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1782, 11, n. 44-48 (2, 9, 16, 23, 30 novembre)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT 18336
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spectacles,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 2 NOVEMBRE 1782 .
FIL069
I
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
ADE
TABLE
Du mois d'Octobre 1782 .
PIÈCES FUGITIVES.
Elégie,
en trois Actes ,
3Hommage Littéraire,
54
64
Réponse aux Stances de Mlle Examen critique du MilideGaudin
, S
taire François , 70
Si l'Eloquence eft utile ou Aminte, Pastoral du Taffe, 76
dangereuſe dans l' Adminif- Lettres Edifiantes & curieuses ,
tration de la Justice ,
Envoi d'un Sabre ,
Morclité ,
LePapillon quife brale
8
49
écrites des Miffions Etrangères
, 120
50 Les Après Soupers , de la Soàla
ciétẻ , 129
chandelle, Fabflee, ib Nouveau Théâtre Allemand
Air 51 tir de Daphne & Apollon,
Adélaïde, ou la Raison dupe Manuale Rhetorices ,
del'Amour, Conte , 97 L'Aventurier François ,
158
175
1-8
Hiver, Stances àEglé , 99 Académie Roy. de Musiq. 27
Que ne peut l'Amour Pater- Comédie Françoise,
nel , Conte,
133
101 Comédie Italienne , 42,80,185
Fers à M.le Chevalier de VARIÉTÉS.
Parni
-AMile de Gaudin ,
L'Ane, la Rose & le
don , Fable ,
Char-
147
144 Sur le paſſage de Mercure do
146 vant le Soleil en 1782 , 81
Lettre de M. Allemand àM.
de la Larde , 82
Couplet chantéàMde de Bau- Effai ſur l'Art de vérifier les
regard , 149
Lettre au Rédacteur du Mer-
Miniatures peintes dans des
Manuscrits,
cure, ib, Lettre au Rédacteur du Mer-
Enigmes & Logogryphes , 17 , cure , 140
52, 118 , 156 Sciences &Arts ,
NOUVELLES. LITTER Gravures ,
Annales Poétiques depuis l'o- Musique ,
rigine
çoise ,
de laPPooésie Fran
19
L'Ecole des Pères , Comédie
Annonces Littéraires, 94 , 142 ,
146, 190
141
45,189
142
AParis, de l'Imprimereriede M. LAMBERT &E, J
BAUDOUIN , rue de la Harpe , pres S. Coſme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 2 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ÉPITRE à M. DE PIIS , pour lui
demander des Billets de Comédie.
VOUS ous agitez ſi gaîment
Les grelots de la Folie ,
Qu'cafin la Dramomanie ,
Dont le triſte égarement
Effrayoit la Comédie ,
Va céder à l'enjouement ,
A la piquante ſaillie ,
Qui du Public larmoyant
Diſſipe la léthargie.
Vous riez avec Momus ,
Vous jouez avec les Grâces ,
Vous buvez avec Bacchus;
Aij
MERCURE
Etde la tendre Vénus
Vous ne quittez point les traces .
Par votre Art ingénieux
Le Vaudeville joyeux
Sait encor charmer la France ;
Etle Parterre enchanté
Lui trouve plus de gaîté
Qu'il n'en eut à ſa naiſſance.
Je chante un peu vos couplets ;
J'aimerois mieux les entendre
Au Théâtre , où vos ſuccès
Forcent Paris de ſe rendre
Pour applaudir vos eſſais.
J'AI dû déjà vous écrire
Qu'une femme de bon ſens ,
Sage , ce mot vous fait rire ,
Chut..... gardez-vous de le dire ,
On riroit à mes dépens.
Cette femme , c'eſt la mienne ,
Ainſi je dois la louer .
Si quelqu'un blâme la fienne ,
Il ſe fera baffouer.
Cette femme raiſonnable
Aime pourtant vos chanſons ,
Et veut prendre des leçons
De votre Muſe agréable ;
Mais ſon époux complaiſant
Ne peut la conduire en loge ,
DE FRANCE. S
Faire en Public votre éloge
Sans donner un peu d'argent
Qu'il n'a pas toujours comptant.
Vous ſaurez que fans miracle
Un Peintre peut quelquefois
Rencontrer pareil obſtacle ,
Même un Poëte , je crois ;
Daignez donc à ma prière
Accorder une faveur ,
Nous irons de très -grand coeur
Admirer un jeune Auteur
Dans ſa gloire printannière.
Introduits par vos billets ,
Nous ſentirons l'alegreſſe
Succéder à la triſteſſe
Que chafferont vos couplets .
S'IL eſt vrai que la Peinture
Aime à prêter à ſa ſoeur
Ses pinceaux & fa couleur
Pour augmenter l'impoſture
De ſon talent enchanteur ,
De ce zèle fatisfaite ,
La ſoeur aînée à fon tour
Doit , par un juſte retour,
Des égards à ſa cadette.
(ParM. François , Peintre. )
A iij
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt la Rime ; celui du
Logogryphe eſt Chameau , où se trouvent
Cham (nom des Souverains de la Tartarie ) ,
Cingis- Cham , ( Auteur de la race des Rois
de Perſe & des Mogols d'aujourd'hui ) , &
leau.
ENIGME.
Je ſuis fans avoir vu le jouri
Si je le vois , je ceſſe d'être .
Malheur à qui me donne un maître ,
Sur-touten matière d'Amour.
LOGOGRYPHE.
LICICTTEEUURR ,, par undouble mérite,
Je fais charmer également
Et les yeux du difcret amant
Et ceux du gourmand parafite.
Aparler naturellement ,
Quoique deux pieds portent ſeuls ma ſtructure ,
J'en ai fix bien comptés , en ſtyle de Mercure.
D'un inſecte fort importun ,
Et chez le pauvre affez commun ,
DE FRANCE.
7
Les trois premiers vous offrent la figure ;
Mais par un tour qui ſemble merveilleux ,
Undeplus le transforme en l'animal vorace ,
Dontun peuple chez lui fut éteindre la race .
Ce n'eſt pas tout , & les gens curieux ,
De la France , chez moi , trouveront une ville ;
Un vent au nez peu gracieux ;
Dans les cieux un point immobile ;
Enfin, ce qui groſſit les objets à nos yeux.
( Par M. Benoist , Ingénieur. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
i
PENSÉES Morales de Confucius , recueillies
& traduites du Latin , par M. Leveſque .
Petit format. Prix , 4 liv. en papier fin ,
& liv. 10 fols en papier ordinaire . A
Paris , chez Didot l'aîne , Imprimeur du
Clergé en ſurvivance , rue Pavée , & de
Bure l'ainé , Libraire , quai des Auguftins.
CE Recueil paroîtra avec avantage dans la
Collection des anciens Moraliſtes dont il
fait partie. On n'y trouvera pas moins de
folidité dans les principes , de beauté dans
les préceptes , de profondeur dans les vûes.
On y verra avec plaifir que la culture de la
raiſon & l'étude de la morale donnent partout
à pea-près les mêmes réſultats.
A iv
8 MERCURE
:
L'air étranger qui s'y fait ſentir quelquefois
, la célébrité de l'Auteur , même dans
notre Occident , ſa haute antiquité , la gloire
de ſa nation en augmentent l'intérêt en piquant
la curiofité. Les monumens de cet ancien
peuple méritent même une attention
particulière.
La philoſophie de ce ſiècle a arrêté ſes
regards avec ſatisfaction ſur les reſtes de
ces anciens peuples , qui furent célèbres
tels que les Indous & les Guèbres. Leur
exiſtence , toute infortunée & couverte
d'opprobre qu'elle puiſſe être , lui a paru
furprenante. Elle en a recherché les caufes;
& quand même elle ne les auroit
pas abſolument déterminées , elle a mieux
vû ſur ces triſtes reſtes l'effer de leurs principes
moraux & politiques , que dans l'hiftoire.
Ces Membres d'États , qui ne font
plus , ces Citoyens fans patrie , quoique
dégradés par le malheur , lui ont peint d'une
manière plus vraie & plus ſenſible que ne
peuvent faire la pierre & le marbre , leur
caractère & leur génie.Ce ne ſont pas là des
monumens ſourds & muets. Elle les interrogé
, & ils lui répondent. Elle apprend de
leur bouche la raiſon de leurs uſages & de
leurs moeurs ; ils rectifient ſes idées ſur leur
compte quand elles font fauſſes , tandis que
ces marbres , à moitié rongés par le temps ,
la laiffent errer felon tous les caprices de
fon imagination & de ſes ſyſtêmes . C'eſt
d'eux qu'elle tient la clé d'une bonne partie
DE FRANCE.
9
de l'antiquité. Enfin , conſidérant que converſant
avec un Guèbre , avec un Indous,
c'étoit comme s'entretenir avec des hommes
de trois ou quatre mille ans , elle les a vûs
avec un fentiment reſpectueux , lorſque l'Univers
entier les mépriſoit.
La Chine offre un autre ſpectacle. Ily a
plus de différence entre- elle & ces reftes de
peuples , jetés & errans avec opprobre fur
la terre , qu'il n'y en auroit entre le Capitole
, conſervé juſqu'à nous dans ſa première
fraîcheur , & des décombres de vieux
édifices renverſés , qui n'annonceroient que
ruines &défolation.
Ce vaſte Empire n'existe pas ſeulement
avec éclat , il prédomine dans l'Afie depuis
plus de quatre mille ans. Tout a été bouleverſé
, détruit fur la terre , & tout y eft
débris , ou renouvelé pluſieurs fois , fans
qu'il ait changé. Lcs autres Empires n'ont
fait pour ainſi dire que paffer, leur gloire n'a
duré que comme un jour , & la fienne eft
toujours allée en augmentant. Il ſemble que
fon fort foit attaché à celui du globe , &
qu'il ne puiſſe diſparoître qu'avec lui.
D'où peut venir cette étonnante différence?
Quelles cauſes ont prolongé ſa durée
fi fort au-delà du terme que les deſtinées
ſembloient avoir preſcrit à toutes les Nations
? Est- ce aux cauſes phyſiques & aux
cauſes morales également qu'il faut attribuer
ce phénomène politique ? Je ne nierai pas
que les premières n'y aient plus ou moins
Av
10 MERCURE
de part , mais je ne crains pas d'affirmer que
c'eſt principalement aux ſecondes qu'il ap
partient. Tout eſt à peu près égal du côte du
phyſique chez les Nations. C'eſt principalement
le moral qui les diftingue ; c'eſt lui
qui leur élève l'âme & le courage , ou qui
les dégrade ; qui maintient l'ordre parmi
elles , ou qui y produit l'anarchie . La Chine
n'eſt pas plus inacceſſible à ſes voiſins que
les autres États; ſes peuples ne ſont pas
plus invincibles. Ce qui le prouve , c'eſt
qu'ils ont été ſubjugués pluſieurs fois , mais
fans changer de loix , d'existence civile. Il
faut donc chercher la principale cauſe de
cette longue durée dans leurs principes politiques
& moraux. C'eſt là qu'on la trou
vera. Son hiſtoire , & far- tout ces penſees ,
fervent à l'établir. On y voit que non- feulement
on cultivoit la morale & la politique
à la Chine dans l'antiquité la plus recus
lée , mais qu'on la dirigeoit vers l'ordre général
; que les Empereurs même y tenoient
une conduite conforme à ces ſages & heureux
principes.
Fo-hi inſtruiſit lui-même ſes peuples; ſes
Ouvrages exiſtent encore , quoiqu'en des
caractères dont on a perdu la clé. Jao, habitoit
une fimple maiſon. Il perfectionna la
police & les loix ; &, préférant l'intérêt
général à celui de ſa famille, il écarta du
trône ſes propres fils , qui en étoient indignes
, pour y placer un ſimple ſujet. Combien
tout cela prouve que les droits des
DEFRANCE. JE
hommes étoient également connus & refpectés
dans cette partie du monde ; que l'on
y avoit l'idée du bien moral deux mille cinq
cens ans avant nôtre Ère ; ce qui n'a pu avoir
lieu qu'après les plus profondes reflexions
fur les principes de la morale,& fur la meilleure
manière d'être des hommes.
On ne voit point chez les autres Nations
anciennes de l'Aſie,des exemples d'une morale
auffi épurée , ni des efforts auſſi généreux
pour atteindre au bonheur. Une choſe qui
ſembloit devoir y mener les autres Nations
de l'Ahe , s'y oppoſa , je crois , en arrêtant
les progrès de leur raiſon; c'eſt qu'elles eu
rent toutes de fauſſes révélations , excepté
les Juifs.Toutes les autres révélations n'étant
que l'ouvrage de l'impoſture , furent un
piège fatal pour la raiſon de ces peuples. Ils
crurent qu'elles étoient les ſources de la fageffe
elle-même , qu'il feroit ſuperflu , que
dis- je , criminel de la chercher ailleurs.
Ainſi , ils reſtèrent avec indolence au point
où ils en étoient; tandis que les Chinois , ne
reconnoiffant d'autre guide que leur raiſon ,
la cultivèrent avec ardeur , & s'élevèrent ,
d'efforts en efforts,juſques aux vrais principes
de l'harmonie civile, priſe dans l'état
monarchique , qui eft de toutes les eſpèces
deGouvernemens la plus ſuſceptible d'être
perfectionnée.
Ils prenoient pour modèles , en afpirant
à la perfection dans l'ordre civil , l'accord
desmouvemens céleftes, l'harmonie muficale.
Avj
12 MERCURE
Ces types auguſtes de bon ordre que leur
fourniffoit l'Univers , leur ſervoient encore
comme de degrés pour s'élever juſqu'au
trône de la ſouveraine Intelligence , véritable
fource de toute juſtice & de toute harmonie
, de la loi naturelle en un mot. « C'eſt
ود le ciel lui-même qui l'a imprimée dans
» nos coeurs , dit Confucius dans ſes pen-
» fées ; la ſuivre , c'eſt obéir aux loix de la
> véritable vertu.
>>Celui qui , fincèrement & de bonnefoi
, dit il encore , meſure les autres d'a-
>> près lui même , obéit à cette loi de la na-
>> ture , imprimée dans ſon ſein , qui lui
ود dicte de ne pas faire aux autres ce qu'il ne
>> voudroit pas qu'on lui fit. >>
Voilàdonc cette maxime ſi ſainte , fi célèbre
, ſi mal obfervée parmi nous , parfaitement
connue aux extrémités de l'Afie , dans
la plus haute antiquité.
Qu'il eft beau d'entendre ce grand Philoſophe
ſur la bienveillance univerſelle !
وو
23
ود
C'eſt une qualité eſſentielle à l'homme,
dit- il ; le propre de l'homme eſt d'aimer ;
de cet amour naît la justice diftributive :
delà encore l'harmonie de tous les devoirs.
Cet amour , cette charité pure que je re-
>> commande, eſt une affection conftante de
>> notre âme , un mouvement conforme à la
" raifon , qui nous détache de nos propres
> intérêts , nous fait embraffer l'humanité
>>>entière , regarder tous les hommes comme
» s'ils ne faifoient qu'un corps avec nous ,
DE FRANCE. 13
» & n'avoir avec nos ſemblables qu'un
> même ſentiment dans le malheur & dans
>>la proſpérité. Lorſque cette piété aura fer-
>>mement établi ſon empire dans tous les
>> coeurs , l'Univers entier ne fera plus qu'une
> ſeule famille. Aimons donc les autres
> comme nous- mêmes . »
La ſageſſe eſt ici foutenue par le ſentiment.
Quelle philofophie ! quelle belle âme
furtout un pareil paſſage décèle ! ce n'eſt pas
là de cette philofophie aride & aviliſſante
qui exclud toute généroſité , & qui ne veut
rien faire qu'avec ufure. Enfin , pour ne rien
laiſſer à deſirer ici au beau moral , il faut
citer la penſée 189 .
" Il eſt d'une grande âme de repouffer les
>> injures par des bienfaits. »
Deces principes univerſels, fortoit la règle
de tous les devoirs felon les états & felon
tous les rapports que les hommes peuvent
avoir entre- eux. Je ne m'arrêterai ici qu'à ce
qui regarde les Rois.
Confuciusveut qu'un Souverain gouverne
ſon État comme ſa famille. C'eſt la grande
maxime admiſe de temps immémorial à la
Chine. Elle eft fimple , mais elle n'en eft que
meilleure.
" Régner , c'eſt diriger , dit- il; l'équité
> doit régler les paroles d'un ſage Prince , &
>> l'utilité publique fes actions. C'eſt à lui
>> d'inftruire ſes ſujets , mais par l'exemple.
> Gouvernez vos peuples par la ſenle vertu ,
• & qu'ils en contemplent envous le mo
14 MERCURE
>> dèle. L'union d'eſprit & de vertu entre
>> les Sujets & le Monarque , rend facile
la bonne 22 adminiftration. »
,
Ces Maximes , & pluſieurs autres contenues
dans ces Penſees , qui ſe rapportent au
même objet , ſont très belles & très- ſaintes
en elles mêmes ; mais elles ont un mérite par
ticulier à la Chine , c'eſt qu'elles y font profondément
gravées dans tous les coeurs ,
qu'elles y font partie de l'inſtruction publique
, tandis qu'ailleurs elles ne font que de
belles paroles. Quelques perſonnes y prêtent
une légère attention, & tout le reſte gliffe
deſſus ou les ignore ; au lieu que les Chinois
, s'en occupant ſérieuſement , ſavent en
faire éclore une police quelquefois ſévère
mais juſte en général; une législation prompte
& facile , quoiqu'armée contre les ſurpriſes
de l'iniquité ; une critique ferme , éclairée
qui embraffe tout , qui a ſu trouver des
contre- poids à tous les pouvoirs , des raiſonsde
faire le bien dans tous les emplois ;
qui n'a laiſſe au Roi même d'autre reffourse
pour acquérir de la gloire & pour mériter le
titre de grand Homme , que de faire le bien
&d'aimer ſes ſujets; qui s'eſt fait juſques
de la politeſſe un moyen d'ordre. Voilà ſans
donte les cauſes générales de cette longue
durée de la Chine.
Il eſt encore quelques Penſées que l'on
juge à propos de faire entrer dans cet extrait.
Le Philoſophe de la Chine demande , non
ce qu'il y a d'extraordinaire & d'éclatant
DE FRANCE. IS
dans la vertu , mais ce qu'il y a de bon.
Il est intéreſſant de voir qu'il aſſigne la
même place à la vertu qu'Ariftote. " La
» vertu , dit- il, repoſe dans le jufte milieu.
ود Lemilieu est le point le plus voiſin de la
>> ſageſſe. Il vaut autant ne le point attein
>> dre que de le paſſer. >>
Combien les ſuivantes méritent d'être répétées
!
ود
" Entretenir l'amour & la concorde dans
ſa famille , faire régner la vertu parmi
- ceux qui nous ſont ſoumis , c'eſt gouver-
>> ner en effet , c'eſt exercer une magiſtra-
>> ture utile & glorieuſe. Pourquoi donc
rechercher une magiftrature publique ?
Est-ce ſeulement pour ſe voir décoré du
titre de Magiſtrat ?
ود
ود
ود
,
>>Celui qui ſuit le matin la vertu peut
>> mourir le ſoir. Il ne ſe repentira pas d'a-
- voir vécu , il ſe conſolera de mourir. >>
Quelle idée ne donne pas du vrai ſage la
penſée ſuivante !
"
* Le ſage perfectionne , ou plutôt il crée
les vertus des autres , il ſoutient la foi-
>>bleſſe , il encourage la timidité , il mo-
» dère ceux qui s'emportent dans leur cour-
> ſe , il preffe ceux qui s'avancent avec trop
de lenteur. Princes ! choiſiſſez des Sages
- pour Miniſtres !
Celle- ci devroit être gravée ſur la porte
de tout homme enplace.
"
* Magiſtrat , tu te plains du brigandage
du peuple , fois ennemi toi-même de la
16 MERCURE
/
>> cupidité ; & quand tu exciterois le peuple
>> à la rapine par l'eſpoir des récompenfes ,
>> il refuſeroit de s'y livrer. »
Voilà une philofophie qui a pour bafe
l'utilité publique , & toute au profit de l'humanité.
Ces Penſées ſont précédées , 1º. d'un Précis
de la Philofophie des Chinois. 2° . De la Vie
de Confucius.
La ſubſtance la plus eſſentielle de ce précis
ſe trouve dans l'extrait qu'on vient de donner
des Penſées. On y voit d'ailleurs contment
Lao-Kium , contemporain de Confucius
, s'écarta de la doctrine reçue & fit
ſecte: à quelle occaſion les fuperftitions &
le culte du Dieu Fo furent introduits à la
Chine ; on y apprend que dans la ſuite il
s'eſt formé une école, que l'on accufe d'avoir
perverti l'ancienne doctrine des Lettres , &
de tendre à l'Athéïime ; mais tout cela étant
extrêmement abrégé, il faut le lire dans le
Livre même.
J'obſerverai ici que malgré tous les changemens
que le temps a pu apporter à la
doctrine de Confucius , qui étoit celle des
anciens ſages , elle s'eſt pourtant confervée.
Parmi le plus grand nombre des Lettrés , on
peut dire qu'elle compofe encore la Religion
du Gouvernement. Qu'il fe foit élevé
dans différens temps des doctrines hétérodoxes
, cela eſt conforme à la nature ; mais il
ne l'eſt pas qu'un peuple civiliſé devienne
tout- à-coup Athée. C'eſt-là ce que l'on
DE FRANCE. 17
peut regarder comme impoſſible , & prouvé
faux par les faits .
Pour ce qui concerne la vie de Confueius
, elle eſt encore plus abrégée que ce
précis de Philofophie. Cet homme , qui a
fi fort honoré l'humanité , naquit ss1 ans
avant notre Ere , dans une époque mémorable
pour la ſageſſe dans notre occident
même. Solon vivoit encore , Thalès touchoit
àfes dernières années , Pythagore florifſoit ,
&Socrate alloit naître .
Dès l'âge de quinze ans il ſe livra tout entier
à l'étude des anciens Livres . Il afpira
aux premiers Magistratures , & y parvint;
mais il les recherchoit pour faire le bien ,
& non par ambition .
A l'âge de cinquante- cinq ans , il devint
premier Miniftre dans le Royaume de Lon ,
ſa patrie. Tout prit bientôt une face plus
heureuſe ſous ſa direction ; mais à peine le
bonheur public étoit il coinmencé , que ce
Miniſtre Philoſophe perdit ſa place , par la
raiſon mêine qu'il faiſoit le bien. Il fuit en
pleurant ſur ſa malheureuſe patrie, erre malheureux
de Royauine en Koyaume ; mais
l'inſulte & l'humiliation ont beau s'attacher
à ſes pas , la vertu bannie & proſcrite en lui
n'en eſt que plus repectable. Il meurt à l'âge
de ſoixante-treize ans , en prononçant ces
mémorables paroles : " Les Rois n'obſer-
» vent pas ce que j'enſeigne aucun d'eux
ود
د
ne ſent mes principes , il ne me reſte plus
>>>qu'à mourir. »رد
18 MERCURE
Après ſa mort , on lui a prodigué tous les
honneurs , excepté l'adorarion pure. Tous
ceux qu'on reçoit Docteurs font examinés
ſur ſes Livres. L'Empereur donne le titre
dediſciple de Confucius aux premiers Mandarins
pour leshonorer. On ne lui a pas bâti
des temples , mais des maiſons qui font
comme des Académies. Enfin , tout l'Empire
lui rend hommage dans ſa famille , qui exiſte
encore.
Sur tout cela M. Leveſque mérite beaucoup
de louanges. Le choix des Penſées eft
très- heureux. Quant au ſtyle , il eſt vif,
pur, rapide & ferré , cependant très-convenable
à ſon ſujet ; mais il a peut- êtreun
peu trop employé ſon laconiſme dans le
Précis de la philofophie des Chinois , ainſi
que dans la Vie de Confucius, On ſent bien
qu'il étoit nécefaire de conſerver dans le
tout une juſte analogie , & qu'il n'y falloit
point de diſparate; mais ſans tomber dans
cet inconvénient , il étoit poſſible d'y mettre
moins de roideur & de conciſion , d'y
faire entrer quelques détails , même en obſervant
la même brièveté. Ainsi , l'Auteur
auroit eu le mérite de varier davantage ſes
couleurs ; & le Lecteur n'auroit pas eu occafion
de remarquer qu'une pareille manière
d'écrire rendroit la lecture trop tôt
fatigante.
Il eſt des choſes dont il ne faut point
parler ou qu'on doit éclaircir. Par exemple ,
il eſt dit dans la vie de Confucius , quefon
DE
FRANCE .
19
père, illuftréperſonnellement par les premières
Magistratures , descendoit de l'avant- dernier
Empereur , de la Dynastie des Chang. Et
voici ce que ce Philoſophe dit de lui- même
dans la 138. Penſée : Né dans une condition
obscure , élevé dans l'humiliation , j'ai eu
pour maître le malheur , & il m'a beaucoup
appris.
Voilà une contradiction très- frappante en
apparence , qui arrête & ſurprend le Lecteur
, & qui auroit éré ſuffiſamment réfoluedans
un abrégé auſſi court , en ajoutant
que cette contradiction n'étoit qu'apparente ,
attendu qu'une autre Dynastie étoit ſur le
trône , & que les Princes du Sang à la Chine
ne ſont preſque conſidérés qu'autant qu'ils
exercent de grands emplois , ſoit dans le
civil, ſoit dans le militaire; ſans quoi,après,
deux ou trois générations , iis rentrent dans
la foule, & ne vivent plus que comme particuliers.
Il eſt dit encore dans la même vie , que
la polygamie eft permiſe à la Chine , cela
manque
d'exactitude. Les Lettres Édifiantes
des
Miſſionnaires, diſent
poſitivement que
les Chinois ne peuvent avoir qu'une femme
légitime ; qu'à la vérité ils ont des Concubines,
ce qui eſt regardé comme une lis
cence.
Peut- être encore M. Leveſque auroit- il
pu ſuivre un meilleur ordre dans la difpoſition
de ſes Penſées. Mais ces
remarques
critiques ſe réduiſent à très-peu de choſe ,
20 MERCURE
& le Public lui doit beaucoup de reconnoiffance
pour un Recueil auffi bien fait en
général , & auſſi précieux à la raiſon que
profitable à la morale , dont le mérite eſt au
moins orné , fi non relevé par la beauté du
papier d'Annonai , && par tout ce qui tient à
la Typographie , dans laquelle M. Didot
ſe diftingue de plus en plus.
LETTRE fur le Secret de M. Mesmer ,
ou Réponſe d'un Médecin à un autre
qui avoit demandé des éclairciſſemens à ce
Sujet; par M. Retz , Médecin de Rochefort.
A Paris , chez Méquignon , Libraire,
rue des Cordeliers , 1782 .
ENVIRONNÉs d'hommes merveilleux &
d'hommes crédules , les perſonnes les plus
ſages font expoſees à être les dupes & les
victimes des preſtiges adroitement employés
par le charlataniſme. Il ſemble qu'il ſe ſoit
élevé une ligue contre le bon ſens & la raifon.
Ce que nos Provinces dédaignent , ce
que les Étrangers rejettent avec le plus de
mépris, nous eſt, depuis quelque temps, apporté
avec confiance , & nous l'accueillons
avec tranſport. Ces groſſes erreurs auxquelles
dans des ſiècles d'ignorance , on s'abandonnoit
par routine , nous voulons nous les
rendre propres , & nous faiſons de grands
&de vains efforts pour les placer au nombre
des vérités .
De tous les phénomènes de ce genre, auDE
FRANCE. 21
cun n'étonnera plus la Poſtérité que les miracles
attribués à ce qu'on appelle le magnétiſme
animal. On ſe ſert de ce nom pour
déſigner un procédé avec lequel , par le ſeul
contact , qui n'eſt pas même toujours immédiat,
on prétend guérir les maladies les plus
graves, modifier les impreſſions nerveuſes, ſe
rendre maître des affections de l'âme ; avec
lequel, en un mot, on peut communiquer à
un autre cette étonnante propriété pour un
temps plus ou moins long. L'art des enchantemens
n'ajamais promis de plus grandes
merveilles. M. Retz démontre que du temps
de Cardan, & à pluſieurs époques , on a publié
& répandu de ſemblables affertions ; &
il prouve qu'un homme affez exercé pour
reconnoître une imagination mobile , & s'en
emparer , peut produire tous les effets attribués
au prétendu magnétisme animal. Le
voile étant enfin tombé , n'eſt- on pas en
droit de dire à ceux qui ont été trompés par
cet art infidieux , pourquoi avez-vous fi
facilement laiſſe ſurprendre votre confiance ?
Pourquoi avez- vous éloigné le témoignage
des perſonnes inſtruites , ſeules juges en
pareille matière ? Pourquoi avez - vous applaudi
à un Étranger qui eſt venu dans
votre Capitale inſulter à vos Arts , à vos
Lettres , à vos Académies , à l'Ordre de la
Nobleſſe , à la Nation entière ? L'Auteur du
magnétiſme animal s'eſt rendu coupable de
tous ces griefs dans un Précis historique des
faits relatifs à cet objet, publié en 1781
22 MERCURE
4
comme les citations ſuivantes l'indiqueront.
En parlant de l'Académie Royale des
Sciences , page 30 , j'arrivai , dit - il , d'affez
bonne heure pour voirse former une de fes
Assemblées , &je m'apperçus qu'elle est un de
ces objets révérés de loin , & qui font peu de
choſe de près. Non ſeulement il s'exprime
d'une manière peu décente fur le
compte de la Société Royale de Médecine ,
mais encore il ajoute que l'établiſſement
des diverſes Sociétés de Médecine dans les
Royaumes voiſins de la France , font des
inſtitutions très - dangereuſes , page 16. La
Faculté de Médecine de Paris eft , ſuivant
lui , une Compagnie indifciplinée , page 114.
Elle eft, continue-t-il , fi mal ordonnée,
qu'elle n'a pas même de Regiſtres ; ſes Délibérations
font écrites fur des feuilles volantes,
ce qui rend les falfifications faciles ,
page 183. Après avoir cité les noms des
perſonnes de la première qualité , il s'écrie ,
page 188 , oh ! Chevaliers Francois , qu'est
devenue votre antique fierté? Recevez cette
mortifiante leçon d'un Savant obfcur , &c.
Il expoſe le caractère de la Nation Françoiſe,
Page 56 ; En France, dit- il , on compte la
guérison d'un pauvre pour rien. Dans ce même
Ouvrage preſque tous les Médecins habiles,
des Phyficiens célèbres , des Hommes de
Lettres très- eftimables,font inſultés nommément
& de la manière la plus grave. On n'a
jamais réuni en auſſi peu de lignes tant de
fauffes imputations & rant d'injures. L'AuDE
FRANCE.
23
teur de ces gentilleſſes a placé en tête de ſon
Livre les noms des Académies & des Savans
qu'il a perfifflés ,& auxquels il a adreſſé
un ou pluſieurs Exemplaires de cet Ouvrage.
Une conduite pareille n'eſt point celle d'un
homme ſage & d'un ami de la vérité. Cette
Nation , que l'Auteur du magnétiſme traite
avec ſi peu d'égards , parce qu'elle en a eu
trop pour lui , connoît mieux que toute autre
la valeur des procédés. Il y a long- temps
que la partie la plus éclairée de ceux qui la
compoſent ſait ce qu'elle doit penſer du magnétisme
animal & de ſon Auteur. Il faut
eſpérer qu'il ne joindra pas à l'audace d'avoir
fait un pareil Livre, celle de reparoître
dans une Capitale dont il a offenſé tous les
ordres . L. N.
ACADÉMIE.
EXTRAIT de ce qui s'est passé dans
l'Assemblée publique de l'Académie de
Bordeaux , tenue le 25 Août 1782 .
J''AAII toujours regardé les Académies comme des
citadelles élevées contre l'ignorance & le mauvais
goût. Ce que je viens d'entendre dans la Séance publique
de l'Académie de Bordeaux , peut faire connoître
à quel point elles ſont néceſſaires pour étendre
les idées & pour éclaircir des queſtions importantes.
On verra quelles lumières elles répandent"
dans les Provinces ,& qu'il ne manque plus guères
àces grandes Villes, qu'un peu plus de confiances
24 MERCURE
dans leurs propres forces pour faire de plus grands.
progrès encore ; elles peuvent déjà dire à pluſieurs
égards : Et nous auſſi, nous ſommes Capitales .
L'émulation qui régnoit entre les Villes de la
Grèce pour les Arts & pour les Belles- Lettres , peut
régner entre les grandes Villes de la France. L'Attique
étoit moins riche & moins étendue que l'Aquitaine.
Corinthe & Mycène n'avoient pas un territoire
équivalent à la Bourgogne , au Lyonnois ou à
la Provence.
Bordeaux , l'un des plus beaux ports qu'il y ait
au monde , Bordeaux décoré déjà de bâtimens magnifiques
, Bordeaux , la patrie de Montagne & de
Montesquieu , ne ſera pas la Ville la moins ſenſible
à la gloire qui peut naître d'une fi noble concurrence.
M. Dupré de Saint - Maur préſidoit l'Aſſemblée ;
il eſt Intendant de la Généralité de Bordeaux ; il
avoit fondé un prix de Mathématiques pour l'inftructionde
lajeuneſſe. Ce prix devoit être donné au
jugement de l'Académie. E'Académie l'avoit partagé
entre quatre jeunes gens qui s'étoient également
diftingués. M. Dupré de Saint - Maur ouvrit la
Séance par les couronner , & il eut la fatisfaction ,
bien douce pour un père , de poſer une de ces couronnes
fur le front d'un de ſes fils .
Il lut enfuite le précis d'un Mémoire fur la décadence
du commerce de Bayonne &de Saint- Jean de-
Luz, &fur les moyens de le faire refleurir. Dans la
première partie de ce précis , M. Dupré de Saint-
Maur rend compte des événemens qui ont cauſé la
perte de ce commerce ; dans la ſeconde, il propoſe
les moyens les plus efficaces de lui rendre ſa ſplendeur.:
C'eſten vain qu'il s'eſt excuſé dans ſon avantpropos
de lire dans une Séance académique un
Ouvrage qui n'avoit point été fait pour y paroître ,
&dont il n'avoit pas ſoigné le ſtyle ; la préciſion , la
clarté ,
DE FRANCE. 25
clarté, la fimplicité , voilà le mérite littéraire de
ces fortes d'Ouvrages; & ce que nous allons extraire
de la première partie de ce Mémoire , qui n'étoit
que l'abrégé d'un plus grand Ouvrage , fera
juger au Lecteur s'il manque de ce mérite.
Bayonne fleuriſſoit; le pays de Labour parta-
>> geoit ſa ſplendeur ; un feuple de commerçans
>> remp'iffoit ſon enceinte , leur activité s'étendoit
ככ
28
fur toutes les mers ; l'Eſpagnol attiré par le voi-
» finage, la commodité de la route , & l'agrément
de trouver dans un même lieu des afſortimens
> complets de toutes les marchandiſes qui étoient
à ſon goût & à ſon uſage , y verſoit une partie
conſidérable des tréſors de l'Amérique , ou y ap-
>> portoit en échange les laines non moins précieuſes
ככ
ود
לכ deſonpropre pays.Toute cette fortune a diſparu
>> en peu d'années ; ſa population a diminué de
4 plus de moitié , ſon port ; ſes rues , ſes maiſons ,
>> ſes chantiers ſont également vuides & déferts . Les
>> émigrations cauſées par la ceſſation du travail,ont
été encore plus ſenſibles dans le pays de Labour.
>> La ſolitude eſt encore plus grande & la triſteſſe •
>> plus profonde à Saint- Jean-de-Luz.... La ſtérilité
> des environs de Bayonne a été fans doute la
>> principale cauſe qui a déterminé le génie de ſes
>>habitans vers le commerce & la navigation , mal-
> gré la nature dangereuſe de leurs côtes.... des
>> beſoins preſſans les portèrent à franchir la bar-
>> rière effrayante qu'une mer toujours courroucée
>> leur préſentoit à l'embouchure de l'Adour.
>> Les premiers pas de ces Navigateurs, plus péril-
>> leux que de longs trajets dûrent les rendre les
>> plus intrépides Marins de l'Univers . Bientôt auſſi
>> les vit-on aller attaquer les premiers , & pourſui-
> vre juſques dans les régions où l'été & l'hiver ne
> compoſent plus qu'un jour & une nuit , ces énor-
>> mes cétacées , que leur maffe , leur force prodi-
Nº. 44 , 2 Novembre 1782 . B
26 MERCURE
>> gieuſe & la profondeur des eaux qu'elles habitent
>> ſembloient devoir mettre à couvert de la témé-
>> rité de l'homme . Mais ce deſtructeur des êtres &
>> de lui-même, parvenu en affez peu de temps à
» dépeupler les mers de la plus étonnante de ſes
>> productions , a enfin exilé cette eſpèce ſous les
>> pôles du monde , où la Nature a ſu, malgré ſes
>> efforts , dérober quelque choſe à fon audace & à
>> ſa curiofité.
১১
>> Lesbaleines réfugiées vers le Spitzberg , l'in-
>> certitude de cette pêche ne permit plus aux Baf-
>> ques d'exercer leur courage contre elles ; il fallut
céder ce profit à des Nations plus voifines qui
>> pouvoient armer à moins de frais. La pêche de la
>> morue auroit pû dédommager Bayonne, ſi ſes pro-
>> fits conſidérables n'avoient bientôt excité l'envie
>>>d'une Nation qui ne vouloit fouffrir aucun par-
>>tage ſur l'Océan. Les François , depuis long-temps
» génés à Terre-Neuve, furent enfin tout-à-fait exclus
de ces parages par les Anglois....
ود Les Bayonn is formoient beaucoup d'autres
> ſpéculations; ils ſe pourvoyoient dans divers marchés
des articles qui convenoient aux Eſpagnols ,
>> leurs voiſins , & de ceux qui manquoient encore à
१०
3כ
ود
la France. Cette activité leur mérita la protection
de nos Rois , qui devint l'aliment principal de leur
>> profpérité. Ces privilèges ne nuiforent point aux
Manufactures françoiſes , qui n'exiſtoient point
encore; mais quand la France eut dans ſes atteliers
tout ce que les Arts peuvent produire en fa-
35 veur du luxe , les Fermiers ou les Kégifſſeurs à qui
l'exécution des loix prohibitives étoit confiée, alléguèrent
que la liberté indéfinie accordée à
» Bayonne de commercer également avec la France ,
>> reſpagne & les autres Peuples de l'Europe , ſans
>> être affujétie aux prohibitions , tournoit au détri
> ment de l'induſtrie nationale , choquoit la juſtice
DE FRANCE. 27
&l'égalité de protection que le Souverain doit à
tous les ſujets. :
2. Quelques - unes des marchandises que certe
* Ville fournitloit a l'Eſpagne furent donc proki-
>> bées , d'autres ſurchargées de droits ; dès-lors les
affortimens de Bayonne devintent incomplets , &
n'eurentplus le même attrait. Des entrepôts , des
plombs , des acquits à caution , des vifites , des
>> formalités infinies fatiguèrent l'Acheteur eſpa-
>gnol; il ne vint plus , il alla ſe pourvoir à
> Saint-Sébastien & à Bilbao , que l'Eſpagne venoit
>> d'ériger en ports francs , & où la pleine liberté
>> compenſoit les défavantages locaux , &c . &c &c.
>> Le commerce de Bayonne n'a pu déchoir ſans
> que la navigation ait éprouvé le même ſort. Les
> ouvriers qu'elle entretenoit , Charpentiers , Calfats,
Voiliers , Cordiers , Avironniers , preſſés par
le beſoin , ſont allés vivifier les atteliers de
Saint-Sébastien , de Bilbao &de Saint - Ander. La
> population de Bayonne , qui étoit en 1713 de
vingt-deux mille habitans , n'étoit plus en 1778
>> que de neuf mille quatre cent cinquame - deux
*&depuis ce temps elle est encore diminuée ; celle
•de Saint-Jean- de- Luz qui , vers la même époque ,
→ étoit de quatorze millehabitans, elt préſentement
> réduite à quatre mille »
Jene déraillerai pointles moyens propoſés par l'Aus
seur de ceMémoire pour rétablir le commerce de ces
deux Villes , & pour en repeupler le territoire. Ad
miniſtrateur éclairé , connoiſſant les hommes , les
affaires , les Pays , les Cités dont il parle , les rap-
Ports de cette Province avec les Provinces & Jes
États voiſins, les circonstances préſentes & les révος
lutions qu'elles ſemblent préparer , il a tout prévu ,
tout pefé. Cet Ouvrage doit produire le double bien
de réparer & de prévenir les abus. C'eſt une
preuve politique & arithmétique que l'intérêt du
Baj
28 MERCURE
Peuple eſt celui du Souverain ; qu'opprimer l'un c'eſt
nuire à l'autre ; que quand les impôts font mal poſés
ou mal répartis , le droit , pour me ſervir de ſes
propres termes , le droit eft destructeur du droit
méme. e
A ce Mémoire ſuccéda un Diſcours de M. de
Larroque, ſur la découverte del'Aberration des étoiles
fixes , & fur le prochain paſſage de Mercure devant
le diſque du ſoleil. Ce Diſcours , qui joignoit une
grande clarté à une grande préciſion , ſembloit ne
devoir convenir qu'aux Aftronomes ; mais le Public
entend toujours nommer avec plaifir ceux qui ont
fait de grandes découvertes. Il écouta donc avec intérêt
le court expoſé des travaux qui firent parvenir
l'Irlandois Samuel Molyneux , & l'Anglois Jacques
Bradley à la découverte de l'Aberration des étoiles
fixes , découverte qui démontra que ces étoiles ne
pouvoient avoir une parallaxe. Depuis 1609 , où les
lunettes ont été inventées , Vénus n'a paſſé encore
que trois fois ſur le diſque du ſoleil , tandis que
Mercure y paffera pour la vingt- troiſième fois le 12
Novembre de la préſente année 1782. Ce paffage
ſera viſible dans toute la partie occidentale de l'Europe
& de l'Afrique , &dans preſque toute l'Amérique.
M. de Larroque a calculé l'inftant de l'entrée &
de la fortie de cet Aſtre ſur le diſque du ſoleil , la
durée de ſon paſſage relativement à la ville de Bordeaux
, ainſi que toutes les obſervations qu'on peut
faire à ce ſujet dans cette même Ville , où l'habitude
de naviguer& de prendre les étoiles pour guide en
traverſant le vaſte déſert de l'Océan , rend plus fenfibles
les grands avantages que l'homme peut retirer
de l'étude de l'Aſtronomie.
M. Dupaty , autrefois Avocat Général , & maintenant
Préſident à Mortier au Parlement de Bordeaux,
prit la parole , & lut un Effai fur la Vie & les
Ouvrages de Quintilien. Ce Diſcours fit la plus
DE FRANCE. 29
vive impreſſion ſur l'Aſſemblée; il fut interrompu
fréquemment par ces applaudiſſemens univerſels qui
prouvent que l'Orateur s'eſt emparé de l'âme de
tous ſes Auditeurs. Il ſeroit à ſouhaiter qu'il le fit
imprimer , moins pour les beautés qu'il renferme
que pour la manière ſavante dont il expoſe & dont
il développe tous les principes de l'éloquence. II
rappelle , avec Quintilien , quelques-unes des caufes
qui perdirent cet Art chez les Romains ; il enſeigne
enfuite tout ce qui forme l'Orateur; il termine cet
Eſſai par les regrets de Quintilien ſur la perte de ſes
deux fils , & par le juſtifier d'avoir donné des éloges
à Domitien. Mais il faut l'entendre lui-même ; en
voici quelques morceaux.
<< Lorſqu'on lit l'Hiſtoire des Empereurs Ro-
» mains , on ne peut concevoir d'abord que les
* Sciences & les Lettres aient pu porter quelques
>> fruits & quelques fleurs fous un ciel ſi orageux ;
>> on imagine que le Génie des beaux Arts avoit
>> dû s'enfuir devant les légions avec le Génie de la
>>>liberté ; mais pour peu qu'on y réfléchifle , on
→ doit être, bientôt détrompé. Tout grand mouvement
, toute grande agitation eſt favorable au
Génie; je dis plus, elle lui est néceſſaire.Le Génie
• fe meut & s'agite lui-même tant que les Empires
s'élèvent ou tombent, & ce n'eſt pas le fra-
> cas des oraggeess ,, mais le filence des tombeaux qui
>> l'épouvante ; d'ailleurs , bien différentes de ces
>> révolutions dans la législation civile & dans la
>> condition des Citoyens, qui embraſſent irrévoca-
>> blement toute une Nation & compoſent ſa def-
>> tinée, les révolutions dans le Gouvernement n'in-
> fluent que ſur le ſort d'un petit nombre d'indivi-
>>> dus , fur ceux qui ont du pouvoir à vendre &
לכ fur ceux qui en veulent acheter ; de forte que
> lorſque les légions eurent conquis à la fin l'auto-
>> rité ſouveraine , les Empereurs n'étant alors dans
Buj
30
MERCURE
>> le faitque les Miniſtres de l'Armée , ces tempêtes
>> qui les faiſoient échouer l'un après l'autre fur les
>> roches qui bordoient le Trône, ne changeoient ab
>> folument que les perſonnes,&ne touchoient point
aux choſes.... Et tandis que le Palais des Céfars
>> regorgeoit toujours de fang , que le camp des
Prétoriens regorgeoit toujours de fang , que le
> Sanctuaire du Sénat regorgeoit toujours de lang ,
>> tandis qu'on voyoit pendant le jour , qu'on voyoit
> pendant la nuit errer en foule dans ces lugubres 0
funeftes lieux les délateurs , les confpirateurs &
les bourreaux, le Peuple Romain ignorant fouvent
qui s'appeloit Empereur , inondant , comme
>> à l'ordinaire , le cirque , le forum & les théâ
tres , fuivoit tranquillement toutes les affaires
& tous les plaiſirs de la vie.... »
Paſſantde cesgrands tableaux aux règles de l'É
loquence, voici comme il s'exprime. « Si l'éloquence
> n'avoit d'autre objet que de communiquer par la
>> parole les ſentimens & les penſées , il ſuffiroie
>> fans doute de pouvoir ſentir avec force , & de
> ſavoir parler avec convenance pour ſe montrer
: et
Orateur ; mais l'objet de l'Éloquence n'est pas fo
>> fimple. Avec le ſentiment & l'expreffion vous
> ferez difert , il eſt vrai , mais vous ne ferez pas
Orateur , il vous échappera même des chofes
* éloquentes , mais vous ne ferez pas éloquent ;
* vous pourrez le devenir un jour, mais vous ne
> le ferez pas encore : en effet, pour parvenir à ce
but , il ne ſuffit pas que votre discours me tra
>> duiſe fidèlement votre âme, il faut que votre
>>>âme, à travers votre discours , atteigne la mien-
> ne , & agiffe fortement ſur elle ; il ne ſuffit pas
>> que vous me montriez vos ſentimens , il faut que
* vous changiez les miens , il faut enfin que mon
> entendement ſoit pour vous une véritable toile ,
» cù , en vous jouant, vous effacicz , vous corre
DE FRANCE.
38
giez , vous peigniez en un mot à votre gré avec
→ le pinceau de la parole.... L'Éloquence a trois ob-
>> jets principaux qu'elle ſe propoſe de remplir .
>> tantôt chacun ſéparément , tantôt tous a-la-fois ;
> elle veut plaire, elle veut perfuader , elle veut
>> convaincre. Je dis ſéparément ou à-la-fois , car
> ſouvent elle n'a beſoin que de plaire &de con-
>> vaincre, ou biende plaire & de perfuader ; mais
il faut toujours qu'elle plaiſe. Plaire c'eſt la moitiéde
tous les mérites, c'eſt les trois quarts de
tous les ſuccès ; c'eſt ce qui ſéduit l'opinion , c'eſt
> ce qui féduit la fortune ; auſſi tâcher de plaire
eſt-il à- la- fois & le premier conſeil de l'art de
> vivredans le monde, & le premier précepte de
l'Art oratoire ; mais combien il est difficile de
> remplir parfaitement ces trois objets ! Pour plaire,
30 par exemple, que de moyens ne faut-il pas em-
>> ployer ? En effet, l'eſprit de vos Auditeurs ne
> fût-il pas armé contre vous , leur coeur vint il de
* lui-même au-devant de votre discours , n'cuffiez-
- vous enfin qu'à captiver l'attention , combien
❤ cette tâche eſt pénible ! Ce n'est rien de l'avoir
>> ſéduite, il faut la fixer encore ,& elle eſt ſi légère,
>> fi mobile; elle ſe laffe & fe dégoûte ſi-tôt de tout ,
» que ſi vous voulez la retenir pendant le temps
▼ que vous parlerez à la raiſon, il faut que vous
> l'amufiez comme un enfant par la multiplicité &
>> la beauté des images, par la variété des formes ,
>> par le mêlange des tons ; enfin ,par tous les pref
> riges dont peut uſer la parole.... La tâche de con
>> vaincre l'eſprit n'a pas moins de difficulté ; vous
>> ne la remplirez jamais fi vous n'avez décompoſé
>> l'entendement humain ; fi vous n'en avez analyſe
>> tout le méchaniſme; fi vous n'en avez diftingué ,
>> réduit & claffé les opérations mystérieuſes; fi
>>> vous n'avez découvert toutes les communications
>> ſecrètes de la nature phyſique avec la nature mo
Biv
32
MERCURE
>> rale,& l'influence qu'elles exercent reſpectivement
>> l'une ſur l'autre ; fi vous ne connoiſſez les erreurs,
c'est-à-dire , les maladies naturelles de l'eſprit
>> humain; fi vous ne poſſédez parfaitement l'hiftoire
de toute cette famille nombreuſe; fi enfin
>> la véritable métaphysique , qui n'eſt que l'hiſ-
>> toire naturellede la penſée & du ſentiment , n'a
>> trahi pour vous tous ſes ſecrets. L'art de perfua-
>> der eft encore plus compliqué & plus difficile.
>> Dans cette partie, c'eſt avec tout le coeur humain
>> que l'Éloquence a affaire. Il faut qu'elle traite
>>>avec toutes les paſſions , qu'elle faſſe la paix avec
>>> cette foule d'ennemis de la raiſon & de la vérité.
Les unes , il faut les flatter avec douceur ; les
>> autres , les gourmander durement ; il faut en-
>> courager celles- ci , il faut intiinider celles-là ;
>>> mais tout cela ne ſauroit ſe faire ſans une con-
>> noiſſance approfondie non - ſeulement du coeur
>> humain, mais de l'action de toute la Nature fur
ود le coeur humain. Vous avez beſoin de connoî-
>> tre les climats , les ſituations phyſiques , les
» moeurs , les tempéramens , & fur-tout les inté-
, rêts.... Il y a plus: c'eſt qu'il ne ſuffit pas de les
>>connoître, il faut les employer à propos. Gardez-
ככ VOUS de vous adreſſer à l'entendement quand
>> vous devez parler au coeur ; ne vous obſtinez pas
ود
20
à combattre des opinions quand des intérêts
font derrière; enfin , ne lancez pas toutes les
foudres de l'éloquence , quand il vous ſuffiroit
d'offrir quelques-unes de ſes fleurs à l'imagination
>> qui vous écoute.
כ ১
ود
>> O vous qui penſez qu'une imagination vive ,
>> un coeur ſenſible , une élocution facile , c'eſt-là
>> tout l'art de l'Éloquence , toutes ſes reſſources
> & tous ſes moyens , voyons comme avec tous ces
avantages vous réuſſirez dans cet Eſſai que je vous
* propoſe.... Céfar , de retour à Rome , veut repo
DE FRANCE.
33
fer en paix dans le ſein des voluptés , ſur les rui-
>>, nes de la République ; mais l'hydre de la rébel ,
>> lion poutloit toujours quelques têtes ; il eſpéroit
>> les avoir tranchées toutes, lorſqu'une nouvelle fe
>> dreſſa inopinément en Afrique , irritée par Liga-
>> rius. Céfar a déja pardonné à pluſieurs rébelles ;
mais il eſt facile de pardonner à des ennemis qu'on
>> mépriſe .... Ligarius mourra donc. La condamna-
>> tion eſt ſignée, voilà Céfar ſur ſon Tribunal , il
>> eſt vrai , & il veut bien vous entendre ; mais c'eſt
>> parce qu'il eſt bien sûr de ſa haine , qu'il ne re
> doute pas vos paroles . Ce papier que vous voyez
ככ dans les mains de Céſar, jeune homme, c'eſt la
>> mort de Ligarius ; maintenant , jeune homine ,
» déployez votre imagination brillante , épanchez
cette ſenſibilité ſi vive & cette élocution abon-
> dante : allons , tâchez d'éteindre la colère dans
>> ces regards , & d'y faire briller une larme ; for-
>> cez cette main à laiſſer échapper la redoutable
>> fentence.
>>> Votre Exorde , j'en conviens , eſt pompeux ;
>> il eſt brillant , il eſt adroit , il annonce un Ora-
>> teur; mais ce ne ſera jamais par un Orateur que
ככ ſe laiſſera déſarmer Céfar. Tout ce que vous
>> dites pour juſtifier la conduite de Ligarius , j'en
>>>conviens aufſi , eſt de la plus grande vérité, de la
>> plus grande force ; mais , o imprudent ! s'il eſt un
>> crime qu'un ufurpateur ne puiſſe jamais pardon.
>> ner àun rébelle , c'eſt celui d'avoir raiſon . Vous
>> revenez ſur vos pas , & vous niez les faits , quel-
> que conftatés qu'ils ſoient : qu'eſpérez vous ?
• Que Céfar , en conſentant à vous croire , vous
>> autoriſera à le regarder comme une dupe. Ces
>> images font belles, ces penſées ſont ingénieuſes ;
>> toute la langue vous obéit , elle vous ouvre tous
ככ ſes tréſors ; mais la vengeance brûle dans ce
> coeur , & vous voulez l'amuſer, Ah ! que faites-
:
Bv
34 MERCURE
- vous , ô jeune homme! en peignant de fi vives
» couleurs la malheureuſe deſtinée qui attend Liga-
> rius. Ce dernier trait va vous perdre. Oubliez
* vous que c'eſt à la vengeance que vous promettez
> ces malheurs. Retirez-vous au plus vite , & cédez
votre place à Cicéron. Voilà Cicéron devant le
coeur de Céſar. Vous allez voir comment , ſemblable
à un Muſicien conſommé , ce véritable
> Orateur va manier à ſon gré cet inſtrument f
>>>difficile , mais qu'en même-temps il connoît fo
>> bien, non-feulement tel que l'avoit fait la Na-
>> ture, mais encore tel que l'a travaillé la fortune ,
>> & que l'a achevé la victoire. Vous allez le voir
>> défarmer l'une après l'autre toutes ces paſſions
>> conjurées , ôter , comme avec la main , du coeur
> de César la colère , & y placer la clémence. Vous
→ avez commencé par vouloir perfuader à Céfar
>> que vous étiez Orateur , & Cicéron commencera
par-tâcher de faire oublier à Céfar que c'eſt
> Cicéron qui parle ; auffi point d'Exorde , & Cicé
>> ron courtau fait ; mais, comme vous , juftificratil,
niera-t il ? Ni l'un ni l'autre. Si Ligarius eft
innocent , Cicéron le fait bion; il eſt perda. Quel
*parti prendra-t- il donc ? Il avoue tout; il con-
>> vient de tout; il reconnoît Ligarius coupable ;
a il déclare qu'il n'a rien à attendre , & qu'il n'attend
rien de la justice; il ſe ſauve en un mor
20 de la justice de Céſar dans ſa clémence. Sur ce
>> coup de maître l'amour- propre de Céfar , c'est-à-
>> dire, le plus terrible ennemi de Ligarius , ſe
trouve déjà défarmé; mais j'entends encore l'inté-
50 rêt de ſa fûreté qui crie à Céſar point de grâce.
20 Avec quel art admirable Cicéron va lui répondre !
Vos ennemis , ô Céfar , defireroient bien que
vous fuifiez inflexible , que vous vous montuaf
-hez cruel ; ce qu'ils redoutent le plus dans lesprojets
téméraires à la fois && infenfes qu'ils méditent 20
DE FRANCE.
35
*contre votre perſonne , c'eſt que vous vousattachiez
de plus en plus tous les coeurs par votre
>> clémence de plus en plus généreuſe. Il n'y a plus
>> d'obstacle à préſent devant la pitié & la gloire ,
>> l'Orateur peut aller à elles. La haine de Céfar
>> contre Ligarius eft extreme. Eh bien, Cicéron
>> commencera par la partager , par préſenter à cette
>> flamme ardente pluseurs objets. Il donne à Liga-
ככ
ॐ
rius des complices ,& quels complices ? Ses propres
dénonciateurs & les propres amis de Céſar.
>> Il fait plus : cette haine de Célar qui étoit atta-
>> chée à Ligarius , il l'en détache , il l'enlève , & la
>> tranſporte fur ſes accuſateurs audacieux. Céfar ,
* ils étoient auſſi coupables que Ligarius ; vous leur
avez donné la vie ,& cependant ils demandent la
> mort de Ligarius. Quel changement étonnant !
* Le front de Céfar eſt adouci ; fes regards font
>> humides , & la redoutable ſentence a vacillé dans
> ſa main ; mais ce n'est pas affez qu'elle vacille , il
>> faut qu'elle tombe , il faut qu'elle tombe à ſes
* pieds. C'eſt à la gloire à décider la clémence. O
César , ſi Ligarius vous paroît avoir commis un
>> crime indigne de pardon , que dira-t'on de vous ,
* qui avez rempli les plus hautes dignités de l'État ,
> de la plupart de ſes complices ? On ne dira plus
que c'eſt clémence pour eux , mais mépris pour
* les Komains. On dira que vous avez telkinent
>> mépriſé le peuple Romain que vous avez cru qu'il
* ne méritoit pas mieux que d'indignes crimineis
> pour le gouverner déſormais. Célar , o que de
>> grâces vous accorderez en une ſeule ! Voyez tous
> vos amis dans les larmes ; entendez les gémiſſe-
>>> mens de toutes ces Provinces. Votre clémence a
>> rendu dernièrement Marcellus au Sénat. Un plus
>> beau triomphe , un triomphe proportionné à
* vos vertus l'attend dans ce jour. C'eſt au peuple
* Romain ensier qu'elle tendra Ligarius. EnAN
B
36 MERCURE
>> voici le dernier trait que Cicéron va lancer , &c
> qui achèvera la victoire. Ce qui approche le plus
>> l'homme de la Divinité, c'eſt de conſerver la vie
>> à d'autres homines. Or, Céſar, il n'y a rien tout- à-
>> la-fois ni de ſi grand dans votre puiſſance fi
> étendue que de pouvoir conſerver le jour a tant de
• milliers de mortels , ni de meilleur dans votre
>> nature fi admirable que de le vouloir. Céſar ,
>> Cicéron t'a fait Dieu , il faut bien que tu fois clé-
» ment. Triomphe à jamais mémorable de la véri-
> table Éloquence ! Céfar pleure , & Ligarius eft
> ſauvé. »
C'eſt à cet exemple , où s'appliquent fi bien les
principes de l'Auteur , que nous bornerons l'Extrait
de ce Diſcours , quoique nous ſoyons très- fâchés de
ne point mettre ſous les yeux des Lecteurs ce qu'il dit
des autres talens néceſſaires à l'Orateur , & ce qu'il
rapporte de la vie & des vertus de Quintilien.
Après ce Diſcours , rempli de mouvement & de
chaleur , M. de Légliſe lut quelques réflexions touchant
la diſtribution des métaux fur les différentes
parties du Globe. Ces réflexions contenoient une
idée qui m'a para fublime; & quoique M. de Légliſe
ne l'ait préſentée que comme une ſimple hypothèſe
, je crois qu'elle mérite d'être publiée , afin
qu'elle ſoit examinée. Après avoir cité les expériences
qui prouvent que l'aimant a du rapport avec le fluide
électrique , & que le fer a de l'analogie avec l'un &
l'autre, puiſque lui ſeul contraſte la vertu de l'aimant ;
après avoir remarqué que le fer difféminé dans toute
la nature eſt le principe colorant univerſel , que de
fa combinaiſon avec l'acide univerſel réſulte le verd
des herbes & des feuilles qui décorent les campagnes,
&c. &c. Il eſt porté à croire que le fuide électrique
de la terre eſt un fluide ferrugineux . Obfervant
encore que le fer eſt le ſeul des métaux qui s'en-
Aamme par le choc d'un caillou ; qu'il eſt celui qui
DE FRANCE.
37
1
ſedétruit avec le plus de facilité , & par conféquent
celui qui ſe forme le plus aiſement; il le regarde
comme la première & la plus légère combinaiſon du
principe igné. De ces obſervations & de pluſieurs
autres , l'Auteur conclud que « le fer eſt le pre-
১১ mier pas de la Nature dans la formation des mé-
>> taux. La direction de l'aiguille ainantée prouve
ככ que ſi le fluide électrique est ferrugineux , il a dû
>> ſe porter avec force vers le pôle Boréal ; aufli
>> trouve-t-on une quantité immenſe de fer dans
>> les régions ſeptentrionales. Si le fer eſt le pre-
>>>mier pas de la Nature dans la formation des mé-
>> taux , il s'enfuit que tous les métaux ont commencé
par faire partie de ce fluide électrique ferrugi-
>> neux fufceptible de combinaiſons plus parfaites ,
> & que la perfection l'éloignant inſenſiblement
>> de ſon premier état , plus un métal aura acquis
>> de perfection , moins il ſera attiré vers le Nord ,
>> d'où ſuit l'abondance des métaux parfaits dans
>> les régions de l'Équateur. Une autre cauſe a pu
ככ y contribuer ; le changement des pôles d'une
>> barre de fer verticale dans les deux hemisphères :
» l'inégalité de mer & de terre qu'on y remarque ,
>> prouve une différence entre leurs atmosphères.
>> M. Prieſley dis que l'air eſt une vapeur d'acide,
> nitreux; fi cela eſt , c'eſt fur- tout dans l'hémif-
>> phère boréal , parce que les exhalaiſons de la
>> terre habitée doivent le rendre tel . Mais dans
>> l'hémisphère auſtral compoſé de beaucoup plus de
>> mers que de terre , il doit plus tenir de la nature
>> de l'acide marin , d'où il s'enfait que le mélange
>> des deux atmoſphères dans l'Équateur a dû don-
>> ner au fluide électrique ferrugineux de nouvelles
>> propriétés , le perfectionner , & en former l'or qui
>> abonde dans ces régions : on fait que l'eau régale
>> donne au fer qu'elle tient en diſſolution quelques
>> propriétés de l'or , entr'autres celle de fulminer.
38 MERCURE.
>> Au reſte, tant de cauſes ont concouru à répandre
>> ſur la ſurface de la terre les molécules métalliques
>> de toute eſpèce , que les mines qu'on trouve en.
* d'autres endroits ne détruiſent point ce raiſonne-
>> ment. 23
Dom Carrière termina la Séance en lifant un Mémoire
pour ſervir à l'Hiſtoire de la Guienne. Ce Mé
moire contientune partie de la vie &des malheurs de
la célèbre Aliénor , épouſe de Louis-le- Jeune. Le
père de cette Princeſſe étoit mort dans un pélerinage
qu'il avoit entrepris par les conſeils de Saint Bernard,
pour expier des ravages commis par ſes troupes ;
fon mari ſe croiſa par les exhortations du méme
Saint Bernard , pour expier auſſi des maſſacres commis
par les troupes & par ſes ordres. Aliénor ſe
brouilla dans la Terre-Sainte avec ſon mari. Tous les
Hiſtoriens avoient loué juſqu'alors ſes vertus ; mais
dans ſa diſgrâce tous les Écrivains lui prodiguèrent
les plus groffières injures , ſans même s'inquiéter fi ce
qu'ils diſoient étoit vraiſemblable. Ce fut l'Évêque
deTyr qui flétrit principalement ſa réputation. Aucune
des aventaires qu'on lui attribue n'eſt prouvée ;
pluſieurs font démontrées fauffes. A fon retour en
France , elle accoucha d'une fille , que le Roi reconnut.
Dom Carrière penſe que cela ſeul ſuffir
pour démontrer que Louis le Jeune étoit perfuadé
dela ſageſſe deſa femme ,& que s'il la répudia ce ne
fut quepar dégoût. Ce Difcours eſt écrit avec ſageſſe.
En parlant de Suger , de S. Bernard , des Croiſades,
del'eſpritde ce fiècle, dont le goût dominant étoit
de fonder des Monastères & de matfacrer des infidèles
, il a fu concilier les lumières de notre ſiècle
avec les règles étroites que lui preſcrit fon érat. Ce
Mémoire doit faire bien augurer du grand Ouvrage
auquel il travaille.
Outre cetre Académie des Sciences & des Belles
Lettres , on vient d'en diger une auiteà Bordeaux e
DE FRANCE.
39
faveur des Beaux- Arts. Ce n'étoit d'abord qu'une
Société d'Arriſtes ; mais après avoir ſubſiſté à ſes
frais pendant pluſieurs années, cette Société a reçu
enfinle titre d'Académie de Peinture , de Sculpture &
d'Architecture civile & navale. Elle a tenu (a première
Affemblée publique le premier Septembre de
cette année , & elle a couronné plufieurs de ſes Élèves,
qui annoncent les plus heureuſes diſpoſitions. Le Directeur,
M. de Ladebat , a fait l'ouverture de cette
Séance par un excellent Diſcours , où il combat le préjugé
qui s'eſt établi , on ne fait pourquoi , qu'on ne
pouvoit cultiver les Beaux-Arts dans les Villes de Provinces
auffi-bien que dans la Capitale , comme ſi la
Nature , ce modèle de tous les Arts , n'y étoit pas
auffi belle. Ce Diſcours , plein de ſens & parfaitement
convenable au temps , aux lieux , aux circonf
tances , fut très accueilli de l'Affemblée, qui étoit
très nombreuſe. La ſalle étoit décorée des tableaux
des Académiciens .
A
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON
(.
Na continué à ce Théâtre les repréſentations
de Colinette avec un ſuccès qui
ſemble croître à meſure qu'on entend davantage
ce charmant Opéra; c'eſt le fort de prefque
tous les bons Ouvrages en muſique, furtout
de ceuxoù dominent l'eſprit , la grâce &
la vérité.
LeMardi 22, Mlle Gavaudan a joué, pour
la première fois, le rôle d'Angélique dans
40 MERCURE.
Roland; la voix fraîche , brillante & toujours
pure étoit bien propre à rendre la mé .
lodie douce & agréable qui caracteriſe ce
rôle ; elle y a eu les plus grands applaudiffemens;
elle joint à une figure intéreſlante une
manière de chanter naturelle & facile , &
une prononciation nette & diſtincte , qui
ne laiſſe pas perdre un mot de ce qu'elle
chante , mérite trop rare , & cependant efſentiel
. Ses mouvemens & fes geſtes n'ont
pas encore la liberté ni la variete qu'exige
l'action théâtrale ; mais il y a lieu de croire
que l'habitude de la Scène , & la confiance
qu'inſpirent les encouragemens du Public ,
lui feront acquérir ce qui lui manque à cet
égard , ſi l'on s'occupe des moyens de perfectionner
ſes talens , en les plaçant & les
exerçant dans les rôles convenables à ſa figure
&à la voix.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Mercredi 23 Octobre , on a donné la
première repréſentation des Amans Efpagnols
, Comédie en cinq Actes & en profe.
Don Uriquez a deux filles. La première ,
nommée Cornélie , aimoit le Comte Altamont
, & en étoit aimée. Une affaire d'honneur
a forcé le Comte à ſe cacher ; & même à
faire courir le bruit de fa mort. Le coeur, roujours
plein de fa tendreffe , Cornélie refuſe
tous les partis que ſon père lui propoſe , &
DE FRANCE. 41
demeure fidelle à ſon amant. Léonore , fa
foeur , aime un jeune Cavalier qu'elle connoît
ſous le nom de Don Firmin ; mais
Uriquez ne conſent point à leur union , &
s'oppoſe de toute ſon autorité aux moyens
que les amans mettent en oeuvre pour parvenir
à ſe voir. Une Duègne appelée Inéfilla
, protège leurs amours , & foutient leur
courage par les facilités qu'elle leur procure
'de s'entretenir quelquefois à l'inſu d'Uri
quez. Cependant , l'amour a ramené Altamont
à Séville ; il y a pris le nom de Don
Lortas , & a chargé ſon Valet Pedrillo de
s'informer de ce qui s'eſt paſſé pendant ſon
abfence. Quelle eſt ſa douleur , quand
Pedrillo vient lui dire que la fille d'Uriquez
aime. Don Firmin , & que malgré les oppofitions
de ſon père , elle veut épouſer ce
Cavalier ! Comme Altamont ignore qu'Uriquez
a deux filles , il croit Cornélie infidelle .
L'indifcrétion de Gufman , Valet de Don
Firmin , l'inſtruit encore que la Duègne doit
introduire ſon prétendu rival , pendant la
nuit , dans le jardin d'Uriquez. Il ne doute
pas que l'intention de ce jeune amant ne
ſoit d'enlever ſa maîtreſſe: en conféquence
il projette de s'oppoſer à cet enlèvement ;
& après s'être informé de l'heure &du ſignal
convenus , il ſe rend près de la porte du jardin,
ſuivi de gens armés.Don Firmin s'y rend à
fon tour, accompagnéde quelques Spadaffins .
Combat entre les deux Troupes qui ſe retirent
toujours en ſe battant. Altamont reſte à
42
C
MERCURE
la porte du Jardin. Attiré par le bruit ,
Uriquez eſt ſorti , il arrive , & ne trouvant
plus perfonne , il ſe diſpoſe à rentrer chez
lui. La frayeur le ſaiſit, quand il entend une
voix qui lui défendd'approcher ſous peinede
la vie. Il eſt bientôt raſſuré lorſqu'on ajoute
qu'on vient de s'oppoſer à l'enlèvement de
la fille d'Uriquez , & qu'on ne ſouffrira pas
qu'on entreprenne rien contre la tranquillité
ou l'honneur du père.Alors il ſe fait connoître
, embraffe fon bienfaiteur ,& l'engage à
entrer chez lui , afin de ne pas s'expoſer à être
ſaiſi par les patrouilles.Altamont continue
de ſe déguiſer ſous le nom de Lortas , &
accepte l'aſyle qu'on lui propoſe. A peine
eft- il introduit, que Don Firmin , qui s'étoit
écarté à la fuite des combattans , revient , &
eſt auſſi- tôt arrêté par un Alcade qu'il cherche
en vain à féduire. On l'emmène. Uriquez
a conduit Altamont dans ſon jardin , il le
prie de l'y attendre , tandis qu'il ira lui faire
préparer un appartement. Inéfilla , à qui
la vigilance d'Uriquez n'a pas permis de
donner le ſignal convenu , deſcend au jardın
dans l'eſpérance que Don Firmin s'y fera
rendu ; elley rencontre Altamont , le prend
pour celui qu'elle cherche , & l'introduit
dans l'hôtel , où , à tout événement, il fe
laiſſe entraîner. Don Firmin , après s'être
fait connoître de l'Alcade , eſt revenu au
rendez-vous. Il entre dans le jardin , & y
trouve Pédrillo , qu'il prend pour un des
gens de la maison. Leur conversation eſt in
DE FRANCE.
43
terrompue par le retour d'Uriquez, qui, prenant
à fon tour Don Firmin pour Don Lore
tas , l'introduit auſſi dans l'hôtel . Pédrillo
n'a point voulu ſuivre les pas de la Duègne ,
mais il ſuit volontiers ceux du père. Les évé
nemens multipliés de la journée ont redoublé
l'inquiétude naturelle à Uriquez; il fait
venir Pedrillo & l'interroge. Le refus que
fait celui ci de s'expliquer clairement ſur le
rang de fon maître, ajoute encore à ſes ſoupcous;
il menace: mais la fermeté de Pédrillo,
&le titre d'Excellence , dont il ſe ſert en
parlant du faux Lortas, engagent le vieillard à
lamodération&à differer le moment d'éclairer
fes doutes. Pédrillo ſe retire d'un côté ,
Uriquez de l'autre. Altamont , qu'Inéfilla a
continué de prendre pour Don Firmin , en
tredans le fallon où Léonore doit ſe rendre.
C'eſt Cornélie qui y vient. Confidente de
l'amour de ſa ſoeur, elle vent éprouver fon
amant. Altamont reconnoît la voix de ſa maitreffe,&
fe croyant sûrde ſon infidélité, il veut
laverdans ſon ſangl'outrage faità ſa tendreſſe.
Cornélie fuit. Don Firmin entre un moment
après ,&eſt défié par Altamont qui ſenomme.
Le meurtrier de mon frère! s'écrie Don Firmin,
en s'armant de fon épée. On accourt ,
on apporte des bougies , on s'empare des
deux amans. Cornélie retrouve le ſien dans
le faux Lortas. Don Firmin déclare qu'il ſe
nomme Don Juan de Moraldo , & qu'il a
pris un nom ſuppoſé afin de pourſuivre plus
sûrement celui qui l'a privé d'un frère. Al
44 MERCURE !
tamont reconnoît la cauſe de ſon erreur &
de ſon injuſte jalouſie. Uriquez reconcilie
les deux rivaux , accorde la main de Léonore
à Don Juan , celle de Cornélie au
Comte , & chaſſe Inéſilla. La Duègne ſe
propoſe deſe conſoler de cette diſgrâce , avec
l'argent qu'elle a gagné en ſervant les amours
de Léonore.
L'ennui du beau nous fait aimer le laid ,
adit J. B. Rouſſeau. Molière , & ceux de ſes
ſucceſſeurs qui ont été doués de quelques
talens , ont enrichi notre Scène d'Ouvrages ,
où , à l'aide d'une intrigue affez bien ourdie
pour fixer la curiofité, & affez ſagement
combinée pour que les refforts s'en développaffent
naturellement , le jeu des paflions
auxquels l'homme eſt en proie , inſtruiſoit
& intereffoit tout à la fois le Spectateur
attentif. Qui croiroit qu'on dédaigne aujourdhui
de prendre pour modèles ces chefd'oeuvres
qui ont fait pendant un fiècle , les
délices , mon- ſeulement de la France , mais
de l'Europe entière , & qui ont donné à notre
Theatre l'honneur d'être cité comme le
premier de tous les Théâtres du monde ?
Qui pourroit préſumer que dans ce ſiècle
où l'on a perfectionné la connoiſſance de
l'homme ; où la morale , miſe à la portée de
tous les eſprits , offre le champ le plus vafte
auxÉcrivains obſervateurs , on abandonnat
les routes tracées par l'Auteur du Miſantrope
, pour ſe traîner ſur les pas des Auteurs
DE FRANCE.
45
Dramatiques de l'Eſpagne ? On peut pardonner
à Boifrobert & à quelques autres génies
de la même trempe , de s'être laiſſes ſeduire
par le faſte ridicule , par l'exagération bizarre
des expreffions& des idées familières alors aux
Auteurs Eſpagnols, comme d'avoir pris pour
de l'intérêt cette inconcevable accumulation
d'événemens que l'on remarque dans toutes
leursPiècesdeThéâtre.Au moment où ils écrivoient
, notre Scène étoit à peine dans ſon
enfance ; la nation , dans les troubles qui
l'avoient fi long-temps agitée & dont elle
gémiſſoit encore , avoit pris un ton chevalereſque
qui rendoit naturel à ſes yeux ce
qu'elle auroit regardé comme faux & abfurde
dans tout autre temps : d'ailleurs , on
n'avoit qu'une très- foible idée de ce qu'on
appelle le goût ; la Comédie de caractère
étoit inconnue ; nous n'avions point demoד
dèles , & l'avantage de créer le genre de
Comédie qui convient à une Nation éclairée,
étoit réſervé à Corneille & à Molière . Mais
peut- on pardonner à un Écrivain du dixhuitième
ſiècle , d'avoir imité par choix ce
que l'on imita jadis par néceflité ?
1 Les détails que nous venons de donner des
AmansEſpagnols ſont affez exacts pour prouver
à nos Lecteurs combien l'intrigue de
cette Comédie eſt compliquée ; que les refforts
en ſont trop nombreux pour ne pas ſe
nuire mutuellement; enfin,qu'ils ne peuvent
que fatiguer l'attention & détruire tout intérêt
, même celui de curiofité. Cette Comé
46 MERCURE
die n'eſt point dans nos moeurs , &ce n'eft
pas un motif pour la blâmer. Chaque Nation
a les ſiennes ; & il feroit auſſi ridicule
de porter des moeurs Eſpagnoles dans une
intrigue Françoiſe , qquuee de porter les moeurs
Françoiſes à Londres. Mais Ariftore a dit , &
on a depuis répété avec raiſon, qu'au Théâtre
ilneſuffit pas que les moeurs foient vraies,&
qu'il faut encore qu'elles foient bonnes. Le
caractère de Léonore a généralement déplu.
Le ton dur , indécent & dépouille de tout
reſpect avec lequel elle parle à fon père , a
révolté tous les gens délicats. En vain l'imitateur
chercheroit t'il à s'excufer en rejetant
cette faute ſur ſon modèle. Choiſir un tel
guide eſt déjà une erreur; mais ſuivre ſes
traces avec exactitu , de c'eneſt une plus grave
encore. Par-tout & dans toutes les circonf
tances , un père , même injufte , doit être
reſpecté , & malheur à l'être que les paffions
égarent aſſez pour lui faire oublier ce
qu'on doit à l'auteur de ſes jours. La facilité
avec laquelle Don Juan de Moraldo pardonne
la mort d'un frère dont il médite
depuis long-tems la vengeance , n'a pas paru
moins blamable. Il falloit ou ſe ſervir d'un
autre moyen pour obliger Don Juan à changer
de nom , ou motiver davantage la cauſe
du pardon qu'il accorde. Quant au ſtyle de
cette Pièce , il eſt rempli de jeux de mots , de
quolibets, de trivialités. On y trouve tou
jours la même manière de plaifanter. En
voici deux ou trois exemples. Don Firmin
DE FRANCE.
47
dit àGuſman de lui chercher des Muſiciens
pour donner une ſérénade , & de les choiſir
propres à un coup de main. Guſman fait la
reflexion ſuivante : En ce cas il ne vous faut
pas des Muficiens un peu braves , mais des
braves un peu Muficiens. Lorſque l'Alcade
demande au même Don Firmin qui il eſt ,
celui- ci lui répond : Je ſuis un homme
galant, & je vais vous prouver que jesuis un
galant homme, &c. &c. &c. D'après tout ce
que nous venons de dire on ne doit pas
être ſurpris que cet Ouvrage ait été mal
reçu par les Spectateurs ; mais on doit s'étonner
de l'avoir vû repréſenter , ſi aujourd'hui
on doit encore s'étonner de quelque
choſe.
1
Dansleprochain Mercure , nous rendrons
compte de Tom Jones à Londres , Comédie
en cinq Actes & en vers , repréſentée à la
Comédie Italienne le 22 du même mois
d'Octobre,
VARIÉTÉS.
UN Anonyme a demandé par lettre à un Mean
bre de l'Académie Françoiſe , ſi cette Compagnie ſe
chargeoit de faire approuver par deux Docteurs en
Théologie , ſuivant les ordres du Roi , les Diſcours
qu'on lui envoie pour le Prix d'Éloquence. C'eſt aux
Auteurs à ſe procurer cette approbation. L'Académie
ne s'en charge pas. A
48 MERCURE
L'IMPATIENCE
'IMPATIENCE que témoigne le Public pour la
livraiſon des premiers Volumes de l'Encyclopédie
Méthodique, ne peut que flatter infiniment les Auteurs
&l'Entrepreneur de cette Édition. On l'a inſtruit
dans le temps des cauſes de ce retard , & on le prévient
aujourd'hui que cette première livraiſon , que
tout le monde peut voir actuellementhôtel de Thou,
rue des Poitevins , ſera délivrée aux Souſcripteurs le
20 de ce mois ſans faute. Comme l'Ouvrage ne peut
être délivré que broché , on a eu beſoin de ces dix
jours pour ſe mettre en état de ſervir tous les Soufcripteurs
en même- temps. Les deuxième & troiſième
livraiſons ſuivront de près cette première. La Soufcription
au prix de 751 livres ſera ouverte juſqu'au
premier Avril 1783. MM. les Souſcripteurs font
priés de rapporter leurs billets de ſouſcription en retirant
la première livraiſon.
TABLE.
EPITRE àM. de Piis, 3 Extrait de ce qui s'est passé
Enigme& Logogryphe , 6 dans l'Assemblée publique
Penfées Moralede Confucius , de l'Académie de Borrecueillies
& traduites du deaux ,
Latin,
23
Académie Roy. de Musiq. 39
Lettrefur le Secret deM. Mef- Comédie Françoise,
mer , 20 Variétés ,
40
47
200
APPROBATION.
J'AI le AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercurede France , pour le Samedi 2 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis ,
le : Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 8 Septemb.
LE trouble & la défolation ſont toujours
dans cette Capitale , où règne en même tems
une grande fermentation ; la dépoſition du
dernier Grand-Viſir ne l'a pas calmée. Outre
ſadignité, il a perdu encoretoutes ſes marques
d'honneur, telles que les trois queues . Son
frère Tchelebi - Effendi , qui poffedoit des
tréſors conſidérables , eſt arrêté & gardé à
vûe. Le Mufti vient de perdre auffi fa place;
le Grand- Seigneur a nommé Rakibules,
Chaf pour lui ſuccéder.
Le Capitan Bacha eſt de retour de l'Archipel
depuis quelques jours ; comme fa
miffion n'étoit pas encore finie , on foupçonne
que des raiſons puiffante tant contraint
de revenir avant le tents ?& les troubles
actuels peuvent entrer pour quelque
chofe dans ces raifons.
2 Novembre 1782 .
121
Selon les lettres d'Egypte il n'y a pas plus
de tranquillité; les Beys & les Bachas continuent
à déſoler ce malheureux Royaume ,
qui eſt la victime de leurs diviſions .
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 24 Septembre.
LE 22 de ce mois , la Cour eſt arrivée de
Czarsko Zélo dans cette Capitale , au bruit
du canon de la forrereffe & de l'Amirauté.
Après demain , il y aura cour & appartement
ordinaire au Palais de l'Impératrice.
Le Grand-Duc & la Grande Duchefſe ſont
attendus ici vers la fin du mois prochain ou
le commencement de Novembre .
Le Prince Potemkin , qui eſt parti d'ici
il y a quelques jours pour ſe rendre à Cherſon
, ville nouvellement bâtie ſur la mer
Noire , doit dans ſa route faire une viſite au
Feld Maréchal Comte de Romanzow. On
dit que ce Général eſt décidé à demander
fa retraite.
Les marchandiſes de toute eſpèce , &
particulièrement les chanvres , ont été payés
très cher pendant le mois d'Août. Il y
avoit ici vers le milieu du même mois 426
bâtimens marchands ,& on évalue à 600,000
roubles ceque la Douane a rapporté pendant
le mois de Juin .
מ Le Profeſſeur Inochodzow , que l'Académie
Impériale a chargé de faire des obſervations aſtronomiques
à Lubny dans l'Ukraine , a écrit le 20
13 )
du mois dernier , que la veille il y avoit cu a
Lebny un orage terrible pendant lequel il eſt tombé
beaucoup de grêle. Les grêlons étoient d'une grofſeur
extraordinaire ; il y en avoit un grand nombre
qui avoient depuis 2 juſqu'à 3 pouces de diamètre ,
& qui peſoient plus d'une demi-livre. La nuée la
plus noire venoit d'oueſt- ſud - oueſt . A deux heures
le thermomètre de Réaumur étoit à 22 degrés ;
à 3 heures , à 17 degrés 5 minutes , & à 4 heures
à 13 degrés «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 1er. Octobre.
Il eſt arrivé dans notre rade 2 bâtimens
venant d'Iſlande , chargés de poiffons ſecs
& falés , d'huile de baleine , d'édredon ,
&c. Ils avoient auſſi à bord si gerfauts de
cette Ifle.
Notre Compagnie Aſiatique a reçu la
nouvelle que le vaiſſeau la Princeſſe Charlotte
Amélie, eſt arrivé les Juin au Cap
de Bonne Eſpérance , & que le vaiſſeau le
Diſco a mouillé le même jour à Falſe-Bay.
>> Le 23 du mois dernier , écrit-on d'Elſeneur ,
85 bâtimens Anglois , au nombre deſquels éteit
une frégate de la même nation , paſsèrent du Sund
dans la mer du nord. Le 26 , il arriva de cette
mer dans le Sund 20 bâtimens , parmi leſquels on
compte une frégate Angloiſe de 44 canons & un
ſénaut , ayant ſous leur convoi 13 bâtimens de
Londres & de Hull. On compte actuellement dans
le Sund 95 bâtimens tous deſtinés pour la mer du
nord; le nombre des bâtimens Anglois monte à 53 .
- Un cutter Anglois qui avoit mis à la voile
il y a quelques jours , pour aller ſecourir un baa2
timent de ſa nation , échoué près de Leſtow , l'a
ramené hier dans cette rade . Ce cutter avoit cu
ordre , en partant d'Ang eterre , de te joindre aux
navires Anglois partis d'ici ; mais il ne les a point
rencontrés en mer «.
On a découvert près de Kongsberg , en
Norwege , une nouvelle mine de cuivre
très-riche. On commencera inceffamment à
l'exploiter.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 2 Octobre.
Ce fut le 30 du mois dernier que la Diète
futouverte avec les formalités & les cérémonies
d'uſage. Il y eut d'abord quelques
difficultés dans la Chambre des Nonces , fur
l'admiffion du Prince Adam Czartorisky ,
enqualité de Nonce de Wilna, parce qu'ayant
un grade au fervice de la Maiſon d'Autriche ,
il devoit être réputé étranger & ineligible
comme tel. Cette affaire s'arrangea ſans
bruit , ainſi que quelques autres , & on procéda
à l'élection du Maréchal de la Diète.
Le choix tomba ſur le Prince Krafinski ,
Quartier Maître-Général de la Couronne. Il
prêta ferment , & prononça , ſelon la coutume
un Diſcours , pour remercier les Nonces
de leur confiance , & pour les affurer de
tous ſes efforts pour qu'il ne réſultât de
cette Diète que des arrangemens utiles à la
patrie. M. Kizinski fut enfuite propofé &
agréé en qualité de Secrétaire de la Diète.
.:
( 5 )
Hier on s'occupa de l'élection des Membres
du futur Confeil permanent , ainſi que
de ceux qui doivent compoſer la Commiffion
du trefor & celle de la guerre. On
nomma aufli les Députés chargés d'examiner
les comptes & la gestion du dernier
Conſeil permanent. Tous ces objets doivent
occuper encore quelques jours , après
quoionpaſſera à d'autres affaires .
On a remarqué que lors de l'élection
du Maréchal de la Diète , M. de Soltyck ,
Prince-Evêque de Cracovie , a été ſur les
rangs , & qu'il a eu même pluſieurs voix.
La tranquillité qu'on a vu régner jufqu'à
ce moment , fait eſpérer que tout
ſera calme pendant le reſte de l'aſſemblée.
On s'attend toujours à un projet de réforme
dans le Clergé , & de fuppreffion
de pluſieurs Ordres Religieux ; ce qui ſemble
appuyer cette conjecture , c'eſt l'absence
depluſieurs Prélats , & en particulier celle
du Prince Primat Ostrowski , qui ont
choiſi l'époque de la Diète pour aller faire un
voyage en Allemagne.
Ondit que les Cercles de Lithuanie ont
des inſtructions pour demander qu'à l'avenir
, ainſi que le portent les loix , chaque
troiſième Diète ſe tienne à Grodno. Comme
cette Ville a beaucoup ſouffert depuis
peu d'un violent incendie , le tréſor de
Lithuanie offre une ſomme conſidérable
pour aider à la reconſtruction des édifices
de cette Capitale du Grand-Duché.
43
( 6 )
Le Grand - Duc & la Grande - Ducheſſe
de Ruffie doivent paſſer par ce Royaume
en retournant en Ruſſie ; le Roi aura de
nouveau une entrevue avec eux à Bialyſtock.
Le Prince Frederic-Guillaume de Wurtemberg
, qui les précède pour aller prendre
poffeffion de ſon Gouvernement en Ruffie ,
dîna ſamedi dernier avec la Princeſſe ſon
épouſe chez le Roi & le lendemain il
continua ſa route , avec une ſuite de 25
perſonnes.
د
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 9 Octobre.
:
Le Comte & la Comteſſe du Nord , la
Princeſſe Elifabeth , & le Prince Ferdinand
de Wurtemberg , arrivèrent le 4 de ce
mois à 7 heures du ſoir. L'Empereur avoit
été au-devant d'eux juſqu'à Enns. Les
Illuftres Voyageurs mirent pied à terre devant
le Palais Impérial , d'où ils ſe rendirent
à l'Opéra. Parmi les fêtes qu'on leur
a données , celle d'hier n'est pas la moins
intéreſſante ; ils allèrent faire la vendange
Schonbrunn , dans le jardin Hollandois ;
cette vendange , à laquelle beaucoup de
perſonnes diftinguées des deux ſexes avoient
été invitées , ſe fit au ſon des inſtrumens .
Après le dîné , le Comte du Nord alla faire
une viſite au Prince de Kaunitz , & la
Comteſſe du Nord alla voir la Comteſſe
de Chanclos , déſignée Grande -Maitreffe
( 7 )
de la Cour de la Princeſſe Eliſabeth. Les
Dames & autres perſonnes qui doivent
compoſer la cour de cette Princeſſe , ont
éré habiter les appartemens qui lui font
deſtinés dans le Couventdes Saleſiennes.
L'Impératrice de Ruſſie a nommé M.
de Warrucca ſon Conſul au Port franc de
Trieſte ; c'eſt le premier qui y aura exercé
cette fonction de la part de cet Empire.
Le nouveau Conſul qui a fait un court ſéjour
ici , a communiqué ſes lettres de créance
à l'Empereur , dont il a obtenu l'agrément
; il eſt parti enſuite pour ſa deſtination.
Ci- devant les Négocians d'Oſtende étoient
obligés de ne prendre que les bateaux des
Bateliers attachés à telle ou à telle claſſe pour
faire le chargement & le déchargement des
bâtimens de commerce. Le Gouvernement
les a débarraſſes de cette entrave , en leur
permettant de fréter tous les bateaux indiftinctement
, qu'ils voudront choiſir.
De HAMBOURG , le 12 Octobre.
SELON les lettres des frontières de la
Turquie , l'incendie allumé en Crimée par
les troubles qui s'y ſont élevés , menace de
s'étendre ; les lettres de Conſtantinople
même , n'annoncent encore aucun parti
décidément pris par le Sultan , mais font
craindre qu'il n'y ſoit forcé.
>> On ne fait pas encore , diſent ces lettres , quel
parti prendra la Porte dans l'affaire de la Crimées
a4
78 )
le peuple demande la guerre; il eſt à craindre qu'il
ne force l'adminiſtration à y confentir , quoique
dans ce moment elle ait plus beſoin que jamais ,
de la paix , parce que le tréſor eſt épuisé , & que
les vaiſſeaux manquent. La fermentation eſt toujours
très- vive dans la Capitale ; elle est montée
à tel point qu'on a cru devoir doubler & tripler
la garde ordinaire du ſerrail . On dit qu'une dé-
-claration de guerre diffiperoit le mécontentement ;
mais les circonſtances ſemblent s'y oppoſer. Le
Gapitan-Bacha a été rappellé de l'Archipel avec ſon
efcadre. On fait qu'il devoit quitter ſon poſte &
aller en Crimée en qualité de Bacha ; on aſſure
aujourd'hui qu'il reſtera à la tête de la Marine ,
& qu'il ne s'éloignera pas de cette Capitale , cù
l'on croit que la perfonne peut influer , & ſes confeils
fer-tout être utiles .
Pluſieurs avis reçus de divers côtés , confirment
les inquiétudes de Conſtantinople ;
les préparatifs que l'on fait en quelques
endroits , ſemblent préparer en effet à la
guerre.
>> Des Lettres de Boſoie, écrit-on de Péterwaradin,
nous apprennent qu'il eſt arrivé à Trevnick
des Ingénieurs étrangers, qui ont ordre d'aller à
Berbio & à Zwornick pour y examiner les fortifications.
Ils doivent en rendre compte au Pacha ,
& fe charger enſuite de la direction des ouvrages
qui pourront être jugés nécellaires. En général ,
ajoutent ces mêmes Lettres , les Turcs font trèsoccupés
à réparer leurs fortereſſes dans le pays ;
on travaille fans interruption au rétabliſſement de
la fortereffe de Banjaluka « .
S'il faut en croire quelques-uns de nos
papiers , la maiſon d'Autriche & celle de
Bavière ſont dans ce moment en négociations
pour un échange de pays. Les lettres
) و(
de Vienne , de Munich & de Manheim
n'en font aucune mention.
» L'Archevêque Electeur de Trèves , écrit-on de
Mayence, a pris la réſolution de mettre dans un
meilleur ordre tous les établiſſemens de ſon Dic.
cèſe , relatifs à l'inſtruction de la jeuneſſe , & d'établir
une méthode uniforme dans les plans de
l'éducation publique. Pour exécuter ce ſage projet ,
il a été arrêté de lever tous les ans une charge
extraordinaire de 25,000 florins ſur les revenus
Ecclefiaftiques , tant féculiers que réguliers. En
conféquence de cette réſolution , le Clergé s'étant
affemblé à Coblentz , a fait l'offre volontaire de
18,000 florins chaque année , pourvu qu'on le raffure
contre toute crainte de fuppreffion , même
venant de Rome. Il n'y a point encore eu de réponſe
ſur cette condition «.
Selon les lettres de Pologne , le Synode
Général des Difſſidents , qui avoit commencé
à Wengrow en 1780 , a repris ſes féances
le 6 Septembre dernier ; elles les a finies
le 27 , & a fait chanter un Te Deum à
cette occafion . On aſſure que les Canons
de ce Synode ſeront imprimés , & qu'il
y en a de très-remarquables.
>> On a établi depuis environ 3 ans , dans la
petite ville de Sonneberg, avec privilége de la Maiſon
ducale de Sare-Cobourg Meinnungen , une fabrique
de Miroirs , où l'on en fait de toute eſpèce , de
petits & de grands , avec ou ſans encadrare. Les
glaces font du criſtal le plus fin , & l'ouvrage très
Toigné par d'excellens ouvriers . Les prix en font
très-modiques , & les tranſports facilités par la
ſituation du lieu qui met à portée de les faire à
peu de frais fur le Mein , le Rhin , l'Ebe & le
Wéfer. On trouve dans l'almanach de Gotha , aa
25
( 10 )
née 1780 , page 167 , un tarif des différens prix
des glaces d'après les grandeurs ou pouces de Braban.
Ceux qui voudront de plus amples informations
pourront adreſſer leurs lettres à la fabrique
de Miroirs : Sonneberg, près de Cobourg en Saxe ".
ITALI Ε.
De LIVOURNE , le 30 Septembre.
On a reçu de Rome les actes du Confif
toire qui s'eſt tenu le 23 de ce mois ; S. S.
ne s'eſt pas bornée à y préconifer des Egliſes
vacantes ; elle y a prononcé un difcours
dans lequel elle a rendu compte de fon
voyage à Vienne , & de tout ce qui lui
eft arrivé ſur la route. Elle en a fait diftribuer
des copies aux principaux Cardinaux;
elles ſont enrichies d'eſtampes relatives
aux divers évènemens de ce voyage. Il
A'y a point eu de promotion de Cardinaux;
celle des Frélats Spinelli & Gregori
, qu'on diſoit devoir avoir lieu dans ce
Confiftoire , paroît remiſe à un autre tems.
Le Capitaine d'un navire Suédois arrivé
d'Alger dans ce port , a déposé que les Algériens
faifoient un armement conſidérable de
chébecks & de barques pour croiſer contre
les bâtimens Impériaux , dont la trève eſt
prête à finir. Cette nouvelle alarme beaucoup
les côtes d'Italie ; il ſeroit à ſouhaiter
que les Puiſſances maritimes ſe reunifſent
pour contenir ces corſaires , qui deviennent
pirates toutes les fois qu'ils le
peuvent impunément.
/
( II )
ANGLETERR E.
De LONDRES , le 22 Octobre.
La frégate le Southampton , de 32 canons,
a mouillé le 18 de ce mois à Portſmouth ,
venant deNew-Yorck ; le Capitaine Affleckqui
la commande , s'eſt rendu auſſitôt ici , &
a remis ſes dépêches à l'Amirauté. Celleci
les a reçues le 19 , & n'a encore rien
publié. Tout ce qu'on fait , c'eſt que l'Amiral
Pigot , qui étoit parti le 26 Juillet de la
Jamaïque , eſt arrivé le 4 Septembre ſur la
côte de New- Yorck; on dit ſon eſcadre forte
de 24 vaiſſeaux de ligne. Les lettres particulières
que cette frégare a apportées , confirment
ce que l'on a déja dit de la déſolation
des Loyaliſtes de New Yorck , qui
n'appartenant bientôt ni au Roi ni au Congrès
, également abandonnés des deux côtés ,
ſe trouvent dans la fituation la plus facheuſe.
>> Les réfugiés deNew-Yorck , dit un papier Américain,
commencentà éprouver les effets de la juftice.
lente mais toujours fûre du ciel. Ceux qui ſervent
déchirent leurs uniformes & les foulant aux pieds ,
s'écrient qu'ils font ruinés ſans reſſource ; qu'ils ont
tout facrifié pour prouver leur loyauté , & qu'on les
abandonne , en leur laiſſant le ſoin de pourvoir euxmêmes
à leur ſûreté , après avoir perdu la protection
de leur Roi & l'amitié de leur pays. Les inquiétudes
de ceux de cette claſſe ont été fi bruyantes que Sir
Gui Carleton jugea convenable de les aſſembler il y
a quelques jours , & de leur faire les propofitions
ſuivantes : 1º, de reſter à New- Yorck & de tenter
a6
( 12 )
deſe réconcilier avec leurs compatriotes; 2°. d'aller
en Europe far des tranſports que le Gouvernement
leur procureroit ; 3 ° . d'aller dans la nouvelle Ecoſſe
oùil leur feroit donné des terres non aſſignées ; 4°. enfin
de s'enrôlerdans les régimens de cavalerie ou d'infanterie
de S. M. Toutes les apparences prouvent
que les harpies qui defiroient faire leur fortune
furles ruines de leur pays, auront leur tour à ſouffrir,
& que leurs meurtres & leurs cruautés ſans bornes
ne pafferont pas avec impunité «.
-
On peut juger par cette lettre , de l'opi
nion qu'on a en Amérique des Loyaliſtes ,
& de ce qu'on doit penſer des diſpoſitions
que ces derniers prêtent aux peuples des
différens Etats - Unis. Il eſt difficile que
ceux qu'ils prétendent penſer comme eux
foient en aufli grand nombre qu'ils voudroient
le faire croire ; on voit au contraire
par-tout une horreur générale contre les
particuliers qui ont abandonné la cauſe de
la patrie. Si ce ſentiment n'étoit pas aufli
profond , le Congrès n'auroit pas manqué
de ménager des eſprits diſpoſés à une
réconciliation , & il n'auroit pas répondu
avec tant de fierté à la lettre qu'adreſſerent
au Général Washington le 2 Août dernier le,
Général Carleton & l'Amiral Digby . Le
12 du même mois , il prit ſur cette lettre
la réſolution fuivante.
>>Attendu que par une publication récente qui a
été faite, le peuple des Etats - Unis pourroit être
porté à croire que le Congrès a reçu une communication
authentique touchant une paix prochaine ,
il a été réſolu que la lettre de Sir Gui Carleton &&
de l'Amiral Digby au Commandant en chef , en
( 13 )
date du 2 Août dernier , ſera rendue publique. ( Ici
ſe trouve cette lettre que nous avons déja donnée. )
Réſolu que le Congrès confidère la ſuidite lettre
comme une fimple matière d'information , & ne
contenant rien de poſitif quant à la nature & à
l'étendue de l'indépendance que le Plénipotentiaire
Britannique avoit été chargé de propoſer , & que ,
comme le Congrès n'a reça aucune information à
ee ſujet de la part de ſes Miniftres , chargés des
négociations de paix , pour cette raiſon il ne peut
ni ne doit être pris aucune meſure publique ſur certe
propofition dans la forme préfente.-Réfolu qu'il
ſoit recommandé comme il eft recommandé par la
préſente aux différens Etats de l'Union , de ne point
ſe relâcher de leurs efforts pour poufler la guerre
avec vigueur , comme le ſeul moyen efficace d'affurer
l'établiſſement d'une paix sûre & honorable.
-Réſolu que le Commandant en chef fera chargé
de propoſer au Commandant de S. M. B. à New-
Yorck , denommer des Commiffaires pou convenir ,
ſans délai , d'un cartel général pour l'échange des
prifonniers , en prenant foin qu'il y foit pourvu à
la liquidation des comptes , & à arrêter la balance
due pour l'entretien des prifonniers «.
C'eſt le i's Septembre que le Capitaine
Affleck a quitté New-Yorck ; & on prétend
qu'il a rapporté qu'avant ſon départ pluſieurs
tranſports avoient fait voile de cette
place pour Charles Town , où ils vont en
recueillir la garniſon ,& la conduire à New-
Yorck. Le Général Carletona , dit- on , encore
retenu le paquebot qui devait faire
voile de conſerve avec le Southampton , afin
de s'en fervir pour faire paſſer en Europe
des dépêches de la plus grande importance ;
it ne fera expédié vraiſemblablement qu'a
:
( 14 )
près l'arrivée de la garnison de Charles-
Town.
On a reçu par la même voie des nouvelles
de l'eſcadre Françoiſe aux ordres du
Marquis de Vaudreuil ; une lettre de Boſton
contient à ce ſujet les détails ſuivans ; elle
eſt dus Septembre.
» Le 8 & le 9 du mois dernier , nous avons vu
entrer dans notre port l'eſcadre Françoiſe aux ordres
de M. de Vaudreail ; elle est compoſte de
13 vaiſſeaux de ligne & de 4 frégates , revenant
des Indes Occidentales. Elle conduiſoit avec elle
l'Amazone , de 23 canons , qui avoit amené àune
frégate Britannique de force ſupérieure , après une
vigoureuſe défenſe , dans laquelle eile avoit cu
grand nombre de tués & de bleſſes. Au moment
que l'eſcadre à laquelle l' Amazone appartient parut,
les Anglois voulurent y mettre le feu , mais deux
frégates Françoiſes ſont venues à tems pour les en
empêcher. L'eſcadre s'eſt auſſi emparé de l'Allégeance
, Capitaine Philipps , qui commandoit la
MarineBritannique à Pénob cot ; 2 bâtimens allant
de ce dernier endroit avec une cargaifon de mâts
aux Indes Occidentales ; du navire le Général
Greene de New-Yorck , & de 3 à 4 autres. Le
Magnifique a touché ſur les roches de Nantasket ".
Toutes les nouvelles confirment la ruine
de nos établiſſemens ſur la baie d'Hudſon ,
par une divifion de l'eſcadre Françoiſe ,
compofée d'un vaiſſeau de ligne & de 2 fiégates.
Le tort fait à la Compagnie qui a le
privilége du commerce dans ces parages ,
eſt , dit- on , immense ; on ne manque pas
d'être étonné que ce ſoit une partie ſi foible
d'une armée vaincue , qui a exécuté
( 15 )
cette entrepriſe , tandis que la victorieuſe
n'a rien fait de ſon côté pour profiter de
fon avantage en portant quelque coup
ſenſible à l'ennemi ; il eſt bien étrange
qu'elle ne foit pas parvenue même à l'empêcher
de nuire à nosétabliſſemens. Qu'auroit-
il donc fait , ſi c'eût été lui que la
victoire eût favorisé le 12 Août ? & quels
ont été pour nous les fruits de cette grande
victoire ? Ils ſe réduiſent à avoir ſuſpendu
les opérations de la France , qui vraiſembla
blement ne fontque retardées.
Les papiers Américains contiennent une
relation publiée par ordre du Congrès ,
d'un avantage remporté par le Général
Wayne dans la partie du Nord. Nous en
rapporterons la ſubſtance.
» Le Général Wayne ayant été informé qu'un
Corps conſidérable d'ennemi , ſous les ordres du
Colonel Brown , s'étoit mis en marche de Savanah ,
forma la réſolution de le couper & de l'enlever.
Il partit en conféquence le 24 Mai. L'unique route
Pour parvenir à l'ennemi , étoit à travers un marais
profond de près de 4 milles d'étendue , avec
des coupures très-dangereuſes à paſſer. Le Général
concevoit toute la difficulté d'une marche de nuit
ſur un pareil terrein , ainſi que la délicateſſe d'une
mancoeuvre qui le placeroit au centre de toutes les
forces ennemies dans la Georgie. Mais il étoit sur
'de l'expérience & de la valeur de ſes Officiers &
de l'intrépidité de ſes troupes. Il ſe met en marche
& arriva a minuit ſur la route d'Ogechee , à 4 milles
de Savanah & ſe trouva ainſi entre la place &
l'ennemi , qui ne s'attendoit guère à être attaqué
au milieu de la nuit. Quoique l'atrière-garde du
1
( 16 )
Général Wayne ne fût pas encore arrivée, il or
donna fur-le champ une de hargé générale , & de
tomber au pas redoublé la bayonnete au bout du
fufil ſur l'ennemi . Cette manoeuvre hardie & bien
exécutée , épouvanta tellement les Anglois , qu'après
une réſiſtance confufe & mal exécutée , ils
s'enfuirent au fond des bois , jettant leurs armes
à terre & abandonnant même leurs chevaux. Le
Général Wayne ſe porta le lendemain juſqu'aux
portes de Savanah , pour provoquer l'ennemi; mais
celui - ci n'oſant paroître en raſe campagne , le
Général Américain retourna le 26 à Ebenezer ".
Parmi les nouvelles apportées par le Southampton
, on a cherché avec intérêt celles
qui peuvent éclaircir le fort du Capitaine
Afgill , qui inſpire toujours beaucoup de
pitié. Il paroît qu'à l'époque du départ de
cette frégate il n'y avoit encore rien de
décidé.
» Le 23 Août , dit un de nos papiers , il étoit
encore prifonnier dans les Jerſeys , & toujours def.
tiné à ſervir de repréſailles pour le traitement fait
au Capitaine Huddy; cependant la lenteur qu'on
a miſe à fon exécution , le long intervalle qui s'eſt
écoulé depuis que le ſort l'a condamné , donnent
l'eſpérance qu'on n'ira pas plus loin. On aſſure que
le Congrès a reçu, de la part des Etats de Hollande
, de preſſantes follicitations en faveur de cet
Officier infortuné ; que le Général Washington ,
ayant été informé qu'il étoit indiſpoſé , lui avoit
envoyé ſon Médecin pour lui offrir ſes ſervices
& l'accompagner dans tout autre endroit dont l'air
pourroit être plus convenable au rétabliſiement de
ſa ſante : mais le Capitame Afgillen témoignant
to te fa reconnoiſſance pour les offres obligeantes
du Général , les avoir refuſées poliment «.
>
( 17 )
:
Unde nos meilleurs papiers qui rapporte
ee fait , ajoute ici une obſervation qui n'a
paru encore dans aucun autre,&qu'il dit tenird'une
Américainetrès- reſpectable . »C'eſt
que lorſqu'il fut queſtion de juger le Capitaine
Lippencott , il ſe juſtifia en produiſant
un ordre écrit de la main du Gouverneur
Franklin même , pour l'exécution.
du Capitaine Huddy ".
:
On n'a point encore de nouvelles des
quatre vaiſſeaux de ligne qui eſcortoient la
flotte de la Jamaïque lorſqu'elle a été
accueillie fur les bancs de Terre Neuve de
l'ouragan dont nous avons parlé ; on eſt
dans les plus vives inquiétudes ſur leur
compte; & le rapport qu'a fait le Capitaine
du Silver Eell , arrivé de la Jamaïque .
à Falmouth , n'eſt pas fait pour les diſſiper.
Onavoitrépandu que la Ville de Paris avoit
peu fouffert , & qu'en conféquence, on ſe
flattoit qu'elle pouvoit protéger & ſecourir
les autres vaiſſeaux de guerre : le Capitaine
déclare poſitivement que ce vaiſſeau a été
auſſi maltraité que les autres ; qu'il avoit
perdu ſon grand mât ,&eſſuyé une quantité
d'autres dommages tres-conſidérables . Cette
déclaration a ajouté aux craintes qu'on avoit
fur fon fort & fur celui de l'Hector , du
Glorieux , du Centaure & du Caton .
Selon les liſtes que préſentent la plupart
de nos papiers , les navires de la flotte de la
Jamaïque qui ne font point encore arrivés
à leur deſtination , font au nombre de 38 ,
( 18 )
dont 24 pour le port de Londres , 4 pour
celui de Bristol , 3 pour Liverpool , 3 pour
Glafcow , 3 pour Clyde & 1 pour Lancaster.
On ne ſe flatte point de les voir tous arriver ,
& on évalue déja la perte des affureurs fur
les navires de cette Hotte ,à environ 150,000
liv. ſterl. Dans les 38 dont le ſort eſt incertain
, il y en a ſans doute beaucoup de perdus
par le naufrage ou enlevés par les corſaires
ennemis.
>> On a appris que l'Arundel , le Brothers ,le
Hope , & la Jamaica , navires de cette flotte , ont
été pris le 3 du courant à 40 lieues des Sorlingues
, par 3 Corſaires Américains qui les ont envoyés
à l'Orient , & mis leurs Capitaines ſur un
bâtiment Danois qui les a débarqués à Torbay.
Le 28 Septembre , ces priſes avoient été ſéparées
du Benfon , & le 2 du courant de la Belle , à
bord de laquelle étoit l'Amiral Graves , & de la
Dorothée. Les Capitaines de ces priſes rapportent
que pluſieurs Matelots de leurs équipages étoient
entrés au ſervice des Capteurs , preſqu'immédiatement
après avoir été pris ; que ces Corſaires appartiennent
à un particulier de Salem , qu'ils ſe
nomment la Réſolution , montant 20 canons de 9 ,
& 140 hommes; le Buchaneer , idem. le Cicéro
de 18 canons de 6 , & 100 hommes. Ils n'ont
qu'un ſeul pont , ſont doublés en cuivre & excellens
voiliers. Leur croiſière venoit d'expirer , lorfqu'ils
ont rencontré ces navires dont le ſort eſt
d'autant plus triſte , qu'ils touchoient preſqu'au
port , après avoir échappé avec tant de difficultés
à l'ouragan impétueux dont ils avoient été accueillis
,
la hauteur de Terre Neuve. Ces Corſaires continuent
de croifer à cette hauteur pour intercepter
d'autres navires de cette flotte , & particulièrement
( 19 )
la Belle , à bord de laquelle ils ſont informés que
ſe trouve l'Amiral Graves. Cet Amiral , en quit
tant le Ramillies , avoit fait diftribuer les mailes
qu'il avoit à bord, l'une ſur l'Arundel , la ſeconde
fur l'Auguste-Céfar , & la dernière ſur la Belle.
La première est déjà entre les mains de nos ennemis
, la ſeconde eſt, dit-on , en ſûreté & on craint fort
pour l'autre «.
و
S'il faut en croire nos papiers on va
lancer inceſſamment à la mer un vaiſſeau
de 98 canons , 2 de 74 , 3 de 64 , & une
frégate.
>> Il ſeroit bien plus important , obſerve à cette
occafion un de nos papiers , de lever 10,000 matelots
additionnels , pour le ſervice de l'année prochaine
, fi la guerre continue , que de conſtruire fix
vaiſſeaux de ligne : il eſt certain que le ſervice louffre
plus du manque de matelots pour équipper les
vaiſſeaux , en état de mettre en mer , que da manque
de vaiſſeaux mêmes. Il eſt arrivé affez ſouvent que
des vaifſeaux de ligne & d'aurres rangs , prêts à
mettre en mer , ont attendu des deux ou trois mais
pour former leurs équipages ; & pendant tout ce
tems-là ils étoient comme nuls. L'été dernier , par
exemple , lorſqu'il a été queſtion d'équiper l'eſcadre
de l'Amiral Milbank , pour croiſer dans les mers
du Nord , il eſt noroire qu'il y avoit 7 vaiſſeaux de
ligne qui manquoient d'équipages. Le Bombay-
Castle , qui en ce moment fait voile pour Portf
mouth, a été 7 ſemaines à Woolwich dans Pattente
de ſon complet, tems ſuſſiſant pour faire le voyage
des Indes Occidentales . Commençons donc par nous
procurer des hommes , nous ſongerons enſuite à
augmenter le nombre de nos vaiſſeaux ".
Nous attendons avec impatience des nouvelles
de l'Amiral Howe. Toutes celles que
nous recevons du Continent nous appren(
20 )
nent l'état des forces ennemies au Détroit
de Gibraltar , les diſpoſitions qu'ils font
pour faire échouer ſon expédition ,& ajoutent
à nos inquiétudes & à notre impatience.
On commence à penser qu'on l'a
fait partir avec de trop foibles moyens
pour exécuter la commiffion dont on l'a
chargé. On s'attend à un combat , & vraiſemblablement
c'eſt de France même que
nous recevrons les premiers avis ; dans le
moment actuel tout doit être dit ; on ne
peut tarder à ſavoir ſi notre Amiral a
réuſſi ou échoué ; c'eſt de l'iſſue de fon
expédition que l'on penſe toujours que
dépend le fort de Gibraltar; en attendant
l'arrivée des nouvelles que nous eſpérons ,
onne ſera pas fâché de trouver ici un pré ,
cis-hiſtorique ſur cette place fameule.
>>>Gibraltar eſt un grand promontoire dans la
province d'Andalouſie en Eſpagne. Il ne tient au
continent que par une langue de terre de 3090
pieds dans ſa partie étroite , & de 4550 dans ſa
plus grande largeur. Sa longueur eſt de 4400 pieds ,
àcompter de la partie ſeptentrionale de la montagne
, juſqu'à l'endroit où elle s'élargit fur le Continent.
La plus grande longueur de la Péninſule ,
depuis les plaines du Nord juſqu'à la pointe la plus
méridionale , eſt de 2940 pieds ; ſa plus grande
largeur dans la partie la plus bafle ,cit de 4296
pieds. La ville eſt ſituée ſur la partie occidentale
de la montagne , ſur un terrein incliné de 5820
pieds de longueur & de 1100 pieds de largeur. It
est imp fible de lui donner plus d'étendue , étant
bornée à l'ouest & au nord par la Baie , & à l'est
&au fud par la montagne. La crête du roc eft
【21 )
élevée d'environ 1400 pieds perpendiculaires au
deſſus de niveau dela mer; la montagne n'eſt point
formée par une élévation continue , mais par différentes
coilmes placées les unes sur les autres.
Cet e montagne a été d'abord appellée le mont
Calpé , & el'e a continué de porter ce nom jul.
qu'aux incurſions des Arabe , dans l'année 713. Les
Hittoriens dient que de fameux promontoire a été
originairement p ffedé par les Scythes , lors de leur
premier étab'idement dans ces contrées. Quand les
Romains earent ajouté l'Ibé ie à leurs conquêtes ,
cette montagne offait un aſyle paſſager aux habitans
de la Baltige; mais leur réſiſtance fut vaine ,
& on forma a l'ouest de Calpé un étab iſſement
Romala q i avoit le nom de Julia Traducta . Les
Carrbaginous ſe font emparés de toste la Bitique ;
mais elle a été reprite par Lucius-Licinius-Lucullus,
& le mont Calpé eſt reſte ſous la domination des
Remains ju qu'en 168 , qu'ils furent entièrement
chalés de tonte ! Eipagne par les Viſigoths. Dans
l'année 713 , une querelle domestique introduifit
les Arabes en Eſpagne. La montagne pit alors le
nom de Jubal Tarik , ou montagne de Tarik , nom
duGénéral tous lequel l'incurfion a été faite. Telle
eft,dit-on , l'origine du nom Gibraltar. Il feroit
autfi ennuyeux qu'inutile de ſuivre pas à pas l'his
torique des movens employés pour fortifier cette
énorme roche. Des atraques ſucceſſives ont mis à
portée de coonoître les défauts & les avantages de
la Place; & c'eſt d'après ces abſervations que l'on
a remédié aux uns & perfectionné les autres . Au
furplus , Gibraltar a foutenu 13 fiéges , y compris
celui- ci. En 1310 , Alonzo Perez de Guzman l'enleva
aux Infidèles , qui en furent fi furieux qu'ils
mafſacrèrent leur Roi Mahomet. Le ſecond finge
fut fait en 1316 , par I mael Roi de Grenade
qui tenta en vain de reprendre cerre Place. Le troiième
fiége commença au mois de Février 1332 ,
(22 )
& il dura juſqu'à la mi-Juin, tems auquel la famine
força les Eſpagnols de ſe rendre. Ils fouffrirent
horriblement pendant un ſiége fi long , &
les Troupes paſsèrent pluſieurs jours à ſe nourrir
du cuir de leurs boucliers .
Le quatrième ſiége fut commencé par D. Alphonſe
XI , à la fin du même mois , ce Prince
n'étant qu'à environ 4 jours de marche de cette
Ville, lorſqu'elle ſe rendit à l'ennemi. Cette nouvelle
attaque fut remarquable par les maux qu'efſuyèrent
les affiégés & les alliégeans. Ces derniers
furent bloqués dans l'Ifthme de Gibraltar , par le
Roi de Grenade , qui marcha avec une armée au
ſecours de la place; enfin on figna la paix le 20
Août & le fiége fur levé. D. Alphonse en fit de
nouveau le fiége dans l'été de 1349. Celui-ci qui
fut le cinquième dura 9 mois, & la garniſon fut
réduite aux plus fâcheuſes extrémités ; mais D. Alphonſe
mourut de la peſte au mois de Mars de
l'année 1350. Les Empereurs de Fez , négligeant
leurs territoires en Eſpagne , Juvaf, troisième Roi
de Grenade , s'empara de Gibraltar en 1410. Се
fut le ſixième ſiége; mais l'année ſuivante les habitans
en chaſsèrent les Conquéraps & ſe mirent
fous la protection de Muley Bueld , Empereur de
Féz. Juzaf l'affiégea dans les formes au mois de.
Janvier ſuivant , avec une flotte & une armée, &
la place fut priſe par famine. Ce fut le ſeptième
fiége. Le huitième eat lieu en 1438 , lorſque D.
Earique de Guſman l'attaqua avec des forces confidérables
; mais il fut défait par les Maures &
noyé. Son fils revint avec les débris . En 1462
celui-ci revint avec une armée encore plus nombreuſe
& s'empara de la place , qui , depuis , eſt
toujours reſtée ſous la domination des Chrétiens.
Ce fut le neuvième fiége. Le dixième eut lieu en
1704, lorſque Gibraltar fut enlevé aux Eſpagnols
par lesAnglois , ſous les ordres du ChevalierGeorge
( 23 )
Réoke. Cette conquête fut particulièrement due
aux Matelors , qu'une témérité heureuſe mit en
poffeffion de différens poſtes qui commandoient la
place.Cettecirconſtance força l'ennemi de ſe rendre.
LesEſpagnols furent très-ſenſibles à la perte de cette
Fortereffe: ils connoiffoient toute ſon importance ;
& comme elle convioit en quelque forte l'entrée
du Royaume à un ancien ennemi , c'étoit une mortification
que leur orgueil ne pouvoit ſupporter , en
conféquence ils affemblèrent auffi-tôt une armée ,
ſous les ordres du Marquis de Villadarins , qui commença
le onzième ſi ge. Ce ſiége dura quatre mois ,
au bout deſquels les ennemis voyant que leurs efforts
quelques vigoureux qu'ils fuffent écient inutiles
prirent le pa ti de ſe retirer. La G. B. convaincue
aufli de l'importance de Gibraltar , a ſu tirer un
parti fa heureux des avantages naturels de ce rocher ,
qu'elle en a fait la place la plus forte de l'Univers.
Cette circeuſtance n'a fervi qu'a irriter les regrets
&la jaloufie del'Eſpagne qui pendant untems , adéclaré
la guerre pour le reprendre , & dans un autre
avoulu faire de ſa reſtitution une des clauſes de la
paix. Cette Puiſſance l'a cédée àla paix d'Utrecht ,
en ftipulant le droit de préemption en cas que la G.
B. voulût en diſpoſer. Il y a eubeaucoup de négociations
, beaucoup d'offres d'achat & d'échanges ; mais
malgré tout cela les Eſpagnols n'ont pu rentrer en
polethon deGibraltar. La Nation Britannique a été
jalouſe, avec raiſon , de conſerver une poffeffion
ſi précieuſe ; & lorſque les Miniſtres ont paru diſpoſés
à entrer en négociation àce ſujet , ce marché a
été prévenu par la vigilance du Parlement& par le
courage du Peuple. Cette affaire a donné lieu à de
violens débats dans la Chambre des Communes en
1727. Le mauvais ſuccès de ces manoeuvres ſecrettes
détermina les Eſpagnols à affiéger de nouveau
Gibraltar le 13 Février 1727 , ſous les ordres du
Marquis de Las Torras. Ce fut le douzième fiége qui
4
( 24 )
fut pouflé avec autant de vigueur que le précédent ;
il eut auſſi pea de ſuccès. Le ficge actuel , qui eft
le treizième , dure ſans interruption depuis trois
ans , Gibraltar ayant été inveſti par mer & par
terre au mois de Juillet 1779. La garniſon a donné
à l'Europe le ſpectacle de la défente la plus vigoureuſe
, en réſiſtant à tous les efforts de l'armée la
plus nombreuſe & la mieux équippée qui ait afliégé
aucune place ; les Eſpagnols ont tourné toutes leurs
vues ſur ce ſeul objet : ils ont épuisé leurs forces
*& négligé leurs affaires dans toutes les autres parties
du monde , pour employer toutes leurs reffources&
diriger toute leur attention fur ce ſeul point :
leurs ouvrages ont été immenfes & leur activité
infatigable. Au moyen de leur grand nombre ils
étoient en état de continuer leurs travaux ſaus interruption
, afin de ne laiſſer aucun moment de
relâche à la garnison ; mais tous leurs efforts ont
été infructueux , & la garniſon a été ravitaillée
tous les ans par nos eſcadres ; & la ſeule fois que
l'Ennemi a voulu s'y oppoſer a été pour nous l'occafior
d'une victoire ſignalée.
Les dépêches de l'Inde ne ſont pas encore
déchiffiées , & le bulletin en conféquence
n'eſt pas rédigé & n'a point paru : tout ce
que le Gouvernement a publié , c'eſt que les
vaiffeaux le Sultan & le Magnanime étoient
arrivés à Madraſs le 31 Mai avec leur convoi,
&que les François ont quitté la côte deCoromandel
, mais on n'indique pas leui route. Il
faut, puiſqu'il s'eſt borné à ces dérails , qu'il
n'y ait aucun fondement dans tout ce que nos
papiers ſe ſont empreffés de publier de l'état
Horitfantde nos établiſſemens , de l'heureuſe
tournure que prennent nos affaires. Il patoît
que les belles apparences de paix dont ils
nous
( 25 )
nous flattent , ne font que des apparences ,
puiſque l'Amiral Parker va prendre le commandement
dans l'Inde : il a paffé ſur le
Caton de 18 canons , de Portsmouth à Spithead
, où 6 vaiſſeaux , dit- on , l'attendent ,
&d'où il partira aufli- tôt que 4 autres qu'on
attend encore l'auront joint. De pareilles
forces , ſi elles ſe rendent réellement dans
Pinde , n'annoncent pas que la paix avec
les naturels y ſoit ſi prochaine , ni que notre
fituation y foit auſſi avantageuſe. Il eſt décidé
que le Lord Cornwallis va remplacer Sir
Eyre-Coote.
Des dépêches qu'on a reçues du Sénégal ,
apprennent que pluſieurs navires y font
chargés & prêts à faire voile ; mais qu'ils
font arrêtés par quelques fregates Françoiſes
en croifière dans ces parages .
On affure que l'eſcadre deſtinée à croiſer
dans la Manche ſera ſous les ordres de
P'Amiral Rodney , qui a déclaré au Miniſtère
qu'il n'avoit rien de plus à coeur que d'employer
ſes jours au ſervice de ſa parrie.
J'ai fait beaucoup d'enquêtes concernant les
Volontaires , lit-on dans une lettre d'un voyageur en
Irlande , je ſais qu'en 24 heures ils peuvent mettre
100,000 hommes ſur pied , & fi l'occaſion l'exigeoit
le double en peude tems. La Nation murmure encore
malgré tout ce qu'on a fait en ſa faveur ; elle est généralement
décidée à inſiſter for une déclaration de
droits dans la prochaine ſeſſion ;& fi la G. B. refaſoit
d'y conſentir , ce refus auroit des conféquences fà.
cheuſes. J'ai vu à Monster pluſieurs Membres du
Corps des Volontaires ; il n'y en a pas un qui ac
2 Novembre 1782 .
b
( 26 )
poſsède au moins soo liv. ſterl. de rentes enbiens
fonds . Ce revenu annuel duCorps entier , c'eſt-à-dire ,
de so paticuliers de cette Province eſt de 60,000 liv.
ſt.; que ne doit-on pas attendre d'un pareil Corps qui
ſe ſoumet volontairement aux devoirs de la diſcipline
la plus ſtricte ? Le grand Shérif du Comté de
Tiperary , Gentilhomme très-reſpectable , jouiſſant
de 2000 liv. fterl, de rentes eſt actuellement Sergent
dans ce Corps «.
L'Ecoſſe eſt auſſi décidée à former une
Milice pour ſa propre défenſe. La prochaine
affemblée du Parlement offrira ſans doute
des débats très- intéreſſans ſur tous ces ob
jets.
FRANCE.
De PARIS , le 29 Octobre.
C'EST du côté de Gibraltar que l'atten
tion générale eſt maintenant fixée ; c'eſt du
Détroit que les nouvelles les plus importantes
font attendues. Celles qui font arrivées
le 24 ſont du 13 de ce mois ; tels
font les détails qu'elles préſentent.
Du Camp de St-Roch , le 13 Octobre à 7
heures du matin. On avoit appris ici que l'eſcadre
ennemie alloit bientôt paroître , ayant paffé
devant Lisbonne le 6 du courant. La nuit du و
au to , un ouragan des plus furieux qu'on ait
jamais reſſenti dans la baie , a caulé quelques dommages
à la flotte combinée; mais ils ont été bientôt
réparés . Le ſeul vaiſſeau le St-Michel de
commandé par D. Joſeph Moreno , fut obligé de
prendre le large , parce que les cables avoient
caffe , & qu'il avoit perdu ſes ancres. Le courant
s'oppola à ſa manoeuvre , & il fut jetté ſur le ſa
70 ,
( 27 )
- La
ble très-près de la place canemie. Le Majestueux ,
de 110 canons , le Triomphant ( Eſpagnol ) , de
80 , coururent le même danger; mais heureulement
ils donnèrent ſur la côte d'Algéſiras , d'où ils
ont été dégagés , & la réparation a été prompte ,
parce que le dommage étoit peu de choſe.
flotte ennemie fut fignalée avant- hier 11 à une
heure après-midi ; & cinq heures après , elle fut
en vue de la nôtre. Son avant-garde étoit compo.
ſée de 4 frégates , dont 2 de guerre , excellentes
voilières , qui , malgré la préſence de l'armée
combinée , entrèrent le ſoir dans Gibraltar. L'efcadre
& le convoi ſe tinrent au large , dans l'intention
ſans doute de ſe gliſſer dans la place pendant
la nuit ; mais il ſurvint un coup de vent fi
violent que l'armée Angloiſe , entraînée encore par
le courant , fut pouffée dans la Méditerranée. Elle
a louvoyé hier toute la journée à 6 lieues de la
pointe d'Europe; & elle eſt parvenue à faire encore
entrer dans la place 4 tranſports. Si le vent nous
eſt favorable pour fortir de la baie , il n'eſt pas
douteux que D. Louis de Cordova cherchera à poulfer
encore plus loin l'ennemi , & il pourra y avoir
un engagement. Mais les Marins aſſurent qu'il eſt
impoſſiblede quitter la baie avec le vent de N. N. Ẹ .
Il faut eſpérer que dans la journée il changera , &
que les armées pourront s'approcher & combattie.
A 7 heures du foir. L'armée combinée a mis
àla voile à 10 heures du matin ; elle est forte de
46 vaiſſeaux de ligne: les Anglois n'en ont que
33. Elle a doublé la pointe d'Europe à 2 heures ;
& en ce moment (7 heures du ſoir ) , elle est
entièrement dans la Méditerranée ; on l'apperçoit
encore au loin. Les Anglois ont vent debout , &
ils manoeuvrent , à ce qu'il paroît , pour éviter le
combat. Il n'eft entré dans la place ennemie que
وbâtimens , dont 2 frégates de l'eſcadre&un vaifſeau
de guerre qui mouille à la pointe d'Europe " .
bz
728 )
Le Courier qu'a reçu l'Ambaſſadeur d'Ef
pagne , parti un jour après celui qui a
apporté ces détails , n'en fournit pas de
nouveaux; il ajoute ſeulement que M. le
Prince de Naſſau a ſuivi autant qu'il a pu ,
le long de la côte , les flottes à cheval ;
& par le rapport qu'il a envoyé au camp
le 14 au foir , on a appris qu'il venoit
de perdre les armées de vue & qu'elles
n'étoient alors qu'à 3 lieues l'une de l'autre.
,
M. de la Peyrouſe a adreſſé au Miniſtre
de la Marine les détails ſuivans de ſon expédition.
>> Je ſuis parti du Cap- François le 31 Mai , avec
le Sceptre, de 74 canons , & l'Aftrée & 1Engageante
, de 36 , pour la bate d'Hudſon. J'avois embarqué
250 hhoommmes d'Armagnac & d'Auxerrois ,
& 40 hommes d'artillerie , 2 mortiers de 8 pouces
, 300 bombes & 4 canons. Ce détachement
étoit aux ordres de M. de Roſtaing , Major du
régiment d'Armagnac ; M.le Certain devoit commander
l'artillerie ; M. de Monneron diriger les
opérations des fiéges; & M. de Manſuy lever les
plans des côtes & des baies que nous allions parcourir.
Le 17 Juillet je recoonus à minuit l'Ifte
de la Réſolution. J'eus à peine fait 20 lienes dans
Is détroit d'Hudſon , que les obstacles de tout genre
fe multiplièrentt;; mes vaiſſeaux reſtèrent pris pluſieurs
jours dans les glaces ; les Matelots alloient
àpied fec d'un vaſſeau à l'autre; l'Aſtrée & l'Engageante
ſouffrirent infiniment & endommagèrent
affez leur avant, pour me donner des inquiétudes ;
le Sceptre fut auſſi très-près de perdre ſon gouvernail.
Enfin , le 30 Juillet , j'eus la vue du Cap Walfingham
, qui eſt la partie la plus occidentale du
détroit. Je me flatrois que les plus grandes difficultés
étoient vaincues , & je brûlois d'arriver au fort du
( 29 )
Prince-Walles , le premier point que je m'étois
proposé d'attaquer ; & je n'avois pas un inſtant
àperdre, la rigueur de la ſaiſon obligeant tous les
vaiſſeaux d'abandonner cette mer dans les premiers
jours de Septembre ; mon impatience fut miſe à
une nouvelle épreuve ; naviguant avec affez de
fûreté dans la baie d'Hudſon , je fus enveloppé
de brume le 3 Août , & bientôt environné de gros
glaçons qui me forcèrent de mettre en panne. Quand
le brouillard ſe diſſipa , je vis les trois bâtimens
enclavés dans des glaces qui s'étendoient à perte
de vue; j'eus alors la crainte la plus fondée de
manquer la ſaiſon d'opérer , & j'étois preſque dé
cidé à renvoyer mon vaiſſeau aux Iſles du Vent
avec une frégate , & à hiverner dans la baie avec
Pautre , & un petit nombre de troupes aux ordres
de M. de Roſtaing , pour attaquer & détruire les
établiſſemens Anglois à la ſaiſon prochaine ; mais
les Août , la banquiſe dans laquelle j'étois engagé
s'éclaircir , & je la franchis en forçant de voiles ; &
le 8 Août au ſoir , je vis le pavillon du fort du
Prince-Walles , j'en approchai en fondant juſqu'à
une lieue & demie. Un Officier envoyé pour fonder,
me rapporta que nos vaiſſeaux pouvoient approcher
de très-près le fort; tous mes préparatifs
furent faits dans l'inſtant pour la deſcente; on débarqua
ſans obſtacles à trois quarts de lieue du
fort bâti en pierre de taille , & en état de faire
une vigoureuſe défenſe. M. de Roſtaing marcha
avec fa troupe juſqu'à portée de canon , où il fir
halte; & n'appercevant de la part des ennemis aucune
diſpoſition de défenſe , il envoya ſommer le
fort de ſe rendre. On ne fit aucune difficulté : les
portes furent ouvertes; le Gouverneur & ſa garniſon
ſe rendirent à diſcrétion . Il y avoit dans ce
fort une très-grande quantité de marchandiſes de
toute eſpèce ; l'artillerie étoit dans le meilleur état
b3
( 30 )
poſſible , & tous les magaſins couverts en plomb.
N'ayant pas un inſtant à perdre pour achever mes
opérations dans la baie, je me déterminai à tout
brûler , excepté quelques pelleteries de caftor &
autres , qui ont été embarquées ſur l'Aftrée. J'ai
donné aux Sauvages tout ce qu'ils ont voulu emporter
, fur-tout de la poudre & du plomb ; ces
peaples vivant uniquement de leur chaffe. Je mis
à la voile le 11 , pour le fort d'Yorck , chef-lieu
de tous les établiſſemens Anglois dans cette baie ;
mais ici les difficultés furentplus grandes. Je ſavois
la côte pleine d'écueils ; je n'avois point de cartes
, nos prifonniers s'obſtinoient à ne donner aucun
éclairciſſement; enfin après des précautions infinies
, des riſques de toute eſpèce , je fois parvenu
à l'entrée de la rivière Nelſon , où j'ai mouillé
le 20 Août , à environ 5 lieues de terre. Je me
diſpoſai à ma defcente , le 21 au matin , avec le
commencement du flot; je me mis moi-même à
la tête des chaloupes , n'ayant rien à craindre par
mer du côté de l'ennemi ; le grand éloignement
des vaiffeaux pouvoit faire naître à la garnifon
des projets de défenſe. Le Chevalier de Langle
me ſuivit , & je chargeai M. de la Jaille du commandement
de la diviſion. L'Iſle des Hayes , fur
laquelle eſt ſitué le fort d'Yorck , eſt à l'embouchure
d'une grande rivière , qu'elle diviſe en deux
branches , qu'on appelle l'une la rivière des Hayes ;
P'autre , la rivière Nelson . Tous les moyens de défenſe
étoient ſur la première; un vaifleau de la
compagnie d'Hudſon,de vingt-fix canons de neuf ,
étoit mouillé à l'embouchure de cette rivière ,
d'ailleurs pleine de bancs où les courans font
très - violens , &c. Je me déterminai pour la riwière
Nelſon , où nos troupes auroient une marche
à faire d'environ quatre lieues , mais où elles prenoient
à revers toutes les batteries fur la rivière des
Hayes. Nous arrivâmes , le 21 au foir , à l'embouchure
de la rivière Nelſon , avec la petite flotte de
( 31 )
chaloupes. Toutes les troupes débarquèrent dans
la vaſe avec leur foil ſur l'épaule ; nous fîmes un
quart de lieue enfoncés dans la boue juſqu'aux
genoux , & nous arrivâmes ſur un pré qui n'étoir
qu'un marais. La troupe ſe rangea en bataille &
marcha environ une lieue juſques vers le bois où
nous nous flattions de trouver un ſentier ſec qui
nous conduiroit au Fort. Un prifonnier généreuſement
payé s'étoit offert de nous servir de guide ;
il nous indiqua un chemin que l'on fit reconnoître ,
& qui fut jugé impraticable : nous avons appris
depuis que c'étoit le meilleur de l'Ifle, La journée
ſe paſſa en reconnoiſſances inutiles de chemins qui
n'exiſtoient point. Je me déterminai enfin à en tracer
unà la bouſſole , au milieu du bois & du marais.
La troupe campa à l'entrée du bois ; & le ſoir on
annonça qu'il y avoit à traverſer deux lieues de
marais , où l'on enfonceroit ſouvent juſqu'aux genoux.
Dans la nuit , il venta grand frais ; j'eus la
plus vive inquiétude pour mes vaiſſeaux mouillés
en pleine côte , dans un parage où la mer ett af
freuſe , & où le fond , quoique de vaſe , eſt parſemé
de rochers qui coupeut les cables. Je me
déterminai à rejoindre ma diviſion ; la defcente
étant faite , je ne me crus plus autorisé à abandonner
mes vaiſſeaux , fur- tout dans le moment
où ils étoient dans le danger le plus évident. Le
Chevalier de Langle reſta chargé du commandement
des chaloupes , & je me rendis au bord de
la mer; mais la tempête continuant encore , il me
fut impoffible de m'embarquer. Je profitai d'un
intervalle le lendemain , & j'arrivai à bord , une
heure avant un ſecond coup de vent. M. de Carbonneau
, qui étoit parti avec moi , fit naufrage
dans ſon bateau ; il fut affez heureux pour ſe ſauver
à terre lui & ſon équipage ".
>>>Le vent ayant calmé le 26 , j'appris que nos
troupes étoient arrivées devant le Fort le 24 au
b4
( 32 )
matin , & qu'à la première ſommation de M. de
Roſtaing, les portes lui avoient été ouvertes, après
cependant avoir propoſé une capitulation qui fut
acceptée. J'écrivis à M. de Roftaing , pour le preffer
de tout brûler & de ſe rembarquer tout de ſuite.
Le mouillage où j'étois n'étoit pas tenable ; M. de
Roſtaing fentoit ma poſition , & fit toute la diligence
poffible. Je dois dire qu'un des agrémens
qui a compenfé en quelque forte les fatigues incroyables
de cette campagne, eſt l'avantage d'avoir
eu à concerter mes opérations avec un Officier dont
le zèle , les talens &l'amour pour le bien du ſervice
m'aſſuroient que toutes nos attaques ſeroient
ſuivies d'un plein ſuccès. Mes meſures furent déconcertées
par un nouveau coup de vent, dans lequel
l'Engageante courut encore de nouveaux rifques;
la troiſième ancre cafſa , ainſi que la barre
de ſon gouvernail , & ſa chaloupe fut perdue ; la
mienne , commandée par M. du Bordieu , fit auffi
naufrage à terre , & je perdis mon canet & une
ancre. Enfin le beau tems revint , & j'eus le plaifir ,
dans la matinée du 31 Août , de voir le fort d'Yorck
en feu , & M. de Roſtaing , avec le reſte de ſa
troupe , revenir à bord. Je mis à la voile tout de
fuite , ayant à bord les trois Gouverneurs des forts
du Prince-Walles , d'Yorck & de Severn , petit établiſſement
dépendant d'Yorck , que j'ai négligé de
détruire , parce qu'il n'étoit d'aucune importance ,
&que mes vaiſſeaux, fans ancres ni chaloupes , &
ayant 300 malades , n'avoient rien de mieux à faire
que de quitter ces mers , qui , depuis le 25 Août ,
ſont plus orageuſes que nel'eſt la Manche au mois
de Janvier. Je crois pouvoir évaluer à 10 ou 12
millions la perte occaſionnée à la Compagnie d'Hudfow
. J'ai eu l'attention , en brûlant le fort d'Yorck ,
de laiſſer ſubſiſter un magaſin afſez conſidérable ,
dans un lieu éloigné du feu , & dans lequel j'ai fait
dépoſer des vivres , de la poudre , du plomb , des
fails , & une certaine quantité de marchandises
( 33 )
d'Europe , les plus propres aux échanges avec les
Sauvages , afin que quelques Anglois , que je fais
s'être réfugiés dans les bois , lorſqu'ils reviendront
fur leur ancien établiſſement , trouvent dans ce magafin
de quoi pourvoir à leur ſubſiſtance , juſqu'à
ceque l'Angleterre ai pu être inſtruite de leur ſituation.
Je ſuis aſſuré que le Roi approuvera ma conduire
à cet égard ; & qu'en m'occupant du fort de
ces malheureux , je n'ai fait que prévenir les intentions
de S. M. c.
Les lettres reçues de Boſton font en
date du 4 Septembre; elles nous apprennent
que le Marquis de Vaudreuil étoit
entré dans cette rade vers le milieu du
mois d'Août ; qu'elle y réparoit quelques
légers dommages , & qu'elle trouvoit tout
ce qui lui étoit néceſſaire pour cet effet.
On y avoit appris l'arrivée de l'Amiral
Pigot ſur les côtes avec 26 vaiſſeaux de
ligne ; qu'il ſe préparoit à établir ſes
croiſières dans tous les points effentiels ;
mais que notre eſcadre une fois radoubée
n'avoit rien à craindre de tous ces vaiſſeaux
éparpillés ſur des côtes auffi orageuſes . Ces
lettres ajoutent que l'armée du Comte de
Rochambeau s'étoit approchée de la rivière
de Nord , & qu'elle camperoit près de
New-Yorck le reſte de la campagne.
Ces mêmes lettres nous ont apporté copie
de l'adreſſe des Boſtoniens à M. le Marquis
de Vaudreuil. Elle étoit conçue ainfi.
>>M>. , les Négocians de Boſton, remplis des ſen
timens les plus élevés pour la magnanimité avec laquelle
S. M. T. C. en a agi , en devenant l'alliée des
Etats-Unis de l'Amérique , & en les aidant contie
bs
1341
l'ennemi commun, tantôt par des ſecours fignalés ,
tantôt par ſes armes victorieuſes , ayant trouvé dans
toutes les occafions de correſpondance avec les Sujets
de ce ſage & excellent Monarque , une nouvelleoccafion
d'une confiance &d'une eſtime ſans bornes,
demandent la permiſſion d'exprimer à V. E. la joie
qu'ils retfentent de l'arrivée dans notre Port & dans
notre Ville , d'un Amiral auſſi diſtingué par ſon caractère
& ſes vertus , que l'eſt M. le Marquis de
Vaudreuil , & d'une flotte , d'une armée particulièrement
recommandables par le torrent de fang récemment
verſé pour la cauſe commune dans le
combat le plus obttiné , contre une flatte ennemie
ſupérieure , qui , quoique victorieuſe , a été contrainte
d'avouer qu'elle ne doit ſa victoire qu'aux
vents & au nombre.- Les Négocians de Boſton
fe croiroient heureux s'ils pouvoient contribuer à
rendre le plus agréables poſſibles les momens que
V. E. & fon armée deſtinent à ce Port ; & V. E.
voudra bien être convaincue qu'elle poſsède notre
plus haute eſtime , & que nous faiſons les voeux
les plus fincères pour ſa proſpérité sc.
Voici la réponſe de M. le Marquis de
Vaudreuil :
>>>MM. , je ſuis extrêmement ſenſible à l'attention
empreffée de votre reſpectable Corps , tant
pour moi que pour la flotte & l'armée que j'ai
T'honneur de commander. Votre adreffe m'eſt chère,
&je vous prie de recevoir mes reinerciemens les
plus vifs pour cette marque de votre affection per-
Connelle. - Le reſpect & l'amitié pour le Roi mon
Maître & pour la Nation qu'il gouverne , dont vous
me donnez de fi fortes preuves , & votre reconnoiſſance
pour les efforts d'un allié auſſi fidèle que
magnanime dans notre cauſe commane , ne peuvent
qu'être infiniment agréables à S. M. , à laquelie je
ſaiſirai la première occafion de la faire conneître.
-L'heureuſe alliance entre la France & l'Amé(
35 )
rique a été àla vérité cimentée par le fang abondamment
verſé par les deux Nations , dont l'ef
time , l'affection auffi bien que l'intérêt , font mutuels.
Il a été verſé pour un grand & glorieux
objet : puiſſent notre union & nos efforts mutuels
l'accomplir & l'aſſurer aux générations futures.
Soyez aſſurés , MM. , que je ferai tout ce qui ſera
enmonpouvoir pour remplir les intentions de mon
Souverain,en protégeant le Commerce d'une Ville
à laquelle il eſt uni par les liens d'une telle affection
, & dans laquelle j'ai déja reçu tant d'honnêtetés
& de marques de fatisfaction «.
Nous apprenons que la frégate du Congrès
l'Alliance , eſt entrée à l'Orient avec
4navires de la flotte de la Jamaïque , &
qu'elle a envoyés priſes du même convoi
en Amérique. L'Alliance en auroit amariné
plus de 20 , ſi elle avoit eu plus de monde .
Le Flibustier , corſaire Américain , en a
amené 2 autres dans le même port , & uz
corſaire de Dunkerque s'eſt emparé d'un
troiſième richement charge. On a dû faire
fortir de Breſt 2 vaiſſeaux & 2 frégates
pour ramaffer de même ceux que la tempête
aura épargnés. Voila déja 18 ou 20
navires de cette flotre conduits dans nos
ports..
>> La frégate l'Ariel , commandée par M. de la
Croix de Castries , Enſeigne de Vaiſſeau', s'étant
ſéparée de la frégate la Surveillante , & du cutter
le Fanfaron , dans le coup de vent du 24 Septembre
, eft entrée le 6 de ce mois dans la rade de Groix
avec le navire l'Hector , du port de 300 tonneaux ,
venant de la Jamaïque , chargé de ſucre ,de rum ,
1
b6
( 36 )
dont il s'eft emparé le 26 Septembre. Le premier
Octobre , à 9 heures du ſoir , l'Ariel ayant apperçu
2 bâtimens às lieues O. S. O. d'Oueſſant , ſe prépara
au combat ; mais ils furent bientôt ſuivis de
beaucoup d'autres. Ne pouvant plus les compter ,
M. de la Croix de Caſtries fit éteindre ſes feux ;
un vaiſſeau de so canons , voyant l'Ariel avec peu
de voiles , & ne ſuivant pas la route de la flotte ,
lui cria d'amener , ou qu'il le couleroit bas . Le Com
mandant ne répondit rien , ſe couvrit de voiles , &
ſe mêla avec les bâtimens du convoi , ce qui ſauva
la frégate & la priſe ; il a ſu , d'après le rapport
d'un bâtiment neutre , qu'il a viſité , que c'étoit la
flotte deſtinée pour Gibraltar qu'il avoit rencontrée ,
& qui a dû beaucoup ſouffrir du coup de vent du
lendemain".
On lit dans les Affiches de Bordeaux
l'avis ſuivant aux Navigateurs , qui mérite
d'être tranſcrir .
Les mers ont englouti cette année , & engloutiffent
encore tant de navires , de richeſſes & de
malheureux , qu'on ne ſauroit rechercher & publier
ou rappeller avec trop de ſoins les moyens
de prévenir ou d'affoiblir ces déſaſtres ſi affligeans
pour l'humanité & fi terribles pour le commerce.
On a autrefois lu à l'Académie Royale des Sciences ,
unMémoire qui tendoit à empêcher la perte des navires
marchands & autres , lorſqu'ils font ouverts ou
percés de manière que l'Equipage ne peut ſuffire
pour en étancher l'eau. La méthode eſt ſimple, peu
coûteuſe , & indépendante du ſecours de l'Equipage.
Elle conſiſte à poſer de chaque côté du
vaiſſeau les rames tournantes , pour former deux
eſpèces de roues à eau , leſquelles feront mouvoir
les piſtons des pompes , dont les diamètres
on leviers feront réglés & augmentés , ſuivant
les conſidérations ci-après. 1º. Les pompes étant
placées , on peut faire lever les piſtons tant & fi
( 37 )
peu que l'on jugera convenable , en ôtant ſeulement
un bouton ou en le mettant . 2 ° . On aura
l'attention de faire , dans ce cas , force de voile
, afin que le courant faſſe plus fortement agir
les pompes. 3 °. S'il ſe trouve quelque courant
dans la route , on tâchera , par la même raiſon ,
d'aller contre , juſqu'à ce qu'on ait réparé les
plus grandes voies d'eau. Par cette méthode il
pourra ſortir du navire 3600 pieds cubes
209 muids d'eau par heure : pour que ces roses
à eau ne foient point affouguées par vagues ,
lorſque les vagues ſurpaſſeront la hauteur de leur
axe , on appliquera obliquement , de chaque côté
du vaiſſeau , un bout de bordage de la largeur des
rames & de la même ſaillie , afin de contraindre
l'eau à paffer toujours par - deſſus.
,
이
La mauvaiſe qualité des vins ſous quelque
point de vue qu'on la regarde , eſt toujours
un très-grand mal , mais elle en eſt particulièrement
un pour tous les pays de vignobles.
Un autre mal , non moins grand pour
cux , & plus habituel encore , eſt la cherté
de la culturede la vigne. M. Maupin , dont
le nom acquiert chaque année une plus
grande célébrité , a entrepris de bannir des
campagnes de vignobles , ces deux grandes
caufes de détreſſfe &de misère : il a même
entrepris d'introduire la culture de la vigne
dans celles de nos Provinces où elle n'eſt
point d'ufage. Nous avons déja annoncé les
deux derniers ouvrages qu'il a publiés ſur
les vins ,&dont l'un a pour titre : la Richeſſe
des Vignobles , & l'autre : Théorie ou Leçon
furle tems de la Vendange : il en a donné
cette année deux autres ſur la vigne. Le pre
( 38 )
mier ( 1 ) contient une nouvelle Méthode
d'eſpacer & de planter la vigne , & de cultiver
celles qui feront plantées ſuivant cette
nouvelle Méthode. Le ſecond , qui vient de
paroître ( 2) ſe rapporte principalement aux
vignes faites quel qu'en ſoit l'eſpacement ,
&apour objet d'en fimplifier la culture &de
la rendre , par-là , beaucoup moins diſpendieuſe.
Les ouvrages & les grandes vues de
M. Maupin doivent fixer l'attention de tous
les pays; & les hommages rendus en France
&dans les pays étrangers , à la ſupériorité
de ſes connoiffances en prouvent la ſolidité.
>> Au lieu d'une Salle de Spectacle , informe ,
petite , peu sûre , preſque ſans iſſues , & fituée ſur
une rue étroite &dans un quartier perdu , écrit-on
de Nantes , on va avoir ici une Salle de bon goût ,
ſpacieuſe , bien ordonnée , iſolée de toutes parts ,
élevée ſur une place publique , neuve & régulière ;
en un mot , un monument public digne d'une.
des plus grandes Villes du Royaume , & digne
(1 ) Nouvelle Méthode won encore publiée , pour planter
& cultiver la vigne à beaucoup moins de frais & en
augmenter le rapport , jointe à la théorie fur le tems de la
vendange , à l'usage de tous les pays vignobles ou non
vignolles . Par M. Maupin , prix 3 liv. 6 f. avec le reçu
figné de l'Auteur. A Paris , chez Mufier & Gobreau , Libraires
, Quai des Auguſtins.
(2) Les principales bévues des Vignerons , aux environs
de Paris & par- tout , ou avis très-important à tous les
propriétaires des vignes , pour fervir de fuite à la nouvelle
méthode de planter & de cultiver la vigne , joint à l'avis &
Leçons aux Laboureurs , à l'usage de tous les pays vignobles
ou non vignobles. Par M. Maupin , prix des deux Ouvrages
2 liv. 2 f. , avec le reçu ſigné de l'Auteur,A Paris , chez les
mêmes Libraires.
( 39 )
des étrangers que le Commerce y attire. Ge précieux
avantage , deſiré depuis long-tems , ſera particulièrement
dû à la générosité d'un Citoyen eftimable
, qui donne gratuitement un emplacement
convenable & bien ſitué , qu'on n'eût pu ſe procurer
qu'à grands frais , & qui , dans tout autre
quartier , n'eût eu ni l'accompagnement ni l'enſemble
qui conviennent à un edifice de cette nature.
Cette générosité imprévue a d'autant plus de
prix , & a été exercée d'autant plus à propos , que
P'Administration Municipale , dominée par le beſoin
impérieux d'une nouvelle Salle quelconque , étoit
réduite à ſe contenter d'une Salle en bois projettée
par le Directeur du Spectacle , & à- peu -près fujette
aux mêmes inconvéniens que celle qu'il faut
abandonner.
Les Affiches de Troyes préfentent une
lettre affez curieuſe ſur les prétendus ſecrets
de guérir la rage. Un accident funeſte
occafionné par cette maladie , a donné lieu
àcette lettre. Son objet eſt de détruire des
préjugés malheureuſement trop répandus ;
&c'eſt un titre pour lui donner une place
ici.
La fin tragique & encore récente du nommé Ifidore
Collor , de la paroiſſe de Rumilly- les-Vaudes , qui
avoit été mordu par un animal enragé , me fournit
l'occaſion de parler d'en abus d'autant plus intéreſ
fant à dénoncer au Public , qu'il eſt contraire à la
Religion , & qu'il eſt opposé aux vues bienfaifantes
duGouvernement. Lorſque quelques perſonnes
du peuple ont été mordues par un animal enragé ,
c'eſt rarement aux Médecins ou aux autres gens
inſtruits qu'elles ont recours pour obtenir leur guérifon.
La cure de l'hydrophobie est vulgairement.
confiée en France aux Reliques de S. Hubert, Ceux
( 40 )
qui ont été mordus vont en pélerinage vifiter ces
Reliques , & y porter leur offrande ; & ils s'imagi
nent qu'ils feront préſervés des ſuites funeſtes de
leurs bleſſures , ſi on leur infère dans le frent une
parcelle d'étole , & fi l'on pratique ſur eux quelques
exorcifmes. Pour la commodité des perſonnes auxquelles
la fortune ou les occupations ne permettent
pas de ſe tranſporter dans le fond des Ardennes ,
où ſont déposées les Reliques de S. Hubert , il ſe
trouve, dans preſque toutes les Provinces du Royau
mes , quelques familles qui , ayant trouvé S. Hubert
fur leur arbre généalogique , s'arrogent , en raiſon
de la parenté , la vertu de leur aïeul. Chaque individu
de ces familles croit fermement pouvoir pré
ſerver de la rage avec un mélange d'oeufs , de racine
d'églantier , d'écailles d'huitre , &c. dont on compoſe
une omelette , que l'on aſſaiſonne de quelques
prières ridicules , qui ſe tranſmettent avec le blaſon
& les vieux parchemins. L'inſuffiſance de parcils
remèdes pour la guériſon de la rage , peut- elle être
mieux prouvée que par les victimes que nous voyons
tous les jours ?- Ifidore Collot , manouvrier demeurant
à Nicey , paroiſſe de Rumilly-les- Vaudes ,
à 4 licues S. E. de Troyes , âgé de 18 ans , fut
mordu , aux fêtes de Noel 1781 , par un chien
enragé. Quelques jours après il a recours au remède
d'uſage , va chercher le répit , le reçoit ,& eſt renvoyé.
Ce jeune homme, plein de confiance , & dans
la certitude d'une entière guériſon , retourne au
ſein de ſa famille. Vers les premiers jours de Février
1782 , il reſſentit des douleurs à l'endroit de la
morſure , devint hydrophobe , & périt le 12 du
même mois dans les accès de la rage la plus effrayante.
Il a été enterré à Rumilly le jour des
Cendres ſuivant. Un accident de cette nature ,
malheureuſement trop fréquent aux environs de
Troyes , devroit guérir ces familles de leur prétention
aux miracles. En vain le Gouvernement
( 41 )
excitera l'émulation des Médecins , pour chercher
un ſpécifique contre la rage , tant que des perfonnes
auxquelles , par leur naiſſance , on doit ſuppoſer
quelques lumières , entretiendront parmi le
peuple des préjugés ſuperſtnicox , qui ôreront aus
vrais Médecins l'occaſion de l'expérience , très-difficile
dans cetre-maladie. Le peuple tient beaucoup
au merveilleux , & il feroit peut-être très-dangereux
pour lui de fronder bratquement ſon préjugé.
Sa confiance dans les perſonnes qui guériſſent avec
des prières & des emeletres , eſt fi grande , qu'elle
lui procure une tranquillité d'e prit très -néceſſaire
pour le ſuccès dans cette maladie. Pour éviter tout
inconvénient , je déſirerois que les perfonnes connues
par le peuple , pour pofléder le ſecret de S. Hubert
, après avoir donné le répit aux bleſſes , ne les
aftreigniſſent point à des communions de 9 jours com
ſécutifs, ne les empêchaſſent point de ſe peigner pendant
quarante jours , &c. mais les obligeaſſent de
s'adreiſer à un Médecin pour faire le reſte; les bleffés
trouveroient dans toutes les Villes , & particulièrement
à Troyes , des Médecins expérimentés & charitables
, qui leur donneroient des ſecours . Dans
les fiècles d'ignorance , les habitans de la Pouille
(contrée d'Italie ), mordus par des animaux enragés,
avoient recours à S. Gui ,& ils l'invoquoient de la
manière ſuivante ; ils faisoient 9 fois le tour de leur
Ville , pendant la nuit du Samedi , ſans prendre aucun
repos , & prononçant continuellement cette
prière.
Alme Vithe Pellicane ,
Oram qui tenes Apulam ,
Littusque Polignanium ,
Qui morfus rabidos levas ,
Iraſque canum mitigas ;
Tu , Sande , rabiem afperam ,
Rictusque carnis luridos ,
Tu , savam prohibe luem :
I procul hinc rabies.
Procul hinc furor omnis abestos
( 421
» O grand S. Gui , tendre Pélican , protecteur
des côtes de la Pouille & de la Ville maritime de
Polignano , qui folegez les morſures venimeuſes ,
& adouciffez la colère des chiens , préſervez-nous ,
Ô Saint , de la rage de ces animaux & de leur gueute
envenimée : loin de nous toute rage , loin d'ici toute
fureur «.-Toute gothique que ſoit cette prière ,
elle eſt cependant plus orthodoxe que celle dont ſe
fervent la plupart des falſeurs d'omelettes . Elle
étoit d'ailleurs accompagnée d'un exercice violent ,
qui pouvoit être utile par les ſueurs abondantes qu'il
devoit exciter. Il a été récemment démontré par pluſieurs
Médecins , & particulièrement par un Médecin
de Troyes , qu'après la ſalivation , les ſueurs font
la feule criſe capable de préſerver de la rage.
Puifle l'accident d'Ifidore Collot , rendu public ,
faire abjurer à des gens honnêtes la manie de donner
Jerépit aux perſonnes mordues par un animal enragé!
Cette pratique ſuperftitieuſe & fi contraire àl'humanité
, porte le caractère des tems barbares où elle
a pris naiſſance , & il eſt extraordinaire de la voir
exifter dans un fiècle philoſophe , où l'on fait apprécier
la vie d'un homme,
Vincent Magnac , ſurnommé le Brave ,
ancien Lieutenant - Colonel du Régiment
Royal- Comtois , Chevalier de l'Ordre de
St Louis , Seigneur du Clos , de Mauroi ,
&c. , eſt mort à Chambort en Combrailles
, dans la 7se. année de ſon âge.
Frédéric-Louis François , Baron de Wangen
, Prince-Evêque de Bâle , eſt mort le
II de ce mois en ſon Château de Porrentruy
extrêmement regretté de tous fes
ſujets , dont il étoit tendrement aimé &
reſpecté. Il étoit né en 1728 , & avoit été
élu le 29 Mai 1775.
Jean-Antoine Tinſeau , Evêque de Ne
(43 )
:
vers , eſt mort dans ſon Palais Epifcopal ,
le 24 du mois dernier, dans la 86e. année
de fon âge , ayant gouverné fon Diocèſe
pendant 30 ans avec autant de zèle que
de prudence , & avec une édification foutenue
par la réſidence la plus conftante.
De BRUXELLES , le 29 Octobre .
Lejeune Officier accuſé de crime de haute
trahifon,dont leprocès faitbeaucoupde bruit
à laHaye , vient d'être réclamé par lesEtats
de Hollande , ſur la propoſition faite à cette
affemblée par les Députés de la ville d'Amfterdam
: fon procès avoit été inftruie par le
haut Conſeil de guerre; il étoit condamné ,
&déja il avoit été dégradé , & avoit vu fon
épée briſée devant lui. Les Etats de Hollande
ſe font hâtés d'envoyer une députation au
Stadhouder pour l'inſtruire de leur défir ,
avant que l'exécution de l'accuſé , ſi elle eût
été hâtée , ne préjudiciât aux délibérations
fur la compétence du Tribunal qui doit le
juger. L'objet des Etats dans cette réclamation
, eſt de le remettre au Juge ordinaire ,
afin de parvenir à connoître plus fûrement
tous les complices. On a auffi arrêté un Jardinier
nommé Van Brekei , qui a dénoncé
l'Officier accuſé au Grand - Penſionnaire ;
c'étoit lui qui portoit les lettres de cette
correſpondance criminelle , à laquelle on
prétend que plufieurs perſonnes ont eu part.
>> On lit dans les dépêches de Surinam , en date
du 13 Juin dernier , diſent quelques lettres de la
( 441
Haye, que l'Officier qui commande actuellement
dans les Colonies Hollandoiſes de Démerary , Eſequibo
& Berbice , a envoyé priſonnier dans cet
établiſſement , M. Koppiers , ancien Gouverneur des
Berbices , avec une lettre contenant les motifs qui
l'ont déterminé à prendre ce parti. M. Adams ,
ajoutent les mêmes lettres , après avoir pris congé
des Etats - Généraux & du Stathouder , eſt parti le
17 de ce mois pour ſe rendre en France. Les affaires
des Etats-Unis de l'Amérique ſeront adminiſtrées
, pendant ſon abſence , par M. Dumas , ea
qualité de chargé d'affaires " .
Le traité d'amitié & de commerce entre
ces deux Républiques eſt une pièce importante
que nous nous empreſſons de configner
dans ce Journal .
LL. HH. PP. , les Etats-Généraux des Pays -Bas
Unis , & les Etats Unis de l'Amérique , ſavoir ,
New- Hampshire , Maſſachuſett's , Rhode-Iſland ,
avec les Providence Plantations , Connecticut ,
New-York , New Jerſey , Pensylvanie , Delaware ,
Maryland , Virginie , Nord- Caroline , Sud-Caroline
&Géorgie , defirant de déterminer ſur un pied
conſtant & équitable les règles à obſerver au fujet
de la Coreſpondance & du Commerce , qu'ils
ont intention d'établir entre leurs Pays , Etats , Sujets
& Habitans reſpectifs , ont jugé , que l'on ne
fauroit mieux atteindre ladite fin , qu'en établirfant
pour baſe de leur tranſaction , l'égalité & la
réciprocité la plus parfaite , & en évitant toutes
ces préférences onéreuſes , qui ſont d'ordinaire
une ſource de querelles , d'embarras , & de mécontentement
; pour laiſſer ainſi à chaque partie la
liberté de faire , au ſujet du Commerce & de la
Navigation , tels règlemens ultérieurs , qu'elle jugera
les plus convenables pour elle-même ; & pour
fonder les avantages du Commerce uniquement
7451
,
fur l'utilité réciproque & fur les juſtes règles d'am
trafic libre de part & d'autre ; réſervant avec
tout cela à chaque partie la liberté d'admettre
ſelon ſon bon plaiſir , d'autres nations à la participation
des mêmes avantages. En partant de ces
principes , LL. HH. PP. les Etats Généraux des
Pays-Bas - Unis ont nommé MM. , députés du
milieu de l'Aſſemblée de LL. HH. PP. : & les
Etat- Unis de l'Amérique , de leur côté , ont muni
de pleins-pouvoirs M. John Adams , dernièrement
commiſſaire des Etats-Unis de l'Amérique à la
cour de Versailles , ci-devant député au Congrès
de la part des Etats de Maſſuchuſett's-Bay , &
chef de Justice dudit Etat : leſquels ſont convenus
& tombés d'accord . 1 ° . Il y aura une Paix
ſtable , inviolable & univerſelle , & une amitié
fincère entre Leurs - Hautes Puiſſances les Scigneurs
Etats - Généraux des Pays- Bas- Unis & les
Etats - Unis de l'Amérique ; & entre les pays ,
ines , villes & lieux fitués ſous la Jurisdiction
defdits Pays-Bas-Unis , & deſdits Etats Unis de
l'Amérique , leurs ſujets & habitans de tout Etat ,
fans acception de perſonnes & de lieux. 2°. Les
ſujets deſdits Etats-Généraux-des Pays - Bas - Unis
ne payeront , dans les ports , rades , pays , ifles ,
villes ou lieux des Etats-Unis de l'Amérique , ou
dans aucun d'eux , d'autres ni de plus grands droits
ou impoſi ions , de telle nature ou dénomination
qu'ils puiffent être , que ceux que les nations les plus
favorilles font ou feront obligées d'y payer : &
ils jouiront de tous les droits , franchiſes , priviléges
, Immunites , & exemptions dans le trafic ,
lanavigation , & le commerce , dont jouiffent ou
jouiront leſdites nations , foit en allant d'un fort
à l'autre dans leſdits Etats , ou d'un de ces forts
à quelque port étranger du monde , ou de quelque
port étranger du monde à l'un des ports defdits
états. 3 °. De même , les ſujets & habitans
( 46 )
,
defdits Etats-Unis de l'Amérique ne payeront dans
les ports , rades , pays , ifles , villes ou lieux def
dits Pays-Bas- Unis , ou dans aucuns d'iceux , d'autres
ni de plus grands droits ou impoſitions , de telle
nature ou dénomination qu'ils puiſſent être , que
ceux que les nations les plus favoriſées font on ſeront
obligées d'y payer : & ils jouiront de tous
les droits , franchiſes , priviléges , immunités &
exemptions dans le trafic , la navigation ,& le commerce
, dont jouiffent ou jouiront les nations les
plus favoriſées , ſoit en allant d'un port à l'autre
dans lefdirs Etats ou de quelqu'un & vers quelqu'un
de ces ports , vers on de quelque port étranger
du monde. Et les Etats- Unis de l'Amérique ,
avec leurs ſujets & habitans , laiſſeront à ceux de
LL. HH. PP. la jouiſſance raiſible de leurs droits
aux pays , ifles & mers dans les Indes Orientales
& Occidentales , fans les en empêcher ou s'y oppoſer.
4 °. Il ſera accordé liberté de conſcience entière
& parfaite aux ſujets & habitans de chaque
partie & à leurs familles ; & perſonne ne ſera molefté
à l'égard de ſon culte , moyennant qu'il ſe
foumette , quant à la démonstration publique , aux
loix du pays. Il ſera donné en outre liberté , quand
des ſujets & habitans de chaque partie viendront
à mourir dans le territoire de l'autre , de les inhumerdans
les cimetières uſités , ou dans des endroits
convenables & décents , que l'on affignera
à cela ſelon l'occurrence ; & les cadavres des enterrés
ne feront moleſtés en aucune manière : &
les deux Puiſſances contractantes , pourvoirent , chacune
dans ſa Jurisdiction , à ce que les ſujets &
habitans reſpectifs puiſſent obtenir dorénavant les
certificats requis en cas d'une mort , où ils ſe trouvent
intéreſſés.
Lafuite à l'ordinaire prochain.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 22 Of.
Onditque le Commandant en ſecond à Minorque
, Sir William Draper , qui a agi très-vivement
( 47 )
pour qu'on nommât un Conſeil de guerre chargé
d'examiner les motifs qui ont obligé le Commandant
en chef le Général Murray de rendre cette Iſle
àl'ennemi , a obtenu qu'il en ſera aſſemblé un , il ſe
tiendra , ajoute-ton , vers le 2 Novembre prochain
, & tous les Officiers généraux , actuellement
dans le Royaume , doivent y aſſiſter.
Le Southampton eſt parti de New-York le
15 Septembre , & à cette époque l'Amiral Hood
ſe préparoit à ſortir pour une expédition fecrette .
On fait , dit- on , par la même fregate que l'Amiral
Pigot s'eſt emparé , dans ſa travertée , de 4
vaiſſeaux Eſpagnols , allant de Cadix à la Havane ;
deux deſquels font eſtimés 40,000 livres chacun ;
de 3 Corfaires Américains ,& du floop de guerre le
Thorn , de 18 , qu'il a reptis près de la Floride.
Il ſe débite qu'on a contremandé les ordres
donnés pour l'évacuation de Charles- Town ; mais
il y a tout lieu de croire que les nouveaux ordres
arriveront trop tard , puiſque les tranſports chargés
d'en aller retirer la garniſon , étoient partis
de New-York avant le Southampton .
Pluſieurs lettres de Québec , apporrées par l'Aurora
, annoncent que tout eſt tranquille dans le
Canada; mais que le Gouverneur a fait marcher
des troupes à Montréal & à St-Jean, ſur l'avis
qu'il a reçu que les Américains & les François ſe
propofoient d'attaquer ces places dès que la gelée
Teroie venue.
C'eſt la Charlotte , arrivée de la baie d'Hudſon
à Plimouth , qui a confirmé la nouvelle de la
ruine de nos établiſſemens de ce côté ; mais on
ne dit point que l'ennemi ait pris poffeffion de
ce pays , & il paroît que le pillage & la deftruction
étoient ſon ſeul objet. Il y avoit trois bâti.
mens employés au commerce de la baie d'Hudſon ,
& il eſt vraiſemblable qu'ils ſeront tombés entre
les mains des François.
Les principaux établiſſemens de notre Compa
( 48 )
gnie de la baie d'Hudſon , ſont les forts Churiell ,
Nelſon , New-Severn & Albany ſur la côte occidentalede
cettebaie. CetteCompagnie, qui n'eſt compoſée
que de neuf ou dix Négocians , a obtenu
La première chartre de Charles II , dans l'année
1669 , en vertu de laquelle la propriété du pays ,
du commerce , de la pêcherie & des mines aux
environs du détroit d'Hudſon , & dont aucun Prince
Chrétien n'étoit alors en poffeſſion, lui a été cédée
excluſivement. Ses importations conſiſtent en peaux
vertes , fourrures , caſtors , plumes , fanons & huile
de baleine.
Il eſt arrivé à Halifax plus de 2000 hommes
de troupes du Prince de Heſſe, partis des ports
d'Allemagne , ſous le convoi des frégates l'Emerald
de 32 &. du Cyclops de 28. On dit qu'ils
devoient ſe rendre à New York ; mai que fur l'avis
que l'eſcadre de M. de Vaudreuil , actuellement à
Boſton , longerit cette côte , ils ont mieux aimé
aller à Halifax. Cette nouvelle a été apportée par
le floop de guerre de S. M. l'Albecore , qui a
laiflé la garniſon d'Halifax en bon étar.
>> Le floop de S. M. , le Duc de Chartres , de
18 canons de 6 , & de 125 hommes , a amené à
New-Yorck l'Aigle , de 22 canons , 160 hommes
d'équipage , parts du Cap François avec des dépêches
de M. de Vaudresil , Commandant de l'EC
cadre Françe iſe actuellement à Boſton. Ce bâtiment
a été pris le 19 au ſud du Cap Henri , après
un combat très - vif qui a duré plus d'une heure.
Les François ont eu 13 hommes tués , y compris
leCapitaine de l'Aigle. Son premier & ſon ſecond
Lieutenant ont été grièvement bleilés , ainſi que
14 autres personnes de l'équipage. Le Duc de
Chartres a ſouffert quelque dommage dans ſon
gréement & dans ſa voilure ; mais il n'a perdu
perfonne, & il n'a eu qu'un homme légèrement
bleflé".
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 9 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
:
VERS
A Mile J.... en lui envoyant la Nouvelle
:
E
Héloïfe.
NFIN , voilà cette Julie ,
Si vertucuſe & fi jolie ,
Et dont vous êtes le portrait.
De l'amour fans libertinage ,
De laraiſon ſans étalage ,
Par fois l'humeur un peu ſauvage ;
N'est-ce pas elle trait pour trait ?
Vraiment tel eſt ſon caractère :
:
:
Du tact , de l'eſprit & du goût ,
De la gaîté , du ſens fur-tout;
Puis d'autre part , taille légère ,
Unteint de lys , de grands yeux bleus ,
N°. 45 , 9 Novembre 1782. C
50 MERCURE
Bouche vermeille ,blonds cheveux;
Ma foi , voilà ſa reſſemblance.
Je me trompois ! fauſſe apparence !
Il y manque un coup de pinceau ,
Qui défigure le tableau.
Bravant un ſcrupule frivole ,
La tendre amante de Saint-Preux
Promit de couronner ſes feux ,
Biaiſa long-temps , mais tint parole.
J.... qui l'imite ſi bien ,
Refuſe tout , ne proinet rien.
En véritéje vous crois folle ;
De ce travers je ſuis honteux :
Ah ! fi vous étiez moins cruelle ,
Vous égaleriez le modèle ;
Soyez moins rebelle à nos voeux ,
Et l'image ſera fidelle .
(ParM.le Chevalier de Bellecombe. )
A M. IMBERT , fur fon nouveau
Recueil de Contes.
ILL court un bruit dans ma Patrie
Qui n'honore pas ton génie ;
Ondit qu'en ſecret introduit
Chez le bonhomme La Fontaine ,
De ces vers dont il eut la peine ,
Tu cueilles la gloire & le fruit;
DE FRANCE. SI
Que tu trouvas ſur ſon pupitre ,
Fable , Conte , Poëme , Épître ;
Et qu'à l'aide de ſes pinceaux ,
Aſes traits ſimples , mais uniques ,
Tu ſus en joindre de nouveaux
Que n'effaçoient pas les antiques.
Son porte-feuille étoit rempli
De Fabliaux inimitables ,
Qui joignoient aux tours agréables
Un ſtyle riant & poli.
Tu vins t'en déclarer le maître;
Mais La Fontaine , aux traits heureux
Dont fourmillent ces Contes bleus ,
Fut difficile à méconnoître .
(ParM. Santerre. )
LE ZEPHYR ET LA ROSE , Fable.
ZEÉPPHHYYRR diſoit unjourà la Roſe naiſſante :
Je jure que jamais je n'aimerai que toi.
En vain la Jonquille éclatante ,
En vain l'orgueilleuſe Amaranthe
Voudroit te dérober ma foi ,
Je ſuis pour toujours ſous ta loi.
Sur le beau ſein de mon amante
Je veux ſoupirer & mourir.....
Ainſi parloit Zéphyr : Zéphyr étoit volage.
M tenoit à la Roſe encore ce langage ,
Cij
52 MERCURE
ン
Lorſqu'un joli bouton vint à s'épanouir ;
L'infidèle auffitôt lui porta ſon hommage.
La Roſe en vain parut ſenſible à cet outrage ;
On dit que d'un coup d'aile il oſa la flétrir.
RÉPONSE aux Couplets de M. DAMAS.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
EH! quoi ? votre Muſe éloquente
Du talent m'accorde le prix !
Quoi ! les doux accords qu'elle enfante
Sont conſacrés à mes Écrits !
Vos vers charmans , mais peu fincères ,
Vantent quelques foibles appas ,
Qui , certes , ne méritent guères
Des éloges ſi délicats.
Pour peindre ma reconnoiffance ,
Ma Muſe médite un effort;
Mais ſi j'écoute la prudence ,
Loin de céder à ce tranſport ,
Ma lyre doit reſter muette ;
Car je crois , ſoit dit entre nous ,
Qu'on acquitte mal une dette
Quand on la contracte avec vous.
(Par Mllede Gaudin.)
DE FRANCE. 13
ROMANCE faite à Ermenonville , fur le
Tombeau de J. J. Rouffeau. *
VOICI donc le ſé-jour pai-fi- ble , Où
des mor- tels , Le plus tendre & le plus
ſen- fi-ble . A des au tels. C'est ici
qu'un Sa-ge te poſe Tranquil-le- ment :
Ah ! pa- rons au moins d'u-ne ro- fe Son
Mo- nu- ment.
(ParolesdeMde la Comteffe de Beauharnais ,
MufiquedeM. le Comte de Sainte-Aldegonde.)
* Cette Romance a été imprimée dans l'un des premiers
Numéros de cette année.
54 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Secret ; celui du
Legogryphe eſt Poulet , où se trouventpou ,
loup , Toul , pet , pôle & loupe.
ÉNIGME.
NOUouSs ſommes, cher Lecteur , une famille immenfe,
Très-connue à la ville , & même chez les Rois ;
Mais inconnue en récompenſe
Au Soldat comine au Villageois.
Nous naiffons par deux à la fois ,
Et nous avons un cominun père ;
Mais par d'affez biſarres loix ,
Il ne nous donne point de mère.
Chacune de nous constamment
Vit à côté de ſa jumelle ,
Et ne la quitte qu'au moment
Qui la voit périr avec elle.
Lorſque je te dirai que je ſuis ſans quartier ,
Tume croiras un monſtre , un vrai foudre de guerre:
Je vis pourtant en paix au coin de ton foyer ;
Et peut- être demain ſerai-je la première -
Que tu rechercheras toi-même à ton lever.
( Par Mlle Gravier. )
DE FRANCE.
SS
:
LOGOGRYPH Ε.
DONNEZ l'effor à ma valeur ,
Dans les airs , comme un trait rapide ,
Entre mes bras , avec vigueur ,
J'enlève la beauté timide
Qui m'a confié ſes attraits.
Je la ramène bientôt ; mais
De nouveau le plaiſir la guide :
Les Ris célèbrent mes ſuccès ,
D'en jouir l'enfance eſt avide.
Que ſuis-je ? ſouvent preſque rien .
Champs heureux , vous m'avez vû naître !
Douze pieds tranſportent mon être
Dans le ſéjour Aërien.
J'offre une plante aromatique ;
Trois poiffons ; un fleuve ; un enclos;
De toilette un meuble ; un Héros ;
Un vaſe; un ton de la inuſique ;
Un inſtrument..... Mais , je me tais ,
Car c'eſt à ne finir jamais.
(Par Mde *** , à Valence , en Dauphiné.)
*
Civ
36 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DE L'ÉLECTRICITÉ du corps humain
dans l'état defanté & de maladie, Ouvrage
couronné par l'Académie de Lyon ,
dans lequel on traite de l'Électricité de
Atmosphère, de fon influence & de ses
effets fur l'économie animale, &c.; par
M. l'Abbé Bertholon de St. Lazare , des
Académies Royales des Sciences de
Montpellier , Béziers , Lyon , Marseille ,
Nifmes , Dijon , Rouen , Toulouſe , Bordeaux
, Rome, Hetlehembourg , &c.
Volume in- 12 de 540 pages. A Paris ,
chez Didor le jeune , Imprimeur-Libraire,
quai des Auguſtins
i
DEPUIS la découverte du fluide électrique,
les Phyſiciens ne s'en étoient occupés
que comme d'un objet de curioſité ; ils
p'avoient pas cherché à en connoître les
caufes & leur influence fur le corps humain.
M. l'Abbé Nollet fut le premier' qui
ola diriger cet agent preſque inconnu fur
l'homme malade. M. Jallabert , de Genève ,
chercha à tirer de cette ſubſtance matérielle
qui exiſte en nous , quelque avantage pour
T'humanité fouffrante. Ils opérèrent l'un &
l'autre des guériſons qui engagèrent les plus
célèbres Phyſiciens de l'Europe à former
T
DE FRANCE
57
une ferie d'obſervations & d'expériences
pour conduire cette découverte à une évidence
d'utilité faite pour dilliper les préjugés
. Les Corps Littéraires s'occupèrent auffi
d'un objet fi intéreſſant. L'Académie de
Lyon , compofée d'Hommes éclairés & amis
dubien public , propoſa en 77 , cetre queftion
: Quelles font les maladies qui dépendentde
la plus ou moins grande quantité de
fluide électrique dans le corps humain,&
quelsfont les moyens de remédier aux uns &
aux autres. Les premiers travaux de la Société
de Médecine furent dirigés par leGou
vernement for un remède dont les effets
n'étoient plus douteux , mais dont il falloit
multiplier les effais , afin de déterminer une
méthode de l'employer avec tout le ſuccès
poſſible. Lorſque cette Compagnie rendoir
compre au Public de ſes premières opéra
rions , M. l'Abbé Bertholon faifoit paroître
FOuvrage que l'Académie de Lyon avoit
couronné. Cet Auteur , déjà connu par des
recherches importantes, par des vûes utiles,
desdécouveerrtteess nouvellesdansles Scien
cesPhyſico Naturelles, a formé de fa Dif
fertation Académique un corps complet,de
doctrine fur l'économie animale & for las
Médecine électrique. Il l'a diviſé en deux
Parties. La première traite de l'électricité chai
corps humain dans l'état de ſanté ; la ſeconde,
de l'électricité du corps humain dans l'état
demaladie , & de l'application qu'on peut
faire de l'électricité atmosphérique au plas
par
CV
58 MERCURE
4
grand nombre des maladies. Nous ne pou
vons donner qu'une idée rapide & par conſéquent
incomplette d'un Ouvrage qui contient
le réfultat non-feulement des Expériences
de l'Auteur , mais de celles de plus
de deux cent cinquante Savans , tant nationaux
qu'étrangers. Des principes sûrs en
forment la baſe; ils contiennent l'hygiène
électrique , la pathologie & la thérapeutique
électriques, Sciences nouvelles, dont l'avanrage
ne peut être méconnu.
Les divers Chapitres de la première Partie
font relatifs à l'influence de l'électricité de
l'atmoſphère ſur le corps humain , & à l'électricité
propre , ce qui comprend l'électricité
communiquée & l'électricité naturelle.
C'eſt l'événement de Marly-la- Ville qui
nous a appris que l'électricité étoit une propriété
conſtante del'airatmoſphérique.Nous
étions bien éloignés de croire que le corps
humain , & même tous les corps organifés
devoient en éprouver une influence marquée.
Le hafard,& les recherches qu'il a occaſionnées,
ne nous permettent plus de douter
que cettemaffe d'air quinous environne ne
foit un foyer inépuifable de fluide électrique.
Les barres iſolées , les conducteurs , les fufées,
les cerf-volans ont été les agens de notre
inſtruction & de nos progrès dans une Science
toute neuve. Le fluide ne peut exifter ſans
influer fur les êtres organiſés par toutes les
matières déférentes qui lui font préſentées ,
comme le feu ſe communique à tous les
DE FRANCE.
59
corps combustibles ambians. On ne doit pos
être ſurpris que le corps humain, enveloppé
de toute part d'électricité , en reçoive une
impreſſion ſenſible , de même que ce corps
placé auprès d'une machine électrique miſe
en mouvement , eſt ſoumis à l'action du
fluide qu'elle diftribue. Dans la ſanté , les
effets de cette action ſont moins remarqués ,
parce qu'ils ſont moins ſenſibles que dans
l'état de maladie. Les changemens continuels
de l'air doivent donc être regardés comme
l'objet le plus eſſentiel à l'homme , & ce
n'eſt que par de grands conducteurs iſolés ,
par de grands électromètres atmoſphériques
qu'il peut connoître les variations qui l'intéreſſent.
Les obſervations que ces inſtru
mens facilitent , font effentielles à la météréologie
applicable à la Médecine & à
l'Agriculture , vrai but de cette ſcience.
L'homme ainſi plongé dans l'atmosphère,
reçoit ſans ceſſe le fluide électrique , ſoit
par les alimens , ſoit par les pores , qui font
au nombre de deux milliards cent ſoixante
millions dans un corps de taille ordinaire ,
&dont la fuperficie donne quinze pieds en
quarré , ſoit par le poumon, qui reçoit quarante
pouces cubiques d'air par inſpiration.
Certe maſſe énorme qui entre dans la capacité
de la poitrine, eſt le véritable véhicule
de l'électricité naturelle.Une partie de
cet air abſorbée dans l'inſpiration , conduit
dans les routes de la circulation la matière
électrique , & la diſtribue dans toute l'orga
Cvj
)
60 MERCURE
niſation; l'autre portion qui reſte dans le
poumon, tranfmet ſon excès d'électricitéàce
viſcère; & cet air , dépouillé a ors de la furabondance
de ſon feu, eſt enfuite rejeté dans
l'atmosphère par l'expiration. Cette commu
nication de l'air armoſphérique avec le corps
humain , eſt ordinairement plus efficace que
celle qui s'exerce par les pores. Cette theorie,
par laquelle le poumoneſtregardécomme
l'organe fecrétoire de l'électricité aërienne ,
eft ingénieuſe , & appartient à M. l'Abbé
Bertholon. Les rapports de la matière électrique
avec nos fonctions vitales & animales,
fon empire ſur les folides & fur les
fluides qui forment les parties organiques
des corps,ne peuvent être douteux. L'elaf-
>>ticité des folides eſt rétablie ou conſidéra
blement augmentée par l'électricité natu
>> relle ou artificielle; elle agite & rarefie la
>>maſſe des humeurs , diviſe la lymphe
* épaillie , arrénue les fluides trop viſqueux,
en augmente la vîreſſe, quelle que foit leur
nature , & fur tout leur mouvement de
>>>fluidité. » Si l'expérience & des obſervations
multipliées demontrent que la matière
électrique eſt le principal agent du ſyſteme
de la Nature , principalement dans l'économie
animale, ilétoit donc de la plusgrandeutilité
de ſavoir quelles font les maladies qui
procèdent de la plus ou moins grande quan
titéde fluide, & quels font les moyens de
remélier aux uns & aux autres , & c'eſt ici
Kobjer des recherches & des travaux qui ons
DE FRANCE GE
obtenu àM. l'Abbé Bertholon le fuffrage de
l'Academie de Lyon&de tous les bons Phyficiens.
Son Ouvrage donne à la ſciencedont
il s'occupe une étendue dont on ne la croyoit
pas fufceptible , & préſente des réſultats
bien confolans pour l'humanité. Il eſt difficile
de pouvoir faire connoître cette partie
du Volume comme elle devroit l'être; des
faits, des expériences ne peuvent s'analyſer ,
&cependant il ſeroit à deſirer que le grand
nombre des individus pût être inſtruit de
cette nouvelle branche de l'art de guérir ,
qui attaque principalement les maux les
moins dociles aux traitemens depuis longtemps
employés en Médecine.
ن
L'Auteur , après avoir établi des principes
certains, fur lefquels doit être appuyée la folution
de cette queſtion , examine en partis
culier les differentes familles & les divers
genres demaladies. Et il réſulte des détails
qu'ilnous donne, que l'homme peut oppofer
efficacement à tous les maux qui l'actaquent
de toute part, l'electricité poſitive ou
négative. La pefte , qui eſt affurée d'autant
de victimes qu'elle attaque d'individus ; la
petite-vérole , dont le traitement eſt ſi in
certain, qui afflige ſans ceſſe le ſentiment,
qui ne refpecte ni les grâces ni la beauté;
peuvent trouver dans l'électricité des obf
racles à leur cruauté , & un remède très
approprié à leur guériſon.Cette dernière ma
adie, qui s'eſt plus particulièrement achar
nee fur l'eſpèce humaine dans tous les cli
62 MERCURE
mats , & qui trouve un aliment ſi actif dans
la grande quantité de feu electrique , deviendra
moins redoutable ſi on la foumet à l'électricité
négative. Combinée avec les remèdes
de l'Art , elle accélérera la fortie des boutons
, leur fupputation , leur exficcation , en
conduifant l'humeur variolique vers la peau ,
& en l'empêchant de repaſſer dans le fang.
La ſtérilité même peut être conſolée par l'influence
de l'agent électrique ; les pères ,
prives de la douceur de ſe tranſmettre à la
poſtérité , font aſſurés d'un nouveau moyen
de population , & d'un véhicule favorable
aux plaiſirs. Un Médecin de Lyon en
a conſtaté l'efficacité ſur deux perſonnes
mariées depuis dix ans , qui voulurent bien
ſe prêter à l'expérience."On iſola leur lit.
ود Un fil-de fer de communication, égale-
>> ment ifolé , traverſoit la cloiſon qui ſépa-
>> roit leur appartement d'une pièce voiſine ,
>>dans laquelle étoit placée la machine élec-
>> trique ; un ſimple tuyau de verre inféré
>> dans le trou fait à la cloiſon , ſuffifoit
> pour l'iſolement du fil de fer. Après douze
>> ou quinze jours d'électriſation , la femme
>> conçut , & mit enſuite au jour un enfant
>> qui jouit actuellement d'une bonne ſanté.
» Si on parcourt des tables météréologi-
>> ques & un tableau des naiſſances , on
>> verra , en remontant , qu'il y a plus de
>>conceptions dans les temps favorables à
>> l'électricité , & plus de morts dans les
>> temps contraires. >>
DE FRANCI 63
La paralyfie , qui ne laiſſe à l'homme un
reſte d'exiſtence que pour lui faire ſentir
plus lentement ſa deſtruction , a été l'objet
principal des expériences des Phyſiciens . Les
eſſais electriques de l'Abbé Nollet ſur un
homme privé de l'uſage de ſes bras depuis
fix ans , furent heureux. En même- temps
M. Jallabert guériſſoit un paralytique immobiledepuis
plufieurs années , & MM. le Cat
&de Sauvage faifoient part à l'Académie des
Sciences , des ſecours qu'ils procuroient à
l'humanité. Quinze paralytiques furent guéris
à Montpellier ; l'affluence des malades fut
ſi grande , & les ſuccès ſi ſurprenans , que
le peuple , toujours étonné , parce qu'il ne
conçoit pas , qualifioit d'opérations magiques
celles de la vertu électrique. Si les effais
de M. Francklin n'ont pas eu des réſultats
auſſi ſatisfaifans , ceux de M. de Haen , premier
Médecin de l'Empereur , continués
pendant fix ans dans l'hôpital de Vienne ,
font faits pour détruire toute incertitude ſur
cette matière. On peut en voir les détails
dans ſon Ouvrage intitulé : Ratio medendi
in Nosocomio practico. MM. Sigault de la
Font , Gardanne , Sans , de Thoury , Adams ,
Hartman , Weſley , Quermalz , Bohadrel ,
Stromer , Ferrein, le Camus , Allaman , &
un grand nombre d'autres Électrifiens ont
fait dans les divers pays où ils ont opéré ,
des guériſons nombreuſes & fi favorables à
l'humanité , que les travaux de la Société de
Médecine , confiés à un de ſes Membres ,
64 MERCURE
ne peuvent que conftater les preuves accumulees
que nous avons. Les encouragemens
que Louis XVI a accordes pour cet objet ,
font un actede bienfaiſance bien digne de
fon coeur. M. l'Abbe Bertholon ajoute à
toutes ces démonstrations de l'efficacité électrique
fur la paralyfie , un fait très- curieux
dont il a été témoin. Avant l'électriſation
d'un paralytique , on avoit obſervé que lorfqu'on
coupoit fes ongles , elles étoient comme
une corne sèche , & qu'elles fe brifoient
avec facilité; depuis que l'électricité a été
employée , elles ont eu la foupleſſe qui leur
eft propre dans l'état de ſante. Toutes les
maladies qui pèsent fur l'existence , & qui
bravent ſi ſouvent la ſcience , occupée à les
étudier& à lesattaquer , dépendent de l'elec
tricité ,& font foumiſes à fes effets. On no
doit cependant pas négliger les remèdes que
Fart, a reconnus pour efficaces . Mais comme
preſque toutes les maladies font occafionnées
par le plus ou le moins de fluide élec
wique , l'électriſation , en plus ou en moins ,
pofitive ou négative , doit être regardés
comme le plus direct , & par- là comme le
premier remède qu'on puiffe employer. L'expérience
a prouvé que l'électricité feule pou
voit guérir; mais quelquefois la complication
des caufes exige des remèdes connus. La
paralyfie, par exemple , causée par les impreffions
métalliques , réſiſteroit à la force
électrique, fi on n'employoit les purgatifs ,
naturellement indiques pour debawatier les
DE FRANCE. 65
premières voies. " Dans ces circonstances ,
>>dit l'Auteur , on ne peut pas attribuer le
>> ſuccès aux remèdes pharmaceutiques , &
>> regarder l'électricite comme inutile , parce
>> que les remèdes employés par la Mede
>> cine n'ont jamais pû guérir ſeuls pluſieurs
>> eſpèces de maladies ; parce qu'avant l élec-
>> tricité on y avoir eu recours en vain ;
» parce que l'électricité ſeule a produit fou-
>> vent la guériſon de pluſieurs de ces mala-
>> dies ,& qu'on n'a preſque jamais manqué
• d'obtenir des effets ſalutaires lorſqu'elle
- a eu pour auxiliaires les remèdes mediei-
>> naux. » Un avantage particulier de la Médecine
électrique , c'eſt que ſon ufage ne
peut être nuiſible en obfervant les précautions
preſcrites dans l'Ouvrage , & qu'on
ne doit pas craindre de le tenter dans les
cas douteux & déſeſpéres ; mais ce n'eſt
qu'avec de la perſevérance qu'on parvient à
des fuccès. Si quelquefois on n'a pas obtenu
les guériſons qu'on en attendoit , doit on en
accuſer l'électricité plutôt que la mauvaiſe
méthode qu'on aura ſuivie , ou l'impatience
des malades&des Électrifiens, qui ſe feront
trop tôt découragés ?
La troiſième Partie de ceVolume contient
deux Opufcules de l'Auteur , qui furent inférés
dans le Journal des Savans en 1770 &
1771 ; elles prouvent que M. l'Abbé Bertholon
eſt le premier qui ait fait uſage de la
Médecine Électrique négative dans les maladies
invétérées. Il fait part aux Phyficiens
66 MERCURE
/
des ſecours qu'il avoit obtenus de l'électricité
pour guérir une odontalgie ou mal des
dents très - ancien & très douloureux , & des
obſtacles que l'ignorance oppoſa à la guériſon
preſque aſſurée d'une cécité de douze
ans. Les préjugés & l'ineptie ſont toujours
prêts à arrêter les progrès des connoiſſances
utiles & font les plus grands ennemis
qu'elles aient à combattre.
,
M. l'Abbé Bertholon termine ſon Volume
en obſervant que ce n'eſt point au hafard
qu'on doit attribuer le nombre des naiffances
plus conſidérable dans une année que
dans l'autre ; il ſe ſert , pour appuyer fon
ſentiment , des Tables que M. l'Abbé de la
Croix , de l'Académie de Lyon , publia en
1776 , par leſquelles on voit que les naifſances
ont été dans la ville de Lyon , en
1770, bien plus nombreuſes qu'en 1768 ,
non parce que la population a pu augmenter
dans des années ſi peu éloignées , mais
parce que le vent du Nord, fi favorable à
l'électricité, a régné bien plus long-temps en
1770 qu'en 1768 .
Le fluide électrique , préſenté comme
l'agent univerſel de la Nature , comme le
conſervateur de l'eſpèce humaine, comme
le moteur de l'organiſation des êtres , paroîtra
peut- être au plus grand nombre des
Lecteurs , une hypothèſe philoſophique plutôt
qu'une vérité démontrée. En lifant le
Volume que nous annonçons , on verra que
M. l'Abbé Bertholon ne s'eſt jamais écarté
DE FRANCE. 67
こ
de l'obſervation , & qu'il s'appuie toujours
fur l'expérience. Les Savans de l'Europe ,
qui ſe ſont occupés plus particulièrement
d'une matière auſſi intéreſſante , lui ont ſervi
de guide, & fes recherches n'ont fait qu'ajouter
aux lumières déjà répandues ſur cette
grande découverte. Mais quand ſa Medecine
électrique ne ſeroit en partie qu'un
ſyſtême adroitement & ingénieuſement préſenté
, elle n'en feroit pas moins d'honneur
à ſes connoiſſances &à ſon coeur. Le deſir
d'être utile aux hommes a excité ſes travaux ,
& ſon Ouvrage peut être regardé comme
une production claſſique qu'il faudra néceffairement
conſulter lorſqu'on voudra s'occuper
d'une ſcience , qui , plus approfondie ,
doit ſervir de baze à l'art de guérir , & être
un bienfait pour l'humanité. Il eſt à deſirer
que M. l'Abbé Bertholon répande ſes obfervations&
ſes vûes ſur lesdeux autres règnes ,
&nous donne une électricité complette. La
Chaire de Phyſique , que les États de Languedoc
viennent de lui confier , & les fecours
qu'il doit trouver dans cet établiſſeſement
, lui permettront de ſe livrer à un
travail auſſi neuf par ſon objet que curieux
par ſes réſultats.
68 MERCURE
NOUVELLE Traduction de l'Iliade , dédiée à
MONSIEUR , Frère du Roi. A Paris , chez
Barois le jeune , Libraire , quai des Aus
guſtins , & Nyon le cadet , place du
College des Quatre- Nations , 1782 , 2
Vol. in- 12 . Prix , s liv. brochés.
L'ILIADE d'Homère eſt trop connue pour
rappeler ici l'enſemble & les détails de ce
Poëme immortel. Les Amateurs & les vrais
Savans , que la frivolité du moment n'a point
entraînés , verront avec un grand plaifir la
nouvelle Traduction que nous annonçons
au Public. Le nouveau Traducteur réunit à
la connoiffance des langues la beauté du
ſtyle , l'érudition & le goût.
LesAnglois peuvent ſe vanter d'avoir une
belle Traduction d'Homère en vers. Le cé
lèbre Pope , qui pouvoit aſpirer à la gloire
de donner à fon pays un Poème Épique ori
ginal , & plus important que celui qu'il publia
fur la Boucle des Cheveux enlevée, s'eſt
contenté de traduire Homère , &de le commenter.
:
Fénelon , connoiſſant les entraves de notre
poéfie , traita en proſe le ſujet , dont
Homère & l'antiquité lui fournirent en
grande partie l'idée & les couleurs. Son Télémaque
ſera toujours une des productions
les plus estimées dans notre langue.
Nous ne craignons point d'aſſurer que la
proſe de la nouvelle Traduction de l'Iliade
DE FRANCE.
, د
peut être lûe avec plaiſir , même après celle
de Télémaque , où l'on admire , avec raifon ,
chaleur pureté , nombre , harmonie
variété de ton. Les différens morceaux que
nous allons extraire de cette Traduction en
convaincront beaucoup mieux que deseloges
toujours fuſpects , quand ils ne font point
appuyés de preuves. Celui- ci eſt tiré du IV
Livre. C'eſt un diſcours d'Agamemnon à
Ménélas.
" Cher frère , n'ai- je accepté la paix que
>> pour cauſer ta mort , & t'expofer fans
ود défenſe aux coups des perfidesTroyens ?
>> C'eſt donc ainſi que cette nation facri-
- lège foule aux pieds les traités ſolemnels ?
