
grand nombre des gens d'eſprit , & même de génie ,
ne le poſsèdent pas ! Il en donne , il est vrai , la
raiſon &l'excuſe; mais ni l'une ni l'autre ne prouve
contre moi.
Que l'eſprit contemplatif, dont je veux bien refpecter
juſqu'aux rêveries , s'abaiſſe & ſe plie auffi
peu à écouter des propos fots ou frivoles qu'à y
répondre , je le conçois ; mais pourquoi le plas habituellement
dédaigne- t'il d'en écouter de bons ?
Pourquoi n'en tient-il pas de meilleurs ? Si le noble
alent de penſer avec profondeur , exclud celui de
१०
MERCURE
,
parler ſagement avec facilité , l'aimable talent de
bien parler lui doit être préféré , car l'expérience
m'a prouvé qu'on ne parloit parfaitement bien que
lorſque l'on penſoit encore mieux. Quel ſeroit donc
le mérite d'une converſation fans idées , fans ſagacité
, ſans juſteſſe ? Suffit-il pour bien cauſer d'avoir
la facilité de dire une nouvelle , ou de faire un petit
conte en termes polis ; parfaitement cauſer , c'eſt
clairement raiſonner; c'eſt vivement & naturellement
conter , finement & ingénicuſement plaiſanter ;
promptement entendre , ſubitement répliquer ; c'eſt ,
en un mot, ſavoir occuper , intéreffer , amufer
plaire. Or , toutes ces chofes appellent & exercent
l'âme & l'eſprit, la raiſon & le goût. Le talent de la
converfation eſt celui de cet eſprit facile que je crois
le premier & le plus rare de tous les eſprits , parce
que c'eſt le ſeal qui ſoit propre à tout , qui ſache
monter & defcendre , courir & marcher , parce que
c'eſt celui qui , par le plus heureux contraſte , a le
plus de varéré& le moins d'inégalité , puiſque fes
facultés le ſuivent par- tout , dans le monde & dans
la folitude , dans le filence & dans le bruit. Sans en
moins reſpecter ces génies ſi diſtans des eſprits même
les plus eſtimables , ces génies que les extaſes de
la contemplation exilent de la Société , j'avoue qu'ils
me repréſentent ces Magiciens , qui , confumant le
temps à évoquer les ombres , n'obtenoient une apparition
qu'à force de fumigations , de conjurations ,
d'exorcifmes .
Au reſte , fi j'attache un ſi grand prix au talent
de la converſation ; ſi j'oſe ſoutenir qu'il en eſt peu
d'auſſi rares , je n'ai jamais prétendu dire ni qu'il fût
auſſi rare , ni qu'il égalât celui de la Tragédie , de la
Çomédie , du Poëme Érique , ni même deſcriptif ,
tout ennuyeux qu'il eft. J'ai honte de me défendre
férieuſement d'une telle abſurdité.
DE FRANCE.
91
ANNONCES ET NOTICES.
P
ETITE Bibliothèque des Théâtres , contenant un
Recueil des meilleures Pièces du Théâtre François ,
Tragique, Comique , Lyrique & Bouffon , depuis
T'origine des Spectacles en France jusqu'à nosjours.
AParis , au Bureau , rue des Moulins , Butte S. Roch ,
Nº. 11 , où l'on ſouſcrit.
Le premier Volume de cette précieuſe Collection
remplit complettement l'idée que le Proſpectus en
avoit donnée, & fatisfait aux engagemens contractés
par le Rédacteur. L'exactitude Littéraire & la beauté
Typographique ne laiffont rien à defirer. Le Rédac
teur donne même plus qu'il n'avoit promis ; les
Pièces font précédées des jugemens qu'on en avoit
portés ; & la Vie des Auteurs eſt ſuivie de la liſte
'de leurs Ouvrages Dramatiques. Ce Volume contient
la Sophonisbe de Mairet , & le Scévole de Duryer.
La Sophonisbe de Mairet eft la première Pièce de
Théâtre où la règle des vingt- quatre heures ſoit obſervée
; elle cut foixante repréſentations.
Le ſecond Volume fera compoſé de Comédies
du Théâtre François ; le troiſième , de Comédies du
Théâtre Italien , c'est- à - dire , des premières Pièces
Françoiſes de ce Théâtre; le quatrième reconimen
cera par des Tragédies , &c. Chaque partie de cette
Collection fera précédée d'un Eflai hiſtorique qui
offrira l'origine des progrès de l'Art Dramatique en
France; il ſera délivré gratis aux Souſcripteurs. Il
paroîtra 12 Volumes par an , & un treizième gratis ,
fous le titre d'Etrennes d'Apollon , composé des
plus jolies Ariettes , Romances , Chanſons , & des
Vaudevilles les plus en vogue , avec les airs gravés .
La Souſcription pour Paris eft de 33 liv. , & pour
92 MERCURE
1
la Province , de 36 liv. franc de port par-tout le
Royaume.
PARAPHRASE des Litanies de Notre-Dame de
Lorette , par un Serviteur de Marie. A Augsbourg ,
& ſe trouve à Paris , chez Leſclapart , Libraire de
MONSIEUR , Pont Notre- Dame. Prix , 6 liv.
Cet Ouvrage curieux eſt orné de grand nombre
d'Eſtampes allégoriques. Parmi ces figures, il y en
ade fort fingulières par le genre des allégories ; il
y a dans pluſieurs une imagination qui n'eſt pas
commune.
Momus au Salon , Comédie Critique en vers &
Vaudevilles , fuivie de Notes critiques . Brochure de
70 pages. Prix , 1 liv. 10 ſols. A Paris , chez Hardouin
, Libraire , rue des Prêtres Saint Germainl'Auxerrois
.
Les circonstances qui intéreſſent le bien public
ou qui excitent la curiofité , donnent naiſſance à
tant d'Ecrits apologétiques , & fur- tout critiques ,
qu'il feroit auffi long qu'inutile d'en donner même
une fimple annonce. Mais le Public a droit d'exiger
qu'on faffe mention de ceux qu'il a diftingués dans
la foule ; tel eſt l'Ouvrage que nous annonçons. C'eſt
une Comédie à tiroirs , mêlée de Vaudevilles , compoſée
de Scènes Épiſodiques & fans intrigue. Il n'étoit
guère poffible de traiter autrement un pareil ſujet,
Ce font divers perſonnages , tels que Mercure , deux
Payſans , une Marquiſe , un Abbé , un Peintre , un
Poëte , &c. qui ſe rencontrent au Salon , & qui s'entretiennent
ſur les tableaux qu'ils parcourent. Cet
Ouvrage ne peut que ſe reffentir un peu de la vireſſe
avec laquelle il a été fait ; mais ily auroit trop
de ſévérité à lui reprocher gravement une facilité
trop prolixe , quelques fauſſes rimes , des vers même
qui n'ont pas le nombre de pieds néceſſaires , tels
DF FRANCE.
93
que, Il immortaliſa ſes Ouvrages , qui ne peut
jamais faire un vers régulier. Au reſte , il y a de la
facilité & de la grâce. Nous allons en tranfcrire un
Couplet.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
LA MARQUISE.
Que j'aime la touche moëlleuſe
Qu'on apperçoit dans ce tableau !
LE CHEVALIER.
L'attitude eſt voluptueuſe.
L'ABBÉ.
Le coloris en eſt fort beau.
LA MARQUISE
Mais pour peindre ces immortelles ,
L'Abbé , je ne peux concevoir
Où Lebrun a pris ſes modèles ?
L'ABBÉ.
Eh! n'a-t'elle pas ſon miroir !
MÉTHODE Élémentaire pour apprendre facilement
la Langue Latine ; précédée des premières
Notions dela Langue Françoise. Par M. Thevenot ,
Maître de Penſion à Troyes ; ſeconde Edition, chez
A. P. F. André , Imprimeur - Libraire du College ,
Grand'rue , vis à-vis la belle Croix,
Le ſuccès de la première Edition de cet Ouvrage
n'a ſervi qu'à engager l'Auteur à de nouveaux
efforts pour le rendre plus parfait & plus
utile ; il l'a revu avec le plus grand ſoin , & l'a
conſidérablement augmenté.
EXPÉRIENCE & Observation fur différentes
Branches de la Physique , avec une Continuation
94
MERCURE
des Obfervations fur l'Air ; Ouvrage traduit de
l'Anglois , de M. J. Priestley , Docteur en Droit ,
Membre de la Société Royale de Londres , tom . 3 ,
Prix , 3 liv. 12 fols-relié. AParis , chez Nyon l'aîné.
Libraire , rue du Jardinet , quartier Saint-André
des-Arcs,
Les deux premiers volumes de cet utile Ouvrage
ont été accueillis comme ils devoient l'être ; il eſt
à préſumer que celui-ci n'aura pas moins de ſuccès .
Des Ecrits fur la nature de l'Air , deviennent aujourd'hui
plus intéreſſans que jamais , vú les Expériences
réitérées dont on a rendu témoin la Capitale
, & celles qu'on nous promet encore.
La Semaine d'un Enfant de la Joie , & les Efcapades
de l' Amour , ſeptième & huitieme Parties
d'Anacréon en Belle Humeur , ou du plus joli Chan-
Sonnier François ; élite de Chanfons , Romances ,
Vaudevilles , &c. des Auteurs connus en ce genre.
Prix , I liv. chacune brochée. A Paris, chez Defnos ,
Libraire , rue S. Jacques.
Le même Libraire annonce aux Libraires du
Royaume & des Pays Étrangers , qu'il vient de mettre
en vente douze Almanachs nouveaux pour l'année
1784 , leſquels réunis à ſa Collection , la portent à
120 fortes , toutes ornées de 12 eſtampes , & ſuivies
d'un perte & gain & de tablettes économiques d'un
papier fur lequel on peut écrire , avec un ſtylet qui
en fait la fermeture. Chacun de ces Almanachs ,
relié en maroquin , ſe vend 4 liv. 10 fols. En s'adreſfant
au ſieur Deſnos , on aura une remiſe avantageuſe
& proportionnée à ce qui lui en ſera demandé.
L'analyſe raiſonnée des objets qui compoſent cette
nombreuſe Collection , brochure de 150 pages ,
offrant un choix de jolies Chauſons , ſous le titre
deBijou dujour de l'An , ſe délivrera gratuitement
aux perſonnes qui feront acquiſition de quelqu'un de
DE FRANCE.
95
ces Almanachs , autrement elle ſe vendra 1 liv. 4 f.
poit franc par- tout le Royaume.
HERBIER de la France , ou Collection des Plantes
du Royaume , par M. Bulliard. Prix , 3 liv . A Paris ,
chez l'Auteur , rue des Poftes , au coin de celle du
Cheval verd ; P. Fr. Didot le jeune , Libraire , quai
des Auguſtins ; Th. Barrois le jeune , quai des Auguftins;
& Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Chaque Plante de cette intéreſſante Collection eft
deſſinée d'après nature , décrite ſuivant les principes
de l'art , & coloriée au moyen de l'impreſſion &
fans le ſecours du pinceau. Il en paroît un Cahier
tous les mois. L'Introduction à cet Ouvrage fe diftribue
ſéparément , ſous le titre de Dictionnaire Élémentaire
de Botanique , avec dix planches. Prix ,
15 liv.
NOUVEAU Plan de Paris , avec les augmentations
& changemens qui ont été faits pour fon embelliffement
, par M. Brion de la Tour , Ingénieur-Géographe
du Roi A Paris , chez les Frère Campions,
rue S. Jacques, à la Ville de Rouen. Prix , I liv . 4 Γ.
On a joint à ce Plan un autre Plan de Versailles
enpetit.
PROSPECTUS d'une nouvelle Méthode de Musique ,
en deux parties , compoſée par le ſieur Rodolphe ,
Muſicien du Roi. La première contient toute la
théorie de la muſique ſans exception , des remarques
utiles , des articles préliminaires & indiſpenſables
pour ceux qui voudront apprendre l'accompagnement
& même la compofition , des leçons ſimples &
faciles dans un nouvel ordre à la portée des Écoliers
les moins avancés Pour plus de facilité , cette première
partie eſt diſpoſée par demandes & par réponſes.
La ſeconde contient un Solfège d'un nou.
96 MERCURE
veau genre ,& d'autant plus inſtructif que MM. les
Maitres & les Écoliers y trouveront l'ordre & la gradation
qu'ils ontparu defirer juſqu'à préſent.
On ſouſcrit chez M. Houbaut , Marchand de
Muſique , rue de Marivaux , place du Théâtre Italien
& chez M. Leroy , place du Palais Royal , près
le café de la Régence , lequel grave l'Ouvrage avec
beaucoup de foin. La Sou cription eſt de 12 liv. ,
dont moitié en ſouſcrivant & le reſte en recevant
l'Ouvrage complet, qui ſera mis au jour le 25 Novembre
prochain , temps où la Souſcription ſera
fermée , & l'Ouvrage alors coûtera 15 liv. M. Rodolphe
annonce qu'au mois de Février prochain , il
donnera une théorie d'accompagnement.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairiefur
la Couverture.
TABLE.
L'Electricité, Ode,
Gaudin , 53
Chacun afes goûts ,
49 Hiftoire de la Ruffie,
Réponse aux Vers de Mllede Effais ſur 'Hift ire de la Soib.
Reponses au premier Extrait
Charade , Enigme & Logo- des Doutes ,
56
ciété Civile , 68
82
gryphe , 55 Annonces & Notices , 91
APPROBATION.
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
MercuredeFrance, pourle Samedi I Octobre, je n'y ai
pien trouvé quiui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 10 Octobre 1783. GUID I.
JOURNAL Politique
DE BRUXELLE S.
DANNEMARCK.
D'HELSINGOR , les Septembre.
L
Epremier de ce mois une Frégate Ruſſe
a paſſé le Sund pour entrer dans la Baltique
,&le 2 elle a été ſuivie par deux Vaifſeaux
de guerre neufs de 60 Canons & 2
Frégates de 32 , venant d'Archangel & ſe
rendant à Conſtadt. 1
Les Commis de la Douane ont voulu
exiger des ſix Navires François arrivés de
Riga le paiement des droits pour le bois
qu'ils avoient à bord ; mais le Conful de
France ayant refuſé d'y ſatisfaire , parce que
ce font des Vaiſſeaux de guerre , qui comme
tels n'en doivent payer aucun , il n'a pas
été inſiſté.
Ondit que le Roi de Suede , lorſqu'il partira
pour l'Italie , paſſera à Copenhague , &
qu'il y fera une viſite à S. M. On aſſure que
dans ce cas , malgré l'incognito qu'il compte
Nº. 41. 11 Octobre 1783 . C
( 50 )
garder , la Cour ſe propoſe de lui donner
des fêtes brillantes .
SUÈDE
DE STOCKHOLM , le 6 Septembre.
Ontravaille aux équipages du Roi dont
le voyage pour l'Italie eſt décidé , & paroît
fixéau premier du mois prochain. La ſuite
de S. M. n'eſt pas encore nommée; elle gardera
le plus grand incognito. On fait qu'Elle
paſſera par Hambourg , mais on ignore ſi
Elle dirigera enſuite ſa route ſur Vienne ou
fur Triefte.
S. M. vientde donner une nouvelle preuve
de ſon amour&de ſes égards pour les Scien
ees ,en nommant le Prince RoyalChancelier
de l'Univerſité d'Upfal. En attendant
que le Prince ſoit en âge d'en faire les fonctions
, elles feront remplies par M. le Comte
de Creutz , Sénateur &Préſident de la Chancellerie
du Royaume.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 8 Septembre.
Le Roi a aſſiſté derniérement à l'examen
d'uſage à la fin de l'année des études , des
éleves du College des Nobles de cette ville,
Il a diftingué particulierement trois d'entre
eux dont les progrès ont été les plus remarquables
, par le don d'une médaille d'or avec
cette inſcription ; Diligentiæ.
( 51 )
On mande de Buchareſt que le nouv
Hoſpodar y est arrivé , &qu'il a ſignalé fon
avénement au Gouvernement de la Walachie
,par divers réglemens qui ont été reçus
avec beaucoup de fatisfaction & de recon--
noiſſance de la part de ſes ſujets , & qui leur
donnent l'eſpérance d'être heureux ſous ſes
loix.
Le Prince de Repnin ne s'eſt point avancé
, comme on l'avoit dit , il a toujours for
quartier-général à Nemirow & à Human.
Les Agens Ruſſes ont fait de nouveaux contrats
pour la fourniture des vivres ; ce qui
ne fait pas préſumer qu'ils penſent_encore
à quitter ce royaume.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 21 Septembre.
L'Empereur n'eſt point encore de retour
dans cette capitale. Le camp de Bohême
s'eſt ſéparé le 12 , & les Troupes qui le
compofoient ont repris chacune la route de
leurs Quartiers reſpectifs. Le 13 & le 15 S.
M. I. a fait à Prague la cérémonie de l'inveſtiture
des fiefs de ce royaume ; & fe 18
ellea quitté cette ville pour aller viſiter les
fortereſſes de Théréſienſtadt & de Pleſs.
Le 14 de ce mois on a fait ici la grande
proceſſion en action de graces de la levée
du ſiege de cette ville en 1683. Comme le
fiecle eſt actuellement révolu , cette cérémonie
a eu lieu pour la derniere fois. La Coun
2
( 52 )
a été repréſentée dans cette occaſion par le
Prince de Stahremberg , Grand-Maître de
la Maiſon Impériale , & par le Comte de
Seilern , Chef de la Juſtice Suprême. M.
Stuwer donnale ſoir du même jour au Pratter
, en préſence de plus de 12000 ſpectateurs
, un Feu d'artifice , dont l'exécution lui
a fait le plus grand honneur.
Il a paru ici un nouveau Reglement de monnoie
daté du premier de ce mois , par lequel
S. M. I. a jugé à propos de hauffer la valeur
des eſpeces d'or & d'argent ſpécifiées ci-deſſous
&de les porter au taux ſuivant. Savoir les ſequins
de Milan , ceux de Veniſe & les gigliati
de Florence à 4 florins 22 kreuzers ; les ducats
impériaux , ceux de Baviere & de Salsbourg du
même titre à 4 florins 20 kreuzers ; les ducats
d'Hollande & les autres de l'Empire du même
titre à 4 florins 18 kreuzers ; les ſouverains d'or
double des Pays-Bas Autrichiens à 12 florins
<1 kreuzers , & les ſimples à fix florins 25
kreuzers ; les doppies doubles de Milan à 14 florins
24 kreuzers & les ſimples à 7 florins 12 kreuzers
; les louis d'or à 9 florins 12 kreuzers ; les
ducatons des Pays-Bas à 2 florins 32 kreuzers
&les écus à couronne à 2 florins 14 kreuzers.
Quant aux autres eſpeces d'or étrangeres on
ſe conformera au Reglement du 17 Août 1763 .
Toutes les Confréries Religieuſes ſont actuellement
fupprimées , & leurs biens fonds
donnés à l'établiſſement des pauvres.
DE HAMBOURG , le 16 Septembre .
Les nouvelles du Nord & celles de la
( 53 )
:
Turquie n'offrent encore que des détails de
préparatifs qui annoncent toujours la guerre ,
maisnon l'époque où elle éclatera. Les Ruffes
maîtres de la Crimée y font toutes lesdifpoſitions
néceſſaires pour y bien recevoir
les Ottomans , s'ils veulent, comme on leur
en ſuppoſe le deſſein , faire quelque tentative
de ce côté. Ils ont fortifié l'iſthme de
Précop , de maniere à en rendre l'entrée prefque
impraticable. Les meilleures places de la
péninſule qui font en leur poſſeſſion ont été
miſes en état de défenſe. LesTurcs ne peuvent
gueres ſe flatter de quelque ſuccès , s'ils n'ont
pas des intelligences & un parti parmi les
Tartares , & il est vraiſemblable que la révolution
que ce pays vient d'éprouver , n'eſt
pas vue du mème oeil par tous les habitans ,
que leurs moeurs , leurs uſages , leur religion
même doivent leur faire ſupporter impatiemment
une domination chrétienne. Ces diſpoſitions
peuvent influer ſur les événemens
dans cette partie du théâtre de la guerre , ſi
elle éclate , comme il y a beaucoup d'apparence
.
Le dernier courier de Conſtantinople arrivé
ici le 26 Août , écrit-on de Vienne , a apporté
pluſieurs lettres dans leſquelles il eſt dit que les
préparatifs de guerre y ſont continués avec une
nouvelle vivacité ; le peuple excité & encouragé
par les gens de loi la demande à grands
cris ; & peut- être dans cette fermentation univerſelle
ſe ſeroit-il révolté contre le Sultan , s'il
p'avoit pas pris le parti de paroître en public
&de déclarer hautement qu'il ne ſouffrira jamais
C3
( 54 )
que les Ruſſes reſtent enpoffeffionde la Crimée
& des autres pays dont ils viennent de s'emparer.
Cette déclaration a été reçue avec acclamation
, & fi le grand Seigneur s'y eſt réellement
engagé , & qu'il ait le deſſein de la foutenir ,
Ja guerre eſt inévitable.
Onprétend que parmi les Tartares il y en
apluſieurs qui ont pris du ſervice dans les
Troupes Impériales de Ruffie ; mais cette
armée de soooo hommes , qu'on diſoit afſemblée
pour défendre ſes nouveaux maitres
, paroît ſe réduire à quelques Mirzas, qui
ayanttrop peu de monde pour faire un corps
féparé , ont été incorporés dans des Régimens
de Cavalerie.
:
Tout ce que l'on débite au ſujet la Crimée ,
Bit-on dans quelques papiers , eſt très-vague &
très - confus ; [on n'a guere de nouvelles que
celles que veulent bienlaiſſer paſſer les conquésansde
cette belle contrée ;& elles ſont au moins
zrès rares ;lesGénéraux n'écrivent qu'à leur Cour,
iln'y apas d'autres couriers que ceux qu'ils y enwoyent
& ceux qu'ils en reçoivent , c'eſt par eux
que les particuliers font paſſer leurs lettres ; &
il s'en répand peu de celles qui peuvent contemirdes
nouvelles. On n'a donc que des bruits
&des conjectures que faute de mieux on recueille
affez généralement. Parmi les détails de cette efpece
on trouve que la Ruſſie vient de conclure
avec le Schah de Perle un traité de commerce
qu'on dit très - avantageaux , & ce qui eſt auffi
intéreſſant dans la circonſtance préſente , une alliance
offenfive & défenſive. En attendant on
dit que Gianikli-Ali-Pacha eſt avec une armée
confidérable , campé au - delà du Bog & vis àvis
de Choczim ; & on porte à plus de 100,000
( 55 )
hommes les troupes que les Ottomans ont àBender
, à Jaffy , & à Bucharest ; par-tout les Bachas
qui commandent des places ſur les frontieres
ont reçu ordre de les mettre dans le meil
leur état dedéfenſe poſſible ».
Les mouvemens des armées Autrichiennes
ne font point ralentis : & comune on ne
peut les ſuppoſer ſans but , on ne manque
pas de conjecturer que cette Puiſſance pren
dra part aux événemens qui ſe préparent.
«Tous nos régimens , écrit- on de Vienne,
font en mouvemens ; les uns marchent vers la
Croatie , d'autres quittent la Hongrie , & ſe rendent
en Boheme & en Moravie , pluſieurs doivent
, dit-on , ſe rendre dans les Pays-Bas. Depuis
le 25 du mois dernier , il eſt parti ſur le
Danube plufieurs bâtimens chargés de pontons ,
d'artillerie &d'autres munitions de guerre. Perfonire
ne devine la raison de ces marches ; mais
preſque tout le monde est d'accord ſur les apparences
d'uneguerre prochaine. Cependant La
Porte ne paroît rien négliger pour éviter de
nous donner du mécontentement. L'Iternonce
de cette Cour à Conſtantinople y préſenta il y
aquelque tems un mémoire dans lequel il demandoit
augrand Seigneur au nom de ſon maître.
1°. que S. H. garantit tous les bâtimens ſous
Pavillon Autrichien qui ſeroient pris par les corſaires
des Régences d'Afrique ; 2º qu'elle payât
fur le champ & argent comptant auſſi - tốt
qu'elle en ſeroit requiſe le montant du dommage
réſultant des priſes qui pourroient être
faites. 3°. Le Miniſtre déclaroit que dans le cas
où cette indemniré ſeroit refuſée , S. M. I. entreroit
ſur le territoire Turc pour ſe la procuxer
elle-même. Cette demande répétée pluſieurs
C
( 56 )
fois ,vient , dit-on , d'être accordée ».
Onvoit partous ces détails exagérés peutêtre
, mais dont le fond eſt vrai , combien le
Gouvernement Ottoman apporte d'attention
à ménager la Cour Impériale , & à écarter
tout prétexte de plainte de ſa part.
« La prudence & la fermeté du Grand-Vific
&du Capitan Bacha , écrit - on de Conſtantinople
l'ardeur avec laquelle les Officiers étrangers travaillent
à diſcipliner nos troupes , les leçons que
nous avons reçues pendant la derniere guerre ,
tout nous fait eſpérer qu'une nation innombrable
comme la nôtre , naturellement brave &
ardente peut devenir tout à coup très- formidable.
Qu'étoient les Ruſſes ſous Pierre le Grand ?
Eft- il impoſſible qu'il naiſſe un réformateur dans
l'enceinte du Serrail ? Charles XII n'a-t-il pas
contribué à l'établiſſement de la diſcipline parmi
les Ruſſes plus que le Czar lui-même ? Un trèsbeau
pays qui a environ to millions d'habitans en
Europe , plus de 20 millions de piaſtres , point
de dette nationnale , eſt certainement à craindre
, la diſcipline eſt le fruit du temps ; elle
s'établit en faiſant la guerre. Nous avons ſur
pied environ 360,000 hommes , & 50,000 matelots
; nous pouvons au beſoin augmenter nos
troupes de terre. Il ne ſera pas tout-à-fait auſſi
aiſé qu'on paroît le croire de nous reléguer en
Afie ,ſi l'on confidere ſur-tout que ceci reffemble
beaucoup à une guerre de religion ».
DE FRANCFORT , le 17 Septembre.
Les armemens qui continuent dans tous
les Etats héréditaires de l'Empereur ; l'armée
qui eſt déjà raſſemblée ſur les frontieres , &
qu'on porte à 130,000 hommes ; la ſeconde
( 57 )
qu'on dit qu'on aſſemble , encore dans le
Bannat; la quantité de pieces de canon qu'on
raſſemble & qu'on fait partir ſucceſſivement
pour les lieuxoù les troupes ſont prêtes à marcher;
les nouvelles levées qu'on aſſure avoir
été ordonnées , tout fait craindre qu'il ne ſoit
impoſſible d'arranger les affaires du Nord ,
ſans répandre du fang.
Selon les lettres de Vienne , l'Empereur a
accordé aux Juifs de cette Capitale la permiffion
d'acheter un terrein ſitué hors des
fauxbourgs de la ville , d'y bâtir des maiſons,
des boutiques , & d'y trafiquer.
Le ſpectacle de troubles inteſtins &de diviſions
entre la Bourgeoiſie & la Magistrature , dont la
ville de Geneve a offert pluſieurs exemples ,
vient de ſe renouveller dans une ville Impériale
d'Allemagne. On mande de Wympfen que les
diviſions y font montées à un tel degré , que le
Directoire du cercle de Souabe a jugé néceſſaire
d'y envoyer des Troupes pour tâcher d'y rétablir
l'ordre. Huit Bourgeois factieux y ont été
arrêtés ; on a cru que cela rameneroit les autres
àla modération ; ils ont continué de ſe plaindre
, & cette détention même les a portés à le
faire avec plus de vivacité. Pluſieurs ont quitté
la ville ; ceux qui y ſont reſtés ſe ſont permis
de nouveaux murmures , qui ont fait juger qu'il
étoit néceſſaire de renforcer les Troupes. On
ignore encore quelle ſera l'iſſue de ces troubles
qui peuvent être funeſtes à la ville qui les
éprouve ».
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 8 Septembre.
On apprend de Peſero que les Membres
CS
( 58 )
7
de la Confrérie de S. Gaëtan , qui occupoit
l'Egliſe de la Congrégation ſupprimée de
S. Antoine Abbé , voyant que l'Eglife manquoit
d'ornemens , d'orgues , &c. pour ſervir
àleurs afſemblées religieuſes , ont réſolu ,
cette année , après la célébration de la Fête
de leur Saint , de vendre tout ce qui exiſtoit
dans leur Sacriftie , & d'en diftribuer le produit
aux pauvres. Ils l'ont exécuté avec l'approbation
générale , & leur Congrégation
eſt ainſi également ſupprimée.
Parmi les effets finguliersdu tonnerre ,il y en
apeu d'auſſi étranges que ceux-ci qu'on mandede
Roveredo.On y eſſuya également un orage le 13.
dece mois ; la foudre tomba ſur l'Eglife paroiffiale
de Saint-Marc , qu'elle parcourut dans toute
fon étendue , ouvrant toutes les armoires , les
portes & les fenêtres . Elle renverſa ſur l'autel
le calicedont ſe ſervoit un Prétre qui diſoit la
meſſe , &qui tomba de frayeur. On trouva ſes
chauſſons brûlés ſans que ſon pied, ſes bas ni ſes
fouliers fuffent endommagés ; la ceinture deſes.
Caleçons & un morceau de ſa chemiſe étoient
également brûlés; il n'avoit d'autre mal qu'une
légere bleſſure à la tête , & qui avoit été cauſée
par ſa chûte. Ce qu'il y a de plus extraordinaire
, c'eſt que cet Eccléſiaſtique âgé de 84
ans, remis à préſent de ſa frayeur , ſe porte
non- ſeulement à merveille , mais on ditque depuis
cet accident , il n'a plus beſoin de lunettes
dont il faiſoit auparavant ufage ; qu'il marche
d'une maniere plus ferme , qu'il ſe ſent plus de
force qu'il n'en avoit depuis pluſieurs années
&qu'il ſe trouve en quelque forte ranimé.
Les Phénomenes qui alarment le midi de
) یو (
F'Europe ne font pas étrangers à la partie du
monde dont nous ne ſommes ſéparés que
par la mer.
Le 20Juillet , écrit-on de Tripoli de Syrie, on
éprouva icideux ſecouſſes très- violentes de tremblementdeterre.
Elles ſe firent ſentir àdeux reprifes&
ſe ſuccederent rapidement ,& durerent enfemble
environ 8à 10ſecondes; elles furent précédées
d'un bruit ſourd ſemblable à celui du mugiſſementdes
flots qu'on entend de loin ; la veille
il avoit plu à verſe , ce qui eft extraordinaire
dans cette ſaiſon. Depuis près d'un mois une
brume épaiſſe couvre la terre & la mer ; les vents
ſoufflent avec autant de violence que pendant
Phyver. Le ſoleil ne ſe montre que rarement ,
&toujours avec une couleur ſanguinolente ; phénomenes
inconnus juſqu'à préſent en Syrie . Le
tremblement de terre s'eſt fait ſentir également
dans le Liban : un village près de Napoulouſe a
été enſeveli ſous un rocher qui s'eſt écroulé .
Les Turcs informés du déſaſtre de Meſſine ſont
dans la plus grande conſternation .
ANGLETERRE.
DELONDRES , le 30 Septembre.
Selon les dernieres nouvelles de New-
Yorck , cette place , la citadelle , les différens
ouvrages qui en dépendent , & que nos
Troupes y ont conſtruits pendant leur féjour
pour leur fureté & leur défenſe , doivent
être livrés aux Américains dans la matinée
du 9 du mois prochain. Le Général
Carleton , ajoute-t-on , prend toutes les me
fures néceſſaires pour l'évacuer à cette épo
que.
6
( 60 )
On lit dans les papiers Américains que
nous avons reçus , la liſte ſuivante des Gouverneurs
actuels des Treize Etats-Unis .
« Ce ſont pour New-Hampshire MM Mesheck
Weare ; pour Maſſachuſſett John Hancock ; pour
Rhode- Iſland William Greene ; pour Connecaicut
John Trumball ; pour New-Yorck George
Clinton ; pourNew- Jerſey William Livingſton ;
pour la Penſylvanie John Dickinson ; pour De
laware Nicolas Van Dyke ; pour Maryland William
Paca ; pour Virginie Benjamin Harriſon ;
pour la Caroline ſeptentrionale Alexandre Martin
; pour la Méridionale Benjamin Guerard ;
pour la Géorgie Lyman Hall.
Parmi les anecdotes que preſentent ces
papiers , où elles tiennent à préſent la place
des événemens qui ont fixé long-temps l'attention
& la curioſité de l'Europe , en voici
une bien étrange. C'eſt un exemple atroce
de ſuicide commis avec une réflexion & un
fang- froid extraordinaires, Il prouve à quel
excès peut ſeporter l'homme qui a eu le malheur
defecouer tout frein moral & religieux.
>> Le 11 Décembre , au ſoleil levant , il s'eft
paffé à Wetherfield un événement de l'eſpece
le plus étrange & la plus étonnante. William
Beadle , né au midi de l'Angleterre , qui a réfidé
vingt ans en Amérique , & près de 10
à Wetherfield , s'étoit marié à Fairfield à une
femme aimable , d'une bonne famille , dont il
avoit quatre enfans dont il dirigeot lui-même
l'éducation avec un ſoin & une vigilance extrêmes
, & il paroiffoit être un excellent pere
& un bon mari. Ses affaires de commerce déclinant
depuis quelques années , il ſe livra à la
( 61 )
lecture , & , malheureuſement , il goûta de préférence
les livres qui ont été faits contre le culte
établi ; il en adopta tous les principes , écarta
toute idée de bien & de mal moral , & regarda
les hommes comme de ſimples machines. Il ſe
crut en droit de diſpoſer de ſa vie & de celles
de ſa famille. On a trouvé dans ſes Papiers , &
dans pluſieurs Lettres , écrites à des perſonnes
de ſa connoiſſance , peu de jours avant ſa mort ,
qu'il y avoit trois ans qu'il s'occupoit de la
funeſte catastrophe à laquelle il a procédé avec
la plus grande réflexion. Au lever du ſoleil
, il envoya ſa domeſtique , la ſeule perſonne
de ſa maiſon qui ait ſurvêcu , porter une Lettre
dans le voisinage , à un ami auquel il annonçoit
ſon horrible réſolution , en lui déclarant
qu'avant qu'il en eut achevé la lecture il ſeroit
avec ſa femme & ſes enfans dans un état plus
heureux ; il le prioit de prendre avec lui deux
perſonnes , & de venir à ſa maiſon , fans alarmer
ſes voiſins , & d'apporter autant de tranquillité
d'eſprit qu'il en avoit lui-même. A la
receptionde cette Lettre l'ami vola ; mais il étoit
trop tard. Le malheureux avoit employe le poignard
, la hache & le piſtolet ; il s'étoit ſervi
des premieres armes pour détruire ſa famille ,
& il avoit tourné la derniere contre lui . Il y
avoit quelques ſemaines qu'il gardoit ces inſtrumens
meurtriers dans ſa chambre , ſous prétexte
qu'il en avoit beſoin pour ſe défendre des vo-
Jeurs. C'eſt avec le plus grand ſecret , & fans
être pénétré par perſonne , qu'il a mis fin à la
vie d'une femme aimable au milieu de ſa car
riere , & à celle de quatre enfans commençant
la leur , dont l'aîné avoit douze ans , & dans le
temps qu'ils dormoient paiſiblement . Il paroit
par pluſieurs circonstances qu'avant qu'ils allaf(
62 )
1
fent au lit il leur av oit donné de l'opium ; il
aterminé cette ſanglante tragédie en ſe tuant
lui-même. On lit dans une des Lettres qu'il
avoit écrites auparavant : C'eſt par humanité,
c'est par tendreffe , car aucun pere ne fut auſſi ſenfible
que moi , que je prépare la mort de fix perfonnes.
Le Juré après une enquête a condamné
ſamémoire ; ſon corps a été expofé à l'opprobre
public , & jetté à la voirie. On a enterré ſa
femme & ſes enfans avec décence . Les coeurs
humains & ſenſibles ont verſé des larmes ſur le
fort de cette famille , & déploré les funeſtes
principes qui ont fait un barbare d'un homme ,
qui , avant ſon égarement , avoit mérité l'eſtime
de ſes concitoyens ».
Le Parlement vient d'éprouver encore
une courte prorogation ; il ne ſe raſſemblera
que le Ir Novembre pour s'occuper des affaires
qui doivent être ſoumiſes à ſa confidération.
Parmi ces affaires on parle d'un
nouveau plan de finances , qui eſt , dit-on ,
l'ouvrage du premier Lord de la Tréforerie ,
&qui fera, dit-on fort avantageux à la nation
en général ; mais on ne croit pas , s'il a
pour objet des économies , qu'il le ſoit également
aux particuliers. On convient que la
fuppreffion de pluſieurs places , la diminution
des émolumens de quelques autres , font les
opérations par leſquelles on devoit commencer.;
il y along-temps que le peuple défire
cette réforme , & que ceux qui font intéreffés
à ce qu'elle n'ait pas lieu , s'y ſont oppofés
avec fuccés.
La néceſſité d'une réforme & celle du rétablicfement
de l'ordre dans différentes parties. des
( 63 )
finances , dit unde nos papiers , n'ont jamais été
ſi généralement ſenties. La dette non fondée
exige ſur-tout l'attention prompte de l'adminiftation
; elle monte à la ſomme énorme de 33.
millions ſterling , qui en coutent annuellement
à l'Etat 1,514,000. On peut en juger par l'apperçu
ſuivant , dont les calculs , loin d'être exar
gérés , ſont peut-être au-deſſous de la réalité.
Les annuités temporelles qui ont été accordées
pour 77 ans , à compter du 5 Janvier dernier »
montent annuellement à 80,000 liv. sterling.
Les annuités perpétuelles accordées dans le même
temps font un objet de 480,000 liv.-L'intérêt
de 10 millions de billets de l'échiquier à
3 p. eſt de 350,000 liv.-Celui de 13 millions
de billets de marine & d'artillerie qu'on
peut fonder à4 pp.. vaà 585,000.-Il en coutera
annuellement en dépenſes extraordinaires,
fi l'on conſerve en circulation les 30 millions
de l'échiquier 4000 liv. ſterling. -Et les nouvelles
charges de la banque relatives au fardeau
decette année , & à celui qui réſultera du parti
qu'il faudra prendre enfin,de fonder les billets
de la marine & de l'artillerie, feront de 15,000
liv. ſterling. Telle eſt la nature & l'étendue de
la dette non fondée. Il eſt àdeſirer qujon lamette
en ordre auffi-tôt qu'il ſera poſſible ; car tant.
qu'elle reſtera dans cet état, on ne ſauroit mettre
en exécution aucun plan tendant à ſoulager
lanation de ſes charges peſantes qui ne ſauroient
être diminuées trop tôt.
Nos papiers , depuis la publication des
préliminaires de la paix avec la Hollande ,
qu'oncroitdevoir êtrebientôt ſuivis duTrai
té définitif entre notre Cour & cette Puiffance,
ne font remplis que de paragraphes
( 64 )
qui vantent les avantages que ces conditions
doivent procurer à notre commerce.
-
Les Hollandois , difent-ils , ne conſerveront
pas toujours le privilege excluſif de la vente
des épiceries ; la liberté qu'auront nos Vaiſſeaux
de s'approcher des iſles qui portent cette denrée
précieuſe , nous mettra tôt ou tard en état de
nous paſſer d'eux pour nous en approvifionner.
Les expériences que les François ont faites fur
la culture de la noix muſcade , & des autres épiceries
dans leurs établiſſemens , ſeront imitées fans
doute par toutes les autres Puiſſances qui feront
à portée de le faire. On lit dans une lettre
de la Barbade adreſſée par un Planteur à un de
ſes correſpondans à Dublin qu'on va y faire un
eſſai pour cultiver la noix muſcade. C'eſt un Hollandois
de Tabago , qui deſcend , dit-on , du
premier Gouverneur Européen qui fut envoyé
dans cette ifle , qui va tenter cet efſſai. Ila , diton
, obtenu une Patente pour cet effet , il s'eft
engagéà cultiver la noix muſcade , & à la rendre
égale en qualité à celles qui croiſſent ſur le ſol
de l'iſle de Ceylan. S'il a eu le ſuccès qu'il eſpere
, on doit s'attendre qu'on ne ſe bornera pas
à cette plante.
On ignore encore quand la Paix ſera publiée.
Le Roi , par une Proclamation du
26 de ce mois , a annoncé cet événement
à ſes ſujets , en leur déclarant que ſa volonté
eſt qu'ils obſervent fidélement les conditions
desTraités avec la France & l'Eſpagne , tant
ſur terre que fur mer. Il n'eſt pas queſtion
des Américains ni des Hollandois, parce que
les ratifications des premiers ne ſont pas encore
arrivées , & que le Traité définitif n'eſt
pas encore conclu avec les derniers. C'eſt ce
( 65 )
qui retarde ſans doute la publication formelle
de cet événement ; pluſieurs perſonnes
ont demandé des informations au Bureau
des Héraults ſur l'époque où elle aura lieu ;
ils ont répondu qu'ils n'avoient reçu à ce
ſujet que l'ordre général de ſe tenir prêts.
Il paroît à préſent que cette cérémonie n'aura
lieu qu'après que le Traité définitif avec la
Hollande aura été ſigné.
La contrebande , écrit-on de Fowey , eſt telle
dans cette partie , que ſi l'on ne prend des mefures
efficaces pour s'y oppoſer , ou peut s'attendre
aux plus fâcheuſes conféquences. On auroit
beſoin de quelquesdétachemens de Dragons pour
veiller ſur la côte , ſans cela il ſera impoſſible
aux Officiers des revenus de recueillir les impôts
, & ils ont beſoin de cette protection contre
les Contrebandiers qui font très- nombreux , &
devant leſquels ils n'oſent pas ſe préſenter. On
les voit braver les Employés en plein jour , débarquer
à main armée leurs marchandises , éloigner
les ſurveillans par la violence , & les retenir,
pendant qu'ils font paſſer leurs denrées dans
les dépôts dont ils ne ſe ſoucient pas de leur donner
la connoiſſance .
Dans un moment où l'imagination de
quelques perſonnes , travaillant ſur les nouvelles
découvertes de la Phyſique , s'occupe
en France de la poſſibilité de voyager dans
les airs au moyen de la machine aëroſtatique,
on s'occupe ici des moyens de marcher dans
l'eau , opération qui n'eſt ſans doute pas
moins merveilleuſe. S'il faut en croire nos
papiers , cette entrepriſe eſt très- avancée,
& c'eſt ainſi qu'ils en parlent.
( 66 )
*Un génie extraordinaire , M. Wright , a
conſtruit une machine très-ingénieuſe , qu'il ap
pelle habit à plongeur , & qui est bien ſupérieure
à toutes les cloches inventées juſqu'ici , & qui
n'ont été que le cercueil des plongeurs inſenſés
qui ont riſqué de s'y confier. Les dangers de
ſe noyer & d'être ſuffoqué ſont rendus impoffibles
par cette machine. L'appareil entier ne pefe
que 2 livres & 7 onces . On le place au- tour
du col , & il n'enveloppe que la tête , laiſſant
les bras & les pieds du plongeur parfaitement
libres. Pluſieurs membres de la ſociété royale auxquels
il la montrée en parlent avec enthouſiaſme.
Il en fit l'eſſai dans la riviere de Nenqui coule
de Wisbeck à Northamptondans l'endroit appellé
Peerleſs - Pool , où elle eſt profonde de 29 pieds
& il demeura ſous l'eau 3 heures & 17 minutes
marchant en long& en large un eſpace évalué
à 2 milles , ramaſſant les foffiles qu'il trouvoit
, & qu'il faiſait paſſer à la ſurface de l'eau
par le moyen d'une corde fine de crin qu'il lachoit
à volonté , & qui ſurnageoit auſſi-tôt; il
amufa ainſi la foule nombreuſe des ſpectateurs
par diverſes expériences en marchant dans
un élément dans lequel aucun homme avant lui
n'avait pu vivre ; la conſtruction de la machine
tui donne la forme d'un globe; elle a 12 pouces
de diamettre avec des verres qui lui permettent
de voir devant lui. Au ſommet font
deux tuyeaux de cuir , avec des anneaux dans
P'intérieur qui préviennent l'inconvénient de la
preffion.Cestuyeaux ont l'étendue néceſſaire pour
flotter ſur la ſurface de l'eau ; il y a pratiqué
des ſoupapes qui ſont diſpofées de maniere à
ouvrir le paffage à l'air , & à le fermer à l'eau.
On peut attendre d'hommes tels que MM.
Wright &Mongolfier les moyens de voler juſqu'à
( 67 )
la lune , & de voyager à pied de Douvres
Calais avec auſſi peu d'embarras que ſi nous
étions ſur terre.
Aux détails de cette découverte , au moins
finguliere , mais qui eſt encore un enfant
naiſſant à élever , & qui ne tiendra peut-être
pas tout ce qu'on s'en promet , nous joindrons
une anecdote d'un autre genre ; on la
préſente comme un fait , & elle n'en paroîtra
pas moins étrange à nos Lecteurs.
>> Je vous enverrai aujourd'hui , écrit- on de
Dublin , une rélation très- ſinguliere. Un capitaine
, un lieutenant, un enſeigne & 80hommes
furent envoyés en 1769 de quelque partie de
l'Amérique , & on préfume que c'eſt du Canada,
dans un autre endroit de cet immenſe continent ,
mais fort loin au Nord , pour protéger une forêt
très -vaſte que les Indiens du voiſinage vouloient
détruire. L'officier & ſa compagnie abſolument
étrangers au pays , furent guidés juſques-là à
travers des routes ſauvages & déſertes par un
petit nombre d'Indiens amis. A leur arrivée , ils
fonderent un fort , & éleverent au tour les bâtimens
dont ils avoient beſoin , & ſe défendirent
eux-mêmes & la'place comme ils purent , tant
qu'ils conſerverent l'eſpérance de recevoir les
fecours , les matériaux& les proviſions qu'on leur
avoit promis. Heureuſement le capitaine & fon
monde perfuadés que le meilleur moyen de for
mer leur établiſſement dans cet endroit étoit de
ſe concilier les ſauvages voiſins , ſe conduiſirent
en conféquence; fans cela ils euffent été tous
maſſacrés. Leurs diſpoſitions pacifiques les firent
bien recevoir ; on les aida même lorſque les proviſions
leur manquerent ;on leur enſeigna à vivre
àla maniere des Indiens , & après avoir vu que
( 68 )
toutes les tentatives qu'ils avoient faites pour
faire paſſer de leurs nouvelles à ceux qui les
avoient envoyés là , étoient inutiles , qu'ils étoient
abandonnés , ils ſongerent à ceder àla néceſſité
& àvivre en ſauvages avec les ſauvages . Ils ſe
mêlerent avec eux , prirent part à leurs travaux
, à leurs chaſſes , à leurs guerres ; pluſieurs
périrent dans ces différens exercices , ſoit par le
climat , ſoit par le changement de maniere de
vivre , ſoit par les fleches des Indiens ennemis
de la peuplade à laquelle ils s'étoientalliés. Ils font
reftés dans cette ſituation juſqu'au mois d'Avril
dernier , & ils étoient réduits au capitaine &
à 14 hommes. Le haſard leur préſenta à cette
époque quelques Indiens qui leur offrirent de les
conduire dans le Canada. Ils s'empreſſerent de
profiter de cette occafion , avec la permiſſion de
leurs amis avec lesquels ils avoient veçu près
de 14 ans. Ils arriverent à Quebec fans aucun
accident & fans perdre un ſeul homme ; y ayant
trouvé un vaiſſeau prêt à mettre à la voile pour
l'Irlande , ils s'y embarquerent , & font arrivés
à Corke Le capitaine y a laiſſe ſon monde &
a été à Dublin , d'où il ſe propoſe de venir à
Londres expoſer au roi ſes avantures , ſa ſituation
&cellede ſes compagnons : la fingularité
de leurs fouffrances , leur ſituation déplorable ſont
faites pour toucherun prince ſenſible & généreux
qui les dédommagera fans doute de toutes leurs
peines paſſées.
Le Traité de Paix conclu par la Compagnie
des Indes avec les Marattes , contient en
ſubſtance.
1. Tous les pays, places, cités& forts , y compris
Baſſeen , &c. pris ſur le Peshwa pendant la guerre
qui s'eſt allumée depuis le traité conclu par le Colonel
Upton , leur feront rendus dans l'eſpace de
( 69 )
euxmois après la concluſion de ce traité .
2. Salfette & les Iſles d'Elephanta , Caranja &
Hog , reſter ont à perpétuité dans la poſſeſſiondes
Anglois. Si pendant la guerre il en a été pris
quelques autres , elles ſeront rendues au Peshwa.
- Le Peshwa & les Chefs de l'Etat Maratte
cédent pour jamais à la Compagnie tous droits &
titres ſur la ville de Baroach. 4°. Les Anglois
renoncent au pays de trois lacks de roupies que
le Peshwa étoit convenu de leur céder dans le
traité du Colonel Upton. --5 °. 5 Pour prévenir
toutediſpute ſur le pays donné aux Anglois par
Seeagee & Fully Sing Gwickwar , dont il eſt fait
mention dans l'article VII du Traité du Colonel
Upton , le rendront au Gwickwar , s'il fait partie
de ſon territoire , & au Peshwa s'il fait partie du
fien.- 6 ° . LesAnglois ayant accordéà Ragonaut.
Row un terme de quatre mois , pour fixer le lieu
de ſa réſidence , après ce terme ne lui accorderont
aucun appui, protection ou afſiſtance , & ne
lui fourniront point d'argent , & le Peshwa promet
que ſi Ragonot Row veut ſe rendre volontairement
pres de Maha Rajach Madhoo Row Scindia,
& réſider paiſiblement avec lui , il lui ſera payé
tous les mois 25000 roupies pour ſon entretien
&c. - Chaque partie fera la paix
avec les alliés de l'autre de la maniere ma ci-après .
-8°. Le territoire que Fully Gwickwar poſſédoit
au commencement de la guerre , reſtera en
ſa poſſeſſion ſur le pied ordinaire , il payera au
Peshwa le tribut d'uſage avant laguerre . - Le
Nabab Hyder Ally Cawn ayant conclu un Traité
avec le Peshwa , troublé & pris poffeffion de
territoires appartenans aux Anglois & à leurs
alliés; lePeshwa s'engage à l'obliger à les reſtia
tuer. Les priſonniers faits de part & d'autres ſeront
élargis , & l'on forcera Hyder Ally Cawn à
,
( 70 )
Evacuer ceux des territoires appartenans à la
Compagnie & à ſes alliés, qu'il peut avoir pris depuis
le 9 du mois de Ramzam , dans l'année
1180, date de ſonTraité avec le Peshwa, ils ſeront
en conféquence rendus fix mois après le Traité;
&les Anglois auſſi longtemps qu'Hyder Ally
Cawn s'abſtiendra d'hoſtilités contre eux& leurs
Alliés ,& qu'il vivra en amitié avec le Peshwa ,
ne ſe conduiront point hoftilement envers lui.
-1 °. Le Peshwa promet , tant en (fon nom
qu'en celui de ſes Alliés , de maintenir la paix
envers les Anglois & leurs Alliés qui font la
même promeſſe. 11°. La navigation des navires
reſpectifs ne ſera point troublée. 12º. Les Anglois
jouiront du (privilege du commerce comme
ci-devant dans les territoires des Marattes . Les
ſujets du Peshwa jouirontde la réciprocité dans
ceux des Anglois. (-13°. Le Peshwa promet
de ne ſouffrir qu'aucunes factoreries européennes
s'établiſſent ſur ſes territoires , ou sur ceux des
chefs qui dépendent de lui , à la ſeule exceptiondecelles
qui ſont déja établies par les Porrugais
; qu'il n'aura aucun commerce d'amitié
avec aucune autre nation européenne ; & les Anglois
promettent de ne donner d'aſſiſtance à aucune
nation'du Decan & de l'Indoſtan en inimitié
avec le Peshwa. 14°. Les Anglois & le
Peshwa conviennent mutuellement de ne donner
aucune eſpece d'aſſiſtance aux ennemis reſpectifs.
-15°. Les ſujets de part &d'autre n'agiront
point d'une maniere contraire à ce traité.
16. La compagnie & le Peshwa , ayant la plus
entiere confiance dans Maha Rajah Subadar ,
Madhoo Row Scindia Behader , l'ont requis d'être
garant de ce traité ; en conféquence il s'eſt
chargé de la garantie mutuelle ; & dans le cas
où l'une des parties,en enfreindroit les condi
( 71 )
-
fions , il ſe rangera du côté de l'autre partie.
17. Tous territoires , forts ou cités du
Guzzerat , cédés aux Anglois par RagonautRow
avant le traité du Colonel Upton , & dont la
reſtitution a été ftipulée dans l'article VII dudit
traité , feront reſtitués . Ce traité confiftant
en 17 articles eſt conclu à Salbey , dans le camp
de Maha Rajah Subadar Mabomed Row Scindia ,
le 4 du mois Jemmad ul Saany , dans l'année
1187 de l'Hégire , laquelle correſpond avec le
11 Mai 1782 , de l'ere chrétienne , par ledit
Maha Rajah & M. David Anderſon.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 7 Octobre:
Le Marquis de Noailles , nommé précé
demment Ambaſſadeur Extraordinaire à la
Cour de l'Empereur, ſe préparant à ſe rendre
à ſa deſtination , a eu l'honneur de prendre
congé de S. M. , à laquelle il a été préſenté
par le Comte deVergennes, Chefdu Conſeil
Royal des Finances & Secretaire d'Etat ,
ayant leDépartement des Affaires étrangeres.
M. Migneron , Auteur de l'amélioration
&ceintrage des bois , a eu l'honneur d'être
préſenté à S. M, par le Comte d'Angivilliers ,
Directeur & Ordonnateur Général des Bâtimens
du Roi , & de mettre ſous ſes yeux un
modele de pont en bois ceintrés , qui peut
être exécuté d'une ſeule arche ſur toutes les
rivieres; il a démontré en même tems à S. M.
Pavantage que l'on peut tirer pour la conftruction
des Bâtimens , de l'emploi de ces
bois améliorés & ceintrés (1 ) .
(1) Les découvertes que M. Migneron préfente aupu
( 72 )
Dom Guillaume Coutans , Bénédictin de
l'Abbaye de Lagny-fur-Marne , a eu l'honneur
de préſenter à L. M. & à la Famille
Royale la 9º fuite duTabeau topographique,
dont le Roi a bien voulu agréer la dédicace.
Le chevalier de Seytres-Caumont , chargé
des affaires du Roi Malte , de retour en
cette Cour par congé , a eu le 14 de ce
mois l'honneur d'être préſenté à Sa Majeſté
par le maréchal de Castries , Miniſtre &
Secrétaire d'Etat ayant le département do
la Marine.
La Cour eſt partie d'ici , le 6 de ce
mois , pour aller au Château de Choify ,
d'où elle ſe rendra , le 9 à Fontainebleau.
Monſeigneur le Dauphin ira au Château
de la Muette , pour y reſter pendant le ſéjour
de la Cour à Fontainebleau , où Mefdames
Adelaïde & Victoire de France ſe
rendront auſſi le 10.
DE PARIS , le 7 Octobre.
M. le Duc de Crillon & de Mahon vient
de donner à l'occaſion de la naiſſance des
deux Infants jumeaux dont la Princeſſe des
Afturies eſt accouchée , une fête à laquelle il
a invité tout ce que la Cour & la Ville offrent
deplusdiftingué.
« Cette fête a eu lieu le r de ce mois dans
le bois de Boulogne ; les perſonnes invitées fublic
ſont appuyées des témoignages rendus à l'Académie
des Sciences par M. Peronnet , premier Ingénieur des
Ponts & Chaufftes , & l'Abbé Boſſur , Commiſſaires nommés
par l'Académie, pour vérifier la ſolidisé de ces fortes
deponts.
rent
( 73 )
rent reçues dans le château de la Muette ; on
en ſortitpour ſe rendre à la ſalle des ſpectacles ,
où les Comédiens François repréſenterent l'Anglois
à Bordeaux & le proverbe des trois Aveugles.
Aun feu d'artifice ſuccéda un ſouper ſervi
Tur différentes tables dreſſées dans la falle de
Ranelag. On lança enſuite un ballon de 6 piés
de diamettre , auquel on avoit ſuſpendu un panier
entouré de quelques bougies ; on ne l'abandonna
à lui-même qu'après l'avoir laiſſé fufpendu
quelque temps à 25 à 30 piés , pour
qu'on pût lire les deviſes & les vers dont il étoit
chargé. Comme le temps étoit fort ſerein
ne le perdit de vue que long-temps après qu'il
ſe fut élevé , & ona ſu enſuite qu'il étoit tombé
àBoulogne. La fête fut terminée par un bal qui fut
prolongé juſques vers les 7 heures du matin.
L'ordre& le goût qui ont régné dans cette fête
la variété des amuſemens qu'elle preſentoit , le
concours des plus jolies femmes & de la compagnie
la mieux choiſie , tout a ſecondé l'intention
de l'ordonnateur & a paru digne de rappeller
l'heureux événement qu'il vouloit célébrer.
on
Nous ne pouvons refuſer l'inſertion de la
lettre ſuivante que nous avons reçue ; c'eſt
une erreur que nous rectifions , & une fatisfaction
que nous devons à un pere , qui reclame
ce titre ſur un fils qui a ſervi avec
gloire & avec diftinction , & auquel il doit
etre fatisfait d'avoir donné le jour.
« Vous vous êtes trompé , M. , en faiſant M.
Bouvet , arrivé de l'Inde le 24 Août dernier , fils
de M. Bouvet . Capitaine de vaiſſeau du Roi. II
eft fils d'un ingénieur de la marine de Saint-
Servant prés Saint - Malo. Quoique ce ſoit la
même famille , le pere juge à propos de récla
N°.41 . 11 Octobre 1783 . d
( 74)
mer fon fils avec d'autant plus d'empreſſement
& de tendreſſe , que c'eſt le ſeul qui lui refle
de quatre qu'il a eu enſemble comme auxiliaires
au ſervice du Roi , dont 3 ont péri dans ceite
guerre, en montrant autant de courage & de
zele pour la gloire de la nation , que leur aîné
dont il eſt queſtion.
Tous les Officiers qui devoient s'affembler
le 20 du mois dernier à l'Orient , pour
le Conſeil de Guerre qui doit s'y tenir , y
étoient arrivés avant cette époque ; mais
M. le Comte de Guichen ayant été obligé
de retourner à Morlaix pour revoir le Procès
de M. le Chevalier de Vigny , les premieres
féances du Conseil de Guerre de l'Orient
font remiſes , dit- on , au 10 de ce mois.
: On a commencé à Cherbourg à jetter en
mer les caiſſes qui doivent ſervir aux fondemens
des Forts. On n'oſe pas encore ſe
promettre un plein ſuccès , & on craint que
le fond ne foit pas affez bon pour foutenir
des maſſes auſſi lourdes , & qu'un coup de
iner ne détruiſe encore ces grands travaux.
Parmi les grandes entrepriſes il ne faut pas
oublier celle qu'ont en vue les Etats de Languedoc.
Depuis long-temps ils defirent de mettre
le port d'Agde en état de recevoir des vaiſ
ſeaux comme par le paflé. Le Gouvernement a
chargé M. Groignard de ſe rendre ſur les lieux
pour examiner ſi là choſe eſt praticable. Cet
Ingénieur général de la marine a été reçu à
Agde comme un Dieu tutelaire , & il a récom -
penſé les citoyens de l'affection & de la confidération
qu'ils lui ont témoignées , en les aflurant
qu'il leur donnera 17 piés d'eau à l'entrée
de leur port, ce qui ſeroit ſuffifant pour y ad.
( 75 )
mettre des fluttes &des gabarres de 1000 à 1200-
tonneaux; il ne s'agit plus actuellement que de
trouver les fonds néceſſaires pour cet objet , &
il paroît que la Province eſt diſpoſée à en fournir
la plusgrande partie.Ce port , par ſa proximité
avec le canal de Languedoc , deviendra
bientôt l'entrepôt de Marseille , de l'Eſpagne , de
la côte de Barbarie , &c. - Ce n'eſt pas ſeulement
en France que les grands talents de M.
Groignard ſont connus , appréciés & employés ;
on l'a demandé en Hollande pour le charger
des travaux de quelques-uns des ports de la République
, qui comme celui d'Agde , ſe trouvant
bouchés par les atterriſſemens , ne peuvent
plus recevoir de gros vaiſſeaux .
Les chaleurs exceſſives de l'été , & la prodigieuſe
quantité de fruits , bien plus que la
mauvaiſe qualité qu'on leur ſuppoſe en divers
endroits , ont occaſionné depuis deux mois ,
& principalement dans les campagnes , des
maladies putrides & des fievres de toute efpece
; elles ont attaqué M. le Duc d'Orléans
à Sainte-Affiſe , où ce Prince paſſe la belle
faifon. A la premiere nouvelle de fon indifpoſition
, Madame la Ducheſſe de Chartres
a volé auprès de lui ; les accès n'ont pas été
longs ; le Prince a été en état de fortir &
dechaffer , il y a quelques jours , en caleche.
Les expérience de M. de Mongolfier vont bientôt
recommencer ; on travaile à la réparation
de la grande machine , à laquelle on ajoute quelaunes
de toiles pour l'agrandir ; on en double
le haut , parce qu'on s'eſt apperçu que c'eſt-là
où ſe fait le plus grandeffort du gaz. Un homme
s'élévera , dit-on , avec la machine dans les pre
d2
( 76 )
mieres expériences. On établira dans la cage
qui le contiendra un fourneau propre à former
du gaz , à mesure qu'il y aura déperdirion de
celui renfermé dans la machine : lorſqu'il voudra
deſcendre , il ouvrira une foupape qu'on
prépare à cet effet , pour donner entrée à l'air
armotſphérique : ce ſera , dit-on, l'un des ouvriers
les plus intelligens qu'on choiſira pour cela. Cet
homme avoit déjà fait les plus fortes inſtances
pour accompagner celle qui s'éléva aux yeux du
Roi; on ſe refuſa à ſes defirs , & comme le Roi
a voulu qu'on prit ſoin dans ſa ménagerie du
mouton qui ſervit à cette expérience. « Voyezyous
, dit cet homme , quelle fortune je faisois , fi
l'on m'eût permis de me mettre àſa place comme
je le demandois ; & le Roi , qui s'est intéreſſé au
fort d'un animal , qui lui aſſure une nourriture certaine
& une vie tranquille , n'auroit pas dédaignė
d'enfaire autant pour un pauvre ouvrier.
On lit dans diverſes feuilles une anecdote
aſſez plaiſante ſur ces nouvelles machines ,
peut- être n'est- elle en effet qu'une plaifanterie.
Quoi qu'il en ſoit , nous la tranfcrirons.
On nous mande de Péronne , qu'un Marchand
de Bruxelles , ayant commandé so Ballons d'air
inflammable , à ſon Commiſſionnaire de Paris ,
ce dernier les lui a expédiés auffi-tôt parune voiture
publique. Etant arrivés au Bureau des Fermes
du Roi de cette premiere Ville , les Commis
voulurent s'aſſurer ſi la caiſſe qui contenoit ces
Ballons ne recéloit rien qui dût payer les droits
preſcrits dans leur tarif. Le Facteur de la Diligence
eut beau leur dire que c'étoit des Ballons
remplis d'air inflammable , ils ne voulurent point
le croire ſur ſa parole & ouvrirent la caiſſe : dans
l'inſtant ces Ballons commencerent à s'ébranler ,
prirent leur effor & s'éleverent dans les airs , au
( 77 )
grand étonnement des Viſiteurs , qui prirent la
fuite de frayeur.
La lettre que nous venons de recevoir
ne peut que faire plaifir à ceux qui s'occupent
des ballons aéroſtatiques , des moyens
de les perfectionner ,&des applications qu'on
peut en faire.
,
Comme dans ce moment le Public & les Savans
paroiſſent fort occupés des Ballons Aero -ftatiques
& des moyens de naviguer dans les airs.
J'ai cru que vous voudriez bien annoncer dans
votre Journal qu'il exiſte dans des ouvrages anciens
des recherches qui ont les mêmes expériences
pour objet; on les trouvera raſſemblées dans
un livre publié en 1700 , ſous le double titre de
Inventa Nov antiqua , le frontiſpice porte Georgii
Pafchii Gedanensis Phil. D. ejusdem que inAcadem'a
quæ Kiloni Holfatorum eft Prof. ord. de novis
inventis , quorum accuratiori cultui facem prætulit
antiquitas . &c . Editio ſecunda Lipfie 1700 , 1 vol.
in-4. A la page 625 , 5. XXVI , on trouvera
qu'un Pere Lana , Religieux Italien paroît
avoir le premier imaginé des moyens de s'élever
dans les airs , & de s'y foutenir par un art que
l'Auteur appelle Ars Aero - nautica. Le P. Lana
a publié ſa diſſertation ſur cette matiere , en Italien
, à Brescia en 1670 , dans un recueil , fous
le titre de Del prodromo premeſſo all'arte maestra,
où ce Pere traite fort au long au Chapitre VI.
de la navigation Aerienne. Pafchius a inféré dans
ſon livre cette diſſertation entiere du Pere Lana
traduite en latin , elle occupe environ dix pages :
il va joint au § XXVII. les témoignages de
pluſieurs Savans Auteurs qui ont cru que l'on ne
devoit pas regarder l'art de voler comme une
choſe à laquelle il eſt impoſſible de parvenir.
Je ſuis &c . Signé , D'H.
D3
( 78 )
Une lettre de Clermont en Auvergne
contient les détails ſuivans .
2 Le 19 Septembre , à trois heures après midi
le feu prit dans Montferrand , à une grange qui
contenoit environ 25 mille gerbes de différens
grains ; le progrès e. fut fi rapide , que trois
paylans qui y travailloient purent à peine ſe ſauver.
L'activité des ſecours adminiſtrés par les Cavaliers
du Régiment Royal -Navarre , ſecondés de
la Compagnie des Pompiers de la Ville , arrêta
cet incendie , qui s'étant déia communiqué au
toît des maiſons voiſines , inſpiroit les plus vives
alarmes . A dix heures du ſoir , on crut être
parvenu à avoir tout éteint , mais ſans la précaution
que l'on eût d'y laiſſer un corps degarde
de Cavalerie & de Pompiers , la Ville entiere eût
été embraſée ; lefeu , qui avoit miné ſous un
gerbier énorme , ſe man feita (ncore à minuit ; le
vent qui ſoufloit en ce moment , faifoit craindre
que les pailles enſtammées ne portaſſent
le feu dans toute la Ville , fi le gerbier avoit le
temps de s'allumer en entier. -Les Cavaliers le
chargerent de la commiffion délicate & dangereuſe
de retirer de la grange toutes les gerbes que
les pompes éteignirentà mesure qu'ils les arrachoient
enflammées du tas , pour les porter à
une place écartée ; cela fut exécuté avec tant de
rapidité & d'ordre , qu'on en a ſauvé une partie
confidérable de grains , mais fi pénétrés d'eau &
de fumée que les beftiaux refuſent de les manger.
Cet acte de zele où la plupart des Cavaliers 、
ont brûlé leurs fouliers & avarié leurs hardes , a
été ſuivi de leur part d'un trait qui leur fait encore
plus d'honneur. - Les Officiers Municipaux ,
après s'être acquittés le lendemain des remercimens
qu'ils devoient aux Officiers , avoient cru
devoir envoyer aux Cavaliers une gratification de
( 79 )
100 liv. Cette ſomme'ayant été diſtribuée auk
Chefs de chambrée , & par eux préſentée aux
Cavaliers , tous unanimement s'écrierent qu'ils ne
vouloient d'autre récompenſe que la fatisfaction
de s'être rendus utiles , & prierent d'appliquer
cette ſomme aux malheureux qui avoient ſouffert
de l'incendie.-Trois particuliers qui avoient
perdu toute leur récolte, appellés pour prendre
part à cette diſtribution , répondirent que leur
économie & leur travail les mettoient en état de
ſe paſſer de ce ſecours pour vivre. Mais que ce
malheur les réduisant à l'impoffibilité abfolue
d'aider des orphelins & trois familles indigentes &
nombreuſes , avec qui ils partageoient ordinaiment
leur pain, ils demandoient qu'on leur appliquât
leur quote part , ce qui fut fait fur le champ
-par les Députés des Cavaliers du Régiment.
Parmi les uſages anciens il en eſt de trèsfinguliers
, & qui ne font pas indignes de
la curiofité de l'Obſervateur & du Philofophe.
La ſource la plus fûre dans laquelle, on
puiſſe les puifer , eſt le dépôt des Réglemens
de Police ; ils tiennent aux uſages , ils n'en
condamnent aucun qui n'ait exifté.
Nous avons dans nos archives , écrit on de
Troyes une Ordonnance de Police du 12 Août
1612 , dont quelques extraits pourront paroî
tre piquans. Je les préſenterai lans yjoindre aucune
réflexion. Par cette ordonnance publiée
dans tous les carrefours de la ville , les reven
deurs , tant aux changes , qu'au petit marché
près Notre Dame , devoient à l'Exécuteur de
de la Hae Juſtice ſes étrennes en fruits à leur
difcrétion. Les patiffiers qui s'établiſſoient alors
tous les Samedis de carêmes tant aux changes
qu'au même petit marché , lui devoient chacun
d 4
( 80 )
tous les Samedis , deux maillées d'échaudés , &
le jour de l'an autant. Par la même ordonnance
les filles joyeuses uſant de leurs droits lui devoient
chacune cinq fols une fois ſeulement. Les ladres
qui ſe pourchaſſoient en cette ville lui en devoient
autantpour leur bienvenue , & ils étoient obligés
de lui donner un liard aux quatre bons jours de
l'année , s'ils se trouvoient àTroyes .
On mande de Metz un exemple de fécondité
bien extraordinaire .
Un cep de chaffelas me parut l'année derniere
chargé d'une fi grande quantité de grappes ,
que j'eus la curiofité de les faire compter eхас-
tement ; il s'en trouva 543. Cette année méme
curiofité , on en compte 561. Il n'y a que 5 ans
que le cep a été planté , & a remplacé un abricotier
ſur la face de la maiſon de mon vigneron
, Jean Darange à Juſſy , à l'expofition
du levant , la maiſon n'a environ que 4 toiſes de
face.
>> L'Académie des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Châlons fur- marne , tint le 25 du
mois dernier ſa ſéance publique dans laquelle
elie diſtribua trois Prix. Le premier , ſur les
moyens de rendre la Justice en France avec le plus
de célérité & le moins de frais poffibles , fut adjugé
à M. Buquet , Procureur du Roi hono
raire au Préfidial de Beauvais , dont le Mémoire
l'a remporté ſur douze qui avoient été préfentés
au concours. Le ſecond , ſur les moyens
d'améliorer en France la condition des Laboureurs ,
des Journaliers & hommes de peine , vivant dans
les Campagnes , & celle de leurs femmes & de leurs
enfans , fut accordé à un Mémoire dont l'Auteur
ne s'eſt pas fait connoître. Le Troiſieme ,
qui avoit pour ſujet les moyens de perfectionner
l'éducation des femmes en France , fut donné à
:
( 81 )
M. Dumas , Avocat à Lons-le-Saunier. L'Academie
propoſe pour ſujet du Prix qu'elle adjugera
le 25 Août 1785 , les moyens de faciliter &
d'encourager les Mariages en France , conciliés
avec le respect dû à la Religion & aux Moeurs publiques.
Elle adjugera dans la même aſſemblée un
Prix extraordinaire de 1200 liv. , ſur les moyens
d'animer le Commerce en Champagne , & particuliérement
dans la ville de Châlons . Les Mémoires
écrits en françois ou en latin ſeront adreſſés ,
francs de ports , à M. Sabbathier , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , avant le 1 Mars 1785 .
La même Académie a déjà prévenu le Public
qu'elle adjugeroit un autre Prix le 25 Août 1784 ,
fur les moyens de perfectionner l'Education des Cul
léges en France.
L'Académie des Sciences , Inſcriptions & Belles-
Lettres de Toulouſe , a adjugé le prix fur
l'influence de FERMAT ſur ſon ſiecle , relativement
aux progrès de la haute Géométrie & du
calcul , & l'avantage que les Mathématiques ont
retiré depuis , & peuvent retirer encore de ſes
ouvrages à M. Genty , Docteur Agrégé en l'Univerſité
de Paris , de la Société Royale d'Agriculture
d'Orléans , Profeſſeur de Philoſophie au
College Royal de la même Ville. Elle a remis
à l'année 1785 le ſecond prix , dont le ſujet
eſt de déterminer tous les moyens les plus avantageux
de conduire dans la ville de Toulouſe
une quantité d'eau ſuffiſante , ſoit des ſources
éparſes dans le territoire de cette ville , ſoit du
fleuve qui baigne ſes murs , pour fournir en tout
temps dans les différens quartiers , aux beſoins
domeſtiques , aux incendies & à l'arroſement des
rues , des places , des quais & des promenades. Il
ſera de $400 . Elle propoſe pour le ſujet du
prix qu'elle diſtribuera en 1786 , de déterminer
ds
( 82 )
les moyens de conſtruire un pont de charpente de
24 piés de voie , &d'un ſeul jet , c'eſt - adire , ſans
piles , ſur une riviere de 450 piés de largeur
dont les rives font ſupérieures d'environ 25 pics
au niveau des eaux ordinaires .- Le ſujet du
prix de 1784 eſt toujours d'affigner les effets de
l'air & des fluides aériformes , introduits ou produits
dans le corps humain , relativement à l'économie
animale. Le prix ſera de cent piſtoles .
Pour le prix ordinaire de 1785 , qui ſera de 5001 .
elle propoſe d'expoſer les principales révolutions
que le commerce de Toulouſe a eſſuyées ; & les
moyens de l'animer, de l'étendre & de détruire les
obstacles , foit moraux , foit phyſiques , s'il en eft
qui s'oppoſent à ſon activité & à les progrès.
Les ouvrages adreſſés à M. l'Abbé de Rey , Secrétaire
perpétuel à Toulouſe , ne front reçus
que juſqu'au dernier de Janvier des années pour
Desprix deſquelles ils auront été composés.
Le Dimanche 3 Août 1783 , ſur les tro's
heures après midi écrit-on de S. Bohaire , un
orage extraordinaire venant du S. O. ayant la
direction au N. E. parcourut en moins d'une
heure & demie , plus de 20 lieues de terrein en
longueur , ſur la largeur d'environ une lieue.
-Tout ce qui s'efl rencontré ſur ſon paſſage,
comme maiſons , arbres , grains , &c. a été détruit
en tout ou en partie. - La partie de la
baffe Beauce , voiſine de la riviere de Loire a
Je plus fouffert. La pluye , la grelede la groſſeur
du pouce , étoient ſi abondantes , & le vent fi
impétueux , qu'en 5 minutes de temps en chaque
endroit les habitans virent périr leurs récol
tes qu'ils commençolent à moiffonner. La
Paroiſſe Saint Bohaire Diocèse de Blois , dépendante
de la terre de Foffé , dont M. le Chevalier de
Boileve , ancien Major de Breſt , eſt Seigneur , a
-
( 83 )
fur-tout éprouvé un déſaſtre affreux; fur les trois
heures & demie un foudre de vent précédé de
quelques fecondes d'une pluye & d'une grêle abon
dantes , a dans ſa courſe arraché ou caſſé les
arbres , dépouillé les vignes , emporté les grains
coupés , perdu ceux qui étoient fur pied , ren
verſé les cheminées , enlevé les toits en tout ou
en partie ; de 40 maiſons , fermes & moulins qui
compofent le Village , aucune n'a été intacte ,
même pluſieurs fermes voiſines appartenantes au
Seigneur , ont été endommagées conſidérablement.
Ce qu'il y a de plus déplorable , c'eſt
la deſtruction entiere de la charpente & couverture
de l'Egliſe de 56 pieds de long ſur 24 de
large , & 19 de hauteur de fêtage. Cette charpente
de chataignier quoique conſtruite en 1555
n'en étoit pas moins três belle & bonne. Elle
a été renverſée partie en dehors , & le reſte
en dedans de l'Egliſe ; c'étoit le jour du Patron
& pendant les Vépres . - 40 perſonnes ont
été bleffées ; 108 n'ont du leur falut qu'à la
bonté du lambris qui a retenu la plus grande
partie de la charpente. On ne peut peindre
J'image effrayante de ce moment défaſtreux .
Les malheureuſes victimes qui ne font pas reftées
ſous les décombres couvertes de ſang , &
toutes fangeuſes alloient au pied de l'autel du
Seigneur offrir un reſte de vie très - douteux . On
ne voyoit de tout côté que le ſang couler , &
P'on entendoit des cris lamentables ; pluſieurs
perſonnes retirées des décembres ont été adminiftrées
dans l'Egliſe,
Il ſemble que la providence a veillé à la
conſervation de tant de malheureux en danger .
Un ſeul jeune homme de 21 ans a été tué fur
la place. Il y a peu de fractures , mais reque
toutes les playes ont des découvertes d'os
d6
( 84 )
laplupart cauſées par la chûte des ardoiſes. On
n'en a pas trouvé un demi cent d'entieres. Il n'y
a pas une latte qui ſoit reſtée attachée au chevron.
Tout ce dégat a été fait dans l'eſpace de
4 ou 5 minutes. - M. l'Evêque de Blois dont
la bienfaiſance & le zele pour les pauvres font
fi connus a ſur le champ pourvu aux premiers
beſoins des malheureux , & donné des ordres
pour que rien ne leur manquât - M. l'Intendant
d'Orléans n'a pas plutôt été inſtruit de
ce déſaſtre qu'il a écrit au Prieur du lieu une
lettre de conſolation pour lui & ſes Paroiſſiens
avec promeſſe de venir à leurs ſecours. Son coeur
tendre & compâtiſſant n'a pas borné ſon zele
à des paroles ; peu de jours après , il s'eſt tranfporté
ſur les lieux ; y a pris une connoiſſance
détaillée des malheureux & de leur perte , a répandu
quelques largeffes , promis des ſecours plus
étendus , & fait eſpérer un prompt rétabliſſement
de l'Eglife.
Jean- Augustin de Fretat de Sarra , Evêque
de Nantes , eſt mort ſubitement le 20 Septembre
dans ſa ville épiſcopale , âgé de 57
ans. Une charité ſans bornes , jointe à la
pratique la plus conſtante de tous les devoirs
de l'Epiſcopat , lui avoit mérité l'eſtime générale
, & juftifie les regrets unanimes de
toute la Province de Bretagne.
Jacques- Marie de Caritat de Condorcet ,
né à Condorcet en Dauphiné, le 11 Novembre
1703 , & nommé Evêque de Gap en
1741 , d'Auxerre en 1754 , & de Lizieux en
1761 , eſt mort en cette derniere ville le 21
Septembre dernier , dans la 80°. année de
fon âge. Ce digne Prélat , reſpectable par ſa
( 85 )
bienfaiſance , donnoit tous les ans les deux
tiers de ſes revenus aux pauvres.
Victor- Leon de Fera Rouville , Prêtre ,
Prieur Commendataire de Saint Dizier de
Langres , eſt mort à Donnemarie enMontois
, le 21 Septembre , âgé de 74 ans.
Madeleine de Treffemanes-Brunet , mariée
le 20 Septembre 1750 à Louis de Felix la
Regnarde , Baron d'Olieres de Saint-Maime ,
Dauphin , Seigneur Comte de Grignan , &
autres lieux , eſt morte dans ſes Terres en
Provence , le 23 Septembre , âgé de 58 ans .
Ses vertus & fes qualités perſonnelles la font
regretter de tout ce qui la connoiſſoit.
François- Marie - Léonor de la Madeleine
de Ragny , Vicomte de la Madeleine , &c. ,
eſt mort à Clermont en Auvergne le 8 Juillet
dernier. Il avoit pour cinquieme aïeul François
de la Madeleine , Marquis de Ragny ,
Chevalier de l'Ordre du Roi à la promotion
de 1595 .
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , concernant la
Caiſſe d'Es ompte. Du 27 Septembre 1783 .
-La rareté du numéraire opérée par les circonſtances
de la guerre , qui ont empêché l'importation
annuelle & réguliere des matieres d'or.
& d'argent , en même temps que les especes.
ont été exportées au loin , a forcé le Commerce
, & fur tout celui de la ville de Paris ,
à recourir à la reſſource que le Gouvernement
a voulu lui ménager , en autoriſant l'établiſſement
de la Caiſſe d'Eſcompte.
Les Adminiſtrateurs , empreſſés de ſecourir
Le Commerce , ont eſcompté autant de Lettres
( 86 )
de change & de bons Effets ſur Particuliers
qu'il s'en est préſenté ; admis à payer cès Lettres
de change en argent ou en Billets de Caiffe
au Porteur , la confiance du Public , les a mis
dans le cas d'augmenter le nombre deſdits Billets
en proportion des beſoins des Commerçans
; mais la reſſource fur laquelle on a dû
compter pour remettre du numéraire dans la
circulation , ſe trouvant retardée dans ſes effets ,
il en réſulteroit pour la Caiſſe d'Eſcompte un
embarras momentané de continuer au Public
la facilité des Eſcomptes , dans l'impoſſibilité de
payer en eſpeces , & même de rembourſer en
argent comptant fes Billets lorſqu'ils lui font
préſentés en trop grande quantité , s'il n'y étoit
pourvu par S. M. Dans la néceſſité d'attendre
tout l'effet des reſſources que préſente le retour
de la Paix , & de continuer leur ſervice , ils
ne voient point de moyen plus aſſuré que d'être
autoriſés juſqu'au 1 Janvier prochain , époque
où la circulation des eſpeces ſera parfaitement
rétablie , à faire payer en Lettres de change
& bons Effets ſur Particuliers , exiftans dans la
Caiffe , les Billets de ladite Caiſſe , à ceux des
Porteurs qui ne voudront pas les laiffer dans
le commerce , aux offres qu'ils font d'en bonifier
l'escompte , s'il plaiſoit au Roi , moyennant
lesdites offres , de défendre juſqu'à ladite
époque du 1 Janvier , toute pourſuite contre
qui que ce ſoit , pour raiſon deſdits Billets au
Porteur , & d'ordonner qu'ils continueront d'avoir
cours , & d'être reçus & donnés pour comptant
dans toutes les Caiſſes générales & partculieres
dans la ville de Paris ſeulement. A quoi
voulant pourvoir , &c .
Autre , du 4 Octobre , qui ordonne l'ouver
ture d'un emprunt de vingt-quatre millions , en
( 87 )
deniers comptans ou en Billets de la Caiſſe d'E
compte. Cet emprunt , en forme de lotterie ,
fera ouvert au Tréſor Royal immédiatement
après la publication dudit Arrêt ; elle ſera de
60000 billets , à 400 liv . chacun , avec beaucoup
de chances de fortune , & l'aſſurance au
moins de la rentrée du capital & de l'intérêt
annuel . Le premier tirage , qui ſera fait au mois
d'Avril 1784 , ſera de 4000 billets , faiſant
1,961000 liv. payables en Octobre ſuivant. Le
deuxieme , en 1785 , de 5000 billets , & de
2,522000 liv. Le troiſieme , en 1786 , de 6000
billets , & de 3,121800 liv. Le quatrieme , en
1787 , de 7000 billets , & 3,919600 liv. Le
cinquieme , en 1788 , de 8000 billets , & de
4,652600 liv. Le ſixieme , en 1789 , de 9000
billets , & de 5,402800 liv . Le ſeptieme , en
1790 , de 10000 billets , & de 6,243400 liv .
Et le huitieme , en 1791 , de 11000 billets ,
& de 7,200000 liv.
Autre , du 4 Octobre , concernant les Payemens
de la Caiſſe d'Eſcompte. - Le Roi s'étant
fait repréſenter le procès-verbal dreſſé le
3 de ce mois , en vertu de ſes ordres , de la
vérification faire de l'état de la Caiſſe d'Efcompte :
& ayant reconnu que toutes déductions faites)
des Billets de lafite Caiſſe , payables aux porteurs
, qui circulent dans le Public , il lui reſte
en Lettres de change & bons Effets ſur particufiers
, outre la valeur des douze millions , à
quoi ſes fonds ont été fixés par l'Arrét du 22
Septembre 1776 , pour étre employés en totalité
à ſes opérations une ſomme affez forte ,
reſtant des bénéfices que les Actionnaires ne ſe
font point encore répartis ; S. M. a trouvé qu'il
étoit de ſa juſtice , & de l'intérêt du Commerce,
de manifeſter ce que ce réſultat préſente de fa(
88 )
tisfaiſant , & de donner aux Adminiſtrateurs de
la Caiſſe d'Eſcompte , une preuve de ſa confiance
, en leur laiſſant la liberté de n'uſer , en
faveur de ladite Caiſſe , de l'autorité des Arrêts
des 27 & 30 du mois paſſé , que de la
maniere qu'ils trouveront eux-mêmes la plus
convenable , en faiſant les payemens en deniers ,
à meſure des recouvremens , ainſi qu'ils y font
déjà autoriſés par l'Arrêt du 30 Septembre ; &
en leur continuant la faculté d'eſcompter les
Effets commerçables quand ils le jugeront à
propos , ſuivant la poſſibilité de ladite Caiſſe &
les beſoins du Commerce,
Les Numéros ſortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 85 , 84,68 , 48 &
9.
DE BRUXELLES , le 7 Octobre.
Le refus dans lequel perſiſte la province
de Friſe de payer une partie de fon contingent
, & le rapport qu'a fait de cette affaire
auxEtats-Généraux le Comité de L. H. P.
pour emprunter , à la charge de la province ,
la fomme néceſſaire pour remplir le déficit
&pour employer l'exécution contr'elle , ſi
elle ne confent pas à acquitter cet emprunt ,
font toujours beaucoup de bruit en Hollande.
Les Etats de Friſe ont écrit au Sta-
✓ dhouder , pour lui demander fon opinion
fur cette meſure , qu'en qualité, de Stadhouder
il doit être chargé d'exécutèr. Il leur a
répondu , en déclarant d'abord qu'il ne ſe
crovoit nallement dans l'obligation de leur
rendre aueen compte des avis qu'il donnoit
dans le Conſeil d'Etat , mais qu'il étoit dif
( 89 )
poſé à leur donner quelque ouverture ſur ce
ſujet , comme une preuve de ſa déférence.
Sa lettre contient en général des exhortations
& des voeux pour la conſervation de
l'union , & le maintien de l'eſprit de concorde
entre les confédérés. Il cite entr'autres
l'exemple d'un rapport ſemblable à celui
dont ſe plaignent les Etats Frife , & qui fut
fait avec leur attache le 17 Octobre 1771
contre les Etats de Zélande.
CC
,
Les Etats de Friſe , écrit-on de la Haye ;
n'ont point encore répliqué à cette lettre, on
s'attend qu'ils feront voir la différence qui ſe
trouve entre le cas où ils ſe trouvent & l'exemple
qu'on leur oppoſe. Ces différences ſont très vifibles
; on ſe rappelle que le rapport des Commiſſaires
de L. H. P. & l'avis qu'ils conſeilloient
n'eurent aucun effet en 1771 , & que
cette province refuſa constamment aux autres
Confédérés l'examen du véritable état de ſes
finances . En attendant les habitans de la
Friſe ont préſenté aux Etats de la province une
adreſſe ſur cet objet ; elle contient de plaintes
très-graves contre le rapport des Commiſſaires ,
&fur-tout de la propoſition faite par eux de
requérir pour une exécution le pouvoir & l'autorité
du Stadhouder , du premier Officier
d'Etat de la Province, en qualité de ſon Stadhouder
, & qui en même temps , comme ſon
Capitaine Général , eſt ſubordonné ſous ces deux
titres à l'autorité ſuprême de L. N. & G P. ,
devroit ſe mettre le premier à la breche pour
les garantir de toure attaque &de toute violence
On s'étend auffi dans cette adreſſe ſur l'état des
finances de la Province , ſur les efforts qu'elle
( १० )
a faits , & qui la mettent hors d'état de les
continuer. Cette pétition a été ſignée par un
très-grand nombre de citoyens de Leuwarde ,
& préſentée le 19 à L. N. & G. P. On en a
envoyé des copies dans les 19 autres villes &
dans les 30 diſtricts où l'on s'eſt empre ſſé de la
igner auffi. 1
L'Envoyé extraordinaire de Pruſſe auprès
des Etats-Généraux leur a préſenté un mémoire
, dans lequel il inſiſte ſur la réduction
du droit de left en veil geld , ( defret &
de tonnage ), que les Navires Pruſſiens paient
dans les ports de la République , comme
tous les autres , en conféquence de la réſolution
de L. H. P. qui avoit doublé ce
droit pour fubvenir aux dépenſes de la Marine.
La ville d'Utrecht a écrit derniérement
au Stadhouder , pour le prier de ne plus y
envoyer de troupes , dans le cas où il auroit
le deſſein d'en augmenter la garnifon ,
Ce qui ne lui paroit pas néceſſaire , & pour
l'engager , dans le cas où il voudroit la chan
ger , de donner des ordres pour que la nouvelle
garnifon n'entrât dans la ville , que
lorſque celle qu'elle doit relever en ſera
fortie.
On croit que le choixdes Provinces-Unies
pour leur Ambaſſadeur à la Cour d'Angleterre
, tombera ſur M. de Lynden , qui a
déja rempli l'Ambaſſade de Suede.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL . ET AUTRES .
On a demandé ſouvent dans nos papiers pu(
91 )
blics de quelle utilité pouvoit nous être Gibraltar
qui nous coute des ſommes immenfes. Pour
moi je redoute ces fortes de queſtions , parce
qu'elles font craindre que les Miniſtres ne cherchent
à fonder les ſentimens du public fur cet
objet , dans le cas où il ſeroient tentés de rendre
cette fortereſſe .
Les Colonies Françoiſes ont rapporté dans les
marchés de France pendant l'année 1782 les
ſommes ſuivantes , argent d'Angleterre. Saint-
Domingue , 4,326,000 liv. sterling ; la Martinique
, 1,140,000 ; la Guadeloupe , 1,450,500;
Surinam & Cayenne , &c. , 460,000 ; Ile de
France , 1,600,000 ; Ifle de Bourbon , 800,০০০ .
Total , 9,636,500 . liv . - L'Amirauté a réglé
ainſi le complet des équipages des vaifléaux de
garde dans les divers ports. Pour les vaiſſeaux de
90 canons , 650 ; pour ceux de 74 , 5203 pour
ceux de 64 , 460. Sur ce pied l'Angleterre aura
toujours une eſcadre prête à mettre à la voile .
-Les vaiſſeaux qui avoient été vus à la hauteur
de Spithead le 22 Septembre au foir , &
que d'abord on préſumoit être un eſcadre rufſe,
ne font que quelques bâtimens hollandois venant
dela pêche du Groenland ; leur groffeur les avoit
fait prendre pour des vaiſſeaux de guerre.
On a des lettres d'un Officier éttanger qui eſt
en Crimée ſous un nom & un habit tartare ;
il obſerve ce qui ſe paſſe dans cette preſqu'ifle.
Il marque que la Porte a un parti très- puiſſant
parmi ces peuples , & qu'il s'en faut de beaucoup
que la domination ruſſe y ſoit ſolidement
établie. Il ne manque , dit-il qu'un chef & des
munitions auxTartares pour obliger les troupes
ruſſes à ſe replier , & pour aller attaquer même
les frontieres de la Rudie. Courier du bas Rhin,
n°. 77.
( 92 )
Il n'eſt pas douteux que le changement de
Hoſpodar de Walachie ne déplaiſe infiniment
à la Ruffie ; peut-être elle ou ſes alliés auroientils
pu l'engager à abdiquer comme Sahim-Gheray,
ou à livrer ſa province comme le fit dans
la guerre derniere Ghliga Ghika . On eſpere
beaucoup de Drako Suzo ; ila , dit- on , de l'ef
prit & du mérite , & les Vaſſaux de l'Empire ,
qui ſe flattent peut-être en ſecret de profiter de
la foibleſſe du Gouvernement Ottoman , pour
ſe rendre independans ; paroiſſent bien réſolus
de ſe défendre contre les invaſions étrangeres .
Gazette de Cologne , nº . 154 .
Quoique les préparatifs de guerre continuent
dans les provinces Autrichiennes , on n'oſe pourtant
rien encore aſſurer ſur la guerre. Lorſque
S. M. I. avant ſon voyage en Moravie , parloit
de différens arrangements pour mettre le pays
en état de défenſe , on fit attention qu'il dit
poſitivement en parlant à un Magnat de Hongrie
: mais quand la guerre avec la Turquie aura
lieu , il nous faudra ſuſpendre tous ces changemens.
Je ne fais pas encore pour certain fi j'aurai
la guerre ; mais ce qui est sûr , c'eſt que la
Fuſée doit ſe démêler au commencement de
Novembre. Supplément à la Gazette d'Amsterdam
n°. 77
Selon quelques feuilles étrangeres la République
de Veniſe a fait avec l'Impératrice de
Ruffie un traité offenfif & défenſif de 20 ans ,
ſuivant lequel les Vénitiens doivent armer dix
vaiſſeaux de ligne & un nombre proportionné
de frégates & de galeres qui ſe joindront aux
eſcadres Ruſſes contre celle des Turcs . La République
deVeniſe s'oblige en outre par ce traité
à recevoir dans ſes ports les vaiſſeaux de guerre
Ruſſes , & à leur donner tous les ſecours dont
( 93 )
ils pourront avoir beſoin ; & l'Impératrice de
Ruffie s'engage de ſon côté à mettre les Vénitiens
en poffeffion de la Dalmatie & de toutes
les Iſles qui en dependent. La petite république
de Raguſe qui eſt dans le Golfe de Veniſe
reſtera ſeule indépendante comme auparavant. Selon
les mêmes feuilles étrangeres , une Cour
d'Allemagne a garanti ce nouveau traité aux
Vénitiens , Gazette d'Utrecht nº 77 .
Les Princes Héraclius , & Salomon qui regnent
en Georgie , viennent de ſe déclarer volontairement
vallaux de l'Empire de toutes les Ruffies.
Supplément à la même Gazette.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
La dixme des vins est- elle groſſe dixme.
>> Le ſieur Pliſſon , Curé de la Paroiſſe de Saint
Martin des Champs , près Mantes , a eſſayé de
foutenir la négative. -Les groſſes dixmes de
la Paroiſſe dont il s'agit appartiennent indiviſément
au Curé , à l'Abbaye royale de Saint-Corentin-
les-Mantes , & au Séminaire de Chartres ;
d'après le privilege particulier qu'a le Curé d'être
Fermier des dixmes ſans payer de taille , les Abbeſſes
lui ont de tout temps affermé leurs dixmes.
Les différens baux ont tous énoncé celle
des vins. Le dernier Titulaire étant mort au
commencement d'un bail des dixmes que l'Abbaye
venoit de lui paſſer , ſon héritier en a
continué l'exploitation. Le ſieur Pliffon , nommé
à la Cure en 1776 , a voulu tirer avantage
de cette poffeffion precieuſe de ſes Prédéceffeurs
, pour ſe faire un titre exclufif ſur la
dixme des vins. Il a fait aſſigner , le 17 Octobre
1778 , le Fermier de l'Abbaye , pour voir
dire qu'il ſeroit maintenu dans le droit de percevoir
, ſeul , en ſa qualité de Curé , à l'ex
(94 )
clufion de tous autres , la dixme des vins crûs
&recoltés ſur le territoire de ſa Paroiffe , avec
défenſe au Fermier de l'y troubler , ſous peine
de 100 liv. d'amende , & reſtitution de la dixme
perçue en 1778 , & dépens. Une Sentence par
défaut , du 28 Octobre 1778 , rendue au Siege
de Monfort-Lamaury , lui avoit adjugé ſes concluſions
, appel du Fermier. -Arrêt du 12
Eévrier 1783 , qui a mis l'appellation & ce au
néant , déchargé le Fermier des condamnations
contre lui prononcées , & débouté le Curé de
ſa demande , avec dépens ».
GRAND'CHAMBRE .
Instance entre le fieur le Grand , Fabriquant de
Gizés , & le fieur de Roncerai , Commiffionnaire
de Voitures . -Commiſſionnaire , garant
des avaries qui furviennent aux marchandises qu'il
Se charge de transporter.
L'avantage & la sûreté du Commerce exigent
cette garantie , à laquelle ie Commiſſionnaire
cherche toujours à ſe ſouſtraire . Le fieur le
Grand , voulant faire paſſer à la Foire de Francfort
une partie conſidérable de Gazes , s'adrefſa
au fieur de Roncerai , pour f ire parvenir
à Strasbourg une caiſſe de 316 Pieces de Gaze
à l'adreſſe du ſieur Eberts , fils , ſon Correſpondant
, & en reçut , comme il eſt d'uſage , une
Lettre de Voiture , qui portoit que le nommé
Daboc , Voiturier , étoit chargé de la caiffe.
Elle fut néanmoins confiée ſucceſſivement à
differens Voituriers , & finalement la Charette
ayant verſé dans un ruiſſeau , les Gazes furent
mouillées. Le ſieur le Grand fit aſſigner aux
Confuls le ſieur de Roncerai , pour le faire condamner
à lui payer 11145 liv . 7 ſols 6 deniers ,
valeur de la Gaze , & autres ſommes pour caiſſes ,
( 95 )
cartons, défaut de vente , & dommages & intérêts
, & fut déclaré non recevable .-Appel
en la Cour de la part du ſieur le Grand. -Arrêt
du 6 Avril 1783 , qui a infirmé la Sentence ,
déchargé le ſieur le Grand des condamnations
prononcées contre lui , & condamné le ſieur de
Roncerai , par corps , à payer au ſieur le Grand
la valeur des marchandises , avec intérêts du
jour de la demande & dépens. Faifant droit fur
Ja demande en garantie du ſieur de Roncerai
contre Michel André , Voiturier de Sainte-Marie-
aux Mines , a condamné ce dernier à l'acquitter
, garantir , & indemnifer de tout ce que
deſſus ; ſur le ſurplus des demandes des Parties ,
les a mis hors de Cour.
Testament mystique .
Il s'agit dans cette Cauſe du teſtament myftique
du ſieur Nicolas D., Notaire royal à .....
par lequel il a avantagé un de tes neveux , au
préjudice des autres. Les Parties mécontentes
ont cherché à le faire anéantir, parce que le
Noraire avoit oublié , dans l'acte de ſuſcription ,
d'inſerer en la déclaration que le teſtament étoit
ſigné du teſtateur. Sentence des Juges de Macon
qui en a prononcé la nullité. Arrêt confirmatif
du 30 Août 1783 .
PARLEMENT DA PROVENCE .
Le ſieur M. , Prêtre , réſidant à Marseille ,
poſſede , dans le Quartier de Saint- Barthélemy
de cette Ville , un domaine qui touche celui de
Ja dame B. , veuve du ſieur G. , ancien Courtier
de Marſeille. Be chemin qui conduit à ces
domaines eſt bordé de murailles; fa largeur eſt
de huit , neuf , & même douze pans. -Le
fieur M. ayant imaginé que la voiture de la dame
G. endommageoit ſes murailles , s'eſt pourvu ,
le 18 Mars 1779 , devant le Lieutenant au Siege
de Marseille , pour que défenſes fuſſent faites
( 96 )
de paſſer en voiture dans le chemin dont eft
queſtion , & d'y faire paſſer des charettes ou
tombereaux , à peine de tous dépens , dommages
& intérêts. - La dame G. défendit à cette
demande , & le ſieur M. en fut débouté par
ſentence. -Sur l'appel , Arrêt du 4 Mai 1783
qui déboute le ſieur M. de ſa demande , & le
condamne aux dépens. -CetAArrrrêêtt juge que
les chemins vicinaux ſont publics , & qu'on
peut y paffer à cheval ou avec des voitures ,
pourvu qu'il y ait poſſibilité phyſique .
PARLEMENT DE FLANDRES.
Portion congrue , provifion.
Le Curé de Fourmiers en Hainaut , n'ayant
qu'un gros de Cure très-modique , l'abandonna ,
& conclut contre les Abbés & Religieux de
Lieſſies à une portion congrue , telle que le
Parlementde Flandres la fixeroit. De leur côté
les Abbés & Religieux déclarerent qu'ils aban
donnoient leur dixme & leur titre de Curé primitif.
Les choses en cet état , la Communauté
de Fourmiers fut miſe en cauſe , & le Curé
prétendit qu'elle devoit , moyennant la rétroceffion
qu'il lui faiſoit , tant de ſon gros de
Cure que des objets abandonnés par l'Abbaye ,
ſupporter la charge de la portion congrue. La
Communauté ayant foutenu que cette charge
ne pouvoit la concerner , même ſubſidiairement ,
le Curé demanda la proviſion à la charge de
qui lil appartiendroit. Queſtion de ſavoir qui de
l'Abbaye ou de la Communauté devoit cette
provifion ? Arrêt du IL Août 1783 , au
rapport de M. le Boucq , qui , avant faire droit
au principal , ordonne aux Parties de conteſter
plus amplement ; & par provifion , condamne
Î'Abbaye de Lieflies à payer au Curé une portion
congrue de 500 florins , fauf a augmenter.
ou diminuer en définitive , & en la moitié
des dépens envers routes les Parties , l'autre
moitié réſervée.
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 18 OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA MORT DU PAUVRE ,
Fable imitée de l'Allemand.
CERETRATAIINN VicairedeParoiffe ,
Dans un hameau déſert fut un foir appelé ;
Il y court : que voit- il ? Un vieillard iſolé ,
Luttant contre la mort & ſa dernière angoiſſe.
Là , ſeul , ce malheureux défailloit ſans eſpoir ,
Dans une couche affreuſe & toute délâbrée .
Près d'une table démembrée
On voyoit un vieux coffre noir ;
Sur unmur enfumé pendoit un arrofoir ,
Une bêche luiſante , une ſcie acérée ,
Et c'étoit- là tout ſon avoir.
Le Prêtre , en contemplant ce funèbre manoir ,
Sentit fon âme déchirée.
Nº. 42 , 18 Octobre 1783 . E
:
:
98 MERCURE
-Oh ! mon ami ! lui dit-il auffi-tôt ,
Reprenez courage , bon père !
Quel est votre bonheur ! vous ſortirez bientôt
De la priſon du monde &de votre misère!
Quittons celieu d'exil , quittons ce lieu de pleurs
Où dans la peine nous vécûmes ;
Ce monde n'eſt pas fait pour attacher nos coeurs,
Vous en avez ſenti toutes les amertumes ,
Hélas ! & jamais ſes douceurs !
-Raſſurez- vous , j'ai peu connu la peine ,
Répondit le giſſant, j'ai bien vécu toujours ;
Et d'auffi loin qu'il me ſouvienne ,
Je n'ai manqué de rien , & j'ai coulé des jours
Dont l'amitié charma le cours .
Mon coeur n'a pas connu le tourment de la haine ,
L'envie encore moins ; ſans une grande gêne ,
J'ai dû ma ſubſiſtance au travail de mes mains ;
Mes outils que voilà , ma bêche & ma coignée ,
Megagnoient tous les matins
L'entretien de la journée .
Né d'un fort tempérament ,
Sans dettes , mon propre maître ,
Que me manquoit-il donc ? Oh ! rien aſſurément ,
Et je dois m'en aller fatisfait & content.
-Un tel diſcours ſurprend le Prêtre.
-Quoi ! vous n'avez enfin nul regret de mourir ,
Vous ne reſſentez nulle crainte ?
-Pourquoi, dit le Vieillardd'une voix preſqu'éteinte,
DE FRANCE.
وو
Pourquoi donc ce regret ? A quoi peut-il ſervir?
Dieu m'a , vous le voyez , fi long-temps fait jouir
Du ſpectacle des cieux , du bienfait de la vie ,
Et de ce beau ſoleil ſon image chérie !
Je ſerois bien ingrat de ne pas le bénir !
D'ailleurs à ce bon père , après ma maladie ,
Ne vais- je pas me réunir ?
Ce n'eſt qu'au ſeul méchant à craindre l'avenir ?
Ildit& meurt. - Omort digne d'envie !
(Par M. Couret de Villeneuve. )
A Mile DU CH *** , fur ce qu'elle a exigé
que , fur le champ ,j'écriviſſe en vers à
une Dame defa connoiſſance.
L'AIMABLE du Ch*** m'a pris au dépourvu.
Elle parle , commande , & veut être obéie ! ....
Vite , dit- elle , un impromptu.
Sur fon front à ces mots la gaze m'a paru
Se changer en turban , & moi je ine ſuis cru
Aux piés de Sa Hauteſſe , humble esclave enTurquie :
J'ai fait tout ce qu'elle a voulu.
Du CH*** s'y prend mal , je le vois : elle ignore
Qu'elle n'a pas beſoin de ce ton abſolu.
Le defir lui ſuffit , & ce defir encore
Eſt fait pour être prévenu.
(Par M. Félix-Nogaret. )
E ij
100 MERCURE
CHANSON fur le Globe Aëorostatique.
AIR: Eh ! mais oui-dà.
L'EMPEREUR de la Chine
Attendoit l'autre foir
La burleſque machine
Qu'enfin il n'a pu voir.
Eh ! mais oui-dà ,
Comment peut- on trouver du mal à çà ?
Par trop grande viteſſe ,
Dans une heure de temps ,
Elle fut dans Gonefle
Étonner les Savans,
Eh ! mais , &c.
MAIS , choſe bien plus drôle!
Blanchard , ſans s'effrayer ,
Du Cabinet d'Éole
Veut être le Courier.
Eh ! mais, &c.
IL n'a pour attelage
Qu'un modeſte zéphyr,
Ah! le joli voyage!
On revient fans partir,
Eh! mais , &c.
DE FRANCE. 101
SUR un Globe bizarre ,
Chacun dorénavant ,
Plus aſſuré qu'Icare ,
Dirigera le vent.
Eh! mais , &c.
O SI l'Académie
Peut un jour s'y loger,
Nul vaiſſeau , je parie ,
Ne ſera ſi léger.
Eh! mais , &c.
LES Curés de Village
Sauront , par le Journal ,
Qu'un Globe qui voyage
N'eſt pas un animal.
Eh ! mais , &c.
MALBOROUG rentre en terre ,
Et nos eſprits flottans
Vont au ſein du tonnerre
Chercher leurs paſſe-tems.
Eh! mais , &c.
Tour Globe eſt fait pour plaire ;
N'en ſoyez pas ſurpris ,
Ce qu'on aime à Cythère
On l'aime dans Paris .
Eh ! nais , &c.
E iij
ΖΟΣ MERCURE
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Lemot de la Charade eft Mariage ; celui
de l'énigme eſt Nil ; celui du Legogryphe
eſt Radamanthe , Juge des Enfers , où l'on
trouve ane , rade , ame , amant & amante ,
amaranthe , amande, rame.
CHARADE à Mile
:
V
:
***
ous n'avez jamais fait ni connu mon premier ,
Et ſon contraire a pour vous des appas ;
En vous voyant on devient mon dernier;
Onest mon tout quand on ne vous voit pas.
(ParM. Tarteron , de Ganges. )
A
ÉNIGME.
MI Lecteur , je ſuis hermaphrodite ;
Si je ſuis maſculin , par fois j'ai du mérite ,
Par fois auſſi je ſuis plein de fadeurs
Mais vois un peu que mon fort eſt bizarre ,
J'en deviens précieux en devenant plus rare.
Féminin , j'ai ſouvent plus de poids, de valeur ,
De mes enfans jetiens mon exiſtence ,
J'en ai bien plus quandje ſuis à Paris ,
DE
103
FRANCE.
J'en ai bien moins quand je ſuis en Provence.
Je ſuis d'uſage en preſque tous pays.
Eh bien , Lecteur , tu me connois , je gage.
Je pourrois bien en dire davantage ;
Mais c'eſt aſſez tourmenter ton eſprit ,
Peut- être même ai-je déjà trop dit.
(Par un Habitant deMénil-Montant. )
LOGOGRYPΗ Ε.
COMME l'aîn POMME l'aîné de tous mes frères ,
Je ſuis toujours le plus fêté ;
Jamais aucuns ſoins mercenaires
Ne troublent mon oiſiveré.
Tout à la parure , au plaifir ,
Le repos eſt ma loi ſuprême.
Je vois pourtant que pour me découvrir
Il faut , Lecteur , prendre un autre ſyſtème ;
Or ,le voici : huit pieds forment mon être.
Les fix derniers te montreront d'abord
Une mer que tu peux connoître ,
Et qui baigne la France au Nord.
En me décompoſant, c'eſt une autre fabrique ,
Où tu dois façonner un pronom perſonnel ;
Un repas; un ton de muſique ;
Un air qui n'eſt point naturel ;
Du pain une partie ; une Province en France ;
Un fidèle animal ; d'un arbre le ſommet ;
E iv
104 MERCURE
En Afie un Empire immenfe ;
Un Miniftre de Mahomet ;
Un titre prodigué; la Déeſſe légère
Qui métamorphoſa l'indifcret Acteon ;
Le mois , Lecteur , qui verdit la fougère,
Et l'inſtrument qui sème ta moiſſon.
(Par un Officier de Royal Étranger. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de Bernard de Fontenelle , l'un des
Quarante de l'Académie Françoiſe , Penſionnaire
de celle des Inſcriptions , &
Secrétaire Perpétuel de celle des Sciences.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés .
L'ACADÉMIE Françoiſe avoit propoſé ce
fujet pour ſon Prix d'Éloquence de cette
année. Elle n'a pas trouvé le ſujet rempli , &
elle a remis le Prix à l'année prochaine , en
propoſant encore le même Éloge. Ceux qui
donnent une certaine attention aux événemens
de notre Littérature , ont obſervé que
la couronne poétique étoit rarement adjugée
dans chaque concours , au lieu que
depuis très long temps la couronne d'éloquence
n'avoit pas été remiſe. Si l'on vouloit
expliquer cette différence , on remarqueroit
que communément les ſujets de
DE FRANCE. 109
poéſie ſont traités par de jeunes gens dont le
talent n'a pas encore atteint toute la maturite
, au lieu que les ſujets d'eloquence exigeant
davantage , ne ſont guères entrepris
que par des hommes qui ont déjà fait un
emploi ſérieux de leurs forces. Delà vient
qu'il y a ſouvent ſoixante Pièces dans le
concours de poefie , ſans qu'on puiffe trouver
dans une ſeule la meſure de talent &
de goût: néceffaire pour mériter le Prix ,
tandis qu'entre ſept à huit Diſcours , on en
trouve ordinairement un digne du Prix , &
pluſieurs autres qui en ont approché. On ne
peut attribuer qu'à des cauſes étrangères &
accidentelles l'impoſſibilité où s'eſt trouvée
l'Académie de couronner un Éloge de Fontenelle.
On ne peut croire que ce ſujet n'ait
pas tenté les talens dignes de le traiter. Si
Fontenelle n'eſt pas un des premiers hommes
dans les Sciences & dans les Lettres , c'eſt
au moins un des plus remarquables. Le
genrede fon talent , l'influence qu'il a eue ,
l'époque où il s'eſt trouvé place , ſon carac
tère perſonnel , tout ſe réunit pour le rendre
un objet fingulièrement piquant à peindre
& à apprécier. Mais cet Éloge eſt en
même temps très difficile; il appartient
peu à l'âme ; Fontenelle n'offre rien à
l'enthousiasme , il plaît ſans enchanter , il
étonne l'imagination ſans la frapper vivement
; il enrichit la penſée ſans l'élever. Ce
ſujet n'appartient pas non plus uniquement
à l'efprit. Il y a une foule de choſes dont l'efe
Ev
106 MERCURE
prit ſeul ne feroit pas un bon juge ,& l'éloge
de Fontenelle en préſente de ce genre. Comment
juger ſa manière d'écrire , la philoſophie
de ſes idées & celle de ſa conduite , ſi
on ne les compare pas à des principes différens
en morale& en littérature ?On a dit
que pour bien louer Fontenelle , il faudroit
un ſecond Fontenelle. Je ne crois cette idée
vraie qu'à moitié. Perſonne ne pourroit
mieux connoître & peindre un tel talent &
un tel caractère. Mais trop étranger à tous
les dons de l'âme & de l'imagination , renfermé
dans certaines qualités heureuſes &
brillantes , ce ſecond Fontenelle feroit comme
forcé de les préférer intérieurement , &
il lui feroit impoſſible d'entrer bien avant
dans les ſecrets d'une autre manière de penſer
& de ſentir. L'Éloge de cet Écrivain exigeroit
donc une philoſophie & un goût auxquels
un eſprit auſſi eminent & auffi exquis
que le fien n'a pu s'élever. Il demanderoit
auffi un ton de ſtyle , qui fans admettre les
grands mouvemens de l'ame & les riches
couleurs de l'imagination , en empruntant à
Fontenelle ces apperçus fijuſtes & fi fins qui
le caractériſent , & l'heureuſe ſingularité de
ſes expreſſions , en reproduiſant dans tout
le Diſcours ce calme actif & profond d'une
âme qui s'abandonne à tous les objets fans
s'en laiffer dominer , s'éleveroit quelquefois
à cette dignité avec laquelle on doit pro
noncer entre les talens & les gloires , & à
cette éloquence néceſſaire pour reconquérir
DE FRANCE.
107
aux Arts & à la vertu méme l'énergie des
paflions & la chaleur de l'enthouſiaſime. II
eſt aiſe ſans doute de concevoir tout ce que
demande un tel ſujet. La grande difficulté
eft de réunir & de bien employer tant de
qualités qui s'excluent peut- être , loin de
s'appeler . Aufli , lorſqu'on fait ou lorſqu'on
lit des plans d'Ouvrages tels que celui que je
trace ici , on doit toujours ſe tenir tout prêt
à reconnoître encore un grand mérite dans
un Écrit qui ne raſſembleroit pas toutes les
qualités qu'on avoit defirées .
Comme il eſt pluſieurs manières d'écrire
un Éloge , il en eſt auffi pluſieurs d'en envifager
le ſujet , & les unes & les autres ont
leur prix. Quelquefois on veut l'approfondir
, s'expliquer à foi-même , & révéler aux
autres tout ce qu'un grand Homme nous a
fait fentir , & par quels moyens ſe ſont
opérés tous les prodiges de ſon génie. D'autres
fois on ſe contente de recueillir ce qu'il
y a de plus vif dans nos propresimpreflions ,
ce qu'ily a de plus mûr dans les opinions des
bons juges ; on attache l'eſprit par des idées
évidentes , plutôt qu'on ne l'exerce par des
vûes nouvelles ; on agrandit moins la réputation
de celui qu'on loue , on perfuade
mieux ſa gloire. L'un de ces genres d'Ouvrages
convient davantage au talent qui ſent
le beſoin de raſſembler toutes les forces , &
qui peut encore profiter de tous ſes efforts ;
l'autre convient mieux à un eſprit qui jouit
déjà de toutes ſes richeſſes ; il appartient
Evj
108 MERCURE
fur tout à la reconnoiffance & à l'amitié,
qui ne veulent que s'épancher.
L'Éloge de Fontenelle , que j'annonce ici ,
eft de ce dernier gente.
Voici l'Avertiſſement qui le précède.
• Un vieillard retiré dans ſa Province , &
» qui , dès l'année 1717 , a joui ſouvent du
bonheur de voir & d'écouter fen M. de
>> Fontenelle , defire rendre un foible hom-
» mage à ſa mémoire.
ע
ود
ود
>>Ayant appris par les Papiers publics que
l'Académie Françoiſe a propoſé pour le
Prix de l'éloquence, l'Éloge de M. de Fon-
>> tenelle , ce vieillard n'a pas affez préſumé
>> de ſes forces pour ofer envoyer ce foible
» Ouvrage au concours ; mais le reſpect
>> l'amour , la reconnoiſſance même qu'il
ود conſerve pour celui qui mérita véritable-
>> ment le nom de fage , le preſſe d'élever
> un moment ſur ſes bras l'urne de M. de
>> Fontenelle , tandis qu'il voit préparer la
> fienne. »,
Malgré le voile ſous lequel le vieillard a
voulu ſe cacher, tout le monde l'a reconnu .
Onn'a pas éré obligé de le chercher au fond
d'une Province , on l'a trouvé au ſein de la
Capitale , où ſon nom , chéri des Sciences &
des Lettres , brille ſur la liſte de deux Académies.
L'époque de fes liaiſons avec Fontenelle
l'eût ſeule rendu bien intéreſſant. On
aime à voir & à entendre un contemporain
de ces grands Hommes , qui , nés ſous l'aur
tre fiècle , ont illuftré le nôtre , & qui , en
DE FRANCE.
109
diſparoiffant de jour en jour , ſemblent
rendre la génération préſente étrangère à ces
chef d'oeuvres qu'ils ont laiſſés au milieu de
nous. Le Public paroiſſoit pénétré de ce
tendre &douloureux ſentiment , lorsqu'à la
dernière Séance de l'Académie , M. l'Archevêque
d'Aix , faiſant les fonctions de Directeur
, dans un Diſcours plein d'idées juſtes
&délicates , a déſigné l'Auteur de cet Éloge.
Il étoit préfent , & tous les regards ſe ſont
arrêtés fur cette vieilleſſe , ornée de toutes
ces grâces de l'eſprit dont les hommes au
milieu deſquels il s'eſt formé furent les meil
leurs modèles , & confolée par les douces
occupations de la Littérature. Les plus vifs
applaudiſſemens ſe ſont mêlés à l'intérêt ,
quand on a joint à l'idée d'un ancien Difciple
de Fontenelle & de Voltaire , celle de
l'Auteur de tant de charmans Ouvrages , &
qui aura pour mérite diftinctif auprès de la
poſtérité, d'avoir conſervé à nos Arts les nor
bles & gracieuſes folies des temps chevalerefques
, qui font les temps poétiques de notre
Hiſtoire , dans une époque où il étoit dangereux
que la raiſon ne leur imposât des formes
trop févères .
M. le Comte de Treffan confidère Fontenelle
ſous trois rapports heureuſement faifis
& ſéparés. " Savant , Homme de Lettres ,
>>Philoſophe profond & aimable , ce font
19 les trois caractères diſtinctifs de M. de
>> Fontenelle ; c'eſt donc ſous ces trois différens
aſpects qu'il doit être confidéré ; 2
110 MERCURE
» mais ma main ne peut donner qu'une
fable efquifle de ce Sage & de ſes Ouvrages.
Cerui de ſes ſucceſſeurs qui poſsède
>> les crayons & les couleurs brillantes qui
>> donnèrent l'immortalité aux Éloges de
>> Pierre le Grand, de M. d'Argenſon & de
» Léitbnitz , feroit bien plus digne que moi
ود de le célébrer. Je le répète , Meſſieurs ,
» mes mains appeſanties par l'âge , ne peu-
>> vent retracer ici qu'une partie de ce que
les Sciences & les Arts dûrent à ſa lu- ود
ود mière féconde , &ce que la Société géné-
» rale doit à ſon exemple & à ſes inftruc-
>> tives leçons. »
Nous ne ſuivrons pas l'Auteur dans ſes
trois diviſions ; ſon Ouvrage gagne beaucoup
plus à être lû qu'à être extrait. Contentons-
nous de citer les morceaux qui ſe
détachent le mieux. Il parle ainſi des perfecutions
que Fontenelle eſſuya pour l'Hiftoire
des Oracles .
« Bientôt quelques Auteurs obſcurs , mais
> toujours dangereux par la plume empoi-
ود fonnée dont ils ſe ſervent , s'élevèrent
>> contre M. de Fontenelle ; ils employèrent
>> contre lui ces fortes d'armes dont il eſt
ود
ود
ود
ſi lâche de ſe ſervir , & qu'on voit encore
bien plus ſouvent entre les mains de
l'homme vindicatif & pervers , que du
>>vrai fanatique: les Augtus de ce temps
ود osèrent dénoncer comme irreligieux l'On-
>>vrage le plus ſage & le plus lumineux que
DE FRANCE. 111
>>la philoſophie eût offert depuis long-
>> temps à la Société éclairée.
M. le Comte de Treſſan ajoute enſuite :
" L'Auteur conſerva,ſa tranquillité ; l'Ou-
>> vrage conſerva toute ſa gloire. » C'eſt
peindre en un ſeul trait le réſultat de toutes
les perfecutions contre les bons Ouvrages &
le caractère particulier de Fontenelle.
Ce morceau ſur les Lettres galantes de
Fontenelle , nous paroît d'une très - bonne
critique :
" Ces Lettres pourroient cependant être
>> encore une eſpèce de problême pour des
gens éclairés . On ne peut nier que le goût
>> juſte & épuré , & que l'âme vraiment ſen.
>> fible ne doivent les proſcrire; mais on ne
ود
peut s'empêcher , en les proſcrivant, d'y
regretter l'eſprit , les excellentes plaifan-
>> teries & la parfaite connoiſſance des hom-
» mes , qui règne dans ces Lettres; on pour-
» roit même être tenté de les excuſer , ſi
>>elles n'avoient pas été nuiſibles à la jeu-
>>neffe de l'autre ſiècle , & fi leur ftyle trop
>> recherché , fi des jeux de mots & fi des
>> penſées trop fubtiles n'avoient eu & n'a-
>> voient encore tant de mauvais imita-
" teurs . "
Il me ſemble que la troiſième Pattie de
cet Éloge eſt celle qu'on lit avec le plus de
plaiſir ; c'eſt qu'en confiderant Fontenelle
dans ſes moeurs & fon caractère , M. le
Comte de Treſſan trouve naturellement
l'occaſion d'épancher ſes ſentimens pour
112 MERCURE
Phomme aimable qu'il leue , & d'en parler
aux amis de ſa jeuneſſe qu'il a connus auprès
de Fontenelle lui même. Je ne puis me
refuſer au plaiſir de tranfcrire ce morceau
tout entier.
« Je l'ai vû , &je ne peux me le rappeler
qu'avec le plus juſte attendriſſement; je
» l'ai vû careffer l'enfance , la conduire par
>> la main dans ſes premières études , & lui
>> donner l'eſpèce d'émulation qui lui étoit
ود propre ; je l'ai vu quelquefois concilier
» des caractères & des intérêts perſonnels
>>les plus oppoſés; je l'ai vû ſouvent cal-
>>> mer avec adreſſe la vivacité du feu qui dé
>> voroit le jeune Auteur de la Henriade ;
>> mais il rendoit encore ce feu plus bril
>>lant , & c'étoit en lui montrant la ten-
>> dreffe d'un père, qu'il eſſayoit quelquefois
>>à diriger le vol de ce puiſſant génie.
ود M. de Fontenelle fut toujours la lu-
>> mière , le lien de toutes les Sociétés dont
>> il faifoit le charme; il y donnoit preſque
> toujours le ton ; mais c'étoit ſans y pré-
>> tendre , fans avoir l'air de s'en apperce-
>>voir : les regrets donnés à ſa perte ſui-
>>vront juſqu'au tombeau ceux qui ont joui
>> du bonheur de vivre avec lui pendant les
" trente dernières années de ſa vie: il en
» reſte peu ; mais qu'on juge du ton & de
la douce philofophie pratique que fes
amis ont reçus de lui, par tout ce qu'ils
>>nous font encore reſpecter & aimer.
Ovous , que les grâces formèrent fur leur
"
"
DE FRANCE.
113
ود
ود
ود
"
ود
ود
ود
modèle , & qui nous fîtes toujours adorer
celles de votre eſprit ! Vous que je
n'oſe nommer dans cet Éloge , & qui fîtes
la confolation & le bonheur des dernières
années de M. de Fontenelle , puiffiez- vous
être attendrie en liſant ce que j'écris !
» Puiſſe la Société que vous rendez heu-
» reuſe , & qui vous rend des hommages
journaliers , vous reconnoître à des traits
>> gravés dans mon âme , & tracés par mon
foible pinceau. د 5
>>> Et vous , qui sûtes ſi bien jouir dans vos
" beaux jours de la ſociété intime de M. de
>> Fontenelle , vous que tant de vertus ren-
>> dent utile , cher & reſpectable , jouiffez
>> long temps de l'amour & de l'hommage
ود
ود
ود
de tous les gens ſupérieurs de votre ſiècle :
l'ami de Fontenelle eſtun point de réunion
pour eux; ils aiment à ſe dire en vous
- voyant : Voilà l'Élève & le plus fidèle
>> Diſciple d'un Sage; voilà l'ami que le génie
>> fublime de Voltaire ſe choiſit , conſulta
ود
,
& qu'il fit jouir de ce commerce intime
>> qui s'établit ſans effort entre les âmes &
>> les eſprits d'un ordre ſupérieur. »
( Cet Article est de M. de L. C.)
:
:
714 MERCURE
LES OEuvres d'Horace , traduites en François
, par M. Binet , ancien kecteur de
l'Univerſité de Paris , Profeſſeur de Rhétorique
au Collège du Pleſſis - Sorbonne.
2Vol. in- 12. Prix , s liv. reliés. A Paris ,
chez l'Auteur, rue S. Jacques, au Collége du
Pleffis ; Colas , Libraire , place Sorbonne;
& chez les principaux Libraires de France.
Il n'y a peut- être pas un ſeul Biographe
qui connoiſſe toutes les Traductions qu'on
nous a données d'Horace. M. Binet difcute
encore , ſuivant l'uſage, ſi l'on doit traduire
enproſe ou en vers les Poëtes qui ont écrit
dans des langues mortes. Nous ne reffafferons
pas tous les raiſonnemens pour & contre
qui ſurchargent toutes les Préfaces des
Traducteurs . Nous nous bornerons , non à
décider, mais à penser qu'un Auteur qui a
écrit en vers doit être traduit en vers. Le
rhythme & l'harmonie ne peuvent être conſervés
en proſe; & c'eſt ce qui conſtitue en
partie le charme des vers. Racine mis en
proſe perdroit beaucoup quand il ne perdroit
que ſes belles formes. La difficulté de
traduire en vers un Poëte , ne détruit nullement
cette opinion , comme elle ne détruit
pasà la vérité le mérite d'une bonne Traduction
en profe.
Nous croyons avoir donné de juſtes éloges
à M. de Reganhac , qui a traduit une partie
du même Poëte. La Traduction de M. Binet
mérite auſſi le fuffrage des connoiffeurs ,
DE FRANCE.
115
quoiqu'elle ſoit ſemée de quelques négligences
, de ces taches qui ne paroiffent guère
qu'au grand jour de l'impreſſion. Son ſtyle
n'eſt point gêné; il a toute la facilité que
peut avoir une Traduction. M. Binet ne
traduit point littéralement ; mais il s'éloigne
du tour de fon Auteur , quand le goût ſemble
lui en faire un devoir ; il écrit avec affez
d'élégance , à quelques endroits près , tels
que celui- ci , dans l'ode : Odi profanum vulgus
: il traduit Carmina non prius audita ,
par des vers que l'oreille n'a point encore entendus.
Cette verſion nous paroît manquer
un peu d'élégance. Peut- être , l'oreille des
hommes auroit plus de nobleffe. Examinons
plus en détail l'Ode dix - huitième ,
Divitiis mores corrumpi ; on ytrouvera de
l'élégance , des tours heureux ; en un mot ,
ce qui juftifie les éloges que nous croyons
devoir à cet eftimable Profeſſeur ; mais il
nous permettra de relever quelques exprefſions
qui déparent de temps en temps ſon
Ouvrage. Voici d'abord l'original :
Intactis opulentior
Thesauris Arabum , & divitis India ,
Camentis licet occupes
Tyrrhenum omne tuis , & mare Apulicum ;
Sifigit adamantinos
Summis verticibus dira Neceffitas
Clavos ; non animum metu ,
Non mortis laqueis expedies caput.
Campestres melius Scytha ,
116 MERCURE
Quorum plauftra vagas rite trahunt domos ,
Vivunt , & rigidi Geta ,
I'mmetata quibus jugera liberas
Fruges ,& Cererem ferunt :
Nec cultura placet longior annuâ ,
Defunctumque laboribus
Æquali recreatforte vicarius.
Illic matre carentibus
Privignis mulier temperat innocens :
Nec dotata regit virum
Conjux; nec nitido fidit adultero.
Dos estmagna parentium
Virtus , & metuens alterius viri
Certofædere caftitas :
Etpeccare nefas , aut pretium mori.
Oquisquis volet impias
Cades , & rabiem tollere civicam ;
Si queret Pater urbium
Subfcribi ftatuis , indomitam audeat
Refranare licentiam , it
Clarus poftgenitis ; quatenus ( heu nefas ! )
Virtutem, incolumem odimus ,
Sublatam ex oculis quarimus invidi.
i
Traduction.
>>Avec plus de richeſſe que n'en renferment
les tréſors encore entiers de l'Arabie & de
l'Inde ; quand vous couvririez de vos palais
les rivages de nos deux mers , fi la fatale néceffité
appuie ſur votre tête ſes clous de diamans
, jamais vous ne dégagerez votre âme
DE FRANCE.
117
de la crainte , ni vospieds des filets de la mort.
Heureux les Scythes habitans des campagnes
, où ils traînent ſur des charriots leurs
maiſons errantes ; heureux les Gétes auſtères ,
qui , fans connoître les limites du champ
qu'ils labourent , y recueillent en liberté les
dons de Cérès ? Encore n'aiment ils à les cultiver
qu'une année. Quittes de leurs travaux,
un ſucceſſeur vient prendre leur place
aux mêmes conditions. Chez eux , l'innocente
belle-mère ne fait point ſentir fa haine
aux orphelins du premier lit. L'épouſe richement
dotée , n'uſurpe point l'empire fur
fon époux , & ne ſe laiſſe point ſurprendre
aux diſcours de l'élégant adultère. Sa dot la
plus précieuſe , c'eſt la vertu de ſes parens ;
c'eſt une chaſteté fidelle aux loix de l'hymen ,
& redoutant l'aspect de tout autre homme;
c'eſt enfin de regarder l'infidélité comme un
crime dont la mort eſt le prix.
O vous , qui defirez d'éteindre la rage
des guerres civiles , & d'arrêter le cours de
nos parricides , voulez-vous que des ſtatues
élevées en votre honneur , joignent à votre
nom celui de père de la patrie ? Ofez mettre
un frein à la licence indomptée , & foyez
sûr des hommages de la poſterité , puifqu'hélas
! nos yeux jaloux ne peuvent ſouffrir
la vertu vivante , & la cherchent quand
elle n'eſt plus !
Appuiesur votre têteſes clous de diamans ,
il nous ſemble qu'appuie rend bien foiblement
figit.
118 MERCURE
Sans connoître les limites du champ qu'ils
labourent , ne rend pas non plusjugera immetata.
Horace dit,fans avoir pris la peine
de mesurer leur champ , ce qui peint bien
mieux la libre infouciance des peuples dont
il parle.
L'aſpect de tout autre homme n'eſt point
élégant ; ce n'eſt pas que cette expreffion
ne puiffe entrer peut- être dans la proſe noble;
mais la Traduction d'un Poëte n'eſt
guère lûe que par les Amateurs de la Poéſie ,
& les Amateurs de la poéſie ne rencontrent
qu'avec peine de pareilles expreſſions. Voilà
même un de ces détails qui peuvent fournir
des inductions contre le ſyſtème des Traductions
en profe. Mais nous regrettons furtout
que le Traducteur n'ait pas conſervé la
fineſſe dutourlatin, qui fait alluſion àAuguſte:
Oquiſquis volet impias
Cades, & rabiem tollere civicam.
O vous qui defirez d'éteindre la rage , &c.
lui fait perdre toute ſa grâce ; M. Binet en
fait une apoftrophe directe , au lieu qu'Horace
dit avec bien plus de délicateffe : " O
» qui que ce soit qui voudra éteindre , &c.
» qu'il oſe mettre un frein , &c. » Pour peu
qu'on y réfléchiffe , on verra que la tournure
de l'original a une fineſſe & une grâce
qui ne ſe trouvent point dans le François .
Voulez vous que desſtatues élevées en votre
honneurjoignent à votrenom celui de , &c.
forme une faulle métaphore. Comment des
DE FRANCE.
tatues peuvent-elles joindre un nom à un
autre ?
Hélas , ne rend pas heu nefas. Nefas renferme
un ſentiment d'indignation que le
Traducteur a fait diſparoître.
Toutes ces obfervations , & d'autres que
nous pourrions y joindre , n'empêchent point
que cette Traduction ne faffe honneur à
M. Biner. Elle annonce dans ſon Auteur une
parfaite intelligence de l'original , & une
grande connoiffance de ſa propre langue.
Les Deux Soeurs , Comédie en un Acte &
en profe , repréſentée aux Variétés Amufantes
, par Mlle de Saint- Léger. A Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
*
,
CETTE Pièce a attiré au Théâtre où elle
a été repréſentée cette claſſe choiſie de
Spectateurs qui cherche des émotions douces
& honnêtes . L'Auteur est une jeune Dlle
déjà avantageuſement connue par d'autres
Ouvrages ; & ce petit Drame ne peut que
faire honneur à ſon coeur & à ſon efprit.
Un but moral , & qu'il feroit à ſouhaiter
que les mères de famille euffent toujours
* Nous nous ſommes fait une loi de ne point parler
des Pièces jouées aux petits Spectacles , parce que
leur nombre nous meneroit trop loin . Nous y dérogeons
aujourd'hui en faveur du mérite de l'Ouvrage
&du ſexe de ſon Auteur; mais ce ſera ſans confé
quence.
1
120 MERCURE
devant les yeux , un dialogue plein de naturel
, de ſentiment & de fineffe , un contrafte
heureux de caractères : voilà ce qui
conftitue cette Pièce , qui a fait tant deplaifir
à la repréſentation , & qui ne perd rien à
la lecture. Le ſujet eft cette prédilection des
mères , trop commune pour une fille , qui ,
le plus ſouvent , en eſt la moins digne , au
préjudice de ſa ſoeur, & les ſuites preſque
toujours funeſtes de cet aveuglément.
Madame de Melcour , riche Veure , a
deux filles . Roferte, l'aînée, âgée de 14 ans ,
eſt la bien aimée. Elle a ſu plaire à ſa mère
par de la vivacité , de la flatterie & des careffes
continuelles. Eugénie , plus jeune d'un
an que ſa fooeur , eſt plus réſervée , plus ſoumiſe
& plus timide. Mme de Melcour a
pris cette timidité pour de la froideur ; au
lieu de ſe rapprocher d'Eugénie par des
avances encourageantes, elle s'éloigne d'elle ,
&ſe plaint ſans ceſſe deſonpeu de confiance.
Rofette , ſous la conduite de la Femmede-
Chambre de ſa mère , a été à un bal , où ,
pour la première fois , elle a rencontré un
Petit-Maître nommé Verſac , qui eſt devenu
amoureux d'elle à la première vûe , & qui a
ofé lui écrire deux fois à l'aide de cette Lifette
, qu'il a ſu mettre dans ſes intérêts.
Verfac , qui met ſon bonheur à ſe vanter de
ſes conquêtes , raconte ſa nouvelle intrigue
à M. de Florval , fils d'un ancien ami de
Mme de Melcour , & qui aſpire à la main,
d'Eugénie. Cependant Mme de Melcour deftine
DE FRANCE. 12F
tine Rofette à Florval ; & le regardant déjà
comme fon gendre , elle lui apprend fon
chagrin de ne pouvoir gagner la confiance
de fa fille cadette , ni vaincre ce qu'elle croit
fon inſenſibilité. Elle le charge de lui annoncer
qu'elle a deſſein de la réleguer dans un
Couvent , pour voir fi la menace de cette
féparation ſera ſenſible à ſa fille. Florval
fouffre d'être obligé de faire fubir cette af-
Higeante épreuve à ſa chère Eugénie; mais la
fatisfaction de Mme de Melcour en dépend:
il obéit. Eugénie vient avec ſa timidité ordi
naire ; il la lui reproche tendrement.
FLORVAI,
" Chère Eugénie! eh ! quoi , me craignez-
> vous donc aufli ? Une mère ſi bonne , un
ami qui ne fonge qu'à vous, ſont-ils done ود
>> des objets de contrainte & de défiance ?
ود
EUGÉNIE.
J'ai bien des défauts , ſans doute ; mais
>> je ne ſuis point ingrate.
FLORVAL
>>Non , vous ne l'êtes point. Mais pour-
>> quoi vous refuſer une confolation fi
douce ? Je ne vous vis jamais embraffer vo
> tre mère. Ces careffes de l'innocence....
وہ
ود
EUGENIE.
>> Ah! quand Roſerte eſt dans les bras de
>> maman , que ne puis je être ſeulement à
» ſes piés , je me croirois trop heureuſe !
Nº. 42 , 18 Octobre 1783 . F
122 MERCURE
ود
FLORVAL.
>>Et vous la laiſſez dans l'erreur ? Affligée
de votre mélancolie , ne fachant comment
» y remédier , que fais-je ? par excès de délicareſſe
vous foupçonnant de froideur
» peut-être , elle ſe trouve réduite à pren-
ود
ود dre un parti qui lui coûte beaucoup : ju-
» gez en vous même. Malgré l'amertume
>> qu'elle trouve dans l'exécution d'un tel
>> proiet, elle ſe propoſe de vous mettre in-
» cellamment au Couvent.
ود
30
EUGÉNIE.
» Je ne la verrai doncplus tous les jours! ...
Hélas ! tant mieux : maman ſera plus
tranquille. Je m'apperçois ſouvent que
» je l'embarraffe , que ma préſence lui eft
• importane ; elle en ſera délivrée : quand
> je reviendrai , je me ferai peut être rendue
>> plus digne de lui plaire.
FLORVAL.
>>Croyez qu'elle ſentira bien vivement la
> privation où elle fera de fon Eugénie.
EUGÉNIE.
• Son Eugénie ! vous venez de prononcer
» ce mot- là d'une manière.... Ah ! maman
» ne m'a jamais appelée ſon Eugénie.
"
"
ود
FLORVAL.
Plus je lis dans votre âme , & plus je
vois combien il vous feroit facile de faire
le bonheur d'une mère qui vous aime.
EUGÉNIE.
» Je fais ce que je peux. Elle dekre beau
DE FRANCE. 123
>> coup que ma ſoeur s'occupe , & tous les
>jours j'avance en ſecret ſon ouvrage . De
ود
ود
ود
ود
ود
ود
même quand maman a été bien malade ,
Roſette étoit un peu plus raffurée que
moi ſur l'état de ſa ſante;& comme j'al- ,
lois plus ſouvent qu'elle dans la chambre
de maman , ſitôt qu'elle me diſoit avec
bonté : Eft ce donc vous , ma fille ? Je dé-
>>guifois ma voix , & lui répondois tout
>> doucement : Oui , ma chère maman , c'eſt
» moi , c'eſt Rofette ; & elle étoit contente.
Cela faifoit du bien à ſa ſanté; & quand
>>je m'en allois je pleurois. >>
ود
On peut juger par cette Scène de l'intérêt
que Mlle de Saint Léger a ſu répandre dans
fon dialogue. Mme de Melcour n'écoutant
toujours que fa fauſſe prévention , prend
pour de l'indifférence la réſignation d'Eugénie
; mais Florval demande à faire fubir
une ſeconde épreuve également à Rofette &
àEugénie. La mère yconfent, & fe cache dans
un cabinet , afin de tout entendre .
Roſette arrive en cherchant ſa mère ; elle
rencontre Florval : " Où donc eft maman ?
>> je ne la vois point ici ? Ma ſoeur pleure.
ود Ah! je voudrois bien que vous me diſiez
» pourquoi. Vous le ſavez , ſans doute;
mais vous ne me direz rien .
ود
ود
FLORVAL.
" Si j'avois des fecrets pour vous , ce ſeroit
par la feule crainte de vous faire de
la peine , en vous les découvrant . La
Fij
124 MERCURE
ود
"
beauté ne devroit jamais répandre de
larmes.
ROSETTE.
" (Apart. ) Il faut le connoître ce M.
>> Fiorval , il eſt plus aimable que je ne
>> croyois. ( Haut.) Vous m'apprendrez donc
tout ce que vous ſavez ſi je vous en prie
bien fort? ود
FLORVAL.
» Afſurément , je ne pourrai réſiſter à vos
» prières. La première nouvelle & la moins
affligeante , c'eſt qu'on va mettre Eugénie
> au Couvent.
ود
ود
ROSETTE.
Au Couvent ? Est-ce bien vrai ? Et cela
>> vous fait- il de la peine, Monfieur ?
FLORVAL.
ود
:
Nullement.
ROSETTE.
M'aimeroit il donc auſſi ?
FLORVAL.
>> Je crois qu'elle partira demain.
"
ROSETTE .
Ce ſéjour la diffſipera. Elle eſt ſi peu
>>. faire pour le monde , ma pauvre petite
foeur ! oh ! c'est bon. J'étais déjà l'enfant
>>gâré , je ferai la fille unique..
DE FRANCE 125
Elle le preffe de lui apprendre ce qu'il
feint de vouloir lui laiſſer ignorer. Il cede
enfin , & lui dit que ſa mère eft ruinée . Roſette
eſt au déſeſpoir; elle ne peut foutenir
l'idée de la pauvreté.
" Ah ! Monfieur , priez maman de me
> mettre au Couvent comme ma foeur.
» (Eugénieparoít.)Ah! pleurez à préſent; vous
>> en avez ſujer. Maman eſt ruinée! (Ellefort.)
EUGÉNIE.
>>Quoi ? maman... elle a des malheurs ?
FLOR VAL.
>> Je ne puis vous les cacher , ma chère
» Eugénie. Un homme qui paffoit pour la
>> probité même , & qui depuis le veuvage
ود de Mme de Melcour avoit toute la for-
> tune entre les mains , vient de faire ban-
» queroute, & de l'envelopper dans ſa ruine.
ود
ود
"
ود
EUGÉNIE.
» Maman ! maman ! elle eſt done bien
>> affligée. Et yous la laiſſez ſeule , vous ,
Monfieur , vous ſon ami ? ( Elle défaitfes
boucles d'oreilles &fon collier. Monfieur
de Florval , vous m'avez toujours obligée ;
vendez mes bijoux , vendez les tous.Don-
>> nez en l'argent à maman. Mais quelle
foible reffource ! Allons , je broderai fi
bien , je travaillerai tant. Obtenez une
>> grâce. C'eſt à vous que je la demande. Ob-
>> tenez de ma mère que je n'aille plus au
Couvent. Je lui ſerai utile aux travaux de
ود
ود
ود
inj
126 MERCURE .
ود
la maiſon. Je ſuis forte , quoique je paroiffe
délicate. Ma fætur la confolera ,
>> s'occupera du ſoin de lui plaire ; & moi
>> je la ſervirai, »
La mère accourt embraſſer Eugénie. Elle
s'accuſe & ſe plaint de ſa funeſte erreur. Elle
fonge à Rofette. (Elle paroît.) " La voici, dit-
>> elle; ah ! je l'aimois avec idolâtrie. Elle lui .
>> montre la lettre'de Verſae , qu'elle a fu
ود
"
ور
retirer des mains de la Femme de Chambre
: Lifez ma honte & la vôtre. Au reſte ,
>> je ne m'en étonne plus. A quelles vertus
peut - on prétendre en n'aimant pas fa
mère ? Viens , toi , ma chère Eugénie ,
viens tout eſpérer , tout attendre de ren
>> pouvoir fur mon coeur. Quels dédomma-
>> gemens pourront jamais réparer mes torts
>> envers toi. J'ai pu te méconnoître. Or-
>> donne , parle , qu'exige tu de matendreſſe ?
"
EUGÉNIE.
>>Oh ! maman! la grâce de ma foeur. » La
mère pardonne.& embraffe fes deux filles .
Tel eſt le dénonement de cette intérefſante
Comédie. Chaque perſonnage y eſt
dans ſa véritable fituation , &ne parle jamais
que le langage qui lui eft propre. Un Académicien
, après la première repréſentation ,
dit à l'Auteur : " qu'elle étoit bien modeſke
de ſe borner aux petites maiſons de
Thalie , quand elle eſt faire pour briller
>> dans ſon plus beau ſalon. >>
ود
DE FRANCE. 127
و VOYAGE aux Iſles de Lipari fait en 1781
ou Notices fur les Iles Foliennes , pour
fervir à l'Histoire des Volcans ; fuivi d'un
Mémoirefur une eſpèce de volcan d'air ,
& d'un autrefur la température du climat
de Maite, &fur la difference de la chaleur
réelie & de la chaleurfenfible ; par M. le
Commandeur Déodat de Dolomier ,
Correfpondantde l'Académiedes Sciences,
&c. A Paris , rue & hotel Serpente.
1 Vol, in 8 °.
M. LE Commandeurde Dolomier , connu
par ſon zèle pour les Sciences , & par l'exactitude
de ſes obſervations , n'a point oublié,
en parcourant la Sicile , de viſiter les Ifles de
Lipari , ſi négligées par les Voyageurs , & fi
intéreffantes pour le Phyſicien & pour leNaturaliſte.
Cet amas de volcans , ſitué entre
Ja Sicile & l'Italie , eſt environnéd'une mer
orageufe , & de Corfaires Barbareſques qui
en éloignent les curieux ; & la Naturen'y pré .
ſente rien qui puiſſe dédommager des dangers
de la navigation. Il n'y a qu'un defirardentde
connoîtretous les matériaux qui peuvent
fervir à l'hiſtoire de la Nature , qui
faffe braver les obſtacles , gravir les monts
enflammes , & trouver du plaifir à obſerver
les débris du globe
grands bouleverſemens . Ces îles , qui font au
nombre de dix , font le produitdes feux fouterrains.
" Elles ſe ſont élevées par accumu-
&les cauſes de ſes
Fiv
128 MERCURE
>> lation au milieu de lamer; mais les violen-
>> tes eruptions qui les ont produites ou en-
>> ſemble ou ſucceſſivement , ſont sûrement
>>antérieures aux temps de l'Hiſtoire , puif-
- qu'aucun Hiſtorien ne dit rien de leur ori-
>> gine. Cependant leur formation a dû être
>> précédée de chocs violens , & de tremble-
>>>mens de terre qui doivent avoir ébranlé la
>> Sicile &la partie de l'Italie quien eſt voi-
>>fine ». M. de Dolomier parcourt toutes ces
îles avec l'attention d'un Obfervateur exercé;
il s'arrête plus particulièrement à celles
de Vulcano , de Lipari & de Stromboli , parce
que ce ſont celles qui préſenrent à la curioſité
éclairée plus d'objets d'étude & de recherches.
La première est unvolcan dans ſa
plus grande activité ; la ſeconde eſt couverte
dedébris volcaniques , de bains chauds , d'étuves
bouillonnantes : il paroît que le foyer
des volcans de ces deux îles leur eſt commun
, puiſque , depuis l'extinction de celui
de Lipari , la fermentation du Vulcano eſt
augmentée. L'opinion populaire des Liparotes
fortifie cette conjecture ; ils ſont dans les
plus vives appréhenſions lorſque le volcan
animé ne fume point , parce qu'ils craignent
que les feux de Lipari ne ſe renouvellent.
Cette île eſt l'immenſe magaſin qui fournit les
pierres ponces à toute l'Europe. Ce réſidu
volcanique est néceſſaire àpluſieurs Arts ; on
en a ouvert de vaſtes carrières dans les montagnes
&dans les vallées qui les ſéparent ; &
cette ſubſtance fingulière ſemble être la baſe
DE FRANCE.
de l'île entière. Quoiqu'elle foit fort répandue
dans l'Europe , elle est une de celles qui
font lemoins connues des Naturaliſtes , qui
n'ont rien dit ni fur ſa nature , ni fur ſa formation.
Le ſavant Voyageur , qui ne croit
pas que cette production ſoit une ſcorie des
volcans , ou doive ſon origine aux asbeſtes
& aux amiantes altérées par le feu , & qui
étoit plus à portée d'enétudier les principes,
ne doute point , d'après les expériences qu'il
a faites , que la roche feuilletée , graniteuſe ,
micacée , & le granit lui-même ne foient
les matières premières , à l'altération defquelles
on doit attribuer la formation des
pierres ponces.
د
Le Stromboli eſt le ſeul volcan connu qui
n'ait aucun temps de tranquillité ; ſes explofſions
ne reſſemblent point à celles des autres
volcans; il lance continuellement , mais par
intervalles réglés de ſept ou huit minutes
des pierres enflammées quis'élèventàplus de
cent pieds de hauteur , formant des rayons
un peu divergens , mais retombant cependant
en grande partie dans le cratère.
Chaque exploſion eft accompagnée d'une
bouffée de flammes rouges , & fuivie d'un
bruit fourd ſemblable à celui d'une mine
qui éprouve peu de réſiſtance. Les Postes
anciens ont faitde Stromboli , la demeure
d'Éole , quoique les tempêtes n'y
ſoientpas plus fréquentes que dansles autres
îles volcaniques. C'eſt ſans doute parce que
les habitans prédiſoient trois jours d'avance ,
م
Ev
130
MERCURE
par l'activité du volcan & la direction de la
fumée , les changemens de temps. M. de
Dolomier eſt diſpoſe à croire que les feux de
Lipari ont une communication établie entre
l'Etna & le Véſuve , non qu'ils aient un foyer
commun , mais par des évents qui ſervent
de paſſages aux vapeurs élastiques , & par
des canaux qui, faiſant l'effet des foufflets fur
les differens foyers , rendent très ſenſibles
les effets de la fermentation du volcan en
travail.
د
Un phénomèneplus fingulier encore a mérité
d'être étudié par le ſavant Naturaliſte qui
nous le décrit ; c'eſt un volcan d'air , qui a ,
comme ceux que le feu produit , ſes calmes
& ſes convulfions , ſes ſecouſſes & fes mu
giſſemens , ſes exploſions enfin , qui élèvent
àplus de trois cent piedsles matières qu'elles
lancent. Cette montagne, qui eſt placée entre
Arragona & Girgenti en Sicile , & qu'on
nomme Macaluba * n'eſt qu'un amas de
boue argilleuſe de cent cinquante pieds d'élévation
; il a ſur ſon ſommet un très - grand
nombre de perits cônes tronqués , qui ſont
comme autant de petits crateres. Le ſol fur
lequel ils ſont placés eſt une argille deſféchée
& gercée entous les ſens. Le grand balancement
que l'on éprouve en marchant fur
la plaine qui termine cette montagne , annonce
qu'on eſt ſur un vaſte & immenſe
gouffre de boue , dans lequel on court le plus
Nom Arabe qui ſignifie renversé, bouleversé.
DE FRANCE.
13.1
grand riſque d'être englouti . " L'intérieur de
>>chacunde ces petits cratères eſt toujours hu-
>> mide , & on y apperçoit un mouvement
>> continuel : il s'élève à chaque inſtant du
> fond de cette eſpèce d'entonnoir une argille
grife , delayee , à ſurface convexe , qui ,
>> en s'arrondiſſant, arrive aux lèvres du cra-
>>tère , qu'elle ſurmonte enfuite enforme de
>>demi globe. Cette eſpèce de ſphère s'ouvre
pour laiſſer éclater une bulle d'air ;
» cette bulle , en ſe crevant , rend un bruit
>> ſemblable à celui d'une bouteille qu'on dé-
>> bouche , rejette hors du cratère l'argile dont
>> elleétoit enveloppée,&cette argille coule à
>> la manière des laves, ſur les flancs du monticule;
elle en gagne la baſe , & s'étend
>>àplus ou moins de diſtance. Lorſque l'air
- s'est dégagé, le reſte de l'argille ſe précipite
>> au fond du crater , qui reprend & garde fa
>> première forme , juſqu'à ce qu'une nou-
>>>vellebulle monte &s'échappe. Il y a donc
>> un mouvement continuel d'abaiſſement &
>>d'élévation plus ou moins précipité , &
>> dont l'intermittence eft de deux ou trois mi-
>>>nutes. On l'accélère en donnant des ſe-
>> couſſes à la croûte d'argille ſur laquelle on
>> marche. Ce volcan qui étoit inconnu ,
a ſes criſes & ſes éruptions ; elles arrivent
plus particulièrement en automne , lorſque
l'éré a été ſec & long ; ſes mouvemens de
fermentation répandent la terreur dans tous
les lieux voiſins ; ſes bruits fouterrains
ſes tonnerres intérieurs annoncent ſon tras
,
Fvj
1.32 MERCURE
,
vail: lebruit , par une augmentation progreflive
, amène une explosion violente
qui élève avec bruit , quelquefois à plus
de deux cent pieds , une gerbe de terre ,
de boue , d'argille détrempée , mêlée de
quelques pierres. En hiver , les pluies décompoſent
&délayent cet amas de boue &
d'air, & les monticules coniques qui couvrent
ſon ſommer; la furface devient entièrement
unie , & le tout ne préfente plus
qu'une vafte maſſe de boue, d'argille détrempée
, dont on ne connoît pas la profondeur :
il eſtdangereux d'en approcher.Unbouillonnement
continuel couvre cette ſurface liquide;
l'air qui le produit n'a plus de paſſage
particulier , & vient éclater indistinctement
danstout cet eſpace.Autant la Nature étonne
par ſes prodiges , autant le Philoſophe eſt
empreſſe à les deviner. M. de Dolomier ,
après avoir foigneuſement examiné les effers
de cevolcan , voulut en connoître les caufes.
Il s'affura que les divers mouvemens de
ce phénomène , foit dans ſon état ordinaire ,
foit dans ſes accès , n'avoient point le fen
pour agent principal , & il reconnut facilement
, avec le fecours de l'expérience , que
J'air fixe étoit l'unique moteur des fingulari
tés qu'il obſervoit. Il explique d'une manière
ingénieuſe&vraiſemblable la manière dont
cer air qui ſe dégage, tant de la vaſe délayée
que de l'eau , peut produite tous ces accidens
qui ſurprennent , tous ces bruits', toures
ees exploſions qui effrayent. Cette explica
DE FRANCE.
133
!
tionrend le phénomène moins ſurprenant.
Le Volumeque nous annonçons eſt termi
né par des obſervations ſur la température de
l'île de Malte , & fur les ſenſations qu'elle
produit.Quoiqueles chaleurs y ſoient extrêmes,
le thermomètre de Réaumur y eſt ordinairement
au- deſſous du 25 me degré ; &
pendant le froid le plus pénétrant , il n'eſtjamais
au deſſous de huit degrés. Quelles ſont
les cauſes du peu de rapport qu'il y a entre
nos ſenſations & les inftrumens qui mefurent
la température de l'air , entre la chaleur
ſenſible-& la chaleur réelle? La vraie
température de l'atmosphère est- elle la cauſe
première & unique des effets que l'on éprouve
en état de ſanté , & fans accélération dans
ſes mouvemens ? M. de Dolomier cherche
à réfoudre ces queſtions qui intéreſſent le
Phyſicien , & qui n'ont pas été traitées.
Il prouve par le raiſonnement que la fenſation
du froid & du chaud n'eſt point
uniquement relative à la température de
l'atmosphère , mais qu'elle dépend encore
de ſa pureté & de ſon mouvement. Il faut
lire dans le Mémoire l'application des principes
de l'Auteur au climat de Malte , &
l'explication du contraſte qu'on éprouve
entre les fenfations& la vraie température
de l'air ambiant. Il appuie ſes conjectures
fur l'expérience. Cette Differtation eſt remplie
d'idées neuves , de réſultats fatisfaifans,
& d'obſervations non- feulement curieuſes
, mais utiles à la ſanté. En général ,
134 MERCURE
l'Ouvrage de M. le Commandeur de Dolomier
eſt d'un Naturaliste éclairé , d'un
Obſervateur exact , accoutumé à ſcruter la
Nature , & à lui ſurprendre ſes ſecrets . Ce
Volume intereſſant fait deſirer que des circonstances
plus favorables au Lecteur qui veut
s'inſtruire , lui permettent de publier fon
-Voyage de Sicile , qui nous fera certainement
mieux connoître ce pays , le plus
curieux de l'Univers , & fur lequel on a
écrit depuis peu d'une manière auſſi agréable
qu'inexacte .
NÉCROLOGI E.
و qui
APEINE avions - nous annoncé au Public
la perte que le Theatre Italien venoit de
faire de la Dame Billioni , que nous avons
appris la mort d'un Acteur auſſi célèbre
qu'intéreſſant , Carlin Bertinazzi
ajoué pendant 42 ans le rôle d'Arlequin
avec un ſuccès auſſi brillant que foutenu.
L'homme à talent que la mort nous ravit
dans la fleur de ſon âge , & celui qui nous
eſt enlevé au bout de ſa carrière , excitent à
peu-près les mêmes regrets , en réveillant
des ſentimens divers. Dans le premier cas ,
c'eſt l'amour de nous mêmes qui nous fait
regretter celui qui devoit ajouter à nos plaifirs;
dans le ſecond , c'eſt la reconnoiffance
qui nous fait donner des larmes à l'homme
qui nous a compoſé un long cercle de jouif
ſances par la marie de ſes talens.
A
DE FRANCE.
135
Heureux au moins l'Acteur qui ne ſe
furvit pas à lui même , ou, pour mieux dire ,
qui ne compromet pas ſa gloire en montrant
un talent à qui l'âge ordonne le repos
ſous peine du ridicule ; qui ne va pas étaler
ſon declin fur le théâtre de ſes triomphes ,
& qui n'expoſe point ſon intacte célebrité
au caprice d'un Public ingrat, à qui la ſenſation
du moment fait oublier trente ans de
jouillance , toujours exigeant , ne prenant
jamais le paffé en compenſation du preſent ,
& voulant toujous qu'on rempliffe à fon
entière ſatisfaction le moment qu'il vient
d'acheter . Ce malheur n'eſt point arrivé au
célèbre Acteur dont nous déplorons la perte ;
nous avons eu le bonheur de le poffeder longtemps
, & il a eu celui de conſerver la jeuneffe
de fon talent dans l'âge le plus avancé.
Son premier Début ne fut pas heureux.
Son genre , purement Italien , étoit oppoſé à
celui du fameux Thomaſſin , qui étoit en
poffeſſion de plaire au Public; mais il n'eut
beſoin que d'être averti : dès le ſecond jour
il changea ſa manière , & il entraîna tous
les fuffrages. Depuis ce temps là , on l'a
toujours vû avec plaifir , quoique ſon emploi
fût peu goûté , & que les Pièces Italiennes
fuſſent peu ſuivies. On nous a raconté à
cette occafion une anecdote qu'on ne ſera
pas fâché de trouver ici. Dans un de ces momens
où les Italiens étoient à peu- près abandonnés
, ils ſe trouvèrent un ſoir obligés de
jouer pour deux Spectateurs feulement. On
136 MERCURE
juge bien qu'avec une pareille ſolitude le
Spectacle ne dût pas être bien chaud; fi une
aſſemblée de deux Spectateurs n'eſt pas faite
pour intimider des Acteurs , elle n'eſt guère
faite non plus pour les encourager. Quoi
qu'il en ſoit , quand on fut arrivé au dénouement
, Carlin , avec ſa gaîté toujours nouvelle&
fon eſprit toujours préſent , s'avance
vers le borddu Théâtre , fait ſigne à l'un des
deux Spectateurs , en le priant de s'approcher;
& quand ils furent près l'un de l'autre :
Monfieur, lui dit- il tout bas avec certe grâce
qui lui étoit fi naturelle ,fi vous rencontrez
quelqu'un enfortant d'ici , faites moi le plaifir
de lui dire que nous donnons demain une repréſentation
d' Arlequin , & c.
Ce qui diftinguoit ſon talent , c'étoitla naïveté
de ſon débit , & la vérité de ſa pantomime.
Il pouffoit ces deux qualités juſqu'à la
perfection. Ce n'eſt pas que tout ce qu'il
avoit à dire fût admirable ; mais tout ce qu'il
diſoit faifoit plaiſir , parce que la manière
dont il lediſoit faifoit illuſion; &trèsſouventon
croyoit applaudir un mot, quand
on n'applaudifloit que le ton dont il étoit
prononcé.
Quant à la vérité de ſa pantomime , elle
étoit telle qu'on étoit toujours la dupe , malgréſoi
, de ſes moindres mouvemens. Si ,
par un des lazzi affectés à ſon emploi d'Arlequin,
il faifoit unegliſſade ſur le théâtre , on
frémiſſoit de la peur de le voir tomber. Si ,
dansune ſcènenocturne , il étoit de fonrôle
DE FRANCE.
137
de fe heurter contre quelque porte ou quelque
mur , on étoit prêt à s'écrier. Par- tout
l'illuſion étoit complette.
Cette diction ſi naïve , cette pantomime
ſi vraie , éloignoient fi fort l'idée de l'Art ,
qu'en s'imaginoit plutôt être le témoin d'une
action réelle , que le ſpectateur d'une repréſentation
dramatique. Cela eſt ſi vrai , que
nous avons vu des enfans , amenés à ce ſpectacle,
ſe mêler à la converſation des Acteurs,
&du haut deleur loge , entrer en ſcène avec
Carlin , qui , de ſon côté , profitant des
privilèges de ſon rôle , étoit enchanté d'établir
un dialogue entre eux & lui , & amenoit
par - là une digreffion très amusante ,
qu'il avoit l'art de condre à la ſcène. C'eſt
un fait dont nous avons été témoins plus
d'une fois.
Joignez à cela une grâce qu'il a fu conferver
, malgré ſon embonpoint. En meſurant
des yeux ſa rotondité , on étoit ſurpris de
voir desattitudes autli gracieuſes &une allure
aufli légère. Tous ſes mouvemens arrondis ,
ſes mièvreries de ton & de geſte lui prêtoient
un charme indéfiniſſable ; ce qui ,
joint à ſon accent & au jargon qui lui étoit
particulier , formoit unenſemble piquant &
original. Ses poſitions étoient toujours fi
vraies& fi expreſſives , qu'on voyoir , pour ,
ainſidire , ſa phyſionomie àtravers ſon mafquenoir.
Toutes ces qualités , il les a confervées
juſqu'à fon dernier moment
د
c'est-à-dire
138 MERCURE
-juſqu'à l'âge de 76 ans ; ce qui paroîtra invraiſemblable
à ceux qui ne l'ont pas vu àla
finde fa carrière.On oublioit d'autant mienx
fon âge au théâtre , que , ne jouant pas à
viſage découvert , ſon maſque , ſans derober
, comme nous l'avons dit , l'expreſſion
de ſa figure , ne ſervoit qu'à cacher fon âge.
Depuis la fuppreſſion des Pièces Italiennes ,
il avoit bien moins d'occaſions de parcître
en public ; mais il étoit toujours reçu avec
une acclamation qui atteſtoit l'amour & la
reconnoiffance. Il improvisoit avec plus de
-plaifir qu'il ne jouoit les rôlesécrits ; ſon ta-
-lent étoit plus faitpourſe livrer à ſon imagination
, que pour s'aſſujetir à ſa mémoire.
Peu de jours avant de mourir , il avoit paru
fur la Scène ,& toujours avec les mêmes applaudiſſemens.
Sa mort a fait une véritable ſenſation. Il a
été d'autant plus regretté , qu'il ſe faifoit aimer
dans la ſociété , autant qu'il ſe faiſoitadmirer
fur la Scène. Il avoit une bonhomic
qui rappeloit la naïveté de ſon jeu. Bon mari
, bon père , il rempliſſoit tous les devoirs
de l'amitié. Il y a peu de temps qu'il
avoit eu occaſion d'exercer ſa philoſophie.
Une perte de cinquante mille livres emporta
une partie de ſes épargnes , qu'il
deſtinoit à l'établiſſement de ſa famille. Il
fat conſolé par l'amitié & par ſes ſuccès.
Enfin , ſi ſa mort mérite nos regrets , il faut
avouer auſſi que ſa carrière a été digne d'envie,
Sa ſanté ne l'a quitté qu'à l'inſtant de ſa
DE FRANCE.
139
mort ; il a eu de longs ſuccès &une couite
agonie.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
ΑΝΝΟNCES ET NOTICES.
ESSAI fur les Obligations Civiles des Frères envers
lears Soeurs , fuivant la Costume de Norm nie,
par M. Vaſtel , Docteur en Droit , Avocat au Parlement
de Normandie. A Rouen , de l'Imprimerie de
la Veuve Laurent Dumefoil , rue Neuve Saint- Lô ,
vis-à vis le Prieuré; & ſe vend chez Leboucher le
jeune , Libraire , rae Ganterie ; & à Paris , chez
Durand neveu , Libraire , rue Galande.
Les Juriſconſu'tes avoient laiſſé juſqu'ici dans
d'épaiſſes ténèbres l'objet qui eſt traité dans cet Ou
vrage ; & l'on ſe perdoit dans leurs décifions fouvent
contradictoires. M. Vaſtel a tâché de jetër
quelques lumières ſur une matière auffi intéreſſante .
Son effai , qui paroît l'Ouvrage le p'us complet que
nous ayons dans ce genre , eft fait avec clarté , &
épargnera beaucoup de recherches à ceux qui auront
à difcuter ce principe de Droit. Si quelquefois il
s'éloigne des opinions & des uſages reçus , il préſente
ſes idées avec une modeſtie qui les feroit excufer
de ceux même qui croiroient devoir les combattre
.
CINQUIÈME Cahier de la Phytonomatotechnie
Univerfelle , par M. Bergeret , in-folio de 24 pages ,
&douze planches très - bien deftinées & très-bien
> coloriées .
Ce cinquième Cahier contient l'Hydne Sinué
le Bolet Veniffé , l'Agarie Androfacé , l'Agarie
140 MERCURE
Gercé, la Clavaire Cornue , le Politrie des arbres , le
Bry à Belais , la Morelle à fruits noir , la Douce
amère, le Mouron des champs , le Céraiſte vulgaire ,
le Lamium pourpré. On ſouſcrit chez l'Auteur , rue
d'Antin , Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , Quai
des Auguſtins ; Poiſſon , Graveur , Cloître S. Honoré.
La Souſcription pour fix Cahiers eſt de 108 liv. en
papier d'Hollande , de 54 liv. pour le papier ordinaire
, figures colorides ; 27 liv. pour le même en
noir.
ÉTAT de la France , ou les vrais Marquis ,
Comtes , Vicomtes & Barons , par M. de Combles ,
Officier d'Infanterie. A Paris , chez l'Auteur , rue
Jacob , N°. 41 .; chez la Veuve Duchesne , rue Saint
Jacques ; l'Eſclapart , Pont Notre-Dame ; Eprit , au
Palais Royal . En s'adreſſant à l'Auteur , on recevra
cet Ouvrage , frane de port dans tout le Royaume ,
en affranchiſſant les lettres & le port de l'argent.
Prix , 2 liv, broché.
TRAITÉ des Deviſes Hierldiques , de leur oririgine
& de leur usage , avec un Recueil des Armes
de toures les Maiſons qui en portent enſemble un
précis fur leur origine , & un Recueil de faits qui
leur font particuliers & qui ne ſont pas encore
connus , enrichi de gravures, le tout pour ſervir d'introduction
à l'Etat de la France , par M. de Combles.
Prix , 4 liv. 12 ſols. Aux mêmes Adreſſes que
ci-deffus.
Le Mouton , le Canard & le Coq , Fable diałoguée.
Brochure in- 12 de 32 pages . A Bruxelles , &
ſe trouve à Paris , chez Hardouin , Libraire , rue
des Prêtres , Cloître S. Germain- l'Auxerrois .
Les Interlocuteurs de cette longue Fable en profe
font le Mouton, le Canard & le Coq qu'on a fait
DE FRANCE.
141
voyager avec le Globe de M. de Montgolfier , qui
ſe rendent compte de leurs obſervations , & qui raifonnent
à leur manière ſur ce genre de voyage.
L'idée & le cadre en font heureux , & les perfonnages
s'expriment affez ſuivant leurs caractères . On
peut feulement reprocher au Coq d'être un peu trop
raiſonneur , & de parler en Coq plus inſtruit qu'il ne
doit l'être. Au reſte , ce badinage n'attaque nullement
l'expérience qui y a donné lieu; il eſt à regretter
qu'il n'ait aucun but , & qu'il n'offre aucun réſultat ,
foit de morale , ſoit de plaiſanterie.
LETTRE à M. de *** , fur fon projet de voyager
avec la Sphère Aerostatique de M. de Montgolfier ,
16 pages , avec figure. A Aëropolis , ſur la place
des Nues , chez Zéphirin le jeune , Imprimeur-
Libraire & Relieur de S. Majesté Aiglonne ; & fe
trouve à Paris , chez les Marchands de Feuilles volantes
, l'an deia lune ....
C'eſt encore leGlobe volant qui afait naître cette
Brochure. Mais elle n'eſt nullement apologétique ;
l'Auteur emploie contre cette nouvelle invention le
farcaſme & la plaiſanterie. Il la repréſente à peuprès
comme inutile & comme impoffible à perfectionner.
Au reſte , il y a dans cette bagatelle de l'efprit
& de l'imagination. Mais l'Aureur ne ſe renferme
pas toujours dans l'ironie. Quelquefois la
chaleur l'emporte , & il parle ſérieuſement , comme
dans la tirade que nous allons tranſcrire .
"O futilité! ô François , qui te fais des hochets
>> avec des charbons ardens ! peux tu pla fauter
ככ fur des objets auſſi graves ? Arrête , inſenſé! Si
>> cette machine , dont tu prétends démontrer l'impoſſibilité
par tes farcaſmes étoit exécutable , dis ,
>> l'entreprendrois- tu ? Où ſeroit alors un aſyle con-
>> tre les fruits de notre corruption en tout genre ?
Quelles ferrures afſureroient nos propriétés ?
142 MERCURE
Quels tours garantiroient l'honneur de nos filles?
» Quelles Maréchauffées arrêteroient les meurtres
> & les brigandages : Je vois nos moiſſons & nos
>>>villes en feu , nos forêts en ruines , nos flottes
>> embrâfées , nos Rois tremblans ou écrâfés au
- milieu de cent mille bras armés pour les défen-
>> dre.... Je ne vois plus qu'un remède à nos maux :
il faudra nous réduire à vivre ſous terre comme
>>>les renards & les blaireaux , avec cetre différence
» pourtant que ceux-ci laiſſent leur porte ouverte ,
>> & que les nôtres ne pourront étre trop herméti--
>> quement fermées. La Nature ne nous a donc pas
১১ affez libéralement diſpenſénos maux ? Ceux qu'elle
>> ne nous a point donnés , nous les avons faits ;
>> aucun heureuſement ne doit à la Nation Fran-
>> coite fon horrible exiſtence : nous ſommes lé-
>> gers , nous ne ſommes point méchans. Nous n'a-
>> vous à nous reprocher ni machine infernale , ni
>> poudre à caron , ni bayonnette Avec quelle hor-
>>>reur Louis XV n'a- t'il pas rejeté , & le feu inex-
> tinguible & les verres incendians d'Archimède ,
» & dans un temps où ils nous euffent été d'un grand
> ſecours contre un ennemi redoutable , qui peut-
>>> être eût été moins délicat ? Si les hommes font.
>> jamais affez malheureux pour parvenir à voyager
>>>dans les airs, à Dieu ne plaiſe , ô ma Patrie! que
ce ſoit un François à qui l'on en doive l'infernale
>> découverte ..
L'INSTANT de la mort de l'Amiral Coligny,à
Paris , rue Bétify , la nuit du 23 ou 24 Août 1972 ,
Sous le règnede Charles IX. -L'inftant de la mort
du Duc de Guiſe , à Blois , le 23 Décembre 1588 ,
Sous le règne de Henri 111 ; ſujets de deux Eſtainpes
faiſant pendans , de la grandeur de celle qui repréſentoir
la mort du Général Wolfe , gravée à Londres
par Woolette, c'est- à-dire , ayant Is pouces
DE FRANCE.
143
10 lignes de haut , fur 1 pied 9 pouces 11 lignes de
large; propofees par Souſcription.
Ces deux Estampes , dont la Gravure à la manière
Angloiſe eſt commencée , & fera finie par le beur
Parifet, feront délivrées aux Souſcripteurs en payant
21 liv. en retirant chaque Eſtampe , ( au moyen
des 6 1. qu'on aura données en ſouſcrivant) la première
en Janvier 1785 , & la deuxième en Janvier
1787. Le fieur Pariſet a reſté dix ans à Londres , où
il s'eſt formé ſous les plus habiles Maîtres en Gravure
à la manière Angloiſe , & il y a coupéré à.
quantité d'Estampes qui ont fait la réputation des
Graveurs titulaires .
La Souſcription fera ouverte tous les jours , excepté
les Fêtes & Dimanches , enclos du Temple ,
maiſon de Mme Mouffu , chez la Demoiselle Parifet
cadette, à qui le ſieur Pariſet ſon père a cédé lefdites
deux Planches & le Privilège qu'il en a obtenu.
On y verra les deſſins d'après leſquels ſe gra
vent les deux ſujets ſus annoncés , dans leſquels on
aconſervé le coſtume des habillemens & des chambres
où ces deux Seigneurs ont reçu la mort. Dans le
cas où ces Estampes feroient miſes au jour avant
les délais annonces , on en informera le Public par
la voie des Journaux. La préſente Souſcription ne
fera ouverte que juſqu'au premier Avril prochain ;
après ce temps , lesdites Estampes feront de 36 liv.
chacune pour ceux qui n'auroient point ſouſcrit.
PREMIER Concerto pour le Clavecin , Violon ,
Alto & Baffe , par M. N. N. le Pin , & exécuté par
l'Auteur au Concert Spirituel, Prix , 3 liv. 12 fols.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la Tifferanderie , au
coin de celle des Deux Portes .
Nous avons eu occafion dans le temps de faire
l'éloge des talens de ce jeune Artike pour la compo-.
144
MERCURE
fition & pour l'exécution. Ce Concerto eſt très-propre
à le confirmer.
L'INFANTE de Zamora , Opéra - Comique en
quatre Actes , parodié ſur la muſique de Signor Paifiëllo.
Prix broché , I liv. to fols. A Paris, chez
l'Auteur , rue Neuve des Petits Champs , vis-à- vis
celle de Chabanois , Nº . 127 .
On trouve à la même adreſſe : 1º. les Airs détachés
du même Opéra ; prix , 1 liv. 4 fols. 2°. La Par
tition complette du même ; prix , 30 liv. 3 °. Les
Partiesséparées du même ; prix , 12 liv. 4º. La Partition
de la Colonie , muſique de M. Sacchini ; prix ,
24 liv. 5º. Celle de I Olympiade , muſique du même;
prix , 24 liv. C'eſt- là que doivent s'adreffer déformais
les Marchands de Province qui defirent tirer
ces Cuvrages directement de l'Éditeur.
Nota. On grave maintenant la Partition des deux
Comteffes , de M. Paiſiello. Elle paroîtra dans le,
courantde Décembre prochain .
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
LA.Mort du Pauvre , 97 Eloge de Fontenelle ,
AMlleCh ***
, 99. Les Cuvres d'Horace ,
Charfon furle Globe Acoroſta Les Deux Soeurs ,
104
114
119
100 Voyage aux Ifles de Lipari , 117
Charade , Enigme & Logogry Nécrologie,
tique ,
phe , 202 Annonces& Notices ,
134
136
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
J'AI In , par ordre de Mer le Garde des Sceaux , le
Mercare de France , pour le Samedi 18 Octobre. Je n'y af
rien trouvé qui puiſe en empêcher " impreffion . A Paris ,
je 17Oucbse 17. GUIDL.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ز
TURQUIE.
1
DE CONSTANTINOPLE , le 4 Septembre.
ES bruits qui
Ltranger d'une révolutiondans cette Capitale
contre l'Empereur regnant, en faveur du
Sultan Selim, ſont deſtitués de tout fondement:
il en eft de même des grands changemens
dans l'adminiſtration qu'on a dit devoir
avoir lieu après la fête du Bairam ; le Grand-
Viſir & le Capitan-Bacha continuent d'avoir
la plus grande influence dans les affaires de
l'Etat; & il paroît que la flotte Ottomanene
tardera pas à mettre à la voile. Le Divan ,
qui juſqu'à préſent avoit paru répugner à la
guerre, yſemble maintenant décidé, ſurtout
depuis qu'il fait qu'il exiſte encore dans la
Crimée un parti nombreux , qui joindra volontiers
ſes efforts aux nôtres , pour ſe ſouftraire
à la domination Ruſſe.
ſe font répandus dans l'é-
L'Anglo-Turc , Mustapha,Chefdu corps
Νο. 42 18. Οctobre 1783 . e
( 98 )
d'Artillerie , eſt continuellement occupé à
fondre des canons ; ces pieces ſont véritablement
belles & fortes ; elles n'ont beſoin que
de bras formés à les manoeuvrer , & on s'occupe
avec beaucoup de ſoin à en exercer.
On a mis les Dardanelles dans un état de
défenſe , qui rend le paſſage de l'Archipel ici
impraticable à quiconque voudroit entreprendre
de le forcer ; c'eſt un Ingénieur
étranger qui a été chargé de ce travail: il y a
établi des batteries flottantes , garnies de canons
de la plus grande force , de 32 , de 48
&de 60 livres ; & on travaille à mettre dans
un état auſſi reſpectable les Iſlesde l'Archipel.
La peſte qui continue toujours ſes ravages
, force à mettre un peu de lenteur dans
l'exécution de ces travaux ; mais , on écrit que
ce fleau terrible commence à ſe rallentir; &
on eſpere que l'Automne qui s'approche , le
fera entierement ceffer.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , les Septembre.
L'Impératrice a fait remettre au Duc de
S. Nicolas , Miniſtre de Naples , avant fon
départ , une boîte avec ſon chiffre en brillans;
elle a en même temps exempté de tous
droits de douane 4 bâtimens Hollandois qui
ont chargé içi des munitions navales pour le
compte du Roi des deux Siciles. On ne
doute pas que notre eſcadre dans la Méditerranée
ne trouve en revanche toute l'affif
( وو (
tance& les ſecours dont elle pourra avoir be
ſoin dans les ports de S. M. S.
Le Prince de Jouſſoupoff, que S. M. I. a
nommé fon Miniſtre à la Cour deTurin , eft
parti d'ici jeudi dernier pour ſe rendre à ſa
deſtination.
On vient d'apprendre que les Princes Héraclius
& Salomon de Géorgie ſe ſontdéclarés
volontairement vaſſaux de cet Empire ;
cet événement , préparé ſans doute de longue
main, comme toutes les autres parties
du plan formé contre la puiſſance Ottoma
ne , acheve de rendre la Ruſſie maitreſſe des
bords ſeptentrionaux & orientaux de la mer
Noire. M. Tamara , dépêché par le Prince
Potemkin , pour apporter ici cette nouvelle
intéreſſante, a été élevé au grade de Colonel.
L'eſcadre fortie de Cronſtad pour faire
une croifiere dans la Baltique, ne conſiſte
qu'en 6 vaiſſeaux & 2 frégates ; il reſte encore
dans le port 9 vaiſſeaux de ligne , 6 frégates&
4 galiottes à bombes.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 14 Septembre:
Une lettre de Holmens-Hafen en Iſlande,
contient les détails ſuivans ſur les phénome
nes qui ſe ſont manifeſtés cette année dans
cette ifle.
Le premier jour de la Pentecôte de cette an
née , il s'eſt formé dans le Mont Skaftan ſitué
dans le diſtrict de Skaftefield , un volcan qui s'eſt
tellement développé que tout le lac appella
C2
( 100 )
Skaftawe, a étédeſſéché , & ne forme plus qu'un
terrein pierreux. Deux Egliſes &huit maiſonsde
Payſans ont été brûlées à la fois & ne font plus
qu'une maſſe de pierres calcinées ; ſuivant les
rapports qu'on en reçoit , la flamme rouloit comme
une mer agitée , & embraſoit tout ce qu'elle rencontroit
, de maniere que terre , pierre , tout
étoit enflamé; on auroit dit un feu violent qui
tantôt ſe répand avec impétuoſité , tantôt ne ſuit
fa marche qu'avec lenteur. D'après ces derniers
avis , ce terrein de feu s'étend de plus en plus ,
de forte qu'on peut dire avec certitude qu'il a
déja envahi un eſpace de terrein de plus de ſept
milles de large ſur quatorze de long. Ce
n'eſt pas à cela que ſe réduit le mal ; on peut
préſumer avec beaucoup de vraiſemblance qu'il
eſt beaucoup plus conſidérable ; les vapeurs de
fouffre , de ſalpetre , de cendres &de fable exhalées
de la terre , ont tellement obſcurci l'achmoſphere
, que tout le pays eſt abymé dans les
horreurs d'épaiſſes ténébres. Depuis le huitieme
jour après la Pentecôte il a été impoſſible de
voir&dediftinguer le ſoleil ſi ce n'eſt à ſon lever
a ſon coucher ; & alors il paroiſſoit comme une
maſſe de fer rougie au feu & environnée d'une
vapeur épaiffe. Cette terrible nuit empêche
d'avoir des détails plus circonstanciés ;& l'on ne
faitpasencore poſitivement combien de nouveaux
volcans ſe ſeront formés ,&ſur quelle étendue
deterrein ce phenomene terrible de la nature ſe
fera développé. Ce qui mérite d'être remarqué,
c'eſt que l'on diftingue des éminences &de hautes
montagnes mèmes , dans les lieux où il n'y
avoit ci-devant que des plaines.- L'Iſle nouvelle
fortie du ſein des flots près des côtes de Kugleskiares
, s'étend de plus en plus , & brûle continuellement
, les pierres calcinées qui s'en élevent
( 101 )
Tont lancées juſque ſur le rivage opporé. On ne
peut pénétrer ce qui réſultera de ces phenomenes
nouveaux ; mais on penſe avec effroi aux ſuites
funeſtes qu'ils paroiſſent annoncer.
SUÈDE.
DE STOCKHOLM , le 12 Septembre.
OnmandedeGothembourg que les commiſſions
de l'étranger ſont ſi nombreuſes ,
que la meilleure & la plus grande partie des
cargaiſons apportées en dernier lieu par les
navires de notre Compagnie des Indes
Orientales , fortira du royaume, & paffera
en d'autres lieux.
QuelquesNégocians decette Ville , ayant , par
uneſpéculationde commerce, expédié un Navire
à Saint-Domingue, ce bâtiment eſt revenu depuis
quelques jours avec une riche cargaiſon de café.
Onen attend un autre qu'ils avoient fait partir
pour Surinam. Quoique le commerce de ce
Royaume en général , ait du beaucoup fouffrir
de la cefſationdes hoſtilités ,& que le prix d'achat
desNavires ait baiſſe conſidérablement,les fréteurs
ont cependant durant le cours de l'été paffé ,
retiré des profits conſidérables par le tranſport
desgrains avidement recherchés partout ; ce qui
maintenant le fret à un prix aſſez haut , augmente
encore fi fort la raretédes bâtimens ſolidement
conſtruits , que l'artillerie fondue dans ce pays
pour le compte du College d'Amirauté de Zélande
, n'a pu être chargée & expédiée pour fa
deſtination que depuis peu de jours.
POLOGNE.
DE VARSOVIE, le 15 Septembre.
La quantité conſidérable de Juifs qui font
e3
( 102 )
établis dans cetteCapitale , excite l'attention
du Gouvernement , & l'on tient à ce ſujet
des conférences multipliées de la part de la
Jurisdiction du Maréchal de la Couronne.
Quelques-uns de ſes membres ſeroient d'avis
de faire fortir cette nation de la ville ; d'autres
préféreroient de limiter le nombre des familles
qu'on peut ytolérer ; & quelques autres
voudroient qu'on leur affignat un emplacement
de l'autre côté de la Viſtule , pour y
élever une ville dans laquelle ils pourroient
feuls demeurer.
Il eſt beaucoup queſtion de former des
confédérations depuis quelque temps. Leur
objet feroit de veiller à la protection de la
République , & d'écarter la guerre de fon
territoire , fur lequel les Ruſſes & les Turcs
pourront , lorſqu'ils feront aux priſes , porter
quelquefois la déſolation & le carnage , &
faire fouffrir les habitans d'une guerre qui
leur eft abſolument étrangere .
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 16 Septembre.
Lorſque le Roi de Pruſſe fit élever le fort
deLangenfuhrt ſur la Viſtule , le commerce
de cette ville craignit avec raiſon qu'un jour
cet établiſſement ne lui fir quelque tort : cependant
la bonne intelligence avoit juſqu'ici
ſubſiſté entre notre adminiſtration & la régence
Pruffienne. Notre Magiftrat a réclamé
aujourd'hui ſon droit d'étape , & a demandé
( 103 )
que les bâtimens Pruſſiens , qui paſſent à
Dantzick , le payent comme les autres ; la
régence Pruffienne s'y eſt oppoſée , & a fait
garnir les deux bords de la Viſtule au-deſſus
de la ville de Canons , qui empêchent le
paſſage à tout bâtiment Dantzickois , tandis
qu'il devroit l'être encore pour les navires
des Puiſſances étrangeres. Cependant ces
derniers ne le font point; les navires Prufſiens
même ne ſont pas exempts de la regle
générale. Il y en a beaucoupde retenus
Le 7 de ce mois deux Dantzikois ont été tués
fur notre territoire par des Pruſſiens . Le Réſident
de Pruſſe remit auſſi-tôt au Magiſtrat un
Mémoire dans lequel cet acccident étoit repréſenté
comme une ſuite de la grande animofité
du peuple de part & d'autre , & il le preſſa
de rétablir la tranquillité . Des ordres furent publiés
en conféquence pour défendre les attroupemens
& les émeutes ſous des peines ſévérés ,
& peu de jours après le Major Pirch eſt venu
dans la Ville ſans que ſa préſence ait occafionné
le moindre tumulte ; il n'y en auroit point eu
s'il n'étoit point venu armé. Le 8 le Réſident
Prufſien reçut des dépêches de ſa Cour ; le 9 il
remit un nouveau Mémoire au Magiftrat , par
lequel il lui demande s'il veut entrer en négociationau
ſujet du paffage des vaiſſeaux du Roi ,
s'il veut déclarer ce paſſage libre ad interim falvo
jure , & il promet an nom du Roi , de lever
tous les obſtacles , il vouloit avoir réponſe dans
deux fois vingt - quatre heures ; mais le
Magiftrat qui a déja réclamé l'appui de la Pologne
& eclui de la Ruſſis , n'a pu le fatisfaire
fi promptement , & les choſes ſont toujours
au même étαι.
C4
( 104)
DE VIENNE , de 27 Septembre.
Depuis qu'il s'agit de rendre libres lecommerce
& l'industrie , en faveur de tous les
habitans de cette ville en général , le bruit
s'eft répandu que le Gouvernement fera rembourfer
à ceux qui ont des privileges exclufifs,
ce qu'il leur en a coûtépour les obtenir.
Une boutique de Perruquier ſe payoit cidevant
8 à 10,000 florins , celle d'un Apothicaire
30,000 , le droit d'avoir un caffé
12 à 16,000 , celui de vendre des fruits ,
12,000,
On a parlé de l'Ordonnance de l'Empereur
contre les corps de baleine, dont l'uſage
immémorial chez le beau Sexe eſt accompagné
, de tant de danger.
Il eſt non- feulement contraire à la nature , en
ce qu'il nuit ſenſiblement à la propagation , mais
il eſt encore funeſte à la ſanté des femmes & des
filles , dont il géne abſolument le développement
des organes : la maigreur, les obſtructions , les
étranglemens des viſceres, la foibleſſe habituelle,
enfinune infinité de maux ſont les fuites inévirablesdece
ridicule uſage,que l'entétement maintient
depuis filong-temps. On peut encore ajouter
que les corps ne font pas moins contraires au bon
goût. Les graces y perdent infiniments pour acquérir
ce qu'on appelle une belle taille , on renonce
à l'aifance &à la fraîcheur de la ſanté. Les
femmes ne font point faites pour être coupées en
deux comme les guêpes , & ce n'eſt point ainſi
que ſont modelées les belles ſtatues de l'ancienne
Grece, qui offrent aux yeux des contoursſigracieux,
L'Empereur , en proſcrivant ces cuiraffes dans
( 105 )
les maiſons d'éducation , ordonne à la Faculté de
Médecine de compoſer un petit Traité clair & à la
portée de tout le monde , touchant le danger des
corps pour la ſanté , l'accroiſſement & la bonne
diſpoſition du ſexe. Ce Traité ſera répandu dans -
le Public , pour l'inſtruction des parens.
DE BERLIN, le 20 Septembre.
S. M. a donné ordre d'abattre dans la
Marche électorale une certaine quantité de
maſures qu'elle ſe propoſe de faire reconftruire
à ſes frais ; on commencera par les
villes de Furſtenwald & de Spandau ; elle a
aſſigné 80,000 écus pour l'embelliſſement de
la premiere. On va conſtruire ici de nouvelles
caſernes pour les régimens de Bornſtedt&
de Waldeck .
Le roi , toujours ennemi des abus , & toujours
prêt à les faire ceſſer , vient de faire publier une
ordonnance , deftinée à ſervir de regle aux Confuls
& aux Navigateurs ; ſon objet eſt d'obliger
ces derniers à payer , dans les mers éloignées , les
droits qu'ils refuſent quelquefois , & d'empêcher
Ies premiers d'en exiger de trop forts . Ces droits
feront d'un écu dans les ports de la Baltique ,
juſqu'à Elfeneur , & de deux écus dans les ports
hors de la Baltique , comme en Hollande , en
Angleterre, en France , en Portugal , en Eſpagne ,
en Italie , en Afie , en Afrique & en Amérique ,
pour l'exhibition & la lecture d'un paſſe - port
mais quand les Navigateurs Pruffiens voudront
charger le Conſul de leurs affaires particulieres
&de leurs commiſſions , ce ſera un arrangement
à faire entr'eux : l'intérêt des Confuls , pour ſe
procurer des avantages dans leur état , eſt de ga
gner la confiance des Navigateurs,
es
( 106 )
DE HAMBOURG , le 22 Septembre.
Les mouvemens des Turcs & ceux du
Nord ne ſe ralentiffent point ; & on croit
toucher inceſſamment à l'inſtant qui diſſipera
les incertitudes dans lesquelles reſtoit
l'Europe d'après les mouvemens que n'interrompent
point les négociations qui continuent
toujours.
L'accord qui paroît régner entre les deux
Cours Impériales , dit un de nos papiers , n'a
jamais été plus ouvert ni plus marqué ; il y a
long-temps qu'il fixe l'attention des autres Puifſances
, intéreſſées à conſerver l'équilibre général
pourla ſureté du commerce. Elles ne font certainement
pas reſtées oiſives ; mais quel eſt le réſultat
de leurs mouvemens politiques ? c'eſt ce que
l'on ignore encore , & ce que l'on croit qui ne
sardera pas à être éclairci. Le temps approche à
grands pas , où les grands événemens entrevus
depuis fi long-temps , vont enfin éclater; de ſi
grands préparatifs militaires vont ſe développer
d'une maniere étonnante , & peut- être le 19 de
cemois a-t-il levé le rideau & décidé cette grande
affaire. On mande de Vienne , que 200 canons
de barterie , embarqués à bord de 10 bateaux
, viennent d'être tranſportés , par le Danube
, à Semlin. Le grand cordon impérial , qui
s'étend depuis la Buccowine juſques dans la Styrie
, eſt compoſé de 183,000 hommes & de 800
pieces de canon. Le Danube , vis -à-vis de Pantzowa
& de Mahadia , ainfi que la Save , eſt de 50
en 50 pas garni de piquets , foutenus par des
détachemens ; & fur la rive oppoſée de ces deux
fleuves, il y a une foule prodigieufe de Turcs ,
( 107 )
en partie campés , & en partie logés dans les maiſons
».
Selon quelques lettres , la Chancellerie de
guerre de Vienne s'eſt fait remettre ces jours
derniers tous les plans levés ſous le Prince
Eugene , & qui étoient gardés juſqu'à préſent
dans la Bibliotheque Impériale ; & le
Conſeil de guerre commence à faire des contrats
pour la livraiſon du vinaigre & de la
paille, &c. néceſſaires aux troupes.
Ondit auſſi que 15 à 20 régimens Ruffes
ont paffé le Nieper pour entrer dans la Moldavie.
Toutes les Gazettes annoncent le parti
qu'ont pris les Princes de Géorgie, Héraclius
& Salomon , de ſe déclarer vaſſaux de la
Ruflie& l'emprefſſement de pluſieurs Tartares
à ſuivre cet exemple , & à ſe ſoumettre
à la même domination.
>> Cette derniere nouvelle eſt trop extraordinaire
pour être vraiſemblable , lit-on dans une
lettre ; il eſt par conséquent prudent d'attendre que
le temps ou d'autres avis , qui ne viennent pas de
Ruffie , la confirment. Les moeurs , les uſages ,
la religion , les préjugés de tous les peuples ,
qui ſuivent l'iſlamiſme , ſont des obſtacles à
tous les projets qu'on leur prêtera de reconnoître
un Souverain étranger ; ils en offriront même de
très grands à ceux qui entreprendront de les réduire
malgré eux , & il faudra ſans ceſſe employer
pour les contenir , la force , qui finit par rendre
odieux le pouvoir auquel on ne peut réſiſter , &
contre lequel on lutte ſans ceſſe. Il ne faut donc
pas croire ſi légerement que les Tartares ſouffrent
patiemment ladominationRuſſe; ceux qui tien
e6
( 108 )
nent à leur fol , gémiſſent en attendant une occafion
favorable pour ſecouer leur nouveau joug
mais les familles les plus conſidérables & les plus
riches déſertent le pays , & arrivent en foule à
Conftantinople ; elles ne contribuent pas médiocrement
à exciter le peuple à la vengeance.-II
ne paroît pas non plus qu'on doive compter davantage
ſur l'amitié des peuples de Georgie. II
estvrai que lePrince Heraclius ,flatté des avances
qu'on lui a faites , du ſceptre & de la couronne
d'or qu'on lui a envoyés , a bien voulu ſe mettte
ſous laprotection de l'Impératrice , & ſe déclarer
fon vaffal. Mais le Prince Sa'omon a refuſé les
mêmes préſens , & déclaré qu'il ne vouloit dépendreque
de ſon cimeterre. Voilà en général touzes
les nouvelles qu'on a de Conſtantinople ; car ,
comme on l'a dit , il ne faut rien attendre de
Pétersbourg ni des armées , par les ſoins que l'on
a pris de fupprimer toutes les correſpondances
particulieres qui peuvent nous inſtruire de l'état
des choſes .
Selon une autre Lettre , l'eſcadre ſortie de
Cronitat , le 15 & le 18 Août, eſt réellement
deſtinée pour la Méditerranée; comme
elle eſt mal équippée , on a dit avec affez de
vraiſemblance , qu'elle ne feroit que croifer
dans la Baltique. Il eſt difficile en effet qu'elle
aille plus loin dans l'état où elle eſt , à moins
qu'on ne l'ait mal armée que pour cacher fa
marche , & qu'on eſpere de la pourvoir
dans les ports d'Angleterre des équipages &
&des munitions dont elle a beſoin pour
une ſi longue campagne.
ر
<<On raconte un trait où l'équité de l'Empereur
ſe fait autant admirer , que le crime auquel
( 109 )
1
il a indigé une punition mérite d'horreur. En
Moravie , unLieutenant à ſon ſervice abuſoit fouventde
la facilitéde ſon pere pour entirer l'argent
que lui coûtoient ſes plaiſirs. Celui ci étoit direc
teur d'une caiſſe publique ; un jour le Lieutenant
vint lui annoncer que ſon honneur & fon état dépendoient
d'une ſomme de 600 florins , dont il
avoit le beſoin le plus préſſant. Le pere allegua
une impoſſibilité abſolue ; le fils joua le déſeſpoir :
puisqu'il faut cettefomme , dit le pere en ouvrant
la caiſſe dont il étoit dépoſitaire , je vais donc me
prdre pour toi : il tira les 600 florins de cette caiſſe
les remit à ſon fils ; mais dès que celui-ci fut parti
il remplit cevuide; il n'avoit feint de prendre dans
ce dépôt que dans l'eſpérance d'effrayer ſon fils
&de mettre des bornes à ſa diffipation. L'Empereur
venant à paſſer par cette ville , le Lieutenant
alla ſe jetter à ſes pieds : Sire , lui dit-il , vos
droits fontplus ſacrés que ceux demon pere même.
Son imprudence m'oblige à devenir ſon délateur.
Il vient de prêter à quelqu'un une ſomme de 600
florins de la caiſſe que V. M. a daigné lui confier.
L'Empereur le renvoye & fait venir le pere : la
vérité ne tarda pas à être connue. Le Lieutenaut
a été caſſé avec infamie , & condamnéà to ans
de maiſon de force. Il a été donné au pere une
augmentation de gages , pour adoucir apparemment
ſa douleur d'avoir un fils que l'eſpoir d'une
récompenſe a pu porter à une action ſi atroce.
ITALI E.
DE LIVOURNE , le 14 Septembre.
On apprend de Milan , que l'Empereur a
nommé M. Philippe Viſconti , Prévoſt de la
Métropole , à l'Archevèché de cette ville;
( 110 )
que l'Archiduc & l'Archiducheſſe Ferdinand
yétoient attendus le 13 de ce mois , & l'Archiduchefſe
de Modene le 25 ..
Le Roi , écrit-on de Naples , a réſolu de mettre
les forces maritimes des deux Siciles ſur le
pied le plus reſpectable. Pour cet objet on a dreſſé
un plan pour un grand arsenal & un chantier
royal , & on va s'occuper inceſſament des travaux
relatifs à cet objet , pour lesquels S. M. a donné
200,000 écus. Son deſſein eſt d'équiper une efcadre
deſtinée à protéger le commerce & la navigationde
ſes ſujets contre les corſaires barbareſques
, &de donner à ſon Royaume toute l'importance
à laquelle il eſt endroit de prétendre
auprès des puiſſances maritimes. = Il ſemble
qu'il y ait une fatalité attachée à la plupart des
entrepriſes formées par les Puiſſances Européennes
contre les Etats Barbareſques pour faire cefſer
leurs pirateries & leur inſolence. L'hiſtoire en
fournit pluſieurs preuves , entr'autres celle - ci
qu'on lit dans un papier public. Les Etats de ces
pirates , qui ſont ſur la méditéranée , formoient
autrefois le Royaume de Mauritanie & la République
de Carthage. Les habitans modernes de ces
Etats font aufli entreprenans, auſſi inconſtans
auſſi cruels & auſſi traîtres que leurs ancêtres ,
dont les Hiſtoriens Romains nous ont laiſſé de fideles
portraits . Vers le commencement du 18 .
fiecle , le fameux Barbe- Rouſſe , par ſa conduite
& ſon courage , les rendit formidables aux Puifſances
Européennes , qui ont ſouvent tenté , mais
en vain, de détruire leurs établiſſemens. En 1541 ,
l'Empereur Charles Quint , â la tête de 26000
hommes de très-belles troupes , fit , contre l'opinion
de ſes Alliés , une, defcente ſur les côtes
d'Alger', qui n'étoient défendues que par 800
( III )
Turcs& 5000 Maures; mais une violente tempê.
te étant ſurvenue , tous les vaiſſeaux ſur leſquels
étoient les vivres de ſon armée perdirent leurs ancres
, & dans l'eſpace de 24 heures , il périt 15
vaiſſeaux de ligne , 140 bâtimens de tranſport &
8000 Matelots. Ce malheur obligea Charles-
Quintà ſe retirer ; & ſes troupes , dans cette retraite,
furent réduites àn'avoir pour toute nourriturre
que de la chair de cheval . Pluſieurs de ſes
Soldats furent noyés en traverſant les rivieres ;
d'autres périrent faute d'alimens ; mais le plus
grand nombre fut tué par les Algériens , qui harafferent
jour & nuit les malheureux reſtes de l'armée
eſpagnole. Charles-Quint eut à peine embarqué
les débris de ſes troupes , qu'il eſſuya une autre
tempête. En un mot , les vaiſſeaux n'arriverent
en différens ports d'Eſpagne & d'Italie , qu'après
avoir été vingt fois à la veille d'être engloutis.
Les Lettres de Rome portent que , par
ordre du gouvernement Apoftolique, un ouvrage
écrit en langue Françoiſe , contenant
4 feuilles d'impreſſion , & ayant pour titre :
Extrait de deux Lettres en guise de brevets ,
envoyés aux Evêques de France , le 19 Avril
1783 , a été brûlé par la main du bourreau ;
cette production a été profcrite comme mal
fonnante , impie , & remplie de fauſſetés
groſſieres; il eſt défendu ſous des peines trèsgraves,
delavendre, débiter, ou tenir chez foi.
ESPAGNE.
DE MADRID, le 26 Septembre.
On croyoit que le S. Jean Népomисене ,
(112)
qui a ramenéD. Bernard Galvez en Europe,
y apporteroit l'argent appartenant au Roi ,
qui étoit à la Havane , & celui pour le commerce
, que la frégate la Sainte-Lucie avoit
apporté quelques jours avant ſon départ ; il
avoit été d'abord décidé qu'on les chargeroit
ſur ce vaiſſeau : mais l'adminiſtration a
changé de ſentimens ; cette partie du tréſor
ne viendra qu'avec le tréſor même , qu'on
n'attend que vers le mois de Février de l'année
prochaine , & qui fera , dit-on , au moins
de 40 millions de piaſtres. Ce long retard
peut influer ſur les opérations des principales
placesde l'Europe , qui , à l'inſtant de la paix,
s'attendoient à recevoir les fonds que la
guerre avoit retenus en Amérique.
On attend ici avec la plus grande impatience
les nouvelles d'Alger ; on eft curieux
de ſavoir juſqu'à quel point cette ville a fouffert.
En attendant , D. Antonio Barcelo eft
fort fêté par le Roi & par toute la Cour. La
Princeſſe des Afturies ,malgré ſa ſituation &
la rigueur de notre étiquette , a voulu le
voir , & ce Général lui a été préſenté , la
Princeſſe n'étant pas encore relevée de ſes
couches, ce qui n'eſt pas encore un médiocrehonneur.
ANGLETERREDE
LONDRES , le 7 Octobre .
La proclamation publique de la paix ,
qu'on croyoit reculée après le Traité définitif
( 113 )
avec la Hollande , & l'arrivée des ratifica-.
tions de l'Amérique , a eu lieu hier matin ;
on connoît la forme de ces cérémonies qui
n'ajoutent rien à la fanction des engagemens , ..
&qui ne font que des fêtes pour le peuple .
On a remarqué que dans cette proclamation
il n'eſt queſtion que de la paix avec la France
& l'Eſpagne; on n'eſt pas étonné qu'il n'ait
pas été dit unmot de celle de la Hollande ,
parce qu'il n'y a que les préliminaires d'arrétés
, & que le Traité reſte à conclure; mais
il n'en eſt pas de même de celle avec l'Amérique
; le Traité définitif eſt exactement le
traité préliminaire qui a été ratifié depuis
long-temps, de forte que ce n'eſtplus qu'une
formalité que la ratification qu'on en attend
ſous fa nouvelle forme (1) .
<<Comme la proclamation de la paix n'a parlé
que de celle de la France & de l'Eſpagne fans
y comprendre l'Amérique , nous croyons que la
paix de celle- ci ne ſera pas publiée fi folemnel.
lement ; il en coute ſans doute d'annoncer avec
des fanfares que nos ſujets que nous n'avons
pu ramener à l'obéiſſance ſont devenus indépendans
& ont traité d'égal à égal avec nous.Quelque
fatisfaction que la paix cauſe en général ,
onne laiſſe pas de ſe permettre des plaifanteries;
la folemnité d'hier en a fourni quelques-unes ,
le Magiſtrat de la ville qui étoit obligé d'y affifter
,, en attendant la cavalcade, s'ééttooiittétablipour
( 1 ) Voyez notre Journal du 15 Février dernier , ou
nous avons inféré le Traité préliminaire en entier, page
113 & ſuivantes , ce qui nous diſpenſe de le tranferire de
nouveau ,
( 114 )
être plus commodément dans une taverne à
lenſeigne du diable ; & les plaiſans ſe ſont empreſſés
de dire : voilà une paix damnable ; car
le Lord Maire , les Aldermans , la compagnie
d'artillerie , les Officiers de la Cité & tous ceux
qui ont quelque part à la publication ſont déjà
tous allés au diable » .
Les différentes Lettres arrivées de New-
Yorc» , nous préparent à l'évacuation prochaine
de cette place , & nous annoncent la
continuation des meſures rigoureuſes priſes
dans tous les Etats-Unis contre les Loyaliftes
, qui ne paroiffent plus avoir aucune efpérance
de rentrer dans leur pays , & dont
les poffeffions commencent à être vendues
partout. Le produit qu'on retire de ces ventes
, ſera employé aux beſoins particuliers
de chaque Etat , où l'on s'occupe de la Légiflation
intérieure , &des moyens de faire
Aeurir & d'étendre le commerce.
« L'été dernier , écrit-on , de Montréal a été
un des plus chauds dont on ſe ſouvienne , la plupart
des petites rivieres ont été tellement taries
que les canots des Indiens n'ont pu les deſcendre
comme ils faifoient les années précédentes ,
de forte que les ſauvages ont été réduits à venir
par terre. Cette raiſon a fait qu'il y a eu
moins de pelleteries & de fourures dans les marchés
, & que par conséquent le prix en a été
beaucoup plus conſidérable. D'après les articles
du traité préliminaire de paix que nous connoitfonsdans
leCanada , nous craignonsbien que les
Américains ne partagent au moins avec nous
ce commerce intéreſſant. Ils ne manqueront pas
ſans doute de reclamer tout ce qui ſe trouvera
( 115 )
dans l'enceinte de leurs limites , & il ne leur
fera pas difficile d'attirer les Indiens du Nord
& de les engager à visiter leurs marchés de préférence
aux notres. Leurs grandes rivieres toujours
navigables leur offrent des facilités. On dit qu'ils
projettent de faire des établiſſemens dans l'Iſle
Royale & dans celle de Phelippeaux , dans cette
partie du lac ſupérieur qui eſt compriſe dans
leurs limites , & d'y former de petits gouvernemens
dépendans de l'Etat qui en eit le plus
voifin. Il eſt à ſouhaiter que le gouvernement
Britannique forme à ſon tour quelque plan pareil
dans l'Iſle de Maurepas & de Pont-Chartrain
; il n'y a que la vigilance la plus active
&l'attention la plus jalouſe qui puiſſe les empêcher
de réuſſir ».
A la place des nouvelles politiques d'Amérique
qui nous manquent, nous placerons
ici l'anecdote ſuivante , que nous fourniſſent
les papiers du Nouveau-Monde , & qu'ils
donnent comme un fair.
Un Indien qui n'avoit pas eu de ſuccès dans
ſa chaffe , erroit dans le voiſinage d'une plantation
ſituée ſur les établiſſemens de derriere de
la Virginie ; il s'approcha de cette plantation ,
& voyant le Propriétaire aſſis à ſa porte , il lui
dit qu'il avoit grand faim , & lui demanda un
morceau de pain ; ſur le refus qu'il reçut en réponſe
, il demanda un verre de bierre ; même
refus ; mais je meurs de ſoifreprit le Sauvage,
donnez moi au moins un peu d'eau. Retire toi
chien d'Indien, dit le Planteur , tu n'auras rien
ici. Il arriva quelques jours après que ce Planteur
inhumain chaſſant dans un bois avec
quelques amis , s'écarta d'eux en ſuivant une
plece de gibier qu'il ne put joindre , & ne
,
( 116.)
fut plus retrouver ſes compagnons. Après avoir
erré toute la journée , accablé de fatigue , &
n'en pouvant plus de faim & de ſoif, il apperçut
une cabanne de Sauvages ; il y courut &
demanda en grace qu'on le conduiſit à la plantation
Européenne la plus prochaine. Il eſt
trop tard lui dit le Sauvage maître de la cabanne
, pour pouvoir eſpérerd'y arriver avant
la nuit , reſtez ici , vous y ſerez le bien venu ,
&demain il fera jour. Il lui préſenta enſuite
un morceau de venaiſon & d'autres rafraichiſſemens
dont il avoit beſoin ; enſuite ayant étendu
pluſieurs peaux pour lui faire un lit , il le fit
coucher en lui diſant de ſe repoſer tranquillement
, lui promettant de le réveiller le lendemain
de bonneheure & de le conduire ſur le
chemin qu'il devoit faire. La nuit ſe paſſa , le
Sauvage tint parole à ſon hôte , & l'accompagna
juſqu'à ce qu'il reconnut les lieux & ſa
route. Au moment où il alloit s'en ſéparer & .
lui dire adieu , il voit le Sauvage s'arrêter l'enviſager
, & lui demander: me reconnois-tu ? Le,
Planteur frémit en le reconnoiſſant en ce moment
pour le même Indien qu'il avoit renvoyé
autrefois avec tant de dureté. Il avoua en
tremblant qu'il reconnoiffoit ſes traits , & il
commençoit à excuſer ſa conduite brûtale
Iorſque le Sauvage l'interrompit & lui dit froidement
: quand tu verras un pauvre Indien mourant
de foif& demandant un verre d'eau , donne
le lui , & ne lui dis plus: va- t-en chien d' Indien.
Après cet avis il lui ſouhaita bon voyage & le
quista. Il eſt inutile de demander lequel de
PIndien ou du Planteur méritoit le nom de
Sauvage.
Nos nouvelles de l'Inde , s'il faut en
croire nos papiers , ne ſauroient être plus
( 117 )
favorables. Mais , ſans entrer dans des détails
, ils ſe contentent d'annoncer que Tipoſaïb
a évacué Arcate , qu'il a quitré entiérement
le Carnate , & que le colonel Eyre-
Coote eſt parti du Bengale avec de l'artillerie
& de l'argent pour pourſuivre ſes
avantages. On ajoute qu'on eſt occupé
d'un nouveau traité avec les Marattes dont
le but eſt , d'augmenter le pouvoir de la
compagnie dans l'Inde , & d'affoiblir celui
de Tipofaïb. Toutes ces nouvelles demandent
des détails qu'on n'a point encore ;
ceux que nous avons de ce qui ſe paſſe
dans ces contrées , ſont d'une date antérieure.
Tels font ceux que nous trouvons
dans la lettre ſuivante de Madras ,
en date du 31 Janvier dernier.
La Frégate la Médée qui avoit mis à la voile il
ya quelque jours , pour Goudelour , eſt revenue
ce ſoir avec un Vaiſſeau Hollandois de 54 canons
, dont elle s'eſt emparée ſous les batteries
établies ſur le rivage à Goudelour , après un
combat d'une heure vingt minutes. Il y a eu pluſieurs
tués à bord du Vaiſſeau Hollandois ; la
Médée a eu deux ou trois hommes légérement
bleffés. Le Vaiſſeau Hollandois venoit de Batavia
; il étoit chargé de Proviſions dont il avoit
débarqué une partie. La priſe de la Médée peut
monter 50 canons. Elle en avoit 100 à bord ,
leſquels appartenoient au Bizarre , qui a péri.
Le Capitaine Hollandois étoit à terre. Il s'étoit
adreſſé au Commandant François pour avoir quelques
troupes pour la défenſe de ſon Vaiſſeau,
On les lui avoit refuſées parce qu'on imaginoit
qu'il étoit en parfaite fûreté ſous le canon du
( 118 )
Fort. Le Lieutenant du Vaiſſeau en étoit ſi bien
perſuadé qu'il avoit négligé de charger les canons
de ce côté. La Médée s'avança hardiment
entre le Fort & le Vaiſſeau , & commença une
attaque très-vive. Les canons du Fort firent plus
de mal au Vaiſſeau Hollandois qu'à la Médée.
Après un combat d'une heure , le Vaiſſeau Hollandois
amena. Le Lieutenant de ce Vaiſſeau
avoit formé le projet de faire côte , mais le Capitaine
Gore s'en étant apperçu , déclara qu'il
aborderoit le Vaiſſeau , & qu'il paſſeroit tout
l'équipage au fil de l'épée, ſi l'on tentoit cette
manoeuvre. Cette menace produiſt ſon effet. II
y avoit à bord quatre Officiers François ; & fi
la Médée fut venue une heure plus tard , il eft
probable que la plus grande partie des Officiers
de laGarniſon qui devoient dîner à bord ce
jour-là , feroit tombée au pouvoir de laMédée.
Avec les Lettres de l'Inde il en eſt arrivé
une du Gouverneur général du Bengale
M. Hastings , qui contient une longue juſtification
de ſa conduite , qui a été ſi amerement
cenſurée en Europe il y a quelque
temps , &qui enfuite a été jugée plus favorablement;
lorſqu'il l'a écrite , il n'étoit inſtruit
que de la cenfure , qui ſembloit devoir être
ſuivie immédiatementde ſon rappel. M. Haftings
, quoiqu'affecté de ces impreffions déſagréables
, n'a point mis dans ſa défenſe une
humeur qui auroit pu être excuſée ; il n'y a
misque de la tranquillité, de la nobleffe &
du fang-froid. Nous ne donnerons qu'un
précis de cette Lettre , qui a-paru dans tous
nos papiers , & qui produit dans les efprits
tout l'effet qu'il s'en eſt pu promettre.
» Il a été informé des charges formées contre
( 119 )
lui; elles portent en ſubſtance , que la compagnie
s'étoit engagée envers Rajah Cheytſing , à lui confirmer
& à lui garantir , ainſi qu'à ſes héritiers ,
pour toujours le Zemindar de Benares & de ſes
dépendances , à n'exercer , dans l'étendue de ces
poffeffions, aucune jurisdiction , aucune autorité ,
tant qu'il rempliroit lui-même les engagemens
qu'il avoit pris , & à n'exiger jamais rien de lui ;
on reproche auGouverneur général d'avoir , au
mépris de cet engagement , & fur-tout de la déclaration
qu'il avoit faite lui-même au Rajah le s
Juillet 1775 , demandé qu'il entretînt un corps
de2000 hommes ; on établit enſuite que Cheytfing
n'étoit tenu , envers la compagnie , que de
lui payer ſon tribut , & qu'il étoit un Prince Indien.
M. Haſtings répond à ces différens chefs ,
que la compagnie n'a pris aucun des engagemens
qu'on lui ſuppoſe ; qu'il n'a point fait la déclaration
qu'on lui prête , & qu'il s'étoit contenté de
déclarer que les troupes entretenues par le Rajah
ne ſeroient employées qu'au ſervice de l'Etat;
qu'outre le tribut qu'il devoit , il étoit ſoumis
encore au devoir de vaſſal fidele , & que tous les
traités faits avec lui conſtatent ſa vaſſalité & la
ſouveraineté de la Compagnie ; quant au titre de
Prince Indien qu'on lui donne en Europe , il ſeroit
bien étonné ſi l'on étoit inſtruit de la grande
opinion qu'on a de lui ; il n'eſt réellement que le
fils d'un Collecteur de revenus , qui , à la mort
de Sujah Dowlah , ſut , par ſon adreſſe , faire convertir
en propriété héréditaire un emploi auparavant
amovible. Après avoir débattu d'une maniere
ſolide toutes ces accufations , M. Hastings
vient à ce qui lui eſt perſonnel ; il ſe plaint du
jugement précipité porté à ſon égard , de ce
qu'on a envoyé le jugement dans l'Inde , de ce
que l'on y a annoncé ſon rappel , des ordres
donnés au Conſeil de ne plus lui obéir ; il fait
( 120 )
voir la conféquence d'un pareil ordre , dans le
moment où l'on étoit en guerre , & lorſqu'on
n'avoit point envoyé ſon ſucceſſeur. Forcé par
les circonstances , il a retenu l'autorité qu'on
vouloit lui ravir, il en a fait uſage pour le fervice
de la Compagnie ; il la conſervera tant
qu'elle ſera utile , & il ne la remettra qu'à la
paix , ou à celui qui viendra le remplacer : ju
qu'à ce moment il faut qu'elle ſoit dans quelques
mains , & elle reſtera dans les ſiennes x.
Cette Lettre a ramené tous les eſprits en
ſa faveur; & on le regarde comme le ſauveur
de la Compagnie dans la guerre dan-
-gereuſe qu'elle vient d'eſſuyer.
Les Lettres d'Irlande annoncent toujours
beaucoup de fermentation dans ce Royaume
; & quoiqu'on en dife , on doute que les
Miniſtres ſe ſoient aſſurés beaucoup d'influence
dans le nouveau Parlement.
« Je vous envoie , écrit- on de Strabane , un
détail exact de nos procédés à Dunganom le plan
d'une réforme parlementaire que le Commité a
ſoumis à la conſidération de l'aſſemblée , & qui
eſt renvoyé à une aſſemblée nationale, conſiſte à
propoſer des Parlemens annuels , de Elections
par ballots , les bourgs déchus , privés de repréſentans
, les patronages compenfés , les repré-
Lentans pour les Comtés doivent être augmentés
auſſi bien que ceux des grandes villes qui en envoient
au Parlement ; les villes qui ne ſont pas
repréſentées le ſeront. Outre les francs tenanciers
, tous les proteſtans qui auront 20 livres
ſterling , en quelqu'eſpece de propriétés que ce
ſoit , ou vivant dans des maisons en ferme qui
paient ou qui valent 5 livres ſterling de rente
feront électeurs. LesCatholiques Romains dont
l'affemblée
( 121 )
l'aſſemblée déſignera les moyens &l'eſpece , le
feront auffi. Chaque Electeur , outre le ferment
contre lacorruption , jurera qu'il ne donnera ſa
voix qu'au Candidat qu'il jugera le plus propre
à foutenir les libertés du peuple au Parlement.
Chaque membre , avant d'occuper ſa place , jurera
que ni lui ni perſonne pour lui , n'a , à ſa
connoiſſance , uſé decorruption pour obtenir ſon
élection. Toute affaire d'élection ſerajugée par
un Jurédu Comté , au lieude l'être par la Chambre.