» Non , ce n'eſt pas vainement que nous
> aurons répandu le vin des libations ,
• verſé le ſang des agneaux , & contracté ſur
la foi des fermens. Jupiter ſans doute n'a
pas en ce moment voulu ratifier notre al-
"
" liance ; mais bientôt il vengera lemépris
» qu'on en fait. Le temps viendra que les
>>Troyens payeront de leur tête , de leurs
femmes & de leurs enfans , cette criminetle
& manifeſte infraction. Un jour ,
" (mon eſprit & mon coeur ſont pleins de
> ce preſſentiment ) un jour Ilion , Priam
"
"
" &fon peuple feront exterminés ; un jour
>> ils verront Jupiter , irrité de leur noire
>> trahiſon , ſe montrer au haut des airs , ils
>> tomberont à l'aſpect de ſon égide , inſtru-
» ment de terreur. Mais , o mon frère , quel
> chagrin pour moi , ſi tu péris de tablef70
MERCURE
ود
ود
fure ! les Grecs découragés penſeront à
> leur patrie. Je ſerai contraint de m'en re-
>> tourner honteuſement dans Argos , & de
>> laiſſer Hélène & la gloire à Priam & aux
>> Troyens. Une terre ennemie renfermera
> tes oſſemens; tes mânes y feront impunément
inſultés ; le plus vil des habitans
>> de ces Contrées pourra dire , en conſidé-
> rant tatombe: Faſſe le ciel qu'Agamemnon
* ſe venge ainſi de tousſes ennemis ! dansſa
» colère , il aborda fur ce rivage, fuivi des
>> Grecs conjures: sa défaite, la perte defes
troupes , fa retraite honteuse , & la fuite
» précipitée des débris defon armée,furent
» lesfeuls fruits de cette expédition ; & voici
» le grand monument , qu'en partant il laiſſa
» defon entrepriſe. Ah ! que la terre s'en-
>> tr'ouvre ſous mes pieds , plutôt que je
fois réſervé à de pareils malheurs ! »
"
"
L'on connoît affez la diſpute ſur les anciens
& les modernes , qui , dans le dernier
ſiècle , diviſa nos Gens de Lettres ; il eſt aiſé
de le concevoir. Ceux qui liſoient Homère
dans ſa langue , voyoient un corps ſuperbe ,
tandis que ceux qui liſoient la Traduction
de la Mothe , ou de Mme Dacier , ne
voyoient qu'un fantôme ſec & décharné.
Cet autre morceau de narration ſimple eſt
pris à l'ouverture du Livre. C'eſt le début
du dixième Chant.
« Les Rois de la Grèce goûtent , auprès
» des vaiſſeaux, les douceurs du ſommeil';
>> Agamemnon ſeul ne peut dormir. Son
DE FRANCE.
71
>>>âme incertaine flotte au milieu de mille
>> projets ; de fréquens ſoupirs partent du
fonddefa poitrine ; ſes entrailles frémiſſent.
Tel eſt le tout- puiſſant Jupiter ,
>> quand, préparant la grêle ou la neige qui
>> colorent en blanc les campagnes , quand
>> enfin , excitant quelque peuple à la guerre
>> déſaftreuſe , il ſecoue ſa foudre , & en fait
>> jaillir des éclairs éblouiſſans ; tout in-
» quiète, tout aigrit le fils d'Atrée. S'il jette
>>> les yeux vers le camp des Troyens , ſa vûe
>> eſt offuſquée de la multitude des feux
» qui ſemblent éclairer la joie inſultante de
ود ſes ennemis. Le ſon importun de leurs
>> fifres , de leurs flûtes , lui percent , lui déchirent
le coeur. S'il ramène ſes regards 2
ود ſur l'armée des Grecs , le filence & les
> ténèbres , interprètes de leur conſterna-
» tion , rempliſſent ſon eſprit d'une ſombre
>> terreur ; alors il s'arrache à poignées les
>> cheveux , & accuſe Jupiter de ſon infor-
>> tune; fa grande âme eſt en proie à la plus
ود
ود.
vive douleur. Enfin , il ſe détermine pour
le parti qui lui paroît le plus falutaire ; il
>> prend la réſolution d'aller trouver Neſtor
>> pour délibérer avec lui ſur les moyens
>>d'éloigner le danger qui menace ſes peuples.
»
Nous regrettons de ne pouvoir joindre à
ces paſſages le morceau ſur la Ceinture de Vénus,
tiré du LivreXIV, nous nous contenterons
d'y renvoyer nos Lecteurs .
L'Auteur de la nouvelle Traduction de
72 MERCURE
I'Iliade a rectifié dans pluſieurs endroits le
coſtume antique , ſi ſouvent dénaturé dans
certaines Traductions. Ce mérite , plus grand
qu'on ne penſe , rend ſon Ouvrage auffi précieux
pour les Artiſtes qu'il l'eſt à d'autres
égards pour les Gens de Lettres , & généralement
pour tous les hommes de goût. Le
Traducteur remarque , par exemple , à propos
des adieux d'Hector &d'Andromaque ,
qu'Homère ne parle de panache dans aucun
endroit de l'Iliade; & que de mettre en cetre
occaſiondes plumes ſur le caſque du Héros
Troyen, au lieu des touffes & de l'aigrette
de crin , qui doivent y faire un effrayant
effet , c'eſt à la fois manquer au texte , au
goût & à la nature.
!
Le petit nombre de notes ſemées dans la
nouvelle Traduction , fait regrerter que ſon
Auteur n'en ait pas inféré davantage. L'extrême
clarté de la verſion a pu les faire paroître
inutiles à ſes yeux ; mais le Public les
eût recueillies avec autant de plaiſir que de
reconnoiffance.
Ignorant à qui la Littérature Françoiſe eſt
redevable de cette Traduction , nous ne ſavons
à qui nommément adreſſer le tribut
de nos éloges. Le voile dont l'Auteur enveloppe
fon nom , fait connoître qu'à beaucoup
de talens , il joint beaucoup de modeftie.
L'ARIOSTE
DE FRANCE.
73
L'ARIOSTE François , Poeme Héroïque ,
imité de Roland Furieux. Première Partie.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
IL ſeroit difficile de compter toutes les
Traductions qu'on nous adonnées en François
, tant en proſe qu'en vers , du Roland
Furieux. L'Auteur dont nous avons à parler
aujourd'hui , a traduit en vers , ou , pour
mieux dire , imité le premier Chant de ce
Poëme immortel. Il donnera les autres fucceffivement
, ſi celui ci obtient le fuffrage
du Public, Le ſtyle marotique qu'il a voulu
employerde temps en temps , lui prête quelquefois
, en effet , une grâce analogue aux
moeurs qu'il veut peindre & aux détails qu'il
veut exprimer. Quelquefois auffi fon expreffion
n'eſt pas affez noble , comme lorfqu'il
dit :
Sa Déité qui le hait à la mort.
As'écharper l'un & l'autre s'applique.
A
Pour n'avoir pas ſaiſi la balle au bond , &c.
Ces négligences en partie proviennent peutêtre
de l'uſage qu'il a voulu faire du ſtyle
marotique.
Au reſte , comme les imitations qu'on
nous a données en vers de l'Arioſte , font
aſſez nouvelles pour être encore dans la mémoire
, & même dans les mains du Public ,
nous nous diſpenſerons de les citer ici pour
N° 45 , 9 Novembre 1782. D
74 MERCURE
les comparer à cette nouvelle imitation.
Nous nous contenterons de rapporter quelques
vers de cette dernière , pour mettre le
Lecteur en état de prononcer ſur ſon mérite.
f
Enfin , l'aurore au viſage riant ,
Paroît rouvrir les portes d'Orient.
Acet aſpect la Belle prend courage,
Et , pourſuivant ſon pénible voyage ,
Elle parvient en un boſquet charmant ,
Que les Zéphyrs agitent molleinent :
Deux clairs ruiſſeaux humectent de leur onde
Cette retraite agréable & profonde ,
Et l'herbe tendre y croît dans tous les temps ,
Comme la roſe au milieu du printemps.
Ce lieu , qui ſemble être exprès fait pour elle ,
Suſpend les pas de la gente pucelle.
Là , ſe croyant à l'abri de Renaud ,
Le corps rompu de fatigue &de chaud ,
Dans le moment la belle délibère
De ſe fixer dans ce lieu folitaire.
Elle met donc pied à terre ſoudain ,
Et ſon cheval , débridé par ſa inain ,
Va cependant le long de la prairie
Paître à ſon gré l'herbe tendre & fleurie.
Non loin de là, parmi de verds ſapins ,
Règne un berceau tout couvert d'aubepins :
Jamais Nature en ſes beautés ſans nombre
Ne produifit un aſyle plus fombre ,
1.
1
J
i
DE
75
FRANCE.
;
Et jamais lieu ne fût plus ſouhaité
De cette ingrate & fuperbe beauté.
On voit que ce n'eſt pas la facilité qui
manque au nouveau Traducteur. Son premier
Livre eft précédé d'une Épître marotique
, adreffée à Clément Marot , très- richement
rimée , & écrite auffi facilement que
la Traduction.
RÉFLEXIONS fur l'esclavage des Nègres,
par M. Scharwtz , Miniftre à Bienne. A
Lauſanne ; & à Paris , chez les Libraires
qui vendent des Nouveautés , 1781 .
L'AUTEUR de cet Ouvrage eſt étranger
aux Nations qui ont des Nègres dans leurs
Colonies, & par cette raiſon il a pu traiter
cette queſtion ſans préjugé & ſans humeur.
Il prouve d'abord que l'eſclavage ne
peut jamais être légitime , opinion qui eſt
celle de preſque tous les Publiciſtes depuis
Monteſquieu ; elle eſt développée dans ce
nouvel Ouvrage avec beaucoup de détail &
de méthode.
L'Auteur examine enſuite ſi c'eſt un
devoir pour le Législateur d'un Pays où
l'eſclavage eſt établi , de détruire cette violation
du droit naturel , & de quel genre eft
ce devoir.
Il entre dans le détail de la manière
d'abolir la ſervitude par des moyens sûrs ,
mais lents , tels qu'il n'en réſulte aucun in
D1)
76 MERCURE
convénient ni pour la tranquillité publique
ni pour le bien être des Nègres même , ſeuls
motifs qui , ſelon lui, puiffent empêcher de
prononcer un affranchiſſement abſolu &
général.
Il diſcute enſuite la prétendue néceſſité
de faire cultiver les colonies à ſucre par des
Nègres eſclaves , & même les avantages que
ce genre de culture pourroit avoir ; & il
conclut qu'il peut en avoir pour chaque
propriétaire en particulier , mais qu'il n'en
a aucun ni pour le Corps entier d'une colonie,
ni pour la Mère- patrie.
Comme on peut ſe propoſer de faire des
loix pour adoucir le ſort des Negres ſans
détruire l'eſclavage , l'Auteur examine ce
projet , & prétend prouver qu'aucune légiflation
faite dans cet eſprit, ne peut avoir de
ſuccès ſi la deſtruction totale de l'eſclavage
au bout de quelques générations , n'en eſt
pas la conféquence néceſſaire ou la baſe
première. L'Ouvrage eſt terminé par des
réponſes à quelques raiſonnemens faits en
faveur de l'eſclavage.
Tel eſt l'Écrit de M. Scharwtz . Ceux
mêmes qui n'adopteront pas ſes opinions ,
ne pourront qu'approuver les intentions
qui l'ont déterminé à écrire ; & en ſuppo-
Tant que ſon Ouvrage ne ſoit qu'un plaidoyer
en faveur des eſclaves Negres , cette
cauſe vaut fans doute la peine d'être défendue,
& le Pladoyer de leur Avocat nous
ſemble mériter d'être lû. I
DE FRANCE. 77
Le ſtyle eſt un objet peu important dans
une diſcuſſion de ce genre ; nous obſerverons
cependant que celui de M. Scharwtz
nous a paru en général naturel , ſimple ,
quelquefois négligé & incorrect.
On trouve dans ſon Ouvrage quelques
raiſonnemens qui auroient dû être préſentés
avec plus d'ordre &de clarté.
Ce Livre n'a pas l'agrément que les Philoſophes
François ſavent donner à leurs Ouvrages
; mais il n'a pas non plus les défauts
qu'on reproche aux Juriſconſultes & aux
Publiciſtes du Nord : c'eſt l'Ouvrage d'un
homme inſtruit , & d'un bon-homme qui
dit ſimplement ce qu'il croit vrai & utile.
Il eſt dédié aux Negres esclaves , & fon
Épître dédicatoire aura, comme tant d'autres,
le malheur de n'être point lûe par ceux
à qui elle eft adreſſée.
Ony a joint une Lettre de l'Auteur , qui
avoue ingénuement qu'il aime à prêcher &
à écrire , quoiqu'il ne compte pas beaucomp
ſur l'efficacité de ſes Sermons ou de
ſes Livres.
Cet Ouvrage n'eſt pas le premier que M.
Scharwtz ait publié ; il cite dans ces Réflexions
un Sermon ſur la fauſſe conſeience,
imprimé à Verdun en 1776. Ce Sermon
eſt un Ouvrage très-curieux. L'Auteur prend
pour texte ces paroles de l'Évangile : Multi
yocati , pauci verò electi , & il explique ce
paffage en montrant que les hommes qui ſe
croient les plus innocens parce qu'ils mènent
Dij
78 MERCURE
en apparence une vie honnête & ódifiante,
font réellement beaucoup plus coupables
que les pécheurs les plus ſcandaleux ,
foit par leur indifférence pour le bien public,
leur condeſcendance pour les uſages
abufifs ou criminels, quoique conſacrés par
l'opinion , ſoit par la violation ouverte des
loix de la morale , qu'ils permettent fans
ſcrupule toutes les fois que la coutume &
les préjugés ne les condamnent point.
fe
Comme le ſtyle de ce Sermon eft encore
beaucoup moins françois que celui des Réflexions
ſur les Nègres, il eſt refté preſque
abſolument inconnu .
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEMardi 22 Octobre , on a repréſenté,
pour la première fois , Tom Jones à Londres ,
Comédie en cinq Actes & en vers , par M.
Desforges.
Tout le monde connoît le Roman de
Fielding , un des meilleurs , des plus moraux
&des plus intéreſſans qu'ait produits la Littérature
Britannique. C'eſt par l'heureuſe imitation
que M. de la Place a faire de cet excellent
Ouvrage , que les Lecteurs François ,
qui n'ont point étudié la langue Angloiſe ,
ont été mis à portée de le connoître ;& l'on
۱
7.9
DE FRANCE.
peut affurer que le ſuccès de l'imitateur a
égalé en France celui que l'Auteur original
a mérité en Angleterre. Le Drame Lyrique
que Poinfinet a tiré de cette production , &
qui a dû la plus grande partie des ſuffrages
qu'il a obtenus , à la muſique du célèbre
Philidor , ne préſente que des nuances trèsaffoiblies
des caractères tracés par le rival
deRichardſon. Le perſonnage de M. Western.
eft celui dont il a le mieux ſaiſi les traits;
mais les autres ſont manqués , & notamment
celui de Jones. Il faut néanmoins convenir
que la marche d'un Drame à ariettes
ne fauroit ſupporter les incidens , les refſorts
compliqués , les développemens dont
une Comédie proprenent dite a quelquefois
beſoin ; & que le reproche le plus grave que
l'on puiffe faire àPoinſinet, c'eſt d'avoir puiſé
dans le Roman de Fielding une fable qui , par
ſon but moral, ſon intrigue ,&les caractères
qu'elle offre , s'éloigne abſolument du genre
de l'Opéra Comique , Lyrique ou Bouffon :
car on n'eſt pas bien d'accord ſur le titre qui
convient aux Ouvrages de cette eſpèce.
M. Desforges a ſaiſi une des plus heureuſes
circonstances du Roman. Sophie , fille
de M. Weſtern , a fui de la maiſon paternelle
, pour éviter le malheur de devenir la
femme de Blifil , & fe trouve à Londres
chez Lady Bellafton , couſine de fon père.
Jones , chaflé du château de M. Alworthy ,
eſt auſſi à Londres dans le même temps. Il
a inſpiré à la couſine de ſon amante une
Dιν
So MERCURE
paſſion affez vive , à laquelle il a cédé par
foibleffe & par orgueil ; & c'eſt au moment
même où il eſt devenu coupable, qu'il retrouve
Sophie chez Lady Bellaſton. Un Lord Fellamare
a vu Miff Weſtern, a pris de l'amour
pour elle , & ſes feux ſont protégés par la
coquette Lady , qui brûle de ſe venger de
Jones , devenu infidèle en retrouvant Sophie.
Cependant Lady Bellafton a écrit à M.
Weſtern pour l'informer de la deſtinée de
fa fille. Le bruyant campagnard a quitté ſon
château , ſuivi de M. Alworthy , de Blifil &
du Docteur Squarre , pour ſe rendre à la
capitale. Il deſcend chez une Mde Miller ,
Maîtreſſe d'Hôtellerie , qui doit ſon exifrence&
le fort heureux dont elle jouit aux
bienfaits de M. Alworthy , & qui doit encore
au courage de Jones la confervation des
jours d'une perſonne qui lui eſt infiniment
chère. C'eſt auſſi chez cette femme que Jones
a pris fon domicile. La reconnoiffance
lui fait faire toutes les démarches qu'elle
préſume utiles au bonheur de fon jeune
ami , dont elle croit , ſur la foi d'un récit de
Partridg , que M. Alworthy eſt le père. Weftern
vient chez ſa couſine pour y reprendre
fa fille. On lui parle en faveur de Fellamare ,
dont il ne conſent point à faire ſon gendre ,
parce qu'il a un éloignement invincible pour
les Lords. Sophie elle même déclare qu'elle
ne peut conſentir à devenir l'épouſe d'un
homme auquel elle ne ſauroit donner ſon
coeur. LadyBellafton ſoupçonne que ce refus
DE FRANCE. 81
ne peut provenir que de la tendreſſe que
Sophie conſerve à Jones. Elle propoſe au
Lordde fairepartir le jeune infortunépour les
Iſles Angloiſes de l'Amérique. Fellamare héfite
, lorſque Bléfil vient implorer ſa protec
tioncontre Jones , & ne craint pas de ſigner
unécritdans lequel il ſe dit chargedes ordres
de M. Alworthy pour cet objet. Fellamare
ne balance plus. Cependant Weſtern a emmené
ſa fille,& l'a conduite chez Mde Miller.
Un Officier vient de la part du Lord lui demander
la main de Sophie ; il refuſe la propoſition
, ainſi que celle de ſe rendre le ſoir
au Parc de Saint-James. Échauffé par quelquesmots
de l'impétueux campagnard, l'Officier
fait un mouvement qui engage Sophie
a appeler du fecours. Blifil fuit. A la voix de
Miff Western , Jones accourt , défie l'Offi
cier , & l'entraîne dans la rue. Le malheureux
jeune homme eſt aſſailli tout- à- coup par une
troupe de brigands ; en bleffe cinq , en renverſe
un à ſes pieds ; eſt arrêté & conduit en
priſon. Il y reçoit tour- à-tour les confolations
de Partridg , de Mde Miller , de M. Alworthy
; les outrages de Blifil , & les preuves
du plus vif intérêt de la part du Lord
Fellamare. Ce Seigneur , éclairé ſur les cauſes
de la haine de Lady Bellaſton , & fur la ſcélérateſſe
de Blifil , eſt devenu le protecteur
de Jones. Néanmoins la naiſſance de Tom
eft encore un myſtère pour Weſtern & pour
Alworthy; mais Blifil la connoît. Le cruel
fait bien que Tom eſt ſon frère ; une Lettre
Dy
$2 MERCURE
écrite par ſa mère au lit dela mort , & qui lui
a été remiſe par le Docteur Squarre , pour
être rendue à M. Alworthy , l'en a parfaitement
convaincu ; mais il l'a fupprimée. Le
brouillon de cette lettre eſt retrouvé parMde
Miller avec d'autres papiers, dans la chambre
que la mère de Jones occupoit chez elle . On
le montre à Blifil , qui feint d'abord de le
croire ſuppoſé , mais dont toutes les perfidies
font bientôt dévoilées par la ſignature qu'il a
remiſe le même jour au Lord Fellamare , en
abuſant du nom d'Alworthy. Le ſcélérat eſt
obligé de fuir. On ramène Jones , que le Lord
a arraché à ſa prifon , & il obtient la main
de Sophie.
Ceux de nos Lecteurs qui ont le Roman
de Fielding préſent à la mémoire, voient par
cette analyſe quels font les changemens que
M. Desforges s'eſt permis. Le plus remar
quable ſe trouve dans le Perſonnage de Fellamare.
Chez Fielding, ce Lord eſt ſouvent
odieux ; dans le Drame dont nous parlons, il eſt
toujours noble , délicat , fier &bienfaiſant.
Onpeut reprocher à l'Auteur de Tom Jones à
Londres de manquer quelquefois de clarté ;
d'avoir multiplié les entrées & les forties ,
fans les motiver avec affez d'adreſſe ; de ne
s'être pas toujours apperçu que le comique
qui convient à un Roman eſt ſouvent trèsdéplacé
au Théâtre , & de n'avoir pas affez
éteint la couleur romaneſque attachée à
quelques- uns des incidens de l'Ouvrage Anglois.
On peut encore lui reprocher d'avoir
4
DE FRANCE . 83.
quelquefois donné à ſon ſtyle de l'affectation
de l'enluminure ; comme aufli d'avoir
employe des Perſonnages à-peu - près inutiles
, tel que celui de Mme Weſtein , dont
nous n'avons point parlé dans notre analyſe ;
celui de Partridg , dont nous n'avons dit
qu'un mot , & que l'on pouvoit , avec un
peu de travail , fondre dans celui du Docteur
Squarre. Malgré tous ces défauts , l'Ouvrage
de M. Desforges a eu un grand fuccès
, parce que ces défauts font rachetés par
des beautés réelles ; par un grand intérêt ;
par des traits fortement prononcés , & qui
annoncent un homme fait pour obſerver la
Nature , pour la faifir & la porter ſur la
Scène d'une manière utile & agréable. Une
qualité que l'on ne fauroit trop priſer , &
dontM. Desforges a fait preuve de la première
à la ſeconde Repréſentation , c'eſt la
docilité. Il avoit conſervé à Partridg le caractère
donné par Fielding , & ce très ſenſible ,
mais très ridicule Magiſter ne parloit jamais
fans faire une citation latine. Le Chaſſeur
Weſtern ſe ſervoit auſſi d'expreſſions trèsconvenables
à la nature de ſes goûts , mais
devenues beaucoup trop fortes pour notre
orgueilleuſe délicateffe. Il parloit de temps
en temps au Lord Fellamare , avec un ton
dur& indécent. On a défiré , indiqué même
les corrections néceſſaires. Les voeux du Pu
blic& les conſeils des Amateurs ont été fatisfaits
très promptement ſur ces objets &
fur quelques autres : Nous en faiſons à M.
1
3
Dvj
84 MERCURE
Desforges un compliment que nous voudrions
être dans le cas de faire plus ſouvent
aux Auteurs Dramatiques modernes. Lorfque
cette Comédie fera imprimée , nous
entrerons dans de plus grands détails ſur les
défauts comme ſur les beautés.
Nous ne pouvons nous diſpenſer de témoigner
ici notre étonnement ſur le ſort
que cet Ouvrage a penſé éprouver à la première
Repreſentation. Le fecond Acte , un
des plus brillans de la Pièce, a été ſur le point
de ne pas s'achever. Du ſein du Parterre &
du milieu de l'Amphithéâtre fortoient de
temps en temps des éclats , des huées , des
fifflers qui annonçoient le deſir le plus déterminé
de nuire. Il ſembloit qu'on s'efforçât
d'étouffer par le bruit les traits qui pouvoient
donner une idée du mérite de l'Auteur. Cette
conduite indécente , lâche & barbare, prouve,
nous le répérons , que la police des Spectacles
doit être aujourd'hui très-ſévère , & que
les véritables Juges des Auteurs & des Comédiens
n'occupent plus maintenant la place
qu'ils occupoient autrefois. Nos Parterres ,
compoſés jadis de Connoiffeurs ou de jeunes
gens qui afpiroient à le devenir , ſont actuellement
en proie à la cabale , aux partis & à
la licence. On veut les réformer : on a déjà
commencé à le faire ; les gens honnêtes
demandent qu'on achève ; ils ſeront fans
doute enten dus. Le lendemain de cette ſcène
il s'en paſſa une à la Comédie Françoiſe , ſur
laquelle no us devons dire deux mots. La
3
DE FRANCE. 89
Comédiedes Amans Eſpagnols tomba. Elle
méritoit ſon ſort; mais après la chûte, devoit
on appeler l'Auteur avec le ton de l'ironie.
&de l'infulte ? C'eſt pourtant ce qu'on a
fait. Ah ! Public , qui diſpenſez la gloire &
les ſuccès , qui briſez ou affermiflez les réputations,
quand voudrez vous donc paroî
tre digne d'être l'appui des Arts & le juge
desTalens ?
Nous parlerons dans le Mercure prochain
de la repriſe du Baiser, Féerie en trois Actes.
VARIÉTÉS.
L'ÉLÉPHANT de la Ménagerie du Roi eſt mort
fur la fin de Septembre dernier , âgé de onze ans.
C'eſt une époque ſéculaire qui ſera conſignée dans
les Faſtes de l'Hiſtoire Naturelle , & le cénotaphe
que l'on élève à cet animal majestueux , tranſmettra
fa mémoire à la Poſtérité la plus reculée.
Cet événement nous rappelle la mort de l'éléphantde
Louis XIV,en 1681. Ses funérailles furent
pompeuſes parune ſuite de la magnificence du Roi ,
du goût de ce Prince pour les Sciences & les Arts , &
defon attention à ſaiſir toutes les occafions qui pou
voient éclairer ſon ſiècle & illuftrer ſon règne.
Apeine l'Éléphant eut il rendu les derniers ſoupirs
, qu'un courier fut expédié pour en informer
l'Académie des Sciences ,& lui porter les ordres de
SaMajesté pour ſe rendre en Corps à Verſailles.
Si cet événement fut tragique pour l'individu Afiatique
qui en étoit le ſujet , par la perte d'un animal
rare dans les Ménageries d'Europe , & encore plus
par l'attachement que le Roi avoit pour ſon Éléphant,
la mort futl'aurore des vraies connoiffances
de l'Académie fur le phyſique de cet animal. Juſqu'a86
MERCURE
lors l'Hiſtoire phyſique & morale de l'éléphant étoit
un chaos inexplicable de faits,contraires ſurchargés
du merveilleux & de tout ce que l'imagination exaltée
des Voyageurs avoit enfanté pour égayer leurs
relations ; c'étoit ſur des baſes auffi mal établies
qu'étoient fondées les connoiſſances des Naturaliſtes
du ſiècle précédent.
L'Académie des Sciences étoit dans le premier
âge de ſon inſtitution ; elle ſaiſit avec empreſſement
cette occafion de remplir les vûes de ſon Fondateur
, de profiter d'une circonstance rare d'acquérir
des connoiſſances poſitives qui devoient éclairer
l'Hiſtoire Naturelle , & enrichir ſa Collection anatomique.
L'Académie ſe rendit en Corps à Verfailles
avec un arſenal complet de phyſique & d'anatomie.
L'on avoit élevé dans une grande pièce un théâtre
en forme de catafalque , ſur lequel l'Éléphant
fut expoſé pour ainſi dire avec le luxe aſiatique &
le culte que les Indiens rendent à ces animaux. Les
appareils furent préparés avec magnificence & avec
ſoin, afin que les miaſmes infectes n'altéraſſent point
la ſalubrité de l'air du lieu où ſe paſſoit la ſcène , &
dont le Roi vouloit être lui-même témoin. Duverney
, Pérault & de la Hyre , noms célèbres dans les
Sciences , furent les principaux Acteurs ; les autres
Aſſociés remplirent les fonctions d'Afſeſſeurs &
d'Adjudans .
Les embaumemens de ces Rois d'Égypte qui repoſent
ſous ces éternelles pyramides, ne ſe paſsèrent
pas avec plus de pompe & d'éclat.
Lorſque les entrailles eurent été examinées , décrites
& deſſinées , on les enleva de la ſalle anatomique
; alors Duverney ſe plaça dans le coffre de
l'Eléphant pour opérer plus à ſon aiſe ; ce fut dans
ce moment que Louis XIV entra pour fatisfaire ſa
curioſité , & pour inſpirer de l'émulation aux Académiciens.
Le Roi ne voyant point l'Opérateur , dit :
DE FRANCE. 87
Où est donc l'Anatomiſte ? Dans l'inſtant Duverney,
le ſcapel à la main , ſortit du ventre de l'animal
comme d'une caverne pour répondre à Sa Majesté ,
& la remercier de ſon attention ; ce ne fut pas la
ſcène la moins piquante de la repréſentation.
L'Hiſtoire de cette célèbre diſſection eſt décrite
dans les Mémoires du temps de l'Académie des
Sciences. L'Éléphant qui en fit le ſujet datoit de la
naiſſance de l'Académie ; c'étoit une femelle née à
Congo en 1664 , donnée à Louis XIV par Pierre II ,
Roi de Portugal , en 1668 , & morte en Janvier
1681 , âgée de dix- sept ans. M. Daumont , qui a rédigé
l'article Éléphant dans l'Encyclopédie *, s'eſt
trompé ; car, ſuivant ſon calcul , celui dont il s'agit
feroit mort à trente ans : c'eſt une erreur très-préjudiciable
pour les connoiſſances fondées ſur les dimen
ſions des parties reſpectivement à l'accroiſſement du
ſujet dans ſes différens âges .
:
L'on croit que l'Éléphant mort cette année eſt un
de ceuxqui ont été expoſés à la Foire aux regards des
Curieux ; il a été acheté 3000 liv. il y a fix ou ſept
ans pour la Ménagerie. Sa douceur & fon intelligence
lui avoient mérité l'attention & l'attachement
du Roi , & un traitement conforme à ſes inclinations
& à ſes beſoins ; cependant il eſt péri par imprudence
, en voulant boire , ou plutôt ſe baigner
dans un des canaux du Parc. Il faut donc qu'une
infinité de circonstances ſe ſoient réunies pour précipiter
la mort de cet Éléphant: car cet animal paroît
être à l'abri de la fubmerfion par le volume de
ſa maſſe , & de la ſuffocation par le jeu de ſa
* L'Encyclopédie peut être comparée à une moiffon
récoltée avec précipitation à la veille d'un orage ; l'on
coupe l'ivraie ,les chardons , pêle-mêle avec le froment ,
dont on forme des gerbes ; il faut enſuite battre & vanner
pourretirer lebon grain qui a échappé même à la voracité
des infectes qui fe font fourrés dans la grange.
88 MERCURE
trompe , qu'il peut porter fort haut au-deſſus de la
furface de l'eau pour reſpirer ; mais il n'a pu tirer
parti de ces avantages ; après avoir lutté long-temps
contre la mort, il s'eſt noyé.
De même que les Souverains ont des ſépultures
particulières où leurs cendres repoſent ſéparées &
éloignées de celles de leurs ſujets , à l'ombre des
trophées de leur gloire ; de même les grands phénomènes
de la Nature , les êtres d'un caractère majeftueux
& rare font placés dans un dépôt qui eft pour
cux le temple de l'immortalité. La deſtinée de l'Éléphant,
production de la Nature aufli majestueuſe &
aufli raredans nos climats , ne devoit pas être confondue
avec les viles dépouilles des animaux erdinaires
; ſa place étoit marquée dans le ſanctuaire de
la Nature , magnifique dépôt de ſes tréſors précieux,
enrichi par la munificence du Roi & par les ſoins de
M. le Comte de Buffon ; enfin , embelli par la ſtatue
de ce grand Homme.
Aufſi-tôt que l'Éléphant a été envoyé au Jardin
du Roi , M. Daubenton le jeune, Garde du Cabinet,
&M. Mertrud, Démonstrateur Royal d'Anatomie ,
ſe ſont empreſſés de prendre toutes les meſures néceffaires
pour fixer invariablement les points les plus
importans de l'Hiſtoire Naturelle de l'éléphant , tant
des parties extérieures qu'intérieures.
Le poids total a été évalué à près de cinq milliers ;
ſa peau ſeule peſoit plus de ſept cent livres, & fa
tête ſéparée environ cinq cent livres , quoiqu'elle ne
foit pas chargée de grøffes défenſes ; au contraire ,
celles de ce ſujet n'ont guères qu'un pouce & demi
de diamètre , & neufà dix pouces de longueur ; il
eft vrai qu'elles font un peu mutilées par les bouts
extérieurs ; des huit dents molaires il paroît qu'il en
manque une des intérieures , & qui peut-être eſt une
dent de lait tonbée , laquelle devoit être ſuccédée par
une dent d'adolescence; car cette éléphante n'avoir
DE FRANCE. 89
guères atteint plus que moitié de ſon âge d'accroiffement,
dont le terme eſt fixé à trente ans par M.
leComte deBuffon. Ce ſavant Naturaliſte a diſſipé
toute l'obſcurité de l'Hiſtoire Naturelle de eet animal,
& en a développé le caractère & les moeurs avec
cegénie qui perce la nuit des temps.
Comme l'Éléphant mort en 1681 a procuré un
fuperbe morceau d'oſtéologie , on n'a cu en vue ,
dans la préparation anatomique ce dernier , que
de vérifier tous les faits .
de
...Si l'Eléphant ne paroît au premier abord qu'une
maſſe lourde , mal deſſinée.&peu propre à exécuter
des évolutions preftes , cet animal n'en eſt pas moins
admirable par une intelligence prodigieuſe , une
adreſſe ſingulière , &des ſentimens d'attachement &
de reconnoiffance.
La Nature , toujours ſublime dans ſes produetions
, n'a rien fait qui ne ſoit digne de notre admi
ration ; ces maſſes organiſées coloſſales , dans lefquelles
nous ne difcernons pas au premier coupd'oeil
les ſéparations & les liaiſons diſtinctes des
parties , où nous n'appercevons pas d'élégance dans
les proportions , de délicateſſe dans les membres
dont dépend l'agilité, ainſi qu'elle ſe fait ſentir dans
ces petits animaux ſveltes qui ſe meuvent au même
moment dans tous les ſens ; ces maſſes vivantes ,
dis-je , reſſemblent à ces montagnes du premier
ordre , qui portent leur cime dans les nues , & dont
l'empiétement de la baſe couvre une partie de l'hémisphère;
elles ne fixent notre admiration que par
l'énormité de leur maſſe , par leur élévation & par
l'immenſe variété de leur lourde charpente ; leur
aſpect nous imprime la terreur par les détails des
précipices & des horreurs qu'elles nous préſentent ,
tandis que de petits coteaux qui feftonnent avec
ſymmétrie les contours d'une plaine arroſée par les
caux qui en découlent , nous font goûter la fuavité
MERCURE
des formes agréables qui ſe rapprochent de notre
petite exiſtence.
Je n'ai nulle prétention à inſtruire le Public fur
les détails de l'Hiſtoire Naturelle de l'éléphant ;
cette partie n'eſt point de mon reffort; je me borne
à l'annonce d'une anecdote dont les détails fixeront
l'opinion des Savans ſur le phyſique de l'Éléphant.
L'on ſe propoſe d'empailler la peau , & de fixer
avec art le volume , les formes & le ſite de toutes les
parties de l'Éléphant par une charpente de fer garnie
&recouverte de la peau préparée , avec toutes les
parties ofſeuſes de la tête .
:
LETTRE au Redacteur du Mercure.
Μ.
ON a annoncé depuis peu dans un de vos Mercures
un Livre de Muſique de M. Corrette portant ce
titre : Méthode pour apprendre facilement àjouer de
la Quinte ou Alto. Je prends la liberté de vous
adreſſer quelques remarques que j'ai faites concernant
cette Méthode. Bien des perſonnes ſont ſurpriſes
que l'Auteur n'y parle aucunement d'une
deuxième Quinte qui fait leur amuſement , & qu'il
ne donne le nom de Quinte qu'à l'Alto , comme
fi c'étoit le ſeul Inſtrument deſtiné à faire cette
partie. M. Corrette ne doit pas ignorer qu'on a repris
depuis quelques années l'uſage du deſſus de
Viole qu'on a réduit à cinq cordes , avec cet ac
cord , ut , fol, ré , fol , ut . On connoît les agrémens
& la douceur de cet ancien Inſtrument dont
l'uſage a été diſcontinué pendant environ trente-fix
ans , parce que le genre de Muſique ayant changé ,
cet Inſtrument, à fix cordes pour lors, ne montoit pas
DE FRANCE.
91
aſſez haut pour faire avec facilité les parties ſupérieures
, & ne deſcendoit pas aſſez bas pour faire
la partie de Quinte ou les Baſſes à l'octave. La
chanterelle de cet Inſtrument d'un ton plus bas que
celledu Violon formoit le ré. La groſſe corde ne defcendoit
qu'au ré, & ſe trouvoit d'un ton plus haut
que l'Alto. Il exiſte encore bien des gens témoins de
la ſplendeur & de la décadence de cet Inſtrument ,
qui le voient avec plaifir comme pour ainfi dire renaître
, & devenir par ſon nouvel accord une véritable
Quinte. On lui avoit donné d'abord le nom
d'Alto- Viole ; mais on ne s'étoit pas apperçu que ce
nom avoit trop de conformité avec celui d'Alto , qui
dérive du mot italien Alto-Viola , d'où pourroit
naître par la ſuite une confuſion entre les deux Inftrumens.
C'eſt la remarque judicieuſe que vous avez
faite dans votre Mercure dus Février 1779 : de là
pluſieurs perſonnes préfèrent de déſigner cet Inftrument
ſous le nom de Quinte à cinq cordes , oι
même purement de Quinte fans autre addition .
Quel Inſtrument en effet ſemble devoir porter avec
plus de juſteſſe le nom de Quinte que celui- ci , qui
fait la partie de Quinte , & eſt compofé de cinq
cordes ? Pourroit-on dire que c'eſt l'Alto ? cet Inftrument
a quatre cordes. Que fignifie une Quinte
à quatre cordes ? Ce nom doit paroître étrange.
Vous me permettrez , Monfieur , de vous dire encore
quelques mots touchant le diapazon de ces
deux Inſtrumens , qui devroit être le même , &
cependant eſt différent. On donne à la nouvelle
Quinte quatorze pouces de diapazon , c'eſt à- dire
d'étendue depuis le fillet juſqu'au chevalet. On ne
peut douter que ce diapazon n'ait toujours généralement
éré adopté,en voyant le grand nombre de ces
Inſtrumens qui fubfiftent encore , porter cette étendue.
Le diapazon de l'Alto eſt d'ordinaire de treize
pouces ; mais n'a-t-on pas lieu de préſumer que ce
,
92 MERCURE
n'eſt pas là le véritable diapazon qui convient à cet
Inſtrument, &que s'il avoit quelque peu plus d'étendue,
c'est-à-dire, quatorze pouces , il en deviendroit
plus agréable , moins dur ; les cadences en feroient
plus faciles , plus brillantes , parce qu'alors on pourroit
y ſubſtituer des cordes d'une nuance plus fine.
Si on confidère que l'Alto ne porte qu'un pouce de
plus que le Violon , pourra-t'on bien ſe perfuader
que cela foit fuffifant pour le faire defcendre d'une
Quinte plus bas , tandis que la Baſſe qui deſcend
d'une octave au-deſſous de l'Alto porte vingt-cinq
pouces d'étendue .
:
J'ai l'honneur d'être très-reſpectueuſement ,
Μ.
P
Votre très-humble & trèsobéifſant
Serviteur ,
N. G. LENDORMY.
GRAVURES.
-
LAN Topo-Hydrographique de la Baie de Gibraltar,
dressésurcelui de M. le Chevalier Renau ,
avec des détails intéreſſfans; par le ſieur de Vezou ,
Géographe. A Paris , chez Lattré , Graveur , rue S.
Jacques , vis- à vis celle de la Parcheminerie , à la
ville de Bordeaux. Plan du Promontoire de la
Ville & du Port de Gibraltar , avec les ouvrages
faits depuis le dernier fiège , & les lignes conftruites
par ordre de Sa Majesté Catholique pour empêcher
la communication de Gibraltar avec l'Espagne,
levé nouvellement ſur les lieux par l'Ingénieur
dellaaPlace.AParis , à la même adreſſe.
Atlas portatifà l'usage des Colleges, pour fervir
àl'intelligence des Auteurs claſſiques , dédié à l'Univerſité
de Paris ; par M. l'Abbé Grenet , Profefſeur
au Collège de Lifieux , format in - 4°. Prix
de chaqueCarte , 12 fols. Complet & relié en par
DEFRANCE 93
chemin verd , 28 livres ; avec un Abrégé de
Géographie ancienne & moderne , in- 12 . Prix , 2 liv.
broché , & relié en parchemin verd, 2 livres 8 fols ,
en veau , 3 livres. Ces deux Ouvrages ſe vendent à
Paris , chez l'Auteur , au Collège de Liſieux , rue
Saint-Jean-de-Beauvais , & chez Colas , Libraire ,
Place de Sorbonne.
Comme nous avons déjà donné à cet Atlas les
juſtes éloges qu'il mérite , & que d'ailleurs il eſt déjà
avantageuſement connu du Public , nous nous bornerons
aujourd'hui à annoncer que l'Auteur a
completé cet Ouvrage utile , & qu'il contient
quarante - quatre Cartes , quinze anciennes & vingtneuf
modernes. Parmi ces dernières ſe trouve celle
des vents généraux & mouſſons de la Zone Torride
, Carte des plus curieuſes.
Chaque Carte ancienne a nue Carte moderne qui
yrépond, excepté la Terre-Sainte & la Palestine &
Syrie , qui n'en ont pas beſoin.
Outre le déplacement de la mer Caſpienne , que
cetOuvrage repréſente du Nord-Ouest au Sud - Est ,
on y trouvera encore un autre changement bien
ſurprenant , fur lequel M. l'Abbé Grenet nous a envoyé
la Note ſuivante : « Que la poſition de la mer
>> Caſpienne n'ait point été connue juſqu'ici, on ne
>> doit point en être ſupris: on ne voyage point
>> dans ces contrées; mais que la Martinique , où
>> les François vont ſi ſouvent , ſoit dans le même
> cas , c'eſt ce qui a droit d'étonner : or il eſt de fait
>> que le Méridien de cette Iſle décline de plus de
*>> trente-trois degrés de la poſition qu'on lui donne
>> dans toutes les Cartes. M. Bonne a corrigé cette
>> erreur d'après les renſeignemens les plus sûrs.
>> Qu'on vienne nous dire après cela qu'il faut fui .
>> vre aveuglément ceux qui nous ont précédé.
M. l'Abbé Grenet a compofé auſli un Abrégé de
Géographie ancienne &moderne pour ſervir à fan
94 MERCURE
Atlas. Cet Ouvrage eſt peu étendu , parce que l'Auteur
a voulu en faire un Livre claſſique. Ce qui en
fait le principal mérite , c'eſt qu'il y règne beaucoup
d'ordre & de clarté ; que les Géographies anciennes
&modernes y font par-tout comparées avec tant
d'exactitude , qu'on apprendra néceſſairement l'une
en apprenant l'autre.
Les Perſonnes de Province qui voudroient ſe procurer
ces deux Ouvrages conjointement ou ſéparément
, les recevront reliés l'un & l'autre en parchemin
francs de port par la poſte pour le même prix
qu'à Paris . On affranchira les lettres de demande &
le port de l'argent.
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 10. Ce Cahier contient
l'ouverture de la Bonne Fille , arrangée par
M. Blin . Un Andanté de J. S. Schroëtter , un Rondo
de Giardini , un morceau d'Ariane : Ah ! j'étois autrefois
innocente & tranquille. L'accompagnement
de M. l'Abbé le Bugle , & un Rondo de Mme Lebrun,
ci -devant Mlle Danzi. Prix, 2 livres. A Paris , chez
Leduc , rue Traverſière- Saint - Honoré , au Magaſin
de Muſique , où l'on s'abonne en tout temps moyennant
is liv. pour douze Cahiers pour Paris & la
Province port franc par la poſte .
Journal de Harpe , n°. 10. Ce Cahier contient
trois Airs & un Duo des plus nouveaux Opéras Comiques
, les Accompagnemens par MM. Couarde ,
Baur, Burchkoffer & Fabry. Prix , 2 livres. A Paris ,
chez Leduc , rue Traverſière- Saint-Honoré , au Magaſin
de Muſique. Le prix de l'abonnemement de ce
Journal eſt de is liv. par année , compoſé de douze
Livraiſons , port franc par la poſte.
DE FRANCE. 95
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ART d'écrire & d'orthographier , ou Principes
de lecture & d'orthographe , par M. Goullier , Auteur
de pluſieurs Ouvrages de Grammaire , in- 12 . Α
Paris , chez Alexandre Jombert le jeune , Libraire ,
rue Dauphine , près le Pont-Neuf; & chez l'Auteur ,
rue Étienne , près du Pont- Neuf, la porte - cochère
vis-à- vis le Pâtiffier .
Il eſt difficile de trouver des Ouvrages élémentaires
vraiment bons. On c'eſt l'envie de montrer de
l'eſprit qui porte l'Auteur au- deſſus de ſon but , ou
c'eſt faute de lumières qu'il reſte au- deſſous . L'Ouvrageque
nous annonçons aujourd'hui nous a paru ,
par fa méthode , conforme à la néceſſité de claffer
les idées , & de placer à propos les Principes. Un
ſtyle ſimple& clair avec de l'ordre & de la préciſion,
eft toujours deſiré par celui qui veut ſincèrement
s'inſtruire. L'eſprit , qui eſt encore dans ſon enfance,
abeſoin d'une nourriture à moitié digérée. Trop
de crudité dans les leçons le fatigue ſans le nourrir.
L'Auteur de l'Art de lire & d'orthographier adonc
été obligé d'obſerver ſcrupuleuſeinent ces Principes.
Il nous paroît avoir choiſi judicieuſement les objets
principaux qu'il avoit à préſenter , & nous croyons
que cette Collection ne peût être qu'utile dans les
écoles publiques & dans les éducations particulières.
Détail général des fers , fonte , ferrurerie , ferrure
&clouterie , à l'uſage des bâtimens , avec les tarifs
des prix, dédié à Mgr le Duc de Chartres ; par
M. Bonnot , Vérificateur de Serrurerie , Vol. in-8º .
Prix , 6 liv . broché. Se vend maintenant à Paris ,
chez Lamy , Libraire , quai des, Augustins ; & chez
l'Auteur , rue du Four , Carrefour de la Croix-
Rouge, maiſon du Papetier.
..
96 MERCURE
L'Albert moderne , &c. nouvelle Édition , augmentée
d'un Volume. Prix, 6 liv. les deux Volumes
reliés. On vend ſéparément le Tome II. A Paris ,
chez la Veuve Ducheſne , Libraire , rue S. Jacques ,
près de la Place Cambrai.
Nouveaux Contes de Fées, entremêlés de quelques
Hiftoriettes amusantes , pourfervir de ſuite à toutes
les Bibliothèques amusantes ou de campagne , 2 Vol.
in - 12. Prix , 2 liv. 8 ſols brochés , & 3 liv. reliés.
A Paris , chez Deſventes , Libraire , rue Jacob ,
hôtel de Danemarck , Fauxbourg S. Germain ; chez
Lamy, quai des Auguſtins ; à Meaux , chez Paquet ,
Libraire.
Les Jardins , Poëme en quatre Chants du Père
Rapin, traduction nouvelle , avec le texte , par MM.
V***, & G**. , in-8 °. de 149 pages. Prix , 2 liv.
8 ſols broché. A Amſterdam ; & ſe trouve à Paris ,
chez Cailleau , Imprimeur-Libraire , rue Galande ;
Belin , Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves ; les
Marchands de Nouveautés.
TABLE.
VERS à Mlle J.... , 49 liade, 68
-AM. Imbert , so L'Arioste François , 73
Le Zéphyr& la Rofe, Fable, Réflexions fur l'Esclavage dés
SI Nègres, 75
78
Damas,
Romance
$2 Variétés, 85
Réponse aux Couplets de M. Comedie Italienne ,
$ Lettre au Rédacteur du Mer-
Enigme& Logogryphe , 154 cure de France,
De l'Electricité du Corps hu-Gravures ,
main , 56Mufique,
Nouvelle Traduction de l'I- Annonces Littéraires ,
APPROΒΑΤΙΟ.Ν. t
१०
92
94
95
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 9 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêchenttimoteion. AParis,
le 8 Novembre 1781. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI Ε.
T
De PÉTERSBOURG , le 30 Septembre.
LES dernières nouvelles que la Cour a
reçues de Conſtantinople , n'offrent que
des détails ſur les ſuites funeſtes de l'incendie
qui a ravagé cette grande Ville. Si
le mécontentement l'a allumé , il a eu
des effets bien affreux ; on ne voit plus
de tous côtés que de la conſternation &
des ruines. Ce déſaſtre est bien fait pour
étouffer , ou du moins pour ſuſpendre les
cris d'une populace aveugle & féroce qui
demandoit la guerre. Nous ignorons s'il
aura produit cet effet ; en attendant , on
continue ici les préparatifs. Les ordres qui
ont arrêté les troupes déja en marche dans
quelques endroits , n'ont fait que ſuſpendre
leur voyage , à cauſe de l'arrière-faifon ; it
leur a été ordonné de ſe pourvoir de toutes
les choſes néceſſaires ; l'Impératrice a
و Novembre 1782. C
!
( 50 )
accordé 66,000 roubles pour acheter des
chevaux néceſſaires au ſervice de l'artillerie;
elle a ordonné en même- tems des
levées d'hommes dans tout l'Empire ; on
en enrôlera un ſur cent dans chaque endroit
; & on évalue à 90,000 hommes le
nombre de ceux qui ſeront armés ainfi.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , les Octobre.
Le nombre des bâtimens actuellement
dans le Sund , monte à 95 , dont la deſtination
eſt pour la mer du Nord.
Il vient de ſe former à Gluckſtadt une
Compagnie de commerce , à laquelle le
Roi accorde un octroi pour 30 ans. Elle
fera le cabotage & la pêche de la baleine.
Son fond ſera de 200,000 rixdalers diſtribués
par actions. Les Directeurs de cette
Compagnie font le Baron de Zyben , Confeiller
- Privé du Roi & Chancelier de la
Régence de Gluckſtadt , & le Baron de
Lonzow , Chancelier & Conſeiller de la
Régence.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 6 Octobre.
La Reine aſſiſta le 28 du mois dernier ;
pour la première fois depuis ſes couches
au Service Divin , dans la Chapelle du
Château de Drottningholm ; le lendemain
( 31 )
elle vint dans cette Capitale , où elle fut
relevée ſolemnellement; le Baron de Sparre ,
le Corps du Magiſtrat , & les anciens de
la Bourgeoiſie , la complimentèrent ; elle
fit remettre au Baron de Sparre 42,000 écus
monnoie de cuivre , pour être diftribués
aux pauvres priſonniers détenus pour dettes.
Elle fit auſſi des dons à chacune des
Maiſons des orphelins , & aux Francs-
Maçons , qu'elle fit charger de les joindre à
leurs aumônes ordinaires. Le premier de
ce mois elle retourna à Drottningholm.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 8 Octobre.
:
La Diète eſt encore occupée de l'élection
des Membres qui doivent compoſer le nouveau
Conſeil permanent & les différentes
commiffions. Cette opération emporte beaucoup
de tems ; & il paroît que les Nonces
ne pourront pas entamer leurs délibérations
avant la ſemaine prochaine. C'eſt
alors que feront propoſés pluſieurs nouveaux
projets , que le Maréchalde la Dière n'admettra
cependant qu'après les avoir examinés.
Le Général Komorzowski eft parti hier
pour aller recevoir ſur la frontière de ce
Royaume M. & Madame la Comteſſe du
Nord.
Les lettres des frontières de la Turquie
ne font mention que des préparatifs de
C2
( 52 )
guerre qui ſe font dans la plupart des Provinces
Ottomanes ; elles ajoutent qu'on
voit défiler pluſieurs corps de l'Ahe vers
les confins de l'Europe.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le is Octobre.
M. le Comte & Madame la Comteſſe
du Nord font encore dans cette Capitale ;
ils doivent êue raffafiés des fêtes brillantes&
pompeuſes qui ſe ſont renouvellées
par-tout fur leur paffage , on ne leur en
donne pas ici ; ils préfèrent les plaiſirs
fimples & touchans de la campagne , &
ils vont les goûter dans les Châteaux Jes
plus agréablement ſitués dans nos environs.
On parle de leur prochain départ. On
dit que l'Empereur les accompagnera jufqu'à
Brunn , & peut-être juſqu'à Lemberg ,
d'où il ira viſicer les fortereſſes de la
Bohême : il ſe pourroit qu'après çela S.
M. I. allât à Florence , d'où elle ramèneroit
le Prince , fils aîné du Grand- Duc de
Tofcane.
Les Officiers Napolitains qui étoient ici à
la ſuite de l'armée Impériale , pour ſe former
aux manoeuvres militaires , ſe diſpoſent
à retourner dans leur patrie ; on croit qu'ils
partiront dans le mois prochain.
L'Empereur ne néglige rien pour accroître
la population & l'induſtrie dans la Galicie;
il a fait publier le Décret ſuivant en faveur
( 53 )
des artiſans exiſtans & gens de métiers
qui voudront s'y établir.
1º. Les Proteftans pourront y vivre conformément
aux principes de leur religion . 2 ° . Ceux qui
s'y établiront, ſeront reçus gratuitement Bourgeois ,
& ils pourrent exercer leurs profeſſions dans les
villes. 3º. Ceux qui s'établiront à la campagne ,
jouiront des mêmes prérogatives que ceux des
villes. 4º°. Ils feront libres des impofitions perfonnelles
pendant 10 ans. 5º. Ils feront exempts ,
eux & leurs fils aînés , de la milice. 6°. Ceux qui
s'établiront dans le Domaine de S. M. I. , recevront
les matériaux néceſſaires pour la conſtruction de
leurs maiſons ; le bois de conſtruction leur fera
fourni gratuitement ; ils ne payeront les autres
matériaux qu'au prix fixé par la Chambre des Finatices
; & pour en faire le paiement , ils obtiendront
des termes; on leur accordera en outre un
terrein de 1600 toiſes quarrées , pour lequel ils ne
paycront aucun cens pendant 6 ans ; & il leur ſera
autli remis une ſomme de so florins pour l'achat
des inſtrumens de métier ,& des matériaux propres
à leur profcilion . Les Cordiers qui s'établiront
dans la Seigneurie de Sendomir , où il y a des
rivieres navigables , y trouveront toutes les facilités
pour faire des cordes propres aux vaiſſeaux , le
chanvre & la poix y étant en abondance . Celui qui
fournira la meilleure marchandiſede corderie , & qui
indiquera le moyen le plus facile & le plus sûr de
la débiter , obtiendraune récompenſe de soo ducats.
-
De HAMBOURG , le 18 Octobre.
On s'attend toujours à une rupture entre
la Ruffie & la Porte ; elle n'aura pas
d'autre cauſe que les troubles qui ſe ſont
élevés en Crimée , & le parti auquel pa-
C3
( 54 )
roît arrêtée la première de ces Puiſſances
de rétablir l'ancien Kan.
>>>Le Sultan , lit - on dans quelques lettres de
Conſtantinople , verroit avec affez d'indifférence
les Rufſes pacifier à leur gré la Crimée ; l'état de
T'Empire lui rend la paix néceſſaire ; mais le peuple
, pouffé par les Ullemas , demande la guerre
fans ſavoir ſi l'on est en état de la faire & de
foutenir les Tartares dans leur révolte. Le Divan
a été continuellement afſemblé pendant pluſieurs
jours , & l'on ignore encore ce qu'il a décidé. En
attendant , on a augmenté la garde du Serrail ; on
paroît craindre des actes de violence de la part
du peuple & des Janifſaires. Rien de plus critique
que la poſition dans laquelle nous nous trouvons.
Nous avons devant les yeux les débris de plus de
40,000 maiſons brûlées; le feu a détruit encore
Jes caſernes des Janiſſaises & les vaſtes magaſins
où étoient déposés les approvifionnemens néceffaires
pendant un mois à la conſommation des
troupes & à celle de cette ville. On y conſomme
96,000 meſures de grains par ſemaine , & comme
l'exportation des bleds de la Ruſſie a été défendue
du côté de la mer Noire , on craint beaucoup
une famine dont les ſuites ordinaires ici font
le déſeſpoir & la révolte ; dans le moment actuel
où règne la plus grande fermentation , il eſt certain
qu'elle entraîneroit les plus grands excès .
-Le 20 de ce mois ( de Septembre ) , la Sultane
favorite eſt accouchée d'un Prince qui a été nomméMahomet-
Bey. Le Prince Ypsilanti , ci-devant
Hoſpodar de Valachie , eſt arrivé avec une ſuite
très-brillante. Le Boſtangi-Bachi , qui lui fit auſſi-tôt
une vifite , ébloui de tant de richeſſes , lui fit entendre
que la Chambre des Finances Ottomanes
avoit beſoin de'rooo bourſes pour payer les Janiſſaires;
le Prince en avança fur-le-champ 700 , &
il acquitta le reſte peu après".
,
1
( 55 )
On mande de Dreſde que chacun des
régimens d'Infanterie de l'Electeur de Saxe
a été augmenté de 100 hommes , ce qui
portera l'armée de l'Electorat à 26,189
hommes.
>>>On affure , lit- on dans un de nos papiers
qu'il paroîtra inceſſamment une Ordonnance Impé-
Fiale , concernant les Ordres Religieux dans les
Etats héréditaires de la naiſon d'Autriche; on publie
d'avance qu'elle offrira le règlement ſuivant.
1º. Les Prémontrés , les Religieux de Citeaux , &
tous les Ordres qui avoient un Abbé pour Supérieur,
ſeront regardés comme Moines , & porteront
l'habit des Bénédictins ; ils ſeront employés à
enſeigner la philofophie ; ils auront un Général ,
&ils ne pourront plus prendre le titre d'Abbayes.
2°. Les Récollets , les Capucins , les Dominicains ,
les Auguſtins, & en général tous les Ordres Mendians
, porteront un habillement noir ; ils auront
un Général pour 7 ans ; leurs fonctions ſerent le
choeur , la confeſſion & les miſſions . 3 °. Les Théâtins
& tous les Ordres du Clergé Régulier , feront
habillés en noir , ſuivant leur coſtume; leurs fonctions
ſera d'apprendre à lire & à écrire , & d'enſeigner
le cathéchiſme. 4°. Les Trinitaires , les
Frères de la Charité , les Chartrenx & les Hermites
feront ſupprimés «.
On a fait la liſte ſuivante de tous les
Couvens que l'on comptoit dans les Etats
Héréditaires de la Maiſon d'Autriche , à la
mort de feue l'Impératrice Reine ; on dit
qu'elle eſt exacte .
1º. Dans l'Autriche , au-deſſus de l'Enns , 35
couvens d'hommes & de femmes . 2°. Dans l'Autriche
, au-deſſous de l'Enns , 102 couvens d'hommes&
16 de femmes. 39. Dans l'Autriche antérieure
C4
( 56 )
,
18 couvens d'hommes & 47 de femmes. 4. Dans
le Tirol , 60 couvens d'hommes & 29 de femmes .
5°. Dans la Carniole , 28 couvens d'hommes & 10
de femmes . 6°. Dans la Carinthie 17 couvens
d'hommes & ; de femmes. 7°. Dans la Stirie , 59
couvens d'hommes & 10 de femmes. 8°. Dans la
Bohême , 123 couvens d'hommes & 17 de femmes .
9. Dans laMoravic & la Siléſie , 72 couvens d'hommes
& 11 de femmes. 10º. Dans la Gallicie , 222
couvens d'hommes & 32 de femmes. 11º. Dans la
Hongrie , 141 couvens d'hommes & 13 de femmes.
12°. Dans la Transylvanie , 33 couvens d'hommes
& 1 de femmes. 130. Dans la Dalmatie , la Croatie
& l'Esclavonic , 43 couvens d'hommes. 14º. Dans
les Pays-Bas , 179 couvens d'hommes & 213 de
femmes. 15º . Dans la Lombardie Autrichienne ,
270 couvens d'hommes & 197 de femmes ; en tout
1443 couvens d'hommes & 602 couvens de femmes.
-De ce nombre prodigieux de couvens , il n'y ena
pas 100 qui ont été ſupprimés juſqu'à préſent.
On apprend de Nuremberg , que le 7
de ce mois, la Diligence fut pillée pendant
la nuit fur la route de Hofà cette dernière
Ville , entre Luzercith & Berneck . Outre
le Conducteur & le Poftillon , il n'y avoit
dans la Diligence que deux jeunes Ruffes ,
qui alloient à Stuttgard pour y faire leurs
études. Ils ont été très maltraités par les
voleurs , qui étoient au nombre de dix.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 26 Octobre.
Nous n'avons encore de l'Amérique ſeptentrionale
que les nouvelles apportées par
la frégate le Southampton. Le ColonelBal
( 57 )
four , ci-devant Commandant à Charles-
Town , arrivé ſur cette frégate , a eu pluſieurs
conférences avec les Miniſtres ; comme
on n'a rien publié de ce qu'il a rapporté
on eſt réduit à le, conjecturer ; &
entre autres choſes voici ce que l'on en
dit.
Les loyaliſtes de la Caroline méridionale
n'ont pas été moins affectés que ceux de
New-Yorck , des ordres donnés pour l'évacuation
de Charles-Town. On prétend
qu'ils ont envoyé ſur-le-champ une députation
au Général Leflie pour implorer fon
afſiſtance & le déterminer à ne pas exécuter
les ordres qu'il avoit reçus. Le Général
touché de leur ſituation& de leurs plaintesa
, dit- on , fuſpendu cette exécution , &
a fait des repréſentations à Sir Guy Carleton
en lui demandant des inftructions ultérieures
que ce dernier fait demander à fon tour à
notre Miniſtère. On prétend qu'il s'eſt tenu
un conſeil de guerre ſur ce ſujet , mais on
varie fur fon réſultat; ſelon les uns , l'ordre
d'évacuer Charles-Town eſt confirmé , &
ſelon les autres il a été révoqué. Ceux qui
tiennent pour la première verfion annon
cent d'avance que le Général Leflie s'y attendant
, avoit commencé par détruire une
partie des fortifications de la place pour l'abandonner
dans un état où elle ne pût être
d'une grande refſource aux Américains .
>> Sa garniſon , diſent à cette occafion ceux de nos
papiers qui croient à l'évacuation de ce pofte , confifte
cs
( 38 )
en 4200 hommes; le corps des Loyaliſtes en forme
1400. C'eſt à quoi ſe réduiſent toutes nos forces
dans la Caroline, la plupart de ces troupes ſont compoſées
d'étrangers; on craint fort qu'ils ne trouvent
le moyen de refter en arrière & de s'attacher aux
Américains , qui vraisemblablement ſont maintenant
enpoffeffionde cette place ; de manière qu'il ne nous
reſte actuellement aucun pofte entre la Floride &
New-Yorck. Il eſt honteux de l'évacuer après l'avoir
poffédée fi long-tems. Quelle douleur ne doit-on pas
avoir en voyant un pays auſſi beau , auſſi fertile que
la Caroline méridionale démembré de la Goutonne
Britannique. Cette Province fourniſſoit annuellement
cent millepeaux de daim ,indépendamment de divers
autres articles très - précieux de commerce. Ses
champs fertiles fourniſſent aujourd'hui aux François
le ris en abondance «.
Ceux qui croient que l'abandon de Charles-
Town eſt ſuſpendu , s'appuient de la lettre
fuivante en date du 14 Septembre , écrite
de Shandy- Hook par un Officier de l'eſcadre
de l'Amiral Pigot , & qui contient d'autres
détails relatifs à cette eſcadre.
>> Nous arrivâmes ici le 4 de ce mois , & fûmes
auſſitôt joints par le Warrior & l'Invincible , qui ,
après s'être réparés à la Jamaïque , ſe hâtèrent de
nous ſuivre à New-Yorck , prenant par le paſſage
du Vent. Notre eſcadre eſt actuellement composée
de 26 vaiſſeaux de ligne , d'un vaiſſeau de so &
de 7 frégates. Notre traverſée de la Jamaïque ici
a été de 7 ſemaines : nous avons cu un tems favorable;
nous avons croisé pendant is jours à la
hasteur de la Havane pour protéger nos convois ,
objet dans lequel nous avons eu un plein ſuccès.
Nous avons changé de poſition , 13 de nos vaifſeaux
de ligne étant actuellement affourchés à Staten-
Iſland, tandis que l'Amiral Pigot & le reſte de l'ef-
1
( رو (
cadre font mouillés par le travers de New-Yorck.
Il y a ici des proviſions en abondance , & l'on nous
donne de la viande fraîche deux fois par ſemaine.
Il y a peu de légumes à cauſe de la ſécherefle de
la ſaiſon, dont on s'eſt plaint généralement fur
cette côte. Nous trouvâmes 8000 hommes de troupes
Angloiſes , campés à King's-Bridge , & environ
4830 hommes formant divers petits camps aux
environs de New-Yorck. L'armée rébelle aux ordres
de Washington , eſt à White- Plains ( Plaines
blanches ) , & nous apprenons qu'il a été joint dernièrement
par un Corps confidérable de troupes
Françoiſes. Nous avons des avis certains de Bofton
, que le Magnifique , de 74 canons , le Triomphant,
de 84 , & un troiſième vaiſſeau de ligne
ont échoué en entrant dans le Havre de Boſton ;
le premier paroît perdu ſans reſſource , & les deux
autres font tellement déſemparés , qu'on ne pourra
s'en ſervir qu'après de grandes & peut- être longues
réparations. Les François ont to vaiſſeaux de ligne
Boſton, qui font tous dans l'état le plus délâbré.
Le Magnificent a mis à la voile il y a quelques
jours pour Halifax , où il doit être abattu en carêne
& être réparé, ce vaiſſeau ayant eſſuyé beaucoup
de dommage lorſqu'il échoua à la Jamaïque. Je
me félicite de pouvoir vous apprendre que l'éva.
cuation deCharles-Town eſt contre-mandée ; elle devoit
avoir lieu le to Octobre , mais il paroît qu'il
n'en eſt plus du tout queſtion. Le Lion , le Chatam
, &c. font en mer; le Prince William eſt à
bord du dernier. Le Contre-Amiral Digby a hiſffé
de nouveau ſon pavillon , à bord du Prince- George.
Je ſuis fâché de vous apprendre que la ſanté du
Lord Hood n'est pas trop bonne. On l'attribue en
grande partie à un coup violent qu'il reçut au front ,
ſa tête ayant porté par hafard contre un banc. Je
ne faurois mieux terminer ma lettre , qu'en vous
diſant que tous les équipages ſont en bonne ſanté &
c6
(60)
remplis d'ardeur , & que nous avons des vivres à
difcrétion. On compte que nous partirons d'ici
vers la fin d Octobie; de forte que nous ferons
probablement a Ste- Lucievers la fin deNovembre ".
Il te peut qu'à New-Yorck on n'ait pas
eu à cette époque des nouvelles bien fûres
de l'état de l'efcadre Françoiſe à Boſton ;
des lettres de ce dernier port , en date du
15 Septembre , ne parlent point de cesgrands
dommages ; elles rendent compte même
d'une fêre donnée à bord du Triomphant
qui n'auroit pas été choiſi pour cela s'il
avoit été fi fort endommagé ; on n'auroit pas
ſuſpendu des réparations que la circonſtance
rend preffantes.
Il y a en Mardi huit jours , diſent ces lettres du 15,
que S. E. le Gouverneur-Général , M. de Choifi & fa
foite , S. E. le Lieutenant-Gouverneur , Thonorable
Confeil, &le Préſident du Sénat , avec leurs familles,
le Conful-Général de France , & un grand nombre
de perſonnes de distinction des deux ſexes , ont dîné
àbord du Triomphant , mouillant actuellementdans
le port de Boíton . Ils avoient été invités par S. E. le
Marquis de Vaudreuil , Commandant enChefde l'armée
navale de S. M. T. C. Le Gouverneur & certe
reſpectable compagnie , en ſe rendant à bord du
Triomphant , (or les chaloupes de l'Amiral , ont éré
ſalués par le canon du Château & les acclamations
répétées des équipages de toute la flotte. Au moment
où ils font arrivés à bord , ils ont éré reçus avec tou
tes les marques d'attention&de civilité imaginables,
par le Marquis, ſes Officiers &un grand nombre des
principasx Officiers de la flotte. A ceste occafion
l'Amiral avoit fait conſtruire fur le pont de ſon vaiſ
ſeau , un vaſte appartement formé avec des tapifferies
, &c. dans lequel toute la compagnie ſe rangea
( 61 )
autour de quatre tables. La fête , avec tout ce qui en
dépendoit , a été élégante & fplendide au fuprême
degré ; les marques animées de refpect & d'amitié
réciproques entre les deux Nations n'y ont laiflé men
àdefirer.-Après dîné , on a bu à la ſanté du Roi ,
de la Reine & du Dauphin de France , des Etats- Unis
d'Amérique , du Congrè , du Général Washington;
on a auffi donné pour toast , une alliance perpétuelle
entre la France & l'Amérique , & nombre d'autres
toafts ou ſantés analogues à l'eſprit de la fête , ont
été annoncées par l'Amiral avec une décharge d'artillerie.
Parmi les recherches innombrables & remarquables
, prodiguées en cette occafion , pour éviter
l'inconvénient réſultant de ce qu'on eût été trop
prèsdu fracas de l'artillerie , un autre vaiſſeau commandant
, mouillé à une diſtance convenable , donnoit
les fignaux d'honneur. Au retour de cette fête ,
leGouverneur & toute la Compagnie , furent encore
complimentés par les acclamations des équipages des
vaiſſeaux , par le canon du Duc de Bourgogne , &
enfuite par celui du Château. De pareils témoigna
ges d'amitié doivent être fingulièment ag éables à
tous ceux qui ont à coeur l'Indépendance de l'Amérique,
fi heureuſement ſupportée par notre alliance
avec la France. - Samedi dernier S E, le Gouverneur
, le Marquis de Vaudreuil , le Général M. de
Choifi , & un grand nombre de perſonnes de rang
&de distinction , François & Américains , ont dîné
à bord du Duc de Bourgogne , vaiſſeau commandant
, mortant 8. canons ; ils avoient été invités
par le Chevalier d'Eſpinouſe , chef-d'eſcadre , qui le
commande. La même élégance , la même ſplendeur
, les mêntes témoignages d'amitié mutuelle
les mêmes marques d'honneur ont été développés
en cette occafion à la ſatiſaction fans égale de chaque
convive.
Parmi les lettres apportées par le Sou
thampton , la Cour n'a publié que les ex-
D
( 62)
traits d'une de P'Amiral Digby en date de
New-Yorck le 4 Septembre ; elle ne contient
que les détails ſuivans.
Vous voudrez bien informer l'Amirauté que
M. Parvis , Commandant du floop de S. M. le
Duc de Chartres , en revenant du Sud , a rencontré
l'Aigle de 22 canons & de 136 hommes d'équipage
, appartenant au Roi de France , forti du Cap-
François avec des dépêches pour l'eſcadre Françoiſe ,
&qu'après un rude combat d'une heure, il l'a pris
& l'a amené ici . Quoique le Duc de Chartres ait
eu ſes mâts , voiles & agêts très -endommagés , il
a eu le bonheur de ne pas perde un ſeul homme ,
tandis qu'à bord de l'Aigle le premier Capitaine
a été tué , 2 Officiers bleſles , & 12 hommes tués &
13 bleſſés . L'Amiral Pigot , Commandant en
chef des vaiſſeaux de S. Maux Iſles du Vent , a
envoyé à M. Stephens , dans ſes lettres du is Août
&du 24 Septembre , la liſte des priſes faites par
Peſcadre , fous les ordres .-Le nombre des bâtimens
eſt de 12. - Le nombre des vaiſfeaux &
bâtimens détruit eſt de 9 «.
-
Ces nouvelles n'apprennent rien de bien
piquant. Nos papiers y ſuppléent par cellesci
que nous extrairons.
>> Il eſt pa ti de New Yorck pour Portsmouth dans
la nouvelle Anglertere , une petite efcadre , aux ordres
du contre-Amiral Hood. On dit que l'objet de
cette expéduion eſt de prendre ou de détruire les 3
vaiffe ux de guerre François qui ont relâché dans ce
port pour s'y réparer «.
>>L>es dernières lettres de New-Yorck nous apprennent
que leGénéral Washington a traves ſé la rivière
Hodson , & que M. le Comte de Rochambeau qui
s'étoit m's en marche pour les joindre avec l'armée
Franç ife avoit effectué ſa jo Aion; les raiſons qu'on
donne de cemouvement font que l'armée peut forcer
( 63 )
les ComtésduNord àpayer leurs taxes , & protéger
en même tems l'eſcadre Françoiſe à Boſton , contre
laquelle il eſt à croire que l'expédition du Lord Hood
eſt destinée «.
>> Les Américains ont réuſſi à prévenir les Nations
Indiennes en leur faveur & en celle de leur
Allié. Les Iroquois qui étoient autrefois ſi attachés
à l'Angleterre , en font , dit-on , maintenant les
plus grands ennemis. Ces Sauvages ſont les plus
puiſſans & les plus nombreux ; ils n'ont jamais
été errans comme les autres tribus ; ils habitent
encore le pays où ils vivoient avant la découverte
de l'Amérique; ils ont le véritable eſprit de liberté ,
& n'ont jamais été conquis; ils ont eu même toujours
l'avantage ſur leurs ennemis ".
>> On écrit de la nouvelle Jerſey que le fort
nº. VIII, fitué à pen de milles au-deſſus de Kinsbrigde
, a été ſurpris par un détachement de l'armée
du Général Washington , campée aux blanches,
& que 200 Heſſois , qui en formoient la
garniſon, ont été faits prifoenters «.
En attendant que Charles-Town ſoit évacué ,
Savanah l'a été ; ſa garnifon conſiſtant en 1300hommes
eſt arrivée à New-Yorck le 10 Août; elle a été
manquée de bien peu par l'eſcadre Françoiſe qui n'a
pas tardé à paroître dans ces parages ; heureuſement
cette garnifon étoit déja en sûreté «.
>>Dans une aſſemblée tenue à New-Yorck , lit- on
dans une lettre de Philadelphie , les Loyalistes ( aina
qu'on les appelle ) ont follicité Sir Guy Carleton de
leur fournir des munitions & proviſions lorſque les
troupes Britanniques abandonneront la Ville , étant
déterminés àdéfendre la place juſqu'à la dernière extrémité
, plutôt que de ſe ſoumettre à la merci de
leur pays ; Sir Guy leur a répondu , que l'on prendroit
ſon de tous ceux qui voudroient paſſer en
Anglererre; cette offre n'ayant pas paru générale-
* ment bien conſolante , il s'éleva beaucoup de dif
( 64 )
putes , on envint aux mains , & entr'autres M. Mat
thews , le Maire , ſe trouva au nombre des maltraités
Pluſieurs Officiers des corps Volontaires de
New York ont brûlé leurs uniformes , & juré
qu'ils ne porteroient jamais d'habit rouge : la
Milice a refufé de faire le ſervice ; en un mot ,
ſelon les meilleures informations , la confufion règne
dans toute cette ville .
Un bateau à baleine appartenant aux Réfugiés ,
commandé par le Capitaine Perry de New- York ,
a été pris , en revenant de croiſière , par le Capitaine
Willis qui ſortoit d'Egg - Harbourg ; Perry
avoit à bord 20 negres , dont pluſieurs ont die
qu'il les avort enlevés en Virginie ; les negres ont
été logés dans la priſon de Burlington juſqu'à ce
qu'ils foient jugés de bonne priſe.
On croit l'Amiral Pigot actuellement erroute
pour les ifles ; c'eſt à la fin de ce mois
qu'il devoit mettre à la voile. Son voyage
fur les côtes de l'Amérique ſeptentrionale
n'aura pas produit grand effet ; il ſe ſera
réduit a affurer l'arrivée de la garniſon de
Charles- Town à New-Yorck ſi l'évacuation
de cette place a réellement lieu , comime
cela est vraiſemblable , puiſque les tranf
ports qui devoient aller la recueillir avoient
mis à la voile avant le départ du Southampton
qui nous a inſtruit de ces détails.
Les doutes qu'on élève encore ſur cette
opération ne tarderont pas à être levés ; le
paquebot que Sir Guy- Carleton avoit retenu
, ne fauroit tarder à arriver s'il eſt ſorti
de Shandy-Hook quatre jours après le Sou
thampton ; il peut cependant avoir été retardé
encore juſqu'à l'arrivée à New-Yorck
( 65 )
de la garniſon de Charles-Town , dont il
nous donnera ſans doute des nouvelles.
Nous n'avons point de nouvelles des
Ifles , où il ne ſe paſſe rien d'intéreſſant ,
& d'où il ne faut attendre aucune nouvelle
importante avant que l'Amiral Pigot
y ſoit de retour ; c'eſt alors que nos forces
agiront ſans doute pour tâcher de reprendre
les établiſſemens dont nos ennemis ſe ſont
emparés , & que nous n'avons pas été juſqu'ici
en état de leur enlever , malgré nos
avantages. On débite que le 15 Août , il
y a eu à la Baffe-Terre de la Guadeloupe
un grand incendie qui a conſumé pluſieurs
maiſons , & fait beaucoup de dommages ;
mais on n'a aucun détail ſur lequel l'on
puiffe compter.
Le fort qu'a éprouvé la flotte de la Ja
maïque nous donne beaucoup d'inquiétude
pour celui de la flotte de Québec , qui quoique
moins nombreuſe , eſt preſque auſſi
précieuſe pour nous ; nous n'avons encore
reçu aucune nouvelle authentique de fon
arrivée dans le Canada .
On n'a pas de moindres alarmes pour
la Ville deParis & les autres vaiſſeaux de
guerre qui convoyoient la flotte de la Jamaïque
; on eſpère cependant que ces vaifſeaux
auront relâché à Terre Neuve. Selon
les marins la proximité où ils étoient de
cette ifle , & la nature du vent qui les y
pouſſoit , rendent cetre préſomption plus
que vraiſemblable ; dans ce cas , on ne
:
( 66 )
doit point s'attendre à en recevoir des nou
velles d'ici à quelque tems. On peut ſe former
une idée de la tempête affreuſe qu'a
effuyée cette flotte par la lettre ſuivante
d'un paſſager à bord d'un des bâtimens , à
un de ſes amis .
>> Je ſuis enfin arrivé de mon voyage aux
Indes Occidentales . A mon retour , j'ai été le témoin
& preſque la victime du ſpectacle le plus tragique
, qui jamais ait excité la compaffion. L'Au
guftus- César , capitaine Fowler, à bord duquel je
me trouvois en qualité de paſſager , joignit le 22
Août la flotte , compoſée d'environ 100 navires
marchands , d'un bâtiment armé , d'un vivrier &
d'an navire d'hopital , le tout eſcorté par ſept vaiſ
ſeaux de ligne & une frégate. Il ne ſe pafla rien
de remarquable juſqu'au 3 Septembre ; ce jour-là
Hector nous quitta. Mais le 8 du même mois le
vent redoubla avec une telle violence , que dès le
lendemain le Caton donnoit déja un fignal de détreffe.
Ce vaiſſeau avoit une voie d'eau fi confidé
rable, qu'il ſe trouva forcé de nous quitter; &
l'amiral Graves , jugea à propos d'ordonner à la
frégate la Pallas , de conduire ce vaificau à Halifax.
La flotte ſe trouvoit le 19 près des bancs
de Newfoundland , à 42 degrés 15 min. de latitude
& 48 degrés ss min. de longitude , alors
compoſée de 80 voiles , outre les vaiſſeaux d'efcorte.
Elle fut de nouveau affaillie par un ouragan
terrible , qui commença à huit heures du ſoir
& continua juſqu'à trois heures du matin : le tems
parut ſe calmer un moment; mais ce fut pour
nous faire fentir de nouvelles rigueurs. Les vents
foufflèrent avec une impétuofité , dont les plus anciens
marins n'avoient pas d'idée. Notre voile de
miſaine & celle d'artimon furent déchirées . Les
vagues enlevèrent la chambre du Capitaine , avec
( 67 )
tout ce qui s'y trouvoit; le vaiſſeau étoit fi avant
dans l'eau , que s'il n'eût été un des bâtimens les
plus forts , il n'auroitjamais pu échapper. Nos pac.
vres matelots ſe trouveient épuisés de fatigue ,
à force de pomper , & pour ſurcroît de malheur ,
le roulis fit ſauter un canon de ſa place. Entre les
cingà fix heures le tems ſe calma ; mais tout , autour
de nous donnoit des fignaux de détreſſe.
Le Glorieux , vaiſſeau de guerre , n'avoit plus que
ſon grand mât & celui d'artimon ; le Ramillies
n'en avoit plus ; le Centaure étoit totalement démâté.
D'une part , on ne voyoit que débris flottans
& couverts de naufragés , qui fai oient tous
leurs efforts pour nous informer de leur déſaſtre ,
luttant contre la fureur des vagues , s'efforçant à
émouvoir notre corapaffion , dans un moment où
nous ne pouvions leur donner que des larmes ;
notre propre vaiſſeau étoit entouré de requins voraces
, qui à l'approche de chaque ho le ſemblcient
attendre leur proie avec impatience Le
vent s'étant un peu appaiſe entre huit & neuf heures
, nous nous flattâmes de voir la fin de cet ou
ragan terrible ; mais vainement! la tempête s'éleva
de nouveau &les vents ſoufflèrent impétueuſement
juſqu'au vendredi. Deux jours après nous arraifonnâmes
un bâtiment marchand , qui avoit donné
un ſignal de détreſle ; c'étoit l'Anna , capitaine
Sherren; il nous pria de ne le pas quitter juſqu'au
lendemain, matin , & de recueillir ſon monde à
bord de notre navire : ce que le capitaine Fowler
promit & exécuta avec l'humanité qui le caractériſe.
L'Equipage de l'Anna , compofé de hommes
abandonna ce bâtiment entièrement délabré
&fut reçu ſur le nôtre. L'après midi nous vîmes
19 navires marchands , ſous l'eſcorte du Ramillies
qui tira un coup de détreſſe; nous apprimes
que l'intention de l'Amiral étoit d'abandonner le
lendemain matin ſon vaiſſeau; il demandoit à ces
,
) ( 68 )
effet que tous les autres bâtimens reſtaſſent avec
lui . Le ſamedi matin, après la perte de ſes voiles ,
de tous ſes mats , excepté celui de miſaine , le
gouvernail & le pont du milieu briſés , tous les
canons , la poudre , les boulets , les ancres , les
cables jettés en mer , ayant déja plus de neufpieds
d'eau , l'Amiral ſe décida à l'abandonner , & après
avoir envoyé ſon monde à bord des autres bâtimens
, il ordonna d'y mettre le feu l'après - midi .
La fumée & les flammes horribles qui , de toutes
parts , fortoient du Ramillies , la quantité de cha
loupes en iner , occupées au transport de cet équi
page , joint à l'importance de cette perte , formoment
un tableau des plus frappans . Le capitaine
Fowler accueillit à ſon bord le Capitaine , & quatre
Officiers & so matelots ou mariniers , qu'il a
tous amenés heureaſement en Angleterre &.
L'heureuſe arrivée des quatre navires de
la Compagnie des Indes le Duc de Portland ,
le Ponfomby , le Contracter & la Royale-
Charlotte ſous l'eſcorte du Medway de 64
canons, a confolé nos négocians, mais elle ne
les dédommage pas du déſaſtre qu'a éprouvé
la flotte de la Jamaïque. Ces navires font
entrés à Porafmouth ; ils étoient partis de
Sainte-Hélène le 7 Août.
>>Les chargemens de ces 4 vaiſſeaux , dit un
de nos papiers , font regardés comme égalant en
valeur ceux des plus riches qui ſoient jamais venus
d'Afie. Ils ont été à Madraſs & en Chine. Leurs
équipages ſont preſqu'entièrement Lafcars , leurs
matelots ayant été preſſés immédiatement après leur
arrivéedans l'Inde pour équiper les vaiſſeaux de S.M.
Les opérations diſpendieuſes qui ont eu lieu for le
Continent , ont réduit les finances de la Compagnie
à un très-triſte état; ce dérangement a oc
( 69 )
caſionné de très-grands inconvéniens, & rendu très
précaires les moyens de continuer la guerre contre
Hyder -Aly. L'armée de cet ennemi redoutable ,
avant la jonction des troupes Françoiſes , montoit
à75,000 hommes , dont la plupart étoient de Cavalerie;
on ajoute qu'ils font mal diſciplinés. Les
François qui l'ont joint lui ont fourni un train conſidérable
d'artillerie. Depuis ſa dernière défaite
Hyder - Aly a reçu de ſon pays un renfort de
20,000 hommes de Cavalerie ".
On attend toujours avec autant d'impatience
que de curioſité des nouvelles de la
million de l'Amiral Howe. On s'attend qu'il
pourra bien les apporter lui même ; ſi les
vents qui règnent dans le Détroit pendant
cette ſaiſon ſont ordinairement dangereux ,
ils peuvent lui devenir favorables ; & dans
ce moment il doit avoir manqué ſon expédition
ou l'avoir achevée heureuſement ,
&être en route pour revenir.
>> Le Lord George Gordon , dit un de nos papiers
, vient de ſe remettre encore en ſpectacle. Il
a écrit au Comte de Shelburne pour lui demander
fi le Cabinet actuel de S. M. approuvoit la déclaration
contenue dans la lettre que l'on dit avoiς
été envoyée par le Chevalier Guy-Carleton & par
l'Amiral Digby , au Général Washington , ſavoir :
>> Que le Roi pour éviter tous les obſtacles qui
pourroient s'oppoſer au rétabliſſement de la paix ,
qu'il a fi fort à coeur , a chargé ſes Miniftres
d'ordonner à M. Grenville de commencer par propoſer
Tindépendance des Etats - Unis , au lieu
d'en faire une des conditions d'un traité général «.
le Lord Gordon dit qu'il ne fait cette démarche que
ſur les inſtances réitérées des corps les plus conuderables
des ſujets de S. M. dans le Royaume d'Ecoſſe ;
( 70 )
&il ajoute qu'en effet cette prétendue lettre n'étant
ni reconnue authentiquement , ni déſavouée par le
Miniſtère, donnelieu a de vivesinquiétudes parmi les
partis oppoſés . Ceux qui defirent ardemment la paix
avec leurs frères les Américains , craignent que ce
ne ſoit une pièce ſuppoſée ; & ceux qui ont approuvé
&foutenu la guerre , regardent avec chagrin le ſalence
du Cabinet comme une preuve de ſon authenticité.
Il ſe plaint , au nom des Ecoſſois , de la méintelligencequi
ſemble régner dans le Cabinet,&va même
juſqu'à dire que les Peuples penſent qu'on ſe joue de
l'honneur des Royaumes unis ; il finit par prier le
Lord Shelburne de lui marquer d'une manière précife
ſi la propoſition de l'indépendance eſt en effer
une meſure approuvée ou non par le ministère de
S. M.
FRANCE.
De VERSAILLES , les Novembre:
Le Roi a nommé à l'Abbaye de S. Epvre ,
Ordre de S. Benoît , Diocèse de Toul
l'Evêque de Meaux ; à l'Abbaye de Chaumont-
la-Piſcine , Ordre de Prémontré ,Diocèſe
de Reims , l'Abbé de St - Albin ; à
l'Abbaye de Peſſeigne , Ordre de Citeaux ,
Diocèſe du Mans , l'Abbé Pericaud , fur la
nomination &préſentation de Monfieur , en
vertu de fon apanage .
De PARIS , les Novembre.
LES Couriers du Cabinet d'Eſpagne ſe
ſont ſuccédés affez rapidement. Il en eſt ar-
2
( 71 )
rivé deux la ſemaine dernière ; le premie
ne donna aucune nouvelle des flottes depuis
qu'on les avoit perdues de vûe le 14 au ſoir.
Il nous apprit que Mgr. le Comte d'Artois
étoit parti du camp le 19 , & M. le Duc
de Bourbon le 16 ; ces Princes étoient attendus
à Madrid le 27 & le 28. Le plus
grand nombre des bâtimens échoués dans la
nuit du 10 au 11 , & fur-tout les chaloupes
canonnières, avoient été relevées. Le vaiſſeau
Anglois de 60 canons , qui avoit mouillé à
la pointe d'Europe , & qu'on croyoit être
le Panthère , en avoit appareillé pour entrer
dans la Méditerranée ; il craignoit les bombardes
qu'on ſe préparoit à envoyer de ce
côré la nuit ſuivante. Il étoit auſſi queſtion à
Algéſiras d'aller brûler le St- Michel , échoué ,
comme on l'a dit , près du Boulevard neuf
entre les Môles.
Le ſecond Courier qui arriva le lendemain
, informa l'Ambaſſadeur d'Eſpagne ,
que l'Amiral Howe, favorisé par le vent, étoit
forti de la Méditerranée ſans avoir pu être
entamée. Il avoit laiffé à Gibraltar le reſte de
fon convoi , & le 19 il s'éloignoit. L'armée
combinée avoit paru ce jour-là dans le Détroit
, & n'étoit éloignée que d'une lieue &
demie de la flotte Angloiſe.
Il paroît , d'après une lettre particulière ;
que la nuit du 15 , l'Amiral Howe , en éteignant
ſcs feux , parvint à ſe derober à la vûe
de l'armée combinée ; qu'il profita enſuite
( 72 )
d'un vent d'eſt qui dura quelques heures ;
pour faire paffer une partie de ſon efcadre
dans labaie deGibraltar , car l'autre arrêtée
par le vent d'oueſt , fut près d'un jour de
l'autre côté du Détroit. L'armée combinée
pouffée au loin par les vents qui régnoient
le 14 & le 15 , ne put revenir ſur ſes pas
auſſi vite que les vaiſſeaux Anglois , & ne
parut dans le Détroit que le 19 ; mais il
n'étoit plus tems ; l'Amiral Howe favorisé
par une autre briſe de l'eſt , parvint à ſe rallier
entièrement ce jour là avec les vaiſſeaux
entrés la veille , & il s'éloigna. Il faut qu'il
ait eubeau tems depuis ce moment , car fi
le vent d'ouest l'avoit forcé de rétrograder
&d'entrer une ſeconde fois dans le Détroit ,
nous le ſaurions aujourd'hui.
Les journaux du camp de St Roch apportés
par ces Couriers , contiennent les
détails ſuivans fur les difficultés que leGouverneur
de la place avoit fait naître au ſujet
de l'échange des prifonniers.
» Il avoit envoyé à différentes repriſes le Commandant
de ſa Marine , à Puente-Majorca , & M. de
Maflarado avoit été lui-même àGibraltar , pour conférer
avec lui & lever toutes les difficultés, M. Elliot
vouloit d'abord envoyer à San-Lucar un Commiſſaire,
chargé d'examiner ſi l'on pouvoit renvoyer en Angicterre
le même nombre de priſonniers qu'il alloit
remettre aux Eſpagnols. It ne prétendoit rien moins
quede les faire embarquer ſous les yeux de ce Com
miflaire. Une défiance auſſi injurieuſe fit refuſer tou
tes ſes propoſitions , & M. Elliot fut obligé de ſe
contenter de la parole qu'on donna , de ſuivre dans
/
cet
( 73 )
cet échange les règles établies par le cartel convenu
entre les deux Cours ; il renvoya donc tous les prifonniers
le 8 au matin , excepté 46 foldats , Walons,
Suiſſes , &c. qui ont pris parti dans ſes troupes .
Ceux qui font revenus au Camp ne peuvent pas
comprendre le metif qui a déterminé leurs camarades
à
-Ces
s'engager au ſervice de la place , les travaux,
étant exceſſifs , les troupes alors réduites à la demiration
, & n'ayant pas même la quantité d'eau néceſſaire
à leurs beſoins les plus ordinares
petites tracaſſeries & la conduite da Gouverneur
Elliot , dans des occaſions plus importantes , font
cauſe qu'on est fort mécontent de lui dans le Camp
depuis l'attaque des batteries flottantes ; non pas ,
comme l'ont prétendu ridiculement pluſieurs gazettes
étrangères , qu'il n'eût pas le droit de tirer a boulets
rouges ſur les prames ; mais on lui reproche
avec raiſon de s'être ſervi de ces machines deftructives
contre des bâtimens battus par la tempête ; le
Triomphant fut accueilli de cette mantère à l'inftant
où il alloit périr. Le Général Elliot auroit dû ſe
ſouvenir qu'en pareille circonftance , & en tems de
guerre , un Gouverneur de la Havane fut plus
humain& plus généreux ; il ne fit pas tirer à boulets
rouges ſur le vaiſſeau Arglois , que la tempête
lui envoycit , il ne le reçut pas même à coups de
canon ; mais l'ayant accueilli amicalement , il pourvut
à ſes beſoins , lui donna tout le tems qu'il lui
falloit pour ſe réparer , & le renvoya , ne vou'ant
pas , dit- il , profiter du hafard malheureux qui
Lavoit forcé de relâcher dans un Port ennemi " .
Les mêmes nouvelles d'Eſpagne porrent
que le 16 le vaiſſeau le Sceptre & la frégate
l'Engageante qui ont fait l'expédition
de la baie d'Hudſon , ſont entrés dans le
port de Cadix.
M. le Comte d'Estaing qui avoit pris
9 Novembre 1782 . d
1
( 74 )
congé da Roi , il y a quelques jours , eft
parti Vendredi dernier.
>>> Le Réfléchi & la Provence , écrit-on de Breft ,
font revenus de leur croiſière ; ils ont amené 2 ou
3 priſes . Le Conquérant va bientôt mettre ſous
voile , pour aller croiſer dans nos eaux avec 2
frégates.-Le Conſeil de guerre pour le Pégase &
l'Actionnaire , a terminé entièrement ſes léances
&rendu fon jugement , qui a été envoyé à la Cour.
Un autre Conteil de guerre va s'aſſembler , pour
s'occuper des Capitaines qui ont rendu à l'ennemi
le Caton & le Jafon , ainſi que la frégate l'Hébé «.
On lit dans des lettres de différens, ports
les détails ſuivans ſur les croiſières de quel
ques-uns de nos corfires.
Le 20 du mois dernier le corſaire de Dunkerque
l'Aigle a déposé dans ce port les prifonniers de 3
bâtimens dont il s'étoit emparé le 18 à la hauteur de
Torbay ; l'une de ces priſes est l'Aurore de 160 tonneaux
, chargée de ſel à Liverpool pour Linn , qui eſt
arrivée le lendemain dans le même port ; la deuxième
la Liberté d'environ 120 tonneaux , chargée de lard ,
de boeuf , de beurre & de douvelles , partie de Dublin
pour Londres , a été conduite le 21 au Havre.
-Le 21 , la caiche Angloiſe la Petite Renommée ,
du port de 60 tonneaux , percée pour to canons ,
entra à Calais ; elle alloit de Portsmouth à Londres
, chargée de cordages & de voiles ; & elle
a été prie par 3 Américains échappés des priſons ,
qui traverſoient la Manche dans une chaloupe qu'ils
avoient e levée à l'Ifle de Wight. -Les corfaires
de Dunkerque le Gros Thomas &le Rongeur y envoyèrent
le 24; le premier , le brigantin Anglois le
Friendship de 80 tonneaux & le ſhop le William
& l'Elifabeth de 100 ; le ſecond , deux bricqs Anglois
la Rofe & Jean & \' Unité. La Comteffe
d'Avauxde Dunkerque, conduifit le 18 à Cherbourg
( 75 )
lenavireAnglois la Pallas de 350 tonneaux , chargé
de ſucre , rum & gingembre. Il faifoit partie de la
flotte de la Jamaïque dont il avoit été léparé le 17
Sept. Le 16 , il étoit arivé dans le même port le
bricy Anglois la Marie-Anne du port de 60 tonneaux
, avec un chargement de 40 milliers de fer de
différente eſpèce , pris le 14 dans ſa toute de Jerſey
àDarmouth par le corſaire Hollandois le Fleſſinguois
qui a conduit au Havre un autre bâtiment Anglois le
Guillaume-Marie de 80 tonneaux , chargé detel. Le
24 , il a conduit à Cherbourg 2 autres priſes qu'il
avoit faites la veille ; le floop l'Amphitrite de so
tonneaux , allant de Guernesey à Londres avec un
chargementde vins , & les Deux- Frères de 60 tonneaux
allant ſur ſon leſt deJerſey à Southampton . Ce
corſaire a repris ſur-le-champ ſa croifière & s'eſt
emparé le lendemain 25 du pavire Anglois le Oack
de 230 tonneaux chargé de charbon de terre. Cette
priſe eſt arrivée le 27 en France.- Le 21 , un bricq
Eſpagnol d'environ 130 tonneaux entra à St-Malo.
Cebâtiment pris ſur les côtes d'Eſpagne par un corſaire
de Jerſey , étoit en route pour cette Iſle , lorf
qu'il s'eſt affalé ſur la côte de Bretagne ignorant
dans quels parages il étoit. Un Pilote Côtier de St-
Caft , croyant que c'étoit un navire François , ſe
rendit à bord pour le piloter & fut fort furpris de ſe
trouver parmi des Anglois. Le Maître de priſe inftroit
par le Pilote qu'il étoit ſur les côtes deBretagne,
voulut le forcer à gouverner lur Jerſey ; mais celuici
en le menaçant du fort la Latte ſous la portée duquel
il ſe trouvoit , parvint à conferver la barre &
àconduire le navire à St- Malo . Le corſaire Améri
cain le Boucanier de 20 canons a fait s priſes depuis
le 7 juſqu au 16 Octobre , dont 2 allant de la Jamaïque
à Londres , une de Québec à Bristol une de
Sainte-Lucie à Liverpool , & un paquebot allant de
Lisbonne à Fa mouth . I eſt entré à l'Orient avec
une priſe venant de la Jamaïque «.
d 2
( 76 )
On apprend de Toulon que le Crescent,
l'une des frégates qui avoient été pouffées du
Détroit de Gibraltar dans la Méditerranée
avec le St-Paul , la nuit du 10 au II du
mois dernier , eſt entré dans ce port. On
y a appris auſſi de Smyrne que le convoi
François deſtiné pour le Levant y étoit
arrivé. Il conſiſtoit en 17 bâtimens marchands
, dont 13 pour Smyrne & 4 pour
Conſtantinople ; ces derniers ont continué
leur route ſous l'eſcorte de la frégate le
Bordeaux,
>> Les gabarres la Gracieuse , la Durance & le
Rhône , commandées par M. Maurit , Lieutenant
de frégate , & par 2 Officiers auxiliaires , ajoutent
les mêmes lettres de Toulon , qui étoient parties il
y a quelque tems de ce Port , chargées de munitions
de guerre pour les vaiſſeaux du Roi , détachés aux
Mes , font revenus de leur miſſion & ont mouillé
le 14 dans cette rade,- Les corvettes la Poulette
& la Sardine , commandées par MM. le Chevalier
de Cogolin & de Font-Blanche , Lieutenants de vail
ſeau , font en rade , & n'attendent que l'ordre de
mettre à la voile. La Sirène , commandée par M.
Roubaud , Lieutenant de frégate , après avoir débar
quédes bois demâture & effuyé un léger radoub, a été
auſſi miſe en rade. Les 35 bâtimens de tranf
port, qui ont été frétés pour être chargés de munitions
de guerre & de bouche , font toujours dans
le Port ; on ignore leur destination .
M. Delpeche de Montereau , Conſeiller-
Honoraire en la Grand Chambre , de la Société
Royale d'Agriculture , qui a bien voulu
nous faire paffer 2 recettes pour empêcher
( 77 )
la bruine des bleds que nous avons in
férées dans un des Journaux du mois der
nier page 128 , nous a adreffé encore la
lettre ſuivante au ſujet de celle de M. de
Chanvallon. Les réflexions d'un citoyen
également diftingué par ſes places & par
fes talens fur l'uſage d'une drogue auffi
dangereuſe que l'arſenic ne ſauroient être
trop publiques.
>> Je crois devoir vous obſerver , M. , ſur la
Lettre qui veus a été écrite , & que vous avez
rapportée dans votre Journal page 180 , au ſujer
de l'Arſenic qu'on peut mettre avec sûreté dans la
ſemence des Bleds, que je perſiſterai toujours à
dire que cet ingrédient peut être fort dangere x
pour le Semeur qui n'y feroit pas la plus grande
attention : pourquoi , M , ne pas préférer la Recette
que je vous ai envoyée , comme aufli sûre
pour préſerver les Bleds de la bruine , & qui n'eft
point dangereuse , en ayant fait l'expérience dans
mes terres pendant 20 années , ainſi que la plus
grande partie des fermiers du Soiffonnois ?-Mon
état m'oblige de veiller à la sûreté des Citoyens :
l'Arfenic , ce poifon ſi ſubtil & fi défendu , devien
droit donc commun chez tous les Laboureurs ? Sou
vent leur armoire n'eſt point fermée ; un voisin mal
intentionné, même un enfant pourroit s'y méprendre
, & s'en ſervir ; une distraction coûteroit la
vie à ce Cultivateur : que d'accidents fâcheux na
pourroit-il point arriver ! Il faut donc éviter avec
ſoin tout ce qui peut nuire à l'humanité ; & la vie
d'un Citoyen eſt trop précieuſe à l'Etat pour ne
pas chercher tous les moyens de la lui conſerver :
je ſuis même perfuadé que le Gouvernement donneroit
des ordres pour empêcher l'uſage de l'Arfenic.-
Je vous prie , M. , de faire part de mes
₫ 3
( 78 )
obſervations dans votre premier Journal. Je fuis ,
figné DELPECH DE MONTEREAU , Confeiller honoraire
en la Grand Chambre & membre de la Société
Royale d'Agriculture «.
On a éprouvé le 19 du mois dernier ,
dans la Paroiſſe de Beuré près Vendeuvres ,
Election de Bar fur-Aube , un incendie qui
a réduit en cendres 45 maiſons & les granges
qui en dépendoient. Les habitans infortunés
n'ont pu ſauver que très-peu de
meubles ; ce déſaſtre a réduit à l'état le plus
fâcheux près de 200 perſonnes , la plupart
des Laboureurs , qui n'avoient pas fini leurs
femailles ,& qui ne peuvent les achever fans
fecours ; la plupart fans habits , fans logemens
, fans pain , ſans fourrages pour leurs
beftiaux , ont des droits à la pitié & la bienfaiſance.
Les perſonnes charitables qui voudront
leur faire paſſer les ſecours dont ils
ont un ſi preſſant beſoin , ſont priées de
les dépoſer chez M. Fieffé , Notaire , place
Baudoyer à Paris.
Parmi les différens tours de Filouterie &
Eſcroquerie , que la Justice panit tous les jours ,
celui de Catherine Lege , femme de Robert Leiſelet ,
que la tournelle da parlement de Paris à come
damné par ſon arrêt du 8 Août dernier , à être
attachée , au Carcan pendant 2 heures , un jour
de marché dans la ville dEffoye , avec écriteau
portant ce mot Efcroque & la comdamne en.
3 liv. damende , mérite d'être remarqué. L'Arrêt
imprimé & affiché porte les motifs de ſa condamnation
, elle a été déclarée duement atteinte
& convaincue d'avoir abuſé de la foibleffe & crédulité
de différens particuliers ;en ſe faiſant paſſfer
( 79 )
dans leur efprit pour une femme qui avoit le talent
de guérir ceux à qui quelqu'un avoit donné
& jetté des forts ; & pour les guérir , elle leur .
faifoit boire de l'eau - bénire , leur ordonnoit des
neuvaines , & de faire dire des meſſes au St-Eſprit ,
&par le moyen des cartes qu'elle tiroit , elle difoit
connoître la nature des ſorts jettés , & pouvoir
indiquer les perſonnes qui les avoient donné ;
ce qui excitoit des querelles & animofités trèsgrandes
dans les familles. Elle n'oublioit pas de
retirer des ſalaires de ſes peines ; elle ſe faifoic
donner par les uns pluſieurs ſommes d'argent , ou
faifoit faire par les autres des billets au profit
de fon mari <«.
Il y a dans les mines de Villefort dans
les Cévennes , 14 milliers de cuivre roſette
de la meilleure qualité , à vendre , à
raiſon de 22 fols la livre , priſe ſur les
lieux , & payables à Paris entre les mains
de M. Sorer , rue Vivienne , à l'Hôtel de
laCaiſſe d'Eſcompte. M. Soret a des échantillons
de ce cuivre à montrer aux acquéreurs.
Ontrouve auſſi ſur la mine , du plomb
dont on peut traiter à meſure des fontes.
Le Sr. Pain , Maître- ès-Arts de l'Univerſité
de Paris , ci-devant Maître de Penfion à Pontoiſe
voulant borner ſes ſoins à former un très - petit
nombre d'Elèves choiſis dans toute l'étendue du
Pian qu'il a donné en 1773 s'eft retiré à Vaureal ,
dans un emplacement commode , & très- falubre ,
fur les berds de l'Oife , à une liene de Pontoiſe.
Dans ce qui concerne l'étude des langues ; il joint
à la méthode très- connue du Dumarſais , la marche
indiquée dans les eſſais qui terminent l'ouvrage
qui a pour titre manière d'étudier les Langues.
It donne à ſes Elèves des leçons d'Hiſtoire
d 4
( 80 )
facrée , profane & nationale , de Géographie ,
de Sphère , d'Atithmétique , d'Algébre & de Géométrie
, à meſure que leur conception ſe développe.
Les ſuccès qu'il a obtenus tant qu'il lui a
été permis d'employer à Pontoiſe ſa méthode
particulière , ſont pour le Public les garants de
fon zèle. Le 25 du mois d'Août de chaque année ,
ſes Elèves rendront compte dans un exercice public
des leçons qu'il leur aura données. Il ne prend
pas plus de huit Jeunes - Gens. Le prix de la Penfion
eſt de 400 liv. par an . Le Maître de Mufique
ſeul n'y eſt pas compris. Encouragé par le
fuccès que ſa méthode a eu en pluſieurs occafions ,
& fur- tout avec des perſonnes conſtituées en place
aujourdhui , il ſe chargera de montrer le Latin ,
en douze ou quinze mois au plus , à un ou deux
Jeunes-Geus de feize ans. Dans ce cas le prix ſera
de 600 liv. , pour le tems qu'ils reſteront chez
lui. Les perſonnes qui défireront quelque détail ,
pourront s'adreſſer au Sr. Pain , à Vaureal près
Pontoiſe «.
On fait combien la Géographie a été juſqu'ici
négligée dans les Colléges, ſans doute
parce qu'on manquoit de cartes commodes
& qu'on n'avoit pas encore trouvé de plan
convenable pour enfeigner cette ſcience
dans les claffes les plus nombreuſes. M.
l'Abbé Grenet , Profeffeur au Collége de
Lisieux , vient de lever tous ces obſtacles
par l'Atlas & le plan qu'il vient de publier.
(1) Atlas porratif à l'uſage des Colléges , pour ſervir à l'intelligence
des Auteurs Claſſiques , dédié à l'Univerſité de Paris
, par M. l'Abbé Grenet , 44 Cartes , dont is anciennes &
29 modernes format in 4°. A Paris chez l'Auteur au
Collége de Lisieux , rue St Jean-de-Beauvais , & Colas , Libraire
, Place de Sorbonne. Le prix de l'Atlas , relié en parche(
81 )
1
On ne peut qu'en recommander l'ufage aux
Maîtres publics & particuliers ; fon ouvrage
n'eſt pas ſeulement utile à la jeuneſſe,
il est néceflaire à tous ceux qui liſent l'Hiftoire
ancienne & moderne ; les ſavans
même y trouveront de quoi ſe ſatisfaire. La
beauté de la gravure , l'exactitude du deffin ,
ne ſont pas l'unique mérite de cet Atlas ;
il corrige une multitude d'erreurs qui ſe
trouvent fur la plupart des cartes même
les plus eftimées ; on en jugera en voyant
celle de la mer Cafpienne dont le mértdien
décline de plus de 30 degrés , de la
Martinique dont le méridien décline également
de plus de 33 degrés , &c. tout
fait de cet Atlas une collection précieufe
qui doit mériter à M. l'Abbé Grenet la
reconnoiſſance du Public , & fartout celle
de la jeuneſſe dont il est le bienfaiteur.
On écrit de Besançon , que lors de la
naiſſance de Monſeigneur le Dauphin , les
Officiers municipaux de cette ville, pour
attirer plus fûrement la faveur du Ciel fur
les jours précieux de ce Prince , en fupprimant
alors les feux d'artifice & les repas
d'uſage , s'étoient mis en état de faire élever
quarante enfans qu'ils choiſirent dans la
min vert eſt de 28 liv . , chaque Carte ſéparément coûte 12 f.
La Géographie du même Auteur , 1 vol. in- 12 coûte , relié en
parchemin vert , 2 liv . 8 & 3 liv. relié en veau . Les perfonnes
de Province qui defireroient ſe procurer l'une & l'autre les
trouveront aux prix ci deſſus, francs de ports , en s'adreſſant
à l'Auteur. Elles affranchiront l'argent & les lettres de de
mandes.
ds
( 82 )
claſſe la plus indigente du peuple. Dans
l'eſpace d'onze mois , il n'en eſt mort que
trois .
J. Louis- François Bouin de Noiré , Seigneur
de Chezelles , Savari , &c . & c. , Conſeiller
d'Etat , Premier Préſident, Lieutenant-
Général du Bailliage Royal & Siége Préſidial
de Touraine , eft mort le 19 de ce mois ,
fort regretté dans tout le pays .
Jeanne-Françoiſe d'Avy , veuve de Jacques
de Nicole , Comte de Livarot , Meſtre-decamp
de Dragons , & précédemment Aidede-
camp de Charles XII , eſt morte au
Château de Mesnil-Durand en Normandie ,
dans ſa 75º année.
>> Henri Sibillion , écrit- on de Dourdan , né à
Montaiſon en Dauphiné le 14 Juillet 1678 , eft
décéde à Longwy , diocèſe de Trèves , le 18 du
préſent mois d'Octobre , âgé de 104 ans ; mois ;
il prit le parti des armes à l'âge de 22 ans , ſous
le règne de Louis XIV , dans le régiment de Bourgogne
cavalerie; il a terminé ſon ſervice à la
mort de ce grand Roi ; il s'eſt marié à l'âge de
38 ans , vécut avec ſon épouſe l'eſpace de 56 ; il
étoit veuf depuis re ans. Ce reſpectable vieillard ,
n'a eſſuyé aucune maladie pendant ſa vie , & a
conſervé toute ſa gaieté , ſa connoiſſance , & fon
appétit juſqu'au dernier inſtant. Il étoit père de
cinq enfans , dont deux ſont morts accidentellement
au ſervice du Roi , les autres font d'une
conftitution à pouſſer leur carrière auſſi loin: nous
renons ces particularités d'un de ſes petits - fils ,
maître de Penſion à Dourdan 10 lienes de Paris ".
Le Numéros ſortis au Tirage de la Loterie
( 83 )
Royale de France , du 2 de ce mois , font :
55,22,21,86 & 72 .
De BRUXELLES , les Novembre.
LES recherches ſur l'état de la marine
Hollandoiſe , ſa direction , & les cauſes de
fon inaction , occupent toujours les différentes
Provinces. Maintenant elles étendent
ces recherches aux motifs qui ont empêché
le départ des vaiſſeaux de 60 canons , 3
de so , une frégate de 36 , une de 24 , &
un cutter , ſous les ordres du Vice-Amiral
Hartfinck , pour agir de concert avec la
France. Les Etats de Friſe ont les premiers
pris une réſolution ſur ce ſujet ; ceux de
Hollande & de Weſtfriſe en ont pris une
ſemblable. On croit que dans les autres
Provinces il en ſera pris de pareilles ; les
cauſes qui ſe ſont oppoſées à cet envoi font ,
dit- on, le manque de vivres , de cordages
de voiles , d'ancres , d'habits pour les équipages
, & autres articles néceſſaires.
ככ Comment est-il poſſible, obſervent les Etats
de Friſe , que ces vaiſſeaux qui, ſuivant les étars
de la Marine avoient été mis en commiſſion juf
qu'au premier Mai 1783 , manquent à préſent de
vivres , puiſque le tems de leur ſervice n'est pas
ſi près d'expirer , & que les vaiſſeaux ont été renfermés,
pour ainſi dire, tout ce tems dans les ports;
qu'ainſi les Capitaines qui ſeuls font tenus de pourvoir
leurs équipages de vivres , paroiffent avoir
eu l'occaſion & la facilité de remplacer de tems
en tems ce qui leur manqueit ?- Comment est- il
arrivé que ces vaiſſeaux qui devoient s'attendre
journellement à recevoir l'ordre de fortir , & par
d 6
( 84 )
conféquent à un combat avec l'ennemi , qui même
avoient déja reçu à cet effet les ordres de V. A. ,
aient manqué de voiles de rechangé & de cordages
, vu qu'en cas d'action , on devoit certainement
s'attendre que les voiles qu'ils porteroient feroient
percées & rendues inutiles , & qu'ainſi l'on ſerois
obligé d'en enverguer d'autres à leur place c«,
En attendant les éclairciſſemens que follicitent
les Provinces , ont dit que le Stadhouder
a jugé à propos d'établir un Comité
, qui le ſoulagera dans la direction des
affaires de la marine . Ce Comité eſt compoſe
du Lieutenant Amiral Baron de Waffenaer ,
des Vice-Amiraux Reynst & Zoutman , du
contre Amiral Vankinsbergen , & de MM.
Biſdom &Vander Hoop , Conſeillers fiſcaux
de l'Amirauté aux départemens de la Meuſe
&d'Amſterdam .
L'affaire de l'Enſeigne de Witte , prifonnier
à la Haye , & jugé par le Conſeil militaire
, fait beaucoup de bruit. Comme le
coupable a été réclamé par les Etats de Hollande,
& que le Stadhouder croit qu'il a
été jugé par un Tribunal compétent , il a
expoſé le fait aux Etats-Genéraux , dans une
lettre dont nous extrairons ſeulement l'hiftorique
du délit.
>> Il y a quelque tems que nous avons été informés
qu'on avoit découvert à M.le Grand Penfionnaire
, qu'il ſe tramoit un plan pour introduire à
la faveur des nuits obfcures d'Octobre , 1500 ernemis
au Nord de l'Ile de Schowen , au Sud de
Goerée & vis-à-vis de Flaquée. Cer avis étant de
la dernière conféquence, nous avons envoyé deue
( 85 )
Officiers de marque à Brouwershaven , avec ordre
de faire des recherches & de s'empater de l'Enfeigne
de Witte & de ſes papiers. Cer Enſeigne conduit
à la Haye , a été mis en joſtice & diverſes
fois interrogé devant le haut Confeil de guerre
des Pays-Bas-Unis. Il a confeffé en ſubſtance, qu'il
avoit premis à un certain Jardinier , tenant une
pépinière d'arbres , nommé,Van- Brakel , qui lui
en avoit fait la propoſition, de favorifer & fecourir
l'ennemi lorſqu'il pourroit entreprendre une
defcente ſur l'Iſle de Schouwen , & que lui de Witte
tâcheroit de commander ſeul à Brouwershaven ,
ainſi qu'à la batterie nommée Den-Os ; qu'il avoir
indiqué de bouche & par écrit à Van-Brakel, combien
il y avoit de batteries & de pièces de canon
dans l'Ifle , par combien d'Officiers & dhommes
elles étoient gardées , & qui commande à Hamfſtede;
qu'il avoit donné à Brakel une petire Carte
de l'ifle de Schouwen , laquelle n'éroit pas bien
deffinée , mais fatisfaiſante pour l'uſage ; que fur
cette peti e Carte étoient marqués les bancs, les
non-profondeurs , ainſi que la hauteur des eaux atour
de l'Ifle , & qu'il avoit promis une autre Carte
mieux deſſinée .... Le prifonnier a affirmé folemnellement
qu'il n'avoit jamais parlé à qui que ce
foit de cette affaire , qu'à Van-Brakel. Les interrogations
finies , il a été jugé ; après quoi leHaut-
Confeil a propoſé de faire faire des recherches
contre Brakel , par ſon juge compétent , on crut
donc devoir en donner connoiffance à la Cour de
Hollande , en yjoignant les pièces da procès , &c.
Suite du Traité entre les Provinces-Unies des Pays-
Bas & les Etats Unis de l'Amérique.
5°. Leurs Hautes Puiſſances les Erars -Géné
raux des Pays Bas-Unis , & les Etats- Unis de l'Amérique
, tâcheront , autant qu'il eſt en leur pouvoir
de défendre & protéger 2 tous les vaiſſeaux
( 86 )
&autres effets appartenants aux ſujets & habi
tans reſpectifs , ou à quelqu'un d'eux , dans leurs
ports ou rades , mers internes , paſſes , rivières ,
& auffi loin que leur Jurisdiction s'etend en mer ,
& de recouvrer & faire reſtituer aux vrais propriétaires
, àleurs agens ou mandataires , tous tels
vaiſſeaux & effets , qui feront pris ſous leurs Jurifdictions
; & leurs vaiſſeaux de guerre convoyants ,
dans le cas où ils pourroient avoir un ennemi commun,
prendront ſous leur protection tous les vaiſ
ſeaux appartenants aux fojets & habitans de part
& d'autre , qui ne feront point chargés d'effets de
contrebande , felon la deſcription qu'on en fera ciaprès
, pour des places , avec leſquelles l'une des
parties eſt en paix & l'autre en guerre , ni deftinés
pour quelque place bloquée , & qui tiendront
le même cours ou foivront la même route ; & ils
défendront tels vaiſſeaux auſſi long-tems qu'ils tiendront
le même cours ou fuivront la même route ,
contre toute attaque , force & violence de l'ennemi
commun , de la même manière qu'ils devroient
protéger & défendre les vaiſſeaux , appartenants
aux ſujets propres reſpectifs . 69. Les ſujets
des parties contractantes pourront , de part &
d'autre , dans les pays & Etats reſpectifs , diſpoſer
de leurs biens par testament , donation , ou autrement;
& leurs héritiers , ſujets de l'une des parties
& domiciliés dans les pays de l'autre ouailleurs
, recevront telles ſucceſſions , même ab inteftat
, ſoit en perſonne , ſoit par leur fondé de
procuration ou mandataire , quand même ils n'auroient
pas obtenu des lettres de naturaliſation , fans
que l'effet de telle commiſſion puiſſe leur être conteſté
, ſous prétexte de quelques droits ou préiogatives
de quelque province, ville ou particulier .;
&, fi les héritiers , à qui les ſucceſſions pourroient
être échues , étoient mineurs , les tuteurs
ou curateurs , établis par le juge domiciliaire def.
( 87 )
dits mineurs , pourront régir , diriger , adminifther
, vendre & aliéner les biens échus auxdits mineurs
par héritage , & , en général , à l'égard des
ſuſdites ſucceſſions & biens , uſer de tous les droits
& remplir toutes les fonctions , qui appartiennent
par la diſpoſition des loix à des tuteurs & curateurs
, bien entendu néanmoins , que cette diſpoſi
tion ne pourra avoir lieu que dans le cas eù le
teſtareur n'aura pas nommé des tuteurs ou curateurs
par teftament codicile , ou autre inſtrument
légal . 7°. Il ſera juſte & permis aux ſujets de chaque
partie d'employer tels avocats , procureurs ,
notaires , folliciteurs ou facteurs , qu'ils jugeront
à propos. 8°. Les marchands , patrons & propriétaires
des navires , matelots , gens de toute forte ,
vaiſſeaux & bâtimens , & en général aucunes marchandiſes
ni aucuns effets de chacun des alliés ou
de leurs ſujets , ne pourront être aſſujettis à un embargo
ni retenus dans aucun des pays , territoires ,
ifles , villes, places , ports, rivages ou domaines quelconque
de l'autre allié , pour quelque expédition
militaire , uſage public ou particulier de qui que
ce foit , par ſaiſie, par force , en de quelque manière
ſemblable. D'autant moins ſera - t - il permis
aux ſujets de chacune des parties de prendre ou enlever
par force quelque choſe aux ſujets de l'autre
partie ſans le confentement du propriétaire.
Ce qui néanmoins ne doit pas s'entendre des
ſaiſies détentions , & arrêts , qui ſe feront
par ordre & autorité de la Juſtice , & felon les
voies ordinaires , pour dettes ou délits , au ſujet
deſquels il devra être procédé par voie de droit
ſelon les formes de Juſtice. 9°. De plus , il a été
convenu & conclu , qu'il fera parfaitement loiſfible à
tous Marchands , Commandans de navires & autres
ſujets des parties contractantes , en tous lieux ſoumis
reſpectivement à la jurisdiction des deux Pail
ſances , de gérer eux-mêmes leurs propres affai-
,
,
( 88 )
,
res ; & qu'en outre , quant à l'uſage des interpretes
on courtiers , comme auffi à l'égard du chargement
ou déchargement de leurs navires & de tout ce
qui y a rapport, ils ſerant , de part & d'autre ,
conſidérés & traités fur le pied des ſujets propres,
&, pour le moins en égalité avec la nation la
plus favorisée. 10º. Les vaiſſeaux marchands de
chacune des parties , venans , ſoit d'un port ennemi ,
ou du leur propre , & d'un neutre , pourront naviguer
librement vers un port d'un des ennemis d'un
autre allié ; mais feront obligés auſſi ſouvent qu'on
le leur demandera , d'exhiber leurs lettres de mer
& autres congés , décrits dans le 24e. article , auffi
bien en pleive mer que dans les ports ; montrant
expreffément que leurs effers ne font pas de ceux
qui font prohibés comme contrebande , & que n'etant
chargés d'aucune contrebande , ils peuvent
poursuivre leur voyage librement & fans empechement
, vers un port ennemi ; mais l'on n'exigera
aucune vifire des papiers , des vaiſeaux qui
feront ſous le convoi de navires de guerre; & l'on
ajoutera foi à la parole de l'Officier qui conduit
le convoi. 11º. Au cas qu'à l'inſpection des lettres
de mer & autres congés déduits plus au long
dans le 246. article, l'autre partie découvre qu'il
y a quelques-uns de cette forte d'effets qui font
declarés prohibés & de contrebande & deſtinés pour
un port, ſous la dépendance de l'ennemi , il ne ſera
pas permis de briſer les caiffes d'un tel vaiſſeau
ni d'ouvrir aucun coffre , caiffe , malle , paquet ou
quelque barril qui s'y trouveront , ni de déplacer
la moindre partie de ſes effets ; foir que de tels
vaiſſeaux appartienent aux ſujets de LL. HH. PP.
les Etats-Généraux des pays Bas-Unis , ou aux fujets
& habitans deſdits Etats-Unis de l'Amérique;
àmoins que la cargaifon ne foit portée à terre en
préſence des Officiers de la Cour d'Amirauté &
qu'il n'en foit fair un inventaire; mais il ne fera
) و (
permis en aucune façon de les vendre , échanger
ou aliéner , que lorſque des procédures convenables
& légitimes auront été faites contre ces fortes
d'effets de contrebande , & que la Cour d'Amirauté
les aura confiſqués par une ſentence pros
noncée , mais laitſant toujours libre , ſoit le vaif
ſeau, ſoit quelques autres des effets y trouvés , qui
font regardés comme libres & ne pourront être
retenus ſous prétexte qu'ils auroient reçu la tache
d'effets prohibés ; encore moins feront-ils confil
qués comme priſe légitime. Mais , au contraire ,
quand il ſera trouvé dans une viſite ſur terre , qu'il
n'y a aucune denrée de contrebande dans les vail
feaux , & qu'il ne paroît pas à l'infpection des
papiers , que le capteur & l'ameneut aient pu le
découvrir par-là, il ſera condamné à tous les frais
& dommages qu'il aura cauſés aux propriétaires
& aux fréteurs des effets dans ces vaiſſeaux , avec
les intérécs ; étant expreſſément déclaré , qu'un vai
fean franc affranchira les effets qui fontà fon bord,
& que cette franchiſe s'étendra fur les perſonnes
qui s'y trouveront ; leſquelles n'en pourront être
enlevées , à moins qu'elles ne foient des gens de
guerre , au ſervice effectif de l'ennemi. 12º. Au
contraire , il est convenu que tout ce que l'on trouvera
chargé par les ſujets & habitans dune des
deux parties , dans quelque vaiffeau , appartenant
aux ennemis d'un autre , ou à leurs ſujers , pourra
être entièrement confifqué , quoique n'étant pas
de l'eſpèce des effets prohibés , de la mêmee manière
que s'ils appartenoient à l'ennemi à l'exceptionde
tels effets & marchandiſes qui auront éτά
portés à bord d'un tel vaiſſeau avant la déclaration
de guerre , ou dans les fix mois après cette
déclaration ; lesquels effets ne feront aucunement
ſujets à confiſcation , mais feront reſtitués en nature
, fidèlement & fans délai , aux propriétaires
qui les demanderont , ou les feront demander avec
,
( 90 )
la confiſcation & la vente ; ainſi que le provenu
d'iceux , fi la reclame peut ſe faire dans les huit
mois après la vente qu'il faudra faire publiquement;
mais au cas que leſdites marchandiſes ſeient
de contrebande , il ne ſera plus permis de les
tranſporter après cela , dans quelque port appartenant
aux ennemis . 13 °. Afin que l'on puiſſe prendre
le plus grand foin pour la ſécurité des ſujets
&des gens de l'une des deux parties , afin qu'ils
n'ayent à ſouffrir aucune moleftation des vaiſſeaux
de guerre ou corſaires d'une autre partie , il ſera
fait défenſe à tous les commandans des vaiſſeaux
de guerre & des bâtimens armés de dits Etats-Généraux
des Pays- Bas-Unis & deſdits Etats-Unis de
l'Amérique , ainſi qu'à tous les Officiers , ſujets &
gens , de caufer aucune offenſe ou dommage
à ceux de l'autre partie ; & s'ils agiffent autrement
, ils feront , aux premières plaintes qu'on en
fera , punis par leurs propres Juges & obligés en
outre de donner fatisfaction pour tous les dommages
, avec les intérêts d'iceux , & l'indemnifation,
ſous peine & engagement de leurs perſonnes
& de leurs biens. 14°. Pour mieux expliquer ce que
ci-deſſus, tous les capitaines ou fréteurs de vaificaur,
équipés en guerre , pour une commiffion ou deftinationparticulière
, feront tenus , avant leur départ ,
de donner bonne & fuffisante caution devant les Juges
compétens , ou de répondre entout des malverſations
qu'ils pourroient commettre dans leurs courſes
ou leurs voyages , & pour les contraventions de
leurs Capitaines & Officiers au Traité préſent , &
aux Ordonnances & Edits qui ſeront publiés , en
vertu& en conformité des diſpoſitions d'icelui , fous
peine de caſſation & de nullité deſdites Commiffions.
15º . Tous les vaiſſeaux & marchandises de
telle nature qu'elles ſoient , qui ſeroient repris des
pirates & corſaires naviguans en pleine mer fans
( 91 )
commiffion convenable , feront conduits dans quelque
port d'un des deux Etats , & feront confiés à
la garde des Officiers du port , afin d'être entièrement
reftitués au propriétaire légitime , auſſi - tôt
qu'il ſera fourni des preuves fufifantes & convenables
de leur propriété. 16°º. Si quelques bâtimens
ou vaiſſeaux , appartenans à l'une des deux Parties ,
àſes ſujets ou habitans , viennent à échouer , périr
ou effuyer quelqu'autre dommage maritume ſur les
côtes ou les domaines d'une autre , on donnera
toute affiftance & fecours d'amis aux perſonnes qui
auront fait naufrage , ou qui se trouveront dans le
péril. Et les vaſſeaux , effets & marchandises , &
tout ce qui pourra être ſauvé , ou le provenu d'icelui
, au cas que ces effets ſoient de nature s ſe garer ,
ſeront vendus , le tout par les patrons , ou par les
propriétaires , ou par leurs ayant-canſe, & réclamés
dans l'année & jour , pourvu qu'ils acquittent feulement
les dépenses raisonnables , & ce qui doit
être payé par les propres Sujets dans un cas ſemblable,
pour le ſalaire des effets ſauvés : des lettres
de paſſe-port leur feront pareillement délivrées pour
leur paſſage libre & tranquille de cet endroit , &
pour le retour de chacun dans ſon propre pays.
17º. Au cas que les ſujets ou habitans de l'une des
deux Parties , avec leurs vaiſſeaux , ſoit naviguans
en public & en guerre , ſoit équipés en particulier
& pour le commerce , foient contraints par un tems
orageux , par la chaſſe des corfaires ou des ennemis
, ou par quelque autre néceffité preſſante , pour
gagner un alyle ou port , de ſe retirer dans quelqu'ane
des rivières , criques , bayes , rades ou côtes
, appartenant à l'autre partie , ils ſeront reçus
avec toute l'humanité & la bonne volonté ; & on
leur permettra de ſe rafraîchir & de ſe pourvoir
àdes prix raiſonnables , de proviſions de bouche
& de toutes choſes néceſſaires pour l'entretien
( 92 )
1
>
,
de leurs perſonnes oa réparation de leurs
vaiſſeaux ; & ils ne feront aucunement retenus
ou empêchés de ſortir defdits ports ou rades ;
mais ils pourront mettre à la voile & partir ,
quand & où il leur plaira , fans aucun obstacle ou
empêchément . 18°. Pour mieux continuer le commerce
réciproque , il eſt convenu que s'il ſurvenoit
une guerre entre Leurs Hautes- Puiſſances les
Erats-Généraux des Pays- Bas - Unis & les Etats-
Uns de l'Amérique il ſera toujours donné
aux Sajets de l'un ou de l'aatre Partie , le terme de
neuf mois , après la date de la rupture ou de la
déclaration de guerre , pour pouvoir ſe retirer avec
tous leurs effess , & pour les tranſporter ou il leur
plaira; ce qui leur fera permis de faire , ainſi que
de pouvoir vendre ou tranſporter leurs effets ou
meubles en toute liberté, fans qu'on leur cauſe en
cela aucune moleftation , ſans que , pendant le tems
defdits neuf mois , on puitſe procéder à quelque
arrêt ſur leur perſonne : mais il leur ſera , au contraire
, pour leurs vaiſſeaux & effers qu'ils vou
dront emmener avec eux , délivré des lettres de
paffe-port pour les plus prochains ports de l'un ou
de l'autre pays , pour le tems néceſſaire à ce voyage.
En outre , on ne déclarera rien de ce qui aura été
enlevé fur mer , de bonne priſe , à moins que la
déclaration de guerre n'ait été connue ou n'ait pu
l'être dans le port que le vaiſſeau pris aura quitté
le dernier ; mais il fera , avant tout, donné pleine
fatisfaction pour ce qui auroit été pris aux ſujets
ou habitans de l'une ou de l'autre Partie dans les
termes ſtipulés ci-deſſus , & pour les offenſes qu'on
pourroit leur avoir faite. 19°. Aucun Sajet de
LL. HH. PP. les Etats - Généraux des Pays -Bar-
Unis , ne pourra demander ou accepter d'aucun
Prince ou Etat , avec lequel leſdits Etats- Unis
( 93 )
de l'Amérique peuvent être en guerre , quelque
commiffion ou lestre de marque pour armer
quelque vaiſſeau ou vaiſſeaux , pour agir comme
armateur contre leſdits Etats - Unis de l'Amérique
, ou quelqu'un d'eux , ou contre les ſujets
& habitans deſdits Etats -Unis , ou quelqu'un d'entr'eux
, ou contre les propriétés des habitans d'aucund'eux;
ni aucun ſujet ou habitant deſdits Etats-
Unis de l'Amérique ni d'aucun d'eux , ne pourra
demander on accepter d'aucun Prince ou Etat , avec
lequel LL. HH. PP. les Etats-Généraux des Pays-
Unis ſeroient en guerre , aucune commiffion ou
lettre de marque , pour armer quelque vaiſſean ou
vaiſſeaux , pour aller en courſe contre leſdits Sei.
gneurs Etats -Généraux , ou contre les ſujets ou
habitans deſdits , ou quelqu'un d'eux , ou la propriété
de quelqu'un d'eux ; & fi quelque perſonne
de l'une des deux accepte telles commiſſions ou
'lettres de marque , elle fera panie comme forban.
20°. Les vailleaux des ſujets ou habitans de l'une
des deux Parties , arrivant à quelque côte , appartenant
à l'un ou l'autre Confédérés , mais n'étant
pas dans le deſſein d'entrer dans un port où y étant
entrés , ne cherchant pas à décharger leurs cargaiſons
ou à rompre leurs charges , ou à les augmenter
, ne feront pas tenus de payer pour leurs
vaiſſeaux on cargaifons , aucun droit d'entrée ou
de fortie, ni de rendre aucun compte de leurs cargaiſons;
à moins qu'il n'y ait des ſoupçons légitimes
, qu'ils tranſportent des marchandises de
trebande aux ennemis de l'un & l'autre «.
( La fin l'ordinaire prochain. )
con-
Les papiers publics ont annoncé la vertu & les
ſuccès de la poudre de M. Jacques Feynard pour
arrêter lesHémorragies. Rien n'atteſtemieux l'utilité
de ce ſecours à l'humanité, que les fournitures que
( 94 )
'Auteur continued'en faire pour les Hopitaux Militaires
de la Marine & des Colonies de France. La
poudre Anti-Hémorragique ſe vend à Paris chez
Madame de Boft , maison de M. Pigot , Marchand
Bijoutier, à la Renommée , près la Croix des Petits-
Champs ; à Versailles , chez M. Lavallée, Pavillon
Luce , rue Royale ; à Amiens , chez M. Dufetel , rue
des verts Aulnois ; à Londres , chez M. Picot , Picture
, Merchant , Strand , Near Northumberlandhouse
; & dans les Villes & Ports d'Angleterre..
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 28 Octobre .
Le floop de guerre le Chacer a été pris dans l'Inde
par l'eſcadre de M. de Suffren . On appréhende fort
que ce vaiſſeau n'eût à bord l'argent du Bengale
deſtiné pour Madrats.
* Les Américains donnent aujourd'hui plus de 150
pour cent de profit pour toutes les marchandises
importées de France , & particulièrement pour les
draps.
le paiement des penſions des Réfugiés Américains
eft fofendu jusqu'à ce qu'on ait rédigé un
nouvel acte qui exclura de la liſte de ces perfions
tous ceux qui n'ont aucun titre à la générofité de
laG. B. C'eſt M. Pitt, Chancelier de l'Echiquier ,
qui fera chargé de ce travail.
On a envoyé ordre au Commodore Elliot , à
Portsmouth , de le préparer à remettre en mer
avec ſon eſcadre le plutôt poſſible.
Les vaiſſeaux Marchands continuent d'être enlevés
par le Gouvernement, pour ſervir de vaiſſeaux
munitionnaites , mais on ignore leur deſtination.
Il a été envoyé ordre au Bureau des Vavres
à Leith , de préparer trois mois de proviſions pour
( 95 )
une eſcadre qui doit aller croiſer dans la mer du
Nord.
Les Braffeurs & les Distillateurs viennent d'ob .
tenir l'importation de l'orge de la Baltique .
Depuis Is jours l'Ambaſſadeur de Ruffie à Londres
a reçu trois Couriers de Pétersbourg , & le
Chevalier James Harris , notre Ambaffadeur à Pétersbourg
, en a reçu autant de Londres . Cette multiplicité
de Couriers annonce qu'il y a quelque
grande affaire fur le tapis.
L'objet favori du Lord Shelburne eſt , dit-on ,
de refferrer l'amitié qui ſubſiſte entre l'Anglererre
& la Ruffie. La nature a fait des domaines de la
Ruffie le magaſin des forces navales de l'Europe ,
ainſi indépendamment des grands profits que nous
retiroas d'un commerce très étendu avec cette
grande Puiſſance du Nord , l'amisié de l'Impératrice
nous ſera peut-être plus avantageuſe que toutes
nos autres alliances , parce qu'elle nous mettra
en état , non- ſeulement d'entretenir une force ravale
capable de tenir en échec les autres Puiſſances
maritimes , mais encore d'avoir un commerce' lucratif
dans les marchés étrangers , & de recouvrer
notre ancienne conſidération parmi les Etats
Européens..
Le commerce de l'Angleterre avec les ports de
Ruffie continue d'être ſupérieur à celui de la France ,
de la Suède , du Danemarck & de tous les autres
Pays enſemble. C'eſt un fait dont la preuve exiſte
dans les lettres reçues depuis peu par les principales
maiſons de cette Ville.
LeChevalier Charles Turmer ſe propoſe , auffi-tôt
après la rentrée du Parlement , d'y faire une motion
pour allurer aux malheureux Genevois un aſyle &
un établiſſenient dans ce pays. Il ſera ſecondé par le
Lord Malfon , connu & chéri des habitans de Ge
nève , où il a vécu long-tems , ce qui ne contribuera
pas peu à augmenter le nombre de ceux qui ſe diſpolent
à abandonner cette ville pour ſe retirer en Angleterre.
Le Gouvernement croit avoir taut d'obligations à
l'Empereur de Maroc , pour les proviſions qu'il a
envoyées de tems en tems à Gibraltar , pendant le
•blocus de cette Place , qu'il a réſolu d'envoyer une
Ambaſſade en forme à la Cour de Fez. M. Paine fera
chargé de cette commiffion.
Le Général Murray a fait imprimer dans les papiers
publics que c'étoit à ſa propre follicitation que
S. M. avoit bien voulu nommer un Conſeil de
guerre , pour examiner la conduite. 。
>> Le 7 Septembre , les tranſports qui ont conduit
le Général Ohara & les troupes de Savanah
aux Ifles , font arrivés à New- Yorck d'Antigues
en 22 jours. Ils avoient débarqué une partie des
troupes qu'ils avoient à bord , & le reſte avoit été
envoyé à Saint-Louis «.
Le 20 Acûr , il eſt entré à Halifax une flotte
venant de Torbay , & compoſée de so voiles , tant
tranſports que munitionnaires , vivriers , &c. fous
le commandement du Renown , de so. Le Briga.
dier général Brown , le Major Campbell & quelques
autres Officiers font arrivés à bord de cetre
flotte avec des troupes deſtinées pour New-York.
ERRATA au Journal dus Odobre. Page 39 , lignes ,
Pétabliſſement ; lifez l'embellfement. P. 39 , 1. 9 , après
très - éclairée ; lifez en note, foeur d'un Commiffaire des guerres
très- ftimé. P. 39 , 1.12 , d'une naiſſance ancienne & décorée;
lifez de naiſſance ancienne & décorée . P. 39, 1.26
auroit eu le defir ; lifez auroit le defir. P. 40 , 1. 1 , que faire,
lifez que de faire.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 16 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ÉPITRE à un Ami, fur les Ridicules
d'une fauſſe Philofophie.
ALCIPE , quelle est ta manie ?
Eſt-il bien vrai que dès ce jour,
A l'auftère Philoſophie
Tu veux te livrer ſans détour ?
Dans l'âge heureux de la folic ,
Des paffions &de l'amour ,
Ce projet prête à la critique:
Duplaiſant & du ſatyrique
Il va t'attirer les brocards :
Avant de le mettre en pratique,
Sur la troupe philoſophique ,
Dont tu peurſuis les étendards ,
Jette avec moi quelques regards:
Nº. 46 , 16 Novembre 1782. E
१९ MERCURE
Mets vîte l'oeil à mon optique ,
Elle arrive de toutes parts.
VOIS-TU cet homme qui s'avance
D'un pas grave & ſymétriſé ;
Sous un habit noir déguiſé
Il affecte un air de décence
Dont le vulgaire eſt abuſé.
Ce qu'il écrit& ce qu'il penſe
Eſt , ſelon lui , le mieux penſé.
S'il parle , il faut faire filence ;
Chaque mot eſt une ſentence ,
Rien n'eſt plus vrai , ni plus ſenſé :
Il s'applaudit même d'avance.
Par-tout il eſt préconisé ,
Suivi , couru , fêté , priſé.
On ſe range ſur ſon paſſage.
Par mille fots canoniſé ,
Par ſes flatteurs divinité ,
Il ſe croit un grand perſonnage.
Chacun ſe dit : c'eſt un ſavant ,
Un beau génie , un homme ſage ;
Et moi je dis: c'eſt un pédant.
REGARDE auſſi ce Petit-Maître ,
Qui ſe dit être du bel air ,
Et que l'on voit comme un éclair
Aller , venir & diſparoître.
Tu le prends pour un fat peut- être ?
DE FRANCE.
११
Suſpends ſur lui ton jugement.
C'eſt un Philoſophe charinant :
Aux premiers jours de ſa jeuneſſe ,
Ovide fut ſon rudiment ,
Dès long- temps il ſait tout Lucrèce.
Il parle , il écrit poliment ;
Il perfiffle très-joliment ,
Il politique avec fineſſe
Sur les Loix ,le Gouvernement ,
Et plaiſante très-ſenſément
Sur des ſujets de toute eſpèce.
IL ME faudroit parler ſans ceſſe
Si je voulois obſtinément
Te faire le dénombrement
Des Amateurs de la ſageffe :
On vit ſept Sages dans la Grèce ,
Et nous en avons plus de cent
Qui valent mieux certainement.
Je pourrois , pour groſſir mes liſtes ,
T'offrir encor le régiment
De Meſſieurs les Économistes ,
De tous les Encyclopédistes :
J'y joindrois même en ce moment
Les Lulliſtes & les Ramistes ,
Les Glukiftes , les Picciniſtes ,
Tous très-ſages aſſurément.
Dans cette longue kyrielle
Tu ne verrois point de Caton ,
A
1
Eij
100 MERCURE
De Socrate ni de Platon ,
Mais tu verrois ce qu'on appelle
Des Philofophes du bon ion.
ENFIN , c'eſt aujourd'hui la mode :
En Province comme à Paris ,
Philoſopher eſt la méthode
De tous nos jeunes étourdis
Et des prétendus beaux-efprits.
Ce n'eſt pas tout , les femmes même
Ont adopté cebeau ſyſtême.
L'une , avec des yeux libertins ,
Me parle de métaphyfique ;
L'autre , raiſonne politique ,
Règle les droits des Souverains ,
Parle de guerre , de tactique ,
De Gibraltar , de l'Amérique ,
Me lit un traité fur les grains ,
Ou quelque Ouvrage Académique.
Une troiſième , plus comique ,
Accourt , Nollet entre les mains ,
Pour me démontrer la phyſique.
J'ai beau faire , il faut l'écouter.
Mais , pour en être plus tôt quitte ,
Sans m'amuſer à diſputer ,
J'accorde tout , & prends la fuite.
Que faudroit- il pour te prouver
Que ces Philofophos femelles
DEE FRANCE. rer
Sont très- communs parmi nos Belles ?
Des exemples ? j'en puis trouver.
VOIS cettejeune Timarete ,
Qui , ſemblable au Cameleon ,
Vingt fois par jour change de ton ,
Qui ſuit la mode & l'étiquette ,
Qui n'a qu'un froid & fot jargon ,
Que fans ceffe elle nous répète ,
Et qui voudroit , comme Ninon ,
Joindre aux penchans d'une coquette
Toutes les vertus de Caton.
Jette les yeux fur ſa toilette:
On y voit , ſans diſtinction ,
Uncompas auprès d'une aigrette ,
Les attributs de la taiſon ,
Et les hochets de la folie.
J'y vois un Tome de Buffon
Frès d'un Roman de Crébillon.
Sous un Livre de Comédie ,
Sans reſpect pour l'attraction ,
Qu'avec Damis ellé étudie ,
J'apperçois l'immortel Newton
Tout barbouillé de vermillon .
Quor ! ce ſexe qui nous attire ,
Qui ſemble né pour le plaiſir ,
Peut- il aina paffer à lire
Des jours deſtinés àfentir ?
E iij
102 MERCURE
Voilà ce qui me déſeſpère.
Quelle douleur pour un amant !
Je ne rencontre qu'un pédant
Où j'eſpérois trouver Glycère.
MAIS pourquoi ſe plaindre , en un mots
Ne faut- il pas fuivre l'uſage ?
L'homme d'eſprit ,comme le ſot ,
Chacun jouant ſon perſonnage ,
Maſque ſon air & fon langage.
Dupe ou trompeur , voilà ton lot.
Dans ce monde injuſte & volage,
Où l'on ne voit de tous côtés
Que ſcandale , libertinage ,
Erreurs, menfonges , fauſſetés ,
Où tout s'achette , où tout s'engage ,
Honneur , liberté , rang , fuffrage ;
Où les vices ſont protégés ,
Où les talens ſont négligés ;
Où l'adulation encenſe
Un tas d'infolens parvenus ,
Bouffis d'orgueil & d'arrogance ,
Et des favoris de Plutus ,
Chez qui la ſuperbe opulence
Brille à la place des vertus.....
Mais , que dis-je ces maux en France
Bientôt ne ſubſiſteront plus :
Un Monarque , nouveau Titus ,
Y règne par la bienfaiſance.
DE FRANCE.
103
Les voeux , les cris de l'innocence
Par ce Prince ſont entendus.
A Thémis il rend ſa balance ; ( 1 )
A ſes Peuples la confiance , ( 2 )
Et les droits qu'ils avoient perdus.
En corrigeant ſes longs abus ,
Il fait reſpecter la Finance. ( 3 )
D'une vaine magnificence
Il mépriſe les faux honneurs. (4)
D'un dur & honteux eſclavage
Il affranchit les Laboureurs , ( 5 )
Louis n'enchaîne que les coeurs ,
Et n'aſpire qu'à cet hommage.
D'un tourment injufte & ſauvage ,
Craignant l'abus & les rigueurs ,
Il vient d'en proſcrire l'uſage ; (6)
Aux coupables , aux malfaiteurs ,
S'il épargne ainſi des douleurs ,
Al'innocent qui les partage ,
Il épargne auſſi quelques pleurs ;
Et c'eſt-là ſon plus cher ouvrage.
Sous ce Prince économe & fage ,
( 1 ) Le Rétabliſſement des Parlemens .
(2) Les Provinces érigées en Pays d'États .
(3 ) Les Réformes dans la Finance.
(4) La Suppreffion d'une partie de la Maiſon du Roi .
(5 ) L'Abolition de la Servitude Féodale & du Droit de
Main - Morte
(6) La Queſtion proſcrite dans tous les Tribunaux.
E iv
104
MERCURE
Nous verrons renaître les moeurs
Dont il nous préſente l'image.
QUAND ces voeux feront-ils remplis ?
Faut- il vous regretter ſans ceſſe ,
Beauxjours de Rome& de la Grèce,
Où , de ſes ſeuls attraits épris ,
De la véritable ſageſſe
Leshommes connoiſſoient le prix ?
Où, leur ſervantd'un frein utile
Contre l'effort des paſſions ,
De leurs plus belles actions
Elle étoit l'âme &le mobile ?
Pour nous, de fes loix déferteurs ,
Etde ſes dons profanateurs ,
Nous défigurons for image ;
En la pliantà nos humeurs ,
Nous la faiſons avee outrage
Servir de voile à nos erreurs ,
Ami , fous ces dehors trompeurs ,
Ne vas pas, avec imprudence ,
Prendre pour fes adorateurs
Ceux qui n'en ont que l'apparence.
Le fage n'eſt point ce pédant,
Qui , des préceptes de l'école ,
On d'une diſpute frivole ,
Fait ſon uuique amusement.
Cen'eſt point ce cenfeur cauftique,
1
DE FRANCE. 1ος
Qui fuit toute fociété ,
Et dont l'humeur mélancolique
Vientd'un eſprit miſantropique ,
Et d'un coeur froid & dégoûté :
Qui n'aime que la ſolitude ,
Qui , toujours prompt à s'alarmer ,
De tout plaindre & de tout blamer
S'eſt fait une triſte habitude.
Le vrai Philoſophe eft celui
Qui , fur les actions d'autrui ,
Ne répand jamais ſa critique.
Par l'étude il chaſſe l'ennui .
Plus Citoyen que politique ,
L'intrigue eft fans attraits pour lui.
Du malheureux il eſt l'appui ;
Ale foulager il s'applique ,
Il s'attendrit ſur ſes malheurs ;
Il aime à partager ſes pleurs .
De lui-même toujours le maître,
Il vitfans defirs ; & content
Du rang où le ciel l'a faie naître,
Il voit d'un oeil indifférent
Cet homme que , de la pouſſière ,
La fortune aveugle & légère
Vientd'élèver au plus haut cran.
Dès quelle lui devient propice ,
Il fait jouir de ſes ſaveurs ;
Maiss'il éprouve ſon caprice ,
Ev
106 MERCURE
Loin de l'accuſer d'injuftice ,
Il met à profit ſes rigueurs.
AMI , que ces ſages maximes
Soient le ſoutien de ta vertu ;
Par des defirs illégitimes ,
Tu ne ſeras point combattu.
Réſiſte toujours à l'orage ,
Tel qu'un eſprit ſervile & mou ,
Ne cède point au fol uſage.
Fuis fur-tout une humeur ſauvage;
J'aime mieux un aimable fou
Qu'un préſomptueux demi-ſage.
( Par M. Croiszetière de la Rochelle , Avocat. )
DE L'HISTOIRE DES NATIONS
SAUVAGES .
:
Des lumières que l'Antiquité nous fournit
fur cesujet.
L'HISTOIR HISTOIRE de l'eſpèce humaine n'embrafle
qu'unpetit nombre de générations & de fiècles ; le
reſte du genre-humain & du temps eft abſolument
perdu; mais dans ce cercle étroit de l'Hiſtoire , de
toutes parts cette vérité ſe montre , que toutes les
affaires humaines ont eu un commencement. Semblables
à ces grands fleuves qui ne ſont à leur ſource
que de foibles ruiſſeaux , les Nations les plus diſtinguées
par les Arts&par les Loix, n'ont été dans leur
DE FRANCE.
107
origine que de foibles Peuplades. Encore aujourd'hui
, à travers les révolutions du tems & les fictions
de la vanité , on distingue les premiers pas de leur
enfance , & la route obſcare & pénible qui les a
conduites lentement à la grandeur.
Si j'ouvre l'Hiſtoire Sacrée , j'y vois commencer
le genre-humain par un ſeul homme & une ſeule
femme. Deux perſonnes font miſes en poffeffion de
toute la terre ; quelques lignes plus bas , leur poſtérité
, réduite de nouveau en une ſeule famille par
une grande révolution du globe , lutter contre les
dangers & les beſoins avec l'inexpérience d'une efpèce
qui vient de naître : enfin , pluſieurs fiècles après
on voit encore les Nations les plus reſpectables de la
terre, prendre leur origine dans un petit nombre de
familles qui faifoient paître leurs troupeaux dans de
vaſtes déſerts .
La Grèce même , cette ſuperbe Grèce , que ſa Mythologie
& fes Loix, ſes Arts & ſes Victoires , ont fait
briller dans l'Hiſtoire des hommes d'un éclat & d'une
gloire qui la rendent l'admiration & le modèle de
toutes les Nations civiliſées , la Grèce a été peuplée
d'abord par des Tribus errantes. Les Lycurgue & les
Alcibiade , les Epaminondas & les Socrate ont eu des
Sauvages pour ancêtres. L'orgueil même de leur
Hiſtorien a trahi le ſecret de leur origine , en célébrant
avec faſte des victoires remportées ſur des
bêtes féroces , des découvertes qui ſuppoſent l'enfance
de la Société.
Il faut que l'Italie ait été diviſée dans l'origine entre
une foule de Nations foibles & ſauvages , puifqu'une
poignée de brigands a pu s'établir en fûreté
le long des rivages du Tibre ; qu'un Peuple borné
encore à un ſexe jouoit déjà le rôle de Nations , &
commençoit ſon Hiſtoire. Pendant pluſieurs ſiècles
Rome, du haut de ſes murs, voyoit tous ſes ennemis.
Rome a eu autant de peine dans ſon enfance à éten
Evj
103 MERCURE
dre l'enceinte de fes murailles,qu'elle en a eu dans ſa
vieilleſſe à refferrer ſes frontières. Quoique fupérieureà
chacunde ſes ennemis en particulier , on la
voits'établir au milieu d'eux comme une horde Scythe
ou Tartare qui fixe ſon domicile & poſe ſes tentes.
Ce chêne qui a couvert l'Univers de ſon ombrage ,
n'eſt d'abord qu'une humble plante , qu'on ne peut
diftinguer qu'avec peine des ronces & des bruyères
qui tâchent de l'étouffer.
Lorſqu'en defcendant l'Hiſtoire, nous rencontrons
enfuite les Gaulois & les Germains , nous trouvons
encore fur eux l'empreinte d'une condition toute
femblable. Les anciens habitans de la Grande- Bretagne,
lors de l'invaſion des Romains,avoient beaucoup
de traits de reſſemblance avec les habitans actuels
de l'Amérique ſeptentrionale ; ils ignoroient
P'Agriculture ; ils peignoient leurs corps ; ils ſe couvroient
en hiver de peaux de béres.
Telles ont été les moeurs primitives de tous les
Peuples connus ; tel eſt le portrait de l'homme , que
Hiſtoire place au-devant de toutes les Annales.
C'eſt dans les faits que ces âges reculés nous ont
tranfmis ,dans ces premières moeurs , dans ces premiers
traits des Nations que nous devrions chercher
àdécouvrir le caractère originel & propre de l'eſpèce
humaine; mais nos procédés font bien différens ; au
lieu , comme la saifon l'exige , de déduire des faits
toutes nos conjectures , c'eſt des conjectures au
contraire que nous déduiſons tous les faits. Tout ce
qu'ily a de bon en nous, nous l'attribuons à nos
Aris, à nos Découvertes ; nous ne voulons rien
devoir à la Nature. Nous peignons l'homme fauvage
privé de toutes nos vertus, & nous croyons
l'avoir peint en entier. Pleins de l'idée que nous
formes les modèles de la civiliſation & de la polireffe,
ppaar-tout où nous ne rencontrons pas notre
refferabdance, nous ne daignons pas fixer un tegardt
DE FRANCE
109
Il n'y a que nous que nous trouvions dignes de notre
curioſité ; d'ailleurs, nous avons encore la prétention
de tout deviner par les cauſes ; & parce que nous
croyons connoître la nature de l'homme , nous nous
perfuadons ſavoir, ſans qu'on nous l'apprenne , tout
ce qu'il peut être dans toutes les circonstances poffibles.
Eſſayons donc de deviner ce qu'il eût été ft ,
avec les mêmes organes , par exemple , on l'eût
placé ſur un autre Globe ; fi une terre naturellement
fertile , prévenant tous ſes beſoins & méme tous ſes
defirs , il n'avoit eu rien à diſputer à ſes ſemblables.
OPhiloſophe , reconnois la folie de tes conjectures
favantes ! Tu veux tout voir dans les cauſes , & tu
ne vois pas que le plus léger changement dans une
ſeuleſuffit ſouvent pour changer l'influence de toutes
les autres.
Mais ne tranſportons pas l'homme ſur un autre
Globe ; obſervons-le ſeulement dans les forêts , &
lorſqu'il eſt encore aufſi ſauvage que ſa demeure. Je
le vois nud , pauvre , groffier , étranger à toutes les
diftinctions des rangs & des perſonnes. Eh bien !
en le voyant dans cet état , qui pourroit conjectu
rer que nud il ſera joueur , qu'au milieu de ſes egaux
il connoîtra la fierté , que pauvre & groffier , il fera
vain& recherchera la parure ? Qui pourroit imaginer
qu'au milieu des forêts,il aura toutes les folics &
tous les ridicules de nos Villes ? Et fi le mépris que
nous affectons pour lui nous rendoit affez hardis
dans nos conjectures pour lui ſuppoſer nos vices ,
quel ſeroit le Philoſophe affez pénétrant pour deviner
que , fans fortir de ſes bois, le Sauvage peut
avoir nos talens & nos vertus; que ſachant à peine
articulerdes fons , il peut être éloquent, que ſes premières
affections de haine & d'amour ſeront des fentimens
ſublimes par leur énergie ; que dans la chaffe
d'un animal auffrrufé que lui , il montrera autant de
fineſſe, dejugement,de ſagacité, d'eſprit qu'un dif
110 MERCURE
ciple de Locke ou de Newton dans la recherche des
vérités les plus abſtraites , qu'enfin il puiſera ſouvent
dans la Nature ſeule plus de grandeur d'âme que
Thomme civilité dans les inftitutions des plus fublimes
Légiflateurs ?
Cefont là pourtant des traits qu'on retrouve dans
toutes les Annales qui nous ont été tranſmiſes par
tous ceux qui ont été à portée de voir , d'étudier & de
peindre l'homme dans ſon état primitif; & fi nous
rejetons la dépofition de ces témoins , fi nous accuſons
d'infidélité le crayon de ces premiers peintres ,
quels autres témoins appellerons- nous donc ? quels
autres peintres conſulterons-nous ? Il ne faut donc
plus en rien croire; il ne faut donc plus en parler.
Si l'on doit ſe défier des conjectures que nous hafardons
ſur des faits très-éloignés , avec quelles précautions
encore ne doit-on pas recevoir les traditions
domeſtiques de chaque Peuple ? Ces Hiftoires
ue font jamais contemporaines des faits
qu'elles racontent ; elles n'ont été écrites que dans
les âges ſuivans , & ne font la plupart que des conjectures
& des fictions établies ſur un fonds imaginaire.
Le caprice & la vanité de chaque génération
y ajoutent de nouveaux embelliſſemens & de nouveaux
menfonges ; & lorſqu'elles ont paffé ainsi à
travers pluſieurs fiècles , elles confervent bien moins
les traits & la couleur des âges dont elles parlent, que
de ceux qu'elles ont traverſé pour aarrrriiver juſqu'à
nous. La clarté qu'elles répandent ſur l'Histoire n'eſt
pas cette lumière vive , pure & abondante , réfléchie
directement d'un miroir qui rend en entier & avec
fidélité tous les objets dont il a reçu les images ,
mais la lueur foible & confuſe de ces rayons rompus
& divergens qui prennent la forme des corps opaques
d'où il rejailliſſent à mes yeux. Les traditions fabuleuſes,
long-temps répétées par le Peuple, prennent
l'empreinte de ſon caractèrreeàà force d'errer fur fes
1
DE FRANCE. 111
lèvres groffières & ignorantes ; mais alors même, quoique
mêlées d'abſurdités , elles émeuvent encore le
coeur, elles enflamment encore l'imagination ; & lotfque
l'éloquence & la Poéfie s'en emparent , que la
Poéfie y répand ſes charmes & fes couleurs , &l'Éloquence,
ſes mouvemens , alors elles peuvent à-lafois
éclairer l'eſprit & enflammer les pallions ; mais
telles que les loix ſévères de l'Hiſtoire permettent de
les préſenter , dépouillées de tous ces ornemens, dans
la groſſièreté de la tradition primitive , elles ſont
également incapables d'intéreſſer & d'être utiles.
Il ſeroit abſurde ſans doute d'employer le Poëme
de l'Iliade ou celui de l'Odyſiée , les Légendes d'Hercule
, de Théſée & d'Edipe, pour faire poids comme
autorité dans l'Hiſtoire de l'eſpèce humaine ; mais
cependant on peut les citer avec raifon pour faire
voirquels étoient les ſentimens & les occupations des
ſièclesdans leſquels ont été compoſées ces fables , &
pour caractériſer le génie d'un Peuple qui en étoit
ſi fortement épris, dont elles rempliffoient l'imagination
, dont elles animoient les difcours.
C'eſt ainſi que , par le contraſte le plus fingulier ,
tandis que l'Hiſtoire ſe tait ou ment ſur le génie des
Nations , c'eſt la fiction ſeule qui parle & qui dit la
vérité. C'eſt ainſi que la Mythologie grecque , en
faiſant connoître les caractères de ſes différens Auteurs
, eſt parvenue à éclairer tout un âge qui, ſans le
ſecours de cetre lumière,teroit demeure enfeveli avec
tant d'autres dans l'abyſme ténébreux de l'antiquité.
Il eſt vrai que la ſupériorité des Grecs ne brile
nulle part avec plus d'éclat que dans le recueil de
leurs fictions, que dans l'Hiſtoire de tous ces Héros
fabuleux , de tous ces Poëtes , de tous ces Philoſophes,
de tous ces grands Rois , dont les actions , in
ventées , embellies par des imaginations enthouſiaftes
de vertu & de génie, électriſoient tout un Peuple ,
& plaçoient à l'origine de leur Hiſtoire civile & po112
MERCURE
litique, les modèles les plus fublimes dans tous les
geores& pour tous les ſiècles .
On ne peut douter qu'il n'ait été très-heureux pour
les Grecs que leur fable ait été grecque. Par ce
moyen , déjà reçue comme tradition , déja devenue
populaire , elle ſemoit par- tout où elle paſſoit les
germes de raiſon , d'imagination & de ſentiment
dont tant de beaux talens s'étoient plû à l'enrichir.
Par-là, les étincelles des plus grands génies rejailliffoient
ſans ceſſe , & retomboient directement ſur
l'imagination du Peuple.& au beſoin, les paflions du
Poëte & de l'Orateur, courant d'eſprit en eſprit,conme
un rapide incendie , enflammoient en un moment
l'eſprit national.
Mais une Mythologie empruntée , mais une Littérature
étrangère, mais une Littérature privée de
l'intérêt inſtructif des alluſions nationales , ane Littérature
orgueilleuſe, qui ne fe mêle jamais parmi
le Peuple , qui ſe borne à parler à l'imagination ou
à la mémoire de quelques Savans dans des cabinets
folitaires, ne fauroit exercer une grande influence ;
elle peut même tromper ſa deſtination , borner la
raiſon qu'elle veut étendre , corrompre le coeur
qu'elle prétend épurer , & mettre le bel-eſprit à la
place du bon eſprit.
Des Poëmes que nous traduiſons avec beaucoup
de peine & de travaux dans nos Ecoles , étoient
chantés par le Matelot à ſon bord , par le Paſteur
enconduiſant ſon troupeau ; ils faiſoient aimer à ces
hommes fimples la ſimplicité de leur vie ; c'étoit un
plaifir , mais non pas un mérite de les chanter ;
chez nous c'eſt une ſcience , un titre pour la vanité ;
ils ont introduit dans les Ecoles l'amour- propre & la
pédanterie, qui , des Écoles , font parlés dans le
monde.
La plus grande influence peut être de notre ſavoir,
c'eſt d'avoir en quelque forte découragé l'efprit na
DE FRANCE. 113.
tional. Comme pour former notre Littérature nous
avons pillé les tréſors littéraires de pluſieurs Nations
qui , dans le temps où nos ancêtres rampoient
encoredans labarbarie, portoient déjà ſur leur 'tête
altière la couronne de tous les beaux Arts ; nous
avons pris à ces Peuples , avec les richeſſes de leur
génie, le mépris qu'ils avoient pour nos ancêtres ; &
de là cette opinion humiliante que les Peuples modernes
deſcendus des Gaulois & des Germains , ne
pouvoient pas avoir d'eux-mêmes plus d'imagination,
d'eſprit& de ſenſibilité que leurs pères ; que
tous les germes des talens feroient encore afſoupis
chez eux, fi les Grecs & les Romains n'étoient venus
les éveiller; que nous ferions encore dans les
forêts, ſi les Anciens n'avoient bâti pour nous tout
l'édifice de la ſociété. Les premiers Romains & les
Gaulois nos ancêtres, éroient également caractériſés
par le mépris des richeſſes , l'amour de la patrie ,
une audace fublime contre les dangers , une patience
incroyable contre les douleurs , par toutes ces
vertus enfin qui ſont peut-être les traits les plus
univerſels du caractère de tous les Peuples dans le
premier degré de la civiliſation; & cependant ,
choſe étrange! les Hiſtoriens de Rome , qui ont
été les peintres des Gaulois comme des premiers Romains
, ont flétri dans nos ancêtres ce qu'ils ont admiré
dans les leurs ; ce qu'ils ont loué comme la
fimplicité des temps héroïques dans les Romains ,
ils l'ont décrié comme l'ignorance & la groffièreté
de la barbariedans les Gaulois. En traçant le même
tableau de moeurs par les faits , ils croyoient en
changer les couleurs parce qu'ils en changeoient les
mots ; mais c'eſt dans les faits que font les couleurs
ineffaçables .
Ce font cependant les Hiſtoriens Grecs & Romains
qui ont décrit, de la manière la plus inftructive&
la plus intéreſſante en méme-temps , ces an
114 MERCURE
tiques Tribus dont nous deſcendons. Ces fublimes
& ingénieux Ecrivains n'ignoroient rien de la nature
humaine ; ils ſurent en recueillir juſqu'aux
moindres traits . Leur infatigable pinceau la pourſuivit,
la ſaiſit, lapeignit ſous toutes les faces , dans
toutes les attitudes , dans toutes les conditions qui
lui ſont propres. Ils furent mal ſecondés , il eft vrai,
par leurs ſucceſſeurs. Engagés la plupart dans la
profeſſion monaftique , & confinés à l'ombre des
Cloîtres , ils s'attachèrent à ramaſſer dans toute la
pouſſière de l'antiquité les faits qui ne peignent que
les jeux du haſard,& laiſsèrent perdre ceux qui repréſentent
le génie & le caractère des Nations. Ces
Moines , ſoit par le genre , ſoit par l'objet, ſoit par
le ſtyle de leurs compoſitions, étoient incapables de
montrer l'homme dans la moindre ſcène de la vie
humaine. Ils penſfoient que narrer des faits , c'étoit
écrire l'Histoire , & que l'Hiftoire étoit complette
lorſqu'on avoit fait fuccéder les événemens & les
Princes en les plaçant avec exactitude dans un ordre
chronologique ; lorſqu'enfin on n'avoit rien omis ,
ſi ce n'eſt ces traits caractériſtiques du coeur & de
l'eſprit humain, ſans lesquels l'Hiſtoire eſt morte ,
&ne fauroit ni éclairer ni plaire.
Auſſi quittons-nous volontiers les Annales de nos
ancêtres à l'endroit où Tacite & Célar les ont quittées
; aufli , depuis cette époquejuſqu'à celle où le
ſyſtéme de civiliſation que nous avons pris commence
à ſe former , tonte Hiſtoire n'eſt-elle peutêtre
qu'un vaſte déſert , où on ne rencontre ni un
événement ni un homme qui doive arrêter nos regards
Ce n'eſt pourtant pas que je prétende conclure
de là que l'Europe moderne ait fourni moins
de matériaux , moins de ſcènes intéreſſantes à l'Hiftoire
; je la crois digne très-ſouvent au contraine
d'intéreſſer ſes pinceaux.
Mais les Écrivains , d'ailleurs habiles, qui ont fair
DE FRANCE.
115
l'inventaire des faits de ces ſiècles , en ont mal
connu le caractère . A force de travaux & de recherches
, ils font parvenus à peupler d'événemens ce
vaſte déſert de l'Hiſtoire , à réunir les ſiècles civiliſés
aux fiècles barbares, mais i's en ont mêlé & confondu
les traits. Tous les mots & tous les noms qui peignent
l'état préſent du genre-humain, ils les ont tranſportés
dans les fiècles qui ont précédé notre fituation
actuelle. Eſt- il étonnant qu'avec ces couleurs faufſes
ils ayent produit des tableaux auſſi dépourvus
d'intérêt que de vérité ?
Lorſque nous allons puiſer dans leurs Écrits l'inftruction
qu'ils nous promettent , nous rencontrons à
tout moment certains faits particuliers qui démentent
les termes généraux dont l'Ecrivain s'eſt ſervi pour
repréſenter l'état des moeurs. Ils appliquent, par
exemple , les noms de Roi & de Noble aux familles
des Tarquins & des Cincinnatus ; mais Lucrèce , ſuivant
eux-mêmes, prenoit ſoin du ménage avec ſes
femmes , & Cincinnatus mettoit la main à la charrue.
Les dignités & les places de la Société civile ont
porté en Europe , il y a bien des ſiècles , les mêmes
noms qu'elles portent aujourd'hui ; cependant nous
trouvons dans l'Hiſtoire d'Angleterre , qu'an Roi
étant réuni avec ſa Cour pour célébrer une fête , un
proſcrit entra ſoudain dans la ſalle , & voulut s'alfeoir
à la table ; que le Roi lui-même ſe leva auſſitôt
pour l'en chaffer ; que le Roi & le brigand ſe
battirent , & que le Roi fut tué. Un Chancelier &
un premier Miniſtre dont on envioit la magnificence
&le luxe, avoit chaque jour ſes appartemens jonchés
en hiver de foin & de paille , & en éré de feuillages
verts . L'Etat alors fournifſoit au Roi même de la
paille fraîche pour former fon lit. Des traits de cette
nature font des touches vigoureuſes , font des raccourcis
hardis qui expriment tout un ſiècle & révèlent
toute une Nation. L'imagination qui , trompée
116 MERCURE
par des expreffions générales , avoit placé les Monarques
& les ſujets à de grandes diſtances les uns
des autres , les rapproche & les confond dans une
familiarité groſſière ;& le tableau du fiècle prend le
caractère qui lui eſt propre.
:
Thucydide , malgré les préjugés de ſa Nation
contre les Peuples qu'elle nommoit barbares , étoit
perfuadé que c'étoit dans les moeurs de ces Peuples
qu'il falloit étudier les anciennes coutumes de la
Grèce.
Quant aux Romains , ils ont pu voir les images
de leurs ancêtres dans les portraits qu'ils ont faits
des nôtres. Si un jour une peuplade Arabe ou quelque
Horde Tartare , renonçant à la liberté, la laiffant
dans leurs forêts , ſe déterminoient à entrer
dans la carrière de la civiliſation : Si quelques Tribus
Américaines , échappant aux glaives & aux polfons
de l'Europe , venoient à ſe faire des loix &
des moeurs civiliſées , ces Tartares , ces Arabes & cés
Américains trouveroient dans la ſuite des ſiècles le
tableau de leur état primitif: dans les Ouvrages de
nos Voyageurs: nous connoiffons affez bien l'étar
actuel du genre-humain.
Mais nos lumières n'éclaireront pas ſeulement
l'avenir ; leur éclat ſe replie , pour ainſi dire , ſur les
temps paflés, & en diffipe les ténèbres.
Le tableau de la fituation préſente des Américains
, eſt pour nous un miroir fidèle qui nous réfléchit
la ſituation primitive de nos ancêtres . Quelle
différence pourroit en effet diftinguer un ancien
Germain , un ancien Breton, quant au corps & à l'efprit
, quant aux moeurs & aux opinions , d'un Sauvage
Américain, qui , comme eux , un carquois fur
le dos & la flèche à la main, erte en liberté dans les
forêts , &, comme eux encore , eft condamné par un
Ciel également févère&capricieux à fubfifter par la
chaffe. 1
DE FRANCE. 117
N'oublions donc jamais que c'eſt dans la condition
préſente des Peuples encore ſauvages , que nous
devons regarder la condition de nos ancêtres , qui
étoient des Sauvages aufli. Nous devons procéder à
cet égard comme nous procéderions fûrement ſi dans
un âge avancé , ſi à l'extrêmité de la carrière nous
voulions connoître au juſte le chemin que nous
avons fait dans la vie. Nous irions ( car ce ſeroit
notre unique reſſource ) étudier les enfans juſques
dans les bras de leurs mères ; nous les ſuivrions
quand ils defcendroient du berceau , & chaque pas
qu'ils traceroient alors devant nous , nous répéteroit
quelques-uns de ceux que nous aurions tracés nousmêmes
ſans avoir pu les remarquer quand nous
étions au même âge.
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt Pantoufle; celui
du Logogryphe eſt Eſcarpolette , où ſe trouvent
ferpolet , carpot , lotte & alofe , Pó ,
parc,pelote, César,pot,ré,cor.
118 MERCURE
J
ÉNIGM E.
E ſuis dans les forêts un inſtrument bruyant;
Retourné , je deviens un objet effrayant.
( Fait en quinze jours par une Société de
Gens de Lettres. )
LOGOGRYPHE.
J'AI 'AI fix pieds , cher Lecteur ;&par un fortbizarre,
Sans me ſervir de pieds , je marche nuit &jour ,
Allant droit à mon but, quelquefois je m'égare ;
Et ſans être Écolier , je prends un long détour...
Les lieux à qui je dois ma première naiſſance
Ne me virent jamais dès que j'eus l'exiſtence .
En moi tu trouveras une exquiſe boiffon ;
Un très-chétif légume avec un plat poiſſon ;
Un animal têtu ;. ce qu'on tient de ſa mère ;
Le compliment poli d'un Citoyen du Ciel,
Que répéta depuis plus d'un dévôt mortel ;
Ce qui ſervit ſouvent une ruſe de guerre ;
Douze frères unis exprimés par un mot;
Un péchécapital; ce qu'eſt ſouvent un ſot;
Ce qui s'appelle rien en vers ; ainſi qu'en proſe .
Et fi tu veux , Lecteur , encor mainte autre choſe.
( Fait en un quart- d'heure par quatre Imbécilles. )
DE FRANCE.
119
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES d'Héloïse & d'Abailard , Traduction
nouvelle, avec le texte à côté,
par J. Fr. Baſtien. in- 12. 2 vol. brochés ,
5 liv. A Paris , chez l'Éditeur - Libraire ,
rue du Petit- Lion , F. S. G. Il y en a
quelques exemplaires in-8°. 2 vol. en
papier fin , 10 liv . brochés.
IL ne faut pas confondre ces Lettres avec
toutes celles qui ont paru juſqu'à ce jour , &
qui appartenoient moins à ces deux illuftres
perſonnages , qu'à l'imagination de ceux qui
les ont célébrés. On n'avoit guère publié
que des extraits , des fragmens de ces Lettres;
il n'y en avoit point de Traduction
exacte & fidelle ; on ne connoiſſoit encore
que celle de Dom Gervaiſe , publiée en
1723 , & qui n'est qu'une eſpèce de paraphrafe
, où il a noyé les ſentimens , les idées
& les expreffions d'Héloïſe. Il manquoit
donc une Traduction véritable des Lettres
originales d'Héloïſe & d'Abailard , & un
texte purgé des fautes dont il étoit rempli.
C'eſt ce qu'a fait le nouveauTraducteur. Il a
d'abord rétabli le texte ſur les originaux ;
& la Traduction , qui eſt à côté , peut mettre
tout le monde à portée de connoître ces
120 MERCURE
deux malheureux époux , de les comparer
ensemble, & de juger l'amoureuſe perfévérance
de l'un & le changement religieux
de l'autre. Héloïſe , toujours tendre , brûle
toujours pour Abailard ; elle oublie , &
l'état qu'elle a embraffe , & la religion qui
areçu ſes ſermens , pour s'abandonner aux
mouvemens de fon coeur. Toutes ſes Lettres
portent le caractère d'une paſſion ardente&
malheureuſe ; on voit qu'elle n'attend rien
que de ſon amant , & qu'elle ne reſpire que
pour lui
« C'eſt à vous ſeul , dit-elle , qu'il appar-
>> tient de me conſoler ; c'eſt vous ſeul qui
> êtes la cauſe de mes maux ; vous feul pou-
>> vez m'affliger , me réjouir ; vous ſeul y
>> êtes obligé , puiſque j'ai eté au-devant de
>> toutes vos volontés. » ...... Et , ce qui eſt
plus fort encore , mon amour est tourné
>> pour vous en folie , au point de ſacrifier
>> fans nulle eſpérance ce qui étoit l'objet de
ſes defirs.» ود
“
1
Elle lui fait les plus vifs reproches fur
l'oubli dont il ſemble payer ſa conſtance ;
&elle ſe plaint amèrement de cette rigueur
de la part d'un homme auquel elle a tout
immolé.
Abailard , au contraire , paroît avoir oublié
les plaiſirs dont il a joui avec Héloiſe ,
ou ne s'en ſouvenir que pour les expier par
la pénitence. Il remet ſouvent ſous les yeux
d'Héloïſe les fautes que l'amour leur a fait
commettre , & cherche à lui en inſpirer le
repentir.
DE FRANCE. 121
repentir. Il y revient d'autant plus ſouvent ,
qu'Héloïſe eſt encore dans l'âge des paffions.
Il parle de la cruauté du Chanoine Fulbert ,
&du funeſte accident qui en a été la ſuite ,
comme d'une faveur du ciel ; il le remercie
fouvent d'avoir bien voulu punir ſes fautes
en le mettant hors d'état d'en commettre
encore.
Mais à travers les diſcours religieux d'Abailard
, on croit reconnoître quelquefois
une douleur ſecrète , des mouvemens d'une
jalouſie involontaire,qui le portent à éloigner
Héloïſe du chemin des voluptés. Il ſemble
qu'il cherche à l'occuper ſans ceſſe , il veux
la tenir toujours ſous fa dépendance ; il
aime encore mieux chagriner ſon coeur que
de le laiſſer dans l'inaction. Dans unede ſes
Lettres , il lui dépeint , il exagère peut- être ,
fes chagrins , ſes douleurs & ſes dangers ; il
l'afflige pour l'intéreſſer ; s'efforce d'entretenir
par la compaſſion un amour qu'il ne
peut plus nourrir autrement. Héloïfe s'en
plaintdans une de ſes Lettres , en lui diſante
« Au lieu de me conſoler, vous m'attriſtez
» encore par le récit de vos peines ..... Épare
>> gnez-moi , je vous ſupplie , des diſcours
» qui me rendent plus malheureuſe en-
" core, &c. » Et Abailard lui répond :
<< Conviendroit- il que vous fuffiez dans la
» joie , quand je ſuis à la veille de périr a
>> Ne voudriez- vous participer qu'à ma joie
» & non à ma douleur ? »
,
Cette Traduction nous a paru avoir en
Nº. 46 , 16 Novembre 1782 . F
122 MERCURE
général de l'exactitude. Nous aurions deſiré
que le Traducteur ne ſe fût pas expoſé à
n'être pas affez élégant pour vouloir être
trop fidèle au texte. Au reſte , il a rendu un
ſervice à la Littérature en faiſant revivre un
Ouvrage dont bien des gens parlent ſouvent
fans le connoître. La latinité en eſt afſez difficile
; & il a fallu , pour le traduire , du
courage& de la conſtance.
On doit fur- tout ſavoir gré à un homme
entraîné par les affaires , de conſacrer fon
loiſir à un travail auſſi noble & fi conforme
à ſon état. Ce qui eſt bien dans ſa Traduction
, l'eſt affez pour nous faire croire qu'il
cût fait diſparoître quelques mégligences qui
ſe trouvent dans le reſte , s'il avoit pu ſe
livrer tout entier à ſon travail.
Ila fait précéder ſa Traduction d'un Précis
de la Vie d'Héloïſe & d'Abailard , & de
Réflexions préliminaires qui nous ont paru
dignes d'attention. Elles roulent ſur l'état du
Libraire. " De tous les états, dit- il , la Li-
>> brairie eſt celui qui peut convenir davan-
>> tage à l'efprit & aux connoiffances. Pour
> y entrer , je penſe qu'il ne ſuffit pas de
>> ſavoir la dare & la rareté des Éditions ,
> la mémoire remplit promptement cette
» partie ; mais je crois que ſans être un
» Savant décidé , il faut qu'un Libraire ſoit
❤ verſé dans les Sciences en général , & qu'il
• ſe diftingue dans la branche qui lui eſt la
>> plus propre. »
Après avoir parlé du peu d'examen avec
DE FRANCE.
123
ود
ود
ود
lequel on reçoit les Libraires , & des qualités
qu'ils devroient avoir pour être admis , il
finit par dire : " La Librairie pourroit être
diviſée en deux branches : les Libraires
Maîtres- ès Arts , & les Marchands de Li-
>> vres. Ceux- ci ſeroient reçus ſur le témoi-
>> gnage d'une conduite irréprochable ; les
>> autres ſeroient obligés d'y ajouter des
connoiffances particulières , ſur leſquelles
>> ils ſubiroient l'examen le plus rigoureux. »
Il ſeroit à ſouhaiter que ces idées judicieuſes
fuſſent réaliſées. On voit par ce court
extrait que l'Auteur , pour ambitionner la
gloire de l'Homme de Lettres , ne néglige
point les intérêts de ſa profeſſion ; & que
par cet Ouvrage il a ſu bien mériter touta-
la-fois de la Littérature & de ſes Confrères.
ÉLOGE de Louis XII , père du Peuple ,
par M. de Reganhac le fils. Avec cette
Epigraphe :
Ojours , 6 moeurs , ô temps d'éternelle mémoire!
Le Peuple étoit heureux. Volt. Henr.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés.
CE Diſcours a concouru pour le Prix des
Jeux Floraux ; & il n'a pas été couronné.
Voici comment l'Auteur parle de cette excluſion
dans un Avertiſſement de quelques
lignes. « Ce Diſcours , dit- il , a été préſenté
Fij
124 MERCURE
» à l'Académie des Jeux Floraux , qui ne l'a
>> point jugé digne du Prix. L'Auteur s'em-
>>preſſe de rendre hommage à l'équité de
>> ce Tribunal Littéraire. La marche de l'Ou-
» vrage eſt encore beaucoup trop lente &
ود trop didactique , quoiqu'il ait été extrê-
» mement refferré depuis le jugement de
» l'Académie. »
Cet aveu modeſte ſuffiroit pour défarmer
la critique; mais M. de Reganhac a ſu la
défarmer encore, mieux par le talent qui
règne dans ſon Ouvrage. Nous obſerverons
pourtant , qu'on eût defiré un plan un peu
plus marqué ; nous aurions voulu que le réfultat
fût quelque vérité utile, prouvée par
la vie de ce bon Roi. Cet Éloge reſſemble
un peu trop à un Précis hiſtorique. On permet
à un Orateur de dire qu'il n'a beſoin
quede faire l'office d'Hiftorien , mais on ne
le diſpenſe pas d'être Orateur; on lui permet
de dire qu'il ne louera que par les faits , à
conditionquecette affertion là ne ſera qu'une
figure oratoire.
On ſe tromperoit néanmoins ſi l'on inféroit
de cette obſervation que le Diſcours
de M. de Reganhac eſt une narration froide
&sèche des faits de ſon Héros. Nous aurions
defiré que le réſultat de l'Éloge de
Louis XII fût la preuve de quelque grande
vérité de morale ou de politique ; mais M.
de Reganhac n'a pas moins prouvé dans les
détails de fon Ouvrage, que la politique &
la morale ne lui font nullement étrangères.
DE FRANCE! 125.
Ce Diſcours reſpire l'amour de l'humanité ,
&annonce une ſaine logique. On y trouve
ce qui conftitue l'homme ſenſible & le Philofophe;
& l'on va voir que l'Auteur y joint
le mérite de l'Écrivain. Nous ne ferons point
l'analyſe de ce Diſcours , qui renferme des
faits trop connus ; nous allons prendre au
hafard un morceau pour faire juger de la
manière de l'Auteur.
:
" L'obſervation des loix eſt l'unique but
» d'un Gouvernement juſte. Les effets les
>> plus funeſtes du deſpotiſme , qui en eſt le
> renverſement , ſont d'immoler de vaſtes
>> Provinces à la rapacité , au luxe & à la
prodigalité d'un petit nombre de courti-
> ſans avides ou de femmes diffolues. Les
>> guerres étrangères ne ſont pas les ſeules
» qu'un Monarque ſage ait à ſoutenir ; il eſt
» ſans ceffe obligé de livrer des combats
>> domeſtiques , de lutter contre des inſi-
" nuations perfides , des conſeils trompeurs,
» des intrigues frauduleuſes , des louanges
>> intéreſſees. Voulez- vous , ô Rois ! échap-
» per aux pièges qui vous font tendus de
>> toutes parts ? Armez- vous , comme Louis
» XII, d'une juſte défiance de vous- mêmes .
› Oppofez les lumières & l'intégrité de vos
>> Magiftrats & de vos Miniſtres , aux fur-
>> prifes des courtiſans qui vous obsèdent.
N'ayez pas le fatal orgueil de ne vous
>> rétracter jamais ; & par une obſtination
tyrannique à faire exécuter des volontés
> injuftes , ne fermez point les fentiers par
ود
Fiij
126 MERCURE
» où la vérité peut arriver juſqu'à vous. Que
>> l'hiſtoire des ſiècles pallés vous apprenne
» à redouter le jugement de la poſtérité , &
• à être toujours en garde contre ces hom-
>> mes lâches & vils, dont la baſſe adulation
>> careſſe aſliduement votre orgueilleuſe foi-
>> bleffe; craignez juſqu'aux illufions d'un
>> heureux penchant à la bienfaiſance. Vous
>>tromperiez les vûes de cet inſtina ſubli-
>> me, fi , prodigues ſans difcernement pour
* des favoris privés de mérite , vous pou-
» viez oublier que ce n'eſt pas pour eux ,
>> que ce n'est pas pour vous que vous êtes
>> Souverains . N'accordez point de grâce
>>fans avoir prévu l'effet qu'elle peut pro-
>>>duire ſur la ſociété entière. J'aime mieux ,
ود diſoit Louis XII , voir le peuple rire de
» mon économie , que s'il avoit à pleurer de
>> maprodigalité. C'eſt ainſi qu'il prenoit la
>>défenſe de ſes Sujets contre lui-même , &
>>>bravoit, pour les rendre heureux , leur
raillerie& leur fatyre. >>>
Nous citerons à l'appui de cet Éloge , une
ancedote que le Lecteur n'auroit pas été
fâché de trouver dans l'Ouvrage dont nous
parlons. Voici comment en parle Bouchet :.
: « Le bon Roi Louis XII , ſe plaignant que
>> de fon temps perſonne ne lui vouloit dire
>>la vérité , ce qui étoit cauſe qu'il ne pou
>> voit favoir comment ſon Royaume étoit
>> gouverné ; & pour que la vérité pût
>> parvenirjuſqu'àlui, il permit les Théâtres
>> libres , & voulut que ſur iceux l'on jouât
DE FRANCE. 127
>> librement les abus qui ſe commettoient
» en ſa Cour comme en ſon Royaume ,
>> penfant par- là apprendre & ſavoir beau-
» coup de choſes , leſquelles autrement il
>>>lui étoit impoſſible d'entendre. "
Sa perſonne même n'en fut pas exceptée.
En plein Theatre ,& en ſa préſence , on oſa
Paccuſer d'avarice. Il le fouffrit , & il étoit
Roi.
L'Auteur de cet Éloge eſt fils de M. Reganhac
, à qui il a été payé l'année dernière
un juſte tribut d'éloge dans ce Journal , &
dequi l'on connoît une Traduction en profe
des Odes d'Horace , & pluſieurs Ouvrages
en vers couronnés par les Académies & par
les fuffrages du Public.
EssAl fur la Phifiognomonie , par M.
Lavater, Tome premier. A Paris , Hôtel
de Thou , rue des Poitevins.
Que les paſſions d'un homme, le ſentiment
qui l'anime , le calme ou l'agitation
actuelle de ſon âme, le plus ou moins de
force de fon attention, ſe montrent dans les
traits de ſon viſage ; que même le viſage
contracte par l'habitude de certains ſentimens
, des formes & une expreſſion permanente
qui marque le caractère , la paffion
dominante d'un homme ou le genre de fon
efprit , c'eſt ce qu'on a dit il y a long temps ,
&ce que perſonne ne peut nier ; mais ces
derniers fignes ſont ils affez certains pour
Fiv
128 MERCURE.T
devenir l'objet d'une véritable ſcience d'obfervation
? Y at il dans la conformation
naturelle du viſage , indépendamment des
affections qui ont influé fur cette forme ; y
a-til dans les parties ſolides , indépendamment
des changemens dont les parties molles
font fufceptibles , certaines formes primitives
liées avec les diſpoſitions de l'âme qui a
été unie à cette figure ? Pouvons- nous diftinguer
ces formes & établir une autre partie
de la ſcience Phiſiognomonique d'après
ces obſervations ? Telles font les queſtions
que M. Lavater s'eſt propoſées dans fon
Ouvrage.
La première queſtion n'eſt pas difficile à
réſoudre; dès que les obſervations font conftantes
, on peut en déduire une théorie dont
le plus ou le moins de certitude dans l'application
, dépendra du plus ou moins de
conſtance dans les obſervations. Il peut
donc exiſter une ſcience Phiſiognomonique.
Quant à la ſeconde queſtion , de nombreuſes
obſervations peuvent ſeules la décider.
Mais, comme l'obſerve M. Lavater , il
eſt néceſſaire d'obſerver que nous ne pou
vons tenir de la Nature que des qualités générales
, telles que la force , la prompti
tude , la fineſſe , la foibleſſe , la lenteur dans
l'eſprit , une âme forte ou fans reffort , fufceptible
de paffions durables & profondes ,
ou d'émotions vives dominées par les ſens ,
ou peu ſenſible à leurs impreffions. Ce
DE FRANCE. 129
n'eſt qu'entre les qualités de ce genre,&
certaines formes de la tête qu'il peut y avoir
de l'analogie. Par exemple , on naît timide
&peu fentible, & on devient faux. Il pourra
y avoir une forme naturelle qui annonce la
timidité ou le peu de ſenſibilité ; mais une
phiſionomie faufſe ne peut être que l'effet
de l'habitude du menſonge ; ſi l'éducation
ou les circonstances ont changé les diſpoſitions
premières , les formes qui les indi-▾
quent penvent ſubſiſter encore , mais on
trouvera des traits qui indiqueront que ces
diſpoſitions ont été altérées. Un homme dont
la tête étoit conformée pour devenir Newton
ou Voltaire ,& qui , reſte ſans éducation,
aura paffé ſa vie dans les travaux méchaniques,
n'aura point ces ſignes que donne l'habitude
de la méditation ou de l'enthouſiaſme
poétique. En diſant que la vertu embellit,
que le vice enlaidit , M. Lavater entend
ſeulement que le viſage d'un homme
vertueux , s'il n'eſt pas défiguré par des acci-.
dens , a des traits qui le caractériſent , traits
qui plaiſent , ſoit indépendamment de toute
réflexion, foit parce qu'il y reconnoît l'influencede
la vertu; que ſi le vilage d'un
homme vraiment vicieux peut avoir naturellement
les formes de la beauté , on y
trouvera toujours cependant des traits qui
repouffent & qui excitent ou l'horreur ou le
mépris.
M. Lavater paroît avoir moins cherché
jufqu'ici à poſer les fondemens de la ſcience
Fv
130 MERCURE
dont il s'occupe , qu'à en prouver la réalité
& l'utilité. Un des argumens qu'il emploic,
eſt l'eſpèce d'instinct qui nous fait trouver
des charmes dans certaines figures , tandis
qued'autres nous repouffent involontairement.
Il obſerve que cet inſtinct , qui guide
les hommes dans le jugement qu'ils font
des phiſionomies, eſt le même qui les guide
lorſqu'ils prononcent ſur la bonté d'une
pièce de monnoie , d'une étoffe , &c. à la
première inſpection&fans ſe rendre compte
de leur jugement; mais il femble regarder,
cet inftinet comme un bienfait de la Nature
detiné à nous faire connoître la vérité.
Cette dernière opinion ne nous paroît pas
philofophique. L'inſtinct eft- il autre choſe
que le réſultat groffier des jugemens que
nous formons ſans en diftinguer ni l'ordre
ni la ſuite ?
Quand un homme juge , à l'inſpection , de
labonté d'une pièce de monnoie, n'est - il
pas évident que fi le même homme eft accoutumé
à réfléchir , & que vous lui demandiez
les motifs de ſon jugement, il faura
vous les développer en dérail ?
L'instinct du phiſionomiſte n'eſt il pas
comme celui du joueur , qui prend le meilleur
parti fans favoir faire en rigueur les cal
calsnéceffaires pour s'en afſurer ? L'inftinct
nedoit donc pas être regardé comme une
faculté particulière , il eſt un ſentiment produit
par des jugemens confus & prompts ,
&par confequent toujours inférieur au juDE
FRANCE .
gement clair & méthodique de la raifon; il
n'eſt vraiment utile que dans les circonſtances
où il faut ſe décider avec promptitude ;
mais ne croyons pas que les inſpirations de
cet inftinct puiſſent ſervir à fonder les pro
miers principes d'aucune connoillance.
Auſli , ce n'eſt point d'après cet inftinct
ſeul que M. Lavater cherche les principes
de laPhiſiognomonie ; il en établit quelques
autres. Celui- ci , par exemple , qu'il croit
fondé ſur l'obſervation : Que de l'extrémité
inférieure du profil du front , on tire une
ligne horisontale, & que du haut du front
on abaiſſe une perpendiculaire fur cette
ligne , les facultés intellectuelles feront en
général d'autant plus grandes,que le rapport
de la ligne horifontale à la perpendiculaire
fera plus grand; s'il eſt exprimé par l'unité
ou par une fraction plus grande que l'unité ,
l'individu étoit né pour avoir du génie ;
s'il eſt au -deſſous de l'unité , l'eſprit aura
moins de ſagacité ou de force ; le rapport
& demi ou au-deſſous caractériſe le front
d'un idiot. Il ne faut pas faire cette obfer
vation dans la première année de la vie,
parce qu'en même- tenips que l'eſprit ſe
forme cette proportion change , le ſigne du
génie, d'un eſprit profond ne ſe manifeſte
point dans les enfans; l'inſpection des Sit
houettes de gens éclairés & d'idiots, dont
M. Lavater s'eſt procuré un grand nombre,
lui ont fait découvrir ce principe , & l'ont
con firmé.
Fvj
132
MERCURE.
On a fait à l'Auteur un grand nombre
d'objections ſur la réalité de la nouvelle
ſcience , & il les réfute fans peine ; elles
font fondées preſque toutes ſur cette méthode
vague de philoſopher , qui donne
comme des objections contre une ſcience,
le tableau des difficultés & des incertitudes
qu'elle préſente , & qui , en réduiſant les
hommes à ne chercher que ce qui paroît au
premier coup-d'oeil ſimple & fufceptible de
preuves, détruiroit toutes les recherches
dans les Sciences , excepté dans les Mathématiques
, & rétréciroit même le cercle de
celles-ci.
L'utilité de la Phiſiognomonie a été encore
plus combattue. Cela doit être. Beaucoup
de gens font intéreſſés à faire croire
que leur extérieur n'indique point ce qu'ils
ont au fond de l'âme.
Cependant cette utilité nous paroît inconteſtable.
En effet , toute connoiffance
générale eſt utile à la Société , quoique telle
connoiſſance particulière puiſſe être nuiſible
dans un cas donné.
On a objecté les jugemens faux qu'on
feroit expoſé à porter ; mais dans ce cas il
faudroit profcrire toutes les Sciences ; car ,
fur-tout dans leurs commencemens , les
meilleurs eſprits ſont ſujets à y commettre
des erreurs.
On a dit que le goût de cette ſcience rendroit
les hommes prompts à juger ; mais le
mal eft fait,& même ſur les phiſionomies..
i
DE FRANCE:
134
Rien de plus fréquent que ces jugemens ,
& fûrement ils feront vraiſemblablement
moins dangereux lorſqu'on les fondera fur.
des principes raifonnables.
On a dit enfin que cette ſcience détruiroit
les liens de l'humanité entre les hommes.
L'Auteur répond qu'au contraire les
hommes s'en aimeront mieux , que plus on
connoîtra l'homme, plus on l'aimera. Nous
ſommes de fon avis , & cette opinion paroît
prouvée par les faits. L'indulgence , l'humanité,
ſont en général le caractère des Philoſophes
obfervateurs ; & quelque dangereuſe
que puiffe paroître la ſagacité de M.
Lavater , on ne peut s'empêcher , en lifant
fon Ouvrage , de defirer de l'avoir pour
ami : d'ailleurs , tout ce qui pouvoit réſulter
de la ſcience Phiſiognomonique , c'eſt que
ceux qui la poſſéderoient aimeroient plus
les bons , haïroient plus les méchans ,
plaindroient davantage & chercheroient à
corriger ceux qui ne font ni méchans ni
bons, & qui forment le plus grand nombre.
Peut-être la Phiſiognomonie trouveratelle
autant d'obſtacles que les autres Sciencesqui
ont l'homme même pour objet , &
que l'on faura auſſi mauvais gré à ceux
qui voudront démaſquer les viſages , qu'à
ceux qui s'occupent de démaſquer les vices
& les abus : au reſte , les hommes qui
craindroient les lumières que cette ſcience
peut apporter doivent ſe raffurer ; il y
aura auſſi en Phiſiognomonie des ſectes de
134
MERCURE
charlatans , des gens à préjugés ou de mauvaiſe
foi ; on ſaura la plier comme les autres
Sciences aux intérêts de l'avidité , de
l'orgueil ou de la ſottiſe.
Après avoir rendu compte en peu de
mots de l'objet de l'Ouvrage de M. de Lavater&
de ſes principes, il nous reſte à parler
de la manière dont il a traité ſon ſujet.
On peut d'abord être un peu furpris qu'un
Ouvrage deſtiné à prouver la réalité , l'utilité
d'une ſcience nouvelle , & à en donner les
élémens, foit formé d'une ſuite de fragmens.
On connoît les Ouvrages charmans de
Sterne,qui ont donné naiſſance enAngleterre
au genre ſentimental ; mais ce genre , fi
piquant dans des Romans , est-il celui qui
convient à la Philofophie ? Smith , Fergufon
du moins ne l'ont pas cru. Rouffeau ne
l'employoit que lorſqu'il fentoit trop bien
que l'analyſe philofophique conduiroit à
d'autres réſultats que ceux où il vouloit
amener fes Lecteurs. Il paroît à la mode en
Allemagne , & c'eſt celui de M. Lavater.
Sans doute ce genre a des charmes dans
un Auteur qui a de l'originalité , de l'imagination,
de la ſenſibilité & des grâces , &
c'eſt ce qu'on trouvera dans l'Ouvrage de
M. Lavater , quoique traduit ou écrit par
l'Auteur dans une langue qui n'eſt pas la
fienne.
Mais l'abus de ce genre feroit funefte.
S'il eſt un moyen d'éternifer les préjugés, de
retarder les progrès de la raiſon, c'eſt en
DE FRANCE.
135
portant dans la Philoſophie toutes les formes
propres à ſéduire l'imagination , à s'emparer
de l'âme des Lecteurs , en mettant la
ſenſibilité à la place de la raiſon , en nous
rappelant ſans ceſſe à notre ſentiment , à
notre instinct , quand il ne faudroit ſonger
qu'à perfectionner notre jugement.
Tout moyen qui peut ſervir l'erreur comme
la vérité, eft indigne de la Philofophie. C'eſt
la rabaiſſer que de vouloir lui créer un epire
ſur l'imagination & fur les âmes mobiles
, c'eſt la dégrader au niveau des ſuperſtitions
les plus abfurdes. N'est - ce point par
ce même moyen qu'elles ſe ſont établies ,
qu'elles ont eu des profelytes dans leur origine,&
des apologiſtes dans leur décadence ?
M. Lavater devoit moins que perſonne
donner le mauvais exemple. Ce n'eſt point
par l'impuiſſance d'analyſer ſes idées , de
ſuivre des raiſonnemens , qu'il l'a choifi . On
voit qu'il eût pu prendre une autre forme ,
&que ſon choix a été volontaire. Sans doute
il a cru que traitant un ſujet extraordi
naire , parlant d'une ſcience regardée comme
chimérique , il devoit craindre de n'être point
lû s'il n'écrivoit que pour les Philofophes. Il
a voulu faire un Ouvrage intéreſſant pour
toutes les claſſes de Lecteurs , & il a réuffi .
Onſe ſent entraîné en lifant ſon Livre ; l'impreſſion
qu'il a faite ne s'efface point en le
quittant; on fe le rappelle involontairement
dans les fociétés , dans les promenades ; on
cherche à appliquer ſes règles , à les véri
136 MERCURE
fier ſur les individus que l'on rencontre.
Foprenelle, craignant de n'être pas entendu
de ſes contemporains s'il leur parloit de
l'utilité réelle qui pourroit réſulter un jour
des combinaiſons abſtraites de l'Algèbre ,
leur diſoit : Quand ces fpéculations nefervi
roient qu'à rendre heureux ceux qui s'en oc
cupent, n'est- ce rien que de procurer aux
hommes un bonheur qui n'estpoint aux dépens
de leurs semblables ? Qu'il nous foit permis
d'en dire autant de l'Ouvrage de M. Lavater.
La ſcience phiſiognomonique , fût - elle
même auſſi inutile pendant quelques fiècles
qu'a pu l'être la théorie des quarrés magiques
, elle n'eſt pas à dédaigner ſi elle enlève
à l'activité ou à l'ennui une partie du
temps qu'ils dévorent. On fait combien de
connoiffances ſuperficielles en Botanique
amuſent à la campagne , combien on trouve
de plaiſir à chercher une plante , à en retrouver
le nom , le genre , les caractères.
L'Ouvrage de M. Lavater offre aux habitans
des Villes unplaifir du même genre;& nous
ne pouvons mieux finir l'extrait de cet Ouvrage,
qu'en exhortant les hommes éclairés à
y chercher des vûes utiles ou les fondemens
d'une ſcience nouvelle , & les gens oififs
des grandes Villes , à le lire non- feulement
pour l'amusement qu'ils y trouveront, mais
à cauſe du goût qu'ils pourront y prendre
pour les obſervations phifiognomoniques ,
les ſeules dont ils puiſſent s'occuper fans
rien changer à leur manière de vivre.
DE FRANCE. 137
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert du Vendredi premier Novembre
, n'a offert aucune nouveauté remarquable,
Le feul morceau exécuté pour
la première fois , fut un Oratoire de M. le
Noble , jeune Compofiteur , connu pour
jouer très agréablement du violon. Cet ouvrage
eſt un efſfai , & tout effai mérite des
encouragemens. Mais on doit avertir M. le
Noble de ſe défier des lieux communs. Dans
ſes premières compoſitions un Artiſte , jaloux
de montrer tout ce qu'il fait , emploie
ſouvent les effets dont il a été frappé , &
croit les devoir à ſon imagination , randis
qu'il ne les doit qu'à ſa mémoire. La fymphonie
d'Hayden , par laquelle le Concert a
commencé , a été fort bien exécutée , & a
plû généralement. Ce charmant Compofiteur
, par le brillant , la grâce , la nouveauté
de ſes idées , a trouvé l'art de ſe couvrir de
gloire & de ſe placer au premier rang dans
un genre que les Grands- Maîtres de fon
pays , les Stamitz , les Toeſchi, &c. fembloient
avoir épuiſé; car il faut convenis
que c'eſt à l'Allemagne qu'on doit les meilleurs
Compoſiteurs Symphonistes. Mlle
Burette, cadette,atrès bien chanté une ariette
138 MERCURE
Italienne. On dit que cette jeune Cantatrice
doit bientôt débuter au Théâtre Italien.
Malgré ſes ſuccès à l'Opéra , on ne peut que
defirer avec empreſſement de la voir ſur un
Théâtre où ſes grâces , ſa figure , la fineſſe
de fon chant & le volume de ſa voix feront
dans un optique plus favorable. MM. Fodor
&Bezozzi ont exécuté chacun on Concerto
d'une manière digne de leur réputation.Mme
Saint-Huberti a chanté un air Italien de
Paifiëllo , & quelquesfolo dans le morceau
de la fin. Son zèle infatigable , qui la porte
à chercher toutes les occafions de plaire , lui
mérite déjà la reconnoiſſance du Public ;
mais il en doit encore davantage au foin
qu'elle prend de perfectionner ſon talent.
L'adreſſe avec laquelle elle portoit ſa voix ,
&la ménageoit dans les cordes aiguës , furtout
dans le Cantabile de ſon air , prouve
qu'elle ſauroit toujours s'en rendre maîtreffe,
même en Scène , ſi elle ne ſe laiſſoit quelquefois
entraîner par une mauvaiſe habitude
priſe avant elle; mais il appartient à un
talent comme celui de Mme Saint-Huberti ,
dedonner des loix , & non de ſuivre des
préjugés ; il faut qu'elle ait le courage de
ſacrifier aux progrès de l'art , des applaudiffemens
donnés par le mauvais goût , &
qu'elle ſe perfuade bien qu'en général les
cris ne font de l'expreſſion que pour une
muſique qui n'en a point d'autre .
Concert a fini par l'Offertoire & la Profe
de la Meſſe des Morts , de M. Goffec. La
- Le
DEFRANCE.
139
réputation de ces morceaux eſt faite , mais
on les entend toujours avec un nouveau
plaifir.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
CE Spectacle a été interrompu depuis le
31 du mois dernier juſqu'au Vendredi 9 de
ce mois. Cet intervalle a été employé à
l'achèvement des travaux, néceſſaires pour le
prolongement du Theatre , qu'on a annoncé
précédemment. On a été étonné qu'une opération
fi conſidérable ait pu être exécutée
en auffi peu de temps; & l'on doit ſavoir
gré à l'Adminiſtration d'avoir mis tant d'activité
à l'exécution d'un projet , qui ne peut
être que très-favorable à l'embelliſſement &
à la perfection de ce Spectacle.
L'opération confiftoit à prolonger de 21
pieds le mur du fond du Théâtre par l'un
de ſes côtés : par- là on a reculé de ſept pieds
l'avant-Scène ; on a donné un rang de plus
à l'Amphithéâtre & deux rangs au Parterre.
On a élevé en même temps cinq loges de
plus de chaque côté de l'avant- Scène.
L'ouverture s'eſt faite Vendredi 9 , par
une repréſentation de Caſtor; & le Public a
paru très- content des changemens qui ont
été faits. C'eſt ſur-tout dans le Ballet des
Champs Élysées , au quatrième Acte , qu'on
a ſenti tout l'avantage de ce prolongement
duThéâtre pour le développement des grou
140 MERCURE
pes , la dégradation des plans , & les effets
de la perſpective.
Le Sieur Chéron a joué , pour la première
fois , le rôle de Pollux,& y a été fort applaudi.
Ce jeune Acteur,qui joint une figure
avantageuſe , de l'intelligence , la connoiffance
de la muſique, à une des plus belles
voix de baffe- raille que l'on ait encore entendues
à ce Théâtre , n'a beſoin que d'étude
pour jouer avec ſuccès tous les rôles convenables
à ſa voix,
Il y a eu au Ballet du cinquième Acte ,
deux Entrées nouvelles , dans leſquelles les
Sicurs Gardel le jeune & Nivelon ont danſé
avec les talens dont ils donnent chaque jour
de nouvelles preuves .
GRAVURES.
P
ORTRAIT de M. Garrel, Supérieur du Sémi
naire de S. Louis , gravé par Langlois , d'après
Broffard de Beaulieu, A Paris , chez M. Jacob , rue
de la Harpe, maiſon du Limonadier , attenant le
Collège d'Harcour. Prix , I liv. 4 ſols .
Apothéofe de Voltaire , peint par M. Dardel , &
gravé par M. Legrand. A Paris , chez Legrand , rue
Saint Jacques , vis à vis celle des Mathurins. Prix ,
3 liv.
Description particulière de la France , Département
du Rhône , Gouvernement de Bourgogne , feizième
Livraiſon , contenant huit Eftampes , à 12 liv.
pour Paris; & pour la Province & Pays étrangers ,
14 liv. 8 fols. 1
1
2
DE FRANCE.
141
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PROSPECTUS.
TRAITĖS des Afſurances &des Contrats à la Groſſe,
par M. Balthazard - Marie Emérigon , Avocat
en la Cour, ancien Confeiller au Siège de l'Amirauté
de Marfeille. Proposé par Soufcription.
CET
ET Ouvrage étoit devenu néceſſaire; & la répu
tation du Jurifconfulte qui en eſt l'Auteur , doit faire
bien augurer du ſuccès. Voici dans quels termes M.
Valin en parle dans la Préface de fon Commentaire
fur l'ordonnance de la Marine , page 9. « Je con-
>> nois un célèbre Jurifconfulte, qui en a commencé,
>> ( du Confulat de mer ) une nouvelle traduction ,
>> enrichie de notes pour l'intelligence du texte , &
- d'obſervations relatives aux difpofitions de notre
• Ordonnance, & à l'uſage actuel du Commerce.
>> C'eſt M. Émérigon , Avocat au Parlement d'Aix .
> & Confeiller à l'Amirauté de Marſeille , ce ſavant
>>>généreux , que le haſard m'a fait connoître , &
>> qui ne fut pas plutôt inſtruit que je travaillois à
>> un Coinmentaire ſur notre Ordonnance , qu'il
m'offrit , avec une cordialité & un déſintéreſſement
>> peut-être ſans exemple , tout ce que , par une étude
>> affidue& réfléchie , il avoit recueilli de déciſions
> & d'autorités convenables à cet objet..... Il m'a
> fait paſſer une copie de cette riche Collection,dont
j'ai fait un tel uſage , que preſque tout ce que l'on
>> trouvera de bon dans ce Commentaire , quant à
>> la partie de la Jurisprudence , eft , en quelque
>> forte, autant fon ouvrage que le mien.... Quant
à la traduction du Confulat qu'il m'a avoué être
>> fort avancée, en vain je l'ai preſſé de l'achever....
142
MERCURE
1
>> Puiffe cette nouvelle exhortation , appuyée des
>> voeux du Public , le forcer enfin de ſe rendre. >>>
Cen'eſt pas ſeulement une traduction du Confulat de
la mer , que M. Émérigon donne aujourd'hui aux
voeux du Public ; c'eſt un Ouvrage bien plus précieux,
bien plus étendu ,&dans lequel il a employé,
preſqu'en entier , le travail qu'il avoit fait ſur le Conſulat
, & dont M. Valin deſiroit la publication . Çet
Ouvrage eſt le réſultat des connoiſſances que l'Auteur
a acquiſes , ſoit par une étude de plus de quarante
ans, foit par ſa longue expérience dans les fonctions
delaMagiftrature &dans l'exercice du Barreau.
L'Ouvrage , compoſé de deux Volumes in-48.
d'environ fix à ſept cent pages chacun , caractère
& papier pareils au Proſpectus , coûtera 20 livres
enfeuilles. L'augmentation du prix du papier , à
cauſedesdroits nouvellement ajoutés aux anciens, a
mis dans le cas de le paſſer à ce prix. Les Perſonnes
qui n'auront pas ſouſcrit avant le premier
Janvier 1783 , payeront l'Ouvrage 24 livres en
feuilles pour Marſeille; & pour le reſtant de la
France,la ſouſcription ſera ouverte juſqu'au premier
Avril 1783 ; paffé ledit temps , on ne pourra plus
ſe le procurer qu'à 24 liv. en feuilles. On en imprimera
quelques Exemplaires en grand papier , dont
le prix ſera de 36 liv. les deux Volumes en feuilles.
On payera en ſouſcrivant 6 livres , en retirant le
premier Volume en Avril 1783 , 9 livres , en retirant
le ſecond en Octobre 1783 , 5 liv. Total ,
20 liv. On ſouſcrit à Marseille , chez Jean Moffy ,
Imprimeur - Libraire , à la Canebière ; & à Paris ,
chezDurand neveu , Libraire , rue Galande ; Cellot ,
Imprimeur - Libraire , rue des grands Auguſtins ;
Barrois le jeune & Lamy, Libraires , quai des Auguftins;
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ,
&chez les principaux Libraires de la France & des
Pays étrangers.
L4
DE FRANCE.
143
Le Diable Boiteux , ou la Choſe Impoffible ,
Divertiſſement en un Acte , mêlé de Vaudevilles ,
par M. Favart le fils , repréſenté pour la première .
fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi , le
Vendredi 27 Septembre 1782. A Paris , chez la
Veuve Ducheſne, Libraire , rue Saint Jacques , au
Temple du Goût.
Inſtitutions Militaires de l'Empereur Léon le
Philofophe, traduites en François, avec des Notes &
des Obfervations , ſuivies d'une Differtation sur le
feu grégeois , par M. Joly de Maizeroy , Lieutenant-
Colonel d'Infanterie , de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres , première & ſeconde
Parties , nouvelle Édition corrigée. A Paris, chez
Claude- Antoine Jombert fils aîné , Libraire du Roi
pour le Génie & l'Artillerie , près le Pont-Neuf.
Recherches fur les moyens d'exécuter ſous l'eau
toutesfortes de travaux hydrauliques fans employer
aucun épuisement, par M. Coulomb , Capitaine en
premier dans le Corps Royal du Génie , Correſpondant
de l'Académie Royale des Sciences. A Paris ,
chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins.
Les principales bévues des Vignerons aux environs
deParis&par-tout , on Avis très important à tous
lesPropriétaires des vignes , pour fervir de ſuite à
la nouvelle Méthode de planter & de cultiver la
vigne, joint à l'Avis & Leçon aux Laboureurs , à
l'usagede tous lespays vignobles ou non vignobles ;
par M Maupin , petit in-8 ° . de 43 pages. Prix des
deux Ouvrages , 2 liv. 2 fols avec le reçu ſigné de
l'Auteur. A Paris , chez Muſier & Gobreau , Libraires
, quai des Auguſtins .
Pouillé du Diocèse de Poitiers par ordre alphabétique,
contenant l'Évêché , les Archidiaconés , les
Archiprêtrés , les Abbayes & autres Bénéfices , ſous
quelques dénominations que ce ſoit , avec les noms
144 MERCURE
des Saints ou Saintes ſous l'invocation deſquels ſont
les différens Bénéfices , les Ordres de chaque Abbaye
ou Prieuré , les Préſentateurs & Collateurs ,
&c. , avec des Notes hiſtoriques ; par un ancien Secrétaire
de l'Évêché , & Greffier des Infinuations
Eccléſiaſtiques du Diocèſe de Poitiers , in- 8 °. de
380 pages. Prix , 4 livres broché. A Poitiers , chez
Michel- Vincent Chevrier , Imprimeur - Libraire de
l'Univerſité , rue de l'Intendance ; & à Paris, chez
J. F. Baftien , Libraie, rue du Petit-Lion , Fauxbourg
Saint-Germain .
Etude Militaire , par M. le Baron de Traverſe ,
nouvelle Édition , augmentée d'un Supplément & de
Figures en taille- douce , 2 Vol. in- 12 . Prix , 2 livres
8 fols. A Paris, chez Pichard , quai & près des
Théatins.
De la Paffion de l'Amour , de ſes causes , & des
remèdes qu'ilyfaut apporter en la conſidérant comme
maladie , par M. J. F. Médecin Anglois. Prix ,
I liv. 4 fols. A Paris , chez le même.
TABLE.
PITRE à un Ami , fur les Éloge de Louis XII, père du
ridicules d'unefausse Philo- Peuple ,
E
123
Sophie, 97 Effai fur la Phiſiognomonie ,
De l'Histoiredes Nations Sau 127
vages 106 Concert Spirituel , 137
Enigme& Logogryphe , 118 Académie Roy. deMusiq. 139
Lettres d'Héloise & d'Abai Gravures , 140
lard, 119 Annonces Littéraires , 141
APPROBATIO Ν.
J'Ar lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 16 Novembre. Je n'y al
zien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.A Paris ,
Le Is Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Septemb.
LE 20 de ce mois la Sultane favorite eſt
accouchée , dans le Harem , d'un Prince qui
a été nommé Sultan Méhémet Bey. Cette
nouvelle a été annoncée ſur- le - champ au
Peuple par une triple décharge d'artillerie ,
qui a été répétée les trois jours ſuivans.
On évalue les pertes occaſionnées par les
derniers incendies , à pluſieurs centaines de
millions d'écus. Le mécontentement qui les
a occaſionnés ne paroît pas encore diſſipé ;
& nous ſommes toujours à la veille d'en
éprouver de nouveaux effets. Ces jours derniers
une troupe d'Albanois s'aſſembla dans
les environs du Château des Sept - Tours ;
leur projet étoit d'y mettre le feu , & d'achever
la deſtruction de cette malheureuſe
Capitale. Heureuſement l'Aga des Janiſſaires
fut averti affez à tems pour en prévenir
16 Novembre 1782.
( 98 )
l'exécution. Il ſe hâta d'attaquer ces ſcélérats
, qui te défendirent , & qui le bleſsèrent
même ; mais on réuffit à ſe ſaiſir des principaux
Chefs , dont les uns ont été étranglés
&les autres jettés à la mer.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 8 Octobre.
On a célébré Mardi dernier l'anniverfaire
de la naiſſance duGrand-Duc , & Jeudi
celui du couronnement de l'Impératrice, qui
a inſtitué à cette occaſion un nouvel Ordre
de Chevalerie , ſous le nom de S. Wolodimir
, premier Duc de Kiovie , qui , dans
le 8º fiècle embraſſa la Religion Chrétienne.
Cet Ordre eſt également civil & militaire ;
lesChevaliers font partagés en quatre clafſes.
Tous jouiront de penſions , qui , pour
la première claſſe , ſont de 600 roubles , de
400 pour la ſeconde , de 200 pour la troiſième
, & de 100 pour la quatrième. L'Archevêque
de cette Ville a béni folemnellement
les marques de cet Ordre , dont S. M. I.
s'est décorée ; elle doit nommer inceſſamment
les perſonnes qu'elle en doit honorer.
Une des conditions de l'Inſtitut , eſt que ,
pour l'obtenir , il faut avoir ſervi l'Etat
pendant 35 ans , ſans tache ni reproche.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 14 Octobre.
IL eſt arrivé le 11 & le 12 de ce mois
( 99 )
dans le Sund , 120 bâtimens venans de la
Baltique ; & 86 , la plupart ſous pavillon
Pruffien , en ont fait voile pour la mer du
Nord. On compte actuellement dans le Sund
160 bâtimens , dont 59 Anglois. Tous font
deſtinés pour la mer du Nord.
La frégate le Cronenbourg , Capitaine
Ramashart , eſt allée en rade , elle doit ſe
rendre aux Indes Occidentales.
On a reçu diverſes lettres , par leſquelles
on apprend que le navire Danois le Prince
Frédéric , parti de Bordeaux au mois de Mai
dernier pour la Guadeloupe , a été pris par
un vaiſſeau de guerre Anglois , & conduit
à Ste- Lucie. Ce navire commandé par M.
Stibolt , Lieutenant de la Marine , appartient
à la Compagnie de Commerce des
Indes Occidentales.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Octobre.
LE 9 de ce mois la Diète a terminé l'affaire
de l'Election des Membres qui doivent
compoſer le Conſeil Permanent ; le Comte
deGraczinsky , Général de la Grande-Pologne
, a été élu Maréchal de ce Tribunal
ſuprême ; & le Comte Nuruſſewicz , Coadjuteur
de Smolensk , a été nommé Secrétaire.
Les nouveaux Membres pour la Commiſſion
du Tréſor , ont été auſſi nommés ;
on croit qu'on y ajoutera le PrinceAuguſto
C2
( 100 )
Sulkowski , Vaivode de Poſen , qu'on s'attendoit
à voir placer au nombre de ceux du
Conſeil Permanent.
Juſqu'à préſent tout s'eſt paffé avec beaucoupde
tranquillité ; mais on craint toujours
des debats très-vifs , lorſque les Députés ſe
raffembleront dans leur Salle ; la nature des
affaires dont ils doivent s'occuper , donne
quelque fondement à ces craintes.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Octobre.
Le Comte & la Comteſſe du Nord , après
avoir paflé is jours dans cette Capitale , en
font partis hier à 9 heures du matin; l'Empereur
les a accompagnés juſqu'à Nicolsbourg
, où ils ont pallé la nuit ; le Général
Brown doit les conduire juſqu'à Troppau ,
d'où ils pourſuivront ſur Ratibor , par la
Pologne , leur voyage juſqu'à Pétersbourg.
Le Is de ce mois les Députés des Etats
de la Baffe-Autriche , qui doivent s'affembler
demain , furent admis à l'audience de
l'Empereur; il leur remit les propoſitions
fur leſquelles ils doivent délibérer.
Par un Décret Impérial du 14 Septembre
dernier qui vient d'être publié , l'Univerſité
&le Séminaire de Brinn ont été ſupprimés ,
&il a été établi un College à Olmutz , compofé
de 12 Profeffeurs ,dont 4enſeigneront
la Théologie , 2. la Jurisprudence , 2. laMé
i
( 101 )
decine , & 4. la Philoſophie & les Sciences
politiques & économiques.
L'Empereur a envoyé à chacun des Evê
ques des Etats de ſa domination , un exemplaire
de la Lettre Paftorale de l'Archevêque
de Salzbourg. Ce Prélat reſpectable a accordé
de ſa caiffe 4000 florins , pour l'aggrandifſement
de l'Hopital Bourgeois , une pareille
ſomme pour l'entretien des Perſonnes qui
ont l'eſprit aliéné ,& une autre égale encoro
pour les Incurables.
S. M. I. a fait publier l'ordonnance ſuiyante,
en date du 11 Septembre dernier.
Nous Joſeph II , &c . &c . Les Ordres Réguliers
n'ayant été reçus dans nos Etats que dans la vue
d'aſſiſter le Clergé Séculier dans ſes fonctions curiales
, & de ſervir utilement le peuple en lui adminiftrant
les ſecours ſpirituels; mais ces vues ſa
lutaires ne pouvant être obtenues qu'autant que les
Ordres Réguliers ſeront foumis à l'Evêque dans
le Diocèle duquel ils ſe trouvent établis , & Dieu
** ayant lui - même ſubordonné tous les fidèles Diocéſains
, fans exception d'Etat quelconque , à l'Ordinaire
, qui ſeul', d'après l'inſtitution divine , a
reçu le dépôt de la vraie Doctrine Catholique ,
c'est-à-dire , la diſpenſation de tout ce qui dépend
du faint Ministère , & en général tout le pouvoir
qu'exige la cure d'ames ; nous nous croyons obligés
de déraciner les abus qui , d'un côté , ſont
contre cette inſtitution , & de l'autre , peuvent devenir
dangereux pour l'Etat. Dans ce nombre nous
plaçons principalement les exemptions du pouvoir
& de la jurifdiction de l'Ordinaire , accordées ſous
divers prétextes par quelques Papes à des Couvens
, Communautés , Maiſons , Lieux & Perſonnes ,
tant du Clergé Régulier que Séculier. Mais comme
e3
( 102 )
par de pareilles exemptions l'Ordre Eccléſiaſtique
a été interrompu , & qu'il en est réſulté beaucoup
de mal pour l'Etat , par des envois d'argent à des
caiſſes étrangères , par une déſobéifſance ſcandaleuſe
aux Règlemens falutaires & néceſſaires des
Evêques , par l'évocation des procès aux Tribunaux
de la Cour de Rome , & fur-tout par le relâchement
de la difcipline clauſtrale & du bon
'ordre ( abus auxquels les Evêques ne pouvoient
toucher à cauſe des exemptions ) , & qu'en général
ses exemptions établies ſans l'agrément da Souverain
doivent être regardées comme des attentats
contre ſes droits , & qu'il est contre toute règle
que ſes S jets foient traînés devant des Tribu .
naux étrangers ; Nous , de notre plein pouvoir &
autorité , avons jugé à propos d'ordonner par la
préſente, voulons & ordonnons que les Priviléges ,
les Chartes d'exemptions , & autres Conceſſions données
par forme de Bulle , de Bref, & d'une autre
manière quelconque , ne foient plus valables quant
à l'exemption du pouvoir & de la jurisdiction de
l'Ordinaire ou du Métropolitain , & que par conféquent
tous les Couvens , Communautés , Perfonnes
& Lieux , fans aucune exception , foient
foumis à la conduite & à l'autorité de l'Ordinaire
, auquel ſeul ils obéiront , foit qu'il foit quel.
tion d'un objet de doctrine on d'un objet de dif-
-cipline : cette Déclaration de mullité doit s'étendre
fur tous les Privileges , Chartes & Conceffions dornés
par le paffé , & fur ceux qui pourront être
accordés par la ſuite. Nous annullons pareillement
par la Préſente , les conventions & les concordats
qui pourroient avoir été faits relativement à l'exemption
entre l'Ordinaire & quelques Couvens , Communawés
ou Perſonnes , ou qui pourront être faits
à l'avenir . Nous attendons avec confiance , de la
part des Ordinaires , que , toutes les exemptions
quelconques ceffant dans ce moment, ils apporte
( 103 )
ront tous leurs foins à l'exercice de leurs fonctions
paftorales ſur les perſonnes & les endroits
qui avoient joui de l'exemption , & ils peuvent être
aiſurés de notre aſſiſtance lorſque le cas l'exigera.
En conféquence les Ordinaires pourtont , ſelon leur
gré , faire des viſites , réformer la diſcipline clauftrale
, & employer le Clergé pour la cure d'ames.
Les Supérieurs des Couvens ou d'autres perſonnes
Eccléſiaſtiques qui oferont défobéir à la préſente
Ordonnance , feront punis ſelon l'exigence des cas ,
ſoit par leur expulfion du pays , ſoit par la ſuppreffion
des Maiſons auxquelles ils font préposés.
Finalement nous voulons que les Couvens , Communautés
ou Perſonnes qui poſsèdent des titres
d'exemptions du pouvoir& de la jurisdiction épilcopale
, envoient , ſous des punitions très - ſévères
en cas de négligence , d'ici au prem'er Novembre
de la préſente année , les originaux de ces titres
&des copies authentiques au Tribunal de la jurisdiction
duquel ils dépendent «.
Notre cominerce ſe préſente de la manière
la plus avantageuſe dans la Mer Noire ;
le premier bâtiment qui y avoit été envoyé
y a gagné conſidérablement. Les Sujets de
S. M. I. dans les Pays-Bas , ſecondés par le
Gouvernement , font les plus belles entrepriſes
; ils viennent de faire une tentative
pour le commerce d'Afrique , où une Coinpagnie
a expédié un bâtiment.
L'Empereur a fait remettre une médaille
d'or au ſieur Naco , qui a fait avec ſuccès
une plantation de cotonniers dans le Bannat
; à cette marque de ſa bienveillance
S. M. I. a ajouré une lettre , par laquelle
elle l'aſſure de ſa protection , & l'encourage
à continuer ſes tentatives.
c 4
( 104 )
De
FRANCFORT , le 25 Octobre.
LES nouvelles du Nord & des frontières
de la Turquie font toujours craindre une
rupture entre l'Empite de Ruffie & l'Empire
Ottoman. Elles confirment le bruit qui
s'eſt répandu des préparatifs qui ſe font
dans les provinces Européennes de la Turquie
, où l'on relève toutes les fortifications
des places , & vers leſquelles il défile des
corps conſidérables de troupes qui viennent
d'Afie. S'il faut en croire les mêmes
lettres , il y a eu en Crimée une action
entre un corps Ruffe & une partie de l'armée
Tartare , ſous les ordres d'un couſin
du Khan actuel ; elles fixent cette action
au 8 du mois d'Août dernier , & elles affurent
que l'avantage eſt demeuré aux Ruffes.'
Selon les avis de Pologne , pluſieurs régimens
Ruſſes s'aſſemblent à Mohilow &
en partent ſucceſſivement pour les frontières
de la Turquie , où ils feront prêts
à agir ſi , comme on le craint , la Porte déclare
la guerre à la Ruffie .
Au milieu de ces nouvelles , il s'en répand
depuis quelques jours qui annoncent
une révolution à Conftantinople , dont
l'effet pourroit bien être de retarder toute
entrepriſe hoftile de la part de la Porte ;
mais ces nouvelles fondées ſur la fermentation
qu'on dit régner dans cette capitale
de l'Empire Ottoman , & qui s'eſt mani
( 1ος )
feſtée par les incendies qui l'ont détruite
en partie , ſont encore bien vagues.
Onécrit de Berlin que l'année prochaine
il ſera ſubſtitué de nouvelles évolutions
militaires à celles qui ont été en uſage
juſqu'à préſent dans les armées du Roi
de Pruffe.
On affure que le traité d'échange entre
S. M. I. & la République de Veniſe approche
de ſa concluſion. La rivière de Lifonzo
formera , dit-on , la limite entre les
poffeffions reſpectives. Tout ce qui est
au-delà de cette rivière ſera cédé à la République
, qui de ſon côté cédera à l'Empereur
la part qu'elle avoit de l'Iſtrie , &
en outre 8 autres petites ifles très- importantes
pour le port de Trieſte.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 6 Octobre.
1
La liberté donnée aux arts & aux més
tiers dans les villes de la Toſcane par la
bienfaiſance du Souverain , n'y attire pas
un plus grand nombre d'Artiſans parce
que les encouragemens donnés en mêmetems
à l'agriculture , retiennent les Laboureurs
dans les campagnes. Cet art d'attacher
les hommes à leurs profeffions refpectives
, eſt peut- être le plus fublime &
le plus intéreſſant de tous ; il faut en
cacher les refforts, avec beaucoup de foin
pour ne pas cauſer un mouvement con
es
( 106 )
2
tinuel dans les différentes claſſes de la
fociété , & pour retenir dans chacune
d'elles les individus que la naiſſance y a
placés. Ce grand art n'a été ni mieux
connu ni mieux pratiqué nulle part qu'ici.
On vient de publier l'ordre ſuivant en
date du 28 du mois dernier.
>> S. A. R. conſidérant que la condamnation des
malfaiteurs a pour but principal de ſervir d'exemple
aux mal intentionnés & de frein au crime , & que
c'eſt une fatisfaction due au public par un Gouvernement
juſte, de manifeſter qu'il n'eſt entré dans
le jugementdes coupables , ni indolence , ni faveur ,
ni cruauté, ni aucun ſentiment arbitraire , a ordonné
qu'à l'avenir tous, ceux on celles qui feront condamnés
aux travaux publics ou à la prion pour 3
années , ou à l'exil pour sans & plus , avant de
fubir la peine à laquelle ils ferent condamnés , feront,
au fon de la cloche , expoſés à la porte du
Préteire , portant un écrieau où ſera le nom du
coupable , la nature de fon délit , la peine qui lui
aété infligée... Les condamnés aux travaux publics
ne pourront fortir du Bagne qu'en portant fur eux ,
d'une marière viſible , un pareil écritean ; & le ſor-
Intendant du Bagne pourra infliger telle punition
qu'il jugera convenable à tout coupable qui parcîtroit
fans cet écriseau , & qui l'auroit jetté en chemin
ou perdu . L'Auditeur fiſcal de Florence & le
Lieutenant-Général de Sienne feront notifier cet
Edit dans l'étendue de leur reffort , pour en opérer
l'exécution entière «.
ANGLETERRE.
1
De LONDRES , les Novembre.
La Cour n'a publié encore aucune des
nouvelles qu'elle a reçues de l'Amérique
( 107 )
ſeptentrionale. Nous ignorons où en ſont
les affaires dans cette partie du monde , &
quels ont été les effets de la ſupériorité ſur
mer que nous y a rendue l'arrivée de l'Amiral
Pigot à New- Yorck : on fait qu'il eſt
entré dans ce port plus tard qu'on ne l'eſpéroit
; on compte parmi les motifs qui l'ont
retardé celui d'eſſayer d'intercepter l'eſcadre
du Marquis de Solano dans ſon trajet
de St Domingue à la Havane ; s'il a eu ce
deſſein , il l'a manqué , & cette tentative
l'a empêché de rien tenter contre celle de
M. de Vaudreuil qu'il pouvoit peut- être
eſpérer de joindre , & qui paroiffant la première
dans ces parages , a tellement effrayé
le convoi de l'Emeraude & du Cyclope qu'au
lieu de ſe rendre à New - Yorck , il a été
à Hallifax pour échapper à l'ennemi ; il y
a des troupes Allemandes ſur ce convoi;
il eſt important de les conduire à leur
deſtination ; & cette opération indiſpenfable,
occupera ſans doute une diviſion de
l'eſcadre de l'Amiral Pigot , & retardera
en conféquence ſon départ pour les ifles ,
où il eſt à préſumer que les François réparés
& n'ayant rien à faire ſur le conti
nent , feront encore de retour les premiers ,
& en état de s'oppoſer à ce que nous y pourrons
entreprendre.
La Cour s'eſt contentée de publier ſur la
priſe de l'Aigle par le floop le Duc de
Chartres , l'extrait d'une lettre de l'Amiral
Digby. Le Pensylvania- Packet contient ſur
e6
( 108 )
cet évènement deux lettres qui fuppofent
que le Duc de Chartres n'a pas fait ſeul
cette prife. La première eſt du Baron de
Viomenil au Commandant de l'Eſcadre
Angloiſe dans la Delaware en date du 15
Septembre , & conçue ainfi.
>> M. de la Touche , Commandant de l'Aigle ,
fregate du Roi , que la fortune vient de mettre
entre vos mains , et mon ami intime , & M.
le Duc de Lauzun , M. le Marquis de Laval &
les autres Officiers François qui ſe trouvoient à
bord de la frégate , lui ſont ſi tendrement attachés
, que je me flatte que vous ne déſapprouverez
point l'envoi que je vous fais d'un Parlementaire ,
pour vous prier de nous informer de la ſanté de
cet Officier; alors toutes nes inquiétudes feront
calmées , puiſque nous sommes tous intimement
pertuadés, qu'aucune Nation ne ſait mieux apprécier
que la vôtre , le mérite d'un Officier malheureux.
Nous regarderons toutes les attentions
que vous voudrez bien avoir pour M. de la Touche
dans ſa ſituation préſente, comme fi elles nous
étoient propres ; & vous devez être convaincu
que nous les rappellerons toujours avec la plus
vive reconnoiffance. -Nous nous intéreſfons auffi
particulièrement au fort de M. du Queſne , qui
nous eſt cher à tous égards , & vous me ferez le
plus grand plaifir en m'informant de ſon état. M. de
laTouche avoit à bord de ſon vaiſſeau un jeune
frère, dont la ſanté nous inquiète , ainſi que celle
de tous les Officiers qui étoient ſous ſes ordres.
Ils méritent tous , par leur bravoure & par leur
zèle pour le ſervice du Roi mon maître , que vous
les honoriez de vos ſoins. Si vous ne voyez aucun
inconvénient à rendre aux Officiers qui étoient
paſſagers à bord de la frégate , les domeſtiques
qu'ils avoient avec eux,vous leur rendrezun fer(
109 )
vice dont ils ſeront éternellement reconnoiſfans.
Agréez les afſurances , &c. «
Le Commodore Elphinston à qui cette
lettre étoit adreſſée y fit la réponſe ſuivante
le même jour.
ود M. Votre lettre que je reçois à l'inſtant eft
le fruit d'un excellent coeur. Je viens d'envoyer
votre note à M. de la Touche , & j'eſpère que
l'Officier vous rendra ſa réponſe. Permettez- moi ,
M. , de vous aſſurer que j'ai cherché à rendre la
fituation de ce digne & brave Officier auffi douce ,
que le défordre où je me trouve a pu le permettre.
Je dois les plus grands égards à ſon mérite
&à ſa conduite diftinguée , & fi j'oſe avancer mon
avis , perſonne n'a montré plus de courage &
d'adreſſe à conduite le vaiſſeau du Roi ſon maître.
M. de la Touche a mis tous ſes ſoins à fatisfaire
les Officiers de terre , en veillant à leurs in
térêts. On a ſauvé beaucoup d'effets , mais le plus
grand nombre ſera perdu , vu la quantité confidérable
d'hommes qui étoient à bord , & la diverſité
des Nations qui compofoient l'équipage. Je
me ſuis trouvé dans l'impoſſibilité de ſecourir tous
vos compatriotes , puiſque nos gens étoient euxmêmes
occupés à ſauver nos frégates , qui toutes
deux avoient touché. On a jetté à la mer un nombre
infini d'effets , pour tâcher de remettre l'Aigle à
flot. Je puis vous aſſurer , M. , que j'ai donné les
ordres les plus précis pour que l'on reſtitue tous
les effets aux propriétaires , à l'exception de l'argent
& des marchandiſes appartenantes au Roi de
France, & j'oſe me flatter que M. de la Touche
a lieu d'être fatisfait de ma conduite & de celle
des Officiers que j'ai l'honneur de commander. M.
de la Touche , M. ſon frère & M. du Queſne ,
font prifonniers ſur leur parole ; & ce n'eſt que
la néceſſité où je me trouve de me rendre à ma
( 110 )
!
ſtation , qui m'empêche d'accorder le même avantage
aux autres Officiers. Etant perfuadé que vous
devez être très- impatient d'avoir des réponſes de
votre ami , je ne veux pas retenir un ſeul moment
votre chaloupe , & je vous prie de me croire , &c . «
Les papiers Américains nous fourniffent
les ſeules nouvelles que nous avons de ces
contrées . Le Congrès a fait publier les dépêches
ſuivantes ; la première eſt du Général
Gréen , au camp d'Ashley Hilldans la
Caroline Méridionale le 28 Aoûr .
>>La copie ci-jointe d'une lettre du Lieutenant-
Général Leflie , contient une demande extraordinaire
de proviſions qui a été refuſée. Je ne puis
la regarder que comme une preuve du deſſein ori
eft-l'ennemi de ſéduire & de leurrer les habitans
de cette contrée , tandis qu'il agit avec vigueur
contre leur allié , & juſqu'à ce qu'il puiſſe ſaiſir
une occafion plus favorable de s'emparer du pays.
Il n'a que trop réuffi à recueillir du ris à Santée ,
où il en a enlevé près de 600 barils , fans aucune
perte. Il a fait fortir un ſecond détachement pour
ruiner les bords de la rivière de Combakée. Le
Général Gift a ordre de marcher contre ce détachement
avec des troupes légères , & j'eſpère qu'il
vie dra à bout de rompre ſes projets «.
Lettre du Général Leflie , du 13 Août. » Le
parti que j'ai pris dernièrement d'envoyer des
troupes raffembler des provifions fur la baffe Santée
, pour l'uſage de cette garniſon , provient de
la défenſe que vous avez faite que le pays ne
nous fournit rien de cette eſpèce. Par égard pour
les ſentimens qui règlent à préſent la conduite de
laGrande-Bretagne envers l'Amérique , j'aurois defiré
pouvoir prendre toute autre meſure moins défagréable
pour le pays , & je ſuis prêt à entrer avec
vous en négociation fur cet objet , afin que ,
de
1111 )
:
notre côté ,, nous puiffions avoir àl'avenir les pro
vifions qui nous manquent ; & que , du vôtre ,
vous ſoyez à l'abri de toute incurfion. J'espère que
vous vous prêterez à des conditions auffi avantageuſes
, & qu'en conféquence vous voudrez bien
m'envoyer la grande quantité de iis que je vous
demande ",
Le 29 Août le Général Gréen fit auffi part
Lau Congrès du ſuccès de l'expédition du
Brigadier Général G.ft.
>> M. , j'ai l'honneur d'envoyer à V. E. la lettre
du Brigadier-Général Gift , relativement aux oρέ-
rations des troupes ſous fon commandement. Dans
ma dépêche d'hier , je vous ai parié de l'objet de
fon détachement; & je f is très-ase que cet Officier
foit parvenu à rendre inutile la tentative que
l'ennemi avoit faire pour ramaller des provitions.
Nous avons à déplorer la perte du Colonel Laurens ,
qui a été tué dans l'eſcarmouche du 27 de ce meis.
C'étoitun ſujet du premier mérite , & qui , comme
Citoyen&comme Militaire , mérite d'être regretté
de ſon pays.
Lettre du Brigadier-Général Gift au Major-
Général Greene , datée du camp volant de Chehawnek
le27 Août. -- >> L'e cadre ennemie eſt arrivée à
Combakeeferry dans la matinée du 25. Les troupes ,
fous mon commandement, ont pris pofte fur le côté
ſeptentrional de la ivière , le foir du même jour;
& ce ne fut que le lendemain matin que je pus
cavoir des nouvelles sûres de la force des ennemis
&de leurs mouvemens. J'appris alors qu'ils avoient
débarqué au nombre de 300 hommes environ à la
ferme de M. Middleton , fur l'a tre bord de la
rivière , & qu'ils étoient répartis & cantonnés dans
deux différentes plantations. Quelques Milices ayant
joint un premier détachement de troupes légères
de ce côté,je crus que c'étoit-là l'eccaſion favo
( 112 )
rable de tomber ſur un de leurs partis , & en conféquence
je détachai le Major Call avec le troiſième
régiment de Dragons , lui ordonnant de paſſer le
Salaketchees , de joindre l'Infanterie , & de l'attaquer
le lendemain à la pointe du jour. Avant de
donner ces ordres au Major Call , j'avois fait conftruire
un ouvrage pour incommoder l'eſcadre ennemie
à fon retour à Chehawnek , à 12 milles de
Combakeeferry. Le Lieutenant- Colonel Laurens eft
arrivé dans ce moment , & il a demandé la conduite
de cet ouvrage & le commandement de ce
poſte. Je les lui donnai , avec so hommes d'Infanterie
, quelques Artilleurs & un obufier : il partit
le ſoir même. Les ennemis voyant l'objet de leur
expédition manqué , rembarquèrent leurs troupes
à deux heures du matin , deſcendirent ſans bruit
la rivière avec la marée , & ne furent apperçus
par nos patrouilles qu'à quatre heures. Alors nos
troupes ſe mirent en mouvement pour s'oppoſer à
leurdébarquement & foutenir le Colonel Laurens;
mais avant mon arrivée , ils,débarquèrent & engagèrent
fur terre un combat cù ce brave Officier
fut tué. Ils s'emparèrent de l'obufier ; mais j'arrivai
aſſez à tems , avec la Cavalerie , pour protéger
la retraite de l'Infanterie qui ſe rallia auffitôt
à un mille du champ de bataille. Comme je
⚫vis que la poſition des ennemis étoit très-défavorable
aux opérations de notre Cavalerie , & que
notre Infanterie étoit fatiguée , je ne jugeai pas à
propos de recommencer le combat. Les Anglois
gagnèrent leurs chaloupes , ſe rembarquèrent &
mirent à la voile, -Nous avons eu un Lieutenant-
Colonel & un Caporal tués ; 2 Capitaines , 2 Sergens
, 1 Caporal & 13 Soldats bleſſes, Ceſt le Lieutenant-
Colonel Laurens qui a été tué «.
Les mêmes papiers contiennent l'extrait
fuivant d'une lettre de Richemont dans la
Virginie , en date du 14 Septembre.
11131
55 Des avis récents de la frontière du N. O. ,
portent que nos troupes ſous les ordres du Général
Irwin , ont entiérement défait un corps
conſidérable d'Indiens ; ces derniers ont eu 93
hommes tanttués que ſcalpés , & ungrand nombre
de bleffés. Notre perte a été très - légère. Cette
nouvelle a été confirmée par des rapports de dif.
férentes parties de la Province ; cependant , on ne
donne encore aucuns détails. Ces ſuccès feront
ſans doute abandonner aux ennemis les projets
qu'ils avoient formés contre le Fort Pitt , furtout
s'il eſt vrai que le Général Clarke dans le
deſſein de coopérer avec le Général Inwin , s'eſt
avancé vers le territoire Indien. Nos frontières
S. O. ont été en grande partie protégées , & les
ennemis ſe ſont vus hors d'état de nous incommoder
pendant tout le printems. Il n'y a eu qu'un
ſeul parti de 5 à 6 Indiens qui al commencement
du mois dernier , ait tué deux hommes du corps
de Washington. Les Cherokées ſont diſpoſés à la
paix , & pour la première fois , ils ont négocié
dans des termes très-modérés. Les forces que l'on
doit envoyer contre-eux , & leurs derniers malheurs
en Géorgie, ſont ſans doute la cauſe de cette
foumiſſion inattendue.-Au mois de Juillet dernier
avant l'évacuation de Savanah , le Colonel
Brocon ,l'Agent Britannique , ayant eſſayé de conduire
de cette place quelques ſecours à ſes par
tiſans dans le pays des Cherokees , fat malheureuſement
intercepté & cut beaucoup de peine à
ſe ſauver; quelque-tems après les Cherokées ens
voyèrent une eſcorte au devant de Brocon , ce
parti fut également fait prifonrier , & on uſa ſurle-
champ de repréſailles. Les Anglois ayant inhumainement
maſſacré l'hiver dernier , le frère du
Général Rekenw , avec 20 hommes.-Les préliminaires
offerts aux Cherokees , font dit-on , 1º.
Qu'ils cefferont toute eſpèce d'hoſtilités contre les
7114 )
Etats Américains. 2°. Qu'ils rendront les prifond
niers Américains. 3 °. Qu'ils livreront aux Américains
tous les Anglois qui ſe trouveront parmi
eax. -Le Colonel Martin eſt parti au commencement
du mois dernier pour Chata , où il doit recevoir
les prifonniers & offrir ces articles de
Paix «.
Il paroît , d'après toutes ces nouvelles ,
que les négociations de paix ne produiſent
aucun des effets qu'on avoit eſpérés en
Amérique ; ce n'eſt pas-là qu'elles doivent
le faire; les réſolutions ſuivantes du Congrès
ne laiſſent aucune eſpérance de traiter
avec lui autrement que conjointement
avec ſon allié.
د
>>D'autant qu'en vertu des articles de confédération
& d'union perpétuelle , le droit ſeul & exclufif
de conclure la paix réſide dans les Etats-Unis ,
aſſemblés en Congrès , & que le traité d'alliance entre
S. M. T. C. & ces Erats-Unis , porte qu'aucune
des parties contractantes ne conclura la paix ou une
trève avec la G. B. fans le confentement de l'autre ;
& que les Miniſtres Plénipotentiaires de ces Etats-
Unis en Europe ſont revêtus de pleins pouvoirs ,
& autorisés à travailler de concert avec leurs Alliés
aux négociations & à la conclufion d'une paix générale
, & qu'il paroît néanmoins que la Cour d'Angleterre
ſe berce encore du vain eſpoir d'engager
les Etats- Unis à accepter des conditions qui les
mettroient dans quelque dépendance de la G. B. , ou
de les engager au moins à conclure une paix ſéparée;&
comme il y a lieu de croire qu'il ſera envoyé
des Commiſſaires en Amérique pour offrir des propoſitions
de cette nature , ou qu'on ſe ſervira d'émiſfaires
ſecrets pour en impoſer & pour tromper ; afin
donc d'anéantir des eſpérances mal- fondées , afin de
fruſtrer des projets infidieux & de manifeſter au
( 115 )
monde entier la pureté des intentions & la réſolu
tion fixe & inébranlable des Etats-Unis. - Résolu
unanimement que le Congrès deſire ſincèrement d'obtenir
une paix honorable & permanente ; qu'il adhérera
inviolablement , comme étant l'unique moyen
d'arriver à ce but , au traité d'alliance qui fubfifte
entre lui & S. M. T. C. , & ne concluera ni paix
ſéparée ni trève avec la G. B. , qu'il continuera la
guerre avec vigueur , juſqu'à ce que Dieu répandant
les bénédictions for leurs armées réunies il puiffe
obtenir une paix qui aſſure la ſouveraineré abſolue
& l'indépendance illimitée de ces Etats-Unis , &
qui établiſſe efficacement ſes droits & intérêts , ainſi
que ceux de ſes Ailtés . Que le Congrès n'entrera
point dans la difcufion d'aucunes ouvertures de paix
que de l'aveu de S. M. T. C. & de concert avec elle.
-Qu'à l'effet de ſe mettre en garde contre les artifices
& les menées ſecretres de l'ennemi , il ſera ,
ainſi qu'il l'eſt par les préſentes , recommandé anx
Etats reſpectifs d'apporter la plus grande vigilance
& la plus grande activité , pour découvrir & faire
arrêter tous les émiſſaires & eſpions Anglois , afin
qu'ils foient punis comme ils le méritent ; qu'il
ſera enjoint à tous les Officiers des Départemen auxquels
s'adreſſent les perſonnes envoyées par l'ennemi
ſous la protection de Parlementaires , d'avoir
un ſoin particulier que de telles perſonnes n'abuſent
point de leurs priviléges , & qu'ils leur interdifent
toute communication avec le Pays &les Habitans
, parce qu'el'es peuvent remplir très-bien
ſans cela l'objet de leur miſſion , & qu'il ſera enfin
recommandé aux divers Erats de ne permettre
qu'aucuns Sujets de S. M. B. , venant directement ou
indirectement de quelque partie des Domaines Anglois
, ne s'établiſſent dans aucun des Etats-Unis
pendant la guerre.- Ordonné qu'il ſera livré copie
du ſufdit acte au Miniſtre Plénipotentiaire de
France , & qu'il en ſera envoyé des copies aux
( 116 )
1
Miniſtres des Etats-Unis dans les Cours étrangères
& qu'en attendant le ſuſdit acte ſera rendu
public,
,
Les lettres de divers endroits de l'Amérique
ſeptentrionale , ne montrent nulle
part les diſpoſitions dont les Loyaliſtes
nous flattent depuis long- tems; elles offrent
par-tout l'expreffion du mécontentement ;
il eſt excité par les déprédations qui ſe commettent
toujours au nom du Roi , en mêmeremps
que lesGénéraux donnent les affurances
les plus poſitives qu'on négocie la
paix, ces affurances parciſſent fondées dans
pluſieurs endroits de l'Amérique , où l'on
voit les Torys revenir en foule , & demander
leur pardon ; on en voit un grand nombre
accourir à Albany pour cet effet ; mais
cela n'empêche pas nos troupes & nos corfaires
detenter de fréquentes excursions , où
ils ſe conduiſent comme ils le faiſaient cidevant.
On peut en juger par cette lettre
d'un particulier de Midleſex dans la Vir
ginie.
,
>> Toutes les rivières de ce Canton font toujours
expoſées aux brigandages des corfaites Anglois. Ni
la réſolution priſe par le nouveau Ministère Britannique
de ne plus faire une guerre offenfive fur ce
continent , ni l'inutilité de ces expéditions qui ne
ſervent qu'à irriter les eſprits rien ne peut nous
garantir de ces pirateries . Nombre de perſonnes
ont été dépouillées par ces brigands qui brû'ent
ce qu'ils ne peuvent emporter. Ils font preſque tous
Negres , & il n'y a pas parmi eux quatre blancs fur
vingt noirs . Il eſt difficile d'imaginer que de tels excès
ne ſoientpas autorisés au moins tacitement par les
( 117 )
Commandans de New-York , mais ſi c'eſt une nou
velle tentative de l'ennemi , pour parvenir indirectemear
à ſa fin , eile échouera comme toutes les
autres. Ni la farie , ni la ruſe ne peut actuellement
rompre les liens qui nous uniſſent à la France ,
ni engager les Puiſſances alliées à admettre aucunes
ouvertures de paix , dont l'indépendance la
plus abſolue ne ſeroit pas la baſe. «
On n'a point encore de nouvelles de
l'évacuation de Charles - Town ; l'ordre
qui en avoit été donné , avoit été envoyé
ſous le ministère du Marquis de Rockingham
; c'eſt ſur cet ordre que le Général
Carleton & l'Amiral Digby écrivirent la
lettre au Général Washington , qui a fait
tant de bruit. Le Comte de Shelburne &
ſon parti , qui ne ſont pas ſi décidément
terminés à renoncer à toute poffeffion en
Amérique , ont , dit- on , envoyé un contre-
ordre au ſujet de l'évacuation de Charles
Town ; mais comme il n'eſt parti qu'en
Septembre , il est vraiſemblable qu'il arrie
vera trop tard. Les citoyens qui pleurent ſur
cette guerre funeſte , voient avec peine les
variations de notre Ministère , qui ne peut
ſe réſoudre décidément à un parti auquel
il ſera forcé tôt ou tard , & fur lequel il
conviendroit qu'il s'arrangeât de bonne
grace. Ils lui répètent un conſeil qui , dès
1778 , dans un tems où un accommode
ment étoit poffible , où nous n'avions pas
épuiſé tout le ſang & toutes les richeſſes
que nous avons ſacrifiés , leur avoit été
donné par un étranger qui voit bien , & qui
( 118 )
dès-lors prédiſoit ce qui leur eſt arrivé.
>>Mettez ſous vos yeux , leur diſcit- il , un tableau
bien propre à flatter votre vanité. Les Américaius
plient ſous vos armes , vaincus ils s'avouent
coupables ; comment les traiter ? La voix de la douceur
eſt ſans contredit la plus ſure , mais el ene
met pas à l'abri de toute crainte pour l'avenir. Les
Colonies n'attendent que le moment où elles pourront
porter leurs coups avec plus d'aſſurance ; in faudra
ſe defier de leurs promeſſes & prendre des précautions.
Jetterez- vous des garnitons nombreuſes
dans leurs Villes , pour tenir les habitans dans la
foumiffion , & pour garder quelques Colonies ? Emploietez-
vous habituellement toutes les forces de la
G. B. ? Vous voudrez reſter maîtres de tout le commerce
des Américains , les afſujettir à des impôts ,
ne révoquer aucun des actes qui excitent leurs mécontentemens
. Le feu couvera quelque tems ſous la
cendre ; & peut- être quand vous le croirez éteint ,
vous le verrez tout à coup embrafer la G. B. &
l'Amérique ; l'une ne peut reſter maîtreffe abſolue
de l'autre.
Si vous deſcendez juſqu'à traiter
les Américains d'égaux à égaux ; fiers de vous
voir forcés de faire les premiers pas , ils voudront
eux-mêmes dicter les conditions de l'accommodement.
Il faudra ſe réſoudre à révoquer les actes
qui ont excité leurs clameurs , & les ſouſtraire aux
loix du Parlement; à laiſſer aux aſſemblées des
Provinces le pouvoir de les taxer ; à leur accorder
une indépendance & des libertés beaucoup plus
étendues que les vôtres ; à abolir enfin l'acte de
navigation qu'ils déteſtent. Atout cela , que gagnerez-
vous ? Moins l'Amérique contribuera pour fournir
aux beſoins de l'Etat , plus vous ferez dans la
néceffité de fouler la G. B.; les émigrations recommenceront
avec fureur , les colonies répareront leurs
pertes , & la paix vous deviendra auſſi funeſte que
vous l'a été la guerre. Cependant au milieu de vos
( 119 )
malheurs , il vous reſte une grande reſſource; les
Colonies ont ruiné l'Angleterre , ſervez-vous des
Colonies pour les rétablir ; rompez toute intelligence
avec elles ; n'ayez plus ni à les foutenir
dans leur foibleſſe , ni à les redouter dans leur
puiſſance ( 1 ) «.
On fait que lestroupes Eſpagnoles qui ont
fait la conquête des Ifles de Bahama , y ont
éré eſcortées par la frégate Américaine la
Caroline - Méridionale , de 40 canons ; elle
les quitta après l'expédition. S'il faut s'en
rapporter aux détails ſuivans , puisés dans
une lettre de Charles-Town , on ne ſera pas
étonné que la Cour de Madrid n'ait point
encore reçu de relation de cette conquête.
Nous nous contenterons de tranſcrire ici la
lettre ſuivante.
>> Le maître d'une goëlette arrivée ici de New-
Providence , capitale des ifles de Bahama , rapporte
que de près de 40 bâtimens Eſpagnols partis de
cette place peu après la reddition , il n'en est arrivé
que 18 à la Havane , qu'environ le même nombre
a éré pris , & le reſte forcé de retourner à l'iſſe
par un corſaire qui croiſoit dans le voiſinage. La
,
(1) Le Philoſophe profond , le Politique éclairé qui adreſſoit
en 1778 ces conſeils à l'Angleterre , a vu le tems & les évènemens
justifier ſa manière de voir. Nous nous empreſſons
d'annoncer ici l'ouvrage important d'où nous les avons tirés.
Il eſt intitulé : Difcours sur l'Hiſtoire , le Gouvernement ,
les Usages , la Littérature & les Arts de pluſieurs Nations
de l'Europe. Par M. le Comte d'Albon , de la plupart des
Académies. Ces diſcours font au nombre de 9. Ily en a deux
furl'Angleterre , un ſur la Hollande , un fur la Suifle , 3 fur
P'Italie , un fur l'Eſpagne & un ſur le Portugal. On trouve
dans tous l'Obfervareur , le Politique , le Philoſophe , l'homme
de Lettres & le Citoyen. On les a réunis en 4volumes qui
ſe vendent à Paris chez leſieur Moutard , Libraire- Impri
meur de la Reine , rue des Mathurins , Hotelde Cluny.
( 120 )
plupart de ceux dont il s'empara furent brûlés ou
détruits, & leurs équipages & les troupes qu'ils
ramenoient à la Havane furent mis à terre , ſur les
petites iſles inhabitées nommées Keys. Ces captures
ont été faites par un corſaire ſuppoſé appartenir
à New-Providence ; & comme les propriétaires
en avoient été compris dans la capitulation de
l'ifle , les Eſpagnols ont regardé cette entrepriſe
comme une atteinte portée à la convention & a la
foi des Nations. En conséquence ils ont faiſi &
emprifonné un nombre d'habitans & en particulier
ceux qui avoient intérêt dans la propriété des corfaires
qui appartenoient ci-devant à New- Providence
, & qui ne ſont pas revenus après la réduction
de l'iſſe , vu qu'on ne fait pas précisément
quel eſt le corſaire qui a fait cette déprédation.
Quant au fort des marins & foldats qu'il a débarqués
fur des iflesdéſentes , on n'en apoint de nouvelle certaine.
Il y a des perſonnes qui diſent qu'ils en ont été
retirés par des navires appartenant à leur Nation ;
mais fans ajouter par quel hafard ceux-ci les ont
découverts.- Un particulier qui ſe trouvoit à bord
d'un bâtiment Parlementaire qui arrive , nous apprend
que les Eſpagnols ont relâché les habitans
qu'ils avoient arrêtés ; cependant ils ont été obli
gés de donner caution , qu'ils reſteront dans l'iſne
juſqu'à ce que l'affaire ſoit éclaircie « .
Les flottes de Québec & de Terre-Neuve
reviendront toutes deux ſous le convoi de 2
vaiſſeaux de so canons & de 4 frégates
commandées par l'Amiral Campbell. C'eſt
le 25 du mois dernier qu'elles devoient
partir ,& ce feront les dernières pour cette
année.
Les nouvelles reçues du Continent nous
ont appris que l'Amiral Howe étoit arrivé
au
( 121 )
au Détroit de Gibraltar; qu'il avoit été
pouffé par les vents dans la Méditerranée ,
où l'armée combinée l'avoit ſuivi , & qu'il
avoit fait entrer 5 ou 6 bâtimens de fon
convoi dans la baie. Maintenant on eſpère
que le vent le favoriſera pour fortir de la
Méditerranée , mais on ne ſe flatte pas que
fon convoi entre tout entier à ſa destination
: peut - être aufli ne devient il plus néceffaire
à la place , ſi les Eſpagnols ſe déterminent
à lever un fiége qui a été déja
très - long , qui peut l'être encore , & qui
nous favoriſe , en retenant autour de cette
place des forces qui nous feroient plus de
mal ailleurs. S'ils prennent ce parti , la
grande expédition de Howe étoit inutile
&elle aura fatigué nos vaiſſeaux , qu'il
faudra réparer au moment où nous aurions
beſoin de les envoyer dans les lieux où il
faudroit les oppoſer à nos ennemis.
L'Amirauté a appris par la fiégate le Win
chelsea , que le Caton de 64 , & la Pallas
de 32 , qui s'étoient ſéparés de la flotte de
la Jamaique avant le gros tems , étoient arrivés
à Terre Neuve ; mais on eſt toujours
inquiet pour la Ville de Paris , le Centaure ,
le Glorieux & l'Hector. On dit que le premier
de ces vaiſſeaux a été vu près des
Açores , n'ayant plus que ſon grand mât &
ſon beaupré.
Les vaiſſeaux ſuivans ont reçu ordre à
Portsmouth de mettre en mer ſous peu
de jours ; ils eſcorteront la flotte des Iſles
16 Novembre 1782 . f
( 122)
juſqu'à une certaine hauteur. Ce font l'Europe
; de 64 , le Romney , de so , le Rainbow
, le Mediator , la Réſiſtance , de 64 , la
Prudente , de 38 , l'Alcmène , de 32 ,
Mydas , de 24 .
le
>>> Le Capitaine Thomſon , dit un de nos papiers ,
vient de propoſer un plan pour le foulagement
des pauvres veuves des Officiers de la Marine. II
s'agiroit que tous les Officiers dépoſaſſent entre
les mains de quelqes Banquiers , pour le placer
le plas sûrement poflible , 2 pour cent de leurs
parts dans les priſes. Si cela avoit lieu , cela produiroit
des ſommes affez conſidérables; on porte
celle de l'Ani ral Rodney, pendant le tems qu'il
comman loit dans la guerre actuelle , à 335,625 1. ft . ,
la part de l'Am ral n'eſt que la 16e. partie du produit
des priſes a.
FRANCE
De VERSAILLES , le 12 Novembre.
La Princeſſe de Rohan Guémenée , Gouvernante
des Enfans de France ,ayant prié
le Roi d'agréer ſa démiſſion de cette place ,
S. M. en a diſpoſé en faveur de la Ducheſſe
de Polignac , qui le premier de ce
mois eut l'honneur de faire ſes remerciemens
en cette qualité au Roi & d'être
préſentée à la Reine ; le 3 elle prêta en
cette qualité ferment entre les mains du
Roi.
Le même jour L. M. & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte
du Myrat , Colonel à la ſuite des troupes
légères , avec Mile de Charry des Goutes,
( 123 )
Le même jour M. de Brantzen , Miniftre
Plenipotentiaire des Etats - Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particulière
du Roi , dans laquelle il remit à
S. M. fes lettres de créance ; il fut pré'enté.
à certe audience ainſi qu'à celle de la
Reine & de la Famille Royale , par M.
de Tolozan , Introducteur des Ab ffadeurs
; M. de Sequeville , Secrétaire ordidaire
du Roi pour la conduite des Ambaffadcurs
, précédoit.
De PARIS , le 12 Novembre.
Les différentes lettres d'Eſpagne arrivées
ſucceſſivement , en contiennent quelquesunes
des perſonnes de la ſuite de Mgr. le
Comte d'Artois. Elles nous apprennent que
ce Prince avoit eu le bonheur de trouver
du beau tems & de beaux chemins malgré
la ſaiſon .
* Quant aux nouvel'es de St Roch, ajoutent-e'les,
on nous mande que l'escadre Angloiſe eſt entrée
le 19 dans le Détroit, par un bon vert d'Eft ; &
qu'au départ du Courier , les f égares d'avant-garde
débouchoient dans l'Océan , & I arrière-garde , dans
le meilleur ordre poffble , doubleit la pointe de
Carnero. L'eſcadre de l'armée combinée , commandée
par M. de la Motte- Piquet , ſuivoit de
près l'armée ennemic, & doubloit la pointe d'Europe.
Mais le gros de l'armée combinée en étoit
encore à 2 lieces . - Le Saint - Michel , échoné
devant Gibraltar , avoit été relevé par l'enremi ,
& mouilloit le 21 à la pointe d'Eurore. Tout le
mal que l'Amiral Howe pato.ſſoit avoir fouffert
f2
( 124 )
dans la Méditerranée, ſe réduiſoit à la priſe d'un
tranſport conduit à Malaga. Une bombe tirée de
la ligne , avoit encore fait fauter au mouillage de
la pointe d'Europe , un vaiſſeau chargé de poudre
au moment où on la débarquoit ".
Voilà où en étoient à cette époque les
poſitions reſpectives. Un Courier arrivé
depuis de Madrid , a apporté la nouvelle
d'un combat , dont on donne les détails
ſuivans.
>> Ce fut le 20 que les eſcadres fe rencontrerent.
L'Amiral Howe , poursuivi de près depuis
deux jours , étant alors à environ 16 lieues de
Cadix , & ne voyant que 32 vaiſſeaux à D. Louis
de Cordova , il ſe détermina à mettre en panne &
à foutenir le choc. Il étoit environ 6 heures du
foir. L'armée combinée , quoique moins forte de
2 vaiſſeaux , 14 des ſiens étant reſtés fort en
arrière , ne refuſa pas le combat. M. de la Motte-
Piquet l'engagea le premier , & la canonnade devint
générale juſqu'à 9 heures du ſoir , que les
Anglois jugèrent à propos de quitter la partie &
de forcer de voiles; le lendemain au matin on ne
Ies voyoit plus , les 14 vaiſſeaux reſtés en arrière ,
ne joignirent que ſur le ſoir du même jour. L'armée
combinée a fort peu fouffert dans ſes agrêts &
dans ſa mâture; elle a eu environ so hommes tués &
200 bleſſés , parmi lesquels 24 Officiers . Ce combat
prouve que ſi l'ouragan n'eût pas empêché l'armée
combinée d'aller au-devant de Howe , & que
fi cet Amiral eût été retenuun peu plus long-tems
dans la Méditerranée , il couroit grand riſque d'être
entièrement détruit. La bonne fortune de l'Angleterre
en avoit ordonné autrement ; mais ſi l'Amiral
Anglois a été heureux , il ne pourra pas du moins
ſe glorifier d'avoir eu affaire avec un ennemi inhabile&
timide. Il eſt certain qu'il n'a accepté le
:
( 125 )
combat que loiſqu'il s'eſt vu ſupérieur ; & en prenant
la fuite , comme les beſoins preſſans de ſa
nation & la faine politique le lui preſcrivoient ſans
doute , il a laitle l'honneur de la fin de cette
campagne à l'armée combinée. D. Louis de Cordova
ſe préparoit à rentrer le 24 à Cadix « .
On peut obſerver ici que c'eſt la ſeconde
fois qu'au moment d'être attaqué , les ouragans
ont ſauvé l'Amiral Howe. On ſe ſouvient
de celui qu'eſſuya M. le Comte d'Eftaing
au moment où il alloit le joindre. Si le
terrible coup de vent de la nuit du 10 au II
n'avoit pas mis l'armée combinée dans
l'impoffibilité de ſortir lorſque l'eſcadre
Angloiſe parut , l'Amiral Howe auroit eu
moins à s'applaudir de ſon bonheur. Au
refte , dans pluſieurs dépêches des Généraux
, & dans différens journaux du camp ,
on ne trouve que 16 tranſports entrés à
Gibraltar. Il y en avoit 48 ou so deftinés
pour cette place. 4 ou 5 revinrent en
Angleterre , un fut furpris par la Surveillante
, un autre a été conduit à la Corogne ;
il en reftoit 40 à l'Amiral Howe , ſelon
les fignaux des Vigies , lorſqu'il parut au
Détroit. 16 ſa gliſsèrent dans la place depuis
le 11 juſqu'au 17 ; trois ou quatre ont été
pris dans la Méditerranée , & conduits à
Carthagêne & à Malaga ; il en reſte environ
20 autres , qui ont été diſperſés dans
la Méditerranée , ou qui ont reçu ordre
de fe réfugier dans quelques ports de la
côte d'Afrique . On a cu tort d'écrire que
f
71261
l'Amiral Howe à ſon retour avoit laiſfé dans
Gibraltar ce qu'il avoit voulu ; il n'eſt revenu
de la Méditerranée qu'avec les vaiſſeaux
de guerre ; ſon eſcadre étoit compoſée le
19 de 34 vaiſſeaux de ligne , 8 frégates , 2
bélandres & 2 brûlots ; ainſi il n'y a que le
ties à peu près de fon convoi qui ſoit
arrivé à bon port. Le navire conduit à Malaga
, portoit des uniformes pour deux régimens.
Ce n'est pas ſeulement à Algéſiras & dans
les environs du Détroit que l'ouragan du
It a porté ſes ravages. A Carthagêne , à
Barcelone , à Gênes & juſqu'à Naples , il
s'eſt fait fentir avec la même violence ; &
les lettres de ces ports ne font remplies que
des détails affligeans des déſaſtres qu'il a
cauſés.
>>Quoique le ravitaillement de Gibraltar ſoit
en partie manqué , il paroît cependant , lit-on dans
quelques lettres , qu'on eſt décidé à ne pas continuer
le fiége. On croit que les troupes Françoiſes
du camp partiront inceſſamment pour Cadix ; le
régiment de Cordoue retourne à ſa garniſon de
Ceuta; les actes régimens Eſpagnols feront cantonnés
, à l'exception de ceux qui font néceſſaires
à la garde ordinaire des lignes , & de ceux qu'on
préſumedevoir s'embarques à Cadix avec les troupes
Françaiſes Celles- ci re eront , dit on , aux
ordres de M. de Falkenhain . On lit dans un
Journal du camp les particularités ſuivantes , au
-fujet des 40 foldas prifonners à Gibraltar , qui
ont pris parti dans les troupes Anglei es . Ils avoient
été débachés par un Corſe , qui , avec l'arpas
de 14 paltres d'engagement , & en leur faifant
( 127 )
entendre qu'ils ne pouvoient pas être échangés ,
& qu'ils feroient certainement tranſporté en An
gleterre , parvint à les attacher au frvice de la
place. Lorſqu'ils virent partir leurs camarades échangés
quelques jours après , ils furent inconfolables
de s'être laiſſé fi groffièrement tromper ce,
On apprend deBreſt que leProtecteur
P'Alcide , & le Puiffant y font revenus ,
après avoir laiflé au-delà de Madère les
convois de l'iſſe d'Aix ; le Neptune ſeul a
ſuivi celui des Antilles .
Un bâtiment Américain arrivé dans nos
ports , a apporté des nouvelles de Philadelphie;
elles rectifient les détails publiés
en Angleterre ſur la priſe de la frégase
l'Aigle , qui portoit , ainſi que la Gloire
MM. de Laval , de Viomeſnil , de Lange
ron , de Ségur-, &c. On ne ſera pas fâché
d'eppofer à la courte relation des Anglois ,
la lettre ſuivante de M. de la Touche ,
Capitaine de vaiſſean , Commandant la frégate
l'Aigle , à M. le Marquis de Caſtries ;
elle eſt dus Septembre dernier .
>> J'ai Thonneur de vous rendre compre que
dans la nuit du 4 aus Septembre , me faisant par
les 39 d. 10 m. de latitude & 67 d. 35 m. de
longitude , j'eus connoiſſance d'un bâtiment ſous
le vent , gouvernant comme moi au plus près du
vent, les amures à ſtribord , le vent oueft affez
frais. Je fis porter ſur lui pour le mieux reconnoître
; m'en étant approché à demi - portée de
canon , je ne tardai pas à juger , par l'élévation
du bois , que c'éroit un vaiſſeau à deux batteries .
-La frégate la Gloire , commandée par le Chevalier
de Vallongue , ſe trouvoit ſous le vent à
f4
( 128 )
mới , & beaucoup plus près du vaiſſeau en vue.
Je jugeai par les fanaux que je vis s'allumer dans
les batteries de ce bâtiment , qu'il étoit dans l'iotension
d'engager le combat ; ne jugeant pas la
partie égale , & confidérant l'importance de la mit
fion dont j'étois chargé , je pris le parti de ferrer.
le vent en faifant de la voile , eſpérant que la
Gloire feroit le même mouvement , fans avoir
recours aux fignaux de nuit pour lui faire exécuter
cette manoeuvre ; mais le Chevalier de Vallongue
ſe trouvoit alors à demi-portée de fufil de
l'ennemi qui le héloit; ils ſe parloient lorſque je
pris le parti de faire le figual de ralliement. Le
Chevalier de Vallongue jugeant que le vaiſſeau ennemi
ne manqueroit pas de profiter , pour lui tirer
ſa bordée , de la poſition avantageuſe que la frégate
alloit lui offrir en exécutant mon ordre
prit le parti courageux d'arriver ſur lui & de lui
envoyer toute la ſienne par l'avant; le vaiſſeau la
lui rendit , & le combat s'engagea à la portée du
piſtolet. Le premier coup de canon ſur la Gloire,
mit fin à toutes les réflexions que je pouvois faire fur
les ſuites d'un combat que je jugeois très -inégal ;
j'arrivai vent arrière pour courir ſur la frégate
Françoiſe & la ſeconder. Après quelques bordées
tirées de part & d'autre , le feu ceſſa entre la
Gloire & l'Ennemi ; les deux Capitaines ſe reparlèrent
, s'interrogèrent réciproquement fur leurs
couleurs, & le combat recommença bientôt. Ce
fut dans ce moment que je pas me placer entre
la Gloite & l'Ennemi ; & je commençai un feu
foutenu de toute mon artillerie , qui me parut
produire beaucoup d'effer. Le feu de ce vaiſſeau
ne fut pas auffi vif que j'avois lien de m'y attendre
; il me ferroit au vent au point que je ne
pus douter que ſon deſſein ne fût de m'aborder.
Je reconnus par le calibre des boulets que je re .
cevois à bord , de 36 , de 18 & de 8 livres de
balle , que j'avois à combattre un vaiſſeau de 74
( 129 )
canons , & n'ayant d'autre chance pour moi que
celle qu'il venoit de m'effrir , je pris le parti de
ne pas le refufer ; ayant à bord 580 combattans
animés par l'exemple de MM. les Baron de V10-
ménil , Duc de Lauzun , Marquis de Laval , Marquis
de Champcenetz , MacMahon , Sheldon ,
des Comtes de Chabanre , de Talleyrand , de
Rice & de Langeron fils , de MM. les Vicomtes
de Fleury &de Melfort , de M. de Brentano
& autres Officiers , dont le courage & la haute
valeur animoient mon équipage. La vergue de
civadière de l'Ennemi étoit accrochée dans mes
haubans de miſaine ; dans cette poſition je lui lachai
une bordée de toute mon aarrttiilllleerriiee , & je
fis crier en même tems : à l'abordage & vive le
Roi. Le Baron de Vioménil ſe diſpoſoit à paſſer
à bord de l'Ennemi , ſuivi de tous les Officiers
nommés ci - deſſus , lorſque le vaiſſeau maroeuvra
pour s'éloigner fans envoyer un ſeul coup de
canon, ce que j'attribue à la terreur que ma réfo-
Jution a pu inſpirer à ſon équipage , qui vraiſemblablement
n'étoit pas nombreux. Les chargeurs
de l'Ennemi à ſa première batterie, & les miens ,
ſe font frappés réciproquement avec leurs refouloirs
: éloignés l'un de l'autre, nous avons recom.
mencé le combat à la portée du fufit , & le feu de
ce vaiſſeau diminuoit de la manière la plus extraordinaire.
Au jour , la Gloire qui avoit pris une
pofition favorable , recommença le combat , en le
canonnant de l'arrière & de l'avant ; il étoit d'-
gréé , & ne manoeuvroit qu'avec beaucoup de difficulé.
J'aurois continué le combat dont l'iffue
paroiffoit devoir être en notre faveur , lorſqre mes
vigies m'ont crié qu'elles appercevoient pufieurs
voiles , dont j'en reconnus une moi - même pour
être un bâtiment à trois mâts avec l'apparence d'un
vaiſſeau de ligne. Je craignis avec raiſon que le
vaiſſeas de 74 que nous combattions , re fit parfs
11301
tie d'une eſcaire à laquelle les voiles en vue pou
voient appartenir ; ayant donc rempli ce que je
devois à l'honneur du pavillon , je fis figne à la
Gloire de forcer de voile & de me ſuivre . Le vai
ſeau ne fit aucun mouvement : il étoit hors d'état
de mancoeuvrer , ſes voiles étoient hachées & bratſées
ſur le mât . - Ce combat a duré 2 heures to
minutes , pendant leſquelles les équipages des deux
frégates ont donné les marques de la plus grande
valeur & du courage le plus déterminé. Celui de
la Gloire étoit animé par l'exemple que lui donnoient
MM. de Ségur , de Broglie , Hiilehern
Colonel Suédois , Chevalier de Lameth , de Leménie
, de Vaudreuil , de- Monteſquicu & de Polleresky.
La perte que les deux fregates ont faite
eſt très-légère après un pareil combat : j'ai eu s
hommes tués & Bi bieffer; du nombre de ces derniers
eit M. Collinet lieutenant de frégare
auxiliaire , qui a eu la clavicule caffée d'un coup
de moufquet. Je ne puis donner trop d'éloges à la
manière brillante & courageuſe avec laquelle le
Chevalier de Vallongue a engagé & foutenu le
combat. Nous avons éré l'un & l'autre vaillam
ment ſecondes par nos Officiers & nos équipages ..
La vue d'une force ſupérieure ſembloit ajouter à
leur valeur ordinaire.
د
,
On apprend par des lettres poſtérieures , que le
12 Septembre les deux frégates du Roi étant entrées
dans la Delaware , lieu de leur deſtination
y avoient été ſuivies par une divifion de cinq vai
ſeaux ennemis , celle qui les avoit obligées de
terminer le combat dus Septembre; le vent n'ayant
pas permis aux deux frégates de prendre le bon
chenal , elles furent forcées de donner dans un
autre interrompu par des bancs : les Ennemis purent
pafler par le premier : la frégate la Gloire
tirant moins d'eau franchit le banc ; mais l'Aigle
y reſta échouée ; on eut le temps de débarques.
( 131 )
ſous le feu du canon des vaiſfeaux , les Oficiers
paſſagers & l'argent qui étoit à bord. La plus grande
partie de l'équipage a été mife à terre ; & 1 Ennemi
en s'emparant du bâtiment échoué , n'a fait qu'un
très- petit nombre de pritonniers « .
Une lettre de M. le Baron de Viomenil à
M. le Marquis de Ségur , en date du 17 Septembre
, contient encore fur cet évènement
les dérails ſuivans.
Les Officiers paſſagers ſur l'Aigle & la Gloire ,
furent d'abord débarqués ſur la rive droite de la
Delaware. Arrivés à trois lieues de leurs fregates" ,
le Baren de Vioménit renvoya les chatoupes pour
prendre tout l'argent dont les deux frégates étoient
chargées; quoiqu'elles fuſſent plus près du danger
qu'elles ne l'avoient encore été , MM de la Touche
& de Vallongue mirent tant d'activité , que cet
envoi s'effectua ; cependant ce ne fut pas fans difficultés.
Deux chaloupes de Réfugiés , armées de
TOO hommes chacune , avoient entrepris d'enlever
les deux chaloupes chargées d'argent , elles furent
pour ainſi dire un moment en leur pouvoir ; mais
la bonne contenance que firent les Oficiers débar.
qués avec 4 hommes armés , & l'adace de M. Gourgues
, Officier auxiliaire , arrivant avec les canots
de Aigle, firent une telle peur à ces 200 Réfugiés ,
que , quoiqu'ils n'euffent pas 20 hommes à com
bartre, ils virèrent de bort & s'éloignèrent. L'argent
fut envoyé à Philadelphie , ſous l'escorte des
Aides-de-camp & de 6 Officiers du Corps- Royal
de l'Artillerie ou de la Légion de Lanzun , com.
mandés par M. Sheldon , quis'eft acquité de cette
comm flien avec zèle & intelligence . MM. de Cha
bannes , de Montesquieu , de Lomenie & de Mel
fort , ont été de la plus grande utilité dans le
moment des premiers embarras. MM. de Bre tano ,
de Ricé , de Talleyrand , de Lameth , de Fleury
de Vaudreuit, Frédérick de Chabannes, de Mout
f6
( 132 )
mort , de Vioménil fi's , ont montré le plus grand
zele & fit ſentinelle toutes les nuits ; MM. de
Laval, de Tilleul & de Brentano, ſe font dévoués
d'ane manière toute particulière pour faire retifer
de la mer 500,000 liv. qui y avoient été,jetées
das le momeu où les Réfugiés s'emparoient des
chaloupes . MM. de Ségur & de Broglie , après avoir
éré employés avec le plus grand zèle à ménager les
reſſources du premier moment , ſe font chargés
des dépéches des Miniſtres pour MM. de la Luzerne
, de Rochambeau & de Vaudreuil , & les
oot portées a Philadelphie. Le Duc de Lauzun qui
avoit en la fiè re pendant vingt jours à la mer ,
& dont la convalescence commençoit à peine, n'a
pas quitté le Baron de Viomenil dans ſes plus
grands embarras , & c'eſt à fon eſprit de conciliation
qu'on a dû effentiellement l'aſſemblée de quelques
Milices , qui ont aidé à ſauver l'argent.
On eſt toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; on n'a pas encore reçu
la confirmation de celles qui nous font
venues de ces contrées de différens ports
du Levant , & celles que les Anglois ont
publiées , quoiqu'on ait raiſon de les foupçonner
mieux inſtruits , ne les détruiſent ni
ne les confirment. En attendant que ces
nuages ſe diffipent , nous nous empreſſerons
d'annoncer ici une carte intéreſſante ,
&que toutes les perſonnes qui veulent ſuivre
le fil des évènemens qui ſe paſſent
dans ces contrées , ne peuvent ſe diſpenfer
de ſe procurer &de confulter ſouvent.
C'eſt celle du théâtre de la guerre dans
l'Inde , ſur la côte de Coromandel , par M.
Bourcet . L'Auteur y a joint vingt plans des
( 133 )
principales Villes & Ports de cette partie ,
tels que Pondichéri , Madraſs , Négapatam
, Tranquebar , Calicut , Bombay , Trinquemaley
, Mafulipatan , Arcare , &c . ( ) .
M. de la Blancherie , Agent général de Correfpondance
pour les Sciences & les Arts , eſt de
retour du Voyage qu'il vient de faire en Hollande ,
à Liège& dans les Pays-Bas Autrichiens , dans la
vuede s'y procurer les relations conftantes qui
doivent affuser la conſiſtance de cette Loftitution
,
Cosmopolite , qui embrafie également les hommes
de tous les Pays & de toutes les conditions , 19. par
l'intérêt qu'ils ont à connoître promptement les productions
des Sciences & des Arts , ou ce qui peut
contribuer à leurs progrès ; 2°. par les reffouices
qu'ils y trouvent, foit par une communication facile
entr'eux , ſoit pour acquérir , exercer ou employer
des talens .- Ce double but eſt rempli par les
moyens ſuivans. 19. Par une correfpondance fuivie
, dans tous les Pays , ſur tous les objets des
Sciences & des Arts , dont les détails font publiés
(1) Cette Carte ſe trouve à Paris chez M. Dezauche , fucceffeur
de MM. de Lifle & Phi ippe Buache , premiers -Géo
graphes du Roi , & chargé de l'entrepôt général des Cartes de
la Marine de S. M. , rue des Noyers . A ce morceau précieux
nous joindrons l'annonce d'un autre qui ne l'eſt pas moins ,
& que l'on doit au même Artiſte eſtimable , M. Dezauche , chez
qui on le trouve Il a pour titre : Hémisphères Oriental &
Occidental ou Grande Mapremonde en deux feuilles . Dref-
Sés d'après les Obfervations Astronomiques de MM. de
l'Académie Royale des Sciences , pour l'usage particulier
du Roi. Par Guillaume de Lifle & Phil ppe Buache , premiers
Geographes de S. M. , nouvellement revus , corrigés &
augmentés des nouvelles découvertes du Capitaine Cook ,
avec les diff rens voyages & les routes de ce célèbre Navigateur.
Par M. Dez uche fucceffeur de MM. de Lifle
&Philippe Buache , premiers Géographes du Roi & de l'Académie
Royale des Sciences. Prix 2 liv . 10 f.
(134 )
tous les huit jours ſous la forme de Gazerte (1)
adreſſés gratuitement en particulier , aux perfonnes
qui en ont fait des objets de demande. 2°. Par
une Affemblée également gratuite , qui a lieu à Paris
tous les Jeudis ( à l'Hôtel Villayer , rue S. Andrédes-
Arcs , depuis cinq heures après midi juſqu'à
neuf ) pour ſervir de point de réunion aux Savans ,
Artiſtes & Amateurs nationaux on étrangers de l'un
& l'autre ſexe , ſous le titre d'Affemblées ordinaires
des Savans & des Artistes , ainſi qu'aux Ouvrages
en tous gentes de Siences & d'Arts , dont la Feuille
de Correſpondance préſente ſucceſſivement la Norice.
3 °. Par une Société diviſée en deux Claſſes ,
la première , compoſée de perſonnes de tour Pays ,
d'un nom ou d'un rang distingué , dite des Proterteurs
, donnant chacun quatie louis par an (1) ; la
ſeconde , dite des Affſociés , donnant chacun deux
louis par an , leſquelles ſommes ſont applicables
avec le produit des Souſcriptions pour la Feuille
dont il vient d'être queſtion , ſous l'autorisation
d'un Comité , composé de Membres des deux claffes
; 1°. à l'acquifition , en manière de gratification
pour l'Artiſte , de l'Ouvrage expoſé à chaque Al-
Vemblée , la plus recommandable par ſon utilité ou
fa perfection , pour être enfuire diviſé au ſort ,
entre les Membres des deux Claſſes , à la fin de
chaque année 2º. A la bienfaiſance envers les
jeunes gens , qui auroient beſoin de ſecours pour
acquérir des talens , ou envers les gens à talens ,
juſqu'à ce qu'on leur ait procuré de l'ouvrage.
(1) Nouvelles de la République des Lettres & Arts ;
le prix de la Souſcription eſt de 24 liv. pour Paris & 30 liv.
juſqu'aux frontières . On s'abonne en tout tems au Bureau de
la Correſpondance , Hôtel Villayer , rue St.André- des -Arts ,
ou chez M. Bro , Notaire , rue du Petit Bourbon St Sulpice ,
àParis .
(2) Les Membres de cette Société , reçoivent les feuilless
de la Correſpondance de Droit.
( 135 )
1
-
-A meſure que le plan de cette Laſtitution ſe
développe le ſuccès le ſuit ; déja nos Princes
une grande partie de la haute Nobleſſe , beancoap
de bons Citoyens de tout rang de ce te Capitale &
des Provinces ,y ont contribué par le prix des Affociations
dans les deux Claſſes ; le Bureau de la Ville
a délibéré d'aider à ſa conſiſtance, par une ſouſcription
de dix-huit louis par an ; le Ministre de la Marine
lui en a accordé quarante par an , fur les fonds
da Département , pour 20 exemplaires des Feuilles
de la Correſpondance. Dans le Pays étranger LL.
AA . RR. l'Archiducheſſe Marie-Chriſtine &le Duc
Albert, & à leur exemple différentes perſonnes de
leur Cour & des Pays-Bas Autrichiens ; fon A. le
Prince, Evêque de Liège , & pluſieurs perſonnes de
fa Cour& de ſes Etats ; pluſieurs Citoyens de la République
des Pays-Bas-Unis , ont également contracté
les engagemens des deux Claſſes de la Société .
Pour ne laiffer aucun doute ni ſur l'emploi des contributions
des deux Claſſes , ni for le zee avec lequel
on veillera aux Intérêts des personnes de tous
Pays , qui voudront profiter des avantages de cette
Inititution , on a formé un Comité , dont les Membres
choiſis dans chaque Clafle des perſonnes qui
compofent la Société , & réunis à un Membre de
chaque Ambaſſade dur Pays étranger en France ,
veilleront fur tous les détails de l'Adminiftration ,
vérifieront l'état de dépenſe & de recette , autoriſeront
l'Agent général de Correſpondance dans les
démarches néceſſaires , &c. -De même , pour être
aſſuré de ne donner des ſecours &des foins qu'à das
performesnon équivoqnes; celles qui voudront proffterdes
avantages qu'offre l'établiſſement, n'étant point
connues, prenfront l'attache de l'un des Protectcurs
ou des Affociés de leur Pays , de leur Province ou
de cette Ville , qui ſera dans le cas d'en répondre.
-Dès-à- préfent , les fonds provenans de la foafcription
de la Fesille ,ainſi que de la Société ,cx
(136 )
cèdent les dépenses : on peut s'en convaincre par
l'état de dérente & de recette de cette année qui eſt
public.-Les engageinens de Protection , d'Affociation
, ſe prennent comme les fouscriptions de la
Feuille , on au Bureau de la Correspondance , ou
chez M. Bro , Notaire rue du Petit - Bourbon-
St- Sulpice , chez qui font déposés les Memoires
arrêtés & quittances , ainſi que le tableau des Chefs
ou Soufcripteurs qui ont payé , ou qui doivent ,
pour être rendus publics , ar perſonnes intéreſſées.
La repriſe de l'Allemblée ordinaire des Savans
& des Artistes , après les vacances d'Automne , ſe
fera le Jeudi 21 Novembre , à quatre heures aprèsmidi
. Deputs midi juſqu'à deux heures le même
jour on pourra voir , ainſi que les Jeudis ſuivans ,
les objets de Peinture , Sculpture , &c. L'étendue
qu'on vient de donner au chef- lieu de la Correſpondance
, ne laſſe rien à defirer , ni pour l'expoſition des
productions des Sciences & des Arts , ni pour la
facilité de les voir. Les perſonnes des Provinces ou
du Pays étranger , ainfi que celles de certe Capitale ,
qui auront des Ouvrages à expoſer , ſoit livres , foit
tableaux ou machines , &c. ſont priées de ne pas
attendre au Jeudi pour les envoyer.
>>>Le ſieur Chaumont , Perruquier , dont l'Acadé.
mie Royale des Sciences a approuvé diverſes dé.
couvertes utiles qu'il a faites dans ſa profeſſion ,
vient de préſenter à cette Compagnie une nouvelle
forte de Toupees qui , par un mélange de poils de
caftor & de cheveux , forment fur le bord de front
où ils ſont placés ſans tiff , un duvet naiſſant qui
imite la chevelure naturelle. Ces Toupers , dont la
bordu e est très fine , s'identifient pour ainſi dire
avec la peau , par le moyen d'une pommade qui les
fait tenir Car la tête ſans aucun inconvénient . L'avantag:
de cette commade , qui s'étend facilement fur
lapeau fans ſe fondre , eſt prouvé par l'aſage qu'en
font journe'lementpluſieurs perſonnes de confidé
( 137 )
ration. Elle ſe vend 30 ſols l'once. Les bâtons , que
l'on ratiife pour s'en ſervir , font de deux onces
chacun. Il fait auffi pluſieurs fortes de Perruques
dans le goût le plus nouveau , entr'autres celles qui
font à bourſes , où il s'applique encore plus particulièrement
à prendre les différens airs da viſage
& à imiter le naturel des cheveux . Il demeure rue
des Poulies , à droite en entrant par la rue Saint-
Honoré , à Paris. Les perſonnes qui lui enverront
un modèle de leur front découpé en papier & de
leurs cheveux , ſont priées d'affranchir leurs lettres " .
Parmi les objets intéreſlans pour l'humanité,
en voici un que nous ne pouvons
trop nous empreſſer de faire connoître ; le
ſecours auffi précieux qu'efficace contre
une maladie cruelle , qui a été juſqu'a
préſent le déſeſpoir des Médecins & des
Malades que lui offre M. Ponfart , ne
fauroit avoir trop de publicité. L'importance
de l'objet , les ſoins qu'on a pris d'en
conſtater l'efficacité , méritent des détails.
On peut ſe flatter enfin de la découverte d'une
manière ſûre de parvenir à la cure radicale de la
goutte; M. Ponſart , Docteur en Médecine , Medecin-
Conſultaat de leurs Alteſſes Celfiffimes les
Princes de Liége & de Stavelot , & des eaux de
Spa , &c. depuis vingt ans s'eſt occupé ſans reláche
de l'origine , de la nature du levain , des diverſes
cauſes de cette cruelle maladie & des moyens
d'y remédier ; ſur quoi , il a publié un Traité appuyé
des approbations les plus authentiques. Pluſieurs
expériences ont conſtaté les heurex effets de ſa
méthode : il a fur-tout eu le ſuccès le plus décidé
en faveur du Prince Alexandre Sulkowski , Polonois
, Lieutenant Général & Feld Marechal au fervice
de S. M. I. affecté d'un shumatiſme goutteux
habituel à la cuifle gauche , devenue atrophiéc , &
( 138 )
qui le rendoit perclus; depuis neuf ans , ce Prince
n'en a eu ni rechûtes , ni reffentiment. Le bruit
de cette guérifon , & de pluſieurs autres , dont
M. Ponfart ent occafion de s'entreterir avec M. de
Laffonne , Premier Médecin de S. M. T. C. auquel
il se fit un plaifir de développer ſes procédés , ont
fait penfer à ce Médecin célèbre qu'il ſeroit trèsavartageux
de renouvelter des effais de cette méthode.
Sur le compte qu'il en rendit au Roi & à
M. le Mara is de Ségur , Miniſtre & Sécrétaire
d'Ecat au département de la guerre , M. Ponfart
a été a torité, à traiter à l'Hôtel-Royal des Invalides
, dans une ſalle qui fut aſſignée à cet effer ,
différens malades , tous affectés de rhumatiſmes
goutteux habituels , qui juſqu'alors avoient réfifté
à tous les remèdes. Voici ce qu'atteſtent MM. le
Méde.in & Chirurgien Major de cet Hupical
Royal .
>> Cejourd'hui 6 Mai 1782 , nous fouffignés Médecin
& Chirurgien Major de l'Hôtel Royal des
Invalides , nous ſommes tranſportés , à la requifition
du ſieur Ponſart , dans la ſalle habitée par
les malades qui , en conféquence des ordres de
Monſeigneur le Marquis de Ségur , Miniſtre &
Sécrétaire d'Etat au département de la guerre , ont
été ſoumis à ſon traitement particulier pour conftater
par un dernier Procès-verbal l'état de guériſon
des malades ci-deſſous dénommés.- Après
les avoir interrogés & examinés , nous les avons
trouvés dans l'état qui fuit : ſavoir , Jean-Baptifte
Rémoncourt , âgé de ſoixante ans , qui , fuivant
le premier Procès - verbal , étoit attaqué depuis
vingt ans de douleurs habituelles dans les reins ,
dans les jambes & dans les bras ; & qui , Livant
le ſecond , nous a déclaré ne plus épicuver de
douleurs , & n'avoir plus que de la foibleſſe dans
Jes reins , qui d'ailleurs marchoit alors aff. z librement
, mais un peu penché fur le côté droit , dé
( 139 )
c'are aujourd'hui que les douleurs ne font pas reve
nues , & que la foibleſſe de ſes reins ſe diffipe
de jour en jour , la démarche de cet homme eft
plus fure, mais toujours penché ſur le côté droit.
- Léopold Vernet , âgé de 77 ans , fuvant le
premier Procès- verbal , il avoit été affecté depuis
un an de taméfaction aux pieds , dont il étoit délivré
depuis que le mal s'étoit fixé au genou gauche;
il avoit quelquefois des douleurs vagues aux extrémités
ſupérieures . Lors du ſecond Procès-verbal ,
il a déclaré ne point éprouver de douleurs ; il
avoit encore un peu de gonflement au genou gauche;
fa démarche étoit affez bonne pour un homme
de ton âge; il avoit un peu de tremb'ement dans
les membres. Aujourd'hui le malade n'éprouve plus
de douleurs ; fa démarche eſt fort bonne; le tremblement
des membres , dont il a été parlé dans le
ſecond Procès- verbal , n'existe plus ; il reſpire aifément;
fon genou gauche eſt encore un peu gonflé.
Jean Brocart , âgé de 48 ans , affecté , lors
du premier Procès verbal , ſur la cuiffe gauche ,
avec amaigriffement de cette partie, dont les dou-
Jeurs habituedes l'empêchoient quelquefois de marcher.
An fecond Procès- verbal , ſes douleurs s'étoient
affoib'ies graduellement depuis le commencement
du traitemer ; & depuis quinze jours , it
n'en éprouvoit a cune; fa cuiffe gauche étoit revenue
an volume naturel ; il jouiſſoit de la meil.
leure ſanté. Auourth i il ſe porte très-bien- Fait
à Hôtel Royal des Invalides , ce 6 Mai 17820
Signé , MUNIER , SABATIER , PONSART .
Le Minitère a cru devoir rémeigner fa fatisfaction
à M. Ponfart , en lai faifant, expédier une
gratification fur le Tréfor Royal. M. Ponfart est
pour le préſent à l'hôtel d'Angletetre , rue Haute-
Feille , à Paris.
( 140 )
>> La première livraiſon de l'Encyclopédie eft acthellement
en vente. Cette première livraiſon eft
compoſée du premier volume de la Jurisprudence ;
da tome premier , première partie des Arts & M
tiers , Mécaniques ; & du tome premier , première
partie de l'Hiftoire Naturelle. Le volume de Littérature
qu'on avoit annoncé pour cette première
livraiſon , ne paroîtra qu'à la ſeconde , qui ſera
prête à la fin de Décembre. On ne publie aujourd'hui
que la premièse partie du tome premier de
Hiftoire de l'Homine , des Animaux quadrupèdes
& des Cétacées. On avoit cru d'abord que ces matières
fuffiroient pour former un volume entier ;
& le Public peut juger , par cette mépriſe & par
l'examen de ces volumes , de l'énormité de diſcours
qu'ils comprennent. L'Hiftoire des Oiseaux fuivra
celledes Animaux quadrupedes. Mais cette Hiſtoire
n'étant point prae, & ne pouvant être miſe ſous
preſſe que l'année prochaine, elle commencera la
ſeconde partie du premier volume de l'Hiſtoire Naturelle.
Il faut que Meſſieurs les Souſcripteurs aient
la bonté de ſe prêter à recevoir ainfi , juſqu'à ce
que l'ouvrage ſoit plus avancé , des volumes entiers
&des demi volumes. Sans cette condefcendance de
leur part , qui ne fera d'ailleurs que hater & multiplier
leurs jouiſſances , on feroit obligé de mettre
trop d'intervalle de la publication d'une livraiſon
à une autre , ces volumes étant tellement chargés
de matières , qu'ils exigent chacun au moins fix
mois de tems pour l'impreffion ; & comme il y
aura auffi l'année prochaine dix-huit parties de ce
grand ouvrage ſous preſſe en même-tems , il en
réſulteroit encore que , ſans cette facilité , le ſervice
courant pourroit ne pas ſe faire. Cette publication
par demi-volumes n'entraîne d'ailleurs aucune
eſpèce d'embarras pour le Public , parce qu'on ne
peut relier cet ouvrage que lorſque le Vocabulaire
( 141 )
univerſel , qui indiquera l'ordre des volumes , en
y renvoyant , aura paru. L'Ouvrage & le Vocabulaire
étant dépendans l'un de l'autre , toute reliure
actuelle ſeroit abſolument perdue. Cette première
livraiſon , brochée en carton , coûte 23 liv. 10 f. ,
&en feuilles 22 liv. , conformément au Profpectus.
M. Simon , Imprimeur du Parlement , s'eſt chargé
de toute l'Hiſtoire Naturelle. M. Didot , Imprimeur
de Monfieur , Frère du Roi , des Arts & Métiers
, Mécaniques. M. Stoupe , de la Jurisprudence.
On indiquera à chaque nouvelle partie le nom de
Meſſieurs les Imprimeurs ".
De BRUXELLES , le 12 Novembre.
L'AFFAIRE de l'Enſeigne de Witte , prifonnier
pour crime de haute-trahison , fait
toujours beaucoup de bruit en Hollande ,
le Stadhonder perſiſte à penser qu'il a été
jugé par le Tribunal compétant le Haut-
Conſeil de guerre ; & comme la province
de Hollande ne jugeoit pas de même , l'opinion
du Prince eſt qu'elle n'eſt pas plus
intéreſſée au délit de l'Enſeigne que les autres
provinces ; qu'elle ne pouvoit en conſéquence
le réclamer , & que ce droit appartenoit
aux ſeuls Etats-Généraux. La Province
de Hollande ne laiſſe pas d'être toujours
d'avis que la République en général
n'a aucun Tribunal politique commun ſi
ce n'eſt pour les pays conquis ; la Province
de Zélande a adopté le même avis & ajoute
que le délit ayant été commis contre la fouveraineté
des Provinces où auroit dû s'exé
( 142 )
cumer la defcente projettée , & particulièrement
contre la ſouveraineté de Zélande ,
il devoit être jugé par la Cour de Juſtice
de la Haye qui exerce ſa jurisdiction en
qualité de Tribunal commun de la Hollande
& de la Zélande.
Cette affaire , ajoutent les lettres d'Amſterdam
, n'eft pas la ſeute qui occupe les Provinces ,
la réponſe du Stadhouder à la députation des Etats
de Hollande & de Weſtfriſe , pour l'examen des
affaires de la Marine , paroît l'objet des délibérations
de L. N. & G. P. Le Prince leur a adreſſe
deux lettres pour expliquer ſa réponſe , qui étoit que
de tout ce qu'il a fait en qualité d'Amiral général
de l'Union , en vestu des ordres & conformément
aux volontés & aux réfolutions de LL. HH. ГР. ,
il n'eſt reſponſable qu'à elles ſeules. Il déclare
qu'il a déja communiqué au Comité ſecret des
Etars - Généraux , l'intention où il est de donner une
ouverture détaillée de fa direction & de ſon adminiſtration
en qualité d'Amiral général de la République
; que dans peu il remplira l'engagement
qu'il a pris ; qu'alors L. N. & G. P. recevront
des informations complettes ſur les objets qu'elles
defirent; que quoique perfuadé qu'il n'a de compte à.
rendre qu'aux Etats-Généraux , pour preuve de ſa
refpectueuſe déférence aux defirs de L. N. & G. P. ,
fi contre fon intention ces ouvertures leur laiſſoient
encore quelques doutes , il ne refufera point les
éclai ciſſemens ultérieurs qu'elles pourroient de.
mander. Il faut obferver , ajoutent nos lettres
d'Amſterdam , que les inſtructions des Etats de cette .
Province à leurs Députés , portoient d'entrer en
conférence avec le Prince , fur tous les objets
concernant la Marine en général , & la direction
( 143 )
/
de la guerre actuelle en particulier, qu'ils juge.
roient avoir beſoin d'éclaircitſement pour écarter
tous les doutes fur les points détaillés , enſuite de ſe
faire informer convenablement de tout , & après
cela , de faire , au ſujet des ouvertures qu'ils auroient
eues , à LL. NN . & GG. PP. , tel rapport
meſuré qu'ils jugeront ſervir , d'un côté à l'inf
truction des Membres de l'Assemblée , & de l'autre
à ne point faire éclater telles circonftances qui exigeroient
proviſionnellement un profond ſecret. Il
eſt à remarquer que les Etats de Hollande ne demandoient
pas au Stathouder qu'il leur reudît compte
de ſa conduite en qualité d'Amiral général de l'Union
, c'est-à- dire du Corps repréſentatif des ſepr
Provinces ; mais que , ſur les points propofés , il
leur donnât des éclairciſſemens en qualité d'Amiral
particulier de la ſouveraineté de leur Province , dignité
dont il eſt revêtu par une commiſſion ſpéciale
«.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 6 Novembre .
Le 14 de Septembre , écrit-on de Fish Kill , le
Comte de Rochambeau , Commandant en chef de
l'armée Françoife , eſt arrivé avec ſa ſuice à Verplank's-
Point; il a été ſalué par l'armée Américaine,
rangée fur deux lignes en face l'une de l'autre . Après
fon arrivée au Qartier-Général , où il fit reçu de la
manière la plus amicale par notre Général , l'armée
a défilé devant lui ,& les différens corps l'ont ſalué
à meſure qu'il paſſoit. Tous les hommes qui les
compoſent ont paru charmés de pouvoir donner ce
témoignage public de leur reſpect à un Général d'un
mérite auffi diftingué , & de la perſpective immédiate
de joindre de nouveau leurs drapeaux à ceux
de nos braves Auxiliaires. Le و le Général Carleton
, accompagné du Prince , & à la tête d'un gros
corps de troupes , avec fix pièces de campagne , s'eſt
( 144 )
avancé juſqu'à Philipsborough , mais il a bientôt.
abandonné ce poſte pour retourner ſur ſes pas : 30
à40 Anglois ont profité de cette occafion pour dé
ferter.
Nos apprenons , écrit.on de Trenton , qu'il eſt
forti le 21 de Sandy-Hook une eſcadre conſidérable
de vaiſſeaux Anglois , parmi leſquels ſe trouvent
pluſieurs vaiſſeaux de ligne , mais on ignore leur
deftination.- Plus de 7000 habitans de New-York
ont figné un écrit dans lequel ils ſont convenus de
ſe retirer dans la nouvelle Ecoffe .
L'eſcadre du Lord Hood n'eſt point deſtinée pour
une expédition ſecrette , comme le bruit en avoit
couru ; ele doit ſe rendre à Hallifax , où elle trouvera
les deux flottes qui y font arrivées d'Europe
dans le mois de Juillet & d'Août , avec plus de 3000
hommes de troupes , tant Allemandes que Britanniques
, qu'elle convoiera à New-York .
Le Prince Guillaume-Henri doit partir inceſſamment
d'Amérique ; il eſt attendu en Angleterre vers
les fêtes de Noel ..
Le cutter le Liberty , de 8 canons , commande
par le ſieur Archer , Lieutenant de vaiſſeau , a mis
à la voile de Falmouth , le 31 du mois dernier ;
chargé de dépêches pour le Chevalier Guy Carleton.
C'étoit hier un bruit général que le Roi avoit
accepté la démiſſion du Chevalier Carleton , & que
le Gouverneur Dalling étoit nommé pour le remplacer.
On aſſure de nouveau que le Lord Howe , auffitôt
après ſon retour de Gibraltar , ſera mis à la
tête de l'Amirauté , où il remplacera le Lord
Keppel.
-
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 23 NOVEMBRE 1782 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITAPHE de CATEAU , Perruche ,
morte de faim & injectée à Lagny , chez
Mme DE LA CHAISE.
J'AAIItraverſé les mers pour vivre en cage ici :
J'y faifois vos plaiſirs: je parlois..... comme un livre !
८
Répétant les phraſes d'autrui ,
Caquetant , jabottant , difant non , diſant oui.
Moi, qui chaſſois l'ennui ( dont le ciel vous délivre! )
Je ſuis morte de faim. Le trair n'eſt pas joli .
Mais votre coeur touché me dérobe à l'oubli !
L'art fait douter-ſi j'ai ceſſé de vivre......
( Par M. Félix-Nogaret.)
※
i-
Nº. 47, 23 Novembre 1782. G
:
446 MERCURE
COUPLETS adreſſés à Mme la Vicomteffe
DE CARNÉE.
Sur l'Air du Vaudeville de la Roſière,
AMES vers d'aſſez mince aloi ,
En daignant répondre , Zéline ,
Vous yous acquittez de l'emploi
De joindre la roſe à l'épine .
Apollon vous inſpire bien ,
Faut-il qu'Amour y ſoit pour rien ?
MON luth & ma voix ſont diſcords ;
Comment aux chants de Philomele
Unir les lugubres accords
De la plaintive Tourterelle ?
Quand on a perdu tout ſon bien ,
Les pleurs n'aboutiſſent à rien.
Dans une foret , nuit & jour ,
Elle pleure un Amant fidèle ;
Elle est victiune de l'Amour
Dans ſa douleur toujours nouvelle,
Pour elle il n'eſt plus de foutien ;
Hélas! quet malheur est le ſien !
SANS en reſſentir la douceur ,
De l'Amour je portois la chaînes
A
DE FRANCE. 147
:
Ce Dieu'm'a fait dans ſa fureur
Bien moins de plaiſir que de peine.
Las ! faut- il qu'on ne gagne rien
Quand on aime, & qu'on aime bien ?
N'IMPORTE , on chérit ſon erreur;
Par un penchant irréſiſtible ,
On eft fidèle ſans bonheur
Lorſque pour vous on eſt ſenſible.
S'il faut n'être ſurpris de rien,
C'eſt d'un coeur qui vous aime bien.
DEMAIN finiront les loiſirs
Que j'aimois à croire durables ;
Jen'aurai que les ſouvenirs
Des qualités les plus aimables ;
Ces ſouvenirs feront un bien ,
Ils vaudront encor mieux que rica.
De vous prolonger mes adieux
Quand je ſens qu'il m'eſt ſi facile ,
Je crains de vous être ennuyeux
Parmonpinceau trifte& débile.
Car, en regrettant tant de bien,
Je vois que je ne finis rien.
Je renferme tous mes regrets ,
Etjeceſſedonc de me plaindre.
J'ai peint mes voeux les plus ſeerets ;
Près devous on ne fait pas feindre.
A
Gij
148 MERCURE
Je n'ai plus de plaiſir à rien
Qu'à vous célébrer mal ou bien.
:
(Par M. leComte de Rofières , Officier
au Régiment d'Aunis. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Cor ; celui du
Logogryphe eſt Navire , où se trouvent vin ,
rave & raie , âne, vie, Ave, ravin , an
ire , vain , rien.
ÉNIGME..
J
:
E trouve mon tombeau dans le ſein de celui
Qui me reçoit & me donne un appui .
Mais qu'on ne fouille point pour trouver ma ſubſtance ;
Car je n'ai plus de corps quand je perds l'existence.
H
LOGOGRYPΗ Ε.
UIT pieds , ami Lecteur , compoſent ma fubftance.
Mon genre eft féminin , &de mon exiſtence ,
Dans l'un de mes deux ſens , je remplis l'Univers.
Je fus toujours très -douce en proſe comme en vers ,
Et tout mortel fouffrant invoque ma préſence.
On trouve dans mon ſein ce que les Matelots
DEFRANCE. 149
Abandonnent ſouvent à la fureur des flots ;
Une règle preſcrite à la Scène Françoiſe ,
Sur laquelle aujourd'hui l'on ſe met à ſon aife3;
Un défaut très - commun aux Grands comme aux
petits ,
:
Et fur-tout aux foibles eſprits ;
Ce que le Charretier ,dans ſa langue érudite ,
Répère à ſes chevaux pour avancer plus vite ;
Enfin , le nom d'un Chefdes ſoutiens de nos Loix.
Aces traits , cher Lecteur , peux- tu me méconnoître ?
Je préfère aux palais qui renferment les Rois ,
La cabanne du pauvre & ſes ruſtiques toits.
J'habite peu la Cour , où je crains de paroître,
Mille ennemis cruels y poursuivent mes pas .
Toutefois on m'y vante , on m'y croiroit chéric;
Des adroits courtiſans ſervant la flatterie ,
Dans mille occafions j'ai pour eux des appas.
J'y connois cependant une retraite sûre ,
D'où , goûtant ſans mêlange une volupté pure ,
Je diſpenſe à propos les grâces , les bienfaits :
C'eſt le coeur de Monfieur , où je reſpire en paix.
( Par M. Brifoult, Concierge Général des
Bâtimens de Monfieur , à Brunoy . )
:
Gii)
150 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VOLTAIRE & le Serf du Mont- Jura ,
Discours en vers libres , qui a remporté
lePrix de Poésie de l'Académie Françoife
en 1782 , par M. de Florian, Gentilhomme
de S. A. S. Mgr. le Duc de Penthièvre.
Jeveux que le coeur garle ou que l'Auteur ſe raife.
Volt. Epitrefur l'Agriculture.
A Paris, chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe , rue Chriſtine.
LEſujet traité dans cette Pièce, eft celui que l'Académie
avoit propoſé en 1780 , fans avoir trouvé
dansdeux Concours , un Ouvrage qui lui parût digne
du Prix. Enfin elle avoit pris le parti , l'année dernière
, de rendre aux jeunes Poëtes la libertéde choi
fir un autre ſujet , en déclarant néanmoins , qu'à
mérise égal, elle préféreroit celui- ci comme le plus
patriotique , & par cela même le plus intéreſſant
pour la Nation. Quoi de plus intéreſſant pour elle
en effet , que de lire dans de beaux vers la réparation
d'un antique outrage fait à l'humanité, que de voir
la Poésie publier la gloire des belles Loix , dont
de exprimoit autrefois les préceptes facrés , &
tranſmettre à la poſtérité tout-à-la-fois le bienfait
& la reconnoiffance ! En propoſant des ſujets pareils ,
l'Académie conſacre , en quelque forte , les talens
qu'elle y appelle , elle s'honore elle-même , puifqu'elle
fait ſervir à l'utilité publique une inſtitution
particulièrement deſtinée à l'avantage des Arts. En
DE FRANCE. 158
Vain on obſerveroit que cette Loi , que l'on doine
àcélébrer , eſt encore récente , & que c'eſt en quel
que forte en la préſence du Prince de qui elle eft
émanée, qu'il faut la chanter. Il eſt dans le règne
d'un Prince , comme dans la vie d'un particulier ,
des faits dont la louange eſt toujours noble , utile &
vraie , parce que la flatterie ne pourroit y entrer
fans ladeshonorer.Ily a loinde ce ſujet à celui que
l'Académie avoit propoſé ſous Louis XIV , & dont
l'emphaſe choqua même ce Prince: Quelle est des
qualités du Roi la plus héroïque ? Si pluſieurs de
ceux qui cultivent les Lettres , ſe ſont ſomllés
dans ce ſiècle de vices nouveaux , ils ont auſſi gagné
quelques vertus: on ne voitplus les talens ſe proſti
tuer à cette baffe & ridicule adulation .
L'Auteur de la Pièce que nous annonçons eft entré
dans les vûes de l'Académie ; il n'a ufé de la
liberté rendue aux jeunes Poëtes , que pour repren
drele ſujet qu'elle avoit précédemment fixé. Nous ne
pouvons mieux faire connoître ce ſujet , qu'en tranf
crivant ici le préambule de l'Édit du mois d'Août
1779 , fur l'abolition de la Servitude dans lesDo
maines du Rơi.
«Conſtamment occupés de tout ce qui peut in-
>> téreſſer le bonheur de nos Peuples , en mettant
>> notre principale gloire à coinmander une Nation
>> libre & généreuſe , Nous n'avons pu voir ſans
- peine les reſtes de ſervitude qui ſubſiſtent dans
>> pluſieurs de nos Provinces. Nous avons été affectés
, en conſidérant qu'un grand nombre de nos
» Sujets , fervilement encore attachés à la glèbe ,
> ſont regardés comme en faiſant partie , & con-
> fondus , pour ainſi dire , avec elle : que , privés
de la liberté de leurs perfonnes&des préroga-
>> rives de la propriété , ils ſont mis eux-mêmes au
> nombre des poſſeſſions féodales ; qu'ils n'ont pas
* la confolation de diſpoſer de leurs biens après
20
Giv
152 MERCURE
» eux; & qu'excepté dans quelques cas rigidement
>>>circonfcrits , ils ne peuvent pas même tranſmettre
>>>à leurs propres enfans le fruit de leurs travaux
>> que des diſpoſitions pareilles ne ſont propres qu'à
>> rendre l'induſtrie languiſſante , & à priver la
>> ſociété des effets de cette énergie dans le tra-
>>>vail , que le ſentiment de la propriété la plus
>> libre eſt ſeul capable d'inſpirer.
>>> Juſtement touchés de ces conſidérations , nous
>> aurions voulu abolir ſans diftinction les veftiges
>> d'une féodalité rigoureuſe; mais nos finances ne
>>> nous permettant pas de racheter ce droit des maius
>> des Seigneurs , & retenus par les égards que nous
>> aurons dans tous les temps pour les loix de la
>> propriété , que nous confidérons comme le plus
>> sûr fondement de l'ordre & de la justice , nous
>> avons vu avec ſatisfaction qu'en refpectant ces
>> principes , nous pouvions cependant effectuer une
partie du bien que nous avions en vue , en abo-
> liſſant le droit de Servitude , non- feulement dans
> tous les Domaines en nos mains , mais encore
>> dans tous ceux engagés par Nous & nos prédécef-
>> feurs ; autoriſant a cet effet les engagiſtes qui fe
>> croiroient leges par cette diſpoſition , à nous re-
> mettre les domaines dont ils jouiffent , & à ré-
>>>clamer de Nous les finances fournies par eux ou
>> par leurs auteurs.
>> Nous voulons de plus , qu'en cas d'acquifition
>> ou de réunion à no re Couronne , l'inſtant de no-
>> tre entrée en poffeffion dans une nouvelle Terre og
>>>Seigneurie , ſoit l'époque de la liberté de tous les
בכ Serfs ouMainmortables qui en relèvent; &pour
encourager en ce qui dépend de Nous les Seigneurs
>> de fief & les Communautés à ſuivre notre exem-
>> ple , & conſidérant bien moins ces affranchiſ-
>> ſemens comme une aliénation que comme un
>> retour au droit naturel , Nous avons exempté
DE FRANCE.
155
>>> ces fortes d'actes des formalités & des taxes aux
>>quelles l'antique ſévérite des maximes féodales les
> avoit affujétis.
>> Enfin , fi les principes que Nous avons déve-
>> loppés nous empêchent d'abolir ſans diftinction
le droit de Servitude , Nous avons cru cepen-
>> dant qu'il étoit un excès dans l'exercice de ce
>> droit , que Nous ne pouvions différer d'arrêter &
>> de prévenir ; Nous voulons parler du droit de
>>>Suite ſur les Serfs & Main-mortables , droit en
>> vertu duquel les Seigneurs de fief ont quelque-
>> fois poursuivi , dans les terres franches de notre
> Royaume , & juſques dans notre Capitale , les
30 biens & les acquêts de Citoyens éloignés depuis
>> un grand nombre d'années du lieu de leur Glébe
> & de leur Servitude ; droit exceſlif que les Tri-
>> bunaux ont héſité d'accueillir , & que les prin-
>> cipes de juſtice ſociale ne nous permettent plus
de laiſſer ſubſiſter .
>> Enfin , Nous verrons avec ſatisfaction que notre
>> exemple , & cet amour de l'humanité , ſi parti-
>> culier à la Nation Françoiſe , amènent , ſous
>> notre règne , l'abolition générale des droits de
>> Main-morte & de Servitude , & que Nous ferons
ainfi témoins de l'entier affranchiſſement de nos
>> Sujets , qui , dans quelque état que la Providence
>> les ait fait naître , occupent notre ſollicitude , &
>> ont des droits égaux à notre protection & à notre
bienfaisance. » 20
On ne peut lire fans attendriſſement une Loi
où le coeur d'un Souverain épanche ainſi ſes voeux
pour le bonheur de ſes Sujets , en commençant par
en rétablir une portion dans ſes droits. Cette ref
triction même qu'il met à ſon bienfait , eſt encore
de ſa part un auguſte témoignage de justice & de
fageffe. C'eſt une grande vertu dans un Monarque ,
que ce reſpect pour les propriétés particulières ;
Gv
154 r MERCURE
& il ne trouve pas dans toute ſa puiflance
même de meilleur moyen de préparer & d'affermir
le bien qu'il médite , que d'y inviter par ſon exemple:
eſpérons tout de cet exemple & des principes
d'humanité qui ſe répandent de plus en plus. Mais fr
les Seigneurs de Terres main- mortables , parce que
le Roi ne leur commande rien ici , ſe croyoient en
droit de retenir leurs Vaffaux dans la Servitude ,
qu'ils ſe détrompent , qu'ils ſachent que ſi, dans
certains pays , la liberté de l'homme eſt une acquifition
nouvelle , elle n'en eſt pas moins fon droit
primitif & inaliénable; qu'ils ſachent que cette propriété
eft la ſeuleque la nature ait établie , &qu'aucume
poffeffion , aucune convention, même n'a jamais
pu y déroger legitimement. De coupables ſophiſines
ont trop long-temps triomphe des premières
vérités de la morale ; qu'on nous permette de
nous arrêter un moment fur ceux que des hommes
d'eſprit , & même des Jurifconfultes reſpectables
entaccumulés ſur cette queſtion.
Lorſqu'on veut juſtifier la Servitude de la Glèbe ,
on commence par la diftinguer de l'eſclavage admis
chez toutes les Nations de l'antiquité, & de celui où
nous foumettons ces malheureux Afriquains , qui
cultivent nos Colonies d'Amérique. Il ne ſeroit plus
permis aujourd'hui à un eſprit juſte & à une âme
fenfible , d'appercevoir autre choſe dans l'eftlavage ,
que la tyrannie du plus fort. Des Philoſophes éloquens
, Montesquieu , Rouſſeau , l'Auteur de l'Hiftoire
des Indes , j'y joindrai encore celui d'une excellente
differtation fur l'Esclavage des Negres ,
imprimée dans les Notes du Poëme des Mois , onz
plaidé la cauſe des Eſclaves de manière à nous faire
senoncer , finon à notre oppreffion , du moins aux
erreurs qui la fondoient. La Servitude de la Glèbe
eſt bien différente, dit-on. La perſonne du Serfreſte
こ
DE FRANCE.
Abre; il n'eſt ſoumis ni à des ſervices ignominieux
, ni à des châtimens arbitraires. Il n'y a que
ſa poſſeſſion qui ſoit ſous la main de ſon maître. En
l'abdiquant , il peut s'affranchir. Tant qu'il la cultive
, il eſt aſſocié à ſes fruits. Toutes les rigueurs
de ſa condition , ſouvent même les tributs auxquels
il eſt aſſujeti , ſont au moins réglés par des Loix.
Tous les droits de l'homme , il les poſsède ; il n'a
perdu qu'une partie de ceux du Citoyen. Or, ceux- ci ,
comme c'eſt la fociété qui les donne , elle a pu les
modifier. L'état de Serf a été autrefois l'état commun
de tout ce qui n'étoit pas Gentilhomme en Europe.
Tous les hommes qui en ſont ſortis ne le doivent
qu'à des affranchiſſemens volontaires : de quel droit
commanderoit-on aujourd'hui ce qui n'a jamais été
ordonné ? D'ailleurs , cet état eſt fondé ou ſur des
conventions par leſquelles les hommes de Servitude
s'y ſont ſoumis pour obtenir des terres à cultiver ,
ou fur une poffeffion qui permet de préſumer qu'elle
a commencé par des conventions pareilles. Une Lor
pent elle rompre une convention , ou changer ce qui
eſt établi par une longue poffeffion?
C'eſt abuſer de tous les principes de la raiſon ,
de toutes les règles de la juſtice que de raiſonner
ainfi. Je vois que dans tous les temps , dans toutes
les parties du Monde, une forte partie du genre-humain
a été condamnée à l'eſclavage : eft - il donc f
difficile à l'homme d'être juſte & humain , que l'on
ne trouve aucun pays , aucune époque où il ne ſe
foit ſouillé du plus horrible attentat contre ſes ſemblables
? J'avoue cependant qu'il y a une véritable
différence entre l'eſclavage des anciennes Nations
de l'Europe , & celui que l'on retrouve encore dans
pluſieurs des Nations modernes. L'eſclavage est tou
jours né de cet abus de la force qu'on a appelé le
droit de la guerre ; mais il a varié avec les principes
dans lesquels on a fait la guerre. Les Anciens
Gvj
156 MERCURE
.
faifoient avec les vûes des peuples civiliſés ; ils vouloient
ou affoiblir leurs voiſins , & alors tous les
hommes qu'ils ne leur avoient pas tués, ils les dégradoient
dans la ſervitude ; ils en rempliſſoient leurs
maiſons , où ils les traitoient comme les animaux
voués à leur ſervice ; ou bien ils vouloient conquérir
& foumettre leurs voiſins , & alors ils recevo.
ent les vaincus ſous leurs loix ; ils les aſſocioient
à tous leurs avantages politiques , & ſouvent même
ils en adoptoient pluſieurs inſtitutions
Il n'en fut pas de même des Barbares qui ſe
débordèrent dans l'Empire Romain. Manquant de
civiliſation , ils la méprisèrent chez les l'eup es qu'ils
foumirent ; ne trouvant dignes d'eux que les travaux
de la guerre , ils avoient beſoin des vaincus pour
leur cultiver une terre dont ils ne vouloient que
jouir; ils ne les attachèrent pas à leurs perſonnesi
ils les aſſervirent aux champs où ils les trouvèrent.
Les Romains farfoient déjà cet emploi d'une partie
de leurs eſclaves , & l'on pourroit croire auffi que
les Barbares ne firent que conſerver un uſage qui
convenoit fi bien à leurs moeurs. Bientôt tout fe
divifa dans l'Empire des vainqueurs. Le gouvernement
féodal s'éleva , s'étendit & s'affermit. Alors les
payſans devinrent des hommes de Servitude, enfermés
dans le territoire des Seigneurs , comme les cerfs dans
Icurs parcs , & livrés à la tyrannie d'un maitre qui ne
reconnut d'autre loi que la volonté , d'autre juſtice
que ſon intérêt.
On pourroit demander dans lequel de ces deux
genres de fervitude l'humanité a été le plus ouragée.
Être privé de tous les droits de la Cité & de
la propriété , être irrévocablement attaché à la terre
qu'on cultive , eft bien moins dur , moins humiliant
encore que de dépendre à tous les momens de la
perſonne d'un maître, aux fantaisies, aux cruautés
duquel toute votre exiſtence eſt ſoumiſe. Mais fi
DE FRANCE. 157
nous conſidérons que l'ancienne ſervitude n'enveloppoit
que la portion d'hommes faits eſclaves à la
guerre ou nés dans l'eſclavage , tandis que la ſervitude
de la Gièbe s'est étendue fur des Nations entières
, qu'elle a couvert toute l'Europe , que la Noblefe
& l'Egliſe ont eu ſeuls le priviège de conſerver
des hommes libres , nous refterons convaincus
que le genre humain n'a jamais été ſi opprimé , ſi
dégradéque par les loix féodales. Il a ſecoué peu-àpeu
le poids d'outrages & de vexations ſous lequel
il étoit refté accablé pendant pluſieurs fiècles ; mais
nos loix , nos moeurs , les formes de nos propriétés
fur-tout font reſtées infectées des veſtiges de cetre
abſurde & tyrannique législation ; & dans la France
même, le Royaume ou les affranchiſſemens ont
commencé , & où ils ſe ſont le plus rapidement accumulés
, dans la France même , deux Provinces , la
Bourgogne & la Franche-Comté,ont encore de vaſtes
cantons cultivés par des mains eſclaves . En vain on
diroit que le temps , les moeurs & la protection des
Tribunaux ont déjà fait tomber les plus odicux des
droits que les Seigneurs s'étoient arrogés fur leurs
vaflaux. Leur état eſt encore tel qu'il fait honte au
pays & au fiècle qui le tolèrent. Cultiver une terre
chargée des plus onéreuſes redevances , de corvées &
d'impoſitions arbitraires , où le Seigneur feul pofsède
tout , où les tenarciers ne peuvent jamais devenir
propriétaires , où toutes leurs acquifitions retombent
à leur mort dans le domaine du Seigneur ,
où ils ne peuvent ni les donner ni les tranſmettre
même à leurs enfans , fi ce n'est à des conditions
rigoureuſes & toutes à l'avantage du maître ; ne
pouvoir s'écarter de cette terre ſans perdre à l'inftant
tout ce qu'on y poſſédoit ; ne pouvoir rien acquérir
, même dans un autre pays , qui ne foit foumis
à la confiſcation ſeigneuriale ; contracter cette
ſervitude non- ſeulement par la naiſſance , mais par
158 MERCURE
le mariage, mais par l'habitation d'un an & dan
jour : voilà , à quelques différences près , dans les
divers cantons , quelle est la destinée des Serfs qui
reſtent encore dans la Bourgogne & la Franche-
Comté : eſt- elle aſſez vile , affez miférable ? « Les
Religieux de la Mercy , diſoit éloquemment Vol-
> taire, paſſent les mers pour aller délivrer nos
> frères , lorſqu'on les a fair eſclaves à Maroc ou à
>> Tunis , qu'ils viennent donc délivrer douze mille
> François eſclaves en Franche-Comté !
L'intérêt & l'entêtement pour les vieux uſages ,
diſputent à la puiſſance légulative exercée parmi
nous par le Souverain ,le droit de changer cette injuricuſe
& déplorable condition de plus de douze
mille François. Sur quels titres affez reſpectables eftelle
donc fondée pour repouffer ainſi la protection
des loix ? Les hommes , me dit - on , doivent exifter
dans la ſociété ſous les conditions qui leur furent
impofées , & qu'ils ont acceptées au moins par leur
longue foumillion. Mais ſi ces conditions font injuſtes
, cruelles , fi elles ont été impoſées par la
tyrannie , acceptées par la foibleſſe , quelle ſanction
légitime auroient-elles pa recevoir ? Toute inftitution
ſociale qui n'a pas pour but& pour effet le
plus grand bien de tous , n'est pas bonne , & dois
être changée. Toure claufe dans les contrats qui met
d'un côté tout l'avantage , & de l'autre toute la
charge, ne ſuppoſe ni raiſon ni liberté dans les
contractans; elle est éternellement nulle & révo
cable. Tout homme dans la ſociété doit y exiſter
comme citoyen&non comine eſclave. Tout homme
qui ſe voue à la culture de la terre doit être maître
des,conditions ſous leſquelles il veut la cultiver
&non pas refter éternellement foumis à celles que
la tyrannic d'un poffefſeur a une fois poſées. Mais ,
s'écrient les Seigneurs main mortables , c'eſt-là vioher
notre propriété, renverfer noue antique pofief
DE FRANCE. 159
ſion. Il eſt des mots reſpectables donton fait
continuellement le plus terrible abus. Dans tous les
fiècles on a réduit à l'indigence la plus conſidérable
partie des Nations au nom de la propriété , & on
aconſacré toutes les tyrannies par la poffeffion. La
propriété & la poffeſſion ſont des droits établis &
maintenus par les loix ; les loix qui les protègent
doivent les fubordonner à l'intérêt général ; elles peuvent
& elles doivent en arrêter , en fufpendre ou en
modifier l'exercice , toutes les fois qu'il en eft réſulté
l'eſclavage des hommes cu leur dénuement abſolu.
Il me ſemble que c'eſt pour avoir méconnu ce principe,
que les loix ne ſont ſi ſouvent que la ſauvegarde
du riche contre le pauvre. Quand l'établiſſement
de la Glèbe n'auroit rien de vicieux dans
les principes du droit civil , il pourroir encore étre
détruit comme contraire aux principes du droit politique
; mais tout réclame dans le droit civil même
contre la fervitude de la Glèbe. Cette poffeffion ,
ces conventions dont on ſe prévaut, n'ont pu naître
que de cet érat d'oppreffion on des gens de guerre
avoient réduit des gens déſarmés. Si les Seigneurs
ont cédé leurs terres , les vaſſaux les ont cultivées;
files vaſſaux ont vécu de leurs travaux , les
Seigneurs en ont été enrichis ; il faudroit admettre
d'étranges règles dans la justice , pour croire que ce
font ces malheureux payfans qui redoivent encore
quelque choſe à leurs maîtres , & qu'on ne peut leur
accorder les droits de tous les autres hommes fans
violer quelque choſe de ſacré.
Il eſt tout fimple que l'intérêt,qui ne fait ſe rendre
ni à la raiſon ni à la justice , ait voulu couvrir de
quelque apparence de droit la fervitude de la Glèbe ;
mais que des hommes de talent, dans notre fiècle
meme, s'en foient faits les apologiſtes & les apôtres,
c'eſt ce qu'on n'auroit pu croire , fi l'on n'eût lu déjà,
par une foule d'exemples , à quelles baſſeſſes & ä
160 MERCURE
quelles extravagances la paſſion de la fortune &
celle de la célébrité peuvent conduire des Écrivains
fans confcience& fans honneur ; ils trafiquent fans
pudeur de toutes les vérités de la morale & de la
politique , felon les vûes de leur ambition : d'ailleurs
ces hommes , ordinairement détracteurs de
tous les bons Écrivains , en s'attaquant à leur
gloire, font obligés de faire auffi la guerre à toutes
leurs opinions. Peut- être auſſi eſt - il certains eſprits
incapables également d'ajouter un nouveau poids , un
nouveau développement aux idées ſaines déja connues,
&d'en découvrir d'utiles &de vraies ,& qui ne peuvent
trouver l'aliment de ce que leur talent a toujours
de faux & d'imparfait, que dans les penſées paradoxales
, fuſſent- elles abfurdes & odieuſes. On a vu
ces Écrivains déplorer le fort des hommes libres ,
infuiter aux défenſeurs de la liberté , & regretter
d'une part ces temps où tous les payſans n'étoient
que la première eſpèce du bétail qui couvroit les
terres des Seigneurs , & nous offrir d'un autre côté
le modèle d'un bon gouvernement dans ces Empires
où toute la loi conſiſte dans une volonté arbitraire
& terrible , & tout l'ordre focial dans une obéiſſance
aveugle.
Comment donc raiſonnent ces Écrivains ? Ils préfentent
le tableau des maux qui naiſſent de la liberté
civile & politique ; ils affectent de ne voir dans les
droits du citoyen que les excès de la licence , dans
ceux d'un état libre , que les craintes , les troubles ,
les déſordres qui l'agitent ſouvent ; & ils s'écrient
: C'eſt ici où il n'y a ni paix ni fûreté ; c'eſt
ici que le bonheur n'est qu'une vaine apparence.
Voyez au contraire le calme profond de ces Gouvernemens
tant calomniés; l'homme riche & puiffanty
eſt ſeul frappé des coups de l'autorité deſpotique;
l'homme pauvre & obfcur en eft trop loin
pour en être atteint; il ne recueille de cette formi
EFRANCE. 161
dable juſtice que le plaifir de la vengeance: on n'a
pas d'intérêt de l'opprimer ; fa baffeffe fait ſa fureté
, & protège même ſa modique proſpérité. Déjà
ſoumis au maître commun , s'il appartient encore à
un maître particulier , ſon bonheur eſt bien plus
grand; il eſt toujours au- deſſus des dangers & des
beſoins; ſon maître eſt intéreſſé à le conſerver , à
le ménager : est- ce là la ſituation du peuple dans les
pays fi vantésde la liberté? On lui permet de pof
féder & d'acquérir mais les riches profitent de ſa
misère , de ſes folies , de ſes vices même ; ils ufur+
pent ſa propriété ou ils l'achètent. Bientôt le prix en
eſt conſommé ou diffipé ; alors le pauvre tombedans.
une dépendance plus malheureuſe que la fervitude cit
vile ou perſonnelle. Ne conſervant plus que ſon in-
Auence toujours bien foible, dans l'adminiſtration pu
blique , il eſt réduit à vendre ſon ſuffrage , ou plutó
il perd ce dernier droit en perdant ſa propriété , & il
n'eſt plus que l'ennemi néceſſaire d'une ſociété qui
l'exclud de tout. Dans ces Étars , les miſérables , qui
font toujours la plus forte partie des Citoyens , ſont
tout enſemble , ou tour-à-tour , les inftrumens ou
les victimes des oppreſſeurs .
On diroit, à croire ces partiſans du deſpotiſme,
que tout eſt paix dans la fervitude , que tout n'est
que trouble & déſordre dans la liberté. Il faudroit
comparer à- la-fois les avantages & les inconvé
niens de ces deux Etats , & non les avantages de l'un
avec les inconvéniens de l'autre ; mais la mauvaiſe
foi ne peut s'accommoder de la ſaine logique. Il faudroit
examiner ſi l'oppreffion journalière , au moins
la crainte de cette oppreffion , fi la gêne , la dégradation
continuelles de la ſervitude ne font pas le
plusgranddes fupplices pour des âmes
obligées de cacher leurs idées , d'étouffer leurs ſentimens.
Je fais bien que les eſclaves ſe font à leurs
chaînes. La fervitude avilit l'homme jusqu'à s'en
fansceffe
162 MERCURE
faire aimer, a dit Vauvenargues ; mais cela n'eſt
pas vrai de tous les ſujets d'un deſpote. Il eſt au
moinsune foule de momens où ils ſentent le poids
de leurs fers. Voyez , d'un antre côté , quels avantages
compenſent les malheurs de la liberté. Ce
n'eſt que dans ſon ſein que la ſociété ſe perfeć
tionne, qu'elle voit fleurir & s'élever les grandes
vertus, les grands talens , les arts & la puiſſance
politique; ce n'eſt que dans ſon ſein que l'on voit
des prodiges de gloire , des prodiges de reſſources.
Dans ces orages même qui préparent la liberté , la
cimententou laramènent, croyez- vous que le Citoyen
ne ſente que ſes maux ? Ames viles , qui n'eſtimez que
le morne&trifte repos de la ſervitude , détrompezvous.
L'homme libre jouit de l'influence qu'il a dans
la choſe publique, de cette indépendance que fon
amour pour les loix lui conſerve ou lui promet,
de ſa haine même pour la tyrannie; il jouit de
tous ſes facrifices ; il paye des impôts énormes ,
&il eſt heureux. Il meurt dans les combats , mais
ſa mort ſera utile & chère à ſa patrie , & il eſt
heureux. A chaque inſtant il reconnoît en lui la
dignité de l'homme ; ſon âme s'élève , ſe nourrit
des belles illufions ; & ceux qui ſavent tout ce
que la paffion de la vertu verſe de délices dans
le coeur du bon Citoyen , ne plaignent pas ſon
fort, quel qu'il ſoit. Eft- il poffible qu'il y ait des
hommes qui ne rougiſſent pas de prêcher la baffefſe
àleurs ſemblabies ? Je n'ai jamais conçu qu'on ait
pu diſputer à l'homme cette noble exaltation de
l'âme qu'il tire de la liberté , & ces confolations qu'il
puiſe dans la croyance d'un Dieu. Quel incroyable
délire a pu pouffer certains efprits dans cette triſte
& odieuſe doctrine , qui corrompt & dégrade tout
dans la ſociéré ?
M. le Chevalier de Florian , qui a préféré ce
DE FRANCE: 163
fujet, lorſque l'Académie lui avoit laiſſé la liberté
d'en choiſir un autre , qui a prouvé par-là combien
fon coeur chérit les vérités qu'il nous a donné lieu
de retracer , nous pardonnera ſans doute de nous en
être fi long-temps occupés. Nous allons enfin parler
de fonOuvrage; l'intérêt qui y eſt répandu dédommagera
nos Lecteurs de tout ce qu'ils ont peutêtre
trouvé de froid & de ſec dans nos réflexions .
La première idée qui ſe préſente ici , c'eſt que
ce ſujet, à ne le conſidérer que littérairement , tout
noble& intéreſſant qu'il eſt par lui-même , étoit peu
favorable à la Poésie. La Servitude de la Glèbe a des
caractères particuliers ; elle est née des principes ,
ou plutôt des bizarres & tyranniques inſtitutions du
droit féodal ; elle tient aux temps les plus barbares
&les plus malheureux de notre Hiſtoire; tout y
offenſe la raiſon , tout y flétrit l'âme , tout y repouſſe
l'imagination. Mais le talent tire ſouvent ſes
plus grandes beautés des difficultés qu'il avoit à
vaincre. Plufieurs des jeunes Écrivains qui ont traité
ce ſujet avant même la Pièce que l'Académie vient
de couronner , avoient tracé dans de beaux vers les
principaux traits de la Servitude particulière qu'ils
avoient à peindre. On n'a pas oublié pluſieurs tirades
des Pièces dont on lût des fragmens à l'Académie
dans le concours de l'année dernière. La difficulté
detraiter en vers ce ſujet, augmentoit encore par la
néceſſité de le reſſerrer dans un Poëme tel que ceux
que l'Académie demande. Je fais que des Poëmes
plus longs feroient encore plus difficiles à bien
faire. Mais il faut convenir que ſi les longs Ouvrages
exigent une plus grande diverſité , une plus
grande maturité dans le talent , les petits exigent
un talent plus fouple & plus de goût ; & il n'eft
guère poffible que ces qualités ſoient celles des jeunes
Poëtes. Delà vient que l'Académie , dans l'immenfiré
de Pièces qu'elle reçoit , en trouve fonvent qui
164 MERCURE
brillent par beaucoup de talent , & qu'elle en trouve
rarement dont l'enſemble ſoit bon & heureux. C'eſt
le premier mérite de celle que nous annonçons. M.
le Chevalier de Florian a ſaiſi une des ſituations
les plus déplorables où la Servitude de la Glèbe puiffe
placer un malheureux Payſan ; il en a fait une forte
de Drame, où ſon ſujet eſt peint en action. Le mariage
d'un homme libre avec une Serve, rend Serfs
l'époux & les enfans , s'il occupe la maiſon de ſa
femme pendant un an & un jour Il n'y a pour lui
qu'un ſeul moyen d'éviter la Servitude; on arrache
le Serf mourant de la maiſon d'eſclavage ; on le
porte ſur une terre libre , pour qu'il y rende le
dernier ſoupir ; & la liberté de ſes enfans eſt le pri,x
de ce trajet, qui avance l'agonie du père de famille.
Voilà le triſte & odieux tableau que M. de Florian
s'eſt attaché à peindre. Un Suiffe , amené par le
haſard dans la Franche-Comté , a pris de l'amour
pour une fille d'un Canton de cette Province; il
l'obtient de ſes parens , vit heureux avec elle , & le
voilà devenu eſclave lui & ſes enfans. Il eſt au bord
du tombeau , il ſe fait apporter ſur une terre libre ,
il vienty mourir . L'invention de cette Scène étoit déjà
très - intéreſſante , l'Auteur l'anime encore, & l'agrandit
par le choix de l'un des perſonnages , c'eſt
le fondateur & le bienfaiteur de Ferney , lieu déformais
auſſi célèbre que les Capitales où réſident les
• Kois; c'eſt le protecteur des Serfs du Mont-Jura ,
c'eſt Voltaire qui a réclamé ſi puiſſamment contre
ce reſte de barbarie qui couvre encore deux de nos
Provinces ; car ſi quelque choſe a droit d'émouvoir
la puiſſance , c'eſt la voix du génie. C'eſt
donc à Voltaire que le malheureux Suiffe , devenu
Serf , expoſe ſa deſtinée. Voltaire n'eſt point
amené ſur cette Scène ſans y déployer cet amour
de l'humanité qui reſpire dans ſes Écrits , & fans
en recevoir la récompente ; il fait amener chez
DE FRANCE. 165
Jui le bon vieillard , & il commence par lui rendre
la vie , en lui annonçant l'Edit bienfaiteur de Louis
XVI. On fait que Voltaire n'eut point le bonheur
de voir cet Édit; ſa voix , à qui les ſentimens de
fon coeur rendoient ſouvent ſa première force , eût
chanté cette Loi , il eût béni le Roi avec ces tendres
accens d'un homme reconnoiffant qui a obtenu
ſa prière. Cette tranſpoſition d'époques eft naturelle
, & fournit un très heureux dénouement à cette
Pièce toute dramatique. Remarquons ici que dans
des Ouvrages de la nature de celui- ci , ce n'eſt que
par l'invention d'une Scène bien conçue que l'on
peut borner ſon ſujet avec du goût & de l'effet. On
ne peut trop louer le plan de cet Ouvrage , ſeul , il
eût pû mériter un prix. L'exécution ne prouve pas
moins un eſprit juſte & un talent heureux.
Le début fur-tout eſt plein d'intérêt :
:
>>Au pied de ces monts ſourcilleux ,
Rempartsde l'antique Italie ,
Dequi la cîme énorgueillie
S'élève & ſe perd dans les cieux ;
En un vallon riant , aux bords d'un lac tranquille
Le Laboureur fillonne une terre fertile :
L'heureuſe liberté ſeule y dicte des loix ;
Et de rocs eſcarpés une chaîne terrible
Garantit ce ſéjour paiſible ,
Près de cette Terre chérie
Voltaire avoit cherché le prix de ſes travaux ;
Raffafié de gloire , il vouloit du repos .
Laſſé d'avoir encore à combattre l'envie ,
Après ſoixante ans de combats ,
Il venoit conſacrer les reſtes de ſa vie
Au noble & trifte emploi de faire des ingrats .
Il élevoit une ville nouvelle ,
1
:
166 MERCURE
Ouverte aux malheureux , dont il eſt le ſoutiens
Ils accourent en foule où ſa voix les appelle :
Dans les murs qu'il bâtit tout pauvre eft Citoyen.
L'infortuné qui ſe préſente
Eſt sûr de trouver des bienfaits.
Voltaire va chercher la famille indigente ,
Qu'un incendie , un orage , un procès
Afait tomber dans la misère :
<<Séchez vos pleurs , dit-il , je vous rendrai vos champs;
>> Venez m'apporter vos enfans ;
>> Venez m'aimer , je ſerai votre père. »
Il eſt heureux lui-même en faiſant leur bonheur :
Donner eſt un beſoin pour ſon âme attendric ,
Et les ſeuls plaiſirs de ſon coeur
Peuvent délaſſer ſon génie.
BIENTOT de nombreux habitans
Vivent heureux par lui dans ſa naiſſante ville.
Si , malgré ſes ſoins vigilans ,
La diſcorde troubloit leur union tranquille ,
Voltaire juge ſes enfans :
Ilparle , & fa douce éloquence
Appaiſe les reſſentimens .
L'art de toucher les coeurs fut toujours ſa ſcience.
Il leur enſeigne la vertu ;
Il fait la faire aimer de ce peuple ſauvage ,
Etdeſcend juſqu'à leur langage
Pour en être mieux entendu. >>>
Voilà une manière d'écrire ſimple , naturelle &
touchante ; elle ne frappe pas par des beautés d'un
grand éclat, mais elle flatte le goût & laiſſe une
impreſſion dans l'âme. On ne les lit pas ſans les
retenir , ces vers ci :
Raffafié de gloire , il vouloit du repes,
DE FRANCE. 167
こ
Dansles murs qu'il båtit tout pauvre est Citoyen.
Venez m'aimer , je ferai votre père.
Er les feuls plaisirs defon caur
Peuvent delaſſerfon génie.
L'art de toucher les coeurs fut toujours fa fcience.
D'où vient que de ſemblables vers font un plus
grand plaifir , à meſure qu'on a le goût plus formé ?
C'eſt que les idées juſtes, les ſentimens doux , les
mouvemens faciles font les premières & les plus
conſtantes beautés. Je n'entends pas dire que l'on
ne peut faire mieux ni faire bien en faiſant autrement.
Mais cette manière d'écrire eſt celle que l'on
aime toujours à retrouver ; & elle enchante dans
les chofes où elle doit dominer,
Après cette intéreſſante expoſition , la Scène
commence. Voltaire aborde le vieux Suiſſe , qui lui
raconte ſes malheurs . C'eſt encore ici le même ton
de ſtyle , le même naturel dans les ſentimens & les
idées ; mais il me ſemble qu'on pourroit deſirer dans
ce récit une éloquence plus vive, des peintures plus
animées , des ſentimens plus naïfs. C'eſt un Payſan ,
un père , un mourant qui parle , & qui parle au
moment où il vient ſacrifier la paix de ſes derniers
ſoupirs à la liberté de ſes enfans , dont il eſt environné.
C'eſt peut-être auſſi une invraiſemblance trop
forte de ſuppoſer que ce bon Suiſſe a ignoré les
loix cruelles du Canton où il étoit venu habiter
juſqu'au moment où il eſt prêt à mourir, où on lui
annonce le fort qui menace ſes enfans , & l'unique
moyen qui lui reſte de leur rendre la liberté. Les
loix cruelles & les loix bienfaiſantes ſe manifeftent
par-tout dans les pays où elles règnent ; le
ſol en porte l'empreinte , & les viſages expriment
le bonheur ou le malheur dans leſquels elles font
vivre les hommes ſoumis à leur empire.
,
-
163 MERCURE
On a fait généralement un autre reproche à l'ouvrage
de M. de Florian , celui de manquer de poéfie
dans le ſtyle; & il faut avouer que c'eſt un défaut
réel dans un Ouvrage écrit en vers. Une raiſou
heureuſe , une ſenſibilité douce , ſont les plus aimables
qualités d'un bon Ouvrage ; mais il ne s'élève
pas à tout ce qu'on a droit d'attendre de l'enthouſiaſme
& de l'imagination d'un Poëte fans un coloris
riche , une harmonie variée , & une marche vive
&rapide. On pourroit croire que M. de Horian ,
ens'interdiſant des beautés qui font dans ſon talent ,
a cherché à être fidèle à ſon épigraphe:
:
Je veux que le coeur parle & que l'Auteurſe taife.
Mais , dans ce cas , il ſeroit tombé dans une erreur.
Malheur ſans doute à tout Ouvrage où l'Auteur
étale toujours ſon art , ne voit & ne fent rien que
par fon art. Mais ce ſont ces Ouvrages mêmes
qui manqueront de ce ſtyle pittoreſque & paffionné
, dont on a fait juſtement la langue du Poëte.
C'eſt dans ceux où l'âme de l'Auteur s'eſt émue ,
où ſon imagination a été vivement frappée , que
l'on trouve toujours à leur vraie place les accens
d'une ſenſibilité énergique ou gracieuſe , les
belles images , & ces expreſſions ſimples & hardies,
où tous les moyens du talent , le grand ſens ,
l'imagination , l'âme & le goût ſe réuniſſent & ſe
fervent mutuellement. Un Écrivain qui annonce
autant de goût & de talent que M. de Florian , n'a
pû croire qu'il fût eſſentiel à un ſtyle vrai & dicté
par l'âme de manquer d'élévation. Il me ſemble
que c'eſt à un autre principe bien plus ſage qu'il faut
attribuer cette eſpèce de nudité que l'on a reprochée à
ſon ſtyle. L'Auteur , très-jeune encore , écrit en vers
pour la première fois. Avec un goût plus formé &
un meilleur eſprit que ne les ont communément les
jeunes
ش
DE FRANCE. 169
jeunes Poëtes , il a vu les écarts attachés à de plus
grands efforts de ſon talent ; il a préféré de ſe paſſer
des uns pour éviter les autres ; ila réſervé , pour de
nouveaux eflais , l'emploi de toutes ſes forces ; il
s'eſt borné à la juſteſſe des idées , à l'intérêt des
ſentimens , à l'abandon d'un ſtyle ſimple & vrai .
Peut- être ce procédé d'eſprit eſt-il un talent de
plus , & doit encore mieux faire eſpérer d'un Écrivain
qui a ſu l'emporter ſur la foule de ſes rivaux ,
en renonçant à des beautés auxquelles il n'oſoit prétendre
, mais qui tiennent au genre de celles où il
montre déjà cette ſupériorité.
On fait que M. le Chevalier de Florian s'étoit
déjà faitconnoître par pluſieurs Comédies charmantes,
toujours revues avec un nouveau plaifir ſur un de
nos Théâtres. Il paroît deſtiné à accumuler les couronnes
dans l'une & l'autre carrière.
Le Public , en mélant à ſes juſtes applaudiſſemens
cet intérêt qu'inſpirent les jeunes talens , voyoit en
core , avec un plaifir particulier , un jeune homme
qui a l'avantage d'être allié à la Famille de Voltaire
, remplir ſon premier Ouvrage du nom , de
la gloire , & fur-tour des bienfaits de cer homme ,
qui honorera à jamais ſa Nation & ſon ſiècle. M. de
Florian a joint à ſon Ouvrage des notes très-bien
faites , où il rappelle un grand nombre des traits de
bonté & de bienfaiſance dont Voltaire, a ſignalé
fon long ſéjour à Ferney.
Il eſt trop doux de parler des vertus, d'un aufli
grandHomme, pour que je ne rapporte pas ici plufieurs
de ces traits .
M. de Voltaire ſeroit mort content , s'il avoit
>> pu lire l'Édit de Louis XVI , qui affranchir les
>>> Serfs de ſes Domaines. Le bonheur des hommes
>> fut toujours ſa paſſion la plus ardente. Tout le
>> monde ſait qu'il étoit le père & le bienfaiteur de
>> ſes Vaſſaux. Mais comme ceux qui ne l'ont pas
N° 47 , 23 Novembre 1782 . H
170 MERCURE
>> connu pourroient imaginer que Fon s'eſt ſervi du
> privilége de la Poéſie pour exagérer ſes bonnes
> actions , on s'en eſt procuré quelques détails , dont
>> le récit eft bien au deſſus des vers qu'on vient
„ de lire.
>> M. de Voltaire avoit à peine acheté la Terre de
» Ferney , que la Communauté de ce lieu perdit un
> procès affez conſidérable; la Partie adverſe fit
> conduire en priſon , à Gex , les deux plus notables
>> Payſans de Ferney. M. de Voltaire paya le procès ,
» & délivra les Payſans.
» La même année 1759 , un habitant de Ferney
>> fut mis en priſon pour dettes à Genève. M. de
>> Voltaire envoya ſur le champ pour traiter avec
>> celui qui l'avoit fait arrêter . On étoit d'accord ,
>> & le Payſan alloit fortir , lorſque les autres Créan-
>> ciers ſe préſentèrent , & le firent écrouer de nouveau.
M. de Voltaire les paya tous , & dépenſa
>> deux mille écus pour rendre ce malheureux à ſa
>> famille.
Non ſeulement il donnoit , mais il ſavoit donner.
,
» Une veuve , d'un hameau près de Ferney , fut
• pourſuivie par ſes Créanciers ; la Juſtice fit vendre
ſon bien. M. de Voltaire ſe porta adjudicataire
>> fit pouſſer très-haut le prix de ce bien, & en devint
>> le Fermier pour le compte de la veuve. Il en fut
» mal récompenſé ; au bout de l'année la veuve lui
>> fit un procès.
>> Il rebatiſſoit la maiſon d'une famille indigente,
- faiſoit ſigner à la mère le billet de l'argent qu'il
>> avoit avancé ; il appeloit enſuite le plus jeune de
> ſes enfans , & en jouant avec lui , il lui donnoit
le billet de ſa mère.
>> On ne finiroit pas ſi l'on vouloit rapporter les
>> noms de tous ceux pour qui M. de Voltaire fit
→ bâtir des maiſons. Ferney n'étoit qu'un hameau
DE FRANCE. 171
1
>> en 1765 ; dix ans après c'étoit une petite ville ;
>*> &il n'y avoit pas une pierre que M. de Voltaire
» n'eut payée. >>
La Séance de l'Académie , où cette Pièce a été
couronnée , conſacrée à la reconnoiſſance que l'on
doit aux bonnes loix & aux bonnes actions , a encore
reçu quelque choſe de plus auguſte& de plus touchant
de la préſence de Mgr. le Duc de Penthièvre & de
Mme la Ducheſſe de Chartres. Cette marque de leur
bienveillance pour M. le Chevalier de Florian , qui a
l'honneur de leur être attaché , paroiſſoit une faveur
pout lePublicmême , toujours empreſſé de témoigner
fon amour pour le Sang de nos Rois , & d'exprimer
ſatendre vénération pour les vertus . Le Prince , dans
un lieu où la gloire de Voltaire eft conſervée comme
un dépôt , a oublié les torts de ce grand Ecrivain
envers la Religion , pour rendre hommage à ſes bonnes
actions ; & le Public, touché de cette juſtice , a
fufpendu les tranſports de l'admiration , que réveille
toujours en lui le nom de l'Homme de génie, pour ſe
livrer tout entier au bonheur d'aimer dans un Defcendantdes
Rois , la ſimplicité des moeurs , la bonté généreuſe
, la bienfaiſance active , toutes ces qualités ,
l'exemple du riche , la conſolation du pauvre , & qui ,
- nées delaReligion, ſe cachent dans laReligion même.
Rien ne dément mieux ces imputations odieuſes que
les plus vils Ecrivains ne ceſſent de répéter contre
les Gens de Lettres. Où les vertus pieuſes de Mgr.
le Duc de Penthièvre auroient-elles pu être plus
dignement ſenties ? M. de la Harpe , Directeur de
la Séance , a ſu rendre les ſentimens de l'Académie
& du Public avec la fidélité la plus heureuſe ;
chaque éloge étoit ſi vrai , qu'il devenoit à l'inftant
une acclamation univerſelle . La fatisfaction modeſte,
on peut dire même, la vive reconnoiſſance que
l'Afſſemblée liſoit ſur le viſage du Prince & de la
Princeſſe, devenoit ſa récompenſe à elle- même; il eſt
Haj
172 MERCURE
bien doux de pouvoir répandre une nouvelle joie
dans des coeurs habitués à toutes les douceurs de
la bonne confcience. Puiſqu'il n'y a rien de plus
heureux dans l'élévation des rangs & même dans
la vertu, que d'obtenir l'eſtime & l'amour du Public,
nous ofons offrir ici à ces auguſtes Perſonnes ,
comme un hommage particulier , le ſouvenir d'un
moment qui a paru ſi touchant pour leurs coeurs.
( Cet Article est de M. de la Cretelle.)
LES Contes des Génies, ou les charmantes
leçons d'Horam, fils d'Afmar , Ouvrage
• traduit du Perſan en Anglois , par SirCharles
Morell , ci - devant Ambaſſadeur des
Établiſſemens Anglois dans l'Inde, à laCour
du GrandMogol ; & en François , fur la
Traduction Angloiſe , avec 13 figures.
3 Volumes in- 12. Prix , 7 liv. to fols
brochés , 9 liv. reliés. A Amſterdam , &:
- ſe trouve à Paris , chez laVeuve Ducheſne ,
Libraire , rue S. Jacques.
L'ÉTENDUE & la nature de cet Ouvrage ne
nous permettent pas d'en offrir ici l'analyſe ;
chacun des Contes qu'il renferme pourroit
former à part un petit Roman. Il y a un peu
de monotonie dans les ſujets , ou du moins
dans la manière dont ils font traités. Ce font
toujours des enchanteurs qui portent au mal
les Héros de ces Contes ,&toujoursde bons
génies qui les défendent contre les enchanteurs
ou qui les abandonnent quelque
temps à leurs maléfices , quand ces mêmes
,
DE FRANCE.
173
Héros ſe ſont rendus coupables. Il y a auſli
des longueurs dans la narration , trop ſouvent
interrompue par de trop longues mora
lités ; mais on y trouvera auſſi beaucoup
d'imagination , & ſouvent meine beaucoup
-d'intérêt , malgré le merveilleux qui y règne
&qui doit l'affoiblir ; car le coeur , aujourd'hui
fur tout , eſt peu intéreſſé par des faits
magiques , ou des événemens furnaturels.
Ajoutons que la morale en eſt fort ſaine , &
ſouvent amenée avec beaucoup d'adreſſe.
Nous allons en citer quelques traits .
Le Sultan Miſnar , fidèle à la loi de
Mahomet , va faire un pélerinage à la Mecque
, pour offrir ſes prières à Alla. Il ſe
trouve égaré dans une forêt , ſeul , ſans
gardes , à la merci des brigands dont elle est
peuplée. La pâle lueur de la lune , qui s'éclipſe
par intervalles , ne ſert qu'à rendre
l'aſpect de la forêt plus lugubre & plus effrayant.
Le Sultan s'abandonne à ſes réflexions
, & voici les belles moralités que l'Auteur
met dans ſa bouche. " Je me connois
ود mieux que jamais depuis que j'erre foli-
› taire dans cette retraite obfcure & filen-
» cicuſe. A la Cour de mes ancêtres on me
>> nommoit la lumière du monde , la gloire
>> de l'Orient , l'oeil du jour. Dansla forêt de
» Tarapajan , je neſuis qu'un vil reptile qui
> ſe traîne dans les ténèbres au pied des cè-
>> dres qui le couvrent &lui dérobent l'éclat
ود dela lune. La gloirede l'homme n'eſtque
>> vanité ; les grandeurs de la terre ne font
Hii)
174 MERCURE
20
>> qu'illufion & apparence trompeuſe.... Ici ,
>>les bêtes farouches ne me flatteront point.
>> Ici, le fier lion ne me reconnoîtrapas pour
le maître de ſon domaine ſauvage. >>>
Dans le même Conte , Ahubal voulant
détrôner le Sultan ſon frère , confulte l'enchanteur
Ollomand, qui lui promet un plein
ſuccès par ſon ſecours;& illui dit : " Sublime
» & puiffant Enchanteur , tu as donc les
» Dieux de l'Europe en ton pouvoir ? Les
» Européens , dit Ollomand , ne reconnoif-
ود ſent qu'un Dieu, dont ils placent le trône
>> au plus haut des cieux. Mais il eſt vérita-
>> blement au centre de la terre , le Dieu
» qu'ils adorent. L'or eſt leur Dieu. C'eſt à
» lui qu'ils facrifient ; c'eſt pour lui qu'ils
* oſent tout entreprendre ; c'eſt pour lui
>> qu'ils trompent & trahiffent leurs meil-
*" leurs amis. Tu m'as qu'à leur envoyer des
>> préſens & leur promettre des richeſſes , tu
>> les verras voler à ton fecours. >>
Le Conte de Sadak & Kalasrade eft plein
de ſituations intéreſſantes & de beaux traits
demorale. Mon fils , dit le vertueux Sadak ,
au moment où ils font tous deux en proie
au plus affreux danger : " Notre foible nature
>> s'alarme aisément au moindre ſpectacle
* > 'extraordinaire. Notre imagination timide
>> cède à la crainte ; mais la tempête qui
ſoulève l'Océan , & la chûte du monde
✔entier n'irritent point Alla , comme les
>> murmures des méchans , quoiqu'ils femblent
autoriſés par la proſpérité des infi
DE FRANCE. 175
>> dèles & les malheurs du juſte. L'âme des
» méchans eſt plus ténébreuſe & plus vio-
>>lemment agitée que les flots d'une mer
>>orageuſe. L'horreur qui nous environne
>> n'eſt qu'une foible image du déſordre
» affreux de leurs penſées. Cependant ils
tremblent au moindre bruit ; la vue d'un
inſecte les glace d'effroi , tandis qu'ils nourriffent
dans leur ſein le plus horrible des
» monſtres , un coeur rébelle & défobéif-
>> fant. »
"
ود
ود
"
Comme ce fils de Sadak devient intéreſſant
, lorſque ſon père & lui ſont ſur le
point de périr , tourmentés par une faim
cruelle , & dévorés par une ſoif brûlante !
Ils avoient encore " quelques gouttes de vin
>> dans unepetite phiole.Ce tendre père vou-
>> lut les verſer ſur la langue altérée de fon
» fils . Ahud , le généreux Ahud, refufa ce
>> ſecours , en preſſant ſon père d'en profiter
lui- même. Un tendre combat s'eleva entre
>> ces deux infortunés, Sadak voulut em-
>> ployer l'autorité paternelle pour faire
>> prendre à fon fils ce foible foulagement.
» Ahud cedant aux tranſports de l'amour
>> filial qui l'anime, reçoit la phiole des mains
>> de ſon père ; & avant que Sadak pût ſe
» défier de ſon deſſein, il verſe la liqueur
» dans la bouche du reſpectable vieillard ,
» & le force de la boire juſqu'à la dernière
>> goutte; puis ſe jetant à ſes pieds , il s'écrie :
ود O mon père , pardonne-moi la première
» déſobéiſſance dont ton fils ſe ſoit rendu
Η ιν
176 MERCURE
> coupable. J'ai oſé employer contre l'Au-
>> teur de ma vie la force que je tiens de
» lui , &c.
De pareils traits ne ſont point rares dans
ces Contes; nous pourrions en eiter une
foule d'auſſi ſaillans; mais nous renvoyons
le Lecteur à l'Ouvrage même.
ESSA1 fur l'Architecture théâtrale , ou
de l'Ordonnance la plus avantageuse à
une Salle de Spectacles , relativement aux
Principes de l'Optique & de l'Acoustique,
avec un Examen des principaux Théâtres
de l'Europe , & une Analyse des Écrits
les plus importansfur cette matière ; par
M. Patte , Architecte de S. A. S. Mgr.
le Prince Palatin , Duc regnant des Deux-
Ponts. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins , hotel
de Cluny.
On voit , par le ſeul titre de cet Ouvrage
, que l'Auteur a confidéré ſon ſujet
fous toutes ſes faces : en effet , on peut
dire que du côté des recherches il ne laiſſe
rien à defirer. Il a oppoſé fes principes aux
principes des Écrivains qui ont écrit ſur la
même matière ; & par l'examen des différens
Théâtres de l'Europe , il a donné l'application
des règles qu'il a cru devoir établir.
On fent qu'un pareil Ouvrage ſe refuſe
à l'analyſe, quoique la marche en ſoit
auſſi ſimple que régulière. L'expreffion en
DE FRANCE. 177
eft claire , & les principes de l'Auteur y
font mis dans le plus grand jour. Il paroît
en général peu fatisfait des Ecrits & des
Monumens qu'il examine ; mais ſon ton eſt
toujours modéré , & il ne s'agit pas de
ſavoir s'il eſt ſévère , il s'agit de ſavoir s'il a
raifon.
Il n'y aa preſque pas de formes qui n'ayent
été données aux différentes Salles qu'on a
bâties juſqu'à ce jour ; mais n'y at- il pas
une forme qu'on doive adopter excluſivement
? Telle eſt la queſtion que M. Patte
s'eſt propoſé d'examiner. Quel est le but
qu'on doit fe propoſer pour une Salle de
Spectacle ? " N'eft- il pas de parvenir à char-
*>> mer à- la- fois les yeux & les oreilles par
>> la pompe du Spectacle , par la magie des
-> décorations , par la vérité de l'action
>>>théâtrale, par le jeu des Acteurs , par la
>>beauté de leur voix , par le développe-
» ment des ballets , par les accompagne-
» mens des choeurs ? N'est- il pas en un mor
>> de mettre en oeuvre les refforts les plus
"
ود
propres à remuer l'âme , à faire illuſion
>> aux fens , & à enchanter les Spectateurs ?
» Or, ne voilà- t-il pas , par ce ſeul expoſé ,
l'ordonnance d'un Théâtre en quelque
>> forte décidée. Les yeux & les oreilles
>> étant deſtinés à être les agens des plaiſirs
>> que nous nous y propofons , il réfulte
>> donc qu'il doit être diſpoſe de façon à
>> remplir eſſentiellement le double objet
>> de bien voir & de bien entendre. »
Hy
178 MERCURE
D'après la théorie des ſons que donne M.
Patte, il réſulte que les corps durs , tels que
le fer, la pierre , &c. renvoient le ſon sèchement
, mais fans agrément & avec une efpèce
de crudité , & que les corps mous,
comme l'eau , les étoffes , &c. l'énervent &
l'abſorbent. Le bois eſt le corps le plus favorable
à l'harmonie ; de même la forme
convexe eſt la plus nuifible à la voix , & la
forme concave eſt la plus favorable ; il eſt
donc effentiel que l'intérieur d'une Salle de
Spectacle foit en bois , & que les différentes
formes pratiquées dans ſon enceinte foient
concaves , avec des précautions néanmoins
dont il faut s'inſtruire dans l'Ouvrage même.
Rien n'eſt plus capable de prouver combien
il eſt effentiel de chercher des formes
favorables à la voix que l'anecdote rapportée
par M. Patte. " On eſt venu à bout , ditil
, de modifier le fon , tellement qu'un
- Savant du dernier ſiècle a entrepris de
>> faire voir la poſſibilité de diſtribuer un ود
lieu capable de le décompoſer à l'aide de
>> ſes différens renvois, au point de faire
>>entendre autre chofe que ce qui auroit
>> éré dit : en demandant , par exemple , dans
>> un lieu difpoſe ſuivant une certaine com-
>> binaiſon , & dont il donne la figure ,
» quod tibi nomen? Le concours des ren-
» vois occaſionnés par la diſtribution des
>> corps environnans , répétoit diſtinctement
vers une place déterminée , conftantinus. >>
Ce trait eſt d'autant plus fingulier , qu'il
DE FRANCE. 179
n'y a, comme l'obſerve l'Auteur , aucun
rapport même de confonnance entre la
demande & la réponſe.
La forme que préfère l'Auteur de cet
Eſſai pour une Salle , c'eſt la figure elliptique,
qu'il ne faut pas confondre avec l'ovale,
& qui n'eſt que la ſection d'un ſphéroïde
allongé ſuivant ſon grand diamètre; elle a
le précieux avantage de concentrer la voix
vers les Auditeurs dans toute ſa plenitude.
M. Patte explique cette affertion par une
application ingénieuſe. Suppoſons , dit-
- il, un billard de forme véritablement
>> elliptique , & que ſon fer ait été fixé à
l'un des foyers , alors une bille placée à
l'autre foyer étant pouffée vers un en-
>> droit quelconque des bords de ce bil-
>> lard , retournera toujours frapper le fer
» par bricole. »
ود
Quant à l'étendue de la Salle , M. Patte
croit qu'elle ne doit pas excéder ſoixantedouze
pieds depuis l'endroit où l'Acteur
doit parler. Nous ne le ſuivrons point dans
les règles qu'il preſcrit pour favoriſer la
vûe , dans l'examen des principaux Théâtres
de l'Europe , & dans l'analyſe qu'il fait des
divers Ouvrages écrits ſur cette matière. Ce
que nous avons dit de fon Effai ſuffit pour
faire connoître ſa manière de voir comme
de préſenter ſes idées. Nous croyons que
fon Ouvrage peut être vraiment utile , &
qu'on doit y puiſer les règles de l'Architecture
théâtrale. Il s'enfuivroit de ſes prin
Hvj
180 MERCURE
cipes , que toutes les Salles de ſpectacle
devroient être bâties ſur le même modèle ;
mais n'ayant toutes qu'un même objet ,
nous ne voyons pas quel grand mal il réfulteroit
de cette uniformité; & les avantages
qu'elle procureroit nous paroiſſent répondre
àtoutes les objections.
SPECTACLE S.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné Vendredi , 15 de ce mois,
une Repréſentation d'Electre , paroles de
M. Guillard , muſique de M. Lemoine ,
avec quelques changemens qui ont paru
avantageux.
Mile Baccelli , célèbre Danſeuſe de l'Opéra
de Londres , a paru ſur ce Théâtre pour
la première fois dans le Divertiffement du
ſecond Acte; elle a juſtifié la réputation
dont ellejouit par la correction & la légèreté
de ſa danſe ; elle a été fort applaudie; &
fon fuccès fur un Théâtre où cet art a été
porté à un ſi haut degré de perfection , eſt
Péloge le plus flatteur de fon talent.
Ce Spectacle a été terminé par le Ballet
de Ninette à la Cour , qu'on revoit toujours
avec plaiſir. Le rôle de Ninette a éré
rendu par Mlle Guimard , qui y amis , s'il
eſt poſſible, plus de grâces & de fineffe en
DE FRANCE. 181
corequedans les repréſentationsprécédentes
de ceBallet.
Le perſonnage de Colas a été rendu par
le ſieur Lefèvre , qui , dans d'autres rôles , a
déjà été goûté comme Danſeur , & qui , dans
celui- ci , a montré de la gaieté & du comique
comme Pantomime.
Mlle Dupré& le Sieur Gardel le jeune ont
obtenu beaucoup d'applaudiffemens dans
le pas qu'on a ajouté au cinquième Acte. Cet
Acte a encore été enrichi d'une entrée danſée
par Mlle Dorival & le Sieur Veſtris fils : ce
jeune Danfeur , toujours étonnant par la vigueur,
l'agilité &la préciſion de fes pas, efface
toutce qu'on a vu juſqu'à cejour, ſur tout par
un abandon & une forte d'enthouſiaſme qui
ſe communique aux Spectateurs , & excite ,
àchaque fois qu'il paroît, les plus vifs tranfports.
Les principaux Sujets de la Danſe ont
exécuté l'Acte du bal , & ont offert un enſemble
& une perfection d'exécution dont
ceThéâtre feul peut fournir le modèle.
Mlle Gervais & le Sieur Nivelon , qui
ent danſé dans cet Acte la danſe nommée
Périgourdine, ne nous ont pas laiffé regretter
les talens fupérieurs qui l'exécutoient avant
eux ,& nous croyons que c'eſt le plus grand
éloge que nous puiſſions leur donner.
C
182 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
pre- LE Jeudi 31 Octobre , on a donné la
mière repréſentation de la repriſe du Baifer ,
ou la Bonne Fée, Comédie Fécrie , en trois
Actes & en vers , muſique de M. Champein.
Nous avons parlé de cet Ouvrage dans ſa
nouveauté. Les Auteurs y ont fait beaucoup
de changemens , & preſque tous ces changemens
méritent des éloges. Le Poëte , en
ſoignant ſon ſtyle , auquel on pouvoit fouvent
reprocher une facilité trop négligée ; en
donnant à quelques ſituations des développemens
agréables ; en les entourant de tout
ce que le genre de la Féerie peut avoir de
pompe ſur la Scène Italienne , a ſu fixer l'attention
du Spectateur. Il a prouvé que tous
les ſujets peuvent s'embellir & devenir ſufceptibles
de quelque intérêt, quand on les
travaille avec ſoin , & qu'on les préſente
fous les couleurs qui leur conviennnent.
Nous n'inviterons pourtant aucun Auteur
à choiſir , dans la Féerie , ſes Fables dramatiques
, parce qu'il eſt difficile d'y intéreſſer ,
& que même on n'y peut intéreſſer que
très-foiblement. En effet , dans quelque attitude
que foient des perſonnages qu'un ſeul
coup de baguette peut arracher au malheur ,
ils n'excitent ni incertitude ni crainte , leur
danger n'alarme point. D'ailleurs l'eſprit ,
les penfées brillantes , & les madrigaux ,
DE FRANCE. 183
fontles plus grandes reſſources que ce genre
puiſſe offrir à un Écrivain , & rien de plus
fatal pour la musique. C'eſt principalement
à peindre les grandes paſſions & leurs
effets que cet art acquiert de l'énergie & de
la valeur; c'eſt là qu'il peut étaler ſes richeſſes
, parler à l'âme , émouvoir les coeurs ,
& maîtriſer , entraîner à ſon gré tous les
Spectateurs ſenſibles. C'eſt peut- être pour
n'avoir pas fait ces réflexions qu'on a
fait à M. Champein des reproches trop
ſévères ſur le caractère de la muſique du
Baifer. Ce Compoſiteur , qui mérite les plus
grands encouragemens , a dû être quelquefois
très-embarraffé quand il a voulu donner
à ſes perſonnages une expreſſion qui lui
ſembloit néceffaire , & qui ne pouvoit s'accorder
avec celle du Poëte. Cet embarras ſe
fait remarquer de temps en temps par la
difficulté qu'on apperçoitdans certains traits ,
&fur- tout par les efforts de l'orchestre , qui
ſemble vouloir ſuppléer quelquefois à des
nuances oubliées par le Poëte, que l'on pourroit
defirer , exiger même dans pluſieurs
fituations. Au furplus , quelques défauts que
l'on puiffe reprocher à M. Champein , on
doit lui tenir compte des qualités qui ſe
font appercevoir dans ſa compoſition , dans
la facilité de fon chant, & dans les beaux
effets d'harmonie que produiſent ſes accompagnemens.
I
184 MERCURE
1
Le Mardi 6 Novembre , on a donné , pour
la première fois , le Mariage in Extremis ,
Comédie en un Acte & en vets , par MM.
de Piis & Barré ; & l'Oiseau perdu & retrouvé ,
ou la Coupe des Foins, Opera-Comique en
un Acte & en vers.
Voici le ſujet de la première de ces deux
Pièces. Un Chevalier de Valcourt aime une
Baronne de Forlife, tandis que de ſon côté ,
Frontin , Valet du Chevalier , aime Marton ,
Suivante de la Baronne. Les deux amans ont
acquis un renom d'infidélité qui effraie les
deux amantes , & qui engage celles- ci à reculer
le moment du bonheur des premiers.
Dans le deffein de forcer la Baronne à lui
donner la main , dès le jour même; le Chevalier
lui déclare qu'il eſt réſolu à ſe laiſſer
mourir de fain , ſi elle ne ſe laifſe pas fléchir
; & qu'il ne quittera le ſalon où il ſe
trouve , que mort ou marié. Frontin veut
imiter ſon maître. On apporte une table
ſervie. La Baronne invite le Chevalier à s'y
placer ; il refuſe ; & Frontin déclare que fon
maître & lui ne prendront plus rien que pardevant
Notaire.On les laiſſe. Le Chevalier ,
qui a gagné les Domestiques , a fait cacher
dans un ſecrétaire un pâté & quelques bouteilles
de vin , & pendant l'absence des femmes
, il contente fon appétit , & Frontin le
ſien. La Baronne s'attendrit, elle rentre. Elle
trouve le Chevalier afſis dans un fauteuil ,
DE FRANCE. 185
&feignantd'être affoibli d'inanition.Marton
envoie chercher un Notaire. Il arrive , va
au ſecrétaire , l'ouvre , & les débris du repas
tombent à ſes pieds . Cet événement n'altère
point les heureuſes diſpoſitions des
amantes , & la Pièce finit par un double mariage.
Cette Comédie a été mal reçue , & devoit
l'être. Sans parler du ſtyle , qui eſt plein
d'expreffions communes &populaires , d'une
foule de mauvaiſes plaifanteries que le comique
bouffon permettroit à peine d'employer
, le fonds du ſujet eſt denué de toute
vraiſemblance. Comment s'imaginer que
l'on pourra parvenir à tromper une femme
qui n'eſt pas une imbécille , par un moyen
auſſi bizarre que celui qu'emploie le Chevalier
? Comment , de ſon côté , un homme
qui a quelque honnêteté , refte t'il pendant
la nuit , & malgré elle , chez une femme
qu'il veut épouſer , & dont il peut compromettre
la réputation ? Comment un ſecrétaire
ſe trouve- t'il placé dans un ſallon ?
Comment ce ſecrétaire a- t'il été rempli par
les Domeſtiques ſans que Marton en ait été
inftruite ? Comment enfin une femme ſe
réſout elle à épouſer un homme qui l'a jouée
auffi légèrement que le Chevalier joue la
Baronne ? Les queſtions ſur les invraiſemblances
de cette Comédie, ne finiroient jamais.
Si les Auteurs de cette bagatelle avoient
voulu placer leurs perſonnages dans un rang
plus bas , & préſenter leur Ouvrage comme
186 MERCURE
une facétie , une Pièce de carnaval ; ils auroient
été jugés moins ſévèrement : parce
que la Comédie- Parade eſt ſuſceptible de
moyens que l'on n'admet pas dans le genre
de la Comédie raisonnable ; encore leur
ſuccès n'auroit- il été que momentané. C'eſt
dans les Lettres du Chevalier d'Her *** , que
MM. de Piis & Barré ont puiſé le ſujet de
cette Comédie. On peut être également
étonné du choix de la ſource & du choix de
l'incident. Dans la Fiancée du Roi de Garbe ,
un des amans d'Alaciel prend auſſi la réſolution
de ſe laiffer mourir de faim , pour
toucher la cruelle qu'il n'a pu rendre ſenfible.
Écoutons La Fontaine. La citation ſera
courte , & pourra plaire à nos Lecteurs.
Témoigner en tel cas un peu de déſeſpoir ,
Eſt quelquefois une bonne recette : :
C'eſt ce que fait notre homme ; il forme ledeſſein
De ſe laiffer mourir de faim.
Car ,de ſe poignarder, la choſe eſt trop tôt faire:
Onn'a pas le temps d'en venir
Au repentir.
D'abord Alaciel rioit de ſa ſottiſe.
Un jour ſe paffe entier, lui ſans ceſſe jeûnant,
Elle, toujours le détournant
D'une fi terrible entrepriſe.
Le ſecondjourcommence à la toucher;
Elle rêve à cette aventure.
Laiſſer mourir un homme, & pouvoir l'empêcher ,
C'eſt avoir l'âme un peu trop dure, &c.
१
>
DE FRANCE. 187
Tout ceci eſt plaiſant & naturel. Pourquoi
? Parce que ce qui peut ſe développer
en deux mots dans un Conte , ne peut fouvent
trouver au Théâtre le même avantage ,
& que tous les cadres ne conviennent pas à
tous les ſujets. Si les Auteurs Dramatiques
faifoient quelquefois cette réflexion , ils
s'épargneroient bien des chagrins .
-1
On a vu avec plus de plaifir l'Oiseau perdu
& retrouvé. Alain aime Hélène , & lui fait
préſent d'un oiſeau , que le vieux Blaiſe lui
enlève. Alain en prend de la jalousie , & veut
ceſſer d'aimer Hélène ; une explication réconcilie
les deux amans. On joue à la cligne.
muſette. Alain va ſe cacher dans une voiture
de foin ; Hélène y monte enſuite. Blaiſe
n'apperçoit qu'elle, & fait emmener la charrette
chez lui . Comme le père d'Hélène lui
a donné fon conſentement , fi elle accorde
le ſien, il ritdu tour qu'il joue à ſa future;
mais Alain fort de ſa cachette , ſe montre ,
on rit aux dépens de Blaiſe , &lesdeux amans
fontunis.
Les quatre premières Scènes de cet Ouvrage
font remplies d'idées fraîches , de jolis
couplets & de ſituations agréables. La fin
n'eſt pas auſſi ſoignée. On y a remarqué quelques
expreſſions hafardées , & même triviales
; cependant on doit tenir compte à
MM. de Piis & Barré de l'attention qu'ils
ont eue de ménager la langue dans la coupe
188 MERCURE
de leurs vaudevilles,& de l'emploi qu'ils ont
fait d'un ſtyle plus épuré que celui dont ils
ont faituſagedans pluſieurs de leurs Opéra-
Comiques. Quoique l'Oiseau perdu ne ſoit
pas au niveau de leurs jolies Pièces de ce
genre , il eſt infiniment au-deſſus du Mariage
in extremis. Pour donner à MM. de Piis &
Barré un conſeil utile , & pour nous expliquer
dans la langue qui leur eſt familière,
nous leur dirons :
D
Chantez Petits oiſeaux , &c.
MUSIQUE.
OUZE Noëls variés pour l'Orgue , avec un
Carillon des Morts qui ſe joue lejour de la Toufſaint,
après le Magnificat , dédiés à Madame la Comteſſe
"d'Arandell , par M. Charpentier , Organiſte de
l'Abbaye Royale de S. Victor , & de la Paroiffe
Royale de S. Paul , op. 13. Prix , 7 liv. 4 fols port
franc par la poſte. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magafin de Muſique. On
trouvera à la mêine adreſſe toutes les OEuvres de
M. Charpentier.
Journal de Harpe , n° . 11. Ce Cahier contient
troisAirs de chants d'Opéras Comiques & autres , avec
les Accompagnemens , par MM. Leduc, Couperain&
Burchkoffer, ſuivi d'un Rondo, par M. Duleplanque.
Prix , 2 liv. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magaſin de Muſique , où l'on
s'abonne en tout temps pour ce Journal , à raiſon de
15 liv. pour douze Cahiers, port franc pour Paris &
la Province.
Recueil de Rondeaux Italiens par les meilleurs
DE FRANCE 189
८
Maîtres , avec paroles italiennes &françoiſes arrangées
pour la Harpe , & dédiées à la Reine , parM.
Couarde , Maître de Harpe. Prix , 9 livres . A Paris ,
chez Coufineau , Luthier , rue des Poulies , & Salomon
, Luthier , Place de l'École , & aux Adreſſes
ordinaires.
Huitième Livre d'Ariettes choiſies , avec Accompagnement
de Harpe , dédié à Madame la Vidame de
Vaffé , par J. G. Burckhoffer , OEuvre XIX. Prix ,
9 liv. Aux mêmes Adreſſes , & chez l'Auteur , rue
Royale , Porte S. Honoré , maifon de M. Lucotte.
Concerto pour le Clavecin , avec Accompagnement
de deux Violons , deux Hautbois , deux Cors
& d'une Contrebaſſe , dédié à Madame de Saint-Huberti
, par M. Edelmann , OEuvre XII . Prix ,
6 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Temple , au,
coin de la rue Paſtourelle , & aux Adreſſes ordinaires.,
:
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PROSPECTUS.
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuses de tous
les Peuples du Monde , ornées de Figures dessinées
&gravées par Bernard Picard & autres habiles
Artistes ; nouvelle Edition , contenant toutes les
Figures de l'ancienne Édition de cet Ouvrage en
Sept Volumes ; & celle de quatre Volumes de
Supplément ; le tout en quinze Parties in-folio ,
qu'on pourrafaire relier en quatre Volumes ; par
une Société de Gens de Lettres.
L'ÉDITION DITION que nous annonçons ici des Cérémonies
Religieuſes n'a rien de commun avec la
première que les Planches & le Titre. Le Texte
en eſt entièrement refondu. Les Eſtampes gravées
192
MERCURE
par Bernard Picard & par d'autres habiles Artiſtes ,
figureront ici comme dans les premières Editions.
Cet Ouvrage , qu'on pourra faire relier en quatre
Volumes in-folio , comprendra quinze Parties; la
première Partie paroîtra au commencement de
Janvier prochain , & les autres ſucceſſivement au
commencement de chaque mois. Nous aſſurons
même que le tout ſera terminé à la fin de l'année
1783. Afin que les Souſcripteurs puiſſent s'aſſurer du
mérite & de l'exécution de l'Ouvrage , on enverra,
avant le premier de Janvier , aux principaux Libraires
de chaque grande Ville, quelques Exemplaires
de la première livraiſon. Le prix de chaque
Partie brochée ſera de 8 livres , qu'on paiera en
la recevant , ce qui fera 120 livres pour la Collection.
Par ce moyen , on pourra ſe procurer , pour
une modique ſomme , un Ouvrage qui , dans les.
ventes , eſt porté quelquefois à plus de 800 livres ;
&quoique la refonte que l'on a faite du Texte en
ait diminué les Volumes , il ne ſera pas moins complet.
On n'exigera des Souſcripteurs aucun paiement
d'avance; mais on les engagera à mettre autant
d'exactitude à faire retirer les cahiers, qu'on en mettra
à les faire paroître tous les premiers de chaque
mois.
Cet Ouvrage étant deſtiné à ſervir de nouveau
Supplément ou de Tome XII à l'ancienne Édition
des Cérémonies Religieuſes , en onze Volumes infolio,
on s'eſt déterminé à vendre le Texte détaché
des Figures en faveur des perſonnes qui ont déjà
cegrand Ouvrage; mais les perſonnes qui ſouſcriront
profiteront ſeules de cet avantage ; & après la
ſouſcription fermée , on ne détachera pas ce douzième
Volume , à quelque prix que ce ſoit. Prix en
papier ordinaire , broché , 24 livres ; en grand papier,
48 liv. En fouſcrivant on paie d'avance 12 liv.
pour le papier ordinaire , & 24 livres pour le grand
DE FRANCE.
19
papier. En retirant l'Ouvrage on paiera le ſurplus.
L'Ouvrage annoncé ſervira également de complément
à ceux qui n'ont acquis que les ſept Volumes
des Cérémonies & Coutumes Religieuſes , Édition
d'Hollande. Mais comme pour rendre cet
Ouvrage entièrement complet , le Texte & les
Figures du Sacre & Couronnement des Rois, celles
des Superſtitions anciennes & modernes , & autres
renfermées dans les Supplémens de cet Ouvrage
leur ſont abſolument néceſſaires, on s'eſt décidé
en leur faveur à les joindre au Texte ; le prix ſera
alors pour eux , à cauſe des Figures ajoutées; ſavoir,
le papier ordinaire , broché , 36 livres ; le grand papier,
72 livres, ce qui n'aura encore lieu que pour
les perſonnes qui ſouſcriront. En ſouſcrivant on
paiera d'avance 18 liv. pour le papier ordinaire , &
36 liv. pour le grand papier. En retirant l'Ouvrage
on paiera le ſurplus. On ſera à temps de
ſouſcrirepour ces deux objets ſeulement juſqu'au
premier Mars , paſſé lequel temps on ne recevra pas
de ſouſcription. On ſouſcrit à Paris , chez Laporte ,
Libraire , rue des Noyers ; Lamy, Libraire , quai
des Auguſtins ; Prevoſt jeune , Libraire , rue de la
Harpe , près la Place S. Michel ; Brunet , Libraire ,
àcôtéde la Comédie Italienne ; & chez tous les
principaux Libraires de France & Pays étrangers.
Adele & Théodore , ou Lettres ſur l'Éducation ;
contenant tous les Principes relatifs aux trois différens
Plans d'éducation des Princes & des jeunes
Perſonnes de l'un & de l'autre ſexe , ſeconde Édition
, revue , corrigée & augmentée , 3 Vol. in -8 °.
A Paris , de l'Imprimerie de M. Lambert & de
F. J. Baudouin , Imprimeurs- Libraires de LL. AA .
SS. les Princes & Princeſſe d'Orléans , Enfans de
S. A. S. Mgr. le Duc de Chartres , rue de laHarpe,
près S. Côme.
192 MERCURE
Tom Jones à Londres , Comédie en cinq Actes
& en vers , tirée du Roman de Fielding , repréſentée
pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires
du Roi ,le Mardi 22 Octobre 1782 ; par
M. Desforges . Prix , 1 livre 10 fols. A Paris , chez
F. J. Baudouin , Imprimeur-Libraire , rue de la
Harpe , près S. Côme .
:
Lamy , Libraire , quai des Auguftins , vient
d'acquérir le fonds de quatre Ouvrages fur
l'Art Militaire. 1º . Inſtitutions Militaires de l'Empereur
Léon-le- Philoſophe , ſuivies d'une Differta
tionfur lefeu Grégeois , par M. de Maizeroy , nouvelle
Édition, avec beaucoup de Figures , 2 Vol.
in - 89 . Prix , 7 livres brochés. - 2°. L'Art des
Sièges , par le même , in-8°. , avec beaucoup de
Figures . Prix , s liv. broché.- 3 ° . Manuel de l'Offi
cier , in-8 °. , avec Figures. Prix , 3 liv. broché.
4. Effaifur la petite Guerre , 2 Vol. in- 12 , avec
beaucoup de Figures. Prix , s liv. brochés.
-
ERRATA du dernier Mercure. Page première ,
Tu veux te livrer ſans détour, lifez: retour.
TABLE.
EPITAPHE de Cateau , Per- Les Contes des Génies , 172
ruche , 145 Effai fur l'Architecture , 175
Couplets adreſſsès à Mde la Vi- Acad.Royalede Musiq. 180
*comtesse de Carnée, 146 Comedie Italienne ,
Enigme& Logogryphe , 148 Muſique ,
182
188,
Voltaire &le Serf du Mont- Annonces Linéraires , 189.
Jura , ISO
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 23 Novembre. Jen'y al
xien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. AParis,
22 Novembre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
"
RUSSIE.
DePATERSBOURG , le 11 Octobre.
L'IMPERATRICE a ſigné le nouveau tarif
dont il étoit queſtion depuis long-tems ,
& a fait expédier au Sénat les ordres néceffaires
afin qu'il ſoit imprimé & publié
le plutôt poſſible , parce qu'il doit avoir
lieu au commencement de l'année prochaine.
» Il s'eſt établi dans cette ville , écrit-on de
Cherfon , une maiſon de commerce Anglois , qui
y a formé de grands magaſins de chanvre , de gravelée
, & fur -tour de bois de conſtruction ; elle
tire ces objets de la Podolie & de l'Ukraine , &
fair, fur-tout fur les mats , un profit immenſe qui
égale , dit-on , vingt fois le capital. - Il arrive
maintenant toutes fortes de grains de la petire
Ruffie à Cherſon , ainſi que des marchandiſes de
tour genre , tant de la mer Noire , que de la Méditerranée
& du Levant. Ces objets nous étoient
apportés autrefois par des vaiſſeaux de la Baltique ,
& achetés primitivement par des Juifs ; mais tant
23 Novembre 1782. g
( 146 )
que nous jouirons de la navigation de la mer Noire,
nos bâtimens pourront facilement entrer de ( herſon
dans le Dan be , & fournir la Moldavie & la Valachie
des choses qui manquent a ces Provinces , en
important en échange les productions de ces Contrées
dans l'Empire ".
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 28 Octobre.
La Cour eſt de retour dans cette Capitale
depuis le 23 de ce mois.
Ce matin la Princeſſe Charlotte Amélie
, grande- tante du Roi , eſt morte dans
la 76e. année de ſon âge. Un Courier venant
d'Horſens dans le Jutland , nous a
apporté la nouvelle de la mort de la Princeſſe
Elifabeth de Brunswick- Lunebourg ;
elle eſt morte le 20 de ce mois dans la
39e. année de ſon âge.
a
>> La navigation dans la mer du Nord , écrit-on
d'He fingor , été expoſée ces jours- ci à de violens
orages. L'eſcadre Hollandoiſe , commandée par
le contre-Amiral Van-Kinsbergen a été diſperſée ;
laVénus ,frégate de 24 canons , s'eſt réfugiéeici , cù
elle eft entrée heureuſement le 20. On aſſure que le
vaiſſeau l'Union , de 64 , Capitaine Comte de Welderen,
a péri corps & biens. On est inquiet du
reſte des vaiſſeaux de cette eſcadre-. Le nombre
des bâtimens mouillés dans le Sund , & deftinés
pour la mer du Nord , ſe monte à 170.
-Des bâtimens arrivés dernièrement de Drontheim
& de Chriſtianſand nous apprennent que les
vivres y font très-chers , & que , lors de leur départ,
deux Corfaires Hollandois ont enlevé dans
( 147 )
ces parages 2 bâtimens Anglois chargés de bled,
& deſtinés pour Drontheim <«.
:
POLOGNE.
T
De VARSOVIE , le 28 Octobre.
La liſte des Membres du Conſeil Permanent,
eſt publique ; on y a conſervé pluſieurs
Membres diftingués de l'ancien.
Le 12 de ce mois le Grand- Chancelier
de la Couronne a fait la lecture des propoſitions
que le Roi a fait remettre à la
Dière actuelle.
» S. M. recommande : < 1º. la ratification de la
démarcation faite entre la Pologne & la nouvelle
Servie. 2 °. Une fage économie des fonds publics ,
dont une partie ſera employée à l'exploitation des
mines de ſel. 3º . Le projet d'abandonner la monnoie
à la Commiſſion du Tréſor . 4° . Le mémoire
qui ſera préſenté par le département de la guerre ,
concernant l'armée de la République. 5 °. Le projet
pour augmenter le nombre des Sénateurs dans
les Tribunaux de Lithuanie. 6° . Le projet fait
par le Conſeil Permanent , intitulé Décrets
d'exécution pour le maintien de la Justice & du
repos public. 7°. Les appointemens pour les
Députés , & les Maréchaux des Tribunaux. 8°. Enfin,
le projet d'accorder le droit d'indigénat à plufiears
perſonnes d'un rang élevé ,
Le Comte de Brulh , Grand-Maître de
l'artillerie de la Couronne , eſt parti le 25
pour Byaliſtock où le Comte & la Comteffe
du Nord doivent paſſer un jour , en ree
tournant de Vienne à Pétersbourg.
gz
( 148 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Novembre.
Le Comte & la Comteſſe du Nord arrivèrent
le 20 du mois dernier à Brunn en
Moravie , cù une légère indiſpoſition furvenue
à Madame la Comteſſe du Nord les
ont retenus juſqu'au 24 qu'ils ont continué
leur route. L'Empereur qui les avoit accompagnés
juſqu'en cette ville , eſt revenu
le même jour à Vienne où il arriva à s
heures du foir. S. M. I. a été indiſpoſée
depuis fon retour ; elle eſt actuellement
rétablie.
>> Pour perpétuer la mémoire de la ſéparation
de l'Empereur & du Pape à Mariabrunn , on a
placé au-deſſus du portail de l'Egliſe, une infcription
Latine avec la traduction Allemande , gravées
en lettres d'or ſur une table de marbre bleuâtre.
Elle est conçue ainſi : Pius IV Pontifex maximus
& Jofephus II , Rom. Imperator femper Auguftus
, cum Maximiliano austria Archiduce Thaumaturga
fontanenfi devote Salutata , hinc tenerrimos
inter amplexus excitis adftantium lacrymis
fibi invicem vale dixerunt X , cal. Majas anno
1782.- Une autre inſcription Latine, gravée ſur
du marbre rouge , a été placée , par ordre de
l'Empereur , ſur le balcon du Château de Laugarten
, d'où le Pape avoit donné la bénédiction
au peuple «.
L'Empereur a jugé à propos de renouveller
les anciens Règlemens qui défendent
l'aliénation quelconque des biens eccléſiaf
tiques ; cette Ordonnance eſt dus du mois
dernier & conçuo ainfi :
( 149 )
>> Nos prédéceſſeurs , de glorieuſe mémoire ,
avoient toujours regardé comme un principe inconteſtable
, que tous les biens quelconques appartenans
à des Eglifes ou à des gens d'Eglife ,
conftituoient originairement & d'après le véritable
eſprit de l'Eglife, le patrimoine deſtiné au culte
divin , au ſervice des Egliſes , à la cure d'ames
&au foulagement des pauvres ; que les individus du
Clergé& les Communautés Religieuſes ne devoient
en avoir que la jouiſſance qui feroit néceflaire
pour un entretien honnête , & que le ſurplas devoit
être employé à la ſuſdite deſtination principale ,
fous la direction du Souverain , comme tuteur de
l'Egliſe & comme gardien des Canons. Guidés
par ce principe , nos prédéceſſeurs , de glorieuſe
mémoire , avoient non-feulement défendu àdiverſes
repriſes , par des ordonnances générales & par
des règlemens particuliers , faits à des occafions
particulières , tels que ceux donnés par l'Empereur
Ferdinand , les 14 Avril 1545 & 31 Octobre 1552 .
par l'Empereur Maximilien , les 22 Décembre 1567,
premier Juillet 1568 & 20 Juin 1575 , & par
l'Empereur Léopold , le 2 Janvier 1681 , à tous
les individus du Clergé & aux Communautés Religieuſes
, d'aliéner ſans l'agrément du Souverain
les biens meubles & immeubles des Egliſes &
des Communautés , mais auſſi ils avoient ordonné
par ces règlemens de racheter les biens qui auroient
été aliénés , & avoient déclaré en mêmetems
que les contrats de vente faits pour de pareils
biens ſans l'agrément du Souveraio , feroient nuls
& regardés comme non- avenus . Animé par
ces principes & ces vues ſalutaires , nous avons
jugé à propos de renouveller la mémoire des
fufdits règlemens & de les adapter au tems actuel.
Dans cette vue nous avons pris les meſures fuivantes.
19. Nous défendons par la préſente à tout
leClergé, fans exception ,aux Communautés comme
-
83
( 150 )
!
àchaque individu , de rien entreprendre , ſous quelque
prétexte que ce ſoit , qui puiſſe être regardé
comme une aliénation d'un bien Eccléſiaſtique ou
d'Eglife, foit par vente , par échange , par donation
on autrement, ſans avoir demandé & obtenu
préalablement à ce ſujet l'agrément du Gouvernement.
2 °. Cette défenſe s'étendra fur toutes les
eſpèces quelconques d'aliénations , comme celles
des terres & biens - fonds , des capitaux , des choſes
précieuſes dans les Egliſes , les Couvens & les maifons
, en général de tous les meubles qui ne font
pas précitément partie du ménage , & enfin des
jouiſſances ou revenus annuels déterminés & non
déterminés , quelle dénomination qu'ils puiſſent
avoir. 3 ° . Si quelqu'un s'aviſoit d'aller à l'encontre
de cette défenſe , & d'acquérir ſans conſentement
un pareil bien, ce bien fera non - ſeulement confifqué
, mais l'acquéreur ſera encore puni ſelon
les circonstances , quant à la communauté Religieuſe
& à l'individu du Clergé qui auroit aliéné
quelque choſe , ſes revenus feront faifis jusqu'à
ce que la choſe aliénée ſoit remplacée. 4°. Celui
qui découvrira des biens-fonds , des capitaux , des
choſes précieuſes ou des revenus aliénés ou recélés
& en fera la déclaration , jouira fans qu'il puiſſe
être nommé , pendant 3 années confécutives , de
4 pour cent du prix d'évaluation deſdits objets
aliénés ou recélés , pourvu qu'il ne ſoit pas luimême
dans la poffeffion de la choſe ou qu'il ne
foit pas un Sapérieur Eccléſiaſtique , qui , fans attendre
tue récompenfe , eft obligé par ſon état de
faire ces fortes de déclarations«.