Pour que les Electeurs Catholiques Romains
n'éprouvent aucun tort à l'expiration de
leurs baux , quand les Seigneurs ou les proprié
taires changeront de Fermiers , ou en prendront
de Proteftans , qui par la loi ont ſeuls le
droit de ſuffrages , chaque Electeur jurera , s'il en
eſt requis , que depuis la derniere élection , il n'a
déplacé aucun Catholique Romain , dans la vue
decréer cetteeſpece de tenans , qui font Electeurs
dedroit ; & chaque Candidat fera le même ſerment.
Quelques perſonnes craignent que cet
eſprit d'indépendance prédominant n'ait des
fuites . Quelques-uns de nos Papiers ſe ſont
empreſſés de publier que le Gouvernement
alloitprendre des meſures pour en prévenir
les effets ; ils ont dit qu'il avoir ordonné aux
6, 10 , 13 , 20 , 21 , 26 , 47 , 51 , 61 & 65es.
Régimens de ſe rendre en Irlande ; ils prétendent
que l'on a voulu employer contre ce
peuple des moyens coercitifs. Il n'eſt pas
vraiſemblable qu'après l'exemple récent de
l'effet de ces moyens en Amérique , on
voulût les eſſayer ailleurs. Une obſervation ,
qu'on ne fait pas , & qui détruit toutes ces
No. 42. 18 Octobre 1783 .
( 122 )
conjectures abſurdes, c'eſt que ces Régimens
remplacent exactement les dix qu'on a tirés
de l'Irlande pendant la guerre, qu'ils ne font
avec les troupes qui font déja dans le royaume,
que fon établiſſement ordinaire de paix ,
& qu'il eſt très-ſimple qu'on le complette ,
puiſque le Parlement fait tous les ans les
fonas de ſon entretien.
<<L<es fonds , lit-ondans nos papiers , font toujours
très-bas; on ne conçoit pas qu'ils ne ſe relevent
point depuis la ſignature de la paix. On
eſperoît que le paiement qui s'eſt fait des billets
de la marine produiroit cet effet ; mais malheureuſement
ce paiement ne ſe fait pas comme on
s'y attendoit; on ne donne pour ces billets que 40.
pour 100 comptant ,& le reſte en billiers de l'échiquier;
il en réſulte que ce n'eſt qu'un échange
d'une fureté contre une autre ; & on obſerve
ue c'eſt à peu- près le cas des jeunes gens de famillequi
ont abuſé de leur crédit , & qui finiſſent
par ſedéfairedes billets étrangers qu'ils ont entre
les mains , auffi -tôt qu'on ne veut plus de leur
propre fignature.
Nous avons parlé de la mépriſe malheureuſe
, qui a failli à être ſi funeſte à M.
Barolet , dans le voyage qu'il avoit fait
à Bruges , pour terminer quelques affaires
de la maiſon Angloiſe , au ſervice de laquelle
il eſt employé ; on vient d'en apprendre les
détails ultérieurs ſuivans.
ceM. Gooch eſt revenu de Bruges où il avoit
*été pour délivrer M. Barolet. A fon arrivée , les
Juges s'aſſemblerent; entres autre queſtions qu'ils
lui firent , ils lui demanderent s'il reconnoîtroit
ſonCommis àla lumiere des flambeaux; il répon
( 123 ).
dit que dans les ténébres même pourvu qu'on Ic
fit parler , il en reconnoîtroit la voix; on le con.
duisit dans lapriſon; où , à la lueur des flambeaux ,
il reconnut l'infortuné chargé de fers , dont on le
fit débarraffer ; mais il n'a pas encore été remis
en liberté ; les juges prétendent qu'ils ne peuvent
le faire ſans inſtruire la Cour de Bruxellesde
ce qui s'eſt paflé ; ils ont envoyé un exprès
pour prendre ſes ordres , & ils ont retenu le livre
que M. Barolet tenoit dans la maiſon de M.
Gooch.
A
On lit dans nos papiers le trait ſuivant,
qui est bien extraordinaire , & qui prouve
que lecrime,quelque précaution que prenne
le coupable , ne peut jamais être caché , ni
échapper au châtiment.
Il s'eſt commis dans le Comté de Stafford un
nouveau meurtre , qui eſt le troiſieme depuis 20
jours. Un hommequi tient une auberge à la campagne
, envoya une après midi ſa fille à la ville
pour payer une dette , & lui remit l'argent néceſſaire
en préſence de quelques perſonnes qui
buvoient dans ſa maiſon. L'une de ces perſonnes
fortit peu après ſous quelque prétexte , ſuivit la
fille , la tua & prit l'argent. Le ſcélérat retourna
enſuite au cabaret joindre ſes compagnons pourne
donner aucun foupçon. Il arriva qu'un voyageur
paſſant à cheval auprès du corps , vit un chien
occupé à fuccer le ſang qui couloit encore de ſes
bleſſures. Il imagina auſſi-tôt que le chien étoit
celui du meurtrier ; il ſe décida à en obſerver
tous les mouvemens. Le chien ayant quitté le
cadavre & ſe retirant , l'étranger le ſuivit & arriva
avec lui à l'auberge dans laquelle fon
maître buvoit ; il lui donna un coup de fouet ,
bien perfuadé que a le maître étoit préfent , il le
>
( 124 )
:
trouveroit mauvais , & fe feroit connoître. C'eſt
cequi eut lieu en effet , le propriétaire du chien
ſe leva enjurant & demanda pourquoi on le battoit;
l'étranger luidemanda ſi en effet il lui appartenoit,&
fur ſa réponſe qui fut confirmée par
ſes compagnons , il lui fit des excuſes , tira l'hôte
dans une autre chambre , lui fit part de ce qu'il
avoit vu , de ſes réflexions , & l'engagea à envoyer
chercher un Connétable. Cela fut fait ; &
lemaître du chien fut arrêté , & alors on envoya
enlever le corps ; on déclara au coupable qu'il
étoit accuſéde ce meurtre ,&que ſon chien étoit
ſon délateur. Il fut fi étourdi du coup , qu'il n'eut
pas le courage de rien nier , & il fut conduit dans
lespriſons de Stafford , où ſon procès lui ſera fait
aux aſſiſes prochaines.
r:
On prétend que le Roi, s'entretenant dernierement
avec fir Joſeph Banks , de la Machine
aéroſtatique de M. de Mongolfier , lui
demanda fi l'on enpouvoittirerquelque avantage
,& que , dans ce cas , il feroit volontiers
les frais des expériences que la Société royale
voudroit faire & diriger elle-même. M.
Banks fit part de cette propoſition à la Société
, qui , dit- on , a répondu que toutes ces
expériences n'aboutiroient à rien d'utile, &
que les propriétés de ces globes étoient actuellement
auſſi bien connues que ſi l'on en
avoit fait cent expériences. Quoi qu'il en ſoit
decette réponſe dont nos papiers ſeuls font
les garans , les ſentimens qu'elle exprime ,
font au moins vraiſemblables ; & ce font
ceux d'un Phyficien François eftimable , qui
avoit développé fon opinion dans une lettre
qui ſe lit ainſi dans tous nos Papiers .
((115 )
L'utilité d'un globe aſcendant ne peut être
admiſe qu'en établiſſant préalablement la pofſibilité
de trouver dans la ſuite un moyen de diriger
ce globe à volonté , pour le rendre une
voie de communication prompte avec les pays
éloignés , ou faire des découvertes importantes
ſur l'état de la partie la plus élevée de l'athmoſphère
: or , voici les raiſons d'après leſquelles
je crois pouvoir avancer qu'aucun de ces deux
objets ne sçauroit être rempli. Un globe dans
lequel il y a de l'air inflammable ne peut prendre
de lui-même ſa direction du bas en haut ,
que parce que cet air inflammable , ſpécifiquement
plus léger que l'air qui l'environne , le
porte néceſſairement à s'élever au-deſſus de lui .
Cette élévation doit toujours être perpendiculaire
, & ce corps aſcendant ne ſçauroit s'éloigner
de cette direction perpendiculaire que par
Pintervention d'un courant d'air très-agité , qui
l'en écarte & ralentit la velocité de ſon élévation
, dans la même proportion qu'il s'éloigne de
ſa premiere direction. Il réſulte de ce principe ,
que , quelque machine qu'on adapte au globe
d'air inflammable pour lui donner une direction
horizontale , qui deviendroit nuiſible à ſon aſcenſion
, le globe ne ſera plus alors qu'un corps
en l'air , qui ne pourra ni monter , puiſque ,
dans cette hypothèſe , il ſera arrêté par la machinedirigeante
, ni procéder horizontalement ,
puiſque ce globe , à chaque point de diſtance
qu'on l'obligera de parcourir , fera effort pour
reprendre ſa direction perpendiculaire. L'objet
des découvertes à faire dans la partie la plus
élevée de l'atmosphère eſt en apparence plus
aiſé à remplir , puiſqu'il ſemble qu'il ne faut
pour cela , qu'abandonner le globe à ſa propre
direction ; neamoins , en examinant la choſe de
f3
( 126 )
près, on va voir que l'un n'est pas plus poffible
que l'autre. Le globe aſcendant , comme
je viens de l'obſerver , ne s'éleve que parce qu'il
eft plus léger que l'air qui l'environne . Pour
ſuppoſer donc qu'il continue toujours à s'élever ,
il faut admettre que l'état de l'air par lequel il
paſſe, au-deſſus duquel il s'éleve , eſt toujours
le même que celui du point d'où il eſt parti.
Or , cette ſuppoſition eſt abſolument fauffe.
Plus le globe afcendant s'élève , plus il trouve
l'air raréfié , plus il rencontre , par conséquent ,
un air diſpoſe à fe mettre en équilibre avec
lui . L'air ſupérieur de l'armoſphère commence
lui-même à devenir air inflammable , puiſqu'il
eſt le réſervoir de toutes les exhalaiſons & matières
inflammables qui partent de la terre. Je
ſuppoſe donc que l'air inflammable du globe ſoit
à celui de la partie ſupérieure de l'atmosphère
dans la proportion de 12 à 4 : le globe continuera
fans doute à s'élever , mais plus lentement
, juſqu'à ce qu'il parvienne à rencontrer
l'air de l'atmosphère enflammé au même degré
, c'est - à-dire , auffi léger ; alors la cauſe de
la réſiſtance étant égale à la cauſe de l'aſcenfion
, d'après les loix du mouvement , le glote
doit reſter en équilibre. Il ſuit de ces obſervations
que tout l'effet de la découverte annoncée
avec tant d'appareil ſe bornera à avoir trouvé
un moyen d'élever un corps dans l'atmosphère .
Dans ce cas , tout le mérite de l'invention fera
de préſenter aux aſtronomes un obſervatoire
d'un nouveau genre , d'où , s'ils vouloient être
du voyage , ils pourroient plus infailliblement
obſerver le mouvement des planetes , & prédire
les cometes. &c. &c. »
Les Méchaniciens qui s'occupent de machines
avec leſquelles ils efperent parvear à
( 127 )
voyager dans les airs , doivent lire le trait
ſuivant, qui peut leur fervir d'avis .
: Uu homme , perfuadé de la poffibilité de bâtir
une machine volante , s'étoit occupé pendant
pluſieurs années de cet objet; il avoit commencé
par peſer les carcaſſes de tous les oiſeaux qu'il
avoit pu ſe procurer , & par meſurer l'envergure
de leurs ailes , pour découvrir la proportion de
l'une à l'autre. Après avoir achevé la machine ,
il n'en a obtenu d'autre effet que celui de parcourir
environ cent vergés, en prenant ſon effor
d'une hauteur , & toujours en deſcendant; dans
un de ſes derniers eſſais , il fut un peu contrarié
par un coup de vent , qui l'écarta de ſa direction
& le porta à l'embouchure d'un puits , dans lequel
l'étendue de ſes ailes l'empêcha de tomber.
FRANCE .
2
DE VERSAILLES , le 10 Octobre.
Les de ce mois , L. M. & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage da
Marquis d'Yzan de Valady , Officier aux
Gardes Françoiſes , avec Mademoiſelle de
Vaudreuil.
M. Jeaurat , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de celle de Boſton , &c.
ancien Profeſſeur de Mathématiques , &
Penſionnaire de l'Ecole Royale Militaire ,
chargé par l'Académie de calculer chaque
année la connoiſſance des mouvemens céleſtes
, pour l'uſage des Aftronomes & des
Navigateurs , ent l'honneur de préſenter à
Sa Majesté , Dimanche 28 Septembre , le
Volume de l'année 1786 : ce volume eſt le
f4
( 128 )
108e. que l'Académie publie fans interruption
depuis l'année 1679 , & comme les
Navigateurs ont beſoin de ſe pourvoir de cet
ouvrage pluſieurs années d'avance, M. Jeaurat
continue d'accélérer la publication de ces
Volumes. Celui-ci pour 1786 eſt le dixieme
qu'il publie depuis l'année 1775 , époque où
il a été chargéde ce travail par l'Académie.
DE PARIS , le 14 Octobre.
On attend avec impatience en France &
enAngleterre des nouvelles de l'Inde ; on
fait que les efcadres des deux Puiffances , à
peu près de même force , ſe cherchoient dans
ces mers , au commencement du mois de
Mai , de forte qu'un combat paroiſſoit inévitable,
& afſurément il aura été très-vif;
quand même elles ne ſe ſeroient pas rencontrées
alors , elles auront eu encore tout le
mois de Juin pour ſe chercher & fe combattre.
Le malheur a voulu que les deux
exprès François & Anglois , dépêchés dans
ces contrées , n'aient pas fait une grande diligence
, puiſqu'ils étoient , dit- on , encore à
Baffora le 28 Juin : ce n'eſt donc que vers la
fin de Juillet au plutôt, qu'on aura pu être
inſtruit de la paix ſur la côte de Coromandel .
Les Miniſtres qui font intervenus dans la
ſignature duTraité de paix, ceux de Vienne
&de Pétersbourg , ont reçu les préſens d'uſage
de celles de Versailles & de Madrid ;
ceux de la Cour de Londres ne ſont pas encore
arrivés.
( 129 )
L'Intendant d'Amiens a écrit la Lettre ſuivante
à la Chambre de commerce de Picardie
, le 21 du mois dernier.
Pluſieurs Chambres de commerce , M.
ayant ſollicité un nouvel état d'évaluation
pour la perception des droits du Domaine d'Occident
, ſur les denrées des Colonies , je crois
devoir vous informer que M. le Contrôleur-
Général vient de charger les députés du commerce
de travailler de concert avec la Ferme
générale à la rédaction de ce nouvel état pour
fixer la perception des droits du Domaine d'Occident
, pendant le ſemeſtre de cette année ,
& que le Miniſtre a décidé que les droits qui
ont été ou qui ſeront payés depuis le premier
Juillet dernier ſur l'ancienne évaluation', feront
conſidérés comme conſignation , & que la
perception réelle ſera réglée d'après la prochaine
évaluation. Je vous prie d'informer de cette
diſpoſition les Commerçans de Picardie. >>
Cet Intendant a encore écrit une ſeconde
Lettre , qui porte la même date , à cette même
Chambre.
» M. le Contrôleur -Général ayant été informé
que la pêche nationale peut actuellement
fournir des huiles de poiſſon en quantité ſuffifante
, pour les beſoins des manufactures du
Royaume , ce Miniſtre a décidé que la modération
de moitié des droits accordée pendant la
guerre à ces matieres provenant de l'Etranger ,
demeureroit fupprimée , & que les droits de tarif
de 1667 ſeront perçus à compter du premier
Octobre prochain, avec les exemptionsportéespar
des traités de commerce en faveur de différentes'
Nations . Je vous prie d'informer de ces dipo
fitions les Négocians de Picardie , &c.
1
f s
し.
( 130 )
La caiffe d'Efcompre a remboursé cesjours
derniers beaucoup debillets rouges, &comme
il lui rentre des fonds à chaque inftant ,
le montant de ces billets , qu'on porte à cinq.
millions , fera bientôt entierement rembourfé.
C'étoient les effets les plus répandus parmi
les Marchands & les Artiſans , à cauſe de
leur petite valeur. Les billets noirs ne font
gueres que dans les grandes caiſſes &dans
les mains des gens d'affaires & des gens riches;
& ce ne font pas ceux-là qui ont pris
l'allarme. Elle n'a eu lieu qu'auprès des perſonnes
peu inſtruites du regime de cette
caiſſe , qui n'en jouira pas moins de fabonne
réputation , puiſque ſes actions n'ont point
baiffé.
:
Le Chapitre de la Congrégation de faint-
Maur , tenu à ſaint-Denis , a nommé Généralde
cet Ordre , Dom Chevreux , ci-de
vant Viſiteur de la Province de Bretagne.
Le Globe , lancé à la fête de M. le Duc
'de Crillon, à une heure après minuit, n'eft
tombé que 11 heures après dans les rues de
Boulogne , c'eſt à-dire , à une demi-lieue
feulement du point de fon départ. Il faut que
ceGlobe ſe ſoit élevé bien au-deſſusdesplus
hauts nuages , & ait reſté long-temps en
équilibre dans un air auffi raréfié que le gaz
qu'il contenoit. La grande Machine de M.
deMongolfier ſera achevée dans la ſemaine;
ondifpoſe autour une galerie de 19 pieds de
diametre: elle communiquera à la cage , où
fera le fourneau pour faire du gaz , on dit
( 131 )
toujours qu'un ouvrier , &peut-être l'Inventeur
lui-même ſe propoſent de s'élever avec
la machine.
Le 25 du mois dernier , M. Dartis de la
Fontelle , Juge Châtelain du Pont -de- tempde ,
près Brioudes en Auvergne , âge de 80 ans , &
fon épouſe âgée de 72 ans , renouvellerent leur
Mariage après 50 ans de la plus heureuſe union ;
ce couple reſpecta ble jouit de la vénération générale
; leurs enfans dont tous jouiffent dans le
Barreau de la Capitale , de la conſidération la
mieux méritée , font accourus pour jetter quelques
fleurs fur la vieilleſſe de leurs dignes parens.
Cette fère qui a été celle du ſentiment ,
a été couronnée par une aumône abondante.
Parmi les Méchaniques fingulieres en
voici une très -curieuſe, & qui peut être trèsutile.
La difficulté de faire remonter aux bateaux
chargés la riviere , & les frais de cordages qu'exige
ce tranſport , les embarras qui ſe préſentent du
côté du halage , les rencontres des au res , grands
ou petits , le retard des traverſées , la quantité de
chevaux qu'il faut , ont fait imaginer au fieur
Delarue une machine montée ſur un chaſſis qui
peut ſe démonter & s'adapter à tout autre bateau ,
compoſée de rames que deux hommes font mou.
voir avec des manivelles , & par le moyen defquelles
on remonte la riviere entrès- peu de tems ;
la traverſée s'en fait ſans dérive , ce qui est trèseſſentiel
pour les paſſages d'eau de la Ville , où
l'on est obligé de prendre hauteur dans les grandes
eaux pour arriver au port : par ce moyen , on
feroit trois traverſées contre une ; de même pour
les bacs établis , un cirque & un cheval feroient
deux fois plus ; de même pour les coches & ditigences
d'eau , un cirque & deux chevaux feront
f6
( 132 )
ffaacceede
la- ſentinelle ;
ie travail de dix chevaux de halage. Le fieur
Delarue en donne la preuve par la méchanique ,
qui eſt actuellement à la pompe , au bout de la
terraſſe des Tuileries , en
elleeſt ſuffiſante pour démontrer qu'on peut établir,
ſur la riviere ,de petites poſtes , faiſant deux
lieues à la montée , en y établiſſant une double
manivelle , & quatre fois plus vite à la defcente.
L'eſſai de cette machine a été déjà fait pluſieurs
foisdevant des témoins inſtruits , qui en atteſtent.
le ſuccès ,& où l'on a mis 17 minutes à monter ,
&3 ou 4 à deſcendre .- La machine établie
par l'Auteur est composée de 12 roues , ſavoir
2faiſant l'office de rames , 4 à droite & 4 à gauche,
formant échelles ; au centre de ces échelles ,
eſt placée une grande roue , à l'extrémité de
laquelle s'en trouve une autre qui s'engrene
dans la grande , que deux hommes tournent par
le moyen de 2 manivelles : cette derniere fait
tout aller.
Ladiftribution folemnelle des prix accordés
par le Corps de la ville de Tours aux
éleves des Ecoles gratuites de Deſſin de
cette ville, a été précédée par un difcours
prononcé par le Maire , &dans lequel on a
entendu avec autantde fatisfaction que de
ſenſibilité l'éloge d'un Magiftrat , dont le
nom fera toujours cher à la ville qui vientde
le perdre. Les pleurs que l'Orateur a répandu
fur la tombede M. Ducluſel , Intendant de
Tours, font celles de la reconnoiſſance ; &
il n'avoit pas un auditeur qui ne les partageât
bien fincerement. Il a rappellé àdes hommes
, au milieu deſquels il avécu pendant
17 années , les principaux traits de fon ad-L
( 133 )
miniſtration. Ce tableau intéreſſant , dont
on ne peut rieneffacer, mérite quelques détails.
Nous nous ferons toujours un plaifir &
-un devoir d'arrêter, lorſque nous le pourrons
, les yeux de nos Lecteurs ſur celui de
la vertu dans l'homme en place.
M. Ducluzel fut nomme à l'Intendance de
Tours en 1766 , après s'être diftingué pendant
pluſieurs années dans les Conſeils du Roi. Il s'annonça
dans ſa généralité par cette affabilité& ces
manieres obligeantes qui ſéduiſent & prévienent
toujours ; des deſſeins auſſi ſages qquuee pprroompts ,
manifeſterent ſes vaſtes connoiffances , la juſteſſe
de ſon eſprit; & quel homme! le plus aimable
dans la ſocieté , étoit auſſi le Magiſtrat le plus inftruit.
Parmi les établiſſemens dont la Province,
& la ville de Tours en particulier , lui ont l'obligation
, ceux qui tendirent au bonheur de l'humanité
fixerent les premiers ſon attention. « Des
-atteliers de charité , dont il fuggera l'idée au Miniſtre
, dit l'Orateur , que nous laiſſerons parler,
pour occuper les vieillards, lesfemmes, les enfans,
les artiſans déſoeuvrés , & procurer des comunications
avec les grandes routes ; des Cours fur
l'Art des Accouchemens , juſques-là fi négligé ,
pour la claſſe des Citoyens la plus intéreſſante ,
Le peuples des villes &des campagnes ; des ſecours
àdonner aux noyés; des moyens de faire germer
les talens , proſpérer le commerce , l'agriculture
&les arts; des reffources aux victimes & aux fruits
malheureux de la débauche ; des travaux utiles
dans les Hopitaux : tels furent ceux qu'il envifagea
avec le plus d'intérêt , auxquels il ſe livra
avec le plus d'ardeur , qu'il ſe propoſoit demultiplier
, lorſque la mort nous l'a enlevé ; & quelle
préférence ne leur donna-t- il pas fur les décorations
extérieures qu'il a ſçû procurer à la capie
( 134 )
talede ſa généralité! .... Naturellement grand
& libéral , juſqu'à verſer dans le ſein des pauvres
des ſommes conſidérables , ainſi que le
Bureau d'aumônes de cette ville peut l'atteſter ;
il fût économe des deniers publics pour ce qui
pouvoit l'intéreſſer perſonnellement. Notre ville
eſt embellie des bâtimens qu'il éleva ; mais l'Hôtel
de l'intendance eſtbien éloigné de répondre
par ſa ſituation , ſon étendue , ſa diſtribution aux
beſoins qui ſe renouvellent ſans ceſſe dans la ville
du plus grand paſſage , à ceux qui lui étoientperſonnels.
Tout excitoit à changer cet Hotel ; des
emplacemens vaſtes s'offroient ; la décoration de
la ville eût été pour tout autre un prétexte ; longtems
ſolliciré , toujours il réſiſte; en multipliant
les belles choſes pour le public , il les dédaigne
pour lui dès qu'elles devoient être à la charge du
peuple. C'eſt par les hommes en place que la
Société ſe gouverne & qu'elle est heureuſe ;M.
Ducluzel ne travailloit qu'à ſon bonheur : de là ,
le zele qu'il témoigna pour relever la Magiſtrature
, qu'une négligence , peut- être coupable ,
laiſſe dans l'oubli. De tous ceux qui mériterent ,
à quelque titre que ce ſoit , ſa confiance , ou qu'il
put faire élever dans toutes les villes de ſaGénéralité
à la Magiſtrature civile ou municipale , it
n'en eſt peut - être pas un qui n'ait juſtifié ſon
choix : éloge bien flatteur pour quiconque participe
à l'adminiſtration, Connoître les hommes ,
les employer ſuivant leurs talens , c'eſt ſe montrer
ſupérieur à tous.-Obligé comme Intendant
d'exécuter les ordres de l'adminiſtration , il
ſembla n'avoir été envoyé dans la Touraine que
pourla protéger; aucuns plans ne furent préſenzés
par lui , qui ne tendiffent au bonheur de ſa
Généralité. Souvent il ſçut faire modifier les ordres
qui Ini étoient adreſſés , en préſentant les objets
( 135 )
fous leur véritable point de vue , endiminuant
ce que l'intérêt ou le beſoin groffiffoit aux yeux
du Gouvernement. De toutes les fonctions dont
il fut chargé , ce fut la plus délicate , peut- être
ce fut celle qu'il remplit avec le plus de courage ,
avec le plus de plaiſir ; il jouit par ce moyen tout
à la fois de la confiance du Conſeil & de l'amour
du peuple..... Pendant 17 années d'adminiſtration
d'unedes plus grandesGénéralités du royaume
, & quoiqu'il ait opéré de grands changemens ,
il ne s'éleva pas une plainte contre lui ; ſon grand
art fut de cacher l'autorité , de né montrer que
lajustice & la raiſon ; mais il ſout en mêmetems
Iamaintenir parune fermeté ſage. Si dans la vie
publique , il fut Magiſtrat inftrux&judicieux , adminiſtrateur
fage & humain ; c'eſt dans lavie privée
qu'il fit connoître toutes les qualités de ſon coeur :
fils attaché , mari fidele, pere tendre , amífincere
, maître doux & compatiſſant ; il gagna l'affection
de tous ceux qui eurent le bonheur de vivre
avec lui .... Ce ſont ces eſtimables qualités
qui firent naître ſans doute & qui ont perpétué
P'attachement héroïque que lui a témoigné, même
au-delà du dernier ſoupir, une épouſe chérie , le
modele des meres & des femmes vertueuſes .
Puiffe cette mere reſpectable , pour laquelle il
n'eſt plus de bonheur que dans les gages de ſon
union , trouver au moins quelque ſoulagement ,
en confondant ſes larmes avec celles que la piété
filiale fait couler ! puiſſe-t- elle voir ſe perpétuer
dansſapoſtérité les principes qu'elle & fon époux
ſe ſont plû à lui inſpirer ! puiſſe cette foible efquiſſe
, que la vérité s'eſt hâtéede crayonner , apprendre
à ceux qui occupent degrandes places ,
qu'ils ſont toujours les maîtres d'etre aaiimmééss ; que
s'itsn'ont pas toujours les moyensde faire le bien,
il dépend toujours d'eux d'être juſtes &de témoi
...
( 136 )
gner de la bonté. Vous me pardonnerez MM.
cette digreſſion qui ſoulage mon coeur & fatisfait
le votre. Nous jouiſſons par l'eſpérance , nous
jouiſſons encore par le ſouvenir ; l'un & l'autre ,
il eſt vrai , ne ſont qu'un fantôme ; mais qu'il eſt
doux au moins de l'embraſſer , lorſque la réalité
nous échappe.
Une Lettre de Grenoble, en date du 22
du mois dernier; contient les détails fuivans.
Depuis plus de deux mois nous avons des pluies
preſques continuelles , & qui tombent avec trop
d'abondance pour pouvoir s'écouler par leurs caneaux
ordinaires. Il s'eſt formé , à pluſieurs repriſes
, dans toutes nos montagnes , des ravins
qui enont détaché des maſſes énormes de pierres,
de terre , & de graviers , qui ſont allés couvrir
les fonds de la plaine. Les fonds les plus élevés
ont été emportés , & le dépôt s'en eſt fait ſur
les fonds les plus bas ; les uns & les autres font
également perdus. Parmi ces accidents qui nous
ont fait entendre de toutes parts le cri de l'allarme
& de la douleur , c'eſt celui qui a été
la ſuite des pluies du 10 & du 11 Septembre,
qui a eu les effets les plus affreux. Toutes les
routes qui partent de Grenoble ont été interceptées
au même inſtant , & preſque tous les
moulins qui ſe trouvaient ſur les ruiſſeaux ordinaires
ont été emportés ou engravés , & les
priſes d'eau détruites. Les ſcies à eau & les autres
artifices n'ont pas été plus épargnés. Une partie
du Village de Vaulnaveys , à trois lieues de cette
Ville, a fouffert encore davantage. Un foudre
d'eau tombé ſur les montagnes de Prémol a
détaché le terrein & le gravier des fonds culzivés
ſur la hauteur , & des blocs de plus de
deux toiſes cubes ont roulé juſques dans le baf(
137 )
fin même de ce Village , où ils couvrent une
grande partie de fonds , qui , par leur nature
plus précieux la Province. Deux
Hameaux entiers , qui étoient bâtis à mi-cóteaux
, le long de deux ruiſſeaux , dont les
eaux fertilifoient les bords , & faifoient mouvoir
ſucceſſivement un nombre conſidérable de
moulins , batoirs , & autres artifices , ont été
entierement détruits. Beaucoup de maiſons ont
diſparu. Celles qui étoient plus éloignées du ruif.
ſeau ont éte emportées à moitié , une infinité
d'autres ont été remplies de vaſes & de gravier.
La perte ſe montre tous les jours plus confidérable
, parce que on n'a d'abord calculé que
les recoltes emportées par les torrents. Celles
qui ont été mouilliées , & la quantité en elt
immenſe , ont germé deux jours après , & font
de même entierement perdues L'irruption du
torrent s'annonça avec un bruit qui porta l'allarme
à plus d'une lieue de pays , & des habitans
des côteaux oppoſés , élevés de plus de
cent toiſes ſur le baffin , ne ſe croyant pas en
sûreté , ont emporté leurs effets les plus précieux
fur le plus haut de la montagne. Le
terrein des deux Hameaux des Roues & de la
Gorge, preſque tout planté en arbres fruitiers ,
ainſi que le ſol de leurs maiſons , ſe trouve enſeveli
ſous plus de vingt pieds de décombres , &
fans eſpérance de racheter l'un ni l'autre ; les
Ingénieurs font effrayés des travaux néceſſaires
pour prévenir les fuites de cet accident ,
empêcher qu'une premiere crue d'eau n'entraîne
dans la plaine les amas de pierres & de
graviers que la retraite des eaux a déposés à
mi-côteaux. Le bruit affreux du torrent dans la
montagne avertit heureuſement les malheureux
habitans de ces Hameaux du danger qui les me
&
( 138 )
naçoit , & l'effroi qui les diſperſa les garantit
d'être enfevelis ſous les ruines de leurs maiſons.
Il n'a péri que deux perſonnes ; mais les maux
qu'elles ont ſoufferts , une fievre épidémique
qui les confume , & l'état affreux dans lequel
ces malheureux font réduits , malgré les ſecours
qu'on a cherché à leur tendre , les menacent
d'une maniere bien plus affreuſe encore.
Parmi les entrepriſes intéreſſantes des arts,
nous ne devons pas oublier celle que vient de
former M. Helman , Graveur de M. le Duc de
Chartres , & éleve de M. le Bas. C'eſt une ſuite
des 16 eſtampes repréſentant les conquêtes de
l'Empereur de la Chine , que ce Prince avoir fait
deſſiner à Pekin & qu'il avoit envoyées en
France pour les y faire graver par les plus célebres
artiſtes. Ladirection de ces planches fut confiée
à M. Cochin fils; & elles furent gravées par
MM. Maſquelier , Aliamet , de S. Aubin , le
Bas , Née , Prévoſt , Choffard & Delaunay. On
n'entira que 100 exemplaires qui furent envoyés
à la Chine avec les planches , à la réſerve d'un
très petit nombre pour le Roi , la Famille
Royale & la Bibliotheque de S. M. Elles font
très rares ; & quand il s'en trouve quelquefois
un exemplaire , il ſe vend 800 livres. M. Hel.
man a entrepris de les réduire &de les graver de
nouveau ; elles formeront 16 eſtampes , au bas
deſquelles on mettra les titres &les explications ,
tels qu'on les trouve manuscrits au bas de chacune
de celles qui ſont dans le cabinet du Roi.
Cette ſuite intéreſſante tient à l'histoire de l'Empire
de la Chine dans ces derniers temps ; elle
offre un tableau piquant d'uſage , de moeurs , de
coftume qui nous font étrangers , une idée de la
maniere de conſtruire , de camper , de s'armer &
de ſe battre à la Chine, Les quatre premieres qui
( 139 )
2
paroiſſent repréſentent l'Empereur Kien-Long recevant
les hommages des Eleuttes , & leur don--
mant pour Roi Amour- Sana ; la ſeconde , l'inſtallation
d'Amour- Sana ; la troiſieme , la victoire
remportée ſur Pan Ti & Ta Oua-Ti ; & la quatrieme
, la révolte d'Amour- Sana. Ce Prince révolté
, après avoir tenté pluſieurs fois le fort des
combats , ſe ſauva chez les Ruffes ,& occaſionna
entre ces deux Empires une méſintelligence qui
auroit pu avoir des ſuites , s'il ne fût pas mort
peu après de la petite vérole. Le prix de cette
ſuite intéreſſante eſt de 48 livres ; elle ſe diſtribuera
en quatre livraiſons de 4 mois en 4 mois
&de quatre eſtampes. Chaque livraiſon ſe payera
12liv (1) .
Louise - Elifabeth Texier d'Hautefeuile ,
veuve du Comte de Mouchy , Sénéchal
&Gouverneur de Ponthieu , eſt morte le
15 du mois dernier , à Abbeville en Picardie
, dans la 82 année de ſon âge.
DE BRUXELLES , le 14 Octobre.
Les Lettres de Hollande annoncent toujours
beaucoup de mécontentemens , au fujet
de la Paix; les conditions préliminaires
ont cependant été ratifiées par les Etats de
toutes les Provinces ; & elles ſerviront vraiſemblablement
de baſe au Traité définitif
dont on s'occupe , & qu'on croit ne devoir
pas tarder à être conclu.
«Au nombre des maneges dont les partiſans
(1 ) On trouve la premiere Livraiſon chezl'Auteur vis à
visl'hôtel de Noailles , rue S. Honoré , & M. Pence , graveurdeMonſeigneur
le Comte d'Artois , tu S. Hyacin
the, maiſon de M. de bure , à ców du Foureur,
1
( 140 )
britanniques, écrit- on de La Haie , ſe ſont ſervis
dans notre République pour parvenir à leurs fins ,
on doit compter ſur-tout les faux bruits répandus
dans la vue de ſemer la défiance entr'elle &
la France ; c'eſt ainſi qu'on a aſſuré que cette derniere
feroit payer cher à notre Etat la reſtitution
des poffeffions qu'elle a gardées ou reconquiſes
pour la République. On a même fixé dans des papiers
imprimés le nombredesmillions quela Cour
de Verſailles demandoit. Cet artifice vient d'être
confondu aujourd'hui : le 23 du moisdernier , les
EtatsGénéraux ont reçu de leurs Ambaſſadeurs à
Parisdes lettres qui portent que M. le Comte de
Vergennes leur avoit communiqué miniſtériellement
au nom du Roi ſon maître , que S. M. étoit
prête à rendre à la République toutes les poffeffions
que ſes forces avoient reconquiſes ſur les
Anglois ou gardées pour la République , fans
exiger aucune compenfation ni indemnité quelconque
; S M. priant L. H. P. de donner les ordres
néceſſaires pour recevoir de ſes Officiers la
reſtitution de ces poffeffions. On ajoute qu'il a
été donné en même temps à nos Ambaſſadeurs
L'avertiſſement amical defaire enforte qu'au moment
où les Commiſſaires François livreront
Tringuemale aux Commiffaires Anglois , il y
eût des Commiſſaires Hollandois prêts à recevoir
la place de ces derniers .
Selon d'autres Lettres de la Haye , le
Prince de Naſſau Weilbourg eut le 10 du
mois dernier , une conférence avec le Préſident
de ſemaine , dans laquelle il demanda
ſadémiſſion de toutes les charges & emplois
militaires qu'il occupe au ſervice de la République.
Mais après une commiſſion ſpéciale
de L. H. P. qui conféra avec lui le len-
1
( 141 )
demain fur ce ſujet , relativement aux motifs
de cette démarche , il s'eſt , dit- on , déſiſté de
ſa demande.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES.
Si la France prétend à l'honneur de l'invention
des globes aëroſtatiques , on ſe flatte en Argleterre
de celui d'en faire les meilleures applications
; on dit déjà que le Docteur Priestley a fait
pluſieurs découvertes intéreſſantes ſur ce ſujet ,
&on annonce qu'elles exciteront plus d'admiration
que l'invention même.
En Eſpagne tout eſt tranquile , & les affaires
ſuivent leur cours comme s'il n'y avoit point
eu de guerre.- En Hollande on eſt mécontent ;
on devoreroit volontiers chaque Anglois qu'on
rencontre : le parti François prévaut & prévaudra
tant qu'on conſervera le ſouvenir des dernieres
hoftilités.
La Cour de Lisbonne a conclu dernierement
un traité avec la Maiſon de Bourbon: mais comme
elle en a fait part à la Cour de Londres , il paroit
qu'il n'y a rien contre la teneur de ceux que
nous avons avec cette puiſſance ; l'état du commerce
entre les deux payseſt tel , que l'Angleterre
tire à elle ſeule plus de vins de ce Royaume que
tous les autres Etats de l'Europe enſemble ; s'il
vouloit détruire ſes premiers engagements avec
nous , il ſeroit en notre pouvoir de nous en ven-
-ger en faiſant ceſſer nos demandes de vins.
L'Empereur n'eſt pas attendu ſitôt à Vienne ,
:&lorſqu'il y ſera arrivé , il n'y reſtera pas long-
-temps; on aſſure qu'il retournera enHongrie,
& on prétend que l'objet de ce voyage ſera de
rentrer en poſſeſſion des Provinces perdues par
- la paix de Belgrade ; c'est- à -dire , la Servie ,
la Walachie & Boſnie. Si les Turcs font réal-
と
( 142 )
tance , les conquêtes de ſes armes iront fans
doute au - delà. Supplem. à la Gazette d'Utrech .
ກ . 78.
On a reçu divers avis de la Pologne ſuivant
lesquels il paroît que 12 Régimens Autrichiens
font entrés dans la Moldavie. La premiere
poſte nous apportera la confirmation ou ledéfaveude
cette nouvelle trop importante pour être
adoptée précipitamment. Suivant les mêmes
lettres , 20 autres Régimens ſe ſont mis en
marche ; le Commandant de Kaminiec ſe tient
dit-on, fur ſes gardes dans la crainte aſſez fondée
que les troupes Ruffes poſtées aux environs au
nombre de 50000 hommes au moins , ne tentent
contre elle quelque entrepriſe. Gazette de
La Haye , 11.99 .
Le bruit ſe répand que tout le Corps d'Artilleriedoit
être tranſporté de Budweis en Hongrie,
ce qui ſemble annoncer en termes clairs &
distincts , que nous ferons la guerre aux Turcs
fans avoir rien à craindre des Pruſiens & des
Saxons. Tous les Régimens Allemans quittent
la Hongrie , il s'y trouve affez de troupes nationales
; ainſi il ſeroit inutile de ſacrifier les
premiers aux inclémences de l'air mal-ſain de
ceRoyaume. D'ailleurs fi on avoit quelque choſe
à redouter d'un autre côté , ces Régimens ſe
porteront dans les Pays-bas Autrichiens. Supplement
à la Gazette d'Amsterdam, n . 78 .
Tout ce qu'on peut conclure des nouvelles
du Nord & de l'Allemagne , reçues cet ord:-
naire , c'eſt que la guerre contre les Turcs eft
preſque certaine , non-feulement de la part de
la Ruffie ; mais auſſi de la part de l'Empereur.
Les dépêches que s'adreſſent les deux Cours
Impériales font remiſes en mains propres des
Souverains reſpectifs , & le ſecret eſt inviola
blement gardé, Supplément à la Gazette de Leyde.
n°. 78. •
( 143 )
Pluſieurs Politiques prétendent que la condelcendance
des Turcs au defir de la Ruffie , quelque
grande qu'elle ſoit , ne conjurera pas l'orage
prêt à fondre ſur l'Empire Ottoman. Ils met
tent en avant pour étayer leur ſyſteme , les re
vendications que l'Empereur eſt à la veille de
faire contre la Porte, l'énormité des préparatifs
faits par les deux Cours Impériales , & le filence
du Roi de Pruſſe ſur tout ce qui a annoncé
depuis fi long-temps un projet d'invalion. Gazette
d'Amsterdam , nº. 79 .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1) .
PARLEMENT DE PARIS , IIIe. CHAMBRE DES
ENQUETES.
Instance entre lefi ur de Pierreclos , SeigneurdeBerzel-
e-Chatel, La Communauté des halitans de So-
Ligny en Maconnois , & les fieur & dame de
Montluzon Exécutions des arrêts des grands
jours de Clermont , concernant la réduction des
mesures particulieres & exceſſives des Seigneurs ,
à celles du plus prochain Marché.
Par Arrêt du 15 Octobre 1665 , la Cour ordonna
que tous les Seigneurs rapporteront les
titres en vertu deſquels ils prétendroient leurs
droits ; & , à faute de ce faire , dans le délai
- preſcrit , elle leur fit défenſes de les lever , à
- peine de concuffion. Par un ſecond arrêt ,
la Cour ordonna que toutes les meſures feroient
réputées conformes à celles du plus prochain
Marché des lieux , & à l'égard de celles dont
il y auroit titres , qu'elles ne pourroient excé.
der le quinzieme du ſeptier de celles du plus
prochain Marché : elle ordonna en outre qu'à
L'avenir tous les poids & meſures dont on ſe
ferviroit , ſeroient étalonnées , & les matrices re
miſes ès mains des Juges & Officiers commis
pour la police , avec défenſes à toutes perſonnes
( 144 )
:
:
d'en garder& referver aucunes:-Pluſieurs Seigneurs
ont tâché d'éluder les diſpoſitions de ces
arrêts. Le ſieur de Pierreclos , Seigneur de Brezé-
le- Chatel , a voulu percevoir les cens à une
meſure particuliere , autre que celle de Cluny ,
plus prochain Marché royal. Cette meſure ,
comparée à la matrice de Cluny en 1777 , a
produit vingt-huit livres quatre onces; & celle
de Cluny n'a produit que vingt- fix livres fix
onces. Le heur de Pierreclos a voulu percevoir
néanmoins ſur ſa meſure particuliere
les cens qui lui étoient dûs par les ſieur & dame
*de Montburon , même d'après un traité particulier
paflé entre leurs auteurs & le Seigneur
de Brezé-le-Chatel . -Conteſtation à ce ſujet
s'eſt élevée au Baillage de Macon , dans laquelle
la Communauté des habitans de Soligny
eſt intervenue : ſentence qui , en exécution des
arrêts des grands jours de Clermont , a prononcé
que le Seigneur ſeroit tenu de réduire les
meſures en grains & en vins à celles de Cluny
, & l'a condamné aux dépens.-Le 24
Juillet 1783 , arrêt confirmatif.
PARLEMENT DE FLANDRES.
:
Portion congrue.
On a dit dans le Répertoire de Jurisprudence
, au mot Portion congrue , que le Parlement
de Flandres eſt autorisé , par une Déclaration
du 26 Juin 1686 , à fixer , ſuivant les circonf--
tances , les portions congrues de chaque Curé.
On en a vu obtenir juſqu'à 1000 liv. Arrêt du
5 Mars 1782 qui a fixé à ce taux celle du Curé
d'Eſtroeungt. Un autre arrêt du 25 Juillet a
adjugé au Curé de Caſtignis une portion congrue
de 750 florins : enfin un arrêt du 21 Mai
1783 a adjugé au Vicaire de la Rouillie une
penſion congrue de 350 liv.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25 OCTOBRE 1783 ..
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ETEN PROSE.
NICÉ , ou la parfaite Indifférence ,
Imitation de Mérastase.
POUR
OUR cette fois , Nicé , je ſors de l'eſclavage,
J'échappe à tes attraits , je ne ſuis plus jaloux ;
Tu peux , ſans me fâcher , paroître encor volage,
Je n'en reſſentirai ni dépit ni courroux.
Que ton nom mille fois ſe diſe en ma préſence ,
D'un trouble involontaire il ne m'agite plus ;
Je goûte le repos de mon indifférence ,
Et ines ſens à ta vûe ont ceſſé d'être émus.
Tu n'es plus au matin l'objet de ma penſée;
La nuit tu ne viens plus agiter mon fommeil ;
Demon coeur pour jamaisje te ſens effacée :
Mon amour futun ſonge , &je ſuis au réveil.
N°. 43 , 25 Octobre 1783 . G
146 MERCURE
SANS en être touché je parlede tes charmes;
Je ne ſuis près de toi ni gêné ni confus ;
Tu n'as pour m'attaquer que d'impuiſſantes armes :
Des attraits , ſans un ecoeur , font pour moi ſuperflus.
Que je fois triſte ou gai ce n'eſt plus ton ouvrage;
Je puis trouver ſans toi de fortunées momens ;
Je crois même à préſent trouver ſur ton viſage
Des défauts que je crus être des agrémens.
Je puis voir d'un même oeil ton mépris ou ta haine;
Reprends , ſi tu le veux , ta perfide douceur !
Ma victoire , crois moi , n'en eſt pas moins certaine :
Tes yeux ne ſavent plus le cheminde mon coeur.
De ton amour trompeur , de tes promeſſes vaines ,
Par un ſincère cubli je ſuis aſſez vengé ;
Et fi je me ſouviens du fardeau de mes chaînes ,
C'eſt pour mieux m'applaudir d'en être dégagé.
Js quitte un coeur ingrat , tu perds un coeur ſenſible;
Qui de nous deux , Nicé , doit gémir en ce jour ?
De remplacer le tien il n'eſt que trop poſſible :
Trouveras-tu jamais un plus fidèle amour ?
(ParM. Lemaire.)
DE FRANCE. 147
A Madame la Marquise DE MONTCHAL ,
qui avoit apprivoisé, dans ſon château de
Noyen , un Aigle qui s'eſt envolé.
L'OISEAU
'OISEAU de Jupiter , las de porter la foudre,
Avoit quitté les cieux ; il erroit ici bas.
Ne ſachant à quoi ſe réſoudre,
Aux rives de la Seine il dirige ſes pas.
Contre les dangers qu'il ignore ,
Les Dieux qu'il ne voit plus le protègent encore.
Couverte d'un nuage épais ,
Minerve en tous lieux l'accompagne ,
Et lui ditque pour vivre en paix
Il faut habiter la campagne.
Las de la Ville & de la Cour ,
De tous les importuns qui volent ſur ſes traces ,
ANoyen il s'arrête ; & dans ce beau ſéjour ,
Sous les traits de Montchal il reconnoît les Grâces.
Enchanté de tout ce qu'il voit ,
Detant d'attraits ſi doux &de talens ſi rares ,
Il s'apprivoiſe , mange & boit.
L'honneur de figurer ſur des drapeaux barbares
Vaut-il les baiſers qu'il reçoit ?
Lui qui , ſans ſourciller , des ſa tendre jeuneſſe
Arrêtoit ſes regards ſur le flambeau des cieux,
Ne peut de ſa belle maîtreſſe
Soutenir l'aſpect radieux;
1
Gij
148 MERCURE
L'Aigle eſt fier ; il reprend le chemin de la nue ,
Rêve aux charmes qu'il a connus ,
Et s'envole aux pieds de Vénus
Pour repoſer un peu ſa vûe.
( Par M. de la Louptiere. )
CHANSON.
Que digne enfant de Mégère ,
Un vil Zoïle en fureur ,
Déchire l'heureux vainqueur
Et de Sophocle & d'Homère :
Hé ! qu'est- ce que ça me fait à mois
J'aime , je lis mon Voltaire.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
Que Liſe paſſe en caprices
L'eſprit le plus à l'envers ;
Qu'aux plus finguliers travers
Chloé joigne tous les vices :
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ;
Roſette fait mes délices,
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi,
Qu'un riche habit à la mode
* Soit le paffe-port d'un fat;
Qu'un élégant Magiftrat
DE FRANCE. 149
Des Loix ignore le Code :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi;
Moi , des plaideurs l'antipode.
Hé ! qu'est - ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
QU'UNE Conſeillère aimable
Pour amie ait pris Laïs ;
Que d'un tel écart ſurpris
Son mari la donne au diable:
Hé ! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Chacun aime ſon ſemblable.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi,
Quandje chante & quand je boi.
QU'A trente ans , au fond de l'âme,
Mainte fille à qui l'Hymen
Ne dira jamais Amen ,
Contre le ſiècle déclame :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi :
Je vis fi joyeux ſans femme.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi .
Que fur la Scène divine ,
Où fix eſprits immortels
Auront toujours des autels ,
Le goût des Drames domine :
Hél qu'est- ce que ça me fait à moi ;
J'y vois Molière & Racine.
:
Giij
150 MERCURE
Hé! qu'est-ceque ça me fait àmoi ,
Quand je chante& quandje boi.
Que tout claque Gabrielle
Quand ſon cuifinier lui ſert,
Dansune ſauſſe à robert ,
Le coeur d'un amant fidèle :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi s
Je ſiffle une horreur fi belle.
Hé! qu'est-ce que ça me fait àmoi ,
Quandje chante& quand je boi.
Qu'un fot, chez qui l'or abonde ,
Soit par-tout, chéri , fêté;
Qu'un Aftronome vanté
En revant creux nous inonde :
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Qu'un fou fubmerge le monde.
Hé! qu'est-ce que ça me fait àmoi,
Quandje chante & quand jeboi.
Que l'entretien de Fanchette
Coûte au vieux Duc un mont d'or;
Que la fine mouche encor
Plume un Midas en cachette :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
L'Amour m'a donné Rofette.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
DE FRANCE. ist
Qu'un Éditeur que j'eſtime ,
En recevant ma chanſon ,
Ou la brûle fans façon ,
Ou dans ſon Journal l'imprime :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Roſette la croit ſublime.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
LE MODELE DES FRÈRES , Conte.
BLIMONT LIMONT avoit fait comme tant d'autres :
jeune , aimable , né avec des paffions vives ,
il avoit aimé ; mais il n'avoit pas voulu ſe
lier par d'autres noeuds que ceux de l'amour.
Ayant plus d'indulgence pour la Naturé que
de reſpect pour les Loix , il étoit devenu
père. Peut- être ce ſentiment l'eût il emporté
dans ſon coeur ſur l'amour de la liberté ;
peut être cut- il conſenti à devenir époux ,
afin de pouvoir être père authentiquement ,
d'en remplir plus fructueusement les devoirs
, d'en ſavourer mieux lesdélices. Mais
la jalouſie , peut être l'inconſtance , loin de
lui permettre les noeuds de l'hymen , l'avoit
arraché à ceux même de l'amour. Il avoit
quitté Léonore , celle à qui il devoit letitre
de père. Il l'avoit ſoupçonnée d'infidélité; &
il avoit rompu avec elle ſans l'avoir convaincue.
Long temps les remontrances , les
Giv
152 MERCURE
menaces de fa famille , qui craignoit les
fuites de cette intrigue , avoient combattu
vainement fon amour ; un ſeul ſoupçon en
avoit triomphé; encore ce ſoupçon étoit- il
injufte ; mais comme il étoit d'un caractère
violent , emporté , il n'avoit voulu écouter
aucun éclaircifſſement , & il avoit réſiſté à
tous les efforts directs ou indirects de l'infortunée
Léonore. Sa famille, qui avoit pris
pour un acte d'obéiſſance une rupture qui
n'étoit que l'effet d'un caprice , ou plutôt
d'une injustice , lui avoit rendu ſes bonnes
grâces , & lui avoit bientôt propoſé la main
d'une jeune héritière qu'il avoit acceptée . Il
étoit devenu père une ſeconde fois ; & le
ſecond fils que l'hymen lui avoit donné, n'avoit
pas deux ans de moins que celui de Léonore.
Celui- ci avoit été enveloppé dans la
difgrâce de ſa mère ; il avoit été délaiffé , oublié;
d'ailleurs Léonore , par dépit ou par
fierté , n'ayant pu réuſſir à ſe juſtifier , avoit
réſolu d'oublier un ingrat ; & elle s'étoit
éloignée de lui , fans lui faire connoître l'aſyle
où elle alloit cacher ſa honte & fon chagrin .
Elle avoit emmené fon fils avec elle. Comme
elle n'avoit aucun rang à lui donner dans laSa
ciété , elle avoit cru qu'il la'connoîtroit affez
tôt; elle avoit cru pouvoir différer de lui faire
voir des honneurs auxquels il ne devoit point
prétendre , & de lui montrer le ſpectacle des
richeſſes dont elle ne pouvoit le faire jouir.
Dailleurs , il étoit encore fort jeune ; & elle
s'étoit chargée feule de fon éducation.
DE FRANCE.
153
De ſon côté , Blimont faifoit auffi élever
fon fecond fils , qu'il regardoit comme fon
fils unique. Ce fils commençoit à grandir ,
& fon père ne l'avoit pas encore revu . Veici
pourquoi. Blimont avoit un parent fort riche
, mais qui étoit bien au moins aufli
original . Ce parent , qu'on appeloit Manville ,
vivoit feul dans une Terre fort éloignée de
Paris. Ayant reçu quelques mécontentemens
dans le monde, il avoit réſolu de le quitter.
Il avoit trouvé , ce qui n'étoit pas une rare
découverte , des amis faux & des maîtreffes
infidelles ; d'autres auroient oublié les faux
amis , & fe feroient vengés des maîtreſſes
infidelles en les imitant : Minville avoit
mieux aimé leur céder la place. Mais il
n'avoit pas voulu leur pardonner. Pour ſe
venger des hommes , il avoit refolu d'être
miſantrope. Vous ſentez ce que c'eſt qu'une
mifantropie en projet ! comme s'il fuffifoit
dedine, haïffons les hommes , pour les haïr!
Ce pauvre Minville n'avoit pas l'énergie dont
il avoit beſoin pour le rôle qu'il avoit pris ,
& qu'iljouoit pourtant de ſon mieux. Il vouloit
oublier le monde ; mais il aimoit à voir
quelqu'un qui le lui rappelât. Il avoit même
été tenté de ſe marier ; mais il avoit cru un
pareil acte contraire à ſon projet ; & il s'en
étoit abſtenu par logique. Néanmoins , en
haïffant tous les hommes, il ſentoit qu'il au
roit quelque jour beſoin d'en aimer un par
exception. Cette haine étoit le réſultat de ſes
principes , & cet amour le beſoin de fon
Gv
154 MERCURE :
coeur. Du reſte , c'étoit un homme d'une
probite incorruptible. Ses vertus avoient des
formes fingulières; mais le fonds en étoit
réel&folide. Il avoit même des lumières &
de l'eſprit ; & il n'eût tenu qu'à lui de plaire
en ſe faiſant eftimer ; mais il eût rougi d'être
aimable.
Minville ne crut donc pas déroger à ſa
demi-miſantropie , en demandant à Blimont
fon fils , pour l'élever & le garder auprès de
lui. Blimont ne doutoit point que le vieux
Minville ne fût capable de donner à fon fils
une bonne éducation ; d'ailleurs le bonhomme
étoit fort riche; on prétendoit à fon héritage;
& ce motif fait taire bien des ſcrupules.
Quoi qu'il en ſoit , le fils de Blimont ,
à peine forti de l'enfance , fut envoyé à
Minville , qui jugea en le voyant qu'il falloit
haïr le monde entier , mais que cet enfantlà
pouvoit devenir très- aimable. Ce fut
même pour lui une occafion de voir un peu
de monde; mais il raffuroit ſa confcience
miſantropique, en ſe diſant qu'il ne voyoit
ce monde- là que pour ſon élève.
Un haſard fingulier fit que l'aſyle qu'avoit
choiſi la triſte Léonore avec ſon fils , ſe
trouva voiſin de la retraite de Minville. Un
hafard moins extraordinaire fit que les deux
jeunes gens ſe rencontrerent ; & Minville ,
foit que ce fût encore là une infidélité faite
à ſa miſantropie , ſoit que la Nature lui
parlat pour cet enfant inconnu , foit encore
qu'il crût devoir donner à ſon élève un com
DE FRANCE.
155
pagnon, pria la mère de les laiffer fouvent
jouer enſemble. Les études & les plaifirs devinrent
communs entre eux; leur liaiſon
devint un fentiment avec les années ; ils ne
pouvoient plus ſe quitter; & ils s'aimèrent
comme s'ils s'étoient connus.
L'elève de Minville (je l'appellerai d'Éper.
ny ,& fon jeune ami , Maurice ) ; d'Éperny
donc approchoit de ſa quinzième année , &
par conséquent Maurice en étoit forti à
peine. D'Éperny étoit de beaucoup au- deſſus
de fon âge; ſes difcours annonçoient un ef
prit & une raiſon rares; & toutes ſes actions
prouvoient la ſenſibilité la plus intéreſſante.
Il étoit aux petits ſoins avec Maurice
; il craignoit toujours de ne pas deviner
ſes beſoins. On eût dit que la Nature avoit
éclairé ſon coeur; qu'il avoit appris qu'il
poffédoit feul une fortune que Maurice avoit
naturellement droit de partager avec lui ,
& qu'il cherchoit à réparer l'injustice de fon
père. Il est vrai que Maurice étoit digne de
fon amitié , & qu'il répondoit à ſes foins
par une tendreſſe auſſi defintéreſſée qu'attentive.
De ſon côté , Minville, tout courroucé
qu'il étoir contre les hommes , n'avoit pas
pu s'empêcher de parler à Léonore ; il n'avoit
pas pu lui parler ſans l'interroger fur fon
fort; ſes queſtions avoient amené des aveux ;
Minville attiroit la confiance; enfin Léonore
lui raconta fon hiſtoire , qui attendrit notre
miſantrope; mais malheureuſement fon cha
Gvj
156 MERCURE
grin étoit un mal fans remède , vû l'engage
ment qu'avoit contracté Blimont.
1
Ce fecret ne demeura pas entre Minville
&Léonore. Soit par quelque imprudence ,
foit par une confidence volontaire , les deux
frères furent inftruits de leur fort. Le modeſte
Maurice ſembla preſque honteux d'être
le frère de d'Éperny; & le ſenſible d'Éperny
parut tout fier de ſe trouver le frère de Maurice.
Ils ne s'aimèrent pas davantage ; mais
ils ſe trouvèrent plus heureux. Minville s'occupoit
toujours du malheur de Léonore , ou
plutôt il étoit désolé de n'y voir aucun remède.
Il défendit au moins à d'Éperny de
faire part à fon père de la découverte qu'il
avoit faite. Une année s'écoula ainfi ; Minville
plaignant toujours en vain Léonore ,&
les deux frères s'aimant toujours avec la
même tendreffe.
Un jour d'Éperny conçoit un projet bien
fingulier , intéreſfant , rare , & qui demandoir
un cooeur aufſi ſenſible & une raifon
auffi prématurée. Il veut dédommager Man -
rice de l'injustice du fort & de la ſévérité
des Loix. Il a ſeul conçu le projet , il veut
ſeul l'exécuter; il ne follicite aucune médiation;
il ne demande que la liberté de retourner
dans la maiſon paternelle. Mais
pour cela il faut s'ouvrir à Minville. D'Éperhy
va le trouver un matin. " Mon bienfai-
>> teur , dir- , ( c'eſt ainſi qu'il l'appeloit )
ود il faut aujourd'hui mettre le comble à vos
> bienfaits. Mautice a retrouvé fon frère
DE FRANCE.
157
'ce n'eſt pas tout; il faut que je lui rende
>> un père. >> Alors il communique fon projet
à Minville , qui demeure un moment
muet de ſurpriſe & d'attendriflement , &
qui l'embraſle en pleurant de tendreffe. En
faveur de ce trait, fi dans ce moment- là le
genre humain avoit demandé grâce à Minville
, Minville lui auroit pardonné fans ref
triction . On juge bien d'après cela , qu'il
n'eut pas de peine à condeſcendre à ce que
lui demandoit l'ardent d'Éperny . Celui - ci
avoit beſoin d'être ſecondé par une difcrétion
invincible , &par un filence courageux ;
&il profita de l'intérêt qu'il avoit inſpiré ,
pour engager Minville à ſe lier par ſa parole
d'honneur , & même par un ferment.
La téſolution que venoit de prendre d'Éperny
n'étoit pas un de ces mouvemens de
générofité imitative & paffagère , d'un enfant
qui jette des biens dont il ne ſent point la
jouiſſance , & dont il ne connoît point la
privation; c'étoitun projet enfanté par une
raifon forte & par un ſentiment profond.
Ce qu'il eut plus de peine à obtenir , ce fut
le confentement de Maurice , qui , en reprenant
une place que la Nature lui avoit marquée
, ſe croyoit coupable d'ufurpation.
Mais d'Éperny employa toute l'éloquence
de l'amitié; il lui prouva fi vivement que da
fuccès de cette entrepriſe dépendoit fon
bonheur , fa vie même , que Maurice effrayé
promit tour , ſouſcrivit àtout ;& il y mit
tant de zèle , qu'il avoir l'air de fervir fon
158 MERCURE
ami en travaillant à ſa propre fortune ; de
façon qu'on auroit pu dire qu'il avoit l'air
intereſle par un excès de defintéreſſement.
Quand tout fut arrangé , ayant dit adieu à
Minville , les deux frères ſe mettent en
route , arrivent à Paris , & ſe préſentent
chez Blimont. Il eſt tems de dire ici que Blimont
, d'après tout ce qu'il avoit appris de
d'Éperny , d'après les lettres qu'il en recevoit
, avoit conçu pour lui une tendretfe
inexprimable. Il ne l'avoit pas fait venir encore
auprès de lui , de peur d'affliger ce bon
Minville ; & il n'étoit pas alle le voir , parce
que des occupations , des affaires habituelles
qu'il ne pouvoit ſuſpendre, le retenoient efclave
à Paris .
" Mon père , dit d'Éperny en entrant , le
>> même titre & le même intérêt nous amè-
» nent ici. Si je porte la parole , c'eſt ſans
>> avoir aucun motifde plus pour vous par-
ود ler. L'amitié & un ferment ſacre rendent
> notre fort commun& infeparable. L'un
de nous deux eſt d'Éperny , & tous deux
>> nous ſommes vos fils. L'un a été délaiſſé ,
abandonné par vous; l'autre vous eft cher ,
&il eſt comblé de vos bienfaits. L'un de
> nous eſt d'Éperny ; mais il ne ſe fera ja-
"
ود
ود mais connoître; & , quelques demarches,
>>quelques efforts que vous faſſiez , vous
>> ne parviendrez jamais à le découvrir.
>> Voyez maintenant ſi en choiſiſſant l'un
>> de nous deux vous voulez vous expoſer
» à chaſſer le fils qui vous eſt cher ,
DEFRANCE.
159
1
» & pour qui vous avez tout fait. "
Qu'on ſe figure à ce diſcours l'étonnement
de Blimont. Pendant un moment, il regarde ,
il écoute , fans rien voir & fans rien entendre.
Ses yeux ont beau parcourir l'un &
l'autre , ſon embarras eſt toujours le même.
Enfin il ne fait que répondre. Il les reçoit
tous deux en attendant , & il les quitte pour
écrire à Minville , qui, lié par ſon ferment
&par ſon amitié pour d'Éperny , répond à
Blimont qu'il eſt complice du projet , &
qu'il n'eſt pas naturel de ſe déceler foimême.
Cette réponſe , comme on voit , n'étoit
pas propre à éclairer Blimont , qui d'ailleurs ,
après avoir réfléchi , avoit moins beſoin de
l'être pour ſe déterminer. Touché d'une générofité
ſi rare , il avoit eru que d'Éperny ,
quel qu'il fût des deux , méritoit la grâce de
fon frère; & il adopta l'un & l'autre. Cependant
, fans avoir envie de changer cette
dernière réſolution , il ſentoit de temps en
temps le plus violent defir de connoître d'Éperny.
A chaque inſtant il les mettoit l'un &
l'autre àune nouvelle épreuve,mais la tendrefſe
toujours ingénieuſe de d'Éperny prévoyoit
tout, paroît à tout. Il oppofoit aux tentatives
de Blimont toutes les ruſes innocentes
que fon coeur pouvoit lui fuggérer. Maurice
heureuſement pouvoit rivaliſer avec lui en
talens & en vertus ; d'ailleurs , ce qu'il ne
pouvoit pas faire, d'Éperny le faifoit pour
lui. A la fin tous les deux parvinrent à ſe
160 MERCURE
faire aimer de Blimont ; d'Éperny craignit
moins que ſon frère ne fût renvoyé ; mais il
craignoit toujours que ſi ſon père venoit à
le reconnoître , il ne lui marquât plus d'amitié
, & que cette préférence ne rendit malheureux
Maurice; aufli ſon amitié ne s'endormoit
jamais ; & fon ingénieuſe délicareffe
n'oublioit rien pour empêcher d'entr'ouvrir
le voile qui le déroboit à l'oeil paternel.
Il est vrai que l'heureux naturel de
Maurice le fecondoit bien ,il fit tant auprès
de Blimont , il fut i bien gagner ſon coeur ,
que ce père trop heureux finit par defirer
de ne penetrer jamais ce ſecret. Il réfolut de
partager aveuglement entre eux ſon coeur
comme ſa fortune; bien perfuadé qu'après fa
inort , le partage de ſes biens ſe feroit fans
que la Loi eût beſoin de s'en mêler. Bientôt
il fut difficile de décider lequel des trois
étoit le plus heureux. Que dis je ? l'un des
trois ne pouvoit trouver fon bonheur parfait.
Maurice ne pouvoit oublier que fa mère
vivoit dans un abandon ignominieux ; &
cette idée venoit l'attriſter dans les plus heureux
inſtans. Il étouffoit ſes plaintes , ſes
foupirs ; mais il ſe taiſoit en vain : les coeurs
de d'Éperny & de Maurice n'avoient pas
beſoin de l'organe de la parole ; ils s'entendoient
, ils ſe devinoient. La triſteſſe de
Maurice affligeoit d'autant plus d'Éperny ,
qu'il ne pouvoit le confoler que par de vains
diſcours . Ce n'eſt pas fur la fortune de Léonore
qu'on gemiffoit; Blimont , en adoptant
DE FRANCE. 161
Maurice ſans le connoître , avoit foudain répandu
ſes bienfaits ſur ſa mère , dont on lui
avoit découvert l'aſyle. Mais l'or comfolet'il
de tous les malheurs ?
Que faifoit cependant Minville ? Il s'ennuyoit
, quand il croyoit philoſopher. Dans
toutes les lettres , dans tous les écrits qu'il
lifſoit , il ne voyoit que le crime & la fottiſe.
Le chagrin d'être ſéparé de d'Éperny
compofoit ſeul toute ſon humeur , & il
croyoit que la haine des hommes y entroit
pour plus des trois quarts. Au milieu de ſes
ennuis , quand il écrivoit à Bliment , il le
trouvoit fort malheureux; il le plaignoit de
vivre avec des fots & des méchans .
Ce motif n'étoit pas capable de faire le
malheur de Blimont ; mais un évenément
vint troubler ſon bonheur. Il perdit ſa
femme , pour laquelle il avoit , finon de
l'amour , au moins de l'eſtime & de l'amitié.
Quoiqu'elle eût vécu preſque toujours abfente,
à cauſe de ſa ſanté, elle n'emporta pas
moins de regrets ; & le deuil ſuſpendit un
moment lebonheur de toute la maiſon .
Quand d'Éperny eut payé le tribut de
pleurs qu'il devoit à la Nature ; quand fa
rendreſſe& celle de Maurice eurent effuyé les
larmes de Blimont , celui - ci n'ayant plus
d'autres devoirs à remplir , n'eut plus à s'occuper
que du bonheur d'être père. Il refpecta
toujours le myſtère qui étoit répandu
fur ſes deux fils; il eût tremblé de ſoulever
ce voile qui ajoutoit à fon bonheur; il ai
162 MERCURE
moit enfin à voir ſes deux enfans confondus
à ſes yeux par leur nom , comme ils l'étoient
dans ſon coeur par l'amour paternel.
Mais le coeur de d'Éperny avoit été trop afligé
pour n'avoir pas beſoin d'être conſolé
par quelque acte de bienfaiſance ou d'amitié.
Sa ſenſibilité toujours active avoit toujours
quelque jouiſſance à lui procurer. Un
jour il va trouver Maurice , & l'ayant inftruit
d'un nouveau projet , le ſomme de le
ſuivre pour lui aider à l'exécurer. Maurice
ſe jette dans ſes bras en pleurant de joie&
de tendreffe , & marche avec lui. Ils entrent
tous deux chez Blimont , & tombent enſemble
à ſes genoux ſans rien dire. Qu'avezvous
, mes enfans , leur dit Blimont ; que
venez vous me demander ? Parlez. O mon
père , s'écria d'Éperny ! l'un de nous deux
étoit orphelin , abandonné , malheureux.
Vous avez daigné jeter ſur lui un regard
de bonté& de bienfaiſance ; vos bras , votre
coeur ſe ſont r'ouverts pour lui ; vous
l'avez comblé de bienfaits ; vous lui avez
renduun père, enfin tout ce que vous avez
pu faire pour lui , vous l'avez fait : ilnedefiroit
plus rien, parce qu'il n'avoit plus rien
à demander qui pût lui être accordé par
vous. Aujourd'hui qu'un nouvel eſpoir s'eſt
gliſſé dans ſon âme , il redevient malheureux
ſi vous ne daignez le remplir. Malheureux ,
interrompt Blimont ! eh ! que lui manquet'il
done? Ce qui lui manque, s'écrièrent
les deux frères avec une voix qui eût attendri
DE FRANCE. 163
-
le coeur l'un barbare ? Il lui manqueunemère.
Comment , dit Blimont tout troublé !
Oui , une femme infortunée que vous avez
aimée , qui vous aime encore.... -A ces
mots Blimont tombe dans un fauteuil , cache
ſon viſage dans ſes mains , & appuyé
fur une table , il y demeure comme muet
&accable. Enfin reprenant ſes eſprits & fon
courage : O mes enfans , leur dit-il , en ſe
penchant ſur eux , je vous pardonne votre
demande ; mais vous ne ſavez pas que vous
demandez ce qu'il m'eſt impoſſible de vous
accorder. Puiffiez vous l'ignorer toujours !
Impoſſible , s'écrie d'Éperny ! quoi ! il vous
ſeroit impoffible d'être père tout-à- fait ,de
mettre le comble à vos bontés! Non; vous
calomniez votre coeur , votre ſenſibilité ,
votre justice. Alors Blimont les prenant tous
deux par la main : Eh bien ! vous m'y forcez ,
leur dit-il ,je vais affliger l'un de vous deux ;
je vais déchirer ſon coeur. Mais vous m'accuſez;
il faut que je me juftifie. Ce que
vous regardez de ma part comme un abandon
, n'est qu'un acte de juſtice ; ce qui vous
paroît un malheur digne de pitié , n'eſt qu'un
juſte châtiment. Cette mère que vous réclamez
l'un & l'autre , s'eſt fermé mon coeur
volontairement , elle a outragé l'amour , &
l'honneur m'a fait un devoir de la vengeance.
Un moment, je vous prie, interrompt d'Éperny
avec une noble fermeté : voici ma réponſe.
En même temps il tira de ſa poche
des papiers qui renfermoient une juſtifica
164 "MERCURE
tion complette de Léonore. A ce trait inattendu
( car Maurice lui même n'étoit pas
dans la confidence de ces papiers que d'Éperny
s'étoit procurés en ſecret , ) Blimont
-ſe tait , & jette les yeux ſur les écrits qu'on
lui preſente. Il ne peutſe refuſer à l'évidence ;
il reconnoît ſon erreur , ſon injustice ; il
tombe dans les bras de ſes deux fils , en fondant
en larmes . O mes enfans , leur dit- il !
qu'elle vienne cette mère , cette victime ; je
fuis prêt à réparer tout , ſi elle conſent à tout
pardonner. Mais , que dis-je ? réparer ! le
puis- je? Oui , vous le pouvez , s'écrient les
:deux frères avec tranſport. Alors ils ſejettent
tous deux à ſon cou , & le couvrent de baifers
& de larmes de joie. Enfin il conſent à
époufer Léonore.
C'eſt ainſi que le tendre d'Éperny , par
fon intereſſante ſenſibilité , redevint le frère
de Maurice , lui rendit un père , & donua un
-époux à Léonore. Pour combler la joie qu'il
ten eur, ildemandala periniſſion d'aller la cher-
-cher lui-même , & de l'amener dans les bras
d'un époux qu'elle ne s'attendoit plus à poffeder;
& Blimont ne put lui refuſer cette
jouiffance. Enfin il partit, & revint bien vîte
avec Léonore , dont le mariage fut célébré
avec une joie également ſentie par les deux
époux & par les deux fils de Blimont.
Minville apprit cette nouvelle ; il s'en réjouit
en bon parent; en bon parent, il vint
vifiter cette heureuſe famille. Il paſſa avec
eux un mois qui lui donna l'envie d'y en
DE FRANCE. 165
paffer encore un autre. Il aima comme de
raiſon ſes parens , puis les parens de ſes parens
, puis leurs amis , puis d'autres perſonnes
encore. Enfin il redevint ce qu'il étoit né , &
il ſe délaſſa par le rôle de bonhomme , de ſa
grimace miſantropique.
( ParM: Imbert. )
Explication de la Charade , de l'énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Malheureux ;
celui de l'énigme eſt Livre ; celui du Logogryphe
eft Dimanche , où l'on trouve manche
, me, diné, mi , mine , mie , Maine ,
chien , cime , Chine , Iman , ami , Diane ,
Mai , main.
:
CHARADE.
PLUS d'unNégociant en faiſant mon premier ,
Pour aller à mon tout ſe trace mon dernier.
( Par M. Juhel, à Mayenne. )
ÉNIGME.
AVEC cinq pieds ſouventje fais ravage ;
Avec trois jepeux rendre une tête plus ſage ;
Avec deux je fais des heureux ;
Avec quatre un mal furieux.
(Par Mlle Bri ... l'ainée , de Saint-Dixier.)
166 MERCURE
J'AI plus
LOGOGRYPΗ Ε.
d'un père à qui je dois mon exiſtence ,
Et j'ai pour mère la Science ;
J'embraſſe tout par mon ſavoir.
Qui me connoît ſait quel eſt mon pouvoir ;
Plus d'un Savant me chérit , me careffe ;
Je charme ſon ennui , je calme ſa triſteſſe;
Et ſur mon tout ſi l'on jette un coup- d'oeil ,
On admire mon noble orgueil.
Sur trois fois quatre piés j'avance , je recule......
On trouve auſſi- tôt dans mon ſein
Un deſcendant de l'invincible Hercule ;
Lademeure du Sage , où ſon heureux deſtin
Le conduit dans une autre vie ;
Une Nymphe qui fut chérie
Du plus puiſſant de tous les Dieux;
Un ornement à de beaux yeux ;
Un point principal de la terre ;
CeHéros, ce fils vertueux ,
Qui ſur ſon dos porta ſon père ;
Uncompagnon du forgeron Vulcain ;
Un membre utile au genre humain ;
Trois fleuves ; une montagne aux Muſes conſacrée;
Deux volatils , dont l'un eſt femelle ruſée ;
Un arbre , trois Cités ; bref, une docte foeur.
Peut-être ſous tes yeux ſuis-je , mon cher Lecteur.
(Parlamême.)
DE FRANCE.
167
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE concernant une eſpèce de Colique
observéefur les Vaiſſeaux , lû à l'Affembléepublique
de la Facultéde Médecine de
Paris , tenue le premier Septembre 1783 ,
par M. de Gardanne, Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine de Paris , Médecin
de Montpellier , Cenſeur Royal , Aſſocié
&Correſpondant de pluſieurs Académies.
A Paris , de l'Imprimerie de Quillau ,
Imprimeur de la Faculté de Médecine ,
rue du Fouarre.
Tous les hommes deſirent la vérité; il y
en a peu qui la cherchent; il y en a moins
encore qui parviennent à la découvrir. Ce
défaut de ſuccès peut être attribué à deux
cauſes contraires ; ſi les uns font trop peu
d'efforts pour la trouver , les autres auffi
vont la chercher quelquefois beaucoup trop
loin. En effet , il y a de ces vérités ſimples
qu'on pourſuit long- temps , & qu'on eſt
étonné , après leur découverte , d'avoir eu ,
pour ainſi dire , ſous ſa main , ſans les ſaiſir.
Telle est celle qui paroît réſulter du Mémoire
que M. de Gardanne vient de publier
, & que nous allons faire connoître en
peude mots.
CeMémoire a été lû avec grand ſuccès à
/
168 MERCURE
l'Affemblée publique de la Faculté de Médecine,
du premier Septembre 1783. Il traite
de la Colique des Gens de Mer ; & il eft.
diviſé en deux Parties : dans l'une , il eſt
queſtion de la cauſe ; & dans l'autre , du
traitement & du préſervatif.
M. de Gardanne commence par rapporter
les ſymptômes de cette maladie , tels qu'ils
ont été dépeints par ceux qui en ont parlé
avant lui. Peu content de l'explication qu'on
en avoit donnée , il a fait de nouvelles obſervations
, & il s'eſt arrêté à un réſultat des
plus fimples. Ayant trouvé dans les ſymptômes
& les effets de cette colique des Gens
de Mer , une parfaite analogie avec celle
qu'on nomme la colique des Peintres , il a
été tenté de croire , & il s'eſt convaincuque
c'étoit la même maladie , vû que la cauſe
quiproduit lacolique des Peintres,ſe retrouve
fur les vaiſſeaux , c'est- à- dire , les exhalaifons
de la peinture. Dès lors tout s'explique
naturellement ; & ce qui avoit ſervi de
preuve en faveur du ſyſtême qui taxoit cette
maladie de colique billienſe, s'applique avec
la plus grande vraiſemblance au nouveau
principe de M. de Gardanne. " La peinture
>> une fois reconnue , dit- il , pour la cauſe
>> de cette colique, il eſt facile d'expliquer
>> pourquoi les Officiers en ſont plutôt atta-
>>qués que les Matelots. Ces derniers cou-
ود chant dans le premier entre-pont , qui
» n'eſt point peint, doivent néceſſairement
» en être exempts , tandis que les Officiers
» qui
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
• RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Septembre.
ACour reviendra deCzarsko Zelo le 26
Lde ce mois ; S. M. I. y a été un peu indiſpoſée;
mais elle eſt à préſent rétablie. Le
Marquis de Verac, Ambaſſadeur de France ,
prendra congé de cette Princeſſe , pour aller
faire un voyage à Paris, où il eſt rappellé par
fes affaires particulieres ; M. Cayard, fon Secrétaire
de Légation , reſtera chargédes inté
rêts de S. M. T. C. pendant fon abfence.
Outre le préſent ordinaire de 3000 roubles
, l'Ambaſſadeur de Naples a reçu da
l'impératrice une riche tabatiere d'or , ornée
du portrait de S. M. I. L'Ambaſſadrice ,
ſon épouſe , a été gratifiée d'un collier de
diamans, &fa foeur d'une aigrette.On aſſure
qu'à ſon retour à Naples , il fera décoré, avec
la permiffion du Roi fon maître, de l'ordre
Ruffe de S. Alexandre Newsky.
L'Amiral Tſchitſchat goff, écrit-on de Revel ,
N°. 43.25 Octobre 1783 . 8
1
:
( 146 )
eſt arrivé dans ce Port le 30 du mois dernier ,
à bord de l'Alexandre , Vaiſſeau de 70 canons ,
&accompapagnéde II autres, tant de lignes que
frégates. On dit que cette eſcadre eſt deſtinée
pour la Méditerranée ; mais elle ne mettra à
la voile qu'après avoir reçu des ordres ultérieurs
de la Cour ; en attendant qu'ils arrivent les
vaiſſeauxprofitentdu tems pour charger des munitions
navales dont ils manquoient & qu'on leur
fournit de notre Arſenal .
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 23 Septembre.
La Cour est toujours au château de Friedensbourg
, où elle jouit d'une parfaite ſanté
, & où le Prince héréditaire eſt revenu
dernierement d'Helſingor , où il avoit été
viſiter le château de Cronenbourg.
Le vaiſſeau l'Oldembourg , qui , ſous les ordres
du Comte deMolkte , a fait le voyage
d'Alger, où il a été porter les préſens de cette
Cour , eſt revenu dans le Sund , où il a
mouillé le 21 de ce mois.
, >> Le 2 de ce mois , écrit-on de Carlſcron
on a lancé ici un Vaiſſeau de 60 canons & une
Frégate de 40 , conſtruits nouvellement en fix
ſemaines de temps. On en a conſtruit dans nos
chantiers en moins de deux mois , en comprenant
ces deux nouveauxVaiſſeaux,4de 60 canons
& 4 Frégates de 40 ; une de ces dernieres a
même deja mis en mer ; en général les travaux
de ce genre ſont pouffés avec la plus grande
vivacité.»
On apprendque dans les dernieres tempê
( 147 )
tes il a péri fur les côtes de Marſtrand & de
Norwege , 16 bâtimens marchands , & que
plus de 20 autres ont été fort endommagés .
POLOGNE .
DE VARSOVIE , le 25 Septembre.
Les dernieres lettres de l'Ukraine Polonaiſe
portent que les troupes Ruſſesy occupent
toujours leurs premiers cantonnemens ,
où elles font prêtes à ſe mettre en mouvemens
au premier ordre. On débite cependant
depuis hier , qu'elles ont traverſé le
Dnieſter ; mais ſi cela eſt , les Turcs ont pris
des précautions pour lesgêner dans leurs fubſiſtances.
Ils ont enlevé toutes les proviſions
qui ſe trouvoient dans les environs de Choc .
zim; & on a pris les mêmes précautions dans
la Moldavie.
Le Corps aux ordres du prince de Rep-...
nin , commence , dit - on , à ſe porter vers
Balta fur le Bog , &celui aux ordres du prince
de Soltikoff doit établir fon camp auprès
de Mohilow.
On aſſure qu'il a été jetté un pont ſur le
Dnieper , auprès de Zaleszcyen , pour faire
paſſer ce fleuvé aux troupes de l'Empereur.
On a reçu la confirmation de la nouvelle ,
que le prince Heraclius s'eſt mis ſous la prorection
de l'Impératrice de Ruſſie ; mais on
ne ſcait pas encore quelles font les conditions
de cette foumiffion .
Il vient de ſe manifefter à Cracovieune mas
82
( 148 )
ladie contagieuſe que les Médecins appellent
une fievre pourprée & qui fait beaucoup de ravages.
On prend toutes les précautions d'uſage
pour l'empêcher de s'étendre , & toute communication
eft coupée entre cette Ville & cette
capitale . On prétend qu'elle a été apportée par
des voyageurs venant de la Turquie , & c'eſt ce
qui augmente les allarmes du peuple qui la prend
pour la peſte , & qui croit qu'on n'en deguiſe
le nom que pour calmer ſes terreurs .
ALLEMAGNE .
DE VIENNE , le 8 Octobre.
Le Général Comte de Siskewitz commandera
, dit- on , l'armée en Hongrie , &
aura ſous lui le Général Comte de Wedenz .
Le Conſeil Aulique de guerre vient de
donner des ordres pour faire des engagemiens
avec des charretiers.
L'Empereur est de retour de fon voyage
en Bohême ; on dit qu'il ſe propoſe de faire
bâtir une nouvelle fortereſſe entre Memes &
Munchengratz , & qu'il ſe rendra inceſſamment
en Hongrie.
Les nouvelles de ce Royaume femblent ne
plus laiſſer de doute ſur la proximité d'une
guerre. Des voyageurs qui arrivent de Trieste ,
rapportent que les routes juſqu'à Carlſtadt , ſont
remplies de Soldats; la marche des Troupes a
retardé dans certains endroits les Voituriers . On
a ceſſé les exercices militaires à Gratz , & les
Troupes y ont recu l'ordre de marcher. Chaque
Compagnie ne peut enimener que trois femmes
pour la cuiſine & le blanchiffage.-Le cordon
:
DEE FRANCE.
149
C
Des Loix ignore le Code :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Moi , des plaideurs l'antipode.
Hé! qu'est - ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
QU'UNE Conſeillère aimable-
Pour amie ait pris Laïs ;
Que d'un tel écart ſurpris
Son mari la donne au diable :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Chacun aime ſon ſemblable.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
Qu'a trente ans , au fond de l'âme ,
Mainte fille à qui l'Hymen
Ne dira jamais Amen ,
Contre le ſiècle déclame :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi :
Je vis fi joyeux fans femme.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi .
Que fur la Scène divine ,
Où fix eſprits immortels
Auront toujours des autels ,
Le goût des Drames domine :
Hél qu'est- ce que ça me fait à moi ;
J'y vois Molière &Racine.
1
:
Giij
( ISO )
mentation parmi le peuple de la capitale de
Empire Ottoman , qui n'étoit pas entiérement
étouffée au moment du départ du courrier ; le
miniſtre de l'Empereur & celui de l'Impératrice
de Ruſſie avoient tenu leurs hôtels fermés pendant
quelques jours.- On ne parle ici que
de guerre , & le bruit ſe répand qu'il ſera afſemblé
dans les Pays-Bas une armée de 60000
hommes. Si la guerre éclate en effet , on dit
que le Roi de Pruſſe obſervera une neutralité
exacte ; & que tout eft convenu pour cet effer.
Quelques nouvelles font cependant eſpérer
que l'incendie prêt à s'allumer ſera encore
retardé.
... Les projets des puiſſances qui menacent
les Turcs n'éclatent point encore , & on doit
en inférer qu'ils ne ſont pas encore parvenus
àleur maturité , & qu'ils rencontrent dans les
mouvemens politiques des cabinets des obſtacles
qu'on n'attendoit pas & qui ne ſont point aifés à
lever. On peut préſumer que les diſpoſitions de
la cour de Berlin ne ſont point telles qu'on les
annonce dans quelques papiers ; on prétend même
depuis peu de jours que les apparences pour
Ja guerre diminuent. On juge en général que
P'Impératrice de Ruffie contente de la belle
campagne qu'elle vient de faire ſans tirer un
coup de canon , n'est pas éloignée de defirer
d'en reſter là , & il ſe pourroit que le reſte de
cette année ſe paſſat fans aucune hoftilité. Les
préparatifs immenfes, éerit-on de l'Autriche, peuventfairedefirer
àcette cour un dédomagement &
Lemploi des moyens qu'elle a de ſe le proeurer;
mais il ſe peut qu'elle n'en uſe pas avant
l'année prochaine. On dit qu'elle doit réclamer
par un manifeſte la Servie , la Walachie , iut
qu'à la riviere d'Alura & la partie de la Воб
nie qui s'étend juſqu'à Bocca-di-Cataro vers Ra-
ம்
DE FRANCE
QU'UN Éditeur que j'eſtime ,
En recevant ma chanſon ,
Ou la brûle ſans façon ,
Ou dans ſon Journal l'imprime :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Roſette la croit fublime.
Hél qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
LE MODELE DES FRÈRES , Conte.
BLIMONT avoit fait comme tant d'autres :
jeune , aimable , né avec des patlions vives ,
il avoit aimé ; mais il n'avoit pas voulu ſe
lier par d'autres noeuds que ceux de l'amour.
Ayant plus d'indulgence pour la Nature que
de reſpect pour les Loix , il étoit devenu
père. Peut étre ce ſentiment l'eût il emporté
dans ſon coeur ſur l'amour de la liberté ;
peut- être cût- il conſenti à devenir époux ,
afin de pouvoir être père authentiquement ,
d'en remplir plus fructueusement les devoirs
, d'en ſavourer mieux les délices. Mais
la jalouſie , peut être l'inconſtance , loin de
lui permettre les noeuds de l'hymen , l'avoit
arraché à ceux même de l'amour. Il avoit
quitté Léonore , celle à qui il devoit le titre
de père. Il l'avoit foupçonnée d'infidélité; &
il avoit rompu avec elle ſans l'avoir convaincue.
Long temps les remontrances , les
Giv
( 152 )
droit unique de 3 pour 100 fur toutes les
marchandiſes qu'ils feront venir des pays héréditaires
; l'intention de l'Empereur étant de les
faire jouir de l'avantage accordé aux Ruſſes par
le traité de commerce conclu le 21 Juin entre
l'Empereur & la Porte. L'Intendant de la douane
Ottomane a fait part auffitôt de cette notification
au Divan , & a demandé des ordres pour
ſe conduire à cet égard ; mais il ne les a pas
encore reçus. Nous defirerions , ajoutent ces lettres
, que notre Miniſtere voulût ſouſcrire à toutes
les demandes de l'Empereur d'Allemagne , fi
nous pouvions nous flatter que notre condeſcendance
ne le déterminât pas à en faire de nouvelles
& fur-tout qu'elle pût l'engager à rompre fes
engagemens avec la Ruffie. Nous ne pouvons
nous repaître de ces idées chimériques. Nous
nous attendons à voir ces deux puiſſances formidables
réunir toutes leurs forces contre nous :
Mais nous ne nous croyons cependant pas encore
perdus. S'il y a icides hommes abbatus , ce n'eſt
pasdu tout par les approches de la guerre : la
peſte ſeule a laiffé des ſymptômes de foibleſſe
&de langueur ſur les phyſionomies de ceux qui
en ont été attaqués , & qui y ont échappé. Le
reſſentiment de toutes les claſſes de la nation
eſt toujours le même. Tous les ſujets de cet
Empire ne reſpirent que la vengeance ; & ils
eſpérent tout du Grand Vifir qui à la tête de
l'élite de nos troupes eſt ſur le bord du Dniefter
, & ils ne penſent pas avoir rien à rédouter
de la marine Ruſſe tant que le Capitan
Bacha fera à la tête de la nôtre. Comme
l'eſcadre Ruſſe à Azoff eft beaucoup plus forte
qu'on ne l'avoit cru , le Divan vient d'ordonner
de préparer avec toute la diligence poſſible.
fix autres vaiſſeaux pour la Mer Noire ; en moins
-
(( 153 )
de trois ans les Ruſſes ont lancé à l'eau plus de
huit vaiſſeaux neufs dans le ſeul port d'Azoff ,
mais fi notre miniſtere perſiſte dans ſes difpofi
tions à mettre la marine Ottomane ſur un pied
reſpectable , avant la fin du printemps prochain
le nombre de nos vaiſſeaux neufs excédera de
beaucoup celui des bâtimens ruſſes de même
genre...
Le démêlé de la ville de Dantzick avec le
Roi de Pruſſe n'eſt point encore arrangé :
tous les détails qu'on en a donnés juſqu'ici ,
viennent de cette ville même ; en voici d'autres
qui viennent de la Pruſſe occidentale ,
&qui peuvent donner une juſte idée de ſa
nature.
Laville de Dantzig s'eft arrogé depuisun tems
immémorial le droit d'étape , Jus Emporii. Il n'eſt
point queſtion ici du Jus ftapulæ , que cette ville
a avoué elle -même dans ſon Mémoire , remis le
20Février 1767 à M. le Réſident de Junck , n'être
pas autoriſée d'exercer contre les ſujets du Roi
de Pruffe. Conformément à ce premier droit ,
elle prétendoit avoir le privilege d'arrêter les
navires venant du côté de la mer , & d'affurer à
ſes habitans l'achat excluſif de leurs cargaiſons ,
mais fans aucune preuve. Aucun Roi de Pologne
ou de Pruſſe ne le lui avoit jamais accordé ou
confirmé; & elle ne pouvoit alléguer aucun fait,
dont l'authenticité ne fut contredite. Les Dantzicois
, pour appuyer leur prétendu droit , diſent
que leur ville fut bâtie ſur les bords de la Viſtule,
uniquement pour le commerce ; mais quelle
preuve en donnent-ils ? Ce principe , quand il
feroit démontré , pourroit - il être obligatoire
pour tout autre que pour leur propre Souverain
; & tout autre Souverain d'une contrée
85
154 MERCURE
٦
coeur. Du reſte , c'étoit un homme d'une
probité incorruptible. Ses vertus avoient des
formes fingulières ; mais le fonds en étoit
réel& folide. Il avoit même des lumières &
de l'eſprit ; & il n'eût tenu qu'à lui de plaire
en ſe faiſant eſtimer ; mais il eût rougi d'être
aimable.
Minville ne crut donc pas déroger à ſa
demi- mifantropie , en demandant à Blimont
fon fils , pour l'élever & le garder auprès de
lui. Blimont ne doutoit point que le vieux
Minville ne fût capable de donner à fon fils
une bonne éducation; d'ailleurs le bonhomme
étoit fort riche; on prétendoit à fon hé
ritage; & ce motif fait taire bien des ſcrupules.
Quoi qu'il en ſoit, le fils de Blimont ,
à peine forti de l'enfance , fut envoyé à
Minville, qui jogea en le voyant qu'il falloit
haïr le monde entier , mais que cet enfant
là pouvoit devenir très aimable. Ce fut
même pour lui une occafion de voir un peu
de monde ; mais il raffuroit ſa confcience
miſantropique , en ſe diſant qu'il ne voyoit
cemonde- là que pour ſon élève.
Un hafard fingulier fit que l'aſyle qu'avoit
choiſi la triſte Léonore avec ſon fils , ſe
trouva voifin de la retraite de Minville. Un
hafard moins extraordinaire fit que les deux
jeunes gens fe rencontrerent ; & Minville ,
foit que ce fût encore-là une infidélité faite
à ſa mifantropie , ſoit que la Nature lui
parlat pour cet enfant inconnu , ſoit encore
qu'il crût devoir donner à fon élève un come
( 155 )
droit de Stupel - Recht ; & au lieu de s'adreſſer
directement au Roi , de lui faire des remontrances
ſur des droits qu'il prétendoit avoir
négligés , il commença , fans aucune déclaration
préalable , par faire arrêter par des bâtimens
armés tous les navires pruffiens qui ſe trouvoient
fur la Viſtule , dont les deux bords dans une
grande étendue depuis la mer Baltique juſqu'aux
frontieres de la Pologne , ainſi que ſon embouchure
dépendent de la jurisdiction pruffienne,
&de forcer leurs propriétaires de vendre leurs
Cargaiſons aux Marchands Dantzicois aux prix
que ceux - ci y avoient mis , en laiſſant au bon
gré & à la volonté des Sujets Pruſffiens , établis
Je longde la côte , de venir racheter des mains
desNégocians Dantzicois les mémes marchandiſes
aux prix fixés par ces derniers. Un procédé
auſſi violent mit les Sujets Pruffiens dans le plus
grand embarras , les uns par la perte de leur navigation
, la modicité des prix qu'on mit à leurs
denrées , ne permettant pas de la continuer , &
les autres par une dépendance qui les menaçoit
de la diſette. Ils porterent leurs plaintes aux
pieds du Monarque , qui donna auſſi-tôt ſes ordres
à ſon Réſident à Dantzig , de faire des repréſentations
à ce ſuje,t au Magiſtrat ; elles furent
infructueuſes. Pluſieurs reſcrits de la part
du Miniſtere lui furent remis pour le même
ſujet ; mais aux ſolides raiſons qu'ils contenoient
& auxquelles il n'y avoit pas de réplique , le
Magiſtrat de Dantzig répondit en des termes
vagues & ambigus ; fi jamais on mettoit ſous
les yeux du public la correſpondance en queſtion,
on n'y verroit qu'avec la derniere ſurpriſe un
contraſte frappant de ſolidité , de dignité & de
modérationd'un côté , & le procédé le plus inconféquent
& le plus inſenſé de l'autre. On'a
g6
( 156 )
fait repréſenter à différentes repriſes au Magiſtrat
de Dantzig , que ſuivant le droit naturel & civil
, ſuivant tous les anciens traités avec la Pologne
& la Pruffe , & felon les principes même
dudit Magiftrat , la navigation de la Viſtule doit
-être libre & exempte de toutes entraves ; & que
de même que le Roi a accordé aux Dantzicois
un libre paſſage dans toute l'étendue où la Victule
parcourt les Etats , il étoit en droit de demander
la liberté en faveur de ſes Sujets pour
l'étendue beaucoup moins conſidérable où ce
fleuve baigne le territoire de Dantzig. On a
ſouvent propoſe au Magiſtrat d'accorder la liberté
de navigation , ſans préjudice de ſes droits ,
aux Sujets du Roi, juſqu'à ce qu'on eût examiné
les droits réciproques , qu'en ce cas toutes
repréſailles ſeroient auſſi-tôt ſuſpendues , mais en
vain; on ſe contentera de répondre ſimplement ,
&ſans vouloir entrer dans aucun éclairciſſement,
que la ville avoit abandonné ſes droits & fon
fort au Roi de Pologne , ſon légitime Souverain;
tandis qu'en une autre rencontre elle méconnoît
cette ſouveraineté , comme on pourroit le prouverpar
plus d'un exemple. Cependant les Sujets
du Roi font arrêtés par terre & par eau , fouvent
maltraités & forcés à des ventes déíavantageuſes
; & leur commerce avec cette ville eft
abſolument anéanti. Juſqu'ici le Roi a montré
une modération dont l'Hiſtoire ne fournit aucun
exemple. Aujourd'hui ſa dignité & ſon devoir
envers ſes Sujets exigent de garantir ceux- ci de
Poppreffion ; mais parmi les moyens qu'il a en
mainpour cette fin, il n'a même choiſi que les
plus doux , eſpérant qu'ils engageront la ville
de Dantzig à rentrer en elle - même. Mais la
douceur de ces juſtes repréſailles n'a point produit
l'effet deſiré , & on s'eſt vu forcé d'arrêter
( 157 )
leur commerce de terre , ainſi que leurs navires
qui fe trouvoient dans le port de Fahir-Vaffer .
Mais ils ſemblent vouloir épuiſer la patience du
Roi , & leur entêtement exigera vraiſemblable.
ment des meſures plus rigoureuſes . Croira- t-on
que pendant ces entrefaites un ſage Magiſtrat a
vu avec indifférence la populace attroupée inſulter
de la maniere la plus indigne un Officier
du Roi qui ſans aucune vue hoftile a
paffé dans cette ville avec une troupe de ſoldats
à ſes ordres ? Quelles ſeront les ſuites de cette
conduite incompréhenſible ? Est- il bien difficile
de les prévoir , & ne ſemble til pas que tous
ſes habitans aient oublié tous les principes d'une
ſaine logique?
DE FRANCFORT , le 3 Octobre.
L'affaire de l'Evêché de Paſſau n'ayant pu
être terminée à Vienne , va , dit-on être portée
à la Diete de l'Empire ; en attendant, les
revenus qui appartiennent à cet Evêché , &
qui font ſituésdans les domaines Autrichiens ,
font adminiſtrés par une commiſſion Impériale.
« Dans la Capitale d'une des Provinces Héréditaires
de la Maiſon d'Autriche , lit -on dans un
de nos papiers; on a été témoin d'un événement
bien cruel , un Soldat avoit été condamné à
paſſer huit fois par les baguettes ; après avoir été
conduit dans les rangs , il s'eſt arrêté comme
paroiffant déterminé à ne point courir. Le Capitaine
commandant l'exécution , s'approche l'épée
à la main ; alors le malheureux s'élance ſur lui ,
le renverſe , & lui plonge cinq fois dans le ſein
un couteau dont il ſe trouvoit mani , on ne fait
comment. L'Officier eſt refté mort fur la place ,
( 158 )
itpaſſoit pour un homme fort dur , & le Soldat
a été puni avec la rigueur que preſcrivent les
loix Militaires » .
Le trouble regne toujours à Dantzick , &
le fort de eette ville paroît maintenant être
dans ſa crife.
<<< Depuis le 24 du mois dernier , toutes les avenues
qui conduiſent à Dantzick ſont fermées; &
les ſeuls effets que laiſſent pafler les Troupes
Pruſſiennes , ſont ceux qui ſont de fabrique de
leur pays , ceux qui appartiennent aux Miniftres
Etrangers qui y réſident , ceux qui ſont destinés
pour l'Empire Ruffe , & ceux enfin qui ſervent
aux Voyageurs. Les Officiers de la Douane ont
reçu , & exécutent les ordres les plus rigoureux
relativement à tous les autres articles . Deux
Eſcadrons de Huſſards Pruffiens ſont poſtés dans
les environs , & les Régimens de Blumenthal ,
de Mewe , d'Egloffitein , d'Elbing , de Finckenſtein
& de Rieſenberg s'avanchent des garniſons
voiſines avec du canon. Cependant malgré
la fombre perſpective de l'orage qui ſe forme ſur
leur tête , l'opiniâtreté des Dantzikois ſemble
augmenter ; ils font , diſent- ils , déterminés à
tout conſerver ou à tout perdre; un détachenrent
de Huſſards qui y fut envoyé en dernier lieu ,
fut reçu par la populace avec des pierres ; mais
il paroît avoir eu l'ordre de ne point répondre
par la force à cette violence , & il ſe retira
fans tirer un coup de fuſil. Le Magiftrat met la
Ville en défenſe , & il augmente la garnifon de
80 hommes par compagnie ; on craint que fi
quelque intervention puiſſante n'écarte pas la
ſcene qui ſeprépare , il n'y ait du ſang répandu.
Onattend avec impatience à Dantzick la réponſe
aux repréſentations que le Magiſtrar a adreſſées
à la Cour de Ruffie ».
( 159 )
ITALIE.
DE GENES , le 18 Septembre.
Il eſt arrivé dans ce port deux frégates &
2 cutters Anglois de Gibraltar. Ce font les
premiers vaiſſeaux de guerre de cette nation
que nous aions vu ici depuis 7 ans : les officiers
ont été ces jours derniers rendre leurs
devoirs auDoge ; on croit qu'ils remettront
inceſſamment à la voile , pour ſe rendre à
Livourne.
Les Lettres de Veniſe & de Naples portent
qu'on y fait des armemens maritimes ;
on remarque en général dans toute l'Italie
des mouvemens relatifs à la Marine : les
changemens qui peuvent avoir lieu bientôt
dans la navigation&le commerce du Levant
, exigent en effet que les Puiſſances qui
bordent la Méditerranée , prennent enſemble
des meſures , afin que les intérêts de leurs
ſujets ne foient pas léſés par un nouvel ordte
de choſes.
r
« Après différentes épreuves , écrit-on de
Rome , pour retirer de l'huile des pepins de
raiſins , il a été établi une manufacture de cette
production nouvelle , avec l'approbation de S. S.
qui aordonné en même temps qu'on publlat ce
procédé de M. Antoine Chinozzi , qui eft l'Auteurde
la machine propre à extraire cette huile.
Cette nouvelle découverte eſt de la plus grande
utifitépour la capitale & pour l'état Eccléſiaſtique
, vu la quantité de vignobles , & la
grande quantité d'huile qu'on étoit ci-devant
obligé de tirer à grands frais de l'Etranger.
( 160 )
ANGLETERREDE
LONDRES , le 14 Octobre.
Les derniers Papiers Américains qu'on a
reçus contiennent quantité d'adreſſes au Congrès
de la part de différens Corps , qui déſaprouvent
tous généralement les procédés
dont ſe ſont rendues coupables quelquesunes
des troupes à Philadelphie , & qui ont
déterminé cette aſſemblée des Etats - Unis
à quitter cette ville , & à ſe tranſporter à
Prince -Town , où elle eſt encore , en attendant
qu'elle ait déſigné le lieu où elle s'établira
à l'avenir ; c'eſt au mois de Novembre
prochain , qu'elle s'occupera , dit- on , de cet
objet.
En attendant elle a requis la préſence du
Général Washington à Prince-Town , où il
s'eſt rendu à la fin du mois d'Août ; le 26 il
ſe préſenta à la ſalle du Congrès , où ayant
été introduit par deux de ſes membres , le
Préſident lui adreſſa le Diſcours ſuivant.
» M. le Congrès éprouve une ſatisfaction
inexprimable à voir V. E. & à la féliciter ſur le
ſuccès d'une guerre où vous avez joué un rôle
A brillant. -Les Etats-Unis s'eſtiment ſinguliérement
heureux que pendant une guerre
fi longue ,fi dangereuſe , ſi importante , la
Providence aitprisle ſoinde conſerver les jours
d'un Général qui n'a ceſſé de mériter & de
poſſéder la confiance & l'affection de ſes concitoyens.
Chez d'autres Nations plufieurs grands
Perſonnages ont mérité & reçu les remercimens
de l'Etat , mais il vous eſt dû , Monfieur ,
un remerciment particulier en ce que vos feri
( 161 )
,
vices ayant infiniment contribué à obtenir & à
établir la liberté & l'indépendance de votre Pays,
exigent qu'une Nation libre & indépendante vous
donne des témoignages de ſa reconnoiffance
& le Congrès ſe félicite d'être en ce momentci
l'interprete des ſentimens de cette Nation
auprès de V. E. -Les hoftilités font ceffées
mais votre Pays a encore beſoin de vos fervices.
Il défire de profiter de vos lumieres par
rapport aux arrangemens qu'il ſera obligé de
prendre pendant la paix , & c'est pour cette
raifon que votre préſence au Congrés a été
requiſe . On a nommé un Comité pour conférer
avec V. E. , & pour prendre vos conſeils
fur la formation & la diſpoſition des plans relatifs
à ces objets importans ».
Le Général fit la réponſe ſuivante à ce
Difcours.
>> M. le Préſident , je ſuis trop ſenſible à la
réception flateuſe dont vous m'honorez pour que
je ne fois pas pénétré des ſentimens de la plus
vive reconnoiſſance, -Quoique le Congrès
paroiſſe attacher à la conſervation de mes jours
un prix bien au deſſus des ſervices que j'ai pu
rendre aux Etats-Unis , je regarde la ſageſſe &
l'unanimité de nos Conſeils Nationaux , la fermeté
de nos Concitoyens , ainſi que la conftance
& la bravonre de nos Troupes , qui ont
mis une fin fi glorieuſe à la guerre , comme
l'effet le plus éclatant de l'interpoſition divine ,
& comme le préſage le plus certain de notre
bonheur futur. -Pleinement ſatisfait des ſentimens
favorables que le Congrès a bien vou-
Ju manifeſter relativement à ma conduite paſſée" ,
& amplement récompensé par la confiance &
par l'affection de mes chers concitoyens , je
n'hésite point de contribuer de tous mes efforts
( 162 )
à l'établiſſement d'une sûreté nationale , de quelque
maniere que le ſouverain pouvoir juger à
propos de l'ordonner , juſqu'à ce que la ratification
du Traité de Paix définitif ou que l'évacuation
du Pays par les Troupes Britanniques
ait eu lieu. Après l'un de ces deux événemens
je demanderai la permiffion de me retirer pour
jouir tranquillement des douceurs d'une vie privée.
-Peut-être , Monfieur , n'aurai-je jamais
d'occaſion plus favorable que celle-ci de rendre
mes humbles actions de graces à l'Etre Tout-
Puiffant & de manifeſter à mon Pays l'étendue
& la vivacité de ma reconnoiſſance pour les ſecours
prodigieux & conftans que j'ai reçus dans
les viciffitudes de la fortune & pour tous les
titres honorables que le Congrès a bien voulu
me conférer pendant le cours de la guerre ».
Les lettres particulieres nous inſtruifent ,
que les conferences entre le Général & le
Comitté du Congrès ont commencé auffitôt
, & qu'il y a été arrêté quele premier ſe
rendroit fur les frontieres du Nord , pour
choiſir les lieux les plus propres à bâtir des
forts , qui ferviroient en même tems à leur
défenſe&à la protection du commerce des
fourrures; il ſe diſpoſoit en conféquence à
partir pour remplir cette commiſſion avec le
Général Major Baron de Stauben .
On ignore encore ici l'époque véritable
de l'évacuation de New-Yorck : nos papiers
prétendent que le Gouvernement vient ſeulement
d'envoyer l'ordre de rendre cette
place ; en Amérique on prétend qu'il y a déjà
été expédié précédement.
«Le Chevalier Carleton, lit-on dans un paDE
FRANCE. 163
-
fon
le coeur l'un barbare ? Il lui manqueunemère.
Comment , dit Blimont tout troublé !
Oui , une femme infortunée que vous avez
aimée , qui vous aime encore.... A ces
mots Blimont tombe dans un fauteuil , cache
ſon viſage dans ſes mains , & appuyé
fur une table , il y demeure comme muet
&accable. Enfin reprenant ſes eſprits &
courage : O mes enfans , leur dit-il , en fe
penchant ſur eux , je vous pardonne votre
demande ; mais vous ne ſavez pas que vous
demandez ce qu'il m'eſt impoſſible de vous
accorder . Puiffiez vous l'ignorer toujours !
Impoſſible , s'écrie d'Éperny ! quoi ! il vous
ſeroit impoffible d'être père tout- à- fait , de
mettre le comble à vos bontés ! Non; vous
calomniez votre coeur , votre ſenſibilité ,
votre justice. Alors Blimont les prenant tous
deux par la main: Eh bien ! vous m'y forcez ,
leur dit- il , je vais affliger l'un de vous deux;
je vais déchirer ſon coeur. Mais vous m'accuſez;
il faut que je me justifie. Ce que
vous regardez de ma part comme un abandon
, n'est qu'un acte de juſtice ; ce qui vous
paroît un malheur digne de pitié , n'eſt qu'un
juſte châtiment. Cette mère que vous réclamez
l'un & l'autre , s'eſt fermé mon coeur
volontairement ; elle a outragé l'amour , &
l'honneur m'a fait un devoir de la vengeance.
Un moment, je vous prie, interrompt d'Éperny
avec une noble fermeté : voici ma réponſe.
En même temps il tira de fa poche
des papiers qui renfermoient une juſtifica
( 164 )
commerçantesde l'Amérique. Il n'y a aucune des
productions qui croiffent en Penſilvanie qui ne ſe
trouvent ici. Les grains d'hyver y viennent aufli
bien que dans aucune partie du monde. Nous
nous partageons les terres deſtinées à nos plantations.
Depuis mon arrivée le prix en eft monté
de 100 p. 8. Les chevaux , les vaches , les cochons,
les brebis font plus abondans que dans
Long- Ifland.
Le Comitté , chargé de régler ici le fort
des Loyalistes , s'aſſemble , & continue fon
travail fur ce ſujet ; ceux qui ont quelques réclamations
à faire , doivent les porter devant
ce Comitté ; & ils ont jusqu'au 25 Mars
de l'année prochaine , pour préſenter les mémoires
dans leſquels ils indiqueront leurs
pertes , d'après leſquelles on leur fixera les
dédommagemens qu'il ſera trouvé jufte &
convenable de leur accorder.
Le vaiſſeau de la Compagnie, la Britannia
, Capitaine Cumming, eſt arrivé dernierement
à Portsmouth. On évalue ſa cargaifon
& celle de l'Eſſex , qui avoit mouillé
quelque temps auparavant dans nos ports ,
à200000 liv. ſterling. Parmiles Officiers qu'il
a ramenés enEurope , ſe trouvent fir Hector
Munro , & le Capitaine M'Dowall , qui
commandoit à Trinquemalle , lorſque le
Commandeur de Suffren s'empara de cette
place, le 30 Août de l'année derniere. On
faitque laconduitede M. M'Dowal a été examinée
dansun Conſeil de guerre tenu à Madraff
, & que le Jugement rendu à cet effet ,
le 29 Janvier de cette année , l'a acquitté
DE FRANCE. 165-
paffer encore un autre. Il aima comme de
raiſon ſes parens , puis les parens de ſes parens
, puis leurs amis , puis d'autres perfonnes
encore. Enfin il redevint ce qu'il étoit né , &
il ſe délaſſa par le rôle de bonhomme , de la
grimace miſantropique .
( Par M: Imbert. )
Explication de la Charade , de l'Enigme & -
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Malheureux ;
celui de l'énigme eſt Livre; celui du Logogryphe
eft Dimanche , où l'on trouve manche,
me, diné, mi , mine, mie , Maine ,
chien , cime , Chine , Iman , ami , Diane,
Mai , main.
CHARADE.
PLULUSS d'un Négociant en faiſantmon premier,
Pour aller à mon tout ſe trace mon dernier.
(Par M. Juhel, à Mayenne. )
ÉNIGME.
AVEC cinq pieds ſouvent je fais ravage ;
Avec tois je peux rendre une tête plus ſage ;
Avec deux je fais des heureux ;
Avec quatre un mal furieux.
(Par Mlle Bri... l'aînée , de Saint- Dizier.)
( 166 )
penfes de l'armée depuis le commencement de
la guerre ; on vouloit encore un tribut annuel
de 15 laks de pagodes , qui fait un demi million
=Nous ſuppoſons que notre flotte eſt à
préſent ſur la côte , parce qu'elle quitraBombay
le 15du moisdernier.Elle conſiſte en 15 vaiſſeaux
de ligne ; on dit celle de nos ennemis forte de
17; mais nous croyons nos vaiſſeaux mieux réparés
, mieux équippés , ce qui fait eſperer que
s'ils ſe rencontroient , la partie ſera au moins
égale.
Ondit que le Traité définitifde paix avec
laHollande ſera ſigné inceſſamment , & que
ce qui le retarde , c'eſt l'affaire de la reſtitution
de Negapatnam à la République ; ce
qui rend notre Miniſtere très- dificile fur ce
point; & ce qui lui fait rejetter tous les objets
d'échange qu'on lui propofe, c'eſt la poſitionde
cette place qui nous met en état de
furveiller le Rajah de Tanjaour & le Nabab
d'Arcate , dont cet établiſſement domine les
poffeflions.
La paix , dit un de nos papiers , a été publiée
ici & par-tout où il y a un corps municipal
avec toutes les formalités & les cérémonies d'uſage
en pareille circonſtance. Ila paru un peu
étrange qu'on ait fongé à remplir cette formaltié ,
puiſqu'on n'avoit pas ſongé à remplir celle d'une
proclamation folemnelle de guerre , Mais ON
affure que la politique exigeoit que la paix fût
revêtue de toutes les formalités , & qu'on lui
donnât le plus d'éclat qu'il étoit poſſible , dans
un moment où pluſieurs puiſſances ne paroif
foient point entièrement convaincues des diſpofitions
pacifiques de notre miniſtere.
( 167 )
On a publié par autorité les Traités définitifs
de Paix avec la France & l'Eſpagne ; le
premier contient 24 articles ,&le ſecond 12 ;
ils font l'un & l'autre conformes aux articles
préliminaires. Les préambules offrent ſeulement
les formalités particulieres que la ratification
des parties ,& la médiation des deux
Cours Impériales qui ne font intervenues que
quand tout a été conclu , ont rendu néceſſaires;
celui avec la France eſt ſuivi de 2 articles
ſéparés , relatifs à la langue employée dans la
rédaction du Traité , qui eſt la françoiſe , & à
quelques-uns des titres employés par les Parties
contractantes ,qui ne font pas généralement
reconnus , tels que celui de Roi de
France , pris par le Roi d'Angleterre , &c.
Après ces articles ſe trouvent une déclaration
duDuc de Mancheſter ,&une contre déclaration
du Comte de Vergennes , pour fixer
d'une maniere préciſe , & qui prévienne
route diſpute à l'avenir la pêche de Terre-
Neuve , & la faculté d'entourer Chandernagor
d'un foſſé , &c. Ily a également une déclaration,
&une contre-déclaration à la ſuite
duTraité avec l'Eſpagne ( 1 ) .
(1) Nous nous propoſionsde donner aujourd'hui ces
Traités ; mais ils ont été rédigés originairement en francais;
nous n'en avons ſous les yeux qu'une traduction
anglaiſe ; enles faiſant repaſſerdans notre langue , nous ne
ferionsquedonnerune traducion d'une traduction. Les gazettes
étrangeres ne manqueront pasde faire ce travail, qui ,
quelque foin qu'on yapporte , s'écartera toujours de
ginal , qu'une traduction & une retraduction ne peuvent
que défigurer. Nous déſirons donner ces pièces dans toute
leur exactitude , & nous eſpérons avoir l'original fous pou
l'ori(
168 )
Il importe peu , lit- on dans un de nos papiers
, que les différens potentats publient les
articles des traités de paix qu'ils ont conclu ;
ils n'en inſtruiront pas mieux le public ; il y a
toujours quelques articles ſéparés & importans
qui reftent un fecret pour les nations qu'ils intéreſſent
, ce myſtere d'uſage a ſouvent excité
ici des reclamations ; & c'eſt en vain qu'on
a eſpéré des miniſtres qu'ils ne cacheroient
au peuple aucun des arrangemens particuliers .
qu'ils ont pu prendre : fi la chambre des Communes
uſoit de ſes droits & rempliſſoit ſon devoir
, ces ſujets de plainte n'auroient jamais lieu .
On a un exemple affez fingulier de ces articles
ſecrets à la fin de la guerre précédente , &
qui ne sont venus à la connoiſſance du public
que par hafard & quelques années après . La convention
ſecrette avec la maison de Bourbon.
étoit que l'Angleterre n'auroit jamais plus d'un
vaiſſeau de guerre à la fois dans la méditerranée
, tellement que deux auroient été
gardés comme une déclaration de guerre. Cette
convention nous fit perdre notre importance
au-delà du détroit , & fut la vraie raiſon qui empecha
d'envoyer une eſcadre pour ſurveiller
celle qu'on équipoit à Toulon pour l'Amérique .
Le miniftere ne vouloit pas commencer une
guerre avec la France & l'Eſpagne , pendant
qu'il étoit engagé ſi chaudement avec nos colonies.
Il eſt à ſouhaiter que cet exemple ne
refoit
pas répété & qu'il n'y ait pas des arrande
jours. Si , ce qui ne paroit pas vraiſemblable , cela ne
nous étoit pas poſſible , nous ferions toujours à temps de
revenir à la traduction de ces pieces , qui doivent avoir
place dans ce Journal , & dont nous ne fufpendons la publ
cation , que pourles mettre telles qu'elles font ſous les
yeux de nos lecteurs.
gemens
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
• RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Septembre.
L
ACour reviendra de Czarsko Zelo le 26
de
ce mois ; S. M. I. y a été un peu indiſpoſée
; mais elle eſt à préſent rétablie. Le
Marquis de Verac, Ambaſſadeur de France ,
prendra congéde cette Princeſſe , pour aller
faire un voyage à Paris , où il eſt rappellé par
fes affaires particulieres ; M. Cayard, fon Secrétaire
de Légation , reſtera chargé des inté
rêts de S. M. T. C. pendant ſon abfence.
Outre le préſent ordinaire de 3000 roubles
, l'Ambaſſadeur de Naples a reçu da
l'impératrice une riche tabatiere d'or , ornée
du portrait de S. M. I. L'Ambaſſadrice ,
ſon épouſe , a été gratifiée d'un collier de
diamans , &fa foeur d'une aigrette. On aſſure
qu'à ſon retour à Naples , il fera décoré, avec
la permiffion du Roi fon maître, de l'ordre
Ruſſe de S. Alexandre Newsky.
L'Amiral Trchitſchat goff, écrit-on de Revel ,
N° . 43.25 Octobre 1783 . 8
1
:
( 146 )
eſt arrivé dans ce Port le 30 du mois dernier ,
à bord de l'Alexandre , Vaiſſeau de 70 canons ,
& accompapagné de 11 autres , tant de lignes que
frégates. On dit que cette eſcadre eſt deſtinée
pour la Méditerranée ; mais elle ne mettra à
la voile qu'après avoir reçu des ordres ultérieurs
de la Cour ; en attendant qu'ils arrivent les
vaiſſeauxprofitent du tems pour charger des munitions
navales dont ils manquoient & qu'on leur
fournit de notre Arſenal .
DANNEMARC К.
DE COPENHAGUE , le 23 Septembre.
La Cour est toujours au château de Friedensbourg,
où elle jouit d'une parfaite fanté
, & où le Prince héréditaire eſt revenu
dernierement d'Helſingor , où il avoit été
viſiter le château de Cronenbourg.
Le vaiſſeau l'Oldembourg , qui, ſous les ordres
du Comte de Molkte , a fait le voyage
d'Alger, où il a été porter les préſens de cette
Cour , eſt revenu dans le Sund , où il a
mouillé le 21 de ce mois.
>> Le 2 de ce mois , écrit-on de Carlſcron ,
on a lancé ici un Vaiſſeau de 60 canons & une
Frégate de 40 , conſtruits nouvellement en fix
ſemaines de temps. On en a conſtruit dans nos
chantiers en moins de deux mois , en comprenant
ces deux nouveauxVaiſſeaux,4de 60 canons
& 4 Frégates de 40 ; une de ces dernieres a
même deja mis en mer ; en général les travauxde
ce genre ſont pouffés avec la plus grande
vivacité. »
On apprend que dans les dernieres tempê(
147 )
tes il a péri fur les côtes de Marſtrand & de
Norwege , 16 bâtimens marchands , & que
plus de 20 autres ont été fort endommagés.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 25 Septembre.
Les dernieres lettres de l'Ukraine Polonaiſe
portent que les troupes Rufſes y occupent
toujours leurs premiers cantonnemens ,
où elles font prêtes à ſe mettre en mouvemens
au premier ordre. On débite cependant
depuis hier , qu'elles ont traverſé le
Dnieſter ; mais ſi cela eſt , les Turcs ont pris
des précautions pour les gêner dans leurs fubſiſtances.
Ils ont enlevé toutes les proviſions
qui ſe trouvoient dans les environs deChoc.
zim; & on a pris les mêmes précautions dans
la Moldavie.
Le Corps aux ordres du prince de Repnin
, commence, dit - on , à ſe porter vers
Balta fur le Bog , & celui aux ordres du prince
de Soltikoff doit établir ſon camp auprès
de Mohilow.
On aſſure qu'il a été jetté un pont ſur le
Dnieper , auprès de Zaleszcyen , pour faire
paſſer ce fleuvé aux troupes de l'Empereur.
On a reçu la confirmation de la nouvelle ,
que le prince Heraclius s'eſt mis ſous la prorection
de l'Impératrice de Ruſſie ; mais on
ne ſcait pas encore quelles font les conditions
de cette foumiffion.
Il vient de ſe manifefter à Cracovieune mas
82
( 148 )
ladie contagieuſe que les Médecins appellent
une fievre pourprée & qui fait beaucoup de ravages.
On prend toutes les précautions d'uſage
pour l'empêcher de s'étendre , & toute communication
eft coupée entre cette Ville & cette
capitale. On prétend qu'elle a été apportée par
des voyageurs venant de laTurquie , & c'eſt ce
qui augmente les allarmes du peuple qui la prend
pour la peſte , & qui croit qu'on n'en deguiſe
le nom que pour calmer ſes terreurs .
..
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 8 Octobre.
Le Général Comte de Siskewitz commandera
, dit- on , l'armée en Hongrie , &
aura ſous lui le Général Comte de Wedenz.
Le Conſeil Aulique de guerre vient de
donner des ordres pour faire des engagemiens
avec des charretiers.
L
L'Empereur eſt de retour de fon voyage
en Bohême ; on dit qu'il ſe propoſe de faire
bâtir une nouvelle fortereffe entre Memes&
Munchengratz , & qu'il ſe rendra inceſſamment
en Hongrie.
Les nouvelles de ce Royaume femblent ne
plus laiſſer de doute ſur la proximité d'une
guerre. Des voyageurs qui arrivent de Trieste ,
rapportent que les routes juſqu'à Carlſtadt , ſont
remplies de Soldats ; la marche des Troupes a
retardé dans certains endroits les Voituriers . On
a ceſſé les exercices militaires à Gratz , & les
Troupes y ont recu l'ordre de marcher. Chaque
Compagnie ne peut enimener que trois femmes
pour la cuiſine & le blanchiffage. - Le cordon
:
( ( 149 )
des Troupes Impériales eſt compoſé de plus de
60000 Croates , ſans compter les autres Troupes
de frontieres, & de 12000 hommes de Troupes régulieres
; on a placé 800 pieces de campagne
dediſtance en diſtance; le cordens'étend , ajoutet-
on, depuis la Buckowine juſqu'en Strie.
Selon les lettres de Stockolm , le Roi de
Suede a dû ſe mettre en route le i de ce
mois , pour ſe rendre en Italie; on ſe flattoit
qu'il pafferoit par cette capitale,&qu'il pourroit
s'y arrêter quelques jours ; les appartemens
qu'on avoitpréparés au palais Inmpérial ,
appellé le Burg, fortifioient cette eſpérance;
mais on commence à croire qu'il prendra une
autre route.
DE HAMBOURG , le 28 Septembre.
Les mouvemens des Puiſſances qui menacent
l'Empire Ottoman , préparent toujours
à la guerre , felon les lettres de Vienne , les
tranſports de munition continuent fans relache
pour la Hongrie ; 800 pieces de canon
ont été retirées des remparts de cette ville
pour prendre la même deſtination. Les enrôlemens.
pour les troupes légeres ſe font avec
ſuccès dans les fauxbourgs de cette Capitale.
Les corps de Chaſſeurs doivent être augmentés
; & il eſt arrivé pluſieurs Officiers
Suédois qui ſe propoſent de ſervir en qualité
de Volontaires dans l'armée de Hongrie.
Le 9 de ce mois , ajoutent ces lettres , il eſt
arrivé un courrier de Conſtantinople avec des
depêches pour la Cour ; on ignore leur contenu
, mais parmi les avis qu'elles portent ,
en dit que ſe trouve celui d'une grande fer
83
( ISO )
mentation parmi le peuple de la capitale de
Empire Ottoman , qui n'étoit pas entiérement
étouffée au moment du départ du courrier ; le
miniſtre de l'Empereur & celui de l'Impératrice
de Ruſſie avoient tenu leurs hôtels fermés pendant
quelques jours . - On ne parle ici que
de guerre , & le bruit ſe répand qu'il ſera afſemblé
dans les Pays-Bas une armée de 60000
hommes. Si la guerre éclate en effet , on dit
que le Roi de Pruſſe obſervera une neutralité
exacte ; & que tout eft convenu pour cet effet.
Quelques nouvelles font cependant eſpéver
que l'incendie prêt à s'allumer ſera encore
setardé.
...>> Les projets des puiſſances qui menacent
les Turcs n'éclatent point encore , & on doit
en inférer qu'ils ne ſont pas encore parvenus
à leur maturité , & qu'ils rencontrent dans les
mouvemens politiques des cabinets des obſtacles
qu'on n'attendoitpas & qui ne ſont point aifés à
lever. On peut préſumer que les diſpoſitionsde
la cour de Berlin ne ſont point telles qu'on les
annonce dans quelques papiers; on prétend même
depuis peu de jours que les apparences pour
Ja guueerrrree diminuent. On juge en général que
P'Impératrice de Ruffie contente de la belle
campagne qu'elle vient de faire ſans tirer un
coup de canon , n'eſt pas éloignée de defirer
d'en reſter là , & il ſe pourroit que le reſte de
cette année ſe paſſat fans aucune hoftilité. Les
préparatifs immenfes,éerit-onde l'Autriche, peuventfaire
defirer àcette cour un dédomagement &
1emploi des moyens qu'elle ade ſe le procurer;
mais il ſe peut qu'elle n'en uſe pas avant
l'année prochaine. On dit qu'elle doit réclamer
par un manifeſto la Servie , la Walachie , iutqu'à
la riviere d'Alura & la partie de la Bоб
nie qui s'étend juſqu'à Bocca-di-Cataro vers Ra(
151 )
guſe. S'il faut en croire des lettres du Danube ,
Pambaffadeur de Ruſſie à Conſtantinople , a Matifié
au Divan l'alliance offenfive & défenfive
entre les deux cours de Vienne & de Pétesbourg
» .
On aſſure qu'un certain nombre de troupes
Impériales en Italie , s'eſt mis en marche
pour la Carniole & l'Eſclavonie.
<< Juſqu'à préſent , dit un de nos papiers ,
l'empereur n'a encore rien demandé à la Porte ;
les géographee politiques prévoyent dejà tout ce
qu'il pourra demander ; il n'eſt queſtion pour
cela que d'examiner les ceffions qui furent faites
au Grand Seigneur par la paix de 1739 ;
mais outre les reſtitutions à exiger , on parle
encore d'une indemnité à demander pour les
frais faits juſqu'ici ; on les porte , dit-on , à 10
millions de florins; on prétend ajoute ce papier
que l'Internonce Impérial à Condantinople recevra
inceſſament ordre de demander à la fois
au Divan la reſtitution des pays cédés par la
paix de 1739 , &l'indemnité des frais faits pour
rendre efficace cette demande en reſtitution .
On laiſſera au Divan la liberté de folder ce
grand compte en territoire ou en argent. On
penſe aſſez généralement que ces demandes fucceſſives
faites à la Porte à mesure qu'elle en a
accordé quelques-unes,conduiront infailliblement
à des hoftilités , & fourniront aux cours des
raiſons plauſibles pour attaquer les Ottomans ".
Des lettres de Conſtantinople viennent à
l'appui de cette conjecture.
<«<Lebaron de Herbert a fait notifier à tous
les négocians Autrichiens qui font à Conftantinople
, qu'ils ayent à ne plus payer à l'avenir ,
fous peine d'encourir la disgrace de S. M. I. qu'un
84
( 152 )
droit unique de 3 pour 100 fur toutes les
marchandises qu'ils feront venir des pays héréditaires
; l'intention de l'Empereur étant de les
faire jouir de l'avantage accordé aux Ruſſes par
Je traité de commerce conclu le 21 Juin entre
l'Empereur & la Porte. L'Intendant de la douane
Ottomane a fait part auffitôt de cette notification
au Divan , & a demandé des ordres pour
ſe conduire à cet égard ; mais il ne les a pas
encore reçus. Nous defirerions , ajoutent ces lettres
, que notre Miniſtere voulût ſouſcrire à toutes
les demandes de l'Empereur d'Allemagne , fi
nous pouvions nous flatter que notre condeſcendance
ne le déterminât pas à en faire de nouvelles
& fur-tout qu'elle pût l'engager à rompre fes
engagemens avec la Ruffie. Nous ne pouvons
nous repaître de ces idées chimériques. Nous
nous attendons à voir ces deux puiſſances formidables
réunir toutes leurs forces contre nous :
Mais nous ne nous croyons cependant pas encore
perdus . S'il y a icides hommes abbatus , ce n'eſt
pas du tout par les approches de la guerre : la
peſte ſeule a laiffé des ſymptômes de foibleſſe
&de langueur ſur les phyſionomies de ceux qui
en ont été attaqués , & qui y ont échappé. Le
reſſentiment de toutes les claſſes de la nation
eſt toujours le même. Tous les ſujets de cet
Empire ne reſpirent que la vengeance ; & ils
eſpérent tout du Grand Vifir qui à la tête de
l'élite de nos troupes eſt ſur le bord du Dniefter
, & ils ne penſent pas avoir rien à rédouter
de la marine Ruſſe tant que le Capitan
Bacha ſera à la tête de la nôtre. Comme
l'eſcadre Ruſſe à Azoff eft beaucoup plus forte
qu'on ne l'avoit cru , le Divan vient d'ordon .
ner de préparer avec toute la diligence poſſible.
fix autres vaiſſeaux pour la Mer Noire ; en moins
-
( 153 )
de trois ans les Ruſſes ont lancé à l'eau plus de
huit vaiſſeaux neufs dans le ſeul port d'Azoff ;
mais fi notre miniſtere perfſiſte dans ſes difpofi
tionsà mettre la marine Ottomane ſur un pied
reſpectable , avant la fin du printemps prochain
le nombre de nos vaiſſeaux neufs excédera de
beaucoup celui des bâtimens ruſſes de même
genre.
Le démêlé de la ville de Dantzick avec le
Roi de Pruſſe n'eſt point encore arrangé :
tous les détails qu'on en a donnés juſqu'ici,
viennent de cette ville même ; en voici d'autres
qui viennent de la Pruſſe occidentale ,
&qui peuvent donner une juſte idée de fa
nature.
Lavillede Dantzig s'eft arrogé depuis un tems
immémorial le droit d'étape , JusEmporii. Il n'eſt
point queſtion ici du Jus ſtapulæ , que cette ville
a avoué elle -même dans ſon Mémoire , remis le
20Février 1767 à M. le Réſident de Junck , n'être
pas autoriſée d'exercer contre les ſujets du Roi
de Pruffe. Conformément à ce premier droit ,
elle prétendoit avoir le privilégé d'arrêter les
navires venant du côté de la mer , & d'affurer à
ſes habitans l'achat excluſif de leurs cargaiſons ,
mais fans aucune preuve. Aucun Roi de Pologne
ou de Prufſe ne le lui avoit jamais accordé ou
confirmé; & elle ne pouvoit alléguer aucun fait,
dont l'authenticité ne fut contredite. Les Dantzicois
, pour appuyer leur prétendu droit , diſent
que leurville fut bâtie ſur les bords de la Viſtule,
uniquement pour le commerce ; mais quelle
preuve en donnent-ils ? Ce principe , quand il
ſeroit démontré , pourroit - il être obligatoire
pour tout autre que pour leur propre Souverain
; & tout autre Souverain d'une contrée
85
( 154)
fituée ſur les bords de ce fleuve , ne ſeroit il pas
autoriſé en ce cas à faire valoir le même droit
en ſa faveur? Le Roi n'a inſiſté juſqu'ici ſur la
navigation libre de ce fleuve , que pour aſſurer
la ſubſiſtance& fournir aux beſoins de ſes propres
ſujets. Le ſeul & principal argument des Dantzicois
, c'eſt la ligue Anſéatique , avec laquelle ils
étoient jadis aſſociés. Comment cette alliance at-
elle pu leur donner des droits excluſifs au préjudiced'un
tiers & de leurs coſujets ; alliance
d'ailleurs éreinte depuis plus de deux fiecles , 6-
l'on excepte celle des villes de Hambourg , Breme&
Lubeck. C'eſt ſur ce ſeul fondement que la
ville de Dantzig a tâché de juſtifier & d'exercer
de tems en tems ſon prétendu Jus Emporii , &
qu'elle s'eſt haſardée d'ajouter autrefois ſon Jus
Stapule. Mais il eſt de notoriété publique que ce
droit chimérique n'a jamais été reconnu par la
République de Pologne , ni par aucune autre
puiſſance. Aucun procédé attentatoire ne paroîtraplus
invraiſemblable que celui que leMagiftrat
de Dantzig vient de haſarder contre les ſujets
Pruffiens : les villagesde Vieille & de Nouvelle
Ecoffe, Stoltzenberg , Schidlitz & Langfuhr
, ſitués ſur le long des côtesde lamèr, &qui
avoient été nommés autrefois les fauxbourgs de
Dantzig , mais qui , en vertu du Traitè de 1772,
furent cédés au Roi de Pruſſe , comme appartenant
à la Couronne de Pologne , ne fauroient
être approviſionnés de bleds que par la rade de
Marienbourg ; le côté de la Pommérelie n'étant
pas affez fertile pour'y ſuffire : Tous les bâtimens
Pruſſiens employés pour cet effet ont paffé juſqu'ici
ſans aucun obſtacle à côté de Dantzig ,
pour ſe rendre àces villages , & ce ne fut qu'au
mois d'Avril dernier , que le Magiftrat de
cette ville s'avifa de faire valoir ſon prétendu
( 155 )
droit de Stupel - Recht ; & au lieu de s'adreſſer
directement au Roi , de lui faire des remontrances
ſur des droits qu'il prétendoit avoir
négligés , il commença , fans aucune déclaration
préalable , par faire arrêter par des bâtimens
armés tous les navires pruſſiens qui ſe trouvoient
fur la Viſtule , dont les deux bords dans une
grande étendue depuis la mer Baltique juſqu'aux
frontieres de la Pologne , ainſi que ſon embouchure
dépendent de la jurisdiction pruffienne,
&de forcer leurs propriétaires de vendre leurs
Cargaiſons aux Marchands Dantzicois aux prix
que ceux - ci y avoient mis , en laiſſant au bon
gré & à la volonté des Sujets Pruſſfiens , établis
le long de la côte , de venir racheter des mains
desNégocians Dantzicois les mémes marchandiſes
aux prix fixés par ces derniers . Un procédé
auſſi violent mit les Sujets Pruſſiens dans le plus
grand embarras , les uns par la perte de leur navigation
, la modicité des prix qu'on mit à leurs
denrées , ne permettant pas de la continuer , &
les autres par une dépendance qui les menaçoit
de la diſette. Ils porterent leurs plaintes aux
pieds du Monarque , qui donna auſſi-tôt les ordres
à ſon Réſident à Dantzig , de faire des répréſentations
à ce ſujer, au Magiſtrat ; elles fürent
infructueuſes . Pluſieurs reſcrits de la part
du Miniſtere lui furent remis pour le même
ſujet ; mais aux ſolides raiſons qu'ils contenoient
& auxquelles il n'y avoit pas de réplique , le
Magiſtrat de Dantzig répondit en des termes
vagues & ambigus ; ſi jamais on mettoit ſous
les yeux du public la correſpondance en queſtion,
on n'y verroit qu'avec la derniere ſurpriſe un
contraſte frappant de ſolidité , de dignité & de
modérationd'un côté , & le procédé le plus inconféquent
& le plus inſenſé de l'autre. On'a
86
( 156 )
fait repréſenter àdifférentes repriſes au Magiſtrat
de Dantzig , que ſuivant le droit naturel & civil
, fuivant tous les anciens traités avec la Pologne
& la Pruffe , & felon les principes même
dudit Magiftrat, la navigation de la Viftule doit
-être libre & exempte de toutes entraves ; & que
de même que le Roi a accordé aux Dantzicois
un libre paſſage dans toute l'étendue où la Viſc
tule parcourt les Etats , il étoit en droit de demander
la liberté en faveur de ſes Sujets pour
l'étendue beaucoup moins conſidérable où ce
fleuve baigne le territoire de Dantzig . On a
ſouvent propoſe au Magiſtrat d'accorder la liberté
de navigation , ſans préjudice de ſes droits ,
aux Sujets du Roi , juſqu'à ce qu'on eût examiné
les droits réciproques , qu'en ce cas toutes
repréſailles ſeroient auſſi-tôt ſuſpendues , mais en
vain; on ſe contentera de répondre ſimplement ,
&ſans vouloir entrer dans aucun éclairciſſement ,
que la ville avoit abandonné ſes droits & fon
fort au Roi de Pologne , ſon légitime Souverain ;
tandis qu'en une autre rencontre elle méconnoît
cette ſouveraineté , comme on pourroit le prouverpar
plusd'un exemple. Cependant les Sujets
du Roi ſont arrêtés par terre & par eau , fouvent
maltraités & forcés à des ventes défavantageuſes
; & leur commerce avec cette ville eft
abſolument anéanti, Juſqu'ici le Roi a montré
une modération dont l'Hiſtoire ne fournit aucun
exemple. Aujourd'hui ſa dignité & ſon devoir
envers ſes Sujets exigent de garantir ceux- ci de
P'oppreffion ; mais parmi les moyens qu'il a en
mainpour cette fin, il n'a même choiſi que les
plus doux , eſpérant qu'ils engageront la ville
de Dantzig à rentrer en elle - même. Mais la
douceur de ces juſtes repréſailles n'a point produit
l'effet deſiré , & on s'eſt vu forcé d'arrêter
( 157 )
leur commerce de terre , ainſi que leurs navires
qui se trouvoient dans le port de Fahir-Vafler .
Mais ils ſemblent vouloir épuiſer la patience du
Roi , & leur entêtement exigera vraiſemblable.
ment des meſures plus rigoureuſes . Croira-t-on
que pendant ces entrefaites un ſage Magiſtrat a
vu avec indifférence la populace attroupée inſulter
de la maniere la plus indigne un Offcier
du Roi qui ſans aucune vue hofile a
paffé dans cette ville avec une troupe de foldats
à ſes ordres ? Quelles ſeront les ſuites de cette
conduite incompréhenſible ? Est-il bien difficile
de les prévoir , & ne ſemble til pas que tous
ſes habitans aient oublié tous les principes d'une
ſaine logique?
DE FRANCFORT , le 3 Octobre .
L'affaire de l'Evêché de Paſſau n'ayant pu
être terminée à Vienne , va , dit- on être portée
à la Diete de l'Empire ; en attendant, les
revenus qui appartiennent à cet Evêché , &
qui font ſituésdans les domaines Autrichiens ,
font adminiſtrés par une commiffion Impériale.
« Dans la Capitale d'une des Provinces Héréditaires
de la Maiſon d'Autriche , lit- on dans un
de nos papiers; on a été témoin d'un événement
bien cruel , un Soldat avoit été condamné à
paſſer huit fois par les baguettes ; après avoir été
conduit dans les rangs, il s'eſt arrêté comme
paroiffant déterminé à ne point courir. Le Capitaine
commandant l'exécution , s'approche l'épée
à la main ; alors le malheureux s'élance ſur lui ,
le renverſe , & lui plonge cinq fois dans le ſein
un couteau dont il ſe trouvoit mani , on ne fait
comment. L'Officier eft refté mort ſur la place ,
( 158 )
itpaſſoit pour un homme fort dur, & le Soldat
a été puni avec la rigueur que preſcrivent les
loix Militaires » .
Le trouble regne toujours à Dantzick , &
le fort de eette ville paroît maintenant être
dans ſa crife.
« Depuis le 24 du mois dernier , toutes les avenues
qui conduiſent à Dantzick ſont fermées ; &
les ſeuls effets que laiſſent paſler les Troupes
Prufſiennes , ſont ceux qui font de fabrique de
leur pays , ceux qui appartiennent aux Miniftres
Etrangers qui y réſident , ceux qui ſont deſtinés
pour l'Empire Ruffe , & ceux enfin qui ſervent
aux Voyageurs. Les Officiers de la Douane ont
reçu , & exécutent les ordres les plus rigoureux
relativement à tous les autres articles. Deux
Eſcadrons de Huſſards Pruſſiens ſont poſtés dans
les environs , & les Régimens de Blumenthal ,
de Mewe , d'Egloffitein , d'Elbing , de Finckenſtein
& de Rieſenberg s'avanchent des garniſons
voiſines avec du canon. Cependant malgré
la fombre perſpective de l'orage qui ſe forme ſur
Jeur tête , l'opiniâtreté des Dantzikois ſemble
augmenter ; ils font , diſent- ils , déterminés à
tout conſerver ou à tout perdre; un détachement
de Huſſards qui y fut envoyé en dernier lieu ,
fut reçu par la populace avec des pierres; mais
il paroît avoir eu l'ordre de ne point répondre
par la force à cette violence , & il ſe retira
fans tirer un coup de fufil. Le Magiſtrat met la
Ville en défenſe , & il augmente la garnifon de
80 hommes par compagnie ; on craint que fi
quelque intervention puiffante n'écarte pas la
ſcene qui ſe prépare , il n'y ait du ſang répandu.
Onattend avec impatience à Dantzick la réponſe
aux repréſentations que le Magiſtrar a adreſſées
à la Cour de Ruffie ».
( 159 )
J
- ITALIE.
DE GENES , le 18 Septembre.
Il eſt arrivé dans ce port deux frégates &
2 cutters Anglois de Gibraltar. Ce font les
premiers vaiſſeaux de guerre de cette nation
que nous aions vu ici depuis 7 ans : les officiers
ont été ces jours derniers rendre leurs
devoirs auDoge ; on croit qu'ils remettront
inceſſamment à la voile , pour ſe rendre à
Livourne.
Les Lettres de Veniſe & de Naples portent
qu'on y fait des armemens maritimes ;
on remarque en général dans toute l'Italie
des mouvemens relatifs à la Marine : les
changemens qui peuvent avoir lieu bientôt
dans la navigation &le commerce du Levant
, exigent en effet que les Puiſſances qui
bordent la Méditerranée , prennent enſemble
des meſures , afin que les intérêts de leurs
ſujets ne foient pas léſés par un nouvel ordte
de choſes .
<<Après différentes épreuves , écrit-on de
Rome , pour retirer de l'huile des pepins de
raiſins , il a été établi une manufacture de cette
production nouvelle , avec l'approbation de S. S.
qui aordonné en même temps qu'on publlat ce
procédé de M. Antoine Chinozzi , qui eft l'Auteurdelamachine
propre à extraire cette huile.
Cette nouvelledécouverte eſt de la plus grande
utifité pour la capitale & pour l'état Eccléfiaftique
, vu la quantité de vignobles , & la
grande quantité d'huile qu'on étoit ci-devant
obligé de tirer à grands frais de l'Etranger.
( 160 )
ANGLETERREDE
LONDRES , le 14 Octobre.
Les derniers Papiers Américains qu'on a
reçus contiennent quantité d'adreſſes au Congrès
de la part de différens Corps , qui déſaprouvent
tous généralement les procédés
dont ſe ſont rendues coupables quelquesunes
des troupes à Philadelphie , & qui ont
déterminé cette aſſemblée des Etats - Unis
à quitter cette ville , & à ſe tranſporter à
Prince-Town , où elle eſt encore , en attendant
qu'elle ait déſigné le lieu où elle s'établira
à l'avenir ; c'eſt au mois de Novembre
prochain , qu'elle s'occupera , dit- on , de cet
objet.
En attendant elle a requis la préſence du
Général Washington à Prince -Town , où il
s'eſt rendu à la fin du mois d'Août ; le 26 il
ſe préſenta à la ſalle du Congrès , où ayant
été introduit par deux de ſes membres , le
Préſident lui adreſſa le Diſcours ſuivant.
» M. le Congrès éprouve une fatisfaction
inexprimable à voir V. E. & à la féliciter ſur le
ſuccès d'une guerre où vous avez joué un rôle
A brillant. -Les Etats-Unis s'eſtiment finguliérement
heureux que pendant une guerre
fi longue , fi dangereuſe , ſi importante , la
Providence aitpris le ſoin de conſerver les jours
d'un Général qui n'a ceſſé de mériter & de
poſſéder la confiance & l'affection de ſes concitoyens.
Chez d'autres Nations plufieurs grands
Perſonnages ont mérité & reçu les remercimens
de l'Etat , mais il vous eſt dû , Monfieur ,
un remerciment particulier en ce que vos fer
( 161 )
vices ayant infiniment contribué à obtenir & à
établir la liberté & l'indépendance de votre Pays ,
exigent qu'une Nation libre & indépendante vous
donne des témoignages de ſa reconnoiffance ,
& le Congrès ſe félicite d'être en ce momentci
l'interprete des ſentimens de cette Nation
auprès de V. E. -Les hoftilités ſont ceffées
mais votre Pays a encore beſoin de vos fervices.
Il défire de profiter de vos lumieres par
rapport aux arrangemens qu'il ſera obligé de
prendre pendant la paix , & c'eſt pour cette
raiſon que votre préſence au Congrés a été
requiſe . On a nommé un Comité pour conférer
avec V. E. , & pour prendre vos conſeils
fur la formation & la diſpoſition des plans relatifs
à ces objets importans .
Le Général fit la réponſe ſuivante à ce
Difcours.
>>M. le Préſident , je ſuis trop ſenſible à la
réception flateuſe dont vous m'honorez pour que
je ne fois pas pénétré des ſentimens de la plus
vive reconnoiſſance, -Quoique le Congrès
paroiſſe attacher à la conſervation de mes jours
un prix bien au-deſſus des ſervices que j'ai pu
rendre aux Etats-Unis , je regarde la ſageſſe &
l'unanimité de nos Conſeils Nationaux , la fermeté
de nos Concitoyens , ainſi que la conftance
& la bravonre de nos Troupes , qui ont
mis une fin fi glorieuſe à la guerre , comme
l'effet le plus éclatant de l'interpofition divine ,
& comme le préſage le plus certain de notre
bonheur futur. -Pleinement ſatisfait des ſentimens
favorables que le Congrès a bien vou-
Ju manifeſter relativement à ma conduite paſſée ,
& amplement récompensé par la confiance &
par l'affection de mes chers concitoyens , je
n'hésite point de contribuer de tous mes efforts
( 162 )
à l'établiſſement d'une sûreté nationale , de quelque
maniere que le ſouverain pouvoir juger à
propos de l'ordonner , juſqu'à ce que la ratification
du Traité de Paix définitif ou que l'évacuation
du Pays par les Troupes Britanniques
ait eu lieu. Après l'un de ces deux événeniens
je demanderai la permiffion de me retirer pour
jouir tranquillement des douceurs d'une vie privée.
Peut-être , Monfieur , n'aurai-je jamais
d'occaſion plus favorable que celle-ci de rendre
mes humbles actions de graces à l'Etre Tout-
Puiffant & de manifeſter à mon Pays l'étendue
& la vivacité de ma reconnoiſſance pour les ſecours
prodigieux & conftans que j'ai reçus dans
les viciffitudes de la fortune & pour tous les
titres honorables que le Congrès a bien voulu
me conférer pendant le cours de la guerre ».
Les lettres particulieres nous inſtruifent ,
que les conferences entre le Général & le
Comitté du Congrès ont commencé auffitôt
,& qu'il y a été arrêté que le premier ſe
rendroit fur les frontieres du Nord , pour
choiſir les lieux les plus propres à bâtir des
forts , qui ferviroient enmême tems à leur
défenfe& à la protection du commerce des
fourrures; il ſe diſpoſoit en conféquence à
partir pour remplir cette commiſſion avec le
Général Major Baron de Stauben.
On ignore encore ici l'époque véritable
de l'évacuation de New-Yorck : nos papiers
prétendent que le Gouvernement vient ſeulement
d'envoyer l'ordre de rendre cette
place; enAmérique on prétend qu'il ya déjà
été expédié précédement.
«Le Chevalier Carleton , lit-on dans un pa(
163 )
pier de Philadelphie , en date du 28 Août , a
informé le Congrès qu'il avoit ordre d'évacuer
New-Yorck ; mais il obſerve dans ſa lettre , que
les délibérations du peuple des Etats-Unis qui
s'oppoſent à l'admiffion des Réfugiés ſur le Continent
, retarderont néceſſairement ſes mouve .
mens , parce qu'il ſe trouve obligé d'emmener
avec lui un nombre prodigieux d'habitans de
tous les âges&de tous les rangs. Il reſte encore ,
dit on , près de 19000 Loyaliſtes à transporter
dans la nouvelle Ecoſſe. On croit cependant que
la ville de New- Yorck ſera rendue aux Etats-
Unis le و Octobre. Six régimens Anglois ont
ordre de ſe rendre dans la nouvelle Ecoffe , & le
reſte retournera en Europe»,
Les Gazettes de New-Yorck nous offrent
la lettre ſuivante de Royal-Annapolis, dans
la baiede Fundy, en date du 13 Août, écrite
parun Loyaliſteàunde ſes amis àLong-Iſland.
« Je vous écris ſelon ma promeffe , & avec
plus de fatisfaction que je ne l'eſpérois quand je
vous ai quitté. Je ſuis arrivé ici , après un
paſſage de douze jours , & j'ai trouvé les choſes
beaucoup mieux que je ne me les repréſentois :
c'eſt un très-beau pays , & il n'y a pas moins de
500 familles établiesdepuis long-tempsdans cette
Ville. Le terrein eſt trés-bon , & il y a beaucoup
de bois; le climat eft Gain &les eaux poiſſonneuſes.
Nous avons tiré , mes compagnons & moi , nos
dots du terrein deſtiné à notre Ville ; il eſt d'un
acre & demi pour chacun ; l'emplacement est à
18 milles d'Annapolis , & il y a déjà environ 75
maiſons bâties par quelques-uns de nos plus célebres
Loyaliſtes ; il en arrive journellement ; notrehavre
eſt un des meilleurs que j'aie vus , & il
nous ſervira à rendre cette Ville une des plus
Σ
( 164 )
commerçantes de l'Amérique. Il n'y a aucune des
productions qui croiffent en Penfilvanie qui ne ſe
trouvent ici . Les grains d'hyver y viennent auffi
bien que dans aucune partie du monde. Nous
nous partageons les terres deſtinées à nos plantations.
Depuis mon arrivée le prix en eft monté
de 100 p. :. Les chevaux , les vaches , les cochons
, les brebis font plus abondans que dans
Long- Ifland.
Le Comitté , chargé de régler ici le fort
des Loyalistes , s'aſſemble , & continue fon
travail fur ce ſujet; ceux qui ont quelques réclamations
à faire , doivent les porter devant
ce Comitté ; & ils ont jusqu'au 25 Mars
de l'année prochaine , pour préſenter les mémoires
dans leſquels ils indiqueront leurs
pertes , d'après leſquelles on leur fixera les
dédommagemens qu'il ſera trouvé jufte &
convenable de leur accorder.
Le vaiſſeau de la Compagnie , la Britannia
, Capitaine Cumming, eſt arrivé dernierement
à Portſmouth. On évalue ſa cargaifon
& celle de l'Eſſex , qui avoit mouillé
quelque temps auparavant dans nos ports ,
à200000 liv. fterling.Parmiles Officiers qu'il
a ramenés en Europe , ſe trouvent fir Hector
Munro , & le Capitaine M'Dowall , qui
commandoit à Trinquemalle , lorſque le
Commandeur de Suffren s'empara de cette
place, le 30 Août de l'année derniere. On
faitque laconduite de M. M'Dowal a été examinée
dansun Conſeil de guerre tenu à Madraff,
& que le Jugement rendu à cet effet ,
le 29 Janvier de cette année , l'a acquitté
( 165 )
honorablement; lorſqu'il a quitté cette ville,
il alloit s'y aflembler un nouveau Tribunal
militaire pour le Colonel Humberſtone : il
en réſulte que la guerre qui vient de finir , a
donné lien à bien des procédures de ce genre
ſur les événemens qui ſe font paffés dans
les 4parties du monde. Les nouvelles qui
nous font arrivées par cette voie , ſe réduiſent
aux détails ſuivans.
,
Nos affaires , écrit-on du Fort Villianı dans les
Indes orientales commencent à prendre l'afpect
le plus favorable depuis que nous avons
fait la paix avec les Marattes ;l'armée qui étoit
contre eux , eſt entrée dans le pays de Tippofaib
, ſous les ordres du Général Mathews , cù
elle a déja eu des ſuccès . Elle a datord battu
une grande armée & pris Onore & Mangalore ,
deux Forts reſpectables. Le tréſor qui a été pris
auffi monte à 6 millions d'argent. En conféquence
de ce changement , les vieux héritiers du
trône déposés par Hyder Aly , ont faiſi l'occaſion
de ſe révolter. Ayant raffemblé leurs partitans.
ils ont commencé par élargir nos prifonniers au
nombre de 1300 , & ils ont pris poffeffion de
Siryngapatnam , la Capitale d'Hyder , une place
de très-grande force , où ils ont attendu notre
armée. On dit que trois jours avant cette révolution
, le Colonel Baily mourut. Tipoſaib qui
a fuccédé à Hyder , a évacué le Carnate peu
après cet événement, Il y avoit un traité fur pied
auparavant ; mais les choſes ayant changé , les
conditions n'ont pu étre les mêmes , & on n'a
pas été d'accord. Il offroit 4 millions en argent;
mais la compagnie en demandoit 8 , qu'il rendit
outre cela les revenus qu'il avoit tirés de
Carnate pendant 3 ans , & qu'il payát les dé
( 166 )
penfes de l'armée depuis le commencement de
la guerre ; on vouloit encore un tribut annuel
de 15 laks de pagodes , qui fait un demi million
=Nous ſuppoſons que notre flotte eſt à
préſent ſur la côte , parce qu'elle quitta Bombay
le 15du moisdernier.Elle conſiſte en 15 vaiſſeaux
de ligne ; on dit celle de nos ennemis fortede
17; mais nous croyons nos vaiſſeaux mieux réparés
, mieux équippés , ce qui fait eſperer que
s'ils ſe rencontroient , la partie ſera au moins
égale.
On dit que le Traité définitifde paix avec
la Hollande fera figné inceſſamment, &que
ce qui le retarde , c'eſt l'affaire de la reftitution
de Negapatnam à la République ; ce
qui rend notre Miniſtere très-difficile fur ce
point; & ce qui lui fait rejetter tous les objets
d'échange qu'on lui propofe, c'eſt la pofition
de cette place qui nous met en étatde
furveiller le Rajah de Tanjaour & le Nabab
d'Arcate , dont cet établiſſement domine les
poffeflions.
La paix , dit un de nos papiers , a été publiée
ici & par-tout où il y a un corps municipal
avec toutes les formalités & les cérémonies d'uſage
en pareille circonſtance. Ila paru un peu
étrange qu'on ait fongé à remplir cette formaltié ,
puiſqu'on n'avoit pas ſongé à remplir celle d'une
proclamation folemnelle de guerre, Mais on
affure que la politique exigeoit que la paix fût
revêtue de toutes les formalités , & qu'on lui
donnât le plus d'éclat qu'il étoit poſſible , dans
un moment où pluſieurs puiſſances ne paroif
foient point entièrement convaincues des diſpofitions
pacifiques de notre miniſtere.
( 169 )
gemens particuliers & inconnus avec ces pui
Lances & les Hollandois .
Les amis du miniſtere actuel , dit un autre
de nos papiers , font un grand éloge des conditions
relatives à la pêche de Terre - Neuve ;
mais la lecture du traité nous préſente quantité
de conceſſions qui doivent finir par ruiner
celle que nous faiſons dans ces parages ; ce n'eſt
cependant pas à lui qu'il faut s'en prendre ,
mais à ceux qui ont fait la paix originairement.
Saint-Pierre & Miquelon ont été cédés.
Les François y élevent des fortifications qui
les rendront inacceſſibles à tous les efforts que
nous pourrions faire. Cela fut prévu dans la
chambre haute pendant les débats qui eurent lieu
fur les préliminaires . Mais ce qui ne nous ſera
pas moins funeſte , c'eſt la liberté preſque illimitée
accordée aux Américains. Cette pêche
étant ſur leurs côtes , leur depenſe pour la faire
ſera moindre de la moitié de celle que fera
l'Angleterre ; ils ſeront en état de nous vendreà
nous fur le Continent , & fi on leur permet
d'approviſionner nos marchés d'Europe , ils
le feront à la moitié du prix que nous ne pourions
le faire .
i
Selonnos papiers il eſt queſtion d'un projet
formé par les Directeurs de la Banque ,
&dont l'exécution doit , dit-on , relever les
fonds publics, qui continuent de baiſſer.
Il eſt à ſouhaiter dit-on à cette occaſion que
ceplan ſoit tel qu'on le dit , & qu'en effet il ait
Leu ; cela raſſurera toujours la nation ſur le
bruit qui s'eſt répandu que l'on alloit mettre
une taxe ſur les fonds publics ; aſſurément elle
ne produiroit pas l'effet de les relever ; &
quand untiers des propriétés particulieres est
Nº. 42. 25 Octobre 178 ;. h
( 168 )
,
Il importe peu , lit-on dans un de nos papiers
que les différens potentats publient les
articles des traités de paix qu'ils ont conclu ;
ils n'en inſtruiront pas mieux le public ; il y a
toujours quelques articles ſéparés & importans
qui reftent unfecret pour les nations qu'ils intéreſſent
, ce myſtere d'uſage a ſouvent excité
ici des reclamations ; & c'eſt en vain quen
a eſpéré des miniſtres qu'ils ne cacheroient
au peuple aucun des arrangemens particuliers
qu'ils ont pu prendre : fi la chambre des Com--
munes uſoit de ſes droits & remplifſoit ſon devoir
, ces ſujets de plainte n'auroient jamais lieu .
On a un exemple affez fingulier de ces articles
ſecrets à la fin de la guerre précédente , &
qui ne font venus à la connoiſſance du public
que par hafard & quelques années après. La convention
ſecrette avec la maison de Bourbon.
étoit que l'Angleterre n'auroit jamais plus d'un
vaiſſeau de guerre à la fois dans la méditerranée
, tellement que deux auroient été
gardés comme une déclaration de guerre. Cette
convention nous fit perdre notre importance
au-delà du détroit , & fut la vraie raiſon qui empecha
d'envoyer une efcadre pour ſurveiller
celle qu'on équipoit à Toulon pour l'Amérique .
Le miniftere ne vouloit pas commencer une
guerre avec la France & l'Eſpagne , pendant
qu'il étoit engagé ſi chaudement avec nos colonies.
Il eſt à ſouhaiter que cet exemple ne
foit pas répété & qu'il n'y ait pas des arranre-
:
de jours. Si , ce qui ne paroit pas vraiſemblable , cela ne
nous étoit pas poßible , nous ferions toujours à temps de
revenir à la caduction de ces pieces , qui doivent avoir
place dans ce Journal , & dont nous ne fufpendons la publ
cation , que pour les mettre telles qu'elles font ſous les
yeux de nos lecteurs,
gemens
( 169 )
gemens particuliers & inconnus avec ces puiſt
Lances & les Hollandois.
Les amis du miniſtere actuel , dit un autre
de nos papiers , font un grand éloge des conditions
relatives à la pêche de Terre - Neuve ;
mais la lecture du traité nous préſente quantité
de conceſſions qui doivent finir par ruiner
celle que nous faiſons dans ces parages ; ce n'eſt
cependant pas à lui qu'il faut s'en prendre ,
mais à ceux qui ont fait la paix originairement.
Saint-Pierre & Miquelon ont été cédés .
Les François y élevent des fortifications qui
les rendront inacceſſibles à tous les efforts que
nous pourrions faire. Cela fut prévu dans la
chambre haute pendant les débats qui eurent lieu
fur les préliminaires. Mais ce qui ne nous ſera
pas moins funeſte , c'eſt la liberté preſque illimitée
accordée aux Américains . Cette pêche
étant ſur leurs côtes , leur depenſe pour la faire
ſera moindre de la moitié de celle que fera
l'Angleterre ; ils ſeront en état de nous vendreà
nous fur le Continent , & fi on leur permet
d'approviſionner nos marchés d'Europe , ils
le feront à la moitié du prix que nous ne pourions
le faire .
Selon nos papiers il eſt queſtion d'un projet
formé par les Directeurs de la Banque ,
&dont l'exécution doit, dit-on , relever les
fonds publics , qui continuent de baiſſer.
Il eſt à ſouhaiter dit-on à cette occaſion que
ceplanſoit tel qu'on le dit , & qu'en effet il ait
Leu ; cela raſſurera toujours la nation ſur le
bruit qui s'eſt répandu que l'on alloit mettre
une taxe ſur les fonds publics ; aſſurément elle
ne produiroit pas l'effet de les relever ; &
quand un tiers des propriétés particulieres est
Nº. 42. 25 Octobre 1783. h
( 172 )
fera partir à ſes frais ces deux ſujets , & il ſe
charge de les pourvoir de tous les inftrumens néceſſaires
pour faire des obſervations aſtronomiques
&phyſiques dans leur route. Ceux que nommera
la Société Royale feront le voyage aux frais du
Roi " .
On écrit de la Haye que les Etats-Généraux
ont publié un Placard , par lequel ils
défendent de négocier en Hollande aucun
nouvel emprunt pour le compte de quelque
Puiſſance étrangere que ce ſoit , pendant 12
mois , à compter du jour où celui des Américains
fera complet.
Dans les derniers Jugemens rendus àGuildhall,
on a remarquéunfait affez fingulier. Un Marinier
fut traduit devant l'Alderman Hart , accuſé par
un Publicain de Hull dans le Comté d'York , de
lui avoir volé quantité d'articles , conſiſtant en
linge& en vaiſſelle , que le priſonnier avoit empaquettés
& portés à Londres , où , ſuivi par le
Publicain , il avoit été arrêté ſaiſi des effets volés.
Le Matelot ne nia point qu'il n'eût porté ces effets;
mais il dit qu'il les avoit eus de la femme
du Publicain , qui l'avoit chargé de les remettre
à une adreſſe qu'elle lui avoit donnée à
Londres ; il le certifia par l'adreſſe qu'il en avoit
reçue , & qui portoit qu'on lui remettroit tant
pour le payer de ſapeine. La femme fut mandée
, & déclara que c'étoit elle qui avoit enlevé
les objets que ſon mari diſoit qu'on lui avoit vo-.
lés : elle déchargea pleinement le Matelor. Cela
amena une ſcene fort étrange qui fit rire l'affemblée;
parce que malheureuſement ons'égaietoujours
de ce qui intéreſſe les moeurs. Le mari , en
ceffantde ſeplaindre , s'adreſſa àſa tendre moitié
pour l'engager àrenoncer au deſſein qu'elle fent(
171 )
dans la conſtitution , eſt-elle contraire à nos loix ?
On afſſure que fi les Juges décident pour l'affirmative
, nos volontaires ſont déterminés à ſe
ſéparer & à prendre le parti de s'adreſſer au Parlement
par la voie des requêtes. On voit par ce
procédé leur reſpect pour les loix , & qu'ils ne
font animés d'aucun autre eſprit que de celui du
bien de leur pays » .
On dit que l'Evêque d'Oſnabruk , auſſi-tôt
qu'il aura atteint ſa majorité , ce qui aura lieu
le 16 Août de l'année prochaine , ſera fait
premier Lord de la Régence d'Hanovre ; en
conféquence , il fixera ſa réſidence en Allemagne,
& il n'aura point de titre en Angleterre
qui lui donne le droit de ſiéger au Parlement
parmi les Pairs. Les revenus attachés
à cette place font de 3000 liv. ſterl. ; & on
prétend que cette ſomme dans le pays où il
eft, peut lui procurer autant d'aiſance que le
triple lui endonneroit en Angleterre ; ce ſera
une addition au revenu qu'il a déjà de fon
Evêché. Les Lords de cette Régence font au
nombre de cinq.LePrince deMecklenbourg
en eſtun. Le titre de Duc d'Yorck eſt deſtiné
au Prince Guillaume-Henri, & celui de Duc
de Lancaftre au Prince Edouard.
« L'Adminiſtration a chargé la Société Royale
de choiſir trois Savans qu'elle deſtine à accompagner
l'Ambaſſadeur que l'Impératrice de Ruffie
envoie à Pekin ; elle ne fait exécuter en cela
que le projet qu'avoit déja conçu le Lord Shelburne
, qui avoit nommé , pendant qu'il étoit à
la tête du Miniſtere , deux ſujets qui lui avoient
été recommandés par les Univerſités de Cambridge
& d'Oxford. Ce Seigneur , affure-t- on ,
1
h2
( 174 )
couverts , ouverte tous les jours aux perfonnes
de leur connoiſſance.
Quelques perfonnes prétendent que le
Duc& la Ducheſſe de Gloceſter iront auſſi
à Fontainebleau. On fait qu'ils font en France;
le 4 de ce mois ils étoient à Avignon ,
où ils ne font reſtés que juſqu'au 5, qu'ils en
font partis pour ſe rendre à Aix; ceux qui
prétendent qu'ils viendront à Fontainebleau ,
difent que le 17 de ce mois, ils étoient déjà
àLyon.
Il n'y a rien de nouveau de nos ports ; on
dit feulement , qu'on continue de préparer
àToulon les agrêts & les apparaux néceſſaires
pour l'armement d'une eſcadre ; les vaiffeaux
, qui font tous doublés en cuivre n'ont
pas beſoin de carêne.
A peine les gabarres , venus de Riga ,
ont-elles mouillé à Breſt , & déchargé leurs
bois , qu'elles ont reçu ordre d'aller àBayonne
chercher auſſi tous les bois de conſtruction
qui s'y trouvent.
:
Le dernier Jugement du Conſeil de guerre
, tenu à Morlaix , ne differe du premier ,
qui avoit été déjà rendudans la mêmeaffaire ,
qu'en ce qu'il a modéré la peine de prifon
de quinze ans à fix. Le Chevalier de Vigny
a été en conféquence ramené au château
du Taureau où il a été renfermé.
,
Les dernieres nouvelles de Madrid portent ,
qu'on y attendoit à tout moment D. B. Galvez
parti de Cadix , le 26 Septembre. Son oncle , le
Miniſtre des Indes , lui avoit fait préparer un
( 175 )
hotel & un équipage brillant. Les Poſtes deMadrid
à Cadix réuſliſſent à merveille ; & on travaille
à établir celles de Bayonne à Madrid. Alors il ſera
permis de traverſer l'Eſpagne d'un bout à l'au
tre , autrement qu'à franc- étrier ; car on ſait que
juſqu'ici il n'y avoit point de chevaux de poſtes
pour les voitures & les chaiſes.
On parle depuis long-temps des travaux
ordonnés & commencés à Cherbourg. L'extrait
de la lettre ſuivante , qui peut donner
une idée de cette entrepriſe impoſante &
prodigieuſe , ne peut qu'être bien reçu des
nos Lecteurs ..
« Il avoit été préſenté pluſieurs Mémoires ſut
la néceſſité de préferer la rade de Cherbourg à
toute autre pour en faire un Port de relâche dans
la manche pour la marine du Roi ; M. de la
Bretonniere , Capitaine de Vaiſſeau , a joint aux
inſtances du Commandant & à celles de tous
les gens ſenſés de la Province une idée ſublime ;
c'eſt de former une rade deux fois plus grande
qu'elle n'eſt à préſent , en projettant trois moles
ou trois branches de moles ſéparées par.
quatre paſſes ; les deux moles des extrémitésde
quatre cens cinquante toiſes chacun , appuyant
par la droite à l'Iſle Pelée , & par la gauche
au Fort de Querqueville , & celui du milieu
fait en chevron pour couvrir deux paſſes de 300
toiſes chacune ; chacune des deux premieres
branches de mole doit avoir 800 toiſes de long,
& celledumilieu 900;elles porteront des batteries
redoutables à chacune de leurs extrémités. Ce
projet eſt en effet grand & fublime ; mais il paroît
effrayant & giganteſque ; car enfin il ne
s'agit de rien moins pour l'executer , que de
fonder 2600 toiſes de jettée en mer à60 pieds
h4
( 174 )
couverts , ouverte tous les jours aux perfonnes
de leur connoiſſance.
Quelques perfonnes prétendent que le
Duc & la Ducheſſe de Gloceſter iront auſſi
à Fontainebleau. On fait qu'ils font en France;
le 4 de ce mois ils étoient à Avignon ,
où ils ne font reftés que juſqu'au 5 , qu'ils en
font partis pour ſe rendre à Aix; ceux qui
prétendent qu'ils viendront à Fontainebleau ,
difent que le 17 de ce mois, ils étoient déjà
àLyon.
Il n'y a rien de nouveau de nos ports ; on
dit feulement , qu'on continue de préparer
àToulon les agrêts& les apparaux néceſſaires
pour l'armement d'une eſcadre ; les vaifſeaux
, qui font tous doublés en cuivre n'ont
pas beſoin de carêne.
A peine les gabarres , venus de Riga ,
ont-elles mouillé à Breſt , & déchargé leurs
bois, qu'elles ont reçu ordre d'aller àBayonne
chercher auſſi tous les bois de conſtruction
qui s'y trouvent.
Le dernier Jugement du Conſeil de guerre
, tenu à Morlaix , ne differe du premier ,
qui avoit été déjà rendudans la mêmeaffaire ,
qu'en ce qu'il a modéré la peine de prifon
de quinze ans à fix. Le Chevalier de Vigny
a été en conféquence ramené au château
du Taureau où il a été renfermé.
Les dernieres nouvelles de Madrid portent ,
qu'on y attendoit à tout moment D. B. Galvez ,
parti de Cadix , le 26 Septembre. Son oncle , le
Miniſtre des Indes , lui avoit fait préparer un
( 175 )
hotel & un équipage brillant. Les Poſtes de Madrid
à Cadix réuſliſſent à merveille ; & on travaille
à établir celles de Bayonne à Madrid. Alors il ſera
permis de traverſer l'Eſpagne d'un bout à l'au
tre , autrement qu'à franc- étrier ; car on fait que
juſqu'ici il n'y avoit point de chevaux de poſtes
pour les voitures & les chaiſes.
On parle depuis long-temps des travaux
ordonnés & commencés à Cherbourg. L'extrait
de la lettre ſuivante , qui peut donner
une idée de cette entrepriſe impofante &
prodigieuſe , ne peut qu'être bien reçu des
nos Lecteurs .
« Il avoit été préſenté pluſieurs Mémoires ſur
la néceſſiré de préferer la rade de Cherbourg à
toute autre pour en faire un Port de relâche dans
la manche pour la marine du Roi ; M. de la
Bretonniere , Capitaine de Vaiſſeau , a joint aux
inſtances du Commandant & à celles de tous
les gens ſenſés de la Province une idée ſublime ;
c'eſt de former une rade deux fois plus grande
qu'elle n'eſt à préſent , en projettant trois moles
ou trois branches de moles ſéparées par
quatre paſſes ; les deux moles des extrémitésde
quatre cens cinquante toiſes chacun , appuyant
par la droite à l'Iſle Pelée , & par la gauche
au Fort de Querqueville , & celui du milieu
fait en chevron pour couvrir deux paſſes de 300
toiſes chacune ; chacune des deux premieres
branches de mole doit avoir 800 toiſes de long,
& celledumilieu 900;elles porteront des batteries
redoutables à chacune de leurs extrémités . Ce
projet eſt en effet grand & fublime ; mais il paroît
effrayant & giganteſque ; car enfin il ne
s'agit de rien moins pour l'executer , que de
fonder 2600 toiſes de jettée en mer à60 pieds
h4
( 178 )
mais les avaries ont conduit juſqu'au 15 ; ce
jour là la mer ne donnoit que 11 pieds , il
en falloit 14 pour que le cône s'enleva de def
fus des pilots de 2 pieds qui entouroient ſa forme
; cependant il a flotté , mais il n'a pu ſurmonter
les pilots ; d'ailleurs la ceinture des cables
s'eſt un peu lâchée ; les tonnes flottoient
endedans du coloſſe au lieu de ſubmerger , &
ne donnoient qu'une partie de leur force.Quatre
chaloupes canonieres de 40 rames , unegabarre
de 700 tonneaux , & 37 bâtimens de différentes
grandeurs étoient placés & mouillés à des diftances
convenables , pour remorquer le cône &
le conduire à ſon poſte où 4 groffes ancres de
5 milliers l'attendoient pour le fixer , pendant
que l'on couperoit les ſoupentes pour lâcher les
tonnesgraduellement , afin de le laiſſer enfoncer
pied par pied. On devoit enſuite envoyer des
bâtimens chargés de pierres , vuider leurs charges
dans le cône , au moyen de ſceaux montans
& deſcendans établis ſur leur ponts dont
chacun portoit 400 livres de pierres ; on eſpéroit
dans les deux marées en etter à peu près
50 toiſes cubes , qui tombant ſur un grillagede
cables établi au fond du cône , l'auroient fixé
fur le fond , outre qu'il portoit dejà autour de
Jui 300 milliers de pierre pour fon left . Heureusement
le cône ne put fortir ce jour-là de
fa forme: il faiſoit calme quand on l'eſſaya ; on
devoit naviguer au Nord Eft & contre le jurant.
Sur les 2 heures les vents pafferent au Nord-
Eſt , & furent toujours en fraîchiſſant. Pendant
la nuit , une tempête affreuſe du Nord-Eft
s'éleva & dura juſqu'au 19. Si l'on étoit parti ,
jamais on n'auroit pu aller juſqu'au point baliſfé
pour le coulage du cône , qui étoit à 1700
toiſesdu point de partance. Il eut fallu mouiller
( 177 )
A
&d'un tiers en ſus de hauteur , afinde pouvoir
conſtruire deſſus des batteries. Les cônes ne ſe
touchant pas par leur partie ſupéticure , il y aura
entre chacun 15 toiſes d'intervalle. Un conſeil
demarine adécidé que cette claire voie ne nuiroit
en rien à la bonté de la rade , parce que la
mer ſe brifant autour de ces cones , perd ſon
courant & devient tranquille. Si cette grande
entrepriſe réuflit , il en réſultera les plus grands
avantages ; c'eſt une dépenſe de 30 millions pour
avoir une rade capable de contenir 100 Vaiſſeaux
de ligne , défendue en dehors & en dedans par
10 à 12 Forts inattaquables , à l'abri de tous
les vents , facile pour entrer & pour ſortir , &c.
Nous n'avons annoncé que bien vaguement
les premiers eſſais faits pour l'exécution
de cette grande & importante entrepriſe ; la
lettre ſuivante contient des détails que nous
nous empreſſerons de tranſcrire.
,
Pour faire flotter un cône peſant 1500 milliers
on avoit préparé 110 tonnes rangées
tout autour , dont 42 en dedans , le reſte en
dehors ſous deux rangées , & foutenu par des
ceintures & des ſoupentes de gros cables de
12 pouces. Les tonnes avoient 12 pieds de long
& 6 de haut ; chacune peſoit 4500 livres , &
portoit, en s'élevant ſur l'eau , épreuve faite ,
un poids de 28 milliers , ainſi en diminuant
ſon poids , chaque tonne faiſoit effort de 23
milliers & demi ; ce qui pour la flottaiſon dennoit
2585 milliers de force , par conféquent un
millier de plus qu'il ne falloit. Tout étoit prêt
le 30 Août. Une tempête qui eſt ſurvenue a
coupé quelques cables & fracaffé quelques tonnes
; la morte-eau eſt venue , il a fait mauvais
temps juſqu'au 10 Septembre. On s'eſt reparé ;
hs
( 180 )
témoinun jour de ces expériences , voulut auf
monter dans la galerie ; mais , quoiqu'il n'y eut
aucun danger à courir , on s'oppoſa à ſon defir ;
&M. de Dillon prit ſa place avec un autre Officier
: ils furent élevés à la hauteur d'environ 40
pieds; & au moment qu'on s'apperçut que la machine
alloit deſcendre, on lacha les cordes , &
elle fut tomber au bout du jardin , à cent pas du
lieu de ſon départ , mais fi doucement qu'elle
étoit déjà à terre , que M. de Dillon ne s'appercevoit
pas qu'elle y touchât. M. Pilatre du Rofier
eſt ſouvent monté ſeul depuis ce temps-là
pour alimenter le fourneau , en y jettant de la
paille ; il en faut près de deux bottes par minute
, pour prévenir la condenſation du gaz ; & le
15 de ce mois il a fi bien réuſſi , qu'il eſt reſté à
deux différentes fois près de 2 minutes en l'air :
on voyoit la machine s'élever de 12 à 15 pieds ,
toutes les fois qu'on lui fourniſſoit une nouvelle
chaleur : voila , où enfont , les expériences . On
fait donc aujourd'hui monter & deſcendre la machine
à volonté ; il faut actuellement trouver le
ſecretde lui faire parcourir une ligne horifontale
, & ſurtout le moyen de renouveller le gaz ,
avec une matiere qui donne une flamme vive ,
claire , ſans aucune fumée , & qui ſoit un peu
plus durable que celle produite par la paille. Du
reſte , cette grande machine eſt chargée en
minutes.
Quelque foit le parti qu'on puiſſe tirer un
jour de cette découverte, ſi l'on parvient à la
perfectionner , elle n'en fera pas moins un
honneur infini à ſes inventeurs . M. Houdon ,
ſculpteur du Roi , a fait un bas- reliefdeſtiné
à fervir a la médaille qui a été frappée pour
MM. de Mongolfier; il repréſente les têtes
des deux Freres, Etienne &Joſeph de Mon
( 181 )
golfier, inventeurs en ſociété du Globe aëroftatique.
M. Delaunay le jeune, éleve du
célebre Graveur de ce nom , l'a deſſiné &
gravé avec beaucoup de goût; les deux têtes
offrent la reſſemblance la plus parfaite ; &
la gravure fait honneur au burin d'un Artiſte
quiporteun nom cher aux Arts. On lit aubas
les vers ſuivans.
:
Mongolfier , que l'Europe entiere
Ne fauroit affez révérer ,
Ades airs franchi la carriere ,
Quand l'oeil de ſes rivaux cherche à la meſurer ( 1 ) .
M. Didot l'aîné , chargé par le Roi de l'impreffion
des Auteurs claſſiques , françois &
latins , deſtinés à l'éducation de Mst le Dauphin
, a fait ſuivre ſa ſuperbe édition de Télémaque
, de celle des OEuvres de Racine , dont
le 1er volume qui vient de paroître , eſt des
mêmes format , caractere &papier que l'Ouvrage
précédent. Nous ne répéterons pas ici
ce que nous avons dit pluſieurs fois des productions
forties des preſſes de M. Didot ;
tous les gens de goût ont reconnu la juftice
de nos éloges , & les efforts impuiſſans de la
jalouſie n'en ont rien rabattu ; nous préférerons
de tranſcrire ici le Brevet par lequel
S. M. lui a ordonné l'impreſſionde cetteCollection.
Le choix du Roi, les motifs qui l'ont
déterminé , feront notre unique réponſe aux
détracteurs de M. Didot (2) .
( 1 ) Cette Eſtampe ſe trouve chez l'Auteur , rue & porte
S. Jacques , Nº. 112. Le prix en eſt de 1 liv. 4 Γ.
( 2) Cet Ouvrage n'eil tiré qu'à 200 exemplaires comme
le Télémaqne , & fe trouve à Paris chez M. Didot Paîné ,
rue Pavée Saint-André-des-Arts. Il formera 3 vol in 4.
Le prix de chacun eſt de 36 liv.
( 180 )
témoin un jour de ces expériences , voulut auff
monter dans la galerie ; mais , quoiqu'il n'y eut
aucun danger à courir , on s'oppoſa à ſon defir ;
& M. de Dillon prit ſa place avec un autre Ofmcier
: ils furent élevés à la hauteur d'environ 40
pieds ; & au moment qu'on s'apperçut que la machine
alloit deſcendre, on lacha les cordes , &
elle fut tomber au bout du jardin , à cent pas du
lieu de ſon départ , mais fi doucement qu'elle
étoit déjà à terre , que M. de Dillon ne s'appercevoit
pas qu'elle y touchât. M. Pilatre du Rofier
eſt ſouvent monté ſeul depuis ce temps-là
pour alimenter le fourneau , en y jettant de la
paille ; il en faut près de deux bottes par minute
, pour prévenir la condenſation du gaz ; & le
15 de ce mois il a fi bien réuſſi , qu'il eſt reſté à
deuxdifférentes fois près de 2 minutes en l'air:
on voyoit la machine s'élever de 12 à 15 pieds ,
toutes les fois qu'on lui fourniſſoit une nouvelle
chaleur : voila , où enfont , les expériences. On
fait donc aujourd'hui monter & deſcendre la machine
à volonté , il faut actuellement trouver le
ſecretde lui faire parcourir une ligne horifontale
, & ſurtout le moyen de renouveller le gaz ,
avec une matiere qui donne une flamme vive ,
claire , fans aucune fumée , & qui ſoit un peu
plus durable que celle produite par la paille. Du
reſte , cette grande machine eſt chargée en
minutes.
Quelque foit le parti qu'on puiſſe tirer un
jour de cette découverte, ſi l'on parvient à la
perfectionner , elle n'en fera pas moins un
honneur infini à ſes inventeurs. M. Houdon ,
ſculpteur du Roi , a fait un bas-reliefdeſtiné
à ſervir a la médaille qui a été frappée pour
MM. de Mongolfier; il repréſente les têtes
des deux Freres, Etienne &Joſeph de Mon
( 181 )
golfier , inventeurs en ſociété du Globe aëroftatique.
M. Delaunay le jeune, éleve du
célebre Graveur de ce nom , l'a deſſiné &
gravé avec beaucoup de goût; les deux têtes
offrent la reſſemblance la plus parfaite ; &
la gravure fait honneur au burin d'un Artiſte
quiporte un nom cher aux Arts. On lit aubas
les vers ſuivans.
:
Mongolfier , que l'Europe entiere
Ne fauroit affez révérer ,
Ades airs franchi la carriere ,
Quand l'oeil de ſes rivaux cherche à la meſurer ( 1 ) .
M. Didot l'aîné , chargé par le Roi de l'impreſſion
des Auteurs claſſiques , françois &
latins , deſtinés à l'éducation de Mst le Dauphin
, a fait ſuivre ſa ſuperbe édition de Télémaque
, de celle des OEuvres de Racine, dont
le 1er volume qui vient de paroître , eſt des
mêmes format , caractere &papier que l'Ouvrage
précédent. Nous ne répéterons pas ici
ce que nous avons dit pluſieurs fois des productions
forties des preſſes de M. Didot ;
tous les gens de goût ont reconnu la justice
de nos éloges , & les efforts impuiſſans de la
jaloufie n'en ont rien rabattu ; nous préférerons
de tranſcrire ici le Brevet par lequel
S. M. lui a ordonné l'impreſſion de cetteCollection.
Le choix du Roi, les motifs qui l'ont
déterminé , feront notre unique réponſe aux
détracteurs de M. Didot (2) .
( 1 ) Cette Eſtampe ſe trouve chez l'Auteur , rue & porte
S. Jacques , Nº. 112. Le prix en eſt de 1 liv. 4 f.
(2) CetOuvrage n'eil tiré qu'à 200 exemplaires comme
le Télémaqne , & se trouve à Paris chez M. Didot Paîné ,
rue Pavée Saint-André-des-Arts. Il formera 3 vol in 4.
Le prix de chacun eſt de 36 liv.
( 182 )
« Aujourd'hui premier Avril 1783 , le Roi
étant à Verſailles, bien informé de la beauté
des éditions ſorties des preſſes du ſieur Didot l'aîné
; & voulant récompenfer & encourager les
ſoins qu'il s'eſt donnés pour perfectionner en
France la gravûre des caractères d'Imprimerie
& la fabrication des papiers , l'a choiſi pour faire
les Editions des Ouvrages deſtinés à l'éducation
deMgr. le Dauphin , & lui ordonne en conféquence
d'imprimer , ſous les formats in -4° , in-
8° & in - 18 , les principaux Auteurs nationnaux
& Latins , en commençant par le Télémaque dont
S. M agrée la dédicace : à la charge , par le
ſieur Didot l'aîné , que chacune des éditions qui
fortiront de ſes preſſes pour cet objet , ſoient
faites avec des caractères & des papiers fabriqués
dans le Royaume ; & qu'en outre , le ſieur Didot
l'aîné indemnifera , ſuivant l'eſtimation , ceux de
ſes confrères qui pourroient avoir la propriété de
l'impreſſion de quelques - uns des Ouvrages que
S. M. defire former partiede la collection deftinée
à l'éducation de Mgr. le Dauphin. Mande
S. M. au ſieur Lenoir , Lieutenant - général de
Police , & Commiſſaire du Conseil pour la Librairie
, de tenir la main à ce que le ſieur Didot
l'aîné n'éprouve aucuns troubles ni empêchemens
: & pour affûrance de ſa volonté , Elle lui
a fait expédier le préſent Brevet qu'Elle a figné
de ſa main , & fait contreſigner par moi , Conſeiller-
Secrétaire d'Etat &de ſes Commandemens
& Finances Signé , LOUIS : & plus bas
AMELOTCC .
Nous avons annoncé le profpectus de la petite
Bibliotheque des Théâtres. Le premier volume
*de cette collection intéreſſante , qui manquoit encore
, & que l'en defiroit , vient de paroître ; il
commence comme il devoit commencer , par la
piece qui a fait époque ſur le théâtre de France ,
( 183 )
comme ſur celui d'Italie , la Sophonisbe de Mairet
: elle eſt ſuivie du Scevola de du Ryer. Le
plan des Auteurs , qui eſt de préſenter alternativement
les pieces des différens théâtres , répandra
dans la diſtribution de leurs volumes une variété
piquante. En annonçant celui-ci , nous ne
devons pas oublier la partie typographique ; elle
ne peut être plus agréable , plus ſoignée ; elle
prouve les progrés que fait tous les jours cet art
intéreſſant , la perfection qu'il acquiert , le zele ,
les ſoins & l'intelligence de M. Valade (1 ).
-Nous avons annoncé dans le temps les
refforts à une ſeule feuille du ſieur Heriffon
; l'expérience en a prouvé la folidité.
Cependant comme quelques perſonnes paroiſſent
effrayées d'être portées ſur des refforts
ſi légers, en comparaiſon de ceux qu'on
employe ordinairement , le ſieur Heriffon ,
par le conſeil de feu M. de Vaucanfon , a
ajouté au-deſſous de chacun de ces reſſorts ,
(1) CètOuvrage ſe trouve au bureau rue des Moulins ,
batte S. Roch , No. 11 , chez Belin , rue S. Jacques , &
Brunet , rue de Marivaux , place du Théâtre Italien. Le
prix de la ſouſcription pour l'année entiere eſt de 33 liv .
pour Paris , & de 36 pour la Province , port franc. On
ne détachera aucune piece , ni aucun volume , à caufe
de l'inconvénient de décompletter les collections . On
donnera aux Souſcripteurs un teizieme volume gratis ,
ſous le titre d'Etrennes d'Apollon , composé des plus
jolies romances , ariettes , chansons , avec les airs gravés .
Cet ouvrage , imprimé chez M. Valade , eſt du format
de la jolie Collection des Poëtes François , fortie des
mêmes preſſes , & qui vient d'ètre augmentée des chefsd'oeuvre
de Corneille , s vol .; des oeuvres choifies de
P'Abbé de S. Réal , 4 vol .; les ouvrages , ainsi que la
Colletion entiere dont ils font partie ſe trouvent
chez M. Valade , rue des Noyers , & à Reims , chez
M. Cafin.
( 186 )
core entre les mains des Anglois , & qui doivent
être reſtitués.
« Les Etats de Hollande &de Weſtfriſe ajoutent
ces Lettres , ont approuvé à une très-grande
pluralité les propoſitions des villes de Dordrecht
& de Schoonove , en vertu deſquelles il ne ſera
plus permis d'admettre des Officiers étrangers
dans les Régimens nationnaux qui ſont ſur la
répartition de cette Province , de vendre les
emplois Militaires , ni de confier des grades qui
feront purement titulaires. - On s'attend avoir
L. N. & G. P. délibérer inceſſamment ſur la
propoſition faite par la ville de Gouda , le 13
Septembre dernier , & qui inſiſte ſur la néceſſité
d'envoyer inceſſamment dans l'Inde , & même
encore avant l'hiver des renforts de forces de
Terre &de Mer , pour empêcher les Anglois
d'y abuſer de l'article des préliminaires , par
lequel la République s'eſt engagée à ne point
gêner leur navigation dans les Mers d'Afie . La
même propoſition tend auſſi à aviſer aux moyens
de mettre les Etabliſſemens de la République
aux Indes dans l'état de défenſe le plus refpectable
».
fur
Les Etats de Friſe ſe ſont aſſemblés extraordinairement
, il y aquelque temps ,
la réponſe qui leur a été faite parlleeStadhouder,
au ſujet de ſon opinion particuliere , relativement
aux voies de fait à employer contre
cette province , ſi elle refuſe de payer fon
contingent ; les villes ont trouvé que cette
réponſe ne contient point les éclairciſſemens
qu'on demandoit : elles ont préſenté une
adreſſe aux Etats , pour leur demander la
permiſſion d'armer & d'exercer le corps des
( 187 )
Volontaires qui s'eſt formé dans la Capitale,
de la province ; & en attendant qu'ils aient
pris une réſolution définitive , tant fur cet
objet que fur quelques autres , on a fourni à
ce corps , des magaſins publics , & de la part
desEtats, 400 armes pour en faire uſage pendant
une demie année .
<< Notre vénérable Magiftrat , écrit-on d'Utrecht
, inſtruit de la diſpoſition où étoit le
Stadhouder de changer cette garniſon , l'avoit
prié de concerter ſes ordres , de maniere que le
nouveau bataillon ne fut introduit dans la Ville
que lorſque l'ancien ſeroit ſorti. Le Prince a ,
dit-on , répondu qu'il ne pouvoit rien conclure
à ce ſujet juſqu'à ce que le Magiſtrat eut allégué
les raiſons qui avoient inſpiré des allarmes contre
les Troupes ; & pendant les délibérations ſur ce
fujet , ce Prince a ordonné au Commandant du
bataillon de Wardenbroek de fortir , lorſque le
bata llon de Pain ſeroit entré. Le Conſeil de la
Ville ayant eu vent de cet ordre , a fait en forte
que S. A. S. fut priée de la part des Etats de
le changer & d'accorder quelque choſe aux opinions
de la bourgeoiſie ; on n'a point encore de
réponſe ſur cet objet. - On dit que le Conſeil
a envoyé auſſi un plan au Stadhouder , pour
une collation à tour de rôle des commiſſions ,
&pour faire dans le ſerment du Conſeil le changement
que cet arrangement rendoit néceſſaire.
LePrince ayant répondu qu'il ne pouvoit approuver
le plan , mais qu'il condescendoit au changement
dans le ferment , il a été , dit- on , réſolu de lui
repliquer qu'on n'avoit pas voulu lui demander
ſon avis , mais lui en donner un afin qu'il expédiat
au grand Officier l'ordre de ſe régler en
conféquence , lorſqu'on prendroit le ſerment des
( 138 )
nouveaux Conſeillers. On ajoute qu'il lui a été
expédié à cette occafion la derniere requête
ſignée par 1414 bourgeois , & qui contient les
raiſons de leurs inquiétudes. On attend avec
impatience le réſultat de cette conteſtation , &
fur-tout ce qui ſera décidé ſur l'entrée des
Troupes ».
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES .
La deſtination vraie ou prétendue de l'eſcadre
de Cronſtadt , a donné lieu aux réflexions fuivantes
:- Il ne ſuffit pas de mettre en mer des
flottes puiſſantes , il faut des ports & des chantiers
ſur l'Océan , pour les réparer & les entretenir;
ſans cela il faut s'attendre à les voir s'anéantir
& s'épuiſer , comme cela eſt arrivé à celles
des Ruſſes pendant la derniere guerre : ellesno
firent , depuis 1771 , plus rien qui répondit aux
dépenſes énormes qu'elles conterent. Les vaiſſeaux
étoient tellement endommagés , qu'ils ne valoient
pas les frais du radoub. Les réglemens étant défavorables
aux marins étrangers , les officiers &
les matelots Anglois furent moins utiles. Les
ſuccès ſe réduiſirent à ruiner le commerce du
levant; les tentatives fur Chypre & Candie
échouerent ; peut-être l'éloignement des Puifſances
de laMéditerranée à recevoir ces flottes dans
leurs ports , eſt- il fondé. On n'a pas oublié qu'elles
établirent pendant la derniere guerre , dans l'Etat
de Veniſe , & à l'embouchure de la mer Adriatique
, des batteries , qu'elles prirent poſſeſſion
des havres , qu'elles s'emparerent des vaiſſeaux
Chrétiens , ſous prétexte qu'ils alloient dans les
ports Turcs , que la ville de Marseille & le commerce
du levant prétendent avoir perdu plus que
les Turs mêmes. Un homme d'état , qui
ſervé ſon franc parler dans le Conſeil de Pétersbourg
, y diſoit il y a quelque temps : Vous voild
a con(
189 )
bien embarraffes ; ce n'est pas ma faute : pourquoi
avez-vous manqué Mahon qu'on vous jetoit à la tête ?
>> La ſemaine derniere l'Agent de Ruſſie a
freté quatre gros bâtimens ſur la Tamiſe , pour
porter des munitions à l'Eſcadre Ruſſe qui va
dans la Méditerranée. Ces bâtimens ſervoient cidevant
de Vaiſſeaux munitionnaires pour l'Artillerie
, & ils montent 24 canons chacun ».
ec L'Impératrice de Ruſſie a écrit une Lettre
de ſa main à M. Fox , pour le remercier de ſon
opinion relativement à fonEmpire ; dans la même
Lettre cette Souveraine entre dans beaucoup de
détails ſur ce qu'elle appelle les vrais intérêts de
laGrande Bretagne ».
« On étoit convenu que les deux Cours ( de
France & d'Angleterre ) enverroient de concert
dans l'Inde deux exprès chargés des préliminaires
de la paix ; à Strasbourg , le Major Gayles déroba,
dit-on , deux jours de marche à l'Officier François
, ſon compagnon ; il arrive à Conſtantinople
avant lui ; il en part avant lui. Porteur des
Duplicatas des dépêches Françoiſes , il paroît
vouloir le prevenir, & profiter des inſtructions
qu'elles peuvent donner aux Généraux de fa
Nation ; mais l'Officier François ayant fait la
plus grande diligence dans le déſert , a retrouvé
leMajor Gayles à Baſſora , les du mois de Juin ,
où le manque de Vaiſſeau le faiſoit attendre.
Suppl. à la Gazette de Leyde , nº. 81 .
« Qui n'auroit penté après les conceffions fans
nombre faites par l'Angleterre à l'Irlande , que
les Volontaires de ce dernier Royaume ſe montreroient
enfin ſatisfaits ? Cependant on apprend
que non-feulement ils ne le ſont pas , mais même
que ce corps turbulent vient de s'augmenter luimême
de 4 compagnies de plus . Un Ecrivain
Anglois prétend que cet exemple , & celui des
4
( 190 )
Turcs vis-à-vis des Ruſſes, doivent à jamais
dégouter les Gouvernemens de faire des conceffions
à ceux qui leur en demandent. Courier
d'Avignon , nº. 80 » .
« Le ſyſtème du Miniſtere Anglois de reſter
neutre pendant les événemens quivont ſe paſſer
à l'Orient , est fort applaudi par la Nation. On
compte déja plus de 300 Officiers de la Marine
Angloiſe qui ſont paſſés au ſervice de l'Impératrice.
On croit qu'un pareil ſecours ne ſera pas
perdu dans la ſuite ; & que fa jamais le pavillon
Ruſſe eſt élevé ſur les murs de Conſtantinople ,
le commerce de l'Angleterre dans le Levant
reprendra bientôt ſa premiere ſplendeur. Même
Gazette ».
«On dit qu'auffi- tôt que Pondichery aura été
rendu aux François , S. M. T. C. y enverra
pourGouverneur leGénéral Conway , qui s'eſt
beaucoup diftingué en Amérique , où il a eu le
rang de Major Général , & d'où il partit en
1778.-Ce brave Irlandois a été Officier dans
le Régiment de Berwick au ſervice de France ;
il commande maintenant les Troupes Françoiſes
au Cap de Bonne-Eſpérance. Nouvelliſte Politique
d'Allemagne , n°. 160 ».
CC Un Officier étranger qui a ſervi enAmérique
pendant la derniere guerre , & qui eſt arrivé
àConftantinople dans le mois d'Août , a obtenu ,
dit-on , le commandement du Gallipoli , Vaiffeau
neuf de 62 canons , ſur lequel il a paſſé auſſitôt
avec environ 300 Matelots qu'il avoit emmenés
avec lui . On ajoute que la Porte lui deſtine
une Eſcadre qu'elle ſe propoſe de faire croiſer
dans l'Archipel . Même Gazette ».
« Les bruits de Guerre deviennent de jour en
jour plus univerſels. On lit dans une feuille
publique que Belgrade pourra bien être entre
( 191 )
les mains des Autrichiens , au moment qu'on y
penſera le moins. Courier du Bas Rhin , nº.79 »
<< Le bruit eſt général que l'Eſpagne , le
Danemarck & la Suéde vont réunir une partie
de leurs forces pour exterminer une bonne fois les
Pirates Algériens. Gazette de Vienne , nº.80 » .
GAZETTĚ DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Un Curé doit être payé de la penſion qu'il s'est re-
Servée enpermutant avec un autre Curé.
Le 12 Mars 1772 il fut paſſé un concordat de
permutation de la Cure de Saint Antoine de
Bourcet , dont le ſieur Ladevie étoit Curé ,
avec celle de Saint Fériol d'Eglife-neuve-fur-
Bellon , poffédée par le ſieur Bernard Antignac ,
ſous la reſerve d'une penſion de 200 liv. ſur la
Cure de Bourcet. Le 31 du même mois ,
on obtint en Cour de Rome des fignatures
d'admiffion de ladite permutation , &de la création
de ladite penſion le 9 Mai ſuivant , jugement
dexequatur ſur les proviſions. Le 25 ,
autre jugement de la Commiſlion établie à
Clermont , qui homologue le bref de la Cour
de Rome. - Le ſieur Antignac mourut ſubitement.
Il paroît que le ſieur Bartomeuf, qui lui
ſuccéda dans la Cure de Bourcet , paya pendant
pluſieurs années la penſion au ſieur Ladevie
, & qu'enfuite il refuſa de la continuer ; ce
qui donna lieu au ſieur Ladevie de l'aſſigner
en la Cour. Le ſieur Bartomeuf s'eſt rendu appellant
comme d'abus de la fignature de Cour
de Rome.-Le 5 Septembre 1783 , arrêt , qui ,
en ce qui touche l'appel comme d'abus , a prononcé
qu'il n'y avoit abus ; & en ce qui tou,
che l'oppofition du ſieur Bartomeuf auu jugement
d'homologation rendue en la Commiffion de
Clermont-Ferrand le 25 Mars 1772 , l'en a dé
( 192 )
bouté , & a ordonné l'exécution dudit Juge
ment.
PARLEMENT DE NORMANDIE.
Ce jour , ( 28 juin 1783 ,) les Gens du Roi
ſont entrés , & LA COUR faiſant droit ſur leur
réquifitoire , a renouvellé & renouvelle , en tant
que de beſoin , les diſpoſitions de ſon arrêt du
28 Mai 1716 , de la Déclaration du Roi du
27 Juin de la même année , des Lettres patentes
du 25 Mai 1725 ; en conféquence a fait,
&fait très- expreſſes défenſes à toutes perſonnes
de quelque qualité & condition qu'elles foient ,
de méfaire ni médire aux Commis & Employés
dans la France aux Régies de S. M. , à peine
de 500 liv. d'amende & de punition corporelle ;
défend , ſous les mêmes peines , tous attroupemens
& actes tendans à interrompre & troubler
directement ou indirectement leſdits Commis
dans l'exercice de leurs fonctions , même
ſous peine de la vie , en cas de force ouverte
& ſédition. Enjoint pareillement à toutes perſonnes
, de quelque qualité & condition qu'elles
foient de s'arrêter , eux , leurs gens & voitures ,
aux portes , à la premiere réquiſition des
Commis , & d'y ſouffrir leur viſite , &c ,
apporter aucun empêchement , aux peines aux
cas appartenans. Enjoint aux Commis de ſe
comporter avec circonſpection & décence à
peine de punition exemplaire.
C'eſt par erreur que dans an Ouvrage intitulé , Prémices
'deDévotion envers le Vénérable JOSEPH LABRE , & enfuite
dans divers Papiers publics , on a mis le prix des Sermons
du P. Le Jeune en 10 vol. à 25 ſols au lieu de 25 liv, bro
ché , & 30 fols au lieu de 30 liv. relié. Ce Recueil fe
trouve toujours
=
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 6 SEPTEMBRE 1783 .
APARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Juillet 1783 .
PIÈCES FUGITIVES . moeurs de divers Animaux
3
L'Honnête Famille , Anec- Annales Poétiques ,
Rofine & Mirtil étrangers , 59
66
dote ,
Traité d'Architecture
9
, 71
Air de Blaise & Babet , 23
Traité des Scrophules , 75
Inscription du Cardinal Barberin,
Versen Réponse à une Lettre 50
BonMot,
Geneviève de Cornouailles . 123
Médecine Domeftique ,
L'Agriculture, Poëme , ICS
129
49
52 Apperçu d'un Citoyen fur la
réunion des deux Marines
Stances imitées de Gefner , 12
Tableau des Amusemens Na en France ,
turels ,
132
97 Hiftoire des Animaux d'Arif
Le Retour vers ſes Pénates , tote , en Grec ,
Couplets , 145
153
Fables & Discours en vers, 165
Le Magistrat & l'Officier , Moyen proposépour perfection .
149 ner promptement dans le
Royaume laMeuncrie & la
Fable,
Le Petit Souper , 193
Conte, 195
Vors pour mettre au bas d'un
Oranger 196
Couplets à MmeD** , 197
Charades , Enigmes & Logo
gryphes , 25 , 54 , 104 ,
11,198
NOUVELLES LITTER.
Eloge de M. l'Abbé Poulle ,
26
Boulangerie, 168
Vers fur la Paix, 170
Doutes fur différentes Opinions
reçues dans la Société,
172 200
Le Désastre de Meffine , Ode
Philofophique , 185
Eudoxie , Nouvelle Hiſtorique
,
Necrologie ,
2.20
225
188
Dictionnaire Univerſel des SPECTACLES,
Sciences Morale , Economi- Concert Spirituel ,
que , Politique & Diploma Acad. R. de Musiq. 79 , 228
Comédie Françoise , 85 , 229
tique, 36
Le tres deM. de Windischfur Comédie Italienne , 134 , 229
lejoueur d'Echecs de M. de Variétés ,
Kempelen,
OEuvre de Cicéron ,
42.Anecdotes,
55
230
138 , 233
Annonces & Notices , 43 , 93 ,
Effais Philofophiques fur les
139,188,235
▲Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , pròs 8. Come.
Compl.acts
singhoff
7910481
24009
"MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 6 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE DIABLE , Conte.
AuU temps jadis un bon Guré Gaulois
Vouloit prouver à certain Caufidique ,
Que des enfers le préſident inique
En ce bas- monde apparoiſſoit par fois.
Après mains dits , mainte & mainte réplique :
Crâne obſtiné , dit le Paſteur têtu ,
Ace trait-ci , que répliqueras-tu ?
Hier au ſoir je l'ai vû ſous la forme
D'un baudet noir , portant oreille énorme ;
Juſqu'à la nuit il ſuivit tous mes pas ;
Je me ſignai crainte de mal encombre ...
<<<Bon , bon! reprit l'Élève de Cujas ,
>>>Vous eûtes peur, je gage , de votre ombre.
( Par M. Sylva. )
A ij
MERCURE
COUPLETS à M. GRIGNON , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Correspondant
de l'Académie des Sciences & Belles-
Lettres de Paris , & Inspecteur des Mines
-de France , le jour de ſa Fête.
AIR: Chantez , dansez , amusez-vous.
AQUOI bon tous ces vains diſcours
Qu'avec tant d'art l'eſprit apprête ?
Le coeur a réuſſi toujours
Près de celui qu'ici l'on fête :
Les vers font toujours aſſez bons ,
Il lui ſuffit que nous l'aimions.
Dis Beaux-Arts dont il eſt l'appui ,
Il approfondit le myſtère ;
Mais à table , ailleurs , ou chez lui ,
Il n'en fait pas moins boire & plaire :
Qu'a-t'il à defirer de plus ?
Il ſert Minerve, il fert Bacchus.
MÁIS ces mines qu'il va cherchant
Dans des abymes qu'il entr'ouvre ,
Ne valent pas aſſurément
Les mines qu'ici l'on découvre ;
Qu'a-t'il à defirer de plus ?
Il ſert Minerve , il ſert Vénus.
} bis.
bis.
}bis.
1
DE FRANCE. 5
Ce cordon , que fans aucuns droits
Trop ſouvent l'orgueil follicite ,
Il nous prouve au moins cette fois
Qu'il eſt le cordon du mérite :
Que peuvent defirer de plus
Et ſes talens & fcs vertus ?
AMIS , qu'il eſt doux d'eſpérer
Que, pour prix de nos voeux ſincères ,
Unjour il pourra figurer
Dans la lifte des centenaires;
Qu'il puiffe à cent ans révolus
Servir & Minerve & Vénus !
( Par M. Damas. )
bis .
bis .
LE SOUPER SENTIMENTAL , Come.
SI vous me demandiez , Mesdames , le
nom de celui qui le premier apporta les
vapeurs en France , je vous dirois : C'eft
un Florentin ; & quand j'aurois ajouté : C'eſt
un Abbé ( * ) , vous me croiriez fur parole.
S'il falloit auſſi vous donner l'origine des
Petits-Maîtres vous me croiriez , quand
je vous dirois : Condé , le vainqueur de
Rocroi , étoitungrand maître & ces jeu-
(*) L'Abbé Ruccelai Florentia , fils d'un partiſan
conſidéré ſous Louis XIII.
Ainj
6 MERCURE
nes gens deCour qui s'attachèrent à lui , finges
infidèles du grand homme , furent appelés
Petits- Maitres. Mais je ſerois bien
embarraffé de vous nommer l'aimable inventeur
de nos petits ſoupers : toujours eftil
bienvrai que l'époque ne remonte pas audelà
de Louis XII. Ce bon Roi , qu'on réprimanda
fi févèrement pour avoir reculé fon
coucher à dix heures , amuſoit ſans doute ,
par un petit ſouper , les longs tête- à-têtes
qu'il avoit avec Marie d'Angleterre.
Il eſt bien vrai auſſi que Louis XIV , ce
Roi que Frédérica nomméle grand Magicien
de l'Europe , f magnifique , fi galant , n'a
pas porté la délicateffe des ſoupers au point
où ſon ſucceffeur l'a vue s'étendre depuis fon
retour de Metz. Minuit marquoit toujours
la ligne de démarcation du jour & de la
nuit ; aujourd'hui la nuit n'a plus d'ombres :
unfaiſceaude bougies eſt attaché au flambeau
pâliſſant du jour ; l'oeil trompé cherche en
vain les ténèbres. Alors on ne ſavoit point
ſe retrancher contre l'éclat du ſoleil pour
dormir en plein midi. Long temps on ne
ſavoit que donner quatre parties à la journée;
le travail s'emparoit avidement de deux
moitiés ; la troiſième étoit conſacrée au repos.
Que reſtoit- il pour les plaiſirs ? C'eſt
aujourd'hui que des mains charmantes déſoupent
ingénieuſement lajournée , & cou
cent àla robe du tems des heures délicieuſes.
Les fallons ( car tous les arts ſe tiennent,
DE FRANCE.
7
&fur tout les arts d'agréinent ) vinrent bien
vîte au ſecours des petits foupers. Bientôtle
compas , dirigé par le goût , traça des cloifons
, abaiſſa les voûtes , retrécit lesvaftes
falles , plus propres àdes conférences d'Ambaffadeurs
Suiffes qu'àdepetits foupers. Les
grandes cheminées diſparurent : àune ſculpture
groſſière , à des Amours mal maçonmes
& mal affis ſur les angles , ſuccédèrent
les glaces de Veniſe ; au cuir doré ,
le damas , le ſatin & la perſe. Ces fauteuils
matériellement tournés , à longs dos , à longs
bras, furent remplacés par des bergères, des
ottomanes , &c. &c. La réforme avoit déjà
gagné les moeurs. Déjà , grâces à Richelieu
les grands vaffaux enchaînés auprès du Trône,
devenus plus humains , apprivoisés par les
arts , adoucis par les femmes , parloiont
moins de nobleſſe , de ferfs , & parloient
davantage de plaifir. Il eſt vrai qu'on ſe ferrailloit
encore pour le haut du pavé , &
que , pour conſerver la ridicule distinction
des éperons dorés , on rendoit des viſites
en bottes , & on arrivoit crotté. Dans
tout cela rien ne regarde les Dames.
,
Que vous dirai-je des femmes ? Si la
tradition étoit inuette , jejugerois ce qu'elles
ont été d'après ce qu'elles font. Il est bien
vrai qu'elles furent aimables dans tous les
temps ; toujours le goût les avertit vingt
années avant nous des réformes néceſſaires.
Elles avoient mis de la poudre d'or
A iv
8 MERCURE
dans leurs cheveux , avant que nous euffions
tailladé notre barbe ; elles avoient inventé
les corps & les baleines , & nous
avions encore nos fouliers carrés. Avant
que nous euffions ſongé à dénouer la large
agraffe de nos manteaux , elles faifoient
ufage de ces gazes officieuſes , auxquelles
la décence & l'amour fourient également.
Sans doure elles aimoient , plaifoient , faifoient
des ſottiſes comme aujourd'hui :
l'art de plaire eſt un ſecret qu'elles n'ont
jamais appris , qu'elles ont toujours fu
avec cette difference que chaque ſiècle a
imprimé fon cachet ſur chacune de leurs
manières.
,
Notre ſiècle a fans contredit beaucoup
d'avantages fur ceux qui l'ont précédé ; mais
je puis le comparer à un Metteur en oeuvre
, qui , à force d'affiner fon métal , diminue
ſon poids ; ou plutôt à ce Marivaux ,
ſi juſtement célèbre , qui pour trop vouloir
ductiliſer ſa penſée , en émouſſoit le
trait. La politeffe a altéré nos couleurs primitives
: on portoit autrefois ſon caractère ,
fon attitude dans les fallons. Le beau Lauzun
dut à cette originalité la main de l'auguſte
Montpenfier . On remarquoit dans la phyſionomie
& dans l'expreffion des traits ſaillans;
aujourd'hui nous nous reſſemblons tous; plus
de couleurs , point d'expreſſion. Il ſemble
qu'un niveau eſt ſuſpendu dans nos antichambres
, & qu'on n'oſe en outrepaffer la
hauteur. Fous , ſi c'eſt porte ouverte à la fo-
1
DE FRANCE .
,
2
lie : Catons , i l'on veut; c'eſt une hypocrifie
continuelle dans le maintien : le vice & la
vertu en un mot , dépendent de l'affiche
qu'on lit en entrant, fur le front de la Dame
du lieu. Je ſais qu'il feroit facile d'entreprendre
notre apologie. Je fais que la bienfeance
& l'honnêtetéy trouvent leur compre.
Plus de détonation : c'eſt un concert exécuté
à voix baſſe , avec peu de chaleur , fi l'on
veut , mais d'accord. Plus de ces oui opiniâtres
; plus de ces non effrontés , éternels
ſujets de diſcorde parmi nos francs
ayeux : la penſée polie & retournée vingt fois
fortlentementde la filière des convenances ,
& flatte on ſe tait. Point d'accent ;
calme toujours égal. Mais l'amitié , mais la
confiance y ont- elles gagné ? Moi , je preférerois
le ſiècle qui ne cache point ſes vices
à selui qui cache ſes vices ſous ſes defauts....
Pardon , Meſdames; c'eſt d'un ſouper que
j'ai à vous entretenir.
Un
Hier au ſoir Montcalde ſe promenoit, avee
l'air du déſoeuvrement, dans ce jardin dont
un Régent aimable avoit confié la clef aux
Amours. Montcalde , jeune , riche, aimable ,
n'étoit pas fait pour être abandonnné furlefablemouvantd'une
allée. Il eſt pourunhomme
aimable mille reſſources : autrefois les portes
ne s'ouvroient qu'aprèsdes informations
interminables : D'où vient- il ? Quel eſt-il ?...
Il eſt vrai qu'autrefois c'étoit Monfieur qui
ouvroit la porte : aujourd'hui c'eſt Madame.
Av
10 MERCURE
Est- il aimable ? Oui .... Amenez - le , & voilà
tous les préliminaires : l'inconnu eſt impatronifé
ſans autres lettres de creance , fi bien !
favite! Il ſemble qu'on craint de n'avoir
pas le tems de pouvoir ſe connoître. Il
eſt vraiqu'on n'a jamais mieux connu le prix
de l'occaſion .
.....
VoilàMontcalde accoſté par un de ces hommes
charmans , qui ſemblent emprifonner
les plaiſirs dans leurs tablettes , & dont les
tablettes renferment un calendrier fidèle des
plus beaux jours ; qui ont toujours un moment
à donner au plaifir , & unplaiſir deftiné
au moment ; qui ont toujours un lieu
où la beauté les attend , & une heure où ils
vont attendre la Beauté. Un bal .... un fouper....
que fais je ? Ai je beſoin de tout dire ?
Heureux mortel ! il manquoit quelque choſe
à Montcalde pour reſſembler entièrement à
Joinville : ( c'eſt le nom du Merveilleux ) Il
n'étoit pas tout- à- fait ce qu'on appelle à la
rigueur un Homme àfemmes. Il avoit des diftractions
, étoit trop gai , & n'avoit pas dans
l'ame ce fonds tendre, qui promet aux Dames
de faire de nous de légers camaïeux, qu'elles
effacent, retournent & decompoſent.
Le voilà introduit chez Euphrofine. Il ne
connoiffoit point Euphrofine ; mais , fidèle
à l'uſage , il ne demanda point : Où ſuis je ?
Euphroſine étoit jolie , c'étoit le premier titre
de nobleffe, titre incontestable : elle étoit
aimable , c'étoit le ſecond ; elle plaiſoit ,
DE FRANCE. 11
n'of-
,
c'étoit le troiſième. Je pourrois lui donner
douze quartiers auſſi incontestables , ſignés
l'Amour, & plus bas , nous tous qui l'avons
vue. Euphroſine ſans rouge , fans blanc ,
ſourcils noirs , foſſettes au menton
froit pas non plus un faux baptiftaire. Elle
annonçoit , je ne ſais pas ſi c'eſt dix-huit ans,
mais je fais bien que c'étoit le bel âge. Peignons
le caractère d'Euphroſine : elie n'étoit
point bruyante ; elle parloit à voix baſſe
parloit peu. C'étoient des inflexions , des
aſpirations.... Elle ſembloit dire à tout le
monde : Je ne parle que d'après mon coeur.
Elle ne diſoit point : Je fais cela , mais je
ſens cela. Elle ne répondoit point : Cela eſt
bien dit, mais cela eſt ſenti. Vouloit - elle
louer? elle ne diſoit point : Monfieur a de
l'eſprit ; mais Monfieur a de l'ame . Le ſentiment
étoit ſur ſeslèvres avec autant de vérité
qu'il étoit dans ſon coeur . Tout , autour
d'elle , en portoit la tendre livrée.