On écrit de Carlſtadt en Croatie , qu'on
a tout lieu d'eſpérer le ſuccès de la nouvelle
Compagnie qui entreprend le tranfport
des marchandises , par terre , depuis
cette ville juſqu'au port de Fiume.
( 151 )
On ſe rappelle que le Comte de Beniowski,
qui avoit obtenu le privilége de ce tranfport
, y a échoué. Les paylans feront les
tranſports à raiſon de 54 kreutzers par
quintal. Comme ce pays eſt montueux , &
que l'agriculture y eſt d'un produit trèsmédiocre
, les payfans s'attachent de préférence
au charroi des marchandiſes avec
lequel ils gagnent annuellement 5 a 600,000
florins .
De FRANCFORT , les Novembre.
ON mande de Paderborn que la ſuppreffion
du Chapitre Collégial de Hoxter ,
faite par l'Abbé de Corvey , a été confirmée
par l'Empereur , ainſi que la convention
faite entre l'Evêché de Paderborn & l'Abbaye
de Corvey au ſujet de la Jurifdiction
de cette Abbaye. Le Doyen du Chapitre
a été fait Curé de la ville.
• Le couvent des Auguſtins, écrit-on de Vienne ,
vient d'être ſupprimé ici ; & il a été notifié aux
Chanoines de Sre-Dorothée de ſe rendre dans le Couventde
Neubourg , où ils recevront chacun une penfion
annuellede 400 florins . Nous apprenons par
nos lettres de Lintz que M. Eybel , Conſeiller Provincial,
y eſt mort d'une colique le 17 de ce mois âgé
de 42 ans ; il s'étoit rendu célèbre par ſes écrits à
l'occaſion des réformes Eccléſiaſtiques que l'Empereur
a faites dans ſes Etats . C'est lui qui étoit l'Auteur
des deux brochures intitulées l'une Qu'est- ce
que le Pape ?& l'autre Sept Chapitres de la vie Monastique
«.
On affure qu'il ſera incorporé un cer-
84
( 152 )
tain nombre de Croates & d'Eſclavons dans
tous les régimens Allemands de S. M. I. ,
afin de leur apprendre la langue Allemande
& les exercices des troupes réglées. Ces
gens ne ſerviront dans ces régimens que
pendant 3 ans , au bout deſquels ils retourneront
chez eux & feront remplacés
par d'autres de leurs compatriotes. De cette
manière l'Empereur ſe flatte de former une
milice formidable de troupes réglées dans
les provinces qui touchent le territoire
Ottoman; elle ſera toujours prête à marcher
au premier ordre.
>>D>es lettres des frontières de la Crimée, écriton
de Pologne , portent l'armée des rebelles à
100,000 hommes dont elles prétendent qu'une partiea
été défaite par uncorps de 15,000 Ruffes ; felon
d'autres lettres cette partie d'armée défaite , ne confiftoit
qu'en un corps à-peu-près de même force
envoyé en avant. Elles ajoutent que le peuple à Conftantinople
demande toujours la guerre , pour foutewir
le nouveau Kan contre les efforts de la Cour de
Pétersbourg.- On a reçu dans la Capitale de l'Empire
Ottomandes nouvelles de Schiras en Perſe , en
date du 10 Août ; elles portent qu'Ali-Murad-Kan
après un long fiége s'eſt enfin rendu maître de cette
place ; que pour ſe venger des fatigues qu'il a éprouvées
devant elle , il a fait périr la famille de ſon ennemi
Sadig-Kan qui la défendoit , & qu'il lui a fait
crever les yeux à lui-même. Il a traité le pays avec
plus d'humanité ; en conſidération des ravages de
toute eſpèce que le Fardiſtan a éprouvés , il a accordé
aux habitans l'exemption de tous tributs pécuniaires
quelconques pendant 10 ans ; mais il exige de chaque
famille pour entretenir ſon armée 2 hommes effectifs
ou la folde de deux ſoldats . C'eſt ainſi que ce Prince
(153)
ſe met en état d'affermir ton pouvoir , &de s'affurer
le Trône de Perſe ; mais on craint que la jaloufie
d'un de ſes frères , qui voir avec peine ſon aggrandiffement
, n'excite de nouveaux troubles « .
On mande de Glogau dans la Siléfie Prufienne
, que le Roi vient de confirmer
l'Abbaye de Schmettow- Schwerin , fondée
par la Comteſſe de Schwerin , en faveur
des demoiſelles nobles. S. M. a permis en
même- tems aux Chanoineſſes de porter une
Croix octogone , émaillée en gris & astachée
à un ruban bleu céleste.
Selon une Feuille politique Allemande ,
la population de la Finlande , ſe monte actuellement
à 923,480 perſonnes ; en 1739
elle n'étoit que de 142,606 .
D'après une lettre qu'on dit authentique ,
il y a dans les Etats que le Roi d'Angleterre
poſsèle en Allemagne , 49 Villes ,
34 Chapitres & Couvens , 107 Bailliages ,
23 Terres domaniales , & 83 Terres nobles.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Novembre.
On s'attend à voir arriver inceſſamment
l'Amiral Howe. La Cour en a reçu des
nouvelles qu'elle a publiées le 8 de ce mois
dans une Gazette extraordinaire. Elles ont
été apportées par le Capitaine Duncan , du
vaiſſeau du Roi le Victory , qui les a remifes
le 7 à l'Amirauté. L'Amiral avoit déja ex
85 .
( 154 )
pédié 2 bâtimens quin'ont point encoreparu.
Le Capitaine Duncan plus heureux nous a
apporté les mêmes dépêches . La première
eſt un triplicata de celle que l'Amiral avoit
écrite le 21 Octobre.
>>Me propoſant de donner à mon retour enAngleterre
des détails p'us ciconſtanciés ſur mes opérations
, je détache aujourd'hui le cutter le Peggy ,
pour que vous informiez les Lords de l'Amirauté ,
qu'après un long délai occaſionné par des vents contraires
& des tems très- défavorables , l'armée arriva
à la hauteur du Cap St- Vincent le 9 de ce mois.
D'après les avis que j'avois reçus précédemment , je
m'attendais à trouver l'ennemi à la hauteur du Cap
Ste-Marie ; mais bientôt , par les avis certains que je
me procurai , j'appris que l'armée combinée , compoſée
de so vailleaux à deux & à trois ponts , s'étoit
poſtée quelque tems auparavant dans la baie de
Gibraltar. Le II au matin l'armée entra dans le
Détroit , & l'avant-garde , peu de tems après le
déclin du jour , s'étant portée à la hauteur de la
baie de Gibraltar , offrit aux tranſports une occafion
très-favorable de gagner , fans craindre l'ennemi ,
le mouillage qui leur étoit deſtiné ; mais n'ayant
point fait attention affez à tems aux inftructions
dont leur avoit fait part le Capitaine Curtis , fur 31
tranſports qui avoient faflé le Détroit , de conſerve
avec l'armée , quatre feulement purent remplir leur
objer, Dans la nuit du ro un tems très-orageux
avoit jetté à la côte deux des vaiſſeaux ennemis
un troiſième avoit perdu ſon mât de miſaine & fon
beaupré ; & un quatrième , ayant été pouſſe ſous
les ouvrages de la Place , y fut pris. Deux auties
fortirent de la baie & ffrent route à l'Eſt . Le 13 au
foir tout ce qui reſtoit de forces à l'armée combinée
appareilla , pour empêcher que les autres tranf
ports n'entraffent , & le vent fouflantan Quest-
,
( 155 )
nord- ouest , elle arriva vent arrière ſur notre armée
, qui étoit alors à la hauteur de Fangerolles ,
rangée en ligne de combat. A la vue de l'armée ,
qui portoit au Sud vers les 9 heures du foir , l'armée
combinée parut ſerrer le vent , ayant les amures
à bas-bord. Le 14 au matin l'armée étant au Sud
de celle de l'ennemi , à la diſtance de fix ou ſept
lieues ,& le vent ayant paſſe peu de tems après à
l'Eſt , on profita de cette occaſion pour faire entrer
dans la baie les bâtimens munitionnaires qui ſe
trouvoient avec l'armée. Dans la nuit du 18 les autres
bâtimens munitionnaires qui avoient eu ordre ,
lorſque l'ennemi parut le 13 , de ſe porter à un
rendez-vous particulier avec le Buffalo , étoient
tous mouillés dans la baie de Rofia , à l'exception
du bâtiment vivrier le Thompson , qui s'en étoit
ſéparé. Les troupes embarquées ſur les vaiſſeaux de
guerre , ayant été miſes à terre , avec une provifion
conſidérable de poudre , & la Place ſe trouvant amplement
pourvue de tout ce dont elle avait beſoin ,
je réfolus de profiter du vent d'Eft qui régnoit depuis
deux ou trois jours , pour repaſſer le Détroit & faire
route à l'Oueft.-Le 19 , au point du jour , l'armée
combinée fut apperçue dans le Nord-eſt à une petite
diſtance. Notre armée rangeant alors de fi près les
pointes d'Europe & de Ceuta , qu'elle n'avoit pas
aſſez d'eſpace pour ſe former en ordre de bataille fur
l'une ou l'autre amure , je repaffai le Détroit , fuivi
par l'ennemi .- Le vent ayant paſſé le lendemain
matin ( 20 ) au Nord, l'armée combinée , compofte
de 45 ou 46 vaiſſeaux de ligne , conferva encore
l'avantage du vent. L'armée Angloiſe s'étant formée
ſous le vent pour recevoir l'ennemi , celui-ci eut
conftamment le choix de la diſtance qu'il voudroit
obſerver pour combattre. L'ennemi commença au
coucher du ſoleil à faire feu ſur l'avant & l'arrièregarde,
paroiſſant diriger ſa principale attaque contre
celle-ci,&ſe tenant àune diſtance confidérable , il com
g 6
( 155 )
tinua ſon feu juſqu'à dix heures du foir , & ce fut avec
peude ſuccès. Pluſieurs vaiſſeaux de notre armée li
ripoſtèrent de tems à autre lorſqu'il s'approchoit aſſez
pour qu'on pût l'entamer.-L'ennemi ayant ferré
le vent , & l'armée Angloiſe ayant continué pendant
toute la nuitde porter la même voilure ſous laquelle
elle faiſoit route, avant que l'ennemi ne commençat
fon feu . Les deux armées ſont actuellement fort éloignées
l'une de l'autre. Mais comme je préſume qu'il
eftde la plus grande importance en ce moment qu'on
foit inſtruit du ravitaillement de Gibraltar , je profite
de l'occaſion actuelle , tandis qu'il fait preſque
calme , & que les vaiſſeaux ſont occupés à réparer
les dommages qu'ils ont reçus dans leur mature &
dans leur gréement pendant le combat , pour envoyer
ces dépêches ſans aucun autre délai.-P. S. Le
tranſport la Minerva , où étoient les bagages des
troupes embarquées ſur les vaiſſeaux de guerre , s'est
ſéparédans la nuit du 13 , & a été pris par l'ennemi.
La ſeconde lettre eſt du 24.
,
Le
>>P>our vous informer le plutôt poſſible du débarquement
des troupes & des munitions à Gibraltar
je détachai le 21 le Peggy , avec un réſumé
de mes opérations à cette époque. -
lendemain un duplicata de ce réfumé fut mis à
bord du Buffalo , qui retournoit en Angleterre pour
cauſe d'incommodité , & j'envoie aujourd'hui un
triplicata de ce réſumé , avec des détails poſtérieurs
afin que les Lords de l'Amirauté aient une relation
ſuivie des opérations de l'armée.-Pluſieurs vaif
ſeaux ayant fouffert le 20 par le feu de l'ennemi ,
plus de dommages dans leur mâture & dans leurs
vergues , qu'on ne l'avoit d'abord obſervé , les réparations
néceffaires ne furent achevées que le 22 .
Mais comme le tems fut preſque toujours calme
dans cet intervalle , on n'auroit pas pu, ſi les mas
cuſſent été réparés plutôt , ſuivre l'ennemi. Lorf(
157 )
qu'il fut apperçu en dernier lieu , il couroit au plus
près tibord amure , fallant route an N. N. Ο .
&s'éloignant. -Vous trouverez ci-joint une lifte.
des tués & des bleſſes. Je regrette que le peu
de confiance que l'ennemi a montrée dans la ſupériorité
de ſes forces , en ſerrant toujours le vent
le plus qu'il lui a été poſſible , ait fruſtré les eſpérances
que j'avois d'un plein ſuccès , fi l'armée à
mes ordres eût pu le combattre de près. Mais
comme je jugeai qu'il n'étoit pas convenable alors
de m'approcher davantage de lennemi , je ne fis
aucun changement dans l'ordre dans lequel j'avois
diſpoſé d'abord mes vaiſſeaux pour le recevoir .-
C'eſt par le même motif qee je ne m'érends pas
davantage ſur la bonne conduire que les Officiers
de pavillon ont montré en cette occafion , étant
bien sûr qu'ils feroient peu ſenſibles aux éloges
que je donnerois à leur ardeur , contre un ennemi
qui a évité de leur fournir l'occaſion de remplir
les devoirs de leur pofte , & de ſe fignaler, comme
ils l'auroient fait , s'ils euſſent eu a reposſſer une
attaque plus ſérieuſe. Mais en même- tems je ne
dois pas paſſer ſous filence les avantages que le
ſervice de S. M. a retirés de la connoiffance étendue
que le fieur Leveſon Gower , mon premier Capitaine,
avoit acquiſe de la navigation difficile du
Detroit.-N'ayant eu que très -peu de vent du
N. E. , depuis le 21 , il ſeroit imprudent ( vu la
diminution de l'eau & des munitions à bord de plufieurs
vaiſfeaux ) de poursuivre l'armée combinée
queje ſuppoſe être ſur ſon retour à Cadix. - J'ai
chargé de ces dépêches le Capitaine Duncan, du
Victory ,qui prend ſon paſtage à bord de la Latone,
& le Capitaine Curtis , qui me fut envoyé pour
la dernière fois le 19 , par le Général Elliot , pour
me confier des objets d'une mature fecretie; n'ayant
pas pu être remis à terre , parce que l'ennemi re(
158 )
vint de l'Eſt dans la matinée du 19 ,' il a pris le
commandement du Victory , en attendant que leurs
Seigneuries m'ayent fait part de leurs intentions ,
relativement à ce pofte.-La liſte des tués & des
bleſſés porte les premiers à 68; les ſeconds à 208 ;
total 276, dont 12 Officers .
,
On ne s'attendoit pas à une relation
aufli vague , & aufli fanfaronne de la part
d'un Général aufli ſage que l'Amiral Howe.
Il perfuadera difficilement , même ici
qu'une flotte qui l'attendoit depuis un mois,
& qui couroit après elle depuis huit jours ,
ait été précisément celle qui refuſoit de
combattre , & la première à s'éloigner.
Ces dépêches ſont ſuivies de l'extrait de
trois autres du Capitaine Curtis du vaiſſeau
de S. M. le Brillant qui commandoit la
Brigade des matelots à Gibraltar. Elles font
datées du camp de la pointe d'Europe à
Gibraltar , le 15 , le 16 & le 22 Octobre ,
& préfentent les détails ſuivans .
Vous voudrez bien informer les Lords de l'Amirauté
, que l'eſcadre de France & d'Eſpagne , confiftant
en 38 vaiſſeaux de ligne , eſt arrivée dans
cette Baie le 12 de ce mois : fix autres vaiſſeaux
de ligne y mouilloient déja .- Le 13 à huit heures
du matin , les dix batterries flottantes de l'ennemi,
placées à l'entrée de la Baie , ſous le commandement
de l'Amiral Moreno , commencèrent à appareiller
pour ſe porter contre la Place : tout étois
préparé pour les recevoir. A dix heures , le vaifſeau
de l'Amiral ſe plaça à dix verges environ du
baftion du Roi , & commença ſon feu. Auſſi - tô
après , les autres ſe placèrent au Nord & au Sud de
( 159 )
l'Amiral , à peu de diſtance l'un de l'autre , & com
mencèrent leurs canonnades. Ils ſe tinrent tous ,
avec fermeté , aux ſtations qui leur avoient été afſignées.
Nos batteries commencèrent à tirer aufſitôt
que l'ennemi fut à leur portée. Le feu fut trèsvif
de part & d'autre. Les boulets rouges que tira
la Place furent ajuſtés avec tant de précision , que ,
dans l'après-midi , on vit la fumée s'élever au-deſſus
de la partie ſupérieure de l'Amiral & d'un autre
vaiſleau , & qu'on apperçut des hommes qui ſe ſervoient
de pompes à feu , & qui verſoient de l'eau
dans les ouvertures pour tâcher d'éteindre l'incendie.
Leurs efforts furent inutiles . A une heure du
matin , ces deux vaiſſeaux devinrent la proie des
flammes , & pluſieurs autres ſont actuellement en
feu , quoique , juſqu'à préſent , ce ne ſoit pas avec
la même force. Il paroît qu'il y avoit le plus grand
défordre parmi cux ; & le grand nombre de fufécs
tirées de chaque vaiſſeau , fut une preuve manifeſte de
la grande détreſſe où se trouva l'ennemi. Les fignaux
ayant été entendus par l'eſcadre ennemie , on commença
auſſi - tôt à enlever les hommes , puiſqu'il
éroit impoflible de retirer les vaiſſeaux. Je penſai
que cette occafion étoit favorable pour employer
mes chaloupes canonnières ; & m'étant avancé avec
tous ces bâtimens , au nombre de douze , dont chacun
portoit une pièce de 24 ou de 18 , je les dif
poſai de manière qu'elles fîflent face à la ligne des
batteries flottantes de l'ennemi , qui ſouffroit exceſſivementdu
feu terrible & bien dirigé de la Place ;
celui des chaloupes canonnières éteit entretenu avec
la plus grande vigueur , & faisoit un effet prodigieux.
Les chaloupes des ennemis n'ofoient approcher;
ils abandonnèrent leurs vaiſſeaux , & les hommes
qui y reſtoient furent livrés à notre merci ou
aux flammes . Le jour parut alors ; & deux felouques
qui n'étoient point encore hors de notre portée,
s'efforcèrent de gagner le large : mais un coup
( 160 )
de canon, tiré par une chaloupe , tua cing hommes
à l'ennemi , & força ces bâtimens de ſe rendre. J'eus
bientôt ſous les yeux le ſpectacle le plus affreux
qu'il foit poffible d'imaginer. Une foule d'hommes
pouffant des cris au milieu des flammes qui les environnoient
, quelques - uns foutenus au milieu des
flots ſur des pieux de bois , d'autres s'accrochant
aux bâtimens où l'incendie n'avoit encore fait que
peu de progrès , tous exprimant , par leurs paroles
&par leurs geſtes , le plus cruel déſeſpoir , tous
implorant du ſecours , formoient une ſcère dont
il eſt impoſſible de retracer l'horreur. On fit tout
ce qu'il étoit poſſible pour leur porter du ſecours ;
& c'eſt avec une fatisfaction inexprimable que j'informe
les Lords de l'Amirauté , que le nombre de
ceux qu'on a ſauvés monte à 357 hommes , y compris
13 Officiers . Un Officier & 29 hommes bleſlés ,
dont quelques - uns très - dangereuſement , ont été
trouvés , parmi les morts , fur les débris des bâtimens
& tranſportés dans notre hopital , où pluſieurs
d'entr'eux commencent à ſe rétablir. Les vaiſſeaux
qui ſautoient en l'air autour de nous à mesure que
le feu parvenoit à la Ste- Barbe , & le feu du canon
des autres à meſure que les flammes échauffoient Ke
métal , ont rendu cette opération extrêmement dangereuſe;
mais nous regardions comme un devoir auffi
indiſpenſable de faire tous nos efforts pour tirer nos
ennemis d'une ſituation auffi cruelle qu'une heure
auparavant pour les vaincre.-La perte des ennemis
doit avoir été très- conſidérable. Un grand nombre
a été tué à bord des vaiſſeaux & dans les canots.
Piuſieurs chaloupes oat coulé bas . Une d'elles contenoit
80 hommes qui ont été noyés , à l'exception
d'un Officier & de douze hommes , qui ont été portés
ſurdes débris juſques ſous nos remparts. Il a été
humainement impoſſible de faire plus que ce que
nous avons fait pour prévenir ce malheur ; mais on
a lieu de creire qu'il a péri dans les flammes un
( 161 )
-
grand nombre de bleſſés . Toutes les batteries Hot
tantes ont été incendiées par nos boulets rouges ,
exceptéune ſeule qui a été enſuite brûlée. L'Amiral
baiſſa ſon pavillon hifle; mais il fut brûlé avec le
vaiſſeau .-Lors de l'explosion de l'une des batteries
flottantes , il y eut une de ſes pièces de charpente
qui , étant tombée ſur mon canor , y fit un grand
trou , tua mon patron , & blefla deux hommes de
l'équipage. Elle fit aufli couler bas une de mes
chaloupes canonnières & endommagea une autre.
-- Deux des chaloupes bombardières de l'ennemi
furent pouffées en avant , & ne ceſsèrent de jetter
des bombes dans la Place pendant l'attaque des batteries
Aottantes . Un détachement conſidérable de
matelots a ſervi aux batteries avec la plus grande
diftinction , & a été d'une extrême utilité. Les
Officiers & les Soldats de la brigade de la Marine à
mon commandement , ſe ſont comportés avec honneur
dans tous les poſtes où ils ont été placés .- Je
joins ici la liſte des batteries flottantes . Elles étoient
de différentes grandeurs & du port de 400 à 600
tonneaux. Leurs canons , au nombre de 212 en tout ,
étoient de fonte , de 26 livres de balle , & abfolument
neufs . L'ennemi a raſſemble de différens
ports 2 à 300 grandes chaloupes , indépendamment
d'un grand nombre pris dans les environs pour le
tranſport des troupes , & pour tous les autres fervices
relatifs à ſes opérations contre la Place .
perte dans la brigade des Matelots , le 13 & le 14 ,
eu égard à la nature de l'attaque , a été très-modique ,
puiſque nous n'avons qu'un homme tué & s bleſſés .
La
>>Dans la ſoirée du 8 de ce mois , ajoute M.
Curtis dans ſa lettre du 16 , comme on avoit jugé
à propos d'uſer de tous les moyens poſſibles pour
envoyer en Ang'eterre une relation des derniers
évènemens qui curent lieu devant cette Place , ce
qui n'avoit pas pu ſe faire encore , le Gouverneur
acheta un petit bâtiment qui fut expédié pour Li
(162 )
vourne , ou pour quelqu'autre port d'Italie avec nos
dépêches. L'après- diné du sơ , il venta grand
frais du Sud-ouest . L'ennemi a fait beaucoup de
fignaux le long de la côte , & deux frégates &
un cutter font arrivés de l'Ouest . Le lendemain matin
le vent augmenta , & on entendit les eſcadres
combinées dans la baie tirer des coups de canon
d'incommodité. A la pointe du jour le Saint Michel,
vaificau Eſpagnol de 72 canons , fut apperçu
très-près de la Place abſolument délemparé , &
après avoir eu deux hommes tués & deux blefſés
par le feu de nos batteries , fut jetté à là côte
auprès du baſtion du Sud. Lorſqu'il fit grand jour
on reconnut que l'eſcadre ennemie avoit prodigieufement
ſouffert de la tempête. Un vaiſſeau de ligne
&une frégate étoient ſur la côte auprès d'Orange-
Grove ; un vaiſſeau de ligne François avoit perdu
fon mât de miſaine & fon beaupré. Deux vaifleaux
de ligne dont un à 3 ponts , avoient chaſſe ſur leurs
ancres & couru à l'Eſt. Quelques autres aveient
été pouffés très-loin vers la Place. Je pris poffeffion
du Saint-Michel auffr-tôt qu'il fut poſſible , &
après avoir débarqué les prifonniers , j'enlevai les
ancres pour empêcher qu'il ne s'avançat davantage
fur la côte. Je compte fauver ce bâtiment. C'eft
un très-beau vaiſſeau , il étoit commandé par le
Chef- d'Eſcadre D. Juan Moreno , & avoit à bord
environ 650 hommes. - Le 11 , ſur les trois heures
de l'après- dinée , les fignaux faits par l'ennemi
annonçoient l'approche de l'eſcadre Angloiſe. La
Latona jetta l'ancre dans la baie peu de tems après
le coucher du ſoleil. Il n'y eut que 15-bâtimens
du convoi qui gagnèrent le mouillage ; le reſte fut
pouffé derrière le roc , où l'eſcadre s'eſt pareillement
réparée «.
Les détails que le même Officier donne
dans ſa lettre du 22 ſe réduiſent à ceci .
>> L'Amiral Howe ayant conduit dans la baie
( 163 )
de Gibraltar le reſte de ſon convoi le 18 au foir,
& ayant débarqué en même-tems les troupes , le
Général Elliot me chargea de ce qu'il avoit définitivement
à communiquer à cet Amiral , & je
m'embarquai fur la frégate la Latone , dans le defſein
de me rendre à bord du Vistory. Je quittai
labaie vers le minuir. La poſition de l'armée combinée
m'empêcha le lendemain matin de retourner
à Gibraltar. Le ſoir je montai à bard du Victory ,
& l'armée mit en panne après avoir gagné la mer
Atlantique. - J'ai la fatisfaction d'informer les
Lords de l'Amirauté , que le Saint- Michel , vaifſeau
de guerre Eſpagnol de 72 , après avoir chaffé
fur ſes accres dans un coup de vent , & avoir été
pris ſous les remparts de Gibraltar , comme je l'ai
dit dans ma lettre du 16 , a été remis à flot le
17 , fans avoir reçu le moindre dommage. C'eſt
un très-beau vaiſſeau , & je fuis bien faché que
la perte de fon mât de miſaine & de la plupart
de ſes munitions qui ont été jettées à la mer pour
l'alléger , ait empéché de l'envoyer en Angleterre
avec l'eftadre.-Les ennemis ont jetté un nombre
prodigieux de bombes ſur le Saint-Michel , tandis
qu'il étoit fur la côte , dans l'intention de le détruire.
Il eſt vrai qu'ils nous ont fingulièrement contratié
dans nos travaux pour le mettre à flot , mais
cela ne nous a pas empêché de finir notre operation
, & nous n'avons éprouvé aucun dommage
confidérable «.
L'expédition de Gibraltar eſt ainſi plus
heureuſement terminée que nous ne nous
en flattions ici ; cette grande entreprife
nous a coûté beaucoup de dépenſes , un
tems confidérable , & des efforts qu'il auroit
été intéreſſant de pouvoir tourner ailleurs;
il eſt bien à craindre que tout cela
ne foit inutile , & que nos ennemis aban(
164 )
i
donnent un ſiége dont nous ſavons qu'on
penſoit différemment à Verſailles & à Madrid
; la première de ces Cours a toujours
penſé que c'eſt en Amérique que l'Eſpagne
devoit chercher à s'emparer de ce rocher ;
il est vraiſemblable que cette opinion deviendra
à préſent celle du Cabinet de Madrid;
& alors les forces qu'elle occupoit
autour de cette Place , portées ailleurs ,
nous feront ſans doute plus funeſtes . Si ce
parti eſt pris , il eft important de faire paffer
des renforts conſidérables dans ces contrées;
ils ne peuvent partir qu'au retour de
l'Amiral Howe ; & il faut ſavoir dans quel
état feront ſes vaiſſeaux pour décider le
nombre de ceux qu'on enverra , & du tems
cù ils pourront mettre à la voile. On ne
doute pas qu'ils n'aient beſoin de grandes
réparations ; & il eſt à craindre qu'elles ne
demandent un tems plus long qu'il ne feroit
néceffaire.
Nous n'avons aucunes nouvelles de l'Amérique
Septentrionale ; nous ſavons ſeulement
que l'objet de la fortie de l'Amiral
Hood avec partie de la flotte de New- Yorck ,
n'a point d'autre expédition pour objet ,
que de recueillir les convois réfugiés à
Halifax; de forte que le voyage de l'Amiral
Pigot ſur les côtes du Continent , ne produit
pas d'autre effet que d'arrêter les progrès
de nos ennemis.
« On peut remarquer , dit à cette occafion יומ
de nos papiers , que le combat du 12 Avril der
( 165 )
nier , que nous regardens comme avantageux , n'a
apporté aucun changement dans l'érat de la grande
querelle qui intéreſle toute l'Europe. Les Colonies
reſpectives de la France & de l'Angleterre dans les
Antilles , n'ont en à ſouffrir ni de la fierté du vainqueur
, ni de la détreſſe du vaincu. Tandis que notre
eſcadre ſe réparoit de ſes pertes à la Jamaïque , la
Françoiſe & l'Eſpagnole à Saint-Domingue & à la
Havane , une inaction forcée aſſureit la tranquillité
des habitans des iſles. Nous n'avons rien fait ,
&nos ennemis , quoique vaincus , on fait la petite
expédition de la baie d'Hudfon. Notre victoire
paroît avoir ſuſpendu l'attaque de la Jamaïque , &
les opérations ſur le Continent ; mais il eſt bien
à craindre qu'elles n'ayent été que ſuſpendues . Selon
une lettre de Richemond dans la Virginie , en date
du 14 Septembre , St-Augustin n'a point été évacué ,
il y a eu contre-ordre,& on aſſure que le Colonel
Brown y a été envoyé avec les Sauvages & les
Toris. Cependant on prétend que , ſelon les der.
nieres nouvelles de l'armée du Sud , on s'y difpoſoit
à une expédition contre cette place ".
Les lettres des iſles ne nous apprennent
rien, tout y eſt tranquille. Les derniers batimens
qui en ſont arrivés nous ont apporté
ſeulement une adreſſe des habitans de la
Barbade au Roi , pour le remercier d'avoir
éloigné le Major- Général James- Cuningham
de l'Adminiſtration de ce Gouvernement
, dans laquelle ils rappellent pluſieurs
griefs contre ce Gouverneur.
Un bâtiment arrivé de Sainte- Lucie à Milford ,
a apporté des lettres en date du premier Octobre.
Tout étoit tranquille dans cette colonie. Il y étoit
arrivé des bâtimens de New- York & de Terreneuve;
mais ils n'avoient rien appris ſur la Ville
deParis.
( 166 )
Le Capitaine d'un bâument neutre venant de
Saint Thomas , qui relâcha à Watterford le 22 du
mois dernier , rapporte qu'il a vu couler bas , fur
le banc de Terre neuve , un vaiſſeau de guerre qui
avoit été abandonné par ſon équipage.
Il ſe débite aujourd'hui à la Bourſe que l'Hector
a été peidu , & que la partie de ſon équipage qui
s'eſt ſauvée , eſt arrivée ſur un bâtiment à Plymouth.
Voici l'état des vaiſſeaux qui convoyoient la
flotte de la Jamaïque : Ramillies , 74 , abandonné
par fen équipage & brûlé le 21 Septembre. - Ville
de Paris , 110 , vue le 22 Septembre démâtée à
Ico licues à l'Ouest de Corvo. - Hector , 74 , léparé
de la flotte avant l'ouragan , & on n'en a
point encore eu de nouvelles . - Glorieux , 74 ,
vu le lendemain de l'ouragan démáté ; on le croit
coulé à fond. Centaure , 74 , vu le lendemain
-
de l'ouragan démâté , on le croit coulé bas.- Canada
, 74 , arivé à Piymosth. - Ardent , 64 ,
arrivé à Port-Royal avec une voie d'eau.
fon , 64 , arrivé a Bristol. -
-Ja-
Caton , 64 , arrivé
à Halifax. Pallas , 36 , arrivé à Halifax .
On attend avec impatience la rentrée du
Parlement; cette Soffion ſera ſans doute
très-intéreſſante par les objets dont elle va
s'occuper.
Les dernières lettres deNew- Yorck, répètent encore
que le Général a été étonné des meſures préliminaires
relatives à la reconnoiſſance de I indépendaricedes Co.
lonies ; que les Loyaliſtes , ainſi que les Mécontens
penſent également que cette propofition ne peut avoir
de fuites , &que toutes négociations fondées for ce
principe feront néceſſairement nulles & fans effet ;
parce qu'aucune partie des domaines de la Couronne
d'Angleterre ne peut, conformément aux principes
fondamentaux de la conſtitution & des loix , être
( 167 )
4
-
cédée ou aliénée par aucune autre autorité que celle
des trois branches de la Législation , ou des parties
auxquelles elles peuvent déléguer ces grands & vaſtes
pouvoirs. Au reſte , la Nation eſt auſſi pea inftruite
de la détermination du Cabinet , relativement à la
grande queſtion de l'indépendance de l'Amérique ,
que de celle qui a pu être priſe au ſujet de la Crimée
àConftantinople & à Pétersbourg ; & elle n'en faura
davantage que lorſque S. M. aura prononcé ſon difcours
gracieux à la rentrée prochaine du Parlement :
alors on peut être généralement perſu dé que la
première de toutes les affaires ſerala diſcuſſion de
la grande & importante queſtion , qui conſiſte à
décider ſi la G. B. perſévérera à maintenir , ou cédera
ſon droit à la ſouveraineté de l'Amérique. Jamais
il n'a été décidé dans le Sénat Britanrique une
queſtion de cette importance , ſoit qu'on la confidère
relativement à l'intérêt public , ou à la dignité de la
Couronne,
On affure que le ſervice de l'année prochaine
exigera 15 millions ſterling. En conſéquence
ſi la guerre continue juſqu'à la
fin de l'année , comme il y a beaucoup
_d'apparence , il faudra ajouter à la maſſe
déja immenſe de la dette publique au moins
45 millions , y compris la dette préſente
dont les fonds ne ſont pas fairs.
> Lorſqu'on confidère , dit un obſervateur , qu'il
ya près de cinq millions du ſcript dormant dans la
banque , & qui doivent être rachetés le 21 courant
ou avant, on ne doit pas être étonné du nombre
de nouvelles favorables qui ſe débitent; elles
font uniquement fabriquées pour faire hauffer les
fonds & donner aux propriétaires de ce ſcript la
faculté de le vendre avantageuſement avant le moment
formidable du rachat <<.
í
:
168 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 19 Novembre.
Le 9 de ce mois , le Comte de Charlus
a prêté ſerment entre les mains du Roi pour
la place de Lieutenant-Général du Lyonnois ,
Forez & Beaujolois , dont il a éré pourvu
fur la démiſſion du Marquis de Caftries fon
père , Miniſtre & Secrétaire d'Etat ayant le
département de la Marine.
Le 10 la Comteſſe Frédéric de Chabannes
a eu l'honneur d'être préſentée à L. M. &
à la Famille Royale par la Comteffe de
Chabannes , Dame pour accompagner Madame
Adelaïde de France.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Clerés
Madame de Galand de Braffac , foeur de
l'Abbeffe de St- Julien d'Acment , fur la
préſentation de Monfieur à cauſe de ſon
apanage .
De PARIS , le 19 Novembre.
LES lettres de Bayonne nous ont apporté
une relation du combat du 20 du mois dernier
; elle a , dit-on , été écrite à bord d'un
vaiſſeau Eſpagnol de l'eſcadre combinée.
-Nous nous contenterons de la tranſcrire.
>> Le 20 , au point du jour , nous apperçûmes à
l'Oueſt du Cap Spartel l'eſcadre Angloiſe , éloignée
des lieues avec 20 navires de tranſport. Notre Général
fit auffitôt ſignal de chaſſe générale ſans choix
de poſte. En conséquence nous arrivâmes ſur l'ennemi
د
( 169 )
mi , qui continuoit ſa route à pleines voiles , & formoit
enmême-tems ſa ligne. Des 34vaiffſeaux qui la
compoſoient , nous en comprâmes 9 à 3 ponts; favoir
: 3 à l'avant-garde , 3 au centre & 3 a l'arrièregarde.
A 2 heures après midi , nous n'étions qu'à une
lieuede diftance. Notre Général fit ſignal à l'eſcadre
légère de joindre l'avant-garde ennemie& ſucceſſivement
au reſte de l'armée , ce qui fut exécuté ; &tout
de ſuite il fit celui d'attaque générale pour combatire
à 2 cables de diſtance ;à quoi nous réuſſimes àsheures
47 minutes du foir , que M. de la Motte-Piquet
commença à faire feu ſur l'avant-garde ennemie qui
le lui rendit avec beaucoup de vivacité. La ſupériorité
de marche des vaiſſeaux Anglois ne permit pas
aux nôtres de les joindre aſſez à tems, pour que l'attaque
générale eût lieu en même-tems , ainſi que le
fignal en fut fait. Le Général en fit un aux vaiſſeaux
le Majestueux , l'Indien , le St-Raphaël , qui précédoit
la Bretagne , & à la Bretagne qui étoit par le
travers de la poupe , d'arriver ſur l'arrière-garde ennemie,
ce qui fut exécuté par ces vaiſſeaux qui firent
un feu très-vif pendos trois quarts-d'heure , & forcèrent
un des vaiſſeaux ennemis de fortir de la ligne ;
les autres s'éloignèrent un moment après. Le Général
fit ſignal à nos vaiſſeaux du centre & à l'avant-garde
d'arriver & de combattre le centre de l'eſcadre ennemie
, ce qu'ils exécutèrent ſucceſſivement vers les 7
heures du foir. L'avant-garde ennemie arriva à 8 heures
du ſoir fuyant la notre qui s'approcha beaucoup
de leur centre. A 9 heures l'attaque recommença
contre l'arrière-garde , & nos vaiſſeaux joignirent le
centre. Alors la Bretagne &le St-Raphaël firent un
feu fi terrible contre 3 vaiſſeaux à 3 ponts; 2 de 74
& un de64 , qu'ils les forcèrent de s'éloigner à toutes
voiles vers les 10 heures & demie. Peu après toute
l'eſcadre Angloiſe en fit autant. On la chaſſa , mais
inutilement. La ſupériorité de ſa marche la déroba à
23 Novembre 1782 .
h
( 170 )
notre pourſuite. Quinze vaiſſeaux ne purent pas
joindre ce qui fait qu'il n'y en a eu que 31 des
nôtres qui aient combattu les 34 Anglois «.
On trouve dans la Gazette de Madrid du
rer. de ce mois une lettre de D. Louis de Cordova
, dans laquelle ce Général rend compte
du combat ; cette lettre eſt ſuivie du journal
de l'armée combinée depuis ſa ſortie d'Algefiras
juſqu'au 22. La relation eſt trop
étendue pour la traduire ici ; ſon ton finaple
, noble & décent fait ſentir encore davantage
le ridicule de celle de l'Amiral
Howe qui paroît avoir pris celles de l'Amiral
Rodney pour modèle. Nous nous contenterons
donc d'ajouter , d'après cette
relation , qu'il n'y a eu que 32 vaiſſeaux
qui ont combattu les 34 Anglois ; deux
vaiſſeaux à trois ponts font reſtés en arrière
avec 2 de 80 & 8 ou 9 de
74 & de 70. L'armée a eu 365 hommes
tués ou bleffés , parmi lesquels on compte
15 Officiers. La dépêche de D. Louis de
Cordova eft du 22 , il étoit alors à 40 lieues
de Cadix , & il ſe propoſoit de revenir dans
ce Port , où il n'eſt arrivé que le 28.
>> Mgr. le Comte d'Artois & M. le Comte de
Dammar.in , lit-on dans une lettre de l'Eſcurial du
23 de ce mois , ſont arrivés ici Mercredi au foir.
Ils ont été reçus , comme la première fois , par le
Roi & par toute la Famille Royale. On n'a point
parléde Gibraltar ni de l'armée à la première entrevue
, & il n'en a pas été queſtion depuis, On parle
( 171 )
davantage de l'eſcadre & du combat naval : on
porte les morts & les bleſſes à 365 hommes. Les
François ont , dit-on , eu pour leur part , 22 morts
& 143 bleffés. On dit que M.de Murat , Garde-
Marine , eſt au nombre des premiers. Parmi les
ſeconds , on compte M. Buor de la Chanceliere ,
Capitaine de Vaiſſeau ; M.de Savignac , Enſeigne ;
M. de Belleville , Garde- Marine ; M. de Cotton ,
Garde du Pavillon ; & MM. de Bouillac & de
Pignol , Officiers Auxiliaires . Mgr. le Comte
d'Artois ſera ici demain pour le gala de la fête
du Roi : on fera après - demain la grande battue ,
qui n'a lieu ordinairement qu'à la fin de ce mois.
On ne voit pas moins de 15 à 20000 bêtes fauves
dans cette chaſſe- làc.
Mgr. le Comte d'Artois a dû partir le 6 ,
& on l'attend à Verſailles du 20 au 25 de
ce mois.
Les nouvelles de Breſt & des autres
ports annoncent que l'on y travaille avec
la plus grande activité aux conftructions ,
radoubs & réparations.
Nous ne croyons pas ici que la diviſion
de l'eſcadre de l'Amiral Howe , qui doit
aller en Amérique , ſoit ſi-tôt prête. Si cet
Amiralavoit paru dans la Manche vers le 6
ou le 7 de ce mois , il auroit éprouvé une
tempête horrible. Les lettres d'Oſtende , de
Calais & des autres Ports de la Manche , ne
parlent que de naufrages. Tout ce qui étoit
en mer à cette époque , a péri ou a été jetté
à la mer.
>> M. le Comte d'Estaing , écrit-on de Bordeaux,
en date du 9 , arriva ici le 7 , à 7 heures du ſoir.
h2
( 172 )
Ma'gré la nuit, il trouva le long de la rivière une
affluence de monde qui ne lui permit pas de pouvoir
gagner la voiture que M. de Fumel lui avoit
envoyée. Un fiacre qu'il trouva là par hafard , fut
le carroſſedans lequel il monta , & qui le conduifit
à l'Hôtel des Princes place Puy Paulin , il choiſit cet
Hôtel de préférence à celui duGouvernement qu'on
avoit fait préparer. Le lendemain il ſe rendit à la
Chambre du Commerce qui la veille avoit été le
viſher. En entrant dans la Bourſe , il trouva les
cours & l'eſcalier remplis d'une foule prodigieuſe
de perſonnes de tout état , qui à l'envi les unes des
autres ne celfoient de crier : Vive le Rei , vive le
Comte d'Estaing. On avoit placé dans la Salle d'Alſemblée
un fauteuil , où quelques inftances qu'on
lui fit , il ne voulut jamais s'affeoir; tout le monde
étant reſté debout , & ayant obſervé le filence , le
Vice- Amiral prit la parole : il remercia la Chambre
de ce qu'elle avoit fait ci-devant pour lui , &
de tout ce qu'elle faiſeit dans le moment actuel.
Il l'aſſura qu'il faifiroit toujours les occafions de
rendre ſervice au Commerce en général , & à celui
de Bordeaux en particulier. Il remit enfuite av Jage
de la Bourſe une lettre du Roi , par laquelle Sa
Majesté le charge de marquer aux Négocians la
fatisfaction qu'elle a cue de ce qu'ils ont fait en différentes
circonstances pour le bien de ſon ſervice .
- Il préſenta auſſi à la Chambre de nouveaux ordres
du Roi qui le chargent d'engager le Commerce
à lui indiquer les Sujets de la Marine Marchande
les plus capables de ſervir le Roi , en afſurant des
avantages à ceux qui ſe diftingueront.-En conſéquence
de ces ordres , le Commerce a fait choix
de 4 anciens Capitaines & de deux Directeurs de
la Chambre qui ſe ſont rendus chez le Vice- Amiral
pour conférer ſur ce ſujer.-M. le Comte d'Eftaing
a diné aujourd'hui à la Chambre du Com
( 173 )
merce. Le Corps des Négocians s'étoit propoſé de
lui donner une fête ; il avoit ouvert à cet effet une
ſouſcription dont le montant eſt de 20 à 24,000
livres. Mais le départ du Vice-Amiral étant fixé
après-demain , cette fête n'a pu avoir lieu. Il a défiré
que la ſomme deſtinée à cet objet , fût convertie
enbillets de 200 livres , dont il s'eſt chargé ,
& qu'il diftribuera à ſon gré aux perſonnes qui ſe
conduiront de manière àmériter des récompenfes.
Les Francs-Maçons ont joint à cette ſomme celle
de 10,000 livres qu'ils ont conſacrée au même
u'age.- Comme on a imaginé que le Vice-Amiral
viendra voir ce ſoir lanouvelle Salle de Spectacles ,
on a mis en très-greſſes lettres ſur les colonnes du
périſtile , Vive d'Estaing. On dit qu'il s'arrêtera
un jour à Bayonne , & que delà il ſe rendra
en droiture à Madrid , où il fera un plus long
féjour «.
Le bâtiment qui nous a apporté les dernières
nouvelles de l'Amérique Septentrionale
, s'appelle le Général Washington. Il eſt
venu en 20 jours , étant parti de Hampton
le 11 Octobre , & arrivé à l'Orient le 31 .
On dit qu'il a amené un Secrétaire de M.
de la Luzerne , chargé des dépêches de ce
Miniſtre , & un Agent du Congrès , porteur
de nouvelles inſtructions pour MM. Franklin
& Adams. On avoit à Philadelphie des
nouvelles très-récentes de M. de Vaudreuil
&de notre Armée. Les réparations de l'efcadre
étoient très avancées , & l'armée en
très-bon état. Les 3 vaiſſeaux qu'on radouboit
à Portsmouth , dans la Nouvelle-An
h3
( 174 )
gleterre , n'avoient rien à craindre de l'en
nemi.
Le 17 du mois dernier , écrit-on de Tours , le
feu prit à la maiſon du nommé Audenet, voiturier ,
fauxbourg de St-Pierre-des -Corps ; un détachement
composé de Grenadiers , de Chaſſeurs & de Fufiliers
du Régiment d'Agénois , en garniſon dans cette Ville
depuis peu , ſe raiſembla à la première alarme , fous
les ordres de M.de Rocreuſe , Capitaine dans ce Régiment
, & courut au quartier où étoit le feu , & cù
Ja bonne police , le ben ordre , & l'enſemble des
fecours ſurvenus , diſſipèrent heureuſement toutes
les inquiétudes. Au moment où M. de Rocreuſe
alloit ſe retirer avec ſa troupe , elle fut arrêtée par
M. Paon , Officier des Pompiers , qui vint lui témoigner
fa reconnoiffance , & offrir de la part du Corps
de Ville une gratification au détachement ; mais elle
n'en fut acceptée qu'aux conditions qu'il lui ſeroit
permis d'en diſpoſer en faveur du malheureux Veiturier
, à qui l'incendie venoit de faire perdre ſa forzune
, ce qui fut auſſi-tôt exécuté. M. de la Grandiere
, Maire de la Ville , ayant fait le rapport de
sette action généreuſe , dans un conſeil affemblé
extraordinairement , il y fut délibéré qu'on en tiendroit
note ſur le regiſtre de la Municipalité , &qu'on
en feroit trois expéditions ſignées , dont la première
feroit envoyée au Marquis de Ségur , Miniſtre de la
guerre , la ſeconde au Duc de Choiſeul , Gouverneur
de la Province , & la troiſième à M. de Rocreuſe.
Quelque nobleſſe qu'il y ait dans la conduite du détachement
&de ſon chef, on ne pouvoit pas moins
attendre du dernier , qui , en 1779 , s'étoit déja ſi
glorieuſement diftingué dans un naufrage ſur les
Antioches , ni des Grenadiers & Chaſſeurs , qui faifoient
partie des 800 hommes , qui , ſous M. de
Flechen, à St-Christophe , avoient ſi vigoureuſement
repouffé 1400Grenadiers Anglois que l'Amiral Hood
( 175 )
1
1
!
1
1
1
avoit fait mettre à terre pour ſecourir le fort , ni
enfin des fufilliers qui ſur les vaiſſeaux du Roi l'Нес-
tor & le Céfar , à l'affaire du 12 Avril dernier en
Amérique , avoient foutenu juſqu'au dernier moment
tous les efforts de la flotte Angloiſe ; le premier de
ces vaiſſeaux n'ayant amené qu'après avoir perdu
fon Capitaine & employé toutes ſes munitions , &
le ſecond ayant ſauté après le combat c.
On lit dans les Affiches de Toulouſe du
23 du mois dernier l'anecdote ſuivante , que
nous tranfcrirons .
>>>En exécution des Ordonnances du Roi , concernant
la mendicité , les Officiers de Maréchauffée
ont des ordres très- précis pour arrêter & conduire
dans l'Hopital général de la Grave , de cette Ville ,
tous les pauvres mendians. Les Cavaliers , en conféquence
de ces ordres , menèrent , il y a quelques
jours devant leur Commandant , une fille âgée de 86
ans , ſurpriſe à vaguer dans les rues.,Interrogée ſur
les motifs qui la faifoient contrevenir à la loi du
Prince , elle répondit en verſant un torrent de larmes
, que fon grand âge & ſes infirmités la iner
toient hors d'état de travailler pour gagner ſa vie ;
au furplus un pareil métier répugnoit beaucoup à la
délicateſſe , mais elle y étoit forcée par un devoir
trop ſacré , puiſqu'au moyen des charités qu'on lui
donnoit , elle avoit la ſatisfaction d'entretenir ſa
mère âgée de 119 ans , qui ſe trouvoit réduite à la
plus affreuſe indigence , quoiqu'elle appartint à
des parens fort honnêtes. L'Officier de Maréchaufſée
, attendri ſur le ſort de ces deux infortunées ,
rendit la liberté à la mendiante « .
Si par ces parens honnêtes de la mère
de cette infortunée, on entend des parens
aiſés , ils font bien inhumains & bien barbares.
Peut-être n'a-t-on pas fait tout ce
h4
( 176 )
qu'on devoit en relâchant la mendiante ; il
auroit été convenable de ſonger à lui affurer
ainſi qu'à ſa mère , un aſyle & des fecours
dont l'une & l'autre avoient beſoin.
Nous avons inféré dans un de nos Journaux
de l'année dernière , des détails ſur
un procès affez fingulier , fait à un particulier
au ſujet d'un paratonnerre. Cette affaire
à laquelle nous ne penſions pas qu'on eût
pu donner une ſuite , paroît en avoir eu
&n'être pas terminée; on lit du moins dans
les Affiches de Flandres dus de ce mois ,
l'article ſuivant que nous tranfcrirons comme
un fait affurément bien étrange à la fin
du 18e. fiècle.
» Un Phyficien demeurant à St- Omer ( M. de
Viſſery de Bois-Vale ) , avoit fait conſtruire en 1780
un paratonnerre ſur ſa maiſon. Cette machine ,
au lieu de donner de la confiance aux habitans des
maiſons voisines , inſpira des craintes à quelques-
'uns d'entr'eux , & le paratonnerre fut dénoncé aux
Officiers municipaux de cette Ville , qui en ont
ordonné la deſtruction par un jugement contradic
toire, renda ſur les concluſions du Ministère public.
Il y a appel de cette Sentence au Conſeil-
Supérieur d'Artois , & M. Buiffart , Avocat , Membre
de pluſieurs Academies , s'eſt chargé de la défenſe
du Phyficien, ou pour mieux dire , de la défenſe
des Sciences & des Arts , malheureuſement toujours
opprimés par l'ignorance. Il vient de faire paroître
àce ſujet un Mémoire qui lui fait beaucoup d'honneur
, & qui eſt auſſi curieux qu'inſtructif. Cet
ouvrage , l'avis de l'Académie de Dijon , & deux
Conſultations , l'une rédigée par des Avocats de
( 177 )
ا
5
F
コ
Paris , & l'autre par des Avocats d'Arras , contiennent
96 pages in-8 °. «
Nous avons annoncé dans le tems l'invention
du ſieur Heriſſon , Maître Arquebufier
; il s'eſt occupé depuis à la perfectionner
, & nous nous empreſſons d'y revenir
pour la faire mieux connoître.
>> Le ficar Heriſſon Maître Arquebufier , inven
teur de nouveaux refforts de voiture , qu'il a préfentés
à l'Académie Royale des Sciences , ſous la
dénomination de reſſorts François , vient d'ajouter
à la douceur reconnue de ces refforts des cris
mobiles , qui rendent les voitures d'une ſolidité
à toute épreuve. L'on peut s'en ſervir pour la
poſte ſans courir riſque de reſter en chemin; quand
même un de ces refforts cafferoit , ce qui n'est
pas poffible , à peine s'en appercevroit-on. Il ſuffit
de deux minutes au plus pour remonter la voiture
de deux pouces qu'elle ſeroit tombée, ce qui n'eſt
pas beaucoup fenfible. Le Cocher avec la clef de
la voiture ſuffiroit pour remonter le cri de 3 ou
4dents, la voiture ſeroit droite, l'on pourroit continuer
ſa route quelque longue qu'elle fût fans
avoit beſoin d'ouvriers ; ces cris ont la propriété
d'augmenter la force de ces refforts dans les cahos
, & peuvent s'adapter à toutes fortes de voitures
, ſoit Françoiſes ou Angloiſes ; il n'eft befoin
pour les diligences que de deux refforts , &
de deux cris , de même que pour les cabriolets.
L'on trouvera chez le ſieur Heriſſon , une voiture
montée de ces refforts & cris. Le fieur Heriffon
demeure rue du Bout - du - Monde , au
N°. 21 cc.
>> Le Mardi premier Octobre 1782 , écrit-on de
Brest , M. Duret , Chirurgien -Démonftrateur aux
Ecoles Royales de Breft, fit l'ouverture du Cours
hs
( 178 )
public d'Anatomie , par un Diſcours ſur la néceffité
de cette Science dans l'exercice de la Médecine
& de la Chirurgie. M. Guillot , Intendant de
la Marine , y aſſiſta , accompagné de pluſieurs Etrangers.
Après la Séance , ayant fait une exhortation
aux Elèves pour les porter au travail , ce Magiftrat
annonça qu'à la fin du Cours , il ſeroit donné
fix Prix , trois de 300 livres & trois de 200 liv.
chacun . Les Chefs des Ecoles remercièrent au nom
des Elèves , & verront avec plaifir le nom de M.
Guillot à la ſuite de ceux des Clugny & des Rhuis ,
qui autrefois ont foutenu l'émulation par d'autres
récompenfes «.
Parmi les entrepriſes importantes , on
diftinguera celle de M. Balthazar-Marie
Emerigote , Avocat en la Cour , ancien
Conſeiller au Siége de l'Amirauté deMarſeille.
C'eſt un traité des Aſſurances & des
Contrats à la groſſe , qu'il ſe propoſe de
publier ; ces deux contrats maritimes méritent
une attention particulière ; & il étoit
d'autant plus eſſentiel de les voir traiter
avec le ſoin & l'étendue qu'ils méritent
que la matière en eſt pour ainſi dire neuve.
Elle a fait l'objet particulier des études de
l'Auteur , & fon ouvrage eſt le réſultat de
40 années de travail & d'application. Il
n'eſt pas douteux qu'il ne ſoit reçu avec
reconnoiſſance dans toutes les villes de
commerce maritime ( 1 ) .
,
(1) L'Ouvrage compoſé de 2'vol. in-49. d'environ 62
700pages , coûtera 20 liv. en feuilles aux Souſcripteurs.La
ſouſcription eſt ouverte juſqu'au premier Janvier 1783 pour
Marſeille où l'Ouvrage s'imprime , & pour le reste de la
( 179 )
>>>Le Bureau académique d'Ecriture , préſidé par
M. Lenoir , Conſeiller d'Etat , Lieutenant Général
de Police , & par M. de Flandre de Brunville , Procureur
du Roi au Châtelet , a tenu le 7 de ce mois ,
dans la grande Salle des Matharins , ſa Séance publique
de Rentrée. M. Harger , Secrétaire , l'ouvrit
par la lecture d'un Mémoire ſur l'enſeignement de
l'Ecriture , de l'Arithmétique & de la Grammaire
Françoiſe. D'après la déciſion du Bureau , il indiqua
les procédés qui peuvent procurer & conferver
à chacun une écriture auſſi ailée à lire que facile
à exécuter. En traitant de la Grammaire Françoife ,
M. Harger fit voir que l'enſeignement de l'Orthographe
& celui de l'Ecriture ſe prêtoient des ſecours
mutuels , dont il étoit néceſſaire de profiter
pour l'avantage de la Société. Il termina ſon Mé
moire par quelques Reflexions ſolides ſur la vérification
des Ecritures arguées .-M. Paillaffon lut
enfuite une Diſſertation ſur les Manuſcrits des ſiècles
antérieurs & poſtérieurs à celui de Charlemagne ,
&il détailla une partie des objets qui peuvent conduire
à la connoiſſance de leurs différens âges.
M. Delile en lut une autre ſur l'origine & la perfection
de la Science des Nombres ; il fit connoître
les Peuples à qui l'invention en doit être attribuée ,
&il termina ſes Obſervations , dont pluſieurs font
France , juſqu'au premier Avril de la même année. Paſſe ce
tems il ſera payé 24 liv. en feuilles. On en imprimera quel.
ques exemplaires en grand papier , dont le prix fera de 36
liv, en feuilles. On ſouſcrit à Marseille , chez Jean Moſſy ,
Imprimeur du Roi , de la Marine , & Libraire à la Canebière ;
à Paris , chez Durand neveu , Cailleau , Barrois le jeune &
Lamy ; à Toulon , chez J. L. R. Mallard , Surre & Boery ;
à Lyon , chez Louis Roffet ; à Bayonne , chez Paul & Pierre
Fauvet ; à Bordeaux , chez Labottiere ; à Boulogne- fur-Mer ,
chez Charles Battat ; à Breſt , chez Malaſſis ; à Calais , chez
Nicolas Maury ; à Cherbourg , chez Nicolas Maiſſon ; à
Dieppe , chez Dubuc ; à Dunkerque, chez Laurent ; au Havre,
chez Faure ; à Honfleur , chez Gervais , & chez les princi
paux Libraires de l'Europe.
h 6
( 180 )
fondées ſur des probabilités , par un Réſumé des
avantages que la Société retire de cette Science. —
M. Jumel termina la Séance par la lecture d'un
Mémoire qui a pour objet l'enſeignement de l'Eciiture
expédiée , par une nouvelle méthode qu'il foumet
à l'examen du Bureau , & qu'il aſſure avoiremployée
avec ſuccès «.
>> Madame Vicaire poſsède l'Art particulier de
redreſſer les tailles des perſonnes mal conformées ,
depuis le bas âge juſqu'à vingt-cinq ans : elle n'emploie
aucun remède intérieur; & ce n'eſt que par
un maniement adroit de ſes mains , &une connoiffance
de cauſe particulière , qu'elle remet les parties.
dans leur état naturel. La Dame Vicaire peut donner
des preuves conſtantes de pluſieurs guériſons faites
à Paris , qui ont été approuvées par plufieurs Médecins
de la Faculté de Médecine de Paris . Elle
ne prend point d'argent d'avance ; elle a un logement
convenable pour les Etrangers. Les perſonnes
fans fortune ſeront traitées gratis les Mardis de
chaque ſemaine , depuis ſept heures du matin julqu'à
une heure , & depuis trois juſqu'à fix. Les
perſonnes qui défireront lui écrire auront la complaiſance
d'affranchir les lettres , ſans cela elles
refteroient à la Poſte. Son adreſſe eſt ſur les nouveaux
Boulevards , près la rue du Montparnaſſe ,
à Paris«.
Charles-Antoine Guerin , Marquis de
Lugeac , Lieutenant-Général des Armées
du Roi , Gouverneur-Général de Toul &
pays Toulois , Grand Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de St-Louis , eſt mort
le 2 de ce mois dans ſon Château de Coudrai-
fur- Seine , dans la 63e. année de ſon
âge.
Louis-Etienne Quinet , Marquis de Monconfeil
, Commandant en Haute-Alface ,
( 181 )
Lieutenant Général des Armées du Roi ;
Inſpecteur d'Infanterie , eſt mort en ſon
Château de Quinet , près Saintes , le 14
du mois dernier dans ſa 87e. année.
Louiſe-Marie-Anne Chaudet de Vallenville
, veuve de Meffire Philippe d'Aubert ,
Chevalier , Seigneur de Reſie , Maréchal
des Camps & Arinées du Roi , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , eſt morte à Caen le 18 Octobre
dernier , dans ſa 86e. année .
د
Françoiſe Chaudet de Villenville veuve
de Jean-Baptifte d'Aviſgo , Chevalier , Seigneur
de Valheureux , Lieutenant des Maréchaux
de France à Argentan , eſt morte
à Caen le 28 du même mois dans ſa
8se. année.
Le nommé Joſeph Pommier , de la Paroiſſe
d'Allolans , Bailliage de Vezoul , eft
mort dans le courant du mois dernier , dans
laVille de Vezoul , à l'âge de 102 ans &
quelques mois , ayant toujours joui d'une
bonne ſanté , & fur-tout d'une mémoire
très- locale. Il a joui de la paye des Invalides
pendant sa ans , y ayant été admis dès
l'année 1730 , après avoir fervi 32 ans. Il
étoit entré au ſervice en 1698 ; il étoit
né en 1680 au mois de Juin .
De BRUXELLES , le 19 Novembre..
Les lettres de Lisbonne , en date du 6
du mois dernies , contiennent les détails ſuiyans
:
( 182 )
>> Il eſt entré ici un vaiſſeau de 74 canons , deux
de 66 , & une frégate de 32 , tous appartenant à
l'eſcadre Ruffe , qui a éprouvé ſur le Cap Finif
tère une ſi forte tempête , que ces vaiſſeaux ont
été obligés de ſe mettre à l'abri dans notre rivière ;
on croit que les autres ſe ſont réfugiés à Cadix.
Il ſe trouve à bord de cette eſcadre pluſieurs cadets,
fils d'Officiers , pour apprendre le ſervice de la Marine.
Six d'entr'eux , avec leur Gouverneur , retourmant
la nuit dernière à leur bord , ont eu le malheur
de rencontrer une grande barque Portugaiſe , allant
àla voile, qui a coulé leur petite chaloupe à fond ;
ils ont tous péri avec un Matelot; & ce n'eſt pas
fans la plus grande difficulté que 2 autres Matelots
&un contre- Maître ſe ſont ſauvés. On a arrêté
ceux qui conduiſoient le bâtiment, & on parle diverſement
de cette affaire. Quelques perſonnes affurent
que cela a été fait de la part des Portugais;
d'autres affurent que dans leur interrogatoire , ils
ont allégué pour défenſe , que le premier Ruffe
qui s'étoit ſauvé ſur leur bâtiment , étoit auſſi-tôt
tombé fur eux l'épée à la main , & que pour lors ils
l'avoient rejetté à l'eau , & n'avoient plus voulu
ſecourir les autres c.
C'eſt le 20 de ce mois que les Etats de
Hollande & de Weſtfriſe doivent reprendre
leurs délibérations ; il paroît qu'alors , ils
prendront une réſolution définitive ſur
l'affaire de l'infortuné Enſeigne de Witte.
On a dû recevoir la détermination des
Etats de Zélande qui ne ſont pas moins intéreſſés
à découvrir tous les complices de
cette conſpiration ; on aſſure en attendant
que l'avis de la Cour de Juſtice des deux
Provinces , eſt que le Jugement du délit
en queſtion appartient à la Juſtice crimi
( 183 )
nelle des Provinces contre leſquelles il a
été commis , puiſque l'Ordonnance Militaire
des Etats-Généraux , qu'on réclame en
cette occaſion , ne fauroit regarder que les
troupes en campagne , ou dans les places
& fortereſſes ſoumiſes à L. H. P. , mais ne
peut jamais préjudicier à la Jurisdiction indépendante
de chaque Province ſouveraine.
>>>Ce ne ſont pas , écrit-on de la Haye , les ſeuls
Etats de Hollande &de Friſe qui ont pris à coeur le
délai inattendu apporté au départ de l'eſcadre qui
devoit ſe rendre à Breſt. Ceux de la Province de
Groningue ont exhorté les autres Confédérés à faire
desrecherches rigoureuſes contre ceux qui ont empêché
l'exécution de l'ordre qui en avoit été donné ,
&à faire tomber le bras vengeur de la Juſtice ſur
la tête de ceux qui ont foulé aux pieds l'honneur
de la Nation. Leur réſolution en date du 24 Octobre
dernier , contient plufieurs griefs àla charge
du Vice-Amiral Hartſinck , & des autres Officiers .
Le Stadhouder a répondu à la lettre qu'il avoit reçue
de la Friſe, & y donne quelques raiſons pour juſtifier
pourquoi les vaiſſeaux manquoient de vivres.
Cette réponſe a été communiquée aux autres Provinces;
il en a fait auſſi une aux Etats de Hollande ;
dans laquelle on a remarqué qu'il parloit en Amiral
del'union ,& en cette qualité , quoique ne ſe croyant
pas obligé de rendre compte à d'autres qu'aux
Etats-Généraux , il vouloit bien condeſcendre à leur
demande; on ſe rappelle que la Hollande ne lui
demandoit de compte qu'en qualité d'Amiral de la
Province. En attendant le réſultat de ces grandes
diſcuſſions , on fait que pluſieurs de ces mêmes
vaiſſeaux , qui le 7 Octobre n'étoient pas en état
de ſe rendre à Breſt pour y hiverner , appareillerent
le 10 pour ſe rendre ſur la côte de Norwege
ſous les ordres du Contre-Amiral Van-Kinsbergen.
( 184 )
a
Mais cette croifière de cinq ſemaines dans la mer
du Nord , ne paroît avoir abouti qu'à diſperſer
T'eſcadre , & peut - être à priver la République
d'un vaiſſeau. Le Zieriszée , de 64 canons
relâché à la rade d'Helsingor. L'Amiral de Ruyter
de 64, que monte M. Kinsbergen , & le Kortenaer
de 60 , ſont rentrés le 2 au Texel. L'Union
de 64 , conftruit à neuf l'année dernière , commandé
par le Comte de Welderen , a péri ſans
qu'on ait pu ſauver un ſeul homme de l'équipage ".
On apprend de Ziericzée que le corſaire
laBonne-Attente , Capitaine Jean-Guillaume
Sextrat , y a conduit le 30 Octobre le Capitaine
Flynn , Commandant du paquebot
qui alloit de Hellevoet à Harwich avec les
malles du 22 & du 25. Les malles ont été
priſes & font entre les mains du Gouver
nement.
>> Cette affaire , écrit-on d'Amſterdam , fait beaucoup
de bruit; la priſe de ce paquebot étonne d'autant
plus , que fortant d'un port de la République , il
paroiſſoit couvert de la protection du pays. Auffi ,
dit- on que l'armateur étoit autorité par les Etats
de Zélande , que des motifs ſecrets ont engagé à
cette démarche. Le Capitaine Anglois Flyenn , ſe
voyant preffé de près par l'armateur , voulut jetter
ſa malle de lettres dans la mer ; mais l'armateur
l'ayant menacé de le couler à fond avec fon équipage
s'il le faifoit , & en lui déclarant qu'il en
vouloit aux lettres & non aux effets , il ſe rendit
auffi-tôt. Les lettres ont été portées dans la Secrétairerie
de Ziericzée « .
On peut juger de la fermentation qui
règne dans pluſieurs Provinces , par la manière
dont s'expriment quelques papiers publics.
( 185 )
1
新
6
S
» Le Diemermefche courant , Gazette Hollan
doiſe qui s'imprime près d'Amſterdam , écrit - on
de la Haye, eſt rempli de déclamations très audacieuſes
, & qui vost juſqu'à prêcher , pour ainſi
dire , la révolte & la ſédition. On y a vn dernièrement
un paragraphe tres-vif, où il eſt diſficilede
porter plus loin la licence. Il ſuffira de dire
ici qu'on y rappelle avec affectation la fin funeſte
& tragique de Céfar & de Charles I , & qu'on y
joint l'éloge de Brutus & de Cromwell . Ces ſorties
inconſidérées ne ſervent jamais une cauſe «.
L'apologie que le Stadhouder a remiſe le
7 du mois dernier aux Etats- Généraux ,
vient d'être publiée ; elle a pour titre : Miffive
& mémoire remis , par S. A. S. le
Prince d'Orange , à L. H. P. le 7 Octobre
1781 , contenant une expofition détaillée de
la direction qu'il aſuivie en qualité d' Amiral-
Général. Cet écrit contient 126 pages , infolio
, fans compter les documens & les
pièces juſtificatives qu'on imprime
Le Prince y rend compte de ſa conduite , relativement
à la Marine depuis 1766 , qu'il fut mis en
poffeffion réelle des charges & dignités qui lui
étoient dévolues par droit de ſucceſſion ; il n'a rien
négligé pour eſſayer de mettre la Marine de la République
ſur un pied reſpectable , afin de ne pas aban .
donner l'Etat àdes circonstances ſemblables à celles
où il s'étoit trouvé lors de la dernière guerre. Ses
efforts , ſes pétitions , furent toujours rendus inutiles
par la déſunion des Confédérés. Il vient enſuite
à l'aggreſſion de la G. B.
» La nouvelle de cette attaque hoftile, dit-il, nous
frappa fur-tout de la manière la plus vive ; non
pas , comme on a cherché à l'infinuer depuis
quelque tems à la bonne Commune avec une
licence effrénée & impunie , par toutes fortes de
,
( 186 )
conjectures calomnieuſes & invraiſemblables , que
par un attachement illicite pour l'empire Britanni.
que , nous mettions ſes intérêts au-deſſus ou au
niveau de ceux de la patrie ; mais au contraire ,
parce que defineux de vengeance autant qu'aucun de
nos compatriotes , l'amour de la patrie nous faiſoit
déja préſſentir les ſuites de ces troubles , &
les pertes importantes qu'ils devoient caufer aux
habitans de eette République; une ſuſpenfion totale
& peut- être les ſources de leur proſpérité ,
prenant pour toujours une autre direction par la
perte du commerce; une perte vraiſemblable d'une
partie au moins des poffeflions du pays hors de
l'Europe , & un épuiſement de finances beaucoup
plus conſidérable , que celui qui auroit eu lieu , en
mettant à tems la République dans un état de
défenſe & d'indépendance. Nous étions convaincus
intinméémmeenntt que les moyens que LL. HH. PP.
étoient en état de nous fournir , ne fuffifoient
pas à beaucoup près , non- feulement pour tenir
tête à notre Ennemi , & le faire repentir de fon
iniquité ; mais auffi pour protéger convenablement
tous les objets auxquels la République & ſes habitans
avoient un intérêt eſſentiel , ni même aucun
d'eux ; ni d'empêcher que pluſieurs ne devinſſent
la proie des Ennemis comme il deveit
paroître par la comparaiſon de la marine Angloiſe
avec la nôtre «.
,
L'étendue de cette pièce ne nous permet
pas de la tranſcrire en entier ; nous nous
bornerons à en mettre la fin ſous les yeux
de nos lecteurs .
>>>Les détails dans lesquels nous ſommes entrés
feffiront peur convaincre VV. HH. PP. , & les
Seigneurs Etats des ſept Provinces Unies , ainſi que
tout lecteur impartial ſous les yeux de qui le
préſent Mémoire pourra tomber , de l'invalidité
( 187 )
F
des préventions qu'un grand nombre de gens malintentionnés
paroiſſent vouloir inſpirer contre nous
à la Nation. Nous avons fait voir que , dès le
commencement de notre adminiſtration , nous
avons mis en oeuvre tout ce qui dépendoit de
nous , pour mettre la patrie en état de conſerver
la jouiſſance honorable & tranquille de cette liberté
pour l'affermiſſement de laquelle nos pères ont
verſé des flots de ſang. Nous avons démontré
d'une manière incontestable qu'aucune inactivité n'a
eu lieu dans la direction des affaires publiques ,
ſi par-là l'on entend une manque d'application ou
de zèle ; & qu'il n'y a nullement de notre faute
ſi les forces navales de l'Etat , qui depuis plus
d'un demi - Gècle avant notre naiſſance , étoient
déja tombées dans le plus grand dépésiffement ,
n'ont point été rétablies conjointement avec les
forces de terre , de manière à ce qu'on ait pu
avec raifon en attendre non-ſeulement d'être refpecté
de toutes les Puiſſances , mais encore d'acquérir
un nouveaue dégré de gloire à la République.
Nous avons évidemment prouvé , & par des
faits irréprochables , que les forces de mer qui
exiſtoient au commencement de la guerre ont été
augmentées par nos foins , autant qu'il nous a été
poſſible& que les circonstances l'ont permis. Nous
avons fait voir clairement que nos efforts réitérés
, toujours ſecondés par les conſeils de perſonnes
, qui par leur qualité ou par la nature des
conſeillers naturels & conftitutionels , n'ont pû ,
avec les forces que nous avions , produire des effets
falutaires à l'Erat autant que naiſibles à l'ennemi
; & que les raiſons , pour lesquelles le ſuccès
n'a point répondu à nos deſirs , ainſi qu'à l'attente
de la Nation doivent être recherchées
& peuvent uniquement être trouvées , dans des
cauſes , des circonstances qui ſont entièrement hors
de nous. La triſte expérience que nous en avons
,
( 188 )
fait, nous a convaincu de nouveau combien il est
dangereux , relativement aux forces navales , de
renvoyer l'uſage des précautions néceſſaires àcoв-
cester les moyens de dépenſe , juſqu'au moment
du beſoin , & il est très-conſtant à cet égard que
nous ne connoiſſons rien qui puiſſe nous mériter
le moindre reproche. Ceux qui nous connoiffent
ſavent que nous avons un coeur ſenſible & qui
ſouffre impatiemment les actes d'injustice , & de
malhonnêteté. Comme natif & habitant d'une Répoblique
libre , gouvernée par de ſages loix , &
connue même dans l'étranger pour exercer la jultice
avec impartialité envers tous les ordres des
citoyens , comme natif & habitant ( diſon -nous )
d'une telle République , nous avons le même droit
à la protection des loix que chacun de nos compatriotes
; & comme placé à la tête du Gouvernement
de ce Pays , nous avons un droit inconteftable
à la confiance d'une nation avec laquelle
nous avons une connexion fi étroite que notre profpérité
dépend de la fienne , & que ſes malheurs
font les nôtres : une nation pour laquelle nous fommes
prêts en tout temps à expoſer , à l'exemple
de nos ancêtres , & nos biens & notre fang. Et
c'eſt au milieu de cette nation qu'il ſe trouve des
hommes qui , par une haine invétérée contre notre
maifon& contre le Gouvernement Statoudérien , ou
par mécontentement pour des refus de ſollicitations
que nous ne pouvons pas toujours accorder
àceux qui les demandent comme de droit & les
reçoivent avec ingratitude; ou enfia par ignorance
&jugemens précipités ſur des évènemens dont les
cauſes ou les circonstances leur font inconnues
(ainſi qu'il eſt ordinaire dans les temps critiques ,
fur-tout pour les opérations maritimes , & ce dont
notre hiſtoire du ſiècle précédent fournit des traits
à peu près ſemblables à ceux d'aujourd'hui ) ont
abuſé de la liberté de la preſſe pour nous inful(
189 )
i
ter de la manière la plus hardic & avec une licence
effrénée , en nous dépeignant comme l'inftrument
des malheurs actuels de la patrie ! Nous
ne pouvons donc nous diſpenſer de réclamer à
tous ces égards la juſte activité des loix & placards
du pays , loix qui jamais n'ont été réclamées
en vain par aucun citoyen. Ou deviendrionsnous
ſeuls aujourd'hui une exception à la règle ?
Notre zèle inviolable & nos travaux infatigables
pour le bien- être de la République ſeroient-ils donc
flécris par les traits envenimés de la calomnie , ou
par une prévention dont il n'y a point d'exemple ?
Serions - nous le ſeul des êtres ſenſibles & raiſonnables
, qui fût condamné à ſouffrir patiemment
les injustices les plus inouies & les plus Aétrif
fantes. A Dieu ne plaiſe cependant que , par eſprit
de vengeance ou qu'animé par aucune paffion ,
nous ſouhaitions ni demandions la punition bien
méritée, de ceux qui nous ont ouvertement offenſé !
Mais ce que nous penſons exiger des Hauts Confédérés,
& ce que nous croyons pouvoir attendre
d'eux , fur les fondemens du droit de l'humanité
&des loix exiftantes , à l'égard de l'autorité dont
nous ſommes révêtus dans cette République ( &
dont ceux qui ont part au Gouvernement ne doivent
pas ignorer que nous n'avons jamais abuſé , moins
encore cherché à l'étendre au-delà des ſes limites )
c'est qu'il ſoit pris des meſures néceſſaires pour
prévenir & empêcher efficacement , par la ſuite ,
les intrigues odieuſes qui n'ont pour but que de
fouffler & entretenir le feu de la diſcorde entre
les chefs de ladminiſtration & les citoyens ; d'exciter
le peuple à la révolte; & qui ne tendent
qu'à briſer dans les mains du Souverain même le
ſceau de ſa juſte autorité ; à livrer enfin à la haine
& au mépris , non-feulement de la Nation , mais
de l'Europe entière , des hommes qui par leurs
emplois méritent la conſidération publique , &
( 190 )
qui , au milieu des travaux incroyables & des dangers
auxquels ils font journellement expoſés , n'ont
d'autre motif que l'honneur & l'ambition de verfer
leur fang pour le ſoutien de leur patrie «.
Suite du Traité entre les Provinces-Unies des Pays-
Bas & les Etats- Unis de l'Amérique.
21 °. Les deux Parties contractantes s'accordent
réciproquement l'une à l'autre la liberté d'avoir
chacune , de leur propre création , dans les ports de
l'autre , des Confuls , des Vice-Confuls , des Agens
&Commiſſaires , dont les fonctions ſeront réglées
par une convention particulière ; lorſqu'une des
parties trouvera bon de faire un tel établiſſement.
22°. Ce traité ne ſera , à aucun égard , conſidéré
comme dérogatoire aux Articles 9 , 10 , 14 & 24
du traité avec la France , ainſi qu'ils font dreſſés
dans le traité même , conclu le 9 Février 1778 ;
les Articles 9 , 10 , 17 & 22 du traité de Commerce
reſtant dans toute ſa valeur , entre les Etats-
Unis de l'Amérique & la Couronne de France , &
il n'empêchera pas que S. M. C. ne puiſſe y accéder
& jouir du bénéfice deſdits quatre Articles.
23º. Au cas que les Etats-Unis de l'Amérique aient ,
dans aucun tems , beſoin d'entamer auprès du Roi
ou Empereur de Maroc ou de Fez , comme auffi
avec les Régences d'Alger , de Tunis ou Tripoli ,
ou de quelqu'un d'eux , des négociations pour obtenir
des paſſeports pour la fûreté de leur Navigation
dans la Méditerranée , L. H. P. promettent , à
la requête doſdits reſpectables Etats-Unis de l'Amérique
, de ſeconder ces négociations de la manière
la plus affectionnée par le moyen de leurs Confuls
réfidans auprès deſdits Roi , Empereur , ou Régences
. 24° . La liberté de navigation & de commerce
s'étendra à toutes fortes de marchandiſes , à l'exception
ſeulement de celles qui ſont diftinguées
ſous le nom de contrebande ou d'effets prohibés ;
& ſous cette dénomination de contrebande ou d'effets
prohibés , on ne comprendra que les muni
( 191 )
4
tions de guerre , ou armes , comme mortier , artillerie
avec ſes feux d'artifice & tout ce qui y appartient
; fufils , piſtolets , bombes , grenades ,
poudre à canon , ſalpêtre , ſoufre , mèches , balles ,
piques , épées , lances hallebardes , caſques , cuiraffes
, & autres fortes d'inftrumens de guerre ,
comme aufli des ſoldats , des chevaux , felles , &
harnois complets. Tous les autres effets & marchandiſes
qui ne ſont pas ſpécifiés ici expreffément ,
même toutes fortes de matériaux de conſtruction
navale, de telle eſpèce que ce ſoit , pour bâtir ou
équiper des vaiſſeaux de guerre , ou pour faire l'un
ou l'autre inſtrument de guerre , pour cau ou pour
terre , ne feront & ne pourront être , ni ſuivant la
lettre ni d'après telle interprétation que ce ſoit ,
compris ſous la dénomination d'effets prohibés ou
de contrebande : de ſorte que tous les effets , denrées
& marchandiſes, qui ne ſont pas expreffément
déſignés ici , pourront , ſans aucune différence ,
être tranſportés & conduits en toute liberté , par
les ſujets habitans des deux confédérés des places
ou aux places , appartenantes à l'ennemi , n'exceptant
que telles Villes ou Places qui font alors affiégées
, bioquées , ou inveſties , par leſquelles on
entend ſeulement celles qui font inveſties de près
par l'une des Puiſſances belligérantes
( La fin l'ordinaire prochain. )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 12 Octobre.
On commence à avoir de l'inquiétude ſur le Buf
falo , que le Lord Howe a expédié avec un duplicata
de ſes dépêches , & l'on craint qu'il n'ait été
pris par les vaiſſeaux François ſortis de Breſt à la fin
d'Octobre. - On s'attend à voir paroître à chaque
inſtant l'Amiral Howe à Plymouth.
Le bruit court que le Général Dalling s'embarquera
bientôt pour les Ifles , avec un corps confidérable
de troupes , & qu'il ſera accompagné de 12
vaiſſeaux de ligne. On diſpoſe tout à Portsmouth
pour approvifionner ces vaiſſeaux dès qu'ils y arri.
J
(192 )
veront ;&ils partiront , dit-on , ſous le commandement
du contre Amiral Hood , peu de tems après
la rentrée du Lord Howe. - On travaille avec
la plus grande célérité à en équipper 12 autres.
Cependant on ne croit pas qu'ils foient prêts avant la
fin de l'année.-On aſſure qu'au printems prochain
nous attaquerons vigoureuſement les Iles Françoiſes
.
+
Le Lord Shelburne a trois projets , par leſquels
il prétend lever des hommes pour la Marine. Le premier
, c'eſt une milice navale; le ſecord , c'eſt un
changement partiel de la milice de terre actuelle ;
le troiſième , c'eſt de convertir 30 régimens d'infanterie
en ſoldats de marine. Le Lord Keppel a aſſuré
que l'Amirauté étoit en état d'avoir des vaiſſcaux
*auffi promptement qu'il procuroit des hommes ;
mais le Lord She burne lui a obſervé qu'après des
Stems auſſi orageux que ceux que nous avons eus ,
tous les charpentiers étoient employés à réparer ,
& que les vaiſſeaux neufs commencés reſtoient en
fouffrance.
Les Adminiſtrateurs de la Compagnie des Indes
`ont tenu une aſſemblée générale, dans laquelle il fut
décidé par une majorité de 353 voix , que M. Haftings,
Gouverneur da Bengale, n'étoit nullement l'auteur
de la guerre des Marattes,&que l'on révoque.
roit la réſolution où étoient les Directeurs de rappeller
ce Gouverneur.
Le Lord Cornwallis , qui va partir pour l'Inde ,
ſervoit à Minorque ſous leGéneral Blakeney en 1756,
lors de la priſe du fort St-Philippe par le Maréchal de
Richelieu . On n'a jamais révoqué en doute le courage
de ce Lord , & cependant il a toujours été malheureux
; il faut eſpérer que le ſort le traitera mieux en
Afie qu'en Europe& qu'en Amérique.
Ungrand nombre de Membres du Parlement ſont
déja arrivés en cette Ville , & ils ont tenu des affemblées
particulières pour ſe préparer à l'ouverture de
la Seffion.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 30 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE à M. GESNER , Auteur du
Poëme de la Mort d'Abel .
PERMETTEZ , Monfieur , à un inconnu de
vous témoigner le plaiſir que vous lui avez
: fait; comme vous il aime la Peinture & la
Poëfie , comme vous il cultive l'une& l'autre ,
ſans eſpoir d'atteindre jamais à la réputation
que vous avez ſi juſtement méritée; mais il
peut du moins vous donner une preuve de la
reconnoiffance que tout homme ſenſiblevous
doit , après la lecture de la Mort d'Abel. Au
furplus , mes amis auront le bonheur de vous
voir , & je m'en remets à eux du ſoin de vous
la prouver mieux que moi :
Vous qui , dans un genre nouveau,
Enchantez l'Europe attendrie ;
Nº. 48 , 30 Novembre 1782. I
194
MERCURE
t
Vous , dont la douce Poësie ,
Du monde , à peine hors du berceau ,
Nous peint l'innocence chérie ;
J'admire vos tableaux divers
Du bonheur de nos premiers pères ,
Et de leur faute , & des misères
Qu'elle attira ſur l'Univers.
Gefner , recevez mon hommage ,
Et daignez ſourire à ces vers ,
Feu dignes de votre ſuffrage.
Mes amis feront le chemin ;
Mais mon coeur ſera du voyage.
Je vous écris de ce jardin
Appelé jardin de l'Infante ,
Près du donjon d'où Médicis ,
Au carnage animant ſon fils ,
Contemploit la ſcène ſanglante
Qui déshonora mon pays.
Ah! fi cette femme cruelle
Eût lû votre Ouvrage enchanteur !
Jamais , abuſant d'un faux zèle ,
D'un peuple innocent & fidèle ,
Elle n'eût comblé le malheur.
Mais vit-on jamais les Furies
Aimer les accens des Neuf-Soeurs ?
: Vit-on jamais leurs mains impies
Quitter les ferpens pour des fleurs
LaiſſonsMégère & ſes fureurs.
DE FRANCE. اور
Grâce à l'auguſte Poësie ,
Aujourd'hui la France adoucie ,
Jouiſſant d'un heureux deſtin ,
Ne craint plus un pareil orage ;
Et fi le peuple eſt plus humain ,
C'eſt ſans doute un peu votre ouvrage.
1
Oui , Monfieur , les Lettres & les Arts , que
vous honorez par vos talens & par votre
caractère , ne pouvant rendre les hommes
meilleurs , ont détruir doucement les pafſions
violentes , en les occupant d'objets
agréables , & c'étoit peut- être le ſeul remède
que l'on pouvoit apporter à leurs maux.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
FRANÇOIS , Peintre.
COUPLETS à Mme la Princeffe DE R. ,
au premier voyage qu'elle fit à Dourdan ,
chez M. le Marquis de Verteillac , fon
père.
AIR : Du Serein.
Au ſein d'une aimable famille ,
Liſe , goûtez le vrai bonheur.
Heureuſe épouſe , heureuſe fille ,
Ces noms ſont faits pour votre coeur.
Des bras du père le plus tendre ,
Volez dans ceux de votre époux ,
:
Iil
196 MERCURE
Ils ont tous deux droit de prérendre
Au plaifir d'être aimés de vous.
En aimant , que l'âme eſt ravie !
Quel bonheur de ſavoir charmer !
Mais le plus grand bien de la vie
Eſt d'aimer ce qu'on doit aimer.
Dans ces lieux tout vous intéreſſe ,
Tout prévient juſqu'à vos deſirs ;
C'eſt le devoir & la tendreſſe
Qui vous préſentent des plaifirs.
QUAND le temps fera diſparoître
Les Jeux , les Ris & leur ſaiſon ,
Parmi vous on verra renaître
Le beau fiècle d'Anacreon .
१.
Ah! combien d'époux dont la flamme
Ne tient qu'au moment de l'erreur !
Le vêtre trouve dans votre âme,
Et ſa conſtance & fon bonheur.
LORSQU'AU déclin de la lumière
On voit les aftres de la nuit
Commencer leur douce carrière ,
Le filence ſuccède au bruit.
C'eſt ainſi que la paix couronne
L'âge de deux époux amans ;
Et ſouvent les fruits de l'automne
Valent bien les fleurs du printems.
:
(ParM. M. C. D. S. P. , à Dour dan. )
DE FRANCE
197
VERS pour le Portrait de Mlle D*. L*.
८ QUAND UAND Ce Portrait feroit flatté,
L'original auroit droit de ſe plaindre :
Il ne rendroit que fa beauté ;
Et c'eſt ſon coeur qu'il auroit fallu peindre.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précedent.
LEmor de l'énigme eſt Chandelle ; celui
du Logogryphe eſt Humanité , où se trouvent
mat , unité , vanité, Huё.
ENIGME.
SUr la boiſſon bien que je fois fort ſage ,
Sur tous les murs je cherche des appuis ;
Et fans être Hiftrion , je puis
Repréſenter un perſonnage.
Quoiqu'innocente , en tous lieux on me pend,
Tant eſt grande envers moi l'injustice de l'homme !
Veux-tul, Lecteur , quelque trait plus frappant ,
Jene ſuisjamais propre à moins qu'on ne m'affomme.
(Par un Officier aux Gardes Françoises.)
I iij
198 MERCURE
DE
LOGOGRYPHE.
quatrepieds , Lecteur ,mon nom est compofé,
Je ſuis un fruit afſſez priſé;
Mais je n'atteins monmérite ſuprême
Qu'au moyen d'une qualité ,
Qui ſe nomme & s'écrit tout ainſi que moi-même ,
:
Sans la moindre diſparité.
(Par M. N.... d'Arras.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ZARINE , Reine des Scythes , Tragédie ,
par M. Legrand. A Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur-Libraire , rue Saint Severin.
1782.
CETTE Tragédie n'a pas vu le grand jour
de la repréſentation , & nous ignorons les
motifs qui ont engagé l'Auteur à ne pas l'y
hafarder. Il eſt difficile , ſans doute , de prédirequel
fortune Pièce doit avoir auThéâtre.
Plus on apprend à s'y connoître , plus on
ſent combien il eſt facile de s'y tromper.
Mais autant qu'il eſt poffible de prononcer
fur un fait auſſi incertain , nous ofons croire
que , moyennant quelques changemens
que nous defirerions ,& qui coûteroient peu
de travail à l'Auteur , la Tragédie de Zarine
DE FRANCE.
199
pourroit ſubir avec ſuccès cette grande épreuve.
Le ſtyle en eſt dramatique ; il a du mouvement&
de la vérité ;& le plan , à un Acte
près , nous a paru bien tracé. Après en avoir
préſenté une analyſe qui mettra les Lecteurs
à portée de prononcer & fur le ſtyle & fur
la conduite de cet Ouvrage , nous parlerons
des améliorations dont nous croyons qu'elle
auroit beſoin pour réuſſir au Théâtre .
Ciaxare a ufurpé le Trône de Médie. Il a
élevé à ſa Cour Striangée , fils du Monarque
détrôné ; & pour légitimer ſon ufurpation ,
il lui propoſe la main de ſa fille. Le Prince ,
contentde recouvrer ſa couronne , ſans répandre
le fang de ſes ſujets, ſouſcrit à cet
hyménée ; mais au moment où l'on eſt prêt
à le célébrer , on vient annoncer les approches
d'une armée de Scythes ; & Striangée ſe
met à la tête des Mèdes pour aller combattre.
Le Chef des ennemis s'attache à lui dans
la mêlée. Après un combat vaillamment foutenu
, il ſuccombe ſous les coups de Striangée
; & fon caſque tombé laiſſe voir aux
yeux du Prince , non la colère d'un ennemi
farouche , mais les traits d'une beauté charmante
; c'étoit la Reine Zarine , dont les
charmes portèrent dans ſon coeur un ſentiment
auſſi vif qu'imprévu. Déſolé de ſa victoire
, plus bleſſé que ſa captive , il la relève ,
ſigne la paix fur le champ de bataille , & la
ramène chez elle , en lui offrant ſa fortune
& fon coeur. Telle eſt l'expoſition que l'Aureur
met dans la bouche de Striangée lui
I iv
200 MERCURE
même. Zarine paroît , elle remercie le Prince
de ce que ſes bienfaisantes mains ont remis
leur captive au rang des Souverains. Qu'entends-
je , s'écrie Striangée ,
Vous captive ! ô ciel ! qu'oſez- vous dire ?
Ouvrez les yeux , Madame , & voyez cet Empire ;
Il retentit au loin du bruit de vos haus faits ;
De riches monumens conſacrent vos bienfaits ;
Plus terrible &plus fier , le Scythe eſt moins ſauvage;
Ainfi que ſon bonheur , ſa gloire eft votre ouvrage;
Vous avez ſu fixer dans ces affreux climats ,
Des vertus qu'avant vous on n'y connoiſſoit pas;
Votre main à Thémis a dreffé plus d'un temple ;
Tout obéi : aux loix , & vous donnez l'exemple ;
Le Scythe aux Immortels ne demande plus rien ;
Vous avez un ami dans chaque Citoyen ;
Par vous les Arts ici trouvent des bras dociles ;
Des hameaux inconnus ſe transforment en villes ;
Sur les monts efcarpés , dans le creux des vallons ,
Le ſoc ouvre la terre en de larges fillons,
Les monftres , les brigands , dans des pièges ſuccombent
;
Sous des coups redoublés d'immenſes forêts tombent ;
Etle vaſte Océan , docile à votre voix ,
S'énorgueillit déjà des dépouilles des bois.
Et cette même Reine , à qui tout rend hommage ,
Ofe d'une captive emprunter le langage!
Si ce langage , ô ciel! convient à l'un de nous ,
Yous le ſavez , Madame, il n'eſt pas fait pour vous.
DE FRANCE. iot
La Reine , en prefence de ſon Minitra
Pharnace , homme rigide , de la vertu la
plus auſtère , n'oſe répondre à ſon amour.
Striangée fait ſes adieux , part , & la Reine
tombe dans un fauteuil avec tous les fignes
du deſeſpoir. Pharnace parle à la Reine avec
fermeté , même avec rigueur. La Reine , qui
connoît fa vertu , lui dit qu'elle ne fuſpecte
point ſa franchiſe; mais, ajoute t'elle :
Mais traitez votre Reine avec moins de rigueur ;
Calmez-vous , & fongez .....
1.
PHARNACE.
Je fonge à votre gloire ,
Madame..Quoi! déjà vous perdez la mémoire
De la haine qui règne entre le Mède & nous ?
Vous voyez fans colère un Mède à vos genoux !
Rappelez - vous ce jour fatal à ma Patrie ,
Où Marmarès , ce Roi fi cher à la Scythie
Dans les bras de ſon peuple , au milieu d'un feſtin ,
Expira ſous les coups d'un indigne afſaſſin.
Eh bien , ce Marmarès , il étoit votre père ;
Son lâche meurtrier , ce mortel ſanguinaire ,
Étoit Mède; &, tout prêt à ſubir le trépas ,
Il dit que Ciaxare avoit armé ſon bras ;
Et le fer qui ſervit bientôt à ſon ſupplice ,
Pour punir quelque jour ſon odieux complice ,
Fut déposé ſanglant dans le temple des Dieux :
On l'y conſerve encor loin des profanes yeux.
Sur ce fer dont s'arma cette main criminelle ,
L
?
CT
Iv
202 MERCURE
Jurons à la Médie une haine éternelle,
S'écria votre peuple ; & fi quelqu'un de nous,
Oubliant le ferment que nous prononçons tous ,
Se réconcilioit avec ce peuple impie ,
Par une prompte mort que ſon crime s'expie;
Et de ce même fer teint d'un ſang précieux ,
Que le coeur de l'ingrat ſoit percé ſous nos yeux.
Dans le refte de la Scène , Pharnace étale
toute la fermeté de fon caractère , & Zarine
toute la dignité d'une Reine. Elle fort avec
fa Confidente , en lui difant :
Immolons mon repos , mais ménageons magloire.
Acte II. La Reine , tourmentée par fon
amour, attend le retour d'Éliſe , qu'elle a
envoyée vers Striangée. Éliſe revient, chargée
de nouveaux adieux du Prince , qui va
s'embarquer. Zarine s'écrie :
Ilm'aime !
ÉLISE.
Mais il part. :
ZARINE.
Tu déchires mon âme.
ÉLISE.
Pour la dernière fois vous l'avez vu , Madame.
ZARINE.
Il m'abandonneroit ! Éliſe , que dis- tu ?
Dieux ! je ſens à ce mot chanceller ma vertu;
DE FRANCE.
203
Ace coup imprévu tout mon courage cède.....
Tu pleures , malheureuſe ! & pour qui ? pour un
Mède !
Un Mède obtient les pleurs que je verſe en ce jour !
Scythes , puniffez-moi de mon fatal amour ;
Il offenſe les loix , outrage la Patrie.....
Mais il peut faire ſeul le bonheur de ma vie.
Éliſe , je m'égare , & mon corur combattu
Craint ſa foibleſſe , hélas ! autant que ſa vertu ;
Laiffe-moi te cacher les pleurs où je me noie ;
Vois ta Reine aux douleurs , au déſeſpoir en proie :
Il m'abandonneroit ! prends pitié de mon fort ;
Éliſe, ſondépart me cauſera la mort.
Il y a dans ces vers de la ſenſibilité , le
déſordre d'une véritable paffion .
Phradate , arrivant avec précipitation ,
préſente à la Reine une lettre que Ciaxare
vient d'écrire à Striangée. Elle eft conçue en
ces termes:
CIAXARE , à Striangée.
Tu connois Ciaxare, & tu peux l'outrager !
Étouffe dans ton ſein ta flamme criminelle ;
Zarine va périr , tu péris avec elle ;
Par le fer & le feu , je vole me venger.
Ce billet réveille toute la ſenſibilité de Zarine
, qui croit déjà voir le Prince ſous le
fer de Ciaxare. La Reine cède à l'amante , &
elle fait rappeler Striangée. Scène intéreſſante
entre les deux amans , interrompue par
I vj
204 MERCURE
l'arrivée du ſévère Pharnace , qui , n'ayant
pu vaincre la réſolution de la Reine , la
quitte en lui annonçant qu'il court en informer
le Sénat.
Acte III. On vient annoncer à Zarine que
le Sénat a prononcé le départ de Striangee ;
mais il faut que cet ordre ſoir ſigné par la
Reine. A ces mots Zarine s'écrie :
De ine le propoſer , quel Scythe auroit l'audace ?
TRASIMENE.
Un Scythe s'eft chargé de ce ſoin .
ZARIN. 1.
Qui ?
TRASIMENE.
Pharnace.
ZARINE.
A l'obtenir de moi s'eſt-il donc attendu ,
Le perfide ?
TRASIMENE.
Madame il en a répondu.
Cette nouvelle audace de Pharnace étonne
la Reine. Elle combat long temps entre fon
amour & fon devoir ; & auſſi- tôt revient
Striangée , qui paroît au comble de ſes
voeux , parce qu'il ignore l'arrêt du Sénar.
Zarine eſt forcée de le lui révéler , & le
Prince fort furieux contre les Sénateurs.Le
hardi Pharnace arrive avec l'ordre fatal qu'il
vient préſenter à la Reine. On voit que cette
DEFRANCE 205
1
démarche eſt très dramatique. Zarine le menace
de toute ſon indignation ; Pharnace
offre toujours ſa tête , & demeure inébranlable.
Et toi , s'écrie til ,
Et toi , l'aurois -tu cru , Marmarès , ô mon maître !
Que celle que le ciel de ton ſang a fait naître ,
Que Zarine , ta fille , eût choiſi dans cejour
Un Mède pour l'objet de ſon fatal amour ?
Un Mède t'arracha le jour& la couronne ,
Un Mède va s'aſſeoir peut-être ſur ton trône ,
Et foulant à ſes pieds la cendre de mon Roi ,
Exigera des voeux qui ne font que pour toi.
Si du ſein du tombeau tu peux te faire entendre ,.
Parle au coeur de ta fille ; un ſentiment trop tendre
Apénétré ce coeur déchiré , combattu ;
Rends-lui ſes moeurs , rends-lui ſon auſtère vertu.
Combattre ſon amour à ſes yeux eſt un crime ;
De mon affection je ſerai la victime ;
Je le ſens , & ne puis cacher la vérité.
Si la mort eſt le prix de ma ſincérité ,
Qu'importe ? quelques ans d'une vie incertaine
D'être encor ménagés valent- ils donc la peine ?
Pour entrer au tombeau , je n'ai qu'à faire un pas.
Que font à l'Univers ma vie ou mon trépas ?
Le ciel au rang des Rois a-t'il daignée m'infcrire ?
A-t'il lié mon fort à celui d'un Empire ?
Ai-je un peuple à ſauver ? un nom à ſoutenir ?
Pour qui n'eſt rien , Madame , il n'eſt point d'avenir.
Enfin Pharnace parvient à ébranler la réfo->
)
206 MERCURE
lution de Zarine , qui ne ſe rend pas entièrement
, mais qui demande un moment pour
délibérer .
Acte IV. C'eſt Ciaxare lui-même qui ouvre
cer Acte; il eſt arrivé ſecrètement juſques
dans le palais de Zarine , tandis que
ſon armée s'avance vers les murs. Il veut
gagner Striangée par la douceur , finon il
l'appelle au combat , & il a tout diſpoſé
pour qu'on ſe ſaiſiſſe de lui. Arrive Striangée.
Reproches de la part de Ciaxare , réfiftance
de la part du Prince. Ciaxare fort en
diſant qu'il court au champ de Mars. Pharnace
entre précipitamment avec la Reine;
ils ſont ſuivis du peuple&des foldats. Pharnace
annonce à Zarine que Ciaxare eſt dans
les murs mêmes. Striangée, animé par l'amour
& par la gloire , dit aux Scythes de le ſuivre ;
mais l'inflexible Pharnace lui répond :
Vous ſuivre ? Nous, Seigneur ! Ah ! pouvez-vous le
croire ?
Le Scythe à l'étranger confiroit-il ſa gloire ?
S'il faut mourir ou vaincre , a-t'on beſoin de vous ?
STRIANGÉE.
C'en eſt trop ! tant d'orgueil excite mon courroux.
Peuples , déſavouez un refus qui m'outrage.
Je ſuis digne de vous , mon titre eſt mon courage :
Quand vous ayant vaincusje vous offris la paix ,
Vous ne tougîtes pas d'accepter mes bienfaits.
PHARNACF .
Celui que la victoire a rendu notre maître......
DE FRANCE.
207
۱۰
STRIANGÉE , ( l'interrompant. )
Decommander au Scythe eſt digne encor , peut- être.
Pharnace , après avoir déployé fon éloquence
hardie , fait apporter le glaive qui a
tranché les jours de Marmarès , & le préſente
à la Reine , en lui rappelant ſes ſermens.
Mais Striangée jure ſur cette même
épée de répandre le ſang du Tyran ; il l'arrache
des mains de Pharnace , & entraîne
le peuple & les ſoldats après lui. Le ferment
& l'action de Striangée nous paroiffent d'un
effet bien théâtral.
Acte V. Ciaxare arrive vainqueur. Zarine
paroît devant lui; & Ciaxare propoſe de renoncer
à ſa victoire , fi Zarine , ſacrifiant
fon amour , veut ramener Striangée vers la
fille du Tyran. Mais la Reine , qui ne peut
pas croire aux promeſſes de Ciaxare, réſiſte à
ſes offres. Il fait venir Striangée , qui oppoſe
la même conftance. Arbate vient annoncer
que tout eſt prêt pour le ſupplice du Prince ,
mais que le Soldat murmure. Ciaxare irrité ,
ordonne qu'on retienne la Reine , & qu'on
traîne Striangée à la mort. Il fort avec Arbate;
& la Reine , reſtée ſeule avec Sayde ,
eſt réduite à déplorer le fort de Striangée ,
ſans pouvoir y mettre le moindre obſtacle.
Éliſe vient lui annoncer qu'elle l'a vu
marcher à la mort ; Zarine s'abandonne
au déſeſpoir ; & s'emportant contre Élife ,
qui l'exhorte à ſupporter ſes malheurs , elle
lui dit :
203 MERCURE
Ame foible , tu crains de voir mourir Zarine.2
Quand ce fer dans ma main te fait frémir d'horreur ,
La honte qui m'attend ne te fait point de peur ?
Sors d'ici , je le veux..... porte ailleurs tes alarmes ,
Fuis , & dérobe-moi la honte de tes larmes.
( Élife s'éloigne.)
Et vous , Dieux immortels! vous , qui du haut dest
cieux
Guidiez depuis mille ans nos bras victorieux ;
Vous , l'eſpoir , le ſoutien , l'amour de mes ancêtres !
La Reine de Scythie a donc connu des maîtres !
Par quel crime ai-je pu mériter ce courroux ?
Dieux vengeurs ! j'ai tout fait pour la gloire & pour
vousi
Voyez ces froids déſerts que j'ai rendus fertiles ,
Tous ces mortels errans raſſemblés dans des villes ,
Ces peuples inconnus , donnant par leurs exploits
Ades peuples voiſins leurs vertus & leurs loix ,
Et fameux dans la paix , & faineux dans la guerre ,
Nommés par-tout l'exemple & l'effroi de la terre ;
Moi ſeule , je les ai raſſemblés , policés ,
Rendus fages , heureux..... & vous m'en puniſſez.
Comme elle eſt prête à ſe frapper , Phra
date vient annoncer que Pharnace a vengé ſa
Reine , qu'il a délivré Striangée ,& fait périr
le Tyran .
Tel eſt le plan de cette Tragédie . On a
pu voir que le ſtyle , qui pourroit quelquefois
avoir plus de correction , eſt dramatic
L
)
DE FRANCE.
209
que & plein de vérité. Une très courte difcuſlion,
en relevant quelques defauts , furtout
au quatrième Acte , va prouver qu'avec
quelques changemens très faciles , cet Ouvrage
pourroit fort bien être mis au Théâtre.
Nous croyons que l'Auteur devroit ſupprimer
le billet que Ciaxare écrit à Striangée;
car enfin , quel eſt l'effet qu'il veut produire
par ce moyen ? Il a voulu donner à
Zarine un motif pour retenir Striangée ; &
ila cru , avec raiſon , que le danger du
Prince étoit une raiſon ſuffiſante. Mais ce billet
eſt- il bien réfléchi , bien motivé ? Com
me il eſt fort court , on nous pardonnera de
le tranſcrire encore ici :
CIAXARE , à Striangée.
Tu connois Ciaxare , & tu peux l'outrager !
Étouffe dans ton ſein ta flamme criminelle ;
Zarine va périr , tu péris avec elle ;
Far le fer & le feu je vole me venger.
Il ne faut pas ſeulement que ce billet produiſe
l'effet dont l'Auteur a beſoin , il faut
encore que Ciaxare ait un motif pour l'écrire.
Or , quel eſt le deſſein de Ciaxare ? de
venir ſurprendre les deux amans. Ce billet
qui les avertit , eſt donc une mal adreſſe
une démarche contraire à ſon projet. Il ſeroit
bien plus naturel , & l'effet feroit toujours
le même , de faire avertir la Reine
qu'on fait que Ciaxare s'eſt mis en marche
pour venir fevenger de la Reine & de Strian
210 MERCURE
gée. Alors les craintes de Zarine ſeroient
également fondées à l'égard du Prince ; elle
auroit le même motif pour le retenir ; & la
vraiſemblance ſeroit parfaitement confervée.
On voit que ce changement , qui nous
paroît néceſſaire , ne coûteroit aucun travail
àM. le Grand.
Mais ce qu'il faut fur-tout changer , c'eſt
une partie du quatrième Acte. L'arrivée de
Ciaxare dans le palais de Zarine , eſt invraifemblable
, & ne produit rien. Un ſeul de
ces deux motifs ſuffiroit pour la faire condamner.
Quelle eſt la ſituation de Ciaxare ?
Profcrit par les Scythes, il va dans leurs
États; afſaſſin du père de Zarine , il va ſe
mettre en leur pouvoir. Nous voyons nombre
de motifs qui devoient l'en empêcher ;
nous n'en voyons pas un qui ait pu l'y engager.
Car enfin , que vient il faire là ? Il a
une Scène avec Striangée , qu'il provoque
au combat. Eh ! comment Striangée ne lui
répond t'il pas en le faiſant arrêter ? Ciaxare
eſt un ufurpateur , un tyran , un affaffin.
Qu'a- t'il à réclamer en ſa faveur ? Mais cette
tache eſt elle bien facile à enlever ? Oui
fans doute , puiſque la Scène où ſe montre
Ciaxare peut être ſupprimée ſans aucun changement.
Le Spectateur n'a pas beſoin de voir
le tyran , pour apprendre qu'il eſt arrivé ; il
lui fuffit d'entendre ce que dit Pharnace un
moment après :
Juſques dans vos États un Tyran vous menace;
Le traître eſt dans nos murs .
,
DE FRANCE. 211
:
ZARINE.
Ciaxare ! grands Dieux!
Voilà tout ce qu'il eſt néceſſaire de ſavoir ,
&l'Acte pourroit commencer par- là. Il reſte
encore une grande objection contre ce qui
fuit. Dès qu'on apprend que Ciaxare eft
dans les murs , les Mèdes , Zarine , tout doit
courir aux armes. Mais voilà que Pharnace
s'oppoſe à ce qu'on ſuive Striangée au combat,
& femet à renouveler ſes proteſtations
contre l'amour de la Reine. Cet incident ſe
prolonge, & le Spectateur , qui eſt toujours
prêt à répéter : Ciaxare eft dans les murs ,
doit s'impatienter de ce qu'il voit & de ce
qu'il entend. Cependant , Pharnace ne s'arrête
point. Il appelle le Grand- Prêtre , qui
arrive , ſuivi de deux autres Prêtres , dont
l'un porte l'épée qui a répandu le ſang de
Marmarès , & l'autre le fourreau , & il préſente
ce fer à Zarine. Qu'arrive-t'il ? C'eſt
que ſon éloquence & fon action ſe trouvant
contraires à la ſituation , il a l'air de montrer
plus de taquinerie que de fermeté , & que
cette épée laiſſepreſque voir du charlatanifme
, où l'on ne doit trouver que de la grandeur.
Les beautés les plus fublimes manqueroient
içi leur effet , parce que ce n'eſt pas
là ce qu'attend le Spectateur , parce que
Ciaxare eft dans les murs. Si l'Auteur vouloit
conferver ce tableau , il faudroit que
la nouvelle fût moins préciſe; qu'on vint
annoncer , non pas l'arrivée , mais les ape
:
212 MERCURE
proches de Ciaxare ; enfin , qu'on ne mît pas
le Spectateur dans la néceſſité de dire aux
Acteurs : partez; vous n'avez rien à dire , &
nous ne voulons rien entendre..
Telles font les objections que nous a fait
naître la lecture de cette Tragédie ; & telles
font les améliorations qui nous paroiffent
ſuffiſantes pour la faire defirer au Théâtre
François. Il faudroit auſſi qu'au dénouement.
la générofité de Pharnace envers Striangée,
eût un plus fort motif; ſans quoi , ſon caractère
, qui eſt bien prononcé , paroîtroit ſe
démentir à la fin. Nous ſouhaitons que l'Auteur
veuille mettre une dernière main à cet
Ouvrage ; nous avons bien moins de confiance
en nos obſervations qu'en ſon talent ; mais
les idées qu'une courte réflexion nous a inf
pirées pour la perfection de cette Tragédie ,
feront toujours utiles à M. le Grand; elles
ſerviront à lui prouver combien il lui fera
facile de trouver mieux.
(Cet Article eſi de M. Imbert. )
De la Nature & de l'Homme , Pièce qui a
été lûe. dans une Séance de l'Académie.
Françoise ,& qui a' concouru pour le Prix
de 72 , par M. le Chevalier de Rivarol.
In armis atque Poesi. A Paris , chez les
Libraires qui vendent les Nouveautés
On a déjà remarqué , avec raiſon , que ce
titre promet beaucoup plus que l'Auteur ne
:
)
DE FRANCE. 213
pouvoit tenir dans une Pièce de vers Academique.
En effet, lanature & l'homme ſontde
grands mots quiréveillent de grandes idées,&
qui ſemblent exiger un grand ouvrage . Magnum
opus argumentum ingens. Onpeut donc
ne confiderer la Pièce de concours de M. le
Chevalier de Rivarol , que comme le fragment
d'un Poëme fur la Nature , & on y
remarquera pluſieurs morceaux qui amnoncent
que l'Aureur eft appelé à faire parler
la philoſophie le langage de la poéfie. On en
va juger par quelques citations . I
-Qui me dévoilera les ſources de mon être?
Inquiet , incertain , je cherche à me connoître.
Qui m'a créé , qui ſuis-je , & pourquoi ſuis-je enfin ?
I
[
Je ne trouve dans moi ni principe ni fin.
Acôté du poiſon germe le pur froment :
Le même pré nourrit l'agneau , l'affreux ſerpent. )
Ici , les vils chardons croiſſent parmi lestrofes. A
L'homme voit les effets ſans connoître les cauſes.
Il eſt environné d'une profonde nuit :
Aquelques vérités ſa raiſon le conduit.
• :
La vertu plaît à l'un , & l'autre ſuit le vice;
L'un eſt ami de tous ſans feinte & fans caprice ;
Miſantrope odieux , l'autre hait les humains.
Si nous ſommes ,grand Dieu , l'ouvrage de tes mains,
Citoyenne des cieux , ſi l'âme eft immortelle ,
3
>
214
MERCURE
Dans chaque individu pourquoi diffère -t'elle ?
D'où vient ce grand contraſte , un Titus , un Néron ,
Un Achille , un Therſite , un Voltaire , un F..... ?
Nous continuons de citer à bâtons rompus,
& fans ſuite , afin d'offrir à nos Lecteurs
tout ce qu'il y a de mieux écrit & de
mieux penſé dans la Pièce de M. le Chevalier
de Rivarol.
De l'empire des mers puiſſantes Souveraines ,
Pour afſouvir leur faim les énormes baleines
Dépeuplent l'Océan qui ſe peuple toujours.
Ce dernier vers eſt d'une heureuſe précifion.
Les quatre ſuivans ne ſont pas moins
beaux.
Hélas ! j'ai vu ſouventſuſpendu dans les cieux
Le perfide épervier , à la ferre cruelle ,
S'élancer comme un trait , emporter Philomèle ,
Qui , près de ſes petits, dans la nuit , dans le jour ,
Attendriſſoit les bois de ſa plainte d'amour.
On voit qu'à l'exemple de Pope , qu'il
a ſouvent imité , M. le Chevalier de Rivarol
cherche à s'élever aux fublimes ſpéculations
de la philofophie. On ne peut que l'en applaudir.
Un Auteur toujours ſérieux eſt
moins fatiguant peut - être que ces eſprits
toujours femillans qui ne doivent leur légèreté
qu'à leur indigence ; mais en mêmetemps
il doit prendre garde de tomber dans
ce jargon vague,métaphysiquement & triſte
DE FRANCE. 215
mentmonotone, qui eſt l'écueil où vont prefque
toujours échouer ceux qui ſe piquent
d'être des Poëtes penſeurs. On trouve dans ſa
Pièce pluſieurs vers de ce genre .
Je vois l'homme mourir & renaître en tout lieu.
Toutfera ce quifut , tout pafſfe & rien ne change.
Lepuffé, l'avenir vivent dans le préfent.
Des êtres animés , la chaîne universelle
Nes'uſe point : letemps , dansſa marche éternelle ,
Nepeut d'un ſeul atôme affoiblir le reffort.
Tout meurt ; mais l'Univers ne connoît point la mort.
Plus le ſujet qu'on traite eſt ſérieux , plus
il faut y répandre des agrémens. Les Anglois
traitent trop gravement leurs graves ſujets.
Ne ſuivons pas leurs traces en cela. Voyez
comment Voltaire a imité Pope dans ſes
Épîtres Philoſophiques. Voilà le modèle
qu'il faut prendre. On fuira toujours ces
Auteurs fombres & mélancoliques ,
Qui , dans leur fombre humeur, ſe croiroient faire
affront,
Si les Grâces jamais leur déridoient le front.
1
216 MERCURE
ACADÉMIE.
SÉANCE de l'Académie Royale des
Sciences de Paris, tenue à la rentrée de
l'Académie, le Mercredi 13 de ce mois.
>
M: DE CONDORCET , Secrétaire perpétuel , a
ouvert la Séance par la lecture du Programme où
l'Académie rend compre de la diſtribution des Prix.
Nous rapporterons ce Programme à la fin de cer
article. Le Prix ſur la formation du ſalpêtre a été
remporté par M. Thouvenel. Ce fuccès , glorieux
dans tous les temps , doit flatter fur- tout M. Thouvenel
au moment où l'affaire de Bléton n'eſt pas
encore oubliée. Il r'eſt pas rare de trouver des impoſteurs
, mais il l'eſt beaucoup de faire de belles
découvertes; & le même eſprit qui nous fait chercher
le fecret de la Nature avec une curiofité ardente
& inquière, nous diſpoſe ſouvent à être dupes
d'un fripon. Une philoſophie médiocre ſuffit pour
rendre incrédule ; mais le génie philofophique eft
ſouvent prêt à être ſuperſtitieux ; il a beſoin de
merveilles qui puiffent l'étonner , & le cours ordinaire
de la Nature ſemble n'avoir pas affez de prodiges
pour lui. Cette diſpoſition ſans doute eft dangereuſe
, & on doit lui préférer celle du génie de
Newton , qui étoit affez étonné de voir tomber des
pommes d'une branche pour trouver dans une choſe
fi familière le germe du ſyſtême du monde ; mais
elle a ſes avantages qu'on ne peut conteſter , &
l'on ne ſauroit répéter trop ſouvent que c'eſt en
cherchant le ſecret de faire de l'or qu'on a créé la
chimie. M. Thouvenel , par des découvertes réelles ,
acquiert le droit d'attirer l'attention réfléchie des Savans
DEFRANCE. 217
vans ſur les choſes les plus extraordinaires ; malgré
tous nos progrès , la Nature eſt encore affez inconnue
pour être ſouvent incroyable. Dans l'Hiftoire
de Mlle Thétar, Fontenelle fut le moins prompe
à crier à l'impoſture : étoit-il le moins philoſophe ?
On dit que M. Thouvenel cherche le ſecret de
Meſmer ; croire à Meſmer & à Bléton, c'eſt beaucoup
à-la-fois; mais ceux qui , ſans connoître ni l'un ni
l'autre , décident que tous les deux ſont des impofteurs
, m'étonnent encore davantage ; & enfin , dans
un homme éclairé , dans un homme qui , comme
M. Thouvenel , a la ſagacité qui découvre des choſes
neuves dans l'hiſtoire de la nature, cette eſpèce de
crédulité ne peut paroître que l'audace du Philofophe.
M. Portal a lu un Mémoire fur les morts fubites
caufées par la rupture du ventricule gauche du
coeur. En raſſemblant des obſervations de ce genre,
on peut parvenir à connoître les ſymptômes qui annoncentunediſpoſition
même éloignée à ces accidens,
&M. Portal penſe qu'on pourroit alors les prévenir
ou les retarder par le régime & par des précautions.
M. le Monnier a lu un Mémoire fur les éclipſes
totales du Soleil; ces éclipſes ceſſent d'être totales
pour des lieux où elles devroient l'être encore ſuivant
les calculs , & fans qu'on puiſſe en accuſer l'erreur
des Tables d'après leſquelles on les a calculées ;
cette différence ne peut guères s'expliquer qu'en
ſuppoſant à la Lune un atmosphère.
M. de Milli a tracé le plan d'une nouvelle analyſe
végétale. Il ſe propoſe dans cette analyſe de
comparer entre eux les végétaux , non d'après les
produits de l'analyſe chimique ordinaire , mais
d'après ceux qu'ils donnent naturellement lorſqu'ils
fubiſſent ſucceſſivement les trois degrés de fermentation
dont ils ſont ſuſceptibles.
Dans les intervalles de la lecture de ces Mé
moires , M. le Marquis de Condorcet a lu trois
Éloges; celui de M. d'Anville , Géographe ; celui
Nº. 43 , 30 Novembre 1782 . K
213 MERCURE
de M. Tronchin , Docteur en Médecine , & celui de
M. de Montigny , qui a porté les lumières des
Sciences fur les Arts utiles , ſur l'Induſtrie & le
Commerce. Des talens & des mérites ſi divers ont
été appréciés & loa's avec le même ſuccès par M.
de Condorcet. C'eſt en écoutant des Eloges qui ſuppoſent
des connoiſſances ſi variées,qu'on feroit tenté
de croire que toutes les Sciences ſe réuniffent dans le
Secrétaire de l'Académie comme dans l'Académie
même. Nous ne voulons point dire que M. de
Condorcet poſsède la Géographie comme M. d'Anville
, la Médecine comme M. Tronchin , & les
procédés des Arts comme M. de Montigny. La
haine & l'envie ſuppoſeront peut- être que nous
l'avons dit ; car c'eſt une manière de détruire l'Eloge
que de l'exagérer. On fait trop que fi l'eſprit
'd'un homme peut être univerſel, ſes connoiſſances
ne peuvent pas l'être ; il pourroit tout ſavoir , mais
le temps lui manque pour tout apprendre ; & s'il eſt
doué d'autant de force que d'étendue , il aimera
mieux renfermer fes efforts dans un genre pour mériter
le premier de tous les titres , celui de créateur ,
d'Homme de génie ; mais à cette gloire l'eſprit philoſophique
peut en joindre une autre, Eclairé &
conduit par l'analyſe , qui eſt la même dans tous les
genres , parce qu'elle eſt l'unique inſtrument de
T'eſprit humain , quoiqu'il établiſſe & fixe ſon génie
dans une ſcience, il pourra parcourir & viſiter , pour
ainſi dire , toutes les autres ; ſaiſir dans chacune ſes
traits diftin tifs & caractériſtiques , ſes rapports
avec toutes les autres , les lumières qu'elle en reçoit
& qu'elle leur donne , l'étendue du bien qu'elle peut
faire aux hommes , & le degré de gloire que mérite
chacun de ceux qui la cultivent. C'est souvent dans
'Histoire Naturelle , diſoit Bacon , qu'on trouve une
vérité importantepour la Politique. En étendant ce
principe de Bacon , on pourroit croire que fi toutes
DE FRANCE. 219
1
F
b
les ſciences arrivoient jamais à la perfection où elles
peuvent atteindre , elles finiroient par ne plus former
toutes enſemble qu'une ſeule ſcience ; elles
feroient une comme la Nature , qui est également
P'objet de toutes .
M. d'Anville ſembloit être né Géographe comme
on naît , dit - on , Orateur & Poëte. Dans ſes claſſes
il traçoit des Sphères & des Cartes ; en lifant la vic
d'Alexandre , ce n'étoient pas les exploits , mais les
noms des lieux que parcouroit ce Héros qui intéreſfoientM.
d'Anville ; il ne voyoit & ne cherchoitdans
la victoire la plus éclatante que la ſituation du champ
debataille. Le morceau qu'onaparu le plus remarquer
dans ce Diſcours de M. de Condorcet , c'eſt le tableau
de toutes les recherches , de toutes les études qui forment
le grand Géographe. C'eſt dans des morceaux
de ce genre qu'on voit qu'un eſprit philofophique
peuttrès-bienconnoître les ſciences même qu'il nepofsède
pas , & qu'il peut y porter des vûes & des lumières
que ceux qui les poſsèdent le mieux font quelquefois
incapablesd'avoir.C'eſt comme les Amateursdans
lesArts , qui donnent ſouvent aux Artiſtes des idées
que le talentde les exécuter nedonnepas toujours.M.
d'Anville n'étoit devenu le premier des Géographes
que par un enthouſiaſme de cette ſcience qui la lui faifoit
mettre au premier rang des connoiſſances humaines.
Pendant so ans il a travaillé quinze heures
parjour. On ne fait pas de ſi grands efforts pour une
gloire qu'on eſtime médiocrement. Cela rappelle
L'opinion de M. Helvétius , qui ſoutient que chaque
homme eſt forcé par la Nature à croire que ſongenre
eſt le premier de tous , & qu'il eſt le premier de ſon
genre. Il resteune concluſion à tirer ſous peine d'être
mauvais raisonneur , c'eſt qu'on eſt le premier des
hommes; & M Helvétius , qui ne reculejamais dans
ſes opinions , aſſure que cette concluſion eſt le réfultat
de l'examen ſecret que chaque homme fait de
Κή
220 MERCURE.T
i
fonmérite. On ne fait pas ſi M. d'Anville alloit juſqu
cette conféquence , qui doit paroître un peu forte ;
mais d'après quelques anecdotes connues , on peut
croire que fon amour-propre raiſonnoit affez juſte,
Ces foibleffes , ces originalités de caractère aſſes
communes dans les Savans , & qui pourroient embarraffer
un Panégyriſte ordinaire , font les objets
fur leſquels M. de Condorcet montre le mieux la
fineſſede ſon eſprit & ſes vertus indulgentes ; il fair
que les Sciences ont, pour ainſi dire, leurs ridicules
comme la Société ; il les obſerve , il les peint, mais
il les fait fortir ou d'un excès de fimplicité dans le
caractère , ou d'une opinion qui a été la ſource des
plus grands talens ; & dans ſes diſcours , les bizarreries
des Savans naiſſent toujours ou du génie ou de
la vertu ; il couvre leurs fingularités du reſpect & de
la reconnoiſſance que méritent leurs lumières , bien
différent de ceux qui croient y trouver le droit d'injurier
les Sciences même.
L'Éloge d'un Médecin qui a eu de la célébrité,
devoit avoir plus d'intérêt que celui même du premier
des Geographes. La réputation des Médecins
n'eſt pas comme celle de la plupart des Savans , renfermée
dans le petit nombre de ceux qui cultivent
les Sciences. Elle ſé répand avec eux dans le monde ,
& leur vie y eſt ſi différente de celle des autres
hommes , qu'ils doivent en différer beaucoup par
le caractère . Il ſeroit bien mal-adroit & de bien
mauvais goût de vouloir renouveler aujourd'hui
contre eux les plaifanteries qui ont réuſſi dans Molière.
Ce n'est pas ſeulement parce qu'ils ne portent
plusune robe& qu'ils ne parlent plus latin, qu'on ne
les trouve plus ſemblables à ceux du Médecin malgré
lui & du Malade Imaginaire , c'eſt parce qu'à une
érudition où il n'y avoit de ſavant que les mots , ils
out ſubſtitué l'étude de la Nature,&que quelques-uns
d'entre-eux ont porté autant de génie dans l'obferDE
FRANCE. 221
1
vation du corps humain , que Molière dans celle du
coeur humain. Le nom de Sthal n'est peut-être pas
au-deſſous de celui de Molière , & ce ſeroit un grand
ridicule aujourd'hui de vouloir ſe moquer d'un Art
qui a produit les Sthal , les Tiffet & les Boerrhaave ;
mais le caractère des Médecins , qui a dû changer
avec les progrès de leur Art & ceux de la Société,
doit être toujours très- intéreſſant à peindre. Leurs
rapports avec les homines font formés par les deux
paſſions les plus univerſelles & les plus conftantes ,
celles qui produiſent les ſcènes les plus touchantes
&les plus terribles , l'amour de la vie , & la crainte
des douleurs & de la mort. On abandonne ſes jours
àleurs foinsfans être en état d'apprécier leur talent;
&la crainte ou la confiance qu'ils inſpirent, nées de
l'imagination , font extrêmes comme elles. On ne
jage pas les Médecins , on y croit ou on n'y croit
pas. On met fur leur compte toutes les révolutions
des maladies , on les bénit fi on eft foulagé ; on les
accuſe fi on ſouffre ; leur talent,auffi peu connu que
la Nature , paroît aufli mystérieux qu'elle. Dans
les autres Arts on fait bien ou mal ; dans celui-là
con fait des fottiſes ou des prodiges. Mille voix
oppoſées s'élèvent enſemble ſur leur mérite
J'on entend à-la- fois une mère qui leur doit les
jours d'un fils unique , & un amant paſſionné
dont ils ont tué la maîtreffe. Quel choc d'opinions
contraires ! Quelle admiration & quel mé-
-pris ! Que d'amour & d'antipathie ils doivent
inſpirer! Forces de vivre , d'exercer le plus difficile
de tous les Arts , d'établir & de maintenir au milieu
de toutes ces paſſions la foi qu'ils doivent infpirer
, les Médecins ſont plus obligés que les autres
hommes à avoir un caractère qui les diftingue &
qui leur donne la force de réſiſter à ce flux & re-
Aux des opinions publiques. Auſſi preſque tous en
Kuj
&
222 MERCURE
ent-ils un très-remarquable ; les uns , enveloppes
d'un filence impénétrable , reſtent mwets à toutes les
craintes & à toutes les eſpérances qui les interrogent;
ils ſemblent prendre la forme d'une ſtatue pouυζ
avoir l'air d'un oracle ; les autres , nés avec cette faci
Bité de parler qui , dans les choſes peu connues , eſt
une eſpèce d'éloquence , enchantent par leurs paroles
Jemalade qu'ils ne guériffent pas toujours par leurs
remèdes , &développent fi bien les cauſes & la marche
des maladies,que la Nature ſemble être ſoumiſe
aux loix qu'ils leur tracent. Tel eft leur empire fur
les eſprits,que dans ces momens même ſi fâcheux pour
leur réputation , où la mort a démenti les eſpérances
qu'on avoit dans leur art , ils font encore les
confolateurs d'une famille en larmes .
•L'envie, fi audacieuſe à perſécuter le mérite dans
tous les genres , a plus d'audace encore pour attaquer
Jes Médecins célèbres. On ne peut la convaincre
d'injustice ; elle n'a point de juges , & ſe livre à
tous les excès ſans avoir jamais à rougir ; auſſi les
Médecins fe jugent-ils prefque toujours entre-eux
comme les Prêtres des religions ennemies , & c'eſt
pour leurs Hiftoriens & leurs Panégyriſtes une ſource
d'événemens & de mots très piquans. Il eſt encore
dans leur caractère des traits plus intéreſlans &ples
propres ſur- tout à former leur éloge.
Ces hommes fi divers & ſouvent fi oppoſés dans
Jeurs intérêts , dans leurs principes & dans leurs caractères
, ſe réuniſſent pourtant dans une choſe ,
dans la bienfaiſance. La vue de la mort, toujours
préſente , les attache ſans doute à la vertu en leur
montrant continuellement le néant de la vie ; leur
âme s'attendrit & apprend fans doute à ſentir les
maux dont ils ſont tous les jours les témoins. Le
pauvre , qui ſi ſouvent implore en vain les autres
homines dans ſes beſoins,trouve toujours un Méde
indans ſes maladies. Dans lesafylesdelamisère,il
DE FRANCE. 223
1
eſt un mal plus cruel que tous les autres , & qu'ils
font toujours sûrs de ſoulager , c'eſt la pauvreté.
Que de fois on les a vus répandre ſur l'indigence
ce qu'ils ont reçu de la reconnoiſſance des riches !
Souvent les momens les plus heureux de la vie de
l'indigent , ont été ceux où il a été entre les mains
duMédecin; auſſi les pauvres , qui redoutent beaucoup
moins les erreurs des Médecins , parce qu'ils
craignent peu la mort, ne parlent-ils preſque jamais
que des lumières & des vertus de celui qui les
viſite;& lorſqu'il meurt , on les à vû ſouvent ſortir
de tous les côtés de leurs réduits , pour faire autour
defon cercueil le cortège le plus touchant & le plus
honorable qui puiſſe accompagner un homme à fon
dernieraſyle.
Cedernier trait eſt celui par lequel M. de Condorcet
a terminé l'éloge de M. Tronchin ; & tout
leDiſcours eſt rempli de l'intérêt attaché à tout ce qui
regarde les Hommes célèbres de cette profeſſion .
M. de Condorcet a très-heureuſement remarqué
que le moment où un Médecin , déjà très- connu ,
vient s'établir à Paris , eſt un moment de révolution
pour la pratique de la Médecine. Il apporte un
nouveau régime , de nouveaux remèdes , de nouveaux
principes ; on met de nouveau en queſtion
tout ce qui avoit été décidé , & toutes ces conteftations
tournent au profit de l'Art ; car , de nouvelles
diſcuſſionsfont naître toujours de nouvelles lumières .
Les titres de M. Tronchin à la reconnoiſſance
de ſon ſiècle& de la poſtérité , ſont d'avoir été un
de ceux qui ont le plus répandu l'uſage de l'inoculation
; d'avoir introduit un nouveau ſyſtême de
traitement pour la petite-vérole , en ſubſtituant aux
boiſſons échauffantes , un régime raffraichiſſant; en
rendant l'air aux malades qu'on étouffoit en les
renfermant dans un atmosphère rempli du poiſon
qui s'exhale de leur corps; d'avoir aſſez perfuadé
Kiv
224 MERCURE
aux femmes combien l'exercice eſt néceffaire à leur
fanté & à leurs charmes , pour les faire fortir de
leurs chaiſes longues , & ſe répandre dans nos promenades
& dans nos jardins ; d'avoir enfin , de concert
avec ſon ami Rouſſeau , perfuadé aux mères
que , refuſer leur lait à leurs enfans , eſt un crime
contre la Nature , dont elles ſont punies preſque
toujours , en perdant leurs agrémens , & fouvent
même en voyant la fin de leur vie avant la fin de
leur jeuneſſe. Le Moraliſte & le Médecin impofoient
les mêmes devoirs en parlant un différent langage;
& fans doute ils devroient ſe réunir plus ſouvent
pour l'avantage de la Morale & de la Médecine.
ce a
pas cepen-
M. Tronchin , comme on voit , a fait des révolutions
dans la Médecine ; il ne paroît
dant qu'il ait été doué de cet eeffprir créateur , qui
découvre de nouvelles vûes & de nouveaux rapports.
Il avoit plutôt cette juſteſſe naturelle & facile
de l'eſprit , qui faifit qu'ily de mieux prouvé
dans les chofes connues , & le don de répandre un
air de paradoxe & de découverte ſur des vérítés anciennes
, mais négligées. C'eſt cette forte d'eſprit
qui, dans tous les genres, réuffit le mieux auprès da
grand nombre. Le génie de l'invention ſépare trop
un homme de la multitude pour qu'il puiſſe en être
admiré.
Le nom de Voltaire , lié avec tous les Hommes
célèbres de ſon ſiècle , ſe préſente toujours naturellement
dans tous les Éloges de M. de Condorcet ; il
en parle dans l'éloge de M. Tronchin, il en parle
encore dans celui de M. de Montigny. Un ami
feroit excufable d'en rechercher les occafions ; il
doit être bien heureux de les trouver dans ſes ſujets
mêmes.Que d'hommes ont peine à pardonner l'éloge
lors même qu'il ſe préſente de lui-même , & pour
Jeſquels un hommage rendu au génie eſt une occaſion
de l'outrager ! La gloire de Voltaire ſemble
DE FRANCE. 22
Etre, pour M. de Condorcet , un de ces titres & de
ces droits de l'humanité que le Philoſophe doit défendre
avec tout le courage de la vertu. C'eſt pourrant
à Voltaire qu'on avoit appliqué ce vers de ſa
Marianne :
J'ai mille admirateurs & n'ai pas un ami .
On voit aujourd'hui qu'aucun homme de génie n'en
a eu davantage, & de plus dignes de lui .
Dans le même Éloge , M. de Condorcet a été
obligé de parler de Rouſſeau comine de Voltaire ; &
quoiqu'il eût pu le blâmer , peut-être avec justice ,
en rappelant ſes démêlés avec M. Tronchin , qu'il a
appelé tour- à-tour mon ami Tronchin & lejongleur
Tronchin , M. de Condorcet a paru rappeler cette
circonſtance à regret , & s'y eſt arrêté trop peu pour
qu'on puiſſe avoir des doutes ſur la ſincérité de ce
regret. Tous ceux qui s'intéreſſent à la mémoire de
Rouſſeau, doivent lui ſavoir gré de cette modération.
Elle eſt ſi rare aujourd'hui ! on ſe plaît tant
àrépandre le ridicule ou le mépris ſur des fingularités
, des malheurs , des paſſions , des fautes & des
foibleſſes , que ce grand Homme a eu le courage de
faire fortir lui-même du ſecret de fa conſcience ! Et
comment a-t'on la cruauté d'inſulter à une âme qui
ſe dévoile elle-même ? Étoit-ce donc un homme
vil , celui qui , pour une ſeule mauvaiſe action , a
eu quarante ans de remords dans une vie d'ailleurs
irréprochable ? Où ſont les hommes qui , dans leur
vieilleffe même , verſent des larmes de repentir ſur
les fautes d'un âge qui touchoit à l'enfance ? Pour
bien juger Rouffeau , il faudroit que toutes les âmes
s'ouvriffent comme la fienne ; mais elles reſtent
fermées , & la fienne ſeule eſt à découvert. Il y a
trop de défavantages dans une pareille poſition.
L'Éloge de M. Tronchin eſt un de ceux de M. de
Condorcet qui a eu le plus de ſuccès aux lectures de
Kv
226 MERCURE
l'Académie des Sciences. Iln'est pas permis fans doute
dejuger dumérite d'un Ouvrage ſur une lecture publi
que, dont l'effet , ſoit en bien, ſoit en mal, tient fou
ventàdes circonſtances étrangères aux beautés ou aux
défauts. Mais nous aurions été bien trompés , par l'im
preſſion que nous avons reçue , ſi ce Diſcours n'étoit
pas encore au-deſſus des Éloges de la Condamine
&de Fontaine.
Celui qui rend les Sciences utiles à la Société,
leur eft auſſi utile que ceux qui leur font faire de
nouveaux progrès. Et telle a été la gloire de M. de
Montigny. Né dans un état & avec une fortune qui
l'appeloient aux places de l'Adminiſtration , il y a
fait fervir les Sciences au perfectionnement des Arts
&de l'Induſtrie. Après avoir prouvé qu'il avoit aſſez
de talent pour faire des découvertes , il a préféré le
bonheur de ſervir promptement les hommes , à la
gloire d'ajouter à des lumières qui reſtent fi longtemps
inutiles.
C'eſt à M. de Montigny que nos manufactures
font redevables de pluſieurs étoffes , dont la fabrique
n'étoit comue que des manufactures d'Angleterre.
3
Son goût & fon talent pour la théorie des Arts ,
s'étoient manifeſtés d'une manière remarquable dès
fon enfance. S'étant caffé la jambe à l'âge de dix
ans , on le trouva occupé à examiner les pièces de
fa montre qu'il avoit déinontée avec beaucoup
d'adreſſe; on lui demanda ce qu'il avoit voulu faire :
j'aivoulu voir fon âme , répondit- ik Il vouloit dire
le principe de ſon mouvement, & c'étoit beaucoup
pour un enfant de s'être déjà formé de l'âme une
idée fi nette .
M. de Montigny a eu toujours pour amis ceux de
fes Confrères , qui , par leurs travaux & leurs découvertes,
ont en une plus grande célébrité; il pargeoit
leurs fuccès, &prenoit part à leur gloire
DEFRANCE 227
Lorſque l'Académie , voulant honorer le génie d'un
de ſes Membres moins ancien que lui , donna le
titre de Penſionnaire Surnuméraire à M. d'Alembert ,
M. de Montigny s'empreſſa d'applaudir au voeu de
la Compagnie , & d'appuyer de fon confentement
cette préférence accordée à fon ami ſur lui même. Il
penſoit que des hommes , qui n'ont qu'un même
objet , la connoiſſance de la vérité , qu'un même
but , l'utilité de leurs ſemblables , doivent , pour
leur intérêt comme pour celui de leur cauſe, être
unis entre- eux , & ſe contenter chacun de la portion
de talent que la Nature lui a donnée , & du bien
qu'elle l'a rendu capable de faire. Ainfi , a ajouté M.
deCondorcetdans une très-belle comparaiſon , l'on
yoit ces aftres différens en éclat & en grandeur ,
mais également néceſſaires à l'ordre du monde , unis
entre-eux par une force commune , ſuivre en paix
leur marche éternelle , tandis que ces météores paflſagers
, nés des exhalaiſons impures des marais , ſe
poursuivent, ſe combattent & diſparoiſſent enſemble,
Et comment l'homme en place , qui ſe ſert des lur .
mières pour faire du bien aux hommes , pourroit- il
être jaloux de ceux qui reculent les bornes des Sciences
? Il fait trop que les idées des hommes de génie
font les vrais tréſors de la bienfaiſance puiſſante
&éclairée.
Il n'y a rien de plus fublime &de plus touchant ,
diſoit un ancien , que le ſpectacle de la mort d'una
homme vertueux. La mort des Savans préſeme prefque
toujours ce ſpectacle. La fin de M. de Montigny ,
a dit M. de Condorcet , a été celle d'un homme de
bien & d'un ſage , qui , ne laiſſant après lui ni des
malheureux qu'il ait faits , ni des infortunés auxquels
fon exiſtence étoit néceſſaire , termine ſa vie lans
inquiétudes & ſans remords.
Il a laiſſefa fortune ſans l'avoir augmentée ni diminuée;
les affaires,a ajouté M. de Condorcet, étc.ent
Kvj
228 MERCURE
toujours dans cet ordre ſi précieux aux hommes
d'une probité ſcrupuleuſe; ils ſavent que c'eſt le ſeul
moyen infaillible de ne pas s'expofer au malheur &
au crime de manquer à leurs engagemens , crime
d'autant plus honteux , qu'il reſte preſque toujours
impuni , & qu'il eſt ſouvent trop facile à ceux qui
le commettent de ſe ſouſtraire aux loix , ou de les
ſurprendre en ſa faveur.>>>
PRIXproposés par l'AcadémieRoyale des Sciences.
Le Roi , defirant d'augmenter par tous les moyens
poflibles, la récolte du Salpêtre en France , & de délivrer
ſes Sujets de la gêne de la fouille que les Salpétriers
ſont autoriſés à faire chez les particuliers ,
avoit chargé l'Académie des Sciences , en 1775 , de
propoſer un Prix de 4000 livres , ſur le ſujet qui
fuit: Trouver les moyens les plus prompts & les plus
économiques de procurer en France une production &
une récolte de Salpêtre plus abondantes que celles que
l'on obtient préfentement , & fur- tout qui puiffent
dispenser des recherches que les Salpêtriers ont le
droit de faire chez les particuliers . Ce Prix devoit
être proclamé à la Séance publique de Pâques 1778 .
Les Mémoires adreſſés à ce premier Concours , &
qui étoient en grand nombre , ont fait connoître à
FAcadémie que le délai qui avoit été accordé étoit
trop court , relativement à l'importance du ſujet &
à la nature des expériences qu'il exigeoit ; & que ,
d'un autre côté , l'objet du Prix , quoiqu'affez confidérable
en 'lui- même , ne pouvoit pas encore indemnifer
les Concurrens des dépenſes néceſſaires
pour remplir complètement les intentions du Gouvernement
, l'Académie a été forcée en conféquence
de différer la proclamation du Prix , & d'en fixer
l'époque à la S. Martin 1782. En même temps , ſur
les repréſentations qu'elle a faites au Roi , S. M. a
DE FRANCE. 229
bien voulu porter le Prix à 8000 liv. & y joindre
une ſomme de 4000' liv. pour être diſtribuée en un
ou pluſieurs Acceffit , ſuivant le nombre des Mémoires
qui pourroient avoir droit à des récompen
ſes , & fuivant l'étendue des dépenſes utiles qui paroîtroient
avoir été faites par les Concurrens , relativement
au Prix.
Ces nouvelles diſpoſitions ont produit l'effet avanrageux
que l'Académie pouvoit en attendre , & elle
a eu la ſatisfaction de voir que dans les foixante- fix
Mémoires qui ont formé lefſecond Concours , il
y en avoit un affez grand nombre qui méritoient
ſon attention ; mais celui de tous qui lui a paru le
plus digne de ſes ſuffrages , eſt le Mémoire N° X,
fecondConcours , qui a pour deviſe : Après avoir
lu & médité tout ce qui a été écrit fur cet important
Sujet , ne pourroit- on pas s'écrier avec le Vieillard
de Térence , INCERTIOR MULTO SUM QUAM
DUDUM , dont l'Auteur eſt M. Thouvenel , Docteur
en Médecine , Aſſocié Regnicole de la Société
Royale de Médecine.
Ce Mémoire contient une foule d'expériences
d'un genre délicat & difficile , entrepriſes d'après
des vûes nouvelles & la plupart très - concluantes.
L'Auteur y donne des moyens de former de l'acide
nitreux , pour ainſi dire , de toutes pièces , & en
employant des matériaux abſolument étrangers à
cet acide; ces matériaux ſont le gaze de la putréfaction
& l'air atmoſphérique. Peut-être laiſſe-t-il
quelque choſe à deſirer relativement à l'application
de la théorie à la pratique ; mais il n'en eſt pas
moins certain que d'après des expériences théoriques
contenues dans ſon Mémoire , il ſera facile de ramener
à des principes certains la conduite des nitrières
, qui juſqu'à préſent a été abandonnée , pour
ainſi dire , à une routine aveugle : l'Académie a
230 MERCURE
cru enconféquence devoir adjuger à ceMémoire le
Prix de 8,000 livres .
Après ce Mémoire , dans lequel l'Académie n'a
pu ſe refuſer de voir une ſupériortié bien décidée
fur tous les autres Concurrens , ſon ſuffrage s'eſt
trouvé partagé entre deux autres , qui lui ont paru
avoir l'un & l'autre les mêmes droits à une récompenſe
honorable ; elle a cru en conféquence devoir
leur accorder , à titre de ſecond Prix , à chacun
une ſomme de 1,200 livres.
Le premier de ces Mémoires eſt celui N. XXVI,
ſecond Concours , qui a pour deviſe : On ne doit
ni s'affurer aisément de voir ce que les plus grands
Hommes n'ont pas vu , ni en désespérer entièrement.
L'Auteur et M. Lorgna , Colonel des Ingénieurs
au ſervice de la République de Venise , & Directeur
de l'École Militaire à Vérone , Membre des Académies
des Sciences de Pétersbourg , de Berlin , de
Turin , de Bologne , Padoue , Mantoue , Sienne ,
&c. & Correfpondant de l'Académie Royale des
Sciences de Paris .
On trouve dans ce Mémoire une ſuite d'expériences
bien concluantes , d'après leſquelles l'Auteur
prouve que l'acide nitreux n'eſt point une modification
de l'acide vitriolique ni de l'acide marin
comme le penſoient Stalh , M. Pietch & une partie
des Chimiftes modernes; mais il n'eſt pas auſſi heureux
dans les expériences qu'il a faites pour découvrir
les principes du nitre & le myſtère de ſa formation;
en forte qu'il réuffit mieux à établir ce que
n'eſt pas l'acide nitreux , que ce qu'il eſt en effet,
Son Mémoire contient d'ailleurs quelques expériences
qui ne font pas exactes ; telle est la décompofition
du ſel matin par le nitre à baſe terreuſe :
cette décompoſition n'eſt vraie qu'à l'égard du ſel
marin à base d'alkali végétal , & non pas à l'égard
DE FRANCE. 231
de celui à bafe d'alkali minéral , comme l'annonce
l'Auteur.
Le ſecond Mémoire que l'Académie a jugé digne
de partager le ſecond Prix , a pour device : Nec
Species fua cuique manet , rerumque novatrix ex
aliis alias reparat Natura figuras.
La première partie de ce Mémoire avoit été admiſe
au premier Concours , ſous le No. XXXIII;
les Auteurs font M. de Chevrand , demeurant
Besançon , Inſpecteur des Poudres & Salpêtres
dans les Provinces de Franche-Comté & de Breſſe ,
& M. Gavinel : la ſeconde a été admiſe au ſecond
Concours ſous le N ° . XVIII & ſous la même deviſe
, & avec le nom ſeul de M. de Chevrand. L'Auteur
de cette dernière partie qui a déterminé principalement
le Jugement de l'Académie , a parcouru,
dans l'intervalle du premier au ſecond Concours ,
une grande partie de la France , pour y étudier
les reſſources relatives à la fabrication du Salpêtre.
Il diſcute les avantages & les inconvéniens que
préſentent les différentes Provinces du Royaume ,
conſidérées relativement à cet objet. Quoique fon
Mémoire ne contienne pas de découverte proprement
dite , il eſt plein de réflexions juftes , d'obſervations
ingénieuſes , & de détails intéreſſans relativement
à la pratique ; il complette en quelque
façon ce qui manque aux deux précédens , & il ne
peut être que très- utile pour guider les Entrepreneurs
de nitrières. Enfin , l'Académie a cru devoir ,
foit à titre d'Acceffit , ſoit à titre de dédommage .
mentdes dépenſes qui ont été faites , accorder une
fomme de 800 liv. au Mémoire Nº. XXVIL ,
premier Concours , ayant pour deviſe : Credidimus
fpiritus acidos nitri nusquam in rerum natura
extitiffe ante inventum modum nitri parandi : Boërhaave
, & dont l'Auteur eft M. J. B. de Beunie
Médecin à Anvers , de l'Académie Impériale des
322 MERCURE
Arts & Belles- Lettres de Bruxelles ; & une pareille
ſomme de 800 livres au Mémoire , N° . XXIX ,
premier Concours , ayant pour deviſe : Sic materiis
Arte difpofitis , Naturâ duce , abundanter generabitur
nitrum , dont l'Auteur n'eſt point connu.
Il eſt aiſé de voir que ces deux Mémoires ſont
faits par des Chimiſtes inftruits : ils contiennent des
expériences bien faites , & qui ne peuvent que
contribuer à avancer & à perfectionner l'Art de
fabriquer le Salpêtre.
Indépendamment de ces cinq Mémoires qui
préſentent un grand enſemble de faits & qui ,
réunis , rempliſſent aſſez complètement les vûes du
Programme , l'Académie croit devoir faire une
mention honorable de celui du No. XXII , ſecond
Concours , ayant pour deviſe : In pace robur , & in
bello ros cæli , & pinguedo terra.
L'Auteur y donne une ſuite d'expériences trèsnombreuſes
ſur le Salpêtre qui ſe trouve , ſuivant
łui , dans les terres végétales des champs ; mais les
Commiſſaires de l'Académie , qui ont répété, ces
expériences avec beaucoup de ſoin fur un grand
nombre de terres des environs de Paris , ramaflées
à la ſuite d'une grande ſéchereſſe vers la fin de
l'été 1781 , n'ont trouvé que des particules preſque
imperceptibles de Salpêtre , & qui ne répondent pas
à ce que l'Auteur avance. Peut- être a-t- il employé
pour leſſiver ſes terres , de l'eau qui contenoit déjà
du Salpêtre : quoi qu'il en ſoit , l'Académie n'a pas
jugé que les nitrières découvertes & en plein air que
l'Auteur propoſe de ſubſtituer aux hangards , puflent
remplir ſon objet.
Les autres Mémoires qui méritentd'être cités , font :
Celui , Nº . XXVIII , fecond Concours , ayant
pour deviſe : Tandis que tous s'empreſſfent de concourir
aux projets d'un Roi bienfaisant , je veux
auſſi rouler mon tonneau .
DE FRANCE.
233
1
1
Celui , N° . XII , premier Concours , ayant
pour deviſe : Sigillum veri fimplex.
Celui , N ° . XXI , ſecond Concours , ayant
pour deviſe : Utile au Gouvernement , funeste à
Phumanité.
Enfin celui , Nº. XXVIII , premier Concours ,
ayant pour device : Non fingendum aut excogitandum
Sed inveniendum quid Natura faciat aut
د
ferat : Bacon.
3 Il n'eſt aucun de ces Mémoires qui ne contienne
quelques faits nouveaux , de bonnes obſervations ,
& des détails intéreſſans : l'Académie invite en
conféquence leurs Auteurs à ſe faire connoître
afin qu'ils obtiennent du Public la reconnoiſſance
dûe à leur zèle & à leurs travaux.
L'Académie ſe propoſe , conformément aux intentions
de SA MAJESTÉ , de publier , le plus tôt
qu'elle le pourra , la Collection de ces Mémoires ,
en obfervant cependant de retrancher ce qui pourroit
ſe trouver de commun entre-cux , & de ne
donner que par extrait ceux qui contiendroient des
détails trop étendus & des faits déjà connus; elle
y joindra la fuite d'expériences dont elle s'occupe
depuis plus de fix ans , & elle s'attachera fur-tout
à fuppléer à ce qui eſt échappé aux Concurrens ,
comme l'analyſe du gaze putride qui peut encore
jeter de grandes lumières ſur la nature & la formation
de l'acide nitreux ; enfin , elle terminera ce
Recueil par des vûes générales ſur la formation du
Salpêtre , & fur la conduite des nitrières .
( Cet Article est de M. Garat. )
52
234 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Samedi , Novembre , M. de Saint-
Prix a débuté ſur le Théâtre de la Nation ,
par le rôle de Tancrède , dans la Tragédie
de M. de Voltaire , qui porte ce nom. Il a
depuis joué Achille , Montalban , Vendôme ,
Warwick , &c.
On a imprimé que M. de Saint-Prix n'avoitjamais
joué en Province, & que le matin
du jour de ſon début , il ne s'attendoit pas
àparoître lefoir. Il eſt poſſible , ( & il faut
bien le croire ) que des circonstances ayene
engagé MM. les Comédiens François a pré
ſenter au Public ce jeune Débutant avant
de l'avoir annoncé , & qu'ils ne l'aient pas
inſtruit de leurs intentions. Les Amateurs du
Spectacle ſe ſont expliqués ſi diverſement
fur cet objet , qu'il feroit difficile d'aſſeoir
un jugement quelconque ſur les cauſes de ce
Début inopiné. Il en eft qu'on a oſé articuler
tout hautdans les foyers; elles ſonthonteufes,
&nous n'y avons pointajouté foi: mais nous
devons dire qu'on étoit mal inſtruit quand on
a dit que M. de Saint- Prix n'avoit jamais
joué en Province. Rouen , S. Germain ,
Caen, ont été les témoins de ſes eſſais publics
; & l'Auteur de cet Article a ſuivi très
DE FRANCE.
235
aſſidûment ce jeune Adepte dans une des
villes qu'on vient de nommer. Avant que
M. de Saint Prix ſe proposât ouvertement
de ſuivre la carrière du Théâtre, comme Comédien
de profeſſion , il jouoit ici les grands
rôles Tragiques ſur des Théâtres très- fréquentés.
Il nous y a fait voir ce qu'il a montré
depuis fur la Scène Françoiſe; de l'amour
pour fon talent , du zèle , une eſpèce d'enthouſiaſme
foible & froid ; une intelligence
triſte & méthodique ; une décence affez rare
pour être remarquée , ſurtout à préſent ,
mais non pas faite pour tenir lieu de la nobleſſe
relative au grand genre. Ces moyens ,
que les Spectateurs Bourgeois avoient appréciés
à leur juſte valeur, ont été exagérés
par les habitans du Parquet , * & ont fait
dire publiquement que le Débutant étoit
ſupérieur à M. de la Rive. En 1776 , on
a placé ce Comédien au - deſſus de l'immortel
le Kain; en 1782 , on lui préfère
un Écolier. Voilà le Public François . Arrê
tons-nous fur ces details , & venons à l'examen
des moyens de M. de Saint Prix. Sa
* Le Parquet eſt à l'ancien Parterre , ce que
Je Peuple Romain , eſclave des Céſars , étoit aux
Citoyens de Rome combattans ſous Paul Émile ,
pro aris & focis. Sévère ou indulgent fans ſavoir
pourquoi , il approuve ou condamne avec une légèretédont
lui ſeul peut offrir l'exemple. Il lui faudroit
un Cenſeur , dont la fonction fût de lui répéter
fans ceſſe ces mots d'Ovide : Inter utrumque tene.
236 MERCURE
/
figure eſt agréable , ſa taille avantageuſe , ſa
voix douce , ſonore & le plus ſouvent facile.
Il eſt des momens où ſon organe ſe
prête à des modulations intéreſfantes , &
donne à l'expreſſion des ſentimens doux , les
accens qu'elle ſemble exiger ; mais ce même
organe manque d'autorité , de force &
d'énergie. Ces dernières qualités ſont précieufes
, néceffaires , indiſpenſables: elles ne s'ac
quièrent point , ou bien elles ne s'acquièrent
que très difficilement; & fans elles on ne fair
roit atteindre le véritablebut de la Tragédie.
La phyſionomie , ce tableau fugitif, mobile
&varié des paffions , de leurs nuances &de
leurs effets , manque encore à M. de Saint-
Prix. Son maſque n'offre guères que deux
aſpects : ou une immobilité triſtement aimable
, ou une expreffion contrainte & grimacière.
C'eſt avec ces couleurs que nous
l'avons vû s'efforcer de peindre la douleur
, la colère , la rage , la terreur , le délire
qui réſulte du choc des paffions furieuſes;
en un mot , toutes les ſituations violentes ,
tous les grands mouvemens de l'âme. Nous
nous tairons ſur ce qu'il y a d'affectation
dans ſon maintien , de gêne dans ſa démarche,
& de monotonie dans ſa geſticulation.
Ces défauts ſe corrigent par l'uſage , le travail
& l'étude des modèles. Il n'en ſera pas
de même du débit. Celui de M. de Saint-Prix
eft tantôt d'une ſimplicité qui mériteroit
un autre nom , & tantôt déclamatoire ; il
fatigue ſouvent par des tranfitions bruſques ,
DE FRANCE.
237
:
par des diſparates , des incohérences auxquelles
il feroit difficile d'accorder une intention.
Nous conviendrons volontiers que
l'art des tranſitions eſt un des plus difficiles
à ſaiſir ; mais , quoi qu'en ait dit Deſpréaux ,
il eft, nous le croyons , un degré du médiocre
aupire. La ſituation actuelle de la Tragédie ,
les pertes qu'elle a faites , celles dont elle eſt
menacée , la décadence viſible , tout nous
invite à examiner , avec la ſévérité la plus
ſerupuleuſe , les talens qui ſe préſentent dans
cette carrière. La Capitale retentit des éloges
immodérés qu'on y donne à M. de St- Prix :
nous voudrions qu'elle ne le traitât pas , inceffamment
peut-être , avec autant de cruauté
qu'elle lui accorde aujourd'hui d'indulgence.
Voilà le motif de cet article , ſur lequel nous
l'engageons à réfléchir , lui , & ceux qui
guident dans l'arène dramatique ſes pas en-
_core incertains & mal aſſurés.
Le Mercredi 13 du même mois , on a
donné , pour la première fois, les Rivaux
Amis, Comédie en un Acte & en vers , par
M. Forgeat.
Deux jeunes gens aiment une femme
charmante , à laquelle ils n'ont point avoué
leur tendreſſe. L'un eſt un fat ; l'autre eſt
modefte , timide & fenfible. On convient
des deux côtés de faire une déclaration au
nom de fon ami, & de s'en rapporter , pour
céder la place , au choix que fera l'amante.
238 MERCURE
Une lettre écrite à chacun d'eux leur in
dique un rendez-vous , & ce rendez - vous
eft fixé à la même heure. Les deux amans
attendent aux pieds de leur maîtreſſe la
déclaration qui prononcera entre eux; elle
eſt pour l'homme modefte , & fon ami ſoufcrit
gaiement à ſon bonheur.
On a cru remarquer dans ce petit Ouvrage
quelque reſſemblance avec le Rival
favorable de Boiffy , & avec les fauſſes Infidélités
de M. Barthe. L'Ouvrage eſt imprimé.
Nous en rendrons un compte détaillé auffitôt
que nous aurons parlé de Tibère & de
Tom Jones à Londres , qui ſont auſſi imprimés.
En attendant , nous pouvons dire
que cette petite Pièce préſente des ſituations
agréables , des idées aimables & fraîches ,
de la vérité dans le dialogue , & un excellent
ton dans les détails.
Nous parlerons dans le prochain Mercurede
l'Indigent, Drame en quatre Actes
&en proſe , par M. Mercier , repréſenté à la
Comédie Italienne le 22 Novembre.
GRAVURES.
Le tendre Defir , peint par J. B. Greuze , &
gravé par C..... A Paris , chez Maſſard , Graveur ,
rue& Porte S. Jacques. Prix , 3 liv.
Le Réve, inventé par Gabriel de Saint-Aubin ,
gravé par N. de Ranſonnette , Graveur ordinaire
de MONSIEUR. A Paris , chez l'Auteur , rue de
Bièvre, la petite maiſon neuve à côté du Chirúr
DE FRANCE.
239
gien, Prix, I liv. 10 ſols. Cette Eftampe repréſente
M. de Voltaire éclairé par le Génie de la Poéfie ,
&confidérant les Médaillons de Charles VII , Agnès
Sorel , Jeanne d'Arc , Dunois , &c. que préſente
l'Amour. Le Génie de la Satyre lui tient le cornet ,
& ſous les pieds de l'Auteur eſt le Poëme de la Pucelle,
par Chapelain .
Carte du Théâtre de la Guerre dans l'Inde ,
fur la côte de Coromandel , avec vingt Plans particuliers
des principales, Villes & Ports de cette
partie, tels que Pondichery , Madras , Négapatan ,
Tranquebar , Calicut , Bombay , Trinquemaley ,
Mafulipatan , Arcate , &c. &c.; par M. Bourcet.
A Paris , chez Dezauche , ſucceſſeur des ſieurs
Delifle & Philippe Buache , premiers Géographes du
Rei , & chargé de l'Entrepôt général des Cartes de
la Marine de Sa Majesté , rue des Nøyers. Prix, 2 liv.
ANNONCES LITTÉRAIRES
LE
E ſieur Deſnos , Ingénieur-Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques
, au Globe , annonce une nouvelle Édition de
Sa grande Carte générale de la France enfix feuilles,
augmentée des nouvelles Routes du Royaume & des
Paysquiysont contigus. Cette Carte eſt ſoigneuſement
gravée. Prix, collée ſur toile & pliée dans un
étui , 12 livres , & en feuilles , 4 liv.
Le même Géographe vient de faire auſſi des
Additions conſidérables ſur ſa Carte des Environs
de Paris en quatre feuilles , laquelle s'étend à
vingt& trente lieues de la Capitale. Prix , collée
furtoile & enluminée, 10 liv. 4 f. en feuilles,4 liv.
,
OEuvres complettes de Meſſire Esprit Fléchier ,
Evêque de Niſmes , & l'un des Quarante de l'Académie
Françoise,revues ſur les Manufcrits de l'Au
240 MERCURE.
teur , augmentées de pluſieurs Pièces qui n'ont jamais
été imprimées, & accompagnées de Préfaces ,
d'Obſervations & de Notes ſur tous les endroits qui
ont paru en avoir beſoin 10 Vol. in- 8°. Prix ,
30 liv. en feuilles , & 40 liv. reliés très - proprement
en veau. A Niſmes , chez Pierre Beaume , Impri
meur- Libraire ; & à Paris , chez Guillaume Deſprez,
Imprimeur ordinaire du Roi & du Clergé de France,
rue S. Jacques ; Eſprit , Libraire , au Palais -Royal.
On a cru rendre ſervice au Public en raffemblant
toutes les différentes productions ſorties de la plume
de ce grand Évêque , & capables de juſtifier lahaute
réputation qu'il s'eſt acquiſe par ſon éloquence , ſes
talens littéraires , & la pratique la plus exacte des
vertus épiſcopales. On trouvera dans ce Recueil pluſieurs
Pièces qui n'avoient pas encore paru , & qui
ſerviront à faire connoître de plus en plus le mérite
& les qualités perſonnelles d'un Prélat qui a tenu
avec juſtice un des premieerrss rangs parmi lesHommes
illuftres du beau ſiècle de Louis XIV.
TABLE.
LETTRE àM. Gefner , 193 ) Tragédie , 198
Couplets à Mde la Princeffe De la Nature & de l'Homme ,
deR., 195 212
Vers pour le Portrait de Mde Académie des Sciences , 216
D*. L*. 197 Comédie Françoise ,
Enigme& Logogryphe , ibid. Gravures ,
Zarine, Reine des Scythes , Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
234
238
239
J'AI lu , par ordrede Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France, pour le Samedi 30 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris,
le 29 Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 16 Octobre.
On ſe rappelle que M. Behn , Comman
dant à Kamſchatka , y reçut avec tous les
égards poſſibles les célèbres Capitaines
Cook & Clarke , lorſqu'ils relâchèrent
deux fois ſucceſſivement en 1779 , dans
un des ports de cette preſqu'ifle . L'Amirauté
de la G. B. a voulu témoigner ſa reconnoiſſance
à M. Behn , & elle vient de
lui adreffer une aiguière d'argent avec ſon
baffin peſant 60 livres Angloiſes. Elle eſt
ornée d'une inſcription qui fait mention
dumotifde ce témoignage de reconnoiſſance.
Ce préſent est arrivé ici d'où il va être
expédié pour le Kamſchatka .
2 On s'occupe actuellement à faire dans
tous les différens Diſtricts de cet Empire
un dénombrement du peuple. Les Provinces
de l'Europe ont envoyé déja leurs liſtes ;
30 Novembre 1982. i
( 194 )
on attend celles des Provinces d'Afie qui
fans doute ne tarderont pas ; on en attend
le réſultat pour prendre une idée préciſe
de notre population ; on eſt très-perfuadé
qu'elle a fort augmenté depuis vingt ans.
On vient de publier le troiſième volume
de l'intéreſſant Recueil de M. Pallas ; il
contient entre autres pièces une relation
des Indiens établis à Aſtracan depuis le
commencement de ce ſiècle ; nous en extrairons
les détails ſuivans .
Ces Indiens font natifs de la Province de
Muttan , attenante à la Perſe ; ils s'occupent du
commerce , & principalement de celui des pierres
précieuſes. Ils demeurent enſemble dans un vake
pavillon ou caravantera , qui eſt entouré d'un mur.
Ils n'ont point de femmes de leur nation avec
cux; mais ils en louent des Tartares pour leur
ſervice. Ils font venir de tems à autres des jeunes
gens de leur pays pour les inſtruire dans le commerce.
Ils ont beaucoup de douceur dans le caractère
; ils ſont ſociables , proopprreess & modeftes dans
leurs vêtemens. Leur ſenſibilité eſt extrême ; ils
achètent ſouvent des oiſeaux , uniquement pour
leur donner la liberté. Quoiqu'ils n'aiment pas
recevoir des étrangers dans leur caravanſera ,
M. Pallas y fut cependant introduit , & il y aſſiſta
à leur dévotion du foir . On commença par ſonner
& par faire des offrandes de bezoards & de fruits
à l'idole , qui eſt de bronze. On chanta enſuite ,
on goûta de l'eau luſtrale avec une cuiller , & on
diftribua des concombres qu'on avoit retirés de
l'autel . Les Indiens ſont auſſi dans l'uſage de brûler
leurs morts en plein champ. Les reſtes des offemens
ſont recueillis par les Brames qui en portent
une partie aux parens du mort , & jettent l'autre
partie dans l'eau «,
( 195 )
Ce même volume contient auſſi des détails
ſur la Géorgie par M. Reillegg qui a
voyagé dans l'Orient pendant neuf années .
On compte , dit-il , à Teflis , réſidence du
Prince Héraclius , 4000 maiſons , 20,000 habitans.
Les montagnes voiſines renferment dans leur ſein
beaucoup de mines & fur- tout de cuivre. Le commerce
des eſclaves de Géorgie eſt défendu , & les
Tures ſe ſont engagés , par une convention , à ne
point en acheter ; mais l'avarice des perſonnes puifſantes
, élude ſouvent cette loi. La population de
la Géorgie peut être portée à 61,000 familles . La
Douane eft affermée pour une ſomme annuelle de
25,000 roubles. Les mines d'argent à Audale ,
qui font très-mal exploitées , ont cependant pro.
duit , en 1780 , une ſomme de 60,000 roubles .
Le total des revenus du pays peut être évalué à
713,200 roubles «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 2 Novembre.
On apprend d'Helſingor , que le vaiſſeau
Hollandois le Zierickzée de 64 canons , qui
faifoit partie de l'eſcadre de la même nation
, que la tempête a diſperſée , après être
entré dans ce port avec une voie d'eau ,
s'eſt hâté de la réparer , & a remis à la
voile le 30 du mois dernier. Aujourd'hui
il ſe débite qu'il a coulé bas , & quelques
Capitaines Anglois rapportent que des
vaiſſeaux de guerre Hollandois ont pris 2
bâtimens de leur nation près de Koll ; on
ne doute point que ces vaiſſeaux ne foient
i2
( 196 )
du nombre de ceux qui étoient ſous les
ordres de l'Amiral Vankinsbergen .
Les lettres de Bergen en Norwège , portent
que la nuit du 13 au 14 du mois dernier
, on y a reſſenti un léger tremblement
de terre qui heureuſement a cauſé plus de
craintes que de dommages.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 2 Novembre.
L'AFFAIRE de la ratification des limites
entre la Pologne & la Petite- Servie , a été
terminée par la Diète , ainſi que celle des
limites entre quelques places de la Grande-
Pologne & les Etats du Roi de Pruſſe ;
on ſe flatte que l'arrangement du même
objet du côté de la Cour de Vienne ne
fouffrira pas non plus de difficultés.
Quant à l'affaire de l'Evêque de Cracovie
, elle est également finie ; la Diète a
approuvé, à la pluralité des voix , le procédé
du Roi & du Conſeil Permanent à l'égard
de cet Evêque. Le tems ſe paſſe à raiſonner ;
c'eſt la ſemaine prochaine que les Nonces
doivent ſe réunir de nouveau avec le Sénat
pour faire la clôture de la Diète d'une manière
conſtitutionnelle; il ſe pourroit qu'on
ne terminât que les affaires qui intéreffent
indiſpenſablement le bien public ; en conſéquence
la plupart des projets propoſés
feront entièrement rejettés ou remis à une
autre Diète.
( 197 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 7 Novembre.
L'INDISPOSITION qu'a cue l'Empereur
fon retour de Brunn en Moravie , l'a contraint
de garder le lit pendant quelques
jours. Maintenant il eſt parfaitement rétabli
; il vient d'accorder à la Princeſſe
Elifabeth de Wurtemberg une penſion
annuelle de 18,000 florins. Cette Prin
ceſſe voulant témoigner à la Comteſſe de
Borck ſa reconnoiſſance des ſoins qu'elle
a pris pour ſon éducation , a prié S. M. I.
de lui permettre de faire fur cette ſomme
une penſion à la Comteffe. L'Empereur
lui a répondu qu'il ſe chargeoit de ſa reconnoiſſance
, & il a envoyé à cette dame
le brevet d'une penſion de 200 florins , &
une paire de bracelets ornés de ſon por
trait entouré de brillans.
On dit qu'il paroîtra bientôt une nouvelle
Ordonnance contre le luxe. Il ne ſera
plus permis qu'aux perſonnes de la nobleſſe
de porter des bijoux , des étoffes d'or ,
d'argent & de foie. Toutes les claſſes de
citoyens ne porteront que des vêtemens
fimples & fans ornemens.
L'Empereur a nommé au département
des affaires intérieures trois Conſeillers d'Etat
, qui font MM. de Zenker , Ormeny
&Martini.
، i3
( 198 )
FRANCFORT , le 10 Novembre.
On ne fait encore rien de pofitif fur les
négociations entrepriſes par les Ruffes &
les Turcs au ſujet de la Crimée. Les bruits
de guerre ne paroiſſent fondés que ſur les
préparatifs qui ſe font de part & d'autre ;
& c'eſt ſur ce texte que nos papiers s'attachent
à broder une multitude de détails
qui ne paroiffent pas vraiſemblables .
-
>>Selon eux , le bruit s'eſt répandu que le Kan
fugitif , Sahim Gueray , avoit , avant les troubles ,
abjuré en ſecret la Religion Muſulmane , & embraffé
le Rit Grec , & que le mécontentement de
ſes ſujets n'avoit pas un moindre motif. Les
mêmes papiers répandent auſſi les détails ſuivans ,
qui peuvent être regardés comme le pendant de
ceux que l'on vient de tranfcrire. -Les dernières
lettres de Conſtantinople portent que le Grand Seigaeur
, pour raffurer la populace déſeſpérée du
dernier incendie , fait d'immenfes libéralités , &
porter de bois de charpente à ceux qui en ont
beſoin . Une multitude de ſes ſujets paſſe ſur le
territoire de Ruffie. On prétend qu'il veut faire
élever à l'Européenne ſon héritier préſomptif , le
Prince Mehemed-Bey ſon fils , ainſi que ſes frères ;
& on ne manque pas d'ajouter qu'il va leur donner
un Inſtituteur François «.
On lit dans la feuille Hebdomadaire du
Docteur Bufching l'article ſuivant fur la
Pologne.
ככ L'induſtrie fait des progrès en Pologre. Dans
les endroits où l'on ne cultivoit que dubled , on
commence auffi à cultiver d'autres productions utiles
comme du chanvre , du lin , &c. Les feuilles
de tabac , la cire , la laine , les peaux , & d'au
( 199 )
tres productions du Pays qu'en avoit acoutumé
d'exporter ſans étre travaillées , font actuellement
préparées dans les Manufactures du Royaume . Les
Mines de fer à Konsk , font d'un bon produit &
la qualité du fer eft excellente. Les mines d'Olkuſch
ſont très-bien établies. En général on s'occupe
de plus en plus à tirer le meilleur parti
poffible des Mines du Royaume. Le nombre des
Manufactures de draps & de toiles augmente , &
depuis l'introduction de la tolérance de diverſes
religions , on voit auſſi augmenter la population.
L'établiſſement d'éducation pour la jeune Nobleſſe ,
que le Roi a fait à Warſovie , eſt une excellente
inſtitution ; les heureux effers de cet établiſſement
ſe feront ſentir par la ſuite. L'eſciavage des payſans
diminue ; la Nobleſſe commençant à ſe perfuader
qu'un payſan libre lui procure plus de revenus ,
qu'un payſan ſerf. Les commerçans & les artiſans
des religions admiſes dans le Royaume ſont protégés
, & vaquent à leurs affaires ſans être inquiétés.
Il y a actuellement à Warſovie des artiſans qui
travaillent auſſi bien que ceux de France & d'Angleterre.
Les Diètines & les Diètes ſe perfectionnent
viſiblement ; on peut les regarder ainſi que le Conſeil
Permanent comme des Académies d'Etat pour la
jeune Nobleſſe. En général rien n'eſt négligé pour
avancer le bien-être du Royaume. Le Seigneur Polonois
, n'a plus le droit de vie & de mort ſur
ſes payſans ; il ne peut pas non plus s'emparer à
volonté du bien d'autrui ; mais il eſt obligé de
recourir au département de la guerre , s'il ya
droit. Les grands chemins ſont sûrs actuellement ,
de forte qu'on voyage aujourd'hui auffi sûrement
en Pologne , que dans toute autre Etat bien ordonné.
On doit cet avantage à la répartition des
troupes dans la grande & la petite Pologne , dans
la Maſovie & la Podolie , & dans la Lithuanie .
Dans chacun de ces districts commandent un Lieu-
14
( 200 )
&
tenant-Général , & deux Majors-Généraux. Tous les
14 jours on envoie des détachemens dans certains
cantonnss ,, qui font leur rapport auxGénéraux,
ceux - ci font tenus d'envoyer tous les mois leur
rapport au département de la guerre. Les troupes
font auſli chargées du ſoin de la réparation des
ponts & chauffées , & de celui de veiller à ce que
les hôtelleries ſoient ſuffiamment pourvues de
provifions .- Le Roi actuel fait rédiger par une
ſociété de gens de lettres , l'hiſtoire pragmatique
du royaume de Pologne «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 14 Novembre.
د
L'ESCADRE combinée rentra ici le 28 du
mois dernier après avoir inutilement
cherché l'eſcadre Angloiſe , le lendemain
& le jour ſuivant de la canonnade qui eut
lieu le 20. Les vaiſſeaux n'ont preſque point
fouffert ; celui qui a combattu de plus
près , & le plus long-tems , & qui par
conféquent a été le plus maltraité , eſt le
Majestueux , vaiſſeau François commandé
par M. le Vicomte de Rochechouart. L'Amiral
Howe étant maître d'engager ou de
refuſer le combat , a fait mine de nous tenir
tête lorſqu'il s'eſt vu ſupérieur , mais le
combat devenant ſérieux & craignant d'avoir
route l'armée ſur les bras , il s'eft retiré
prudemment.
Ce n'étoit pas un des tranſports ennemis qui
ſauta l'autre jour au mouillage , écrit- on d'Algéſiras ,
comme ont l'avoit cru dans le camp ; c'étoit un
de nos brûlots . Il avoit ſuivi l'armée combinée ,
( 201 )
& ayant été ſéparé d'elle , il revenoit le 16 ici
lorſqu'il fut rencontré par une frégate de Howe.
L'Officier qui le commandoit fit patſer ſon équipage
ſur deux felouques qui étoient à ſa portée ,
après avoir eu la précaution de placer une mèche
pour brûler le bâtiment qu'il abandonnoit. Les felouques
s'éloignèrent , la frégate Angloiſe s'empara
du brûlot , & le conduiſit a Gibraltar. La mèche
fit ſon effet 6 heures après , ce fut à une heure
après minuit que le brûlot ſauta. Il dut cauſer un
ravage effroyable , étant très-près des tranſports
qu'on s'occupoit à décharger «.
Les ordres qui règlent le cantonnement
des troupes ſont arrivés.
» Il ne reſtera dans le camp de St- Roch que
13,549 hommes d'infanterie & 960 hommes de
cavalerie. L'infanterie ſera compoſée des bataillons
des Gardes-Eſpagnoles & Waltones , des grenadiers
Provinciaux , des grenadiers détachés , des dragons
montés , du premier régiment de Catalogne , des
volontaires d'Aragon , de ceur de Crillon & du
corps ordinaire de l'artillerie ; la cavalerie des
eſca drons de Farnèſe, Alcantara , Bourbon , Algarve,
Pavie & Lufitanie. Les troupes qui vont être cantonnées
dans les environs , dont la plupart font
déja au lieu de leur destination , font les troupes
Françoiſes , les régimens de Burgos , Murcie
Naples , Betchart , Suiffe , les grenadiers démontés
les bataillons de Savoie , Ultonie , Princeſſe de Mi--
lan, les volontaires d'Eſpagne & de Calatrava
&les eſcadrons du Roi, Prince,Bourbon , Saint-
Jacques & Monteza ".
On écrit du Camp- deSt-Roch les détails
ſuivans.
>> Les troupes partent ſucceſſivement du camp.
Ontire fort peu des lignes ; le plus grand feu eft
du côté de la mer , où nos chaloupes canonnieres
is
( 202 )
vont échanger de tems en tems quelques boulets.
M. le Duc de Crillon a pris à Saint- Roch l'apparrement
que Mgr le Comte d'Artois y occupoit ;
on dit qu'il demande ſon rappel. On eſt auſſi
perfuadé qu'on retirera bientôt le canon des ouvrages
avariés , pour le placer dans les anciennes
lignes. En ce cas , on fera bien de brûler les
nouveaux ouvrages pour épargner à Elliot la peine
d'y mettre le feu pendant une des nuits de cet
hiver . :
On lit dans la Gazette de Madrid du 12
de ce mois , que les At glois ont tiré des
bouletsinflammables ſur l'eſcadre combinée.
Le Rédacteur de cet article fait obſerver
combien cette Nation , qui ſe pique de générofiré
, en manque dans les occafions les plus
eſſentielles , puiſque avec des forces au moins
égales , elle s'eſt ſervie d'armes prohibées ,
par une convention tacite de toutes les Nations
policées. Du reſte , ces boulets n'ont
mis le feu qu'à quelques voiles & au gréement.
Ceux qu'on a ramaffés font un globe
creux , n'ayant qu'une ouverture comme les
grenades ordinaires , & remplis de matières
inflammables. 4
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 19 Novembre.
LES inquiétades qu'on avoit conçues au
fujer du Buffalo ſont diſſipées. Ce vaiſſeau
chargé des premières dépêches de l'Amiral
Howe eſt arrivé ; mais il n'a pu nous apprendre
que ce que nous ſavions déja par
( 203 )
le triplicata des lettres de l'Amiral. La
Gazette de la Cour nous a donné quelques
extraits des lettres du Général Elliot ,
qui ne contiennent point de détails poſtérieurs
à ce que nous avoient appris celles
du Capitaine Curtis. Le Capitaine Wallotton
, Aide- de- Camp de ce Général , étoit
porteur de ces dépêches publiques , & étoit
annoncé au Ministère comme un homme
en état de donner tous les éclairciſſemens
qu'on pourroit défirer. Ce ſont ces éclairciſſemens
qui piqueroient la curiofité du
Public , qui voudroit être inftruit au vrai
de l'état de la Place avant qu'elle fut ravitaillée
, & qu'il eſt évident que nous aurions
perdue ſans cet heureux évènement.
Le Général ſe contente de donner un état
des morts & des bleffés depuis le , Août
juſqu'au 14 Octobre ; les premiers montent
à 65 , & les ſeconds à 400 dont 2 Majors
, 2 Capitaines , 2 Capitaines-Lieutenans
, dont un eſt mort de ſes bleſſures
6 Lieutenans dont un eſt également mort ,
& 10 Sergens,
La Cour a auffi publié dans la Gazette
la relation d'une nouvelle lettre de l'Amiral
Howe , à bord du Victory , le 14 Novembre
, à la hauteur de Ste Hélène .
>> En adition au contenu de ma lettre du 24 , dit
le Lord Howe , j'ai à vous informer qu'auſlitôt que
les mats des vaiſſeaux endommagés par le feude l'ennemi
eurent été convenablement affſurés , on faifit
la première occaſion (dans une briſe légère du Nordeft
qui fuccéda au calme qui étoit ſurvenu ) de s'é
16
( 204 )
Iever dans la partie du Nord le 22 dans la nuit , faiſant
toutes les voiles poſſibles , & ayant tout le ſoin
convenable de tenir la flotte duement raſſemblée
pour recevoir encore l'ennemi . Le vent continuant
au même point juſqu'au 25 , & plus à l Eſt , pendant
les trois jours ſuivans , nous forcions de voiles comme
ci - devant ; mais comme l'ennemi qui avoit perſiſté
à éviter de renouveller l'action du 21 , ne pouvoit
pas , ( le vent continuant depuis au même point)
y être forcé , excepté en mancoeuvrant ſur la côte de
Barbarie par un tems incertain , ce qui n'étoit pas
praticable à raiſon de l'état où étoient les vaiſſeaux à
bien des égards , le 28 je mis la flotte en panne , pour
préparer les détachemens mentionnés dans mes inftructions
à cette période «.
On voit que Sir Howe veut abſolument
nous perfuader que l'armée ennemie ſi ſupérieure
à la fienne , a toujours évité le combat;
& cela n'eft guère vraiſemblable , puifqu'on
fait qu'elle a marché toujours ſur
ſes pas ; qu'elle n'a pas héſitéà l'attaquer avec
des forces inférieures ; qu'il paroît démontré
par la conduite même de notre Amiral ,
qu'il ne s'eſt préſenté au combat que parce
qu'il voyoit ſa ſupériorité ; que la nuit
étant venue & ſe voyant mal mené par
un ennemi inférieur , craignant ſur- tout
que le lendemain il n'eût repris ſa ſupériorité
par la jonction de ceux de ſes vaiſſeaux
reſtés en arrière , il ſe hâta de s'éloigner.
Une preuve qu'il a été affez maltraité , c'eſt
qu'il n'a pu achever que le 22 , non de
ſéparer , mais d'aſſurer ſes mâts. Quoiqu'il
en ſoit de tous ces détails , il a réuſſi dans
fon expédition , & c'étoit l'effentiel ; il eſt
de retour ſain & fauf.
( 205 )
2
C'eſt le 14 au foir , écrit-on de Portſmouth ,
qu'il eſt arrivé à Ste-Hélène avec 16 vaiſſeaux , dont
de 100 canons , 2 de 98 , 2 de 90 , un de 84 , un
de 80 & 8 de 74. Il a laiflé à Plymouth en paflant
devant ce port l'Egmont de 74 , le Bienfaisant de
64 & le Buffalo de 60. Dès le 28 du mois dernier ,
il avoit tiré des différens vaiſſeaux de la flotte , la
quantité néceſſaire de proviſions pour ſuffire à la
traverſée de la diviſion de 8 qu'il a détachés aux
Indes Occidentales. Cette diviſion eſt ſous les ordres
de l'Amiral Hughes , & compoſée des vaiſſeaux fuivans
: l'Union de 90 , la Princeſſe Amélie de 84 ;
le Berwick , la Bellone , le Suffolck de 74 ; le Rai-
Sonnable , le Ruby , le Polyphême de 64. Il a envoyé
àCork , aux ordres de l'Amiral Milbank , l'Océande
१०,le Foudroyant de 80 , la Fortitude ,le Dublin
de 74; l'Afie de 64 , le Panther de 60 ; & il a laiffé
en croiſière 3 vaiſſeaux de 64 ..
On ſuppoſe ici que la diviſion de l'Amiral
Milbank pourra prendre ſous ſon efcorte
le convoi conſidérable deſtiné d'Irlande
pour les Indes occidentales. Ces ſix vaiſſeaux
qui ſeront plutôt prêts que tous les autres
qu'on pourroit choiſir , joints auxhuit partis
avec l'Amiral Hughes , feroient un renfort
de 14 , & comme nous en comptons déja
28 aux ifles , cela porteroit nos forces à 42 .
>> Ce tableau eſt impoſant, dit un de nos papiers
; on ne manque pas de calculer que nos ennemis
, pour égaler ce nombre , ſont obligés d'en
expédier 16; ils peuvent en envoyer 20 , pour s'affurer
quelque ſupériorité; mais il faut que ces vaifſeaux
arrivent, & leur jonction , avec ceux qui y
ſont déja , devient peut-être difficile. Nous faiſons
très-bien de l'eſpérer ; mais il faut un peu ſe défier
des évènemens de mer , & ils peuvent arriver dans
des lieux où nous ne les attendrons point ; s'ils
( 206 )
parviennent à leur destination , la chance ne ſera
plus à notre avantage. L'important ſeroit de profiter
du moment où les forces de nos ennemis ſont
encore éloignées . On ſe flatte ici que l'Amiral Pigot
a dû quitter New-York pour ſe rendre aux Ifles ,
& comme il emmène des troupes , on eſpère qu'il
tentera quelque choſe contre les poſſeſſions de nos
ennemis. On ne manque pas de ſuppoſer ici que
ſes opérations ſe tourneront vers la Martinique ,
& qu'avec ſa flotte il empêchera le Marquis de
Vaudreuil d'y retourner. Mais il faudra bien d'autres
forces que celles qu'il peut avoir pour tenter
quelque choſe contre cette poffeffion ".
Le paquebot le Sandwich arrivé de New-
Yorck , nous apprend que l'Amiral Pigot
avec ſes 28 vaiſſeaux , devoit mettre à la
voile pour les illes pea de jours après ſon
départ ; dans ce cas l'expédition qu'on lui
ſuppoſoit pour brûler les vaiſſeaux François
qui ſe réparoient dans la Virginie , n'a pas
été entrepriſe. Toutes nos nouvelles de cet
Amiral ſe réduiſent à une liſte des priſes
qui ont été faites ſur mer; il n'oublie pas
celle de la frégate l'Aigle , dont on a déja
eu des détails par la France ; il a envoyé à
la Cour la lettre même du Commodore
Elphinston qui lui fait part de cet évènement.
Nous la tranſcrirons ; elle eſt du 22
Septembre .
>>>Les vaiſſeaux de S. M. le Lion & la Vestale ,
reconnurent dans la ſoirée du II quelques voiles
étrangères ; elles furent chaſſées en conféquence de
mes ordres . Le 12 , on comptas voies , dont 2
au vent , que leur apparence me fit juger ennemies ;
je chaffai an vent. A 7 heures du matin , le floop la
Boneta me joignit , & m'informa que les vaiſſeaux
( 207 )
1
au vent étoient des vaiſſeaux de guerre , & avoient
refuſé de répondre aux fignaux privés qu'il leur
avoit fait la nuit précédente. La chaſſe fut continuée
juſqu'à 9 heures , qu'un troiſième vaiſſeau nous paffa
par le travers dans la partie de l'Eſt , faiſant des
fignaux auxquels j'étois étranger. Je le pris ; c'étoit
la Sophie , deſtinée de Bayonne pour Philadelphie.
J'appris , des priſonniers , que la Sophie s'étoit léparée
de l'Aigle & de la Gloire , frégates Françoiſes
, ayant ſous leur convoi un bricq pour l'Amérique
, & à bord pluſieurs paſſagers de diſtinction
&de groſſes ſommes d'argent. Le Lion & la Vestale
n'étant pas éloignés , je les fis prier de gagner la
Delaware , & de mouiller de manière à empêcher
l'ennemi d'y entrer pendant que je fuivrois . Le 13 ,
à la pointe du jour , l'ennemi fut reconnu à l'ancre
hors du fanal du Cap de Henlope , avec le bricq
le Racoon qu'il avoit pris. Le ſignal de chaffe étant
donné , il leva l'ancre & entra dans la rivière . Le
venttournant alors à l'Eſt , le Warwick & la Vestale
le doublèrent , & lui coupèrent aina le canal qu'il
cherchoit. Il ne reſtoit a l'ennemi que l'alternative
de mettre en panne & d'engager avec une force
ſupérieure , ou de chercher un paſſage à travers les
banes de fable de Shears , où nos vaiſleaux , qui tirent
trop d'eau , n'auroient pu le ſuivre . Il prit ce dernier
parti , remonta le faux canal , où je le ſuivis . Le
riſque étoit grand ; mais l'objet l'étoit plus encore.
Je n'avois point de Pilote ; l'ennemi avoit celui du
Racoon , qui ne put réſiſter à l'offre de soo louis .
A midi , je fus obligé de jetter l'ancre à cauſe des
bas-fonds. Le Lion & la Boneta me joignirent.
•L'ennemi mouilla en même-tems. Nos bateaux eurent
•ordre de fonder . Nous continuâmes ainſi juſqu'au
15 ; à 3 heures de l'après- midi , on leva l'ancre; l'ennemi
en fit autant. A 6 heures , la Boneta fir le ſignal
qu'elle étoit dans un bas-fond ; l'ancre fut jetée
par 4 braſſes & demie; un bateau m'avertit qu'on
( 208 )
ne pouvoit avancer plus avant. Ce qui nous conſola
, c'eſt que nous vîmes échouer le plus gros
vaiſſeau de l'ennemi . J'envoyai le premier Lieutenant
da Warwick à la Vestale & à la Boneta ,
avec ordre de s'élever ſur chaque hanche de l'ennemi
& de l'attaquer. Cet ordre fut exécuté avec
intelligence & célérité. La Vestale échoua fur la
hanche du ſtaibord , la Boneta à 100 toiſes de celle
de babord ; la Sophie , ſe plaça ſous la poupe ;
le Commandant François fut obligé de ſe rendre :
il n'avoit pas un canon qui pût porter ſur aucun
e nos vaiſſeaux. C'eſt ainſi que nous prîmes
l'Aigle , commandé par M. de la Touche. Cet Officier
jouit d'une grande réputation , & , felon mon
jugement, a fait de grands efforts pour ſe tirer des
difficultés dont il étoit environne. Le Baron de
Viomenil , M.de Laval- Montmorenci , le Duc de
Lauzun , le Vicomte de Fleury , & pluſieurs autres
Officiers de diſtinction , ont échappé & gagné la
côte dans des bateaux , qui ont emporté une grande
partie du tréſor , dont 2 petites caiffes & aboîtes ,
font tombées entre nos mains : La Gloire tirant moins
d'eau a remonté la rivière. Tous les équipages auſſitôt
que les vaiſſeaux de S. M. ont été dégagés & en
sûreté , ont été employés à ſauver la priſe , ce qui
a été effectué le 17 avec beaucoup de travail . Le 20 ,
en deſcendant la baie je reconnus 2 bricqs qui
n'avoient pu remonter la rivière , ils débarquoient
leurs chargemens. J'ordonnai à la Vestale d'en retirer
les équipages & de les brûler ce qui fut
exécuté .
On ſe garde bien de dire dans cette relation
que les frégates avoient combattu auparavant
un vaiſſeau de 74 canons ; qu'elles
l'auroient pris , fi le Commodore Elphinſton
n'avoit point paru ; que c'eſt le tems
qu'elles ont perdu à ce combat qui a expoſé
1
( 209 )
l'Aigle au fort qu'elle a ſubi. On croit ici
que ce vaiſſeau eſt l'Hector , dont on n'a
point de nouvelles , non plus que des autres
vaiſſeaux qui eſcortoient la flotte de
la Jamaïque. Au départ du Sandwich de
New Yorck , on n'y avoit point entendu
dire encore qu'aucun de ces vaiſſeaux fût
arrivé à Halifax. Le ſeul eſpoir qui reſte
de leur ſalut , eſt qu'ils ſe ſeront rendus à
Antigues , où quelques papiers prétendent
qu'ils font arrivés ; mais on n'en a reçu aucun
avis dans les Bureaux .
On n'a point encore d'avis de l'évacuation
de Charles Town , & on craint qu'elle
n'ait été effectuée , parce qu'il n'eſt pas vraiſemblable
que les contre-ordres , fil'on en a
en effet expédié , comme on le dit , foient
arrivés à tems. Nous n'avons point d'autres
nouvelles de ces centrées , que celles arri
vées avec le Sandwich , qui a apporté beaucoup
de papiers Américains ; mais la plûpart
ſont les mêmes que l'on a déja reçus
par la France , où elles avoient été portées
par la corvette Américaine le Washington ,
&dont la plus importante eſt la réſolution
du Congrès , relative aux propoſitions
pour une paix ſéparée , qui nous ôre tout
eſpoir à ce ſuj t ( r) .
>> Nous ſavons de bonne part , diſent quelquesuns
de nos papiers , que le Gouverneur Franklin
eſt chargé d'aſſurer aux Loyalistes Américains , dont
on prétend qu'un grand nombre ſe rend actuellement
(1) Voyez le Journal du 16 Novembre , page 114.
( 210 )
à New Yorck , qu'ils feront puiſſamment foutenus ;
& que le Gouvernement a en conféquence donné
ordre de tenir prêts pour leur uſage & celui des
forces Britanniques dans cette partie du monde ,
75,000 affortimens d'armes .- Le nombre des troupes
que le Général Faucitt a ordre de lever en
Allemagne pour le ſervice de la Grande-Bretagne ,
& qu'on dit deſtinés à paſſer au-delà des mers ,
eſt ſelon les uns de 6000 , & felon les autres du
double «.
Le Conſeil de guerre , au ſujet de la reddition
de l'ifle de Minorque , eſt aſſemblé.
Le Général Murray a bien fait déclarer
dans pluſieurs papiers , que c'étoit lui qui
l'avoit follicité ; cependant l'ordre du Roi
au Conſeil de guerre , en date du 16 du
mois dernier ne fait mention que de
L'accuſateur , qui eft le Lieutenant- Général
Sir William Drapper. Les motifs allégués au
Roi , & rapportées dans ſon ordre , font :
د
Que le Lieutenant-Gopal James Murray , &c.
étoit antérieurement au Ernier fiége , ainſi que
depuis , ayant eu des avis certains des préparatifs
faits par l'ennemi à cet égard , & encore pendant
ledit fiége , & après icelui , coupable de mauvaiſe
conduite notoire dans l'exercice de ſon commandement
, ainſi que de négligence criminelle dans les
diverſes circonstances détaillées dans un papier
annexé à notre procuration Royale , & de plus que
ledit Lieutenant-Général étoit coupable d'une profuſion&
mauvaiſe application de l'argent public &
des munitions , & auſſi de rapacité & d'exaction
pendant ſon commandement , ayant commis injuftement
divers actes d'oppreſſion & de cruauté dont
les exemples particuliers ſont juſtifiés ſous divers
chefs , dans le papier annexé à la préſente , &c. «
( 211 )
Les accuſations produites par Sir William
Drapper ſont au nombre de 100.
Elles regardent la conduite du Général avant
le débarquement de l'ennemi ; les diſpoſitions
faites & les meſures priſes pour défendre
l'ifle . L'accuſateur convient que depuis
ce débarquement la conduite du Général
eſt ſavante , excellente , que ſa défenſe
a été d'après les meilleurs principes ,
qu'il a fait preuve de vigilance , de favoir
& de bravoure pendant tout le ſiége ; il n'y
a qu'un ſeul moment où il le blâme , après
le débarquement , c'eſt de l'avoir traité , lui
Commandant en ſecond , avec incivilité. Il
pare ît que ſi le Général eût été plus poli , jamisDrapper
n'eût été ſon accuſateur. Parmi
les griefs allégués , il y en a de très-graves ,
ungrand nombre qui le font moins ; juſqu'à
préſent le Général s'eſt juſtifié ſur quelquesuns;
fur pluſieurs autres , il reſte de l'incertitude;
nous attendrons que les ſéances
foient plus avancées pour en donner les réfultats.
Quoique cette Capitale , dit un de nos papiers ,
foit depuis long-tems plus infeſtée qu'aucune autre
de voleurs , de brigands & d'eſcrocs de toute eſpèce ,
jamais les défordres , caufés par cette lie du genrehumain
, n'ont éé plus fréquens ni plus cruele que
depuis quelques mois. C'eſt une ſuite raturelle du dérèglement
qui y règne. Malgré les malheurs de la
guerre le lexe le plus voluptueux & l'amour des
plaiſirs les plus ruineux y font montés à l'excès :
ſpectacles , lieux de débauches ouvertement annoncésdans
les papiers publics , tavernes pour les jeux
( 212 )
de hafard de tout genre s'y ſont multipliés à l'infini
& comme la corruption des moeurs eſt le plus sûr
moyen de fonder le pouvoir arbitraire d'un ſeul fur
les ruines de la liberté , en réduisant les Citoyens à
l'indigence & les endormant dans la ſervitude , le
Gouvernement n'avoit point porté juſqu'ici ſes vues
fur cette partie de l'Adminiſtration publique. LeMiniſtre
voyant même avec affez d'indifférence les
Membres du Parlement appellés de leur table de
Pharaon dans les Caffés voiſins de Westminster ,
pour venir vite donner leur fuffrage lorſqu'il en
avoit beſoin ; enfin , le mal toujours croiffant depuis
pluſieurs années , étoit monté à ſon comble , au point
qu'on n'entendoit parler chaque jour que de vols &
de meurtres dans les environs de Londres , par des
gens que le jeu & la débauche avoient ruinés. Le
Gouvernement vient enfin de s'en occuper. M. Townshend,
Secrétaire d'Etat au département des Affaires
intérieures , a adreſſé le 22 Octobre une lettre circulaire
au Préſident des Seſſions de paix pour leComté
deMiddlesex , au Lord Maire de Londres , au grand
Connétable de Westmintter , aux Préfidens des Sef
fions de paix , pour cette Ville & le Comté de Surry,
pour leur preſcrire les meſures les plus propres à
prévenir ces déſordres publics , & les inviter à rendre
compte de tems en tems de l'exécution de ces
ordres «.
Parmi les papiers relatifs à nos Finances ,
il y en a quelques- uns qui méritent d'être
diftingués ; c'eſt à ce titre que nous tranfcrivons
le ſuivant : ce ſont des obſervations
fur l'état préſent des finances & des richeſſes
de la G. B.