Cependant venoient d'arriver Elife , brune
piquante, dont les traits décéloient l'enjoûment
; Hortenfe , blonde , grande , ſeche ,
qui n'avoit jamais eu que de l'orgueil & de
la maigreur dans l'ame ; Lucile , qui n'avoit
pas vingt huit ans , & qui étoit tentée de parler
àtoutmoment. Ces diſparates s'évanouirent
au premier regard d'Euphroſine , & ces
trois viſages ſe peignirent auſſi tôtde la couleur
tendre du licu. Auprès d'elles étoit un
de ces quarantenaires , encuiraffes fous une
triple nacre , portant l'audace ſur le front ,
Avj
12 MERCURE
& l'impudence dans les yeux : des jeunes
gens fans vices , ſans vertus , équivoques ,
grands enfans , qui , après avoir foufflé des
boules de ſavon le matin , jouoient l'importance
le foir ; des foi- difans penſeurs , fléaux
de la ſociété , gens aſſis ſur la règle & fur le
compas , entre unfi& un mais , definiflant ,
analyfant & comptant les plis de la ceinture
de Vénus , au lieu de la chiffonner : tel
étoit le cercle d'Euphroſine. On eût dit qu'ils
n'avoient qu'une ame , qu'une même façon
de penſer , celle d'Euphroſine , tant le ſceau
desbienfeances eſt impérieux. Il eût étépoffible
de tirer de cette diverſité d'eſprits & de
caractères un meilleur parti ; mais le volant
reſtoit à terre , perſonne qui osât prendre la
raquette& le baletter. Un fouper fut ſervi
avec élégance & fans profuſion : il ſembleit
avoir été ordonné par une Fée. C'étoit un
ſouper à la mode , où l'oeil appercevoit du
premier coup toutes les ſaiſons & tous les
climats , & où l'on ne trouve pas un fuc
nourticier pour l'eftomac , pas une boiffon
défaltérante : en revanche on pouvoit parler ,
&on parloit.
Euphrofine avoit donné le mouvement ,
&perſonne n'oſoit s'écarrer de cette monotonie
ſentimentale. C'étoient des phraſes interrompues
par des exclamations , ou coupées
par des foupirs. J'ai dit que Montcalde
étoit gai : ce ton le décontenançoit. Il favoit
qu'on eſt jugé au premier coup d'oeil ;
il craignoit de s'énoncer mal. Son embarras
>
DE FRANCE.
13
croiſſoit de moment en moment , car de
moment en moment la converſation prenoit
une teinte plus ſombre : une hiſtoire
triſte finiſſoit , une autre plus triſte recommençoit.
On en vint à l'éloge des abſens;
de l'éloge à l'oraiſon funèbre il n'y
a qu'un pas. Montcalde ſe crut perdu. Quelle
contenance garder , lui qui étoit gai , parmi
desperſonnes qui étoient prêtes à larmoyer !
On regrettoit un ami ! Un ami ! A ce nom ,
un ſoupir univerſel fit friffonner tous les
coeurs. Montcalde fut pénétré du ton fur lequel
on célébroit l'amitié.Eh ! ſans doute, ditil
tout bas à Euphrofine, je ſuis dans le Temple
deCaſtor & Pollux ; je croyois n'être que
dans celui des Graces. AimablesGrecs , c'eſt
votre imagination qui perſonifia avec tant
d'agrément tous ces êtres moraux ! C'eſt
vous qui , les premiers , donnâtes un nom &
un corps au ſentiment, & qui , fatigués de
reffembler à Ixion embraſſant une nue ,
donnâtes à Caſtor , Pollux; à Niſus , Euriale.
Amitie ! c'eſt toi qui dictas le teftament immortel
d'Euladymas. Moncalde , en prononçant
mentalement cette proſopopée , étoit
pénétré , mais n'étoit point attendri . Euphrofine
continuoit l'oraiſon funèbre de ſon ami ;
elle avoit rendu avec un touchant intérêt les
derniers & triftes périodes de ſa vie : des
larmes couloient des yeux d'Euphrofine.
Tout le monde , mouchoir en main , ſechoit
ſes pleurs. Moncalde étoit déſeſpéré
de ne pas pouvoir pleurer. Il appelle fon
14 MERCURE
imagination au ſecours , s'inveſtit des ſouvenirs
les plus noirs , confulte à la fois
ſa mémoire , ſon eſprit & fon coeur; fonge
à fon père , à ſa mère , à ſa ſoeur , à fes
amis , à ſa maîtreſſe , à tous les défunts
poſſibles ; enfin une larme s'échappe de ſes
yeux. Il tira auſſitôt ſon mouchoir avec
bruit : on eût dit que c'étoit la bannière de
ralliement. Tous les yeux ſe fixèrent ſur lui :
une inclination admirative lui annonça qu'il
étoit réconcilié. Euphroſine lui dit : Vous
êtes ſenſible , Monfieur ; la première qualité
de l'homme aimable , c'eſt la ſenſibilité: conſervez
la ; c'eſt le feu ſacré ; une fois éteint ,
il faut un miracle pour le rallumer. Le
Ciel aujourd'hui eſt avare de ſemblables
prodiges. Revenez ſouvent me voir. Moncalde
fit de fon mieux pour tirer parti de
fon maintien : ilbrûloit de rire aux éclats .
Heureuſement une Dame lui offrit une
place dans ſa voiture , & le jetta chez une
folle où il rit de tout ſon coeur. Je pourrois
vous peindre Hortenſe riant à ne pas s'entendre
, au moindre mot ; badinant à tort
&àtravers , faiſant mille queſtions , n'attendant
jamais la réponſe , chantant , ſautant ,
parlant tout-à- la- fois; changeant de place
àchaque ſeconde , n'étant bien nulle part ,
&diſant : Lebonheur eſt par- tour. Je pourrois
placer Moncalde àſon aiſe : mais qu'en
concluriez vous ? Qu'il eſt des foux triftes&
des foux gais dans le Fauxbourg St-Germain
commedansle Marais ; que nous avons
DE FRANCE. 15
tous notregrain de folie ,& que le plus ſage
eſt celui qui fait mieux le cacher ; onen
tire meilleur parti. La femme ſenſible &
la folle ont chacune leur prix : heureux
ceux qui ſavent manier ces précieux diamans
avec des doigts de roſe. Malneur au ſauvage
ou au méchant qui ne les ménage point ,
&ne les honore point affez .
(Par M. de Mayer.)
Explication des Charades , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Lemot de la première Charade eft Épicure ;
celui de la ſeconde eſt Bonnet ; celui de
l'Enigme eſt Lys ; celui du Logogryphe eſt
Étoile , où l'on trouve toile, étole & toi.
LES
ÉNIGME.
ES Princes & les Rois viennent loger chez moi ,
Les Pontifes ſacrés , & puis les Gens de Loi.
Moi , je loge chez tout le monde;
Et d'après mon avis , l'on eſtime ou l'on gronde ,
Tantôt le Fourniſſeur , tantôt le Cuifinier ;
Carje goûte à tout le premier.
;
16 MERCURE
LOGOGRYPΗ Ε.
AMI
MI Lecteur , tu dois bien me connoître ,
Plus d'une fois je fatiguai tes yeux ;
En t'amuſant, plus d'une fois peut-être
Je t'effrayai par mon aſpect hideux.
Diviſe mes ſept pieds, tu trouveras trois villes;
Un mois qui rend la vie aux campagnes ſtériles ;
Un nom , pour nos aïeux , dans tous les temps ſacré ,
Un nom qui de nos jours eſt bien peu révéré ;
Le bruit dont un enfant te rompt ſouvent la tête ;
Certain mot très- groffier qui fut jadis honnête ;
•Un autre mot fi doux qu'on ne peut ſe laſſer
1 Etde l'entendre & de le prononcer ;
Un jeune audacieux célèbre dans la Fable ;
De l'arrière ſaiſon un jour très-remarquable ;
Cequ'un Soldat vaincu demande à ſon vainqueur ;
Ce que femme offenſée a toujours dans ſon coeur ;
Unoiſeau fort commun; deux notes de muſique;
Un petit mot latin ; un art diabolique;
Le nom d'un Magiſtrat ; un excellent poiſſon ;
D'un animal chéri la gentille priſon ;
Undes quatre élémens ; un pronom ; une pierre ;
D'un homme grand & ſec l'épithète ordinaire .
Te voilà , cher Lecteur , ſuffisamment inſtruit ,
Etd'ailleurs je craindrois de laſſer ton eſprit.
(Par M. Louvet. )
DE FRANCE.
17
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ILIADE & L'Odyssée , d'Homère traduites
en vers François , par M. de Rochefort ,
de l'Académie Royale des Inſcriptions &
Belles- Lettres . A Paris , de l'Imprimerie
Royale ; 1781 & 1782. in- 4°. 2 Vol.
ON ne peut annoncer un plus beau titre
Littéraire pour l'Auteur , un Ouvrage plus
intéreſſant pour le Lecteur , qu'une Traduction
d'Homère en vers , l'entrepriſe ſeule
feroit toujours noble , dût- on y échouer , ce
ſeroit le cas de dire :
Quemfi non tenuit , magnis tamen excidit auſis.
Il eſt beau même d'en tomber.
C'eſt en vers ſans doute qu'il faut traduire
les Poëtes , quand on le peut ; la fidélité
littérale peut y perdre , mais la fidelité
véritable , celle qui conſiſte à conferver la
vie , le mouvement , la couleur , les grâces ,
l'éloquence , l'original , en un mot , cette
fidélité ne peut qu'y gagner .
Les pédans diſent qu'ils aiment les Anciens;
ils ſe trompent , ils connoiffent le
matériel des mots , l'Auteur tout entier leur
'échappe ; au défaut des beautés réelles qu'ils
ne fentent pas , ils en imaginent de chimériques;
les fauſſes fineffes & les lourdes Tra
18 MERCURE
ductions des Dacier * & de leurs ſemblables,
dégoûteroient à jamais les ignorans des
originaux qu'on veut leur faire admirer. Le
véritable , le digne admirateur des Anciens ,
eſt le Poëte qui fait paſſer leurs beautés dans
ſes Ouvrages , ſoit par une Traduction , ſoit
par une fimple imitation.
Quand l'Auteurde la Henriade, déplorant
la mort du Duc de Bourgogne , s'écrie :
Ciel ! quelle nuit ſoudaine à mes yeux l'environne !
La mort autour de lui vole ſans s'arrêter.....
O mon fils ! des François vous voyez le plus juſte....
Grand Dicu ! ne faites -vous que montrer aux humains
Cette fleur paſſagère , ouvrage de vos mains ? ....
Ojours remplis d'alarmes !
Ocombien les François vont répandre de larmes ,
Quand ſous la même tombe ils verront réunis
Et l'époux & la femrae , & la mère & le fils !
On ſent qu'il s'eſt attendri , & qu'il a pleuré
comme Octavie , en liſant ces beaux vers
de Virgile fur la mort de Marcellus :
Sed nox atra caput triſti circumvolat umbrâ....
Onate , ingentem luctum ne quare tuorum !
Oftendent terris hunc tantumfata , neque ultrà
Effefinent .......
Quantos ille virûm magnam Mavortis ad urbem
* Nous devons à un homme de ce nom , bien
différent du premier , & qui n'a rien de commun avec
lui que d'être Savant , d'excellentes Traductions
d'Elien & de Xénophon.
DE
19
FRANCE.
Campus aget gemitus , vel qua , Tyberine , videbis
Funera , cùm tumulum praserlabere recentem !
Quand le pédant Desfontaines , qui ne
trouvoit pas un défaut dans l'Énéïde , la
traduit toute entière en profe sèche &
froide , je vois évidemment qu'il n'a rien
ſenti en lifant Virgile; il efface toute image ,
il éteint tout ſentiment.
Nous pouvons mettre Racine au rang des
Traducteurs , ou du moins des imitateurs
d'Homère , dans ce morceau touchant des
adieux d'Hector & d'Andromaque . Il avoit
Homère ſous les yeux , il le portoit tout entier
dans ſon ſein, lorſqu'il faifoit dire à Andromaque
ces vers pathétiques :
Hélas! je m'en ſouviens , le jour que fon courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda ſon fils ,& le prit dans ſes bras .
Chère épouſe ( dit-il en effuyant mes larmes )
J'ignore quel ſuccès le ſortgarde à ines armes ;
Je te laiſſe mon fils pour gage de ma foi ;
S'il me perd , je prétends qu'il me retrouve entoi.
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chère ,
Montre au fils à quel point tu chérifſſois le père.
Le tableau de l'enfant qui , effrayé du cafque
de ſon père , ſe rejette dans le ſein de ſa
nourrice , ne pouvoit trouver place parmi
les mouvemens tragiques qui occupoient
ſeuls Racine. Ce tableau a fourni de beaux
vers à M. de Rochefort :
20 MERCURE
Hector , ce fier Guerrier , dans un tranſport de père ,
Les deux bras étendus , s'avance vers ſon fils .
Mais l'enfant s'épouvante , il pouſſe de grands cris ;
Au ſein de ſa nourrice il ſe preſſe & ſe cache ;
Il frémit à l'aſpect du ſuperbe panache ,
Dont l'aigrette terrible & les touffes de crin
S'élèvent en flottant ſur le caſque d'airain .
Hector voit ſa frayeur avec des yeux de père ,
Et regardant le fils , ſourit avec la mère.
Auffitôt découvrant ſon front majestueux ,
Hector poſe à l'écart ſon caſque radieux ;
Il retourne à ſon fils , le prend & le careffe :
Dieux , dit- il , écoutez les voeux de ma tendreffe :
Faites que cet enfant ſoit un jour comme moi ,
L'honneur de nos Guerriers , des ennemis l'effroi.
Souverain d'Ilion , qu'il y règne avec gloire ;
Dans ſes brillans exploits , ſuivi de la victoire ,
Qu'il puiſſe entendre dire à nos peuples furpris :
Le père est en cejour éclipſé par le fils .
Qu'avec un beau trophée il revienne dans Troye ,
Que ſa mère l'embraſſe & treſſaille de joie.
Les deux Pièces de M. Gruet & de M. de
Murville , couronnées à l'Académie Françoiſe
en 176 , étant des Traductions de ce
même morceau , les Lecteurs peuvent les
comparer avec la Traduction de M. de Rochefort.
Boileau peut , ainſi que Racine , ſervir de
modèle aux Traducteurs d'Homère. Voyez
DE FRANCE. 21
cet endroit du vingtième Livre de l'Iliade ,
que Longin cite pour exemple de la ſublimité
dans les penſées , & qui ne l'eſt pas
moins de la ſublimité dans les images .
L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie.
Pluton ſort de fon trône , il pâlit , il s'écrie :
Il a peur que ce Dieu , dans cet affreux ſéjour ,
D'un coup de ſon trident ne faſſe entrer le jour ,
Et par le centre ouvert de la terre ébranlée ,
Ne faſſe voir du ſtyx la rive déſolée ,
Ne découvre aux vivans cet empire odieux , -
Abhorré des mortels , & craint même des Dieux.
Ce morceau n'eſt pas un des moins bons
de la Traduction de M. de Rochefort ; c'eſt
un de ceux où l'on retrouve le plus les mouveinens
& les images de l'original.
Neptune ſous ſes coups faiſoit trembler la terre ,
La terre & ſes vallons & ſes vaſtes forêts ,
Les fondemens d'Ida , ſes ſourcilleux ſommets ,
Les navires des Grecs & la ville ennemie.
De ſon trône agité Pluton s'élance & cric;
Il pâlit , il a peur que le Tyran des mers
Ne briſe en ſon courroux la voûte des enfers ,
Et par le centre ouvert , &c.
1
Ces quatre derniers vers ſont ceux de Boileau
, que M. de Rochefort a conſervés.
Le morceau qui ſuit eſt cité par Longin
comme un exemple de ces tranfitions imprévues
qui donnent du mouvement & de
22 MERCURE
l'âme à la poétie. La première Traduction
eſt encore de Boileau .
Mais Hector , de ſes cris rempliſſant le rivage,
Commande à ſes Soldats de quitter le pillage ,
D'aller droit aux vaiſſeaux fur les Grecs ſe jeter ;
Car quiconque mes yeux verront s'en écarter ,
Moi-même dans ſon ſangj'irai laver ſahonte.
M. de Rochefort eſt reſté encore plus près
que Boileau de l'original , en joignant à la
menace d'ôter la vie , celle de priver de la
ſépulture , menace qui eſt dans Homère , &
qui n'étoit pas la moins effrayante chez les
anciens.
Quand Hector àgrands cris commande à ſes cohortes
De quitter le pillage &d'attaquer les camps :
Car malheur au premier qui s'écarte des rangs ,
Je lui perce le ſein , & devant nos murailles
Je l'abandonnerai privé de funérailles..
La deſcription de la marche de Neptune ,
foit ſur la terre , ſoit ſur les flots , dans le
treizième Livre de l'Iliade , a encore été
rendue par Boileau .
Neptune ainſi marchant dans ces vaſtescampagnes,
Fait trembler ſous ſes pieds & forêts & montagnes...
Il attèle ſon char , & montant fièrement ,
Lui fait fendre les flots de l'humide élément.
Dès qu'on le voit marcher ſur ces liquides plaines ,
D'aiſe on entend ſauter les peſantes baleines ;
L'eau frémit ſous le Dieu qui lui donne la loi ,
Et ſemble avec plaiſir reconnoître ſon Roi.
:
DE FRANCE. 23
Traduction de M. de Rochefort.
Il deſcend en fureur de ces hautes montagnes ;
Ses pas précipités font trembler les campagnes.....
Il deſcend dans l'abyme , il attèle ſoudain
Ses courfiers aux crins d'or , armés de pieds d'airain ,
Il monte ſur ſon char & vole ſur les ondes.
La baleine ſortant de ſes grottes profondes ,
Bondit, & rend hommage au Souverain des eaux ;
La mer ſe réjouit & fait céder ſes flots .
L'eſſieu du char divin , dans ſa courſe rapide ,
Effleure le cryſtalde la plaine liquide.
Nous avouons avec grand plaiſir que M.
de Rochefort , en cet endroit , ne nous paroît
point inférieur à Boileau.
Voici encore un dernier morceau où Boileau
peut être propoſé pour modèle aux
Traducteurs d'Homère; c'eſt une comparaiſon
tirée du quınzième Livre de l'Iliade ,
& qui contient la deſcription d'une tempête.
Comme l'on voit les flots ſoulevés par l'orage ,
Fondre ſur un vaiſſeau qui s'oppoſe à leur rage.
Levent avec fureur dans les voiles frémit ,
La mer blanchit d'écume , & l'air au loin gémit ;
LeMatelot troublé que ſon art abandonne ,
Croit voir dans chaque flot la mort qui l'environne .
M. de Rochefort.
Ainſi le flot nourri par l'Aquilon rapide ,
Du bout de l'horiſon levant ſon dos humide ,
Tombe ſur unvaiſſeau , s'y briſe avec efforts , J
24 MERCURE
Etd'une large écume enveloppe ſes bords ;
Le vent fiffle & mugit ſur la voile flottante ,
Le Nautonnier pâlit dans une affreuſe attente ,
Et ne voit plus qu'un pas entre la mort & lui.
,
M. de Rochefort , dans cette nouvelle
Édition a fait à ſa Traduction de l'Iliade ,
des corrections nombreuſes , & quelquefois
conſidérables , qui routes tendent à perfectionner
l'Ouvrage.
Il en a uſé de même à l'égard de l'Odyffée ,
quoique ſon talent plus exercé ait dû laiſſer
moins de taches & de négligences dans ce
ſecond Poëme.
Cette nouvelle Édition eſt d'une beauté
diftinguée , quant à l'execution typographique
& aux ornemens des Arts ; chacun des
deux Poëmes forme un gros Volume in - 4° .
à grandes marges & en beau papier. Dans
l'un& dans l'autre Poëme , on a mis à la tête
de chaque Livre une vignette tirée des
pierres gravées ou des bas- reliefs antiques ;
on a eu foin , le plus qu'il étoit poffible ,
qu'elle eût un rapport direct avec le ſujet du
Livre ; " ainſi , dit l'Auteur , chaque vi-
>> gnette peut ſervir à annoncer & à carac-
>> rériſer chaque Livre , & à faire connoître
وب
دم
la manière dont les anciens Artiſtes ont
traduit en quelque forte les beautés fim-
» ples d'Homère. »
( L'abondance des matières nous force à renvoyer
au Mercure prochain la Réponse de M. Garat àla
Lettre inférée dans le Nº. précédent. ) ..
ACADÈMIE
DE FRANCE.
25
ACADÉMIE FRANÇOISE .
L'ACADÉMIE Françoiſe a tenu , fuivant
l'uſage , ſa Seance publique le 25 Août , före
de S. Louis. M. l'Archevêque d'Aix , comme
Directeur actuel , a annoncé que les Difcours
qui avoient concouru pour l'Eloge de Fontenelle
, n'ayant pu obtenir les fuiriages de
l'Academie , le même Sajer ſcroit propoſé
pour l'année 1784. Il a fait en même temps
quelques obfervations ſur le genre d'e pric
de Fontenelle , qu'en a beaucoup applaudies ,
& qui pourront guider ceux qui entreprendront
de le louer.
Afin de remplir les vûes du Citoyen bienfaifant
qui a fondé ua Prix pour l'action
la plus veitueuſe de l'annee , au jugement
de l'Académie , le Directeur a cité quelques
actes de charité & de defintéreſſement qui
avoient attiré l'attention de cette Compagnie
; mais il a voué à l'admiration publique
une Garde Malade qui a donné à la perſonne
confiée à ſes ſoins les preuves les plus
longues & les plus réitérées de l'attachement
le plus généreux; qui a facrifié tout ce
qu'elle poffedoit , & tout ce que.fon crédit
a pu lui procurer. Cette femme eſtimable a
été préſentée à l'Assemblée , qui l'a reçue
avec les applaudiſſemens qu'elle méritoit.
M. le Marquis de Condorcer a lû un
Portrait Historique de Fontenelle , fait par
Nº. 33 , 6 Septembre 1753. B
26 MERCURE
M. Duclos , & rédigé par M. d'Alembert ,
qui a ſu ajouter à la reſſemblance par quelques
traits de caractère qu'il y a joints. Ces
deux célèbres Académiciens font connoître
tout ce que les Sciences doivent à leur Confrère
, & le vengent du reproche d'indifférence
, & même d'inſenſibilité , que lui
avoient fait ſes contemporains.
M. le Mierre a lû enſuite quelques Scènes
du premier Acte de ſa Tragédie de Barnevelt.
Des moreeaux détachés d'une action dramatique
ne peuvent exciter un intérêt bien vif;
mais on a applaudi à quelques tirades de
vers dans leſquelles on a trouvé des idées
neuves , grandes , & exprimées avec énergie.
Le portrait de Henri IV , ſi ſouvent préſenté
& toujours reſſemblant, fut accueilli avec
enthouſiaſme.
La Séance fut terminée par la lecture des
deux Programmes : l'un annonce d'abord
l'Éloge de Fontenelle , propoſé de nouveau
pour l'année prochaine; & enſuite le Prix
de Poéſie pour la même année 1784. Le
poëme ſera de cent vers au moins & de
deux cent au plus; le ſujet, le genre de la
Pièce & la meſure des vers font au choix
des Auteurs. Nous allons tranſcrire l'autre
Programme.
PRIX extraordinaire & annuel , proposé
par l'Académie Françoise.
UnCitoyen, qui ne s'eſt fait connoître
qu'au Secrétaire de l'Académie , & qui veut
DE FRANCE. 27
d'ailleurs garder l'anonyme , a préſenté à la
Compagnie , en 1782 , le Mémoire ſuivant.
AMeſſieurs de l'Académie Françoise.
MESSIEURS ,
«Tous les genres de talens obtiennent des ré-
>> compenfes ; la vertu ſeule n'en a pas. Si les
>> moeurs étoient plus pures , & les ames plus éle-
>>>vées , la ſatisfaction intérieure d'avoir fait le
>> bien, ſeroit un ſalaire ſufficant du ſacrifice qu'exige
>> la vertu : mais , pour la plupart des homines ,
>> il faut un autre prix , il faut qu'une action louable
>>ſoit louée. Ces éloges ont été le premier objet
>> des Lettres ; & c'eſt en effet la fonction la plus
>> honorable que puiſſe avoir le génie .
>> L'Académie Françoiſe s'eſt rapprochée de cette
> inſtitution antique , lorſqu'elle a propoſé à l'élo-
>>-quence le Panégyrique des Sully , des d'Aguef
>> ſeau , des Fénelon , des Catinat, des Montaufier
, & d'autres grands Perſonnages. Mais il
>> n'eſt dans une Nation qu'un petit nombre d'hom-
>>>mes dont les actions aient un caractère de célé-
>> brité; & le ſort du:Peuple eſt que ſes vertus
>>>ſoient ignorées. Tirer ces vertus de l'obscurité
>> c'eſt les récompenfer , & jeter dans le Public la
>> ſemence des moeurs.
>> Pénétré de cette vérité , un Citoyen prie l'Aca-
>>démie Françoiſe d'agréer la fondation d'un Prix
>> dont voici l'objet & les conditions :
» 1 ° . L'Académie Françoiſe fera tous les ans ,
>> dans une de ſes Aſſemblées publiques , lectare
>> d'un Difcours qui contiendra l'éloge d'un acte de
>>vetu.
>> 2 ° . L'Auteur de l'action célébrée , homme ou
>> femme , ne pourra être d'un état au-deſſus de la
Bij
28 MERCURE
» Bourgeoisie ; & il est à desirer qu'il soit choisi
dans les derniers rangs de la Société,
, >> 3 °. Le fait qui donnera matière à l'Éloge
>ſe ſera paflé dans l'étendue de la ville ou de la
banlieue de Paris , & dans l'espace des deux années
qui précéderont la distribution du Prix. A
>> l'Éloge feront jointes des atteſtations du fait ,
>>propres à en conſtater la vérité. On choiſit Paris ,
>>parce que l'Académie y étant établie , a plus de
facilité pour vérifier les faits ; d'ailleurs , nulle
patt les moeurs du Peuple n'ont plus beſoin de
réforme que dans les Capitales .
» 4°. Le Discours ſera en Profe , & ne ſera pas
>> de plus d'un demi quart d'heure de lecture; un
temps plus long ne feroit employé qu'à des dif
fertations étrangères à l'objet de l'inftitution .
>> La fondation fera de douze mille livres ; &
>l'intérêt de cette ſomme ſera employé à payer
deux Médailles dont une pour l'Auteur du
Diſcours , l'autre pour l'Auteur de l'action có
lébrée.
,
» 6 °. Cette ſomme de douze mille livres fera.
placée en rente viagère ſur la tête du Roi &
fur celle de Monſeigneur le Dauphin ; & le
Diſcouts , lu dans la Séance publique , fera
préſenté à ce jeune Prince. Ainſi , ſes premiers.
regards ſeront portés ſur une claſſe d'hommes
éloignée du Trôônnee , & il apprendra de bonne
heure que parmi eux il exxiifſttee des vertus
L'Académie , avant d'accepter ces offres ,
a cru devoir propoſer au Donateur les changemens
qui fuivent ;
18. Le Diſcours ou Récit fera fait par le Directeur
de la Compagnie.
L'Académie ne pourroit accepter la dona-
)
DE FRANCE 29
tion propo ſée , fi elle renfermoit la moindre difpoſition
qui pût intéreſſer perſonnellement quelqu'un
de ſes Membres. En conféquence , le revenu
annuel des douze mille livres ſera entièrement employé
à payer une feule Médaille , qui fera donnée
pour Prix de l'acte de vertu .
Le Donateur ayant adopté ces changemens,
la Compagnie a , d'une voixunanime ,
& de l'aveu du Roi , fon auguſte Protecteur ,
accepté la donation .
Elle annonce donc que , dans ſon Affemblé publique
du 25 Août 1984 , elle donnera ce Prix
en se conformant aux conditions prefcrites par le
Donateur , & aux légers changemens qu'elle y a
faits.
Elle ne portera de jugement que ſur les actes de
vertu dont le détail lui aura été remis par écrit ,
& fera muni d'attestations ſuffifantes.
Ce détail ſera adrellé , franc de port , au fieur
DEMONVILLE , Imprimeur- Libraire de l'Académie,
rue Chriftine & ſera envoyé avant le
Premier Juin 1784 exclufivement. Ce terme eſt de
rigueur.
,
La date de chaque fait dont on enverra le détail
, ne pourra remonter au delà de deux ans
avant l'époque fixée pour la réception des piècesjuſtificatives
, c'est-à-dire , au- dela du Premier Juin 1782 .
L'Académie choiſira parmi ces fairs celui qu'elle
croira le plus digne du Prix , se réſervant , de
l'aveu du Donateur , la liberté de le partager , fi
elle le juge convenable.
Si la perſonne qui aura mérité le Prix eſt préfente
à la Séance publique , & qu'elle en ait fait
prévenir quelques jours auparavant le Secrétaire de
la Compagnie, la Médaille ſera donnée à cette
B
30
MERCURE
perfonne , par le Directeur préſidant à l'Affemblée.
L'Académie donnera tous les ans un Prix femblable
, qui fera indiqué par un Programine.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE..
Nous ous avons annoncé pour Mardi 26 dụ
mois , la première repréſentation d'Alexandre
dans les Indes , Tragédie Opéra , paroles
de M. Morel , muſique de M. de Méreaux .
Nous allons donner une idée du Poëme.
Alexandre , vainqueur de Darius & des
Perſes , pénètre dans les Indes. Le bruit de ſa
renommée & de ſes exploits a déjà répandu
Palarmeà la Cour de Porus, où ſe paſſe l'action
du premier Acte . La Scène repréſenteuntemple
de Bacchus , environné de palmiers &
d'autres arbres chargés des fruits &des leurs
qui croiffent dans ces climats . On y prépare
un facrifice à ce Dieu vainqueur & protecteur
de l'Inde. Axiane , au milieu de ſes
Femmes, ouvre la Scène, en annonçant toutes
les terreurs que lui inſpire ce Conquérant
redoutable qui vient attaquer Porus au ſein
de ſes États , au moment même où ce Prince
alloit s'unir à elle par les noeuds de l'hymenée.
Le Théâtre ſe remplit de Peuple &
des Guerriers qui demandent à grands cris
qu'on les mêne au combat; Porus paroît ,
encourage leur ardeur ; mais avant de les
DE FRANCE. 31
mener au combat, il ordonne les aprêts du
facrifice à Bacchus. Reſté ſeul avec Axiane ,
elle lui peint ſes alarmes . Voyez , lui dit- elle ,
Tous les humains tremblans au ſeul nom d'Alexandre ;
Voyez tous ces Rois enchaînés ,
Alahonte , à la mort par ce Roi condamnés .
Rien ne peut intimider ſon amant. Il lui
répond :
Ce fils de Jupiter , adoré par l'erreur ,
N'a vaincu que des Rois vaincus par la molleſſe ;
C'eſt un homme à mes yeux , je le vois ſans terreur ;
Je vois un grand Guerrier qu'un Guerrier peut abattre;
Ces Rois ſe font rendus ſans ofer le combatire.
Porus eſpère tout de ſon courage & des
troupes nombreuſes qu'il oppoſe à ce fier
Conquérant. Le Grand-Prêtre , ſuivi des
Prêtres & des Prêtreſſes de Bacchus & des
Guerriers , commence la cérémonie du facrifice
par une Hymne à ce Dieu. Des danſes
de Prêtreffes , d'Indiennes & de Guerriers
ſuccèdent au ſacrifice , & font interrompues
par l'arrivée d'Épheſtion , Ambaſſadeur d'Alexandre
, qui vient offrir à Porus ou la
guerre ou la paix au nom du Conquérant &
dumaître du monde. Porus lui répond , en
dépoſant ſon are ſur l'aurel de Bacchus :
Jejure par ces autels ,
De nepas imiter le reſte des mortels .
Vas redire à ton Maître , au tyran de la terre ,
Que Porus lui déclare une éternelle guerre.
Épheſtion fort , & l'Acte ſe termine par
Biv
32 MERCURE
un chooeur de Guerriers qui marchent au
combat fur les pas de Porus .
Le combat ſe paſſe dans l'entre-Acte .
La décoration du ſecond Acte offre une
partie du champ de bataille. Porus entre en
tâchant de rallier ſes troupes fugitives; mais
la terreur les rend fourdes à ſa voix ; il reſte
feul , & tombe accablé de fatigue & de
déſeſpoir. Grandartès , un de ſes Généraux ,
veut en vain l'engager à la retraite , & à conferver
fa vie & pour ſa patrie & pour
Axiane ; Porus ne veut que la mort ,&illa
cherche à la tête de quelques Soldats qui ſe
raffemblent autour de lui , avec lesquels il
oſe s'oppofer aux Grecs vainqueurs qui viennent
l'affaillir ; il en renverſe pluſieursà ſes
pieds ; mais accablé ſous le nombre & défarmé
, il eft prêt à périr , lorſqu'Alexandre
paroît, & ordonne à ſes Soldats de reſpecter
la valeur de cet Indien , quil prend pour
un ſimple Guerrier. Il l'interroge ; Porus ,
fans ſe faire connoître , répond avec une
fierté qui inſpire de l'eſtime à ſon vainqueur;
celui- ci le charge d'offrir la paix à Porus. Ce
Roi répond que Porus ne recevra point une
paix honteuſe. La réponſe d'Alexandre eft
noble& généreuſe :
S'il préfère un combat , dis - lui qu'il s'y prépare ;
Queje lui rends en toi le Guerrier le plus rare ,
Son plus grand défenſeur.
Ton bras eſt déſarmé: je dois à ta valeur
Un éclatant hommage.
Reçois ce fer , qu'il ſoit le prix de ton courage.
T
DE FRANCE.
33
Porus , en le quittant, lui dit :
J'accepte ce préſent , il eſt cher à mon coeur ,
Puifque c'eſt contre toi que j'en dois faire uſage .
Tu te reflouviendras
D'avoir armé mon bras ;
Et prêt à te frapper , tu me reconnoîtras.
Les Macédoniens célèbrent la victoire
d'Alexandre , & leurs chants de triomphe
font interrompus par l'arrivée d'Axione , qui
defcend d'un navire , ſuivie de ſes Femmes ,
chargées de préſens. Elle veut ſejeter aux pieds
d'Alexandre qui la relève ; elle lui demande
Porus; elle veut le voir s'il refpire encore ;
elle l'a cherché en vain; elle le croit au nombre
des morts. Alexandre ellaye de calmer
ſa douleur ; mais la vie lui eſt odieuſe ; elle
invoque la mort , ſon unique eſpérance ,
lorſqu'Ephefſtion vient annoncer que Porus
refpire , & qu'il a rejoint ſon armee. L'efpoir
rentre dans le coeur d'Axiane ; elle engage
Alexandre à ne plus pourſuivre un
Guerrier malheureux ; elle lui propofe de
venir dans ſes États conclure la paix avec un
rival digne de lui par ſon courage. Alexandre
cède à ſes voeux , reçoit les dons que lui
offrent les Femmes de la ſuite d'Axiane , &
après l'avoir reconduite à ſon vaiffeau , ſe
diſpoſe à la fuivre avec ſon armée.
Au troiſième Acte , la Scène offre l'intérieur
du palais de Porus; il s'indigne qu'Axiane
le foit abaiffée à aller elle-même in
plorer la faveur d'Alexandre , qui , peut être,
Bv
34、
MERCURE
a pu être ſenſible à ſes charmes ; mais ce
ſentiment de jaloufie momentanée cède
bientôt au foin de ſa défenſe. Axiane arrive ,
& lui annonce les diſpoſitions pacifiques
d'Alexandre ; mais Porus n'écoute que le
fentiment de la vengeance & de la valeur ;
il perdra plutôt la vie que de céder à ce vainqueur.
Son amante veut en vain le flechir ;
les cris de fes Soldats , qui arinoncent qu'Alexandre
s'avance pour attaquer leurs remparts,
l'arrachent des bras d'Axiane , malgré
fes cris & fes larmes , pour voler au combat.
Axianereſtée ſeule, égarée par la crainte
& la douleur , croit entendre des cris funèbres
qui difent : Porus n'est plus. Elle voit
l'ombre de fon amant qui la cherche , qui
lui tend les bras , qui lui échappe : épuifée
de douleurs & preſque inanimée , les cris des
combattans la rappellent à la vie , enflamment
fon courage,& lui inſpirent la réſolution
d'aller elle même au milieu des combattans
fauver fon amant ou mourir près de lui.
Le Théâtre change , & reprefente l'intérieur
de la Ville , terminé par les fortifications
que défend Porus à la tête de ſes
troupes ; on les voit lancer des traits &
des feux fur les Macédoniens , qui pénètrent
enfindans la place en faifant écrouler une
partie des forrifications : Porus tombe an
milieu des décombres ; il eſt ſaiſi par les
Grecs , qui ſe précipitent en foule ſur le
Théâtre. Alexandre s'avance lui même , &
au même moment , Axiane éperdue paDE
FRANCE.
55
.....
roît& ſe précipite entre lui & fonamant ,
en criant : Arrêtez ! reconnoiffez Poras.
Son vainqueur ſe reproche de ne l'avoir
pas reconnu à ſa valeur , lui demande
comment il veut qu'on le traite. Il en reçoit
la réponſe que l'Histoire & Racine ont
conſacrée. Il rend à Porus ſon trône , & l'unit
à Axiane . Porus, vaincu par la ſeule généroſité
d'Alexandre , ſe ſoumet, en difant :
Il fautcéder.... je ſens qu'un aſcendant vainqueur
Enchaîne à tes deſtins & mon bras & mon coeur ;
Pourfuis , &que le fort à ta valeur réponde.
Le Ciel t'a réſervé la conquête du monde.
On voit , par cette analyſe du Poëme ,
que le plan en eſt fort ſimple , & peutêtre
l'eſt- il trop. Racine & Méraſtaſe ont
traité le même ſujet , & tous les deux ont
fait Alexandre amoureux. On a reproché
à Racine d'avoir dégradé par là le caractère
de fon Héros & la grandeur de fon
fujer. L'Auteur du nouvel Opéra a voulu
éviter ce reproche; il a cru pouvoir trouver
affez d'intérêt dans les caractères &
la fituation d'Alexandre & de Porus , &
dans l'importance de l'action même , ſans
avoir recours à un amour qui lui a paru
peu digne de la Tragédie. Cet amour de
la fimplicité eſt très louable , & rient à
de bons principes, mais peut-être que le
fujer ne pouvoit guère ſe paſſer d'un moyen
que Racine & Métaſtaſe ont jugé néceffaire
.. En effet , l'action ſe trouvant ré
Bvj
36 MERCURE
duite à une lutte guerrière entre Alexandre
& Porus , l'intérêt ne peut tenir qu'à
l'incertitude du ſuccès depart ou d'autre ;
mais l'imagination est trop naturellement
prévenue en faveur d'Alexandre , pour ne
pas preffentir naturellement le triomphe de
l'un & la défaite de l'autre. On fent auffi
que les ſentimens fiers & nobles doivent
dominer dans ce ſujet , le caractère tendre
d'Axiane adoucit , il eſt vrai , par des teintes
douces , la févérité du ton général , mais
ſa ſituation & ſon ſentiment ne comportent
pas affez de varieté. Avec tous ces déſavantages
, on doit ſavoir gré à M. Morel
d'avoir trouvé dans le développement ſeul
descaractères , dans l'importance de l'action ,
dans la noblefſe des ſentimens & dans la
richefle des acceſſoires , de quoi foutenir &
graduer l'intérêt.
La marche du Poëme eſt ſage , la coupe
en eſt lyrique ; le ſtyle , en géneral , eſt
correct , clair , fouvent élégant. Plufieurs
morceaux entiers & beaucoup de vers détachés
ont mérité d'être applaudis à la
repréfentation , ſuccès peu commun à ce
Theatre. On s'étonne ſeulement de rencontrer
des vers d'une extrême négligence
à côté de morceaux écrits avec ſoin ,
& de très bon goût.
La muſique de cet Opéra fait honneur
an Compofiteur ; c'eſt ſon premier effai
dans une carrière que des chef d'oeuvres
multipliés rendent de jour en jour plus
DE FRANCE.
37
difficile& plus périlleuſe. Ce premier Ouvrage
annonce une profonde connoiffance
de fon Art , &, ce qui eſt plus rare , de
bons principes ſur la muſique convenable
au genre dramatique.
Le récitatifa paru en général naturel , bien
aſſorti aux paroles , & bien lié avec le chant
meſuré. Un grand nombre de morceaux de
différens caractères ont été fort applaudis :
peut être que d'autres feront plus d'effet ,
lorſque l'exécution aura acquis toute la
perfection dont elle eſt fufceptible. Le reproche
le plus général qu'on y ait fait
c'eſt de manquer ſouvent d'originalité , &
fur-tout de variété. Nous attendrons , pour
en relever plus en détail les beaurés & les
défauts , que la ſuite des repréſentations
nous ait mis en état de recueillir l'opinion
du Public , & de motiver nos propres obſervations.
,
M. Larrivée a joué le rôle de Porus
avec une nobleffe & une énergie qui ont
ajouté au caractère donné de ce Héros.
Il a rendu d'une manière terrible & vraiment
pittoreſque , le moment où , affailli
&accablé par les Grecs , Porus fe fait un
rempart des foldats qui tombent fous fes
coups, & femble foulever ceux qui fe fufpendent
à ſes bras pour le défarmer .
M. Lainez a faiti avec beaucoup d'intelligencele
caractère different de grandeur & de
courage que doit offrir Alexandre , & dont
l'éclat , quoiqu'en oppofition à celui de Po
38 MERCURE
rus , n'en doit obſcurcir aucun trait.
, Mlle Maillard , qui , depuis deux mois
fixe d'une manière fi intéreſſante l'attention
du Public , a joué le rôle d'Axiane. C'eſft
le premier rôle que cette jeune Actrice a
joué d'original , & il eſt peut être fans exemple
fur ce Theatre qu'un rôle aufli important
ait été confié àun fujet de fon âge. Elle
a juftifié les encouragemens que le Public
lui donne; elle l'a joué avec un intérêt &
ane vérité même que ſes ſuccès précédens
ne faifoient pas efpérer , & a déployé prefque
continuellement dans ſon chant les accens
de la voix la plus pure & la plus
fenfible. Nous ne doutons pas qu'elle ne
perfectionne dans les repréſentations fuivantes
des détails où elle a laiſſe quelque
choſe à defirer.
Le feul Ballet qu'il y ait dans cet Opéra -
eſt de la compofition de M. Gardel l'aîné.
On ne peut que louer le caractère qu'il
a ſu donner à la danſe des Prêtreffes & à
celle des Indiennes. Mais ce qu'on doit
louer davantage , eſt la marche des Prêtres
& Prêtreffes de Bacchus. Cette partie de
l'action a été traitée avec un goût & une
étude de l'antique qui fait un honneur infini
à ce Compoſiteur. Mlles Dorival , Dupré
, & le fieur Gardel le cadet ont exécuté
, avec beaucoup degrâce & d'originalité,
les entrées de ce Ballet. Le Public
a paru deſirer que cet Opéra fût terminé par
une fête , qui offriroit naturellement le conDE
FRANCE. 39
traſte de la danſe ſévère des Grecs en oppofition
aux grâces voluptueuſes & piquantes
des Indiens. Nous ne doutons pas que M.
Gardel ne mérite , par ce nouveau travail
, les éloges que nous venons de faire
de ſes talens , & la justice que nous rendons
avec plaifir à fon zèle.
Les décorations de cet Opéra ont été
très foignées ; celle du premier Acte offre
le ſite le plus agréable & le plus pittorefque
celle du troiſième Acte , deja connue
en partie , a fait un nouveau plaiſir.
Toutes les évolutions militaires , &furtout
le moment où les vainqueurs ſe précipitent
dans la ville par la brèche , ont
été renduesavecl'ordre & la précision qu'on
eft accoutumé , depuis quelque temps , à
applaudir dans les manoeuvres de ce genre,
Le coſtume général de cet Opéra , mais furtout
celui dePorus , d'Alexandre , d'Axiane ,
& du Grand Prêtre de Bacchus , prouvent
beaucoup de talent & un très-bon goût dans
l'Artiſte ( M. Dugourt )qui les a dirigés . L'armurede
Porus a obtenu fur- tout des applaudiſſemens
univerſels , au moment où ce Roi a
paru au milieu de ſes troupes. C'étoit le Porus
du tableau de Lebrun , vivant & animé .
Onne fauroit trop louerles foins & la magnificence
avec lesquels l'Adminiſtration a
mis cet Opéra , & en a foigné les moindres
acceffoires.
Le ſuccèsde cette nouveauté a été brillant
&décidé aux deux premières repréſentations,
40
MERCURE
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Jeudi 14 Août , M. Dorfeuille a débuté
dans l'emploi des Premiers rôles , par
Oreste , dans Iphigénie en Tauride. Depuis
il a joué les rôles de Rhadamiste , de Cinna
&du Cid.
>
Depuis la mort du célèbre Lekain , nous
avons vû debuter pluſieurs Acteurs Tragiques.
Les uns étoient entres depuis trop
long temps dans la carrière pour préſenter
l'eſpérance de les voir ſe perfectionner un
jour. Les autres , encore timides & fans expérience
ont laiffe appercevoir des éclairs
de talent qui ont difparu preſqu'à l'inftant
où ils avoient frappé les yeux. Un feul ,
d'abord beaucoup trop vanté , & qui depuis
n'a pas toujours été affez bien apprécié par
le Public , a mérité d'être diftingué. Son zèle
&ſes progrès méritent des éloges : ils prouvent
qu'il étoit digne d'être encouragé. L'Aeteur
dont nous annonçons le debut , nous
paroît avoir , comme M. de Saint- Prix , des
droits à une diftinétion particulière. On peut
lui reprocher de très grands défauts ; une
contenance affectée , des geftes monotones ,
dénués dé foupleſſe & de grâce ; trop de rapidré
dans le débit ; des tranfitions trop
brufques; quelquefois & ſouvent même de
la recherche , peut-être auſſi de la manière
dans l'expreſſion. Malgré ces défauts ,
:
DE FRANCE. 41
qui ſont très- conſidérables , M. Dorfeuille
nous paroît donner les plus grandes efpérances.
On voit qu'il a étudié , approfondi
les caractères des Perſonnages qu'il
eſt chargé de repréſenter ; qu'il a cherché
à ſaiſir , & qu'il a très- ſouvent faiſi avec
une grande intelligence les développemens
qui les expoſent aux yeux des Spectateurs :
ce qui annonce l'eſprit , le jugement & les
connoiſſances dont a beſoin tout Comédien
qui veut prétendre à quelque renommée.
Son organe a de la force & de la rondeur ;
il s'altère quelquefois un peu trop dans les
pleurs ; mais ce défaut difparoîtra facilement
, ſi M. Dorfeuille apprend à ſe rendre
le maître de ſes mouvemens , s'il cherche à
modérer les écarts de ſon âme & l'explotion
de ſa ſenſibilité. C'eſt dans les ſituations
énergiques , dans l'expreſſion animée des
pailions que le Comédien doit fur- tout appeler
l'Art au ſecours de la Nature. Ce n'eſt
qu'ainſi qu'il peut adoucir ces accens aigres
& aigus qui fatiguent trop l'oreille pour
parler au coeur , ce n'est qu'à l'aide de cette
étude qu'il ſe familiariſe avec les moyens
qui peuvent donner de la nobleſſe à l'expref.
fion des ſentimens doux; expreffion qui devient
quelquefois enfantine & même niaiſe ,
quand l'Acteur , en cherchant à être ſimple
& vrai , oublie que le Théâtre eſt un tableau
qui doit également fatisfaire les yeux ,
l'oreille , l'eſprit & l'âme. Un des plus précieux
avantages que le Comédien puiffe re
42
MERCURE
:
cevoir de la Nature , c'eſt la facilité de donner
à ſon maſque de l'expreffion & de la
mobilité ; M. Dorfeuille jouit de cet avantage.
Mais c'eſt encore à l'Art à perfectionner
ici l'ouvrage de la Nature. C'eſt lui qui peut
inſtruire un Comédien, réellement enflammé
de l'amour de ſon état , à peindre dans les
traits de ſa phyſionomie les ſentimens dont
il doit être agité ; à en nuancer , à en graduer
l'expreffion , à la modifier enfin de manière
que le Spectateur puiſſe le ſuivre dans le
détail de fes paffions , & trouver un accord
exact entre l'effet apparent de ſon jeu & les
refforts cachés de fon âme. Ce travail , dont
tous les Comédiens ne s'occupent pas , paroît
avoir été l'objet des réflexions de M.
Dorfeuille. Ce qu'il a déployé de moyens
dans le rôle de Cirna , a ſu nous en convaincre
, & a forcé le Public à reconnoître le véritable
germe du talent tragique. Oferonsnous
faire ici une obſervation qui ſans
doure ne ſera pas adoptée par tout le monde ?
C'eſt principalement dans les Tragédies de
Corneille qu'on peut juger de l'intelligence,
de l'eſprit & de la judiciaire du Comédien .
Cegrand homme éblouit moins par le charme
du ſtyle que ſes rivaux ; mais il eſt plus
fortde choſes ; ſesidées ont une liaiſon plus
vraie , plus conſtante , plus ſuivie : fa logique
eſt plus ferme & plus sûre , par conféquent
plus difficile à ſaiſir par les eſprits
dénués d'un certain ordre dans les idées ,
&qui ne font pas capables de fondre , pour
DE FRANCE
43
ainſi dire , les élans de l'ame dans les méditations
d'un jugement ſain & vigoureux. Réſumons.
M. Dorfeuille a beaucoup à vaincre
, mais il a tout ce qui ne s'acquiert
point. Aux qualités qui ont atténué l'effet de
ſes défauts , il en joint deux bien rares aujourd'hui
; la modeſtie & la docilité. Avec tant
dediſpoſitions àbien faire , il nous paroît impoſſible
que le travail &la réflexion ne le con
duiſent pas un jour à une réputation brillante.
Le Jendi 21 Août , on a remis le Bienfait
rendu , ou le Négociant , Comédie en cinq
Actes & en vers , par M. Dampierre .
Un Négociant de Bordeaux a prêté au
Comte de Bruyancourt une ſomme de cent
mille écus. En reconnoiſſance celui - ci s'eſt
engagé à marier ſa fille Angélique avec le
neveu de ſon Créancier. Ce neveu , qu'on
appelle Verville , arrive à Paris , ſe préſente
chez le Comte , & y eſt reçu d'une manière
très- malhonnête par la Prétendue ,
par fon beau- père , & par ſa belle mère futurs.
Le Négociant lui-même n'eſt guères
plus favorablement reçu que Verville. Malgré
l'état de détreſſe , malgré l'embarras
dans lequel ſetrouve la famille du Comte ,
elle est tellement infatuée de ſa Nobleſſe ,
qu'elle ne penſe qu'en frémiſſant s'allier
avec un Négociant. Cependant l'oncle de
Verville , indigné de tant de hauteur &
d'ingratitude , éclate en reproches. Il re44
MERCURE
a
pouffe la morgue & les hauteurs de la
famille du Comte , par la comparaiſon
qu'il fait de la nullité d'un Noble qui abuſe
de fa naiflance pour ſurcharger l'Etat , avec
les travaux utiles d'un Commerçant , qui
entretient& propage l'abondance ; mais il
effraye encore davantage par la menace qu'il
fait de poursuivre fon debiteur. Pendant
que tout ceci ſe paſſe , Verville conçoit
d'autres projets. Il a vû une amie d'Angélique
,& ne l'a vueque pour l'aimer. Julie ,
(c'eſt ſon nom ) ſage , belle , jeune , modefte
& fpirituelle enchaîné ſon coeur
pour jamais. Fille d'un homme bien né',
plein de probité & de nobleffe , mais
pauvre , elle n'a pour dot que ſes verrus ,
& voilà la dot que Verville defire. Pour
tirer d'embarras le Comte de Bruyancourt ,
& tâcher de parvenir à épouſer Julie , il
fait prêter au Comte les cent mille écus
qu'il doit à ſon oncle. En vain il a cherché
à ne pas être connu. La nature des
billets que Bruyancourt remet au Négociant
découvre le myſtère. Le Comte , confondu
par tant de générofité , déreſte ſon orgueil
& les hauteurs de ſa famille : mais Verville
n'épouſe point Angélique. Il reçoit
le coeur & la main de Julie , de l'aveu de
fon oncle , & du confentement du reſpectable
père de ſa Maîtreffe.
CettePièce, repréſentée pour la première
foisen 1768 , fut plutôt conſidérée comme
un Ouvrage raiſonnable , que comme une
DE FRANCE.
45
production capable de produire l'effet que
le Theatre exige. On obſerve qu'il y avoit
trop peu de gaîté , pour qu'on pût la ranger
dans la claſſe des Comédies , & trop peu
dintérêt pour qu'elle fût placée dans celle
des Drames . Ce qu'on avoit pensé en 1768 ,
on l'a penfé encore en 1783. Les tableaux
rapprochés de l'inutilitę orgueilleuſe de
certains Nobles , & de l'importance des travaux
d'un Négociant , ont été applaudis ,
parce qu'ils font bien faits . On a trouvé dans
le ſtyle , de la vérité &du naturel : mais on
s'eſt accordé pour convenir que , malgré les
choſes louables qu'on y rencontre , l'Ouvrage
eſt dénué de ces moyens qui donnent
de la vie aux ouvrages Dramatiques,
Enfin , on a répété avec Boileau :
Vos froids raiſonnemens ne feront qu'attiédir
Un Spectateur toujours pareſſeux d'applaudir ,
Et qui des vains efforts de votre réthorique
Juſtement fatigué , s'endort ou vous critique.
ANNONCES ET NOTICES.
DICTIONNA ICTIONNAIRE Élémentaire de Botanique , ou
Exposition par ordre Alphabétique des préceptes de
lą Botanique & de tous les termes , tant François
que Latins , consacrés à l'étude de cette Science , par
M. Bulliard. Prix , 15 liv. A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Poftes , au coin de celle du Cheval Verd ;
chez Didot le jeune, Imprimeur Libraire , Quai des
Auguſtins; Barrois le jeune, Quai des Auguftins ,
&Belin , rue S. Jacques,
46 MERCURE
Les Souſcripteurs de l'Herbier de la France ont
defiré que l'Auteur donnât ſur cette Science un Ouvrage
élémentaire. Le Dictionnaire que nous annonçons
eſt fait pour remplir leur attente. On ſent qu'un
pareil Ouvrage n'eſt pas ſuſceptible d'être analyſé.
Nous nous contenterons de dire que l'Auteur a mis
dans ſa Préface le plan qu'il s'eſt propoſé de ſuivre
pour fon Herbier. La première Partie ( l'Histoire des
Plantes vénéneuſes du Royaume ) eſt finie ; le Difcours
qui doit la précéder , ainſi que ſa table & ſon
titre , vont être mis inceſſamment ſous pretle. La
ſeconde Partie de cet Ouvrage ( l'Histoire des Plantes
Médicinales du Royaume ) ſera faite ſur le même
plan. La troiſième Partie ( l'Hiftoire des Champignons
) paroitra avec une petite méthode pour cette
partiede la Botanique ſeulement. La quatrième ( la
Collection des Plantes graffes ) , c'est-à -dire , des
Plantes qu'on ne peut conſerver en herbier , parce
qu'elles ne font pas ſuſceptibles de deſfication. La
cinquième ( la Collection des Frumentacées & des
Plantes qui peuventfaire les meilleurs fourages , ) &
ainſi de ſuite .
Le Nº . 36 de l'Herbier paroît actuellement. Prix ,
3 liv. On publie de cet Ouvrage un Cahier chaque
mois.
L'ORDRE François , trouvé dans la nature ;
préſenté au Roi le 21 Septembre 1776 par M.
Ribart de Chamouſt , orné de Planches gravées
d'après les deffins de l'Auteur. Prix , 24 livres. A
Paris , aux dépens de l'Auteur , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue du Jardinet , quartier Saint-Andrédes-
Arcs.
Nous ne prononcerons point ſur le ſuccès que
peut ou doit avoir ce nouveau ſyſtême. Les idées
neuves , même lesplus heureuſes , ne réuſſiſſent que
tard & difficilement. Les préjugés les plus indiffé47
DE
FRANCE.
rens ſont toujours
fortement protégés , & le temps
ſeul peut pervenir à les vaincre. Le Nouvel Ordre
d'Architecture
propoſé par M. Ribart de Chamouſt
, n'est-il contraire qu'aux uſages reç s ? La
raiſon
l'approuvet-elle au moins , quand l'opinion
adoptée le
condamne ? C'eſt aux gens de l'Art à
prononcer là-deflus , & au temps à caffer ou à confirmer
leur
Jugement : mais nous ne
pouvons
diſſimuler le plaifir que nous aurions à le vir
adopter. Cette idée est heureuſe &
patriotique ; &
ſon ſuccès
vaudroit à
l'Auteur la
reconnoiſſance
de la Nation : nous croyons meine , qu'àtout évé-
* nement , il eſt toujours glorieux de l'avoir propoſée.
TRAITE des
Principes de l'Art de la
Coeffure
des
Femmes , où il est
démontré qu'avec un peu de
réflexion , on peut apprendre avec facilité à coëffer, &
foi-même& toutes autrespersonnes . Seconde Edition ,
revue &
corrigée ; dédiée au Beau- Sexe , par M.
Lefevre , Maître
Coëffeur
breveté. A Paris , chez
l'Auteur , rue
Montmartre , vis-à-vis du cul-de- fac
Saint- Pierre , dans la porte cochère du
Parfumeur ;
& chez le Gras ,
Libraire , quai de Conty .
Cetre ſeconde Édition prouve que dans ce ſiècle ,
qu'on accuſe de frivolité , le Public accueille pourtant
les ouvrages utiles. D'ailleurs , le ton modefte
avec lequel
l'Auteur parle de ſon Art , étoit fait
pour intéreſſer ; car ilne ſe croit pas fortau deſſus des
Peintres & des
Sculpteurs. « Ce n'eſt pas ,
> que je me croie bien ſupérieur aux talens de ces dit-il,
>> deux Arts , dont j'admire , comme tout le monde,
> avec extaſe , les
productions qui me font ref-
> pecter ces
hommes célèbres; mais ſi leur ou-
» vrage leur donne
l'avantage de s'étern ſer à jamais
, ils n'en ſont pasmoins des hommes , par
>
conféquent frères , &, qui plus eft , confrères avec
tous les états , puiſqu'ils copient tout ce qu'is
48 MERCURE
voient , avec la plus exacte vérité. » Voilà même,
comme on voit , de la Philoſophie.
L'Auteur a augmenté ſon Ouvrage d'un Projet
d'une Ecole générale de Coëffure. Ce projet est très
avantageux pour le bien des moeurs , l'intérêt public
, & le foulagement des pauvres malheureux .
O heureux fiècle , ô véritable ſiècle d'or , où tous
les Arts , juſqu'à la Coëffure , concourent au bien
de l'humanité!
CHOIX de Têtes d'expreſſion , d'après les Grands
Maîtres , en façon de Portrait ; gravées par N. J.
Voyez. Prix , I liv. 4 ſols. A Paris , chez l'Auteur ,
rue Zacharie , près celle de S. Severin .
Les deux premières têtes qui paroiffent actuellemest
, & qui plairont sûrement aux Connoiffeurs ,
font la douleur & le defir ; l'une & l'autre font d'après
le Brun , premier Peintre de Louis XIV.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
LEDiable, Conte ,
31 mêre, 17
25 Couplers à M. Grignon , 4 Académie Françoife ,
LeSouperfentimental , Conte , Académ Koyalede Musiq. s
4 Comédie Françoise ,
Enigme & Logogryphe , 15 Annonces & Notices ,
L'Iliade & l'Odyssée d'Ho-
APPROBATION.
40
45
J'ar lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure deFrance , pour leSamedi 6 Septembre. Je n'y ai
rien tronvé qui puifie en empécher V'impretion. A Fans ,
les Septembre 753. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI Ε.
De PÉTERSBOURG , le 31 Août.
LE ſupplément de la Gazette de cette
Ville nous offre aujourd'hui l'article
ſuivant :
Un Courier expédié par le Prince Grégoire-
Alexandre Potemkin , Général en chef , Gouverneur
de Catharinoflow , Aftracan & Saratow , vient d'arriver
avec des dépêches datées de Karas-Bafar en
Crimée, où ce Prince a établi fon quatier général.
Elles portent que le Manifette ſuivant a été publié
dans la preſqu'iſle de Crimée , l'iſle de Taman & le
Cuban, par ordre de S. M. I.
>>> Nous , Catherine , &c. Dans la dernière guerre
contre la Porte Ottomane , lorſque la force & le
ſuccès de nos armes nous autoriſoient pleinement à
conſerver pour nous la Crimée qui étoit en notre
puiſſance, nous avons facrifié cette province & les
autres conquêtes étendues que nous avions faites au
deſir de rétablir l'amitié & la bonne intelligence
entre nous & la Porte Ottomane ; & nous étions
perfuadées que nous trouverions dans la liberté &
l'indépendance des peuples Tartares , les moyens
d'éloigner à jamais les ſources de diviſions & de
6 Septembre 1783. a
( 2 )
refroidiſſement occaſionnés, entre la Ruffie & la
Porte , par la conſtitution politique de ces peuples .
-Cependant nous n'avons pas obtenu , ſur les
frontières de cette partie de notre Empire , le repos
&la sûreté qui devoient être le fruit de cet arrangement.
Les Tartares mis en mouvement par des infinuations
étrangères , ſe ſont conduits d'une manière
contraire à l'heureuſe ſituation que nous leur avions
procurée; le Khan qu'ils avoient choiſi eux-mêmes ,
lors du changementde leur conſtitution , fut déplacé
par un étranger qui n'avoit d'autre intention que de
les faire rentrer ſous le joug de leurs anciens maîtres.
Une partie de la Nation ſe joignitaveuglémentàlui ,
&l'autre n'étoit pas en état de faire réſiſtance. Les
choſes en étant venues à ce point , ne pouvant mettre
autrement hors de danger la place qui ſe conſtruic
par nos ordres , & qui eſt une de nos meitreures
acquiſtions , nous fûmes obligées de prendie fous
notre protection les Tartares bien intentionnés , de
leur procurer la liberté de ſe choiſir un autre Khan
légitime a la place de Sahib Guéray , & de l'établir
dans ſon autorité. Il fut néceſſaire pour cela de
mettie en mou ement nos forces militaires , de faire
partir pour la Crimée des corps conſidérables de nos
troupes , dans la faiſon la plus rude , de les y entretenir
long-tems , &d'agir contre les ſéditieux par la
force des armes , d'où il faillit réſulter une nouvel'e
guerre avec la Porte, comme chacun peut s'en
fouvenir encore facilement; cependant l'orage s'éloigna
pour cette fois , la Porte ayant reconnu le
Khan légitime des Tartares , dans la perſonne de
Sahim Guéray. Les dépenſes que ce changement
occafionna à notre Empire ne furent pas médiocres ;
mais nous eſpérions du moins que rous en trouverions
le dédommagement à l'avenir dans la sûreté
du volfinage; mais le tems a détruit cette eſpérance,
&même affez promptement ; une nouvelle révolte ,
élevée l'année dernière , & dont les véritables cauſes
( 3 )
-
me nous ſont point inconnues , nous força de rechef
à faire des armemens ſérieux , & à envoyer nos
troupes vers la Crimée & le Cuban , où elles font
encore; car fans cette précaution , la paix , le repos
& le bon ordre n'euſſent jamais reparu parmi les
Tartares; une expérience de pluſieurs années démontre
de toutes les manières que comme leur ancienne
dépendance de la Porte avoit occafionné entre
lesdeux Puiſſances des méſintelligences & des refroidiflemens
, de même leur formation en Etat libre
& indépendant , & leur incapacité de goûter les
fruits d'une pareille liberté , nous avoient perpétuellement
caufédes difficultés , des défenſes & des inquiétudes.
Tout le monde fait qu'ayant eu
plus d'une fois les raiſons les plus légitimes de faire
marcher nos troupes ſur le territoire Tartare , cependantauffi
long-tems quel'intérêt de notre Empire
a pu ſe lier avec l'eſpérance d'un meleur avenir ,
nous nous sommes abſtenus de nous approprier aucune
domination fur ce pays , & que nous n'avons
pris même aucune vengeance de ceux des Tartares
qui avoient exercé des hoftilités contre les troupes
quenous avions envoyées pour ſoutenir les bien intentionnés
, & pour appaiſer les troubles.
tenant lorſque nous cor ſidérons les ſommes confidérables
que nous avons employées ou contre les
Tartares ou par rapport à eux , ſommes qui s'élèvent
àplus de 12 millions de roubles , fans compter la
perte en hommes bien plus précieuſe encore que
toutes les dé enfes en argent; quand d'un autre côté
nous ne pouvons plus douter que la Porte Ottomane
ne recommence à exercer le pouvoir ſuprême ſur le
territoire Tartare , & notamment ſur l'iſle de Taman
, cù un Officier Turc qui y étoit arrivé avec
des gens de guerre , a fait décapiter publiquement
unAgent que le Khan avoit envoyé pour s'informer .
des raiſons de fon arrivée , & déclaré les habitans
de Taman ſujets de la Porte ; nous jugeons que cette
-Main-
22
( 4 )
conduire anéantitnos engagemens précédens relatifs
à la liberté & à l'indépendance des peuples Tartares .
Elle nous perfuadede plus en plus que les arrangemens
que nous avions pris à la paix pour leur procurer
cette indé, endance , ne ſont point ſuffilans
pour étouffer les ſemences de divifions dont ils peuvent
être le ſujet , & nous rétablit dans tous les
droits que nos victoires nous avoient donné fendant
la dernière guerre , & qui ont conſervé leur force &
leur valeur juſqu'à la dernière paix : ainſi donc par
notre ſollicitude pour rendre durables le bonheur
la gloire , les avantages & la sûreté de notre Empire
, & pour trouver un moyen certain d'écarter à
jamais les raiſons fâcheuſes qui pourroient troubler
la paix éternelle qui a été conclue entre les Empires
Ruffe & Ottoman , & dont la conſervation eſt l'objet
de tous nos voeux , comme auffi pour nous dédommager
& indemnifer de toutes nos pertes &dé.
pentes , nous avons réſolu de prendre & attacher à
notre domination la preſqu'iſſe de Crimée , l'iſfie de
Taman & tout le Cuban. En notifiant par ce
préſent manifeſte aux habitans de ces contrées ce
changement dedomination , nous leur donnons notre
promeſſe ſacrée & inviolable pour nous & pour
nos ſucceſſeurs , de les traiter à l'égal de nos ſujets
naturels , de protéger & défendre leurs perſonnes ,
leurs biens , leurs temples , leur religion , dont nous
leur permettons le libre exercice avec tous les uſages,
de fairejouir tous les états de leur ſociété des priviléges
& avantages qui font attachés à ces mêmes
états en Ruffie , & nous attendons & nous exigeons
de la reconnoiſſance de nos nouveaux ſujets , que de
l'état de révolte & de licence , ils paſſerontà celui de
la tranquillité , du repos & du bon ordre , & qu'ils
s'efforceront d'égaler nos anciens ſujets par leur fidélité
, leur zèle & leurs bonnes moeurs , & de mériter
comme eux notre grace & notre bienveillance
Impériale.- Donné dans notre réſidence de Saint-
-
Pétersbourg le 8 Avril 1783 & le 21 de notre
rezne ".
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 3 Août.
Le voyage du Roi pour Carlſcron eſt
encore incertain ; il n'aura lieu que lorſque
S. M. fera parfaitement rétablie , & on efpère
que cet heureux moment n'eſt pas
éloigné.
On a appris qu'il eſt arrivé à Gothembourg
trois vaiſſeaux de la Compagnie des
Indes Orientales , ils viennent de Canton
en Chine avec des cargaiſons précieuſes.
Vendredi prochain le Comte de Moufkin
Pouskin , Ambaſſadeur de Ruſſie , aura
ſon audience de congé ; il ſe diſpoſe à
retourner à Pétersbourg immédiatement
après ; & on ignore quand ſon ſucceſſeur
arrivera.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 16 Août.
L'EMPEREUR n'a quitté qu'hier le Palais
de l'Augarten pour ſe rendre au Château
de Laxembourg , d'où il ira aſſiſter aux
grandes manoeuvres du Camp de Minakendorf
, qui ne commenceront qu'à fon arrivée.
Il a été publié à Peſt , & dans d'autres
Villes de la Hongrie , que les Négocians
& Artiſans des religions tolérées dans les
a 3
( 6 )
Etats de l'Empereur qui voudront s'établir
dans la Ville d'Arad jouiront de l'exemption
de toute impoſition pendant so ans.
On mande de Leopold que l'on a tranfféré
, dans le Collége des Ex- Jéſuites de
cette Ville , tous les Départemens Civils ,
&que l Egliſe de ce College ſervira à l'avenir
pour l'Affemblée des Etats de ce pays.
L'Empereur a fait préſent d'une terre
confid rable dans la Pologne Autrichienne
au Baron de Tratner , Imprimeur Libraire
de la Cour.
Conformément aux ordres de l'Empereur
pour rendre la rivière de Grann navigable ,
le Conſeil du Comittat de Grann ſe difpoſe
à faire commencer les travaux néceffaires.
De HAMBOURG , le 20 Août.
La priſe de poſſeſſion de la Crimée &
la réunion de ce pays à l'Empire Ruſſe ,
ne font plus douteuſes depuis la publication
du manifeſte de l'Impératrice ; cet évênement
, felon les lettres de Conſtantinople,
y fait la plus grande ſenſation ; les
préparatifs de guerre ont été repris avec
une nouvelle vigueur; les troupes d'Aſſe
arrivent en grand nombre , & on travaille
avec toute la célérité poffible à approviſionner
la flotte. Les Miniſtres étrangers
qui réſident dans cette Capitale y paroiffent
fort occupés , & il ſe paſſe peu de
jours que quelques uns des principaux n'en
( 7 )
voyent des Couriers à leurs Cours. On attend
avec impatience quel ſera l'effet de
ces grands différends dont l'arrangement à
préſent paroît plus difficile ,&qui ſemblent
devoir amener infailliblement une rupture ;
comme la ſaiſon eſt à préſent très- avancée ,
on eſpère que ſi elle a lieu , elle n'éclatera
pas cette année ; en attendant on voit partout
des préparatifs .
>>Le 8 de ce mois , écrit-on de Vienne , il yeut
un Conſeil dans le Cabinet de S. M. I. Le Miniftre
dela Cour de Pétersbourg y affifta & auſſi-tôt qu'il
fur fini , on fit partir pour Pétersbourg deux coutiers
qui portorent les mêmes dépêches ; on obſerve
quecette précaution ne ſe prend ordinairement que
dans des circonstances de la plus grande importance;
onignore leur contenu; mais on remarque que
les mouvemens militaires recommencent avec plus
de vivacité. Les régimens aſſemblés du côté de la
Turquieont reçu ordre de ſe rapprocher davantage
des frontières ; & la permiſſion de lever des Corps
libres ou volontaires ſera , dit-on , bientôt accordée;
le Capitaine de Gerndorfa déjà obtenu celle
d'en lever un dans laGalicie de 1600 hommes & de
200 Chaffeurs. Le 4 de ce mois nous avons vu
paſſer ici uncourier venant de Conftantinople avec
des dépêches pour la Cour de France ; il a remis à
fon paffage au Prince de Kaunitz une lettre du Mi.
niſtère Ottoman dont il étoit chargé «.
-
Ces mouvemens & cette activité donnent
lieu à une infinité de conjectures ; mais
le véritable objet de ceux de l'Empereur est
toujours un myſtère que le tems ſeul peut
débrouiller ; on remarque que la Porte ne
néglige rien pour entretenir la bonne intelligence
entre les deux Cours.
a 4
( 8 )
>> Le Commandant de Belgrade , lit-on dans une
Lettre de Syrmie , avoit fait des difficultés au ſujet
du paffage da bâtiment de Baron de Taufferer ; il
ne vouloit pas lui permettre de continuer ſa route ,
& il l'avoit arrêté pendant quelque tems. Des ordres
précis duGrand- Seigneur lui arrivèrent le 29 Juillet
& lai preſcrivirent non-feulement de laiffer paſſer
fibrement ce vaiſſeau , mais de lui porter aufli tous
les ſecours poſſibles s'il en avoit beſoin ; & de publier
par tout que ceux qui s'oppoſeroient à ſa navigation
ſeroient punis avec la plus grande rigueur.
-
Pluſieurs femmes Turques , ajoutent quelquesaines
de ces lettres , ont trouvé le moyen de s'échasper
du harem avec leurs enfans &ſe ſont réfugiées
ſur le territoire de l'Empereur ; on les a reçues avec
bonté , & on les a envoyées à Koſtainicza où elles
ont été baptiſées avec leurs enfans .
S'il faut en croire quelques lettres de la
Hongrie , l'Empereur , mécontent de la
conduite de la plupart des Membres du
Conſeil Municipal de Presbourg , les a
congédiés , & n'en a conſervé que quatre ;
ils ont été condamnés en même tems à
payer 18,000 florins. On dit que le motif
de cette diſgrace eſt la diffipation des deniers
de la maiſon des Orphelins.
Un Médecin établi à Poſega , dans l'Efclavonie
, ayant fait pêcher des coquillages
dans la rivière du Comittat , en a ouvert
pluſieurs dans leſquels il a trouvé des perles
; il y en a une entr'autre qu'on dit parfaite
, & du poids de deux grains; les autres
ſont plus petites & au nombre de 90 ;
on les dit auffi belles que celles de l'Orient.
( و )
Selon les lettres de Dantzick cette ville
a envoyé deux Députés à Vienne & deux
à Pétersbourg pour ſolliciter l'interpofition
de ces deux Puiſſances pour obtenir de la
Cour de Berlin la fuppreffion de quelques
nouveaux péages qu'elle a établis , & qu'elle
retire les troupes qu'elle a miſes ſur ſon
territoire.
On écrit de Munich que l'Electeur Palatin
a défendu dans ſes Etats de ſonner
les cloches à l'approche des orages , & de
Carlſruhe que le Margrave de Bade a aboli
toutes les eſpèces de ſervitude qui exiſtoient
dans ſes Etats.
ITALI Ε .
De NAPLES , les Acût.
LES derniers déſaſtres qu'a éprouvés,
la Sicile , ont donné lieu aux obſervations
ſuivantes ſur le ſort de Meſſine en particulier.
>> Cette ville n'avoit rien à envier aux premières
de l'Italie , par ſon commerce , ſa population & fa
richeſſe . En 1743 elle éprouvaun fléau terrible ; la
peſte la dépeupla preſqu'entièrement ; & deux ans
après une petite vérole d'une nature putride lui enleva
en 6 mois de tems près de 60,000 ames ; le
nombre de ſes habitans en 1777 n'étoit guères audelà
de 30,000 ; ſon commerce n'exiſtoit preſque
plus , & les ſuperbes édifices qui entouroient fon
port étoient à peine habités . Le Comte de Borch dans
ſon voyage de Sicile , témoin de cet état de langueur
où elle ſe trouvoit , la comparoit à une belle
25
( 10 )
femme privéedu principe de vie; les derniers tremblemens
de terre ont mis le comble à cette ſuite extraordinaire
& conftante d'infortunes (1 ) «.
De LIVOURNE , le 8 Août.
UNE polacre Vénitienne a amené ici de
Tripoli Mehemed Bey , gendre du Bacha
de cette Régence , & fon Ambaſſadeur à la
Cour de Maroc; il a débarqué au Lazareth ,
(1 ) Nos Lecteurs nous fauront gré de leur annoncer ici
l'Eſtampe qui repréſente cette dernière Ville telle qu'elle étoit
avant ce déſaſtre , & qui ſera ſans doute recherchée , comme
tout ce qui reſte d'elle. C'eſt la Vue de la Ville de Meſſine
d'après M. Honel , Auteur du Voyage Pittoresque de Sicile
. Cette Vue eſt priſe au Nord , d'où l'on voit partie des
Montagnes aux pieds deſquelles elle eft bâtie ; on voit à gauche
la mer qui baigne un quai orné de cette longue fuite de
Palais qui décoroient de ce côté la Ville dans une étendue
d'un mille . Ce même point de Vue permet de voir les Tours ,
Baftions , Fortereſſes , qui défendoient fon Port , dont la
forme eft circulaire ; on apperçoit dans le lointain la Ville
de Reggio en Calabre . Elle est accompagnée , ainſi que tous
les autres objets intéreſlans de ce Tableau , par des chiffres
qui renvoyent à l'explication gravée au bas de l'Eſtampe ,
qui offre quantité de détails piquans , tels que fon commerce
, ſa population , le degré de longitude : de latitude.
Cette Gravure , exécutée avec le plus grand foin & du
meilleur effet , ne peut qu'être accueillie avec empreffement;
fon prix eſt de 6 liv .; elle se trouve chez M. Houel ,
ue du Coq Saint- Honoré , à côté du Café des Arts. On
diftribue à la même adreſſe le huitième cahier du Voyage
de Sicile; l'indication des matières ſuffit pour en montrer
rour l'intérêt . L'Auteur , en partant de Palerme , eft conduit
la maiſonde campagne du Prince de Refutana qu'il décrit ,
-de-là il paſſe à la Bagaria à 12 milles de Palerme , où il
fait connoître la poſxion de la Ville antique de Solunte ,
&préſente dans une demi-planche les ruines qui lui ont
paru mériter quelqu'attention. En allant à Thermini il
obſerve les Ponts nouvellement conftruits qu'il trouve fur
fa route ; ce cahier eft accompagné des Planches toutes
intéreffantes & curieuses . Cet Ouvrage ſe publie par foufcription
, & le'prix de chaque cahier eſt de 12 liv.
( 11 )
&après avoir fait la quarantaine il ſe rembarquera
pour ſa deſtination.
S. A. R. vient de ſupprimer , par un décret
adreſſé à l'Evêque de Piſtoie , les congrégations
du Saint-Eſprit , de la Trinité &
de Sainte- Marie de la Place , ainſi que divers
autres Corps Eccléſiaſtiques ; le nombre
des Paroiffes de cette ville a été auſſi
diminué; il ſera fait des penſions aux Menbres
des congrégations ſupprimées.
La néceſſité d'éloigner les ſépultures &
de les porter loin des habitations des hommes
eſt ſentie généralement ; S. A. R. a
ordonné de conſtruire des cimetières hors
des villes , & elle vient de faire publier
un Règlement relatif au transport des cadavres
, qui y feront tous inhumés fans
diftinction , à l'exception de celui de l'Evêque
du lieu . Tous les tombeaux des Egliſes
ſeron fermés; les droits des particuliers
fur quelques - uns font annullés ; les Religieux&
Religieuſes même ſeront portés dans
les ſépultures publiques ; on permet ſeu
lement à ces dernières , ſi leur répugnance
eſt invincible , de choiſir dans
leur enclos un endroit où elles feront enterrées
; mais il leur est défendu de l'être
dans leurs Eglifes .
>> Notre ifle , écrit-on de Malte , eſt très-petites
elle n'a ri montagnes ni forêts dans ſon enceinte ;
cependant nous y éprouvons depuis le 20 Juin ce
brouillard épais qui a été remarqué dans toute
l'Europe , & qui nous dérobe le jour ; le 1er Juillet
nous avons cu un orage qui a duré 24 heures; peaa6
( 12 )
A
dant ce tems le tonnerre eſt tombé fréquemment , &
il a caufé beaucoup de dégâts dans les villages &
dans les campagnes . Le Grand-Maître a
fait publier une amniſtie générale pour tous les
Maltois employés au ſervice des galères de la Religion
& qui ont déſerté; on leur donne un an pour
revenir dans leur pays & profiter de cette grace « .
ESPAGNE.
De MADRID , le 19 Août.
D. Antonio Barcelo eſt de retour de ſon
expédition ; le II de ce mois il rentra à
Carthagène avec tous ſes vaiſſeaux à l'exception
du St-Pafchal , de la frégate la Ste-
Rofe , & du chébec le St-Sébastien qu'il a
laiſſés en croiſière devant la baie d'Alger.
Son Journal , que l'Officier porteur de ſes
premières dépêches avoit laiſſé au 3 de ce
mois , offre les détails ultérieurs ſuivans.
>>>Le Général fit une nouvelle attaque le 4 au
matin qui dura depuis s heures & un quart juſqu'à
7 heures & demie. Il jetta 558 bombes ſur la ville
&tira 490 boulets qui causèrent un égal dommage
dans l'intérieur de la ville & aux fortifications extérieures
. Pluſieurs bâtimens tentèrent de s'approcher
de la ligne , mais ils furent repouffés par les chaloupes
canonnières avec des dommages qui forcerent
d'en remorquer plufieurs. Les le tems empêcha
toute attaque ; mais le lendemain il y en eut deux
une le matin & l'autre le foir dont l'effet parut être
prodigieux; les ennemis y répondirent avec beaucoup
de vivacité , mais toujours fans nous faire
beaucoup de mal ; ils tentèrent une nouvelle fortie
avec leurs bâtimens ; mais les chaloupes camonnières
les contraignirent à ſe retirer fans approcher de trop
près notre ligne qui continua àbattre la place avec
fuccès. Le 7ſe paſſa comme lejour précédent. Les
( 13 )
bombardes approviſionnées deux fois attaquèrent
deux fois &lancèrent 874 bombes & 948 boulets ,
auxquels les ennemis répondirent par 2841 boulets
&59 bombes . Le lendemain on fit encore deux attaques
,mais plustard à cauſede la contrariété des
vents; & le 9 le Général obſervant que la ſaiſon
étoit avancée , que ſes vaiſſeaux avoient épuisé leurs
proviſions , les pilotes étant d'avis d'ailleurs que la
mer n'étoit pas tenable plus long-tems , il revint à
Carthagêne où il arriva le 11. Le nombre des bombesemployées
dans cette expédition eft de 3752 ;
celui des boulets de 3833. Les ennemis y ont répondu
par 399 bombes & 11,284 boulets. Nous avons
perdu 24hommes dont un Officier , & nous avons
cu 16 bleſfés dont 3 Officiers - La forme des maifons
d'Alger qui fonttoutes terminées en terraſſe &
à-peu-prèsde la même hauteur n'a pas permis de juger
enmer de l'effet de nos bombes ; mais le feu qui a
pris en divers endroits , la certitude que toutes font
tombées ſur la Ville & fur le Port à l'exception de
celles de la première attaque dont quelques-unes tombèrentdans
l'eau , font penſer qu'elles ont fait beaucoup
de mal. D. Antonio Barcelo étoit toujours à la
tête des bombardes. Il ne s'étoit point trompé en
prévoyant que la mer alloit ceffer d'être tenable, car à
peine eut-ilquitté la baie le 9 qu'en vent furieux s'éleva,
& il l'auroit jetté à la côte s'il ne s'étoit éloignéà
tems «.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 26 Août.
Ce n'eſt que le 13 de ce mois que la
ratificarion du traité proviſionel avec les
Etats-Unis a été échangée à Paris par les
Miniſtres du Roi & ceux du Congrès ; il
s'eſt écoulé entre la fignature du traité qui
cut lieu le 30 Novembre dernier , &
( 14 )
cet échange , plus de 8 mois; l'éloignement
qui eſt la ſeule cauſede ce délai , fait
croire que l'échange du traité définitif ,
quand il ſera à ſon tour conclu & figné ,
ne pourra guère avoir lieu que vers le printems
prochain.
S'il faut en croire nos papiers , il y a
toujours de la fermentation en Amérique ;
les Affemblées des divers Etats , dilent- ils ,
ont montré de la jalouſie au ſujet du
pouvoir qu'il s'agit d'accorder au Congrès
pour le bien général de la Confédération ;
il y en a , ajoute-t- on , qui ont en contéquence
refufé quelques -unes des demandes
qu'il avoit faites ; mais tous ont
accordé une fomme d'argent dont il peut
diſpoſer. En général tout ce qu'on dit à ce
fujet est fort exagéré ; la plupart des détails
même qu'on donne de l'Amérique , ne font
puiſés que dans la Gazette de New-Yorck ;
c'eſt d'après elle qu'on a publié la nouvelle
des troubles qu'on dit ſurvenus à Philadelphie;
une lettre particulière en réduit ainſi
les exagérations.
Peu de jours avant le 21 Juin , les troupes de la
ligne de Penſylvanie , baraquées dans les environs de
cette ville , furent jointes par un pasti de Lancaster ,
qui eſt éloigné de 68 milles , qui avoit été excité
par un ou deux Officiers à réclamer les arrérages
qui étoient dus , & à employer même la V10-
lence pour les obtenir. Le Congrès & le Confeil
exécutif tiennent leurs féances dans le même édifice ;
le premier s'étoit prorogé au Mardi 24; le 21 , les
ſoldats inftruits que le Conſeil exécutif ſe trouveroit
ſeul àla ſalle de l'aſſemblée, ſe réunirent au nombre
( 15 )
d'environ 400 , pour aller lui demander ce qui leur
étoit dû. Leurs diſpoſitions n'avoient pas été fi
fecrettes que leCongrèsn'en füt inſtruit,& il s'afſembla
extraordinairement ce jour là , peur délibérer
ſur les meſures à prendre à ce ſujet. Les ſoldats
avancèrent ; le Congrès ne voulant pas s'occuper
d'affaires pendant qu'il étoit inveſti par des gens
aimés , ſe ſépara , après avoir cependant témoigné
aux troupes l'indignation que leur caufoit leur conduite
, & s'ajourna àPrince-Town. Les follats retournerent
à leurs baraques fans avoir rien obtenu
& regardant leur demarche imprudente ſous ſon vrai
point de vue. Les Officiers qui les avoient excités
prirent la fuite , & les troupes empreſſées de réparer
ce qu'elles avoient fait , ſe rendirent le lendemam
chez le Gouverneur , mais fans armes , & Ini expri
mèrent leur regret & leur repentir. Celui - ci les reçut
avec bonté , leur repréſenta les conféquences de leur
démarche , leur promit de mettre leur repentir ſous
les yeux du Congrès ,& d'intercéder pour elles fi
leur conduite à venir le méritoit. Après cela les
foldats ſe retirèrent ſans déſordre , & depuis ce tems
tout est tranquille à Philadelphie.
On ne parle point encore de l'évacuation
de New-Yorck; ce n'eſt , dit on , que lorfque
le traité définitif ſera ſigné que nos
troupes fortiront de cette place; elles confaſtent,
ſelon les derniers états , en détachemens
de 17 régimens de cavalerie , &
l'infanterie eſt compoſée des 3,7,8,9 ,
26 , 27 , 28 , 29 , 30 , 31 , 33 , 34 , 35 ,
36,37,38,39,40,42,43,44,46 ,
47 , 49 , 53 , 54 , 55 , 57 , 62 , 63 , 64 ,
69 , 70 , 71 , 74 , 76 ; 80 , 82 , 83 & 84e.
régimens en tout 40. Mais le nombre des
hommes effectifs n'eſt point déterminé ,
& on ſait qu'il a été prodigieuſement réduit.
د
( 16 )
La frégate le Crocodile de 24 canons ,
chargée de dépêches pour l'Inde , a quitté
l'ifle de Ste Hélène le 12 Avril ; elle a Pordre
de faire la plus grande diligence ; elle porte
à nos Commandans Sir Edouard Hughes
& Sir Richard Bickerton , l'ordre de revenir
; l'Amiral Hyde Parker parti dans le
mois d'Octobre dernier , reſtera dans cette
ſtation avec deux vaiſſeaux de 74 , deux
de 64 , un de so , deux frégates & deux
floops , le reſte de notre eſcadre reviendra
en deux diviſions , l'une ſous les ordres de
Sir Edouard Hughes , & l'autre ſous ceux
de Bickerton . Comme le Crocodile ne peut
arriver dans l'Inde qu'en Septembre , ce n'eſt
que dans le mois ſuivant que nos Amiraux
feront leurs diſpoſitions pour leur retour ;
& ce n'eſt que dans le printems prochain
qu'on peut les attendre en Angleterre.
On a beaucoup parlé de la priſe de Trin .
quemale ; & on n'en a point de relation
détaillée ; voici ce qu'on en lit dans
nos papiers.
La place fut attaquée le 22 Août 1782 , & rendue
le 30 du même mois à MM. Suffren & Deſſoys , à
condition que les troupes Européennes ſeroient envoyées
à Madraſs , & que les Sipays feroient libres
de prendre parti au ſervice des François ou des
Hollandois . Le fort capitula aux mêmes conditions.
On trouva dans la place 50,000 piastres , 20 milliers
de poudre , 1800 boulets , des provifions pour fix
mois , 1200 arquebuſes , 4 pièces de campagne , 3
mortiers , 20 canons , & dans le fort 40 pièces
d'artillerie dont 20 de fonte , & grande quantité de
munitions. Il éteit & bien fortifié , que ſa conquête
( 17 )
auroit du coûter plus cher ,& fur-tout plus detems ;
il y avoit en garniſon soo Européens & 800 Sipays .
M. de Suffren y a mis 1500 hommes , François ,
Hollandois & Sıpays ; M. Defioys les commande.
Le nouvel établiſſement de la Marine
doit coûter beaucoup plus qu'il ne coûte
ordinairement en tems de paix; on prétend
que le Ministère , occupé de vues économiques
, ſe propoſe d'y fournir ſans furcharger
encore la Nation ; on vendra les
Forêts & les Landes de la Couronne , on fera
des réformes dans pluſieurs Départemens ,
& ce que produiront ces deux objets ſuffira
, dit- on , & diſpenſera de faire un nouvel
emprunt l'année prochaine , comme
on le craignoit , & qui ne pourroit qu'ajouter
au fardeau qui charge déja la Nation .
On peut être curieux , obſerve un de nos papicis ,
de voir le commencement & les progrès de la dette
publique de ce pays; elle n'exiſtoit point avant la
révolution ; ainſi ſon origice ne remonte pas bien
haut; elle ne commença que pendant les neuf premières
années qui ſuivirent cette époque. A la mort
du RoiGuillaume , elle étoit environ de 14 millions
ſterling. Le règne de la Reine Anne la porta à ſo
millions ; en 1722, elle étoit de 52. En 1726 , elle
éprouva une légère diminution de 3 millions , & en
1739 elle n'étoit plus que de 47. En 17 ans de paix ,
on n'étoit , comme l'on voit , parvenu à la réduire
quedes millions. En 1763 , elle étoit déja de 146 ,
& en 1775 , époque la plus funeſte à la Grande-Bretagne,
elle étoit ſeulement de 135 milions ; aujourd'hui
à la conclufion de la guerre Américaine,elle paſſe
les 250 millions. Lorſqu'on confidère ce tableau ,
on ne peut s'empêcher de s'alarmer de toutes les
meſures qui peuvent augmenter ce fardeau.
( 18 )
Parmi les calculs piquansque préſentent
quelquefois nos papiers , en voici un qui
peut faire plaifir à nos Lecteurs.
Les revenus du Clergé de ce Royaume montent ,
d'après les calculs des Ecrivains les mieux inſtruits
ſur cette matière , à partir de Warnerjaſqu'a Watfon
Evêque de Llandaff , à 2100co liv. ft. Mais la
diſtributionde ces mêmes revenus ne fauroit être
plus inégale On les partage en deux lots , dont le
premier qui est de 100,000 liv. ft. , appartient
tour entier à 24 Evêques , & l'autre de 110,000 fait
la part du reſte du Clergé , & particulièrement de la
partie qui fait le ſervice de toutes les Paroiſſes & de
toutes les Egliſes du Royaume. Le nombre de ces
Eccléſiaſtiques eſt , dit- on , de 10,500 ;& il y en a
plus de la moitié qui , en conféquence d'un règlement
de la Reine Anne ,n'auront pas d'ici à un ſiècle,
100 liv, ſtel. de revenu. Selon le Prélat Watſon ,
les propriétés foncières ſeulement qui appartiennent
au Clergé Ang'ois , font un objet de 1,490,000 l. ft.
D'autres Ecrivains les évaluent un peu plus haut;
Warner les porte à 1,680,000,Young à 1,600,000 &
Burk à 1,500,000.
Les lettres d'Irlande annoncent la conftance
des diſpoſitions des habitans de ce
royaume à maintenir ſa liberté & ſon indépendance
, & à ſe ſouſtraire entiérement
à toute entrepriſe de la part de la légiflationBritannique.
Ils veulent , dit-on , établir
une Marine particulière qui agira de concert
dans les occafions avec celle de la
Grande - Bretagne , mais qui ſera ſous la
direction d'une Amirauté Irlandoiſe , &
qui ſera ſpécialement chargée de la défenſe
des Côtes & de la protection du Commerce
de ce royaume. On prétend encore
1
( 19 )
qu'à cet établiſſement ils veulent joindre
celui d'une armée dont la ſubordination
émanera d'un acte du Parlement d'Irlande ;
ces projets qui n'ont peut- être aucun fondement
paroiffent donner de l'inquiétude.
Les riches Propriétaires de terre qui viennent
dépenſer leurs revenus dans cette capitale
, ſont menacés d'une loi qui les forceroit
à retourner dans leur pays. On dit
que l'on fait jurer à tous les Membres qu'on
élit pour le nouveau Parlement , qu'ils
employeront tous leurs efforts pour obtenir
une réforme parlementaire & l'impofition
d'une taxe ſur tous les Propriétaires Irlandois
abſens.
לכ La proſpérité future de ce pays , dit un de nos
papiers , dépend en quelque forte du traité de commerce
qui doit être conclu avec Its Etats Unis de
l'Amérique Septentrionale ; il est très intéreſſant de
ſavoir le parti qui ſera pris relativement à la navigagationdu
Continent aux Iſles ; fi les Américains obtiennent
le droit d'y alier avec leurs propres bâtimens
ſans restriction , ils parviendront à la longue
ànous enlever une partie du produit de ce commerce.
Tous les pays payent le tranſport des articles qu'ils
confomment ; fi ces articles font apportés ſur des
bâtimens étrangers , les consommateurs en payent
le fretà l'étanger. Toute Nation commerçante doit
donc tranſporter , autant qu'elle le peut , ces objets
fur ſes propres navires , puiſqu'elle gagne ainſi le
prix de ce même fret, qui ſans ce moyen enrichit l'éi
tranger. Les paysqui employent le plus de bâtimens ,
ſontceux qui payent le moins de fret ; & la misère
eſt le fort que doit attendre toute Nation chez
laquelle les eſpèces ſe détournent continuellement
du centre de leur circulation actuelle.
( 20 )
Nous placerons ici le reſte de la lettre
du Général Washington .
Dans cet état de liberté abſolue & de ſécurité par
faite qui pourroitmarquerde la répugnanceàdétacher
une très-petite portion de ſa propriété, pour foutenir
les intérês communs de la ſociété , & donner de la
confiftanceà laprotection du Gouvernement ? Qui ne
fe rappelle pas les déclarations ſi ſouvent répétées
au commencement de la guerre , que nous ferions
complètement fatisfaits fi au prix de la moitié de
nos poſſeſſions nous pouvions défendre le reſte ?
Oùtrouvera t-on unhomme qui veuille être redevable
de la défenſe de ſa perſonne &de ſa propriété ,
aux efforts , à la bravoure , à l'effuſion du ſang d'autrui
, ſans faire lui -même un généreux effort pour
acquitter la dette de l'honneur & de la reconnoilſance
? Dans quelle partie du Continent trouveronsnous
un homme ou un corps d'hommes qui oſe ,
ſans rougir , propoſer des meſures tendantes à fruftrer
le ſoldatde ſa ſolde, le créancier public de ce
qui lui eſt dû &s'il étoit poffible que l'on vît
jamais un exemple d'injustice ſi révoltante , n'allumeroit-
il pas l'indignation générale , n'attireroit-il pas
ſur ceux qui le donneroient la vengeance la plus
marquée du Ciel ; au reſte , ſi l'on voyoit ſe manifeſter
dans aucun des Etats un eſprit de déſunion ,
d'entêtement & de perverſité ; ſi les diſpoſitions fi
flétriſſantes tendoient à nous frustrer de tous ces
heureux effets que nous avions lieu d'attendre de
l'union ; ſi l'on ſe refuſoit à la demande faite de
fonds deſtinés à payer l'intérêt annuel de la dette
publique ; & fi un pareil refus faiſoient revivre toutes
les inquiétudes , produiſoit tous les maux dont
nous venons de voir l'heureux terme ; le Congrès
qui , dans tout ce qu'il a fait , a montré beaucoup de
magnanimité & de justice , ſera justifié aux yeux de
Dieu & des hommes , & celui des Etats-Unis qui
,
( 21 )
agiſſant en oppoſition à la ſageſſe collective du Continent
, ſe livreroit à des conſeils ſi pernicieux , épondroit
ſeul de toutes les conféquences. - Quant
à moi , convaincu dans le fond de ma confcience ,
d'avoir , tout le tems que j'ai été le ſerviteur du public,
agi de la manière qui m'a paru la plus avantageuſe
aux intérêts réels de mon pays ; en confé.
quence de ce que je croyois devoir être , m'étant en
quelque forte rendu garant envers l'armée , que fon
pays finiroit par lui faire justice ample & complete;
ne cherchant à dérober aux yeux de l'univers aucune
partie de ma conduite officielle , j'ai jugé convenabledemettre
ſous les yeux de V. E. , la col'ection
des papiers ci- inclus , relatifs à la demi-paye , & à
l'arrangement qui lui a été ſubſtitué , & que le
Congrès à accordé aux Officiers de l'armée : la communication
de ces pièces expliquera clairement les
principes de mes ſentimens , &les raiſons qui me
portèrent à recommander de la manière la plus (érieufe
& la plus preſſante l'adoption de cette meſure.
Comme les procédés du Congrès , ceux de l'armée
& les miens , ſont ſous les yeux de tout le monde ,
& préfentent à ce que je penſe une ſource d'information
ſuffiſante pour détruire les préventions & les
erreurs qui peuvent s'être emparées de quelques
eſprits; je crois ſuperflu d'en dire davantage , & je
mebornerai àobſerver que les réſolutions du Congrès
, dont il s'agit ici , ont auſſi indubitablement
&abſolument force de loi ſur les Etats-Unis , que
les actes les plus folemnels de confédération ou de
législation.- Quant à l'idée que je fais avoir été
conçue, que la demi paye & ſa commutation ( en
une ſomme une fois payée ) ne doivent être confidérés
que ſous le point de vue odieux de penſions ;
c'eſt une idée qu'il faut abſolument rejetter. Cette
meſure ne doit être conſidérée que comme une compenſation
raisonnable offerte par le Congrès , dans
un tems où il n'avoit autre choſe à offrir aux Of
ficiers de l'armée pour des ſervices qui étoient
( 22 )
alors à rendre : c'étoit l'unique moyen qui lui reftat
d'empêcher l'abandon total du ſervice; c'étoit une
partie de leur contrat d'engagement , & l'on me
permettra de dire que c'étoit le prix de leur fang
&de votre indépendance : c'eſt donc plus qu'une
dette ordinaire , c'eſt une dette d'honneur ; on ne
peut la regarder , ni comme penſion , ni coname
gratificacion ; elle ne peut ceſſer d'exiſter que lorfque
la bonne foi l'aura acquittée. Quant à ce qui a
été objecté relativement à ladistinction entre l'officier
& le ſoldat , il ſuffit , pour y répondre , que
l'expérience uniforme de toutes les nations dumonde,
combinée avec la nôtre , prouve l'utilité de cetre
diftin&ion ; le public doit incontestablement , àtous
ſes ſerviteurs , des récompenfes proportionnées à
l'importance des ſervices qu'il en tire. Dans quelques
lignes de l'armée, à raiſon des amples gratifications
qu'ils ont reçues , les foldats en général
ont peut- être autant reçu qu'il peut revenir aux
officiers de la commutation propoſée ; dans d'autres
, fi , indépendamment des concetſions de terre ,
du paiement des arrérages , des vêtemens & des
gages ( articles pour lesquels tout ce qui compofe
un armée doit être porté ſur le même pied ) nous
évaluons les gratifications que pluſieurs foldats ont
reçues & celle d'une année de paye entière promiſe
àtous, toutes ces circonstances peſées , peut être le
fort des foldats vaudra t- il celui des officiers : au
reſte , a l'on croyoit juſte de leur accorder des
récompenfes ultérieures, j'oſe aſſurer que perſonne
ne verra avec plus de plaiſir que moi , que l'on accorde
aux braves défenſeurs de la cauſe de leur
pays , une exemption de taxes pour un tems limité
(ce qui a été demandé ) ou route autre eſpèced'immunité
; mais que cette propoſition ſoit adoptée ou
rejettée , elle ne peut en aucune manière affecter ,
àplus forte raiſon elle ne peut militer contre l'acte
du Congrès , par lequel il offre aux officiers de
l'armée cinq années de paye entière , au lieu de la
<
( 231
demi-paye à vie. Avant de quitter le ſujet de la
justice publique , je ne puis me diſpenſer de faire
mention des obligations qu'a ce pays à cette clotle
méritante de vétérans , tant officiers ſubalternes que
foldats qui , en conféquence d'une réſolution du
Congrès du 23 Avril 1782 , ont été congédiés
comme hors d'état de ſervir , avec une penfion
viagère : leurs fouffrances particulières , les droits
qu'ils ont fi juſtement acquis à ce qu'il fût ainſi
pourvu à leurs beloins , ne demandent que d'être
connus pour intéreſſer en leur faveur : rienne peut
les ſouſtraire à la miſere la plus compliquée que le
paiement ponctuel de ce qui leur est accordé annuellement
: & il n'eſt pas poſſible de concevoir un ſpectacle
plus affligeant, que le ferait celui de tant de
braves gens qui ont verſé leur fang ou perdu leurs
membres au ſervice de lear pays , fans alyle , fans
protection , dénués des moyens de ſe procurer
les choſes nécefaires à la vie , ou qui la rendent
inſupportable , & obligés de mandier leur pain de
porte en porte. Permettez que je recommande
ceux de cette claſſe qui appartiennent à votre Etat ,
à la protection la plus active de V. E. & du corps
légiflarif.-J'ai peu de choſe àdire ſur le troiſième
article qui concerne particulièrement la défenſe de
la République ; il n'eſt guère douteux que le Congrès
ne recommande un établiſſement convenable
en tems de paix , & qu'il ne fafle en même-tems
attention à la néceſſité de mettre les milices de l'Union
ſurun pied régulier & reſpectable. S'il en étoit
beſoin, je demanderais la permiffion d'en démon
trer les avantages dans les termes les plus forns.
La milice de ce pays doit être regardée comme le
palladium de notre sécurité,& comme la reſſource
àlaquelle il faudroit d'abord recourir en cas d'hoftilités
: il eſt par conféquent effentiel qu'elle ſoit
:entièrement montée ſur un ſeul & même ſyſtême;
que la formation& la diſcipline de la milice du Continent
ſoient abfolument uniformes, & que l'on
( 24 )
-
,
introduiſe dans les Etats-Unis , l'uſage des mêmes
armes , accoutremens & appareils militaires : à moins
qu'on ne l'ait appris par expérience , perſonne ne
peut concevoir les difficultés , les dépenses & la confuſion
qui réſultent d'un ſyſtême contraire , ou des
arrangemens vagues qui ont été pris juſqu'à préfent.
Si , en traitant des points politiques , j'ai
donné une étendue plus qu'ordinaire à cette adreſſe
l'importance de la criſe & l'immensité des objets
diſcutés ſeront mon excuſe: je ne defire cependant
& n'attends aucun égard pour les obſervations
précédentes , qu'autant qu'elles paroîtront dictées
par la bonne intention , conformes aux règles
immuables de la justice , calculées pour produire
un ſyſtême libéral de politique , & fondées ſur
tout ce que peut avoir acquis l'expérience , par
une longue application aux affaites publiques .
Sur ce dernier point je pourrois parler avec plus de
confiance , d'après mes propres obſervations ; & fi
je ne craignois d'étendre cette lettre déja prolixe ,
au-delà des bornes que je me ſuis preſcrites ,je pou
rois démontrer à quiconque a l'eſprit ouvert à la
conviction , qu'en moins de tems , avec beaucoup
moins de dépenſes , on auroit pu conduire la guerre
à cette même iſſue favorable, ſi l'on cût développé
d'une manière favorable les reſſources du Continent :
que les détreſſes , les attentes fruſtrées qui ſe ſont
renouvellées ſi ſouvent , ont dans beaucoup de cas
réſulté d'un défaut d'énergie dans le Gouvernement
continental , plutôt que d'un défaut de moyens de la
part des Etats individuels ; que l'inefficacité des mefures,
réſultant d'un défautd'autorité ſuffiſante dans
le pouvoir ſuprême , d'une condeſcendance pareille ,
de la part de quelques Etats , aux réquifitions du
Congrès , & d'un défaut de ponctualité de la part
de quelques autres , en refroidiſſant le zèle de ceux
qui étoient portés à mieux faire , ne ſervoit qu'à
accumuler les dépenſes de la guerre , & à faire manquer
( 25 )
quer l'effet des plans les mieux concertés ; qu'enun
mot le découragement occaſionné par les difficultés
& les embarras dans lesquels nos affaires ſe trouvoient
enveloppées par ce moyen , eût produit il y
along- tems la diſlolution de toute armée moins
patiente, moins vertueuſe & moins perſévérante que
celle que j'ai eu l'honneur de commander.-Mais ,
en failart mention de ces faits qui font notoises, &
que je cite comme autant de défauts de notre conſtitution
fédérale , particulièrement plus ſenſibles dans
la conduite d'une guerre ,je defire qu'il ſoit entendu
que de même que j'ai toujours pris plaifir à reconnoître
publiquement l'aſſiſtance que j'ai reçue de
toutes les claſſes de Citoyens , de même je m'eftimerai
toujours heureux de rendre juflice aux efforts
ſans exemple qu'ont faits en beaucoup d'occaſions
intéreſſantes les Etats individuels.-J'ai expoſé ainſi
tout ce que je defirois faire connoître , avant de réſigaer
monemploi public entre les mains de ceux qui
me l'ont confié : ma tâche eſt remplie , je prends
actuellement congé de V. E. en qualité de premier
Magiſtrat de votre Etat. Je fais en même-tems mes
derniers adieux aux ſoins attachés aux places & à
tous les emplois de la vie publique.- La ſeule &
dernière requête qui me reſte à faire à V. E. eſt de
communiquer cesſentimens à votre Corps législatif,
à ſa premièreAffemblée , &qu'ils foient confidérés
commeun legs fait de la part d'un homme qui , en
toutes occaſions , a ardemment deſité d'être utile à
fon pays , & qui même dans l'ombre de la retraite ,
ne ceflera d'implorer ſur lui la bénédiction divine.
Laprière fervente que j'adreſſe dans ce moment au
Ciel , eſt que Dies vous prenne , ainſi que l'Etat que
vous préſidez , dans ſa ſainte protection ; qu'il difpoſe
le coeur des Citoyens à cultiver l'eſprit de ſubordination
& d'obéiſſance au Gouvernement ; à ſe
porter mutuellement une affection fraternelle , étendue
fur tous les concitoyens des Etats-Unis , en gé-
6 Septembre 1783. b
( 26 )
néral , & particulièrement fur ceux de leurs frères
qui ont ſervi au champ de Mars ; qu'enfin il lui plaiſe
très-gracieuſement , nous diſpoſer tous à fairejustice ,
à aimer la clémence , & à nous conduire avec cette
charité , cette humilité & cet eſprit pacifique qui
formoient le caractère de l'Auteur divin de notre
fainte Religion : fans une humble imitation de l'exemple
qu'il nous a donné dans toutes ces chofes
nous ne pouvons jamais eſpérer de devenir une
Nation heureuſe «,
FRANCE.
De VERSAILLES , le 2 Septtembre .
LE 25 du mois dernier , jour de St- Louis ,
le Roi a nommé aux places de Grand Croix ,
vacantes dans l'Ordre de St-Louis pour le
ſervice de terre , le Comte de Dufort ,
Lieutenant-Général , & M. de Bellecombe ,
Maréchal de Camp , Gouverneur-Général
des Ifles ſous le Vent ; il a nommé auffi
aux places de Comniandeur , vacantes pour
lemême ſervice, M. de Sombreuil, Maréchal
de Camp , Lieutenant de Roi à Lille , &
leMarquis du Chilleau , Maréchal de Camp.
S. M. a reçu cedernierdans ſon cabinet ; les
autres étant abſens , il leur a été envoyé
les décorations & la permiffion de les
porter.
eurent
Ce jour les Princes & Princeſſes , les
Seigneurs & Dames de la Cour ,
l'honneur de préſenter leurs reſpects au
Roi , à l'occaſion de la fête de S. M.
LeRoi a nommé à l'Abbaye de St- Maurice
, Ordre de St Benoît , Diocèse d'Agen ,
( 27 )
l'Abbé de Gallard Saldebru , Vicaire Géné
ral de Leictoure , à celle de St Amand de
Boix , Diocèle d'Angoulême , l'Abbé Marie ,
Sous Précepteur de Mgr. Comte dArtois ,
fur la nomination & préſentation de ce
Prince en vertu de ſon apanage.
Le 27 Août les Députés des Etats de
Languedoc furent admis à l'audience du
Roi , cù ils furent conduits par MM. de
Nantouillet & de Watronville , Maître &
Aide des Cérémonies , & préſentés par le
Maréchal Duc de Biron , Gouverneur de
la Province , & le Comte de Vergennes ,
Chef du Conſeil Royal des Finances ,
Miniſtre & Secrétaire d'Etat ayant le département
des affaires étrangères , à cauſe
de l'indiſpoſition de M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Province .
La députation étoit compoſée pour le
Clergé de l'Evêque d'Uſez qui porta la
parole , pour la Nobleſſe du Comte du
Roure ,Baron de Barjac , & pour le Tiers-
Etat de M. de Garcy , Capitoul de Toulouſe
, du Chevalier de Leſpinaſſe , Député
d'Uſez , & du Marquis de Montferrier ,
Syndic-Général de la Province ; elle cut
enfuite audience de la Fami le Royale.
Le Vicomte de Moy qui a eu l'honneur
d'être préſenté au Roi , a eu celui de monter
dans les carroſſes de S. M. &de chaſſer
avec elle.
La Comtefle de Marcicu a eu l'honneur
d'être préſentée , le 17 Août , à
b2
( 28 )
LL. MM. & à la Famille Royale par la
Marquiſe de Marcieu.
De PARIS , le 2 Septembre.
On a reçu des nouvelles de l'Inde par
M. Bouvet , fils du Capitaine de Vaiſſeau
decenom , arrivé de Trinquemale à l'Orient
fur la corvette la Fortune. En attendant la
publicité des lettres particulières que ce
bâtiment peut avoir apportées , voici ce que
l'on mande de l'Orient.
La Fortune qui vient d'arriver ici eſt partie de
Trinquemale le 13 Avril ; tout ce que nous ſavons
desdépêches qu'elle a apportées , c'eſt qu'à l'époque
de ſon départ , M. de Suffren qui étoit revenu à
Trinquemale , ſe préparoit à en ſortir , pour retourner
à la côte de Coromandel , où il ne craignoit pas
que les Anglois vinſſent le chercher , leur eſcadre
étant en très- mauvais état , & trop inférieure à la
nôre pour ſe préſenter devant elle. M. de Bufly
étoit arrivé à Trinquemale le 13 Mars ; il ſe portoit
bien & ſes troupes étoient en bon état lors du
départ de la Fortune. Les maladies avoient emporté
quelques hommes de la garniſon de la place depuis
le mois de Janvier , & le Baron d'Agoult qui y
commandoit avoit éré l'une de leurs premières victimes.
M. Bouvet a appris que la paix étoit faite
en touchant au cap de Bonne-Eſpérance où cependant
cette nouvelle intéreſſante n'étoit pas encore
parvenue officiellement. Cer Officier avoit ordre
d'aborder à Cadix ; mais un bâtiment qu'il a arraiſonné
ſur ſa route , lui ayant donné des aſſurances
poſitives de la ceſſation des hoftilités , il s'eſt déterminé
à venir mouiller à l'Orient . Nous aurons dans
quelques jours les lettres particulières qu'il a apporsées
de l'Inde , &avec elles de plus grands détails
,
( 29 )
for ce qui s'eſt paſſe dans ces contrées éloignées de
puis le mois de Décembre dernier juſqu'au 13
Avril «.
On a des copies de la lettre de Péking ,
adreffée à M. Bertin , & qui contient les
détails du déſaſtre de l'iſle Formoſe ; elle
eſt du 14 Juillet 1782 .
Les eaux de l'Océan ont failli d'enlever à la Chine
une des plus belles poſſeſſions qu'elle ait for la
mer. Peu s'en eſt fallu qu'elles n'ayen: englouti l'iſle
de Tay- ouan , connue en Europe ſous le nom de
l'iſle de Formole. On a débité ici qu'une partie de la
montagne qui partage cette iſle s'étoit enfoncée &
avoit difparu , que le refte avoit été comme bouleverfé
, & qu'une grande partie des habitans avoit
Féti . Tels ont été pendant quelques jours les bruits
populaires de certe Capitale. Le Gouvernementles
a fait ceffer en inſtruiſant le public de l'exacte vérité
te'le qu'elle avoit été annoncée à l'Empereur par
lesOfficiers qui ont dans leur ciſtrict cette petite portion
de des états. Je ne puis rien faire de mieux que
de tranſcrire ce qu'ils en difent.
Les dépêches des Officiers Chinois ,
adreſſées à l'Empereur , ſont conçues ainfi.
Bechen , Gouverneur - Général des Provinces du
Fou- Kien & di Tche Kyang ya , Vice Roi du
Fou-Kien , & les autres , font ſavoir à V. M. le
déſaſtre nouvellement arrivé à l'ifle de Tay- ouan .
Mon-ha-hon , & les autres principaux Officiers de
cette ifle nous ont écrit que le 21 de la 4me lune
( 22 Mai 1782 ) un vent des plus fusieux accompagné
d'une greffe pluie & d'une marée plus
haute qu'on ne l'avoit jamais vue , les avoit tenus
dans la crainte continnel'e d'être engloutis dans
la mer , ou abymés dans les entrailles de la terre ,
depuis l'heure yn ( les heures Chinoiſes ſont le doub3
( 30 )
ble des nôtres , l'heure yn commence à 3 heures du
matin & fiait à cinq heures ) , juſqu'à l'heure quei
( l'heure ouei commence à 3 heures après-midi
& finit à5. ); cet affreux orage s'an onça en même .
tems des quatre parties du monde , & continua avec
la même violence, pendant tout cet e'pace de tems ;
lesbâtimens où ſe tiennent les tribunaux , les gre .
niers publics , les caſernes , les greniers à ſel , aina
que les ſalines , tout a été renverſe , tout a été per .
du, les boutiques des marchands & des ouvriers ,
ainſi que les maiſonsdu peuple ne montrent plus pour
la plupart que des matériaux amoncelés ſans ordre.
De 17 vaiſſeaux de guerre qu'il y avoit dans le
port , 12 ont diſparu , 2 autres ont éé mis en
pieces , & to auties ont été fraciſſés de manière
à être enrièrement hors de ſervice ; les autres moindres
vaiſſeaux ou navires de différente grandear
qui étoient au nombre de plus de cent ont eu un
pareil fort. Il y en a eu environ 80 engloutis ; 5
qui étoient nouvellement chargés de riz pour le
Fou-Kien ont été ſubmergés , & la cargaiſon qui
ſe montoit à 100,000 beiffeaux entièrement perdue:
peer cequ des autres navires tant grands
que petits qui n'étoient point encore entrés dans ce
port , on en compte 10 ou 12 des plus gros qui
ont été engloutis ; les moindres ainſi qu'une quantité
prodigieuſe de barques , bateaux & autres de
route eſpèce , ont diſparu ſans même laiffer des débris.
- Comme toute l'iſle a été couverte d'eau ,
les denrées ont été ou emportées ou gâtées de façon
à devenir muiſibles à la ſanté de ceux qui les
conſomment dans l'état où elles ſont ; les récoltes
abſolument perdues. Ce n'eſt ici qu'un à-peuprès
écrit à la hate; quand nous ferons i ſtruits
plus en détail , nous ne manquerons pas de vous
en informer au plutôt; après avoir reçu come lettre
de Mon-ha-hon & des autres principaux Officiers
qui font de réſidence à Tay- ouan , j'ai fait toutes
( 31 )
mes diligences pour procurer à cette ifle infortunée
tous les ſecours qui dépendoiert de moi , &
j'ai donné mes ordres au Commiſſaire ambulant ,
&ad Trey-ouer général de la Province , pour qu'ils
ayent à s'inſtruire dans le plus grand détail du
nombre de ceux qui ont péri & des maiſons qui
ont été détruites , de la quantité de ſel & antres
denrées qui a été perdue. Je leur ai pareillement
enjoint de relever au plutôt les tribunaux , greniers
& autres bâtimens publics , d'envoyer à la
découverte des vaiſſeaux , navires &c. , qui avoient
diſparu , de radouber les vaiſſeaux qui n'étoient
pas hors de ſervice , d'envoyer promptement chercher
le ſel & autres provifions néceffaires ſur les
lieex les plus voiſios , mais fur-tout de s'informer
exactement des différentes pertes qu'a fait le peuple
, & du nombre précis des hommes qui ont péri
, afin que je puiſſe moi-même en informer V. M.
&c.
L'Empereur de la Chine a fait publier luimême
ces détails , & y a joint la lettre
ſuivante.
>>Tchang-Yu , &c. Tchem-hoci-Thon-Tiongten,
ou Fou-Kien & les autres , m'ont fait ſavoir le triſte
évènement qui a eu lieu dans l'ifle de Tay- ouan , qui
eſt un district de la Province de Fou-Kien. Ils m'ort
écrit que le 22 4º de la Lune. ( L'Empereur répète
ici ce qui eſt dit dans la lettre qu'on vient de lire ,
&continue ainfi. ) J'ordonre au Tſon-ton de s'informer
exactement de tous les dominages en différens
genres qu'auront ſoufferts à cette occafion les
habitans de l'ifle , & de m'en inſtruire , dans les plas
grands détails , afin que je puiſſe leur donner tous
les ſecours néceſſaires pour les réparer , mos intention
eſt qu'on relève à mes propres frais toutes les
maiſons abattues , qu'on répare celles qui n'auront
été qu'endommagées , & qu'on leur affigne les proviſions
de bouche & de toutes choses qui font du
b4
1321
premierbeſoin. J'entends que cela s'exécute en toute
rigueur , à l'égard de tous ceux , fans exception ,
qui font dans ce cas ; je ſerois faché qu'un ſeul
d'entr'eux fût oublié. C'eſt pourquoi je recommande
Fa plus grande diligence & la plus exacte recherche ;
je veux que mes Sujets ne doutent en aucune manière
de la tendre affection que j'ai pour eux , & qu'ils
ſachent que tous ſont ſous mes yeux , & que je veux
pourvoir moi-même à leurs beſoins . Pour ce qui
eſt de mes vaiſſeaux de guerre , des Tribunaux , des
greniers & autres édifices publics, qu'on les rétabliſſe
dans leur premier état , en prenant dans le tréfor de
l'Etat tout l'argent qui ſera néceſſaire pour cette
dépenſe , & qu'on m'en préſente le réſultat , &c .
Tout le reſte eſt de ſtyle ".
LeMiffionnaire qui envoie ces nouvelles ,
ajoute que dans ces lettres il n'eſt pas queftion
du tremblement de terre auquel on
doit attribuer ce déſaſtre ; mais il dit que
le volcan qui l'a occaſionné doit être à une
très-grande profondeur ſous la mer. Il ne
prétend pas en donner l'explication ; il ſe
contente d'obſerver que tout paroît s'être
paffé à l'ifle Formoſe comme à Lima & à
Lisbonne.
L'expérience ingénieuſe que MM. de
Montgolfier avoient faite à Annonay , a été
répétée à Paris par les ſoins de pluſieurs
Phyſiciens qui avoient ouvert une ſoufcription
qui n'a pas tardé à être remplie.
On ne ſera pas fâché d'en trouver ici les
détails.
M. Faujas de Saint-Fond fat chargé , par l'affemblée
des premiers Souſcripteurs , de diriger l'opération.
On doit rendre justice à l'activité , à l'intelligence
, à la chaleur qu'il mit à répondre à leur con
( 33 )
fiance. Il imagina d'employer le taffetas enduit de
gomme élastique & l'air it flammable. Le gaz &
l'enveloppe dont s'étoient ſervi MM. 1- Mongifier,
n'étant pas connus , M. Faujas , inftruit que MM.
Robert , jeunes Mécaniciens du premier mérite , of
fédoient le ſecret de diffoudre la gemme é aftique ,
eut recours à leur talent , à leurs lumières . M. Charles
vo lut bien ſe prêter & contribuer aux diverſes ex.
périences qu'on fit chez lui. Jufy'a'ors on n'avoit
obſervé l'air inflammable que dans les piſtoleas de
Volta, dans des bouteilles de gomme laſtique , dans
desbuiles de ſavon ; il étoit à cai de qu'un grand
volume de matière auſſi ſubtile te don ât des réſultats
dangereux. Il parut pru'ent de n'aflembler
le Public qu'après quelques eſſais : i's forent faits ,
&tranqui ifèrent. Le vingturois , la machine s'éleva
juſqu'au deſſus des toits. L'affrence du peuple indiqua
quelle ſeroit ſa curiofité le jour de l'expérience.
On craignit que les bar ières du terrain de
MM. Perriere , où l'expérience devoit d'abord être
faite , ne fuflent trop foibles : cette ſage confidération
fit préférer le champ de Mars. La nuit du
25 au 26 MM. Robertde chargèrent de porter &
de veiller eux-mêmes la machine. El e avoit 12 pieds
de diamètre , & rempl.celle peſoit 25 livres. L'opération
indiquée eut lieu le 27 à cinq heures préciſes .
Une mèche allumée donna le fignal , & deux coups.
de canon annoncèrent au Public le moment de
l'expérience ; ils avoient auſſi pour objet d'avertir
des Obſervateurs placés à différentes ſtations. Auffitôt
après le fignal le Globe s'éleva , & au bout de
deuxminutes&demie il diſparut, Deux autres coups
decanon annoncèrent ce dernier moment. Le nuage
qui éclipſoit le Globe s'étant diſſipé , on le vit de
nouveau. Son petit volume apparent a fait juger
qu'il étoit à une hauteur conſidérable & la circonftancedu
mauvais tems en a rendu l'appréciation difficile.
Des applaudiſſemens réitérés ont prouvé l'inbs
:
( 34 )
térêt du Public. Toute la gloire de cette découverte
appartient à MM.de Montgolfier; & cette expérience
n'a été faite que pour la conftater. Les Soufcripteurs
ſe croiront trop heureux fi leur exemple
excite à ſervir les Sciences & les Arts en facilitant
des épreuves trop coûteuſes pour être faites par
de ſimples particuliers.
On a appris depuis que le Bal'on , après avoir
voyagé pendant trois quarts d'heure dans les régions
de l'air& hors de la vue , tomba à Goneffe ,
àquatre lieues de Paris. L'on y a reconnu une ouverture
produite par l'exploſion qui a dû ſe faire
lorſque leGlobe a atteint un air qui , lui oppoſant
moins de réſiſtance , a permis au gaz inflammable de -
réagir à ſon tour conrre l'air atmosphérique. Cet
accident ne ſeroit certainement pas arrivé , & l'on
auroit eu le plaihr de jouir plus longtems de cette
fuperbe expérience & d'y appliquer les calculs ,fi
l'on ne l'avoir pas rempli d'une trop grande quantité
de gaz. Pluſieurs ſavans Académiciens , & M.
Faujas de Saint- Fond lui - même, étoient d'avis , avant
l'opération de ne pas remplir le ballon en entier ;
maisune circonstance particulière n'ayant pas permis
àces Meſſieurs d'entrer dans l'enceinte, le ballon a été
rempli ſans combinaiſon & ſans méthode , & c'eſt
ce qui a occaſionné cet accident , qu'il ſeroit injufte
d'attribuer à M. Faujas de Saint Fond , ni même à
MM. Robert. L'on doit dire auſſi que le Public a
été très-étonné de ce qu'on n'a pas admis dans cette
même enceinte M. de Montgolfier , que le voeu général
y appelloit , & que tout ce qu'il y a de plus
illuſtredans la Nation defiroit de voir .
Le Gouvernement ayant jugé qu'il convenoit
de donner connoiſſance de cette découverte
curieuſe pour prévenir les terreurs
qu'elle pourroit cauſer parmi le peuple , a
fait publier l'avis ſuivant.
( 135 )
>>En calculant la différence de péſanteur, entre
l'air appellé inflammable & l'air de notre atmosphère,
on a trouvé qu'un ballon rempli de cet air inflammable
, devoit s'élever de lui-même vers le ciel .
pour ne s'arrêter qu'au moment où les deux airs
ſeroient en équilibre , ce qui ne peut être qu'à une
très-grande hauteur. La première expérience en a
été faite à Annonay , en Vivarais , par MM. Montgolfier
, Inventeurs ; un globe de toile & papier de
103 pieds de circonférence rempli d'airinflammable ,
s'eſt élevé de lui- même à une hauteur qu'on n'a pu
calculer. La même expérience vient d'être renouvelléc
à Paris , en préſence d'un nombre infini de perſonries.
Unglobe de taffetas , enduit de gomme élastique ,
de36 piedsde tour , s'eſt élevé du Champ de Mars
juſques dans les nues , où on l'a perdu de vue........
On fe propoſe de répéter cette expérience avec des
globes beaucoup plus gros. Chacun de ceux qui
découvriront dans le ciel de pareils globes qui préfentent
l'aſpect de la lane obſcurcie , doit donc être
prévenu que loin d'être un phénomène effrayant ,
ce n'est qu'une machine toujours compoſée de
taffetas ou de toile légère , revêtue de papier , qui ne
peut caufer aucun mal , &dont il eſt à préſumer
qu'on fera quelque jour des applications utiles
aux besoins de la ſociété «.
M. de Montgolfier a conſtruit une nouvelle
machine en toile & en papier collé
deſſus , qu'on dit être de 35 pieds de diamètre
&qui fera lancée inceſſamment du
haut de l'Obſervatoire.
Le 3 de ce mois , fur les 7 heures da foir ,
nous avons effuyé dans les environs de Filmes un
orage accompagné de grêle qui a cauſe le dommage
le plus grand.
1:
Refſon , Voigniſon , Party, Mont-fur-Courville,
S. Gilles , Mezières ,le petit bois Digny, les Zèles ,
b6
( 36 )
font les Villages & Fermes qui ont été les plus
maltraités . On venoit d'ouvrir les moiſſons , on
avoit encore rien refferre ; en moins d'un quart
d'heure toutes les espérances des Cultivateurs ont
été détruites , au point que , dans pluſieurs de ces
Villages , les moiffonneurs ont été renvoyés ; il n'y
aplus rien à couper , plus de moiſſon à faire; tous
les épis battus abſolument , la paille hachée , fans
pouvoir eſpérer d'en tirer le moindre avantage;
les vignes qui donnoient les plus belles eſpérances ,
ravagées en un moment; les ceps ſans feuilles , les
raiſins à bas , le bois ciblé & coupé par le milieu ;
les pauvres malheureux qui ſe lamentoient autour
de leurs héritages : tout cela offroit un ſpectacle
déchirant. Les grêlons étoient plus gros que des
oeufs de pigeon & à trois angles : on a trouvé
dans les champs beaucoup de gibier de tué &
pluſieurs perſonnes ont été grèvement bleſſées.
M. l'Abbé de Coucy , Aumônier de la Reine , qui
ſe trouvoit alors dans ſon abbaye d'Igny , qu'avoifinent
tous ces malheureux Villages , touché de cer
affreux déſaſtre , a, deux jours après, fait venir
vous ſes Fermiers ; ils étoient dix , tant de ſa dépendance
que de celle des Religieux , qui avoient
pour ainſi dire tout perdu; & après la cérémonie
de la poſe d'une première pierre à l'égliſe de ſon
abbaye , qu'on reconftruit à neuf, M. l'Abbé &
les Religieux , ont cru ne pouvoir mieux célébrer
ce jour , qu'en remettant à ces bons pères de
famille quittance totale de'eur redevance , en leur
promettant des ſecours pour renſemencer, & des
nourritures pour eux & leurs beftiaux. Qu'il eſt
doux de pouvoir ainfi confolert'humanité fouffrante.
Cet acte de bienfaiſance
quarante perfonnes dans la douleur la plus défefpérante.
a rendu la vie à au moins
On mande d'Arras que le 18 du mois
dernier , vers les neuf heures & demie du
( 37 )
foir, ony vit une étoile filante qui produifit
entombant une clarté plus vive que celle
de la pleine lune : le même phénomène y
avoit été remarqué à peu près à la même
heure quelques ſemaines auparavant. L'étoile
filante du 18 laiſſa ſur ſon paffage qui
étoit du nord au midi , une traînée de feu
conſidérable ; elle diſparut après s'être diviſée
en pluſieurs globes par une explofion
qui fit entendre un bruit ſemblable à celui
d'une fuſée volante qui éclate en l'air. On
a vu un phénomène à peu près pareil à Lille
le même jour.
,
>>>La Société Royale de Médecine, dans ſa Séance
publique tenue le 26 du mois dernier a partagé
entre deux Mémoires le Prix de 2 o liv. dont le
fonds a été fait par un de ſes Membres ſur le ſujer
ſuivant , déterminer par des obfervations exactes fi
leScorbut eft contagieux ; l'un a pour Auteur M.
Goguelin , Docteur en Médecine , Correſpondant à
Moncontour en Bretagne , & l'autre M. Bougourd ,
Doctear en Médecine & en Chirurgie , Correfpondant
à St Malo. Elle a diſtribué dans la même Séance
6jetons d'or aux Auteurs des meilleurs M'moires
fur le traitement des Epidemies , MM. Barrère ,
Correſpondant de la Société à Mont Louis en Rouffillon,
Baumes à Lunel en Languedoc, Gired Affocié
régnicole à Besançon , Bouffey Correſpondant à
Argentan , Companyo , neveu , à Cereten Routfil
lon , & Le Jana Phalezbourg en Alface . Les 3 Prix
qu'elle avoit à diftribuer pour la Topographie Médicale
ont été donnés à MM. Caſtara , Chirurgien
du Roi à Luneville , & Perly , Docter en Médecine,
Chirurgien-Major du régiment de Berry Cavalerie ,
à M. Didelot , Docteur en Médecine à Remiremont ,
&àM. Darlac:-La Société n'ayant point été arisfairedes
Mémoires qu'elle a reçus ſur cettequeſtion,
( 38 )
)
-
déterminerpar l'analyse chymique quelle est la nature
des Remèdes antiſcorbutiques tirés de lafamille
des cruciferes , propoſe de nouveau ce ſujet avec les
modifications ſuivantes : quelle est la nature des
Plantes antifcorbutiques priſes dans la claſſe des
crucifères ; mais elle n'exige point un travail chymique
completſur toutes les plantes de cette famille;
ilsuffira que les Auteursfaſſent l'analyse exacte
de2 ou 3 de ces plantes , telles que le cochlearia ,
lecreſſon , le raisin . - Ellepropoſe pour le ſujet
du Prix de 600 liv. fondé par le Roi , de déterminer
quelsfont les avantages & les dangers du Quinquina
, adminiſtré dans le traitement des différentes
espèces defièvres remittentes . Le Prix ſera denné
en 1785 , & les Mémoires doivent être envoyés
avant le premier Mai de la même année. La
Société donnera auſſi des Prix d'encouragement à
l'ordinaire aux meilleurs Mémoires & Obſervations
fur la conſtitution médicale des ſaiſons & fur les
maladies épidémiques du Royaume. - Après la
lecture des Programmes , M. Mauduit a lu un Mémoire
fur quelques nouveaux moyens d'adminiftier
l'Electricité médicale ; le Secrétaire une notice ſur la
vie & les écrits de MM. Harmant , Préſident du
Collége Royal de Nancy , Buttet , Chirurgien à
Etampes , & Vetillart du Ribert , Médecin au Mans .
On a lu enſuire un Mémoire de MM. de Laffone
père & Cornette , ſur une nouvelle manière de préparer
à peu de frais & en très-pen de tems l'extrait
d'opium par digeftion , & ſur ſes effets comparés
avec l'extrait d'opium préparé par une digeftion de 6
mois. Le Secrétaire perpétuel a terminé la Séance
par l'Eloge du Docteur Pringle , célèbre Médecin
Anglois , Affocié étranger de la Société.
Nous avons rendu compte , il y a quelque
tems , du procès & du fupplice de
l'antropophage Blaiſe Ferrage , ſurnommé
Seyé , du Comté de Cominge , & qui ,
( 39 )
retiré dans un antre plus propre à ſervir
de retraite à un ours qu'à un homme ,
attaquoit les paſſans & répandoit la terreur
dans les environs. On fait qu'il en
vouloit fur-tout aux femmes auxquelles il
faiſoit violence , & dont il dévoroit les
ſeins & le foie. Un Artiſte qui a beaucoup
de talens vient de graver ce monftre
, & le préſente dans une de ſes expéditions
, arrêtant une femme au milieu des
bois. Rien de plus intéreſſant que la figure
de celle- ci , l'effroi ne lui fait rien perdre
de fes graces; Ferrage avec une ceinture
de piſtolets , un fuſil en bandoulière , une
dague au côté , & un autre piſtolet à la
main , offre , dans toute leur énergie , la
férocité & la brutalité qui le caractériſent.
Ce Tableau eſt d'un effet très- pittoreſque ;
le deſſein eſt de M. J. B. Hilais , & la
gravure de M. J. Mathieu . ( 1 )
Le 19 du mois d'Août , M. l'Abbé Margaron , de
Lyon , a eu l'honneur de préſenter à LL. AA. RR.
l'Archiduc Ferdinand & l'Archiducheſſe Béa rix , un
jeune homme ſourd & muet de naiſſance qu'il inf
truit depuis is mois. Cet Elève a fait un compli
ment au Prince en ces termes :
Mon Prince ,
Que je ſuis heureux de paroître aujourd'hui devant
Votre Alteſſe Royale ! La nature m'avoit refuſé
le don de m'exprimer ; mais , par le ſecours de
(1) Le prix en eſt de 3 liv. , elle ſe trouve chez M. Mathieu
, rue de la Harpe , près la rue Serpente , maiſon de
M. Seguin , Avocat , vis-à-vis le Notaire.
140 )
l'art, je pourrois vous dire tout ce que la renommée
publie de vos qualités éminentes.
Le Prince& la Princeſſe ont été très - fatisfaits des
réponſes de cet Elève aux différentes queſtions que
LL. AA. RR. ont permis à M. l'Abbé Margaron de
Jui faire. Le Prince Albani , la Marquise Luzani , &
M. le Comte de Bauce étoient préſens.
M. Didot l'aîné , vient de terminer ſa
Collection choiſie des OEuvres de Corneille.
Elle contient la Vie de ce Père du Théâtre
François , par Fontenelle ,& de ſesPièces ,
dont le Public a lui même fait le choix. On
peut regarder cette Edition comme le plus
beau monument élevé à la gloire de ce grand
homme ; & M. Didot étoit digne de le lui
conſacrer. Nousn'ajouterons rienisià ce que
nous avons dit , en parlant du premier volu
me , de la beauté de ſes caractères & de
celle du papier grand raiſin de France , de
la fabrique de M. Mathieu Johannot d'Annonay
, que M. Didot a employés. Tout ce
qui fort de ſes preſſes eſt fait pour fatisfaire
le Public , juſte & échiré , & pour faire
le déſeſpoir de ſes détracteurs ( 1 ) .
Parmi les productions intéreſſantes des
Arts , nos Lecteurs feront bien aiſes que
nous leur faffions connoître la nouvelle
Eſtampe allégorique à la Paix , dédiée au
Roi , d'après le deſſin de M. le Chevalier
(1) Les 2 vol. tités à 200 Exemplaires coûtent 72 liv. , &
ſe trouvent chez M. Didot l'aîné, rue Pavée Saint-Andrédes-
Arts,
( 41 )
d'Agoty , Peintre de la Reine & de Madame
, & gravée par lui- même. Elle a pour
titre les Travaux de Minerve.
Minerve deſcend ſur ſon Autel couvert de bran-)
ches d'olivier , autour duquel font attachés les écuffons
des Paiſſances belligérantes qu'elle a invitées.
La Déeſſe , ſuivie du Commerce & des Beaux Arts ,
caractériſés par leurs Génies , montre d'une main aux
Nations l'Angleterre qu'elle a déterminée à la paix ,
&de l'autre elle tient une couronne qu'elle deſtine
à l'Amérique. L'Angleterre ſeule & proche de l'Autel
, ſaifit d'une main une branche d'olivier , & tend
l'autre aux Nations en figne de réconciliation. Le
Léopard eſt couché à ſes pieds , avec les griffes rentrées
; de l'autre côté de l'Artel , la France , accompagnée
de l'Eſpagne & de la Hollande , conduir
l'Amérique & lui montre la couronne qu'elle lui a
obtenue; le joug brisé auprès de cette derrière , &
le Lézard qui s'en échappe , indiquent fon indépendance.
Sur le devant dela ſcène le tems terraffela
Diſcorde, dont il a coupé les aîles d'en coup de
faulx; cette furie rente en vain de rallumer fon
flambeau éteint. L'Hiſtoire la Peinture & la
Muſique , s'empreſſent de célébrer cet évènement ;
les génies des Nations réunies danſent autour d'un
amas d'armes qu'ils viennent d'embra er.-Rien de
plus ingénieux & de plus majestueux que ce ſujer.
L'invention & l'exécution font au-deſſus de tour
loge ( 1 ).
M. Danzel , Graveur de S. M. I. & R. dont nous
avons annoncé l'année dern è quelques produ& ons
très intéreſſantes , vient d'en publier une nouvelle ,
que nous nous empreſſons de faire connoître; c'eft
une Eſtampe d'après un Tableau de Fr. de Troy ,
(1) Cette Eftampe , dont la ſouſcription eſt actuellement
fermée, ſe vend à Paris chez Demonville , Imprimeur-
Libraire de l'Académie Françoife , rue Chriftine , & à Verfailles
chez Blaizot , & le ſieur Lamel , Boulevard du Roi.
( 42 )
Peintre du Roi ; elle repréſente Créuse brûlée par
la robe de Médée. Elle vient de mettre ce prétent
funeſte , dont elle éprouve les effets avant de quitter
la toilette , qui est encore dreſſée ; la douleur
de ſes femmes ,le déſeſpoir de ſon père qui eſt préſent,
celui de Jaſon , le trouble de toutes les perſonnes
préſentes , font rendus avec autant de vérité
quede variété; peu d'Estampes offrent plus de force
& d'effet. C'est un Tableau dans le grand genre ,
ſupérieur même à l'original (2).
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 58 , 5,37,17
& 36.
De BRUXELLES , le 2 Septembre.
La réſolution ſuivante de l'Empereur ,
en date du 9 Juillet dernier , vient d'être
publiée à Bruxelles & dans les autres villes
des Pays-Bas Autrichiens.
>> S. M. I. voulant encourager & favoriſer la pêche
nationale de ſes Sujets dans ces Provinces , a
ordonné , 1 °. que les poiſſons ſalés de la péche nationale
ſeront exempts de tout droit quelconque. 2°.
Que ceux qui mettront quelque obſtacle à la pêche
nationale ou qui ferent quelque chose de contraire
à la teneur de cette réſolution , ferent reſponſables
des dommages qu'i's pourront occafionner pour les
Pêcheurs. 3 °. Que les poiſſons ſalés pourront être
vendus par-tout dans les Pays-Bas Autrichiens , &
qu'il ſera permis aux Patrons des bâtimens pêcheurs
de les faire vendre par-tout , même par leursgens ,
ſans être obligés de ſe faire recevoir dans la corporation
des Pêcheurs «.
(2) On trouve cette Eſtampe chez l'Auteur , rue du Puits-
Certain , maiſon de l'Epicier au coin de la rue Saint-JeandeBauvais
.
( 43 )
Les Etats de Hollande & de Weſtfriſe
qui devoient s'aſſembler le 27 du mois dernier,
ont été convoqués extraordinairement
pour le 22 , en vertu de lettres circulaires
adreſſées à tous les Membres ; on eft perſuadé
qu'il y a été queſtion du traité de
paix , parce que cette convocation a ſuivi
de près l'arrivée d'un courier de Verfailles.
On dit que l'Angleterre preſſe la concluſion
du traité qui n'a été que trop retardée
par les difficultés qui ſont peut-être
venues pour la plupart de la part de la
République. S'il faut en croire quelques
avis , la ſignature aura lien inceſſamment ,
& le jour en paroît fixé au commencement
de ce mois.
>> Les Etats de Hollande & de Weſtfriſe , écrit-on
de laHaye , s'occupent du grand ouvrage de la paix ;
mais ils n'ont encore rien terminé; cependant une
décifion parut pafer. On prétend que nous ferons
obligésddeefacrifier Négapatnam ; une de nos Villes
s'eſt exprimée à cette occaſion dans l'Aſſemblée de
la manière la plus vive & la plus vigoureuſe contre
ceux qui ont traverſé les mesures pour augmenter
ou faire agir les forces de mer de la République ;
mesures qui , ſenles , dans la circonstance embarraſſante
où elle s'eſt trouvée , auroient pu la ſaaver.
Il y a quelques perſonnes qui croient que l'Angleterre
ne demande Négaparnam que pour s'en faire
un titre , en le rendant aux Etats-Généraux , pour
les engager à renouveller les anciens Traités «.
Il y a toujours de la fermentation à
Arnhem; on y attendoit un nouveau Commandant
pour remplacer M. Quadt ; & ce
Commandant n'y eſt envoyé , dit - on , que
( 44 )
pour maintenir le parti du Magiſtrat. La
Bourgeoisie infiſte toujours ſur ſes premières
demandes. Le pont de bateaux qui étoit
fur le Rhin avoit été enlevé à la nouvelle
de l'approche d'un détachement militaire ,
& la milice bourgeoiſe étoit toujours poftée
hors de la porte de Velpe .
>> On apprend dans le moment , écrit on de Naples
, en date du 9 Août , que les ſcènes fatales de
tremblement de terre ſe renouvellent en calabre ;
que dans la nuit du 28 au 29 , on éprouva à une
heure après-minuit une ſecouffe violente qui mit
tout le monde en alarmes. A fix heures du
matin , il y en eut une deuxième fi terrible & ff
longue , qu'on la croit plus forte encore que toute
celles que l'on a éprouvées. Les baraques n'ont pas
paru affez füres , & tout le monde a fui dans la
campagne. Quare villages de ceux qui avoient été
épargnés , ont été renversés. Cotrone a confilerablement
fouffert ; & tout ce que l'on avoit recommencé
à rebâtir à Coſenza , eſt dans un état à obliger
de le démolir de nouveau. On ne dit pas s'il a
péri du monde; mais comme c'eſt la ſecorde ſecouffe
qui a été la plus forte , la première a dû en prévenir
le danger. La commotion de ce dernier tremblement
de terre s'eſt fait reſſentir à Meſſine d'une
manière affez forte pour qu'elle ait pu encore y cauſer
du dommage ".
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 27 Août.
Une lettre de New-Yorck rapporte un fait particulier
; c'est qu'un vaiſſeau Anglo's arrivé dans la
Delaware n'avoit pu obtenir la permiffion d'y dé
ployer ſon pavillon , tandis qu'on y avoit laiſſs entrer
un bâtiment Irlandois déployant la harpe & la
croix de St- Patrice.
Undenos papiers raconte ainſi l'origine des diffi .
cultés élevées au ſujet du pavillon. Un navire Amé
( 45 )
ricain étant arrivé à New- Yorck , le Capitaine fe
condusfit d'une manière peu décente , ce qui déserminates
vaiſſeaux de guerre à l'obliger de te reti er ;
il retourna dans la Chesapeak , & la manière dont il
raconta le fait aigrit les Américains qui ſe promirent
d'ufer de repréfailles ; l'occaſion s'en préſenta bien .
tôt ; un bâtiment Anglois arriva ; il avoit été d'abord
un bâtiment corſaire qui avoit fait quelques
priſes , &dont les priſonniers avoient eu à le plaindre,
& on lui refuſa la permiffion d'arborer fon
pavillon.
Les papiers étrangers ne ceſſent de faire l'éloge
des Etats-Unis d'Amérique. Ils affurent que le foule.
vement des foldats aété appaiſéà la fatisfaction de
toutes les Parties; que , pour 5 , 6 & 7 années de
ſervice , le Congrès leur accorde une certaine érenduede
terrein ; qu'il a été fait un fonds pour la liquidationdes
dettes de l'Amérique qui ſe montent à 9
millions ſterling ; qu'il y a une banque publique établie
àPhiladelphie , & que les effets Américains vort
ceffer d'être un objet de mépris dans le monde. C'eſt
àla ſageſſedu Congrès à prévenir dès-a-préſent les
abus qui peuvent naître d'une pareille inſtitution ,
car il viendra probablement un tems où le crédit
public de l'Amérique la jettera dans les plus grands
embarras. C'eſt le crédit public de l'Angleterre qui
lui a occaſionné une dette fi énorme , des taxes i
lourdes , & une révolte de la part de ſes enfans .
Cela peut ſervir d'exemple aux Etats- Unis d'Amérique.
Le traité de commerce avec la France eſt , dit-on ,
très-avancé; mais parmi tous les articles qu'il contient
il n'y en a aucun auſſi utile & même auſſi nécefſaire
que le ſeroit l'échange des vins de France contre
notre quincaillerie.
Au lieudenous abandonner à de vaines lamentations
ſur les territoires que nous avons perdus ea
Amérique , ne vaudroit- il pas mieux s'occuper des
moyens de tirer le meilleur parti poſſible de celui qui
( 46 )
nous refte en Europe. Il eft certain qu'il y a dan la
Grande-Bretagnedes friches immenfes dont la culthre
mettroit ce Royaume en état de recouvrer fon
ancienne ſplendeur , pourvu qu'on dont at en mêmetems
les encouragemens convenables au commerce ,
&à celles de nos manufactures qui employent les
matériaux de leur crû.
Il ſe fait tous les ans une importation conſidérable
degrains en Angleterie & fur tout d'avoine. D'après
les calculs qui ont été fans cette année les François
ont rempli fur cette denrée un déficit que l'on évalue
au produit de 60 mille arpens d'avoire. Il est vrai
que leurs grands Seigneurs ont l'honnêteté de nous
faire trouver une balance avantageuſe dans l'expor
tation denos chevaux .
Les querelles politiques en Irlande ſont portées
au point d'occaſionner ſans cefle des duels . Cette
rage a déjà coûté la vie à un grand nombre de ferſonnes
tuées ſur le champ de bataille ou qui ſont
mortes des bleſſures qu'elles y avoient reçues. Les
Membres du Parlement nouvellement élus ne l'ont
été qu'à la condition de voter pour la réforme du
Parlement.
On parle beaucoup du projet du Duc de Bedford
de ſe rendre à la Chine par terre en traverſant la
Turquie Européenne , la Perſe , les Indes , &c. &
d'en revenir par la Tartarie & la Ruſſie ; on dit qu'il
areçu quantitéde lettres de Savans detous les pays
qui lui demandent de l'accompagner ; en dit que
leDuc de Chaulnes auſſi zélé que lui pour les Sciences
lui a écrit qu'il avoit une envie démesurée de
ſe promener aveclui autour du monde , & fur- tout
de parcourir à pied l'Empire Chinois.
Le peuple eft encore dans l'effroi de l'apparition
d'un météore fingulier qui a traverſé le 18 une partie
del'Angleterre; on le vit ſur Londres à 9 heures &
demiedu ſoir , ſous la forme d'un globe de feu venant
du N. O. & allant au S. E. Les lettres de Portfmouth
apprennent qu'il arriva fur cette ville à 10
( 47 )
heures &quelques minutes , venant duN. O. portant
pareillement au S. E. où il a été perdu de vue en trèspeu
detems. Lorſqu'il pafla for Londres l'horifon
fut éclairé pendant 20 fecondes. Un Phyficien qui ſe
trouvoit dans les environs de cette ville vers le tems
de fon apparition aſſure l'avoir vu ſortir d'un nuage
qui paroiffoit être au N. O. Quelques inſtans avantil
entendit un roulement ſourd; bientôt tout le nuage
parut en feu& lança le météore dont on vient de
parler. De tous les endroits où il a été obſervé il n'a
pas paru décliner vers la terre. -Preſque toutes les
gazettes font remplies de prédictions bizarres ſur ce
phénomène. Lesunes annoncent la paix& les antres
la guerre ; quoi qu'il en ſoit le peuple eſt véritablement
frappé ; & la contagion qui ravage les villes c
les campagnes ajoute encore à ſa terreur.
Ondonne l'anecdote ſuivante comme un fait. Un
homme riche acheta ily a 3 mois de belles boucles
d'oreillesqui lui coûtèrent soo guinées, chez un célèbrejouaillier;
il n'eut rien de plus preſſé que de les
porter à une maitreſſe à laquelle il les deſtinoit. Ce
bijou depuis ce tems a été mistrois fois en gage chez
un honnêteufurier pour 7 guinées chaque fois. On
demande ſi l'acheteur n'est pas un fou , ſi le jouaillier
eſt honnête ou le prêteur un connoiffeur.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE (1 ) .
PARLEMENT DE PARIS ,GRAND CHAMBRE.
Condamné à mort par contumace , n'ayant purgé
Sa contumace , est censé mort civilement , & par
conféquent incapable de tester.
C'eſtuneconféquence de l'article 29 du titre 17
de 1670, qui répute le contumace , qui ne s'eſt pas
repréſenté dans les cinq ans , mort civilement du jour
de l'exécution de la Sentence de contumace; le droit
de teſter étant un droit appartenant au Citoyen , il
(1) On ſoufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſt de 15 liv. par an , chez M. Mais , Avocat , fue
&Hôtel Serpente.
( 48 )
2
s'enfuit néceſſairement qu'il en eſt privé par la mort
civile , & que ſon teſtament eſt nul. - En 1766 ,
J. M. P. a été condamné à mort par Jugement des
Traites foraines de . qui a été exécuté par
effigie. Le condamné , pallé en Amérique , ne s'eſt
pas repréſen.é pour purger ſa contumace. Après y
avoir acquis une fortune conſidérable , il eſt revenu
en France , s'eſt fixé à la Rochelle , y a fait différentes
acquiſitions , & y eſt mort en 1781. Après
avoir fait ſon teftament en 1780 , par lequel il a
fait le ſieur B. fon légataire univerſel. Les héritiers
du ſieur J. M. P. aina fruſtrés de ſa ſucceſſion , ont
en première Inſtance , au Préſidial de la Rochelle ,
eſſayé de conteſter le teſtament de leur oncle ſous
divers prétextes , ſans néanmoins révéler ſon déshonneur
, qui , ſelon le préjugé national , eſt ſolidaire
, & ſe répand ſur la famille da condamné. Les
Juges de la Rochelle ont cependant ordonné l'exécutiondu
teftament , fait délivrance du legs & condamné
les héritiers aux dépens. Arrêt du 12 Juillet
1783 , qui a mis l'appellation & ce, au néant , émendant,
déchargé les héritiers des condamnations contre
eux prononcées. Ce faiſant , a ordonné au ſieur
B. de remettre aux héritiers l'inventaire & tous les
titres & papiers de la ſucceſſion , enſemble de leur
tenir compte des revenus des biens de ladite ſucceffion,
& de toutes ſommes qu'il a pu recevoir des
créanciers & débiteurs du ſieur J. M. P. avec intérêts
, à compter ſeulement du jour que les héritiers
ont articulé la nullité du teſtament , réſultante du
Jugement rendu contre ledit J. M. P. , en retenant
néanmoins les frais & avances que B. juſtifieroit
avoir faites pour le recouvrement de cette ſucceffion,
dépens compensés.
Le reste de cette feuille eſt conſacré à la Cauſe
de MM. de Monteſquiou , dont nous avons déja
rendu compte.
ERRATA. Au Nº. 35 , p. 227 , lig. 6 , M. Chevalier
d'Aunay , ajoutez , Procureur à la Chambre des Comptes.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13 SEPTEMBRE 1783
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
LE PUBLIC ET LE GLOBE TERRESTRE ,
Dialoguefur le Tremblement d. Terre qui
'estfaitfentir en Bourgogne,
GLOBE
LE PUBLIC.
LOBE jadis obſcur que Buffon fit connoître ,
Aqui Buffon ſembla donner un nouvel être ,
Tandis que de ſon mal vainement tourmenté ,
Paiſible en ſon fauteuil que la gloire environne,
Au flambeau du génie & de la vérité ,
Ce ſecond créateur t'achève & te façonne ,
Tu manques ſous ſes pas , & ta témérité
Ébranle ſans égards ſon fauteuil reſpecté.
LE GLOBE.
Oui, fans doute , à l'aſpect de ce Sage vanté,
Le fluide électrique en mes veines bouillonne ,
N°. 37 , 13 Septembre 1783. C
50
MERCURE
Juſqu'à mon point central je me ſens agité :
Tel un courfier fougueux frémit , tremble , friſſonne
J
Sous l'écuyer qui l'a dompté.
L'ABSENCE.
EUNE époux de la terre , aimable & doux printems ,
On dit votre ſaiſon chérie
Des Poëtes & des Amans ;
Cependant, enivré d'amour , de poéfie ,
Votre retour m'annonce des tourmens.
Vous ranimez les coeurs , mais mon âme eſt flétrie ,
Puiſque vous rappelez Glycère dans les champs.
Elle fuit , tout me quitte; inquier , folitaire ,
Sur ſes traces ma voix en gémiſſant ſe perd....
J'abandonne ces lieux où la foule légère
Du plaifir inconſtant carefſe la chimère ,
Et pour moi ſon abſence en a fait un déſert.
Ces jardins odorans , ces brillantes allées ,
Où des airs rafraîchis cent beautés raſſemblées
Viennent goûter le calme & la ſérénité ,
Ne ſont pour moi qu'une bruyante ſcène ,
Où pour rêver en liberté
- J'attends que la nuit ramène
Le filence & l'obscurité.
O maGlycère ! ô toi dont le ſourire
Verſoit plus qu'un beau jour le calme dans mon coeur !
Etre divin , pour qui ſeul je reſpire , :
DE FRANCE.
SI
Et néceſſaire à mon bonheur :
Nulle Belle aujourd'hui ne peut plus me ſéduire ;
J'abjure pour jamais ces paſſions d'un jour ,
Et ces voeux arrachés par la coquetterie ,
Et ces hommages vains que la galanterie
Uſurpe ſouvent ſur l'amour :
Qui n'aime pas a le temps d'être aimable;
Pour moi , que la langueur accable ,
La centrainte me ſuit, le filence me plaît ,
Et pour moi dans tous lieux le rire eſt indiſcret.
J'ai viſité , Glycère , ces demeures
Où près de toi j'ai vu ſouvent les heures
Paffer comme un inſtant ;
Tu manquois à ces jeux où ſe plaît l'innocence ;
Et je n'ai vû dans un cercle charmant
Que l'objet adoré dont je pleure l'abſence.
Je veux quitter ces murs privés de tes appas,
Pour viſiter ta retraite chérie ;
Oui , je ſuis étranger où Glycère n'eſt pas ,
Et ſademeure eſt ma patrie.
Mais ſi j'étois trompé par des ſonges fi doux,
S'il étoit vrai que Glycère m'oublie ,
J'aime encor mieux mourir à ſes genoux
Que paffer loin d'elle ma vie.
(Par M. Martin de Choify.)
:
Cij
52
MERCURE
LE BON CONSEIL , Conte.
L'AUTRE jour je diſois au cauftique Damon :
Je ſuis bien las d'être célibataire ;
J'aime à cauſer , ſur-tost dans la froide ſaiſon ,
Et le ſoir très - ſouvent je languis ſolitaire.
Senſible , & dans l'âge de plaire ,
Je ne me plains pas fans raiſon .
DAMON me répondit : je vais à votre guiſe
En bon ani vous inſtaller ;
Dès demain épouſez la coquette Florife ,
Vous trouverez à qui parler.
( Par M.le Comte de Rofières , Officieros
Régiment d'Aunis. )
A UN NOVICE AU COUVENT DE ***.
0
τοι, dont l'eſprit & le coeur
Firent le charme de ma vie !
Toi qui m'appris l'art ſéducteur
Que t'avoit inſpiré Sylvie ,
Artdont le preſtige flatteur
Joint la peinture à l'harmonie ;
Jeune Linus , Sylphe enchanteur,
Sur lesbords fleuris du Permeſſe ,
Quand tu fais te déſaltérer ,
DE 53
FRANCE.
7
Du froid poiſon de la triſteſſe
Pourquoi fans ceſſe t'enivrer ?
Pareil à la naiſſante aurore ,
Qui , perçant le voile des airs ,
De ſes rais embellit & dore
La terre , les cieux & les mers;
Ton génie empreint dans tes vers
A chaque inſtant peut faire éclore
Des fleurs & des parfums divers ;
Au feu brillant de ſes éclairs
Tout s'anime , tout ſe colore ;
Les dons de Zéphyre & de Flore
Émaillent les gazons plus verds ;
Ton pinceau magique décore
Juſqu'au front glacé des hivers ;
Et le plus féduiſant phoſphore
Entoure ce triſte Univers.
Du ſombre ennui qui te dévore ,
Si tu veux chaſſer les horreurs ,
Retourne au Pinde , & monte encore
Sur le char des douces erreurs .
Vole aux bocages de Cithère ;
Et là, couronne tes cheveux
D'une guirlande imaginaire.
Malgré le cilice & la haire ,
Va , tu ſeras encore heureux.
Sur l'aîle agile des menſonges ,
Fuis l'impreſſion du malheur ;
Ciij
$4 MERCURE
Il eſt réel , & le bonheur
N'exiſte, hélas ! que dans nos ſonges.
( Par M. Sylva. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Palais ; celui du
Logogryphe eſt Grimace , où l'on trouve
Égra, Riga , Caire , ami , cri , garce, aimer ,
Icare , S. Remi , merci , ire , geai , ré , mi ,
ager; magie , Maire , raie , cage , air , ma
craie , maigre.
CHARADE.
AIR : O ma tendre Musette.
DÉBUT ÉBUTER par un crime ,
N'eſt pas avantageux ;
Pour gagner votre eſtime ,
Le trait n'eſt pas heureux ;
Sidu libertinage
Mon premier eft le fruit ;
Mon ſecond eſt du ſage
Le véritable eſprit.
Mon tout eſt d'un grand Homme
Le nom cher & fameux ;
DE FRANCE. 55
Des Pontifes de Rome ,
Cenſeur trop rigoureux ,
Il écrivit l'hiſtoire ,
Il chanta les Héros ,
Et jouit de ſa gloire
En dépit des Cagots.
(Par M. Pinault , Subdélégué à Roſay en Brie ,
Juge du Comté d'Armainvilliers. )
LE
ÉNIGME.
E décès de mon père a produit ma naiſſance ;
Ilm'engendre; en naiſſant je lui donne la mort ;
Mon apparition à peine à l'exiſtence ,
Et mon fils , qui me tue , éprouve même ſort.
J
( Par un Songeur.)
LOGOGRYPH Ε.
E fuis plus vite & plus légère
Que le vaiſſean voguant ſur l'onde amère.
Je vole au haut des cieux ; je deſcends aux enfers;
Je puis te tranſporter au bout de l'Univers.
Souvent auſſi quelle métamorphoſe !
Je rampe humble & timide à côté de la roſe.
De mes fix pieds , Lecteur , ſi tu prends la moitié,
Tatrouveras le nom du Sage
Qui fit régner la paix & l'amitié
Civ
56 MERCURE
Dans un hémisphère ſauvage;
En moi tu vois encore un Héros Phrygien ;
Puis une plante utile à l'art de Galien.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VIE de Michel-Ange Buonarroti , Peintre ,
Sculpteur & Architecte de Florence , par
M. l'Abbé Hauchecorne. Prix , 2 liv. 8 f.
A Paris , chez L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue des Grands Auguftins,
LE but & le réſultat de l'Hiſtoire ne font
que l'inſtruction des vivans ; ce n'eſt que
pour préſenter aux vivans de grands modèles
à ſuivre , qu'on loue les grands Hommes
après leur mort. En effet , ces morts
que nous célébrons , ne jouiffent point de
nos louanges ; la gloire qu'on leur décerne
n'existe pas pour eux , puiſqu'ils n'exiftent
plus eux- mêmes. Mais que cet acte de juſtice
eſt doux à exercer ! Qu'il eſt noble dans fon
principe , & utile dans ſes effets ! Combien
de belles actions , combien d'ouvrages , de
monumens immortels , ſont dûs à l'eſpoir
de cette gloire , toute chimérique qu'elle
eft! Cet eſpoir d'obtenir une célébrité dont
on ne jouira pas , eſt une jouiſſance réelle
pour l'homme qui y prétend ; c'eſt un ſalaire
qu'il recueille d'avance ; il jouit de l'eſtime
DE FRANCE.
57
de la poſtérité , comme on jouit du pallé
par le ſouvenir. Si l'eſpérance de vivre après
ſa mort eſt une illufion , une idée contradictoire
, c'eſt au moins une illufion au
douce que profitable ; c'eſt le foyer des vertus
&des talens. Cette douce chimère a tant de
charmes pour nous , que notre imagination ,
ſoigneuſe de nos plaiſirs , cherche quelquefois
à la réaliſer. Avec quelle fatisfaction
ne ſe figure t'on pas les morts célèbres , jouifſans
des tributs que l'on paye à leur mémoire
! Souvent l'envie a cherché de leur
vivant à obſcurcir leur gloire & a leur dérober
le prix de leurs travaux ; c'eſt une idée
confolante de les rendre témoins d'un triomphe
tardif , mais peu ſuſpect ; de croire que
le cri de notre admiration retentit encore à
leurs oreilles , & que leurs mânes , préfens
quoique inviſibles , ſont conſolés par nos
hommages.
Parmi ceux qui auroient à ſe louer d'entendre
le langage de la poſtérité , on comptera
ſans doute Michel Ange Buonarroti ,
dont M. l'Abbé Hauchecorne vient de publier
l'Hiſtoire. Il eſt difficile de raſſembler
des titres plus nombreux & plus réels à l'admiration
des hommes. Cette vie eſt une
Traduction libre de celle qu'avoit écrite en
Italien le Condivi , Élève de Michel- Ange ,
rémoin & confident de ſon maître. M.
l'Abbé Hauchecorne a fait entrer dans
cette Hiſtoire quelques digreſſions fur les
grands Hommes qui ont été les protes
Cv
$8 MERCURE
teurs & les amis de Michel Ange , & fur
les divers événemens dont l'Italie étoit alors
le Théâtre. Nous allons entrer dans quelques
details ſur la vie & les ouvrages de cet homme
célèbre , qui a mérité tous les éloges de
fon Hiftorien , quoique ce dernier ſemble
les lui avoir prodigués .
Avant de commencer ſon Hiftoire , il
fait voir ce que les Arts étoient alors en Italie
; & ce tableau devient ſeul un pompeux
éloge de fon Héros , en rappelant le point
d'où il eſt parti . Rome , tant de fois prife ,
ſaccagée , détruite enfin , étoit tombée toutà
la fois fous le joug de ſes vainqueurs &
dans les ténèbres de l'ignorance. Le génie
desArts enfeveli avec fes triſtes ruines, dormoit
fur les débrisdes monumens qui avoient
embelli cette Capitale du monde , & qui
auroient ſuffi pour l'immortaliſer. Il y avoit
encore des Peintres , des Architectes & des
Sculpteurs; mais ils étoient tous inſpirés &
dirigés par le mauvais goût , tyran plus difficile
à détruire que l'ignorance. Quelquesuns
cependant eſſayèrent de le chaffer
du beau ciel de l'Italie ; mais il ſemble que
la renaiſſance des Arts ſoit toujours foumiſe
à la condition de paſſer de nouveau par
les divers âges de la vie ; avant de recouvrer
leur maturité , ils doivent languir encore
dans la débilité de l'enfance. La Sculpture
& l'Architecture furent les premières à ſe
ranimer ; Léonard de Vinci , célèbre par
l'univerſalité de ſes talens, redonna à la PeinDE
FRANCE.
ال
ture une veritable illuſtration ; en un mot ,
les prédéceſſeurs & les rivaux de Michel-
Ange , n'avoient point, malgré leurs ſuccès
emporté la palme de leur Art ; mais ils
avoient appris à leurs contemporains à en
connoître les beautés ; ils avoient préparé à
Michel Ange des juges dignes d'apprécier
les productions de fon génie.
Les premiers pas de ce grand Homine
furent des triomphes. Jamais talent ne ſe
montra d'une manière plus précoce ni plus
brillante. Nous ne dirons point , d'après
deux Hiſtoriens , le Condivi & le Savari, qui
avoient, comme tant d'autres , du goût pour
les prodiges , nous ne dirons point que les
aftres à ſa naiſſance s'expliquèrent par des
fignes miraculeux; les véritables prodiges qui
devoient immortaliſer Michel - Ange , c'étoient
les créations de ſon talent. Nous ne
nous arrêterons pas non plus à la nobleffe
de fon origine , * afin d'arriver plus vîte à
fon illustration perſonnelle. Dès ſon basâge
, entraîné par la voix impérieuſe de ſon
génie , il alloit deſſinant par tout; ce qui
alarma ſes nobles parens; ils craignoient que
leur fils n'acquît dans cet Art- là affez de
gloire pour déshonorer leur Maiſon. On
* « Michel - Arge , dit ſon nouvel Hiſtorien ,
>> tiroit fon origine des Comtes de Canoffe , Famille
>> du territoite de Reggio , noble & illuftre , tant
>> par fon propre mérite que par ſon alliance avec
>> le Sang Impérial.
Cvj
60 MERCURE
crut devoir oppoſer à ce penchant les confeils
, les réprimandes , les châtimens même ;
mais il eſt plus facile de perfecuter le genie
que de le changer ; & Michel-Ange ne quitta
un moment le crayon que pour prendre le
pinceau.
On ne lit preſque jamais la vie d'un grand
Homme , foit dans les Lettres , ſoit dans les
Arts , fans avoir à s'indigner contre d'aveugles
parens qui ont contrarié ſon premier
effor. Ce mouvement d'indignation eſt naturel
ſans doute à l'enthouſiaſme des talens ;
mais ces pères font- ils ſans excuſe aux yeux
de la raiſon ? Dans la poſition où nous fommes
, nous ne voyons qu'un grand Homme
perfécuté par eux , tandis qu'ils ne contrarioient
qu'un enfant indocile. Parmi deux
cent perſonnes qui s'élancent dans la carrière
du génie , à peine un ſeul arrive au but , les
autres paffent leur vie entre le mépris &
l'obſcurité ; un faux penchant pour les Lettres
& pour les Arts a ſouvent le caractère ,
l'opiniâtreté du véritable génie. Dans ce dédale
effrayant , quel préſage affez sûr peut
raffurer le coeur d'un père ? N'eſt il pas naturel
que la crainte d'avoir un fils malheureux
l'emporte fur l'eſpoir d'une gloire fi
incertaine ? D'après cela , pardonnons à
l'amour paternel des inquiétudes , même tyranniques
, comme nous pardonnons au génie
de s'indigner des obſtacles qu'on lui
oppoſe.
Parmi les coups d'eſſai qui ſignalèrent le
DE FRANCE 61
pinceau de Michel-Ange , on peut compter
une tête qu'on lui donna à copier. Il en fit
une copie ſi parfaite , que Dominique de
Ghirlandaio, ſon Maître, qui étoit un Peintre
eſtimé , la prit pour l'original.
Vers le même temps , il fit quelque choſe
de plus étonnant encore ; il entreprit ſans
conſeil & fans guide , un grand tableau qui
repréſentoit Dominique peignant à freſque ,
avec quelques Allemands. Il avoit mis dans
ce tableau les Élèves de Dominique avec
l'attitude & les habits qu'il leur avoit vús.
Cette peinture étoit ſi belle , que Dominique
ne put s'empêcher de s'écrier qu'il
étoit vaincu ; & Michel - Ange avoit alors
treize ans.
La Nature n'avoit pas borné le talent de
Michel - Ange à l'Art de la Peinture ; une
ftatue de Faune , qu'il fit dans les jardins de
Laurent de Médicis , lui valut la protection
& l'amitié de ce célèbre bienfaiteur des
Muſes & des Arts , qui le logea dans fon
palais. Une mort trop prompte enleva Laurent
; & Michel-Ange , frappé de la douleur
la plus profonde , ſe retira dans la maiſon
paternelle , où le chagrin ſuſpendit l'effor de
ſon génie ; la reconnoiſſance put ſeule le réveiller;
il prit le ciſeau pour repréſenter fon
illuftre ami ſous les traits d'Hercule.
Pendant qu'il s'occupoit de ce nouveau
travail , il tomba une étonnante quantité de
neige. Pierre de Médicis , fils aîné& fuccefſeur
de Laurent , eut envie d'en faire faire
62 MERCURE
une ſtatue dans la cour de ſon palais , & ce
futpour le charger de ce digne monument
qu'il ſe reſſouvint de Michel Ange. Étrange
deftinée du génie ! le père de Michel- Ange
le traitoit de Tailleur de Pierres , & fon
Mécène l'occupoit à des ſtatues de neige !
Ajoutons un trait , pour conſoler , s'il ſe
peut , par l'exemple , les talens qu'on humilie.
Ce même Pierre de Médicis ſe vantoit
d'avoir chez lui deux hommes rares :
Michel- Ange & un Valet-de pied qui égaloit
à la courſe le cheval le plus agile.
A l'âge de ving-neuf ans, Michel- Ange
fut appelé à Rome par Jules II , qui voulut
ſe faire ériger un tombeau. Ce Pape avoit
pour lui tant d'eftime & d'amitié , qu'il fit
faire exprès un pont levis qui alloit de la
galerie à ſon attelier , pour aller le voir travailler
ou pour cauſer avec lui. Les honneurs
qu'on rendoit à Michel-Ange , armè--
rent contre lui plufieurs envieux , & notamment
le Bramante , qui étoit auſſi dans les
bonnes grâces de Jules. Cet Artiſte , jaloux
& de mauvaiſe foi, parvint à perfuader au
Pape que c'étoit un ſoin de mauvais augure
que de s'occuper de ſon tombeau ; ce qui le
refroidit d'abord ſur ſon projet . Bientôt
même il parvint à l'indiſpoſer contre Michel-
Ange. Ce dernier s'étant préſenté chez Jules
pour lui demander de quoi payer des mar
bres qu'il venoit de recevoir , on lui dit que
Sa Sainteté étoit occupée. Il revint une autre
fois ; mais comme il entroit dans l'anti-
-
DE FRANCE. 63
chambre , un Domeſtique l'arrêta , en lui
diſant : excusez - moi , j'ai ordre de ne pas
vous laiſſfer entrer. Un Évêque qui etoit
préſent , lui dit avec humeur : Est - ce
que tu ne fais pas quel est cet homme là ?
Pardonnez moi ,reprit le Domestique , mais
j'exécute les ordres de mon Maître. Eh bien ,
s'écria Michel-Ange avec indignation , dites
au Pape que s'il veut me trouver , il me cherche
ailleurs. En effet, il prit fur le champ la
pofte , & partit pour Florence .
C'eſt là qu'il fit ce fameux carton de la
Salle du Confeil , qui devint une étude pour
tous ceux qui ſe conſacrèrent à la Peinture.
Cependant Jules , qui vouloit le ravoir ,
avoit écrit deux fois à Florence ; & par une
troiſième lettre à la Seigneurie , il mena
çoit d'y porter la guerre ſi l'on ne lui rendoit
Michel Ange. Enfin celui ei ſe décida à s'aller
remettre dans ſes mains. Le Pape le reçut
d'abord d'un front courroucé. Michel Ange
à ſes genoux , s'excuſoit fur le depit qu'il
avoit eu de ſe voir chaffé ; & le Pape , d'un
air troublé , tenoit la tête baiffee ſans lui
répondre. Un Évêque , qui vouloit jouer le
rôle de médiateur , dit à Jules : Que votre
Sainteté lui pardonne ; c'est par ignorance
qu'il apéché;& c'est ainſi que tous ces Peintres
fontfaits. Jules rougit de voir Michel Ange
fi platement excuſe; il ſe retourne vers le
Prélat , & lui dit d'un ton terrible : Vous lui
dites des injures , & je ne luien dis pas , moi.
C'est vous qui êtes un ignorant. Sortez. Jules
64 MERCURE
ayant ainfi épuiſe ſa colère ſur l'Évêque ,
pardonna à Michel Ange , cauſa familière.
ment avec lui ; & quelque temps après , il le
chargea de jeter en fonte ſa ſtatue plus grande
que nature, pour la placer ſur le frontiſpice de
l'Égliſe de Saint Perrone à Bologne. Michel-
Ange en ayant fait le modèle en terre , & ne
ſachant que lui mettre dans la main gauche ,
demanda au Pape s'il vouloit qu'il lui fit
tenir un livre. Un livre , répliqua le Saint
Père ? Une épée ; je la ſais mieux manier.
Cette ſtatue fut exécutée; mais elle fut brifée
enfuite par le peuple, quand les Bentivogli
rentrèrent dans Bologne. Alphonse d'Eſt ,
Duc de Ferrare , en acheta la matière. Il en
fit faire une pièce d'artillerie , qu'il appela
la Julienne , & il garda la tête dans ſon cabinet.
Le détail de tous les Ouvrages de Michel-
Ange nous meneroit trop loin ; nous renvoyons
à l'Ouvrage même pour la liſte &
la deſcription de ſes productions immortelles:
nous nous contenterons de rappeler
ici qu'il excella dans la Peinture , dans la
Sculpture & dans l'Architecture. Comme
Peintre , il eut plus d'énergie que Raphaël ,
mais moins de goûts plus de hardiefle , mais
moins de pureté. L'Abbé du Bos l'appelle
le Corneille de la Peinture , comme Raphaël
en eſt le Racine ; il négligea les grâces du
coloris ; mais il étonne par la hardieffe , la
richeſſe de ſon pinceau, & la grandeur de ſes
idées. Comme Sculpteur , Michel- Ange alla
-
DE FRANCE. 65
encore plus loin. Ce qu'il y a de plus remarquable
, c'eſt que ſon ciſeau n'avoit
point cette dureté qu'on reproche ſouvent
à fon pinceau. Cette main , comme
>> dit ſon Historien , qui quelquefois fut
>> dure , tranchante & trop hardie quand
ود
وہ
elle manioit le pinceau , fit éclore ſous le
ciſeau des formes douces & coulantes, des
>>> contours moëlleuſement arrondis. » Mais
c'eſt ſur- tout comme Architecte qu'il furpaſſa
tous ſes rivaux anciens & modernes ,
qu'il recula même les bornes de fon Art.
Une foule d'Ouvrages en ce genre , qui furent
les délaſſemens de ſa vieilleſſe , notamment
Saint Pierrede Rome, atteſtent auxyeux
des connoiffeurs ſon étonnante ſupériorité.
On a vu Michel - Ange enfanter des prodiges
dès ſon bas âge ; il conſerva fon génie
créateur juſques dans une extrême vieilleſſe ;
car il travailla juſqu'à ſa mort , & il a vécu
go ans. La carrière du génie ſembla ſe pro-
Jonger pour lui. La Nature voulut lui faire
les honneurs d'un prodige; elle avança pour
lui l'époque de ſa fécondité , & elle en recula
les limites.
Il faut lire dans l'Ouvrage même la defcription
de ſes obsèques , célébrées à Florencepar
l'Académie de Peinture , Sculpture
& Architecture. Ces obsèques furent dignes
de lui. Le luxe & l'or n'y furent point prodigués
; on jugea que c'étoit aux Arts ſeuls
a célébrer celui qui en avoit fait revivre toute
la ſplendeur ; que le génie , en un mot , de
66
1
MERCURE
voit honorer le génie ;& des chef d'oeuvres
de Sculpture & de Peinture , enfantés rapidement,
furent le ſeul luxe de ces funérailles.
Michel - Ange fut auſſi eſtimable par ſes
qualités perſonnelles que par ſon talent ; la
fierté de ſon âme répondoit à celle de fon
génie. Il eut des protecteurs , dont il n'acheta
jamais les bounes grâces par des bafſſeſſes.
Il répondoit aux bienfaits par le zèle le plus
empreſſe; mais il repouffoit l'injustice ou
l'orgueil par la fierté la plus courageuſe. On
a dejà vu comment, pour ſe venger de l'affront
qui lui fut fait chez le Pape Jules II ,
il partit fur le champ de Rome pour ſe retirer
à Florence. Paul III , fucceffeur de Clément
VII , ayant voulu qu'il achevât le jugement
dernier qu'il avoit commencé pour la
Chapelle Sixte , defira y faire mettre ſes armes.
Il en pria Michel- Ange , qui eut le
courage de le refufer; il lui répondit que
l'ouvrage ayant été propoſé parClément VII,
c'étoit à lui ſeul que l'honneur en étoit dû.
Paul III fut affez grand pour lui ſavoir gré
de ſa franchiſe ; & il ne vit qu'avec plus de
reſpect celui qu'il avoit toujours regardé
avec admiration. Une autre fois , Paul IV
trouvant des nudités indécentes dans ſon jugement
dernier , lui fit dire de le corriger.
Dites au Pape , répondit Michel- Ange , que
ce qui le bleſſe n'est qu'une misère que l'on
peut aisément réparer ; qu'il change lemonde,
enfuite on changera les peintures.
DE FRANCE. 67
Quand on a vû le génie ſe montrer fier &
courageux , quel plaiſir de le trouver ſenſible
! c'eſt ce qui arrive en lifant l'Hiftoire de
Michel- Ange. Un de ſes amis , qui connoiffoit
ſa ſenſibilité , ayant appris qu'il avoit
perdu un Domeſtique qu'il aimoit , lui écrivit
pour le conſoler. Voici la réponſe qu'il
reçut de Michel-Ange.
ود
"
• Meffire Georges , mon ami , je ne puis
que vous écrire mal ; cependant il faut
que je vous réponde. Vous ſavez comment
Urbin eft mort; c'eſt pour moi une
>> grande faveur de Dieu & en même temps
» un grand malheur. La faveur eſt que cet
honnête homme , qui avoit ſoin de moi
» pendant ſa vie , en mourant m'a non-
>> ſeulement appris à mourir , mais même à
ود
"
ود
ود
defirer la mort. Il a été vingt- fix ans avec
moi : c'étoit un Domestique fidèle & rare;
&après l'avoir enrichi , lorſque je croyois
>> trouver en lui le ſoutien & l'appui de ma
vieilleſſe , je le perds , & n'ai plus d'autre
>> eſpérance de le revoir que dans l'autre vie.
J'ai un gage de ſon bonheur dans la ma
nière dont il eſt mort. Ce qui l'affligeoit ,
>> ce n'étoit pas de ceſſer de vivre; mais de
>> me laiſſer dans les infumités au milieu
"
"
"
ود
وہ
d'un monde méchant & trompeur. Il eſt
vrai que la majeure partie de moi même
l'a déjà ſuivi , & tout ce qui me reſte n'eſt
>> plus que misère & que peines. Je me re
> commande à vous . »
On ne voit point dans cette réponſe une
68 MERCURE
douleur étudiée ; le ſentiment en eſt auſl
vrai que l'expreſſion en eſt ſimple & naturelle.
Cet Urbin qu'il regrette , avoit éré
comblé de ſes bienfaits. Urbin , lui dit - il
un jour ,fi je venois à mourir queferois tu ?
J'en fervirois un autre, répondit Urbin. O
mon pauvre ami , reprit Michel - Ange ,
je veux t'empêcher d'être malheureux. Et en
une ſeule fois il lui fit préſent de deux mille
écus.
Ce trait n'a pas empêché qu'on n'accusat
Michel- Ange d'avarice ; tant il est vrai que
l'envie , quand elle n'a pu obſcurcir la gloire
d'un homme de génie , tâche de ſe conſoler
en calomniant ſes moeurs ! Ce Michel Ange ,
qu'on accuſoit d'avarice , donnoit à fon Domeſtique
deux mille écus , de temps en
temps dix ou douze mille livres à fon neveu
Léonard Buonarroti ; il faiſoit préſent
d'Ouvrages qu'il auroit pû vendre fort cher ;
foutenoit par ſes bienfaits des jeunes gens
pauvres qui entroient dans la carrière des
Lettres & des Arts ; il fit des aumônes con
Gdérables; il maria & dota pluſieurs jeunes
fillesfaus fortune.
Si Michel- Ange eut des ennemis , s'il effaya
des perfécutions , les honneurs qu'il
reçut étoient bien faits pour le conſoler. Il
eut moins pour protecteurs que pour amis ,
Laurent de Médicis ; Jules II , qui , malgré
ſes emportemens , l'aimoit & l'eftimoit fi
fort , qu'il alloit déclarer la guerre à Florence
pour le ravoir ; Léon X & Clément
DE FRANCE. 69
VII; Paul III , & Jules III qui auroit , dit-il ,
donné de ſon ſang pour prolonger la vie de
ce grand Homme. Tous les Princes & Souverains
de l'Europe lui firent les propofitions
les plus honorables & les plus avantageuſes;
il vécut familièrement avec les Cardinaux
Hypolite de Médicis , Polo , Farneze
, Ridolphi , Maffei , Bembo , Carpi ,
Idolo , Crifpi , & une foule d'autres Prélats.
Le Cardinal Hypolite l'eſtimoit
qu'ayant appris qu'il aimoit à voir un beau
cheval Turc qu'il avoit dans ſes écuries , il
le lui envoya avec dix mulets chargés de grain .
tant ,
Tels ont été les talens & la gloire de cet
homme étonnant. On lira ſon Hiftoire avec
plaifir. L'Auteur n'a pas encore ce qu'on
appelle un ſtyle fait; mais il eſt digne de
parler des Arts , & d'être l'Hiftorien de
Michel- Ange.
( Cet Article est de M. Imbert. )
TABLE Chronologique des Diplômes ,
Chartres , Livres & Actes imprimés concernant
l'Histoire de France , par M. de
Bréquigny , de l'Académie Françoiſe &
de celle des Inſcriptions &Beiles- Lettres ,
& M. Mouchet , Adjoint à ce travail.
3 Vol. in folio . A Paris , de l'Imprimerie
Royale , & ſe vend, ainſi que les deux
premiers Vol . , chez Viſſe , rue de la
Harpe. Prix , 21 liv . le Vol.
:
La vérité des faits , ſans laquelle il n'y a
70
MERCURE
د
point d'hiſtoire , ne peut être établie que
fur les monumens authentiques qui font parvenus
juſqu'à nous. La difficulté d'avoir recours
aux Diplômes aux Chartres aux
Actes de toute eſpèce , épars dans une multitude
immenſe de dépôts , n'a laiffé longtemps
à nos Hiſtoriens d'autres ſources que
des Chroniques pleines d'inexactitude , de
partialité & d'erreurs. Ce n'eſt que lorſque
Catel joignit en 1623 , à fon Hiftoire des
Comtes de Toulouſe, lesPièces ſur leſquelles
il avoit travaillé , qu'on ſentit la néceſſité
d'avoir un fonds de matériaux hiſtoriques
rangés ſelon l'ordre des temps, avec lequel
ceux qui voudroient s'occuper de l'Hiſtoire ,
pourroient avancer sûrement dans les recherches
qu'elle exige. L'Angleterre nous
préſenta bientôt ce Recueil précieux ; & la
vaſte Collection des Actes de Rymer produiſit
l'Hiftoire de Rapin Thoyras , qui n'auroit
pu paroître ſans elle. Baluze nous donna
les Capitulaires de nos Rois des deux premières
races ; Louis XIV ordonna de rafſembler
celles de la troisième, & il en parut
un eſpèce d'eſſai , ou catalogue affez informe
; en 1723 , on publia le premier volume
des Ordonnances ; & en même temps la
Collection généraledes Hiſtoriens de France,
imaginée par Pithou , continuée par Duchefne
, fut confiée aux Religieux de la Congrégation
de S. Maur. Les Chartres , les Diplômes
particuliers avoient été exclus du
planqu'ons'étoit propoſé de remplir; ils pouDE
FRANCE. 71
voient former pluſieurs volumes. C'eſt alors
que MM. Secouffe , de Foncemagne & de
Sainte Palaye qui s'étoient livres à l'étude de
notre Hiftoire , formèrent le projet de faciliter
la connoiſſance &l'uſage de cette quantité
de Pièces qui l'intéreſſent , & qui font
comme égarées dans un grand nombre de
volumes ; ils ſe livrèrent à un travail auffi
ingrat que peu apprécié. M. de Bréquigny ,
lie avec eux par une eſtime réciproque , &
par le même goût d'occupation , s'affocia à
leurs recherches , & publia , en 1769 , le
premier volume de la Table Chronologique,
qui fut reçu comme il le meritoit , &
qu'on regarda comme un ſupplément utile à
la Bibliothèque Hiſtorique du Père le Long ,
perfectionnée par M. de Fontenelle. L'une
eſtun Catalogue exact de tous les Ouvrages
qui traitentde notre Hiſtoire; l'autre eſt une
indication complette des Actes connus qui.
doivent en être les fondemens ; Hiftoire
Eccléſiaſtique , politique , civile , diplômes ,
actes tirés des archives publiques , des chartriers
des Égliſes , des Monastères , des maifons
particulières , conſtitutions , pactes ,
lettres , fragmens , &c. tout ce qui peut répandre
quelque lumière ſur notre Hiſtoire
n'a pas été oublié. Ce n'eſt cependant pas une
notice critique & raisonnée que M. de Bréquignya
voulu donner, mais unſimple catalogue
de Chartres : il a voulu indiquer & nonjuger.
Mais il n'y a aucune de ces Pièces qui n'ait
quelque rapport , ſoit aux parties effentielles
72 MERCURE
de l'Hiſtoire Générale , à la Géographie , à la
Chronologie , aux Généalogies , ſoit aux
parties les plus importantes de l'Histoire particulière
, aux loix , aux uſages , aux moeurs
de nos ancêtres .
Le ſecond volume de cet utile Ouvrage
parut en 1775 ; il contenoit les titres de fix
mille Pièces , & comprenoit les règnes de
Henri I, Philippe I & Louis VI. Le troiſième
volume qui vient de paroître ne renferme
que le règne de Louis VII , parce que les
Actes ſe multiplient lorſqu'on ſe rapproche
des fiècles mieux connus. C'eſt à cette époque
très - remarquable de notre Hiſtoire , qui
mériteroit d'être obſervée par un Écrivain
Philoſophe , que les communes furent établies
, l'état des perſonnes fixé , que nos Rois
reſaiſirent le pouvoir , & les François la
liberté. C'eſt ſous Louis VII que les armoiries
furentmiſes en uſage,que les Officiaux furent
inftitués , que les Écoles furent multipliées
dans les Égliſes & dans les Monastères ; on
y enſeignoit les Sciences & les Lettres ; mais
quelles Sciences ? Les Eccléſiaſtiques étudièrent
le Latin , & les Religieuſes mêmes furent
obligées de l'apprendre pour entendre
les Prières qu'elles récitoient. Cette inſtitution
fut obſervéejuſqu'au quatorzième ſiècle ,
& devroit l'être encore. La langue nationale
ne fut point négligée ; & S. Bernard s'en fervit
avec ſuccès dans ſes Sermons , dont on
peat voir le manufcrit à la Bibliothèque des.
Feuillans. Cependant les fillons de l'ignoranco
DE FRANCE.
73
rance , & des faufles opinions qu'elle entraîne
, étoient trop profonds pour pouvoir
êrre effacés par les premières connoillances;
on ajoutoit toujours foi aux pretendus Livres
des Sybilles; Suger croyoit aux Prophéties
de Merlin , & les ſuperftiticuſes & inutiles
épreuves du fer chaud, du duel , &c .
ſubiſtoient toujours ; c'eſt même ſous ce
règue qu'on place l'origine de nos Almanachs
à pronoſtics , dont l'uſage qui fubfiſte
encore , à la honte de notre fiècle ,
ne ſert qu'à entretenir l'imbécille crédulité
du peuple.
On voit quelle eſt l'étendue du travail de
M. de Bréquigny; quelles font les nombreuſes
recherches qu'il a été obligé de faire ,
les immenfes lectures auxquelles il a fallu ſe
livrer , les difficultés minutieuſes qu'il a rencontrées
, & les reſſources infanies qu'il
offre à ceux qui ſe dévoueront à l'étude de
'Hiftoire.
EXAMEN de la Question : Si les Infcriptions
des Monumens publics doivent être
en langue Nationale ? A Amſterdain , &
ſe trouve à Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés,
ON ſe ſouvient d'avoir vû dans le Journal
de Paris cette queſtion difcutée à plufieurs
repriſes. M. Roucher , qui avoit déjà prouvé
qu'à la connoiffance de la langue françoiſe ,
il joignoit le talent de la faire patler en beaux
N°. 37, 13 Septembre 1783 . D
74 MERCURE
vers , a voulu prouver qu'on devoit l'employer
pour les inferiptions des monumens
publics; & un adverſaire , qui n'a fait connoître
que ſon érudition & ſa politeſſe , a
pris la défenſe de la langue Latine. L'Auteur
de la Brochure que nous annonçons ayant
peſé les raiſons des deux partis , ſe déclare
pour M. Roucher ; & les raiſons qu'il oppoſe
en ſa faveur ſont bien propres à fortifier
ſon parti. Après avoir tranſcrit une des
lettres du défenſeur de la langue Latine , il
y répond par quatre queſtions différentes ,
dont l'examen ſert à réfuter les principes
de l'anonyme .
Il examine d'abord fi les langues vivantes
s'altèrent toujours auffi vite que l'anonyme
le prétend. Il trouve deux cauſes d'altération
pour les langues; les causes extérieures
& les causes intérieures. Les extérieures ſont
l'afferviſſement ou les conquêtes d'un peuple,
ſon mêlange avec d'autres peuples , &c.
& celles-là font très-puiſſantes; c'eſt ainſi
qu'ont péri les langues Grecque & Latine.
Les cauſes intérieures proviennent de
l'imperfection de la langue elle-même avant
qu'elle foit formée; & ce danger ſubſiſte
juſqu'à ce que des hommes de génie l'ayent
accommodée à leurs idées , & l'ayent fait
fervir à compoſer des Ouvrages immortels ;
Icette époque ſa durée s'attache à la durée
de la Nation qui la parle , ou du moins ellé
ne ſe dégrade qu'au moment où la barbarie
revient dégrader la Nation elle - même.
1
DE FRANCE.
75
“
33
D'ailleurs , ajoute notre Auteur , fi nos
monumens ſont faits pour la pofterité ,
> nos inſcriptions ſont faites pour nos mo-
>> numens , & ne dureront pas plus qu'eux.
ود Ne diroit-on pas que nous les élevons in-
> deftructibles , &c . ? »
Est-ce par un orgueil déplacé , & parce
que la langue Grecque étoit vivante , que
les Romains n'en faifoient pas ufage dans
leurs inſcriptions ? Voilà la ſeconde queftion
qu'examine l'Auteur de la Brochure. Il
attribue cet ufage des Romains à un noble
orgueil national ; & il forme des regrets fur
ce que nous renonçons à un moyen de réveiller
l'amour patriotique. Nous ne fom-
> mes pas des Romains , dit- il ,& ce ne fera
>> pas par des inſcriptions en langue na-
ود tionale que nous le deviendrons. Je fais
>> que le principal eſt de faire des actions
> dignes d'inſcriptions & de monumens.
Mais puiſque les monuinens ſuppoſene
les actions , quand nous aurons fait quel-
> que choſe de grand , ſervons nous de no-
>> tre langue pour l'écrire. >>
ود
"
NotreAuteur prouve enſuite que le nombre
de ceux qui entendent le Latin , même
parmi ceux qui liſent , n'eſt pas auffi confdérable
que l'imaginent les érudits . D'ailleurs,
il trouve de la barbarie à compter le
peuple pour rien. Il convient que de tous les
moyens d'élever l'âme du peuple, celui de
le mettre à portée de lire nos infcriptions ,
est peut- être le moindre; mais comme il eſt
Dij
96 MERCURE
auſſi le plus facile & le moins ſujet à inconvéniens
, n'eſt ce pas un mal que d'y renoncer
?
Enfin, en quatrième lieu , l'Auteur s'étend
fur la néceſſité de defigurer , quand on les
écrit en Latin , nos noms propres , nos
noms de dignités , d'emplois , &c. étrangers
aux Romains , & qui par conſequent ne peuvent
être exprimés par aucun terme de lear
langue , ou qui du moins ne peuvent l'être
fans donner lieu à de nombreuſes équivoques,
Après avoir diſcuté cette quatrième queftion
, l'Auteur continue ainfi : " Ajoutons à
> toutes ces conſidérations que qui prouve
» trop ne prouve rien. Or , il réſulteroit
>> des raiſons de l'Anonyme , que nous ferions
bien , non- feulement d'inſcrire en
Latin tous nos monumens , mais encore
* d'écrire ainſi tous nos Ouvrages ; car s'ils
font faits pour la poſtérité, ſi nos langues
> ſont changeantes , pourquoi ne pas les
confier à une langue qui ſoit à l'abri de
> toute variation, "
১০
L'Auteur de cette Brochure a défendu la
langue Françoiſe avec eſprit & jugement;
&il eſt difficile de le lire ſans defirer qu'il
ait raiſon, Au fond, l'orgueil national , qu'il
eſt toujours bon d'encourager , parce qu'il
eſt la ſource de bien des vertus , nous paroît
un puiffant motif pour empleyer notre langue
à nos inferiptions publiques; & les inconvéniens
qu'on oppoſe à cet avantage ,
DE FRANCE.
77
ne nous paroiffent pas faits pourle balancer.
Mais comme dans toutes les difcuffions ,
on va preſque toujours au delà , les partiſans
de la langue Françoiſe ont voulu prouver
qu'elle étoit auſſi propre que la Latine au
ſtyle lapidaire , c'eſt à dire , qu'elle avoit la
même préciſion. C'eſt ce qu'on appelle prow
ver trop. Le génie , dit-on , maîtriſe la langue;
& l'on ne defire rien au ſtyle de nos
grands Écrivains. Cela peut- être; mais cela
fait l'éloge de nos grands Écrivains , & non
de la langue qu'ils ont employée; & fi vous
nous prouvez que le génie donne quel piefois
de la préciſion à la langue Françone ,
nous vous prouverons que la langue Latine
en a toujours naturellement & fans effort.
Il ſe peut qu'en prenant une infcription Latine
vous la traduiez avec plus de laconiſme
encore ; mais cela prouvera que vous
avez mieux fait que l'Auteur Latin , fans
prouver que votre langue ſoit meilleure ,
plus laconique que la ſienne .
Il étoit poſſible de justifier les infcriptions
Françoiſes ſans exagérer le mérite
de notre idiome. Les Auteurs qui ont tiré
lemeilleur parti de notre langue ont reconnu
la ſupériorité de celle des Romains ; & il
y a dans cet aveu plus de juftice que de modeftie;
mais qu'on nous laiſſe nous Hatter
que la langue qui a fervi d'organe à leur
génie, peut prétendre à l'immortalité que
les Écrivains du fiècle d'Auguſte ont donnée
la leur. Des révolutions imprévues
Diij
78 MERCURE
peuvent renverſer la nation qui parle François;
mais qu'on nous permette d'eſpérer
que fa langue fera lûe encore lorſqu'elle ceffera
d'être parlée. La ſupériorité d'un idiôme
n'eſt pas la ſeule cauſe qui en prolonge &
en érende l'uſage chez les autres peuples; la
langne Grecque eſt plus belle , plus riche
que la langue Latine , & cette dernière eſt
pourtant bien plus répandue. Enfin , qu'on
ne nous envie point cette douce perfuation ,
que notre langue, conſacrée par tant de chefd'oeuvres
, parviendra , ſoit comme langue
vivante , foit comme langue morte , juſques
dans les fiècles à venir.
VARIÉTÉS.
RÉPONSE de M. GARAT à la Lettre
J
inférée dans le Mercure , Nº. 35 .
E hais les querelles Littéraires , Monfieur , mais
je ne fuis pas fâché d'avoir été l'occafion d'une dif
pure entre des gens du monde qui prennent à laLietérature
ſes lumières , &lui laiſſent ſes haines , ſes
jaloufies , & tout ce qui la déshonore ; & ne ſentezvous
pas , ne dites-vous pas que quelquefois , comme
notre bon La Fontaine , qui n'étoit aſſurément ni
vain ni querelleur ,
La diſpute eft d'un grand ſecours ;
Sans la diſpute , on dormiroit toujours ?
J'entre donc en lice , Monfieur , fans avoir la prétention
de monter ſur un tribunal ; le Public nous
DE FRANCE. 79
jugere ,puiſque votre Lettre nous mettous lesdeux
fous ſes yeux . C'eft en tout genre le juge ſupréme ,
il eſt fâcheux ſeulement que ſes arrêts ſoient ſi difficiles
à recueillir.
Je l'avoue , M. , j'ai dit que de ce que Rouſſeau a
imprimé , il réſalte que dans l'état de nature l'homme
eftfans vertus: & mon affertion,dont le ton vous aparu
ferme , a été pourtant affez modérée. Non- ſeulement
cela réſulte de l'eſprit général du Difcours, mais Rouffeau
le dit expreflément lui-même. Prenez votre exemplaire
, Monfieur , & fuivez , je vous prie , des yeux
le paſſage que je vais tranfcrire. « Il paroît d'abord
» que les hommes dans cet état n'ayant entre- cux
>> aucune relation morale , ni de devoirs connus
> ne pouvoient être ni bons ni méchans , & n'a-
>>> voient ni vices ni vertus . Tout le reſte du paffage
, comme vous devez le voir , fi vous continuez
àle lire, eſt un développement de la même propofition
, & l'affirme avec plus de force encore.
Me fuis -je trompé davantage en aſſurant que
Rouffeau , loin de dire , comme on le croit affez
généralement , que l'homme n'eſt point fait pour la
Société , a dit le contraire ? Ouvrons encore le Dif
cours , Monfieur , & liſons enſemble. Ceci reſſemble
un peu à la fameuſe diſpute fur les cing propoſitions
qui étoient ou n'étoient pas dans Janſénius ; mais
nous ne reſſemblons pas au moins à ces pères qui
ne citoient jamais ce qu'ils trouvoient toujours ; nous
avons plus de courage ou plus de complaiſance l'un
pour l'autre.
<<<Mais quand les difficultés qui environnent toutes
>> ces queſtions , laiſſeroient quelque lieu de diſpute
לכ fur cette différence de l'homme & de l'animal, il
>> y a une autre qualité très-ſpécifique qui les dif-
>>>tirgue , & fur laquelle il ne peut y avoir de con-
>> teſtation ; c'est la faculté de se perfectionner , fa-
ود culté qui , à l'aide des circonstances , développe
DIV
80 MERCURE.
fucceſſivement toutes les autres , & réſide parmi
> nous, tant dans l'eſpèce que dans l'individu ; au
>> lieu qu'un animal eft au bout de quelques mois
>> cequ'il fera toute ſa vie ,&ſon eſpèce au bout de
>> mille ans ce qu'elle étoit la première année de ces
mille ans.
L'individu pourroit avoir la faculté de ſe perfectionner
& n'être pas né pour la Société ; mais cette
faculté , quand elle ſe rencontre dans une eſpèce entière,
ſuppoſe néceſſairement qu'elle eſt ſociable. En
diſant que la nature avoit diftingué l'eſpèce humaine
de toutes les autres , par lafaculté deſeperfectionner ,
Kouffean a donc dit que la nature l'avoit deſtinée à
la Société. Entre ces deux propoſitions , je vois bien
une différence de mots , mais je n'y découvre pas
une autre différence . Obſervez encore , Monfieur ,
comment cette même vérité ſe rétrouve dans les
deux parties du Difcours,& les lie enſemble.Dans la
première , Rouffeau dit que l'eſpèce humaine eſt
perfectible , c'est-à-dire ſociable; dans la ſeconde , il
fait voir comment les circonfiances , en développant
fucceſſivementfa perfectibilité , ont produit les arts ,
les talens & toutes les créations de la Société civile.
Tout ſe fuit & ſe ſoutient; &, ſuivant le beau présepte
de Fénelon , le Diſcours entier n'eft qu'une
propofition développée.
J'ai pourtantquelque fcrupule encore ſur la force
de cette preuve elle a quelque choſe qui reſſemble
trop à un raiſonnement , à une conféquence ;
quand on difpute & qu'on parie , on ne ſe laiſſe pas
perfuader par des interprétations , par des inductions;
on eſt bien autrement difficile pour un pari
que pour la vérité : c'eſt beaucoup alors ſi les faits
même ſont reçus comme des preuves : ſuivons donc
encore Jean- Jacques dans la ſeconde Partie de fon
Diſcours ; il n'y parle que de la Société : c'eſt-là
qu'il nous dira tout ce qu'il en penſe. Après avoir
DE FRANCE. 8(
retracé les circonstances qui apprennent aux hommes
àperfectionner leurs armes naturelles , à réunir leurs
forces contre les animaux , à faire utage du feu
qu'ils ont vû s'allumer & s'éteindre dans les volcans ;
après avoir fait voir comment les langues ont pu ſe
former & s'étendre dans les cabanes établies à côté
les unes des autres , comment le plaifir , le chant &
la danſe ont raſſemblé pluſieurs familles ſous le
même arbre ; comment les jeunes gens des deux
ſexes, par une fréquentation ſuivie , acquièrent les
idées de beauté , de grâce , de mérite ; comment de
ces idées naiffent les douces préférences & les combats
fanglans de l'amour ; enfin , après avoir ſuivi
les progres de l'eſpèce humaine dans tous ces rapports
, qui conſtituent véritablement la Société
Roufſeau ajoute : « Ainfi , quoique les hommes fuf-
ככ
ſent devenus moins endurans , & que la pitié na-
>> turelle eût déjà fouffert quelqu'altération , ce pé-
>> riode du développement des facultés humaines ,
>>>tenant un juſte milieu entre l'indolence de l'état
>> primitif, & la pétulante activité de notre amour-
>> propre, dût être l'époque la plus heureuse & la plus
>> durable : plus en y réfléchit, plus on trouve que
>> cet état étoit le moins ſujet aux révolutions , le
meilleur à l'homme , & qu'il n'en a dû fortir que
par quelque funeſte hafard , qui , pour l'utilité
>> commune , eût dû ne jamais arriver. >>>
Me trompai- je , Monfieur ? Cet état que Roufſeau
juge le meilleur à l'homme , n'est - il pas un
véritable état de ſociété auſh éloigné de l'état de
nature tel qu'il l'a conçu & décrit , que de la civilifation
telle qu'on la voit dans les grands Empires ?
Rouſſeau lui-même lui donne le nom de Société; if
a donc dit de la manière la plus forinelle & la plus
poſitive que l'homme eſt fait pour la ſociété ; ce ne
font plus ici des inductions , ce ſont ſes propres mots,
&je les ai copiés dans ce Diſcours , d'où vous ne
Dv
$2 MERCURE
m'avez pas permis de ſortir pour chercher des preuves
de mes affertions .
Vous allez me demander peut-être ce qu'il faudra
donc faire de ce commencement de la ſeconde
Partie du même Diſcours , de ce paſſage que vous
m'avez cité , & qui paroît ſi oppoſé à celui que je
vous cite ? Est- ce une de ces contradictions qu'on a
ſi ſouvent reprochées à Rouſſeau ? Oui , Monfieur ,
c'eſt précisément une contradiction du même genre ;
elle paroît frappante au premier coup - d'oeil ; elle
s'évanouit lorſqu'on entre dans les idées de l'Auteur,
&qu'on en fuit bien la chaîne.
,
Tâchons , Monfieur, de faifir & de ſuivre la liaifondes
idées principales de Rouſſeau fur cette queftion
& peut - être ces deux paſſages , qui paroiffent
fi contradictoires , vont - ils ſe réunir & fe
concilier lorſque nous les aurons mis à leur place
dans le ſyſtème de l'Auteur .
Rouffeau diftingue nettement trois périodes dans
la vie de l'eſpèce humaine .
Le premier , l'état primitif ou l'état de nature
dans lequel l'homme , ſans aucune union durable
avec ſes ſemblables , toujours iſolé & folitaire , erre
confondu dans les bois avec les animaux , fans idées
& fans affections morales , ſans langue pour les exprimer,
n'ayant ni ſouvenir du paflé ni prévoyance
de l'avenir. Aucune relation de Voyageur , aucune
des Hiſtoires qui remontent à l'antiquité la plus reculée,
ne nous montre l'homme dans cet état. Roufſeau
a fait pour l'homme ce que M. de Buffon a fait
pour la Nature ; il a créé à la vie humaine des époques
qui ne ſe trouvent point dans l'Hiſtoire du
temps.
Le ſecond période , amené par une très-longue
fucceffion de progrès , eſt celui d'une civiliſation
commencée à cette époque les hommes font
rapprochés & unis par des beſoins & des intérêts
DE FRANCE. とう
communs; les langues ont étendu leurs idées , les
paflions ont développé leur âme : déjà on voit paroître
avec éclat toutes les facultés qui diftinguent éminemment
l'eſpèce humaine de toutes les eſpèces
d'animaux , & conftituent les droits de l'homme à
l'empire qu'il s'eſt établi ſur la terre ; mais la Nature
feule forme encore preſque tous les liens de cette
union ; cette ſociété laiſſe aux hommes preſque toute
leur égalité primitive; ils ne connoiffent point les
vertus fublimes , la douce fécurité qu'une légiflation
impartiale & éclairée pourroit leur donner ; mais ils
jouiffent à-la-fois du ſecours des forces unies & de
l'indépendance des paffions.
Le troifième période commence à l'établiſſement
de la propriété; il en eſt une ſuite. L'inégalité des
partages que fait la propriété dans ſon origine ou
celle qu'elle introduit bientôt , ailame à- la - fois dans
toutes les âme l'orgueil ou la foif des richeffes &
des diftinctions; toutes les paflions s'exhaltent ,
toutes les facultés de l'homme prennent des accroifſemens
prodigieux ; ceux qui dans cette révolution
ont perdu leur portion de Phéritage univerſel ,
veulent la reprendre par la violence ; le riche
appelle la loi au fecours de fes ufurpations; les Gouvernemens
s'établiſſent ; ils prennent fucceſſivement :
toutes les formes pour chercher une baſe équitable
à un édifice élevé par l'injustice ; l'injustice originelle:
ſe reproduit ſous toutes les formes de gouverne--
ment: par-tout les intérêts du petit nombre dictent
les loix; les paffions & les fantaisies du Magiftrat
les exécutent. Au milieu de cette lurte tantôt fourde
& tantôt éclatante des vices de la fortune & des:
vices de la pauvreté, l'eſprit humain s'étend & s'en--
richit; les Arts viennent décorer & accroître les
défordres de la ſociété ; les talens cherchent la gloire
en flattant les paffions ; les honneurs & les délices
ſe refferrent toujours ſur un plus petit nombre de
Dvj
84 MERCURE
perſonnes , & le deſpotiſme élevant enfin ſa tête
hideuſe au milieu des Peuples amollis & dégradés par
toutes ces créations qui ſembloient annoblir & perfectionner
l'eſpèce humaine , ne laiſſe plus voir dans
les ſociétés que le ſpectacle effrayant & ſcandaleux
d'une multitude de grandes Nations occupées à fervir
les vices de quelques tyrans qu'elles vont bienvêt
égorger fur leurs trônes,
Voilà les trois périodes que Rouſſeau décrit , rapproche&
compare dans ſon Difcours.
Le premier ne lui paroît pas le meilleur à l'homme,
mais il le juge afſſez bon ; il imagine que la Nature
, en créant même l'eſpèce humaine perfectible ,
avoit oppoſé de grands obitacles au développement
de cette faculté dont elle l'avoit douée ; il penſe que
fi nous fuffions reſtés dans cet état primitif, nous
n'aurions point eu à nous plaindre de notre deftinée.
Le troiſième période lui paroît affreux ; c'eſt-là
qu'il trouve les ſources de la propriété de l'inégalité
des conditions , des arts de luxe , de la tyrannie
& de la ſervitude, toutes choſes qui font à-peurès
les mêmes dans le ſyſtême de Roufſeau.
Mais entre ces deux périodes il laiſſe voir le
fecond comme un aſyle ouvert au genre humain
rabaiflé au bonheur des animaux , ou flétri des
maux de l'eſclave dans les deux autres .
Le paſſage que vous avez cité regarde le troiſième
période ou la civiliſation corrompue , & c'eſt du
fecond période ou de la ſociété naturelle qu'il eſt
queſtion dans le paſſage que j'ai tranſcrit.
Vous voyez, Monfieur, que , comme je vous le
DE FRANCE 85
difois, tout ſe concilie & s'accorde lorſqu'on veut
fuivre Rouſſeau au lieu de le chicaner ; mais c'eſt
une grâce qu'on n'accorde guère aux grands Écrivains
, & Rouſſeau ſemble être celui à qui on
la refuſe d'avantage. Je ne crois point ſon ſyftême
vrai , mais il eſt admirablement lié dans
toutes ſes parties; c'eſt un tiſſu parfait , les couleurs
ſeulement reſſortent davantage & font plus
éclatantes dans certains endroits . Rouſſeau eft un
grand penſeur comme tous les grands Écrivains ;
mais il m'étonne moins encore par ſes idées que par
fon art à les lier enſemble pour en former un corps
de doctrine & d'opinions. Si vous le comparez , par
exemple, phrafe à phraſe à Montesquieu , il ne ſoutient
pas le parallèle ; il reſte toujours au-deſſous
pour l'étendue & l'élévation de la penfee , pour l'é
clat& l'originalité de l'expreſſion ; mais comparez
un Chapitre à un Chapitre , un Livre à un Livre ,
Montesquieu n'a plus le même avantage. Rouffeau,
en foutenant & fortifiant ſes idées les unes par les
autres , en liant enſemble , pour ainſi dire , toutes les
ſenſations qu'il vous donne , finit par laiſſer dans
votre âme un auſſi long ſouvenir de fon génie. L'inconvénient
de cette manière de procéder, c'eſt qu'elle
exigeroit une attention égale & continuelle de la
part des Lecteurs , & que l'éloquence de l'Écrivain,
qui ne peut pas être par - tout la même , porte & fixe
inégalement leur attention fur les morceaux qu'elle
embellit & qu'elle anime davantage. L'imagination
attachée aux tableaux & aux couleurs du ſtyle ,
détourne l'eſprit d'une ſuite de raiſonnemens qui ne
font pas aufli agréables. J'avois lû vingt fois peutêtre
le Difcours ſur l'inégalité des conditions , &
frappé vivement du tableau de l'état de nature & de
celui de la civilisation corrompue , tout le reste
86 MERCURE
m'étoit échappé ; je croyois alors comme vous,
Monfieur , que Rouſſeau ne trouvoit de bonheur
pour l'homme qu'à être iſolé & folitaire , à errer
dans les forêts comme les animaux. Cet inconvénient
au reſte eft commun aux Ouvrages de tous les
Écrivains philoſophes , qui ſont en même - temps de
grands coloriftes. Lorſqu'après avoir lû quelques
morceaux de Platon , de Montagne , de Bacon , de
Shafterbury ou de M. de Buffon , je cherche dans
ma mémoire les vérités ou les opinions que j'ai remportées
de leur lecture; j'y retrouve en foule des.
comparaiſons ingénieuſes ou riches en couleurs, des
expreffions hardies & heureuſes, des tableaux charmans
ou fublimes , & pas autre choſe . J'ai beau me
demander qu'est - ce qu'ils ont prouvé, j'ai toute
forte de peine à retrouver une vérité au milieu de
tous ces objets qui ont rempli & enchanté mon imagination
; je fors de leur lecture comine d'une promenade
que j'aurois faite dans un lieu qui raffem--
bleroit tous les grands aſpects de la Nature, ou au
milieu d'une Ville qui me montreroit tout le ſpectacle
des Arts & des fonctions dela ſociété, l'eſprit plein
de grandes images qui dominent fur une foule d'idées
incertaines & confules: que faire ? Attendre que cette
vive impreſſion ſoit calmée, & les relire encore en
ſe défendant, s'il eſt poſſible , des charmes & des
paffions de leur éloquence. Qu'il eſt beau , Monfieur ,
de mériter le reproche de donner trop de plaifir &
des fenfations trop fortes à ſes Lecteurs!
Vous me demandez , Monfieur , ſi je ne ſuis pas
tenté de croire qu'il y a eu de l'amour dès qu'il y a eu
un homme & une femme : j'en ferois bien tenté , &
c'eſt l'idée qui ſe préſente d'abord. Mais lorſque je
m'applique à éviter quelqu'erreur , je tâche de réfifteràla
tentation des premières idée:s ah, Monfieur!
il m'eſt arrivé ſi ſouvent dans la réflexion d'y trouver
mes paffions &mes goûts au lieude la vérité, quej'avois
DE FRANCE. 87
cru d'abordy voir. Au reſte, il faut s'entendre. Ce mot
amour, qui, danstoutes les langues, ſembleroit devoir
étre le plus clair& le plus ſenſible de tous, reçoit prefqu'autant
de ſens divers que les termes les plus
abſtraits de la philoſophie Il y a aurant de manières
de l'entendre que de manières d'aimer , & cela pourroit
être infini . Si vous entendez par Amour cet attrait
ſeulement, ce defir des ſens qui , dans toutes
les eſpèces d'êtres animés , entraîne les deux ſexes
l'un vers l'autre pour ſe perpétuer & ſe détruire dans
le ſein des plaifirs , il eſt hors de doute qu'il y a en
de l'amour dès qu'un homme & une femme ont été
placés à côté l'un de l'autre. Mais fi , au lieu de cet
inftinct aveugle qui ſe porte ſans choix for tous les
objets du même ſexe , l'amour étoit un deûr éclairé
& guidé par les idées acquiſes de la beauté & des
grâces , une paſſion exclufive qui réunit tous les
voeux & tous les mouvemens de l'âme ſur l'objet
Tarique où elle voit le plus de charmes & le plus de
perfection ; fi , au lieu de n'être que la premièredes
jouiſſances , il étoit encore un ſentiment profond
qui remplit la vie entière de ſes délices, je penſe ,
Monfieur , que cet amour est ignoré de l'homme
qui cherche une ſubſiſtance toujours incertaine dans
les forêts ou ſur le rivage des mers; il me paroît
que l'homme ne peut le connoître que dans une
fituation où , tranquille ſur ſes premiers beſoins , il
peut s'occuper des goûts de ton imagination & de
ſon âme , les ſentir avec plus de force encore que les
defirs des ſens , & faire entrer les talens & les vertus
même parmi les charmes qu'il adore. Cette ſituation
ne commence pour l'homme que dans la vie paſtorale
, d'où j'ai préſumé que c'eſt là l'origine de cette
union fi ancienne entre les images de la vie paſtorale
& celles de l'amour. Je vous invite , Monfieur,
àlire Ouvrage de Millar ; vous y verrez que dans
l'homme Sauvage cet amour même , qui n'est qu'un
beſoin& un dear , eſt toujours très - foible & très
88 MERCURE
languiſſant. Les ſens du Sauvage ſont froids comme
fon coeur. On a cru que l'indifférence des Américains
pour leurs femmes étoit particulière aux Sauvages
du Nouveau- Monde ;M. de Buffon , M. Paw ,
&après eux tout le monde en a cherché la cauſe
dans le climat du nouvel hémisphère ; le climat peut
ſans doute l'avoir fortifiée , mais elle réſide dans la
vie Sauvage , puiſque tous ceux qu'on a pu obſerver
fur tout le globe ont montré à peu-près la même
froideur & la même indifférence . C'est dans la Société
, au milieu de tous les Arts & de tous les talens
, que les deſirs ſatisfaits renaiſſent ſans ceffe
dans les imaginations enflammées ; c'eft-là que ,
Des plaiſirs les plus doux l'image retracée
Revient à chaque inſtant occuper la penſée.
Le coeur a toujours envie de croire l'amour éternel;
mais, hélas ! il ne l'eſt pas plus dans l'eſpèce que
dans l'individu ; il n'existe pas encore avant que les
Sociétés aient acquis une certaine perfection ; il ceffe
d'exiſter lorſqu'elles font très -corrompues ; c'eſt dans
les époques les plus heureuſes de la civiliſation
qu'on le voit avec tous ſes charmes & toute fon
énergie. Comme le feu ſacré de Veſta , il ne brûle
éternellement que lorſqu'il eſt gardé par les plus
belles âmes ; & quand il pâlit , ceux qui ont comparé
la marche des paſſions & celle desempires , peuvent
prédire le déclin des Nations.
Adieu , Monfieur : j'ai dû être ſans doute très-
Aatté de vos complimens ; mais je vous remercie
fur tout d'avoir combattu mes opinions avec une
honnêteté qui m'a permis de les défendre. Vous pourrez
perſiſter dans les vôtres ; mais ce ſera ici ma
ſeule réponſe , à moins que je n'aie à vous dire : j'ai
eu tort , je me rétracte. Ces objets font importans ,
mais férieux , & un peu difficiles. Chaque Lecteur
ſemble dire aujourd'hui aux Écrivains:
DF FRANCE. 89
Le raifonneur triſtement s'accrédite;
Ah ! croyez -moi , l'erreur a fon mérite.
On répère ſérieusement ce qu'a dit dans un joli
Conte , en parlant de Chevaliers & de Fées , un
grand Homme qui a paſſe ſoixante ans de ſa vie à
chercher la vérité& la raiſon ſur tous les objets qui
intéreſſent l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c. GARAT.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné , Vendredi s de ce mois , la
troiſième repréſentation d'Alexandre dans
les Indes, avec une Fête analogue à l'action ,
que le Public avoit paru detirer , & que les
Auteurs y ont ajourée.