ככ Le Ministère de Guillaume III imagina le
premier de négocier l'argent néceſſaire au ſoutien
de l'Etat, & d'hypothéquer le paiement annuel des
intérêts fur des revenus ou impoſitians publiques.
( 213 )
Il en réſulta un fonds , dont les actions pouvoient
être régulièrement négociées , achetées , vendues
ou données en paiement; ce qui ſervit à lier plus
fermement les intérêts de toutes les personnes
aiſées avec ceux du Gouvernement qui exiſtoit
alors en Angleterre. La foule de riches Capitaliftes
qui s'empreſſoient à l'envi de placer leur argent
dans ces fonds , en fit baiſſer les intérêts à 4 pour
cent , tandis que les terres montoient au revenu
de la 29e. année. Quelque tems après les intérêts
retombant à 3 & demi pour cent , il en réſulta
une hauffe pour les terres , dont il fallut payer
le revenn de la 30e. & 31e. année : elles ont même
été achetées en 1768 , au prix du revenu de la
33 , 34 & 35e . année.-La préſente guerre, ſans
contredit non moins onéreuſe que dangereuſe pour
la G. B. , a auſſi produit , à cet égard , un changement
fort remarquable , qui certainement aura
enfin de toute néceſſité une grande influence ſur
les facultés & les reſſources de l'Etat , & qui , ſous
peu d'années , le réduira à l'impoſſibilité de pouvoir
continuer la guerre. Dans la guerre qui
précéda la paix de Verſailles , les intérêts baiffoient
, mais le prix des terres hauſſoit : actuellement
le contraire a lieu. Depuis l'année 1695
juſqu'à celle de 1778 , les intérêts ſont tombés
de 10 à 4 , même 3 & demi pour cent , & les
terres ſont montées du revenu de 12 années à celui
de la 30e. , même de la 33e. Comme la guerre
contre l'Amérique , ſoutenue par la pluralité , achetée
& actuellement obtenue au Parlement , répugnoit
à la Nation, le Ministère n'oſoit augmenter
la taxe fur la drèche & la bière , ni inventer des
impofitions trop onéreuſes à l'artiſan & au cultivateur
; car il falloit éviter toute occaſion de cauſer
des troubles inteſtins; c'eſt la raiſon pourquoi l'on
ſe contenta de mettre une impofition ſur les domeſtiques
mâles & ſur les maiſons, dont la der-
-
( 214 )
nière retomba cependant à la charge du locataire,
& non , comme par le paffé , à celle du propriétaire.
Ces deux impoſitions n'ont pas rendu autant
que l'on diſoit au commencement; ainſi cette opération
a de beaucoup augmenté les dettes de l'Etat ,
puiſque l'on ne peut payer les intérêts à tous ceux
qui avoient avancé à l'Etatde l'argent fur ces taxes :
on fut donc obligé d'offrir à ceux dont l'Etat attendoit
encore des avances , un intérêt plus fort ,
des primes de billets de loterie & d'autres douceurs.
Comme dans cet intervalle les intérêts reftoient
às pour cent , le public ne s'en inquiétant
pas d'abord , commença à en ſentir bientôt le préjudice.
Ceux qui avoient avancé leurs deniers , à
و
pour cent , fur des maiſons , fur des terres ,
des comtés & fur des obligations paflées ſous
main s'apperçurent qu'il y avoit plus à gagner
avec le Gouvernement; ils cherchèrent donc
à raſſembler leurs capitaux déja placés , pour les
avancer à l'Etat. Les propriétaires de bien- fonds , le
fabricant & le négociant tâchent de remplacer ce
vuide , mais comme ils ne peuvent offrir que l'intérêt
ordinaire , ſavoir cinq pour cent , ils ne perfuadent
perſonne ; l'Etat donnant des intérêts beaucoup
plus forts. Il faut donc que le premier vende
ſes terres , ſa maiſon ou ſes marchandises ; & tout
le numéraire paſſant dans les mains du Gouvernement
, perſonne ne ſe ſoucie d'acquérir des maifons
ou des effets , à moins qu'on ne puiſſe les avoir
à beaucoup meilleur marché qu'à l'ordinaire , &
qu'il ſoit probable d'y gagner davantage qu'en
prêtant au Gouvernement. D'où il eſt arrivé qu'en
1779 , des terres ont été vendues au vil prix d'un
revenu de la 23e. année & un quart; & qui plus
eſt , au mois de Décembre dernier une terre conſidérable
a été cédée pour le revenu de 19 ans.
-La façon de parler ordinaire eſt à la vérité :
Oh ! le Ministère n'eſt pas embarraffé; les habi
( 215 )
tans de Londres ont déja ſouſcrit pour les
douze millions qui roulent , & il ſaura toujours trouver
le moyen d'obtenir affez de numéraire pour la
guerre. Je ne révoque pas en doute la vérité de cette
affertion : mais , c'eſt une autre queſtion à faire ,
combien de tems on ſoutiendra la gageure , & fi , à
la fin , la plupart des poffeffeurs des biens-fonds
actuels ne feront pas réduits à un tel état de pauvreté
qu'il ne leur reſtera rien ou du moins peu de
choſe ? car , pour effectuer cette ſouſcription de 12
millions , le Ministère donnera un intérêt permanent
de trois pour cent aux prêteurs ; mais le Parlement
pourra toujours & en tout tems rembourſer le capital
, tandis que les prêteurs jouiront en outre d'une
annualité de quatre pour cent pendant 28 ans, laquelle
cependant ne peut être nombreuſe ; cela fait donc
ſept pour cent, conféquemment des intérêts beaucoup
plus forts que la loi n'en permet aux particuliers.
Cette loi lie pourtant l'Etat : or , qu'on pèſe impartialement
les conféquences que cette nouvelle offre
avantageuſe doit avoir néceſſairement pour le Public.
-Si le Miniſtre offre aux Souſcripteurs des 12
millions , les trois pour cent d'intérêt perpétuel ,
avec les quatre pour cent d'annuités pendant l'efpace
de 28 ans , les Souſcripteurs , pour pouvoir
fournir l'argent dans les termes ſtipulés , feront
certainement tous leurs efforts pour exiger leurs
ſommes déjà placées ; ces fortes de ſpéculateurs
n'aiment pas à garder l'argent dans leurs coffres
ſans le faire valoir. Les débiteurs , tels que le ſont
la plupart des propriétaires de fonds de terre , ne
pouvant pas les contenter à la première ſomma .
tion, feront dans l'indiſpenſable néceſſité de vendre
une partie de leurs biens-fonds , vu qu'il n'eſt guère
poſſible d'avoir de l'argent à l'intérêt de cinq pour
cent ,lorſque le Gouvernement en offre ſept .-Mais
qui ſera tenté d'acquérir actuellement des terres
quand on peut placer fon argent à un intérêt fi
( 216 )
énorme , à moins que la terre qu'on achette nepuiſſe
rendre un intérêt équivalent ? Le propriétaire , vonlant
éviter la vente juridique de fes biens -fonds
dont le créancier le menace , & par- là éviter les
frais de procès , ſe voit réduit à les vendre de la
main ; & pour s'exempter de la vente juridique ,
il vend ſes terres à meilleur marché. Par exemple ,
il doit payer 1000 livres sterling. Eût - il voulu
vendre quelques années plutôt , lorſque ſa terre
valoit encore le revenu de 30 ans ? il ne lui cût
fallu préſenter en vente qu'un terrein rendant annuellement
33 livres ſterling , tandis qu'actuellement
, afin de rembourſer 1000 livres ſterling ,
il doit ſe défaire d'un terrein qui lui rapporte ,
chaque année , une rente de 60 livres , & le nouvel
acquéreur obtient ce terrein à raiſon du revenu de
16 ans & deux tiers.- Des terres qui reſtent au
vendeur , il doit encore , de tems à autre , payer
des impoſitions plus fortes , qui , outre cela , le
grèvent encore plus fortement en partie , puiſqu'il
ſe voit obligé à payer de la maiſon qu'il occupe ,
la même taxe ſur les fenêtres , qu'il acquitta avant
la vente du terrein qui aidoit au paiement de cette
taxe. Depuis la guerre , leur nombre a été de
beaucoup augmenté ; par exemple , la taxe fur
les domeſtiques ; d'autres ont été aggravées ,
telles que celle ſur les fenêtres , les ſupplémens
à l'impoſition ſur les maiſons , celle fur
les carroffes & autres voitures . La taxe des terres
rapporte 20 pour cent du produit. On paye une
impoſition de la drêche qu'on employe à braſſer de
la bière. La lumière dont on ſe ſert, eſt déjà chargée
d'acciſe. Le vin , le rum , le thé , le ſucre ,
le tabac, tout s'y trouve aſſujetti : les étoffes de
foie , les toiles , en un mot , tout ce qu'on peut
imaginer , paye impofition. - On est accoutumé
de dire que , quoique le Gouvernement paye actuellement
ſept pour cent des ſommes avancées ,
cela
( 217 )
cela n'aura cependant lieu que durant le cours de
la guerre préſente , & qu'après le rétabliſſement de
la paix , les intérêts retomberont à cinq pour cent,
Bon ! mais le pauvre propriétaire de bien- fonds
s'eſt néanmoins vu réduit à donner ſes terres pour
environ la moitié de leur valeur , ce qui , en attendant
, eſt une perte irréparable. Et qui bonifiera
au propriétaire de terres cette perte que lui
& tous les habitans de la Grande- Bretagne ont
ſupportée, durant le cours de vingt-huit ans pendant
le quels le Gouvernement a dû payer ſept pour
cent , que la Nation ſupporte en acquitant des
taxes, des impoſitions onéreuſes ? «
4
Lafuite à l'ordinaire prochain.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 26 Novembre
LE 21 , le Roi reçut , dans ſon Cabinet ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
St- Louis , Mgr. le Comte d'Artois , qui prêta
en cette qualité , entre les mains de S. M. ,
le ſerment qui fut lû par le Marquis de Ségur ,
Miniftre de la guerre. Le lendemain M. le
Duc de Bourbon fut reçu pareillement dans
le Cabinet de S. M.
Le Roi a nommé le Comte de Thyard ,
Lieutenant- Général de ſes Armées , Commandant
en chef en Provence à la place de
feu le Marquis de Vogué.
La Cour prendra le Deuil le 26 pour la
mort de la Frinceſſe Charlotte - Amélie ,
grand-tante du Roi de Danemarck. Elle le
portera cinq jours.
LE 17 de ce mois LL. MM. & la Famille
30 Novembre 1782 . k
( 218 )
Royale ſignèrent le contrat de mariage du
Comte de Cheriſey , Meſtre - de - Camp de
Cavalerie , & Sous- Lieutenant des Gardesdu-
Corps du Roi, avec Mademoiselle le Senéchal.
Le même jour le Comte de la Rochefoucauld
de Conſages , Lieutenant-Général des
Armées navales , que le Roi a nommé à la
place de Vice- Amital , vacante par la mort
du Comte de Roquefeuil , a prêté en cette
qualité ſerment entre les mains du Roi .
De PARIS , le 26 Novembre.
MONSEIGNEUR le Comte d'Artois arriva
le 20 à Versailles vers les 10 heures du foir.
Le Roi avoit été chaffer ce jour là , du côté
de Bernis , où S. M. comptoit revoir ſon
frère dans l'après midi. Malgré toute la diligence
que ce Prince avoit mis de Bayonne
ici , il ne put arriver que fort tard. M. le
Prince de Naſſau l'avoir précédé ; & il eut
P'honneur de dîner ce jour- là avec le Roi ,
dans l'Hôtellerie même de la poſte de Bernis
, où S. M. s'étoit ar êrée pour y attendre
ſon frère. M. le Duc de Bourbon qui étoit
à 10 ou 12 poftes de diſtance de Mgr. le
Comte d'Artois , arriva le lendemain matin .
Deux Couriers extraordinaires font venus
deMadrid depuis quelques jours ; on ignore
les nouvelles qu'ils ont apportées ; on croit
qu'elles font relatives au plan des opérations
de la campagne prochaine. Ils n'ont point
donné d'autres détails de l'action du 20 du
( 219 )
mois dernier ; nous tranfcrirons ici , fur cet
évènement , la lettre de D. Louis de Cordova
, du 22 Octobre , adreſſée au Marquis
de Castejon , Miniſtre de la Marine , & inférée
dans la Gazette de Madrid du premier
Novembre.
>> M. , le 14 du courant étant à la vue de Mar
bella , j'eus l'honneur de rendre compte à V. E.
que l'armée combinée à mes ordres étoit forrie du
mouillage d'Algéſiras la veille. Je vous adreſſe
anjourd'hui le Journal de ma marche & de mes
manoeuvres , afin que S. M. puiſſe étre inſtruite
de l'impoffibilité où j'ai été d'empêcher que l'efcadre
ennemie paſsât de l'Eſt à l'Ouest avec ſon
convoi , attendu les tems brumeux & les vents quí
nous l'ont ſouvent dérobée à la vue.-Le 10 au
matin , l'ennemi revint à l'ouvert du Détroit ; nous
l'apperçumes , & je lui donnai chaſſe juſqu'au lendemain
; alors il parut nous attendre & it forma
ſa ligne; mais profitant de la bonté de ſa voilure ,
cette ligne fut formée de manière qu'il ne fut pas
poſſible à tous nos vaiſſeaux de l'attaquer à la fois.
32 ou 33 de nos vaiſſeaux attaquèrent cependant
les 34 vaiſſeaux ennemis malgré les avantages
d'une pofition dans laquelle ceux- ci étoient non-feulement
éloignés les uns des autres , mais même ils
ne purent être joints ſucceſſivement que par notre
eſcadre légère , & par la ſeconde & la troiſième
diviſion. Le combat s'engagea un peu avant 6 heures
du ſoir. Le feu commença par notre avantgarde
, il fut continué par l'arrière-garde , & enfin
par le centre. Mais il ne put jamais être général
, parce que l'ennemi ſe ſéparoit ſe'on qu'il le
jugeoit à propos , à l'aide de ſa marche ſupérieure
, & en courant des bordées. Vers les 10 heures
& un quart il ſe trouva hors de portée , &
il ſe retira en ſaiſant plus ou moins de voiles , ſe-
,
k2
( 220 )
lon qu'il le jugeoit convenable , pour confervet
fon ordre de bataille.-Alors je crus inutile de
pourſuivre l'ennemi & de lui donner chaſſe , jugeant
par la vîteſſe de ſa fuite que je ne pourrois
pas l'atteindre. J'ignorois les avaries de ma ligne,
& je ne crus pas devoir m'expoſer à combattre 34
vailleaux de ligne en bon ordre tandis que j'étois
inférieur en forces , & que les ſignaux pouvoient
n'être pas bien vus. Je fus déterminé en outre ,
par l'eſpérance où j'étois d'engager le lendemain
l'ennemi à une nouvelle action. La nuit ayant été
affez calme , je continuai à obſerver l'ennemi , &
j'étois maître du champ de bataille. - Le 21 au
matin je vis encore l'ennemi , & quoique la mer
fût très-calme , il maroeuvroit pour s'éloigner , &
en effet je le perdis de vue au coucher du ſoleil ,
tandis que le calme nous empêchoit preſque de
gouverner : je ne jugeai donc pas à propos de reprendre
une chaſſe inutile, & pendant la nuit je
portai au Nord- ouest , croyant que l'ennemi pren.
droit la même direction pour gagner ſes ports.
Cependant j'ai tout lieu de croire qu'il a cinglé
ſous le vent , puiſqne le matin je n'ai plus rien
découvert ; & j'ai enfin ordonné que l'armée profitât
du premier vent favorable pour gagner le
port de Cadix.-Je crois inutile de faire l'éloge
des bonnes diſpoſitions & de la vivacité de notre
feu , attendu la bravoure connue des deux nations
alliées ; je remarquerai ſeulement que nous avons
combattu avec 32 vaiſſeaux contre 34 Anglois ,
qui ont quitté la partie , on à cauſe des dommages
qu'ils ont foufferts , ou à raiſon des vues politiques
de l'Angleterre , qui n'a pas voulu expoſer
fon armée aux évènemens d'un combat qui auroit
été tout à notre avantage , ſi l'armée combinée
entière avoit pu donner à la fois , &c .
P. S. J'ai demandé au Comte de Guichen s'il vou
loit écrire à ſa cour; il m'a répondu poliment
( 221 )
qu'il ne pouvoit rien avoir à ajouter à ma dépêche:
j'en fais part à V. E. , afin qu'elle puiſſe faire
paffer mon Journal ou toute autre notice , à
l'Ambaſſadeur de France .
Les lettres particulières de Cadix , ne
donnent pas des détails plus circonstanciés
de la rencontre des flottes , que ceux que l'on
a déjà publiés . On y voit que la plus grande
union régnoit entre les eſcadres des deux
Nations , & ce qui s'eſt paffé à bord de
l'Invincible , en offre une preuve qui mérite
d'être citée .
>> On avoit été obligé de remplacer les malades
de ce vaiſleau par 200 matelots Eſpagnols commandés
par un de leurs Officiers qui fut grièvement
bleſfé dès le commencement de l'action . M. de la
Motte-Piquet , voyant la quantité de ſang qu'il perdoit
, le preſſa pluſieurs fois de defcendre pour fe
faire panfer . L'Officier Eſpagnol ne voulut jama's
quitter ſonpoſte , parce que , diſoit- il , ſes matelors
pourroient ne pas comprendre les ordres qu'on leur
donneroit en François , & faire manquer la manoeuvre
. Il reſta conſtamment tout le tems du combat,
& ne voulut pas fouffrir qu'on lui mit le premier
appareil avant qu'il fût certain de la retraite des
ennemis . On prétend que M. de la Motte-Piquer a
demandé la Croix de St- Louis pour ce brave Officier.
Sans doute le Roi d'Eſpagne ne ſe refuſera pas,
à ce qu'il foitdécoré de cette marque honorable. On
s'occupe ici du ravitaillement de la flotte dont M. le
Comte d'Estaing doit prendre le commandement.
Tous les vaiſſeaux François font à-peu-près prêts ;
on a aſſez de cuivre ici pour doubler les principaux
vaiſſeaux Eſpagnols , & on en attend de Toulon autant
qu'il en faudra poor le reſte ".
M. le Cointe d'Estaing a dû arriver le 20
ou le 21 à Madrid; on dit que les 6 Com-
1
k3
( 222 )
miſſaires qu'il a nommés à Bordeaux , ainfi
que la Chambre de Commerce de cette
Ville ont déjà déſigné 150 Sujets de la
Marine marchande , propres à remplir les
vûes du Roi , & à être employés ſur les vaifſcaux
de S. M. Bayonne , Dunkerque , St-
Malo , Morlaix , &c. fourniront auſſi les Officiers
les plus habiles & les plus courageux.
On lit dans quelques lettres du camp de
St-Roch un fait bien fingulier dans ſes circonſtances
; les Officiers qui l'ont écrit prétendent
en avoir été les témoins oculaires.
Nous nous contenterons de le tranſcrire.
>>> Un jour ils virent paroître ſur le ſommet de
la montagne de Gibraltar un homme & une femme ,
qui parlèrent quelque tems enſemble; enſuite l'hom
me s'érant détourné, la femme ſe couvrit la tête
d'un mouchoir , & fans doute ſe tua , puiſqu'elle
tomba , & qu'on vit l'homme lui creuſer ſa foffe
& l'enterter. Le lendemain le même homme parut
ſeul au même endroit , & après avoir donné des
fignes non équivoques de douleur & de déſeſpoir ,
il ſe cafía la têre d'un coup de piſtolet. Erfin il
arriva quelques hommes qui l'enterrèrent à côté de
la femme qui s'étoit tuée la veille. Cette épouvantable
avanture , dont on ignore la caufe , & dont
on n'a vu que l'effet , a fait pendant pluſieurs jours
l'entretien de toute l'armée : on eſpère d'apprendre
la cauſe de deux réſolutions auſſi déſeſpérées , dont
on ne peut concevoir juſqu'ici le motif ".
On apprend que tous les bâtimens fortis
des ports de Royan &de l'Ifle d'Aix , avertis
à tems de l'approche de l'eſcadre de l'Amiral
Howe , font rentrés heureuſement.
Selon les lettres de l'Orient , les vaiſſeaux
l'Audacieux , & le Fougueux de 74 canons ,
( 223 )
&la frégate la Méduse de 40 & portant
du 18 font en conſtruction dans ce port ,
où on double en cuivre l'Iphigénie & l'Ecureuil
, & où l'on donne un radoub à
l'Ariel.
>> Nous avons actuellement ici , écrit- on de Toulon
, en date du 7 de ce mois , 4 vaiſſeaux de 74 fur
le chantier , le Mercure , le Séduisant , l'Heureux
&le Centaure . Les deux derniers feront inceffamment
mis à l'ean , & le Centaure ſera tout de ſuite
remplacé par le Commerce de Marseille , vaiſſeau de
48 canons. --Les frégates la Junon & la Minerve
de 40 canons , portant du 18 , font en armement.-
On attend un convoi du Levant qui doit être eſcorté
par la frégate la Boudeuse. - On dit que tous les
feconds bataillons des régimens qui ſont ici en
garniſon doivent s'embarquer. - Le régiment du
Maine parti de Beziers , où il étoit en garniſon eſt
arrivé ici le 20 du mois dernier pour remplacer les
bataillons ".
On apprend de Nantes que le navire
Américain le Marquis de la Fayette , parti
de Salem le 12 Octobre , eſt arrivé au bas de
la rivière le 13 de ce mois avec une priſe
qu'il a faire dans ſa traverſée , du bâtiment
'Anglois le Tartar , d'environ 300 tonneaux
, chargé de tabac. Il alloit de New-
Yorck à Glasgow , & avoit 11 Officiers Anglois
paflagers.
Le floop Anglois le Roi George , d'environ
is tonneaux , pris le 14 de ce mois
à la hauteur de Plymouth , par le corſaire
de Dunkerque la Comteſſe d'Avaux , eft entré
le 16 à Dieppe .
Le corfaire Hollandois le Fleſſinguoi's ,
k4
( 224 )
a amené le 12 à Cherbourg le floop Anglois
le Dispatch , d'environ 40 tonneaux , dont
il s'étoit emparé le 10 ; il avoit fait deux
autres priſes , qu'il a envoyé dans le premier
Port de France .
Le corſaire de Dunkerque le Mouſquetaire
Italien , a conduit à Calais le brigantin le
Robert & Marie , de Shields , du port de 1 50
tonneaux , dont il s'étoit emparé le 10 de ce
mois à la rade de Douvres .
Nous nous empreſſons de placer ici la lettre
ſuivante , qui vientde nous être adreſſée ;
elle contient une réclamation à laquelle on
doit de la publicité , & fournit une nouvelle
preuve de l'exactitude de l'Officier
Général , Auteur de l'Hiſtoire du Comte
de Saxe.
» M. , vous voulûtes bien inférer dans votre
Journal du 17 Mars 1781 , une lettre qui m'avoit
été écrite par M. de Tricaud , ancien Capitaine
du Régiment de Lyonnois , au ſujet de men Hil
toire du Maréchal de Saxe , où il eſt dit (1 ) que
Mylord d'Albermale fut pris au combat de Denain ,
par M. de Ligny , Capitaine au Régiment d'Agénois
; M. de Tricaud a foutenu que cette action
regardoit M. ſon pere , alors Capitaine dans le
Régiment de Lyonnois : il s'eſt appuyé du Mercure
de France de 1712 , & de l'Histoire Militaire
de Louis XIV , par M. de Quincy.-M. de
Ligny de qui je tenois ma note , & qui demeure
àla campagne, ayant été inſtruit qu'on cherchoit à
priver M. ſon pere d'une distinction qui lui fut
perſonnelle , m'a chargé de vous prier de faire
(1) Tome premier , page 348 de l'Edition in-4°.
( 225 )
paroître dans votre Journal les copies dedeux certificars
, dont les originaux font déposés dans l'Etude
de M. Périer , Noraire à Paris , Place Dauphine
, où chacun peut les voir ; l'un des certificats
de la propre main de Milord d'Albermale , & l'autre
de M. le Marquis de Choiſeal-Meuſe , Colonel
du Régiment d'Agénois , juftifient que ce fut à
M. de Ligny que Milord d'Alberma'e ſe rendit ,
& que ce fut cet Officier qui le mena & le préſenta
à M. le Maréchal de Villars . -Les citations
qu'a produit M. de Tricaud feront toujours une
preuve que M. ſon pere ſe couvrit de gloire au
combat de Denain , & qu'il concourut vraiſemblablement
à la priſe de Milord d'Albermale , puifqu'on
la lui attribua . J'ai l'honneur d'être , &c .
Le Baron d'Eſpagnac , Lieutenant-Général des
Armées du Roi , Gouverneur de l'Hôtel Royal
des Invalides «.
Les Certificats ſont les ſuivans :
>> Le Marquis de Meute , Colonel du régiment
d'Infanterie d'Agénois , certifie que le Chevalier
de Ligny , Capitaine audit régiment , y ſert depuis
Is ans avec beaucoup d'application & de zèle , qu'il
eſt Capitaine , ſuivant la date de ſa commiffion ,
qu'il a reçu une bleſſure conſidérable à Ocſchter ,
& une à l'attaque des lignes de Denin , en faiſant
le Milord Albemarle priſonnier de guerre , & en
donnant des marques de beaucoup de valeur , comme
dans toutes les autres actions où il s'eſt trouvé ,
avec un attachement parfait au ſervicede ſa Majeſté ;
il eſt en habitude d'avoir toujours une bonne troupe
: en foi de quoi nous lui avons accordé le préſent
certificat , pour lui ſervir & valoir en ce que
de raifon. Fait à Cambray ce vingt- ſeptième Juillet
mil ſept cent douze, Signé CHOISEUL MEUSE.
Plus bas eſt écrit , contrôlé , à Paris le 31 Octobremil
ſept cent quatre vingt-un , reçu quinze fols ,
Signé , LEZAU ..
ks
)
T
( 226 )
» Nous certifions que M. le Chevalier de Ligny ,
Capitaine audit régiment d'Agénois , nous a fait
prifonnier de guerre dans les lignes de Denin , &
qu'il nous a conduit à M. le Maréchal de Villars ,
dont nous avons reçu toutes les honêtetés & politeſſes
poſſibles ; certifions encore qu'il a été bleffé
en tenant les rênes de mon cheval : en foi de quoi
nous avons ſigné le préfent certificat , pour lui fervir
au beſoin. Fait fur le champ de bataille, près
de Neufville , le vingt- quatrième de Juillet mil
ſeptcent douze, Signé ALBEMARLE. Plusbas eſt écrir,
contrôlé , à Paris le 31 Octobre mil ſept cent quatre
vingt-un , reçu quinze ſols , Signé , LEZAU " .
Il eſt ainſi ès originaux deſdits certificats certifiés
véritables , ſignés & paraphés & déposés
pour, minute à Me. Perier , l'un des Notaires à
Paris ſouſſignés , par acte du trente-un Octobre
mil ſept cent, quatre vingt-un : le tout reſté en la
poſleſion dudit Me. Perier , qui a délivré ces préſentes,
ce jourd'hui quinze Octobre mil ſept cent
quatre-vingt-deux. , Signé , LAIR , PERIER .
On vient de publier le 7e. Mémoire concernant
les Ecoles Nationales - Militaires ;
nous nous propofons d'en rendre compte
inceflamment , & de contribuer par - là ă
faire mieux connoître cet établiſſement intéreſſant
, que le patriotiſme ſeul a fondé ;
en attendant , les perſonnes qui n'en ont encore
qu'une idée confufe , peuvent s'en
procurer une connoiſſance particulière , en
recourant aux Mémoires mêmes. Pour leur
en faciliter l'acquiſition , on a réuni quelques
Exemplaires qui reſtoientdes 7 qui ontdéja paru
ſur cette matière. Ils forment un volume ,
qu'on trouvera moyennant 3 liv. , chez M.
( 227 )
-
Brichard , Notaire , rue St-André-des-Arts ,
qui a bien voulu ſe charger gratuitement de
la recette de cette Ecole intéreſſante.
>>>L'Académie des Sciences , Arts & Belles- Lettres
de Dijen , tint , le 18 Août dernier , ſa Séance publique
pour la proclamation de ſes Prix. Le ſujer
propoſé étoit : Déterminer , avec plus de précision
qu'on ne l'a fait jusqu'à présent , le caractère des
fièvres intermittentes ; indiquer , par des fignes
non équivoques , les circonstances dans lesquelles
les fébrifuges peuvent être employés avec avantage.
Parmi les Mémoires que l'Académie avoit
reçus , elle en a diftingué cing , dont deux lui ont
paru également dignes du Prix , & les trois autres ,
d'être cités avec éloge , mais dans un ordre relatif
à leur degré reſpectif de mérite. Les Auteurs des
Mémoires qui ont partagé le Prix , font M. Voullonne
, ancien Profeſſeur en Médecine de l'Univerfité
d'Avignon , & M. Charles Strak , Profeſſeur en
Médecine de l'Univerſité de Mayence. L'Académie
pour donner à ces ſavans Médecins une preuve diftinguée
de ſon eſtime , leur a fait remettre à chacun
une Médaille d'or de la valeur de 300 livres , quoiqu'elle
n'en eût promis qu'une. Les Mémoires dont
eile a jugé à propos de faire faire une mention ho--
norable , font , 1º. une Differtation latine qui porte,
pour épigraphe , ce paſſaged Hippocrate : Qua enim
profuerunt ob rectum ufum profuerunt. 2°. Une dontl'épigraphe
eſt ce vers de Lucrèce : Prima caloris
enim pars , eft poftrema rigoris. 3 °. Le Mémoire
à la tête duquel on lit cette ſentence de Sydenham :
Eft febris ipfa natura instrumentum . M. de
Morveau lut enſuite le réſultat d'une expérience
qu'il a faite , avec ſuccès , pour congeler l'acide vitriolique
, & il mit ſous les yeux du public un appareil
diftillatoire , conſtruit d'après les idées de
১
k6
( 228 )
M. Bergman , au moyen duquel on peut faire en
petit , ſur un bureau , une infinité de diſtillations ;
ce qu'il a prouvé par une opération qui a démontré
que l'acide tartareux a plus d'affinité avec l'alkali
fixe que l'acide formicin.-M. Maret lut un Conte
en vers de M. l'Abbé Lemonnier , intitulé la Mort
du Visir . -M. Leroy de Flagis fit lecture de ſes
Remarques ſur la première époque de l'Hiſtoire de
Raffie , & M. Maret termina la Séance par l'Extrait
de l'Analyſe des Eaux de Sainte.Reine ".
Nous nous empreſſons de placer ici un
diſtique latin , que nos Lecteurs nous ſauront
gré de leur faire connoître. Il eſt la production
d'un Militaire , non moins illuſtre
par ſa naiſſance que par ſes talens & fes
lumières. M. le Marquis de Molac , Lieutenant-
Général des Armées du Roi ,Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de St-
Louis , &c. , occupé toute ſa vie de manoeuves
& d'évolutions de guerre
trouver le tems de cultiver les Muſes; le
Diſtique qu'il vient de compoſer eſt une
épitaphe de Newton. L'idée belle& fublime
n'a pu être conçue que par un homme qui
ſent bien le Philoſophe Anglois , & eſt rendue
avec cette préciſion précieuſe , qui eft
le mérite eſſentiel de tout éloge conſacré au
Génie.
a
Quem divum , tempus , coelum , natura fatentur :
Humanum monftrat tranfitus ad tumulum.
fu
Cette Epitaphe eſt bien ſupérieure à celle
que les Anglois ont miſe ſur le tombeau
( 229 )
a
.
de Newton , qui est très-étendue & qui
finit ainſi : Sibi gratulentur mortales , tale
tantumque extitiſſe , humani generi decus.
>>>Nous ne pouvons nous refuſer au plaifir d'annoncer
une nouvelle production intéreſſante des
Arts ; les noms de MM. Choffard & Beaudouin
ſuffiſent à leur éloge. L'eſtampe que vient de graver
le premier d'après un tableau du ſecond , n'a
point de titre , & pourroit porter celui de l'Eveillée
du matin ; elle rappelle le fameux chef-d'oeuvre d'un
inconnu. Rien de plus piquant que ce ſujet ; l'exécutiony
ajoute encore ; peu de morceaux , ont autant
d'harmonie &d'effet. Il fait ſuite aux trois eſtampes
déjà publiées d'après d'autres tableaux du même
Peintre , dont l'une qui repréſente la première
émotion de l'adolefcence , eft connue sous le nom
des Pigeons ; la ſeconde , eſt la Fille furpri-
Se par sa mere , & la troiſième , le Jardinier
Galant. Cette dernière eſt gravée par M. Helman ,
les autres l'ont été par M. Choffard ( 1 ) « .
Le Gouvernement vient de faire imprimer
un avisfur les bleds germés , 2) pour
être adreſſé aux Archevêques & Evêques
des Diocèſes , & aux Intendans des Généralité
du Royaume. Cet avis intéreſſant a
été rédigé par le Comité de l'Ecole gratuite
de Boulangerie. Il eſt le réſultat des expé-
(1) L' Eveillée du matin ſe trouve chez M. Choffard , qui
demeuroit précédemment aux Quinze-Vinges, & qui demeure
actuellement Quai & maiſon neuve des Théatins. C'eft chez
lui que l'on ſouſcrit pour la célèbre Collection des Eſtampes
deſtinées aux OEuvres de J. J. Rouſſeau , dont la première livraiſon
eſt déja publiée ; il s'occupe maintenant de la ſeconde.
✔ ( 2) Cet Ouvrage ſe trouve chez Ph.-D. Pierres , Imprimeur
Libraire , rue St-Jacques.
( 230 )
riences faites par ſes Membres ; on y indique
les moyens de prévenir les fuites de
la germination des bleds & d'en titer le
parti le plus économique.
M. de la Borde , Curé de Corneilhan , Diocèſe
de Condom , écrit- on de la Guyenne , a fondé
un Prix de 30 livres , pour le Laboureur de la
Paroffe qui , dans l'année aura le mieux cultivé
ſes terres. Un aatre prix égal a été fondé par
Madame de Terfac , Madame de la Garde & M.
Pujens. Les deux Prix ont été diſtribués le 28 Octobre
dernier , & adjugés à Joſeph Dapercy & à
Pierre Arquizan , Laboureurs. On s'apperçoit que
l'émulation a déjà fait faire des progrès à l'Agriculture
de cette Paroiffe a.
Marie-Louiſe Bonne- Alexandrine de Canouville
de Raffetot , femme de Charles-
Louis Marquis du Creſt , Meſtre- de- Camp ,
Commandant du Régiment des Grenadiers
Royaux de la Guyenne , eſt morte à Nice'
le 24 Octobre dernier dans la 242. année
de ſon âge..
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du is de ce mois ,
font : 68,52 , 31 , 17 & 58 .
Jugement des Commiſſaires Généraux du Conſeil
députés par S. M. poar juger fouverainement &' en
dernier reffort les contestations nées & à-naître entre
les prétendans droit à la fucceffion de Jean
Thierry, natif de Château-Thierry en Champagne,
décédé à Veniſe en 1776. Ledit Jugement conte
nant les diſpoſitions des Arrêts du Conſeil des 31
Mai , 21 Juin , 19 Juillet & 11 Août 1782 , &
( 231 )
or donne l'enregiſtrement auGreffede la Commiffion
d'un autre Arrêt du Conseil du 19 Juillet qui accorde
un nouveau délai jusqu'au premier Janvier
1783 aux prétendans droit à ladite ſucceſſion , pour
produire leurs titres . - Par l'Arrêt qui porte certe
nouvelle prorogation , S. M. ordonne que ceux qui
n'auront pas fait la remiſe de leur titre le premier
Janvier prochain ſeront déchus de tous droits dans
ladite fucceffion , & qu'il foit pafféoutre as Jugement
entre ceux qui l'auront faite , le tout conformément
aux Arrêts précédens que S. M. veut au ſurplus être
exécutés ſelon ſa forme & teneur.
De BRUXELLES , le 26 Novembre.
La diſcuſſion qui s'eſt élevée dans les
Provinces-Unies à l'occaſion de l'affaire de
l'Enſeigne de Wite , ſur la compétence du
Tribunal qui doit le juger , aura , dit- on ,
une plus grande ſuite , celle peut- être de
fupprimer le Tribunal Militaire .
هللا
>>> Les Commiſſaires de la Cour de Justice de
Hollande , de Zélande & Friſe , écrit-on de la
Haye , ont publié un Mémoire dans lequel ils ont
expoſé leurs principes ; quoiqu'ils diſent qu'ils nea
peuvent embraſſer dans tous ſes points la propofirion
de la Ville d'Amſterdam , telle qu'elle eſt
conçue , ils déclarent cependant qu'ils ne fauroient
avouer nullement l'affertion du Stadhouder dans
ſa lettre aux Etats -Généraux , qui ſuppoſe que le
jugement de Witte appartient à tous les confédérés.
Ils obſervent entre autres que l'Ordonnance Mi
litaire du 9 Mai 1705 , reclamée par le Prince , a
été rendue , non par les Etats-Généraux , mais feulement
paa le Conſeil- d'Etat de la République affemblée
, qui n'a aucun droit de faire des loix que
,
( 232 )
les Etats de chaque Province ſoient tenus de faire
exécuter dans l'intérieur de leur Souveraineté ; de
forte que cette Ordonnance militaire ſans violer la
conftitution de la République , ne peut concerner
que l'Armée en campagne ou par- tout ailleurs , où
le bras de la Juſtice politique ne fauroit s'étendre
pour venger les crimes de ſa compétence ordinairecc.
En conféquence des prérogatives attachées
à ſa dignité , le Stadhouder a le droit
d'élire les Magiſtrats de pluſieurs villes ;
la coutume s'étoit établie d'admettre ces recommandations
pour les Charges qui n'étoient
point directement de ſa nomination.
Les villes de Dordrecht & de Schonnhoven
ont réſolu récemment de rentrer dans leurs
droits à cet égard ; celles de Rotterdam &
de Schiedam viennent de ſuivre leur exemple
& d'en informer le Stadhouder par des
députations folemnelles .
Les Communes jurées , écrit- an de Zwell , font
toujours décidées à ne donner leur conſentement
àaucun ſobſide que 1Ordre- Equestre ne ſe ſoit
défifté de ſes prétentions illégales ſur les fervitudes ,
reſtes de l'ancienne barbarie féodale. Les lettres
circulaires des Etats de Zélande & de Friſe , la
première , ſur l'inaction dominante dans l'Erat ;
la ſeconde , ſur l'examen des raiſons alléguées contre
la non ſortie des vaiſſeaux pour Breſt , ont
été examinées dans les Etats , & il a été réſolu
unanimement que la Nobletſe & les Villes étorent
d'avis qu'il étoit plus que tems de faire des enquêtes
à ce ſujet , & qu'elles enverroient des ordres en
conféquence à leurs Députés aux Etats Généraux.
( 233 )
Un des Membres du Corps Equeſtre a propoſé de
faire prohiber deux brochures , où l'on excitoit les
Habitans d'Overyſel à faire valoir leurs droits ;
mais les trois Villes & la moitié de l'Ordre- Equeftre
s'y font refuſées , en diſant qu'il ne falloit donner
à la liberté de la preſſe que les bornes des loix
civiles qui rendent reſponſable tout Auteur & Rédacteur
des productions qu'il poblie , contre celui
ou ceux qui demandent fatisfaction par des voies
juridiques".
On a reçu en Hollande la nouvelle de
la perte du Ziriezée , vaiſſeau de 64 canons
qui a péri ainſi que l'Union dans les
mers du Nord . Ce vailleau ayant fait une
voie d'eau , étoit entré à Helfingor ; on
croyoit qu'il ſe rendroit à Copenhague pour
ſe réparer. Le Capitaine Haringunan ne
pouvant ſe réſoudre à hiverner en Danemarck
, avoit eſſayé de boucher cette voie
d'eau , & croyant y être parvenu , remit à
la voile avec les frégates le Médenblick ,
la Pallas & la Vénus , & 9 navires marchands
; après avoir débouqué le Détroit ,
il fut accueilli d'une tempête , & il échoua
près d'Aſdahl à 10 milles d'Ahlbourg . Le
frère du Capitaine Haringman , une centaine
d'hommes de l'équipage , furent fauvés
le 2 de ce mois par les habitans. Le
Capitaine ne fut ſauvé qu'après la tempêre.
>>C>'eſt ainfi , lit-on dans une lettre d'Amſterdam ,
que la ſortie de l'efcadre de M. Van-Kinsbergen ,
pour eſcorter les trois navires de la Compagnie
( 234 )
des Indes dans un tems où la mer du Nord eſt des
plus orageuſe , a coûté , à la République , 2 vaiffeaux
de 64 canons. L'opinion qu'on a généralement
du prétexte ſous lequel la plus grande partic
de cette même eſcadre a refuſé de ſe rendre à Breſt ,
n'eſt plus douteufe aujourd'hui. - Les Etats de
Friſe ayant reçu la réponſe de Mgr. le Prince
Stadhouder , en date du 29 Octobre, à la lettre
qu'ils lui avoient adreffée le II du même mois ,
relativement au délai apporté à la fortie de l'efcadre
pour Breft , l'opinion des trois Quartiers du
Plat- Pays a été , que cette réponſe , bien loin de
lever les doutes propoſés par la lettre de LL. NN.
PP. , autoriſoit de plus en plus les plaintes , faites
par les Etats des différentes provinces ſur un refus
auſſi inattendu , furtoutſi l'on confrontoit la réponſe
de S A. S. avec le rapport qu'elle avoit fait
le 12 Septembre au comité ſecret des Etats-Généraux.
Cependant , pour ne point perdre le tems
en difcuffions , qui ne produiroient aucuns éclair
ciſſemens, il a été réiola de ne point répliquer à
la réponſe de ſon Altetſe , mais d'écrire aux Etats
des autres provinces une lettre circulaire pour leut
propoſer de nommer quelques députés de chaque
province , afin de conférer enſemble far les opérations
de la Marine ; de prévenir que l'inactivité ,
qui n'a déja duré que trop longtems , ne ſoir con.
tinuée; d'effectuer que les affaires ſoient expédiées
avec plus de promptitude , & qu'on ne foit plus
longtems détenu par des réponſes peu fatisfaifantes
&c.-L'on ſe rappelle, qu'un des prétextes ,
dont le Ministère Britannique ſe ſervit pour couvrir
l'injustice de la déclaration de guerre contre notre
République , étoit ſa plainte contre M. Engelbert-
François van Berkel , premier Penſionnaire de notre
ville. Depuis cette époque ce Miniſtre , ſe voyant
publiquement inculpé , s'étoit volontairement abf
( 235 )
tenu de faire les fonctions de ſa charge à l'affemblée
des Etats de la province : mais en vertu d'une
réſolation priſe le 16 par notre Conſeil , les citoyens
qui s'intéreſſent au bien de la patrie , ot
eu la ſatisfaction d'apprendre , qu'il y reparoîtra , à
l'aſſemblée , dont l'ouverture ſe fera mercredi prochain
«.
L'affaire de la priſe du paquebot par le
Corfaire la Bonne-Attente , fait beaucoup
de bruit ; les Directeurs des Poſtes du pays
ont porté des plaintes au Comité des Etats
de Hollande , qui a expédié à Middelbourg
un Exprès pour remettre ces repréſentations
aux Etats de Zélande. Au départ du
dernier Courier on attendoit encore la réponſe
ſur ce ſujet .
>>> On parle beaucoup de paix , lit-on dans quelqes
lettres. Les Fermiers-Généraux de France ont
reçu ordre de laiffer entrer , ſans les viſiter , les
équipages de M. Fitzherbert. On est parti de là
pour dire qu'il y avoit un Miniftre Britannique à
Paris , & que les préliminaires de la paix étoient
convenus ; mais on a fait réflexion enfuite qu'il n'y
a guère de Miniſtres étrangers obligés de traverſer
la France , qui n'obtiennent la même faveur. Μ.
Firzherbert pouvoit y prétendre , comme Miniſtre
de S. M. B. à Bruxelles. S'il avoit ea un caractère
à Paris , on n'auroit pas oublié de l'inférer dans
l'ordre aux Fermiers-Généraux , par les mots ufirés :
Ministre Plénipotentiaire de S. M. B. auprès de
notre Perfonne. Ainsi , l'édifice qui s'étoit élevé
tout-à- coup a manqué par ſa bafe & s'est écroulé.
Ce n'est pas qu'on ne travaille au grand ouvrage
de la paix ; mais qu'on ſe ſouvienne que les conférences
pour la dernière paix commencèrent en
( 236 )
1758 , & on ne ſera pas étonné que des intérêts
aufli grands & auſſi compliqués que ceux dont il
eft queſtion cette fois , tardent à être arrangés «.
Fin du Traité entre la Hollande & les Etats- Unis .
25 ° . Afin que toute diffenfion & diſpute ſoit évitée
& prévenue des deux côtés , il eft convenu que dans
le cas où l'une des deux parties ſeroit engagée en
guerre , les vaiſſeaux & bâtimens , appartenans aux
ſujets ou habitans de l'autre allié , feront pourvus de
lettres de mer ou paſſeports , exprimant le nom , la
propriété & la grandeur du vaiſſeau ou bâtiment ,
ainſi que le nom , la place on l'habitation du Patron
ou Capitaine dulit vaiſſeau ou bâtiment; afin
qu'il apparoiffe par-là que le vaiſſeau appartient
réellement & en vérité aux ſujets ou habitans de
& exprimé ſuivant le modèle ajouté à ce traité.
l'une des deux parties; lequel palleport ,
fera dreffé
- Il faudra qu'il ſoit délivré un nouveau paffeport
, chaque fois que le vaiſſeau aura achevé ſon
voyage ; ou qu'au moins il ne ſe ſoit pas éconlé
plus de deux ans avant le tems que le vaiſſeau a
été la dernière fois chez lui , Il eſt Aipulé
pareillement , que tels vaiſſeaux ou bâtimens ,
étant chargés , doivent être pourvus , non-feulement
des paffeports ou des lettres de mer mentionnés
ci-deſſus ; mais encore d'un paſleport genéral
ou de paſſeports particuliers , ou de manifeſtes
ou d'autres documens publics , que l'en donne
ordinairement dans les ports d'eù les vaifſeaux font
venus en dernier lieu , aux vaiſſeaux qui partent ,
contenant une ſpécification de la cargaifon , la place
d'où le navire a mis à la voile , & le lieu pour
lequel il eſt deſtiné ; ou , au défaut de tout cela ,
des certificats des Magistrats ou Gouverneurs des
Villes , Places & Colonies , donnés dans la forme
ordinaire , d'où le vaiſſeau eſt parti ; afin que l'on
-
( 237 )
fache s'il y a à bord des vaiſſeaux quelques mar
chandiſes prohibées ou de contrebande ; ſi elles
-font en même-tems deſtinées pour les pays de l'Ennemi
ou non. Et dans le cas où quelqu'un juge
à propos ou trouve convenable d'exprimer dans
leſdits congés , les perſonnes à qui appartiennent
les effets qui ſont à bord, il peut le faire librement
, ſans cependant y être tenu , ou ſans que
le défaut de cette expreſſion puiſſe ou doive donner
occafion à la confiſcation. 269. Si les vaiſſeaux ou
bâtimens deſdits ſujets ou habitans de l'une des
deux parties , naviguant le long des côtes ou en
pleine mer , ſont rencontrés par quelque vaiſſeau
de guerre , corſaire ou bâtiment armé de l'autre
partie; leſdits vaiſſeaux de guerre , corfaires ou
bâtimens armés reſteront , pour éviter tout défordre
, hors de la portée du canon; mais leurs chaloupes
pourront être envoyées à bord du vaiſſeau
marchand qu'ils rencontreront de cette manière
& ils pourront s'y tranſporter au nombre ſeulement
de deux ou trois hommes , auxquels le Patron
ou Capitaine d'un tel navire ou bâtiment , montrera
fon paffe-port , contenant la propriété du vaiffeau
ou bâtiment , conformément à la formule inſérée
après ce traité ; & les vaiſſeaux ou batimens,
après avoir montré tels paſſeport , lettre de mer ou
autres congés , font francs & libres de pourſuivre
le même voyage; de forte qu'il ne ſera pas permis
de les moleſter d'aucune manière , ni de les viſiter ,
ni de leur donner chaſſe ou de les forcer d'abandonner
leur cours projetté. 279. Il ſera permis aux
Marchands , Capitaines & Commandans de vaifſeaux
, naviguans , ſoit pour le public!& en guerre ,
ſoit pour le particulier & en marchandise , appartenans
auxdits Etats- Unis de l'Amérique , ou à quel .
qu'un d'entr'eux , de les prendre librement à leur
( 238 )
ſervice &de recevoir de leursdits vaiſſeaux , dans
chacun des ports ou places ſous la Juridiction def.
-dites H. P. , quelques matelets ou autres , tant nationaux
ou habitans de quelqu'un deſdits Etats , à
telles conditions qu'il tera convenu , ſans que l'on
foit pour cela ſoumis à aucune amende , peine ,
punition , procès ou réprimande , de telle nature
que ce ſoit. Tous les Négocians , Capitaines &
Commandans de navires , appartenans aux Pays-
Bas-Unis ſuſmentionnés, jouiront réciproquement
dans les ports & places ſoumis auxdits Etats- Unis
de l'Amérique , des mêmes prérogatives pour engager
& recevoir des matelots ou autres , étant
natifs ou habitans de quelques-uns des Domaines
des Etats-Généraux ſuſmentionnés ; bien entendu ,
que de l'un & de l'autre côté , on ne pourra pas
ſe ſervir de ceux de ſes compatriotes qui ſe ſont
déjà engagés au ſervice de l'autre partie contractante,
foit pour la guerre , foit à bord des navires
commerçans , ſoit qu'on les rencontre à terre ou
bien en mer ; à moins que le Capitaine ou farron ,
ſous les ordres duquel des perſonnes ſemblables
pourroient ſe trouver , veuille les exempter volontairement
de ſon ſervice , ſous seine pour ces gens
d'être traités & punis comme déſerteurs. 28°. Ce
qui ſera accordé pour la réfraction , deit être réglé
équitablement par les Magiftrats des Villes
reſpectives , où l'on juge qu'il ſe forme quelque
difficulté la-deſſus. 29°. Le traité préſent ſera ratifié
& approuvé par les ſuſmentionnés Etats -Géné.
raux des Pays-Bas- Unis , & lesdits Etats-Unis de
l'Amérique , & les Actes de ratification de l'une &
de l'autre part , doivent être remis en bonne
& dûe forme dans l'eſpace de fix mois , ou plutôt
s'il eſt poffible , à compter du jour de la fignature.
En foi de quoi , &c.
( 239 )
1
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 20 Novembre.
Le paquebot le Tankerville a apporté des lettres
de la Jamaïque , qui nous ont appris qu'un
grand nombre de tranſports venoient d'y arriver ,
ayant à bord les troupes de la Géorgie & quel.
ques habitans de cette Province. Le 9 Septembre ,
le London , de 90 , le Torbay , de 74 , & le ſicop
le Badger , ont appareillé de Port-Royal pour convoyerjuſqu'à
une certaine latitude , le For, de 32 ;
le Zebra , de 18 , & le Duc d'Eſtiſſac de 12 , &
les tranſports deftinés pour Charles - Town. Ces
tranſports ramèneront une partie de la garniſon
de certe place aux Ifles de l'Amérique.
Le 7 du mois d'Août , les vaiſſeaux ſuivans ont
appareilléde Port-Royal. Le Preston , de 50 ; l'Actéon
, de 44; le Diamond , de 36 ; 1 Allarme , de
32 ; la Reffource , de 28 ; le Tabago , de 18 ; la
Jamaïque, de 16; avec un fenault & un floop armés.
Deux autres tranſports ayant à bord une partie
des Chafleurs Royal Américans , on mis à la veile
avec une petire eſcadre, que l'on dit être deſtinée
contre les établiſſemens Eſpagnols de la côte des
Moſquites . Peu de tems avant le départ du paquebot
le Tankerville , il étoit arrivé un floop du
Cap Gracias a Dios , avec l'avis qu'un gros corps
d'Indiens s'étoit réuni dans ce lieu , pour coopérer
avec les Anglois .
↑ Une lettre de la Barbade , datée du 2 Octobre,
portequ'il s'en faut bien que l'Iſſe ait réparé les
perres que les derniers coups de vent lui ont oc- .
cafionnées. Les proviſions y font extrêmement chères.
Les vaiſſeaux du Roi & les corſaires y amênent
journellement des priſes , & l'on attend d'A.
mérique l'eſcadre de l'Amiral Pigot qui , à ce
( 240 )
qu'on eſpère , attaquera les ifles Françoifes. On
croit que la Martinique ſera le premier objet de
ſes opérations , & on eſpère que la fonction de
l'Amiral Richard Hughes le mettra en état de
s'oppoſer à la rentrée de M. de Vaudreuil ;
ſi toutefois ce Général peut fortir de Boſton; car
on afſure que l'Amiral Pigot a donné ordre à 12
vaiſſeaux de ligue de croiſer à la hauteur de Boſton,
pour y bloquer l'eſcadre Françoiſe ; mais cette
nouvelle est bien incertaine . 12 vaiſſeaux ne ſuffifent
pas pour cet objet. Les François en ont un
pareil nombre ; ceux qu'ils avoient envoyés à Portmouth
dans la Virginie en font , dit-on , de retour ;
l'on affure que la ville de Boſton leur en a donné
un autre de 74 qui remplace celui qu'ils ont
perdu ; 12 de nos vaiſſeanx fi on les charge de
les bloquer ſont donc expoſés eux - mêmes , au
lieu de s'oppoſer à leur retour
Quant à la Martinique , quelques avis annnoncent
que le Marquis de Bouillé , y eſt arrivé avec
les deux vaiſſeanx de guerrequi eſcortoient les tranfport
partis avec lui d'Europe , portant 2 Régimens.
Les bruits de paix ſe ſoutiennent , & ils paroiffent
avoir peut- être plus de conſiſtance ici qu'ailleurs ,
puiſque nos fonds augmentent graduellement. Le
retour d'un Négociateur de France , les mouvemens
des Agioteurs , le départ pour Paris de M.
Strechie & de M. Roberts , ont pu opérer cette
hauffe . M. Strechie eſt un ancien premier Commis
de la Tréſorerie , dont le Comte de Shelburne fait
⚫ grand cas , & qui eſt , dit- on , très - verſé dans la
connoiffance des affaires de l'Inde. M. Roberts eſt
un de nos plus grands Géographes , & celui qui
connoît le mieux l'Amérique. Il faut croire que de
fi habiles gens n'ont pas été envoyés fans des
motifs preffans.
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT 18336
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences &les Arts ; les Spectacles,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 2 NOVEMBRE 1782 .
FIL069
I
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
ADE
TABLE
Du mois d'Octobre 1782 .
PIÈCES FUGITIVES.
Elégie,
en trois Actes ,
3Hommage Littéraire,
54
64
Réponse aux Stances de Mlle Examen critique du MilideGaudin
, S
taire François , 70
Si l'Eloquence eft utile ou Aminte, Pastoral du Taffe, 76
dangereuſe dans l' Adminif- Lettres Edifiantes & curieuses ,
tration de la Justice ,
Envoi d'un Sabre ,
Morclité ,
LePapillon quife brale
8
49
écrites des Miffions Etrangères
, 120
50 Les Après Soupers , de la Soàla
ciétẻ , 129
chandelle, Fabflee, ib Nouveau Théâtre Allemand
Air 51 tir de Daphne & Apollon,
Adélaïde, ou la Raison dupe Manuale Rhetorices ,
del'Amour, Conte , 97 L'Aventurier François ,
158
175
1-8
Hiver, Stances àEglé , 99 Académie Roy. de Musiq. 27
Que ne peut l'Amour Pater- Comédie Françoise,
nel , Conte,
133
101 Comédie Italienne , 42,80,185
Fers à M.le Chevalier de VARIÉTÉS.
Parni
-AMile de Gaudin ,
L'Ane, la Rose & le
don , Fable ,
Char-
147
144 Sur le paſſage de Mercure do
146 vant le Soleil en 1782 , 81
Lettre de M. Allemand àM.
de la Larde , 82
Couplet chantéàMde de Bau- Effai ſur l'Art de vérifier les
regard , 149
Lettre au Rédacteur du Mer-
Miniatures peintes dans des
Manuscrits,
cure, ib, Lettre au Rédacteur du Mer-
Enigmes & Logogryphes , 17 , cure , 140
52, 118 , 156 Sciences &Arts ,
NOUVELLES. LITTER Gravures ,
Annales Poétiques depuis l'o- Musique ,
rigine
çoise ,
de laPPooésie Fran
19
L'Ecole des Pères , Comédie
Annonces Littéraires, 94 , 142 ,
146, 190
141
45,189
142
AParis, de l'Imprimereriede M. LAMBERT &E, J
BAUDOUIN , rue de la Harpe , pres S. Coſme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 2 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ÉPITRE à M. DE PIIS , pour lui
demander des Billets de Comédie.
VOUS ous agitez ſi gaîment
Les grelots de la Folie ,
Qu'cafin la Dramomanie ,
Dont le triſte égarement
Effrayoit la Comédie ,
Va céder à l'enjouement ,
A la piquante ſaillie ,
Qui du Public larmoyant
Diſſipe la léthargie.
Vous riez avec Momus ,
Vous jouez avec les Grâces ,
Vous buvez avec Bacchus;
Aij
MERCURE
Etde la tendre Vénus
Vous ne quittez point les traces .
Par votre Art ingénieux
Le Vaudeville joyeux
Sait encor charmer la France ;
Etle Parterre enchanté
Lui trouve plus de gaîté
Qu'il n'en eut à ſa naiſſance.
Je chante un peu vos couplets ;
J'aimerois mieux les entendre
Au Théâtre , où vos ſuccès
Forcent Paris de ſe rendre
Pour applaudir vos eſſais.
J'AI dû déjà vous écrire
Qu'une femme de bon ſens ,
Sage , ce mot vous fait rire ,
Chut..... gardez-vous de le dire ,
On riroit à mes dépens.
Cette femme , c'eſt la mienne ,
Ainſi je dois la louer .
Si quelqu'un blâme la fienne ,
Il ſe fera baffouer.
Cette femme raiſonnable
Aime pourtant vos chanſons ,
Et veut prendre des leçons
De votre Muſe agréable ;
Mais ſon époux complaiſant
Ne peut la conduire en loge ,
DE FRANCE. S
Faire en Public votre éloge
Sans donner un peu d'argent
Qu'il n'a pas toujours comptant.
Vous ſaurez que fans miracle
Un Peintre peut quelquefois
Rencontrer pareil obſtacle ,
Même un Poëte , je crois ;
Daignez donc à ma prière
Accorder une faveur ,
Nous irons de très -grand coeur
Admirer un jeune Auteur
Dans ſa gloire printannière.
Introduits par vos billets ,
Nous ſentirons l'alegreſſe
Succéder à la triſteſſe
Que chafferont vos couplets .
S'IL eſt vrai que la Peinture
Aime à prêter à ſa ſoeur
Ses pinceaux & fa couleur
Pour augmenter l'impoſture
De ſon talent enchanteur ,
De ce zèle fatisfaite ,
La ſoeur aînée à fon tour
Doit , par un juſte retour,
Des égards à ſa cadette.
(ParM. François , Peintre. )
A iij
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt la Rime ; celui du
Logogryphe eſt Chameau , où se trouvent
Cham (nom des Souverains de la Tartarie ) ,
Cingis- Cham , ( Auteur de la race des Rois
de Perſe & des Mogols d'aujourd'hui ) , &
leau.
ENIGME.
Je ſuis fans avoir vu le jouri
Si je le vois , je ceſſe d'être .
Malheur à qui me donne un maître ,
Sur-touten matière d'Amour.
LOGOGRYPHE.
LICICTTEEUURR ,, par undouble mérite,
Je fais charmer également
Et les yeux du difcret amant
Et ceux du gourmand parafite.
Aparler naturellement ,
Quoique deux pieds portent ſeuls ma ſtructure ,
J'en ai fix bien comptés , en ſtyle de Mercure.
D'un inſecte fort importun ,
Et chez le pauvre affez commun ,
DE FRANCE.
7
Les trois premiers vous offrent la figure ;
Mais par un tour qui ſemble merveilleux ,
Undeplus le transforme en l'animal vorace ,
Dontun peuple chez lui fut éteindre la race .
Ce n'eſt pas tout , & les gens curieux ,
De la France , chez moi , trouveront une ville ;
Un vent au nez peu gracieux ;
Dans les cieux un point immobile ;
Enfin, ce qui groſſit les objets à nos yeux.
( Par M. Benoist , Ingénieur. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
i
PENSÉES Morales de Confucius , recueillies
& traduites du Latin , par M. Leveſque .
Petit format. Prix , 4 liv. en papier fin ,
& liv. 10 fols en papier ordinaire . A
Paris , chez Didot l'aîne , Imprimeur du
Clergé en ſurvivance , rue Pavée , & de
Bure l'ainé , Libraire , quai des Auguftins.
CE Recueil paroîtra avec avantage dans la
Collection des anciens Moraliſtes dont il
fait partie. On n'y trouvera pas moins de
folidité dans les principes , de beauté dans
les préceptes , de profondeur dans les vûes.
On y verra avec plaifir que la culture de la
raiſon & l'étude de la morale donnent partout
à pea-près les mêmes réſultats.
A iv
8 MERCURE
:
L'air étranger qui s'y fait ſentir quelquefois
, la célébrité de l'Auteur , même dans
notre Occident , ſa haute antiquité , la gloire
de ſa nation en augmentent l'intérêt en piquant
la curiofité. Les monumens de cet ancien
peuple méritent même une attention
particulière.
La philoſophie de ce ſiècle a arrêté ſes
regards avec ſatisfaction ſur les reſtes de
ces anciens peuples , qui furent célèbres
tels que les Indous & les Guèbres. Leur
exiſtence , toute infortunée & couverte
d'opprobre qu'elle puiſſe être , lui a paru
furprenante. Elle en a recherché les caufes;
& quand même elle ne les auroit
pas abſolument déterminées , elle a mieux
vû ſur ces triſtes reſtes l'effer de leurs principes
moraux & politiques , que dans l'hiftoire.
Ces Membres d'États , qui ne font
plus , ces Citoyens fans patrie , quoique
dégradés par le malheur , lui ont peint d'une
manière plus vraie & plus ſenſible que ne
peuvent faire la pierre & le marbre , leur
caractère & leur génie.Ce ne ſont pas là des
monumens ſourds & muets. Elle les interrogé
, & ils lui répondent. Elle apprend de
leur bouche la raiſon de leurs uſages & de
leurs moeurs ; ils rectifient ſes idées ſur leur
compte quand elles font fauſſes , tandis que
ces marbres , à moitié rongés par le temps ,
la laiffent errer felon tous les caprices de
fon imagination & de ſes ſyſtêmes . C'eſt
d'eux qu'elle tient la clé d'une bonne partie
DE FRANCE.
9
de l'antiquité. Enfin , conſidérant que converſant
avec un Guèbre , avec un Indous,
c'étoit comme s'entretenir avec des hommes
de trois ou quatre mille ans , elle les a vûs
avec un fentiment reſpectueux , lorſque l'Univers
entier les mépriſoit.
La Chine offre un autre ſpectacle. Ily a
plus de différence entre- elle & ces reftes de
peuples , jetés & errans avec opprobre fur
la terre , qu'il n'y en auroit entre le Capitole
, conſervé juſqu'à nous dans ſa première
fraîcheur , & des décombres de vieux
édifices renverſés , qui n'annonceroient que
ruines &défolation.
Ce vaſte Empire n'existe pas ſeulement
avec éclat , il prédomine dans l'Afie depuis
plus de quatre mille ans. Tout a été bouleverſé
, détruit fur la terre , & tout y eft
débris , ou renouvelé pluſieurs fois , fans
qu'il ait changé. Lcs autres Empires n'ont
fait pour ainſi dire que paffer, leur gloire n'a
duré que comme un jour , & la fienne eft
toujours allée en augmentant. Il ſemble que
fon fort foit attaché à celui du globe , &
qu'il ne puiſſe diſparoître qu'avec lui.
D'où peut venir cette étonnante différence?
Quelles cauſes ont prolongé ſa durée
fi fort au-delà du terme que les deſtinées
ſembloient avoir preſcrit à toutes les Nations
? Est- ce aux cauſes phyſiques & aux
cauſes morales également qu'il faut attribuer
ce phénomène politique ? Je ne nierai pas
que les premières n'y aient plus ou moins
Av
10 MERCURE
de part , mais je ne crains pas d'affirmer que
c'eſt principalement aux ſecondes qu'il ap
partient. Tout eſt à peu près égal du côte du
phyſique chez les Nations. C'eſt principalement
le moral qui les diftingue ; c'eſt lui
qui leur élève l'âme & le courage , ou qui
les dégrade ; qui maintient l'ordre parmi
elles , ou qui y produit l'anarchie . La Chine
n'eſt pas plus inacceſſible à ſes voiſins que
les autres États; ſes peuples ne ſont pas
plus invincibles. Ce qui le prouve , c'eſt
qu'ils ont été ſubjugués pluſieurs fois , mais
fans changer de loix , d'existence civile. Il
faut donc chercher la principale cauſe de
cette longue durée dans leurs principes politiques
& moraux. C'eſt là qu'on la trou
vera. Son hiſtoire , & far- tout ces penſees ,
fervent à l'établir. On y voit que non- feulement
on cultivoit la morale & la politique
à la Chine dans l'antiquité la plus recus
lée , mais qu'on la dirigeoit vers l'ordre général
; que les Empereurs même y tenoient
une conduite conforme à ces ſages & heureux
principes.
Fo-hi inſtruiſit lui-même ſes peuples; ſes
Ouvrages exiſtent encore , quoiqu'en des
caractères dont on a perdu la clé. Jao, habitoit
une fimple maiſon. Il perfectionna la
police & les loix ; &, préférant l'intérêt
général à celui de ſa famille, il écarta du
trône ſes propres fils , qui en étoient indignes
, pour y placer un ſimple ſujet. Combien
tout cela prouve que les droits des
DEFRANCE. JE
hommes étoient également connus & refpectés
dans cette partie du monde ; que l'on
y avoit l'idée du bien moral deux mille cinq
cens ans avant nôtre Ère ; ce qui n'a pu avoir
lieu qu'après les plus profondes reflexions
fur les principes de la morale,& fur la meilleure
manière d'être des hommes.
On ne voit point chez les autres Nations
anciennes de l'Aſie,des exemples d'une morale
auffi épurée , ni des efforts auſſi généreux
pour atteindre au bonheur. Une choſe qui
ſembloit devoir y mener les autres Nations
de l'Ahe , s'y oppoſa , je crois , en arrêtant
les progrès de leur raiſon; c'eſt qu'elles eu
rent toutes de fauſſes révélations , excepté
les Juifs.Toutes les autres révélations n'étant
que l'ouvrage de l'impoſture , furent un
piège fatal pour la raiſon de ces peuples. Ils
crurent qu'elles étoient les ſources de la fageffe
elle-même , qu'il feroit ſuperflu , que
dis- je , criminel de la chercher ailleurs.
Ainſi , ils reſtèrent avec indolence au point
où ils en étoient; tandis que les Chinois , ne
reconnoiffant d'autre guide que leur raiſon ,
la cultivèrent avec ardeur , & s'élevèrent ,
d'efforts en efforts,juſques aux vrais principes
de l'harmonie civile, priſe dans l'état
monarchique , qui eft de toutes les eſpèces
deGouvernemens la plus ſuſceptible d'être
perfectionnée.
Ils prenoient pour modèles , en afpirant
à la perfection dans l'ordre civil , l'accord
desmouvemens céleftes, l'harmonie muficale.
Avj
12 MERCURE
Ces types auguſtes de bon ordre que leur
fourniffoit l'Univers , leur ſervoient encore
comme de degrés pour s'élever juſqu'au
trône de la ſouveraine Intelligence , véritable
fource de toute juſtice & de toute harmonie
, de la loi naturelle en un mot. « C'eſt
ود le ciel lui-même qui l'a imprimée dans
» nos coeurs , dit Confucius dans ſes pen-
» fées ; la ſuivre , c'eſt obéir aux loix de la
> véritable vertu.
>>Celui qui , fincèrement & de bonnefoi
, dit il encore , meſure les autres d'a-
>> près lui même , obéit à cette loi de la na-
>> ture , imprimée dans ſon ſein , qui lui
ود dicte de ne pas faire aux autres ce qu'il ne
>> voudroit pas qu'on lui fit. >>
Voilàdonc cette maxime ſi ſainte , fi célèbre
, ſi mal obfervée parmi nous , parfaitement
connue aux extrémités de l'Afie , dans
la plus haute antiquité.
Qu'il eft beau d'entendre ce grand Philoſophe
ſur la bienveillance univerſelle !
وو
23
ود
C'eſt une qualité eſſentielle à l'homme,
dit- il ; le propre de l'homme eſt d'aimer ;
de cet amour naît la justice diftributive :
delà encore l'harmonie de tous les devoirs.
Cet amour , cette charité pure que je re-
>> commande, eſt une affection conftante de
>> notre âme , un mouvement conforme à la
" raifon , qui nous détache de nos propres
> intérêts , nous fait embraffer l'humanité
>>>entière , regarder tous les hommes comme
» s'ils ne faifoient qu'un corps avec nous ,
DE FRANCE. 13
» & n'avoir avec nos ſemblables qu'un
> même ſentiment dans le malheur & dans
>>la proſpérité. Lorſque cette piété aura fer-
>>mement établi ſon empire dans tous les
>> coeurs , l'Univers entier ne fera plus qu'une
> ſeule famille. Aimons donc les autres
> comme nous- mêmes . »
La ſageſſe eſt ici foutenue par le ſentiment.
Quelle philofophie ! quelle belle âme
furtout un pareil paſſage décèle ! ce n'eſt pas
là de cette philofophie aride & aviliſſante
qui exclud toute généroſité , & qui ne veut
rien faire qu'avec ufure. Enfin , pour ne rien
laiſſer à deſirer ici au beau moral , il faut
citer la penſée 189 .
" Il eſt d'une grande âme de repouffer les
>> injures par des bienfaits. »
Deces principes univerſels, fortoit la règle
de tous les devoirs felon les états & felon
tous les rapports que les hommes peuvent
avoir entre- eux. Je ne m'arrêterai ici qu'à ce
qui regarde les Rois.
Confuciusveut qu'un Souverain gouverne
ſon État comme ſa famille. C'eſt la grande
maxime admiſe de temps immémorial à la
Chine. Elle eft fimple , mais elle n'en eft que
meilleure.
" Régner , c'eſt diriger , dit- il; l'équité
> doit régler les paroles d'un ſage Prince , &
>> l'utilité publique fes actions. C'eſt à lui
>> d'inftruire ſes ſujets , mais par l'exemple.
> Gouvernez vos peuples par la ſenle vertu ,
• & qu'ils en contemplent envous le mo
14 MERCURE
>> dèle. L'union d'eſprit & de vertu entre
>> les Sujets & le Monarque , rend facile
la bonne 22 adminiftration. »
,
Ces Maximes , & pluſieurs autres contenues
dans ces Penſees , qui ſe rapportent au
même objet , ſont très belles & très- ſaintes
en elles mêmes ; mais elles ont un mérite par
ticulier à la Chine , c'eſt qu'elles y font profondément
gravées dans tous les coeurs ,
qu'elles y font partie de l'inſtruction publique
, tandis qu'ailleurs elles ne font que de
belles paroles. Quelques perſonnes y prêtent
une légère attention, & tout le reſte gliffe
deſſus ou les ignore ; au lieu que les Chinois
, s'en occupant ſérieuſement , ſavent en
faire éclore une police quelquefois ſévère
mais juſte en général; une législation prompte
& facile , quoiqu'armée contre les ſurpriſes
de l'iniquité ; une critique ferme , éclairée
qui embraffe tout , qui a ſu trouver des
contre- poids à tous les pouvoirs , des raiſonsde
faire le bien dans tous les emplois ;
qui n'a laiſſe au Roi même d'autre reffourse
pour acquérir de la gloire & pour mériter le
titre de grand Homme , que de faire le bien
&d'aimer ſes ſujets; qui s'eſt fait juſques
de la politeſſe un moyen d'ordre. Voilà ſans
donte les cauſes générales de cette longue
durée de la Chine.
Il eſt encore quelques Penſées que l'on
juge à propos de faire entrer dans cet extrait.
Le Philoſophe de la Chine demande , non
ce qu'il y a d'extraordinaire & d'éclatant
DE FRANCE. IS
dans la vertu , mais ce qu'il y a de bon.
Il est intéreſſant de voir qu'il aſſigne la
même place à la vertu qu'Ariftote. " La
» vertu , dit- il, repoſe dans le jufte milieu.
ود Lemilieu est le point le plus voiſin de la
>> ſageſſe. Il vaut autant ne le point attein
>> dre que de le paſſer. >>
Combien les ſuivantes méritent d'être répétées
!
ود
" Entretenir l'amour & la concorde dans
ſa famille , faire régner la vertu parmi
- ceux qui nous ſont ſoumis , c'eſt gouver-
>> ner en effet , c'eſt exercer une magiſtra-
>> ture utile & glorieuſe. Pourquoi donc
rechercher une magiftrature publique ?
Est-ce ſeulement pour ſe voir décoré du
titre de Magiſtrat ?
ود
ود
ود
,
>>Celui qui ſuit le matin la vertu peut
>> mourir le ſoir. Il ne ſe repentira pas d'a-
- voir vécu , il ſe conſolera de mourir. >>
Quelle idée ne donne pas du vrai ſage la
penſée ſuivante !
"
* Le ſage perfectionne , ou plutôt il crée
les vertus des autres , il ſoutient la foi-
>>bleſſe , il encourage la timidité , il mo-
» dère ceux qui s'emportent dans leur cour-
> ſe , il preffe ceux qui s'avancent avec trop
de lenteur. Princes ! choiſiſſez des Sages
- pour Miniſtres !
Celle- ci devroit être gravée ſur la porte
de tout homme enplace.
"
* Magiſtrat , tu te plains du brigandage
du peuple , fois ennemi toi-même de la
16 MERCURE
/
>> cupidité ; & quand tu exciterois le peuple
>> à la rapine par l'eſpoir des récompenfes ,
>> il refuſeroit de s'y livrer. »
Voilà une philofophie qui a pour bafe
l'utilité publique , & toute au profit de l'humanité.
Ces Penſées ſont précédées , 1º. d'un Précis
de la Philofophie des Chinois. 2° . De la Vie
de Confucius.
La ſubſtance la plus eſſentielle de ce précis
ſe trouve dans l'extrait qu'on vient de donner
des Penſées. On y voit d'ailleurs contment
Lao-Kium , contemporain de Confucius
, s'écarta de la doctrine reçue & fit
ſecte: à quelle occaſion les fuperftitions &
le culte du Dieu Fo furent introduits à la
Chine ; on y apprend que dans la ſuite il
s'eſt formé une école, que l'on accufe d'avoir
perverti l'ancienne doctrine des Lettres , &
de tendre à l'Athéïime ; mais tout cela étant
extrêmement abrégé, il faut le lire dans le
Livre même.
J'obſerverai ici que malgré tous les changemens
que le temps a pu apporter à la
doctrine de Confucius , qui étoit celle des
anciens ſages , elle s'eſt pourtant confervée.
Parmi le plus grand nombre des Lettrés , on
peut dire qu'elle compofe encore la Religion
du Gouvernement. Qu'il fe foit élevé
dans différens temps des doctrines hétérodoxes
, cela eſt conforme à la nature ; mais il
ne l'eſt pas qu'un peuple civiliſé devienne
tout- à-coup Athée. C'eſt-là ce que l'on
DE FRANCE. 17
peut regarder comme impoſſible , & prouvé
faux par les faits .
Pour ce qui concerne la vie de Confueius
, elle eſt encore plus abrégée que ce
précis de Philofophie. Cet homme , qui a
fi fort honoré l'humanité , naquit ss1 ans
avant notre Ere , dans une époque mémorable
pour la ſageſſe dans notre occident
même. Solon vivoit encore , Thalès touchoit
àfes dernières années , Pythagore florifſoit ,
&Socrate alloit naître .
Dès l'âge de quinze ans il ſe livra tout entier
à l'étude des anciens Livres . Il afpira
aux premiers Magistratures , & y parvint;
mais il les recherchoit pour faire le bien ,
& non par ambition .
A l'âge de cinquante- cinq ans , il devint
premier Miniftre dans le Royaume de Lon ,
ſa patrie. Tout prit bientôt une face plus
heureuſe ſous ſa direction ; mais à peine le
bonheur public étoit il coinmencé , que ce
Miniſtre Philoſophe perdit ſa place , par la
raiſon mêine qu'il faiſoit le bien. Il fuit en
pleurant ſur ſa malheureuſe patrie, erre malheureux
de Royauine en Koyaume ; mais
l'inſulte & l'humiliation ont beau s'attacher
à ſes pas , la vertu bannie & proſcrite en lui
n'en eſt que plus repectable. Il meurt à l'âge
de ſoixante-treize ans , en prononçant ces
mémorables paroles : " Les Rois n'obſer-
» vent pas ce que j'enſeigne aucun d'eux
ود
د
ne ſent mes principes , il ne me reſte plus
>>>qu'à mourir. »رد
18 MERCURE
Après ſa mort , on lui a prodigué tous les
honneurs , excepté l'adorarion pure. Tous
ceux qu'on reçoit Docteurs font examinés
ſur ſes Livres. L'Empereur donne le titre
dediſciple de Confucius aux premiers Mandarins
pour leshonorer. On ne lui a pas bâti
des temples , mais des maiſons qui font
comme des Académies. Enfin , tout l'Empire
lui rend hommage dans ſa famille , qui exiſte
encore.
Sur tout cela M. Leveſque mérite beaucoup
de louanges. Le choix des Penſées eft
très- heureux. Quant au ſtyle , il eſt vif,
pur, rapide & ferré , cependant très-convenable
à ſon ſujet ; mais il a peut- êtreun
peu trop employé ſon laconiſme dans le
Précis de la philofophie des Chinois , ainſi
que dans la Vie de Confucius, On ſent bien
qu'il étoit nécefaire de conſerver dans le
tout une juſte analogie , & qu'il n'y falloit
point de diſparate; mais ſans tomber dans
cet inconvénient , il étoit poſſible d'y mettre
moins de roideur & de conciſion , d'y
faire entrer quelques détails , même en obſervant
la même brièveté. Ainsi , l'Auteur
auroit eu le mérite de varier davantage ſes
couleurs ; & le Lecteur n'auroit pas eu occafion
de remarquer qu'une pareille manière
d'écrire rendroit la lecture trop tôt
fatigante.
Il eſt des choſes dont il ne faut point
parler ou qu'on doit éclaircir. Par exemple ,
il eſt dit dans la vie de Confucius , quefon
DE
FRANCE .
19
père, illuftréperſonnellement par les premières
Magistratures , descendoit de l'avant- dernier
Empereur , de la Dynastie des Chang. Et
voici ce que ce Philoſophe dit de lui- même
dans la 138. Penſée : Né dans une condition
obscure , élevé dans l'humiliation , j'ai eu
pour maître le malheur , & il m'a beaucoup
appris.
Voilà une contradiction très- frappante en
apparence , qui arrête & ſurprend le Lecteur
, & qui auroit éré ſuffiſamment réfoluedans
un abrégé auſſi court , en ajoutant
que cette contradiction n'étoit qu'apparente ,
attendu qu'une autre Dynastie étoit ſur le
trône , & que les Princes du Sang à la Chine
ne ſont preſque conſidérés qu'autant qu'ils
exercent de grands emplois , ſoit dans le
civil, ſoit dans le militaire; ſans quoi,après,
deux ou trois générations , iis rentrent dans
la foule, & ne vivent plus que comme particuliers.
Il eſt dit encore dans la même vie , que
la polygamie eft permiſe à la Chine , cela
manque
d'exactitude. Les Lettres Édifiantes
des
Miſſionnaires, diſent
poſitivement que
les Chinois ne peuvent avoir qu'une femme
légitime ; qu'à la vérité ils ont des Concubines,
ce qui eſt regardé comme une lis
cence.
Peut- être encore M. Leveſque auroit- il
pu ſuivre un meilleur ordre dans la difpoſition
de ſes Penſées. Mais ces
remarques
critiques ſe réduiſent à très-peu de choſe ,
20 MERCURE
& le Public lui doit beaucoup de reconnoiffance
pour un Recueil auffi bien fait en
général , & auſſi précieux à la raiſon que
profitable à la morale , dont le mérite eſt au
moins orné , fi non relevé par la beauté du
papier d'Annonai , && par tout ce qui tient à
la Typographie , dans laquelle M. Didot
ſe diftingue de plus en plus.
LETTRE fur le Secret de M. Mesmer ,
ou Réponſe d'un Médecin à un autre
qui avoit demandé des éclairciſſemens à ce
Sujet; par M. Retz , Médecin de Rochefort.
A Paris , chez Méquignon , Libraire,
rue des Cordeliers , 1782 .
ENVIRONNÉs d'hommes merveilleux &
d'hommes crédules , les perſonnes les plus
ſages font expoſees à être les dupes & les
victimes des preſtiges adroitement employés
par le charlataniſme. Il ſemble qu'il ſe ſoit
élevé une ligue contre le bon ſens & la raifon.
Ce que nos Provinces dédaignent , ce
que les Étrangers rejettent avec le plus de
mépris, nous eſt, depuis quelque temps, apporté
avec confiance , & nous l'accueillons
avec tranſport. Ces groſſes erreurs auxquelles
dans des ſiècles d'ignorance , on s'abandonnoit
par routine , nous voulons nous les
rendre propres , & nous faiſons de grands
&de vains efforts pour les placer au nombre
des vérités .
De tous les phénomènes de ce genre, auDE
FRANCE. 21
cun n'étonnera plus la Poſtérité que les miracles
attribués à ce qu'on appelle le magnétiſme
animal. On ſe ſert de ce nom pour
déſigner un procédé avec lequel , par le ſeul
contact , qui n'eſt pas même toujours immédiat,
on prétend guérir les maladies les plus
graves, modifier les impreſſions nerveuſes, ſe
rendre maître des affections de l'âme ; avec
lequel, en un mot, on peut communiquer à
un autre cette étonnante propriété pour un
temps plus ou moins long. L'art des enchantemens
n'ajamais promis de plus grandes
merveilles. M. Retz démontre que du temps
de Cardan, & à pluſieurs époques , on a publié
& répandu de ſemblables affertions ; &
il prouve qu'un homme affez exercé pour
reconnoître une imagination mobile , & s'en
emparer , peut produire tous les effets attribués
au prétendu magnétisme animal. Le
voile étant enfin tombé , n'eſt- on pas en
droit de dire à ceux qui ont été trompés par
cet art infidieux , pourquoi avez-vous fi
facilement laiſſe ſurprendre votre confiance ?
Pourquoi avez- vous éloigné le témoignage
des perſonnes inſtruites , ſeules juges en
pareille matière ? Pourquoi avez - vous applaudi
à un Étranger qui eſt venu dans
votre Capitale inſulter à vos Arts , à vos
Lettres , à vos Académies , à l'Ordre de la
Nobleſſe , à la Nation entière ? L'Auteur du
magnétiſme animal s'eſt rendu coupable de
tous ces griefs dans un Précis historique des
faits relatifs à cet objet, publié en 1781
22 MERCURE
4
comme les citations ſuivantes l'indiqueront.
En parlant de l'Académie Royale des
Sciences , page 30 , j'arrivai , dit - il , d'affez
bonne heure pour voirse former une de fes
Assemblées , &je m'apperçus qu'elle est un de
ces objets révérés de loin , & qui font peu de
choſe de près. Non ſeulement il s'exprime
d'une manière peu décente fur le
compte de la Société Royale de Médecine ,
mais encore il ajoute que l'établiſſement
des diverſes Sociétés de Médecine dans les
Royaumes voiſins de la France , font des
inſtitutions très - dangereuſes , page 16. La
Faculté de Médecine de Paris eft , ſuivant
lui , une Compagnie indifciplinée , page 114.
Elle eft, continue-t-il , fi mal ordonnée,
qu'elle n'a pas même de Regiſtres ; ſes Délibérations
font écrites fur des feuilles volantes,
ce qui rend les falfifications faciles ,
page 183. Après avoir cité les noms des
perſonnes de la première qualité , il s'écrie ,
page 188 , oh ! Chevaliers Francois , qu'est
devenue votre antique fierté? Recevez cette
mortifiante leçon d'un Savant obfcur , &c.
Il expoſe le caractère de la Nation Françoiſe,
Page 56 ; En France, dit- il , on compte la
guérison d'un pauvre pour rien. Dans ce même
Ouvrage preſque tous les Médecins habiles,
des Phyficiens célèbres , des Hommes de
Lettres très- eftimables,font inſultés nommément
& de la manière la plus grave. On n'a
jamais réuni en auſſi peu de lignes tant de
fauffes imputations & rant d'injures. L'AuDE
FRANCE.
23
teur de ces gentilleſſes a placé en tête de ſon
Livre les noms des Académies & des Savans
qu'il a perfifflés ,& auxquels il a adreſſé
un ou pluſieurs Exemplaires de cet Ouvrage.
Une conduite pareille n'eſt point celle d'un
homme ſage & d'un ami de la vérité. Cette
Nation , que l'Auteur du magnétiſme traite
avec ſi peu d'égards , parce qu'elle en a eu
trop pour lui , connoît mieux que toute autre
la valeur des procédés. Il y a long- temps
que la partie la plus éclairée de ceux qui la
compoſent ſait ce qu'elle doit penſer du magnétisme
animal & de ſon Auteur. Il faut
eſpérer qu'il ne joindra pas à l'audace d'avoir
fait un pareil Livre, celle de reparoître
dans une Capitale dont il a offenſé tous les
ordres . L. N.
ACADÉMIE.
EXTRAIT de ce qui s'est passé dans
l'Assemblée publique de l'Académie de
Bordeaux , tenue le 25 Août 1782 .
J''AAII toujours regardé les Académies comme des
citadelles élevées contre l'ignorance & le mauvais
goût. Ce que je viens d'entendre dans la Séance publique
de l'Académie de Bordeaux , peut faire connoître
à quel point elles ſont néceſſaires pour étendre
les idées & pour éclaircir des queſtions importantes.
On verra quelles lumières elles répandent"
dans les Provinces ,& qu'il ne manque plus guères
àces grandes Villes, qu'un peu plus de confiances
24 MERCURE
dans leurs propres forces pour faire de plus grands.
progrès encore ; elles peuvent déjà dire à pluſieurs
égards : Et nous auſſi, nous ſommes Capitales .
L'émulation qui régnoit entre les Villes de la
Grèce pour les Arts & pour les Belles- Lettres , peut
régner entre les grandes Villes de la France. L'Attique
étoit moins riche & moins étendue que l'Aquitaine.
Corinthe & Mycène n'avoient pas un territoire
équivalent à la Bourgogne , au Lyonnois ou à
la Provence.
Bordeaux , l'un des plus beaux ports qu'il y ait
au monde , Bordeaux décoré déjà de bâtimens magnifiques
, Bordeaux , la patrie de Montagne & de
Montesquieu , ne ſera pas la Ville la moins ſenſible
à la gloire qui peut naître d'une fi noble concurrence.
M. Dupré de Saint - Maur préſidoit l'Aſſemblée ;
il eſt Intendant de la Généralité de Bordeaux ; il
avoit fondé un prix de Mathématiques pour l'inftructionde
lajeuneſſe. Ce prix devoit être donné au
jugement de l'Académie. E'Académie l'avoit partagé
entre quatre jeunes gens qui s'étoient également
diftingués. M. Dupré de Saint - Maur ouvrit la
Séance par les couronner , & il eut la fatisfaction ,
bien douce pour un père , de poſer une de ces couronnes
fur le front d'un de ſes fils .
Il lut enfuite le précis d'un Mémoire fur la décadence
du commerce de Bayonne &de Saint- Jean de-
Luz, &fur les moyens de le faire refleurir. Dans la
première partie de ce précis , M. Dupré de Saint-
Maur rend compte des événemens qui ont cauſé la
perte de ce commerce ; dans la ſeconde, il propoſe
les moyens les plus efficaces de lui rendre ſa ſplendeur.:
C'eſten vain qu'il s'eſt excuſé dans ſon avantpropos
de lire dans une Séance académique un
Ouvrage qui n'avoit point été fait pour y paroître ,
&dont il n'avoit pas ſoigné le ſtyle ; la préciſion , la
clarté ,
DE FRANCE. 25
clarté, la fimplicité , voilà le mérite littéraire de
ces fortes d'Ouvrages; & ce que nous allons extraire
de la première partie de ce Mémoire , qui n'étoit
que l'abrégé d'un plus grand Ouvrage , fera
juger au Lecteur s'il manque de ce mérite.
Bayonne fleuriſſoit; le pays de Labour parta-
>> geoit ſa ſplendeur ; un feuple de commerçans
>> remp'iffoit ſon enceinte , leur activité s'étendoit
ככ
28
fur toutes les mers ; l'Eſpagnol attiré par le voi-
» finage, la commodité de la route , & l'agrément
de trouver dans un même lieu des afſortimens
> complets de toutes les marchandiſes qui étoient
à ſon goût & à ſon uſage , y verſoit une partie
conſidérable des tréſors de l'Amérique , ou y ap-
>> portoit en échange les laines non moins précieuſes
ככ
ود
לכ deſonpropre pays.Toute cette fortune a diſparu
>> en peu d'années ; ſa population a diminué de
4 plus de moitié , ſon port ; ſes rues , ſes maiſons ,
>> ſes chantiers ſont également vuides & déferts . Les
>> émigrations cauſées par la ceſſation du travail,ont
été encore plus ſenſibles dans le pays de Labour.
>> La ſolitude eſt encore plus grande & la triſteſſe •
>> plus profonde à Saint- Jean-de-Luz.... La ſtérilité
> des environs de Bayonne a été fans doute la
>> principale cauſe qui a déterminé le génie de ſes
>>habitans vers le commerce & la navigation , mal-
> gré la nature dangereuſe de leurs côtes.... des
>> beſoins preſſans les portèrent à franchir la bar-
>> rière effrayante qu'une mer toujours courroucée
>> leur préſentoit à l'embouchure de l'Adour.
>> Les premiers pas de ces Navigateurs, plus péril-
>> leux que de longs trajets dûrent les rendre les
>> plus intrépides Marins de l'Univers . Bientôt auſſi
>> les vit-on aller attaquer les premiers , & pourſui-
> vre juſques dans les régions où l'été & l'hiver ne
> compoſent plus qu'un jour & une nuit , ces énor-
>> mes cétacées , que leur maffe , leur force prodi-
Nº. 44 , 2 Novembre 1782 . B
26 MERCURE
>> gieuſe & la profondeur des eaux qu'elles habitent
>> ſembloient devoir mettre à couvert de la témé-
>> rité de l'homme . Mais ce deſtructeur des êtres &
>> de lui-même, parvenu en affez peu de temps à
» dépeupler les mers de la plus étonnante de ſes
>> productions , a enfin exilé cette eſpèce ſous les
>> pôles du monde , où la Nature a ſu, malgré ſes
>> efforts , dérober quelque choſe à fon audace & à
>> ſa curiofité.
১১
>> Lesbaleines réfugiées vers le Spitzberg , l'in-
>> certitude de cette pêche ne permit plus aux Baf-
>> ques d'exercer leur courage contre elles ; il fallut
céder ce profit à des Nations plus voifines qui
>> pouvoient armer à moins de frais. La pêche de la
>> morue auroit pû dédommager Bayonne, ſi ſes pro-
>> fits conſidérables n'avoient bientôt excité l'envie
>>>d'une Nation qui ne vouloit fouffrir aucun par-
>>tage ſur l'Océan. Les François , depuis long-temps
» génés à Terre-Neuve, furent enfin tout-à-fait exclus
de ces parages par les Anglois....
ود Les Bayonn is formoient beaucoup d'autres
> ſpéculations; ils ſe pourvoyoient dans divers marchés
des articles qui convenoient aux Eſpagnols ,
>> leurs voiſins , & de ceux qui manquoient encore à
१०
3כ
ود
la France. Cette activité leur mérita la protection
de nos Rois , qui devint l'aliment principal de leur
>> profpérité. Ces privilèges ne nuiforent point aux
Manufactures françoiſes , qui n'exiſtoient point
encore; mais quand la France eut dans ſes atteliers
tout ce que les Arts peuvent produire en fa-
35 veur du luxe , les Fermiers ou les Kégifſſeurs à qui
l'exécution des loix prohibitives étoit confiée, alléguèrent
que la liberté indéfinie accordée à
» Bayonne de commercer également avec la France ,
>> reſpagne & les autres Peuples de l'Europe , ſans
>> être affujétie aux prohibitions , tournoit au détri
> ment de l'induſtrie nationale , choquoit la juſtice
DE FRANCE. 27
&l'égalité de protection que le Souverain doit à
tous les ſujets. :
2. Quelques - unes des marchandises que certe
* Ville fournitloit a l'Eſpagne furent donc proki-
>> bées , d'autres ſurchargées de droits ; dès-lors les
affortimens de Bayonne devintent incomplets , &
n'eurentplus le même attrait. Des entrepôts , des
plombs , des acquits à caution , des vifites , des
>> formalités infinies fatiguèrent l'Acheteur eſpa-
>gnol; il ne vint plus , il alla ſe pourvoir à
> Saint-Sébastien & à Bilbao , que l'Eſpagne venoit
>> d'ériger en ports francs , & où la pleine liberté
>> compenſoit les défavantages locaux , &c . &c &c.
>> Le commerce de Bayonne n'a pu déchoir ſans
> que la navigation ait éprouvé le même ſort. Les
> ouvriers qu'elle entretenoit , Charpentiers , Calfats,
Voiliers , Cordiers , Avironniers , preſſés par
le beſoin , ſont allés vivifier les atteliers de
Saint-Sébastien , de Bilbao &de Saint - Ander. La
> population de Bayonne , qui étoit en 1713 de
vingt-deux mille habitans , n'étoit plus en 1778
>> que de neuf mille quatre cent cinquame - deux
*&depuis ce temps elle est encore diminuée ; celle
•de Saint-Jean- de- Luz qui , vers la même époque ,
→ étoit de quatorze millehabitans, elt préſentement
> réduite à quatre mille »
Jene déraillerai pointles moyens propoſés par l'Aus
seur de ceMémoire pour rétablir le commerce de ces
deux Villes , & pour en repeupler le territoire. Ad
miniſtrateur éclairé , connoiſſant les hommes , les
affaires , les Pays , les Cités dont il parle , les rap-
Ports de cette Province avec les Provinces & Jes
États voiſins, les circonstances préſentes & les révος
lutions qu'elles ſemblent préparer , il a tout prévu ,
tout pefé. Cet Ouvrage doit produire le double bien
de réparer & de prévenir les abus. C'eſt une
preuve politique & arithmétique que l'intérêt du
Baj
28 MERCURE
Peuple eſt celui du Souverain ; qu'opprimer l'un c'eſt
nuire à l'autre ; que quand les impôts font mal poſés
ou mal répartis , le droit , pour me ſervir de ſes
propres termes , le droit eft destructeur du droit
méme. e
A ce Mémoire ſuccéda un Diſcours de M. de
Larroque, ſur la découverte del'Aberration des étoiles
fixes , & fur le prochain paſſage de Mercure devant
le diſque du ſoleil. Ce Diſcours , qui joignoit une
grande clarté à une grande préciſion , ſembloit ne
devoir convenir qu'aux Aftronomes ; mais le Public
entend toujours nommer avec plaifir ceux qui ont
fait de grandes découvertes. Il écouta donc avec intérêt
le court expoſé des travaux qui firent parvenir
l'Irlandois Samuel Molyneux , & l'Anglois Jacques
Bradley à la découverte de l'Aberration des étoiles
fixes , découverte qui démontra que ces étoiles ne
pouvoient avoir une parallaxe. Depuis 1609 , où les
lunettes ont été inventées , Vénus n'a paſſé encore
que trois fois ſur le diſque du ſoleil , tandis que
Mercure y paffera pour la vingt- troiſième fois le 12
Novembre de la préſente année 1782. Ce paffage
ſera viſible dans toute la partie occidentale de l'Europe
& de l'Afrique , &dans preſque toute l'Amérique.
M. de Larroque a calculé l'inftant de l'entrée &
de la fortie de cet Aſtre ſur le diſque du ſoleil , la
durée de ſon paſſage relativement à la ville de Bordeaux
, ainſi que toutes les obſervations qu'on peut
faire à ce ſujet dans cette même Ville , où l'habitude
de naviguer& de prendre les étoiles pour guide en
traverſant le vaſte déſert de l'Océan , rend plus fenfibles
les grands avantages que l'homme peut retirer
de l'étude de l'Aſtronomie.
M. Dupaty , autrefois Avocat Général , & maintenant
Préſident à Mortier au Parlement de Bordeaux,
prit la parole , & lut un Effai fur la Vie & les
Ouvrages de Quintilien. Ce Diſcours fit la plus
DE FRANCE. 29
vive impreſſion ſur l'Aſſemblée; il fut interrompu
fréquemment par ces applaudiſſemens univerſels qui
prouvent que l'Orateur s'eſt emparé de l'âme de
tous ſes Auditeurs. Il ſeroit à ſouhaiter qu'il le fit
imprimer , moins pour les beautés qu'il renferme
que pour la manière ſavante dont il expoſe & dont
il développe tous les principes de l'éloquence. II
rappelle , avec Quintilien , quelques-unes des caufes
qui perdirent cet Art chez les Romains ; il enſeigne
enfuite tout ce qui forme l'Orateur; il termine cet
Eſſai par les regrets de Quintilien ſur la perte de ſes
deux fils , & par le juſtifier d'avoir donné des éloges
à Domitien. Mais il faut l'entendre lui-même ; en
voici quelques morceaux.
<< Lorſqu'on lit l'Hiſtoire des Empereurs Ro-
» mains , on ne peut concevoir d'abord que les
* Sciences & les Lettres aient pu porter quelques
>> fruits & quelques fleurs fous un ciel ſi orageux ;
>> on imagine que le Génie des beaux Arts avoit
>> dû s'enfuir devant les légions avec le Génie de la
>>>liberté ; mais pour peu qu'on y réfléchifle , on
→ doit être, bientôt détrompé. Tout grand mouvement
, toute grande agitation eſt favorable au
Génie; je dis plus, elle lui est néceſſaire.Le Génie
• fe meut & s'agite lui-même tant que les Empires
s'élèvent ou tombent, & ce n'eſt pas le fra-
> cas des oraggeess ,, mais le filence des tombeaux qui
>> l'épouvante ; d'ailleurs , bien différentes de ces
>> révolutions dans la législation civile & dans la
>> condition des Citoyens, qui embraſſent irrévoca-
>> blement toute une Nation & compoſent ſa def-
>> tinée, les révolutions dans le Gouvernement n'in-
> fluent que ſur le ſort d'un petit nombre d'indivi-
>>> dus , fur ceux qui ont du pouvoir à vendre &
לכ fur ceux qui en veulent acheter ; de forte que
> lorſque les légions eurent conquis à la fin l'auto-
>> rité ſouveraine , les Empereurs n'étant alors dans
Buj
30
MERCURE
>> le faitque les Miniſtres de l'Armée , ces tempêtes
>> qui les faiſoient échouer l'un après l'autre fur les
>> roches qui bordoient le Trône, ne changeoient ab
>> folument que les perſonnes,&ne touchoient point
aux choſes.... Et tandis que le Palais des Céfars
>> regorgeoit toujours de fang , que le camp des
Prétoriens regorgeoit toujours de fang , que le
> Sanctuaire du Sénat regorgeoit toujours de lang ,
>> tandis qu'on voyoit pendant le jour , qu'on voyoit
> pendant la nuit errer en foule dans ces lugubres 0
funeftes lieux les délateurs , les confpirateurs &
les bourreaux, le Peuple Romain ignorant fouvent
qui s'appeloit Empereur , inondant , comme
>> à l'ordinaire , le cirque , le forum & les théâ
tres , fuivoit tranquillement toutes les affaires
& tous les plaiſirs de la vie.... »
Paſſantde cesgrands tableaux aux règles de l'É
loquence, voici comme il s'exprime. « Si l'éloquence
> n'avoit d'autre objet que de communiquer par la
>> parole les ſentimens & les penſées , il ſuffiroie
>> fans doute de pouvoir ſentir avec force , & de
> ſavoir parler avec convenance pour ſe montrer
: et
Orateur ; mais l'objet de l'Éloquence n'est pas fo
>> fimple. Avec le ſentiment & l'expreffion vous
> ferez difert , il eſt vrai , mais vous ne ferez pas
Orateur , il vous échappera même des chofes
* éloquentes , mais vous ne ferez pas éloquent ;
* vous pourrez le devenir un jour, mais vous ne
> le ferez pas encore : en effet, pour parvenir à ce
but , il ne ſuffit pas que votre discours me tra
>> duiſe fidèlement votre âme, il faut que votre
>>>âme, à travers votre discours , atteigne la mien-
> ne , & agiffe fortement ſur elle ; il ne ſuffit pas
>> que vous me montriez vos ſentimens , il faut que
* vous changiez les miens , il faut enfin que mon
> entendement ſoit pour vous une véritable toile ,
» cù , en vous jouant, vous effacicz , vous corre
DE FRANCE.
38
giez , vous peigniez en un mot à votre gré avec
→ le pinceau de la parole.... L'Éloquence a trois ob-
>> jets principaux qu'elle ſe propoſe de remplir .
>> tantôt chacun ſéparément , tantôt tous a-la-fois ;
> elle veut plaire, elle veut perfuader , elle veut
>> convaincre. Je dis ſéparément ou à-la-fois , car
> ſouvent elle n'a beſoin que de plaire &de con-
>> vaincre, ou biende plaire & de perfuader ; mais
il faut toujours qu'elle plaiſe. Plaire c'eſt la moitiéde
tous les mérites, c'eſt les trois quarts de
tous les ſuccès ; c'eſt ce qui ſéduit l'opinion , c'eſt
> ce qui féduit la fortune ; auſſi tâcher de plaire
eſt-il à- la- fois & le premier conſeil de l'art de
> vivredans le monde, & le premier précepte de
l'Art oratoire ; mais combien il est difficile de
> remplir parfaitement ces trois objets ! Pour plaire,
30 par exemple, que de moyens ne faut-il pas em-
>> ployer ? En effet, l'eſprit de vos Auditeurs ne
> fût-il pas armé contre vous , leur coeur vint il de
* lui-même au-devant de votre discours , n'cuffiez-
- vous enfin qu'à captiver l'attention , combien
❤ cette tâche eſt pénible ! Ce n'est rien de l'avoir
>> ſéduite, il faut la fixer encore ,& elle eſt ſi légère,
>> fi mobile; elle ſe laffe & fe dégoûte ſi-tôt de tout ,
» que ſi vous voulez la retenir pendant le temps
▼ que vous parlerez à la raiſon, il faut que vous
> l'amufiez comme un enfant par la multiplicité &
>> la beauté des images, par la variété des formes ,
>> par le mêlange des tons ; enfin ,par tous les pref
> riges dont peut uſer la parole.... La tâche de con
>> vaincre l'eſprit n'a pas moins de difficulté ; vous
>> ne la remplirez jamais fi vous n'avez décompoſé
>> l'entendement humain ; fi vous n'en avez analyſe
>> tout le méchaniſme; fi vous n'en avez diftingué ,
>> réduit & claffé les opérations mystérieuſes; fi
>>> vous n'avez découvert toutes les communications
>> ſecrètes de la nature phyſique avec la nature mo
Biv
32
MERCURE
>> rale,& l'influence qu'elles exercent reſpectivement
>> l'une ſur l'autre ; fi vous ne connoiſſez les erreurs,
c'est-à-dire , les maladies naturelles de l'eſprit
>> humain; fi vous ne poſſédez parfaitement l'hiftoire
de toute cette famille nombreuſe; fi enfin
>> la véritable métaphysique , qui n'eſt que l'hiſ-
>> toire naturellede la penſée & du ſentiment , n'a
>> trahi pour vous tous ſes ſecrets. L'art de perfua-
>> der eft encore plus compliqué & plus difficile.
>> Dans cette partie, c'eſt avec tout le coeur humain
>> que l'Éloquence a affaire. Il faut qu'elle traite
>>>avec toutes les paſſions , qu'elle faſſe la paix avec
>>> cette foule d'ennemis de la raiſon & de la vérité.
Les unes , il faut les flatter avec douceur ; les
>> autres , les gourmander durement ; il faut en-
>> courager celles- ci , il faut intiinider celles-là ;
>>> mais tout cela ne ſauroit ſe faire ſans une con-
>> noiſſance approfondie non - ſeulement du coeur
>> humain, mais de l'action de toute la Nature fur
ود le coeur humain. Vous avez beſoin de connoî-
>> tre les climats , les ſituations phyſiques , les
» moeurs , les tempéramens , & fur-tout les inté-
, rêts.... Il y a plus: c'eſt qu'il ne ſuffit pas de les
>>connoître, il faut les employer à propos. Gardez-
ככ VOUS de vous adreſſer à l'entendement quand
>> vous devez parler au coeur ; ne vous obſtinez pas
ود
20
à combattre des opinions quand des intérêts
font derrière; enfin , ne lancez pas toutes les
foudres de l'éloquence , quand il vous ſuffiroit
d'offrir quelques-unes de ſes fleurs à l'imagination
>> qui vous écoute.
כ ১
ود
>> O vous qui penſez qu'une imagination vive ,
>> un coeur ſenſible , une élocution facile , c'eſt-là
>> tout l'art de l'Éloquence , toutes ſes reſſources
> & tous ſes moyens , voyons comme avec tous ces
avantages vous réuſſirez dans cet Eſſai que je vous
* propoſe.... Céfar , de retour à Rome , veut repo
DE FRANCE.
33
fer en paix dans le ſein des voluptés , ſur les rui-
>>, nes de la République ; mais l'hydre de la rébel ,
>> lion poutloit toujours quelques têtes ; il eſpéroit
>> les avoir tranchées toutes, lorſqu'une nouvelle fe
>> dreſſa inopinément en Afrique , irritée par Liga-
>> rius. Céfar a déja pardonné à pluſieurs rébelles ;
mais il eſt facile de pardonner à des ennemis qu'on
>> mépriſe .... Ligarius mourra donc. La condamna-
>> tion eſt ſignée, voilà Céfar ſur ſon Tribunal , il
>> eſt vrai , & il veut bien vous entendre ; mais c'eſt
>> parce qu'il eſt bien sûr de ſa haine , qu'il ne re
> doute pas vos paroles . Ce papier que vous voyez
ככ dans les mains de Céſar, jeune homme, c'eſt la
>> mort de Ligarius ; maintenant , jeune homine ,
» déployez votre imagination brillante , épanchez
cette ſenſibilité ſi vive & cette élocution abon-
> dante : allons , tâchez d'éteindre la colère dans
>> ces regards , & d'y faire briller une larme ; for-
>> cez cette main à laiſſer échapper la redoutable
>> fentence.
>>> Votre Exorde , j'en conviens , eſt pompeux ;
>> il eſt brillant , il eſt adroit , il annonce un Ora-
>> teur; mais ce ne ſera jamais par un Orateur que
ככ ſe laiſſera déſarmer Céfar. Tout ce que vous
>> dites pour juſtifier la conduite de Ligarius , j'en
>>>conviens aufſi , eſt de la plus grande vérité, de la
>> plus grande force ; mais , o imprudent ! s'il eſt un
>> crime qu'un ufurpateur ne puiſſe jamais pardon.
>> ner àun rébelle , c'eſt celui d'avoir raiſon . Vous
>> revenez ſur vos pas , & vous niez les faits , quel-
> que conftatés qu'ils ſoient : qu'eſpérez vous ?
• Que Céfar , en conſentant à vous croire , vous
>> autoriſera à le regarder comme une dupe. Ces
>> images font belles, ces penſées ſont ingénieuſes ;
>> toute la langue vous obéit , elle vous ouvre tous
ככ ſes tréſors ; mais la vengeance brûle dans ce
> coeur , & vous voulez l'amuſer, Ah ! que faites-
:
Bv
34 MERCURE
- vous , ô jeune homme! en peignant de fi vives
» couleurs la malheureuſe deſtinée qui attend Liga-
> rius. Ce dernier trait va vous perdre. Oubliez
* vous que c'eſt à la vengeance que vous promettez
> ces malheurs. Retirez-vous au plus vite , & cédez
votre place à Cicéron. Voilà Cicéron devant le
coeur de Céſar. Vous allez voir comment , ſemblable
à un Muſicien conſommé , ce véritable
> Orateur va manier à ſon gré cet inſtrument f
>>>difficile , mais qu'en même-temps il connoît fo
>> bien, non-feulement tel que l'avoit fait la Na-
>> ture, mais encore tel que l'a travaillé la fortune ,
>> & que l'a achevé la victoire. Vous allez le voir
>> défarmer l'une après l'autre toutes ces paſſions
>> conjurées , ôter , comme avec la main , du coeur
> de César la colère , & y placer la clémence. Vous
→ avez commencé par vouloir perfuader à Céfar
>> que vous étiez Orateur , & Cicéron commencera
par-tâcher de faire oublier à Céfar que c'eſt
> Cicéron qui parle ; auffi point d'Exorde , & Cicé
>> ron courtau fait ; mais, comme vous , juftificratil,
niera-t il ? Ni l'un ni l'autre. Si Ligarius eft
innocent , Cicéron le fait bion; il eſt perda. Quel
*parti prendra-t- il donc ? Il avoue tout; il con-
>> vient de tout; il reconnoît Ligarius coupable ;
a il déclare qu'il n'a rien à attendre , & qu'il n'attend
rien de la justice; il ſe ſauve en un mor
20 de la justice de Céſar dans ſa clémence. Sur ce
>> coup de maître l'amour- propre de Céfar , c'est-à-
>> dire, le plus terrible ennemi de Ligarius , ſe
trouve déjà défarmé; mais j'entends encore l'inté-
50 rêt de ſa fûreté qui crie à Céſar point de grâce.
20 Avec quel art admirable Cicéron va lui répondre !
Vos ennemis , ô Céfar , defireroient bien que
vous fuifiez inflexible , que vous vous montuaf
-hez cruel ; ce qu'ils redoutent le plus dans lesprojets
téméraires à la fois && infenfes qu'ils méditent 20
DE FRANCE.
35
*contre votre perſonne , c'eſt que vous vousattachiez
de plus en plus tous les coeurs par votre
>> clémence de plus en plus généreuſe. Il n'y a plus
>> d'obstacle à préſent devant la pitié & la gloire ,
>> l'Orateur peut aller à elles. La haine de Céfar
>> contre Ligarius eft extreme. Eh bien, Cicéron
>> commencera par la partager , par préſenter à cette
>> flamme ardente pluseurs objets. Il donne à Liga-
ככ
ॐ
rius des complices ,& quels complices ? Ses propres
dénonciateurs & les propres amis de Céſar.
>> Il fait plus : cette haine de Célar qui étoit atta-
>> chée à Ligarius , il l'en détache , il l'enlève , & la
>> tranſporte fur ſes accuſateurs audacieux. Céfar ,
* ils étoient auſſi coupables que Ligarius ; vous leur
avez donné la vie ,& cependant ils demandent la
> mort de Ligarius. Quel changement étonnant !
* Le front de Céfar eſt adouci ; fes regards font
>> humides , & la redoutable ſentence a vacillé dans
> ſa main ; mais ce n'est pas affez qu'elle vacille , il
>> faut qu'elle tombe , il faut qu'elle tombe à ſes
* pieds. C'eſt à la gloire à décider la clémence. O
César , ſi Ligarius vous paroît avoir commis un
>> crime indigne de pardon , que dira-t'on de vous ,
* qui avez rempli les plus hautes dignités de l'État ,
> de la plupart de ſes complices ? On ne dira plus
que c'eſt clémence pour eux , mais mépris pour
* les Komains. On dira que vous avez telkinent
>> mépriſé le peuple Romain que vous avez cru qu'il
* ne méritoit pas mieux que d'indignes crimineis
> pour le gouverner déſormais. Célar , o que de
>> grâces vous accorderez en une ſeule ! Voyez tous
> vos amis dans les larmes ; entendez les gémiſſe-
>>> mens de toutes ces Provinces. Votre clémence a
>> rendu dernièrement Marcellus au Sénat. Un plus
>> beau triomphe , un triomphe proportionné à
* vos vertus l'attend dans ce jour. C'eſt au peuple
* Romain ensier qu'elle tendra Ligarius. EnAN
B
36 MERCURE
>> voici le dernier trait que Cicéron va lancer , &c
> qui achèvera la victoire. Ce qui approche le plus
>> l'homme de la Divinité, c'eſt de conſerver la vie
>> à d'autres homines. Or, Céſar, il n'y a rien tout- à-
>> la-fois ni de ſi grand dans votre puiſſance fi
> étendue que de pouvoir conſerver le jour a tant de
• milliers de mortels , ni de meilleur dans votre
>> nature fi admirable que de le vouloir. Céſar ,
>> Cicéron t'a fait Dieu , il faut bien que tu fois clé-
» ment. Triomphe à jamais mémorable de la véri-
> table Éloquence ! Céfar pleure , & Ligarius eft
> ſauvé. »
C'eſt à cet exemple , où s'appliquent fi bien les
principes de l'Auteur , que nous bornerons l'Extrait
de ce Diſcours , quoique nous ſoyons très- fâchés de
ne point mettre ſous les yeux des Lecteurs ce qu'il dit
des autres talens néceſſaires à l'Orateur , & ce qu'il
rapporte de la vie & des vertus de Quintilien.
Après ce Diſcours , rempli de mouvement & de
chaleur , M. de Légliſe lut quelques réflexions touchant
la diſtribution des métaux fur les différentes
parties du Globe. Ces réflexions contenoient une
idée qui m'a para fublime; & quoique M. de Légliſe
ne l'ait préſentée que comme une ſimple hypothèſe
, je crois qu'elle mérite d'être publiée , afin
qu'elle ſoit examinée. Après avoir cité les expériences
qui prouvent que l'aimant a du rapport avec le fluide
électrique , & que le fer a de l'analogie avec l'un &
l'autre, puiſque lui ſeul contraſte la vertu de l'aimant ;
après avoir remarqué que le fer difféminé dans toute
la nature eſt le principe colorant univerſel , que de
fa combinaiſon avec l'acide univerſel réſulte le verd
des herbes & des feuilles qui décorent les campagnes,
&c. &c. Il eſt porté à croire que le fuide électrique
de la terre eſt un fluide ferrugineux . Obfervant
encore que le fer eſt le ſeul des métaux qui s'en-
Aamme par le choc d'un caillou ; qu'il eſt celui qui
DE FRANCE.
37
1
ſedétruit avec le plus de facilité , & par conféquent
celui qui ſe forme le plus aiſement; il le regarde
comme la première & la plus légère combinaiſon du
principe igné. De ces obſervations & de pluſieurs
autres , l'Auteur conclud que « le fer eſt le pre-
১১ mier pas de la Nature dans la formation des mé-
>> taux. La direction de l'aiguille ainantée prouve
ככ que ſi le fluide électrique est ferrugineux , il a dû
>> ſe porter avec force vers le pôle Boréal ; aufli
>> trouve-t-on une quantité immenſe de fer dans
>> les régions ſeptentrionales. Si le fer eſt le pre-
>>>mier pas de la Nature dans la formation des mé-
>> taux , il s'enfuit que tous les métaux ont commencé
par faire partie de ce fluide électrique ferrugi-
>> neux fufceptible de combinaiſons plus parfaites ,
> & que la perfection l'éloignant inſenſiblement
>> de ſon premier état , plus un métal aura acquis
>> de perfection , moins il ſera attiré vers le Nord ,
>> d'où ſuit l'abondance des métaux parfaits dans
>> les régions de l'Équateur. Une autre cauſe a pu
ככ y contribuer ; le changement des pôles d'une
>> barre de fer verticale dans les deux hemisphères :
» l'inégalité de mer & de terre qu'on y remarque ,
>> prouve une différence entre leurs atmosphères.
>> M. Prieſley dis que l'air eſt une vapeur d'acide,
> nitreux; fi cela eſt , c'eſt fur- tout dans l'hémif-
>> phère boréal , parce que les exhalaiſons de la
>> terre habitée doivent le rendre tel . Mais dans
>> l'hémisphère auſtral compoſé de beaucoup plus de
>> mers que de terre , il doit plus tenir de la nature
>> de l'acide marin , d'où il s'enfait que le mélange
>> des deux atmoſphères dans l'Équateur a dû don-
>> ner au fluide électrique ferrugineux de nouvelles
>> propriétés , le perfectionner , & en former l'or qui
>> abonde dans ces régions : on fait que l'eau régale
>> donne au fer qu'elle tient en diſſolution quelques
>> propriétés de l'or , entr'autres celle de fulminer.
38 MERCURE.
>> Au reſte, tant de cauſes ont concouru à répandre
>> ſur la ſurface de la terre les molécules métalliques
>> de toute eſpèce , que les mines qu'on trouve en.
* d'autres endroits ne détruiſent point ce raiſonne-
>> ment. 23
Dom Carrière termina la Séance en lifant un Mémoire
pour ſervir à l'Hiſtoire de la Guienne. Ce Mé
moire contientune partie de la vie &des malheurs de
la célèbre Aliénor , épouſe de Louis-le- Jeune. Le
père de cette Princeſſe étoit mort dans un pélerinage
qu'il avoit entrepris par les conſeils de Saint Bernard,
pour expier des ravages commis par ſes troupes ;
fon mari ſe croiſa par les exhortations du méme
Saint Bernard , pour expier auſſi des maſſacres commis
par les troupes & par ſes ordres. Aliénor ſe
brouilla dans la Terre-Sainte avec ſon mari. Tous les
Hiſtoriens avoient loué juſqu'alors ſes vertus ; mais
dans ſa diſgrâce tous les Écrivains lui prodiguèrent
les plus groffières injures , ſans même s'inquiéter fi ce
qu'ils diſoient étoit vraiſemblable. Ce fut l'Évêque
deTyr qui flétrit principalement ſa réputation. Aucune
des aventaires qu'on lui attribue n'eſt prouvée ;
pluſieurs font démontrées fauffes. A fon retour en
France , elle accoucha d'une fille , que le Roi reconnut.
Dom Carrière penſe que cela ſeul ſuffir
pour démontrer que Louis le Jeune étoit perfuadé
dela ſageſſe deſa femme ,& que s'il la répudia ce ne
fut quepar dégoût. Ce Difcours eſt écrit avec ſageſſe.
En parlant de Suger , de S. Bernard , des Croiſades,
del'eſpritde ce fiècle, dont le goût dominant étoit
de fonder des Monastères & de matfacrer des infidèles
, il a fu concilier les lumières de notre ſiècle
avec les règles étroites que lui preſcrit fon érat. Ce
Mémoire doit faire bien augurer du grand Ouvrage
auquel il travaille.
Outre cetre Académie des Sciences & des Belles
Lettres , on vient d'en diger une auiteà Bordeaux e
DE FRANCE.
39
faveur des Beaux- Arts. Ce n'étoit d'abord qu'une
Société d'Arriſtes ; mais après avoir ſubſiſté à ſes
frais pendant pluſieurs années, cette Société a reçu
enfinle titre d'Académie de Peinture , de Sculpture &
d'Architecture civile & navale. Elle a tenu (a première
Affemblée publique le premier Septembre de
cette année , & elle a couronné plufieurs de ſes Élèves,
qui annoncent les plus heureuſes diſpoſitions. Le Directeur,
M. de Ladebat , a fait l'ouverture de cette
Séance par un excellent Diſcours , où il combat le préjugé
qui s'eſt établi , on ne fait pourquoi , qu'on ne
pouvoit cultiver les Beaux-Arts dans les Villes de Provinces
auffi-bien que dans la Capitale , comme ſi la
Nature , ce modèle de tous les Arts , n'y étoit pas
auffi belle. Ce Diſcours , plein de ſens & parfaitement
convenable au temps , aux lieux , aux circonf
tances , fut très accueilli de l'Affemblée, qui étoit
très nombreuſe. La ſalle étoit décorée des tableaux
des Académiciens .
A
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON
(.
Na continué à ce Théâtre les repréſentations
de Colinette avec un ſuccès qui
ſemble croître à meſure qu'on entend davantage
ce charmant Opéra; c'eſt le fort de prefque
tous les bons Ouvrages en muſique, furtout
de ceuxoù dominent l'eſprit , la grâce &
la vérité.
LeMardi 22, Mlle Gavaudan a joué, pour
la première fois, le rôle d'Angélique dans
40 MERCURE.
Roland; la voix fraîche , brillante & toujours
pure étoit bien propre à rendre la mé .
lodie douce & agréable qui caracteriſe ce
rôle ; elle y a eu les plus grands applaudiffemens;
elle joint à une figure intéreſlante une
manière de chanter naturelle & facile , &
une prononciation nette & diſtincte , qui
ne laiſſe pas perdre un mot de ce qu'elle
chante , mérite trop rare , & cependant efſentiel
. Ses mouvemens & fes geſtes n'ont
pas encore la liberté ni la variete qu'exige
l'action théâtrale ; mais il y a lieu de croire
que l'habitude de la Scène , & la confiance
qu'inſpirent les encouragemens du Public ,
lui feront acquérir ce qui lui manque à cet
égard , ſi l'on s'occupe des moyens de perfectionner
ſes talens , en les plaçant & les
exerçant dans les rôles convenables à ſa figure
&à la voix.
COMEDIE FRANÇOISE.
LEE Mercredi 23 Octobre , on a donné la
première repréſentation des Amans Efpagnols
, Comédie en cinq Actes & en profe.
Don Uriquez a deux filles. La première ,
nommée Cornélie , aimoit le Comte Altamont
, & en étoit aimée. Une affaire d'honneur
a forcé le Comte à ſe cacher ; & même à
faire courir le bruit de fa mort. Le coeur, roujours
plein de fa tendreffe , Cornélie refuſe
tous les partis que ſon père lui propoſe , &
DE FRANCE. 41
demeure fidelle à ſon amant. Léonore , fa
foeur , aime un jeune Cavalier qu'elle connoît
ſous le nom de Don Firmin ; mais
Uriquez ne conſent point à leur union , &
s'oppoſe de toute ſon autorité aux moyens
que les amans mettent en oeuvre pour parvenir
à ſe voir. Une Duègne appelée Inéfilla
, protège leurs amours , & foutient leur
courage par les facilités qu'elle leur procure
'de s'entretenir quelquefois à l'inſu d'Uri
quez. Cependant , l'amour a ramené Altamont
à Séville ; il y a pris le nom de Don
Lortas , & a chargé ſon Valet Pedrillo de
s'informer de ce qui s'eſt paſſé pendant ſon
abfence. Quelle eſt ſa douleur , quand
Pedrillo vient lui dire que la fille d'Uriquez
aime. Don Firmin , & que malgré les oppofitions
de ſon père , elle veut épouſer ce
Cavalier ! Comme Altamont ignore qu'Uriquez
a deux filles , il croit Cornélie infidelle .
L'indifcrétion de Gufman , Valet de Don
Firmin , l'inſtruit encore que la Duègne doit
introduire ſon prétendu rival , pendant la
nuit , dans le jardin d'Uriquez. Il ne doute
pas que l'intention de ce jeune amant ne
ſoit d'enlever ſa maîtreſſe: en conféquence
il projette de s'oppoſer à cet enlèvement ;
& après s'être informé de l'heure &du ſignal
convenus , il ſe rend près de la porte du jardin,
ſuivi de gens armés.Don Firmin s'y rend à
fon tour, accompagnéde quelques Spadaffins .
Combat entre les deux Troupes qui ſe retirent
toujours en ſe battant. Altamont reſte à
42
C
MERCURE
la porte du Jardin. Attiré par le bruit ,
Uriquez eſt ſorti , il arrive , & ne trouvant
plus perfonne , il ſe diſpoſe à rentrer chez
lui. La frayeur le ſaiſit, quand il entend une
voix qui lui défendd'approcher ſous peinede
la vie. Il eſt bientôt raſſuré lorſqu'on ajoute
qu'on vient de s'oppoſer à l'enlèvement de
la fille d'Uriquez , & qu'on ne ſouffrira pas
qu'on entreprenne rien contre la tranquillité
ou l'honneur du père.Alors il ſe fait connoître
, embraffe fon bienfaiteur ,& l'engage à
entrer chez lui , afin de ne pas s'expoſer à être
ſaiſi par les patrouilles.Altamont continue
de ſe déguiſer ſous le nom de Lortas , &
accepte l'aſyle qu'on lui propoſe. A peine
eft- il introduit, que Don Firmin , qui s'étoit
écarté à la fuite des combattans , revient , &
eſt auſſi- tôt arrêté par un Alcade qu'il cherche
en vain à féduire. On l'emmène. Uriquez
a conduit Altamont dans ſon jardin , il le
prie de l'y attendre , tandis qu'il ira lui faire
préparer un appartement. Inéfilla , à qui
la vigilance d'Uriquez n'a pas permis de
donner le ſignal convenu , deſcend au jardın
dans l'eſpérance que Don Firmin s'y fera
rendu ; elley rencontre Altamont , le prend
pour celui qu'elle cherche , & l'introduit
dans l'hôtel , où , à tout événement, il fe
laiſſe entraîner. Don Firmin , après s'être
fait connoître de l'Alcade , eſt revenu au
rendez-vous. Il entre dans le jardin , & y
trouve Pédrillo , qu'il prend pour un des
gens de la maison. Leur conversation eſt in
DE FRANCE.
43
terrompue par le retour d'Uriquez, qui, prenant
à fon tour Don Firmin pour Don Lore
tas , l'introduit auſſi dans l'hôtel . Pédrillo
n'a point voulu ſuivre les pas de la Duègne ,
mais il ſuit volontiers ceux du père. Les évé
nemens multipliés de la journée ont redoublé
l'inquiétude naturelle à Uriquez; il fait
venir Pedrillo & l'interroge. Le refus que
fait celui ci de s'expliquer clairement ſur le
rang de fon maître, ajoute encore à ſes ſoupcous;
il menace: mais la fermeté de Pédrillo,
&le titre d'Excellence , dont il ſe ſert en
parlant du faux Lortas, engagent le vieillard à
lamodération&à differer le moment d'éclairer
fes doutes. Pédrillo ſe retire d'un côté ,
Uriquez de l'autre. Altamont , qu'Inéfilla a
continué de prendre pour Don Firmin , en
tredans le fallon où Léonore doit ſe rendre.
C'eſt Cornélie qui y vient. Confidente de
l'amour de ſa ſoeur, elle vent éprouver fon
amant. Altamont reconnoît la voix de ſa maitreffe,&
fe croyant sûrde ſon infidélité, il veut
laverdans ſon ſangl'outrage faità ſa tendreſſe.
Cornélie fuit. Don Firmin entre un moment
après ,&eſt défié par Altamont qui ſenomme.
Le meurtrier de mon frère! s'écrie Don Firmin,
en s'armant de fon épée. On accourt ,
on apporte des bougies , on s'empare des
deux amans. Cornélie retrouve le ſien dans
le faux Lortas. Don Firmin déclare qu'il ſe
nomme Don Juan de Moraldo , & qu'il a
pris un nom ſuppoſé afin de pourſuivre plus
sûrement celui qui l'a privé d'un frère. Al
44 MERCURE !
tamont reconnoît la cauſe de ſon erreur &
de ſon injuſte jalouſie. Uriquez reconcilie
les deux rivaux , accorde la main de Léonore
à Don Juan , celle de Cornélie au
Comte , & chaſſe Inéſilla. La Duègne ſe
propoſe deſe conſoler de cette diſgrâce , avec
l'argent qu'elle a gagné en ſervant les amours
de Léonore.
L'ennui du beau nous fait aimer le laid ,
adit J. B. Rouſſeau. Molière , & ceux de ſes
ſucceſſeurs qui ont été doués de quelques
talens , ont enrichi notre Scène d'Ouvrages ,
où , à l'aide d'une intrigue affez bien ourdie
pour fixer la curiofité, & affez ſagement
combinée pour que les refforts s'en développaffent
naturellement , le jeu des paflions
auxquels l'homme eſt en proie , inſtruiſoit
& intereffoit tout à la fois le Spectateur
attentif. Qui croiroit qu'on dédaigne aujourdhui
de prendre pour modèles ces chefd'oeuvres
qui ont fait pendant un fiècle , les
délices , mon- ſeulement de la France , mais
de l'Europe entière , & qui ont donné à notre
Theatre l'honneur d'être cité comme le
premier de tous les Théâtres du monde ?
Qui pourroit préſumer que dans ce ſiècle
où l'on a perfectionné la connoiſſance de
l'homme ; où la morale , miſe à la portée de
tous les eſprits , offre le champ le plus vafte
auxÉcrivains obſervateurs , on abandonnat
les routes tracées par l'Auteur du Miſantrope
, pour ſe traîner ſur les pas des Auteurs
DE FRANCE.
45
Dramatiques de l'Eſpagne ? On peut pardonner
à Boifrobert & à quelques autres génies
de la même trempe , de s'être laiſſes ſeduire
par le faſte ridicule , par l'exagération bizarre
des expreffions& des idées familières alors aux
Auteurs Eſpagnols, comme d'avoir pris pour
de l'intérêt cette inconcevable accumulation
d'événemens que l'on remarque dans toutes
leursPiècesdeThéâtre.Au moment où ils écrivoient
, notre Scène étoit à peine dans ſon
enfance ; la nation , dans les troubles qui
l'avoient fi long-temps agitée & dont elle
gémiſſoit encore , avoit pris un ton chevalereſque
qui rendoit naturel à ſes yeux ce
qu'elle auroit regardé comme faux & abfurde
dans tout autre temps : d'ailleurs , on
n'avoit qu'une très- foible idée de ce qu'on
appelle le goût ; la Comédie de caractère
étoit inconnue ; nous n'avions point demoד
dèles , & l'avantage de créer le genre de
Comédie qui convient à une Nation éclairée,
étoit réſervé à Corneille & à Molière . Mais
peut- on pardonner à un Écrivain du dixhuitième
ſiècle , d'avoir imité par choix ce
que l'on imita jadis par néceflité ?
1 Les détails que nous venons de donner des
AmansEſpagnols ſont affez exacts pour prouver
à nos Lecteurs combien l'intrigue de
cette Comédie eſt compliquée ; que les refforts
en ſont trop nombreux pour ne pas ſe
nuire mutuellement; enfin,qu'ils ne peuvent
que fatiguer l'attention & détruire tout intérêt
, même celui de curiofité. Cette Comé
46 MERCURE
die n'eſt point dans nos moeurs , &ce n'eft
pas un motif pour la blâmer. Chaque Nation
a les ſiennes ; & il feroit auſſi ridicule
de porter des moeurs Eſpagnoles dans une
intrigue Françoiſe , qquuee de porter les moeurs
Françoiſes à Londres. Mais Ariftore a dit , &
on a depuis répété avec raiſon, qu'au Théâtre
ilneſuffit pas que les moeurs foient vraies,&
qu'il faut encore qu'elles foient bonnes. Le
caractère de Léonore a généralement déplu.
Le ton dur , indécent & dépouille de tout
reſpect avec lequel elle parle à fon père , a
révolté tous les gens délicats. En vain l'imitateur
chercheroit t'il à s'excufer en rejetant
cette faute ſur ſon modèle. Choiſir un tel
guide eſt déjà une erreur; mais ſuivre ſes
traces avec exactitu , de c'eneſt une plus grave
encore. Par-tout & dans toutes les circonf
tances , un père , même injufte , doit être
reſpecté , & malheur à l'être que les paffions
égarent aſſez pour lui faire oublier ce
qu'on doit à l'auteur de ſes jours. La facilité
avec laquelle Don Juan de Moraldo pardonne
la mort d'un frère dont il médite
depuis long-tems la vengeance , n'a pas paru
moins blamable. Il falloit ou ſe ſervir d'un
autre moyen pour obliger Don Juan à changer
de nom , ou motiver davantage la cauſe
du pardon qu'il accorde. Quant au ſtyle de
cette Pièce , il eſt rempli de jeux de mots , de
quolibets, de trivialités. On y trouve tou
jours la même manière de plaifanter. En
voici deux ou trois exemples. Don Firmin
DE FRANCE.
47
dit àGuſman de lui chercher des Muſiciens
pour donner une ſérénade , & de les choiſir
propres à un coup de main. Guſman fait la
reflexion ſuivante : En ce cas il ne vous faut
pas des Muficiens un peu braves , mais des
braves un peu Muficiens. Lorſque l'Alcade
demande au même Don Firmin qui il eſt ,
celui- ci lui répond : Je ſuis un homme
galant, & je vais vous prouver que jesuis un
galant homme, &c. &c. &c. D'après tout ce
que nous venons de dire on ne doit pas
être ſurpris que cet Ouvrage ait été mal
reçu par les Spectateurs ; mais on doit s'étonner
de l'avoir vû repréſenter , ſi aujourd'hui
on doit encore s'étonner de quelque
choſe.
1
Dansleprochain Mercure , nous rendrons
compte de Tom Jones à Londres , Comédie
en cinq Actes & en vers , repréſentée à la
Comédie Italienne le 22 du même mois
d'Octobre,
VARIÉTÉS.
UN Anonyme a demandé par lettre à un Mean
bre de l'Académie Françoiſe , ſi cette Compagnie ſe
chargeoit de faire approuver par deux Docteurs en
Théologie , ſuivant les ordres du Roi , les Diſcours
qu'on lui envoie pour le Prix d'Éloquence. C'eſt aux
Auteurs à ſe procurer cette approbation. L'Académie
ne s'en charge pas. A
48 MERCURE
L'IMPATIENCE
'IMPATIENCE que témoigne le Public pour la
livraiſon des premiers Volumes de l'Encyclopédie
Méthodique, ne peut que flatter infiniment les Auteurs
&l'Entrepreneur de cette Édition. On l'a inſtruit
dans le temps des cauſes de ce retard , & on le prévient
aujourd'hui que cette première livraiſon , que
tout le monde peut voir actuellementhôtel de Thou,
rue des Poitevins , ſera délivrée aux Souſcripteurs le
20 de ce mois ſans faute. Comme l'Ouvrage ne peut
être délivré que broché , on a eu beſoin de ces dix
jours pour ſe mettre en état de ſervir tous les Soufcripteurs
en même- temps. Les deuxième & troiſième
livraiſons ſuivront de près cette première. La Soufcription
au prix de 751 livres ſera ouverte juſqu'au
premier Avril 1783. MM. les Souſcripteurs font
priés de rapporter leurs billets de ſouſcription en retirant
la première livraiſon.
TABLE.
EPITRE àM. de Piis, 3 Extrait de ce qui s'est passé
Enigme& Logogryphe , 6 dans l'Assemblée publique
Penfées Moralede Confucius , de l'Académie de Borrecueillies
& traduites du deaux ,
Latin,
23
Académie Roy. de Musiq. 39
Lettrefur le Secret deM. Mef- Comédie Françoise,
mer , 20 Variétés ,
40
47
200
APPROBATION.
J'AI le AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercurede France , pour le Samedi 2 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis ,
le : Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 8 Septemb.
LE trouble & la défolation ſont toujours
dans cette Capitale , où règne en même tems
une grande fermentation ; la dépoſition du
dernier Grand-Viſir ne l'a pas calmée. Outre
ſadignité, il a perdu encoretoutes ſes marques
d'honneur, telles que les trois queues . Son
frère Tchelebi - Effendi , qui poffedoit des
tréſors conſidérables , eſt arrêté & gardé à
vûe. Le Mufti vient de perdre auffi fa place;
le Grand- Seigneur a nommé Rakibules,
Chaf pour lui ſuccéder.
Le Capitan Bacha eſt de retour de l'Archipel
depuis quelques jours ; comme fa
miffion n'étoit pas encore finie , on foupçonne
que des raiſons puiffante tant contraint
de revenir avant le tents ?& les troubles
actuels peuvent entrer pour quelque
chofe dans ces raifons.
2 Novembre 1782 .
121
Selon les lettres d'Egypte il n'y a pas plus
de tranquillité; les Beys & les Bachas continuent
à déſoler ce malheureux Royaume ,
qui eſt la victime de leurs diviſions .
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 24 Septembre.
LE 22 de ce mois , la Cour eſt arrivée de
Czarsko Zélo dans cette Capitale , au bruit
du canon de la forrereffe & de l'Amirauté.
Après demain , il y aura cour & appartement
ordinaire au Palais de l'Impératrice.
Le Grand-Duc & la Grande Duchefſe ſont
attendus ici vers la fin du mois prochain ou
le commencement de Novembre .
Le Prince Potemkin , qui eſt parti d'ici
il y a quelques jours pour ſe rendre à Cherſon
, ville nouvellement bâtie ſur la mer
Noire , doit dans ſa route faire une viſite au
Feld Maréchal Comte de Romanzow. On
dit que ce Général eſt décidé à demander
fa retraite.
Les marchandiſes de toute eſpèce , &
particulièrement les chanvres , ont été payés
très cher pendant le mois d'Août. Il y
avoit ici vers le milieu du même mois 426
bâtimens marchands ,& on évalue à 600,000
roubles ceque la Douane a rapporté pendant
le mois de Juin .
מ Le Profeſſeur Inochodzow , que l'Académie
Impériale a chargé de faire des obſervations aſtronomiques
à Lubny dans l'Ukraine , a écrit le 20
13 )
du mois dernier , que la veille il y avoit cu a
Lebny un orage terrible pendant lequel il eſt tombé
beaucoup de grêle. Les grêlons étoient d'une grofſeur
extraordinaire ; il y en avoit un grand nombre
qui avoient depuis 2 juſqu'à 3 pouces de diamètre ,
& qui peſoient plus d'une demi-livre. La nuée la
plus noire venoit d'oueſt- ſud - oueſt . A deux heures
le thermomètre de Réaumur étoit à 22 degrés ;
à 3 heures , à 17 degrés 5 minutes , & à 4 heures
à 13 degrés «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 1er. Octobre.
Il eſt arrivé dans notre rade 2 bâtimens
venant d'Iſlande , chargés de poiffons ſecs
& falés , d'huile de baleine , d'édredon ,
&c. Ils avoient auſſi à bord si gerfauts de
cette Ifle.
Notre Compagnie Aſiatique a reçu la
nouvelle que le vaiſſeau la Princeſſe Charlotte
Amélie, eſt arrivé les Juin au Cap
de Bonne Eſpérance , & que le vaiſſeau le
Diſco a mouillé le même jour à Falſe-Bay.
>> Le 23 du mois dernier , écrit-on d'Elſeneur ,
85 bâtimens Anglois , au nombre deſquels éteit
une frégate de la même nation , paſsèrent du Sund
dans la mer du nord. Le 26 , il arriva de cette
mer dans le Sund 20 bâtimens , parmi leſquels on
compte une frégate Angloiſe de 44 canons & un
ſénaut , ayant ſous leur convoi 13 bâtimens de
Londres & de Hull. On compte actuellement dans
le Sund 95 bâtimens tous deſtinés pour la mer du
nord; le nombre des bâtimens Anglois monte à 53 .
- Un cutter Anglois qui avoit mis à la voile
il y a quelques jours , pour aller ſecourir un baa2
timent de ſa nation , échoué près de Leſtow , l'a
ramené hier dans cette rade . Ce cutter avoit cu
ordre , en partant d'Ang eterre , de te joindre aux
navires Anglois partis d'ici ; mais il ne les a point
rencontrés en mer «.
On a découvert près de Kongsberg , en
Norwege , une nouvelle mine de cuivre
très-riche. On commencera inceffamment à
l'exploiter.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 2 Octobre.
Ce fut le 30 du mois dernier que la Diète
futouverte avec les formalités & les cérémonies
d'uſage. Il y eut d'abord quelques
difficultés dans la Chambre des Nonces , fur
l'admiffion du Prince Adam Czartorisky ,
enqualité de Nonce de Wilna, parce qu'ayant
un grade au fervice de la Maiſon d'Autriche ,
il devoit être réputé étranger & ineligible
comme tel. Cette affaire s'arrangea ſans
bruit , ainſi que quelques autres , & on procéda
à l'élection du Maréchal de la Diète.
Le choix tomba ſur le Prince Krafinski ,
Quartier Maître-Général de la Couronne. Il
prêta ferment , & prononça , ſelon la coutume
un Diſcours , pour remercier les Nonces
de leur confiance , & pour les affurer de
tous ſes efforts pour qu'il ne réſultât de
cette Diète que des arrangemens utiles à la
patrie. M. Kizinski fut enfuite propofé &
agréé en qualité de Secrétaire de la Diète.
.:
( 5 )
Hier on s'occupa de l'élection des Membres
du futur Confeil permanent , ainſi que
de ceux qui doivent compoſer la Commiffion
du trefor & celle de la guerre. On
nomma aufli les Députés chargés d'examiner
les comptes & la gestion du dernier
Conſeil permanent. Tous ces objets doivent
occuper encore quelques jours , après
quoionpaſſera à d'autres affaires .
On a remarqué que lors de l'élection
du Maréchal de la Diète , M. de Soltyck ,
Prince-Evêque de Cracovie , a été ſur les
rangs , & qu'il a eu même pluſieurs voix.
La tranquillité qu'on a vu régner jufqu'à
ce moment , fait eſpérer que tout
ſera calme pendant le reſte de l'aſſemblée.
On s'attend toujours à un projet de réforme
dans le Clergé , & de fuppreffion
de pluſieurs Ordres Religieux ; ce qui ſemble
appuyer cette conjecture , c'eſt l'absence
depluſieurs Prélats , & en particulier celle
du Prince Primat Ostrowski , qui ont
choiſi l'époque de la Diète pour aller faire un
voyage en Allemagne.
Ondit que les Cercles de Lithuanie ont
des inſtructions pour demander qu'à l'avenir
, ainſi que le portent les loix , chaque
troiſième Diète ſe tienne à Grodno. Comme
cette Ville a beaucoup ſouffert depuis
peu d'un violent incendie , le tréſor de
Lithuanie offre une ſomme conſidérable
pour aider à la reconſtruction des édifices
de cette Capitale du Grand-Duché.
43
( 6 )
Le Grand - Duc & la Grande - Ducheſſe
de Ruffie doivent paſſer par ce Royaume
en retournant en Ruſſie ; le Roi aura de
nouveau une entrevue avec eux à Bialyſtock.
Le Prince Frederic-Guillaume de Wurtemberg
, qui les précède pour aller prendre
poffeffion de ſon Gouvernement en Ruffie ,
dîna ſamedi dernier avec la Princeſſe ſon
épouſe chez le Roi & le lendemain il
continua ſa route , avec une ſuite de 25
perſonnes.
د
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 9 Octobre.
:
Le Comte & la Comteſſe du Nord , la
Princeſſe Elifabeth , & le Prince Ferdinand
de Wurtemberg , arrivèrent le 4 de ce
mois à 7 heures du ſoir. L'Empereur avoit
été au-devant d'eux juſqu'à Enns. Les
Illuftres Voyageurs mirent pied à terre devant
le Palais Impérial , d'où ils ſe rendirent
à l'Opéra. Parmi les fêtes qu'on leur
a données , celle d'hier n'est pas la moins
intéreſſante ; ils allèrent faire la vendange
Schonbrunn , dans le jardin Hollandois ;
cette vendange , à laquelle beaucoup de
perſonnes diftinguées des deux ſexes avoient
été invitées , ſe fit au ſon des inſtrumens .
Après le dîné , le Comte du Nord alla faire
une viſite au Prince de Kaunitz , & la
Comteſſe du Nord alla voir la Comteſſe
de Chanclos , déſignée Grande -Maitreffe
( 7 )
de la Cour de la Princeſſe Eliſabeth. Les
Dames & autres perſonnes qui doivent
compoſer la cour de cette Princeſſe , ont
éré habiter les appartemens qui lui font
deſtinés dans le Couventdes Saleſiennes.
L'Impératrice de Ruſſie a nommé M.
de Warrucca ſon Conſul au Port franc de
Trieſte ; c'eſt le premier qui y aura exercé
cette fonction de la part de cet Empire.
Le nouveau Conſul qui a fait un court ſéjour
ici , a communiqué ſes lettres de créance
à l'Empereur , dont il a obtenu l'agrément
; il eſt parti enſuite pour ſa deſtination.
Ci- devant les Négocians d'Oſtende étoient
obligés de ne prendre que les bateaux des
Bateliers attachés à telle ou à telle claſſe pour
faire le chargement & le déchargement des
bâtimens de commerce. Le Gouvernement
les a débarraſſes de cette entrave , en leur
permettant de fréter tous les bateaux indiftinctement
, qu'ils voudront choiſir.
De HAMBOURG , le 12 Octobre.
SELON les lettres des frontières de la
Turquie , l'incendie allumé en Crimée par
les troubles qui s'y ſont élevés , menace de
s'étendre ; les lettres de Conſtantinople
même , n'annoncent encore aucun parti
décidément pris par le Sultan , mais font
craindre qu'il n'y ſoit forcé.
>> On ne fait pas encore , diſent ces lettres , quel
parti prendra la Porte dans l'affaire de la Crimées
a4
78 )
le peuple demande la guerre; il eſt à craindre qu'il
ne force l'adminiſtration à y confentir , quoique
dans ce moment elle ait plus beſoin que jamais ,
de la paix , parce que le tréſor eſt épuisé , & que
les vaiſſeaux manquent. La fermentation eſt toujours
très- vive dans la Capitale ; elle est montée
à tel point qu'on a cru devoir doubler & tripler
la garde ordinaire du ſerrail . On dit qu'une dé-
-claration de guerre diffiperoit le mécontentement ;
mais les circonſtances ſemblent s'y oppoſer. Le
Gapitan-Bacha a été rappellé de l'Archipel avec ſon
efcadre. On fait qu'il devoit quitter ſon poſte &
aller en Crimée en qualité de Bacha ; on aſſure
aujourd'hui qu'il reſtera à la tête de la Marine ,
& qu'il ne s'éloignera pas de cette Capitale , cù
l'on croit que la perfonne peut influer , & ſes confeils
fer-tout être utiles .
Pluſieurs avis reçus de divers côtés , confirment
les inquiétudes de Conſtantinople ;
les préparatifs que l'on fait en quelques
endroits , ſemblent préparer en effet à la
guerre.
>> Des Lettres de Boſoie, écrit-on de Péterwaradin,
nous apprennent qu'il eſt arrivé à Trevnick
des Ingénieurs étrangers, qui ont ordre d'aller à
Berbio & à Zwornick pour y examiner les fortifications.
Ils doivent en rendre compte au Pacha ,
& fe charger enſuite de la direction des ouvrages
qui pourront être jugés nécellaires. En général ,
ajoutent ces mêmes Lettres , les Turcs font trèsoccupés
à réparer leurs fortereſſes dans le pays ;
on travaille fans interruption au rétabliſſement de
la fortereffe de Banjaluka « .
S'il faut en croire quelques-uns de nos
papiers , la maiſon d'Autriche & celle de
Bavière ſont dans ce moment en négociations
pour un échange de pays. Les lettres
) و(
de Vienne , de Munich & de Manheim
n'en font aucune mention.
» L'Archevêque Electeur de Trèves , écrit-on de
Mayence, a pris la réſolution de mettre dans un
meilleur ordre tous les établiſſemens de ſon Dic.
cèſe , relatifs à l'inſtruction de la jeuneſſe , & d'établir
une méthode uniforme dans les plans de
l'éducation publique. Pour exécuter ce ſage projet ,
il a été arrêté de lever tous les ans une charge
extraordinaire de 25,000 florins ſur les revenus
Ecclefiaftiques , tant féculiers que réguliers. En
conféquence de cette réſolution , le Clergé s'étant
affemblé à Coblentz , a fait l'offre volontaire de
18,000 florins chaque année , pourvu qu'on le raffure
contre toute crainte de fuppreffion , même
venant de Rome. Il n'y a point encore eu de réponſe
ſur cette condition «.
Selon les lettres de Pologne , le Synode
Général des Difſſidents , qui avoit commencé
à Wengrow en 1780 , a repris ſes féances
le 6 Septembre dernier ; elles les a finies
le 27 , & a fait chanter un Te Deum à
cette occafion . On aſſure que les Canons
de ce Synode ſeront imprimés , & qu'il
y en a de très-remarquables.
>> On a établi depuis environ 3 ans , dans la
petite ville de Sonneberg, avec privilége de la Maiſon
ducale de Sare-Cobourg Meinnungen , une fabrique
de Miroirs , où l'on en fait de toute eſpèce , de
petits & de grands , avec ou ſans encadrare. Les
glaces font du criſtal le plus fin , & l'ouvrage très
Toigné par d'excellens ouvriers . Les prix en font
très-modiques , & les tranſports facilités par la
ſituation du lieu qui met à portée de les faire à
peu de frais fur le Mein , le Rhin , l'Ebe & le
Wéfer. On trouve dans l'almanach de Gotha , aa
25
( 10 )
née 1780 , page 167 , un tarif des différens prix
des glaces d'après les grandeurs ou pouces de Braban.
Ceux qui voudront de plus amples informations
pourront adreſſer leurs lettres à la fabrique
de Miroirs : Sonneberg, près de Cobourg en Saxe ".
ITALI Ε.
De LIVOURNE , le 30 Septembre.
On a reçu de Rome les actes du Confif
toire qui s'eſt tenu le 23 de ce mois ; S. S.
ne s'eſt pas bornée à y préconifer des Egliſes
vacantes ; elle y a prononcé un difcours
dans lequel elle a rendu compte de fon
voyage à Vienne , & de tout ce qui lui
eft arrivé ſur la route. Elle en a fait diftribuer
des copies aux principaux Cardinaux;
elles ſont enrichies d'eſtampes relatives
aux divers évènemens de ce voyage. Il
A'y a point eu de promotion de Cardinaux;
celle des Frélats Spinelli & Gregori
, qu'on diſoit devoir avoir lieu dans ce
Confiftoire , paroît remiſe à un autre tems.
Le Capitaine d'un navire Suédois arrivé
d'Alger dans ce port , a déposé que les Algériens
faifoient un armement conſidérable de
chébecks & de barques pour croiſer contre
les bâtimens Impériaux , dont la trève eſt
prête à finir. Cette nouvelle alarme beaucoup
les côtes d'Italie ; il ſeroit à ſouhaiter
que les Puiſſances maritimes ſe reunifſent
pour contenir ces corſaires , qui deviennent
pirates toutes les fois qu'ils le
peuvent impunément.
/
( II )
ANGLETERR E.
De LONDRES , le 22 Octobre.
La frégate le Southampton , de 32 canons,
a mouillé le 18 de ce mois à Portſmouth ,
venant deNew-Yorck ; le Capitaine Affleckqui
la commande , s'eſt rendu auſſitôt ici , &
a remis ſes dépêches à l'Amirauté. Celleci
les a reçues le 19 , & n'a encore rien
publié. Tout ce qu'on fait , c'eſt que l'Amiral
Pigot , qui étoit parti le 26 Juillet de la
Jamaïque , eſt arrivé le 4 Septembre ſur la
côte de New- Yorck; on dit ſon eſcadre forte
de 24 vaiſſeaux de ligne. Les lettres particulières
que cette frégare a apportées , confirment
ce que l'on a déja dit de la déſolation
des Loyaliſtes de New Yorck , qui
n'appartenant bientôt ni au Roi ni au Congrès
, également abandonnés des deux côtés ,
ſe trouvent dans la fituation la plus facheuſe.
>> Les réfugiés deNew-Yorck , dit un papier Américain,
commencentà éprouver les effets de la juftice.
lente mais toujours fûre du ciel. Ceux qui ſervent
déchirent leurs uniformes & les foulant aux pieds ,
s'écrient qu'ils font ruinés ſans reſſource ; qu'ils ont
tout facrifié pour prouver leur loyauté , & qu'on les
abandonne , en leur laiſſant le ſoin de pourvoir euxmêmes
à leur ſûreté , après avoir perdu la protection
de leur Roi & l'amitié de leur pays. Les inquiétudes
de ceux de cette claſſe ont été fi bruyantes que Sir
Gui Carleton jugea convenable de les aſſembler il y
a quelques jours , & de leur faire les propofitions
ſuivantes : 1º, de reſter à New- Yorck & de tenter
a6
( 12 )
deſe réconcilier avec leurs compatriotes; 2°. d'aller
en Europe far des tranſports que le Gouvernement
leur procureroit ; 3 ° . d'aller dans la nouvelle Ecoſſe
oùil leur feroit donné des terres non aſſignées ; 4°. enfin
de s'enrôlerdans les régimens de cavalerie ou d'infanterie
de S. M. Toutes les apparences prouvent
que les harpies qui defiroient faire leur fortune
furles ruines de leur pays, auront leur tour à ſouffrir,
& que leurs meurtres & leurs cruautés ſans bornes
ne pafferont pas avec impunité «.
-
On peut juger par cette lettre , de l'opi
nion qu'on a en Amérique des Loyaliſtes ,
& de ce qu'on doit penſer des diſpoſitions
que ces derniers prêtent aux peuples des
différens Etats - Unis. Il eſt difficile que
ceux qu'ils prétendent penſer comme eux
foient en aufli grand nombre qu'ils voudroient
le faire croire ; on voit au contraire
par-tout une horreur générale contre les
particuliers qui ont abandonné la cauſe de
la patrie. Si ce ſentiment n'étoit pas aufli
profond , le Congrès n'auroit pas manqué
de ménager des eſprits diſpoſés à une
réconciliation , & il n'auroit pas répondu
avec tant de fierté à la lettre qu'adreſſerent
au Général Washington le 2 Août dernier le,
Général Carleton & l'Amiral Digby . Le
12 du même mois , il prit ſur cette lettre
la réſolution fuivante.
>>Attendu que par une publication récente qui a
été faite, le peuple des Etats - Unis pourroit être
porté à croire que le Congrès a reçu une communication
authentique touchant une paix prochaine ,
il a été réſolu que la lettre de Sir Gui Carleton &&
de l'Amiral Digby au Commandant en chef , en
( 13 )
date du 2 Août dernier , ſera rendue publique. ( Ici
ſe trouve cette lettre que nous avons déja donnée. )
Réſolu que le Congrès confidère la ſuidite lettre
comme une fimple matière d'information , & ne
contenant rien de poſitif quant à la nature & à
l'étendue de l'indépendance que le Plénipotentiaire
Britannique avoit été chargé de propoſer , & que ,
comme le Congrès n'a reça aucune information à
ee ſujet de la part de ſes Miniftres , chargés des
négociations de paix , pour cette raiſon il ne peut
ni ne doit être pris aucune meſure publique ſur certe
propofition dans la forme préfente.-Réfolu qu'il
ſoit recommandé comme il eft recommandé par la
préſente aux différens Etats de l'Union , de ne point
ſe relâcher de leurs efforts pour poufler la guerre
avec vigueur , comme le ſeul moyen efficace d'affurer
l'établiſſement d'une paix sûre & honorable.
-Réſolu que le Commandant en chef fera chargé
de propoſer au Commandant de S. M. B. à New-
Yorck , denommer des Commiffaires pou convenir ,
ſans délai , d'un cartel général pour l'échange des
prifonniers , en prenant foin qu'il y foit pourvu à
la liquidation des comptes , & à arrêter la balance
due pour l'entretien des prifonniers «.
C'eſt le i's Septembre que le Capitaine
Affleck a quitté New-Yorck ; & on prétend
qu'il a rapporté qu'avant ſon départ pluſieurs
tranſports avoient fait voile de cette
place pour Charles Town , où ils vont en
recueillir la garniſon ,& la conduire à New-
Yorck. Le Général Carletona , dit- on , encore
retenu le paquebot qui devait faire
voile de conſerve avec le Southampton , afin
de s'en fervir pour faire paſſer en Europe
des dépêches de la plus grande importance ;
it ne fera expédié vraiſemblablement qu'a
:
( 14 )
près l'arrivée de la garnison de Charles-
Town.
On a reçu par la même voie des nouvelles
de l'eſcadre Françoiſe aux ordres du
Marquis de Vaudreuil ; une lettre de Boſton
contient à ce ſujet les détails ſuivans ; elle
eſt dus Septembre.
» Le 8 & le 9 du mois dernier , nous avons vu
entrer dans notre port l'eſcadre Françoiſe aux ordres
de M. de Vaudreail ; elle est compoſte de
13 vaiſſeaux de ligne & de 4 frégates , revenant
des Indes Occidentales. Elle conduiſoit avec elle
l'Amazone , de 23 canons , qui avoit amené àune
frégate Britannique de force ſupérieure , après une
vigoureuſe défenſe , dans laquelle eile avoit cu
grand nombre de tués & de bleſſes. Au moment
que l'eſcadre à laquelle l' Amazone appartient parut,
les Anglois voulurent y mettre le feu , mais deux
frégates Françoiſes ſont venues à tems pour les en
empêcher. L'eſcadre s'eſt auſſi emparé de l'Allégeance
, Capitaine Philipps , qui commandoit la
MarineBritannique à Pénob cot ; 2 bâtimens allant
de ce dernier endroit avec une cargaifon de mâts
aux Indes Occidentales ; du navire le Général
Greene de New-Yorck , & de 3 à 4 autres. Le
Magnifique a touché ſur les roches de Nantasket ".
Toutes les nouvelles confirment la ruine
de nos établiſſemens ſur la baie d'Hudſon ,
par une divifion de l'eſcadre Françoiſe ,
compofée d'un vaiſſeau de ligne & de 2 fiégates.
Le tort fait à la Compagnie qui a le
privilége du commerce dans ces parages ,
eſt , dit- on , immense ; on ne manque pas
d'être étonné que ce ſoit une partie ſi foible
d'une armée vaincue , qui a exécuté
( 15 )
cette entrepriſe , tandis que la victorieuſe
n'a rien fait de ſon côté pour profiter de
fon avantage en portant quelque coup
ſenſible à l'ennemi ; il eſt bien étrange
qu'elle ne foit pas parvenue même à l'empêcher
de nuire à nosétabliſſemens. Qu'auroit-
il donc fait , ſi c'eût été lui que la
victoire eût favorisé le 12 Août ? & quels
ont été pour nous les fruits de cette grande
victoire ? Ils ſe réduiſent à avoir ſuſpendu
les opérations de la France , qui vraiſembla
blement ne fontque retardées.
Les papiers Américains contiennent une
relation publiée par ordre du Congrès ,
d'un avantage remporté par le Général
Wayne dans la partie du Nord. Nous en
rapporterons la ſubſtance.
» Le Général Wayne ayant été informé qu'un
Corps conſidérable d'ennemi , ſous les ordres du
Colonel Brown , s'étoit mis en marche de Savanah ,
forma la réſolution de le couper & de l'enlever.
Il partit en conféquence le 24 Mai. L'unique route
Pour parvenir à l'ennemi , étoit à travers un marais
profond de près de 4 milles d'étendue , avec
des coupures très-dangereuſes à paſſer. Le Général
concevoit toute la difficulté d'une marche de nuit
ſur un pareil terrein , ainſi que la délicateſſe d'une
mancoeuvre qui le placeroit au centre de toutes les
forces ennemies dans la Georgie. Mais il étoit sur
'de l'expérience & de la valeur de ſes Officiers &
de l'intrépidité de ſes troupes. Il ſe met en marche
& arriva a minuit ſur la route d'Ogechee , à 4 milles
de Savanah & ſe trouva ainſi entre la place &
l'ennemi , qui ne s'attendoit guère à être attaqué
au milieu de la nuit. Quoique l'atrière-garde du
1
( 16 )
Général Wayne ne fût pas encore arrivée, il or
donna fur-le champ une de hargé générale , & de
tomber au pas redoublé la bayonnete au bout du
fufil ſur l'ennemi . Cette manoeuvre hardie & bien
exécutée , épouvanta tellement les Anglois , qu'après
une réſiſtance confufe & mal exécutée , ils
s'enfuirent au fond des bois , jettant leurs armes
à terre & abandonnant même leurs chevaux. Le
Général Wayne ſe porta le lendemain juſqu'aux
portes de Savanah , pour provoquer l'ennemi; mais
celui - ci n'oſant paroître en raſe campagne , le
Général Américain retourna le 26 à Ebenezer ".
Parmi les nouvelles apportées par le Southampton
, on a cherché avec intérêt celles
qui peuvent éclaircir le fort du Capitaine
Afgill , qui inſpire toujours beaucoup de
pitié. Il paroît qu'à l'époque du départ de
cette frégate il n'y avoit encore rien de
décidé.
» Le 23 Août , dit un de nos papiers , il étoit
encore prifonnier dans les Jerſeys , & toujours def.
tiné à ſervir de repréſailles pour le traitement fait
au Capitaine Huddy; cependant la lenteur qu'on
a miſe à fon exécution , le long intervalle qui s'eſt
écoulé depuis que le ſort l'a condamné , donnent
l'eſpérance qu'on n'ira pas plus loin. On aſſure que
le Congrès a reçu, de la part des Etats de Hollande
, de preſſantes follicitations en faveur de cet
Officier infortuné ; que le Général Washington ,
ayant été informé qu'il étoit indiſpoſé , lui avoit
envoyé ſon Médecin pour lui offrir ſes ſervices
& l'accompagner dans tout autre endroit dont l'air
pourroit être plus convenable au rétabliſiement de
ſa ſante : mais le Capitame Afgillen témoignant
to te fa reconnoiſſance pour les offres obligeantes
du Général , les avoir refuſées poliment «.
>
( 17 )
:
Unde nos meilleurs papiers qui rapporte
ee fait , ajoute ici une obſervation qui n'a
paru encore dans aucun autre,&qu'il dit tenird'une
Américainetrès- reſpectable . »C'eſt
que lorſqu'il fut queſtion de juger le Capitaine
Lippencott , il ſe juſtifia en produiſant
un ordre écrit de la main du Gouverneur
Franklin même , pour l'exécution.
du Capitaine Huddy ".
:
On n'a point encore de nouvelles des
quatre vaiſſeaux de ligne qui eſcortoient la
flotte de la Jamaïque lorſqu'elle a été
accueillie fur les bancs de Terre Neuve de
l'ouragan dont nous avons parlé ; on eſt
dans les plus vives inquiétudes ſur leur
compte; & le rapport qu'a fait le Capitaine
du Silver Eell , arrivé de la Jamaïque .
à Falmouth , n'eſt pas fait pour les diſſiper.
Onavoitrépandu que la Ville de Paris avoit
peu fouffert , & qu'en conféquence, on ſe
flattoit qu'elle pouvoit protéger & ſecourir
les autres vaiſſeaux de guerre : le Capitaine
déclare poſitivement que ce vaiſſeau a été
auſſi maltraité que les autres ; qu'il avoit
perdu ſon grand mât ,&eſſuyé une quantité
d'autres dommages tres-conſidérables . Cette
déclaration a ajouté aux craintes qu'on avoit
fur fon fort & fur celui de l'Hector , du
Glorieux , du Centaure & du Caton .
Selon les liſtes que préſentent la plupart
de nos papiers , les navires de la flotte de la
Jamaïque qui ne font point encore arrivés
à leur deſtination , font au nombre de 38 ,
( 18 )
dont 24 pour le port de Londres , 4 pour
celui de Bristol , 3 pour Liverpool , 3 pour
Glafcow , 3 pour Clyde & 1 pour Lancaster.
On ne ſe flatte point de les voir tous arriver ,
& on évalue déja la perte des affureurs fur
les navires de cette Hotte ,à environ 150,000
liv. ſterl. Dans les 38 dont le ſort eſt incertain
, il y en a ſans doute beaucoup de perdus
par le naufrage ou enlevés par les corſaires
ennemis.
>> On a appris que l'Arundel , le Brothers ,le
Hope , & la Jamaica , navires de cette flotte , ont
été pris le 3 du courant à 40 lieues des Sorlingues
, par 3 Corſaires Américains qui les ont envoyés
à l'Orient , & mis leurs Capitaines ſur un
bâtiment Danois qui les a débarqués à Torbay.
Le 28 Septembre , ces priſes avoient été ſéparées
du Benfon , & le 2 du courant de la Belle , à
bord de laquelle étoit l'Amiral Graves , & de la
Dorothée. Les Capitaines de ces priſes rapportent
que pluſieurs Matelots de leurs équipages étoient
entrés au ſervice des Capteurs , preſqu'immédiatement
après avoir été pris ; que ces Corſaires appartiennent
à un particulier de Salem , qu'ils ſe
nomment la Réſolution , montant 20 canons de 9 ,
& 140 hommes; le Buchaneer , idem. le Cicéro
de 18 canons de 6 , & 100 hommes. Ils n'ont
qu'un ſeul pont , ſont doublés en cuivre & excellens
voiliers. Leur croiſière venoit d'expirer , lorfqu'ils
ont rencontré ces navires dont le ſort eſt
d'autant plus triſte , qu'ils touchoient preſqu'au
port , après avoir échappé avec tant de difficultés
à l'ouragan impétueux dont ils avoient été accueillis
,
la hauteur de Terre Neuve. Ces Corſaires continuent
de croifer à cette hauteur pour intercepter
d'autres navires de cette flotte , & particulièrement
( 19 )
la Belle , à bord de laquelle ils ſont informés que
ſe trouve l'Amiral Graves. Cet Amiral , en quit
tant le Ramillies , avoit fait diftribuer les mailes
qu'il avoit à bord, l'une ſur l'Arundel , la ſeconde
fur l'Auguste-Céfar , & la dernière ſur la Belle.
La première est déjà entre les mains de nos ennemis
, la ſeconde eſt, dit-on , en ſûreté & on craint fort
pour l'autre «.
و
S'il faut en croire nos papiers on va
lancer inceſſamment à la mer un vaiſſeau
de 98 canons , 2 de 74 , 3 de 64 , & une
frégate.
>> Il ſeroit bien plus important , obſerve à cette
occafion un de nos papiers , de lever 10,000 matelots
additionnels , pour le ſervice de l'année prochaine
, fi la guerre continue , que de conſtruire fix
vaiſſeaux de ligne : il eſt certain que le ſervice louffre
plus du manque de matelots pour équipper les
vaiſſeaux , en état de mettre en mer , que da manque
de vaiſſeaux mêmes. Il eſt arrivé affez ſouvent que
des vaifſeaux de ligne & d'aurres rangs , prêts à
mettre en mer , ont attendu des deux ou trois mais
pour former leurs équipages ; & pendant tout ce
tems-là ils étoient comme nuls. L'été dernier , par
exemple , lorſqu'il a été queſtion d'équiper l'eſcadre
de l'Amiral Milbank , pour croiſer dans les mers
du Nord , il eſt noroire qu'il y avoit 7 vaiſſeaux de
ligne qui manquoient d'équipages. Le Bombay-
Castle , qui en ce moment fait voile pour Portf
mouth, a été 7 ſemaines à Woolwich dans Pattente
de ſon complet, tems ſuſſiſant pour faire le voyage
des Indes Occidentales . Commençons donc par nous
procurer des hommes , nous ſongerons enſuite à
augmenter le nombre de nos vaiſſeaux ".
Nous attendons avec impatience des nouvelles
de l'Amiral Howe. Toutes celles que
nous recevons du Continent nous appren(
20 )
nent l'état des forces ennemies au Détroit
de Gibraltar , les diſpoſitions qu'ils font
pour faire échouer ſon expédition ,& ajoutent
à nos inquiétudes & à notre impatience.
On commence à penser qu'on l'a
fait partir avec de trop foibles moyens
pour exécuter la commiffion dont on l'a
chargé. On s'attend à un combat , & vraiſemblablement
c'eſt de France même que
nous recevrons les premiers avis ; dans le
moment actuel tout doit être dit ; on ne
peut tarder à ſavoir ſi notre Amiral a
réuſſi ou échoué ; c'eſt de l'iſſue de fon
expédition que l'on penſe toujours que
dépend le fort de Gibraltar; en attendant
l'arrivée des nouvelles que nous eſpérons ,
onne ſera pas fâché de trouver ici un pré ,
cis-hiſtorique ſur cette place fameule.
>>>Gibraltar eſt un grand promontoire dans la
province d'Andalouſie en Eſpagne. Il ne tient au
continent que par une langue de terre de 3090
pieds dans ſa partie étroite , & de 4550 dans ſa
plus grande largeur. Sa longueur eſt de 4400 pieds ,
àcompter de la partie ſeptentrionale de la montagne
, juſqu'à l'endroit où elle s'élargit fur le Continent.
La plus grande longueur de la Péninſule ,
depuis les plaines du Nord juſqu'à la pointe la plus
méridionale , eſt de 2940 pieds ; ſa plus grande
largeur dans la partie la plus bafle ,cit de 4296
pieds. La ville eſt ſituée ſur la partie occidentale
de la montagne , ſur un terrein incliné de 5820
pieds de longueur & de 1100 pieds de largeur. It
est imp fible de lui donner plus d'étendue , étant
bornée à l'ouest & au nord par la Baie , & à l'est
&au fud par la montagne. La crête du roc eft
【21 )
élevée d'environ 1400 pieds perpendiculaires au
deſſus de niveau dela mer; la montagne n'eſt point
formée par une élévation continue , mais par différentes
coilmes placées les unes sur les autres.
Cet e montagne a été d'abord appellée le mont
Calpé , & el'e a continué de porter ce nom jul.
qu'aux incurſions des Arabe , dans l'année 713. Les
Hittoriens dient que de fameux promontoire a été
originairement p ffedé par les Scythes , lors de leur
premier étab'idement dans ces contrées. Quand les
Romains earent ajouté l'Ibé ie à leurs conquêtes ,
cette montagne offait un aſyle paſſager aux habitans
de la Baltige; mais leur réſiſtance fut vaine ,
& on forma a l'ouest de Calpé un étab iſſement
Romala q i avoit le nom de Julia Traducta . Les
Carrbaginous ſe font emparés de toste la Bitique ;
mais elle a été reprite par Lucius-Licinius-Lucullus,
& le mont Calpé eſt reſte ſous la domination des
Remains ju qu'en 168 , qu'ils furent entièrement
chalés de tonte ! Eipagne par les Viſigoths. Dans
l'année 713 , une querelle domestique introduifit
les Arabes en Eſpagne. La montagne pit alors le
nom de Jubal Tarik , ou montagne de Tarik , nom
duGénéral tous lequel l'incurfion a été faite. Telle
eft,dit-on , l'origine du nom Gibraltar. Il feroit
autfi ennuyeux qu'inutile de ſuivre pas à pas l'his
torique des movens employés pour fortifier cette
énorme roche. Des atraques ſucceſſives ont mis à
portée de coonoître les défauts & les avantages de
la Place; & c'eſt d'après ces abſervations que l'on
a remédié aux uns & perfectionné les autres . Au
furplus , Gibraltar a foutenu 13 fiéges , y compris
celui- ci. En 1310 , Alonzo Perez de Guzman l'enleva
aux Infidèles , qui en furent fi furieux qu'ils
mafſacrèrent leur Roi Mahomet. Le ſecond finge
fut fait en 1316 , par I mael Roi de Grenade
qui tenta en vain de reprendre cerre Place. Le troiième
fiége commença au mois de Février 1332 ,
(22 )
& il dura juſqu'à la mi-Juin, tems auquel la famine
força les Eſpagnols de ſe rendre. Ils fouffrirent
horriblement pendant un ſiége fi long , &
les Troupes paſsèrent pluſieurs jours à ſe nourrir
du cuir de leurs boucliers .
Le quatrième ſiége fut commencé par D. Alphonſe
XI , à la fin du même mois , ce Prince
n'étant qu'à environ 4 jours de marche de cette
Ville, lorſqu'elle ſe rendit à l'ennemi. Cette nouvelle
attaque fut remarquable par les maux qu'efſuyèrent
les affiégés & les alliégeans. Ces derniers
furent bloqués dans l'Ifthme de Gibraltar , par le
Roi de Grenade , qui marcha avec une armée au
ſecours de la place; enfin on figna la paix le 20
Août & le fiége fur levé. D. Alphonse en fit de
nouveau le fiége dans l'été de 1349. Celui-ci qui
fut le cinquième dura 9 mois, & la garniſon fut
réduite aux plus fâcheuſes extrémités ; mais D. Alphonſe
mourut de la peſte au mois de Mars de
l'année 1350. Les Empereurs de Fez , négligeant
leurs territoires en Eſpagne , Juvaf, troisième Roi
de Grenade , s'empara de Gibraltar en 1410. Се
fut le ſixième ſiége; mais l'année ſuivante les habitans
en chaſsèrent les Conquéraps & ſe mirent
fous la protection de Muley Bueld , Empereur de
Féz. Juzaf l'affiégea dans les formes au mois de.
Janvier ſuivant , avec une flotte & une armée, &
la place fut priſe par famine. Ce fut le ſeptième
fiége. Le huitième eat lieu en 1438 , lorſque D.
Earique de Guſman l'attaqua avec des forces confidérables
; mais il fut défait par les Maures &
noyé. Son fils revint avec les débris . En 1462
celui-ci revint avec une armée encore plus nombreuſe
& s'empara de la place , qui , depuis , eſt
toujours reſtée ſous la domination des Chrétiens.
Ce fut le neuvième fiége. Le dixième eut lieu en
1704, lorſque Gibraltar fut enlevé aux Eſpagnols
par lesAnglois , ſous les ordres du ChevalierGeorge
( 23 )
Réoke. Cette conquête fut particulièrement due
aux Matelors , qu'une témérité heureuſe mit en
poffeffion de différens poſtes qui commandoient la
place.Cettecirconſtance força l'ennemi de ſe rendre.
LesEſpagnols furent très-ſenſibles à la perte de cette
Fortereffe: ils connoiffoient toute ſon importance ;
& comme elle convioit en quelque forte l'entrée
du Royaume à un ancien ennemi , c'étoit une mortification
que leur orgueil ne pouvoit ſupporter , en
conféquence ils affemblèrent auffi-tôt une armée ,
ſous les ordres du Marquis de Villadarins , qui commença
le onzième ſi ge. Ce ſiége dura quatre mois ,
au bout deſquels les ennemis voyant que leurs efforts
quelques vigoureux qu'ils fuffent écient inutiles
prirent le pa ti de ſe retirer. La G. B. convaincue
aufli de l'importance de Gibraltar , a ſu tirer un
parti fa heureux des avantages naturels de ce rocher ,
qu'elle en a fait la place la plus forte de l'Univers.
Cette circeuſtance n'a fervi qu'a irriter les regrets
&la jaloufie del'Eſpagne qui pendant untems , adéclaré
la guerre pour le reprendre , & dans un autre
avoulu faire de ſa reſtitution une des clauſes de la
paix. Cette Puiſſance l'a cédée àla paix d'Utrecht ,
en ftipulant le droit de préemption en cas que la G.
B. voulût en diſpoſer. Il y a eubeaucoup de négociations
, beaucoup d'offres d'achat & d'échanges ; mais
malgré tout cela les Eſpagnols n'ont pu rentrer en
polethon deGibraltar. La Nation Britannique a été
jalouſe, avec raiſon , de conſerver une poffeffion
ſi précieuſe ; & lorſque les Miniſtres ont paru diſpoſés
à entrer en négociation àce ſujet , ce marché a
été prévenu par la vigilance du Parlement& par le
courage du Peuple. Cette affaire a donné lieu à de
violens débats dans la Chambre des Communes en
1727. Le mauvais ſuccès de ces manoeuvres ſecrettes
détermina les Eſpagnols à affiéger de nouveau
Gibraltar le 13 Février 1727 , ſous les ordres du
Marquis de Las Torras. Ce fut le douzième fiége qui
4
( 24 )
fut pouflé avec autant de vigueur que le précédent ;
il eut auſſi pea de ſuccès. Le ficge actuel , qui eft
le treizième , dure ſans interruption depuis trois
ans , Gibraltar ayant été inveſti par mer & par
terre au mois de Juillet 1779. La garniſon a donné
à l'Europe le ſpectacle de la défente la plus vigoureuſe
, en réſiſtant à tous les efforts de l'armée la
plus nombreuſe & la mieux équippée qui ait afliégé
aucune place ; les Eſpagnols ont tourné toutes leurs
vues ſur ce ſeul objet : ils ont épuisé leurs forces
*& négligé leurs affaires dans toutes les autres parties
du monde , pour employer toutes leurs reffources&
diriger toute leur attention fur ce ſeul point :
leurs ouvrages ont été immenfes & leur activité
infatigable. Au moyen de leur grand nombre ils
étoient en état de continuer leurs travaux ſaus interruption
, afin de ne laiſſer aucun moment de
relâche à la garnison ; mais tous leurs efforts ont
été infructueux , & la garniſon a été ravitaillée
tous les ans par nos eſcadres ; & la ſeule fois que
l'Ennemi a voulu s'y oppoſer a été pour nous l'occafior
d'une victoire ſignalée.
Les dépêches de l'Inde ne ſont pas encore
déchiffiées , & le bulletin en conféquence
n'eſt pas rédigé & n'a point paru : tout ce
que le Gouvernement a publié , c'eſt que les
vaiffeaux le Sultan & le Magnanime étoient
arrivés à Madraſs le 31 Mai avec leur convoi,
&que les François ont quitté la côte deCoromandel
, mais on n'indique pas leui route. Il
faut, puiſqu'il s'eſt borné à ces dérails , qu'il
n'y ait aucun fondement dans tout ce que nos
papiers ſe ſont empreffés de publier de l'état
Horitfantde nos établiſſemens , de l'heureuſe
tournure que prennent nos affaires. Il patoît
que les belles apparences de paix dont ils
nous
( 25 )
nous flattent , ne font que des apparences ,
puiſque l'Amiral Parker va prendre le commandement
dans l'Inde : il a paffé ſur le
Caton de 18 canons , de Portsmouth à Spithead
, où 6 vaiſſeaux , dit- on , l'attendent ,
&d'où il partira aufli- tôt que 4 autres qu'on
attend encore l'auront joint. De pareilles
forces , ſi elles ſe rendent réellement dans
Pinde , n'annoncent pas que la paix avec
les naturels y ſoit ſi prochaine , ni que notre
fituation y foit auſſi avantageuſe. Il eſt décidé
que le Lord Cornwallis va remplacer Sir
Eyre-Coote.
Des dépêches qu'on a reçues du Sénégal ,
apprennent que pluſieurs navires y font
chargés & prêts à faire voile ; mais qu'ils
font arrêtés par quelques fregates Françoiſes
en croifière dans ces parages .
On affure que l'eſcadre deſtinée à croiſer
dans la Manche ſera ſous les ordres de
P'Amiral Rodney , qui a déclaré au Miniſtère
qu'il n'avoit rien de plus à coeur que d'employer
ſes jours au ſervice de ſa parrie.
J'ai fait beaucoup d'enquêtes concernant les
Volontaires , lit-on dans une lettre d'un voyageur en
Irlande , je ſais qu'en 24 heures ils peuvent mettre
100,000 hommes ſur pied , & fi l'occaſion l'exigeoit
le double en peude tems. La Nation murmure encore
malgré tout ce qu'on a fait en ſa faveur ; elle est généralement
décidée à inſiſter for une déclaration de
droits dans la prochaine ſeſſion ;& fi la G. B. refaſoit
d'y conſentir , ce refus auroit des conféquences fà.
cheuſes. J'ai vu à Monster pluſieurs Membres du
Corps des Volontaires ; il n'y en a pas un qui ac
2 Novembre 1782 .
b
( 26 )
poſsède au moins soo liv. ſterl. de rentes enbiens
fonds . Ce revenu annuel duCorps entier , c'eſt-à-dire ,
de so paticuliers de cette Province eſt de 60,000 liv.
ſt.; que ne doit-on pas attendre d'un pareil Corps qui
ſe ſoumet volontairement aux devoirs de la diſcipline
la plus ſtricte ? Le grand Shérif du Comté de
Tiperary , Gentilhomme très-reſpectable , jouiſſant
de 2000 liv. fterl, de rentes eſt actuellement Sergent
dans ce Corps «.
L'Ecoſſe eſt auſſi décidée à former une
Milice pour ſa propre défenſe. La prochaine
affemblée du Parlement offrira ſans doute
des débats très- intéreſſans ſur tous ces ob
jets.
FRANCE.
De PARIS , le 29 Octobre.
C'EST du côté de Gibraltar que l'atten
tion générale eſt maintenant fixée ; c'eſt du
Détroit que les nouvelles les plus importantes
font attendues. Celles qui font arrivées
le 24 ſont du 13 de ce mois ; tels
font les détails qu'elles préſentent.
Du Camp de St-Roch , le 13 Octobre à 7
heures du matin. On avoit appris ici que l'eſcadre
ennemie alloit bientôt paroître , ayant paffé
devant Lisbonne le 6 du courant. La nuit du و
au to , un ouragan des plus furieux qu'on ait
jamais reſſenti dans la baie , a caulé quelques dommages
à la flotte combinée; mais ils ont été bientôt
réparés . Le ſeul vaiſſeau le St-Michel de
commandé par D. Joſeph Moreno , fut obligé de
prendre le large , parce que les cables avoient
caffe , & qu'il avoit perdu ſes ancres. Le courant
s'oppola à ſa manoeuvre , & il fut jetté ſur le ſa
70 ,
( 27 )
- La
ble très-près de la place canemie. Le Majestueux ,
de 110 canons , le Triomphant ( Eſpagnol ) , de
80 , coururent le même danger; mais heureulement
ils donnèrent ſur la côte d'Algéſiras , d'où ils
ont été dégagés , & la réparation a été prompte ,
parce que le dommage étoit peu de choſe.
flotte ennemie fut fignalée avant- hier 11 à une
heure après-midi ; & cinq heures après , elle fut
en vue de la nôtre. Son avant-garde étoit compo.
ſée de 4 frégates , dont 2 de guerre , excellentes
voilières , qui , malgré la préſence de l'armée
combinée , entrèrent le ſoir dans Gibraltar. L'efcadre
& le convoi ſe tinrent au large , dans l'intention
ſans doute de ſe gliſſer dans la place pendant
la nuit ; mais il ſurvint un coup de vent fi
violent que l'armée Angloiſe , entraînée encore par
le courant , fut pouffée dans la Méditerranée. Elle
a louvoyé hier toute la journée à 6 lieues de la
pointe d'Europe; & elle eſt parvenue à faire encore
entrer dans la place 4 tranſports. Si le vent nous
eſt favorable pour fortir de la baie , il n'eſt pas
douteux que D. Louis de Cordova cherchera à poulfer
encore plus loin l'ennemi , & il pourra y avoir
un engagement. Mais les Marins aſſurent qu'il eſt
impoſſiblede quitter la baie avec le vent de N. N. Ẹ .
Il faut eſpérer que dans la journée il changera , &
que les armées pourront s'approcher & combattie.
A 7 heures du foir. L'armée combinée a mis
àla voile à 10 heures du matin ; elle est forte de
46 vaiſſeaux de ligne: les Anglois n'en ont que
33. Elle a doublé la pointe d'Europe à 2 heures ;
& en ce moment (7 heures du ſoir ) , elle est
entièrement dans la Méditerranée ; on l'apperçoit
encore au loin. Les Anglois ont vent debout , &
ils manoeuvrent , à ce qu'il paroît , pour éviter le
combat. Il n'eft entré dans la place ennemie que
وbâtimens , dont 2 frégates de l'eſcadre&un vaifſeau
de guerre qui mouille à la pointe d'Europe " .
bz
728 )
Le Courier qu'a reçu l'Ambaſſadeur d'Ef
pagne , parti un jour après celui qui a
apporté ces détails , n'en fournit pas de
nouveaux; il ajoute ſeulement que M. le
Prince de Naſſau a ſuivi autant qu'il a pu ,
le long de la côte , les flottes à cheval ;
& par le rapport qu'il a envoyé au camp
le 14 au foir , on a appris qu'il venoit
de perdre les armées de vue & qu'elles
n'étoient alors qu'à 3 lieues l'une de l'autre.
,
M. de la Peyrouſe a adreſſé au Miniſtre
de la Marine les détails ſuivans de ſon expédition.
>> Je ſuis parti du Cap- François le 31 Mai , avec
le Sceptre, de 74 canons , & l'Aftrée & 1Engageante
, de 36 , pour la bate d'Hudſon. J'avois embarqué
250 hhoommmes d'Armagnac & d'Auxerrois ,
& 40 hommes d'artillerie , 2 mortiers de 8 pouces
, 300 bombes & 4 canons. Ce détachement
étoit aux ordres de M. de Roſtaing , Major du
régiment d'Armagnac ; M.le Certain devoit commander
l'artillerie ; M. de Monneron diriger les
opérations des fiéges; & M. de Manſuy lever les
plans des côtes & des baies que nous allions parcourir.
Le 17 Juillet je recoonus à minuit l'Ifte
de la Réſolution. J'eus à peine fait 20 lienes dans
Is détroit d'Hudſon , que les obstacles de tout genre
fe multiplièrentt;; mes vaiſſeaux reſtèrent pris pluſieurs
jours dans les glaces ; les Matelots alloient
àpied fec d'un vaſſeau à l'autre; l'Aſtrée & l'Engageante
ſouffrirent infiniment & endommagèrent
affez leur avant, pour me donner des inquiétudes ;
le Sceptre fut auſſi très-près de perdre ſon gouvernail.
Enfin , le 30 Juillet , j'eus la vue du Cap Walfingham
, qui eſt la partie la plus occidentale du
détroit. Je me flatrois que les plus grandes difficultés
étoient vaincues , & je brûlois d'arriver au fort du
( 29 )
Prince-Walles , le premier point que je m'étois
proposé d'attaquer ; & je n'avois pas un inſtant
àperdre, la rigueur de la ſaiſon obligeant tous les
vaiſſeaux d'abandonner cette mer dans les premiers
jours de Septembre ; mon impatience fut miſe à
une nouvelle épreuve ; naviguant avec affez de
fûreté dans la baie d'Hudſon , je fus enveloppé
de brume le 3 Août , & bientôt environné de gros
glaçons qui me forcèrent de mettre en panne. Quand
le brouillard ſe diſſipa , je vis les trois bâtimens
enclavés dans des glaces qui s'étendoient à perte
de vue; j'eus alors la crainte la plus fondée de
manquer la ſaiſon d'opérer , & j'étois preſque dé
cidé à renvoyer mon vaiſſeau aux Iſles du Vent
avec une frégate , & à hiverner dans la baie avec
Pautre , & un petit nombre de troupes aux ordres
de M. de Roſtaing , pour attaquer & détruire les
établiſſemens Anglois à la ſaiſon prochaine ; mais
les Août , la banquiſe dans laquelle j'étois engagé
s'éclaircir , & je la franchis en forçant de voiles ; &
le 8 Août au ſoir , je vis le pavillon du fort du
Prince-Walles , j'en approchai en fondant juſqu'à
une lieue & demie. Un Officier envoyé pour fonder,
me rapporta que nos vaiſſeaux pouvoient approcher
de très-près le fort; tous mes préparatifs
furent faits dans l'inſtant pour la deſcente; on débarqua
ſans obſtacles à trois quarts de lieue du
fort bâti en pierre de taille , & en état de faire
une vigoureuſe défenſe. M. de Roſtaing marcha
avec fa troupe juſqu'à portée de canon , où il fir
halte; & n'appercevant de la part des ennemis aucune
diſpoſition de défenſe , il envoya ſommer le
fort de ſe rendre. On ne fit aucune difficulté : les
portes furent ouvertes; le Gouverneur & ſa garniſon
ſe rendirent à diſcrétion . Il y avoit dans ce
fort une très-grande quantité de marchandiſes de
toute eſpèce ; l'artillerie étoit dans le meilleur état
b3
( 30 )
poſſible , & tous les magaſins couverts en plomb.
N'ayant pas un inſtant à perdre pour achever mes
opérations dans la baie, je me déterminai à tout
brûler , excepté quelques pelleteries de caftor &
autres , qui ont été embarquées ſur l'Aftrée. J'ai
donné aux Sauvages tout ce qu'ils ont voulu emporter
, fur-tout de la poudre & du plomb ; ces
peaples vivant uniquement de leur chaffe. Je mis
à la voile le 11 , pour le fort d'Yorck , chef-lieu
de tous les établiſſemens Anglois dans cette baie ;
mais ici les difficultés furentplus grandes. Je ſavois
la côte pleine d'écueils ; je n'avois point de cartes
, nos prifonniers s'obſtinoient à ne donner aucun
éclairciſſement; enfin après des précautions infinies
, des riſques de toute eſpèce , je fois parvenu
à l'entrée de la rivière Nelſon , où j'ai mouillé
le 20 Août , à environ 5 lieues de terre. Je me
diſpoſai à ma defcente , le 21 au matin , avec le
commencement du flot; je me mis moi-même à
la tête des chaloupes , n'ayant rien à craindre par
mer du côté de l'ennemi ; le grand éloignement
des vaiffeaux pouvoit faire naître à la garnifon
des projets de défenſe. Le Chevalier de Langle
me ſuivit , & je chargeai M. de la Jaille du commandement
de la diviſion. L'Iſle des Hayes , fur
laquelle eſt ſitué le fort d'Yorck , eſt à l'embouchure
d'une grande rivière , qu'elle diviſe en deux
branches , qu'on appelle l'une la rivière des Hayes ;
P'autre , la rivière Nelson . Tous les moyens de défenſe
étoient ſur la première; un vaifleau de la
compagnie d'Hudſon,de vingt-fix canons de neuf ,
étoit mouillé à l'embouchure de cette rivière ,
d'ailleurs pleine de bancs où les courans font
très - violens , &c. Je me déterminai pour la riwière
Nelſon , où nos troupes auroient une marche
à faire d'environ quatre lieues , mais où elles prenoient
à revers toutes les batteries fur la rivière des
Hayes. Nous arrivâmes , le 21 au foir , à l'embouchure
de la rivière Nelſon , avec la petite flotte de
( 31 )
chaloupes. Toutes les troupes débarquèrent dans
la vaſe avec leur foil ſur l'épaule ; nous fîmes un
quart de lieue enfoncés dans la boue juſqu'aux
genoux , & nous arrivâmes ſur un pré qui n'étoir
qu'un marais. La troupe ſe rangea en bataille &
marcha environ une lieue juſques vers le bois où
nous nous flattions de trouver un ſentier ſec qui
nous conduiroit au Fort. Un prifonnier généreuſement
payé s'étoit offert de nous servir de guide ;
il nous indiqua un chemin que l'on fit reconnoître ,
& qui fut jugé impraticable : nous avons appris
depuis que c'étoit le meilleur de l'Ifle, La journée
ſe paſſa en reconnoiſſances inutiles de chemins qui
n'exiſtoient point. Je me déterminai enfin à en tracer
unà la bouſſole , au milieu du bois & du marais.
La troupe campa à l'entrée du bois ; & le ſoir on
annonça qu'il y avoit à traverſer deux lieues de
marais , où l'on enfonceroit ſouvent juſqu'aux genoux.
Dans la nuit , il venta grand frais ; j'eus la
plus vive inquiétude pour mes vaiſſeaux mouillés
en pleine côte , dans un parage où la mer ett af
freuſe , & où le fond , quoique de vaſe , eſt parſemé
de rochers qui coupeut les cables. Je me
déterminai à rejoindre ma diviſion ; la defcente
étant faite , je ne me crus plus autorisé à abandonner
mes vaiſſeaux , fur- tout dans le moment
où ils étoient dans le danger le plus évident. Le
Chevalier de Langle reſta chargé du commandement
des chaloupes , & je me rendis au bord de
la mer; mais la tempête continuant encore , il me
fut impoffible de m'embarquer. Je profitai d'un
intervalle le lendemain , & j'arrivai à bord , une
heure avant un ſecond coup de vent. M. de Carbonneau
, qui étoit parti avec moi , fit naufrage
dans ſon bateau ; il fut affez heureux pour ſe ſauver
à terre lui & ſon équipage ".
>>>Le vent ayant calmé le 26 , j'appris que nos
troupes étoient arrivées devant le Fort le 24 au
b4
( 32 )
matin , & qu'à la première ſommation de M. de
Roſtaing, les portes lui avoient été ouvertes, après
cependant avoir propoſé une capitulation qui fut
acceptée. J'écrivis à M. de Roftaing , pour le preffer
de tout brûler & de ſe rembarquer tout de ſuite.
Le mouillage où j'étois n'étoit pas tenable ; M. de
Roſtaing fentoit ma poſition , & fit toute la diligence
poffible. Je dois dire qu'un des agrémens
qui a compenfé en quelque forte les fatigues incroyables
de cette campagne, eſt l'avantage d'avoir
eu à concerter mes opérations avec un Officier dont
le zèle , les talens &l'amour pour le bien du ſervice
m'aſſuroient que toutes nos attaques ſeroient
ſuivies d'un plein ſuccès. Mes meſures furent déconcertées
par un nouveau coup de vent, dans lequel
l'Engageante courut encore de nouveaux rifques;
la troiſième ancre cafſa , ainſi que la barre
de ſon gouvernail , & ſa chaloupe fut perdue ; la
mienne , commandée par M. du Bordieu , fit auffi
naufrage à terre , & je perdis mon canet & une
ancre. Enfin le beau tems revint , & j'eus le plaifir ,
dans la matinée du 31 Août , de voir le fort d'Yorck
en feu , & M. de Roſtaing , avec le reſte de ſa
troupe , revenir à bord. Je mis à la voile tout de
fuite , ayant à bord les trois Gouverneurs des forts
du Prince-Walles , d'Yorck & de Severn , petit établiſſement
dépendant d'Yorck , que j'ai négligé de
détruire , parce qu'il n'étoit d'aucune importance ,
&que mes vaiſſeaux, fans ancres ni chaloupes , &
ayant 300 malades , n'avoient rien de mieux à faire
que de quitter ces mers , qui , depuis le 25 Août ,
ſont plus orageuſes que nel'eſt la Manche au mois
de Janvier. Je crois pouvoir évaluer à 10 ou 12
millions la perte occaſionnée à la Compagnie d'Hudfow
. J'ai eu l'attention , en brûlant le fort d'Yorck ,
de laiſſer ſubſiſter un magaſin afſez conſidérable ,
dans un lieu éloigné du feu , & dans lequel j'ai fait
dépoſer des vivres , de la poudre , du plomb , des
fails , & une certaine quantité de marchandises
( 33 )
d'Europe , les plus propres aux échanges avec les
Sauvages , afin que quelques Anglois , que je fais
s'être réfugiés dans les bois , lorſqu'ils reviendront
fur leur ancien établiſſement , trouvent dans ce magafin
de quoi pourvoir à leur ſubſiſtance , juſqu'à
ceque l'Angleterre ai pu être inſtruite de leur ſituation.
Je ſuis aſſuré que le Roi approuvera ma conduire
à cet égard ; & qu'en m'occupant du fort de
ces malheureux , je n'ai fait que prévenir les intentions
de S. M. c.
Les lettres reçues de Boſton font en
date du 4 Septembre; elles nous apprennent
que le Marquis de Vaudreuil étoit
entré dans cette rade vers le milieu du
mois d'Août ; qu'elle y réparoit quelques
légers dommages , & qu'elle trouvoit tout
ce qui lui étoit néceſſaire pour cet effet.
On y avoit appris l'arrivée de l'Amiral
Pigot ſur les côtes avec 26 vaiſſeaux de
ligne ; qu'il ſe préparoit à établir ſes
croiſières dans tous les points effentiels ;
mais que notre eſcadre une fois radoubée
n'avoit rien à craindre de tous ces vaiſſeaux
éparpillés ſur des côtes auffi orageuſes . Ces
lettres ajoutent que l'armée du Comte de
Rochambeau s'étoit approchée de la rivière
de Nord , & qu'elle camperoit près de
New-Yorck le reſte de la campagne.
Ces mêmes lettres nous ont apporté copie
de l'adreſſe des Boſtoniens à M. le Marquis
de Vaudreuil. Elle étoit conçue ainfi.
>>M>. , les Négocians de Boſton, remplis des ſen
timens les plus élevés pour la magnanimité avec laquelle
S. M. T. C. en a agi , en devenant l'alliée des
Etats-Unis de l'Amérique , & en les aidant contie
bs
1341
l'ennemi commun, tantôt par des ſecours fignalés ,
tantôt par ſes armes victorieuſes , ayant trouvé dans
toutes les occafions de correſpondance avec les Sujets
de ce ſage & excellent Monarque , une nouvelleoccafion
d'une confiance &d'une eſtime ſans bornes,
demandent la permiſſion d'exprimer à V. E. la joie
qu'ils retfentent de l'arrivée dans notre Port & dans
notre Ville , d'un Amiral auſſi diſtingué par ſon caractère
& ſes vertus , que l'eſt M. le Marquis de
Vaudreuil , & d'une flotte , d'une armée particulièrement
recommandables par le torrent de fang récemment
verſé pour la cauſe commune dans le
combat le plus obttiné , contre une flatte ennemie
ſupérieure , qui , quoique victorieuſe , a été contrainte
d'avouer qu'elle ne doit ſa victoire qu'aux
vents & au nombre.- Les Négocians de Boſton
fe croiroient heureux s'ils pouvoient contribuer à
rendre le plus agréables poſſibles les momens que
V. E. & fon armée deſtinent à ce Port ; & V. E.
voudra bien être convaincue qu'elle poſsède notre
plus haute eſtime , & que nous faiſons les voeux
les plus fincères pour ſa proſpérité sc.
Voici la réponſe de M. le Marquis de
Vaudreuil :
>>>MM. , je ſuis extrêmement ſenſible à l'attention
empreffée de votre reſpectable Corps , tant
pour moi que pour la flotte & l'armée que j'ai
T'honneur de commander. Votre adreffe m'eſt chère,
&je vous prie de recevoir mes reinerciemens les
plus vifs pour cette marque de votre affection per-
Connelle. - Le reſpect & l'amitié pour le Roi mon
Maître & pour la Nation qu'il gouverne , dont vous
me donnez de fi fortes preuves , & votre reconnoiſſance
pour les efforts d'un allié auſſi fidèle que
magnanime dans notre cauſe commane , ne peuvent
qu'être infiniment agréables à S. M. , à laquelie je
ſaiſirai la première occafion de la faire conneître.
-L'heureuſe alliance entre la France & l'Amé(
35 )
rique a été àla vérité cimentée par le fang abondamment
verſé par les deux Nations , dont l'ef
time , l'affection auffi bien que l'intérêt , font mutuels.
Il a été verſé pour un grand & glorieux
objet : puiſſent notre union & nos efforts mutuels
l'accomplir & l'aſſurer aux générations futures.
Soyez aſſurés , MM. , que je ferai tout ce qui ſera
enmonpouvoir pour remplir les intentions de mon
Souverain,en protégeant le Commerce d'une Ville
à laquelle il eſt uni par les liens d'une telle affection
, & dans laquelle j'ai déja reçu tant d'honnêtetés
& de marques de fatisfaction «.