Le ſuccèsde cette troiſième repréſentation
a éte plus brillant encore que celui des deux
precedentes. L'affluence des Spectateurs , le
grand enſemble que l'exécution a acquis , la
nobleffe & la pompe du Spectacle , & le
nouveau Ballet qui le termine , confirment
l'opinion avantageuſe que nous avions donnée
de cet Opéra en rendant compte des deux
premières repréſentations.
CenouveauBaliet a obtenu les plus grands
applaudiſſemens. Après le denouement &
la paix convenue entre Porus & Alexandre ,
les murs , les tours & les machines de
guerre même qui ont ſervi au ſiège , ſe garniffent
d'une multitude de Soldats. L'Armée
entre par la brêche , & défile devant Porus
,
१०
MERCURE
:
&Alexandre ſur une marche d'un caractère
original & d'un excellent effet. Le Compofiteur
de Ballet a ſagement oublié dans cette
marche l'uniformité qu'on reprochoit en
général à toutes celles qu'on exécute fur ce
Théâtre. Toutes ces Troupes, diviſées en différens
pelotons , & portant devant elles des
enfeignes dans le gente antique , contraſtent
heureuſement par la différence des coſtumes
Grec, Perfan & Indien; leur contenance ,
leurs pas , la manière dont ils marcheut ferrés,
&celle dont ils ſe développent enſuite par
différentes évolutions , préſentent un coupd'oeil
impoſant&pittoreſque qui offre à l'oeil
du Spectateur ce que l'on connoît de cette
partie de la tactique des anciens par l'hiftoire&
par les monumens que le tems a épargnés.
Un choeur général ſuccède à cette marche
, & les danſes contraſtées des différens
peuples de l'Inde & des Grecs terminent
heureuſement ce Spectacle. Tous les principaux
Sujets de la danſe y ont paru avec la
fupériorité de talens qu'on leur connoîr.
Les Diles Gervais & Dupré; le ſieur Nivelon,
& fur- tout le ſieur Veftris , y ont mérité les
plus grands applaudiſſemens. Les Airs de
danſe ont paru avoir en général le caractère
qui leur convenoit.
Ce Ballet fait honneur aux talens de M.
Gardell'aîné ; le goût & la variété des différens
coſtumes en fait beaucoup à l'Artiſte qui les a
deffinés , & aux ſoins que l'Adminiſtration
s'eſt donnés pour leur exécution,
DE FRANCE.
91
ANNONCES ET NOTICES.
INSTITUTION
NSTITUTION aux Loix Ecclésiastiques de France
, ou Analyse des Actes & Titres qui compofent
tes Mémoires du Clergé , avec des Extraits des queftions
les plus importantes recueillies dans les rapports
d'Agence, depuis 1715juſqu'à préfent , par M. l'Abbé
de V*** , Vic. Gen. de Cahors. 3 Vol. in- 12 . A
Paris , chez Demonville , Imprimeur - Libraire de
l'Académie Françoiſe , rue Chriſtine.
MM. Lemerre , père & fils , ont donné un Rocueil
des Mémoires du Clergé. M. l'Abbé de V***,
en rendant juſtice à cet important Ouvrage , n'a pas
pû ſe diffimuler qu'il y avoit un peu de confusion ;
ce qui ,joint à la très-grande étendue du Recueil ,
le rendoit preſque inabordable au Lecteur. Fâché de
voir un Ouvrage fi utile & fi peu lû , il a voulu ,
en le refferrant en trois Volumes , en rendre le
plan plus facile à ſuivre. Dans la dernière Édition
qui a paru des Mémoires du Clergé , on a donné
in quatorzième Volume , rédigé par M. l'Abbé du
Saulzet , & qui préſente l'abrégé des douze Volumes
précédens. M. l'Abbé de V *** loue cette Rédaction
; mais il lui reproche la ferme de Dictionnaire.
C'eſt ce qu'il a voulu éviter dans ſon Inftitution aux
Loix Ecclésiastiques de France. " Suivre pas à pas
w ſon modè e , en prendre les traits les plus faillans ,
>> les ranger dans le même ordre , & procurer la fa-
> cilité au Lecteur de comparer à chaque inſtant la
>>copie à l'original : >> Tel eſt le but qu'il s'eft propolé.
Nous croyons que les perſonnes intéreffées lai
lauront gré de ſon travail , & applaudiront au ſuccès
de cette utile entrepriſe .
Σ
L'ART de rendre les Femmes fidelles , troiſième
92 MERCURE
,
Edition , avec des changemens & des corrections ;
en deux Parties . A Genève , & ſe trouve à Paris
chez Couturier fils , Imprimeur- Libraire , quai des
Auguſtins , près l'Eglife .
Béni ſoit l'Auteur à qui l'idée d'un pareil Ou
vrage eſt venue ! Louange à celui qui vient de le reffufciter&
de le commenter ! Puiſque voilà une troiſième
Edition , beaucoup de perſonnes l'auront lâu ,
beaucoup en auront mis les principes en uſage ;
&fans doute le nombre de nos Femmes fidelles eſt
depuis peu confidérablement augmenté. L'Auteur de
ce Traité étoit un grave Préſident , qui avoit appris
aux maris contemporains à rendre leurs femmes
fidelles , & qui vit enfuite la ſienne propre manquer
à la foi conjugale. C'eſt avoir bien du malheur
! Après cet accident , il n'oſa plus réimprimer
fonOuvrage , dont l'Édition avoit été épuisée. Heureuſement
un Homme de Lettres de nos jours a
bien voulu ſe charger de ce ſoin. Il a fait plus ;
il l'a expliqué & commenté. L'Éditeur eſt un peu
moins ſérieux que l'Auteur ; il ſe permet quelquefois
de rire en cegraveſujet. Au reſte , il faut pour
tant convenir que le Commentaire eſt plus agréable
à lire que le Texte , qui de ſon côté eſt fort
ſouvent édifiant. Les notes ſont d'un Écrivain ingénieux
, d'un homme inſtruit , même hardi , car il
ofe quelquefois critiquer juſqu'à fou grave Auteur.
BIGARRURES Littéraires . A Paris , chez J. Fr.
Baſtien , Libraire , rue Ste Hyacinthe , la première
porte - cochère à gauche en entrant par la Place
S. Michel.
L'Auteur de ce Volume, foit qu'il n'ait pas eu
vent de ſa publication , ſoit qu'il l'ait permiſe , a
caché fon nom ; mais les Éditeurs ſemblent le faire
connoître dans un court Avertiſſement qu'ils ont mis
entête. Nous en rendrons compte inceſſamment.
DE
93
FRANCE.
L'AMI des Enfans , par M. Berquin. A Paris ,
au Bureau del'Ami des Enfans , rue de l'Univerſité,
aucoinde celle du Bacq.
Le Nº. 8 de cet intéreſſant Ouvrage a paru II
faut toujours s'adreſſer à M. le Prince, Directeur.
THEATRE choisi de P. Corneille. Tome 2. A
Paris , de l'Imprimerie du ficur Ambr. Didot l'aîné.
Cette Édition , dont le prix eſt de 72 livres les
deux volumes , brochés en carton , a été imprimée
au nombre de 200 exemplaires , avec les rouveaux
caractères de Didot l'a'né , ſur du papier grand
raiſin de France , de la Fabrique de Mathieu Johannot
, d'Annonay en Vivarais ; c'eſt-a dire , qu'elle
ne laiſſe rien à defirer aux Amateurs de l'Art Typographique.
On fent combien de parcils Ouvrages
augmenteront de prix , & par la rareté des exemplaires
, & par la beauté de l'exécution .
ANTIQUITES d'Herculanum. A Paris , chez l'Auteur
, rue des Noyers.
M. David, Graveur , continue toujours avec le
même ſuccès ſon intereffant Ouvrage des Antiquités
d'Herculanum . Il vient de publier les Numéros 3.4 .
5& 6 du Tome IV . qui répondent pour l'exécution
àtout ce qui a précédé. On ſouſcrit pour cet Ou
vrge, en payant deux Cahiers d'avance.
ESTAMPE repréſentant Louis XVI. Prix , 3 liv.
A Paris , chez Alibert , Marchand d'Eſtampes , au
Palais Royal .
Cette Gravure repréſente Louis XVI occupé
du bonheur de ſes Sujets , & ſe promenant dans
une campagne ; il tient à la main la lance de
Minerve, qui , en touchant la terre , fait naître
un olivier , dontune des branches paſſe ſur le corps
de Sa Majesté , tandis que d'une autre branche un
94
MERCURE
Génie a fait une couronne , qu'il place ſur la tête
du Prince. Deux autres Génies montrent une deviſe
latine , dont le ſens eſt : qu'il n'appartient qu'à
lui , après avoir affranchi l'Amérique , & rétabli
la liberté des mers , de donner la paix ; & Minerve ,
fatisfaite de voir le voeu du Souverain accompli ,
retourne dans les Cieux .
Le double Trio de feu Jacques Huguenel , Ordinaire
de la Muſique de la Chapelle & Chambre du
Roi. Prix , 4 liv. 4 ſols. A Paris, chez Mlle Caftagnery
, Privilégiée du Roi , à la Musique Royale ,
rue des Prouvaites , près celle S. Honoré.
A-propos d'an Avertiſſement , qu'on lit au bas du
titre, nous demanderons à l'Éditeur 1 ° . comment il eſt
prouvé que l'Auteur de cet Ouvrage connut la baſſe
fondamentale avant la publication du Traité d'Harmonie
de Rameau. S'il daigne nous répondre , nous
le prions de nous dire bien clairement ce qu'il entend
par la baffe fondamentale.Sa définition , d'après une
affertion pareille , doit être curieuſe. Ce morceau eft
tout fimplement une ſymphonie à deux orcheſtres ,
l'un d'inſtrumens à cordes , l'autre d'inſtrumens à
vent; fans aucun chant , ſans aucune expreffion ( il
ne peut y en avoir ) mais avec beaucoup d'imitations
&de mouvemens de contre-point.
2°. Nous demanderons encore à l'Éditeur comment
ce morceau a pu paſſer pour un chef-d'oeuvre
de l'Art , & nous le prierons , avant de nous répondre,
de jeter les yeux ſur les quatre dernières mefures
de la page deux , & les quatre premières de la
page trois. Il y verra deux parties marchant à quinte
avec la baſſe. Quelques-unes à la vérité ſont faufſes ,
mais il y en amême pluſieurs de juſtes de ſuite. Après
cet examen , s'il eſt harmoniſte , conſeillera-t'il encore
l'étude de ce morceau à ceux qui apprennent à
compoſer?
DE FRANCE.
95
NUMÉROS 61 & 62 du Journal d' Ariettes , Scènes
&Duos , traduits , imités ou parodiés de l'Italien
parM. C. Ainateur.
RECITATIF , Scène & Rondeau del Signor Paifiëllo.
Prix , 3 liv. 12 fols , & Ariette Bouffonne , du
même. Prix , 2 liv. 8 ſols. A Paris , chez Madame
Béraud , Marchande de Muſique , rue de l'ancienne
Comédie Françoiſe , près le Carrefour de Bufly ; &
chez M. de Roullède , au Duc de Valois , ruc Saint-
Honoré , entre celle des Poulies & l'Oratoire .
NOUVEL Étamage à Couche épaiſſe , économique
& de ſanté , rougiſſant au feu fans se fondre .
Perſonne n'ignore le danger & les funeftes
effets du cuivre dans l'uſage journalier des uſtenfiles
de cuifine , & combien eſt inſuffiſant &
équivoque le préſervatif de l'étamage actuel. La
Vouvelle Manufacture offre au Public un alliage
, qui non - ſeulement réſiſte au plus grand
feu , ſans ſe fondre , mais qui s'applique ſur le
cuivre , & même ſur le fer , avec telle épaiſſeur
que l'on veut , depuis un huitième de ligne juſqu'à
trois ou quatre lignes ; & la plus légère de ces
couches forme dans le vaſe , par ſon épaiffeur &
fon infuſibilité , un obſtacle inſurmontable au mordant
des acides. Les épreuves de la nouvelle méthode
ont été multipliées par la Faculré de Médecine
, par l'Académie des Sciences , & la Société
Royale de Médecine. A l'avantage ſi précieux de la
sûreté pour la vie & la ſanté , le nouvel étamage
réunit encore par ſa durée , le bénéfice d'une
économie ſenſible. Il en coûtera beaucoup moins
au bout de l'année , pour acquérir cette sûreté
puiſque les uſtenſiles de l'uſage le plus fréquent ,
n'auront beſoin d'étre érames , tout au plus , que
deux fois par an ; d'ailleurs ces mêmes uſtenſiles ,
,
,
96
MERCURE
qui ne ſeront point gratées , dureront infiniment
plus. Il fera payé pour chaque pièce , étamée ſuivant
le nouveau procédé , garantie pour au moins
fix mois ; ſavoir : Pour les plus petites pièces ,
jusqu'à celles de fix pouces de diamètre 18 fols.
Pour celles au-deſſus de fix pouces jusqu'à neuf ,
* livre 4 fols. Pour celles au- deſſus de neufpouces
juſqu'à douze , I livre to fofs. Pour celles au- deſſus
de douze pouces juſqu'a quinze , I livre 16 fols .
Toutes les pièces qui patſeront ces mesures , front
arbitrées , ainſi qu'il eſt d'uſage pour l'étamage
ordinaire .
La Manufacture eft fituée rue Thévenot , la première
porte cochère à gauche en entrant par celle
Saint- Denis , au Nº . 6. L'on y trouvera fous peu
un affortiment des différens uſtenſiles de cuifine ,
& autres , étamés ſuivant le nouveau procédé.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librai
riefur la Couverture.
TABLE.
12
LE Fublic &le Globe Ter- Table Chronologique des Direftre,
Dialogue ,
L'Absence,
Lebon Co feil ,
49
50 Examen de la Question : Si les
plômes , &c . 69
Infcriptions des Monumens
A un Novice au Couvent publics doivent être en lande***
ib . gueNationale ? 73
78 Charade, Enigme& Logogry-Réponse de M. Garat ,
phe
54 Aca témie Roy. de Musiq. 89
Vie de Michel-Ange Buonar Annonces & Notices ,
56
91
roti ,
APPROΒΑΤΙΟΝ
.
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le MercuredeFrance , pour le Samed 13 Septmbre Jen'y ai
rien trouvé qui puiffe en empecher 'impreſſion A Paris ,
le 12 Septembre 1783. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUI E.
1
:
DE CONSTANTINOPLE , le 22 Juillet.
aap-
ES préparatifs de guerre paroiſſent avoir
Lredouble d'activité, depuis que l'on
pris que les Ruſſes avoient pris poffeffionde
la Crimée ; les Albanois & le peuple demandentqu'onprenneles
armespourvenger l'honneur
Ottoman qu'ils trouvent violemment
offenſé par cetre démarche ,& les principaux
membres du Gouvernement paroiffent embarraffés
ſur les ſuites . Le Divan s'aſſemble
fréquemment , mais on ignore ce qui y est
décidé; on fait ſeulement que les mouvemens
des Troupes continuent. Nous avons
déja prés de 160000 hommes campés les uns
àBelgrade , les autres à Choczim , & les derniers
ſur la Save ; on en attend 30,000 à
Scutari , ils viennent d'Afie comme les premiers.
Trente Odas, ou Compagnies de
Janiſſaires ſont partis avant hier pour joindre
les Troupes qui montrent beaucoup d'ar-
13 Septembre 1783 . c
( 50 ) :
deur , &qui difent qu'elles ne marchent pas
pour faire la guerre , mais pour défendre la
ſplendeur de la fublime Porte. On leura envoyé
beaucoup d'Officiers étrangers pour les
former aux évolutions militaires.Le nombre
de ces Officiers augmente tous les jours ;
le traitement que leur accorde le Sultan eſt
très-propre à les attirer ; il en eſt arrivé en -
core une vingtaine ces jours derniers.
:
L'Eſcadre eſt entiérement armée , pourvue
de tout ,& prête à mettre en mer , mais elle
ne part point encore ; on ignore quand elle
fortira. Juſqu'à préſent la préſence du Capitan
Bacha paroît abſolument néceſſaire dans
cette Capitale , où la fermentation eſt trèsgrande
, & où il peut feul, par la confiance
qu'il infpire , & par la crainte que donne en
même-remps ſa fermeté , entretenir la tranquillité&
prévenir les troubles.
La peſte continue d'exercer ſes ravages ;
mais on remarque qu'ils font plus grands
dans cette ville que dans les provinces. Prefque
tous ceux qui en font attaqués meurent ,
&ſouventquelques heures ſuffiſent pour enlever
la victime qui en eſt frappée. Les Européens
même, malgre leurs précautions, font
ſouvent ſaiſis de ce mal terrible , & dès que
les ſymptomes font une fois déclarés , on n'a
plus l'eſpoir d'y ſurvivre.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Août.
Selon les dépêches du Prince Potenkin
( 51)
lapublication dumanifeſte de l'Impératrice
dans les pays qu'elle vient de réunir à fon
Empire alloit être bientôt ſuivie de la preſtatien
du ferment de fidélité de la part des habitans
, & il prenoit les meſures néceſſaires
pour cette cérémonie indiſpenſable dans un
pays nouvellement acquis.
La grande Duchefſe eſt accouchée le ,
de ce mois d'une Princeſſe , & ſe trouve
auſſi-bien que fon état le comporte ; la Princeffe
nouvellement née a reçu les noms d'Alexandra
Pawlowna.
:
:
SUÈDE . :
DE STOCKHOLM , le's Août.
Le Roi & la Famille Royale font toujours
àDrottningholm, où ils jouiſſent de la meilleure
ſanté. L'uſage des bains froids a fait
beaucoup de bien àSa Majesté , qui ne fent
plus àpréſent aucune douleur à fon bras.
LeComtede Creutz , qui eſt toujours indiſpoſé,
ſur le defir que le Roi a témoigné
de l'avoir auprès de ſa perſonne, s'eft fait
tranſporter àDrottningholm , où il eſt actuellement
, & où il jouit d'un repos que ſa
ſanté lui rend néceſſaire pendant quelque
temps.
Onparle beaucoup ici de la miſſion d'un
Eccléſiaſtique de marque, arrivé depuis peu
dans cette capitale; on le dit chargé par la
Cour de Rome de travailler à în arrangement
ſur le libre exercice de la Religion Ca-
C2
( 52 )
cholique. S. M. l'a permis dans ſes Etats ,
mais au moyen de quelques reſtrictions , fur
leſquelles le S. Siege defire quelques chan
gemens.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 14 Août.
Les avis de Lemberg portent que pendant
Le ſéjour de l'Empereur dans cette ville , le
jeune Prince Jablonowski lui fut préſenté,
S. M. I. daigna l'accueillir avec bonté , &
l'affurer que non - feulement la dignité de
Prince de l'Empire , accordée à fa maifon
par l'Empereur Charles VII , ſeroit maintenue
, mais qu'il feroit encore rendu à ſa mere
la plus promptejuſtice ſur toutes ſes prétentions
en litige dans la Galicie & la Lodomerie.
:
S'il faut en croire quelques nouvelles de
l'Armée Ruſſe , l'Ifle de la Crimée , Taman
& le Cuban ont déjà rendu hommage &
prêté le ferment de fidélité à l'Impératrice ;
mais on ne dit pas quand cette cérémonie
s'est faite , &de quelle maniere les Tartares
s'y ſont préſentés. En général on doute que
'ces pays rentrent jamais ſous la domination
Ottomane, &les diſpoſitions qu'on y fait
font entierement oppoſées aux principes
qu'on avoit auparavant.
>>Mustapha,renégat Anglois, chefdu Corps des
Bombardiers &de la fonderie de Canons de cette
ville , lit-on dans une Lettre de Conſtantinople ,
a été expoſé dernierement au plus grand danger.
Undeſes Officiers , lepremier en commandement
13
( 53 )
après lui , qui le voyoit fréquemment,& qui ſous
P'apparence de l'amitié , fumoit un jour avec lui
ane pipe ſur un ſopha , ſe leva bruſquement , &
tira fon poignard pour lui porter un coup mor
tel. Mais Mustapha , qui est très-agile , ſe levant
à fon tour , prévint ſon adverſaire & le défarma.
Dans ce moment pluſieurs de ſes domeſtiques en
trerent ; il fit faiſir l'Officier qui fut conduit ens
fuite devant le Grand-Viſir; celui-ci le fit étran
gler ſur le champ. Mustapha eſt en grand crédit
auprès de S. H. , du Grand- Vifir & du Capitan .
Bacha; & on croit qu'il ſera élevé inceflamment
au grade de Grand-Maître de l'Artillerie.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 27 Août.
Il y aura un camp près de Prague , qui
ſera compoſé de la gatniſon de cette ville &
de quelques autres Régimens qui ont eu ordre
de le joindre, & on s'attend que l'Empereur
s'y rendra inceſſamment , à préſent
que les grandes manoeuvres ſont finies a
Minckendorf.
- Le Comte de Salm , Auditeur de Rote à
la Cour de Rome , fut admis , le 18 de ce
mois , à l'audience de S. M. I. Le Miniſtre
d'Angleterre lui préſenta le même jour le
Général Boyd, fous-Gouverneur de Gibral
trar, qui fut conduit enſuite à l'audience de
l'Archiduc Maximilien , qui s'entretint longtemps
avec ce Général des détails du fiege
deGibraltar.
Pendant le ſéjour de l'Empereur à l'Augarten ,
on trouva un matin les potagers dévaſtés par les
cerfs , qui des forêts voiſines étoient venus au travers
du Danube pour en ébrouter les efpaliers ,
C3
( 54 )
L'Empereur ordonna qu'on l'avertit auſſitôt qu'on
appercevroit quelques -uns de ces animaux. On
vint unjour les lui annoncer, dans un moment ou
il travailloit dans fon cabinet avec un Secrétaire :
à l'inſtant il prit un fufil , dit au Secrétaire d'en
prendre un autre , & de venir avec lui à la pourfuite
du cerf. L'Empereur tire , & manque l'animal.
Le Secrétaire ſe difpoſe à tirer ſon coup ; dans
Pinſtant même où il preſſoit la détente , l'Empereur
qui le croyoit près de lui , avance la main
pour lui prendre ſon fufil,ſans perdre le cerf de
l'oeil ; la balle pafla à côté de ce Monarque , mais
heurenfement ſans le toucher. Le Secrétaire ne
s'en fut pas plutôt apperçu , qu'il tomba lui-même
évanoni ; & l'Empereur frappé d'une marque fi
ſenſible d'attachement , s'empreſſa de le ranimer
&de le raffurer, & lui fit préfent à fon retour
d'une riche tabatiere d'or.
1.
!
DE HAMBOURG , le 27 Août.
Les apparences de guerre prennent jour
nellement plus de confiſtance : on ne croit
pas que le Gouvernement Ottoman puiffe
fermer plus long-temps les yeux fur l'invaſion
de la Crimée ; on préfume qu'il fe
diſpoſera enfin à céder aux voeux du peuple
qui marque , de la maniere la plus violente
combien il veutla guerre ; & on commence
à déſeſpérer du ſuccès de la médiation des
Puiffances Européennes , qui ont fait juſqu'à
préfent , & qui font encore tout ce qu'elles
peuvent pour l'empêcher d'éclater. En attendant
des nouvelles ultérieures des événemens
qui le préparent, nos papiers font remplis de
ſpéculations politiques qui reviennent toujours
à celles qui ont été déjà faites fur le
( 55 )
projet de chaffer les Ottomans d'Europe. Le
célébre Buſching commence le XXXIII.e
Numéro de fes Ephémérides par les obfervations
ſuivantes.
Les variations continuelles qu'éprouve notre
globe , n'ont peut-être jamais été affez remarquées
; le rapprochement de quelques-unes ne peut
qu'être piquant. Pendant les 25 premieres années
du fiecle précédent , les Polonois, dominoient en
Ruffie. Mais,dans ce ſiecle , ce font les Ruſſes qui
font la loi en Pologne. Depuis le milieu du 139.
ficcle , les Tartares étoient à peu près les maîtres
en Moſcovie; & à préſent la plupart des nations
Tartares ſont ſous la domination Ruffer Juſqu'à la
fin du 16º fiecle , les Tartares , & en particulier
ceux de la Crimee faifoient des incurfions fréquentes
juſqu'au centre de la Ruffie; cet Empire
leur a payé chaque année juſqu'en 1635 un préfent
d'environ 100 , ooo roubles , pour racheter
ceuxde ſes ſujets qu'ils avoient enlevés ; maintenant
le. Kan de Crimée vient de céder tous ſes
Erats à la Ruffie. Pendant la premiere moitié de
ce ficcle , les Ottomans s'étoient rendus très- formidables
aux empires d'Allemagne & de Ruſſie , à
préſent les Turcs les redoutent l'un & l'autre.- Le
Général Feld-Maréchal , comte de Munich , dans
la 80°. année de ſa vie , offrit à Catherine II , à
peine montée ſur le trône , ſa vie & ſes ſervices
pour la conquête de Conſtantinople & de tout ce
que les Turcs poſlédent en Europe. C'est ainſi que
s'exprimoit ce Général , dans une Lettre adreffiée
à ſa Souveraine.- Lorſque le Grand-Duc aura
atteint la 17. année , mon voeu eſt de le ſaluer
en qualité de Généraliſſime des armées Rufſes , de
leconduite, conformément aux deſſeins glorieux
de Pierre I, à Constantinople , pour planter les
étendards Rufies ſur les murs de cette ville,& aller
C4
( 56 )
remercier leciel de cette conquête dans l'égliſe dediée
à Sainte Sophte. Ce Général , après avoir
eſſayé de prouver que depuis le ſiege d'Azoff en
1695 , juſqu'à ſa mort arrivée en 1725 , Pierre le
Grand s'étoit toujours propoſe la conquête de
Conftantinople , l'expulfion des Tures & des Tartares
de l'Europe , & le rétabliſſement de l'Empire
Grec, il expoſe ſonplan relatif à cette entrepriſe.
C'eſt pendant ſon exil en Sibérie qu'il l'avoit rédigé:
mais dans des circonstances douloureuſes il
l'avoit jetté au few; dans un moment où il étoit
accablé d'affaires , il voyoit avec peine le temps
qu'il lui en coûteroit pour en rédiger un nouveau
d'une maniere détaillée; & il ſe borna à en donner
une idée Sur la demande qui lui fut faite par
'Impératrice; ſavoir fi la conquête de la Crimée
étoit praticable , il répondit qu'ayant été le premier
à pénétrer dans ce pays jufqu'à Barchifaari ,
réſidence des Kans, il ſe flattoit de connoître à
-fond toutes les difficultés d'une entrepriſe de cette
nature , & les moyens néceſſaires pour les furmonter.
s'est
Toutes ces difficultés paroiffent en effet
levées : la Ruffie, en ſe mélant des troubles
intérieurs des Tartares indépendans , en envoyant
dans leur pays des corps de troupes
qui ſe ſont renforcés ſucceſſivement ,
miſe en effet en état de s'en emparer, pour
mettre efficacement fin à leurs diviſions : ce
n'eſt donc plus une conquête à faire , c'eſt
une poffeffion àconferver, ce qui ſans doute
eſt plus facile. Il faut voir maintenant ſi la
Porte ne jugera pas qu'il eſt de ſon intérêt
de la troubler dans cette poffeſſion , s'il lui
convient de la laiſſer maitreffe paiſible d'une
contrée voiſine , d'où elle peut ſi facilement
د
( 57 )
aller juſqu'à la capitale de l'Empire , &exécu
ter le projet qu'on lui prête depuis longtemps
. Quoiqu'il en ſoit , tout eſt prêt à
Conftantinople pour l'ouverture d'une campagne.
>> Le départ & l'arrivée des Couriers pour différentes
Cours , écrit- on de Vienne , devenant tous
les jours plus fréquens , perfuadent ànos ſpéculateurs
que nous ſommes arrives au moment de la
criſe qui doit décider du repos de l'Europe . Nos
préparatifs continuent fans interruption , ceux des
Tures font immenfes. L'Edit de Tolérance , qu'on
dit toujours que la Porte a publié , & qui paroiffoit
néceſſaire dans la circonſtance actuelle , attire
un grand nombre d'Etrangers. On en forme des
Corps ſéparés , bien payés , bien armés , & exercés
par des Officiers expérimentés qui ont paflé en
grand nombre à ſon ſervice. On donne la liſte ſaivante
des Vaiſſeaux de guerre qu'elle eſt prête à
mettre à la voile. L'Elia Suleyman , de 76 canons
& 900 hommes d'équipage ; Achmet , de 70 &
860 hommes ; le Nigrelli , l'Hierufalem , & la Sultane
Nifredi , de même force en hommes & en
canons ; l'Illerim , el Vincenza , Sancta Sophia ,
le Caftagnie , le Negriponte , l'Eyzantinelli , tous
de so canons & de 700 hommes d'équipage ; le
Belvidera , de 50 c . & de 470 hommes ; le Narenzac
& le Duraffelle , de 40 Canons & 390 hommes
; le Guigeftane , de 30 & de 300 hommes ; en
tout 15 Vaiſſeaux.
En attendant l'iſſue de ces grands démêlés ,
nos papiers font remplis de conjectures & de
ſpéculations ſur l'occupation de la Crimée.
Parmi ces pieces , quelques - unes peuvent
piquer la curiofité ,& c'eſt à ce titre que nous
placerons ici celle- ci .
Lorſqu'on enviſage Fiminenſe étendue de
CS
( 58 )
L'Empire Ruffe & le grand nombre de Nations
différentes qui lui font ſoumiſes : on ne peut
gueres s'imaginer que le ſeui deſir de regner encore
fur d'autres Contrées nouvelles , ait porté l'Impératrice
a ſe faire prêter hommage dans les arides
Plaines du Cuban. Il faut donc en chercher ailleurs
les raiſons. Elle expoſe dans ſon Manifeſte , qu'en
prenant poffeflion de ta Crimée & du Cuban , elle
avoulu » : 1º. ſe procurer une indemnifation convenable
des ſommes exorbitantes qu'elle a facrifiées
pour conferver la tranquillité publique &la concorde
dans la Crimée ; 2. faire disparoître une fois pour
toutes la pomme de diſcorde qui afait naître tans
de différends avec la Porte ; enfin , par la réunion
de ces Pays avecles autres Etats de l'Empire Rufſe,
mettre dorénavant ſes Sujets à l'abri des incursions
continuelles des Tartares . « Ce n'eſt pas à nous de
décider ſi ces motifs ſuffiſent pour ſoumettre au
Sceptre abſolu & monarchique une nation qu'en.
1774 le Traité de Kainardgi déclaroit indépendante
& auffi libre que l'air qu'elle reſpiroit. On
eſtdu moins parvenu au but que PIERRE I. s'étoit
dit-on propoſé , de ſe rendre , au moyen de la Crimée
, maître de toute la Mer Noire : ce qui , outre
les avantages immenfes qui en réſultent pour le
commercedes Habitans de la Ruſſie , fert encore
àdonner de ce côte- là ,& en tout temps , des entraves
à l'Empire Ottoman. On demande fi le Khan
a le droit de tranſmettre ſes Etats à une autre
Puiſſance ? Puiſqu'il ne gouverne pas d'une maniere
abfolue , qu'il eſt tenude confulter fur toutes
les affaires importantes les Murſes ou Nobles de
éepays , ſans le conſentement deſquels il ne peut
faire la guerre ; il ſemble que l'approbationde ces
mêmes Nobles cût été requiſe pour une démarche
de cette nature. Les Murſes , très-nombreux en
Crimée , ainſi que le Peuple , reconnoiffent à la
vérité le Khan pour leur conducteur & leur chef;
) و (
ils obéiſſent à ſes Ordres , mais ſcuſement autant
qu'ils font compatibles avec les Loix & les prérogatives
nationales , avec l'indépendance du Pays ,
dont le Khan , en ſe chargeant du Gouvernement
, a juré la défenſe. Dès que les ordres d'am
Khan ſont en oppoſition avec les Loix , les autres
Princes Tartares & les principaux de la Nobleffe
s'y oppoſent & l'obligent de les révoquer. On dit
que pour la ceſſion volontaire de ſes Erats à la
Ruffie , Sahin-Gueray jouira d'un revenu annuel
de 80,000 roubles. Ses prédéceſſeurs étoient en
uſage d'entretenir une Cour très - nombreuſe ;
mais , quoique leurs revenus , avec ce qu'ils recevoient
chaque année de la Porte comme une efpece
de ſubſides , montaſſent , ſuivant quelques
Auteurs , à environ trois millions par an ; ces
ſommes ſuffiſoient rarement pour faire face à leur
dépenſes ; & ils étoient obligés de recourir a
d'autres moyens. Ainfi le Khan perd , par fa
ceffion volontaire , une partie fort conſidérable de
ſes revenus. La Nobleſſe Tartare jouiffoit de la
prérogative d'élire elle-même ſes Khans , que la
Cour Ottomanne ne faiſoit que confirmer. Cette
Election ſe faiſoit d'entre un nombre de plus de
cent Sultans ou Princes , tous iſſus de la famille de
Gueray , dont chacun avoit l'eſpoir d'obtenir à fon
tour cette dignité. Il ſeroit étonnant que ces mêmes
Sultans , poflédant preſque tous , non- feulement
en Crimée , mais auſſi dans la Romélie & en d'autres
Provinces de l'Empire Ottoman , quelques
Villes ou villages , renonçaſſent auſſi volontairement
à cette prerogative , pour ſe foumettredans
la ſuite à l'autorité d'un Gouverneur Ruffe . Une
grande partie du Cuban , Contrée où eſt ſituée
Azow, Ville & Fortereffe Ruſſe , a déjà été fubjuguée
par l'Impératrice Anne en 1736. Quant au
refte , auſh bien que toute la Petite-Tartarie , à
l'exception de la ſeule Crimée, c'eſt un pays aride ,
€ 6
( 60 )
,
imhabité , dénué de Villes , où ſe trouvent à peine
quelques Bourgs ou Villages , & feulement un petit
nombre de Hordes Tartares , rodant de côté
&d'autres avec leurs tentes , ou plutôt leurs cabanes
mobiles . Ce Pays- là n'eſt donc d'aucune importance
réelle. L'Ifle de Taman , au contraire
T'eft infiniment à cauſe de ſa poſition avantageuſe ;
car elle défend le Détroit de Caffa , ſeul paſlage de
la mer d'Azow dans la mer Noire. Mais de toutes.
ces diverſes Contrées , la Crimée eſt la plus importante
par ſa fertilité , le nombre de ſés Ports
excellens , qui peuvent en tout temps mettre en
fûreté une Flotte nombreuſe de vaiſſeaux de guerre
Ruffes. Cette Preſqu'Iſle , qui a 40 milles d'Allemagne
, ou 187 milles de France de circuit , eſt ,
àune bande étroite près , tout-à- fait entourée par
la mer Noire & celle d'Azow : outre onze Villes
affez grandes , elle contient un grand nombre de
Bourgs & de Villages. Ses Habitans font beaucoup
plus civiliſés que le reſte des Tartares . Elle est fi
tuée fi avantageuſement pour le commerce , que
dès les temps les plus reculés , ſous les anciens
Grecs , & enſuire depuis le milieu du douzieme
fiécle juſqu'en 1471 , ſous les Génois , qui s'étoient
rendus maîtres de tous ſes Ports , le négoce
y a toujours été exercé avec le plus grand ſuccès.
La Porte doit être vivement affectée de voir au
pouvoir des Ruſſes un pays qui les met en état de
dominer fur la mer Noire , &d'intercepter à leur
volenté le tranſport des vivres de-là à Conſtantinople
; qui , enfin , au premier nuage de méconsentement
entre les deux Cours , leur donne la facilité
de répandre la terreur & la dévaſtation jufqu'au
fond du Serrail. Toutes ces confidérations
Eveillent la curioſité publique ſur le réſultat de
certe entrepriſe; elles font préſumer avec beaucoup
de vraiſemblance que la Porte , à moins qu'elle ne
fot convaincue de l'épuiſement total deſes forces,
;
( 61 )
sâchera de s'oppoſer avec autant de vigueur que de
zéle , à cet accroiſſement conſidérable de la puiffance
de l'Empire Ruffe » .
S'ilen faut croire quelques lettres , il y a
un traité d'alliance entre les deux Cours Impériales
d'Autriche &de Ruſſie ; un de nos
papiers s'exprime ainſi ſur ce ſujet.
Ce traité a été notifié miniſtériellement à l'envoyé
de S. M. Ruflienne à Pétersbourg , le même
jour que le Miniſtre Ruſſe à Berlin en faisoit part
au Roi. On s'eſt contené , en faiſant cette communication
verbale , de déclarer que ce traité étoit
le même que celui qui avoit été dreſſé en 1781 ,
& qu'il ne contenoit rien de contraire aux intérêts
du Roi ni à la paix de Teſchen. On ajoute , à l'occaſion
de ce traité dont on a dit qu'il exiſtoit déja
des copies qui ſeroient fans doute bientôt publiques
, que peut-être il n'y en a aucune , & qu'afin
-d'éviter toute diſcuſſion au ſujet des titres & de
la prééminence , les deux Cours Impériales ſont
convenues par lettres , de leur accord , de leur alliance
, ſans dreſſer un traité dans la forme ordinaire.
Cette nouvelle , ſans qu'on ſache encore fi
elle est fondée , donne lieu à une multitude de
conjectures , par leſquelles on cherche à pénétrer
leparti que prendra le Roi de Prufſe , ſans lequel ,
depuis près de 30 ans , ſes voiſins n'ont fait aucune
démarche importante.
Diverſes lettres confirment que tous les
Couvens de Capucins ſitués en Autriche doivent
être ſupprimes inceſſamment , à l'exception
de trois , où l'on réunira les infirmes à
ceux qui aimeront mieux reſter dans leurs
Couvens querentrer dans le ſiecle. Suivant un
calcul qui vient d'être publié , l'indépendance
actuelle des Evêques & du Clergé régulier ,
( 62 )
&les autres arrangemens faits enAutriche ,
font perdre à la Cour de Rome 18,876,947
florins , qu'elle tiroit auparavant chaque année
de ce ſeul Archiduché.
ITALI Ε.
"DE LIVOURNE , le 12 Août.
Le grand Duc , informé que les trois
académies de la Toſcane , la Florentine , la
Crufca & les Apatiſtes, étoient tombées dans
l'inaction , & jaloux de faire revivre le goût
des ſciences & des arts dans ſes Etats , a
fupprimé ces trois corps , & a ordonné que
parmi les membres qui les compofoient , on
en choiſiroit quelques-uns qui formeront déformais
une ſeule académie , ſous le nom
d'Académie Florentine. S. A. R. a créé en
même temps des Profeſſeurs, qui enſeigneront
publiquement, dans cette académie , le
grec , les mathématiques & les inſtitutions
civiles.
Le Comte de Molkte , Contre-Amiral au ſervice
du roi de Danemarck , écrit- on de Tunis , arriva ici
le 6 Juin , venant d'Alger , où il avoit porté les
préſens du roi ſon maître : il eſt venu s'acquitter
ici d'une pareille commiffion. Ses préſens ont été
remis au Bey & à ſes freres; ils confiftent en
une montre à répétition , enrichie de diamans ,
une bague avec un gros brillant , une tabatiere
d'or, un ballot de drap pour le Bey , deux montres
& deux rabatieres d'or pour ſes freres. Ces
préſens malheureuſement n'ont pas fatisfair le
Chef de notre Régence , qui a refuſé d'abord
de les accepter , malgré toutes les inſtances du
( 63 )
Conful Danois; il n'a cédé qu'à la fin , & à condition
qu'il en ſeroit envoyé d'autres ; & on a écrit
au Conful une liſte des munitions de guerre &
des munitions navales qu'on dafiroit. Comme on
a inſiſté avee beaucoup d'empreſſement fur la permiſſion
d'arborer le pavillon de Danemarck ſur
la maiſon conſulaire , le Bey déclara qu'il s'attendoit
àdes préſens tels que ceux que la Suede avoir
envoyés ily a ſept ans; ils confiftoient en 24 pieces
de canons de 24 & de 12 livres de balle , & en
munitions à proportion. Cet incident a donné l'occafion
de faire une ſemblable demande au Conful
Hollandois.
Selon les letttes de Venise, le Gouvernement
a arrêté la ſuppreſſion de cing monafreres
, qui font, celui des Chanoines de faint
Sauveur, fur le territoire de Padoue , & les
quatre autres de S. Jean de Latran , qui font
à Padoue , à Vérone , à Breſcia & à Bergame.
Il a été mis ſous les yeux du Pape , écrit- on de
Rome , unnouveau cadastre , contenant une meſure
exacte de toutes les terres de l'Etat Eccléſiaſtique ,
qui doit fervir à former une nouvelle répartition
des taxes. - On prétend que Sa Sainteté ayant
communiqué au ſacré College , dans le dernier
Confiftoire , l'intention où elle étoit de faire un
emprunt de trois millions à Genes , il régna un
profond filence fur cette propoſition : une voix
le rompit, en demandant ſur quel motif étoit
fondé le beſoinde cette ſomme; perſonne , ajoutet-
on , ne répondit, & les chofes en reſterent-là.
-On fuit , par les ordres du ſonverain Pontife ,
diverſes entrepriſes qui rendent de plus en plus fon
Pontificat glorieux. Le Couvent de l'Egliſe de
S. Pierre a chargé le fameux orfevre & fondeur
Louis Valadier , de refondre la grande cloche de
( 64 )
cette Eglife, qui ſe caſſa il y a quelques années.
On décore avec beaucoup de magnificence la tribune
de S. Pierre de Latran ; l'or & les cristaux
brilleront de tous côtés dans ce vaſte édifice .
*
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 2 Septembre.
La paix maintenant n'eſt plus douteuſe
M. Fox qui s'étoit toujours excuſé de répondre
aux queſtious qui lui étoient faites
au Parlement ſur l'époque où elle feroit définitivement
ſignée , en diſant qu'il ne vouloit
pas s'expoſer à l'inconvénient qu'avoient
éprouvé les Miniſtres précédens , en annonçant
un événement qui ne s'étoit confirmé
que très -tard , paroît n'avoir plus rien à craindre.
Il a écrit le 29 Août au Lord Maire ,
pour lui apprendre que les dépêches du Duc
de Mancheſter du 26 du même mois fixoient
cette ſignature au 3 de celui-ci ; nous pouvons
en conféquence nous attendre à recevoir
inceſſamment les Traités énoncés.
Toutes les difficultés qui s'étoient élevées ſur
cet objet , dit un de nos papiers , font enfin applanies
, & tout eſt arrangé entre les Puiſſances
contractantes . Les Hollandois d'abord , & M. Fox
enfuite , par des prétentions que l'Eſpagne déſavouoit
, avoient fait traîner les négociations en
longueur. Les Etats-Généraux déſiroient la reſtitution
de Négapatnam ; notre cabinet n'étoit pas
éloigné d'y conſentir , mais avec un équivalent.
M. Tor offrit en échange un comptoir dans
rifle de Sumatra , M. Fox le refuſa. Les Hollandois
en propoferent un ſecond ſitué dans un
1
( 65 )
autre endroit , avec un ſupplément en argent,i
fut refuſé encore , parce que ce comptoir eſt du
nombre de ceux qui font le plus à charge aux
Hollandois , & qu'ils ſe propoſent d'abandonner
cux-mêmes. Les choſes paroiſſent en être reftées
là , & Négapatnam nous demeurera vraiſemblablement.
- Quant aux obſtacles qui ſuſpendoient
le Traité avec l'Eſpagne , ils naiſſoient de ce que ,
dans les articles préliminaires , il avoit bien été
permis d'aller couper du bois de campêche dans
la baie de Honduras , mais non de naviguer , &
encore moins d'aborder ſur la côte de Moſquitos,
M. Fox prétendit que le dern'er article devoit être
fous-entendu , & que des Côtes ſi voiſines des endroits
où nos Vaiſſeaux pouvoient mouiller , ne
pouvoient pas leur être interdites. Mais l'Eſpagne
qui connoît tout ce que cette navigation lui a
coûté par le commerce interlope que venoient y
faire les Vaiſſeaux de la Jamaïque , par les armes
, la poudre , &c. que les Indiens ſe procuroient
d'eux , & dont ils fervoient pour inquiéter
fans ceſſe ſes colons , & vivre dans un état continuel
de rebellion , s'étoit précautionnée ; elle s'étoit
fait donner , dit- on , avant la fignature des
préliminaires une reconnoiffance du Lord Grantham
, par laquelle le cabinet de Saint-James entendoit
ne jouir de la faculté qu'on accordoit à ſes
Vaiſſeaux de mouiller dansla baie de Honduras
que pour y aller couper du bois , & non pour naviguer
ſur les Côtes voifines , ſous quelque prétexte
que ce fût. Lorsque l'original de cette déclaration
a été préſenté à M. Fox qui n'en avoit
point trouvé de copies dans ſes Bureaux , il a bien
-fallu qu'il en reconnût & approuvât la teneur , non
fans ſe permettre peut-être de la reprocher un
jour à l'ancien Miniftere » .
fe
La concluſion de ce grand & important
ouvrage ,dont le retard donnoit lieu à tant
( 66. )
de fauſſes conjectures , détruit tous les brüits
qui s'étoient répandus des embarras de la
nouvelle République Américaine , & furtout
de ce que l'on diſoit des diviſions auxquelles
elle étoit en proie par le manque
d'une tête fédérale. Nous avons cependant
traité avec cette République , & nos Miniftres
ont ſu ſans doute avec qui ils traitolent ,
& s'ils le faifoient ſurement. Si le Gouvernement
Britannique eut été porté à n'y regarder
pas de ſi près , on ne peut ſuppoſer
que les autres Puiſſances qui font intéreſſées
à une paix folide , n'y euſſent pas fait plus
d'attention . Quoi qu'il en ſoit , les nouvelles
de l'Amérique ne laiſſent plus douter que
tousles défordres dont on a parlé à Philadelphie
, ne foient entiérement étouffés ,& que
la plupart des papiers qui en ont parlé ne
les aient beaucoup exagérés. On doit en général
ſe défier de tous les détails qui nous
viennent de New-Yorck . Les différentes
pieces publiées par le Congrès ont donné
lieu à quelques réflexions , dont l'objet eſt
d'exagérer les difficultés qui peuvent s'oppofer
à leur exécution. Nous citerons ici celle
qui a donné lieu à ce qu'on a publié de la
jalouſie des Etats particuliers contre le Congrès;
c'eſt l'adreſſe que ce dernier envoya
àtous les Etats-Unis , pour leur expoſer ſes
ſentimens ſur la poſition actuelle des affaires
,& les meſures qu'il croyoit devoir leur
conſeiller.
L'eſpérance de la paix , dont nous avions la
perſpective , vient enfinde ſe réaliſer..Dans cette
( 67 )
circonftance le Congrès a dû examiner les dettes
que la Guerre a fait contracter aux Etats Unis ,
pour y pourvoir , & s'occuper des moyens de prévenir
tout ce qui pourroit troubler l'harmonie &
la tranquilité de la confédération. On a le réſultat
de ſes délibérations ſur des objets de cette importance
, dans ſes différentes recommandations jointes
à la préſente. Quoiqu'elles portent avec elles les
principes fur leſquels elles ſont fondées & la fin
qu'elles ſe propoſent , il ne ſera pas inutile d'ajouter
ici quelques éclairciſſemens , pour mieux faire
fentir la néceſſité de s'y conformer.-Le premier
objet qu'y recommande le Congrès , c'eſt de pourvoir
d'une maniere efficace aux dettes des États-
Unis , qui montent à 42, 000, 375 dollars. (1 )
Cette fomme , effectuée en un ſeul paiement , ou
àdes termes peu éloignés , eſt un effort qui excede
évidemment nos reſſources , & , quand cette opé
ration ſeroit pratiquable , le bien public deman
deroit que cette dette ſuivît le cours d'une extinc
tion graduelle , & qu'il fût fait des fonds pour
payer en attendant les intérêts annuels , qu'on
peut évaluer à 2, 415, 956 dollars: il faut donc
pourvoir àdes fonds qui procurent au moins cette
fomme par an. Les moyens de remplir le Tréfor
public , tels qu'ils font réglés par les articles de la
Confédération , conſidérés avec l'attention la plus
férieuſe , ſont inſuffifans & inapplicables à la
forme qu'il faut donner à la dette publique. II
paroît impoſſible de concilier avec la ponctualité
eſſentielle dans le paiement des intérêts de cette
dette, les délais & les incertitudes auxquels eft
expoſé un revenu à établir & à percevoir à diverſes
époques , par treize autorités indépendantes. Il étoit
(1 ) Nous en avons donné l'état détaillé dans le
Journal du mois de Juin , page 15 , &fuir,
( 68 )
impoſſible que le Congrès , dans ſes recommanda
tions , ne s'écartât pas un peu de la Conftitution
fédérative ; mais un écart ſi léger ne rend point
l'opération incompatible avec l'objet qu'on a en
vue , & il eſt d'ailleurs motivé fur les confidérations
folides de l'intérêt général & de la ſaine politique.
Le fond auquel on a pensé d'abord , eft
une taxe ſur les importations. Parmi les raifons
qui militent en faveur de cette meſure , il ſuffira
de rappeller que les taxes ſur les conſommations
font toujours les moins onéreuſes , parce qu'elles
font fupportées par ceux qui ont à la fois la volonté
& les facultés de les payer : & celles qui portent
fur le commerce étranger font les plus compatibles
avec le génie & la politique des États libres ; mais ,
d'après les'pofitions relatives de quelques uns des
États les plus commerçans, onne peut faire uſage
de cette reſſource . fans une conformité concertée
par l'entremiſe du Congrès. - En renouvellant
cette propoſition , nous n'avons point oublié les
oppofitions qui ont autrefois empêché de l'adopter
unanimement. Nous avons limité la durée du
revenu à vingt-cinq ans , laiflé aux États la nomination
des Officiers qui doivent le percevoir.
Selon les ftrictes maximes du crédit national , le
revenu ne devroit pas être ſéparé de fon objet , &
devroit refter joint à la même autorité , qui , par
ſa nature diſpenſe le premier , & eft refponfable
du ſecond. Le Congrès , en fe relâchant fur
eet objet , efpere qu'on verra dans cette condefcendance
ſa diſpoſition à fe prêter dans tous
les tems aux voeux de ſes Conftituans , & for
voeu ardent pour l'établiſſement d'un fonds qui
le mette en état de ſarisfaire aux obligations que
lui impoſent l'honneur & la justice. Pour rendre
cefonds auſſi productif qu'il eſt poſſible , & donner
moins de priſes aux colluſions & à la fraude
on a du recommander une impofition aſſez forte
( 69 )
rale. -
fur les articles les plus fufceptibles de taxe , &
dont la conſommation eſt plus égale & plus géné-
Le montant de ce fonds eſt évalué à
915 , 956 dollars. Il ne faut point s'attendre à une
préciſion rigoureuſe , dans un premier eſſai fur
une matiere aufli compliquée , & ſujette àtant de
variations ; mais on croit cette évaluation affez
près de la vérité. L'intérêt eſt de 1, 500, coo dol-
Jars; on abandonne aux États le ſoin d'y pourvoir ,
par les fonds qu'ils jugeront les plus convenables.
Dans cette occafion , le Congrès s'écarte encore
des maximes du crédit public , pour ſe conformer
au voeu de ſes conſtituans ; néanmoins il ne
faut pointdéguiſer que la maniere dont cette portiondes
revenus doit être levée , diffère ſi peu de
celle preſcrite dans les articles de Confédération ,
&que les différences ſont ſi propres à remplir le
but, qu'il eſpere que ce plan ſera adopté ſans la
moindre oppofition. En fixant les quote-parts de
cette ſomme , le Congrès n'a été guidé que par des
apperçus très-imparfaits ,& il eſt poffible qu'il en
foit réſulté quelques inégalités qui ne peuvent
être que paſſageres.- Il eſt évident qu'il faut
faire pour les deux fonds ci-deſſus un Acte indiviſible
& irrévocable : fans cela , il pourroit arriver
qu'on ne fit qu'un fonds partiel,& il eſt effentiel
de pourvoir à la totalité: les États d'ailleurs
pourroient préferer un des fonds , & les autres le
ſecond, d'où il réſulteroit qu'il n'en feroit fait
aucun. L'acte doit être irrévocable ; autrement un
ſeul État ſeroit le maître toutes les fois qu'il le
jugeroit à propos , de forcer les autres à une banqueroute,
dont ta poſſibilité ſeule oppoſeroit un
obstacle funeſte àl'établiſſement du crédit national.
Sans entrer dans toutes les diſcuſſions que
préſente un pareil ſujet, nous nous bornerons à
foumettre les deux obſervations ſuivantes à la
juſtice &à la ſageſſe des différents Corps Légif
(70
latifs. 1. Les Créanciers actuels , ou plutôt ceux
d'entr'eux qui ſont nos Compatriotes , ont prêté
leur argent pour un terme qui eſt expire, ou dans
le principe même , ne ſontdevenus créanciers qu'involontairement;
ils ont donc les uns & les autres
un droit égal à demander le principal de leurs
créances , & à ne ſe point contenter de l'intérêt
annuel. Le remboursement de ce capital étant impoffible;
il faut au moins en affuser l'intérêt d'une
maniere ſi authentique. qu'ils puiffent , s'ils le
jugent à propos , tranſporter à d'autres leurs
fonds ſans rien perdre de leur valeur. 2°. Si les
fonds ſont conftitués d'une maniere aſſez ſure pour
inſpirer une confiance entiere ; il y a lieu d'eſperer
que le capital de la dette domeſtique , qui
porte l'énorme intérêt de 6 pour , pourra être
éteint par d'autres emprunts , obtenus à un
intérêt plus modéré. Pour acquitter le principal
au terme aſſigné , nous comptons ſur l'accroiffenent
naturel du revenu provenant du
commerce ; fur les demandes qui feront faites de
tems en tems à cet effet ſelon les circonstances ,
&fur la perfpective des territoires ; ſi ces reflources
ſe trouvent infuffifantes , il faudra bien à l'expiration
des vingt-cinq ans , continuer les fonds
actuellement recommandés , ou en établir d'autres .
-
Le dernier point recommandé , eſt le changementconſtitutionnel
du réglement en vertu duquel
doit ſe faire la répartition des charges communes :
lanéceſſité de cette opération a été démontrée par
les plaintes particulieres auxquelles a donné lieu
l'évaluation des terreins dans tous les Etats où
l'épreuve en a été faite. Si les évaluations font remiſes
aux différens Etats , tout le monde n'en ſera
pas content : fi elles font faites par des Officiers
parcourant le pays pour cet objet , les déperſes
feront auffi énormes que nuiſibles . Si l'on adopte
le moyen pris dans l'acte du 17 Février dernier,
( 71 )
segardé comme le moins inaparfait , l'infuffifance
deladonnée pour l'objet auquel elle doit être appliquée,
affoiblira toujours beaucoup la confiance
dans l'exactitude du réſultat , fi elle ne la détruit
pas entierement. D'ailleurs , en ſuppoſant ce réfultat
auſſi juſte qu'il eſt poſſible , on n'en feroit redevable
qu'au principe ſur lequel eſt fondé le réglement
que nous proposons de fubftituer à l'ancien.
Ce réglement , quoiqu'il ne foit point à l'abri de
touze objection , donne cependant moins de priſfe
à la cenfure qu'aucun autre. Le ſeul inconvénient
grave qu'y ait trouvé le Congrès, c'eſt la difficulté
de fixer la différence convenable du travail & de
l'induſtrie , entre des hommes qui font libres &
d'autres qui ne le ſont pas . La réſolution à laquelle
il s'eſt enfin arrêté , a été l'effet de conceffions réciproques
; &fi on ne la croit pas encore parfaitement
bien appropriée à fon objet, le même eſprit
decondeſcendance & de conciliation parmi tous les
Corps reſpectifs , l'emportera fans doute ſur les
petites inégalités que l'on pourroit appercevoir. Le
Congrès , malgré ſa confiance dans le ſuccès de ſa
propofition , convient que l'événement peut tromper
fon attente , & il requiert que l'on continue de
prendre les informations demandées dans l'acte du
17 Février dernier , & qui feront effentielles dans
cette circonstance.-C'eſt maintenant aux Conftituans
du Congrès à prononcer ſur le fort de ce
plan: tous les objets qu'il embraffe importent à la
proſpérité de la République ; ils ferent trouver
ſeuls,dans les fruits de la révolution , une récompenſe
proportionnée aux ſoins , aux fatigues , au
fang& à tous les maux qu'elle a coutés. Mais l'objet
dont la néceſſité eſt la plus ſenſible, & fur lequel
le Congrès infiſte , c'eſt celui des fonds à faire pour
ladette nationale : quoiqu'elle ſoit forte, elle l'eft
cependant moins qu'on ne devoit s'y attendre ; &
lorſque l'on penſe à ſa cauſe, qu'on la compare
( 72 )
aux charges que des guerres d'ambition & de vaine
gloire ont accumulées ſur d'autres nations , elle
doit être ſupportée non - ſeulement avec plaifir ,
mais avec orgueil. Au ſurplus , l'étendue de la
dette eſt un objet étranger à la queſtion actuelle;
il ſuffit qu'elle ait été légitimement contractée , &
que la justice& la bonne for demandent qu'elle ſoit
payée. Le Congrès n'a que l'option entre les différens
moyens : ce n'eſt auſſi que ſur cette option
que peuvent porter les délibérations des différens
Etats. Celui qu'une diſcuſſion auffi longue que laborieuſe
& réfléchie a fait adopter de préférence ,
eft le moins imparfait de tous ceux que l'on auroit
pu imaginer. Dans cette confiance , nous fommons
les différens Etats , au nom de la justice & de la
foi publique folemnellement engagée , de donner à
/ cette meſure tout l'effet qu'elle doit avoir , de réfléchir
à ce qui pourroit arriver fi elle étoit rejettée ,
&de ſe ſouvenir que le Congrès ne ſeroit pas refponſabledes
conféquences .-Si , dans une occafion
comme celle-ci , l'on pouvoit avoir recours
àd'autres conſidérations qu'à celles de la justice ,
aucune Nation n'en a jamais eu de plus déterminantes.
En effet , quels font les créanciers que
nous devons payer ? D'abord un Allié qui a défendu
notre cauſe , non-feulement par ſes armes , mais
par ſes tréſors , & dont l'amitié , non contente de
nous prêter des ſommes confidérables, a ſignalé,
par lesdons les plus généreux , une magnificence
que fon coeurmagnanime a empreinte juſques dans
les ſecours que nous avons obtenus de lui par nos
emprunts.- En ſecond lieu , les particuliers dans
un pays étranger, les premiers à nous donner des
marques fi précieuſes de la confiance que leur infpiroitnotre
équité, &de leur affection pour notre
caufe, & membres d'une République qui a été la
ſeconde à reconnoître notre rang parmi les Nations.
U exiſte encore une autre claſſede créanciers
,
( 73 )
ders, c'est ce nombre infini de nos illuftres & vrais
Compatriotes , dont le ſang & la valeur ont défendu
la liberté de ce pays , qui , au milieu de toutes
les détreſſes qu'ils éprouvoient , ont fouffert patiemment
celle de la privation de leur folde , tant
que les calamités de leur Pays l'ont mis dans l'impuiſſance
de reconnoître , au moins par un fi foible
prix , tout ce qu'il doit à leurs ſervices , & qui
actuellement même, ne demandent , fur tout ce
qui leur eſt légitimement dû, que la portion indif
penſablement néceſſaire pour ſe retirer , du champ
de la victoire & de la gloire , dans le ſein de la
tranquillité domeftique , & rentrer dans la claſſe
privée du citoyen,& ne follicitent , pour le reſte de
leurs droits , qu'une fûreté efficace , telle que leur
Patrie eft certainement en état de l'accorder à
leurs juſtes réclamations. -Le reſte des créanciers
eſt compofé en partie de ceux de nos concitoyens
qui ont dans l'origine prêté leurs fonds à la Nation ,
ou qui depuis ont manifeſté la plus grande confiance
en leur Pays , en recevant des tranſports
des prêteurs ; & en partie de ceux dont les biens
ont été avancés ou pris pour le ſervice public.
Vouloir établir des diſtinctions entre leurs droits ,
feroit une entrepriſe auſſi inutile pour la Nation ,
qu'odieuſe pour les particuliers. Si la voix de l'humanité
parle plus haut en faveur de certains d'entre
eux , la voix de la politique , d'accord avec celle de
la justice , parle en faveur de tous. Une Nation
ſage ne ſouffrira jamais que ceux qui ſecourent
leur Patrie dans ſes beſoins , ou ceux qui mettent
la plus grande confiance dans ſa foi , dans ſa
fermeté & dans ſes reſſources , ſouffrent les uns
plus que les autres des événemens qui ont pu déranger
ſes ſpéculations . Refſouvenons-nous enfin
d'une circonſtance qui a toujours inſpiré un
noble & jufte orgueil à l'Amérique , c'eſt que les
droits pour la défenſe deſquels elle avoit pris les
13 Septembre 1783 .
-
d
( 74 )
armes, font les droits de l'humanité. Grace à
l'efficacité que l'auteur de ces droits a daigné donner
aux moyens employés pour les faire valoir , ils ont
triomphe de toutes les oppofitions , & ils forment
actuellement la baſe inébranlable fur laquelle repoſent
treizeEtats indépendans. Un Gouvernement
Républicain n'a jamais eu & n'aura jamais une
occaſion ſi brillante de justifier par les effets les
formes pures qui compoſent fa conſtitution. Sous
ce point de vue, les citoyens des Etats-Unis font
comptables du dépôt le plus important qui ait jamais
été confié à une Société politique . Si la justice ,
'la bonne foi , l'honneur , la gratitude , & toutes
les autres qualités qui ennobliſſent le caractere
'd'une Nation , en même temps qu'elles rempliffent
l'objet du Gouvernement , font les fruits de nos
établiſſemens , la cauſe de la liberté acquerra un
luſtre & une digniré qu'elle n'a jamais eu , &
nous aurons la gloire de donner un exemple qui
ne peut qu'avoir l'influence la plus favorable fur
les droits de l'humanité . Mais fi , d'un autre côté ,
nos Gouvernemens ont le malheur de fe déshonorer
par une conduite directement oppoſée aux
vertus dont nous venons de parler , & qui font les
plus effentielles pour l'Amérique , la grande cauſe
que nous nous fommes chargés de venger , fera
avilie& trahie ; la derniere & la plus célebre des
épreuves en faveur des droits des humains , tour-
"nera contre eux-mêmes , & on verra leurs protecteurs
& leurs amis infultés & réduits au filence par
les vils fuppôts de la tyrannie & de l'ufurpation.
Une piece qui tientimmédiatement à cellelà,
& qui peut donnr une idée juſte de l'état
actuel de l'Amérique , & de ce qu'elle pent
faire , eſt la recommandation ſuivante adreffée
aux Etats-Unis par le Congrès le 18
Avril dernier.
( 75 )
Arrêté par neuf Etats , qu'il ſera recommandé
aux divers Etats , comme un objet d'une néceffité
indiſpenſable pour le rétabliſſement du crédit
public , & le paiement ponctuel & honorable des
dettes publiques , d'autoriſer le Congrés à lever
les droits fuivants fur les marchandiſes importées
dans leſdits Etats par les bâtimens venans d'un
port étranger quelconque , d'une ifle ou colonie.
- Sur tous rum de la Jamaïque par gallon ,
4-90emes, d'un dollar ; fur toutes les autres liqueurs
fpiritueuſes , 3-90 ; fur le vin de Madere ,
12-90; fur tous les autres vins , 6-90 ; fur le
thé-bou.commun , par livre , 6-90; ſur tous les
autres thés , 24-90; ſur le poivre , par livre , 3-903
fur le fucie brun , par livre , -90 ; ſur le ſucre
en pain , 2-90; ſur tous les autres ſucres , 1-90 ;
fur les melaſſes , par gallon , 1-90; fur le cacao
& le caffé , par livre , 1-90. - Sur toutes les
autres marchandiſes un droit de cinq p . , ſelon.
leur valeur au temps & à l'endroit où elles font
importées. Leſdits droits ne feront appliqués
qu'au paiement de l'intérêt ou du principal des
dettes contractées fur la foi des Etats Unis pour
foutenir la guerre , conformément àl'arrêté du
16 décembredernier & ils ne feront perçus que
pendant 25 ans ; les Receveurs feront nommés
par les Etats dans l'étendue deſquels ils exerceront
leurs fonctions ; mais ils ſeront jufticiables
du Congrés qui pourra les priver de leur emploi ;
dans le cas où un Eraton'aura pas falt cette no-
-mination un mois après qu'il aura été requisd'y
procéder , elle pourra être faire par le Congrés.
-Qu'il ſera en outre recommandé aux divers
Etats d'établir pour un terme limité à 25 ans ,
&de deſtiner au paiement de l'intérêt du principal
des dettes , des revenus ſolides & effectifs & de
la nature qu'ils jugeront la plus convenable pour
fournir annuellement leurs contingens reſpectifs
d2
( 76 )
de la ſomme de 1,500,000 dollars , excluſivement
des droits ſuf-mentionnés , lequel contingent
ſera fixé & égalisé de temps à autre , conformément
à la regle qui eſt ou pourra être prefcrite
par les articles de confédération. Dans le
cas où les revenus établis par un Erat quelconque
rendroient une ſomme qui excede ſon contingent
effectif , cet excédent lui ſera reſtitué ; & s'il ſe
trouvoit un déficit dans les revenus d'un Etat quelconque
, il ſera tenu d'y ſuppléer & de pourvoir
à ce qu'il ne s'en trouve plus à l'avenir. En at
tendant la regle de confédération , les contingens
deſtinés à former la ſomme de 1,500,000 dollars ,
feront répartis ainſi :-New-Hampshire , 52,7085
Maſſachuſett , 224,427 ; Rhodeifland , 32,3185
Connecticut , 132,091 ; Newyorck , 128,2435
New - Jerſey , 83,358 ; Penſilvanie , 205,189 ;
Delaware , 22,443 ; Maryland , 141,517 ; Virginie,
156,467 ; Caroline ſeptentrionale , 109,006;
Caroline méridionale , 96,183 ; Géorgie , 16,030 .
-Il ſera dreſſé tous les ans un compte du produit
& de l'emploi de ces revenus ; ce compte
ſera tranſmis aux divers Etats ; l'on y énoncera
ſéparément le produit de chacun des articles ſpécifiés
, le montant de tout le revenu reçu de
chaque état , & le ſalaire accordé aux Officiers
chargés de le lever. Aucune des réſolutions
précédentes ne ſortira ſon effet qu'aprés qu'elles
auront été toutes agréées par chaque Etat ; mais
dès qu'elles feront regardées comme formant un
accord mutuel entre tous les Etats , elles ne pourront
être révoquées par aucun & par plufieurs
d'entreux ſans le concours de tous ou d'une majorité
des Etats Unis aſſemblés en Congrés .
Pout hâter l'extinction des dettes & établir la
bonne harmonie , il fera recommandé aux Etats
qui n'ont paflé aucun acte à l'effet d'approuver
Les réſolutions du Congrés des 6 Septembre &
( 77 )
10 Octobre 1780 , relativement à la ceſſion de
prétentions territoriales , de faire les ceffions recommandées
en icelles ; & à ceux qui peuvent
avoir paſſé des actes où ces réſolutions ne font
approuvées qu'en partie , de revoir ces actes , &
donner leur plein confenteemmeennttà ces réſolutions.
-A l'effet d'avoir une regle plus sûre & plus
commode pour déterminer les contingens que les
Etats devront fournir respectivement au tréſor
commun , le changement dans les articles de confédération
& d'union perpétuelle eſt arrêté en
Congrés , & les divers Etats font avertis d'autorifer
leurs Délégués reſpectifs à figner & ratifier
ce changement , comme faiſant partie dudit acte
d'union. - Le 8°. article de cet acte portoit :
a Tous les frais de la'guerre & toutes les autres dépenſes
qui feront faires pour la défenſe commune
ou pour l'avantage général , & qui feront ordonnés
par l'aſſemblée des Etats Unis feront payés des
fonds d'un tréſor commun. Ce tréſor commun
ſera formé par les divers Etats , en proportion
de toutes les terres quidans chaque Etat auront
été accordées à une perſonne quelconque , d'autantque
ces terres, ainſi que leur amélioration& les
bâtimens qui en dépendent feront évalués conformément
à la regle qui ſera preſcrite de temps à autre
par l'aſſemblée des Etats Unis » . Tout cet énoncé
eſt révoqué & déclaré nul , & les Etats Unis afſemblés
en Congrés déclarent que tous les frais
de la guerre& toutes les autres dépenſes qui ont
été ou qui feront faites pour la défenſe commune
ou pour l'avantage général , & qui feront
ordonnées par l'aſſemblée des Etats Unis , à moins
qu'il n'en foit ordonné autrement, feront payées
des fonds d'un tréſor commun qui ſera formé par
les divers Etats , en proportion du nombre total
de blancs & autres citoyens libres & habitans ,
de tout âge , ſexe on qualité , y compris ceux
d3
(:78)
qui font réduits à l'esclavage pour quelques années
& trois cinquiemes des autres individus qui
n'ont pas été dénommés ci-deſſus , à l'exception
des Indiens exemptés de taxe dans chaque Etat ;
il ſera fait tous les trois ans un dénombrement
dans lequel ſera marqué le nombre ſuſ-mentioné ,
& ce dénombrement ſera envoyé au Congrés .
Les lettres d'Irlande annoncent toujours
beaucoup de fermentation dansce royaume.
Parmi les inftructions que la ville deDublin
veutdonnerà ſes repréſentans au Parlement,
on compte celles-ci .
Ils doivent demander un bill déclaratoire des
droits des citoyens dans leur plus grande étendue ;
que le Parlement s'aſſemble tous les ans ; une répartition
égale des droits payables ſur toutes efpeces
d'effets , ſoit qu'ils arrivent de la Grande-
Bretagne , ou qu'ils y foient portés ; une taxe fur
tous les Irlandois abſens quels qu'ils foient , & à
quelque titre que ce ſoit ; l'abolition de l'addition
nouvellement faite aux droits impoſés ſur les vins
de France en faveur de ceux de Portugal , à moins
que la CourdeLisbonne ne permette l'entrée des
marchandises d'Irlande ſur le même pied que celles
d'Angleterre ; l'abrogation de la Cour d'Amirauté
Britannique , du bureau des Poſtes , & de tous les
veſtiges d'ufurpation ſubſiſtant encore en Irlande .
:
Il circule ici une lettre de l'Inde écrite vers
la fin de Décembre : ſes détails , s'ils font
exacts , font de la plus grande importance.
>> Il ſe prépare dans nos climats une révolution
qui peut-être diminuera en Europe l'ardeur des
projets de conquête. Les peuples du Décan , heureux
ſous le regne de Nifan-el-Moulouk , ſe trouvent
aujourd'hui fatigués de la guerre qui déſole
ce Royaume & le Carnate; ils accuſent de leurs
malheurs les Européens , & veulent prendre les
( 79 )
armes contre eux , à condition que Tipoh-Saib ,
fils & fucceſſeur d'Ayder- Aly s'alliera avec le Nabab
de Lackanor , d'Aoul & d'Eleabad , pays voifins
du Bengale. Ce Nabab , qui jouit d'une grande
autorité , eſt Grand-Viſir à la Cour de Dehli ,
fous le regne actuel de Chan Alem , Empereur
du Mogol. Il déteſte la domination angloiſe , & ,
auſſi jaloux de conſerver la gloire que les tréſors
de ſon pays , il a obſervé que les ſujets des Nababs
de l'Inde ne s'entredéchiroient les uns les autres ,
& n'étoient opprimés & oppreſſeurs tour-à-tour ,
que pour l'intérêt des Européens , les ſeuls auteurs
de leurs diviſions &de leur mifere. Son projet eft ,
dit-on , d'attaquer la partie de l'Eſt , tandis que
Tipoh- Saib attaquera celle de l'Oneſt. Hréſulte, de
l'état continuel de guerre dans ces contrées , que
les ouvriers ſont vexés ſans relâche , par l'avidité
européenne ; & cette avidité eſt plus active ,
depuis qu'une partie des richeſſes des Indiens, a
paffé dans les mains des Anglois ».
L'intérêt que l'infortuné Ryland excite ,
ramene fans ceſſe à ſa poſition malheureuſe ,
&ſes talens qui le diftinguent de la foule
des coupables deſtinés à fubir fon fort , ajoutent
à la pitié qu'il inſpire.
Le 22 on fit à S. M. le rapport des coupables
condamnés à la mort ; & dans la liſte qui a été
renvoyée de ceux qui doivent être exécutés , fe
trouve le nom de Ryland. On dit qu'il y eut beaucoup
de débats dans le Cabinet à ſon ſujet , lorſque
la requête en ſa faveur y fut portée ; ils durerent
plus long-temps que tous ceux qui ont jamais cu
lieu en pareille occafion ; mais l'effet n'a rien changé
àfon fort. Cet infortuné a cinq enfans , dont l'un
eſtdans les Indes Orientales. Le 27 fa femme alla
à Saint-James , préſenter une nouvelle requête au
Roi: on fut obligé de la porter dans l'appartement ,
d 4
( 80 )
&de la foutenir , lorſqu'elle ſe mit à genoux avee
fon papier à la main. Cette derniere démarche n'a
pas eu plus de ſuccès que les précédentes. Cet infortuné,
en ſubiſſant ſon ſupplice, a laiflé imparfaites
trois belles planches qu'il avoit commencées ; les
ſujets font, le Roi Jean délivrant la grande charte
à ſes Barons ; Edwen & Elwine , & la Bataille
d'Agincourt. Parmi ſes effets , ſont les principaux
tableaux d'Angélique Kauffman. Ce fut le 29 du
mois dernier qu'il fut exécuté. La foule n'avoit
jamais été ſi conſidérable à Tyburn , depuis la fin
du Docteur Dord ; on a remarqué qu'il y a eu des
fenêtres louées depuis fix juſqu'a dix guinées.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 9 Septembre.
Le Roi a nomméà l'Intendance de Tours ,
qui a vaqué par la morr de M. du Clufel ,
M. Daines , Intendant de la Généralité de
Limoges ; à l'Intendance de Limoges , M.
Meulan d'Ablois, Intendant de Montauban ;
& à l'Intendance de Montauban , M. de
Trimond , Maître des Requêtes.
Le Chevalier de Viviers , Miniſtre plénipotentiaire
du Roi près les Princes & Etats
du cercle de la baſſe Saxe , de retour en cette
ville par congé , eut, le 4 de ce mois , l'honneur
d'être préſenté à S. M. par le Comte de
Vergennes , Chef du conſeil royal des finances,
Miniſtre & Secretaire d'Etat , ayant
Le département des affaires étrangeres .
DE PARIS , le 9 Septembre.
Le 3 de ce mois , entre midi & une heure ,
lesPlénipotentiaires s'étant aſſemblés à Verfailles
chez M. le Comte de Vergennes , le
( 81 )
traité définitif de paix entre l'Eſpagne &
l'Angleterre fut ſigné , & enfuite celui entre
la France & l'Angleterre. Dans la matinée ,
celui des Etats-Unis avoit été ſigné ici par
les Commiſſaires reſpectifs ,& la veille , les
préliminaires de la paix entre la Grande-Bretagne&
la Hollande l'avoient été également
à Paris . On dit que les Miniſtres des Etats-
Généraux ayant reçu des pleins pouvoirs
pour tout terminen , auroient déſiré figner
auſſi le traité définitif le 3 , mais que le Duc
de Mancheſter s'eſt excuſe ſur le défaut d'inf
tructions de ſa Cour à ce ſujet,
En attendant la publication des traités , voici ce
que l'on en dit dans le public. Le nôtre eſt compoſé
de 24 articles , on ne dit point qu'il differe
enriendes préliminaires. Celui des Eſpagnols eft
en 12 articles. Leplus long fixe les limites du diſtrict
accordé auxAnglois pour la coupe du-bois de campêche
,& prévient toute diſpute ultérieure à ce ſujer.
C'eſt tout ce qu'on a ajouté aux préliminaires ;
le reſte y eſt entiérement conforme. Quant au
traité avec les Etats-Unis , on n'a rien changé à
ce qui avoit été convenu par les premiers pactes.
Ceux que les Hollandois ont figné font en 11 articles.
Les plus eſſentiels font 1º. la ceſſion de
Négapatnam que les Etats-Généraux font à la
Grande-Bretagne ; ( celle - ci conſent cependant par
le Ve Article à rendre cette poſſeſſion que les Hollandois
jugent fort importante , ſi on lui offre en
compenfation quelqu'objet qui puiſſe la dédommager
de ce facrifice. ) 2°. La libre navigation dans
l'Inde; elle n'eſt , dit- on , exprimée que par une ſeule
ligne. Les Hollandois ne troubleront pas la navigation
des Sujets de la Grande-Bretagne dans les
ds
( 82 )
mers des Indes Orientales. Il n'eſt point queſtion
dans ces préliminaires de renouveller les traités de
commerce entre les deux Nations ; il y eſt ſeulement
ſtipulé que le falut en mer aura lieu de la
Paarrtt des Hollandois comme parle paſſé.
Tous les Plénipotentiaires dînerent enfuite
chez M, le Comte de Vergennes à une
table de 31 couverts. Les Ambaſſadeurs des
Etats-Généraux & les Miniſtres des Etats-
Unis s'étoient rendus pour cet effet de Paris
à Verſailles . Il y avoit 11 perſonnes préſentes
à la ſignature des Traités , M. le Comte de
Vergennes , M. le Vicomte de Vergennes ,
ſon fils , M. de Rayneval , M. le Comte
d'Aranda , M. le Chevalier de Heredia , M.
le Duc de Mancheſter , M, le Comte de
Mercy & fon Secrétaire d'Ambaffade ; M.
le Prince de Bariatinski , M. de Markoff;
& le Secrétarre d'Ambaſſade Ruffe.
Les Officiers nommés par le Roi pour
le Conſeil de guerre qui doit examiner l'affaire
du 12 Avril font M. le Comte de Breugnon
, Préſident , MM. le Comte de Guichen
, de Lafcary, Deshayes de Cry , Darbaud
de Jonques , & de la Motte-Piquet ,
Lieutenans-Généraux ; MM. de Marin , d'Apchon&
deCherifaye ,Chefs d'Eſcadre : MM.
de Nieuil, de Balleroy,Huon de Kermadec ,
& de Thévenaud , Capitaines de Vaiſſeaux;
ce dernier eſt Commandant du port de l'Orient
, où doit ſe tenir le Conſeil de guerre.
Il n'en eſt pas de l'expérience de MM. de
Montgolfier , comme de ces modes futiles ,
&de ces inventions communes qu'un feul
P
( 83 )
jour voit naître& rejetter. Depuis qu'elle eft
connue , depuis qu'elle a été répétée ici avec
ſuccès , il n'eſt queſtion à la Cour & à la
ville que d'en faire de nouvelles. Avant de
parler de celles qu'on propoſe , nous dirons
encore unmot du Globe tombé à Goneffe.
Les Phyſiciens prétendent qu'il feroit reſté
plus long-temps en l'air , s'il avoit été moins
plein de gaz inflammable. D'autres avec plus
de raiſon attribuent ſa chute précoce , non
à la détonation du gaz , mais à la réſiſtance
qu'oppoſa l'air athmoſphérique dont on avoit
achevé de le remplir , qui le trouvant dans
unair plus rare lorſque leGlobe fut à une
certaine hauteur ,&n'étant plus contenu par
l'air extérieur , fit éclater la machine. Quoiqu'il
en ſoit de ces explications , le Globe
tomba affez lentement , & fut vu par des
payſans qui le prirent pour un monitre.
Paris qui vit avec étonnement s'élever la machine
aëroſtatique , le 27 du mois dernier , nous
écrit-on d'Arnouville près Goneffe , ne ſera peutêtre
pas faché d'apprendre quelques circonstances
de ſa chûte. L'hiſtoire en eſt aſſez plaiſante. A cinq
heures trois quarts du ſoir de ce méme jour , elle
fut apperçue un peu au deſſus de Goneffe par deux
Charretiers occupés à labourer. Elle commençoit
alors à deſcendre ,& fon volume groſſiffoit à vue
d'oeil. Saifis à l'aſpect de ce phénomène inoui , ils
ceffent leur travail , débarraſſent leurs chevaux , &
ſe mettent à fuir. Cependant , comme ils étoient
naturellement courageux , confus de leur peur,ils
oſent regarder derriere eux. La Machine alors étoit
tombée : mais comme ils la virent ſe remuer , s'agiter
, bondir & tourner en tout fens , ſe rappel
d6
( 84 )
lant alors les menaces d'un Berger voifiu , & perfuadés
que c'étoit un de ſes tours , ils reprennent
leur courſe avec plus de violence qu'auparavant .
Mais ce fut en vain : un coup de vent fit rouler le
monſtre de leur côté , & il les eut bientôt atteints.
Il fallut donc ſe réſoudre à combattre . Se ſentant
talonnés , & n'ayant point de temps à perdre , ils
s'arment de pierres qu'ils lancent avec fureur.
L'animal , toujours agité & roulant , évita les premiers
coups. Mais enfin il en reçut un mortel qui
lui fit pouffer un long ſoupir. Alors ce fut un cri
de victoire ; un nouveau courage ranime les combattans.
Le plus hardi des deux , comme un a
tre Dom Quichotte , s'approche du monftre expirant
, & d'une main encore tremblante lui enfonce
fon couteau dans, le ſein. Le couteau y entra ſans
réſiſtance, & donna paſſage à un air infect qui punit
auffitôt le téméraire. Le globe étoit encore
aſſez gonflé pour préſenter un gros volume , &
inſpirer de l'effroi. Les deux charretiers vainqueurs
voyant de loin un autre de leur compagnon avec
fa voiture , l'appellerent pour le charger de ce
fortilege. ( Car c'eſt ainſi qu'ils nommoient la
Machine. ) Celui- ci refuſa conſtamment de porter
cette malédiction chez fon maître , & ſe retira
avec précipitation. La machine fut donc attachée
'à la queue d'un cheval & roulée dans la boue
jusqu'àGoneſſe, où elle entra toute défigurée. La
preuve qu'elle ſe faiſoit encore redouter dans cet
état, c'eſt que les chartetiers , avant d'entrer dans
la ferme , crurent devoir avertir leur maitreſſe de
me rien craindre , parce qu'ils l'avoient miſe hors
d'état de faire aucun mal. L'Ingénieur , à qui le
globe appartenoit , le vint redemander le lendemain
, & donna avec peine une petite récompenſe
aux charretiers , qui vraiſemblablement en au
roient reçu une plus grande , s'ils euffent eu la
précaution de faire un cours de Physique,
L
( 85 )
Lanouvelle expérience que propoſe M.
Montgolfier lui-même ſera ſurement très-intéreſſante.
Une perſonne qui a vu & meſuré
la machine nous en adonné les détails fuivans.
« Elle étoit déjà fort avancée , puiſque les Commiſſaires
de l'Académie des Sciences devoient
bientôt en faire l'expérience. Cette machine , qui
a 72 pieds de long , ( c'est- à-dire qu'il y a peu de
maiſons auſſi élevées )& 38 pieds de diamêtre dans
ſa plus grande largeur , eſt terminée cu forme de
bonnet de Prêtre ; l'autre extrémité , l'inférieure ,
reſtera abſolument ouverte . La Machine eft compoſée
d'une toile commune , quoique affez fine ,
revêtue en dehors & en dedans d'un papier exactement
collé , qu'on peindra au dehors en forme de
nuages C'est une choſe vraiment curieuſe que d'y
voir travailler M. de Montgolfier ; il entre dans
ſa machine , fait du gaz la toile , ſe leve , & les
ouvriers , hommes & femmes , ſont ſur des échelles
&couſent â meſure , en forte que ce qui ſervira à
l'élever dans les airs , fert auſſi à ſa prompte conftraction.
Voilà où l'homme de génie ſe fait connoître
; c'eſt par la ſimplicité des moyens qu'il emploie;
il en a couté à MM. Robert & Charles près
de 1200 liv . degaz inflammable pour remplir une
Machine deux fois plus petite que celle de M. de
Montgolfier ; celui- ci , pour un louis , en aura aſſez
pourconſtruire la fienne& la faire élever dans l'air .
Le procédé de cet habile homme eſt encore un ſecret
, quoiqu'il ſoit prêt à le donner quand on le
lui demandera ; on fait que ſon gaz eſt tiré de la
matiere animale , telle que les tripes de boeuf, de
mouton , &c. J'ai dit que la Machine reſtera onvertepar
le bas; il n'eſt pas à craindre pour cela que
legaz fe perde auſſi vite qu'on pourroit le croire;
ſa nature eſt de s'élever ,& quand même il vou
( 86 )
droit s'échapper par cette ouverture, l'air extérieur
le forceroir de rentrer. M. de Montgolfier
peut encore , à ce qu'il dit , ſuppléer à cette déperdition
, en attachant à cette ouverture une cor .
beille ou toute autre machine qui fourniroit du
nouveau gaz pendant un long eſpace de temps.
Ce Globe s'élevera avec une force de 1200 livres ,
enſorte qu'il pourroit foulever ailément des moutons
, des boeufs ou toute autre bête , ſi l'on vouloit
juger , lorſqu'il fera à une grande hauteur , de
l'effet de l'air ſur un animal vivant. Un particulier ,
dévoré de l'amour des ſciences , a offert à l'Académie
de s'attacher à la Machine pour s'élever avec
elle ; l'Académie ne devoit ni ne pouvoit accepter
cette offre. Ondit qu'après la premiere expérience ,
lorſqu'on fera afſuré que M. de Montgolfier peut
modérer & fufpendre les mouvemens de fa Machine,
qu'il peut la faire retomber doucement , &c .
il fera permis alors à trois particuliers , dont on
tait les noms , de naviguer dans l'air avec elle.
Ces expériences doivent ſe faire fauxbourg S.
Antoine dans l'endroit même où la Machine
ſe conſtruit; on ne doit admettre dans l'enceinte
que les Commiſſaires de l'Académie ; mais des hau.
teurs de Charonne & de Bagnolet les Curieux
pourront jouir de ce ſpectacle. On ne doit pas l'abandonner
à elle-même , mais la retenir avec des
cordes , ainſi qu'un cerf- volant , parce que le Roi
veut la voir. Cette expérience ſe répétera incefſamment
dans une enceinte capable de contenir
toute la Cour , pratiquée à cet effet dans le parc
de Verſailles » .
,
Quelque curieux que puiſſe étre l'eſſai des
perſonnes qui voudront voyager dans l'air ,
il paroît fans doute délicat; mais il ne rebute
pas biendes hommes qui ſe propoſent de le
tenter; l'un d'eux a fait inférer dans quel
( 87 )
ques papiers publics l'avis ſuivant.
Tous les Phyficiens doivent , je penſe , croire
actuellement à la poſſibilité de la navigation aërienne.
Le plus difficile eft fait ; & il ne s'agit plus
que de trouver les moyens de diriger & faire
monter & defcendre la machine aëroſtatique. Un
gouvernail , une voile & la faculté de pouvoir diminuer
ou augmenter le diamètre horizontal du
globe vaincroient les dernieres difficultés . Je ſuis
tellement perfuadé des reſſources de la Phyſique &
de la Méchanique réunies & employées habilement
à cet égard , que s'il ſe trouve une Société
de Savans & d'Amateurs qui veuillent faire les
frais des expériences qui conduiroient à la conftruction
d'un globe , fait de maniere à cheminer
pluſieurs lieues par air , je la monterai & le conduirai.
La récompenfe de mon audace fera l'honneur
d'avoir été le premier navigateur aërien. On
ſe tromperoit , ſi l'on croyoit que cette propofition
eſtd'un fol enthouſiaſte , ou d'un homme fans
état. J'écris ceci avec réflexion & mon état est sûr
& honnête. Je ne me nommerai pourtant qu'à
une ſeule perſonne de la Société que je defirerois
'ſé former. Protecteurs des Sciences , Savans illuftres
, Artiſtes renommés , c'eſt à vous qu'il appar-
'tient de faciliter & perfectionner cette fublime découverte
, qui doit prouver , plus qu'aucune qui
ait jamais été faite , la puiſſance & le génie de
Thomme. Si l'on m'indique , M. par la voie de
'votre Journal , un Savant connu ou un Amateur
diftingué , auquel je puiffe me confier , je me ferai
bientôt connoître à lui.
*
DE BRUXELLES , le 9 Septembre.
La fignature des Traités définitifs de paix
entre toutes les Puiſſances belligérantes , à
Fexception de la Hollande qui n'a figné que
( 88 )
le Traité préliminaire de la ſienne , eſt un
événement intéreſſant. On attend avec impatience
l'échange des ratifications , pour
avoir la connoiſſance pleine de ces Traités.
En attendant qu'ils folent publiés , on ſera
bien aiſe de trouver ici le véritable état des
négociateurs de la République. Le préavis
arrêté ſur ce grand objet dans l'aſſemblée
des Etats de Hollande & de West- Friſe expoſe
ainſi les préliminaires propoſés par l'Angleterre
à la République.
M. Jean de Kuffeler , Député de cette Province
a l'aſſemblée de L. H. P. les Etats Généraux des
Provinces-Unies , ayant envoyé copie d'une lettre
de nos Miniſtres à Paris , en date du 13 de ce mois
& adreſſée à M.le Greffier Fagel , dans laquelle ils
expoſent en général l'état des négociations de la
paix , & en particulier que le Ministere Anglois infifte
SUR LA CESSION DE NÉGAPATNAM , LA LIBRE
NAVIGATION SUR LES MERS DES INDES ORIENTALES
, ET SUR L'OBLIGATION DU SALUT SUR
L'ANCIEN PIED EN BAISSANT LE PAVILLON , &c.
Que, forcés par l'extrême néceſſité , ils avoient
réſolu de confentir à la ceſſion de Négapatnam ,
fous condition que le Ministere Anglois accepteroit
de ſon côté les autres articles propoſés , dont copie
étoit jointe à leur lettre , & ſpécialement qu'il n'infiſteroit
plus ultérieurementfur la libre navigation ,
& l'obligation du ſalut ; deux points auxquels ils
n'étoient point autoriſés à confentir : mais que
l'Ambaſſadeur d'Angleterre n'ayant point voula
s'en défifter , ils demandoient des inſtructions ultérieures
& promptes à L. H. P. , M. de Vergennes
leur ayant formellement communiqué , « que les
affaires entre la France , l'Espagne & l'Angleterre
étoient entiérement arrangées , & les traités collationnés
enpréſence des deux Cours Impériales;qu'en
( 89 )
conféquence on auroit pu procéder à la fignature ;
fi l'on n'avoit pas jugé qu'il convenoit de ne rien
précipiter avant que les affaires de la Républiqne
fuffent également applanies : inſiſtant de la maniere
laplus ſérieuſe que la fituation actuelle des affaires
de l'Europe exigeoit que par la conclufion d'une
paix définitive, tout fut porté à un repos abſolu
de ce côté ci ; & que les autres Puiſſances intéreſſées
preffoient avec beaucoup de chaleur la concluſion
&la fignature finales >>.- Sur quoi ayant été mûrement
délibéré , & pris en conſidération que dans
les circonstances critiques , à tous égards , où la
République ſe trouve,elle ne peut choiſir qu'une
de ces trois alternatives , ſavoir : Ou que la République
rejette les conditions actuellement offertes ,
&que pendant que les autres Puiſſances concluent
la paix , elle continue ſeule la guerre contre la
Grande-Bretagne : ou que , pendant que les négo
ciations ont lieu en France , l'on cherche à traiter
directement avec l'Angleterre , afin d'en obtenir
des conditions plus avantageuſes : Ou enfin que la
République concourre de la meilleure maniere poffible
, & même aux conditions qui nous ſont offerzes
, quelques dures qu'elles ſoient, à la paix générale.
La premiere de ces alternatives ſeroit ſans
doute la plus honorable , en ce qu'elle s'accorde
non-ſeulement avec la dignité de la République ,
mais qu'elle eſt conforme au ſyſtême propoſé par
cette Province dès le commencement de la guerre ,
ſavoir : d'employer toutes les forces de la République
, afin de la pouſſer de la maniere la plus vigoureuſe,
&par-lå de ſe délivrer , pour le préſent
&pour toujours , de l'influence ruineuſe & honteuſe
de l'Angleterre ſur cette République. Les
Etats de la Province de Friſe ont pluſieurs fois fait
connoître leur maniere de penſer à ce ſujet , & particulierement
au cominencement de la guerre , en
propoſant une alliance formelle avec la France ,
( १० )
alliance par laquelle on autoit fait cauſe commune ,
tant pendant laguerre qu'à la conclufion de la paix ;
mais cette propoſition n'a eud'autre effet que d'être
rendue commiſſoriale , ſans qu'il en aitjamais été
fait aucun rapport. Cette Province l'a encore plus
fenfiblement démontré , en précédant les autres
Confédérés dans le refus d'une paix particuliere
avec la grande Bretagne , offerte à la République
fous l'apparence de conditions favorables. Elle
avoit enfin montré combien c'étoit ſon intention
férieuſede pouffer la guerre avec force , lorſqu'elle
avoit propoſé aux Confédérés , à l'occaſion de la
non-exécution de l'envoi des vaiſſeaux à Breſt , de
faire des recherches pour découvrir les coupables
à eet égard , mais principalement d'améliorer , s'il
étoit poſſible, la direction des affaires maritimes ,
fi viſiblement mauvaiſe , & d'écarter une fois pour
toutes les empêchemens aux ordres du Souverain :
laquelle propofition n'a pas eu plus de ſuccès que la
premiere : la lettre circulaire expédiée à cet effer
aux Confédérés étant reſtée ſans réponſe , & fans
produire en rien le ſuccès defiré.- Conféquemment
Leurs Nobles Puiſſances ( confiiérant la direction
défavorable qui a eu lieu juſqu'ici dans la
guerre, le peu d'effet de leurs efforts bien intentionnés
pour les améliorations,& la perspective que
les choſes pourroient être coutinuées ſur le même
pied, au cas qu'avec les autres Confédérés , elles
tinflent pour la premiere alternative ) ſe trouvent
obligées d'y renoncer.
Que leurs Nobles Puiſſances ne rencontrent pas
moins de difficultés dans le ſecond parti : car quoiqu'il
parût très-plausible , même à LL. NN. PP. ,
qu'en traitant directement avec l'Angleterre , l'on
pût obtenir la conſervation de Négapatnam , &
peut-être plus de condefcendance ſur l'article de la
navigation libre dans les mers des Indes Orientales,
il ne paroît d'ailleurs pas moins certain que
( 91 )
ces faveurs de la Grande-Bretagne ne pourroient
être obtenues qu'à des conditions moins avantageuſes
& plus humiliantes , que par le renouvellement
des Traités précédens , que ce Royaume a fi
infidelement rompus , & expliqués felon fon intérêt
particulier : démarche par laquelle la République
, non-feulement ſe trouveroit entraînée plus
que jamais ſous le joug de l'Angleterre , mais ſe
précipiteroit peut- être encore , par relation avec
d'autres Puiſlances voifines , dans des circonstances
non moins dengereuſes. Vu la fituation des plus
critiques où la République ſe trouve , & qu'elle
eft encore aggravée par le congé prématuré accordé
aux matelots expérimentés ,& par la ſuſpenfion
des primes pour les enrôlemens , il ne reſte d'autre
parti , quelque humiliant que cela puiſſe être , que
de ſe borner à la derniere alternative , c'est -à- dire ,
d'accéder de la meilleure maniere poſſible à la paix
générale. Ainfi il a été trouvé bon qu'il ſoit ordonné
audit M. J. de Kuffeler , d'autoriſer , conjointement
avec les Hauts Confédérés , & notamment
avec la Province de Hollande , les Ambaffadeurs
de la République à conclure de la meilleurę
maniere poffible les préliminaires , afin d'avoir part
à la paix générale , en faiſant tous leurs efforts
pour y ſtipuler les conditions les plus avantageuſes
qu'il pourroit obtenir .
Ce pré- avis fut envoyé à Paris le 28 du
mois dernier après midi. Peu d'heures après
le départ du Courier qui en étoit chargé ,
il en arriva un extraordinaire , dont les dépéches
étoient de la plus grande importance ,
puiſque les Etats-Généraux s'aſſemblerent à
huitheures du foir. Le lendemain matin on
fit partir un Courier qui porroit à Paris la
réſolution finale de L. H. P. , qui paroît
avoir été conforme au pré- avis de la province
( 92 )
de Hollande , auquel les autres provinces
ont accédé.
Les dernieres lettres du Nord ne contiennent
rien de déciſif , relativement à la guerre
entre la Ruffie & la Porte ; mais elles confirment
qu'elle eſt toujours regardée comme
inévitable , à moins que par la médiation des
Puiſſances qui ne ceſſentd'y employer leurs
efforts , la Porte ne céde ſur toutes ces prétentions
qu'on forme contr'elle.
PRÉCIS DES Gazettes Angl . du 3 Septembre.
Nos Officiers de marine ont obtenu , dit- on ,
la permiffion de ſervir dans les armées navales
de l'Impératrice de Ruſſie, ſous la condition de
revenir fix mois après la proclamation qui ſera
rendue pour leur rappel.
Il y a actuellement chez nos plus habiles conf
tructeurs douze jeunes Ruſſes qui y ſont en penfion
, & que leur Souveraine a envoyés ici pour
faire un cours d'architecture navale.
L'invafion de la Crimée , dit le Général Advertiſer,
eſt un événement qui doit fixer l'attention
de toutes les Puiflances commerçantes , &
tourner de ce côté les regards de l'inquiétude &
de la jaloufie. Si l'Angleterre eſt ſage , elle n'en
voudra pas aux Nations qui pourront eſſayer de
maintenir la balance du pouvoir de ce côté. La
fituation avantageuſe de la Crimée qui eſt une
preſqu'ifle , met la Ruſſie en état d'augmenter fi
rapidement ſes forces navales , que, fi elle n'éprouve
point d'obſtacles à préſent , nos deſcendans
pourront la voir maîtreſſe des . mers.
A qui , dit un autre de nos papiers , la Ruffie
doit- elle les progrès qu'elle a fait dans la guerre ?
à laGrande-Bretagne. Le Général Gordon , Ecoffois
, qui commanda les troupes Rufſes ſous le
Regne de Pierre- le-Grand , les fit paffer de l'état,
( 93 )
,
de barbarie & d'ignorance où elles étoient plon
gées à la connoiffance de la tactique & de la
difcipline militaire; avant que cet Officier cût
été appellé à leur tête , Charles XII , avec 700
Suédois avoit défait une armée de 80,000
Ruffes. Elle est encore redevable de ſa marine a
laGrande-Bretagne ; car avant que l'amirauté eût
été confiée à l'Amiral Greig , qui étoit autli Ecoffoiss,,
cette marine étoit a peine à fon berceau.
Elle lui doit également ſes connoiſſances actuelles
dans les ſciences & dans les arts ſes ſavans les
plus diftingués font venus d'Angleterre , ou y ont
été élevés. Ainſi l'on peut dire que la Ruſſie doit à
la Grande-Bretagne l'art militaire , la ſcience de
la navigation , les connoiſſances qu'elle a acquiſes
dans la littérature , la philofophie & le commerce ,
ſon exiſtence morale & politique.
On dit qu'il ſe trouve dans nos ports des Agens
de la Porte Ottomane qui ne ſe procurent pas
moins de nos vieux navires pour les convertir
en frégates , que la Ruffie n'en afait acheter de fon
côté.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE .
Révocation de don mutuel fait par une femme àfon
mari , demandée par les héritiers de sa femme ,
pour cause d'ingratitude , & dont la Séparation
de corpsfervoit de preuve.
Unmari & une femme s'étoient fait , par contrat
de mariage , un don mutuel en toute propriété , de
l'univerſalité de leurs biens. La femme fut obligée
de plaider en ſéparation de corps ; elle demandoit
en même temps la révocation du don mutuel. Sentence
qui prononce la Céparation , mais déboute la
femne de fa demande en révocation du don mutuel.
Eile fait fignifier à ſon mati la fentence de
féparation par alle obtenue , ſous toutes proteſtations
& réſerves de ſe pourvoir par appel contre
la deuxieme diſpoſition de la Sentence. Elle meurt
( 94 )
fans avoir interjetté ſon appel. Les héritiers de la
femme ſe rendent appellans de la ſentence , quand
au ſecond chef, & ſoutiennent que le don mutuel
doit être révoqué. Le mari les ſoutient non-recevables
, attendu le filence de la femme.- Arrêt du
6 Février 1782 , qui met l'appellation & ce au
néant ; émendant , révoque le don mutuel , & condamne
le mari aux dépens .
COUR DES AIDES DE PARIS .
Les procès-verbaux des délits commis dans les bois
du Clermontois , rédigés par les Greffiers des
Sieges, fur le rapport des gardes , font-ils fujets
au contrôle?
Le 19 Juillet 1779 , Nicolas Hains , Controleur
général des fermes , dans le Clermontois ,
dreſſa procès-verbal de ce que , vérifiant le regiſtre
du contrôle des exploits , il y trouva , à la date
du 24 de ce mois , vingt- un enregiſtremens d'aſſignations
données le 22 par Jean-Baptiste Benard,
Sergent , à la requête du Procureur-fiſcal de la
Juſticede Vienne-le-Château , par ſuite de vingtun
rapports de délits commis dans les bois de
Vienne-le-Château , non contrôlés . Le même jour
autre procès-verbal de ce que le ſieur Huguenin ,
Greffier de la même juſtice , avoit refuſe de lui
donner communication de ſes regiſtres & liaſſes .
Enfin le 30 Août , nouveau procès - verbal , qui
conſtate que le Contrôleur des exploits avoit retenu
quatre exploits d'aſſignations données le 27 Août -
par le ſieur Benard , en vertu de quatre rapports
pareillement non contrôlés.-Ces trois procèsverbaux
donnerent lieu à trois demandes de la part
du fieur Conty , Fermier général du Clermontois ,
portées devant le Prévôt de Clermont en Argonn ;
lapremiere contre les ſieurs Huguenin , Greffier.,
&Benard , Huiffier , tendante à ce qu'ils fuſſent
condamnés en 4400 liv. d'amende , à raiſon de
200 liv. pour chacun des vingt-un rapports non
contrôlés ; le Greffier , pour les avoir rédigés ſans
4
( 95 )
les faire contrôler ; l'Huiffier , pour en avoir fait
ufage. La ſeconde , contre le ſicur Huguenin feul ,
tendante à une amende de 100 liv. , avec injonction
de communiquer à l'avenir ſes regiſtres , minutes
& liaſſes. La troifieme , contre les ficurs
Huguenin & Benard , tendante aux mêmes fins que
la premiere.- Le 26 Avril 1780 , deux Sentences
par défaut adjugerent au ſieur Conty les fins &
concluſions de ſes deux premieres demandes. Le 7
Juin troiſieme Sentence ſur la troiſieme demande ,
qui prononce un délibéré.- Le 7 Octobre 1780 ,
les fieurs Huguenin & Benard reçus oppoſans à
la Sentence du -7 Juin, obtinrent permiffion de
dénoncer les demandes du ſieur Conty, & les Sentences
par lui obtenues , aux habitans de Viennele-
Château , pour qu'ils euffent à en faire ceſſer
l'effet. Ces habitans demanderent le و Octobre
à être reçus intervenans ſur la Sentence du 7 Juin ,
oppoſans aux deux autres. Ils demanderent acte de
ce qu'ils prenoient le fait & cauſe des ſieurs Hu
guenin& Benard; que faiſant droit fur leur intervention
& oppofition , les trois inſtances fuſſent
rétablies & jointes ; les deurs Huguenin & Benard
déchargés des condamnations contr'eux prononcées
: ils conclurent en outre à de forts dommages
& intérêts , fondés ſur ce qu'en retenant les exploits
d'aſſignations , le ſieur Conty avoit empêché de
fuivre la réparation des délits commis dans les bois ,
&de ceux qui s'étoient commis depuis .-Par Sentence
du 25 Juillet 1781 , le Prévôt de Clermont
en Argone, faiſant droit ſur les interventions &
oppoſitions des habitans de Vienne- le-Château
les débouta de leur demande en dommages- interêts
, mais débouta pareillement le ſieur Conty de
toutes ſes demandes , & le condamna aux dépens
envers toutes les partics .- Sur l'appel porté en la
premiere Chambre de la Cour , Arrèt dù 16 Juillet
1703 , qui met l'appel au néant , avec amende &
dépens.
,
( 96 )
PARLEMENT DE NORMAMDIE.
Fraude &folde de deniers dans un contrat de fieffe ,
le rendent clamable.
Par contrat du 11 Septembre 1748 , le fieur
Truaud , Prêtre , propriétaire de, douze petites
pieces de terre dans la Paroiſſe deSaint-Hymer , les
fieffa à Jacques Allais, qui en tenoit déjà huît à
ferme; le contrat porte que le premier n'entrera en
jouiſlance que du jour du décès du bailleur,que le
bailleur fournira , s'il en eſt beſoin , à ſes frais au
preneur des copies collationnées des titres ; que le
preneur ſe charge d'entretenir les maiſons & les
plans , & de faire au bailleur Iso liv, de rente
fonciere , perpétuelle & inacquitable , à courir du
jour du décès du bailleur ; que le bailleur ſe réſerve
ledroit de faire aux maiſons ce qu'il jugera à propos,
foit pour réparations , augmentations , même
de faire abattre les arbres qu'il aviſera bien.- Le
13 Février 1753 , nouveau contrat entre le fieffant
&le fieffataire , par lequel la jouiſſance du premier
eſt fixée au jour de Noël 1752 , & le bailleur
renonce à fon droit d'ufufruit.-Le 10 Septembre
1778 , le fieur Abbé Truaud mourut. Le ſieur
Monblanc , ayant épousé ſon héritiere , clama
l'effet de ces deux contrats , prétendant qu'il y
avoit en ſolde de deniers , ce qui rendoit les
deux contrats clamables . - Le 11 Janvier 1779 ,
premiere Sentence qui appointe le clamant à
prouver qu'il y a cu folde de deniers , ou choſe
equipolente ; que le fieur Abbé Truaud s'étoit retenu
une falle dans la maiſon du fieur Gafil , fur les
fonds , le fruit des eſpaliers & des fagots ; qu'enfin
le fieffataire & fon fils avoient reconuu que les retenues
valoient so livr. par an. La même Sentence
a appointé le fieffataire à la preuve des faits contraires
, & à prouver , de ſon côté , que le fieffant
Jui avoit tenu compte , fur les arrérages de la rente
de fief, des fournitures dont il s'agit , à l'exception
des fruits , qui lui avoient été donnés.
,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A Madame DE BOURDIC ,furfon Eloge
de Montaigne , lú à l'Académie de Nîmes,
ΟN fait à la Cour d'Apollon
Les vers heureux que jadis pour Phaon
Sapho compoſoit à Cythère ,
Mais Sapho , d'une voix légère ,
N'a jamais embelli Platon.
Vous qui favez parler comme elle ,
Et qui raiſonnez comme lui ;
Vous , de qui Montaigne aujourd'hui
Reçoit une grâce nouvelle ,
Vous cachez vainement la taille de Cypris
Sous le mantcau de la Philofophie.
De vos regards, 'f'i le dooeur ſe défie ,
Par vos accens vous charmez les eſprits.
Oui , tour- à-tour vosgrâces , vos ouvrages
N°. 18 , 20 Septembre 1783 . E
:
:
98
MERCURE
1
Offrent le mal & le contre-poiſon ;
Auprès de vous une ſeule leçon
Rameneroit les foux à la raiſon ,
Ou tourneroit la tête à tous les ſages ;
Et votre Auteur , qui n'eut de foi , dit- on ,
Qu'aux vérités que par les ſens on touche ,
Avos côtés reconnoîtroit deux Dieux ,
Celui d'Amour qui règne par vos yeux ,
Celui des vers qui plaît par votre bouche.
(ParM. de..... , de Montpellier. )
A Mademoiselle SIMONET , première
Actrice du Spectacle de Bordeaux.
QUEULELLLEE eſt cette jeune merveille ?
Tout ce qu'elle chante on l'entend;
Tout ce qu'elle exprime on le ſent.
Aqui charme à la fois les regards & l'oreille ,
Que le coeur eft obéiffant !
La ſenſibilité , la nobleffe & les grâces
Au Théâtre ſuivent ſes traces.
Sonpère l'y conduit , &, reprenant ſon bras ,
En triomphe revient , rentre avec complaiſance
Sous le toit fortuné qui couvre la décence
Et le talent joint aux appas.
L
Tor qu'on admire ou qu'on envie,
Charmante Simonet ,goûte bien les douceurs
Qu'un aufli pur amour doit verſer ſur ta vie.
DE FRANCE
99
Le talent s'ennoblit & s'accroît par les moeurs .
Le front ceint de laurier , laiſſe , crois- moi , ces fleurs
Qu'un amour trompeur te préſente.
Le vent le plus léger peut ternir lears couleurs ,
Et la foudre , dans ſes fureurs ,
Reſpecte du laurier la tige triomphante.
Grains tous ces prétendans qui forment des projets
Que la vanité leur inſpire;
Crains de partager ton empire ,
Laiſſe-les parmi tes ſujets .
MAIS , dis-moi , par quelle folie
Négligeas ru juſqu'à ce jour
D'embellir la riante Cour
De la véritable Thalie ?
CetteMuſe t'attend , & ton fort eſt certain.
Oui , jenne Simonet, tout ſuccès eſt poſſible
Pour qui de Doligni joint l'âme ſi ſenſible
Aux yeux , à la voix de Gauſſin .
(Par M. leMarquis de S *. M**. )
ÉPITAPHE de DIANE , Chienne de
Chaffe , morte en chaſſant.
CI - GIT I - GIT Diane. O vous , que le fort a fait naître
Pour aimer & ſervir , prenez ſes ſentimens :
Fidelle à ſes devoirs juſqu'aux derniers momens ,
Elle eſt morte à la chaſſe en regardant fon maître.
( Par M. le Chevalier de Florian. )
E ij
100 MERCURE
VERS à Mademoiselle DE GAUDIN , fur
les mêmes rimes de l'invocation de fon
Idylle , intitulée : Rofine & Mirtil ,
inférée dans le Mercure , Nº. 31 .
Tor , qui chantes l'Amour ,te crois-tu ſans amant,
Crois-tu qu'impunément on écoute ta lyre ?
O! que la Muſe qui t'inſpire
Sait placer en tes mains un pinceau ſéduisant!
Ce n'eſt plus Geffner qu'on admire ,
Ton ſtyle vrai , toujours plus attachant ,
Anime de tes feux les tableaux qu'il préſente ;
Il fait aimer l'Amour qu'il chante.
Comme il peint bien le ſentiment !
Qui , ton fexe & ton âge , & ta vertu touchante,
Doublent le prix de ton talent.
Pour te peindre , Gaudin , j'ai volé ton pinceau :
Que n'ai-je pu voler auſſi ta main divine !
Pardonne , mais ravi de ton joli tableau ,
Je me fuis cru Mirtil & t'ai pris pour Rofine.
(Par un Abonné de Province , qui n'a pas
l'avantage de connoître Mlle de Gaudin. )
DE FRANCE. 101
LETTRE de M. DE LA HARPE au
Rédacteur du Mercure , fur la Traduction
de l'Effai fur l'Homme , par M. de
Fontanes . *
QUOIQUE UOIQUE je m'applaudiſſe tous les jours du parti
que j'ai pris , il y a long temps , de renoncer à la
critique , parce que le repos & la liberté ſont audeſſus
de tour , cependant , lorſqu'il paroît un Ovrage
d'un mérite diftingué , il m'arrive quelquefois
de regretter le plaifir quej'aurois eu à rendre à l'Auteur
une juftice publique. J'ai dit quelque part que la
louange étoit la partie confolante de la péniblefonction
de juger ; & vous avez raiſon de penfer que
l'Ouvrage de M. de Fontanes m'auroit fait goûter
cette eſpèce de confolation. Je me souviens du planir
que j'ai eu à voir dans ſes premiers eſſais tout ce qu'il
pouvoit devenir , & à l'annoncer auPublic comme un
homme né pour être Poëte . Je ne le conno ſlois pont
alors, & ne l'avois jamais vû ; & quoique aujourd'hui,
la manière dont il s'eſt exprimé a mon égard, puile ,
en quelque forte , infirmer mon fuffrage ,j'ole vous
affurer que ſi ce ſuffrage , quel qu'il foit , peut avoir
quelque valeur , ce n'eſt que par l'eſprit d'équiré qui
l'a toujours dicté , & que les intérêts de mon amourpropre
n'ont point , ce me temble, altéré Je re commencerai
pas à être flatteur pour un Ecrivain qui a f
peu beſoin qu'on le flatre ;& je ne ſerai embarraf ni
dela cenfure ni de la louange. La meſure de l'une &
de l'autre , fi difficile à garder avec la médiocrité , elt
*Nous nous diſpoſions à rendre compte de cet Ouvrage
guand cette Lettre de M. de la Harre nous eft parverus.
Nous croyons qu'elle peut tenir lieu d'un extrait , & qu'on
nous faura gré de l'avoir imprimée.
Einj
MERCURE
toujours facile à ſaiſir avec le talent véritable. Je
vous préviens d'avance que j'aurai beaucoup plus
à approuver qu'à reprendre ; mais en vérité , ce
n'eſt pas ina faute; & après tout il ne faut pas , pour
éviter de paroître trop reconnoiffant , s'expoſer à
devenir injuſte.
Vous ſavez , Monfieur , que nous avions déjà une
Traduction en vers de l'Effai fur l'Homme , qui a
Joui long-temps d'une réputation au- deffus de fon
mérite , & qui même ouvrit à l'auteur , l'Abbé du
Reſnel , les portes de l'Académie Françoiſe. Ilfait
bon veniràpropos , m'a dit ſouvent M. de Voltaire.
Quand cet Ouvrage parut , on aimoit encore les
vers; on commençoit à connoître & à goûter la
Littérature Angloiſe , qui étoit pour nous une
eſpèce de nouveauté ; Pope jouiſſoit , quoique vi
vant , de la réputation du premier Poëte d'Angle-.
terre ; & il faut avouer encore , à la gloire de
l'Abbé du Reſnel , que c'étoit la première Traduction
en vers qu'on eût pû lire avec quelque plaifir. Elle
eſt en général pure & correcte , & quelquefois élé
gante. C'eft en l'examinant de plus près , à côté de
Poriginal , lorſque la langue Angloiſe a été plus
cultivéeparmi nous , que l'on a ſenti combien cetre
paraphrafe foible , diffuſe , & languiſſante , s'éloignoit
des principaux caractères du ſtyle de Pope , la
préciſion , la rapidité & l'énergie. On ne fongea
point alors à faire cette comparaiſon , & l'Abbé du
Reſnel n'eſſaya guères d'autre reproche que d'avoir
traduit un Poëme dont le fond paronſoit contraire à
la doctrine du péché originel. Pope,dans une Lettre à
Racine le fils , rejette ce reproche d'hérérodoxie fur
le Traducteur qui , s'il faut en croire le Poëte An
glois , a embelli ſes vers & défiguré ſon ſyſteme.
C'eſt pourtant tout le contraire , & il y a dans ce
langage plus de modeſtie que de borne - foi. Les
vers de Pope perdent beaucoup ſous la plume de fon
DE FRANCE. 103
Traducteur; mais ſes principes y font fidèlement
conſervés. Ce n'est pas la faute de l'Abbé du Reſnel
ſi l'optimi me (quoi qu'en dife Warburton , dont M.
de Fontanes a cru devoir adopter l'avis ) ne peut s'accorder
avec la Genèſe ; mais ce qui n'est pas moins
vrai , c'eſt qu'une hypotheſe philofophique , ornée
des couleurs de la poéfie, ne doit pas être jugée
comme un Livre de Théologie.
M. de Fontanes re paroît pas , à beaucoup près ,
dans des circonstances auffi favorables. On est également
raſſatié de vers & de métaphyfique. Les ef
prits ſévères trouvent qu'il n'y a pas plus à gagner à
l'un qu'à l'autre , & le grand nombre ne pardonre
àla poéfie qu'en faveur des ſujets qui parlent à
v'âme ou à l'imagination , qui égayent ou intéreffent.
Des longs raiſonnemens les Muſes s'effarouchent.
cerre
▲ fort bien dit M. l'Abbé de Lille; & quoique Pore
miſonne fort éloquemment en vers , ſon Ouvrage ,
juſtement admiré des connoiffeurs , est trop auſtère
pour la mulitude , en même-temps que ſon ſyſteme
eft trop chimérique aux yeux des Philofophes. La
mode , qui ſe mêle de tout , a aufli décrédité l'opsimifine,
& M. de Voltaire , dans Candide , a jeté du
ridicule ſur la doctrine de ce Poëme , qu'il regardoit
pourrantcommeune des plus belles productions de
l'eſprit humain. L'inſtant même où s'annonce
nouvelle Traduction de l'Eſai furtHomme , ſemble
fait pour le réfuter; & un Auteur qui feroit de cette
réfotation le ſujet d'un Poëme, travailleroit peut- être
fur un fond plus heureux que celui qu'a traité Pope ;
car rienn'eſt ſi éloquent que la plainte , & fi touchant
que le malheur. Certes , ce n'est pas le moment
de dire aux hommes que tout est bien , quand
la Nature déploye plus que jamais cette force terrible
qu'elle a pour ſa propre deſtruction ; quand la
-
Eiv
104 MERCURE
terre tourmentée s'ébranle & s'ouvre de toutes parts ;
quand la Calabre a diſparu ſous les débris des volcans ;
que les mers, foulevées ont couvert Mefline & Formofe;
& que les ſecouſſes & les déſaſtres du globe
ſe multiplient depuis les bords de l'océan oriental
Juſqu'aux rives de notre méditerranée.
M. de Fontanes ne peut donc guères avoir pour
lui que ſon mérite poétique , celui d'une verfion gé
néralement adelle , & de la difficulté ſouvent vaincue.
Tout cela n'exiſte que pour un petit nombre de
juges , & ne peut valoir à l'Auteur que de l'eſtime &
descritiques.
On voit d'abord qu'il a cherché à ſe rapprocher ,
autant qu'il lui étoit poſſible , de la manière de Pope.
Ses vers font fermes & pleins ; il n'en a guères mis
dans ſa Traduction plus qu'il n'y en a dans l'original
, & c'eſt peut-être à cette eſpèce d'étude , quel
quefois pouffée trop loin , qu'il faut attribuer un
peu de ſéchereſſe& de contrainte que l'on remarque
en quelques endroits. Je ne prétends point le diffimuler;
car M. de Fontanes mérite une eſtime ſévère ;
&quand les beautés prédominent , il ne faut pas
craindre de marquer les défauts. Ces beautés font en
grand nombre , & ſe préſentent à tout moment. II
ſoutient le parallèle avec Pope dans la plupart des
morceaux où ce grand Homme appelle la poéſie au
ſecours de ſa philoſophie, quelle qu'elle ſoit. Voyez ,
par exemple , cette brillante proſopopée où il fait
parler la vanité humaine.
Pourquoi les feux du ciel brillent- ils ? Et pourquoi
Ce monde est-il formé ? L'orgueil dit : c'eſt pour moi.
Pour moi naît le printemps : c'eſt à moi que la terre
Prodigue de fes fruits le luxe tributaire .
Pour moi la roſe entrouvre un bouton parfumé ,
Et la grappe ruiffelle en nectar embaumé.
D'un or qui m'appartient la mine ſe féconde ;
DE
τος
FRANCE.
Les mers que j'aſſervis ſous moi courbent leur onde ;
Unfoleil ſe promène au tour de mon palais ;
Cette terre eft mon trône , & le ciel eſt mon dais.
Il n'y a rien à reprendre dans ces beaux vers. On
peut ſeulement obſerver qu il y en a un dont l'idée
principale n'eſt pas exactement celle du texte.
Lesmers que j'aſſervis fous moi courbent leur onde .
Ce vers exprime particulièrement l'effet de l'induſtrie
&de l'audace humaine ; au lieu que Pope a voulu ,
comme dans tout le morceau , exprimer ſur tout la
deſtination finale de chaque être , ſuivant les idées
de notre orgueil.
Seas roll to waft me.
« Les mers roulent pour me porter. » Ce qui eſt
plus précis & plus conféquent.
Que ton oeil , protégé de ſa triple enveloppe ,
S'éclaire tout à-coup du perçant microſcope
Qu'a donné la Nature au léger moucheron ;
Tu perds l'immenſité pour fixer un ciron .
Aiguiſe ton toucher: des douleurs plus fubtiles
Vontbleffer le tiſſu de tes nerfs plus fragiles.
Du rapide odorat fi l'aimant eſt plus ført ,
Dans l'haleine des fleurs tu reſpires la mort ;
Et fi tu peux entendre , en leur marche infinie ,
Tonner des cieux roulans l'effrayante harmonie ,
Neregrettes-tu pas le doux bruit des ruiſſeaux ,
Et le zéphir du ſoir qui careſſe leurs eaux ?
Queceux qui entendent l'Anglois comparent le
texte & la verſion , & je crois qu'ils donneront la
préférence à celle- ci , qui l'emporte , ce me ſemble,
par la quantité d'expreſſions heureuſes & par les
contraſtes d'harmonie imitative .
Vois l'abeille avec art , ſur l'herbe envenimée ,
Ev
106 MERCURE
1
Pomper , en voltigeant , ſa liqueur parfumée ;
Vois ourdir l'araignée: elle vit à la fois
Dans tous les fils tremblans qu'entrelacent ſes doigts.
Ce dernier vers eſt admirable. Le vers Anglois ſe
fait remarquer fur-tout par la précifion :
Feal al each thread and lives à long the line.
« Qui ſent dans chaque fil & vit dans ſon ouvrage.»
Mais le vers François ſemble imiter le mouvement
&le bruit de la toile & de l'inſecte.
Dans le morceau ſuivant , qui eſt d'un ton plus
élevé , vous obſerverez la marche impoſante & foutenue
de la phraſe poétique , & cet art de couper le
vers ſans le réduire à la proſe , & de varier le
rhythme ſans le détruire ; deux chofes différentes ,
& qu'aujourd'hui l'ignorance & le mauvais goût
confondent fi ſouvent.
Side l'Ange un moment l'homme uſurpe les droits,
L'inſecte nous atteint: la Nature eſt ſans loix.
Sa marche avec terreur s'arrête interrompue;
Qu'un anneau ſe détache , & la chaîne eſt rompue,
S'il eſt diverſes loix pour les globes divers ,
Unſeul en s'écroulant fait crouler l'Univers .
Que la terre au haſard de fon orbe élancée,
Par l'air qui la ſoutient ne ſoit plus balancée ,
Les planètesfoudain , le foleil étonné
S'égarent en déſordre , & l'Ange détrőné
Laiſſe échapper d'effroi leurs rênes vagabondes ,
Etles mondes briſés retombent ſur les mondes.
1
Cet hémiſtiche , s'égarent en déſordre >> eft rejeté
avec beaucoup d'art , & l'image qui fuit eſt du
plus grand effet: elle n'eſt point dans Pope, & ici
encore fon Traducteur l'embellit. Ce commencement
de vers , « les planètes fondain >> ne devoir
DE FRANCE. 107
/
:
pas être ainſi négligé dans un grand tablean. Il falloit
un hémiſtiche qui s'accordât avec le ſuivant :
« Le ſoleil étonné. >>>Ce vers doit être changé. Ceux
qui terminent la ſeconde Épître me paroiffent encore
fupérieurs à tout ce que je viens de citer :
Cependant des mortels ſouveraine volage ,
Errante à nos regards ſur un léger nuage ,
L'opinion qui charme & qui trompe toujours ,
De ſes rayons changeans fait embellir nos jours .
Audéfaut du bonheur l'homme en a l'apparence
Ses voeux ſont ſes tréſors : l'inviſible eſpérance ,
Qui daigne ànos côtés voyager ici bas ,
Veille encor près de nous au moment du trépas.
C'eſt elle qui, ſans ceſſe au banquet de la vie ,
Telle qu'un hôte aimable , en riant nous convie ,,
Etverſe en notre coupe un délire éternel :
Le rêve du bonheur est un bonheur réel..
Voilà des vers dignes du bon ſiècle ; voilà la perfection
du ſtyle. Pourquoi ? C'eſt qu'à toutes les
beautés de dérail que l'art & le travail peuvent trouver
, ils joignent ce charme de la facilité qui les
anime toutes , cet enſemble qui les lie , cet heureux
accord qui les rend ſenſibles pour tous les Lecteurs..
C'eſt le grand ſecret de l'art d'écrire en proſe comme
envers. On voit que M. de Fontanes le connoît , &
it en a plus d'une fois fait uſage. Il lui reſte d'en acquérir
l'habitude; & il ne doit plus travailler dans ſa
compoſition qu'à faire diſparoître le travail. C'eſt le:
dernier degré de la perfection , & il eſt fait pour y
parvenir. Qu'il laiſſe le vulgaire des Critiques s'extâfier
ſur une expreffion ou ſur un hémiſtiche , efpècede
mérite qui n'est pas étranger au plus médiocre
Écrivain. Un eſprit auffi éclairé que M. de
Fontanes, doit ſentir que le tiſſu d'un ſtyle , où tout
eft à la place , qui attache plus qu'il n'étonne , où
E vj
108 MERCURET
les idées brillent ſous un voile tranſparent d'images
juſtes & naturelles , & ne ſe cachent pas fous un
nuage de métaphores accumulées & de figures bizarres
; qu'enfin ce grand mérite de l'enſemble eſt
celui qui appartient excluſivement aux maîtres , celui
que par cette raiſon même la foule des Écoliers a
intérêt de méconnoître & de décréditer, celui dont
les ridicules Ariſtarques d'un fiècle de décadence ſe
gardent bien de parler , parce qu'il n'eſt jamais donné
qu'à l'homme ſupérieur , & marque tôt ou tard la
diſtance qui est entre lui & la médiocrité.
J'excéderois de beaucoup les bornes d'une Lettre
i je voulois citer tous les endroits que M. de Fontanes
a fingulièrement empreints de ſon talent poétique
; mais plus ce talent eſt précieux , plus il eſt important
de l'avertir des fautes & des négligences
qu'il peut corriger. Ce n'est pas que j'aye la prétention
de rien enſeigner à M. de Fontanes; c'eſt ànos
Légiflateurs en titre à dicter orgueilleuſement an
génie les leçons de l'ignorance ; c'eſt aux Gens de
Lettres qui aiment les Arts & la vérité , à s'éclairer
mutuellement , en ſe communiquant ce qui peut
échapper au travail de la compoſition .
C'eft , par exemple, une inadvertance d'avoir dit ,
en parlant de l'action néceſſaire à notre âme , à notre
efprit:
L'eſprit meurt dans le calme , & veut être exercé .
Le met propre étoit repos , oifiveté. Le calme formelà
une forte de contre-fens . Il étoit d'ailleurs facile
de rendre beaucoup mieux le vers Anglois par unc
verfion littérale :
Strenght ofmind is exerciſe , no rest.
Sa force eſt l'exercice & non pas le repos.
Penſée que Voltaire a embellie dans ces deux vers :
L'âme eſt un feu qu'il faut nounir,
DE FRANCE.
109
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.
C'eſt une affectation blamable d'avoir répété des
conftructions forcées , telles que celles- ci :
Voyons- nous quelquefois les couleurs du pigeon ,
De leur beauté changeante adoucir le faucon.
Veux- tu , filsde la terre , en tes folles penfes ,
Atteindre encor le ciel de roches entaffées ?
On ne dit point adoucir defa beauté , ni atteindre de
roches. Quoique le de ablatif puiſſe être mis à la place
depar, & même quelquefois heureutement; le goût
doit en régler l'uſage. On dit , par exemple , être
atteint d'une bleſſure; on ne diroit pas dans le fens
actif: il l'atteint d'une bleſſure. Il faut diftinguer ces
différences , dont il ſeroit trop long de détailler les
raiſons , mais qui font fondées ſur la logique du
langage.
Je ne blâmerois pas fi décidément les familles
de l'herbe en parlant des inſectes ; mais j'avoue
que cette expreffion ne paroît vague & louche , & je
n'aime pas davantage cet hemiftiche , l'oeil de la
taupe échappe , pour dire qu'il eſt imperceptible. Ce
fontdes ſcrupules que je propoſe; ils font peut- être
mal fondés ; mais voici des vers qu'il me ſemble que
M.de Fontanes ne doit pas laiſſer.
Degrès univerſels , où rien n'eſt déſuni !
- Quels termes oppofes ! le néant , l'infini !
Dieu commence; après lui l'Ange , l'homme & l'infete.
On n'entend pas ce que c'eſt que des degrès univerfels.
Rien n'eſt en effet plus oppeſé que le néant
&l'infini : cela est trop vrai , & ce n'est pas ce que
ditPope. Dieu commence ; après lui , &c. tout cela
manque de nobleſſe , d'élégance & de clarté. Cos
Ito MERCURE
deux vers ſur l'homme ſont défectueux d'une autre
manière :
Lui qui ſeul a les droits , le nom d'être penſant ,
Se plaindra-t'il toujours , s'il n'eſt pas tout-puifiant ?
Ils font trop loin de la préciſion & de la force de
l'original :
Be pleaſed witta nothing, is no bleſſed with all ?
N'eft il content de rien , s'il n'a tout obtenu ?
Je ferai la même obſervation ſur ces vers de la
ſeconde Épître :
Quand l'oeil des Séraphins vit dans ces derniers jours
Unfeul homme embraſſer la Nature infinie , &c.
Dansses derniersjours eſt trop proſaïque. Un feul
eſt une cheville , & il n'en faut pas davantage pour
gâter non-feulement le vers , mais le fens. Si les Séraphins
s'étonnent , ce n'est pas de ce qu'un feul
homme embraffe la Nature , c'eſt de cequ'un homme,
un mortel , mortal man , dit l'Anglois , explique
les loix de la Nature. Embraffer_eſt trop vague.
Newton n'a point embraſſé la Nature; il l'a devinée.
Même défaut de juſteſſe & de préciſion dans ces
vers?
Et l'indolent Hermite , & l'avide Marchand,
Et leHéros fuperbe , & le modeste Sage ,
Chacun dit : J'ai reçu la raison pourpartage.
Outre que le dernier hémiſtiche eſt dur , ce n'eft
pas-là le ſens. Il n'est pas queſtion d'avoir reçu la
raiſon en partage , ce qui appartient à tous les hommes
, mais d'avoir la raiſon de fon côté. Findreason
on their five , dit le texte Anglois , d'avoir fait le
meilleur choix , avantage que chacun croit avoir
exclufivement. Le modeſte ſage eſt une autre eſpèce
decontre- fens. On a toujours raiſon d'êtrejuſte &
DE FRANCE.
modefte. Pore dit: le ſage oifif , ce qui est bien
différent. On peut reprendre quelques autres veis ,
ou durs ou proſaïques :
L'Amour propre en avant toujours ſe précipite.
De l'or , des rangs, des arts que foif vous dévore.
Auqueldes deux pouvoirs devra- i'on plus de foi?
•
Envahir , tu le peux , tous les biens par le crime ;
Le plus grand bien toujours te manque , c'est l'estime.
Ces vers , & quelques autres , font de la proſe foible,
Celui - ci :
Si , Roi des animaux tu leur donnes des fers , &c.
Commence d'une manière désagréable. Ces deux
autres:
Le bonheur , qui tantôtfuit & s'offre à nos yeux ,
Nulle part ne ſe trouve , & se trouve en tous lieux.
manquent d'exactitude & de correction dans la penſée
&dans les termes . Il falloit abſolument pour la conf
truction , le bonheur qui , tantôt fuit , tantôt s'offre
ànos yeux ; & dans le ſecond vers , il faut mettre :
Nuale part ne ſe trouve ou ſe trouve en tous lieux.
La disjonctive ou eſt néceſſaire pour le ſens ; elle eſt
dans l'original :
Tis ne where to be found or everivohere ..
Il y a quelques expreſſions impropres.
Desrangs multipliés qui diffèrent entre eux ,
Naiffent les doux beſoins dont la loi fouveraine
Des intérêts divers ſait combattre la haine.
La haine des intérêts ne peut jamais fignifier leur
112 MERCURE
diverſité , leur diſcorde ; c'eſt une mauvaiſe expreffion.
Dés êtres animés l'hymne reconnoiffant
Du temple des forêts s'élevoit à leur père.
L'Auteur veut dire que les forêts leur ſervoient de
temple; & cet hémiſtiche , le temple des forêts »
gnifie proprement le temple qui eſt dans les forêts .
Avant d'être figuré , il faut fonger à être clair. Ce
n'eſt pas à M. de Fontanes que cet avis s'adreſſe , il
en a trop rarement beſoin ; mais les vérités communes
ne peuvent pas être perdues aujourd'hui ; il
faut bien les oppofer aux nouvelles extravagances
des nouvelles doctrines .
Un tronc jadis fauvage adopte ſur ſa tige
Des fruits dont ſa vigueur hâte l'heureux prodige.
Hâter le prodige des fruits , eſt une métaphore trèsobfcure.
C'est peut être la ſeule fois que l'Auteur
s'eſt approché du ſtyle à la mode , & Dieu me préſerve
de le lui paſſer!
Vous voyez , Monfieur , avec quelle ſévérité jele
traite; mais fi je lui reproche les défauts qu'il a ,
d'autres lui reprocheront ceux qu'il n'a pas , & cela
conſole. Il lui eſt facile , d'ailleurs , de faire diſparoître
ce petit nombre de fautes dans une nouvelle
Édition,& il nous la doit. M. l'Abbé de Lille , dans
celle qu'il vient de dønner de ſes Géorgiques , les a
beaucoup perfectionnées ; c'eſt un exemple à ſuivre
pour M. de Fontanes. Il parle dans ſes notes d'une
autre Traduction de l'Eſſai fur l'Homme , par ce
même Écrivain , à qui celle des Géorgiques a fait
tant d'honneur, & il en parle avec ce reſpect modeſte
qui fied ibien à un jeune Candidat qui peut
ſe trouver en concurrence avec un Maître de l'Art.
Tous deux font dignes de traduire Pope , & Pope
méritoit de les avoir tous deux pour Traducteurs .
DE FRANCE.
113
Les notes de M de Foutanes ſont d'un eſprit judicieux
& d'un homme très-inftruit. Je crois pourtantqu'il
ſe trompe , quand il affirme que les mots
connexion gradation , attraction feroient rejetés aujourd'hui
, même d'une proſe élégante. Je n'imagine
point d'ouvrage , dans le genre le plus noble
& le plus foutenu , où l'on ne pût faire entrer la
connexion des idées , la gradation des objets & des
nuances , Pattration naturelle qui ſe trouve entre
certains eſprits , &c. Il y a de l'abus à multiplier les
termes abſtraits; il y en a à les proſcrire entièrement.
Eft modus in rebus .
Le Difcours Préliminaire a eu un ſuccès général.
C'eſt un excellent morceau de Littérature , & tel
qu'il eſt bien rare d'en rencontrer aujourd'hui . Une
marche sûre & rapide , de la juſteſſe & de l'énergie
dans les idées , de l'imagination dans le ſtyle , partout
cette meſure , qui eft la marque de la véritable
force & du véritable eſprit , un jugement ſain , nourri
de réflexions & de connoiſſances , enfin tout ce qui
caractériſe le vrai Littérateur , & ce qu'il eft , fur
tout de nos jours ,fi néceſſaire & fi rare de joindre
au talent de la poćfie.
J'allongerois trop certe Lettre , déjà trop longue ,
ſi je cédois au plaihr de tranfcrire de la profe
de M. de Fontanes ; il faut lire & relire le Difcours
entier.
Je ſuis , &c.
A la Ferté- Vidame , ce 15 Août 1783 .
r
114
MERCURE
Explication des Charades , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eft Voltaire ; celui
de l'énigme eſt l'Instant préſent; celui du
Logogryphe eft Pensée, oùl'on trouve Pen ,
Légillateur de la Pensylvanie , Enée,féné.
A
CHARADE.
VEC mon premier , tout peut être;
Preſque toujous mon fecond eſt un fot ,
Et la totalité du mot
N'appartient plus à fon vrai maître.
TOUT,
(Par unjeune Rabin.)
ENIGME.
OUT , chez moi , tient du merveilleux.
Suis -je fils ? Deviendrai-je père ?
J'ai , dit- on , bon nombre d'aïeux ,
Et je n'ai jamais eu de mère.
(Aux Fauxbvargs de la Rochelle , par leM. de
C. C. M. de Dr. , Mandarin de la Chine.)
DE FRANCE. 19
LOGOGRYPΗ Ε.
JE ſuis de ces gens à deux faces
Qu'on ne devine pas d'abord ,
Amoins que , par un doux effort,
On n'ait pénétré leurs furfaces ;
En me voyant , on peut être aſſuré
Que je reffemble à cet Apôtre
Qui , dans un ſtyle figuré ,
Nous déſigne une choſe en nous parlant d'un autre,
Avec un ſoin particulier ,
Combine mes neuf pieds , cher Lecteur , & fans peine
Tu trouverasle Dieu qui fait tout oublier ;
Une des faiſons de l'année ;
Une mère , une Reine aux pleurs abandonnée ;
Ce qu'un voleur a mérité ;
Un habitant de la brûlante Afrique;
Ce qui ſe dilate en été ;
Un métal précieux commun en Amérique ;
Celle qu'un malheureux appelle à ſon ſecours;
Un bruit ſcandaleux qui fait rire ;
Ce que le Matelot defire
Dans un voyage de long cours ;
Une ville jadis maîtreſſe de la terre ;
Un Magiftrat Républiquain ;
Un gros tuyau du corps hunain ;
Ce que l'on ne doitjamais faire.
116 MERCURE
Je t'en dirois juſqu'à demain ,
Il eſt plus prudent de me taire.
(Parlemême.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
FONTENELLE jugéparfes Pairs , Éloge
de Fontenelle , en forme de Dialogue entre
trois Académiciens des Académies Françoise
, des Sciences & des Belles- Lettres ,
par M. le Chevalier de Cubières ; avec
cette Épigraphe : Il a comblé l'abyſme qui
Séparoit les Philofophes & le vulgaire.
Diſcours de réception de M. le Duc de
N*** . A Paris , chez Belin , Libraire
rue S. Jacques , près S. Yves .
>
GET Éloge de Fontenelle eſt une eſpèce
de Drame oratoire , dont la ſcène ſe paſſe
chez Mde Geoffrin , un mois après la mort
de Fontenelle. L'Abbé Trublet y lit ſes Mémoires
fur la vie & les Ouvrages de cet
homme célèbre , devant Myladi Stella , Mde
de Forgeville , & trois Académiciens des
Académies Françoife , des Sciences & des
Belles- Lettres. L'Abbé s'extaſiant dans ces
Mémoires, fur les Ouvrages de fon ami , &
les trouvant tous admirables , il réſulte de
ces louanges exagérées , que Milady Stella ,
qui eſt étrangère , ne fait plus à quoi s'en
tenir fur les talens de Fontenelle.Mde Geoffrin,
qui s'apperçoit du peu de fatisfaction
DE FRANCE. 117
que lui ont donné les Mémoires , propoſe
à chacun des Académiciens de dire ſon avis
fur l'illuftre mort , & de le juger à ſa manière.
On trouve l'idée heureuſe : chacun
des Académiciens apprécie les travaux de
Fontenelle , relativement à la Compagnie
dont il eſt membre ; & de ces trois jugemens
, réſulte le portrait le plus fidèle
de l'Auteur des Mondes . C'eſt Mde de
Forgeville qui y met le dernier trait , ou
plutôt le premier, en faiſant l'eloge de ſes
qualités morales ; & l'on finit par aller voir
Thétis & Pelée , qui ſe donne ce jour- là ,
n'imaginant pas qu'on puifle rendre un plus
bel hommage au génie , que d'applaudir ſes
productions au Theatre. Tel eſt le cadre de
l'Ouvrage que nous annonçons. Ce cadre éſt
neuf & ingénieux ; mais l'Auteur ne l'a pas
toujours rempli heureuſement. Après avoir
fait dire au Membre de l'Académie des Sciences
que l'Ouvrage où M. de Fontenelle eſt
plus grand que par tout ailleurs , c'eſt l'Hiftoire
de l'Académie des Sciences, voici comme.
il continue de le faire parler :
>>Depuis le flambeau du jour qui ſe voile
de nuages , juſqu'à l'infecte qui ſe cache dans.
une galle de chêne ; & fi des Ouvrages de
l'homme on remonte à ceux du Créateur ,
depuis les mouvemens réglés d'une montre ,
juſqu'à l'ordre que foivent ſi ponctuellement
les corps célestes qui nous éclairent ,
&ceux qui font éclairés par d'autres , eft il
rien dans cette hiſtoire , qui ne ſoit expliqué,
118 MERCURE
analyſé & développé d'une manière , finon
vraie , du moins toujours vraiſemblable ?
La route que décrivent ces corps lumineux
ou opaques , leur volume , leur forme ,
n'est- ce point dans ce Livre qu'on apprend
à les connoître ? N'eſt ce point là qu'on voit
Thomme fuppléant à la foibleffe de fon bras ,
par l'audace de ſa penſée , poſer dans une
balance imaginaire & pourtant très- exacte ,
ces maſſes épouvantables que la main de
Dieu put fufpendre ſur nos têtes, & qu'elle
ſeule, empêchant de ſe précipiter dans leur
centre commun , fait rouler filencieuſement
dans l'orbite qu'il leur a tracée ? N'eſt - ce
point là que le retour des comètes , annoncé
dans les Cieux que nous voyons , nous fai
fant ſuppoſer des Cieux que nous ne voyons
pas , nous conduit ainſi de Cieux en Cieux ,
juſqu'à l'Etre éternel qui les voûta l'un fur
l'autre pour ſervir de marches à ſon Trône ? »
« Si des marches de ce Trône auguſte, nous
redeſcendons ſur le globe où rampe fi orgueilleuſement
lever à deux pieds , qu'on appelle
homme , que de merveilles ne nous offre
point encore cette hiſtoire Deſirez - vous
connoître l'herbe vile ſur laquelle vous marchez;
celle qu'un art transforme pour vous
en nourriture ſolide , celle qu'un art plus
urile peut être , change en filtre falutaire
& qui , appliquée ſur vos bleſſures, ou mêlée
à vos alimens , vous rend la ſanté & la
vie ? Suivez le grand Tournefort , dans ſes
nombreux pélerinages : voyez - y ce noble
,
DE FRANCE.
119
amant de la Science s'enfoncer tantôt dans
une ſombre vallée , tantôt gravir des monts
eſcarpes , ſe ſuſpendre d'un pied aux bords
d'un abîme , ſe tenir d'une main à la pointe
d'un rocher , &de l'autre cueillir fièrement
les plantes les plus rares. Voyez - le
revenir tout chargé de ces tréſors de la nature
fauvage , les claſſer dans un herbier
les ranger par famille , fixer dans ſa mémoire
juſqu'aux moindres ramifications de
leurs fibres les plus déliées , & par une méthode
auſſi ſimple que fublime , imprimer
dans la mémoire des plus ignorans , la figure ,
le genre & les propriétés de ces plantes ,
de manière à leur faire démêler ce qu'il y
a de plus confus , à ſoumettre au calcul ce
qui peut à peine être dénombré , & à mettre
de l'ordre dans le déſordre même. Malgré
ces conquêtes multipliées dans l'empire des
connoiffances utiles , voyez le , peu content
d'en avoir tant acquis, chercher àen acquerir
encore , quitter de nouveau la maiſon paternelle
, de nouveau parcourir les campagnes
les plus arides , pénétrer dans les plus
épaiſſes forêts , s'y arrêter à l'entrée d'une
grotte affreuſe y deſcendre hardiment
au milieu des dangers qui le menaçoient , y
furprendre, le creiroit-on ? y ſurprendre des
marbres qui végettent ,& être ainſi payé de
fon audace, parla découverte d'm prodige. "
د
" Inſtruit de la nature de ces corps , dont
l'ame , s'ils en ont une , ne peur former an
cune penſée, voulez-vous paſſer à la contemplation
des corps animés qui raiſonnent ?
120 MERCURE
voyez-y tel ou tel Naturaliſte , un microfcope
à la main , obſerver un infecte viſible
feulement par des yeux de verre; le ſuivre
dans tous ſes mouvemens, étudier ſes moeurs,
fes inclinations, ſes caprices ; dévoiler à tous
les regards les myſtères de ſa vie cachée
comprerjuſqu'aux articulations de ſes imperceptibles
antennes ; &, vous le montrant tout
entier, vous dire, fans prononcer uneparole,
mais feulement en dirigeant ſon doigt versla
terre : Homme , arrête , tu vas fouler un chefd'oeuvre.
»
Voilà certainement un des beaux morceaux
de proſe que nous ayons dans
notre langue ; mais est- il bien placé dans
l'Éloge de Fontenelle ? & ne pouvons nous
pas dire avec raiſon à M. le Chevalier de'
Cubières: Cuprefſſumſcisfimulare, quid hoc?
HOR. ART. POET. Toute cette bellotirade ,
dont nous n'avons cité qu'une partie , fait
l'éloge de l'Histoire de l'Académie des
Sciences ; & cette hiſtoire , comme on fair ,
n'eſt point de Fontenelle ; il eſt rare , d'ailleurs,
il eſt même contre toute vraiſenblance
qu'un ſavant s'exprime d'une manière
fioratoire en parlantd'Ouvrages de Géométrie.
Fontenelle eft beaucoup mieuxapprécié
par les deux autres Académiciens. Dansle
jugement du Savant, ilya plus de pompe que
dejuſteſſe; dans les autres , ily a plus de jufteſſe
que de pompe; mais il ne falloit que de
la juſteſſe pour faire l'Eloge de Fontenelle ;
&voilà peut-être pourquoi le concours de
cette
DE FRANC : 121
cette année a été ſi peu nombreux. Si le talent
qui produit eſt commun , le talent
qui apprécie eft rare , &il faut quelquefois
bien des ſiècles pour produire un d'Alembert
& un Fontenelle. Voyez combien de
Tragédies , bonnes ou mauvaiſes , il a paru
depuis la renaiſſance des Lettres en France !
A- t il paru beaucoup d'Ouvrages comme les
Mondes , &le Discours préliminaire de l'Encyclopédie?
Si dans l'Éloge que nous annonçons , le
portrait de Fontenelle n'est pas toujours
exact , il eſt du moins affez fini. Fontenelle
y eft conſidéré ſous tous les aſpects qui peuvent
le rendre eſtimable; cet Éloge enfin
eftune eſpèce de ſupplément à ſes OEuvres ,
&tous ceux qui ont lu ces dernieres doivent
defirer de l'y joindre.
,
La Préface de cet Ouvrage eſt intéreſſante.
M. le Chevalier de Cubières y propoſe de
donner une forme dramatique aux Éloges.
Il croit qu'elle y jetteroit plus de variété &
de mouvement ; & il cite avec raiſon
comme unepreuve victorieuſe , le bel éloge
de Marc Aurelle , par M. Thomas. L'Auteur
lui - même a heureuſement introduit
cette forme dans l'Éloge de Fontenelle ; mais
feroit- il toujours poſſible de l'adopter ? &
n'eft il pas de ſujets qui la rejettent abſolument
? Nous invitons les Gens de Lettres qui
onttravaillé dans ce genre, de réfoudre cette
queſtion. Les bornes de ce Journal ne nous
permettent pas de nous y arrêter davantage.
N°. 38 , 20 Septembre 1783 .
F
1
122 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
EXPOSITION des Peintures , Sculptures ,
Deffins & Gravures de MM, de l'Académie
Royale , en 1783 .
CETTE
LETTE expofition eſt un ſpectacle qui ſe renouvelle
tous les deux ans , & qui dure pendant un
mois , depuis le 25 d'Août. Peut-être ſeroit-il à de-
Grer qu'elle eût lien tous les ans pour que les Artiſtos
fuſſent plus à portée de faire connoître kurs productions
, celles fur-tout qui ont une deftination
hors de Paris . Plus les talens font en préſence l'un
de l'autre , plus l'émulation s'anime & prend d effor.
C'est ainſi que Michel Ange & Raphaël , luttant
dans les falles da Vatican , portèrent , par une noble
Avalité , la Peinture à une perfection qui fait encore
Rome l'étonnement & l'objet des études des étran
gers. D'ailleurs , cete expofirion répand ic goût &
les connoiffances , el'e multiplie les Amateurs éclairés
, acquiert de la corſidération aux Maîtres , &
relève le prix de leurs trava ix, On en peut juger par
Pempreſſement des Citoyens à jour des briliantes
illuſions de ces Beaux Arts, qui annoncent avec tant
d'éclat la grandeur , la richeſſe & le bonheur d'une
Nation puiſſante , gouvernée par un Monarque proteur
des talens.
Le Spectateur a fans doute le droit de dire ce qu'il
penſe des Ouvrages qu'on foumet a fes regards ;mais
ine faut pas qu'il donne on ſentiment comme l'opinion
de Public ; car on lui demanderoit où ce Fu-
Wic rend ſon jugement. Il faut convenir auffi que la
DE FRANCE. 123
ririque d'un morceau de Beirate cu de Souprare
doit être d'autant plus circonfpecte , que le tableau c
le maror; ne peuvent vivrel'écrit Cityrique pour ſe
défendre conte la préven ion , ignorance & la
maligniré. Un farcitine , un calembourg , une injure
ne fort pas des raiſons , & es trais infα της
viennent Couvert des attentats criminels qui bleffert&
dicouragent le mérite. Pluſieurs habites Maitres
, d'une fonfibioté trop grande , évitent même
déjà de le montrer dans la carrière des Arts par la
crainte de ces Libelliſtes imprudens & malhonnêtes
qui ne font rien,& noiſent à qui veut faire. C'est donc
avecmoderation & a ec de juſtes égards que ce Journal
doit compte aux Provinces & aux Pays Errangers
de ce qui attire les habitans de la Capitale au
Sallon du Louvre. L'ordre du Catalogue imprimé
ſera celui qui va être obf. rvé dans cette efquiffe.
PEINTURES.
M. VIEN , Chevalier de l'Ordre du Roi , ancien
Directeur de l'Académie de France à Rome , a repréſenté
( dans un tableau de 13 pieds de large tur
to de haut , ordonné par le Roi ) Priam partant
pour ſupplier Achille de lui rendre le corps de for
fils Hector.
La compoſition de cetableau eſt impoſante, elle
eſt ſage,elle est noble. Les caractères de têtes d'Hé
cube& de Priam font majestueux; Andromaque a
l'abandonde la douleur ; mais on a de la peine à reconnoître
le beau Paris tel qu'Homère le repréſente
Les acceſſoires font riches &bien rendas. Les draperies
font jetées avec légèrcré. L'architecture est d'un
grand genre , & parfaitement traitée. La couleur eft
yraie, &le deffin correct & facile Il y a de l'harmorie
dans l'enſemble ; enfin c'est l'ouvrage d'un
grand Matere que a médité ſon Art M. Vien a le
zincean tranquille &favant du Pouffin ; il a le ſtyle
Fij
124 MERCURE
pur&raiſonné des anciens Grecs. Pourquoi lui demanderoit-
on plus de chaleur & de mouvement ?
Les deux Veuves d'un Indien qui se disputent
t'honneur de monter fur le bûcher de leur mari défunt
pour y être brûlées avec lui , font le ſujet de la compoſition
de M. DE LA GRENÉE l'ainé , Directeur de
l'Académie de France à Rome. Ce tableau , ordonné
par le Roi , eſt de la grandeur du précédent.
La diſpute des deux femmes Indiennes n'eft peutêtre
pas rendue affez ſenſible par la fuite de celle
qui eſt vaincue , & par la tranquillité de celle qui
triomphe ; mais d'ailleurs que cette compofition eft
brillante, que fa diftribution en eſt riche & bien ordonnée
, que ces caractères de têtes ſont intéreſſans ,
que ces grouppes ſont ſavamment contraſtés ! On y
trouve de beaux effets , on admire la touche ferme
d'un pinceau libre & hardi , un enchaînement des
clairs &des ombres bien entendu , & en général un
deſſin pur & gracieux. Le coloris en eſt harmonieux ;
cependant oudefireroit un ton moins gris & moins
vaporeux. Au reſte , M. de la Grenée nous montre
dans ce tableau , envoyé de Rome , combien il y a
àgagner pour un Peintre dans le ſéjour de l'Italie
cetteterre claffique desArts, ſuivant l'expreffion d'un
AmateurAnglois.
,
Les autres petits tableauxde ce Maître ſont d'une
compoſition ingénieuſe , d'une touche facile , &
peints dans la manière précieuſe de l'Albane.
M. VANLOO a repréſenté Zéphire & Flore , ou
le Printemps , dans un grand tableau de dix pieds ,
ordonné pour le Roi. On dit & on voit que cet ouvrage
eſt deſtiné à ſervir de modèle pour des Tapifferies.
C'eſt ſans doute ce qui a engagéM. Vanloo
à chercher un coloris plus brillant que moëlleux
, & à donner à ſes figures , comme aux ас-
ceſſoires , des teintes vives & tranchantes , afin d'en
tendre l'imitation facile & d'un effet piquant.
DE FRANCE. 125
LeZèle de Mathathias tuant un Juif qui facrie
fioit aux idoles; tel eſt le ſujet d'un grand tableau
exécuté par M. LÉPICIÉ , & ordonné pour le Roi. La
pureté du deffin , la juſteſſe de l'expreffion des figures
, & pluſieurs belles parties de cette compoſition ,
atteſtent un habile Maures mais on defteroit des
plans mieux ménagés , une couleurplus vraie , & plus
d'accord dans l'enſemble. M. Lépicié eſt plus heureux
dans ſes petits tableaux , où il y a des vérités
de nature , & des détails très -agréables. Son Déjeûné
des Elèves eſt une ſcène gaic , & rendue avec une
naïveré charmante.
Voici encore un tableau de huit pieds de large ,
fur dix de haut , commandé tour le Roi, C'eſt Vin
ginius prêt àpoignarder fa fille ; ſujet dificile , con.
fié au pinceau de M. BRENET. Il y a des beautés
dans le groupe de Virginius & de fa fille : la Virginie
eft intéreſſante , & repréſentée dans une fisuation
naturelle & vraie; l'attitude du père n'est pas fi
heureuſc. Appius pouvoit étre mieux placé. Ce
tablean eft peint avec force , & d'un effet piquant ;
cependant , le tragique de cette action atroce ne s'y
fait point affez fentir.
M. Brenet a repréſenté auſſi la Courtoific du Chevalier
bayard , lorſqu'après la prise de Breffe , il
protégea un père , & l'honneur de ses deux filles.
Un ſujet fi noble , ſi intéreſſfant , la fraicheur &
l'éclat des couleurs , rexacte obſervation des cotumes
dans leshabillemens & dans les acceſſoires,une
exécution franche & facile , rendent ce tableau trèsagréable
. Les têtes des femmes pourroient être d'un
plus beau choix.
Dans un autre grand tableau ordonné par le
Roi , M. DURAMEAU a repréſenté Herminie ſous
les armes de Clorinde. Nous n'avons ni éloge ni
critique à détailler fur cet. Ouvrage , où l'on ne
reconnoît pas affez les foins & lefaire d'un Maître
Fuj
126 MERCURE
qui a mérité par les talens d'être nommé Peintre
de la Chambre & du Cabinet du Roi.
,
M. DE LA GRENÉE lejeune a composé pour le
Roi la Fête à Bacchus , ou l'Automne ; ordonnance
riche & variée , exécution facile , coloris brillant
quelques incorrections dans le deſſin,peu d'expreffion
dans les figures, des négligences dans les détails :
voilà les beautés & les défauts de Fhabile Artiſte à
qui l'on doit cette grande compofition .
Son Saint Jean , prêchant dans le Défert, n'a pas ,
fous le pinceau gracieux de ce Peintre , l'énergie &
P'austérité de ſon caractere. Mais que de fraîcheur ,
de grâces , de douceur & d'amabilité dans ſes petits
tableaux de Bacchus apporté par Mercure auxCorybanthes
, d'une Femme au bain ; d'une autre, offrant
un facrifice, de la Mort d'Adonis , des deux Sujers
de Télémaque , des deux Jeux d'enfants , &c.
Unmorceau encore plus précieux , plus foigné
, digne fruit des talens aimables de ce Maitre
, &de la protection du Mécène des beaux Arts ,
c'eſt a l'Attégorie relative à l'établiſſement du Mufæum
dans l'ancienne Galerie des plans au Lou-
>> vre. Près du Piédeſtal ſur lequel on voit le Bufte
>> du Roi , l'Immortalité reçoit des mains de la
>>> Peinture , de la Justice & de la Bienfaiſance ,
le Portraitde M. le Comte d'ANGIVILLER , pour
>>>être placé dans ſon Temple. Derrière la figure
-de l'Immortalité , le Génie des Arts relève un
>> rideau , & l'on apperçoit une partie de la grande
Galerie , où pluſieurs petits Génies tranſportent'
>& placent les tableaux du Roi. »
Ce tablean , de 2 pieds de large fur 18 pouces de
haur, eft feint à l'huile & collé fur glace(par Madame
de Montpetit) , ainſi que les arabeſques de la
bordure. L'Auteur en a fait préfent à l'Académie.
Le Sacrifice de Noé au fortir de l'Arche , par M.
TARAVAL, est encoreune des grandes compoſitions
DE FRANCE. 127
ordonnées pour le Roi. Ce tableau fait beaucoup
dhonneur à ce Maître ; l'ordonnance en eft fage
& ſavante , les figures ont un grand catact re ,
le coloris a de l'harmonie , la touche en eſt vigou
reuſe , l'exécution en eſt ferme & foutenue ; enfin
les beautés y font bien ſupérieures aux défauts que
l'e'l jaloux de la critique y pourroit appercevoir .
Le même Maître a peint avec vérité le portrait de
M l'Abbé Trois ; mais il nous paroît bien infé
rieur à 'ui-même dans ſon petit tableau d'un Amour
battant le tambour avec fon flambeau.
M. MENAGEOT a peint pour le Roi un grand
tableau , repréſentant Afiyanax arraché des bras
d'Andromaque', par l'ordre d'Ulyffe. On reconnoît
toujours cet habile Maître à un faire qui est à lui , à la
riche ordonnance de ſa comrofition , à la correction
de fon deffin , à la favarte diſtribit on des ombres &
des clairs à l'ac ord de fon coleris avec le tout enſemb'e
, à la nobleſſe de es caractè es de têtes , à la
diftribu ion graduéede fes plans ; enfin à l'expreffion
de ſes figures On ne jouir qu'imparfaitement de tou
tes ces beautés au Salon , par la trop grande élévation
du tableau. Cependant on defireroit une douleur plus
prononcée dans Andromaque , on voudroit qu'A
tyanax ne for pas comme enveloppé d'un voile qui
le dérobe à la vue : on cherche le tombeau d'où le
fils d'Hector vient d'ême enlevé , & Ulyffe n'eſt
peut-être pas affez caractériſé d'après les traits qu'Homère
a donnés de ce Roi.
Le tableau allégorique au sujet de la naiſſance de
Monseigneur le Dauphin , eſt un monument d'autant
plus précieux , qu'il rappelle une des époques les
plus heureuſes de la Morarchie , & que la reffemblance
du Gouverneur & des Magiſtrats de la Ville
y eſt parfaitement conſervée.Quelle beauté dans ce
groupe nombreux qui repréſente la joie publique ,
set épiſodeeſt untraitde géniemis en oeuvrepar un
Fav
128 MERCURE
grand talent , & il fuffiroit foul pour couvrir les défauts
qu'on pourroit relever dans les détails de ce
magnifique ouvrage .
On voit de M. SUVÉE , une Fête à Pales ou
l'Eté, grande compofition ordonnée pour le Roi.
Un tel ſujet inſpire peu le Peintre , qui n'a ni
paffion , ni caractère , ni grand événement à rendre.
Il en réſulte que fon Ouvrage eſt froid. Cependant
un habile maître peut ſe ſauver par la
beauté des détails ; mais il faudroit que ces ſujets
champêtres fufflent alors traités , du moins en partie
, par des payſagiſtes. Au reſte , on remarque fur
le premier plan de ce tableau une figure bien defſinée
, beile , & parfaitement rendue.
Il y a de beaux tons de couleur , unc ordonnance
timple & fage , un coloris vrai , & des figures
fièrement deſſinées dans ſon tableau de la Réfurrection.
Cependant le Chriſt eſt d'une touche
trop vague , & les Soldats d'une proportion trop
coloffale.
2
Le Portrait en pied de M. Vanoutryve , enveloppé
dans un vaſte manteau écarlate a beaucoup
de vérité; il eſt grandement deſſine , parfai
tement drapé , & peint d'une manière large&facile.
Nous ne nous arrêterons pas à deux autres tableaux
de ce Maître , le Don réciproque , ou l'Amour
& la Fidélité ; & une Allegorie relative à la
dévotion du Sacré Coeur.
,
On ne peut ſe tromper aux deux tableaux ,
dont l'un repréſente un Lever& l'autre un Coucher
du Soleil. On reconnoît bientôt M. VERNET. Perſonne
n'a mieux entendu la perspective aërienne
n'a fait un meilleur choix des fites , n'a donné
plus d'eſprit à ſes petites figures , & n'a enrichi ſes
compoſitions de détails plus charmans : c'eſt le ſecret
de cet habile Maître , de ſavoir juſqu'à quel
point il doit outrer les tons de certaines couleurs s
DE FRANCE.
129
&fi elles nous paroiſſent un peu tranchantes à cauſe
de leur fraîcheur, il fait bien qu'elles s'aſſourdiront ,
qu'elles ſe mettront d'accord , & qu'elles acquer
rontavec le temps , dans le cabinet de l'Amateur
cette douce harmonie qu'on admire dans tout ce qui
fort de ſon pinceau .
M. ROSLIN a expoſé un grand nombre de portraits
remarquables ſur- tout par la beauté & la vérité
de ſes étoffes .
M. DE MACHY s'eſt diſtingué dans ſes petits
tableaux d'Architecture , par une exactitude de détails
, & par des effets de perſpective qui font la
plus agréable illufion..
Le Vandick de l'Ecole Françoiſe, M. DUPLESSIS
a orné le Sallon de portraits admirables. On n'a
point traité ce genre avec plus de vigueur de
coloris , plus de vérité , plus d'intelligence dans les
caractères de tête , & dans l'art de rendre les étoffes.
Qui n'eſt point frappé dans ces deux grands tableaux
de la reffemblance parfaite de M. & Madame
Necker!
Dans un des tableaux,ordonnés pour le Roi ,
M. BEAUFORT a peint le Duc de Guiſe chez le Préfident
deHarlay. On doit des éloges au beau ca
ractère de tête de ce Magiftrat , & à la belle fim .
plicité de cette compoſition ; mais le de'fin & le co
loris ont paru d'ailleurs un peu négligés.
M. CASANOVA reparoît avec avantage dans ſes
charmans payſages , où la nature eft rendue avec
une vérité piquante.
M. GUERIN nous donne encore dans ſes petits
tableaux le ſouvenir de ſes talens agréables.
M. ROBERT eſt inépuiſable dans l'art de varier
ſes compoſitions , & de les enrichir de détails avans
qui rappellent les plus beaux morceaux d'Architecture
& de Sculpture des Grecs & des Romains.
Par exemple , quel intérêt , quels effers piquans de
tv
130
MERCURE
1
Jumière, quelle abondance ce Peintre charmant n'at-
il pas répandu dans l'intérieur d'un Atelier de
Rome où l'on restaure des Statues antiques !
M. CLERISSEAU eft reconnoiſflable à fes morceaux
d'Architecture ancienne , qu'il tait rendre toujours
avec une égale perfection.
On voit avec plaifir les portraits en miniature
& en émail de M. PASQUIER , renommé par la
fineffe & les graces de ſon pinceau &par lon talentà
faifir la reſſemblance .
Madame VALLAYER - COSTER ſe montre und
digne rivale de la nature dans la repréſentation,
des fleurs & des fruits , qu'elle peint avec autant
de fraîcheur que de vérité.
Le Frappement du Rocher eſt une des grandes
compoûtions ordonnées pour le Roi , & trance par
M. JOLLAIN. Il y a des parties bien compoſées
dans cette grande machine , mais le tout enſemble
Shiffe beaucoup à defirer.
Dans un autre grand tableau pour le Roi , M.
BERTHELEMY a repréſenté Maillard qui tue le
factieux Marcel , la nuit , à la clarté desflambeaux.
Ce ſujet est traité avec beaucoup de chaleur , de
fierté & de vigueur dans le deſſin & le coloris.
La pofition de ce tableau , trop élevé dans le Salon ,
ne permet pas de désailler les acceſſoires , ni de
juger des effers de lumière. Il doitgagner infiniment
étant placédans ſon point de perspective.
1
M. VAN-SPAENDONCK n'a point d'émule dans
l'art de peindre les fleurs , les plantes , les fruits , ni
dans le manière de les grouper dans de beauxvaſes.
On ne peur le comparer qu'à VanHuysum
ou plutôt qu'à la nature qu'il rend dans route fa
fraicheur , ſon éclat , ſa vivacité.
L'Enlèvement d'Orithie , grandtableau deM.
VINCENT , produit de grands effets avec pan de
Sgures ; mais elles font du plus beau choix , &
DEFRANCE.
131
Jun deffin pur & favant ; compoſition pleine de
chaleur , & d'un coloris doux & harmonieux.
Son Paralytique guéri à la piscine, eft encore un
morceau du plus grand genre , qui fait également
honneur au génie & au pinceau de ce Maître , quoique
le Sauveur n'ait pas ce beau caractère qui lui
convient & qu'il y ait quelques autres négligences
dans les détails.
Achille , Secouru par Vulcain contre les fleuves
du Xante & du Simoïs , eſt une autre grande compofition,
dans laquelle. M. Vincent s'eft livréà la fougue
de ſon pinceau , & au mouvement de ſon ſujet.
M HUE eſt un ſavant Payſagiſte , qui s'eſt
montré avec le plus grand ſuccès dans estableaux
nombreux & variés qui ornent le Salon .
و
Les tableaux de M. SAUVAGE ſont des enchantemens
par l'illufion & la vérité trompeaſe
qu'il met dans ſon imitation de la nature morte
des bas -reliefs , & de tout ce que fon pinceau
réalife.
,
On ne peur ſe préſenter dans la carrière des Arts
avec plus d'avantages que Madame LE BRUN , qui
ſoutient par ſes Ouvrages la réputation de ſes aimables
talens. Cette jeune Artiſte adonné les Por.
traits de la Reine , de Monfieur , de Madame , de
TaMarquise de Guiche, de Madame Grant & d'elle
même , &c. dans lesquels on remarque de beaux
tons de couleur , & le mérite de la reſſemblance.
Ses autres tableaux font la Paix ramenant l'abon
dance ; Junon venant emprunter la Ceinture de
Venus; Vénus liant les ailes de l'Amour. On ne
fauroit aſſurément peindre avec des couleurs plus
riches , plus vives , plus brillantes; mais auſſi leur
trop grand éclat fait diffonance , & choque l'harmonie
du coloris . On est encore en droit de demander
à un talent ſi dilingue & qui promet beat
coup , plus de correction dans le deffin , plusde
Fvj
132 MERCURE
feudans ſes compoſitions , & plus d'âme dans ſes
figures.
Madame GUIARD a peint avec une mâle vigueur
le Portrait de M. Brizard , dans le rôle du Roi
Léar. Ses autres Portraits de MM. Vien , Pajou ,
Bachelier , Gois , Suvée , Beaufort , Voiriot , &
delle-même atteſtent un grand talent malgré
quelques négligences .
د
,
M. HALL eſt toujours un Peintre admirable &
ſupérieur dans ſes miniatures & dans ſes Portraits
en émail.
Nous ne nous arrêterons point aux tableaux de
M. MARTIN , de M. ROBIN , de M. WILLE fils, de
M. BARDIN , de M. LENOIR , de M. LE BARBIER ,
qui ont des beautés & des défauts que nous ne pourrions
affez motiver dans cette Notice.
M. BUCOURT nous rappelle dans ſes charmantes
compoſitions les effets de couleur , & le fini précieux
desPeintres de l'Ecole Flamande.
On retrouve M. DAVID dans le beau tableau , où
ce ſavant Artiſte a peint la douleur & les regrets
d'Andromaquefur le corps d'Hector fon mari.
M. RENAUD , dans ſon éducation d'Achillepar le
Centaure Chiron , a eu l'art de faire une compofition
riche , grande & impofante , avec deux perſonnages
fièrement deſſines & Tavamment coloriés.
Il n'a pas réuſſi de même , quoiqu'il y ait des beautés
, dans ſon tableau de Perfée qui remet Andromède
entre les mains de ses parens .
La naiſſance de Louis XIII , par M. TAILLASSON ,
eſt ungrand tableau bien compofé. Beaux caractères ,
deſſin pur , plans heureuſement gradués , fituation
rendue avec intérêt. Que manque-t-il à ce bel ouvrage
? Il lui manque d'être peint avec plus de chaleur
&d'harmonie.
Nous ne pouvons pas applaudir au Triomphe d' Aurélien
, quoique M. JULIEN ait mis de la fraîcheur
DE FRANCE.
133
dans ſon coloris ; mais toutes les autres parties de
cette compoſition font négligées.
M. DE MARNE , dans les paysages , dans ſes ruines,
dans fon marché d'animaux , dans ſon attaque
de Huffards , &c. donne de bons effets de couleur ;
&ſes tableaux font très-agréables , quoique les détails
laiſſent quelquefois à defirer par rapport à la vérité
de la nature , & à la correction du deſſin .
M. NIVARD a fait auſſi des Vues charmantes &
bien peintes , de Château , de Village , de Ferme ,
d'Eglife.
Enfin M. VERTMULLER , Peintre de portraits , ſe
montre ſupérieur dans fon genre. Il ſuffiroit pour
ſa réputation du portrait en pied de M. le Baron de
Stahl , ſavamment traité & artiſtement coftumé.
SCULPTURES.
Turenne, ſtatue en marbre , de 6 pieds de proportion
, ordonnée pour le Roi , eſt un ouvrage qui
ajoute à la réputation de M. PAJOU. La noble fierté
de ce grand Général , ſon attitude impoſante , la
ſcience des détails , la richeſſe & le fini du travail ſe
font admirer , & attachent les yeux fur cette figure
fublime.
Le même Maître a donné un buſte charmant &
reſſemblant de Mme Lebrun , Académicienne.
Son bas- relief allégorique de l'Amitié, eſt d'une
compoſition ingénieuſe & parfaitement deſſinée.
Onvoit legrand modèle en plâtre de Molière , par
M. CAFFIERI. Cette figure eſt belle ; mais dans l'exécution
en marbre ce Maître adoucira ſans doute les
traits du Père de la Comédie , qui étoit plutôt un Philoſophe
obſervateur qu'un Poëte inſpiré.
Les buſtes que M. Caffiéri a faits de Rotrou , de
Thomas Corneille , de M. Favart, font admirables.
Vauban , autre grand modèle en plâtre , par M.
134
MERCURE
BRIDAN , eſt une belle figure , quoiqu'un peu froide;
mais fans doute l'habile Artiſte l'animera dans le
marbre.
M Gors a expoſé un magnifique projet d'un
piédeſtal à la gloire de Henri IV & de LouisXVI.
Ses petits modèles en cire font délicieux & d'un
fini précieux.
La Fontaine , grand modèle en p'âtre , par M.
JULIEN , eft parfait. On retrouve le bonhomme tout
entier dans cette figure fi ingenue, fi franche ,fi aimable
1
M. LECOMTE a bien rendu en marbre le
portrait de la Reine , ainſi que celui de M. d'Aubenton.
Tous les buſtes engrand nombre de M. HOUDON
font animés.
Il faut s'arrêter auffi au buſte de Racine &à celui
de M. Vernet , par M. Boizor.
Catinat , grande figure en marbre, par M. DE
Joux rappellera la ſimplicité de ce Général.
Montefquieu a été parfaitement ſculpté en marbre
parM. CLODION MICHEL.
MM. ROLAND & MOITTE ont expoſé des basreliefs
& des buſtes qui font honneur à leur talent.
Il eſt inutile de détailler ici les Estampes qui ont
l'avantage de ſe multiplier& de ſe rendre aux defirs
de l'Amateur ; & l'on connoît aſſez par la Gravure
les charmans deflins de M. MOREAU lejeune , & les
portraits de M. DE SAINT- AUBIN.
Voilà tout ce que letemps & l'efpace de ce Journal
nous permettent de dire ſur les travaux & les
ſuccès de ces Arts agréables & utiles, fi noblement
fécondés par la magnificence du Roi , fi heureuſement
animés par la protection de ſon Miniftre , & i
juſtement encouragés par les homunages empreſſés du
Public,
:
DE FRANCE 135
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
Nous ignorons fi la ſymphonie de M.
Toëfchi , par laquelle a commence le Concert
du a de ce mois , eſt nouvellement faite ,
mais elle n'avoit pont encore ere entendue
ici. Elle eſt d'un bel effet, on n'y trouve pas
peut être les tournures brillantes de M.
Hayden ; mais elle eft , comme tous les Ouvrages
de ce grand Maitre , d'une harmonie
vigoureuſe & d'une manière hardie , qui a
bien auffi ſon merite. M. Nonnini , qui a
chanté deux airs Italiens , n'a pas une voix
très forte , mais elle eft douce & agreable.
On a trouvé la methode remplie de goût &
de grace , & l'on n'a pas à lui reprocher l'affectation
, quelquefois trop commune aux
tenors Iraliens. La muſique qu'il chante eft
très- bien choiſie , & donne une nouvelle
preuve de fon goût. Il a joué auffi un Concerto
de mandoline. Il a été fort applaudi ,
malgré la ſéchereſſe de cet inſtrument , & le
ſouvenir des talens fuperieurs de M. Leoni
&de quelques autres. C'eſt ſur tout du côté
du chant qu'il a paru meriter les plus grands
éloges. M. Laïs a chante un nouveau Motet
à voix ſeule de M. Kigel , de manière à feutenir
la brillante réputation qu'il s'eſt faite
36 MERCURE
au Théâtre . Mile Buret l'aînée, MM. Duport,
Michel & Viotti ont mérité de nouveaux applaudiſſemens.
COMÉDIE ITALIENNE.
a ILy long-temps que nous aurions pu rendre
compte des Débuts de M. Périgny. Cet
Acteur a paru , avec quelque fuccès , dans
l'emploi des Pères , appelés Grimes , en ſtyle
de Théâtre , & ce ſuccès a été ſuivi d'un ordre
de réception à quart de part, Nous l'avouerons
, cette préference hâtive ne nous a
pas paru s'accorder avec la nature des talens
de M. Périgny. Nous nous ſommes promis
de les examiner avec beaucoup d'attention ,
dans une longue ſuite de rôles , avant d'en
entretenir nos Lecteurs . L'examen que nous
en avons fait nous a convaincus que nous
ne nous étions point trompés ſur les défauts
de ce Comédien ; mais il nous a fait auſſi
connoître des qualités propres à l'emploi
dont il s'eſt chargé, En conféquence , en
parlant des unes avec éloge , nous allons lui
indiquer les autres , ainſi que les moyens que
nous croyons propres , finon à les faire abfolument
difparoître , au moins à diminuer
ce que , dans l'effet dramatique , ils peuvent
avoir de pénible & de fatiguant pour le
Spectateur. On a ſouvent mis en queſtion fi
le Comédien devoit rire & pleurer pour
parvenir à exciter la gaîté & les larmes. Les
DE FRANCE.
137
avis ont été partagés & la queſtion eſt reſtée
indésiſe. Il nous paroît pourtant facile de la
décider. Oui , le Comédien doit commencer
par éprouver l'impreſſion qu'il veur communiquer
aux Spectateurs , mais non s'y
livrer fans réſerve; trop d'abandon dans la
joie ou dans les pleurs doit néceffairement
altérer les moyens & nuire à l'effet qu'il veut
produire. L'homme de la ſociété qui fuit
tout ſimplement les impulfions de la nature ,
peut les faire partager par le petit cercle qui
P'entoure ; mais le Comédien , dans la vaſte
optique où il eſt placé , doit non- ſeulement
parler également à tous les yeux & à tous les
efprits, non ſeuleinent il doit chercher à
émouvoir , mais encore il doit chercher á
plaire. Il ne fauroit donc trop s'occuper de la
recherche des moyens qui peuvent y conduire;
& il les trouvera plus facilement dans
l'iunitation de la nature que dans la nature
elle-même, parce que celle - ci donneroit a
ſes traits & à ſes accens une altération trop
marquée , & que ſon imitation , guidée par
l'Art , garantira les uns & les autres des excès&
des écarts réprouvés par le goût. Si ce
principe eſt vrai , on peut reprocher à M.
Périgny non-feulement de ſe livrer quelquefois
à une gaîté exceſſive , mais aufli d'affecter
le rire & la joie; de donner à fon mafque
une expreſſion affectée & grimacière;
défaut bien plus repréhenſible que le premier
, & qui ſe trouve ſi rarement confondu
avec lui dans la même perſonne que nous
138 MERCURE
avons cru quelque temps que, M. Périgny
n'eroit pas naturellement gai. Appuyons le
pincipe que nous venons d'établir par des
faits connus & récens Nos Lecteurs ſe rappellent
combien l'luftre Lekain etoit pathé
tique & touchant , comme il preffoit le
coeur , comme il déchiroit l'ame ; c'eſt dans
P'imitation de la nature qu'il avoit trouvé les
reff rts de ce talent ſi rare. Peu de Comédiens
ont éré auſſi agréables dans l'expreffion
du rite & même dans ſes éclats que feu
Bellecourr ; Mme Bellecourt , ſa veuve , préfente
encore aujourd'hui dans la même expreſſion
peut être plus d'agrément & de
vérité ? Qui leur a donné cet art qui fait le
charme du Spectareur , & lui fait éprouver
la joie que le Comédien a ſu peindre ? L'imitationde
la nature. De telles autorités nous
ſemblent faites pour convaincre. Nous reprocherons
encore à M. Périgny une démarche
lourde & commune , un balancement
perpétuel dans les bras , qui lui donne l'air
effoufflé &palpitant d'un fantaſſin qui vient
de faire une longue courſe. Nous lui confeillerons
auffi de retenir les élans de ſa voix ,
de chercher à ſe rapprocher du diapazon de
ſes Interlocuteurs ,& de donner à ſa manière
de dialoguer un ton plus vrai & moins chantant.
Au reſte , ce Comédien n'eſt point indigne
de la préférence qu'on lui a accordée.
en le recevant avant la fin de fes Débuts ,
&il mérite la plus grande partie des applaudiſſemens
que le Public lui prodigue quelDE
FRANCE.
139
quefois. Il a une belle intelligence , fon
debit eſt raifonnable , ſouvent bien ſenti ;
&lorſqu'il ne court point apres l'expreffion ,
fon geſte a de la rondeur & de la verite. Ce
qu'il a de louable doit l'engager à travailler
fur ſes defauts , à perfectionner les bonnes
qualités , en un mot, à fe rendre vraiment
digne , aux yeux des Amateurs tévères , de la
diftinction flatteuſe dont on l'a honoré.
Le Mercredi 3 Septembre , on a joué , pour
la première fois , la Sorcière par Hifard ,
Comédie en deux Actes mêlée d'arieres.
Une jeune femme a renonce à la ville ,&
s'eſt retirée à la campagne , dans l'eſpérance
d'y fatisfaire en paix le goût qu'elle a pour
les Sciences. Les inſtrumens de phyſique &
d'aſtronomie qu'elle a fait apporter de la
ville , les études qu'elle fait lui donnent dans
le village le renom d'une Sorcière. Il n'eſt
pas juſqu'à un Valet , qu'elle a emmené avec
elle , qui , effrayé par cetre idée , ne veuille
renoncer à ſon ſervice , quoiqu'il la connoiffe
pour une femme juſte bonne & fenfible.
Deux jeunes gens perfécutés par un
vieux Tuteur , qui , ſuivant l'uffge , veut
épouſer ſa Pupille ,viennent la confulter for
le ſuccès de leurs amours. Elle fait entrer le
jeune homme dans ſon cabinet , & le fair
voir à ſa maîtreffe, qui regarde cette apparition
comme un prodige de magie. Le vieux
Tuteurvient à ſon tour, moins pour la con
140
MERCURE
fulter , car il fait l'eſprit fort , que pour l'em
barraffer par ſes propoſitions.On ſe fait un
plaifir de le jouer. Dans l'inſtant où il tremble
le plus , quoiqu'il tâche de paroître ferme
& affure , on l'affuble d'un voile noir ,
on enlève les bougies , on fait paroître en ſa
préſence Adrienne , ſa Pupille , & le jeune
Hyacinte ; puis on l'enferme dans un cabir
net , dont on l'aſſure qu'il ne pourra , ſans
courir de gres riſques , fortir avant que
T'horloge ait frappé huit heures. Les jeunes
gens enfermés dans l'appartement cherchent à
foretirer, ils ſe rencontrent, entendent fonner
l'heure, & à l'inſtant le vieux paylan quitte
le cabinet où il étoit renfermé. Ils le reconnoiffent
: quant à lui la crainte a tellement
faili fon âme , qu'il ſe croit toujours ſous le
charme de la fauſſe Sorcière. Après quelques
momens , en rapporte les bougies , on
inftruit le vieillard de l'amour des jeunes
gens , on l'engage à confentir à leur hymen ,
&la fauffe Sorcière ſe fait connoître pour
ce qu'elle eft réellement. La Pièce finit par
ees quatre vers , qui ſont placés dans labouche
d'une Actrice :
Dans le monde on connoît une forcellerie ,
C'eſt l'art de faite des heureux ;
Celle-là , je l'avoue , & je m'en glorifie ,
Je m'en fers tant que je le peux.
Ces quatre vers ont excité de grands éclats
de rire& les applaudiemens les plus vifs.
Ils ont été redemandés , & , ce que nous
DE FRANCE. 141
croirions à peine, ſi nous n'en n'avions pas
été les témoins , l'Actrice a eu la bonté de les
répéter ; ce qui a produit de nouveaux applaudiffemens&
de nouveaux éclats .
Le fonds de cet Ouvrage reſſemble un
peu à celui de la Fauſſe Magie ; mais cette
dernière Comédie n'a été jouée ſur le Théâtre
de la Comédie Italienne qu'en 1775 , &
celle dont nous venons de rendre compte
avoit été exécuté chez Mme la Ducheffe de
Villeroy , en 1768. Comme il paroît qu'elle
n'étoir, ou ne devoit être regardée que comme
une plaifanterie de Société , nous obferverons
ſeulement qu'il falloit la rendre digne
des regards du Public , avant de lui faire
affronter lejugement des Spectateurs ſévères.
La muſique eſt agréable ; elle eft , ainſi que
les paroles , d'an Amateur qui a fair une
étude particulière des partitions Italiennes
, & qui paroît avoir bien profité de
fes études. On peut l'engager à moins étendre
ſes motifs , à ne pas donner à ſon expreffion
une intention qui devient quelquefois
vague à force d'être nuancée. Nous lui donnons
ce conſeil avec d'autant plus de plaifir ,
que ſa muſique préſente des morceaux très.
bien écrits , de la vérité , de la grâce , de la
mélodie& de la gaîté, & s'eft encore une
raiſon pour l'inviter à donner à ſon ſtyle
une marche moins uniforme , &à ſes motifs
une variété plus raarquée.
142
MERCURE
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
tale ,
M
MOIRE fur la Poste , qui , en 1771 , ravagea
l'Empire de Rule fur-tout Mofiou ; la Capi-
& oùfont indiqués les remides pour la guéri
, & les moyens a s'en préferver ; par M. B.
Sau oric witz , Aflefer de S. M. 1. de toutes les
Rothes. DeEtour en Médecine , Chirurgien- Major
du Sénatde Mofcou , Membre de la Comm ffion
contre la poſte dans la méme Ville , Aſſocie des
Académies de Dijor & de Nîmes , du Collège Royal
des Médecins de Nancy , & du Musée de Paris ,
des Académies de Toulouſe & de Padoue , dédié à
fa Souveraine Anne-Catherine II. Prix 3 livres
12 fols br. A Paris , chez Leclerc , Libraire , quai
des Auguſtins; à St -Pétersbourg , chez M. Wilkowsky
; à Mofcou , chez M. Borifiakow , Lib.
Commiſſaires de l'Académie Impériale des Sciences
de Saint Pétersbourg.
,
M. Samoï'owitz s'eſt fait connoître avantageuſement
dans certe branche de la Médecine ; c'eſt
un préjugé favorable pour ce nouvel Ouvrage,
Le même Libraire a acquis : Differtation fur
Apocalypse , in-42. ou in-4". 4 liv. 15 f. br.
&Differtation fur le rappel des Juifs , 2 vol. in-
12. ou in - 48 . 6 liv. br. 3 ce font deux Ouvrages de
M. Rondet , qui font ſuite à la Bible dite de Vence,
dont il eſt Éditeur.
. TABLEAU de la Parole ou Nouvelle Manière
d'apprendre aux Enfans à lire , en jouant ;
ar Mlie P **, de N ...S. S. Prix , 12 fols. A
Paris , de l'Imprimerie de J. C Defaint , rue St
Jacques.
• La Lecture , dit l'Auteur de ce petitOuvrage,
DE FRANCE.
143
• eft le premier & le plus grand chagrin des en-
> fans . Que ne doit-on pas faue pour leur rend e
> plastiger ce premier fard. ude la vie ? » D'après
cette idée , Mile P * de N .. SS a imaginé un
Jeu ingénieux , qui leur aprend à lire
amulant. On ne pour qu'applaud r à ces vues d'humanité
, qui nous paroiffent avoir tout le ſuccès
que l'Auteur pouvoit prétendre.
en les
VOYAGE Pittoreſque , on Notice exacte de tout ce
quly a àvoi d'inté effant dans 'a ville d' Am ens
&dans unepa tie defes alentours faite en l'année
1783. A Amiens , de l'imprimerie de J. B. Caron
l'aîné , Imprimeur du Roi.
Cet Ouvrage eſt utile pour ceux qui voyagent
dans la Ville d'Amions. It feroit à defirer qu'il y cut
de pareils Ouvrages pour toutes les Villes qui rer .
ferment des monumens dignes des regards des
Voyageurs ils ne font pas tous à portée d'avoir
des perſonnes qui puiſſent diriger leurs obſervations.
OBSERVATIONS Astronomiques , faites à Tou
louse par M. Durgayer , Afſocié de l'Académe
Royale des Sciences , Inſcriptions & Belles- Lettres
de la même Ville , & Correſpondant de l'Acadé
mie des Sciences de Paris , ſeconde Partie. A Paris!,
chez Laporte , Libraire , in - 4° , broché , 1783 ,
8 livres.
Ce volume ſert de ſuite aux Obfervations Aftro
nomiques du même Auteur , imprimées à Avignon
en 1777 , que l'on trouve chez le même Libraire
au prix de to liv, in-4 °, broché,
NUMÉRO & du Journal de Clavecin , contenant
un Air ge Blaise & Babet , un autre de Ster'kel, un
Rondeau de Mme Lebrua , un Andanté de Giardini ,
144 MERCURE
arrangé par Mile Caroline Vuel , & un Air du
Ballet de Céphale , par M. Drux . Prix , 2 liv. 8 ſols ,
Is liv. l'année entière. A Paris , chez M. Leduc , au
magaſin de Muſique , rue Traverſière.
QUATRIÈME Suite d' Opéras & Opéras- Comiques,
arrangés pour deux Clarinettes , par M. Stumpff.
Prix , 3 liv. A Paris , chez Boyer , au Magaſin de
Muſique , rue Neuve des Petits Champs , nº. 83 ;
& chezMme le Menu , rue du Roule , à la Clefd'or.
Cette quatrième Suite , ainſi que la troiſième ,
nous a paru digne des deux premières , qui ſont de
M. V. Roeter.
DEUX Symphonies Concertantes ; la première ,
pour deux Violons à grand Orcheſtre ; la ſeconde,
pour deux Violons & un Violoncelle , auſſi à grand
Orchestre , par M. Bréval , OEuvre onzième. Prix
7 liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue Faydeau ,
la ſeconde porte - cochère après la rue neuve de
Montmorency.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE
AMme de Bourdic ,
A Mlle Simonet
97 Fontenellejugé parses Pairs ,
98
وو
116
de MM. de l'Académie
Epitaphe de Diane, Chienne Expofition des Peintures , &c .
deChaffe ,
Vers à Mille de Gaudin , 1oo Royale, en 1783 ,
Lettre de M. de la Harpe au Concert Spirituel ,
Rédacteur du Mercure, 101 Comédie Italienne ,
Charade , Enigme & Logogry- Annonces & Notices ,
phe , 114
APPROBATION.
122
135
136
142
J'AI la, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Septembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 19 Septembre 1783. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 28 Juillet.
L&'Aga des Janiſſaires déposé derniérement,
& remplacé par Kouli-Kiaga , n'a , diton
, encouru cette diſgrace , que parce qu'il
refufoit de ſe prêter aux changemens ordonnés
par le Grand-Viſir dans la diſcipline des
troupes.
Parmi les Officiers étrangers qui arrivent
journellement , & que le Grand- Seigneur
prend à ſon ſervice , il y en a un dont on
ignore le nom , & qui paſſe pour un homme
diftingué. On prétend que d'après pluſieurs
conférences qu'il a eues avec le Grand-
Viſir , le Capitan Bacha & le Chefdu Corps
des Bombardiers , il a été ordonné pluſieurs
changemens importans dans les Fonderies
de Tophana qu'il avoit viſitées. Les Francs ,
que la curioſitéporte à ſuivre ſes démarches ,
l'ayant vu examiner , il v a quelques jours ,
letombeau du fameux Comte deBonneval ,
No. 38.20 Septembre 1783.
( 98 )
lui ſuppoſent le deſſein de prendre auſſi le
Turban. Ce tombeau eſt dans un Couvent
de Moines Turcs , & l'on lit fur la pierre
qui le couvre l'épitaphe ſuivante :
ec Bonneval-Ahmet , Pacha , connu par tout
l'univers , a abandonné ſa fortune & fon pays
pour la foi Muſulmane ; jouifiant d'une grande
réputation dans ſa patrie , il eft venu chercher
parmı les Fideles la gloire & l'eternité. Il fut compté
dans le petit nombre des ſages ſur la terre , où il
éprouva la grandeur & la nullité des chofes de
ce monde ; il connur le bon & le mauvais , le
beau & le laid. Convaincu de l'inſtabilité de la
vie humaine , il ſaiſit un inſtant opportun pour
paſſer à l'éternité , en buvant dans la coupe de
la mort la nuit du Vendredi , qui étoit celle de
la naiſlance du plus glorieux des Prophetes. 11
choiſit ce moment heureux pour recourir à la
miféricorde , & paſſa avec fermeté dans l'autre vie,
Que le paradis foit l'endroit de repos de Bonneval-
Ahmet , Pacha , mort le 12 de la Lune de Rebis
evvel ! 1160 de l'hegire (le 23 Mars 1747 ).
RUSSIE,
DE PETERSBOURG , le 15 Août
:
Le Comte de Balmen , & les Officiers
qui font ſous ſes ordres , ont reçu dans la
Criméele ferment de fidélité des Imans , des
Beys , & autres perſonnes de rang de cette
pén nſule , ainſi que des villes de Karas-Baza
, Batch farai,Achmetſchat ,Kaffa, Koflow,
Tazchanskoi kul , New-Bazar , & du dif-
* trict de Prérop. Dans le Cuban , le Général
Suvaror empli la même cérémonie auprès
des Hordes Edissanski , Dsjamboluz ,
2
( وو )
des quatre branches de celle d'Editschkul ,
du Sultan Alim Gheray & de ſes vaffaux ,
ainſi que des Tartares de Budziak & de
Baſchlein. Le Prince Potenkin a fait prêter
ferment aux peuples établis dans laTartarie
au-delà du Cuban , & an Sultan Batir Ghiray
& à ſes vaſſaux. S. M. I. a cru devoir
témoigner ſa ſatisfaction au Prince Grégoire
Potemkin , Général en chef , & principal
auteur de cet événement , en récompenfant
par des marques honorifiques les Genéra ix
qui ont agi ſous lui. Elle a décoré de l'Ordre
de S. Wladimirle frere du Prince Potemkin
& le Général Suwarow , & de celui de
S. Alexandre Newski le Comte de Balmen
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Août.
Les Gabarres Françoiſes qui pafferent le
Sund le 27 Juin dernier pour aller à Riga
charger des bois de conſtruction , font revenues
dans notre rade.On dit que lorſqu'elles
parurent dans le port de Riga , elles
étoient armées , & que ce ſpectacle caufa
quelque ſurpriſe , & fit prendre diverſes précautions.
On envoya même un courier a
Pétersbourg, pour demanderdes inſtructions
fur la maniere dont on devoit ſe conduire ,
&il fut ordonné de faire à ces Bâtimens un
traitement amical&conforme à ce qui avoit
été obſervé précédemment dans une circonſtance
ſemblable. Leurs Commandans ,
ajoute-t-on , n'ont pas voulu ſe ſoumettre à
e2
( 100 )
Ja viſite qu'on eft dans l'uſage de faire des
Navires Marchands. Comme ces Vaiſſeaux
portent le pavillon de S. M. T. C. & qu'ils
Tont commandés par des Officiers de ſa Marine
royale , on ignore fi notre Adminiſtration
inſiſtera ſur ce qu'ils acquittent la douane
du Sund , pour la raiſon qu'ils ont des cargaiſons
marchandes à bord.
MM. Stampi & Numſen , Conſeillers intimes
, ont demandé & obtenu leur démifſion
de leurs places de Directeurs de la Banque.
LesComtes de Reventlau & de Schimmelman
ont auſſi quitté leurs poftes , & on
ignore le motif de la diſgrace de ces derniers.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 17 Août.
Le Prince Raczinski , Général de la
grande Pologne , qui étoit ſur ſes terres , eſt
arrivé ici hier ſur une dépêche qui lui avoit
été envoyée par un exprès pour preffer fon
retour dans cette capitale , où les circonftances
rendent ſa préſence néceſſaire ; il a
diné hier chez l'Ambaſſadeur de Ruffie.
Les troupes Ruſſes qui font ſur les terres
de la République font encore tranquilles ; le
cordon qu'elles ont établi ſur la frontiere
veille avec ſoin pour empêcher la commu--
nicationde la peſte , & nous en avons établiunde
troupes Polonoifes d'un autre côté
pour le même effet.
* S'il faut en croire les dernieres lettres de
( 101 )
Conftantinople , les armées Ruſſes ne prendront
pas les Turcs au dépourvu,car la Porte
a , dit-on , en ce moment 200,000 hommes
prêts à leur faire face.
On dit que l'Impératrice de Ruſſie fait
faire à Vienne , par le Jouaillier de la Cour
Impériale, un panache de brillans qu'elle deftine
à Sahim-Gheray , ci- devant Khan de
Crimée.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 30 Août.
C'eſt demain que l'Empereur doit quitter
le camp de Brunn en Moravie pour ſe rendre
à celui de Prague , où il reſtera quelques
jours , après quoi il reviendra ici pour être
préſent à la grande proceſſion qui a lieu tous
les ans , en mémoire de la levée du Siege de
cette ville par les Turcs en 1683. Il s'eſt
écoulé un ſiecle depuis cette époque ; & le
terme du voeu de l'Empereur Léopold qui
ordonna cette proceſſion eſt expiré. Elle fe
fera en conféquence pour la derniere fois le
14 du mois prochain ,& on ſe propoſe d'y
mettre plus de pompe que dans toutes les
années précédentes.
Les Religieuſes du Couvent de S. Laurent
ont reçu ordre de congédier leurs Penſionnaires.
On attend l'Edit de ſuppreffion
de 28 Couvens , & on dit qu'il en ſera ſupprimé
pluſieurs dans la Hongrie où il y en
a de très-riches.
« La ſemaine derniere on a vendu 5625 florins
e3
( 102 )
un fuperbe chafuble brodée en perles; fois pea
de jours on en doit mettre en vente une autre
eſtimée 15000 florins ; on dit qu'un Marchand a
commiffion de l'acheter pour la Ruffie. On présend
que cette derniere appartes oit à des Religieufes
qui , pour ſe la procurer , ſe privoient depuis
25 ans d'un quart de leurs repas , & de l'uſage du
vin à leur diner.
DE HAMBOURG , le 3 Septembre.
On attend quel fera le réſultat des grands
préparatifs qui ſe font de toutes parts ,& qui
préparent à une guetre prochaine que l'invafion
de la Crimée ſemble rendre inévitable.
Les lettres de Conſtantinople du 8 de ce
mois n'annoncent point encore que le manifeſte
de la Ruſſie ait été notifié au Divan ;
mais on en connoît le contenu , & on n'y
a pas été peu furpris de quelques-uns des
griefs de S. M. I.
« Parmi ces griefs qu'elle regarde , lit-on dans
une de ces lettres , comme un motif ſuffiſant qui
justifie l'occupation qu'elle a faite de la Crimée ;
il en eſt un ſur lequel il paroît que l'Imperatrice a
été trompée de la maniere la plus extraordinaire.
On lui a repréſenté la mort d'un Envoyé du Khan
desTartares dans l'iſle de Taman , comme l'ouvrage
d'un Officier de la Porte. Voici le fait , tel
qu'on en a eu ici les détails. Le Bacha de Soudjak
informé que des Tartares du Cuban vouloient
paſſer en Crimée pour redemander deux Sultans
que le Khan avoit fait empriſonner , envoya fon
Kiaja à Taman , où ces Tartares devoient paſſer ,
afin de les engager à retourner ſur leurs pas ; mais
loin de réuffir dans cedeſſein, il vit ces Tartares
&les Habitans de Taman ſe réunir pour ſe etter
( 103 )
fur un homme du Khan, venu dans l'Iſle pour le
même objet que le Kiaja, & qui le mirent en piéces .
Il paroît qu'à préſent que la Ruffie eſt maitreffe
des pays qu'elle occupe , ce n'eſt plus
le cas d'entrer dans des diſcuſſions qui ne
feront pas écoutées, ni par là qu'on peut eſpérer
de les lui faire évacuer : il faut recourir à la
grande raifon des Souverains & prendre les
armes ; on ignore ſi la Porte prendra ce par
ti ; il paroît du moins que ſa puiſſante Rivale
, qui n'a plus aucun intérêt de l'attaquer
, &à qui lapoſſeffionde la Crimée rend
l'acquiſition d'Oczakow inutile , attendra
tranquillement les Turcs , & qu'elle prendra
leur démarche pour une agreffion ; que
peut-être elle partira delà pour réclamer les
ſtipulations défenſives du Traité , qu'on dit
toujours exifter entr'Elle & l'Autriche.
« La Cour de Vienne , lit-on dans quelquesuns
de nos papiers , fait rechercher dans toutes
les Archives des Chancelleries Autrichiennes , ce
que rendoient jadis les parties de la Boſnie , de la
Servie , & la Walachie ; quelle étoit leur adminiſtration
, quels droits de douane on acquittoit
alors fur la Save , &c. On ne manque pas d'en
inférer que l'on ſe propoſe de réclamer ces pays;
d'autres ſpéculatifs confidérant le peu d'utilité que
l'Autriche retireroit de la Servie & de la Boſnie ,
ſuppoſent qu'a raiſon du Commerce ſur la mer
Noire , & la communication déjà ouverte avec la
Ruffie , dans ces contrées , elle préfereroit un équivalent
le long du Danube , c'est-à-dire les Principautés
de Walachie & de Moldavie , qui avoifinent
cette riviere : on prétend en général que le
plan propofé & arrêté entre les deux Cours Impériales
eft te ſuivant.-De renvoyer abſolument
€4
( 104 )
1
les Turcs au-delà du Danube; d'établir dans les
parties encore exiſtantes de la Walachie & de la
Moldavie , un Hoſpodar indépendant à tous égards
de la Porte; de mettre l'Autriche en poffefſion du
district fort étendu le long du Danube , depuis le
Bannat , juſqu'à la Beſſarabie , tandis que la Ruſſie
occuperoit la Beſſarabie & la Crimée ce qui
mettroit de ce côté l'Autriche & la Ruffie , Puiffances
limitrophes , en état de commercer enſemble.
Ceux qui s'attachent à ce plan , fe fondent
fur les préparatifs qu'ils voyent faire en Autriche ;
lesdépenſes qu'elle a faites excedent déjà , dit- on
de 6 millions de Florins les ſommes affectées aux
opérations militaires en tems de paix. 5
Les Lettres de Conſtantinople montrent
qu'on n'y eſt pas non plus fans inquiétude
fur les projets des deux Puiſſances , & que
c'eſtà cette inquiétude , autant qu'aux cris
du peuple , qui croit ſa religion intéreſſée à
1a conſervation des Domaines Ottomans
dans toute leur intégrité , qu'on doit le redoublement
des préparatifs qui s'y font.
« Il eſt probable, diſent ees lettres , que le projetde
la Ruſſie eſt de nous éloigner autant qu'elle
le pourradu voisinage de la Crimée , & qu'en s'en
emparant , elle a cherché à nous engager dans une
guerre dont elle eſpere que l'iſſue ſeroit de nous
chaffer tout-à-fait de l'Europe. Elle étoit parvenue
pendant la derniere guerre à faire révolter le
Prince de Géorgie ; & , fi elle réuſſit à nous empêcher
de la bannir des côtes de la mer Noire ,
depuis la Crimée juſqu'en Géorgie , elle portera
ſes limites au fud au-delà du 45. degré 30 min.
de latitude . On lui croit le défir d'établir le Danube
pour bornes entre la Turquie d'Europe &
1
( 105 )
د
ſon Empire ; mais ſi nous nous laiſſions reſſerrer
par elle à ce point, qui ſçait juſqu'ou l'Empereur
voudroit étendre les frontieres de la Hongrie ? Qui
peut déterminer ce qui conviendroit à la République
de Veniſe , dans une autre partie de notre
Empire ? Quand même nous conſentirions à le
laiſſer démembrer on nous chercheroit quelqu'autre
querelle : la Porte en eſt perfuadée , &
le Divan ne ſemble balancer , que pour donner
aux Puiſſances amies le temps de négocier. Au
refte , peu importe que les Ruſſes ſoyent entrés
ou non en Crimée ; il feront toujours obligés d'y
voiturer des vivres & juſqu'à de l'eau ; enſorte que
le fort de cette Preſqu'ifle dépendra , comme il a
toujours dépendu , de celui de la guerre ſur les
rives du Danube & fur la mer Noire. »
En attendant qu'ils puiſſent recueillir des
faits , les papiers publics ne font remplis que
de ſpéculations ſur l'augmentation de Puiffance
à laquelle la Ruſſie tend avec tant de
rapidité. Ils rappellent la fameuſe prophétie
de J. J. Rouſſeau , qui a dit qu'elle donneroit
un jour des loix au Midi , & ils partent
de-là pour prévoir les obſtacles qui peuvent
s'élever contre l'exécution des projets qu'elle
a formés Une lettre de Pétersbourg ſemble
annoncer quelque crainte que cette idéene
ſe réaliſe , & eſſaie ainſi de raſſurer l'Europe.
« A voir la maniere dont les papiers publics
cherchent à prouver que l'Europe eſt en danger ,
ſi quelques provinces Ottomanes changent dedomination
, on croiroit le fort de tout l'Univers
attaché à celui de ces provinces ; cet événement ,
felon eux , doit entraîner une guerre générale. Les
Ecrivains qui l'annoncent avec tant de légereté ,
ignorent ſans doute les difficultés incroyables
es
( 106 )
qu'éprouvent les Gouvernemens les plus riches ?
toutes les fois qu'il faut tirer du canon , ils
comptent bien à peu près les hommes que ce canon
tue; mais ils ne parlent pas de ceux que le fleau
de la guerre ruine au ſein de leurs foyers. Cependant
, l'exemple de la derniere guerre eſt ici d'un
grand poids , pour ceux qui penſent que l'étincellequi
éclatedans l'Orient , n'occaſionnera pas un
incendiegénéral. On a vu pendant certe guerre prof.
perer uniquement les Etats neutres qui n'y avoient
prisaucune part. Il en ſera àpeu près de même dans
le moment actuel. L'établiſſement d'une nation.
commerçante & induſtrieuſe ſur les bords de la
Propontide , augmentera le commerce de cette mer ,
&fera naître une nouvelle branche de navigation
dans des climats dont les Turcs tiroient auparavant
bien peu d'avantage. On peut ajouter d'après les
principes connus de la neutralité armée que toutes
les Nations feront libres de prendre part à ce nouveau
commerce furtout celles que leur fituazion
géographique a mis plus à portée que les
autres de s'y intéreſſer. Il réſulte de toutes ces
conſidérations , que non-feulement la guerre ne
deviendra pas générale ; mais que ſi les autres
Puiſſances ne s'en mêlent pas , la moitié de la mer
Noire paſſera en d'autres mains , preſque ſans
effort , & qu'elle fournira un aliment nouveau aux
Speculateurs commerçants de tous les peuples de
l'Europe. >>
د
On lit dans quelques-uns,de nos papiers
l'anecdote ſuivante du dernier voyage de
l'Empereur en Tranſylvanie,
« Etant arrivé dans certain endroit de cette
Principauté , on lui raconta avec beaucoup de détails
qu'il y avoit du côté des montagnes des revenans
, qui en rendoient l'accès impraticable &
dépouilloient tous ceux qui en approchoient. Sa
( 107 )
Majesté Impériale ſourit de ce recit , & ſe propoſa
de rendre elle-même ſur les lieux , accompagnée
du Juge du lieu ; mais comme il pouvoit y avoir
dudanger à courir , le Comte de Colloredo obtint
d'aller viſiter auparavant l'endroit , & de rapporter
ce qu'il auroit vu. Il ſe rendit effectivement au
licu indiqué par le Juge , & revint dire à l'Empe
reur qu'il y avoit vû un homme dans le coſtume
de l'ancienne chevalerie , qui lui avoit fait figne
avec la main de s'éloigner. Ce rapport piqua la
curioſité de Sa Majesté Impériale , qui voulut verifier
elle-même l'avanture. Elle partit accompagnée
de quelques perfonnes ; à ſon arrivée , le Chevalier
ſe préſenta & fit figne de ſe retirer ; mais l'Em
pereur continua de s'avancer , & il dit au Chevalier
: je ſuis l'Empereur Joſeph , qui êtes vous ?
Le Chevalier ſe jetta à genoux , ôta la vifiere de
fon caſque,&répondit:: Sire , je fuis un voleur.
Mais , que faites-vous ici , continua l'Empereur ?
Je ſuis de garde aujourd'hui. - Quel est votre
nombre ? Près de trois cents hommes. Pourquoi
préférez-vous cette vie criminelle , aux travaux
& aux ſervices honnêtes ? Nous ſommes
de malheureux ſujets de Votre Majesté Impériale ,
qui , quoique de bonne extraction , ont eu le malheur
de tomber dans la miſere , au point que
nous nous ſommes vûs forcés de choiſir cette alter
native , de voler , ou de périr de faim. Nous
n'aſſaſſfinons point ; & nous ne volons qu'autant
qu'il nous faut pour nos beſoins. Depuis qu'on
parlede la guerre contre Turcs , nous placions
toute notre eſpérance dans cette circonstance ,
pour ſortir de cet état , & pour ſervir S. M. I.
L'Empereur répondit : je vous donnerai du pain ,
ſans qu'il y ait guerre ; il quitta le Chevalier ,
qui parût touché de la plus vive reconnoiſſance
& on aſſure que l'Empéreur a donné les ordres
néceſſaires pour s'occuper de ces gens. >
CG
( 108 )
ESPAGNE.
DE MADRID , le 24 Août.
Le Roi vient de donner à M. Gérard de
Rayneval une marque flatteuſe de ſa ſatisfaction
du zèle avec lequel il s'eſt occupé
des intérèts de l'Eſpagne durant ſa miffion
enAngleterre ; Sa Majefté l'a nommé Chevalier
de fon Ordre de Charles III , & Elle
a chargé M. le Comte d'Aranda de lui remettre
fon portrait richement garni de diamant.
ANGLETERREDE
LONDRES , le 9 Septembre.
Les traités définitifs de paix ſignés à Paris
font enfin arrivés le 6de ce mois; le Capitaine
Warner qui les a apportés eft deſcendu
au Bureau de M. Fox , qui , après avoir examiné
les paquets avec les autres Miniftres ,
les a envoyés ſur le champ à Windfor , & a
écrit à 11 heures & demie du ſoir la lettre
ſuivante au Lord Maire.
« Mylord , j'ai l'honneur de vous informer que
le Capitaine Warner vient d'arriver avec les articles
préliminaires entre S. M. & les Etats- Généraux
des Provinces-Unies , ſignés à Paris le 2 de ce
mois ; les Traités définitifs entre la France & l'Efpagne
, ſignés à Versailles le 3 par les Miniftres
&Plénipotentiaires de ces deux Puiſſances , & le
Duc deMancheſter , Ambaſſadeur extraordinaire
de S. M. Le traité définitif de paix avec les Etats-
Unis d'Amérique a été ſigné audià Paris le même
1
( 109 )
jour par M. Hartley & les Plénipotentiaires des
Etats-Unis ; M. Hartley l'apportera lui-même. Je
vous fais part ſur le champ de ces événemens importans
, afin que vous puiffiez les publier dans la
Cité ſans perte de temps.
Ce grand ouvrage eſt enfin terminé , &
maintenant on doit s'attendre à la reſtitution
réciproque & prompte des Iſles ; elle
doit avoir lieu avant Noël , conformément
aux articles préliminaires . On l'attend avec
beaucoup d'impatience. Les Habitans de la
plupart des Ifles qui nous ont été priſes pendant
la guerre , ont ſemblé juſqu'à préſent
en proie à une défiance qui ne leur a permis
aucune ſpéculation , & leur commerce en
conféquence a beaucoup langui.
L'évacuation de New-Yorck ne fauroit
tarder à préfent. On aſſure qu'elle ſera entiérement
terminée dans le courant du mois
prochain , & le Vaiſſeau le Centurion de so
Canons eſt celui qui ramenera en Angleterre
le Général Carleton & les principaux
Officiers qui ſe trouvent avec lui à New-
Yorck. C'eſt ſur ce Vaiſſeau que l'Amiral
Digby a arboré fon pavillon.
S'il faut en croire les lettres de New-
Yorck , les chaleurs exceſſives qui ont régné
pendant quelque temps ont été três-préjudiciables
à la ſanté. Il s'eſt manifeſté ſur-tout
dans l'Etat de New-Jerſey des maladies contagieuſes
qui ont fait beaucoup de ravages
parmi les Habitans , & fur-tout parmi les
Negres.
«Cette Ville , lit-on dans une des lettres de
( 110 )
1
Newyorck commence à ſe dépeupler confidéras
blement par le départ des Loyaliſtes , qui l'ont
quittée ſucceſſivement , & qui la quittent tous les
jours ; il n'y reſte preſque que les troupes Britanniques
& lorſqu'elles s'en feront tout- à- fait retrées
, on y verra à peine des Habitans.- Nos
avis de la nouvelle Ecoffe portantque la nouvelle
Ville que bâtiffent les Loyaliſtes avance; les Habitans
s'empreſſent d'élever leurs maiſons & de
les couvrir avant l'arrivée de l'hiver . On fait que
cette Ville porte le nom de Shelburne ; elle n'auroit
point eu d'existence ſi le Ministre qui a fair
la paix avoit pu obtenir des Américains plus de
modération & un meilleur traitement envers les
Loyaliſtes.
L'Etat de Virginie a pris les réſolutions
ſuivantes les du mois de Juillet dernier.
Réſolu que les articles de paix négotiés par les
CommiſſairesAméricains & leMiniftereBritannique
font honorables à l'Amérique , & qu'ils doivent
être exécutés.-Que les dettes Britanniques à cet
état doivent être payées ; mais qu'on accordera du
temps aux débiteurs , & les intérêts feront abandonnés
par les créanciers depuis le commencement
de la guerre.- Que toutes les perſonnes qui nous
ont quitté volontairement , & ont pris les armes
pour le ſervice de S. M. B. & qui ont contribué
directement ou indirectement à ravager nos côtes ,
n'ont plus de droit au titre & aux prérogatives de
citoyen.-Que le papier- monnoye qui a été porté
dans le tréſor de la Virginie pour le paiement des
dettes Brittaniques , doit être réduit par l'échelle
de la dépréciation & la balance payée par celui qui
la doit. Que l'écrit contenant des exceptions contre
le 3º & le 4º Article de la paix , ne préſente pas
les ſentimens de ce pays.-Que quiconque tentera
d'élever des troubles , ou d'enfreindre les articles
( 1 )
du traité de paix , doit être regardé comme l'en
nemi de ce pays, une peſtede la ſociéte qui ſe réjouit
du mal de fes compatriotes . - Que les préſentes
réſolutions feront imprimées dans les papiers publics
La Gazette de New-Yorck nous préſente
l'article ſuivant à la fuite de quelques nouveaux
détails fur la conſtance de la conduite
des Américains envers les Loyaliftes .
<«<Une lettre de Sir John Johnson , adreſſée à
une de ſes parentes , & dont on a des copies ici ,
écrit-on de Charles- town , en date du 10 Juillet ,
nous apprend que les Indiens menacent nos établiſſemens
de derriere avec plus de fureur que
jamais. Ayant été inſtruits que les Américains ont
ſaiſi les biens de Sir John , & que quelques- uns
des Chefs du grand Roi , ont réſolu de facrifier ſes
intérêts & les leurs à l'ennemi commun ; ils ſe ſont
affemblés , & ont pris la réſolution d'embraffer la
défenſe de leur ami , & de laver l'injußice dans le
fang de leurs ennemis. Ce peuple ſimple & brave
ne croira jamais que ſon frere George , le grand
Mingo , ( le Roi ) a fait la paix ſans la participation
de ſes amis , avec ſes ſujets révoltés ; il dira
que c'eſt un artifice de ces ennemis pour lui
faire quitter la hache. Sir John ajoute que ce
ſera la plus pénible action de ſa vie que celle d'informer
ces bons Sauvages , qu'en effet le grand Roi
a été obligé de faire la paix avec les Américains .
Il eſt en ſon pouvoir de laiſſer agir les Sauvages , ſi
on ne lui rend pas ſes biens , ou de les faire payer
bien cher ; & il eſt douteux qu'il puiſſe contenir
leur fureur. »
Les Marchands de Liverpool , propriétaires
du Vaiſſeau le Prince noir , employé
à la traite des Negres , ont reçu du Capitaine
Tomlins une lettre dont on donne
( 112 )
ainſi l'extrait , elle eſt datée de la côte d'Afrique.
fe
« Je ſuis fâché d'avoir une nouvelle deſaſtreuſe
à vous donner : j'avois fait ma traite , avec affez
de ſuccès , & j'étois parti pour me rendre à ma
déſtination ; je n'étois pas beaucoup éloigné , lorfque
les Negres que j'avois , au nombre 175 ,
fouleverent , & après avoir tué Jean- Thomas &
trois autres hommes qui les gardoient , ils enfermerent
à fond de cale tout l'équipage , à l'exception
de quatre matelots & de moi ; ils me forcerent
de prendre le gouvernail , & les autres de me ſeconder
, en nous ſurveillant avec beaucoup d'attention
, armés de coutelas qu'ils avoient pris dans la
caiſſe d'armes avant de la jetter à la mer ; ils ne
craignoient que cette caiſſe , & ils n'avoient point
de connoiſſance de l'uſage de la mouſquetterie ;
lorſque nous ſommes arrivés près de la côte , ils
ont jetté tous les canons à la mer avec 12 tonnes
d'ivoire , pour alléger le vaiſſeau afin qu'il pût
's'approcher du rivage le plus près poſſible. Quelques-
uns des Negtes qui ſe ſauverent les premiers
fur la chaloupe , la conduifirent fur des rochers
où elle ſe brila , & où ils périrent. Le vaiſſeau à
moins fouffert que je ne le craignois , vû le danger
, parce que je ne ſuis pas un Pilote compétant.
Tous mes eſclaves ont fui , les Negres de la côte
ont été occupés jour& nuit à plonger dans la mer
pour repêcher l'ivoire ; ils ont ſauvé quelques
pieces ; mais nous n'avons pû retirer de leurs
mains que trois dents ; & j'ai été obligé d'en payer
une deux ſchelings par livre , ce qui fait les deux
tiers de leur premier prix.
Le Parlement qui devoit s'aſſembler aujourd'hui
a été prorogé au 16 du mois prochain;
celui d'Irlande qui devoit ouvrir ſes
féances le 6 de ce mois , ne les ouvrira que le
*
( 113 )
14 Octobre. On fait que ce dernier eft un
nouveau Parlement , & on craint bien qu'il
ne foit encore plus difficile que le précédent.
Les Membres à leur élection ont été obligés
de jurer qu'ils ſoutiendront l'émancipation
de l'Irlande , & qu'ils voteront en faveur
de tous les objets qui peuvent l'intéreffer.
Tout confirme , dit un de nos papiers , que l'Angleterre
laiſſe le champ de la Méditerranée ouvert
aux puiſſances qui pourroient avoir quelque différend
à y ajuſter; & l'eſcadre d'obſervation que
f'on croyoit devoir s'y rendre de Portsmouth , n'eſt
autre choſe que lacontinuation de l'uſage où l'on eſt
enAngleterre , d'exercer des vaiſſeaux de garde en
leur faiſant faire de courtes croiſieres. Voilà à quoi
aboutiſſent nos préparatifs actuels. Il n'en eſt pas
demême des conſtructions auxquelles on travaille
ſans relâche. Selon une liſte qu'on dit authentique
des vaiſſeaux que nous avons ſur les chantiers , il
y en a 3 de 108 canons ;4 de 98 ; 2 de 90 ; 28
de 74 ; 5 de 64 ; 3 de 50; 12 de 44; 5 de 36 ;
4 de 39 ; 9 de 28 ; 5 de 16 ; 4 de 14; 2 de 12 ;
en tout 96 : on compte en commencer encore d'autres
cette année ; l'un de 108 canons & nommé
la Ville de Paris ; l'autre de 74 portera le nom
de Rodney.
On écrit d'Irlande qu'un particulier nommé
Stewart arrivé en ce moment de Philadelphie
, eſt chargé de propoſer , ſoit à la Société
de Dublin, ſoit aux communes d'Irlande
, le projet de tranſporter un certain
nombre de Caſtors du Canada ſur les bords
de ceux des lacs d'Irlande qui fourniffent
les eaux du Shannon.On penſe que les bords
de ces lacs & quantité d'autres endroits fai--
fant partie des rivages de cette magnifi(
114 )
que riviere , ont , par leur fite , la maniere
dont ils font entrecoupés de ruiſſeaux , &
dont ils font couverts de verdure , des rapports
ſi frappants avec les retraites lauvages
desCaſtors du Canada , qu'ils s'appercevront
à pe ne qu'ils auront changé de lieu.
On prétend qu'il y a un plan de finances
qui occupe actuellement le Cabinet , & que
l'on croit qui fera adopté;il diſpentera , diton
, de faire un emprunt l'année prochaine.
On ne fondera plus aucun billet de marine ,
mais on en paiera une petite partie ; on acquittera
chaque demi-année l'intérêt fur le
pied des fonds; & quand les quatre pour
cent feront au pair , on fondera alors la dette
de la Marine. Ce plan aura , à ce qu'on efpere
, un grande influence ſur le crédit public.
On remarque qu'on n'y a pas une trèsgrande
confiance dans ce pays ,& on prétend
que dans les pays étrangers on ne penſe
pas demême.
On ne peut expliquer , dit un de nos papiers ,
comment il ſe fait que le prix de nos fonds ſoit
toujours plus conſidérable dans les marchés étrangers
qu'à la bourſe de Londres ; fuivant des lettres
d'Amſterdam , les fonds conſolidés s'y font
vendus à 2 & 2 p. plus haut que le cours
d'Angleterre. La banque fermée depuis le s de
ce mois ſera rouverte le 24 Octobre prochain.
Les anciennes annuités de la mer du ſud vont
être fermées depuis le 19 de ce mois juſqu'au
22 Octobre ; les 3 p. , les anuités réduites , les
4 p. confolidés ne feront rouverts que le 24.
Un Exprès arrivé de Rye dans le Comté
de Suffex , nous a appris qu'il a paru le 1.
"( 113 )
de ce mois dans cette rade , deux grandes
chaloupes pleines d'hommes armés. En débarquant
ils ont mis en pieces une de ces
chaloupes; pluſieurs ont pris toutes les voi
tures qu'ils ont trouvées dans la ville , & en
font partis avec elles pour venir à Londres ;
au départ de l'Exprès qui a apporté cette
nouvelle, ilyavoit encore 40 de ces hommes.
On n'a pas douté que cette troupe ne fat
compoſée de partie des coupables condamnés
a être tranſportés dans la nouvelle
Ecoffe , & qui étoient déja embarqués ; ce
ſoupçon a été confirmé par quelques uns de
ces malheureuxqui ont été arrétés. Leur conduite
a été infolente; mais ils n'ont fait a icune
injure aux Habitans ; on a pris toutes les
meſures néceſſaires pour les faifir;& leGou
vernementpour prevenir de pareils embarras,
a ordonné qu'à l'avenir il yaura toujours fur
les Vaiſſeaux deſtinés à tranſporter des cr'-
minels en Afrique ou en Amérique des So'-
datsde marine chargés de veiller fur eux &
de les empêcher de s'évader.
Les brigandages ſe multiplient , dit un de nos
papiers,& il n'y a pointde moyens que n'imaginent
les ſcélérats pour s'introduire dans les maiſons
qu'ils veulent piller. Pendant l'orage qui eut lieu
ces jours derniers , il ſe préſenta quelques hommes
à lapoite d'un Médecin , en priant d'ouvrir
pour recevoir un infortuné que la foudre venoit
de frapper , & qui peut-être étoit en étatde recevoir
quelques ſecours ; le Médecin étoit abſent ;
ſa domeſtique , qui étoit ſeule , refuſa d'ouvrir ;
les brigands employerent inutilement les prieres &
les menaces , & briferent les fenetres avec des
( 116 )
pierres. Le guet accourut , ils prirent la fuite ; le
prétendu mort ne fut pas le moins agile.-La
défiance augmente depuis que ces excés ont lieu.
Un particuliet riche, entendant un de ces ſoirs
du bruit à ſa porte, crut que l'on vouloit la forcer
, il s'arme auſſi-tôt , ainſi que ſes domeſtiques ,
& ouvre. Le premier objet qui s'offre à ſes yeux
eft une jeune fille très -bien miſe & très - jolie ,
qui s'étoit pendue à ſa porte avec ſa jarretierre. il ſe
hâta de couper le cordon ; il la ſoigna , la rappella
à la vie. Il a appris de cette infortunée qu'elle appartient
à une famille honnête , qu'elle a quittée il
ya trois ans pour ſuivre un Officier de Marine , qui
étant parti pour les Indes Orientales , l'a oubliée
malgré ſes promeſſes. Privée de toutes reſſources,
menacée d'être miſe en priſon pour une dette
qu'elle ne pouvoit acquitter , n'ayant pas d'autre
alternative que la proſtitution ou la mort , elle
avoit préféré cette derniere. Son libérateur après
l'avoir ſauvée du déſeſpoir , ſe propoſe de la reconcilier
avec ſes parens.
Les orages ont été très-fréquents depuis
quelque tems; dans un des derniers on a fait
les obſervations ſuivantes que nous tranfcrirons
.
<<<Le tonnerre qu'on a entendu ces jours derniers
étoit d'une force dont on ne ſe rappelle
aucun exemple. D'après un calcul fondé ſur les
principes de la viteſſe du ſon , de la rapidité avec
laquelle il ſe propage , un Phyſicien en meſurant
l'intervale qui s'écoule entre l'éclair & le bruit
prétend que le nuage qui portoit la foudre ne devoit
pas être éloigné de la terre de plus de 150
verges : la commotion de l'air étoit telle , que
pluſieurs maiſons ont été ébranlées. On a remarqué
entr'autres cet effet dans la priſon du Banc
du-Roi : le Lieutenant Bourne qui y eſt enfermé ,
( 117 )
en conféquence du jugement prononcé dans ſon
affaire avec le Capitaine Sir James Wallace , ſentit
ſa chambre trembler ; & l'agitation étoit telle
que des verres qu'il avoit ſur ſa table tomberent &
ſe briferent. >>>
Les duels font très-fréquens depuis quelque
tems; il y en a eu dernierement un
entre lesColonels Thomas & Gordon, dans
lequel le premier a été tué. La juſtice qui ferme
les yeux fur ces excès , les a ouverts ſur
celui-ci; il a été fait des pourſuites ; on a interrogé
des témoins ; le valet du mort, le
Chirurgien qui étoit préſent au combat &
qui lui a retiréune balle du corps ont été entendus.
On n'a pas publié tout ce que cette
procédure a appris; ce que l'on fait , c'eſt
qu'un juré choiſi a prononcé que le Colonel
Gordon étoit coupable d'un horrible aſſaſſinat.
Il a été expédié en conféquence un ordre
pour l'arrêter ; mais il avoit déja pris la fuite;
il eſt bleſſé lui-même & dangereuſement. On
dit que leur querelle a pris naiſſance à
New-Yorck , que le Colonel Thomas avoit
accuſé M. Gordon de n'avoir pas fait ſon
devoir à l'affaire du 23 Juin 1780 , contre
lesAméricains à Springfields; en conféquence
de cette accufation il y eut un conſeil de
guerre à New-Yorck le 4 Septembre 1782 ;
&le ColonelGordon fut déchargé; depuis ce
tems ces deux Officiers étoient ennemis , &
leur haine a fini par la mort de l'un.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 16 Septembre.
Le 7 de ce mois ! Leurs Majestés & la Fa(
118 )
milleRoyale ſignerent le contrat de mariage
du Comte de Menou , Capitaine au Régiment
du Roi , avec Mademoiselle Bochart
de Saron. Le même jour , le Corps-de-Ville
deParis eut une audience du Roi , à qui il
fut préſenté par le Comte de Vergennes ,
Chef du Confeil Royal des Finances , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au département
des Affaires étrangeres , à cauſe de l'indifpoſition
de M. Amelot , Secrétaire d'Etat
ayant le département de Paris. Il étoit conduit
par M. de Nantouillet , Maître des Cérémonies.
M. le Fevre de Caumartin , continué
Prévôt des Marchands , & MM. Mercier
& Cofferon , nouveaux Echevins , prêterent
le ferment , dont M. le Comte de Vergennes
fit la lecture , ainſi que du ſcrutin
qui avoit étépréſenté par M. Douet , Maître
des Requêtes. Le Corps-de-Ville eut enſuite
l'honneur de rendre ſes reſpects à la Reine ,
à Monſeigneur le Dauphin , & à la Famille
Royale.
Les Agens généraux du Clergé eurent
auſſi l'honneur de préſenter le mème jour
au Roi , à Monfieur , & à Monſeigneur
Comte d'Artois les Procès-verbaux des Afſemblées
de 1780 & 1782 .
DE PARIS , le 16 Septembre.
Le public impatient s'attendoit à la publication
des traités inimédiatement après leur
fignature ; mais ils ne peuvent être imprimés
qu'après avoir été ratifiés par les Cours ref(
119 )
pectives; le notre ne paroîtra qu'après l'arrivée
du Courier de Londres qui eſt attendu
inceſſamment; vers le commencement de la
femaine prochaine , on aura vraiſemblablement
celui d'Eſpagne , & le premier Courier
qui arrivera enſuite en apportera des
exemplaires imprimés. Ce qui nous arrivera
ſans doute plutôt , ce ſont les préliminaires
de la Hollande qui ſe trouveront dans les
premieres gazettes de ce pays.
La Flute du Roi la Bretonne , de Brest , lit -on
dans une lettre de Nantes , eſt arrivée ici chargée
de fucre , indigo , &c. elle est de 300 tonneaux ;
les Navires le Voltigeur de Bordeaux , de 200
tonneaux ; la Mariamne de Durkerque , de 100 ;
la belle Arfene , d'Oſtende , de 140 ; la Notre-
Dame de Délivrance & Sainte Eulalie , de Lis
bonne , de 200 ; le Chevalier de Fumel , de Bordeaux
, de 180 , la bonne Société , de Nantes , de
100 ; la Notre- Dame de Mont- Carmel & Saint-
Antoine , de Lisbonne , de 120 , le Lodunois , de
la Rochelle , de 200 ,& la Marie-Je inne, de Gand,
de 350 , font auſſi entrés dans le port , venant les
uns des Ifles , & les autres de Philadelphie.
L'approche de l'équinoxe a caufé ici des
coups de vents violents ; il y en a eu pluſieurs
accompagnés de pluie ; ils ont endommagé
la machine aéroſtatique que conſtruit M. de
Montgolfier , malgré les toiles dont elle
avoit été couverte ; il a fallu travailler fur
-nouveau frais , & l'expérience qui devoit en
être faite a été retardée. On l'attend avec
beaucoup d'impatience ; la machine fera
bientôt rerablie & dans toute ſa perfection,
Lejour où on la lancera en préſence du Roi
( 120 )
:
dans le parc de Verſailles , eſt fixé , dit-on ,
au vendredi 19 de ce mois.
Depuis l'expérience publique du Champde-
Mars , toutes les têtes ſemblent être en
fermentation ; & , à l'exception de celles de
quelques véritables Phyſiciens , on pourroit
dire qu'elles font remplies de vent. I.es eſſais
en petit fe multiplient ; on defire de les faire
en grand , & on ſe flatte de parvenir , par
ce moyen, à voyager dans l'air. Nous avons
donné la lettre d'un Anonyme qui offre de
monter dans la machine. Le Méchanicien
qui , avec fon vaiſſeau volant , devoit étonner
tout Paris , qui n'a pas encore eu le plaifir
de le voir s'élever d'un pied de terre ,
dont on a tant parlé & dont on ne parloit
plus , vient de s'annoncer de nouveau avec
ſes prétentions , en répondant à l'Anonyme
qui aſpire à l'honneur d'être le premier navigateur
aérien pour le lui diſputer.
<<<Vous n'êtes pas , Monfieur , le ſeul perfuadé
de la poſſibilité de la navigation aérienne ; permettez
que j'entre en lice avec vous pour vous diſputer
l'honneur d'être le premier Navigateur aérien.
Sous peu de jours , je ſerai en état de vous faire
voir une machine aéroſtatique , qui montera , defcendra
, & ira même à volonté horisontalement :
je ſerai moi-même dedans , & j'ai aſſez de confiance
dans mon procédé pour ne point craindre
le fort d'Icare. Je jouis d'avance du plaiſir de
partager avec vous l'honneur du premier Navigateur
aérien.
Un Phyſicien plus inſtruit , plus modeſte ,
mais zélé pour les progrès des Sciences , &
empreſſé de ſuivre les découvertes & d'en
faire
( 121 )
faire des applications , propoſe par ſouſcription
une eſtampe en l'honneur de M. de
Montgolfier,dont le produit fervira àfaire une
machinede nouvelle forme&de fon invetion,
avec laquelle il s'élevera auſſi dans l'air.
Le 12 du mois dernier , entre trois & quatre
henres du ſoir , le tonnerre tomba fur ta tour de
l'Egliſe Cathédrale de Lombès, tandis qu'on fonnoit
les cloches , ſuivant la coutume uſitée pendant
les orages. Toute la couverture & la charpente
ont été brifées , l'un des ſonneurs bleſſé trèsdangereuſement
, & dix à douze perſonnes qui l'avoient
accompagné au clocher , renverſées, fans
qu'il leur foit heureuſement arrivé aucun mal. La
foudre a enfuite pénétré dans la ſalle des Archives
, qu'elle a percé dans huit à dix endroits ; delà
elle eſt tombée ſur l'Orgue refait à neuf , & l'a
confidérablement endommagé dans toutes ſes parties.
Peu de jours après , la foudre eſt également
tombée ſur le clocher de l'une des paroiſſes du
même dioceſe , en a tué le ſonneur,& grievement
bleſſé un jeune homme qui l'avoit ſuivi. Malgré
ces accidens réitérés le peuple croit toujours trouver
dans le fon des cloches un préſervatif aſſuré
contre l'orage , & le zele des Evêques & des Curés
a été juſqu'à préſent inſuffifant pour diffiper ce
funeſte préjugé.
M. Croharé , Chymiſte de Monſeigneur
le Comte d'Artois , engagé par un homme
éclairé à taire l'examen de la poudre , dite
fuprême ou unique de M. de Godernaux ,
a préſenté à l'Académie des Sciences le réfultatde
ſon travail. Son objet intéreſſe trop la
ſanté des citoyens , pour que nous n'entrions
pas dans quelques détails dont le public nous
faura gré.
N°. 38. 20 Septembre 1783 .
f
( 122 )
Avant d'expoſer ſes expériences , M. Crohaté
rappelle & fixe les caracteres chimiques de chacun
des fels que l'on obtient de la combinaiſon du
mercure avec l'eſprit du ſel marin , dont la plus
ou moins grande quantité fait un remede ut'le ou
un poifon mortel. Après avoir parlé du caractere
qui diftingue le ſublimé-corrofif , le mercure doux
&la panacée de la Brune dont Louis XIV acheta
la recette , & qui est le même mercure doux fublimé
douze fois , il vient au précipité blanc.
Cette préparation , dit Lemery , le praticien le
plus hardi dans la preſcription des remedes mercuriels
, pris intérieurement , occaſionne le vomiſſemert
& le crachement de ſang , à caufe des
acides qu'elle contient. C'eſt à raiſon de ces accidens
preſque toujours funeſtes , que les Médecins
prudens ont proſcrit ce mercure de l'uſage interne
, & ne l'emploient qu'à l'extérieur embarraffé
& étendu dans les graifles & les pomades (1 ) . M.
Croharé paſſe enſuite à l'examen de la poudre de
M. de Godernaux , & fupprimant pluſieurs expériences
, il rapporte les trois ſuivantes , qui fuffifent
pour démontrer quelles ſubſtances la compofent.
Premiere Expérience. Trois priſes de la poudre
réunies dans une balance peſoient 33 grains ,
par conféquent chaque priſe eſt du poids de onze.
Cette poudre d'un blanc ſale , mêlée de quelques
points noirs charbonneux , à la couleur près ,
reſſemble aſſez bien , par ſon volume , au mercure
précipité blanc. En broyant ces 33 grains de poudre
dans un mortier de crystal avec 4 grains de
maille d'acier & quelques gouttes d'eſprit de
( 1 ) Boerhaave faifoit quelquefois ufage d'une poudre
compoſée de trois parties de ſucre & d'une partie de
mercure précipité blanc , mais il obſerve que neuf grains
de ce mélange qui ne contenoit que deux grains & un
quart de mercure faifoient yomir , & donnoient des trans
chées à fes malades,
( 123 )
vien pour humecter le mêlange , j'ai ramane 17
grains de mercure revivifié , fluide & brillant. Seconde
Expérience. J'ai fait digérer dans une once
d'eau diſtillée à une chaleur douce pendant une
nuit trois priſes de la poudre unique peſant 33
grains ; j'ai décanté l'eau , & fait paffer fur la poudre
une autre once d'eau distillée ; après la digeltion
j'ai décanté de nouveau & réuni les deux
onces d'eau , fur laquelle j'ai verſé quelques goutres
d'alkali- volatil qui l'ont rendue louche & laiteuſe
; le peu de précipité qu'elle a déposé s'eft
trouvé être du mercure. La poudre ramaflée avec
foin & féchée à l'air n'a plus peſé que 28 grains .
Dans cette expérience il y en a eu cinq de perte ,
dont partie a été dufoute par l'eau qui a donné le
précipité. Troisieme Expérience. Deux priſes de
poudre peſant 22 grains , ont été ſoumiſes à la
distillation dans une cornue de verre neuve & fechée
, d'un volume proportionné. Dès le commencement
de l'opération , il s'eſt élevé vers le
milieu du col de la cornue un peu d'humidité. La
poudre s'eft fublimée , comme toutes les préparations
de mercure par l'acide du fel marin , en petites
aiguilles déliées.& très- brillantes. On fait
qu'après les fublimations du mercure falin , il refte
au fond des vaiſſeaux plus ou moins d'une poudre
jaune , que quelques Chymiſtes ont pris mal-àpropos
, pour de la terre mercurielle provenant de
Ladécompoſition partielle de ce métal ; mais qui ,
comme je l'ai démontré , eft produite par les vaifſeaux
dans lesquels on avoit broyé le mercure. J'ai
eu auffi cette terre jaune , qui , ramaſſée avec
ſoin , n'a pu me donner le poids d'un demi grain .
En faiſant bouillir de l'eſprit-de-vin dans la cornue
, j'ai détaché & raſſemblé tour le ſel ſublimé ,
qui après avoir été féché à l'air peſoit vingtgrains ,
cefel n'eſt point diſſoluble dans l'eau ni dans l'efprit-
de-vin , il eſt abſolument dans l'état de vrai
£ 2
( 124 )
mercure doux. Dans cette expérience il y a cứ
deux grains de perte qui ont produit l'humidité du
colde la cornue & le peu de terre jaune. Ces faits
démontrent 1 °. que la poudre de M. Goderneaux
n'est qu'un compoſé très-ſimple , réſultant de la
diffolution du mercure par l'acide marin. 2°. qu'elle
eſt un véritable précipité blanc , mal lavé & ſali
àdeflein . 3° . Que les nauſées , les vomiſſemens ,
les douleurs aux articulations , & les tranchées
qu'elle donne quelquefois aux malades qui en font
ufage , ſont produits par la petite portion diffoluble
démontrée dans la ſeconde expérience. Nous
poſlédons la préparation du précipité blanc depuis
l'Arabe Geber , vers le ſeptieme fiecle ; & c'eſt de
ſes écrits qu'elle a paſſé dans tous les livres de
Chymie , d'Alchymie & de Pharmacie ; elle ſe
trouve dans le Codex des médicamens de la Faculté
de Médecine de Paris, page 270. Elle n'a donc
pas été découverte par un des ancêtres de M. de
Goderneaux ; car l'addition qu'il y fait de quelques
grains de charbon , ne donne pas des droits
fur une préparation pharmaceutique qui , depuis
mille ans , eft dans les mains de tout le monde (1 ) .
M. Croharé joint ici le détail des frais pour la production
d'une livre de précipité blanc , d'après la
formule du diſpenſaire de la Faculté. Pour une liv.
de mercure purifié , 6 liv. Ponr 18 onces d'eau
forte , I liv . to f. Pour 8 onces de ſel marin , 71.
Pour les vaiſſeaux , 1 liv. 4 f. Total 9 liv. 1 f.
Cette doſe donne 14 à 15 onces de précipité blanc.
En portant d'après ce calcul, un peu exagéré , la
livre de précipité blanc à dix livres; la livre don-
( 1 ) Onze jours après que l'Académie a été munie de
Vexamen de certe analyſe , j'envoyai prendre de la pou
dse unique au Bureau de M. de Goderneaux , & j'obfer
vai qu'on avoit ſubſtitué au charbon quelques globules
demercure coulant. Je conſerve pluſieurs priſes de poudre
ainſi déguiſée avec le charbon & le mercure.
:
( 125 )
mant 831 priſes de pondre unique du poids de 11
grains chaque prife , & divifant enfuite les dix liv .
en 832 parties , on aura le prix des frais pour
chaque priſe de poudre. Le rapport de MM. Macquer
, cadet & Bertholet , que l'Académie des
Sciences a nommé pour Commiſſaires , contient
quelques nouvelles expériences qui confirment
celles de M. Croharé ; & cette Compagnie ſavante
penſe qu'elles font très- concluantes & qu'elles ne
laillent aucun doute fur la nature de la poudre
unique de M. de Goderneaux & fur fes dangers.
Elle obſerve que la priſe de cette poudre , qui ſe
vend 48 fols , coûte, ſelon l'évaluation de M.
Croharé , moins de trois deniers à fon diftributeur .
Le 14 du mois dernier , M. Enault de la
Ganterie , Négociant à Segré en Anjou ,
prêta ferment entre les mains de M. de Bourbon
- Buffet , premier Gentilhomme de
Monſeigneur Comte d'Artois en qualité de
Gentilhomme fervant de ce Prince.
Le 25 Juillet dernier , écrit- on du Dauphiné ,
le nommé Jean-Baptiste Sadon , vist de Sillant à
Saint- Etienne de Saint-Geoirs pour faire quelques
réparations à un puits , d'environ 35 pieds de profondeur.
A peine fut-il deſcendu au fonds , que
la partie ſupérieure de la maçonnerie s'écroula ,
l'enſevelit ; une heure après , le Châtelain de la
communauté , à qui l'en fit le rapport de l'événement
, examina l'état des choſes : l'écroulement
ne s'étant point enfoncé il préſuma que les débris
ne ſeroient point allés juſqu'au fond ,&que l'ouvrier
vivoit encore. Deux ou trois perſonnes au
plusregardoienttranquillement & n'oſoient pas travailler.
Le Châtelain les follicita en vain. N'ayant
pas été plus heureux auprès de plufieurs payſans
qu'il alla chercher dans leurs maisons , il prit le
parti de commander la corvée. Ils'écoula plus de
f 3
( 126 )
Aeux heures avant qu'on eût pu déterminer trois
ou quatre hommes à venir travailler. Après avoir
creuſé huit à neuf pieds , on crut entendre la voix
de Sadon , & les travailleurs prirent courage; mais
à l'inſtant ils faillirent à être écrasés eux-mêmes
par l'éboulement de la terre , & cet événement les
fit fuir; un ſeul reſta à l'ouvrage , mais fur un
autre plan : on lui fit faire une ouverture plus
large , & d'environ 22 pieds de diametre. On parvint
à encourager & à multiplier les travailleurs.
Après quelques heures on entendit diftinctement
des cris plaintifs , & ils exciterent les manoeuvres
plus que toutes les exhortations. De nouveanx
éboulemens ne les rebuterent plus , & l'on travailla
toute la nuit à la lueur des flambeaux qu'on fit apporter.
Le lendemain , à dix heures du matin ,
après 27 heures du travail le plus pénible & le
plus foutenu , on apperçut Sadon enfeveli dans les
débris du puits. Les pierres s'étoient arrangées
autour de lui , de maniere à former une eſpece de
voûte qui l'avoit empêché d'étre écraſé par le poids
des matériaux . On l'enleva avec beaucoup de précautions
; bientôt après il vomit une affez grande
quantité de terre ; mais les ſoins du Chirurgien le
remirent bientôt en état de ſe retirer chez lui. Il
en a été quitte pour quelques bleſſures & beaucoup
de meurtriffures , & il jouit actuellement de la
meilleure ſanté.
On vient de nous faire paſſer la note ſuivante
:
Il y a actuellement 200 ans que Tycho -Braché
commença dans l'iſle d'Huene , ſur la côte
du Dannemarck , une ſuite d'obſervations importantes.
Le Prince EMMANUEL DE ROHAN , Grand-
Maître de Malte , vient d'entreprendre la même
choſe dans ſon ifle & dans ſon palais ; il y fait
conſtruire un obſervatoire complet ; il y a placé
M. le Chevalier d'ANGOs , déjà connu dans l'AC
( 127 )
'tronomie par fon courage & fon habilete ; il
a fait conſtruire à Paris un excellent quart de
cercle par M. Megnié ; & l'Aftronomie va jouir
de l'établiſſement le plus complet , fait ſous le plus
beau ciel , où l'heureux Aftronome n'éprouvera
point les contrariétés & les viciffitudes des faifons
qui , dans nos climats ſeptentrionaux , défolent
fans ceſſe l'obſervateur , & retardent les
progrès de l'Aftronomie. C'est là que l'on peut
eſpérer de trouver fréquemment des cometes que
l'inclémence des ſaiſons dérobe aux obfervateurs
de France , d'Angleterre & de Suede , & d'obtemir
enfin un catalogue complet des étoiles boréales
, dont l'Aftronomie a le plus grand beſoin .
Il faudra pour cet effet placer dans l'oferva
toire un grand mural de huit piés de rayons qui
rendra complet ce nouveau monument élevé à
la gloire des ſciences & de l'Ordre de Malte. Déja
M. le Chevalier d'ANGOs , par une éclipſe d'étoile
obſervée le 10 Juillet à 9 h. 31 min . 18
fec. , a trouvé la pofition de Malte 48 min. 28 fec .
de temps à l'orient du méridien de Paris . Détermination
importante pour la navigation de la
méditéranée.
1
Ce fut le 20 Août dernier , que M. le
Contrôleur-Général des finances poſa la premiere
pierre au marché Ste-Catherine,ala requifition
de M. Marchant du Colombier ,
Avocat au Parlement , ancien Conſeiller du
Roi , Affeffear , Adjudicataire général des
terreins ſur leſquels il doit être bâti , depuis
le 21 Mai 1778 . :
Cette pierre a été placée avec une médaille d'argent
portant , d'un côté , le portrait du Roi , &
fur le revers la légende ſuivante : Médaille frappée
à l'occasion de la premiere pierre posée au
marché Sainte- Catherine , par Monseigneur d'Orf4
(128 ) +
,
messon , Contrôleur-Général des Finances , le 20
Août 1783. A cette médaille on a joint une plaque
de cuivre , au haut de laquelle a été gravél'écuffon
des armes de M. d'Ormeflon au bas duquel
on lit : Du Regne de Louis XVI , le 20
Août 1783. Cette premiere pierre a été poséepar
très-haut & très - puiſſant Seigneur Monseigneur
Henri - François - de - Paule Lefevre d'Ormeſſon ,
Chevalier Marquis a Ormeſſon , Seigneur de
France & autres
Con-
Mauregard du Ménil en
lieux , Confeiller d'Etat & Ordinaire au
Seil Royal , Contrôleur - Général des Finances ,
Chef du Conseil d'administration du temporel de
la Maiſon Royale de Saint- Cyro , en ce marché ,
nommé Sainte Catherine , à la priere de M. Marchant
du Colombier , Avocat en Parlement , and
cien Confeiller du Roi , Affeffeur , & de Madame
Haasfon épouse , propriétaires des terreins & em
placement dudit marché , dont le plan a été conçu
par M. Caron, Confeiller du Roi , Juge Général
des bâtimens de S. M. , ponts & chauffées de
France , Architecte dudit marché , qui en a fait
jeter les fondemens ſous la vigilence & les foins
de M. Sébastien Guyot, Entrepreneur dudit marché,
déjà connu par les monumens publics qu'il a
fait construire dans pluſieurs villes du Royaume.
-L'une & l'autre furent miſes ſur la retraite au
rez de chauffée & à l'encoignure formant le pan
coupé de la place du marché & de la rue nommée
d'Ormeffon , qui, fortant de celle de Couture-
Sainte-Catherine, traverſe le devant de la
place , la rue neuve du Colombier & celle de
Marvilles , pour aller communiquer à la place
royale & à la rue Saint - Antoine ou place de
Birague. Ce marché ſitué au centre d'un des
beaux quartiers de Paris , à la proximité de la
place royale , de la rue Saint-Louis & de quan .
ité d'autres rues adjacentes , de l'Arſenal , du port
( 129 )
Saint-Paul, des quays des Ormes & des Célettins
, du Port- au-bled, &c . , entouré des rues St.-
Antoine, ouplace de Birague , Culture- St. - Catherine,
rue neuve St. -Catherine & de celle de l'égout,
ne peut qu'offrir des commodités & des avan tages à
ungrand nombre de Citoyens ; ils feront généralement
communs au nouveau quartier du boulevard
, ainſi qu'à tout le Marais. Le marché qui
a cinq entrées , eſt composé d'une place circulaire
ſervant de dégagement , donnant fur quatre rues ;
fur la place du marché ſont placées deux halles
couvertes , l'une pour le pain , l'autre pour les denrées.
D'un côté eſt le corps des boucheries en
boutiques , y faiſant face d'une part & de l'autre
fur une nouvelle rue ; & pour mieux y conferver
la viande , on les a placées au levant & au
couchant. De l'autre côté de cette place eſt un
rang de maiſons avec des boutiques & leurs arrieres
- boutiques pour les Marchands de toutes
eſpeces , & au retour deux pavillons pour le même
uſage , donnant ſur la place & fur la rue neuve
du Colombier , qui conduit à celle de Saint-Antoine
ou place de Birague. -Ce marché percé
de quatre rues, ſera encore composé d'une halle
à poiſſon où l'on trouve toutes les commodités
néceffaires pour la conſervation de cette denrée ; à
côté fera une fontaine , tant pour laver la poiffonnerie
, à laquelle elle fournira de l'eau pour
garder le poiffon vivant , au moyen des tuyaux
de plomb qu'on y établira , que pour maintenir
Ja propreté & la falubrité dans le marché &dans
toutes les rues garnies également de maiſons marchandes
, ſous leſquelles on a établi des caves
ou magaſins.- Toutes les maiſons , tant fur les
places, que celles qui auront face , même ſur deux
rues , feront au nombre de tiente , & contiendront
quatre- vingt- fix boutiques avec leurs arrieres
boutiques , & quarante - fix magaſins ; leur
fs
( 130 )
,
élévation uniforme fur le rez de chauffée fera
de quatre étages quarrés , un attique & comble..
-Dans l'enceinte feront deux Corps de garde
un pour les Soldats du guet , & un pour les Pompiers.
Une obſervation que l'on ne doit pas cu
blier en finiflant cet article , c'eſt que , en 1215 ,
il y a 569. ans , Saint Louis , âgé de 17 mois
poſa la premiere pierre de l'Eglife qui étoit en
ce lieu , & que le petit fils de M. le Préſident
d'Ormeffon , nommé Louis , ayant auſſi 17 mois,
a achevé de perfectionner , ſous les yeux de M.
le Contrôleur-Général , neveu de M. le Préfident
auili préfent , la poſe de la premiere pierre du
marché , à l'aide des outils qu'il y a fait mouvoir.
Les Curé , Marguilliers , Syndics &Habitans
de la Paroiſſe d'Epernay fur Seine ,
ont fait célébrer , le 8 de ce mois , dans leur
Eglife , le Salut qu'ils ont fondé à perpétuité
en 1779 , pour la conſervation des jours
précieux du Roi & de la Reine , & la profpérité
des armes de la France , avec diftribu.
tion de pain aux pauvres de ladite Paroiffe ,
conformément à la fondation.
Jacques -Antoine de Barathier , Marquis
de Saint-Auban , Commandeur de l'Ordres
royal & militaire de S. Louis , Lieutenant-
Général des armées du Roi , eſt mort à Paris
les de ce mois dans la 71º année de fon
âge. Ses ſervices militaires , ſes lumieres &
fes talens , lui ont aſſuré une gloire durable,
&ſes vertus rendront ſon ſouvenir toujours
cher aux amis qui l'ont perdu.
Marie-Charlotte de Bethune, Comteffe
'de Teffe , Douairiere , ancienne Dame de
feue: Madame la Dauphine , mourut ici le.7
du mois dernier , âgée de 70 ans .
( 131 )
François-Joſeph de Picot, Chevalier de
Merac , Capitaine Commandant du Réziment
de Breile infanterie , Chevalier de Saint
Louis , eſt mort à Montmerey-le-Château ,
Bailliage de Dole en Franche-Comté , dans
la 49 année de fon âge .
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 12,39 , 21 , 29
& 56.
DE BRUXELLES , le 16 Septembre.
Selon les lettres de la Have , on a commencé
à retirer du rivage de la côte de Hol-
Iande les Canons qui avoient été placés pendant
la guerre pour en écarter les Anglois ,
& les Détachemens qui y ont fait la garde
font retournés dans leurs garnisons refpecsives.
Les mêmes lettres portent que les Etats de
Hollande & de Weſtfriſe ont arrêté que les
Troupes réparties dans la premiere de ces
provinces , retirerent juſqu'à la fin de cette
année l'augmentation de folde qui ne lear
avoit été d'abord accordée que juſqu'au pre
mier de ce mois .
La nouvelle de la fignature de la paix n'a
pas été reçue avec le même tranſport dans
pluſieurs provinces qu'elle l'auroit été , fi la
République n'avoit en aucun facrifice à faire..
On ne ſe déguiſe point que la maniere dont
la guerre a été conduite , eſt la principale
cauſede ces facrifices . On s'éronne que l'Angleterre
ait perſiſté avec tant de conſtance
dans la demande de ceux qu'elle exigeoit
après l'aveu que M. Fox avoit fait en pleira
G
( 132 )
Parlement , que l'examen le plus exact des
papiers miniſtériels ne lui avoit pas montré
P'ombre même d'un prétexte pour attaquer
les Hollandois. Quoi qu'il en ſoit , la négociation
de la République , rélativement à la
paix , ne peut qu'intéreſſer nos Lecteurs ;
c'eſt ainſi qu'on en rend compte dans un papierHollandois.
« Le premier trait d'ancienne inclination des
Plénipotentiaires Britanniques envers les Hollan -
dois , fut de terminer les préliminaires avec les
autres Puiſſances belligérantes , avant d'entrer en
négociations avec eux. L'injuſtice des conditions
offertes enfuite , particulierement la ceffion de Negapatnam
, fur laquelle ils infifterent , firent traîner
ces négociations juſqu'au 7 Avril , que les Etats-
Généraux autoriſerent leurs Plénipotentiaires à
concourir enfin à la concluſion des Traités , aux
conditions les plus favorables , ſi , malgré leurs
repréſentations& leurs inſtances , ils voyoient les
autres Puiſſances prêtes à ſigner le Traité définitif
fans le concours de l'Etat. Nos Plénipotentiaires
infifterent donc auprès du miniſtre Anglois , pour
qu'il diſposât ſa Cour àdes conditions plus équitabies
, fur-tout à renoncer à la poffeffion de Negapatnam
, qui continuoit d'érre la pierre d'achoppement
, qù les négociations venoient ſe heurter :
Mais , elles n'eurent aucun effet ; M. Fitz Herbert
perfiſtant dans ſes prétentions.Nos miniſtres chercherent
, de concert avec les députés de la compagnie
des Indes préſens à Paris , quelque équivalent
à cette pofieffion ; & ils offrirent de céder
àla place , les établiſſemens de la Compagnie fur
la côte Occidentale de Sumatra & à Suratte . Le
miniftere Anglois répondit après un temps confidérable
, que cette nouvelle propoſition ne pouvoit
être acceptée , ces établiſſemens importans ne
pouvant être d'aucune utilité pour l'Angleterre. II
( 133 )
propoſa d'autres articles , dans lesquels , outre la
ceſſion de Negapatnam & de ſes dépendances , &
la liberté illimitée de naviguer dans les mers Orientales
, l'Angleterre exigeoit de la part de la République
le ſalut , conformément à l'article IV du
Traité deWestminster de 1674 ; & , que pour prévenir
toutes les plaintes , relativement à la navigation
ſur la côte d'Afrique , on s'obligea réciproquemneenntt
à n'apporter aucun empéchement au
conmmerce des nations étrangeres dans les ports
de l'une ou de l'autre puiſlance fur cette côre.
Nos Plénipotentiaires dreſſerent de leur côté un
autre projet de Traité préliminaire ; mais , après
une longue négociation , l'Angleterre perfiftant
dans ſes demandes, on offrit pour Negapatnam ,
un équivalent en argent , qui dans la poſition des
finances de la Grande-Bretagne , paroifloient de
nature a être accepté avec empreflement; & ce
n'auroit pas été la premiere fois qu'au moyen d'un
facrifice de cetre eſpece , la République cût fait la
paix avec la Cour de Londres. La réponſe tarda
plus de deux mois. Enfin le 10 Août , le duc de
Manchester declare que les miniftres du Roi , fon
maître , ayant pris en conſidération toutes les propoſitions
de la République , trouvoient qu'on ne
différât que fur trois points , les ceſſions àfaire ,
la libre navigation dans les mers Orientales , & la
ftipulation du falut : que ſur le premier , ils ne pouvoient
ſe départir de la demande de Negapatnam
avec ſes dépendances ; mais que l'Ambafſfadeur employeroit
volontiersſes bons offices , pour qu'en confidération
de l'importance que la République attachoit
à la confervation de cet établiſſement , & να
que dans le moment préſent elle ne pouvoit offrir un
équivalent convenable ; elleſe refervât la faculté de
Selefaire reftituer en tout temps , dés qu'elle pouvoit
dédommager l'Angleterre par quelque autre ceſſion.
Quant à la navigation dans les mers Orientales ,
on n'avoit pas beſoin d'entrer en conférence pour
( 134 )
en ftipuler la liberté : la mer étant ouverte & libse
à tout le monde, les ſujets Anglois avoient toujours
navigué dans ces mers & continueroient d'y
naviguer ; que , fi la Compagnie n'y avoit apporté
des empêchemens , s'il n'avoit été fait à ſa charge
des plaintes très -graves de mauvais traitemens , on
n'auroit pas mis cet objet ſur le tapis ; qu'ainſi l'on
ne pouvoit ſe départir de cet article ; que , fi la
République vouloit entrer dans l'examen de cetre
maticre , l'Angleterre renouvelleroit tous ſes anciens
griefs depuis la paix de Munster ; & exigeroit que
la République produisît les titres du droit , que fa
Compagnie prétendoit avoir dans les Moluques :
Enfin , ils ne pouvoient ſe déſiſter de leur demande,
relativement à l'obligation de ſaluer fur mer ; &
ne pouvoient s'imaginer que la République feroit
des difficultés à ect égard. Il paroit que la négocintion
, malgré les efforts de nos miniftres , en eft
reftée là , & que c'eſt ſur ces conditions , qu'ils ont
été enfin autorifés à ſigner le Traité préliminaire » .
De nouvelles diviſions menacent encore
la République , par le refus que perſiſte à
faire la province de Friſe de pâyer une partie
de fon contingent. Le comité des Etats
Généraux fur cette affaire en a fait fon rapport
à L. H. P, & il porte en fubſtance:
ce Qu'ils regardent dorénavant tous Moyens de
perfuafion , celui même d'une Députation, comme
inutiles : Que l'honneur & l'intérêt de la République
exigent d'ailleurs , que l'irrégularité de la
part des Seigneurs Etats de Friſe ſoit réparée :
qu'il n'y a pas de temps à perdre , & que pour y
remédier , on doit faire uſage des moyens que les
Loix fondamentales de l'UNION énoncent pour
des cas de cette nature , afin de prévenir ladé
fertion parmi les troupes & les défordres qui pourroient
en réſulter ; qu'à cette fin la Friſe doit acquitter
totalement ce qui , à ſa répartition , off
( 135 )
porté ſur l'ETAT DE GUERRE ORDINAIRE Foar
l'année courante . A cet effet les Commités font
d'avis : Qu'il convient de requérir & d'autorifer
be Conſeil des Etats à faire calculer le montant de
tous les articles portés fur l'ETAT ORDINAIRE DE
GUERRE , pour l'année courante , à la répartition
de la Province de Frife , au paiement desquelles
cette Province n'a confenti que jusques & compris
le Août de cette année , & pas au dela ; quand.
cette opération aura été terminée , de faire négocier
la fomme à laquelle tous les articles réunis
pendant les cinq derniers mois de cette année pour
ront monter , pour le compte & à la charge de
la Province de Frise contre l'intérêt qu'on paie
ordinairement , pour , au moyen de ces deniers ,
faire le paiement des poftes mentionnés , auxquels
la Province de Friſe ne pourvoit point , depuis le
1 Août , autoriser encore le Confeil d'Etat à avertir
les Seigneurs Etats de Friſe du montant de
ces deniers négociés , les intéréis y compris , avec
instance & requifition , qu'il leur plaife faire remettre
& rembourser fur le champ , du moins au.
plus tard avant la fin de l'année courante , ces
mêmes deniers au Comptoir général de l'UNION ,
contre la repriſe des ordonnances. & quittances des
paiemens , lesquelles auront été dépêchées & données
à cet effet : enfin , au cas que , contre toute
attente , les Seigneurs Etats de Frife manquaffent
à l'objet en question , de recevoir alors , par voie.
d'exécutionfur ladite Province , le remboursement.
de ces deniers par tous les mayens que le Confeil
des Etats , après avoir délibéré avec S. A. S. ,
jugera les plus propres & les plus convenables ; à
L'effet dequoi il conviendroit de folliciter S. A. S.
en particulier , afin que dans ce cas il lui plaife
y contribuer de fon pouvoir & de fon autorité :
finalement, pour communiquer civilement les mêmes
réfolutions aux Seigneurs Etats. de Friſe avec
instance preffante de vouloir bien , en acquittam
( 136 )
ce qui est dû , prévenir l'effet de cette démarche.
Sur ce rapport , la Gueldre & l'Overyſſel ont jugé
devoir ſe déclarer ultérieurement; la Hollande &
Westfrise ainſi que la Zélande, en ont pris copie
pour en faire communication plus amples dans
leurs Provinces reſpectives , tandis que les autres
our réitéré leurs réſolutions antérieurement remiſes
fur cet objet.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG. du 10 Septembre.
Ondoit propoſer au Parlement, à la prochaine
aſſemblée , une loi relative à la franchiſe des lettres;
on n'abolira pas le droit des membres de l'une
& de l'autre chambre , de faire paſſer les leurs
•franches de port : on ne prétend que remédier aux
abus , & exiger que toutes les lettres qui partiront
ſous leur ſceau & avec l'adreſſe écrite de leur main ,
*foient réellement d'eux , & qu'ils le certifient fur
l'enveloppe. Si on parvient en effet à faire ceſſer les
abus dans cette partie , le revenu des poftes augmentera
confidérablement.
Ondoit faire cette année l'arpentage des terres
de la couronne, & on ſe propoſe d'y apporter la
plus grande attention. Les miniſtres actuels , à
l'exemple de leurs prédéceſſcurs immédiats , paroiffent
s'occuper ſérieusement de cet objet , &
n'être point éloignés de vendre une partie de ces
domaines.
Ilyaura bientôt, écrit-on de Dublin , deux Parlemensdans
ce royaume , tous deux choifis par le
peuple. L'un s'aſſemblera à Dunganon , & l'autre
ici ; le premier doit ſurveiller le ſecond , qui ,fans
cela , pourroit devenir le Parlement du Miniftere .
Cela reſſemblera en quelque forte à la conſtitution
de l'ancienne Sparte , où les Ephores ou Inſpecteurs
étoient créés pour veiller ſur la conduite des Rois :
réglement ſouvent néceſſaire. Les parlemens rempliſſoient
autrefois cet emploi ; mais aujourd'hui les
( 137 )
Surveillans ont beſoin d'être ſurveillés eux-mêmes .
Le Miniſtre qui fait , à Gretna- Green en Ecoffe ,
les mariages que les jeunes couples imprudens vont
y contracter malgré leurs parens , est un Forgeron.
Selon la loi de ce royaume , tout homme au-deſſus
de l'âge de ſeize ans eſt qualifié pour bénir un mariage
, qui n'eſt cependant valide qu'autant qu'il eſt
confommé . Le Cyclope Miniſtre a chez lui un lit,
deftiné à completter la cérémonie , qui a fervi à des
milliers de couples. Il ne peut figner l'acte que
lorſqu'elle eſt remplie & certifiée par deux témoins ,
qui font ordinairement deux de ſes principaux onvriers
, qu'il appelle pour cet effet , & qui fignent
avec lui . Cette condition, affez finguliere , a donné
lieu ſouvent à quelques ſcenes plaifantes. Un Officier
Irlandois ſe rendit , il y a quelques mois , à
Gretna-Green, avec une jeune daine du Comté de
Northampton; le Forgeron ayant joint leurs mains ,
leur expola , à l'ordinaire , qu'ils devoient terminer
le mariage chez lui : fignez , fignez , Pasteur , lui
ditl'Irlandois , tout étoit fini avant d'arriver ici. Le
Miniſtre ayant infifté ſur la loi , qui exigeoit qu'elle
ſe fit auſſi en Ecofle , l'Officier ne renita pius.
Le Commodore Affleck , qui doit avoir le commandement
aux Iſles du vent, eſt déjà à Antigues ,
où il a arboré ſa Cornette à bord du Leander
de so. L'Amiral Digby a le commandement à
New-Yorck .
En Hollande & en Irlande il n'y a guere de manufactures
ou de fabriques un peu conſidérables
éloignées de plus d'un mille de quelque riviere navigable
, & les tranſports par eau font un quart
moins chers que ceux qui ſe font par terre . C'eſt
à ces avantages qu'il faut fur - tout attribuer le
grand commerce & l'opulence des Hollandois ; mais
tous les pays commerçans devroient profiter de cet
exemple pour établir & perfectionner la navigation
intérieure par- tout où la ſurface de la terre &
( 138 )
d'autres circonstances locales ne rendront pas im
praticable la conſtruction des canaux.
Les Négocians Américans , & fur-tout ceux de
Virginie , ont des Agens à Londres , pour établir
une correfpondance de commerce avec différentes
maiſons ; mais les plus confidérables ne ſe ſoucient
point de prendre aucun engagement avant que la
fignature du traité définitif ait fixé le rang que la
G. B. doit avoir parmi les Puiſſances , & fur tout
parmi les Puiſſances commerçantes .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ).
PARLEMENT DE PARIS.
Grand Chambre.
Concert frauduleux d'un Prêteur ſur gages & de fon
Courtier, pourvendre à vilprix un gage précicux,
àl'infu dupropriétaire .
Le nommé Gouliart , Prêteur ſur gages , avoit
prêté, par l'entremife du ſieur Ducout, fon Courtier
, une ſomme de 1700 livres , à un particulier ,
fur dix- fept épingles de diamans. Quelques années
après , le ſieur Gouliart n'étant pas payé , obtint au
Châtelet , contre le ſieur Ducout , une Sentence
qui l'auto: iſa à vendre les effets . Il n'en inſtruifit
pas le propriétaire , & fit vendre les diamans , dont
le prix ne fut porte qu'à 1500 livres. Le propriétaire
, environ deux ans après , fit affigner le fieur
Gouliart ſur l'appel de la Sentence du Châtelet,
qui avoit autorisé la vente , & demanda que le
fieur Gouliart fût condamné à lui reftituer ſes
diamans , finon à lui en payer la valeur ſuivant
l'eſtimation , fous la déduction de la ſomme prêtée.
(+) On fouferit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſtde 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocat , rue
& Hôtel de Serpente,
( 139 )
Arrêt du 10 Mars 1783 , qui a mis l'appellation
& ce au néant , émendant, condamne Gouliart
àpayer au propriétaire des diamans la ſomme de
4000 livres , ou l'eftimation , ſuivant la defcription
faite des diamans fur les regiſtres de Gouliart & de
Ducout , déduction faite de la ſomme prêtée , &
a condamné Gouliart aux dépens .
Tournelle .
La Cour vient de donner une nouvelle preuve
de ſon attention à réparer les atteintes portées à la
liberté des citoyens . Claude- François- Remi Poirſon
, ancien Gendarme , étoit venu de Neufchátel
en Lorraine à Paris , pour y fuivre différentes
affaires; il étoit defcendu à l'hôtel du Saint- Eſprit ,
rue de Beauvais. Le 19 Avril 1781 , un Exempt
avec lequel il avoit cu quelques démélés , ſe permit
de l'arrêter ſous prétexte d'eſcroquerie , le
conduiſit au Fort-l'Evêque , & l'écroua a la requête
de la partie publique , pour efter à droit, & répondre
devant le Lieutenant-Criminel de Robe-
Courte.-Les faits contenus dans le procès-verbat
d'emprisonnement , parurent affez graves à M. le
Procureur du Roi pour exciter ſon zele , & le déterminer
à rendre plainte. Cependant , n'ayant pu
être appuyé d'aucune preuve , trois ſemaines après
fa détention , le fieur Poi fon a obtenu ſur requête
for élagiſſement proviſoire , à la charge de ſe repréſenter
en état d'aſſigné , pour être ouï .
premier uſage qu'il a fait de ſa liberté , a été d'interjetter
appel en la Cour , de toute la procédure ,
& d'y intimer M. le Procureur-Général , comme
prenant le fait & caufe de fon Subſtitut au Châtelet.-
Arrét en la Tournelle le 6 Août 1783 ,
qui déclare nul le procès - verbal d'emprisonnement ,
ainſi que la procédure inſtruite par le Lieutenant-
Criminel de Robe Courte , ordonne que l'écrou
du ſieur Poirfon feroit rayé & biffé des regiſtres du
- Le
( 140 )
Fort-l'Evêque , & de tous autres où il auroit pu
être infcrit; & faiſant droit ſur les conclufions de
M. le Procureur-Général , défenſes ont été faites
à l'Exempt d'ufer à l'avenir de pareilles voies , à
peine d'interdiction .
Grand Chambre.
:
Cauſe entre la Communauté des Maîtres Tonneliers
de Biois & le fieur Roullet.-Bourgeois peut
faire fabriquer des poinçons neufs chez lui dans
la ville , pour fon usage , pourvu qu'il n'en faffe
pas commerce .
Ainfi jugé par Arrêt du 2 Août 1783 , conforme
aux conclufions de M. l'Avocat Général d'Aguefſeau
, en faveur du ſieur Roullet , Commiſſionnaire
de vin , Bourgeois de la ville de Blois , contre les
Syndics & Adjoints de la Communauté des Maîtres
Tonneliers.
PARLEMENT DE DIJON.
Affaire de Laliy.
Peu de procès ont été plus fameux que celui- ci.
Perſonne en Europe ne l'a ignoré , puiſque la plupart
des faits qui y ont donné lieu , & des circonstances
qui les ont accompagnés , ſe ſont paffés dans une
vaſte régionhabitée pardifférens peuples , & éloignée
de nous de plus de 6000 lieues ; ainfi , pour donner
une notice exacte de cette affaire extraordinaire ,
dont tous les papiers publics ont parlé , il faudroit
remonter à ſon origine. Un détail auſſi étendu
n'eſt pas du reffort de cette Feuille ; on ſe bornera
àfaire connoître l'Arrêt rendu par le Parlement de
Dijon le 23 Août dernier .- » LA COUR, Grand'-
Chambre affemblée , ſans s'arrêtet aux demandes ,
fins& concluſions priſes par Trophinne-Gérard de
Lally Tolendal, qualité qu'il agit , a déclaré &
déclare Thomas Arthur de Lally duement atteint
( 141 )
&convaincu de n'avoir pas fuivi ſes inſtructions,
d'abus d'autorité ; d'avoir , par des diſcours outra
geans , manifeſté ſa haine contre le Conſeil & les
Habitans de Pondichery ; d'avoir exercé pluſieurs
vexations , tart contre les membres dudit Confeil ,
que contre les Habitans blancs & noirs de la Colonie
; d'avoir tenu des propos propres à inſpirer le
découragement;d'avoir dans le temps même où elle
étoit dans un besoin prefiant , commis l'uſure en
exigeant de la Compagnie des Indes , ſous le nom
d'une perſonne prépolée , des intérêts à 30 pour
100 ; d'avoir , par ſa capitulation , abandonné &
facrifié les intérêts des Habitans de Pondichery &
de toute la Colonie , & par- là , & autres faits
mentionnés au procès , d'avoir accéléré la perte
defdites Ville & Colonie ; pour réparation de quoi ,
&autres cas réſultans des procédures , a condamné
&condamne la mémoire dudit Thomas Arthur de
Lally; déclare ſes biens ſitués en pays où confiſcation
a lieu , acquis & confiſqués au profit de qui it
appartiendra. En ce qui concerne Jofeph- François
de Fer , ordonne que ledit de Fer ſe retirera par
devers leRoi, pour ſe ppoourvoir de lettres de rémiſſion
, fi jà n'a été fait.- En ce qui concerre
Armand-Antoine- François Fretard de Gadeville
l'a mis & met hors de Cour , ordonne qu'il ſera
élargi , &e.- En ce qui concerne Jacques-Hugues
deChaponnay, Jacques de Pouilly , Luc Alleu , &
Jean- Ferdinand Rochette , ayant égard aux demandes
, fins & conclufions priſes dans leurs rea
quêtes , les renvoie des accufations contre eux
intentées ; ordonne qu'ils feront élargis ; que les
écroux faits de leurs perſonnes feront rayés & biffés
fur tous regiſtres où ils ſeront inſcrits , & ce , par
le premier Huiſſier requis , lequel fera mention , en
marge , d'iceux , du préſent Arrêt ; auquel effer ,
tous Concierges & Geoliers feront tenus de repréfenter
leurs regiſtres , à quoi faire contraints , meme
( 142 )
-
-
-
par corps , quoi faiſant , déchargés.-Permet auxdits
de Chaponnay , Pouilly , Alleu & Rochette de.
faire imprimer & afficher le préſent Arrêt par-tout
où beſoin fera . En ce qui concerne Norouha ,
le frere Funch , Ramatinga , Hurpy , Jacquelot &
les deux quidams Lieutenans au Régiment de Lorraine
, met iceux hors de Cour. Renvoie Guillaume
Meaglier, Jean Deſchaux & Charles Foacier,
des accufations contre eux intentées ; ordonne que
les écroux faits de leurs perſonnes feront rayés &
biffés ſur tous regiſtres où ils ſeront infcrits , ſi jà
n'a été fait ; à quoi faire tous Concierges & Géoliers
, &c. Renvoie Auguſtin-Antoine Dérard de
Chamboy de toutes accufations .- En ce qui con-,
cerne Jean-Georges de Fumel , ayant égard aux
demandes , fins & concluſions priſes dans ſa requête
, le renvoie de toutes accufations. Décharge
la mémoire d'Anne-Antoine d'Aché , ainſi
que celle de Charles- François de Bazin , de toutes
accufations contre eux intentées . Prononçant
fur les plus amples requifitions du Procureur-Général
du Roi , ordonne que les Mémoires imprimés
& fignifiés au Procureur-Général du Roi , au Parlement
de Paris , de la part de Thomas Arthur de
Lally, & joints à ſa requête d'attenuation , feront
ſupprimés , comme contenant des faits faux & calomnicux
; ordonne à toutes perſonnes qui ont en
leur puiſſance des exemplaires deſdits Mémoires ,
de les apporter au Greffe de la Cour , pour y être
parcillement fupprimés .-Ordonne que le Mémoire
prétendu produit au Conſeil du Roi , imprimé
à Rouen en 1779 , chez la veuve Beſogne
& fils , fignifié au Procureur-Général de la part
de Trophinne-Gérard de Lally Tolendal , qualité
qu'il agit , ſera lacéré & brûlé par l'Exécuteur de
laHaute-Juſtice , au-devant de la principale porte
du Palais , comme contenant des faits calomnieux ,
faux dans leur ſubſtance , dans leur énoncé & dans
-
( 143 )
les circonstances , contraire au reſpect dû à la Magiftrature
, en outre calomnieux & injurieux à la
mémoire & aux perſonnes d'un grand nombre de
bons & fideles ferviteurs du Roi , de tous rargs &
érats.- Fait très expreſſes défenſes & inhibrions
à tous Libraires & Imprimeurs , Colporteurs &
autres , d'imprimer , vendre & débiter , ou autrement
diftribuer , en quelque maniere que ce puiſſe
être , ledit Mémoire , à peine de punition corporelle
; enjoint à tous ceux qui en ont des exemplaires
, de les remettre & apporter inceſſamment
au Greffe de la Cour , pour y être ſupprimés.
-Prononçant ſur l'intervention de Jacques Duval
d'Epremeſnil , ainſi que ſur ſes demandes , fins &
conclufions jointes au procès , en lui donnant acte
de ſon département de l'inventaire de production
par lui remis au Greffe criminelde la Cour , le 27
Juin dernier , déclare ledit inventaire de production
comme non avenu ; ordonne que les Mémoires
joints à la requête dudit Duval d'Epremeſnil , autres
que ceux fur leſquels il a été déjà prononcé , demeureront
fupprimés , comme faux & calomnicux
en ce qui touche la mémoire de Georges Duval de
Leyrit.-Condamne ledit Lally Tolendal, qualité
qu'il agit , aux dépens de ladite intervention ; permet
audit Duval d'Epremeſnil de faire imprimer &
afficher le préſent Arrêt par-tout où beſoin fera ,
aux frais & dépens dudit Lally Tolendal , ſuſdite
qualité , juſqu'à concurrence de cinq cens exeraplaires
; & fur toutes plus amples demandes , fins
&conclufions des Parties , a mis & met icelles
hors de Cour. - Prononçant ſur les plus amples
requifitions du Procureur Général du Roi , ordonne
que les huit pieces de procédure produites
par ledit de Pouilly , fous cote 3 de fa production ,
en feront tirées , & que leſdites huit pieces feront
aſſoupies au Greffe de la Cour , & jointes à la
procédure criminelle. Ordonne qu'à la diligence du
( 144 )
1
Procureur-Général du Roi , ledit Arrêt ſera in
primé & affiché par-tout où beſoin fera.
PARLEMENT DE FLANDRES.
Interprétationde l'article premier de l'Edit du mois
ďAoût 1779 .
>> Nous éteignons & aboliſſons , dans toutes les
>> terres & ſeigneuries de notre domaine , la main-,
>> morte & condition ſervile , enſemble tous les
>>droits qui en ſont des ſuites &des dépendances
-Ainfi s'exprime notre auguſte Monarque dans
cette loi bienfaiſante , qui fera bénir ſa mémoire.
dans les ſecles les plus reculés. - La terre de
Curgiesen Hainault eſt domaniale : une ancienne
Sentence du Bureau des Finances de Lille , l'a
déclarée telle , & cela n'eſt point conteſté . - Les
Habitans de cette terre ne font foumis à aucuns
droits ſeigneuriaux , même à la mutation par rente ,
mais juſqu'à préſent ils ont été ſujets au droit de
morte-main , ou meilleur caſtel , c'est- à-dire , au
droit que pluſieurs Seigneurs ont en Hainault ,
de prendre, à la mort de leurs anciens Serfs à qui
ils ont donné la liberté , le plus beau meuble qui
ſe trouve dans la ſucceſſion. Voyez le Répertoire
de Jurisprudence , verb. Caftell. -Ce droit eft
une ſuite & une dépendance de la condition ſers
vile. M. de Sars , Conſeiller honoraire au Parie.
ment de Flandres , Seigneur de Curgies , a prétendu
l'exercer encore : cependant le droit dont il s'agit a
été aboli de nouveau par Arrêt du , Août 1783 ,
qui adéclaré les Habitans de Curgies déchargés du
droit , par L'article premier de l'Edit ci-deſſus , &
condamné le Seigneur aux dépens.
ERRATA . Au lieu de ces mots le Coclearia
le Creffon &le Raisin , qui ſe trouvent page 382
ligne to du Journal du 6 de ce mois , lifez le
Cochlearia , le Creffon & le Raifort..
:
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 27 SEPTEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES .
EN VERS ETEN PROSE.
A Madame la Princeffe DE CRACOVIE ,
Soeur du Roi de Pologne. *
MA
A Mufe un peu trop téméraire
Aplus d'un Roi vint offrir ſon encens ;
Puis -je à vos pieds en ces momens
En mettre un grain ſans vous déplaire ?
Il fut en nos jardins un arbre très-cité,
Du menteur nouvelliſte en tout temps fréquenté ,
Que nommoit la plaiſanterie ,
Par un pur jeu de mots , l'arbre de Cracovie ;
Ceux qui feront de vous l'éloge mérité ,
Et fans doute ils ſeront ſans nombre ,
Ne ſe ſeront jamais repoſés ſous ſon ombre.
(Par la Muse Limonadière. )
* Ces vers ont été lûs à une Séance Publique du Musée d
Paris , le premier du préſent mois de Septembre .
N°. 39 , 27 Septembre 178 G
146 MERCURE
A Mademoiselle DE SAINT - P**.
AIR : Avec les Jeux dans le Village , & c.
J''AAIIMMEERROOIISSbien une Bergère
Auſſi naïve que Myrthé;
Qui plût ſans ſavoir l'art de plaire ,
Et ne connût point ſa beauté ;
Qui, par ſa tendreſſe innocente ,
Plus que par un charme trompeur ,
Fit naître une flamme conſtante ,
Et fixât pour jamais un coeur.
J'AIMEROIS bien une Bergère
Au doux ſourire , au regard fin ,
Qui , ſage , ſans être ſévère ,
Charmât par un air enfantin ;
Qui , par ſon eſprit agréable ,
Sût briller au ſacré vallon ,
Et ſe montrer la plus aimable
De toutes les Soeurs d'Apollon.
J'AIMEROIS bien une Bergère
Senfible aux cris du malheureux,
( Qui gémît ſur ſa plainte amère ,
Et rendit ſon ſort moins affreux.
Par la nature libérale ,
Cesdons par-tout ſont difperfes ;
DE FRANCE. 147
Ces dons chéris que rien n'égale ,
Philis, vous les réuniſſés.
(ParM. Cébyde Beauvais. )
Vers à Rose , en recevant un Anneau
deses cheveux.
ROSE , j'ai Ose , j'ai ton coeur fans partage ;
Tu m'en as fait l'aveu flatteur.
Que ton anneau ſoit donc le gage
Et le taliſman du bonheur.
Ah! fans doute que ſa puiſſance
Doit à jamais ſceller nos noeuds ;
Le temps peut blanchir tes cheveux ,
Mais ſans affoiblir ma conftance .
( Par M. le Comte de Rofières , Officier au
Régiment d'Aunis. )
LE MOMENT DE LA RECETTE ,
Conte qui n'en est pas un , dédié à MM. les
Épigrammatistes.
QVEL métier que celui de faire une Épigramme !
Comment trouve-t'on quelque attrait
A médire , à contrifter l'âme
D'un homme qu'à peine on connoît !
Si les divers Écrits que votre Muſe immole ,
1
Gij
148 MERCURE
:
De la ſatyre amère ont mérité les traits ,
Critique intolérant , croyez -en ma parole ,
Il eſt affez puni celui qui les a faits.
Il eût , je l'avoûrai , mieux fait de ne rien faire ;
Sans doute il a tort ; mais enfin
Pourquoi l'injurier , & fimple fantaffin ,
Vouloir à tous faire la guerre ?
Quel fut le fort de Roi , de Rouſſeau , de Piron ?
Ils voyoient , direz -vous , la bonne Compagnie ,
Je le ſais ; toutefois en aimant leur faillie ,
On redoutoit leur aiguillon .
Ce deſtin à vos yeux eſt- il digne d'envie ?
Encor fi le mépris dont on vous couvre , un jour
Étoit le ſeul chagrin dont vous puiffiez vous plaindre !
Quand on a fu ſe faire craindre
On doit bientôt craindre à fon tour.
Trop d'outrage à la fin laſſe la patience ;
On guette l'homme aux vers méchans ;
Sur fon-dos à plaifir on venge ſon offenſe....
Perſonne n'eſt tenté de prendre ſa défenſe ,
On l'eſt de rire à ſes dépens.
CHEZ la Marquiſe de Mimeure,
Avec le ſatyrique Roi ,
Lubert avoit ſoupé ; bientôt chaffé par l'heure ,
L'un & l'autre s'apprête à gagner ſon chez ſoi ;
Mais d'accompagner Roi , Lubert eut de l'effroi .
-Eh peurquoi , Préſident , demande le Poëte ,
Ne pas me faire cet honneur ?
DE 149
FRANCE.
Il eſt minuit ſonné , dit Lubert , ſerviteur ,
C'est le moment de la Receite.
( Par M. Laus de Boiſſy . )
L'AUTOMNE ET LE PRINTEMPS ,
Fable.
L'AUTOMNE diſoit au Printemps :
« Ne vantez plus les agrémens
* Que vous procurez à la terre ;
>> Vous faites naître des deſirs ,
>> Et moi je donne des plaiſirs.
>> Lequel des deux vaut mieux , mon frère ?
ככ
-Ma ſoeur , vous avez bien raiſon
> De préférer votre ſaiſon ;
• Plus que la mienne elle eſt féconde ;
>>>Mais fi je ſuis plus cher au monde ,
و د
C'eſt que les fleurs font dans mes mains
>>>L'eſpérance de la Nature.
>> Je reſſemble à l'Amour, qui plaît plus aux humains
>>Par les biens qu'il promet que par ceux qu'il procure.
( Par M. Hoffman , de Nanci . )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryshe du Mercure précedent.
Le mot de la Charade eſt Sion ; celui de
l'Enigme eſt Phænix ; celui du Logogryphe
est Métaphore , où l'on trouve Morphée ,
Été, Mérope ,hart , more , pore , or mort
port,Rome , Ephore , aorte , trop .
150 MERCURE
JE
ÉNIGME.
Efuis bienpetit&biengrand;
Mais dans un ſens très-différent.
Dans le premier je fais de légères bleffures ;
On me trouve dans l'eau , j'exiſte dans les bois.
L'autre a de plus nobles allures ,
C
Il travaille au bonheur des Peuples & des Rois.
Celui- là peut orner labyrinthe & parterre ;
Celui- ci fait briller la divine équité.
Onne voit entre eux deux aucune égalité ;
Mais nous ſommes connus aux deux bouts de la terre.
J
LOGOGRYPΗ Ε.
E ne fuis du goût de perſonne ,.
Et cependant chacun me donne
Des qualités &des vertus .
J'ai quatre pieds & rien de plus.
Ony peut voir avec adreſſe
Un des ſéjours de la tendreſſe ;
La sûreté du Citoyen ;
Et l'inſtrument du Galérien ;
Un amas d'eaux toujours mouvantes ;
Un amas d'eaux toujours dormantes .
(Par un Abonné.)
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LESGéorgiques de Virgile, en vers François,
par M. l'Abbe de Lille. De l'Imprimerie
de Didot l'aîné , à Paris , chez Bleuet ,
Libraire , pont S. Michel , 1783. in - 16 .
GRACE à M. l'Abbé de Lille , on lit Virgile
en François ; & le goût des Savans , fi
long temps accuſé d'erreur , eſt juſtufie : les
éloges prodigués à l'antiquité étoient devenus
ſuſpects à force de mauvaiſes Traductions.
Voilà donc ce qu'on nous vante , difoient
les ignorans. Eh non ! leur répondoiton,
quand des Savans fans talent & fans
goût veulent , à la faveur d'un peu de Grec
&de Latin s'emparer de l'antiquité & en
faire leur domaine , c'eſt une ufurpation ,
c'eſt une profanation.
Impiushactam culta novalia miles habebit ,
Barbarus hasfegetes ?
....
Floribus auftrum
Et liquidis immittunt fontibus aprum.
Quand M. Dacier traduit Horace en lourde
proſe , & le furcharge encore de lourdes
notes ; quand Madame Dacier elle- même
traduit Homère en proſe traînanté & glacée;
quand le pédant Desfontaines , qui ne trouvoit
pas un defaut dans Virgile , le traduit
GIV
152 MERCURE
en proſe sèche & meurtrière , qui n'y fait
pas trouver une beauté , qui ne laiſſe fubfifter
ni un ſentiment, ni une image , ni un
mouvement , vous n'avez ni Homère , ni
Horace , ni Virgile , vous avez M. & Mme
Dacier & l'Abbe Desfontaines. Ces gens là
diſent qu'ils aiment les anciens , ils ſe trompent;
ils aiment le Grec & le Latin , parce
qu'ils ont eu la peine de les apprendre ; mais
quand Fénelon , dans le quinzième Livre de
Télémaque , traduit en proſe poétique le
Philoctète de Sophocle , aujourd'hui ſi bien
traduit en vers; quand Boileau , dans les réflexions
ſur Longin, traduit en vers des morceaux
choiſis d'Homère ou d'Efchyle ; quand Racine
fond fi habilement dans ſes belles Tragédies
les grandes beautés d'Euripide; quand
M. de Voltaire adapte à la Henriade , tantôt
les regrets touchans de Virgile ſur la moit de
Marcellus , tantôt la comparaiſon du cheval
, tirée d'Homère & de Virgile , alors vous
avez à la fois Sophocle & Fénelon , Homère
& Boileau , Euripide & Racine , Virgile &
Voltaire. Les vrais amis des anciens font
ceux qui en fentent , qui en expriment , qui
en reproduiſent , qui en augmentent les
beautés ,& non ces zélateurs aveugles, & fuperftitieux
dont Rouſſeau ſe moque ſi bien
dans une épigramme contre Longepierre.
Mais des morceaux n'étoient que des
morceaux ; on pouvoit croire encore qu'un
Ouvrage entier de Virgile , par exemple , ne
méritoit pas d'être traduit , ou qu'il ne pou
DE FRANCE.
153
voit l'être , du moins en François ; car chez
les Anglois , Homère avoit trouvé Pope , &
Virgile Dryden , & nous n'avions que Segrais
, vanté par Boileau pour l'Églogue ,
mais qu'on ne liſoit plus ; enfin on vit paroître
Publius Virgilius de Lille , comme
l'appeloit un grand Homme ; il choiſit l'Ouvrage
de Virgile le plus parfait peut être ,
mais sûrement le plus difficile à traduire , &
par la nature des objets qu'il falloit peindre ,
& par le préjugé qui a long - temps avili
parmi nous des détails champêtres reſpectés
chez l'antiquité. L'on peut dire que la poéfic
de M. l'Abbé de Lille a concouru , avec la
philoſophie du ſiècle , à venger d'un injufte
mépris les utiles inſtrumens du plus utile des
Arts.
Il a choiſi de plus la manière de traduire
la plus difficile , mais la ſeule digne peutêtre
d'un Poëte ; il a traduit en vers , & il a
été pour les Traducteurs mêmes en profstan
modèle de fidélité : il rend le ſens auffi bien
qu'eux , & de plus il traduit les beautés , &
non pas des beautés poétiques en général ,
comme il arrive quelquefois à M. Greffet
d'en rendre dans ſa toible Traduction ou
imiration des Églogues de Virgile , mais les
beautés qui caractériſent le plus particulièrement
fon Auteur, les beautés de Virgile ,
en un mot , & de Virgile ſeul. Voyez dans
le Diſcours Préliminaire , page 17 & fuivantes
, la comparaiſon de quelques morceaux
de la Traduction de M. l'Abbé de
Gv
154 MERCURE
:
Lille , & des mêmes morceaux dans l'Abbé
Desfontaines , vous ferez étonné de voir.
que toute la fidélité eſt du côté des vers.
M. l'Abbé de Lille eſt toujours aufli près
de l'original par le mouvement du ſtyle , par
T'harmonie , ſur- tout par l'harmonie imitative
, par la hardieſſe , par la préciſion ,
par les beautés enun mot, que le génie différent
des deux langues peut le permettre;
mais on fait que deux langues ne correfpondent
jamais en tout l'une à l'autre , &
que , comme le dit l'Auteur , une extrême
fidelité, en fait de Traduction , ſeroit une
extrême infidélité. Souvent d'une langue à
l'autre , à un mot noble répond un mot bas ,
à un mot hardi un mot dur , à une phraſe
harmonieuſe , une ſuite de ſons apres & défagréables
: ſouvent une expreffion forte &
préciſe ne peut être rendue que par une périphraſe;
M. l'Abbé de Lille remédie à cet
inconvénient par la méthode des équivalens ,
ſelon la doctrine qu'il expoſe , page 62 &
ſuivantes du Diſcours Préliminaire ; car il
fant, dit il , être quelquefois ſupérieur à fon
original , préciſement parce qu'on lui eft
trés- inférieur. Toutes les fois que les deux
langues ſe correſpondent , ou qu'au moins
leurs génies ſe rapprochent , point d'autre
règle que d'être fidèle .
Or, un merite, juſqu'à préſent ſans exemple,
de cette Traduction , c'eſt que dans les
endroits mêmes où le Traducteur fuit pas à
pas ſon modèle ,& où il eſt le plus littéral ,
DE FRANCE.
il ne ceſſe point d'être original ; plus il retſemble
a Virgile , plus il paroît être luimême
: toujours libre dans fes chaines &
vainqueur des difficultés , l'Ouvrage femble
toujours avoir ete penfe& compoſe en François
; & cetre aifance, cette demarche libre
& facile d'un original , ſe retrouve dans les
moindres details. Voyez , par exemple ,
comme, loin deviter ou de refferrer les enumérations
, les détails géographiques de Virgile
, il ſemble sy complaire , & les enrichit
encore.
Nonne vides croceos ut Tmolus odores .
India mittit ebur molles ſua thura Sabai
At Chalybes nudi ferrum , viroſaque Pontus
Caflorea , Eliadum palmas Epirus equarum ?
Le Fmole eft parfumé d'un ſafran précieux ;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les Dieux ;
L'Euxin voit le caftor ſe jouer dans ſes ondes.
Le Pont s'énorgueillit de ſes mines fécondes ;
L'Inde produit l'ivoire; & dans ſes champs guerriers
L'Épire pour l'Élide exerce ſes courfiers .
Voilà bien un de ces endroits où le Traducteur
eſt forcé d'être ſupérieur à Poriginal
pour les autres endroits où il ſera forcé de
lui être inférieur. Virgile , par le choix du
mot mittit , qui s'applique indiftinctement à
tous les objets dont il parle , a pu être aufi
concis qu'il l'a voulu, & n'a point cherché
d'autre mérite. M. l'Abbé de Lille , peut- être
Gvj
156 MERCURE
faute d'un mot ſemblable , a été obligé de
varier & d'enrichir ſon énumération , le
Tmole estparfumé defafran ; à Saba l'encens
croît pour les Dieux ; l'Euxin voit le caftor
Se jouer; le Font s'énorgueillit deſes mines';
l'Inde produit l'ivoire , l'Epire exerce ses
courfiers. Pas deux traits ſemblables ; variété
riche comme celle de la Narure , dont il s'agiffoit
en effet de peindre la variété dans les
différens terreins & dans leurs différentes
productions ; certainement le Poëte qui , en
pareil cas , varie le plus ſes tours & fes expreffions
, eft celui qui obtient le prix.
Phafimque Lycumque ,
Et caput unde altus primùm fè erumpit Enipeus ,
Unde pater Tiberinus , & unde Aniena fluenta , -
Saxofumque fonans Hypanis , Mysusque Caicus ,
Etgemina auratus Taurino cornua vultu
Eridanus , quo non alius perpinguia.culta
In mare purpureum violentior influit amnis.
Dela parlent le phaſe & le vaſte Lycus ,
Le père des moiſſons , le riche Caïcus ,
L'Énipée orgueilleux d'orner la Theffalic ,
Le Tibre encor plus fier de baigner l'Italie ;
L'Hypanis ſe brifant ſur des rochers affreux ,
Et l'Anio paiſible & l'Éridan fougueux.
1
Si le Traducteur n'a pas rendu Gemina
auratus taurino cornua vultu , il a bien dédommagé
le Lecteur par les beautés qu'il lui
adonnées en échange ; il a enrichi le Caïcus ,
DEFRANCE.
157
il a fur tout beaucoup orné l'Enipée , le Tibre
, l'Hypanis , & le rapprochement rend
plus fenfible le contraſte de l'Anio paitible
&de l'Eridan fougueux .
A- propos de ces détails géographiques ,
nous demandons qu'il nous foit permis de
faire ici une réflexion qui ne regarde qu'indirectement
M. l'Abbé de Lille , mais qui intéreſſe
la poéſie , & qui n'a peut- être pas été
faite.
Un Traducteur d'Homère , en vers , n'avoit
tradnit qu'en proſe le dénombrement
qui termine le ſecond Chant , l'ayant regardé
, dit- il , comme une eſpèce de table
géographique , peu fufceptible de l'harmonie
des vers.
Nous ne croyons pas qu'on puiſſe avancer
une hérélie plus forte en poéfie. La géographie
eft , au contraire , la ſource la plus
feconde des vers harmonieux &des richeffes
poétiques . A la deſcription des lieux , de leur
nature , de leur poſition , de leur afpect ,
de leurs diſtances , de leurs rapports , de
leurs contraſtes , tant phyfiques que poétitiques
, du caractère des habitans , de leurs
moeurs , de leurs intérêts , elle joint ces fouvenirs
intéreffans , ces traits , ces monumens
conſacrés par la Fable ou par l'Hiſtoire ,
enfin tout ce qui anime & vivifie ; quoi de
plus favorable à la poéſie ! Dans Homère ,
dans Virgile , dans les Métamorphofes d'Ovide
, dans le Télémaque , rien de plus magnifique
&de plus harmonieux que les def
158 MERCURE
criptions géographiques. Dirat'on que la
vertification Françoiſe y repugne ? On vient
de voir les deux morceaux de M. l'Abbe de
Lille. Dans nos Tragédies mêmes , ces fortes
de deſcriptions ſont toujours les plus riches
& les plus poétiques , préciſement parce
qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique
, elles ont plus beſoin de la pompe
épique. Voyez dans Phèdre ces beaux vers
que dit Théramène :
Déjà pour fatisfaire à votre juſte crainte ,
J'ai couru les deux mers que ſépare Corinthe ,
J'ai demandé Théſée aux peuples de ces bords ,
Où l'on voit l' A chéron ſe perdre chez les morts ;
J'ai vifité l'Élide , & laiſſant le Ténare ,
Paſſe juſqu'à la mer qui vit tomber Icare.
Ces deux mers que jépare Corinthe , ces
bords où l'on voit l'Acheron se perdre chez
les morts, cette mer qui vit tomber Icare.
Voilà bien ce mêlange de beautés géograrhiques
& hiſtoriques ou mythologiques dont
nous avons parlé.
Dans Mithridate, voyez comment la route
politique & militaire de ce Prince eſt tracée :
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deuxjours
Aux lieux oùle Danube y vient finir ſon cours ?
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée? .....
Daces , Pannoniens , la fière Germanie,
Tous n'attendent qu'un Chef contre la tyrannie.
DE FRANCE.
150
Voyez comment l'Aſtronomie eſt jointe à
la Geographie dans ces vers d'Alzire , &
voyez quels vers !
J'ai conſumé mon âge au ſein de l'Amérique ;
Je montrai le premier aux peuples du Mexique
L'appareil inoui pour ces mortels nouveaux
De nos châteaux aîlés qui voloient ſur les eaux.
Des mers de Magellan juſqu'aux aftres de l'ourſe ,
Les vainqueurs Caftillans ont dirigé ma courſe.....
De la Zône brûlante , & du milieu du monde ,
L'aſtre du jour a vû ma courſe vagabonde
Juſqu'aux lieux où ceſſant d'éclairer nos climats ,
Il ramène l'année & revient ſur ſes pas .
Dans la Mort de Céfar:
L'Euphrate attend César , & je pars dès demain.
Brutus & Caffius me ſuivront en Afie ;
Antoine retiendra la Gaule & l'Italie ;
De la mer Atlantique & des bords du Bétis ,
Cimber gouvernera les Rois afſujétis.
Je donne à Décimus la Grèce & la Lycie,
A Marcellus le Pont , à Caſca la Syrie.
Dans l'Orphelin de la Chine :
Vous, dans l'Inde ſoumiſe , humble dans ſa défaite ,
Soyez de mes décrets le fidèle interprête ,
Tandis qu'en occident je fais voler mes fils
Des murs de Samarcande aux bords du Tanaïs.
Dans Tancrède :
LeGrec aſous ſes loix les peuples de Meſſine ,
160 MERCURE
Le hardi Solamir infolemment doinine
Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna ,
Dans les murs d'Agrigente , aux campagnes d'Enna.
De quel droit un Coucy vint-il dans Syracuſe ,
Des rives de la Seine aux bords de l'Aréthuſe ? ....
On voit même en nos jours
Trois fimples écuyers , ſans biens& fans ſecours ,
Sortis des flancs glacés de l'humide Neuſtrie ,
Aux champs Apuliens ſe faire une patrie ......
Grecs , Arabes , François , Germains tout nous
dévore ;
د
Et nos champs malheureux par leur fécondité
Appellent l'avarice & la rapacité
Des brigands du Midi , du Nord & de l'Aurore.
On voit que ces vers Géographiques font
précisément les vers les plus harmonieux qui
forent dans notre langue.
,
Revenons à M. l'Abbé de Lille; ce n'eſt
pas quitter les vers harmonieux , on n'eſt
embarraffé que du choix. Nous indiquerons
cependant plus particulièrement à nos Lecteurs
comme des morceaux encore plus
parfaits que les autres , dans le premier Livre
la Deſcription de la Charrue , chefd'oeuvre
de difficulté vaincue , && l'énumération
des prodiges arrivés à la mort de
Céfar , morceau d'une majeſté impoſante &
terrible.
Livre Second. L'éloge de l'Italie , la Traduction
de la tirade .
DE FRANCE. 161
Ver adeò fronai nemorum , ver utile fylvis , & c.
le Tableau de la vie champêtre :
Ofortunatos nimium , ſuaſi bona norint ! & c.
Livre Troiſième . Les amours des animaux ,
la mortalité des beftiaux.
Livre Quatrième. L'épiſode d'Ariftée.
Les changemens les plus confiderables
que le Traducteur a faits dans cette nouvelle
Édition , ſe trouvent dans la defcriprion
du Printemps , Livre II ; l'eloge de la
Chèvre , Livre III ; la defcente d'Orphée
aux Enfers , Livre IV.
Aveć ces divers morceaux on connoîtra
l'érendue des talens de M. l'Abbé de Lille
dans tous les genres , & fa facilité à prendre
tous les tons de fon modèle.
Nous allons parcourir de moindres détails
où le Traducteur nous paroît tantôt égal ,
tantôt ſupérieur, tantôt inférieur à l'original .
Dans ces petits objets que de grandes merveilles !
Ces mots , grandes merveilles , nous paroif.
ſent avoir acquis une forte de trivialité &
d'habitude , d'être employés en dérifion , qui
les rend peu propres au ſtyle noble , ces
nuances tiennent à des bagatelles ; les plus
grandes merveilles ne me déplairoient point ,
& ces mots deviennent même impofans dans
ces vers de Racine :
Quoi ! toujours les plus grandes merveilles ,
Sans ébranler ton coeur , frapperont tes oreilles !
162 MERCURE
Admiranda tibi leviumſpectacula verum ,
eſt auſſi très-impoſant.
Moins le ſujer eſt grand , plus ma gloire va l'étre.
Le indéclinable peut-il ſe mettre ainfi potur
le feminin , quand le mot qu'il rappelle eſt
au mafculin ? C'eſt un ſcrupule.
Et dans un foible corps s'allume un grand courage.
Ce vers eſt de Racine le fils , dans le Poëme
de la Religion ; mais il n'y a pas d'autre manière
de rendre
Ingentes animos angufto in pettore verſant.
Primus vere rofam atque autumno carpere poma.
Il cueilloit le premier les roſes du printemps ,
Le premier , de l'automne amaſſoit les préſens.
:
Voilà deux vers pour un; mais la répétition
de ce mot : lepremier, donne au François un
agrément particulier.
En revanche voici deux vers latins rendus
en un ſeul vers françois :
Quotque inflore novo pomis ſefertilis arbor
Induerat , totidem autumno matura tenebat.
Chaque fleur du printemps étoit un fruit d'automne.
Ce vers précis eſt préparé & développé d'avance
par ces vers ingenieux :
Jamais Flore chez lui n'oſa tromper Pomone .
Ce vers , ſi l'on veut, n'eſt pas littéralement
DE FRANCE. 163
dans l'original; mais voilà une charmante
manière de traduire.
Regum aquabat opes animis.
Lui donnoient le bonheur qui s'enfuit loin des Rois.
Voilà encore ce qui n'eſt pas dans l'original ,
&tant pis pour l'original , qui a de moins ce
trait de philofophie.
Alii taurinis follibus aures
Accipiunt redduntque.
L'un tour-à-tour enferme & déchaîne les vents.
Le françois eft- il ici auſſi clair que le latin ?
Aliiftridentia tingunt
Æra lacu , gemit impofitis incudibus Æina :
Illi interfefemagnâ vi brachia tollunt
In numerum , verſantque tenaci forcipeferrum.
L'harmonie imitative de ces vers nous paroît
auſſi bien rendue dans ceux-ci qu'elle pouvoit
l'être :
L'autre plonge l'acier dans les flots frémiſſans ;
L'autre du fer rougi tourne la maſſe ardente ;
L'Etna tremblant gémit ſous l'enclume peſante ;
Et leurs bras vigoureux lèvent de lourds marteaux
Qui tombent en cadence , & domptent les métaux.
L'aurore luit , tout part: la nuit vient , tout s'aſſemble,
a bien plus de préciſion que les vers de Virgile,
qui commençoient d'abord de même.
Manè ruunt portis , nusquam mora : rursus eafdem
164 MERCURE
*Vefper ubi è paſtu tandem decedere campis
Admonuit , tum tefta petunt.
Le Dieu roulant des yeux pleins de courroux ,
Apeine de ſes ſens dompte la violence ,
Et tout bouillant encor , rompt ainſi le filence.
Le latin a ici plus d'expreſſion :
Adhac vates vì denique multâ
Ardentes oculos intorfit lumine glauco ,
Et graviterfrendens ,ficfatis ora refolvit.
Lumine glauco n'eſt pas rendu , & graviter
frendensl'eſt foiblement par cet hémiſtiche :
Et tout bouillant encor.
Il y a des vers qu'il faut néceſſairement
rendre en un ſeul vers ; tel eſt celui -ci :
Ignofcenda quidem , fcirentfi ignofcere manes.
-Bien digne de pardon , ſi l'enfer pardonnoit.
Conditque natantia lumina fomnus.
Ce natantia , pris ainſi abſolument , n'eſt
peut être pas une expreflion complette , elle
ne le feroit pas du moins en françois ; &
Virgile a dit ailleurs :
Oculos in morte natantes ,
ce qui complette l'image ; M. l'Abbé de
Lille ſuit , avec raiſon, ce dernier modèle :
Déja je ſens dans un nuage épais
Nager mes yeux éteints & fermés pour jamais .
DE 165 FRANCE.
Etdes enfers , charmés de reſaiſir leur proie ,
Trois fois le gouffre avare en retentit de joie.
Terquefragorstagnis auditus avernis.
Ce bruit inconnu qu'on entend juſqu'à trois
fois fortir des étangs de l'Averne , eſt , d'un
côté , plus court , plus ſimple , plus dans le
goût antique; de l'autre , il a quelque choſe
de plus myſtérieux , de plus pittorefque , de
plus impoſant que cette joie des enfers charmés
de refaifir leur proie ; le gouffre avare eſt
auffi trop recherché , du moins pour le moment
, & il ne nous paroît pas juſtifié ici par
Pavare Acheron ,
Tum quoque , marmoreâ caput à cervice revulfum
Gurgite cùm medio portans Ægrius hebrus
Volveret , Eurydicen vox ipfa & frigida lingua ,
Ah ! miferam Eurydicen animâ fugiente vocabat ;
Eurydicen toto referebant flumine ripa.
L'hèbre roula ſa tête encor toute fanglante :
Là , ſa langue glacée & ſa voix expirante ,
Juſqu'au dernier ſoupir formant un foible fon ,
D'Eurydice en flottant murmuroit le doux nom ,
Eurydice , ô douleur ! touché de ſon ſupplice ,
Les échos répétoient: Eurydice! Eurydice !
Ces rives , qui répètent le nom d'Eurydice
dans tout le cours du fleuve , font d'un
goût plus fimple & plus antique , que ce ſentimentde
pitié donné aux échos. Tout le refte
eſt au moins auſſi bien dans la Traduction .
Les trois vers les plus touchans de cette
166 MERCURE
Fable d'Orphée , ſont parfaitement rendus
par trois autres , où les tournures & les
formes de l'original font heureuſement conſervées.
Ipfe cavâ folans egrum teftudine amorem ,
-Te , dulcis conjux , tefolo in littore fecum ,
Te veniente die , te decedente canebat.
Là, ſeul , touchant ſa lyre , & charmant ſon veuvage ,
Tendre époufe ! c'eſt toi qu'appeloit ſon amour ,
Toi qu'il pleuroit la nuit , toi qu'il pleuroit le jour.
On entrevoit par ces exemples , & nous
oſons allurer d'après un plus grand examen ,
que , calcul fait des beautés littéralement traduites
, & des beautés fournies en équivalent
, quand la Traduction n'a pas pu être
littérale , M. l'Abbé de Lille n'eft inférieur
à ſon modèle qu'autant que le françois eft
inférieur au latin ; & que ſi ceux qui ne peu- .
vent pas lire Virgile dans l'original , croyent
l'avoir lû dans l'Abbé de Lille , on peut leur
dire : Non erraftis , nam & hic Alexander eft.
Quand la Traduction des Georgiques parut
, l'envie s'empreſſa, comme de raiſon ,
d'en diminuer le ſuccès ; le prétexte qu'elle
prit fut de trouver une prétendue différence
entre les morceaux de poéfie deſcriptive &
les morceaux de ſentiment , tels que l'epiſode
d'Ariſtée ; l'objet de cette diftinction
étoit de refuſer au Traducteur la ſenſibilité ,
puiſqu'on ne pouvoit lui refufer le talent de
peindre. Il ſe peut faire que , dans de cerDE
FRANCE. 167
taines deſcriptions , comme celle de la charne,
la difficulté même ait forcé l'Auteur à
plus de travail & à plus de perfection encore;
mais l'épiſode d'Ariſtee eſt ce qu'il doit
être , & la diftinction eft chimérique.
sed
On n'a pas manqué non plus d'exagérer la
difference de l'original & de la copie , &
l'inferiorité de celle-ci. C'eſt un propos toujours
bon à tenir , 1°. parce qu'il n'oblige
pas celui qui le tient d'avoir une idee , ni de
connoître le rapport des deux langues . 2° .
Parce qu'il donne l'air d'un zelateur des anciens
, d'un défenſeur de la bonne cauſe..
Parce qu'il ſuppoſe que celui qui parle , ſait
le latin , ce qui n'eſt pas toujours vrai , quoiqu'on
l'ait appris.
Il reftoit une reſſource. M. l'Abbé de Lille
étoit un Poëte excellent ; mais il n'étoit qu'un
Traducteur , il avoit traduit Virgile & des
morceaux de Pope ; mais on ne voyoit point
d'Ouvrage conſidérable qui lui appartînt en
entier: on ſe hâta de prédire qu'on n'en verroit
pas , qu'il falloit que M. l'Abbé de Lille
ſe trainât fur les pas d'un modèle , qu'il ne
pouvoit ſe paſſer d'un guide & d'un appui .
A cela , M. l'Abbé de Lille répond par le
Poëme des Jardins , qui , en un an , a fix Éditions
; la réponſe eſt forte , car affurément le
Poëme des Jardins n'eſt pas la Traduction
du P. Rapin.
La reſſource alors fut de dire que le Poëme
des Jardins ne valoit pas la Traduction des
Georgiques , qu'il fallut bien louer alors
168 MERCURE
pour décrier les Jardins ; car l'Ouvrage nouveau
eſt l'ennemi préſent contre lequel on
emploie tout juſqu'à l'éloge des Ouvrages
plus anciens du même Auteur , s'il peut en .
réſulter la critique du nouveau. La vérité eſt
que dans les Georgiques , le mérite de M.
l'Abbé de Lille étoit d'être Virgile; dans les
Jardins , d'être lui même. Les beautés qu'il
ofoit prêter à Virgile par la méthode des
équivalens , devoient être aſſorties aux autres
, & être du même caractère. Il ne falloit
pas que le François prît la place du Romain;
mais ces règles ſouffrent des exceptions : il
eft bien difficile que l'eſprit François ne
perce pas un peu dans l'Ouvrage d'un François
. Si Virgile dit ſimplement que le bois de
myrthe eſt propre à faire des traits , le Traducteur
François dit :
Le myrthe de Vénus fournit des traits à Mars.
Il ne peut s'empêcher de ſaiſir en paſſant ce
rapport naturel , mais ingénieux.
Si Virgile dit qu'autant l'arbre ſe couvroit
de fleurs au printemps , autant il portoit de
fruits mûrs en automne , l'Abbé de Lille dit :
Jamais Flore chez lui n'oſa tromper Pomone.
Si Virgile dit que ſon vieillard Jardinier , par
le contentement de fon âme , égaloit les richeffes
des Rois , M. l'Abbé de Lille , comme
nous l'avons vû encore, lui donne un bonheur
qui s'enfuit loin des Rois. Si toute la
Traduction étoit ainfi , ce ſeroit un Ouvrage
plein
DE FRANCE. 169
plein d'agrément ; mais ce ne ſeroit pas
peut être une bonne Traduction.
Or , cet eſprit dont M. l'Abbé de Lille
avoit tant à ſe défendre en traduifant Virgile
, il s'y livre entièrement dans ſon Poëme
des Jardins , comme il le pouvoit & comme
il le devoit ; il varie & contraſte ſes couleurs
avec un goût exquis ; il amuſe encore plus
qu'il n'inftruit ; il multiplie les moyens de
plaire; il unit tous les tons pour plaire à tous
les goûts ; tour- a-tour ſolide & ingenieux ,
touchant & enjoué , il fait rêver & il fait
rire ; il cauſe , il joue avec ſes Lecteurs.
Ouvrez , leur dit- il , vos parcs au boeuf, à
la vache ,
Ils ne dégradent plus ni vos parcs ni mes vers.
Otez moi ces lions.... Ces monftres me font peur...
Et ces triftes Céſars , cent fois plus monſtres qu'eux.
Il couvre de ridicule le mauvais goût. Virgile
, dans les Georgiques , ne devoit pas
épargner les préceptes , il traitoit un ſujet
utile ; M. l'Abbé de Lille, dans les Jardins ,
ne devoit pas épargner les ornemens , il
traitoit un ſujet d'ornemens ; M. l'Abbé de
Lille, dans les Géorgiques , n'est qu'un Poëte
excellent; dans les Jardins , c'eſt un Poëte
charmant; des grâces , dans les Géorgiques ,
devoient être ſevères , elles étoient Romaines;
elles devoient être familières & variées
dans les Jardins , elles étoient Françoiſes.
Voici une nouvelle Édition des Géorgiques
qui les rajeunit ,& qui redonne le droit
Nº. 39 , 27 Septembre 1783 . H
170
MERCURE
d'aîneſſe aux Jardins , l'envie va peut- être à
leur tour louer ceux- ci pour rabaiſſer les
Autres.
P. S. Un mot encore ſur le Diſcours Préliminaire
des Géorgiques. Les vers de M.
FAbbe de Lille font fi beaux , qu'on oublie
de parler de ſa profe, qui fuffiroit ſeule pour
le mettre au rang des meilleurs Écrivains.
Ce Difcours Préliminaire contient fur les
langues , ſur le goût , ſur la Traduction , des
idées philofophiques & lumineuſes , préfenrées
avec beaucoup d'art , d'eſprit & de
grâce; le ſtyle en eſt excellent.
La petite Edition in 16, que nous annonnonçons,
eſt jolie; mais une grande Édition
in 4°. qu'on publie en même temps , eſt un
chef d'oeuvre typographique. Le nom des
Didot eſt devenu aufli fameux dans la typographie
que celui de l'Abbé de Lille dans la
poefic.
L'ISLE Inconnue , ou Mémoires du Chevalier
des Gaftines , recueillis & publiés par
M. Grivel, des Académies de Dijon & de
la Rochelle. 4 Vol. in- 12. A Paris , chez
Moutard, Imprimeur Libraire de la Reine ,
rue des Mathurins , hôtel de Cluny.
On ne doit pas mettre au nombre de
ces productions frivoles fi fort multipliées
& fi facilement oubliées , ces Mémoires intéreſfans
dans lesquels l'Auteur nous montre
la vraie origine des Sociétés , les progrès
DE FRANCE. 171
de la civiliſation , le développement des
paffions, les reſſources du beſoin , les créations
de l'industrie humaine livrée à la néceflité.
Ce Chevalier des Gaſtines , Habitant
d'une Ifle deſerte , n'eſt d'abord qu'une
copie de Robinson - Crufoé ; mais lorſque
l'Auteur donne à cet homme iſolé une compagne
, dès- lors la reſſemblance difparoit :
on voit une famille ſe former , s'accroître ,
ſe lier à la terre par l'agriculture ; les membres
de cette famille s'aider , ſe multiplier
ſe diviſer & former une nation ; c'eſt l'hiftoire
du genre- humain. Le principal Acteur
de ces Mémoires s'embarque fur un vaifſeau
Anglois de la Compagnie des Indes ,
pour ſuivre Éléonore d'Aliban , qu'un père
un peu tyran alloit marier dans le Bengale ,
au fils d'un de ſes amis , qu'il ne connoiffoit
pas. A la hauteur des Iſles Maldives , le bâtiment
battu depuis pluſieursjours par la tempête,
échoue fur des rochers ; le Chevalier des
Gaſtines ſauve Éléonore. Ils abordent dans une
Ifle que la nature enrichiffoit de tous fes
dons; ils y forment un établiſſement dont
les détails doivent plaire à ceux qui voudront
connoître tous les moyens d'induſtrie ,
toutes les inventions dont Thomme , livré à
lui- même , peut être capable. Ils trouvent
dans le vaiſſeau nauffrage , mais non détruit ,
les inſtrumens , les matériaux qui leur étoient
néceſſaires pour ſe mettre à l'abri des intempéries
de l'air , & des attaques des animaux ;
ils ont des grains pour enfemencer la terre ,
Hij
172 MERCURE
des animaux pour former une baffe- cour ,
des armes pour ſe défendre ; avec ces ſecours
, la Nouvelle Colonie eſt bien établie ,
& le Chevalier des Gaſtines est heureux. De
fon union avec Éléonore , qu'il avoit méritée
par des épreuves & par des ſacrifices ,
il voit naître une génération nombreuſe qui
lui promet d'être le chef d'un Peuple nouveau.
Les principes de J. J. Rouſſean ſur l'Education
de la première enfance , ſont mis
en pratique par des parens qui veulent avoir
des enfans ſains , robuſtes & courageux : la
courſe, les fauts ,le jeu dudiſque&de la barre,
le mail, la bague, la longue paume, toutes
les parties de cette gymnaſtique qui peuvent
donner de l'afſurance , dela hardieſſe , de la
légèreté, de la ſoupleſſe , furent l'objet de l'émularion
de la petite famille. Le maniement
des armes , l'uſage de l'arc , l'exercice de la
chaffe , de la pêche , & toutes les facultés qui
convenoient à ſon état futur , furent cultivées.
L'Agriculture , le premier des arts , le
fondateur des grandes Sociétés , fut le principal
exercice , le travail eſſentiel des jeunes
habitans de la Colonie. Il faut lire dans l'Ou
vrage les dérails que l'Auteur a cru devoir
y donner , fur la nature des terres , ſur la
différente culture qui pouvoit leur convenir
, ſur le ſoin des prairies , ſur la taille des
arbres , &c . L'éducation morale occupe encore
plus le Chevalier des Gaſtines ; aucun
fentiment , aucun defir , aucune action de
ſes enfans , ne lui étoit échappée ; il lui fut
DE FRANCE.
173
aifé de connoître le caractère de chacun
d'eux , & de les diriger vers les affections
les plus néceffaires à leur bonheur & à l'union
de la Société. Il ne put éviter que les
paffions, qui font toujours amalgamées avec
l'homme , ne troublaſſent ſa tranquillité &
ſes jouiffances. Dans une ſociété où l'intérêt
&l'ambition ne pouvoient avoir aucune activité,
l'amour ſeul devoity porter le trouble.
Un des fils de des Gaſtines , vif, emporté &
amoureux d'une foeur deſtinée à un autre ,
après avoir été tourmenté par toutes les
fureurs de la jaloufie , s'enfuit pour n'être
pas témoin du bonheur de fon frère. En
vain dans la partie oppoſée de l'ifle , avec
un de ſes frères , qui auroit bien voulu partager
ſon fort, il eſt apperçu& pourſuivi par
des Sauvages , qui le forcent à retourner dans
le ſein parernel. Ces Sauvages cherchent
bientôt à découvrir le ſéjour de ces deux
hommes ſi differens d'eux ; de- là , la néceſſité
de ſe défendre, de- là , la guerre auſſi ancienne
que la ſociété; enfin la population augmentant,
il fallut s'agrandir, multiplier les travaux,
deftiner à chaque famille une propriété , donner
à la Société naiſſante , un code qui pût la
gouverner d'abord , & fervir enfuite à une
Légiflation plus étendue & plus analogue à un
peuple nombreux. L'Auteur développe ici
ſes principes fur l'origine des Sociétés , &
croit que la puiſſance paternelle a été le
modèle de l'autorité légiflative & la baſe de
toutGouvernement politique. D'après cette
Hiij
174 MERCURE
opinion , le nouveau Législateur forme une
conftitution convenable à la Société qu'il
crée. Il établit le droit de propriété comme
la Loi naturelle & fondamentale de toute
affociation ; de ce droit dérive la loi de Juftice
, qui défend de violer la propriété. Pour
aſſurer ce droit , il eſt néceſſaire qu'il exifte
une autorité publique. Des principes confti
tutifs de l'ordre ſocial , l'Auteur paffe aux
Loix poſitives qui déterminent l'état du Citoyen
, & qui lui font connoître ſes obliga-
Mons envers la Société; ces Loix ſont ſimples
& précises , parce qu'il est néceſſaire
qu'elles foient à portée de ceux qui doivent
les obſerver. Le nouveau Gouvernement folidement
établi , la Colonie s'eſt enrichie par
la population & par le ſuperflu , les arts ſe
font multipliés , le commerce a pris naifſance
, l'induſtrie l'a étendu , & l'aſſociation
a acquis cette vigueur de conſtitution que
PAgriculture ſeule peut donner , & que de
fages Loix maintiennent.
On peut juger par le coup-d'oeil rapide
que nous avons jeté ſur ces quatre Volumes ,
que M. Grivel a voulu nous donner un
Ouvrage intéreſſant ſous une envelope romaneſque
; qu'en mettant l'homme aux priſes
avec le beſoin , il a montré toutes les reffources
qu'il pouvoit trouver en lui mêmes
qu'en le plaçant à la tête d'une Société , il
a prouvé qu'on pouvoit mettre en pratique
les ſages principes de Légiflation , de pror
priété , d'éducation , qui ont été développés
DE FRANCE.
175
dans des Ouvrages , qu'on a plus critiqués
qu'entendus. Ces détails ont néceſſairement
entraîné des longueurs dont l'Auteur convient
, mais qui étoient indiſpenſables. Cer
Ouvrage que l'amour du bien & le defir
du bonheur focial ont dicté , annonce des
connoiffances étendues , & l'ame vertuenſe
& honnête de celui qui l'a écrit.
PHYSIQUE du Monde , dédiée au Roi , par
M. le Baron de Marivetz & par M.
Gouflier. Tome III , in - 4°. avec des
planches enluminées , & un Dictionnaire
des termes peu uſités. AParis , chez Didot
le jeune , quai des Auguftins ; Cellot , rue
des Grands Auguſtins ; Quillau , Imprimeur
, rue du Fouarre ; Merigot le jeune ,
quai des Auguftins ; Nyon l'aîné , rue du
Jardiner; Barrois le jeune , quai des Auguſtins;
l'Esclapart , Pont Notre- Dame ;
au Bureau du Journal de Phyſique , rue
& hotel Serpente , & chez le ſieur de la
Folfe , Graveur , rue du Petit- Carrousel .
Prix , 18 liv. broché; prix des trois Vol.
avec les Dictionnaires & les Cartes ,
45 livres .
PEU d'Ouvrages, aucun peut-être n'a été
tracé fur un plan auſſi vaſte que celui que
préſente l'Ouvrage dont nous annonçons le
troiſième Volume. C'eſt le ſyſtême mechani
que général & particulier de la Naturs
que les Aureurs ſe propoſent d'expo
176 MERCURE.
fer. Selon eux , toutes les actions de notre
monde , c'est-à-dire, tous les phénomènes
que nous pouvons obſerver , doivent ſe déduire
, avec autant d'évidence que de clarté ,
d'une feule action primitive ; cette action ,
que l'on ne peut attribuer qu'à l'éternel Ouvrier
de la machine de l'Univers , une fois
connue & démontrée , l'Univers n'eſt plus
qu'une montre dont tous les rouages font
foumis à une marche néceſſaire ; on doit en
calculer facilement tous les mouvemens
dans tous les points de l'eſpace , dans tous
les inſtans de la durée ; toujours on peut , ou
defcendre ou remonter l'échelle des caufes
&des effets , & parcourir , fans craindre de
s'égarer , tout l'intervalle entre la cauſe première
& l'effet que l'on ſe propoſe de confidérer.
Nous ne pouvons qu'applaudir au courage
qui a porté les Auteurs vers cette entrepriſe
immenfe; mais , fans vouloir cependant les
effrayer par l'incertitude du ſuccès , nous ne
pouvonsqueprévoirlenombreinfinid'écueils
qu'ils trouveront ſur leur route. Leur marche
nous paroît juſqu'à préſent auffi rapide &
aufli méthodique qu'elle eſt hardie. Le premier
Volume contient le plan de l'Ouvrage ;
ce plan eft deſſiné d'une manière large , il
eſt expoſé avec clarté. On trouve dans ce
Volume un eſſai intéreſſant ſur l'hiſtoire de
la Coſmogonie , & l'analyſe de tous les ſyſtêmes
Coſmogoniques qui ont paru jufqu'à
préſent. On y voit déjà des idées
DE FRANCE. 177
vaſtes , & tout - à- fait neuves , ſur la
cauſe des grandes ſciſſures qui contiennent
les mers , & qui ſéparent nos continens, fur
des périodes d'incalefcence & de refroidiffement
de notre globe ; mais ces périodes
ne font ici qu'indiquées , on ſe reſerve
de les prouver & de les calculer dans la ſuite
de l'Ouvrage.
Le ſecond Volume renferme toute l'aftronomie-
phyſique : rien n'arrête les Auteurs; à
l'aide de leur principe unique , la rotation
du ſoleil , ils parcourent les cieux comme
Théſée , à l'aide du fil d'Ariane , parcouroit
le labyrinthe. Le ſuperbe édifice qu'ont élevé
nos célèbres Aftronomes eſt reſpecté dans ſon
entier; les Auteurs expliquent ſeulement, par
un principe nouveau, les loix de ſa conftruction.
Ce principe les conduit à l'explication
de ce qui avoit paru juſqu'à préſent inexplicable.
Pour répondre à l'objection qui leur a
été faite , que l'hypothèſe de l'attraction fuffiſoit
pour expliquer la phyſique céleste , &
qu'ainſi les Aftronomes étoient affez indifférens
ſur le principe phyſique primitif,
voici comment ils s'expliquent , Tome III ,
Avant-propos , page 13 : " Enfin , pour ré-
>> pondre à l'Aſtronome même , que nous
>>avons ſuppoſe ſi indifférent entre l'hypo-
>> theſe& la réalité, n'avons nous pas prou-
» vé que l'attraction ne rendoit pas raiſon
> des. plus grands mouvemens des corps céleftes
? Pourquoi les planètes tournent-
» elles autour du ſoleil ? Pourquoi tour-
CS
HvV
173 MERCURE
» nent - elles toutes dans le même ſens ?
>>Pourquoi tournent- elles dans le même
" ſens que le ſoleil ? Pourquoi tournent
>>elles dans un ſens preſque parallèle à fon
>> équateur ? Pourquoi tournent elles fur
>> elles- mêmes ? Voila des queſtions à la ſo-
Jution deſquelles ne conduit point l'hypo-
>> thèſe , elle réduit même à la triſte necef
> ſité de les regarder comme inſolubles ;
> nous avons interrogé notre théorie , &
>> toute obſcurité a diſparu. »
En annonçant cette nouvelle théorie
nous ne prétendons point la preſenter comme
démontrée . Ce n'eſt que d'un examen ſevère ,
fait par nos plus ſavans Aſtronomes , par nos
plus illuftres Phyſiciens , qu'elle peut recevoir
ſa ſanction. Les Auteurs de cet Ouvrage,qui ne
paroiffent detiret que la vérité, appellent à cet
examen tous lesSavans, & ils les provoquent
de la manière la plus preffante & la plus honnête
en même tems . Neufpropofitions renferment
toute leur théorie ; ſi l'on démontre la
fauffeté de la déduction d'une ſeule de ces
propofitions , tout le ſyſteme s'écroulera.
Nous defirons , pour l'avantage de la ſeience
, que ce ſyſtème trouve enfin des contradicteurs
, ce n'eſt que du choc des opinions
que peut naître la lumière de la vérité.
Le troisième Volume contient toute la
théorie de la lumière ; On y trouve avec
la plus grande exactitude , & avec la plus
grande clarté , quoique ſommairement ,
les opinions de tous les Savans qui ont
DE FRANCE.
179
précédé. M. le Baron de Mariverz analyſe
enfuite toutes ces opinions , & preſente enfin
une théorie qui s'ecarte de celles de Defcartes
, de Newton, & c. & c. &c. , mais qui
ſe rapproche beaucoup de celle du trèsilluftre
M. Euler. Cette autorité pourroit
prévenir en ſa faveur, ſi dans les Sciences
exactes les autorités pouvoient impofer.
Toute cette theorie ne formant qu'un enſemble
qu'il eſt impofuble, ou qu'il feroit
au moins trop long d'analyſer , nous invitons
les Lecteurs à la ſuivre dans l'Ouvrage
même avec toute l'attention qu'exige une
pareille matière; nous nous permettrons feulement
de dire que l'expofition nous paroît
méthodique & claire , qu'elle est à la portée
des Lecteurs les moins inſtruits , * qu'elle
eſt accompagnée de planches très bien faites
, très faciles à ſuivre , & que , par une
attention qui ne peut être regardee comme
un luxe typographique , l'Auteur les a fait
enluminer. Tous les phénomènes de l'optique
, tous les inftrumens dont ſe lert cette
Science , font repréſentés & décrits avec la
plus grande exactitude .
M. de Marivetz a cru devoir auſſi joindre
à ſes explications phyſiques des confidérations
philoſophiques , afin , dit il , que les
* Les Dictionnaires des termes peu uſités qui
font joints à chaque Volume , rendent l'intelligence
de cet Ouvrage très- facile aux Lecteurs peu familiarifés
avec la langue des Sciences .
:
Hvj
180 MERCURE
deux lumières de notre entendement ſe prêtent
des ſecours mutuels pour éclairer la
route dans laquelle il ſe propoſe de conduire
ſes Lecteurs , route qui doit parcourir tour
le dédale de la nature . L'Auteur traite dans
ce Volume de la nature des ſenſations , des
organes des ſens , & il a placé à la fin un
morceau très intéreſlant ſur la perfectibilité
de ces organes.
Quant au ſtyle , mérite ſur lequel il eſt
plus facile de prononcer, que ſur un ſyſtême
du monde , il paroît que celui de cet Onvrage
a réuni les fuffrages des Lecteurs les
plus difficiles. Un Écrivain qui n'auroit
qu'un ton , laiſſeroit beaucoup à defirer à
cet égard; mais le ſtyle du Systéme du Monde
a la richeſſe&la variété duſujet qu'ont choiſi
les Auteurs.
CHOIX de Pièces du Théâtre François.
Chef d'oeuvres de Dancourt. 4 Vol. in- 12 .
Prix , 8 liv . broc. , 10 liv, rel. A Paris ,
chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques.
4
Ces quatre Volumes ſont une ſuite d'une
Collection commencée par la Veuve Duchefne
, & interrompue pendant quelques
années. L'utilité d'un pareil projet eft facile
à concevoir. Aujourd'hui que les Livres ,
même les bons , font exceſſivement multitipliés
, il ſeroit utile qu'on nous donnật ,
•dans chaque genre de Littérature , de petites
DE FRANCE. 181
bibliothèques pour nous empêcher de nous
noyer dans les grandes. Comme il devient
impoffible de lire tous nos Ouvrages Dramatiques,
les Amateurs feront charmés de trouver
un Recueil qui , ne lui préſentant que des
Pièces revêtues du ſuffrage publie , les mette
à l'abri de perdre un temps toujours cher à
des lectures faftidieuſes.
Les Volumes qui avoient précédé ceux- ci ,
contenoient les chef d'oeuvres de Corneille ,
de Voltaire & de Piron. Ils ont été favorablement
accueillis ; & ceux - ci doivent prétendre
au même ſort. Dancourt, dont les
meilleures Pièces compoſent les quatre Volumes
que nous annonçons , n'a pas fait la
Métromanie , & n'a rien de commun avec
Corneille & Voltaire; mais il a eu des ſuccès
nombreux&mérités ; & il eſt digne d'occuper
une place honorable parmi nos Auteurs Dramatiques.
Un naturel piquant, & une gaîté
ſouvent un peu trop libre, forment le caractère
de ſon dialogue. Il ſe plaiſoit beaucoup
à mettre en Scène les Payſans , & il y réuffiffoit
à merveille. Mais ce qui le diftingue
bien autant que tout le reſte, c'eſt le goût
qu'il avoit pour ce qu'on appelle les Pièces
de Vaudeville , c'est- à- dire , celles dont
une Anecdote du moment fournit le ſujet..
Ce genre eſt affez déſintéreſſé du côté de la
gloire , parce qu'il eſt naturel que de ſems!
blables Comédies meurent avec l'aventure
qui les fit naître. Néanmoins Dancourt avoit
tant d'aptitude à traiter de pareils ſujets,
182 MERCURE
qu'il a fait reſter nombre de ces Pièces- là au
Theatre.
Outre les moeurs villageoiſes , Dancourt
repréſentoit bien au naturel les moeurs bourgeoiſes
& Parifiennes. Il avoit le trait quelquefois
un peu vif, mais toujours plaifant
&gai. Le repertoire des Pièces qu'on joue
encore de lui eſt affez nombreux ; & toutes
celles que renferment ces quatre Volumes
font reſtees au Theâtre , où elles reparoiffent
fort ſouvent. Il ſe trouva en grande rivalité
avec Dufreſny. Celui ci avoit un talent qui
valloit bien celui de Dancourt; mais il avoit
un tort , celui de ne lui trouver aucun
talent ; il vouloit abſolument que Dancourt
fût bête ; ce n'étoit pas-là pour le mo
ment faire preuve d'eſprit.
NÉCROLOGIE.
C'EST acquitter une dette nationale que de
rendre hommage , après leur mort , à ceux
qui , par leur zèle & par leurs lumières, ont
bien mérité de leurs concitoyens. Tel a été
M. l'Abbé, Gros de Beſplas , Docteur de
Sorbonne , Aumônier de MONSIEUR , &
Abbé Commendataire de l'Abbaye Royale
de l'épau. Une mort imprévue vient de l'enlever
à l'âge de 48 ans. Né à Caftelnaudary
en Languedoc , élevé à Paris , il prit l'habit
Eccléſiaſtique , & le fit remarquer de bonne
heure par cette vivacité d'eſprit qui ne proDE
FRANCE. 183
duit quelquefois qu'une frivole amabilité ,
mais que notre jeune Abbé ſut nourrir &
féconder par l'étude. Il montra des talens
qui furent employés avec ſuccès , mais qu'on
ne récompenſa qu'après de longs & pénibles
travaux. Il remplit long temps , avec autant
decourage que de charité , une des fonctions
les plus delicates & les plus effrayantes de
fon mimſtère; celle de ſuivre & d'encourager
dans leurs derniers momens , de rappeler
à la piété ces victimes coupables que
le glaive de Themis immole à la sûreté publique
, & que la Religion , mère tendre & .
compatiffante , veut derober au moins à la
justice divine. Quelle fermeré ne faut il pas
dans ſon Miniftre, fur- tout s'il eſt doué d'une
âme ſenſible , pour conſerver le fang froid
de la raiſon , & la ferveur de la piété , au
milieu d'un appareil qui effraye l'imagination!
Quelle perfévérance infatigable pour
ſe faire entendre d'un infortuné , qui n'eſt
frappé bien fouvent que des apprêts de mort
qui l'environnent ! quel zèle adroit , pour
ramener au repentir un être que la douleur
pouſſe ſans ceffe vers le déſeſpoir , pour l'engager
à pardonner à des hommes qui ne lui
pardonnent point , qui épuiſent ſur lui leur
vengeance!
Tel eſt le pénible & difficile emploi que.
M. l'Abbé de Beſplas exerça long-temps ;
emploi d'autant plus douloureux pour lui ,
que , né avec des moeurs douces & un coeur
ſenſible , il eut fans ceſſe à lutter entre la
184 MERCURE
pitié qui enchaînoit ſes facultés morales ,&
le zèle qui lui faisoit un devoir d'exercer
fon miniſtère. Mais cette ſenſibilité active
Ini rendoit cher l'infortuné dont l'heure
dernière étoit , pour ainſi dire , en dépôt
dans ſes mains ; & ce ſentiment lui donnoit
le courage dont il avoit beſoin pour ſecourir
fa foibleſſe.
Ayant conſacré ſon talent à l'éloquence de
la chaire , il en remplit les fonctions les plus
honorables. Il prêcha devant Sa Majeſté ; &
quoique la rapidité de ſon débit fît perdre un
peu d'effer à ſes Diſcours , il réuffit affez
pour être defiré dans les principales chaires
de la Capitale. Il prononça dans la Chapelle
du Louvre , en préſence de l'Académie Françoiſe
, le Panégyrique de S. Louis. Son Difcours
, qu'on n'imprima point , fut reçu
avec des battemens de mains qui étonnèrent,
vû l'endroit où il étoit prononcé. Mais le
ſuccès le plus flatteur qu'il ait obtenu ,
c'eſt à l'époque d'un Sermon ſur la Cène, qu'il
prononça devant le Roi. Il y eut dans ce Difcours,
un fublime morceau d'éloquence ſur le
mauvais état de nos priſonniers , qui fit une
fi grande impreffion , que nos priſons , rendues
plus commodes & plus ſaines , & l'établiſſement
de l'Hôtel de la Force en furent
les heureux effets . C'eſt en mémoire de cette
glorienſe révolution qu'on grava ſon portrait
il y a quelques mois ; il ſeroit à defirer
qu'on accordât toujours au même prix les
honneurs du burin ; & cette anecdote doit
DE FRANCE. 185
être conſervée dans les faſtes de ſa famille ,
comme un acte d'illuſtration .
Mais il n'avoit pas conſacré ſon talent
tout entier à l'Art oratoire ; ou du moins il
ſe délaſſa de ſes travaux apostoliques , par
des Ouvrages qui tendoient encore au bien
de l'humanité. Outre un Traité de l'Eloquence
de la Chairé, production de ſa jeuneffe
, qu'il retoucha depuis avec plus de
fuccès , il en a fait paroître une autre intrtulée:
Des causes du bonheur public , Ouvrage
plein de bonnes vues politiques &
morales , enrichi de belles & grandes idées ,
& auquel il n'a manqué que d'être rédigé
avec plus d'ordre & de méthode. Nous favons
qu'il étoit occupé de ce travail quand
la mort eſt venu le ſurprendre , preſqu'au
milieu de ſa carrière , & a frappé tous fes
amis de la triſteſſe la plus profonde.
M. l'Abbé de Beſplas poffedoit les dons
du coeur les plus précieux; bienfaifant par
goût autant que par principe , il n'épargnoit
pour être utile ni ſes démarches ni fontems ,
perfuadé qu'une bonne action vaut toujours
mieux qu'un bon ouvrage ; il ſembloit qu'il
regardât comme des bienfaits les occafions
qu'on lui offroit de repandre les fiens.
L'eſprit qu'il portoit dans le monde étoit
un mélange aimable de vivacité & de douceur;
il ſavoit y plaire ſans ſcandale , & être
décent fans pédanterie; c'étoit cette ſérénité ,
cette gaîté douce , compagne d'un coeur honnête&
content de lui-même. Il vivoit dans la
186 MERCURE
plus heureuſe union avec trois frères eſtimés
pour leurs qualités perſonnelles ,&qui méri
toient de le poffeder plus long temps.
L'Auteur de cet article étoit lie avec lui
par les noeuds de l'amitié. Il ne craint point
que cet aveu le faſſe accuſer d'exagération
par ceux qui ont connu M. l'Abbé de Befplas.
Il est bien sûr , en écrivant cette notice,
de n'avoir pas été au delà de la vérité;
auffi fon expreſſion eſt elle reſtée bien audeſſous
de ſes ſentimens.
1
( Cet Article est de M. Imbert. )
SCIENCES ET ARTS.
:
PARMI
SCULPTURE.
ARMI les Ouvrages de Scupture expoſés cetre
année au Salon du Louvre , on a oublié de parler
dans le dernier Mercure de différens morceaux de
M. MONNOT, qui font le plus grand honneur à ſon
génie & à ſon talent. Il nous paroît un des Artiſtes
qui a le mieux fenti les effets de ſon Art , dont le
ciſeau rend la nature avec le plus de ſenſibilité. On
diftingue entre- autres une figure en plâtre repréſentant
un Vidimaire qui attend l'ordre du Sacrificareur
pour immoler la victime. Beau choix de nature
, vivacité d'expreffion , bel accord dans l'enferm
ble , hardieffe & pureté de deſſin , voilà ce qui caractériſe
ce bel Ouvrage. Les buftes en marbre de
M.le Comte & de Madame la Comteſſe de Ségur ,
fontde la plus ſavante exécution & d'une reffem
DEFRANCE. 187
blance parfaite. On croit encore entendre le célèbre
Père Elifée , déployant ſon zèle apoftolique dans la
chaire de vérité: c'eſt lui- même , il eft parlant. Cuoi
de plus aimable, en même-temps de plus frappant ,
que leBuſte en marbre de Mgr. le Duc d'Angoulême
? Mais ce qui ſurprendra le plus , c'eſt que M.
Monnot ait rendu avec tant de vérité , de nature , &
avec autant de grâce que de nobleſſe le Portrait du
Prince Royal de Prufſe , qu'il n'ajamais vû , n'étane
guidé que par une miniature , ou plutôtpar les traits
de ſouvenir des perſonnes de la Cour de ce Prince ,
amateur des Arts , & protecteur de l'Aruſte qui s'eft
montré ſi digne de le repréſenter.
ANNONCES ET NOTICES,
ATLAS Ecclésiastique , Littéraire , Civil, Potitique
, Militaire & Commerçant de la France & du
Globe,divisé par Tableaux & Cartes coloriés , ou
Étrennes portatives , uti'es & agréables , pour l'année
1784 , format in- 24 , avec Approbation & Privilége
du Roi . A Paris , chez Beauvais , maiſon de M.
Lambert, Imprimeur - Libraire , rue de la Harpe ,
près S. Côme ; Froullé , Libraire , Pont Norre-Dame.
LebutdecesÉtrennes , qui n'ont pas encore paru ,
eſtdepréſenter au premier coup- d'oeil , & dans l'or
dre le plus clair , tous les détails que l'on a droit
d'attendre de leurs diviſions. Elles ſont compofées
des cinq Tableaux ci-après indiqués , contenant les
noms , rargs , dignités , réceptions , &c. &c. de
to tes les perſonnes qui compoſent les cinq Ordres de
PÉtat. Le premier tableau préſente la France Eccléfiastique
& Littéraire ; le ſecond , la France Civile ;
le troiſième , la France Politique ; le quatrième , la
France Militaire ; le cinquième , la France Com
188 MERCURE
merçante. Derrière chaque tableau eſt une Carte
Géographique , lavée à la manière des Plans , autour
de laquelle règne la deſcription ſommaire des pays
qu'elle renferme , leurs qualités , leur climat , &c.
Ces Cartes font : la Mappe- Monde , la France .
l'Europe , l'Afie , l'Afrique , l'Amérique Sept. &
Mérid. MM. les Commandeurs des Ordres Royaux
&Militaires de France ſont indiqués dans cet Ou-
Vrageavec leurs Cordons coloriés , ainſi que les Uniformes
des Troupes. Le tout eſt précédé d'un Calendrier
, contenant , outre les choſes ordinaires , les
Curioſités de Paris & des environs , les principales
Foires de France , jour par jour , ce en quoi elles
confiftent , & leur durée & franchiſe. Le prix eſt
de 30 fols broché.
-
L'Auteur ſe propoſe de donner chaque année une
fuite à cetOuvrage.
HISTOIRE des progrès de lapuiſſance Navale de
l'Angleterre , avec des Obfervations fur l'Acte de
Navigation , & des Pièces Justificatives , 2 vol.
in-12.
CetOuvrage , dont l'objet eſt très-important dans
les circonstances préſentes , a été imprimé dans les
PaysÉtrangers , & loin de l'Auteur , qui n'a pu empêcher
qu'il ne s'y gliſsat bien des fautes. Quand
elles auront diſparu dans une autre Édition , nous
rendrons compte de cette Hiſtoire , écrite avec affez
d'exactitude & d'impartialité , pour mériter le ſuffrage
des deux Nations rivales que la paix vient
de réunir.
:
VERS à Madame Lebrun , de l'AcadémieRoyale
de Peinture , fur les principaux Ouvrages dont elle
a décoré le Sallon cette année , par M. de Miramond.
A Paris , chez Gueffier , Imprimeur - Libraire , au
basde la rue de la Harpe.
DF FRANCE. 189
Ces vers rappellent les principaux Ouvrages de
Mme Lebrun , dont l'éloge eft amené tantôt avec
adreſſe , tantôt avec chaleur. La Poésie ne ſe compromet
pas à célébrer la Peinture ; ce font des louanges
qui ne fortent point de la famille ; & l'Auteur
ne pouvoit mieux faire que de choifir pour l'objet de
ſes éloges les charmans Ouvrages de Mme Lebrun.
Au reſte , il écrit avec eſprit & facilité. Voici ce qu'il
dit du portrait de la Reine:
Si le trône embelli t'offre un digne modèle ,
Que des traits enchanteurs font bientôt reconnus !
Al'orgueil d'Alexandre il falloit unAppelle ;
C'eſt Lebrun qu'il faut à Vénus.
Le Triumvirat des Arts , ou Dialogue entre un
Peintre , un Muficien & un Poëte , ſur les Tableaux
expoſés au Louvre ,' année 1783 , pour ſervir de
continuation au Coup de Patte &à la Patte de velours.
Prix , I liv. 4 fols. Aux Antipodes , & ſe trouve
chez les Marchands de Nouveautés,
Cette Brochure eſt faire avec eſprit , & l'Auteur
y parie ſouvent de la Peinture en homme qui fait
apprécier les Ouvrages de ce genre. Nous aurions
defiré quelquefois un peu plus de ménagement dans
ſes expreſſions ; en un mot , nous avons cra y voir.
plusde coups depatte que depattes de velours.
OEUVRES de Plutarque , traduites du Grec par
Jacques Amyot. Tome neuvième. A Paris , chez
Jean- François Baſtien , Libraire, rue S. Hyacinte ,
la première porte- cochère à droite en entrant par la
Place S. Michel.
C'eſt ici la quatrième Livraiſon des OEuvres de
Plutarque , & elle ne le cède en rien pour l'exécution
Littéraire & Typographique aux volumes précédens.
C'eſt le Tome neuvième de la Collection & le ſe
190 MERCURE
cond des OEuvres morales. Sous un mois, on recevra
le troiſième volume des Hommes Illustres , qui
ſera le troiſième volume de la Collection , & la
cinquième Livraiſon .
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuses de tous les
Peuples du monde, en 15 Livraiſons in -folio , qu'on
pourra faire relier en 4 vol.
La onzième Livraiſon eſt actuellement en vente ,
& ſe paye to liv . On prie les souſcripteurs de faire
retirer les Livraiſons à fur & à mesure qu'elles fe
diftribuent ; le Libraire ne promet pas de compléter
ceux qui auront négligé de les retirer. On peut
s'adreſfler encore peur cet Ouvrage , dont il ne reſte
que très -peu d'exemplaires , à Raris , chez Lapórie ,
Libraire , rue des Noyers , & en Province , chez les
Libraires les mieux affortis. La dernière Livraiſon
de cet Ouvrage paroîtra en Décembre prochain.
TRAITĖ Pratique de la Confervation des Grains,
des Farines & des Etuves Domestiques , avec
Figures ; avec des Notes & Observations fur
l'Agriculture & la Boulangerie , par César Bucquet ,
ancien Meûnier de l'Hôpital-Général de Paris Prix,
3 liv. A Paris , chez Onfroy , Libraire , rue du
Hurepoix ; & Belin , rue St. Jacques .
Le titre de cet Ouvrage en annonce l'utilité ; &
l'expérience de l'Auteur dans cette ſcience , doit
fairebien augurer des Principes qu'il renferme. Nous
aurions ſeulement defiré qu'il eût traité avec plus de
ménagement deux Chimiſtes connus par leurs lumières
& par leur amour pour l'humanité. L'ouvrage
eſt divifé en deux Parties , dont la feconde ſe vend
ſéparément I liv. 16 fols.
On trouve chez les mêmes Libraires & par le
même Auteur , le Maruel du Meûnier. Prix , 3 1.
DE FRANCE.
191
CARTE des environs de la Mer Noire, où se
trouvent l'Ukraine , la Petite Tartarie , la Circaffie ,
la Géorgie & les Confins de la Ruffie Européenne &
de la Turquie , par M. Delamarche , Géographe ,
1783. Prix 2 liv. 8 fols. A Paris , chez les Sieurs
Fortin & Delamarche , ci- devant rue de la Harpe ,
actuellement rue du Foin S. Jacques , au College de
Me Gervais .
CetteCarte eſt dreſſée d'après de nouvelles Cartes
manufcrites pour les opérations actuelles & la connoiſſance
exacte des lieux , avec les écueils , courans ,
bancs de fable , &c .
QUATRIÈME Cahier de Têtes de différens caractères,
deſſinées par J. B. Greuze , Peintre du Roi.
Prix , 1 liv. 4 fols chaque A Paris , chez Levellier ,
rue des Vieilles Étuves Saint Honoré , maiton d'un
Boutonnier
Les ſix Têtes qui compoſent ce quatrième Cahier,
font deſſinées avec beaucoup d'expreffion ; ce qui
n'étonne point , dès qu'on fait qu'on les doit au
crayondu célèbre M. Greuze. Les caractères en font
très-variés , & l'on doit des éloges au burin foigneux
de M. Letellier , qui en a rendu fidèlement les divers
effets.
SIX Sonates pour Violoncelle ou Violon & Baffe,
par M Bréval . Prix ,7 liv. 4 fols ; OEuvre douzième .
A Paris , chez l'Auteur , meine adreſſe que cideſſus.
Le nom de M. Bréval eſt fait pour donner une
idée avantageuſe de ces deux OEuvres .
RECUEIL d'Ariettes choifies , avec accompagnement
de Guittare , & trois Airs connus variés
dédié à M. de Cournol par M. Alberti , OEuvre
quatrième. Prix , 4 liv. 4 ſols. A Paris , chez Guil
,
192
MERCURE
laume , Luthier , Marchand de Muſique , rue de
Beaune ; & Mlle Girard , rue de la Monnoye. On
trouve dans ce Recueil une fingularité; il contient un
Air, dont les Paroles & la Muſique ſont de l'Editeur,
&un autre , dont M. de Cournol , à qui le Recueil
eſt dédié , a fait pareillement les Paroles & la Mufique.
Ce dernier nous a paru fort joli , fur-tout pour
lesParoles.
ERRATA. Dans le dernier Mercure , Article Fontenellejugé
par ſes Pairs , page 120 , ligne 22 : Et
Histoire , comme on Jait, n'est point de Fontenelle
: lifez : Et cette Hiſtoire , comme on fait , n'eſt
point , en entier , de Fontenelle,
cette
,
Voyez, pour les Annonces des Livres de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture,
TABLE.
AMme la Princeſſe de Cra-1 vers François ,
covie , 145 L'Isle Inconnue ,
A Ml'ede Saint P** , 146 Physique du Monde ,
Vers à Rofe ,
Erençois ,
Fable, 149 Sculpture,
151
170
175
147 Choix de Pièces du Théâtre
Lemoment de la Recette , ibid.
L'Automne & le Printemps , Nécrologie ,
Enigme& Logogryphe , 150 Annonces &Notices ,
LesGeorgiques de Virgile , en
APPROBATIΟΝ.
180
182
186
187
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 27 Septmbre . Je n'y ai
rien trouve qui puiffe en empêcher l'impreffio.nAParis,
le 22 Septembre 1783. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 30 Août.
L
ES Loix fomptuaires établies par les Ordonnances
qui ont paru , ily a quelque
temps , ne font pas obſervées auffi exactement
qu'on ſe le promettoit. Le luxe eſt une
épidémie qui ſe propage aisément , & à laquelle
il n'eſt pas toujours facile de s'oppofer
; peut-être , quoi qu'on en dife , eſt - il
néceſſaire dans un Etat monarchique.
Le Roi vient de donner encore de nouvelles
preuves de ſes ſoins paternels pour le
bonheur de ſes peuples & l'avantage du commerce
, en avançant une ſomme de 100,000
rixdalers à une des principales maiſons commerçantes
du Royaume , & une autre de
20,000 à un Marchand de cette ville.
Les habitans des trois villages ſitués aux environs
de cette Capitale , pénétrés de reconnoifſance
pour les bienfaits du feu Miniſtre Comte
deBernstorff dont ils dépendoient , & qui les af
franchit de la ſervitude de la glebe & encoura
N°. 39. 27 Septembre 1783 . g
( 146 )
gea leurs cultures , ont fait exécuter à leurs frais
un monument qui a été érigé avant hier avec
beaucoup de cérémonies dans les champs deGientoff
, près du chemin qui conduit au Château
royal de Friedensbourg. C'eſt un obéliſque de
marbre de dix aunes de hauteur , ſur les deux
faces duquel il y a une Inſcription Danoiſe &
une Latine conçue ainſi : Diis manibus Johannis-
Hartvici-Ernesti Comitis de Bernstorff, qui arva
deferta immunia hereditaria largiendo induftriam
opes omnia impertiit , in exemplum pofteritati 1767.
P. SS. grati Coloni 1783 .
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 30 Août.
-- Le Roi a dîné Dimanche dernier chez le
Comte de Stackelberg , Ambaſſadeur de
Ruffie,&l'on ne remarque point que l'entrée
des troupes de cette Puiſſance ſur les terres
de la République , quoiqu'elle ait d'abord
donné lieu à des repréſentations , ait des ſuites
ultérieures.
Suivant des lettres de la Moldavie , les
Turcs viennent de raſſembler à Brahilow
tout ce qui est néceſſaire pour conſtruire
un pont debateaux ; on dit cependant qu'ils
tranſporteront leurs pontons à Sewerin,& que
c'eſt de ce côté qu'ils jetteront un pont ſur
le Danube. Quoi qu'il en ſoit , les habitans
de la Moldavie &de la Valachie ſe flattent
encore que l'on pourra détourner l'orage.
Selon les dernieres lettres de la premiere
de ces Principautés, le nouvel Hoſpodar
Drako-Suzo n'y étoit pas encore arrivé ,&
(147 )
on ſe promettoit beaucoup de ſon gouver
nement. !
Le Comte de Mniszech , ci-devant Maréchal
de la Cour de Lithuanie , actuellement
grand Maréchal de la Couronne , a déja fait
pluſieurs réglemens relatifs à ſa jurisdiction ;
on aſſure que dans peu il fera promulguer
quelques nouvelles Ordonnances pour la
police de cette Capitale.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 6 Septembre.
L'Empereur a dû quitter le 3 de ce mois
le camp de Moravie pour ſe rendre à celui
de Prague; on dit que pendant ſon ſéjour en
Bohême , S. M. I. donnera l'inveſtiture à
pluſieurs de ſes vaſſaux , & que delà Elle ira
viſiter les fortereſſes que l'on éleve ſur les
frontieres de ce Royaume.
L'accommodement dont on eſpéroit le
ſuccès avec l'Archevéché de Paſſau , ſouffre ,
dit- on , de grandes difficultés ; & quelques
perſonnes prétendent même qu'il eſt rompu.
Selon le terme de cet accommodement ,le
Prince Evêque devoit renoncer à la partie
de ſon Dioceſe qui s'étendoit dans la baſſe
Autriche , & à celle de la portion de laBa
viere nommée l'Inathal ; il devoit conſentir
à payer 150,000 florins à titre d'indemnifation;
mais il a refuſé la redevance annuelle
de 50,000 florins , & la ceſſion de la Seigneuriede
Guttenbrunn qui lui avoient été
demandées, Si cela eſt , la Diete de Ratis
82
( 148 )
bonne va continuer à s'occuper de cette
affaire.
La réforme générale des Couvens a été
arrêtée de la maniere ſuivante. Il n'en reſtera
dans toute la baſſe Autriche que so , compoſés
de 578 Religieux , dont 286 à Vienne.
On abolira fuccellivement 38 Couvens , &
huit à la fois. Dans ce nombre feront les Religieux
de S. Paul , premier Hermite , les
Trinitaires , les Freres de la Miféricorde , les
Carmes preſque en totalité. Les Capucins de
la ville ferontincorporés à ceux du fauxbourg.
DE HAMBOURG , le 9 Septembre.
Les nouvelles des frontieres de la Pologne
&de celles de la Turquie préparent toujours
à une guerre prochaine & inévitable ; les
préparatifs continuent de tous côtés fans re-
Lache. Les Turcs , quoique juſqu'à préſent ils
aient témoigné le defir de conſerver la paix ,
qu'ils aient même , dit-on , envoyé à Pétersbourg
la ratification du traité de commerce
conclu à Conftantinople le 21 Juin , & que
l'Impératrice de Ruffie ait envoyé les préſens
d'uſage aux Miniſtres Ottomans , n'ont
point diſcontinué les leurs.
CC Il ne ſe compoſe point de papier nouvelle
dans cette ville , écrit- on de Conſtantinople en
date du 10 Août; on y voit même rarement une
gazette étrangere. Nous ne ſommes inſtruits de
ce qui ſe paſſe & ce qui ſe dit chez les peuples
qui nous appellent Infideles , & auxquels nous
rer.dons bien ce nom injurieux , que par des lettres
dont nous ſouhaitons que les auteurs foient
misax informés des affaires de leur pays qu'ils
ne paroiſſent l'être des nôtres. Selon ces lettres,
: ( 149 )
nos vaiffeaux armés montentà peine à 35 de dif
férentes grandeurs; les préparatifs que nous fai
fons ont un autre but que la guerre ; notre Gouvernement
eſt dans une apathieſemblable à celle
que l'on reprochoit à cet Empereur Romain , qui fir
la réponſe ſuivante àceux qui lui annonçoient que
l'Egypte étoit révoltée : he bien ne faurions - nous
vivre fans le linge d'Egypte ? Rien n'eſt plus cer
sain , qu'au lieu de 35 vaiſſeaux armés , nous
en avors 70 , non tous de ligne àla vérité , mais
de différentes forces ; que nos préparatifs ont
bienun autre but que de faire une vaine paradę
des forces de cet Empire ; que notre Gouverment
eſt bienéloigné de l'état de léthargie où se trouva
Gallien lorſqu'il apprit que les Scythes & les Illy
riens, &c. lui enlevoient ſes plus belies provinces.
Juſqu'à préſent les vaſtes préparatifs qui
ſe font par-tout n'ont point encore été employés
; on ignore s'ils le feront ; on ne fait
pas davantage le parti que prendra la Mai
ſon d'Autriche qui en afait de conſidérables ;
&dont la treve avec l'Empire Ottoman n'expire
point dans ce mois , comme l'ont dit
preſque tous les papiers , puiſque cette treve
de trente ans a été convertie en définive.
On a garni les bords du Danube de redoutes
& de poſtes qui correſpondent les
uns aux autres. Les mêmes précautions ont
été priſes ſur les bords de la Save,où de cent
pas en cent pas il y a fix foldats & un bas
Officier , & de diſtance en diſtance des piquets
qui fourniſſent aux gardes avancées.
Le bruit qui s'étoit répandu que l'Empereur
auroit une entrevue avec le Roi de
Pruſſe , ne paroît pas ſe confirmer ; S. M.
85
( 150 )
Pruſſienne arrivée le 25 Août Breflau y a
paffé en revue les troupes qui y étoient ,&
les a fait manoeuvrer juſqu'au 29 qu'Elle en
eſt partie pour le camp de Bettlern où Elle
a dû reſter trois jours ,&retourner enſuite à
Potsdam,où Elle a dû arriver le 2 de ce mois.
S'il faut en croire des avis de Péters
bourg, l'Eſcadre Ruſſe qui a mouillé fi long
temps à Cronſtadt , en a appareillé le 18 du
mois dernier ; mais fon objer n'eſt pas encore
de ſe rendre dans la Méditerranée ; elle
ſe contentera de faire une croiſiere dans la
Baltique. Depuis qu'on en a déſarmé 2 Vaiffeaux
pour en envoyer les matelots fur la
mer Noire , elle n'eſt plus que de neufVaifſeaux
de ligne , trois Frégates & cinq Bâtimens
plus petits.
Dans la ſituation actuelle des choſes , au
moment où la guerre eſt prête à éclater entre
la Ruffie & la Porte , on ne ſera pas
fâché de trouver ici quelques détails ſur la
précédente.
Tel étoit l'état des forces Rufſes en 1768
& 1769 au commencement de cette guerre.
Ils avoient au nord une grande armée de
107,090 hommes ; l'armée d'Ukraine de 49,900 ;
les Calmouks du Don faiſant 30,000 hommes ;
les forces du Prince Héraclius 42,000 ; celles de
Leskis 12,000. Total 231,900 hommes. - Au
midi ils avoient les forces des Montenegrins au
nombre de 30,000 ; ce qui portoit leurs armées
de terre à 201,900 hommes. -Les forces de
mer confiſtoient en 3 eſcadres , celle de Roman
ow étoit compoſée de 13 vaiſſeaux de ligne ,
3 petits bâtiments , 60 pieces de campagne ,
( 151 )
8910matelots, 1600 foldats .-Celle d'Elphint
ton avoit 8 vaiſſeaux de ligne , 39 petits bâtiments
, 3960 matelots , & 860 foldats. Celle
du Don étoit de 65 bâtimens , 1045 canons ,
&12409 Matelots & Soldats. Les troupes de mer
de la Ruſſie montoient à 27,730hommes.- Les
Turcs oppoſerent à ces forces 3 grandes armées ,
l'une en Pologne , l'autre en Ukraine , & la troiſieme
du côté d'Aſtracan. On forma des magaſins
le long du Danube , & l'on fit avancer la
principale armée vers Choczim pour paſſer le
Dnieſter aux environs , & ſe jetter ſur la Podolie
& la Volhinie , tandis que le Kan des Tartares
eut ordre d'envahir l'Ukraine. Quand l'armée
turque paſſale Danube , elle étoit preſque
de 300,000 combattans & au nombre de 400,০০০
ames. Dès le mois de février , Krim-Gherei ,
Kan des Tartares , perça les lignes ruſſes , pénétra
dans la nouvelle Servie , dont il brila
toutes les maiſons , emmena 14,000 familles captives
, prit 100,000 têtes de bétail , brûla 184
villes , bourgs & villages , & ſe retira , malgré
les Ruſſes qui lui livrerent une ſanglante bataille,
dans laquelle il eut l'avantage , puiſqu'il emmena
ſonbutin. Cette expédition lui couta la vie ;
il mourut à ſon retour de ſes fatigues. C'étoit
un Princed'un grand mérite , connoiſſant l'hiftoire
& les intérêts politiques de toutes les nations
de l'Europe ; il aimoit les étrangers , & fe
prêtoit avec une patience finguliere à l'embarras
de ceux qui commençoient àparler ſa langue ;
les Turcs firent en lui une perte irréparable.
Leur armée n'arriva à Andrinople que vers la
fin d'avril . Le Prince de Galitzin battit Caraman-
Pacha le 30 avril, le pouſſa ſous les murs de Coczim,&
repaſſa le Dnieſter avec précipitation , ſans
profiter de ſon avantage. Le Grand - Seigneur
regarda cette retraite comme une victoire ; il
g4
( 152 )
ſe rendit à la Moſquée pour en remercier le
ciel , & reçut de l'Iman le titre de Gazi ( Conquérant
) ; ſur ces entrefaites , le Général Romanzov
ayant attaqué ſous le canon d'Oczakow ure
petite armée turque, fut repoufié avec beaucoup de
perte. Cependant le Prince de Galitzin ayant
repaffé le Dnieſter , affiégea de nouveau Choczim
& fut obligé d'en lever encore le fiege &
de repaſſer le fleuve ; il perdit dans cette occafion
30 canons & plus de 3000 hommes ; il
fut pourſuivi par les Turcs en Pologne , il les
obligea de retourner au - delà du Dnieſter. Le
Grand- Viſir fut alors déposé. Moldovanhi-Ali-
Pacha , homme violent , lui ſuccéda; il fit paſſer
le Dnieſter à l'élite de ſes troupes , & il les
perdit ; le 9 ſeptembre il eſſaya de paſſer de nouveau
ce fleuve,& fut défait encore ; enfin l'armée
zurque , indignée contre ſon Viſir , déſerta , &
laiſſa Choczim , dont 230 Grenadiers Ruſſess'emparerent.
L'armée turque ſe retira de l'autre côté
du Danube , &GregorioGikou livra aux Ruſſes
la Valachie & la Moldavie . Le Grand-Vifir fut
dépoſe , & Romanzow n'oſa cependant pénétrer
bien avant dans les provinces ouvertes par ladé
fection de l'armée turque.
Tel eſt le précis que nos papiers offrent
de cette premiere campagne , qui couta
beaucoup en hommes & en argent à la
Ruffie , & qui ne produiſit d'autre avantage
que la priſe de Choczim .
Labibliotheque militaire , ouvrage périodique
, qui s'imprime à Hanovre , porte à
deux millions d'hommes la totalité des armées
en Europe ; un de nos ſpéculateurs a
préſenté à ce ſujet les réflexions ſuivantes.
>> En ne comptant qu'à une livre tournois
l'ouvrage que ce nombre de foldats pourroit faire
en un jour, voilà 2 millions perdus pour l'a
( 153 )
griculture , l'induſtrie & le commerce ; ajoutezy
un demi-million pour leur paio, habillement ,
&c. , à 5 ſols par jour , cela forme par an un
total de 912,500,000 liv. ; en ne comptant parmi
eux que 5000,000 célibataires capables de procréer
chacun 2 enfans , c'eſt un million d'hommes
enlevés à la population. Les Moines , les
Prêtres qui vivent dans le célibat , les valets
inutiles & trop nombreux , les gens de mer , &c .,
forment une autre maſſe de dépenſe &de perte
qui pourroit être diminuée. Les lecteurs ſenſibles
feront des voeux pour que les Souverains de
l'Europe ſe réuniſſent pour aviſer entr'eux les
moyens d'épargner les hommes & l'argent. Ce
n'eſt que par un accord mutuel & au moyen de
quelqu'objet qui les réuniſſent tous , qu'ils pourront
parvenir à faciliter ſur le ſol ingrat de
P'Europe la réprodution de l'eſpece humaine ;
peut-être l'Amérique procurera-t - elle un jour
ce bien à l'Europe , en établiſſant l'émulation ,
peut- être n'aurons - nous pas d'autre moyens de
ne pas être écrasés par elle que l'économie ;
elle n'a que peu de troupes à entretenir , peu
de fortereſſes à garder peu de Puiſſances & d'intérêts
divers : le mal d'un petit Prince de l'Empire
met ſouvent l'Europe en combustion. Les
Caciques qui commandent les nations ſauvages
de l'Amérique quittent ce monde , ſans qu'on
puiffe s'en reſſentir à Philadelphie.
ITALIE.
DE NAPLES , le 23 Août.
Il s'eſt élevé à Scanno une conteſtation
entre les Peres Conventuels & le Curé de
ce lieu , au ſujet des enterrenmens des Religieux
que le dernier réclamoit. Le Roi a
décidé qu'il ne feroit que ſe rendre au Cou
$ 5
( 154 )
vent pour benir le cadavre , & l'accompagner
dans l'Egliſe du Monastere , & qu'il
laiſſeroit aux Religieux le ſoin des autres
cérémonies eccléſiaſtiques , & celui de lui
donner la ſépulture. Cet arrangement a déja
été preſcrit dans d'autres endroits ſur des
difficultés ſemblables , & S. M. a ordonné
qu'il feroit ſuivi généralement dans ſes Etats.
Le projet de déplacer les deux Statues équeſ
tres qui font face au Palais Quirinal , & un des
principaux ornemens de la place , écrit-on de
Rome , dans le deſſein d'élever entr'elles l'obéliſque
trouvé l'année derniere dans les fondemens
de S. Roch , n'eſt pas d'une exécution
facile ; il s'agit de remuer les piédeſtaux entiers
, & de les tourner. Ces mafſes ſont compoſées
de pierres liées enſemble , & peuvent ſe
Téparer par l'effort ; l'Architecte Antenori qui
eft chargé de ce travail , après avoir préparé ſes
cabeſtans , ſes leviers & ſes cables , en a fait
P'eſſai le 19 , en préſence d'une foule innombrable
, attirée par la curiofité , & du Pape luimême
qui étoit à une des fenêtres du Palais . Cet
efſai n'a point réuſſi , tous les cables ont rompu
après trois quarts-d'heure d'effort ; le piédeſtal ,
autour duquel on les avoit diſpoſés eſt reſté immobile.
On compte le renouveller inceſſamment
; mais on craint que , loin de contribuer
à l'embéliſſement de la place , comme on ſe le
propoſe , cette entrepriſe ne cauſe la perte des
deux pieces qu'on veut déplacer , & qui peuvent ,
ſi l'on parvient à ébranler les piédeſtaux , s'écrouler
avec eux.
Le Duc de Cafacalenda , veuf depuis
quelque temps , déſire épouſer une foeur de
ſa défunte femme ; pour cela il a beſoin de
( 155 )
diſpenſes de la Cour de Rome , & il ne peut
y recourir ſans en avoir l'agrément du Roi.
Le Duc de Campolieto ſon pere s'oppoſe
au projet de ce ſecond mariage. S, M. avoit
chargé la Chambre royale d'examiner cette
affaire , & de lui en rendre compte. Cette
Chambre avoit déjà décidé qu'on pouvoit
permettre au Duc de Caſacalenda de s'adreſſer
au Saint-Siege ; mais ſur les repréſentations
de l'Avocat de la Couronne , le
Roi a ordonné que cette affaire fut examinée
de nouveau.
ANGLETERRE.
DELONDRES , le 16 Septembre.
Les nouvellesdel'Amérique Septentrionale
recherchées aujourd'hui avec moins d'impatiencene
ſont peut-être pas moins intéreſſantes
qu'autrefois; ceux qui ont vu les efforts d'un
pays luttant contre l'oppreſſion , & travaillant
à ſon indépendance , ne peuvent être
fans curioſité ſur le premier uſage qu'il en
fait à préſent qu'il l'a obtenu. On a vu les
divers Etats partagés d'opinion ſur la forme
fédérative , & notamment ſur le plus ou le
moins de pouvoir , à donner au Corps repréſentatif
de l'Union , s'accorder preſque
généralement ſur le danger qu'il y auroit à
rétablir dans leurs droits & leurs poffeffions
les loyaliſtes fugitifs & expatriés , & fur la
néceſſité de maintenir le crédit public , &
de pourvoir au paiement des créanciers de
la République , ainſi qu'à celui de l'armée
g 6
( 156 )
Le premier objet a été réglé preſque de la
même maniere par- tout. Quant au ſecond ,
les aſſemblées particulieres ont fini , après
quelques difcuffions , par adopter une mefure
auffi utile& auffi intéreſſante ; pluſieurs
ont autoriſé les Etats-Unis aſſemblés en Con
grès à lever certains droits pour remplir ce
grand objet. Rhode-Iſland , qui a été avec
la Virginie l'état qui s'eſt d'abord le plus oppoſé
à revêtir le Congrès de ce pouvoir ,
a fini par céder ; il craignoit que leCongrès
n'en abusat , & qu'il ne ſurprît par degrés la
ſouveraineté individuelle de chaque Etat. On
adû remarquer que toutes ces difcuffions
ſur le ſyſtême politique de l'union Américaine
, n'avoient rien ôté au bien-être des
citoyens des Etats reſpectifs , & les lettres de
divers endroits de cette partie du monde
n'offrent que le tableau des avantages que
l'indépendance & la paix ont aſſurés.
Les bénédictions de la Paix, lit- on dans une
Lettre de Boſton , ſont viſibles par-tout fur ce
Continent , excepté à New-York & à Halifax.
Notre Port eſt rempli de Vaiſſeaux : L'on y voit
flotter huit Pavillons différents . Il ne ſe paſſe point
de jour , qui n'y amene , ou dans quelque autre
Port des Etats-Unis , dix ou douze Cargaiſons.
Les Productions des divers Etats paſſent & repaſſent
par eau ; & tout honnête Citoyen a l'aiſe
&lafatisfaction peintes ſur le viſage. Nous avons
une quantité étonnante de Marchandiſes Angloiſes:
dans ce Pays : New-York eſt un Magaſin continuel
d'un bout à l'autre. Aufſi , par la grande
abondance de ces Marchandiſes , elles ſe vendent
au prix qu'elles ont coûté enAngleterre ; Celui
( 157 )
des Proviſions tombe également ; & il n'exiſte
plus de beſoin d'aucun objet de cette eſpece.
Je ſouhaiterois très- fort , que le bon Peuple de
Hollande eût autant lieu de ſe louer de la Paix
que nous . Les Torys font vraiment miférables.
New-York offre à cet égard une ſcene de
détreffe , dont il ſeroit difficile de trouver la
pareille , vu que la plupart des Etats ont porté
des Loix très - expreſſes pour leur fermer le retour
à jamais. Le Général Carleton fait des préparatifs
pour évacuer New York ; mais l'on penſe
que cette évacuation n'aura pas lieu avant l'Automne
, attendu qu'il faudra une Flotte énorme
de Tranſports pour le paſſage des Troupes & des
Munitions , for-tout d'un auffi grand nombre de
Torys . L'Armée a reçu un congé pour un
temps illimité ; & notre illuſtre Général ſe retire
avec autant d'honneur que jamais mortel
en a acquis Au lieu d'Illuminations & de Réjouiſſances
publiques , l'Etat de Maſſachusetts a
recommandé un Jour folemnel d'Actions de graces
: Quoique les événemens politiques ne doivent
gueres étre mêlés avec la Religion , il y a cependant
de la décence & même de la dignité
dans cette recommendation. En effet , le bienêtre
, dont nous jouiffons par la Paix , mérite
toute notre gratitude : mais il s'écoulera encore
au moins deux ans , avant que nous puiſſions
faire affez d'argent de nos Productions pour envoyer
des remites en payement de celles de l'Europe
: & pour cette raiſon je ne ſçaurois que
regretter le mauvais ſuccès de nombre d'Etrangers
, qui font venus en Amérique , ou qui y
viendront encore , dans la vue d'établir des Maifons
de Commerce: ils y trouveront fi peu d'objets
d'échange & une telle diſette d'eſpeces , qu'ils
nous quitteront probablement avec dégoût ».
LecommercedesEtats-Unis devient tous
( 158 )
les jours plus actif & plus floriſſant ;dans
tous leurs ports on conſtruit des Vaiſſeaux
neufs ; ils en ont fait conſtruire également
pluſieurs en Europe ,& on n'en comptoit pas
moins de 600 au mois de Juin dernier qu'ils
employoient à leur commerce.
Les lettres de New-Yorck portent que la
plupart des troupes qui étoient dans cette
place l'ont évacué ,& qu'il n'y reſte preſque
que la garnifon. La plupart de nos Régimens
ont été embarqués pour les Indes occidentales
; les Corps Heſſois l'ont été pour
l'Europe,où il en eſt déja arrivé quelques-uns.
Quant aux Loyaliſtes , ils ont pris la route
de la nouvelle Ecoſſe & du Canada ; leur
établiſſement dans le premier de ces endroits
promet de devenir intéreſſant. On lit dans
IaGazette de New-Yorck la lettre ſuivante
ecrite par un Loyaliſte à un de ſes amis ,
&datée de Saint-John,baie de Fundy dans
la nouvelle Ecoſſe le 21 Juillet dernier.
>> Selon ma promeſſe , je ſaiſis toutes les occafions
de vous informer de la ſituation du nouvel
établiſſement que nous formons ici , & dont je
m'apperçois que vous ne vous faites pas une idée
juſte : je ferai enchanté de vous en donner une
meilleure & du pays & des nouveaux Colons. -
En quittant Rhode - Iſland , nous avons eu des
vents favorables qui ne nous ont pas quittésjuſqu'au
Havre de Saint -Jean où nous débarquâmes
le 13 Juin , étant en très-bonne ſanté.
Nous nous occupâmes auſſi - tôt de notre établiſſement
: l'Agent de la Cour , auquel nous demandâmes
ſur le champ l'emplacement où on de.
voit nous fixer , étoit embarraffé ; cela nous au
( 159) )
roit expoſés à des délais défagréables , fi nous
n'avions pris le parti de viſiter les lieux & de
choiſir nous mêmes. Nous nous décidâmes pour
un endroit agréablement ſitué , ayant vue ſur
la Baye , & également favorable pour la chaſſe
& pour la pêche. Nous nous mîmes ſur le champ
à couper les bois , à nettoyer le terrein , & à
dreſſer des hutes en attendant que nous pufſions
bâtir des maiſons. Nous dreſſames auſſi des
tentes pour y recevoir nos familles ; un grand
nombre d'autres nous joignirent , & ſe préparerent
à s'établir avec nous , tandis que pluſieurs
choiſirent des places convenables à diverſes diftances.
Nous avons déjà partagé le terrein ſur
lequel nous bâtiſſons notre Ville : nous remarquons
dans toutes les parties que nous avons
nettoyées que le ſol eſt excellent , arrofé de
ſources d'eau vive , très - propre à la culture
de toutes fortes de fruits. Nous avons des proviſions
pour trois mois , & elles nous dureront
plus long-temps , parce que le gibier & le poiſſon
nous permettront de les économiſer. Comme
nous craignons les lenteurs dans l'arrivée du grain
qu'on nous a promis , nous nous ſommes décidésà
réſerver une partie de celui que rous avons
pour des ſemences , & nous avons déjà préparé
des champs. L'année prochaine nous ſommes sûrs
de nous ſuffire à nous-mêmes , & de vivre dans
l'abondance ; nous pourrons éprouver quelque
gêne juſques - là ; mais nous en ferons garantis
fi le Gouvernement nous fournit à temps les ſecours
qu'il nous a promis » .
Les émigrations des Loyaliſtes qui quittent
leur patrie , parce qu'ils y font forcés ,
pour chercher des établiſſemens ſous ladomination
Britannique , ſont ſans doute une
perte pour la population de la nouvelle Ré
( 160)
publique; mais peut-être en eſt-elle amplement
dédommagée par la quantité d'Anglois
, d'Ecoffois &d'Irlandois qui quittent
à leur tour leur pays pour aller demander
des terres en Amérique , & fur-tout poury
porter une induſtrie qui mettra cette partie
du monde en état de ſe paſſer bientôt des
manufactures de l'Europe. Ces émigrations
font affez conſidérables pour alarmer , & l'on
s'empreſſe de publier dans nos papiers toutes
fortes de détails pour en détourner ceux qui
ſeroient tentés de s'expatrier ; ainſi l'un d'eux
a donné derniérement l'article ſuivant.
>> L'émigration pour l'Amérique ſeroit certainement
beaucoup moins conſidérable , fi toutes
les perſonnes qui prennent ce parti avoient lu les
Obſervations ſuivantes , tirées de l'Ouvrage du
Lord Sheffield , ſur le Commerce des Etats-Unis.
-Les Emigrans d'Europe , pour les Etats-Unis ,
feront , dit- il , bien cruellement trompés dans
leur attente ; néanmoins je ne ſerois pas ſurpris
qu'ils y attiraſſent d'autres Colons , ne fut-ce
que pour avoir des compagnons d'infortunes.
Après avoir furmonté des difficultés ſans nombres
, que doivent néceſſairement éprouver des
Avanturiers & des Etrangers il leur faudra
payer les taxes , quoique le défir de ſe ſouſtraire
à ces impoſitions ait peut-être été un des principaux
motifs qui les a déterminés à quitter
leur pays , & , fi ce ſont des Anglois , à facrifier
des avantages ineftimables. Les mêmes dépenſes
, la même induſtrie dont ils auront befoin
pour ne pas périr de miſere en Amérique ,
Leur auroient procuré un établiſſement avantageux
en Europe, fans qu'ils fuffent obligés d'abandonner
leurs parens & leurs amis dont ils
6
( 161 )
-
regretteront toujours la ſociété , & dans l'affec
tion deſquels ils auroient trouvé , tôt ou tard >
ou des ſecours pour être plus heureux , ou des
confolations dans l'infortune . La nécef
ſité indiſpenſable de développer tous les efforts
de l'industrie dans un pays inconnu & au milieu
de déferts , où les nouveaux Colons n'ont d'ailleurs
aucune occafion de ſe livrer à la diſtraction
des plaifirs , la difficulté , la honte même
de retourner chez ſoi , font les feuls liens par
leſquels les Emigrans puiffent être retenus fur
une terre qui les tourmente & les repouſſe ſans
ceffe. Toutes les chimeres brillantes qui avoient
tant exalté leur imagination ſe réduiſent à un
terrein en friche , ouvert de tous côtés aux in
curfions des Sauvages. L'émigration eſt la
reſſource ordinaire des malfaiteurs & des mauvais
ſujets en général ; mais je ne la conſeillerai
jamais à tout homme qui ne craint ni la Juftrce
ni le travail ».
Le traité de paix avec l'Amérique que
l'on attendoit encore eſt arrivé dernierement ;
leRoi dans un Conſeil tenu après, les a tous
ratifiés & fignés ; ils ont été ſcellés enfuite;
&on compte en conféquence , que la proclamation
publique de cet heureux événement
ne tardera pas à être faite. Le Public
s'attendoit qu'elle auroit lieu auffitôt
après l'arrivée du Capitaine Warner . le
Lord-Maire avoit déja commencé les préparatifs
néceſſaires. On dit qu'il y a eu trois
Conſeils fucceffifs à ce ſujet, à l'iſſue de chacun
deſquels on avoit dépéché des ordres
contraires ; le dernier a ſuſpendu cette publication
qu'on croit que rien ne doit plus retarder
à préſent. On n'a pas remarqué que la
( 162 )
nouvelle de la paix ait rien produit en faveur
de nos fonds; il y en a eu beaucoup fur la
place,& ils font reſtés au tau où ils étoient ;
cependant le payement que l'on va faire
de partie des billets de la marine pour une
ſommede 1,100,000 liv. ſterlings étoit fait
pour ranimer la confiance. Il paroît que ce
n'eſt que le tems qui pourra la rétablir.
Letraitéde commerce avec l'Amériquen'eſtpas
encoreune affaire terminée; iléprouve,dit-on,bien
desdifficultés , on raconte àce ſujet la converſation
ſuivante qu'ondit avoir eu lieu entre M. Hartley &
M. Frankklliinn.. Cedernierdemanda ſi l'Irlandeneſeroit
pas nommée dans ce traité ; le premier qui
ne s'attendoit pas à cette queſtion & qui n'y étoit
point préparé , parut embaraffé & répondit enfin
négativement. Le docteur Franklin obſerva alors
que comme l'Irlande étoit un Royaume indépendant
, il étoit eſſentiel de ſavoir , ſous quel
point de vue il falloit le regarder dans un traité
où il ne ſeroit pas expreſſément nommé. L'affaire
du Portugal , ajouta-t- il , montre la néceſſité de
déſigner l'Irlande dans ce traité pour éloigner
tout ſujet de diſpute , ſoit de la part de l'Angleterre
, ſoit de celle de l'Amérique , ſoit de celle
de l'Irlande ; il pria M. Hartley de prendre les
inſtructions de ſa Cour; on prétend que depuis
ce tems notre Miniſtre n'a plus parlé de cette
affaire au Miniſtre Américain.
Il eſt décideque quelle que ſoit l'iſſue des
démêlés entre la Ruffie & la Porte , l'Angleterre
n'y prendra aucune part active;le beſoin
qu'elle a de la paix la décide à ſe contenter
d'en être ſimple ſpectatrice. On laiſſera les
deux Puiſſances s'arranger enſemble , & on
fe bornera à faire des voeux ſecrets pour l'une
ou pour l'autre.
( 163 )
Dans un moment où l'attention eſt tournée
de ce côté , on n'a pas lu ſans intérêt ce
que diſent les papiers étrangers du chefdes
Bombardiers ottomans. On le dit Anglois ,
&il eſt tout fimple qu'on ait cherché ici à
connoître plus particulierement ce perſonnage
, puiſqu'il tient à la nation. Peut- être
les recherches qu'on a faites ne ſont-elles pas
exactes ; felon les unes , c'eſt le malheureux
Capitaine Jone qui , accuſé il y a neuf à dix
ans , d'un crime dont le cri unanime des
femmes ſembloit le juſtifier , condamné fur
le ſeul témoignage de ſon accuſateur , profita
de l'occaſionqui lui fut offerte pour s'évader
&difparut. Comme depuis ce temps on n'a
point eu de ſes nouvelles , qu'on fait qu'il
avoit des connoiſſances particulieres fur l'artillerie
on ſuppoſe qu'il s'eſt refugié en
turquie , qu'il y a pris le turban ,&qu'il s'eſt
élevé au poſte qu'occupa avant lui le fameux
Comte de Bonneval. Tout cela n'eſt
vraiſemblablement qu'une ſuppoſition ; en
voici peut- être une autre que nous donnerons
telle qu'on la lit dans tous nos papiers.
,
ce Mustapha eſt Anglois , & né dans le Comté
de Stafford. Il fut deſtiné parſes parens à l'artillerie
, & pendant quelque temps il fréquenta
l'Ecole Militaire de Woolwich ; mais fon imagination
ardente & romaneſque lui fit quitter
ſes Précepteurs , & voyager par l'Angleterre.
Il mena cette vie errante pendant quelque tems ,
rempliſſant toutes fortes d'emplois & quelquefois
de très-bas pour vivre. Fatigué enfin de cette
conduite , il retourna chez ſes parens , qui lui
voyant du goût pour les armes , ſe propoſerent
( 164 )
de lui procurer une commifion. Ce projet traîna
en longueur. Son caractere vif ne lui permit pas
d'attendre ; fous le prétexte d'aller folliciter luimême,
il tira une fomine de ſes parens , ſe rendit
à Londres, de- là àDouvres d'où il pafía en France,
il parcourut ce Royaume à pied : viſita les écoles
d'artillerie , vécut avec pluſieurs Officiers céle
bres , auxquels il doit la plus grande partie de
ſes connaiſiances. Se voyant au bout de fon argent
, il alla à Marseille & s'y embarqua fur un
vaiſſeau qui partoit pour laGrece ; il yreſta quel ,
que temps dans l'emploi d'un marchand du plus
bas ordre. Ayant fait connoiffance avec quelques
Turcs , qui retournoient à Conſtantinople ,
il obtint d'eux qu'ils l'y conduiroient ; arrivé dans
cette ville , il érudia la langue des Turcs , en prit
les coutumes ; ſes premieres études militaires
Jui firent remarquer de grands défauts dans la
fonte & l'emploi des canons ottomans ; Il fit des
mémoires ſur ce ſujet ; ils furent tellement goûtés
du grand Viſir auquel il les prétenta , qu'il
en reçut une ſomme conſidérable. Ce ſuccès
eveilla fon ambition ; il pouvoit aſpirer aux
richefſſes & aux honnenrs ; pour écarter tout
obstacle , il renonça publiquement au chriſtianilme
& ſe fit circoncire ; devenu alors Turc
il obtint une place dans l'artillerie, & par dé
gré il eſt monté à celle de Combardgi Bafchi.
Il jouit de la faveur des principaux Miniſtres
du Grand Seigueur ; il eſt conſulté ſur tous les
objets relatifs à la guerre ; & au moment où
Pon eſt menacé d'en voir éclater une , ſon crédit a
augmenté. On ne doit pas oublier que Muſiapha
s'eſt empreílé de ſe procurer tout ce que la loi
de Mahomet permet ; ila un ſferrail choifi. Son
age eſt de 57 ans; il eſt fort & vigoureux. Son
nom Anglois eſt Benjamin Swinburne ».
On racontedu Prince de Galles une anec(
165 )
dotetrès-intéreſſante que nous nous empref
ſons de placer ici , comme on la trouve dans
quelques-uns de nos papiers.
Ce Prince , dit-on , pafle pour aimer la dépenſe;
on n'en devroit pas erre étonné à fon
age ; mais on ignore à quoi il contacre ſes depenſes
; & lever une partie du voile dont il enveloppe
la bienfaiſance & la ſenſibilité de fon
coeur , c'eſt le rendre plus cher à lanation . On lait
quelle eſtla la perſonne qui eſt chargée de pourvoir
à ſes beſoins ; étonnée un jour de la cha
leur avec laquelle le Prince lui demandoit 500
guinées , & infiftoit fur le jour , l'heure & la
•minute où il defiroit l'avoir , elle fut curieuſe
de ſavoir quel étoit l'emploi qu'il en vouloit faire,
&le motif de ſes inſtances ; elle fit remettre la
fomme au Prince & le fit épier. S. A. R. , en
recevant l'argent , ſe dépouillaauſſi -tôt de ſes
vêtemens , en prit,un très-ſimple; fans plaque,
ſans ordre , ſans marque diſtinctive ; & retrouffant
ſes cheveux avec un peigne ſous un grand chapeau
, il fortit ſur la brune & ſe rendit à pied
dans une rue près de Covent- Garden; il entra dans
une maiſon de peu d'apparence ; monta au dernier
étage, où on lui ouvrit une chambre miférable dans
laquelle étoient un homme , une femme & plufieurs
enfans avec la livrée de la miſere ; fans
ſe faire connoître il leur remit la ſomme , en
diſant qu'on s'intéreſſoit à eux , & en les exhortant
à donner de leurs nouvelles au Colonel
Lake , dont il leur laiſſa l'adreſſe en ſe retirant .
Les infortunés qu'il soulage , & qui ignorent le
nom de leur bienfaiteur , font un Officier revenu
depuis peu d'Amérique & fa famille. Des
detres qu'il avoit été forcé de contracter pour
fournir à ſes beſoins & à ceux de ſes enfans ,
l'expoſoient à être enfermé en vertu d'un ordre
obtenu par ſes créanciers , & le Prince les a
( 166 )
mis en état de les fatisfaire &d'attendre une cir
conſtance plus favorable pour ſortir d'embarras .
De pareils faits n'ont pas beſoin de commentaires;
tant de ſenſibilité &de bienfaifance ne ſont
pas dans une ame ſans toutes les autres vertus,
Acette anecdote nous en joindrens une
autre , & ce ſera encore la Famille royale qui
nous la fournira.
La Princeſſe Royale n'a point eu d'autre inſtitutrice
que la Reine , qui a donné à toutes les
meres un exemple qu'elles trouvent rarement
dans celles de ce rang ; auſſi n'y a-t- il point de
Princeſſes en Europe qui aient été mieux élevées
&qui foient auſſi inſtruites. Dès ſon enfance ſon
augufle inſtitutrice s'eſt attachée à cultiver ſon
eſprit ,& à le remplir des connoiſſances les plus
utiles. A l'âge de 4 ans en lui faiſoit lire tous
les jours pendant deux heures des livres à ſa portée,
& le ſoir il falloit qu'elle rendit compte
au Roi & à la Reine de ſa lecture ; ce qui l'accoutumoit
à lire avec fruit , & à donner de l'ordre
aux idées qu'elle acquéroit nouvellement. La
méthode employée pour ſon inſtruction étoit ſans
doute la plus propre à remplir ce but. On profitoit
de l'occaſion de tous les événemens qui
faiſoient un peu de bruit , & dont tout le monde
s'entretenoit devant elle , pour lui faire lire tous
les récits d'événemens de ce genre conſervés
par les Hiſtoriens ; il en étoit de même quand
il paroiſſoit un ouvrage nouveau ; on lui mettoit
entre les mains tous ceux de la même efpece
, on lui apprenoit à les comparer : ſe faiſoit-
il une découverte , on lui faiſoit apprendre
ainſi toutes celles qui l'avoient précédée & qui l'avoient
amenée; la converſation de la Princeſſe
étoit dirigée ſur l'objet particulier qu'on
étudioit on l'accoutumoit à ne rien
effleurer , mais à tout approfondir ; elle aime
,
&
( 167 )
beaucoup l'hiſtoire naturelle, &elle a faitdes progrès
dans la partie théorique qui s'apprend dans
les livres . Lorſque M. Herſchel a découvert
une nouvelle planete , elle a été obligé de lire
tout ce qu'il faut pour donner une hiſtoire claire
de toutes les découvertes de ce genre ; le ſuccès
qu'a eu cette partie de ſon inſtruction étonna
beaucoup le Roi , qui ne s'y attendoit pas ſur
un objet auſſi abſtrait. La converſation de la
Princeſſe ſe reſſent de ces connoiſſances ; & plufieurs
de nos Courtiſans , qui n'ont pas employé
comme elle la premiere partie de leur jeuneſſe,
l'évitent avec ſoin , de peur de montrer leur
ignorance.
On a parlé dans l'article précédent de la
découverte de M. Herſchel , on ne ſera pas
fâché de trouver ici ce que diſent nos papiers
de ſes nouvelles obſervations.
« Après des calculs fondés ſur des obſervations
aſtronomiques , diſent-ils , M. Herschel a
trouvé que la nouvelle planete qu'il a découvert
a quatre fois & demi le diametre de la
terre , & que ſa diſtance réelle eſt d'un milliard
800 millions de mille. Il apperçut pour la premiere
fois cette planete le 13 Mars 1781 , entre
dix à onze heures du ſoir , en examinant les petites
étoiles qui ſont aux pieds des gemeaux ;
l'inſtrumentdont il ſe ſervoit alors , groſſiſſoit 2 27
fois. Il a portè enſuite ce pouvoir de groſſir à
2010. On dit que depuis , il eſt parvenu à perfectionner
quelques-uns de ſes téleſcopes à un
point bien extraordinaire , puiſqu'ils augmentent
les objets de 6 à 7000 fois. L'effet de ces inſtrumens
ſur les étoiles fixes dont on a découvert
pluſieurs qu'on croyoit auparavant être de ſimples
étoiles , lui ſuggéra l'idée d'en trouver la
parallaxe, &c'eſt en faiſant des obſervations pour
y parvenir , qu'il découvrit la nouvelle planete.
( 168 )
On lit dans une lettre de Dublin les détails
ſuivans qui offrent un exemple fingulier
de la ſagacité & de l'attachement des
chiens.
Un enfant de 5 ans ſe promenant dans une
cour, ſe laiſſa tomber dans un puit. Dans ce
moment tout le monde étoit à diner ; il n'y
avoit qu'un chien à la chaîne , qui fit tant
par ſes efforts qu'il s'en débarraſſa& ſe jetta après
l'enfant dans le puit , le ſouleva , & lui tint la
tête hors de l'eau , en aboyant par intervalle
pour avertir ; l'on vint enfin , & ce ne fut qu'après
uneheure de travail qu'il arriva du ſecours
on retira l'enfant qu'on rappella à la vie , &
qu'on porta à ſa mere ; on retira auſſi le chien,
qui en le foutenant hors de l'eau avoit empêché
qu'il ne fût ſuffoqué.
L
FRANСЕ.
DE VERSAILLES , le 25 Septembre:
I e Roi a nommé à l'Abbaye de Ponteau ,
Ordre de Cîteaux , Diocèse d'Aire , l'Abbé
de Viella , Vicaire-Général de Viviers , &
à celle de Notre-Dame du Palais , même
Ordre , Diocèſe de Limoges , l'Abbé de
Gain , Comte de Lyon , Vicaire-Général de
Riés.
M. Thierry de Ville-d'Avrai a eu , le 14
de ce mois , l'honneur de faire ſes remercimens
au Roi pour la ſurvivance & l'adjonction
à la charge de Commiſſaire-Général
de la Maifon du Roi , au département du
Garde meuble de la Couronne , dont eſt
pourvu en titre , M. de Fontanieu .
DE
( 169 )
DE PARIS , le 23 Septembre.
Il circule dans le public pluſieurs lettres
particulieres arrivées de l'Inde avec la Corvette
la Fortune , à bord de laquelle eſt revenu
M. Bouvet ; l'une , en date de Trinquemale
, le 12 Avril , contient entre autres
les détails ſuivans :
« Depuis le combat qui ſuivit la priſe de Trinquemalle
, & qui fut le fixieme de cette campagne
, il n'y a eu aucun événement de mer important.
L'eſcadre alla hyverner à Achem dans
l'ile de Sumatra , pour y attendre la diviſion de
M. de Buffy & celle de M.de Soulanges annoncée
d'Europe La premiere fut long-temps retenue
à l'île de France par les maladies , &ne nous a
joint ici que le 13 Mars : l'armée de M. Buſſy a
débarqué à Goudelour. Quant à la diviſion de
M. de Soulanges , partie de Brest & fur laquelle
nous comptions pour des agrets & des munitions,
vous favez l'accident qui nous a privés de ce ſecours
ſi eſſentiel . Le zele , l'activité , le patriotiſme
de M. de Suffren ont fuppléé à tout , & il
s'eſt foutenu dans l'Inde avec peu , & pour ainſi
dire , avec point de moyens. Ce Général ſentoit
combien il étoit importantde ne pas retourner à
l'Iſle de France , afin de ne pas laiſſer l'ennemi
maîtredes mers qu'il avoit à protéger , & fon courage
a réſiſié à tout ce qui le ſollicitoit de quitter
des parages où il ſe trouvoit fans port , ſans dépôt
; obligé de traîner avec ſoi dans les combats
nos flutes ; de voir nos priſes tour-à-tour occupées
à combattre & à nous réparer ; contraint de
démâter ces priſes , nos corvettes & même des frégates
, pour en tirer des mats de hune & quelques
agrets. Les priſes ont été ſuceſſivement envoyées
No. 39. 27 Septembre 1783. h
( 170 )
au Pégu , à Malaca , aux Manilles & à Batavia ,
pour y prendre des bois & d'autres ſecours ; enfin
elles nous ont fourni des vivres , & de l'argent ,
avec lequel nous avons acheté des munitions de
serre & de mer , qui ont foutenu l'armée , &
fur-toutdes boulets dontnous manquions. Pendant
cette campagne nous avons pris à l'ennemi le vaifſeau
l'Annibal de 50 canons , & la frégate le Coventry
de 28. Nous avons enlevé ou détruit environ
150 bâtimens , & nous n'avons perdu qu'un
feul cutter , pris dans le port de Tranquebar , poffeffion
Danoiſe , où il étoit mouille , & où il ſe
croyoit en sûreté ſur la foi des traités .-Achem
où nous avons hiverné pendant trois mois , eſt un
très- bon pays , où l'on trouve beaucoup de rafraichiſſemens
, qui en rendent la relâche très-bonne ,
c'eſt là que nous avons trouvé le plus excellent
fruit du monde , appellé le Mangcustan. Les Malais
duRoyaume d'Achem ſont un peuple méchant;
ils portent toujours une arme empoiſonnée qu'ils
appellent Cri. Il y a beaucoup d'or dans ce pays ,
mais les Naturels en connoiſſent tout auſſi bien le
prix que les Européens.- Dès que la ſaiſon de
Phyvernage a permis de quitter Achem , le Bailli
de Suffren eſt retourné à Trinquemalle , place
importante par ſa ſituation , & qui ayant été enlevée
aux Anglois , les a contraints de ſe retirer à
Bombay ſur la côte de Malabar , d'où ils ſont attendus
inceſſamment. Nous venons d'apprendre
qu'ils ont laiſſé dans ce port deux vaiſſeaux de ligne
en radoub ; de forte que s'ils paroiſſent de
nouveau fur la côte de Coromandel , nous serons
en forces égales ; 15 vaiſſeaux de ligne contre 15 .
Le 7 Décembre dernier , nous avons perdu
notre brave allié Hyder-Aly , qui eſt mort d'un
abcès au côté. Son fils Typoſaeb a hérité de toutes
fes poſleſtions ,de ſa haine pour les Anglois & de
( 171 )
ſon amitié pour nous. Il eſt bien à defirer qu'il ait
hérité de même de ſes talens militaires , c'eſt ce
dontla campagne qui va s'ouvrir, décidera . Il vient
d'être obligé de repaſſer les montagnes des Gates ,
pour voler au ſecours de ſes poffeffions vers les
côtes de Malabar , que les Anglois ont attaquées
pour faire une utile diverſion . En quittant la côte
de Coromandel , il a laiſſé 20 milles hommes à M.
de Buſſy. Nous ignorons les projets de ce Général
de terre , qui jouit de la meilleure ſanté &de la
plushaute conſidération. -Quant à nous , nous
attendons l'eſcadre Angloiſe , & s'il y a une nouvelle
affaire , elle ſera déciſive. La priſe importate
de Trinquemalle au commencement de cette
campagne , a été un coup de partie , en ce qu'elle
nous adonné unport& ena privél'ennemi. LeHéros
fe montredans toutes les occaſions avec la plus
grande diſtinction ; & fi les bruits de paix qui commencent
à courir ici ne ſe réaliſent pas bientôt, ily
a tout lieu de croire que ſon exemple ſera généralementimité,
& que l'honneurdu pavillon François
, connu dans toutes les mers de l'Inde , mettra
une finglorieuſe a la guerre actuelle , &c » .
, A cette lettre , d'un Oficier de mer
nous en joindrons une autre écrite par un
Oficier de terre , datée du camp de Machi--
cupan le 1 Avril.
La flotte Françoiſe mit à la voile de l'île de
Bourbon le 24 Décembre. Sa traverſée a été heureuſe
, mais longue & déſagréable à cauſe des calmes
fréquens , dont il réſulte des chaleurs exceffives
, dont nous avons beaucoup ſouffert .... Les
mers des Indes ſont les plus belles mers du monde ;
après de gros vents , lors même qu'ils ont ſoufflé
pendant pluſieurs jours , dès que le calme renaît ,
la mer redevienten peud'heures auſſibelle & auſſi
h2
( 172 )
- Ce
unie qu'elle l'étoit auparavant. Le contraire arrive
dans celles d'Europe où , quoique le calme ait
ſuccédé au gros temps, elles reſtent encore agitées
pendant trois ou quatre jours. Nous n'avons point
eu de malades , ni été inquiétés par l'ennemi.
Nous reconnûmes l'ile de Sable quelques jours
après notre départ. Le 27 de Février nous décou -
vrimes la côte de Sumatra , qui eſt très- élevée ,
couverte de bois, & qu'on voit à près de 30 lieues.
Le Général ayant détaché une frégate àAchem ,
pour ſavoir des nouvelles de l'armée ennemie &
de la nôtre , croiſoit à la pointe ſeptentrionale de
l'ile. Nous apprimes que la Corvette la Fortune
étoit partie depuis huit jours d'Achem , que les
Anglois n'étoient point encore ſur la côte , & que
M. de Suffren ſe trouvoit à Trinquemale.
port eſt le plus beau & le plus grand que l'on
puiſſe voir ; il doit tous ſes avantages à la nature ;
Inville qui n'est qu'un grand fort , à une demilieue
du port , est dévaſtée en dedans : on n'y voit
que des ruines. Le côté où l'on a fait l'attaque
eft démoli: ontravaille à réparer les ouvrages &
même à les augmenter : le pays eſt beau , les Indiens
grands&bienfaits ; leur habillement confif
te en un turban , un grand morceau de toile de
coton qui leur couvre l'épaule & un autre ſur les
cuiſſes ; leur teint eſt olivatre , plus ou moins
noir : tous portent des moustaches , & pluſieurs
laiſſent croître leur barbe. Ils mâchent continuellement
du betel , qui leur rougit les dents. Ils
paroiſſent avoir le caractere doux ; ils aiment les
François , & ſont contens d'eux. Leurs ornemens
font des anneaux d'or qu'ils portent aux oreilles
en fi grand nombre , que ce poids les allonge de
deuxpouces ; des anneaux d'argent qu'ils mettent
aux bras & aux jambes ; des bagues aux doigts
des mains & à ceux des pieds , de l'or gravé dans
( 173 )
Je front,& fouventun anneau ou une pierre enchaffée
dans de l'or qu'ils ſuſpendent à leur nez ,
percé à cet effet. Les femmes y font auffi laides
que les hommes font beaux. - L'activité de
M. le Commandeur de Suffren eſt incroyable . If
n'admet rien d'impoffible pour fournir les moyens
néceſſaires à l'exécution des ordres qu'il donne .
Sa prudence égale ſa bravoure & fon intrépidité.
Dès le moment de notre arrivée , le Comte
de la Mark a été envoyé en ambaſſade au fils
d'Hyder- Ali , Tippo - Saib ( dort le pere étoit
mort , il y a quelque temps ). Le troifeme jour
l'Ecadre appareilla avec les differens bâtimens
chargés de munitions de guerre , pour la côte de
Coromandel. Le 16 au foir , nous mouillâmes à
Porto - novo. Adeux heures de la nuit , on donna
les ordres pour le débarquement des troupes , qui
s'opéra avec le plus grand ordre , nous paísâmes
cettejournée à terre dans le même ordre. M. de
Buſſy débarqua le matin. Tous les bâtimens le
faluerent de 10 coups de canon. Le Commandant
Indien de la grande Pagode de Schedenbouroug
étoit ſur le rivage , à cheval , ſuivi de ſes
gardes & de fa muſique , avec pluſieurs magnifiques
palanquins pour recevoir le Général. II
paſſa l'armée en revue , & les Officiers des différens
Corps lui firent leur viſite. L'arrivée de
M. Buffy a fait une vive impreſſion : les Anglois
craignent ſa préſence , à caute de la confiance
qu'il inſpire aux Indiens & aux Princes du pays.
- Le jour de notre arrivée , nous nous mimes
en marche à fix heures du ſoir fur Goudelour.
Le 17 au matin , nous en étions à une demilieue;
on nous fit faire halte pour que la troupe
prit du repos. Nous nous remîmes le même
foir en marche pour Machicupan , où nous pafsâmes
pluſieurs nuits au bivouac , avant que les
h3
( 174 )
équipages fufſent débarqués. Le 24 nos tentes
furent dreffées & les troupes camperent. -Julqu'à
préſent notre Armée ne manque de rien ;
elle aduris , de la viande & de l'arack . L'Armée
angloiſe , moins confidérable que la nótre , manque
de tout , excepté d'argent. Le ſoldat anglois
eft bien payé & ne trouve point à fe nourrir. II
nous vient des déſerteurs qui ſe plaignent ame--
rement.-Les dépenſes des officiers ſont confidérables.
Ils ſont obligés d'avoir un cheval &
au moins deux boeufs. Les chevaux ſont ici fort
chers & forr médiocres. Cette dépenſe forme un
objet de 40 Louis. Il faut un Dobachi , ( valet
de chambre ), un Pion , ( laquais ) , un Tonigachi
(domeftique dont la fonction eſt d'aller chercher
l'eau & le bois ) , un cuisinier , un Culi ( domeftique
employé aux gros ouvrages ) , un Bouvier ;
un Cavaler , & un Nerler ; ainſi le moindre Officier
a 8 hommes à ſon ſervice , ce qui lui coute
6 louis par mois . - -Les Indiens ſont en proje
à une détreffè affreuſe : ils périſſent faute d'alimens
, & il n'y a pas long -temps que l'on voyoit
les chemins jonchés de morts . Maintenant encore
leur miſere eft très -grande ; ils demandent partout
la charité & de la nourriture fur - tout à
Porto Novo'; je n'yai vu que des ſquéletes ambulans
; ces malheureux retracent par leur extrême
maigreur l'image de la mort. Par- tout où nous
avons paſſé , les maiſons ſont ruinées & abandon.
nées , les champs incultes ,& ce pays le plus beau
de l'Univers , n'offre que le tableau de la dévaftation.
La chaleur eſt exceſſive , mais l'air très-falubre.-
Nous marcherons dans peu pour rejoindre
la grande Armée.
,
Les lettres de Marseille nous apprennent
que les frégates de Malte la Sainte Elifabeth
&la Sainte Marie, commandées par le Com(
75)
mander de Suffren S. Trogés , y arriverent
al commencement de ce mois , de retour de
P'expédition d'Alger , & qu'elles devoient en
remettre à la voile peu de jours après pour
retourner à Malte.
Les Gabarres du Roi, écrit-on de Dunkerque,
qui revenoient du Nord , où elles ont éré chargerdes
matures & du bois de conſtruction , ent
mouillé ici les de ce mois; elles n'ont pas été
auffi heureuſes en revenant que dans leur pre
mier trajet , qui ne fut que de peu de jours de
Breſt à Riga ; elles ont mis un mois à leur retour
pour venir ici , & elles ont été fort contrariées
par les vents. On dit qu'en arrivant à Riga ,
elles y ont trouvé une quantité prodigieuſe de
Navires dont la plupart étoient Anglois. Dès que
le vent le permettra , elles remettront à la voiles
On continue de s'entretenir beaucoup de
la machine aëroſtatique ; les expériences que
M. de Montgolfier devoit faire , le 12 de ce
mois , en préſence des Commiſſaires de l'Académie
des Sciences , eurent lieu en effer
ce jour là , malgré un vent affez fort , & la
pluie qui les contrarioient.
Pluſieurs perfonnes qui y avoient été inv:-
tées , & même quelques Commiffaires de l'Aca
démie ne s'y trouverent point , perfuadé que
le temps étoit trop mauvais pour riſquer d'ét
ver en l'air cette grande machine. Cependant ,
comme tout avoit été préparé pour l'expérience ,
M. de Montgolfier ne crut pas devoir la retarder
, ſa machine s'éleva à une hauteur fuffifante
pour faire conflater ſa découverte par l'Académie.
Quoiqu'elle ne fût qu'à demi remplie de
gaz inflammable,qu'on l'eût chargée d'un poids de
h 4
( 176 )
,
600 livres , & que 30 hommes la retinſſent fortement
avec des cordes ce ballon , temblable à
an animal furieux , ne connoiſſoit aucun frein ,
il ſe débattoit & ſembloit vouloir s'élever ; tous
les fils de la toile , tous les cables étoient dans
une tenfion qui faifoient craindre qu'on ne pût
pas le ramener à terre , & il fut queſtion un moment
de l'abandonner à lui-même. Mais comme
il devoit fervir à l'expérience que le Roi à voulu
voir , on ſedécida à le contenir , &à le deſcendre
, en employant de nouvelles forces . Ce fut
alors que balloté par le vent & par la force intérieure
qu'il lui oppofoit , ainſi que par les efforts
qu'on faisoit pour le retenir , il fut dégradé en
pluſieurs endroits , au point qu'on ne jugea pas
à propos de le raccommoder ,quoique toutes les
perſonnes préſentes s'offriffentàaider les ouvriers,
&que les Dames même euſſent demandé qu'on
les employât toute la journée à coudre avec les
femmes chargées de ce travail. Cette machine
avoit 20 pieds de hauteur de plus que la porte
Saint-Denis . Comme elle avoit été conftruite aux
frais de l'Académie , M. de Montgolfier avoit
cru devoir y mettre de l'économie. La toile étoit
un fimple canevas qui , couvert ſeulement de papier,
ne pouvoit pas réſiſter à une longue pluie
&à un coup de vent.
La machine qu'on s'eſt occupé à conftruire
le lendemain eſt d'une bonne toile deRouen ,
dont il eſt entré 600 aunes ; on l'airendue
très-folide , & on l'a miſe à l'abri des intempéries
de l'air en l'enduiſant d'un vernis . Sa
forme eſt celle d'une tente de 60 pieds de
haut fur 40 de diametre , à fond d'azur ,
avec ſon pavillon & tous ſes ornemens en
couleur d'or. Elle contient 40,000 pieds
( 177 )
cubes de gaz , & pourroit enlever environ
1200 liv.; mais dans l'expérience indiquée
pour le 19 de ce mois à Versailles , où elle a
été tranſportée , on ſe propoſoit de ne porter
ſa charge qu'à 600 livres & d'y attacher
une cage dans laquelle on renfermeroit des
animaux. Voici les détails que nous avons
reçus de cette derniere expérience.
«Elle a été faite dans la premiere cour du
Château de Versailles , au milieu d'un concours
prodigieux de ſpectateurs . On tira une premiere
boîte à une heure après midi pour annoncer le moment
de l'introduction du gaz dans la machine.
Une ſeconde boîte indiqua celui où elle fut remplie
, ſous les ordres de M. de Montgolfier. Cette
opération dura 10 minutes ou environ. Une troifieme
boîte annonça l'inſtant où l'on coupa les
cordes qui la retenoient pour la livrer à ellemême.
Elle s'enleva auſſi-tôt , & produiſt fur
tous les ſpectateurs une eſpece d'admiration pour
ſon volume impofant.On avoit attaché à la partie
inférieure de ce ballon un panier d'ofier , dans
lequel étoient un mouton , un canard & un coq ,
&au-deſſous un barometre. L'aſcenſion de cette
machine paroît avoir été d'environ 200 toiſes .
Le vent d'oueſt l'a forcée à prendre un cours
boriſontal qui a duré 27 ſecondes ; après quoi
elle a commencé à décliner plus ſenſiblement ,
&a fini par tomber dans le bois de Vaucreſſon ,
au lieu appellé le Carrefour Maréchal , diſtant
d'une demi-lieue da point de ſon départ. M. Pi-
Jatre du Rofier y eſt arrivé le premier ; il a trouvé
le ballon ſéparé du panier où étoit les animaux
par un amas de bois coupé. Le mouton
mangeoitdans ſa cage ; le canard paroiſſoit nahs
( 178 )
voir point fouffert , le coqavoit eu latête caſlée ,
& le barometre étoit renversé ſans fracture » .
M. Franklin a fait une excellente réponſe
à ceux qui ne ceſſent de répéter à quoi cela
fera-t-il bon ? quelle utilité en retirera- t-on ?
Meffieurs , répondit le profond penfeur , c'eft
un enfant qui vient de naître ; peut- être ferat-
il un imbécille on un homme de beaucoup
d'efprit ; attendons pour le juger que son élucationfoit
achevée.
>> Les habitans de la Paroiſſe de Suré au Perche ,
qui avaient éprouvé la plus grande perte par l'orage
& la grêle extraordinaire du 13 Août dernier
, viennent d'effuyer un ſecond événement
qui met le comble àleur infortune. La grele du
3 Août avait détruit en moins des minutes les
bleds , chanvres , fruits & généralement tout ce
qui conſtituait la récompenſe de l'art & de la
nature depuis un an , lorſque le tonnerre qui a
dépouillé la fleche de cette Paroiſſe de toutes
les ardoiſes qui la couvraient n'a laiſſé que la
charpente dont il a fendu une piece longue de
40 pieds , en en détachant la moitié ſans déranger
l'autre partie qui eft reſtée ſur place ; la
foudre rentrant dans l'Egliſe a féparé le pilier
qui ſoutient un des angles du clocher , du mur
du choeur ; elle a confumé toute la cire d'un
cierge qui était ſur l'autel , ſans avoir brulé la
meche reſtée blanche & fans être dérangée de
fa ligne. Le bois qui ſervait d'addition au cierge
a été régulierement ouvert par le milieu , une
partie reſtée avec la meche ſur l'Autel , l'autre
tranſportée ſur la tablette du banc de l'oeuvre.
Les effets ont été auffi finguliers qu'accablans
pour les habitans de Suré , qui , après avoir
perdu plus de 20000 liv. le trois Août , ſe voient
( 179 )
encore chargés d'une réparation de plus de cent
piſtoles. Comme les grosDécimateurs de cettelaroiſſe
ſont éloignés , je vous prie , Monfieur ,
de faire mention de ces deux événemens dans
votre Journal , afin qu'ils en foient inſtruits.
On a fait , les de ce mois , à S. Severin ,
la diſtribution du prix de vertu fondée par
M. Artau , & qui a lieu tous les ans en faveur
des filles ſages de cette Paroifle ; pluſieurs
perſonnes charitables ont ſecondé le
zele du Curé en ajoutant quelques dons à
cette récompenfe de la vertu; & il feroitbien à
ſouhaiter que cette inſtitution ſi utile à la
ſociété , & fi honorable pour les moeurs , excitât
avec plus de ſuccès encore , la ſenſibilité&
la bienfaiſance des bons citoyens .
>>>L'Académie des Sciences , Belles-Lettres &
Arts d'Amiens , dans ſa ſéance du 25 Août , a
adjugé le Prix des Sciences , dont le ſujet étoit
es ca uses des Hernies , & les moyens de les prévenir
& de les guérir , à M. Munnick , Docteur en Médecine
, & Profeſſeur en l'Univerfté de Groningue.
L'Acceffit a été donné à M. Langler ,
Chirurgien-Major de l'Hotel-Dieu de Beauvais .
L'Eloge de Greſſet , ſujet du Prix littéraire , eft
propoſé pour la troiſieme fois , & ce Prix ſera
triple , c'est-à-dire , de trois Médailles d'or , valant,
chacune , 500 liv . Un Prix de soo liv. eſt
propoſé à celui des citoyens de la Picardie , qui
aura fait la plus belle action d'humanité , de quelque
maniere quelle s'entende ; ou à celui qui aura
découvert un Remede des plus utiles à la ſanté , ou
qui aura inventé quelque Machine , Métier , Instrument
propre à la perfection de l'Agriculture , des
Arts , du Commerce, pricipalement dans la Pro
h6
( 180 )
wince. Ce Prix a été fondé par M. de la Tour ,
Peintre du Roi , Conſeiller de l'Académie royale
de Peinture , & Honoraire de l'Académie d'Amiens.
Cet Académicien , qui , dans ſes portraits ,
peint fi bien l'ame , & qui en a une ſi belle ,
eſt auſſi illustre par la bienfaiſance que par le
génie. Les Ouvrages ou Mémoires ſeront envoyés
, franc de port , avant le 1 Juillet 1784,
àM. Baron, Secrétaire de l'Académie , à Amiens .
M. le Griel vient de nous faire paffer l'obſervation
ſuivante faite à Barneville près
Honfleur , du Météore fingulier qui a été vu
dans plufieurs endroits de l'Europe.
Le 18 Août de cette année , à neuf heures
vingt-cinq minutes du ſoir , le Barometre étant
à 28 pouces 4 lignes , & le Thermometre à 18
degrés felon M. de Réaumur ; un très -léger
vent fouflant à peu-près du côté du Nord : j'apperçus
, dans le vrai Nord du monde , à 20 degrés
vers l'Oueſt , la variation de l'aimant corrigée
, à la hauteur de 40 degrés ſur l'horifon ,
un Globe de feu de forme ſphérique , dont la
groſſeur repréſentoit àpeu-près celle de la Lune
dans ſon plein , qui parcourut dans le ciel un
arc de 100 degrés ;& ce fut là où un groupe
d'arbres me le cacha ; peu de ſecondes avant ,
c'est-à-dire , éloigné d'environ 40 degrés du zenith
, il me parut que le feu de ce météore
manquoit d'aliment , car ſa lumiere commençoit
à diminuer ſenſiblement ; il paſſa à 10 degrés
vers l'Eſt du zenith ,& mit environ 90 fecondes
à parcourir cette portion de l'arc du ciel : fa
marche étoit accompagnée d'un pétillement ſemblable
à celui d'une très-forte électricité , &
laiſſoit après lui une longue queue cu longué
traînée de feu , que j'ai attribué , non pas.aux
cendres embraſées du Globe , qui étant aban(
181 )
données après lui dans ſa courſe paroiffoient enflamées
tant qu'elles étoient embrâfées , & difparoiſſoient
fitôt après leur refroidiflement : mais
à la vitelle extrême avec laquelle ce Globe s'eſt
mû ; car comme la foibleſſe de notre organe ne
me permettoit pas de diftinguer les endroits
qu'il venoit d'abandonner , & que l'imprefſion
de la lumiere ſubſiſtoit encore dans mes yeux ,
je croyois voir tout cet eſpace en feu : en
effet , la viteffe avec laquelle il s'eſt mû étoit
fi grande que je ne pouvois point diſtinguer leurs
différentes parties , mais que je ne ſaiſiffois que
leur maſſe locale : la forme de cette queue qui
comprenoit en ligne droite différents Globes
qui diminuoient de volume , à meſure qu'ils
reſtoient en arriere , me confirme cette ſuppofition.
La clarté de la lumiere de ce Globe
annonçoit une matiere fort condenſée & compoſée
, car la couleur blanche de ce feu me fait
ſuppoſerque cette matiere eſt un compoſé preſque
entiérement nitreux , & très -légérement fulphureux
: cependant , en ſuppoſant que la matiere
ſulphureuſe y dominat , il faudroit , dans cette
ſeconde hypotheſe , ſuppoſer le ſouffre extrêmement
volatiliſé. La forme ſphérique de ce météore
n'eſt due qu'à ſa propre marche ; car comme
c'étoit un fluide embráſé qui nageoit alors dans
l'air , qui , lui-même , eſt un autre fluide , il a
pris une forme ſphérique. L'action des vents n'a
dû nullement influer ſur l'extrême viteſſe de ſa
marche , puiſque , au moment de fon apparition
, l'air étoit fort calme: de plus , l'action des
vents , fi forts qu'ils soient , n'auroit pû le faire
mouvoir avec tant de promptitude ; & je crois
que , juſqu'à ce jour , la Phyſique n'a pû décou
vrir la force projectile qui anime ces fortes
de météores, Le jour qui précéda cette ob
( 182 )
ſervation , le temps fut affez beau , peu nebuleux;
le vent affez conftament calme , & fouflant du
côté du Nord ; le Barometre toujours à 28
pouces , 4 lignes , & le thermometre à 20 degrés
ſelon M. de Réaumur , & peu après le coucher
du Soleil il parut, dans la région du Nord,
à 20 degrés près de l'horiſon , quelques petites
nuées électriques , que la lumiere de la Lune
éclipfa». :
>> L'Académie Françoiſe croit devoir apprendre
au Public que la Médaille du Prix de Vertu
qu'elle a donnée dans la ſéance de la Saint-
Louis de cette année , & qu'elle donnera de
même dans toutes les ſuivantes , a été gravé
gratuitement par M. Gatteaux , Graveur des Médailles
du Roi , Artiſte plein de talent , d'honnêteté
& de zele patriotique , dont il a donné ,
par cet acte généreux , la marque la plus diftinguée
& la plus digne de l'eſtime de tous les
bons citoyens. Cette Médaille , éxécutée avec
tout l'art , le goût , & toute l'intelligence poffible
, repréſente , d'un côté , Minerve , debout ,
tenant une couronne de laurier , & porte de
l'autre cette Inſcription : Prix de Vertu , entourée
d'une couronne civique. L'Académie Françoiſe
, pour témoigner , quoique faiblement , fa
reconnoiffance à M. Gatteaux , l'a prié d'acceр-
ter un Exemplaire de ſon Dictionnaire , un Billet
d'entrée , pour lui , à toutes les ſéances publiques
, & deux autres Billets , pour donner à
qui il voudra ».
René Comte de Turpin , Meſtre de
Camp de Dragons de la Maiſon de Turpin
de Jouhé , établie en Angoumois dès
le douzieme fiecle , eſt mort en ſon Château
de Nalliers en Poitou , le , Juillet dernier
( 183 )
âgé de 45 ans. Il étoit le dernier de la branche
établie en Poitou depuis trois fiecles . II
a laiſſé un frere admis au Chapitre de Lyon ,
& trois filles ; l'aînée Chanoineſſe de l'Argenton
, & les deux autres de Neuville.
DE BRUXELLES , le 23 Septembre.
On a fait il y a quelque tems à Bonheyden
en préſence de L. A. R. & du Comte de
Belgiojofo , Miniſtre de l'Empereur , l'épreuve
de fufils d'une nouvelle invention, imaginés
& conftruits par le ſieur Marder, Armurier
de l'Electeur de Cologne , & dont on a
fabriqué un grand nombre dans la manufacture
Impériale du ſieur de Gamby. On avoit
envoyé à Bonheyden un détachement de
Grenadiers & de Dragons de la garnifon de
cette ville , pour faire les épreuves ; on les a
faitexercer & tirer àdifférentes diſtances avec
'ces nouveaux fufils , & on a reconnu qu'ils
étoient plus juftes , & que dans le même
eſpace de tems on tiroit beaucoup plus de
coups & plus facilement qu'avec les autres .
Selon les Lettres de la Haye , la Compagnie
des Indes a renouvellé aux Etats Généraux
la demande qu'elle leur avoit faite
précédemment d'un ſecours de 14 millions
de florins qui lui font néceſſaires pour continuer
fon commerce, faire face aux Lettres de
change qu'on a tirées ſur elle; elle n'areçu
encore que 12 tonnes quilui ont été avancées
par la province d'Hollande,& qui ne peuvent
ſuffire àſesbeſoins, Elle eſt preſſée d'envoyer
( 184 )
dans l'Inde des Matelots qui y manquent ,
pour équiper les vaiſſeaux qui doivent charger
& apporter en Europe les marchandiſes
dépoſées depuis fi long-tems dans, ſes différens
Comptoirs. Cette nouvelle requête a été
priſe en conſidération & expédiée aux provinces
reſpectives avec priere de l'examiner le
plutôt qu'il leur ſera poſſible.
Les mêmes Lettres portent que les Etats
d'Hollande ont abandonné le procès de
l'Enſeigne de Witte & du Jardinier Van-
Brakel au Tribunal de la Cour de cette
Province qui prononcera. L'Enſeigne s'eſt
adreſſé à L. N. G. P. pour obtenir ſa grace ,
& ſa requête a étérenvoyée à la Cour avec
les pieces du procès.
On a reçu enfin le traité préliminaire de
paix entre l'Angleterre& les ProvincesUnies;
nous nous empreſſons de le tranſcrire.
Le roi de la G. B. & les Etats Genéraux des
Provinces-Unies , animés d'un deſir égal de faire
ceffer les calamités de la guerre , ont déja autorifé
leurs miniſtres plénipotentiaires reſpectifs ,
à figner une déclaration entr'eux pour fufpenfion
d'armes :& voulant rétablir entre les deux nations
l'union&la bonne intelligence auſſi néceſſaires
pour le bien de l'humanité en général que pour
celui de leursEtats & ſujets reſpectifs , ont nommé
à cet effet , ſavoir : de la part de S. M B le trèsilluftre&
très Excellent SeigneurGeorge duc &
comte de Mancheſter &c. &c. fon ambaſſadeur
extraordinaire& plénipotentiaire près S. M. T.
C. & de la part de LL. HH. PP. leſdits Etats-
Généraux les très-Excellens ſeigneurs Mathieu
L'Eſtevenon de Berkenrode , & Gerard Brantfen,
( 185 )
reſpectivement leurs ambatfadeur & ambaſſadeur
extraordinaire & plénipotentiaires. - Leſquels
après s'être duement communiqué leurs pleinspouvoirs
enbonne forme , ſont convenus de articles
préliminaires ſuivant : -1º. Auffitot que les
préliminaires ſeront ſignés & ratifiés , l'amitié fincere
& conftante ſera rétablie entre S. M. В. ,
Etats & ſujets , & LL. HH. PP. les Etats-Généraux
, leurs Etats & ſujets , de quelque qualité
on condition qu'ils ſoient fans exception delieux
nide perſonnes ; en ſorte que les hautes parties
contratantes apporteront la plus grande attention
àmaintenir entre Elles & leurs Etats & ſujets
cette amitié & correſpondance réciproque , fans
permettre dorénavant que de part ni d'autre on
commette aucune forte d'hoftilités par mer ou
par terre pour quelque cauſe ou fous quelque
prétexte que ce puille étre: & on évitera foigneuſement
tout ce qui pourroit altérer à l'avenir
Punion heureuſement rétablie : s'attachant au
contraire à ſe procurer réciproquement en toure
occafion tout ce qui pourroit contribuer à leur
gloire , intérêts& avantages mutuels , fans donner
aucun fecours ou protection , directement ou
indirectement , à ceux qui voudroient porter quel.
que préjudice à l'une ou l'autre deſlites hautes
parties contractantes . Il y aura un oubli général
de tout ce qui a pu être fait ou commis avant ou
depuis le commencement de la guerre qui vient
de finir.-2°. A l'égard des honneurs & du falut
en merpar les vaiſſeaux de la république vis-àvis
de ceux de S. M. B. , il en ſera uſe reſpectivement
de la même maniere qui a été pratiquée
avant le commencement de la guerre qui vient
de finir.- 3°. Tous les priſonniers faits de part
&d'autre , tant par terre que par mer , & les
étages enlevés ou donnés pendant la guerre , &
juſqu'à ce jour , feront reſtitués ſans rançon dans
( 186 )
fix ſemaines au plus tard , à compter du jour de
l'échange de la ratification de ces articles préli
minaires : chaque puiſſance foldant reſpectivement
les avances qui auront été faites pour la
ſubſiſtance & l'entretien de ſes priſonniers par le
ſouverain du pays où ils auront été détenus
conformément aux reçus & états conflates , &
autres titres authentiques qui feront fournis de
part&d'autre ; & il ſera donné réciproquement
des ſuretés pour le paiement des dettes que les
priſonniers auroient pu contracter dans les Etats
où ils auroient été déténus juſqu'à leur entiere liberté
, & tous les vaiſſeaux tant de guerre que
marchands , qui auroient été pris depuis l'expiration
des termes convenus pour la cefſation des
hoſtilités par mer , feront pareillement rendus
debonne foi avec tous leurs équipages & cargaifons;
& on procédera à l'exécution de cet arricle
immédiatement après l'échange des ratifications
de ce traité préliminaire.-4°. Les Etats-
Généraux cédent&garantiſſent en toute propriété
à S. M. B. la ville de Négapatnam avec les dépendances
d'icelle : mais vu l'importance que les
Etats-Généraux attachent à la poffeffion de la ſu
dite ville , le roi de la G. B. pour marque de ſa
bienveillance envers les ſuſdits Etats , promet ,
non-obſtant la ſuſdite ceſſion , de recevoir & de
traiter avec eux pourla reſtitution de ladite ville ,
en cas que les Etats auroient à l'avenir quelque
équivalent à lui offrir.-5°. Le roi de la G. B.
reftituera aux Etats-Généraux Trinconomale ,
ainſi que toutes les autres villes , forts , havres
&établiſſemens qui dans le cours de la guerre
préſente ont été conquis dans quelques parties
du monde que ce ſoit par les armes de S. M. B.
ou par celles de la compagnie des Indes-Orientales
, angloife , & dont il le trouveroit en poffeffion
le tout dans l'état où ils ſe trouveront.
,
-
( 187 ) .
-
,
6°. Les Etats-Généraux promettent & s'engagent
à ne point gêner la navigation des tujets britans
niques dans les mers orientales . -7°. Comme
il s'eſt élevé des différends entre la compagnie
africaine angloiſe , & la compagnie des Indes
Occidentales hollandoiſe , relativement à la navi.
gation ſur les côtes de l'Afrique , ainſi qu'au ſujet
du Cap Appollonia : pour prévenir toute caute
de plainte entre les ſujets des deux nations ſur ces
côtes, il eſt convenu que de part & d'autre on
nommera des commiſſaires pour faire à ces égards
des arrangemens convenables. 8°. Tous les
pays & territoires qui pourroient avoir été conquis
, ou qui pourroient l'être dans quelque
partie du monde que ce ſoit , par les armes de
S. M. B. ainſi que par celles des Erats Généraux ,
qui ne font pas compris dans les préfens articles ,
ni à titre de ceffions , mi à titre de reſtitutions ,
feront rendus fans difficulté & fans exiger de
compenfation . - 9°. Comme il est néceſſaire
d'affigner une époque fixe pour les reſtitutions &
évacuations à faire , il eſt convenu que le roi de
la G. B. fera évacuer Trinconomale , ainſi que
toutes les villes , & territoires dont ſes armes ſe
font emparées , & dont il ſe trouve en poſſeffion
(à l'exception de ce qui eſt cédé par ces artioles
à S. M. B. ) à la même époque que ſe feront
les reſtitutions & évacuations entre la G. B. & la
France. Les Etats Généraux remettront à la
même époque les villes & territoires dont leurs
armes ſe ſeroient emparées ſur les Anglois dans
les Indes-Orientales. En conféquence de quoi
les ordres néceſſaires ſeront envoiés par chacune
des hautes parties contractantes . avec des paſſeports
réciproques pour les vaiſſeaux qui les porteront
immédiatement après la ratificarion de ces
articles préliminaires.- 10°. S. M. B. & LL.
HH. PP. promettent d'obſerver fincerement &
( 188 )
debonne foi tous les articles contenus & établis
dans ce préſent traité préliminaire : & elles ne
fouffriront pas qu'il y foit fait de contravention
directe ou indirecte par leurs ſujets reſpectifs : &
les ſuſdites hautes parties contractantes ſe garantiſſent
généralement & réciproquement toutes les
ftipulations des préſens articles.-11°. Les ratifications
des préſens articles préliminaires , expédiées
en bonne & due forme , feront échangées
en cette ville de Paris entre les hautes parties
contractantes , dans l'eſpace d'un mois , ou plutôt ,
fi faire ſe peut , à compterdu jour de la fignature
des préſens articles.-En foide quoi nous ſouffignés
, leurs ambaſſadeurs & plénipotentiaires ,
avons fignéde notre main , en leur nom , & en
vertude nos pleins- pouvoirs , les préſens articles
préliminaires , &avons fait appoſer le cachetde
nosarmes.-Faità Paris le 2 Septembre 1883.
Signé L, S. Mancheſter , L. S. L'Eſtevenon van
Berkenrode , L. S. Brantſen.
1
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES .
Le 24 Août , écrit- on de Dublin , deux officiers
anglois appartenant à un régiment britannique
qui eſt dans cette ville, ſe battirent en duel
dans le parc du phenix. Au premier coupdepiftolet
qu'ils tirerent , ils ſe bleſſerent tous les
deux; au ſecond ils reſterent l'un & l'autre morts
fur le carreau .
On aſſure que les marchands d'Irlande ont le
defſein de faire le commerce des Indes-Orienzales
ſur leurs propres vaifſeaux. Si ce projet
s'effectue , on craint que la compagnie des Indes
dont les embarras ſont déja très-grands , ne puiffe
pas ſe ſoutenir.
Plus de 300 lieutenans; Midshipmens & chirurgiens
de la marine angloiſe ſe ſont embarqués
pour Petersbourg, dans l'intention d'aller ſervir
àbord des vaiſſeaux de guerre Ruffe.
( 189 )
On eſt parvenu à arrêter la plupart des criminels
qui s'étoient ſauvés du vaiſſeau qui devoit
les tranſporter dans la nouvelle Ecoſſe. Un de
ces malheureux interrogé ſur le but qu'il pouvoit
avoir en s'échappant , a répondu que lui & pluſieurs
de ſes compagnons ſe propoſoient de gagner
le premier port , pour s'engager au ſervice
de la Ruffie , où ils eſperoient trouver de l'encouragement
& reſter inconnus.
Lesmiffions d'uſage àRome dans quatre différentes
places de cette ville finirent le 15 Août,
On ne peut exprimer le concours du peuple qui
a aſſiſté à ces prédications , & les fruits qu'elles
ont produits ; il ſuffit dedire ici que dans la place
de Traſtevere où l'on en attendoit le moins , on
a vu quantité de jeunes gens apporter ſur les
trétaux du miffionaire les armes defendues qu'ils
portoient. Unejeune femme ydépoſa ſon miroir,
& une autre un livre obſcène. Gazetta univerfale
deFlorence.