Nous apprenons que la frégate du Congrès
l'Alliance , eſt entrée à l'Orient avec
4navires de la flotte de la Jamaïque , &
qu'elle a envoyés priſes du même convoi
en Amérique. L'Alliance en auroit amariné
plus de 20 , ſi elle avoit eu plus de monde .
Le Flibustier , corſaire Américain , en a
amené 2 autres dans le même port , & uz
corſaire de Dunkerque s'eſt emparé d'un
troiſième richement charge. On a dû faire
fortir de Breſt 2 vaiſſeaux & 2 frégates
pour ramaffer de même ceux que la tempête
aura épargnés. Voila déja 18 ou 20
navires de cette flotre conduits dans nos
ports..
>> La frégate l'Ariel , commandée par M. de la
Croix de Castries , Enſeigne de Vaiſſeau', s'étant
ſéparée de la frégate la Surveillante , & du cutter
le Fanfaron , dans le coup de vent du 24 Septembre
, eft entrée le 6 de ce mois dans la rade de Groix
avec le navire l'Hector , du port de 300 tonneaux ,
venant de la Jamaïque , chargé de ſucre ,de rum ,
1
b6
( 36 )
dont il s'eft emparé le 26 Septembre. Le premier
Octobre , à 9 heures du ſoir , l'Ariel ayant apperçu
2 bâtimens às lieues O. S. O. d'Oueſſant , ſe prépara
au combat ; mais ils furent bientôt ſuivis de
beaucoup d'autres. Ne pouvant plus les compter ,
M. de la Croix de Caſtries fit éteindre ſes feux ;
un vaiſſeau de so canons , voyant l'Ariel avec peu
de voiles , & ne ſuivant pas la route de la flotte ,
lui cria d'amener , ou qu'il le couleroit bas . Le Com
mandant ne répondit rien , ſe couvrit de voiles , &
ſe mêla avec les bâtimens du convoi , ce qui ſauva
la frégate & la priſe ; il a ſu , d'après le rapport
d'un bâtiment neutre , qu'il a viſité , que c'étoit la
flotte deſtinée pour Gibraltar qu'il avoit rencontrée ,
& qui a dû beaucoup ſouffrir du coup de vent du
lendemain".
On lit dans les Affiches de Bordeaux
l'avis ſuivant aux Navigateurs , qui mérite
d'être tranſcrir .
Les mers ont englouti cette année , & engloutiffent
encore tant de navires , de richeſſes & de
malheureux , qu'on ne ſauroit rechercher & publier
ou rappeller avec trop de ſoins les moyens
de prévenir ou d'affoiblir ces déſaſtres ſi affligeans
pour l'humanité & fi terribles pour le commerce.
On a autrefois lu à l'Académie Royale des Sciences ,
unMémoire qui tendoit à empêcher la perte des navires
marchands & autres , lorſqu'ils font ouverts ou
percés de manière que l'Equipage ne peut ſuffire
pour en étancher l'eau. La méthode eſt ſimple, peu
coûteuſe , & indépendante du ſecours de l'Equipage.
Elle conſiſte à poſer de chaque côté du
vaiſſeau les rames tournantes , pour former deux
eſpèces de roues à eau , leſquelles feront mouvoir
les piſtons des pompes , dont les diamètres
on leviers feront réglés & augmentés , ſuivant
les conſidérations ci-après. 1º. Les pompes étant
placées , on peut faire lever les piſtons tant & fi
( 37 )
peu que l'on jugera convenable , en ôtant ſeulement
un bouton ou en le mettant . 2 ° . On aura
l'attention de faire , dans ce cas , force de voile
, afin que le courant faſſe plus fortement agir
les pompes. 3 °. S'il ſe trouve quelque courant
dans la route , on tâchera , par la même raiſon ,
d'aller contre , juſqu'à ce qu'on ait réparé les
plus grandes voies d'eau. Par cette méthode il
pourra ſortir du navire 3600 pieds cubes
209 muids d'eau par heure : pour que ces roses
à eau ne foient point affouguées par vagues ,
lorſque les vagues ſurpaſſeront la hauteur de leur
axe , on appliquera obliquement , de chaque côté
du vaiſſeau , un bout de bordage de la largeur des
rames & de la même ſaillie , afin de contraindre
l'eau à paffer toujours par - deſſus.
,
이
La mauvaiſe qualité des vins ſous quelque
point de vue qu'on la regarde , eſt toujours
un très-grand mal , mais elle en eſt particulièrement
un pour tous les pays de vignobles.
Un autre mal , non moins grand pour
cux , & plus habituel encore , eſt la cherté
de la culturede la vigne. M. Maupin , dont
le nom acquiert chaque année une plus
grande célébrité , a entrepris de bannir des
campagnes de vignobles , ces deux grandes
caufes de détreſſfe &de misère : il a même
entrepris d'introduire la culture de la vigne
dans celles de nos Provinces où elle n'eſt
point d'ufage. Nous avons déja annoncé les
deux derniers ouvrages qu'il a publiés ſur
les vins ,&dont l'un a pour titre : la Richeſſe
des Vignobles , & l'autre : Théorie ou Leçon
furle tems de la Vendange : il en a donné
cette année deux autres ſur la vigne. Le pre
( 38 )
mier ( 1 ) contient une nouvelle Méthode
d'eſpacer & de planter la vigne , & de cultiver
celles qui feront plantées ſuivant cette
nouvelle Méthode. Le ſecond , qui vient de
paroître ( 2) ſe rapporte principalement aux
vignes faites quel qu'en ſoit l'eſpacement ,
&apour objet d'en fimplifier la culture &de
la rendre , par-là , beaucoup moins diſpendieuſe.
Les ouvrages & les grandes vues de
M. Maupin doivent fixer l'attention de tous
les pays; & les hommages rendus en France
&dans les pays étrangers , à la ſupériorité
de ſes connoiffances en prouvent la ſolidité.
>> Au lieu d'une Salle de Spectacle , informe ,
petite , peu sûre , preſque ſans iſſues , & fituée ſur
une rue étroite &dans un quartier perdu , écrit-on
de Nantes , on va avoir ici une Salle de bon goût ,
ſpacieuſe , bien ordonnée , iſolée de toutes parts ,
élevée ſur une place publique , neuve & régulière ;
en un mot , un monument public digne d'une.
des plus grandes Villes du Royaume , & digne
(1 ) Nouvelle Méthode won encore publiée , pour planter
& cultiver la vigne à beaucoup moins de frais & en
augmenter le rapport , jointe à la théorie fur le tems de la
vendange , à l'usage de tous les pays vignobles ou non
vignolles . Par M. Maupin , prix 3 liv. 6 f. avec le reçu
figné de l'Auteur. A Paris , chez Mufier & Gobreau , Libraires
, Quai des Auguſtins.
(2) Les principales bévues des Vignerons , aux environs
de Paris & par- tout , ou avis très-important à tous les
propriétaires des vignes , pour fervir de fuite à la nouvelle
méthode de planter & de cultiver la vigne , joint à l'avis &
Leçons aux Laboureurs , à l'usage de tous les pays vignobles
ou non vignobles. Par M. Maupin , prix des deux Ouvrages
2 liv. 2 f. , avec le reçu ſigné de l'Auteur,A Paris , chez les
mêmes Libraires.
( 39 )
des étrangers que le Commerce y attire. Ge précieux
avantage , deſiré depuis long-tems , ſera particulièrement
dû à la générosité d'un Citoyen eftimable
, qui donne gratuitement un emplacement
convenable & bien ſitué , qu'on n'eût pu ſe procurer
qu'à grands frais , & qui , dans tout autre
quartier , n'eût eu ni l'accompagnement ni l'enſemble
qui conviennent à un edifice de cette nature.
Cette générosité imprévue a d'autant plus de
prix , & a été exercée d'autant plus à propos , que
P'Administration Municipale , dominée par le beſoin
impérieux d'une nouvelle Salle quelconque , étoit
réduite à ſe contenter d'une Salle en bois projettée
par le Directeur du Spectacle , & à- peu -près fujette
aux mêmes inconvéniens que celle qu'il faut
abandonner.
Les Affiches de Troyes préfentent une
lettre affez curieuſe ſur les prétendus ſecrets
de guérir la rage. Un accident funeſte
occafionné par cette maladie , a donné lieu
àcette lettre. Son objet eſt de détruire des
préjugés malheureuſement trop répandus ;
&c'eſt un titre pour lui donner une place
ici.
La fin tragique & encore récente du nommé Ifidore
Collor , de la paroiſſe de Rumilly- les-Vaudes , qui
avoit été mordu par un animal enragé , me fournit
l'occaſion de parler d'en abus d'autant plus intéreſ
fant à dénoncer au Public , qu'il eſt contraire à la
Religion , & qu'il eſt opposé aux vues bienfaifantes
duGouvernement. Lorſque quelques perſonnes
du peuple ont été mordues par un animal enragé ,
c'eſt rarement aux Médecins ou aux autres gens
inſtruits qu'elles ont recours pour obtenir leur guérifon.
La cure de l'hydrophobie est vulgairement.
confiée en France aux Reliques de S. Hubert, Ceux
( 40 )
qui ont été mordus vont en pélerinage vifiter ces
Reliques , & y porter leur offrande ; & ils s'imagi
nent qu'ils feront préſervés des ſuites funeſtes de
leurs bleſſures , ſi on leur infère dans le frent une
parcelle d'étole , & fi l'on pratique ſur eux quelques
exorcifmes. Pour la commodité des perſonnes auxquelles
la fortune ou les occupations ne permettent
pas de ſe tranſporter dans le fond des Ardennes ,
où ſont déposées les Reliques de S. Hubert , il ſe
trouve, dans preſque toutes les Provinces du Royau
mes , quelques familles qui , ayant trouvé S. Hubert
fur leur arbre généalogique , s'arrogent , en raiſon
de la parenté , la vertu de leur aïeul. Chaque individu
de ces familles croit fermement pouvoir pré
ſerver de la rage avec un mélange d'oeufs , de racine
d'églantier , d'écailles d'huitre , &c. dont on compoſe
une omelette , que l'on aſſaiſonne de quelques
prières ridicules , qui ſe tranſmettent avec le blaſon
& les vieux parchemins. L'inſuffiſance de parcils
remèdes pour la guériſon de la rage , peut- elle être
mieux prouvée que par les victimes que nous voyons
tous les jours ?- Ifidore Collot , manouvrier demeurant
à Nicey , paroiſſe de Rumilly-les- Vaudes ,
à 4 licues S. E. de Troyes , âgé de 18 ans , fut
mordu , aux fêtes de Noel 1781 , par un chien
enragé. Quelques jours après il a recours au remède
d'uſage , va chercher le répit , le reçoit ,& eſt renvoyé.
Ce jeune homme, plein de confiance , & dans
la certitude d'une entière guériſon , retourne au
ſein de ſa famille. Vers les premiers jours de Février
1782 , il reſſentit des douleurs à l'endroit de la
morſure , devint hydrophobe , & périt le 12 du
même mois dans les accès de la rage la plus effrayante.
Il a été enterré à Rumilly le jour des
Cendres ſuivant. Un accident de cette nature ,
malheureuſement trop fréquent aux environs de
Troyes , devroit guérir ces familles de leur prétention
aux miracles. En vain le Gouvernement
( 41 )
excitera l'émulation des Médecins , pour chercher
un ſpécifique contre la rage , tant que des perfonnes
auxquelles , par leur naiſſance , on doit ſuppoſer
quelques lumières , entretiendront parmi le
peuple des préjugés ſuperſtnicox , qui ôreront aus
vrais Médecins l'occaſion de l'expérience , très-difficile
dans cetre-maladie. Le peuple tient beaucoup
au merveilleux , & il feroit peut-être très-dangereux
pour lui de fronder bratquement ſon préjugé.
Sa confiance dans les perſonnes qui guériſſent avec
des prières & des emeletres , eſt fi grande , qu'elle
lui procure une tranquillité d'e prit très -néceſſaire
pour le ſuccès dans cette maladie. Pour éviter tout
inconvénient , je déſirerois que les perfonnes connues
par le peuple , pour pofléder le ſecret de S. Hubert
, après avoir donné le répit aux bleſſes , ne les
aftreigniſſent point à des communions de 9 jours com
ſécutifs, ne les empêchaſſent point de ſe peigner pendant
quarante jours , &c. mais les obligeaſſent de
s'adreiſer à un Médecin pour faire le reſte; les bleffés
trouveroient dans toutes les Villes , & particulièrement
à Troyes , des Médecins expérimentés & charitables
, qui leur donneroient des ſecours . Dans
les fiècles d'ignorance , les habitans de la Pouille
(contrée d'Italie ), mordus par des animaux enragés,
avoient recours à S. Gui ,& ils l'invoquoient de la
manière ſuivante ; ils faisoient 9 fois le tour de leur
Ville , pendant la nuit du Samedi , ſans prendre aucun
repos , & prononçant continuellement cette
prière.
Alme Vithe Pellicane ,
Oram qui tenes Apulam ,
Littusque Polignanium ,
Qui morfus rabidos levas ,
Iraſque canum mitigas ;
Tu , Sande , rabiem afperam ,
Rictusque carnis luridos ,
Tu , savam prohibe luem :
I procul hinc rabies.
Procul hinc furor omnis abestos
( 421
» O grand S. Gui , tendre Pélican , protecteur
des côtes de la Pouille & de la Ville maritime de
Polignano , qui folegez les morſures venimeuſes ,
& adouciffez la colère des chiens , préſervez-nous ,
Ô Saint , de la rage de ces animaux & de leur gueute
envenimée : loin de nous toute rage , loin d'ici toute
fureur «.-Toute gothique que ſoit cette prière ,
elle eſt cependant plus orthodoxe que celle dont ſe
fervent la plupart des falſeurs d'omelettes . Elle
étoit d'ailleurs accompagnée d'un exercice violent ,
qui pouvoit être utile par les ſueurs abondantes qu'il
devoit exciter. Il a été récemment démontré par pluſieurs
Médecins , & particulièrement par un Médecin
de Troyes , qu'après la ſalivation , les ſueurs font
la feule criſe capable de préſerver de la rage.
Puifle l'accident d'Ifidore Collot , rendu public ,
faire abjurer à des gens honnêtes la manie de donner
Jerépit aux perſonnes mordues par un animal enragé!
Cette pratique ſuperftitieuſe & fi contraire àl'humanité
, porte le caractère des tems barbares où elle
a pris naiſſance , & il eſt extraordinaire de la voir
exifter dans un fiècle philoſophe , où l'on fait apprécier
la vie d'un homme,
Vincent Magnac , ſurnommé le Brave ,
ancien Lieutenant - Colonel du Régiment
Royal- Comtois , Chevalier de l'Ordre de
St Louis , Seigneur du Clos , de Mauroi ,
&c. , eſt mort à Chambort en Combrailles
, dans la 7se. année de ſon âge.
Frédéric-Louis François , Baron de Wangen
, Prince-Evêque de Bâle , eſt mort le
II de ce mois en ſon Château de Porrentruy
extrêmement regretté de tous fes
ſujets , dont il étoit tendrement aimé &
reſpecté. Il étoit né en 1728 , & avoit été
élu le 29 Mai 1775.
Jean-Antoine Tinſeau , Evêque de Ne
(43 )
:
vers , eſt mort dans ſon Palais Epifcopal ,
le 24 du mois dernier, dans la 86e. année
de fon âge , ayant gouverné fon Diocèſe
pendant 30 ans avec autant de zèle que
de prudence , & avec une édification foutenue
par la réſidence la plus conftante.
De BRUXELLES , le 29 Octobre .
Lejeune Officier accuſé de crime de haute
trahifon,dont leprocès faitbeaucoupde bruit
à laHaye , vient d'être réclamé par lesEtats
de Hollande , ſur la propoſition faite à cette
affemblée par les Députés de la ville d'Amfterdam
: fon procès avoit été inftruie par le
haut Conſeil de guerre; il étoit condamné ,
&déja il avoit été dégradé , & avoit vu fon
épée briſée devant lui. Les Etats de Hollande
ſe font hâtés d'envoyer une députation au
Stadhouder pour l'inſtruire de leur défir ,
avant que l'exécution de l'accuſé , ſi elle eût
été hâtée , ne préjudiciât aux délibérations
fur la compétence du Tribunal qui doit le
juger. L'objet des Etats dans cette réclamation
, eſt de le remettre au Juge ordinaire ,
afin de parvenir à connoître plus fûrement
tous les complices. On a auffi arrêté un Jardinier
nommé Van Brekei , qui a dénoncé
l'Officier accuſé au Grand - Penſionnaire ;
c'étoit lui qui portoit les lettres de cette
correſpondance criminelle , à laquelle on
prétend que plufieurs perſonnes ont eu part.
>> On lit dans les dépêches de Surinam , en date
du 13 Juin dernier , diſent quelques lettres de la
( 441
Haye, que l'Officier qui commande actuellement
dans les Colonies Hollandoiſes de Démerary , Eſequibo
& Berbice , a envoyé priſonnier dans cet
établiſſement , M. Koppiers , ancien Gouverneur des
Berbices , avec une lettre contenant les motifs qui
l'ont déterminé à prendre ce parti. M. Adams ,
ajoutent les mêmes lettres , après avoir pris congé
des Etats - Généraux & du Stathouder , eſt parti le
17 de ce mois pour ſe rendre en France. Les affaires
des Etats-Unis de l'Amérique ſeront adminiſtrées
, pendant ſon abſence , par M. Dumas , ea
qualité de chargé d'affaires " .
Le traité d'amitié & de commerce entre
ces deux Républiques eſt une pièce importante
que nous nous empreſſons de configner
dans ce Journal .
LL. HH. PP. , les Etats-Généraux des Pays -Bas
Unis , & les Etats Unis de l'Amérique , ſavoir ,
New- Hampshire , Maſſachuſett's , Rhode-Iſland ,
avec les Providence Plantations , Connecticut ,
New-York , New Jerſey , Pensylvanie , Delaware ,
Maryland , Virginie , Nord- Caroline , Sud-Caroline
&Géorgie , defirant de déterminer ſur un pied
conſtant & équitable les règles à obſerver au fujet
de la Coreſpondance & du Commerce , qu'ils
ont intention d'établir entre leurs Pays , Etats , Sujets
& Habitans reſpectifs , ont jugé , que l'on ne
fauroit mieux atteindre ladite fin , qu'en établirfant
pour baſe de leur tranſaction , l'égalité & la
réciprocité la plus parfaite , & en évitant toutes
ces préférences onéreuſes , qui ſont d'ordinaire
une ſource de querelles , d'embarras , & de mécontentement
; pour laiſſer ainſi à chaque partie la
liberté de faire , au ſujet du Commerce & de la
Navigation , tels règlemens ultérieurs , qu'elle jugera
les plus convenables pour elle-même ; & pour
fonder les avantages du Commerce uniquement
7451
,
fur l'utilité réciproque & fur les juſtes règles d'am
trafic libre de part & d'autre ; réſervant avec
tout cela à chaque partie la liberté d'admettre
ſelon ſon bon plaiſir , d'autres nations à la participation
des mêmes avantages. En partant de ces
principes , LL. HH. PP. les Etats Généraux des
Pays-Bas - Unis ont nommé MM. , députés du
milieu de l'Aſſemblée de LL. HH. PP. : & les
Etat- Unis de l'Amérique , de leur côté , ont muni
de pleins-pouvoirs M. John Adams , dernièrement
commiſſaire des Etats-Unis de l'Amérique à la
cour de Versailles , ci-devant député au Congrès
de la part des Etats de Maſſuchuſett's-Bay , &
chef de Justice dudit Etat : leſquels ſont convenus
& tombés d'accord . 1 ° . Il y aura une Paix
ſtable , inviolable & univerſelle , & une amitié
fincère entre Leurs - Hautes Puiſſances les Scigneurs
Etats - Généraux des Pays- Bas- Unis & les
Etats - Unis de l'Amérique ; & entre les pays ,
ines , villes & lieux fitués ſous la Jurisdiction
defdits Pays-Bas-Unis , & deſdits Etats Unis de
l'Amérique , leurs ſujets & habitans de tout Etat ,
fans acception de perſonnes & de lieux. 2°. Les
ſujets deſdits Etats-Généraux-des Pays - Bas - Unis
ne payeront , dans les ports , rades , pays , ifles ,
villes ou lieux des Etats-Unis de l'Amérique , ou
dans aucun d'eux , d'autres ni de plus grands droits
ou impoſi ions , de telle nature ou dénomination
qu'ils puiffent être , que ceux que les nations les plus
favorilles font ou feront obligées d'y payer : &
ils jouiront de tous les droits , franchiſes , priviléges
, Immunites , & exemptions dans le trafic ,
lanavigation , & le commerce , dont jouiffent ou
jouiront leſdites nations , foit en allant d'un fort
à l'autre dans leſdits Etats , ou d'un de ces forts
à quelque port étranger du monde , ou de quelque
port étranger du monde à l'un des ports defdits
états. 3 °. De même , les ſujets & habitans
( 46 )
,
defdits Etats-Unis de l'Amérique ne payeront dans
les ports , rades , pays , ifles , villes ou lieux def
dits Pays-Bas- Unis , ou dans aucuns d'iceux , d'autres
ni de plus grands droits ou impoſitions , de telle
nature ou dénomination qu'ils puiſſent être , que
ceux que les nations les plus favoriſées font on ſeront
obligées d'y payer : & ils jouiront de tous
les droits , franchiſes , priviléges , immunités &
exemptions dans le trafic , la navigation ,& le commerce
, dont jouiffent ou jouiront les nations les
plus favoriſées , ſoit en allant d'un port à l'autre
dans lefdirs Etats ou de quelqu'un & vers quelqu'un
de ces ports , vers on de quelque port étranger
du monde. Et les Etats- Unis de l'Amérique ,
avec leurs ſujets & habitans , laiſſeront à ceux de
LL. HH. PP. la jouiſſance raiſible de leurs droits
aux pays , ifles & mers dans les Indes Orientales
& Occidentales , fans les en empêcher ou s'y oppoſer.
4 °. Il ſera accordé liberté de conſcience entière
& parfaite aux ſujets & habitans de chaque
partie & à leurs familles ; & perſonne ne ſera molefté
à l'égard de ſon culte , moyennant qu'il ſe
foumette , quant à la démonstration publique , aux
loix du pays. Il ſera donné en outre liberté , quand
des ſujets & habitans de chaque partie viendront
à mourir dans le territoire de l'autre , de les inhumerdans
les cimetières uſités , ou dans des endroits
convenables & décents , que l'on affignera
à cela ſelon l'occurrence ; & les cadavres des enterrés
ne feront moleſtés en aucune manière : &
les deux Puiſſances contractantes , pourvoirent , chacune
dans ſa Jurisdiction , à ce que les ſujets &
habitans reſpectifs puiſſent obtenir dorénavant les
certificats requis en cas d'une mort , où ils ſe trouvent
intéreſſés.
Lafuite à l'ordinaire prochain.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 22 Of.
Onditque le Commandant en ſecond à Minorque
, Sir William Draper , qui a agi très-vivement
( 47 )
pour qu'on nommât un Conſeil de guerre chargé
d'examiner les motifs qui ont obligé le Commandant
en chef le Général Murray de rendre cette Iſle
àl'ennemi , a obtenu qu'il en ſera aſſemblé un , il ſe
tiendra , ajoute-ton , vers le 2 Novembre prochain
, & tous les Officiers généraux , actuellement
dans le Royaume , doivent y aſſiſter.
Le Southampton eſt parti de New-York le
15 Septembre , & à cette époque l'Amiral Hood
ſe préparoit à ſortir pour une expédition fecrette .
On fait , dit- on , par la même fregate que l'Amiral
Pigot s'eſt emparé , dans ſa travertée , de 4
vaiſſeaux Eſpagnols , allant de Cadix à la Havane ;
deux deſquels font eſtimés 40,000 livres chacun ;
de 3 Corfaires Américains ,& du floop de guerre le
Thorn , de 18 , qu'il a reptis près de la Floride.
Il ſe débite qu'on a contremandé les ordres
donnés pour l'évacuation de Charles- Town ; mais
il y a tout lieu de croire que les nouveaux ordres
arriveront trop tard , puiſque les tranſports chargés
d'en aller retirer la garniſon , étoient partis
de New-York avant le Southampton .
Pluſieurs lettres de Québec , apporrées par l'Aurora
, annoncent que tout eſt tranquille dans le
Canada; mais que le Gouverneur a fait marcher
des troupes à Montréal & à St-Jean, ſur l'avis
qu'il a reçu que les Américains & les François ſe
propofoient d'attaquer ces places dès que la gelée
Teroie venue.
C'eſt la Charlotte , arrivée de la baie d'Hudſon
à Plimouth , qui a confirmé la nouvelle de la
ruine de nos établiſſemens de ce côté ; mais on
ne dit point que l'ennemi ait pris poffeffion de
ce pays , & il paroît que le pillage & la deftruction
étoient ſon ſeul objet. Il y avoit trois bâti.
mens employés au commerce de la baie d'Hudſon ,
& il eſt vraiſemblable qu'ils ſeront tombés entre
les mains des François.
Les principaux établiſſemens de notre Compa
( 48 )
gnie de la baie d'Hudſon , ſont les forts Churiell ,
Nelſon , New-Severn & Albany ſur la côte occidentalede
cettebaie. CetteCompagnie, qui n'eſt compoſée
que de neuf ou dix Négocians , a obtenu
La première chartre de Charles II , dans l'année
1669 , en vertu de laquelle la propriété du pays ,
du commerce , de la pêcherie & des mines aux
environs du détroit d'Hudſon , & dont aucun Prince
Chrétien n'étoit alors en poffeſſion, lui a été cédée
excluſivement. Ses importations conſiſtent en peaux
vertes , fourrures , caſtors , plumes , fanons & huile
de baleine.
Il eſt arrivé à Halifax plus de 2000 hommes
de troupes du Prince de Heſſe, partis des ports
d'Allemagne , ſous le convoi des frégates l'Emerald
de 32 &. du Cyclops de 28. On dit qu'ils
devoient ſe rendre à New York ; mai que fur l'avis
que l'eſcadre de M. de Vaudreuil , actuellement à
Boſton , longerit cette côte , ils ont mieux aimé
aller à Halifax. Cette nouvelle a été apportée par
le floop de guerre de S. M. l'Albecore , qui a
laiflé la garniſon d'Halifax en bon étar.
>> Le floop de S. M. , le Duc de Chartres , de
18 canons de 6 , & de 125 hommes , a amené à
New-Yorck l'Aigle , de 22 canons , 160 hommes
d'équipage , parts du Cap François avec des dépêches
de M. de Vaudresil , Commandant de l'EC
cadre Françe iſe actuellement à Boſton. Ce bâtiment
a été pris le 19 au ſud du Cap Henri , après
un combat très - vif qui a duré plus d'une heure.
Les François ont eu 13 hommes tués , y compris
leCapitaine de l'Aigle. Son premier & ſon ſecond
Lieutenant ont été grièvement bleilés , ainſi que
14 autres personnes de l'équipage. Le Duc de
Chartres a ſouffert quelque dommage dans ſon
gréement & dans ſa voilure ; mais il n'a perdu
perfonne, & il n'a eu qu'un homme légèrement
bleflé".
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 9 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
:
VERS
A Mile J.... en lui envoyant la Nouvelle
:
E
Héloïfe.
NFIN , voilà cette Julie ,
Si vertucuſe & fi jolie ,
Et dont vous êtes le portrait.
De l'amour fans libertinage ,
De laraiſon ſans étalage ,
Par fois l'humeur un peu ſauvage ;
N'est-ce pas elle trait pour trait ?
Vraiment tel eſt ſon caractère :
:
:
Du tact , de l'eſprit & du goût ,
De la gaîté , du ſens fur-tout;
Puis d'autre part , taille légère ,
Unteint de lys , de grands yeux bleus ,
N°. 45 , 9 Novembre 1782. C
50 MERCURE
Bouche vermeille ,blonds cheveux;
Ma foi , voilà ſa reſſemblance.
Je me trompois ! fauſſe apparence !
Il y manque un coup de pinceau ,
Qui défigure le tableau.
Bravant un ſcrupule frivole ,
La tendre amante de Saint-Preux
Promit de couronner ſes feux ,
Biaiſa long-temps , mais tint parole.
J.... qui l'imite ſi bien ,
Refuſe tout , ne proinet rien.
En véritéje vous crois folle ;
De ce travers je ſuis honteux :
Ah ! fi vous étiez moins cruelle ,
Vous égaleriez le modèle ;
Soyez moins rebelle à nos voeux ,
Et l'image ſera fidelle .
(ParM.le Chevalier de Bellecombe. )
A M. IMBERT , fur fon nouveau
Recueil de Contes.
ILL court un bruit dans ma Patrie
Qui n'honore pas ton génie ;
Ondit qu'en ſecret introduit
Chez le bonhomme La Fontaine ,
De ces vers dont il eut la peine ,
Tu cueilles la gloire & le fruit;
DE FRANCE. SI
Que tu trouvas ſur ſon pupitre ,
Fable , Conte , Poëme , Épître ;
Et qu'à l'aide de ſes pinceaux ,
Aſes traits ſimples , mais uniques ,
Tu ſus en joindre de nouveaux
Que n'effaçoient pas les antiques.
Son porte-feuille étoit rempli
De Fabliaux inimitables ,
Qui joignoient aux tours agréables
Un ſtyle riant & poli.
Tu vins t'en déclarer le maître;
Mais La Fontaine , aux traits heureux
Dont fourmillent ces Contes bleus ,
Fut difficile à méconnoître .
(ParM. Santerre. )
LE ZEPHYR ET LA ROSE , Fable.
ZEÉPPHHYYRR diſoit unjourà la Roſe naiſſante :
Je jure que jamais je n'aimerai que toi.
En vain la Jonquille éclatante ,
En vain l'orgueilleuſe Amaranthe
Voudroit te dérober ma foi ,
Je ſuis pour toujours ſous ta loi.
Sur le beau ſein de mon amante
Je veux ſoupirer & mourir.....
Ainſi parloit Zéphyr : Zéphyr étoit volage.
M tenoit à la Roſe encore ce langage ,
Cij
52 MERCURE
ン
Lorſqu'un joli bouton vint à s'épanouir ;
L'infidèle auffitôt lui porta ſon hommage.
La Roſe en vain parut ſenſible à cet outrage ;
On dit que d'un coup d'aile il oſa la flétrir.
RÉPONSE aux Couplets de M. DAMAS.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
EH! quoi ? votre Muſe éloquente
Du talent m'accorde le prix !
Quoi ! les doux accords qu'elle enfante
Sont conſacrés à mes Écrits !
Vos vers charmans , mais peu fincères ,
Vantent quelques foibles appas ,
Qui , certes , ne méritent guères
Des éloges ſi délicats.
Pour peindre ma reconnoiffance ,
Ma Muſe médite un effort;
Mais ſi j'écoute la prudence ,
Loin de céder à ce tranſport ,
Ma lyre doit reſter muette ;
Car je crois , ſoit dit entre nous ,
Qu'on acquitte mal une dette
Quand on la contracte avec vous.
(Par Mllede Gaudin.)
DE FRANCE. 13
ROMANCE faite à Ermenonville , fur le
Tombeau de J. J. Rouffeau. *
VOICI donc le ſé-jour pai-fi- ble , Où
des mor- tels , Le plus tendre & le plus
ſen- fi-ble . A des au tels. C'est ici
qu'un Sa-ge te poſe Tranquil-le- ment :
Ah ! pa- rons au moins d'u-ne ro- fe Son
Mo- nu- ment.
(ParolesdeMde la Comteffe de Beauharnais ,
MufiquedeM. le Comte de Sainte-Aldegonde.)
* Cette Romance a été imprimée dans l'un des premiers
Numéros de cette année.
54 MERCURE
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Secret ; celui du
Legogryphe eſt Poulet , où se trouventpou ,
loup , Toul , pet , pôle & loupe.
ÉNIGME.
NOUouSs ſommes, cher Lecteur , une famille immenfe,
Très-connue à la ville , & même chez les Rois ;
Mais inconnue en récompenſe
Au Soldat comine au Villageois.
Nous naiffons par deux à la fois ,
Et nous avons un cominun père ;
Mais par d'affez biſarres loix ,
Il ne nous donne point de mère.
Chacune de nous constamment
Vit à côté de ſa jumelle ,
Et ne la quitte qu'au moment
Qui la voit périr avec elle.
Lorſque je te dirai que je ſuis ſans quartier ,
Tume croiras un monſtre , un vrai foudre de guerre:
Je vis pourtant en paix au coin de ton foyer ;
Et peut- être demain ſerai-je la première -
Que tu rechercheras toi-même à ton lever.
( Par Mlle Gravier. )
DE FRANCE.
SS
:
LOGOGRYPH Ε.
DONNEZ l'effor à ma valeur ,
Dans les airs , comme un trait rapide ,
Entre mes bras , avec vigueur ,
J'enlève la beauté timide
Qui m'a confié ſes attraits.
Je la ramène bientôt ; mais
De nouveau le plaiſir la guide :
Les Ris célèbrent mes ſuccès ,
D'en jouir l'enfance eſt avide.
Que ſuis-je ? ſouvent preſque rien .
Champs heureux , vous m'avez vû naître !
Douze pieds tranſportent mon être
Dans le ſéjour Aërien.
J'offre une plante aromatique ;
Trois poiffons ; un fleuve ; un enclos;
De toilette un meuble ; un Héros ;
Un vaſe; un ton de la inuſique ;
Un inſtrument..... Mais , je me tais ,
Car c'eſt à ne finir jamais.
(Par Mde *** , à Valence , en Dauphiné.)
*
Civ
36 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DE L'ÉLECTRICITÉ du corps humain
dans l'état defanté & de maladie, Ouvrage
couronné par l'Académie de Lyon ,
dans lequel on traite de l'Électricité de
Atmosphère, de fon influence & de ses
effets fur l'économie animale, &c.; par
M. l'Abbé Bertholon de St. Lazare , des
Académies Royales des Sciences de
Montpellier , Béziers , Lyon , Marseille ,
Nifmes , Dijon , Rouen , Toulouſe , Bordeaux
, Rome, Hetlehembourg , &c.
Volume in- 12 de 540 pages. A Paris ,
chez Didor le jeune , Imprimeur-Libraire,
quai des Auguſtins
i
DEPUIS la découverte du fluide électrique,
les Phyſiciens ne s'en étoient occupés
que comme d'un objet de curioſité ; ils
p'avoient pas cherché à en connoître les
caufes & leur influence fur le corps humain.
M. l'Abbé Nollet fut le premier' qui
ola diriger cet agent preſque inconnu fur
l'homme malade. M. Jallabert , de Genève ,
chercha à tirer de cette ſubſtance matérielle
qui exiſte en nous , quelque avantage pour
T'humanité fouffrante. Ils opérèrent l'un &
l'autre des guériſons qui engagèrent les plus
célèbres Phyſiciens de l'Europe à former
T
DE FRANCE
57
une ferie d'obſervations & d'expériences
pour conduire cette découverte à une évidence
d'utilité faite pour dilliper les préjugés
. Les Corps Littéraires s'occupèrent auffi
d'un objet fi intéreſſant. L'Académie de
Lyon , compofée d'Hommes éclairés & amis
dubien public , propoſa en 77 , cetre queftion
: Quelles font les maladies qui dépendentde
la plus ou moins grande quantité de
fluide électrique dans le corps humain,&
quelsfont les moyens de remédier aux uns &
aux autres. Les premiers travaux de la Société
de Médecine furent dirigés par leGou
vernement for un remède dont les effets
n'étoient plus douteux , mais dont il falloit
multiplier les effais , afin de déterminer une
méthode de l'employer avec tout le ſuccès
poſſible. Lorſque cette Compagnie rendoir
compre au Public de ſes premières opéra
rions , M. l'Abbé Bertholon faifoit paroître
FOuvrage que l'Académie de Lyon avoit
couronné. Cet Auteur , déjà connu par des
recherches importantes, par des vûes utiles,
desdécouveerrtteess nouvellesdansles Scien
cesPhyſico Naturelles, a formé de fa Dif
fertation Académique un corps complet,de
doctrine fur l'économie animale & for las
Médecine électrique. Il l'a diviſé en deux
Parties. La première traite de l'électricité chai
corps humain dans l'état de ſanté ; la ſeconde,
de l'électricité du corps humain dans l'état
demaladie , & de l'application qu'on peut
faire de l'électricité atmosphérique au plas
par
CV
58 MERCURE
4
grand nombre des maladies. Nous ne pou
vons donner qu'une idée rapide & par conſéquent
incomplette d'un Ouvrage qui contient
le réfultat non-feulement des Expériences
de l'Auteur , mais de celles de plus
de deux cent cinquante Savans , tant nationaux
qu'étrangers. Des principes sûrs en
forment la baſe; ils contiennent l'hygiène
électrique , la pathologie & la thérapeutique
électriques, Sciences nouvelles, dont l'avanrage
ne peut être méconnu.
Les divers Chapitres de la première Partie
font relatifs à l'influence de l'électricité de
l'atmoſphère ſur le corps humain , & à l'électricité
propre , ce qui comprend l'électricité
communiquée & l'électricité naturelle.
C'eſt l'événement de Marly-la- Ville qui
nous a appris que l'électricité étoit une propriété
conſtante del'airatmoſphérique.Nous
étions bien éloignés de croire que le corps
humain , & même tous les corps organifés
devoient en éprouver une influence marquée.
Le hafard,& les recherches qu'il a occaſionnées,
ne nous permettent plus de douter
que cettemaffe d'air quinous environne ne
foit un foyer inépuifable de fluide électrique.
Les barres iſolées , les conducteurs , les fufées,
les cerf-volans ont été les agens de notre
inſtruction & de nos progrès dans une Science
toute neuve. Le fluide ne peut exifter ſans
influer fur les êtres organiſés par toutes les
matières déférentes qui lui font préſentées ,
comme le feu ſe communique à tous les
DE FRANCE.
59
corps combustibles ambians. On ne doit pos
être ſurpris que le corps humain, enveloppé
de toute part d'électricité , en reçoive une
impreſſion ſenſible , de même que ce corps
placé auprès d'une machine électrique miſe
en mouvement , eſt ſoumis à l'action du
fluide qu'elle diftribue. Dans la ſanté , les
effets de cette action ſont moins remarqués ,
parce qu'ils ſont moins ſenſibles que dans
l'état de maladie. Les changemens continuels
de l'air doivent donc être regardés comme
l'objet le plus eſſentiel à l'homme , & ce
n'eſt que par de grands conducteurs iſolés ,
par de grands électromètres atmoſphériques
qu'il peut connoître les variations qui l'intéreſſent.
Les obſervations que ces inſtru
mens facilitent , font effentielles à la météréologie
applicable à la Médecine & à
l'Agriculture , vrai but de cette ſcience.
L'homme ainſi plongé dans l'atmosphère,
reçoit ſans ceſſe le fluide électrique , ſoit
par les alimens , ſoit par les pores , qui font
au nombre de deux milliards cent ſoixante
millions dans un corps de taille ordinaire ,
&dont la fuperficie donne quinze pieds en
quarré , ſoit par le poumon, qui reçoit quarante
pouces cubiques d'air par inſpiration.
Certe maſſe énorme qui entre dans la capacité
de la poitrine, eſt le véritable véhicule
de l'électricité naturelle.Une partie de
cet air abſorbée dans l'inſpiration , conduit
dans les routes de la circulation la matière
électrique , & la diſtribue dans toute l'orga
Cvj
)
60 MERCURE
niſation; l'autre portion qui reſte dans le
poumon, tranfmet ſon excès d'électricitéàce
viſcère; & cet air , dépouillé a ors de la furabondance
de ſon feu, eſt enfuite rejeté dans
l'atmosphère par l'expiration. Cette commu
nication de l'air armoſphérique avec le corps
humain , eſt ordinairement plus efficace que
celle qui s'exerce par les pores. Cette theorie,
par laquelle le poumoneſtregardécomme
l'organe fecrétoire de l'électricité aërienne ,
eft ingénieuſe , & appartient à M. l'Abbé
Bertholon. Les rapports de la matière électrique
avec nos fonctions vitales & animales,
fon empire ſur les folides & fur les
fluides qui forment les parties organiques
des corps,ne peuvent être douteux. L'elaf-
>>ticité des folides eſt rétablie ou conſidéra
blement augmentée par l'électricité natu
>> relle ou artificielle; elle agite & rarefie la
>>maſſe des humeurs , diviſe la lymphe
* épaillie , arrénue les fluides trop viſqueux,
en augmente la vîreſſe, quelle que foit leur
nature , & fur tout leur mouvement de
>>>fluidité. » Si l'expérience & des obſervations
multipliées demontrent que la matière
électrique eſt le principal agent du ſyſteme
de la Nature , principalement dans l'économie
animale, ilétoit donc de la plusgrandeutilité
de ſavoir quelles font les maladies qui
procèdent de la plus ou moins grande quan
titéde fluide, & quels font les moyens de
remélier aux uns & aux autres , & c'eſt ici
Kobjer des recherches & des travaux qui ons
DE FRANCE GE
obtenu àM. l'Abbé Bertholon le fuffrage de
l'Academie de Lyon&de tous les bons Phyficiens.
Son Ouvrage donne à la ſciencedont
il s'occupe une étendue dont on ne la croyoit
pas fufceptible , & préſente des réſultats
bien confolans pour l'humanité. Il eſt difficile
de pouvoir faire connoître cette partie
du Volume comme elle devroit l'être; des
faits, des expériences ne peuvent s'analyſer ,
&cependant il ſeroit à deſirer que le grand
nombre des individus pût être inſtruit de
cette nouvelle branche de l'art de guérir ,
qui attaque principalement les maux les
moins dociles aux traitemens depuis longtemps
employés en Médecine.
ن
L'Auteur , après avoir établi des principes
certains, fur lefquels doit être appuyée la folution
de cette queſtion , examine en partis
culier les differentes familles & les divers
genres demaladies. Et il réſulte des détails
qu'ilnous donne, que l'homme peut oppofer
efficacement à tous les maux qui l'actaquent
de toute part, l'electricité poſitive ou
négative. La pefte , qui eſt affurée d'autant
de victimes qu'elle attaque d'individus ; la
petite-vérole , dont le traitement eſt ſi in
certain, qui afflige ſans ceſſe le ſentiment,
qui ne refpecte ni les grâces ni la beauté;
peuvent trouver dans l'électricité des obf
racles à leur cruauté , & un remède très
approprié à leur guériſon.Cette dernière ma
adie, qui s'eſt plus particulièrement achar
nee fur l'eſpèce humaine dans tous les cli
62 MERCURE
mats , & qui trouve un aliment ſi actif dans
la grande quantité de feu electrique , deviendra
moins redoutable ſi on la foumet à l'électricité
négative. Combinée avec les remèdes
de l'Art , elle accélérera la fortie des boutons
, leur fupputation , leur exficcation , en
conduifant l'humeur variolique vers la peau ,
& en l'empêchant de repaſſer dans le fang.
La ſtérilité même peut être conſolée par l'influence
de l'agent électrique ; les pères ,
prives de la douceur de ſe tranſmettre à la
poſtérité , font aſſurés d'un nouveau moyen
de population , & d'un véhicule favorable
aux plaiſirs. Un Médecin de Lyon en
a conſtaté l'efficacité ſur deux perſonnes
mariées depuis dix ans , qui voulurent bien
ſe prêter à l'expérience."On iſola leur lit.
ود Un fil-de fer de communication, égale-
>> ment ifolé , traverſoit la cloiſon qui ſépa-
>> roit leur appartement d'une pièce voiſine ,
>>dans laquelle étoit placée la machine élec-
>> trique ; un ſimple tuyau de verre inféré
>> dans le trou fait à la cloiſon , ſuffifoit
> pour l'iſolement du fil de fer. Après douze
>> ou quinze jours d'électriſation , la femme
>> conçut , & mit enſuite au jour un enfant
>> qui jouit actuellement d'une bonne ſanté.
» Si on parcourt des tables météréologi-
>> ques & un tableau des naiſſances , on
>> verra , en remontant , qu'il y a plus de
>>conceptions dans les temps favorables à
>> l'électricité , & plus de morts dans les
>> temps contraires. >>
DE FRANCI 63
La paralyfie , qui ne laiſſe à l'homme un
reſte d'exiſtence que pour lui faire ſentir
plus lentement ſa deſtruction , a été l'objet
principal des expériences des Phyſiciens . Les
eſſais electriques de l'Abbé Nollet ſur un
homme privé de l'uſage de ſes bras depuis
fix ans , furent heureux. En même- temps
M. Jallabert guériſſoit un paralytique immobiledepuis
plufieurs années , & MM. le Cat
&de Sauvage faifoient part à l'Académie des
Sciences , des ſecours qu'ils procuroient à
l'humanité. Quinze paralytiques furent guéris
à Montpellier ; l'affluence des malades fut
ſi grande , & les ſuccès ſi ſurprenans , que
le peuple , toujours étonné , parce qu'il ne
conçoit pas , qualifioit d'opérations magiques
celles de la vertu électrique. Si les effais
de M. Francklin n'ont pas eu des réſultats
auſſi ſatisfaifans , ceux de M. de Haen , premier
Médecin de l'Empereur , continués
pendant fix ans dans l'hôpital de Vienne ,
font faits pour détruire toute incertitude ſur
cette matière. On peut en voir les détails
dans ſon Ouvrage intitulé : Ratio medendi
in Nosocomio practico. MM. Sigault de la
Font , Gardanne , Sans , de Thoury , Adams ,
Hartman , Weſley , Quermalz , Bohadrel ,
Stromer , Ferrein, le Camus , Allaman , &
un grand nombre d'autres Électrifiens ont
fait dans les divers pays où ils ont opéré ,
des guériſons nombreuſes & fi favorables à
l'humanité , que les travaux de la Société de
Médecine , confiés à un de ſes Membres ,
64 MERCURE
ne peuvent que conftater les preuves accumulees
que nous avons. Les encouragemens
que Louis XVI a accordes pour cet objet ,
font un actede bienfaiſance bien digne de
fon coeur. M. l'Abbe Bertholon ajoute à
toutes ces démonstrations de l'efficacité électrique
fur la paralyfie , un fait très- curieux
dont il a été témoin. Avant l'électriſation
d'un paralytique , on avoit obſervé que lorfqu'on
coupoit fes ongles , elles étoient comme
une corne sèche , & qu'elles fe brifoient
avec facilité; depuis que l'électricité a été
employée , elles ont eu la foupleſſe qui leur
eft propre dans l'état de ſante. Toutes les
maladies qui pèsent fur l'existence , & qui
bravent ſi ſouvent la ſcience , occupée à les
étudier& à lesattaquer , dépendent de l'elec
tricité ,& font foumiſes à fes effets. On no
doit cependant pas négliger les remèdes que
Fart, a reconnus pour efficaces . Mais comme
preſque toutes les maladies font occafionnées
par le plus ou le moins de fluide élec
wique , l'électriſation , en plus ou en moins ,
pofitive ou négative , doit être regardés
comme le plus direct , & par- là comme le
premier remède qu'on puiffe employer. L'expérience
a prouvé que l'électricité feule pou
voit guérir; mais quelquefois la complication
des caufes exige des remèdes connus. La
paralyfie, par exemple , causée par les impreffions
métalliques , réſiſteroit à la force
électrique, fi on n'employoit les purgatifs ,
naturellement indiques pour debawatier les
DE FRANCE. 65
premières voies. " Dans ces circonstances ,
>>dit l'Auteur , on ne peut pas attribuer le
>> ſuccès aux remèdes pharmaceutiques , &
>> regarder l'électricite comme inutile , parce
>> que les remèdes employés par la Mede
>> cine n'ont jamais pû guérir ſeuls pluſieurs
>> eſpèces de maladies ; parce qu'avant l élec-
>> tricité on y avoir eu recours en vain ;
» parce que l'électricité ſeule a produit fou-
>> vent la guériſon de pluſieurs de ces mala-
>> dies ,& qu'on n'a preſque jamais manqué
• d'obtenir des effets ſalutaires lorſqu'elle
- a eu pour auxiliaires les remèdes mediei-
>> naux. » Un avantage particulier de la Médecine
électrique , c'eſt que ſon ufage ne
peut être nuiſible en obfervant les précautions
preſcrites dans l'Ouvrage , & qu'on
ne doit pas craindre de le tenter dans les
cas douteux & déſeſpéres ; mais ce n'eſt
qu'avec de la perſevérance qu'on parvient à
des fuccès. Si quelquefois on n'a pas obtenu
les guériſons qu'on en attendoit , doit on en
accuſer l'électricité plutôt que la mauvaiſe
méthode qu'on aura ſuivie , ou l'impatience
des malades&des Électrifiens, qui ſe feront
trop tôt découragés ?
La troiſième Partie de ceVolume contient
deux Opufcules de l'Auteur , qui furent inférés
dans le Journal des Savans en 1770 &
1771 ; elles prouvent que M. l'Abbé Bertholon
eſt le premier qui ait fait uſage de la
Médecine Électrique négative dans les maladies
invétérées. Il fait part aux Phyficiens
66 MERCURE
/
des ſecours qu'il avoit obtenus de l'électricité
pour guérir une odontalgie ou mal des
dents très - ancien & très douloureux , & des
obſtacles que l'ignorance oppoſa à la guériſon
preſque aſſurée d'une cécité de douze
ans. Les préjugés & l'ineptie ſont toujours
prêts à arrêter les progrès des connoiſſances
utiles & font les plus grands ennemis
qu'elles aient à combattre.
,
M. l'Abbé Bertholon termine ſon Volume
en obſervant que ce n'eſt point au hafard
qu'on doit attribuer le nombre des naiffances
plus conſidérable dans une année que
dans l'autre ; il ſe ſert , pour appuyer fon
ſentiment , des Tables que M. l'Abbé de la
Croix , de l'Académie de Lyon , publia en
1776 , par leſquelles on voit que les naifſances
ont été dans la ville de Lyon , en
1770, bien plus nombreuſes qu'en 1768 ,
non parce que la population a pu augmenter
dans des années ſi peu éloignées , mais
parce que le vent du Nord, fi favorable à
l'électricité, a régné bien plus long-temps en
1770 qu'en 1768 .
Le fluide électrique , préſenté comme
l'agent univerſel de la Nature , comme le
conſervateur de l'eſpèce humaine, comme
le moteur de l'organiſation des êtres , paroîtra
peut- être au plus grand nombre des
Lecteurs , une hypothèſe philoſophique plutôt
qu'une vérité démontrée. En lifant le
Volume que nous annonçons , on verra que
M. l'Abbé Bertholon ne s'eſt jamais écarté
DE FRANCE. 67
こ
de l'obſervation , & qu'il s'appuie toujours
fur l'expérience. Les Savans de l'Europe ,
qui ſe ſont occupés plus particulièrement
d'une matière auſſi intéreſſante , lui ont ſervi
de guide, & fes recherches n'ont fait qu'ajouter
aux lumières déjà répandues ſur cette
grande découverte. Mais quand ſa Medecine
électrique ne ſeroit en partie qu'un
ſyſtême adroitement & ingénieuſement préſenté
, elle n'en feroit pas moins d'honneur
à ſes connoiſſances &à ſon coeur. Le deſir
d'être utile aux hommes a excité ſes travaux ,
& ſon Ouvrage peut être regardé comme
une production claſſique qu'il faudra néceffairement
conſulter lorſqu'on voudra s'occuper
d'une ſcience , qui , plus approfondie ,
doit ſervir de baze à l'art de guérir , & être
un bienfait pour l'humanité. Il eſt à deſirer
que M. l'Abbé Bertholon répande ſes obfervations&
ſes vûes ſur lesdeux autres règnes ,
&nous donne une électricité complette. La
Chaire de Phyſique , que les États de Languedoc
viennent de lui confier , & les fecours
qu'il doit trouver dans cet établiſſeſement
, lui permettront de ſe livrer à un
travail auſſi neuf par ſon objet que curieux
par ſes réſultats.
68 MERCURE
NOUVELLE Traduction de l'Iliade , dédiée à
MONSIEUR , Frère du Roi. A Paris , chez
Barois le jeune , Libraire , quai des Aus
guſtins , & Nyon le cadet , place du
College des Quatre- Nations , 1782 , 2
Vol. in- 12 . Prix , s liv. brochés.
L'ILIADE d'Homère eſt trop connue pour
rappeler ici l'enſemble & les détails de ce
Poëme immortel. Les Amateurs & les vrais
Savans , que la frivolité du moment n'a point
entraînés , verront avec un grand plaifir la
nouvelle Traduction que nous annonçons
au Public. Le nouveau Traducteur réunit à
la connoiffance des langues la beauté du
ſtyle , l'érudition & le goût.
LesAnglois peuvent ſe vanter d'avoir une
belle Traduction d'Homère en vers. Le cé
lèbre Pope , qui pouvoit aſpirer à la gloire
de donner à fon pays un Poème Épique ori
ginal , & plus important que celui qu'il publia
fur la Boucle des Cheveux enlevée, s'eſt
contenté de traduire Homère , &de le commenter.
:
Fénelon , connoiſſant les entraves de notre
poéfie , traita en proſe le ſujet , dont
Homère & l'antiquité lui fournirent en
grande partie l'idée & les couleurs. Son Télémaque
ſera toujours une des productions
les plus estimées dans notre langue.
Nous ne craignons point d'aſſurer que la
proſe de la nouvelle Traduction de l'Iliade
DE FRANCE.
, د
peut être lûe avec plaiſir , même après celle
de Télémaque , où l'on admire , avec raifon ,
chaleur pureté , nombre , harmonie
variété de ton. Les différens morceaux que
nous allons extraire de cette Traduction en
convaincront beaucoup mieux que deseloges
toujours fuſpects , quand ils ne font point
appuyés de preuves. Celui- ci eſt tiré du IV
Livre. C'eſt un diſcours d'Agamemnon à
Ménélas.
" Cher frère , n'ai- je accepté la paix que
>> pour cauſer ta mort , & t'expofer fans
ود défenſe aux coups des perfidesTroyens ?
>> C'eſt donc ainſi que cette nation facri-
- lège foule aux pieds les traités ſolemnels ?
» Non , ce n'eſt pas vainement que nous
> aurons répandu le vin des libations ,
• verſé le ſang des agneaux , & contracté ſur
la foi des fermens. Jupiter ſans doute n'a
pas en ce moment voulu ratifier notre al-
"
" liance ; mais bientôt il vengera lemépris
» qu'on en fait. Le temps viendra que les
>>Troyens payeront de leur tête , de leurs
femmes & de leurs enfans , cette criminetle
& manifeſte infraction. Un jour ,
" (mon eſprit & mon coeur ſont pleins de
> ce preſſentiment ) un jour Ilion , Priam
"
"
" &fon peuple feront exterminés ; un jour
>> ils verront Jupiter , irrité de leur noire
>> trahiſon , ſe montrer au haut des airs , ils
>> tomberont à l'aſpect de ſon égide , inſtru-
» ment de terreur. Mais , o mon frère , quel
> chagrin pour moi , ſi tu péris de tablef70
MERCURE
ود
ود
fure ! les Grecs découragés penſeront à
> leur patrie. Je ſerai contraint de m'en re-
>> tourner honteuſement dans Argos , & de
>> laiſſer Hélène & la gloire à Priam & aux
>> Troyens. Une terre ennemie renfermera
> tes oſſemens; tes mânes y feront impunément
inſultés ; le plus vil des habitans
>> de ces Contrées pourra dire , en conſidé-
> rant tatombe: Faſſe le ciel qu'Agamemnon
* ſe venge ainſi de tousſes ennemis ! dansſa
» colère , il aborda fur ce rivage, fuivi des
>> Grecs conjures: sa défaite, la perte defes
troupes , fa retraite honteuse , & la fuite
» précipitée des débris defon armée,furent
» lesfeuls fruits de cette expédition ; & voici
» le grand monument , qu'en partant il laiſſa
» defon entrepriſe. Ah ! que la terre s'en-
>> tr'ouvre ſous mes pieds , plutôt que je
fois réſervé à de pareils malheurs ! »
"
"
L'on connoît affez la diſpute ſur les anciens
& les modernes , qui , dans le dernier
ſiècle , diviſa nos Gens de Lettres ; il eſt aiſé
de le concevoir. Ceux qui liſoient Homère
dans ſa langue , voyoient un corps ſuperbe ,
tandis que ceux qui liſoient la Traduction
de la Mothe , ou de Mme Dacier , ne
voyoient qu'un fantôme ſec & décharné.
Cet autre morceau de narration ſimple eſt
pris à l'ouverture du Livre. C'eſt le début
du dixième Chant.
« Les Rois de la Grèce goûtent , auprès
» des vaiſſeaux, les douceurs du ſommeil';
>> Agamemnon ſeul ne peut dormir. Son
DE FRANCE.
71
>>>âme incertaine flotte au milieu de mille
>> projets ; de fréquens ſoupirs partent du
fonddefa poitrine ; ſes entrailles frémiſſent.
Tel eſt le tout- puiſſant Jupiter ,
>> quand, préparant la grêle ou la neige qui
>> colorent en blanc les campagnes , quand
>> enfin , excitant quelque peuple à la guerre
>> déſaftreuſe , il ſecoue ſa foudre , & en fait
>> jaillir des éclairs éblouiſſans ; tout in-
» quiète, tout aigrit le fils d'Atrée. S'il jette
>>> les yeux vers le camp des Troyens , ſa vûe
>> eſt offuſquée de la multitude des feux
» qui ſemblent éclairer la joie inſultante de
ود ſes ennemis. Le ſon importun de leurs
>> fifres , de leurs flûtes , lui percent , lui déchirent
le coeur. S'il ramène ſes regards 2
ود ſur l'armée des Grecs , le filence & les
> ténèbres , interprètes de leur conſterna-
» tion , rempliſſent ſon eſprit d'une ſombre
>> terreur ; alors il s'arrache à poignées les
>> cheveux , & accuſe Jupiter de ſon infor-
>> tune; fa grande âme eſt en proie à la plus
ود
ود.
vive douleur. Enfin , il ſe détermine pour
le parti qui lui paroît le plus falutaire ; il
>> prend la réſolution d'aller trouver Neſtor
>> pour délibérer avec lui ſur les moyens
>>d'éloigner le danger qui menace ſes peuples.
»
Nous regrettons de ne pouvoir joindre à
ces paſſages le morceau ſur la Ceinture de Vénus,
tiré du LivreXIV, nous nous contenterons
d'y renvoyer nos Lecteurs .
L'Auteur de la nouvelle Traduction de
72 MERCURE
I'Iliade a rectifié dans pluſieurs endroits le
coſtume antique , ſi ſouvent dénaturé dans
certaines Traductions. Ce mérite , plus grand
qu'on ne penſe , rend ſon Ouvrage auffi précieux
pour les Artiſtes qu'il l'eſt à d'autres
égards pour les Gens de Lettres , & généralement
pour tous les hommes de goût. Le
Traducteur remarque , par exemple , à propos
des adieux d'Hector &d'Andromaque ,
qu'Homère ne parle de panache dans aucun
endroit de l'Iliade; & que de mettre en cetre
occaſiondes plumes ſur le caſque du Héros
Troyen, au lieu des touffes & de l'aigrette
de crin , qui doivent y faire un effrayant
effet , c'eſt à la fois manquer au texte , au
goût & à la nature.
!
Le petit nombre de notes ſemées dans la
nouvelle Traduction , fait regrerter que ſon
Auteur n'en ait pas inféré davantage. L'extrême
clarté de la verſion a pu les faire paroître
inutiles à ſes yeux ; mais le Public les
eût recueillies avec autant de plaiſir que de
reconnoiffance.
Ignorant à qui la Littérature Françoiſe eſt
redevable de cette Traduction , nous ne ſavons
à qui nommément adreſſer le tribut
de nos éloges. Le voile dont l'Auteur enveloppe
fon nom , fait connoître qu'à beaucoup
de talens , il joint beaucoup de modeftie.
L'ARIOSTE
DE FRANCE.
73
L'ARIOSTE François , Poeme Héroïque ,
imité de Roland Furieux. Première Partie.
A Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
IL ſeroit difficile de compter toutes les
Traductions qu'on nous adonnées en François
, tant en proſe qu'en vers , du Roland
Furieux. L'Auteur dont nous avons à parler
aujourd'hui , a traduit en vers , ou , pour
mieux dire , imité le premier Chant de ce
Poëme immortel. Il donnera les autres fucceffivement
, ſi celui ci obtient le fuffrage
du Public, Le ſtyle marotique qu'il a voulu
employerde temps en temps , lui prête quelquefois
, en effet , une grâce analogue aux
moeurs qu'il veut peindre & aux détails qu'il
veut exprimer. Quelquefois auffi fon expreffion
n'eſt pas affez noble , comme lorfqu'il
dit :
Sa Déité qui le hait à la mort.
As'écharper l'un & l'autre s'applique.
A
Pour n'avoir pas ſaiſi la balle au bond , &c.
Ces négligences en partie proviennent peutêtre
de l'uſage qu'il a voulu faire du ſtyle
marotique.
Au reſte , comme les imitations qu'on
nous a données en vers de l'Arioſte , font
aſſez nouvelles pour être encore dans la mémoire
, & même dans les mains du Public ,
nous nous diſpenſerons de les citer ici pour
N° 45 , 9 Novembre 1782. D
74 MERCURE
les comparer à cette nouvelle imitation.
Nous nous contenterons de rapporter quelques
vers de cette dernière , pour mettre le
Lecteur en état de prononcer ſur ſon mérite.
f
Enfin , l'aurore au viſage riant ,
Paroît rouvrir les portes d'Orient.
Acet aſpect la Belle prend courage,
Et , pourſuivant ſon pénible voyage ,
Elle parvient en un boſquet charmant ,
Que les Zéphyrs agitent molleinent :
Deux clairs ruiſſeaux humectent de leur onde
Cette retraite agréable & profonde ,
Et l'herbe tendre y croît dans tous les temps ,
Comme la roſe au milieu du printemps.
Ce lieu , qui ſemble être exprès fait pour elle ,
Suſpend les pas de la gente pucelle.
Là , ſe croyant à l'abri de Renaud ,
Le corps rompu de fatigue &de chaud ,
Dans le moment la belle délibère
De ſe fixer dans ce lieu folitaire.
Elle met donc pied à terre ſoudain ,
Et ſon cheval , débridé par ſa inain ,
Va cependant le long de la prairie
Paître à ſon gré l'herbe tendre & fleurie.
Non loin de là, parmi de verds ſapins ,
Règne un berceau tout couvert d'aubepins :
Jamais Nature en ſes beautés ſans nombre
Ne produifit un aſyle plus fombre ,
1.
1
J
i
DE
75
FRANCE.
;
Et jamais lieu ne fût plus ſouhaité
De cette ingrate & fuperbe beauté.
On voit que ce n'eſt pas la facilité qui
manque au nouveau Traducteur. Son premier
Livre eft précédé d'une Épître marotique
, adreffée à Clément Marot , très- richement
rimée , & écrite auffi facilement que
la Traduction.
RÉFLEXIONS fur l'esclavage des Nègres,
par M. Scharwtz , Miniftre à Bienne. A
Lauſanne ; & à Paris , chez les Libraires
qui vendent des Nouveautés , 1781 .
L'AUTEUR de cet Ouvrage eſt étranger
aux Nations qui ont des Nègres dans leurs
Colonies, & par cette raiſon il a pu traiter
cette queſtion ſans préjugé & ſans humeur.
Il prouve d'abord que l'eſclavage ne
peut jamais être légitime , opinion qui eſt
celle de preſque tous les Publiciſtes depuis
Monteſquieu ; elle eſt développée dans ce
nouvel Ouvrage avec beaucoup de détail &
de méthode.
L'Auteur examine enſuite ſi c'eſt un
devoir pour le Législateur d'un Pays où
l'eſclavage eſt établi , de détruire cette violation
du droit naturel , & de quel genre eft
ce devoir.
Il entre dans le détail de la manière
d'abolir la ſervitude par des moyens sûrs ,
mais lents , tels qu'il n'en réſulte aucun in
D1)
76 MERCURE
convénient ni pour la tranquillité publique
ni pour le bien être des Nègres même , ſeuls
motifs qui , ſelon lui, puiffent empêcher de
prononcer un affranchiſſement abſolu &
général.
Il diſcute enſuite la prétendue néceſſité
de faire cultiver les colonies à ſucre par des
Nègres eſclaves , & même les avantages que
ce genre de culture pourroit avoir ; & il
conclut qu'il peut en avoir pour chaque
propriétaire en particulier , mais qu'il n'en
a aucun ni pour le Corps entier d'une colonie,
ni pour la Mère- patrie.
Comme on peut ſe propoſer de faire des
loix pour adoucir le ſort des Negres ſans
détruire l'eſclavage , l'Auteur examine ce
projet , & prétend prouver qu'aucune légiflation
faite dans cet eſprit, ne peut avoir de
ſuccès ſi la deſtruction totale de l'eſclavage
au bout de quelques générations , n'en eſt
pas la conféquence néceſſaire ou la baſe
première. L'Ouvrage eſt terminé par des
réponſes à quelques raiſonnemens faits en
faveur de l'eſclavage.
Tel eſt l'Écrit de M. Scharwtz . Ceux
mêmes qui n'adopteront pas ſes opinions ,
ne pourront qu'approuver les intentions
qui l'ont déterminé à écrire ; & en ſuppo-
Tant que ſon Ouvrage ne ſoit qu'un plaidoyer
en faveur des eſclaves Negres , cette
cauſe vaut fans doute la peine d'être défendue,
& le Pladoyer de leur Avocat nous
ſemble mériter d'être lû. I
DE FRANCE. 77
Le ſtyle eſt un objet peu important dans
une diſcuſſion de ce genre ; nous obſerverons
cependant que celui de M. Scharwtz
nous a paru en général naturel , ſimple ,
quelquefois négligé & incorrect.
On trouve dans ſon Ouvrage quelques
raiſonnemens qui auroient dû être préſentés
avec plus d'ordre &de clarté.
Ce Livre n'a pas l'agrément que les Philoſophes
François ſavent donner à leurs Ouvrages
; mais il n'a pas non plus les défauts
qu'on reproche aux Juriſconſultes & aux
Publiciſtes du Nord : c'eſt l'Ouvrage d'un
homme inſtruit , & d'un bon-homme qui
dit ſimplement ce qu'il croit vrai & utile.
Il eſt dédié aux Negres esclaves , & fon
Épître dédicatoire aura, comme tant d'autres,
le malheur de n'être point lûe par ceux
à qui elle eft adreſſée.
Ony a joint une Lettre de l'Auteur , qui
avoue ingénuement qu'il aime à prêcher &
à écrire , quoiqu'il ne compte pas beaucomp
ſur l'efficacité de ſes Sermons ou de
ſes Livres.
Cet Ouvrage n'eſt pas le premier que M.
Scharwtz ait publié ; il cite dans ces Réflexions
un Sermon ſur la fauſſe conſeience,
imprimé à Verdun en 1776. Ce Sermon
eſt un Ouvrage très-curieux. L'Auteur prend
pour texte ces paroles de l'Évangile : Multi
yocati , pauci verò electi , & il explique ce
paffage en montrant que les hommes qui ſe
croient les plus innocens parce qu'ils mènent
Dij
78 MERCURE
en apparence une vie honnête & ódifiante,
font réellement beaucoup plus coupables
que les pécheurs les plus ſcandaleux ,
foit par leur indifférence pour le bien public,
leur condeſcendance pour les uſages
abufifs ou criminels, quoique conſacrés par
l'opinion , ſoit par la violation ouverte des
loix de la morale , qu'ils permettent fans
ſcrupule toutes les fois que la coutume &
les préjugés ne les condamnent point.
fe
Comme le ſtyle de ce Sermon eft encore
beaucoup moins françois que celui des Réflexions
ſur les Nègres, il eſt refté preſque
abſolument inconnu .
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEMardi 22 Octobre , on a repréſenté,
pour la première fois , Tom Jones à Londres ,
Comédie en cinq Actes & en vers , par M.
Desforges.
Tout le monde connoît le Roman de
Fielding , un des meilleurs , des plus moraux
&des plus intéreſſans qu'ait produits la Littérature
Britannique. C'eſt par l'heureuſe imitation
que M. de la Place a faire de cet excellent
Ouvrage , que les Lecteurs François ,
qui n'ont point étudié la langue Angloiſe ,
ont été mis à portée de le connoître ;& l'on
۱
7.9
DE FRANCE.
peut affurer que le ſuccès de l'imitateur a
égalé en France celui que l'Auteur original
a mérité en Angleterre. Le Drame Lyrique
que Poinfinet a tiré de cette production , &
qui a dû la plus grande partie des ſuffrages
qu'il a obtenus , à la muſique du célèbre
Philidor , ne préſente que des nuances trèsaffoiblies
des caractères tracés par le rival
deRichardſon. Le perſonnage de M. Western.
eft celui dont il a le mieux ſaiſi les traits;
mais les autres ſont manqués , & notamment
celui de Jones. Il faut néanmoins convenir
que la marche d'un Drame à ariettes
ne fauroit ſupporter les incidens , les refſorts
compliqués , les développemens dont
une Comédie proprenent dite a quelquefois
beſoin ; & que le reproche le plus grave que
l'on puiffe faire àPoinſinet, c'eſt d'avoir puiſé
dans le Roman de Fielding une fable qui , par
ſon but moral, ſon intrigue ,&les caractères
qu'elle offre , s'éloigne abſolument du genre
de l'Opéra Comique , Lyrique ou Bouffon :
car on n'eſt pas bien d'accord ſur le titre qui
convient aux Ouvrages de cette eſpèce.
M. Desforges a ſaiſi une des plus heureuſes
circonstances du Roman. Sophie , fille
de M. Weſtern , a fui de la maiſon paternelle
, pour éviter le malheur de devenir la
femme de Blifil , & fe trouve à Londres
chez Lady Bellafton , couſine de fon père.
Jones , chaflé du château de M. Alworthy ,
eſt auſſi à Londres dans le même temps. Il
a inſpiré à la couſine de ſon amante une
Dιν
So MERCURE
paſſion affez vive , à laquelle il a cédé par
foibleffe & par orgueil ; & c'eſt au moment
même où il eſt devenu coupable, qu'il retrouve
Sophie chez Lady Bellaſton. Un Lord Fellamare
a vu Miff Weſtern, a pris de l'amour
pour elle , & ſes feux ſont protégés par la
coquette Lady , qui brûle de ſe venger de
Jones , devenu infidèle en retrouvant Sophie.
Cependant Lady Bellafton a écrit à M.
Weſtern pour l'informer de la deſtinée de
fa fille. Le bruyant campagnard a quitté ſon
château , ſuivi de M. Alworthy , de Blifil &
du Docteur Squarre , pour ſe rendre à la
capitale. Il deſcend chez une Mde Miller ,
Maîtreſſe d'Hôtellerie , qui doit ſon exifrence&
le fort heureux dont elle jouit aux
bienfaits de M. Alworthy , & qui doit encore
au courage de Jones la confervation des
jours d'une perſonne qui lui eſt infiniment
chère. C'eſt auſſi chez cette femme que Jones
a pris fon domicile. La reconnoiffance
lui fait faire toutes les démarches qu'elle
préſume utiles au bonheur de fon jeune
ami , dont elle croit , ſur la foi d'un récit de
Partridg , que M. Alworthy eſt le père. Weftern
vient chez ſa couſine pour y reprendre
fa fille. On lui parle en faveur de Fellamare ,
dont il ne conſent point à faire ſon gendre ,
parce qu'il a un éloignement invincible pour
les Lords. Sophie elle même déclare qu'elle
ne peut conſentir à devenir l'épouſe d'un
homme auquel elle ne ſauroit donner ſon
coeur. LadyBellafton ſoupçonne que ce refus
DE FRANCE. 81
ne peut provenir que de la tendreſſe que
Sophie conſerve à Jones. Elle propoſe au
Lordde fairepartir le jeune infortunépour les
Iſles Angloiſes de l'Amérique. Fellamare héfite
, lorſque Bléfil vient implorer ſa protec
tioncontre Jones , & ne craint pas de ſigner
unécritdans lequel il ſe dit chargedes ordres
de M. Alworthy pour cet objet. Fellamare
ne balance plus. Cependant Weſtern a emmené
ſa fille,& l'a conduite chez Mde Miller.
Un Officier vient de la part du Lord lui demander
la main de Sophie ; il refuſe la propoſition
, ainſi que celle de ſe rendre le ſoir
au Parc de Saint-James. Échauffé par quelquesmots
de l'impétueux campagnard, l'Officier
fait un mouvement qui engage Sophie
a appeler du fecours. Blifil fuit. A la voix de
Miff Western , Jones accourt , défie l'Offi
cier , & l'entraîne dans la rue. Le malheureux
jeune homme eſt aſſailli tout- à- coup par une
troupe de brigands ; en bleffe cinq , en renverſe
un à ſes pieds ; eſt arrêté & conduit en
priſon. Il y reçoit tour- à-tour les confolations
de Partridg , de Mde Miller , de M. Alworthy
; les outrages de Blifil , & les preuves
du plus vif intérêt de la part du Lord
Fellamare. Ce Seigneur , éclairé ſur les cauſes
de la haine de Lady Bellaſton , & fur la ſcélérateſſe
de Blifil , eſt devenu le protecteur
de Jones. Néanmoins la naiſſance de Tom
eft encore un myſtère pour Weſtern & pour
Alworthy; mais Blifil la connoît. Le cruel
fait bien que Tom eſt ſon frère ; une Lettre
Dy
$2 MERCURE
écrite par ſa mère au lit dela mort , & qui lui
a été remiſe par le Docteur Squarre , pour
être rendue à M. Alworthy , l'en a parfaitement
convaincu ; mais il l'a fupprimée. Le
brouillon de cette lettre eſt retrouvé parMde
Miller avec d'autres papiers, dans la chambre
que la mère de Jones occupoit chez elle . On
le montre à Blifil , qui feint d'abord de le
croire ſuppoſé , mais dont toutes les perfidies
font bientôt dévoilées par la ſignature qu'il a
remiſe le même jour au Lord Fellamare , en
abuſant du nom d'Alworthy. Le ſcélérat eſt
obligé de fuir. On ramène Jones , que le Lord
a arraché à ſa prifon , & il obtient la main
de Sophie.
Ceux de nos Lecteurs qui ont le Roman
de Fielding préſent à la mémoire, voient par
cette analyſe quels font les changemens que
M. Desforges s'eſt permis. Le plus remar
quable ſe trouve dans le Perſonnage de Fellamare.
Chez Fielding, ce Lord eſt ſouvent
odieux ; dans le Drame dont nous parlons, il eſt
toujours noble , délicat , fier &bienfaiſant.
Onpeut reprocher à l'Auteur de Tom Jones à
Londres de manquer quelquefois de clarté ;
d'avoir multiplié les entrées & les forties ,
fans les motiver avec affez d'adreſſe ; de ne
s'être pas toujours apperçu que le comique
qui convient à un Roman eſt ſouvent trèsdéplacé
au Théâtre , & de n'avoir pas affez
éteint la couleur romaneſque attachée à
quelques- uns des incidens de l'Ouvrage Anglois.
On peut encore lui reprocher d'avoir
4
DE FRANCE . 83.
quelquefois donné à ſon ſtyle de l'affectation
de l'enluminure ; comme aufli d'avoir
employe des Perſonnages à-peu - près inutiles
, tel que celui de Mme Weſtein , dont
nous n'avons point parlé dans notre analyſe ;
celui de Partridg , dont nous n'avons dit
qu'un mot , & que l'on pouvoit , avec un
peu de travail , fondre dans celui du Docteur
Squarre. Malgré tous ces défauts , l'Ouvrage
de M. Desforges a eu un grand fuccès
, parce que ces défauts font rachetés par
des beautés réelles ; par un grand intérêt ;
par des traits fortement prononcés , & qui
annoncent un homme fait pour obſerver la
Nature , pour la faifir & la porter ſur la
Scène d'une manière utile & agréable. Une
qualité que l'on ne fauroit trop priſer , &
dontM. Desforges a fait preuve de la première
à la ſeconde Repréſentation , c'eſt la
docilité. Il avoit conſervé à Partridg le caractère
donné par Fielding , & ce très ſenſible ,
mais très ridicule Magiſter ne parloit jamais
fans faire une citation latine. Le Chaſſeur
Weſtern ſe ſervoit auſſi d'expreſſions trèsconvenables
à la nature de ſes goûts , mais
devenues beaucoup trop fortes pour notre
orgueilleuſe délicateffe. Il parloit de temps
en temps au Lord Fellamare , avec un ton
dur& indécent. On a défiré , indiqué même
les corrections néceſſaires. Les voeux du Pu
blic& les conſeils des Amateurs ont été fatisfaits
très promptement ſur ces objets &
fur quelques autres : Nous en faiſons à M.
1
3
Dvj
84 MERCURE
Desforges un compliment que nous voudrions
être dans le cas de faire plus ſouvent
aux Auteurs Dramatiques modernes. Lorfque
cette Comédie fera imprimée , nous
entrerons dans de plus grands détails ſur les
défauts comme ſur les beautés.
Nous ne pouvons nous diſpenſer de témoigner
ici notre étonnement ſur le ſort
que cet Ouvrage a penſé éprouver à la première
Repreſentation. Le fecond Acte , un
des plus brillans de la Pièce, a été ſur le point
de ne pas s'achever. Du ſein du Parterre &
du milieu de l'Amphithéâtre fortoient de
temps en temps des éclats , des huées , des
fifflers qui annonçoient le deſir le plus déterminé
de nuire. Il ſembloit qu'on s'efforçât
d'étouffer par le bruit les traits qui pouvoient
donner une idée du mérite de l'Auteur. Cette
conduite indécente , lâche & barbare, prouve,
nous le répérons , que la police des Spectacles
doit être aujourd'hui très-ſévère , & que
les véritables Juges des Auteurs & des Comédiens
n'occupent plus maintenant la place
qu'ils occupoient autrefois. Nos Parterres ,
compoſés jadis de Connoiffeurs ou de jeunes
gens qui afpiroient à le devenir , ſont actuellement
en proie à la cabale , aux partis & à
la licence. On veut les réformer : on a déjà
commencé à le faire ; les gens honnêtes
demandent qu'on achève ; ils ſeront fans
doute enten dus. Le lendemain de cette ſcène
il s'en paſſa une à la Comédie Françoiſe , ſur
laquelle no us devons dire deux mots. La
3
DE FRANCE. 89
Comédiedes Amans Eſpagnols tomba. Elle
méritoit ſon ſort; mais après la chûte, devoit
on appeler l'Auteur avec le ton de l'ironie.
&de l'infulte ? C'eſt pourtant ce qu'on a
fait. Ah ! Public , qui diſpenſez la gloire &
les ſuccès , qui briſez ou affermiflez les réputations,
quand voudrez vous donc paroî
tre digne d'être l'appui des Arts & le juge
desTalens ?
Nous parlerons dans le Mercure prochain
de la repriſe du Baiser, Féerie en trois Actes.
VARIÉTÉS.
L'ÉLÉPHANT de la Ménagerie du Roi eſt mort
fur la fin de Septembre dernier , âgé de onze ans.
C'eſt une époque ſéculaire qui ſera conſignée dans
les Faſtes de l'Hiſtoire Naturelle , & le cénotaphe
que l'on élève à cet animal majestueux , tranſmettra
fa mémoire à la Poſtérité la plus reculée.
Cet événement nous rappelle la mort de l'éléphantde
Louis XIV,en 1681. Ses funérailles furent
pompeuſes parune ſuite de la magnificence du Roi ,
du goût de ce Prince pour les Sciences & les Arts , &
defon attention à ſaiſir toutes les occafions qui pou
voient éclairer ſon ſiècle & illuftrer ſon règne.
Apeine l'Éléphant eut il rendu les derniers ſoupirs
, qu'un courier fut expédié pour en informer
l'Académie des Sciences ,& lui porter les ordres de
SaMajesté pour ſe rendre en Corps à Verſailles.
Si cet événement fut tragique pour l'individu Afiatique
qui en étoit le ſujet , par la perte d'un animal
rare dans les Ménageries d'Europe , & encore plus
par l'attachement que le Roi avoit pour ſon Éléphant,
la mort futl'aurore des vraies connoiffances
de l'Académie fur le phyſique de cet animal. Juſqu'a86
MERCURE
lors l'Hiſtoire phyſique & morale de l'éléphant étoit
un chaos inexplicable de faits,contraires ſurchargés
du merveilleux & de tout ce que l'imagination exaltée
des Voyageurs avoit enfanté pour égayer leurs
relations ; c'étoit ſur des baſes auffi mal établies
qu'étoient fondées les connoiſſances des Naturaliſtes
du ſiècle précédent.
L'Académie des Sciences étoit dans le premier
âge de ſon inſtitution ; elle ſaiſit avec empreſſement
cette occafion de remplir les vûes de ſon Fondateur
, de profiter d'une circonstance rare d'acquérir
des connoiſſances poſitives qui devoient éclairer
l'Hiſtoire Naturelle , & enrichir ſa Collection anatomique.
L'Académie ſe rendit en Corps à Verfailles
avec un arſenal complet de phyſique & d'anatomie.
L'on avoit élevé dans une grande pièce un théâtre
en forme de catafalque , ſur lequel l'Éléphant
fut expoſé pour ainſi dire avec le luxe aſiatique &
le culte que les Indiens rendent à ces animaux. Les
appareils furent préparés avec magnificence & avec
ſoin, afin que les miaſmes infectes n'altéraſſent point
la ſalubrité de l'air du lieu où ſe paſſoit la ſcène , &
dont le Roi vouloit être lui-même témoin. Duverney
, Pérault & de la Hyre , noms célèbres dans les
Sciences , furent les principaux Acteurs ; les autres
Aſſociés remplirent les fonctions d'Afſeſſeurs &
d'Adjudans .
Les embaumemens de ces Rois d'Égypte qui repoſent
ſous ces éternelles pyramides, ne ſe paſsèrent
pas avec plus de pompe & d'éclat.
Lorſque les entrailles eurent été examinées , décrites
& deſſinées , on les enleva de la ſalle anatomique
; alors Duverney ſe plaça dans le coffre de
l'Eléphant pour opérer plus à ſon aiſe ; ce fut dans
ce moment que Louis XIV entra pour fatisfaire ſa
curioſité , & pour inſpirer de l'émulation aux Académiciens.
Le Roi ne voyant point l'Opérateur , dit :
DE FRANCE. 87
Où est donc l'Anatomiſte ? Dans l'inſtant Duverney,
le ſcapel à la main , ſortit du ventre de l'animal
comme d'une caverne pour répondre à Sa Majesté ,
& la remercier de ſon attention ; ce ne fut pas la
ſcène la moins piquante de la repréſentation.
L'Hiſtoire de cette célèbre diſſection eſt décrite
dans les Mémoires du temps de l'Académie des
Sciences. L'Éléphant qui en fit le ſujet datoit de la
naiſſance de l'Académie ; c'étoit une femelle née à
Congo en 1664 , donnée à Louis XIV par Pierre II ,
Roi de Portugal , en 1668 , & morte en Janvier
1681 , âgée de dix- sept ans. M. Daumont , qui a rédigé
l'article Éléphant dans l'Encyclopédie *, s'eſt
trompé ; car, ſuivant ſon calcul , celui dont il s'agit
feroit mort à trente ans : c'eſt une erreur très-préjudiciable
pour les connoiſſances fondées ſur les dimen
ſions des parties reſpectivement à l'accroiſſement du
ſujet dans ſes différens âges .
:
L'on croit que l'Éléphant mort cette année eſt un
de ceuxqui ont été expoſés à la Foire aux regards des
Curieux ; il a été acheté 3000 liv. il y a fix ou ſept
ans pour la Ménagerie. Sa douceur & fon intelligence
lui avoient mérité l'attention & l'attachement
du Roi , & un traitement conforme à ſes inclinations
& à ſes beſoins ; cependant il eſt péri par imprudence
, en voulant boire , ou plutôt ſe baigner
dans un des canaux du Parc. Il faut donc qu'une
infinité de circonstances ſe ſoient réunies pour précipiter
la mort de cet Éléphant: car cet animal paroît
être à l'abri de la fubmerfion par le volume de
ſa maſſe , & de la ſuffocation par le jeu de ſa
* L'Encyclopédie peut être comparée à une moiffon
récoltée avec précipitation à la veille d'un orage ; l'on
coupe l'ivraie ,les chardons , pêle-mêle avec le froment ,
dont on forme des gerbes ; il faut enſuite battre & vanner
pourretirer lebon grain qui a échappé même à la voracité
des infectes qui fe font fourrés dans la grange.
88 MERCURE
trompe , qu'il peut porter fort haut au-deſſus de la
furface de l'eau pour reſpirer ; mais il n'a pu tirer
parti de ces avantages ; après avoir lutté long-temps
contre la mort, il s'eſt noyé.
De même que les Souverains ont des ſépultures
particulières où leurs cendres repoſent ſéparées &
éloignées de celles de leurs ſujets , à l'ombre des
trophées de leur gloire ; de même les grands phénomènes
de la Nature , les êtres d'un caractère majeftueux
& rare font placés dans un dépôt qui eft pour
cux le temple de l'immortalité. La deſtinée de l'Éléphant,
production de la Nature aufli majestueuſe &
aufli raredans nos climats , ne devoit pas être confondue
avec les viles dépouilles des animaux erdinaires
; ſa place étoit marquée dans le ſanctuaire de
la Nature , magnifique dépôt de ſes tréſors précieux,
enrichi par la munificence du Roi & par les ſoins de
M. le Comte de Buffon ; enfin , embelli par la ſtatue
de ce grand Homme.
Aufſi-tôt que l'Éléphant a été envoyé au Jardin
du Roi , M. Daubenton le jeune, Garde du Cabinet,
&M. Mertrud, Démonstrateur Royal d'Anatomie ,
ſe ſont empreſſés de prendre toutes les meſures néceffaires
pour fixer invariablement les points les plus
importans de l'Hiſtoire Naturelle de l'éléphant , tant
des parties extérieures qu'intérieures.
Le poids total a été évalué à près de cinq milliers ;
ſa peau ſeule peſoit plus de ſept cent livres, & fa
tête ſéparée environ cinq cent livres , quoiqu'elle ne
foit pas chargée de grøffes défenſes ; au contraire ,
celles de ce ſujet n'ont guères qu'un pouce & demi
de diamètre , & neufà dix pouces de longueur ; il
eft vrai qu'elles font un peu mutilées par les bouts
extérieurs ; des huit dents molaires il paroît qu'il en
manque une des intérieures , & qui peut-être eſt une
dent de lait tonbée , laquelle devoit être ſuccédée par
une dent d'adolescence; car cette éléphante n'avoir
DE FRANCE. 89
guères atteint plus que moitié de ſon âge d'accroiffement,
dont le terme eſt fixé à trente ans par M.
leComte deBuffon. Ce ſavant Naturaliſte a diſſipé
toute l'obſcurité de l'Hiſtoire Naturelle de eet animal,
& en a développé le caractère & les moeurs avec
cegénie qui perce la nuit des temps.
Comme l'Éléphant mort en 1681 a procuré un
fuperbe morceau d'oſtéologie , on n'a cu en vue ,
dans la préparation anatomique ce dernier , que
de vérifier tous les faits .
de
...Si l'Eléphant ne paroît au premier abord qu'une
maſſe lourde , mal deſſinée.&peu propre à exécuter
des évolutions preftes , cet animal n'en eſt pas moins
admirable par une intelligence prodigieuſe , une
adreſſe ſingulière , &des ſentimens d'attachement &
de reconnoiffance.
La Nature , toujours ſublime dans ſes produetions
, n'a rien fait qui ne ſoit digne de notre admi
ration ; ces maſſes organiſées coloſſales , dans lefquelles
nous ne difcernons pas au premier coupd'oeil
les ſéparations & les liaiſons diſtinctes des
parties , où nous n'appercevons pas d'élégance dans
les proportions , de délicateſſe dans les membres
dont dépend l'agilité, ainſi qu'elle ſe fait ſentir dans
ces petits animaux ſveltes qui ſe meuvent au même
moment dans tous les ſens ; ces maſſes vivantes ,
dis-je , reſſemblent à ces montagnes du premier
ordre , qui portent leur cime dans les nues , & dont
l'empiétement de la baſe couvre une partie de l'hémisphère;
elles ne fixent notre admiration que par
l'énormité de leur maſſe , par leur élévation & par
l'immenſe variété de leur lourde charpente ; leur
aſpect nous imprime la terreur par les détails des
précipices & des horreurs qu'elles nous préſentent ,
tandis que de petits coteaux qui feftonnent avec
ſymmétrie les contours d'une plaine arroſée par les
caux qui en découlent , nous font goûter la fuavité
MERCURE
des formes agréables qui ſe rapprochent de notre
petite exiſtence.
Je n'ai nulle prétention à inſtruire le Public fur
les détails de l'Hiſtoire Naturelle de l'éléphant ;
cette partie n'eſt point de mon reffort; je me borne
à l'annonce d'une anecdote dont les détails fixeront
l'opinion des Savans ſur le phyſique de l'Éléphant.
L'on ſe propoſe d'empailler la peau , & de fixer
avec art le volume , les formes & le ſite de toutes les
parties de l'Éléphant par une charpente de fer garnie
&recouverte de la peau préparée , avec toutes les
parties ofſeuſes de la tête .
:
LETTRE au Redacteur du Mercure.
Μ.
ON a annoncé depuis peu dans un de vos Mercures
un Livre de Muſique de M. Corrette portant ce
titre : Méthode pour apprendre facilement àjouer de
la Quinte ou Alto. Je prends la liberté de vous
adreſſer quelques remarques que j'ai faites concernant
cette Méthode. Bien des perſonnes ſont ſurpriſes
que l'Auteur n'y parle aucunement d'une
deuxième Quinte qui fait leur amuſement , & qu'il
ne donne le nom de Quinte qu'à l'Alto , comme
fi c'étoit le ſeul Inſtrument deſtiné à faire cette
partie. M. Corrette ne doit pas ignorer qu'on a repris
depuis quelques années l'uſage du deſſus de
Viole qu'on a réduit à cinq cordes , avec cet ac
cord , ut , fol, ré , fol , ut . On connoît les agrémens
& la douceur de cet ancien Inſtrument dont
l'uſage a été diſcontinué pendant environ trente-fix
ans , parce que le genre de Muſique ayant changé ,
cet Inſtrument, à fix cordes pour lors, ne montoit pas
DE FRANCE.
91
aſſez haut pour faire avec facilité les parties ſupérieures
, & ne deſcendoit pas aſſez bas pour faire
la partie de Quinte ou les Baſſes à l'octave. La
chanterelle de cet Inſtrument d'un ton plus bas que
celledu Violon formoit le ré. La groſſe corde ne defcendoit
qu'au ré, & ſe trouvoit d'un ton plus haut
que l'Alto. Il exiſte encore bien des gens témoins de
la ſplendeur & de la décadence de cet Inſtrument ,
qui le voient avec plaifir comme pour ainfi dire renaître
, & devenir par ſon nouvel accord une véritable
Quinte. On lui avoit donné d'abord le nom
d'Alto- Viole ; mais on ne s'étoit pas apperçu que ce
nom avoit trop de conformité avec celui d'Alto , qui
dérive du mot italien Alto-Viola , d'où pourroit
naître par la ſuite une confuſion entre les deux Inftrumens.
C'eſt la remarque judicieuſe que vous avez
faite dans votre Mercure dus Février 1779 : de là
pluſieurs perſonnes préfèrent de déſigner cet Inftrument
ſous le nom de Quinte à cinq cordes , oι
même purement de Quinte fans autre addition .
Quel Inſtrument en effet ſemble devoir porter avec
plus de juſteſſe le nom de Quinte que celui- ci , qui
fait la partie de Quinte , & eſt compofé de cinq
cordes ? Pourroit-on dire que c'eſt l'Alto ? cet Inftrument
a quatre cordes. Que fignifie une Quinte
à quatre cordes ? Ce nom doit paroître étrange.
Vous me permettrez , Monfieur , de vous dire encore
quelques mots touchant le diapazon de ces
deux Inſtrumens , qui devroit être le même , &
cependant eſt différent. On donne à la nouvelle
Quinte quatorze pouces de diapazon , c'eſt à- dire
d'étendue depuis le fillet juſqu'au chevalet. On ne
peut douter que ce diapazon n'ait toujours généralement
éré adopté,en voyant le grand nombre de ces
Inſtrumens qui fubfiftent encore , porter cette étendue.
Le diapazon de l'Alto eſt d'ordinaire de treize
pouces ; mais n'a-t-on pas lieu de préſumer que ce
,
92 MERCURE
n'eſt pas là le véritable diapazon qui convient à cet
Inſtrument, &que s'il avoit quelque peu plus d'étendue,
c'est-à-dire, quatorze pouces , il en deviendroit
plus agréable , moins dur ; les cadences en feroient
plus faciles , plus brillantes , parce qu'alors on pourroit
y ſubſtituer des cordes d'une nuance plus fine.
Si on confidère que l'Alto ne porte qu'un pouce de
plus que le Violon , pourra-t'on bien ſe perfuader
que cela foit fuffifant pour le faire defcendre d'une
Quinte plus bas , tandis que la Baſſe qui deſcend
d'une octave au-deſſous de l'Alto porte vingt-cinq
pouces d'étendue .
:
J'ai l'honneur d'être très-reſpectueuſement ,
Μ.
P
Votre très-humble & trèsobéifſant
Serviteur ,
N. G. LENDORMY.
GRAVURES.
-
LAN Topo-Hydrographique de la Baie de Gibraltar,
dressésurcelui de M. le Chevalier Renau ,
avec des détails intéreſſfans; par le ſieur de Vezou ,
Géographe. A Paris , chez Lattré , Graveur , rue S.
Jacques , vis- à vis celle de la Parcheminerie , à la
ville de Bordeaux. Plan du Promontoire de la
Ville & du Port de Gibraltar , avec les ouvrages
faits depuis le dernier fiège , & les lignes conftruites
par ordre de Sa Majesté Catholique pour empêcher
la communication de Gibraltar avec l'Espagne,
levé nouvellement ſur les lieux par l'Ingénieur
dellaaPlace.AParis , à la même adreſſe.
Atlas portatifà l'usage des Colleges, pour fervir
àl'intelligence des Auteurs claſſiques , dédié à l'Univerſité
de Paris ; par M. l'Abbé Grenet , Profefſeur
au Collège de Lifieux , format in - 4°. Prix
de chaqueCarte , 12 fols. Complet & relié en par
DEFRANCE 93
chemin verd , 28 livres ; avec un Abrégé de
Géographie ancienne & moderne , in- 12 . Prix , 2 liv.
broché , & relié en parchemin verd, 2 livres 8 fols ,
en veau , 3 livres. Ces deux Ouvrages ſe vendent à
Paris , chez l'Auteur , au Collège de Liſieux , rue
Saint-Jean-de-Beauvais , & chez Colas , Libraire ,
Place de Sorbonne.
Comme nous avons déjà donné à cet Atlas les
juſtes éloges qu'il mérite , & que d'ailleurs il eſt déjà
avantageuſement connu du Public , nous nous bornerons
aujourd'hui à annoncer que l'Auteur a
completé cet Ouvrage utile , & qu'il contient
quarante - quatre Cartes , quinze anciennes & vingtneuf
modernes. Parmi ces dernières ſe trouve celle
des vents généraux & mouſſons de la Zone Torride
, Carte des plus curieuſes.
Chaque Carte ancienne a nue Carte moderne qui
yrépond, excepté la Terre-Sainte & la Palestine &
Syrie , qui n'en ont pas beſoin.
Outre le déplacement de la mer Caſpienne , que
cetOuvrage repréſente du Nord-Ouest au Sud - Est ,
on y trouvera encore un autre changement bien
ſurprenant , fur lequel M. l'Abbé Grenet nous a envoyé
la Note ſuivante : « Que la poſition de la mer
>> Caſpienne n'ait point été connue juſqu'ici, on ne
>> doit point en être ſupris: on ne voyage point
>> dans ces contrées; mais que la Martinique , où
>> les François vont ſi ſouvent , ſoit dans le même
> cas , c'eſt ce qui a droit d'étonner : or il eſt de fait
>> que le Méridien de cette Iſle décline de plus de
*>> trente-trois degrés de la poſition qu'on lui donne
>> dans toutes les Cartes. M. Bonne a corrigé cette
>> erreur d'après les renſeignemens les plus sûrs.
>> Qu'on vienne nous dire après cela qu'il faut fui .
>> vre aveuglément ceux qui nous ont précédé.
M. l'Abbé Grenet a compofé auſli un Abrégé de
Géographie ancienne &moderne pour ſervir à fan
94 MERCURE
Atlas. Cet Ouvrage eſt peu étendu , parce que l'Auteur
a voulu en faire un Livre claſſique. Ce qui en
fait le principal mérite , c'eſt qu'il y règne beaucoup
d'ordre & de clarté ; que les Géographies anciennes
&modernes y font par-tout comparées avec tant
d'exactitude , qu'on apprendra néceſſairement l'une
en apprenant l'autre.
Les Perſonnes de Province qui voudroient ſe procurer
ces deux Ouvrages conjointement ou ſéparément
, les recevront reliés l'un & l'autre en parchemin
francs de port par la poſte pour le même prix
qu'à Paris . On affranchira les lettres de demande &
le port de l'argent.
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 10. Ce Cahier contient
l'ouverture de la Bonne Fille , arrangée par
M. Blin . Un Andanté de J. S. Schroëtter , un Rondo
de Giardini , un morceau d'Ariane : Ah ! j'étois autrefois
innocente & tranquille. L'accompagnement
de M. l'Abbé le Bugle , & un Rondo de Mme Lebrun,
ci -devant Mlle Danzi. Prix, 2 livres. A Paris , chez
Leduc , rue Traverſière- Saint - Honoré , au Magaſin
de Muſique , où l'on s'abonne en tout temps moyennant
is liv. pour douze Cahiers pour Paris & la
Province port franc par la poſte .
Journal de Harpe , n°. 10. Ce Cahier contient
trois Airs & un Duo des plus nouveaux Opéras Comiques
, les Accompagnemens par MM. Couarde ,
Baur, Burchkoffer & Fabry. Prix , 2 livres. A Paris ,
chez Leduc , rue Traverſière- Saint-Honoré , au Magaſin
de Muſique. Le prix de l'abonnemement de ce
Journal eſt de is liv. par année , compoſé de douze
Livraiſons , port franc par la poſte.
DE FRANCE. 95
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'ART d'écrire & d'orthographier , ou Principes
de lecture & d'orthographe , par M. Goullier , Auteur
de pluſieurs Ouvrages de Grammaire , in- 12 . Α
Paris , chez Alexandre Jombert le jeune , Libraire ,
rue Dauphine , près le Pont-Neuf; & chez l'Auteur ,
rue Étienne , près du Pont- Neuf, la porte - cochère
vis-à- vis le Pâtiffier .
Il eſt difficile de trouver des Ouvrages élémentaires
vraiment bons. On c'eſt l'envie de montrer de
l'eſprit qui porte l'Auteur au- deſſus de ſon but , ou
c'eſt faute de lumières qu'il reſte au- deſſous . L'Ouvrageque
nous annonçons aujourd'hui nous a paru ,
par fa méthode , conforme à la néceſſité de claffer
les idées , & de placer à propos les Principes. Un
ſtyle ſimple& clair avec de l'ordre & de la préciſion,
eft toujours deſiré par celui qui veut ſincèrement
s'inſtruire. L'eſprit , qui eſt encore dans ſon enfance,
abeſoin d'une nourriture à moitié digérée. Trop
de crudité dans les leçons le fatigue ſans le nourrir.
L'Auteur de l'Art de lire & d'orthographier adonc
été obligé d'obſerver ſcrupuleuſeinent ces Principes.
Il nous paroît avoir choiſi judicieuſement les objets
principaux qu'il avoit à préſenter , & nous croyons
que cette Collection ne peût être qu'utile dans les
écoles publiques & dans les éducations particulières.
Détail général des fers , fonte , ferrurerie , ferrure
&clouterie , à l'uſage des bâtimens , avec les tarifs
des prix, dédié à Mgr le Duc de Chartres ; par
M. Bonnot , Vérificateur de Serrurerie , Vol. in-8º .
Prix , 6 liv . broché. Se vend maintenant à Paris ,
chez Lamy , Libraire , quai des, Augustins ; & chez
l'Auteur , rue du Four , Carrefour de la Croix-
Rouge, maiſon du Papetier.
..
96 MERCURE
L'Albert moderne , &c. nouvelle Édition , augmentée
d'un Volume. Prix, 6 liv. les deux Volumes
reliés. On vend ſéparément le Tome II. A Paris ,
chez la Veuve Ducheſne , Libraire , rue S. Jacques ,
près de la Place Cambrai.
Nouveaux Contes de Fées, entremêlés de quelques
Hiftoriettes amusantes , pourfervir de ſuite à toutes
les Bibliothèques amusantes ou de campagne , 2 Vol.
in - 12. Prix , 2 liv. 8 ſols brochés , & 3 liv. reliés.
A Paris , chez Deſventes , Libraire , rue Jacob ,
hôtel de Danemarck , Fauxbourg S. Germain ; chez
Lamy, quai des Auguſtins ; à Meaux , chez Paquet ,
Libraire.
Les Jardins , Poëme en quatre Chants du Père
Rapin, traduction nouvelle , avec le texte , par MM.
V***, & G**. , in-8 °. de 149 pages. Prix , 2 liv.
8 ſols broché. A Amſterdam ; & ſe trouve à Paris ,
chez Cailleau , Imprimeur-Libraire , rue Galande ;
Belin , Libraire , rue S. Jacques , près S. Yves ; les
Marchands de Nouveautés.
TABLE.
VERS à Mlle J.... , 49 liade, 68
-AM. Imbert , so L'Arioste François , 73
Le Zéphyr& la Rofe, Fable, Réflexions fur l'Esclavage dés
SI Nègres, 75
78
Damas,
Romance
$2 Variétés, 85
Réponse aux Couplets de M. Comedie Italienne ,
$ Lettre au Rédacteur du Mer-
Enigme& Logogryphe , 154 cure de France,
De l'Electricité du Corps hu-Gravures ,
main , 56Mufique,
Nouvelle Traduction de l'I- Annonces Littéraires ,
APPROΒΑΤΙΟ.Ν. t
१०
92
94
95
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 9 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêchenttimoteion. AParis,
le 8 Novembre 1781. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSI Ε.
T
De PÉTERSBOURG , le 30 Septembre.
LES dernières nouvelles que la Cour a
reçues de Conſtantinople , n'offrent que
des détails ſur les ſuites funeſtes de l'incendie
qui a ravagé cette grande Ville. Si
le mécontentement l'a allumé , il a eu
des effets bien affreux ; on ne voit plus
de tous côtés que de la conſternation &
des ruines. Ce déſaſtre est bien fait pour
étouffer , ou du moins pour ſuſpendre les
cris d'une populace aveugle & féroce qui
demandoit la guerre. Nous ignorons s'il
aura produit cet effet ; en attendant , on
continue ici les préparatifs. Les ordres qui
ont arrêté les troupes déja en marche dans
quelques endroits , n'ont fait que ſuſpendre
leur voyage , à cauſe de l'arrière-faifon ; it
leur a été ordonné de ſe pourvoir de toutes
les choſes néceſſaires ; l'Impératrice a
و Novembre 1782. C
!
( 50 )
accordé 66,000 roubles pour acheter des
chevaux néceſſaires au ſervice de l'artillerie;
elle a ordonné en même- tems des
levées d'hommes dans tout l'Empire ; on
en enrôlera un ſur cent dans chaque endroit
; & on évalue à 90,000 hommes le
nombre de ceux qui ſeront armés ainfi.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , les Octobre.
Le nombre des bâtimens actuellement
dans le Sund , monte à 95 , dont la deſtination
eſt pour la mer du Nord.
Il vient de ſe former à Gluckſtadt une
Compagnie de commerce , à laquelle le
Roi accorde un octroi pour 30 ans. Elle
fera le cabotage & la pêche de la baleine.
Son fond ſera de 200,000 rixdalers diſtribués
par actions. Les Directeurs de cette
Compagnie font le Baron de Zyben , Confeiller
- Privé du Roi & Chancelier de la
Régence de Gluckſtadt , & le Baron de
Lonzow , Chancelier & Conſeiller de la
Régence.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 6 Octobre.
La Reine aſſiſta le 28 du mois dernier ;
pour la première fois depuis ſes couches
au Service Divin , dans la Chapelle du
Château de Drottningholm ; le lendemain
( 31 )
elle vint dans cette Capitale , où elle fut
relevée ſolemnellement; le Baron de Sparre ,
le Corps du Magiſtrat , & les anciens de
la Bourgeoiſie , la complimentèrent ; elle
fit remettre au Baron de Sparre 42,000 écus
monnoie de cuivre , pour être diftribués
aux pauvres priſonniers détenus pour dettes.
Elle fit auſſi des dons à chacune des
Maiſons des orphelins , & aux Francs-
Maçons , qu'elle fit charger de les joindre à
leurs aumônes ordinaires. Le premier de
ce mois elle retourna à Drottningholm.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 8 Octobre.
:
La Diète eſt encore occupée de l'élection
des Membres qui doivent compoſer le nouveau
Conſeil permanent & les différentes
commiffions. Cette opération emporte beaucoup
de tems ; & il paroît que les Nonces
ne pourront pas entamer leurs délibérations
avant la ſemaine prochaine. C'eſt
alors que feront propoſés pluſieurs nouveaux
projets , que le Maréchalde la Dière n'admettra
cependant qu'après les avoir examinés.
Le Général Komorzowski eft parti hier
pour aller recevoir ſur la frontière de ce
Royaume M. & Madame la Comteſſe du
Nord.
Les lettres des frontières de la Turquie
ne font mention que des préparatifs de
C2
( 52 )
guerre qui ſe font dans la plupart des Provinces
Ottomanes ; elles ajoutent qu'on
voit défiler pluſieurs corps de l'Ahe vers
les confins de l'Europe.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le is Octobre.
M. le Comte & Madame la Comteſſe
du Nord font encore dans cette Capitale ;
ils doivent êue raffafiés des fêtes brillantes&
pompeuſes qui ſe ſont renouvellées
par-tout fur leur paffage , on ne leur en
donne pas ici ; ils préfèrent les plaiſirs
fimples & touchans de la campagne , &
ils vont les goûter dans les Châteaux Jes
plus agréablement ſitués dans nos environs.
On parle de leur prochain départ. On
dit que l'Empereur les accompagnera jufqu'à
Brunn , & peut-être juſqu'à Lemberg ,
d'où il ira viſicer les fortereſſes de la
Bohême : il ſe pourroit qu'après çela S.
M. I. allât à Florence , d'où elle ramèneroit
le Prince , fils aîné du Grand- Duc de
Tofcane.
Les Officiers Napolitains qui étoient ici à
la ſuite de l'armée Impériale , pour ſe former
aux manoeuvres militaires , ſe diſpoſent
à retourner dans leur patrie ; on croit qu'ils
partiront dans le mois prochain.
L'Empereur ne néglige rien pour accroître
la population & l'induſtrie dans la Galicie;
il a fait publier le Décret ſuivant en faveur
( 53 )
des artiſans exiſtans & gens de métiers
qui voudront s'y établir.
1º. Les Proteftans pourront y vivre conformément
aux principes de leur religion . 2 ° . Ceux qui
s'y établiront, ſeront reçus gratuitement Bourgeois ,
& ils pourrent exercer leurs profeſſions dans les
villes. 3º. Ceux qui s'établiront à la campagne ,
jouiront des mêmes prérogatives que ceux des
villes. 4º°. Ils feront libres des impofitions perfonnelles
pendant 10 ans. 5º. Ils feront exempts ,
eux & leurs fils aînés , de la milice. 6°. Ceux qui
s'établiront dans le Domaine de S. M. I. , recevront
les matériaux néceſſaires pour la conſtruction de
leurs maiſons ; le bois de conſtruction leur fera
fourni gratuitement ; ils ne payeront les autres
matériaux qu'au prix fixé par la Chambre des Finatices
; & pour en faire le paiement , ils obtiendront
des termes; on leur accordera en outre un
terrein de 1600 toiſes quarrées , pour lequel ils ne
paycront aucun cens pendant 6 ans ; & il leur ſera
autli remis une ſomme de so florins pour l'achat
des inſtrumens de métier ,& des matériaux propres
à leur profcilion . Les Cordiers qui s'établiront
dans la Seigneurie de Sendomir , où il y a des
rivieres navigables , y trouveront toutes les facilités
pour faire des cordes propres aux vaiſſeaux , le
chanvre & la poix y étant en abondance . Celui qui
fournira la meilleure marchandiſede corderie , & qui
indiquera le moyen le plus facile & le plus sûr de
la débiter , obtiendraune récompenſe de soo ducats.
-
De HAMBOURG , le 18 Octobre.
On s'attend toujours à une rupture entre
la Ruffie & la Porte ; elle n'aura pas
d'autre cauſe que les troubles qui ſe ſont
élevés en Crimée , & le parti auquel pa-
C3
( 54 )
roît arrêtée la première de ces Puiſſances
de rétablir l'ancien Kan.
>>>Le Sultan , lit - on dans quelques lettres de
Conſtantinople , verroit avec affez d'indifférence
les Rufſes pacifier à leur gré la Crimée ; l'état de
T'Empire lui rend la paix néceſſaire ; mais le peuple
, pouffé par les Ullemas , demande la guerre
fans ſavoir ſi l'on est en état de la faire & de
foutenir les Tartares dans leur révolte. Le Divan
a été continuellement afſemblé pendant pluſieurs
jours , & l'on ignore encore ce qu'il a décidé. En
attendant , on a augmenté la garde du Serrail ; on
paroît craindre des actes de violence de la part
du peuple & des Janifſaires. Rien de plus critique
que la poſition dans laquelle nous nous trouvons.
Nous avons devant les yeux les débris de plus de
40,000 maiſons brûlées; le feu a détruit encore
Jes caſernes des Janiſſaises & les vaſtes magaſins
où étoient déposés les approvifionnemens néceffaires
pendant un mois à la conſommation des
troupes & à celle de cette ville. On y conſomme
96,000 meſures de grains par ſemaine , & comme
l'exportation des bleds de la Ruſſie a été défendue
du côté de la mer Noire , on craint beaucoup
une famine dont les ſuites ordinaires ici font
le déſeſpoir & la révolte ; dans le moment actuel
où règne la plus grande fermentation , il eſt certain
qu'elle entraîneroit les plus grands excès .
-Le 20 de ce mois ( de Septembre ) , la Sultane
favorite eſt accouchée d'un Prince qui a été nomméMahomet-
Bey. Le Prince Ypsilanti , ci-devant
Hoſpodar de Valachie , eſt arrivé avec une ſuite
très-brillante. Le Boſtangi-Bachi , qui lui fit auſſi-tôt
une vifite , ébloui de tant de richeſſes , lui fit entendre
que la Chambre des Finances Ottomanes
avoit beſoin de'rooo bourſes pour payer les Janiſſaires;
le Prince en avança fur-le-champ 700 , &
il acquitta le reſte peu après".
,
1
( 55 )
On mande de Dreſde que chacun des
régimens d'Infanterie de l'Electeur de Saxe
a été augmenté de 100 hommes , ce qui
portera l'armée de l'Electorat à 26,189
hommes.
>>>On affure , lit- on dans un de nos papiers
qu'il paroîtra inceſſamment une Ordonnance Impé-
Fiale , concernant les Ordres Religieux dans les
Etats héréditaires de la naiſon d'Autriche; on publie
d'avance qu'elle offrira le règlement ſuivant.
1º. Les Prémontrés , les Religieux de Citeaux , &
tous les Ordres qui avoient un Abbé pour Supérieur,
ſeront regardés comme Moines , & porteront
l'habit des Bénédictins ; ils ſeront employés à
enſeigner la philofophie ; ils auront un Général ,
&ils ne pourront plus prendre le titre d'Abbayes.
2°. Les Récollets , les Capucins , les Dominicains ,
les Auguſtins, & en général tous les Ordres Mendians
, porteront un habillement noir ; ils auront
un Général pour 7 ans ; leurs fonctions ſerent le
choeur , la confeſſion & les miſſions . 3 °. Les Théâtins
& tous les Ordres du Clergé Régulier , feront
habillés en noir , ſuivant leur coſtume; leurs fonctions
ſera d'apprendre à lire & à écrire , & d'enſeigner
le cathéchiſme. 4°. Les Trinitaires , les
Frères de la Charité , les Chartrenx & les Hermites
feront ſupprimés «.
On a fait la liſte ſuivante de tous les
Couvens que l'on comptoit dans les Etats
Héréditaires de la Maiſon d'Autriche , à la
mort de feue l'Impératrice Reine ; on dit
qu'elle eſt exacte .
1º. Dans l'Autriche , au-deſſus de l'Enns , 35
couvens d'hommes & de femmes . 2°. Dans l'Autriche
, au-deſſous de l'Enns , 102 couvens d'hommes&
16 de femmes. 39. Dans l'Autriche antérieure
C4
( 56 )
,
18 couvens d'hommes & 47 de femmes. 4. Dans
le Tirol , 60 couvens d'hommes & 29 de femmes .
5°. Dans la Carniole , 28 couvens d'hommes & 10
de femmes . 6°. Dans la Carinthie 17 couvens
d'hommes & ; de femmes. 7°. Dans la Stirie , 59
couvens d'hommes & 10 de femmes. 8°. Dans la
Bohême , 123 couvens d'hommes & 17 de femmes .
9. Dans laMoravic & la Siléſie , 72 couvens d'hommes
& 11 de femmes. 10º. Dans la Gallicie , 222
couvens d'hommes & 32 de femmes. 11º. Dans la
Hongrie , 141 couvens d'hommes & 13 de femmes.
12°. Dans la Transylvanie , 33 couvens d'hommes
& 1 de femmes. 130. Dans la Dalmatie , la Croatie
& l'Esclavonic , 43 couvens d'hommes. 14º. Dans
les Pays-Bas , 179 couvens d'hommes & 213 de
femmes. 15º . Dans la Lombardie Autrichienne ,
270 couvens d'hommes & 197 de femmes ; en tout
1443 couvens d'hommes & 602 couvens de femmes.
-De ce nombre prodigieux de couvens , il n'y ena
pas 100 qui ont été ſupprimés juſqu'à préſent.
On apprend de Nuremberg , que le 7
de ce mois, la Diligence fut pillée pendant
la nuit fur la route de Hofà cette dernière
Ville , entre Luzercith & Berneck . Outre
le Conducteur & le Poftillon , il n'y avoit
dans la Diligence que deux jeunes Ruffes ,
qui alloient à Stuttgard pour y faire leurs
études. Ils ont été très maltraités par les
voleurs , qui étoient au nombre de dix.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 26 Octobre.
Nous n'avons encore de l'Amérique ſeptentrionale
que les nouvelles apportées par
la frégate le Southampton. Le ColonelBal
( 57 )
four , ci-devant Commandant à Charles-
Town , arrivé ſur cette frégate , a eu pluſieurs
conférences avec les Miniſtres ; comme
on n'a rien publié de ce qu'il a rapporté
on eſt réduit à le, conjecturer ; &
entre autres choſes voici ce que l'on en
dit.
Les loyaliſtes de la Caroline méridionale
n'ont pas été moins affectés que ceux de
New-Yorck , des ordres donnés pour l'évacuation
de Charles-Town. On prétend
qu'ils ont envoyé ſur-le-champ une députation
au Général Leflie pour implorer fon
afſiſtance & le déterminer à ne pas exécuter
les ordres qu'il avoit reçus. Le Général
touché de leur ſituation& de leurs plaintesa
, dit- on , fuſpendu cette exécution , &
a fait des repréſentations à Sir Guy Carleton
en lui demandant des inftructions ultérieures
que ce dernier fait demander à fon tour à
notre Miniſtère. On prétend qu'il s'eſt tenu
un conſeil de guerre ſur ce ſujet , mais on
varie fur fon réſultat; ſelon les uns , l'ordre
d'évacuer Charles-Town eſt confirmé , &
ſelon les autres il a été révoqué. Ceux qui
tiennent pour la première verfion annon
cent d'avance que le Général Leflie s'y attendant
, avoit commencé par détruire une
partie des fortifications de la place pour l'abandonner
dans un état où elle ne pût être
d'une grande refſource aux Américains .
>> Sa garniſon , diſent à cette occafion ceux de nos
papiers qui croient à l'évacuation de ce pofte , confifte
cs
( 38 )
en 4200 hommes; le corps des Loyaliſtes en forme
1400. C'eſt à quoi ſe réduiſent toutes nos forces
dans la Caroline, la plupart de ces troupes ſont compoſées
d'étrangers; on craint fort qu'ils ne trouvent
le moyen de refter en arrière & de s'attacher aux
Américains , qui vraisemblablement ſont maintenant
enpoffeffionde cette place ; de manière qu'il ne nous
reſte actuellement aucun pofte entre la Floride &
New-Yorck. Il eſt honteux de l'évacuer après l'avoir
poffédée fi long-tems. Quelle douleur ne doit-on pas
avoir en voyant un pays auſſi beau , auſſi fertile que
la Caroline méridionale démembré de la Goutonne
Britannique. Cette Province fourniſſoit annuellement
cent millepeaux de daim ,indépendamment de divers
autres articles très - précieux de commerce. Ses
champs fertiles fourniſſent aujourd'hui aux François
le ris en abondance «.
Ceux qui croient que l'abandon de Charles-
Town eſt ſuſpendu , s'appuient de la lettre
fuivante en date du 14 Septembre , écrite
de Shandy- Hook par un Officier de l'eſcadre
de l'Amiral Pigot , & qui contient d'autres
détails relatifs à cette eſcadre.
>> Nous arrivâmes ici le 4 de ce mois , & fûmes
auſſitôt joints par le Warrior & l'Invincible , qui ,
après s'être réparés à la Jamaïque , ſe hâtèrent de
nous ſuivre à New-Yorck , prenant par le paſſage
du Vent. Notre eſcadre eſt actuellement composée
de 26 vaiſſeaux de ligne , d'un vaiſſeau de so &
de 7 frégates. Notre traverſée de la Jamaïque ici
a été de 7 ſemaines : nous avons cu un tems favorable;
nous avons croisé pendant is jours à la
hasteur de la Havane pour protéger nos convois ,
objet dans lequel nous avons eu un plein ſuccès.
Nous avons changé de poſition , 13 de nos vaifſeaux
de ligne étant actuellement affourchés à Staten-
Iſland, tandis que l'Amiral Pigot & le reſte de l'ef-
1
( رو (
cadre font mouillés par le travers de New-Yorck.
Il y a ici des proviſions en abondance , & l'on nous
donne de la viande fraîche deux fois par ſemaine.
Il y a peu de légumes à cauſe de la ſécherefle de
la ſaiſon, dont on s'eſt plaint généralement fur
cette côte. Nous trouvâmes 8000 hommes de troupes
Angloiſes , campés à King's-Bridge , & environ
4830 hommes formant divers petits camps aux
environs de New-Yorck. L'armée rébelle aux ordres
de Washington , eſt à White- Plains ( Plaines
blanches ) , & nous apprenons qu'il a été joint dernièrement
par un Corps confidérable de troupes
Françoiſes. Nous avons des avis certains de Bofton
, que le Magnifique , de 74 canons , le Triomphant,
de 84 , & un troiſième vaiſſeau de ligne
ont échoué en entrant dans le Havre de Boſton ;
le premier paroît perdu ſans reſſource , & les deux
autres font tellement déſemparés , qu'on ne pourra
s'en ſervir qu'après de grandes & peut- être longues
réparations. Les François ont to vaiſſeaux de ligne
Boſton, qui font tous dans l'état le plus délâbré.
Le Magnificent a mis à la voile il y a quelques
jours pour Halifax , où il doit être abattu en carêne
& être réparé, ce vaiſſeau ayant eſſuyé beaucoup
de dommage lorſqu'il échoua à la Jamaïque. Je
me félicite de pouvoir vous apprendre que l'éva.
cuation deCharles-Town eſt contre-mandée ; elle devoit
avoir lieu le to Octobre , mais il paroît qu'il
n'en eſt plus du tout queſtion. Le Lion , le Chatam
, &c. font en mer; le Prince William eſt à
bord du dernier. Le Contre-Amiral Digby a hiſffé
de nouveau ſon pavillon , à bord du Prince- George.
Je ſuis fâché de vous apprendre que la ſanté du
Lord Hood n'est pas trop bonne. On l'attribue en
grande partie à un coup violent qu'il reçut au front ,
ſa tête ayant porté par hafard contre un banc. Je
ne faurois mieux terminer ma lettre , qu'en vous
diſant que tous les équipages ſont en bonne ſanté &
c6
(60)
remplis d'ardeur , & que nous avons des vivres à
difcrétion. On compte que nous partirons d'ici
vers la fin d Octobie; de forte que nous ferons
probablement a Ste- Lucievers la fin deNovembre ".
Il te peut qu'à New-Yorck on n'ait pas
eu à cette époque des nouvelles bien fûres
de l'état de l'efcadre Françoiſe à Boſton ;
des lettres de ce dernier port , en date du
15 Septembre , ne parlent point de cesgrands
dommages ; elles rendent compte même
d'une fêre donnée à bord du Triomphant
qui n'auroit pas été choiſi pour cela s'il
avoit été fi fort endommagé ; on n'auroit pas
ſuſpendu des réparations que la circonſtance
rend preffantes.
Il y a en Mardi huit jours , diſent ces lettres du 15,
que S. E. le Gouverneur-Général , M. de Choifi & fa
foite , S. E. le Lieutenant-Gouverneur , Thonorable
Confeil, &le Préſident du Sénat , avec leurs familles,
le Conful-Général de France , & un grand nombre
de perſonnes de distinction des deux ſexes , ont dîné
àbord du Triomphant , mouillant actuellementdans
le port de Boíton . Ils avoient été invités par S. E. le
Marquis de Vaudreuil , Commandant enChefde l'armée
navale de S. M. T. C. Le Gouverneur & certe
reſpectable compagnie , en ſe rendant à bord du
Triomphant , (or les chaloupes de l'Amiral , ont éré
ſalués par le canon du Château & les acclamations
répétées des équipages de toute la flotte. Au moment
où ils font arrivés à bord , ils ont éré reçus avec tou
tes les marques d'attention&de civilité imaginables,
par le Marquis, ſes Officiers &un grand nombre des
principasx Officiers de la flotte. A ceste occafion
l'Amiral avoit fait conſtruire fur le pont de ſon vaiſ
ſeau , un vaſte appartement formé avec des tapifferies
, &c. dans lequel toute la compagnie ſe rangea
( 61 )
autour de quatre tables. La fête , avec tout ce qui en
dépendoit , a été élégante & fplendide au fuprême
degré ; les marques animées de refpect & d'amitié
réciproques entre les deux Nations n'y ont laiflé men
àdefirer.-Après dîné , on a bu à la ſanté du Roi ,
de la Reine & du Dauphin de France , des Etats- Unis
d'Amérique , du Congrè , du Général Washington;
on a auffi donné pour toast , une alliance perpétuelle
entre la France & l'Amérique , & nombre d'autres
toafts ou ſantés analogues à l'eſprit de la fête , ont
été annoncées par l'Amiral avec une décharge d'artillerie.
Parmi les recherches innombrables & remarquables
, prodiguées en cette occafion , pour éviter
l'inconvénient réſultant de ce qu'on eût été trop
prèsdu fracas de l'artillerie , un autre vaiſſeau commandant
, mouillé à une diſtance convenable , donnoit
les fignaux d'honneur. Au retour de cette fête ,
leGouverneur & toute la Compagnie , furent encore
complimentés par les acclamations des équipages des
vaiſſeaux , par le canon du Duc de Bourgogne , &
enfuite par celui du Château. De pareils témoigna
ges d'amitié doivent être fingulièment ag éables à
tous ceux qui ont à coeur l'Indépendance de l'Amérique,
fi heureuſement ſupportée par notre alliance
avec la France. - Samedi dernier S E, le Gouverneur
, le Marquis de Vaudreuil , le Général M. de
Choifi , & un grand nombre de perſonnes de rang
&de distinction , François & Américains , ont dîné
à bord du Duc de Bourgogne , vaiſſeau commandant
, mortant 8. canons ; ils avoient été invités
par le Chevalier d'Eſpinouſe , chef-d'eſcadre , qui le
commande. La même élégance , la même ſplendeur
, les mêntes témoignages d'amitié mutuelle
les mêmes marques d'honneur ont été développés
en cette occafion à la ſatiſaction fans égale de chaque
convive.
Parmi les lettres apportées par le Sou
thampton , la Cour n'a publié que les ex-
D
( 62)
traits d'une de P'Amiral Digby en date de
New-Yorck le 4 Septembre ; elle ne contient
que les détails ſuivans.
Vous voudrez bien informer l'Amirauté que
M. Parvis , Commandant du floop de S. M. le
Duc de Chartres , en revenant du Sud , a rencontré
l'Aigle de 22 canons & de 136 hommes d'équipage
, appartenant au Roi de France , forti du Cap-
François avec des dépêches pour l'eſcadre Françoiſe ,
&qu'après un rude combat d'une heure, il l'a pris
& l'a amené ici . Quoique le Duc de Chartres ait
eu ſes mâts , voiles & agêts très -endommagés , il
a eu le bonheur de ne pas perde un ſeul homme ,
tandis qu'à bord de l'Aigle le premier Capitaine
a été tué , 2 Officiers bleſles , & 12 hommes tués &
13 bleſſés . L'Amiral Pigot , Commandant en
chef des vaiſſeaux de S. Maux Iſles du Vent , a
envoyé à M. Stephens , dans ſes lettres du is Août
&du 24 Septembre , la liſte des priſes faites par
Peſcadre , fous les ordres .-Le nombre des bâtimens
eſt de 12. - Le nombre des vaiſfeaux &
bâtimens détruit eſt de 9 «.
-
Ces nouvelles n'apprennent rien de bien
piquant. Nos papiers y ſuppléent par cellesci
que nous extrairons.
>> Il eſt pa ti de New Yorck pour Portsmouth dans
la nouvelle Anglertere , une petite efcadre , aux ordres
du contre-Amiral Hood. On dit que l'objet de
cette expéduion eſt de prendre ou de détruire les 3
vaiffe ux de guerre François qui ont relâché dans ce
port pour s'y réparer «.
>>L>es dernières lettres de New-Yorck nous apprennent
que leGénéral Washington a traves ſé la rivière
Hodson , & que M. le Comte de Rochambeau qui
s'étoit m's en marche pour les joindre avec l'armée
Franç ife avoit effectué ſa jo Aion; les raiſons qu'on
donne de cemouvement font que l'armée peut forcer
( 63 )
les ComtésduNord àpayer leurs taxes , & protéger
en même tems l'eſcadre Françoiſe à Boſton , contre
laquelle il eſt à croire que l'expédition du Lord Hood
eſt destinée «.
>> Les Américains ont réuſſi à prévenir les Nations
Indiennes en leur faveur & en celle de leur
Allié. Les Iroquois qui étoient autrefois ſi attachés
à l'Angleterre , en font , dit-on , maintenant les
plus grands ennemis. Ces Sauvages ſont les plus
puiſſans & les plus nombreux ; ils n'ont jamais
été errans comme les autres tribus ; ils habitent
encore le pays où ils vivoient avant la découverte
de l'Amérique; ils ont le véritable eſprit de liberté ,
& n'ont jamais été conquis; ils ont eu même toujours
l'avantage ſur leurs ennemis ".
>> On écrit de la nouvelle Jerſey que le fort
nº. VIII, fitué à pen de milles au-deſſus de Kinsbrigde
, a été ſurpris par un détachement de l'armée
du Général Washington , campée aux blanches,
& que 200 Heſſois , qui en formoient la
garniſon, ont été faits prifoenters «.
En attendant que Charles-Town ſoit évacué ,
Savanah l'a été ; ſa garnifon conſiſtant en 1300hommes
eſt arrivée à New-Yorck le 10 Août; elle a été
manquée de bien peu par l'eſcadre Françoiſe qui n'a
pas tardé à paroître dans ces parages ; heureuſement
cette garnifon étoit déja en sûreté «.
>>Dans une aſſemblée tenue à New-Yorck , lit- on
dans une lettre de Philadelphie , les Loyalistes ( aina
qu'on les appelle ) ont follicité Sir Guy Carleton de
leur fournir des munitions & proviſions lorſque les
troupes Britanniques abandonneront la Ville , étant
déterminés àdéfendre la place juſqu'à la dernière extrémité
, plutôt que de ſe ſoumettre à la merci de
leur pays ; Sir Guy leur a répondu , que l'on prendroit
ſon de tous ceux qui voudroient paſſer en
Anglererre; cette offre n'ayant pas paru générale-
* ment bien conſolante , il s'éleva beaucoup de dif
( 64 )
putes , on envint aux mains , & entr'autres M. Mat
thews , le Maire , ſe trouva au nombre des maltraités
Pluſieurs Officiers des corps Volontaires de
New York ont brûlé leurs uniformes , & juré
qu'ils ne porteroient jamais d'habit rouge : la
Milice a refufé de faire le ſervice ; en un mot ,
ſelon les meilleures informations , la confufion règne
dans toute cette ville .
Un bateau à baleine appartenant aux Réfugiés ,
commandé par le Capitaine Perry de New- York ,
a été pris , en revenant de croiſière , par le Capitaine
Willis qui ſortoit d'Egg - Harbourg ; Perry
avoit à bord 20 negres , dont pluſieurs ont die
qu'il les avort enlevés en Virginie ; les negres ont
été logés dans la priſon de Burlington juſqu'à ce
qu'ils foient jugés de bonne priſe.
On croit l'Amiral Pigot actuellement erroute
pour les ifles ; c'eſt à la fin de ce mois
qu'il devoit mettre à la voile. Son voyage
fur les côtes de l'Amérique ſeptentrionale
n'aura pas produit grand effet ; il ſe ſera
réduit a affurer l'arrivée de la garniſon de
Charles- Town à New-Yorck ſi l'évacuation
de cette place a réellement lieu , comime
cela est vraiſemblable , puiſque les tranf
ports qui devoient aller la recueillir avoient
mis à la voile avant le départ du Southampton
qui nous a inſtruit de ces détails.
Les doutes qu'on élève encore ſur cette
opération ne tarderont pas à être levés ; le
paquebot que Sir Guy- Carleton avoit retenu
, ne fauroit tarder à arriver s'il eſt ſorti
de Shandy-Hook quatre jours après le Sou
thampton ; il peut cependant avoir été retardé
encore juſqu'à l'arrivée à New-Yorck
( 65 )
de la garniſon de Charles-Town , dont il
nous donnera ſans doute des nouvelles.
Nous n'avons point de nouvelles des
Ifles , où il ne ſe paſſe rien d'intéreſſant ,
& d'où il ne faut attendre aucune nouvelle
importante avant que l'Amiral Pigot
y ſoit de retour ; c'eſt alors que nos forces
agiront ſans doute pour tâcher de reprendre
les établiſſemens dont nos ennemis ſe ſont
emparés , & que nous n'avons pas été juſqu'ici
en état de leur enlever , malgré nos
avantages. On débite que le 15 Août , il
y a eu à la Baffe-Terre de la Guadeloupe
un grand incendie qui a conſumé pluſieurs
maiſons , & fait beaucoup de dommages ;
mais on n'a aucun détail ſur lequel l'on
puiffe compter.
Le fort qu'a éprouvé la flotte de la Ja
maïque nous donne beaucoup d'inquiétude
pour celui de la flotte de Québec , qui quoique
moins nombreuſe , eſt preſque auſſi
précieuſe pour nous ; nous n'avons encore
reçu aucune nouvelle authentique de fon
arrivée dans le Canada .
On n'a pas de moindres alarmes pour
la Ville deParis & les autres vaiſſeaux de
guerre qui convoyoient la flotte de la Jamaïque
; on eſpère cependant que ces vaifſeaux
auront relâché à Terre Neuve. Selon
les marins la proximité où ils étoient de
cette ifle , & la nature du vent qui les y
pouſſoit , rendent cetre préſomption plus
que vraiſemblable ; dans ce cas , on ne
:
( 66 )
doit point s'attendre à en recevoir des nou
velles d'ici à quelque tems. On peut ſe former
une idée de la tempête affreuſe qu'a
effuyée cette flotte par la lettre ſuivante
d'un paſſager à bord d'un des bâtimens , à
un de ſes amis .
>> Je ſuis enfin arrivé de mon voyage aux
Indes Occidentales . A mon retour , j'ai été le témoin
& preſque la victime du ſpectacle le plus tragique
, qui jamais ait excité la compaffion. L'Au
guftus- César , capitaine Fowler, à bord duquel je
me trouvois en qualité de paſſager , joignit le 22
Août la flotte , compoſée d'environ 100 navires
marchands , d'un bâtiment armé , d'un vivrier &
d'an navire d'hopital , le tout eſcorté par ſept vaiſ
ſeaux de ligne & une frégate. Il ne ſe pafla rien
de remarquable juſqu'au 3 Septembre ; ce jour-là
Hector nous quitta. Mais le 8 du même mois le
vent redoubla avec une telle violence , que dès le
lendemain le Caton donnoit déja un fignal de détreffe.
Ce vaiſſeau avoit une voie d'eau fi confidé
rable, qu'il ſe trouva forcé de nous quitter; &
l'amiral Graves , jugea à propos d'ordonner à la
frégate la Pallas , de conduire ce vaificau à Halifax.
La flotte ſe trouvoit le 19 près des bancs
de Newfoundland , à 42 degrés 15 min. de latitude
& 48 degrés ss min. de longitude , alors
compoſée de 80 voiles , outre les vaiſſeaux d'efcorte.
Elle fut de nouveau affaillie par un ouragan
terrible , qui commença à huit heures du ſoir
& continua juſqu'à trois heures du matin : le tems
parut ſe calmer un moment; mais ce fut pour
nous faire fentir de nouvelles rigueurs. Les vents
foufflèrent avec une impétuofité , dont les plus anciens
marins n'avoient pas d'idée. Notre voile de
miſaine & celle d'artimon furent déchirées . Les
vagues enlevèrent la chambre du Capitaine , avec
( 67 )
tout ce qui s'y trouvoit; le vaiſſeau étoit fi avant
dans l'eau , que s'il n'eût été un des bâtimens les
plus forts , il n'auroitjamais pu échapper. Nos pac.
vres matelots ſe trouveient épuisés de fatigue ,
à force de pomper , & pour ſurcroît de malheur ,
le roulis fit ſauter un canon de ſa place. Entre les
cingà fix heures le tems ſe calma ; mais tout , autour
de nous donnoit des fignaux de détreſſe.
Le Glorieux , vaiſſeau de guerre , n'avoit plus que
ſon grand mât & celui d'artimon ; le Ramillies
n'en avoit plus ; le Centaure étoit totalement démâté.
D'une part , on ne voyoit que débris flottans
& couverts de naufragés , qui fai oient tous
leurs efforts pour nous informer de leur déſaſtre ,
luttant contre la fureur des vagues , s'efforçant à
émouvoir notre corapaffion , dans un moment où
nous ne pouvions leur donner que des larmes ;
notre propre vaiſſeau étoit entouré de requins voraces
, qui à l'approche de chaque ho le ſemblcient
attendre leur proie avec impatience Le
vent s'étant un peu appaiſe entre huit & neuf heures
, nous nous flattâmes de voir la fin de cet ou
ragan terrible ; mais vainement! la tempête s'éleva
de nouveau &les vents ſoufflèrent impétueuſement
juſqu'au vendredi. Deux jours après nous arraifonnâmes
un bâtiment marchand , qui avoit donné
un ſignal de détreſle ; c'étoit l'Anna , capitaine
Sherren; il nous pria de ne le pas quitter juſqu'au
lendemain, matin , & de recueillir ſon monde à
bord de notre navire : ce que le capitaine Fowler
promit & exécuta avec l'humanité qui le caractériſe.
L'Equipage de l'Anna , compofé de hommes
abandonna ce bâtiment entièrement délabré
&fut reçu ſur le nôtre. L'après midi nous vîmes
19 navires marchands , ſous l'eſcorte du Ramillies
qui tira un coup de détreſſe; nous apprimes
que l'intention de l'Amiral étoit d'abandonner le
lendemain matin ſon vaiſſeau; il demandoit à ces
,
) ( 68 )
effet que tous les autres bâtimens reſtaſſent avec
lui . Le ſamedi matin, après la perte de ſes voiles ,
de tous ſes mats , excepté celui de miſaine , le
gouvernail & le pont du milieu briſés , tous les
canons , la poudre , les boulets , les ancres , les
cables jettés en mer , ayant déja plus de neufpieds
d'eau , l'Amiral ſe décida à l'abandonner , & après
avoir envoyé ſon monde à bord des autres bâtimens
, il ordonna d'y mettre le feu l'après - midi .
La fumée & les flammes horribles qui , de toutes
parts , fortoient du Ramillies , la quantité de cha
loupes en iner , occupées au transport de cet équi
page , joint à l'importance de cette perte , formoment
un tableau des plus frappans . Le capitaine
Fowler accueillit à ſon bord le Capitaine , & quatre
Officiers & so matelots ou mariniers , qu'il a
tous amenés heureaſement en Angleterre &.
L'heureuſe arrivée des quatre navires de
la Compagnie des Indes le Duc de Portland ,
le Ponfomby , le Contracter & la Royale-
Charlotte ſous l'eſcorte du Medway de 64
canons, a confolé nos négocians, mais elle ne
les dédommage pas du déſaſtre qu'a éprouvé
la flotte de la Jamaïque. Ces navires font
entrés à Porafmouth ; ils étoient partis de
Sainte-Hélène le 7 Août.
>>Les chargemens de ces 4 vaiſſeaux , dit un
de nos papiers , font regardés comme égalant en
valeur ceux des plus riches qui ſoient jamais venus
d'Afie. Ils ont été à Madraſs & en Chine. Leurs
équipages ſont preſqu'entièrement Lafcars , leurs
matelots ayant été preſſés immédiatement après leur
arrivéedans l'Inde pour équiper les vaiſſeaux de S.M.
Les opérations diſpendieuſes qui ont eu lieu for le
Continent , ont réduit les finances de la Compagnie
à un très-triſte état; ce dérangement a oc
( 69 )
caſionné de très-grands inconvéniens, & rendu très
précaires les moyens de continuer la guerre contre
Hyder -Aly. L'armée de cet ennemi redoutable ,
avant la jonction des troupes Françoiſes , montoit
à75,000 hommes , dont la plupart étoient de Cavalerie;
on ajoute qu'ils font mal diſciplinés. Les
François qui l'ont joint lui ont fourni un train conſidérable
d'artillerie. Depuis ſa dernière défaite
Hyder - Aly a reçu de ſon pays un renfort de
20,000 hommes de Cavalerie ".
On attend toujours avec autant d'impatience
que de curioſité des nouvelles de la
million de l'Amiral Howe. On s'attend qu'il
pourra bien les apporter lui même ; ſi les
vents qui règnent dans le Détroit pendant
cette ſaiſon ſont ordinairement dangereux ,
ils peuvent lui devenir favorables ; & dans
ce moment il doit avoir manqué ſon expédition
ou l'avoir achevée heureuſement ,
&être en route pour revenir.
>> Le Lord George Gordon , dit un de nos papiers
, vient de ſe remettre encore en ſpectacle. Il
a écrit au Comte de Shelburne pour lui demander
fi le Cabinet actuel de S. M. approuvoit la déclaration
contenue dans la lettre que l'on dit avoiς
été envoyée par le Chevalier Guy-Carleton & par
l'Amiral Digby , au Général Washington , ſavoir :
>> Que le Roi pour éviter tous les obſtacles qui
pourroient s'oppoſer au rétabliſſement de la paix ,
qu'il a fi fort à coeur , a chargé ſes Miniftres
d'ordonner à M. Grenville de commencer par propoſer
Tindépendance des Etats - Unis , au lieu
d'en faire une des conditions d'un traité général «.
le Lord Gordon dit qu'il ne fait cette démarche que
ſur les inſtances réitérées des corps les plus conuderables
des ſujets de S. M. dans le Royaume d'Ecoſſe ;
( 70 )
&il ajoute qu'en effet cette prétendue lettre n'étant
ni reconnue authentiquement , ni déſavouée par le
Miniſtère, donnelieu a de vivesinquiétudes parmi les
partis oppoſés . Ceux qui defirent ardemment la paix
avec leurs frères les Américains , craignent que ce
ne ſoit une pièce ſuppoſée ; & ceux qui ont approuvé
&foutenu la guerre , regardent avec chagrin le ſalence
du Cabinet comme une preuve de ſon authenticité.
Il ſe plaint , au nom des Ecoſſois , de la méintelligencequi
ſemble régner dans le Cabinet,&va même
juſqu'à dire que les Peuples penſent qu'on ſe joue de
l'honneur des Royaumes unis ; il finit par prier le
Lord Shelburne de lui marquer d'une manière précife
ſi la propoſition de l'indépendance eſt en effer
une meſure approuvée ou non par le ministère de
S. M.
FRANCE.
De VERSAILLES , les Novembre:
Le Roi a nommé à l'Abbaye de S. Epvre ,
Ordre de S. Benoît , Diocèse de Toul
l'Evêque de Meaux ; à l'Abbaye de Chaumont-
la-Piſcine , Ordre de Prémontré ,Diocèſe
de Reims , l'Abbé de St - Albin ; à
l'Abbaye de Peſſeigne , Ordre de Citeaux ,
Diocèſe du Mans , l'Abbé Pericaud , fur la
nomination &préſentation de Monfieur , en
vertu de fon apanage .
De PARIS , les Novembre.
LES Couriers du Cabinet d'Eſpagne ſe
ſont ſuccédés affez rapidement. Il en eſt ar-
2
( 71 )
rivé deux la ſemaine dernière ; le premie
ne donna aucune nouvelle des flottes depuis
qu'on les avoit perdues de vûe le 14 au ſoir.
Il nous apprit que Mgr. le Comte d'Artois
étoit parti du camp le 19 , & M. le Duc
de Bourbon le 16 ; ces Princes étoient attendus
à Madrid le 27 & le 28. Le plus
grand nombre des bâtimens échoués dans la
nuit du 10 au 11 , & fur-tout les chaloupes
canonnières, avoient été relevées. Le vaiſſeau
Anglois de 60 canons , qui avoit mouillé à
la pointe d'Europe , & qu'on croyoit être
le Panthère , en avoit appareillé pour entrer
dans la Méditerranée ; il craignoit les bombardes
qu'on ſe préparoit à envoyer de ce
côré la nuit ſuivante. Il étoit auſſi queſtion à
Algéſiras d'aller brûler le St- Michel , échoué ,
comme on l'a dit , près du Boulevard neuf
entre les Môles.
Le ſecond Courier qui arriva le lendemain
, informa l'Ambaſſadeur d'Eſpagne ,
que l'Amiral Howe, favorisé par le vent, étoit
forti de la Méditerranée ſans avoir pu être
entamée. Il avoit laiffé à Gibraltar le reſte de
fon convoi , & le 19 il s'éloignoit. L'armée
combinée avoit paru ce jour-là dans le Détroit
, & n'étoit éloignée que d'une lieue &
demie de la flotte Angloiſe.
Il paroît , d'après une lettre particulière ;
que la nuit du 15 , l'Amiral Howe , en éteignant
ſcs feux , parvint à ſe derober à la vûe
de l'armée combinée ; qu'il profita enſuite
( 72 )
d'un vent d'eſt qui dura quelques heures ;
pour faire paffer une partie de ſon efcadre
dans labaie deGibraltar , car l'autre arrêtée
par le vent d'oueſt , fut près d'un jour de
l'autre côté du Détroit. L'armée combinée
pouffée au loin par les vents qui régnoient
le 14 & le 15 , ne put revenir ſur ſes pas
auſſi vite que les vaiſſeaux Anglois , & ne
parut dans le Détroit que le 19 ; mais il
n'étoit plus tems ; l'Amiral Howe favorisé
par une autre briſe de l'eſt , parvint à ſe rallier
entièrement ce jour là avec les vaiſſeaux
entrés la veille , & il s'éloigna. Il faut qu'il
ait eubeau tems depuis ce moment , car fi
le vent d'ouest l'avoit forcé de rétrograder
&d'entrer une ſeconde fois dans le Détroit ,
nous le ſaurions aujourd'hui.
Les journaux du camp de St Roch apportés
par ces Couriers , contiennent les
détails ſuivans fur les difficultés que leGouverneur
de la place avoit fait naître au ſujet
de l'échange des prifonniers.
» Il avoit envoyé à différentes repriſes le Commandant
de ſa Marine , à Puente-Majorca , & M. de
Maflarado avoit été lui-même àGibraltar , pour conférer
avec lui & lever toutes les difficultés, M. Elliot
vouloit d'abord envoyer à San-Lucar un Commiſſaire,
chargé d'examiner ſi l'on pouvoit renvoyer en Angicterre
le même nombre de priſonniers qu'il alloit
remettre aux Eſpagnols. It ne prétendoit rien moins
quede les faire embarquer ſous les yeux de ce Com
miflaire. Une défiance auſſi injurieuſe fit refuſer tou
tes ſes propoſitions , & M. Elliot fut obligé de ſe
contenter de la parole qu'on donna , de ſuivre dans
/
cet
( 73 )
cet échange les règles établies par le cartel convenu
entre les deux Cours ; il renvoya donc tous les prifonniers
le 8 au matin , excepté 46 foldats , Walons,
Suiſſes , &c. qui ont pris parti dans ſes troupes .
Ceux qui font revenus au Camp ne peuvent pas
comprendre le metif qui a déterminé leurs camarades
à
-Ces
s'engager au ſervice de la place , les travaux,
étant exceſſifs , les troupes alors réduites à la demiration
, & n'ayant pas même la quantité d'eau néceſſaire
à leurs beſoins les plus ordinares
petites tracaſſeries & la conduite da Gouverneur
Elliot , dans des occaſions plus importantes , font
cauſe qu'on est fort mécontent de lui dans le Camp
depuis l'attaque des batteries flottantes ; non pas ,
comme l'ont prétendu ridiculement pluſieurs gazettes
étrangères , qu'il n'eût pas le droit de tirer a boulets
rouges ſur les prames ; mais on lui reproche
avec raiſon de s'être ſervi de ces machines deftructives
contre des bâtimens battus par la tempête ; le
Triomphant fut accueilli de cette mantère à l'inftant
où il alloit périr. Le Général Elliot auroit dû ſe
ſouvenir qu'en pareille circonftance , & en tems de
guerre , un Gouverneur de la Havane fut plus
humain& plus généreux ; il ne fit pas tirer à boulets
rouges ſur le vaiſſeau Arglois , que la tempête
lui envoycit , il ne le reçut pas même à coups de
canon ; mais l'ayant accueilli amicalement , il pourvut
à ſes beſoins , lui donna tout le tems qu'il lui
falloit pour ſe réparer , & le renvoya , ne vou'ant
pas , dit- il , profiter du hafard malheureux qui
Lavoit forcé de relâcher dans un Port ennemi " .
Les mêmes nouvelles d'Eſpagne porrent
que le 16 le vaiſſeau le Sceptre & la frégate
l'Engageante qui ont fait l'expédition
de la baie d'Hudſon , ſont entrés dans le
port de Cadix.
M. le Comte d'Estaing qui avoit pris
9 Novembre 1782 . d
1
( 74 )
congé da Roi , il y a quelques jours , eft
parti Vendredi dernier.
>>> Le Réfléchi & la Provence , écrit-on de Breft ,
font revenus de leur croiſière ; ils ont amené 2 ou
3 priſes . Le Conquérant va bientôt mettre ſous
voile , pour aller croiſer dans nos eaux avec 2
frégates.-Le Conſeil de guerre pour le Pégase &
l'Actionnaire , a terminé entièrement ſes léances
&rendu fon jugement , qui a été envoyé à la Cour.
Un autre Conteil de guerre va s'aſſembler , pour
s'occuper des Capitaines qui ont rendu à l'ennemi
le Caton & le Jafon , ainſi que la frégate l'Hébé «.
On lit dans des lettres de différens, ports
les détails ſuivans ſur les croiſières de quel
ques-uns de nos corfires.
Le 20 du mois dernier le corſaire de Dunkerque
l'Aigle a déposé dans ce port les prifonniers de 3
bâtimens dont il s'étoit emparé le 18 à la hauteur de
Torbay ; l'une de ces priſes est l'Aurore de 160 tonneaux
, chargée de ſel à Liverpool pour Linn , qui eſt
arrivée le lendemain dans le même port ; la deuxième
la Liberté d'environ 120 tonneaux , chargée de lard ,
de boeuf , de beurre & de douvelles , partie de Dublin
pour Londres , a été conduite le 21 au Havre.
-Le 21 , la caiche Angloiſe la Petite Renommée ,
du port de 60 tonneaux , percée pour to canons ,
entra à Calais ; elle alloit de Portsmouth à Londres
, chargée de cordages & de voiles ; & elle
a été prie par 3 Américains échappés des priſons ,
qui traverſoient la Manche dans une chaloupe qu'ils
avoient e levée à l'Ifle de Wight. -Les corfaires
de Dunkerque le Gros Thomas &le Rongeur y envoyèrent
le 24; le premier , le brigantin Anglois le
Friendship de 80 tonneaux & le ſhop le William
& l'Elifabeth de 100 ; le ſecond , deux bricqs Anglois
la Rofe & Jean & \' Unité. La Comteffe
d'Avauxde Dunkerque, conduifit le 18 à Cherbourg
( 75 )
lenavireAnglois la Pallas de 350 tonneaux , chargé
de ſucre , rum & gingembre. Il faifoit partie de la
flotte de la Jamaïque dont il avoit été léparé le 17
Sept. Le 16 , il étoit arivé dans le même port le
bricy Anglois la Marie-Anne du port de 60 tonneaux
, avec un chargement de 40 milliers de fer de
différente eſpèce , pris le 14 dans ſa toute de Jerſey
àDarmouth par le corſaire Hollandois le Fleſſinguois
qui a conduit au Havre un autre bâtiment Anglois le
Guillaume-Marie de 80 tonneaux , chargé detel. Le
24 , il a conduit à Cherbourg 2 autres priſes qu'il
avoit faites la veille ; le floop l'Amphitrite de so
tonneaux , allant de Guernesey à Londres avec un
chargementde vins , & les Deux- Frères de 60 tonneaux
allant ſur ſon leſt deJerſey à Southampton . Ce
corſaire a repris ſur-le-champ ſa croifière & s'eſt
emparé le lendemain 25 du pavire Anglois le Oack
de 230 tonneaux chargé de charbon de terre. Cette
priſe eſt arrivée le 27 en France.- Le 21 , un bricq
Eſpagnol d'environ 130 tonneaux entra à St-Malo.
Cebâtiment pris ſur les côtes d'Eſpagne par un corſaire
de Jerſey , étoit en route pour cette Iſle , lorf
qu'il s'eſt affalé ſur la côte de Bretagne ignorant
dans quels parages il étoit. Un Pilote Côtier de St-
Caft , croyant que c'étoit un navire François , ſe
rendit à bord pour le piloter & fut fort furpris de ſe
trouver parmi des Anglois. Le Maître de priſe inftroit
par le Pilote qu'il étoit ſur les côtes deBretagne,
voulut le forcer à gouverner lur Jerſey ; mais celuici
en le menaçant du fort la Latte ſous la portée duquel
il ſe trouvoit , parvint à conferver la barre &
àconduire le navire à St- Malo . Le corſaire Améri
cain le Boucanier de 20 canons a fait s priſes depuis
le 7 juſqu au 16 Octobre , dont 2 allant de la Jamaïque
à Londres , une de Québec à Bristol une de
Sainte-Lucie à Liverpool , & un paquebot allant de
Lisbonne à Fa mouth . I eſt entré à l'Orient avec
une priſe venant de la Jamaïque «.
d 2
( 76 )
On apprend de Toulon que le Crescent,
l'une des frégates qui avoient été pouffées du
Détroit de Gibraltar dans la Méditerranée
avec le St-Paul , la nuit du 10 au II du
mois dernier , eſt entré dans ce port. On
y a appris auſſi de Smyrne que le convoi
François deſtiné pour le Levant y étoit
arrivé. Il conſiſtoit en 17 bâtimens marchands
, dont 13 pour Smyrne & 4 pour
Conſtantinople ; ces derniers ont continué
leur route ſous l'eſcorte de la frégate le
Bordeaux,
>> Les gabarres la Gracieuse , la Durance & le
Rhône , commandées par M. Maurit , Lieutenant
de frégate , & par 2 Officiers auxiliaires , ajoutent
les mêmes lettres de Toulon , qui étoient parties il
y a quelque tems de ce Port , chargées de munitions
de guerre pour les vaiſſeaux du Roi , détachés aux
Mes , font revenus de leur miſſion & ont mouillé
le 14 dans cette rade,- Les corvettes la Poulette
& la Sardine , commandées par MM. le Chevalier
de Cogolin & de Font-Blanche , Lieutenants de vail
ſeau , font en rade , & n'attendent que l'ordre de
mettre à la voile. La Sirène , commandée par M.
Roubaud , Lieutenant de frégate , après avoir débar
quédes bois demâture & effuyé un léger radoub, a été
auſſi miſe en rade. Les 35 bâtimens de tranf
port, qui ont été frétés pour être chargés de munitions
de guerre & de bouche , font toujours dans
le Port ; on ignore leur destination .
M. Delpeche de Montereau , Conſeiller-
Honoraire en la Grand Chambre , de la Société
Royale d'Agriculture , qui a bien voulu
nous faire paffer 2 recettes pour empêcher
( 77 )
la bruine des bleds que nous avons in
férées dans un des Journaux du mois der
nier page 128 , nous a adreffé encore la
lettre ſuivante au ſujet de celle de M. de
Chanvallon. Les réflexions d'un citoyen
également diftingué par ſes places & par
fes talens fur l'uſage d'une drogue auffi
dangereuſe que l'arſenic ne ſauroient être
trop publiques.
>> Je crois devoir vous obſerver , M. , ſur la
Lettre qui veus a été écrite , & que vous avez
rapportée dans votre Journal page 180 , au ſujer
de l'Arſenic qu'on peut mettre avec sûreté dans la
ſemence des Bleds, que je perſiſterai toujours à
dire que cet ingrédient peut être fort dangere x
pour le Semeur qui n'y feroit pas la plus grande
attention : pourquoi , M , ne pas préférer la Recette
que je vous ai envoyée , comme aufli sûre
pour préſerver les Bleds de la bruine , & qui n'eft
point dangereuse , en ayant fait l'expérience dans
mes terres pendant 20 années , ainſi que la plus
grande partie des fermiers du Soiffonnois ?-Mon
état m'oblige de veiller à la sûreté des Citoyens :
l'Arfenic , ce poifon ſi ſubtil & fi défendu , devien
droit donc commun chez tous les Laboureurs ? Sou
vent leur armoire n'eſt point fermée ; un voisin mal
intentionné, même un enfant pourroit s'y méprendre
, & s'en ſervir ; une distraction coûteroit la
vie à ce Cultivateur : que d'accidents fâcheux na
pourroit-il point arriver ! Il faut donc éviter avec
ſoin tout ce qui peut nuire à l'humanité ; & la vie
d'un Citoyen eſt trop précieuſe à l'Etat pour ne
pas chercher tous les moyens de la lui conſerver :
je ſuis même perfuadé que le Gouvernement donneroit
des ordres pour empêcher l'uſage de l'Arfenic.-
Je vous prie , M. , de faire part de mes
₫ 3
( 78 )
obſervations dans votre premier Journal. Je fuis ,
figné DELPECH DE MONTEREAU , Confeiller honoraire
en la Grand Chambre & membre de la Société
Royale d'Agriculture «.
On a éprouvé le 19 du mois dernier ,
dans la Paroiſſe de Beuré près Vendeuvres ,
Election de Bar fur-Aube , un incendie qui
a réduit en cendres 45 maiſons & les granges
qui en dépendoient. Les habitans infortunés
n'ont pu ſauver que très-peu de
meubles ; ce déſaſtre a réduit à l'état le plus
fâcheux près de 200 perſonnes , la plupart
des Laboureurs , qui n'avoient pas fini leurs
femailles ,& qui ne peuvent les achever fans
fecours ; la plupart fans habits , fans logemens
, fans pain , ſans fourrages pour leurs
beftiaux , ont des droits à la pitié & la bienfaiſance.
Les perſonnes charitables qui voudront
leur faire paſſer les ſecours dont ils
ont un ſi preſſant beſoin , ſont priées de
les dépoſer chez M. Fieffé , Notaire , place
Baudoyer à Paris.
Parmi les différens tours de Filouterie &
Eſcroquerie , que la Justice panit tous les jours ,
celui de Catherine Lege , femme de Robert Leiſelet ,
que la tournelle da parlement de Paris à come
damné par ſon arrêt du 8 Août dernier , à être
attachée , au Carcan pendant 2 heures , un jour
de marché dans la ville dEffoye , avec écriteau
portant ce mot Efcroque & la comdamne en.
3 liv. damende , mérite d'être remarqué. L'Arrêt
imprimé & affiché porte les motifs de ſa condamnation
, elle a été déclarée duement atteinte
& convaincue d'avoir abuſé de la foibleffe & crédulité
de différens particuliers ;en ſe faiſant paſſfer
( 79 )
dans leur efprit pour une femme qui avoit le talent
de guérir ceux à qui quelqu'un avoit donné
& jetté des forts ; & pour les guérir , elle leur .
faifoit boire de l'eau - bénire , leur ordonnoit des
neuvaines , & de faire dire des meſſes au St-Eſprit ,
&par le moyen des cartes qu'elle tiroit , elle difoit
connoître la nature des ſorts jettés , & pouvoir
indiquer les perſonnes qui les avoient donné ;
ce qui excitoit des querelles & animofités trèsgrandes
dans les familles. Elle n'oublioit pas de
retirer des ſalaires de ſes peines ; elle ſe faifoic
donner par les uns pluſieurs ſommes d'argent , ou
faifoit faire par les autres des billets au profit
de fon mari <«.
Il y a dans les mines de Villefort dans
les Cévennes , 14 milliers de cuivre roſette
de la meilleure qualité , à vendre , à
raiſon de 22 fols la livre , priſe ſur les
lieux , & payables à Paris entre les mains
de M. Sorer , rue Vivienne , à l'Hôtel de
laCaiſſe d'Eſcompte. M. Soret a des échantillons
de ce cuivre à montrer aux acquéreurs.
Ontrouve auſſi ſur la mine , du plomb
dont on peut traiter à meſure des fontes.
Le Sr. Pain , Maître- ès-Arts de l'Univerſité
de Paris , ci-devant Maître de Penfion à Pontoiſe
voulant borner ſes ſoins à former un très - petit
nombre d'Elèves choiſis dans toute l'étendue du
Pian qu'il a donné en 1773 s'eft retiré à Vaureal ,
dans un emplacement commode , & très- falubre ,
fur les berds de l'Oife , à une liene de Pontoiſe.
Dans ce qui concerne l'étude des langues ; il joint
à la méthode très- connue du Dumarſais , la marche
indiquée dans les eſſais qui terminent l'ouvrage
qui a pour titre manière d'étudier les Langues.
It donne à ſes Elèves des leçons d'Hiſtoire
d 4
( 80 )
facrée , profane & nationale , de Géographie ,
de Sphère , d'Atithmétique , d'Algébre & de Géométrie
, à meſure que leur conception ſe développe.
Les ſuccès qu'il a obtenus tant qu'il lui a
été permis d'employer à Pontoiſe ſa méthode
particulière , ſont pour le Public les garants de
fon zèle. Le 25 du mois d'Août de chaque année ,
ſes Elèves rendront compte dans un exercice public
des leçons qu'il leur aura données. Il ne prend
pas plus de huit Jeunes - Gens. Le prix de la Penfion
eſt de 400 liv. par an . Le Maître de Mufique
ſeul n'y eſt pas compris. Encouragé par le
fuccès que ſa méthode a eu en pluſieurs occafions ,
& fur- tout avec des perſonnes conſtituées en place
aujourdhui , il ſe chargera de montrer le Latin ,
en douze ou quinze mois au plus , à un ou deux
Jeunes-Geus de feize ans. Dans ce cas le prix ſera
de 600 liv. , pour le tems qu'ils reſteront chez
lui. Les perſonnes qui défireront quelque détail ,
pourront s'adreſſer au Sr. Pain , à Vaureal près
Pontoiſe «.
On fait combien la Géographie a été juſqu'ici
négligée dans les Colléges, ſans doute
parce qu'on manquoit de cartes commodes
& qu'on n'avoit pas encore trouvé de plan
convenable pour enfeigner cette ſcience
dans les claffes les plus nombreuſes. M.
l'Abbé Grenet , Profeffeur au Collége de
Lisieux , vient de lever tous ces obſtacles
par l'Atlas & le plan qu'il vient de publier.
(1) Atlas porratif à l'uſage des Colléges , pour ſervir à l'intelligence
des Auteurs Claſſiques , dédié à l'Univerſité de Paris
, par M. l'Abbé Grenet , 44 Cartes , dont is anciennes &
29 modernes format in 4°. A Paris chez l'Auteur au
Collége de Lisieux , rue St Jean-de-Beauvais , & Colas , Libraire
, Place de Sorbonne. Le prix de l'Atlas , relié en parche(
81 )
1
On ne peut qu'en recommander l'ufage aux
Maîtres publics & particuliers ; fon ouvrage
n'eſt pas ſeulement utile à la jeuneſſe,
il est néceflaire à tous ceux qui liſent l'Hiftoire
ancienne & moderne ; les ſavans
même y trouveront de quoi ſe ſatisfaire. La
beauté de la gravure , l'exactitude du deffin ,
ne ſont pas l'unique mérite de cet Atlas ;
il corrige une multitude d'erreurs qui ſe
trouvent fur la plupart des cartes même
les plus eftimées ; on en jugera en voyant
celle de la mer Cafpienne dont le mértdien
décline de plus de 30 degrés , de la
Martinique dont le méridien décline également
de plus de 33 degrés , &c. tout
fait de cet Atlas une collection précieufe
qui doit mériter à M. l'Abbé Grenet la
reconnoiſſance du Public , & fartout celle
de la jeuneſſe dont il est le bienfaiteur.
On écrit de Besançon , que lors de la
naiſſance de Monſeigneur le Dauphin , les
Officiers municipaux de cette ville, pour
attirer plus fûrement la faveur du Ciel fur
les jours précieux de ce Prince , en fupprimant
alors les feux d'artifice & les repas
d'uſage , s'étoient mis en état de faire élever
quarante enfans qu'ils choiſirent dans la
min vert eſt de 28 liv . , chaque Carte ſéparément coûte 12 f.
La Géographie du même Auteur , 1 vol. in- 12 coûte , relié en
parchemin vert , 2 liv . 8 & 3 liv. relié en veau . Les perfonnes
de Province qui defireroient ſe procurer l'une & l'autre les
trouveront aux prix ci deſſus, francs de ports , en s'adreſſant
à l'Auteur. Elles affranchiront l'argent & les lettres de de
mandes.
ds
( 82 )
claſſe la plus indigente du peuple. Dans
l'eſpace d'onze mois , il n'en eſt mort que
trois .
J. Louis- François Bouin de Noiré , Seigneur
de Chezelles , Savari , &c . & c. , Conſeiller
d'Etat , Premier Préſident, Lieutenant-
Général du Bailliage Royal & Siége Préſidial
de Touraine , eft mort le 19 de ce mois ,
fort regretté dans tout le pays .
Jeanne-Françoiſe d'Avy , veuve de Jacques
de Nicole , Comte de Livarot , Meſtre-decamp
de Dragons , & précédemment Aidede-
camp de Charles XII , eſt morte au
Château de Mesnil-Durand en Normandie ,
dans ſa 75º année.
>> Henri Sibillion , écrit- on de Dourdan , né à
Montaiſon en Dauphiné le 14 Juillet 1678 , eft
décéde à Longwy , diocèſe de Trèves , le 18 du
préſent mois d'Octobre , âgé de 104 ans ; mois ;
il prit le parti des armes à l'âge de 22 ans , ſous
le règne de Louis XIV , dans le régiment de Bourgogne
cavalerie; il a terminé ſon ſervice à la
mort de ce grand Roi ; il s'eſt marié à l'âge de
38 ans , vécut avec ſon épouſe l'eſpace de 56 ; il
étoit veuf depuis re ans. Ce reſpectable vieillard ,
n'a eſſuyé aucune maladie pendant ſa vie , & a
conſervé toute ſa gaieté , ſa connoiſſance , & fon
appétit juſqu'au dernier inſtant. Il étoit père de
cinq enfans , dont deux ſont morts accidentellement
au ſervice du Roi , les autres font d'une
conftitution à pouſſer leur carrière auſſi loin: nous
renons ces particularités d'un de ſes petits - fils ,
maître de Penſion à Dourdan 10 lienes de Paris ".
Le Numéros ſortis au Tirage de la Loterie
( 83 )
Royale de France , du 2 de ce mois , font :
55,22,21,86 & 72 .
De BRUXELLES , les Novembre.
LES recherches ſur l'état de la marine
Hollandoiſe , ſa direction , & les cauſes de
fon inaction , occupent toujours les différentes
Provinces. Maintenant elles étendent
ces recherches aux motifs qui ont empêché
le départ des vaiſſeaux de 60 canons , 3
de so , une frégate de 36 , une de 24 , &
un cutter , ſous les ordres du Vice-Amiral
Hartfinck , pour agir de concert avec la
France. Les Etats de Friſe ont les premiers
pris une réſolution ſur ce ſujet ; ceux de
Hollande & de Weſtfriſe en ont pris une
ſemblable. On croit que dans les autres
Provinces il en ſera pris de pareilles ; les
cauſes qui ſe ſont oppoſées à cet envoi font ,
dit- on, le manque de vivres , de cordages
de voiles , d'ancres , d'habits pour les équipages
, & autres articles néceſſaires.
ככ Comment est-il poſſible, obſervent les Etats
de Friſe , que ces vaiſſeaux qui, ſuivant les étars
de la Marine avoient été mis en commiſſion juf
qu'au premier Mai 1783 , manquent à préſent de
vivres , puiſque le tems de leur ſervice n'est pas
ſi près d'expirer , & que les vaiſſeaux ont été renfermés,
pour ainſi dire, tout ce tems dans les ports;
qu'ainſi les Capitaines qui ſeuls font tenus de pourvoir
leurs équipages de vivres , paroiffent avoir
eu l'occaſion & la facilité de remplacer de tems
en tems ce qui leur manqueit ?- Comment est- il
arrivé que ces vaiſſeaux qui devoient s'attendre
journellement à recevoir l'ordre de fortir , & par
d 6
( 84 )
conféquent à un combat avec l'ennemi , qui même
avoient déja reçu à cet effet les ordres de V. A. ,
aient manqué de voiles de rechangé & de cordages
, vu qu'en cas d'action , on devoit certainement
s'attendre que les voiles qu'ils porteroient feroient
percées & rendues inutiles , & qu'ainſi l'on ſerois
obligé d'en enverguer d'autres à leur place c«,
En attendant les éclairciſſemens que follicitent
les Provinces , ont dit que le Stadhouder
a jugé à propos d'établir un Comité
, qui le ſoulagera dans la direction des
affaires de la marine . Ce Comité eſt compoſe
du Lieutenant Amiral Baron de Waffenaer ,
des Vice-Amiraux Reynst & Zoutman , du
contre Amiral Vankinsbergen , & de MM.
Biſdom &Vander Hoop , Conſeillers fiſcaux
de l'Amirauté aux départemens de la Meuſe
&d'Amſterdam .
L'affaire de l'Enſeigne de Witte , prifonnier
à la Haye , & jugé par le Conſeil militaire
, fait beaucoup de bruit. Comme le
coupable a été réclamé par les Etats de Hollande,
& que le Stadhouder croit qu'il a
été jugé par un Tribunal compétent , il a
expoſé le fait aux Etats-Genéraux , dans une
lettre dont nous extrairons ſeulement l'hiftorique
du délit.
>> Il y a quelque tems que nous avons été informés
qu'on avoit découvert à M.le Grand Penfionnaire
, qu'il ſe tramoit un plan pour introduire à
la faveur des nuits obfcures d'Octobre , 1500 ernemis
au Nord de l'Ile de Schowen , au Sud de
Goerée & vis-à-vis de Flaquée. Cer avis étant de
la dernière conféquence, nous avons envoyé deue
( 85 )
Officiers de marque à Brouwershaven , avec ordre
de faire des recherches & de s'empater de l'Enfeigne
de Witte & de ſes papiers. Cer Enſeigne conduit
à la Haye , a été mis en joſtice & diverſes
fois interrogé devant le haut Confeil de guerre
des Pays-Bas-Unis. Il a confeffé en ſubſtance, qu'il
avoit premis à un certain Jardinier , tenant une
pépinière d'arbres , nommé,Van- Brakel , qui lui
en avoit fait la propoſition, de favorifer & fecourir
l'ennemi lorſqu'il pourroit entreprendre une
defcente ſur l'Iſle de Schouwen , & que lui de Witte
tâcheroit de commander ſeul à Brouwershaven ,
ainſi qu'à la batterie nommée Den-Os ; qu'il avoir
indiqué de bouche & par écrit à Van-Brakel, combien
il y avoit de batteries & de pièces de canon
dans l'Ifle , par combien d'Officiers & dhommes
elles étoient gardées , & qui commande à Hamfſtede;
qu'il avoit donné à Brakel une petire Carte
de l'ifle de Schouwen , laquelle n'éroit pas bien
deffinée , mais fatisfaiſante pour l'uſage ; que fur
cette peti e Carte étoient marqués les bancs, les
non-profondeurs , ainſi que la hauteur des eaux atour
de l'Ifle , & qu'il avoit promis une autre Carte
mieux deſſinée .... Le prifonnier a affirmé folemnellement
qu'il n'avoit jamais parlé à qui que ce
foit de cette affaire , qu'à Van-Brakel. Les interrogations
finies , il a été jugé ; après quoi leHaut-
Confeil a propoſé de faire faire des recherches
contre Brakel , par ſon juge compétent , on crut
donc devoir en donner connoiffance à la Cour de
Hollande , en yjoignant les pièces da procès , &c.
Suite du Traité entre les Provinces-Unies des Pays-
Bas & les Etats Unis de l'Amérique.
5°. Leurs Hautes Puiſſances les Erars -Géné
raux des Pays Bas-Unis , & les Etats- Unis de l'Amérique
, tâcheront , autant qu'il eſt en leur pouvoir
de défendre & protéger 2 tous les vaiſſeaux
( 86 )
&autres effets appartenants aux ſujets & habi
tans reſpectifs , ou à quelqu'un d'eux , dans leurs
ports ou rades , mers internes , paſſes , rivières ,
& auffi loin que leur Jurisdiction s'etend en mer ,
& de recouvrer & faire reſtituer aux vrais propriétaires
, àleurs agens ou mandataires , tous tels
vaiſſeaux & effets , qui feront pris ſous leurs Jurifdictions
; & leurs vaiſſeaux de guerre convoyants ,
dans le cas où ils pourroient avoir un ennemi commun,
prendront ſous leur protection tous les vaiſ
ſeaux appartenants aux fojets & habitans de part
& d'autre , qui ne feront point chargés d'effets de
contrebande , felon la deſcription qu'on en fera ciaprès
, pour des places , avec leſquelles l'une des
parties eſt en paix & l'autre en guerre , ni deftinés
pour quelque place bloquée , & qui tiendront
le même cours ou foivront la même route ; & ils
défendront tels vaiſſeaux auſſi long-tems qu'ils tiendront
le même cours ou fuivront la même route ,
contre toute attaque , force & violence de l'ennemi
commun , de la même manière qu'ils devroient
protéger & défendre les vaiſſeaux , appartenants
aux ſujets propres reſpectifs . 69. Les ſujets
des parties contractantes pourront , de part &
d'autre , dans les pays & Etats reſpectifs , diſpoſer
de leurs biens par testament , donation , ou autrement;
& leurs héritiers , ſujets de l'une des parties
& domiciliés dans les pays de l'autre ouailleurs
, recevront telles ſucceſſions , même ab inteftat
, ſoit en perſonne , ſoit par leur fondé de
procuration ou mandataire , quand même ils n'auroient
pas obtenu des lettres de naturaliſation , fans
que l'effet de telle commiſſion puiſſe leur être conteſté
, ſous prétexte de quelques droits ou préiogatives
de quelque province, ville ou particulier .;
&, fi les héritiers , à qui les ſucceſſions pourroient
être échues , étoient mineurs , les tuteurs
ou curateurs , établis par le juge domiciliaire def.
( 87 )
dits mineurs , pourront régir , diriger , adminifther
, vendre & aliéner les biens échus auxdits mineurs
par héritage , & , en général , à l'égard des
ſuſdites ſucceſſions & biens , uſer de tous les droits
& remplir toutes les fonctions , qui appartiennent
par la diſpoſition des loix à des tuteurs & curateurs
, bien entendu néanmoins , que cette diſpoſi
tion ne pourra avoir lieu que dans le cas eù le
teſtareur n'aura pas nommé des tuteurs ou curateurs
par teftament codicile , ou autre inſtrument
légal . 7°. Il ſera juſte & permis aux ſujets de chaque
partie d'employer tels avocats , procureurs ,
notaires , folliciteurs ou facteurs , qu'ils jugeront
à propos. 8°. Les marchands , patrons & propriétaires
des navires , matelots , gens de toute forte ,
vaiſſeaux & bâtimens , & en général aucunes marchandiſes
ni aucuns effets de chacun des alliés ou
de leurs ſujets , ne pourront être aſſujettis à un embargo
ni retenus dans aucun des pays , territoires ,
ifles , villes, places , ports, rivages ou domaines quelconque
de l'autre allié , pour quelque expédition
militaire , uſage public ou particulier de qui que
ce foit , par ſaiſie, par force , en de quelque manière
ſemblable. D'autant moins ſera - t - il permis
aux ſujets de chacune des parties de prendre ou enlever
par force quelque choſe aux ſujets de l'autre
partie ſans le confentement du propriétaire.
Ce qui néanmoins ne doit pas s'entendre des
ſaiſies détentions , & arrêts , qui ſe feront
par ordre & autorité de la Juſtice , & felon les
voies ordinaires , pour dettes ou délits , au ſujet
deſquels il devra être procédé par voie de droit
ſelon les formes de Juſtice. 9°. De plus , il a été
convenu & conclu , qu'il fera parfaitement loiſfible à
tous Marchands , Commandans de navires & autres
ſujets des parties contractantes , en tous lieux ſoumis
reſpectivement à la jurisdiction des deux Pail
ſances , de gérer eux-mêmes leurs propres affai-
,
,
( 88 )
,
res ; & qu'en outre , quant à l'uſage des interpretes
on courtiers , comme auffi à l'égard du chargement
ou déchargement de leurs navires & de tout ce
qui y a rapport, ils ſerant , de part & d'autre ,
conſidérés & traités fur le pied des ſujets propres,
&, pour le moins en égalité avec la nation la
plus favorisée. 10º. Les vaiſſeaux marchands de
chacune des parties , venans , ſoit d'un port ennemi ,
ou du leur propre , & d'un neutre , pourront naviguer
librement vers un port d'un des ennemis d'un
autre allié ; mais feront obligés auſſi ſouvent qu'on
le leur demandera , d'exhiber leurs lettres de mer
& autres congés , décrits dans le 24e. article , auffi
bien en pleive mer que dans les ports ; montrant
expreffément que leurs effers ne font pas de ceux
qui font prohibés comme contrebande , & que n'etant
chargés d'aucune contrebande , ils peuvent
poursuivre leur voyage librement & fans empechement
, vers un port ennemi ; mais l'on n'exigera
aucune vifire des papiers , des vaiſeaux qui
feront ſous le convoi de navires de guerre; & l'on
ajoutera foi à la parole de l'Officier qui conduit
le convoi. 11º. Au cas qu'à l'inſpection des lettres
de mer & autres congés déduits plus au long
dans le 246. article, l'autre partie découvre qu'il
y a quelques-uns de cette forte d'effets qui font
declarés prohibés & de contrebande & deſtinés pour
un port, ſous la dépendance de l'ennemi , il ne ſera
pas permis de briſer les caiffes d'un tel vaiſſeau
ni d'ouvrir aucun coffre , caiffe , malle , paquet ou
quelque barril qui s'y trouveront , ni de déplacer
la moindre partie de ſes effets ; foir que de tels
vaiſſeaux appartienent aux ſujets de LL. HH. PP.
les Etats-Généraux des pays Bas-Unis , ou aux fujets
& habitans deſdits Etats-Unis de l'Amérique;
àmoins que la cargaifon ne foit portée à terre en
préſence des Officiers de la Cour d'Amirauté &
qu'il n'en foit fair un inventaire; mais il ne fera
) و (
permis en aucune façon de les vendre , échanger
ou aliéner , que lorſque des procédures convenables
& légitimes auront été faites contre ces fortes
d'effets de contrebande , & que la Cour d'Amirauté
les aura confiſqués par une ſentence pros
noncée , mais laitſant toujours libre , ſoit le vaif
ſeau, ſoit quelques autres des effets y trouvés , qui
font regardés comme libres & ne pourront être
retenus ſous prétexte qu'ils auroient reçu la tache
d'effets prohibés ; encore moins feront-ils confil
qués comme priſe légitime. Mais , au contraire ,
quand il ſera trouvé dans une viſite ſur terre , qu'il
n'y a aucune denrée de contrebande dans les vail
feaux , & qu'il ne paroît pas à l'infpection des
papiers , que le capteur & l'ameneut aient pu le
découvrir par-là, il ſera condamné à tous les frais
& dommages qu'il aura cauſés aux propriétaires
& aux fréteurs des effets dans ces vaiſſeaux , avec
les intérécs ; étant expreſſément déclaré , qu'un vai
fean franc affranchira les effets qui fontà fon bord,
& que cette franchiſe s'étendra fur les perſonnes
qui s'y trouveront ; leſquelles n'en pourront être
enlevées , à moins qu'elles ne foient des gens de
guerre , au ſervice effectif de l'ennemi. 12º. Au
contraire , il est convenu que tout ce que l'on trouvera
chargé par les ſujets & habitans dune des
deux parties , dans quelque vaiffeau , appartenant
aux ennemis d'un autre , ou à leurs ſujers , pourra
être entièrement confifqué , quoique n'étant pas
de l'eſpèce des effets prohibés , de la mêmee manière
que s'ils appartenoient à l'ennemi à l'exceptionde
tels effets & marchandiſes qui auront éτά
portés à bord d'un tel vaiſſeau avant la déclaration
de guerre , ou dans les fix mois après cette
déclaration ; lesquels effets ne feront aucunement
ſujets à confiſcation , mais feront reſtitués en nature
, fidèlement & fans délai , aux propriétaires
qui les demanderont , ou les feront demander avec
,
( 90 )
la confiſcation & la vente ; ainſi que le provenu
d'iceux , fi la reclame peut ſe faire dans les huit
mois après la vente qu'il faudra faire publiquement;
mais au cas que leſdites marchandiſes ſeient
de contrebande , il ne ſera plus permis de les
tranſporter après cela , dans quelque port appartenant
aux ennemis . 13 °. Afin que l'on puiſſe prendre
le plus grand foin pour la ſécurité des ſujets
&des gens de l'une des deux parties , afin qu'ils
n'ayent à ſouffrir aucune moleftation des vaiſſeaux
de guerre ou corſaires d'une autre partie , il ſera
fait défenſe à tous les commandans des vaiſſeaux
de guerre & des bâtimens armés de dits Etats-Généraux
des Pays- Bas-Unis & deſdits Etats-Unis de
l'Amérique , ainſi qu'à tous les Officiers , ſujets &
gens , de caufer aucune offenſe ou dommage
à ceux de l'autre partie ; & s'ils agiffent autrement
, ils feront , aux premières plaintes qu'on en
fera , punis par leurs propres Juges & obligés en
outre de donner fatisfaction pour tous les dommages
, avec les intérêts d'iceux , & l'indemnifation,
ſous peine & engagement de leurs perſonnes
& de leurs biens. 14°. Pour mieux expliquer ce que
ci-deſſus, tous les capitaines ou fréteurs de vaificaur,
équipés en guerre , pour une commiffion ou deftinationparticulière
, feront tenus , avant leur départ ,
de donner bonne & fuffisante caution devant les Juges
compétens , ou de répondre entout des malverſations
qu'ils pourroient commettre dans leurs courſes
ou leurs voyages , & pour les contraventions de
leurs Capitaines & Officiers au Traité préſent , &
aux Ordonnances & Edits qui ſeront publiés , en
vertu& en conformité des diſpoſitions d'icelui , fous
peine de caſſation & de nullité deſdites Commiffions.
15º . Tous les vaiſſeaux & marchandises de
telle nature qu'elles ſoient , qui ſeroient repris des
pirates & corſaires naviguans en pleine mer fans
( 91 )
commiffion convenable , feront conduits dans quelque
port d'un des deux Etats , & feront confiés à
la garde des Officiers du port , afin d'être entièrement
reftitués au propriétaire légitime , auſſi - tôt
qu'il ſera fourni des preuves fufifantes & convenables
de leur propriété. 16°º. Si quelques bâtimens
ou vaiſſeaux , appartenans à l'une des deux Parties ,
àſes ſujets ou habitans , viennent à échouer , périr
ou effuyer quelqu'autre dommage maritume ſur les
côtes ou les domaines d'une autre , on donnera
toute affiftance & fecours d'amis aux perſonnes qui
auront fait naufrage , ou qui se trouveront dans le
péril. Et les vaſſeaux , effets & marchandises , &
tout ce qui pourra être ſauvé , ou le provenu d'icelui
, au cas que ces effets ſoient de nature s ſe garer ,
ſeront vendus , le tout par les patrons , ou par les
propriétaires , ou par leurs ayant-canſe, & réclamés
dans l'année & jour , pourvu qu'ils acquittent feulement
les dépenses raisonnables , & ce qui doit
être payé par les propres Sujets dans un cas ſemblable,
pour le ſalaire des effets ſauvés : des lettres
de paſſe-port leur feront pareillement délivrées pour
leur paſſage libre & tranquille de cet endroit , &
pour le retour de chacun dans ſon propre pays.
17º. Au cas que les ſujets ou habitans de l'une des
deux Parties , avec leurs vaiſſeaux , ſoit naviguans
en public & en guerre , ſoit équipés en particulier
& pour le commerce , foient contraints par un tems
orageux , par la chaſſe des corfaires ou des ennemis
, ou par quelque autre néceffité preſſante , pour
gagner un alyle ou port , de ſe retirer dans quelqu'ane
des rivières , criques , bayes , rades ou côtes
, appartenant à l'autre partie , ils ſeront reçus
avec toute l'humanité & la bonne volonté ; & on
leur permettra de ſe rafraîchir & de ſe pourvoir
àdes prix raiſonnables , de proviſions de bouche
& de toutes choſes néceſſaires pour l'entretien
( 92 )
1
>
,
de leurs perſonnes oa réparation de leurs
vaiſſeaux ; & ils ne feront aucunement retenus
ou empêchés de ſortir defdits ports ou rades ;
mais ils pourront mettre à la voile & partir ,
quand & où il leur plaira , fans aucun obstacle ou
empêchément . 18°. Pour mieux continuer le commerce
réciproque , il eſt convenu que s'il ſurvenoit
une guerre entre Leurs Hautes- Puiſſances les
Erats-Généraux des Pays- Bas - Unis & les Etats-
Uns de l'Amérique il ſera toujours donné
aux Sajets de l'un ou de l'aatre Partie , le terme de
neuf mois , après la date de la rupture ou de la
déclaration de guerre , pour pouvoir ſe retirer avec
tous leurs effess , & pour les tranſporter ou il leur
plaira; ce qui leur fera permis de faire , ainſi que
de pouvoir vendre ou tranſporter leurs effets ou
meubles en toute liberté, fans qu'on leur cauſe en
cela aucune moleftation , ſans que , pendant le tems
defdits neuf mois , on puitſe procéder à quelque
arrêt ſur leur perſonne : mais il leur ſera , au contraire
, pour leurs vaiſſeaux & effers qu'ils vou
dront emmener avec eux , délivré des lettres de
paffe-port pour les plus prochains ports de l'un ou
de l'autre pays , pour le tems néceſſaire à ce voyage.
En outre , on ne déclarera rien de ce qui aura été
enlevé fur mer , de bonne priſe , à moins que la
déclaration de guerre n'ait été connue ou n'ait pu
l'être dans le port que le vaiſſeau pris aura quitté
le dernier ; mais il fera , avant tout, donné pleine
fatisfaction pour ce qui auroit été pris aux ſujets
ou habitans de l'une ou de l'autre Partie dans les
termes ſtipulés ci-deſſus , & pour les offenſes qu'on
pourroit leur avoir faite. 19°. Aucun Sajet de
LL. HH. PP. les Etats - Généraux des Pays -Bar-
Unis , ne pourra demander ou accepter d'aucun
Prince ou Etat , avec lequel leſdits Etats- Unis
( 93 )
de l'Amérique peuvent être en guerre , quelque
commiffion ou lestre de marque pour armer
quelque vaiſſeau ou vaiſſeaux , pour agir comme
armateur contre leſdits Etats - Unis de l'Amérique
, ou quelqu'un d'eux , ou contre les ſujets
& habitans deſdits Etats -Unis , ou quelqu'un d'entr'eux
, ou contre les propriétés des habitans d'aucund'eux;
ni aucun ſujet ou habitant deſdits Etats-
Unis de l'Amérique ni d'aucun d'eux , ne pourra
demander on accepter d'aucun Prince ou Etat , avec
lequel LL. HH. PP. les Etats-Généraux des Pays-
Unis ſeroient en guerre , aucune commiffion ou
lettre de marque , pour armer quelque vaiſſean ou
vaiſſeaux , pour aller en courſe contre leſdits Sei.
gneurs Etats -Généraux , ou contre les ſujets ou
habitans deſdits , ou quelqu'un d'eux , ou la propriété
de quelqu'un d'eux ; & fi quelque perſonne
de l'une des deux accepte telles commiſſions ou
'lettres de marque , elle fera panie comme forban.
20°. Les vailleaux des ſujets ou habitans de l'une
des deux Parties , arrivant à quelque côte , appartenant
à l'un ou l'autre Confédérés , mais n'étant
pas dans le deſſein d'entrer dans un port où y étant
entrés , ne cherchant pas à décharger leurs cargaiſons
ou à rompre leurs charges , ou à les augmenter
, ne feront pas tenus de payer pour leurs
vaiſſeaux on cargaifons , aucun droit d'entrée ou
de fortie, ni de rendre aucun compte de leurs cargaiſons;
à moins qu'il n'y ait des ſoupçons légitimes
, qu'ils tranſportent des marchandises de
trebande aux ennemis de l'un & l'autre «.
( La fin l'ordinaire prochain. )
con-
Les papiers publics ont annoncé la vertu & les
ſuccès de la poudre de M. Jacques Feynard pour
arrêter lesHémorragies. Rien n'atteſtemieux l'utilité
de ce ſecours à l'humanité, que les fournitures que
( 94 )
'Auteur continued'en faire pour les Hopitaux Militaires
de la Marine & des Colonies de France. La
poudre Anti-Hémorragique ſe vend à Paris chez
Madame de Boft , maison de M. Pigot , Marchand
Bijoutier, à la Renommée , près la Croix des Petits-
Champs ; à Versailles , chez M. Lavallée, Pavillon
Luce , rue Royale ; à Amiens , chez M. Dufetel , rue
des verts Aulnois ; à Londres , chez M. Picot , Picture
, Merchant , Strand , Near Northumberlandhouse
; & dans les Villes & Ports d'Angleterre..
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 28 Octobre .
Le floop de guerre le Chacer a été pris dans l'Inde
par l'eſcadre de M. de Suffren . On appréhende fort
que ce vaiſſeau n'eût à bord l'argent du Bengale
deſtiné pour Madrats.
* Les Américains donnent aujourd'hui plus de 150
pour cent de profit pour toutes les marchandises
importées de France , & particulièrement pour les
draps.
le paiement des penſions des Réfugiés Américains
eft fofendu jusqu'à ce qu'on ait rédigé un
nouvel acte qui exclura de la liſte de ces perfions
tous ceux qui n'ont aucun titre à la générofité de
laG. B. C'eſt M. Pitt, Chancelier de l'Echiquier ,
qui fera chargé de ce travail.
On a envoyé ordre au Commodore Elliot , à
Portsmouth , de le préparer à remettre en mer
avec ſon eſcadre le plutôt poſſible.
Les vaiſſeaux Marchands continuent d'être enlevés
par le Gouvernement, pour ſervir de vaiſſeaux
munitionnaites , mais on ignore leur deſtination.
Il a été envoyé ordre au Bureau des Vavres
à Leith , de préparer trois mois de proviſions pour
( 95 )
une eſcadre qui doit aller croiſer dans la mer du
Nord.
Les Braffeurs & les Distillateurs viennent d'ob .
tenir l'importation de l'orge de la Baltique .
Depuis Is jours l'Ambaſſadeur de Ruffie à Londres
a reçu trois Couriers de Pétersbourg , & le
Chevalier James Harris , notre Ambaffadeur à Pétersbourg
, en a reçu autant de Londres . Cette multiplicité
de Couriers annonce qu'il y a quelque
grande affaire fur le tapis.
L'objet favori du Lord Shelburne eſt , dit-on ,
de refferrer l'amitié qui ſubſiſte entre l'Anglererre
& la Ruffie. La nature a fait des domaines de la
Ruffie le magaſin des forces navales de l'Europe ,
ainſi indépendamment des grands profits que nous
retiroas d'un commerce très étendu avec cette
grande Puiſſance du Nord , l'amisié de l'Impératrice
nous ſera peut-être plus avantageuſe que toutes
nos autres alliances , parce qu'elle nous mettra
en état , non- ſeulement d'entretenir une force ravale
capable de tenir en échec les autres Puiſſances
maritimes , mais encore d'avoir un commerce' lucratif
dans les marchés étrangers , & de recouvrer
notre ancienne conſidération parmi les Etats
Européens..
Le commerce de l'Angleterre avec les ports de
Ruffie continue d'être ſupérieur à celui de la France ,
de la Suède , du Danemarck & de tous les autres
Pays enſemble. C'eſt un fait dont la preuve exiſte
dans les lettres reçues depuis peu par les principales
maiſons de cette Ville.
LeChevalier Charles Turmer ſe propoſe , auffi-tôt
après la rentrée du Parlement , d'y faire une motion
pour allurer aux malheureux Genevois un aſyle &
un établiſſenient dans ce pays. Il ſera ſecondé par le
Lord Malfon , connu & chéri des habitans de Ge
nève , où il a vécu long-tems , ce qui ne contribuera
pas peu à augmenter le nombre de ceux qui ſe diſpolent
à abandonner cette ville pour ſe retirer en Angleterre.
Le Gouvernement croit avoir taut d'obligations à
l'Empereur de Maroc , pour les proviſions qu'il a
envoyées de tems en tems à Gibraltar , pendant le
•blocus de cette Place , qu'il a réſolu d'envoyer une
Ambaſſade en forme à la Cour de Fez. M. Paine fera
chargé de cette commiffion.
Le Général Murray a fait imprimer dans les papiers
publics que c'étoit à ſa propre follicitation que
S. M. avoit bien voulu nommer un Conſeil de
guerre , pour examiner la conduite. 。
>> Le 7 Septembre , les tranſports qui ont conduit
le Général Ohara & les troupes de Savanah
aux Ifles , font arrivés à New- Yorck d'Antigues
en 22 jours. Ils avoient débarqué une partie des
troupes qu'ils avoient à bord , & le reſte avoit été
envoyé à Saint-Louis «.
Le 20 Acûr , il eſt entré à Halifax une flotte
venant de Torbay , & compoſée de so voiles , tant
tranſports que munitionnaires , vivriers , &c. fous
le commandement du Renown , de so. Le Briga.
dier général Brown , le Major Campbell & quelques
autres Officiers font arrivés à bord de cetre
flotte avec des troupes deſtinées pour New-York.
ERRATA au Journal dus Odobre. Page 39 , lignes ,
Pétabliſſement ; lifez l'embellfement. P. 39 , 1. 9 , après
très - éclairée ; lifez en note, foeur d'un Commiffaire des guerres
très- ftimé. P. 39 , 1.12 , d'une naiſſance ancienne & décorée;
lifez de naiſſance ancienne & décorée . P. 39, 1.26
auroit eu le defir ; lifez auroit le defir. P. 40 , 1. 1 , que faire,
lifez que de faire.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 16 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ÉPITRE à un Ami, fur les Ridicules
d'une fauſſe Philofophie.
ALCIPE , quelle est ta manie ?
Eſt-il bien vrai que dès ce jour,
A l'auftère Philoſophie
Tu veux te livrer ſans détour ?
Dans l'âge heureux de la folic ,
Des paffions &de l'amour ,
Ce projet prête à la critique:
Duplaiſant & du ſatyrique
Il va t'attirer les brocards :
Avant de le mettre en pratique,
Sur la troupe philoſophique ,
Dont tu peurſuis les étendards ,
Jette avec moi quelques regards:
Nº. 46 , 16 Novembre 1782. E
१९ MERCURE
Mets vîte l'oeil à mon optique ,
Elle arrive de toutes parts.
VOIS-TU cet homme qui s'avance
D'un pas grave & ſymétriſé ;
Sous un habit noir déguiſé
Il affecte un air de décence
Dont le vulgaire eſt abuſé.
Ce qu'il écrit& ce qu'il penſe
Eſt , ſelon lui , le mieux penſé.
S'il parle , il faut faire filence ;
Chaque mot eſt une ſentence ,
Rien n'eſt plus vrai , ni plus ſenſé :
Il s'applaudit même d'avance.
Par-tout il eſt préconisé ,
Suivi , couru , fêté , priſé.
On ſe range ſur ſon paſſage.
Par mille fots canoniſé ,
Par ſes flatteurs divinité ,
Il ſe croit un grand perſonnage.
Chacun ſe dit : c'eſt un ſavant ,
Un beau génie , un homme ſage ;
Et moi je dis: c'eſt un pédant.
REGARDE auſſi ce Petit-Maître ,
Qui ſe dit être du bel air ,
Et que l'on voit comme un éclair
Aller , venir & diſparoître.
Tu le prends pour un fat peut- être ?
DE FRANCE.
११
Suſpends ſur lui ton jugement.
C'eſt un Philoſophe charinant :
Aux premiers jours de ſa jeuneſſe ,
Ovide fut ſon rudiment ,
Dès long- temps il ſait tout Lucrèce.
Il parle , il écrit poliment ;
Il perfiffle très-joliment ,
Il politique avec fineſſe
Sur les Loix ,le Gouvernement ,
Et plaiſante très-ſenſément
Sur des ſujets de toute eſpèce.
IL ME faudroit parler ſans ceſſe
Si je voulois obſtinément
Te faire le dénombrement
Des Amateurs de la ſageffe :
On vit ſept Sages dans la Grèce ,
Et nous en avons plus de cent
Qui valent mieux certainement.
Je pourrois , pour groſſir mes liſtes ,
T'offrir encor le régiment
De Meſſieurs les Économistes ,
De tous les Encyclopédistes :
J'y joindrois même en ce moment
Les Lulliſtes & les Ramistes ,
Les Glukiftes , les Picciniſtes ,
Tous très-ſages aſſurément.
Dans cette longue kyrielle
Tu ne verrois point de Caton ,
A
1
Eij
100 MERCURE
De Socrate ni de Platon ,
Mais tu verrois ce qu'on appelle
Des Philofophes du bon ion.
ENFIN , c'eſt aujourd'hui la mode :
En Province comme à Paris ,
Philoſopher eſt la méthode
De tous nos jeunes étourdis
Et des prétendus beaux-efprits.
Ce n'eſt pas tout , les femmes même
Ont adopté cebeau ſyſtême.
L'une , avec des yeux libertins ,
Me parle de métaphyfique ;
L'autre , raiſonne politique ,
Règle les droits des Souverains ,
Parle de guerre , de tactique ,
De Gibraltar , de l'Amérique ,
Me lit un traité fur les grains ,
Ou quelque Ouvrage Académique.
Une troiſième , plus comique ,
Accourt , Nollet entre les mains ,
Pour me démontrer la phyſique.
J'ai beau faire , il faut l'écouter.
Mais , pour en être plus tôt quitte ,
Sans m'amuſer à diſputer ,
J'accorde tout , & prends la fuite.
Que faudroit- il pour te prouver
Que ces Philofophos femelles
DEE FRANCE. rer
Sont très- communs parmi nos Belles ?
Des exemples ? j'en puis trouver.
VOIS cettejeune Timarete ,
Qui , ſemblable au Cameleon ,
Vingt fois par jour change de ton ,
Qui ſuit la mode & l'étiquette ,
Qui n'a qu'un froid & fot jargon ,
Que fans ceffe elle nous répète ,
Et qui voudroit , comme Ninon ,
Joindre aux penchans d'une coquette
Toutes les vertus de Caton.
Jette les yeux fur ſa toilette:
On y voit , ſans diſtinction ,
Uncompas auprès d'une aigrette ,
Les attributs de la taiſon ,
Et les hochets de la folie.
J'y vois un Tome de Buffon
Frès d'un Roman de Crébillon.
Sous un Livre de Comédie ,
Sans reſpect pour l'attraction ,
Qu'avec Damis ellé étudie ,
J'apperçois l'immortel Newton
Tout barbouillé de vermillon .
Quor ! ce ſexe qui nous attire ,
Qui ſemble né pour le plaiſir ,
Peut- il aina paffer à lire
Des jours deſtinés àfentir ?
E iij
102 MERCURE
Voilà ce qui me déſeſpère.
Quelle douleur pour un amant !
Je ne rencontre qu'un pédant
Où j'eſpérois trouver Glycère.
MAIS pourquoi ſe plaindre , en un mots
Ne faut- il pas fuivre l'uſage ?
L'homme d'eſprit ,comme le ſot ,
Chacun jouant ſon perſonnage ,
Maſque ſon air & fon langage.
Dupe ou trompeur , voilà ton lot.
Dans ce monde injuſte & volage,
Où l'on ne voit de tous côtés
Que ſcandale , libertinage ,
Erreurs, menfonges , fauſſetés ,
Où tout s'achette , où tout s'engage ,
Honneur , liberté , rang , fuffrage ;
Où les vices ſont protégés ,
Où les talens ſont négligés ;
Où l'adulation encenſe
Un tas d'infolens parvenus ,
Bouffis d'orgueil & d'arrogance ,
Et des favoris de Plutus ,
Chez qui la ſuperbe opulence
Brille à la place des vertus.....
Mais , que dis-je ces maux en France
Bientôt ne ſubſiſteront plus :
Un Monarque , nouveau Titus ,
Y règne par la bienfaiſance.
DE FRANCE.
103
Les voeux , les cris de l'innocence
Par ce Prince ſont entendus.
A Thémis il rend ſa balance ; ( 1 )
A ſes Peuples la confiance , ( 2 )
Et les droits qu'ils avoient perdus.
En corrigeant ſes longs abus ,
Il fait reſpecter la Finance. ( 3 )
D'une vaine magnificence
Il mépriſe les faux honneurs. (4)
D'un dur & honteux eſclavage
Il affranchit les Laboureurs , ( 5 )
Louis n'enchaîne que les coeurs ,
Et n'aſpire qu'à cet hommage.
D'un tourment injufte & ſauvage ,
Craignant l'abus & les rigueurs ,
Il vient d'en proſcrire l'uſage ; (6)
Aux coupables , aux malfaiteurs ,
S'il épargne ainſi des douleurs ,
Al'innocent qui les partage ,
Il épargne auſſi quelques pleurs ;
Et c'eſt-là ſon plus cher ouvrage.
Sous ce Prince économe & fage ,
( 1 ) Le Rétabliſſement des Parlemens .
(2) Les Provinces érigées en Pays d'États .
(3 ) Les Réformes dans la Finance.
(4) La Suppreffion d'une partie de la Maiſon du Roi .
(5 ) L'Abolition de la Servitude Féodale & du Droit de
Main - Morte
(6) La Queſtion proſcrite dans tous les Tribunaux.
E iv
104
MERCURE
Nous verrons renaître les moeurs
Dont il nous préſente l'image.
QUAND ces voeux feront-ils remplis ?
Faut- il vous regretter ſans ceſſe ,
Beauxjours de Rome& de la Grèce,
Où , de ſes ſeuls attraits épris ,
De la véritable ſageſſe
Leshommes connoiſſoient le prix ?
Où, leur ſervantd'un frein utile
Contre l'effort des paſſions ,
De leurs plus belles actions
Elle étoit l'âme &le mobile ?
Pour nous, de fes loix déferteurs ,
Etde ſes dons profanateurs ,
Nous défigurons for image ;
En la pliantà nos humeurs ,
Nous la faiſons avee outrage
Servir de voile à nos erreurs ,
Ami , fous ces dehors trompeurs ,
Ne vas pas, avec imprudence ,
Prendre pour fes adorateurs
Ceux qui n'en ont que l'apparence.
Le fage n'eſt point ce pédant,
Qui , des préceptes de l'école ,
On d'une diſpute frivole ,
Fait ſon uuique amusement.
Cen'eſt point ce cenfeur cauftique,
1
DE FRANCE. 1ος
Qui fuit toute fociété ,
Et dont l'humeur mélancolique
Vientd'un eſprit miſantropique ,
Et d'un coeur froid & dégoûté :
Qui n'aime que la ſolitude ,
Qui , toujours prompt à s'alarmer ,
De tout plaindre & de tout blamer
S'eſt fait une triſte habitude.
Le vrai Philoſophe eft celui
Qui , fur les actions d'autrui ,
Ne répand jamais ſa critique.
Par l'étude il chaſſe l'ennui .
Plus Citoyen que politique ,
L'intrigue eft fans attraits pour lui.
Du malheureux il eſt l'appui ;
Ale foulager il s'applique ,
Il s'attendrit ſur ſes malheurs ;
Il aime à partager ſes pleurs .
De lui-même toujours le maître,
Il vitfans defirs ; & content
Du rang où le ciel l'a faie naître,
Il voit d'un oeil indifférent
Cet homme que , de la pouſſière ,
La fortune aveugle & légère
Vientd'élèver au plus haut cran.
Dès quelle lui devient propice ,
Il fait jouir de ſes ſaveurs ;
Maiss'il éprouve ſon caprice ,
Ev
106 MERCURE
Loin de l'accuſer d'injuftice ,
Il met à profit ſes rigueurs.
AMI , que ces ſages maximes
Soient le ſoutien de ta vertu ;
Par des defirs illégitimes ,
Tu ne ſeras point combattu.
Réſiſte toujours à l'orage ,
Tel qu'un eſprit ſervile & mou ,
Ne cède point au fol uſage.
Fuis fur-tout une humeur ſauvage;
J'aime mieux un aimable fou
Qu'un préſomptueux demi-ſage.
( Par M. Croiszetière de la Rochelle , Avocat. )
DE L'HISTOIRE DES NATIONS
SAUVAGES .
:
Des lumières que l'Antiquité nous fournit
fur cesujet.
L'HISTOIR HISTOIRE de l'eſpèce humaine n'embrafle
qu'unpetit nombre de générations & de fiècles ; le
reſte du genre-humain & du temps eft abſolument
perdu; mais dans ce cercle étroit de l'Hiſtoire , de
toutes parts cette vérité ſe montre , que toutes les
affaires humaines ont eu un commencement. Semblables
à ces grands fleuves qui ne ſont à leur ſource
que de foibles ruiſſeaux , les Nations les plus diſtinguées
par les Arts&par les Loix, n'ont été dans leur
DE FRANCE.
107
origine que de foibles Peuplades. Encore aujourd'hui
, à travers les révolutions du tems & les fictions
de la vanité , on distingue les premiers pas de leur
enfance , & la route obſcare & pénible qui les a
conduites lentement à la grandeur.
Si j'ouvre l'Hiſtoire Sacrée , j'y vois commencer
le genre-humain par un ſeul homme & une ſeule
femme. Deux perſonnes font miſes en poffeffion de
toute la terre ; quelques lignes plus bas , leur poſtérité
, réduite de nouveau en une ſeule famille par
une grande révolution du globe , lutter contre les
dangers & les beſoins avec l'inexpérience d'une efpèce
qui vient de naître : enfin , pluſieurs fiècles après
on voit encore les Nations les plus reſpectables de la
terre, prendre leur origine dans un petit nombre de
familles qui faifoient paître leurs troupeaux dans de
vaſtes déſerts .
La Grèce même , cette ſuperbe Grèce , que ſa Mythologie
& fes Loix, ſes Arts & ſes Victoires , ont fait
briller dans l'Hiſtoire des hommes d'un éclat & d'une
gloire qui la rendent l'admiration & le modèle de
toutes les Nations civiliſées , la Grèce a été peuplée
d'abord par des Tribus errantes. Les Lycurgue & les
Alcibiade , les Epaminondas & les Socrate ont eu des
Sauvages pour ancêtres. L'orgueil même de leur
Hiſtorien a trahi le ſecret de leur origine , en célébrant
avec faſte des victoires remportées ſur des
bêtes féroces , des découvertes qui ſuppoſent l'enfance
de la Société.
Il faut que l'Italie ait été diviſée dans l'origine entre
une foule de Nations foibles & ſauvages , puifqu'une
poignée de brigands a pu s'établir en fûreté
le long des rivages du Tibre ; qu'un Peuple borné
encore à un ſexe jouoit déjà le rôle de Nations , &
commençoit ſon Hiſtoire. Pendant pluſieurs ſiècles
Rome, du haut de ſes murs, voyoit tous ſes ennemis.
Rome a eu autant de peine dans ſon enfance à éten
Evj
103 MERCURE
dre l'enceinte de fes murailles,qu'elle en a eu dans ſa
vieilleſſe à refferrer ſes frontières. Quoique fupérieureà
chacunde ſes ennemis en particulier , on la
voits'établir au milieu d'eux comme une horde Scythe
ou Tartare qui fixe ſon domicile & poſe ſes tentes.
Ce chêne qui a couvert l'Univers de ſon ombrage ,
n'eſt d'abord qu'une humble plante , qu'on ne peut
diftinguer qu'avec peine des ronces & des bruyères
qui tâchent de l'étouffer.
Lorſqu'en defcendant l'Hiſtoire, nous rencontrons
enfuite les Gaulois & les Germains , nous trouvons
encore fur eux l'empreinte d'une condition toute
femblable. Les anciens habitans de la Grande- Bretagne,
lors de l'invaſion des Romains,avoient beaucoup
de traits de reſſemblance avec les habitans actuels
de l'Amérique ſeptentrionale ; ils ignoroient
P'Agriculture ; ils peignoient leurs corps ; ils ſe couvroient
en hiver de peaux de béres.
Telles ont été les moeurs primitives de tous les
Peuples connus ; tel eſt le portrait de l'homme , que
Hiſtoire place au-devant de toutes les Annales.
C'eſt dans les faits que ces âges reculés nous ont
tranfmis ,dans ces premières moeurs , dans ces premiers
traits des Nations que nous devrions chercher
àdécouvrir le caractère originel & propre de l'eſpèce
humaine; mais nos procédés font bien différens ; au
lieu , comme la saifon l'exige , de déduire des faits
toutes nos conjectures , c'eſt des conjectures au
contraire que nous déduiſons tous les faits. Tout ce
qu'ily a de bon en nous, nous l'attribuons à nos
Aris, à nos Découvertes ; nous ne voulons rien
devoir à la Nature. Nous peignons l'homme fauvage
privé de toutes nos vertus, & nous croyons
l'avoir peint en entier. Pleins de l'idée que nous
formes les modèles de la civiliſation & de la polireffe,
ppaar-tout où nous ne rencontrons pas notre
refferabdance, nous ne daignons pas fixer un tegardt
DE FRANCE
109
Il n'y a que nous que nous trouvions dignes de notre
curioſité ; d'ailleurs, nous avons encore la prétention
de tout deviner par les cauſes ; & parce que nous
croyons connoître la nature de l'homme , nous nous
perfuadons ſavoir, ſans qu'on nous l'apprenne , tout
ce qu'il peut être dans toutes les circonstances poffibles.
Eſſayons donc de deviner ce qu'il eût été ft ,
avec les mêmes organes , par exemple , on l'eût
placé ſur un autre Globe ; fi une terre naturellement
fertile , prévenant tous ſes beſoins & méme tous ſes
defirs , il n'avoit eu rien à diſputer à ſes ſemblables.
OPhiloſophe , reconnois la folie de tes conjectures
favantes ! Tu veux tout voir dans les cauſes , & tu
ne vois pas que le plus léger changement dans une
ſeuleſuffit ſouvent pour changer l'influence de toutes
les autres.
Mais ne tranſportons pas l'homme ſur un autre
Globe ; obſervons-le ſeulement dans les forêts , &
lorſqu'il eſt encore aufſi ſauvage que ſa demeure. Je
le vois nud , pauvre , groffier , étranger à toutes les
diftinctions des rangs & des perſonnes. Eh bien !
en le voyant dans cet état , qui pourroit conjectu
rer que nud il ſera joueur , qu'au milieu de ſes egaux
il connoîtra la fierté , que pauvre & groffier , il fera
vain& recherchera la parure ? Qui pourroit imaginer
qu'au milieu des forêts,il aura toutes les folics &
tous les ridicules de nos Villes ? Et fi le mépris que
nous affectons pour lui nous rendoit affez hardis
dans nos conjectures pour lui ſuppoſer nos vices ,
quel ſeroit le Philoſophe affez pénétrant pour deviner
que , fans fortir de ſes bois, le Sauvage peut
avoir nos talens & nos vertus; que ſachant à peine
articulerdes fons , il peut être éloquent, que ſes premières
affections de haine & d'amour ſeront des fentimens
ſublimes par leur énergie ; que dans la chaffe
d'un animal auffrrufé que lui , il montrera autant de
fineſſe, dejugement,de ſagacité, d'eſprit qu'un dif
110 MERCURE
ciple de Locke ou de Newton dans la recherche des
vérités les plus abſtraites , qu'enfin il puiſera ſouvent
dans la Nature ſeule plus de grandeur d'âme que
Thomme civilité dans les inftitutions des plus fublimes
Légiflateurs ?
Cefont là pourtant des traits qu'on retrouve dans
toutes les Annales qui nous ont été tranſmiſes par
tous ceux qui ont été à portée de voir , d'étudier & de
peindre l'homme dans ſon état primitif; & fi nous
rejetons la dépofition de ces témoins , fi nous accuſons
d'infidélité le crayon de ces premiers peintres ,
quels autres témoins appellerons- nous donc ? quels
autres peintres conſulterons-nous ? Il ne faut donc
plus en rien croire; il ne faut donc plus en parler.
Si l'on doit ſe défier des conjectures que nous hafardons
ſur des faits très-éloignés , avec quelles précautions
encore ne doit-on pas recevoir les traditions
domeſtiques de chaque Peuple ? Ces Hiftoires
ue font jamais contemporaines des faits
qu'elles racontent ; elles n'ont été écrites que dans
les âges ſuivans , & ne font la plupart que des conjectures
& des fictions établies ſur un fonds imaginaire.
Le caprice & la vanité de chaque génération
y ajoutent de nouveaux embelliſſemens & de nouveaux
menfonges ; & lorſqu'elles ont paffé ainsi à
travers pluſieurs fiècles , elles confervent bien moins
les traits & la couleur des âges dont elles parlent, que
de ceux qu'elles ont traverſé pour aarrrriiver juſqu'à
nous. La clarté qu'elles répandent ſur l'Histoire n'eſt
pas cette lumière vive , pure & abondante , réfléchie
directement d'un miroir qui rend en entier & avec
fidélité tous les objets dont il a reçu les images ,
mais la lueur foible & confuſe de ces rayons rompus
& divergens qui prennent la forme des corps opaques
d'où il rejailliſſent à mes yeux. Les traditions fabuleuſes,
long-temps répétées par le Peuple, prennent
l'empreinte de ſon caractèrreeàà force d'errer fur fes
1
DE FRANCE. 111
lèvres groffières & ignorantes ; mais alors même, quoique
mêlées d'abſurdités , elles émeuvent encore le
coeur, elles enflamment encore l'imagination ; & lotfque
l'éloquence & la Poéfie s'en emparent , que la
Poéfie y répand ſes charmes & fes couleurs , &l'Éloquence,
ſes mouvemens , alors elles peuvent à-lafois
éclairer l'eſprit & enflammer les pallions ; mais
telles que les loix ſévères de l'Hiſtoire permettent de
les préſenter , dépouillées de tous ces ornemens, dans
la groſſièreté de la tradition primitive , elles ſont
également incapables d'intéreſſer & d'être utiles.
Il ſeroit abſurde ſans doute d'employer le Poëme
de l'Iliade ou celui de l'Odyſiée , les Légendes d'Hercule
, de Théſée & d'Edipe, pour faire poids comme
autorité dans l'Hiſtoire de l'eſpèce humaine ; mais
cependant on peut les citer avec raifon pour faire
voirquels étoient les ſentimens & les occupations des
ſièclesdans leſquels ont été compoſées ces fables , &
pour caractériſer le génie d'un Peuple qui en étoit
ſi fortement épris, dont elles rempliffoient l'imagination
, dont elles animoient les difcours.
C'eſt ainſi que , par le contraſte le plus fingulier ,
tandis que l'Hiſtoire ſe tait ou ment ſur le génie des
Nations , c'eſt la fiction ſeule qui parle & qui dit la
vérité. C'eſt ainſi que la Mythologie grecque , en
faiſant connoître les caractères de ſes différens Auteurs
, eſt parvenue à éclairer tout un âge qui, ſans le
ſecours de cetre lumière,teroit demeure enfeveli avec
tant d'autres dans l'abyſme ténébreux de l'antiquité.
Il eſt vrai que la ſupériorité des Grecs ne brile
nulle part avec plus d'éclat que dans le recueil de
leurs fictions, que dans l'Hiſtoire de tous ces Héros
fabuleux , de tous ces Poëtes , de tous ces Philoſophes,
de tous ces grands Rois , dont les actions , in
ventées , embellies par des imaginations enthouſiaftes
de vertu & de génie, électriſoient tout un Peuple ,
& plaçoient à l'origine de leur Hiſtoire civile & po112
MERCURE
litique, les modèles les plus fublimes dans tous les
geores& pour tous les ſiècles .
On ne peut douter qu'il n'ait été très-heureux pour
les Grecs que leur fable ait été grecque. Par ce
moyen , déjà reçue comme tradition , déja devenue
populaire , elle ſemoit par- tout où elle paſſoit les
germes de raiſon , d'imagination & de ſentiment
dont tant de beaux talens s'étoient plû à l'enrichir.
Par-là, les étincelles des plus grands génies rejailliffoient
ſans ceſſe , & retomboient directement ſur
l'imagination du Peuple.& au beſoin, les paflions du
Poëte & de l'Orateur, courant d'eſprit en eſprit,conme
un rapide incendie , enflammoient en un moment
l'eſprit national.
Mais une Mythologie empruntée , mais une Littérature
étrangère, mais une Littérature privée de
l'intérêt inſtructif des alluſions nationales , ane Littérature
orgueilleuſe, qui ne fe mêle jamais parmi
le Peuple , qui ſe borne à parler à l'imagination ou
à la mémoire de quelques Savans dans des cabinets
folitaires, ne fauroit exercer une grande influence ;
elle peut même tromper ſa deſtination , borner la
raiſon qu'elle veut étendre , corrompre le coeur
qu'elle prétend épurer , & mettre le bel-eſprit à la
place du bon eſprit.
Des Poëmes que nous traduiſons avec beaucoup
de peine & de travaux dans nos Ecoles , étoient
chantés par le Matelot à ſon bord , par le Paſteur
enconduiſant ſon troupeau ; ils faiſoient aimer à ces
hommes fimples la ſimplicité de leur vie ; c'étoit un
plaifir , mais non pas un mérite de les chanter ;
chez nous c'eſt une ſcience , un titre pour la vanité ;
ils ont introduit dans les Ecoles l'amour- propre & la
pédanterie, qui , des Écoles , font parlés dans le
monde.
La plus grande influence peut être de notre ſavoir,
c'eſt d'avoir en quelque forte découragé l'efprit na
DE FRANCE. 113.
tional. Comme pour former notre Littérature nous
avons pillé les tréſors littéraires de pluſieurs Nations
qui , dans le temps où nos ancêtres rampoient
encoredans labarbarie, portoient déjà ſur leur 'tête
altière la couronne de tous les beaux Arts ; nous
avons pris à ces Peuples , avec les richeſſes de leur
génie, le mépris qu'ils avoient pour nos ancêtres ; &
de là cette opinion humiliante que les Peuples modernes
deſcendus des Gaulois & des Germains , ne
pouvoient pas avoir d'eux-mêmes plus d'imagination,
d'eſprit& de ſenſibilité que leurs pères ; que
tous les germes des talens feroient encore afſoupis
chez eux, fi les Grecs & les Romains n'étoient venus
les éveiller; que nous ferions encore dans les
forêts, ſi les Anciens n'avoient bâti pour nous tout
l'édifice de la ſociété. Les premiers Romains & les
Gaulois nos ancêtres, éroient également caractériſés
par le mépris des richeſſes , l'amour de la patrie ,
une audace fublime contre les dangers , une patience
incroyable contre les douleurs , par toutes ces
vertus enfin qui ſont peut-être les traits les plus
univerſels du caractère de tous les Peuples dans le
premier degré de la civiliſation; & cependant ,
choſe étrange! les Hiſtoriens de Rome , qui ont
été les peintres des Gaulois comme des premiers Romains
, ont flétri dans nos ancêtres ce qu'ils ont admiré
dans les leurs ; ce qu'ils ont loué comme la
fimplicité des temps héroïques dans les Romains ,
ils l'ont décrié comme l'ignorance & la groffièreté
de la barbariedans les Gaulois. En traçant le même
tableau de moeurs par les faits , ils croyoient en
changer les couleurs parce qu'ils en changeoient les
mots ; mais c'eſt dans les faits que font les couleurs
ineffaçables .
Ce font cependant les Hiſtoriens Grecs & Romains
qui ont décrit, de la manière la plus inftructive&
la plus intéreſſante en méme-temps , ces an
114 MERCURE
tiques Tribus dont nous deſcendons. Ces fublimes
& ingénieux Ecrivains n'ignoroient rien de la nature
humaine ; ils ſurent en recueillir juſqu'aux
moindres traits . Leur infatigable pinceau la pourſuivit,
la ſaiſit, lapeignit ſous toutes les faces , dans
toutes les attitudes , dans toutes les conditions qui
lui ſont propres. Ils furent mal ſecondés , il eft vrai,
par leurs ſucceſſeurs. Engagés la plupart dans la
profeſſion monaftique , & confinés à l'ombre des
Cloîtres , ils s'attachèrent à ramaſſer dans toute la
pouſſière de l'antiquité les faits qui ne peignent que
les jeux du haſard,& laiſsèrent perdre ceux qui repréſentent
le génie & le caractère des Nations. Ces
Moines , ſoit par le genre , ſoit par l'objet, ſoit par
le ſtyle de leurs compoſitions, étoient incapables de
montrer l'homme dans la moindre ſcène de la vie
humaine. Ils penſfoient que narrer des faits , c'étoit
écrire l'Histoire , & que l'Hiftoire étoit complette
lorſqu'on avoit fait fuccéder les événemens & les
Princes en les plaçant avec exactitude dans un ordre
chronologique ; lorſqu'enfin on n'avoit rien omis ,
ſi ce n'eſt ces traits caractériſtiques du coeur & de
l'eſprit humain, ſans lesquels l'Hiſtoire eſt morte ,
&ne fauroit ni éclairer ni plaire.
Auſſi quittons-nous volontiers les Annales de nos
ancêtres à l'endroit où Tacite & Célar les ont quittées
; aufli , depuis cette époquejuſqu'à celle où le
ſyſtéme de civiliſation que nous avons pris commence
à ſe former , tonte Hiſtoire n'eſt-elle peutêtre
qu'un vaſte déſert , où on ne rencontre ni un
événement ni un homme qui doive arrêter nos regards
Ce n'eſt pourtant pas que je prétende conclure
de là que l'Europe moderne ait fourni moins
de matériaux , moins de ſcènes intéreſſantes à l'Hiftoire
; je la crois digne très-ſouvent au contraine
d'intéreſſer ſes pinceaux.
Mais les Écrivains , d'ailleurs habiles, qui ont fair
DE FRANCE.
115
l'inventaire des faits de ces ſiècles , en ont mal
connu le caractère . A force de travaux & de recherches
, ils font parvenus à peupler d'événemens ce
vaſte déſert de l'Hiſtoire , à réunir les ſiècles civiliſés
aux fiècles barbares, mais i's en ont mêlé & confondu
les traits. Tous les mots & tous les noms qui peignent
l'état préſent du genre-humain, ils les ont tranſportés
dans les fiècles qui ont précédé notre fituation
actuelle. Eſt- il étonnant qu'avec ces couleurs faufſes
ils ayent produit des tableaux auſſi dépourvus
d'intérêt que de vérité ?
Lorſque nous allons puiſer dans leurs Écrits l'inftruction
qu'ils nous promettent , nous rencontrons à
tout moment certains faits particuliers qui démentent
les termes généraux dont l'Ecrivain s'eſt ſervi pour
repréſenter l'état des moeurs. Ils appliquent, par
exemple , les noms de Roi & de Noble aux familles
des Tarquins & des Cincinnatus ; mais Lucrèce , ſuivant
eux-mêmes, prenoit ſoin du ménage avec ſes
femmes , & Cincinnatus mettoit la main à la charrue.
Les dignités & les places de la Société civile ont
porté en Europe , il y a bien des ſiècles , les mêmes
noms qu'elles portent aujourd'hui ; cependant nous
trouvons dans l'Hiſtoire d'Angleterre , qu'an Roi
étant réuni avec ſa Cour pour célébrer une fête , un
proſcrit entra ſoudain dans la ſalle , & voulut s'alfeoir
à la table ; que le Roi lui-même ſe leva auſſitôt
pour l'en chaffer ; que le Roi & le brigand ſe
battirent , & que le Roi fut tué. Un Chancelier &
un premier Miniſtre dont on envioit la magnificence
&le luxe, avoit chaque jour ſes appartemens jonchés
en hiver de foin & de paille , & en éré de feuillages
verts . L'Etat alors fournifſoit au Roi même de la
paille fraîche pour former fon lit. Des traits de cette
nature font des touches vigoureuſes , font des raccourcis
hardis qui expriment tout un ſiècle & révèlent
toute une Nation. L'imagination qui , trompée
116 MERCURE
par des expreffions générales , avoit placé les Monarques
& les ſujets à de grandes diſtances les uns
des autres , les rapproche & les confond dans une
familiarité groſſière ;& le tableau du fiècle prend le
caractère qui lui eſt propre.
:
Thucydide , malgré les préjugés de ſa Nation
contre les Peuples qu'elle nommoit barbares , étoit
perfuadé que c'étoit dans les moeurs de ces Peuples
qu'il falloit étudier les anciennes coutumes de la
Grèce.
Quant aux Romains , ils ont pu voir les images
de leurs ancêtres dans les portraits qu'ils ont faits
des nôtres. Si un jour une peuplade Arabe ou quelque
Horde Tartare , renonçant à la liberté, la laiffant
dans leurs forêts , ſe déterminoient à entrer
dans la carrière de la civiliſation : Si quelques Tribus
Américaines , échappant aux glaives & aux polfons
de l'Europe , venoient à ſe faire des loix &
des moeurs civiliſées , ces Tartares , ces Arabes & cés
Américains trouveroient dans la ſuite des ſiècles le
tableau de leur état primitif: dans les Ouvrages de
nos Voyageurs: nous connoiffons affez bien l'étar
actuel du genre-humain.
Mais nos lumières n'éclaireront pas ſeulement
l'avenir ; leur éclat ſe replie , pour ainſi dire , ſur les
temps paflés, & en diffipe les ténèbres.
Le tableau de la fituation préſente des Américains
, eſt pour nous un miroir fidèle qui nous réfléchit
la ſituation primitive de nos ancêtres . Quelle
différence pourroit en effet diftinguer un ancien
Germain , un ancien Breton, quant au corps & à l'efprit
, quant aux moeurs & aux opinions , d'un Sauvage
Américain, qui , comme eux , un carquois fur
le dos & la flèche à la main, erte en liberté dans les
forêts , &, comme eux encore , eft condamné par un
Ciel également févère&capricieux à fubfifter par la
chaffe. 1
DE FRANCE. 117
N'oublions donc jamais que c'eſt dans la condition
préſente des Peuples encore ſauvages , que nous
devons regarder la condition de nos ancêtres , qui
étoient des Sauvages aufli. Nous devons procéder à
cet égard comme nous procéderions fûrement ſi dans
un âge avancé , ſi à l'extrêmité de la carrière nous
voulions connoître au juſte le chemin que nous
avons fait dans la vie. Nous irions ( car ce ſeroit
notre unique reſſource ) étudier les enfans juſques
dans les bras de leurs mères ; nous les ſuivrions
quand ils defcendroient du berceau , & chaque pas
qu'ils traceroient alors devant nous , nous répéteroit
quelques-uns de ceux que nous aurions tracés nousmêmes
ſans avoir pu les remarquer quand nous
étions au même âge.
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt Pantoufle; celui
du Logogryphe eſt Eſcarpolette , où ſe trouvent
ferpolet , carpot , lotte & alofe , Pó ,
parc,pelote, César,pot,ré,cor.
118 MERCURE
J
ÉNIGM E.
E ſuis dans les forêts un inſtrument bruyant;
Retourné , je deviens un objet effrayant.
( Fait en quinze jours par une Société de
Gens de Lettres. )
LOGOGRYPHE.
J'AI 'AI fix pieds , cher Lecteur ;&par un fortbizarre,
Sans me ſervir de pieds , je marche nuit &jour ,
Allant droit à mon but, quelquefois je m'égare ;
Et ſans être Écolier , je prends un long détour...
Les lieux à qui je dois ma première naiſſance
Ne me virent jamais dès que j'eus l'exiſtence .
En moi tu trouveras une exquiſe boiffon ;
Un très-chétif légume avec un plat poiſſon ;
Un animal têtu ;. ce qu'on tient de ſa mère ;
Le compliment poli d'un Citoyen du Ciel,
Que répéta depuis plus d'un dévôt mortel ;
Ce qui ſervit ſouvent une ruſe de guerre ;
Douze frères unis exprimés par un mot;
Un péchécapital; ce qu'eſt ſouvent un ſot;
Ce qui s'appelle rien en vers ; ainſi qu'en proſe .
Et fi tu veux , Lecteur , encor mainte autre choſe.
( Fait en un quart- d'heure par quatre Imbécilles. )
DE FRANCE.
119
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES d'Héloïse & d'Abailard , Traduction
nouvelle, avec le texte à côté,
par J. Fr. Baſtien. in- 12. 2 vol. brochés ,
5 liv. A Paris , chez l'Éditeur - Libraire ,
rue du Petit- Lion , F. S. G. Il y en a
quelques exemplaires in-8°. 2 vol. en
papier fin , 10 liv . brochés.
IL ne faut pas confondre ces Lettres avec
toutes celles qui ont paru juſqu'à ce jour , &
qui appartenoient moins à ces deux illuftres
perſonnages , qu'à l'imagination de ceux qui
les ont célébrés. On n'avoit guère publié
que des extraits , des fragmens de ces Lettres;
il n'y en avoit point de Traduction
exacte & fidelle ; on ne connoiſſoit encore
que celle de Dom Gervaiſe , publiée en
1723 , & qui n'est qu'une eſpèce de paraphrafe
, où il a noyé les ſentimens , les idées
& les expreffions d'Héloïſe. Il manquoit
donc une Traduction véritable des Lettres
originales d'Héloïſe & d'Abailard , & un
texte purgé des fautes dont il étoit rempli.
C'eſt ce qu'a fait le nouveauTraducteur. Il a
d'abord rétabli le texte ſur les originaux ;
& la Traduction , qui eſt à côté , peut mettre
tout le monde à portée de connoître ces
120 MERCURE
deux malheureux époux , de les comparer
ensemble, & de juger l'amoureuſe perfévérance
de l'un & le changement religieux
de l'autre. Héloïſe , toujours tendre , brûle
toujours pour Abailard ; elle oublie , &
l'état qu'elle a embraffe , & la religion qui
areçu ſes ſermens , pour s'abandonner aux
mouvemens de fon coeur. Toutes ſes Lettres
portent le caractère d'une paſſion ardente&
malheureuſe ; on voit qu'elle n'attend rien
que de ſon amant , & qu'elle ne reſpire que
pour lui
« C'eſt à vous ſeul , dit-elle , qu'il appar-
>> tient de me conſoler ; c'eſt vous ſeul qui
> êtes la cauſe de mes maux ; vous feul pou-
>> vez m'affliger , me réjouir ; vous ſeul y
>> êtes obligé , puiſque j'ai eté au-devant de
>> toutes vos volontés. » ...... Et , ce qui eſt
plus fort encore , mon amour est tourné
>> pour vous en folie , au point de ſacrifier
>> fans nulle eſpérance ce qui étoit l'objet de
ſes defirs.» ود
“
1
Elle lui fait les plus vifs reproches fur
l'oubli dont il ſemble payer ſa conſtance ;
&elle ſe plaint amèrement de cette rigueur
de la part d'un homme auquel elle a tout
immolé.
Abailard , au contraire , paroît avoir oublié
les plaiſirs dont il a joui avec Héloiſe ,
ou ne s'en ſouvenir que pour les expier par
la pénitence. Il remet ſouvent ſous les yeux
d'Héloïſe les fautes que l'amour leur a fait
commettre , & cherche à lui en inſpirer le
repentir.
DE FRANCE. 121
repentir. Il y revient d'autant plus ſouvent ,
qu'Héloïſe eſt encore dans l'âge des paffions.
Il parle de la cruauté du Chanoine Fulbert ,
&du funeſte accident qui en a été la ſuite ,
comme d'une faveur du ciel ; il le remercie
fouvent d'avoir bien voulu punir ſes fautes
en le mettant hors d'état d'en commettre
encore.
Mais à travers les diſcours religieux d'Abailard
, on croit reconnoître quelquefois
une douleur ſecrète , des mouvemens d'une
jalouſie involontaire,qui le portent à éloigner
Héloïſe du chemin des voluptés. Il ſemble
qu'il cherche à l'occuper ſans ceſſe , il veux
la tenir toujours ſous fa dépendance ; il
aime encore mieux chagriner ſon coeur que
de le laiſſer dans l'inaction. Dans unede ſes
Lettres , il lui dépeint , il exagère peut- être ,
fes chagrins , ſes douleurs & ſes dangers ; il
l'afflige pour l'intéreſſer ; s'efforce d'entretenir
par la compaſſion un amour qu'il ne
peut plus nourrir autrement. Héloïfe s'en
plaintdans une de ſes Lettres , en lui diſante
« Au lieu de me conſoler, vous m'attriſtez
» encore par le récit de vos peines ..... Épare
>> gnez-moi , je vous ſupplie , des diſcours
» qui me rendent plus malheureuſe en-
" core, &c. » Et Abailard lui répond :
<< Conviendroit- il que vous fuffiez dans la
» joie , quand je ſuis à la veille de périr a
>> Ne voudriez- vous participer qu'à ma joie
» & non à ma douleur ? »
,
Cette Traduction nous a paru avoir en
Nº. 46 , 16 Novembre 1782 . F
122 MERCURE
général de l'exactitude. Nous aurions deſiré
que le Traducteur ne ſe fût pas expoſé à
n'être pas affez élégant pour vouloir être
trop fidèle au texte. Au reſte , il a rendu un
ſervice à la Littérature en faiſant revivre un
Ouvrage dont bien des gens parlent ſouvent
fans le connoître. La latinité en eſt afſez difficile
; & il a fallu , pour le traduire , du
courage& de la conſtance.
On doit fur- tout ſavoir gré à un homme
entraîné par les affaires , de conſacrer fon
loiſir à un travail auſſi noble & fi conforme
à ſon état. Ce qui eſt bien dans ſa Traduction
, l'eſt affez pour nous faire croire qu'il
cût fait diſparoître quelques mégligences qui
ſe trouvent dans le reſte , s'il avoit pu ſe
livrer tout entier à ſon travail.
Ila fait précéder ſa Traduction d'un Précis
de la Vie d'Héloïſe & d'Abailard , & de
Réflexions préliminaires qui nous ont paru
dignes d'attention. Elles roulent ſur l'état du
Libraire. " De tous les états, dit- il , la Li-
>> brairie eſt celui qui peut convenir davan-
>> tage à l'efprit & aux connoiffances. Pour
> y entrer , je penſe qu'il ne ſuffit pas de
>> ſavoir la dare & la rareté des Éditions ,
> la mémoire remplit promptement cette
» partie ; mais je crois que ſans être un
» Savant décidé , il faut qu'un Libraire ſoit
❤ verſé dans les Sciences en général , & qu'il
• ſe diftingue dans la branche qui lui eſt la
>> plus propre. »
Après avoir parlé du peu d'examen avec
DE FRANCE.
123
ود
ود
ود
lequel on reçoit les Libraires , & des qualités
qu'ils devroient avoir pour être admis , il
finit par dire : " La Librairie pourroit être
diviſée en deux branches : les Libraires
Maîtres- ès Arts , & les Marchands de Li-
>> vres. Ceux- ci ſeroient reçus ſur le témoi-
>> gnage d'une conduite irréprochable ; les
>> autres ſeroient obligés d'y ajouter des
connoiffances particulières , ſur leſquelles
>> ils ſubiroient l'examen le plus rigoureux. »
Il ſeroit à ſouhaiter que ces idées judicieuſes
fuſſent réaliſées. On voit par ce court
extrait que l'Auteur , pour ambitionner la
gloire de l'Homme de Lettres , ne néglige
point les intérêts de ſa profeſſion ; & que
par cet Ouvrage il a ſu bien mériter touta-
la-fois de la Littérature & de ſes Confrères.
ÉLOGE de Louis XII , père du Peuple ,
par M. de Reganhac le fils. Avec cette
Epigraphe :
Ojours , 6 moeurs , ô temps d'éternelle mémoire!
Le Peuple étoit heureux. Volt. Henr.
A Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés.
CE Diſcours a concouru pour le Prix des
Jeux Floraux ; & il n'a pas été couronné.
Voici comment l'Auteur parle de cette excluſion
dans un Avertiſſement de quelques
lignes. « Ce Diſcours , dit- il , a été préſenté
Fij
124 MERCURE
» à l'Académie des Jeux Floraux , qui ne l'a
>> point jugé digne du Prix. L'Auteur s'em-
>>preſſe de rendre hommage à l'équité de
>> ce Tribunal Littéraire. La marche de l'Ou-
» vrage eſt encore beaucoup trop lente &
ود trop didactique , quoiqu'il ait été extrê-
» mement refferré depuis le jugement de
» l'Académie. »
Cet aveu modeſte ſuffiroit pour défarmer
la critique; mais M. de Reganhac a ſu la
défarmer encore, mieux par le talent qui
règne dans ſon Ouvrage. Nous obſerverons
pourtant , qu'on eût defiré un plan un peu
plus marqué ; nous aurions voulu que le réfultat
fût quelque vérité utile, prouvée par
la vie de ce bon Roi. Cet Éloge reſſemble
un peu trop à un Précis hiſtorique. On permet
à un Orateur de dire qu'il n'a beſoin
quede faire l'office d'Hiftorien , mais on ne
le diſpenſe pas d'être Orateur; on lui permet
de dire qu'il ne louera que par les faits , à
conditionquecette affertion là ne ſera qu'une
figure oratoire.
On ſe tromperoit néanmoins ſi l'on inféroit
de cette obſervation que le Diſcours
de M. de Reganhac eſt une narration froide
&sèche des faits de ſon Héros. Nous aurions
defiré que le réſultat de l'Éloge de
Louis XII fût la preuve de quelque grande
vérité de morale ou de politique ; mais M.
de Reganhac n'a pas moins prouvé dans les
détails de fon Ouvrage, que la politique &
la morale ne lui font nullement étrangères.
DE FRANCE! 125.
Ce Diſcours reſpire l'amour de l'humanité ,
&annonce une ſaine logique. On y trouve
ce qui conftitue l'homme ſenſible & le Philofophe;
& l'on va voir que l'Auteur y joint
le mérite de l'Écrivain. Nous ne ferons point
l'analyſe de ce Diſcours , qui renferme des
faits trop connus ; nous allons prendre au
hafard un morceau pour faire juger de la
manière de l'Auteur.
:
" L'obſervation des loix eſt l'unique but
» d'un Gouvernement juſte. Les effets les
>> plus funeſtes du deſpotiſme , qui en eſt le
> renverſement , ſont d'immoler de vaſtes
>> Provinces à la rapacité , au luxe & à la
prodigalité d'un petit nombre de courti-
> ſans avides ou de femmes diffolues. Les
>> guerres étrangères ne ſont pas les ſeules
» qu'un Monarque ſage ait à ſoutenir ; il eſt
» ſans ceffe obligé de livrer des combats
>> domeſtiques , de lutter contre des inſi-
" nuations perfides , des conſeils trompeurs,
» des intrigues frauduleuſes , des louanges
>> intéreſſees. Voulez- vous , ô Rois ! échap-
» per aux pièges qui vous font tendus de
>> toutes parts ? Armez- vous , comme Louis
» XII, d'une juſte défiance de vous- mêmes .
› Oppofez les lumières & l'intégrité de vos
>> Magiftrats & de vos Miniſtres , aux fur-
>> prifes des courtiſans qui vous obsèdent.
N'ayez pas le fatal orgueil de ne vous
>> rétracter jamais ; & par une obſtination
tyrannique à faire exécuter des volontés
> injuftes , ne fermez point les fentiers par
ود
Fiij
126 MERCURE
» où la vérité peut arriver juſqu'à vous. Que
>> l'hiſtoire des ſiècles pallés vous apprenne
» à redouter le jugement de la poſtérité , &
• à être toujours en garde contre ces hom-
>> mes lâches & vils, dont la baſſe adulation
>> careſſe aſliduement votre orgueilleuſe foi-
>> bleffe; craignez juſqu'aux illufions d'un
>> heureux penchant à la bienfaiſance. Vous
>>tromperiez les vûes de cet inſtina ſubli-
>> me, fi , prodigues ſans difcernement pour
* des favoris privés de mérite , vous pou-
» viez oublier que ce n'eſt pas pour eux ,
>> que ce n'est pas pour vous que vous êtes
>> Souverains . N'accordez point de grâce
>>fans avoir prévu l'effet qu'elle peut pro-
>>>duire ſur la ſociété entière. J'aime mieux ,
ود diſoit Louis XII , voir le peuple rire de
» mon économie , que s'il avoit à pleurer de
>> maprodigalité. C'eſt ainſi qu'il prenoit la
>>défenſe de ſes Sujets contre lui-même , &
>>>bravoit, pour les rendre heureux , leur
raillerie& leur fatyre. >>>
Nous citerons à l'appui de cet Éloge , une
ancedote que le Lecteur n'auroit pas été
fâché de trouver dans l'Ouvrage dont nous
parlons. Voici comment en parle Bouchet :.
: « Le bon Roi Louis XII , ſe plaignant que
>> de fon temps perſonne ne lui vouloit dire
>>la vérité , ce qui étoit cauſe qu'il ne pou
>> voit favoir comment ſon Royaume étoit
>> gouverné ; & pour que la vérité pût
>> parvenirjuſqu'àlui, il permit les Théâtres
>> libres , & voulut que ſur iceux l'on jouât
DE FRANCE. 127
>> librement les abus qui ſe commettoient
» en ſa Cour comme en ſon Royaume ,
>> penfant par- là apprendre & ſavoir beau-
» coup de choſes , leſquelles autrement il
>>>lui étoit impoſſible d'entendre. "
Sa perſonne même n'en fut pas exceptée.
En plein Theatre ,& en ſa préſence , on oſa
Paccuſer d'avarice. Il le fouffrit , & il étoit
Roi.
L'Auteur de cet Éloge eſt fils de M. Reganhac
, à qui il a été payé l'année dernière
un juſte tribut d'éloge dans ce Journal , &
dequi l'on connoît une Traduction en profe
des Odes d'Horace , & pluſieurs Ouvrages
en vers couronnés par les Académies & par
les fuffrages du Public.
EssAl fur la Phifiognomonie , par M.
Lavater, Tome premier. A Paris , Hôtel
de Thou , rue des Poitevins.
Que les paſſions d'un homme, le ſentiment
qui l'anime , le calme ou l'agitation
actuelle de ſon âme, le plus ou moins de
force de fon attention, ſe montrent dans les
traits de ſon viſage ; que même le viſage
contracte par l'habitude de certains ſentimens
, des formes & une expreſſion permanente
qui marque le caractère , la paffion
dominante d'un homme ou le genre de fon
efprit , c'eſt ce qu'on a dit il y a long temps ,
&ce que perſonne ne peut nier ; mais ces
derniers fignes ſont ils affez certains pour
Fiv
128 MERCURE.T
devenir l'objet d'une véritable ſcience d'obfervation
? Y at il dans la conformation
naturelle du viſage , indépendamment des
affections qui ont influé fur cette forme ; y
a-til dans les parties ſolides , indépendamment
des changemens dont les parties molles
font fufceptibles , certaines formes primitives
liées avec les diſpoſitions de l'âme qui a
été unie à cette figure ? Pouvons- nous diftinguer
ces formes & établir une autre partie
de la ſcience Phiſiognomonique d'après
ces obſervations ? Telles font les queſtions
que M. Lavater s'eſt propoſées dans fon
Ouvrage.
La première queſtion n'eſt pas difficile à
réſoudre; dès que les obſervations font conftantes
, on peut en déduire une théorie dont
le plus ou le moins de certitude dans l'application
, dépendra du plus ou moins de
conſtance dans les obſervations. Il peut
donc exiſter une ſcience Phiſiognomonique.
Quant à la ſeconde queſtion , de nombreuſes
obſervations peuvent ſeules la décider.
Mais, comme l'obſerve M. Lavater , il
eſt néceſſaire d'obſerver que nous ne pou
vons tenir de la Nature que des qualités générales
, telles que la force , la prompti
tude , la fineſſe , la foibleſſe , la lenteur dans
l'eſprit , une âme forte ou fans reffort , fufceptible
de paffions durables & profondes ,
ou d'émotions vives dominées par les ſens ,
ou peu ſenſible à leurs impreffions. Ce
DE FRANCE. 129
n'eſt qu'entre les qualités de ce genre,&
certaines formes de la tête qu'il peut y avoir
de l'analogie. Par exemple , on naît timide
&peu fentible, & on devient faux. Il pourra
y avoir une forme naturelle qui annonce la
timidité ou le peu de ſenſibilité ; mais une
phiſionomie faufſe ne peut être que l'effet
de l'habitude du menſonge ; ſi l'éducation
ou les circonstances ont changé les diſpoſitions
premières , les formes qui les indi-▾
quent penvent ſubſiſter encore , mais on
trouvera des traits qui indiqueront que ces
diſpoſitions ont été altérées. Un homme dont
la tête étoit conformée pour devenir Newton
ou Voltaire ,& qui , reſte ſans éducation,
aura paffé ſa vie dans les travaux méchaniques,
n'aura point ces ſignes que donne l'habitude
de la méditation ou de l'enthouſiaſme
poétique. En diſant que la vertu embellit,
que le vice enlaidit , M. Lavater entend
ſeulement que le viſage d'un homme
vertueux , s'il n'eſt pas défiguré par des acci-.
dens , a des traits qui le caractériſent , traits
qui plaiſent , ſoit indépendamment de toute
réflexion, foit parce qu'il y reconnoît l'influencede
la vertu; que ſi le vilage d'un
homme vraiment vicieux peut avoir naturellement
les formes de la beauté , on y
trouvera toujours cependant des traits qui
repouffent & qui excitent ou l'horreur ou le
mépris.
M. Lavater paroît avoir moins cherché
jufqu'ici à poſer les fondemens de la ſcience
Fv
130 MERCURE
dont il s'occupe , qu'à en prouver la réalité
& l'utilité. Un des argumens qu'il emploic,
eſt l'eſpèce d'instinct qui nous fait trouver
des charmes dans certaines figures , tandis
qued'autres nous repouffent involontairement.
Il obſerve que cet inſtinct , qui guide
les hommes dans le jugement qu'ils font
des phiſionomies, eſt le même qui les guide
lorſqu'ils prononcent ſur la bonté d'une
pièce de monnoie , d'une étoffe , &c. à la
première inſpection&fans ſe rendre compte
de leur jugement; mais il femble regarder,
cet inftinet comme un bienfait de la Nature
detiné à nous faire connoître la vérité.
Cette dernière opinion ne nous paroît pas
philofophique. L'inſtinct eft- il autre choſe
que le réſultat groffier des jugemens que
nous formons ſans en diftinguer ni l'ordre
ni la ſuite ?
Quand un homme juge , à l'inſpection , de
labonté d'une pièce de monnoie, n'est - il
pas évident que fi le même homme eft accoutumé
à réfléchir , & que vous lui demandiez
les motifs de ſon jugement, il faura
vous les développer en dérail ?
L'instinct du phiſionomiſte n'eſt il pas
comme celui du joueur , qui prend le meilleur
parti fans favoir faire en rigueur les cal
calsnéceffaires pour s'en afſurer ? L'inftinct
nedoit donc pas être regardé comme une
faculté particulière , il eſt un ſentiment produit
par des jugemens confus & prompts ,
&par confequent toujours inférieur au juDE
FRANCE .
gement clair & méthodique de la raifon; il
n'eſt vraiment utile que dans les circonſtances
où il faut ſe décider avec promptitude ;
mais ne croyons pas que les inſpirations de
cet inftinct puiſſent ſervir à fonder les pro
miers principes d'aucune connoillance.
Auſli , ce n'eſt point d'après cet inftinct
ſeul que M. Lavater cherche les principes
de laPhiſiognomonie ; il en établit quelques
autres. Celui- ci , par exemple , qu'il croit
fondé ſur l'obſervation : Que de l'extrémité
inférieure du profil du front , on tire une
ligne horisontale, & que du haut du front
on abaiſſe une perpendiculaire fur cette
ligne , les facultés intellectuelles feront en
général d'autant plus grandes,que le rapport
de la ligne horifontale à la perpendiculaire
fera plus grand; s'il eſt exprimé par l'unité
ou par une fraction plus grande que l'unité ,
l'individu étoit né pour avoir du génie ;
s'il eſt au -deſſous de l'unité , l'eſprit aura
moins de ſagacité ou de force ; le rapport
& demi ou au-deſſous caractériſe le front
d'un idiot. Il ne faut pas faire cette obfer
vation dans la première année de la vie,
parce qu'en même- tenips que l'eſprit ſe
forme cette proportion change , le ſigne du
génie, d'un eſprit profond ne ſe manifeſte
point dans les enfans; l'inſpection des Sit
houettes de gens éclairés & d'idiots, dont
M. Lavater s'eſt procuré un grand nombre,
lui ont fait découvrir ce principe , & l'ont
con firmé.
Fvj
132
MERCURE.
On a fait à l'Auteur un grand nombre
d'objections ſur la réalité de la nouvelle
ſcience , & il les réfute fans peine ; elles
font fondées preſque toutes ſur cette méthode
vague de philoſopher , qui donne
comme des objections contre une ſcience,
le tableau des difficultés & des incertitudes
qu'elle préſente , & qui , en réduiſant les
hommes à ne chercher que ce qui paroît au
premier coup-d'oeil ſimple & fufceptible de
preuves, détruiroit toutes les recherches
dans les Sciences , excepté dans les Mathématiques
, & rétréciroit même le cercle de
celles-ci.
L'utilité de la Phiſiognomonie a été encore
plus combattue. Cela doit être. Beaucoup
de gens font intéreſſés à faire croire
que leur extérieur n'indique point ce qu'ils
ont au fond de l'âme.
Cependant cette utilité nous paroît inconteſtable.
En effet , toute connoiffance
générale eſt utile à la Société , quoique telle
connoiſſance particulière puiſſe être nuiſible
dans un cas donné.
On a objecté les jugemens faux qu'on
feroit expoſé à porter ; mais dans ce cas il
faudroit profcrire toutes les Sciences ; car ,
fur-tout dans leurs commencemens , les
meilleurs eſprits ſont ſujets à y commettre
des erreurs.
On a dit que le goût de cette ſcience rendroit
les hommes prompts à juger ; mais le
mal eft fait,& même ſur les phiſionomies..
i
DE FRANCE:
134
Rien de plus fréquent que ces jugemens ,
& fûrement ils feront vraiſemblablement
moins dangereux lorſqu'on les fondera fur.
des principes raifonnables.
On a dit enfin que cette ſcience détruiroit
les liens de l'humanité entre les hommes.
L'Auteur répond qu'au contraire les
hommes s'en aimeront mieux , que plus on
connoîtra l'homme, plus on l'aimera. Nous
ſommes de fon avis , & cette opinion paroît
prouvée par les faits. L'indulgence , l'humanité,
ſont en général le caractère des Philoſophes
obfervateurs ; & quelque dangereuſe
que puiffe paroître la ſagacité de M.
Lavater , on ne peut s'empêcher , en lifant
fon Ouvrage , de defirer de l'avoir pour
ami : d'ailleurs , tout ce qui pouvoit réſulter
de la ſcience Phiſiognomonique , c'eſt que
ceux qui la poſſéderoient aimeroient plus
les bons , haïroient plus les méchans ,
plaindroient davantage & chercheroient à
corriger ceux qui ne font ni méchans ni
bons, & qui forment le plus grand nombre.
Peut-être la Phiſiognomonie trouveratelle
autant d'obſtacles que les autres Sciencesqui
ont l'homme même pour objet , &
que l'on faura auſſi mauvais gré à ceux
qui voudront démaſquer les viſages , qu'à
ceux qui s'occupent de démaſquer les vices
& les abus : au reſte , les hommes qui
craindroient les lumières que cette ſcience
peut apporter doivent ſe raffurer ; il y
aura auſſi en Phiſiognomonie des ſectes de
134
MERCURE
charlatans , des gens à préjugés ou de mauvaiſe
foi ; on ſaura la plier comme les autres
Sciences aux intérêts de l'avidité , de
l'orgueil ou de la ſottiſe.
Après avoir rendu compte en peu de
mots de l'objet de l'Ouvrage de M. de Lavater&
de ſes principes, il nous reſte à parler
de la manière dont il a traité ſon ſujet.
On peut d'abord être un peu furpris qu'un
Ouvrage deſtiné à prouver la réalité , l'utilité
d'une ſcience nouvelle , & à en donner les
élémens, foit formé d'une ſuite de fragmens.
On connoît les Ouvrages charmans de
Sterne,qui ont donné naiſſance enAngleterre
au genre ſentimental ; mais ce genre , fi
piquant dans des Romans , est-il celui qui
convient à la Philofophie ? Smith , Fergufon
du moins ne l'ont pas cru. Rouffeau ne
l'employoit que lorſqu'il fentoit trop bien
que l'analyſe philofophique conduiroit à
d'autres réſultats que ceux où il vouloit
amener fes Lecteurs. Il paroît à la mode en
Allemagne , & c'eſt celui de M. Lavater.
Sans doute ce genre a des charmes dans
un Auteur qui a de l'originalité , de l'imagination,
de la ſenſibilité & des grâces , &
c'eſt ce qu'on trouvera dans l'Ouvrage de
M. Lavater , quoique traduit ou écrit par
l'Auteur dans une langue qui n'eſt pas la
fienne.
Mais l'abus de ce genre feroit funefte.
S'il eſt un moyen d'éternifer les préjugés, de
retarder les progrès de la raiſon, c'eſt en
DE FRANCE.
135
portant dans la Philoſophie toutes les formes
propres à ſéduire l'imagination , à s'emparer
de l'âme des Lecteurs , en mettant la
ſenſibilité à la place de la raiſon , en nous
rappelant ſans ceſſe à notre ſentiment , à
notre instinct , quand il ne faudroit ſonger
qu'à perfectionner notre jugement.
Tout moyen qui peut ſervir l'erreur comme
la vérité, eft indigne de la Philofophie. C'eſt
la rabaiſſer que de vouloir lui créer un epire
ſur l'imagination & fur les âmes mobiles
, c'eſt la dégrader au niveau des ſuperſtitions
les plus abfurdes. N'est - ce point par
ce même moyen qu'elles ſe ſont établies ,
qu'elles ont eu des profelytes dans leur origine,&
des apologiſtes dans leur décadence ?
M. Lavater devoit moins que perſonne
donner le mauvais exemple. Ce n'eſt point
par l'impuiſſance d'analyſer ſes idées , de
ſuivre des raiſonnemens , qu'il l'a choifi . On
voit qu'il eût pu prendre une autre forme ,
&que ſon choix a été volontaire. Sans doute
il a cru que traitant un ſujet extraordi
naire , parlant d'une ſcience regardée comme
chimérique , il devoit craindre de n'être point
lû s'il n'écrivoit que pour les Philofophes. Il
a voulu faire un Ouvrage intéreſſant pour
toutes les claſſes de Lecteurs , & il a réuffi .
Onſe ſent entraîné en lifant ſon Livre ; l'impreſſion
qu'il a faite ne s'efface point en le
quittant; on fe le rappelle involontairement
dans les fociétés , dans les promenades ; on
cherche à appliquer ſes règles , à les véri
136 MERCURE
fier ſur les individus que l'on rencontre.
Foprenelle, craignant de n'être pas entendu
de ſes contemporains s'il leur parloit de
l'utilité réelle qui pourroit réſulter un jour
des combinaiſons abſtraites de l'Algèbre ,
leur diſoit : Quand ces fpéculations nefervi
roient qu'à rendre heureux ceux qui s'en oc
cupent, n'est- ce rien que de procurer aux
hommes un bonheur qui n'estpoint aux dépens
de leurs semblables ? Qu'il nous foit permis
d'en dire autant de l'Ouvrage de M. Lavater.
La ſcience phiſiognomonique , fût - elle
même auſſi inutile pendant quelques fiècles
qu'a pu l'être la théorie des quarrés magiques
, elle n'eſt pas à dédaigner ſi elle enlève
à l'activité ou à l'ennui une partie du
temps qu'ils dévorent. On fait combien de
connoiffances ſuperficielles en Botanique
amuſent à la campagne , combien on trouve
de plaiſir à chercher une plante , à en retrouver
le nom , le genre , les caractères.
L'Ouvrage de M. Lavater offre aux habitans
des Villes unplaifir du même genre;& nous
ne pouvons mieux finir l'extrait de cet Ouvrage,
qu'en exhortant les hommes éclairés à
y chercher des vûes utiles ou les fondemens
d'une ſcience nouvelle , & les gens oififs
des grandes Villes , à le lire non- feulement
pour l'amusement qu'ils y trouveront, mais
à cauſe du goût qu'ils pourront y prendre
pour les obſervations phifiognomoniques ,
les ſeules dont ils puiſſent s'occuper fans
rien changer à leur manière de vivre.
DE FRANCE. 137
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert du Vendredi premier Novembre
, n'a offert aucune nouveauté remarquable,
Le feul morceau exécuté pour
la première fois , fut un Oratoire de M. le
Noble , jeune Compofiteur , connu pour
jouer très agréablement du violon. Cet ouvrage
eſt un efſfai , & tout effai mérite des
encouragemens. Mais on doit avertir M. le
Noble de ſe défier des lieux communs. Dans
ſes premières compoſitions un Artiſte , jaloux
de montrer tout ce qu'il fait , emploie
ſouvent les effets dont il a été frappé , &
croit les devoir à ſon imagination , randis
qu'il ne les doit qu'à ſa mémoire. La fymphonie
d'Hayden , par laquelle le Concert a
commencé , a été fort bien exécutée , & a
plû généralement. Ce charmant Compofiteur
, par le brillant , la grâce , la nouveauté
de ſes idées , a trouvé l'art de ſe couvrir de
gloire & de ſe placer au premier rang dans
un genre que les Grands- Maîtres de fon
pays , les Stamitz , les Toeſchi, &c. fembloient
avoir épuiſé; car il faut convenis
que c'eſt à l'Allemagne qu'on doit les meilleurs
Compoſiteurs Symphonistes. Mlle
Burette, cadette,atrès bien chanté une ariette
138 MERCURE
Italienne. On dit que cette jeune Cantatrice
doit bientôt débuter au Théâtre Italien.
Malgré ſes ſuccès à l'Opéra , on ne peut que
defirer avec empreſſement de la voir ſur un
Théâtre où ſes grâces , ſa figure , la fineſſe
de fon chant & le volume de ſa voix feront
dans un optique plus favorable. MM. Fodor
&Bezozzi ont exécuté chacun on Concerto
d'une manière digne de leur réputation.Mme
Saint-Huberti a chanté un air Italien de
Paifiëllo , & quelquesfolo dans le morceau
de la fin. Son zèle infatigable , qui la porte
à chercher toutes les occafions de plaire , lui
mérite déjà la reconnoiſſance du Public ;
mais il en doit encore davantage au foin
qu'elle prend de perfectionner ſon talent.
L'adreſſe avec laquelle elle portoit ſa voix ,
&la ménageoit dans les cordes aiguës , furtout
dans le Cantabile de ſon air , prouve
qu'elle ſauroit toujours s'en rendre maîtreffe,
même en Scène , ſi elle ne ſe laiſſoit quelquefois
entraîner par une mauvaiſe habitude
priſe avant elle; mais il appartient à un
talent comme celui de Mme Saint-Huberti ,
dedonner des loix , & non de ſuivre des
préjugés ; il faut qu'elle ait le courage de
ſacrifier aux progrès de l'art , des applaudiffemens
donnés par le mauvais goût , &
qu'elle ſe perfuade bien qu'en général les
cris ne font de l'expreſſion que pour une
muſique qui n'en a point d'autre .
Concert a fini par l'Offertoire & la Profe
de la Meſſe des Morts , de M. Goffec. La
- Le
DEFRANCE.
139
réputation de ces morceaux eſt faite , mais
on les entend toujours avec un nouveau
plaifir.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
CE Spectacle a été interrompu depuis le
31 du mois dernier juſqu'au Vendredi 9 de
ce mois. Cet intervalle a été employé à
l'achèvement des travaux, néceſſaires pour le
prolongement du Theatre , qu'on a annoncé
précédemment. On a été étonné qu'une opération
fi conſidérable ait pu être exécutée
en auffi peu de temps; & l'on doit ſavoir
gré à l'Adminiſtration d'avoir mis tant d'activité
à l'exécution d'un projet , qui ne peut
être que très-favorable à l'embelliſſement &
à la perfection de ce Spectacle.
L'opération confiftoit à prolonger de 21
pieds le mur du fond du Théâtre par l'un
de ſes côtés : par- là on a reculé de ſept pieds
l'avant-Scène ; on a donné un rang de plus
à l'Amphithéâtre & deux rangs au Parterre.
On a élevé en même temps cinq loges de
plus de chaque côté de l'avant- Scène.
L'ouverture s'eſt faite Vendredi 9 , par
une repréſentation de Caſtor; & le Public a
paru très- content des changemens qui ont
été faits. C'eſt ſur-tout dans le Ballet des
Champs Élysées , au quatrième Acte , qu'on
a ſenti tout l'avantage de ce prolongement
duThéâtre pour le développement des grou
140 MERCURE
pes , la dégradation des plans , & les effets
de la perſpective.
Le Sieur Chéron a joué , pour la première
fois , le rôle de Pollux,& y a été fort applaudi.
Ce jeune Acteur,qui joint une figure
avantageuſe , de l'intelligence , la connoiffance
de la muſique, à une des plus belles
voix de baffe- raille que l'on ait encore entendues
à ce Théâtre , n'a beſoin que d'étude
pour jouer avec ſuccès tous les rôles convenables
à ſa voix,
Il y a eu au Ballet du cinquième Acte ,
deux Entrées nouvelles , dans leſquelles les
Sicurs Gardel le jeune & Nivelon ont danſé
avec les talens dont ils donnent chaque jour
de nouvelles preuves .
GRAVURES.
P
ORTRAIT de M. Garrel, Supérieur du Sémi
naire de S. Louis , gravé par Langlois , d'après
Broffard de Beaulieu, A Paris , chez M. Jacob , rue
de la Harpe, maiſon du Limonadier , attenant le
Collège d'Harcour. Prix , I liv. 4 ſols .
Apothéofe de Voltaire , peint par M. Dardel , &
gravé par M. Legrand. A Paris , chez Legrand , rue
Saint Jacques , vis à vis celle des Mathurins. Prix ,
3 liv.
Description particulière de la France , Département
du Rhône , Gouvernement de Bourgogne , feizième
Livraiſon , contenant huit Eftampes , à 12 liv.
pour Paris; & pour la Province & Pays étrangers ,
14 liv. 8 fols. 1
1
2
DE FRANCE.
141
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PROSPECTUS.
TRAITĖS des Afſurances &des Contrats à la Groſſe,
par M. Balthazard - Marie Emérigon , Avocat
en la Cour, ancien Confeiller au Siège de l'Amirauté
de Marfeille. Proposé par Soufcription.
CET
ET Ouvrage étoit devenu néceſſaire; & la répu
tation du Jurifconfulte qui en eſt l'Auteur , doit faire
bien augurer du ſuccès. Voici dans quels termes M.
Valin en parle dans la Préface de fon Commentaire
fur l'ordonnance de la Marine , page 9. « Je con-
>> nois un célèbre Jurifconfulte, qui en a commencé,
>> ( du Confulat de mer ) une nouvelle traduction ,
>> enrichie de notes pour l'intelligence du texte , &
- d'obſervations relatives aux difpofitions de notre
• Ordonnance, & à l'uſage actuel du Commerce.
>> C'eſt M. Émérigon , Avocat au Parlement d'Aix .
> & Confeiller à l'Amirauté de Marſeille , ce ſavant
>>>généreux , que le haſard m'a fait connoître , &
>> qui ne fut pas plutôt inſtruit que je travaillois à
>> un Coinmentaire ſur notre Ordonnance , qu'il
m'offrit , avec une cordialité & un déſintéreſſement
>> peut-être ſans exemple , tout ce que , par une étude
>> affidue& réfléchie , il avoit recueilli de déciſions
> & d'autorités convenables à cet objet..... Il m'a
> fait paſſer une copie de cette riche Collection,dont
j'ai fait un tel uſage , que preſque tout ce que l'on
>> trouvera de bon dans ce Commentaire , quant à
>> la partie de la Jurisprudence , eft , en quelque
>> forte, autant fon ouvrage que le mien.... Quant
à la traduction du Confulat qu'il m'a avoué être
>> fort avancée, en vain je l'ai preſſé de l'achever....
142
MERCURE
1
>> Puiffe cette nouvelle exhortation , appuyée des
>> voeux du Public , le forcer enfin de ſe rendre. >>>
Cen'eſt pas ſeulement une traduction du Confulat de
la mer , que M. Émérigon donne aujourd'hui aux
voeux du Public ; c'eſt un Ouvrage bien plus précieux,
bien plus étendu ,&dans lequel il a employé,
preſqu'en entier , le travail qu'il avoit fait ſur le Conſulat
, & dont M. Valin deſiroit la publication . Çet
Ouvrage eſt le réſultat des connoiſſances que l'Auteur
a acquiſes , ſoit par une étude de plus de quarante
ans, foit par ſa longue expérience dans les fonctions
delaMagiftrature &dans l'exercice du Barreau.
L'Ouvrage , compoſé de deux Volumes in-48.
d'environ fix à ſept cent pages chacun , caractère
& papier pareils au Proſpectus , coûtera 20 livres
enfeuilles. L'augmentation du prix du papier , à
cauſedesdroits nouvellement ajoutés aux anciens, a
mis dans le cas de le paſſer à ce prix. Les Perſonnes
qui n'auront pas ſouſcrit avant le premier
Janvier 1783 , payeront l'Ouvrage 24 livres en
feuilles pour Marſeille; & pour le reſtant de la
France,la ſouſcription ſera ouverte juſqu'au premier
Avril 1783 ; paffé ledit temps , on ne pourra plus
ſe le procurer qu'à 24 liv. en feuilles. On en imprimera
quelques Exemplaires en grand papier , dont
le prix ſera de 36 liv. les deux Volumes en feuilles.
On payera en ſouſcrivant 6 livres , en retirant le
premier Volume en Avril 1783 , 9 livres , en retirant
le ſecond en Octobre 1783 , 5 liv. Total ,
20 liv. On ſouſcrit à Marseille , chez Jean Moffy ,
Imprimeur - Libraire , à la Canebière ; & à Paris ,
chezDurand neveu , Libraire , rue Galande ; Cellot ,
Imprimeur - Libraire , rue des grands Auguſtins ;
Barrois le jeune & Lamy, Libraires , quai des Auguftins;
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ,
&chez les principaux Libraires de la France & des
Pays étrangers.
L4
DE FRANCE.
143
Le Diable Boiteux , ou la Choſe Impoffible ,
Divertiſſement en un Acte , mêlé de Vaudevilles ,
par M. Favart le fils , repréſenté pour la première .
fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi , le
Vendredi 27 Septembre 1782. A Paris , chez la
Veuve Ducheſne, Libraire , rue Saint Jacques , au
Temple du Goût.
Inſtitutions Militaires de l'Empereur Léon le
Philofophe, traduites en François, avec des Notes &
des Obfervations , ſuivies d'une Differtation sur le
feu grégeois , par M. Joly de Maizeroy , Lieutenant-
Colonel d'Infanterie , de l'Académie Royale des Infcriptions
& Belles-Lettres , première & ſeconde
Parties , nouvelle Édition corrigée. A Paris, chez
Claude- Antoine Jombert fils aîné , Libraire du Roi
pour le Génie & l'Artillerie , près le Pont-Neuf.
Recherches fur les moyens d'exécuter ſous l'eau
toutesfortes de travaux hydrauliques fans employer
aucun épuisement, par M. Coulomb , Capitaine en
premier dans le Corps Royal du Génie , Correſpondant
de l'Académie Royale des Sciences. A Paris ,
chez Lamy , Libraire , quai des Auguftins.
Les principales bévues des Vignerons aux environs
deParis&par-tout , on Avis très important à tous
lesPropriétaires des vignes , pour fervir de ſuite à
la nouvelle Méthode de planter & de cultiver la
vigne, joint à l'Avis & Leçon aux Laboureurs , à
l'usagede tous lespays vignobles ou non vignobles ;
par M Maupin , petit in-8 ° . de 43 pages. Prix des
deux Ouvrages , 2 liv. 2 fols avec le reçu ſigné de
l'Auteur. A Paris , chez Muſier & Gobreau , Libraires
, quai des Auguſtins .
Pouillé du Diocèse de Poitiers par ordre alphabétique,
contenant l'Évêché , les Archidiaconés , les
Archiprêtrés , les Abbayes & autres Bénéfices , ſous
quelques dénominations que ce ſoit , avec les noms
144 MERCURE
des Saints ou Saintes ſous l'invocation deſquels ſont
les différens Bénéfices , les Ordres de chaque Abbaye
ou Prieuré , les Préſentateurs & Collateurs ,
&c. , avec des Notes hiſtoriques ; par un ancien Secrétaire
de l'Évêché , & Greffier des Infinuations
Eccléſiaſtiques du Diocèſe de Poitiers , in- 8 °. de
380 pages. Prix , 4 livres broché. A Poitiers , chez
Michel- Vincent Chevrier , Imprimeur - Libraire de
l'Univerſité , rue de l'Intendance ; & à Paris, chez
J. F. Baftien , Libraie, rue du Petit-Lion , Fauxbourg
Saint-Germain .
Etude Militaire , par M. le Baron de Traverſe ,
nouvelle Édition , augmentée d'un Supplément & de
Figures en taille- douce , 2 Vol. in- 12 . Prix , 2 livres
8 fols. A Paris, chez Pichard , quai & près des
Théatins.
De la Paffion de l'Amour , de ſes causes , & des
remèdes qu'ilyfaut apporter en la conſidérant comme
maladie , par M. J. F. Médecin Anglois. Prix ,
I liv. 4 fols. A Paris , chez le même.
TABLE.
PITRE à un Ami , fur les Éloge de Louis XII, père du
ridicules d'unefausse Philo- Peuple ,
E
123
Sophie, 97 Effai fur la Phiſiognomonie ,
De l'Histoiredes Nations Sau 127
vages 106 Concert Spirituel , 137
Enigme& Logogryphe , 118 Académie Roy. deMusiq. 139
Lettres d'Héloise & d'Abai Gravures , 140
lard, 119 Annonces Littéraires , 141
APPROBATIO Ν.
J'Ar lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 16 Novembre. Je n'y al
zien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.A Paris ,
Le Is Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Septemb.
LE 20 de ce mois la Sultane favorite eſt
accouchée , dans le Harem , d'un Prince qui
a été nommé Sultan Méhémet Bey. Cette
nouvelle a été annoncée ſur- le - champ au
Peuple par une triple décharge d'artillerie ,
qui a été répétée les trois jours ſuivans.
On évalue les pertes occaſionnées par les
derniers incendies , à pluſieurs centaines de
millions d'écus. Le mécontentement qui les
a occaſionnés ne paroît pas encore diſſipé ;
& nous ſommes toujours à la veille d'en
éprouver de nouveaux effets. Ces jours derniers
une troupe d'Albanois s'aſſembla dans
les environs du Château des Sept - Tours ;
leur projet étoit d'y mettre le feu , & d'achever
la deſtruction de cette malheureuſe
Capitale. Heureuſement l'Aga des Janiſſaires
fut averti affez à tems pour en prévenir
16 Novembre 1782.
( 98 )
l'exécution. Il ſe hâta d'attaquer ces ſcélérats
, qui te défendirent , & qui le bleſsèrent
même ; mais on réuffit à ſe ſaiſir des principaux
Chefs , dont les uns ont été étranglés
&les autres jettés à la mer.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 8 Octobre.
On a célébré Mardi dernier l'anniverfaire
de la naiſſance duGrand-Duc , & Jeudi
celui du couronnement de l'Impératrice, qui
a inſtitué à cette occaſion un nouvel Ordre
de Chevalerie , ſous le nom de S. Wolodimir
, premier Duc de Kiovie , qui , dans
le 8º fiècle embraſſa la Religion Chrétienne.
Cet Ordre eſt également civil & militaire ;
lesChevaliers font partagés en quatre clafſes.
Tous jouiront de penſions , qui , pour
la première claſſe , ſont de 600 roubles , de
400 pour la ſeconde , de 200 pour la troiſième
, & de 100 pour la quatrième. L'Archevêque
de cette Ville a béni folemnellement
les marques de cet Ordre , dont S. M. I.
s'est décorée ; elle doit nommer inceſſamment
les perſonnes qu'elle en doit honorer.
Une des conditions de l'Inſtitut , eſt que ,
pour l'obtenir , il faut avoir ſervi l'Etat
pendant 35 ans , ſans tache ni reproche.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 14 Octobre.
IL eſt arrivé le 11 & le 12 de ce mois
( 99 )
dans le Sund , 120 bâtimens venans de la
Baltique ; & 86 , la plupart ſous pavillon
Pruffien , en ont fait voile pour la mer du
Nord. On compte actuellement dans le Sund
160 bâtimens , dont 59 Anglois. Tous font
deſtinés pour la mer du Nord.
La frégate le Cronenbourg , Capitaine
Ramashart , eſt allée en rade , elle doit ſe
rendre aux Indes Occidentales.
On a reçu diverſes lettres , par leſquelles
on apprend que le navire Danois le Prince
Frédéric , parti de Bordeaux au mois de Mai
dernier pour la Guadeloupe , a été pris par
un vaiſſeau de guerre Anglois , & conduit
à Ste- Lucie. Ce navire commandé par M.
Stibolt , Lieutenant de la Marine , appartient
à la Compagnie de Commerce des
Indes Occidentales.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 16 Octobre.
LE 9 de ce mois la Diète a terminé l'affaire
de l'Election des Membres qui doivent
compoſer le Conſeil Permanent ; le Comte
deGraczinsky , Général de la Grande-Pologne
, a été élu Maréchal de ce Tribunal
ſuprême ; & le Comte Nuruſſewicz , Coadjuteur
de Smolensk , a été nommé Secrétaire.
Les nouveaux Membres pour la Commiſſion
du Tréſor , ont été auſſi nommés ;
on croit qu'on y ajoutera le PrinceAuguſto
C2
( 100 )
Sulkowski , Vaivode de Poſen , qu'on s'attendoit
à voir placer au nombre de ceux du
Conſeil Permanent.
Juſqu'à préſent tout s'eſt paffé avec beaucoupde
tranquillité ; mais on craint toujours
des debats très-vifs , lorſque les Députés ſe
raffembleront dans leur Salle ; la nature des
affaires dont ils doivent s'occuper , donne
quelque fondement à ces craintes.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Octobre.
Le Comte & la Comteſſe du Nord , après
avoir paflé is jours dans cette Capitale , en
font partis hier à 9 heures du matin; l'Empereur
les a accompagnés juſqu'à Nicolsbourg
, où ils ont pallé la nuit ; le Général
Brown doit les conduire juſqu'à Troppau ,
d'où ils pourſuivront ſur Ratibor , par la
Pologne , leur voyage juſqu'à Pétersbourg.
Le Is de ce mois les Députés des Etats
de la Baffe-Autriche , qui doivent s'affembler
demain , furent admis à l'audience de
l'Empereur; il leur remit les propoſitions
fur leſquelles ils doivent délibérer.
Par un Décret Impérial du 14 Septembre
dernier qui vient d'être publié , l'Univerſité
&le Séminaire de Brinn ont été ſupprimés ,
&il a été établi un College à Olmutz , compofé
de 12 Profeffeurs ,dont 4enſeigneront
la Théologie , 2. la Jurisprudence , 2. laMé
i
( 101 )
decine , & 4. la Philoſophie & les Sciences
politiques & économiques.
L'Empereur a envoyé à chacun des Evê
ques des Etats de ſa domination , un exemplaire
de la Lettre Paftorale de l'Archevêque
de Salzbourg. Ce Prélat reſpectable a accordé
de ſa caiffe 4000 florins , pour l'aggrandifſement
de l'Hopital Bourgeois , une pareille
ſomme pour l'entretien des Perſonnes qui
ont l'eſprit aliéné ,& une autre égale encoro
pour les Incurables.
S. M. I. a fait publier l'ordonnance ſuiyante,
en date du 11 Septembre dernier.
Nous Joſeph II , &c . &c . Les Ordres Réguliers
n'ayant été reçus dans nos Etats que dans la vue
d'aſſiſter le Clergé Séculier dans ſes fonctions curiales
, & de ſervir utilement le peuple en lui adminiftrant
les ſecours ſpirituels; mais ces vues ſa
lutaires ne pouvant être obtenues qu'autant que les
Ordres Réguliers ſeront foumis à l'Evêque dans
le Diocèle duquel ils ſe trouvent établis , & Dieu
** ayant lui - même ſubordonné tous les fidèles Diocéſains
, fans exception d'Etat quelconque , à l'Ordinaire
, qui ſeul', d'après l'inſtitution divine , a
reçu le dépôt de la vraie Doctrine Catholique ,
c'est-à-dire , la diſpenſation de tout ce qui dépend
du faint Ministère , & en général tout le pouvoir
qu'exige la cure d'ames ; nous nous croyons obligés
de déraciner les abus qui , d'un côté , ſont
contre cette inſtitution , & de l'autre , peuvent devenir
dangereux pour l'Etat. Dans ce nombre nous
plaçons principalement les exemptions du pouvoir
& de la jurifdiction de l'Ordinaire , accordées ſous
divers prétextes par quelques Papes à des Couvens
, Communautés , Maiſons , Lieux & Perſonnes ,
tant du Clergé Régulier que Séculier. Mais comme
e3
( 102 )
par de pareilles exemptions l'Ordre Eccléſiaſtique
a été interrompu , & qu'il en est réſulté beaucoup
de mal pour l'Etat , par des envois d'argent à des
caiſſes étrangères , par une déſobéifſance ſcandaleuſe
aux Règlemens falutaires & néceſſaires des
Evêques , par l'évocation des procès aux Tribunaux
de la Cour de Rome , & fur-tout par le relâchement
de la difcipline clauſtrale & du bon
'ordre ( abus auxquels les Evêques ne pouvoient
toucher à cauſe des exemptions ) , & qu'en général
ses exemptions établies ſans l'agrément da Souverain
doivent être regardées comme des attentats
contre ſes droits , & qu'il est contre toute règle
que ſes S jets foient traînés devant des Tribu .
naux étrangers ; Nous , de notre plein pouvoir &
autorité , avons jugé à propos d'ordonner par la
préſente, voulons & ordonnons que les Priviléges ,
les Chartes d'exemptions , & autres Conceſſions données
par forme de Bulle , de Bref, & d'une autre
manière quelconque , ne foient plus valables quant
à l'exemption du pouvoir & de la jurisdiction de
l'Ordinaire ou du Métropolitain , & que par conféquent
tous les Couvens , Communautés , Perfonnes
& Lieux , fans aucune exception , foient
foumis à la conduite & à l'autorité de l'Ordinaire
, auquel ſeul ils obéiront , foit qu'il foit quel.
tion d'un objet de doctrine on d'un objet de dif-
-cipline : cette Déclaration de mullité doit s'étendre
fur tous les Privileges , Chartes & Conceffions dornés
par le paffé , & fur ceux qui pourront être
accordés par la ſuite. Nous annullons pareillement
par la Préſente , les conventions & les concordats
qui pourroient avoir été faits relativement à l'exemption
entre l'Ordinaire & quelques Couvens , Communawés
ou Perſonnes , ou qui pourront être faits
à l'avenir . Nous attendons avec confiance , de la
part des Ordinaires , que , toutes les exemptions
quelconques ceffant dans ce moment, ils apporte
( 103 )
ront tous leurs foins à l'exercice de leurs fonctions
paftorales ſur les perſonnes & les endroits
qui avoient joui de l'exemption , & ils peuvent être
aiſurés de notre aſſiſtance lorſque le cas l'exigera.
En conféquence les Ordinaires pourtont , ſelon leur
gré , faire des viſites , réformer la diſcipline clauftrale
, & employer le Clergé pour la cure d'ames.
Les Supérieurs des Couvens ou d'autres perſonnes
Eccléſiaſtiques qui oferont défobéir à la préſente
Ordonnance , feront punis ſelon l'exigence des cas ,
ſoit par leur expulfion du pays , ſoit par la ſuppreffion
des Maiſons auxquelles ils font préposés.
Finalement nous voulons que les Couvens , Communautés
ou Perſonnes qui poſsèdent des titres
d'exemptions du pouvoir& de la jurisdiction épilcopale
, envoient , ſous des punitions très - ſévères
en cas de négligence , d'ici au prem'er Novembre
de la préſente année , les originaux de ces titres
&des copies authentiques au Tribunal de la jurisdiction
duquel ils dépendent «.
Notre cominerce ſe préſente de la manière
la plus avantageuſe dans la Mer Noire ;
le premier bâtiment qui y avoit été envoyé
y a gagné conſidérablement. Les Sujets de
S. M. I. dans les Pays-Bas , ſecondés par le
Gouvernement , font les plus belles entrepriſes
; ils viennent de faire une tentative
pour le commerce d'Afrique , où une Coinpagnie
a expédié un bâtiment.
L'Empereur a fait remettre une médaille
d'or au ſieur Naco , qui a fait avec ſuccès
une plantation de cotonniers dans le Bannat
; à cette marque de ſa bienveillance
S. M. I. a ajouré une lettre , par laquelle
elle l'aſſure de ſa protection , & l'encourage
à continuer ſes tentatives.
c 4
( 104 )
De
FRANCFORT , le 25 Octobre.
LES nouvelles du Nord & des frontières
de la Turquie font toujours craindre une
rupture entre l'Empite de Ruffie & l'Empire
Ottoman. Elles confirment le bruit qui
s'eſt répandu des préparatifs qui ſe font
dans les provinces Européennes de la Turquie
, où l'on relève toutes les fortifications
des places , & vers leſquelles il défile des
corps conſidérables de troupes qui viennent
d'Afie. S'il faut en croire les mêmes
lettres , il y a eu en Crimée une action
entre un corps Ruffe & une partie de l'armée
Tartare , ſous les ordres d'un couſin
du Khan actuel ; elles fixent cette action
au 8 du mois d'Août dernier , & elles affurent
que l'avantage eſt demeuré aux Ruffes.'
Selon les avis de Pologne , pluſieurs régimens
Ruſſes s'aſſemblent à Mohilow &
en partent ſucceſſivement pour les frontières
de la Turquie , où ils feront prêts
à agir ſi , comme on le craint , la Porte déclare
la guerre à la Ruffie .
Au milieu de ces nouvelles , il s'en répand
depuis quelques jours qui annoncent
une révolution à Conftantinople , dont
l'effet pourroit bien être de retarder toute
entrepriſe hoftile de la part de la Porte ;
mais ces nouvelles fondées ſur la fermentation
qu'on dit régner dans cette capitale
de l'Empire Ottoman , & qui s'eſt mani
( 1ος )
feſtée par les incendies qui l'ont détruite
en partie , ſont encore bien vagues.
Onécrit de Berlin que l'année prochaine
il ſera ſubſtitué de nouvelles évolutions
militaires à celles qui ont été en uſage
juſqu'à préſent dans les armées du Roi
de Pruffe.
On affure que le traité d'échange entre
S. M. I. & la République de Veniſe approche
de ſa concluſion. La rivière de Lifonzo
formera , dit-on , la limite entre les
poffeffions reſpectives. Tout ce qui est
au-delà de cette rivière ſera cédé à la République
, qui de ſon côté cédera à l'Empereur
la part qu'elle avoit de l'Iſtrie , &
en outre 8 autres petites ifles très- importantes
pour le port de Trieſte.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 6 Octobre.
1
La liberté donnée aux arts & aux més
tiers dans les villes de la Toſcane par la
bienfaiſance du Souverain , n'y attire pas
un plus grand nombre d'Artiſans parce
que les encouragemens donnés en mêmetems
à l'agriculture , retiennent les Laboureurs
dans les campagnes. Cet art d'attacher
les hommes à leurs profeffions refpectives
, eſt peut- être le plus fublime &
le plus intéreſſant de tous ; il faut en
cacher les refforts, avec beaucoup de foin
pour ne pas cauſer un mouvement con
es
( 106 )
2
tinuel dans les différentes claſſes de la
fociété , & pour retenir dans chacune
d'elles les individus que la naiſſance y a
placés. Ce grand art n'a été ni mieux
connu ni mieux pratiqué nulle part qu'ici.
On vient de publier l'ordre ſuivant en
date du 28 du mois dernier.
>> S. A. R. conſidérant que la condamnation des
malfaiteurs a pour but principal de ſervir d'exemple
aux mal intentionnés & de frein au crime , & que
c'eſt une fatisfaction due au public par un Gouvernement
juſte, de manifeſter qu'il n'eſt entré dans
le jugementdes coupables , ni indolence , ni faveur ,
ni cruauté, ni aucun ſentiment arbitraire , a ordonné
qu'à l'avenir tous, ceux on celles qui feront condamnés
aux travaux publics ou à la prion pour 3
années , ou à l'exil pour sans & plus , avant de
fubir la peine à laquelle ils ferent condamnés , feront,
au fon de la cloche , expoſés à la porte du
Préteire , portant un écrieau où ſera le nom du
coupable , la nature de fon délit , la peine qui lui
aété infligée... Les condamnés aux travaux publics
ne pourront fortir du Bagne qu'en portant fur eux ,
d'une marière viſible , un pareil écritean ; & le ſor-
Intendant du Bagne pourra infliger telle punition
qu'il jugera convenable à tout coupable qui parcîtroit
fans cet écriseau , & qui l'auroit jetté en chemin
ou perdu . L'Auditeur fiſcal de Florence & le
Lieutenant-Général de Sienne feront notifier cet
Edit dans l'étendue de leur reffort , pour en opérer
l'exécution entière «.
ANGLETERRE.
1
De LONDRES , les Novembre.
La Cour n'a publié encore aucune des
nouvelles qu'elle a reçues de l'Amérique
( 107 )
ſeptentrionale. Nous ignorons où en ſont
les affaires dans cette partie du monde , &
quels ont été les effets de la ſupériorité ſur
mer que nous y a rendue l'arrivée de l'Amiral
Pigot à New- Yorck : on fait qu'il eſt
entré dans ce port plus tard qu'on ne l'eſpéroit
; on compte parmi les motifs qui l'ont
retardé celui d'eſſayer d'intercepter l'eſcadre
du Marquis de Solano dans ſon trajet
de St Domingue à la Havane ; s'il a eu ce
deſſein , il l'a manqué , & cette tentative
l'a empêché de rien tenter contre celle de
M. de Vaudreuil qu'il pouvoit peut- être
eſpérer de joindre , & qui paroiffant la première
dans ces parages , a tellement effrayé
le convoi de l'Emeraude & du Cyclope qu'au
lieu de ſe rendre à New - Yorck , il a été
à Hallifax pour échapper à l'ennemi ; il y
a des troupes Allemandes ſur ce convoi;
il eſt important de les conduire à leur
deſtination ; & cette opération indiſpenfable,
occupera ſans doute une diviſion de
l'eſcadre de l'Amiral Pigot , & retardera
en conféquence ſon départ pour les ifles ,
où il eſt à préſumer que les François réparés
& n'ayant rien à faire ſur le conti
nent , feront encore de retour les premiers ,
& en état de s'oppoſer à ce que nous y pourrons
entreprendre.
La Cour s'eſt contentée de publier ſur la
priſe de l'Aigle par le floop le Duc de
Chartres , l'extrait d'une lettre de l'Amiral
Digby. Le Pensylvania- Packet contient ſur
e6
( 108 )
cet évènement deux lettres qui fuppofent
que le Duc de Chartres n'a pas fait ſeul
cette prife. La première eſt du Baron de
Viomenil au Commandant de l'Eſcadre
Angloiſe dans la Delaware en date du 15
Septembre , & conçue ainfi.
>> M. de la Touche , Commandant de l'Aigle ,
fregate du Roi , que la fortune vient de mettre
entre vos mains , et mon ami intime , & M.
le Duc de Lauzun , M. le Marquis de Laval &
les autres Officiers François qui ſe trouvoient à
bord de la frégate , lui ſont ſi tendrement attachés
, que je me flatte que vous ne déſapprouverez
point l'envoi que je vous fais d'un Parlementaire ,
pour vous prier de nous informer de la ſanté de
cet Officier; alors toutes nes inquiétudes feront
calmées , puiſque nous sommes tous intimement
pertuadés, qu'aucune Nation ne ſait mieux apprécier
que la vôtre , le mérite d'un Officier malheureux.
Nous regarderons toutes les attentions
que vous voudrez bien avoir pour M. de la Touche
dans ſa ſituation préſente, comme fi elles nous
étoient propres ; & vous devez être convaincu
que nous les rappellerons toujours avec la plus
vive reconnoiffance. -Nous nous intéreſfons auffi
particulièrement au fort de M. du Queſne , qui
nous eſt cher à tous égards , & vous me ferez le
plus grand plaifir en m'informant de ſon état. M. de
laTouche avoit à bord de ſon vaiſſeau un jeune
frère, dont la ſanté nous inquiète , ainſi que celle
de tous les Officiers qui étoient ſous ſes ordres.
Ils méritent tous , par leur bravoure & par leur
zèle pour le ſervice du Roi mon maître , que vous
les honoriez de vos ſoins. Si vous ne voyez aucun
inconvénient à rendre aux Officiers qui étoient
paſſagers à bord de la frégate , les domeſtiques
qu'ils avoient avec eux,vous leur rendrezun fer(
109 )
vice dont ils ſeront éternellement reconnoiſfans.
Agréez les afſurances , &c. «
Le Commodore Elphinston à qui cette
lettre étoit adreſſée y fit la réponſe ſuivante
le même jour.
ود M. Votre lettre que je reçois à l'inſtant eft
le fruit d'un excellent coeur. Je viens d'envoyer
votre note à M. de la Touche , & j'eſpère que
l'Officier vous rendra ſa réponſe. Permettez- moi ,
M. , de vous aſſurer que j'ai cherché à rendre la
fituation de ce digne & brave Officier auffi douce ,
que le défordre où je me trouve a pu le permettre.
Je dois les plus grands égards à ſon mérite
&à ſa conduite diftinguée , & fi j'oſe avancer mon
avis , perſonne n'a montré plus de courage &
d'adreſſe à conduite le vaiſſeau du Roi ſon maître.
M. de la Touche a mis tous ſes ſoins à fatisfaire
les Officiers de terre , en veillant à leurs in
térêts. On a ſauvé beaucoup d'effets , mais le plus
grand nombre ſera perdu , vu la quantité confidérable
d'hommes qui étoient à bord , & la diverſité
des Nations qui compofoient l'équipage. Je
me ſuis trouvé dans l'impoſſibilité de ſecourir tous
vos compatriotes , puiſque nos gens étoient euxmêmes
occupés à ſauver nos frégates , qui toutes
deux avoient touché. On a jetté à la mer un nombre
infini d'effets , pour tâcher de remettre l'Aigle à
flot. Je puis vous aſſurer , M. , que j'ai donné les
ordres les plus précis pour que l'on reſtitue tous
les effets aux propriétaires , à l'exception de l'argent
& des marchandiſes appartenantes au Roi de
France, & j'oſe me flatter que M. de la Touche
a lieu d'être fatisfait de ma conduite & de celle
des Officiers que j'ai l'honneur de commander. M.
de la Touche , M. ſon frère & M. du Queſne ,
font prifonniers ſur leur parole ; & ce n'eſt que
la néceſſité où je me trouve de me rendre à ma
( 110 )
!
ſtation , qui m'empêche d'accorder le même avantage
aux autres Officiers. Etant perfuadé que vous
devez être très- impatient d'avoir des réponſes de
votre ami , je ne veux pas retenir un ſeul moment
votre chaloupe , & je vous prie de me croire , &c . «
Les papiers Américains nous fourniffent
les ſeules nouvelles que nous avons de ces
contrées . Le Congrès a fait publier les dépêches
ſuivantes ; la première eſt du Général
Gréen , au camp d'Ashley Hilldans la
Caroline Méridionale le 28 Aoûr .
>>La copie ci-jointe d'une lettre du Lieutenant-
Général Leflie , contient une demande extraordinaire
de proviſions qui a été refuſée. Je ne puis
la regarder que comme une preuve du deſſein ori
eft-l'ennemi de ſéduire & de leurrer les habitans
de cette contrée , tandis qu'il agit avec vigueur
contre leur allié , & juſqu'à ce qu'il puiſſe ſaiſir
une occafion plus favorable de s'emparer du pays.
Il n'a que trop réuffi à recueillir du ris à Santée ,
où il en a enlevé près de 600 barils , fans aucune
perte. Il a fait fortir un ſecond détachement pour
ruiner les bords de la rivière de Combakée. Le
Général Gift a ordre de marcher contre ce détachement
avec des troupes légères , & j'eſpère qu'il
vie dra à bout de rompre ſes projets «.
Lettre du Général Leflie , du 13 Août. » Le
parti que j'ai pris dernièrement d'envoyer des
troupes raffembler des provifions fur la baffe Santée
, pour l'uſage de cette garniſon , provient de
la défenſe que vous avez faite que le pays ne
nous fournit rien de cette eſpèce. Par égard pour
les ſentimens qui règlent à préſent la conduite de
laGrande-Bretagne envers l'Amérique , j'aurois defiré
pouvoir prendre toute autre meſure moins défagréable
pour le pays , & je ſuis prêt à entrer avec
vous en négociation fur cet objet , afin que ,
de
1111 )
:
notre côté ,, nous puiffions avoir àl'avenir les pro
vifions qui nous manquent ; & que , du vôtre ,
vous ſoyez à l'abri de toute incurfion. J'espère que
vous vous prêterez à des conditions auffi avantageuſes
, & qu'en conféquence vous voudrez bien
m'envoyer la grande quantité de iis que je vous
demande ",
Le 29 Août le Général Gréen fit auffi part
Lau Congrès du ſuccès de l'expédition du
Brigadier Général G.ft.
>> M. , j'ai l'honneur d'envoyer à V. E. la lettre
du Brigadier-Général Gift , relativement aux oρέ-
rations des troupes ſous fon commandement. Dans
ma dépêche d'hier , je vous ai parié de l'objet de
fon détachement; & je f is très-ase que cet Officier
foit parvenu à rendre inutile la tentative que
l'ennemi avoit faire pour ramaller des provitions.
Nous avons à déplorer la perte du Colonel Laurens ,
qui a été tué dans l'eſcarmouche du 27 de ce meis.
C'étoitun ſujet du premier mérite , & qui , comme
Citoyen&comme Militaire , mérite d'être regretté
de ſon pays.
Lettre du Brigadier-Général Gift au Major-
Général Greene , datée du camp volant de Chehawnek
le27 Août. -- >> L'e cadre ennemie eſt arrivée à
Combakeeferry dans la matinée du 25. Les troupes ,
fous mon commandement, ont pris pofte fur le côté
ſeptentrional de la ivière , le foir du même jour;
& ce ne fut que le lendemain matin que je pus
cavoir des nouvelles sûres de la force des ennemis
&de leurs mouvemens. J'appris alors qu'ils avoient
débarqué au nombre de 300 hommes environ à la
ferme de M. Middleton , fur l'a tre bord de la
rivière , & qu'ils étoient répartis & cantonnés dans
deux différentes plantations. Quelques Milices ayant
joint un premier détachement de troupes légères
de ce côté,je crus que c'étoit-là l'eccaſion favo
( 112 )
rable de tomber ſur un de leurs partis , & en conféquence
je détachai le Major Call avec le troiſième
régiment de Dragons , lui ordonnant de paſſer le
Salaketchees , de joindre l'Infanterie , & de l'attaquer
le lendemain à la pointe du jour. Avant de
donner ces ordres au Major Call , j'avois fait conftruire
un ouvrage pour incommoder l'eſcadre ennemie
à fon retour à Chehawnek , à 12 milles de
Combakeeferry. Le Lieutenant- Colonel Laurens eft
arrivé dans ce moment , & il a demandé la conduite
de cet ouvrage & le commandement de ce
poſte. Je les lui donnai , avec so hommes d'Infanterie
, quelques Artilleurs & un obufier : il partit
le ſoir même. Les ennemis voyant l'objet de leur
expédition manqué , rembarquèrent leurs troupes
à deux heures du matin , deſcendirent ſans bruit
la rivière avec la marée , & ne furent apperçus
par nos patrouilles qu'à quatre heures. Alors nos
troupes ſe mirent en mouvement pour s'oppoſer à
leurdébarquement & foutenir le Colonel Laurens;
mais avant mon arrivée , ils,débarquèrent & engagèrent
fur terre un combat cù ce brave Officier
fut tué. Ils s'emparèrent de l'obufier ; mais j'arrivai
aſſez à tems , avec la Cavalerie , pour protéger
la retraite de l'Infanterie qui ſe rallia auffitôt
à un mille du champ de bataille. Comme je
⚫vis que la poſition des ennemis étoit très-défavorable
aux opérations de notre Cavalerie , & que
notre Infanterie étoit fatiguée , je ne jugeai pas à
propos de recommencer le combat. Les Anglois
gagnèrent leurs chaloupes , ſe rembarquèrent &
mirent à la voile, -Nous avons eu un Lieutenant-
Colonel & un Caporal tués ; 2 Capitaines , 2 Sergens
, 1 Caporal & 13 Soldats bleſſes, Ceſt le Lieutenant-
Colonel Laurens qui a été tué «.
Les mêmes papiers contiennent l'extrait
fuivant d'une lettre de Richemont dans la
Virginie , en date du 14 Septembre.
11131
55 Des avis récents de la frontière du N. O. ,
portent que nos troupes ſous les ordres du Général
Irwin , ont entiérement défait un corps
conſidérable d'Indiens ; ces derniers ont eu 93
hommes tanttués que ſcalpés , & ungrand nombre
de bleffés. Notre perte a été très - légère. Cette
nouvelle a été confirmée par des rapports de dif.
férentes parties de la Province ; cependant , on ne
donne encore aucuns détails. Ces ſuccès feront
ſans doute abandonner aux ennemis les projets
qu'ils avoient formés contre le Fort Pitt , furtout
s'il eſt vrai que le Général Clarke dans le
deſſein de coopérer avec le Général Inwin , s'eſt
avancé vers le territoire Indien. Nos frontières
S. O. ont été en grande partie protégées , & les
ennemis ſe ſont vus hors d'état de nous incommoder
pendant tout le printems. Il n'y a eu qu'un
ſeul parti de 5 à 6 Indiens qui al commencement
du mois dernier , ait tué deux hommes du corps
de Washington. Les Cherokées ſont diſpoſés à la
paix , & pour la première fois , ils ont négocié
dans des termes très-modérés. Les forces que l'on
doit envoyer contre-eux , & leurs derniers malheurs
en Géorgie, ſont ſans doute la cauſe de cette
foumiſſion inattendue.-Au mois de Juillet dernier
avant l'évacuation de Savanah , le Colonel
Brocon ,l'Agent Britannique , ayant eſſayé de conduire
de cette place quelques ſecours à ſes par
tiſans dans le pays des Cherokees , fat malheureuſement
intercepté & cut beaucoup de peine à
ſe ſauver; quelque-tems après les Cherokées ens
voyèrent une eſcorte au devant de Brocon , ce
parti fut également fait prifonrier , & on uſa ſurle-
champ de repréſailles. Les Anglois ayant inhumainement
maſſacré l'hiver dernier , le frère du
Général Rekenw , avec 20 hommes.-Les préliminaires
offerts aux Cherokees , font dit-on , 1º.
Qu'ils cefferont toute eſpèce d'hoſtilités contre les
7114 )
Etats Américains. 2°. Qu'ils rendront les prifond
niers Américains. 3 °. Qu'ils livreront aux Américains
tous les Anglois qui ſe trouveront parmi
eax. -Le Colonel Martin eſt parti au commencement
du mois dernier pour Chata , où il doit recevoir
les prifonniers & offrir ces articles de
Paix «.
Il paroît , d'après toutes ces nouvelles ,
que les négociations de paix ne produiſent
aucun des effets qu'on avoit eſpérés en
Amérique ; ce n'eſt pas-là qu'elles doivent
le faire; les réſolutions ſuivantes du Congrès
ne laiſſent aucune eſpérance de traiter
avec lui autrement que conjointement
avec ſon allié.
د
>>D'autant qu'en vertu des articles de confédération
& d'union perpétuelle , le droit ſeul & exclufif
de conclure la paix réſide dans les Etats-Unis ,
aſſemblés en Congrès , & que le traité d'alliance entre
S. M. T. C. & ces Erats-Unis , porte qu'aucune
des parties contractantes ne conclura la paix ou une
trève avec la G. B. fans le confentement de l'autre ;
& que les Miniſtres Plénipotentiaires de ces Etats-
Unis en Europe ſont revêtus de pleins pouvoirs ,
& autorisés à travailler de concert avec leurs Alliés
aux négociations & à la conclufion d'une paix générale
, & qu'il paroît néanmoins que la Cour d'Angleterre
ſe berce encore du vain eſpoir d'engager
les Etats- Unis à accepter des conditions qui les
mettroient dans quelque dépendance de la G. B. , ou
de les engager au moins à conclure une paix ſéparée;&
comme il y a lieu de croire qu'il ſera envoyé
des Commiſſaires en Amérique pour offrir des propoſitions
de cette nature , ou qu'on ſe ſervira d'émiſfaires
ſecrets pour en impoſer & pour tromper ; afin
donc d'anéantir des eſpérances mal- fondées , afin de
fruſtrer des projets infidieux & de manifeſter au
( 115 )
monde entier la pureté des intentions & la réſolu
tion fixe & inébranlable des Etats-Unis. - Résolu
unanimement que le Congrès deſire ſincèrement d'obtenir
une paix honorable & permanente ; qu'il adhérera
inviolablement , comme étant l'unique moyen
d'arriver à ce but , au traité d'alliance qui fubfifte
entre lui & S. M. T. C. , & ne concluera ni paix
ſéparée ni trève avec la G. B. , qu'il continuera la
guerre avec vigueur , juſqu'à ce que Dieu répandant
les bénédictions for leurs armées réunies il puiffe
obtenir une paix qui aſſure la ſouveraineré abſolue
& l'indépendance illimitée de ces Etats-Unis , &
qui établiſſe efficacement ſes droits & intérêts , ainſi
que ceux de ſes Ailtés . Que le Congrès n'entrera
point dans la difcufion d'aucunes ouvertures de paix
que de l'aveu de S. M. T. C. & de concert avec elle.
-Qu'à l'effet de ſe mettre en garde contre les artifices
& les menées ſecretres de l'ennemi , il ſera ,
ainſi qu'il l'eſt par les préſentes , recommandé anx
Etats reſpectifs d'apporter la plus grande vigilance
& la plus grande activité , pour découvrir & faire
arrêter tous les émiſſaires & eſpions Anglois , afin
qu'ils foient punis comme ils le méritent ; qu'il
ſera enjoint à tous les Officiers des Départemen auxquels
s'adreſſent les perſonnes envoyées par l'ennemi
ſous la protection de Parlementaires , d'avoir
un ſoin particulier que de telles perſonnes n'abuſent
point de leurs priviléges , & qu'ils leur interdifent
toute communication avec le Pays &les Habitans
, parce qu'el'es peuvent remplir très-bien
ſans cela l'objet de leur miſſion , & qu'il ſera enfin
recommandé aux divers Erats de ne permettre
qu'aucuns Sujets de S. M. B. , venant directement ou
indirectement de quelque partie des Domaines Anglois
, ne s'établiſſent dans aucun des Etats-Unis
pendant la guerre.- Ordonné qu'il ſera livré copie
du ſufdit acte au Miniſtre Plénipotentiaire de
France , & qu'il en ſera envoyé des copies aux
( 116 )
1
Miniſtres des Etats-Unis dans les Cours étrangères
& qu'en attendant le ſuſdit acte ſera rendu
public,
,
Les lettres de divers endroits de l'Amérique
ſeptentrionale , ne montrent nulle
part les diſpoſitions dont les Loyaliſtes
nous flattent depuis long- tems; elles offrent
par-tout l'expreffion du mécontentement ;
il eſt excité par les déprédations qui ſe commettent
toujours au nom du Roi , en mêmeremps
que lesGénéraux donnent les affurances
les plus poſitives qu'on négocie la
paix, ces affurances parciſſent fondées dans
pluſieurs endroits de l'Amérique , où l'on
voit les Torys revenir en foule , & demander
leur pardon ; on en voit un grand nombre
accourir à Albany pour cet effet ; mais
cela n'empêche pas nos troupes & nos corfaires
detenter de fréquentes excursions , où
ils ſe conduiſent comme ils le faiſaient cidevant.
On peut en juger par cette lettre
d'un particulier de Midleſex dans la Vir
ginie.
,
>> Toutes les rivières de ce Canton font toujours
expoſées aux brigandages des corfaites Anglois. Ni
la réſolution priſe par le nouveau Ministère Britannique
de ne plus faire une guerre offenfive fur ce
continent , ni l'inutilité de ces expéditions qui ne
ſervent qu'à irriter les eſprits rien ne peut nous
garantir de ces pirateries . Nombre de perſonnes
ont été dépouillées par ces brigands qui brû'ent
ce qu'ils ne peuvent emporter. Ils font preſque tous
Negres , & il n'y a pas parmi eux quatre blancs fur
vingt noirs . Il eſt difficile d'imaginer que de tels excès
ne ſoientpas autorisés au moins tacitement par les
( 117 )
Commandans de New-York , mais ſi c'eſt une nou
velle tentative de l'ennemi , pour parvenir indirectemear
à ſa fin , eile échouera comme toutes les
autres. Ni la farie , ni la ruſe ne peut actuellement
rompre les liens qui nous uniſſent à la France ,
ni engager les Puiſſances alliées à admettre aucunes
ouvertures de paix , dont l'indépendance la
plus abſolue ne ſeroit pas la baſe. «
On n'a point encore de nouvelles de
l'évacuation de Charles - Town ; l'ordre
qui en avoit été donné , avoit été envoyé
ſous le ministère du Marquis de Rockingham
; c'eſt ſur cet ordre que le Général
Carleton & l'Amiral Digby écrivirent la
lettre au Général Washington , qui a fait
tant de bruit. Le Comte de Shelburne &
ſon parti , qui ne ſont pas ſi décidément
terminés à renoncer à toute poffeffion en
Amérique , ont , dit- on , envoyé un contre-
ordre au ſujet de l'évacuation de Charles
Town ; mais comme il n'eſt parti qu'en
Septembre , il est vraiſemblable qu'il arrie
vera trop tard. Les citoyens qui pleurent ſur
cette guerre funeſte , voient avec peine les
variations de notre Ministère , qui ne peut
ſe réſoudre décidément à un parti auquel
il ſera forcé tôt ou tard , & fur lequel il
conviendroit qu'il s'arrangeât de bonne
grace. Ils lui répètent un conſeil qui , dès
1778 , dans un tems où un accommode
ment étoit poffible , où nous n'avions pas
épuiſé tout le ſang & toutes les richeſſes
que nous avons ſacrifiés , leur avoit été
donné par un étranger qui voit bien , & qui
( 118 )
dès-lors prédiſoit ce qui leur eſt arrivé.
>>Mettez ſous vos yeux , leur diſcit- il , un tableau
bien propre à flatter votre vanité. Les Américaius
plient ſous vos armes , vaincus ils s'avouent
coupables ; comment les traiter ? La voix de la douceur
eſt ſans contredit la plus ſure , mais el ene
met pas à l'abri de toute crainte pour l'avenir. Les
Colonies n'attendent que le moment où elles pourront
porter leurs coups avec plus d'aſſurance ; in faudra
ſe defier de leurs promeſſes & prendre des précautions.
Jetterez- vous des garnitons nombreuſes
dans leurs Villes , pour tenir les habitans dans la
foumiffion , & pour garder quelques Colonies ? Emploietez-
vous habituellement toutes les forces de la
G. B. ? Vous voudrez reſter maîtres de tout le commerce
des Américains , les afſujettir à des impôts ,
ne révoquer aucun des actes qui excitent leurs mécontentemens
. Le feu couvera quelque tems ſous la
cendre ; & peut- être quand vous le croirez éteint ,
vous le verrez tout à coup embrafer la G. B. &
l'Amérique ; l'une ne peut reſter maîtreffe abſolue
de l'autre.
Si vous deſcendez juſqu'à traiter
les Américains d'égaux à égaux ; fiers de vous
voir forcés de faire les premiers pas , ils voudront
eux-mêmes dicter les conditions de l'accommodement.
Il faudra ſe réſoudre à révoquer les actes
qui ont excité leurs clameurs , & les ſouſtraire aux
loix du Parlement; à laiſſer aux aſſemblées des
Provinces le pouvoir de les taxer ; à leur accorder
une indépendance & des libertés beaucoup plus
étendues que les vôtres ; à abolir enfin l'acte de
navigation qu'ils déteſtent. Atout cela , que gagnerez-
vous ? Moins l'Amérique contribuera pour fournir
aux beſoins de l'Etat , plus vous ferez dans la
néceffité de fouler la G. B.; les émigrations recommenceront
avec fureur , les colonies répareront leurs
pertes , & la paix vous deviendra auſſi funeſte que
vous l'a été la guerre. Cependant au milieu de vos
( 119 )
malheurs , il vous reſte une grande reſſource; les
Colonies ont ruiné l'Angleterre , ſervez-vous des
Colonies pour les rétablir ; rompez toute intelligence
avec elles ; n'ayez plus ni à les foutenir
dans leur foibleſſe , ni à les redouter dans leur
puiſſance ( 1 ) «.
On fait que lestroupes Eſpagnoles qui ont
fait la conquête des Ifles de Bahama , y ont
éré eſcortées par la frégate Américaine la
Caroline - Méridionale , de 40 canons ; elle
les quitta après l'expédition. S'il faut s'en
rapporter aux détails ſuivans , puisés dans
une lettre de Charles-Town , on ne ſera pas
étonné que la Cour de Madrid n'ait point
encore reçu de relation de cette conquête.
Nous nous contenterons de tranſcrire ici la
lettre ſuivante.
>> Le maître d'une goëlette arrivée ici de New-
Providence , capitale des ifles de Bahama , rapporte
que de près de 40 bâtimens Eſpagnols partis de
cette place peu après la reddition , il n'en est arrivé
que 18 à la Havane , qu'environ le même nombre
a éré pris , & le reſte forcé de retourner à l'iſſe
par un corſaire qui croiſoit dans le voiſinage. La
,
(1) Le Philoſophe profond , le Politique éclairé qui adreſſoit
en 1778 ces conſeils à l'Angleterre , a vu le tems & les évènemens
justifier ſa manière de voir. Nous nous empreſſons
d'annoncer ici l'ouvrage important d'où nous les avons tirés.
Il eſt intitulé : Difcours sur l'Hiſtoire , le Gouvernement ,
les Usages , la Littérature & les Arts de pluſieurs Nations
de l'Europe. Par M. le Comte d'Albon , de la plupart des
Académies. Ces diſcours font au nombre de 9. Ily en a deux
furl'Angleterre , un ſur la Hollande , un fur la Suifle , 3 fur
P'Italie , un fur l'Eſpagne & un ſur le Portugal. On trouve
dans tous l'Obfervareur , le Politique , le Philoſophe , l'homme
de Lettres & le Citoyen. On les a réunis en 4volumes qui
ſe vendent à Paris chez leſieur Moutard , Libraire- Impri
meur de la Reine , rue des Mathurins , Hotelde Cluny.
( 120 )
plupart de ceux dont il s'empara furent brûlés ou
détruits, & leurs équipages & les troupes qu'ils
ramenoient à la Havane furent mis à terre , ſur les
petites iſles inhabitées nommées Keys. Ces captures
ont été faites par un corſaire ſuppoſé appartenir
à New-Providence ; & comme les propriétaires
en avoient été compris dans la capitulation de
l'ifle , les Eſpagnols ont regardé cette entrepriſe
comme une atteinte portée à la convention & a la
foi des Nations. En conséquence ils ont faiſi &
emprifonné un nombre d'habitans & en particulier
ceux qui avoient intérêt dans la propriété des corfaires
qui appartenoient ci-devant à New- Providence
, & qui ne ſont pas revenus après la réduction
de l'iſſe , vu qu'on ne fait pas précisément
quel eſt le corſaire qui a fait cette déprédation.
Quant au fort des marins & foldats qu'il a débarqués
fur des iflesdéſentes , on n'en apoint de nouvelle certaine.
Il y a des perſonnes qui diſent qu'ils en ont été
retirés par des navires appartenant à leur Nation ;
mais fans ajouter par quel hafard ceux-ci les ont
découverts.- Un particulier qui ſe trouvoit à bord
d'un bâtiment Parlementaire qui arrive , nous apprend
que les Eſpagnols ont relâché les habitans
qu'ils avoient arrêtés ; cependant ils ont été obli
gés de donner caution , qu'ils reſteront dans l'iſne
juſqu'à ce que l'affaire ſoit éclaircie « .
Les flottes de Québec & de Terre-Neuve
reviendront toutes deux ſous le convoi de 2
vaiſſeaux de so canons & de 4 frégates
commandées par l'Amiral Campbell. C'eſt
le 25 du mois dernier qu'elles devoient
partir ,& ce feront les dernières pour cette
année.
Les nouvelles reçues du Continent nous
ont appris que l'Amiral Howe étoit arrivé
au
( 121 )
au Détroit de Gibraltar; qu'il avoit été
pouffé par les vents dans la Méditerranée ,
où l'armée combinée l'avoit ſuivi , & qu'il
avoit fait entrer 5 ou 6 bâtimens de fon
convoi dans la baie. Maintenant on eſpère
que le vent le favoriſera pour fortir de la
Méditerranée , mais on ne ſe flatte pas que
fon convoi entre tout entier à ſa destination
: peut - être aufli ne devient il plus néceffaire
à la place , ſi les Eſpagnols ſe déterminent
à lever un fiége qui a été déja
très - long , qui peut l'être encore , & qui
nous favoriſe , en retenant autour de cette
place des forces qui nous feroient plus de
mal ailleurs. S'ils prennent ce parti , la
grande expédition de Howe étoit inutile
&elle aura fatigué nos vaiſſeaux , qu'il
faudra réparer au moment où nous aurions
beſoin de les envoyer dans les lieux où il
faudroit les oppoſer à nos ennemis.
L'Amirauté a appris par la fiégate le Win
chelsea , que le Caton de 64 , & la Pallas
de 32 , qui s'étoient ſéparés de la flotte de
la Jamaique avant le gros tems , étoient arrivés
à Terre Neuve ; mais on eſt toujours
inquiet pour la Ville de Paris , le Centaure ,
le Glorieux & l'Hector. On dit que le premier
de ces vaiſſeaux a été vu près des
Açores , n'ayant plus que ſon grand mât &
ſon beaupré.
Les vaiſſeaux ſuivans ont reçu ordre à
Portsmouth de mettre en mer ſous peu
de jours ; ils eſcorteront la flotte des Iſles
16 Novembre 1782 . f
( 122)
juſqu'à une certaine hauteur. Ce font l'Europe
; de 64 , le Romney , de so , le Rainbow
, le Mediator , la Réſiſtance , de 64 , la
Prudente , de 38 , l'Alcmène , de 32 ,
Mydas , de 24 .
le
>>> Le Capitaine Thomſon , dit un de nos papiers ,
vient de propoſer un plan pour le foulagement
des pauvres veuves des Officiers de la Marine. II
s'agiroit que tous les Officiers dépoſaſſent entre
les mains de quelqes Banquiers , pour le placer
le plas sûrement poflible , 2 pour cent de leurs
parts dans les priſes. Si cela avoit lieu , cela produiroit
des ſommes affez conſidérables; on porte
celle de l'Ani ral Rodney, pendant le tems qu'il
comman loit dans la guerre actuelle , à 335,625 1. ft . ,
la part de l'Am ral n'eſt que la 16e. partie du produit
des priſes a.
FRANCE
De VERSAILLES , le 12 Novembre.
La Princeſſe de Rohan Guémenée , Gouvernante
des Enfans de France ,ayant prié
le Roi d'agréer ſa démiſſion de cette place ,
S. M. en a diſpoſé en faveur de la Ducheſſe
de Polignac , qui le premier de ce
mois eut l'honneur de faire ſes remerciemens
en cette qualité au Roi & d'être
préſentée à la Reine ; le 3 elle prêta en
cette qualité ferment entre les mains du
Roi.
Le même jour L. M. & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte
du Myrat , Colonel à la ſuite des troupes
légères , avec Mile de Charry des Goutes,
( 123 )
Le même jour M. de Brantzen , Miniftre
Plenipotentiaire des Etats - Généraux des
Provinces Unies , eut une audience particulière
du Roi , dans laquelle il remit à
S. M. fes lettres de créance ; il fut pré'enté.
à certe audience ainſi qu'à celle de la
Reine & de la Famille Royale , par M.
de Tolozan , Introducteur des Ab ffadeurs
; M. de Sequeville , Secrétaire ordidaire
du Roi pour la conduite des Ambaffadcurs
, précédoit.
De PARIS , le 12 Novembre.
Les différentes lettres d'Eſpagne arrivées
ſucceſſivement , en contiennent quelquesunes
des perſonnes de la ſuite de Mgr. le
Comte d'Artois. Elles nous apprennent que
ce Prince avoit eu le bonheur de trouver
du beau tems & de beaux chemins malgré
la ſaiſon .
* Quant aux nouvel'es de St Roch, ajoutent-e'les,
on nous mande que l'escadre Angloiſe eſt entrée
le 19 dans le Détroit, par un bon vert d'Eft ; &
qu'au départ du Courier , les f égares d'avant-garde
débouchoient dans l'Océan , & I arrière-garde , dans
le meilleur ordre poffble , doubleit la pointe de
Carnero. L'eſcadre de l'armée combinée , commandée
par M. de la Motte- Piquet , ſuivoit de
près l'armée ennemic, & doubloit la pointe d'Europe.
Mais le gros de l'armée combinée en étoit
encore à 2 lieces . - Le Saint - Michel , échoné
devant Gibraltar , avoit été relevé par l'enremi ,
& mouilloit le 21 à la pointe d'Eurore. Tout le
mal que l'Amiral Howe pato.ſſoit avoir fouffert
f2
( 124 )
dans la Méditerranée, ſe réduiſoit à la priſe d'un
tranſport conduit à Malaga. Une bombe tirée de
la ligne , avoit encore fait fauter au mouillage de
la pointe d'Europe , un vaiſſeau chargé de poudre
au moment où on la débarquoit ".
Voilà où en étoient à cette époque les
poſitions reſpectives. Un Courier arrivé
depuis de Madrid , a apporté la nouvelle
d'un combat , dont on donne les détails
ſuivans.
>> Ce fut le 20 que les eſcadres fe rencontrerent.
L'Amiral Howe , poursuivi de près depuis
deux jours , étant alors à environ 16 lieues de
Cadix , & ne voyant que 32 vaiſſeaux à D. Louis
de Cordova , il ſe détermina à mettre en panne &
à foutenir le choc. Il étoit environ 6 heures du
foir. L'armée combinée , quoique moins forte de
2 vaiſſeaux , 14 des ſiens étant reſtés fort en
arrière , ne refuſa pas le combat. M. de la Motte-
Piquet l'engagea le premier , & la canonnade devint
générale juſqu'à 9 heures du ſoir , que les
Anglois jugèrent à propos de quitter la partie &
de forcer de voiles; le lendemain au matin on ne
Ies voyoit plus , les 14 vaiſſeaux reſtés en arrière ,
ne joignirent que ſur le ſoir du même jour. L'armée
combinée a fort peu fouffert dans ſes agrêts &
dans ſa mâture; elle a eu environ so hommes tués &
200 bleſſés , parmi lesquels 24 Officiers . Ce combat
prouve que ſi l'ouragan n'eût pas empêché l'armée
combinée d'aller au-devant de Howe , & que
fi cet Amiral eût été retenuun peu plus long-tems
dans la Méditerranée , il couroit grand riſque d'être
entièrement détruit. La bonne fortune de l'Angleterre
en avoit ordonné autrement ; mais ſi l'Amiral
Anglois a été heureux , il ne pourra pas du moins
ſe glorifier d'avoir eu affaire avec un ennemi inhabile&
timide. Il eſt certain qu'il n'a accepté le
:
( 125 )
combat que loiſqu'il s'eſt vu ſupérieur ; & en prenant
la fuite , comme les beſoins preſſans de ſa
nation & la faine politique le lui preſcrivoient ſans
doute , il a laitle l'honneur de la fin de cette
campagne à l'armée combinée. D. Louis de Cordova
ſe préparoit à rentrer le 24 à Cadix « .
On peut obſerver ici que c'eſt la ſeconde
fois qu'au moment d'être attaqué , les ouragans
ont ſauvé l'Amiral Howe. On ſe ſouvient
de celui qu'eſſuya M. le Comte d'Eftaing
au moment où il alloit le joindre. Si le
terrible coup de vent de la nuit du 10 au II
n'avoit pas mis l'armée combinée dans
l'impoffibilité de ſortir lorſque l'eſcadre
Angloiſe parut , l'Amiral Howe auroit eu
moins à s'applaudir de ſon bonheur. Au
refte , dans pluſieurs dépêches des Généraux
, & dans différens journaux du camp ,
on ne trouve que 16 tranſports entrés à
Gibraltar. Il y en avoit 48 ou so deftinés
pour cette place. 4 ou 5 revinrent en
Angleterre , un fut furpris par la Surveillante
, un autre a été conduit à la Corogne ;
il en reftoit 40 à l'Amiral Howe , ſelon
les fignaux des Vigies , lorſqu'il parut au
Détroit. 16 ſa gliſsèrent dans la place depuis
le 11 juſqu'au 17 ; trois ou quatre ont été
pris dans la Méditerranée , & conduits à
Carthagêne & à Malaga ; il en reſte environ
20 autres , qui ont été diſperſés dans
la Méditerranée , ou qui ont reçu ordre
de fe réfugier dans quelques ports de la
côte d'Afrique . On a cu tort d'écrire que
f
71261
l'Amiral Howe à ſon retour avoit laiſfé dans
Gibraltar ce qu'il avoit voulu ; il n'eſt revenu
de la Méditerranée qu'avec les vaiſſeaux
de guerre ; ſon eſcadre étoit compoſée le
19 de 34 vaiſſeaux de ligne , 8 frégates , 2
bélandres & 2 brûlots ; ainſi il n'y a que le
ties à peu près de fon convoi qui ſoit
arrivé à bon port. Le navire conduit à Malaga
, portoit des uniformes pour deux régimens.
Ce n'est pas ſeulement à Algéſiras & dans
les environs du Détroit que l'ouragan du
It a porté ſes ravages. A Carthagêne , à
Barcelone , à Gênes & juſqu'à Naples , il
s'eſt fait fentir avec la même violence ; &
les lettres de ces ports ne font remplies que
des détails affligeans des déſaſtres qu'il a
cauſés.
>>Quoique le ravitaillement de Gibraltar ſoit
en partie manqué , il paroît cependant , lit-on dans
quelques lettres , qu'on eſt décidé à ne pas continuer
le fiége. On croit que les troupes Françoiſes
du camp partiront inceſſamment pour Cadix ; le
régiment de Cordoue retourne à ſa garniſon de
Ceuta; les actes régimens Eſpagnols feront cantonnés
, à l'exception de ceux qui font néceſſaires
à la garde ordinaire des lignes , & de ceux qu'on
préſumedevoir s'embarques à Cadix avec les troupes
Françaiſes Celles- ci re eront , dit on , aux
ordres de M. de Falkenhain . On lit dans un
Journal du camp les particularités ſuivantes , au
-fujet des 40 foldas prifonners à Gibraltar , qui
ont pris parti dans les troupes Anglei es . Ils avoient
été débachés par un Corſe , qui , avec l'arpas
de 14 paltres d'engagement , & en leur faifant
( 127 )
entendre qu'ils ne pouvoient pas être échangés ,
& qu'ils feroient certainement tranſporté en An
gleterre , parvint à les attacher au frvice de la
place. Lorſqu'ils virent partir leurs camarades échangés
quelques jours après , ils furent inconfolables
de s'être laiſſé fi groffièrement tromper ce,
On apprend deBreſt que leProtecteur
P'Alcide , & le Puiffant y font revenus ,
après avoir laiflé au-delà de Madère les
convois de l'iſſe d'Aix ; le Neptune ſeul a
ſuivi celui des Antilles .
Un bâtiment Américain arrivé dans nos
ports , a apporté des nouvelles de Philadelphie;
elles rectifient les détails publiés
en Angleterre ſur la priſe de la frégase
l'Aigle , qui portoit , ainſi que la Gloire
MM. de Laval , de Viomeſnil , de Lange
ron , de Ségur-, &c. On ne ſera pas fâché
d'eppofer à la courte relation des Anglois ,
la lettre ſuivante de M. de la Touche ,
Capitaine de vaiſſean , Commandant la frégate
l'Aigle , à M. le Marquis de Caſtries ;
elle eſt dus Septembre dernier .
>> J'ai Thonneur de vous rendre compre que
dans la nuit du 4 aus Septembre , me faisant par
les 39 d. 10 m. de latitude & 67 d. 35 m. de
longitude , j'eus connoiſſance d'un bâtiment ſous
le vent , gouvernant comme moi au plus près du
vent, les amures à ſtribord , le vent oueft affez
frais. Je fis porter ſur lui pour le mieux reconnoître
; m'en étant approché à demi - portée de
canon , je ne tardai pas à juger , par l'élévation
du bois , que c'éroit un vaiſſeau à deux batteries .
-La frégate la Gloire , commandée par le Chevalier
de Vallongue , ſe trouvoit ſous le vent à
f4
( 128 )
mới , & beaucoup plus près du vaiſſeau en vue.
Je jugeai par les fanaux que je vis s'allumer dans
les batteries de ce bâtiment , qu'il étoit dans l'iotension
d'engager le combat ; ne jugeant pas la
partie égale , & confidérant l'importance de la mit
fion dont j'étois chargé , je pris le parti de ferrer.
le vent en faifant de la voile , eſpérant que la
Gloire feroit le même mouvement , fans avoir
recours aux fignaux de nuit pour lui faire exécuter
cette manoeuvre ; mais le Chevalier de Vallongue
ſe trouvoit alors à demi-portée de fufil de
l'ennemi qui le héloit; ils ſe parloient lorſque je
pris le parti de faire le figual de ralliement. Le
Chevalier de Vallongue jugeant que le vaiſſeau ennemi
ne manqueroit pas de profiter , pour lui tirer
ſa bordée , de la poſition avantageuſe que la frégate
alloit lui offrir en exécutant mon ordre
prit le parti courageux d'arriver ſur lui & de lui
envoyer toute la ſienne par l'avant; le vaiſſeau la
lui rendit , & le combat s'engagea à la portée du
piſtolet. Le premier coup de canon ſur la Gloire,
mit fin à toutes les réflexions que je pouvois faire fur
les ſuites d'un combat que je jugeois très -inégal ;
j'arrivai vent arrière pour courir ſur la frégate
Françoiſe & la ſeconder. Après quelques bordées
tirées de part & d'autre , le feu ceſſa entre la
Gloire & l'Ennemi ; les deux Capitaines ſe reparlèrent
, s'interrogèrent réciproquement fur leurs
couleurs, & le combat recommença bientôt. Ce
fut dans ce moment que je pas me placer entre
la Gloite & l'Ennemi ; & je commençai un feu
foutenu de toute mon artillerie , qui me parut
produire beaucoup d'effer. Le feu de ce vaiſſeau
ne fut pas auffi vif que j'avois lien de m'y attendre
; il me ferroit au vent au point que je ne
pus douter que ſon deſſein ne fût de m'aborder.
Je reconnus par le calibre des boulets que je re .
cevois à bord , de 36 , de 18 & de 8 livres de
balle , que j'avois à combattre un vaiſſeau de 74
( 129 )
canons , & n'ayant d'autre chance pour moi que
celle qu'il venoit de m'effrir , je pris le parti de
ne pas le refufer ; ayant à bord 580 combattans
animés par l'exemple de MM. les Baron de V10-
ménil , Duc de Lauzun , Marquis de Laval , Marquis
de Champcenetz , MacMahon , Sheldon ,
des Comtes de Chabanre , de Talleyrand , de
Rice & de Langeron fils , de MM. les Vicomtes
de Fleury &de Melfort , de M. de Brentano
& autres Officiers , dont le courage & la haute
valeur animoient mon équipage. La vergue de
civadière de l'Ennemi étoit accrochée dans mes
haubans de miſaine ; dans cette poſition je lui lachai
une bordée de toute mon aarrttiilllleerriiee , & je
fis crier en même tems : à l'abordage & vive le
Roi. Le Baron de Vioménil ſe diſpoſoit à paſſer
à bord de l'Ennemi , ſuivi de tous les Officiers
nommés ci - deſſus , lorſque le vaiſſeau maroeuvra
pour s'éloigner fans envoyer un ſeul coup de
canon, ce que j'attribue à la terreur que ma réfo-
Jution a pu inſpirer à ſon équipage , qui vraiſemblablement
n'étoit pas nombreux. Les chargeurs
de l'Ennemi à ſa première batterie, & les miens ,
ſe font frappés réciproquement avec leurs refouloirs
: éloignés l'un de l'autre, nous avons recom.
mencé le combat à la portée du fufit , & le feu de
ce vaiſſeau diminuoit de la manière la plus extraordinaire.
Au jour , la Gloire qui avoit pris une
pofition favorable , recommença le combat , en le
canonnant de l'arrière & de l'avant ; il étoit d'-
gréé , & ne manoeuvroit qu'avec beaucoup de difficulé.
J'aurois continué le combat dont l'iffue
paroiffoit devoir être en notre faveur , lorſqre mes
vigies m'ont crié qu'elles appercevoient pufieurs
voiles , dont j'en reconnus une moi - même pour
être un bâtiment à trois mâts avec l'apparence d'un
vaiſſeau de ligne. Je craignis avec raiſon que le
vaiſſeas de 74 que nous combattions , re fit parfs
11301
tie d'une eſcaire à laquelle les voiles en vue pou
voient appartenir ; ayant donc rempli ce que je
devois à l'honneur du pavillon , je fis figne à la
Gloire de forcer de voile & de me ſuivre . Le vai
ſeau ne fit aucun mouvement : il étoit hors d'état
de mancoeuvrer , ſes voiles étoient hachées & bratſées
ſur le mât . - Ce combat a duré 2 heures to
minutes , pendant leſquelles les équipages des deux
frégates ont donné les marques de la plus grande
valeur & du courage le plus déterminé. Celui de
la Gloire étoit animé par l'exemple que lui donnoient
MM. de Ségur , de Broglie , Hiilehern
Colonel Suédois , Chevalier de Lameth , de Leménie
, de Vaudreuil , de- Monteſquicu & de Polleresky.
La perte que les deux fregates ont faite
eſt très-légère après un pareil combat : j'ai eu s
hommes tués & Bi bieffer; du nombre de ces derniers
eit M. Collinet lieutenant de frégare
auxiliaire , qui a eu la clavicule caffée d'un coup
de moufquet. Je ne puis donner trop d'éloges à la
manière brillante & courageuſe avec laquelle le
Chevalier de Vallongue a engagé & foutenu le
combat. Nous avons éré l'un & l'autre vaillam
ment ſecondes par nos Officiers & nos équipages ..
La vue d'une force ſupérieure ſembloit ajouter à
leur valeur ordinaire.
د
,
On apprend par des lettres poſtérieures , que le
12 Septembre les deux frégates du Roi étant entrées
dans la Delaware , lieu de leur deſtination
y avoient été ſuivies par une divifion de cinq vai
ſeaux ennemis , celle qui les avoit obligées de
terminer le combat dus Septembre; le vent n'ayant
pas permis aux deux frégates de prendre le bon
chenal , elles furent forcées de donner dans un
autre interrompu par des bancs : les Ennemis purent
pafler par le premier : la frégate la Gloire
tirant moins d'eau franchit le banc ; mais l'Aigle
y reſta échouée ; on eut le temps de débarques.
( 131 )
ſous le feu du canon des vaiſfeaux , les Oficiers
paſſagers & l'argent qui étoit à bord. La plus grande
partie de l'équipage a été mife à terre ; & 1 Ennemi
en s'emparant du bâtiment échoué , n'a fait qu'un
très- petit nombre de pritonniers « .
Une lettre de M. le Baron de Viomenil à
M. le Marquis de Ségur , en date du 17 Septembre
, contient encore fur cet évènement
les dérails ſuivans.
Les Officiers paſſagers ſur l'Aigle & la Gloire ,
furent d'abord débarqués ſur la rive droite de la
Delaware. Arrivés à trois lieues de leurs fregates" ,
le Baren de Vioménit renvoya les chatoupes pour
prendre tout l'argent dont les deux frégates étoient
chargées; quoiqu'elles fuſſent plus près du danger
qu'elles ne l'avoient encore été , MM de la Touche
& de Vallongue mirent tant d'activité , que cet
envoi s'effectua ; cependant ce ne fut pas fans difficultés.
Deux chaloupes de Réfugiés , armées de
TOO hommes chacune , avoient entrepris d'enlever
les deux chaloupes chargées d'argent , elles furent
pour ainſi dire un moment en leur pouvoir ; mais
la bonne contenance que firent les Oficiers débar.
qués avec 4 hommes armés , & l'adace de M. Gourgues
, Officier auxiliaire , arrivant avec les canots
de Aigle, firent une telle peur à ces 200 Réfugiés ,
que , quoiqu'ils n'euffent pas 20 hommes à com
bartre, ils virèrent de bort & s'éloignèrent. L'argent
fut envoyé à Philadelphie , ſous l'escorte des
Aides-de-camp & de 6 Officiers du Corps- Royal
de l'Artillerie ou de la Légion de Lanzun , com.
mandés par M. Sheldon , quis'eft acquité de cette
comm flien avec zèle & intelligence . MM. de Cha
bannes , de Montesquieu , de Lomenie & de Mel
fort , ont été de la plus grande utilité dans le
moment des premiers embarras. MM. de Bre tano ,
de Ricé , de Talleyrand , de Lameth , de Fleury
de Vaudreuit, Frédérick de Chabannes, de Mout
f6
( 132 )
mort , de Vioménil fi's , ont montré le plus grand
zele & fit ſentinelle toutes les nuits ; MM. de
Laval, de Tilleul & de Brentano, ſe font dévoués
d'ane manière toute particulière pour faire retifer
de la mer 500,000 liv. qui y avoient été,jetées
das le momeu où les Réfugiés s'emparoient des
chaloupes . MM. de Ségur & de Broglie , après avoir
éré employés avec le plus grand zèle à ménager les
reſſources du premier moment , ſe font chargés
des dépéches des Miniſtres pour MM. de la Luzerne
, de Rochambeau & de Vaudreuil , & les
oot portées a Philadelphie. Le Duc de Lauzun qui
avoit en la fiè re pendant vingt jours à la mer ,
& dont la convalescence commençoit à peine, n'a
pas quitté le Baron de Viomenil dans ſes plus
grands embarras , & c'eſt à fon eſprit de conciliation
qu'on a dû effentiellement l'aſſemblée de quelques
Milices , qui ont aidé à ſauver l'argent.
On eſt toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; on n'a pas encore reçu
la confirmation de celles qui nous font
venues de ces contrées de différens ports
du Levant , & celles que les Anglois ont
publiées , quoiqu'on ait raiſon de les foupçonner
mieux inſtruits , ne les détruiſent ni
ne les confirment. En attendant que ces
nuages ſe diffipent , nous nous empreſſerons
d'annoncer ici une carte intéreſſante ,
&que toutes les perſonnes qui veulent ſuivre
le fil des évènemens qui ſe paſſent
dans ces contrées , ne peuvent ſe diſpenfer
de ſe procurer &de confulter ſouvent.
C'eſt celle du théâtre de la guerre dans
l'Inde , ſur la côte de Coromandel , par M.
Bourcet . L'Auteur y a joint vingt plans des
( 133 )
principales Villes & Ports de cette partie ,
tels que Pondichéri , Madraſs , Négapatam
, Tranquebar , Calicut , Bombay , Trinquemaley
, Mafulipatan , Arcare , &c . ( ) .
M. de la Blancherie , Agent général de Correfpondance
pour les Sciences & les Arts , eſt de
retour du Voyage qu'il vient de faire en Hollande ,
à Liège& dans les Pays-Bas Autrichiens , dans la
vuede s'y procurer les relations conftantes qui
doivent affuser la conſiſtance de cette Loftitution
,
Cosmopolite , qui embrafie également les hommes
de tous les Pays & de toutes les conditions , 19. par
l'intérêt qu'ils ont à connoître promptement les productions
des Sciences & des Arts , ou ce qui peut
contribuer à leurs progrès ; 2°. par les reffouices
qu'ils y trouvent, foit par une communication facile
entr'eux , ſoit pour acquérir , exercer ou employer
des talens .- Ce double but eſt rempli par les
moyens ſuivans. 19. Par une correfpondance fuivie
, dans tous les Pays , ſur tous les objets des
Sciences & des Arts , dont les détails font publiés
(1) Cette Carte ſe trouve à Paris chez M. Dezauche , fucceffeur
de MM. de Lifle & Phi ippe Buache , premiers -Géo
graphes du Roi , & chargé de l'entrepôt général des Cartes de
la Marine de S. M. , rue des Noyers . A ce morceau précieux
nous joindrons l'annonce d'un autre qui ne l'eſt pas moins ,
& que l'on doit au même Artiſte eſtimable , M. Dezauche , chez
qui on le trouve Il a pour titre : Hémisphères Oriental &
Occidental ou Grande Mapremonde en deux feuilles . Dref-
Sés d'après les Obfervations Astronomiques de MM. de
l'Académie Royale des Sciences , pour l'usage particulier
du Roi. Par Guillaume de Lifle & Phil ppe Buache , premiers
Geographes de S. M. , nouvellement revus , corrigés &
augmentés des nouvelles découvertes du Capitaine Cook ,
avec les diff rens voyages & les routes de ce célèbre Navigateur.
Par M. Dez uche fucceffeur de MM. de Lifle
&Philippe Buache , premiers Géographes du Roi & de l'Académie
Royale des Sciences. Prix 2 liv . 10 f.
(134 )
tous les huit jours ſous la forme de Gazerte (1)
adreſſés gratuitement en particulier , aux perfonnes
qui en ont fait des objets de demande. 2°. Par
une Affemblée également gratuite , qui a lieu à Paris
tous les Jeudis ( à l'Hôtel Villayer , rue S. Andrédes-
Arcs , depuis cinq heures après midi juſqu'à
neuf ) pour ſervir de point de réunion aux Savans ,
Artiſtes & Amateurs nationaux on étrangers de l'un
& l'autre ſexe , ſous le titre d'Affemblées ordinaires
des Savans & des Artistes , ainſi qu'aux Ouvrages
en tous gentes de Siences & d'Arts , dont la Feuille
de Correſpondance préſente ſucceſſivement la Norice.
3 °. Par une Société diviſée en deux Claſſes ,
la première , compoſée de perſonnes de tour Pays ,
d'un nom ou d'un rang distingué , dite des Proterteurs
, donnant chacun quatie louis par an (1) ; la
ſeconde , dite des Affſociés , donnant chacun deux
louis par an , leſquelles ſommes ſont applicables
avec le produit des Souſcriptions pour la Feuille
dont il vient d'être queſtion , ſous l'autorisation
d'un Comité , composé de Membres des deux claffes
; 1°. à l'acquifition , en manière de gratification
pour l'Artiſte , de l'Ouvrage expoſé à chaque Al-
Vemblée , la plus recommandable par ſon utilité ou
fa perfection , pour être enfuire diviſé au ſort ,
entre les Membres des deux Claſſes , à la fin de
chaque année 2º. A la bienfaiſance envers les
jeunes gens , qui auroient beſoin de ſecours pour
acquérir des talens , ou envers les gens à talens ,
juſqu'à ce qu'on leur ait procuré de l'ouvrage.
(1) Nouvelles de la République des Lettres & Arts ;
le prix de la Souſcription eſt de 24 liv. pour Paris & 30 liv.
juſqu'aux frontières . On s'abonne en tout tems au Bureau de
la Correſpondance , Hôtel Villayer , rue St.André- des -Arts ,
ou chez M. Bro , Notaire , rue du Petit Bourbon St Sulpice ,
àParis .
(2) Les Membres de cette Société , reçoivent les feuilless
de la Correſpondance de Droit.
( 135 )
1
-
-A meſure que le plan de cette Laſtitution ſe
développe le ſuccès le ſuit ; déja nos Princes
une grande partie de la haute Nobleſſe , beancoap
de bons Citoyens de tout rang de ce te Capitale &
des Provinces ,y ont contribué par le prix des Affociations
dans les deux Claſſes ; le Bureau de la Ville
a délibéré d'aider à ſa conſiſtance, par une ſouſcription
de dix-huit louis par an ; le Ministre de la Marine
lui en a accordé quarante par an , fur les fonds
da Département , pour 20 exemplaires des Feuilles
de la Correſpondance. Dans le Pays étranger LL.
AA . RR. l'Archiducheſſe Marie-Chriſtine &le Duc
Albert, & à leur exemple différentes perſonnes de
leur Cour & des Pays-Bas Autrichiens ; fon A. le
Prince, Evêque de Liège , & pluſieurs perſonnes de
fa Cour& de ſes Etats ; pluſieurs Citoyens de la République
des Pays-Bas-Unis , ont également contracté
les engagemens des deux Claſſes de la Société .
Pour ne laiffer aucun doute ni ſur l'emploi des contributions
des deux Claſſes , ni for le zee avec lequel
on veillera aux Intérêts des personnes de tous
Pays , qui voudront profiter des avantages de cette
Inititution , on a formé un Comité , dont les Membres
choiſis dans chaque Clafle des perſonnes qui
compofent la Société , & réunis à un Membre de
chaque Ambaſſade dur Pays étranger en France ,
veilleront fur tous les détails de l'Adminiftration ,
vérifieront l'état de dépenſe & de recette , autoriſeront
l'Agent général de Correſpondance dans les
démarches néceſſaires , &c. -De même , pour être
aſſuré de ne donner des ſecours &des foins qu'à das
performesnon équivoqnes; celles qui voudront proffterdes
avantages qu'offre l'établiſſement, n'étant point
connues, prenfront l'attache de l'un des Protectcurs
ou des Affociés de leur Pays , de leur Province ou
de cette Ville , qui ſera dans le cas d'en répondre.
-Dès-à- préfent , les fonds provenans de la foafcription
de la Fesille ,ainſi que de la Société ,cx
(136 )
cèdent les dépenses : on peut s'en convaincre par
l'état de dérente & de recette de cette année qui eſt
public.-Les engageinens de Protection , d'Affociation
, ſe prennent comme les fouscriptions de la
Feuille , on au Bureau de la Correspondance , ou
chez M. Bro , Notaire rue du Petit - Bourbon-
St- Sulpice , chez qui font déposés les Memoires
arrêtés & quittances , ainſi que le tableau des Chefs
ou Soufcripteurs qui ont payé , ou qui doivent ,
pour être rendus publics , ar perſonnes intéreſſées.
La repriſe de l'Allemblée ordinaire des Savans
& des Artistes , après les vacances d'Automne , ſe
fera le Jeudi 21 Novembre , à quatre heures aprèsmidi
. Deputs midi juſqu'à deux heures le même
jour on pourra voir , ainſi que les Jeudis ſuivans ,
les objets de Peinture , Sculpture , &c. L'étendue
qu'on vient de donner au chef- lieu de la Correſpondance
, ne laſſe rien à defirer , ni pour l'expoſition des
productions des Sciences & des Arts , ni pour la
facilité de les voir. Les perſonnes des Provinces ou
du Pays étranger , ainfi que celles de certe Capitale ,
qui auront des Ouvrages à expoſer , ſoit livres , foit
tableaux ou machines , &c. ſont priées de ne pas
attendre au Jeudi pour les envoyer.
>>>Le ſieur Chaumont , Perruquier , dont l'Acadé.
mie Royale des Sciences a approuvé diverſes dé.
couvertes utiles qu'il a faites dans ſa profeſſion ,
vient de préſenter à cette Compagnie une nouvelle
forte de Toupees qui , par un mélange de poils de
caftor & de cheveux , forment fur le bord de front
où ils ſont placés ſans tiff , un duvet naiſſant qui
imite la chevelure naturelle. Ces Toupers , dont la
bordu e est très fine , s'identifient pour ainſi dire
avec la peau , par le moyen d'une pommade qui les
fait tenir Car la tête ſans aucun inconvénient . L'avantag:
de cette commade , qui s'étend facilement fur
lapeau fans ſe fondre , eſt prouvé par l'aſage qu'en
font journe'lementpluſieurs perſonnes de confidé
( 137 )
ration. Elle ſe vend 30 ſols l'once. Les bâtons , que
l'on ratiife pour s'en ſervir , font de deux onces
chacun. Il fait auffi pluſieurs fortes de Perruques
dans le goût le plus nouveau , entr'autres celles qui
font à bourſes , où il s'applique encore plus particulièrement
à prendre les différens airs da viſage
& à imiter le naturel des cheveux . Il demeure rue
des Poulies , à droite en entrant par la rue Saint-
Honoré , à Paris. Les perſonnes qui lui enverront
un modèle de leur front découpé en papier & de
leurs cheveux , ſont priées d'affranchir leurs lettres " .
Parmi les objets intéreſlans pour l'humanité,
en voici un que nous ne pouvons
trop nous empreſſer de faire connoître ; le
ſecours auffi précieux qu'efficace contre
une maladie cruelle , qui a été juſqu'a
préſent le déſeſpoir des Médecins & des
Malades que lui offre M. Ponfart , ne
fauroit avoir trop de publicité. L'importance
de l'objet , les ſoins qu'on a pris d'en
conſtater l'efficacité , méritent des détails.
On peut ſe flatter enfin de la découverte d'une
manière ſûre de parvenir à la cure radicale de la
goutte; M. Ponſart , Docteur en Médecine , Medecin-
Conſultaat de leurs Alteſſes Celfiffimes les
Princes de Liége & de Stavelot , & des eaux de
Spa , &c. depuis vingt ans s'eſt occupé ſans reláche
de l'origine , de la nature du levain , des diverſes
cauſes de cette cruelle maladie & des moyens
d'y remédier ; ſur quoi , il a publié un Traité appuyé
des approbations les plus authentiques. Pluſieurs
expériences ont conſtaté les heurex effets de ſa
méthode : il a fur-tout eu le ſuccès le plus décidé
en faveur du Prince Alexandre Sulkowski , Polonois
, Lieutenant Général & Feld Marechal au fervice
de S. M. I. affecté d'un shumatiſme goutteux
habituel à la cuifle gauche , devenue atrophiéc , &
( 138 )
qui le rendoit perclus; depuis neuf ans , ce Prince
n'en a eu ni rechûtes , ni reffentiment. Le bruit
de cette guérifon , & de pluſieurs autres , dont
M. Ponfart ent occafion de s'entreterir avec M. de
Laffonne , Premier Médecin de S. M. T. C. auquel
il se fit un plaifir de développer ſes procédés , ont
fait penfer à ce Médecin célèbre qu'il ſeroit trèsavartageux
de renouvelter des effais de cette méthode.
Sur le compte qu'il en rendit au Roi & à
M. le Mara is de Ségur , Miniſtre & Sécrétaire
d'Ecat au département de la guerre , M. Ponfart
a été a torité, à traiter à l'Hôtel-Royal des Invalides
, dans une ſalle qui fut aſſignée à cet effer ,
différens malades , tous affectés de rhumatiſmes
goutteux habituels , qui juſqu'alors avoient réfifté
à tous les remèdes. Voici ce qu'atteſtent MM. le
Méde.in & Chirurgien Major de cet Hupical
Royal .
>> Cejourd'hui 6 Mai 1782 , nous fouffignés Médecin
& Chirurgien Major de l'Hôtel Royal des
Invalides , nous ſommes tranſportés , à la requifition
du ſieur Ponſart , dans la ſalle habitée par
les malades qui , en conféquence des ordres de
Monſeigneur le Marquis de Ségur , Miniſtre &
Sécrétaire d'Etat au département de la guerre , ont
été ſoumis à ſon traitement particulier pour conftater
par un dernier Procès-verbal l'état de guériſon
des malades ci-deſſous dénommés.- Après
les avoir interrogés & examinés , nous les avons
trouvés dans l'état qui fuit : ſavoir , Jean-Baptifte
Rémoncourt , âgé de ſoixante ans , qui , fuivant
le premier Procès - verbal , étoit attaqué depuis
vingt ans de douleurs habituelles dans les reins ,
dans les jambes & dans les bras ; & qui , Livant
le ſecond , nous a déclaré ne plus épicuver de
douleurs , & n'avoir plus que de la foibleſſe dans
Jes reins , qui d'ailleurs marchoit alors aff. z librement
, mais un peu penché fur le côté droit , dé
( 139 )
c'are aujourd'hui que les douleurs ne font pas reve
nues , & que la foibleſſe de ſes reins ſe diffipe
de jour en jour , la démarche de cet homme eft
plus fure, mais toujours penché ſur le côté droit.
- Léopold Vernet , âgé de 77 ans , fuvant le
premier Procès- verbal , il avoit été affecté depuis
un an de taméfaction aux pieds , dont il étoit délivré
depuis que le mal s'étoit fixé au genou gauche;
il avoit quelquefois des douleurs vagues aux extrémités
ſupérieures . Lors du ſecond Procès-verbal ,
il a déclaré ne point éprouver de douleurs ; il
avoit encore un peu de gonflement au genou gauche;
fa démarche étoit affez bonne pour un homme
de ton âge; il avoit un peu de tremb'ement dans
les membres. Aujourd'hui le malade n'éprouve plus
de douleurs ; fa démarche eſt fort bonne; le tremblement
des membres , dont il a été parlé dans le
ſecond Procès- verbal , n'existe plus ; il reſpire aifément;
fon genou gauche eſt encore un peu gonflé.
Jean Brocart , âgé de 48 ans , affecté , lors
du premier Procès verbal , ſur la cuiffe gauche ,
avec amaigriffement de cette partie, dont les dou-
Jeurs habituedes l'empêchoient quelquefois de marcher.
An fecond Procès- verbal , ſes douleurs s'étoient
affoib'ies graduellement depuis le commencement
du traitemer ; & depuis quinze jours , it
n'en éprouvoit a cune; fa cuiffe gauche étoit revenue
an volume naturel ; il jouiſſoit de la meil.
leure ſanté. Auourth i il ſe porte très-bien- Fait
à Hôtel Royal des Invalides , ce 6 Mai 17820
Signé , MUNIER , SABATIER , PONSART .
Le Minitère a cru devoir rémeigner fa fatisfaction
à M. Ponfart , en lai faifant, expédier une
gratification fur le Tréfor Royal. M. Ponfart est
pour le préſent à l'hôtel d'Angletetre , rue Haute-
Feille , à Paris.
( 140 )
>> La première livraiſon de l'Encyclopédie eft acthellement
en vente. Cette première livraiſon eft
compoſée du premier volume de la Jurisprudence ;
da tome premier , première partie des Arts & M
tiers , Mécaniques ; & du tome premier , première
partie de l'Hiftoire Naturelle. Le volume de Littérature
qu'on avoit annoncé pour cette première
livraiſon , ne paroîtra qu'à la ſeconde , qui ſera
prête à la fin de Décembre. On ne publie aujourd'hui
que la premièse partie du tome premier de
Hiftoire de l'Homine , des Animaux quadrupèdes
& des Cétacées. On avoit cru d'abord que ces matières
fuffiroient pour former un volume entier ;
& le Public peut juger , par cette mépriſe & par
l'examen de ces volumes , de l'énormité de diſcours
qu'ils comprennent. L'Hiftoire des Oiseaux fuivra
celledes Animaux quadrupedes. Mais cette Hiſtoire
n'étant point prae, & ne pouvant être miſe ſous
preſſe que l'année prochaine, elle commencera la
ſeconde partie du premier volume de l'Hiſtoire Naturelle.
Il faut que Meſſieurs les Souſcripteurs aient
la bonté de ſe prêter à recevoir ainfi , juſqu'à ce
que l'ouvrage ſoit plus avancé , des volumes entiers
&des demi volumes. Sans cette condefcendance de
leur part , qui ne fera d'ailleurs que hater & multiplier
leurs jouiſſances , on feroit obligé de mettre
trop d'intervalle de la publication d'une livraiſon
à une autre , ces volumes étant tellement chargés
de matières , qu'ils exigent chacun au moins fix
mois de tems pour l'impreffion ; & comme il y
aura auffi l'année prochaine dix-huit parties de ce
grand ouvrage ſous preſſe en même-tems , il en
réſulteroit encore que , ſans cette facilité , le ſervice
courant pourroit ne pas ſe faire. Cette publication
par demi-volumes n'entraîne d'ailleurs aucune
eſpèce d'embarras pour le Public , parce qu'on ne
peut relier cet ouvrage que lorſque le Vocabulaire
( 141 )
univerſel , qui indiquera l'ordre des volumes , en
y renvoyant , aura paru. L'Ouvrage & le Vocabulaire
étant dépendans l'un de l'autre , toute reliure
actuelle ſeroit abſolument perdue. Cette première
livraiſon , brochée en carton , coûte 23 liv. 10 f. ,
&en feuilles 22 liv. , conformément au Profpectus.
M. Simon , Imprimeur du Parlement , s'eſt chargé
de toute l'Hiſtoire Naturelle. M. Didot , Imprimeur
de Monfieur , Frère du Roi , des Arts & Métiers
, Mécaniques. M. Stoupe , de la Jurisprudence.
On indiquera à chaque nouvelle partie le nom de
Meſſieurs les Imprimeurs ".
De BRUXELLES , le 12 Novembre.
L'AFFAIRE de l'Enſeigne de Witte , prifonnier
pour crime de haute-trahison , fait
toujours beaucoup de bruit en Hollande ,
le Stadhonder perſiſte à penser qu'il a été
jugé par le Tribunal compétant le Haut-
Conſeil de guerre ; & comme la province
de Hollande ne jugeoit pas de même , l'opinion
du Prince eſt qu'elle n'eſt pas plus
intéreſſée au délit de l'Enſeigne que les autres
provinces ; qu'elle ne pouvoit en conſéquence
le réclamer , & que ce droit appartenoit
aux ſeuls Etats-Généraux. La Province
de Hollande ne laiſſe pas d'être toujours
d'avis que la République en général
n'a aucun Tribunal politique commun ſi
ce n'eſt pour les pays conquis ; la Province
de Zélande a adopté le même avis & ajoute
que le délit ayant été commis contre la fouveraineté
des Provinces où auroit dû s'exé
( 142 )
cumer la defcente projettée , & particulièrement
contre la ſouveraineté de Zélande ,
il devoit être jugé par la Cour de Juſtice
de la Haye qui exerce ſa jurisdiction en
qualité de Tribunal commun de la Hollande
& de la Zélande.
Cette affaire , ajoutent les lettres d'Amſterdam
, n'eft pas la ſeute qui occupe les Provinces ,
la réponſe du Stadhouder à la députation des Etats
de Hollande & de Weſtfriſe , pour l'examen des
affaires de la Marine , paroît l'objet des délibérations
de L. N. & G. P. Le Prince leur a adreſſe
deux lettres pour expliquer ſa réponſe , qui étoit que
de tout ce qu'il a fait en qualité d'Amiral général
de l'Union , en vestu des ordres & conformément
aux volontés & aux réfolutions de LL. HH. ГР. ,
il n'eſt reſponſable qu'à elles ſeules. Il déclare
qu'il a déja communiqué au Comité ſecret des
Etars - Généraux , l'intention où il est de donner une
ouverture détaillée de fa direction & de ſon adminiſtration
en qualité d'Amiral général de la République
; que dans peu il remplira l'engagement
qu'il a pris ; qu'alors L. N. & G. P. recevront
des informations complettes ſur les objets qu'elles
defirent; que quoique perfuadé qu'il n'a de compte à.
rendre qu'aux Etats-Généraux , pour preuve de ſa
refpectueuſe déférence aux defirs de L. N. & G. P. ,
fi contre fon intention ces ouvertures leur laiſſoient
encore quelques doutes , il ne refufera point les
éclai ciſſemens ultérieurs qu'elles pourroient de.
mander. Il faut obferver , ajoutent nos lettres
d'Amſterdam , que les inſtructions des Etats de cette .
Province à leurs Députés , portoient d'entrer en
conférence avec le Prince , fur tous les objets
concernant la Marine en général , & la direction
( 143 )
/
de la guerre actuelle en particulier, qu'ils juge.
roient avoir beſoin d'éclaircitſement pour écarter
tous les doutes fur les points détaillés , enſuite de ſe
faire informer convenablement de tout , & après
cela , de faire , au ſujet des ouvertures qu'ils auroient
eues , à LL. NN . & GG. PP. , tel rapport
meſuré qu'ils jugeront ſervir , d'un côté à l'inf
truction des Membres de l'Assemblée , & de l'autre
à ne point faire éclater telles circonftances qui exigeroient
proviſionnellement un profond ſecret. Il
eſt à remarquer que les Etats de Hollande ne demandoient
pas au Stathouder qu'il leur reudît compte
de ſa conduite en qualité d'Amiral général de l'Union
, c'est-à- dire du Corps repréſentatif des ſepr
Provinces ; mais que , ſur les points propofés , il
leur donnât des éclairciſſemens en qualité d'Amiral
particulier de la ſouveraineté de leur Province , dignité
dont il eſt revêtu par une commiſſion ſpéciale
«.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 6 Novembre .
Le 14 de Septembre , écrit-on de Fish Kill , le
Comte de Rochambeau , Commandant en chef de
l'armée Françoife , eſt arrivé avec ſa ſuice à Verplank's-
Point; il a été ſalué par l'armée Américaine,
rangée fur deux lignes en face l'une de l'autre . Après
fon arrivée au Qartier-Général , où il fit reçu de la
manière la plus amicale par notre Général , l'armée
a défilé devant lui ,& les différens corps l'ont ſalué
à meſure qu'il paſſoit. Tous les hommes qui les
compoſent ont paru charmés de pouvoir donner ce
témoignage public de leur reſpect à un Général d'un
mérite auffi diftingué , & de la perſpective immédiate
de joindre de nouveau leurs drapeaux à ceux
de nos braves Auxiliaires. Le و le Général Carleton
, accompagné du Prince , & à la tête d'un gros
corps de troupes , avec fix pièces de campagne , s'eſt
( 144 )
avancé juſqu'à Philipsborough , mais il a bientôt.
abandonné ce poſte pour retourner ſur ſes pas : 30
à40 Anglois ont profité de cette occafion pour dé
ferter.
Nos apprenons , écrit.on de Trenton , qu'il eſt
forti le 21 de Sandy-Hook une eſcadre conſidérable
de vaiſſeaux Anglois , parmi leſquels ſe trouvent
pluſieurs vaiſſeaux de ligne , mais on ignore leur
deftination.- Plus de 7000 habitans de New-York
ont figné un écrit dans lequel ils ſont convenus de
ſe retirer dans la nouvelle Ecoffe .
L'eſcadre du Lord Hood n'eſt point deſtinée pour
une expédition ſecrette , comme le bruit en avoit
couru ; ele doit ſe rendre à Hallifax , où elle trouvera
les deux flottes qui y font arrivées d'Europe
dans le mois de Juillet & d'Août , avec plus de 3000
hommes de troupes , tant Allemandes que Britanniques
, qu'elle convoiera à New-York .
Le Prince Guillaume-Henri doit partir inceſſamment
d'Amérique ; il eſt attendu en Angleterre vers
les fêtes de Noel ..
Le cutter le Liberty , de 8 canons , commande
par le ſieur Archer , Lieutenant de vaiſſeau , a mis
à la voile de Falmouth , le 31 du mois dernier ;
chargé de dépêches pour le Chevalier Guy Carleton.
C'étoit hier un bruit général que le Roi avoit
accepté la démiſſion du Chevalier Carleton , & que
le Gouverneur Dalling étoit nommé pour le remplacer.
On aſſure de nouveau que le Lord Howe , auffitôt
après ſon retour de Gibraltar , ſera mis à la
tête de l'Amirauté , où il remplacera le Lord
Keppel.
-
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 23 NOVEMBRE 1782 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITAPHE de CATEAU , Perruche ,
morte de faim & injectée à Lagny , chez
Mme DE LA CHAISE.
J'AAIItraverſé les mers pour vivre en cage ici :
J'y faifois vos plaiſirs: je parlois..... comme un livre !
८
Répétant les phraſes d'autrui ,
Caquetant , jabottant , difant non , diſant oui.
Moi, qui chaſſois l'ennui ( dont le ciel vous délivre! )
Je ſuis morte de faim. Le trair n'eſt pas joli .
Mais votre coeur touché me dérobe à l'oubli !
L'art fait douter-ſi j'ai ceſſé de vivre......
( Par M. Félix-Nogaret.)
※
i-
Nº. 47, 23 Novembre 1782. G
:
446 MERCURE
COUPLETS adreſſés à Mme la Vicomteffe
DE CARNÉE.
Sur l'Air du Vaudeville de la Roſière,
AMES vers d'aſſez mince aloi ,
En daignant répondre , Zéline ,
Vous yous acquittez de l'emploi
De joindre la roſe à l'épine .
Apollon vous inſpire bien ,
Faut-il qu'Amour y ſoit pour rien ?
MON luth & ma voix ſont diſcords ;
Comment aux chants de Philomele
Unir les lugubres accords
De la plaintive Tourterelle ?
Quand on a perdu tout ſon bien ,
Les pleurs n'aboutiſſent à rien.
Dans une foret , nuit & jour ,
Elle pleure un Amant fidèle ;
Elle est victiune de l'Amour
Dans ſa douleur toujours nouvelle,
Pour elle il n'eſt plus de foutien ;
Hélas! quet malheur est le ſien !
SANS en reſſentir la douceur ,
De l'Amour je portois la chaînes
A
DE FRANCE. 147
:
Ce Dieu'm'a fait dans ſa fureur
Bien moins de plaiſir que de peine.
Las ! faut- il qu'on ne gagne rien
Quand on aime, & qu'on aime bien ?
N'IMPORTE , on chérit ſon erreur;
Par un penchant irréſiſtible ,
On eft fidèle ſans bonheur
Lorſque pour vous on eſt ſenſible.
S'il faut n'être ſurpris de rien,
C'eſt d'un coeur qui vous aime bien.
DEMAIN finiront les loiſirs
Que j'aimois à croire durables ;
Jen'aurai que les ſouvenirs
Des qualités les plus aimables ;
Ces ſouvenirs feront un bien ,
Ils vaudront encor mieux que rica.
De vous prolonger mes adieux
Quand je ſens qu'il m'eſt ſi facile ,
Je crains de vous être ennuyeux
Parmonpinceau trifte& débile.
Car, en regrettant tant de bien,
Je vois que je ne finis rien.
Je renferme tous mes regrets ,
Etjeceſſedonc de me plaindre.
J'ai peint mes voeux les plus ſeerets ;
Près devous on ne fait pas feindre.
A
Gij
148 MERCURE
Je n'ai plus de plaiſir à rien
Qu'à vous célébrer mal ou bien.
:
(Par M. leComte de Rofières , Officier
au Régiment d'Aunis. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt Cor ; celui du
Logogryphe eſt Navire , où se trouvent vin ,
rave & raie , âne, vie, Ave, ravin , an
ire , vain , rien.
ÉNIGME..
J
:
E trouve mon tombeau dans le ſein de celui
Qui me reçoit & me donne un appui .
Mais qu'on ne fouille point pour trouver ma ſubſtance ;
Car je n'ai plus de corps quand je perds l'existence.
H
LOGOGRYPΗ Ε.
UIT pieds , ami Lecteur , compoſent ma fubftance.
Mon genre eft féminin , &de mon exiſtence ,
Dans l'un de mes deux ſens , je remplis l'Univers.
Je fus toujours très -douce en proſe comme en vers ,
Et tout mortel fouffrant invoque ma préſence.
On trouve dans mon ſein ce que les Matelots
DEFRANCE. 149
Abandonnent ſouvent à la fureur des flots ;
Une règle preſcrite à la Scène Françoiſe ,
Sur laquelle aujourd'hui l'on ſe met à ſon aife3;
Un défaut très - commun aux Grands comme aux
petits ,
:
Et fur-tout aux foibles eſprits ;
Ce que le Charretier ,dans ſa langue érudite ,
Répère à ſes chevaux pour avancer plus vite ;
Enfin , le nom d'un Chefdes ſoutiens de nos Loix.
Aces traits , cher Lecteur , peux- tu me méconnoître ?
Je préfère aux palais qui renferment les Rois ,
La cabanne du pauvre & ſes ruſtiques toits.
J'habite peu la Cour , où je crains de paroître,
Mille ennemis cruels y poursuivent mes pas .
Toutefois on m'y vante , on m'y croiroit chéric;
Des adroits courtiſans ſervant la flatterie ,
Dans mille occafions j'ai pour eux des appas.
J'y connois cependant une retraite sûre ,
D'où , goûtant ſans mêlange une volupté pure ,
Je diſpenſe à propos les grâces , les bienfaits :
C'eſt le coeur de Monfieur , où je reſpire en paix.
( Par M. Brifoult, Concierge Général des
Bâtimens de Monfieur , à Brunoy . )
:
Gii)
150 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VOLTAIRE & le Serf du Mont- Jura ,
Discours en vers libres , qui a remporté
lePrix de Poésie de l'Académie Françoife
en 1782 , par M. de Florian, Gentilhomme
de S. A. S. Mgr. le Duc de Penthièvre.
Jeveux que le coeur garle ou que l'Auteur ſe raife.
Volt. Epitrefur l'Agriculture.
A Paris, chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe , rue Chriſtine.
LEſujet traité dans cette Pièce, eft celui que l'Académie
avoit propoſé en 1780 , fans avoir trouvé
dansdeux Concours , un Ouvrage qui lui parût digne
du Prix. Enfin elle avoit pris le parti , l'année dernière
, de rendre aux jeunes Poëtes la libertéde choi
fir un autre ſujet , en déclarant néanmoins , qu'à
mérise égal, elle préféreroit celui- ci comme le plus
patriotique , & par cela même le plus intéreſſant
pour la Nation. Quoi de plus intéreſſant pour elle
en effet , que de lire dans de beaux vers la réparation
d'un antique outrage fait à l'humanité, que de voir
la Poésie publier la gloire des belles Loix , dont
de exprimoit autrefois les préceptes facrés , &
tranſmettre à la poſtérité tout-à-la-fois le bienfait
& la reconnoiffance ! En propoſant des ſujets pareils ,
l'Académie conſacre , en quelque forte , les talens
qu'elle y appelle , elle s'honore elle-même , puifqu'elle
fait ſervir à l'utilité publique une inſtitution
particulièrement deſtinée à l'avantage des Arts. En
DE FRANCE. 158
Vain on obſerveroit que cette Loi , que l'on doine
àcélébrer , eſt encore récente , & que c'eſt en quel
que forte en la préſence du Prince de qui elle eft
émanée, qu'il faut la chanter. Il eſt dans le règne
d'un Prince , comme dans la vie d'un particulier ,
des faits dont la louange eſt toujours noble , utile &
vraie , parce que la flatterie ne pourroit y entrer
fans ladeshonorer.Ily a loinde ce ſujet à celui que
l'Académie avoit propoſé ſous Louis XIV , & dont
l'emphaſe choqua même ce Prince: Quelle est des
qualités du Roi la plus héroïque ? Si pluſieurs de
ceux qui cultivent les Lettres , ſe ſont ſomllés
dans ce ſiècle de vices nouveaux , ils ont auſſi gagné
quelques vertus: on ne voitplus les talens ſe proſti
tuer à cette baffe & ridicule adulation .
L'Auteur de la Pièce que nous annonçons eft entré
dans les vûes de l'Académie ; il n'a ufé de la
liberté rendue aux jeunes Poëtes , que pour repren
drele ſujet qu'elle avoit précédemment fixé. Nous ne
pouvons mieux faire connoître ce ſujet , qu'en tranf
crivant ici le préambule de l'Édit du mois d'Août
1779 , fur l'abolition de la Servitude dans lesDo
maines du Rơi.
«Conſtamment occupés de tout ce qui peut in-
>> téreſſer le bonheur de nos Peuples , en mettant
>> notre principale gloire à coinmander une Nation
>> libre & généreuſe , Nous n'avons pu voir ſans
- peine les reſtes de ſervitude qui ſubſiſtent dans
>> pluſieurs de nos Provinces. Nous avons été affectés
, en conſidérant qu'un grand nombre de nos
» Sujets , fervilement encore attachés à la glèbe ,
> ſont regardés comme en faiſant partie , & con-
> fondus , pour ainſi dire , avec elle : que , privés
de la liberté de leurs perfonnes&des préroga-
>> rives de la propriété , ils ſont mis eux-mêmes au
> nombre des poſſeſſions féodales ; qu'ils n'ont pas
* la confolation de diſpoſer de leurs biens après
20
Giv
152 MERCURE
» eux; & qu'excepté dans quelques cas rigidement
>>>circonfcrits , ils ne peuvent pas même tranſmettre
>>>à leurs propres enfans le fruit de leurs travaux
>> que des diſpoſitions pareilles ne ſont propres qu'à
>> rendre l'induſtrie languiſſante , & à priver la
>> ſociété des effets de cette énergie dans le tra-
>>>vail , que le ſentiment de la propriété la plus
>> libre eſt ſeul capable d'inſpirer.
>>> Juſtement touchés de ces conſidérations , nous
>> aurions voulu abolir ſans diftinction les veftiges
>> d'une féodalité rigoureuſe; mais nos finances ne
>>> nous permettant pas de racheter ce droit des maius
>> des Seigneurs , & retenus par les égards que nous
>> aurons dans tous les temps pour les loix de la
>> propriété , que nous confidérons comme le plus
>> sûr fondement de l'ordre & de la justice , nous
>> avons vu avec ſatisfaction qu'en refpectant ces
>> principes , nous pouvions cependant effectuer une
partie du bien que nous avions en vue , en abo-
> liſſant le droit de Servitude , non- feulement dans
> tous les Domaines en nos mains , mais encore
>> dans tous ceux engagés par Nous & nos prédécef-
>> feurs ; autoriſant a cet effet les engagiſtes qui fe
>> croiroient leges par cette diſpoſition , à nous re-
> mettre les domaines dont ils jouiffent , & à ré-
>>>clamer de Nous les finances fournies par eux ou
>> par leurs auteurs.
>> Nous voulons de plus , qu'en cas d'acquifition
>> ou de réunion à no re Couronne , l'inſtant de no-
>> tre entrée en poffeffion dans une nouvelle Terre og
>>>Seigneurie , ſoit l'époque de la liberté de tous les
בכ Serfs ouMainmortables qui en relèvent; &pour
encourager en ce qui dépend de Nous les Seigneurs
>> de fief & les Communautés à ſuivre notre exem-
>> ple , & conſidérant bien moins ces affranchiſ-
>> ſemens comme une aliénation que comme un
>> retour au droit naturel , Nous avons exempté
DE FRANCE.
155
>>> ces fortes d'actes des formalités & des taxes aux
>>quelles l'antique ſévérite des maximes féodales les
> avoit affujétis.
>> Enfin , fi les principes que Nous avons déve-
>> loppés nous empêchent d'abolir ſans diftinction
le droit de Servitude , Nous avons cru cepen-
>> dant qu'il étoit un excès dans l'exercice de ce
>> droit , que Nous ne pouvions différer d'arrêter &
>> de prévenir ; Nous voulons parler du droit de
>>>Suite ſur les Serfs & Main-mortables , droit en
>> vertu duquel les Seigneurs de fief ont quelque-
>> fois poursuivi , dans les terres franches de notre
> Royaume , & juſques dans notre Capitale , les
30 biens & les acquêts de Citoyens éloignés depuis
>> un grand nombre d'années du lieu de leur Glébe
> & de leur Servitude ; droit exceſlif que les Tri-
>> bunaux ont héſité d'accueillir , & que les prin-
>> cipes de juſtice ſociale ne nous permettent plus
de laiſſer ſubſiſter .
>> Enfin , Nous verrons avec ſatisfaction que notre
>> exemple , & cet amour de l'humanité , ſi parti-
>> culier à la Nation Françoiſe , amènent , ſous
>> notre règne , l'abolition générale des droits de
>> Main-morte & de Servitude , & que Nous ferons
ainfi témoins de l'entier affranchiſſement de nos
>> Sujets , qui , dans quelque état que la Providence
>> les ait fait naître , occupent notre ſollicitude , &
>> ont des droits égaux à notre protection & à notre
bienfaisance. » 20
On ne peut lire fans attendriſſement une Loi
où le coeur d'un Souverain épanche ainſi ſes voeux
pour le bonheur de ſes Sujets , en commençant par
en rétablir une portion dans ſes droits. Cette ref
triction même qu'il met à ſon bienfait , eſt encore
de ſa part un auguſte témoignage de justice & de
fageffe. C'eſt une grande vertu dans un Monarque ,
que ce reſpect pour les propriétés particulières ;
Gv
154 r MERCURE
& il ne trouve pas dans toute ſa puiflance
même de meilleur moyen de préparer & d'affermir
le bien qu'il médite , que d'y inviter par ſon exemple:
eſpérons tout de cet exemple & des principes
d'humanité qui ſe répandent de plus en plus. Mais fr
les Seigneurs de Terres main- mortables , parce que
le Roi ne leur commande rien ici , ſe croyoient en
droit de retenir leurs Vaffaux dans la Servitude ,
qu'ils ſe détrompent , qu'ils ſachent que ſi, dans
certains pays , la liberté de l'homme eſt une acquifition
nouvelle , elle n'en eſt pas moins fon droit
primitif & inaliénable; qu'ils ſachent que cette propriété
eft la ſeuleque la nature ait établie , &qu'aucume
poffeffion , aucune convention, même n'a jamais
pu y déroger legitimement. De coupables ſophiſines
ont trop long-temps triomphe des premières
vérités de la morale ; qu'on nous permette de
nous arrêter un moment fur ceux que des hommes
d'eſprit , & même des Jurifconfultes reſpectables
entaccumulés ſur cette queſtion.
Lorſqu'on veut juſtifier la Servitude de la Glèbe ,
on commence par la diftinguer de l'eſclavage admis
chez toutes les Nations de l'antiquité, & de celui où
nous foumettons ces malheureux Afriquains , qui
cultivent nos Colonies d'Amérique. Il ne ſeroit plus
permis aujourd'hui à un eſprit juſte & à une âme
fenfible , d'appercevoir autre choſe dans l'eftlavage ,
que la tyrannie du plus fort. Des Philoſophes éloquens
, Montesquieu , Rouſſeau , l'Auteur de l'Hiftoire
des Indes , j'y joindrai encore celui d'une excellente
differtation fur l'Esclavage des Negres ,
imprimée dans les Notes du Poëme des Mois , onz
plaidé la cauſe des Eſclaves de manière à nous faire
senoncer , finon à notre oppreffion , du moins aux
erreurs qui la fondoient. La Servitude de la Glèbe
eſt bien différente, dit-on. La perſonne du Serfreſte
こ
DE FRANCE.
Abre; il n'eſt ſoumis ni à des ſervices ignominieux
, ni à des châtimens arbitraires. Il n'y a que
ſa poſſeſſion qui ſoit ſous la main de ſon maître. En
l'abdiquant , il peut s'affranchir. Tant qu'il la cultive
, il eſt aſſocié à ſes fruits. Toutes les rigueurs
de ſa condition , ſouvent même les tributs auxquels
il eſt aſſujeti , ſont au moins réglés par des Loix.
Tous les droits de l'homme , il les poſsède ; il n'a
perdu qu'une partie de ceux du Citoyen. Or, ceux- ci ,
comme c'eſt la fociété qui les donne , elle a pu les
modifier. L'état de Serf a été autrefois l'état commun
de tout ce qui n'étoit pas Gentilhomme en Europe.
Tous les hommes qui en ſont ſortis ne le doivent
qu'à des affranchiſſemens volontaires : de quel droit
commanderoit-on aujourd'hui ce qui n'a jamais été
ordonné ? D'ailleurs , cet état eſt fondé ou ſur des
conventions par leſquelles les hommes de Servitude
s'y ſont ſoumis pour obtenir des terres à cultiver ,
ou fur une poffeffion qui permet de préſumer qu'elle
a commencé par des conventions pareilles. Une Lor
pent elle rompre une convention , ou changer ce qui
eſt établi par une longue poffeffion?
C'eſt abuſer de tous les principes de la raiſon ,
de toutes les règles de la juſtice que de raiſonner
ainfi. Je vois que dans tous les temps , dans toutes
les parties du Monde, une forte partie du genre-humain
a été condamnée à l'eſclavage : eft - il donc f
difficile à l'homme d'être juſte & humain , que l'on
ne trouve aucun pays , aucune époque où il ne ſe
foit ſouillé du plus horrible attentat contre ſes ſemblables
? J'avoue cependant qu'il y a une véritable
différence entre l'eſclavage des anciennes Nations
de l'Europe , & celui que l'on retrouve encore dans
pluſieurs des Nations modernes. L'eſclavage est tou
jours né de cet abus de la force qu'on a appelé le
droit de la guerre ; mais il a varié avec les principes
dans lesquels on a fait la guerre. Les Anciens
Gvj
156 MERCURE
.
faifoient avec les vûes des peuples civiliſés ; ils vouloient
ou affoiblir leurs voiſins , & alors tous les
hommes qu'ils ne leur avoient pas tués, ils les dégradoient
dans la ſervitude ; ils en rempliſſoient leurs
maiſons , où ils les traitoient comme les animaux
voués à leur ſervice ; ou bien ils vouloient conquérir
& foumettre leurs voiſins , & alors ils recevo.
ent les vaincus ſous leurs loix ; ils les aſſocioient
à tous leurs avantages politiques , & ſouvent même
ils en adoptoient pluſieurs inſtitutions
Il n'en fut pas de même des Barbares qui ſe
débordèrent dans l'Empire Romain. Manquant de
civiliſation , ils la méprisèrent chez les l'eup es qu'ils
foumirent ; ne trouvant dignes d'eux que les travaux
de la guerre , ils avoient beſoin des vaincus pour
leur cultiver une terre dont ils ne vouloient que
jouir; ils ne les attachèrent pas à leurs perſonnesi
ils les aſſervirent aux champs où ils les trouvèrent.
Les Romains farfoient déjà cet emploi d'une partie
de leurs eſclaves , & l'on pourroit croire auffi que
les Barbares ne firent que conſerver un uſage qui
convenoit fi bien à leurs moeurs. Bientôt tout fe
divifa dans l'Empire des vainqueurs. Le gouvernement
féodal s'éleva , s'étendit & s'affermit. Alors les
payſans devinrent des hommes de Servitude, enfermés
dans le territoire des Seigneurs , comme les cerfs dans
Icurs parcs , & livrés à la tyrannie d'un maitre qui ne
reconnut d'autre loi que la volonté , d'autre juſtice
que ſon intérêt.
On pourroit demander dans lequel de ces deux
genres de fervitude l'humanité a été le plus ouragée.
Être privé de tous les droits de la Cité & de
la propriété , être irrévocablement attaché à la terre
qu'on cultive , eft bien moins dur , moins humiliant
encore que de dépendre à tous les momens de la
perſonne d'un maître, aux fantaisies, aux cruautés
duquel toute votre exiſtence eſt ſoumiſe. Mais fi
DE FRANCE. 157
nous conſidérons que l'ancienne ſervitude n'enveloppoit
que la portion d'hommes faits eſclaves à la
guerre ou nés dans l'eſclavage , tandis que la ſervitude
de la Gièbe s'est étendue fur des Nations entières
, qu'elle a couvert toute l'Europe , que la Noblefe
& l'Egliſe ont eu ſeuls le priviège de conſerver
des hommes libres , nous refterons convaincus
que le genre humain n'a jamais été ſi opprimé , ſi
dégradéque par les loix féodales. Il a ſecoué peu-àpeu
le poids d'outrages & de vexations ſous lequel
il étoit refté accablé pendant pluſieurs fiècles ; mais
nos loix , nos moeurs , les formes de nos propriétés
fur-tout font reſtées infectées des veſtiges de cetre
abſurde & tyrannique législation ; & dans la France
même, le Royaume ou les affranchiſſemens ont
commencé , & où ils ſe ſont le plus rapidement accumulés
, dans la France même , deux Provinces , la
Bourgogne & la Franche-Comté,ont encore de vaſtes
cantons cultivés par des mains eſclaves . En vain on
diroit que le temps , les moeurs & la protection des
Tribunaux ont déjà fait tomber les plus odicux des
droits que les Seigneurs s'étoient arrogés fur leurs
vaflaux. Leur état eſt encore tel qu'il fait honte au
pays & au fiècle qui le tolèrent. Cultiver une terre
chargée des plus onéreuſes redevances , de corvées &
d'impoſitions arbitraires , où le Seigneur feul pofsède
tout , où les tenarciers ne peuvent jamais devenir
propriétaires , où toutes leurs acquifitions retombent
à leur mort dans le domaine du Seigneur ,
où ils ne peuvent ni les donner ni les tranſmettre
même à leurs enfans , fi ce n'est à des conditions
rigoureuſes & toutes à l'avantage du maître ; ne
pouvoir s'écarter de cette terre ſans perdre à l'inftant
tout ce qu'on y poſſédoit ; ne pouvoir rien acquérir
, même dans un autre pays , qui ne foit foumis
à la confiſcation ſeigneuriale ; contracter cette
ſervitude non- ſeulement par la naiſſance , mais par
158 MERCURE
le mariage, mais par l'habitation d'un an & dan
jour : voilà , à quelques différences près , dans les
divers cantons , quelle est la destinée des Serfs qui
reſtent encore dans la Bourgogne & la Franche-
Comté : eſt- elle aſſez vile , affez miférable ? « Les
Religieux de la Mercy , diſoit éloquemment Vol-
> taire, paſſent les mers pour aller délivrer nos
> frères , lorſqu'on les a fair eſclaves à Maroc ou à
>> Tunis , qu'ils viennent donc délivrer douze mille
> François eſclaves en Franche-Comté !
L'intérêt & l'entêtement pour les vieux uſages ,
diſputent à la puiſſance légulative exercée parmi
nous par le Souverain ,le droit de changer cette injuricuſe
& déplorable condition de plus de douze
mille François. Sur quels titres affez reſpectables eftelle
donc fondée pour repouffer ainſi la protection
des loix ? Les hommes , me dit - on , doivent exifter
dans la ſociété ſous les conditions qui leur furent
impofées , & qu'ils ont acceptées au moins par leur
longue foumillion. Mais ſi ces conditions font injuſtes
, cruelles , fi elles ont été impoſées par la
tyrannie , acceptées par la foibleſſe , quelle ſanction
légitime auroient-elles pa recevoir ? Toute inftitution
ſociale qui n'a pas pour but& pour effet le
plus grand bien de tous , n'est pas bonne , & dois
être changée. Toure claufe dans les contrats qui met
d'un côté tout l'avantage , & de l'autre toute la
charge, ne ſuppoſe ni raiſon ni liberté dans les
contractans; elle est éternellement nulle & révo
cable. Tout homme dans la ſociété doit y exiſter
comme citoyen&non comine eſclave. Tout homme
qui ſe voue à la culture de la terre doit être maître
des,conditions ſous leſquelles il veut la cultiver
&non pas refter éternellement foumis à celles que
la tyrannic d'un poffefſeur a une fois poſées. Mais ,
s'écrient les Seigneurs main mortables , c'eſt-là vioher
notre propriété, renverfer noue antique pofief
DE FRANCE. 159
ſion. Il eſt des mots reſpectables donton fait
continuellement le plus terrible abus. Dans tous les
fiècles on a réduit à l'indigence la plus conſidérable
partie des Nations au nom de la propriété , & on
aconſacré toutes les tyrannies par la poffeffion. La
propriété & la poffeſſion ſont des droits établis &
maintenus par les loix ; les loix qui les protègent
doivent les fubordonner à l'intérêt général ; elles peuvent
& elles doivent en arrêter , en fufpendre ou en
modifier l'exercice , toutes les fois qu'il en eft réſulté
l'eſclavage des hommes cu leur dénuement abſolu.
Il me ſemble que c'eſt pour avoir méconnu ce principe,
que les loix ne ſont ſi ſouvent que la ſauvegarde
du riche contre le pauvre. Quand l'établiſſement
de la Glèbe n'auroit rien de vicieux dans
les principes du droit civil , il pourroir encore étre
détruit comme contraire aux principes du droit politique
; mais tout réclame dans le droit civil même
contre la fervitude de la Glèbe. Cette poffeffion ,
ces conventions dont on ſe prévaut, n'ont pu naître
que de cet érat d'oppreffion on des gens de guerre
avoient réduit des gens déſarmés. Si les Seigneurs
ont cédé leurs terres , les vaſſaux les ont cultivées;
files vaſſaux ont vécu de leurs travaux , les
Seigneurs en ont été enrichis ; il faudroit admettre
d'étranges règles dans la justice , pour croire que ce
font ces malheureux payfans qui redoivent encore
quelque choſe à leurs maîtres , & qu'on ne peut leur
accorder les droits de tous les autres hommes fans
violer quelque choſe de ſacré.
Il eſt tout fimple que l'intérêt,qui ne fait ſe rendre
ni à la raiſon ni à la justice , ait voulu couvrir de
quelque apparence de droit la fervitude de la Glèbe ;
mais que des hommes de talent, dans notre fiècle
meme, s'en foient faits les apologiſtes & les apôtres,
c'eſt ce qu'on n'auroit pu croire , fi l'on n'eût lu déjà,
par une foule d'exemples , à quelles baſſeſſes & ä
160 MERCURE
quelles extravagances la paſſion de la fortune &
celle de la célébrité peuvent conduire des Écrivains
fans confcience& fans honneur ; ils trafiquent fans
pudeur de toutes les vérités de la morale & de la
politique , felon les vûes de leur ambition : d'ailleurs
ces hommes , ordinairement détracteurs de
tous les bons Écrivains , en s'attaquant à leur
gloire, font obligés de faire auffi la guerre à toutes
leurs opinions. Peut- être auſſi eſt - il certains eſprits
incapables également d'ajouter un nouveau poids , un
nouveau développement aux idées ſaines déja connues,
&d'en découvrir d'utiles &de vraies ,& qui ne peuvent
trouver l'aliment de ce que leur talent a toujours
de faux & d'imparfait, que dans les penſées paradoxales
, fuſſent- elles abfurdes & odieuſes. On a vu
ces Écrivains déplorer le fort des hommes libres ,
infuiter aux défenſeurs de la liberté , & regretter
d'une part ces temps où tous les payſans n'étoient
que la première eſpèce du bétail qui couvroit les
terres des Seigneurs , & nous offrir d'un autre côté
le modèle d'un bon gouvernement dans ces Empires
où toute la loi conſiſte dans une volonté arbitraire
& terrible , & tout l'ordre focial dans une obéiſſance
aveugle.
Comment donc raiſonnent ces Écrivains ? Ils préfentent
le tableau des maux qui naiſſent de la liberté
civile & politique ; ils affectent de ne voir dans les
droits du citoyen que les excès de la licence , dans
ceux d'un état libre , que les craintes , les troubles ,
les déſordres qui l'agitent ſouvent ; & ils s'écrient
: C'eſt ici où il n'y a ni paix ni fûreté ; c'eſt
ici que le bonheur n'est qu'une vaine apparence.
Voyez au contraire le calme profond de ces Gouvernemens
tant calomniés; l'homme riche & puiffanty
eſt ſeul frappé des coups de l'autorité deſpotique;
l'homme pauvre & obfcur en eft trop loin
pour en être atteint; il ne recueille de cette formi
EFRANCE. 161
dable juſtice que le plaifir de la vengeance: on n'a
pas d'intérêt de l'opprimer ; fa baffeffe fait ſa fureté
, & protège même ſa modique proſpérité. Déjà
ſoumis au maître commun , s'il appartient encore à
un maître particulier , ſon bonheur eſt bien plus
grand; il eſt toujours au- deſſus des dangers & des
beſoins; ſon maître eſt intéreſſé à le conſerver , à
le ménager : est- ce là la ſituation du peuple dans les
pays fi vantésde la liberté? On lui permet de pof
féder & d'acquérir mais les riches profitent de ſa
misère , de ſes folies , de ſes vices même ; ils ufur+
pent ſa propriété ou ils l'achètent. Bientôt le prix en
eſt conſommé ou diffipé ; alors le pauvre tombedans.
une dépendance plus malheureuſe que la fervitude cit
vile ou perſonnelle. Ne conſervant plus que ſon in-
Auence toujours bien foible, dans l'adminiſtration pu
blique , il eſt réduit à vendre ſon ſuffrage , ou plutó
il perd ce dernier droit en perdant ſa propriété , & il
n'eſt plus que l'ennemi néceſſaire d'une ſociété qui
l'exclud de tout. Dans ces Étars , les miſérables , qui
font toujours la plus forte partie des Citoyens , ſont
tout enſemble , ou tour-à-tour , les inftrumens ou
les victimes des oppreſſeurs .
On diroit, à croire ces partiſans du deſpotiſme,
que tout eſt paix dans la fervitude , que tout n'est
que trouble & déſordre dans la liberté. Il faudroit
comparer à- la-fois les avantages & les inconvé
niens de ces deux Etats , & non les avantages de l'un
avec les inconvéniens de l'autre ; mais la mauvaiſe
foi ne peut s'accommoder de la ſaine logique. Il faudroit
examiner ſi l'oppreffion journalière , au moins
la crainte de cette oppreffion , fi la gêne , la dégradation
continuelles de la ſervitude ne font pas le
plusgranddes fupplices pour des âmes
obligées de cacher leurs idées , d'étouffer leurs ſentimens.
Je fais bien que les eſclaves ſe font à leurs
chaînes. La fervitude avilit l'homme jusqu'à s'en
fansceffe
162 MERCURE
faire aimer, a dit Vauvenargues ; mais cela n'eſt
pas vrai de tous les ſujets d'un deſpote. Il eſt au
moinsune foule de momens où ils ſentent le poids
de leurs fers. Voyez , d'un antre côté , quels avantages
compenſent les malheurs de la liberté. Ce
n'eſt que dans ſon ſein que la ſociété ſe perfeć
tionne, qu'elle voit fleurir & s'élever les grandes
vertus, les grands talens , les arts & la puiſſance
politique; ce n'eſt que dans ſon ſein que l'on voit
des prodiges de gloire , des prodiges de reſſources.
Dans ces orages même qui préparent la liberté , la
cimententou laramènent, croyez- vous que le Citoyen
ne ſente que ſes maux ? Ames viles , qui n'eſtimez que
le morne&trifte repos de la ſervitude , détrompezvous.
L'homme libre jouit de l'influence qu'il a dans
la choſe publique, de cette indépendance que fon
amour pour les loix lui conſerve ou lui promet,
de ſa haine même pour la tyrannie; il jouit de
tous ſes facrifices ; il paye des impôts énormes ,
&il eſt heureux. Il meurt dans les combats , mais
ſa mort ſera utile & chère à ſa patrie , & il eſt
heureux. A chaque inſtant il reconnoît en lui la
dignité de l'homme ; ſon âme s'élève , ſe nourrit
des belles illufions ; & ceux qui ſavent tout ce
que la paffion de la vertu verſe de délices dans
le coeur du bon Citoyen , ne plaignent pas ſon
fort, quel qu'il ſoit. Eft- il poffible qu'il y ait des
hommes qui ne rougiſſent pas de prêcher la baffefſe
àleurs ſemblabies ? Je n'ai jamais conçu qu'on ait
pu diſputer à l'homme cette noble exaltation de
l'âme qu'il tire de la liberté , & ces confolations qu'il
puiſe dans la croyance d'un Dieu. Quel incroyable
délire a pu pouffer certains efprits dans cette triſte
& odieuſe doctrine , qui corrompt & dégrade tout
dans la ſociéré ?
M. le Chevalier de Florian , qui a préféré ce
DE FRANCE: 163
fujet, lorſque l'Académie lui avoit laiſſé la liberté
d'en choiſir un autre , qui a prouvé par-là combien
fon coeur chérit les vérités qu'il nous a donné lieu
de retracer , nous pardonnera ſans doute de nous en
être fi long-temps occupés. Nous allons enfin parler
de fonOuvrage; l'intérêt qui y eſt répandu dédommagera
nos Lecteurs de tout ce qu'ils ont peutêtre
trouvé de froid & de ſec dans nos réflexions .
La première idée qui ſe préſente ici , c'eſt que
ce ſujet, à ne le conſidérer que littérairement , tout
noble& intéreſſant qu'il eſt par lui-même , étoit peu
favorable à la Poésie. La Servitude de la Glèbe a des
caractères particuliers ; elle est née des principes ,
ou plutôt des bizarres & tyranniques inſtitutions du
droit féodal ; elle tient aux temps les plus barbares
&les plus malheureux de notre Hiſtoire; tout y
offenſe la raiſon , tout y flétrit l'âme , tout y repouſſe
l'imagination. Mais le talent tire ſouvent ſes
plus grandes beautés des difficultés qu'il avoit à
vaincre. Plufieurs des jeunes Écrivains qui ont traité
ce ſujet avant même la Pièce que l'Académie vient
de couronner , avoient tracé dans de beaux vers les
principaux traits de la Servitude particulière qu'ils
avoient à peindre. On n'a pas oublié pluſieurs tirades
des Pièces dont on lût des fragmens à l'Académie
dans le concours de l'année dernière. La difficulté
detraiter en vers ce ſujet, augmentoit encore par la
néceſſité de le reſſerrer dans un Poëme tel que ceux
que l'Académie demande. Je fais que des Poëmes
plus longs feroient encore plus difficiles à bien
faire. Mais il faut convenir que ſi les longs Ouvrages
exigent une plus grande diverſité , une plus
grande maturité dans le talent , les petits exigent
un talent plus fouple & plus de goût ; & il n'eft
guère poffible que ces qualités ſoient celles des jeunes
Poëtes. Delà vient que l'Académie , dans l'immenfiré
de Pièces qu'elle reçoit , en trouve fonvent qui
164 MERCURE
brillent par beaucoup de talent , & qu'elle en trouve
rarement dont l'enſemble ſoit bon & heureux. C'eſt
le premier mérite de celle que nous annonçons. M.
le Chevalier de Florian a ſaiſi une des ſituations
les plus déplorables où la Servitude de la Glèbe puiffe
placer un malheureux Payſan ; il en a fait une forte
de Drame, où ſon ſujet eſt peint en action. Le mariage
d'un homme libre avec une Serve, rend Serfs
l'époux & les enfans , s'il occupe la maiſon de ſa
femme pendant un an & un jour Il n'y a pour lui
qu'un ſeul moyen d'éviter la Servitude; on arrache
le Serf mourant de la maiſon d'eſclavage ; on le
porte ſur une terre libre , pour qu'il y rende le
dernier ſoupir ; & la liberté de ſes enfans eſt le pri,x
de ce trajet, qui avance l'agonie du père de famille.
Voilà le triſte & odieux tableau que M. de Florian
s'eſt attaché à peindre. Un Suiffe , amené par le
haſard dans la Franche-Comté , a pris de l'amour
pour une fille d'un Canton de cette Province; il
l'obtient de ſes parens , vit heureux avec elle , & le
voilà devenu eſclave lui & ſes enfans. Il eſt au bord
du tombeau , il ſe fait apporter ſur une terre libre ,
il vienty mourir . L'invention de cette Scène étoit déjà
très - intéreſſante , l'Auteur l'anime encore, & l'agrandit
par le choix de l'un des perſonnages , c'eſt
le fondateur & le bienfaiteur de Ferney , lieu déformais
auſſi célèbre que les Capitales où réſident les
• Kois; c'eſt le protecteur des Serfs du Mont-Jura ,
c'eſt Voltaire qui a réclamé ſi puiſſamment contre
ce reſte de barbarie qui couvre encore deux de nos
Provinces ; car ſi quelque choſe a droit d'émouvoir
la puiſſance , c'eſt la voix du génie. C'eſt
donc à Voltaire que le malheureux Suiffe , devenu
Serf , expoſe ſa deſtinée. Voltaire n'eſt point
amené ſur cette Scène ſans y déployer cet amour
de l'humanité qui reſpire dans ſes Écrits , & fans
en recevoir la récompente ; il fait amener chez
DE FRANCE. 165
Jui le bon vieillard , & il commence par lui rendre
la vie , en lui annonçant l'Edit bienfaiteur de Louis
XVI. On fait que Voltaire n'eut point le bonheur
de voir cet Édit; ſa voix , à qui les ſentimens de
fon coeur rendoient ſouvent ſa première force , eût
chanté cette Loi , il eût béni le Roi avec ces tendres
accens d'un homme reconnoiffant qui a obtenu
ſa prière. Cette tranſpoſition d'époques eft naturelle
, & fournit un très heureux dénouement à cette
Pièce toute dramatique. Remarquons ici que dans
des Ouvrages de la nature de celui- ci , ce n'eſt que
par l'invention d'une Scène bien conçue que l'on
peut borner ſon ſujet avec du goût & de l'effet. On
ne peut trop louer le plan de cet Ouvrage , ſeul , il
eût pû mériter un prix. L'exécution ne prouve pas
moins un eſprit juſte & un talent heureux.
Le début fur-tout eſt plein d'intérêt :
:
>>Au pied de ces monts ſourcilleux ,
Rempartsde l'antique Italie ,
Dequi la cîme énorgueillie
S'élève & ſe perd dans les cieux ;
En un vallon riant , aux bords d'un lac tranquille
Le Laboureur fillonne une terre fertile :
L'heureuſe liberté ſeule y dicte des loix ;
Et de rocs eſcarpés une chaîne terrible
Garantit ce ſéjour paiſible ,
Près de cette Terre chérie
Voltaire avoit cherché le prix de ſes travaux ;
Raffafié de gloire , il vouloit du repos .
Laſſé d'avoir encore à combattre l'envie ,
Après ſoixante ans de combats ,
Il venoit conſacrer les reſtes de ſa vie
Au noble & trifte emploi de faire des ingrats .
Il élevoit une ville nouvelle ,
1
:
166 MERCURE
Ouverte aux malheureux , dont il eſt le ſoutiens
Ils accourent en foule où ſa voix les appelle :
Dans les murs qu'il bâtit tout pauvre eft Citoyen.
L'infortuné qui ſe préſente
Eſt sûr de trouver des bienfaits.
Voltaire va chercher la famille indigente ,
Qu'un incendie , un orage , un procès
Afait tomber dans la misère :
<<Séchez vos pleurs , dit-il , je vous rendrai vos champs;
>> Venez m'apporter vos enfans ;
>> Venez m'aimer , je ſerai votre père. »
Il eſt heureux lui-même en faiſant leur bonheur :
Donner eſt un beſoin pour ſon âme attendric ,
Et les ſeuls plaiſirs de ſon coeur
Peuvent délaſſer ſon génie.