Une compagnie compoſée de François &
d'Ang'ois , s'offre à exploiter les riches mines
de cuivre que recèle le territoire des baies
d'Hudſon & de Bafin. M. Coriolis de Leſpinouſe
affure , dit- on , que la qualité de ce cuivre eſt
au deſſus de celle de tout le cuivre d'Europe , &
il ajoute qu'il n'y ena pasde plus propre à doubler
les vaiſſeaux. Gazette d'Utrecht , No. 63 .
Sahim-Gueray eſt à Cherſon ; il a beaucoup de
François à ſon ſervice; on fait qu'il aime les
langues européennes , les ſciences &les belle.s
lettres ; il ſe propoſe , dit-on , de faire traduire
l'Encyclopédie à ſes frais en langue tartare . -
Les officiers étrangers qui font entrés au ſervice
du Grand-Seigneur , font tous employés dans
l'artillerie & dans le genie ; ils n'ont pu être
placés dans les autres corps , à cauſe de leur ignorance
de la langue , & du refus que les officiers
( 190 )
musulmans ont fait de fervir avec ceux qu'ils appellent
des Infideles. Nouvelliſte politique d'Allemagne
, No. 145 .
Depuis hier , le bruit court ici , ( à Vienne ) ,
qu'il eſt ſurvenu une grande révolution à Conftantinople&
que leGrand-Seigneur a été détrôné.
Il eſt inutile d'avertir que ce n'eft qu'un bruit .
Gazette de la Haye , No. 94 .
Il paroit que la ville d'Alger eſt preſque détruite
& fon port brûlé , & que l'arſenal ainfi
que les navires ont beaucoup fouffert , & feront
pour quelque temps hors de ſervice. Si la conftance
du Roi d'Eſpagne & de ſon miniftere , renouvelle
lamême vifite tous les ans à ce repaire
depirates , comme on le dit , ce ſera employer
plus honorablement l'argent que ne font d'autres
nations qui leur payent un tribut honteux
& qui répondent à ces pirates par le bien pour le
mal qu'ils nous font , au moyen de leur influence
& des ſecours qu'elles portent aux Barbareſques.
Un intérêt mal combiné les fait agir contre les
principes d'humanité & de politique dont elles
aiment à ſe vanter. Gazette d'Amſterdam , N° .74 .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS, GRAND CHAMBRE .
Interdit , différence entre un Prêtre Diocésain &
& un PrêtreEtranger.
L'interdit mis au nombre des cenfures eccléfiaſtiques
, ne doit être prononcé que pour caufes
graves, les canons exigent même qu'il ſoit précédé
de monitions. Ces formalités ont été introduites ,
pour procurer à l'évêque , avant de lancer l'interdit
, une preuve juridique du délit imputé au
prêtre, Mais il n'eſt tenu d'obſerver ces formalités
que vis-à-vis des prêtres ſes diocéſains : il
n'en eſt pas de même du prêtre qui a quitté ſon
diocèſe pour paſſer dans un autre : ce prêtre
étranger ne peut ſe plaindre , lorſque l'évêque
( 191 )
jugeà propos de lui retirer ſes pouvoirs.-Le
fieur ***né à C ... de parens honorables , ayant été
ordonné prêtre dans ſa ville , en Septembre 1775,
paſſa en 1776 , du conſentement de ſon évêque ;
muni de lettres d'exeat , dans le diocèſe de
Rouen , & y obtint des lettres de vicariat pour
l'égliſe paroiſſiale de M... où il eſt reſté jufqu'en
1778. Il a exercé enſuite dans le diocèſe
de Paris la place de vicaire à M...= En 1780 ,
il s'eſt retiré dans le diocèſe de Chartres où , du
confentement de l'évêque , il a exercé une
place de ſous-vicaire , & prêtre habitué de la paroiffe
de M... l'A... où le curé lui a confié la
place de ſacriſtain , ou clercde l'oeuvre , receveur
du caſuel des prêtres , qui étoit venue à vaquer.
En Décembre 1780 , huit mois après l'arrivée
du ſieur ... à M... l'A ... le curé ſur
quelques mécontentemens en fit demander la retraite
à l'évêque de Chartres . Un grand-vicaire
lui écrivît que le prélat enverroit un prétre de
l'ordination prochaine pour remplir la place de
vicaire qu'il occupoit , & que dès-lors ſes ſervices
devenant inutiles , l'intention de l'évêque
étoit qu'il ſe retiråt dans ſon propre diocéſe , celui
de C... , le ſieur *** répondit en proteſtant de
ſe pourvoir contre ce renvoi ; & il annonça au
curé de M... l'A... que ſon intention étoit de
conſerver l'une des places de prêtre habitué de la
Paroiffe, fondé en laditeEgliſe&de ſacriſtain , à
laquelle il prétendoit avoir été nommé ; il réclama
les honoraires à lui dûs pour l'exercice de fonctionsde
vicaire pendant ſept mois , fit même af
figner le curé à l'effet de les lui payer ,&afin que
défenſes lui fuſſent faites de le troubler dans les
fonctions de facriftain =le 9 Janvier 1781 , 1Evêque
de Chartres interdit le ſieur * * * de toutes
ſesfonctions dans ſon diocèſe. Le même jour délibération
des E abriciens de MIA ***, priſe dans
( 192 )
uneaſſemblée convoquée par le curé , par laquelle
après avoir reconnu que la place de facriftain étoit
àla pleine , entiere & libre difpofition du curé , qui
déclara qu'il ne s'étoit lié en aucune maniere en
la fa fant exercer au fieur *** qui , en conféquence
de Pinterdit lancé contre lui , ne pouvoit plus en
continuer les fonctions ; il fut arrêté que le Sr ***
feroit contr int , à leur requête , de remettre les
clefs , regiſtres , efters , & généralement tout ce
qu'il pourroit avoir entre les mains , appartenant
à la Fabrique. Cette délibération fut notifiée le
lendemain 10 au ſieur abbé *** avec ſommation
d'y fatisfaire. Il proteſta contre la ſommation , &
s'oppoſa formellement à ladélibération. Les curé
&marguilliers prirent le parti de le faire aſſigner
à l'effet de rendre les clefs , regiſtres , &c ; & par
provifion , attendu qu'il leur importoit d'avoir
ſeuls la diſpoſition de la facriſtie , & d'en interdire
Puſage au fieur *** , ils demanderent à être autorités
à faire faire de nouvelles clefs . = Le Juge
rendit ſon ordonnance , portant permiffion d'afligner,
& accorda la provifion par itérative ſommationt.
Sur cela de Promoteur de l'Officialité de
Chartres ayant fait fignifier au fieur *** l'interdit
lancé contre lui, celui-ci en interjetta appel comme
d'abus , &interjetta aufli appel ſimple de l'ordonnance
du Juge ; ildemanda en même tems l'évocation
en la Cour de différentes demandes pendantes
à M. I'A ***, Arrêt du 23 Mai 1783 qui
faifant droit fur l'appel comme d'abus , a déclaré
qu'il n'y avoit abus , & condamné l'appellant en
l'amende & aux dépens. Faifant droit ſur l'appel
ſimple de l'ordonnance du Juge de M. l'A ***
amis l'appellation au néant ; a fait défenſes au
beur *** de s'immiſcer dans les fonctions de facriftain;
ordonne la reſtitution des clefs , titres &
regiftres de la ſacriſtie de M. *** &de toutes
choſes y appartenantes , fi fait n'a été , condamne
T'appellant en l'amende&aux dépens .
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PARUNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
2
:
CONTENANT
**Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
- Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spetacles ,
les Causes celebres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 4 OCTOBRE 1783 .
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
PIÈCES
TABLE
Du mois de Septembre 1783.
IÈCES FUGITIVES .
Le Diable, Conte ,
Couplets à M.Grignon ,
3
Table Chronologique des Di..
plômes , &c . 69
Examen de la Question : Si les
Le Souperfentimental, Conte ,
5
Le Public & le Globe Terpublics
doivent être en langue
Nationale?
Infcriptions des Monumens
73
reftre , Dialogue , 49
Fontenellejugé parſes Pairs ,
116
L'Absence ,
Le bon Confeil , 52
Les Georgiques de Virgile , en
A un Novice au Couvent vers François , 151
de *** ib. L'Ifle Inconnue , 170
AMme de Bourdic , 97 Physique du Monde, 175
A Mlle Simonet ,
Choix de Pièces du Théâtre
98
Dancourt
de Chaffe , 99
Epitaphe de Diane, Chienne François , chefd' OEuvres de
Versà Milede Gaudin , 100 Nécrologie ,
Lettre de M. de la Harpe au Académie Françoise ,
180
182
25
135
30,89
40
Rédacteur du Mercure, 101 SPECTACLES ,
A Mme la Princeſſede Cra- Concert Spirituel ,
covie , 145 Acad. R. de Musiq.
A Mlle de Saint P** , 146 Comédie Françoise ,
Vers à Rofe , 147 Comédie Italienne ,
Lemomentde la Recette , ibid.
L'Automne & le Printemps ,
Fable , 149
Charades , Enigmes & Logogryphes
, 15. 54 , 114 ,
NOUVELLES LITTÉR .
I
L'Iliade & l'Odyssée d'Homère
, 17
561
Vie de Michel-Ange Buonar
roti ,
136
SCIENCES ET ARTS .
Exposition des Peintures , &c.
de MM. de l'Académie
Royale , en 1783 , 122 , 186
VARIÉTÉS .
Réponse de M. Garat àla Lettre
inférée dans le Mercure ,
N°. 35 , 78
Annonces & Notices , 45 , 91 ,
142,187
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT &F. J.
BAUDOUIN , tue de la Harpe , près S. Côme,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 4 OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS faits pendant mon féjour à Anet.
VALLON ALLON délicieux , aſyle du repos ,
Bocages toujours verds , où l'onde la plus pure
Roule paiſiblement ſes flots ,
Et vient mêler ſon deux murmure
Aux tendres concerts des oiſeaux ,
Quemon coeur eſt ému de vos beautés champêtres !
J'aime à me rappeler , ſous ces rians berceaux ,
Qu'en tout temps Anet eut pour Maîtres
Ou des Belles ou des Héros.
Henri bâtit ces murs , monument de tendreſſe;
Il y grava par-tcut le nom de ſa Maîtreffe ,
Chaque pierre offre encor des croiſſans , des carquois ,
Et nous dit que Diane ici donna des loix.
Vendôme , couronné des mains de la Victoire ,
A ij
4 MERCURE
Sous ees antiques peupliers
Along- temps repoſé ſa gloire ;
Etlorſque de Philippe il guidoit les Guerriers,
Qu'il faifoit fuir l'Anglois & foumettoit l'Ibère ,
Accablé ſous le poids des grandeurs , des lauriers ,
Vendôme , ſeul ſoutien d'une Cour étrangère ,
A regretté d'Anet le vallon ſolitaire.
Enfin , de ce beau lieu Penthièvre eſt poffefſeur :
Avec lui la bonté , la douce bienfaiſance
Dans le palais d'Anet habitent en filence ;
Les vains plaiſirs ont fui , mais non pas le bonheur.
Bourbon n'invite point les folâtres Bergères
A s'aſſembler ſous les ormeaux.
Il ne ſe mêle point à leurs danſes légères ,
Mais il leur donne des troupeaux.
Maîtreſſe dans l'art de féduire ,
Diane l'apprit dans ces lieux :
Vendôme y méditoit l'art cruel de détruire :
Penthièvre exerce l'art de faire des heureux.
Que ton orgueil ſur ces titres ſe fonde ;
D'avoir changé de Maître , Anet , te plaindrois-tu ?
Toi ſeul tu poffédas tous les biens de ce monde ,
L'Amour , la Gloire & la Vertu.
( Par M. le Chevalier de Florian.)
DE FRANCE. S
A M. DUPRÉ DE SAINT - MAUR ,
Intendant de Bordeaux.
Vous tenez dans vos mains la balance&lalyre,
Et vous ſavez tout-à-la- fois ,
Par de ſavans Écrits, & par de ſages Loix ,
Nous rendre heureux & nous inſtruire .
( Par M. Latour de la Montagne. )
INVITATION à dîner à ALBINE ,
Chienne de Madame AD ****.
LORSQU'HIER la jeune Dorine
Vint embellir mon horifon ,
Quoi , fans pitié , ma pauvre Albine
On t'a laiſſée à la maiſon ?
Du mal de la quitter je ſais la violence ,
Le vuide , le néant qui ſuivent ſes adieux ;
Et je ſens ta même ſouffrance
Lorſque le voile de l'abſence
M'ôre la clarté de ſes yeux.
Ан ! quelle rigueur inhumaine !
Nous ſéparer dans un commun bonheur!
En le goûtant j'ai mieux ſenti ta peine ,
J'entendois ton cri dans mon coeur.
Je crois l'entendre encor ce doux cri qui l'appelle;
Aiij
6 MERCURE
Je te vois t'agiter , courir , gémir , errer ,
Sur fa trace la reſpirer.
Je te vois te ſaiſfir de ce qui reſte d'elle ;
De ce qui la toucha la moindre bagatelle
Aux lieux qu'elle a quittés tient ſa place à tes yeux.
Albine, c'eſt ainſi que nous trompons tous deux
Les maux d'une abſence cruelle .
Mon-bonheur ne tint plus ſouvent qu'à des cheveux
Que m'abandonıra l'infidelle
En revolant à d'autres noeuds.
Sur ſes voiles épars long-temps ton choix héſite ,
Tu vas , tu viens, tu ſens pour te chercher un gîte
Qù calmer les maux de ton coeur.
C'eſt ſur ſesjupons qu'il palpite
Avec un peu moins de douleur.
Tu crois de fon giron reſpirer la chaleur.
T
La voilà de retour. Va tourner autour d'elle ,
Baiſe ſes jolis piés , pleure , gémis , obtien
De la ſuivre chez moi. Que ta voix lui rappelle
L'inſtant de m'abréger une abſence cruelle.
Ah ! viens , tout mon bonheur s'augmentera du tien.
Dieux ! comme un coeur ſenſible abonde quand il aime!
Sur les moindres objets que je goûte un doux bien
A rejeter l'excès qui ſurcharge le mien !
Que dis -je , Albine , quel blaſphême !
Eft- il rien que l'Amour n'élève au rang ſuprême !
Le Chien d'une maîtreſſe eſt-il encor un Chien ?
C'eſt un ami. Pour le traiter de même ,
DE
7
FRANCE.
Albine, on n'épargnera rien.
Sur des carreaux couverts de deux nappes bien nettes ,
Je te ferai ſervir demain
Dans le crystal brillant tu boiras de ma main ;
Etje t'invite à des gimblettes.
( Par M. le Baron de T ***. )
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Gravier , ( Cable )
& Gravier de Vergennes ; celui du Logogryphe
eſt Amer , où l'on trouve âme , arme ,
rame, mer , mare.
JE
CHARADE.
:
E fuis fleur , & ma tête , ami , vit de ma queue.
( Par M. *** , de Beaumont-le- Vicomte. )
SANS
ÉNIGME.
ANS que je fois un arbriſſeau ,
Deux branches forment tout mon étre.
L'art fait de ma tête un fourneau
Où le feu meurt au lieu de naître.
Cependant mon premier devoir
Eſt de l'entretenir ſans ceſſe ;
Aiv
8 MERCURE
Veſta ne pouvoit pas avoir
De plus vigilante Prêtrefle .
Sur ma voiſine en certain cas
J'opère une cure nouvelle ;
En lui mettant le chef en bas ,
Je la rends plus vive & plus belle.
On ne me voit guère à la Cour ;
Mais il eſt rare en récompenſe
Que j'aille établir mon ſéjour
Sous l'humble toit de l'indigence.
Enfin , pour parler ſans détour ,
De la nuit, compagne fidelle ,
Je ne fais rien pendant le jour ,
Mais je travaille à la chandelle.
(ParM. Bl... , d'Arras )
LOGOGRYPHE A GRÉGOIRE.
U
NE cuiſine eſt mon poſte ordinaire.
Accepte , ami Grégoire , un paſſable repas .
Je t'attends ſur dix pieds. Pour épicer les plats
J'aurai recours à ma Mercière.
Une raie , un ramier feront mes premiers mets ,
Je donnerai ma crême après.
Si tu n'as plus de dents , je t'offre de la mie;
Le vin me manque , hélas ! je n'ai que de la lie.
Tu me diras peut- être : « ô tu n'as point de vint
>> Comment puis-je manger ſans boire ?
:
2
DE FRANCE.
>>Ami , tu connois peu Grégoire ;
>>Garde pour ta Mercière un repas ſi meſquin. >>
( Par M. Bouvet , à Gifors. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ERREURS Populaires fur la Médecine ,
Ouvrage composé pour l'instruction de ceux
qui ne profeffent pas cette Science , avec
l'explication des termes de l'Art dont on
n'a
pas pu se dispenser defe fervir , par
M. d'Iharce , Écuyer , Docteur en Médecine,
& Médecin Breveté du Roi. A Paris ,
chez l'Auteur , rue de Viarmes , Nº. ,
ou rue S. Jacques , au College Dupleſlis ;
& chez Méquignon l'aîné , Libraire , rue
des Cordeliers.
C'E'ESSTT depuis que les Sciences ont abandonné
le langage mystérieux dans lequel
elles s'enveloppoient , qu'elles ont fait les
plus grands progrès. La Médecine , ſur- tout ,
paroît avoir beaucoup gagné à devenir populaire
& à parler les langues vivantes. Quelques
Médecins , il eſt vrai , ont condamné
ceux de leurs Confrères qui ſont ſortis de
leur Gres & de leur Latin pour ſe faire entendre
de tout le monde , & pour s'entendre
eux- mêmes ; ils ont feint de penfer qu'il
étoit dangereux de mettre la Médecine à la
Av
10 MERCURE
portée de tout le monde, parce que de mauvais
eſprits & le peuple peuvent en abuſer.
Cette crainte eſt bien mal fondée , le peuple
ſe fait une Médecine quand il ne connoît
point la vraie ; il adopte celle des Charlatans
& des vieilles femines. Quel bien n'a
point produit l'Avis au Peupleſurſaſanté,
de M. Tiffot ! des Docteurs en Médecine
lui en ont fait preſqu'un crime ; tout le
monde , difent ils , fe croit Médecin avec ce
Livre; on ſe traite foi- même , & on ſe tue ,
on veut traiter les autres , & on les affaffine;
mais ces Docteurs font , je crois , dans une
erreur très grande. Il y a toujours un certain
nombre de perſonnes qui , ſans avoir
rien lû , ont la fureur de faire la Médecine ,
& ce Livre ne ſert qu'à rendre leur manie
moins dangereuſe. Il a éclairé la charité, fouvent
funeſte de ceux qui ſoignent & veillent
les malades. Il a appris la Médecine aux
Chirurgiens qui la pratiquent dans les campagnes
fans l'avoir jamais étudiée ; les Médecins
eux- mêmes y trouvent , dans un ordre
clair & facile , des principes qu'ils ont
ſouvent mal compris dans les Écoles ; il eſt
poffible d'avoir reçu le bonnet de Docteur ,
&de ne pas avoir encore une aufli bonne
tête que celle qui a écrit l'Avis au Peuple
furfafanté. Nous ſommes perfuadés que ce
Livre de M. Tiffot a beaucoup diminué les
erreurs populaires fur la Médecine.
Plufieurs Médecins ont écritfur les erreurs
populaires; mais leurs Ouvrages , qui por
-
DE FRANCE. II
tent le même titre , n'ont guère d'ailleurs
d'autre reflemblance. Le premier , qui parut
dans le fixième ſiècle , eſt celui de Lau
rent Joubert , Médecin du Roi. Il eut dans
le temps un prodigieux ſuccès , & mérite
d'être estimé encore. Joubert étoit un de ces
hommes dont le ſens droit ſaiſit toujours ce
qu'il y a de plus vrai & de plus vraiſemblable
dans les connoiſſances du ſiècle où ils
vivent ; mais les queſtions qu'il traite , dans
ſa naïveté un peu gauloiſe , nous paroîtroient
aujourd'hui plus gaies qu'importantes.
Nous pouvons être tentés de rire lorfqu'il
examine commentſe doit entendre qu'une
heure plus tôt ou plus tard on engendre fils
ou fille ; il eſt difficile de garder le ſérieux,
lorſqu'il diſcute gravement fi cela fait à la
délivrance que lafemme étant en travail dife
trois fois , en remuantfort víte le pouce :j'ai
froid, j'ai chaud. Le bon Laurent Joubert:
traite beaucoup d'autres queſtions du même
genre , & les détails font quelquefois fu
naïfs , qu'en lifant un Traité de Medecine
on croit lire un Conte de la Reine de
Navarre.
ת
Primeroſe , Médecin de Bordeaux, donna
pluſieurs années après un Ouvrage en latin ,,
fous le même titre : ( De vulgi erroribus im
Medicina . ) L'Art depuis Joubert avoit fait:
des progrès , & Primeroſe avoit plus de génie.
L'Ouvrage eſt plus court & plus com--
plet; en combattant les erreurs du vulgaire ,
L'Auteur établit les principes les plus certainss
A vj
12 MERCURE
de la Science. Il penſe avec vigueur , & s'exprime
avec une préciſion très- claire. C'etoit
un homme de la trempe des Hippocrate,des
Boerhaave , des Duffault, des Bordeu . Zacutus
Lufitanus vouloit que le Livre de
Vulgi erroribus , fut toujours dans les mains
des Médecins. Mais Primeroſe a paru trop
tôt pour déployer tout ſon génie. On peut ,
par une ſeule citation , prouver combien , de
ſon temps, l'Art de la Médecine étoit encore
dans ſon enfance; il conſacre tout un Chapitre
à démontrer contre l'autorité même de
plufieurs Médecins que les fièvres tierces ne
font pas incurables.
Thomas Brown a écrit auſſi un Eſſai en
deux Volumes ſur les Erreurs Populaires;
mais cet Ouvrage d'un Médecin n'est pas un
Livre de Médecine ; Brown relève en Méta
phyfieien les erreurs de la morale , de l'hiftoire,
de la phyſique. Ce qu'il y a de curieux,
c'eſt que l'Auteur , qui connoît à merveille
toutes les folies de l'entendement humain ,
croit lui- même aux forciers, aux revenans; on
croit être aux Petites Maiſons, & entendre cet
homme , qui , après avoir fait promener un
étranger dans toutes les loges, après lui avoir
expliqué avec beaucoup de raifon & de ſens
le genre de démence & de délire de chaque
fou , finit par lui dire : Voyez- vous celui- ci ?
c'est leplus étrange de tous ; ilſe croit Jésus-
Chrift; & moi qui fuis le Père Eternel, je
fais bien qu'il n'est pas monfils.
Ilyaquelques années que M. de Brainville,
ン
DE FRANCE.
13
Médecin Hollandois , publia un Vo'ume
ſous le même titre. A la chaleur du ſtyle ,
on croit reconnoître un jeune homme qui
rend compte de ſes études plutôt que des
réſultats de ſon expérience. C'eſt l'Ouvrage
d'un Philoſophe & d'un homme de bien ,
qui a vû que la bonne morale étoit la meil
leure des Hygiènes; mais a on le confidère
relativement aux lumières que le Publie doit
attendre d'un Médecin , on peut le trouver
incomplet & infuffifant; c'eſt plutôt un ben
plan qu'un bon Ouvrage.
Enfin, il y a près d'un demi ſiècle que parut
enAngleterre, fous un autre titre , mais fur
le même ſujet , ſur l'Hygiène , un Ouvrage
qui fit beaucoup de bruit parmi les Médecins
& parmi les gens du monde , un Effai
fur la nature & fur le choix des alimens. Cer
Ouvrage eſt du Docteur Arbuthnot , homme
de Lettres aimable , & grand Médecin ,
qui travailloit au Spectateur avec Addiffon ,
&vouloit créer une Médecine fondée toute
entière ſur ſes propres obſervations. Ceux
même qui ne le connoiffent point par les
Écrits , le connoiffent par l'excellente Épitre
que lui adreſſa Pope. On le nommoit à Londres
le Machaon du nouvel Homère. Pope
avoit coutume de dire , c'eſt Arbuthnot qui
me fait vivre , ſentir & penſer; s'il y a quelque
verve & quelque bon ſens dans mes
vers , je dois à mon ami Arbuthnot mon
génie& ma gloire , & mes Lecteurs lui doivent
les plaiſirs que je leur donne. L'Ouvrage
14 MERCURE
dont nous parlons eft fondé ſur une idée
qui , par ſa hardieſe , dût porter un grand
étonnement dans la Médecine. Arbuthnot
analyſe en Chimifte les principes des humeurs
du corps humain , & les élémens de
tout ce qui peut ſervir d'aliment à l'homme ,
végétaux , liqueurs , animaux , il rapproché,
les réſultats de ces deux analyſes , & croit y
découvrir tous les rapports des ſubſtances.
alimentaires avec le corps humain : le tempérament
de l'homme , & l'eſpèce d'aliment
donné , Arbuthnot annonce les réſultats
d'une digeftion avec autant de certitude que
MM. Darcet & de Morveau ceux d'une opération
Chimique , dont leurs yeux auront
ſuivi vingt fois tous les accidens dans les
fourneaux. C'eſt voir en grand ; mais la Nature
, qui ſemble vouloir humilier l'orgueil
de l'eſprit humain , ne ſe dévoile guère à
ceux qui l'obſervent avec tant de confiance&
d'audace ; on diroit qu'elle réſerve ſes plus
importans ſecrets à ceux qui ſuivent ſes tra
ces avec le plus de timidité & le plus de modeſtie.
Arbuthnot produit plus d'étonnement
que de confiance;&après l'avoir lû ,
on reſte perfuadé que les loix de la digeftion,
font encore auffi ignorées que celles de la gé-,
nération; on finit toujours par ſe dire : nous
naiffons , nous vivons ,nous mourons fans
favoir comment.
L'Ouvrage de M. d'Iharce qui paroît fous.
le même titre que pluſieurs de ceux dont
nous venons de parler , renferme cependant.
DE FRANCI
I5
beaucoup de choſes neuves , & celles même
qui ne le font point, ſont vûes & dites d'une
manière nouvelle , non nova , fed novè.
La choſe la plus néceſſaire dans l'état de
ſanté , c'eſt de connoître les alimens & les
habitudes de vie qui maintiennent cet érar.
Dans la maladie , c'eſt de ſavoir à quels
Agnes nous reconnoîtrons le Médecin qui
mérite qu'on remette entre ſes mains le
dépôt de ſa vie .
Cedouble point de vue a diſpoſé tout le
plan de l'Ouvrage de M. d'Iharce .
Dans la première Partie , qui eſt une Hygiène
, il établit ſur la théorie de la diverſité
des tempéramens , & fur l'analyſe des alimens
que nous prenons , les principes d'un
régime propre à conferver la ſanté & à prolonger
la vie. Dans la ſeconde , il trace le
tableau des études , des conndifſances & des
talens qui conſtituent le vrai Médecin .
Il nous eft impoſſible de ſuivre M. d'Iharce
dans tous les Chapitres de ces deux Parties.
Onverra par- tour un très bon eſprit, nourri
de connoiffances très étendues , & doué du
talent de l'obſervation. Tous les Médecins
Théoriſtes ont parlé des influences de l'air,
des eaux , de toutes les cauſes qu'ils appellent
naturelles. M. d'Iharce en parle comme
eux ; mais ce n'eſt pas d'après eux. Il enrichit
cette partie de l'Hygiène, qui tient à la
phyſique générale , des vûes & des découvertes
nouvelles fur la nature des eaux , des
airs , du feu , ſur ce qu'il y a de plus mo16
MERCURE
derne dans la Chimie & dans la Phyſique expérimentale.
On voit qu'il porte ſur tous les
détails de notre manière de vivre cette attention
fcrupuleuſe qui, dans de petits objets
, apperçoit ſouvent des vérités importantes.
Il obſerve , par exemple , à l'occafion
de l'uſage ſi commun de boire des eaux
filtrées , que dans les filtres étroits par où on
les fait paffer , les eaux dépoſent une partie
de l'air qu'elles contiennent , & dont elles
ſe chargent dans les rivières en roulant expoſées
à l'action de l'atmosphère : c'eſt cet
air qui rend les eaux de rivière ſi préférables
aux eaux de ſource; mais le filtre le leur
enlève , elles deviennent plus pures à l'oeil
& moins ſaines au corps. On comprendra
combien toutes les obſervations qu'on fait
fur cet élément font importantes , fi l'on
fonge que pluſieurs grands Médecins , parmi
leſquels on doit diftinguer Hoffman , ont
regardé l'eau comme un remède univerſel ,
comme une véritable panacée pour toutes les
maladies des premières voies.
M. d'Iharce , qui ſent combien les principes
généraux exigent de modifications dans
preſque tous les cas , les applique toujours
ainſi à l'état actuel de nos moeurs , à nos
pafions dominantes , à notre manière de
vivre.
Beaucoup de gens, après s'être enfin laiſſé
démontrer que les excès dans le manger font
la cauſedu plus grand nombre de nos maux ,
imaginant que , pour être ſobre , il fuffifoie
DE FRANCE. 17
de ne faire qu'un ſeal repas , ont tranſporté
dans un dîné la gourmandiſe de toute la
journée. M. d'Iharce porte ſur leur erreur
une lumière qui doit les faire trembler.
Nous exhortons tous ces habitués de table
d'hôte , qui , mettant tout l'intérêt & toutes
les penſées de leur vie au ſeul repas qu'ils
font par jour , ſe promenent le matin pour
s'y préparer , & tout le reſte du temps pour
le digerer , nous les exhortons à lire dans
l'Ouvrage de M. d'Iharce le Chapitre de ceux
qui ne font qu'unseul repas parjour , & ils
verront à combien de dangers ils expoſent
chaque jour leur ſanté, par cet unique repas
qu'ils prennent pour une preuve de leur
tempérance. Ce noble Vénitien , qui prolongea
fi long temps ſa vie , & qui eſt dovenu
immortel par fon régime , le célèbre
Cornaro mangeait pluſieurs fois le jour ;
mais ce qu'il mengeoit dans un mois entier ,
ne ſuffiroit pas à ce qu'on mange dans ce
ſeul repas établi par la fobriété de nos jours .
M. d'Iharce examine auſſi avec un grand
foin la nature & les effets de ces liqueurs alimentaires
dont nous faiſons un fi grand uſage
depuis un ſiècle , du café , du thé , du chocolat.
Plufieurs Médecins ont voulu les profcrire
comme des poiſons dont les climats
étrangers ont infecté l'Europe. Cette colère
eſt quelquefois dans les Médecins une politique
habile. Comme les moraliſtes , ils
réuſſiffent également auprès des hommes par
la grande ſévérité & par l'extrême facilité
18 MERCURE
des principes , en faiſant trembler ou en
raffurant. Souvent auffi leur averfion pour
les productions étrangères , vient de ce
qu'ils les regardent comme des choſes non
naturelles ; comme fi elles n'étoient point
naturelles au climat qui les voient naître
ou que ces climats fuffent hors de la Nature !
comme fi la Nature n'avoit point placé
la fièvre en nos climats & le remède en Amérique
! Un Médecin foutenoit devant Fontenelle
que le café eft un poiſon lent. Oui ,
lui dit Fontenelle , bien lent , Docteur , car il
y a quatre vingt ans que j'en prends tous les
jours. M. Tiffot ſemble être le Médecin de
ce ſiècle qui s'eſt élevé avec le plus de force
contre l'uſagede ces boiffons; c'eſt une grande
autorité , mais il faut la reſpecter & l'examiner.
Ce qui paroît prouvé à M. d'Iharce ,
c'eſt que ces boiffons ont en général une action
prompte & vive fur nos liqueurs & fur
nos organes; que la Médecine doit regarder
tout ce qui agit ſur le corps humain comme
des inſtrumens de ſon Art, qu'elle doit ſe féliciter
fur-tout de pouvoir agir par des alimens
plutôt que par des remèdes . Il analyſe
les dangers & les avantages du cafe, du thé,
du chocolat , ſuivant la diverſité des circonf
tances & des tempéramens ; il tient la ba
lance , & on la voit pencher tantôt du côté
du mal , tantôt du côté du bien.
Il ſoumer à la même analyſe les alimens
même dont la bonté ne peut guère être un
fujet de doute , le pain entre autres; & à ce
1
DEFRANCE. 19
ſujet il rapporte une opinion de M. Linguet ,
qui , dans le temps, parut fort extraordinaire.
On peut ſe ſouvenir que cet Avocat
célèbre a fait contre le pain un Factum écrit
avec beaucoup de veheinence : Nous mangeons
du pain , nous autres Occidentaux ,
diſoit M. Linguer avec émotion. On ne conteſtoit
point le fait à M. Linguet , mais on
tâchoit de lui faite comprendre que parmi
ces pauvres Occidentaux qui mangent du
pain , il n'y a de malheureux que ceux qui
n'en ont point à manger. M. d'Iharce ne
réfute pas précisément M. Linguet , mais il
met les affertions de cet Écrivain à côté de
l'analyſe chimique de cet aliment ; & quand
il s'agit de juger la nature du pain , la thétorique
d'un Avocat fait un plaifant effet à
côté d'une analyſe chimique. Il y a du bon
goût dans cette manière de combattre une
erreur; le Chapitre eſt écrit d'ailleurs avec
beaucoup de modération; M. d'Iharce , en
rappelant les paradoxes de M. Linguet , paroît
aufli ſe ſouvenir de ſes malheurs. Nous
croyons cependant qu'il eût été mieux encore
de ne point parler de Pouvrage d'un
Avocat dans un Livre de Médecine , & d'oublier
, comme le Public , ces opinions , qui
ne doivent un moment d'éclat qu'à cette bizarrerie
même qui les condamne bientôt à
un oubli éternel.
Le tableau que trace M. d'Iharce , dans
la feconde Partie de ſon Ouvrage , des études
& des connoiffances qui conſtituent le vé
20 MERCURE
ritable Médecin , atteſte la haute idée qu'il
s'eſt faite de ſon Art; la manière dont il en
parle fait prefumer qu'il a ſuivi lui-même
le plan qu'il trace aux autres. Qu'il nous permette
cependant de lui faire quelques obfervations
qui ne ſeront dictées que par le ref
pect même de l'Art , dont il parle avec tant
de chaleur & tant de zèle .
Pour guérir le corps humain , il faut fans
doute le connoître , & le Médecin doit être
Anatomiſte ; pour ordonner ſans danger un
remède tiré des végétaux & des minéraux ,
il faut connoître les principes qui les comftituent
, & le Médecin doit être Chimiſte ;
L'Hydraudinamique devroit auſſi lui révéler
toutes les loix du mouvemant des fluides &
des ſolides ; car la ſanté & la vie dépendent
ſouvent de la régularité du frottement des
folides & du cours des fluides. Mais eft il
vrai que ces Sciences, dans l'état où elles
font aujourd'hui , ayent fait affez de progrès
pour être d'une grande utilité à la pratique
de la Médecine ? Étudiez , dit M. d'Iharce ,
aux jeunes Élèves d'Hippocrate, l'Anatomie,
la Chimie, l'Hidraudinamique. Mais où, dans
quel Livre , dans quelle École iront- ils les
étudier ? On diroit qu'il y a une Anatomie
&une Chimie qui font par- tout les mêmes,
&qui par tout enſeignent également au
Médecin tout ce qu'il a beſoin d'apprendre
d'elles. Mais il en eſt bien autrement : la
Chimie de Boerrhaave a été détruite par celle
de Sthal , & celle de Sthal ne ſe ſoutient
5
DE FRANCE. 21
plus , dit- on , contre les nouvelles découvertes.
Laquelle choiſir ? Et quand on prendroit
dans toutes les vérites démontrees
que chacune profeſſe , quels ſervices toutes
enſemble pourront elles rendre au Medecon
qui eſt à côté du lit d'un malade mourant ?
Newton & d'Alembert ſe font immortalifes
par leurs decouvertes ſur les loix du mouve
ment des Auides & des folides ; mais les folides
& les fluides dans le corps humain ne
font pas foumis aux mêmes loix que dans
l'Univers ; le ſang ne coule pas dans mes
attères&dans mes veines , comme un fleuve
dans ſes rives . Demandez à d'Alembert fi
parmi les Medecins qui connoiffent le mieux
fes belles decouvertes ſur l'Hydraudinamique,
il en a trouvé un qui y ait appris à le guérir
des douleurs que lui fait fouffrir le Ande
qui coule dans ſes reins & dans ſa vetlie ?
Il faut l'avouer , toutes les connoiffances
de Statique & d'Hydraulique fervent trop
peu lorſqu'il s'agit de réparer la machine
humaine.
Sthal , frappé de l'impoſſibilité d'expliquer
par la mécanique les mouvemens de
la vie , a placé une âme dans chacun de nos
organes. En cela , ſemblable à peu près à
ces Mages , premiers obſervateurs du ciel ,
qui , ne pouvant expliquer par des loix
matérielles le mouvement régulier & harmonieux
des planètes, placèrent dans chacune
un génie qui en dirigeoit le cours
&en tenoit les rênes. Ce ſyſtème de Sthal
22 MERCURE
eft trop ſpirituel pour être beaucoup du
goût de notre ſiècle; nous ne ſommes pas
très-diſpoſes à croire à tant d'âmes. Mais
lifez les Ecrits de Bordeu , ce génie original
, qui a trouvé tant de vûes nouvelles
en ſuivant les traces de Sthal ; lifez
cet Ouvrage plein de charmes & de
philoſophie , que M. Rouffel , jeune encore
, a écrit fur la conflitution physique
& morate de la femme : vous ferez étonné
du degré de probabilité & de vraiſemblance
que prend un ſyſtême qui révolte nos ſens ,
& fait trembler notre timide philoſophie.
Il vous fera prouvé du moins que ce qui
vit ſuit d'autres loix que ce qui ne fait
que ſe mouvoir ; que les corps animés demandent
une autre mécanique & une autre
hydraulique , & qu'enfin il ne faudra
parler des loix du mouvement en Médecine
, que lorſque la Médecine aura eu
un Newton qui expliquera par de nouveaux
principes mécaniques ce que Sthal
avoulu expliquer pardes âmes &des génies.
L'Anatomie , même dans ſon état actuel
, peut rendre ſans doute de plus grands
ſervices à la Médecine ; mais qu'on ſe rappelle
le mot d'un Anatomiſte célèbre :
Nous autres Anatomiſtes , nous sommes
comme les Savoyards de Paris , qui connoiffent
très bien les rues , & ne javent jamais
ce qui je paſſe dans les maisons. Quel aveu !
L'Anatomie , s'il eſt permis de ſuivre la
même comparaiſon , eſt-elle montée deDE
FRANCE.
23
puis, des rues dans les maiſons ? A-t- elle
franchi l'intervalle qui ſépare le corps
mort ſur lequel elle opère, du corps vivant
qu'elle doit connoître ? Il a paru des
hommes qui ſe ſont illuftrés depuis dans
la même ſcience.
Par l'éloquent Petit vous êtes conſolé ,
Il fait l'art de guérir autant que l'art de plaire ;
Demandez à Petit par quel fecret myſtère
Ce pain , cet aliment dans mon corps digéré ,
Se transforme en un lait doucement préparé ;
Et ſe filtrant toujours par des routes certaines ,
En longs ruiffeaux de pourpre il court enfier mes
veines ,
A mes refforts ufſés rend un pouvoir nouveau ,
Fait palpiter mon coeur & penfer mon cerveau ?
Il ne le ſaura point , il s'incline , il s'écrie :
Demandez-le à ce Dieu qui nous donna la vie !
Heureux encore ſi cet Anatomiſte qui a
porté ſur le corps humain un tact fi fin ,
fi prompt & fi sûr , avoit donné au Public
toutes ſes lumières ! mais il ne les a
communiquées qu'à quelques Elèves dans
lesleçonstoujours unpeu tumultueuſes d'une
Ecole publique. Si on en excepte quelques
Mémoires publiés dans le Recueil de l'Acadérnie
des Sciences , le Docteur Petit n'a
rien imprimé fur l'Anatomie , qui attendoit
de lui de fi grands progrès. On ne peut afſez
déplorer un tel malheur ; on ne fau24
MERCURE
د
roit lui faire des reproches trop graves ,
ſi les ſervices qu'il rend tous les jours à
l'humanité par ſa pratique , n'expioient la:
pareffe preſque coupablede ſa plume. Que
dis je ? Il vit , il est encore parmi nous.
Son filence feroit - il donc irréparable ?
Homme célèbre , la vieilleſfe en fe repoſant
fur ta tète , a pu ſans doute affoiblir
l'eclat de cette imagination brillante
qui devinoit avant de voir , & fe foumettoit
pourtant à voir après avoir devine
: tes mains peuvent avoir perdu quelque
choſe de ce tact délicat , de cette foupleſſe
ſenſible , qui voyoit tout ce qu'elle
touchoit , qui , en quelque forte , plaçoit
au bout de tes doigts un nouvel organe
de la vue : le temps des découvertes &
des créations eft paffé; mais auſſi l'âge des
paffions n'eſt plus , & le repos qu'elles
laiſſent enfin à ta vieilleſſe peut être fécond
encore. On ne te demande plus de
penfer , mais de jeter ſur le papier tes
anciennes penſées. Vois l'homme voluprueux
parvenu à l'âge qui le rend inhabile
aux plaiſirs des ſens ; fa mémoire jouit
encore de tous ceux qu'il a perdus ; comme
Chaulieu ,
Il fait mettre , en dépit de l'âge qui le glace ,
Ses ſouvenirs à la place
De l'ardeur de ſes plaiſirs.
Le génie n'auroit- il donc pas le même pouvoir
DE FRANCE. 25
voir que la volupté ? Rappelle les ſouvenirs
de ton eſprit ; dis nous ce que tu as
penſe dans la force de l'âge , comme
Chaulieu , deja ſexagénaire , peignoit en
traits de flamme les voluptés qu'il avoit
goûtées à trente ans dans les bras de ſa
maitreffe. Quand je me promenerai à tes
côtés dans ta jolie retraite de Fontenai aux
roses , permets moi de tourmenter ta pareffe
, de la forcer à laitfer fortir de ta
mémoire les verités ou les vûes qu'elle y
recèle. Publier res pensées , ce ſera les
créer une ſeconde fois ; tu donneras de
nouveau des leçons de ton Art , non plus
dans l'enceinte étroite d'une Ecole , mais
devant l'Europe entière , & la poſterité
même ſera un de tes Elèves .
Ce que nous demandons ici au Docteur
Petit , la France peut l'artendre également
de quelques Anatomiſtes déjà celèbres dans
l'Europe , quoiqu'ils foient encore dans
l'âge de la force & des découvertes. Les
Connoiffeurs ont admiré comme un chefd'oeuvre
l'analyſe Anatomique du cerveau
par M. Vicq d'Azir : les plus grandes efpérances
de l'Anatomie ſe fondent aujourd'hui
ſur ce Médecin , qui , ennemi des
conjectures , des ſyſtêmes , étonne plus par
ce qu'il trouve , que les autres par ce qu'ils
imaginent , qui embraſſe par l'étendue &
l'activité de ſon eſprit autant d'objets que
les autres par l'imagination la plus ardente.
Mais interrogez le Docteur Petit , inter-
Nº . 40 , 4 Octobre 1753 . B
い
26 MERCURE
,
rogez M. Vicq - d'Azir ſur ce que l'Anatomie
, telle qu'elle eſt dans nos Livres
peut faire aujourd'hui pour la Médecine ;
je doute qu'ils en attendent autant de ſecours
& de merveilles que M. d'lharce.
Les ſciences compoſées de pluſieurs ſciençes
doivent marcher plns lenteinent que
les autres , & telle eſt la Médecine. Dans
ſes plus grands ſuccès même , elle ne ſera
guère qu'un empyriſme plus ou moins heureux
, juſqu'à ce que toutes les Sciences naturelles
ayent fait leurs plus grands progrès.
M. d'Iharce , à beaucoup d'égards , paroît
lui même convaincu de cette vérité
& c'eſt en elle ſans doute qu'il puiſe ſurtout
cette haine vigoureuſe qu'il fait éclater
dans fon Livre contre les Charlatans de
toure eſpèce. Les plus dangereux & les
plus mépriſables ne lui paroiffent pas ceux
qui raſſemblent la canaille autour de leurs
tréteaux : il peint de couleurs plus effrayantes
ceux qui , ayant quelques connoiſſances
de Médecine , s'en ſervent pour
couvrir leurs impoſtures , & faire entrer
des gens éclairés parmi leurs dupes. Il flétrit
d'un mépris également juſte & ineffaçable
, & ceux qui vantentdes ſecrets qu'ils
n'ont point , & ceux qui , ayant fait des
découvertes , les tiennent cachées & fecrettes.
Il n'est pas impoſſible , en effet ,
que parmi tous les agensde la Nature qui
nous font inconnus , par hafard ou par ſes
recherches , un homme ne trouve un agent
DE FRANCE, 27
qui ait la plus grande influence , & même
la plus heureuſe , ſur nos organcs. Si le
quinquina & l'émétique n'etoient connus
que d'un ſeul Médecin , qui les employeroit
comme un ſecret , cet homme opéreroit
des cures qui paſſeroient pour des
miracles , & ne ſeroient que des chofes
très-naturelles. Mais quel eſt l'homme qui
cacheroit long temps à l'humanité ſouffrante
le bienfait d'une pareille decouverte;
qui , pour gagner quelques écus
de plus , laifferoit périr dans la douleur
des milliers de ſes ſemblables que fon remède
auroit pu ſauver , employé par tous
les Médecins ? Je conçois que dans ces
arts qui ne fervent qu'à nos plaiſirs & à
nos voluptés , que dans tous les arts de
luxe , un Artiſte faſſe une découverte &
la tienne ſecrette ſans regret & fans remords;
ce qu'il nous cache nous donneroit
probablement plus de vices encore que
de jouiffances. Mais annoncer une découverte
que l'on dit importante pour la vie
des hommes , avec laquelle on prétend guérir
les maladies les plus affreuſes & les
plus incurables , & la tenir ſecrette , ne
pas la publier à l'inſtant , ne pas la faire
pénétrer ſur le champ par tout où il y a
des hommes qui fouffient & qui meurent ;
c'eſt déclarer aux hommes qu'on a le moyen
de ſoulager leurs maux, mais qu'on ſe ſoucie
fort peu de leur vie & de leur bonheur :
c'eſt ſe rendre coupable de la mort de
Bij
28 MERCURET
tous les infortunés , à qui la publication
de la découverte auroit conſervé l'existence.
Mais tant de génie & cette baffe &
cruelle avidité ne peuvent guère ſe rencontrer
enſemble : il n'y a point d'exemple
d'une découverte glorieuſe à fon Auteur
& utile à l'humanité , qui ſoit reftéc
long temps ſecrette ; l'âme la plus commune
prend de la grandeur & de la
générofité au moment qu'elle a un grand
bienfait à répandre ſur les hommes ;
elle eſt impatiente de jouir de leur bonheur
, de leur reconnoiffance & de ſa
gloire. Et celle même à qui il faudroit
un autre prix & une autre récompenfe ,
celle qui ſeroit affez vile pour porter fes
voeux en ce moment ſur la fortune , la
verroit prête à combler tous les defirs
de ſa baffeſſe. On pourroit , au nom de
tous les Gouvernemens , lui affarer qu'il
n'y en a aucun aujourd'hui dans l'Europe
éclairée qui ne versat les richeſſes ſur celui
qui voudroit avilir un pareil bienfait
en le vendant à l'humanité. Il faut donc
conclure que , fi , dans ce genre , il y a
des gens qui gardent long temps un ſecret,
c'eſt qu'ils n'ont point de découverte ;
leur voile ne cache rien , & c'eſt pour
cela qu'ils ne le lèvent jamais ; ou s'il cache
quelque choſe , c'eſt ſeulement leurs
impoſtures. En vain mille récits étalent les
prodiges qu'ils opèrent ; en vain on racontecomme
des miracles les vapeurs qu'ils
DE FRANCE
29
ont données à des femmes vaporeuſes , les
convullions qui tourmentent en leur préſence
des épileptiques , les ſueurs que fait
fortir leur Agent des corps chez leſquels
la nature eft toujours au moment d'une
crife ; l'imagination des foibles , c'est-àdirede
preſque tous les hommes , fera toujours
un Agent qui produira quelquefois
ades merveilles dans les mains mêmes des
Charlatans & des impofteurs. Mais ces
merveilles ne donneront la ſanté à perfonne
, & la feront perdre à beaucoup de
gens ; elles rempliront les eſprits d'idees
vagues & fuperftitieuſes , & nuiront aux
progrès du veritable Art de guérir , en humiliant
les Médecins , & en dégradant la
Médecine . Une découverte eft quelquefois
d'un grand homme ; mais un ſecret eft
toujours d'un Charlatan.
Qu'on pardonne cette digreſſion au ſentiment
que nous a communiqué l'Ouvrage
de M. d'lharce : fon livre , qui eſt d'un excellent
eſprit , eft aufli d'une ame pleine
de candeur & de fincérité. Il montre la
plus vive confiance pour fon Art, mais il
en connoît trop les reſſources pour les
exagérer , & le mot de Montagne , que
faisje ? eſt auſſi ſouvent fon mot.
Biij
30 MERCURE
HISTOIRE Littéraire de la Ville d'Amiens.
A Amiens ,, chez les Libraires de la
Ville; à Paris, chez Durand , Mérigot ,
• Barrois & Delalain le jeune , Libraires ,
1 Volume in - 4°. Prix, 10 livres 4 fols
broché.
IL s'en faut bien que nous dédaignions
ces entrepriſes Littéraires dont le but eſt de
préſenter l'hiſtoire de chaque Ville. Cette
eſpèced'apothéoſe élevé par le Citoyen, ſur le
berceau du Citoyen qui n'eſt plus , a quelque
choſe de plus relatif à chaque individu. Les
faſtes nationaux n'ont ſouvent qu'une petite
place à confacrer à un nom ; les Annales de
la Province ont des pages entières à offrir à
'Homme célèbre , & cette perſpective eft
encourageante. Nos grandes & longues
hiſtoires devroient ſe borner à peindre le
geniedes Peuples , fon mouvement d'accélération
ou rétrograde à chaque règne , ſes
inftans de langueur & ſes variantes dans ſon
régime. Il eſt juſte que les Provinces qui
fournirent des Soldats , des Héros , des Artiſtes
, &qui furent lesthéâtresde nos guerres,
ayent des Hiftoriens, & puiffent célébrer
leurs Citoyens. L'émulation ne pourroit
qu'y gagner. Nos chroniques ſeroient conſervées
, les monumens reſpectés , l'enfant
apprendroit à l'école du Bourg le catéchiſme
hiſtorique des grands Hommes de la contrée.
Pourquoi l'Italie ne nous fert elle point
DE FRANCE. 31
encore de modèle ? Toutes ſes Bourgades
offrent au Voyageur un agenda , un manuel
hiſtorique où , depuis leur fondation, tousles
monumens , tous les Hommes célèbres ainfi
que l'indication des chef- d'oeuvres ſont rapprochés
avec un afſerviſſement ſcrupuleux à
la chronologie. Ce ſont des eſpèces d'Appendices
de l'hiſtoire ancienne & moderne
de Rome. L'Étranger a bientôt connu le ſol
qu'il vient viſiter , & il le parcourt avec des
fentimens d'eſtime.
On commence d'écrire ces hiſtoires particulières.
Quelques unes ont le mérite du
genre , d'autres ſont à recommencer. L'envie
de faire des Volumes empêche qu'on ne
réduiſe à peu de feuilles une hiſtoire aride
de laquelle il ne falloit rapporter que les
faftes. Quelques - unes en font reftées au
défrichement laborieux de l'Écrivain nédiocre
à qui il a manqué du génie & une
bonne critique. Une ſotte crédulité eſt en
général le cachet de ces faiſeurs d'hiſtoires
de Province. Ils admirent tout , croient tout,
recueillent tout & expliquent tour. Quelques
bienféances dont l'Écrivain ſupérieur
fait s'affranchir, ne manquent jamais de les
arrêter; ils ralentiffent leur marche par des
differtations complaiſantes ſur les prérogatives
de l'échevinage, d'une Collégiale, & fur
les généalogies des Nobles du canton. Leur
travail, qui eût été intéreſſant , devient partial
, ſuſpect & puérile .
Ces réflexions peuvent s'appliquer à Thif
Biv
32
MERCURE
toire d'Amiens . Il nous ſemble qu'un Ouvrage
dans lequel il n'y a point d'époques
diftinctes , pointde chaîne dans les faits , où
on ne trouve ni deſcription géographique ,
ri tableau hiſtorique, ni chronologie , en
un mot rien de ce qui peut marquer le ſite ,
la population , la richeffe , l'induſtrie , l'adminiftrarion
d'une Province , ne peut s'appeler
une hiſtoire. Il nous ſemble qu'un
Livre qui ne renferme que des noms d'Artitles
& de Poëtes médiocres ſéparés par des
alinea remplis de notices d'ouvrages inconnus
& de manufcrits qu'on ne lira jamais , à
la fuite deſquels ſe trouvent les ſtaturs des
fix Corps & Métiers , les noms des Baillis ,
Sénéchaux , Échevins & Marchands , n'eft
qu'un Almanach dont l'utilité eſt inconteftable;
mais d'un Almanach à une Hiſtoire
il y a une diſtance un peu grande.
Nous obſerverons à l'occafion des épitaphes,
dont l'Auteur a recueilli une trop
grande quantité, que cette recherche exige
beaucoup de choix & beaucoupdefobriété.
L'épitaphe que la piété d'un fils vient graver
fur le tombeau de ſon père , bien honnête
homme & bien obfcur , n'eſt honorable que
pour lui. Il faut la laiffer ſur le plomb ,
d'où la lime du temes ſaura la faire diſparoître.
Il en eit de même de celles que l'adulation(
car on eſt flatteur auſſi dans les Provinces)
conſacre aux Élus , aux Prefidens ,
aux Officiers municipaux , à des Doyens de
Chapitre & à quelques Évêques. Nous pen
DE FRANCE.
33
ſons que l'inſcription qui n'indique,point
un événement public, qui ne marque pas la
place où gît l'homme illuftre , doit être laiffee
fans honneur ſur les murs noircis du
cimetière où elle fut poſée. Malgré le mérite
de la ſculpture & la dorure de l'écuſſon,
les Hiſtoriens judicieux ont toujours dedaigné
cette afferetie. Les François ont peutêtre
aufli un peu trop négligé le genre lapidaire
que la Grèce & Rome avoient rendu
fi énergique& fi concis. Nous avons cependant
des Héros & de grands Hommes.
Pourquoi la Nation, qui fut trouver cette
infcription i belle à Louis XIV après sa
mort,n'at-elle pu graver ſur la tombe du
meilleur des Miniſtres que ces inots : Ci-git
Suger ? Pourquoi ſes épitaphes font - elles
fi verbeuſes ? pourquoi les prodigue- t- elle
tant , &pourquoi en est- elle quelquefois ſi
avare ? Qù ſont les épitaphes de Duqueſne ,
de Lhopital, de Catinat & de tant d'autres ?
Faut- il que les Anglois nous offrent aujourd'hui
des modèles dans ce genre ?
-Nous allons citer quelques- unes des anecdotes
contenues dans cette nouvelle hiftoire.
C'eſt dans le douzième fiècle que les
Égliſes de France & celles d'Amiens commencèrent
de chanter au Peuple les Építres
farcies,Epiftola cum farfia. " C'était l'Epître
du jour, dont le texte latin étoit en-
1 tremêlé, phrafe à phrafe , d'une explica-
»tion paraphraſée en langue vulgaire, Du
>> haut de la Tribune ou du Jubé , le Sou
By
34
MERCURE
ود diacre chantoit le texte ſacré, &un ou
>> deux Enfans de choeur chantoient l'explica-
>> tion. On voit des monumens de cet uſage
ود dans l'ancien Ordinaire de Soiffons , ſous
» l'Évêque Nivelon I. »
La métaphyſique d'amour qui étoit générale
en France en 270, avoit auſſi ſes Bacheliers
& fes Docteurs à Amiens. On foutenoit
dans des thèſes des queſtions aufli
oiſenſes que la ſuivante : « Si l'on aime-
» roit mieux que ſa femme sût que ſon
>> mari la fait wihote , & qu'elle en fût
» jalouſe , ou qu'elle le fit wihot ſans
» qu'il en sût rien. » -Pas un de ces Argumentans
n'avoit ſu trouver la réponſe
charmante de La Fontaine :
१.
Quand on l'ignore ce n'est rien ,
Quand on le fait c'eſt peu de choſe. 1
Les Conciles , les Mandemens des Évêques,
les vieux Sermons font des Archives dans
leſquelles l'Hiftorien retrouve une peinture
fidelle des vices de chaque ſiècle. Il ne
manque jaunais de les confulter. A coupsûr
une réforme auſtère n'est qu'un remède
employé à un mal violent. Les Ordonnances
de François de Puiſſeleur , Évêque d'Amiens
en 546 , donnent une idée des déſordres
du Clergé de France. Ce Prélat ordonne
aux Prêtres de fon Diocèse " de porter une
ود
«
foutane qui defcende juſqu'aux talons ; il
défend les fouliers à jour , découpés ou
garnis de brillans-& de petits miroirs,
DE FRANCE.
35
>> calceos fenestratos; il leur preſcrit de ne
>> pas forut ſans chaperons ni bonnets,
» finè caputiis ; il oblige les Prêtres mer
هد
ود
cenaires à affifter aux Offices de Paroiffe ;
il défend à tous le concubinage , le com-
» merce , l'exercice des Profeffions de No-
>>> taires , d'Avocat ou de Procureur ; il or-
- donne aux Curés de lire au Prône les
ود Prières communes qui commençoient par
» bonnes gens. Défenſes étoient faites de
>> baptifer l'enfant dans le ventre de ſa mère
» s'il n'en paroît rien au-dehors , d'avoir
>> des Hiftrions , des Muſiciens , des danſes
>> au repas d'une première Meſſe. Quicon-
» que ne communioit pas à Pâques étoit
> privé de la ſépulture. »- De ſemblables
Réglemens prouvent beaucoup plus contre
les moeurs du Clergé du ſeizième fiècle , que
ne ſauroient faire des déclamateurs violens
ou ſuſpects. François Faure , Évêque en
1655 , fut obligé de défendre de confeffer
plus tard que le ſoleil couché , à moins de
prendre des lumières. On conçoit aiſement
la cauſe de cette prohibition ; mais il eſt difficile
d'imaginer les motifs qui ont porté cet
Évêque à défendre aux Prêtres l'uſage du
tabac.
On fait que le Savant eſtimable que Dom
Mabillon appeloit ſon Maître , le célèbre
Ducange, eſt né à Amiens. Greffet y reçut
auffi le jour en 1709. Les vers de ce Poëte
ingénieux & facile ont aſſuré ſa renommée.
L'Auteur que nous fuivons nous apprend
B vj
36 MERCURE
que ce Poëte acheva fa carrière par un Couplet
à une Dame qu'il engageoit à ne plus
veiller. L'anecdote étoit , comme on voit ,
très intéreſſante. Un abſcès crevé dans lapoitrine
l'enleva en 1777. Le deuil fut mené
pompeusement par le Maire de la Ville. Ces
honneurs rendus au Poëte , honorent encore
plus ceux qui furent fentir qu'ils devoient
ces égards à l'Homme célèbre qui en mourant
laiffoit à ſa patrie un ſouvenir dont
elle alloit s'énorgueillir. Nous n'avons ce
pendant point oublié avec quelle diſtinction
le Corps municipal d'Amiens reçut le
malheureux J. J. Rouleau , qui fuyoit pourfuivi
par un décret, & qui dut la liberté au
Prince de Conti , qui veilloit ſur lui bien
plus en ami qu'en protecteur. Le Magiſtrat
en robe longue offroit au Philoſophe l'hommage
qu'il n'accorde qu'aux Princes , aux
Rois & aux Commiſſaires du Monarque ;
c'étoit le préſent qu'on appelle le vin de
Ville. Greffet accompagnoit le Magiſtrar.
L'Auteur afſure que ce Poëte étoit Chrétien ,
ce qui ſans doute ſignifie pieux. Un M. de
Rodes , bel efprit de la Ville, va plus loin ,
&prouve ainſi la ſainteté de Greffet. Vertu,
dit il , dont on s'apperçoit aisément.
L'odeur de fainteté par-tout fe communique
Comme un bel inſtrument en ſalle de muſique
Par-tout ſe fait entendre & fait impreffion.
Ce même bel eſprit voudroit qu'Apollon ſe
rendît propriétaire de la maiſon de Greffer,
:
DE FRANCE.
37
& qu'on y vir une cascade d'eau qui ſans
doute repréſenteroit le Perineſſe.
Nous apprenons dans cette histoire que
M. Legrand , Rédacteur des Fabliaux , & qui
a eſſayé d'enlever aux Troubadours Provençaux
l'antique ſceptre de la Littérature pour
le remettre dans les mains des Trouvères
Picards plus modernes , est né à Amiens. Il
n'eſt pas étonnant qu'il ait ſuccombé au
defir ſi puiſſant d'honorer ſa patrie. Nous
lui pardonnons ſa prévention. Peut être au
roit- il dû en faire l'aveu au riſque de paroître
juge& partie. Nous avons rendu compte
dans la nouveauté de l'Édition des Fabliaux ,
dont nous ſomines bien éloignés de contefter
le mérite..
Nous finirons par le Quatrain ſuivant ,
qui appartient à M. Clergé , & qui fut
adreffé à M. Martin de Bonnaire :
Qu'en ce jour mille fleurs couronnent votre tête ;
Votre coeur fut toujours le fiége des vertus ;
Et fi le vrai mérite avoit un nom de fête ,
Vous auriez un patron de plus.
Cette penſée a été reſſaffée par bien des
Poëtes ; nous ne décélerons point les plagiats;
c'eſt à nos Lecteurs à nommer les
Plagiaires .
!
38 MERCURE
DIPE , Tragédie de Sénèque , Traduction
nouvelle , ſuivie d'une comparaison de
différentes Piècesſur leſujet d'Edipe , par
M. de Limes. Prix , 1 liv. 4 ſols. A Amfterdam
,& ſe trouveà Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur- Libraire , rue Galande , visà-
vis celle du Fouarre .
M. de Limes donne cet Edipe pour fonder
le goût du Public ſur une Traduction
entière qu'il veut publier de Sénèque. Cette
Tragédie eſt trop connue pour en donner
ici l'analyſe ; nous n'avons qu'un mot àdire
du ſtyle du nouveau Traducteur. Il nous paroît
avoir vivement ſenti les beautés de ſon
original , & il ne cherche pas à en diffimuler
les défauts. Son projet a été de traduire avec
une exacte fidélité. " La Traduction , dit- il ,
> eſt une copie qui ne peut mieux reflem-
>> bler que lorſqu'elle eſt calquée ſur l'ori-
>> ginal. » Mais peut être faudroit- il s'entendre
un peu mieux ſur ce mot calquée. Souvent
rien n'eſt plus infidèle qu'une Traduction
littérale , parce qu'un accouplement de
certains mots , qui eſt naturel dans une langue
, devient plus d'une fois monftruenx
dans une autre. On ne peut donc quelquefois
calquer le caractère d'un Autenr qu'en cherchantdes
expreffions qui correſpondent ſans
reffembler.
L'oubli de ce principe a fait tomber leTraducteur
dans quelques tournures bizarres ;
DE FRANCE. 39
mais en général il nous a paru pénétré de l'eſprit
de fon Auteur , qu'il veut rendre avec ſes
beautés & fes defauts, & fa Traduction mérite
des éloges.
On trouve à la fin de cette Pièce , (& le
projet de M. de Limes eſt d'en faire aurant
pour toutes les Tragédies de Sénèque ) une
comparaiſon de celles qu'on a faites fur le
ſujet d'Edipe. Il loue avec enthouſiaſme
celui de Sophocle ; & nous croyons cet enthouſiaſme
plus juſte que la manière dont
il parle de l'Edipe de Voltaire. Il nous a
paru juger cette dernière Tragédie , qui n'eſt
pas fans défauts , avec un peu trop de ſé
vérité.
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 19 Septembre, on a donné
la première repréſentation d'Amélie &
Monrose , Drame en quatre Actes & en
profe.
Monroſe & Surrey aiment Amélie. Le
premier a quitté l'Angleterre , après avoir
vû fon père tomber ſous le fer des bourreauxde
Charles Premier. Le ſecond , ami
deMonroſe & favori de Cromwel , a obtenu
le conſentement de Suffolk , père d'Amelie
, & l'un des partiſans de l'ufurpateur:
40
MERCURE !
mais c'eſt en vain que Suffolk veut engager
ſa fille àépouſer Surrey; fidelle à fon amant,
elle refuſe d'obéir à ſon père. Cependant
Monroſe eſt revenu ſecrètement en Angleterre
; il ſe rend auprès d'Amelie , & lui
propoſe de s'embarquer avec lui pour la
France. Après avoir réſiſté quelque temps
aux inſtances d'un amant ſenſible & malheureux
, elle conſent à le ſuivre. Monroſe
afait inftruire Surrey de ſon retour. Celuici
, emporté par l'amour & par la jaloufie ,
confie ce myſtère à Sadley , perſonnage à
peu près ſemblable au Cécil du Comte
d'Effex , & plus mépriſable que lui. Sadley
offre à Surrey de le venger , en dénonçant
Monroſe à Cromwel ; mais cette propoſition
eſt rejetée avec horreur. Monrofe
ignore que Surrey eft fon rival , ſon âme
franche & confiante ſe déploie toute entière
ſous les yeux de Surrey. Il lui confie.
ſon amour , ſes projets de fuite, & l'engage
à les fervir. Surrey eſt en proie à des mouvemens
de jalousie , qui ſont combattus dans
fon coeur par le ſentiment de l'amitié. Il ne
peut ſe déterminer à favorifer la fuite d'Amélie
, ni à trahir ſon rival. Sadley vient
trouver Suffolk , & lui demande un entretien
particulier dont il eſt facile de deviner
la cauſe. En effet , tandis qu'Amélie , Fanni
ſa Gouvernante , & l'amoureux Monroſe ſe
préparent à fuir , Suffolk reparoît. On ſe
ſaiſit de l'amant infortuné , on le défarme ,
on l'entraîne ; mais il eſt bientôt réclamé par
DE FRANCE
41
Cromwel , que Sadley a informé de fon retour.
Surrey ne reſpire que la vengeance , &
fort dans l'intention de percer le coeur du
lâche qui a cauſé le malheur de fon amı. Ici
la Scène , qui , pendant les deux premiers
Actes , a repréſenté une campagne ſituée aux
environs de Londres , fait place à une prifon
dans laquelle on a conduit Monroſe. L'amant
d'Amélie y reçoit les confolations de Suffolk ,
d'un vieux Domeftique qui a ſervi ſon père ,
& qui rappelle un peu le Jarvis de Beverley .
Surrey s'y rend auſſi. Il a puni le criminel
Sadley; mais c'eſt en vain qu'il a voulu fléchir
Gromwel. Le barbare ufurpateur eft
avide du ſang du profcrit , & la mort de
Monroſe eſt réfolue. Tout ce que Surrey
peut faire encore , c'eſt de ſervir tout-à-lafois
l'amitié , &de ſe punir de fon indifcrétion,
en prenant la place de ſon ami. Enveloppé
dans le manteau dont Surrey étoit
couvert , Monroſe peut échapper à l'oeil de
ſes Gardes; mais il ne veut point accepter
cette propofition : Surrey infiſte ; enfin ,
après un long combat , où l'amitié s'impute
un ſacrifice dont elle a donné plus d'un
exemple , Monroſe conſent à partir. Ici la
Scène change encore , & repréſente l'appartement
de Suffolk. Amélie veut aller trouver
fon amant dans ſa priſon , & partager ſes
maux; il vient ſe jeter à ſes pieds , lui apprendre
le dévouement noble & courageux
de l'héroïque Surrey; mais content de l'avoir
vûe , & de lui avoir rendu ſon dernier hom
42 MERCURE
mage , il va brifer les fers de Surrey , &porter
ſa tête à Cromwel. Cette ſituation , qui
augmente l'infortune d'Amélie , dont l'âme
s'étoit ouverte à l'eſpérance , eſt ſuivie du
retour inopiné de Surrey. C'eſt à l'amourdu
peuple qu'il a dû ſa delivrance. On a ſu la
détention de Monroſe , ſa cauſe , le ſacrifice
de ſon ami : toutes les âmes ont été entraînées
, & toutes les voix ſe ſont élevées en
faveur de l'infortuné. Ennemi implacable ,
mais politique fin& délié, Cromwel a ſacrifié
ſa haine à la néceſſité de paroître clément.
Surrey engage Suffolk à unir Amélie &
Monroſe , il les exhorte à ſe rendre promptementauprès
de leur Koi légitime. L'amour
&l'amitié triomphent.
Ce Drame a eu un très grand ſuccès. Il
feroit facile de démontrer qu'il manque quel
quefois de vraiſemblance; que les Scènes
ne ſont pas liées; que les fituations , nous
parlons de celles qui ſont vraiment intéreſſantes
, n'ont pas le mérite de la nouveauté;
que le ſtyle eſt diffus , haché , quelquefois
même obſcur ; enfin , on pourroit , par la
réuſſite même de ce Drame , prouver que le
Public s'accourume de plus en plus à confondre
tous les genres; & qu'aujourd'hui
l'on voit , ſans ſurpriſe , ſubſtituer aux tableaux
dramatiques , les tableaux qu'un goût
plus pur &plus ſévère faiſoit autrefois reléguer
dans les Romans. Certe diſcuſſion , qui
donneroit lieu à de très- longs détails, ſeroit à
peu- près inutile. Aujourd'hui, on nedemande
DE FRANCE.
43
pas ſi un Ouvrage eſt bien fait; on demande
s'il a plu. Et que dire à des Spectateurs engoués
, que dire au Public , quand il prouve
le plaifir qu'il reffent , tant par les applaudiſſemens
qu'il prodigue , que par les mouvemens
dont il eſt agité ? Rien. Tout l'art
de l'Auteur d'Amélie , & c'en eſt un puiffant,
eſt d'attacher & d'intéreſſer. Sarrey ,
favori de Cromwel , ami de Monrofe , amant
d'Amélie , emporté par les fureurs de la jalouſie
juſqu'à trahir le ſecret de l'amitié ,
mais revenant à lui- même , honteux de ſon
égarement , facrifiant ſon amour , & même
ſa vie , au defir de ſe punir d'une erreur ,
offre un caractère auſſi touchant que noble..
C'eſt le premier , peut- être même le ſeul ,
qui ſoit bien foutenu dans tout le cours du
Drame , & c'eſt lui qui en a fait le ſuccès.
ANNONCES ET NOTICES.
Cinquième Livraiſon de l'Encyclopédie , par ordre
de Matières , premier Octobre 1783 .
LA CIN
A CINQUIÈME Livraiſon de l'Encyclopédie
eft actuellement en vente. Cette cinquième Livraifon
eſt compoſée du Tome premier , ſeconde Par .
tie de l'Histoire Naturelle , contenant les Oiseaux ;
du Tome troiſième , première Partie de la Jurifprudence;
du Tome ſecond , première Partie du
Commerce; du Tome premier , première Partic
de la Marine.
Cette Partie des Oiseaux , par M. Mauduit ,
44 MERCURE
( eſt précédée de pluſieurs Diſcours : 1º. du
Plan de l'Ouvrage : 2°. d'un premier Diſcours
fur l'organiſation des Oiseaux , leurs fens , facultés
, habitudes : 3 °. d'un ſecond Discours ſur la
néceſſité de chaffer les Oiseaux , & fur les Auteurs
de l'Ornithologie : 4°: d'un troiſième Difcours
ſur le parallèle des Oiseaux des diverſes
Contrées , ſentimens ſur leurs émigrations ou le
paffage des Oiseaux : sº . d'un quatrième Diſcours
fur la durée de la vie des Oiseaux , leurs inaladies ,
la manière de les tranſporter vivans , les Collections
d'Oiſeaux difféqués ou empaillés .
,
Le Volume de la Marine , par MM. Blondeau
&Vial du Clairbois , eſt précédé d'un Diſcours
& ſuivi d'un Tableau Analytique ou Syſteme
Encyclopédique de Marine indiquant l'ordre
fuivant lequel doivent être lus les articles de
ce Dictionnaire pour en tirer le fruit d'un Traité ;
il eſt ſuivi de l'Arbre Encyclopédique de la Marine.
On fera le même travail fur toutes les autres
Parties qui en feront fufceptibles , ainſi qu'on s'y eſt
engagé par le Profpectus ; mais la plupart des
Ouvrages exigent que ces Tableaux & ces Arbres
Encyclopédiques ne foient mis qu'à la fin de
chacun d'eux. Le prix en feuilles de cette Livraiſon
eft de 22 liv. broché , 24 liv. Le port eſt au compte
des Souſcripteurs.
Il y a actuellement 18 Parties ſous preffe de ce
grandOuvrage.
La fixième Livraiſon , composée d'un Volume
de Planches & d'un Volume de Diſcours, paroîtra
en Décembre.
JOURNAL d'Education , par M Luneau de Boisjermain.
A Paris, chez l'Auteur; rue S. André des
Arcs,près la rue Contreſcarpe.
• Parmi les Journaux qui ont un objet réel & direct
DE FRANCE. 45
d'utinté, on doit compter celui que nous annonçons.
Il traitera ſucceſſivement de tous les objets qui intéreſſent
l'Éducation phyſique & morale des jeunes
perſonnes ; l'étude des langues étrangères , de l'Hiftoire
ancienne & moderne , de la Géographie , de la
Phyſique & de l'Histoire Naturelle , de la Morale ,
des Belles-Lettres , des principes & des manoeuvres
des Arts.
Il paroît déjà les quatre premiers Cahiers du cours
de la langue Italienne. Par la méthode de l'Auteur ,
qui eſt de joindre au texte Italien une Traduction
interlinéaire & littérale , on pourra en très-peu de
temps , fans maître , ſans dictionnaire & fans grammaire
, ſe mettre en état de lire tous les Ouvrages
écrits dans cette langue. Il en fera autant pour les
autres langues étrangères.
On ſouſcrit chez l'Auteur , & l'on paye actuellement
15 liv. pour les huit Cahiers qui completteront
le-Coursde Langue Italienne. Le dernier Cahier paroîtra
à la fin de Novembre.
OEUVRES choiſies de le Sage , avec figures , troifième
Livraiſon , contenant Roland l'amoureux , 2
vol. in-8°. Estevanille de Gonzalez , 1 vol . in- 8 ° .
Théâtre François , 1 vol . in- 8 ° .
On ſouſcrit pour leſdites Cavres , conjointement
avec celles de l'Abbé Prévost , à Paris , rue &
hôtel Serpente , &chez les principaux Libraires
de l'Europe. Le prix de la Souſcription eſt de 3 liv.
12 fols le vol. br. , & fera maintenu ainſi juſqu'à la
fin de Décembre prochain ; paſſé lequel temps , on
ne pourra plus ſouſcrire , & les volumes feront alors
du prix des liv. br. , & 6 liv rel . La quatrième Livraiſon
ſe feraàla fin du préſent mois de Septembre ,
&fera compofée de 4 vol.
L'Éditeur vient de donner une nouvelle preuve de
fon zèle , en envoyant aux Souſcripteurs des cartons
46 MERCURE
pour quelques fautes qui ſe ſont glifiées dans la première
Livraiſon.
CARTETopographyque de la partie Septentrionale
de l'Empire Ottoman , par M. Rizzi Zannony. Prix ,
12 liv. A Paris , chez Verrier , Géographe du Roi &
des Enfans de France , rue des Quatre- Fils , au
marais.
Cette Carte, d'une partie intéreſſante du Globe ,
eſt diviſée en trois feuilles.
GEOGRAPHIE COmparée , ou Analyſe de laGéographie
ancienne & moderne des Peuples de tous les
pays & de tous les âges , accompagnée de Tableaux
Analytiques & d'un grand nombre de Cartes , les
unes comparatives de l'état ancien & de l'état actuel
despays ; les autres plus détaillées , & représentant
ces pays dans leur état ancien ou dans leur état
moderne ; par M. Mentelle, Hiftoriographe de Mgr.
leComte d'Artois , Penſionnaire du Roi , Profeffeur
Émérite d'Hiſtoire & de Géographie à l'École Royale
Militaire , de l'Académie des Sciences & Belles-Lettres
de Rouen , de l'Académie Royal de la Hiſtoria
de Madrid, Cenſeur Royal , &c. A Paris , chez
l'Auteur , à l'hôtel de Mayence , près du Notaire ,
rue de Seine , F. S. Germain ; Nyon l'aîné , Libraire ,
rue du Jardinet , &Nyon le jeune , quai des Quatre
Nations.
Ce Vol. , qui vient de paroître avec ſept planches ,
traite de l'Eſpagne moderne , & ſe vend pour les
Souſcripteurs 7 liv. 4 fols. L'exécution de cet important
Ouvrage eſt trop difficile & trop pénible , &
l'Auteur y apporte trop de ſoins pour qu'il puiſſe',
par la célérité , fatisfaire à l'impatience du Public.
M. Mentelle , connu par ſes profondes connoiſſances
enGéographie , y travaille avec la plus ſcrupuleuſe
attention; outre les lumières qu'il implore dans tous
DE FRANCE. 47
les pays dont il s'occupe , il envoye ſouvent fon manufcrit
fur les lieux inême avant de le livrer à l'impreſſion,
afin de pouvoir être averti des moindres
erreurs qui peuvent lui échapper. Le volume qui paroît
aujourd'hui ſur l'Espagne moderne , avec celui
qui avoit précédé ſur l'Espagne ancienne , forme la
deſcription la plus exacte & la plus complette qui ait
encore paru ſur ce Royaume. Ces deux Parties ſe
vendront ſéparément is liv.
M. Mentelle avoit fait graver une Vûe de Gibral
tar; mais ayant reconnu qu'elle n'étoit pas exacte ,
il l'a fupprimée pour en faire graver une autre d'après
un original qu'on lui a promis.
Après avoir donné la Deſcription du Portugal,
dont il a envoyé le manuscrit à Lisbonne , pour y
être examiné , il paſſera à la Géographie des Pays-
Bas & des Provinces - Unies .
La réimpreffion de la ſeconde Livraiſon vient
d'être achevée ; les perſonnes qui ne l'ont pas reçue
ſont priées d'en écrire à l'Auteur.
chez
LETTRE écrite de Palerme , relative'au désastre
de Meſſine , traduite de l'Italien . A Paris
Cailleau , Impr. Libr. rue Galande.
,
Cette Lettre eſt écrite avec chaleur , & annonce
une imagination vive& ardente,
LETTRE de l'Auteur du Monde Primitif à MM,
Ses Soufcripteurs , in-4°. de 47 pages .
L'Auteur de cette Brochure s'excuſe de n'avoir pas
publié cette année le dixième volume du Monde
Primitifà cauſede ſa mauvaiſe ſanté. Il entre enfuite
dans divers détails ſur une découverte intéreſ
ſante à laquelle il doit ſon rétabliſſement. Voici les
queſtions qu'il ſe fait. « Ai-je été malade ? Ai- je été
>> guéri ? Suis-je mieux ? A qui dois-je ce micux?
MERCURE
» &c. &c. » La manière dont il répond à toutes
>'ces queſtions eft très-piquante & très - curienſe.
Quatre Pots pourris , arrangés & Dialogués pour
deux Violons, par M. Thiémé , ci- devant Maître de
Muſique de la Con.édie de Rouen, & premier Violon
du Concert , OEuvre quatrième. Prix , 7 livres
rue des 4 fois. A Paris , chez Mile Castagnery
Prouvaires ; & à Rouen , chez l'Auteur , rue du
PetitEnfer.
,
AIR de Malboroug, arrange per due Flauto o
Violono. ( il eft vraiſemblable qu'on a voulu dire
pour deux Flûtes ou Violons , ) avec trente-trois variations
, par M. ****. Prix , 2 liv. & fols. A
Paris , chez Mlle Girard, rue de la Monnoie.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
VERS faits pendant mon fe- Erreurs Populairesfurla Méjour
àAnet , 3 decine, 9
AM Dupré de Saint -Maur, Histoire Littéraire de la Ville
Invitation à dîner à Albing , d'Amiens , 30
Chienne de Mme Ad**. ib. Edipe , Trag de Sénèque , 38
Charade, Enigme & Logogry Comédie Italienne,
7Annonces & Notices ,
39
43
phe ,
APPROΒΑΤΙΟΝ
.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mereure de France , pour le Samedi 4 Octobre. Jen'y ai
rien trouvé qui puifle en empêcher l'impreffion.A Paris ,
le 3 O&obre 1783. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 15 Août.
N
ce qui ſera OUS ignorons encore ici
décidé relativement à la paix ou à la
guerre ; mais le Divan eſt fort occupé , &
les préparatifs que nous faifons , & qui font
immenfes ne font point rallentis. La conftruction
des Navires ſe pouffe avec la plus
grande activité ; il arrive fans ceſſe des troupes
de l'Aſie , qui défilent ſur le champ du
côté des frontieres , où il ſe raſſemble des
forces qui font déja très - conſidérables. Les
Bachas ont reçu ordre de fortifier , & de
mettre dans le meilleur état de défenſe poffible
les places qui leur font confiées ; &
tous les jours , quelquefois même deux fois
par jour , il part d'ici des trains formidables
d'artillerie , & des tranſports prodigieux de
munitions de guerre de toute eſpece. Le
peuple demande la guerre à grands cris , il
N° . 40. 4 Octobre 1783 .
( 2)
eſt animé par le motif le plus puiſſant , celui
de la religion , & les gens de loi paroiſſent
regarder comme un attentat aux décrets du
Prophete , le démembrement de la Crimée
qui eſt ſoumiſe à l'autorité du Calife .
و
Le bruit qui s'étoit répandu du rappel du
Miniſtre Autrichien n'a aucun fondement ;
ce Miniſtre est toujours ici & envoie
preſque chaque ſemaine deux à trois Couriers
à ſa Cour , qui lui en expédie à ſon
tour preſque autant. Le Miniftere Ottoman
manifeſte d'une maniere marquée le defir
qu'il a de vivre en bonne intelligence avec
cette Puiſſance , à laquelle il vient , dit- on ,
d'accorder encore de grands avantages pour
le commerce de ſes Sujets ; mais on ne fait
pas en quoi ils confiftent.
La peſte exerce toujours ſes ravages dans
cette Capitale , chaque jour elle enleve un
grand nombre de victimes , parmi leſquelles
oncompte la fille du Médecin de S. H. Ce
fléau ne fe fait pas fentir moins vivement
dans les environs.
:
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 28 Août .
Le Comte de Raczinsky , nouvellement
éluMaréchalde la Couronne & de la Cour ,
prêta ferment le 23 de ce mois entre les
mains du Roi , ainſi que le Prince Jérôme
de Radzivill , nommé Marechal de la Cour
de Lithuanie.
( 3 )
Les lettres de Constantinople annoncent
toujours la guerre ; s'il faut les en croire , les
Turcs tenteront inceſſamment une entrepriſe
fur la Crimée ; les ſpéculations qui ne font
pas moins nombreuſes dans cette Capitale
qu'ailleurs , arrangent ainſi le plan de la campagne
qu'ils croient devoir s'ouvrir inceffamment.
>>> Le Grand-Viſir , à la tête d'une armée compoſéede
l'élitedes troupes Ottomanes , ſuivra les
mouvemens des Ruſſes, de maniere à s'oppoſer à
cequ'ils paſſent le Dnieſter , & à couvrir par conſéquent
la fortereſſe de Chozcim . En même tems
le Capitan -Bacha mettra à la voile avec ſon eſcadre,
qu'on renforcera , le plus qu'il ſera poſſible ,
pour aller mettre obſtacle à la réunion des forces
Ruſſes fur la mer Noire , & les retenir dans les
divers ports dela Crimée , où elles ſont ſéparées ;
il eſſaiera de les détruire , s'il eſt poſſible , avant
qu'elles puiſſent nuire ou agir de concert avec les
forces qu'elles attendent de la Méditerranée. On
raffemblera auſſi , ſous les ordres d'un nouveau
Khan, ceux des Tartares de la Crimée qui ont
réſiſté aux promeſſes & aux menaces de laRuſſie;
eny joindra ceux du Cuban , du Budziac & des
bords du Kopa , & on les emploiera à inquiéter
detout leur pouvoir les troupes Ruſſes qui avoifineront
la Crimée& celles qui l'occupent déjà , à
rendre leur ſubſiſtance difficile &précaire , à brûler
les fourrages, & à les harceler ſans ceſſe. C'eff
un beau plan , fans doute ; mais il reſte à l'exé-
:
cuter «.
.: DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 4 Septembre.
Le Général d'Eichstedt , Miniſtre d'Etat
22
(4)
le Baron de Roſencron, Miniſtre des Affaires
✓étrangeres , Confeiller de conférence , &
M. Colbiorfen , Conſeiller de Juſtice , viennent
d'être nommes Directeurs de la Banque
royale , à la place de M. de Nuntzen
le Comte de Reventlau , M. Stampe & le
Comte de Schimmelmann qui ont donné
Jeur démiffion.
,
>>>Des bâtimens arrivés le premier de ce mois
de l'ifle d'Iſlande , ont apporté la nouvelle de l'irruption
de pluſieurs nouveaux volcans , dans le
diflrist de Scaptefield , aux environs du mont
Hecla. Ils vomiſſent une quantité prodigieuſe de
lave , qui a déjà emporté trois Egliſes & d'autres
édifices .Elle couvre , dans le voiſinagede la riviere
de Skaptaa , une étendue de pays de 15 milles de
long fur 7 milles de large. Une vapeur épaiſſe ,
remplie d'une pouſſiere très - fine & fulfureuſe ,
occupe l'athmoſphere & obfcurcit le ſoleil. L'ifle
nouvellement ſortie de la mer , près de Reikenos ,
reçoit tous les jours des accroiſſemens; il s'en
exhale continuellement du feu & de la fumée.
D'après ces circonstances , & ce qui s'eſt paffé dans
1a Sicile , il faut conclure que les deux principaux
foyers renfermés dans le ſein de la terre , au nord
&au midi de l'Europe , ſont aujourd'hui dans une
activité plus qu'ordinaire .
On mande d'Helſingor qu'il viene de
mouiller dans ce port deux Vaiſſeaux de
guerre Ruffes de 60 Canons , conſtruits
nouvellement à Archangel , & ſe rendant à
Cronſtadt. On écrit auſſi qu'il y a dans le
méme port un Navire Anglois fur lequel ſe
( 5 )
trouvent 16 Officiers & 20 Chirurgiens de
cette nation qui ſe ſont engagés au ſervice
de l'Impératrice de Ruffie.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 13 Août.
Le mauvais temps qui regne depuis quel-.
que temps a ſuſpendu les grandes manoeuvres
du camp de Hlaupietin en Bohême ;*
elles ont commencé ſeulement le decemois.
On dit que le Prévôt du Chapitre de
Neutra a encouru la diſgrace de S. M. I. qui
l'a privé de fa dignité , & des autres béné
fices qu'il avoit. Parmi les chofes qu'on lui
impute , il y en a de très-graves & de trèsétranges
. Telle eſtl'imprudence qu'il a eue
de ſe préſenter, dit- on , à la Cour de Lisbonne
, comme ayant une commiſſion particuliere&
fecrette de la part de l'Empereur.
Il paroît décidé qu'on exécutera dans per
l'ancien projet d'incorporer les diſtricts de la
Hongrie en-deçà de la Raab à l'Autriche , &
ceux qui font limitrophes à la Moravie à
cette derniere province. De cette maniere la
Hongrie ſera ſéparée de l'Autriche & de la
Moravie par la Raab en-deçà du Danube ,
& au -delà par laWaag. Presbourg deviendra
une ville d'Autriche , & Bude fera regardée
comme la capitale de ce royaume.
Les corps de baleine viennent d'être défendus
dans les maiſons d'éducation pour
les Demoiselles.
23
( 6)
DE HAMBOURG , le 16 Septembre.
Rien de plus incertain &de plus contradictoire
que les nouvelles relatives aux armemens
des deux Cours Impériales & des
Turcs.
>> On écrit de Carlſtadt, lit- on dans quelquesunsde
nos papiers , que le 20 du moisdernier il y
eut un rude combat entre les Turcs ,fur les fron-
Aieresde la Croatie ; il paroît que des diviſions inzernes
, parmi des troupes indiſciplinées ,& l'efprit
de mutinerie , long-temps & difficilement
contenu, n'en ont pas été la caufe. Les corps
Afiatiques & Européens faiſant dans la nuit la
viſite du cordon , ſe prirent , en ſe rencontrant ,
pour un parti étranger ; le feu dura , dit-on , jufqu'au
jour. Il y eut un grand carnage , & pluſieurs
Officiers furent maſſacrés en voulant rétablir la
tranquillité «.
Selon quelques-uns de ces papiers , on
attribue la dépoſition de Nicolas Caraggia ,
Hoſpodar de la Valachie , à des liaiſons fecrettes
qu'on lui ſuppoſoit avec la Ruffie. Si
elles exiſtoient en effet , elles ne pouvoient
être vues de bon oeil par le Gouvernement
Ottoman fur -tout dans un moment où l'on
regarde ce qui vient de ſe paſſer en Crimée
comme une fuite de celles de Sahim Gheray
avec la même Cour.
Selon les avis de Pologne , un corps confidérable
de Ruffes s'eſt avancé vers la fortereſſe
d'Oczakow , & on porte à 100,000
le nombre des troupes de cette nation qui
eft entrée fur les terres de la République.
( 7 )
Onprétend qu'outre les armées Ruſſes déja
en mouvement de divers côtés , il y en a
une autre conſidérable,mais partagée en pluſieurs
petites diviſions , en marche par les
frontieres de la Perſe , & on ne manque pas
d'annoncer que ſi la guerre éclate , les Perfans
ne reſteront point ſpectateurs oififs.
Mais on a toujours lieu de croire que la Cour
de Pétersbourg évitera d'uſer la premiere
des voies de fait , pour être en droit de réclamer
, lors d'une attaque des Ottomans ,
le ſecours qui lui eſt promis dans ce cas par
fon traité avec la Cour de Vienne.
Les diſpoſitions de la maiſon d'Autriche
dans cette circonſtance font toujours un
myſtere ; elle a fait des préparatifs immenfes
, & qui lui ont coûté fort cher , puifqu'on
les évalue à fix millions de florins audelà
de ce que lui coûte ſon état de guerre
ordinaire. On remarque que ſes prépar artifs
augmentent , que les embarquemens de munitions
ſur le Danube ſe renouvellent tous
les jours ; que ſes troupes s'avancent vers les
frontieres ; on dit même que l'armée s'aſſemblera
bientôt dans le bannat de Témefwar.
Ce qu'on avoitditici de l'entrevue que l'Empereur
devoit avoir avec le Roi de Pruſſe eſt
totalement tombé. Cette entrevue n'a point
eu lieu , & on apprend de Berlin que S. M.
eſt arrivée à Potzdam le 2 de ce mois.
Nos papiers , en attendant des lumieres
moins incertaines ſur la tournure que prendront
les démêlés entre la Ruffie & la Porte,
a4
( 8 )
préſentent quelques obſervations ſur les ef.
fets de l'occupation de la Crimée, de l'iſle
de Taman & du Cuban.
Selon eux , elle affure à la Puiſſance qui s'en eſt
emparée , l'empire de la mer Noire , & de grands
avantages pour la pêche & le commerce avec
l'Italie . L'importation ſeule du poiſſon dans cette
contrée , a valu , diſent ils , des millions aux Anglois
& aux Hollandois , qui l'ont faite pendant
leng-temps. Cette poſſeſſion ouvre aux Ruſſes
l'entrée de la Méditerranée , & les Turcs ne peuvent
guere y mettre obſtacle , puiſqu'il eſt facile
àune eſcadre d'entrer , quelque vent qu'il faffe,
de la mer Noire dans le canal de Conſtantinople" ;
elle leurprocure encore du bois de conſtruction ,
du fer , tous les matériaux néceſſaires & deux
ports excellens ; elle offre auffi à leur commerce
une route nouvelle & intéreſſante , tant pour la
Perſe que pour les Indes orientales , & elle donne
enfin à l'Impératrice près de 2,000,000+ de nouveaux
Sujets , & environ 3,000,০০০ d'écus de
revenu.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 12 Septembre.
On prépare à Carthagene deux Vaiſſeaux
'de ligne qui , ſous les ordres du Brigadier
Anſtizabal , iront à Conſtantinople porter les
préſens que l'on eſt dans l'uſage de faire après
la conclufion d'un traité tel que celui que
nous avons fait avec le Grand-Seigneur.
D. Antonio Barcelo eſt ici depuis quelques
jours , il a été à S. Ildéphonſe où il a
été très-bien accueilli. Nous attendons un
autre Général qui ne fera pas moins bien
) و (
!
reçu , c'eſt D. Bernard de Galvez . On a
appris par un Courier qu'il vient de mouiller
à Cadix ; il revient de la Havane qu'il a
quittée le 16 Juillet à bord du Saint-Jean-
Nepomucene ; il a ramené la plus grande
partie de nos troupes qui font arrivées avec
lui fur 36 Bâtimens de tranſport. Un Bâriment
qui avoit paru quelques jours avant
lui , nous avoit annoncé fon départ , &nous
avoit donné en même temps la facheuſe
nouvelle de la perte du Dragon , de 60 Canons,
qui a péri ſur les bas fonds de Campêche.
Par bonheur ce Vaiſſeau étoit accompagné
de deux autres qui font parvenus à
fauver preſque tout l'équipage. Le Dragon
alloit à la Vera-Cruz chercher des fruits &
de l'argent. Avant le départ de D. Galvez ,
la Frégate la Sainte Lucie étoit arrivée à la
Havane avec deux millions de piaſtres pour
te Commerce qu'elle avoit apportées de la
Vera-Cruz , & qui furent embarquées fur
le champ à bord du Saint-Jean-Népomucene.
Les enfans nouvellement nés ,dont la Princeſſe
des Afturies eſt accouchée les de ce
mois , ſe portent à merveille , ainſi que leur
mere. Ils furent baptifés le même jour , &
eurent le Roi pour parrein. Le premier né a
reçu les noms de Charles -François de Paulė-
Dominique-Antoine-Joſeph-Raimond-Diegue-
Vincent-Ferrier- Jean - Népomucene-Ifidore-
Pafchal-Pierre- Pierre- d'Alcantara- Ferdinand-
Philippe- Louis - Cajetan - Grégoire-
Joachim -Laurent-Justinien &Julien ; le feas
( 10 )
cond a reçu les noms de Philippe-Françoisde-
Paule , & tous les autres noms déja donnés
à fon frere.
On vient d'éprouver, écrit-on d'Almeria , un
événement terrible , qui ſembloit devoir être plus
funeſte , & dans lequel heureuſement perſonne
n'a péri. Le 18 Août , à cinq heures du matin ,
une flammeche eſt tombée ſur la tour du château
de la Roquette , où eſt placé le magafin à poudre;
elleya mis le feu , & une partie des bâtimens à
été ruinée. LeLieutenant - Alcade D. Tomas
Abad, eſt reſté enſeveli ſous les ruines ainſi que
fafamille. Contre tonte eſpérance , on eft parvenu
à les retirer de deſſous les décombres , & à les
trouver légerement bleſſes. Deux hommes appar
tenant à la Marine , & qui , au moment de l'exploſion
, s'étoient réfugiés ſous les murs , ont eu le
même bonheur. Les murs extérieurs ſont ouverts
en pluſieurs endroits , & en attendant qu'ils
foient réparés , on a pris les mesures nécéffaires
pour la garde& lafuretédu château.
r Le même jour la ville de Malaga a été expoſée
à un pareil déſaſtre; c'eſt ainſi qu'une
Lettre du 19 en préſente les détails.
« Le Magaſin a poudre de cette ville ſitué autrefois
au centre du château de Gibralfaro , qui
la domine , a été éloigné depuis deux ans , à
une lieue d'ici , ſur les repréſentations du Ma .
giftrat , qui craignoit l'effet d'un accident qui y
eût mis le feu. Il ne reſtoit dans l'ancien emplacement
que quelques artifices & des grenades
chargées. Hier on a éprouvé combien la précaution
qu'on avoit priſe étoit prudente; on a effuyé
un orage violent , pendant lequel la foudre
eſt tombée ſur ce magaſin ; les ruires cauſées par
l'explosion ont étéheureuſement portées aunord ,
1
( It )
d'un côté où il n'y avoit point d'habitations &
perſonne n'a été bléifé , pas même parmi les ſoldats
qui étoient de garde'dans le château. Si le
magaſin avoit contenu toute la poudre qui y étoit
il y a deux ans , ce qu'on évalue à 6 milliers ,
c'en étoit fait de cette ville . Le tonnerre eſt tombé
en fix endroits différens ; mais il n'a cauſé
aucun dommage , il a ſeulement bléſfé légerement
deux femmes : comme l'orage a duré toute
Ja nuit avec la plus grande violence , on a craint
pour les campagnes , mais on ignore le dommage
qu'ila pû y caufer . >>>
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 23 Septembre.
S'ilfaut en croire quelques lettres de New-
Yorck adreſſées à un Marchand de Dublint ,
les Loyaliſtes ne déſeſperent pas encore d'obtenir
quelque adouciſſement aux réſolutions
rigoureuſes priſes contr'eux dans tous les
Etats-Unis. Malgré la vive oppoſition de
quelques-uns des délégués au Congrès , la
majorité , dit-on , a été dans une des dernieres
aſſemblées pour conſeiller de l'indulgence
en faveurde ceux qui , pendant la
guerre , ont cherché un aſyle ſous la protetion
Britannique. Elle n'exclut ajouter
t-on , que ceux qui ont accepté des commiffions
militaires ,& fe font rendus coupables
d'excès , de vexations & de cruautés
envers les ſujets des Etats-Unis. Cependant
toutes les autres lettres , tous les papiers de
l'Amérique ſeptentrionale ne préſentent rien
a 6
( 12 )
qui puiffe fonder cette eſpérance; elles annoncent
que par-tout les Loyaliſtes font rejettés
, & qu'on n'a pas même permis le plus
court ſéjour à ceux qui ont cru pouvoir fe
rendre dans quelques endroits.
On a lu dans pluſieurs papiers publics
que les Américains fongeant à ſe donner un
code de loix avoient conſulté pluſieurs favans
étrangers ; un citoyen de la nouvelle
République, pour prouver qu'ellea des hommes
en état de la fervir à cet égard , & qu'elle
n'a pas beſoin de recourir au-dehors , & d'y
chercher des fecours , a publié la déclaration
des droits dreſſée par M. George Mafon ,
un des citoyens les plus diſtingués de Virginie
, & fur laquelle tous les Etats-Unis
fonderent en 1776 leurs gouvernemens. Leur
code a été rédigé enfuite , & la même déclaration
des droits lui a fervi de fondement ;
elle eft conçue ainſi :
19. Tous les hommes créés également libres &
indépendans , ont certains droits naturels & inhérents
, dont ils ne sçauroient priver ni dépouiller
leur poſtérité ſous aucuns prétexte : parmi ces
droits font la jouiſſance de la vie& de la liberté ,
les moyens d'acquérir & de pofféder des biens ,
de poursuivre & d'obtenir leur bien-être & leur
fûreté. 1º. Tout pouvoir étant donné par Dieu
&la nature au peuple , c'eſt ce dernier qui en eft
la ſource : les Magiſtrats ne font que les dépofizairesde
celui qu'il leur a confié ; ils ſont ſes Serviteurs
,refponfables à lui en tout tems 3° . Tout
Gouvernement eſt ou doit être inſtitué pour l'avantage
commun , la protection & la ſûreté du
peuple ,de la nation, ou la communauté ; des
( 13 )
différentés eſpeces ou formes deGouvernement, la
meilleure eſt celle qui produit le plus de bien- être
&de fûreté ,& qui affure contre le danger d'une
mauvaiſe adminiſtration : toutes les fois qu'un
Gouvernement ſe trouve insuffisant ou contraire
àce but , la majorité de la Communauté a un
droit indubitable , inaliénable& impreſcriptible ,
de le reformer , l'altérer , l'abolir. 4º. Aucun
homme ni claſſe d'hommes n'a droit à des avantages
ou priviléges exclufifs ou diftincts de la
Communauté , finon en conſidération de ſervices
publics , leſquels ne paſſant point de pere en Fils ,
les charges de Magiftrat ,de Légiflateur , ou de
Juge ne doivent pas non plus être héréditaires .
5°. Les Puiffances Législative & Exécutrice de:
l'Etat doivent être ſéparées&diſtinctes de la Puifſance
de juger; les Membres des deux premieres
n'opprimeront point , quand ils partageront les
fardeaux du Peuple ; als doivent donc à des épo--
ques fixes , être réduits à l'état de ſimples particuliers
, rentrer dans le corps d'où ils avoient été
tirés originairement ; & les places vacantes doivent
être remplies par des élections fréquentes ,
certaines , & régulieres. 6°. Les Elections des repréſentans
du peuple dans le Corps Légiflatif ,
doivent être libres; & tous les hommes qui auront
évidemment un intérêt commun avec la Société
peuvent réclamer le droit de fuffrage ; ils ne
ſçauroient étre taxés ni dépouillés de leur propriété
pour des uſages publics , fans leur confentement
ou celui de leur repréſentans élus de cette
maniere , ni liés par aucune loi , à laquelle ils
n'auroient pas confenti de la même maniere pour
le bien commun . 7 ° . Tout pouvoir de ſuſpendre
des Loix ou leur exécution fans le conſentement
des repréſentans du peuple eft léfif pour ſes.
droits & ne doit pas s'exercer. 8°. Dans toutes
,
2
( 14 )
procédures capitales ou criminelles unhommea
droit de demander , qu'on lui déclare la cauſe &
la nature de ſon accufation , & qu'on le confronte
avec les accuſateurs & les témoins; d'appeller des
témoins à ſa décharge ; & de réclamer un Jugement
prompt par un Juré impartial de ſon voifinage,
ſans le conſentement unanime duquel il
ne ſçauroit être déclaré coupable : on ne peut le
forcer à donner témoignage contre lui -même ;
&aucun homme ne peut être privé de ſa liberté ,
finon envertu de la loi du pays ou du Jugementde
ſes Pairs. 9°. Il ne faut pas exiger des cautions
exceſſives , ni impoſer des amendes exorbitantes
, ni infliger des peines cruelles & inufirées
. 10º. Dans des queſtions concernant la propriété,
&dans des procès entre homme & homme,
l'ancien Jugement par Juré eſt préférable à tout
autre& doit être tenu pour ſacré . 11 °. La liberté
de la preſſe eſt l'un des grands boulevards de la
liberté , & elle ne sçauroitjamais être reſtreinte
que par des Gouvernemens deſpotiques. 12º. Une
Milice bien réglée , compofée du corps du peuple
, exercée au maniment des armes, eſt la défenſe
fûre , propre , & naturelle d'un Etat libre ;
des armées permanentes en tems de paix doivent
être évitées comme dangereuſes pour la liberté ;
&dans tous les cas les Militaires doivent être ſous
une ſubordination rigoureuſe au pouvoir Civil &
gouvernés par lui. 13°. Aucun Gouvernement
libre , ni la liberté , ne sçauroient être conſervés
par aucun Peuple , ſans une adhéſion ferme àla
juſtice, à la modération , à la tempérance , à la
frugalité , & à la vertu , & d'un recours frequent
aux principes fondamentaux. 14º La Religion
ou le culte que nous devons à notre Créateur ,
ainſi que la maniere de remplir ce devoir , ne
sçauroit être dirigée que par la raiſon & la
( 15 ) .
conviction , & non par la force on la violence
parconféquent tous les hommes doivent jouir de la
tolérancelaplus complette dans l'exercice dela Religion,
conformément à ce que leur dicte leur confcience
, fans être punis ni reſtreints par le Magif
trat , à moins que ſous prétexte de Religion quel.
qu'un ne troublåt le repos , le bien , ou la fûreté de
la Société : & c'eſt le devoir réciproque de tous
les Hommes de pratiquer la patience , l'amour
&la charité Chrétienne l'un envers l'autre .
L'établiſſement des Loyalistes dansla nouvelleEcoffe
peut faire défirer quelques dérails
fur cette province; nous nous empref
ferons d'en placer ici quelques-uns .
La Nouvelle -Ecoffe embraſſe une étendue de
plus de 300 lieues. Elle est très-propre par la
poſition à ſervir d'aſyle aux bâtimens qui viennent
des Antilles , à cauſe du grand nombre de
ſes Ports , où l'on entre & d'où l'on fort par tous
les vents. Ses rivages offrent beaucoup de morue ,
on en trouve encore une plus grande quantité
fur de petits bancs qui n'en ſont éloignés que
de quelques lieues . Cette preſqu'Iſle peut faire
aifément le commerce des Pelleteries . Ses Côtes
arides préſentent un gravier excellent pour ſé
cher le poiffon; la bonté des terres intérieures
invite à toute eſpece de culture. Ses bois font
propres à tous les uſages. On y éprouve des cha
leurs exceſſives, &de grands froids ;mais les brouil-
Jards qui durent preſque toute l'année , tem
perent la chaleur & le froid, & en rendent le
Léjour affez ſain . Le premier établiſſemeut y fut
fondé en 1604 par des Français , qui lui donnerent
le nom d'Acadie . Ils n'avaient en vue
que d'y former un Entrepôt pour les Pelleteries
du Canada ; voilà ce qui leur fit élever leurs
( 16 )
"
Cabanes à l'Oueſt dans la partie la moins avanta
geuſe. La Colonie étoit à ſon berceau) , lorfque
les Anglais fonderent dans ſon Voiſinage
les premiers établiſſemens de la Nouvelle-Angleterre.
La rivalité s'éleva bientôt entr'eux.
Les Français ſurent mettre de leur Parti les
Abenaquis Sauvages , leurs voiſins , qui commirent
beaucoup de cruautés contre les Anglais.
Mais ceux- ci ſe rendirent à la fin Maîtres de
Port-Royal , qui prit le nom d'Annapolis. Depuis
cette époque il ſe forma une Colonie d'hommes
neutres dans l'intérieur des terres , qui ne
reconnoiſſoit point le Gouvernement Anglois
mais qui lui étoit utile. En 1749 Elle comptoit
18,000 ames . Ce fut à cet époque que les Anglais
fonderent une nouvelle Ville à l'Eſt dans
un endroit appelle Chibenoton. Ils lui denne
rent le nom d'Hallifax. Le gouvernement procura
mille encouragemens. Plus de 3000 Perſonnes
vinrent d'une ſeule fois l'habiter. Hallifax
une fois fortifié , voulut faire la loi à la Peuplade
neutre , dont partie déſerta & ſe rendit
dans la Nouvelle-France. L'Angleterre fit périr
le reſte de ces François neutres pour qu'ils
ne retournaſſent pas à la France. C'eſt une acrocité
à joindre à la liſte de celles que les Européens
ont commiſes dans le nouveau Monde.
Depuis ce tems , il s'en faut que Hallifax ait
proſpéré ; cependant le gouvernement lui adonné
tous les ans au moins 40000 livres ſterling ; en
1757 , ſes richeſſes mobilieres & immobilieres
étoient eſtimées à près de 3000,000 livres ſterling.
Il s'eſt formé dans lamême preſqu'Iſle une
autre Colonie d'Allemands , qui ont appellé leur
établiſſement Lunebourg. Cette peuplade prof
pére. Il eſt à eſpérer que la ville de Shelburne
aura le même ſort. Elle va être habitée par des
( 17 )
gens actifs & induſtrieux , qui ne manqueront
pas de tirer parti de ſon ſol excellent ,de ſes
Ports nombreux & de ſes pêches » .
Le Lieutenant-Colonel Thomas écrivit
ainſi ſon teſtament la veille du jour de fon
combat avec le Colonel Gordon.
>> J'ai reçu un appel; la loi que l'on appelle
honneur m'oblige de l'accepter. Dieu ſeul ſçait
quelle en ſera l'iſſue; je ſçais ſeulement que j'ai
fait mon devoir. J'écris en conféquence ce teftament
, par lequel je révoque & j'anéantis tous
ceux que j'ai faits en différens temps . J'abandonne
d'abord mon ame à Dieu ; je me confie en ſa miféricorde
& j'implore d'avance ſon pardon pour
Paste criminel que je vais commettre en obéiffant
à une coutume coupable , établie par un monde
pervers. -Je laiffe 150 liv. ſterling , jointes
ici en billets de banque , à mon frere Jean
Thomas , Ecuyer des Gardes , à la réſerve d'une
ſomme ſuffiſante pour payer mes dettes , qui font
peu de choſes. Je lui donne également tous mes
livres , mon mobilier , & tout ce que je poſſede.
Je legue à mon valet Thomas Hobber 50 liv. ,
que je prie mon frere de lui payer , ainſi que
d'acquitter ſur le champ le peu de dettes que je
puis avoir. Ce 3 Septembre 1783 .
Cette piece montre quelles étoient les difpoſitions
du Lieutenant-Colonel Thomas ,
& fa répugnance en ſe préſentant au combat.
Le fait a été mal repréſenté dans notre
dernier Journal ; le voici tel qu'il eſt.
Le Conſeil de guerre tenu à New-Yorck
le 4 Septembre 1782 ayant déchargé , comme
nous l'avons dit , M, Gordon de toute
accufation intentée contre lui , il exigea de
( 18 ) :
M. Thomas qu'il ſe rétractât , ou du moins
qu'il lui fit quelque excuſe. Sur le refus de
celui-ci , M. Gordon en demanda raiſon
deux fois , d'abord en Amérique , & enfuite
en Angleterre. Mais M. Thomas éluda la
demande toutes les deux fois ſous différens
prétextes. La querelle de ces deux Officiers
devint alors un affaire de corps , &le duel
fut inévitable. Ils tirerent trois coups à la
diſtance de huit pas l'un de l'autre. Au premier
coup le piſtolet deThomas rata ; Gordon
lui permit de tirer de nouveau , & de
tirer ſeul , &fut bleſſé à la cuiſſe. Le fecond
coup fut manqué des deux côtés. Au troiſieme
, M. Thomas reçut une bleſſure que
M. Gordon fit panſer ſur le champ par un
Chirurgien Major qu'il avoit amené avec
lui ; M. Thomas mourut le lendemain. A
L'enquête du Coroner, Officier de Juſtice en
Angleterre , député pour connoître en premiere
inſtance du cas de mort violente , le
Juré prononça que M. Gordon étoit coupable
d'avoir tué Thomas , & cela fondé
fur la dépoſition de deux témoins , dont le
premier, valet-de-chambre du défunt, déclara
qu'il avoit vu tomber ſon maître , en conſéquence
d'un coup de piſtolet tiré par M.
Gordon , & l'autre , Chirurgien , que la bleffure
reçue de ce coup étoit la cauſe de mort.
M. Barolett , Suiſſe de nation , ayant vécu
pluſieurs années à Yarmouth,avecMM. Cotton
& Gorch , négocians de cette ville , fut
envoié à Bruges , pour y terminer quelques
( 19 )
affrires. Peu de jours après ſon arrivée , il fut
arrêté & conduit en priſon , comme étant
réellement un certain Durand, qui avoit été
convaincu d'avoir commis un aſſaffinat , le
22 Septembre 1782 , condamné à mort , &
qui s'étoit échappé de ſon cachot. Ce qu'il
yeut de plus fingulier , c'eſt que le Juge qui
avoit interrogé Durand, jura que M. Barolett
étoit le même qu'il avoit jugé ; le géolier
& s autres perſonnes fortifioient ce témoignage
; & malgré les proteſtations qu'il étoit
un autre homme , il devoit être exécuté le
jour ſuivant , ſi le lord Torrington, qui ſe
trouvoit à Bruges , n'eût ſollicité & obtenu
avec beaucoup de peine un ſurſis , & procuré
à M. Barolett les moyens d'envoyer à
Yarmouth, pour en fairevenir ſa juftification.
M. Cotton , à l'arrivée de cette nouvelle , ſe
procura tous les certificats , prouvant que
M. Barolett étoit à Yarmouth,dans le temps
où le meurtre fut commis àBruges , & qu'il
n'avoit pas quitté cette ville juſqu'au moment
où il avoit été envoié pour affaires.
Ces certificats ne furent pas trouvés ſuffifans
: le Juge dit qu'ils prouvoient ſeulement
que M. Barolett étoit alors à Yarmouth,mais
non que celui qui prenoit ce nom, ne fût pas
Durand. Le lord Torrington fut obligé de
folliciter encore un ſurſis. M. Gorch s'eſt
rendu lui-même à Bruges , pour prouver l'identité
de la perſonne : il a emporté les livres
que M. Barolett a tenus pluſieurs mois ,
20 ) .ا )
avant & après le crime , où il n'y a pas une
ligne d'une autre main que de la fienne. On
ne doute pas que ces pieces ne foient victorieuſes.
M. Barolett fera relâché : mais quel
dédommagement accordera-t- on à l'infortuné
que la Juſtice a accablé , traité en criminel
, & qu'elle auroit égorgé ſans le lordTorrington
, parce que la nature , par unjeu fingulier&
bien funeſte pour lui, a produit une
reſſemblance ſi parfaite entre lui &Durand.
Les dernieres dépêches reçues de l'Inde
par la voie de terre ont donné la confirmation
de la paix avec les Marattes. Elle fut
conclue le 17 Mai 1782 , ratifiée au fort
William le 6 Juin ſuivant ,& fut échangée
enfin avec toutes les formalités publiques
entre M. Anderſon & Madajée Sindia le 24
Février dernier.
La Cour des Directeurs de la Compagnie
s'eſt aſſemblée fur ces dépêches dont elle n'a
publié aucun détail ; nos papiers fuppléent
ainſi à fon filence.
>> Les troupes , diſent-ils , après divers avantages,
ſous les ordres du Général Mathews & du
Colonel M' Leod , ſe font emparées de Mangalor
le 6 Mars dernier. Cette Place eſt ſur la
Côte de Malabar , à 50 lieues environ du Sud
d'Onore , qui avoit été priſe le 5 Janvier précédent.
C'estune des principales villes de Tipofaïb ,
mais non fa Capitale , qui eſt Seringa-Patnam ,
éloignée d'environ 60 milles de Mangalor. Tipofaïb
étoit dans cette Place lorſque le fiége en fut
commencé , & il ne la quitta que quelques jours
avant ſa reddition. Avant que les Portugais ſe
( 21 )
fuſſent établis àGoa , dont ils ont fait leur prins
cipal établiſſement, Mangaloretoit la Capitale de
l'ancien Royaume de Vilapour, quia plus de 300
milles d'étendue ; cette Ville eſt dans la même latitude
que Madraff, au côté oppoſé de la pref
qu'île occidentale de l'inde , & la diſtance entr'elles
eſt de 400 milles. On attribue principalement
le ſuccès à la prudence du Général Mathews,
qui pour avancer ſur l'ennemi & lui livrer
bataille , ſaiſit le moment où la mort d'Hyder-
Ali venoit d'être généralement connue , & ou
Peſprit de défection qui en étoit la ſuite naturelle
s'étoit généralement répandu.-Selon les
mêmes Dépêches , la Flotte de l'Amiral Hugues,
eſt partie de Bombay le 17 Mars dernier ; elle
confiftoit en un Vaiſſeau de 80 canons , quatre
de 74 , deux de 70 , fix de 64 , deux de 50 ,
une Frégate , un Brulot , deux Bombardes , &
trois Vailleaux armés en Flutte. Elle devoit toucher
à Goa pour y prendre trois Vaiſſeaux qui
s'y réparoient. A cette époque l'Eſcadre fran
çaiſe étoit encore mouillée àTranquebal ».
9.
On a reçu d'autres nouvelles de l'Inde par
un Vaiſſeau arrivé à Limeria & parti
de Bengale le 23 Avril dernier ; elles conſiſtent
principalement en une gazette de
Calcutta en date du mois de Mars , contenant
des détails des événemens qui ont précédé
la prife de Mangalor.
Tout le pays de Benador étoit en la poſſeſſion
du Général Matthew le 27 Janvier dernier; le
Gouverneur Indien avoit offert de remettre le
pays à nos troupes , & les conditions les plus avantageuſes
pour la Compagnie , puiſqu'il ſecoue la
dépendance de Typpo-faib , qu'il paiera la protection
des Anglois par un tribu annuel de 15 laks
de pagodes , & qu'il leur remettra , pour gage de
( 22 )
ſa fidélité , les places fortes du pays.-Ces đétails
ſont ſuivisd'unelettre de S. Georges endatedu
9Mars , qui confirme la priſe faite par l'ennemi ,
de la frégate le Coventry. Le Capitaine Light ,
qui la commandoit , ayant obtenu la liberté , eſt
revenu à S. Georges fur un vaiſſeau Portugais. II
rapporte que lorſqu'il a quitté M. de Suffren , ce
Commandant , qui avoit 12 vaiſſeaux de ligne &
3 frégates , dont une ſeule en mauvais état , & le
reſtedans le meilleur ordre , bien équipé , avoit
reçu àTrinquemale 2 autres frégates & 300 hommes
de troupes , & il attendoit du Cap-de-Bonne-
Eſpérances vaiſſeaux françois , 5 Hollandois &
quelques frégates , avec 4000 hommes ; leGénéral
François faiſoit réparer une de ſes priſes ,
conſtruite à Bombay , & la faiſoit monter de so
canons ; il étoit arrivé un vaiſſeau Hollandois de
50 , avec des proviſions , & on ignoroit ſi on le
mettroit en ligne . M. de Buſſy étoit attendu à
chaque inſtant avec 3 vaiſſeaux de ligne & 2 frégates,
28 tranſports avec des troupes. Le Vengeur
avoit été complettement réparé & doublé en cuivre
à Trinquemale. La Subtile y étoit arrivée avec
des mâts , des bois &des planches. - La même
Gazette offre une lettre de Madras , du 10 Mars ,
où l'on lit que M. de Suffren ayant envoyé le Coventry
à Pondichéry pour prendre des informations,
avoit appris que , dans le coup de vent qui
eut lieu en Octobre , quatre des vaiſſeaux de Sir
Edouard Hugues avoient péri, 2 autres manquoient.
Les François ne doutoient point de cette
nouvelle , & ils n'attendoient que l'arrivée de
M. de Buſſy pour aller à Madras. Le Paquebot le
Rodney a été pris ainſi que le Vengrur , qui a été
réparé. On craint auſſi qu'ils ne ſe fuſſent emparé
de l'Haftings , Capitaine Jamieſon , qui étoit le
Lauriſton , à qui nous avons donné ce nom après
l'avoir armé. Ce qui ſeul entretient l'incertitude
( 23 )
&nos eſpérances , c'eſt qu'on a reçu une lettre de
ce Capitaine , qui marque qu'il ſe propoſoit de
prendre ſa route par le Pegu ; & s'il l'a fait , il
n'eſt pas étonnant qu'on n'en ait point de nous
velles.
Le paquebot parti dernierement pour les
Indes Orientales y porte les traités définitifs
de paix , & des ordres pour le retour des
vaiſſeaux de guerre & des troupes à qui on
avoit déja envoyé celui de revenir , & qu'on
dit devoir être en plus grand nombre; on
laiſſera moins de vaiſſeaux danscette ſtation.
Le Baptême de la Princeſſe dont la Reine
eft accouchée , a eu lieu le 18 de ce mois à
7 heures du ſoir. Les Pairs , les Miniſtres
étrangers avec leurs épouſes , qui y furent
préſens , furent introduits dans la chambre
du Grand-Conſeil, où la Reine étoit couchée
furun lit de fatin blanc , fous un dais de velours
cramoiſi brodé en or. Le Roi étoit à
côté , le Prince de Galles aux pieds , avec la
Princeſſe Royale & la Princeſſe Auguſte ;
des deux côtés étoient les autres enfansdu
Roi chacun fuivant fon âge. Le Docteur
Moore , Archevêque de Cantorbery , fit la
cérémonie. Le Prince de Galles , la Princeſſe
Royale & la Princeſſe Auguſte , tinrent fur
les Fonts lajeune Princeſſe qui fut nommée
Amelie.
LePublic paroît généralement fatisfait des con
ditionsde la paix avec la Hollande , & fur- tout
de la conſervation de Negapatnam. Cette place
par ſa poſition avantageufe coupe toute communication
entre les Hollandois & les Indiens , &
( 24 )
met les Employés de la Compagnie a portée
d'épier toutes les négotiations& les meſures qui
pourroient être contraires aux intérêts de la G. B.
Négapatnam faitd'ailleurs uncommerce intérieur
très-riche ſur les deux rivieres qui baignent ſes
murs , & d'ailleurs cette place commande le pays
de Tanjaour , ainſi que les poſſeſſions du Nabab
d'Arcate , qui doivent être ſurveillés de près tant
que l'Angleterre voudra avoir des poffeffions territoriales
dans l'Inde .
La paix ne fera proclamée publiquement
avec les formalités ordinaires , que lorſque
le Traité définitif avec la Hollande fera ſigné ,
&on affure que cela ne fera pas long.
Le choix que la Cour a fait du Chevalier
Lineſay pour commander dans la méditerranée ,
eſt univerſellement approuvé. Cet Officier a
beaucoup de fortune, l'eſprit des affaires & une
grande expérience comme marin. Le jour de
fon départ n'eſt point encore fixé ; mais toutes
les lettres des ports diſent qu'on travaille ſans
relache à l'armement des vaiſſeaux qui n'ont pas
encore joint l'eſcadre à Spithead. Les troupes
qui doivent paffer à Gibraltar font raffemblées
&preſque toutes embarquées : les Colonels ont
faittout ce qu'ils ont pu pour porter leur corps
au complet avant leur départ. Les lettres de
Portsmoulth du 9 parlent d'un Seigneur Ruffe qui
adéjà paſſé quelque temps dans ce port , & qui
ſe propoſe , diſent - elles d'aller bientôt à
Lisbone. On attend , dit-on à Gibraltar l'efcadre
de Cronſtad ; & le Gouvernement déter.
miné à garder la neutralité la plus ſtricte entre
laRuffie & la Porte , a envoyé dans ce port l'ordre
de donner aux vaiſſeaux de l'Impérarrice
tous les ſecours compatibles à cette réſolution,
( 25 )
-Le traité de commerce entre l'Angleterre&
cette puiſſance expire cette année ; on s'occupe
àpréſent de le renouveller.
Selon des lettres de Gibraltar , les débris
des batteries flottantes qui ont coulé bas ne
ſe trouvant que cinq ou fix pieds ſous l'eau ,
lemouillage du vieux mole eſt devenu trèsdangereux.
La péche deGroenland a eu cette année un ſuc
cèspeu commun,& fort au-deſſus de celui qu'elle
avoit eu dans aucune faiſon pendant les 40 dernieres
années. On en peut juger par le nombre
des baleines priſes par les vaifleaux Anglois employés
à cette pêcherie. Ni les Hollandois , ni les
François , ni les Danois , ni aucune autre Nation
n'ont ſi bien reuſſi ; on l'attribue à la perfection
que nous avons donnée à la maniere d'équiper les
vadſeaux& d'employer les harpons. Le nombre
des vailleaux &des baleines priſes eſt le ſuivant,
19 batimens de Londres ont pris 107 baleines;
5 de Newcastle 26 ; 2 de Hull 11 ; 3 de Liverpool
19 ; 1 de Topsham 7 ; 5 de Bristol 27 ;
I de Lancafter 9 ; I de l'Iſle de Mann 8 ; 1 de
Dartmouth 5 ; 6 de Leith 34; 3 de Dundée 29 ;
2d'Aderdcen 16 ; 2 de Borowſtowneſſ 12 ; 1 de
Glaſgow; 2 d'Orkney 11. Totaux , so batimens,&
330 poiffons . Cette pêche mérite l'attention
du Gouvernement; à la ſaiſon prochaine on
peut augmenter le nombre des vaiſſeaux , & employer
à ce commerce ſeul près de 2000 Matelots.
Parmi les traits finguliers que préſentent
quelquefois ces papiers , en voici un qui s'eſt
paſſé derniérement au Tribunaldu Old Bailey.
La nommée Marie Lewis , condamnée à mort
comme.complice de faux monnoyeurs , a ob
N° . 40. 4 Octobre 1783. b
( 26 )
M
teru ſa grace , ſous condition d'être tranfportée
pour 7 ans ; lorſqu'on lui a annoncé cette faveur
, elle a déclaré qu'elle y renonçoit , &
qu'elle aimoit mieux mourir que de quitter ſon
pays natal pour aller vivre dans un autre dont
les habitans lui feroient étrangers. Les Juges
l'ont renvoyée en priſon pour lui donner le
temps de réfléchir ſurle choix qu'elle a à faire;
&on trouve affez fingulier qu'elle héſite entre
latranſportation&la potence. Le nombre des voleurs
eſt prodigieuſement augmenté depuis quelque
temps ; en parcourant les regiſtres du Old
Bailey on ne voit aucun exemple d'un fi grand
nombre de coupables jugés & condamnés à ce
Tribunal que pendant la ſeſſion actuelle.
Peu d'étrangers étant informés que l'on
ne vend rien en Angleterre qu'à force d'avertiſſemens
; que ces avertiſſemens coûtant
beaucoup , les perſonnes qu'ils chargent de
vendre pour leur compte les épargnent , ce
qui nuit au débit: on les prévient qu'il va
s'établir à Londres un entrepôt , cù , indépendamment
de la vente de toutes fortes de
marchandiſes étrangeres , on ſe chargera
d'ouvrir des ſouſcriptions pour les objets qui
en font fufceptibles , tels que Nouveautés
en eſtampes , Livres &c. qui feront annoncés
Sans frais avec tous les articles que l'entrepôt
annonce pour fon compte. Pour participer
à cet avantage , on s'adreſſera à M. de
JaBeulieàCalais , en affranchiffant les lettres .
FRANCE.
DE VERSAILLES , ie 30 Septembre.
La Comteſſe de Maler a eu l'honneur
( 27 )
d'être préſentée à L. M. & à la Famille
Royale par la Comteſſe de Meller.
LePrince héréditaire de Heſſe-Darmſtadt
aeu , le 23 de ce mois , l'honneur d'être préfenté
au Roi par le Comte de Vergennes ,
Chefdu Conſeil Royal des Finances , Miniftre
& Secrétaire d'Etat ayant le département
des affaires étrangeres , & a eu de S. M.
une audience particuliere à laquelle il a été
conduit par le ſieur de Tolozan , Introducteurdes
Ambaſſadeurs .
DE PARIS , le 30 Septembre.
Le départ de la Cour pour Choiſy eft fixé
au 4du mois prochain; de-là elle ira à Fontainebleau
, & la Reine s'y rendra par eau
dans le yacht de M. le Duc d'Orléans , qui
eſtpluscommodeque lesgondolesdeChoify.
Madame, fille du Roi , eſt du voyage; Monſeigneur
le Dauphin le paſſera à la Muette.
Le premier Spectacle ſur le théatre de Fontainebleau
eſt fixé au 11 , en attendant les
répétitions des Operas de MM. Piccini &
Sacchini ſe font aux menus plaiſirs , où elles
attirent beaucoup de monde.
M. le Chevalierde Vigny s'eft rendu , diton
,à Morlaix pour purger ſa contumace ; &
il produit ſes moyens de défenſes pour la
réviſion de fon procès. Le Confeil de guerre
de l'Orient, fera retardé juſqu'après que cette
affaire aura été décidée.
On a renvoié au to du mois prochain , c'est-àdire,
à une autre marée , écrit on de Cherbourg ,
b 2
: ( 28 ) .
le tranſport de la grande cage , préparée ici pour
être coulée à une lieue en mer dans l'endroit où
doit s'élever un fort qui protégera la rade. Le
mauvais temps a empéché les gabarres & autres
bâtimens , qui devoient ſervir au tranſport de
cette grande machine , de fortir du Havre à la
derniere marée. Le ſuccès de cette entrepriſe ,
auſſi hardie que diſpendieule , paroît toujours
douteux àbien des gens ; mais il ſera toujours
beau de l'avoir tentée. Celle de Rome pour le
déplacement des chevaux du Quirinal paroiſſoit
folle auffi , furtout lorſque le premier eſſai eut
manqué ; il n'y eut forte de paſquinades qu'on
ne ſe permit contre l'architecte& contre ſes pro -
tecteurs . Cependant on vient d'apprendre qu'un
nouvel eſſai , fait le i de ce mois , a complettement
réufli : l'Architecte a tenu parole ; & pourquoi
n'auroit-on pas le même ſuccès à Cherbourg ?
M. le Dru , plus connu ſous le nom de
Comus , ayant continué ſes cures merveilleuſes,
par le moyen de l'électricité , dans le
petit Hofpice que M. le Lieutenant-Général
dePolice lui avoit procuré , va former , par
la manificence du Roi , un établiſſement
fixe. S. M. lui a donné, pour bâtir un hôpital
, les terreins vagues près l'ancienne maiſon
des Célestins près l'Arſenal. On fait que
l'épilepsie ne réſiſte pas à ſon traitement , il
Ja guérit radicalement quelque invétérés
qu'elle foit. La médecine n'avoit obtenu
que rarement de pareils ſuccès .
Selon des lettres d'Eſpagne , le Courier ,
porteur du Traité de paix , arriva à S. Ildefonfe
le Lundi 8 de ce mois au matin , c'eſtà-
dire , en 4 jours & 20 heures ; cela paroit
3
( 29 )
au moins extraordinaire lorſqu'en calculant
la longueur du chemin on voit qu'il a falia
qu'il ait fait à-peu-près trois lieues par heure.
L'Exprès qui nous a anoncé le déſaſtre des
batteries flottantes , vint de Madrid en 4
jours 22 heures ; & il y a environ 26 ans ,
qu'on en vit arriver un en 4 jours 9 heures.
Voilà,dit-on,les ſeuls exemples d'une courſe
ſi longue faite , ainſi que celle d'aujourd'hui ,
avecune viteſſe auſſi extraordinaire.
Le 20 Août dernier , entre 7 & 8 heures du
matin , la foudre tomba fur la maiſon Curiale
de la Paroifle de Troches ; elle la parcourut ,
endommagea la couverture & les inurs , fans faire
aucun mal à neuf perſonnes qui s'y trouvoient
dans différens appartemens. La foutre en tombant
fur la maison paroît s'être partagée en deux,
puiſqu'elle a fait deux ouvertures fur les tis ,
ſéparés par un tuyau de cheminée ; elle a brife
d'un côté trois chevrons , a fendu le mur , a pénérré
dans une chambre au-deſſous du grenier ,
a fracaſſé un ciel de lit , & paſſé par la fenêtre
qui donne ſur la place. L'autre partie de la foudrea
briſé un chevron qu'elle a ſuivi juſqu'au
mur , qu'elle a fendu auſſi dans une autre partie
, eſt deſcendue dans la même chambre , a
paſſe derriere la chaiſe du Curé , affis le long
du mur avec crois femmes occupées à charpir de
la laine. En fortant de cette chambre , elle eſt
deſcendue dans le ſalon , paffant entre le mur
&latapiſſerie, eſt entréedans la cuiſine où étoient
quatre perſonnes , a paſſe ſous la chaiſe du V.-
caire , àqui elle a donné une commotion aux
jambes , a mis toute la cuiſine en feu ; rentrée
dans le ſalon , & de-là dans la chambre où
étoit le Curé qui faisoit ſes prieres , & à qui elle
b3
( 30 )
ne fit d'autre mal qu'une frayeur dont il n'a pu
revenir encore , elle laiffa partout une puanteur
infupportable. Ce moment paflé toutes les perſonnes
ſe réunirent au Curé pour rendre à Dieu
des actions de graces d'avoir échappé auffi heureuſement
à un fi terrible évenement .
M. l'Evêque de Boulogne- fur- Mer a ſaiſi
la premiere occaſion qui s'eſt préſentée de
faire l'éloge de Benoît-Joſeph Labre,né dans
fon Diocele , & mort, il y a trois mois , à
Rome , en odeur de ſainteté . C'eſt dans un
Mandement où il ordonne des Prieres publiques
pour la conſervation des biens de
la terre , qu'on trouve quelques articles concernant
ce faint perſonnage (1) .
Ala ſuite de ce Mandement , on lit la traduction
françoire de l'inſcription latine , miſe avea
l'approbation du S. Siege , ſur le cercueil de
B. J. Labre , & a lettres écrites à M. l'évêque de
Boulogne par M. Fontaine , chargé à Rome des
affaires de la Congrégation de la Miſſion dont il
eft membre. Ildit dans la derniere , datée du 4
Juin de cette année , qu'on parle d'une multitude
innombrable de miracles opérés ſur le tombeau
du ſerviteur de Dieu , & par l'application de ſes
images; qu'un événement , qui peut être regardé
comme le plus grand & le p'us précieux de
tous les miracles, et la converfon d'un Anglois .
di-devant miniſtre à Boſton , homme très -inſtruit
( 1 ) L'ouvrage favori de B. J. Labre étoit le recueil
des fermons du P. le Jeune , dit l'Aveugle, On en trouve
des exemplaires chez le fleur LAPORTE , rue des
Noyers , ro vol. in 12, br. 25 liv, & 30 liv. reliés,
( 31 )
&très éclairé , qui ayant pouffé la curioſité juſ
qu'au point de rechercher par lui-même les preuves
de pluſieurs guériſons opérées par l'interceffion
de ce ferviteur de Dieu , étoit arrivé à ſe
convaincre de la réalité de pluſieurs; qu'en conſéquence
il s'étoit fait inſtruire , & qu'il avoit
fait abjuration , le dimanche avant la date de
cette lettre. M. Fontaine ajoute qu'on avoit commencé
, le 4 Juin , le procès de béatification , &
qu'il étoit étonnant de voir le zele avec lequel
le public s'empreſſoit de contribuer aux dépenfes
néceffaires pour les informations .
Le College de Pharmacie , dans ſa Séance
publique du 4 de ce mois, a fait à ſes Eleves
ladiſtubation des Prix fondés par M. Le
Noir , Lieutenan: Général de Police.
Celui de Chymie a été donné à M. Louis-Jean
Hardy ,de Val - Saint Pere , dioceſe d'Amiens ,
éleve de M. Guiard; celui d'hiſtoire naturelle à
M. Vincent Rebouel de Montpellier , éleve de
M. Mitouard, qui avoit eu l'année derniere le
ſeul prix qui fut diſtribué , & qui étoit celui de
Chymie ; le premier de Botanique a été donné
à M. Jean -Baptiste Rouſſeau de S. Yrien en Limoſin
, éieve de M. Guiard, dont le fils a obtenu
le ſecond.
Dans cette Séance , il a été fait pluſieurs
lectures intéreſſantes. M. Quinquet , entr'autres
, en a fait une d'un Mémoire fur des expériences
très -curieuſes , ſur lesquelles on
nous faura gré d'entrer dans quelques détails,
L'objet de ſes expériences eſt de former la
pluie , le givre , la neige & la gréle , par le
moyen de l'électricité. Elle est la cauſe du ton
b4
(32 )
nerre. Onavoit conjecturé , &entr'autres M. Argand
, Phyficien de Geneve , qu'elle était également
la cauſe de la grêle; mais il reſtoit à le
démontrer , c'eſt ce que fait M. Quinquet. Lorfqu'il
ſe rencontre deux nuages électriſes, l'un en
plus P'autre en moins ,la tendance du fluide élec
trique à ſe mettre en équilibre fait que le nuage
électriſé en plus décharge la furabondance qu'il
a de matiere électrique dans le nuage électrifé
enmoins , & les deux nuages ſe confondent. C'eft
ce choc, certe réunion , cette reſtitution ſubite
qu'un nuage fait à l'autre de la furabondance
de matiere électrique , qui produit tous les météores
aqueux. Si l'effet a lieu dans la région
moyenne & chaude , il en réſulte de la pluie. Si
Peau est dans l'état de vapeurs au lieu d'être en
maffe comme elle l'eſt dans les nuages , alors it
ſe forme du givre , de la neige & quelquefois de
Ja neige & de la grêle tout enſemble. Maintehant
paffons aux expériences & voyons tous ces
météoresformés non pas dans l'atmosphere , mais
dans l'appareil électrique de M. Quinquet. Il a un
bain d'eau froide à 18 dégrés & demi au - deſſous
de zéro. Il y place un vaſe de crystal rempli
d'eau. Il y décharge une grande quantité de matiere
électrique , que ſur le champ il foutire pour
la reſtituer au réſervoir commun , c'est-à-dire au
bain d'eau froide ; enſorte que la matiere électrique
n'a faitque paſſer à travers l'eau du vaſe.
C'eſt cette intromiſſion & cette ſouſtraction , en
fin ce paſſage ſubit du fluide êlectrique dans
l'eau , qui en opere la converſion en grêle . Ce
vaiſſeau contient abſolument le même réſultat
que ſi, dans un tems de grêle , on l'eût placé
au milieu de l'atmosphere ; il ſeroit empli de
grêlon & d'eau . C'eſt de la pluie qu'on obtien.
dra au lieu de grêle , ſi l'expérience ſe fain dans
!
( 33 )
une température moyenne. M. Quinquet imbibe
d'eau à cet effet une corde de coton , ce qui repréſente
l'eau ſoutenuedans le nuage. Il foumet
cette corde au fluide électrique , & du moment
où il a déchargé la furabondance de fa matiere
électrique ſur ce nuage artificiel , le coton ſe
refferre & exprime fon eau ſous forme de pluie.
pour imiter le givre , il a fait paſſer de l'eau réduite
en vapeur dans un récipient , expoſé dans
le bain froid à 18 dég . A l'inftant l'intérieur
du récipient a été couvert de véritable givre ;
dans le progrès de l'expérience il s'eſt formé une
quantité de neige telle que le vaiſſeau n'a pas
tardé à en être rempli , & fur le champ cette
neige a été convertie en grêle, en déchargeant ,
comme dans les expérience précédentes , une
quantité de matiere électrique à travers le vaifſeau
qui contenoit cette neige. Sur treize expériences
pour la converſion de l'eau en grele , il
n'y en a que deux qui aient complettement réuffi ,
il en eſt peut être de même , & fort heureutement
, dans la nature , c'eſt à dire qu'il y a pour
elle , comme pour le Phyficiem, un mode diricile
à faifir dans cette reſtitution de la matiere
électrique d'un nuag à l'autre , mode dans lequel
la grêle n'a pas lieu. Une conféquence que M.
Quinquet tire de ſes expériences , eit que nous
pouvons, par le moyen du paratonnerre , préſerver
nos édifices de 1 foudre ; mais ces pointes qui
ſuffiſent pour foutirer la matiere électrique des
nuées ne peuvent pas agir juſques dans les régions
plus élevées où ſe forment les orages. Peut être
la Machine Aeroſtatique de MM. de Montgoifier ,
di poſée de maniere à faire conducteur , pour
rost elle , fufceptible comme elle l'eſt de s'élever
àdes hauteurs conſidérables , aller ſouſtraire aux
nuages les plus exhauffés leur matiere électrique
bs
( 34 )
qu'elle tapporteroit dans un baſſin ,un puits , un
ruiſſeau , une riviere , qui ſerviroient de réſervoir
à la matiere électrique , & préſerver par ce moyen
nos vignobles , nos champs des effets de la grêle ,
plus dommageables cent fois que ceuxdutonnerre.
Cette application , fi des expériences en grand
enjustifient le ſuccès , eſt déjà une réponſe à cette
demande à quoi bon la Machine de MM de
Montgolfier?
Cettequeſtion ſur l'utilité de la machine
aëroſtatique ſe fera vraiſemblablement encore
long-temps. Et on ne doit pas en être étonné,
fi l'on confidere la fermentation qu'elle caufe
dans bien des têtes , & les ſpéculations auxquelles
elle donne lieu ; les vrais Phyſiciens
s'attachent à ſuivre les expériences , &à réfléchirſurleurs
réſultats. Les imaginations vives,
àqui il ne faut que des preuves données,vont
plus loin , & forment des ſpéculations. Plufieurs
ne voient dans le fecret de s'élever en
l'air qu'une poſſibilité d'y naviguer. Cette idée
paroît avoir féduit déjà bien du monde ; & le
nombre de ceux qui s'offrent pour s'expoſer
les premiers à cette expérience délicate& périlleuſe,
augmente tous les jours ; un homme
inſtruit , après avoir raifonné ſur lamachine ,
préſente ainſi les applications qu'il croit qu'on
enpeut faire.
Puiſque le Globe s'éleve avec affez de force
pour porter avec lui un autre corps peſant ,
eſſayons de mettre à profit cette force ſuperflue ;
fuivons ce Globe dans les airs , faiſons-en augmenter
&diminuer le volume à volonté , & nous
parviendrons àmonter & deſcendre ſans inconvémient
:dirigeons enfin la marche de ce Globe ,
( 35 )
profitons du calme & du vent , & nous pourrons
facilement nous tranſporter d'un pays dans un
autre ; voici les moyens qui me paroiſſent devoir
réuffir . Pourremplir le premier objet, il ſuffira de
fixer un fort tuyau de cuir aux deux parties ſupérieure
& inférieure du Globe ; ce tuyau foutenu
par quatre coriages , dans toute la longueur ,
fera prolongé , dans la partie inférieure hors du
globe ; c'eſt - là qu'il ſera diviſe en quatre rameaux
, dont chacun ſera également foutenu par
quatre petites cordes ; mais la partie qui traver-
Tera diamétralement le Globe , ſera percée d'une
multitude de trous, afin que le gaz ou la fumée
puiffe s'introduire & fortir librement du Globe.
Les quatre rameaux aboutiront dans un réſervoir
établi au fond d'un léger vaiſſeau cylindrique :
dans ce réſervoir hermétiquement, fermé , feront
pratiqués deux corps de pompes , fort légers ,
afpirans & foulans , à doubles pédales ; deux des
rameaux ſerviront à évacuer à l'aide des pompes
&des ſoupapes , l'air du Globe , & le porter dans
le réſervoir du vaiſleau cylindrique ; & quand on
voudra le reſtituer au Globe , on n'aura qu'à ouvrir
à volonté un ou deux robinets qui feront fixés
aux deux autres tuyaux. On pourra fixer une loupape
de fûreté , qui est indispensable dans tous
les cas àla partie ſupérieure du grand tuyau de
cuir , nourricier de la machine. Le moyen
de ſe diriger ſera d'adapter fixement au vaiſſeau
cylindrique un long gouvernail , ſitué verticalement
ſur la hauteur du vaiſſeau ; ce gouvernail
qui fera la fonction d'une girouette , tiendra toujours
la ligne du vent: un ſecond gouvernail ,
beaucoup moins grand , ſera poſé hors du vaiſſeau
-cylindrique , diamétralement en face du premier ;
ce dernier ſera mobile & armé d'un petit levier
qui agira horizontalement fur un are diviſé , &
b6
( 36 )
ſervira à aller obliquement , ſuivant les vents ;le
forte qu'il fera poffible d'aller avec le même vent
auſſi bien deParis àLondres,que de Paris àVienne .
Quant au moyen deprofiterdu temscalme,il fuffira
dedéfairele gouvernail de l'avant,&de l'enchainer
de maniere que le Globe qu'on chargera d'air à
volonté , venant à s'élever , y tiendra une ligne
oblique , proportionnée à l'élévation verticale
du gouvernail; & lorſqu'on voudra deſcendre ,
afinde continuer route , on changera le gouvernaildans
une inclinaiſon oppoſée à la premiere ,
& on pompera l'air : de cette maniere , on ira
très-vite & où l'on voudra, par un tems calme .
Quant au moyen de ſe préſerver de l'effet de l'air :
en pourra furmonter le vaiſſeau cylindrique d'un
vitrage , pouvant s'ouvrir & ſe fermer à volonté ;
& fi l'on fait uſage, dans la maifon cylindrique ,
d'un ventillateur , dont je donnerai le détail, on
pourra ſe procurer une température à-peu- près
égale à toutes les hauteurs , en infpirant eu expirant
à volonté l'air atmosphérique . -Ma propofition
'rouvera des antagoniſtes : mais ſi l'on
veut en faire la dépenſe , j'offre de faire établir
la machine , & d'en conflater par moi-même le
fuccès aux yeux de la nation.
Il faut joindre à un grand goût pour les
progrès des fciences & des découvertes , un
courage qui mérite fans doute des éloges ,
pour s'exnofer à cet effar; l'accident arrivé an
coq qui étoit dans la cage attachée an globe
qui a fervi à l'expérience de Verſailles le 19
dece mois, peat être à craindre. En attendant
que cet enfant nouveau ne ait reçu l'éduca
tion qu'il doit avoir, & avant laquelle, felon
un homme célebre , on auroit tort dejuger
( 37 )
s'il vaudra quelque choſe ou rien , nous placerons
ici une fable charmante &pleine d'un
grand ſens , qui eſt la meilleure réponſe que
Yon puiſſe faire à toutes les ſpéculations de
ce genre. Elle a pour titre , la ( arpe & l'Oie .
Une Oie , un jour , toute ébahie ,
A la Carpe s'en vint conter
Qu'on avoit vu dans l'air certain vaiſſeau monter ;
Que cette région alloit être envahie .
C'eſt l'homme, il n'en faut point douter ,
Qui conſtruit de telles machines :
Les Oiseaux , ma Commere , ont tout à redouter .
S'il peut de près ſur eux exercer ſes rapines.
La Carpe avoit trente ans;c'eſt l'âge de raiſon
Ou jamais. Va , lui dit cette bonne cervelle ,
Va confier ta peur, ma mie , à quelque Oiſon .
Au haut des airs la machine tient-elle ?
Oh! non.
Elle vole & retombe , encore telle quelle :
Du moins , chacun dans le canton ,
Rapporte ainſi la chose. Eh ! bien donc , que
craint-on ?
Autant vaudroit que l'homme , avec quelque
machine ,
:
Effayat de voguer , ma mie , entre deux eaux !
De ce vaſte élément nous fommes les oiſeaux :
Qui fait juſqu'où va l'autre & ce qui le termine ?
Partant, demeurez en repos .
Si , comme fur le dos de la plaine liquide ,
CeTyran fur celui de l'air
Parvenoit à conftruire un bâtiment ſolide ,
Il y feroit porté , comme il l'eſt par la mer,
Lorſque l'avarice l'y guide.
Mais , quoique dans l'air il foit né ,
Ainſi que nous au ſein de l'onde ,
Quoiqu'il s'oſe vanter d'être le Roi du monde ,
( 38 )
1
Il eſt par fa nature à la terre enchaîné;
Et, plus que vous & nous borné ,
Loin qu'il puifle de l'air atteindre la ſurface ,
D'en franchir ſeulement un médiocre eſpace ,
Le pouvoir, comme à vous , ne lui fut pas donné.
Pour remplir les deſirs , auffi trompeurs qu'avides ,
Il plonge quelquefois dans nos grottes humides ,
Je le fais; mais voit-on qu'il y reſte long-temps ?
Va , crois que , malgré ſon audace,
S'il prétend pénétrer la région des vents ,
Il n'y tiendra pas plus en place.
DE BRUXELLES , le 30 Septembre.
On mande de Zutphen que lorſque les
Etats de cette province aſſemblés extraordinairement
eurent accédé à la réſolution de la
province d'Hollande relativement à la paix ,
M. Chapelle de Marſch en laiſſant paffer
cette réſolution , fit infcrire ſur les regiſtres
des délibérations la note ſuivante qui fut également
ſignée par le Baron de Nyvenheim
& fes deux fils , les Barons de Lynden ,
d'Oldenaller , & Zuylen de Nyeveld.
Vula fituation critique &déplorable , où la
République ſe trouve plongée , & qui doit uniquement
ſon origine à la perfide influence que
la G. B. a ſu ſe procurer ſur tout notre ſyſtème
politique , ( influence, qui ébranle encore aujourd'hui
notre conſtitutionjuſques dans ſes fondemens
, & qui , ſi elle n'eſt arrêtée efficacement&
anéantie par cette nation trop long-tems
irritée , entraînera certainement la ruine aſſurée
de notre patrie ) ; la continuation d'une guerre
juſtede notre part, mais qui nous a été déclarée
de la maniere la plus injuſte , ſeroit fans doute
( 39 )
le moyen le plus propre à réprimer un ennemi
étranger , déja épuisé par une longue guerre ,
& pour écrafer à jamais cette cabale pernicieuſe ,
qui , fixée au milieu de nous , a concouru avec
lui à couper l'artère vitale à notre liberté & à
notre bien être. Pour cet effet , notre nation auroit
affez de courage & aſſez de reſſources : Oui ,
notre république ſe trouveroit abondamment en
état d'y fuffire , ſi la méme influence ruineuſe ne
faiſant échouer toutes les mesures qu'on prendroit
dans ce deffein : c'eſt pourquoi il ne reſte à notre
patrie tourmentée & maltraitée d'autre parti ,
que d'accepter dès ce moment la paix , telle
qu'elle eſt préſcrite , & déja arrêtée entre les
puiſſances belligérantes , pour prévenir une alternative
encore plus pernicieuſe , notamment le
renouvellement des anciens traités avec l'Angleterre.
Quant à nous , nous laiſſerons paffer , fans
donner notre fuffrage , la conclufion pour ſe joindre
à cet égard à la réſolution de la Hollande :
mais , reſponſables àla nation , aux générations
préſente & future , nous ne faurions jamais donner
notre aveu à la ſignature d'une paix ſi ruineuſe
& fi fletriſſante. Et à cet égard , N. &
P. S. , nous agiſſons conformément au ſyſtème ,
que nous avons déclaré ſi ſouvent en cette affemblée
, relativement à l'adminiſtration des affaires.
De concert avec d'autres membres de la confé.
dération , nous n'avons ceſſé d'infitter pour
qu'il fût effectué une alliance formelle avec la
France ; alliance , qui , fi elle eût på avoir lieu ,
nous auroit garanti d'une ſituation auffi humiliante
: nous avons préſagé les ſuites , qui réſufteroient
de la réſolution d'accorder les convois
avec limitation , anſi que du délai qu'on a mis à
accéder à la neutralité-armée qui nous avoit été
offerte : nous avons fait des plaintes itératives fur
,
1
(40 )
linactivité ſi ſurprenante , & fur la mauvatſe
àce -
direction de notre marine , dont l'effet devoit
être naturellement , qu'on mit l'ennemi à mêrie
d'exécuter ſes deſſeins: à l'égard de la non-exécution
de l'expédition pour Breſt , nous nous
ſommes déja expliqués dans le temps; & nous
avons conſidéré la déſobéiſſance qui a eu lieu en
cette occafion , comme le ſymptôme du danger,
dont un pareil procédé menaçoit la dignité , le
falut meme de la république , à moins qu'on ne
prit ſur le champ les meſures les plus efficaces
ſujet. Mais qu'eſtil beſoin de parler plus
au long de cette direction de la marine , qui a vifiblement
choqué toutes les regles ?Ce qui vient
de ſepaffer tout récemment, en mettant pluſieurs
vaiſſeaux de guerre hors de commiffion , & en
congédiant un nombre conſidérable de matelots
experts , au moment que la république étoit encore
en guerre contre un ennemi perfide , -
procédé prouve plus que ſuffifaiment , que les
foupçons de la nation entiere ne font que trop
bien fondés. Nous laiſſons donc les ſuites de cetre
malheureuſe paix pour le compte de ceux qui en
ont été les cauſes premieres . Que ceux-là juftifient
leur conduite près de la nation , qui ne ſe
laiffe pas contenter par des juſtifications voluinineuſes
, mais forcées , & qui fait apprécier à leur
juſte valeur tous les efforts finceres pour le falut
de la patrie ! Pour nous , nous aurons ſoin de laver
notre conduite devant fontribuual ; & à cette
fin nous réſervens notre annotation ultérieure .
ce
La République , qui n'attribue les malheurs
de la derniere guerre & les traitemens
qu'elle aeſſuyés qu'à la foibleſſe dans laquelle
ſe trouva d'abord ſa marine , & enfrite à la
mauvaiſe direction de ce Département , ſe
propoſe d'y remédier pendant la paix.
(41)
« Les Etats de Hollande , par leur réſolution
du 27 Août dernier , avoient ordonné aux Coileges
d'Amirautés réſidants dans la province , de
rendre compte à L. N. &G. P. le plus promptement
poflible, del'état actuel de la Marine , tant
pour ce qui regarde le nombre & le rang des
vaiſſeaux , que leurs équipages , des raiſons pour
leſquelles on a congédie 1200 marins , & en vertu
de quel ordre on l'a fait avant qu'on fût certain
de l'iſſue des négociations de paix. Le College
de l'Amirauté de la Meuſe a fatisfait fur le champ
àcette requifition ; il a montré qu'il avoit encore
en ſervice , & bien équipés , s vaiſſeaux de 60
canons , I de 50 , 3 de 40 , 3 de 36 , un de zo ,
I briq de même force , 2 corvettes de 20 canons
auffi , & une de 12 ; il n'a déſarmé que les vaifſeau
de garde , conformément à la réſolution de
L. H. P. Quant à l'Amirauté d'Amſterdam , elle
n'a fait qu'une réponſe évafive , en diſant qu'il
ne lui étoit pas poffible de fatisfaire auffi - tốt
qu'elle l'auroit défiré aux ordres de L. N. & G.
P. , vû la quantité de papiers qu'elle avoit à
extaire. Les Etats de Hollande ont en conféquence
écrit à ce College de répondre dans la
huitaine à leur réſolution du 27 Août , & particulierement
ſur l'article du licentiement des
matelots.
Selon d'autres lettres de la Haye , on dit
que les articles préliminaires entre l'Angleterte
& la République feront inférés dans le
traité de paix , & que dans trois ou quatre
femaines tout ſera conclu entre les deux
Priſſances.
Il circule ici des copies d'une lettre de
Varſovie en date du 25 Août , que nous
nous contenterons de tranſcrire.
( 42 )
«Les papiers publics vous ont appris que les
Ruffes ont occupé la Crimée , le Cuban & l'ine
de Taman; les armemens des Turcs n'en vont
pas plus vite , & les Rufſes ſe préparent à une
campagne d'hiver. Les troupes Impériales font
également en mouvement & en marche vers les
frontieres de la Turquie ; les Otroinans continuent
d'être circonfpects , & évirent de donner aucuns
prétextes plaufibles de les attaquer. Ils ont ra
ſemblés en Afie 100, 000 hommes qui marchent
par la Géorgie , & ſe dirigent vers la mer noire t
on compte ici que dans le moment actuel , il y
aeu des coupsde fufil tirés& des têtes coupées
car le Prince de Repnin a, dit-on , ordre de mar
cher à Andrinople,avec un corps de 30 , 006
hommes, fans s'arrêter à aucunes ffoortereſſes;il
ſeraapproviſionné par les Autrichiens , au moyen
du Danube. 30, 000 hommes font devant Oczakow,
& une armée d'obſervation occupe cette
contrée ; une autre attend les Turcs qui viennent
d'Afie.= P. S. Dans l'inſtant j'apprends la
confirmation du projet incroyable dont on veut
que le Prince de Repnin ſoit chargé. Le Comte
de Soltikow doit aſſurer les derrieres ; mais il y
a à Oczakow , à Bender , Choczim & dans les
fortereſſes fur le Danube plus de troupes qu'il
n'en faut pour s'oppoſer â la marche de ce corps ,
&le. Irarceler de tous côtés.
PRÉCIS desGazettesAngl. Es autres écrrangeres.
>> Pluſieurs Papiers prétendent que le Cabinet
eſt divisé au fujer de la Guerre qui paroit prête à
éclater entre les Ruſſes & les Turcs ; ils difent
que M. Fox , dans un moment où il ſe livroit
à ſa gaieté avec les amis , a laiffé échapper
quelques mots, d'après leſquels on aconclu qu'il
étoiu feul d'avis dans le Confeil qu'on aidat la
Rufie du mieux qu'on pourroit . 4
( 43 )
On affure quil eſt abfolument faux que les négociations
pour le Traité de Commerce avec
P'Amérique foient rompues. M. Hartley eſt donc
venu à Londres pour prendre de nouvelles inttructions
ſur un point de diſcuſſion ; il eſt certain
qu'il partira ſous peu de jours. Il y atoute .
apparence que cette affaire ſera terminée dans
peu , & à ce qu'on eſpere d'une maniere favo
rable aux intérêts de l'Angleterre..
Le Vaiſſeau le Financier , Capitaine Lobeck ,
a coulé bas auprès de Scilly. On raconte de ce
Vaiſſeau qu'il portoit ci-devant le nom de Lord
North : arrivé à Charles Town , ce nom a bieffe
les oreilles des Américains , qui ont exigé du
Capitaine qu'il le changeât, & celui ci a été obli
gé d'y conſentir pour obtenir la permiſtion de
débarquer ſes marchandises , avec le quelles ,
fans cette compladance , il auroit été obligé de
s'en retourner.
La Compagnie des Indes reclame , dit on , une
fommede 7000 liv. ſterlings ſur la ſucceſſion du
malheureux Ryland,
•Sa Majefté prenant un jour de la ſemaine der
niere l'air à cheval , à environ cinq milles de
Windfor , rencontra une meute de chiens au
milieu de la forêt ; c'étoit une Chafie ; elle vou
lut y prendre part; en la ſuivant elle s'approcha
d'une riviere peu large, mais profonde , dont le
pont n'avoit qu'un parapet uſe ; fon cheval ſauta
dans l'eau , & avec fon fardeau précieux fur le
dos; le danger étoit éminent , par la profondeur
&la rapidité du courant ; mais les ſecours du
zele & de l'atrachement furent prompts, & cet
accident n'eut heureuſement d'autre fuite que
celle de caufer beaucoup d'effroi aux affiſtans.
Morning poft.
Lebruit ſe répand qu'en conféquence des diffé
( )
rens élevés entrela Courde Naples & la république
de Ragufe; la Chambre Royale à propoſéde chaffer
des Deux Siciles tous ceux de ſes ſujets qui
s'y font établis , & d'interdire tout commerce
avec la république , commerce qui ne confiite
qu'en manteaux de Marinier qu'elle vend , &
pour lesquels elle ne prend en retour que de l'argent.
Gazette Univerſale de Florence Nº. 70 .
Dupuis 15 jours on parle ici (à Mairid ) d'une
nouvelle alliance que le Portugal a contractée
avec la Maiſon de Bourbon ; on avoit cru d'abord
que le traité conclu le 9 & le 13 Août n'avait été
figné que par le Comte de Monmorin , Ambaſſadeur
de France& le Marquis de Lourical, Miniſtre
de S. M. T. F. Mais on prétend à préſent que
l'Eſpagne eſt auſſi une des Parties contractantes ;
le contenu du traité doir, dit-on , étre encoretenu
1ecretpendant 2 mois; en attendant on affure que
c'en est un d'alliance & de commerce , par lequel
la Cour de Portugal en ſe réuniſſant à la Maiſon
de Bourbon lui accorde tous les avantages
dont la nationAngloiſe jouiſſoit dans les prêtsà
l'exclufion de toutes les autres nations. Même
Gazete.
Le bruit court que le Prince, Evêque de Paſſau
veut reliquer , & retourner à ſon Evêché de
Gurck. Nouvellifte politique d'Allemagne , nº 147.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE (1) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Cause entrela Marquise des Barres , la Vicomteſſe de
la Bedayere, & le Chevalier des Barres.-Un
fils , après avoir exécuté pendant longtemps le
testament de fon pere, en avoir requis l'homologarion
en Justice, est-il recevable à l'arguer de
nullité?- En Bourgogne , les pres & meres
peuvent-ils disposer inégalement de leurs biens par
( 45 )
testament , & quelles formes sont- ils obligés de
Suivre dans cet afte ?
Telles font lès queſtions importantes qui ont
été agitées dans cette Caufe. - Le Comte des
Barres , d'une très-ancienne Maiſon de Bourgogne,
de la fucceffion de Cujus , eut de fon mariage
avec la Demoiselle de Saint-Chamand trois
enfans måles , Antoine- Claude , Marquis des
Barres , pere de la Vicomteſſe de la Bedoyere ,
Partie au procès ; Jacques-Gabriel- Philippe des
Barres , Bailli de l'Ordre de Malthe , & Paul-
Henri-François des Barres , Chevalier non-profès
du même Ordre.- Tourmenté du défir naturel
de laiſſer un héritier de ſon nom , capable
par ſa fortune d'en foutenir l'éclat , il choiſit le
Marquis des Bartes, ſon fils ainé, porta les deux
puînés dans l'Ordre de Malthe , maria l'aîné de
ce nom , lui fit , par contrat de mariage dus
Novembre 1747 , donation des Terres de Cuffigny,
Mowa , Moutol & Priſſey , tous referve
d'ufufruit ; & pour indemnité de la ſuſpenſion
de la jouiſſance , lui donma la Terre de Riviere ,
fituée en Champagne , s'obligeant de loger ,
nourrir , & défrajer de tout dans ſon Chateau
de Cufſigny , lui , ſa femme , leurs enfants ,
leurs domeſtiques & chevaux. Il fit enſuite , le
11 Avril 1749 , le teftament , dont le Chevalier
des Barres demande la nullit-é. Par(e
teſtament, il legue à la Dame, ſon épouſe , l'uſufruit
de ſes propres , ſes acquets , ſes meubles ,
ſon argenterie , & tous ſes effets mobiliers , à
la charge , par elle , de payer les arrérages échus
&à échoir de ce qui ſera dû à ſon décès , &
de nourrir & entretenir , dans le Château de
Cuffigny ,le Marquis des Barres , conformément
aux claufes de ſon contrat de mariage ; enſuite
il a légué à jacquesGabriel-Philippe , ſon ſe
( 46 )
cond fils,20000 liv. , pareil legs à Paul-Henri ,
ſon troiſieme fils , le Chevalier des Barres , &
inſtitue Antoine-Henri-Claude des Barres , ſon
fils aîné , ton héritier univerſel . -lar un codicile
du 10 Octobre 1753 , le Comte des Barres ,
confirmant & approuvant fon teſtament , réduifit
à 15000 liv. le legs qu'il a fait à ſon ſecond
& troiſieme fils, à raiſon , dit- il , des fommes
qu'il leur a payées pour leur acheter une
Compagnie. Il eſt mort au mois de Juin 1755.
Le ſecond fils ayant fait Profeffion dans l'Ordre
de Malthe , il n'y avoit plus que deux héritiers
habiles à ſuccéder. Le troiſieme fils , le
Chevalier des Barres, étoit alors à Malthe. Inftruit
de la mort de ſon pere , il repafía en
France; mais déjà le Marquis , ſon frere , avoit
fait lever les ſcellés , mis ſur les effets de la
fucceffion , & jouiſſoitde tout ſans avoir fait inventaire.
Le Chevalier des Barres , de retour
, préſente , conjointement avec la Dame,
ſa mere ,& le Marquis , ſon frere , uue requête
au Bailliage de Nuits , par laquelle ils demandent
acte de leur conſentement à ce que le teſftament&
le codicile foient homologués & exécutés:
ſentence qui donne acte deſdits confentemens;
ce faiſant , après la publication des actes ,
déclare qu'ils demeureront homologués pour étre
exécutés felon leur forme &teneur , & regiſtrés
fur le regiſtre . -En 1759 , inventaire fait à
l'amiable entre la mere & ſes enfans , tous majeurs.
Partage & liquidation tant des droits
&repriſesde la mere , que des droits des enfans :
liquidation , notamment des droits légitimaires
du Chevalier des Barres , qui donne quittance
des ſommes qu'il reçoit. Mort de la Comteffe
des Barres en Juin 1764 , nouveaux acte de partage&
liquidation de tous les droits ouverts par
( 47 )
cette fucceffion , contenant de nouveaux acquiefcemens
& ratification des précédens &de la vo-
Jonté de la Dame des Barres , mere , qui legue
au Chevalier , pour ſa portion légitimaire , la
même ſomme léguée par le pere. Quittance des
arrérages des principaux dûs pour leſdits droits
légitimaires , donnée purement & fimplement
par le Chevalier à ton frere aîné , depuis lef
dites époques juſqu'à la mort dudit frere aîné ,
arrivée en 1772. Le Chevalier des Barres , projettant
de revenir contre ces divers actes , ceſſa
de donner à la veuve de fon frere des quittances
pures & fimples ; ce qui la força à le faire affigner
, pour voir ordonner l'exécution des actes
de partage & liquidation , & le payement des
arrérages , fur des quittances pures & fimples ,
finon ladite Dame autoriſée à configner les ſommes
qu'elle pourroit devoir. Pour réponſe , le
Chevalier forma , le 16 Décembre 1772 , au Baslliage
de Nuits , une demande en ouverture & partage
de tous les biens délaiſſés par le feu Comte
des Barres , fon pere , pour être , ſa part héréditaire
, fixée & liquidée , d'après tous les inventaires&
titres dépendans de la fucceffion . -L'affignation
donnée au Bailliage de Nuits fut revoquée
au Châtelet , où , après les défenſes fournies
de part &d'autre , la nomination du Chevalier
des Barres au Prieuré de Sexte-Fontaine
le détermina en 1773 a ſe déſiſter de ſes prétentions
:'il écrivit à ſa belle- foeur , pour lui annoncer
ſon déſiſtement , qu'il promit ſous la parole
d'honneur. En 1780), la perte de ſes neveux ,
qui , ſeuls , pouvoient perpétuer ſon nom , lui
fit concevoir un projet de mariage avec la niece ,
pour empêcher l'extinction de la Maiſon ; mais
ladiſproportion d'âges y mit obſtacle. Alors le
Chevalier fit revivre ſes premieres prétentions ,
( 48 )
il commença par obtenir , le 16 Mars 1781, uno
ſentence du Châtelet , qui déclara l'inftance de
1772 entre ſa ſoeur & lui périe , & le 17 Mars
de la même année , il fit aſſigner ſa belle foeur ,
au Parlement de Dijon. Sur l'appel par lui interjetré
de la ſentence du Bailliage de Nuits ,
il en demanda l'onfirmation , la nullité du teſtament
& codicile de ſon pere , & le partage de
ſa ſucceſſion , ab inteftat . Alors la Com efle des
Barres interjetta appel de la ſentence du Châteletde
Paris, qui avoit déclaré l'inſtanee de 1772
périe, & obtint Arrét qui la déclara ſubſiſtante.
Elle obrint ainſi un ſecond Arrêt du Parlement
de Paris , qui ordonna qu'il ſeroit procédé devant
lui ſur l'appel de la fentence du Bailliag.e..
de Nuits : ce qui fit naître une inſtance , en
réglement des Juges , qui fut terminée par un
Arret du Conſeil , du 28 Février 1782 , qui
renvoya les Parties en la Cour. A cette époque ,
mariage de la Demoiselle des Barres avec le Vicomte
de la Bedoyere : Arrêt d'évocation de la
demande formée au Châtelet par la Marquife
des Barres , belle-foeur : la cauſe ainſi en état ,
fut jugée le 15 Avril 1783 , en la Grand-
Chambre , où il intervint Arrêt , qui , fans s'arréter
aux requêtes & défenſes du Chevalier des
Barres, dont il eſt débouté , faiſant droit fur l'appel
de la ſentence du Bailliage de Nuits , évoqué
en la Cour par Arrêt du Conſeil , enſemble
fur celle du Châtelet de Paris , rendue en 1772 ,
déclare ledit Chevalier des Barres non-recevable
; ordonne l'exécution du teftament du Marquis
des Barres , enſemble de tous les actes de
partage & liquidation de la portion légitimaite
du Chevalier , fait , en conféquence , & conformément
à la ſentence du Bailliage de Nuits ,
homologation dudit testament, & rendue fur le
conſentement mutuel des Parties , & condamne
le Chevalier des Barres aux dépens,
4
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI II OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
L'ÉLECTRICITÉ , Ode. *
TΟΙ qui ſuis une route obſcure ,
Guidé par de foibles lueurs ,
Etqui prétends de la Nature
Sønder les vaſtes profondeurs ,
Si ta main ſouvent téméraire ,
De ſon ténébreux ſanctuaire
Oſa ſoulever le rideau ,
Éclaire ma raiſon bornée ,
Satisfais mon âme étonnée
Sur ce phénomène nouveau.
QUEL enchantement ! quel preſtige
1
*Cette Ode a été lûe à la Séance publique du Muſéc
de Paris , le premier du mois de Septembre.
Nº. 41 , 11 Octobre 1783 . G
50
MERCURE
C
Captive mes regards ſurpris !
Quelle est la cauſe du prodige
Qui frappe mes ſens interdits ?
D'où vient cette force rapide
Qui contraint un ardent fluide
A s'élancer de tous les corps.
Il paroît , fuit , revient ſans ceſſe,
Il attire , il repouſſe , il preſſe
Par de mystérieux refforts.
CET être inconnu , dont j'admire
L'inépuiſable activité ,
Anime tout ce qui reſpire ,
Donne à tout la fécondité;
Lui ſeul pénétrant la matière
De ſes feux & de ſa lumière ,
Remplit l'eau , la terre & les airs ;
De la Nature agent fuprême ,
C'eſt le ſouffle pur de Dieu même ,
Et l'âme de cet Univers.
AINSI la Fable a peint Protée,
Qui fuit dans ſes, antres fecrets ,
Etfous une forme empruntée ,
Échappe aux mortels indifcrets.
Ici , le pétillant fluide ,
Juſqu'au milieu même du vuide ,
Jailliten faiſceaux radieux ;
Là, porté dans le ſein d'un vaſe,
DE FRANCE.
Il agite l'air , il l'embraſe ,
Et vomit la flamme à mes yeux.
SANS doute il nourrit , il allume
Dans ces effroyables volcans
Le ſoufre ardent , le noir bitume
Qui coulent en flots dévorans ,
Quand les entrailles de la terre ,
Qu'ébranle une inteſtine guerre ,
Frémiſſent de crainte & d'horreur ;
Lorſque les villes englouties
Sous l'herbe ſont enſevelies ,
N'en accuſez que ſa fureur.
QU'ENTENDS - JE ? Quel bruit formidable
Aglacé tout-à-coup mes ſens ?
Une Puiſſance redoutable
Trouble l'ordre des élémens.
Toute la Nature eſt émue :
Les flancs ténébreux de la nue
Sont fillonnés par les éclairs ;
Les longs fifflemens des tempêtes ,
Mille feux roulans fur nos têtes
Viennent menacer l'Univers .....
DISPAROISSEZ , vaines alarmes.
Contre ce fléau deſtructeur
Francklin a ſu créer des armes ,
Il oſe enchaîner ſa fureur :
Ce bienfait raſſure la terre ;
Cij
$2 MERCURE
Nous pouvons braver ce tonnerre ,
Tyran des mortels effrayés ;
Et la foudre , aujourd'hui docile ,
N'eſt qu'une vapeur inutile
Qui s'évanouit à nos piés.
De Japet le fils téméraire ,
Au méprisdu courroux des Dieux ,
Franchit les børnes de la terre ,
Et déroba le feu des cieux ;
Mais ſon audace fut punic.
Jupiter lui laiſſa la vie
Pour éternifer ſes tourmens ;
Et lorſque Francklin le déſarme ,
Le Dieu vaincu cède à ſon charme ,
Et ſes carreaux ſont impuiſſans.
C'est ainſi que par le génie
L'homme s'égale aux Immortels.
Feu ſacré , divine énergie ,
Tu lui mérites des autels.
Au milieu de Rome naiſſante,
De Numa la voix impoſante
Afes peuples dicta des loix ,
Et l'étude de la Nature
Le tira de la foule obfcure
Où font confondus tantdeRois.
Un champ fi fécond en merveilles
Vous offre de nouveaux progrès
:
DE FRANCE. 53
Savans , dont les pénibles veilles
Nous ont valu ces grands ſecrets.
Dans une heureuſe ſolitude
Que vos jours , remplis par l'étude ,
Soient voués à l'humanité ,
Et vos noms chers à la Patrie ,
Portés ſur l'aîle du génie ,
Iront à l'immortalité.
(ParM. Bodard.)
Réponse aux Vers qui m'ont été adreſſés
J
dans le Nº. du 20 Septembre 1783 .
E ne reconnois pas mes rimes dans les vôtres ;
Vous volez mon pinceau , mais c'eſt pour l'embellir.
J'y gagne de la gloire & beaucoup de plaifir ;
Vos larcins , différens des autres ,
Enrichiſſent loin d'appauvrir .
( Par Mlle de Gaudin. )
Chacun afes goûts ; à Chloé, qui prétendoit
que je n'en avois aucun.
QU'AU gré de fes inftraire,
defirs , cherchant à nous
Tout moderne conteur aille dans les forêts ,
Prêtant aux animaux le fiel de la ſatyre ,
Nous faire fermonner fur nos penchans ſecrets.
Pour dégrader des traits formés par la Nature ,
Ciij
54
MERCURE
Qu'un Peintre ingénieux , au gré de ſon pinceau ,
Vole à Flore des fleurs , à Vénus ſa ceinture ,
Afin de mieux groupper ſon magique tableau.
Peu jaloux de l'éclat de leur gloire immortelle,
Si jamais je prenois ma plume ou mes crayons ,
De Chloé je ferois une Grâce nouvelle ;
Et pour endoctriner nos jeunes Apollons ,
Je leur dirois à tous : voilà votre modèle;
Faites de ſes vertus l'objet de vos leçons.
ENVO Ι.
Si les traits échappés des mains d'un Miſantrope ,
A tes yeux délicats manquoient de coloris ,
Je dirois: ce n'eſt point aux forges d'un Cyclope
Qu'on broya les couleurs des tableaux de Cypris.
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Chevre- feuille ;
celui de l'énigme eſt Mouchettes; celui du
Logogryphe eſt Cremaillière , où l'on trouve
Mercière raie , ramier creme , mie, lie.
DE FRANCE. ss
CHARADE.
M.
On dernier du premier affoiblit les ardeurs ,
Et mon tout ceint l'Amour d'épines ou de fleurs.
J
ÉNIGME.
E ſuis Latin , François ; en veux-tu voir la preuve ?
Latin , je donne rien , François , je donne un fleuve.
(Par M. Barraud )
LOGOGRYPΗΕ.
NZE pieds de mon nom compoſent la ſtructure.
En le décompoſant , on trouve à l'aventure
Un animal utile & pourtant décrié ;
:
Ce qui met à l'abri le Pilote effrayé ;
Des mortels paſſagers l'immortel apanage ;
Deux mots qu'Amour met ſouvent en uſage ;
Le nom d'une Bergère , & celui d'une fleur;
"Un fruit qui des vents froids redoute la rigueur ;
Ce qu'à Toulon fait mouvoir l'eſclavage.
T'apprendre mon féjour , c'est décliner mon nom.
N'importe , il faut t'aider : j'habite l'Acheron .
(Par M. Berthier , Officier au Régiment
de Picardie. ) :
Civ
56 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE Physique , Morale , Civile &
Politique de la Ruffie ancienne & moderne ,
par M. le Clerc , Chevalier de l'Ordre du
Roi . Tome Ier de l'Hiſtoire Ancienne &
Tome Ier de l'Hiſtoire Moderne. Ouvrage
propoſe par Souſcription .
Nous n'avions ſur la Ruffie que desMémoires
, des Cartes , & les Lettres de quelques
Voyageurs. Deux François ont entrepris
l'Hiſtoire de cet Empire étendu , &
qui pèſe maintenant dans le baffin de la balance
de l'Europe. Nous avons rendu compte
des travaux de M. Levêque. M. le Clerc
marche ſur ſes traces , ou , pour parler plus
juſte , eſt ſon rival. Son Ouvrage , qui doit
avoir cinq vo'umes in 4°. eſt enrichi de
carres & de gravures. Il paroît que M. le
Clerc n'a voulu épargner ni l'argent ni les
foins. Une Hiſtoire feroit en effet un monument
bien plus durable que ces maffes de
pierre que la Sculpture ennoblit & taille au
milieu de nos places publiques , ſi elle rempliffoit
entièrement la tâche , vaſte & glorieuſe.
Cette réflexion nous conduit à l'examen
de celle de M. le Clerc. A t'il , n'a t'il
pas rempli cette tâche dans toute ſon étendue
?
DE FRANCE.
57
Sans doute nous ſommes bien éloignés de
vouloir qu'un Hiftorien s'enferme dans le
cadre etroit ou vuide de chaque règne , pour
n'en jamais fortir , & prenne le Heros ou
le Tyran , ou l'imbécille Monarque des le
berceau , pour ne le quitter que dans la
tombe. Cette manière longue , sèche &
froide , qui ne fait connoître que des Princes
ſouvent peu dignes d'étre connus , étourdit
l'oreille par le bruit répété des batailles ; l'efprit
du Lecteur ſe repoſe à peine ſur de
courts inftans de paix ; il cherche en vain ces
analyſes importantes du Code National .
Comune on a trop parlé du Prince , on femble
n'avoir plus de place pour s'occuper du
peuple. Il eſt telle Hiſtoire où on ſeroit embarraffé
de connoître le ſol , le climar , l'étendue
, le degré , la richeſſe d'une Nation ,
fon genie & fes revenus.
M. le Clerc s'eſt écarté de ce plan. Les
matériaux de l'Histoire , dit il , font les tempéramens
, les caractères des peuples , les
refforts fecrets des paſſions , la legiflation
qui les enchaîne , les principes & les vûes
de la politique , les vices & les vertus des
peuples , felon qu'ils font bien ou mal gouvernés;
l'invention , la perfection , le rapport
des Sciences & des Arts pour l'utilité
& l'agrément de la vie ; les écarts de l'imagination
, les monumens de la folie , ceux
du génie & de la ſageſſe ; l'influence de l'ordre
, des lumières & des moeurs fur la feli
cité publique & particulière.
Cv
58 MERCURE
Oui , telle 'eſt la conduite d'un bon Hiftorien.
M. le Clerc , qui l'a très bien devinée
, la t'il exactement tenue ? Oui & non .
Rien ne manque dans ſon Hiſtoire. Il eſt
defcendu dans tous les détails ; peut être en
a t'il trop mis , & de ceux qui font trop
au- deffous de l'importance de ſon ſujet ;
peut être s'eſt il longuement appeſanti fur
des parties qui ne demandoient qu'un léger
coup d'oeil.
Voici la coupe des deux Volumes , dont
l'un eft le premier de l'Histoire Ancienne ,
&l'autre le premier de l'Hiſtoire Moderne.
Chaque règne eft diviſé par Section. Ces Sections
font courtes ; il n'eſt pas long temps
queſtion du Monarque dont on voit le portrait
grave; il eſt très peu parlé des guerres
& des peuples voiſins quelques troubles intérieurs
, voilà l'Hiſtoire des Souverains de
la Rutlie. Le ſtyle eſt ſouvent gâté par des
métaphores , & des comparaiſons qu'un
goût ſévère auroit dû rejeter. Jamais Nation
ne combattit ſi long temps contre ſes
voiſins que les Ruffes; à peine connoiffonsnous
dans cette Hiſtoire quels étoient les intérêts
des Grecs , des Bulgares , des Mogols
& des Tatars qui combattoient. De Rouvik
juſqu'à Volodimir , & de ce Prince juſqu'à
Olgovitz , on eſt étonné de ne lire rien d intéreſſant
fur l'empire Ruffe. Parmi tant de
Princes, ou ufurpateurs ou détrônés , parmi
tant de guerres civiles qui ont fait , ſuivant
l'expreffion de M. le Clerc , de la Ruffie une
DEFRANCE.
59
boucherie , on n'eſt frappé d'aucun de ces
traits qui éclairent chez toutes les Nations
le grand tableau de l'Histoire. Les criſes répérées
ne produiſent ni des inonftres ni des
Héros. On parle de rébelles , on ne voit ni
Chef, ni conjuration ; on conduit un Roi
dans un Monastère , où il eſt maffacré deux
ans après , on ne fait pourquoi,
Nous rendrions un mauvais ſervice à M.
le Clerc fi nous bornions à ces obfervations
l'analyſe de ſon Ouvrage. Il faut dire maintenant
ce qu'il contient d'eftimable , & qui
a dû exiger des recherches , de l'opiniâtreté
& des vûes. Mais ici nous devons changer le
nom , & nous ferons parfaitement d'accord ;
s'il veut qu'on accueille ſon travail comme
des Mémoires , ou un Recueil de Traités
fur chaque partie de la Conſtitution , de la
Police & de la Légiflation de l'Empire de
Ruflie , on n'a que des éloges à lui donner.
Chaque Traité ou Diſcours nous a paru
complet ; M. le Clerc ne laiſſe rien à defirer
fur les ſujets qu'il embraſſe. Mais nous
croyons qu'il a trop étendu ſon plan , en entrant
dans des détails qui appartiennent à la
Botanique & à la Médecine . L'Hiſtoire peut
& doir parler des maladies de l'eſprit ; la
morale eſt toute entière de fon reffort; mais
les maux phyſiques & leurs remèdes n'en
font plus. Si une Nation (& elle n'en feroit
pas plus à plaindre pour cela ) ne devoit
avoirqu'un ſeul Livre, ſans douteil faudroit
que ce Livre fût univerſel. Mais comme cha
Cvj
60 MERCURE
que Science a droit auſſi d'avoir ſes archives,
ſes Profeffeurs, ſes Dictionnaires & fes
chef- d'oeuvres , il eſt eſſentiel de voir dans une
Hiſtoire les indigeſtions du Compilateur.
Nous ne ſuppoſons point que nos obfervations
empêchent le Public de ſe procurer
cet Ouvrage , qui ( nous l'avons déjà dit) ne
laiffe rien à defirer du côté de l'inſtruction.
L'Empire peut avancer ou rétrograder , quelque
grands que foient ſes pas , il ne changera
point juſqu'à rendre méconnoiſſable ,
comme il arrive à bien des Hiſtoriens , le
portrait que M. le Clerc en a tracé. Il a tout
calculé , dépenfes , revenus , excédent, population
, numéraire , troupes , charges , commerce
, bénéfice , rapports avec les étrangers;
fes beſoins phyſiques ou artificiels , ſes
chaînes , ſes loix, le ſol , le climat , les maladies
particulières à la Nation , les remèdes ,
les mines , le cadastre des temps ; il a tout
dit. Et il faut avouer qu'on ne peut rien demander
de plus. Il faut convenir qu'il eſt
peu d'Hiftoriens qui ayent embraffé , comme
M. le Clerc , une Nation dans toute ſa plénitude.
Il a rejeté ces fables abſurdes qui
naiſſoient dans l'oiſiveté des cloîtres , où des
Moines ignorans jugeoient les Rois en raifon
de leur dévotion , non de leurs lumières.
Il a ſuivi cette chaîne des moeurs , des uſages
&des coſtumes , qui eſt pour un Hiftorien
Philofophe le fil conducteur dans le dédale
des vieilles chroniques , des fables & des
origines.
DE FRANCE. 61
Nous allons préſenter à nos Lecteurs quel
ques faits intéreſſans. Il paroît , par l'Hiftoire
de M. le Clerc , que la population de
la Ruſſie ſe monte à dix neufmillions d'âmes.
L'Empire embraſſe neuf cent quarante-neuf
mille trois cent ſoixante- quinze lieues quarrées.
C'eſt trop peu d'habitans pour une fi
grande étendue. A cette dépopulation , ſi
l'on ajoute la levée de quatre cent mille
hommes qui compoſent les Troupes régulières
& irrégulières , on verra que la Ruffie
eſt , de tous les États , le moins peuplé. Les
revenus ſe montent à 103,097,840 liv. ; ſols
9 den. argent de France. Les dépenſes ſont
portées à 45,425,884 liv. 13 ſols 6 den.; les
revenus excèdent de 57,671,955 liv. 10 fols
9 den. Ce calcul fait à coup sûr l'éloge de
Catherine , Impératrice régnante , s'il eſt
vrai que l'excédent ſoit employé à des monumens
de luxe , qui rendent une Nation
chère aux Arts & reſpectable à la poſtérité.
La balance de ſon commerce eſt à dix- ſept
millions de bénéfice annuel fait ſur l'étranger.
M. le Clerc prétend prouver par les rapports
entre les productions du ſol , des ininéraux
, des foſſiles , que l'Amérique étoit
jointe autrefois avec l'Afie Septentrionale ,
& que celle- ci a conféquemment peuplé
l'autre. La côte de l'Afie Septentrionale n'eſt
éloignée au plus que de ſept lienes de celle
du Nord - Ouest de l'Amérique. Dans les
temps anciens , la Ruffie & la Pologne for
62 MERCURE
moient enſemble la Scythie. Rouvik eſt le
premier Roi que l'Empire ait connu , & c'eſt
Jui qui forgea le premier anneau de la fervitude.
Les premières Loix datent de l'an
1016. L'invation des Mogols , que nous n'avons
point trouvée aſſez développée , eut
lieu en 1237. Le feu Grégeois , employé par
les Grecs ,'ayoit été lancé en 915 contre la
flotte d'igor. Les Ruffes ont toujours été
enclins à une parfaite ſoumiſſion. On ne
voit point que la Religion ait enfanté le fanatifme;
il eſt vrai qu'on ne voit point
qu'ils tînſſent beaucoup à leur Religion. Vo
lodimir ſe fait Chretien, les Ruſſes reçoivent
avec empreſſfoment le baptême, & diſent: fi
cela n'étoit pas bien, le Prince& les Boyards
ne l'auroient pas fait. Ils ſe bornoient à en--
tendre la Meſſe les Dimanches & les Fêtes ;
& après avoir rempli ce devoir, ils ouvroient
leurs boutiques & travailloient. Ce n'eſt
que depuis le Patriarche Nilion que les
Ruſſes célèbrent en plein les Dimanches &
les Fêtes. Volodimir avoit en cinq épouſes
& trois cent concubines. Il fut en Ruffie ce
que Clovis avoit été en France. Il étendit le
pouvoir du Clergé , créa les dixmes , & affermit
l'autorité ſpirituelle. " Lorſque les
ود Princes Ruffes vouloient ſe marier , ils
>> faifoient publier un Oukaz , par lequel il
» étoit ordonné à tous les pères de famille
>> de conduire à la Cour leurs filles nubiles ,
-> en cas qu'elles fuffent affez belles pour
>> prétendre au choix du Souverain. ArriDE
FRANCE. 63
30
ود
ود
vées dans la Capitale , la grande Maîtreffe
de la Cour les recevoit chez elle , les lo-
>> geoit ſeparément, & les farfoit manger
toutes enſemble. Le Prince les voyoit , ou
fous un norn emprunté , ou ſous un déguifement.
Pendant la nuit on les examinoit
attentivement. Celles qui avoient le ſommeil
inquiet , des rêves turbulens , étoient
exclues du choix. Le jour du mariage
ود
وو
ود
" étoit fixé ſans que le choix du Prince fût
> connu. On préſentoit un habit de noce à
>> celle qui étoit choifie. » Cette coutume
ramenoit du moins un peu cette égalité primitive
, qui paroît aux Souverains une fable
populaire. Les Rules ſe marioient comme
leur noi , fins connoître leurs épouſes ,
même de figure. Les filles & les femmes vivoient
à la mode Atiatique , enfermées &
voilées. Pierre le-Grand voulut qu'on ſe
connût au moins fix ſemaines avant le mariage.
Les jeunes mariées déchauffoient leurs
époux le premier jour de leurs noces. Les
pères & les mères ont fur leurs enfans la
même autorité que les Loix Romaines ac
cordoient aux chefs de familles.
Le nulle a payé , comme les autres peuples
, un tribut à la ſuperftition & aux fables.
Quand le tonnerre ſe faifoit entendre ,
il croyoit que le Prophète Élie rouloit carroffe.
Il étoit Chrétien comme les Saxons
l'éroient fous Charlemagne. Quand je trouve
ſous ma main quelque choſe qui me convient
, difoit un Ruffe ,pourquoi ne le pren
64 MERCURE
drois-je pas ? Il faut pécher ſi l'on veut que
Dieu pardonne. Me prenez vous pour un
chien on pour un payen , diſoit un Voleur à
ſes Juges , j'ai maſſacré beaucoup d'hommes ,
pris tout ce que j'ai pu prendre ; mais Dieu
fait que je n'ai jamais mange de viande les
jours maigres. " Les Ruſſes , à la mort , dif-
>> tribuent du thé, du vin, du cafe, de l'eau de-
> vie, du punch à tous les aliſtans du convoi
> funéraire; on boit autour du mort , qui
30 eft rafé , friſé; le cercueil eſt ordinairement
» peint , & quelquefois doré on argenté ,
» &doublé de fatin ou d'autres étoffes de
ود
"
وہ
ſoie , ſelon le rang , la dignité , la fortune
>> du mort , qui eſt revêru de ſes plus riches
habits ; on lui met aux mains des gants
blancs , & il tient une croix , un paffe-
>> port, & unbouquet.Cepaſſeporteſtadreſſé
directement à S. Nicolas , qui doit recevoir
l'âme du mort , & l'introduire en
Paradis. Des pleureuſes ſuivent le convoi ,
» & vendent leurs larmes.» Les Ruffes , defcendus
originairement des Slaves , avoient
eu une Mythologie calquée ſur celle des
Grecs. Ils reconnoiſſoient le feu facré , ils
avoient le Dieu des eaux , le Dieu protecteur
des troupeaux , des eſprits domeftiques , la
Déeffede la chaffe , le Zéphyr , le Dieu des
productions de la terre , une Vénus , dont
les remples étoient riches. Ils avoient des
Magiciens , & croyoient à la divination ; ils
reconnoiffcient un Dieu blanc & un Dieu
noir , un Dieu fuprême , un Plutus , un Dieu
DE FRANCE. 65
fort , un Dieu des bois & des ſonges, des
Divimtes inférieures des eaux & des bois :
Bellone étoit leur Divinité infernale , la
femme d'or ou la mère des Dieux. Leurs facrifices
étoient courts.
Ufcbold eft le premier Prince Ruſſe qui
ait ajoute le nom de fon père au fien , &
cet uſage , né en 1078 , s'eſt perpétué. Le
nom propre du fils , terminé par celui du
père , y est regardé comme une marque de
diftinction particulière aux Nobles , aux
Grands , aux Princes & aux Princeſſes du
Sang Impérial. Le reproche de lâcheté étoit
le plus ſenſible de tous les affronts, Boleflas ,
vaincu par la defertion du Vaivode Ufebold
qui l'avoit abandonne lâchement , ne ſe vengea
de cette perfidie qu'en lui envoyant une
peau de lièvre , une quenouille & un fufeau.
Le Vaivode , outré de ce reproche , ſe donna
la mort , pour ne pas ſurvivre à ſa honte.
La Littérature Ruſſe tient une place conſidérable
dans le premier Volume de l'Hiftoire
Moderne. La langue Ruffe , dit M. le
Clerc , fille de la langue Slave , belie , riche ,
renferme un grand nombre de ces mots imitatifs
qui peignent les choſes par le fon.
Elle a les augmentatifs & les diminutifs du
Latin & de l'Italien. La prononciation eft
douce. Le commerce a étendu la ſphère des
idées du peuple; ſon langage eſt animé , &
toujours ſuivi du geſte. L'etonnement &
l'admiration dont ſon ignorance le rend fufceptible
, l'entraînent violemment à l'exagé
66 MERCURE
ration. La langue des Livres diffère beaucoup
du langage. Elle a confervé l'ancienne
majeſté des langues mères. Les Ruffes tu-
-toyent leur Prince , les Saints & leur Dieu.
Ils ont adopré le plus grand nombre des caractères
Grecs .
Leurs faftes littéraires remontent vers la
fin du dixième ſiècle. Alors ils avoient des
chanſons. Dès le onzième ſiècle ils traduifirent
la Bible , & furent le premier peuple
*moderne qui osât prier Dieu dans ſa langue
maternelle. Leur premier Historien naquit
en 1056 ; & un demi fiècle auparavant i's
avoient eu quelque connoiffance de la fonte
des métaux & de la ſculpture en bois. Trois
fiècles s'ecoulèrent avant qu'elle eût fait un
pas de plus ; & il paroît que juſqu'en 1700
il eft inutile de chercher des Littérateurs
dans la Ruffie ; elle eſt cependant , dit M. le
Clerc , par fa poſition & par fon étendue ,
à portée d'entretenir un commerce réglé avec
preſque toute l'Afie , & de faire paſſer en
Europe les richeſſes Littéraires d'une multitude
de peuples , dont à peine nous ſavons
les noms. Le ſtyle oriental ſe retrouve dans
la plupart des poéfies Ruſſes modernes. Le
premier Profeffeur d'Éloquence , qui luimême
donna le premier des règles fur la
poefie Ruſſe, n'a été établi qu'en 1745. Le
renouvellement des Lettres en Ruſſie eſt dû
au Prince Kantemir , qui cultiva les Muſes ,
& enrichit ſa Littérature par des Traductions
des meilleures Auteurs François.
DE FRANCE. 67
Nous defirons que M. le Clerc s'occupe
davantage de la politique des Ruffes ; nous
eſpérons qu'il deſſinera à grands traits les
têres du Czar Pierre & celle de Catherine.
Il peut animer ſes narrations , & abréger ſes
réflexions , dont il eſt un peu trop prodigue.
Son Ouvrage eſt de nature à orner les bibliothèques
ou comme des Mémoires ou
comme une Hiſtoire. Un Hiſtorien qui a vû
& a vécu long-temps dans le pays dont il
rédige les faftes , a bien des avantages ; M.
le Clerc eſt plus capable qu'un autre de
mettre en oeuvre ſes connoiffances locales.
On voit d'ailleurs que c'eſt un homme trèsinſtruit
, & dans plus d'un genre .
د
Le prix de la Souſcription eſt de 120 liv.
& celui de l'Ouvrage de 160 liv. pour ceux
qui n'auront pas foufcrit.
7
Les Souſcriptions ſe payeront d'avance ,
ou en quatre termes ; ſavoir : 30 liv . en
fouſcrivant ,,oliv. en retirant les deux premiers
volumes , 30 liv. en recevant le troifième
, & 30 liv. en retirant les deux derniers.
On ſouſcrit à Verſailles , chez Blaizot ,
Libraire du Roi & de la Famille Royale ; à
Paris , chez Froullé , Libraire , Pont Notre-
Dame , vis- à- vis le Quai de Gêvies.
*
68 MERCURE
ESSAI fur l'Histoire de la Société Civile ,
par M. Adam Ferguson , Profeſſeur de
Philofophie Morale à l'Univerſité d'Edimbourg
; Ouvrage traduit de l'Anglois par
M. Bergier. 2 vol. in 12. A Paris , chez
la Veuve Deſaint , Libraire , rue du Foin
S. Jacques.
Les différens ſyſtêmes ſur la nature de
l'homme , ſur l'origine des Sociétés , fur les
progrès de la civiliſation , ne nous ont rien
appris ſur l'état réelde l'homme dans les pre-
-miers temps de ſon existence. Les uns l'ont
dégradé juſqu'à le borner à une ſenſibilité
purement animale , & l'ont privé d'idees , de
ſentimens & de patlions ; les autres l'ont
placé dans un état de guerre continuelle, entretenu
par l'intérêt & l'ambition du pouvoir.
Les Poëtes ont imaginé l'âge d'or , dans
lequel il n'avoit que des plaiſirs , & ne trouvoit
aucun obitacle à ſon bonheur. Toutes
ces hypothèſes font autant de Romans qui
ne nous préfentent l'homme que comme
leurs Auteurs l'ont voulu faire pour l'ajuſter
à leurs opinions. Les archives de l'hiſtoire ,
les obſervations des Philoſophes , les relations
, tant anciennes que modernes , de
toutes les parties du monde , nous montrent
l'eſpèce humaine raſſemblée dans tous les
temps par troupe , & l'individu lié d'affection
à une Société. C'eſt ſur cette afſociation
immémoriale que M. Ferguson établit toute
DE FRANCE. 69
ſon Hiſtoire ; c'eſt d'après les hommes en
maffe , & non d'après l'être iſolé , qu'on
peut appercevoir les progrès de la civilifation
: il eſt facile alors de ſuivre le chemin
qu'elle a fait , & de remonter juſqu'à ces
temps inconnus où les monumens & la tradition
nous abandonnent , & où les commencemens
de cette ſcène , pleine de merveilles
, font effacés. " En étudiant l'homme
ود
2
dans ſa vie & dans ſes penchans , on trouve
la ſociété auſſi ancienne que lui- même ,
>> l'uſage de la parole auſſi univerſel que
celui des mains & des pieds. S'il fut un
>> temps où il dût ſe lier avec ſon eſpèce , où
د
" il eut des facultés à acquérir , il ne reſte
>> aucun veſtige de ce temps , & nos opinions
à cet égard ne peuvent aboutir à
>> rien , étant deſtituées de toute certitude. »
L'homme est né en Société, dit Montefquieu
, & il y refte. Que de motifs d'intérêt
l'y attachent ! que d'attraits puiſſans l'y retiennent
! Le commerce de ſes ſemblables.
eſt un beſoin qui naît avec lui ; que ſa foible
ſſe , ſes rapports, ſes liens, le ſouvenir
de ce qu'il en a reçu , de ce qu'il en eſpère ,
entretiennent. Pour prouver que les hom
mes ne tiennent pas à la Société , ſeulement
par les avantages qu'ils y trouvent , M. Fergufon
montre que certe affection n'a jamais
plus d'activité que lorſqu'elle rencontre les
plus grands obſtacles. Il cite celle d'un père
lorſqu'il voit ſon enfant dans le danger ,
celle d'un homme affecté des malheurs de
•
70
MERCURE
ſon ami , ou des déſaſtres de ſon pays, l'attachement
du Sauvage pour ſa Tribu , l'amour
excluſif des Grecs , & le patriotiſme
exalté des anciens Romains. Il compare ces
exemples à l'effet que produit l'eſprit qui
règne dans un Érat commerçant , où l'intérêt
relâche fans ceffe les liens de la Société.
L'Auteur Anglois adopte les qualités caractériſtiques
que Montesquieu a données
aux différens Gouvernemens établis parmi
nous , & il rend hommage aux grandes
vûes & anx profondes méditations de ce
génie légiflateur ; il recherche les cauſes qui
affoibliffent , modifient , rapprochent ou décompoſent
, par des gradations ſouvent imperceptibles
, les formes de ces Gouvernemens.
Ces changemens , quels qu'ils foient ,
ſe trouvent plus ou moins compr s ſous les
Chefs de République , de Monarchie , de
Deſpotiſme , ſuivant les divers degrés d'influence
qu'ils donnent à la vertu , à l'honneur
, à la crainte ſur les actions des hommes
, & la théorie générale eſt plus ou moins
applicable aux circonſtances particulières
qu'ils offrent. Par exemple : " Le Defpotif-
>> me & la Démocratie parfaite ſemblent
être les extrêmes oppoſés auxquels les
>> Conftitutions aboutillent quelquefois.
ود L'une exige une vertu parfaite , l'autre
> ſuppoſe une corruption totale. Cepen-
- dant , à l'égard de la forme ſeulement,
>> comme il n'y a bi dans l'un ni dans l'au-
- tre rien de fixe par rapport aux rangs , &
DE FRANCE.
71
"
"
2.
» qu'on n'y connoît de distinctions que celle
que donne la poſſeſſion accidentelle &
momentanée du pouvoir , les Sociétés paffent
aiſement d'une ſituation où tous les
individus ont un égaldroit de cominander,
à une ſituation où tous ſont également
deftinés à ſervir. Dans l'une & dans l'au-
>> tre , les mêmes qualités , le courage , l'ef-
>> prit populaire , l'affabilité , l'adreſſe , les
ود
ود
وہ
دو
ود
ود
ود
talens militaires élèvent l'ambitieux à la
» prééminence. Avec ces qualités , ſouvent
le Citoyen ou l'Eſclave fort des rangs
pour prendre le commandement d'une
armée , & paffe fubitement d'un pofte
obfcur farun théâtre brillant. Dans l'une
& dans l'autre , une ſeule perſonne peut
>> gouverner avec une autorité ſans bornes ,
& la populace peut également renverſer
les barrières de l'ordre , & rompre le frein
>> des loix. »
ود
"
وو
"
Après avoir établi les principes généraux
qui ont donné la première forme à la Société,
M. Ferguson s'occupe dans la ſeconde
Partie de l'Hiſtoire des Nations Sauvages.
L'origine des peuples a été la même ; on voit
aiſement la marche lente & graduelle de
leur civiliſation. Les Grecs , ſi célèbres par
leurs Arts &par leur politeffe; les Romains,
fi puiffans par leurs conquêtes ; les Gaulois ,
les Germains , les habitans de la Grande-
Bretagne, n'étoient , à bien des égards, que ce
que font aujourd'hui les naturels de l'Amérique-
Septentrionale : comme eux , ils igno-
1.
72 MERCURE
roient l'Agriculture, ſe peignoient le corps ,
& ne connoiffoient d'autres vêtemens que
les peaux de bêtes. L'amour de la patrie ,
l'intrépidité dans les dangers , le mépris des
richeſſes , la conſtance à fupporter les fatigues
& les calamites , ont été l'apanage des .
Nations ſimples ; & c'eſt delà que nous de
vons commencer nos recherches ſur le caractère
original de l'eſpèce humaine. Les
antiquités domeſtiques & les traditions populaires
peuvent nous guider ; mais ce ne
doit être qu'avec une extrême circonfpection
: elles ne ſont ſouvent que des fictions
des âges poſtérieurs ; elles préſentent l'empreinte
, non des temps qu'elles décrivent ,
mais de ceux par leſquels la tradition les a
fait circuler. Les légendes d'Hercule , d'Edipe
, de Théſée , l'Illiade , l'Odyffée ne ſauroient
ſervir d'autorité en matière de faits ,
mais on peut les citer pour faire connoître
la manière de penſer & de fentir des ſiècles
d'où nous viennent ces productions, & pour
caractériſer le génie du peuple au goût duquel
elles furent aſſorties ; c'eſt ainſi que les
Fables des Grecs répandent de la clarté ſur
un période de temps dont ilne refte aucune
autre tradition. Les Romains qui nous ent
laiflé les ſeules notions hiſtoriques que nous
ayons , ſe ſont occupés àdéprimer nos ancêtres
, à qui ils n'avoient à reprocher que
de reſſembler aux leurs ; ils nous ont donné
cependant les ſeules connoiſſances authentiques
que nous ayons des Tribus dont nous
deſcendons ;
DE FRANCE. 73
deſcendons ; & c'eſt ainſi que les premières
Nations civiliſées ont laiſſe aux peuples , qui
ne font parvenus que très tard à l'etas de
civiliſation , les traits de leur exiftence primitive.
Si jamais une Horde Arabe , ou un
peuple Américain parvenoit à ſe civiliſer ,
ce ſeroit dans les relations de nos Voyageurs ,
qu'après pluſieurs ſiècles ces peuples feroient
obligés de chercher les matériaux de leur
Hiſtoire. Il eſt difficile de diftinguer un
Germain , un Breton , d'un Américain , dans
les manières , dans les idées , dans l'extérieur
même. Tacite & Charlevoix , nous
peignent les mêmes hommes. L'Auteur
Anglois traite , dans les deux Chapitres qui
terminent ce Livre , des Nations groffières
avant&après l'établiſſement de la propriété;
il diftingue l'état Sauvage , où l'idée de propriété
eſt encore inconnue , & l'etat de Barbarie,
où la propriété , quoiqu'elle ne ſoit
pas garantie par des Loix , eſt un objet capital
de defir & de ſoins. Il obſerve la marche
lente & pénible de la civiliſation , depuis
l'homme qui ne ſubſiſte que de la pêche , de
la chaffe , & des productions naturelles du
fol , juſqu'aux peuples qui , raffemblés en
Horde guerrière , & obéiffant à un Chef,
furent fubjugés par la police & la difcipline
des Romains. Il trouve dans les moeurs de
ces peuples , dans l'influence du climat , dans
la liberté des paffions , les caufes des différens
établiſſemens que les beſoins , la force
& l'industrie formerent ſucceſſivement , &
Nº. 44 , 11 Octobre 1783 .
D
74 MERCURE
les gradations par leſquelles les aſſociations
humaines paſsèrent pour parvenir à la formation
de tel ou tel Gouvernement.
Ayant enfin trouvé un point fixe pour
pouvoir avancer avec clarté dans l'Histoire
de l'eſpèce humaine , M. Ferguſon ſe ſert
avec avantage des matériaux abondans que
lui préſentent la population , la richeſſe , la
force , la liberré , le commerce , les Arts ,
&c. Le troiſième Livre de ſon Ouvrage eft
curieux par les développemens & les moyens
de ſociabilité qu'il préſente. Il eſt perfuade
que ces inoyens ſont plus particuliers à certaines
contrées & à certaines races d'hommes.
Il eſt conſtant , dit il , que c'eſt ſous
» la Zône tempérée que l'homme a toujours
» atteint le plus haut degré de perfection
ود
ود
dont il foit capable : les Arts qu'il a inventés
à pluſieurs repriſes , l'étendue de ſa
>> raiſon , la fécondité de ſon imagination ,
>> la force de ſon génie pour les Lettres , la
>> police & la guerre , prouvent affez ou un
>> avantage conſidérable du côté de la ſitua-
» tion , ou une ſupériorité naturelle dans les
» eſprits. » Ici M Ferguson met en parallèle
la marche de l'eſpèce humaine & celle
de l'individu dans les différens climats qu'il
habite ; & c'eſt à cet agent naturel qu'il attribue
les variétés de caractères , de goûrs , de -
talens qui ont toujours mis tant de diffé
rence entre l'Arabe & le Lapon , entre le
cheval & la renne. C'eſt chez les peuples
méridionaux qu'on trouve cette mythologie
DEFRANCE.
75
ingénieuſe , ces traditions embellies , cet efprit
chevalereſque , produit d'une imagination
brillante. Dans le Nord , l'induſtrie &
les fciences ont fait les plus rapides progrès
, &les bords de la Baltique ſe font il-
Juftrés par les Copernic , les Tycobrahé , les
Képler , tandis que ceux de la Méditerranée
abondoient en Poëtes , en Hiſtoriens , en
Orateurs. Les paßious ont lamême progreffion
: à la Louiſiane , les femmes règnent
par le double aſcendant de la ſfuperftition &
de la paffion ; en Canada , elles font eſclaves;
on ne les confidère que par leurs travaux
& par le ſervice domeſtique. En parcourant
l'équateur , on voit toutes les variations
du tempérament & du caractere ; les
fureurs de l'amour & les tourmens de la
jalouſie règnent dans les férails de l'Afie &
de l'Afrique ; lorſque la chaleur diminue ,
ces paffions ſe changent en un fentiment
momentané qui s'empare de l'âme ſans l'af
foiblir , & qui la porte à des faits romaneſques
. Plus avant dans le Nord , c'eſt une
galanterie de moeurs qui occupe plus l'imagination
que le coeur ; en s'éloignant du ſoleil
, cette paffion n'en eſt plus une , c'eſt une
habitude à peine ſuffiſante pour foriner les
liens de la Société. La terre préſente à notre
Obſervateur Philoſophe les différences qu'il
y a entre les peuples qui habitent les mêmes
parallèles,& que produiſent la nature du ſol,
la poſition des lieux , l'éloignement ou le
voiſinage de la mer , les grandes maffesd'eau,
Dij
76 MERCURE
les vaſtes forêts qui , en affectant l'atmofphère
, doivent avoir des effets marqués ſur
l'économie animale. Il ne veut pas expliquer
par là comment le climat peut influer fur
le tempérament & former le génie des peuples.
Il faudroir , pour réſoudre ce problême,
pouvoir connoître la ſtructure de ces organes
fi deliés dont dépendent les opérations
de l'âme. On peut ſeulement indiquer les
particularités qui , dans la poſition d'un
peuple , le conduiſent aux objets de ſon attention
& de ſes pourſuites , décident ſes
habitudes & fon genre de vie, lui donnent
un plan reflechi d'actions & d'effets , dont
la liaiſon eſt plus familière & plus connue.
C'eſt ainſi qu'on peut expliquer comment
le Hollandois , qui eſt ſi actif & fi induftrieux
en Europe , devient nonchalant &
pareffeux dans l'Inde .
M. Ferguson reprend l'Hiſtoire de la Civiliſation
, & il prouve que c'eſt le haſard ,
ou, ſi l'on veut , une ſuite de circonſtances
momentanées & de fituations qui a formé
les Gouvernemens qu'on admire ; il ôte à
Lycurgue , à Romulus ,& aux autres Légiflateurs,
tout leur mérite conſacré par les ſiècles.
* On joint perpétuellement l'auteur à l'ou-
>> vrage , comme onjoint l'effet à la cauſe ,
» & l'on regarde comme les fruits de la fa-
>> geffe ce qui ne fut probablement que les
> conféquences de la ſituation antérieure ,
& d'une longue ſuite d'evenemens. Dans
les afſociations naiſſantes , il cherche les
DE FRANCE.
77
cauſes qui firent adopter la Démocratie aux
unes , le Monarchisme aux autres ; qui , dans
des âges poftérieurs & des poſitions différentes
, conduiſirent les hommes à former
de ces conſtitutions ſimples , ce mélange de
tous les pouvoirs qui a donné naiſſance à
cette variété de formes politiques qu'on voit
répandues ſur le globe , & il parvient à nous
montrer comment les Nations de l'Europe
font arrivées à l'état de ftabilité où nous les
voyons. La défenſe nationale, l'adminiſtration
de la juſtice , la conſervation & la profpérité
intérieure, une fois établies ſur une baſe
folide, les Nations adoptèrent quelques points
de vûe favoris, certains objets de prédilection
qui les diftingua & qui produiſit des différences
dans leurs moeurs comme dans leurs
inſtitutions. Les Romains durent leur puiffance
à leur force militaire , & leurs richefſes
à leurs conquêtes; les peuples modernes
ne ſe ſont agrandis , & n'ont acquis un pouvoir
prépondérant que par le commerce :
delà leur population & leurs richetſes. Il fait
voir le danger qui peut réſulter pour un
corps politique, de la tendance générale des
eſprits vers les ſpéculations d'intérêt ; il parle
enfuite de la défenſe Nationale & de la conquête,
de la liberté civile , de l'histoire des
Arts & de la Littérature. Ce n'eft que lorfque
la Société eſt entièrement formée que
lesArts & les Sciences s'y perfectionnent;
leurs progrès ſont en raiſon de la civiliſation
; mais ils reftent concentrés dans laNa
Diij
78 MERCURE
tion qui en jouit, tant que les peuples voifins
ne font pas arrivés au même degré de
ſociabilité ; on voit qu'ils ne franchirent que
lentement les limites des Colonies Grecques.
Marſeille étoit une école d'inſtruction & de
goût,& les Gaules étoient encore barbares ;
Ies Romains adoptoient les Arts de laGrèce ,
&les Thraces , les Illyriens continuoientà
les regarder d'un oeil indifférent. Les Colonies
Romaines les répandirent , peu à peu
juſqu'à l'extrêmité de l'Empire. Les races
modernes qui s'emparèrent de ces Provinces
cultivées , ne confervèrent que les Arts né
ceſſaires à leur manière de vivre & qu'ils
connoiffoient déjà : ils détruifirent tout le
reſte ; les Générations ſuivantes furent obligées,
de créer de nouveau , & de recourir
aux modèles qui avoient échappé à la barbarie
: on imita , on étudia ces debris . Les
eſſais informes de poéſie des Provençaux &
des Italiens , reſſemblent à ceux des Grecs
&des anciens Romains, " Quelles euffent
>> éré nos productions , à quel degré de
» mérite feroient elles parvenues, fi , def-
>> tituées de modèle , elles ſe fuffent per-
ود fectionnées ſucceſſivement ? Avons nous
>> plus gagné à imiter que nous n'avons
>> perdu à nous éloigner du ſyſtême original
>> de nos idées , de notre tour d'eſprit , de
>> notre goût de fiction ? Ce font là des queftions
qu'il faut abandonner aux conjec-
>>> tures.»
Dans toutes les Nations où les Arts ont
A
DE FRANCE.
79
concouru au perfectionnement de la Société
, la poéſie a toujours fait des progrès
plus rapides que les autres genres de Littérature
, foit parce qu'elle a été cultivée la
première , ſoit qu'elle ait un attrait particulier
pour les imaginations vives , qui font
auſſiles plus propres à perfectionner l'éloquence
de leur langue naturelle. " Sophocle
& Euripide précedèrent les Hiftoriens &
les Moraliftes; Ennius & Mævius , qui
écrivirent en vers l'Histoire de Rome ,
>> Lucilius , Plaute , Térence , furent ante-
>> rieurs à Cicéron , à Sallufte , à Céfar. Le
- Dante & Petrarque failoient les délices
ود
ود
ود
ود de l'Italie avant qu'elle eût un bon Écri-
» vain en profe; Corneille & Racine com-
» mencent le beau ſiècle des compofitions
» en tout genre , & l'Angleterre avoit ſes
» Chaucer , ſes Spencer , fes Shakeſpéar ,
>> ſes Milton , tandis que l'Hiftoire & la
Science étoient encore dans l'enfance. C'eſt
» un fait remarquable , que non ſeulement
» dans les pays où tous les genres de com-
>> poſition font indigènes , mais même à
>> Rome , & dans l'Europe moderne , où ils
> ne ſe font introduits que d'après des mo-
ود
ود dèles étrangers , on trouve dans toutes les
» langues, des Poëtes qu'on lit avec plaiſir ,
» tandis que les Proſateurs contemporains
>> ne méritent aucune attention . L'Auteur
Anglois prouve , par l'exemple de la
Grèce , de Rome , & des peuples modernes ,
que la tranquillité, le loiſir , la retraite ne
ود
DIV
80 MERCURE.
ſont pas l'état le plus favorable à la culture
des talens Littéraires : ce fut au milieu des
troubles de l'Italie qu'elle ſe ranima ; elle
pénétra dans le Nord , & fe répandit avec le
même efprit qui renverſa l'édifice de la police
gothique. " L'expérience prouve affez
» que les faveurs verſées ſur des Sociétés
> ſavantes , & le loiſir dont elles jouiffent,
>> ne ſont pas les moyens les plus sûts pour
> féconder le génie. » Cette opinion de
M. Ferguson , trouvera ſans doute des contradicteurs
; mais elle aura auſſi des partifans.
La Société , parvenue enfin au plus haut
degré de perfectibilité , eſt bien près alors
de ſa dégradation , de ſa décompoſition
même. Dans les deux dernières Parties de
fon Ouvrage , qui traitent du déclin des
Nations , le Profeſſeur d'Édimbourg en
cherche & en affigne les cauſes. Les Empires
d'Afie , Carthage & Rome lui fourniffent
des preuves incontestables du retour
des Puiffances politiques à l'état de foibleſſe,
d'obſcurité , & enfin de deſtruction ; il recherche
en même temps les motifs de cette
inſtabilité , les ſources de cette décadence
intérieure , à laquelle la conſtitution la plus
parfaite eſt alſujétie , le principe de cette
corruption finale qui anéantit les talens &
l'induſtrie , qui ôte au Citoyen l'occaſion
d'agir comme membre du corps politique ,
qui écraſe ſon eſprit , étouffe ſon activité ,
avilit ſes ſentimens , & le rend incapable
DE FRANCE. St
de toute fonction ſociale. Il l'attribue à une
grande étendue de territoire qui diviſe &
affoiblit la vigueur nationale ; à un long état
de paix qui derend les refforts politiques ; à
un goût général pour les Arts de commerce ,
qui ne donne de prix qu'aux richeſſes : toures
ces cauſes iſolent le Citoyen , relâchent les
liens communs de la Société , & produiſent
cet égoïſme qui abſorbe tout ſentiment d'affection
publique , qui répand la corruption
des moeurs dans toutes les conditions , &
multiplie les beſoins impérieux du luxe qui
bouleverſent les fortunes &décompoſent la
Société. Ce relâchement des eſprits , cette
dégradation de l'âme , cette débilité nationale
conduiſent à l'eſclavage politique. Ce réfultat
eſt le dernier objet des réflexions de l'Auteur.
Le ſort des Nations à ce période n'offre
plus rien aux recherches du Moraliſte & de
l'Obfervateur.
Un extrait ne peut faire connoître qu'imparfaitement
un Ouvrage qui contient l'Hiftoire
de l'Homme , depuis le développement
de ſes facultes & de ſes penchans , jufqu'à
ſes premières liaiſons avec ſes ſemblables
, & depuis les premiers progrès de la
Société juſqu'à une entière & parfaite civilifation.
Cette carrière eſt immenfe , & M.
Ferguson l'a parcourue , non en ſe livrant à
des ſyſtemes , mais en s'appuyant ſur des
faits. Cette production peut être regardée
comme un très - beau périſtile placé devant
le vaſte monument que Monteſquieu a élevé
Dv
:
$2 MERCURE
à la gloire de ſa Nation & de l'eſprit humain
. On defiroit depuis longtemps de poffeder
dans notre langue un Effai li bien
conçu . M. Bergier mérite infiniment de nous
l'avoir traduit avec fidélité & avec élégance ;
il n'a point mêlé ſes idées avec celles de fon
original ; il n'a point critiqué certaines opinions
de fon Auteur , qui ont pû lui paroître
où paradoxales ou fingulières. Il s'eſt contenté
de nous faire connoître l'âme , l'eſprit & la
morale douce & bienfaiſante de M. Fergufon
, avec la manière facile , animée &
pleine d'images qu'il a employée lui-même
dans les Chapitres les plus abſtraits de fon
Ouvrage. Il ſe propofe de donner bientôt ,
conjointement avec M. Demeunier , laTraduction
d'une Histoire des progrès & de la
destruction de l'Empire Romain , que l'Au
teur Anglois vient de publier depuis peu.
VARIÉTÉS.
RÉPONSE au premier Extrait des Doutes ,
qui a paru dans le Mercure du Samedi
23 Αοΐε 1783 .
LES ES Critiques de M. de laC..... , fuffent-elles
beaucoup moins meſurées & beaucoup moins honnêtes
, il pourroit encore être sûr que je n'en ſerois
pasbleffée ; & par la juftice que je rends à fes inten-
Nota. Les endroits guillemetés ſont tirés du Livre des
Doutes.
DE FRANCE. 8;
tions droites & obligeantes , & parce que je trouve
très fimple que l'on voie & que l'on penſe différemment
que moi ; c'eſt donc fans aucun ſentiment mé
content ou chagrin , que je vais eſſayer de défendre
la plupart des opinions qu'il attaque.
<< Tout eſt médiocre dans l'homme médiocre , le
>> coeur , l'âme , l'eſprit ; il eſt ſans vertus comme il
* eſt ſans vices; il n'eſt acceſſible ni aux émotions
29 de la joie ni aux angoiſſes de la douleur ; il eſt
>> content ou il eſt mécontent, rien au- delà. On
בכ
ce
peut l'incommoder , mais on ne l'ennuie pas ; on
>> lui convient facilement ; on ne lui plaît jamais ,
>> on ne l'amuſe point, il eſt inamuſable ; il n'eſt
pas trifte , il n'eſt pas gai ; il pleure par politeffe;
>> il rit par complaifance ; il ſourit par maintien ; il
approuve peu , car les beautés ſimples lui paroif-
>> fent communes ; les beautés fortes lui ſemblent
>> exagérées ; il n'entend pas ce qui eſt fin , ne fent
>> point ce qui est délicat , & ne goûte pas ce qui
>> eſt ſpirituel. »
Critique qui en a étéfaite.
Il me femble que la plupart de ces traits ne conviennent
point à l'objet. On peut être médiocre à la
fois dans l'âme & dans l'eſprit ; mais on peut l'être:
aufli dans l'un ſans l'être dans l'autre. Un parfait
honnête homme ſe trouve ſouvent être un génie
borné ; un coeur foible & bas eſt ſouvent joint avec
un eſprit très-vaſte & très -élevé. Pourquoi d'ailleurs
êter à l'homme médiocre des vices & des vertus ( 1 )
tout ce qui eft grand ne lui convient pas ; mais il y
ades vertus faciles ( 2) & des vices bas qui vont à
l'homme médiocre beaucoup mieux qu'à tout autre ..
(1) Notes de l'Auteur. C'eſt par cette raiſon qu'il ne peur
avoir ni vertus ni vices.
(2) Je n'en connois point de cette eſpèce.
D vj
84 MERCURE
Je conçois encore moins pourquoi il n'éprouveroit
ni joie ni douleur , &c. cela convient à l'imbécille ;
mais il y a loin de l'imbécille à l'homme médiocre.
Réponse. Je crois que , généralement parlant , la
médiocrité de l'eſprit entraîne toutes les autres ; mais
lorſque par une exception rare , on rencontre dans
un homme d'un médiocre eſprit , ſoit un coeur noble,
ſoit une âme généreuſe , cet homme afſurément
eſt à une haute distance de la médiocrité. Je
n'entends done par homme médiocre , que l'homme
dont la médiocrité eſt completre , l'homme ſans
vûes , ſans énergie, ſans refforts , dont l'existence ,
entièrement pallive, le rend incapable , & des efforts
que coûte la vertu , & de l'activité que demande le
vice. Untel homme ne peut donc avoir que des qualités
& des défauts auſſi peu prononcés que ſon caractère
, & qui ne peuvent prendre le titre important
de vice ou de vertu. Son âme sèche ne peut
recevoir ni les émotions vives ni les impreſſions violentes.
Son eſprit froid ne ſait ni goûter la joie , ni
approfondir le malheur; les ſaillies de la gaîté lui
font étrangères ; il n'en peut ſentir ni l'agrément ni
la fineſſe. On l'avertit lorſqu'il faut pleurer ou lorfqu'il
faut rire ; il fait ce que font les autres ; va ,
comme dit Sénèque , non où il faut aller , mais où
l'on va.
Tout ceci n'aſſimile point l'homme médiocre à
l'imbécille ; il y aura toujours entre-eux une diſtance
réelle : celle de peu à rien.
CC Apartir d'après les ſots jugemens de la Société,
» bon & bête ſemblent être fynonymes ; on diroit
> que la bêtiſe eſt un brevet de bonté.
Critique. Il en a peut-être été ainſi autrefois ; if
me ſemble que cela eſt changé ; & il faut faire juftice
à ſon ſiècle en bien comme en mal. On commence
àſentir ce qu'il y a de touchant , & même
d'honorable dans la bonté , &c. &c. &c.
DE FRANCE. 85
Réponse. J'aurois dû écrire béte & bon ſemblent
ſynonymes , & M. de la C. .... n'en auroit pas conclu
que j'accuſois la Société de faire peu de cas de
la bonté ; elle la doit priſer depuis l'inſtant où elle
a cu beſoin d'elle , & cette époque doit être reculée.
Je ne reproche ici à la Société que de profaner le
titre de bon en l'accordant à toutes les pécores .
<En ne diſant du mal que des gens de mérite ,
>> on ne paſſe guère pour être méchant , & je le
>> conçois , c'eſt ne dire du mal que de ført peu de
>> monde; & d'ailleurs la critique du mérite trouve.
>> beaucoup d'approbateurs . >>
Critique. L'Auteur ne s'eſt-il pas laiſſé prendre
ici à l'éclat d'un ſophifme ? Cherchons toujours la
vérité de ces choſes-ci dans l'expérience du monde ,
&c. &c. &c.
Réponse. Ici l'expérience de M. de la C..... ſe
trouve en contradiction avec la mienne ; il n'y a
point à diſputer là- deſſus.
ככ
« Beaucoup de gens s'excuſent du mauvais choix
>> de leur Société ſur la néceffité de recevoir habi-
>> tuellement chez eux des parens fort mauffades.
>> J'avoue que, pèèrree & mère exceptés,je ne ſens pas
l'obligation de ſacrifier ſon goût & de livrer fon
bon ſens à la bêtiſe de ſa famille. Une femme
* diſoit à une de ſes amies qui avoit perpétuelle-
>> ment chez elle une troupe de cousins fort fots &
>> fort gauches: Si j'avois même des frères & des
foeurs de cette eſpèce , tout ce que je pourrois en
faveur du ſang , ſeroit de leur donner à dîner le
> jour des Rois. »
১১
ככ
Critique, On ſent à quoi il faut réduire cette plaifanterie
, dont l'exagération fait le ſel; mais plaifanterie
à part , l'Auteur avouera fans doute qu'il
faut mettre des bornes à tout , même à la haine des
fots. Il est bon de ſavoir quelquefois ſecouer lejoug
importun des coufins & des coufines ; mais il ſeroit
86 MERCURE
odieux ( 1 ) de les exclure de ſa maiſon. Celui qui les
éloigne , prouve un goût difficile ; celui qui les ſupporte
, prouve de l'indulgence & de la vertu , &c.
&c. &c . Pour moi , j'avoue que j'aime à voir un
homme d'eſprit defcendre de fa hauteur , & fe faire
petit avec les petits ; (2) & c'eſt d'ailleurs te meilleur
parti qu'il ait à prendre .
« L'eſprit naturei eſt l'eſprit le plus aimable ; l'ef-
>> prit facile eſt l'eſprit le plus rare. >>
Critique. Je dirois : l'eſprit facile eſt l'eſprit le
moins rare ; & il me ſemble que cela ſe prouveroit
aiſément. J'entends par la facilité , une manière de
penſer , d'écrire & de parler qui ſatisfaffe l'attention
fans beaucoup l'exercer ; c'eſt-là certainement une
qualité très-heureuſe ; & celui qui en manqueroit
totalement , manqueroit de quelque choſe d'eſſen--
tiel. Tout ce qui eſt pénible ne peut être entièrement.
beau , parce que ce qui eſt doux & agréable fait
partie du beau ; mais il eſt queſtion ici de perſonnes
chez qui la facilité eſt la qualité dominante ; &
parmi les hommes d'eſprit & de talens , ce ſont
ceux qui me paroiſſent les moins rares. A quoi tient
cette facilité ? A une conception très-vive , à une
comparaiſon rapide des objets ou des idées , à une
mémoire sûre & féconde ; or , il eſt naturel que ces
qualités , d'ailleurs fi heureuſes , excluent un peu la
forte méditation & le profond enthouſiafine d'où
naiffent les grandes idées & les grands ſentimens .
(1 ) Odieux ! c'eſt ſans doute rigoureux que M. de la
C..... a voulu dire.
(2) Se raperiffer , à la bonne heure ; mais ſe fottifier
pour ſes couſins , quel dévouement à ſa famille! L'indulgence&
la fenfibilité de M. de la C...... l'abuſent ; &je
Paſſure qu'il feroit moins touché qu'il ne penſe du ſpectacle
que lui donneroit un homme d'efprit, qui , defcendant
de ſa hauteur, ſe feroit for avec les fois, ces lots
fuffent ils même ſes oncles.
DE FRANCE. 87
}
Auſſi , quoique la facilité ſe ſoit ſouvent alliée à
Poriginalité , jamais elle ne fut le premier caractère
du génie. La Fontaine plaît par elle; c'eſt par d'autres
qualités qu'il eſt ſi délicieux & fi admirable.
Lorſque Voltaire eft fi grand dans ſes belles Tragédies
, il eſt encore plus paffionné que facile. La
facilité d'ailleurs appartient bien plus au ſentiment
qu'à la penſée. Les ſentimens entrent dans l'âme
bien plus aifément que les idées dans l'eſprit. Aufli
le grand moyen ,pour les penſeurs originaux , d'obtenir
le charmede la facilité, c'eſt de réveiller beaucoup
de ſentimens dans l'expoſition de leurs idées , &c.
Lorſque Montesquieu a combiné pluſieurs idées qu'il
veut renfermer dans une ſeule phrase , il ne cherche
pas un tour aifé , les expreſſions qui s'appellent &
s'uniffent le plus naturellement ; une perſée fi pleine
ne peut s'imprimer dans le langage fans de puiffans
efforts ; il faut qu'elle ſubjugue les mots avant de les
adopter; qu'elle les plie ſous cette analogie hardie
qui la compoſe elle même ; qu'elle les arme de force
& de précifion , & qu'elle forte plus mette & plus
vivante de cet accord forcé des ſignes qui la reproduiſent.
Il vous montre tout ſon travail, mais vous
l'admirez ; il vous paye de la peine par une plus
grande fatisfaction de lui & de vous-même. Il en
eſt ainſi des eſprits légers & aimables dans la Société
, ils en font l'agrément le plus continuel ; mais
les âmes fortes & les eſprits énergiques y font bien
une autre impreffion lorſqu'ils ſe réveillent & s'animent.
De tout cela je crois pouvoir conclure qu'à
aucun égard, les eſprits faciles ne ſont ni les premiers
ni les plus rares .
Réponſe. Il paroît que M. de la C..... confond
la facilité de l'eſprit avec la légèreté de l'eſprit
mais quelqu'aralogie qu'ayent ces deux qualités ,
elles font néanmoins très-diftinctes ; & fi ſouvent
elles ſe réuniffent , qüelquefois anti elles ſe ſéparent
88 MERCURE
La légèreté ne ſuppoſe qu'une facilité fort Hmitée.
Tout ce qui eſt agrément , répartie vive, plaifanterie
fine , raillerie piquante , flatterie délicate , eft
ledomaine le plus étendu qu'on puiffe lui accorder.
Celui de la facilité , infiniment plus riche , ne ſe
borne qu'où le poſſible s'arrête ; car au moral comme
au phyſique , c'eſt de la force que provient la facilité.
Je conviens que tous les eſprits faciles ne font
pas toujours , à beaucoup près , uſage de toutes leurs
forces ; que le plus ſouvent ils ſont préſomptueux &
pareſſeux; que trop preffés de jouir ou de paroître ,
ils abandonnent à des eſprits moins heureux , mais
plus laborieux , la gloire d'aller , non auffi loin qu'ils
pouvoient aller , mais plus loin qu'ils ne vont ; &
Racine eſt peut-être le ſeul génie ſupérieurement facile
, qui , ne ſe fiant pas trop à ſa facilité , ſemble
avoir été preſque auſſi loin que ſes forces.
د
M. de la C..... ne penſe pas que la facilité fût
l'avantage dominant de l'eſprit de Racine ; & il
fonde ſon opinion ſur ce que Racine employoit un
temps conſidérable à la compoſition de ſes Ouvrages.
Mais a t'on l'exemple qu'une Tragédie ( de toutes
les productions du talent, la plus haute , la plus difficile
) a- t'on , dis-je , l'exemple qu'une Tragédie
auffi parfaite que celle d'Athalie d'Iphigénie
même de Britannicus , ait été faite dans un temps
plus court ? D'ailleurs , ſi la promptitude eſt un des
avantages de la facilité , elle n'en eſt pas le premier.
Étre ouvert àtoutes les Sciences , propre à tous les
genres , acceffible à tous les tons , ſenſible à tous les
goûts , flexible à toutes les formes , diſpoſer , ſinon
également , du moins habituellement de ſes ralens &
de ſon eſprit , travailler avec le moins d'effort penſer
avec le moins de fatigue , méditer avec le moins
de contrainte , trouver avec le plus de bonheur ;
voilà quels font les prodigieux avantages de l'éminente
facilité. Je perfiſte donc à croire que l'eſprit
DE FRANCE. 89
facile eſt l'eſprit le plus précieux & le plus rare.
M. de la C..... finit ce premier extrait par des
réflexions ſur le goût , le talent & l'eſprit , faites
pour être lûes , goûtées , applaudies par les perſonnes
les plus difficiles.
Il faut , dit enfin M. de la C..... , que
l'Aureur ſe ſoit fait d'une belle converſation , un
modèle idéal , pour trouver qu'elle appelle tous les
genres d'eſprit , & qu'elle ne peut appartenir qu'au
talent le plus rare , &c. &c . &c.
C'eſt parce que j'ai quelquefois joui de toutes
les délices d'une converſation excellente & fublime
; c'eſt parce que j'ai joui quelquefois encore
detous les charmes d'une converſation agréable &
légère ; enfin c'eſt auſſi parce que j'ai quelquefois
joui de ces converſations animées & piquantes , dont
l'enjouement & la vivacité conduiſent à ces débauches
d'eſprit & d'imagination fi plaiſantes & fi
gaies; que je tiens une bonne conversation , pour
le plus utile , le plus féduisant & le plus entraînant
de tous les plaiſirs. C'eſt de même parce que dans
le cours d'une vie déjà longue , la converſation m'a
fi peu ſouvent offert ces différens attraits , que je
regarde le talent de la converſation comme un des
plus rares. Eh ! comment M. de la C..... le peut- il
eſtimer fi commun , lorſque , de ſon aveu , le plus
grand nombre des gens d'eſprit , & même de génie ,
ne le poſsèdent pas ! Il en donne , il est vrai , la
raiſon &l'excuſe; mais ni l'une ni l'autre ne prouve
contre moi.
Que l'eſprit contemplatif, dont je veux bien refpecter
juſqu'aux rêveries , s'abaiſſe & ſe plie auffi
peu à écouter des propos fots ou frivoles qu'à y
répondre , je le conçois ; mais pourquoi le plas habituellement
dédaigne- t'il d'en écouter de bons ?
Pourquoi n'en tient-il pas de meilleurs ? Si le noble
alent de penſer avec profondeur , exclud celui de
१०
MERCURE
,
parler ſagement avec facilité , l'aimable talent de
bien parler lui doit être préféré , car l'expérience
m'a prouvé qu'on ne parloit parfaitement bien que
lorſque l'on penſoit encore mieux. Quel ſeroit donc
le mérite d'une converſation fans idées , fans ſagacité
, ſans juſteſſe ? Suffit-il pour bien cauſer d'avoir
la facilité de dire une nouvelle , ou de faire un petit
conte en termes polis ; parfaitement cauſer , c'eſt
clairement raiſonner; c'eſt vivement & naturellement
conter , finement & ingénicuſement plaiſanter ;
promptement entendre , ſubitement répliquer ; c'eſt ,
en un mot, ſavoir occuper , intéreffer , amufer
plaire. Or , toutes ces chofes appellent & exercent
l'âme & l'eſprit, la raiſon & le goût. Le talent de la
converfation eſt celui de cet eſprit facile que je crois
le premier & le plus rare de tous les eſprits , parce
que c'eſt le ſeal qui ſoit propre à tout , qui ſache
monter & defcendre , courir & marcher , parce que
c'eſt celui qui , par le plus heureux contraſte , a le
plus de varéré& le moins d'inégalité , puiſque fes
facultés le ſuivent par- tout , dans le monde & dans
la folitude , dans le filence & dans le bruit. Sans en
moins reſpecter ces génies ſi diſtans des eſprits même
les plus eſtimables , ces génies que les extaſes de
la contemplation exilent de la Société , j'avoue qu'ils
me repréſentent ces Magiciens , qui , confumant le
temps à évoquer les ombres , n'obtenoient une apparition
qu'à force de fumigations , de conjurations ,
d'exorcifmes .
Au reſte , fi j'attache un ſi grand prix au talent
de la converſation ; ſi j'oſe ſoutenir qu'il en eſt peu
d'auſſi rares , je n'ai jamais prétendu dire ni qu'il fût
auſſi rare , ni qu'il égalât celui de la Tragédie , de la
Çomédie , du Poëme Érique , ni même deſcriptif ,
tout ennuyeux qu'il eft. J'ai honte de me défendre
férieuſement d'une telle abſurdité.
DE FRANCE.
91
ANNONCES ET NOTICES.
P
ETITE Bibliothèque des Théâtres , contenant un
Recueil des meilleures Pièces du Théâtre François ,
Tragique, Comique , Lyrique & Bouffon , depuis
T'origine des Spectacles en France jusqu'à nosjours.
AParis , au Bureau , rue des Moulins , Butte S. Roch ,
Nº. 11 , où l'on ſouſcrit.
Le premier Volume de cette précieuſe Collection
remplit complettement l'idée que le Proſpectus en
avoit donnée, & fatisfait aux engagemens contractés
par le Rédacteur. L'exactitude Littéraire & la beauté
Typographique ne laiffont rien à defirer. Le Rédac
teur donne même plus qu'il n'avoit promis ; les
Pièces font précédées des jugemens qu'on en avoit
portés ; & la Vie des Auteurs eſt ſuivie de la liſte
'de leurs Ouvrages Dramatiques. Ce Volume contient
la Sophonisbe de Mairet , & le Scévole de Duryer.
La Sophonisbe de Mairet eft la première Pièce de
Théâtre où la règle des vingt- quatre heures ſoit obſervée
; elle cut foixante repréſentations.
Le ſecond Volume fera compoſé de Comédies
du Théâtre François ; le troiſième , de Comédies du
Théâtre Italien , c'est- à - dire , des premières Pièces
Françoiſes de ce Théâtre; le quatrième reconimen
cera par des Tragédies , &c. Chaque partie de cette
Collection fera précédée d'un Eflai hiſtorique qui
offrira l'origine des progrès de l'Art Dramatique en
France; il ſera délivré gratis aux Souſcripteurs. Il
paroîtra 12 Volumes par an , & un treizième gratis ,
fous le titre d'Etrennes d'Apollon , composé des
plus jolies Ariettes , Romances , Chanſons , & des
Vaudevilles les plus en vogue , avec les airs gravés .
La Souſcription pour Paris eft de 33 liv. , & pour
92 MERCURE
1
la Province , de 36 liv. franc de port par-tout le
Royaume.
PARAPHRASE des Litanies de Notre-Dame de
Lorette , par un Serviteur de Marie. A Augsbourg ,
& ſe trouve à Paris , chez Leſclapart , Libraire de
MONSIEUR , Pont Notre- Dame. Prix , 6 liv.
Cet Ouvrage curieux eſt orné de grand nombre
d'Eſtampes allégoriques. Parmi ces figures, il y en
ade fort fingulières par le genre des allégories ; il
y a dans pluſieurs une imagination qui n'eſt pas
commune.
Momus au Salon , Comédie Critique en vers &
Vaudevilles , fuivie de Notes critiques . Brochure de
70 pages. Prix , 1 liv. 10 ſols. A Paris , chez Hardouin
, Libraire , rue des Prêtres Saint Germainl'Auxerrois
.
Les circonstances qui intéreſſent le bien public
ou qui excitent la curiofité , donnent naiſſance à
tant d'Ecrits apologétiques , & fur- tout critiques ,
qu'il feroit auffi long qu'inutile d'en donner même
une fimple annonce. Mais le Public a droit d'exiger
qu'on faffe mention de ceux qu'il a diftingués dans
la foule ; tel eſt l'Ouvrage que nous annonçons. C'eſt
une Comédie à tiroirs , mêlée de Vaudevilles , compoſée
de Scènes Épiſodiques & fans intrigue. Il n'étoit
guère poffible de traiter autrement un pareil ſujet,
Ce font divers perſonnages , tels que Mercure , deux
Payſans , une Marquiſe , un Abbé , un Peintre , un
Poëte , &c. qui ſe rencontrent au Salon , & qui s'entretiennent
ſur les tableaux qu'ils parcourent. Cet
Ouvrage ne peut que ſe reffentir un peu de la vireſſe
avec laquelle il a été fait ; mais ily auroit trop
de ſévérité à lui reprocher gravement une facilité
trop prolixe , quelques fauſſes rimes , des vers même
qui n'ont pas le nombre de pieds néceſſaires , tels
DF FRANCE.
93
que, Il immortaliſa ſes Ouvrages , qui ne peut
jamais faire un vers régulier. Au reſte , il y a de la
facilité & de la grâce. Nous allons en tranfcrire un
Couplet.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
LA MARQUISE.
Que j'aime la touche moëlleuſe
Qu'on apperçoit dans ce tableau !
LE CHEVALIER.
L'attitude eſt voluptueuſe.
L'ABBÉ.
Le coloris en eſt fort beau.
LA MARQUISE
Mais pour peindre ces immortelles ,
L'Abbé , je ne peux concevoir
Où Lebrun a pris ſes modèles ?
L'ABBÉ.
Eh! n'a-t'elle pas ſon miroir !
MÉTHODE Élémentaire pour apprendre facilement
la Langue Latine ; précédée des premières
Notions dela Langue Françoise. Par M. Thevenot ,
Maître de Penſion à Troyes ; ſeconde Edition, chez
A. P. F. André , Imprimeur - Libraire du College ,
Grand'rue , vis à-vis la belle Croix,
Le ſuccès de la première Edition de cet Ouvrage
n'a ſervi qu'à engager l'Auteur à de nouveaux
efforts pour le rendre plus parfait & plus
utile ; il l'a revu avec le plus grand ſoin , & l'a
conſidérablement augmenté.
EXPÉRIENCE & Observation fur différentes
Branches de la Physique , avec une Continuation
94
MERCURE
des Obfervations fur l'Air ; Ouvrage traduit de
l'Anglois , de M. J. Priestley , Docteur en Droit ,
Membre de la Société Royale de Londres , tom . 3 ,
Prix , 3 liv. 12 fols-relié. AParis , chez Nyon l'aîné.
Libraire , rue du Jardinet , quartier Saint-André
des-Arcs,
Les deux premiers volumes de cet utile Ouvrage
ont été accueillis comme ils devoient l'être ; il eſt
à préſumer que celui-ci n'aura pas moins de ſuccès .
Des Ecrits fur la nature de l'Air , deviennent aujourd'hui
plus intéreſſans que jamais , vú les Expériences
réitérées dont on a rendu témoin la Capitale
, & celles qu'on nous promet encore.
La Semaine d'un Enfant de la Joie , & les Efcapades
de l' Amour , ſeptième & huitieme Parties
d'Anacréon en Belle Humeur , ou du plus joli Chan-
Sonnier François ; élite de Chanfons , Romances ,
Vaudevilles , &c. des Auteurs connus en ce genre.
Prix , I liv. chacune brochée. A Paris, chez Defnos ,
Libraire , rue S. Jacques.
Le même Libraire annonce aux Libraires du
Royaume & des Pays Étrangers , qu'il vient de mettre
en vente douze Almanachs nouveaux pour l'année
1784 , leſquels réunis à ſa Collection , la portent à
120 fortes , toutes ornées de 12 eſtampes , & ſuivies
d'un perte & gain & de tablettes économiques d'un
papier fur lequel on peut écrire , avec un ſtylet qui
en fait la fermeture. Chacun de ces Almanachs ,
relié en maroquin , ſe vend 4 liv. 10 fols. En s'adreſfant
au ſieur Deſnos , on aura une remiſe avantageuſe
& proportionnée à ce qui lui en ſera demandé.
L'analyſe raiſonnée des objets qui compoſent cette
nombreuſe Collection , brochure de 150 pages ,
offrant un choix de jolies Chauſons , ſous le titre
deBijou dujour de l'An , ſe délivrera gratuitement
aux perſonnes qui feront acquiſition de quelqu'un de
DE FRANCE.
95
ces Almanachs , autrement elle ſe vendra 1 liv. 4 f.
poit franc par- tout le Royaume.
HERBIER de la France , ou Collection des Plantes
du Royaume , par M. Bulliard. Prix , 3 liv . A Paris ,
chez l'Auteur , rue des Poftes , au coin de celle du
Cheval verd ; P. Fr. Didot le jeune , Libraire , quai
des Auguſtins ; Th. Barrois le jeune , quai des Auguftins;
& Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Chaque Plante de cette intéreſſante Collection eft
deſſinée d'après nature , décrite ſuivant les principes
de l'art , & coloriée au moyen de l'impreſſion &
fans le ſecours du pinceau. Il en paroît un Cahier
tous les mois. L'Introduction à cet Ouvrage fe diftribue
ſéparément , ſous le titre de Dictionnaire Élémentaire
de Botanique , avec dix planches. Prix ,
15 liv.
NOUVEAU Plan de Paris , avec les augmentations
& changemens qui ont été faits pour fon embelliffement
, par M. Brion de la Tour , Ingénieur-Géographe
du Roi A Paris , chez les Frère Campions,
rue S. Jacques, à la Ville de Rouen. Prix , I liv . 4 Γ.
On a joint à ce Plan un autre Plan de Versailles
enpetit.
PROSPECTUS d'une nouvelle Méthode de Musique ,
en deux parties , compoſée par le ſieur Rodolphe ,
Muſicien du Roi. La première contient toute la
théorie de la muſique ſans exception , des remarques
utiles , des articles préliminaires & indiſpenſables
pour ceux qui voudront apprendre l'accompagnement
& même la compofition , des leçons ſimples &
faciles dans un nouvel ordre à la portée des Écoliers
les moins avancés Pour plus de facilité , cette première
partie eſt diſpoſée par demandes & par réponſes.
La ſeconde contient un Solfège d'un nou.
96 MERCURE
veau genre ,& d'autant plus inſtructif que MM. les
Maitres & les Écoliers y trouveront l'ordre & la gradation
qu'ils ontparu defirer juſqu'à préſent.
On ſouſcrit chez M. Houbaut , Marchand de
Muſique , rue de Marivaux , place du Théâtre Italien
& chez M. Leroy , place du Palais Royal , près
le café de la Régence , lequel grave l'Ouvrage avec
beaucoup de foin. La Sou cription eſt de 12 liv. ,
dont moitié en ſouſcrivant & le reſte en recevant
l'Ouvrage complet, qui ſera mis au jour le 25 Novembre
prochain , temps où la Souſcription ſera
fermée , & l'Ouvrage alors coûtera 15 liv. M. Rodolphe
annonce qu'au mois de Février prochain , il
donnera une théorie d'accompagnement.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairiefur
la Couverture.
TABLE.
L'Electricité, Ode,
Gaudin , 53
Chacun afes goûts ,
49 Hiftoire de la Ruffie,
Réponse aux Vers de Mllede Effais ſur 'Hift ire de la Soib.
Reponses au premier Extrait
Charade , Enigme & Logo- des Doutes ,
56
ciété Civile , 68
82
gryphe , 55 Annonces & Notices , 91
APPROBATION.
JAI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
MercuredeFrance, pourle Samedi I Octobre, je n'y ai
pien trouvé quiui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 10 Octobre 1783. GUID I.
JOURNAL Politique
DE BRUXELLE S.
DANNEMARCK.
D'HELSINGOR , les Septembre.
L
Epremier de ce mois une Frégate Ruſſe
a paſſé le Sund pour entrer dans la Baltique
,&le 2 elle a été ſuivie par deux Vaifſeaux
de guerre neufs de 60 Canons & 2
Frégates de 32 , venant d'Archangel & ſe
rendant à Conſtadt. 1
Les Commis de la Douane ont voulu
exiger des ſix Navires François arrivés de
Riga le paiement des droits pour le bois
qu'ils avoient à bord ; mais le Conful de
France ayant refuſé d'y ſatisfaire , parce que
ce font des Vaiſſeaux de guerre , qui comme
tels n'en doivent payer aucun , il n'a pas
été inſiſté.
Ondit que le Roi de Suede , lorſqu'il partira
pour l'Italie , paſſera à Copenhague , &
qu'il y fera une viſite à S. M. On aſſure que
dans ce cas , malgré l'incognito qu'il compte
Nº. 41. 11 Octobre 1783 . C
( 50 )
garder , la Cour ſe propoſe de lui donner
des fêtes brillantes .
SUÈDE
DE STOCKHOLM , le 6 Septembre.
Ontravaille aux équipages du Roi dont
le voyage pour l'Italie eſt décidé , & paroît
fixéau premier du mois prochain. La ſuite
de S. M. n'eſt pas encore nommée; elle gardera
le plus grand incognito. On fait qu'Elle
paſſera par Hambourg , mais on ignore ſi
Elle dirigera enſuite ſa route ſur Vienne ou
fur Triefte.
S. M. vientde donner une nouvelle preuve
de ſon amour&de ſes égards pour les Scien
ees ,en nommant le Prince RoyalChancelier
de l'Univerſité d'Upfal. En attendant
que le Prince ſoit en âge d'en faire les fonctions
, elles feront remplies par M. le Comte
de Creutz , Sénateur &Préſident de la Chancellerie
du Royaume.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 8 Septembre.
Le Roi a aſſiſté derniérement à l'examen
d'uſage à la fin de l'année des études , des
éleves du College des Nobles de cette ville,
Il a diftingué particulierement trois d'entre
eux dont les progrès ont été les plus remarquables
, par le don d'une médaille d'or avec
cette inſcription ; Diligentiæ.
( 51 )
On mande de Buchareſt que le nouv
Hoſpodar y est arrivé , &qu'il a ſignalé fon
avénement au Gouvernement de la Walachie
,par divers réglemens qui ont été reçus
avec beaucoup de fatisfaction & de recon--
noiſſance de la part de ſes ſujets , & qui leur
donnent l'eſpérance d'être heureux ſous ſes
loix.
Le Prince de Repnin ne s'eſt point avancé
, comme on l'avoit dit , il a toujours for
quartier-général à Nemirow & à Human.
Les Agens Ruſſes ont fait de nouveaux contrats
pour la fourniture des vivres ; ce qui
ne fait pas préſumer qu'ils penſent_encore
à quitter ce royaume.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 21 Septembre.
L'Empereur n'eſt point encore de retour
dans cette capitale. Le camp de Bohême
s'eſt ſéparé le 12 , & les Troupes qui le
compofoient ont repris chacune la route de
leurs Quartiers reſpectifs. Le 13 & le 15 S.
M. I. a fait à Prague la cérémonie de l'inveſtiture
des fiefs de ce royaume ; & fe 18
ellea quitté cette ville pour aller viſiter les
fortereſſes de Théréſienſtadt & de Pleſs.
Le 14 de ce mois on a fait ici la grande
proceſſion en action de graces de la levée
du ſiege de cette ville en 1683. Comme le
fiecle eſt actuellement révolu , cette cérémonie
a eu lieu pour la derniere fois. La Coun
2
( 52 )
a été repréſentée dans cette occaſion par le
Prince de Stahremberg , Grand-Maître de
la Maiſon Impériale , & par le Comte de
Seilern , Chef de la Juſtice Suprême. M.
Stuwer donnale ſoir du même jour au Pratter
, en préſence de plus de 12000 ſpectateurs
, un Feu d'artifice , dont l'exécution lui
a fait le plus grand honneur.
Il a paru ici un nouveau Reglement de monnoie
daté du premier de ce mois , par lequel
S. M. I. a jugé à propos de hauffer la valeur
des eſpeces d'or & d'argent ſpécifiées ci-deſſous
&de les porter au taux ſuivant. Savoir les ſequins
de Milan , ceux de Veniſe & les gigliati
de Florence à 4 florins 22 kreuzers ; les ducats
impériaux , ceux de Baviere & de Salsbourg du
même titre à 4 florins 20 kreuzers ; les ducats
d'Hollande & les autres de l'Empire du même
titre à 4 florins 18 kreuzers ; les ſouverains d'or
double des Pays-Bas Autrichiens à 12 florins
<1 kreuzers , & les ſimples à fix florins 25
kreuzers ; les doppies doubles de Milan à 14 florins
24 kreuzers & les ſimples à 7 florins 12 kreuzers
; les louis d'or à 9 florins 12 kreuzers ; les
ducatons des Pays-Bas à 2 florins 32 kreuzers
&les écus à couronne à 2 florins 14 kreuzers.
Quant aux autres eſpeces d'or étrangeres on
ſe conformera au Reglement du 17 Août 1763 .
Toutes les Confréries Religieuſes ſont actuellement
fupprimées , & leurs biens fonds
donnés à l'établiſſement des pauvres.
DE HAMBOURG , le 16 Septembre .
Les nouvelles du Nord & celles de la
( 53 )
:
Turquie n'offrent encore que des détails de
préparatifs qui annoncent toujours la guerre ,
maisnon l'époque où elle éclatera. Les Ruffes
maîtres de la Crimée y font toutes lesdifpoſitions
néceſſaires pour y bien recevoir
les Ottomans , s'ils veulent, comme on leur
en ſuppoſe le deſſein , faire quelque tentative
de ce côté. Ils ont fortifié l'iſthme de
Précop , de maniere à en rendre l'entrée prefque
impraticable. Les meilleures places de la
péninſule qui font en leur poſſeſſion ont été
miſes en état de défenſe. LesTurcs ne peuvent
gueres ſe flatter de quelque ſuccès , s'ils n'ont
pas des intelligences & un parti parmi les
Tartares , & il est vraiſemblable que la révolution
que ce pays vient d'éprouver , n'eſt
pas vue du mème oeil par tous les habitans ,
que leurs moeurs , leurs uſages , leur religion
même doivent leur faire ſupporter impatiemment
une domination chrétienne. Ces diſpoſitions
peuvent influer ſur les événemens
dans cette partie du théâtre de la guerre , ſi
elle éclate , comme il y a beaucoup d'apparence
.
Le dernier courier de Conſtantinople arrivé
ici le 26 Août , écrit-on de Vienne , a apporté
pluſieurs lettres dans leſquelles il eſt dit que les
préparatifs de guerre y ſont continués avec une
nouvelle vivacité ; le peuple excité & encouragé
par les gens de loi la demande à grands
cris ; & peut- être dans cette fermentation univerſelle
ſe ſeroit-il révolté contre le Sultan , s'il
p'avoit pas pris le parti de paroître en public
&de déclarer hautement qu'il ne ſouffrira jamais
C3
( 54 )
que les Ruſſes reſtent enpoffeffionde la Crimée
& des autres pays dont ils viennent de s'emparer.
Cette déclaration a été reçue avec acclamation
, & fi le grand Seigneur s'y eſt réellement
engagé , & qu'il ait le deſſein de la foutenir ,
Ja guerre eſt inévitable.
Onprétend que parmi les Tartares il y en
apluſieurs qui ont pris du ſervice dans les
Troupes Impériales de Ruffie ; mais cette
armée de soooo hommes , qu'on diſoit afſemblée
pour défendre ſes nouveaux maitres
, paroît ſe réduire à quelques Mirzas, qui
ayanttrop peu de monde pour faire un corps
féparé , ont été incorporés dans des Régimens
de Cavalerie.
:
Tout ce que l'on débite au ſujet la Crimée ,
Bit-on dans quelques papiers , eſt très-vague &
très - confus ; [on n'a guere de nouvelles que
celles que veulent bienlaiſſer paſſer les conquésansde
cette belle contrée ;& elles ſont au moins
zrès rares ;lesGénéraux n'écrivent qu'à leur Cour,
iln'y apas d'autres couriers que ceux qu'ils y enwoyent
& ceux qu'ils en reçoivent , c'eſt par eux
que les particuliers font paſſer leurs lettres ; &
il s'en répand peu de celles qui peuvent contemirdes
nouvelles. On n'a donc que des bruits
&des conjectures que faute de mieux on recueille
affez généralement. Parmi les détails de cette efpece
on trouve que la Ruſſie vient de conclure
avec le Schah de Perle un traité de commerce
qu'on dit très - avantageaux , & ce qui eſt auffi
intéreſſant dans la circonſtance préſente , une alliance
offenfive & défenſive. En attendant on
dit que Gianikli-Ali-Pacha eſt avec une armée
confidérable , campé au - delà du Bog & vis àvis
de Choczim ; & on porte à plus de 100,000
( 55 )
hommes les troupes que les Ottomans ont àBender
, à Jaffy , & à Bucharest ; par-tout les Bachas
qui commandent des places ſur les frontieres
ont reçu ordre de les mettre dans le meil
leur état dedéfenſe poſſible ».
Les mouvemens des armées Autrichiennes
ne font point ralentis : & comune on ne
peut les ſuppoſer ſans but , on ne manque
pas de conjecturer que cette Puiſſance pren
dra part aux événemens qui ſe préparent.
«Tous nos régimens , écrit- on de Vienne,
font en mouvemens ; les uns marchent vers la
Croatie , d'autres quittent la Hongrie , & ſe rendent
en Boheme & en Moravie , pluſieurs doivent
, dit-on , ſe rendre dans les Pays-Bas. Depuis
le 25 du mois dernier , il eſt parti ſur le
Danube plufieurs bâtimens chargés de pontons ,
d'artillerie &d'autres munitions de guerre. Perfonire
ne devine la raison de ces marches ; mais
preſque tout le monde est d'accord ſur les apparences
d'uneguerre prochaine. Cependant La
Porte ne paroît rien négliger pour éviter de
nous donner du mécontentement. L'Iternonce
de cette Cour à Conſtantinople y préſenta il y
aquelque tems un mémoire dans lequel il demandoit
augrand Seigneur au nom de ſon maître.
1°. que S. H. garantit tous les bâtimens ſous
Pavillon Autrichien qui ſeroient pris par les corſaires
des Régences d'Afrique ; 2º qu'elle payât
fur le champ & argent comptant auſſi - tốt
qu'elle en ſeroit requiſe le montant du dommage
réſultant des priſes qui pourroient être
faites. 3°. Le Miniſtre déclaroit que dans le cas
où cette indemniré ſeroit refuſée , S. M. I. entreroit
ſur le territoire Turc pour ſe la procuxer
elle-même. Cette demande répétée pluſieurs
C
( 56 )
fois ,vient , dit-on , d'être accordée ».
Onvoit partous ces détails exagérés peutêtre
, mais dont le fond eſt vrai , combien le
Gouvernement Ottoman apporte d'attention
à ménager la Cour Impériale , & à écarter
tout prétexte de plainte de ſa part.
« La prudence & la fermeté du Grand-Vific
&du Capitan Bacha , écrit - on de Conſtantinople
l'ardeur avec laquelle les Officiers étrangers travaillent
à diſcipliner nos troupes , les leçons que
nous avons reçues pendant la derniere guerre ,
tout nous fait eſpérer qu'une nation innombrable
comme la nôtre , naturellement brave &
ardente peut devenir tout à coup très- formidable.
Qu'étoient les Ruſſes ſous Pierre le Grand ?
Eft- il impoſſible qu'il naiſſe un réformateur dans
l'enceinte du Serrail ? Charles XII n'a-t-il pas
contribué à l'établiſſement de la diſcipline parmi
les Ruſſes plus que le Czar lui-même ? Un trèsbeau
pays qui a environ to millions d'habitans en
Europe , plus de 20 millions de piaſtres , point
de dette nationnale , eſt certainement à craindre
, la diſcipline eſt le fruit du temps ; elle
s'établit en faiſant la guerre. Nous avons ſur
pied environ 360,000 hommes , & 50,000 matelots
; nous pouvons au beſoin augmenter nos
troupes de terre. Il ne ſera pas tout-à-fait auſſi
aiſé qu'on paroît le croire de nous reléguer en
Afie ,ſi l'on confidere ſur-tout que ceci reffemble
beaucoup à une guerre de religion ».
DE FRANCFORT , le 17 Septembre.
Les armemens qui continuent dans tous
les Etats héréditaires de l'Empereur ; l'armée
qui eſt déjà raſſemblée ſur les frontieres , &
qu'on porte à 130,000 hommes ; la ſeconde
( 57 )
qu'on dit qu'on aſſemble , encore dans le
Bannat; la quantité de pieces de canon qu'on
raſſemble & qu'on fait partir ſucceſſivement
pour les lieuxoù les troupes ſont prêtes à marcher;
les nouvelles levées qu'on aſſure avoir
été ordonnées , tout fait craindre qu'il ne ſoit
impoſſible d'arranger les affaires du Nord ,
ſans répandre du fang.
Selon les lettres de Vienne , l'Empereur a
accordé aux Juifs de cette Capitale la permiffion
d'acheter un terrein ſitué hors des
fauxbourgs de la ville , d'y bâtir des maiſons,
des boutiques , & d'y trafiquer.
Le ſpectacle de troubles inteſtins &de diviſions
entre la Bourgeoiſie & la Magistrature , dont la
ville de Geneve a offert pluſieurs exemples ,
vient de ſe renouveller dans une ville Impériale
d'Allemagne. On mande de Wympfen que les
diviſions y font montées à un tel degré , que le
Directoire du cercle de Souabe a jugé néceſſaire
d'y envoyer des Troupes pour tâcher d'y rétablir
l'ordre. Huit Bourgeois factieux y ont été
arrêtés ; on a cru que cela rameneroit les autres
àla modération ; ils ont continué de ſe plaindre
, & cette détention même les a portés à le
faire avec plus de vivacité. Pluſieurs ont quitté
la ville ; ceux qui y ſont reſtés ſe ſont permis
de nouveaux murmures , qui ont fait juger qu'il
étoit néceſſaire de renforcer les Troupes. On
ignore encore quelle ſera l'iſſue de ces troubles
qui peuvent être funeſtes à la ville qui les
éprouve ».
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 8 Septembre.
On apprend de Peſero que les Membres
CS
( 58 )
7
de la Confrérie de S. Gaëtan , qui occupoit
l'Egliſe de la Congrégation ſupprimée de
S. Antoine Abbé , voyant que l'Eglife manquoit
d'ornemens , d'orgues , &c. pour ſervir
àleurs afſemblées religieuſes , ont réſolu ,
cette année , après la célébration de la Fête
de leur Saint , de vendre tout ce qui exiſtoit
dans leur Sacriftie , & d'en diftribuer le produit
aux pauvres. Ils l'ont exécuté avec l'approbation
générale , & leur Congrégation
eſt ainſi également ſupprimée.
Parmi les effets finguliersdu tonnerre ,il y en
apeu d'auſſi étranges que ceux-ci qu'on mandede
Roveredo.On y eſſuya également un orage le 13.
dece mois ; la foudre tomba ſur l'Eglife paroiffiale
de Saint-Marc , qu'elle parcourut dans toute
fon étendue , ouvrant toutes les armoires , les
portes & les fenêtres . Elle renverſa ſur l'autel
le calicedont ſe ſervoit un Prétre qui diſoit la
meſſe , &qui tomba de frayeur. On trouva ſes
chauſſons brûlés ſans que ſon pied, ſes bas ni ſes
fouliers fuffent endommagés ; la ceinture deſes.
Caleçons & un morceau de ſa chemiſe étoient
également brûlés; il n'avoit d'autre mal qu'une
légere bleſſure à la tête , & qui avoit été cauſée
par ſa chûte. Ce qu'il y a de plus extraordinaire
, c'eſt que cet Eccléſiaſtique âgé de 84
ans, remis à préſent de ſa frayeur , ſe porte
non- ſeulement à merveille , mais on ditque depuis
cet accident , il n'a plus beſoin de lunettes
dont il faiſoit auparavant ufage ; qu'il marche
d'une maniere plus ferme , qu'il ſe ſent plus de
force qu'il n'en avoit depuis pluſieurs années
&qu'il ſe trouve en quelque forte ranimé.
Les Phénomenes qui alarment le midi de
) یو (
F'Europe ne font pas étrangers à la partie du
monde dont nous ne ſommes ſéparés que
par la mer.
Le 20Juillet , écrit-on de Tripoli de Syrie, on
éprouva icideux ſecouſſes très- violentes de tremblementdeterre.
Elles ſe firent ſentir àdeux reprifes&
ſe ſuccederent rapidement ,& durerent enfemble
environ 8à 10ſecondes; elles furent précédées
d'un bruit ſourd ſemblable à celui du mugiſſementdes
flots qu'on entend de loin ; la veille
il avoit plu à verſe , ce qui eft extraordinaire
dans cette ſaiſon. Depuis près d'un mois une
brume épaiſſe couvre la terre & la mer ; les vents
ſoufflent avec autant de violence que pendant
Phyver. Le ſoleil ne ſe montre que rarement ,
&toujours avec une couleur ſanguinolente ; phénomenes
inconnus juſqu'à préſent en Syrie . Le
tremblement de terre s'eſt fait ſentir également
dans le Liban : un village près de Napoulouſe a
été enſeveli ſous un rocher qui s'eſt écroulé .
Les Turcs informés du déſaſtre de Meſſine ſont
dans la plus grande conſternation .
ANGLETERRE.
DELONDRES , le 30 Septembre.
Selon les dernieres nouvelles de New-
Yorck , cette place , la citadelle , les différens
ouvrages qui en dépendent , & que nos
Troupes y ont conſtruits pendant leur féjour
pour leur fureté & leur défenſe , doivent
être livrés aux Américains dans la matinée
du 9 du mois prochain. Le Général
Carleton , ajoute-t-on , prend toutes les me
fures néceſſaires pour l'évacuer à cette épo
que.
6
( 60 )
On lit dans les papiers Américains que
nous avons reçus , la liſte ſuivante des Gouverneurs
actuels des Treize Etats-Unis .
« Ce ſont pour New-Hampshire MM Mesheck
Weare ; pour Maſſachuſſett John Hancock ; pour
Rhode- Iſland William Greene ; pour Connecaicut
John Trumball ; pour New-Yorck George
Clinton ; pourNew- Jerſey William Livingſton ;
pour la Penſylvanie John Dickinson ; pour De
laware Nicolas Van Dyke ; pour Maryland William
Paca ; pour Virginie Benjamin Harriſon ;
pour la Caroline ſeptentrionale Alexandre Martin
; pour la Méridionale Benjamin Guerard ;
pour la Géorgie Lyman Hall.
Parmi les anecdotes que preſentent ces
papiers , où elles tiennent à préſent la place
des événemens qui ont fixé long-temps l'attention
& la curioſité de l'Europe , en voici
une bien étrange. C'eſt un exemple atroce
de ſuicide commis avec une réflexion & un
fang- froid extraordinaires, Il prouve à quel
excès peut ſeporter l'homme qui a eu le malheur
defecouer tout frein moral & religieux.
>> Le 11 Décembre , au ſoleil levant , il s'eft
paffé à Wetherfield un événement de l'eſpece
le plus étrange & la plus étonnante. William
Beadle , né au midi de l'Angleterre , qui a réfidé
vingt ans en Amérique , & près de 10
à Wetherfield , s'étoit marié à Fairfield à une
femme aimable , d'une bonne famille , dont il
avoit quatre enfans dont il dirigeot lui-même
l'éducation avec un ſoin & une vigilance extrêmes
, & il paroiffoit être un excellent pere
& un bon mari. Ses affaires de commerce déclinant
depuis quelques années , il ſe livra à la
( 61 )
lecture , & , malheureuſement , il goûta de préférence
les livres qui ont été faits contre le culte
établi ; il en adopta tous les principes , écarta
toute idée de bien & de mal moral , & regarda
les hommes comme de ſimples machines. Il ſe
crut en droit de diſpoſer de ſa vie & de celles
de ſa famille. On a trouvé dans ſes Papiers , &
dans pluſieurs Lettres , écrites à des perſonnes
de ſa connoiſſance , peu de jours avant ſa mort ,
qu'il y avoit trois ans qu'il s'occupoit de la
funeſte catastrophe à laquelle il a procédé avec
la plus grande réflexion. Au lever du ſoleil
, il envoya ſa domeſtique , la ſeule perſonne
de ſa maiſon qui ait ſurvêcu , porter une Lettre
dans le voisinage , à un ami auquel il annonçoit
ſon horrible réſolution , en lui déclarant
qu'avant qu'il en eut achevé la lecture il ſeroit
avec ſa femme & ſes enfans dans un état plus
heureux ; il le prioit de prendre avec lui deux
perſonnes , & de venir à ſa maiſon , fans alarmer
ſes voiſins , & d'apporter autant de tranquillité
d'eſprit qu'il en avoit lui-même. A la
receptionde cette Lettre l'ami vola ; mais il étoit
trop tard. Le malheureux avoit employe le poignard
, la hache & le piſtolet ; il s'étoit ſervi
des premieres armes pour détruire ſa famille ,
& il avoit tourné la derniere contre lui . Il y
avoit quelques ſemaines qu'il gardoit ces inſtrumens
meurtriers dans ſa chambre , ſous prétexte
qu'il en avoit beſoin pour ſe défendre des vo-
Jeurs. C'eſt avec le plus grand ſecret , & fans
être pénétré par perſonne , qu'il a mis fin à la
vie d'une femme aimable au milieu de ſa car
riere , & à celle de quatre enfans commençant
la leur , dont l'aîné avoit douze ans , & dans le
temps qu'ils dormoient paiſiblement . Il paroit
par pluſieurs circonstances qu'avant qu'ils allaf(
62 )
1
fent au lit il leur av oit donné de l'opium ; il
aterminé cette ſanglante tragédie en ſe tuant
lui-même. On lit dans une des Lettres qu'il
avoit écrites auparavant : C'eſt par humanité,
c'est par tendreffe , car aucun pere ne fut auſſi ſenfible
que moi , que je prépare la mort de fix perfonnes.
Le Juré après une enquête a condamné
ſamémoire ; ſon corps a été expofé à l'opprobre
public , & jetté à la voirie. On a enterré ſa
femme & ſes enfans avec décence . Les coeurs
humains & ſenſibles ont verſé des larmes ſur le
fort de cette famille , & déploré les funeſtes
principes qui ont fait un barbare d'un homme ,
qui , avant ſon égarement , avoit mérité l'eſtime
de ſes concitoyens ».
Le Parlement vient d'éprouver encore
une courte prorogation ; il ne ſe raſſemblera
que le Ir Novembre pour s'occuper des affaires
qui doivent être ſoumiſes à ſa confidération.
Parmi ces affaires on parle d'un
nouveau plan de finances , qui eſt , dit-on ,
l'ouvrage du premier Lord de la Tréforerie ,
&qui fera, dit-on fort avantageux à la nation
en général ; mais on ne croit pas , s'il a
pour objet des économies , qu'il le ſoit également
aux particuliers. On convient que la
fuppreffion de pluſieurs places , la diminution
des émolumens de quelques autres , font les
opérations par leſquelles on devoit commencer.;
il y along-temps que le peuple défire
cette réforme , & que ceux qui font intéreffés
à ce qu'elle n'ait pas lieu , s'y ſont oppofés
avec fuccés.
La néceſſité d'une réforme & celle du rétablicfement
de l'ordre dans différentes parties. des
( 63 )
finances , dit unde nos papiers , n'ont jamais été
ſi généralement ſenties. La dette non fondée
exige ſur-tout l'attention prompte de l'adminiftation
; elle monte à la ſomme énorme de 33.
millions ſterling , qui en coutent annuellement
à l'Etat 1,514,000. On peut en juger par l'apperçu
ſuivant , dont les calculs , loin d'être exar
gérés , ſont peut-être au-deſſous de la réalité.
Les annuités temporelles qui ont été accordées
pour 77 ans , à compter du 5 Janvier dernier »
montent annuellement à 80,000 liv. sterling.
Les annuités perpétuelles accordées dans le même
temps font un objet de 480,000 liv.-L'intérêt
de 10 millions de billets de l'échiquier à
3 p. eſt de 350,000 liv.-Celui de 13 millions
de billets de marine & d'artillerie qu'on
peut fonder à4 pp.. vaà 585,000.-Il en coutera
annuellement en dépenſes extraordinaires,
fi l'on conſerve en circulation les 30 millions
de l'échiquier 4000 liv. ſterling. -Et les nouvelles
charges de la banque relatives au fardeau
decette année , & à celui qui réſultera du parti
qu'il faudra prendre enfin,de fonder les billets
de la marine & de l'artillerie, feront de 15,000
liv. ſterling. Telle eſt la nature & l'étendue de
la dette non fondée. Il eſt àdeſirer qujon lamette
en ordre auffi-tôt qu'il ſera poſſible ; car tant.
qu'elle reſtera dans cet état, on ne ſauroit mettre
en exécution aucun plan tendant à ſoulager
lanation de ſes charges peſantes qui ne ſauroient
être diminuées trop tôt.
Nos papiers , depuis la publication des
préliminaires de la paix avec la Hollande ,
qu'oncroitdevoir êtrebientôt ſuivis duTrai
té définitif entre notre Cour & cette Puiffance,
ne font remplis que de paragraphes
( 64 )
qui vantent les avantages que ces conditions
doivent procurer à notre commerce.
-
Les Hollandois , difent-ils , ne conſerveront
pas toujours le privilege excluſif de la vente
des épiceries ; la liberté qu'auront nos Vaiſſeaux
de s'approcher des iſles qui portent cette denrée
précieuſe , nous mettra tôt ou tard en état de
nous paſſer d'eux pour nous en approvifionner.
Les expériences que les François ont faites fur
la culture de la noix muſcade , & des autres épiceries
dans leurs établiſſemens , ſeront imitées fans
doute par toutes les autres Puiſſances qui feront
à portée de le faire. On lit dans une lettre
de la Barbade adreſſée par un Planteur à un de
ſes correſpondans à Dublin qu'on va y faire un
eſſai pour cultiver la noix muſcade. C'eſt un Hollandois
de Tabago , qui deſcend , dit-on , du
premier Gouverneur Européen qui fut envoyé
dans cette ifle , qui va tenter cet efſſai. Ila , diton
, obtenu une Patente pour cet effet , il s'eft
engagéà cultiver la noix muſcade , & à la rendre
égale en qualité à celles qui croiſſent ſur le ſol
de l'iſle de Ceylan. S'il a eu le ſuccès qu'il eſpere
, on doit s'attendre qu'on ne ſe bornera pas
à cette plante.
On ignore encore quand la Paix ſera publiée.
Le Roi , par une Proclamation du
26 de ce mois , a annoncé cet événement
à ſes ſujets , en leur déclarant que ſa volonté
eſt qu'ils obſervent fidélement les conditions
desTraités avec la France & l'Eſpagne , tant
ſur terre que fur mer. Il n'eſt pas queſtion
des Américains ni des Hollandois, parce que
les ratifications des premiers ne ſont pas encore
arrivées , & que le Traité définitif n'eſt
pas encore conclu avec les derniers. C'eſt ce
( 65 )
qui retarde ſans doute la publication formelle
de cet événement ; pluſieurs perſonnes
ont demandé des informations au Bureau
des Héraults ſur l'époque où elle aura lieu ;
ils ont répondu qu'ils n'avoient reçu à ce
ſujet que l'ordre général de ſe tenir prêts.
Il paroît à préſent que cette cérémonie n'aura
lieu qu'après que le Traité définitif avec la
Hollande aura été ſigné.
La contrebande , écrit-on de Fowey , eſt telle
dans cette partie , que ſi l'on ne prend des mefures
efficaces pour s'y oppoſer , ou peut s'attendre
aux plus fâcheuſes conféquences. On auroit
beſoin de quelquesdétachemens de Dragons pour
veiller ſur la côte , ſans cela il ſera impoſſible
aux Officiers des revenus de recueillir les impôts
, & ils ont beſoin de cette protection contre
les Contrebandiers qui font très- nombreux , &
devant leſquels ils n'oſent pas ſe préſenter. On
les voit braver les Employés en plein jour , débarquer
à main armée leurs marchandises , éloigner
les ſurveillans par la violence , & les retenir,
pendant qu'ils font paſſer leurs denrées dans
les dépôts dont ils ne ſe ſoucient pas de leur donner
la connoiſſance .
Dans un moment où l'imagination de
quelques perſonnes , travaillant ſur les nouvelles
découvertes de la Phyſique , s'occupe
en France de la poſſibilité de voyager dans
les airs au moyen de la machine aëroſtatique,
on s'occupe ici des moyens de marcher dans
l'eau , opération qui n'eſt ſans doute pas
moins merveilleuſe. S'il faut en croire nos
papiers , cette entrepriſe eſt très- avancée,
& c'eſt ainſi qu'ils en parlent.
( 66 )
*Un génie extraordinaire , M. Wright , a
conſtruit une machine très-ingénieuſe , qu'il ap
pelle habit à plongeur , & qui est bien ſupérieure
à toutes les cloches inventées juſqu'ici , & qui
n'ont été que le cercueil des plongeurs inſenſés
qui ont riſqué de s'y confier. Les dangers de
ſe noyer & d'être ſuffoqué ſont rendus impoffibles
par cette machine. L'appareil entier ne pefe
que 2 livres & 7 onces . On le place au- tour
du col , & il n'enveloppe que la tête , laiſſant
les bras & les pieds du plongeur parfaitement
libres. Pluſieurs membres de la ſociété royale auxquels
il la montrée en parlent avec enthouſiaſme.
Il en fit l'eſſai dans la riviere de Nenqui coule
de Wisbeck à Northamptondans l'endroit appellé
Peerleſs - Pool , où elle eſt profonde de 29 pieds
& il demeura ſous l'eau 3 heures & 17 minutes
marchant en long& en large un eſpace évalué
à 2 milles , ramaſſant les foffiles qu'il trouvoit
, & qu'il faiſait paſſer à la ſurface de l'eau
par le moyen d'une corde fine de crin qu'il lachoit
à volonté , & qui ſurnageoit auſſi-tôt; il
amufa ainſi la foule nombreuſe des ſpectateurs
par diverſes expériences en marchant dans
un élément dans lequel aucun homme avant lui
n'avait pu vivre ; la conſtruction de la machine
tui donne la forme d'un globe; elle a 12 pouces
de diamettre avec des verres qui lui permettent
de voir devant lui. Au ſommet font
deux tuyeaux de cuir , avec des anneaux dans
P'intérieur qui préviennent l'inconvénient de la
preffion.Cestuyeaux ont l'étendue néceſſaire pour
flotter ſur la ſurface de l'eau ; il y a pratiqué
des ſoupapes qui ſont diſpofées de maniere à
ouvrir le paffage à l'air , & à le fermer à l'eau.
On peut attendre d'hommes tels que MM.
Wright &Mongolfier les moyens de voler juſqu'à
( 67 )
la lune , & de voyager à pied de Douvres
Calais avec auſſi peu d'embarras que ſi nous
étions ſur terre.
Aux détails de cette découverte , au moins
finguliere , mais qui eſt encore un enfant
naiſſant à élever , & qui ne tiendra peut-être
pas tout ce qu'on s'en promet , nous joindrons
une anecdote d'un autre genre ; on la
préſente comme un fait , & elle n'en paroîtra
pas moins étrange à nos Lecteurs.
>> Je vous enverrai aujourd'hui , écrit- on de
Dublin , une rélation très- ſinguliere. Un capitaine
, un lieutenant, un enſeigne & 80hommes
furent envoyés en 1769 de quelque partie de
l'Amérique , & on préfume que c'eſt du Canada,
dans un autre endroit de cet immenſe continent ,
mais fort loin au Nord , pour protéger une forêt
très -vaſte que les Indiens du voiſinage vouloient
détruire. L'officier & ſa compagnie abſolument
étrangers au pays , furent guidés juſques-là à
travers des routes ſauvages & déſertes par un
petit nombre d'Indiens amis. A leur arrivée , ils
fonderent un fort , & éleverent au tour les bâtimens
dont ils avoient beſoin , & ſe défendirent
eux-mêmes & la'place comme ils purent , tant
qu'ils conſerverent l'eſpérance de recevoir les
fecours , les matériaux& les proviſions qu'on leur
avoit promis. Heureuſement le capitaine & fon
monde perfuadés que le meilleur moyen de for
mer leur établiſſement dans cet endroit étoit de
ſe concilier les ſauvages voiſins , ſe conduiſirent
en conféquence; fans cela ils euffent été tous
maſſacrés. Leurs diſpoſitions pacifiques les firent
bien recevoir ; on les aida même lorſque les proviſions
leur manquerent ;on leur enſeigna à vivre
àla maniere des Indiens , & après avoir vu que
( 68 )
toutes les tentatives qu'ils avoient faites pour
faire paſſer de leurs nouvelles à ceux qui les
avoient envoyés là , étoient inutiles , qu'ils étoient
abandonnés , ils ſongerent à ceder àla néceſſité
& àvivre en ſauvages avec les ſauvages . Ils ſe
mêlerent avec eux , prirent part à leurs travaux
, à leurs chaſſes , à leurs guerres ; pluſieurs
périrent dans ces différens exercices , ſoit par le
climat , ſoit par le changement de maniere de
vivre , ſoit par les fleches des Indiens ennemis
de la peuplade à laquelle ils s'étoientalliés. Ils font
reftés dans cette ſituation juſqu'au mois d'Avril
dernier , & ils étoient réduits au capitaine &
à 14 hommes. Le haſard leur préſenta à cette
époque quelques Indiens qui leur offrirent de les
conduire dans le Canada. Ils s'empreſſerent de
profiter de cette occafion , avec la permiſſion de
leurs amis avec lesquels ils avoient veçu près
de 14 ans. Ils arriverent à Quebec fans aucun
accident & fans perdre un ſeul homme ; y ayant
trouvé un vaiſſeau prêt à mettre à la voile pour
l'Irlande , ils s'y embarquerent , & font arrivés
à Corke Le capitaine y a laiſſe ſon monde &
a été à Dublin , d'où il ſe propoſe de venir à
Londres expoſer au roi ſes avantures , ſa ſituation
&cellede ſes compagnons : la fingularité
de leurs fouffrances , leur ſituation déplorable ſont
faites pour toucherun prince ſenſible & généreux
qui les dédommagera fans doute de toutes leurs
peines paſſées.
Le Traité de Paix conclu par la Compagnie
des Indes avec les Marattes , contient en
ſubſtance.
1. Tous les pays, places, cités& forts , y compris
Baſſeen , &c. pris ſur le Peshwa pendant la guerre
qui s'eſt allumée depuis le traité conclu par le Colonel
Upton , leur feront rendus dans l'eſpace de
( 69 )
euxmois après la concluſion de ce traité .
2. Salfette & les Iſles d'Elephanta , Caranja &
Hog , reſter ont à perpétuité dans la poſſeſſiondes
Anglois. Si pendant la guerre il en a été pris
quelques autres , elles ſeront rendues au Peshwa.
- Le Peshwa & les Chefs de l'Etat Maratte
cédent pour jamais à la Compagnie tous droits &
titres ſur la ville de Baroach. 4°. Les Anglois
renoncent au pays de trois lacks de roupies que
le Peshwa étoit convenu de leur céder dans le
traité du Colonel Upton. --5 °. 5 Pour prévenir
toutediſpute ſur le pays donné aux Anglois par
Seeagee & Fully Sing Gwickwar , dont il eſt fait
mention dans l'article VII du Traité du Colonel
Upton , le rendront au Gwickwar , s'il fait partie
de ſon territoire , & au Peshwa s'il fait partie du
fien.- 6 ° . LesAnglois ayant accordéà Ragonaut.
Row un terme de quatre mois , pour fixer le lieu
de ſa réſidence , après ce terme ne lui accorderont
aucun appui, protection ou afſiſtance , & ne
lui fourniront point d'argent , & le Peshwa promet
que ſi Ragonot Row veut ſe rendre volontairement
pres de Maha Rajach Madhoo Row Scindia,
& réſider paiſiblement avec lui , il lui ſera payé
tous les mois 25000 roupies pour ſon entretien
&c. - Chaque partie fera la paix
avec les alliés de l'autre de la maniere ma ci-après .
-8°. Le territoire que Fully Gwickwar poſſédoit
au commencement de la guerre , reſtera en
ſa poſſeſſion ſur le pied ordinaire , il payera au
Peshwa le tribut d'uſage avant laguerre . - Le
Nabab Hyder Ally Cawn ayant conclu un Traité
avec le Peshwa , troublé & pris poffeffion de
territoires appartenans aux Anglois & à leurs
alliés; lePeshwa s'engage à l'obliger à les reſtia
tuer. Les priſonniers faits de part & d'autres ſeront
élargis , & l'on forcera Hyder Ally Cawn à
,
( 70 )
Evacuer ceux des territoires appartenans à la
Compagnie & à ſes alliés, qu'il peut avoir pris depuis
le 9 du mois de Ramzam , dans l'année
1180, date de ſonTraité avec le Peshwa, ils ſeront
en conféquence rendus fix mois après le Traité;
&les Anglois auſſi longtemps qu'Hyder Ally
Cawn s'abſtiendra d'hoſtilités contre eux& leurs
Alliés ,& qu'il vivra en amitié avec le Peshwa ,
ne ſe conduiront point hoftilement envers lui.
-1 °. Le Peshwa promet , tant en (fon nom
qu'en celui de ſes Alliés , de maintenir la paix
envers les Anglois & leurs Alliés qui font la
même promeſſe. 11°. La navigation des navires
reſpectifs ne ſera point troublée. 12º. Les Anglois
jouiront du (privilege du commerce comme
ci-devant dans les territoires des Marattes . Les
ſujets du Peshwa jouirontde la réciprocité dans
ceux des Anglois. (-13°. Le Peshwa promet
de ne ſouffrir qu'aucunes factoreries européennes
s'établiſſent ſur ſes territoires , ou sur ceux des
chefs qui dépendent de lui , à la ſeule exceptiondecelles
qui ſont déja établies par les Porrugais
; qu'il n'aura aucun commerce d'amitié
avec aucune autre nation européenne ; & les Anglois
promettent de ne donner d'aſſiſtance à aucune
nation'du Decan & de l'Indoſtan en inimitié
avec le Peshwa. 14°. Les Anglois & le
Peshwa conviennent mutuellement de ne donner
aucune eſpece d'aſſiſtance aux ennemis reſpectifs.
-15°. Les ſujets de part &d'autre n'agiront
point d'une maniere contraire à ce traité.
16. La compagnie & le Peshwa , ayant la plus
entiere confiance dans Maha Rajah Subadar ,
Madhoo Row Scindia Behader , l'ont requis d'être
garant de ce traité ; en conféquence il s'eſt
chargé de la garantie mutuelle ; & dans le cas
où l'une des parties,en enfreindroit les condi
( 71 )
-
fions , il ſe rangera du côté de l'autre partie.
17. Tous territoires , forts ou cités du
Guzzerat , cédés aux Anglois par RagonautRow
avant le traité du Colonel Upton , & dont la
reſtitution a été ftipulée dans l'article VII dudit
traité , feront reſtitués . Ce traité confiftant
en 17 articles eſt conclu à Salbey , dans le camp
de Maha Rajah Subadar Mabomed Row Scindia ,
le 4 du mois Jemmad ul Saany , dans l'année
1187 de l'Hégire , laquelle correſpond avec le
11 Mai 1782 , de l'ere chrétienne , par ledit
Maha Rajah & M. David Anderſon.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 7 Octobre:
Le Marquis de Noailles , nommé précé
demment Ambaſſadeur Extraordinaire à la
Cour de l'Empereur, ſe préparant à ſe rendre
à ſa deſtination , a eu l'honneur de prendre
congé de S. M. , à laquelle il a été préſenté
par le Comte deVergennes, Chefdu Conſeil
Royal des Finances & Secretaire d'Etat ,
ayant leDépartement des Affaires étrangeres.
M. Migneron , Auteur de l'amélioration
&ceintrage des bois , a eu l'honneur d'être
préſenté à S. M, par le Comte d'Angivilliers ,
Directeur & Ordonnateur Général des Bâtimens
du Roi , & de mettre ſous ſes yeux un
modele de pont en bois ceintrés , qui peut
être exécuté d'une ſeule arche ſur toutes les
rivieres; il a démontré en même tems à S. M.
Pavantage que l'on peut tirer pour la conftruction
des Bâtimens , de l'emploi de ces
bois améliorés & ceintrés (1 ) .
(1) Les découvertes que M. Migneron préfente aupu
( 72 )
Dom Guillaume Coutans , Bénédictin de
l'Abbaye de Lagny-fur-Marne , a eu l'honneur
de préſenter à L. M. & à la Famille
Royale la 9º fuite duTabeau topographique,
dont le Roi a bien voulu agréer la dédicace.
Le chevalier de Seytres-Caumont , chargé
des affaires du Roi Malte , de retour en
cette Cour par congé , a eu le 14 de ce
mois l'honneur d'être préſenté à Sa Majeſté
par le maréchal de Castries , Miniſtre &
Secrétaire d'Etat ayant le département do
la Marine.
La Cour eſt partie d'ici , le 6 de ce
mois , pour aller au Château de Choify ,
d'où elle ſe rendra , le 9 à Fontainebleau.
Monſeigneur le Dauphin ira au Château
de la Muette , pour y reſter pendant le ſéjour
de la Cour à Fontainebleau , où Mefdames
Adelaïde & Victoire de France ſe
rendront auſſi le 10.
DE PARIS , le 7 Octobre.
M. le Duc de Crillon & de Mahon vient
de donner à l'occaſion de la naiſſance des
deux Infants jumeaux dont la Princeſſe des
Afturies eſt accouchée , une fête à laquelle il
a invité tout ce que la Cour & la Ville offrent
deplusdiftingué.
« Cette fête a eu lieu le r de ce mois dans
le bois de Boulogne ; les perſonnes invitées fublic
ſont appuyées des témoignages rendus à l'Académie
des Sciences par M. Peronnet , premier Ingénieur des
Ponts & Chaufftes , & l'Abbé Boſſur , Commiſſaires nommés
par l'Académie, pour vérifier la ſolidisé de ces fortes
deponts.
rent
( 73 )
rent reçues dans le château de la Muette ; on
en ſortitpour ſe rendre à la ſalle des ſpectacles ,
où les Comédiens François repréſenterent l'Anglois
à Bordeaux & le proverbe des trois Aveugles.
Aun feu d'artifice ſuccéda un ſouper ſervi
Tur différentes tables dreſſées dans la falle de
Ranelag. On lança enſuite un ballon de 6 piés
de diamettre , auquel on avoit ſuſpendu un panier
entouré de quelques bougies ; on ne l'abandonna
à lui-même qu'après l'avoir laiſſé fufpendu
quelque temps à 25 à 30 piés , pour
qu'on pût lire les deviſes & les vers dont il étoit
chargé. Comme le temps étoit fort ſerein
ne le perdit de vue que long-temps après qu'il
ſe fut élevé , & ona ſu enſuite qu'il étoit tombé
àBoulogne. La fête fut terminée par un bal qui fut
prolongé juſques vers les 7 heures du matin.
L'ordre& le goût qui ont régné dans cette fête
la variété des amuſemens qu'elle preſentoit , le
concours des plus jolies femmes & de la compagnie
la mieux choiſie , tout a ſecondé l'intention
de l'ordonnateur & a paru digne de rappeller
l'heureux événement qu'il vouloit célébrer.
on
Nous ne pouvons refuſer l'inſertion de la
lettre ſuivante que nous avons reçue ; c'eſt
une erreur que nous rectifions , & une fatisfaction
que nous devons à un pere , qui reclame
ce titre ſur un fils qui a ſervi avec
gloire & avec diftinction , & auquel il doit
etre fatisfait d'avoir donné le jour.
« Vous vous êtes trompé , M. , en faiſant M.
Bouvet , arrivé de l'Inde le 24 Août dernier , fils
de M. Bouvet . Capitaine de vaiſſeau du Roi. II
eft fils d'un ingénieur de la marine de Saint-
Servant prés Saint - Malo. Quoique ce ſoit la
même famille , le pere juge à propos de récla
N°.41 . 11 Octobre 1783 . d
( 74)
mer fon fils avec d'autant plus d'empreſſement
& de tendreſſe , que c'eſt le ſeul qui lui refle
de quatre qu'il a eu enſemble comme auxiliaires
au ſervice du Roi , dont 3 ont péri dans ceite
guerre, en montrant autant de courage & de
zele pour la gloire de la nation , que leur aîné
dont il eſt queſtion.
Tous les Officiers qui devoient s'affembler
le 20 du mois dernier à l'Orient , pour
le Conſeil de Guerre qui doit s'y tenir , y
étoient arrivés avant cette époque ; mais
M. le Comte de Guichen ayant été obligé
de retourner à Morlaix pour revoir le Procès
de M. le Chevalier de Vigny , les premieres
féances du Conseil de Guerre de l'Orient
font remiſes , dit- on , au 10 de ce mois.
: On a commencé à Cherbourg à jetter en
mer les caiſſes qui doivent ſervir aux fondemens
des Forts. On n'oſe pas encore ſe
promettre un plein ſuccès , & on craint que
le fond ne foit pas affez bon pour foutenir
des maſſes auſſi lourdes , & qu'un coup de
iner ne détruiſe encore ces grands travaux.
Parmi les grandes entrepriſes il ne faut pas
oublier celle qu'ont en vue les Etats de Languedoc.
Depuis long-temps ils defirent de mettre
le port d'Agde en état de recevoir des vaiſ
ſeaux comme par le paflé. Le Gouvernement a
chargé M. Groignard de ſe rendre ſur les lieux
pour examiner ſi là choſe eſt praticable. Cet
Ingénieur général de la marine a été reçu à
Agde comme un Dieu tutelaire , & il a récom -
penſé les citoyens de l'affection & de la confidération
qu'ils lui ont témoignées , en les aflurant
qu'il leur donnera 17 piés d'eau à l'entrée
de leur port, ce qui ſeroit ſuffifant pour y ad.
( 75 )
mettre des fluttes &des gabarres de 1000 à 1200-
tonneaux; il ne s'agit plus actuellement que de
trouver les fonds néceſſaires pour cet objet , &
il paroît que la Province eſt diſpoſée à en fournir
la plusgrande partie.Ce port , par ſa proximité
avec le canal de Languedoc , deviendra
bientôt l'entrepôt de Marseille , de l'Eſpagne , de
la côte de Barbarie , &c. - Ce n'eſt pas ſeulement
en France que les grands talents de M.
Groignard ſont connus , appréciés & employés ;
on l'a demandé en Hollande pour le charger
des travaux de quelques-uns des ports de la République
, qui comme celui d'Agde , ſe trouvant
bouchés par les atterriſſemens , ne peuvent
plus recevoir de gros vaiſſeaux .
Les chaleurs exceſſives de l'été , & la prodigieuſe
quantité de fruits , bien plus que la
mauvaiſe qualité qu'on leur ſuppoſe en divers
endroits , ont occaſionné depuis deux mois ,
& principalement dans les campagnes , des
maladies putrides & des fievres de toute efpece
; elles ont attaqué M. le Duc d'Orléans
à Sainte-Affiſe , où ce Prince paſſe la belle
faifon. A la premiere nouvelle de fon indifpoſition
, Madame la Ducheſſe de Chartres
a volé auprès de lui ; les accès n'ont pas été
longs ; le Prince a été en état de fortir &
dechaffer , il y a quelques jours , en caleche.
Les expérience de M. de Mongolfier vont bientôt
recommencer ; on travaile à la réparation
de la grande machine , à laquelle on ajoute quelaunes
de toiles pour l'agrandir ; on en double
le haut , parce qu'on s'eſt apperçu que c'eſt-là
où ſe fait le plus grandeffort du gaz. Un homme
s'élévera , dit-on , avec la machine dans les pre
d2
( 76 )
mieres expériences. On établira dans la cage
qui le contiendra un fourneau propre à former
du gaz , à mesure qu'il y aura déperdirion de
celui renfermé dans la machine : lorſqu'il voudra
deſcendre , il ouvrira une foupape qu'on
prépare à cet effet , pour donner entrée à l'air
armotſphérique : ce ſera , dit-on, l'un des ouvriers
les plus intelligens qu'on choiſira pour cela. Cet
homme avoit déjà fait les plus fortes inſtances
pour accompagner celle qui s'éléva aux yeux du
Roi; on ſe refuſa à ſes defirs , & comme le Roi
a voulu qu'on prit ſoin dans ſa ménagerie du
mouton qui ſervit à cette expérience. « Voyezyous
, dit cet homme , quelle fortune je faisois , fi
l'on m'eût permis de me mettre àſa place comme
je le demandois ; & le Roi , qui s'est intéreſſé au
fort d'un animal , qui lui aſſure une nourriture certaine
& une vie tranquille , n'auroit pas dédaignė
d'enfaire autant pour un pauvre ouvrier.
On lit dans diverſes feuilles une anecdote
aſſez plaiſante ſur ces nouvelles machines ,
peut- être n'est- elle en effet qu'une plaifanterie.
Quoi qu'il en ſoit , nous la tranfcrirons.
On nous mande de Péronne , qu'un Marchand
de Bruxelles , ayant commandé so Ballons d'air
inflammable , à ſon Commiſſionnaire de Paris ,
ce dernier les lui a expédiés auffi-tôt parune voiture
publique. Etant arrivés au Bureau des Fermes
du Roi de cette premiere Ville , les Commis
voulurent s'aſſurer ſi la caiſſe qui contenoit ces
Ballons ne recéloit rien qui dût payer les droits
preſcrits dans leur tarif. Le Facteur de la Diligence
eut beau leur dire que c'étoit des Ballons
remplis d'air inflammable , ils ne voulurent point
le croire ſur ſa parole & ouvrirent la caiſſe : dans
l'inſtant ces Ballons commencerent à s'ébranler ,
prirent leur effor & s'éleverent dans les airs , au
( 77 )
grand étonnement des Viſiteurs , qui prirent la
fuite de frayeur.
La lettre que nous venons de recevoir
ne peut que faire plaifir à ceux qui s'occupent
des ballons aéroſtatiques , des moyens
de les perfectionner ,&des applications qu'on
peut en faire.
,
Comme dans ce moment le Public & les Savans
paroiſſent fort occupés des Ballons Aero -ftatiques
& des moyens de naviguer dans les airs.
J'ai cru que vous voudriez bien annoncer dans
votre Journal qu'il exiſte dans des ouvrages anciens
des recherches qui ont les mêmes expériences
pour objet; on les trouvera raſſemblées dans
un livre publié en 1700 , ſous le double titre de
Inventa Nov antiqua , le frontiſpice porte Georgii
Pafchii Gedanensis Phil. D. ejusdem que inAcadem'a
quæ Kiloni Holfatorum eft Prof. ord. de novis
inventis , quorum accuratiori cultui facem prætulit
antiquitas . &c . Editio ſecunda Lipfie 1700 , 1 vol.
in-4. A la page 625 , 5. XXVI , on trouvera
qu'un Pere Lana , Religieux Italien paroît
avoir le premier imaginé des moyens de s'élever
dans les airs , & de s'y foutenir par un art que
l'Auteur appelle Ars Aero - nautica. Le P. Lana
a publié ſa diſſertation ſur cette matiere , en Italien
, à Brescia en 1670 , dans un recueil , fous
le titre de Del prodromo premeſſo all'arte maestra,
où ce Pere traite fort au long au Chapitre VI.
de la navigation Aerienne. Pafchius a inféré dans
ſon livre cette diſſertation entiere du Pere Lana
traduite en latin , elle occupe environ dix pages :
il va joint au § XXVII. les témoignages de
pluſieurs Savans Auteurs qui ont cru que l'on ne
devoit pas regarder l'art de voler comme une
choſe à laquelle il eſt impoſſible de parvenir.
Je ſuis &c . Signé , D'H.
D3
( 78 )
Une lettre de Clermont en Auvergne
contient les détails ſuivans .
2 Le 19 Septembre , à trois heures après midi
le feu prit dans Montferrand , à une grange qui
contenoit environ 25 mille gerbes de différens
grains ; le progrès e. fut fi rapide , que trois
paylans qui y travailloient purent à peine ſe ſauver.
L'activité des ſecours adminiſtrés par les Cavaliers
du Régiment Royal -Navarre , ſecondés de
la Compagnie des Pompiers de la Ville , arrêta
cet incendie , qui s'étant déia communiqué au
toît des maiſons voiſines , inſpiroit les plus vives
alarmes . A dix heures du ſoir , on crut être
parvenu à avoir tout éteint , mais ſans la précaution
que l'on eût d'y laiſſer un corps degarde
de Cavalerie & de Pompiers , la Ville entiere eût
été embraſée ; lefeu , qui avoit miné ſous un
gerbier énorme , ſe man feita (ncore à minuit ; le
vent qui ſoufloit en ce moment , faifoit craindre
que les pailles enſtammées ne portaſſent
le feu dans toute la Ville , fi le gerbier avoit le
temps de s'allumer en entier. -Les Cavaliers le
chargerent de la commiffion délicate & dangereuſe
de retirer de la grange toutes les gerbes que
les pompes éteignirentà mesure qu'ils les arrachoient
enflammées du tas , pour les porter à
une place écartée ; cela fut exécuté avec tant de
rapidité & d'ordre , qu'on en a ſauvé une partie
confidérable de grains , mais fi pénétrés d'eau &
de fumée que les beftiaux refuſent de les manger.
Cet acte de zele où la plupart des Cavaliers 、
ont brûlé leurs fouliers & avarié leurs hardes , a
été ſuivi de leur part d'un trait qui leur fait encore
plus d'honneur. - Les Officiers Municipaux ,
après s'être acquittés le lendemain des remercimens
qu'ils devoient aux Officiers , avoient cru
devoir envoyer aux Cavaliers une gratification de
( 79 )
100 liv. Cette ſomme'ayant été diſtribuée auk
Chefs de chambrée , & par eux préſentée aux
Cavaliers , tous unanimement s'écrierent qu'ils ne
vouloient d'autre récompenſe que la fatisfaction
de s'être rendus utiles , & prierent d'appliquer
cette ſomme aux malheureux qui avoient ſouffert
de l'incendie.-Trois particuliers qui avoient
perdu toute leur récolte, appellés pour prendre
part à cette diſtribution , répondirent que leur
économie & leur travail les mettoient en état de
ſe paſſer de ce ſecours pour vivre. Mais que ce
malheur les réduisant à l'impoffibilité abfolue
d'aider des orphelins & trois familles indigentes &
nombreuſes , avec qui ils partageoient ordinaiment
leur pain, ils demandoient qu'on leur appliquât
leur quote part , ce qui fut fait fur le champ
-par les Députés des Cavaliers du Régiment.
Parmi les uſages anciens il en eſt de trèsfinguliers
, & qui ne font pas indignes de
la curiofité de l'Obſervateur & du Philofophe.
La ſource la plus fûre dans laquelle, on
puiſſe les puifer , eſt le dépôt des Réglemens
de Police ; ils tiennent aux uſages , ils n'en
condamnent aucun qui n'ait exifté.
Nous avons dans nos archives , écrit on de
Troyes une Ordonnance de Police du 12 Août
1612 , dont quelques extraits pourront paroî
tre piquans. Je les préſenterai lans yjoindre aucune
réflexion. Par cette ordonnance publiée
dans tous les carrefours de la ville , les reven
deurs , tant aux changes , qu'au petit marché
près Notre Dame , devoient à l'Exécuteur de
de la Hae Juſtice ſes étrennes en fruits à leur
difcrétion. Les patiffiers qui s'établiſſoient alors
tous les Samedis de carêmes tant aux changes
qu'au même petit marché , lui devoient chacun
d 4
( 80 )
tous les Samedis , deux maillées d'échaudés , &
le jour de l'an autant. Par la même ordonnance
les filles joyeuses uſant de leurs droits lui devoient
chacune cinq fols une fois ſeulement. Les ladres
qui ſe pourchaſſoient en cette ville lui en devoient
autantpour leur bienvenue , & ils étoient obligés
de lui donner un liard aux quatre bons jours de
l'année , s'ils se trouvoient àTroyes .
On mande de Metz un exemple de fécondité
bien extraordinaire .
Un cep de chaffelas me parut l'année derniere
chargé d'une fi grande quantité de grappes ,
que j'eus la curiofité de les faire compter eхас-
tement ; il s'en trouva 543. Cette année méme
curiofité , on en compte 561. Il n'y a que 5 ans
que le cep a été planté , & a remplacé un abricotier
ſur la face de la maiſon de mon vigneron
, Jean Darange à Juſſy , à l'expofition
du levant , la maiſon n'a environ que 4 toiſes de
face.
>> L'Académie des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Châlons fur- marne , tint le 25 du
mois dernier ſa ſéance publique dans laquelle
elie diſtribua trois Prix. Le premier , ſur les
moyens de rendre la Justice en France avec le plus
de célérité & le moins de frais poffibles , fut adjugé
à M. Buquet , Procureur du Roi hono
raire au Préfidial de Beauvais , dont le Mémoire
l'a remporté ſur douze qui avoient été préfentés
au concours. Le ſecond , ſur les moyens
d'améliorer en France la condition des Laboureurs ,
des Journaliers & hommes de peine , vivant dans
les Campagnes , & celle de leurs femmes & de leurs
enfans , fut accordé à un Mémoire dont l'Auteur
ne s'eſt pas fait connoître. Le Troiſieme ,
qui avoit pour ſujet les moyens de perfectionner
l'éducation des femmes en France , fut donné à
:
( 81 )
M. Dumas , Avocat à Lons-le-Saunier. L'Academie
propoſe pour ſujet du Prix qu'elle adjugera
le 25 Août 1785 , les moyens de faciliter &
d'encourager les Mariages en France , conciliés
avec le respect dû à la Religion & aux Moeurs publiques.
Elle adjugera dans la même aſſemblée un
Prix extraordinaire de 1200 liv. , ſur les moyens
d'animer le Commerce en Champagne , & particuliérement
dans la ville de Châlons . Les Mémoires
écrits en françois ou en latin ſeront adreſſés ,
francs de ports , à M. Sabbathier , Secrétaire
perpétuel de l'Académie , avant le 1 Mars 1785 .
La même Académie a déjà prévenu le Public
qu'elle adjugeroit un autre Prix le 25 Août 1784 ,
fur les moyens de perfectionner l'Education des Cul
léges en France.
L'Académie des Sciences , Inſcriptions & Belles-
Lettres de Toulouſe , a adjugé le prix fur
l'influence de FERMAT ſur ſon ſiecle , relativement
aux progrès de la haute Géométrie & du
calcul , & l'avantage que les Mathématiques ont
retiré depuis , & peuvent retirer encore de ſes
ouvrages à M. Genty , Docteur Agrégé en l'Univerſité
de Paris , de la Société Royale d'Agriculture
d'Orléans , Profeſſeur de Philoſophie au
College Royal de la même Ville. Elle a remis
à l'année 1785 le ſecond prix , dont le ſujet
eſt de déterminer tous les moyens les plus avantageux
de conduire dans la ville de Toulouſe
une quantité d'eau ſuffiſante , ſoit des ſources
éparſes dans le territoire de cette ville , ſoit du
fleuve qui baigne ſes murs , pour fournir en tout
temps dans les différens quartiers , aux beſoins
domeſtiques , aux incendies & à l'arroſement des
rues , des places , des quais & des promenades. Il
ſera de $400 . Elle propoſe pour le ſujet du
prix qu'elle diſtribuera en 1786 , de déterminer
ds
( 82 )
les moyens de conſtruire un pont de charpente de
24 piés de voie , &d'un ſeul jet , c'eſt - adire , ſans
piles , ſur une riviere de 450 piés de largeur
dont les rives font ſupérieures d'environ 25 pics
au niveau des eaux ordinaires .- Le ſujet du
prix de 1784 eſt toujours d'affigner les effets de
l'air & des fluides aériformes , introduits ou produits
dans le corps humain , relativement à l'économie
animale. Le prix ſera de cent piſtoles .
Pour le prix ordinaire de 1785 , qui ſera de 5001 .
elle propoſe d'expoſer les principales révolutions
que le commerce de Toulouſe a eſſuyées ; & les
moyens de l'animer, de l'étendre & de détruire les
obstacles , foit moraux , foit phyſiques , s'il en eft
qui s'oppoſent à ſon activité & à les progrès.
Les ouvrages adreſſés à M. l'Abbé de Rey , Secrétaire
perpétuel à Toulouſe , ne front reçus
que juſqu'au dernier de Janvier des années pour
Desprix deſquelles ils auront été composés.
Le Dimanche 3 Août 1783 , ſur les tro's
heures après midi écrit-on de S. Bohaire , un
orage extraordinaire venant du S. O. ayant la
direction au N. E. parcourut en moins d'une
heure & demie , plus de 20 lieues de terrein en
longueur , ſur la largeur d'environ une lieue.
-Tout ce qui s'efl rencontré ſur ſon paſſage,
comme maiſons , arbres , grains , &c. a été détruit
en tout ou en partie. - La partie de la
baffe Beauce , voiſine de la riviere de Loire a
Je plus fouffert. La pluye , la grelede la groſſeur
du pouce , étoient ſi abondantes , & le vent fi
impétueux , qu'en 5 minutes de temps en chaque
endroit les habitans virent périr leurs récol
tes qu'ils commençolent à moiffonner. La
Paroiſſe Saint Bohaire Diocèse de Blois , dépendante
de la terre de Foffé , dont M. le Chevalier de
Boileve , ancien Major de Breſt , eſt Seigneur , a
-
( 83 )
fur-tout éprouvé un déſaſtre affreux; fur les trois
heures & demie un foudre de vent précédé de
quelques fecondes d'une pluye & d'une grêle abon
dantes , a dans ſa courſe arraché ou caſſé les
arbres , dépouillé les vignes , emporté les grains
coupés , perdu ceux qui étoient fur pied , ren
verſé les cheminées , enlevé les toits en tout ou
en partie ; de 40 maiſons , fermes & moulins qui
compofent le Village , aucune n'a été intacte ,
même pluſieurs fermes voiſines appartenantes au
Seigneur , ont été endommagées conſidérablement.
Ce qu'il y a de plus déplorable , c'eſt
la deſtruction entiere de la charpente & couverture
de l'Egliſe de 56 pieds de long ſur 24 de
large , & 19 de hauteur de fêtage. Cette charpente
de chataignier quoique conſtruite en 1555
n'en étoit pas moins três belle & bonne. Elle
a été renverſée partie en dehors , & le reſte
en dedans de l'Egliſe ; c'étoit le jour du Patron
& pendant les Vépres . - 40 perſonnes ont
été bleffées ; 108 n'ont du leur falut qu'à la
bonté du lambris qui a retenu la plus grande
partie de la charpente. On ne peut peindre
J'image effrayante de ce moment défaſtreux .
Les malheureuſes victimes qui ne font pas reftées
ſous les décombres couvertes de ſang , &
toutes fangeuſes alloient au pied de l'autel du
Seigneur offrir un reſte de vie très - douteux . On
ne voyoit de tout côté que le ſang couler , &
P'on entendoit des cris lamentables ; pluſieurs
perſonnes retirées des décembres ont été adminiftrées
dans l'Egliſe,
Il ſemble que la providence a veillé à la
conſervation de tant de malheureux en danger .
Un ſeul jeune homme de 21 ans a été tué fur
la place. Il y a peu de fractures , mais reque
toutes les playes ont des découvertes d'os
d6
( 84 )
laplupart cauſées par la chûte des ardoiſes. On
n'en a pas trouvé un demi cent d'entieres. Il n'y
a pas une latte qui ſoit reſtée attachée au chevron.
Tout ce dégat a été fait dans l'eſpace de
4 ou 5 minutes. - M. l'Evêque de Blois dont
la bienfaiſance & le zele pour les pauvres font
fi connus a ſur le champ pourvu aux premiers
beſoins des malheureux , & donné des ordres
pour que rien ne leur manquât - M. l'Intendant
d'Orléans n'a pas plutôt été inſtruit de
ce déſaſtre qu'il a écrit au Prieur du lieu une
lettre de conſolation pour lui & ſes Paroiſſiens
avec promeſſe de venir à leurs ſecours. Son coeur
tendre & compâtiſſant n'a pas borné ſon zele
à des paroles ; peu de jours après , il s'eſt tranfporté
ſur les lieux ; y a pris une connoiſſance
détaillée des malheureux & de leur perte , a répandu
quelques largeffes , promis des ſecours plus
étendus , & fait eſpérer un prompt rétabliſſement
de l'Eglife.
Jean- Augustin de Fretat de Sarra , Evêque
de Nantes , eſt mort ſubitement le 20 Septembre
dans ſa ville épiſcopale , âgé de 57
ans. Une charité ſans bornes , jointe à la
pratique la plus conſtante de tous les devoirs
de l'Epiſcopat , lui avoit mérité l'eſtime générale
, & juftifie les regrets unanimes de
toute la Province de Bretagne.
Jacques- Marie de Caritat de Condorcet ,
né à Condorcet en Dauphiné, le 11 Novembre
1703 , & nommé Evêque de Gap en
1741 , d'Auxerre en 1754 , & de Lizieux en
1761 , eſt mort en cette derniere ville le 21
Septembre dernier , dans la 80°. année de
fon âge. Ce digne Prélat , reſpectable par ſa
( 85 )
bienfaiſance , donnoit tous les ans les deux
tiers de ſes revenus aux pauvres.
Victor- Leon de Fera Rouville , Prêtre ,
Prieur Commendataire de Saint Dizier de
Langres , eſt mort à Donnemarie enMontois
, le 21 Septembre , âgé de 74 ans.
Madeleine de Treffemanes-Brunet , mariée
le 20 Septembre 1750 à Louis de Felix la
Regnarde , Baron d'Olieres de Saint-Maime ,
Dauphin , Seigneur Comte de Grignan , &
autres lieux , eſt morte dans ſes Terres en
Provence , le 23 Septembre , âgé de 58 ans .
Ses vertus & fes qualités perſonnelles la font
regretter de tout ce qui la connoiſſoit.
François- Marie - Léonor de la Madeleine
de Ragny , Vicomte de la Madeleine , &c. ,
eſt mort à Clermont en Auvergne le 8 Juillet
dernier. Il avoit pour cinquieme aïeul François
de la Madeleine , Marquis de Ragny ,
Chevalier de l'Ordre du Roi à la promotion
de 1595 .
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , concernant la
Caiſſe d'Es ompte. Du 27 Septembre 1783 .
-La rareté du numéraire opérée par les circonſtances
de la guerre , qui ont empêché l'importation
annuelle & réguliere des matieres d'or.
& d'argent , en même temps que les especes.
ont été exportées au loin , a forcé le Commerce
, & fur tout celui de la ville de Paris ,
à recourir à la reſſource que le Gouvernement
a voulu lui ménager , en autoriſant l'établiſſement
de la Caiſſe d'Eſcompte.
Les Adminiſtrateurs , empreſſés de ſecourir
Le Commerce , ont eſcompté autant de Lettres
( 86 )
de change & de bons Effets ſur Particuliers
qu'il s'en est préſenté ; admis à payer cès Lettres
de change en argent ou en Billets de Caiffe
au Porteur , la confiance du Public , les a mis
dans le cas d'augmenter le nombre deſdits Billets
en proportion des beſoins des Commerçans
; mais la reſſource fur laquelle on a dû
compter pour remettre du numéraire dans la
circulation , ſe trouvant retardée dans ſes effets ,
il en réſulteroit pour la Caiſſe d'Eſcompte un
embarras momentané de continuer au Public
la facilité des Eſcomptes , dans l'impoſſibilité de
payer en eſpeces , & même de rembourſer en
argent comptant fes Billets lorſqu'ils lui font
préſentés en trop grande quantité , s'il n'y étoit
pourvu par S. M. Dans la néceſſité d'attendre
tout l'effet des reſſources que préſente le retour
de la Paix , & de continuer leur ſervice , ils
ne voient point de moyen plus aſſuré que d'être
autoriſés juſqu'au 1 Janvier prochain , époque
où la circulation des eſpeces ſera parfaitement
rétablie , à faire payer en Lettres de change
& bons Effets ſur Particuliers , exiftans dans la
Caiffe , les Billets de ladite Caiſſe , à ceux des
Porteurs qui ne voudront pas les laiffer dans
le commerce , aux offres qu'ils font d'en bonifier
l'escompte , s'il plaiſoit au Roi , moyennant
lesdites offres , de défendre juſqu'à ladite
époque du 1 Janvier , toute pourſuite contre
qui que ce ſoit , pour raiſon deſdits Billets au
Porteur , & d'ordonner qu'ils continueront d'avoir
cours , & d'être reçus & donnés pour comptant
dans toutes les Caiſſes générales & partculieres
dans la ville de Paris ſeulement. A quoi
voulant pourvoir , &c .
Autre , du 4 Octobre , qui ordonne l'ouver
ture d'un emprunt de vingt-quatre millions , en
( 87 )
deniers comptans ou en Billets de la Caiſſe d'E
compte. Cet emprunt , en forme de lotterie ,
fera ouvert au Tréſor Royal immédiatement
après la publication dudit Arrêt ; elle ſera de
60000 billets , à 400 liv . chacun , avec beaucoup
de chances de fortune , & l'aſſurance au
moins de la rentrée du capital & de l'intérêt
annuel . Le premier tirage , qui ſera fait au mois
d'Avril 1784 , ſera de 4000 billets , faiſant
1,961000 liv. payables en Octobre ſuivant. Le
deuxieme , en 1785 , de 5000 billets , & de
2,522000 liv. Le troiſieme , en 1786 , de 6000
billets , & de 3,121800 liv. Le quatrieme , en
1787 , de 7000 billets , & 3,919600 liv. Le
cinquieme , en 1788 , de 8000 billets , & de
4,652600 liv. Le ſixieme , en 1789 , de 9000
billets , & de 5,402800 liv . Le ſeptieme , en
1790 , de 10000 billets , & de 6,243400 liv .
Et le huitieme , en 1791 , de 11000 billets ,
& de 7,200000 liv.
Autre , du 4 Octobre , concernant les Payemens
de la Caiſſe d'Eſcompte. - Le Roi s'étant
fait repréſenter le procès-verbal dreſſé le
3 de ce mois , en vertu de ſes ordres , de la
vérification faire de l'état de la Caiſſe d'Efcompte :
& ayant reconnu que toutes déductions faites)
des Billets de lafite Caiſſe , payables aux porteurs
, qui circulent dans le Public , il lui reſte
en Lettres de change & bons Effets ſur particufiers
, outre la valeur des douze millions , à
quoi ſes fonds ont été fixés par l'Arrét du 22
Septembre 1776 , pour étre employés en totalité
à ſes opérations une ſomme affez forte ,
reſtant des bénéfices que les Actionnaires ne ſe
font point encore répartis ; S. M. a trouvé qu'il
étoit de ſa juſtice , & de l'intérêt du Commerce,
de manifeſter ce que ce réſultat préſente de fa(
88 )
tisfaiſant , & de donner aux Adminiſtrateurs de
la Caiſſe d'Eſcompte , une preuve de ſa confiance
, en leur laiſſant la liberté de n'uſer , en
faveur de ladite Caiſſe , de l'autorité des Arrêts
des 27 & 30 du mois paſſé , que de la
maniere qu'ils trouveront eux-mêmes la plus
convenable , en faiſant les payemens en deniers ,
à meſure des recouvremens , ainſi qu'ils y font
déjà autoriſés par l'Arrêt du 30 Septembre ; &
en leur continuant la faculté d'eſcompter les
Effets commerçables quand ils le jugeront à
propos , ſuivant la poſſibilité de ladite Caiſſe &
les beſoins du Commerce,
Les Numéros ſortis au tirage de la Loterie
Royale de France , font : 85 , 84,68 , 48 &
9.
DE BRUXELLES , le 7 Octobre.
Le refus dans lequel perſiſte la province
de Friſe de payer une partie de fon contingent
, & le rapport qu'a fait de cette affaire
auxEtats-Généraux le Comité de L. H. P.
pour emprunter , à la charge de la province ,
la fomme néceſſaire pour remplir le déficit
&pour employer l'exécution contr'elle , ſi
elle ne confent pas à acquitter cet emprunt ,
font toujours beaucoup de bruit en Hollande.
Les Etats de Friſe ont écrit au Sta-
✓ dhouder , pour lui demander fon opinion
fur cette meſure , qu'en qualité, de Stadhouder
il doit être chargé d'exécutèr. Il leur a
répondu , en déclarant d'abord qu'il ne ſe
crovoit nallement dans l'obligation de leur
rendre aueen compte des avis qu'il donnoit
dans le Conſeil d'Etat , mais qu'il étoit dif
( 89 )
poſé à leur donner quelque ouverture ſur ce
ſujet , comme une preuve de ſa déférence.
Sa lettre contient en général des exhortations
& des voeux pour la conſervation de
l'union , & le maintien de l'eſprit de concorde
entre les confédérés. Il cite entr'autres
l'exemple d'un rapport ſemblable à celui
dont ſe plaignent les Etats Frife , & qui fut
fait avec leur attache le 17 Octobre 1771
contre les Etats de Zélande.
CC
,
Les Etats de Friſe , écrit-on de la Haye ;
n'ont point encore répliqué à cette lettre, on
s'attend qu'ils feront voir la différence qui ſe
trouve entre le cas où ils ſe trouvent & l'exemple
qu'on leur oppoſe. Ces différences ſont très vifibles
; on ſe rappelle que le rapport des Commiſſaires
de L. H. P. & l'avis qu'ils conſeilloient
n'eurent aucun effet en 1771 , & que
cette province refuſa constamment aux autres
Confédérés l'examen du véritable état de ſes
finances . En attendant les habitans de la
Friſe ont préſenté aux Etats de la province une
adreſſe ſur cet objet ; elle contient de plaintes
très-graves contre le rapport des Commiſſaires ,
&fur-tout de la propoſition faite par eux de
requérir pour une exécution le pouvoir & l'autorité
du Stadhouder , du premier Officier
d'Etat de la Province, en qualité de ſon Stadhouder
, & qui en même temps , comme ſon
Capitaine Général , eſt ſubordonné ſous ces deux
titres à l'autorité ſuprême de L. N. & G P. ,
devroit ſe mettre le premier à la breche pour
les garantir de toure attaque &de toute violence
On s'étend auffi dans cette adreſſe ſur l'état des
finances de la Province , ſur les efforts qu'elle
( १० )
a faits , & qui la mettent hors d'état de les
continuer. Cette pétition a été ſignée par un
très-grand nombre de citoyens de Leuwarde ,
& préſentée le 19 à L. N. & G. P. On en a
envoyé des copies dans les 19 autres villes &
dans les 30 diſtricts où l'on s'eſt empre ſſé de la
igner auffi. 1
L'Envoyé extraordinaire de Pruſſe auprès
des Etats-Généraux leur a préſenté un mémoire
, dans lequel il inſiſte ſur la réduction
du droit de left en veil geld , ( defret &
de tonnage ), que les Navires Pruſſiens paient
dans les ports de la République , comme
tous les autres , en conféquence de la réſolution
de L. H. P. qui avoit doublé ce
droit pour fubvenir aux dépenſes de la Marine.
La ville d'Utrecht a écrit derniérement
au Stadhouder , pour le prier de ne plus y
envoyer de troupes , dans le cas où il auroit
le deſſein d'en augmenter la garnifon ,
Ce qui ne lui paroit pas néceſſaire , & pour
l'engager , dans le cas où il voudroit la chan
ger , de donner des ordres pour que la nouvelle
garnifon n'entrât dans la ville , que
lorſque celle qu'elle doit relever en ſera
fortie.
On croit que le choixdes Provinces-Unies
pour leur Ambaſſadeur à la Cour d'Angleterre
, tombera ſur M. de Lynden , qui a
déja rempli l'Ambaſſade de Suede.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL . ET AUTRES .
On a demandé ſouvent dans nos papiers pu(
91 )
blics de quelle utilité pouvoit nous être Gibraltar
qui nous coute des ſommes immenfes. Pour
moi je redoute ces fortes de queſtions , parce
qu'elles font craindre que les Miniſtres ne cherchent
à fonder les ſentimens du public fur cet
objet , dans le cas où il ſeroient tentés de rendre
cette fortereſſe .
Les Colonies Françoiſes ont rapporté dans les
marchés de France pendant l'année 1782 les
ſommes ſuivantes , argent d'Angleterre. Saint-
Domingue , 4,326,000 liv. sterling ; la Martinique
, 1,140,000 ; la Guadeloupe , 1,450,500;
Surinam & Cayenne , &c. , 460,000 ; Ile de
France , 1,600,000 ; Ifle de Bourbon , 800,০০০ .
Total , 9,636,500 . liv . - L'Amirauté a réglé
ainſi le complet des équipages des vaifléaux de
garde dans les divers ports. Pour les vaiſſeaux de
90 canons , 650 ; pour ceux de 74 , 5203 pour
ceux de 64 , 460. Sur ce pied l'Angleterre aura
toujours une eſcadre prête à mettre à la voile .
-Les vaiſſeaux qui avoient été vus à la hauteur
de Spithead le 22 Septembre au foir , &
que d'abord on préſumoit être un eſcadre rufſe,
ne font que quelques bâtimens hollandois venant
dela pêche du Groenland ; leur groffeur les avoit
fait prendre pour des vaiſſeaux de guerre.
On a des lettres d'un Officier éttanger qui eſt
en Crimée ſous un nom & un habit tartare ;
il obſerve ce qui ſe paſſe dans cette preſqu'ifle.
Il marque que la Porte a un parti très- puiſſant
parmi ces peuples , & qu'il s'en faut de beaucoup
que la domination ruſſe y ſoit ſolidement
établie. Il ne manque , dit-il qu'un chef & des
munitions auxTartares pour obliger les troupes
ruſſes à ſe replier , & pour aller attaquer même
les frontieres de la Rudie. Courier du bas Rhin,
n°. 77.
( 92 )
Il n'eſt pas douteux que le changement de
Hoſpodar de Walachie ne déplaiſe infiniment
à la Ruffie ; peut-être elle ou ſes alliés auroientils
pu l'engager à abdiquer comme Sahim-Gheray,
ou à livrer ſa province comme le fit dans
la guerre derniere Ghliga Ghika . On eſpere
beaucoup de Drako Suzo ; ila , dit- on , de l'ef
prit & du mérite , & les Vaſſaux de l'Empire ,
qui ſe flattent peut-être en ſecret de profiter de
la foibleſſe du Gouvernement Ottoman , pour
ſe rendre independans ; paroiſſent bien réſolus
de ſe défendre contre les invaſions étrangeres .
Gazette de Cologne , nº . 154 .
Quoique les préparatifs de guerre continuent
dans les provinces Autrichiennes , on n'oſe pourtant
rien encore aſſurer ſur la guerre. Lorſque
S. M. I. avant ſon voyage en Moravie , parloit
de différens arrangements pour mettre le pays
en état de défenſe , on fit attention qu'il dit
poſitivement en parlant à un Magnat de Hongrie
: mais quand la guerre avec la Turquie aura
lieu , il nous faudra ſuſpendre tous ces changemens.
Je ne fais pas encore pour certain fi j'aurai
la guerre ; mais ce qui est sûr , c'eſt que la
Fuſée doit ſe démêler au commencement de
Novembre. Supplément à la Gazette d'Amsterdam
n°. 77
Selon quelques feuilles étrangeres la République
de Veniſe a fait avec l'Impératrice de
Ruffie un traité offenfif & défenſif de 20 ans ,
ſuivant lequel les Vénitiens doivent armer dix
vaiſſeaux de ligne & un nombre proportionné
de frégates & de galeres qui ſe joindront aux
eſcadres Ruſſes contre celle des Turcs . La République
deVeniſe s'oblige en outre par ce traité
à recevoir dans ſes ports les vaiſſeaux de guerre
Ruſſes , & à leur donner tous les ſecours dont
( 93 )
ils pourront avoir beſoin ; & l'Impératrice de
Ruffie s'engage de ſon côté à mettre les Vénitiens
en poffeffion de la Dalmatie & de toutes
les Iſles qui en dependent. La petite république
de Raguſe qui eſt dans le Golfe de Veniſe
reſtera ſeule indépendante comme auparavant. Selon
les mêmes feuilles étrangeres , une Cour
d'Allemagne a garanti ce nouveau traité aux
Vénitiens , Gazette d'Utrecht nº 77 .
Les Princes Héraclius , & Salomon qui regnent
en Georgie , viennent de ſe déclarer volontairement
vallaux de l'Empire de toutes les Ruffies.
Supplément à la même Gazette.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
La dixme des vins est- elle groſſe dixme.
>> Le ſieur Pliſſon , Curé de la Paroiſſe de Saint
Martin des Champs , près Mantes , a eſſayé de
foutenir la négative. -Les groſſes dixmes de
la Paroiſſe dont il s'agit appartiennent indiviſément
au Curé , à l'Abbaye royale de Saint-Corentin-
les-Mantes , & au Séminaire de Chartres ;
d'après le privilege particulier qu'a le Curé d'être
Fermier des dixmes ſans payer de taille , les Abbeſſes
lui ont de tout temps affermé leurs dixmes.
Les différens baux ont tous énoncé celle
des vins. Le dernier Titulaire étant mort au
commencement d'un bail des dixmes que l'Abbaye
venoit de lui paſſer , ſon héritier en a
continué l'exploitation. Le ſieur Pliffon , nommé
à la Cure en 1776 , a voulu tirer avantage
de cette poffeffion precieuſe de ſes Prédéceffeurs
, pour ſe faire un titre exclufif ſur la
dixme des vins. Il a fait aſſigner , le 17 Octobre
1778 , le Fermier de l'Abbaye , pour voir
dire qu'il ſeroit maintenu dans le droit de percevoir
, ſeul , en ſa qualité de Curé , à l'ex
(94 )
clufion de tous autres , la dixme des vins crûs
&recoltés ſur le territoire de ſa Paroiffe , avec
défenſe au Fermier de l'y troubler , ſous peine
de 100 liv. d'amende , & reſtitution de la dixme
perçue en 1778 , & dépens. Une Sentence par
défaut , du 28 Octobre 1778 , rendue au Siege
de Monfort-Lamaury , lui avoit adjugé ſes concluſions
, appel du Fermier. -Arrêt du 12
Eévrier 1783 , qui a mis l'appellation & ce au
néant , déchargé le Fermier des condamnations
contre lui prononcées , & débouté le Curé de
ſa demande , avec dépens ».
GRAND'CHAMBRE .
Instance entre le fieur le Grand , Fabriquant de
Gizés , & le fieur de Roncerai , Commiffionnaire
de Voitures . -Commiſſionnaire , garant
des avaries qui furviennent aux marchandises qu'il
Se charge de transporter.
L'avantage & la sûreté du Commerce exigent
cette garantie , à laquelle ie Commiſſionnaire
cherche toujours à ſe ſouſtraire . Le fieur le
Grand , voulant faire paſſer à la Foire de Francfort
une partie conſidérable de Gazes , s'adrefſa
au fieur de Roncerai , pour f ire parvenir
à Strasbourg une caiſſe de 316 Pieces de Gaze
à l'adreſſe du ſieur Eberts , fils , ſon Correſpondant
, & en reçut , comme il eſt d'uſage , une
Lettre de Voiture , qui portoit que le nommé
Daboc , Voiturier , étoit chargé de la caiffe.
Elle fut néanmoins confiée ſucceſſivement à
differens Voituriers , & finalement la Charette
ayant verſé dans un ruiſſeau , les Gazes furent
mouillées. Le ſieur le Grand fit aſſigner aux
Confuls le ſieur de Roncerai , pour le faire condamner
à lui payer 11145 liv . 7 ſols 6 deniers ,
valeur de la Gaze , & autres ſommes pour caiſſes ,
( 95 )
cartons, défaut de vente , & dommages & intérêts
, & fut déclaré non recevable .-Appel
en la Cour de la part du ſieur le Grand. -Arrêt
du 6 Avril 1783 , qui a infirmé la Sentence ,
déchargé le ſieur le Grand des condamnations
prononcées contre lui , & condamné le ſieur de
Roncerai , par corps , à payer au ſieur le Grand
la valeur des marchandises , avec intérêts du
jour de la demande & dépens. Faifant droit fur
Ja demande en garantie du ſieur de Roncerai
contre Michel André , Voiturier de Sainte-Marie-
aux Mines , a condamné ce dernier à l'acquitter
, garantir , & indemnifer de tout ce que
deſſus ; ſur le ſurplus des demandes des Parties ,
les a mis hors de Cour.
Testament mystique .
Il s'agit dans cette Cauſe du teſtament myftique
du ſieur Nicolas D., Notaire royal à .....
par lequel il a avantagé un de tes neveux , au
préjudice des autres. Les Parties mécontentes
ont cherché à le faire anéantir, parce que le
Noraire avoit oublié , dans l'acte de ſuſcription ,
d'inſerer en la déclaration que le teſtament étoit
ſigné du teſtateur. Sentence des Juges de Macon
qui en a prononcé la nullité. Arrêt confirmatif
du 30 Août 1783 .
PARLEMENT DA PROVENCE .
Le ſieur M. , Prêtre , réſidant à Marseille ,
poſſede , dans le Quartier de Saint- Barthélemy
de cette Ville , un domaine qui touche celui de
Ja dame B. , veuve du ſieur G. , ancien Courtier
de Marſeille. Be chemin qui conduit à ces
domaines eſt bordé de murailles; fa largeur eſt
de huit , neuf , & même douze pans. -Le
fieur M. ayant imaginé que la voiture de la dame
G. endommageoit ſes murailles , s'eſt pourvu ,
le 18 Mars 1779 , devant le Lieutenant au Siege
de Marseille , pour que défenſes fuſſent faites
( 96 )
de paſſer en voiture dans le chemin dont eft
queſtion , & d'y faire paſſer des charettes ou
tombereaux , à peine de tous dépens , dommages
& intérêts. - La dame G. défendit à cette
demande , & le ſieur M. en fut débouté par
ſentence. -Sur l'appel , Arrêt du 4 Mai 1783
qui déboute le ſieur M. de ſa demande , & le
condamne aux dépens. -CetAArrrrêêtt juge que
les chemins vicinaux ſont publics , & qu'on
peut y paffer à cheval ou avec des voitures ,
pourvu qu'il y ait poſſibilité phyſique .
PARLEMENT DE FLANDRES.
Portion congrue , provifion.
Le Curé de Fourmiers en Hainaut , n'ayant
qu'un gros de Cure très-modique , l'abandonna ,
& conclut contre les Abbés & Religieux de
Lieſſies à une portion congrue , telle que le
Parlementde Flandres la fixeroit. De leur côté
les Abbés & Religieux déclarerent qu'ils aban
donnoient leur dixme & leur titre de Curé primitif.
Les choses en cet état , la Communauté
de Fourmiers fut miſe en cauſe , & le Curé
prétendit qu'elle devoit , moyennant la rétroceffion
qu'il lui faiſoit , tant de ſon gros de
Cure que des objets abandonnés par l'Abbaye ,
ſupporter la charge de la portion congrue. La
Communauté ayant foutenu que cette charge
ne pouvoit la concerner , même ſubſidiairement ,
le Curé demanda la proviſion à la charge de
qui lil appartiendroit. Queſtion de ſavoir qui de
l'Abbaye ou de la Communauté devoit cette
provifion ? Arrêt du IL Août 1783 , au
rapport de M. le Boucq , qui , avant faire droit
au principal , ordonne aux Parties de conteſter
plus amplement ; & par provifion , condamne
Î'Abbaye de Lieflies à payer au Curé une portion
congrue de 500 florins , fauf a augmenter.
ou diminuer en définitive , & en la moitié
des dépens envers routes les Parties , l'autre
moitié réſervée.
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 18 OCTOBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA MORT DU PAUVRE ,
Fable imitée de l'Allemand.
CERETRATAIINN VicairedeParoiffe ,
Dans un hameau déſert fut un foir appelé ;
Il y court : que voit- il ? Un vieillard iſolé ,
Luttant contre la mort & ſa dernière angoiſſe.
Là , ſeul , ce malheureux défailloit ſans eſpoir ,
Dans une couche affreuſe & toute délâbrée .
Près d'une table démembrée
On voyoit un vieux coffre noir ;
Sur unmur enfumé pendoit un arrofoir ,
Une bêche luiſante , une ſcie acérée ,
Et c'étoit- là tout ſon avoir.
Le Prêtre , en contemplant ce funèbre manoir ,
Sentit fon âme déchirée.
Nº. 42 , 18 Octobre 1783 . E
:
:
98 MERCURE
-Oh ! mon ami ! lui dit-il auffi-tôt ,
Reprenez courage , bon père !
Quel est votre bonheur ! vous ſortirez bientôt
De la priſon du monde &de votre misère!
Quittons celieu d'exil , quittons ce lieu de pleurs
Où dans la peine nous vécûmes ;
Ce monde n'eſt pas fait pour attacher nos coeurs,
Vous en avez ſenti toutes les amertumes ,
Hélas ! & jamais ſes douceurs !
-Raſſurez- vous , j'ai peu connu la peine ,
Répondit le giſſant, j'ai bien vécu toujours ;
Et d'auffi loin qu'il me ſouvienne ,
Je n'ai manqué de rien , & j'ai coulé des jours
Dont l'amitié charma le cours .
Mon coeur n'a pas connu le tourment de la haine ,
L'envie encore moins ; ſans une grande gêne ,
J'ai dû ma ſubſiſtance au travail de mes mains ;
Mes outils que voilà , ma bêche & ma coignée ,
Megagnoient tous les matins
L'entretien de la journée .
Né d'un fort tempérament ,
Sans dettes , mon propre maître ,
Que me manquoit-il donc ? Oh ! rien aſſurément ,
Et je dois m'en aller fatisfait & content.
-Un tel diſcours ſurprend le Prêtre.
-Quoi ! vous n'avez enfin nul regret de mourir ,
Vous ne reſſentez nulle crainte ?
-Pourquoi, dit le Vieillardd'une voix preſqu'éteinte,
DE FRANCE.
وو
Pourquoi donc ce regret ? A quoi peut-il ſervir?
Dieu m'a , vous le voyez , fi long-temps fait jouir
Du ſpectacle des cieux , du bienfait de la vie ,
Et de ce beau ſoleil ſon image chérie !
Je ſerois bien ingrat de ne pas le bénir !
D'ailleurs à ce bon père , après ma maladie ,
Ne vais- je pas me réunir ?
Ce n'eſt qu'au ſeul méchant à craindre l'avenir ?
Ildit& meurt. - Omort digne d'envie !
(Par M. Couret de Villeneuve. )
A Mile DU CH *** , fur ce qu'elle a exigé
que , fur le champ ,j'écriviſſe en vers à
une Dame defa connoiſſance.
L'AIMABLE du Ch*** m'a pris au dépourvu.
Elle parle , commande , & veut être obéie ! ....
Vite , dit- elle , un impromptu.
Sur fon front à ces mots la gaze m'a paru
Se changer en turban , & moi je ine ſuis cru
Aux piés de Sa Hauteſſe , humble esclave enTurquie :
J'ai fait tout ce qu'elle a voulu.
Du CH*** s'y prend mal , je le vois : elle ignore
Qu'elle n'a pas beſoin de ce ton abſolu.
Le defir lui ſuffit , & ce defir encore
Eſt fait pour être prévenu.
(Par M. Félix-Nogaret. )
E ij
100 MERCURE
CHANSON fur le Globe Aëorostatique.
AIR: Eh ! mais oui-dà.
L'EMPEREUR de la Chine
Attendoit l'autre foir
La burleſque machine
Qu'enfin il n'a pu voir.
Eh ! mais oui-dà ,
Comment peut- on trouver du mal à çà ?
Par trop grande viteſſe ,
Dans une heure de temps ,
Elle fut dans Gonefle
Étonner les Savans,
Eh ! mais , &c.
MAIS , choſe bien plus drôle!
Blanchard , ſans s'effrayer ,
Du Cabinet d'Éole
Veut être le Courier.
Eh ! mais, &c.
IL n'a pour attelage
Qu'un modeſte zéphyr,
Ah! le joli voyage!
On revient fans partir,
Eh! mais , &c.
DE FRANCE. 101
SUR un Globe bizarre ,
Chacun dorénavant ,
Plus aſſuré qu'Icare ,
Dirigera le vent.
Eh! mais , &c.
O SI l'Académie
Peut un jour s'y loger,
Nul vaiſſeau , je parie ,
Ne ſera ſi léger.
Eh! mais , &c.
LES Curés de Village
Sauront , par le Journal ,
Qu'un Globe qui voyage
N'eſt pas un animal.
Eh ! mais , &c.
MALBOROUG rentre en terre ,
Et nos eſprits flottans
Vont au ſein du tonnerre
Chercher leurs paſſe-tems.
Eh! mais , &c.
Tour Globe eſt fait pour plaire ;
N'en ſoyez pas ſurpris ,
Ce qu'on aime à Cythère
On l'aime dans Paris .
Eh ! nais , &c.
E iij
ΖΟΣ MERCURE
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Lemot de la Charade eft Mariage ; celui
de l'énigme eſt Nil ; celui du Legogryphe
eſt Radamanthe , Juge des Enfers , où l'on
trouve ane , rade , ame , amant & amante ,
amaranthe , amande, rame.
CHARADE à Mile
:
V
:
***
ous n'avez jamais fait ni connu mon premier ,
Et ſon contraire a pour vous des appas ;
En vous voyant on devient mon dernier;
Onest mon tout quand on ne vous voit pas.
(ParM. Tarteron , de Ganges. )
A
ÉNIGME.
MI Lecteur , je ſuis hermaphrodite ;
Si je ſuis maſculin , par fois j'ai du mérite ,
Par fois auſſi je ſuis plein de fadeurs
Mais vois un peu que mon fort eſt bizarre ,
J'en deviens précieux en devenant plus rare.
Féminin , j'ai ſouvent plus de poids, de valeur ,
De mes enfans jetiens mon exiſtence ,
J'en ai bien plus quandje ſuis à Paris ,
DE
103
FRANCE.
J'en ai bien moins quand je ſuis en Provence.
Je ſuis d'uſage en preſque tous pays.
Eh bien , Lecteur , tu me connois , je gage.
Je pourrois bien en dire davantage ;
Mais c'eſt aſſez tourmenter ton eſprit ,
Peut- être même ai-je déjà trop dit.
(Par un Habitant deMénil-Montant. )
LOGOGRYPΗ Ε.
COMME l'aîn POMME l'aîné de tous mes frères ,
Je ſuis toujours le plus fêté ;
Jamais aucuns ſoins mercenaires
Ne troublent mon oiſiveré.
Tout à la parure , au plaifir ,
Le repos eſt ma loi ſuprême.
Je vois pourtant que pour me découvrir
Il faut , Lecteur , prendre un autre ſyſtème ;
Or ,le voici : huit pieds forment mon être.
Les fix derniers te montreront d'abord
Une mer que tu peux connoître ,
Et qui baigne la France au Nord.
En me décompoſant, c'eſt une autre fabrique ,
Où tu dois façonner un pronom perſonnel ;
Un repas; un ton de muſique ;
Un air qui n'eſt point naturel ;
Du pain une partie ; une Province en France ;
Un fidèle animal ; d'un arbre le ſommet ;
E iv
104 MERCURE
En Afie un Empire immenfe ;
Un Miniftre de Mahomet ;
Un titre prodigué; la Déeſſe légère
Qui métamorphoſa l'indifcret Acteon ;
Le mois , Lecteur , qui verdit la fougère,
Et l'inſtrument qui sème ta moiſſon.
(Par un Officier de Royal Étranger. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉLOGE de Bernard de Fontenelle , l'un des
Quarante de l'Académie Françoiſe , Penſionnaire
de celle des Inſcriptions , &
Secrétaire Perpétuel de celle des Sciences.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés .
L'ACADÉMIE Françoiſe avoit propoſé ce
fujet pour ſon Prix d'Éloquence de cette
année. Elle n'a pas trouvé le ſujet rempli , &
elle a remis le Prix à l'année prochaine , en
propoſant encore le même Éloge. Ceux qui
donnent une certaine attention aux événemens
de notre Littérature , ont obſervé que
la couronne poétique étoit rarement adjugée
dans chaque concours , au lieu que
depuis très long temps la couronne d'éloquence
n'avoit pas été remiſe. Si l'on vouloit
expliquer cette différence , on remarqueroit
que communément les ſujets de
DE FRANCE. 109
poéſie ſont traités par de jeunes gens dont le
talent n'a pas encore atteint toute la maturite
, au lieu que les ſujets d'eloquence exigeant
davantage , ne ſont guères entrepris
que par des hommes qui ont déjà fait un
emploi ſérieux de leurs forces. Delà vient
qu'il y a ſouvent ſoixante Pièces dans le
concours de poefie , ſans qu'on puiffe trouver
dans une ſeule la meſure de talent &
de goût: néceffaire pour mériter le Prix ,
tandis qu'entre ſept à huit Diſcours , on en
trouve ordinairement un digne du Prix , &
pluſieurs autres qui en ont approché. On ne
peut attribuer qu'à des cauſes étrangères &
accidentelles l'impoſſibilité où s'eſt trouvée
l'Académie de couronner un Éloge de Fontenelle.
On ne peut croire que ce ſujet n'ait
pas tenté les talens dignes de le traiter. Si
Fontenelle n'eſt pas un des premiers hommes
dans les Sciences & dans les Lettres , c'eſt
au moins un des plus remarquables. Le
genrede fon talent , l'influence qu'il a eue ,
l'époque où il s'eſt trouvé place , ſon carac
tère perſonnel , tout ſe réunit pour le rendre
un objet fingulièrement piquant à peindre
& à apprécier. Mais cet Éloge eſt en
même temps très difficile; il appartient
peu à l'âme ; Fontenelle n'offre rien à
l'enthousiasme , il plaît ſans enchanter , il
étonne l'imagination ſans la frapper vivement
; il enrichit la penſée ſans l'élever. Ce
ſujet n'appartient pas non plus uniquement
à l'efprit. Il y a une foule de choſes dont l'efe
Ev
106 MERCURE
prit ſeul ne feroit pas un bon juge ,& l'éloge
de Fontenelle en préſente de ce genre. Comment
juger ſa manière d'écrire , la philoſophie
de ſes idées & celle de ſa conduite , ſi
on ne les compare pas à des principes différens
en morale& en littérature ?On a dit
que pour bien louer Fontenelle , il faudroit
un ſecond Fontenelle. Je ne crois cette idée
vraie qu'à moitié. Perſonne ne pourroit
mieux connoître & peindre un tel talent &
un tel caractère. Mais trop étranger à tous
les dons de l'âme & de l'imagination , renfermé
dans certaines qualités heureuſes &
brillantes , ce ſecond Fontenelle feroit comme
forcé de les préférer intérieurement , &
il lui feroit impoſſible d'entrer bien avant
dans les ſecrets d'une autre manière de penſer
& de ſentir. L'Éloge de cet Écrivain exigeroit
donc une philoſophie & un goût auxquels
un eſprit auſſi eminent & auffi exquis
que le fien n'a pu s'élever. Il demanderoit
auffi un ton de ſtyle , qui fans admettre les
grands mouvemens de l'ame & les riches
couleurs de l'imagination , en empruntant à
Fontenelle ces apperçus fijuſtes & fi fins qui
le caractériſent , & l'heureuſe ſingularité de
ſes expreſſions , en reproduiſant dans tout
le Diſcours ce calme actif & profond d'une
âme qui s'abandonne à tous les objets fans
s'en laiffer dominer , s'éleveroit quelquefois
à cette dignité avec laquelle on doit pro
noncer entre les talens & les gloires , & à
cette éloquence néceſſaire pour reconquérir
DE FRANCE.
107
aux Arts & à la vertu méme l'énergie des
paflions & la chaleur de l'enthouſiaſime. II
eſt aiſe ſans doute de concevoir tout ce que
demande un tel ſujet. La grande difficulté
eft de réunir & de bien employer tant de
qualités qui s'excluent peut- être , loin de
s'appeler . Aufli , lorſqu'on fait ou lorſqu'on
lit des plans d'Ouvrages tels que celui que je
trace ici , on doit toujours ſe tenir tout prêt
à reconnoître encore un grand mérite dans
un Écrit qui ne raſſembleroit pas toutes les
qualités qu'on avoit defirées .
Comme il eſt pluſieurs manières d'écrire
un Éloge , il en eſt auffi pluſieurs d'en envifager
le ſujet , & les unes & les autres ont
leur prix. Quelquefois on veut l'approfondir
, s'expliquer à foi-même , & révéler aux
autres tout ce qu'un grand Homme nous a
fait fentir , & par quels moyens ſe ſont
opérés tous les prodiges de ſon génie. D'autres
fois on ſe contente de recueillir ce qu'il
y a de plus vif dans nos propresimpreflions ,
ce qu'ily a de plus mûr dans les opinions des
bons juges ; on attache l'eſprit par des idées
évidentes , plutôt qu'on ne l'exerce par des
vûes nouvelles ; on agrandit moins la réputation
de celui qu'on loue , on perfuade
mieux ſa gloire. L'un de ces genres d'Ouvrages
convient davantage au talent qui ſent
le beſoin de raſſembler toutes les forces , &
qui peut encore profiter de tous ſes efforts ;
l'autre convient mieux à un eſprit qui jouit
déjà de toutes ſes richeſſes ; il appartient
Evj
108 MERCURE
fur tout à la reconnoiffance & à l'amitié,
qui ne veulent que s'épancher.
L'Éloge de Fontenelle , que j'annonce ici ,
eft de ce dernier gente.
Voici l'Avertiſſement qui le précède.
• Un vieillard retiré dans ſa Province , &
» qui , dès l'année 1717 , a joui ſouvent du
bonheur de voir & d'écouter fen M. de
>> Fontenelle , defire rendre un foible hom-
» mage à ſa mémoire.
ע
ود
ود
>>Ayant appris par les Papiers publics que
l'Académie Françoiſe a propoſé pour le
Prix de l'éloquence, l'Éloge de M. de Fon-
>> tenelle , ce vieillard n'a pas affez préſumé
>> de ſes forces pour ofer envoyer ce foible
» Ouvrage au concours ; mais le reſpect
>> l'amour , la reconnoiſſance même qu'il
ود conſerve pour celui qui mérita véritable-
>> ment le nom de fage , le preſſe d'élever
> un moment ſur ſes bras l'urne de M. de
>> Fontenelle , tandis qu'il voit préparer la
> fienne. »,
Malgré le voile ſous lequel le vieillard a
voulu ſe cacher, tout le monde l'a reconnu .
Onn'a pas éré obligé de le chercher au fond
d'une Province , on l'a trouvé au ſein de la
Capitale , où ſon nom , chéri des Sciences &
des Lettres , brille ſur la liſte de deux Académies.
L'époque de fes liaiſons avec Fontenelle
l'eût ſeule rendu bien intéreſſant. On
aime à voir & à entendre un contemporain
de ces grands Hommes , qui , nés ſous l'aur
tre fiècle , ont illuftré le nôtre , & qui , en
DE FRANCE.
109
diſparoiffant de jour en jour , ſemblent
rendre la génération préſente étrangère à ces
chef d'oeuvres qu'ils ont laiſſés au milieu de
nous. Le Public paroiſſoit pénétré de ce
tendre &douloureux ſentiment , lorsqu'à la
dernière Séance de l'Académie , M. l'Archevêque
d'Aix , faiſant les fonctions de Directeur
, dans un Diſcours plein d'idées juſtes
&délicates , a déſigné l'Auteur de cet Éloge.
Il étoit préfent , & tous les regards ſe ſont
arrêtés fur cette vieilleſſe , ornée de toutes
ces grâces de l'eſprit dont les hommes au
milieu deſquels il s'eſt formé furent les meil
leurs modèles , & confolée par les douces
occupations de la Littérature. Les plus vifs
applaudiſſemens ſe ſont mêlés à l'intérêt ,
quand on a joint à l'idée d'un ancien Difciple
de Fontenelle & de Voltaire , celle de
l'Auteur de tant de charmans Ouvrages , &
qui aura pour mérite diftinctif auprès de la
poſtérité, d'avoir conſervé à nos Arts les nor
bles & gracieuſes folies des temps chevalerefques
, qui font les temps poétiques de notre
Hiſtoire , dans une époque où il étoit dangereux
que la raiſon ne leur imposât des formes
trop févères .
M. le Comte de Treffan confidère Fontenelle
ſous trois rapports heureuſement faifis
& ſéparés. " Savant , Homme de Lettres ,
>>Philoſophe profond & aimable , ce font
19 les trois caractères diſtinctifs de M. de
>> Fontenelle ; c'eſt donc ſous ces trois différens
aſpects qu'il doit être confidéré ; 2
110 MERCURE
» mais ma main ne peut donner qu'une
fable efquifle de ce Sage & de ſes Ouvrages.
Cerui de ſes ſucceſſeurs qui poſsède
>> les crayons & les couleurs brillantes qui
>> donnèrent l'immortalité aux Éloges de
>> Pierre le Grand, de M. d'Argenſon & de
» Léitbnitz , feroit bien plus digne que moi
ود de le célébrer. Je le répète , Meſſieurs ,
» mes mains appeſanties par l'âge , ne peu-
>> vent retracer ici qu'une partie de ce que
les Sciences & les Arts dûrent à ſa lu- ود
ود mière féconde , &ce que la Société géné-
» rale doit à ſon exemple & à ſes inftruc-
>> tives leçons. »
Nous ne ſuivrons pas l'Auteur dans ſes
trois diviſions ; ſon Ouvrage gagne beaucoup
plus à être lû qu'à être extrait. Contentons-
nous de citer les morceaux qui ſe
détachent le mieux. Il parle ainſi des perfecutions
que Fontenelle eſſuya pour l'Hiftoire
des Oracles .
« Bientôt quelques Auteurs obſcurs , mais
> toujours dangereux par la plume empoi-
ود fonnée dont ils ſe ſervent , s'élevèrent
>> contre M. de Fontenelle ; ils employèrent
>> contre lui ces fortes d'armes dont il eſt
ود
ود
ود
ſi lâche de ſe ſervir , & qu'on voit encore
bien plus ſouvent entre les mains de
l'homme vindicatif & pervers , que du
>>vrai fanatique: les Augtus de ce temps
ود osèrent dénoncer comme irreligieux l'On-
>>vrage le plus ſage & le plus lumineux que
DE FRANCE. 111
>>la philoſophie eût offert depuis long-
>> temps à la Société éclairée.
M. le Comte de Treſſan ajoute enſuite :
" L'Auteur conſerva,ſa tranquillité ; l'Ou-
>> vrage conſerva toute ſa gloire. » C'eſt
peindre en un ſeul trait le réſultat de toutes
les perfecutions contre les bons Ouvrages &
le caractère particulier de Fontenelle.
Ce morceau ſur les Lettres galantes de
Fontenelle , nous paroît d'une très - bonne
critique :
" Ces Lettres pourroient cependant être
>> encore une eſpèce de problême pour des
gens éclairés . On ne peut nier que le goût
>> juſte & épuré , & que l'âme vraiment ſen.
>> fible ne doivent les proſcrire; mais on ne
ود
peut s'empêcher , en les proſcrivant, d'y
regretter l'eſprit , les excellentes plaifan-
>> teries & la parfaite connoiſſance des hom-
» mes , qui règne dans ces Lettres; on pour-
» roit même être tenté de les excuſer , ſi
>>elles n'avoient pas été nuiſibles à la jeu-
>>neffe de l'autre ſiècle , & fi leur ftyle trop
>> recherché , fi des jeux de mots & fi des
>> penſées trop fubtiles n'avoient eu & n'a-
>> voient encore tant de mauvais imita-
" teurs . "
Il me ſemble que la troiſième Pattie de
cet Éloge eſt celle qu'on lit avec le plus de
plaiſir ; c'eſt qu'en confiderant Fontenelle
dans ſes moeurs & fon caractère , M. le
Comte de Treſſan trouve naturellement
l'occaſion d'épancher ſes ſentimens pour
112 MERCURE
Phomme aimable qu'il leue , & d'en parler
aux amis de ſa jeuneſſe qu'il a connus auprès
de Fontenelle lui même. Je ne puis me
refuſer au plaiſir de tranfcrire ce morceau
tout entier.
« Je l'ai vû , &je ne peux me le rappeler
qu'avec le plus juſte attendriſſement; je
» l'ai vû careffer l'enfance , la conduire par
>> la main dans ſes premières études , & lui
>> donner l'eſpèce d'émulation qui lui étoit
ود propre ; je l'ai vu quelquefois concilier
» des caractères & des intérêts perſonnels
>>les plus oppoſés; je l'ai vû ſouvent cal-
>>> mer avec adreſſe la vivacité du feu qui dé
>> voroit le jeune Auteur de la Henriade ;
>> mais il rendoit encore ce feu plus bril
>>lant , & c'étoit en lui montrant la ten-
>> dreffe d'un père, qu'il eſſayoit quelquefois
>>à diriger le vol de ce puiſſant génie.
ود M. de Fontenelle fut toujours la lu-
>> mière , le lien de toutes les Sociétés dont
>> il faifoit le charme; il y donnoit preſque
> toujours le ton ; mais c'étoit ſans y pré-
>> tendre , fans avoir l'air de s'en apperce-
>>voir : les regrets donnés à ſa perte ſui-
>>vront juſqu'au tombeau ceux qui ont joui
>> du bonheur de vivre avec lui pendant les
" trente dernières années de ſa vie: il en
» reſte peu ; mais qu'on juge du ton & de
la douce philofophie pratique que fes
amis ont reçus de lui, par tout ce qu'ils
>>nous font encore reſpecter & aimer.
Ovous , que les grâces formèrent fur leur
"
"
DE FRANCE.
113
ود
ود
ود
"
ود
ود
ود
modèle , & qui nous fîtes toujours adorer
celles de votre eſprit ! Vous que je
n'oſe nommer dans cet Éloge , & qui fîtes
la confolation & le bonheur des dernières
années de M. de Fontenelle , puiffiez- vous
être attendrie en liſant ce que j'écris !
» Puiſſe la Société que vous rendez heu-
» reuſe , & qui vous rend des hommages
journaliers , vous reconnoître à des traits
>> gravés dans mon âme , & tracés par mon
foible pinceau. د 5
>>> Et vous , qui sûtes ſi bien jouir dans vos
" beaux jours de la ſociété intime de M. de
>> Fontenelle , vous que tant de vertus ren-
>> dent utile , cher & reſpectable , jouiffez
>> long temps de l'amour & de l'hommage
ود
ود
ود
de tous les gens ſupérieurs de votre ſiècle :
l'ami de Fontenelle eſtun point de réunion
pour eux; ils aiment à ſe dire en vous
- voyant : Voilà l'Élève & le plus fidèle
>> Diſciple d'un Sage; voilà l'ami que le génie
>> fublime de Voltaire ſe choiſit , conſulta
ود
,
& qu'il fit jouir de ce commerce intime
>> qui s'établit ſans effort entre les âmes &
>> les eſprits d'un ordre ſupérieur. »
( Cet Article est de M. de L. C.)
:
:
714 MERCURE
LES OEuvres d'Horace , traduites en François
, par M. Binet , ancien kecteur de
l'Univerſité de Paris , Profeſſeur de Rhétorique
au Collège du Pleſſis - Sorbonne.
2Vol. in- 12. Prix , s liv. reliés. A Paris ,
chez l'Auteur, rue S. Jacques, au Collége du
Pleffis ; Colas , Libraire , place Sorbonne;
& chez les principaux Libraires de France.
Il n'y a peut- être pas un ſeul Biographe
qui connoiſſe toutes les Traductions qu'on
nous a données d'Horace. M. Binet difcute
encore , ſuivant l'uſage, ſi l'on doit traduire
enproſe ou en vers les Poëtes qui ont écrit
dans des langues mortes. Nous ne reffafferons
pas tous les raiſonnemens pour & contre
qui ſurchargent toutes les Préfaces des
Traducteurs . Nous nous bornerons , non à
décider, mais à penser qu'un Auteur qui a
écrit en vers doit être traduit en vers. Le
rhythme & l'harmonie ne peuvent être conſervés
en proſe; & c'eſt ce qui conſtitue en
partie le charme des vers. Racine mis en
proſe perdroit beaucoup quand il ne perdroit
que ſes belles formes. La difficulté de
traduire en vers un Poëte , ne détruit nullement
cette opinion , comme elle ne détruit
pasà la vérité le mérite d'une bonne Traduction
en profe.
Nous croyons avoir donné de juſtes éloges
à M. de Reganhac , qui a traduit une partie
du même Poëte. La Traduction de M. Binet
mérite auſſi le fuffrage des connoiffeurs ,
DE FRANCE.
115
quoiqu'elle ſoit ſemée de quelques négligences
, de ces taches qui ne paroiffent guère
qu'au grand jour de l'impreſſion. Son ſtyle
n'eſt point gêné; il a toute la facilité que
peut avoir une Traduction. M. Binet ne
traduit point littéralement ; mais il s'éloigne
du tour de fon Auteur , quand le goût ſemble
lui en faire un devoir ; il écrit avec affez
d'élégance , à quelques endroits près , tels
que celui- ci , dans l'ode : Odi profanum vulgus
: il traduit Carmina non prius audita ,
par des vers que l'oreille n'a point encore entendus.
Cette verſion nous paroît manquer
un peu d'élégance. Peut- être , l'oreille des
hommes auroit plus de nobleffe. Examinons
plus en détail l'Ode dix - huitième ,
Divitiis mores corrumpi ; on ytrouvera de
l'élégance , des tours heureux ; en un mot ,
ce qui juftifie les éloges que nous croyons
devoir à cet eftimable Profeſſeur ; mais il
nous permettra de relever quelques exprefſions
qui déparent de temps en temps ſon
Ouvrage. Voici d'abord l'original :
Intactis opulentior
Thesauris Arabum , & divitis India ,
Camentis licet occupes
Tyrrhenum omne tuis , & mare Apulicum ;
Sifigit adamantinos
Summis verticibus dira Neceffitas
Clavos ; non animum metu ,
Non mortis laqueis expedies caput.
Campestres melius Scytha ,
116 MERCURE
Quorum plauftra vagas rite trahunt domos ,
Vivunt , & rigidi Geta ,
I'mmetata quibus jugera liberas
Fruges ,& Cererem ferunt :
Nec cultura placet longior annuâ ,
Defunctumque laboribus
Æquali recreatforte vicarius.
Illic matre carentibus
Privignis mulier temperat innocens :
Nec dotata regit virum
Conjux; nec nitido fidit adultero.
Dos estmagna parentium
Virtus , & metuens alterius viri
Certofædere caftitas :
Etpeccare nefas , aut pretium mori.
Oquisquis volet impias
Cades , & rabiem tollere civicam ;
Si queret Pater urbium
Subfcribi ftatuis , indomitam audeat
Refranare licentiam , it
Clarus poftgenitis ; quatenus ( heu nefas ! )
Virtutem, incolumem odimus ,
Sublatam ex oculis quarimus invidi.
i
Traduction.
>>Avec plus de richeſſe que n'en renferment
les tréſors encore entiers de l'Arabie & de
l'Inde ; quand vous couvririez de vos palais
les rivages de nos deux mers , fi la fatale néceffité
appuie ſur votre tête ſes clous de diamans
, jamais vous ne dégagerez votre âme
DE FRANCE.
117
de la crainte , ni vospieds des filets de la mort.
Heureux les Scythes habitans des campagnes
, où ils traînent ſur des charriots leurs
maiſons errantes ; heureux les Gétes auſtères ,
qui , fans connoître les limites du champ
qu'ils labourent , y recueillent en liberté les
dons de Cérès ? Encore n'aiment ils à les cultiver
qu'une année. Quittes de leurs travaux,
un ſucceſſeur vient prendre leur place
aux mêmes conditions. Chez eux , l'innocente
belle-mère ne fait point ſentir fa haine
aux orphelins du premier lit. L'épouſe richement
dotée , n'uſurpe point l'empire fur
fon époux , & ne ſe laiſſe point ſurprendre
aux diſcours de l'élégant adultère. Sa dot la
plus précieuſe , c'eſt la vertu de ſes parens ;
c'eſt une chaſteté fidelle aux loix de l'hymen ,
& redoutant l'aspect de tout autre homme;
c'eſt enfin de regarder l'infidélité comme un
crime dont la mort eſt le prix.
O vous , qui defirez d'éteindre la rage
des guerres civiles , & d'arrêter le cours de
nos parricides , voulez-vous que des ſtatues
élevées en votre honneur , joignent à votre
nom celui de père de la patrie ? Ofez mettre
un frein à la licence indomptée , & foyez
sûr des hommages de la poſterité , puifqu'hélas
! nos yeux jaloux ne peuvent ſouffrir
la vertu vivante , & la cherchent quand
elle n'eſt plus !
Appuiesur votre têteſes clous de diamans ,
il nous ſemble qu'appuie rend bien foiblement
figit.
118 MERCURE
Sans connoître les limites du champ qu'ils
labourent , ne rend pas non plusjugera immetata.
Horace dit,fans avoir pris la peine
de mesurer leur champ , ce qui peint bien
mieux la libre infouciance des peuples dont
il parle.
L'aſpect de tout autre homme n'eſt point
élégant ; ce n'eſt pas que cette expreffion
ne puiffe entrer peut- être dans la proſe noble;
mais la Traduction d'un Poëte n'eſt
guère lûe que par les Amateurs de la Poéſie ,
& les Amateurs de la poéſie ne rencontrent
qu'avec peine de pareilles expreſſions. Voilà
même un de ces détails qui peuvent fournir
des inductions contre le ſyſtème des Traductions
en profe. Mais nous regrettons furtout
que le Traducteur n'ait pas conſervé la
fineſſe dutourlatin, qui fait alluſion àAuguſte:
Oquiſquis volet impias
Cades, & rabiem tollere civicam.
O vous qui defirez d'éteindre la rage , &c.
lui fait perdre toute ſa grâce ; M. Binet en
fait une apoftrophe directe , au lieu qu'Horace
dit avec bien plus de délicateffe : " O
» qui que ce soit qui voudra éteindre , &c.
» qu'il oſe mettre un frein , &c. » Pour peu
qu'on y réfléchiffe , on verra que la tournure
de l'original a une fineſſe & une grâce
qui ne ſe trouvent point dans le François .
Voulez vous que desſtatues élevées en votre
honneurjoignent à votrenom celui de , &c.
forme une faulle métaphore. Comment des
DE FRANCE.
tatues peuvent-elles joindre un nom à un
autre ?
Hélas , ne rend pas heu nefas. Nefas renferme
un ſentiment d'indignation que le
Traducteur a fait diſparoître.
Toutes ces obfervations , & d'autres que
nous pourrions y joindre , n'empêchent point
que cette Traduction ne faffe honneur à
M. Biner. Elle annonce dans ſon Auteur une
parfaite intelligence de l'original , & une
grande connoiffance de ſa propre langue.
Les Deux Soeurs , Comédie en un Acte &
en profe , repréſentée aux Variétés Amufantes
, par Mlle de Saint- Léger. A Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
*
,
CETTE Pièce a attiré au Théâtre où elle
a été repréſentée cette claſſe choiſie de
Spectateurs qui cherche des émotions douces
& honnêtes . L'Auteur est une jeune Dlle
déjà avantageuſement connue par d'autres
Ouvrages ; & ce petit Drame ne peut que
faire honneur à ſon coeur & à ſon efprit.
Un but moral , & qu'il feroit à ſouhaiter
que les mères de famille euffent toujours
* Nous nous ſommes fait une loi de ne point parler
des Pièces jouées aux petits Spectacles , parce que
leur nombre nous meneroit trop loin . Nous y dérogeons
aujourd'hui en faveur du mérite de l'Ouvrage
&du ſexe de ſon Auteur; mais ce ſera ſans confé
quence.
1
120 MERCURE
devant les yeux , un dialogue plein de naturel
, de ſentiment & de fineffe , un contrafte
heureux de caractères : voilà ce qui
conftitue cette Pièce , qui a fait tant deplaifir
à la repréſentation , & qui ne perd rien à
la lecture. Le ſujet eft cette prédilection des
mères , trop commune pour une fille , qui ,
le plus ſouvent , en eſt la moins digne , au
préjudice de ſa ſoeur, & les ſuites preſque
toujours funeſtes de cet aveuglément.
Madame de Melcour , riche Veure , a
deux filles . Roferte, l'aînée, âgée de 14 ans ,
eſt la bien aimée. Elle a ſu plaire à ſa mère
par de la vivacité , de la flatterie & des careffes
continuelles. Eugénie , plus jeune d'un
an que ſa fooeur , eſt plus réſervée , plus ſoumiſe
& plus timide. Mme de Melcour a
pris cette timidité pour de la froideur ; au
lieu de ſe rapprocher d'Eugénie par des
avances encourageantes, elle s'éloigne d'elle ,
&ſe plaint ſans ceſſe deſonpeu de confiance.
Rofette , ſous la conduite de la Femmede-
Chambre de ſa mère , a été à un bal , où ,
pour la première fois , elle a rencontré un
Petit-Maître nommé Verſac , qui eſt devenu
amoureux d'elle à la première vûe , & qui a
ofé lui écrire deux fois à l'aide de cette Lifette
, qu'il a ſu mettre dans ſes intérêts.
Verfac , qui met ſon bonheur à ſe vanter de
ſes conquêtes , raconte ſa nouvelle intrigue
à M. de Florval , fils d'un ancien ami de
Mme de Melcour , & qui aſpire à la main,
d'Eugénie. Cependant Mme de Melcour deftine
DE FRANCE. 12F
tine Rofette à Florval ; & le regardant déjà
comme fon gendre , elle lui apprend fon
chagrin de ne pouvoir gagner la confiance
de fa fille cadette , ni vaincre ce qu'elle croit
fon inſenſibilité. Elle le charge de lui annoncer
qu'elle a deſſein de la réleguer dans un
Couvent , pour voir fi la menace de cette
féparation ſera ſenſible à ſa fille. Florval
fouffre d'être obligé de faire fubir cette af-
Higeante épreuve à ſa chère Eugénie; mais la
fatisfaction de Mme de Melcour en dépend:
il obéit. Eugénie vient avec ſa timidité ordi
naire ; il la lui reproche tendrement.
FLORVAI,
" Chère Eugénie! eh ! quoi , me craignez-
> vous donc aufli ? Une mère ſi bonne , un
ami qui ne fonge qu'à vous, ſont-ils done ود
>> des objets de contrainte & de défiance ?
ود
EUGÉNIE.
J'ai bien des défauts , ſans doute ; mais
>> je ne ſuis point ingrate.
FLORVAL
>>Non , vous ne l'êtes point. Mais pour-
>> quoi vous refuſer une confolation fi
douce ? Je ne vous vis jamais embraffer vo
> tre mère. Ces careffes de l'innocence....
وہ
ود
EUGENIE.
>> Ah! quand Roſerte eſt dans les bras de
>> maman , que ne puis je être ſeulement à
» ſes piés , je me croirois trop heureuſe !
Nº. 42 , 18 Octobre 1783 . F
122 MERCURE
ود
FLORVAL.
>>Et vous la laiſſez dans l'erreur ? Affligée
de votre mélancolie , ne fachant comment
» y remédier , que fais-je ? par excès de délicareſſe
vous foupçonnant de froideur
» peut-être , elle ſe trouve réduite à pren-
ود
ود dre un parti qui lui coûte beaucoup : ju-
» gez en vous même. Malgré l'amertume
>> qu'elle trouve dans l'exécution d'un tel
>> proiet, elle ſe propoſe de vous mettre in-
» cellamment au Couvent.
ود
30
EUGÉNIE.
» Je ne la verrai doncplus tous les jours! ...
Hélas ! tant mieux : maman ſera plus
tranquille. Je m'apperçois ſouvent que
» je l'embarraffe , que ma préſence lui eft
• importane ; elle en ſera délivrée : quand
> je reviendrai , je me ferai peut être rendue
>> plus digne de lui plaire.
FLORVAL.
>>Croyez qu'elle ſentira bien vivement la
> privation où elle fera de fon Eugénie.
EUGÉNIE.
• Son Eugénie ! vous venez de prononcer
» ce mot- là d'une manière.... Ah ! maman
» ne m'a jamais appelée ſon Eugénie.
"
"
ود
FLORVAL.
Plus je lis dans votre âme , & plus je
vois combien il vous feroit facile de faire
le bonheur d'une mère qui vous aime.
EUGÉNIE.
» Je fais ce que je peux. Elle dekre beau
DE FRANCE. 123
>> coup que ma ſoeur s'occupe , & tous les
>jours j'avance en ſecret ſon ouvrage . De
ود
ود
ود
ود
ود
ود
même quand maman a été bien malade ,
Roſette étoit un peu plus raffurée que
moi ſur l'état de ſa ſante;& comme j'al- ,
lois plus ſouvent qu'elle dans la chambre
de maman , ſitôt qu'elle me diſoit avec
bonté : Eft ce donc vous , ma fille ? Je dé-
>>guifois ma voix , & lui répondois tout
>> doucement : Oui , ma chère maman , c'eſt
» moi , c'eſt Rofette ; & elle étoit contente.
Cela faifoit du bien à ſa ſanté; & quand
>>je m'en allois je pleurois. >>
ود
On peut juger par cette Scène de l'intérêt
que Mlle de Saint Léger a ſu répandre dans
fon dialogue. Mme de Melcour n'écoutant
toujours que fa fauſſe prévention , prend
pour de l'indifférence la réſignation d'Eugénie
; mais Florval demande à faire fubir
une ſeconde épreuve également à Rofette &
àEugénie. La mère yconfent, & fe cache dans
un cabinet , afin de tout entendre .
Roſette arrive en cherchant ſa mère ; elle
rencontre Florval : " Où donc eft maman ?
>> je ne la vois point ici ? Ma ſoeur pleure.
ود Ah! je voudrois bien que vous me diſiez
» pourquoi. Vous le ſavez , ſans doute;
mais vous ne me direz rien .
ود
ود
FLORVAL.
" Si j'avois des fecrets pour vous , ce ſeroit
par la feule crainte de vous faire de
la peine , en vous les découvrant . La
Fij
124 MERCURE
ود
"
beauté ne devroit jamais répandre de
larmes.
ROSETTE.
" (Apart. ) Il faut le connoître ce M.
>> Fiorval , il eſt plus aimable que je ne
>> croyois. ( Haut.) Vous m'apprendrez donc
tout ce que vous ſavez ſi je vous en prie
bien fort? ود
FLORVAL.
» Afſurément , je ne pourrai réſiſter à vos
» prières. La première nouvelle & la moins
affligeante , c'eſt qu'on va mettre Eugénie
> au Couvent.
ود
ود
ROSETTE.
Au Couvent ? Est-ce bien vrai ? Et cela
>> vous fait- il de la peine, Monfieur ?
FLORVAL.
ود
:
Nullement.
ROSETTE.
M'aimeroit il donc auſſi ?
FLORVAL.
>> Je crois qu'elle partira demain.
"
ROSETTE .
Ce ſéjour la diffſipera. Elle eſt ſi peu
>>. faire pour le monde , ma pauvre petite
foeur ! oh ! c'est bon. J'étais déjà l'enfant
>>gâré , je ferai la fille unique..
DE FRANCE 125
Elle le preffe de lui apprendre ce qu'il
feint de vouloir lui laiſſer ignorer. Il cede
enfin , & lui dit que ſa mère eft ruinée . Roſette
eſt au déſeſpoir; elle ne peut foutenir
l'idée de la pauvreté.
" Ah ! Monfieur , priez maman de me
> mettre au Couvent comme ma foeur.
» (Eugénieparoít.)Ah! pleurez à préſent; vous
>> en avez ſujer. Maman eſt ruinée! (Ellefort.)
EUGÉNIE.
>>Quoi ? maman... elle a des malheurs ?
FLOR VAL.
>> Je ne puis vous les cacher , ma chère
» Eugénie. Un homme qui paffoit pour la
>> probité même , & qui depuis le veuvage
ود de Mme de Melcour avoit toute la for-
> tune entre les mains , vient de faire ban-
» queroute, & de l'envelopper dans ſa ruine.
ود
ود
"
ود
EUGÉNIE.
» Maman ! maman ! elle eſt done bien
>> affligée. Et yous la laiſſez ſeule , vous ,
Monfieur , vous ſon ami ? ( Elle défaitfes
boucles d'oreilles &fon collier. Monfieur
de Florval , vous m'avez toujours obligée ;
vendez mes bijoux , vendez les tous.Don-
>> nez en l'argent à maman. Mais quelle
foible reffource ! Allons , je broderai fi
bien , je travaillerai tant. Obtenez une
>> grâce. C'eſt à vous que je la demande. Ob-
>> tenez de ma mère que je n'aille plus au
Couvent. Je lui ſerai utile aux travaux de
ود
ود
ود
inj
126 MERCURE .
ود
la maiſon. Je ſuis forte , quoique je paroiffe
délicate. Ma fætur la confolera ,
>> s'occupera du ſoin de lui plaire ; & moi
>> je la ſervirai, »
La mère accourt embraſſer Eugénie. Elle
s'accuſe & ſe plaint de ſa funeſte erreur. Elle
fonge à Rofette. (Elle paroît.) " La voici, dit-
>> elle; ah ! je l'aimois avec idolâtrie. Elle lui .
>> montre la lettre'de Verſae , qu'elle a fu
ود
"
ور
retirer des mains de la Femme de Chambre
: Lifez ma honte & la vôtre. Au reſte ,
>> je ne m'en étonne plus. A quelles vertus
peut - on prétendre en n'aimant pas fa
mère ? Viens , toi , ma chère Eugénie ,
viens tout eſpérer , tout attendre de ren
>> pouvoir fur mon coeur. Quels dédomma-
>> gemens pourront jamais réparer mes torts
>> envers toi. J'ai pu te méconnoître. Or-
>> donne , parle , qu'exige tu de matendreſſe ?
"
EUGÉNIE.
>>Oh ! maman! la grâce de ma foeur. » La
mère pardonne.& embraffe fes deux filles .
Tel eſt le dénonement de cette intérefſante
Comédie. Chaque perſonnage y eſt
dans ſa véritable fituation , &ne parle jamais
que le langage qui lui eft propre. Un Académicien
, après la première repréſentation ,
dit à l'Auteur : " qu'elle étoit bien modeſke
de ſe borner aux petites maiſons de
Thalie , quand elle eſt faire pour briller
>> dans ſon plus beau ſalon. >>
ود
DE FRANCE. 127
و VOYAGE aux Iſles de Lipari fait en 1781
ou Notices fur les Iles Foliennes , pour
fervir à l'Histoire des Volcans ; fuivi d'un
Mémoirefur une eſpèce de volcan d'air ,
& d'un autrefur la température du climat
de Maite, &fur la difference de la chaleur
réelie & de la chaleurfenfible ; par M. le
Commandeur Déodat de Dolomier ,
Correfpondantde l'Académiedes Sciences,
&c. A Paris , rue & hotel Serpente.
1 Vol, in 8 °.
M. LE Commandeurde Dolomier , connu
par ſon zèle pour les Sciences , & par l'exactitude
de ſes obſervations , n'a point oublié,
en parcourant la Sicile , de viſiter les Ifles de
Lipari , ſi négligées par les Voyageurs , & fi
intéreffantes pour le Phyſicien & pour leNaturaliſte.
Cet amas de volcans , ſitué entre
Ja Sicile & l'Italie , eſt environnéd'une mer
orageufe , & de Corfaires Barbareſques qui
en éloignent les curieux ; & la Naturen'y pré .
ſente rien qui puiſſe dédommager des dangers
de la navigation. Il n'y a qu'un defirardentde
connoîtretous les matériaux qui peuvent
fervir à l'hiſtoire de la Nature , qui
faffe braver les obſtacles , gravir les monts
enflammes , & trouver du plaifir à obſerver
les débris du globe
grands bouleverſemens . Ces îles , qui font au
nombre de dix , font le produitdes feux fouterrains.
" Elles ſe ſont élevées par accumu-
&les cauſes de ſes
Fiv
128 MERCURE
>> lation au milieu de lamer; mais les violen-
>> tes eruptions qui les ont produites ou en-
>> ſemble ou ſucceſſivement , ſont sûrement
>>antérieures aux temps de l'Hiſtoire , puif-
- qu'aucun Hiſtorien ne dit rien de leur ori-
>> gine. Cependant leur formation a dû être
>> précédée de chocs violens , & de tremble-
>>>mens de terre qui doivent avoir ébranlé la
>> Sicile &la partie de l'Italie quien eſt voi-
>>fine ». M. de Dolomier parcourt toutes ces
îles avec l'attention d'un Obfervateur exercé;
il s'arrête plus particulièrement à celles
de Vulcano , de Lipari & de Stromboli , parce
que ce ſont celles qui préſenrent à la curioſité
éclairée plus d'objets d'étude & de recherches.
La première est unvolcan dans ſa
plus grande activité ; la ſeconde eſt couverte
dedébris volcaniques , de bains chauds , d'étuves
bouillonnantes : il paroît que le foyer
des volcans de ces deux îles leur eſt commun
, puiſque , depuis l'extinction de celui
de Lipari , la fermentation du Vulcano eſt
augmentée. L'opinion populaire des Liparotes
fortifie cette conjecture ; ils ſont dans les
plus vives appréhenſions lorſque le volcan
animé ne fume point , parce qu'ils craignent
que les feux de Lipari ne ſe renouvellent.
Cette île eſt l'immenſe magaſin qui fournit les
pierres ponces à toute l'Europe. Ce réſidu
volcanique est néceſſaire àpluſieurs Arts ; on
en a ouvert de vaſtes carrières dans les montagnes
&dans les vallées qui les ſéparent ; &
cette ſubſtance fingulière ſemble être la baſe
DE FRANCE.
de l'île entière. Quoiqu'elle foit fort répandue
dans l'Europe , elle est une de celles qui
font lemoins connues des Naturaliſtes , qui
n'ont rien dit ni fur ſa nature , ni fur ſa formation.
Le ſavant Voyageur , qui ne croit
pas que cette production ſoit une ſcorie des
volcans , ou doive ſon origine aux asbeſtes
& aux amiantes altérées par le feu , & qui
étoit plus à portée d'enétudier les principes,
ne doute point , d'après les expériences qu'il
a faites , que la roche feuilletée , graniteuſe ,
micacée , & le granit lui-même ne foient
les matières premières , à l'altération defquelles
on doit attribuer la formation des
pierres ponces.
د
Le Stromboli eſt le ſeul volcan connu qui
n'ait aucun temps de tranquillité ; ſes explofſions
ne reſſemblent point à celles des autres
volcans; il lance continuellement , mais par
intervalles réglés de ſept ou huit minutes
des pierres enflammées quis'élèventàplus de
cent pieds de hauteur , formant des rayons
un peu divergens , mais retombant cependant
en grande partie dans le cratère.
Chaque exploſion eft accompagnée d'une
bouffée de flammes rouges , & fuivie d'un
bruit fourd ſemblable à celui d'une mine
qui éprouve peu de réſiſtance. Les Postes
anciens ont faitde Stromboli , la demeure
d'Éole , quoique les tempêtes n'y
ſoientpas plus fréquentes que dansles autres
îles volcaniques. C'eſt ſans doute parce que
les habitans prédiſoient trois jours d'avance ,
م
Ev
130
MERCURE
par l'activité du volcan & la direction de la
fumée , les changemens de temps. M. de
Dolomier eſt diſpoſe à croire que les feux de
Lipari ont une communication établie entre
l'Etna & le Véſuve , non qu'ils aient un foyer
commun , mais par des évents qui ſervent
de paſſages aux vapeurs élastiques , & par
des canaux qui, faiſant l'effet des foufflets fur
les differens foyers , rendent très ſenſibles
les effets de la fermentation du volcan en
travail.
د
Un phénomèneplus fingulier encore a mérité
d'être étudié par le ſavant Naturaliſte qui
nous le décrit ; c'eſt un volcan d'air , qui a ,
comme ceux que le feu produit , ſes calmes
& ſes convulfions , ſes ſecouſſes & fes mu
giſſemens , ſes exploſions enfin , qui élèvent
àplus de trois cent piedsles matières qu'elles
lancent. Cette montagne, qui eſt placée entre
Arragona & Girgenti en Sicile , & qu'on
nomme Macaluba * n'eſt qu'un amas de
boue argilleuſe de cent cinquante pieds d'élévation
; il a ſur ſon ſommet un très - grand
nombre de perits cônes tronqués , qui ſont
comme autant de petits crateres. Le ſol fur
lequel ils ſont placés eſt une argille deſféchée
& gercée entous les ſens. Le grand balancement
que l'on éprouve en marchant fur
la plaine qui termine cette montagne , annonce
qu'on eſt ſur un vaſte & immenſe
gouffre de boue , dans lequel on court le plus
Nom Arabe qui ſignifie renversé, bouleversé.
DE FRANCE.
13.1
grand riſque d'être englouti . " L'intérieur de
>>chacunde ces petits cratères eſt toujours hu-
>> mide , & on y apperçoit un mouvement
>> continuel : il s'élève à chaque inſtant du
> fond de cette eſpèce d'entonnoir une argille
grife , delayee , à ſurface convexe , qui ,
>> en s'arrondiſſant, arrive aux lèvres du cra-
>>tère , qu'elle ſurmonte enfuite enforme de
>>demi globe. Cette eſpèce de ſphère s'ouvre
pour laiſſer éclater une bulle d'air ;
» cette bulle , en ſe crevant , rend un bruit
>> ſemblable à celui d'une bouteille qu'on dé-
>> bouche , rejette hors du cratère l'argile dont
>> elleétoit enveloppée,&cette argille coule à
>> la manière des laves, ſur les flancs du monticule;
elle en gagne la baſe , & s'étend
>>àplus ou moins de diſtance. Lorſque l'air
- s'est dégagé, le reſte de l'argille ſe précipite
>> au fond du crater , qui reprend & garde fa
>> première forme , juſqu'à ce qu'une nou-
>>>vellebulle monte &s'échappe. Il y a donc
>> un mouvement continuel d'abaiſſement &
>>d'élévation plus ou moins précipité , &
>> dont l'intermittence eft de deux ou trois mi-
>>>nutes. On l'accélère en donnant des ſe-
>> couſſes à la croûte d'argille ſur laquelle on
>> marche. Ce volcan qui étoit inconnu ,
a ſes criſes & ſes éruptions ; elles arrivent
plus particulièrement en automne , lorſque
l'éré a été ſec & long ; ſes mouvemens de
fermentation répandent la terreur dans tous
les lieux voiſins ; ſes bruits fouterrains
ſes tonnerres intérieurs annoncent ſon tras
,
Fvj
1.32 MERCURE
,
vail: lebruit , par une augmentation progreflive
, amène une explosion violente
qui élève avec bruit , quelquefois à plus
de deux cent pieds , une gerbe de terre ,
de boue , d'argille détrempée , mêlée de
quelques pierres. En hiver , les pluies décompoſent
&délayent cet amas de boue &
d'air, & les monticules coniques qui couvrent
ſon ſommer; la furface devient entièrement
unie , & le tout ne préfente plus
qu'une vafte maſſe de boue, d'argille détrempée
, dont on ne connoît pas la profondeur :
il eſtdangereux d'en approcher.Unbouillonnement
continuel couvre cette ſurface liquide;
l'air qui le produit n'a plus de paſſage
particulier , & vient éclater indistinctement
danstout cet eſpace.Autant la Nature étonne
par ſes prodiges , autant le Philoſophe eſt
empreſſe à les deviner. M. de Dolomier ,
après avoir foigneuſement examiné les effers
de cevolcan , voulut en connoître les caufes.
Il s'affura que les divers mouvemens de
ce phénomène , foit dans ſon état ordinaire ,
foit dans ſes accès , n'avoient point le fen
pour agent principal , & il reconnut facilement
, avec le fecours de l'expérience , que
J'air fixe étoit l'unique moteur des fingulari
tés qu'il obſervoit. Il explique d'une manière
ingénieuſe&vraiſemblable la manière dont
cer air qui ſe dégage, tant de la vaſe délayée
que de l'eau , peut produite tous ces accidens
qui ſurprennent , tous ces bruits', toures
ees exploſions qui effrayent. Cette explica
DE FRANCE.
133
!
tionrend le phénomène moins ſurprenant.
Le Volumeque nous annonçons eſt termi
né par des obſervations ſur la température de
l'île de Malte , & fur les ſenſations qu'elle
produit.Quoiqueles chaleurs y ſoient extrêmes,
le thermomètre de Réaumur y eſt ordinairement
au- deſſous du 25 me degré ; &
pendant le froid le plus pénétrant , il n'eſtjamais
au deſſous de huit degrés. Quelles ſont
les cauſes du peu de rapport qu'il y a entre
nos ſenſations & les inftrumens qui mefurent
la température de l'air , entre la chaleur
ſenſible-& la chaleur réelle? La vraie
température de l'atmosphère est- elle la cauſe
première & unique des effets que l'on éprouve
en état de ſanté , & fans accélération dans
ſes mouvemens ? M. de Dolomier cherche
à réfoudre ces queſtions qui intéreſſent le
Phyſicien , & qui n'ont pas été traitées.
Il prouve par le raiſonnement que la fenſation
du froid & du chaud n'eſt point
uniquement relative à la température de
l'atmosphère , mais qu'elle dépend encore
de ſa pureté & de ſon mouvement. Il faut
lire dans le Mémoire l'application des principes
de l'Auteur au climat de Malte , &
l'explication du contraſte qu'on éprouve
entre les fenfations& la vraie température
de l'air ambiant. Il appuie ſes conjectures
fur l'expérience. Cette Differtation eſt remplie
d'idées neuves , de réſultats fatisfaifans,
& d'obſervations non- feulement curieuſes
, mais utiles à la ſanté. En général ,
134 MERCURE
l'Ouvrage de M. le Commandeur de Dolomier
eſt d'un Naturaliste éclairé , d'un
Obſervateur exact , accoutumé à ſcruter la
Nature , & à lui ſurprendre ſes ſecrets . Ce
Volume intereſſant fait deſirer que des circonstances
plus favorables au Lecteur qui veut
s'inſtruire , lui permettent de publier fon
-Voyage de Sicile , qui nous fera certainement
mieux connoître ce pays , le plus
curieux de l'Univers , & fur lequel on a
écrit depuis peu d'une manière auſſi agréable
qu'inexacte .
NÉCROLOGI E.
و qui
APEINE avions - nous annoncé au Public
la perte que le Theatre Italien venoit de
faire de la Dame Billioni , que nous avons
appris la mort d'un Acteur auſſi célèbre
qu'intéreſſant , Carlin Bertinazzi
ajoué pendant 42 ans le rôle d'Arlequin
avec un ſuccès auſſi brillant que foutenu.
L'homme à talent que la mort nous ravit
dans la fleur de ſon âge , & celui qui nous
eſt enlevé au bout de ſa carrière , excitent à
peu-près les mêmes regrets , en réveillant
des ſentimens divers. Dans le premier cas ,
c'eſt l'amour de nous mêmes qui nous fait
regretter celui qui devoit ajouter à nos plaifirs;
dans le ſecond , c'eſt la reconnoiffance
qui nous fait donner des larmes à l'homme
qui nous a compoſé un long cercle de jouif
ſances par la marie de ſes talens.
A
DE FRANCE.
135
Heureux au moins l'Acteur qui ne ſe
furvit pas à lui même , ou, pour mieux dire ,
qui ne compromet pas ſa gloire en montrant
un talent à qui l'âge ordonne le repos
ſous peine du ridicule ; qui ne va pas étaler
ſon declin fur le théâtre de ſes triomphes ,
& qui n'expoſe point ſon intacte célebrité
au caprice d'un Public ingrat, à qui la ſenſation
du moment fait oublier trente ans de
jouillance , toujours exigeant , ne prenant
jamais le paffé en compenſation du preſent ,
& voulant toujous qu'on rempliffe à fon
entière ſatisfaction le moment qu'il vient
d'acheter . Ce malheur n'eſt point arrivé au
célèbre Acteur dont nous déplorons la perte ;
nous avons eu le bonheur de le poffeder longtemps
, & il a eu celui de conſerver la jeuneffe
de fon talent dans l'âge le plus avancé.
Son premier Début ne fut pas heureux.
Son genre , purement Italien , étoit oppoſé à
celui du fameux Thomaſſin , qui étoit en
poffeſſion de plaire au Public; mais il n'eut
beſoin que d'être averti : dès le ſecond jour
il changea ſa manière , & il entraîna tous
les fuffrages. Depuis ce temps là , on l'a
toujours vû avec plaifir , quoique ſon emploi
fût peu goûté , & que les Pièces Italiennes
fuſſent peu ſuivies. On nous a raconté à
cette occafion une anecdote qu'on ne ſera
pas fâché de trouver ici. Dans un de ces momens
où les Italiens étoient à peu- près abandonnés
, ils ſe trouvèrent un ſoir obligés de
jouer pour deux Spectateurs feulement. On
136 MERCURE
juge bien qu'avec une pareille ſolitude le
Spectacle ne dût pas être bien chaud; fi une
aſſemblée de deux Spectateurs n'eſt pas faite
pour intimider des Acteurs , elle n'eſt guère
faite non plus pour les encourager. Quoi
qu'il en ſoit , quand on fut arrivé au dénouement
, Carlin , avec ſa gaîté toujours nouvelle&
fon eſprit toujours préſent , s'avance
vers le borddu Théâtre , fait ſigne à l'un des
deux Spectateurs , en le priant de s'approcher;
& quand ils furent près l'un de l'autre :
Monfieur, lui dit- il tout bas avec certe grâce
qui lui étoit fi naturelle ,fi vous rencontrez
quelqu'un enfortant d'ici , faites moi le plaifir
de lui dire que nous donnons demain une repréſentation
d' Arlequin , & c.
Ce qui diftinguoit ſon talent , c'étoitla naïveté
de ſon débit , & la vérité de ſa pantomime.
Il pouffoit ces deux qualités juſqu'à la
perfection. Ce n'eſt pas que tout ce qu'il
avoit à dire fût admirable ; mais tout ce qu'il
diſoit faifoit plaiſir , parce que la manière
dont il lediſoit faifoit illuſion; &trèsſouventon
croyoit applaudir un mot, quand
on n'applaudifloit que le ton dont il étoit
prononcé.
Quant à la vérité de ſa pantomime , elle
étoit telle qu'on étoit toujours la dupe , malgréſoi
, de ſes moindres mouvemens. Si ,
par un des lazzi affectés à ſon emploi d'Arlequin,
il faifoit unegliſſade ſur le théâtre , on
frémiſſoit de la peur de le voir tomber. Si ,
dansune ſcènenocturne , il étoit de fonrôle
DE FRANCE.
137
de fe heurter contre quelque porte ou quelque
mur , on étoit prêt à s'écrier. Par- tout
l'illuſion étoit complette.
Cette diction ſi naïve , cette pantomime
ſi vraie , éloignoient fi fort l'idée de l'Art ,
qu'en s'imaginoit plutôt être le témoin d'une
action réelle , que le ſpectateur d'une repréſentation
dramatique. Cela eſt ſi vrai , que
nous avons vu des enfans , amenés à ce ſpectacle,
ſe mêler à la converſation des Acteurs,
&du haut deleur loge , entrer en ſcène avec
Carlin , qui , de ſon côté , profitant des
privilèges de ſon rôle , étoit enchanté d'établir
un dialogue entre eux & lui , & amenoit
par - là une digreffion très amusante ,
qu'il avoit l'art de condre à la ſcène. C'eſt
un fait dont nous avons été témoins plus
d'une fois.
Joignez à cela une grâce qu'il a fu conferver
, malgré ſon embonpoint. En meſurant
des yeux ſa rotondité , on étoit ſurpris de
voir desattitudes autli gracieuſes &une allure
aufli légère. Tous ſes mouvemens arrondis ,
ſes mièvreries de ton & de geſte lui prêtoient
un charme indéfiniſſable ; ce qui ,
joint à ſon accent & au jargon qui lui étoit
particulier , formoit unenſemble piquant &
original. Ses poſitions étoient toujours fi
vraies& fi expreſſives , qu'on voyoir , pour ,
ainſidire , ſa phyſionomie àtravers ſon mafquenoir.
Toutes ces qualités , il les a confervées
juſqu'à fon dernier moment
د
c'est-à-dire
138 MERCURE
-juſqu'à l'âge de 76 ans ; ce qui paroîtra invraiſemblable
à ceux qui ne l'ont pas vu àla
finde fa carrière.On oublioit d'autant mienx
fon âge au théâtre , que , ne jouant pas à
viſage découvert , ſon maſque , ſans derober
, comme nous l'avons dit , l'expreſſion
de ſa figure , ne ſervoit qu'à cacher fon âge.
Depuis la fuppreſſion des Pièces Italiennes ,
il avoit bien moins d'occaſions de parcître
en public ; mais il étoit toujours reçu avec
une acclamation qui atteſtoit l'amour & la
reconnoiffance. Il improvisoit avec plus de
-plaifir qu'il ne jouoit les rôlesécrits ; ſon ta-
-lent étoit plus faitpourſe livrer à ſon imagination
, que pour s'aſſujetir à ſa mémoire.
Peu de jours avant de mourir , il avoit paru
fur la Scène ,& toujours avec les mêmes applaudiſſemens.
Sa mort a fait une véritable ſenſation. Il a
été d'autant plus regretté , qu'il ſe faifoit aimer
dans la ſociété , autant qu'il ſe faiſoitadmirer
fur la Scène. Il avoit une bonhomic
qui rappeloit la naïveté de ſon jeu. Bon mari
, bon père , il rempliſſoit tous les devoirs
de l'amitié. Il y a peu de temps qu'il
avoit eu occaſion d'exercer ſa philoſophie.
Une perte de cinquante mille livres emporta
une partie de ſes épargnes , qu'il
deſtinoit à l'établiſſement de ſa famille. Il
fat conſolé par l'amitié & par ſes ſuccès.
Enfin , ſi ſa mort mérite nos regrets , il faut
avouer auſſi que ſa carrière a été digne d'envie,
Sa ſanté ne l'a quitté qu'à l'inſtant de ſa
DE FRANCE.
139
mort ; il a eu de longs ſuccès &une couite
agonie.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
ΑΝΝΟNCES ET NOTICES.
ESSAI fur les Obligations Civiles des Frères envers
lears Soeurs , fuivant la Costume de Norm nie,
par M. Vaſtel , Docteur en Droit , Avocat au Parlement
de Normandie. A Rouen , de l'Imprimerie de
la Veuve Laurent Dumefoil , rue Neuve Saint- Lô ,
vis-à vis le Prieuré; & ſe vend chez Leboucher le
jeune , Libraire , rae Ganterie ; & à Paris , chez
Durand neveu , Libraire , rue Galande.
Les Juriſconſu'tes avoient laiſſé juſqu'ici dans
d'épaiſſes ténèbres l'objet qui eſt traité dans cet Ou
vrage ; & l'on ſe perdoit dans leurs décifions fouvent
contradictoires. M. Vaſtel a tâché de jetër
quelques lumières ſur une matière auffi intéreſſante .
Son effai , qui paroît l'Ouvrage le p'us complet que
nous ayons dans ce genre , eft fait avec clarté , &
épargnera beaucoup de recherches à ceux qui auront
à difcuter ce principe de Droit. Si quelquefois il
s'éloigne des opinions & des uſages reçus , il préſente
ſes idées avec une modeſtie qui les feroit excufer
de ceux même qui croiroient devoir les combattre
.
CINQUIÈME Cahier de la Phytonomatotechnie
Univerfelle , par M. Bergeret , in-folio de 24 pages ,
&douze planches très - bien deftinées & très-bien
> coloriées .
Ce cinquième Cahier contient l'Hydne Sinué
le Bolet Veniffé , l'Agarie Androfacé , l'Agarie
140 MERCURE
Gercé, la Clavaire Cornue , le Politrie des arbres , le
Bry à Belais , la Morelle à fruits noir , la Douce
amère, le Mouron des champs , le Céraiſte vulgaire ,
le Lamium pourpré. On ſouſcrit chez l'Auteur , rue
d'Antin , Didot le jeune , Imprimeur- Libraire , Quai
des Auguſtins ; Poiſſon , Graveur , Cloître S. Honoré.
La Souſcription pour fix Cahiers eſt de 108 liv. en
papier d'Hollande , de 54 liv. pour le papier ordinaire
, figures colorides ; 27 liv. pour le même en
noir.
ÉTAT de la France , ou les vrais Marquis ,
Comtes , Vicomtes & Barons , par M. de Combles ,
Officier d'Infanterie. A Paris , chez l'Auteur , rue
Jacob , N°. 41 .; chez la Veuve Duchesne , rue Saint
Jacques ; l'Eſclapart , Pont Notre-Dame ; Eprit , au
Palais Royal . En s'adreſſant à l'Auteur , on recevra
cet Ouvrage , frane de port dans tout le Royaume ,
en affranchiſſant les lettres & le port de l'argent.
Prix , 2 liv, broché.
TRAITÉ des Deviſes Hierldiques , de leur oririgine
& de leur usage , avec un Recueil des Armes
de toures les Maiſons qui en portent enſemble un
précis fur leur origine , & un Recueil de faits qui
leur font particuliers & qui ne ſont pas encore
connus , enrichi de gravures, le tout pour ſervir d'introduction
à l'Etat de la France , par M. de Combles.
Prix , 4 liv. 12 ſols. Aux mêmes Adreſſes que
ci-deffus.
Le Mouton , le Canard & le Coq , Fable diałoguée.
Brochure in- 12 de 32 pages . A Bruxelles , &
ſe trouve à Paris , chez Hardouin , Libraire , rue
des Prêtres , Cloître S. Germain- l'Auxerrois .
Les Interlocuteurs de cette longue Fable en profe
font le Mouton, le Canard & le Coq qu'on a fait
DE FRANCE.
141
voyager avec le Globe de M. de Montgolfier , qui
ſe rendent compte de leurs obſervations , & qui raifonnent
à leur manière ſur ce genre de voyage.
L'idée & le cadre en font heureux , & les perfonnages
s'expriment affez ſuivant leurs caractères . On
peut feulement reprocher au Coq d'être un peu trop
raiſonneur , & de parler en Coq plus inſtruit qu'il ne
doit l'être. Au reſte , ce badinage n'attaque nullement
l'expérience qui y a donné lieu; il eſt à regretter
qu'il n'ait aucun but , & qu'il n'offre aucun réſultat ,
foit de morale , ſoit de plaiſanterie.
LETTRE à M. de *** , fur fon projet de voyager
avec la Sphère Aerostatique de M. de Montgolfier ,
16 pages , avec figure. A Aëropolis , ſur la place
des Nues , chez Zéphirin le jeune , Imprimeur-
Libraire & Relieur de S. Majesté Aiglonne ; & fe
trouve à Paris , chez les Marchands de Feuilles volantes
, l'an deia lune ....
C'eſt encore leGlobe volant qui afait naître cette
Brochure. Mais elle n'eſt nullement apologétique ;
l'Auteur emploie contre cette nouvelle invention le
farcaſme & la plaiſanterie. Il la repréſente à peuprès
comme inutile & comme impoffible à perfectionner.
Au reſte , il y a dans cette bagatelle de l'efprit
& de l'imagination. Mais l'Aureur ne ſe renferme
pas toujours dans l'ironie. Quelquefois la
chaleur l'emporte , & il parle ſérieuſement , comme
dans la tirade que nous allons tranſcrire .
"O futilité! ô François , qui te fais des hochets
>> avec des charbons ardens ! peux tu pla fauter
ככ fur des objets auſſi graves ? Arrête , inſenſé! Si
>> cette machine , dont tu prétends démontrer l'impoſſibilité
par tes farcaſmes étoit exécutable , dis ,
>> l'entreprendrois- tu ? Où ſeroit alors un aſyle con-
>> tre les fruits de notre corruption en tout genre ?
Quelles ferrures afſureroient nos propriétés ?
142 MERCURE
Quels tours garantiroient l'honneur de nos filles?
» Quelles Maréchauffées arrêteroient les meurtres
> & les brigandages : Je vois nos moiſſons & nos
>>>villes en feu , nos forêts en ruines , nos flottes
>> embrâfées , nos Rois tremblans ou écrâfés au
- milieu de cent mille bras armés pour les défen-
>> dre.... Je ne vois plus qu'un remède à nos maux :
il faudra nous réduire à vivre ſous terre comme
>>>les renards & les blaireaux , avec cetre différence
» pourtant que ceux-ci laiſſent leur porte ouverte ,
>> & que les nôtres ne pourront étre trop herméti--
>> quement fermées. La Nature ne nous a donc pas
১১ affez libéralement diſpenſénos maux ? Ceux qu'elle
>> ne nous a point donnés , nous les avons faits ;
>> aucun heureuſement ne doit à la Nation Fran-
>> coite fon horrible exiſtence : nous ſommes lé-
>> gers , nous ne ſommes point méchans. Nous n'a-
>> vous à nous reprocher ni machine infernale , ni
>> poudre à caron , ni bayonnette Avec quelle hor-
>>>reur Louis XV n'a- t'il pas rejeté , & le feu inex-
> tinguible & les verres incendians d'Archimède ,
» & dans un temps où ils nous euffent été d'un grand
> ſecours contre un ennemi redoutable , qui peut-
>>> être eût été moins délicat ? Si les hommes font.
>> jamais affez malheureux pour parvenir à voyager
>>>dans les airs, à Dieu ne plaiſe , ô ma Patrie! que
ce ſoit un François à qui l'on en doive l'infernale
>> découverte ..
L'INSTANT de la mort de l'Amiral Coligny,à
Paris , rue Bétify , la nuit du 23 ou 24 Août 1972 ,
Sous le règnede Charles IX. -L'inftant de la mort
du Duc de Guiſe , à Blois , le 23 Décembre 1588 ,
Sous le règne de Henri 111 ; ſujets de deux Eſtainpes
faiſant pendans , de la grandeur de celle qui repréſentoir
la mort du Général Wolfe , gravée à Londres
par Woolette, c'est- à-dire , ayant Is pouces
DE FRANCE.
143
10 lignes de haut , fur 1 pied 9 pouces 11 lignes de
large; propofees par Souſcription.
Ces deux Estampes , dont la Gravure à la manière
Angloiſe eſt commencée , & fera finie par le beur
Parifet, feront délivrées aux Souſcripteurs en payant
21 liv. en retirant chaque Eſtampe , ( au moyen
des 6 1. qu'on aura données en ſouſcrivant) la première
en Janvier 1785 , & la deuxième en Janvier
1787. Le fieur Pariſet a reſté dix ans à Londres , où
il s'eſt formé ſous les plus habiles Maîtres en Gravure
à la manière Angloiſe , & il y a coupéré à.
quantité d'Estampes qui ont fait la réputation des
Graveurs titulaires .
La Souſcription fera ouverte tous les jours , excepté
les Fêtes & Dimanches , enclos du Temple ,
maiſon de Mme Mouffu , chez la Demoiselle Parifet
cadette, à qui le ſieur Pariſet ſon père a cédé lefdites
deux Planches & le Privilège qu'il en a obtenu.
On y verra les deſſins d'après leſquels ſe gra
vent les deux ſujets ſus annoncés , dans leſquels on
aconſervé le coſtume des habillemens & des chambres
où ces deux Seigneurs ont reçu la mort. Dans le
cas où ces Estampes feroient miſes au jour avant
les délais annonces , on en informera le Public par
la voie des Journaux. La préſente Souſcription ne
fera ouverte que juſqu'au premier Avril prochain ;
après ce temps , lesdites Estampes feront de 36 liv.
chacune pour ceux qui n'auroient point ſouſcrit.
PREMIER Concerto pour le Clavecin , Violon ,
Alto & Baffe , par M. N. N. le Pin , & exécuté par
l'Auteur au Concert Spirituel, Prix , 3 liv. 12 fols.
A Paris , chez l'Auteur , rue de la Tifferanderie , au
coin de celle des Deux Portes .
Nous avons eu occafion dans le temps de faire
l'éloge des talens de ce jeune Artike pour la compo-.
144
MERCURE
fition & pour l'exécution. Ce Concerto eſt très-propre
à le confirmer.
L'INFANTE de Zamora , Opéra - Comique en
quatre Actes , parodié ſur la muſique de Signor Paifiëllo.
Prix broché , I liv. to fols. A Paris, chez
l'Auteur , rue Neuve des Petits Champs , vis-à- vis
celle de Chabanois , Nº . 127 .
On trouve à la même adreſſe : 1º. les Airs détachés
du même Opéra ; prix , 1 liv. 4 fols. 2°. La Par
tition complette du même ; prix , 30 liv. 3 °. Les
Partiesséparées du même ; prix , 12 liv. 4º. La Partition
de la Colonie , muſique de M. Sacchini ; prix ,
24 liv. 5º. Celle de I Olympiade , muſique du même;
prix , 24 liv. C'eſt- là que doivent s'adreffer déformais
les Marchands de Province qui defirent tirer
ces Cuvrages directement de l'Éditeur.
Nota. On grave maintenant la Partition des deux
Comteffes , de M. Paiſiello. Elle paroîtra dans le,
courantde Décembre prochain .
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
LA.Mort du Pauvre , 97 Eloge de Fontenelle ,
AMlleCh ***
, 99. Les Cuvres d'Horace ,
Charfon furle Globe Acoroſta Les Deux Soeurs ,
104
114
119
100 Voyage aux Ifles de Lipari , 117
Charade , Enigme & Logogry Nécrologie,
tique ,
phe , 202 Annonces& Notices ,
134
136
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
J'AI In , par ordre de Mer le Garde des Sceaux , le
Mercare de France , pour le Samedi 18 Octobre. Je n'y af
rien trouvé qui puiſe en empêcher " impreffion . A Paris ,
je 17Oucbse 17. GUIDL.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ز
TURQUIE.
1
DE CONSTANTINOPLE , le 4 Septembre.
ES bruits qui
Ltranger d'une révolutiondans cette Capitale
contre l'Empereur regnant, en faveur du
Sultan Selim, ſont deſtitués de tout fondement:
il en eft de même des grands changemens
dans l'adminiſtration qu'on a dit devoir
avoir lieu après la fête du Bairam ; le Grand-
Viſir & le Capitan-Bacha continuent d'avoir
la plus grande influence dans les affaires de
l'Etat; & il paroît que la flotte Ottomanene
tardera pas à mettre à la voile. Le Divan ,
qui juſqu'à préſent avoit paru répugner à la
guerre, yſemble maintenant décidé, ſurtout
depuis qu'il fait qu'il exiſte encore dans la
Crimée un parti nombreux , qui joindra volontiers
ſes efforts aux nôtres , pour ſe ſouftraire
à la domination Ruſſe.
ſe font répandus dans l'é-
L'Anglo-Turc , Mustapha,Chefdu corps
Νο. 42 18. Οctobre 1783 . e
( 98 )
d'Artillerie , eſt continuellement occupé à
fondre des canons ; ces pieces ſont véritablement
belles & fortes ; elles n'ont beſoin que
de bras formés à les manoeuvrer , & on s'occupe
avec beaucoup de ſoin à en exercer.
On a mis les Dardanelles dans un état de
défenſe , qui rend le paſſage de l'Archipel ici
impraticable à quiconque voudroit entreprendre
de le forcer ; c'eſt un Ingénieur
étranger qui a été chargé de ce travail: il y a
établi des batteries flottantes , garnies de canons
de la plus grande force , de 32 , de 48
&de 60 livres ; & on travaille à mettre dans
un état auſſi reſpectable les Iſlesde l'Archipel.
La peſte qui continue toujours ſes ravages
, force à mettre un peu de lenteur dans
l'exécution de ces travaux ; mais , on écrit que
ce fleau terrible commence à ſe rallentir; &
on eſpere que l'Automne qui s'approche , le
fera entierement ceffer.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , les Septembre.
L'Impératrice a fait remettre au Duc de
S. Nicolas , Miniſtre de Naples , avant fon
départ , une boîte avec ſon chiffre en brillans;
elle a en même temps exempté de tous
droits de douane 4 bâtimens Hollandois qui
ont chargé içi des munitions navales pour le
compte du Roi des deux Siciles. On ne
doute pas que notre eſcadre dans la Méditerranée
ne trouve en revanche toute l'affif
( وو (
tance& les ſecours dont elle pourra avoir be
ſoin dans les ports de S. M. S.
Le Prince de Jouſſoupoff, que S. M. I. a
nommé fon Miniſtre à la Cour deTurin , eft
parti d'ici jeudi dernier pour ſe rendre à ſa
deſtination.
On vient d'apprendre que les Princes Héraclius
& Salomon de Géorgie ſe ſontdéclarés
volontairement vaſſaux de cet Empire ;
cet événement , préparé ſans doute de longue
main, comme toutes les autres parties
du plan formé contre la puiſſance Ottoma
ne , acheve de rendre la Ruſſie maitreſſe des
bords ſeptentrionaux & orientaux de la mer
Noire. M. Tamara , dépêché par le Prince
Potemkin , pour apporter ici cette nouvelle
intéreſſante, a été élevé au grade de Colonel.
L'eſcadre fortie de Cronſtad pour faire
une croifiere dans la Baltique, ne conſiſte
qu'en 6 vaiſſeaux & 2 frégates ; il reſte encore
dans le port 9 vaiſſeaux de ligne , 6 frégates&
4 galiottes à bombes.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 14 Septembre:
Une lettre de Holmens-Hafen en Iſlande,
contient les détails ſuivans ſur les phénome
nes qui ſe ſont manifeſtés cette année dans
cette ifle.
Le premier jour de la Pentecôte de cette an
née , il s'eſt formé dans le Mont Skaftan ſitué
dans le diſtrict de Skaftefield , un volcan qui s'eſt
tellement développé que tout le lac appella
C2
( 100 )
Skaftawe, a étédeſſéché , & ne forme plus qu'un
terrein pierreux. Deux Egliſes &huit maiſonsde
Payſans ont été brûlées à la fois & ne font plus
qu'une maſſe de pierres calcinées ; ſuivant les
rapports qu'on en reçoit , la flamme rouloit comme
une mer agitée , & embraſoit tout ce qu'elle rencontroit
, de maniere que terre , pierre , tout
étoit enflamé; on auroit dit un feu violent qui
tantôt ſe répand avec impétuoſité , tantôt ne ſuit
fa marche qu'avec lenteur. D'après ces derniers
avis , ce terrein de feu s'étend de plus en plus ,
de forte qu'on peut dire avec certitude qu'il a
déja envahi un eſpace de terrein de plus de ſept
milles de large ſur quatorze de long. Ce
n'eſt pas à cela que ſe réduit le mal ; on peut
préſumer avec beaucoup de vraiſemblance qu'il
eſt beaucoup plus conſidérable ; les vapeurs de
fouffre , de ſalpetre , de cendres &de fable exhalées
de la terre , ont tellement obſcurci l'achmoſphere
, que tout le pays eſt abymé dans les
horreurs d'épaiſſes ténébres. Depuis le huitieme
jour après la Pentecôte il a été impoſſible de
voir&dediftinguer le ſoleil ſi ce n'eſt à ſon lever
a ſon coucher ; & alors il paroiſſoit comme une
maſſe de fer rougie au feu & environnée d'une
vapeur épaiffe. Cette terrible nuit empêche
d'avoir des détails plus circonstanciés ;& l'on ne
faitpasencore poſitivement combien de nouveaux
volcans ſe ſeront formés ,&ſur quelle étendue
deterrein ce phenomene terrible de la nature ſe
fera développé. Ce qui mérite d'être remarqué,
c'eſt que l'on diftingue des éminences &de hautes
montagnes mèmes , dans les lieux où il n'y
avoit ci-devant que des plaines.- L'Iſle nouvelle
fortie du ſein des flots près des côtes de Kugleskiares
, s'étend de plus en plus , & brûle continuellement
, les pierres calcinées qui s'en élevent
( 101 )
Tont lancées juſque ſur le rivage opporé. On ne
peut pénétrer ce qui réſultera de ces phenomenes
nouveaux ; mais on penſe avec effroi aux ſuites
funeſtes qu'ils paroiſſent annoncer.
SUÈDE.
DE STOCKHOLM , le 12 Septembre.
OnmandedeGothembourg que les commiſſions
de l'étranger ſont ſi nombreuſes ,
que la meilleure & la plus grande partie des
cargaiſons apportées en dernier lieu par les
navires de notre Compagnie des Indes
Orientales , fortira du royaume, & paffera
en d'autres lieux.
QuelquesNégocians decette Ville , ayant , par
uneſpéculationde commerce, expédié un Navire
à Saint-Domingue, ce bâtiment eſt revenu depuis
quelques jours avec une riche cargaiſon de café.
Onen attend un autre qu'ils avoient fait partir
pour Surinam. Quoique le commerce de ce
Royaume en général , ait du beaucoup fouffrir
de la cefſationdes hoſtilités ,& que le prix d'achat
desNavires ait baiſſe conſidérablement,les fréteurs
ont cependant durant le cours de l'été paffé ,
retiré des profits conſidérables par le tranſport
desgrains avidement recherchés partout ; ce qui
maintenant le fret à un prix aſſez haut , augmente
encore fi fort la raretédes bâtimens ſolidement
conſtruits , que l'artillerie fondue dans ce pays
pour le compte du College d'Amirauté de Zélande
, n'a pu être chargée & expédiée pour fa
deſtination que depuis peu de jours.
POLOGNE.
DE VARSOVIE, le 15 Septembre.
La quantité conſidérable de Juifs qui font
e3
( 102 )
établis dans cetteCapitale , excite l'attention
du Gouvernement , & l'on tient à ce ſujet
des conférences multipliées de la part de la
Jurisdiction du Maréchal de la Couronne.
Quelques-uns de ſes membres ſeroient d'avis
de faire fortir cette nation de la ville ; d'autres
préféreroient de limiter le nombre des familles
qu'on peut ytolérer ; & quelques autres
voudroient qu'on leur affignat un emplacement
de l'autre côté de la Viſtule , pour y
élever une ville dans laquelle ils pourroient
feuls demeurer.
Il eſt beaucoup queſtion de former des
confédérations depuis quelque temps. Leur
objet feroit de veiller à la protection de la
République , & d'écarter la guerre de fon
territoire , fur lequel les Ruſſes & les Turcs
pourront , lorſqu'ils feront aux priſes , porter
quelquefois la déſolation & le carnage , &
faire fouffrir les habitans d'une guerre qui
leur eft abſolument étrangere .
ALLEMAGNE.
DE DANTZICK , le 16 Septembre.
Lorſque le Roi de Pruſſe fit élever le fort
deLangenfuhrt ſur la Viſtule , le commerce
de cette ville craignit avec raiſon qu'un jour
cet établiſſement ne lui fir quelque tort : cependant
la bonne intelligence avoit juſqu'ici
ſubſiſté entre notre adminiſtration & la régence
Pruffienne. Notre Magiftrat a réclamé
aujourd'hui ſon droit d'étape , & a demandé
( 103 )
que les bâtimens Pruſſiens , qui paſſent à
Dantzick , le payent comme les autres ; la
régence Pruffienne s'y eſt oppoſée , & a fait
garnir les deux bords de la Viſtule au-deſſus
de la ville de Canons , qui empêchent le
paſſage à tout bâtiment Dantzickois , tandis
qu'il devroit l'être encore pour les navires
des Puiſſances étrangeres. Cependant ces
derniers ne le font point; les navires Prufſiens
même ne ſont pas exempts de la regle
générale. Il y en a beaucoupde retenus
Le 7 de ce mois deux Dantzikois ont été tués
fur notre territoire par des Pruſſiens . Le Réſident
de Pruſſe remit auſſi-tôt au Magiſtrat un
Mémoire dans lequel cet acccident étoit repréſenté
comme une ſuite de la grande animofité
du peuple de part & d'autre , & il le preſſa
de rétablir la tranquillité . Des ordres furent publiés
en conféquence pour défendre les attroupemens
& les émeutes ſous des peines ſévérés ,
& peu de jours après le Major Pirch eſt venu
dans la Ville ſans que ſa préſence ait occafionné
le moindre tumulte ; il n'y en auroit point eu
s'il n'étoit point venu armé. Le 8 le Réſident
Prufſien reçut des dépêches de ſa Cour ; le 9 il
remit un nouveau Mémoire au Magiftrat , par
lequel il lui demande s'il veut entrer en négociationau
ſujet du paffage des vaiſſeaux du Roi ,
s'il veut déclarer ce paſſage libre ad interim falvo
jure , & il promet an nom du Roi , de lever
tous les obſtacles , il vouloit avoir réponſe dans
deux fois vingt - quatre heures ; mais le
Magiftrat qui a déja réclamé l'appui de la Pologne
& eclui de la Ruſſis , n'a pu le fatisfaire
fi promptement , & les choſes ſont toujours
au même étαι.
C4
( 104)
DE VIENNE , de 27 Septembre.
Depuis qu'il s'agit de rendre libres lecommerce
& l'industrie , en faveur de tous les
habitans de cette ville en général , le bruit
s'eft répandu que le Gouvernement fera rembourfer
à ceux qui ont des privileges exclufifs,
ce qu'il leur en a coûtépour les obtenir.
Une boutique de Perruquier ſe payoit cidevant
8 à 10,000 florins , celle d'un Apothicaire
30,000 , le droit d'avoir un caffé
12 à 16,000 , celui de vendre des fruits ,
12,000,
On a parlé de l'Ordonnance de l'Empereur
contre les corps de baleine, dont l'uſage
immémorial chez le beau Sexe eſt accompagné
, de tant de danger.
Il eſt non- feulement contraire à la nature , en
ce qu'il nuit ſenſiblement à la propagation , mais
il eſt encore funeſte à la ſanté des femmes & des
filles , dont il géne abſolument le développement
des organes : la maigreur, les obſtructions , les
étranglemens des viſceres, la foibleſſe habituelle,
enfinune infinité de maux ſont les fuites inévirablesdece
ridicule uſage,que l'entétement maintient
depuis filong-temps. On peut encore ajouter
que les corps ne font pas moins contraires au bon
goût. Les graces y perdent infiniments pour acquérir
ce qu'on appelle une belle taille , on renonce
à l'aifance &à la fraîcheur de la ſanté. Les
femmes ne font point faites pour être coupées en
deux comme les guêpes , & ce n'eſt point ainſi
que ſont modelées les belles ſtatues de l'ancienne
Grece, qui offrent aux yeux des contoursſigracieux,
L'Empereur , en proſcrivant ces cuiraffes dans
( 105 )
les maiſons d'éducation , ordonne à la Faculté de
Médecine de compoſer un petit Traité clair & à la
portée de tout le monde , touchant le danger des
corps pour la ſanté , l'accroiſſement & la bonne
diſpoſition du ſexe. Ce Traité ſera répandu dans -
le Public , pour l'inſtruction des parens.
DE BERLIN, le 20 Septembre.
S. M. a donné ordre d'abattre dans la
Marche électorale une certaine quantité de
maſures qu'elle ſe propoſe de faire reconftruire
à ſes frais ; on commencera par les
villes de Furſtenwald & de Spandau ; elle a
aſſigné 80,000 écus pour l'embelliſſement de
la premiere. On va conſtruire ici de nouvelles
caſernes pour les régimens de Bornſtedt&
de Waldeck .
Le roi , toujours ennemi des abus , & toujours
prêt à les faire ceſſer , vient de faire publier une
ordonnance , deftinée à ſervir de regle aux Confuls
& aux Navigateurs ; ſon objet eſt d'obliger
ces derniers à payer , dans les mers éloignées , les
droits qu'ils refuſent quelquefois , & d'empêcher
Ies premiers d'en exiger de trop forts . Ces droits
feront d'un écu dans les ports de la Baltique ,
juſqu'à Elfeneur , & de deux écus dans les ports
hors de la Baltique , comme en Hollande , en
Angleterre, en France , en Portugal , en Eſpagne ,
en Italie , en Afie , en Afrique & en Amérique ,
pour l'exhibition & la lecture d'un paſſe - port
mais quand les Navigateurs Pruffiens voudront
charger le Conſul de leurs affaires particulieres
&de leurs commiſſions , ce ſera un arrangement
à faire entr'eux : l'intérêt des Confuls , pour ſe
procurer des avantages dans leur état , eſt de ga
gner la confiance des Navigateurs,
es
( 106 )
DE HAMBOURG , le 22 Septembre.
Les mouvemens des Turcs & ceux du
Nord ne ſe ralentiffent point ; & on croit
toucher inceſſamment à l'inſtant qui diſſipera
les incertitudes dans lesquelles reſtoit
l'Europe d'après les mouvemens que n'interrompent
point les négociations qui continuent
toujours.
L'accord qui paroît régner entre les deux
Cours Impériales , dit un de nos papiers , n'a
jamais été plus ouvert ni plus marqué ; il y a
long-temps qu'il fixe l'attention des autres Puifſances
, intéreſſées à conſerver l'équilibre général
pourla ſureté du commerce. Elles ne font certainement
pas reſtées oiſives ; mais quel eſt le réſultat
de leurs mouvemens politiques ? c'eſt ce que
l'on ignore encore , & ce que l'on croit qui ne
sardera pas à être éclairci. Le temps approche à
grands pas , où les grands événemens entrevus
depuis fi long-temps , vont enfin éclater; de ſi
grands préparatifs militaires vont ſe développer
d'une maniere étonnante , & peut- être le 19 de
cemois a-t-il levé le rideau & décidé cette grande
affaire. On mande de Vienne , que 200 canons
de barterie , embarqués à bord de 10 bateaux
, viennent d'être tranſportés , par le Danube
, à Semlin. Le grand cordon impérial , qui
s'étend depuis la Buccowine juſques dans la Styrie
, eſt compoſé de 183,000 hommes & de 800
pieces de canon. Le Danube , vis -à-vis de Pantzowa
& de Mahadia , ainfi que la Save , eſt de 50
en 50 pas garni de piquets , foutenus par des
détachemens ; & fur la rive oppoſée de ces deux
fleuves, il y a une foule prodigieufe de Turcs ,
( 107 )
en partie campés , & en partie logés dans les maiſons
».
Selon quelques lettres , la Chancellerie de
guerre de Vienne s'eſt fait remettre ces jours
derniers tous les plans levés ſous le Prince
Eugene , & qui étoient gardés juſqu'à préſent
dans la Bibliotheque Impériale ; & le
Conſeil de guerre commence à faire des contrats
pour la livraiſon du vinaigre & de la
paille, &c. néceſſaires aux troupes.
Ondit auſſi que 15 à 20 régimens Ruffes
ont paffé le Nieper pour entrer dans la Moldavie.
Toutes les Gazettes annoncent le parti
qu'ont pris les Princes de Géorgie, Héraclius
& Salomon , de ſe déclarer vaſſaux de la
Ruflie& l'emprefſſement de pluſieurs Tartares
à ſuivre cet exemple , & à ſe ſoumettre
à la même domination.
>> Cette derniere nouvelle eſt trop extraordinaire
pour être vraiſemblable , lit-on dans une
lettre ; il eſt par conséquent prudent d'attendre que
le temps ou d'autres avis , qui ne viennent pas de
Ruffie , la confirment. Les moeurs , les uſages ,
la religion , les préjugés de tous les peuples ,
qui ſuivent l'iſlamiſme , ſont des obſtacles à
tous les projets qu'on leur prêtera de reconnoître
un Souverain étranger ; ils en offriront même de
très grands à ceux qui entreprendront de les réduire
malgré eux , & il faudra ſans ceſſe employer
pour les contenir , la force , qui finit par rendre
odieux le pouvoir auquel on ne peut réſiſter , &
contre lequel on lutte ſans ceſſe. Il ne faut donc
pas croire ſi légerement que les Tartares ſouffrent
patiemment ladominationRuſſe; ceux qui tien
e6
( 108 )
nent à leur fol , gémiſſent en attendant une occafion
favorable pour ſecouer leur nouveau joug
mais les familles les plus conſidérables & les plus
riches déſertent le pays , & arrivent en foule à
Conftantinople ; elles ne contribuent pas médiocrement
à exciter le peuple à la vengeance.-II
ne paroît pas non plus qu'on doive compter davantage
ſur l'amitié des peuples de Georgie. II
estvrai que lePrince Heraclius ,flatté des avances
qu'on lui a faites , du ſceptre & de la couronne
d'or qu'on lui a envoyés , a bien voulu ſe mettte
ſous laprotection de l'Impératrice , & ſe déclarer
fon vaffal. Mais le Prince Sa'omon a refuſé les
mêmes préſens , & déclaré qu'il ne vouloit dépendreque
de ſon cimeterre. Voilà en général touzes
les nouvelles qu'on a de Conſtantinople ; car ,
comme on l'a dit , il ne faut rien attendre de
Pétersbourg ni des armées , par les ſoins que l'on
a pris de fupprimer toutes les correſpondances
particulieres qui peuvent nous inſtruire de l'état
des choſes .
Selon une autre Lettre , l'eſcadre ſortie de
Cronitat , le 15 & le 18 Août, eſt réellement
deſtinée pour la Méditerranée; comme
elle eſt mal équippée , on a dit avec affez de
vraiſemblance , qu'elle ne feroit que croifer
dans la Baltique. Il eſt difficile en effet qu'elle
aille plus loin dans l'état où elle eſt , à moins
qu'on ne l'ait mal armée que pour cacher fa
marche , & qu'on eſpere de la pourvoir
dans les ports d'Angleterre des équipages &
&des munitions dont elle a beſoin pour
une ſi longue campagne.
ر
<<On raconte un trait où l'équité de l'Empereur
ſe fait autant admirer , que le crime auquel
( 109 )
1
il a indigé une punition mérite d'horreur. En
Moravie , unLieutenant à ſon ſervice abuſoit fouventde
la facilitéde ſon pere pour entirer l'argent
que lui coûtoient ſes plaiſirs. Celui ci étoit direc
teur d'une caiſſe publique ; un jour le Lieutenant
vint lui annoncer que ſon honneur & fon état dépendoient
d'une ſomme de 600 florins , dont il
avoit le beſoin le plus préſſant. Le pere allegua
une impoſſibilité abſolue ; le fils joua le déſeſpoir :
puisqu'il faut cettefomme , dit le pere en ouvrant
la caiſſe dont il étoit dépoſitaire , je vais donc me
prdre pour toi : il tira les 600 florins de cette caiſſe
les remit à ſon fils ; mais dès que celui-ci fut parti
il remplit cevuide; il n'avoit feint de prendre dans
ce dépôt que dans l'eſpérance d'effrayer ſon fils
&de mettre des bornes à ſa diffipation. L'Empereur
venant à paſſer par cette ville , le Lieutenant
alla ſe jetter à ſes pieds : Sire , lui dit-il , vos
droits fontplus ſacrés que ceux demon pere même.
Son imprudence m'oblige à devenir ſon délateur.
Il vient de prêter à quelqu'un une ſomme de 600
florins de la caiſſe que V. M. a daigné lui confier.
L'Empereur le renvoye & fait venir le pere : la
vérité ne tarda pas à être connue. Le Lieutenaut
a été caſſé avec infamie , & condamnéà to ans
de maiſon de force. Il a été donné au pere une
augmentation de gages , pour adoucir apparemment
ſa douleur d'avoir un fils que l'eſpoir d'une
récompenſe a pu porter à une action ſi atroce.
ITALI E.
DE LIVOURNE , le 14 Septembre.
On apprend de Milan , que l'Empereur a
nommé M. Philippe Viſconti , Prévoſt de la
Métropole , à l'Archevèché de cette ville;
( 110 )
que l'Archiduc & l'Archiducheſſe Ferdinand
yétoient attendus le 13 de ce mois , & l'Archiduchefſe
de Modene le 25 ..
Le Roi , écrit-on de Naples , a réſolu de mettre
les forces maritimes des deux Siciles ſur le
pied le plus reſpectable. Pour cet objet on a dreſſé
un plan pour un grand arsenal & un chantier
royal , & on va s'occuper inceſſament des travaux
relatifs à cet objet , pour lesquels S. M. a donné
200,000 écus. Son deſſein eſt d'équiper une efcadre
deſtinée à protéger le commerce & la navigationde
ſes ſujets contre les corſaires barbareſques
, &de donner à ſon Royaume toute l'importance
à laquelle il eſt endroit de prétendre
auprès des puiſſances maritimes. = Il ſemble
qu'il y ait une fatalité attachée à la plupart des
entrepriſes formées par les Puiſſances Européennes
contre les Etats Barbareſques pour faire cefſer
leurs pirateries & leur inſolence. L'hiſtoire en
fournit pluſieurs preuves , entr'autres celle - ci
qu'on lit dans un papier public. Les Etats de ces
pirates , qui ſont ſur la méditéranée , formoient
autrefois le Royaume de Mauritanie & la République
de Carthage. Les habitans modernes de ces
Etats font aufli entreprenans, auſſi inconſtans
auſſi cruels & auſſi traîtres que leurs ancêtres ,
dont les Hiſtoriens Romains nous ont laiſſé de fideles
portraits . Vers le commencement du 18 .
fiecle , le fameux Barbe- Rouſſe , par ſa conduite
& ſon courage , les rendit formidables aux Puifſances
Européennes , qui ont ſouvent tenté , mais
en vain, de détruire leurs établiſſemens. En 1541 ,
l'Empereur Charles Quint , â la tête de 26000
hommes de très-belles troupes , fit , contre l'opinion
de ſes Alliés , une, defcente ſur les côtes
d'Alger', qui n'étoient défendues que par 800
( III )
Turcs& 5000 Maures; mais une violente tempê.
te étant ſurvenue , tous les vaiſſeaux ſur leſquels
étoient les vivres de ſon armée perdirent leurs ancres
, & dans l'eſpace de 24 heures , il périt 15
vaiſſeaux de ligne , 140 bâtimens de tranſport &
8000 Matelots. Ce malheur obligea Charles-
Quintà ſe retirer ; & ſes troupes , dans cette retraite,
furent réduites àn'avoir pour toute nourriturre
que de la chair de cheval . Pluſieurs de ſes
Soldats furent noyés en traverſant les rivieres ;
d'autres périrent faute d'alimens ; mais le plus
grand nombre fut tué par les Algériens , qui harafferent
jour & nuit les malheureux reſtes de l'armée
eſpagnole. Charles-Quint eut à peine embarqué
les débris de ſes troupes , qu'il eſſuya une autre
tempête. En un mot , les vaiſſeaux n'arriverent
en différens ports d'Eſpagne & d'Italie , qu'après
avoir été vingt fois à la veille d'être engloutis.
Les Lettres de Rome portent que , par
ordre du gouvernement Apoftolique, un ouvrage
écrit en langue Françoiſe , contenant
4 feuilles d'impreſſion , & ayant pour titre :
Extrait de deux Lettres en guise de brevets ,
envoyés aux Evêques de France , le 19 Avril
1783 , a été brûlé par la main du bourreau ;
cette production a été profcrite comme mal
fonnante , impie , & remplie de fauſſetés
groſſieres; il eſt défendu ſous des peines trèsgraves,
delavendre, débiter, ou tenir chez foi.
ESPAGNE.
DE MADRID, le 26 Septembre.
On croyoit que le S. Jean Népomисене ,
(112)
qui a ramenéD. Bernard Galvez en Europe,
y apporteroit l'argent appartenant au Roi ,
qui étoit à la Havane , & celui pour le commerce
, que la frégate la Sainte-Lucie avoit
apporté quelques jours avant ſon départ ; il
avoit été d'abord décidé qu'on les chargeroit
ſur ce vaiſſeau : mais l'adminiſtration a
changé de ſentimens ; cette partie du tréſor
ne viendra qu'avec le tréſor même , qu'on
n'attend que vers le mois de Février de l'année
prochaine , & qui fera , dit-on , au moins
de 40 millions de piaſtres. Ce long retard
peut influer ſur les opérations des principales
placesde l'Europe , qui , à l'inſtant de la paix,
s'attendoient à recevoir les fonds que la
guerre avoit retenus en Amérique.
On attend ici avec la plus grande impatience
les nouvelles d'Alger ; on eft curieux
de ſavoir juſqu'à quel point cette ville a fouffert.
En attendant , D. Antonio Barcelo eft
fort fêté par le Roi & par toute la Cour. La
Princeſſe des Afturies ,malgré ſa ſituation &
la rigueur de notre étiquette , a voulu le
voir , & ce Général lui a été préſenté , la
Princeſſe n'étant pas encore relevée de ſes
couches, ce qui n'eſt pas encore un médiocrehonneur.
ANGLETERREDE
LONDRES , le 7 Octobre .
La proclamation publique de la paix ,
qu'on croyoit reculée après le Traité définitif
( 113 )
avec la Hollande , & l'arrivée des ratifica-.
tions de l'Amérique , a eu lieu hier matin ;
on connoît la forme de ces cérémonies qui
n'ajoutent rien à la fanction des engagemens , ..
&qui ne font que des fêtes pour le peuple .
On a remarqué que dans cette proclamation
il n'eſt queſtion que de la paix avec la France
& l'Eſpagne; on n'eſt pas étonné qu'il n'ait
pas été dit unmot de celle de la Hollande ,
parce qu'il n'y a que les préliminaires d'arrétés
, & que le Traité reſte à conclure; mais
il n'en eſt pas de même de celle avec l'Amérique
; le Traité définitif eſt exactement le
traité préliminaire qui a été ratifié depuis
long-temps, de forte que ce n'eſtplus qu'une
formalité que la ratification qu'on en attend
ſous fa nouvelle forme (1) .
<<Comme la proclamation de la paix n'a parlé
que de celle de la France & de l'Eſpagne fans
y comprendre l'Amérique , nous croyons que la
paix de celle- ci ne ſera pas publiée fi folemnel.
lement ; il en coute ſans doute d'annoncer avec
des fanfares que nos ſujets que nous n'avons
pu ramener à l'obéiſſance ſont devenus indépendans
& ont traité d'égal à égal avec nous.Quelque
fatisfaction que la paix cauſe en général ,
onne laiſſe pas de ſe permettre des plaifanteries;
la folemnité d'hier en a fourni quelques-unes ,
le Magiſtrat de la ville qui étoit obligé d'y affifter
,, en attendant la cavalcade, s'ééttooiittétablipour
( 1 ) Voyez notre Journal du 15 Février dernier , ou
nous avons inféré le Traité préliminaire en entier, page
113 & ſuivantes , ce qui nous diſpenſe de le tranferire de
nouveau ,
( 114 )
être plus commodément dans une taverne à
lenſeigne du diable ; & les plaiſans ſe ſont empreſſés
de dire : voilà une paix damnable ; car
le Lord Maire , les Aldermans , la compagnie
d'artillerie , les Officiers de la Cité & tous ceux
qui ont quelque part à la publication ſont déjà
tous allés au diable » .
Les différentes Lettres arrivées de New-
Yorc» , nous préparent à l'évacuation prochaine
de cette place , & nous annoncent la
continuation des meſures rigoureuſes priſes
dans tous les Etats-Unis contre les Loyaliftes
, qui ne paroiffent plus avoir aucune efpérance
de rentrer dans leur pays , & dont
les poffeffions commencent à être vendues
partout. Le produit qu'on retire de ces ventes
, ſera employé aux beſoins particuliers
de chaque Etat , où l'on s'occupe de la Légiflation
intérieure , &des moyens de faire
Aeurir & d'étendre le commerce.
« L'été dernier , écrit-on , de Montréal a été
un des plus chauds dont on ſe ſouvienne , la plupart
des petites rivieres ont été tellement taries
que les canots des Indiens n'ont pu les deſcendre
comme ils faifoient les années précédentes ,
de forte que les ſauvages ont été réduits à venir
par terre. Cette raiſon a fait qu'il y a eu
moins de pelleteries & de fourures dans les marchés
, & que par conséquent le prix en a été
beaucoup plus conſidérable. D'après les articles
du traité préliminaire de paix que nous connoitfonsdans
leCanada , nous craignonsbien que les
Américains ne partagent au moins avec nous
ce commerce intéreſſant. Ils ne manqueront pas
ſans doute de reclamer tout ce qui ſe trouvera
( 115 )
dans l'enceinte de leurs limites , & il ne leur
fera pas difficile d'attirer les Indiens du Nord
& de les engager à visiter leurs marchés de préférence
aux notres. Leurs grandes rivieres toujours
navigables leur offrent des facilités. On dit qu'ils
projettent de faire des établiſſemens dans l'Iſle
Royale & dans celle de Phelippeaux , dans cette
partie du lac ſupérieur qui eſt compriſe dans
leurs limites , & d'y former de petits gouvernemens
dépendans de l'Etat qui en eit le plus
voifin. Il eſt à ſouhaiter que le gouvernement
Britannique forme à ſon tour quelque plan pareil
dans l'Iſle de Maurepas & de Pont-Chartrain
; il n'y a que la vigilance la plus active
&l'attention la plus jalouſe qui puiſſe les empêcher
de réuſſir ».
A la place des nouvelles politiques d'Amérique
qui nous manquent, nous placerons
ici l'anecdote ſuivante , que nous fourniſſent
les papiers du Nouveau-Monde , & qu'ils
donnent comme un fair.
Un Indien qui n'avoit pas eu de ſuccès dans
ſa chaffe , erroit dans le voiſinage d'une plantation
ſituée ſur les établiſſemens de derriere de
la Virginie ; il s'approcha de cette plantation ,
& voyant le Propriétaire aſſis à ſa porte , il lui
dit qu'il avoit grand faim , & lui demanda un
morceau de pain ; ſur le refus qu'il reçut en réponſe
, il demanda un verre de bierre ; même
refus ; mais je meurs de ſoifreprit le Sauvage,
donnez moi au moins un peu d'eau. Retire toi
chien d'Indien, dit le Planteur , tu n'auras rien
ici. Il arriva quelques jours après que ce Planteur
inhumain chaſſant dans un bois avec
quelques amis , s'écarta d'eux en ſuivant une
plece de gibier qu'il ne put joindre , & ne
,
( 116.)
fut plus retrouver ſes compagnons. Après avoir
erré toute la journée , accablé de fatigue , &
n'en pouvant plus de faim & de ſoif, il apperçut
une cabanne de Sauvages ; il y courut &
demanda en grace qu'on le conduiſit à la plantation
Européenne la plus prochaine. Il eſt
trop tard lui dit le Sauvage maître de la cabanne
, pour pouvoir eſpérerd'y arriver avant
la nuit , reſtez ici , vous y ſerez le bien venu ,
&demain il fera jour. Il lui préſenta enſuite
un morceau de venaiſon & d'autres rafraichiſſemens
dont il avoit beſoin ; enſuite ayant étendu
pluſieurs peaux pour lui faire un lit , il le fit
coucher en lui diſant de ſe repoſer tranquillement
, lui promettant de le réveiller le lendemain
de bonneheure & de le conduire ſur le
chemin qu'il devoit faire. La nuit ſe paſſa , le
Sauvage tint parole à ſon hôte , & l'accompagna
juſqu'à ce qu'il reconnut les lieux & ſa
route. Au moment où il alloit s'en ſéparer & .
lui dire adieu , il voit le Sauvage s'arrêter l'enviſager
, & lui demander: me reconnois-tu ? Le,
Planteur frémit en le reconnoiſſant en ce moment
pour le même Indien qu'il avoit renvoyé
autrefois avec tant de dureté. Il avoua en
tremblant qu'il reconnoiffoit ſes traits , & il
commençoit à excuſer ſa conduite brûtale
Iorſque le Sauvage l'interrompit & lui dit froidement
: quand tu verras un pauvre Indien mourant
de foif& demandant un verre d'eau , donne
le lui , & ne lui dis plus: va- t-en chien d' Indien.
Après cet avis il lui ſouhaita bon voyage & le
quista. Il eſt inutile de demander lequel de
PIndien ou du Planteur méritoit le nom de
Sauvage.
Nos nouvelles de l'Inde , s'il faut en
croire nos papiers , ne ſauroient être plus
( 117 )
favorables. Mais , ſans entrer dans des détails
, ils ſe contentent d'annoncer que Tipoſaïb
a évacué Arcate , qu'il a quitré entiérement
le Carnate , & que le colonel Eyre-
Coote eſt parti du Bengale avec de l'artillerie
& de l'argent pour pourſuivre ſes
avantages. On ajoute qu'on eſt occupé
d'un nouveau traité avec les Marattes dont
le but eſt , d'augmenter le pouvoir de la
compagnie dans l'Inde , & d'affoiblir celui
de Tipofaïb. Toutes ces nouvelles demandent
des détails qu'on n'a point encore ;
ceux que nous avons de ce qui ſe paſſe
dans ces contrées , ſont d'une date antérieure.
Tels font ceux que nous trouvons
dans la lettre ſuivante de Madras ,
en date du 31 Janvier dernier.
La Frégate la Médée qui avoit mis à la voile il
ya quelque jours , pour Goudelour , eſt revenue
ce ſoir avec un Vaiſſeau Hollandois de 54 canons
, dont elle s'eſt emparée ſous les batteries
établies ſur le rivage à Goudelour , après un
combat d'une heure vingt minutes. Il y a eu pluſieurs
tués à bord du Vaiſſeau Hollandois ; la
Médée a eu deux ou trois hommes légérement
bleffés. Le Vaiſſeau Hollandois venoit de Batavia
; il étoit chargé de Proviſions dont il avoit
débarqué une partie. La priſe de la Médée peut
monter 50 canons. Elle en avoit 100 à bord ,
leſquels appartenoient au Bizarre , qui a péri.
Le Capitaine Hollandois étoit à terre. Il s'étoit
adreſſé au Commandant François pour avoir quelques
troupes pour la défenſe de ſon Vaiſſeau,
On les lui avoit refuſées parce qu'on imaginoit
qu'il étoit en parfaite fûreté ſous le canon du
( 118 )
Fort. Le Lieutenant du Vaiſſeau en étoit ſi bien
perſuadé qu'il avoit négligé de charger les canons
de ce côté. La Médée s'avança hardiment
entre le Fort & le Vaiſſeau , & commença une
attaque très-vive. Les canons du Fort firent plus
de mal au Vaiſſeau Hollandois qu'à la Médée.
Après un combat d'une heure , le Vaiſſeau Hollandois
amena. Le Lieutenant de ce Vaiſſeau
avoit formé le projet de faire côte , mais le Capitaine
Gore s'en étant apperçu , déclara qu'il
aborderoit le Vaiſſeau , & qu'il paſſeroit tout
l'équipage au fil de l'épée, ſi l'on tentoit cette
manoeuvre. Cette menace produiſt ſon effet. II
y avoit à bord quatre Officiers François ; & fi
la Médée fut venue une heure plus tard , il eft
probable que la plus grande partie des Officiers
de laGarniſon qui devoient dîner à bord ce
jour-là , feroit tombée au pouvoir de laMédée.
Avec les Lettres de l'Inde il en eſt arrivé
une du Gouverneur général du Bengale
M. Hastings , qui contient une longue juſtification
de ſa conduite , qui a été ſi amerement
cenſurée en Europe il y a quelque
temps , &qui enfuite a été jugée plus favorablement;
lorſqu'il l'a écrite , il n'étoit inſtruit
que de la cenfure , qui ſembloit devoir être
ſuivie immédiatementde ſon rappel. M. Haftings
, quoiqu'affecté de ces impreffions déſagréables
, n'a point mis dans ſa défenſe une
humeur qui auroit pu être excuſée ; il n'y a
misque de la tranquillité, de la nobleffe &
du fang-froid. Nous ne donnerons qu'un
précis de cette Lettre , qui a-paru dans tous
nos papiers , & qui produit dans les efprits
tout l'effet qu'il s'en eſt pu promettre.
» Il a été informé des charges formées contre
( 119 )
lui; elles portent en ſubſtance , que la compagnie
s'étoit engagée envers Rajah Cheytſing , à lui confirmer
& à lui garantir , ainſi qu'à ſes héritiers ,
pour toujours le Zemindar de Benares & de ſes
dépendances , à n'exercer , dans l'étendue de ces
poffeffions, aucune jurisdiction , aucune autorité ,
tant qu'il rempliroit lui-même les engagemens
qu'il avoit pris , & à n'exiger jamais rien de lui ;
on reproche auGouverneur général d'avoir , au
mépris de cet engagement , & fur-tout de la déclaration
qu'il avoit faite lui-même au Rajah le s
Juillet 1775 , demandé qu'il entretînt un corps
de2000 hommes ; on établit enſuite que Cheytfing
n'étoit tenu , envers la compagnie , que de
lui payer ſon tribut , & qu'il étoit un Prince Indien.
M. Haſtings répond à ces différens chefs ,
que la compagnie n'a pris aucun des engagemens
qu'on lui ſuppoſe ; qu'il n'a point fait la déclaration
qu'on lui prête , & qu'il s'étoit contenté de
déclarer que les troupes entretenues par le Rajah
ne ſeroient employées qu'au ſervice de l'Etat;
qu'outre le tribut qu'il devoit , il étoit ſoumis
encore au devoir de vaſſal fidele , & que tous les
traités faits avec lui conſtatent ſa vaſſalité & la
ſouveraineté de la Compagnie ; quant au titre de
Prince Indien qu'on lui donne en Europe , il ſeroit
bien étonné ſi l'on étoit inſtruit de la grande
opinion qu'on a de lui ; il n'eſt réellement que le
fils d'un Collecteur de revenus , qui , à la mort
de Sujah Dowlah , ſut , par ſon adreſſe , faire convertir
en propriété héréditaire un emploi auparavant
amovible. Après avoir débattu d'une maniere
ſolide toutes ces accufations , M. Hastings
vient à ce qui lui eſt perſonnel ; il ſe plaint du
jugement précipité porté à ſon égard , de ce
qu'on a envoyé le jugement dans l'Inde , de ce
que l'on y a annoncé ſon rappel , des ordres
donnés au Conſeil de ne plus lui obéir ; il fait
( 120 )
voir la conféquence d'un pareil ordre , dans le
moment où l'on étoit en guerre , & lorſqu'on
n'avoit point envoyé ſon ſucceſſeur. Forcé par
les circonstances , il a retenu l'autorité qu'on
vouloit lui ravir, il en a fait uſage pour le fervice
de la Compagnie ; il la conſervera tant
qu'elle ſera utile , & il ne la remettra qu'à la
paix , ou à celui qui viendra le remplacer : ju
qu'à ce moment il faut qu'elle ſoit dans quelques
mains , & elle reſtera dans les ſiennes x.
Cette Lettre a ramené tous les eſprits en
ſa faveur; & on le regarde comme le ſauveur
de la Compagnie dans la guerre dan-
-gereuſe qu'elle vient d'eſſuyer.
Les Lettres d'Irlande annoncent toujours
beaucoup de fermentation dans ce Royaume
; & quoiqu'on en dife , on doute que les
Miniſtres ſe ſoient aſſurés beaucoup d'influence
dans le nouveau Parlement.
« Je vous envoie , écrit- on de Strabane , un
détail exact de nos procédés à Dunganom le plan
d'une réforme parlementaire que le Commité a
ſoumis à la conſidération de l'aſſemblée , & qui
eſt renvoyé à une aſſemblée nationale, conſiſte à
propoſer des Parlemens annuels , de Elections
par ballots , les bourgs déchus , privés de repréſentans
, les patronages compenfés , les repré-
Lentans pour les Comtés doivent être augmentés
auſſi bien que ceux des grandes villes qui en envoient
au Parlement ; les villes qui ne ſont pas
repréſentées le ſeront. Outre les francs tenanciers
, tous les proteſtans qui auront 20 livres
ſterling , en quelqu'eſpece de propriétés que ce
ſoit , ou vivant dans des maisons en ferme qui
paient ou qui valent 5 livres ſterling de rente
feront électeurs. LesCatholiques Romains dont
l'affemblée
( 121 )
l'aſſemblée déſignera les moyens &l'eſpece , le
feront auffi. Chaque Electeur , outre le ferment
contre lacorruption , jurera qu'il ne donnera ſa
voix qu'au Candidat qu'il jugera le plus propre
à foutenir les libertés du peuple au Parlement.
Chaque membre , avant d'occuper ſa place , jurera
que ni lui ni perſonne pour lui , n'a , à ſa
connoiſſance , uſé decorruption pour obtenir ſon
élection. Toute affaire d'élection ſerajugée par
un Jurédu Comté , au lieude l'être par la Chambre.
Pour que les Electeurs Catholiques Romains
n'éprouvent aucun tort à l'expiration de
leurs baux , quand les Seigneurs ou les proprié
taires changeront de Fermiers , ou en prendront
de Proteftans , qui par la loi ont ſeuls le
droit de ſuffrages , chaque Electeur jurera , s'il en
eſt requis , que depuis la derniere élection , il n'a
déplacé aucun Catholique Romain , dans la vue
decréer cetteeſpece de tenans , qui font Electeurs
dedroit ; & chaque Candidat fera le même ſerment.
Quelques perſonnes craignent que cet
eſprit d'indépendance prédominant n'ait des
fuites . Quelques-uns de nos Papiers ſe ſont
empreſſés de publier que le Gouvernement
alloitprendre des meſures pour en prévenir
les effets ; ils ont dit qu'il avoir ordonné aux
6, 10 , 13 , 20 , 21 , 26 , 47 , 51 , 61 & 65es.
Régimens de ſe rendre en Irlande ; ils prétendent
que l'on a voulu employer contre ce
peuple des moyens coercitifs. Il n'eſt pas
vraiſemblable qu'après l'exemple récent de
l'effet de ces moyens en Amérique , on
voulût les eſſayer ailleurs. Une obſervation ,
qu'on ne fait pas , & qui détruit toutes ces
No. 42. 18 Octobre 1783 .
( 122 )
conjectures abſurdes, c'eſt que ces Régimens
remplacent exactement les dix qu'on a tirés
de l'Irlande pendant la guerre, qu'ils ne font
avec les troupes qui font déja dans le royaume,
que fon établiſſement ordinaire de paix ,
& qu'il eſt très-ſimple qu'on le complette ,
puiſque le Parlement fait tous les ans les
fonas de ſon entretien.
<<L<es fonds , lit-ondans nos papiers , font toujours
très-bas; on ne conçoit pas qu'ils ne ſe relevent
point depuis la ſignature de la paix. On
eſperoît que le paiement qui s'eſt fait des billets
de la marine produiroit cet effet ; mais malheureuſement
ce paiement ne ſe fait pas comme on
s'y attendoit; on ne donne pour ces billets que 40.
pour 100 comptant ,& le reſte en billiers de l'échiquier;
il en réſulte que ce n'eſt qu'un échange
d'une fureté contre une autre ; & on obſerve
ue c'eſt à peu- près le cas des jeunes gens de famillequi
ont abuſé de leur crédit , & qui finiſſent
par ſedéfairedes billets étrangers qu'ils ont entre
les mains , auffi -tôt qu'on ne veut plus de leur
propre fignature.
Nous avons parlé de la mépriſe malheureuſe
, qui a failli à être ſi funeſte à M.
Barolet , dans le voyage qu'il avoit fait
à Bruges , pour terminer quelques affaires
de la maiſon Angloiſe , au ſervice de laquelle
il eſt employé ; on vient d'en apprendre les
détails ultérieurs ſuivans.
ceM. Gooch eſt revenu de Bruges où il avoit
*été pour délivrer M. Barolet. A fon arrivée , les
Juges s'aſſemblerent; entres autre queſtions qu'ils
lui firent , ils lui demanderent s'il reconnoîtroit
ſonCommis àla lumiere des flambeaux; il répon
( 123 ).
dit que dans les ténébres même pourvu qu'on Ic
fit parler , il en reconnoîtroit la voix; on le con.
duisit dans lapriſon; où , à la lueur des flambeaux ,
il reconnut l'infortuné chargé de fers , dont on le
fit débarraffer ; mais il n'a pas encore été remis
en liberté ; les juges prétendent qu'ils ne peuvent
le faire ſans inſtruire la Cour de Bruxellesde
ce qui s'eſt paflé ; ils ont envoyé un exprès
pour prendre ſes ordres , & ils ont retenu le livre
que M. Barolet tenoit dans la maiſon de M.
Gooch.
A
On lit dans nos papiers le trait ſuivant,
qui est bien extraordinaire , & qui prouve
que lecrime,quelque précaution que prenne
le coupable , ne peut jamais être caché , ni
échapper au châtiment.
Il s'eſt commis dans le Comté de Stafford un
nouveau meurtre , qui eſt le troiſieme depuis 20
jours. Un hommequi tient une auberge à la campagne
, envoya une après midi ſa fille à la ville
pour payer une dette , & lui remit l'argent néceſſaire
en préſence de quelques perſonnes qui
buvoient dans ſa maiſon. L'une de ces perſonnes
fortit peu après ſous quelque prétexte , ſuivit la
fille , la tua & prit l'argent. Le ſcélérat retourna
enſuite au cabaret joindre ſes compagnons pourne
donner aucun foupçon. Il arriva qu'un voyageur
paſſant à cheval auprès du corps , vit un chien
occupé à fuccer le ſang qui couloit encore de ſes
bleſſures. Il imagina auſſi-tôt que le chien étoit
celui du meurtrier ; il ſe décida à en obſerver
tous les mouvemens. Le chien ayant quitté le
cadavre & ſe retirant , l'étranger le ſuivit & arriva
avec lui à l'auberge dans laquelle fon
maître buvoit ; il lui donna un coup de fouet ,
bien perfuadé que a le maître étoit préfent , il le
>
( 124 )
:
trouveroit mauvais , & fe feroit connoître. C'eſt
cequi eut lieu en effet , le propriétaire du chien
ſe leva enjurant & demanda pourquoi on le battoit;
l'étranger luidemanda ſi en effet il lui appartenoit,&
fur ſa réponſe qui fut confirmée par
ſes compagnons , il lui fit des excuſes , tira l'hôte
dans une autre chambre , lui fit part de ce qu'il
avoit vu , de ſes réflexions , & l'engagea à envoyer
chercher un Connétable. Cela fut fait ; &
lemaître du chien fut arrêté , & alors on envoya
enlever le corps ; on déclara au coupable qu'il
étoit accuſéde ce meurtre ,&que ſon chien étoit
ſon délateur. Il fut fi étourdi du coup , qu'il n'eut
pas le courage de rien nier , & il fut conduit dans
lespriſons de Stafford , où ſon procès lui ſera fait
aux aſſiſes prochaines.
r:
On prétend que le Roi, s'entretenant dernierement
avec fir Joſeph Banks , de la Machine
aéroſtatique de M. de Mongolfier , lui
demanda fi l'on enpouvoittirerquelque avantage
,& que , dans ce cas , il feroit volontiers
les frais des expériences que la Société royale
voudroit faire & diriger elle-même. M.
Banks fit part de cette propoſition à la Société
, qui , dit- on , a répondu que toutes ces
expériences n'aboutiroient à rien d'utile, &
que les propriétés de ces globes étoient actuellement
auſſi bien connues que ſi l'on en
avoit fait cent expériences. Quoi qu'il en ſoit
decette réponſe dont nos papiers ſeuls font
les garans , les ſentimens qu'elle exprime ,
font au moins vraiſemblables ; & ce font
ceux d'un Phyficien François eftimable , qui
avoit développé fon opinion dans une lettre
qui ſe lit ainſi dans tous nos Papiers .
((115 )
L'utilité d'un globe aſcendant ne peut être
admiſe qu'en établiſſant préalablement la pofſibilité
de trouver dans la ſuite un moyen de diriger
ce globe à volonté , pour le rendre une
voie de communication prompte avec les pays
éloignés , ou faire des découvertes importantes
ſur l'état de la partie la plus élevée de l'athmoſphère
: or , voici les raiſons d'après leſquelles
je crois pouvoir avancer qu'aucun de ces deux
objets ne sçauroit être rempli. Un globe dans
lequel il y a de l'air inflammable ne peut prendre
de lui-même ſa direction du bas en haut ,
que parce que cet air inflammable , ſpécifiquement
plus léger que l'air qui l'environne , le
porte néceſſairement à s'élever au-deſſus de lui .
Cette élévation doit toujours être perpendiculaire
, & ce corps aſcendant ne ſçauroit s'éloigner
de cette direction perpendiculaire que par
Pintervention d'un courant d'air très-agité , qui
l'en écarte & ralentit la velocité de ſon élévation
, dans la même proportion qu'il s'éloigne de
ſa premiere direction. Il réſulte de ce principe ,
que , quelque machine qu'on adapte au globe
d'air inflammable pour lui donner une direction
horizontale , qui deviendroit nuiſible à ſon aſcenſion
, le globe ne ſera plus alors qu'un corps
en l'air , qui ne pourra ni monter , puiſque ,
dans cette hypothèſe , il ſera arrêté par la machinedirigeante
, ni procéder horizontalement ,
puiſque ce globe , à chaque point de diſtance
qu'on l'obligera de parcourir , fera effort pour
reprendre ſa direction perpendiculaire. L'objet
des découvertes à faire dans la partie la plus
élevée de l'atmosphère eſt en apparence plus
aiſé à remplir , puiſqu'il ſemble qu'il ne faut
pour cela , qu'abandonner le globe à ſa propre
direction ; neamoins , en examinant la choſe de
f3
( 126 )
près, on va voir que l'un n'est pas plus poffible
que l'autre. Le globe aſcendant , comme
je viens de l'obſerver , ne s'éleve que parce qu'il
eft plus léger que l'air qui l'environne . Pour
ſuppoſer donc qu'il continue toujours à s'élever ,
il faut admettre que l'état de l'air par lequel il
paſſe, au-deſſus duquel il s'éleve , eſt toujours
le même que celui du point d'où il eſt parti.
Or , cette ſuppoſition eſt abſolument fauffe.
Plus le globe afcendant s'élève , plus il trouve
l'air raréfié , plus il rencontre , par conséquent ,
un air diſpoſe à fe mettre en équilibre avec
lui . L'air ſupérieur de l'armoſphère commence
lui-même à devenir air inflammable , puiſqu'il
eſt le réſervoir de toutes les exhalaiſons & matières
inflammables qui partent de la terre. Je
ſuppoſe donc que l'air inflammable du globe ſoit
à celui de la partie ſupérieure de l'atmosphère
dans la proportion de 12 à 4 : le globe continuera
fans doute à s'élever , mais plus lentement
, juſqu'à ce qu'il parvienne à rencontrer
l'air de l'atmosphère enflammé au même degré
, c'est - à-dire , auffi léger ; alors la cauſe de
la réſiſtance étant égale à la cauſe de l'aſcenfion
, d'après les loix du mouvement , le glote
doit reſter en équilibre. Il ſuit de ces obſervations
que tout l'effet de la découverte annoncée
avec tant d'appareil ſe bornera à avoir trouvé
un moyen d'élever un corps dans l'atmosphère .
Dans ce cas , tout le mérite de l'invention fera
de préſenter aux aſtronomes un obſervatoire
d'un nouveau genre , d'où , s'ils vouloient être
du voyage , ils pourroient plus infailliblement
obſerver le mouvement des planetes , & prédire
les cometes. &c. &c. »
Les Méchaniciens qui s'occupent de machines
avec leſquelles ils efperent parvear à
( 127 )
voyager dans les airs , doivent lire le trait
ſuivant, qui peut leur fervir d'avis .
: Uu homme , perfuadé de la poffibilité de bâtir
une machine volante , s'étoit occupé pendant
pluſieurs années de cet objet; il avoit commencé
par peſer les carcaſſes de tous les oiſeaux qu'il
avoit pu ſe procurer , & par meſurer l'envergure
de leurs ailes , pour découvrir la proportion de
l'une à l'autre. Après avoir achevé la machine ,
il n'en a obtenu d'autre effet que celui de parcourir
environ cent vergés, en prenant ſon effor
d'une hauteur , & toujours en deſcendant; dans
un de ſes derniers eſſais , il fut un peu contrarié
par un coup de vent , qui l'écarta de ſa direction
& le porta à l'embouchure d'un puits , dans lequel
l'étendue de ſes ailes l'empêcha de tomber.
FRANCE .
2
DE VERSAILLES , le 10 Octobre.
Les de ce mois , L. M. & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage da
Marquis d'Yzan de Valady , Officier aux
Gardes Françoiſes , avec Mademoiſelle de
Vaudreuil.
M. Jeaurat , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris , de celle de Boſton , &c.
ancien Profeſſeur de Mathématiques , &
Penſionnaire de l'Ecole Royale Militaire ,
chargé par l'Académie de calculer chaque
année la connoiſſance des mouvemens céleſtes
, pour l'uſage des Aftronomes & des
Navigateurs , ent l'honneur de préſenter à
Sa Majesté , Dimanche 28 Septembre , le
Volume de l'année 1786 : ce volume eſt le
f4
( 128 )
108e. que l'Académie publie fans interruption
depuis l'année 1679 , & comme les
Navigateurs ont beſoin de ſe pourvoir de cet
ouvrage pluſieurs années d'avance, M. Jeaurat
continue d'accélérer la publication de ces
Volumes. Celui-ci pour 1786 eſt le dixieme
qu'il publie depuis l'année 1775 , époque où
il a été chargéde ce travail par l'Académie.
DE PARIS , le 14 Octobre.
On attend avec impatience en France &
enAngleterre des nouvelles de l'Inde ; on
fait que les efcadres des deux Puiffances , à
peu près de même force , ſe cherchoient dans
ces mers , au commencement du mois de
Mai , de forte qu'un combat paroiſſoit inévitable,
& afſurément il aura été très-vif;
quand même elles ne ſe ſeroient pas rencontrées
alors , elles auront eu encore tout le
mois de Juin pour ſe chercher & fe combattre.
Le malheur a voulu que les deux
exprès François & Anglois , dépêchés dans
ces contrées , n'aient pas fait une grande diligence
, puiſqu'ils étoient , dit- on , encore à
Baffora le 28 Juin : ce n'eſt donc que vers la
fin de Juillet au plutôt, qu'on aura pu être
inſtruit de la paix ſur la côte de Coromandel .
Les Miniſtres qui font intervenus dans la
ſignature duTraité de paix, ceux de Vienne
&de Pétersbourg , ont reçu les préſens d'uſage
de celles de Versailles & de Madrid ;
ceux de la Cour de Londres ne ſont pas encore
arrivés.
( 129 )
L'Intendant d'Amiens a écrit la Lettre ſuivante
à la Chambre de commerce de Picardie
, le 21 du mois dernier.
Pluſieurs Chambres de commerce , M.
ayant ſollicité un nouvel état d'évaluation
pour la perception des droits du Domaine d'Occident
, ſur les denrées des Colonies , je crois
devoir vous informer que M. le Contrôleur-
Général vient de charger les députés du commerce
de travailler de concert avec la Ferme
générale à la rédaction de ce nouvel état pour
fixer la perception des droits du Domaine d'Occident
, pendant le ſemeſtre de cette année ,
& que le Miniſtre a décidé que les droits qui
ont été ou qui ſeront payés depuis le premier
Juillet dernier ſur l'ancienne évaluation', feront
conſidérés comme conſignation , & que la
perception réelle ſera réglée d'après la prochaine
évaluation. Je vous prie d'informer de cette
diſpoſition les Commerçans de Picardie. >>
Cet Intendant a encore écrit une ſeconde
Lettre , qui porte la même date , à cette même
Chambre.
» M. le Contrôleur -Général ayant été informé
que la pêche nationale peut actuellement
fournir des huiles de poiſſon en quantité ſuffifante
, pour les beſoins des manufactures du
Royaume , ce Miniſtre a décidé que la modération
de moitié des droits accordée pendant la
guerre à ces matieres provenant de l'Etranger ,
demeureroit fupprimée , & que les droits de tarif
de 1667 ſeront perçus à compter du premier
Octobre prochain, avec les exemptionsportéespar
des traités de commerce en faveur de différentes'
Nations . Je vous prie d'informer de ces dipo
fitions les Négocians de Picardie , &c.
1
f s
し.
( 130 )
La caiffe d'Efcompre a remboursé cesjours
derniers beaucoup debillets rouges, &comme
il lui rentre des fonds à chaque inftant ,
le montant de ces billets , qu'on porte à cinq.
millions , fera bientôt entierement rembourfé.
C'étoient les effets les plus répandus parmi
les Marchands & les Artiſans , à cauſe de
leur petite valeur. Les billets noirs ne font
gueres que dans les grandes caiſſes &dans
les mains des gens d'affaires & des gens riches;
& ce ne font pas ceux-là qui ont pris
l'allarme. Elle n'a eu lieu qu'auprès des perſonnes
peu inſtruites du regime de cette
caiſſe , qui n'en jouira pas moins de fabonne
réputation , puiſque ſes actions n'ont point
baiffé.
:
Le Chapitre de la Congrégation de faint-
Maur , tenu à ſaint-Denis , a nommé Généralde
cet Ordre , Dom Chevreux , ci-de
vant Viſiteur de la Province de Bretagne.
Le Globe , lancé à la fête de M. le Duc
'de Crillon, à une heure après minuit, n'eft
tombé que 11 heures après dans les rues de
Boulogne , c'eſt à-dire , à une demi-lieue
feulement du point de fon départ. Il faut que
ceGlobe ſe ſoit élevé bien au-deſſusdesplus
hauts nuages , & ait reſté long-temps en
équilibre dans un air auffi raréfié que le gaz
qu'il contenoit. La grande Machine de M.
deMongolfier ſera achevée dans la ſemaine;
ondifpoſe autour une galerie de 19 pieds de
diametre: elle communiquera à la cage , où
fera le fourneau pour faire du gaz , on dit
( 131 )
toujours qu'un ouvrier , &peut-être l'Inventeur
lui-même ſe propoſent de s'élever avec
la machine.
Le 25 du mois dernier , M. Dartis de la
Fontelle , Juge Châtelain du Pont -de- tempde ,
près Brioudes en Auvergne , âge de 80 ans , &
fon épouſe âgée de 72 ans , renouvellerent leur
Mariage après 50 ans de la plus heureuſe union ;
ce couple reſpecta ble jouit de la vénération générale
; leurs enfans dont tous jouiffent dans le
Barreau de la Capitale , de la conſidération la
mieux méritée , font accourus pour jetter quelques
fleurs fur la vieilleſſe de leurs dignes parens.
Cette fère qui a été celle du ſentiment ,
a été couronnée par une aumône abondante.
Parmi les Méchaniques fingulieres en
voici une très -curieuſe, & qui peut être trèsutile.
La difficulté de faire remonter aux bateaux
chargés la riviere , & les frais de cordages qu'exige
ce tranſport , les embarras qui ſe préſentent du
côté du halage , les rencontres des au res , grands
ou petits , le retard des traverſées , la quantité de
chevaux qu'il faut , ont fait imaginer au fieur
Delarue une machine montée ſur un chaſſis qui
peut ſe démonter & s'adapter à tout autre bateau ,
compoſée de rames que deux hommes font mou.
voir avec des manivelles , & par le moyen defquelles
on remonte la riviere entrès- peu de tems ;
la traverſée s'en fait ſans dérive , ce qui est trèseſſentiel
pour les paſſages d'eau de la Ville , où
l'on est obligé de prendre hauteur dans les grandes
eaux pour arriver au port : par ce moyen , on
feroit trois traverſées contre une ; de même pour
les bacs établis , un cirque & un cheval feroient
deux fois plus ; de même pour les coches & ditigences
d'eau , un cirque & deux chevaux feront
f6
( 132 )
ffaacceede
la- ſentinelle ;
ie travail de dix chevaux de halage. Le fieur
Delarue en donne la preuve par la méchanique ,
qui eſt actuellement à la pompe , au bout de la
terraſſe des Tuileries , en
elleeſt ſuffiſante pour démontrer qu'on peut établir,
ſur la riviere ,de petites poſtes , faiſant deux
lieues à la montée , en y établiſſant une double
manivelle , & quatre fois plus vite à la defcente.
L'eſſai de cette machine a été déjà fait pluſieurs
foisdevant des témoins inſtruits , qui en atteſtent.
le ſuccès ,& où l'on a mis 17 minutes à monter ,
&3 ou 4 à deſcendre .- La machine établie
par l'Auteur est composée de 12 roues , ſavoir
2faiſant l'office de rames , 4 à droite & 4 à gauche,
formant échelles ; au centre de ces échelles ,
eſt placée une grande roue , à l'extrémité de
laquelle s'en trouve une autre qui s'engrene
dans la grande , que deux hommes tournent par
le moyen de 2 manivelles : cette derniere fait
tout aller.
Ladiftribution folemnelle des prix accordés
par le Corps de la ville de Tours aux
éleves des Ecoles gratuites de Deſſin de
cette ville, a été précédée par un difcours
prononcé par le Maire , &dans lequel on a
entendu avec autantde fatisfaction que de
ſenſibilité l'éloge d'un Magiftrat , dont le
nom fera toujours cher à la ville qui vientde
le perdre. Les pleurs que l'Orateur a répandu
fur la tombede M. Ducluſel , Intendant de
Tours, font celles de la reconnoiſſance ; &
il n'avoit pas un auditeur qui ne les partageât
bien fincerement. Il a rappellé àdes hommes
, au milieu deſquels il avécu pendant
17 années , les principaux traits de fon ad-L
( 133 )
miniſtration. Ce tableau intéreſſant , dont
on ne peut rieneffacer, mérite quelques détails.
Nous nous ferons toujours un plaifir &
-un devoir d'arrêter, lorſque nous le pourrons
, les yeux de nos Lecteurs ſur celui de
la vertu dans l'homme en place.
M. Ducluzel fut nomme à l'Intendance de
Tours en 1766 , après s'être diftingué pendant
pluſieurs années dans les Conſeils du Roi. Il s'annonça
dans ſa généralité par cette affabilité& ces
manieres obligeantes qui ſéduiſent & prévienent
toujours ; des deſſeins auſſi ſages qquuee pprroompts ,
manifeſterent ſes vaſtes connoiffances , la juſteſſe
de ſon eſprit; & quel homme! le plus aimable
dans la ſocieté , étoit auſſi le Magiſtrat le plus inftruit.
Parmi les établiſſemens dont la Province,
& la ville de Tours en particulier , lui ont l'obligation
, ceux qui tendirent au bonheur de l'humanité
fixerent les premiers ſon attention. « Des
-atteliers de charité , dont il fuggera l'idée au Miniſtre
, dit l'Orateur , que nous laiſſerons parler,
pour occuper les vieillards, lesfemmes, les enfans,
les artiſans déſoeuvrés , & procurer des comunications
avec les grandes routes ; des Cours fur
l'Art des Accouchemens , juſques-là fi négligé ,
pour la claſſe des Citoyens la plus intéreſſante ,
Le peuples des villes &des campagnes ; des ſecours
àdonner aux noyés; des moyens de faire germer
les talens , proſpérer le commerce , l'agriculture
&les arts; des reffources aux victimes & aux fruits
malheureux de la débauche ; des travaux utiles
dans les Hopitaux : tels furent ceux qu'il envifagea
avec le plus d'intérêt , auxquels il ſe livra
avec le plus d'ardeur , qu'il ſe propoſoit demultiplier
, lorſque la mort nous l'a enlevé ; & quelle
préférence ne leur donna-t- il pas fur les décorations
extérieures qu'il a ſçû procurer à la capie
( 134 )
talede ſa généralité! .... Naturellement grand
& libéral , juſqu'à verſer dans le ſein des pauvres
des ſommes conſidérables , ainſi que le
Bureau d'aumônes de cette ville peut l'atteſter ;
il fût économe des deniers publics pour ce qui
pouvoit l'intéreſſer perſonnellement. Notre ville
eſt embellie des bâtimens qu'il éleva ; mais l'Hôtel
de l'intendance eſtbien éloigné de répondre
par ſa ſituation , ſon étendue , ſa diſtribution aux
beſoins qui ſe renouvellent ſans ceſſe dans la ville
du plus grand paſſage , à ceux qui lui étoientperſonnels.
Tout excitoit à changer cet Hotel ; des
emplacemens vaſtes s'offroient ; la décoration de
la ville eût été pour tout autre un prétexte ; longtems
ſolliciré , toujours il réſiſte; en multipliant
les belles choſes pour le public , il les dédaigne
pour lui dès qu'elles devoient être à la charge du
peuple. C'eſt par les hommes en place que la
Société ſe gouverne & qu'elle est heureuſe ;M.
Ducluzel ne travailloit qu'à ſon bonheur : de là ,
le zele qu'il témoigna pour relever la Magiſtrature
, qu'une négligence , peut- être coupable ,
laiſſe dans l'oubli. De tous ceux qui mériterent ,
à quelque titre que ce ſoit , ſa confiance , ou qu'il
put faire élever dans toutes les villes de ſaGénéralité
à la Magiſtrature civile ou municipale , it
n'en eſt peut - être pas un qui n'ait juſtifié ſon
choix : éloge bien flatteur pour quiconque participe
à l'adminiſtration, Connoître les hommes ,
les employer ſuivant leurs talens , c'eſt ſe montrer
ſupérieur à tous.-Obligé comme Intendant
d'exécuter les ordres de l'adminiſtration , il
ſembla n'avoir été envoyé dans la Touraine que
pourla protéger; aucuns plans ne furent préſenzés
par lui , qui ne tendiffent au bonheur de ſa
Généralité. Souvent il ſçut faire modifier les ordres
qui Ini étoient adreſſés , en préſentant les objets
( 135 )
fous leur véritable point de vue , endiminuant
ce que l'intérêt ou le beſoin groffiffoit aux yeux
du Gouvernement. De toutes les fonctions dont
il fut chargé , ce fut la plus délicate , peut- être
ce fut celle qu'il remplit avec le plus de courage ,
avec le plus de plaiſir ; il jouit par ce moyen tout
à la fois de la confiance du Conſeil & de l'amour
du peuple..... Pendant 17 années d'adminiſtration
d'unedes plus grandesGénéralités du royaume
, & quoiqu'il ait opéré de grands changemens ,
il ne s'éleva pas une plainte contre lui ; ſon grand
art fut de cacher l'autorité , de né montrer que
lajustice & la raiſon ; mais il ſout en mêmetems
Iamaintenir parune fermeté ſage. Si dans la vie
publique , il fut Magiſtrat inftrux&judicieux , adminiſtrateur
fage & humain ; c'eſt dans lavie privée
qu'il fit connoître toutes les qualités de ſon coeur :
fils attaché , mari fidele, pere tendre , amífincere
, maître doux & compatiſſant ; il gagna l'affection
de tous ceux qui eurent le bonheur de vivre
avec lui .... Ce ſont ces eſtimables qualités
qui firent naître ſans doute & qui ont perpétué
P'attachement héroïque que lui a témoigné, même
au-delà du dernier ſoupir, une épouſe chérie , le
modele des meres & des femmes vertueuſes .
Puiffe cette mere reſpectable , pour laquelle il
n'eſt plus de bonheur que dans les gages de ſon
union , trouver au moins quelque ſoulagement ,
en confondant ſes larmes avec celles que la piété
filiale fait couler ! puiſſe-t- elle voir ſe perpétuer
dansſapoſtérité les principes qu'elle & fon époux
ſe ſont plû à lui inſpirer ! puiſſe cette foible efquiſſe
, que la vérité s'eſt hâtéede crayonner , apprendre
à ceux qui occupent degrandes places ,
qu'ils ſont toujours les maîtres d'etre aaiimmééss ; que
s'itsn'ont pas toujours les moyensde faire le bien,
il dépend toujours d'eux d'être juſtes &de témoi
...
( 136 )
gner de la bonté. Vous me pardonnerez MM.
cette digreſſion qui ſoulage mon coeur & fatisfait
le votre. Nous jouiſſons par l'eſpérance , nous
jouiſſons encore par le ſouvenir ; l'un & l'autre ,
il eſt vrai , ne ſont qu'un fantôme ; mais qu'il eſt
doux au moins de l'embraſſer , lorſque la réalité
nous échappe.
Une Lettre de Grenoble, en date du 22
du mois dernier; contient les détails fuivans.
Depuis plus de deux mois nous avons des pluies
preſques continuelles , & qui tombent avec trop
d'abondance pour pouvoir s'écouler par leurs caneaux
ordinaires. Il s'eſt formé , à pluſieurs repriſes
, dans toutes nos montagnes , des ravins
qui enont détaché des maſſes énormes de pierres,
de terre , & de graviers , qui ſont allés couvrir
les fonds de la plaine. Les fonds les plus élevés
ont été emportés , & le dépôt s'en eſt fait ſur
les fonds les plus bas ; les uns & les autres font
également perdus. Parmi ces accidents qui nous
ont fait entendre de toutes parts le cri de l'allarme
& de la douleur , c'eſt celui qui a été
la ſuite des pluies du 10 & du 11 Septembre,
qui a eu les effets les plus affreux. Toutes les
routes qui partent de Grenoble ont été interceptées
au même inſtant , & preſque tous les
moulins qui ſe trouvaient ſur les ruiſſeaux ordinaires
ont été emportés ou engravés , & les
priſes d'eau détruites. Les ſcies à eau & les autres
artifices n'ont pas été plus épargnés. Une partie
du Village de Vaulnaveys , à trois lieues de cette
Ville, a fouffert encore davantage. Un foudre
d'eau tombé ſur les montagnes de Prémol a
détaché le terrein & le gravier des fonds culzivés
ſur la hauteur , & des blocs de plus de
deux toiſes cubes ont roulé juſques dans le baf(
137 )
fin même de ce Village , où ils couvrent une
grande partie de fonds , qui , par leur nature
plus précieux la Province. Deux
Hameaux entiers , qui étoient bâtis à mi-cóteaux
, le long de deux ruiſſeaux , dont les
eaux fertilifoient les bords , & faifoient mouvoir
ſucceſſivement un nombre conſidérable de
moulins , batoirs , & autres artifices , ont été
entierement détruits. Beaucoup de maiſons ont
diſparu. Celles qui étoient plus éloignées du ruif.
ſeau ont éte emportées à moitié , une infinité
d'autres ont été remplies de vaſes & de gravier.
La perte ſe montre tous les jours plus confidérable
, parce que on n'a d'abord calculé que
les recoltes emportées par les torrents. Celles
qui ont été mouilliées , & la quantité en elt
immenſe , ont germé deux jours après , & font
de même entierement perdues L'irruption du
torrent s'annonça avec un bruit qui porta l'allarme
à plus d'une lieue de pays , & des habitans
des côteaux oppoſés , élevés de plus de
cent toiſes ſur le baffin , ne ſe croyant pas en
sûreté , ont emporté leurs effets les plus précieux
fur le plus haut de la montagne. Le
terrein des deux Hameaux des Roues & de la
Gorge, preſque tout planté en arbres fruitiers ,
ainſi que le ſol de leurs maiſons , ſe trouve enſeveli
ſous plus de vingt pieds de décombres , &
fans eſpérance de racheter l'un ni l'autre ; les
Ingénieurs font effrayés des travaux néceſſaires
pour prévenir les fuites de cet accident ,
empêcher qu'une premiere crue d'eau n'entraîne
dans la plaine les amas de pierres & de
graviers que la retraite des eaux a déposés à
mi-côteaux. Le bruit affreux du torrent dans la
montagne avertit heureuſement les malheureux
habitans de ces Hameaux du danger qui les me
&
( 138 )
naçoit , & l'effroi qui les diſperſa les garantit
d'être enfevelis ſous les ruines de leurs maiſons.
Il n'a péri que deux perſonnes ; mais les maux
qu'elles ont ſoufferts , une fievre épidémique
qui les confume , & l'état affreux dans lequel
ces malheureux font réduits , malgré les ſecours
qu'on a cherché à leur tendre , les menacent
d'une maniere bien plus affreuſe encore.
Parmi les entrepriſes intéreſſantes des arts,
nous ne devons pas oublier celle que vient de
former M. Helman , Graveur de M. le Duc de
Chartres , & éleve de M. le Bas. C'eſt une ſuite
des 16 eſtampes repréſentant les conquêtes de
l'Empereur de la Chine , que ce Prince avoir fait
deſſiner à Pekin & qu'il avoit envoyées en
France pour les y faire graver par les plus célebres
artiſtes. Ladirection de ces planches fut confiée
à M. Cochin fils; & elles furent gravées par
MM. Maſquelier , Aliamet , de S. Aubin , le
Bas , Née , Prévoſt , Choffard & Delaunay. On
n'entira que 100 exemplaires qui furent envoyés
à la Chine avec les planches , à la réſerve d'un
très petit nombre pour le Roi , la Famille
Royale & la Bibliotheque de S. M. Elles font
très rares ; & quand il s'en trouve quelquefois
un exemplaire , il ſe vend 800 livres. M. Hel.
man a entrepris de les réduire &de les graver de
nouveau ; elles formeront 16 eſtampes , au bas
deſquelles on mettra les titres &les explications ,
tels qu'on les trouve manuscrits au bas de chacune
de celles qui ſont dans le cabinet du Roi.
Cette ſuite intéreſſante tient à l'histoire de l'Empire
de la Chine dans ces derniers temps ; elle
offre un tableau piquant d'uſage , de moeurs , de
coftume qui nous font étrangers , une idée de la
maniere de conſtruire , de camper , de s'armer &
de ſe battre à la Chine, Les quatre premieres qui
( 139 )
2
paroiſſent repréſentent l'Empereur Kien-Long recevant
les hommages des Eleuttes , & leur don--
mant pour Roi Amour- Sana ; la ſeconde , l'inſtallation
d'Amour- Sana ; la troiſieme , la victoire
remportée ſur Pan Ti & Ta Oua-Ti ; & la quatrieme
, la révolte d'Amour- Sana. Ce Prince révolté
, après avoir tenté pluſieurs fois le fort des
combats , ſe ſauva chez les Ruffes ,& occaſionna
entre ces deux Empires une méſintelligence qui
auroit pu avoir des ſuites , s'il ne fût pas mort
peu après de la petite vérole. Le prix de cette
ſuite intéreſſante eſt de 48 livres ; elle ſe diſtribuera
en quatre livraiſons de 4 mois en 4 mois
&de quatre eſtampes. Chaque livraiſon ſe payera
12liv (1) .
Louise - Elifabeth Texier d'Hautefeuile ,
veuve du Comte de Mouchy , Sénéchal
&Gouverneur de Ponthieu , eſt morte le
15 du mois dernier , à Abbeville en Picardie
, dans la 82 année de ſon âge.
DE BRUXELLES , le 14 Octobre.
Les Lettres de Hollande annoncent toujours
beaucoup de mécontentemens , au fujet
de la Paix; les conditions préliminaires
ont cependant été ratifiées par les Etats de
toutes les Provinces ; & elles ſerviront vraiſemblablement
de baſe au Traité définitif
dont on s'occupe , & qu'on croit ne devoir
pas tarder à être conclu.
«Au nombre des maneges dont les partiſans
(1 ) On trouve la premiere Livraiſon chezl'Auteur vis à
visl'hôtel de Noailles , rue S. Honoré , & M. Pence , graveurdeMonſeigneur
le Comte d'Artois , tu S. Hyacin
the, maiſon de M. de bure , à ców du Foureur,
1
( 140 )
britanniques, écrit- on de La Haie , ſe ſont ſervis
dans notre République pour parvenir à leurs fins ,
on doit compter ſur-tout les faux bruits répandus
dans la vue de ſemer la défiance entr'elle &
la France ; c'eſt ainſi qu'on a aſſuré que cette derniere
feroit payer cher à notre Etat la reſtitution
des poffeffions qu'elle a gardées ou reconquiſes
pour la République. On a même fixé dans des papiers
imprimés le nombredesmillions quela Cour
de Verſailles demandoit. Cet artifice vient d'être
confondu aujourd'hui : le 23 du moisdernier , les
EtatsGénéraux ont reçu de leurs Ambaſſadeurs à
Parisdes lettres qui portent que M. le Comte de
Vergennes leur avoit communiqué miniſtériellement
au nom du Roi ſon maître , que S. M. étoit
prête à rendre à la République toutes les poffeffions
que ſes forces avoient reconquiſes ſur les
Anglois ou gardées pour la République , fans
exiger aucune compenfation ni indemnité quelconque
; S M. priant L. H. P. de donner les ordres
néceſſaires pour recevoir de ſes Officiers la
reſtitution de ces poffeffions. On ajoute qu'il a
été donné en même temps à nos Ambaſſadeurs
L'avertiſſement amical defaire enforte qu'au moment
où les Commiſſaires François livreront
Tringuemale aux Commiffaires Anglois , il y
eût des Commiſſaires Hollandois prêts à recevoir
la place de ces derniers .
Selon d'autres Lettres de la Haye , le
Prince de Naſſau Weilbourg eut le 10 du
mois dernier , une conférence avec le Préſident
de ſemaine , dans laquelle il demanda
ſadémiſſion de toutes les charges & emplois
militaires qu'il occupe au ſervice de la République.
Mais après une commiſſion ſpéciale
de L. H. P. qui conféra avec lui le len-
1
( 141 )
demain fur ce ſujet , relativement aux motifs
de cette démarche , il s'eſt , dit- on , déſiſté de
ſa demande.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES.
Si la France prétend à l'honneur de l'invention
des globes aëroſtatiques , on ſe flatte en Argleterre
de celui d'en faire les meilleures applications
; on dit déjà que le Docteur Priestley a fait
pluſieurs découvertes intéreſſantes ſur ce ſujet ,
&on annonce qu'elles exciteront plus d'admiration
que l'invention même.
En Eſpagne tout eſt tranquile , & les affaires
ſuivent leur cours comme s'il n'y avoit point
eu de guerre.- En Hollande on eſt mécontent ;
on devoreroit volontiers chaque Anglois qu'on
rencontre : le parti François prévaut & prévaudra
tant qu'on conſervera le ſouvenir des dernieres
hoftilités.
La Cour de Lisbonne a conclu dernierement
un traité avec la Maiſon de Bourbon: mais comme
elle en a fait part à la Cour de Londres , il paroit
qu'il n'y a rien contre la teneur de ceux que
nous avons avec cette puiſſance ; l'état du commerce
entre les deux payseſt tel , que l'Angleterre
tire à elle ſeule plus de vins de ce Royaume que
tous les autres Etats de l'Europe enſemble ; s'il
vouloit détruire ſes premiers engagements avec
nous , il ſeroit en notre pouvoir de nous en ven-
-ger en faiſant ceſſer nos demandes de vins.
L'Empereur n'eſt pas attendu ſitôt à Vienne ,
:&lorſqu'il y ſera arrivé , il n'y reſtera pas long-
-temps; on aſſure qu'il retournera enHongrie,
& on prétend que l'objet de ce voyage ſera de
rentrer en poſſeſſion des Provinces perdues par
- la paix de Belgrade ; c'est- à -dire , la Servie ,
la Walachie & Boſnie. Si les Turcs font réal-
と
( 142 )
tance , les conquêtes de ſes armes iront fans
doute au - delà. Supplem. à la Gazette d'Utrech .
ກ . 78.
On a reçu divers avis de la Pologne ſuivant
lesquels il paroît que 12 Régimens Autrichiens
font entrés dans la Moldavie. La premiere
poſte nous apportera la confirmation ou ledéfaveude
cette nouvelle trop importante pour être
adoptée précipitamment. Suivant les mêmes
lettres , 20 autres Régimens ſe ſont mis en
marche ; le Commandant de Kaminiec ſe tient
dit-on, fur ſes gardes dans la crainte aſſez fondée
que les troupes Ruffes poſtées aux environs au
nombre de 50000 hommes au moins , ne tentent
contre elle quelque entrepriſe. Gazette de
La Haye , 11.99 .
Le bruit ſe répand que tout le Corps d'Artilleriedoit
être tranſporté de Budweis en Hongrie,
ce qui ſemble annoncer en termes clairs &
distincts , que nous ferons la guerre aux Turcs
fans avoir rien à craindre des Pruſiens & des
Saxons. Tous les Régimens Allemans quittent
la Hongrie , il s'y trouve affez de troupes nationales
; ainſi il ſeroit inutile de ſacrifier les
premiers aux inclémences de l'air mal-ſain de
ceRoyaume. D'ailleurs fi on avoit quelque choſe
à redouter d'un autre côté , ces Régimens ſe
porteront dans les Pays-bas Autrichiens. Supplement
à la Gazette d'Amsterdam, n . 78 .
Tout ce qu'on peut conclure des nouvelles
du Nord & de l'Allemagne , reçues cet ord:-
naire , c'eſt que la guerre contre les Turcs eft
preſque certaine , non-feulement de la part de
la Ruffie ; mais auſſi de la part de l'Empereur.
Les dépêches que s'adreſſent les deux Cours
Impériales font remiſes en mains propres des
Souverains reſpectifs , & le ſecret eſt inviola
blement gardé, Supplément à la Gazette de Leyde.
n°. 78. •
( 143 )
Pluſieurs Politiques prétendent que la condelcendance
des Turcs au defir de la Ruffie , quelque
grande qu'elle ſoit , ne conjurera pas l'orage
prêt à fondre ſur l'Empire Ottoman. Ils met
tent en avant pour étayer leur ſyſteme , les re
vendications que l'Empereur eſt à la veille de
faire contre la Porte, l'énormité des préparatifs
faits par les deux Cours Impériales , & le filence
du Roi de Pruſſe ſur tout ce qui a annoncé
depuis fi long-temps un projet d'invalion. Gazette
d'Amsterdam , nº. 79 .
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1) .
PARLEMENT DE PARIS , IIIe. CHAMBRE DES
ENQUETES.
Instance entre lefi ur de Pierreclos , SeigneurdeBerzel-
e-Chatel, La Communauté des halitans de So-
Ligny en Maconnois , & les fieur & dame de
Montluzon Exécutions des arrêts des grands
jours de Clermont , concernant la réduction des
mesures particulieres & exceſſives des Seigneurs ,
à celles du plus prochain Marché.
Par Arrêt du 15 Octobre 1665 , la Cour ordonna
que tous les Seigneurs rapporteront les
titres en vertu deſquels ils prétendroient leurs
droits ; & , à faute de ce faire , dans le délai
- preſcrit , elle leur fit défenſes de les lever , à
- peine de concuffion. Par un ſecond arrêt ,
la Cour ordonna que toutes les meſures feroient
réputées conformes à celles du plus prochain
Marché des lieux , & à l'égard de celles dont
il y auroit titres , qu'elles ne pourroient excé.
der le quinzieme du ſeptier de celles du plus
prochain Marché : elle ordonna en outre qu'à
L'avenir tous les poids & meſures dont on ſe
ferviroit , ſeroient étalonnées , & les matrices re
miſes ès mains des Juges & Officiers commis
pour la police , avec défenſes à toutes perſonnes
( 144 )
:
:
d'en garder& referver aucunes:-Pluſieurs Seigneurs
ont tâché d'éluder les diſpoſitions de ces
arrêts. Le ſieur de Pierreclos , Seigneur de Brezé-
le- Chatel , a voulu percevoir les cens à une
meſure particuliere , autre que celle de Cluny ,
plus prochain Marché royal. Cette meſure ,
comparée à la matrice de Cluny en 1777 , a
produit vingt-huit livres quatre onces; & celle
de Cluny n'a produit que vingt- fix livres fix
onces. Le heur de Pierreclos a voulu percevoir
néanmoins ſur ſa meſure particuliere
les cens qui lui étoient dûs par les ſieur & dame
*de Montburon , même d'après un traité particulier
paflé entre leurs auteurs & le Seigneur
de Brezé-le-Chatel . -Conteſtation à ce ſujet
s'eſt élevée au Baillage de Macon , dans laquelle
la Communauté des habitans de Soligny
eſt intervenue : ſentence qui , en exécution des
arrêts des grands jours de Clermont , a prononcé
que le Seigneur ſeroit tenu de réduire les
meſures en grains & en vins à celles de Cluny
, & l'a condamné aux dépens.-Le 24
Juillet 1783 , arrêt confirmatif.
PARLEMENT DE FLANDRES.
:
Portion congrue.
On a dit dans le Répertoire de Jurisprudence
, au mot Portion congrue , que le Parlement
de Flandres eſt autorisé , par une Déclaration
du 26 Juin 1686 , à fixer , ſuivant les circonf--
tances , les portions congrues de chaque Curé.
On en a vu obtenir juſqu'à 1000 liv. Arrêt du
5 Mars 1782 qui a fixé à ce taux celle du Curé
d'Eſtroeungt. Un autre arrêt du 25 Juillet a
adjugé au Curé de Caſtignis une portion congrue
de 750 florins : enfin un arrêt du 21 Mai
1783 a adjugé au Vicaire de la Rouillie une
penſion congrue de 350 liv.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 25 OCTOBRE 1783 ..
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ETEN PROSE.
NICÉ , ou la parfaite Indifférence ,
Imitation de Mérastase.
POUR
OUR cette fois , Nicé , je ſors de l'eſclavage,
J'échappe à tes attraits , je ne ſuis plus jaloux ;
Tu peux , ſans me fâcher , paroître encor volage,
Je n'en reſſentirai ni dépit ni courroux.
Que ton nom mille fois ſe diſe en ma préſence ,
D'un trouble involontaire il ne m'agite plus ;
Je goûte le repos de mon indifférence ,
Et ines ſens à ta vûe ont ceſſé d'être émus.
Tu n'es plus au matin l'objet de ma penſée;
La nuit tu ne viens plus agiter mon fommeil ;
Demon coeur pour jamaisje te ſens effacée :
Mon amour futun ſonge , &je ſuis au réveil.
N°. 43 , 25 Octobre 1783 . G
146 MERCURE
SANS en être touché je parlede tes charmes;
Je ne ſuis près de toi ni gêné ni confus ;
Tu n'as pour m'attaquer que d'impuiſſantes armes :
Des attraits , ſans un ecoeur , font pour moi ſuperflus.
Que je fois triſte ou gai ce n'eſt plus ton ouvrage;
Je puis trouver ſans toi de fortunées momens ;
Je crois même à préſent trouver ſur ton viſage
Des défauts que je crus être des agrémens.
Je puis voir d'un même oeil ton mépris ou ta haine;
Reprends , ſi tu le veux , ta perfide douceur !
Ma victoire , crois moi , n'en eſt pas moins certaine :
Tes yeux ne ſavent plus le cheminde mon coeur.
De ton amour trompeur , de tes promeſſes vaines ,
Par un ſincère cubli je ſuis aſſez vengé ;
Et fi je me ſouviens du fardeau de mes chaînes ,
C'eſt pour mieux m'applaudir d'en être dégagé.
Js quitte un coeur ingrat , tu perds un coeur ſenſible;
Qui de nous deux , Nicé , doit gémir en ce jour ?
De remplacer le tien il n'eſt que trop poſſible :
Trouveras-tu jamais un plus fidèle amour ?
(ParM. Lemaire.)
DE FRANCE. 147
A Madame la Marquise DE MONTCHAL ,
qui avoit apprivoisé, dans ſon château de
Noyen , un Aigle qui s'eſt envolé.
L'OISEAU
'OISEAU de Jupiter , las de porter la foudre,
Avoit quitté les cieux ; il erroit ici bas.
Ne ſachant à quoi ſe réſoudre,
Aux rives de la Seine il dirige ſes pas.
Contre les dangers qu'il ignore ,
Les Dieux qu'il ne voit plus le protègent encore.
Couverte d'un nuage épais ,
Minerve en tous lieux l'accompagne ,
Et lui ditque pour vivre en paix
Il faut habiter la campagne.
Las de la Ville & de la Cour ,
De tous les importuns qui volent ſur ſes traces ,
ANoyen il s'arrête ; & dans ce beau ſéjour ,
Sous les traits de Montchal il reconnoît les Grâces.
Enchanté de tout ce qu'il voit ,
Detant d'attraits ſi doux &de talens ſi rares ,
Il s'apprivoiſe , mange & boit.
L'honneur de figurer ſur des drapeaux barbares
Vaut-il les baiſers qu'il reçoit ?
Lui qui , ſans ſourciller , des ſa tendre jeuneſſe
Arrêtoit ſes regards ſur le flambeau des cieux,
Ne peut de ſa belle maîtreſſe
Soutenir l'aſpect radieux;
1
Gij
148 MERCURE
L'Aigle eſt fier ; il reprend le chemin de la nue ,
Rêve aux charmes qu'il a connus ,
Et s'envole aux pieds de Vénus
Pour repoſer un peu ſa vûe.
( Par M. de la Louptiere. )
CHANSON.
Que digne enfant de Mégère ,
Un vil Zoïle en fureur ,
Déchire l'heureux vainqueur
Et de Sophocle & d'Homère :
Hé ! qu'est- ce que ça me fait à mois
J'aime , je lis mon Voltaire.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
Que Liſe paſſe en caprices
L'eſprit le plus à l'envers ;
Qu'aux plus finguliers travers
Chloé joigne tous les vices :
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ;
Roſette fait mes délices,
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi,
Qu'un riche habit à la mode
* Soit le paffe-port d'un fat;
Qu'un élégant Magiftrat
DE FRANCE. 149
Des Loix ignore le Code :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi;
Moi , des plaideurs l'antipode.
Hé ! qu'est - ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
QU'UNE Conſeillère aimable
Pour amie ait pris Laïs ;
Que d'un tel écart ſurpris
Son mari la donne au diable:
Hé ! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Chacun aime ſon ſemblable.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi,
Quandje chante & quand je boi.
QU'A trente ans , au fond de l'âme,
Mainte fille à qui l'Hymen
Ne dira jamais Amen ,
Contre le ſiècle déclame :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi :
Je vis fi joyeux ſans femme.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi .
Que fur la Scène divine ,
Où fix eſprits immortels
Auront toujours des autels ,
Le goût des Drames domine :
Hél qu'est- ce que ça me fait à moi ;
J'y vois Molière & Racine.
:
Giij
150 MERCURE
Hé! qu'est-ceque ça me fait àmoi ,
Quand je chante& quandje boi.
Que tout claque Gabrielle
Quand ſon cuifinier lui ſert,
Dansune ſauſſe à robert ,
Le coeur d'un amant fidèle :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi s
Je ſiffle une horreur fi belle.
Hé! qu'est-ce que ça me fait àmoi ,
Quandje chante& quand je boi.
Qu'un fot, chez qui l'or abonde ,
Soit par-tout, chéri , fêté;
Qu'un Aftronome vanté
En revant creux nous inonde :
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Qu'un fou fubmerge le monde.
Hé! qu'est-ce que ça me fait àmoi,
Quandje chante & quand jeboi.
Que l'entretien de Fanchette
Coûte au vieux Duc un mont d'or;
Que la fine mouche encor
Plume un Midas en cachette :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
L'Amour m'a donné Rofette.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
DE FRANCE. ist
Qu'un Éditeur que j'eſtime ,
En recevant ma chanſon ,
Ou la brûle fans façon ,
Ou dans ſon Journal l'imprime :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Roſette la croit ſublime.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
LE MODELE DES FRÈRES , Conte.
BLIMONT LIMONT avoit fait comme tant d'autres :
jeune , aimable , né avec des paffions vives ,
il avoit aimé ; mais il n'avoit pas voulu ſe
lier par d'autres noeuds que ceux de l'amour.
Ayant plus d'indulgence pour la Naturé que
de reſpect pour les Loix , il étoit devenu
père. Peut- être ce ſentiment l'eût il emporté
dans ſon coeur ſur l'amour de la liberté ;
peut être cut- il conſenti à devenir époux ,
afin de pouvoir être père authentiquement ,
d'en remplir plus fructueusement les devoirs
, d'en ſavourer mieux lesdélices. Mais
la jalouſie , peut être l'inconſtance , loin de
lui permettre les noeuds de l'hymen , l'avoit
arraché à ceux même de l'amour. Il avoit
quitté Léonore , celle à qui il devoit letitre
de père. Il l'avoit ſoupçonnée d'infidélité; &
il avoit rompu avec elle ſans l'avoir convaincue.
Long temps les remontrances , les
Giv
152 MERCURE
menaces de fa famille , qui craignoit les
fuites de cette intrigue , avoient combattu
vainement fon amour ; un ſeul ſoupçon en
avoit triomphé; encore ce ſoupçon étoit- il
injufte ; mais comme il étoit d'un caractère
violent , emporté , il n'avoit voulu écouter
aucun éclaircifſſement , & il avoit réſiſté à
tous les efforts directs ou indirects de l'infortunée
Léonore. Sa famille, qui avoit pris
pour un acte d'obéiſſance une rupture qui
n'étoit que l'effet d'un caprice , ou plutôt
d'une injustice , lui avoit rendu ſes bonnes
grâces , & lui avoit bientôt propoſé la main
d'une jeune héritière qu'il avoit acceptée . Il
étoit devenu père une ſeconde fois ; & le
ſecond fils que l'hymen lui avoit donné, n'avoit
pas deux ans de moins que celui de Léonore.
Celui- ci avoit été enveloppé dans la
difgrâce de ſa mère ; il avoit été délaiffé , oublié;
d'ailleurs Léonore , par dépit ou par
fierté , n'ayant pu réuſſir à ſe juſtifier , avoit
réſolu d'oublier un ingrat ; & elle s'étoit
éloignée de lui , fans lui faire connoître l'aſyle
où elle alloit cacher ſa honte & fon chagrin .
Elle avoit emmené fon fils avec elle. Comme
elle n'avoit aucun rang à lui donner dans laSa
ciété , elle avoit cru qu'il la'connoîtroit affez
tôt; elle avoit cru pouvoir différer de lui faire
voir des honneurs auxquels il ne devoit point
prétendre , & de lui montrer le ſpectacle des
richeſſes dont elle ne pouvoit le faire jouir.
Dailleurs , il étoit encore fort jeune ; & elle
s'étoit chargée feule de fon éducation.
DE FRANCE.
153
De ſon côté , Blimont faifoit auffi élever
fon fecond fils , qu'il regardoit comme fon
fils unique. Ce fils commençoit à grandir ,
& fon père ne l'avoit pas encore revu . Veici
pourquoi. Blimont avoit un parent fort riche
, mais qui étoit bien au moins aufli
original . Ce parent , qu'on appeloit Manville ,
vivoit feul dans une Terre fort éloignée de
Paris. Ayant reçu quelques mécontentemens
dans le monde, il avoit réſolu de le quitter.
Il avoit trouvé , ce qui n'étoit pas une rare
découverte , des amis faux & des maîtreffes
infidelles ; d'autres auroient oublié les faux
amis , & fe feroient vengés des maîtreſſes
infidelles en les imitant : Minville avoit
mieux aimé leur céder la place. Mais il
n'avoit pas voulu leur pardonner. Pour ſe
venger des hommes , il avoit refolu d'être
miſantrope. Vous ſentez ce que c'eſt qu'une
mifantropie en projet ! comme s'il fuffifoit
dedine, haïffons les hommes , pour les haïr!
Ce pauvre Minville n'avoit pas l'énergie dont
il avoit beſoin pour le rôle qu'il avoit pris ,
& qu'iljouoit pourtant de ſon mieux. Il vouloit
oublier le monde ; mais il aimoit à voir
quelqu'un qui le lui rappelât. Il avoit même
été tenté de ſe marier ; mais il avoit cru un
pareil acte contraire à ſon projet ; & il s'en
étoit abſtenu par logique. Néanmoins , en
haïffant tous les hommes, il ſentoit qu'il au
roit quelque jour beſoin d'en aimer un par
exception. Cette haine étoit le réſultat de ſes
principes , & cet amour le beſoin de fon
Gv
154 MERCURE :
coeur. Du reſte , c'étoit un homme d'une
probite incorruptible. Ses vertus avoient des
formes fingulières; mais le fonds en étoit
réel&folide. Il avoit même des lumières &
de l'eſprit ; & il n'eût tenu qu'à lui de plaire
en ſe faiſant eftimer ; mais il eût rougi d'être
aimable.
Minville ne crut donc pas déroger à ſa
demi-miſantropie , en demandant à Blimont
fon fils , pour l'élever & le garder auprès de
lui. Blimont ne doutoit point que le vieux
Minville ne fût capable de donner à fon fils
une bonne éducation ; d'ailleurs le bonhomme
étoit fort riche; on prétendoit à fon héritage;
& ce motif fait taire bien des ſcrupules.
Quoi qu'il en ſoit , le fils de Blimont ,
à peine forti de l'enfance , fut envoyé à
Minville , qui jugea en le voyant qu'il falloit
haïr le monde entier , mais que cet enfantlà
pouvoit devenir très- aimable. Ce fut
même pour lui une occafion de voir un peu
de monde; mais il raffuroit ſa confcience
miſantropique, en ſe diſant qu'il ne voyoit
ce monde- là que pour ſon élève.
Un haſard fingulier fit que l'aſyle qu'avoit
choiſi la triſte Léonore avec ſon fils , ſe
trouva voiſin de la retraite de Minville. Un
hafard moins extraordinaire fit que les deux
jeunes gens ſe rencontrerent ; & Minville ,
foit que ce fût encore là une infidélité faite
à ſa miſantropie , ſoit que la Nature lui
parlat pour cet enfant inconnu , foit encore
qu'il crût devoir donner à ſon élève un com
DE FRANCE.
155
pagnon, pria la mère de les laiffer fouvent
jouer enſemble. Les études & les plaifirs devinrent
communs entre eux; leur liaiſon
devint un fentiment avec les années ; ils ne
pouvoient plus ſe quitter; & ils s'aimèrent
comme s'ils s'étoient connus.
L'elève de Minville (je l'appellerai d'Éper.
ny ,& fon jeune ami , Maurice ) ; d'Éperny
donc approchoit de ſa quinzième année , &
par conséquent Maurice en étoit forti à
peine. D'Éperny étoit de beaucoup au- deſſus
de fon âge; ſes difcours annonçoient un ef
prit & une raiſon rares; & toutes ſes actions
prouvoient la ſenſibilité la plus intéreſſante.
Il étoit aux petits ſoins avec Maurice
; il craignoit toujours de ne pas deviner
ſes beſoins. On eût dit que la Nature avoit
éclairé ſon coeur; qu'il avoit appris qu'il
poffédoit feul une fortune que Maurice avoit
naturellement droit de partager avec lui ,
& qu'il cherchoit à réparer l'injustice de fon
père. Il est vrai que Maurice étoit digne de
fon amitié , & qu'il répondoit à ſes foins
par une tendreſſe auſſi defintéreſſée qu'attentive.
De ſon côté , Minville, tout courroucé
qu'il étoir contre les hommes , n'avoit pas
pu s'empêcher de parler à Léonore ; il n'avoit
pas pu lui parler ſans l'interroger fur fon
fort; ſes queſtions avoient amené des aveux ;
Minville attiroit la confiance; enfin Léonore
lui raconta fon hiſtoire , qui attendrit notre
miſantrope; mais malheureuſement fon cha
Gvj
156 MERCURE
grin étoit un mal fans remède , vû l'engage
ment qu'avoit contracté Blimont.
1
Ce fecret ne demeura pas entre Minville
&Léonore. Soit par quelque imprudence ,
foit par une confidence volontaire , les deux
frères furent inftruits de leur fort. Le modeſte
Maurice ſembla preſque honteux d'être
le frère de d'Éperny; & le ſenſible d'Éperny
parut tout fier de ſe trouver le frère de Maurice.
Ils ne s'aimèrent pas davantage ; mais
ils ſe trouvèrent plus heureux. Minville s'occupoit
toujours du malheur de Léonore , ou
plutôt il étoit désolé de n'y voir aucun remède.
Il défendit au moins à d'Éperny de
faire part à fon père de la découverte qu'il
avoit faite. Une année s'écoula ainfi ; Minville
plaignant toujours en vain Léonore ,&
les deux frères s'aimant toujours avec la
même tendreffe.
Un jour d'Éperny conçoit un projet bien
fingulier , intéreſfant , rare , & qui demandoir
un cooeur aufſi ſenſible & une raifon
auffi prématurée. Il veut dédommager Man -
rice de l'injustice du fort & de la ſévérité
des Loix. Il a ſeul conçu le projet , il veut
ſeul l'exécuter; il ne follicite aucune médiation;
il ne demande que la liberté de retourner
dans la maiſon paternelle. Mais
pour cela il faut s'ouvrir à Minville. D'Éperhy
va le trouver un matin. " Mon bienfai-
>> teur , dir- , ( c'eſt ainſi qu'il l'appeloit )
ود il faut aujourd'hui mettre le comble à vos
> bienfaits. Mautice a retrouvé fon frère
DE FRANCE.
157
'ce n'eſt pas tout; il faut que je lui rende
>> un père. >> Alors il communique fon projet
à Minville , qui demeure un moment
muet de ſurpriſe & d'attendriflement , &
qui l'embraſle en pleurant de tendreffe. En
faveur de ce trait, fi dans ce moment- là le
genre humain avoit demandé grâce à Minville
, Minville lui auroit pardonné fans ref
triction . On juge bien d'après cela , qu'il
n'eut pas de peine à condeſcendre à ce que
lui demandoit l'ardent d'Éperny . Celui - ci
avoit beſoin d'être ſecondé par une difcrétion
invincible , &par un filence courageux ;
&il profita de l'intérêt qu'il avoit inſpiré ,
pour engager Minville à ſe lier par ſa parole
d'honneur , & même par un ferment.
La téſolution que venoit de prendre d'Éperny
n'étoit pas un de ces mouvemens de
générofité imitative & paffagère , d'un enfant
qui jette des biens dont il ne ſent point la
jouiſſance , & dont il ne connoît point la
privation; c'étoitun projet enfanté par une
raifon forte & par un ſentiment profond.
Ce qu'il eut plus de peine à obtenir , ce fut
le confentement de Maurice , qui , en reprenant
une place que la Nature lui avoit marquée
, ſe croyoit coupable d'ufurpation.
Mais d'Éperny employa toute l'éloquence
de l'amitié; il lui prouva fi vivement que da
fuccès de cette entrepriſe dépendoit fon
bonheur , fa vie même , que Maurice effrayé
promit tour , ſouſcrivit àtout ;& il y mit
tant de zèle , qu'il avoir l'air de fervir fon
158 MERCURE
ami en travaillant à ſa propre fortune ; de
façon qu'on auroit pu dire qu'il avoit l'air
intereſle par un excès de defintéreſſement.
Quand tout fut arrangé , ayant dit adieu à
Minville , les deux frères ſe mettent en
route , arrivent à Paris , & ſe préſentent
chez Blimont. Il eſt tems de dire ici que Blimont
, d'après tout ce qu'il avoit appris de
d'Éperny , d'après les lettres qu'il en recevoit
, avoit conçu pour lui une tendretfe
inexprimable. Il ne l'avoit pas fait venir encore
auprès de lui , de peur d'affliger ce bon
Minville ; & il n'étoit pas alle le voir , parce
que des occupations , des affaires habituelles
qu'il ne pouvoit ſuſpendre, le retenoient efclave
à Paris .
" Mon père , dit d'Éperny en entrant , le
>> même titre & le même intérêt nous amè-
» nent ici. Si je porte la parole , c'eſt ſans
>> avoir aucun motifde plus pour vous par-
ود ler. L'amitié & un ferment ſacre rendent
> notre fort commun& infeparable. L'un
de nous deux eſt d'Éperny , & tous deux
>> nous ſommes vos fils. L'un a été délaiſſé ,
abandonné par vous; l'autre vous eft cher ,
&il eſt comblé de vos bienfaits. L'un de
> nous eſt d'Éperny ; mais il ne ſe fera ja-
"
ود
ود mais connoître; & , quelques demarches,
>>quelques efforts que vous faſſiez , vous
>> ne parviendrez jamais à le découvrir.
>> Voyez maintenant ſi en choiſiſſant l'un
>> de nous deux vous voulez vous expoſer
» à chaſſer le fils qui vous eſt cher ,
DEFRANCE.
159
1
» & pour qui vous avez tout fait. "
Qu'on ſe figure à ce diſcours l'étonnement
de Blimont. Pendant un moment, il regarde ,
il écoute , fans rien voir & fans rien entendre.
Ses yeux ont beau parcourir l'un &
l'autre , ſon embarras eſt toujours le même.
Enfin il ne fait que répondre. Il les reçoit
tous deux en attendant , & il les quitte pour
écrire à Minville , qui, lié par ſon ferment
&par ſon amitié pour d'Éperny , répond à
Blimont qu'il eſt complice du projet , &
qu'il n'eſt pas naturel de ſe déceler foimême.
Cette réponſe , comme on voit , n'étoit
pas propre à éclairer Blimont , qui d'ailleurs ,
après avoir réfléchi , avoit moins beſoin de
l'être pour ſe déterminer. Touché d'une générofité
ſi rare , il avoit eru que d'Éperny ,
quel qu'il fût des deux , méritoit la grâce de
fon frère; & il adopta l'un & l'autre. Cependant
, fans avoir envie de changer cette
dernière réſolution , il ſentoit de temps en
temps le plus violent defir de connoître d'Éperny.
A chaque inſtant il les mettoit l'un &
l'autre àune nouvelle épreuve,mais la tendrefſe
toujours ingénieuſe de d'Éperny prévoyoit
tout, paroît à tout. Il oppofoit aux tentatives
de Blimont toutes les ruſes innocentes
que fon coeur pouvoit lui fuggérer. Maurice
heureuſement pouvoit rivaliſer avec lui en
talens & en vertus ; d'ailleurs , ce qu'il ne
pouvoit pas faire, d'Éperny le faifoit pour
lui. A la fin tous les deux parvinrent à ſe
160 MERCURE
faire aimer de Blimont ; d'Éperny craignit
moins que ſon frère ne fût renvoyé ; mais il
craignoit toujours que ſi ſon père venoit à
le reconnoître , il ne lui marquât plus d'amitié
, & que cette préférence ne rendit malheureux
Maurice; aufli ſon amitié ne s'endormoit
jamais ; & fon ingénieuſe délicareffe
n'oublioit rien pour empêcher d'entr'ouvrir
le voile qui le déroboit à l'oeil paternel.
Il est vrai que l'heureux naturel de
Maurice le fecondoit bien ,il fit tant auprès
de Blimont , il fut i bien gagner ſon coeur ,
que ce père trop heureux finit par defirer
de ne penetrer jamais ce ſecret. Il réfolut de
partager aveuglement entre eux ſon coeur
comme ſa fortune; bien perfuadé qu'après fa
inort , le partage de ſes biens ſe feroit fans
que la Loi eût beſoin de s'en mêler. Bientôt
il fut difficile de décider lequel des trois
étoit le plus heureux. Que dis je ? l'un des
trois ne pouvoit trouver fon bonheur parfait.
Maurice ne pouvoit oublier que fa mère
vivoit dans un abandon ignominieux ; &
cette idée venoit l'attriſter dans les plus heureux
inſtans. Il étouffoit ſes plaintes , ſes
foupirs ; mais il ſe taiſoit en vain : les coeurs
de d'Éperny & de Maurice n'avoient pas
beſoin de l'organe de la parole ; ils s'entendoient
, ils ſe devinoient. La triſteſſe de
Maurice affligeoit d'autant plus d'Éperny ,
qu'il ne pouvoit le confoler que par de vains
diſcours . Ce n'eſt pas fur la fortune de Léonore
qu'on gemiffoit; Blimont , en adoptant
DE FRANCE. 161
Maurice ſans le connoître , avoit foudain répandu
ſes bienfaits ſur ſa mère , dont on lui
avoit découvert l'aſyle. Mais l'or comfolet'il
de tous les malheurs ?
Que faifoit cependant Minville ? Il s'ennuyoit
, quand il croyoit philoſopher. Dans
toutes les lettres , dans tous les écrits qu'il
lifſoit , il ne voyoit que le crime & la fottiſe.
Le chagrin d'être ſéparé de d'Éperny
compofoit ſeul toute ſon humeur , & il
croyoit que la haine des hommes y entroit
pour plus des trois quarts. Au milieu de ſes
ennuis , quand il écrivoit à Bliment , il le
trouvoit fort malheureux; il le plaignoit de
vivre avec des fots & des méchans .
Ce motif n'étoit pas capable de faire le
malheur de Blimont ; mais un évenément
vint troubler ſon bonheur. Il perdit ſa
femme , pour laquelle il avoit , finon de
l'amour , au moins de l'eſtime & de l'amitié.
Quoiqu'elle eût vécu preſque toujours abfente,
à cauſe de ſa ſanté, elle n'emporta pas
moins de regrets ; & le deuil ſuſpendit un
moment lebonheur de toute la maiſon .
Quand d'Éperny eut payé le tribut de
pleurs qu'il devoit à la Nature ; quand fa
rendreſſe& celle de Maurice eurent effuyé les
larmes de Blimont , celui - ci n'ayant plus
d'autres devoirs à remplir , n'eut plus à s'occuper
que du bonheur d'être père. Il refpecta
toujours le myſtère qui étoit répandu
fur ſes deux fils; il eût tremblé de ſoulever
ce voile qui ajoutoit à fon bonheur; il ai
162 MERCURE
moit enfin à voir ſes deux enfans confondus
à ſes yeux par leur nom , comme ils l'étoient
dans ſon coeur par l'amour paternel.
Mais le coeur de d'Éperny avoit été trop afligé
pour n'avoir pas beſoin d'être conſolé
par quelque acte de bienfaiſance ou d'amitié.
Sa ſenſibilité toujours active avoit toujours
quelque jouiſſance à lui procurer. Un
jour il va trouver Maurice , & l'ayant inftruit
d'un nouveau projet , le ſomme de le
ſuivre pour lui aider à l'exécurer. Maurice
ſe jette dans ſes bras en pleurant de joie&
de tendreffe , & marche avec lui. Ils entrent
tous deux chez Blimont , & tombent enſemble
à ſes genoux ſans rien dire. Qu'avezvous
, mes enfans , leur dit Blimont ; que
venez vous me demander ? Parlez. O mon
père , s'écria d'Éperny ! l'un de nous deux
étoit orphelin , abandonné , malheureux.
Vous avez daigné jeter ſur lui un regard
de bonté& de bienfaiſance ; vos bras , votre
coeur ſe ſont r'ouverts pour lui ; vous
l'avez comblé de bienfaits ; vous lui avez
renduun père, enfin tout ce que vous avez
pu faire pour lui , vous l'avez fait : ilnedefiroit
plus rien, parce qu'il n'avoit plus rien
à demander qui pût lui être accordé par
vous. Aujourd'hui qu'un nouvel eſpoir s'eſt
gliſſé dans ſon âme , il redevient malheureux
ſi vous ne daignez le remplir. Malheureux ,
interrompt Blimont ! eh ! que lui manquet'il
done? Ce qui lui manque, s'écrièrent
les deux frères avec une voix qui eût attendri
DE FRANCE. 163
-
le coeur l'un barbare ? Il lui manqueunemère.
Comment , dit Blimont tout troublé !
Oui , une femme infortunée que vous avez
aimée , qui vous aime encore.... -A ces
mots Blimont tombe dans un fauteuil , cache
ſon viſage dans ſes mains , & appuyé
fur une table , il y demeure comme muet
&accable. Enfin reprenant ſes eſprits & fon
courage : O mes enfans , leur dit-il , en ſe
penchant ſur eux , je vous pardonne votre
demande ; mais vous ne ſavez pas que vous
demandez ce qu'il m'eſt impoſſible de vous
accorder. Puiffiez vous l'ignorer toujours !
Impoſſible , s'écrie d'Éperny ! quoi ! il vous
ſeroit impoffible d'être père tout-à- fait ,de
mettre le comble à vos bontés! Non; vous
calomniez votre coeur , votre ſenſibilité ,
votre justice. Alors Blimont les prenant tous
deux par la main : Eh bien ! vous m'y forcez ,
leur dit-il ,je vais affliger l'un de vous deux ;
je vais déchirer ſon coeur. Mais vous m'accuſez;
il faut que je me juftifie. Ce que
vous regardez de ma part comme un abandon
, n'est qu'un acte de juſtice ; ce qui vous
paroît un malheur digne de pitié , n'eſt qu'un
juſte châtiment. Cette mère que vous réclamez
l'un & l'autre , s'eſt fermé mon coeur
volontairement , elle a outragé l'amour , &
l'honneur m'a fait un devoir de la vengeance.
Un moment, je vous prie, interrompt d'Éperny
avec une noble fermeté : voici ma réponſe.
En même temps il tira de ſa poche
des papiers qui renfermoient une juſtifica
164 "MERCURE
tion complette de Léonore. A ce trait inattendu
( car Maurice lui même n'étoit pas
dans la confidence de ces papiers que d'Éperny
s'étoit procurés en ſecret , ) Blimont
-ſe tait , & jette les yeux ſur les écrits qu'on
lui preſente. Il ne peutſe refuſer à l'évidence ;
il reconnoît ſon erreur , ſon injustice ; il
tombe dans les bras de ſes deux fils , en fondant
en larmes . O mes enfans , leur dit- il !
qu'elle vienne cette mère , cette victime ; je
fuis prêt à réparer tout , ſi elle conſent à tout
pardonner. Mais , que dis-je ? réparer ! le
puis- je? Oui , vous le pouvez , s'écrient les
:deux frères avec tranſport. Alors ils ſejettent
tous deux à ſon cou , & le couvrent de baifers
& de larmes de joie. Enfin il conſent à
époufer Léonore.
C'eſt ainſi que le tendre d'Éperny , par
fon intereſſante ſenſibilité , redevint le frère
de Maurice , lui rendit un père , & donua un
-époux à Léonore. Pour combler la joie qu'il
ten eur, ildemandala periniſſion d'aller la cher-
-cher lui-même , & de l'amener dans les bras
d'un époux qu'elle ne s'attendoit plus à poffeder;
& Blimont ne put lui refuſer cette
jouiffance. Enfin il partit, & revint bien vîte
avec Léonore , dont le mariage fut célébré
avec une joie également ſentie par les deux
époux & par les deux fils de Blimont.
Minville apprit cette nouvelle ; il s'en réjouit
en bon parent; en bon parent, il vint
vifiter cette heureuſe famille. Il paſſa avec
eux un mois qui lui donna l'envie d'y en
DE FRANCE. 165
paffer encore un autre. Il aima comme de
raiſon ſes parens , puis les parens de ſes parens
, puis leurs amis , puis d'autres perſonnes
encore. Enfin il redevint ce qu'il étoit né , &
il ſe délaſſa par le rôle de bonhomme , de ſa
grimace miſantropique.
( ParM: Imbert. )
Explication de la Charade , de l'énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Malheureux ;
celui de l'énigme eſt Livre ; celui du Logogryphe
eft Dimanche , où l'on trouve manche
, me, diné, mi , mine , mie , Maine ,
chien , cime , Chine , Iman , ami , Diane ,
Mai , main.
:
CHARADE.
PLUS d'unNégociant en faiſant mon premier ,
Pour aller à mon tout ſe trace mon dernier.
( Par M. Juhel, à Mayenne. )
ÉNIGME.
AVEC cinq pieds ſouventje fais ravage ;
Avec trois jepeux rendre une tête plus ſage ;
Avec deux je fais des heureux ;
Avec quatre un mal furieux.
(Par Mlle Bri ... l'ainée , de Saint-Dixier.)
166 MERCURE
J'AI plus
LOGOGRYPΗ Ε.
d'un père à qui je dois mon exiſtence ,
Et j'ai pour mère la Science ;
J'embraſſe tout par mon ſavoir.
Qui me connoît ſait quel eſt mon pouvoir ;
Plus d'un Savant me chérit , me careffe ;
Je charme ſon ennui , je calme ſa triſteſſe;
Et ſur mon tout ſi l'on jette un coup- d'oeil ,
On admire mon noble orgueil.
Sur trois fois quatre piés j'avance , je recule......
On trouve auſſi- tôt dans mon ſein
Un deſcendant de l'invincible Hercule ;
Lademeure du Sage , où ſon heureux deſtin
Le conduit dans une autre vie ;
Une Nymphe qui fut chérie
Du plus puiſſant de tous les Dieux;
Un ornement à de beaux yeux ;
Un point principal de la terre ;
CeHéros, ce fils vertueux ,
Qui ſur ſon dos porta ſon père ;
Uncompagnon du forgeron Vulcain ;
Un membre utile au genre humain ;
Trois fleuves ; une montagne aux Muſes conſacrée;
Deux volatils , dont l'un eſt femelle ruſée ;
Un arbre , trois Cités ; bref, une docte foeur.
Peut-être ſous tes yeux ſuis-je , mon cher Lecteur.
(Parlamême.)
DE FRANCE.
167
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
MÉMOIRE concernant une eſpèce de Colique
observéefur les Vaiſſeaux , lû à l'Affembléepublique
de la Facultéde Médecine de
Paris , tenue le premier Septembre 1783 ,
par M. de Gardanne, Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine de Paris , Médecin
de Montpellier , Cenſeur Royal , Aſſocié
&Correſpondant de pluſieurs Académies.
A Paris , de l'Imprimerie de Quillau ,
Imprimeur de la Faculté de Médecine ,
rue du Fouarre.
Tous les hommes deſirent la vérité; il y
en a peu qui la cherchent; il y en a moins
encore qui parviennent à la découvrir. Ce
défaut de ſuccès peut être attribué à deux
cauſes contraires ; ſi les uns font trop peu
d'efforts pour la trouver , les autres auffi
vont la chercher quelquefois beaucoup trop
loin. En effet , il y a de ces vérités ſimples
qu'on pourſuit long- temps , & qu'on eſt
étonné , après leur découverte , d'avoir eu ,
pour ainſi dire , ſous ſa main , ſans les ſaiſir.
Telle est celle qui paroît réſulter du Mémoire
que M. de Gardanne vient de publier
, & que nous allons faire connoître en
peude mots.
CeMémoire a été lû avec grand ſuccès à
/
168 MERCURE
l'Affemblée publique de la Faculté de Médecine,
du premier Septembre 1783. Il traite
de la Colique des Gens de Mer ; & il eft.
diviſé en deux Parties : dans l'une , il eſt
queſtion de la cauſe ; & dans l'autre , du
traitement & du préſervatif.
M. de Gardanne commence par rapporter
les ſymptômes de cette maladie , tels qu'ils
ont été dépeints par ceux qui en ont parlé
avant lui. Peu content de l'explication qu'on
en avoit donnée , il a fait de nouvelles obſervations
, & il s'eſt arrêté à un réſultat des
plus fimples. Ayant trouvé dans les ſymptômes
& les effets de cette colique des Gens
de Mer , une parfaite analogie avec celle
qu'on nomme la colique des Peintres , il a
été tenté de croire , & il s'eſt convaincuque
c'étoit la même maladie , vû que la cauſe
quiproduit lacolique des Peintres,ſe retrouve
fur les vaiſſeaux , c'est- à- dire , les exhalaifons
de la peinture. Dès lors tout s'explique
naturellement ; & ce qui avoit ſervi de
preuve en faveur du ſyſtême qui taxoit cette
maladie de colique billienſe, s'applique avec
la plus grande vraiſemblance au nouveau
principe de M. de Gardanne. " La peinture
>> une fois reconnue , dit- il , pour la cauſe
>> de cette colique, il eſt facile d'expliquer
>> pourquoi les Officiers en ſont plutôt atta-
>>qués que les Matelots. Ces derniers cou-
ود chant dans le premier entre-pont , qui
» n'eſt point peint, doivent néceſſairement
» en être exempts , tandis que les Officiers
» qui
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
• RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Septembre.
ACour reviendra deCzarsko Zelo le 26
Lde ce mois ; S. M. I. y a été un peu indiſpoſée;
mais elle eſt à préſent rétablie. Le
Marquis de Verac, Ambaſſadeur de France ,
prendra congé de cette Princeſſe , pour aller
faire un voyage à Paris, où il eſt rappellé par
fes affaires particulieres ; M. Cayard, fon Secrétaire
de Légation , reſtera chargédes inté
rêts de S. M. T. C. pendant fon abfence.
Outre le préſent ordinaire de 3000 roubles
, l'Ambaſſadeur de Naples a reçu da
l'impératrice une riche tabatiere d'or , ornée
du portrait de S. M. I. L'Ambaſſadrice ,
ſon épouſe , a été gratifiée d'un collier de
diamans, &fa foeur d'une aigrette.On aſſure
qu'à ſon retour à Naples , il fera décoré, avec
la permiffion du Roi fon maître, de l'ordre
Ruffe de S. Alexandre Newsky.
L'Amiral Tſchitſchat goff, écrit-on de Revel ,
N°. 43.25 Octobre 1783 . 8
1
:
( 146 )
eſt arrivé dans ce Port le 30 du mois dernier ,
à bord de l'Alexandre , Vaiſſeau de 70 canons ,
&accompapagnéde II autres, tant de lignes que
frégates. On dit que cette eſcadre eſt deſtinée
pour la Méditerranée ; mais elle ne mettra à
la voile qu'après avoir reçu des ordres ultérieurs
de la Cour ; en attendant qu'ils arrivent les
vaiſſeauxprofitentdu tems pour charger des munitions
navales dont ils manquoient & qu'on leur
fournit de notre Arſenal .
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 23 Septembre.
La Cour est toujours au château de Friedensbourg
, où elle jouit d'une parfaite ſanté
, & où le Prince héréditaire eſt revenu
dernierement d'Helſingor , où il avoit été
viſiter le château de Cronenbourg.
Le vaiſſeau l'Oldembourg , qui , ſous les ordres
du Comte deMolkte , a fait le voyage
d'Alger, où il a été porter les préſens de cette
Cour , eſt revenu dans le Sund , où il a
mouillé le 21 de ce mois.
, >> Le 2 de ce mois , écrit-on de Carlſcron
on a lancé ici un Vaiſſeau de 60 canons & une
Frégate de 40 , conſtruits nouvellement en fix
ſemaines de temps. On en a conſtruit dans nos
chantiers en moins de deux mois , en comprenant
ces deux nouveauxVaiſſeaux,4de 60 canons
& 4 Frégates de 40 ; une de ces dernieres a
même deja mis en mer ; en général les travaux
de ce genre ſont pouffés avec la plus grande
vivacité.»
On apprendque dans les dernieres tempê
( 147 )
tes il a péri fur les côtes de Marſtrand & de
Norwege , 16 bâtimens marchands , & que
plus de 20 autres ont été fort endommagés .
POLOGNE .
DE VARSOVIE , le 25 Septembre.
Les dernieres lettres de l'Ukraine Polonaiſe
portent que les troupes Ruſſesy occupent
toujours leurs premiers cantonnemens ,
où elles font prêtes à ſe mettre en mouvemens
au premier ordre. On débite cependant
depuis hier , qu'elles ont traverſé le
Dnieſter ; mais ſi cela eſt , les Turcs ont pris
des précautions pour lesgêner dans leurs fubſiſtances.
Ils ont enlevé toutes les proviſions
qui ſe trouvoient dans les environs de Choc .
zim; & on a pris les mêmes précautions dans
la Moldavie.
Le Corps aux ordres du prince de Rep-...
nin , commence , dit - on , à ſe porter vers
Balta fur le Bog , &celui aux ordres du prince
de Soltikoff doit établir fon camp auprès
de Mohilow.
On aſſure qu'il a été jetté un pont ſur le
Dnieper , auprès de Zaleszcyen , pour faire
paſſer ce fleuvé aux troupes de l'Empereur.
On a reçu la confirmation de la nouvelle ,
que le prince Heraclius s'eſt mis ſous la prorection
de l'Impératrice de Ruſſie ; mais on
ne ſcait pas encore quelles font les conditions
de cette foumiffion .
Il vient de ſe manifefter à Cracovieune mas
82
( 148 )
ladie contagieuſe que les Médecins appellent
une fievre pourprée & qui fait beaucoup de ravages.
On prend toutes les précautions d'uſage
pour l'empêcher de s'étendre , & toute communication
eft coupée entre cette Ville & cette
capitale . On prétend qu'elle a été apportée par
des voyageurs venant de la Turquie , & c'eſt ce
qui augmente les allarmes du peuple qui la prend
pour la peſte , & qui croit qu'on n'en deguiſe
le nom que pour calmer ſes terreurs .
ALLEMAGNE .
DE VIENNE , le 8 Octobre.
Le Général Comte de Siskewitz commandera
, dit- on , l'armée en Hongrie , &
aura ſous lui le Général Comte de Wedenz .
Le Conſeil Aulique de guerre vient de
donner des ordres pour faire des engagemiens
avec des charretiers.
L'Empereur est de retour de fon voyage
en Bohême ; on dit qu'il ſe propoſe de faire
bâtir une nouvelle fortereſſe entre Memes &
Munchengratz , & qu'il ſe rendra inceſſamment
en Hongrie.
Les nouvelles de ce Royaume femblent ne
plus laiſſer de doute ſur la proximité d'une
guerre. Des voyageurs qui arrivent de Trieste ,
rapportent que les routes juſqu'à Carlſtadt , ſont
remplies de Soldats; la marche des Troupes a
retardé dans certains endroits les Voituriers . On
a ceſſé les exercices militaires à Gratz , & les
Troupes y ont recu l'ordre de marcher. Chaque
Compagnie ne peut enimener que trois femmes
pour la cuiſine & le blanchiffage.-Le cordon
:
DEE FRANCE.
149
C
Des Loix ignore le Code :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Moi , des plaideurs l'antipode.
Hé! qu'est - ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
QU'UNE Conſeillère aimable-
Pour amie ait pris Laïs ;
Que d'un tel écart ſurpris
Son mari la donne au diable :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ;
Chacun aime ſon ſemblable.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
Qu'a trente ans , au fond de l'âme ,
Mainte fille à qui l'Hymen
Ne dira jamais Amen ,
Contre le ſiècle déclame :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi :
Je vis fi joyeux fans femme.
Hé! qu'est- ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi .
Que fur la Scène divine ,
Où fix eſprits immortels
Auront toujours des autels ,
Le goût des Drames domine :
Hél qu'est- ce que ça me fait à moi ;
J'y vois Molière &Racine.
1
:
Giij
( ISO )
mentation parmi le peuple de la capitale de
Empire Ottoman , qui n'étoit pas entiérement
étouffée au moment du départ du courrier ; le
miniſtre de l'Empereur & celui de l'Impératrice
de Ruſſie avoient tenu leurs hôtels fermés pendant
quelques jours.- On ne parle ici que
de guerre , & le bruit ſe répand qu'il ſera afſemblé
dans les Pays-Bas une armée de 60000
hommes. Si la guerre éclate en effet , on dit
que le Roi de Pruſſe obſervera une neutralité
exacte ; & que tout eft convenu pour cet effer.
Quelques nouvelles font cependant eſpérer
que l'incendie prêt à s'allumer ſera encore
retardé.
... Les projets des puiſſances qui menacent
les Turcs n'éclatent point encore , & on doit
en inférer qu'ils ne ſont pas encore parvenus
àleur maturité , & qu'ils rencontrent dans les
mouvemens politiques des cabinets des obſtacles
qu'on n'attendoit pas & qui ne ſont point aifés à
lever. On peut préſumer que les diſpoſitions de
la cour de Berlin ne ſont point telles qu'on les
annonce dans quelques papiers ; on prétend même
depuis peu de jours que les apparences pour
Ja guerre diminuent. On juge en général que
P'Impératrice de Ruffie contente de la belle
campagne qu'elle vient de faire ſans tirer un
coup de canon , n'est pas éloignée de defirer
d'en reſter là , & il ſe pourroit que le reſte de
cette année ſe paſſat fans aucune hoftilité. Les
préparatifs immenfes, éerit-on de l'Autriche, peuventfairedefirer
àcette cour un dédomagement &
Lemploi des moyens qu'elle a de ſe le proeurer;
mais il ſe peut qu'elle n'en uſe pas avant
l'année prochaine. On dit qu'elle doit réclamer
par un manifeſte la Servie , la Walachie , iut
qu'à la riviere d'Alura & la partie de la Воб
nie qui s'étend juſqu'à Bocca-di-Cataro vers Ra-
ம்
DE FRANCE
QU'UN Éditeur que j'eſtime ,
En recevant ma chanſon ,
Ou la brûle ſans façon ,
Ou dans ſon Journal l'imprime :
Hé! qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Roſette la croit fublime.
Hél qu'est-ce que ça me fait à moi ,
Quand je chante & quand je boi.
LE MODELE DES FRÈRES , Conte.
BLIMONT avoit fait comme tant d'autres :
jeune , aimable , né avec des patlions vives ,
il avoit aimé ; mais il n'avoit pas voulu ſe
lier par d'autres noeuds que ceux de l'amour.
Ayant plus d'indulgence pour la Nature que
de reſpect pour les Loix , il étoit devenu
père. Peut étre ce ſentiment l'eût il emporté
dans ſon coeur ſur l'amour de la liberté ;
peut- être cût- il conſenti à devenir époux ,
afin de pouvoir être père authentiquement ,
d'en remplir plus fructueusement les devoirs
, d'en ſavourer mieux les délices. Mais
la jalouſie , peut être l'inconſtance , loin de
lui permettre les noeuds de l'hymen , l'avoit
arraché à ceux même de l'amour. Il avoit
quitté Léonore , celle à qui il devoit le titre
de père. Il l'avoit foupçonnée d'infidélité; &
il avoit rompu avec elle ſans l'avoir convaincue.
Long temps les remontrances , les
Giv
( 152 )
droit unique de 3 pour 100 fur toutes les
marchandiſes qu'ils feront venir des pays héréditaires
; l'intention de l'Empereur étant de les
faire jouir de l'avantage accordé aux Ruſſes par
le traité de commerce conclu le 21 Juin entre
l'Empereur & la Porte. L'Intendant de la douane
Ottomane a fait part auffitôt de cette notification
au Divan , & a demandé des ordres pour
ſe conduire à cet égard ; mais il ne les a pas
encore reçus. Nous defirerions , ajoutent ces lettres
, que notre Miniſtere voulût ſouſcrire à toutes
les demandes de l'Empereur d'Allemagne , fi
nous pouvions nous flatter que notre condeſcendance
ne le déterminât pas à en faire de nouvelles
& fur-tout qu'elle pût l'engager à rompre fes
engagemens avec la Ruffie. Nous ne pouvons
nous repaître de ces idées chimériques. Nous
nous attendons à voir ces deux puiſſances formidables
réunir toutes leurs forces contre nous :
Mais nous ne nous croyons cependant pas encore
perdus. S'il y a icides hommes abbatus , ce n'eſt
pasdu tout par les approches de la guerre : la
peſte ſeule a laiffé des ſymptômes de foibleſſe
&de langueur ſur les phyſionomies de ceux qui
en ont été attaqués , & qui y ont échappé. Le
reſſentiment de toutes les claſſes de la nation
eſt toujours le même. Tous les ſujets de cet
Empire ne reſpirent que la vengeance ; & ils
eſpérent tout du Grand Vifir qui à la tête de
l'élite de nos troupes eſt ſur le bord du Dniefter
, & ils ne penſent pas avoir rien à rédouter
de la marine Ruſſe tant que le Capitan
Bacha fera à la tête de la nôtre. Comme
l'eſcadre Ruſſe à Azoff eft beaucoup plus forte
qu'on ne l'avoit cru , le Divan vient d'ordonner
de préparer avec toute la diligence poſſible.
fix autres vaiſſeaux pour la Mer Noire ; en moins
-
(( 153 )
de trois ans les Ruſſes ont lancé à l'eau plus de
huit vaiſſeaux neufs dans le ſeul port d'Azoff ,
mais fi notre miniſtere perſiſte dans ſes difpofi
tions à mettre la marine Ottomane ſur un pied
reſpectable , avant la fin du printemps prochain
le nombre de nos vaiſſeaux neufs excédera de
beaucoup celui des bâtimens ruſſes de même
genre...
Le démêlé de la ville de Dantzick avec le
Roi de Pruſſe n'eſt point encore arrangé :
tous les détails qu'on en a donnés juſqu'ici ,
viennent de cette ville même ; en voici d'autres
qui viennent de la Pruſſe occidentale ,
&qui peuvent donner une juſte idée de ſa
nature.
Laville de Dantzig s'eft arrogé depuisun tems
immémorial le droit d'étape , Jus Emporii. Il n'eſt
point queſtion ici du Jus ftapulæ , que cette ville
a avoué elle -même dans ſon Mémoire , remis le
20Février 1767 à M. le Réſident de Junck , n'être
pas autoriſée d'exercer contre les ſujets du Roi
de Pruffe. Conformément à ce premier droit ,
elle prétendoit avoir le privilege d'arrêter les
navires venant du côté de la mer , & d'affurer à
ſes habitans l'achat excluſif de leurs cargaiſons ,
mais fans aucune preuve. Aucun Roi de Pologne
ou de Pruſſe ne le lui avoit jamais accordé ou
confirmé; & elle ne pouvoit alléguer aucun fait,
dont l'authenticité ne fut contredite. Les Dantzicois
, pour appuyer leur prétendu droit , diſent
que leur ville fut bâtie ſur les bords de la Viſtule,
uniquement pour le commerce ; mais quelle
preuve en donnent-ils ? Ce principe , quand il
feroit démontré , pourroit - il être obligatoire
pour tout autre que pour leur propre Souverain
; & tout autre Souverain d'une contrée
85
154 MERCURE
٦
coeur. Du reſte , c'étoit un homme d'une
probité incorruptible. Ses vertus avoient des
formes fingulières ; mais le fonds en étoit
réel& folide. Il avoit même des lumières &
de l'eſprit ; & il n'eût tenu qu'à lui de plaire
en ſe faiſant eſtimer ; mais il eût rougi d'être
aimable.
Minville ne crut donc pas déroger à ſa
demi- mifantropie , en demandant à Blimont
fon fils , pour l'élever & le garder auprès de
lui. Blimont ne doutoit point que le vieux
Minville ne fût capable de donner à fon fils
une bonne éducation; d'ailleurs le bonhomme
étoit fort riche; on prétendoit à fon hé
ritage; & ce motif fait taire bien des ſcrupules.
Quoi qu'il en ſoit, le fils de Blimont ,
à peine forti de l'enfance , fut envoyé à
Minville, qui jogea en le voyant qu'il falloit
haïr le monde entier , mais que cet enfant
là pouvoit devenir très aimable. Ce fut
même pour lui une occafion de voir un peu
de monde ; mais il raffuroit ſa confcience
miſantropique , en ſe diſant qu'il ne voyoit
cemonde- là que pour ſon élève.
Un hafard fingulier fit que l'aſyle qu'avoit
choiſi la triſte Léonore avec ſon fils , ſe
trouva voifin de la retraite de Minville. Un
hafard moins extraordinaire fit que les deux
jeunes gens fe rencontrerent ; & Minville ,
foit que ce fût encore-là une infidélité faite
à ſa mifantropie , ſoit que la Nature lui
parlat pour cet enfant inconnu , ſoit encore
qu'il crût devoir donner à fon élève un come
( 155 )
droit de Stupel - Recht ; & au lieu de s'adreſſer
directement au Roi , de lui faire des remontrances
ſur des droits qu'il prétendoit avoir
négligés , il commença , fans aucune déclaration
préalable , par faire arrêter par des bâtimens
armés tous les navires pruffiens qui ſe trouvoient
fur la Viſtule , dont les deux bords dans une
grande étendue depuis la mer Baltique juſqu'aux
frontieres de la Pologne , ainſi que ſon embouchure
dépendent de la jurisdiction pruffienne,
&de forcer leurs propriétaires de vendre leurs
Cargaiſons aux Marchands Dantzicois aux prix
que ceux - ci y avoient mis , en laiſſant au bon
gré & à la volonté des Sujets Pruſffiens , établis
Je longde la côte , de venir racheter des mains
desNégocians Dantzicois les mémes marchandiſes
aux prix fixés par ces derniers. Un procédé
auſſi violent mit les Sujets Pruffiens dans le plus
grand embarras , les uns par la perte de leur navigation
, la modicité des prix qu'on mit à leurs
denrées , ne permettant pas de la continuer , &
les autres par une dépendance qui les menaçoit
de la diſette. Ils porterent leurs plaintes aux
pieds du Monarque , qui donna auſſi-tôt ſes ordres
à ſon Réſident à Dantzig , de faire des repréſentations
à ce ſuje,t au Magiſtrat ; elles furent
infructueuſes. Pluſieurs reſcrits de la part
du Miniſtere lui furent remis pour le même
ſujet ; mais aux ſolides raiſons qu'ils contenoient
& auxquelles il n'y avoit pas de réplique , le
Magiſtrat de Dantzig répondit en des termes
vagues & ambigus ; fi jamais on mettoit ſous
les yeux du public la correſpondance en queſtion,
on n'y verroit qu'avec la derniere ſurpriſe un
contraſte frappant de ſolidité , de dignité & de
modérationd'un côté , & le procédé le plus inconféquent
& le plus inſenſé de l'autre. On'a
g6
( 156 )
fait repréſenter à différentes repriſes au Magiſtrat
de Dantzig , que ſuivant le droit naturel & civil
, ſuivant tous les anciens traités avec la Pologne
& la Pruffe , & felon les principes même
dudit Magiftrat , la navigation de la Viſtule doit
-être libre & exempte de toutes entraves ; & que
de même que le Roi a accordé aux Dantzicois
un libre paſſage dans toute l'étendue où la Victule
parcourt les Etats , il étoit en droit de demander
la liberté en faveur de ſes Sujets pour
l'étendue beaucoup moins conſidérable où ce
fleuve baigne le territoire de Dantzig. On a
ſouvent propoſe au Magiſtrat d'accorder la liberté
de navigation , ſans préjudice de ſes droits ,
aux Sujets du Roi, juſqu'à ce qu'on eût examiné
les droits réciproques , qu'en ce cas toutes
repréſailles ſeroient auſſi-tôt ſuſpendues , mais en
vain; on ſe contentera de répondre ſimplement ,
&ſans vouloir entrer dans aucun éclairciſſement,
que la ville avoit abandonné ſes droits & fon
fort au Roi de Pologne , ſon légitime Souverain;
tandis qu'en une autre rencontre elle méconnoît
cette ſouveraineté , comme on pourroit le prouverpar
plus d'un exemple. Cependant les Sujets
du Roi font arrêtés par terre & par eau , fouvent
maltraités & forcés à des ventes déíavantageuſes
; & leur commerce avec cette ville eft
abſolument anéanti. Juſqu'ici le Roi a montré
une modération dont l'Hiſtoire ne fournit aucun
exemple. Aujourd'hui ſa dignité & ſon devoir
envers ſes Sujets exigent de garantir ceux- ci de
Poppreffion ; mais parmi les moyens qu'il a en
mainpour cette fin, il n'a même choiſi que les
plus doux , eſpérant qu'ils engageront la ville
de Dantzig à rentrer en elle - même. Mais la
douceur de ces juſtes repréſailles n'a point produit
l'effet deſiré , & on s'eſt vu forcé d'arrêter
( 157 )
leur commerce de terre , ainſi que leurs navires
qui fe trouvoient dans le port de Fahir-Vaffer .
Mais ils ſemblent vouloir épuiſer la patience du
Roi , & leur entêtement exigera vraiſemblable.
ment des meſures plus rigoureuſes . Croira- t-on
que pendant ces entrefaites un ſage Magiſtrat a
vu avec indifférence la populace attroupée inſulter
de la maniere la plus indigne un Officier
du Roi qui ſans aucune vue hoftile a
paffé dans cette ville avec une troupe de ſoldats
à ſes ordres ? Quelles ſeront les ſuites de cette
conduite incompréhenſible ? Est- il bien difficile
de les prévoir , & ne ſemble til pas que tous
ſes habitans aient oublié tous les principes d'une
ſaine logique?
DE FRANCFORT , le 3 Octobre.
L'affaire de l'Evêché de Paſſau n'ayant pu
être terminée à Vienne , va , dit-on être portée
à la Diete de l'Empire ; en attendant, les
revenus qui appartiennent à cet Evêché , &
qui font ſituésdans les domaines Autrichiens ,
font adminiſtrés par une commiſſion Impériale.
« Dans la Capitale d'une des Provinces Héréditaires
de la Maiſon d'Autriche , lit -on dans un
de nos papiers; on a été témoin d'un événement
bien cruel , un Soldat avoit été condamné à
paſſer huit fois par les baguettes ; après avoir été
conduit dans les rangs , il s'eſt arrêté comme
paroiffant déterminé à ne point courir. Le Capitaine
commandant l'exécution , s'approche l'épée
à la main ; alors le malheureux s'élance ſur lui ,
le renverſe , & lui plonge cinq fois dans le ſein
un couteau dont il ſe trouvoit mani , on ne fait
comment. L'Officier eſt refté mort fur la place ,
( 158 )
itpaſſoit pour un homme fort dur , & le Soldat
a été puni avec la rigueur que preſcrivent les
loix Militaires » .
Le trouble regne toujours à Dantzick , &
le fort de eette ville paroît maintenant être
dans ſa crife.
<<< Depuis le 24 du mois dernier , toutes les avenues
qui conduiſent à Dantzick ſont fermées; &
les ſeuls effets que laiſſent pafler les Troupes
Pruſſiennes , ſont ceux qui ſont de fabrique de
leur pays , ceux qui appartiennent aux Miniftres
Etrangers qui y réſident , ceux qui ſont destinés
pour l'Empire Ruffe , & ceux enfin qui ſervent
aux Voyageurs. Les Officiers de la Douane ont
reçu , & exécutent les ordres les plus rigoureux
relativement à tous les autres articles . Deux
Eſcadrons de Huſſards Pruffiens ſont poſtés dans
les environs , & les Régimens de Blumenthal ,
de Mewe , d'Egloffitein , d'Elbing , de Finckenſtein
& de Rieſenberg s'avanchent des garniſons
voiſines avec du canon. Cependant malgré
la fombre perſpective de l'orage qui ſe forme ſur
leur tête , l'opiniâtreté des Dantzikois ſemble
augmenter ; ils font , diſent- ils , déterminés à
tout conſerver ou à tout perdre; un détachenrent
de Huſſards qui y fut envoyé en dernier lieu ,
fut reçu par la populace avec des pierres ; mais
il paroît avoir eu l'ordre de ne point répondre
par la force à cette violence , & il ſe retira
fans tirer un coup de fuſil. Le Magiftrat met la
Ville en défenſe , & il augmente la garnifon de
80 hommes par compagnie ; on craint que fi
quelque intervention puiſſante n'écarte pas la
ſcene qui ſeprépare , il n'y ait du ſang répandu.
Onattend avec impatience à Dantzick la réponſe
aux repréſentations que le Magiſtrar a adreſſées
à la Cour de Ruffie ».
( 159 )
ITALIE.
DE GENES , le 18 Septembre.
Il eſt arrivé dans ce port deux frégates &
2 cutters Anglois de Gibraltar. Ce font les
premiers vaiſſeaux de guerre de cette nation
que nous aions vu ici depuis 7 ans : les officiers
ont été ces jours derniers rendre leurs
devoirs auDoge ; on croit qu'ils remettront
inceſſamment à la voile , pour ſe rendre à
Livourne.
Les Lettres de Veniſe & de Naples portent
qu'on y fait des armemens maritimes ;
on remarque en général dans toute l'Italie
des mouvemens relatifs à la Marine : les
changemens qui peuvent avoir lieu bientôt
dans la navigation&le commerce du Levant
, exigent en effet que les Puiſſances qui
bordent la Méditerranée , prennent enſemble
des meſures , afin que les intérêts de leurs
ſujets ne foient pas léſés par un nouvel ordte
de choſes.
r
« Après différentes épreuves , écrit-on de
Rome , pour retirer de l'huile des pepins de
raiſins , il a été établi une manufacture de cette
production nouvelle , avec l'approbation de S. S.
qui aordonné en même temps qu'on publlat ce
procédé de M. Antoine Chinozzi , qui eft l'Auteurde
la machine propre à extraire cette huile.
Cette nouvelle découverte eſt de la plus grande
utifitépour la capitale & pour l'état Eccléſiaſtique
, vu la quantité de vignobles , & la
grande quantité d'huile qu'on étoit ci-devant
obligé de tirer à grands frais de l'Etranger.
( 160 )
ANGLETERREDE
LONDRES , le 14 Octobre.
Les derniers Papiers Américains qu'on a
reçus contiennent quantité d'adreſſes au Congrès
de la part de différens Corps , qui déſaprouvent
tous généralement les procédés
dont ſe ſont rendues coupables quelquesunes
des troupes à Philadelphie , & qui ont
déterminé cette aſſemblée des Etats - Unis
à quitter cette ville , & à ſe tranſporter à
Prince -Town , où elle eſt encore , en attendant
qu'elle ait déſigné le lieu où elle s'établira
à l'avenir ; c'eſt au mois de Novembre
prochain , qu'elle s'occupera , dit- on , de cet
objet.
En attendant elle a requis la préſence du
Général Washington à Prince-Town , où il
s'eſt rendu à la fin du mois d'Août ; le 26 il
ſe préſenta à la ſalle du Congrès , où ayant
été introduit par deux de ſes membres , le
Préſident lui adreſſa le Diſcours ſuivant.
» M. le Congrès éprouve une ſatisfaction
inexprimable à voir V. E. & à la féliciter ſur le
ſuccès d'une guerre où vous avez joué un rôle
A brillant. -Les Etats-Unis s'eſtiment ſinguliérement
heureux que pendant une guerre
fi longue ,fi dangereuſe , ſi importante , la
Providence aitprisle ſoinde conſerver les jours
d'un Général qui n'a ceſſé de mériter & de
poſſéder la confiance & l'affection de ſes concitoyens.
Chez d'autres Nations plufieurs grands
Perſonnages ont mérité & reçu les remercimens
de l'Etat , mais il vous eſt dû , Monfieur ,
un remerciment particulier en ce que vos feri
( 161 )
,
vices ayant infiniment contribué à obtenir & à
établir la liberté & l'indépendance de votre Pays,
exigent qu'une Nation libre & indépendante vous
donne des témoignages de ſa reconnoiffance
& le Congrès ſe félicite d'être en ce momentci
l'interprete des ſentimens de cette Nation
auprès de V. E. -Les hoftilités font ceffées
mais votre Pays a encore beſoin de vos fervices.
Il défire de profiter de vos lumieres par
rapport aux arrangemens qu'il ſera obligé de
prendre pendant la paix , & c'est pour cette
raifon que votre préſence au Congrés a été
requiſe . On a nommé un Comité pour conférer
avec V. E. , & pour prendre vos conſeils
fur la formation & la diſpoſition des plans relatifs
à ces objets importans ».
Le Général fit la réponſe ſuivante à ce
Difcours.
>> M. le Préſident , je ſuis trop ſenſible à la
réception flateuſe dont vous m'honorez pour que
je ne fois pas pénétré des ſentimens de la plus
vive reconnoiſſance, -Quoique le Congrès
paroiſſe attacher à la conſervation de mes jours
un prix bien au deſſus des ſervices que j'ai pu
rendre aux Etats-Unis , je regarde la ſageſſe &
l'unanimité de nos Conſeils Nationaux , la fermeté
de nos Concitoyens , ainſi que la conftance
& la bravonre de nos Troupes , qui ont
mis une fin fi glorieuſe à la guerre , comme
l'effet le plus éclatant de l'interpoſition divine ,
& comme le préſage le plus certain de notre
bonheur futur. -Pleinement ſatisfait des ſentimens
favorables que le Congrès a bien vou-
Ju manifeſter relativement à ma conduite paſſée" ,
& amplement récompensé par la confiance &
par l'affection de mes chers concitoyens , je
n'hésite point de contribuer de tous mes efforts
( 162 )
à l'établiſſement d'une sûreté nationale , de quelque
maniere que le ſouverain pouvoir juger à
propos de l'ordonner , juſqu'à ce que la ratification
du Traité de Paix définitif ou que l'évacuation
du Pays par les Troupes Britanniques
ait eu lieu. Après l'un de ces deux événemens
je demanderai la permiffion de me retirer pour
jouir tranquillement des douceurs d'une vie privée.
-Peut-être , Monfieur , n'aurai-je jamais
d'occaſion plus favorable que celle-ci de rendre
mes humbles actions de graces à l'Etre Tout-
Puiffant & de manifeſter à mon Pays l'étendue
& la vivacité de ma reconnoiſſance pour les ſecours
prodigieux & conftans que j'ai reçus dans
les viciffitudes de la fortune & pour tous les
titres honorables que le Congrès a bien voulu
me conférer pendant le cours de la guerre ».
Les lettres particulieres nous inſtruifent ,
que les conferences entre le Général & le
Comitté du Congrès ont commencé auffitôt
, & qu'il y a été arrêté quele premier ſe
rendroit fur les frontieres du Nord , pour
choiſir les lieux les plus propres à bâtir des
forts , qui ferviroient en même tems à leur
défenſe&à la protection du commerce des
fourrures; il ſe diſpoſoit en conféquence à
partir pour remplir cette commiſſion avec le
Général Major Baron de Stauben .
On ignore encore ici l'époque véritable
de l'évacuation de New-Yorck : nos papiers
prétendent que le Gouvernement vient ſeulement
d'envoyer l'ordre de rendre cette
place ; en Amérique on prétend qu'il y a déjà
été expédié précédement.
«Le Chevalier Carleton, lit-on dans un paDE
FRANCE. 163
-
fon
le coeur l'un barbare ? Il lui manqueunemère.
Comment , dit Blimont tout troublé !
Oui , une femme infortunée que vous avez
aimée , qui vous aime encore.... A ces
mots Blimont tombe dans un fauteuil , cache
ſon viſage dans ſes mains , & appuyé
fur une table , il y demeure comme muet
&accable. Enfin reprenant ſes eſprits &
courage : O mes enfans , leur dit-il , en fe
penchant ſur eux , je vous pardonne votre
demande ; mais vous ne ſavez pas que vous
demandez ce qu'il m'eſt impoſſible de vous
accorder . Puiffiez vous l'ignorer toujours !
Impoſſible , s'écrie d'Éperny ! quoi ! il vous
ſeroit impoffible d'être père tout- à- fait , de
mettre le comble à vos bontés ! Non; vous
calomniez votre coeur , votre ſenſibilité ,
votre justice. Alors Blimont les prenant tous
deux par la main: Eh bien ! vous m'y forcez ,
leur dit- il , je vais affliger l'un de vous deux;
je vais déchirer ſon coeur. Mais vous m'accuſez;
il faut que je me justifie. Ce que
vous regardez de ma part comme un abandon
, n'est qu'un acte de juſtice ; ce qui vous
paroît un malheur digne de pitié , n'eſt qu'un
juſte châtiment. Cette mère que vous réclamez
l'un & l'autre , s'eſt fermé mon coeur
volontairement ; elle a outragé l'amour , &
l'honneur m'a fait un devoir de la vengeance.
Un moment, je vous prie, interrompt d'Éperny
avec une noble fermeté : voici ma réponſe.
En même temps il tira de fa poche
des papiers qui renfermoient une juſtifica
( 164 )
commerçantesde l'Amérique. Il n'y a aucune des
productions qui croiffent en Penſilvanie qui ne ſe
trouvent ici. Les grains d'hyver y viennent aufli
bien que dans aucune partie du monde. Nous
nous partageons les terres deſtinées à nos plantations.
Depuis mon arrivée le prix en eft monté
de 100 p. 8. Les chevaux , les vaches , les cochons,
les brebis font plus abondans que dans
Long- Ifland.
Le Comitté , chargé de régler ici le fort
des Loyalistes , s'aſſemble , & continue fon
travail fur ce ſujet ; ceux qui ont quelques réclamations
à faire , doivent les porter devant
ce Comitté ; & ils ont jusqu'au 25 Mars
de l'année prochaine , pour préſenter les mémoires
dans leſquels ils indiqueront leurs
pertes , d'après leſquelles on leur fixera les
dédommagemens qu'il ſera trouvé jufte &
convenable de leur accorder.
Le vaiſſeau de la Compagnie, la Britannia
, Capitaine Cumming, eſt arrivé dernierement
à Portsmouth. On évalue ſa cargaifon
& celle de l'Eſſex , qui avoit mouillé
quelque temps auparavant dans nos ports ,
à200000 liv. ſterling. Parmiles Officiers qu'il
a ramenés enEurope , ſe trouvent fir Hector
Munro , & le Capitaine M'Dowall , qui
commandoit à Trinquemalle , lorſque le
Commandeur de Suffren s'empara de cette
place, le 30 Août de l'année derniere. On
faitque laconduitede M. M'Dowal a été examinée
dansun Conſeil de guerre tenu à Madraff
, & que le Jugement rendu à cet effet ,
le 29 Janvier de cette année , l'a acquitté
DE FRANCE. 165-
paffer encore un autre. Il aima comme de
raiſon ſes parens , puis les parens de ſes parens
, puis leurs amis , puis d'autres perfonnes
encore. Enfin il redevint ce qu'il étoit né , &
il ſe délaſſa par le rôle de bonhomme , de la
grimace miſantropique .
( Par M: Imbert. )
Explication de la Charade , de l'Enigme & -
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Malheureux ;
celui de l'énigme eſt Livre; celui du Logogryphe
eft Dimanche , où l'on trouve manche,
me, diné, mi , mine, mie , Maine ,
chien , cime , Chine , Iman , ami , Diane,
Mai , main.
CHARADE.
PLULUSS d'un Négociant en faiſantmon premier,
Pour aller à mon tout ſe trace mon dernier.
(Par M. Juhel, à Mayenne. )
ÉNIGME.
AVEC cinq pieds ſouvent je fais ravage ;
Avec tois je peux rendre une tête plus ſage ;
Avec deux je fais des heureux ;
Avec quatre un mal furieux.
(Par Mlle Bri... l'aînée , de Saint- Dizier.)
( 166 )
penfes de l'armée depuis le commencement de
la guerre ; on vouloit encore un tribut annuel
de 15 laks de pagodes , qui fait un demi million
=Nous ſuppoſons que notre flotte eſt à
préſent ſur la côte , parce qu'elle quitraBombay
le 15du moisdernier.Elle conſiſte en 15 vaiſſeaux
de ligne ; on dit celle de nos ennemis forte de
17; mais nous croyons nos vaiſſeaux mieux réparés
, mieux équippés , ce qui fait eſperer que
s'ils ſe rencontroient , la partie ſera au moins
égale.
Ondit que le Traité définitifde paix avec
laHollande ſera ſigné inceſſamment , & que
ce qui le retarde , c'eſt l'affaire de la reſtitution
de Negapatnam à la République ; ce
qui rend notre Miniſtere très- dificile fur ce
point; & ce qui lui fait rejetter tous les objets
d'échange qu'on lui propofe, c'eſt la poſitionde
cette place qui nous met en état de
furveiller le Rajah de Tanjaour & le Nabab
d'Arcate , dont cet établiſſement domine les
poffeflions.
La paix , dit un de nos papiers , a été publiée
ici & par-tout où il y a un corps municipal
avec toutes les formalités & les cérémonies d'uſage
en pareille circonſtance. Ila paru un peu
étrange qu'on ait fongé à remplir cette formaltié ,
puiſqu'on n'avoit pas ſongé à remplir celle d'une
proclamation folemnelle de guerre , Mais ON
affure que la politique exigeoit que la paix fût
revêtue de toutes les formalités , & qu'on lui
donnât le plus d'éclat qu'il étoit poſſible , dans
un moment où pluſieurs puiſſances ne paroif
foient point entièrement convaincues des diſpofitions
pacifiques de notre miniſtere.
( 167 )
On a publié par autorité les Traités définitifs
de Paix avec la France & l'Eſpagne ; le
premier contient 24 articles ,&le ſecond 12 ;
ils font l'un & l'autre conformes aux articles
préliminaires. Les préambules offrent ſeulement
les formalités particulieres que la ratification
des parties ,& la médiation des deux
Cours Impériales qui ne font intervenues que
quand tout a été conclu , ont rendu néceſſaires;
celui avec la France eſt ſuivi de 2 articles
ſéparés , relatifs à la langue employée dans la
rédaction du Traité , qui eſt la françoiſe , & à
quelques-uns des titres employés par les Parties
contractantes ,qui ne font pas généralement
reconnus , tels que celui de Roi de
France , pris par le Roi d'Angleterre , &c.
Après ces articles ſe trouvent une déclaration
duDuc de Mancheſter ,&une contre déclaration
du Comte de Vergennes , pour fixer
d'une maniere préciſe , & qui prévienne
route diſpute à l'avenir la pêche de Terre-
Neuve , & la faculté d'entourer Chandernagor
d'un foſſé , &c. Ily a également une déclaration,
&une contre-déclaration à la ſuite
duTraité avec l'Eſpagne ( 1 ) .
(1) Nous nous propoſionsde donner aujourd'hui ces
Traités ; mais ils ont été rédigés originairement en francais;
nous n'en avons ſous les yeux qu'une traduction
anglaiſe ; enles faiſant repaſſerdans notre langue , nous ne
ferionsquedonnerune traducion d'une traduction. Les gazettes
étrangeres ne manqueront pasde faire ce travail, qui ,
quelque foin qu'on yapporte , s'écartera toujours de
ginal , qu'une traduction & une retraduction ne peuvent
que défigurer. Nous déſirons donner ces pièces dans toute
leur exactitude , & nous eſpérons avoir l'original fous pou
l'ori(
168 )
Il importe peu , lit- on dans un de nos papiers
, que les différens potentats publient les
articles des traités de paix qu'ils ont conclu ;
ils n'en inſtruiront pas mieux le public ; il y a
toujours quelques articles ſéparés & importans
qui reftent un fecret pour les nations qu'ils intéreſſent
, ce myſtere d'uſage a ſouvent excité
ici des reclamations ; & c'eſt en vain qu'on
a eſpéré des miniſtres qu'ils ne cacheroient
au peuple aucun des arrangemens particuliers .
qu'ils ont pu prendre : fi la chambre des Communes
uſoit de ſes droits & rempliſſoit ſon devoir
, ces ſujets de plainte n'auroient jamais lieu .
On a un exemple affez fingulier de ces articles
ſecrets à la fin de la guerre précédente , &
qui ne sont venus à la connoiſſance du public
que par hafard & quelques années après . La convention
ſecrette avec la maison de Bourbon.
étoit que l'Angleterre n'auroit jamais plus d'un
vaiſſeau de guerre à la fois dans la méditerranée
, tellement que deux auroient été
gardés comme une déclaration de guerre. Cette
convention nous fit perdre notre importance
au-delà du détroit , & fut la vraie raiſon qui empecha
d'envoyer une eſcadre pour ſurveiller
celle qu'on équipoit à Toulon pour l'Amérique .
Le miniftere ne vouloit pas commencer une
guerre avec la France & l'Eſpagne , pendant
qu'il étoit engagé ſi chaudement avec nos colonies.
Il eſt à ſouhaiter que cet exemple ne
refoit
pas répété & qu'il n'y ait pas des arrande
jours. Si , ce qui ne paroit pas vraiſemblable , cela ne
nous étoit pas poſſible , nous ferions toujours à temps de
revenir à la traduction de ces pieces , qui doivent avoir
place dans ce Journal , & dont nous ne fufpendons la publ
cation , que pourles mettre telles qu'elles font ſous les
yeux de nos lecteurs.
gemens
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
• RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Septembre.
L
ACour reviendra de Czarsko Zelo le 26
de
ce mois ; S. M. I. y a été un peu indiſpoſée
; mais elle eſt à préſent rétablie. Le
Marquis de Verac, Ambaſſadeur de France ,
prendra congéde cette Princeſſe , pour aller
faire un voyage à Paris , où il eſt rappellé par
fes affaires particulieres ; M. Cayard, fon Secrétaire
de Légation , reſtera chargé des inté
rêts de S. M. T. C. pendant ſon abfence.
Outre le préſent ordinaire de 3000 roubles
, l'Ambaſſadeur de Naples a reçu da
l'impératrice une riche tabatiere d'or , ornée
du portrait de S. M. I. L'Ambaſſadrice ,
ſon épouſe , a été gratifiée d'un collier de
diamans , &fa foeur d'une aigrette. On aſſure
qu'à ſon retour à Naples , il fera décoré, avec
la permiffion du Roi fon maître, de l'ordre
Ruſſe de S. Alexandre Newsky.
L'Amiral Trchitſchat goff, écrit-on de Revel ,
N° . 43.25 Octobre 1783 . 8
1
:
( 146 )
eſt arrivé dans ce Port le 30 du mois dernier ,
à bord de l'Alexandre , Vaiſſeau de 70 canons ,
& accompapagné de 11 autres , tant de lignes que
frégates. On dit que cette eſcadre eſt deſtinée
pour la Méditerranée ; mais elle ne mettra à
la voile qu'après avoir reçu des ordres ultérieurs
de la Cour ; en attendant qu'ils arrivent les
vaiſſeauxprofitent du tems pour charger des munitions
navales dont ils manquoient & qu'on leur
fournit de notre Arſenal .
DANNEMARC К.
DE COPENHAGUE , le 23 Septembre.
La Cour est toujours au château de Friedensbourg,
où elle jouit d'une parfaite fanté
, & où le Prince héréditaire eſt revenu
dernierement d'Helſingor , où il avoit été
viſiter le château de Cronenbourg.
Le vaiſſeau l'Oldembourg , qui, ſous les ordres
du Comte de Molkte , a fait le voyage
d'Alger, où il a été porter les préſens de cette
Cour , eſt revenu dans le Sund , où il a
mouillé le 21 de ce mois.
>> Le 2 de ce mois , écrit-on de Carlſcron ,
on a lancé ici un Vaiſſeau de 60 canons & une
Frégate de 40 , conſtruits nouvellement en fix
ſemaines de temps. On en a conſtruit dans nos
chantiers en moins de deux mois , en comprenant
ces deux nouveauxVaiſſeaux,4de 60 canons
& 4 Frégates de 40 ; une de ces dernieres a
même deja mis en mer ; en général les travauxde
ce genre ſont pouffés avec la plus grande
vivacité. »
On apprend que dans les dernieres tempê(
147 )
tes il a péri fur les côtes de Marſtrand & de
Norwege , 16 bâtimens marchands , & que
plus de 20 autres ont été fort endommagés.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 25 Septembre.
Les dernieres lettres de l'Ukraine Polonaiſe
portent que les troupes Rufſes y occupent
toujours leurs premiers cantonnemens ,
où elles font prêtes à ſe mettre en mouvemens
au premier ordre. On débite cependant
depuis hier , qu'elles ont traverſé le
Dnieſter ; mais ſi cela eſt , les Turcs ont pris
des précautions pour les gêner dans leurs fubſiſtances.
Ils ont enlevé toutes les proviſions
qui ſe trouvoient dans les environs deChoc.
zim; & on a pris les mêmes précautions dans
la Moldavie.
Le Corps aux ordres du prince de Repnin
, commence, dit - on , à ſe porter vers
Balta fur le Bog , & celui aux ordres du prince
de Soltikoff doit établir ſon camp auprès
de Mohilow.
On aſſure qu'il a été jetté un pont ſur le
Dnieper , auprès de Zaleszcyen , pour faire
paſſer ce fleuvé aux troupes de l'Empereur.
On a reçu la confirmation de la nouvelle ,
que le prince Heraclius s'eſt mis ſous la prorection
de l'Impératrice de Ruſſie ; mais on
ne ſcait pas encore quelles font les conditions
de cette foumiffion.
Il vient de ſe manifefter à Cracovieune mas
82
( 148 )
ladie contagieuſe que les Médecins appellent
une fievre pourprée & qui fait beaucoup de ravages.
On prend toutes les précautions d'uſage
pour l'empêcher de s'étendre , & toute communication
eft coupée entre cette Ville & cette
capitale. On prétend qu'elle a été apportée par
des voyageurs venant de laTurquie , & c'eſt ce
qui augmente les allarmes du peuple qui la prend
pour la peſte , & qui croit qu'on n'en deguiſe
le nom que pour calmer ſes terreurs .
..
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 8 Octobre.
Le Général Comte de Siskewitz commandera
, dit- on , l'armée en Hongrie , &
aura ſous lui le Général Comte de Wedenz.
Le Conſeil Aulique de guerre vient de
donner des ordres pour faire des engagemiens
avec des charretiers.
L
L'Empereur eſt de retour de fon voyage
en Bohême ; on dit qu'il ſe propoſe de faire
bâtir une nouvelle fortereffe entre Memes&
Munchengratz , & qu'il ſe rendra inceſſamment
en Hongrie.
Les nouvelles de ce Royaume femblent ne
plus laiſſer de doute ſur la proximité d'une
guerre. Des voyageurs qui arrivent de Trieste ,
rapportent que les routes juſqu'à Carlſtadt , ſont
remplies de Soldats ; la marche des Troupes a
retardé dans certains endroits les Voituriers . On
a ceſſé les exercices militaires à Gratz , & les
Troupes y ont recu l'ordre de marcher. Chaque
Compagnie ne peut enimener que trois femmes
pour la cuiſine & le blanchiffage. - Le cordon
:
( ( 149 )
des Troupes Impériales eſt compoſé de plus de
60000 Croates , ſans compter les autres Troupes
de frontieres, & de 12000 hommes de Troupes régulieres
; on a placé 800 pieces de campagne
dediſtance en diſtance; le cordens'étend , ajoutet-
on, depuis la Buckowine juſqu'en Strie.
Selon les lettres de Stockolm , le Roi de
Suede a dû ſe mettre en route le i de ce
mois , pour ſe rendre en Italie; on ſe flattoit
qu'il pafferoit par cette capitale,&qu'il pourroit
s'y arrêter quelques jours ; les appartemens
qu'on avoitpréparés au palais Inmpérial ,
appellé le Burg, fortifioient cette eſpérance;
mais on commence à croire qu'il prendra une
autre route.
DE HAMBOURG , le 28 Septembre.
Les mouvemens des Puiſſances qui menacent
l'Empire Ottoman , préparent toujours
à la guerre , felon les lettres de Vienne , les
tranſports de munition continuent fans relache
pour la Hongrie ; 800 pieces de canon
ont été retirées des remparts de cette ville
pour prendre la même deſtination. Les enrôlemens.
pour les troupes légeres ſe font avec
ſuccès dans les fauxbourgs de cette Capitale.
Les corps de Chaſſeurs doivent être augmentés
; & il eſt arrivé pluſieurs Officiers
Suédois qui ſe propoſent de ſervir en qualité
de Volontaires dans l'armée de Hongrie.
Le 9 de ce mois , ajoutent ces lettres , il eſt
arrivé un courrier de Conſtantinople avec des
depêches pour la Cour ; on ignore leur contenu
, mais parmi les avis qu'elles portent ,
en dit que ſe trouve celui d'une grande fer
83
( ISO )
mentation parmi le peuple de la capitale de
Empire Ottoman , qui n'étoit pas entiérement
étouffée au moment du départ du courrier ; le
miniſtre de l'Empereur & celui de l'Impératrice
de Ruſſie avoient tenu leurs hôtels fermés pendant
quelques jours . - On ne parle ici que
de guerre , & le bruit ſe répand qu'il ſera afſemblé
dans les Pays-Bas une armée de 60000
hommes. Si la guerre éclate en effet , on dit
que le Roi de Pruſſe obſervera une neutralité
exacte ; & que tout eft convenu pour cet effet.
Quelques nouvelles font cependant eſpéver
que l'incendie prêt à s'allumer ſera encore
setardé.
...>> Les projets des puiſſances qui menacent
les Turcs n'éclatent point encore , & on doit
en inférer qu'ils ne ſont pas encore parvenus
à leur maturité , & qu'ils rencontrent dans les
mouvemens politiques des cabinets des obſtacles
qu'on n'attendoitpas & qui ne ſont point aifés à
lever. On peut préſumer que les diſpoſitionsde
la cour de Berlin ne ſont point telles qu'on les
annonce dans quelques papiers; on prétend même
depuis peu de jours que les apparences pour
Ja guueerrrree diminuent. On juge en général que
P'Impératrice de Ruffie contente de la belle
campagne qu'elle vient de faire ſans tirer un
coup de canon , n'eſt pas éloignée de defirer
d'en reſter là , & il ſe pourroit que le reſte de
cette année ſe paſſat fans aucune hoftilité. Les
préparatifs immenfes,éerit-onde l'Autriche, peuventfaire
defirer àcette cour un dédomagement &
1emploi des moyens qu'elle ade ſe le procurer;
mais il ſe peut qu'elle n'en uſe pas avant
l'année prochaine. On dit qu'elle doit réclamer
par un manifeſto la Servie , la Walachie , iutqu'à
la riviere d'Alura & la partie de la Bоб
nie qui s'étend juſqu'à Bocca-di-Cataro vers Ra(
151 )
guſe. S'il faut en croire des lettres du Danube ,
Pambaffadeur de Ruſſie à Conſtantinople , a Matifié
au Divan l'alliance offenfive & défenfive
entre les deux cours de Vienne & de Pétesbourg
» .
On aſſure qu'un certain nombre de troupes
Impériales en Italie , s'eſt mis en marche
pour la Carniole & l'Eſclavonie.
<< Juſqu'à préſent , dit un de nos papiers ,
l'empereur n'a encore rien demandé à la Porte ;
les géographee politiques prévoyent dejà tout ce
qu'il pourra demander ; il n'eſt queſtion pour
cela que d'examiner les ceffions qui furent faites
au Grand Seigneur par la paix de 1739 ;
mais outre les reſtitutions à exiger , on parle
encore d'une indemnité à demander pour les
frais faits juſqu'ici ; on les porte , dit-on , à 10
millions de florins; on prétend ajoute ce papier
que l'Internonce Impérial à Condantinople recevra
inceſſament ordre de demander à la fois
au Divan la reſtitution des pays cédés par la
paix de 1739 , &l'indemnité des frais faits pour
rendre efficace cette demande en reſtitution .
On laiſſera au Divan la liberté de folder ce
grand compte en territoire ou en argent. On
penſe aſſez généralement que ces demandes fucceſſives
faites à la Porte à mesure qu'elle en a
accordé quelques-unes,conduiront infailliblement
à des hoftilités , & fourniront aux cours des
raiſons plauſibles pour attaquer les Ottomans ".
Des lettres de Conſtantinople viennent à
l'appui de cette conjecture.
<«<Lebaron de Herbert a fait notifier à tous
les négocians Autrichiens qui font à Conftantinople
, qu'ils ayent à ne plus payer à l'avenir ,
fous peine d'encourir la disgrace de S. M. I. qu'un
84
( 152 )
droit unique de 3 pour 100 fur toutes les
marchandises qu'ils feront venir des pays héréditaires
; l'intention de l'Empereur étant de les
faire jouir de l'avantage accordé aux Ruſſes par
Je traité de commerce conclu le 21 Juin entre
l'Empereur & la Porte. L'Intendant de la douane
Ottomane a fait part auffitôt de cette notification
au Divan , & a demandé des ordres pour
ſe conduire à cet égard ; mais il ne les a pas
encore reçus. Nous defirerions , ajoutent ces lettres
, que notre Miniſtere voulût ſouſcrire à toutes
les demandes de l'Empereur d'Allemagne , fi
nous pouvions nous flatter que notre condeſcendance
ne le déterminât pas à en faire de nouvelles
& fur-tout qu'elle pût l'engager à rompre fes
engagemens avec la Ruffie. Nous ne pouvons
nous repaître de ces idées chimériques. Nous
nous attendons à voir ces deux puiſſances formidables
réunir toutes leurs forces contre nous :
Mais nous ne nous croyons cependant pas encore
perdus . S'il y a icides hommes abbatus , ce n'eſt
pas du tout par les approches de la guerre : la
peſte ſeule a laiffé des ſymptômes de foibleſſe
&de langueur ſur les phyſionomies de ceux qui
en ont été attaqués , & qui y ont échappé. Le
reſſentiment de toutes les claſſes de la nation
eſt toujours le même. Tous les ſujets de cet
Empire ne reſpirent que la vengeance ; & ils
eſpérent tout du Grand Vifir qui à la tête de
l'élite de nos troupes eſt ſur le bord du Dniefter
, & ils ne penſent pas avoir rien à rédouter
de la marine Ruſſe tant que le Capitan
Bacha ſera à la tête de la nôtre. Comme
l'eſcadre Ruſſe à Azoff eft beaucoup plus forte
qu'on ne l'avoit cru , le Divan vient d'ordon .
ner de préparer avec toute la diligence poſſible.
fix autres vaiſſeaux pour la Mer Noire ; en moins
-
( 153 )
de trois ans les Ruſſes ont lancé à l'eau plus de
huit vaiſſeaux neufs dans le ſeul port d'Azoff ;
mais fi notre miniſtere perfſiſte dans ſes difpofi
tionsà mettre la marine Ottomane ſur un pied
reſpectable , avant la fin du printemps prochain
le nombre de nos vaiſſeaux neufs excédera de
beaucoup celui des bâtimens ruſſes de même
genre.
Le démêlé de la ville de Dantzick avec le
Roi de Pruſſe n'eſt point encore arrangé :
tous les détails qu'on en a donnés juſqu'ici,
viennent de cette ville même ; en voici d'autres
qui viennent de la Pruſſe occidentale ,
&qui peuvent donner une juſte idée de fa
nature.
Lavillede Dantzig s'eft arrogé depuis un tems
immémorial le droit d'étape , JusEmporii. Il n'eſt
point queſtion ici du Jus ſtapulæ , que cette ville
a avoué elle -même dans ſon Mémoire , remis le
20Février 1767 à M. le Réſident de Junck , n'être
pas autoriſée d'exercer contre les ſujets du Roi
de Pruffe. Conformément à ce premier droit ,
elle prétendoit avoir le privilégé d'arrêter les
navires venant du côté de la mer , & d'affurer à
ſes habitans l'achat excluſif de leurs cargaiſons ,
mais fans aucune preuve. Aucun Roi de Pologne
ou de Prufſe ne le lui avoit jamais accordé ou
confirmé; & elle ne pouvoit alléguer aucun fait,
dont l'authenticité ne fut contredite. Les Dantzicois
, pour appuyer leur prétendu droit , diſent
que leurville fut bâtie ſur les bords de la Viſtule,
uniquement pour le commerce ; mais quelle
preuve en donnent-ils ? Ce principe , quand il
ſeroit démontré , pourroit - il être obligatoire
pour tout autre que pour leur propre Souverain
; & tout autre Souverain d'une contrée
85
( 154)
fituée ſur les bords de ce fleuve , ne ſeroit il pas
autoriſé en ce cas à faire valoir le même droit
en ſa faveur? Le Roi n'a inſiſté juſqu'ici ſur la
navigation libre de ce fleuve , que pour aſſurer
la ſubſiſtance& fournir aux beſoins de ſes propres
ſujets. Le ſeul & principal argument des Dantzicois
, c'eſt la ligue Anſéatique , avec laquelle ils
étoient jadis aſſociés. Comment cette alliance at-
elle pu leur donner des droits excluſifs au préjudiced'un
tiers & de leurs coſujets ; alliance
d'ailleurs éreinte depuis plus de deux fiecles , 6-
l'on excepte celle des villes de Hambourg , Breme&
Lubeck. C'eſt ſur ce ſeul fondement que la
ville de Dantzig a tâché de juſtifier & d'exercer
de tems en tems ſon prétendu Jus Emporii , &
qu'elle s'eſt haſardée d'ajouter autrefois ſon Jus
Stapule. Mais il eſt de notoriété publique que ce
droit chimérique n'a jamais été reconnu par la
République de Pologne , ni par aucune autre
puiſſance. Aucun procédé attentatoire ne paroîtraplus
invraiſemblable que celui que leMagiftrat
de Dantzig vient de haſarder contre les ſujets
Pruffiens : les villagesde Vieille & de Nouvelle
Ecoffe, Stoltzenberg , Schidlitz & Langfuhr
, ſitués ſur le long des côtesde lamèr, &qui
avoient été nommés autrefois les fauxbourgs de
Dantzig , mais qui , en vertu du Traitè de 1772,
furent cédés au Roi de Pruſſe , comme appartenant
à la Couronne de Pologne , ne fauroient
être approviſionnés de bleds que par la rade de
Marienbourg ; le côté de la Pommérelie n'étant
pas affez fertile pour'y ſuffire : Tous les bâtimens
Pruſſiens employés pour cet effet ont paffé juſqu'ici
ſans aucun obſtacle à côté de Dantzig ,
pour ſe rendre àces villages , & ce ne fut qu'au
mois d'Avril dernier , que le Magiftrat de
cette ville s'avifa de faire valoir ſon prétendu
( 155 )
droit de Stupel - Recht ; & au lieu de s'adreſſer
directement au Roi , de lui faire des remontrances
ſur des droits qu'il prétendoit avoir
négligés , il commença , fans aucune déclaration
préalable , par faire arrêter par des bâtimens
armés tous les navires pruſſiens qui ſe trouvoient
fur la Viſtule , dont les deux bords dans une
grande étendue depuis la mer Baltique juſqu'aux
frontieres de la Pologne , ainſi que ſon embouchure
dépendent de la jurisdiction pruffienne,
&de forcer leurs propriétaires de vendre leurs
Cargaiſons aux Marchands Dantzicois aux prix
que ceux - ci y avoient mis , en laiſſant au bon
gré & à la volonté des Sujets Pruſſfiens , établis
le long de la côte , de venir racheter des mains
desNégocians Dantzicois les mémes marchandiſes
aux prix fixés par ces derniers . Un procédé
auſſi violent mit les Sujets Pruſſiens dans le plus
grand embarras , les uns par la perte de leur navigation
, la modicité des prix qu'on mit à leurs
denrées , ne permettant pas de la continuer , &
les autres par une dépendance qui les menaçoit
de la diſette. Ils porterent leurs plaintes aux
pieds du Monarque , qui donna auſſi-tôt les ordres
à ſon Réſident à Dantzig , de faire des répréſentations
à ce ſujer, au Magiſtrat ; elles fürent
infructueuſes . Pluſieurs reſcrits de la part
du Miniſtere lui furent remis pour le même
ſujet ; mais aux ſolides raiſons qu'ils contenoient
& auxquelles il n'y avoit pas de réplique , le
Magiſtrat de Dantzig répondit en des termes
vagues & ambigus ; ſi jamais on mettoit ſous
les yeux du public la correſpondance en queſtion,
on n'y verroit qu'avec la derniere ſurpriſe un
contraſte frappant de ſolidité , de dignité & de
modérationd'un côté , & le procédé le plus inconféquent
& le plus inſenſé de l'autre. On'a
86
( 156 )
fait repréſenter àdifférentes repriſes au Magiſtrat
de Dantzig , que ſuivant le droit naturel & civil
, fuivant tous les anciens traités avec la Pologne
& la Pruffe , & felon les principes même
dudit Magiftrat, la navigation de la Viftule doit
-être libre & exempte de toutes entraves ; & que
de même que le Roi a accordé aux Dantzicois
un libre paſſage dans toute l'étendue où la Viſc
tule parcourt les Etats , il étoit en droit de demander
la liberté en faveur de ſes Sujets pour
l'étendue beaucoup moins conſidérable où ce
fleuve baigne le territoire de Dantzig . On a
ſouvent propoſe au Magiſtrat d'accorder la liberté
de navigation , ſans préjudice de ſes droits ,
aux Sujets du Roi , juſqu'à ce qu'on eût examiné
les droits réciproques , qu'en ce cas toutes
repréſailles ſeroient auſſi-tôt ſuſpendues , mais en
vain; on ſe contentera de répondre ſimplement ,
&ſans vouloir entrer dans aucun éclairciſſement ,
que la ville avoit abandonné ſes droits & fon
fort au Roi de Pologne , ſon légitime Souverain ;
tandis qu'en une autre rencontre elle méconnoît
cette ſouveraineté , comme on pourroit le prouverpar
plusd'un exemple. Cependant les Sujets
du Roi ſont arrêtés par terre & par eau , fouvent
maltraités & forcés à des ventes défavantageuſes
; & leur commerce avec cette ville eft
abſolument anéanti, Juſqu'ici le Roi a montré
une modération dont l'Hiſtoire ne fournit aucun
exemple. Aujourd'hui ſa dignité & ſon devoir
envers ſes Sujets exigent de garantir ceux- ci de
P'oppreffion ; mais parmi les moyens qu'il a en
mainpour cette fin, il n'a même choiſi que les
plus doux , eſpérant qu'ils engageront la ville
de Dantzig à rentrer en elle - même. Mais la
douceur de ces juſtes repréſailles n'a point produit
l'effet deſiré , & on s'eſt vu forcé d'arrêter
( 157 )
leur commerce de terre , ainſi que leurs navires
qui se trouvoient dans le port de Fahir-Vafler .
Mais ils ſemblent vouloir épuiſer la patience du
Roi , & leur entêtement exigera vraiſemblable.
ment des meſures plus rigoureuſes . Croira-t-on
que pendant ces entrefaites un ſage Magiſtrat a
vu avec indifférence la populace attroupée inſulter
de la maniere la plus indigne un Offcier
du Roi qui ſans aucune vue hofile a
paffé dans cette ville avec une troupe de foldats
à ſes ordres ? Quelles ſeront les ſuites de cette
conduite incompréhenſible ? Est-il bien difficile
de les prévoir , & ne ſemble til pas que tous
ſes habitans aient oublié tous les principes d'une
ſaine logique?
DE FRANCFORT , le 3 Octobre .
L'affaire de l'Evêché de Paſſau n'ayant pu
être terminée à Vienne , va , dit- on être portée
à la Diete de l'Empire ; en attendant, les
revenus qui appartiennent à cet Evêché , &
qui font ſituésdans les domaines Autrichiens ,
font adminiſtrés par une commiffion Impériale.
« Dans la Capitale d'une des Provinces Héréditaires
de la Maiſon d'Autriche , lit- on dans un
de nos papiers; on a été témoin d'un événement
bien cruel , un Soldat avoit été condamné à
paſſer huit fois par les baguettes ; après avoir été
conduit dans les rangs, il s'eſt arrêté comme
paroiffant déterminé à ne point courir. Le Capitaine
commandant l'exécution , s'approche l'épée
à la main ; alors le malheureux s'élance ſur lui ,
le renverſe , & lui plonge cinq fois dans le ſein
un couteau dont il ſe trouvoit mani , on ne fait
comment. L'Officier eft refté mort ſur la place ,
( 158 )
itpaſſoit pour un homme fort dur, & le Soldat
a été puni avec la rigueur que preſcrivent les
loix Militaires » .
Le trouble regne toujours à Dantzick , &
le fort de eette ville paroît maintenant être
dans ſa crife.
« Depuis le 24 du mois dernier , toutes les avenues
qui conduiſent à Dantzick ſont fermées ; &
les ſeuls effets que laiſſent paſler les Troupes
Prufſiennes , ſont ceux qui font de fabrique de
leur pays , ceux qui appartiennent aux Miniftres
Etrangers qui y réſident , ceux qui ſont deſtinés
pour l'Empire Ruffe , & ceux enfin qui ſervent
aux Voyageurs. Les Officiers de la Douane ont
reçu , & exécutent les ordres les plus rigoureux
relativement à tous les autres articles. Deux
Eſcadrons de Huſſards Pruſſiens ſont poſtés dans
les environs , & les Régimens de Blumenthal ,
de Mewe , d'Egloffitein , d'Elbing , de Finckenſtein
& de Rieſenberg s'avanchent des garniſons
voiſines avec du canon. Cependant malgré
la fombre perſpective de l'orage qui ſe forme ſur
Jeur tête , l'opiniâtreté des Dantzikois ſemble
augmenter ; ils font , diſent- ils , déterminés à
tout conſerver ou à tout perdre; un détachement
de Huſſards qui y fut envoyé en dernier lieu ,
fut reçu par la populace avec des pierres; mais
il paroît avoir eu l'ordre de ne point répondre
par la force à cette violence , & il ſe retira
fans tirer un coup de fufil. Le Magiſtrat met la
Ville en défenſe , & il augmente la garnifon de
80 hommes par compagnie ; on craint que fi
quelque intervention puiffante n'écarte pas la
ſcene qui ſe prépare , il n'y ait du ſang répandu.
Onattend avec impatience à Dantzick la réponſe
aux repréſentations que le Magiſtrar a adreſſées
à la Cour de Ruffie ».
( 159 )
J
- ITALIE.
DE GENES , le 18 Septembre.
Il eſt arrivé dans ce port deux frégates &
2 cutters Anglois de Gibraltar. Ce font les
premiers vaiſſeaux de guerre de cette nation
que nous aions vu ici depuis 7 ans : les officiers
ont été ces jours derniers rendre leurs
devoirs auDoge ; on croit qu'ils remettront
inceſſamment à la voile , pour ſe rendre à
Livourne.
Les Lettres de Veniſe & de Naples portent
qu'on y fait des armemens maritimes ;
on remarque en général dans toute l'Italie
des mouvemens relatifs à la Marine : les
changemens qui peuvent avoir lieu bientôt
dans la navigation &le commerce du Levant
, exigent en effet que les Puiſſances qui
bordent la Méditerranée , prennent enſemble
des meſures , afin que les intérêts de leurs
ſujets ne foient pas léſés par un nouvel ordte
de choſes .
<<Après différentes épreuves , écrit-on de
Rome , pour retirer de l'huile des pepins de
raiſins , il a été établi une manufacture de cette
production nouvelle , avec l'approbation de S. S.
qui aordonné en même temps qu'on publlat ce
procédé de M. Antoine Chinozzi , qui eft l'Auteurdelamachine
propre à extraire cette huile.
Cette nouvelledécouverte eſt de la plus grande
utifité pour la capitale & pour l'état Eccléfiaftique
, vu la quantité de vignobles , & la
grande quantité d'huile qu'on étoit ci-devant
obligé de tirer à grands frais de l'Etranger.
( 160 )
ANGLETERREDE
LONDRES , le 14 Octobre.
Les derniers Papiers Américains qu'on a
reçus contiennent quantité d'adreſſes au Congrès
de la part de différens Corps , qui déſaprouvent
tous généralement les procédés
dont ſe ſont rendues coupables quelquesunes
des troupes à Philadelphie , & qui ont
déterminé cette aſſemblée des Etats - Unis
à quitter cette ville , & à ſe tranſporter à
Prince-Town , où elle eſt encore , en attendant
qu'elle ait déſigné le lieu où elle s'établira
à l'avenir ; c'eſt au mois de Novembre
prochain , qu'elle s'occupera , dit- on , de cet
objet.
En attendant elle a requis la préſence du
Général Washington à Prince -Town , où il
s'eſt rendu à la fin du mois d'Août ; le 26 il
ſe préſenta à la ſalle du Congrès , où ayant
été introduit par deux de ſes membres , le
Préſident lui adreſſa le Diſcours ſuivant.
» M. le Congrès éprouve une fatisfaction
inexprimable à voir V. E. & à la féliciter ſur le
ſuccès d'une guerre où vous avez joué un rôle
A brillant. -Les Etats-Unis s'eſtiment finguliérement
heureux que pendant une guerre
fi longue , fi dangereuſe , ſi importante , la
Providence aitpris le ſoin de conſerver les jours
d'un Général qui n'a ceſſé de mériter & de
poſſéder la confiance & l'affection de ſes concitoyens.
Chez d'autres Nations plufieurs grands
Perſonnages ont mérité & reçu les remercimens
de l'Etat , mais il vous eſt dû , Monfieur ,
un remerciment particulier en ce que vos fer
( 161 )
vices ayant infiniment contribué à obtenir & à
établir la liberté & l'indépendance de votre Pays ,
exigent qu'une Nation libre & indépendante vous
donne des témoignages de ſa reconnoiffance ,
& le Congrès ſe félicite d'être en ce momentci
l'interprete des ſentimens de cette Nation
auprès de V. E. -Les hoftilités ſont ceffées
mais votre Pays a encore beſoin de vos fervices.
Il défire de profiter de vos lumieres par
rapport aux arrangemens qu'il ſera obligé de
prendre pendant la paix , & c'eſt pour cette
raiſon que votre préſence au Congrés a été
requiſe . On a nommé un Comité pour conférer
avec V. E. , & pour prendre vos conſeils
fur la formation & la diſpoſition des plans relatifs
à ces objets importans .
Le Général fit la réponſe ſuivante à ce
Difcours.
>>M. le Préſident , je ſuis trop ſenſible à la
réception flateuſe dont vous m'honorez pour que
je ne fois pas pénétré des ſentimens de la plus
vive reconnoiſſance, -Quoique le Congrès
paroiſſe attacher à la conſervation de mes jours
un prix bien au-deſſus des ſervices que j'ai pu
rendre aux Etats-Unis , je regarde la ſageſſe &
l'unanimité de nos Conſeils Nationaux , la fermeté
de nos Concitoyens , ainſi que la conftance
& la bravonre de nos Troupes , qui ont
mis une fin fi glorieuſe à la guerre , comme
l'effet le plus éclatant de l'interpofition divine ,
& comme le préſage le plus certain de notre
bonheur futur. -Pleinement ſatisfait des ſentimens
favorables que le Congrès a bien vou-
Ju manifeſter relativement à ma conduite paſſée ,
& amplement récompensé par la confiance &
par l'affection de mes chers concitoyens , je
n'hésite point de contribuer de tous mes efforts
( 162 )
à l'établiſſement d'une sûreté nationale , de quelque
maniere que le ſouverain pouvoir juger à
propos de l'ordonner , juſqu'à ce que la ratification
du Traité de Paix définitif ou que l'évacuation
du Pays par les Troupes Britanniques
ait eu lieu. Après l'un de ces deux événeniens
je demanderai la permiffion de me retirer pour
jouir tranquillement des douceurs d'une vie privée.
Peut-être , Monfieur , n'aurai-je jamais
d'occaſion plus favorable que celle-ci de rendre
mes humbles actions de graces à l'Etre Tout-
Puiffant & de manifeſter à mon Pays l'étendue
& la vivacité de ma reconnoiſſance pour les ſecours
prodigieux & conftans que j'ai reçus dans
les viciffitudes de la fortune & pour tous les
titres honorables que le Congrès a bien voulu
me conférer pendant le cours de la guerre ».
Les lettres particulieres nous inſtruifent ,
que les conferences entre le Général & le
Comitté du Congrès ont commencé auffitôt
,& qu'il y a été arrêté que le premier ſe
rendroit fur les frontieres du Nord , pour
choiſir les lieux les plus propres à bâtir des
forts , qui ferviroient enmême tems à leur
défenfe& à la protection du commerce des
fourrures; il ſe diſpoſoit en conféquence à
partir pour remplir cette commiſſion avec le
Général Major Baron de Stauben.
On ignore encore ici l'époque véritable
de l'évacuation de New-Yorck : nos papiers
prétendent que le Gouvernement vient ſeulement
d'envoyer l'ordre de rendre cette
place; enAmérique on prétend qu'il ya déjà
été expédié précédement.
«Le Chevalier Carleton , lit-on dans un pa(
163 )
pier de Philadelphie , en date du 28 Août , a
informé le Congrès qu'il avoit ordre d'évacuer
New-Yorck ; mais il obſerve dans ſa lettre , que
les délibérations du peuple des Etats-Unis qui
s'oppoſent à l'admiffion des Réfugiés ſur le Continent
, retarderont néceſſairement ſes mouve .
mens , parce qu'il ſe trouve obligé d'emmener
avec lui un nombre prodigieux d'habitans de
tous les âges&de tous les rangs. Il reſte encore ,
dit on , près de 19000 Loyaliſtes à transporter
dans la nouvelle Ecoſſe. On croit cependant que
la ville de New- Yorck ſera rendue aux Etats-
Unis le و Octobre. Six régimens Anglois ont
ordre de ſe rendre dans la nouvelle Ecoffe , & le
reſte retournera en Europe»,
Les Gazettes de New-Yorck nous offrent
la lettre ſuivante de Royal-Annapolis, dans
la baiede Fundy, en date du 13 Août, écrite
parun Loyaliſteàunde ſes amis àLong-Iſland.
« Je vous écris ſelon ma promeffe , & avec
plus de fatisfaction que je ne l'eſpérois quand je
vous ai quitté. Je ſuis arrivé ici , après un
paſſage de douze jours , & j'ai trouvé les choſes
beaucoup mieux que je ne me les repréſentois :
c'eſt un très-beau pays , & il n'y a pas moins de
500 familles établiesdepuis long-tempsdans cette
Ville. Le terrein eſt trés-bon , & il y a beaucoup
de bois; le climat eft Gain &les eaux poiſſonneuſes.
Nous avons tiré , mes compagnons & moi , nos
dots du terrein deſtiné à notre Ville ; il eſt d'un
acre & demi pour chacun ; l'emplacement est à
18 milles d'Annapolis , & il y a déjà environ 75
maiſons bâties par quelques-uns de nos plus célebres
Loyaliſtes ; il en arrive journellement ; notrehavre
eſt un des meilleurs que j'aie vus , & il
nous ſervira à rendre cette Ville une des plus
Σ
( 164 )
commerçantes de l'Amérique. Il n'y a aucune des
productions qui croiffent en Penfilvanie qui ne ſe
trouvent ici . Les grains d'hyver y viennent auffi
bien que dans aucune partie du monde. Nous
nous partageons les terres deſtinées à nos plantations.
Depuis mon arrivée le prix en eft monté
de 100 p. :. Les chevaux , les vaches , les cochons
, les brebis font plus abondans que dans
Long- Ifland.
Le Comitté , chargé de régler ici le fort
des Loyalistes , s'aſſemble , & continue fon
travail fur ce ſujet; ceux qui ont quelques réclamations
à faire , doivent les porter devant
ce Comitté ; & ils ont jusqu'au 25 Mars
de l'année prochaine , pour préſenter les mémoires
dans leſquels ils indiqueront leurs
pertes , d'après leſquelles on leur fixera les
dédommagemens qu'il ſera trouvé jufte &
convenable de leur accorder.
Le vaiſſeau de la Compagnie , la Britannia
, Capitaine Cumming, eſt arrivé dernierement
à Portſmouth. On évalue ſa cargaifon
& celle de l'Eſſex , qui avoit mouillé
quelque temps auparavant dans nos ports ,
à200000 liv. fterling.Parmiles Officiers qu'il
a ramenés en Europe , ſe trouvent fir Hector
Munro , & le Capitaine M'Dowall , qui
commandoit à Trinquemalle , lorſque le
Commandeur de Suffren s'empara de cette
place, le 30 Août de l'année derniere. On
faitque laconduite de M. M'Dowal a été examinée
dansun Conſeil de guerre tenu à Madraff,
& que le Jugement rendu à cet effet ,
le 29 Janvier de cette année , l'a acquitté
( 165 )
honorablement; lorſqu'il a quitté cette ville,
il alloit s'y aflembler un nouveau Tribunal
militaire pour le Colonel Humberſtone : il
en réſulte que la guerre qui vient de finir , a
donné lien à bien des procédures de ce genre
ſur les événemens qui ſe font paffés dans
les 4parties du monde. Les nouvelles qui
nous font arrivées par cette voie , ſe réduiſent
aux détails ſuivans.
,
Nos affaires , écrit-on du Fort Villianı dans les
Indes orientales commencent à prendre l'afpect
le plus favorable depuis que nous avons
fait la paix avec les Marattes ;l'armée qui étoit
contre eux , eſt entrée dans le pays de Tippofaib
, ſous les ordres du Général Mathews , cù
elle a déja eu des ſuccès . Elle a datord battu
une grande armée & pris Onore & Mangalore ,
deux Forts reſpectables. Le tréſor qui a été pris
auffi monte à 6 millions d'argent. En conféquence
de ce changement , les vieux héritiers du
trône déposés par Hyder Aly , ont faiſi l'occaſion
de ſe révolter. Ayant raffemblé leurs partitans.
ils ont commencé par élargir nos prifonniers au
nombre de 1300 , & ils ont pris poffeffion de
Siryngapatnam , la Capitale d'Hyder , une place
de très-grande force , où ils ont attendu notre
armée. On dit que trois jours avant cette révolution
, le Colonel Baily mourut. Tipoſaib qui
a fuccédé à Hyder , a évacué le Carnate peu
après cet événement, Il y avoit un traité fur pied
auparavant ; mais les choſes ayant changé , les
conditions n'ont pu étre les mêmes , & on n'a
pas été d'accord. Il offroit 4 millions en argent;
mais la compagnie en demandoit 8 , qu'il rendit
outre cela les revenus qu'il avoit tirés de
Carnate pendant 3 ans , & qu'il payát les dé
( 166 )
penfes de l'armée depuis le commencement de
la guerre ; on vouloit encore un tribut annuel
de 15 laks de pagodes , qui fait un demi million
=Nous ſuppoſons que notre flotte eſt à
préſent ſur la côte , parce qu'elle quitta Bombay
le 15du moisdernier.Elle conſiſte en 15 vaiſſeaux
de ligne ; on dit celle de nos ennemis fortede
17; mais nous croyons nos vaiſſeaux mieux réparés
, mieux équippés , ce qui fait eſperer que
s'ils ſe rencontroient , la partie ſera au moins
égale.
On dit que le Traité définitifde paix avec
la Hollande fera figné inceſſamment, &que
ce qui le retarde , c'eſt l'affaire de la reftitution
de Negapatnam à la République ; ce
qui rend notre Miniſtere très-difficile fur ce
point; & ce qui lui fait rejetter tous les objets
d'échange qu'on lui propofe, c'eſt la pofition
de cette place qui nous met en étatde
furveiller le Rajah de Tanjaour & le Nabab
d'Arcate , dont cet établiſſement domine les
poffeflions.
La paix , dit un de nos papiers , a été publiée
ici & par-tout où il y a un corps municipal
avec toutes les formalités & les cérémonies d'uſage
en pareille circonſtance. Ila paru un peu
étrange qu'on ait fongé à remplir cette formaltié ,
puiſqu'on n'avoit pas ſongé à remplir celle d'une
proclamation folemnelle de guerre, Mais on
affure que la politique exigeoit que la paix fût
revêtue de toutes les formalités , & qu'on lui
donnât le plus d'éclat qu'il étoit poſſible , dans
un moment où pluſieurs puiſſances ne paroif
foient point entièrement convaincues des diſpofitions
pacifiques de notre miniſtere.
( 169 )
gemens particuliers & inconnus avec ces pui
Lances & les Hollandois .
Les amis du miniſtere actuel , dit un autre
de nos papiers , font un grand éloge des conditions
relatives à la pêche de Terre - Neuve ;
mais la lecture du traité nous préſente quantité
de conceſſions qui doivent finir par ruiner
celle que nous faiſons dans ces parages ; ce n'eſt
cependant pas à lui qu'il faut s'en prendre ,
mais à ceux qui ont fait la paix originairement.
Saint-Pierre & Miquelon ont été cédés.
Les François y élevent des fortifications qui
les rendront inacceſſibles à tous les efforts que
nous pourrions faire. Cela fut prévu dans la
chambre haute pendant les débats qui eurent lieu
fur les préliminaires . Mais ce qui ne nous ſera
pas moins funeſte , c'eſt la liberté preſque illimitée
accordée aux Américains. Cette pêche
étant ſur leurs côtes , leur depenſe pour la faire
ſera moindre de la moitié de celle que fera
l'Angleterre ; ils ſeront en état de nous vendreà
nous fur le Continent , & fi on leur permet
d'approviſionner nos marchés d'Europe , ils
le feront à la moitié du prix que nous ne pourions
le faire .
i
Selonnos papiers il eſt queſtion d'un projet
formé par les Directeurs de la Banque ,
&dont l'exécution doit , dit-on , relever les
fonds publics, qui continuent de baiſſer.
Il eſt à ſouhaiter dit-on à cette occaſion que
ceplan ſoit tel qu'on le dit , & qu'en effet il ait
Leu ; cela raſſurera toujours la nation ſur le
bruit qui s'eſt répandu que l'on alloit mettre
une taxe ſur les fonds publics ; aſſurément elle
ne produiroit pas l'effet de les relever ; &
quand untiers des propriétés particulieres est
Nº. 42. 25 Octobre 178 ;. h
( 168 )
,
Il importe peu , lit-on dans un de nos papiers
que les différens potentats publient les
articles des traités de paix qu'ils ont conclu ;
ils n'en inſtruiront pas mieux le public ; il y a
toujours quelques articles ſéparés & importans
qui reftent unfecret pour les nations qu'ils intéreſſent
, ce myſtere d'uſage a ſouvent excité
ici des reclamations ; & c'eſt en vain quen
a eſpéré des miniſtres qu'ils ne cacheroient
au peuple aucun des arrangemens particuliers
qu'ils ont pu prendre : fi la chambre des Com--
munes uſoit de ſes droits & remplifſoit ſon devoir
, ces ſujets de plainte n'auroient jamais lieu .
On a un exemple affez fingulier de ces articles
ſecrets à la fin de la guerre précédente , &
qui ne font venus à la connoiſſance du public
que par hafard & quelques années après. La convention
ſecrette avec la maison de Bourbon.
étoit que l'Angleterre n'auroit jamais plus d'un
vaiſſeau de guerre à la fois dans la méditerranée
, tellement que deux auroient été
gardés comme une déclaration de guerre. Cette
convention nous fit perdre notre importance
au-delà du détroit , & fut la vraie raiſon qui empecha
d'envoyer une efcadre pour ſurveiller
celle qu'on équipoit à Toulon pour l'Amérique .
Le miniftere ne vouloit pas commencer une
guerre avec la France & l'Eſpagne , pendant
qu'il étoit engagé ſi chaudement avec nos colonies.
Il eſt à ſouhaiter que cet exemple ne
foit pas répété & qu'il n'y ait pas des arranre-
:
de jours. Si , ce qui ne paroit pas vraiſemblable , cela ne
nous étoit pas poßible , nous ferions toujours à temps de
revenir à la caduction de ces pieces , qui doivent avoir
place dans ce Journal , & dont nous ne fufpendons la publ
cation , que pour les mettre telles qu'elles font ſous les
yeux de nos lecteurs,
gemens
( 169 )
gemens particuliers & inconnus avec ces puiſt
Lances & les Hollandois.
Les amis du miniſtere actuel , dit un autre
de nos papiers , font un grand éloge des conditions
relatives à la pêche de Terre - Neuve ;
mais la lecture du traité nous préſente quantité
de conceſſions qui doivent finir par ruiner
celle que nous faiſons dans ces parages ; ce n'eſt
cependant pas à lui qu'il faut s'en prendre ,
mais à ceux qui ont fait la paix originairement.
Saint-Pierre & Miquelon ont été cédés .
Les François y élevent des fortifications qui
les rendront inacceſſibles à tous les efforts que
nous pourrions faire. Cela fut prévu dans la
chambre haute pendant les débats qui eurent lieu
fur les préliminaires. Mais ce qui ne nous ſera
pas moins funeſte , c'eſt la liberté preſque illimitée
accordée aux Américains . Cette pêche
étant ſur leurs côtes , leur depenſe pour la faire
ſera moindre de la moitié de celle que fera
l'Angleterre ; ils ſeront en état de nous vendreà
nous fur le Continent , & fi on leur permet
d'approviſionner nos marchés d'Europe , ils
le feront à la moitié du prix que nous ne pourions
le faire .
Selon nos papiers il eſt queſtion d'un projet
formé par les Directeurs de la Banque ,
&dont l'exécution doit, dit-on , relever les
fonds publics , qui continuent de baiſſer.
Il eſt à ſouhaiter dit-on à cette occaſion que
ceplanſoit tel qu'on le dit , & qu'en effet il ait
Leu ; cela raſſurera toujours la nation ſur le
bruit qui s'eſt répandu que l'on alloit mettre
une taxe ſur les fonds publics ; aſſurément elle
ne produiroit pas l'effet de les relever ; &
quand un tiers des propriétés particulieres est
Nº. 42. 25 Octobre 1783. h
( 172 )
fera partir à ſes frais ces deux ſujets , & il ſe
charge de les pourvoir de tous les inftrumens néceſſaires
pour faire des obſervations aſtronomiques
&phyſiques dans leur route. Ceux que nommera
la Société Royale feront le voyage aux frais du
Roi " .
On écrit de la Haye que les Etats-Généraux
ont publié un Placard , par lequel ils
défendent de négocier en Hollande aucun
nouvel emprunt pour le compte de quelque
Puiſſance étrangere que ce ſoit , pendant 12
mois , à compter du jour où celui des Américains
fera complet.
Dans les derniers Jugemens rendus àGuildhall,
on a remarquéunfait affez fingulier. Un Marinier
fut traduit devant l'Alderman Hart , accuſé par
un Publicain de Hull dans le Comté d'York , de
lui avoir volé quantité d'articles , conſiſtant en
linge& en vaiſſelle , que le priſonnier avoit empaquettés
& portés à Londres , où , ſuivi par le
Publicain , il avoit été arrêté ſaiſi des effets volés.
Le Matelot ne nia point qu'il n'eût porté ces effets;
mais il dit qu'il les avoit eus de la femme
du Publicain , qui l'avoit chargé de les remettre
à une adreſſe qu'elle lui avoit donnée à
Londres ; il le certifia par l'adreſſe qu'il en avoit
reçue , & qui portoit qu'on lui remettroit tant
pour le payer de ſapeine. La femme fut mandée
, & déclara que c'étoit elle qui avoit enlevé
les objets que ſon mari diſoit qu'on lui avoit vo-.
lés : elle déchargea pleinement le Matelor. Cela
amena une ſcene fort étrange qui fit rire l'affemblée;
parce que malheureuſement ons'égaietoujours
de ce qui intéreſſe les moeurs. Le mari , en
ceffantde ſeplaindre , s'adreſſa àſa tendre moitié
pour l'engager àrenoncer au deſſein qu'elle fent(
171 )
dans la conſtitution , eſt-elle contraire à nos loix ?
On afſſure que fi les Juges décident pour l'affirmative
, nos volontaires ſont déterminés à ſe
ſéparer & à prendre le parti de s'adreſſer au Parlement
par la voie des requêtes. On voit par ce
procédé leur reſpect pour les loix , & qu'ils ne
font animés d'aucun autre eſprit que de celui du
bien de leur pays » .
On dit que l'Evêque d'Oſnabruk , auſſi-tôt
qu'il aura atteint ſa majorité , ce qui aura lieu
le 16 Août de l'année prochaine , ſera fait
premier Lord de la Régence d'Hanovre ; en
conféquence , il fixera ſa réſidence en Allemagne,
& il n'aura point de titre en Angleterre
qui lui donne le droit de ſiéger au Parlement
parmi les Pairs. Les revenus attachés
à cette place font de 3000 liv. ſterl. ; & on
prétend que cette ſomme dans le pays où il
eft, peut lui procurer autant d'aiſance que le
triple lui endonneroit en Angleterre ; ce ſera
une addition au revenu qu'il a déjà de fon
Evêché. Les Lords de cette Régence font au
nombre de cinq.LePrince deMecklenbourg
en eſtun. Le titre de Duc d'Yorck eſt deſtiné
au Prince Guillaume-Henri, & celui de Duc
de Lancaftre au Prince Edouard.
« L'Adminiſtration a chargé la Société Royale
de choiſir trois Savans qu'elle deſtine à accompagner
l'Ambaſſadeur que l'Impératrice de Ruffie
envoie à Pekin ; elle ne fait exécuter en cela
que le projet qu'avoit déja conçu le Lord Shelburne
, qui avoit nommé , pendant qu'il étoit à
la tête du Miniſtere , deux ſujets qui lui avoient
été recommandés par les Univerſités de Cambridge
& d'Oxford. Ce Seigneur , affure-t- on ,
1
h2
( 174 )
couverts , ouverte tous les jours aux perfonnes
de leur connoiſſance.
Quelques perfonnes prétendent que le
Duc& la Ducheſſe de Gloceſter iront auſſi
à Fontainebleau. On fait qu'ils font en France;
le 4 de ce mois ils étoient à Avignon ,
où ils ne font reſtés que juſqu'au 5, qu'ils en
font partis pour ſe rendre à Aix; ceux qui
prétendent qu'ils viendront à Fontainebleau ,
difent que le 17 de ce mois, ils étoient déjà
àLyon.
Il n'y a rien de nouveau de nos ports ; on
dit feulement , qu'on continue de préparer
àToulon les agrêts & les apparaux néceſſaires
pour l'armement d'une eſcadre ; les vaiffeaux
, qui font tous doublés en cuivre n'ont
pas beſoin de carêne.
A peine les gabarres , venus de Riga ,
ont-elles mouillé à Breſt , & déchargé leurs
bois , qu'elles ont reçu ordre d'aller àBayonne
chercher auſſi tous les bois de conſtruction
qui s'y trouvent.
:
Le dernier Jugement du Conſeil de guerre
, tenu à Morlaix , ne differe du premier ,
qui avoit été déjà rendudans la mêmeaffaire ,
qu'en ce qu'il a modéré la peine de prifon
de quinze ans à fix. Le Chevalier de Vigny
a été en conféquence ramené au château
du Taureau où il a été renfermé.
,
Les dernieres nouvelles de Madrid portent ,
qu'on y attendoit à tout moment D. B. Galvez
parti de Cadix , le 26 Septembre. Son oncle , le
Miniſtre des Indes , lui avoit fait préparer un
( 175 )
hotel & un équipage brillant. Les Poſtes deMadrid
à Cadix réuſliſſent à merveille ; & on travaille
à établir celles de Bayonne à Madrid. Alors il ſera
permis de traverſer l'Eſpagne d'un bout à l'au
tre , autrement qu'à franc- étrier ; car on ſait que
juſqu'ici il n'y avoit point de chevaux de poſtes
pour les voitures & les chaiſes.
On parle depuis long-temps des travaux
ordonnés & commencés à Cherbourg. L'extrait
de la lettre ſuivante , qui peut donner
une idée de cette entrepriſe impoſante &
prodigieuſe , ne peut qu'être bien reçu des
nos Lecteurs ..
« Il avoit été préſenté pluſieurs Mémoires ſut
la néceſſité de préferer la rade de Cherbourg à
toute autre pour en faire un Port de relâche dans
la manche pour la marine du Roi ; M. de la
Bretonniere , Capitaine de Vaiſſeau , a joint aux
inſtances du Commandant & à celles de tous
les gens ſenſés de la Province une idée ſublime ;
c'eſt de former une rade deux fois plus grande
qu'elle n'eſt à préſent , en projettant trois moles
ou trois branches de moles ſéparées par.
quatre paſſes ; les deux moles des extrémitésde
quatre cens cinquante toiſes chacun , appuyant
par la droite à l'Iſle Pelée , & par la gauche
au Fort de Querqueville , & celui du milieu
fait en chevron pour couvrir deux paſſes de 300
toiſes chacune ; chacune des deux premieres
branches de mole doit avoir 800 toiſes de long,
& celledumilieu 900;elles porteront des batteries
redoutables à chacune de leurs extrémités. Ce
projet eſt en effet grand & fublime ; mais il paroît
effrayant & giganteſque ; car enfin il ne
s'agit de rien moins pour l'executer , que de
fonder 2600 toiſes de jettée en mer à60 pieds
h4
( 174 )
couverts , ouverte tous les jours aux perfonnes
de leur connoiſſance.
Quelques perfonnes prétendent que le
Duc & la Ducheſſe de Gloceſter iront auſſi
à Fontainebleau. On fait qu'ils font en France;
le 4 de ce mois ils étoient à Avignon ,
où ils ne font reftés que juſqu'au 5 , qu'ils en
font partis pour ſe rendre à Aix; ceux qui
prétendent qu'ils viendront à Fontainebleau ,
difent que le 17 de ce mois, ils étoient déjà
àLyon.
Il n'y a rien de nouveau de nos ports ; on
dit feulement , qu'on continue de préparer
àToulon les agrêts& les apparaux néceſſaires
pour l'armement d'une eſcadre ; les vaifſeaux
, qui font tous doublés en cuivre n'ont
pas beſoin de carêne.
A peine les gabarres , venus de Riga ,
ont-elles mouillé à Breſt , & déchargé leurs
bois, qu'elles ont reçu ordre d'aller àBayonne
chercher auſſi tous les bois de conſtruction
qui s'y trouvent.
Le dernier Jugement du Conſeil de guerre
, tenu à Morlaix , ne differe du premier ,
qui avoit été déjà rendudans la mêmeaffaire ,
qu'en ce qu'il a modéré la peine de prifon
de quinze ans à fix. Le Chevalier de Vigny
a été en conféquence ramené au château
du Taureau où il a été renfermé.
Les dernieres nouvelles de Madrid portent ,
qu'on y attendoit à tout moment D. B. Galvez ,
parti de Cadix , le 26 Septembre. Son oncle , le
Miniſtre des Indes , lui avoit fait préparer un
( 175 )
hotel & un équipage brillant. Les Poſtes de Madrid
à Cadix réuſliſſent à merveille ; & on travaille
à établir celles de Bayonne à Madrid. Alors il ſera
permis de traverſer l'Eſpagne d'un bout à l'au
tre , autrement qu'à franc- étrier ; car on fait que
juſqu'ici il n'y avoit point de chevaux de poſtes
pour les voitures & les chaiſes.
On parle depuis long-temps des travaux
ordonnés & commencés à Cherbourg. L'extrait
de la lettre ſuivante , qui peut donner
une idée de cette entrepriſe impofante &
prodigieuſe , ne peut qu'être bien reçu des
nos Lecteurs .
« Il avoit été préſenté pluſieurs Mémoires ſur
la néceſſiré de préferer la rade de Cherbourg à
toute autre pour en faire un Port de relâche dans
la manche pour la marine du Roi ; M. de la
Bretonniere , Capitaine de Vaiſſeau , a joint aux
inſtances du Commandant & à celles de tous
les gens ſenſés de la Province une idée ſublime ;
c'eſt de former une rade deux fois plus grande
qu'elle n'eſt à préſent , en projettant trois moles
ou trois branches de moles ſéparées par
quatre paſſes ; les deux moles des extrémitésde
quatre cens cinquante toiſes chacun , appuyant
par la droite à l'Iſle Pelée , & par la gauche
au Fort de Querqueville , & celui du milieu
fait en chevron pour couvrir deux paſſes de 300
toiſes chacune ; chacune des deux premieres
branches de mole doit avoir 800 toiſes de long,
& celledumilieu 900;elles porteront des batteries
redoutables à chacune de leurs extrémités . Ce
projet eſt en effet grand & fublime ; mais il paroît
effrayant & giganteſque ; car enfin il ne
s'agit de rien moins pour l'executer , que de
fonder 2600 toiſes de jettée en mer à60 pieds
h4
( 178 )
mais les avaries ont conduit juſqu'au 15 ; ce
jour là la mer ne donnoit que 11 pieds , il
en falloit 14 pour que le cône s'enleva de def
fus des pilots de 2 pieds qui entouroient ſa forme
; cependant il a flotté , mais il n'a pu ſurmonter
les pilots ; d'ailleurs la ceinture des cables
s'eſt un peu lâchée ; les tonnes flottoient
endedans du coloſſe au lieu de ſubmerger , &
ne donnoient qu'une partie de leur force.Quatre
chaloupes canonieres de 40 rames , unegabarre
de 700 tonneaux , & 37 bâtimens de différentes
grandeurs étoient placés & mouillés à des diftances
convenables , pour remorquer le cône &
le conduire à ſon poſte où 4 groffes ancres de
5 milliers l'attendoient pour le fixer , pendant
que l'on couperoit les ſoupentes pour lâcher les
tonnesgraduellement , afin de le laiſſer enfoncer
pied par pied. On devoit enſuite envoyer des
bâtimens chargés de pierres , vuider leurs charges
dans le cône , au moyen de ſceaux montans
& deſcendans établis ſur leur ponts dont
chacun portoit 400 livres de pierres ; on eſpéroit
dans les deux marées en etter à peu près
50 toiſes cubes , qui tombant ſur un grillagede
cables établi au fond du cône , l'auroient fixé
fur le fond , outre qu'il portoit dejà autour de
Jui 300 milliers de pierre pour fon left . Heureusement
le cône ne put fortir ce jour-là de
fa forme: il faiſoit calme quand on l'eſſaya ; on
devoit naviguer au Nord Eft & contre le jurant.
Sur les 2 heures les vents pafferent au Nord-
Eſt , & furent toujours en fraîchiſſant. Pendant
la nuit , une tempête affreuſe du Nord-Eft
s'éleva & dura juſqu'au 19. Si l'on étoit parti ,
jamais on n'auroit pu aller juſqu'au point baliſfé
pour le coulage du cône , qui étoit à 1700
toiſesdu point de partance. Il eut fallu mouiller
( 177 )
A
&d'un tiers en ſus de hauteur , afinde pouvoir
conſtruire deſſus des batteries. Les cônes ne ſe
touchant pas par leur partie ſupéticure , il y aura
entre chacun 15 toiſes d'intervalle. Un conſeil
demarine adécidé que cette claire voie ne nuiroit
en rien à la bonté de la rade , parce que la
mer ſe brifant autour de ces cones , perd ſon
courant & devient tranquille. Si cette grande
entrepriſe réuflit , il en réſultera les plus grands
avantages ; c'eſt une dépenſe de 30 millions pour
avoir une rade capable de contenir 100 Vaiſſeaux
de ligne , défendue en dehors & en dedans par
10 à 12 Forts inattaquables , à l'abri de tous
les vents , facile pour entrer & pour ſortir , &c.
Nous n'avons annoncé que bien vaguement
les premiers eſſais faits pour l'exécution
de cette grande & importante entrepriſe ; la
lettre ſuivante contient des détails que nous
nous empreſſerons de tranſcrire.
,
Pour faire flotter un cône peſant 1500 milliers
on avoit préparé 110 tonnes rangées
tout autour , dont 42 en dedans , le reſte en
dehors ſous deux rangées , & foutenu par des
ceintures & des ſoupentes de gros cables de
12 pouces. Les tonnes avoient 12 pieds de long
& 6 de haut ; chacune peſoit 4500 livres , &
portoit, en s'élevant ſur l'eau , épreuve faite ,
un poids de 28 milliers , ainſi en diminuant
ſon poids , chaque tonne faiſoit effort de 23
milliers & demi ; ce qui pour la flottaiſon dennoit
2585 milliers de force , par conféquent un
millier de plus qu'il ne falloit. Tout étoit prêt
le 30 Août. Une tempête qui eſt ſurvenue a
coupé quelques cables & fracaffé quelques tonnes
; la morte-eau eſt venue , il a fait mauvais
temps juſqu'au 10 Septembre. On s'eſt reparé ;
hs
( 180 )
témoinun jour de ces expériences , voulut auf
monter dans la galerie ; mais , quoiqu'il n'y eut
aucun danger à courir , on s'oppoſa à ſon defir ;
&M. de Dillon prit ſa place avec un autre Officier
: ils furent élevés à la hauteur d'environ 40
pieds; & au moment qu'on s'apperçut que la machine
alloit deſcendre, on lacha les cordes , &
elle fut tomber au bout du jardin , à cent pas du
lieu de ſon départ , mais fi doucement qu'elle
étoit déjà à terre , que M. de Dillon ne s'appercevoit
pas qu'elle y touchât. M. Pilatre du Rofier
eſt ſouvent monté ſeul depuis ce temps-là
pour alimenter le fourneau , en y jettant de la
paille ; il en faut près de deux bottes par minute
, pour prévenir la condenſation du gaz ; & le
15 de ce mois il a fi bien réuſſi , qu'il eſt reſté à
deux différentes fois près de 2 minutes en l'air :
on voyoit la machine s'élever de 12 à 15 pieds ,
toutes les fois qu'on lui fourniſſoit une nouvelle
chaleur : voila , où enfont , les expériences . On
fait donc aujourd'hui monter & deſcendre la machine
à volonté ; il faut actuellement trouver le
ſecretde lui faire parcourir une ligne horifontale
, & ſurtout le moyen de renouveller le gaz ,
avec une matiere qui donne une flamme vive ,
claire , ſans aucune fumée , & qui ſoit un peu
plus durable que celle produite par la paille. Du
reſte , cette grande machine eſt chargée en
minutes.
Quelque foit le parti qu'on puiſſe tirer un
jour de cette découverte, ſi l'on parvient à la
perfectionner , elle n'en fera pas moins un
honneur infini à ſes inventeurs . M. Houdon ,
ſculpteur du Roi , a fait un bas- reliefdeſtiné
à fervir a la médaille qui a été frappée pour
MM. de Mongolfier; il repréſente les têtes
des deux Freres, Etienne &Joſeph de Mon
( 181 )
golfier, inventeurs en ſociété du Globe aëroftatique.
M. Delaunay le jeune, éleve du
célebre Graveur de ce nom , l'a deſſiné &
gravé avec beaucoup de goût; les deux têtes
offrent la reſſemblance la plus parfaite ; &
la gravure fait honneur au burin d'un Artiſte
quiporteun nom cher aux Arts. On lit aubas
les vers ſuivans.
:
Mongolfier , que l'Europe entiere
Ne fauroit affez révérer ,
Ades airs franchi la carriere ,
Quand l'oeil de ſes rivaux cherche à la meſurer ( 1 ) .
M. Didot l'aîné , chargé par le Roi de l'impreffion
des Auteurs claſſiques , françois &
latins , deſtinés à l'éducation de Mst le Dauphin
, a fait ſuivre ſa ſuperbe édition de Télémaque
, de celle des OEuvres de Racine , dont
le 1er volume qui vient de paroître , eſt des
mêmes format , caractere &papier que l'Ouvrage
précédent. Nous ne répéterons pas ici
ce que nous avons dit pluſieurs fois des productions
forties des preſſes de M. Didot ;
tous les gens de goût ont reconnu la juftice
de nos éloges , & les efforts impuiſſans de la
jalouſie n'en ont rien rabattu ; nous préférerons
de tranſcrire ici le Brevet par lequel
S. M. lui a ordonné l'impreſſionde cetteCollection.
Le choix du Roi, les motifs qui l'ont
déterminé , feront notre unique réponſe aux
détracteurs de M. Didot (2) .
( 1 ) Cette Eſtampe ſe trouve chez l'Auteur , rue & porte
S. Jacques , Nº. 112. Le prix en eſt de 1 liv. 4 Γ.
( 2) Cet Ouvrage n'eil tiré qu'à 200 exemplaires comme
le Télémaqne , & fe trouve à Paris chez M. Didot Paîné ,
rue Pavée Saint-André-des-Arts. Il formera 3 vol in 4.
Le prix de chacun eſt de 36 liv.
( 180 )
témoin un jour de ces expériences , voulut auff
monter dans la galerie ; mais , quoiqu'il n'y eut
aucun danger à courir , on s'oppoſa à ſon defir ;
& M. de Dillon prit ſa place avec un autre Ofmcier
: ils furent élevés à la hauteur d'environ 40
pieds ; & au moment qu'on s'apperçut que la machine
alloit deſcendre, on lacha les cordes , &
elle fut tomber au bout du jardin , à cent pas du
lieu de ſon départ , mais fi doucement qu'elle
étoit déjà à terre , que M. de Dillon ne s'appercevoit
pas qu'elle y touchât. M. Pilatre du Rofier
eſt ſouvent monté ſeul depuis ce temps-là
pour alimenter le fourneau , en y jettant de la
paille ; il en faut près de deux bottes par minute
, pour prévenir la condenſation du gaz ; & le
15 de ce mois il a fi bien réuſſi , qu'il eſt reſté à
deuxdifférentes fois près de 2 minutes en l'air:
on voyoit la machine s'élever de 12 à 15 pieds ,
toutes les fois qu'on lui fourniſſoit une nouvelle
chaleur : voila , où enfont , les expériences. On
fait donc aujourd'hui monter & deſcendre la machine
à volonté , il faut actuellement trouver le
ſecretde lui faire parcourir une ligne horifontale
, & ſurtout le moyen de renouveller le gaz ,
avec une matiere qui donne une flamme vive ,
claire , fans aucune fumée , & qui ſoit un peu
plus durable que celle produite par la paille. Du
reſte , cette grande machine eſt chargée en
minutes.
Quelque foit le parti qu'on puiſſe tirer un
jour de cette découverte, ſi l'on parvient à la
perfectionner , elle n'en fera pas moins un
honneur infini à ſes inventeurs. M. Houdon ,
ſculpteur du Roi , a fait un bas-reliefdeſtiné
à ſervir a la médaille qui a été frappée pour
MM. de Mongolfier; il repréſente les têtes
des deux Freres, Etienne &Joſeph de Mon
( 181 )
golfier , inventeurs en ſociété du Globe aëroftatique.
M. Delaunay le jeune, éleve du
célebre Graveur de ce nom , l'a deſſiné &
gravé avec beaucoup de goût; les deux têtes
offrent la reſſemblance la plus parfaite ; &
la gravure fait honneur au burin d'un Artiſte
quiporte un nom cher aux Arts. On lit aubas
les vers ſuivans.
:
Mongolfier , que l'Europe entiere
Ne fauroit affez révérer ,
Ades airs franchi la carriere ,
Quand l'oeil de ſes rivaux cherche à la meſurer ( 1 ) .
M. Didot l'aîné , chargé par le Roi de l'impreſſion
des Auteurs claſſiques , françois &
latins , deſtinés à l'éducation de Mst le Dauphin
, a fait ſuivre ſa ſuperbe édition de Télémaque
, de celle des OEuvres de Racine, dont
le 1er volume qui vient de paroître , eſt des
mêmes format , caractere &papier que l'Ouvrage
précédent. Nous ne répéterons pas ici
ce que nous avons dit pluſieurs fois des productions
forties des preſſes de M. Didot ;
tous les gens de goût ont reconnu la justice
de nos éloges , & les efforts impuiſſans de la
jaloufie n'en ont rien rabattu ; nous préférerons
de tranſcrire ici le Brevet par lequel
S. M. lui a ordonné l'impreſſion de cetteCollection.
Le choix du Roi, les motifs qui l'ont
déterminé , feront notre unique réponſe aux
détracteurs de M. Didot (2) .
( 1 ) Cette Eſtampe ſe trouve chez l'Auteur , rue & porte
S. Jacques , Nº. 112. Le prix en eſt de 1 liv. 4 f.
(2) CetOuvrage n'eil tiré qu'à 200 exemplaires comme
le Télémaqne , & se trouve à Paris chez M. Didot Paîné ,
rue Pavée Saint-André-des-Arts. Il formera 3 vol in 4.
Le prix de chacun eſt de 36 liv.
( 182 )
« Aujourd'hui premier Avril 1783 , le Roi
étant à Verſailles, bien informé de la beauté
des éditions ſorties des preſſes du ſieur Didot l'aîné
; & voulant récompenfer & encourager les
ſoins qu'il s'eſt donnés pour perfectionner en
France la gravûre des caractères d'Imprimerie
& la fabrication des papiers , l'a choiſi pour faire
les Editions des Ouvrages deſtinés à l'éducation
deMgr. le Dauphin , & lui ordonne en conféquence
d'imprimer , ſous les formats in -4° , in-
8° & in - 18 , les principaux Auteurs nationnaux
& Latins , en commençant par le Télémaque dont
S. M agrée la dédicace : à la charge , par le
ſieur Didot l'aîné , que chacune des éditions qui
fortiront de ſes preſſes pour cet objet , ſoient
faites avec des caractères & des papiers fabriqués
dans le Royaume ; & qu'en outre , le ſieur Didot
l'aîné indemnifera , ſuivant l'eſtimation , ceux de
ſes confrères qui pourroient avoir la propriété de
l'impreſſion de quelques - uns des Ouvrages que
S. M. defire former partiede la collection deftinée
à l'éducation de Mgr. le Dauphin. Mande
S. M. au ſieur Lenoir , Lieutenant - général de
Police , & Commiſſaire du Conseil pour la Librairie
, de tenir la main à ce que le ſieur Didot
l'aîné n'éprouve aucuns troubles ni empêchemens
: & pour affûrance de ſa volonté , Elle lui
a fait expédier le préſent Brevet qu'Elle a figné
de ſa main , & fait contreſigner par moi , Conſeiller-
Secrétaire d'Etat &de ſes Commandemens
& Finances Signé , LOUIS : & plus bas
AMELOTCC .
Nous avons annoncé le profpectus de la petite
Bibliotheque des Théâtres. Le premier volume
*de cette collection intéreſſante , qui manquoit encore
, & que l'en defiroit , vient de paroître ; il
commence comme il devoit commencer , par la
piece qui a fait époque ſur le théâtre de France ,
( 183 )
comme ſur celui d'Italie , la Sophonisbe de Mairet
: elle eſt ſuivie du Scevola de du Ryer. Le
plan des Auteurs , qui eſt de préſenter alternativement
les pieces des différens théâtres , répandra
dans la diſtribution de leurs volumes une variété
piquante. En annonçant celui-ci , nous ne
devons pas oublier la partie typographique ; elle
ne peut être plus agréable , plus ſoignée ; elle
prouve les progrés que fait tous les jours cet art
intéreſſant , la perfection qu'il acquiert , le zele ,
les ſoins & l'intelligence de M. Valade (1 ).
-Nous avons annoncé dans le temps les
refforts à une ſeule feuille du ſieur Heriffon
; l'expérience en a prouvé la folidité.
Cependant comme quelques perſonnes paroiſſent
effrayées d'être portées ſur des refforts
ſi légers, en comparaiſon de ceux qu'on
employe ordinairement , le ſieur Heriffon ,
par le conſeil de feu M. de Vaucanfon , a
ajouté au-deſſous de chacun de ces reſſorts ,
(1) CètOuvrage ſe trouve au bureau rue des Moulins ,
batte S. Roch , No. 11 , chez Belin , rue S. Jacques , &
Brunet , rue de Marivaux , place du Théâtre Italien. Le
prix de la ſouſcription pour l'année entiere eſt de 33 liv .
pour Paris , & de 36 pour la Province , port franc. On
ne détachera aucune piece , ni aucun volume , à caufe
de l'inconvénient de décompletter les collections . On
donnera aux Souſcripteurs un teizieme volume gratis ,
ſous le titre d'Etrennes d'Apollon , composé des plus
jolies romances , ariettes , chansons , avec les airs gravés .
Cet ouvrage , imprimé chez M. Valade , eſt du format
de la jolie Collection des Poëtes François , fortie des
mêmes preſſes , & qui vient d'ètre augmentée des chefsd'oeuvre
de Corneille , s vol .; des oeuvres choifies de
P'Abbé de S. Réal , 4 vol .; les ouvrages , ainsi que la
Colletion entiere dont ils font partie ſe trouvent
chez M. Valade , rue des Noyers , & à Reims , chez
M. Cafin.
( 186 )
core entre les mains des Anglois , & qui doivent
être reſtitués.
« Les Etats de Hollande &de Weſtfriſe ajoutent
ces Lettres , ont approuvé à une très-grande
pluralité les propoſitions des villes de Dordrecht
& de Schoonove , en vertu deſquelles il ne ſera
plus permis d'admettre des Officiers étrangers
dans les Régimens nationnaux qui ſont ſur la
répartition de cette Province , de vendre les
emplois Militaires , ni de confier des grades qui
feront purement titulaires. - On s'attend avoir
L. N. & G. P. délibérer inceſſamment ſur la
propoſition faite par la ville de Gouda , le 13
Septembre dernier , & qui inſiſte ſur la néceſſité
d'envoyer inceſſamment dans l'Inde , & même
encore avant l'hiver des renforts de forces de
Terre &de Mer , pour empêcher les Anglois
d'y abuſer de l'article des préliminaires , par
lequel la République s'eſt engagée à ne point
gêner leur navigation dans les Mers d'Afie . La
même propoſition tend auſſi à aviſer aux moyens
de mettre les Etabliſſemens de la République
aux Indes dans l'état de défenſe le plus refpectable
».
fur
Les Etats de Friſe ſe ſont aſſemblés extraordinairement
, il y aquelque temps ,
la réponſe qui leur a été faite parlleeStadhouder,
au ſujet de ſon opinion particuliere , relativement
aux voies de fait à employer contre
cette province , ſi elle refuſe de payer fon
contingent ; les villes ont trouvé que cette
réponſe ne contient point les éclairciſſemens
qu'on demandoit : elles ont préſenté une
adreſſe aux Etats , pour leur demander la
permiſſion d'armer & d'exercer le corps des
( 187 )
Volontaires qui s'eſt formé dans la Capitale,
de la province ; & en attendant qu'ils aient
pris une réſolution définitive , tant fur cet
objet que fur quelques autres , on a fourni à
ce corps , des magaſins publics , & de la part
desEtats, 400 armes pour en faire uſage pendant
une demie année .
<< Notre vénérable Magiftrat , écrit-on d'Utrecht
, inſtruit de la diſpoſition où étoit le
Stadhouder de changer cette garniſon , l'avoit
prié de concerter ſes ordres , de maniere que le
nouveau bataillon ne fut introduit dans la Ville
que lorſque l'ancien ſeroit ſorti. Le Prince a ,
dit-on , répondu qu'il ne pouvoit rien conclure
à ce ſujet juſqu'à ce que le Magiſtrat eut allégué
les raiſons qui avoient inſpiré des allarmes contre
les Troupes ; & pendant les délibérations ſur ce
fujet , ce Prince a ordonné au Commandant du
bataillon de Wardenbroek de fortir , lorſque le
bata llon de Pain ſeroit entré. Le Conſeil de la
Ville ayant eu vent de cet ordre , a fait en forte
que S. A. S. fut priée de la part des Etats de
le changer & d'accorder quelque choſe aux opinions
de la bourgeoiſie ; on n'a point encore de
réponſe ſur cet objet. - On dit que le Conſeil
a envoyé auſſi un plan au Stadhouder , pour
une collation à tour de rôle des commiſſions ,
&pour faire dans le ſerment du Conſeil le changement
que cet arrangement rendoit néceſſaire.
LePrince ayant répondu qu'il ne pouvoit approuver
le plan , mais qu'il condescendoit au changement
dans le ferment , il a été , dit- on , réſolu de lui
repliquer qu'on n'avoit pas voulu lui demander
ſon avis , mais lui en donner un afin qu'il expédiat
au grand Officier l'ordre de ſe régler en
conféquence , lorſqu'on prendroit le ſerment des
( 138 )
nouveaux Conſeillers. On ajoute qu'il lui a été
expédié à cette occafion la derniere requête
ſignée par 1414 bourgeois , & qui contient les
raiſons de leurs inquiétudes. On attend avec
impatience le réſultat de cette conteſtation , &
fur-tout ce qui ſera décidé ſur l'entrée des
Troupes ».
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES .
La deſtination vraie ou prétendue de l'eſcadre
de Cronſtadt , a donné lieu aux réflexions fuivantes
:- Il ne ſuffit pas de mettre en mer des
flottes puiſſantes , il faut des ports & des chantiers
ſur l'Océan , pour les réparer & les entretenir;
ſans cela il faut s'attendre à les voir s'anéantir
& s'épuiſer , comme cela eſt arrivé à celles
des Ruſſes pendant la derniere guerre : ellesno
firent , depuis 1771 , plus rien qui répondit aux
dépenſes énormes qu'elles conterent. Les vaiſſeaux
étoient tellement endommagés , qu'ils ne valoient
pas les frais du radoub. Les réglemens étant défavorables
aux marins étrangers , les officiers &
les matelots Anglois furent moins utiles. Les
ſuccès ſe réduiſirent à ruiner le commerce du
levant; les tentatives fur Chypre & Candie
échouerent ; peut-être l'éloignement des Puifſances
de laMéditerranée à recevoir ces flottes dans
leurs ports , eſt- il fondé. On n'a pas oublié qu'elles
établirent pendant la derniere guerre , dans l'Etat
de Veniſe , & à l'embouchure de la mer Adriatique
, des batteries , qu'elles prirent poſſeſſion
des havres , qu'elles s'emparerent des vaiſſeaux
Chrétiens , ſous prétexte qu'ils alloient dans les
ports Turcs , que la ville de Marseille & le commerce
du levant prétendent avoir perdu plus que
les Turs mêmes. Un homme d'état , qui
ſervé ſon franc parler dans le Conſeil de Pétersbourg
, y diſoit il y a quelque temps : Vous voild
a con(
189 )
bien embarraffes ; ce n'est pas ma faute : pourquoi
avez-vous manqué Mahon qu'on vous jetoit à la tête ?
>> La ſemaine derniere l'Agent de Ruſſie a
freté quatre gros bâtimens ſur la Tamiſe , pour
porter des munitions à l'Eſcadre Ruſſe qui va
dans la Méditerranée. Ces bâtimens ſervoient cidevant
de Vaiſſeaux munitionnaires pour l'Artillerie
, & ils montent 24 canons chacun ».
ec L'Impératrice de Ruſſie a écrit une Lettre
de ſa main à M. Fox , pour le remercier de ſon
opinion relativement à fonEmpire ; dans la même
Lettre cette Souveraine entre dans beaucoup de
détails ſur ce qu'elle appelle les vrais intérêts de
laGrande Bretagne ».
« On étoit convenu que les deux Cours ( de
France & d'Angleterre ) enverroient de concert
dans l'Inde deux exprès chargés des préliminaires
de la paix ; à Strasbourg , le Major Gayles déroba,
dit-on , deux jours de marche à l'Officier François
, ſon compagnon ; il arrive à Conſtantinople
avant lui ; il en part avant lui. Porteur des
Duplicatas des dépêches Françoiſes , il paroît
vouloir le prevenir, & profiter des inſtructions
qu'elles peuvent donner aux Généraux de fa
Nation ; mais l'Officier François ayant fait la
plus grande diligence dans le déſert , a retrouvé
leMajor Gayles à Baſſora , les du mois de Juin ,
où le manque de Vaiſſeau le faiſoit attendre.
Suppl. à la Gazette de Leyde , nº. 81 .
« Qui n'auroit penté après les conceffions fans
nombre faites par l'Angleterre à l'Irlande , que
les Volontaires de ce dernier Royaume ſe montreroient
enfin ſatisfaits ? Cependant on apprend
que non-feulement ils ne le ſont pas , mais même
que ce corps turbulent vient de s'augmenter luimême
de 4 compagnies de plus . Un Ecrivain
Anglois prétend que cet exemple , & celui des
4
( 190 )
Turcs vis-à-vis des Ruſſes, doivent à jamais
dégouter les Gouvernemens de faire des conceffions
à ceux qui leur en demandent. Courier
d'Avignon , nº. 80 » .
« Le ſyſtème du Miniſtere Anglois de reſter
neutre pendant les événemens quivont ſe paſſer
à l'Orient , est fort applaudi par la Nation. On
compte déja plus de 300 Officiers de la Marine
Angloiſe qui ſont paſſés au ſervice de l'Impératrice.
On croit qu'un pareil ſecours ne ſera pas
perdu dans la ſuite ; & que fa jamais le pavillon
Ruſſe eſt élevé ſur les murs de Conſtantinople ,
le commerce de l'Angleterre dans le Levant
reprendra bientôt ſa premiere ſplendeur. Même
Gazette ».
«On dit qu'auffi- tôt que Pondichery aura été
rendu aux François , S. M. T. C. y enverra
pourGouverneur leGénéral Conway , qui s'eſt
beaucoup diftingué en Amérique , où il a eu le
rang de Major Général , & d'où il partit en
1778.-Ce brave Irlandois a été Officier dans
le Régiment de Berwick au ſervice de France ;
il commande maintenant les Troupes Françoiſes
au Cap de Bonne-Eſpérance. Nouvelliſte Politique
d'Allemagne , n°. 160 ».
CC Un Officier étranger qui a ſervi enAmérique
pendant la derniere guerre , & qui eſt arrivé
àConftantinople dans le mois d'Août , a obtenu ,
dit-on , le commandement du Gallipoli , Vaiffeau
neuf de 62 canons , ſur lequel il a paſſé auſſitôt
avec environ 300 Matelots qu'il avoit emmenés
avec lui . On ajoute que la Porte lui deſtine
une Eſcadre qu'elle ſe propoſe de faire croiſer
dans l'Archipel . Même Gazette ».
« Les bruits de Guerre deviennent de jour en
jour plus univerſels. On lit dans une feuille
publique que Belgrade pourra bien être entre
( 191 )
les mains des Autrichiens , au moment qu'on y
penſera le moins. Courier du Bas Rhin , nº.79 »
<< Le bruit eſt général que l'Eſpagne , le
Danemarck & la Suéde vont réunir une partie
de leurs forces pour exterminer une bonne fois les
Pirates Algériens. Gazette de Vienne , nº.80 » .
GAZETTĚ DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Un Curé doit être payé de la penſion qu'il s'est re-
Servée enpermutant avec un autre Curé.
Le 12 Mars 1772 il fut paſſé un concordat de
permutation de la Cure de Saint Antoine de
Bourcet , dont le ſieur Ladevie étoit Curé ,
avec celle de Saint Fériol d'Eglife-neuve-fur-
Bellon , poffédée par le ſieur Bernard Antignac ,
ſous la reſerve d'une penſion de 200 liv. ſur la
Cure de Bourcet. Le 31 du même mois ,
on obtint en Cour de Rome des fignatures
d'admiffion de ladite permutation , &de la création
de ladite penſion le 9 Mai ſuivant , jugement
dexequatur ſur les proviſions. Le 25 ,
autre jugement de la Commiſlion établie à
Clermont , qui homologue le bref de la Cour
de Rome. - Le ſieur Antignac mourut ſubitement.
Il paroît que le ſieur Bartomeuf, qui lui
ſuccéda dans la Cure de Bourcet , paya pendant
pluſieurs années la penſion au ſieur Ladevie
, & qu'enfuite il refuſa de la continuer ; ce
qui donna lieu au ſieur Ladevie de l'aſſigner
en la Cour. Le ſieur Bartomeuf s'eſt rendu appellant
comme d'abus de la fignature de Cour
de Rome.-Le 5 Septembre 1783 , arrêt , qui ,
en ce qui touche l'appel comme d'abus , a prononcé
qu'il n'y avoit abus ; & en ce qui tou,
che l'oppofition du ſieur Bartomeuf auu jugement
d'homologation rendue en la Commiffion de
Clermont-Ferrand le 25 Mars 1772 , l'en a dé
( 192 )
bouté , & a ordonné l'exécution dudit Juge
ment.
PARLEMENT DE NORMANDIE.
Ce jour , ( 28 juin 1783 ,) les Gens du Roi
ſont entrés , & LA COUR faiſant droit ſur leur
réquifitoire , a renouvellé & renouvelle , en tant
que de beſoin , les diſpoſitions de ſon arrêt du
28 Mai 1716 , de la Déclaration du Roi du
27 Juin de la même année , des Lettres patentes
du 25 Mai 1725 ; en conféquence a fait,
&fait très- expreſſes défenſes à toutes perſonnes
de quelque qualité & condition qu'elles foient ,
de méfaire ni médire aux Commis & Employés
dans la France aux Régies de S. M. , à peine
de 500 liv. d'amende & de punition corporelle ;
défend , ſous les mêmes peines , tous attroupemens
& actes tendans à interrompre & troubler
directement ou indirectement leſdits Commis
dans l'exercice de leurs fonctions , même
ſous peine de la vie , en cas de force ouverte
& ſédition. Enjoint pareillement à toutes perſonnes
, de quelque qualité & condition qu'elles
foient de s'arrêter , eux , leurs gens & voitures ,
aux portes , à la premiere réquiſition des
Commis , & d'y ſouffrir leur viſite , &c ,
apporter aucun empêchement , aux peines aux
cas appartenans. Enjoint aux Commis de ſe
comporter avec circonſpection & décence à
peine de punition exemplaire.
C'eſt par erreur que dans an Ouvrage intitulé , Prémices
'deDévotion envers le Vénérable JOSEPH LABRE , & enfuite
dans divers Papiers publics , on a mis le prix des Sermons
du P. Le Jeune en 10 vol. à 25 ſols au lieu de 25 liv, bro
ché , & 30 fols au lieu de 30 liv. relié. Ce Recueil fe
trouve toujours
Qualité de la reconnaissance optique de caractères