BIENTOT de nombreux habitans
Vivent heureux par lui dans ſa naiſſante ville.
Si , malgré ſes ſoins vigilans ,
La diſcorde troubloit leur union tranquille ,
Voltaire juge ſes enfans :
Ilparle , & fa douce éloquence
Appaiſe les reſſentimens .
L'art de toucher les coeurs fut toujours ſa ſcience.
Il leur enſeigne la vertu ;
Il fait la faire aimer de ce peuple ſauvage ,
Etdeſcend juſqu'à leur langage
Pour en être mieux entendu. >>>
Voilà une manière d'écrire ſimple , naturelle &
touchante ; elle ne frappe pas par des beautés d'un
grand éclat, mais elle flatte le goût & laiſſe une
impreſſion dans l'âme. On ne les lit pas ſans les
retenir , ces vers ci :
Raffafié de gloire , il vouloit du repes,
DE FRANCE. 167
こ
Dansles murs qu'il båtit tout pauvre est Citoyen.
Venez m'aimer , je ferai votre père.
Er les feuls plaisirs defon caur
Peuvent delaſſerfon génie.
L'art de toucher les coeurs fut toujours fa fcience.
D'où vient que de ſemblables vers font un plus
grand plaifir , à meſure qu'on a le goût plus formé ?
C'eſt que les idées juſtes, les ſentimens doux , les
mouvemens faciles font les premières & les plus
conſtantes beautés. Je n'entends pas dire que l'on
ne peut faire mieux ni faire bien en faiſant autrement.
Mais cette manière d'écrire eſt celle que l'on
aime toujours à retrouver ; & elle enchante dans
les chofes où elle doit dominer,
Après cette intéreſſante expoſition , la Scène
commence. Voltaire aborde le vieux Suiſſe , qui lui
raconte ſes malheurs . C'eſt encore ici le même ton
de ſtyle , le même naturel dans les ſentimens & les
idées ; mais il me ſemble qu'on pourroit deſirer dans
ce récit une éloquence plus vive, des peintures plus
animées , des ſentimens plus naïfs. C'eſt un Payſan ,
un père , un mourant qui parle , & qui parle au
moment où il vient ſacrifier la paix de ſes derniers
ſoupirs à la liberté de ſes enfans , dont il eſt environné.
C'eſt peut-être auſſi une invraiſemblance trop
forte de ſuppoſer que ce bon Suiſſe a ignoré les
loix cruelles du Canton où il étoit venu habiter
juſqu'au moment où il eſt prêt à mourir, où on lui
annonce le fort qui menace ſes enfans , & l'unique
moyen qui lui reſte de leur rendre la liberté. Les
loix cruelles & les loix bienfaiſantes ſe manifeftent
par-tout dans les pays où elles règnent ; le
ſol en porte l'empreinte , & les viſages expriment
le bonheur ou le malheur dans leſquels elles font
vivre les hommes ſoumis à leur empire.
,
-
163 MERCURE
On a fait généralement un autre reproche à l'ouvrage
de M. de Florian , celui de manquer de poéfie
dans le ſtyle; & il faut avouer que c'eſt un défaut
réel dans un Ouvrage écrit en vers. Une raiſou
heureuſe , une ſenſibilité douce , ſont les plus aimables
qualités d'un bon Ouvrage ; mais il ne s'élève
pas à tout ce qu'on a droit d'attendre de l'enthouſiaſme
& de l'imagination d'un Poëte fans un coloris
riche , une harmonie variée , & une marche vive
&rapide. On pourroit croire que M. de Horian ,
ens'interdiſant des beautés qui font dans ſon talent ,
a cherché à être fidèle à ſon épigraphe:
:
Je veux que le coeur parle & que l'Auteurſe taife.
Mais , dans ce cas , il ſeroit tombé dans une erreur.
Malheur ſans doute à tout Ouvrage où l'Auteur
étale toujours ſon art , ne voit & ne fent rien que
par fon art. Mais ce ſont ces Ouvrages mêmes
qui manqueront de ce ſtyle pittoreſque & paffionné
, dont on a fait juſtement la langue du Poëte.
C'eſt dans ceux où l'âme de l'Auteur s'eſt émue ,
où ſon imagination a été vivement frappée , que
l'on trouve toujours à leur vraie place les accens
d'une ſenſibilité énergique ou gracieuſe , les
belles images , & ces expreſſions ſimples & hardies,
où tous les moyens du talent , le grand ſens ,
l'imagination , l'âme & le goût ſe réuniſſent & ſe
fervent mutuellement. Un Écrivain qui annonce
autant de goût & de talent que M. de Florian , n'a
pû croire qu'il fût eſſentiel à un ſtyle vrai & dicté
par l'âme de manquer d'élévation. Il me ſemble
que c'eſt à un autre principe bien plus ſage qu'il faut
attribuer cette eſpèce de nudité que l'on a reprochée à
ſon ſtyle. L'Auteur , très-jeune encore , écrit en vers
pour la première fois. Avec un goût plus formé &
un meilleur eſprit que ne les ont communément les
jeunes
ش
DE FRANCE. 169
jeunes Poëtes , il a vu les écarts attachés à de plus
grands efforts de ſon talent ; il a préféré de ſe paſſer
des uns pour éviter les autres ; ila réſervé , pour de
nouveaux eflais , l'emploi de toutes ſes forces ; il
s'eſt borné à la juſteſſe des idées , à l'intérêt des
ſentimens , à l'abandon d'un ſtyle ſimple & vrai .
Peut- être ce procédé d'eſprit eſt-il un talent de
plus , & doit encore mieux faire eſpérer d'un Écrivain
qui a ſu l'emporter ſur la foule de ſes rivaux ,
en renonçant à des beautés auxquelles il n'oſoit prétendre
, mais qui tiennent au genre de celles où il
montre déjà cette ſupériorité.
On fait que M. le Chevalier de Florian s'étoit
déjà faitconnoître par pluſieurs Comédies charmantes,
toujours revues avec un nouveau plaifir ſur un de
nos Théâtres. Il paroît deſtiné à accumuler les couronnes
dans l'une & l'autre carrière.
Le Public , en mélant à ſes juſtes applaudiſſemens
cet intérêt qu'inſpirent les jeunes talens , voyoit en
core , avec un plaifir particulier , un jeune homme
qui a l'avantage d'être allié à la Famille de Voltaire
, remplir ſon premier Ouvrage du nom , de
la gloire , & fur-tour des bienfaits de cer homme ,
qui honorera à jamais ſa Nation & ſon ſiècle. M. de
Florian a joint à ſon Ouvrage des notes très-bien
faites , où il rappelle un grand nombre des traits de
bonté & de bienfaiſance dont Voltaire, a ſignalé
fon long ſéjour à Ferney.
Il eſt trop doux de parler des vertus, d'un aufli
grandHomme, pour que je ne rapporte pas ici plufieurs
de ces traits .
M. de Voltaire ſeroit mort content , s'il avoit
>> pu lire l'Édit de Louis XVI , qui affranchir les
>>> Serfs de ſes Domaines. Le bonheur des hommes
>> fut toujours ſa paſſion la plus ardente. Tout le
>> monde ſait qu'il étoit le père & le bienfaiteur de
>> ſes Vaſſaux. Mais comme ceux qui ne l'ont pas
N° 47 , 23 Novembre 1782 . H
170 MERCURE
>> connu pourroient imaginer que Fon s'eſt ſervi du
> privilége de la Poéſie pour exagérer ſes bonnes
> actions , on s'en eſt procuré quelques détails , dont
>> le récit eft bien au deſſus des vers qu'on vient
„ de lire.
>> M. de Voltaire avoit à peine acheté la Terre de
» Ferney , que la Communauté de ce lieu perdit un
> procès affez conſidérable; la Partie adverſe fit
> conduire en priſon , à Gex , les deux plus notables
>> Payſans de Ferney. M. de Voltaire paya le procès ,
» & délivra les Payſans.
» La même année 1759 , un habitant de Ferney
>> fut mis en priſon pour dettes à Genève. M. de
>> Voltaire envoya ſur le champ pour traiter avec
>> celui qui l'avoit fait arrêter . On étoit d'accord ,
>> & le Payſan alloit fortir , lorſque les autres Créan-
>> ciers ſe préſentèrent , & le firent écrouer de nouveau.
M. de Voltaire les paya tous , & dépenſa
>> deux mille écus pour rendre ce malheureux à ſa
>> famille.
Non ſeulement il donnoit , mais il ſavoit donner.
,
» Une veuve , d'un hameau près de Ferney , fut
• pourſuivie par ſes Créanciers ; la Juſtice fit vendre
ſon bien. M. de Voltaire ſe porta adjudicataire
>> fit pouſſer très-haut le prix de ce bien, & en devint
>> le Fermier pour le compte de la veuve. Il en fut
» mal récompenſé ; au bout de l'année la veuve lui
>> fit un procès.
>> Il rebatiſſoit la maiſon d'une famille indigente,
- faiſoit ſigner à la mère le billet de l'argent qu'il
>> avoit avancé ; il appeloit enſuite le plus jeune de
> ſes enfans , & en jouant avec lui , il lui donnoit
le billet de ſa mère.
>> On ne finiroit pas ſi l'on vouloit rapporter les
>> noms de tous ceux pour qui M. de Voltaire fit
→ bâtir des maiſons. Ferney n'étoit qu'un hameau
DE FRANCE. 171
1
>> en 1765 ; dix ans après c'étoit une petite ville ;
>*> &il n'y avoit pas une pierre que M. de Voltaire
» n'eut payée. >>
La Séance de l'Académie , où cette Pièce a été
couronnée , conſacrée à la reconnoiſſance que l'on
doit aux bonnes loix & aux bonnes actions , a encore
reçu quelque choſe de plus auguſte& de plus touchant
de la préſence de Mgr. le Duc de Penthièvre & de
Mme la Ducheſſe de Chartres. Cette marque de leur
bienveillance pour M. le Chevalier de Florian , qui a
l'honneur de leur être attaché , paroiſſoit une faveur
pout lePublicmême , toujours empreſſé de témoigner
fon amour pour le Sang de nos Rois , & d'exprimer
ſatendre vénération pour les vertus . Le Prince , dans
un lieu où la gloire de Voltaire eft conſervée comme
un dépôt , a oublié les torts de ce grand Ecrivain
envers la Religion , pour rendre hommage à ſes bonnes
actions ; & le Public, touché de cette juſtice , a
fufpendu les tranſports de l'admiration , que réveille
toujours en lui le nom de l'Homme de génie, pour ſe
livrer tout entier au bonheur d'aimer dans un Defcendantdes
Rois , la ſimplicité des moeurs , la bonté généreuſe
, la bienfaiſance active , toutes ces qualités ,
l'exemple du riche , la conſolation du pauvre , & qui ,
- nées delaReligion, ſe cachent dans laReligion même.
Rien ne dément mieux ces imputations odieuſes que
les plus vils Ecrivains ne ceſſent de répéter contre
les Gens de Lettres. Où les vertus pieuſes de Mgr.
le Duc de Penthièvre auroient-elles pu être plus
dignement ſenties ? M. de la Harpe , Directeur de
la Séance , a ſu rendre les ſentimens de l'Académie
& du Public avec la fidélité la plus heureuſe ;
chaque éloge étoit ſi vrai , qu'il devenoit à l'inftant
une acclamation univerſelle . La fatisfaction modeſte,
on peut dire même, la vive reconnoiſſance que
l'Afſſemblée liſoit ſur le viſage du Prince & de la
Princeſſe, devenoit ſa récompenſe à elle- même; il eſt
Haj
172 MERCURE
bien doux de pouvoir répandre une nouvelle joie
dans des coeurs habitués à toutes les douceurs de
la bonne confcience. Puiſqu'il n'y a rien de plus
heureux dans l'élévation des rangs & même dans
la vertu, que d'obtenir l'eſtime & l'amour du Public,
nous ofons offrir ici à ces auguſtes Perſonnes ,
comme un hommage particulier , le ſouvenir d'un
moment qui a paru ſi touchant pour leurs coeurs.
( Cet Article est de M. de la Cretelle.)
LES Contes des Génies, ou les charmantes
leçons d'Horam, fils d'Afmar , Ouvrage
• traduit du Perſan en Anglois , par SirCharles
Morell , ci - devant Ambaſſadeur des
Établiſſemens Anglois dans l'Inde, à laCour
du GrandMogol ; & en François , fur la
Traduction Angloiſe , avec 13 figures.
3 Volumes in- 12. Prix , 7 liv. to fols
brochés , 9 liv. reliés. A Amſterdam , &:
- ſe trouve à Paris , chez laVeuve Ducheſne ,
Libraire , rue S. Jacques.
L'ÉTENDUE & la nature de cet Ouvrage ne
nous permettent pas d'en offrir ici l'analyſe ;
chacun des Contes qu'il renferme pourroit
former à part un petit Roman. Il y a un peu
de monotonie dans les ſujets , ou du moins
dans la manière dont ils font traités. Ce font
toujours des enchanteurs qui portent au mal
les Héros de ces Contes ,&toujoursde bons
génies qui les défendent contre les enchanteurs
ou qui les abandonnent quelque
temps à leurs maléfices , quand ces mêmes
,
DE FRANCE.
173
Héros ſe ſont rendus coupables. Il y a auſli
des longueurs dans la narration , trop ſouvent
interrompue par de trop longues mora
lités ; mais on y trouvera auſſi beaucoup
d'imagination , & ſouvent meine beaucoup
-d'intérêt , malgré le merveilleux qui y règne
&qui doit l'affoiblir ; car le coeur , aujourd'hui
fur tout , eſt peu intéreſſé par des faits
magiques , ou des événemens furnaturels.
Ajoutons que la morale en eſt fort ſaine , &
ſouvent amenée avec beaucoup d'adreſſe.
Nous allons en citer quelques traits .
Le Sultan Miſnar , fidèle à la loi de
Mahomet , va faire un pélerinage à la Mecque
, pour offrir ſes prières à Alla. Il ſe
trouve égaré dans une forêt , ſeul , ſans
gardes , à la merci des brigands dont elle est
peuplée. La pâle lueur de la lune , qui s'éclipſe
par intervalles , ne ſert qu'à rendre
l'aſpect de la forêt plus lugubre & plus effrayant.
Le Sultan s'abandonne à ſes réflexions
, & voici les belles moralités que l'Auteur
met dans ſa bouche. " Je me connois
ود mieux que jamais depuis que j'erre foli-
› taire dans cette retraite obfcure & filen-
» cicuſe. A la Cour de mes ancêtres on me
>> nommoit la lumière du monde , la gloire
>> de l'Orient , l'oeil du jour. Dansla forêt de
» Tarapajan , je neſuis qu'un vil reptile qui
> ſe traîne dans les ténèbres au pied des cè-
>> dres qui le couvrent &lui dérobent l'éclat
ود dela lune. La gloirede l'homme n'eſtque
>> vanité ; les grandeurs de la terre ne font
Hii)
174 MERCURE
20
>> qu'illufion & apparence trompeuſe.... Ici ,
>>les bêtes farouches ne me flatteront point.
>> Ici, le fier lion ne me reconnoîtrapas pour
le maître de ſon domaine ſauvage. >>>
Dans le même Conte , Ahubal voulant
détrôner le Sultan ſon frère , confulte l'enchanteur
Ollomand, qui lui promet un plein
ſuccès par ſon ſecours;& illui dit : " Sublime
» & puiffant Enchanteur , tu as donc les
» Dieux de l'Europe en ton pouvoir ? Les
» Européens , dit Ollomand , ne reconnoif-
ود ſent qu'un Dieu, dont ils placent le trône
>> au plus haut des cieux. Mais il eſt vérita-
>> blement au centre de la terre , le Dieu
» qu'ils adorent. L'or eſt leur Dieu. C'eſt à
» lui qu'ils facrifient ; c'eſt pour lui qu'ils
* oſent tout entreprendre ; c'eſt pour lui
>> qu'ils trompent & trahiffent leurs meil-
*" leurs amis. Tu m'as qu'à leur envoyer des
>> préſens & leur promettre des richeſſes , tu
>> les verras voler à ton fecours. >>
Le Conte de Sadak & Kalasrade eft plein
de ſituations intéreſſantes & de beaux traits
demorale. Mon fils , dit le vertueux Sadak ,
au moment où ils font tous deux en proie
au plus affreux danger : " Notre foible nature
>> s'alarme aisément au moindre ſpectacle
* > 'extraordinaire. Notre imagination timide
>> cède à la crainte ; mais la tempête qui
ſoulève l'Océan , & la chûte du monde
✔entier n'irritent point Alla , comme les
>> murmures des méchans , quoiqu'ils femblent
autoriſés par la proſpérité des infi
DE FRANCE. 175
>> dèles & les malheurs du juſte. L'âme des
» méchans eſt plus ténébreuſe & plus vio-
>>lemment agitée que les flots d'une mer
>>orageuſe. L'horreur qui nous environne
>> n'eſt qu'une foible image du déſordre
» affreux de leurs penſées. Cependant ils
tremblent au moindre bruit ; la vue d'un
inſecte les glace d'effroi , tandis qu'ils nourriffent
dans leur ſein le plus horrible des
» monſtres , un coeur rébelle & défobéif-
>> fant. »
"
ود
ود
"
Comme ce fils de Sadak devient intéreſſant
, lorſque ſon père & lui ſont ſur le
point de périr , tourmentés par une faim
cruelle , & dévorés par une ſoif brûlante !
Ils avoient encore " quelques gouttes de vin
>> dans unepetite phiole.Ce tendre père vou-
>> lut les verſer ſur la langue altérée de fon
» fils . Ahud , le généreux Ahud, refufa ce
>> ſecours , en preſſant ſon père d'en profiter
lui- même. Un tendre combat s'eleva entre
>> ces deux infortunés, Sadak voulut em-
>> ployer l'autorité paternelle pour faire
>> prendre à fon fils ce foible foulagement.
» Ahud cedant aux tranſports de l'amour
>> filial qui l'anime, reçoit la phiole des mains
>> de ſon père ; & avant que Sadak pût ſe
» défier de ſon deſſein, il verſe la liqueur
» dans la bouche du reſpectable vieillard ,
» & le force de la boire juſqu'à la dernière
>> goutte; puis ſe jetant à ſes pieds , il s'écrie :
ود O mon père , pardonne-moi la première
» déſobéiſſance dont ton fils ſe ſoit rendu
Η ιν
176 MERCURE
> coupable. J'ai oſé employer contre l'Au-
>> teur de ma vie la force que je tiens de
» lui , &c.
De pareils traits ne ſont point rares dans
ces Contes; nous pourrions en eiter une
foule d'auſſi ſaillans; mais nous renvoyons
le Lecteur à l'Ouvrage même.
ESSA1 fur l'Architecture théâtrale , ou
de l'Ordonnance la plus avantageuse à
une Salle de Spectacles , relativement aux
Principes de l'Optique & de l'Acoustique,
avec un Examen des principaux Théâtres
de l'Europe , & une Analyse des Écrits
les plus importansfur cette matière ; par
M. Patte , Architecte de S. A. S. Mgr.
le Prince Palatin , Duc regnant des Deux-
Ponts. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins , hotel
de Cluny.
On voit , par le ſeul titre de cet Ouvrage
, que l'Auteur a confidéré ſon ſujet
fous toutes ſes faces : en effet , on peut
dire que du côté des recherches il ne laiſſe
rien à defirer. Il a oppoſé fes principes aux
principes des Écrivains qui ont écrit ſur la
même matière ; & par l'examen des différens
Théâtres de l'Europe , il a donné l'application
des règles qu'il a cru devoir établir.
On fent qu'un pareil Ouvrage ſe refuſe
à l'analyſe, quoique la marche en ſoit
auſſi ſimple que régulière. L'expreffion en
DE FRANCE. 177
eft claire , & les principes de l'Auteur y
font mis dans le plus grand jour. Il paroît
en général peu fatisfait des Ecrits & des
Monumens qu'il examine ; mais ſon ton eſt
toujours modéré , & il ne s'agit pas de
ſavoir s'il eſt ſévère , il s'agit de ſavoir s'il a
raifon.
Il n'y aa preſque pas de formes qui n'ayent
été données aux différentes Salles qu'on a
bâties juſqu'à ce jour ; mais n'y at- il pas
une forme qu'on doive adopter excluſivement
? Telle eſt la queſtion que M. Patte
s'eſt propoſé d'examiner. Quel est le but
qu'on doit fe propoſer pour une Salle de
Spectacle ? " N'eft- il pas de parvenir à char-
*>> mer à- la- fois les yeux & les oreilles par
>> la pompe du Spectacle , par la magie des
-> décorations , par la vérité de l'action
>>>théâtrale, par le jeu des Acteurs , par la
>>beauté de leur voix , par le développe-
» ment des ballets , par les accompagne-
» mens des choeurs ? N'est- il pas en un mor
>> de mettre en oeuvre les refforts les plus
"
ود
propres à remuer l'âme , à faire illuſion
>> aux fens , & à enchanter les Spectateurs ?
» Or, ne voilà- t-il pas , par ce ſeul expoſé ,
l'ordonnance d'un Théâtre en quelque
>> forte décidée. Les yeux & les oreilles
>> étant deſtinés à être les agens des plaiſirs
>> que nous nous y propofons , il réfulte
>> donc qu'il doit être diſpoſe de façon à
>> remplir eſſentiellement le double objet
>> de bien voir & de bien entendre. »
Hy
178 MERCURE
D'après la théorie des ſons que donne M.
Patte, il réſulte que les corps durs , tels que
le fer, la pierre , &c. renvoient le ſon sèchement
, mais fans agrément & avec une efpèce
de crudité , & que les corps mous,
comme l'eau , les étoffes , &c. l'énervent &
l'abſorbent. Le bois eſt le corps le plus favorable
à l'harmonie ; de même la forme
convexe eſt la plus nuifible à la voix , & la
forme concave eſt la plus favorable ; il eſt
donc effentiel que l'intérieur d'une Salle de
Spectacle foit en bois , & que les différentes
formes pratiquées dans ſon enceinte foient
concaves , avec des précautions néanmoins
dont il faut s'inſtruire dans l'Ouvrage même.
Rien n'eſt plus capable de prouver combien
il eſt effentiel de chercher des formes
favorables à la voix que l'anecdote rapportée
par M. Patte. " On eſt venu à bout , ditil
, de modifier le fon , tellement qu'un
- Savant du dernier ſiècle a entrepris de
>> faire voir la poſſibilité de diſtribuer un ود
lieu capable de le décompoſer à l'aide de
>> ſes différens renvois, au point de faire
>>entendre autre chofe que ce qui auroit
>> éré dit : en demandant , par exemple , dans
>> un lieu difpoſe ſuivant une certaine com-
>> binaiſon , & dont il donne la figure ,
» quod tibi nomen? Le concours des ren-
» vois occaſionnés par la diſtribution des
>> corps environnans , répétoit diſtinctement
vers une place déterminée , conftantinus. >>
Ce trait eſt d'autant plus fingulier , qu'il
DE FRANCE. 179
n'y a, comme l'obſerve l'Auteur , aucun
rapport même de confonnance entre la
demande & la réponſe.
La forme que préfère l'Auteur de cet
Eſſai pour une Salle , c'eſt la figure elliptique,
qu'il ne faut pas confondre avec l'ovale,
& qui n'eſt que la ſection d'un ſphéroïde
allongé ſuivant ſon grand diamètre; elle a
le précieux avantage de concentrer la voix
vers les Auditeurs dans toute ſa plenitude.
M. Patte explique cette affertion par une
application ingénieuſe. Suppoſons , dit-
- il, un billard de forme véritablement
>> elliptique , & que ſon fer ait été fixé à
l'un des foyers , alors une bille placée à
l'autre foyer étant pouffée vers un en-
>> droit quelconque des bords de ce bil-
>> lard , retournera toujours frapper le fer
» par bricole. »
ود
Quant à l'étendue de la Salle , M. Patte
croit qu'elle ne doit pas excéder ſoixantedouze
pieds depuis l'endroit où l'Acteur
doit parler. Nous ne le ſuivrons point dans
les règles qu'il preſcrit pour favoriſer la
vûe , dans l'examen des principaux Théâtres
de l'Europe , & dans l'analyſe qu'il fait des
divers Ouvrages écrits ſur cette matière. Ce
que nous avons dit de fon Effai ſuffit pour
faire connoître ſa manière de voir comme
de préſenter ſes idées. Nous croyons que
fon Ouvrage peut être vraiment utile , &
qu'on doit y puiſer les règles de l'Architecture
théâtrale. Il s'enfuivroit de ſes prin
Hvj
180 MERCURE
cipes , que toutes les Salles de ſpectacle
devroient être bâties ſur le même modèle ;
mais n'ayant toutes qu'un même objet ,
nous ne voyons pas quel grand mal il réfulteroit
de cette uniformité; & les avantages
qu'elle procureroit nous paroiſſent répondre
àtoutes les objections.
SPECTACLE S.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné Vendredi , 15 de ce mois,
une Repréſentation d'Electre , paroles de
M. Guillard , muſique de M. Lemoine ,
avec quelques changemens qui ont paru
avantageux.
Mile Baccelli , célèbre Danſeuſe de l'Opéra
de Londres , a paru ſur ce Théâtre pour
la première fois dans le Divertiffement du
ſecond Acte; elle a juſtifié la réputation
dont ellejouit par la correction & la légèreté
de ſa danſe ; elle a été fort applaudie; &
fon fuccès fur un Théâtre où cet art a été
porté à un ſi haut degré de perfection , eſt
Péloge le plus flatteur de fon talent.
Ce Spectacle a été terminé par le Ballet
de Ninette à la Cour , qu'on revoit toujours
avec plaiſir. Le rôle de Ninette a éré
rendu par Mlle Guimard , qui y amis , s'il
eſt poſſible, plus de grâces & de fineffe en
DE FRANCE. 181
corequedans les repréſentationsprécédentes
de ceBallet.
Le perſonnage de Colas a été rendu par
le ſieur Lefèvre , qui , dans d'autres rôles , a
déjà été goûté comme Danſeur , & qui , dans
celui- ci , a montré de la gaieté & du comique
comme Pantomime.
Mlle Dupré& le Sieur Gardel le jeune ont
obtenu beaucoup d'applaudiffemens dans
le pas qu'on a ajouté au cinquième Acte. Cet
Acte a encore été enrichi d'une entrée danſée
par Mlle Dorival & le Sieur Veſtris fils : ce
jeune Danfeur , toujours étonnant par la vigueur,
l'agilité &la préciſion de fes pas, efface
toutce qu'on a vu juſqu'à cejour, ſur tout par
un abandon & une forte d'enthouſiaſme qui
ſe communique aux Spectateurs , & excite ,
àchaque fois qu'il paroît, les plus vifs tranfports.
Les principaux Sujets de la Danſe ont
exécuté l'Acte du bal , & ont offert un enſemble
& une perfection d'exécution dont
ceThéâtre feul peut fournir le modèle.
Mlle Gervais & le Sieur Nivelon , qui
ent danſé dans cet Acte la danſe nommée
Périgourdine, ne nous ont pas laiffé regretter
les talens fupérieurs qui l'exécutoient avant
eux ,& nous croyons que c'eſt le plus grand
éloge que nous puiſſions leur donner.
C
182 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
pre- LE Jeudi 31 Octobre , on a donné la
mière repréſentation de la repriſe du Baifer ,
ou la Bonne Fée, Comédie Fécrie , en trois
Actes & en vers , muſique de M. Champein.
Nous avons parlé de cet Ouvrage dans ſa
nouveauté. Les Auteurs y ont fait beaucoup
de changemens , & preſque tous ces changemens
méritent des éloges. Le Poëte , en
ſoignant ſon ſtyle , auquel on pouvoit fouvent
reprocher une facilité trop négligée ; en
donnant à quelques ſituations des développemens
agréables ; en les entourant de tout
ce que le genre de la Féerie peut avoir de
pompe ſur la Scène Italienne , a ſu fixer l'attention
du Spectateur. Il a prouvé que tous
les ſujets peuvent s'embellir & devenir ſufceptibles
de quelque intérêt, quand on les
travaille avec ſoin , & qu'on les préſente
fous les couleurs qui leur conviennnent.
Nous n'inviterons pourtant aucun Auteur
à choiſir , dans la Féerie , ſes Fables dramatiques
, parce qu'il eſt difficile d'y intéreſſer ,
& que même on n'y peut intéreſſer que
très-foiblement. En effet , dans quelque attitude
que foient des perſonnages qu'un ſeul
coup de baguette peut arracher au malheur ,
ils n'excitent ni incertitude ni crainte , leur
danger n'alarme point. D'ailleurs l'eſprit ,
les penfées brillantes , & les madrigaux ,
DE FRANCE. 183
fontles plus grandes reſſources que ce genre
puiſſe offrir à un Écrivain , & rien de plus
fatal pour la musique. C'eſt principalement
à peindre les grandes paſſions & leurs
effets que cet art acquiert de l'énergie & de
la valeur; c'eſt là qu'il peut étaler ſes richeſſes
, parler à l'âme , émouvoir les coeurs ,
& maîtriſer , entraîner à ſon gré tous les
Spectateurs ſenſibles. C'eſt peut- être pour
n'avoir pas fait ces réflexions qu'on a
fait à M. Champein des reproches trop
ſévères ſur le caractère de la muſique du
Baifer. Ce Compoſiteur , qui mérite les plus
grands encouragemens , a dû être quelquefois
très-embarraffé quand il a voulu donner
à ſes perſonnages une expreſſion qui lui
ſembloit néceffaire , & qui ne pouvoit s'accorder
avec celle du Poëte. Cet embarras ſe
fait remarquer de temps en temps par la
difficulté qu'on apperçoitdans certains traits ,
&fur- tout par les efforts de l'orchestre , qui
ſemble vouloir ſuppléer quelquefois à des
nuances oubliées par le Poëte, que l'on pourroit
defirer , exiger même dans pluſieurs
fituations. Au furplus , quelques défauts que
l'on puiffe reprocher à M. Champein , on
doit lui tenir compte des qualités qui ſe
font appercevoir dans ſa compoſition , dans
la facilité de fon chant, & dans les beaux
effets d'harmonie que produiſent ſes accompagnemens.
I
184 MERCURE
1
Le Mardi 6 Novembre , on a donné , pour
la première fois , le Mariage in Extremis ,
Comédie en un Acte & en vets , par MM.
de Piis & Barré ; & l'Oiseau perdu & retrouvé ,
ou la Coupe des Foins, Opera-Comique en
un Acte & en vers.
Voici le ſujet de la première de ces deux
Pièces. Un Chevalier de Valcourt aime une
Baronne de Forlife, tandis que de ſon côté ,
Frontin , Valet du Chevalier , aime Marton ,
Suivante de la Baronne. Les deux amans ont
acquis un renom d'infidélité qui effraie les
deux amantes , & qui engage celles- ci à reculer
le moment du bonheur des premiers.
Dans le deffein de forcer la Baronne à lui
donner la main , dès le jour même; le Chevalier
lui déclare qu'il eſt réſolu à ſe laiſſer
mourir de fain , ſi elle ne ſe laifſe pas fléchir
; & qu'il ne quittera le ſalon où il ſe
trouve , que mort ou marié. Frontin veut
imiter ſon maître. On apporte une table
ſervie. La Baronne invite le Chevalier à s'y
placer ; il refuſe ; & Frontin déclare que fon
maître & lui ne prendront plus rien que pardevant
Notaire.On les laiſſe. Le Chevalier ,
qui a gagné les Domestiques , a fait cacher
dans un ſecrétaire un pâté & quelques bouteilles
de vin , & pendant l'absence des femmes
, il contente fon appétit , & Frontin le
ſien. La Baronne s'attendrit, elle rentre. Elle
trouve le Chevalier afſis dans un fauteuil ,
DE FRANCE. 185
&feignantd'être affoibli d'inanition.Marton
envoie chercher un Notaire. Il arrive , va
au ſecrétaire , l'ouvre , & les débris du repas
tombent à ſes pieds . Cet événement n'altère
point les heureuſes diſpoſitions des
amantes , & la Pièce finit par un double mariage.
Cette Comédie a été mal reçue , & devoit
l'être. Sans parler du ſtyle , qui eſt plein
d'expreffions communes &populaires , d'une
foule de mauvaiſes plaifanteries que le comique
bouffon permettroit à peine d'employer
, le fonds du ſujet eſt denué de toute
vraiſemblance. Comment s'imaginer que
l'on pourra parvenir à tromper une femme
qui n'eſt pas une imbécille , par un moyen
auſſi bizarre que celui qu'emploie le Chevalier
? Comment , de ſon côté , un homme
qui a quelque honnêteté , refte t'il pendant
la nuit , & malgré elle , chez une femme
qu'il veut épouſer , & dont il peut compromettre
la réputation ? Comment un ſecrétaire
ſe trouve- t'il placé dans un ſallon ?
Comment ce ſecrétaire a- t'il été rempli par
les Domeſtiques ſans que Marton en ait été
inftruite ? Comment enfin une femme ſe
réſout elle à épouſer un homme qui l'a jouée
auffi légèrement que le Chevalier joue la
Baronne ? Les queſtions ſur les invraiſemblances
de cette Comédie, ne finiroient jamais.
Si les Auteurs de cette bagatelle avoient
voulu placer leurs perſonnages dans un rang
plus bas , & préſenter leur Ouvrage comme
186 MERCURE
une facétie , une Pièce de carnaval ; ils auroient
été jugés moins ſévèrement : parce
que la Comédie- Parade eſt ſuſceptible de
moyens que l'on n'admet pas dans le genre
de la Comédie raisonnable ; encore leur
ſuccès n'auroit- il été que momentané. C'eſt
dans les Lettres du Chevalier d'Her *** , que
MM. de Piis & Barré ont puiſé le ſujet de
cette Comédie. On peut être également
étonné du choix de la ſource & du choix de
l'incident. Dans la Fiancée du Roi de Garbe ,
un des amans d'Alaciel prend auſſi la réſolution
de ſe laiffer mourir de faim , pour
toucher la cruelle qu'il n'a pu rendre ſenfible.
Écoutons La Fontaine. La citation ſera
courte , & pourra plaire à nos Lecteurs.
Témoigner en tel cas un peu de déſeſpoir ,
Eſt quelquefois une bonne recette : :
C'eſt ce que fait notre homme ; il forme ledeſſein
De ſe laiffer mourir de faim.
Car ,de ſe poignarder, la choſe eſt trop tôt faire:
Onn'a pas le temps d'en venir
Au repentir.
D'abord Alaciel rioit de ſa ſottiſe.
Un jour ſe paffe entier, lui ſans ceſſe jeûnant,
Elle, toujours le détournant
D'une fi terrible entrepriſe.
Le ſecondjourcommence à la toucher;
Elle rêve à cette aventure.
Laiſſer mourir un homme, & pouvoir l'empêcher ,
C'eſt avoir l'âme un peu trop dure, &c.
१
>
DE FRANCE. 187
Tout ceci eſt plaiſant & naturel. Pourquoi
? Parce que ce qui peut ſe développer
en deux mots dans un Conte , ne peut fouvent
trouver au Théâtre le même avantage ,
& que tous les cadres ne conviennent pas à
tous les ſujets. Si les Auteurs Dramatiques
faifoient quelquefois cette réflexion , ils
s'épargneroient bien des chagrins .
-1
On a vu avec plus de plaifir l'Oiseau perdu
& retrouvé. Alain aime Hélène , & lui fait
préſent d'un oiſeau , que le vieux Blaiſe lui
enlève. Alain en prend de la jalousie , & veut
ceſſer d'aimer Hélène ; une explication réconcilie
les deux amans. On joue à la cligne.
muſette. Alain va ſe cacher dans une voiture
de foin ; Hélène y monte enſuite. Blaiſe
n'apperçoit qu'elle, & fait emmener la charrette
chez lui . Comme le père d'Hélène lui
a donné fon conſentement , fi elle accorde
le ſien, il ritdu tour qu'il joue à ſa future;
mais Alain fort de ſa cachette , ſe montre ,
on rit aux dépens de Blaiſe , &lesdeux amans
fontunis.
Les quatre premières Scènes de cet Ouvrage
font remplies d'idées fraîches , de jolis
couplets & de ſituations agréables. La fin
n'eſt pas auſſi ſoignée. On y a remarqué quelques
expreſſions hafardées , & même triviales
; cependant on doit tenir compte à
MM. de Piis & Barré de l'attention qu'ils
ont eue de ménager la langue dans la coupe
188 MERCURE
de leurs vaudevilles,& de l'emploi qu'ils ont
fait d'un ſtyle plus épuré que celui dont ils
ont faituſagedans pluſieurs de leurs Opéra-
Comiques. Quoique l'Oiseau perdu ne ſoit
pas au niveau de leurs jolies Pièces de ce
genre , il eſt infiniment au-deſſus du Mariage
in extremis. Pour donner à MM. de Piis &
Barré un conſeil utile , & pour nous expliquer
dans la langue qui leur eſt familière,
nous leur dirons :
D
Chantez Petits oiſeaux , &c.
MUSIQUE.
OUZE Noëls variés pour l'Orgue , avec un
Carillon des Morts qui ſe joue lejour de la Toufſaint,
après le Magnificat , dédiés à Madame la Comteſſe
"d'Arandell , par M. Charpentier , Organiſte de
l'Abbaye Royale de S. Victor , & de la Paroiffe
Royale de S. Paul , op. 13. Prix , 7 liv. 4 fols port
franc par la poſte. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magafin de Muſique. On
trouvera à la mêine adreſſe toutes les OEuvres de
M. Charpentier.
Journal de Harpe , n° . 11. Ce Cahier contient
troisAirs de chants d'Opéras Comiques & autres , avec
les Accompagnemens , par MM. Leduc, Couperain&
Burchkoffer, ſuivi d'un Rondo, par M. Duleplanque.
Prix , 2 liv. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magaſin de Muſique , où l'on
s'abonne en tout temps pour ce Journal , à raiſon de
15 liv. pour douze Cahiers, port franc pour Paris &
la Province.
Recueil de Rondeaux Italiens par les meilleurs
DE FRANCE 189
८
Maîtres , avec paroles italiennes &françoiſes arrangées
pour la Harpe , & dédiées à la Reine , parM.
Couarde , Maître de Harpe. Prix , 9 livres . A Paris ,
chez Coufineau , Luthier , rue des Poulies , & Salomon
, Luthier , Place de l'École , & aux Adreſſes
ordinaires.
Huitième Livre d'Ariettes choiſies , avec Accompagnement
de Harpe , dédié à Madame la Vidame de
Vaffé , par J. G. Burckhoffer , OEuvre XIX. Prix ,
9 liv. Aux mêmes Adreſſes , & chez l'Auteur , rue
Royale , Porte S. Honoré , maifon de M. Lucotte.
Concerto pour le Clavecin , avec Accompagnement
de deux Violons , deux Hautbois , deux Cors
& d'une Contrebaſſe , dédié à Madame de Saint-Huberti
, par M. Edelmann , OEuvre XII . Prix ,
6 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Temple , au,
coin de la rue Paſtourelle , & aux Adreſſes ordinaires.,
:
ANNONCES LITTÉRAIRES.
PROSPECTUS.
CÉRÉMONIES & Coutumes Religieuses de tous
les Peuples du Monde , ornées de Figures dessinées
&gravées par Bernard Picard & autres habiles
Artistes ; nouvelle Edition , contenant toutes les
Figures de l'ancienne Édition de cet Ouvrage en
Sept Volumes ; & celle de quatre Volumes de
Supplément ; le tout en quinze Parties in-folio ,
qu'on pourrafaire relier en quatre Volumes ; par
une Société de Gens de Lettres.
L'ÉDITION DITION que nous annonçons ici des Cérémonies
Religieuſes n'a rien de commun avec la
première que les Planches & le Titre. Le Texte
en eſt entièrement refondu. Les Eſtampes gravées
192
MERCURE
par Bernard Picard & par d'autres habiles Artiſtes ,
figureront ici comme dans les premières Editions.
Cet Ouvrage , qu'on pourra faire relier en quatre
Volumes in-folio , comprendra quinze Parties; la
première Partie paroîtra au commencement de
Janvier prochain , & les autres ſucceſſivement au
commencement de chaque mois. Nous aſſurons
même que le tout ſera terminé à la fin de l'année
1783. Afin que les Souſcripteurs puiſſent s'aſſurer du
mérite & de l'exécution de l'Ouvrage , on enverra,
avant le premier de Janvier , aux principaux Libraires
de chaque grande Ville, quelques Exemplaires
de la première livraiſon. Le prix de chaque
Partie brochée ſera de 8 livres , qu'on paiera en
la recevant , ce qui fera 120 livres pour la Collection.
Par ce moyen , on pourra ſe procurer , pour
une modique ſomme , un Ouvrage qui , dans les.
ventes , eſt porté quelquefois à plus de 800 livres ;
&quoique la refonte que l'on a faite du Texte en
ait diminué les Volumes , il ne ſera pas moins complet.
On n'exigera des Souſcripteurs aucun paiement
d'avance; mais on les engagera à mettre autant
d'exactitude à faire retirer les cahiers, qu'on en mettra
à les faire paroître tous les premiers de chaque
mois.
Cet Ouvrage étant deſtiné à ſervir de nouveau
Supplément ou de Tome XII à l'ancienne Édition
des Cérémonies Religieuſes , en onze Volumes infolio,
on s'eſt déterminé à vendre le Texte détaché
des Figures en faveur des perſonnes qui ont déjà
cegrand Ouvrage; mais les perſonnes qui ſouſcriront
profiteront ſeules de cet avantage ; & après la
ſouſcription fermée , on ne détachera pas ce douzième
Volume , à quelque prix que ce ſoit. Prix en
papier ordinaire , broché , 24 livres ; en grand papier,
48 liv. En fouſcrivant on paie d'avance 12 liv.
pour le papier ordinaire , & 24 livres pour le grand
DE FRANCE.
19
papier. En retirant l'Ouvrage on paiera le ſurplus.
L'Ouvrage annoncé ſervira également de complément
à ceux qui n'ont acquis que les ſept Volumes
des Cérémonies & Coutumes Religieuſes , Édition
d'Hollande. Mais comme pour rendre cet
Ouvrage entièrement complet , le Texte & les
Figures du Sacre & Couronnement des Rois, celles
des Superſtitions anciennes & modernes , & autres
renfermées dans les Supplémens de cet Ouvrage
leur ſont abſolument néceſſaires, on s'eſt décidé
en leur faveur à les joindre au Texte ; le prix ſera
alors pour eux , à cauſe des Figures ajoutées; ſavoir,
le papier ordinaire , broché , 36 livres ; le grand papier,
72 livres, ce qui n'aura encore lieu que pour
les perſonnes qui ſouſcriront. En ſouſcrivant on
paiera d'avance 18 liv. pour le papier ordinaire , &
36 liv. pour le grand papier. En retirant l'Ouvrage
on paiera le ſurplus. On ſera à temps de
ſouſcrirepour ces deux objets ſeulement juſqu'au
premier Mars , paſſé lequel temps on ne recevra pas
de ſouſcription. On ſouſcrit à Paris , chez Laporte ,
Libraire , rue des Noyers ; Lamy, Libraire , quai
des Auguſtins ; Prevoſt jeune , Libraire , rue de la
Harpe , près la Place S. Michel ; Brunet , Libraire ,
àcôtéde la Comédie Italienne ; & chez tous les
principaux Libraires de France & Pays étrangers.
Adele & Théodore , ou Lettres ſur l'Éducation ;
contenant tous les Principes relatifs aux trois différens
Plans d'éducation des Princes & des jeunes
Perſonnes de l'un & de l'autre ſexe , ſeconde Édition
, revue , corrigée & augmentée , 3 Vol. in -8 °.
A Paris , de l'Imprimerie de M. Lambert & de
F. J. Baudouin , Imprimeurs- Libraires de LL. AA .
SS. les Princes & Princeſſe d'Orléans , Enfans de
S. A. S. Mgr. le Duc de Chartres , rue de laHarpe,
près S. Côme.
192 MERCURE
Tom Jones à Londres , Comédie en cinq Actes
& en vers , tirée du Roman de Fielding , repréſentée
pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires
du Roi ,le Mardi 22 Octobre 1782 ; par
M. Desforges . Prix , 1 livre 10 fols. A Paris , chez
F. J. Baudouin , Imprimeur-Libraire , rue de la
Harpe , près S. Côme .
:
Lamy , Libraire , quai des Auguftins , vient
d'acquérir le fonds de quatre Ouvrages fur
l'Art Militaire. 1º . Inſtitutions Militaires de l'Empereur
Léon-le- Philoſophe , ſuivies d'une Differta
tionfur lefeu Grégeois , par M. de Maizeroy , nouvelle
Édition, avec beaucoup de Figures , 2 Vol.
in - 89 . Prix , 7 livres brochés. - 2°. L'Art des
Sièges , par le même , in-8°. , avec beaucoup de
Figures . Prix , s liv. broché.- 3 ° . Manuel de l'Offi
cier , in-8 °. , avec Figures. Prix , 3 liv. broché.
4. Effaifur la petite Guerre , 2 Vol. in- 12 , avec
beaucoup de Figures. Prix , s liv. brochés.
-
ERRATA du dernier Mercure. Page première ,
Tu veux te livrer ſans détour, lifez: retour.
TABLE.
EPITAPHE de Cateau , Per- Les Contes des Génies , 172
ruche , 145 Effai fur l'Architecture , 175
Couplets adreſſsès à Mde la Vi- Acad.Royalede Musiq. 180
*comtesse de Carnée, 146 Comedie Italienne ,
Enigme& Logogryphe , 148 Muſique ,
182
188,
Voltaire &le Serf du Mont- Annonces Linéraires , 189.
Jura , ISO
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 23 Novembre. Jen'y al
xien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. AParis,
22 Novembre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
"
RUSSIE.
DePATERSBOURG , le 11 Octobre.
L'IMPERATRICE a ſigné le nouveau tarif
dont il étoit queſtion depuis long-tems ,
& a fait expédier au Sénat les ordres néceffaires
afin qu'il ſoit imprimé & publié
le plutôt poſſible , parce qu'il doit avoir
lieu au commencement de l'année prochaine.
» Il s'eſt établi dans cette ville , écrit-on de
Cherfon , une maiſon de commerce Anglois , qui
y a formé de grands magaſins de chanvre , de gravelée
, & fur -tour de bois de conſtruction ; elle
tire ces objets de la Podolie & de l'Ukraine , &
fair, fur-tout fur les mats , un profit immenſe qui
égale , dit-on , vingt fois le capital. - Il arrive
maintenant toutes fortes de grains de la petire
Ruffie à Cherſon , ainſi que des marchandiſes de
tour genre , tant de la mer Noire , que de la Méditerranée
& du Levant. Ces objets nous étoient
apportés autrefois par des vaiſſeaux de la Baltique ,
& achetés primitivement par des Juifs ; mais tant
23 Novembre 1782. g
( 146 )
que nous jouirons de la navigation de la mer Noire,
nos bâtimens pourront facilement entrer de ( herſon
dans le Dan be , & fournir la Moldavie & la Valachie
des choses qui manquent a ces Provinces , en
important en échange les productions de ces Contrées
dans l'Empire ".
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 28 Octobre.
La Cour eſt de retour dans cette Capitale
depuis le 23 de ce mois.
Ce matin la Princeſſe Charlotte Amélie
, grande- tante du Roi , eſt morte dans
la 76e. année de ſon âge. Un Courier venant
d'Horſens dans le Jutland , nous a
apporté la nouvelle de la mort de la Princeſſe
Elifabeth de Brunswick- Lunebourg ;
elle eſt morte le 20 de ce mois dans la
39e. année de ſon âge.
a
>> La navigation dans la mer du Nord , écrit-on
d'He fingor , été expoſée ces jours- ci à de violens
orages. L'eſcadre Hollandoiſe , commandée par
le contre-Amiral Van-Kinsbergen a été diſperſée ;
laVénus ,frégate de 24 canons , s'eſt réfugiéeici , cù
elle eft entrée heureuſement le 20. On aſſure que le
vaiſſeau l'Union , de 64 , Capitaine Comte de Welderen,
a péri corps & biens. On est inquiet du
reſte des vaiſſeaux de cette eſcadre-. Le nombre
des bâtimens mouillés dans le Sund , & deftinés
pour la mer du Nord , ſe monte à 170.
-Des bâtimens arrivés dernièrement de Drontheim
& de Chriſtianſand nous apprennent que les
vivres y font très-chers , & que , lors de leur départ,
deux Corfaires Hollandois ont enlevé dans
( 147 )
ces parages 2 bâtimens Anglois chargés de bled,
& deſtinés pour Drontheim <«.
:
POLOGNE.
T
De VARSOVIE , le 28 Octobre.
La liſte des Membres du Conſeil Permanent,
eſt publique ; on y a conſervé pluſieurs
Membres diftingués de l'ancien.
Le 12 de ce mois le Grand- Chancelier
de la Couronne a fait la lecture des propoſitions
que le Roi a fait remettre à la
Dière actuelle.
» S. M. recommande : < 1º. la ratification de la
démarcation faite entre la Pologne & la nouvelle
Servie. 2 °. Une fage économie des fonds publics ,
dont une partie ſera employée à l'exploitation des
mines de ſel. 3º . Le projet d'abandonner la monnoie
à la Commiſſion du Tréſor . 4° . Le mémoire
qui ſera préſenté par le département de la guerre ,
concernant l'armée de la République. 5 °. Le projet
pour augmenter le nombre des Sénateurs dans
les Tribunaux de Lithuanie. 6° . Le projet fait
par le Conſeil Permanent , intitulé Décrets
d'exécution pour le maintien de la Justice & du
repos public. 7°. Les appointemens pour les
Députés , & les Maréchaux des Tribunaux. 8°. Enfin,
le projet d'accorder le droit d'indigénat à plufiears
perſonnes d'un rang élevé ,
Le Comte de Brulh , Grand-Maître de
l'artillerie de la Couronne , eſt parti le 25
pour Byaliſtock où le Comte & la Comteffe
du Nord doivent paſſer un jour , en ree
tournant de Vienne à Pétersbourg.
gz
( 148 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Novembre.
Le Comte & la Comteſſe du Nord arrivèrent
le 20 du mois dernier à Brunn en
Moravie , cù une légère indiſpoſition furvenue
à Madame la Comteſſe du Nord les
ont retenus juſqu'au 24 qu'ils ont continué
leur route. L'Empereur qui les avoit accompagnés
juſqu'en cette ville , eſt revenu
le même jour à Vienne où il arriva à s
heures du foir. S. M. I. a été indiſpoſée
depuis fon retour ; elle eſt actuellement
rétablie.
>> Pour perpétuer la mémoire de la ſéparation
de l'Empereur & du Pape à Mariabrunn , on a
placé au-deſſus du portail de l'Egliſe, une infcription
Latine avec la traduction Allemande , gravées
en lettres d'or ſur une table de marbre bleuâtre.
Elle est conçue ainſi : Pius IV Pontifex maximus
& Jofephus II , Rom. Imperator femper Auguftus
, cum Maximiliano austria Archiduce Thaumaturga
fontanenfi devote Salutata , hinc tenerrimos
inter amplexus excitis adftantium lacrymis
fibi invicem vale dixerunt X , cal. Majas anno
1782.- Une autre inſcription Latine, gravée ſur
du marbre rouge , a été placée , par ordre de
l'Empereur , ſur le balcon du Château de Laugarten
, d'où le Pape avoit donné la bénédiction
au peuple «.
L'Empereur a jugé à propos de renouveller
les anciens Règlemens qui défendent
l'aliénation quelconque des biens eccléſiaf
tiques ; cette Ordonnance eſt dus du mois
dernier & conçuo ainfi :
( 149 )
>> Nos prédéceſſeurs , de glorieuſe mémoire ,
avoient toujours regardé comme un principe inconteſtable
, que tous les biens quelconques appartenans
à des Eglifes ou à des gens d'Eglife ,
conftituoient originairement & d'après le véritable
eſprit de l'Eglife, le patrimoine deſtiné au culte
divin , au ſervice des Egliſes , à la cure d'ames
&au foulagement des pauvres ; que les individus du
Clergé& les Communautés Religieuſes ne devoient
en avoir que la jouiſſance qui feroit néceflaire
pour un entretien honnête , & que le ſurplas devoit
être employé à la ſuſdite deſtination principale ,
fous la direction du Souverain , comme tuteur de
l'Egliſe & comme gardien des Canons. Guidés
par ce principe , nos prédéceſſeurs , de glorieuſe
mémoire , avoient non-feulement défendu àdiverſes
repriſes , par des ordonnances générales & par
des règlemens particuliers , faits à des occafions
particulières , tels que ceux donnés par l'Empereur
Ferdinand , les 14 Avril 1545 & 31 Octobre 1552 .
par l'Empereur Maximilien , les 22 Décembre 1567,
premier Juillet 1568 & 20 Juin 1575 , & par
l'Empereur Léopold , le 2 Janvier 1681 , à tous
les individus du Clergé & aux Communautés Religieuſes
, d'aliéner ſans l'agrément du Souverain
les biens meubles & immeubles des Egliſes &
des Communautés , mais auſſi ils avoient ordonné
par ces règlemens de racheter les biens qui auroient
été aliénés , & avoient déclaré en mêmetems
que les contrats de vente faits pour de pareils
biens ſans l'agrément du Souveraio , feroient nuls
& regardés comme non- avenus . Animé par
ces principes & ces vues ſalutaires , nous avons
jugé à propos de renouveller la mémoire des
fufdits règlemens & de les adapter au tems actuel.
Dans cette vue nous avons pris les meſures fuivantes.
19. Nous défendons par la préſente à tout
leClergé, fans exception ,aux Communautés comme
-
83
( 150 )
!
àchaque individu , de rien entreprendre , ſous quelque
prétexte que ce ſoit , qui puiſſe être regardé
comme une aliénation d'un bien Eccléſiaſtique ou
d'Eglife, foit par vente , par échange , par donation
on autrement, ſans avoir demandé & obtenu
préalablement à ce ſujet l'agrément du Gouvernement.
2 °. Cette défenſe s'étendra fur toutes les
eſpèces quelconques d'aliénations , comme celles
des terres & biens - fonds , des capitaux , des choſes
précieuſes dans les Egliſes , les Couvens & les maifons
, en général de tous les meubles qui ne font
pas précitément partie du ménage , & enfin des
jouiſſances ou revenus annuels déterminés & non
déterminés , quelle dénomination qu'ils puiſſent
avoir. 3 ° . Si quelqu'un s'aviſoit d'aller à l'encontre
de cette défenſe , & d'acquérir ſans conſentement
un pareil bien, ce bien fera non - ſeulement confifqué
, mais l'acquéreur ſera encore puni ſelon
les circonstances , quant à la communauté Religieuſe
& à l'individu du Clergé qui auroit aliéné
quelque choſe , ſes revenus feront faifis jusqu'à
ce que la choſe aliénée ſoit remplacée. 4°. Celui
qui découvrira des biens-fonds , des capitaux , des
choſes précieuſes ou des revenus aliénés ou recélés
& en fera la déclaration , jouira fans qu'il puiſſe
être nommé , pendant 3 années confécutives , de
4 pour cent du prix d'évaluation deſdits objets
aliénés ou recélés , pourvu qu'il ne ſoit pas luimême
dans la poffeffion de la choſe ou qu'il ne
foit pas un Sapérieur Eccléſiaſtique , qui , fans attendre
tue récompenfe , eft obligé par ſon état de
faire ces fortes de déclarations«.
On écrit de Carlſtadt en Croatie , qu'on
a tout lieu d'eſpérer le ſuccès de la nouvelle
Compagnie qui entreprend le tranfport
des marchandises , par terre , depuis
cette ville juſqu'au port de Fiume.
( 151 )
On ſe rappelle que le Comte de Beniowski,
qui avoit obtenu le privilége de ce tranfport
, y a échoué. Les paylans feront les
tranſports à raiſon de 54 kreutzers par
quintal. Comme ce pays eſt montueux , &
que l'agriculture y eſt d'un produit trèsmédiocre
, les payfans s'attachent de préférence
au charroi des marchandiſes avec
lequel ils gagnent annuellement 5 a 600,000
florins .
De FRANCFORT , les Novembre.
ON mande de Paderborn que la ſuppreffion
du Chapitre Collégial de Hoxter ,
faite par l'Abbé de Corvey , a été confirmée
par l'Empereur , ainſi que la convention
faite entre l'Evêché de Paderborn & l'Abbaye
de Corvey au ſujet de la Jurifdiction
de cette Abbaye. Le Doyen du Chapitre
a été fait Curé de la ville.
• Le couvent des Auguſtins, écrit-on de Vienne ,
vient d'être ſupprimé ici ; & il a été notifié aux
Chanoines de Sre-Dorothée de ſe rendre dans le Couventde
Neubourg , où ils recevront chacun une penfion
annuellede 400 florins . Nous apprenons par
nos lettres de Lintz que M. Eybel , Conſeiller Provincial,
y eſt mort d'une colique le 17 de ce mois âgé
de 42 ans ; il s'étoit rendu célèbre par ſes écrits à
l'occaſion des réformes Eccléſiaſtiques que l'Empereur
a faites dans ſes Etats . C'est lui qui étoit l'Auteur
des deux brochures intitulées l'une Qu'est- ce
que le Pape ?& l'autre Sept Chapitres de la vie Monastique
«.
On affure qu'il ſera incorporé un cer-
84
( 152 )
tain nombre de Croates & d'Eſclavons dans
tous les régimens Allemands de S. M. I. ,
afin de leur apprendre la langue Allemande
& les exercices des troupes réglées. Ces
gens ne ſerviront dans ces régimens que
pendant 3 ans , au bout deſquels ils retourneront
chez eux & feront remplacés
par d'autres de leurs compatriotes. De cette
manière l'Empereur ſe flatte de former une
milice formidable de troupes réglées dans
les provinces qui touchent le territoire
Ottoman; elle ſera toujours prête à marcher
au premier ordre.
>>D>es lettres des frontières de la Crimée, écriton
de Pologne , portent l'armée des rebelles à
100,000 hommes dont elles prétendent qu'une partiea
été défaite par uncorps de 15,000 Ruffes ; felon
d'autres lettres cette partie d'armée défaite , ne confiftoit
qu'en un corps à-peu-près de même force
envoyé en avant. Elles ajoutent que le peuple à Conftantinople
demande toujours la guerre , pour foutewir
le nouveau Kan contre les efforts de la Cour de
Pétersbourg.- On a reçu dans la Capitale de l'Empire
Ottomandes nouvelles de Schiras en Perſe , en
date du 10 Août ; elles portent qu'Ali-Murad-Kan
après un long fiége s'eſt enfin rendu maître de cette
place ; que pour ſe venger des fatigues qu'il a éprouvées
devant elle , il a fait périr la famille de ſon ennemi
Sadig-Kan qui la défendoit , & qu'il lui a fait
crever les yeux à lui-même. Il a traité le pays avec
plus d'humanité ; en conſidération des ravages de
toute eſpèce que le Fardiſtan a éprouvés , il a accordé
aux habitans l'exemption de tous tributs pécuniaires
quelconques pendant 10 ans ; mais il exige de chaque
famille pour entretenir ſon armée 2 hommes effectifs
ou la folde de deux ſoldats . C'eſt ainſi que ce Prince
(153)
ſe met en état d'affermir ton pouvoir , &de s'affurer
le Trône de Perſe ; mais on craint que la jaloufie
d'un de ſes frères , qui voir avec peine ſon aggrandiffement
, n'excite de nouveaux troubles « .
On mande de Glogau dans la Siléfie Prufienne
, que le Roi vient de confirmer
l'Abbaye de Schmettow- Schwerin , fondée
par la Comteſſe de Schwerin , en faveur
des demoiſelles nobles. S. M. a permis en
même- tems aux Chanoineſſes de porter une
Croix octogone , émaillée en gris & astachée
à un ruban bleu céleste.
Selon une Feuille politique Allemande ,
la population de la Finlande , ſe monte actuellement
à 923,480 perſonnes ; en 1739
elle n'étoit que de 142,606 .
D'après une lettre qu'on dit authentique ,
il y a dans les Etats que le Roi d'Angleterre
poſsèle en Allemagne , 49 Villes ,
34 Chapitres & Couvens , 107 Bailliages ,
23 Terres domaniales , & 83 Terres nobles.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Novembre.
On s'attend à voir arriver inceſſamment
l'Amiral Howe. La Cour en a reçu des
nouvelles qu'elle a publiées le 8 de ce mois
dans une Gazette extraordinaire. Elles ont
été apportées par le Capitaine Duncan , du
vaiſſeau du Roi le Victory , qui les a remifes
le 7 à l'Amirauté. L'Amiral avoit déja ex
85 .
( 154 )
pédié 2 bâtimens quin'ont point encoreparu.
Le Capitaine Duncan plus heureux nous a
apporté les mêmes dépêches . La première
eſt un triplicata de celle que l'Amiral avoit
écrite le 21 Octobre.
>>Me propoſant de donner à mon retour enAngleterre
des détails p'us ciconſtanciés ſur mes opérations
, je détache aujourd'hui le cutter le Peggy ,
pour que vous informiez les Lords de l'Amirauté ,
qu'après un long délai occaſionné par des vents contraires
& des tems très- défavorables , l'armée arriva
à la hauteur du Cap St- Vincent le 9 de ce mois.
D'après les avis que j'avois reçus précédemment , je
m'attendais à trouver l'ennemi à la hauteur du Cap
Ste-Marie ; mais bientôt , par les avis certains que je
me procurai , j'appris que l'armée combinée , compoſée
de so vailleaux à deux & à trois ponts , s'étoit
poſtée quelque tems auparavant dans la baie de
Gibraltar. Le II au matin l'armée entra dans le
Détroit , & l'avant-garde , peu de tems après le
déclin du jour , s'étant portée à la hauteur de la
baie de Gibraltar , offrit aux tranſports une occafion
très-favorable de gagner , fans craindre l'ennemi ,
le mouillage qui leur étoit deſtiné ; mais n'ayant
point fait attention affez à tems aux inftructions
dont leur avoit fait part le Capitaine Curtis , fur 31
tranſports qui avoient faflé le Détroit , de conſerve
avec l'armée , quatre feulement purent remplir leur
objer, Dans la nuit du ro un tems très-orageux
avoit jetté à la côte deux des vaiſſeaux ennemis
un troiſième avoit perdu ſon mât de miſaine & fon
beaupré ; & un quatrième , ayant été pouſſe ſous
les ouvrages de la Place , y fut pris. Deux auties
fortirent de la baie & ffrent route à l'Eſt . Le 13 au
foir tout ce qui reſtoit de forces à l'armée combinée
appareilla , pour empêcher que les autres tranf
ports n'entraffent , & le vent fouflantan Quest-
,
( 155 )
nord- ouest , elle arriva vent arrière ſur notre armée
, qui étoit alors à la hauteur de Fangerolles ,
rangée en ligne de combat. A la vue de l'armée ,
qui portoit au Sud vers les 9 heures du foir , l'armée
combinée parut ſerrer le vent , ayant les amures
à bas-bord. Le 14 au matin l'armée étant au Sud
de celle de l'ennemi , à la diſtance de fix ou ſept
lieues ,& le vent ayant paſſe peu de tems après à
l'Eſt , on profita de cette occaſion pour faire entrer
dans la baie les bâtimens munitionnaires qui ſe
trouvoient avec l'armée. Dans la nuit du 18 les autres
bâtimens munitionnaires qui avoient eu ordre ,
lorſque l'ennemi parut le 13 , de ſe porter à un
rendez-vous particulier avec le Buffalo , étoient
tous mouillés dans la baie de Rofia , à l'exception
du bâtiment vivrier le Thompson , qui s'en étoit
ſéparé. Les troupes embarquées ſur les vaiſſeaux de
guerre , ayant été miſes à terre , avec une provifion
conſidérable de poudre , & la Place ſe trouvant amplement
pourvue de tout ce dont elle avait beſoin ,
je réfolus de profiter du vent d'Eft qui régnoit depuis
deux ou trois jours , pour repaſſer le Détroit & faire
route à l'Oueft.-Le 19 , au point du jour , l'armée
combinée fut apperçue dans le Nord-eſt à une petite
diſtance. Notre armée rangeant alors de fi près les
pointes d'Europe & de Ceuta , qu'elle n'avoit pas
aſſez d'eſpace pour ſe former en ordre de bataille fur
l'une ou l'autre amure , je repaffai le Détroit , fuivi
par l'ennemi .- Le vent ayant paſſé le lendemain
matin ( 20 ) au Nord, l'armée combinée , compofte
de 45 ou 46 vaiſſeaux de ligne , conferva encore
l'avantage du vent. L'armée Angloiſe s'étant formée
ſous le vent pour recevoir l'ennemi , celui-ci eut
conftamment le choix de la diſtance qu'il voudroit
obſerver pour combattre. L'ennemi commença au
coucher du ſoleil à faire feu ſur l'avant & l'arrièregarde,
paroiſſant diriger ſa principale attaque contre
celle-ci,&ſe tenant àune diſtance confidérable , il com
g 6
( 155 )
tinua ſon feu juſqu'à dix heures du foir , & ce fut avec
peude ſuccès. Pluſieurs vaiſſeaux de notre armée li
ripoſtèrent de tems à autre lorſqu'il s'approchoit aſſez
pour qu'on pût l'entamer.-L'ennemi ayant ferré
le vent , & l'armée Angloiſe ayant continué pendant
toute la nuitde porter la même voilure ſous laquelle
elle faiſoit route, avant que l'ennemi ne commençat
fon feu . Les deux armées ſont actuellement fort éloignées
l'une de l'autre. Mais comme je préſume qu'il
eftde la plus grande importance en ce moment qu'on
foit inſtruit du ravitaillement de Gibraltar , je profite
de l'occaſion actuelle , tandis qu'il fait preſque
calme , & que les vaiſſeaux ſont occupés à réparer
les dommages qu'ils ont reçus dans leur mature &
dans leur gréement pendant le combat , pour envoyer
ces dépêches ſans aucun autre délai.-P. S. Le
tranſport la Minerva , où étoient les bagages des
troupes embarquées ſur les vaiſſeaux de guerre , s'est
ſéparédans la nuit du 13 , & a été pris par l'ennemi.
La ſeconde lettre eſt du 24.
,
Le
>>P>our vous informer le plutôt poſſible du débarquement
des troupes & des munitions à Gibraltar
je détachai le 21 le Peggy , avec un réſumé
de mes opérations à cette époque. -
lendemain un duplicata de ce réfumé fut mis à
bord du Buffalo , qui retournoit en Angleterre pour
cauſe d'incommodité , & j'envoie aujourd'hui un
triplicata de ce réſumé , avec des détails poſtérieurs
afin que les Lords de l'Amirauté aient une relation
ſuivie des opérations de l'armée.-Pluſieurs vaif
ſeaux ayant fouffert le 20 par le feu de l'ennemi ,
plus de dommages dans leur mâture & dans leurs
vergues , qu'on ne l'avoit d'abord obſervé , les réparations
néceffaires ne furent achevées que le 22 .
Mais comme le tems fut preſque toujours calme
dans cet intervalle , on n'auroit pas pu, ſi les mas
cuſſent été réparés plutôt , ſuivre l'ennemi. Lorf(
157 )
qu'il fut apperçu en dernier lieu , il couroit au plus
près tibord amure , fallant route an N. N. Ο .
&s'éloignant. -Vous trouverez ci-joint une lifte.
des tués & des bleſſes. Je regrette que le peu
de confiance que l'ennemi a montrée dans la ſupériorité
de ſes forces , en ſerrant toujours le vent
le plus qu'il lui a été poſſible , ait fruſtré les eſpérances
que j'avois d'un plein ſuccès , fi l'armée à
mes ordres eût pu le combattre de près. Mais
comme je jugeai qu'il n'étoit pas convenable alors
de m'approcher davantage de lennemi , je ne fis
aucun changement dans l'ordre dans lequel j'avois
diſpoſé d'abord mes vaiſſeaux pour le recevoir .-
C'eſt par le même motif qee je ne m'érends pas
davantage ſur la bonne conduire que les Officiers
de pavillon ont montré en cette occafion , étant
bien sûr qu'ils feroient peu ſenſibles aux éloges
que je donnerois à leur ardeur , contre un ennemi
qui a évité de leur fournir l'occaſion de remplir
les devoirs de leur pofte , & de ſe fignaler, comme
ils l'auroient fait , s'ils euſſent eu a reposſſer une
attaque plus ſérieuſe. Mais en même- tems je ne
dois pas paſſer ſous filence les avantages que le
ſervice de S. M. a retirés de la connoiffance étendue
que le fieur Leveſon Gower , mon premier Capitaine,
avoit acquiſe de la navigation difficile du
Detroit.-N'ayant eu que très -peu de vent du
N. E. , depuis le 21 , il ſeroit imprudent ( vu la
diminution de l'eau & des munitions à bord de plufieurs
vaiſfeaux ) de poursuivre l'armée combinée
queje ſuppoſe être ſur ſon retour à Cadix. - J'ai
chargé de ces dépêches le Capitaine Duncan, du
Victory ,qui prend ſon paſtage à bord de la Latone,
& le Capitaine Curtis , qui me fut envoyé pour
la dernière fois le 19 , par le Général Elliot , pour
me confier des objets d'une mature fecretie; n'ayant
pas pu être remis à terre , parce que l'ennemi re(
158 )
vint de l'Eſt dans la matinée du 19 ,' il a pris le
commandement du Victory , en attendant que leurs
Seigneuries m'ayent fait part de leurs intentions ,
relativement à ce pofte.-La liſte des tués & des
bleſſés porte les premiers à 68; les ſeconds à 208 ;
total 276, dont 12 Officers .
,
On ne s'attendoit pas à une relation
aufli vague , & aufli fanfaronne de la part
d'un Général aufli ſage que l'Amiral Howe.
Il perfuadera difficilement , même ici
qu'une flotte qui l'attendoit depuis un mois,
& qui couroit après elle depuis huit jours ,
ait été précisément celle qui refuſoit de
combattre , & la première à s'éloigner.
Ces dépêches ſont ſuivies de l'extrait de
trois autres du Capitaine Curtis du vaiſſeau
de S. M. le Brillant qui commandoit la
Brigade des matelots à Gibraltar. Elles font
datées du camp de la pointe d'Europe à
Gibraltar , le 15 , le 16 & le 22 Octobre ,
& préfentent les détails ſuivans .
Vous voudrez bien informer les Lords de l'Amirauté
, que l'eſcadre de France & d'Eſpagne , confiftant
en 38 vaiſſeaux de ligne , eſt arrivée dans
cette Baie le 12 de ce mois : fix autres vaiſſeaux
de ligne y mouilloient déja .- Le 13 à huit heures
du matin , les dix batterries flottantes de l'ennemi,
placées à l'entrée de la Baie , ſous le commandement
de l'Amiral Moreno , commencèrent à appareiller
pour ſe porter contre la Place : tout étois
préparé pour les recevoir. A dix heures , le vaifſeau
de l'Amiral ſe plaça à dix verges environ du
baftion du Roi , & commença ſon feu. Auſſi - tô
après , les autres ſe placèrent au Nord & au Sud de
( 159 )
l'Amiral , à peu de diſtance l'un de l'autre , & com
mencèrent leurs canonnades. Ils ſe tinrent tous ,
avec fermeté , aux ſtations qui leur avoient été afſignées.
Nos batteries commencèrent à tirer aufſitôt
que l'ennemi fut à leur portée. Le feu fut trèsvif
de part & d'autre. Les boulets rouges que tira
la Place furent ajuſtés avec tant de précision , que ,
dans l'après-midi , on vit la fumée s'élever au-deſſus
de la partie ſupérieure de l'Amiral & d'un autre
vaiſleau , & qu'on apperçut des hommes qui ſe ſervoient
de pompes à feu , & qui verſoient de l'eau
dans les ouvertures pour tâcher d'éteindre l'incendie.
Leurs efforts furent inutiles . A une heure du
matin , ces deux vaiſſeaux devinrent la proie des
flammes , & pluſieurs autres ſont actuellement en
feu , quoique , juſqu'à préſent , ce ne ſoit pas avec
la même force. Il paroît qu'il y avoit le plus grand
défordre parmi cux ; & le grand nombre de fufécs
tirées de chaque vaiſſeau , fut une preuve manifeſte de
la grande détreſſe où se trouva l'ennemi. Les fignaux
ayant été entendus par l'eſcadre ennemie , on commença
auſſi - tôt à enlever les hommes , puiſqu'il
éroit impoflible de retirer les vaiſſeaux. Je penſai
que cette occafion étoit favorable pour employer
mes chaloupes canonnières ; & m'étant avancé avec
tous ces bâtimens , au nombre de douze , dont chacun
portoit une pièce de 24 ou de 18 , je les dif
poſai de manière qu'elles fîflent face à la ligne des
batteries flottantes de l'ennemi , qui ſouffroit exceſſivementdu
feu terrible & bien dirigé de la Place ;
celui des chaloupes canonnières éteit entretenu avec
la plus grande vigueur , & faisoit un effet prodigieux.
Les chaloupes des ennemis n'ofoient approcher;
ils abandonnèrent leurs vaiſſeaux , & les hommes
qui y reſtoient furent livrés à notre merci ou
aux flammes . Le jour parut alors ; & deux felouques
qui n'étoient point encore hors de notre portée,
s'efforcèrent de gagner le large : mais un coup
( 160 )
de canon, tiré par une chaloupe , tua cing hommes
à l'ennemi , & força ces bâtimens de ſe rendre. J'eus
bientôt ſous les yeux le ſpectacle le plus affreux
qu'il foit poffible d'imaginer. Une foule d'hommes
pouffant des cris au milieu des flammes qui les environnoient
, quelques - uns foutenus au milieu des
flots ſur des pieux de bois , d'autres s'accrochant
aux bâtimens où l'incendie n'avoit encore fait que
peu de progrès , tous exprimant , par leurs paroles
&par leurs geſtes , le plus cruel déſeſpoir , tous
implorant du ſecours , formoient une ſcère dont
il eſt impoſſible de retracer l'horreur. On fit tout
ce qu'il étoit poſſible pour leur porter du ſecours ;
& c'eſt avec une fatisfaction inexprimable que j'informe
les Lords de l'Amirauté , que le nombre de
ceux qu'on a ſauvés monte à 357 hommes , y compris
13 Officiers . Un Officier & 29 hommes bleſlés ,
dont quelques - uns très - dangereuſement , ont été
trouvés , parmi les morts , fur les débris des bâtimens
& tranſportés dans notre hopital , où pluſieurs
d'entr'eux commencent à ſe rétablir. Les vaiſſeaux
qui ſautoient en l'air autour de nous à mesure que
le feu parvenoit à la Ste- Barbe , & le feu du canon
des autres à meſure que les flammes échauffoient Ke
métal , ont rendu cette opération extrêmement dangereuſe;
mais nous regardions comme un devoir auffi
indiſpenſable de faire tous nos efforts pour tirer nos
ennemis d'une ſituation auffi cruelle qu'une heure
auparavant pour les vaincre.-La perte des ennemis
doit avoir été très- conſidérable. Un grand nombre
a été tué à bord des vaiſſeaux & dans les canots.
Piuſieurs chaloupes oat coulé bas . Une d'elles contenoit
80 hommes qui ont été noyés , à l'exception
d'un Officier & de douze hommes , qui ont été portés
ſurdes débris juſques ſous nos remparts. Il a été
humainement impoſſible de faire plus que ce que
nous avons fait pour prévenir ce malheur ; mais on
a lieu de creire qu'il a péri dans les flammes un
( 161 )
-
grand nombre de bleſſés . Toutes les batteries Hot
tantes ont été incendiées par nos boulets rouges ,
exceptéune ſeule qui a été enſuite brûlée. L'Amiral
baiſſa ſon pavillon hifle; mais il fut brûlé avec le
vaiſſeau .-Lors de l'explosion de l'une des batteries
flottantes , il y eut une de ſes pièces de charpente
qui , étant tombée ſur mon canor , y fit un grand
trou , tua mon patron , & blefla deux hommes de
l'équipage. Elle fit aufli couler bas une de mes
chaloupes canonnières & endommagea une autre.
-- Deux des chaloupes bombardières de l'ennemi
furent pouffées en avant , & ne ceſsèrent de jetter
des bombes dans la Place pendant l'attaque des batteries
Aottantes . Un détachement conſidérable de
matelots a ſervi aux batteries avec la plus grande
diftinction , & a été d'une extrême utilité. Les
Officiers & les Soldats de la brigade de la Marine à
mon commandement , ſe ſont comportés avec honneur
dans tous les poſtes où ils ont été placés .- Je
joins ici la liſte des batteries flottantes . Elles étoient
de différentes grandeurs & du port de 400 à 600
tonneaux. Leurs canons , au nombre de 212 en tout ,
étoient de fonte , de 26 livres de balle , & abfolument
neufs . L'ennemi a raſſemble de différens
ports 2 à 300 grandes chaloupes , indépendamment
d'un grand nombre pris dans les environs pour le
tranſport des troupes , & pour tous les autres fervices
relatifs à ſes opérations contre la Place .
perte dans la brigade des Matelots , le 13 & le 14 ,
eu égard à la nature de l'attaque , a été très-modique ,
puiſque nous n'avons qu'un homme tué & s bleſſés .
La
>>Dans la ſoirée du 8 de ce mois , ajoute M.
Curtis dans ſa lettre du 16 , comme on avoit jugé
à propos d'uſer de tous les moyens poſſibles pour
envoyer en Ang'eterre une relation des derniers
évènemens qui curent lieu devant cette Place , ce
qui n'avoit pas pu ſe faire encore , le Gouverneur
acheta un petit bâtiment qui fut expédié pour Li
(162 )
vourne , ou pour quelqu'autre port d'Italie avec nos
dépêches. L'après- diné du sơ , il venta grand
frais du Sud-ouest . L'ennemi a fait beaucoup de
fignaux le long de la côte , & deux frégates &
un cutter font arrivés de l'Ouest . Le lendemain matin
le vent augmenta , & on entendit les eſcadres
combinées dans la baie tirer des coups de canon
d'incommodité. A la pointe du jour le Saint Michel,
vaificau Eſpagnol de 72 canons , fut apperçu
très-près de la Place abſolument délemparé , &
après avoir eu deux hommes tués & deux blefſés
par le feu de nos batteries , fut jetté à là côte
auprès du baſtion du Sud. Lorſqu'il fit grand jour
on reconnut que l'eſcadre ennemie avoit prodigieufement
ſouffert de la tempête. Un vaiſſeau de ligne
&une frégate étoient ſur la côte auprès d'Orange-
Grove ; un vaiſſeau de ligne François avoit perdu
fon mât de miſaine & fon beaupré. Deux vaifleaux
de ligne dont un à 3 ponts , avoient chaſſe ſur leurs
ancres & couru à l'Eſt. Quelques autres aveient
été pouffés très-loin vers la Place. Je pris poffeffion
du Saint-Michel auffr-tôt qu'il fut poſſible , &
après avoir débarqué les prifonniers , j'enlevai les
ancres pour empêcher qu'il ne s'avançat davantage
fur la côte. Je compte fauver ce bâtiment. C'eft
un très-beau vaiſſeau , il étoit commandé par le
Chef- d'Eſcadre D. Juan Moreno , & avoit à bord
environ 650 hommes. - Le 11 , ſur les trois heures
de l'après- dinée , les fignaux faits par l'ennemi
annonçoient l'approche de l'eſcadre Angloiſe. La
Latona jetta l'ancre dans la baie peu de tems après
le coucher du ſoleil. Il n'y eut que 15-bâtimens
du convoi qui gagnèrent le mouillage ; le reſte fut
pouffé derrière le roc , où l'eſcadre s'eſt pareillement
réparée «.
Les détails que le même Officier donne
dans ſa lettre du 22 ſe réduiſent à ceci .
>> L'Amiral Howe ayant conduit dans la baie
( 163 )
de Gibraltar le reſte de ſon convoi le 18 au foir,
& ayant débarqué en même-tems les troupes , le
Général Elliot me chargea de ce qu'il avoit définitivement
à communiquer à cet Amiral , & je
m'embarquai fur la frégate la Latone , dans le defſein
de me rendre à bord du Vistory. Je quittai
labaie vers le minuir. La poſition de l'armée combinée
m'empêcha le lendemain matin de retourner
à Gibraltar. Le ſoir je montai à bard du Victory ,
& l'armée mit en panne après avoir gagné la mer
Atlantique. - J'ai la fatisfaction d'informer les
Lords de l'Amirauté , que le Saint- Michel , vaifſeau
de guerre Eſpagnol de 72 , après avoir chaffé
fur ſes accres dans un coup de vent , & avoir été
pris ſous les remparts de Gibraltar , comme je l'ai
dit dans ma lettre du 16 , a été remis à flot le
17 , fans avoir reçu le moindre dommage. C'eſt
un très-beau vaiſſeau , & je fuis bien faché que
la perte de fon mât de miſaine & de la plupart
de ſes munitions qui ont été jettées à la mer pour
l'alléger , ait empéché de l'envoyer en Angleterre
avec l'eftadre.-Les ennemis ont jetté un nombre
prodigieux de bombes ſur le Saint-Michel , tandis
qu'il étoit fur la côte , dans l'intention de le détruire.
Il eſt vrai qu'ils nous ont fingulièrement contratié
dans nos travaux pour le mettre à flot , mais
cela ne nous a pas empêché de finir notre operation
, & nous n'avons éprouvé aucun dommage
confidérable «.
L'expédition de Gibraltar eſt ainſi plus
heureuſement terminée que nous ne nous
en flattions ici ; cette grande entreprife
nous a coûté beaucoup de dépenſes , un
tems confidérable , & des efforts qu'il auroit
été intéreſſant de pouvoir tourner ailleurs;
il eſt bien à craindre que tout cela
ne foit inutile , & que nos ennemis aban(
164 )
i
donnent un ſiége dont nous ſavons qu'on
penſoit différemment à Verſailles & à Madrid
; la première de ces Cours a toujours
penſé que c'eſt en Amérique que l'Eſpagne
devoit chercher à s'emparer de ce rocher ;
il est vraiſemblable que cette opinion deviendra
à préſent celle du Cabinet de Madrid;
& alors les forces qu'elle occupoit
autour de cette Place , portées ailleurs ,
nous feront ſans doute plus funeſtes . Si ce
parti eſt pris , il eft important de faire paffer
des renforts conſidérables dans ces contrées;
ils ne peuvent partir qu'au retour de
l'Amiral Howe ; & il faut ſavoir dans quel
état feront ſes vaiſſeaux pour décider le
nombre de ceux qu'on enverra , & du tems
cù ils pourront mettre à la voile. On ne
doute pas qu'ils n'aient beſoin de grandes
réparations ; & il eſt à craindre qu'elles ne
demandent un tems plus long qu'il ne feroit
néceffaire.
Nous n'avons aucunes nouvelles de l'Amérique
Septentrionale ; nous ſavons ſeulement
que l'objet de la fortie de l'Amiral
Hood avec partie de la flotte de New- Yorck ,
n'a point d'autre expédition pour objet ,
que de recueillir les convois réfugiés à
Halifax; de forte que le voyage de l'Amiral
Pigot ſur les côtes du Continent , ne produit
pas d'autre effet que d'arrêter les progrès
de nos ennemis.
« On peut remarquer , dit à cette occafion יומ
de nos papiers , que le combat du 12 Avril der
( 165 )
nier , que nous regardens comme avantageux , n'a
apporté aucun changement dans l'érat de la grande
querelle qui intéreſle toute l'Europe. Les Colonies
reſpectives de la France & de l'Angleterre dans les
Antilles , n'ont en à ſouffrir ni de la fierté du vainqueur
, ni de la détreſſe du vaincu. Tandis que notre
eſcadre ſe réparoit de ſes pertes à la Jamaïque , la
Françoiſe & l'Eſpagnole à Saint-Domingue & à la
Havane , une inaction forcée aſſureit la tranquillité
des habitans des iſles. Nous n'avons rien fait ,
&nos ennemis , quoique vaincus , on fait la petite
expédition de la baie d'Hudfon. Notre victoire
paroît avoir ſuſpendu l'attaque de la Jamaïque , &
les opérations ſur le Continent ; mais il eſt bien
à craindre qu'elles n'ayent été que ſuſpendues . Selon
une lettre de Richemond dans la Virginie , en date
du 14 Septembre , St-Augustin n'a point été évacué ,
il y a eu contre-ordre,& on aſſure que le Colonel
Brown y a été envoyé avec les Sauvages & les
Toris. Cependant on prétend que , ſelon les der.
nieres nouvelles de l'armée du Sud , on s'y difpoſoit
à une expédition contre cette place ".
Les lettres des iſles ne nous apprennent
rien, tout y eſt tranquille. Les derniers batimens
qui en ſont arrivés nous ont apporté
ſeulement une adreſſe des habitans de la
Barbade au Roi , pour le remercier d'avoir
éloigné le Major- Général James- Cuningham
de l'Adminiſtration de ce Gouvernement
, dans laquelle ils rappellent pluſieurs
griefs contre ce Gouverneur.
Un bâtiment arrivé de Sainte- Lucie à Milford ,
a apporté des lettres en date du premier Octobre.
Tout étoit tranquille dans cette colonie. Il y étoit
arrivé des bâtimens de New- York & de Terreneuve;
mais ils n'avoient rien appris ſur la Ville
deParis.
( 166 )
Le Capitaine d'un bâument neutre venant de
Saint Thomas , qui relâcha à Watterford le 22 du
mois dernier , rapporte qu'il a vu couler bas , fur
le banc de Terre neuve , un vaiſſeau de guerre qui
avoit été abandonné par ſon équipage.
Il ſe débite aujourd'hui à la Bourſe que l'Hector
a été peidu , & que la partie de ſon équipage qui
s'eſt ſauvée , eſt arrivée ſur un bâtiment à Plymouth.
Voici l'état des vaiſſeaux qui convoyoient la
flotte de la Jamaïque : Ramillies , 74 , abandonné
par fen équipage & brûlé le 21 Septembre. - Ville
de Paris , 110 , vue le 22 Septembre démâtée à
Ico licues à l'Ouest de Corvo. - Hector , 74 , léparé
de la flotte avant l'ouragan , & on n'en a
point encore eu de nouvelles . - Glorieux , 74 ,
vu le lendemain de l'ouragan démáté ; on le croit
coulé à fond. Centaure , 74 , vu le lendemain
-
de l'ouragan démâté , on le croit coulé bas.- Canada
, 74 , arivé à Piymosth. - Ardent , 64 ,
arrivé à Port-Royal avec une voie d'eau.
fon , 64 , arrivé a Bristol. -
-Ja-
Caton , 64 , arrivé
à Halifax. Pallas , 36 , arrivé à Halifax .
On attend avec impatience la rentrée du
Parlement; cette Soffion ſera ſans doute
très-intéreſſante par les objets dont elle va
s'occuper.
Les dernières lettres deNew- Yorck, répètent encore
que le Général a été étonné des meſures préliminaires
relatives à la reconnoiſſance de I indépendaricedes Co.
lonies ; que les Loyaliſtes , ainſi que les Mécontens
penſent également que cette propofition ne peut avoir
de fuites , &que toutes négociations fondées for ce
principe feront néceſſairement nulles & fans effet ;
parce qu'aucune partie des domaines de la Couronne
d'Angleterre ne peut, conformément aux principes
fondamentaux de la conſtitution & des loix , être
( 167 )
4
-
cédée ou aliénée par aucune autre autorité que celle
des trois branches de la Législation , ou des parties
auxquelles elles peuvent déléguer ces grands & vaſtes
pouvoirs. Au reſte , la Nation eſt auſſi pea inftruite
de la détermination du Cabinet , relativement à la
grande queſtion de l'indépendance de l'Amérique ,
que de celle qui a pu être priſe au ſujet de la Crimée
àConftantinople & à Pétersbourg ; & elle n'en faura
davantage que lorſque S. M. aura prononcé ſon difcours
gracieux à la rentrée prochaine du Parlement :
alors on peut être généralement perſu dé que la
première de toutes les affaires ſerala diſcuſſion de
la grande & importante queſtion , qui conſiſte à
décider ſi la G. B. perſévérera à maintenir , ou cédera
ſon droit à la ſouveraineté de l'Amérique. Jamais
il n'a été décidé dans le Sénat Britanrique une
queſtion de cette importance , ſoit qu'on la confidère
relativement à l'intérêt public , ou à la dignité de la
Couronne,
On affure que le ſervice de l'année prochaine
exigera 15 millions ſterling. En conſéquence
ſi la guerre continue juſqu'à la
fin de l'année , comme il y a beaucoup
_d'apparence , il faudra ajouter à la maſſe
déja immenſe de la dette publique au moins
45 millions , y compris la dette préſente
dont les fonds ne ſont pas fairs.
> Lorſqu'on confidère , dit un obſervateur , qu'il
ya près de cinq millions du ſcript dormant dans la
banque , & qui doivent être rachetés le 21 courant
ou avant, on ne doit pas être étonné du nombre
de nouvelles favorables qui ſe débitent; elles
font uniquement fabriquées pour faire hauffer les
fonds & donner aux propriétaires de ce ſcript la
faculté de le vendre avantageuſement avant le moment
formidable du rachat <<.
í
:
168 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 19 Novembre.
Le 9 de ce mois , le Comte de Charlus
a prêté ſerment entre les mains du Roi pour
la place de Lieutenant-Général du Lyonnois ,
Forez & Beaujolois , dont il a éré pourvu
fur la démiſſion du Marquis de Caftries fon
père , Miniſtre & Secrétaire d'Etat ayant le
département de la Marine.
Le 10 la Comteſſe Frédéric de Chabannes
a eu l'honneur d'être préſentée à L. M. &
à la Famille Royale par la Comteffe de
Chabannes , Dame pour accompagner Madame
Adelaïde de France.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Clerés
Madame de Galand de Braffac , foeur de
l'Abbeffe de St- Julien d'Acment , fur la
préſentation de Monfieur à cauſe de ſon
apanage .
De PARIS , le 19 Novembre.
LES lettres de Bayonne nous ont apporté
une relation du combat du 20 du mois dernier
; elle a , dit-on , été écrite à bord d'un
vaiſſeau Eſpagnol de l'eſcadre combinée.
-Nous nous contenterons de la tranſcrire.
>> Le 20 , au point du jour , nous apperçûmes à
l'Oueſt du Cap Spartel l'eſcadre Angloiſe , éloignée
des lieues avec 20 navires de tranſport. Notre Général
fit auffitôt ſignal de chaſſe générale ſans choix
de poſte. En conséquence nous arrivâmes ſur l'ennemi
د
( 169 )
mi , qui continuoit ſa route à pleines voiles , & formoit
enmême-tems ſa ligne. Des 34vaiffſeaux qui la
compoſoient , nous en comprâmes 9 à 3 ponts; favoir
: 3 à l'avant-garde , 3 au centre & 3 a l'arrièregarde.
A 2 heures après midi , nous n'étions qu'à une
lieuede diftance. Notre Général fit ſignal à l'eſcadre
légère de joindre l'avant-garde ennemie& ſucceſſivement
au reſte de l'armée , ce qui fut exécuté ; &tout
de ſuite il fit celui d'attaque générale pour combatire
à 2 cables de diſtance ;à quoi nous réuſſimes àsheures
47 minutes du foir , que M. de la Motte-Piquet
commença à faire feu ſur l'avant-garde ennemie qui
le lui rendit avec beaucoup de vivacité. La ſupériorité
de marche des vaiſſeaux Anglois ne permit pas
aux nôtres de les joindre aſſez à tems, pour que l'attaque
générale eût lieu en même-tems , ainſi que le
fignal en fut fait. Le Général en fit un aux vaiſſeaux
le Majestueux , l'Indien , le St-Raphaël , qui précédoit
la Bretagne , & à la Bretagne qui étoit par le
travers de la poupe , d'arriver ſur l'arrière-garde ennemie,
ce qui fut exécuté par ces vaiſſeaux qui firent
un feu très-vif pendos trois quarts-d'heure , & forcèrent
un des vaiſſeaux ennemis de fortir de la ligne ;
les autres s'éloignèrent un moment après. Le Général
fit ſignal à nos vaiſſeaux du centre & à l'avant-garde
d'arriver & de combattre le centre de l'eſcadre ennemie
, ce qu'ils exécutèrent ſucceſſivement vers les 7
heures du foir. L'avant-garde ennemie arriva à 8 heures
du ſoir fuyant la notre qui s'approcha beaucoup
de leur centre. A 9 heures l'attaque recommença
contre l'arrière-garde , & nos vaiſſeaux joignirent le
centre. Alors la Bretagne &le St-Raphaël firent un
feu fi terrible contre 3 vaiſſeaux à 3 ponts; 2 de 74
& un de64 , qu'ils les forcèrent de s'éloigner à toutes
voiles vers les 10 heures & demie. Peu après toute
l'eſcadre Angloiſe en fit autant. On la chaſſa , mais
inutilement. La ſupériorité de ſa marche la déroba à
23 Novembre 1782 .
h
( 170 )
notre pourſuite. Quinze vaiſſeaux ne purent pas
joindre ce qui fait qu'il n'y en a eu que 31 des
nôtres qui aient combattu les 34 Anglois «.
On trouve dans la Gazette de Madrid du
rer. de ce mois une lettre de D. Louis de Cordova
, dans laquelle ce Général rend compte
du combat ; cette lettre eſt ſuivie du journal
de l'armée combinée depuis ſa ſortie d'Algefiras
juſqu'au 22. La relation eſt trop
étendue pour la traduire ici ; ſon ton finaple
, noble & décent fait ſentir encore davantage
le ridicule de celle de l'Amiral
Howe qui paroît avoir pris celles de l'Amiral
Rodney pour modèle. Nous nous contenterons
donc d'ajouter , d'après cette
relation , qu'il n'y a eu que 32 vaiſſeaux
qui ont combattu les 34 Anglois ; deux
vaiſſeaux à trois ponts font reſtés en arrière
avec 2 de 80 & 8 ou 9 de
74 & de 70. L'armée a eu 365 hommes
tués ou bleffés , parmi lesquels on compte
15 Officiers. La dépêche de D. Louis de
Cordova eft du 22 , il étoit alors à 40 lieues
de Cadix , & il ſe propoſoit de revenir dans
ce Port , où il n'eſt arrivé que le 28.
>> Mgr. le Comte d'Artois & M. le Comte de
Dammar.in , lit-on dans une lettre de l'Eſcurial du
23 de ce mois , ſont arrivés ici Mercredi au foir.
Ils ont été reçus , comme la première fois , par le
Roi & par toute la Famille Royale. On n'a point
parléde Gibraltar ni de l'armée à la première entrevue
, & il n'en a pas été queſtion depuis, On parle
( 171 )
davantage de l'eſcadre & du combat naval : on
porte les morts & les bleſſes à 365 hommes. Les
François ont , dit-on , eu pour leur part , 22 morts
& 143 bleffés. On dit que M.de Murat , Garde-
Marine , eſt au nombre des premiers. Parmi les
ſeconds , on compte M. Buor de la Chanceliere ,
Capitaine de Vaiſſeau ; M.de Savignac , Enſeigne ;
M. de Belleville , Garde- Marine ; M. de Cotton ,
Garde du Pavillon ; & MM. de Bouillac & de
Pignol , Officiers Auxiliaires . Mgr. le Comte
d'Artois ſera ici demain pour le gala de la fête
du Roi : on fera après - demain la grande battue ,
qui n'a lieu ordinairement qu'à la fin de ce mois.
On ne voit pas moins de 15 à 20000 bêtes fauves
dans cette chaſſe- làc.
Mgr. le Comte d'Artois a dû partir le 6 ,
& on l'attend à Verſailles du 20 au 25 de
ce mois.
Les nouvelles de Breſt & des autres
ports annoncent que l'on y travaille avec
la plus grande activité aux conftructions ,
radoubs & réparations.
Nous ne croyons pas ici que la diviſion
de l'eſcadre de l'Amiral Howe , qui doit
aller en Amérique , ſoit ſi-tôt prête. Si cet
Amiralavoit paru dans la Manche vers le 6
ou le 7 de ce mois , il auroit éprouvé une
tempête horrible. Les lettres d'Oſtende , de
Calais & des autres Ports de la Manche , ne
parlent que de naufrages. Tout ce qui étoit
en mer à cette époque , a péri ou a été jetté
à la mer.
>> M. le Comte d'Estaing , écrit-on de Bordeaux,
en date du 9 , arriva ici le 7 , à 7 heures du ſoir.
h2
( 172 )
Ma'gré la nuit, il trouva le long de la rivière une
affluence de monde qui ne lui permit pas de pouvoir
gagner la voiture que M. de Fumel lui avoit
envoyée. Un fiacre qu'il trouva là par hafard , fut
le carroſſedans lequel il monta , & qui le conduifit
à l'Hôtel des Princes place Puy Paulin , il choiſit cet
Hôtel de préférence à celui duGouvernement qu'on
avoit fait préparer. Le lendemain il ſe rendit à la
Chambre du Commerce qui la veille avoit été le
viſher. En entrant dans la Bourſe , il trouva les
cours & l'eſcalier remplis d'une foule prodigieuſe
de perſonnes de tout état , qui à l'envi les unes des
autres ne celfoient de crier : Vive le Rei , vive le
Comte d'Estaing. On avoit placé dans la Salle d'Alſemblée
un fauteuil , où quelques inftances qu'on
lui fit , il ne voulut jamais s'affeoir; tout le monde
étant reſté debout , & ayant obſervé le filence , le
Vice- Amiral prit la parole : il remercia la Chambre
de ce qu'elle avoit fait ci-devant pour lui , &
de tout ce qu'elle faiſeit dans le moment actuel.
Il l'aſſura qu'il faifiroit toujours les occafions de
rendre ſervice au Commerce en général , & à celui
de Bordeaux en particulier. Il remit enfuite av Jage
de la Bourſe une lettre du Roi , par laquelle Sa
Majesté le charge de marquer aux Négocians la
fatisfaction qu'elle a cue de ce qu'ils ont fait en différentes
circonstances pour le bien de ſon ſervice .
- Il préſenta auſſi à la Chambre de nouveaux ordres
du Roi qui le chargent d'engager le Commerce
à lui indiquer les Sujets de la Marine Marchande
les plus capables de ſervir le Roi , en afſurant des
avantages à ceux qui ſe diftingueront.-En conſéquence
de ces ordres , le Commerce a fait choix
de 4 anciens Capitaines & de deux Directeurs de
la Chambre qui ſe ſont rendus chez le Vice- Amiral
pour conférer ſur ce ſujer.-M. le Comte d'Eftaing
a diné aujourd'hui à la Chambre du Com
( 173 )
merce. Le Corps des Négocians s'étoit propoſé de
lui donner une fête ; il avoit ouvert à cet effet une
ſouſcription dont le montant eſt de 20 à 24,000
livres. Mais le départ du Vice-Amiral étant fixé
après-demain , cette fête n'a pu avoir lieu. Il a défiré
que la ſomme deſtinée à cet objet , fût convertie
enbillets de 200 livres , dont il s'eſt chargé ,
& qu'il diftribuera à ſon gré aux perſonnes qui ſe
conduiront de manière àmériter des récompenfes.
Les Francs-Maçons ont joint à cette ſomme celle
de 10,000 livres qu'ils ont conſacrée au même
u'age.- Comme on a imaginé que le Vice-Amiral
viendra voir ce ſoir lanouvelle Salle de Spectacles ,
on a mis en très-greſſes lettres ſur les colonnes du
périſtile , Vive d'Estaing. On dit qu'il s'arrêtera
un jour à Bayonne , & que delà il ſe rendra
en droiture à Madrid , où il fera un plus long
féjour «.
Le bâtiment qui nous a apporté les dernières
nouvelles de l'Amérique Septentrionale
, s'appelle le Général Washington. Il eſt
venu en 20 jours , étant parti de Hampton
le 11 Octobre , & arrivé à l'Orient le 31 .
On dit qu'il a amené un Secrétaire de M.
de la Luzerne , chargé des dépêches de ce
Miniſtre , & un Agent du Congrès , porteur
de nouvelles inſtructions pour MM. Franklin
& Adams. On avoit à Philadelphie des
nouvelles très-récentes de M. de Vaudreuil
&de notre Armée. Les réparations de l'efcadre
étoient très avancées , & l'armée en
très-bon état. Les 3 vaiſſeaux qu'on radouboit
à Portsmouth , dans la Nouvelle-An
h3
( 174 )
gleterre , n'avoient rien à craindre de l'en
nemi.
Le 17 du mois dernier , écrit-on de Tours , le
feu prit à la maiſon du nommé Audenet, voiturier ,
fauxbourg de St-Pierre-des -Corps ; un détachement
composé de Grenadiers , de Chaſſeurs & de Fufiliers
du Régiment d'Agénois , en garniſon dans cette Ville
depuis peu , ſe raiſembla à la première alarme , fous
les ordres de M.de Rocreuſe , Capitaine dans ce Régiment
, & courut au quartier où étoit le feu , & cù
Ja bonne police , le ben ordre , & l'enſemble des
fecours ſurvenus , diſſipèrent heureuſement toutes
les inquiétudes. Au moment où M. de Rocreuſe
alloit ſe retirer avec ſa troupe , elle fut arrêtée par
M. Paon , Officier des Pompiers , qui vint lui témoigner
fa reconnoiffance , & offrir de la part du Corps
de Ville une gratification au détachement ; mais elle
n'en fut acceptée qu'aux conditions qu'il lui ſeroit
permis d'en diſpoſer en faveur du malheureux Veiturier
, à qui l'incendie venoit de faire perdre ſa forzune
, ce qui fut auſſi-tôt exécuté. M. de la Grandiere
, Maire de la Ville , ayant fait le rapport de
sette action généreuſe , dans un conſeil affemblé
extraordinairement , il y fut délibéré qu'on en tiendroit
note ſur le regiſtre de la Municipalité , &qu'on
en feroit trois expéditions ſignées , dont la première
feroit envoyée au Marquis de Ségur , Miniſtre de la
guerre , la ſeconde au Duc de Choiſeul , Gouverneur
de la Province , & la troiſième à M. de Rocreuſe.
Quelque nobleſſe qu'il y ait dans la conduite du détachement
&de ſon chef, on ne pouvoit pas moins
attendre du dernier , qui , en 1779 , s'étoit déja ſi
glorieuſement diftingué dans un naufrage ſur les
Antioches , ni des Grenadiers & Chaſſeurs , qui faifoient
partie des 800 hommes , qui , ſous M. de
Flechen, à St-Christophe , avoient ſi vigoureuſement
repouffé 1400Grenadiers Anglois que l'Amiral Hood
( 175 )
1
1
!
1
1
1
avoit fait mettre à terre pour ſecourir le fort , ni
enfin des fufilliers qui ſur les vaiſſeaux du Roi l'Нес-
tor & le Céfar , à l'affaire du 12 Avril dernier en
Amérique , avoient foutenu juſqu'au dernier moment
tous les efforts de la flotte Angloiſe ; le premier de
ces vaiſſeaux n'ayant amené qu'après avoir perdu
fon Capitaine & employé toutes ſes munitions , &
le ſecond ayant ſauté après le combat c.
On lit dans les Affiches de Toulouſe du
23 du mois dernier l'anecdote ſuivante , que
nous tranfcrirons .
>>>En exécution des Ordonnances du Roi , concernant
la mendicité , les Officiers de Maréchauffée
ont des ordres très- précis pour arrêter & conduire
dans l'Hopital général de la Grave , de cette Ville ,
tous les pauvres mendians. Les Cavaliers , en conféquence
de ces ordres , menèrent , il y a quelques
jours devant leur Commandant , une fille âgée de 86
ans , ſurpriſe à vaguer dans les rues.,Interrogée ſur
les motifs qui la faifoient contrevenir à la loi du
Prince , elle répondit en verſant un torrent de larmes
, que fon grand âge & ſes infirmités la iner
toient hors d'état de travailler pour gagner ſa vie ;
au furplus un pareil métier répugnoit beaucoup à la
délicateſſe , mais elle y étoit forcée par un devoir
trop ſacré , puiſqu'au moyen des charités qu'on lui
donnoit , elle avoit la ſatisfaction d'entretenir ſa
mère âgée de 119 ans , qui ſe trouvoit réduite à la
plus affreuſe indigence , quoiqu'elle appartint à
des parens fort honnêtes. L'Officier de Maréchaufſée
, attendri ſur le ſort de ces deux infortunées ,
rendit la liberté à la mendiante « .
Si par ces parens honnêtes de la mère
de cette infortunée, on entend des parens
aiſés , ils font bien inhumains & bien barbares.
Peut-être n'a-t-on pas fait tout ce
h4
( 176 )
qu'on devoit en relâchant la mendiante ; il
auroit été convenable de ſonger à lui affurer
ainſi qu'à ſa mère , un aſyle & des fecours
dont l'une & l'autre avoient beſoin.
Nous avons inféré dans un de nos Journaux
de l'année dernière , des détails ſur
un procès affez fingulier , fait à un particulier
au ſujet d'un paratonnerre. Cette affaire
à laquelle nous ne penſions pas qu'on eût
pu donner une ſuite , paroît en avoir eu
&n'être pas terminée; on lit du moins dans
les Affiches de Flandres dus de ce mois ,
l'article ſuivant que nous tranfcrirons comme
un fait affurément bien étrange à la fin
du 18e. fiècle.
» Un Phyficien demeurant à St- Omer ( M. de
Viſſery de Bois-Vale ) , avoit fait conſtruire en 1780
un paratonnerre ſur ſa maiſon. Cette machine ,
au lieu de donner de la confiance aux habitans des
maiſons voisines , inſpira des craintes à quelques-
'uns d'entr'eux , & le paratonnerre fut dénoncé aux
Officiers municipaux de cette Ville , qui en ont
ordonné la deſtruction par un jugement contradic
toire, renda ſur les concluſions du Ministère public.
Il y a appel de cette Sentence au Conſeil-
Supérieur d'Artois , & M. Buiffart , Avocat , Membre
de pluſieurs Academies , s'eſt chargé de la défenſe
du Phyficien, ou pour mieux dire , de la défenſe
des Sciences & des Arts , malheureuſement toujours
opprimés par l'ignorance. Il vient de faire paroître
àce ſujet un Mémoire qui lui fait beaucoup d'honneur
, & qui eſt auſſi curieux qu'inſtructif. Cet
ouvrage , l'avis de l'Académie de Dijon , & deux
Conſultations , l'une rédigée par des Avocats de
( 177 )
ا
5
F
コ
Paris , & l'autre par des Avocats d'Arras , contiennent
96 pages in-8 °. «
Nous avons annoncé dans le tems l'invention
du ſieur Heriſſon , Maître Arquebufier
; il s'eſt occupé depuis à la perfectionner
, & nous nous empreſſons d'y revenir
pour la faire mieux connoître.
>> Le ficar Heriſſon Maître Arquebufier , inven
teur de nouveaux refforts de voiture , qu'il a préfentés
à l'Académie Royale des Sciences , ſous la
dénomination de reſſorts François , vient d'ajouter
à la douceur reconnue de ces refforts des cris
mobiles , qui rendent les voitures d'une ſolidité
à toute épreuve. L'on peut s'en ſervir pour la
poſte ſans courir riſque de reſter en chemin; quand
même un de ces refforts cafferoit , ce qui n'est
pas poffible , à peine s'en appercevroit-on. Il ſuffit
de deux minutes au plus pour remonter la voiture
de deux pouces qu'elle ſeroit tombée, ce qui n'eſt
pas beaucoup fenfible. Le Cocher avec la clef de
la voiture ſuffiroit pour remonter le cri de 3 ou
4dents, la voiture ſeroit droite, l'on pourroit continuer
ſa route quelque longue qu'elle fût fans
avoit beſoin d'ouvriers ; ces cris ont la propriété
d'augmenter la force de ces refforts dans les cahos
, & peuvent s'adapter à toutes fortes de voitures
, ſoit Françoiſes ou Angloiſes ; il n'eft befoin
pour les diligences que de deux refforts , &
de deux cris , de même que pour les cabriolets.
L'on trouvera chez le ſieur Heriſſon , une voiture
montée de ces refforts & cris. Le fieur Heriffon
demeure rue du Bout - du - Monde , au
N°. 21 cc.
>> Le Mardi premier Octobre 1782 , écrit-on de
Brest , M. Duret , Chirurgien -Démonftrateur aux
Ecoles Royales de Breft, fit l'ouverture du Cours
hs
( 178 )
public d'Anatomie , par un Diſcours ſur la néceffité
de cette Science dans l'exercice de la Médecine
& de la Chirurgie. M. Guillot , Intendant de
la Marine , y aſſiſta , accompagné de pluſieurs Etrangers.
Après la Séance , ayant fait une exhortation
aux Elèves pour les porter au travail , ce Magiftrat
annonça qu'à la fin du Cours , il ſeroit donné
fix Prix , trois de 300 livres & trois de 200 liv.
chacun . Les Chefs des Ecoles remercièrent au nom
des Elèves , & verront avec plaifir le nom de M.
Guillot à la ſuite de ceux des Clugny & des Rhuis ,
qui autrefois ont foutenu l'émulation par d'autres
récompenfes «.
Parmi les entrepriſes importantes , on
diftinguera celle de M. Balthazar-Marie
Emerigote , Avocat en la Cour , ancien
Conſeiller au Siége de l'Amirauté deMarſeille.
C'eſt un traité des Aſſurances & des
Contrats à la groſſe , qu'il ſe propoſe de
publier ; ces deux contrats maritimes méritent
une attention particulière ; & il étoit
d'autant plus eſſentiel de les voir traiter
avec le ſoin & l'étendue qu'ils méritent
que la matière en eſt pour ainſi dire neuve.
Elle a fait l'objet particulier des études de
l'Auteur , & fon ouvrage eſt le réſultat de
40 années de travail & d'application. Il
n'eſt pas douteux qu'il ne ſoit reçu avec
reconnoiſſance dans toutes les villes de
commerce maritime ( 1 ) .
,
(1) L'Ouvrage compoſé de 2'vol. in-49. d'environ 62
700pages , coûtera 20 liv. en feuilles aux Souſcripteurs.La
ſouſcription eſt ouverte juſqu'au premier Janvier 1783 pour
Marſeille où l'Ouvrage s'imprime , & pour le reste de la
( 179 )
>>>Le Bureau académique d'Ecriture , préſidé par
M. Lenoir , Conſeiller d'Etat , Lieutenant Général
de Police , & par M. de Flandre de Brunville , Procureur
du Roi au Châtelet , a tenu le 7 de ce mois ,
dans la grande Salle des Matharins , ſa Séance publique
de Rentrée. M. Harger , Secrétaire , l'ouvrit
par la lecture d'un Mémoire ſur l'enſeignement de
l'Ecriture , de l'Arithmétique & de la Grammaire
Françoiſe. D'après la déciſion du Bureau , il indiqua
les procédés qui peuvent procurer & conferver
à chacun une écriture auſſi ailée à lire que facile
à exécuter. En traitant de la Grammaire Françoife ,
M. Harger fit voir que l'enſeignement de l'Orthographe
& celui de l'Ecriture ſe prêtoient des ſecours
mutuels , dont il étoit néceſſaire de profiter
pour l'avantage de la Société. Il termina ſon Mé
moire par quelques Reflexions ſolides ſur la vérification
des Ecritures arguées .-M. Paillaffon lut
enfuite une Diſſertation ſur les Manuſcrits des ſiècles
antérieurs & poſtérieurs à celui de Charlemagne ,
&il détailla une partie des objets qui peuvent conduire
à la connoiſſance de leurs différens âges.
M. Delile en lut une autre ſur l'origine & la perfection
de la Science des Nombres ; il fit connoître
les Peuples à qui l'invention en doit être attribuée ,
&il termina ſes Obſervations , dont pluſieurs font
France , juſqu'au premier Avril de la même année. Paſſe ce
tems il ſera payé 24 liv. en feuilles. On en imprimera quel.
ques exemplaires en grand papier , dont le prix fera de 36
liv, en feuilles. On ſouſcrit à Marseille , chez Jean Moſſy ,
Imprimeur du Roi , de la Marine , & Libraire à la Canebière ;
à Paris , chez Durand neveu , Cailleau , Barrois le jeune &
Lamy ; à Toulon , chez J. L. R. Mallard , Surre & Boery ;
à Lyon , chez Louis Roffet ; à Bayonne , chez Paul & Pierre
Fauvet ; à Bordeaux , chez Labottiere ; à Boulogne- fur-Mer ,
chez Charles Battat ; à Breſt , chez Malaſſis ; à Calais , chez
Nicolas Maury ; à Cherbourg , chez Nicolas Maiſſon ; à
Dieppe , chez Dubuc ; à Dunkerque, chez Laurent ; au Havre,
chez Faure ; à Honfleur , chez Gervais , & chez les princi
paux Libraires de l'Europe.
h 6
( 180 )
fondées ſur des probabilités , par un Réſumé des
avantages que la Société retire de cette Science. —
M. Jumel termina la Séance par la lecture d'un
Mémoire qui a pour objet l'enſeignement de l'Eciiture
expédiée , par une nouvelle méthode qu'il foumet
à l'examen du Bureau , & qu'il aſſure avoiremployée
avec ſuccès «.
>> Madame Vicaire poſsède l'Art particulier de
redreſſer les tailles des perſonnes mal conformées ,
depuis le bas âge juſqu'à vingt-cinq ans : elle n'emploie
aucun remède intérieur; & ce n'eſt que par
un maniement adroit de ſes mains , &une connoiffance
de cauſe particulière , qu'elle remet les parties.
dans leur état naturel. La Dame Vicaire peut donner
des preuves conſtantes de pluſieurs guériſons faites
à Paris , qui ont été approuvées par plufieurs Médecins
de la Faculté de Médecine de Paris . Elle
ne prend point d'argent d'avance ; elle a un logement
convenable pour les Etrangers. Les perſonnes
fans fortune ſeront traitées gratis les Mardis de
chaque ſemaine , depuis ſept heures du matin julqu'à
une heure , & depuis trois juſqu'à fix. Les
perſonnes qui défireront lui écrire auront la complaiſance
d'affranchir les lettres , ſans cela elles
refteroient à la Poſte. Son adreſſe eſt ſur les nouveaux
Boulevards , près la rue du Montparnaſſe ,
à Paris«.
Charles-Antoine Guerin , Marquis de
Lugeac , Lieutenant-Général des Armées
du Roi , Gouverneur-Général de Toul &
pays Toulois , Grand Croix de l'Ordre
Royal & Militaire de St-Louis , eſt mort
le 2 de ce mois dans ſon Château de Coudrai-
fur- Seine , dans la 63e. année de ſon
âge.
Louis-Etienne Quinet , Marquis de Monconfeil
, Commandant en Haute-Alface ,
( 181 )
Lieutenant Général des Armées du Roi ;
Inſpecteur d'Infanterie , eſt mort en ſon
Château de Quinet , près Saintes , le 14
du mois dernier dans ſa 87e. année.
Louiſe-Marie-Anne Chaudet de Vallenville
, veuve de Meffire Philippe d'Aubert ,
Chevalier , Seigneur de Reſie , Maréchal
des Camps & Arinées du Roi , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint-
Louis , eſt morte à Caen le 18 Octobre
dernier , dans ſa 86e. année .
د
Françoiſe Chaudet de Villenville veuve
de Jean-Baptifte d'Aviſgo , Chevalier , Seigneur
de Valheureux , Lieutenant des Maréchaux
de France à Argentan , eſt morte
à Caen le 28 du même mois dans ſa
8se. année.
Le nommé Joſeph Pommier , de la Paroiſſe
d'Allolans , Bailliage de Vezoul , eft
mort dans le courant du mois dernier , dans
laVille de Vezoul , à l'âge de 102 ans &
quelques mois , ayant toujours joui d'une
bonne ſanté , & fur-tout d'une mémoire
très- locale. Il a joui de la paye des Invalides
pendant sa ans , y ayant été admis dès
l'année 1730 , après avoir fervi 32 ans. Il
étoit entré au ſervice en 1698 ; il étoit
né en 1680 au mois de Juin .
De BRUXELLES , le 19 Novembre..
Les lettres de Lisbonne , en date du 6
du mois dernies , contiennent les détails ſuiyans
:
( 182 )
>> Il eſt entré ici un vaiſſeau de 74 canons , deux
de 66 , & une frégate de 32 , tous appartenant à
l'eſcadre Ruffe , qui a éprouvé ſur le Cap Finif
tère une ſi forte tempête , que ces vaiſſeaux ont
été obligés de ſe mettre à l'abri dans notre rivière ;
on croit que les autres ſe ſont réfugiés à Cadix.
Il ſe trouve à bord de cette eſcadre pluſieurs cadets,
fils d'Officiers , pour apprendre le ſervice de la Marine.
Six d'entr'eux , avec leur Gouverneur , retourmant
la nuit dernière à leur bord , ont eu le malheur
de rencontrer une grande barque Portugaiſe , allant
àla voile, qui a coulé leur petite chaloupe à fond ;
ils ont tous péri avec un Matelot; & ce n'eſt pas
fans la plus grande difficulté que 2 autres Matelots
&un contre- Maître ſe ſont ſauvés. On a arrêté
ceux qui conduiſoient le bâtiment, & on parle diverſement
de cette affaire. Quelques perſonnes affurent
que cela a été fait de la part des Portugais;
d'autres affurent que dans leur interrogatoire , ils
ont allégué pour défenſe , que le premier Ruffe
qui s'étoit ſauvé ſur leur bâtiment , étoit auſſi-tôt
tombé fur eux l'épée à la main , & que pour lors ils
l'avoient rejetté à l'eau , & n'avoient plus voulu
ſecourir les autres c.
C'eſt le 20 de ce mois que les Etats de
Hollande & de Weſtfriſe doivent reprendre
leurs délibérations ; il paroît qu'alors , ils
prendront une réſolution définitive ſur
l'affaire de l'infortuné Enſeigne de Witte.
On a dû recevoir la détermination des
Etats de Zélande qui ne ſont pas moins intéreſſés
à découvrir tous les complices de
cette conſpiration ; on aſſure en attendant
que l'avis de la Cour de Juſtice des deux
Provinces , eſt que le Jugement du délit
en queſtion appartient à la Juſtice crimi
( 183 )
nelle des Provinces contre leſquelles il a
été commis , puiſque l'Ordonnance Militaire
des Etats-Généraux , qu'on réclame en
cette occaſion , ne fauroit regarder que les
troupes en campagne , ou dans les places
& fortereſſes ſoumiſes à L. H. P. , mais ne
peut jamais préjudicier à la Jurisdiction indépendante
de chaque Province ſouveraine.
>>>Ce ne ſont pas , écrit-on de la Haye , les ſeuls
Etats de Hollande &de Friſe qui ont pris à coeur le
délai inattendu apporté au départ de l'eſcadre qui
devoit ſe rendre à Breſt. Ceux de la Province de
Groningue ont exhorté les autres Confédérés à faire
desrecherches rigoureuſes contre ceux qui ont empêché
l'exécution de l'ordre qui en avoit été donné ,
&à faire tomber le bras vengeur de la Juſtice ſur
la tête de ceux qui ont foulé aux pieds l'honneur
de la Nation. Leur réſolution en date du 24 Octobre
dernier , contient plufieurs griefs àla charge
du Vice-Amiral Hartſinck , & des autres Officiers .
Le Stadhouder a répondu à la lettre qu'il avoit reçue
de la Friſe, & y donne quelques raiſons pour juſtifier
pourquoi les vaiſſeaux manquoient de vivres.
Cette réponſe a été communiquée aux autres Provinces;
il en a fait auſſi une aux Etats de Hollande ;
dans laquelle on a remarqué qu'il parloit en Amiral
del'union ,& en cette qualité , quoique ne ſe croyant
pas obligé de rendre compte à d'autres qu'aux
Etats-Généraux , il vouloit bien condeſcendre à leur
demande; on ſe rappelle que la Hollande ne lui
demandoit de compte qu'en qualité d'Amiral de la
Province. En attendant le réſultat de ces grandes
diſcuſſions , on fait que pluſieurs de ces mêmes
vaiſſeaux , qui le 7 Octobre n'étoient pas en état
de ſe rendre à Breſt pour y hiverner , appareillerent
le 10 pour ſe rendre ſur la côte de Norwege
ſous les ordres du Contre-Amiral Van-Kinsbergen.
( 184 )
a
Mais cette croifière de cinq ſemaines dans la mer
du Nord , ne paroît avoir abouti qu'à diſperſer
T'eſcadre , & peut - être à priver la République
d'un vaiſſeau. Le Zieriszée , de 64 canons
relâché à la rade d'Helsingor. L'Amiral de Ruyter
de 64, que monte M. Kinsbergen , & le Kortenaer
de 60 , ſont rentrés le 2 au Texel. L'Union
de 64 , conftruit à neuf l'année dernière , commandé
par le Comte de Welderen , a péri ſans
qu'on ait pu ſauver un ſeul homme de l'équipage ".
On apprend de Ziericzée que le corſaire
laBonne-Attente , Capitaine Jean-Guillaume
Sextrat , y a conduit le 30 Octobre le Capitaine
Flynn , Commandant du paquebot
qui alloit de Hellevoet à Harwich avec les
malles du 22 & du 25. Les malles ont été
priſes & font entre les mains du Gouver
nement.
>> Cette affaire , écrit-on d'Amſterdam , fait beaucoup
de bruit; la priſe de ce paquebot étonne d'autant
plus , que fortant d'un port de la République , il
paroiſſoit couvert de la protection du pays. Auffi ,
dit- on que l'armateur étoit autorité par les Etats
de Zélande , que des motifs ſecrets ont engagé à
cette démarche. Le Capitaine Anglois Flyenn , ſe
voyant preffé de près par l'armateur , voulut jetter
ſa malle de lettres dans la mer ; mais l'armateur
l'ayant menacé de le couler à fond avec fon équipage
s'il le faifoit , & en lui déclarant qu'il en
vouloit aux lettres & non aux effets , il ſe rendit
auffi-tôt. Les lettres ont été portées dans la Secrétairerie
de Ziericzée « .
On peut juger de la fermentation qui
règne dans pluſieurs Provinces , par la manière
dont s'expriment quelques papiers publics.
( 185 )
1
新
6
S
» Le Diemermefche courant , Gazette Hollan
doiſe qui s'imprime près d'Amſterdam , écrit - on
de la Haye, eſt rempli de déclamations très audacieuſes
, & qui vost juſqu'à prêcher , pour ainſi
dire , la révolte & la ſédition. On y a vn dernièrement
un paragraphe tres-vif, où il eſt diſficilede
porter plus loin la licence. Il ſuffira de dire
ici qu'on y rappelle avec affectation la fin funeſte
& tragique de Céfar & de Charles I , & qu'on y
joint l'éloge de Brutus & de Cromwell . Ces ſorties
inconſidérées ne ſervent jamais une cauſe «.
L'apologie que le Stadhouder a remiſe le
7 du mois dernier aux Etats- Généraux ,
vient d'être publiée ; elle a pour titre : Miffive
& mémoire remis , par S. A. S. le
Prince d'Orange , à L. H. P. le 7 Octobre
1781 , contenant une expofition détaillée de
la direction qu'il aſuivie en qualité d' Amiral-
Général. Cet écrit contient 126 pages , infolio
, fans compter les documens & les
pièces juſtificatives qu'on imprime
Le Prince y rend compte de ſa conduite , relativement
à la Marine depuis 1766 , qu'il fut mis en
poffeffion réelle des charges & dignités qui lui
étoient dévolues par droit de ſucceſſion ; il n'a rien
négligé pour eſſayer de mettre la Marine de la République
ſur un pied reſpectable , afin de ne pas aban .
donner l'Etat àdes circonstances ſemblables à celles
où il s'étoit trouvé lors de la dernière guerre. Ses
efforts , ſes pétitions , furent toujours rendus inutiles
par la déſunion des Confédérés. Il vient enſuite
à l'aggreſſion de la G. B.
» La nouvelle de cette attaque hoftile, dit-il, nous
frappa fur-tout de la manière la plus vive ; non
pas , comme on a cherché à l'infinuer depuis
quelque tems à la bonne Commune avec une
licence effrénée & impunie , par toutes fortes de
,
( 186 )
conjectures calomnieuſes & invraiſemblables , que
par un attachement illicite pour l'empire Britanni.
que , nous mettions ſes intérêts au-deſſus ou au
niveau de ceux de la patrie ; mais au contraire ,
parce que defineux de vengeance autant qu'aucun de
nos compatriotes , l'amour de la patrie nous faiſoit
déja préſſentir les ſuites de ces troubles , &
les pertes importantes qu'ils devoient caufer aux
habitans de eette République; une ſuſpenfion totale
& peut- être les ſources de leur proſpérité ,
prenant pour toujours une autre direction par la
perte du commerce; une perte vraiſemblable d'une
partie au moins des poffeflions du pays hors de
l'Europe , & un épuiſement de finances beaucoup
plus conſidérable , que celui qui auroit eu lieu , en
mettant à tems la République dans un état de
défenſe & d'indépendance. Nous étions convaincus
intinméémmeenntt que les moyens que LL. HH. PP.
étoient en état de nous fournir , ne fuffifoient
pas à beaucoup près , non- feulement pour tenir
tête à notre Ennemi , & le faire repentir de fon
iniquité ; mais auffi pour protéger convenablement
tous les objets auxquels la République & ſes habitans
avoient un intérêt eſſentiel , ni même aucun
d'eux ; ni d'empêcher que pluſieurs ne devinſſent
la proie des Ennemis comme il deveit
paroître par la comparaiſon de la marine Angloiſe
avec la nôtre «.
,
L'étendue de cette pièce ne nous permet
pas de la tranſcrire en entier ; nous nous
bornerons à en mettre la fin ſous les yeux
de nos lecteurs .
>>>Les détails dans lesquels nous ſommes entrés
feffiront peur convaincre VV. HH. PP. , & les
Seigneurs Etats des ſept Provinces Unies , ainſi que
tout lecteur impartial ſous les yeux de qui le
préſent Mémoire pourra tomber , de l'invalidité
( 187 )
F
des préventions qu'un grand nombre de gens malintentionnés
paroiſſent vouloir inſpirer contre nous
à la Nation. Nous avons fait voir que , dès le
commencement de notre adminiſtration , nous
avons mis en oeuvre tout ce qui dépendoit de
nous , pour mettre la patrie en état de conſerver
la jouiſſance honorable & tranquille de cette liberté
pour l'affermiſſement de laquelle nos pères ont
verſé des flots de ſang. Nous avons démontré
d'une manière incontestable qu'aucune inactivité n'a
eu lieu dans la direction des affaires publiques ,
ſi par-là l'on entend une manque d'application ou
de zèle ; & qu'il n'y a nullement de notre faute
ſi les forces navales de l'Etat , qui depuis plus
d'un demi - Gècle avant notre naiſſance , étoient
déja tombées dans le plus grand dépésiffement ,
n'ont point été rétablies conjointement avec les
forces de terre , de manière à ce qu'on ait pu
avec raifon en attendre non-ſeulement d'être refpecté
de toutes les Puiſſances , mais encore d'acquérir
un nouveaue dégré de gloire à la République.
Nous avons évidemment prouvé , & par des
faits irréprochables , que les forces de mer qui
exiſtoient au commencement de la guerre ont été
augmentées par nos foins , autant qu'il nous a été
poſſible& que les circonstances l'ont permis. Nous
avons fait voir clairement que nos efforts réitérés
, toujours ſecondés par les conſeils de perſonnes
, qui par leur qualité ou par la nature des
conſeillers naturels & conftitutionels , n'ont pû ,
avec les forces que nous avions , produire des effets
falutaires à l'Erat autant que naiſibles à l'ennemi
; & que les raiſons , pour lesquelles le ſuccès
n'a point répondu à nos deſirs , ainſi qu'à l'attente
de la Nation doivent être recherchées
& peuvent uniquement être trouvées , dans des
cauſes , des circonstances qui ſont entièrement hors
de nous. La triſte expérience que nous en avons
,
( 188 )
fait, nous a convaincu de nouveau combien il est
dangereux , relativement aux forces navales , de
renvoyer l'uſage des précautions néceſſaires àcoв-
cester les moyens de dépenſe , juſqu'au moment
du beſoin , & il est très-conſtant à cet égard que
nous ne connoiſſons rien qui puiſſe nous mériter
le moindre reproche. Ceux qui nous connoiffent
ſavent que nous avons un coeur ſenſible & qui
ſouffre impatiemment les actes d'injustice , & de
malhonnêteté. Comme natif & habitant d'une Répoblique
libre , gouvernée par de ſages loix , &
connue même dans l'étranger pour exercer la jultice
avec impartialité envers tous les ordres des
citoyens , comme natif & habitant ( diſon -nous )
d'une telle République , nous avons le même droit
à la protection des loix que chacun de nos compatriotes
; & comme placé à la tête du Gouvernement
de ce Pays , nous avons un droit inconteftable
à la confiance d'une nation avec laquelle
nous avons une connexion fi étroite que notre profpérité
dépend de la fienne , & que ſes malheurs
font les nôtres : une nation pour laquelle nous fommes
prêts en tout temps à expoſer , à l'exemple
de nos ancêtres , & nos biens & notre fang. Et
c'eſt au milieu de cette nation qu'il ſe trouve des
hommes qui , par une haine invétérée contre notre
maifon& contre le Gouvernement Statoudérien , ou
par mécontentement pour des refus de ſollicitations
que nous ne pouvons pas toujours accorder
àceux qui les demandent comme de droit & les
reçoivent avec ingratitude; ou enfia par ignorance
&jugemens précipités ſur des évènemens dont les
cauſes ou les circonstances leur font inconnues
(ainſi qu'il eſt ordinaire dans les temps critiques ,
fur-tout pour les opérations maritimes , & ce dont
notre hiſtoire du ſiècle précédent fournit des traits
à peu près ſemblables à ceux d'aujourd'hui ) ont
abuſé de la liberté de la preſſe pour nous inful(
189 )
i
ter de la manière la plus hardic & avec une licence
effrénée , en nous dépeignant comme l'inftrument
des malheurs actuels de la patrie ! Nous
ne pouvons donc nous diſpenſer de réclamer à
tous ces égards la juſte activité des loix & placards
du pays , loix qui jamais n'ont été réclamées
en vain par aucun citoyen. Ou deviendrionsnous
ſeuls aujourd'hui une exception à la règle ?
Notre zèle inviolable & nos travaux infatigables
pour le bien- être de la République ſeroient-ils donc
flécris par les traits envenimés de la calomnie , ou
par une prévention dont il n'y a point d'exemple ?
Serions - nous le ſeul des êtres ſenſibles & raiſonnables
, qui fût condamné à ſouffrir patiemment
les injustices les plus inouies & les plus Aétrif
fantes. A Dieu ne plaiſe cependant que , par eſprit
de vengeance ou qu'animé par aucune paffion ,
nous ſouhaitions ni demandions la punition bien
méritée, de ceux qui nous ont ouvertement offenſé !
Mais ce que nous penſons exiger des Hauts Confédérés,
& ce que nous croyons pouvoir attendre
d'eux , fur les fondemens du droit de l'humanité
&des loix exiftantes , à l'égard de l'autorité dont
nous ſommes révêtus dans cette République ( &
dont ceux qui ont part au Gouvernement ne doivent
pas ignorer que nous n'avons jamais abuſé , moins
encore cherché à l'étendre au-delà des ſes limites )
c'est qu'il ſoit pris des meſures néceſſaires pour
prévenir & empêcher efficacement , par la ſuite ,
les intrigues odieuſes qui n'ont pour but que de
fouffler & entretenir le feu de la diſcorde entre
les chefs de ladminiſtration & les citoyens ; d'exciter
le peuple à la révolte; & qui ne tendent
qu'à briſer dans les mains du Souverain même le
ſceau de ſa juſte autorité ; à livrer enfin à la haine
& au mépris , non-feulement de la Nation , mais
de l'Europe entière , des hommes qui par leurs
emplois méritent la conſidération publique , &
( 190 )
qui , au milieu des travaux incroyables & des dangers
auxquels ils font journellement expoſés , n'ont
d'autre motif que l'honneur & l'ambition de verfer
leur fang pour le ſoutien de leur patrie «.
Suite du Traité entre les Provinces-Unies des Pays-
Bas & les Etats- Unis de l'Amérique.
21 °. Les deux Parties contractantes s'accordent
réciproquement l'une à l'autre la liberté d'avoir
chacune , de leur propre création , dans les ports de
l'autre , des Confuls , des Vice-Confuls , des Agens
&Commiſſaires , dont les fonctions ſeront réglées
par une convention particulière ; lorſqu'une des
parties trouvera bon de faire un tel établiſſement.
22°. Ce traité ne ſera , à aucun égard , conſidéré
comme dérogatoire aux Articles 9 , 10 , 14 & 24
du traité avec la France , ainſi qu'ils font dreſſés
dans le traité même , conclu le 9 Février 1778 ;
les Articles 9 , 10 , 17 & 22 du traité de Commerce
reſtant dans toute ſa valeur , entre les Etats-
Unis de l'Amérique & la Couronne de France , &
il n'empêchera pas que S. M. C. ne puiſſe y accéder
& jouir du bénéfice deſdits quatre Articles.
23º. Au cas que les Etats-Unis de l'Amérique aient ,
dans aucun tems , beſoin d'entamer auprès du Roi
ou Empereur de Maroc ou de Fez , comme auffi
avec les Régences d'Alger , de Tunis ou Tripoli ,
ou de quelqu'un d'eux , des négociations pour obtenir
des paſſeports pour la fûreté de leur Navigation
dans la Méditerranée , L. H. P. promettent , à
la requête doſdits reſpectables Etats-Unis de l'Amérique
, de ſeconder ces négociations de la manière
la plus affectionnée par le moyen de leurs Confuls
réfidans auprès deſdits Roi , Empereur , ou Régences
. 24° . La liberté de navigation & de commerce
s'étendra à toutes fortes de marchandiſes , à l'exception
ſeulement de celles qui ſont diftinguées
ſous le nom de contrebande ou d'effets prohibés ;
& ſous cette dénomination de contrebande ou d'effets
prohibés , on ne comprendra que les muni
( 191 )
4
tions de guerre , ou armes , comme mortier , artillerie
avec ſes feux d'artifice & tout ce qui y appartient
; fufils , piſtolets , bombes , grenades ,
poudre à canon , ſalpêtre , ſoufre , mèches , balles ,
piques , épées , lances hallebardes , caſques , cuiraffes
, & autres fortes d'inftrumens de guerre ,
comme aufli des ſoldats , des chevaux , felles , &
harnois complets. Tous les autres effets & marchandiſes
qui ne ſont pas ſpécifiés ici expreffément ,
même toutes fortes de matériaux de conſtruction
navale, de telle eſpèce que ce ſoit , pour bâtir ou
équiper des vaiſſeaux de guerre , ou pour faire l'un
ou l'autre inſtrument de guerre , pour cau ou pour
terre , ne feront & ne pourront être , ni ſuivant la
lettre ni d'après telle interprétation que ce ſoit ,
compris ſous la dénomination d'effets prohibés ou
de contrebande : de ſorte que tous les effets , denrées
& marchandiſes, qui ne ſont pas expreffément
déſignés ici , pourront , ſans aucune différence ,
être tranſportés & conduits en toute liberté , par
les ſujets habitans des deux confédérés des places
ou aux places , appartenantes à l'ennemi , n'exceptant
que telles Villes ou Places qui font alors affiégées
, bioquées , ou inveſties , par leſquelles on
entend ſeulement celles qui font inveſties de près
par l'une des Puiſſances belligérantes
( La fin l'ordinaire prochain. )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 12 Octobre.
On commence à avoir de l'inquiétude ſur le Buf
falo , que le Lord Howe a expédié avec un duplicata
de ſes dépêches , & l'on craint qu'il n'ait été
pris par les vaiſſeaux François ſortis de Breſt à la fin
d'Octobre. - On s'attend à voir paroître à chaque
inſtant l'Amiral Howe à Plymouth.
Le bruit court que le Général Dalling s'embarquera
bientôt pour les Ifles , avec un corps confidérable
de troupes , & qu'il ſera accompagné de 12
vaiſſeaux de ligne. On diſpoſe tout à Portsmouth
pour approvifionner ces vaiſſeaux dès qu'ils y arri.
J
(192 )
veront ;&ils partiront , dit-on , ſous le commandement
du contre Amiral Hood , peu de tems après
la rentrée du Lord Howe. - On travaille avec
la plus grande célérité à en équipper 12 autres.
Cependant on ne croit pas qu'ils foient prêts avant la
fin de l'année.-On aſſure qu'au printems prochain
nous attaquerons vigoureuſement les Iles Françoiſes
.
+
Le Lord Shelburne a trois projets , par leſquels
il prétend lever des hommes pour la Marine. Le premier
, c'eſt une milice navale; le ſecord , c'eſt un
changement partiel de la milice de terre actuelle ;
le troiſième , c'eſt de convertir 30 régimens d'infanterie
en ſoldats de marine. Le Lord Keppel a aſſuré
que l'Amirauté étoit en état d'avoir des vaiſſcaux
*auffi promptement qu'il procuroit des hommes ;
mais le Lord She burne lui a obſervé qu'après des
Stems auſſi orageux que ceux que nous avons eus ,
tous les charpentiers étoient employés à réparer ,
& que les vaiſſeaux neufs commencés reſtoient en
fouffrance.
Les Adminiſtrateurs de la Compagnie des Indes
`ont tenu une aſſemblée générale, dans laquelle il fut
décidé par une majorité de 353 voix , que M. Haftings,
Gouverneur da Bengale, n'étoit nullement l'auteur
de la guerre des Marattes,&que l'on révoque.
roit la réſolution où étoient les Directeurs de rappeller
ce Gouverneur.
Le Lord Cornwallis , qui va partir pour l'Inde ,
ſervoit à Minorque ſous leGéneral Blakeney en 1756,
lors de la priſe du fort St-Philippe par le Maréchal de
Richelieu . On n'a jamais révoqué en doute le courage
de ce Lord , & cependant il a toujours été malheureux
; il faut eſpérer que le ſort le traitera mieux en
Afie qu'en Europe& qu'en Amérique.
Ungrand nombre de Membres du Parlement ſont
déja arrivés en cette Ville , & ils ont tenu des affemblées
particulières pour ſe préparer à l'ouverture de
la Seffion.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 30 NOVEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE à M. GESNER , Auteur du
Poëme de la Mort d'Abel .
PERMETTEZ , Monfieur , à un inconnu de
vous témoigner le plaiſir que vous lui avez
: fait; comme vous il aime la Peinture & la
Poëfie , comme vous il cultive l'une& l'autre ,
ſans eſpoir d'atteindre jamais à la réputation
que vous avez ſi juſtement méritée; mais il
peut du moins vous donner une preuve de la
reconnoiffance que tout homme ſenſiblevous
doit , après la lecture de la Mort d'Abel. Au
furplus , mes amis auront le bonheur de vous
voir , & je m'en remets à eux du ſoin de vous
la prouver mieux que moi :
Vous qui , dans un genre nouveau,
Enchantez l'Europe attendrie ;
Nº. 48 , 30 Novembre 1782. I
194
MERCURE
t
Vous , dont la douce Poësie ,
Du monde , à peine hors du berceau ,
Nous peint l'innocence chérie ;
J'admire vos tableaux divers
Du bonheur de nos premiers pères ,
Et de leur faute , & des misères
Qu'elle attira ſur l'Univers.
Gefner , recevez mon hommage ,
Et daignez ſourire à ces vers ,
Feu dignes de votre ſuffrage.
Mes amis feront le chemin ;
Mais mon coeur ſera du voyage.
Je vous écris de ce jardin
Appelé jardin de l'Infante ,
Près du donjon d'où Médicis ,
Au carnage animant ſon fils ,
Contemploit la ſcène ſanglante
Qui déshonora mon pays.
Ah! fi cette femme cruelle
Eût lû votre Ouvrage enchanteur !
Jamais , abuſant d'un faux zèle ,
D'un peuple innocent & fidèle ,
Elle n'eût comblé le malheur.
Mais vit-on jamais les Furies
Aimer les accens des Neuf-Soeurs ?
: Vit-on jamais leurs mains impies
Quitter les ferpens pour des fleurs
LaiſſonsMégère & ſes fureurs.
DE FRANCE. اور
Grâce à l'auguſte Poësie ,
Aujourd'hui la France adoucie ,
Jouiſſant d'un heureux deſtin ,
Ne craint plus un pareil orage ;
Et fi le peuple eſt plus humain ,
C'eſt ſans doute un peu votre ouvrage.
1
Oui , Monfieur , les Lettres & les Arts , que
vous honorez par vos talens & par votre
caractère , ne pouvant rendre les hommes
meilleurs , ont détruir doucement les pafſions
violentes , en les occupant d'objets
agréables , & c'étoit peut- être le ſeul remède
que l'on pouvoit apporter à leurs maux.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
FRANÇOIS , Peintre.
COUPLETS à Mme la Princeffe DE R. ,
au premier voyage qu'elle fit à Dourdan ,
chez M. le Marquis de Verteillac , fon
père.
AIR : Du Serein.
Au ſein d'une aimable famille ,
Liſe , goûtez le vrai bonheur.
Heureuſe épouſe , heureuſe fille ,
Ces noms ſont faits pour votre coeur.
Des bras du père le plus tendre ,
Volez dans ceux de votre époux ,
:
Iil
196 MERCURE
Ils ont tous deux droit de prérendre
Au plaifir d'être aimés de vous.
En aimant , que l'âme eſt ravie !
Quel bonheur de ſavoir charmer !
Mais le plus grand bien de la vie
Eſt d'aimer ce qu'on doit aimer.
Dans ces lieux tout vous intéreſſe ,
Tout prévient juſqu'à vos deſirs ;
C'eſt le devoir & la tendreſſe
Qui vous préſentent des plaifirs.
QUAND le temps fera diſparoître
Les Jeux , les Ris & leur ſaiſon ,
Parmi vous on verra renaître
Le beau fiècle d'Anacreon .
१.
Ah! combien d'époux dont la flamme
Ne tient qu'au moment de l'erreur !
Le vêtre trouve dans votre âme,
Et ſa conſtance & fon bonheur.
LORSQU'AU déclin de la lumière
On voit les aftres de la nuit
Commencer leur douce carrière ,
Le filence ſuccède au bruit.
C'eſt ainſi que la paix couronne
L'âge de deux époux amans ;
Et ſouvent les fruits de l'automne
Valent bien les fleurs du printems.
:
(ParM. M. C. D. S. P. , à Dour dan. )
DE FRANCE
197
VERS pour le Portrait de Mlle D*. L*.
८ QUAND UAND Ce Portrait feroit flatté,
L'original auroit droit de ſe plaindre :
Il ne rendroit que fa beauté ;
Et c'eſt ſon coeur qu'il auroit fallu peindre.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précedent.
LEmor de l'énigme eſt Chandelle ; celui
du Logogryphe eſt Humanité , où se trouvent
mat , unité , vanité, Huё.
ENIGME.
SUr la boiſſon bien que je fois fort ſage ,
Sur tous les murs je cherche des appuis ;
Et fans être Hiftrion , je puis
Repréſenter un perſonnage.
Quoiqu'innocente , en tous lieux on me pend,
Tant eſt grande envers moi l'injustice de l'homme !
Veux-tul, Lecteur , quelque trait plus frappant ,
Jene ſuisjamais propre à moins qu'on ne m'affomme.
(Par un Officier aux Gardes Françoises.)
I iij
198 MERCURE
DE
LOGOGRYPHE.
quatrepieds , Lecteur ,mon nom est compofé,
Je ſuis un fruit afſſez priſé;
Mais je n'atteins monmérite ſuprême
Qu'au moyen d'une qualité ,
Qui ſe nomme & s'écrit tout ainſi que moi-même ,
:
Sans la moindre diſparité.
(Par M. N.... d'Arras.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ZARINE , Reine des Scythes , Tragédie ,
par M. Legrand. A Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur-Libraire , rue Saint Severin.
1782.
CETTE Tragédie n'a pas vu le grand jour
de la repréſentation , & nous ignorons les
motifs qui ont engagé l'Auteur à ne pas l'y
hafarder. Il eſt difficile , ſans doute , de prédirequel
fortune Pièce doit avoir auThéâtre.
Plus on apprend à s'y connoître , plus on
ſent combien il eſt facile de s'y tromper.
Mais autant qu'il eſt poffible de prononcer
fur un fait auſſi incertain , nous ofons croire
que , moyennant quelques changemens
que nous defirerions ,& qui coûteroient peu
de travail à l'Auteur , la Tragédie de Zarine
DE FRANCE.
199
pourroit ſubir avec ſuccès cette grande épreuve.
Le ſtyle en eſt dramatique ; il a du mouvement&
de la vérité ;& le plan , à un Acte
près , nous a paru bien tracé. Après en avoir
préſenté une analyſe qui mettra les Lecteurs
à portée de prononcer & fur le ſtyle & fur
la conduite de cet Ouvrage , nous parlerons
des améliorations dont nous croyons qu'elle
auroit beſoin pour réuſſir au Théâtre .
Ciaxare a ufurpé le Trône de Médie. Il a
élevé à ſa Cour Striangée , fils du Monarque
détrôné ; & pour légitimer ſon ufurpation ,
il lui propoſe la main de ſa fille. Le Prince ,
contentde recouvrer ſa couronne , ſans répandre
le fang de ſes ſujets, ſouſcrit à cet
hyménée ; mais au moment où l'on eſt prêt
à le célébrer , on vient annoncer les approches
d'une armée de Scythes ; & Striangée ſe
met à la tête des Mèdes pour aller combattre.
Le Chef des ennemis s'attache à lui dans
la mêlée. Après un combat vaillamment foutenu
, il ſuccombe ſous les coups de Striangée
; & fon caſque tombé laiſſe voir aux
yeux du Prince , non la colère d'un ennemi
farouche , mais les traits d'une beauté charmante
; c'étoit la Reine Zarine , dont les
charmes portèrent dans ſon coeur un ſentiment
auſſi vif qu'imprévu. Déſolé de ſa victoire
, plus bleſſé que ſa captive , il la relève ,
ſigne la paix fur le champ de bataille , & la
ramène chez elle , en lui offrant ſa fortune
& fon coeur. Telle eſt l'expoſition que l'Aureur
met dans la bouche de Striangée lui
I iv
200 MERCURE
même. Zarine paroît , elle remercie le Prince
de ce que ſes bienfaisantes mains ont remis
leur captive au rang des Souverains. Qu'entends-
je , s'écrie Striangée ,
Vous captive ! ô ciel ! qu'oſez- vous dire ?
Ouvrez les yeux , Madame , & voyez cet Empire ;
Il retentit au loin du bruit de vos haus faits ;
De riches monumens conſacrent vos bienfaits ;
Plus terrible &plus fier , le Scythe eſt moins ſauvage;
Ainfi que ſon bonheur , ſa gloire eft votre ouvrage;
Vous avez ſu fixer dans ces affreux climats ,
Des vertus qu'avant vous on n'y connoiſſoit pas;
Votre main à Thémis a dreffé plus d'un temple ;
Tout obéi : aux loix , & vous donnez l'exemple ;
Le Scythe aux Immortels ne demande plus rien ;
Vous avez un ami dans chaque Citoyen ;
Par vous les Arts ici trouvent des bras dociles ;
Des hameaux inconnus ſe transforment en villes ;
Sur les monts efcarpés , dans le creux des vallons ,
Le ſoc ouvre la terre en de larges fillons,
Les monftres , les brigands , dans des pièges ſuccombent
;
Sous des coups redoublés d'immenſes forêts tombent ;
Etle vaſte Océan , docile à votre voix ,
S'énorgueillit déjà des dépouilles des bois.
Et cette même Reine , à qui tout rend hommage ,
Ofe d'une captive emprunter le langage!
Si ce langage , ô ciel! convient à l'un de nous ,
Yous le ſavez , Madame, il n'eſt pas fait pour vous.
DE FRANCE. iot
La Reine , en prefence de ſon Minitra
Pharnace , homme rigide , de la vertu la
plus auſtère , n'oſe répondre à ſon amour.
Striangée fait ſes adieux , part , & la Reine
tombe dans un fauteuil avec tous les fignes
du deſeſpoir. Pharnace parle à la Reine avec
fermeté , même avec rigueur. La Reine , qui
connoît fa vertu , lui dit qu'elle ne fuſpecte
point ſa franchiſe; mais, ajoute t'elle :
Mais traitez votre Reine avec moins de rigueur ;
Calmez-vous , & fongez .....
1.
PHARNACE.
Je fonge à votre gloire ,
Madame..Quoi! déjà vous perdez la mémoire
De la haine qui règne entre le Mède & nous ?
Vous voyez fans colère un Mède à vos genoux !
Rappelez - vous ce jour fatal à ma Patrie ,
Où Marmarès , ce Roi fi cher à la Scythie
Dans les bras de ſon peuple , au milieu d'un feſtin ,
Expira ſous les coups d'un indigne afſaſſin.
Eh bien , ce Marmarès , il étoit votre père ;
Son lâche meurtrier , ce mortel ſanguinaire ,
Étoit Mède; &, tout prêt à ſubir le trépas ,
Il dit que Ciaxare avoit armé ſon bras ;
Et le fer qui ſervit bientôt à ſon ſupplice ,
Pour punir quelque jour ſon odieux complice ,
Fut déposé ſanglant dans le temple des Dieux :
On l'y conſerve encor loin des profanes yeux.
Sur ce fer dont s'arma cette main criminelle ,
L
?
CT
Iv
202 MERCURE
Jurons à la Médie une haine éternelle,
S'écria votre peuple ; & fi quelqu'un de nous,
Oubliant le ferment que nous prononçons tous ,
Se réconcilioit avec ce peuple impie ,
Par une prompte mort que ſon crime s'expie;
Et de ce même fer teint d'un ſang précieux ,
Que le coeur de l'ingrat ſoit percé ſous nos yeux.
Dans le refte de la Scène , Pharnace étale
toute la fermeté de fon caractère , & Zarine
toute la dignité d'une Reine. Elle fort avec
fa Confidente , en lui difant :
Immolons mon repos , mais ménageons magloire.
Acte II. La Reine , tourmentée par fon
amour, attend le retour d'Éliſe , qu'elle a
envoyée vers Striangée. Éliſe revient, chargée
de nouveaux adieux du Prince , qui va
s'embarquer. Zarine s'écrie :
Ilm'aime !
ÉLISE.
Mais il part. :
ZARINE.
Tu déchires mon âme.
ÉLISE.
Pour la dernière fois vous l'avez vu , Madame.
ZARINE.
Il m'abandonneroit ! Éliſe , que dis- tu ?
Dieux ! je ſens à ce mot chanceller ma vertu;
DE FRANCE.
203
Ace coup imprévu tout mon courage cède.....
Tu pleures , malheureuſe ! & pour qui ? pour un
Mède !
Un Mède obtient les pleurs que je verſe en ce jour !
Scythes , puniffez-moi de mon fatal amour ;
Il offenſe les loix , outrage la Patrie.....
Mais il peut faire ſeul le bonheur de ma vie.
Éliſe , je m'égare , & mon corur combattu
Craint ſa foibleſſe , hélas ! autant que ſa vertu ;
Laiffe-moi te cacher les pleurs où je me noie ;
Vois ta Reine aux douleurs , au déſeſpoir en proie :
Il m'abandonneroit ! prends pitié de mon fort ;
Éliſe, ſondépart me cauſera la mort.
Il y a dans ces vers de la ſenſibilité , le
déſordre d'une véritable paffion .
Phradate , arrivant avec précipitation ,
préſente à la Reine une lettre que Ciaxare
vient d'écrire à Striangée. Elle eft conçue en
ces termes:
CIAXARE , à Striangée.
Tu connois Ciaxare, & tu peux l'outrager !
Étouffe dans ton ſein ta flamme criminelle ;
Zarine va périr , tu péris avec elle ;
Par le fer & le feu , je vole me venger.
Ce billet réveille toute la ſenſibilité de Zarine
, qui croit déjà voir le Prince ſous le
fer de Ciaxare. La Reine cède à l'amante , &
elle fait rappeler Striangée. Scène intéreſſante
entre les deux amans , interrompue par
I vj
204 MERCURE
l'arrivée du ſévère Pharnace , qui , n'ayant
pu vaincre la réſolution de la Reine , la
quitte en lui annonçant qu'il court en informer
le Sénat.
Acte III. On vient annoncer à Zarine que
le Sénat a prononcé le départ de Striangee ;
mais il faut que cet ordre ſoir ſigné par la
Reine. A ces mots Zarine s'écrie :
De ine le propoſer , quel Scythe auroit l'audace ?
TRASIMENE.
Un Scythe s'eft chargé de ce ſoin .
ZARIN. 1.
Qui ?
TRASIMENE.
Pharnace.
ZARINE.
A l'obtenir de moi s'eſt-il donc attendu ,
Le perfide ?
TRASIMENE.
Madame il en a répondu.
Cette nouvelle audace de Pharnace étonne
la Reine. Elle combat long temps entre fon
amour & fon devoir ; & auſſi- tôt revient
Striangée , qui paroît au comble de ſes
voeux , parce qu'il ignore l'arrêt du Sénar.
Zarine eſt forcée de le lui révéler , & le
Prince fort furieux contre les Sénateurs.Le
hardi Pharnace arrive avec l'ordre fatal qu'il
vient préſenter à la Reine. On voit que cette
DEFRANCE 205
1
démarche eſt très dramatique. Zarine le menace
de toute ſon indignation ; Pharnace
offre toujours ſa tête , & demeure inébranlable.
Et toi , s'écrie til ,
Et toi , l'aurois -tu cru , Marmarès , ô mon maître !
Que celle que le ciel de ton ſang a fait naître ,
Que Zarine , ta fille , eût choiſi dans cejour
Un Mède pour l'objet de ſon fatal amour ?
Un Mède t'arracha le jour& la couronne ,
Un Mède va s'aſſeoir peut-être ſur ton trône ,
Et foulant à ſes pieds la cendre de mon Roi ,
Exigera des voeux qui ne font que pour toi.
Si du ſein du tombeau tu peux te faire entendre ,.
Parle au coeur de ta fille ; un ſentiment trop tendre
Apénétré ce coeur déchiré , combattu ;
Rends-lui ſes moeurs , rends-lui ſon auſtère vertu.
Combattre ſon amour à ſes yeux eſt un crime ;
De mon affection je ſerai la victime ;
Je le ſens , & ne puis cacher la vérité.
Si la mort eſt le prix de ma ſincérité ,
Qu'importe ? quelques ans d'une vie incertaine
D'être encor ménagés valent- ils donc la peine ?
Pour entrer au tombeau , je n'ai qu'à faire un pas.
Que font à l'Univers ma vie ou mon trépas ?
Le ciel au rang des Rois a-t'il daignée m'infcrire ?
A-t'il lié mon fort à celui d'un Empire ?
Ai-je un peuple à ſauver ? un nom à ſoutenir ?
Pour qui n'eſt rien , Madame , il n'eſt point d'avenir.
Enfin Pharnace parvient à ébranler la réfo->
)
206 MERCURE
lution de Zarine , qui ne ſe rend pas entièrement
, mais qui demande un moment pour
délibérer .
Acte IV. C'eſt Ciaxare lui-même qui ouvre
cer Acte; il eſt arrivé ſecrètement juſques
dans le palais de Zarine , tandis que
ſon armée s'avance vers les murs. Il veut
gagner Striangée par la douceur , finon il
l'appelle au combat , & il a tout diſpoſé
pour qu'on ſe ſaiſiſſe de lui. Arrive Striangée.
Reproches de la part de Ciaxare , réfiftance
de la part du Prince. Ciaxare fort en
diſant qu'il court au champ de Mars. Pharnace
entre précipitamment avec la Reine;
ils ſont ſuivis du peuple&des foldats. Pharnace
annonce à Zarine que Ciaxare eſt dans
les murs mêmes. Striangée, animé par l'amour
& par la gloire , dit aux Scythes de le ſuivre ;
mais l'inflexible Pharnace lui répond :
Vous ſuivre ? Nous, Seigneur ! Ah ! pouvez-vous le
croire ?
Le Scythe à l'étranger confiroit-il ſa gloire ?
S'il faut mourir ou vaincre , a-t'on beſoin de vous ?
STRIANGÉE.
C'en eſt trop ! tant d'orgueil excite mon courroux.
Peuples , déſavouez un refus qui m'outrage.
Je ſuis digne de vous , mon titre eſt mon courage :
Quand vous ayant vaincusje vous offris la paix ,
Vous ne tougîtes pas d'accepter mes bienfaits.
PHARNACF .
Celui que la victoire a rendu notre maître......
DE FRANCE.
207
۱۰
STRIANGÉE , ( l'interrompant. )
Decommander au Scythe eſt digne encor , peut- être.
Pharnace , après avoir déployé fon éloquence
hardie , fait apporter le glaive qui a
tranché les jours de Marmarès , & le préſente
à la Reine , en lui rappelant ſes ſermens.
Mais Striangée jure ſur cette même
épée de répandre le ſang du Tyran ; il l'arrache
des mains de Pharnace , & entraîne
le peuple & les ſoldats après lui. Le ferment
& l'action de Striangée nous paroiffent d'un
effet bien théâtral.
Acte V. Ciaxare arrive vainqueur. Zarine
paroît devant lui; & Ciaxare propoſe de renoncer
à ſa victoire , fi Zarine , ſacrifiant
fon amour , veut ramener Striangée vers la
fille du Tyran. Mais la Reine , qui ne peut
pas croire aux promeſſes de Ciaxare, réſiſte à
ſes offres. Il fait venir Striangée , qui oppoſe
la même conftance. Arbate vient annoncer
que tout eſt prêt pour le ſupplice du Prince ,
mais que le Soldat murmure. Ciaxare irrité ,
ordonne qu'on retienne la Reine , & qu'on
traîne Striangée à la mort. Il fort avec Arbate;
& la Reine , reſtée ſeule avec Sayde ,
eſt réduite à déplorer le fort de Striangée ,
ſans pouvoir y mettre le moindre obſtacle.
Éliſe vient lui annoncer qu'elle l'a vu
marcher à la mort ; Zarine s'abandonne
au déſeſpoir ; & s'emportant contre Élife ,
qui l'exhorte à ſupporter ſes malheurs , elle
lui dit :
203 MERCURE
Ame foible , tu crains de voir mourir Zarine.2
Quand ce fer dans ma main te fait frémir d'horreur ,
La honte qui m'attend ne te fait point de peur ?
Sors d'ici , je le veux..... porte ailleurs tes alarmes ,
Fuis , & dérobe-moi la honte de tes larmes.
( Élife s'éloigne.)
Et vous , Dieux immortels! vous , qui du haut dest
cieux
Guidiez depuis mille ans nos bras victorieux ;
Vous , l'eſpoir , le ſoutien , l'amour de mes ancêtres !
La Reine de Scythie a donc connu des maîtres !
Par quel crime ai-je pu mériter ce courroux ?
Dieux vengeurs ! j'ai tout fait pour la gloire & pour
vousi
Voyez ces froids déſerts que j'ai rendus fertiles ,
Tous ces mortels errans raſſemblés dans des villes ,
Ces peuples inconnus , donnant par leurs exploits
Ades peuples voiſins leurs vertus & leurs loix ,
Et fameux dans la paix , & faineux dans la guerre ,
Nommés par-tout l'exemple & l'effroi de la terre ;
Moi ſeule , je les ai raſſemblés , policés ,
Rendus fages , heureux..... & vous m'en puniſſez.
Comme elle eſt prête à ſe frapper , Phra
date vient annoncer que Pharnace a vengé ſa
Reine , qu'il a délivré Striangée ,& fait périr
le Tyran .
Tel eſt le plan de cette Tragédie . On a
pu voir que le ſtyle , qui pourroit quelquefois
avoir plus de correction , eſt dramatic
L
)
DE FRANCE.
209
que & plein de vérité. Une très courte difcuſlion,
en relevant quelques defauts , furtout
au quatrième Acte , va prouver qu'avec
quelques changemens très faciles , cet Ouvrage
pourroit fort bien être mis au Théâtre.
Nous croyons que l'Auteur devroit ſupprimer
le billet que Ciaxare écrit à Striangée;
car enfin , quel eſt l'effet qu'il veut produire
par ce moyen ? Il a voulu donner à
Zarine un motif pour retenir Striangée ; &
ila cru , avec raiſon , que le danger du
Prince étoit une raiſon ſuffiſante. Mais ce billet
eſt- il bien réfléchi , bien motivé ? Com
me il eſt fort court , on nous pardonnera de
le tranſcrire encore ici :
CIAXARE , à Striangée.
Tu connois Ciaxare , & tu peux l'outrager !
Étouffe dans ton ſein ta flamme criminelle ;
Zarine va périr , tu péris avec elle ;
Far le fer & le feu je vole me venger.
Il ne faut pas ſeulement que ce billet produiſe
l'effet dont l'Auteur a beſoin , il faut
encore que Ciaxare ait un motif pour l'écrire.
Or , quel eſt le deſſein de Ciaxare ? de
venir ſurprendre les deux amans. Ce billet
qui les avertit , eſt donc une mal adreſſe
une démarche contraire à ſon projet. Il ſeroit
bien plus naturel , & l'effet feroit toujours
le même , de faire avertir la Reine
qu'on fait que Ciaxare s'eſt mis en marche
pour venir fevenger de la Reine & de Strian
210 MERCURE
gée. Alors les craintes de Zarine ſeroient
également fondées à l'égard du Prince ; elle
auroit le même motif pour le retenir ; & la
vraiſemblance ſeroit parfaitement confervée.
On voit que ce changement , qui nous
paroît néceſſaire , ne coûteroit aucun travail
àM. le Grand.
Mais ce qu'il faut fur-tout changer , c'eſt
une partie du quatrième Acte. L'arrivée de
Ciaxare dans le palais de Zarine , eſt invraifemblable
, & ne produit rien. Un ſeul de
ces deux motifs ſuffiroit pour la faire condamner.
Quelle eſt la ſituation de Ciaxare ?
Profcrit par les Scythes, il va dans leurs
États; afſaſſin du père de Zarine , il va ſe
mettre en leur pouvoir. Nous voyons nombre
de motifs qui devoient l'en empêcher ;
nous n'en voyons pas un qui ait pu l'y engager.
Car enfin , que vient il faire là ? Il a
une Scène avec Striangée , qu'il provoque
au combat. Eh ! comment Striangée ne lui
répond t'il pas en le faiſant arrêter ? Ciaxare
eſt un ufurpateur , un tyran , un affaffin.
Qu'a- t'il à réclamer en ſa faveur ? Mais cette
tache eſt elle bien facile à enlever ? Oui
fans doute , puiſque la Scène où ſe montre
Ciaxare peut être ſupprimée ſans aucun changement.
Le Spectateur n'a pas beſoin de voir
le tyran , pour apprendre qu'il eſt arrivé ; il
lui fuffit d'entendre ce que dit Pharnace un
moment après :
Juſques dans vos États un Tyran vous menace;
Le traître eſt dans nos murs .
,
DE FRANCE. 211
:
ZARINE.
Ciaxare ! grands Dieux!
Voilà tout ce qu'il eſt néceſſaire de ſavoir ,
&l'Acte pourroit commencer par- là. Il reſte
encore une grande objection contre ce qui
fuit. Dès qu'on apprend que Ciaxare eft
dans les murs , les Mèdes , Zarine , tout doit
courir aux armes. Mais voilà que Pharnace
s'oppoſe à ce qu'on ſuive Striangée au combat,
& femet à renouveler ſes proteſtations
contre l'amour de la Reine. Cet incident ſe
prolonge, & le Spectateur , qui eſt toujours
prêt à répéter : Ciaxare eft dans les murs ,
doit s'impatienter de ce qu'il voit & de ce
qu'il entend. Cependant , Pharnace ne s'arrête
point. Il appelle le Grand- Prêtre , qui
arrive , ſuivi de deux autres Prêtres , dont
l'un porte l'épée qui a répandu le ſang de
Marmarès , & l'autre le fourreau , & il préſente
ce fer à Zarine. Qu'arrive-t'il ? C'eſt
que ſon éloquence & fon action ſe trouvant
contraires à la ſituation , il a l'air de montrer
plus de taquinerie que de fermeté , & que
cette épée laiſſepreſque voir du charlatanifme
, où l'on ne doit trouver que de la grandeur.
Les beautés les plus fublimes manqueroient
içi leur effet , parce que ce n'eſt pas
là ce qu'attend le Spectateur , parce que
Ciaxare eft dans les murs. Si l'Auteur vouloit
conferver ce tableau , il faudroit que
la nouvelle fût moins préciſe; qu'on vint
annoncer , non pas l'arrivée , mais les ape
:
212 MERCURE
proches de Ciaxare ; enfin , qu'on ne mît pas
le Spectateur dans la néceſſité de dire aux
Acteurs : partez; vous n'avez rien à dire , &
nous ne voulons rien entendre..
Telles font les objections que nous a fait
naître la lecture de cette Tragédie ; & telles
font les améliorations qui nous paroiffent
ſuffiſantes pour la faire defirer au Théâtre
François. Il faudroit auſſi qu'au dénouement.
la générofité de Pharnace envers Striangée,
eût un plus fort motif; ſans quoi , ſon caractère
, qui eſt bien prononcé , paroîtroit ſe
démentir à la fin. Nous ſouhaitons que l'Auteur
veuille mettre une dernière main à cet
Ouvrage ; nous avons bien moins de confiance
en nos obſervations qu'en ſon talent ; mais
les idées qu'une courte réflexion nous a inf
pirées pour la perfection de cette Tragédie ,
feront toujours utiles à M. le Grand; elles
ſerviront à lui prouver combien il lui fera
facile de trouver mieux.
(Cet Article eſi de M. Imbert. )
De la Nature & de l'Homme , Pièce qui a
été lûe. dans une Séance de l'Académie.
Françoise ,& qui a' concouru pour le Prix
de 72 , par M. le Chevalier de Rivarol.
In armis atque Poesi. A Paris , chez les
Libraires qui vendent les Nouveautés
On a déjà remarqué , avec raiſon , que ce
titre promet beaucoup plus que l'Auteur ne
:
)
DE FRANCE. 213
pouvoit tenir dans une Pièce de vers Academique.
En effet, lanature & l'homme ſontde
grands mots quiréveillent de grandes idées,&
qui ſemblent exiger un grand ouvrage . Magnum
opus argumentum ingens. Onpeut donc
ne confiderer la Pièce de concours de M. le
Chevalier de Rivarol , que comme le fragment
d'un Poëme fur la Nature , & on y
remarquera pluſieurs morceaux qui amnoncent
que l'Aureur eft appelé à faire parler
la philoſophie le langage de la poéfie. On en
va juger par quelques citations . I
-Qui me dévoilera les ſources de mon être?
Inquiet , incertain , je cherche à me connoître.
Qui m'a créé , qui ſuis-je , & pourquoi ſuis-je enfin ?
I
[
Je ne trouve dans moi ni principe ni fin.
Acôté du poiſon germe le pur froment :
Le même pré nourrit l'agneau , l'affreux ſerpent. )
Ici , les vils chardons croiſſent parmi lestrofes. A
L'homme voit les effets ſans connoître les cauſes.
Il eſt environné d'une profonde nuit :
Aquelques vérités ſa raiſon le conduit.
• :
La vertu plaît à l'un , & l'autre ſuit le vice;
L'un eſt ami de tous ſans feinte & fans caprice ;
Miſantrope odieux , l'autre hait les humains.
Si nous ſommes ,grand Dieu , l'ouvrage de tes mains,
Citoyenne des cieux , ſi l'âme eft immortelle ,
3
>
214
MERCURE
Dans chaque individu pourquoi diffère -t'elle ?
D'où vient ce grand contraſte , un Titus , un Néron ,
Un Achille , un Therſite , un Voltaire , un F..... ?
Nous continuons de citer à bâtons rompus,
& fans ſuite , afin d'offrir à nos Lecteurs
tout ce qu'il y a de mieux écrit & de
mieux penſé dans la Pièce de M. le Chevalier
de Rivarol.
De l'empire des mers puiſſantes Souveraines ,
Pour afſouvir leur faim les énormes baleines
Dépeuplent l'Océan qui ſe peuple toujours.
Ce dernier vers eſt d'une heureuſe précifion.
Les quatre ſuivans ne ſont pas moins
beaux.
Hélas ! j'ai vu ſouventſuſpendu dans les cieux
Le perfide épervier , à la ferre cruelle ,
S'élancer comme un trait , emporter Philomèle ,
Qui , près de ſes petits, dans la nuit , dans le jour ,
Attendriſſoit les bois de ſa plainte d'amour.
On voit qu'à l'exemple de Pope , qu'il
a ſouvent imité , M. le Chevalier de Rivarol
cherche à s'élever aux fublimes ſpéculations
de la philofophie. On ne peut que l'en applaudir.
Un Auteur toujours ſérieux eſt
moins fatiguant peut - être que ces eſprits
toujours femillans qui ne doivent leur légèreté
qu'à leur indigence ; mais en mêmetemps
il doit prendre garde de tomber dans
ce jargon vague,métaphysiquement & triſte
DE FRANCE. 215
mentmonotone, qui eſt l'écueil où vont prefque
toujours échouer ceux qui ſe piquent
d'être des Poëtes penſeurs. On trouve dans ſa
Pièce pluſieurs vers de ce genre .
Je vois l'homme mourir & renaître en tout lieu.
Toutfera ce quifut , tout pafſfe & rien ne change.
Lepuffé, l'avenir vivent dans le préfent.
Des êtres animés , la chaîne universelle
Nes'uſe point : letemps , dansſa marche éternelle ,
Nepeut d'un ſeul atôme affoiblir le reffort.
Tout meurt ; mais l'Univers ne connoît point la mort.
Plus le ſujet qu'on traite eſt ſérieux , plus
il faut y répandre des agrémens. Les Anglois
traitent trop gravement leurs graves ſujets.
Ne ſuivons pas leurs traces en cela. Voyez
comment Voltaire a imité Pope dans ſes
Épîtres Philoſophiques. Voilà le modèle
qu'il faut prendre. On fuira toujours ces
Auteurs fombres & mélancoliques ,
Qui , dans leur fombre humeur, ſe croiroient faire
affront,
Si les Grâces jamais leur déridoient le front.
1
216 MERCURE
ACADÉMIE.
SÉANCE de l'Académie Royale des
Sciences de Paris, tenue à la rentrée de
l'Académie, le Mercredi 13 de ce mois.
>
M: DE CONDORCET , Secrétaire perpétuel , a
ouvert la Séance par la lecture du Programme où
l'Académie rend compre de la diſtribution des Prix.
Nous rapporterons ce Programme à la fin de cer
article. Le Prix ſur la formation du ſalpêtre a été
remporté par M. Thouvenel. Ce fuccès , glorieux
dans tous les temps , doit flatter fur- tout M. Thouvenel
au moment où l'affaire de Bléton n'eſt pas
encore oubliée. Il r'eſt pas rare de trouver des impoſteurs
, mais il l'eſt beaucoup de faire de belles
découvertes; & le même eſprit qui nous fait chercher
le fecret de la Nature avec une curiofité ardente
& inquière, nous diſpoſe ſouvent à être dupes
d'un fripon. Une philoſophie médiocre ſuffit pour
rendre incrédule ; mais le génie philofophique eft
ſouvent prêt à être ſuperſtitieux ; il a beſoin de
merveilles qui puiffent l'étonner , & le cours ordinaire
de la Nature ſemble n'avoir pas affez de prodiges
pour lui. Cette diſpoſition ſans doute eft dangereuſe
, & on doit lui préférer celle du génie de
Newton , qui étoit affez étonné de voir tomber des
pommes d'une branche pour trouver dans une choſe
fi familière le germe du ſyſtême du monde ; mais
elle a ſes avantages qu'on ne peut conteſter , &
l'on ne ſauroit répéter trop ſouvent que c'eſt en
cherchant le ſecret de faire de l'or qu'on a créé la
chimie. M. Thouvenel , par des découvertes réelles ,
acquiert le droit d'attirer l'attention réfléchie des Savans
DEFRANCE. 217
vans ſur les choſes les plus extraordinaires ; malgré
tous nos progrès , la Nature eſt encore affez inconnue
pour être ſouvent incroyable. Dans l'Hiftoire
de Mlle Thétar, Fontenelle fut le moins prompe
à crier à l'impoſture : étoit-il le moins philoſophe ?
On dit que M. Thouvenel cherche le ſecret de
Meſmer ; croire à Meſmer & à Bléton, c'eſt beaucoup
à-la-fois; mais ceux qui , ſans connoître ni l'un ni
l'autre , décident que tous les deux ſont des impofteurs
, m'étonnent encore davantage ; & enfin , dans
un homme éclairé , dans un homme qui , comme
M. Thouvenel , a la ſagacité qui découvre des choſes
neuves dans l'hiſtoire de la nature, cette eſpèce de
crédulité ne peut paroître que l'audace du Philofophe.
M. Portal a lu un Mémoire fur les morts fubites
caufées par la rupture du ventricule gauche du
coeur. En raſſemblant des obſervations de ce genre,
on peut parvenir à connoître les ſymptômes qui annoncentunediſpoſition
même éloignée à ces accidens,
&M. Portal penſe qu'on pourroit alors les prévenir
ou les retarder par le régime & par des précautions.
M. le Monnier a lu un Mémoire fur les éclipſes
totales du Soleil; ces éclipſes ceſſent d'être totales
pour des lieux où elles devroient l'être encore ſuivant
les calculs , & fans qu'on puiſſe en accuſer l'erreur
des Tables d'après leſquelles on les a calculées ;
cette différence ne peut guères s'expliquer qu'en
ſuppoſant à la Lune un atmosphère.
M. de Milli a tracé le plan d'une nouvelle analyſe
végétale. Il ſe propoſe dans cette analyſe de
comparer entre eux les végétaux , non d'après les
produits de l'analyſe chimique ordinaire , mais
d'après ceux qu'ils donnent naturellement lorſqu'ils
fubiſſent ſucceſſivement les trois degrés de fermentation
dont ils ſont ſuſceptibles.
Dans les intervalles de la lecture de ces Mé
moires , M. le Marquis de Condorcet a lu trois
Éloges; celui de M. d'Anville , Géographe ; celui
Nº. 43 , 30 Novembre 1782 . K
213 MERCURE
de M. Tronchin , Docteur en Médecine , & celui de
M. de Montigny , qui a porté les lumières des
Sciences fur les Arts utiles , ſur l'Induſtrie & le
Commerce. Des talens & des mérites ſi divers ont
été appréciés & loa's avec le même ſuccès par M.
de Condorcet. C'eſt en écoutant des Eloges qui ſuppoſent
des connoiſſances ſi variées,qu'on feroit tenté
de croire que toutes les Sciences ſe réuniffent dans le
Secrétaire de l'Académie comme dans l'Académie
même. Nous ne voulons point dire que M. de
Condorcet poſsède la Géographie comme M. d'Anville
, la Médecine comme M. Tronchin , & les
procédés des Arts comme M. de Montigny. La
haine & l'envie ſuppoſeront peut- être que nous
l'avons dit ; car c'eſt une manière de détruire l'Eloge
que de l'exagérer. On fait trop que fi l'eſprit
'd'un homme peut être univerſel, ſes connoiſſances
ne peuvent pas l'être ; il pourroit tout ſavoir , mais
le temps lui manque pour tout apprendre ; & s'il eſt
doué d'autant de force que d'étendue , il aimera
mieux renfermer fes efforts dans un genre pour mériter
le premier de tous les titres , celui de créateur ,
d'Homme de génie ; mais à cette gloire l'eſprit philoſophique
peut en joindre une autre, Eclairé &
conduit par l'analyſe , qui eſt la même dans tous les
genres , parce qu'elle eſt l'unique inſtrument de
T'eſprit humain , quoiqu'il établiſſe & fixe ſon génie
dans une ſcience, il pourra parcourir & viſiter , pour
ainſi dire , toutes les autres ; ſaiſir dans chacune ſes
traits diftin tifs & caractériſtiques , ſes rapports
avec toutes les autres , les lumières qu'elle en reçoit
& qu'elle leur donne , l'étendue du bien qu'elle peut
faire aux hommes , & le degré de gloire que mérite
chacun de ceux qui la cultivent. C'est souvent dans
'Histoire Naturelle , diſoit Bacon , qu'on trouve une
vérité importantepour la Politique. En étendant ce
principe de Bacon , on pourroit croire que fi toutes
DE FRANCE. 219
1
F
b
les ſciences arrivoient jamais à la perfection où elles
peuvent atteindre , elles finiroient par ne plus former
toutes enſemble qu'une ſeule ſcience ; elles
feroient une comme la Nature , qui est également
P'objet de toutes .
M. d'Anville ſembloit être né Géographe comme
on naît , dit - on , Orateur & Poëte. Dans ſes claſſes
il traçoit des Sphères & des Cartes ; en lifant la vic
d'Alexandre , ce n'étoient pas les exploits , mais les
noms des lieux que parcouroit ce Héros qui intéreſfoientM.
d'Anville ; il ne voyoit & ne cherchoitdans
la victoire la plus éclatante que la ſituation du champ
debataille. Le morceau qu'onaparu le plus remarquer
dans ce Diſcours de M. de Condorcet , c'eſt le tableau
de toutes les recherches , de toutes les études qui forment
le grand Géographe. C'eſt dans des morceaux
de ce genre qu'on voit qu'un eſprit philofophique
peuttrès-bienconnoître les ſciences même qu'il nepofsède
pas , & qu'il peut y porter des vûes & des lumières
que ceux qui les poſsèdent le mieux font quelquefois
incapablesd'avoir.C'eſt comme les Amateursdans
lesArts , qui donnent ſouvent aux Artiſtes des idées
que le talentde les exécuter nedonnepas toujours.M.
d'Anville n'étoit devenu le premier des Géographes
que par un enthouſiaſme de cette ſcience qui la lui faifoit
mettre au premier rang des connoiſſances humaines.
Pendant so ans il a travaillé quinze heures
parjour. On ne fait pas de ſi grands efforts pour une
gloire qu'on eſtime médiocrement. Cela rappelle
L'opinion de M. Helvétius , qui ſoutient que chaque
homme eſt forcé par la Nature à croire que ſongenre
eſt le premier de tous , & qu'il eſt le premier de ſon
genre. Il resteune concluſion à tirer ſous peine d'être
mauvais raisonneur , c'eſt qu'on eſt le premier des
hommes; & M Helvétius , qui ne reculejamais dans
ſes opinions , aſſure que cette concluſion eſt le réfultat
de l'examen ſecret que chaque homme fait de
Κή
220 MERCURE.T
i
fonmérite. On ne fait pas ſi M. d'Anville alloit juſqu
cette conféquence , qui doit paroître un peu forte ;
mais d'après quelques anecdotes connues , on peut
croire que fon amour-propre raiſonnoit affez juſte,
Ces foibleffes , ces originalités de caractère aſſes
communes dans les Savans , & qui pourroient embarraffer
un Panégyriſte ordinaire , font les objets
fur leſquels M. de Condorcet montre le mieux la
fineſſede ſon eſprit & ſes vertus indulgentes ; il fair
que les Sciences ont, pour ainſi dire, leurs ridicules
comme la Société ; il les obſerve , il les peint, mais
il les fait fortir ou d'un excès de fimplicité dans le
caractère , ou d'une opinion qui a été la ſource des
plus grands talens ; & dans ſes diſcours , les bizarreries
des Savans naiſſent toujours ou du génie ou de
la vertu ; il couvre leurs fingularités du reſpect & de
la reconnoiſſance que méritent leurs lumières , bien
différent de ceux qui croient y trouver le droit d'injurier
les Sciences même.
L'Éloge d'un Médecin qui a eu de la célébrité,
devoit avoir plus d'intérêt que celui même du premier
des Geographes. La réputation des Médecins
n'eſt pas comme celle de la plupart des Savans , renfermée
dans le petit nombre de ceux qui cultivent
les Sciences. Elle ſé répand avec eux dans le monde ,
& leur vie y eſt ſi différente de celle des autres
hommes , qu'ils doivent en différer beaucoup par
le caractère . Il ſeroit bien mal-adroit & de bien
mauvais goût de vouloir renouveler aujourd'hui
contre eux les plaifanteries qui ont réuſſi dans Molière.
Ce n'est pas ſeulement parce qu'ils ne portent
plusune robe& qu'ils ne parlent plus latin, qu'on ne
les trouve plus ſemblables à ceux du Médecin malgré
lui & du Malade Imaginaire , c'eſt parce qu'à une
érudition où il n'y avoit de ſavant que les mots , ils
out ſubſtitué l'étude de la Nature,&que quelques-uns
d'entre-eux ont porté autant de génie dans l'obferDE
FRANCE. 221
1
vation du corps humain , que Molière dans celle du
coeur humain. Le nom de Sthal n'est peut-être pas
au-deſſous de celui de Molière , & ce ſeroit un grand
ridicule aujourd'hui de vouloir ſe moquer d'un Art
qui a produit les Sthal , les Tiffet & les Boerrhaave ;
mais le caractère des Médecins , qui a dû changer
avec les progrès de leur Art & ceux de la Société,
doit être toujours très- intéreſſant à peindre. Leurs
rapports avec les homines font formés par les deux
paſſions les plus univerſelles & les plus conftantes ,
celles qui produiſent les ſcènes les plus touchantes
&les plus terribles , l'amour de la vie , & la crainte
des douleurs & de la mort. On abandonne ſes jours
àleurs foinsfans être en état d'apprécier leur talent;
&la crainte ou la confiance qu'ils inſpirent, nées de
l'imagination , font extrêmes comme elles. On ne
jage pas les Médecins , on y croit ou on n'y croit
pas. On met fur leur compte toutes les révolutions
des maladies , on les bénit fi on eft foulagé ; on les
accuſe fi on ſouffre ; leur talent,auffi peu connu que
la Nature , paroît aufli mystérieux qu'elle. Dans
les autres Arts on fait bien ou mal ; dans celui-là
con fait des fottiſes ou des prodiges. Mille voix
oppoſées s'élèvent enſemble ſur leur mérite
J'on entend à-la- fois une mère qui leur doit les
jours d'un fils unique , & un amant paſſionné
dont ils ont tué la maîtreffe. Quel choc d'opinions
contraires ! Quelle admiration & quel mé-
-pris ! Que d'amour & d'antipathie ils doivent
inſpirer! Forces de vivre , d'exercer le plus difficile
de tous les Arts , d'établir & de maintenir au milieu
de toutes ces paſſions la foi qu'ils doivent infpirer
, les Médecins ſont plus obligés que les autres
hommes à avoir un caractère qui les diftingue &
qui leur donne la force de réſiſter à ce flux & re-
Aux des opinions publiques. Auſſi preſque tous en
Kuj
&
222 MERCURE
ent-ils un très-remarquable ; les uns , enveloppes
d'un filence impénétrable , reſtent mwets à toutes les
craintes & à toutes les eſpérances qui les interrogent;
ils ſemblent prendre la forme d'une ſtatue pouυζ
avoir l'air d'un oracle ; les autres , nés avec cette faci
Bité de parler qui , dans les choſes peu connues , eſt
une eſpèce d'éloquence , enchantent par leurs paroles
Jemalade qu'ils ne guériffent pas toujours par leurs
remèdes , &développent fi bien les cauſes & la marche
des maladies,que la Nature ſemble être ſoumiſe
aux loix qu'ils leur tracent. Tel eft leur empire fur
les eſprits,que dans ces momens même ſi fâcheux pour
leur réputation , où la mort a démenti les eſpérances
qu'on avoit dans leur art , ils font encore les
confolateurs d'une famille en larmes .
•L'envie, fi audacieuſe à perſécuter le mérite dans
tous les genres , a plus d'audace encore pour attaquer
Jes Médecins célèbres. On ne peut la convaincre
d'injustice ; elle n'a point de juges , & ſe livre à
tous les excès ſans avoir jamais à rougir ; auſſi les
Médecins fe jugent-ils prefque toujours entre-eux
comme les Prêtres des religions ennemies , & c'eſt
pour leurs Hiftoriens & leurs Panégyriſtes une ſource
d'événemens & de mots très piquans. Il eſt encore
dans leur caractère des traits plus intéreſlans &ples
propres ſur- tout à former leur éloge.
Ces hommes fi divers & ſouvent fi oppoſés dans
Jeurs intérêts , dans leurs principes & dans leurs caractères
, ſe réuniſſent pourtant dans une choſe ,
dans la bienfaiſance. La vue de la mort, toujours
préſente , les attache ſans doute à la vertu en leur
montrant continuellement le néant de la vie ; leur
âme s'attendrit & apprend fans doute à ſentir les
maux dont ils ſont tous les jours les témoins. Le
pauvre , qui ſi ſouvent implore en vain les autres
homines dans ſes beſoins,trouve toujours un Méde
indans ſes maladies. Dans lesafylesdelamisère,il
DE FRANCE. 223
1
eſt un mal plus cruel que tous les autres , & qu'ils
font toujours sûrs de ſoulager , c'eſt la pauvreté.
Que de fois on les a vus répandre ſur l'indigence
ce qu'ils ont reçu de la reconnoiſſance des riches !
Souvent les momens les plus heureux de la vie de
l'indigent , ont été ceux où il a été entre les mains
duMédecin; auſſi les pauvres , qui redoutent beaucoup
moins les erreurs des Médecins , parce qu'ils
craignent peu la mort, ne parlent-ils preſque jamais
que des lumières & des vertus de celui qui les
viſite;& lorſqu'il meurt , on les à vû ſouvent ſortir
de tous les côtés de leurs réduits , pour faire autour
defon cercueil le cortège le plus touchant & le plus
honorable qui puiſſe accompagner un homme à fon
dernieraſyle.
Cedernier trait eſt celui par lequel M. de Condorcet
a terminé l'éloge de M. Tronchin ; & tout
leDiſcours eſt rempli de l'intérêt attaché à tout ce qui
regarde les Hommes célèbres de cette profeſſion .
M. de Condorcet a très-heureuſement remarqué
que le moment où un Médecin , déjà très- connu ,
vient s'établir à Paris , eſt un moment de révolution
pour la pratique de la Médecine. Il apporte un
nouveau régime , de nouveaux remèdes , de nouveaux
principes ; on met de nouveau en queſtion
tout ce qui avoit été décidé , & toutes ces conteftations
tournent au profit de l'Art ; car , de nouvelles
diſcuſſionsfont naître toujours de nouvelles lumières .
Les titres de M. Tronchin à la reconnoiſſance
de ſon ſiècle& de la poſtérité , ſont d'avoir été un
de ceux qui ont le plus répandu l'uſage de l'inoculation
; d'avoir introduit un nouveau ſyſtême de
traitement pour la petite-vérole , en ſubſtituant aux
boiſſons échauffantes , un régime raffraichiſſant; en
rendant l'air aux malades qu'on étouffoit en les
renfermant dans un atmosphère rempli du poiſon
qui s'exhale de leur corps; d'avoir aſſez perfuadé
Kiv
224 MERCURE
aux femmes combien l'exercice eſt néceffaire à leur
fanté & à leurs charmes , pour les faire fortir de
leurs chaiſes longues , & ſe répandre dans nos promenades
& dans nos jardins ; d'avoir enfin , de concert
avec ſon ami Rouſſeau , perfuadé aux mères
que , refuſer leur lait à leurs enfans , eſt un crime
contre la Nature , dont elles ſont punies preſque
toujours , en perdant leurs agrémens , & fouvent
même en voyant la fin de leur vie avant la fin de
leur jeuneſſe. Le Moraliſte & le Médecin impofoient
les mêmes devoirs en parlant un différent langage;
& fans doute ils devroient ſe réunir plus ſouvent
pour l'avantage de la Morale & de la Médecine.
ce a
pas cepen-
M. Tronchin , comme on voit , a fait des révolutions
dans la Médecine ; il ne paroît
dant qu'il ait été doué de cet eeffprir créateur , qui
découvre de nouvelles vûes & de nouveaux rapports.
Il avoit plutôt cette juſteſſe naturelle & facile
de l'eſprit , qui faifit qu'ily de mieux prouvé
dans les chofes connues , & le don de répandre un
air de paradoxe & de découverte ſur des vérítés anciennes
, mais négligées. C'eſt cette forte d'eſprit
qui, dans tous les genres, réuffit le mieux auprès da
grand nombre. Le génie de l'invention ſépare trop
un homme de la multitude pour qu'il puiſſe en être
admiré.
Le nom de Voltaire , lié avec tous les Hommes
célèbres de ſon ſiècle , ſe préſente toujours naturellement
dans tous les Éloges de M. de Condorcet ; il
en parle dans l'éloge de M. Tronchin, il en parle
encore dans celui de M. de Montigny. Un ami
feroit excufable d'en rechercher les occafions ; il
doit être bien heureux de les trouver dans ſes ſujets
mêmes.Que d'hommes ont peine à pardonner l'éloge
lors même qu'il ſe préſente de lui-même , & pour
Jeſquels un hommage rendu au génie eſt une occaſion
de l'outrager ! La gloire de Voltaire ſemble
DE FRANCE. 22
Etre, pour M. de Condorcet , un de ces titres & de
ces droits de l'humanité que le Philoſophe doit défendre
avec tout le courage de la vertu. C'eſt pourrant
à Voltaire qu'on avoit appliqué ce vers de ſa
Marianne :
J'ai mille admirateurs & n'ai pas un ami .
On voit aujourd'hui qu'aucun homme de génie n'en
a eu davantage, & de plus dignes de lui .
Dans le même Éloge , M. de Condorcet a été
obligé de parler de Rouſſeau comine de Voltaire ; &
quoiqu'il eût pu le blâmer , peut-être avec justice ,
en rappelant ſes démêlés avec M. Tronchin , qu'il a
appelé tour- à-tour mon ami Tronchin & lejongleur
Tronchin , M. de Condorcet a paru rappeler cette
circonſtance à regret , & s'y eſt arrêté trop peu pour
qu'on puiſſe avoir des doutes ſur la ſincérité de ce
regret. Tous ceux qui s'intéreſſent à la mémoire de
Rouſſeau, doivent lui ſavoir gré de cette modération.
Elle eſt ſi rare aujourd'hui ! on ſe plaît tant
àrépandre le ridicule ou le mépris ſur des fingularités
, des malheurs , des paſſions , des fautes & des
foibleſſes , que ce grand Homme a eu le courage de
faire fortir lui-même du ſecret de fa conſcience ! Et
comment a-t'on la cruauté d'inſulter à une âme qui
ſe dévoile elle-même ? Étoit-ce donc un homme
vil , celui qui , pour une ſeule mauvaiſe action , a
eu quarante ans de remords dans une vie d'ailleurs
irréprochable ? Où ſont les hommes qui , dans leur
vieilleffe même , verſent des larmes de repentir ſur
les fautes d'un âge qui touchoit à l'enfance ? Pour
bien juger Rouffeau , il faudroit que toutes les âmes
s'ouvriffent comme la fienne ; mais elles reſtent
fermées , & la fienne ſeule eſt à découvert. Il y a
trop de défavantages dans une pareille poſition.
L'Éloge de M. Tronchin eſt un de ceux de M. de
Condorcet qui a eu le plus de ſuccès aux lectures de
Kv
226 MERCURE
l'Académie des Sciences. Iln'est pas permis fans doute
dejuger dumérite d'un Ouvrage ſur une lecture publi
que, dont l'effet , ſoit en bien, ſoit en mal, tient fou
ventàdes circonſtances étrangères aux beautés ou aux
défauts. Mais nous aurions été bien trompés , par l'im
preſſion que nous avons reçue , ſi ce Diſcours n'étoit
pas encore au-deſſus des Éloges de la Condamine
&de Fontaine.
Celui qui rend les Sciences utiles à la Société,
leur eft auſſi utile que ceux qui leur font faire de
nouveaux progrès. Et telle a été la gloire de M. de
Montigny. Né dans un état & avec une fortune qui
l'appeloient aux places de l'Adminiſtration , il y a
fait fervir les Sciences au perfectionnement des Arts
&de l'Induſtrie. Après avoir prouvé qu'il avoit aſſez
de talent pour faire des découvertes , il a préféré le
bonheur de ſervir promptement les hommes , à la
gloire d'ajouter à des lumières qui reſtent fi longtemps
inutiles.
C'eſt à M. de Montigny que nos manufactures
font redevables de pluſieurs étoffes , dont la fabrique
n'étoit comue que des manufactures d'Angleterre.
3
Son goût & fon talent pour la théorie des Arts ,
s'étoient manifeſtés d'une manière remarquable dès
fon enfance. S'étant caffé la jambe à l'âge de dix
ans , on le trouva occupé à examiner les pièces de
fa montre qu'il avoit déinontée avec beaucoup
d'adreſſe; on lui demanda ce qu'il avoit voulu faire :
j'aivoulu voir fon âme , répondit- ik Il vouloit dire
le principe de ſon mouvement, & c'étoit beaucoup
pour un enfant de s'être déjà formé de l'âme une
idée fi nette .
M. de Montigny a eu toujours pour amis ceux de
fes Confrères , qui , par leurs travaux & leurs découvertes,
ont en une plus grande célébrité; il pargeoit
leurs fuccès, &prenoit part à leur gloire
DEFRANCE 227
Lorſque l'Académie , voulant honorer le génie d'un
de ſes Membres moins ancien que lui , donna le
titre de Penſionnaire Surnuméraire à M. d'Alembert ,
M. de Montigny s'empreſſa d'applaudir au voeu de
la Compagnie , & d'appuyer de fon confentement
cette préférence accordée à fon ami ſur lui même. Il
penſoit que des hommes , qui n'ont qu'un même
objet , la connoiſſance de la vérité , qu'un même
but , l'utilité de leurs ſemblables , doivent , pour
leur intérêt comme pour celui de leur cauſe, être
unis entre- eux , & ſe contenter chacun de la portion
de talent que la Nature lui a donnée , & du bien
qu'elle l'a rendu capable de faire. Ainfi , a ajouté M.
deCondorcetdans une très-belle comparaiſon , l'on
yoit ces aftres différens en éclat & en grandeur ,
mais également néceſſaires à l'ordre du monde , unis
entre-eux par une force commune , ſuivre en paix
leur marche éternelle , tandis que ces météores paflſagers
, nés des exhalaiſons impures des marais , ſe
poursuivent, ſe combattent & diſparoiſſent enſemble,
Et comment l'homme en place , qui ſe ſert des lur .
mières pour faire du bien aux hommes , pourroit- il
être jaloux de ceux qui reculent les bornes des Sciences
? Il fait trop que les idées des hommes de génie
font les vrais tréſors de la bienfaiſance puiſſante
&éclairée.
Il n'y a rien de plus fublime &de plus touchant ,
diſoit un ancien , que le ſpectacle de la mort d'una
homme vertueux. La mort des Savans préſeme prefque
toujours ce ſpectacle. La fin de M. de Montigny ,
a dit M. de Condorcet , a été celle d'un homme de
bien & d'un ſage , qui , ne laiſſant après lui ni des
malheureux qu'il ait faits , ni des infortunés auxquels
fon exiſtence étoit néceſſaire , termine ſa vie lans
inquiétudes & ſans remords.
Il a laiſſefa fortune ſans l'avoir augmentée ni diminuée;
les affaires,a ajouté M. de Condorcet, étc.ent
Kvj
228 MERCURE
toujours dans cet ordre ſi précieux aux hommes
d'une probité ſcrupuleuſe; ils ſavent que c'eſt le ſeul
moyen infaillible de ne pas s'expofer au malheur &
au crime de manquer à leurs engagemens , crime
d'autant plus honteux , qu'il reſte preſque toujours
impuni , & qu'il eſt ſouvent trop facile à ceux qui
le commettent de ſe ſouſtraire aux loix , ou de les
ſurprendre en ſa faveur.>>>
PRIXproposés par l'AcadémieRoyale des Sciences.
Le Roi , defirant d'augmenter par tous les moyens
poflibles, la récolte du Salpêtre en France , & de délivrer
ſes Sujets de la gêne de la fouille que les Salpétriers
ſont autoriſés à faire chez les particuliers ,
avoit chargé l'Académie des Sciences , en 1775 , de
propoſer un Prix de 4000 livres , ſur le ſujet qui
fuit: Trouver les moyens les plus prompts & les plus
économiques de procurer en France une production &
une récolte de Salpêtre plus abondantes que celles que
l'on obtient préfentement , & fur- tout qui puiffent
dispenser des recherches que les Salpêtriers ont le
droit de faire chez les particuliers . Ce Prix devoit
être proclamé à la Séance publique de Pâques 1778 .
Les Mémoires adreſſés à ce premier Concours , &
qui étoient en grand nombre , ont fait connoître à
FAcadémie que le délai qui avoit été accordé étoit
trop court , relativement à l'importance du ſujet &
à la nature des expériences qu'il exigeoit ; & que ,
d'un autre côté , l'objet du Prix , quoiqu'affez confidérable
en 'lui- même , ne pouvoit pas encore indemnifer
les Concurrens des dépenſes néceſſaires
pour remplir complètement les intentions du Gouvernement
, l'Académie a été forcée en conféquence
de différer la proclamation du Prix , & d'en fixer
l'époque à la S. Martin 1782. En même temps , ſur
les repréſentations qu'elle a faites au Roi , S. M. a
DE FRANCE. 229
bien voulu porter le Prix à 8000 liv. & y joindre
une ſomme de 4000' liv. pour être diſtribuée en un
ou pluſieurs Acceffit , ſuivant le nombre des Mémoires
qui pourroient avoir droit à des récompen
ſes , & fuivant l'étendue des dépenſes utiles qui paroîtroient
avoir été faites par les Concurrens , relativement
au Prix.
Ces nouvelles diſpoſitions ont produit l'effet avanrageux
que l'Académie pouvoit en attendre , & elle
a eu la ſatisfaction de voir que dans les foixante- fix
Mémoires qui ont formé lefſecond Concours , il
y en avoit un affez grand nombre qui méritoient
ſon attention ; mais celui de tous qui lui a paru le
plus digne de ſes ſuffrages , eſt le Mémoire N° X,
fecondConcours , qui a pour deviſe : Après avoir
lu & médité tout ce qui a été écrit fur cet important
Sujet , ne pourroit- on pas s'écrier avec le Vieillard
de Térence , INCERTIOR MULTO SUM QUAM
DUDUM , dont l'Auteur eſt M. Thouvenel , Docteur
en Médecine , Aſſocié Regnicole de la Société
Royale de Médecine.
Ce Mémoire contient une foule d'expériences
d'un genre délicat & difficile , entrepriſes d'après
des vûes nouvelles & la plupart très - concluantes.
L'Auteur y donne des moyens de former de l'acide
nitreux , pour ainſi dire , de toutes pièces , & en
employant des matériaux abſolument étrangers à
cet acide; ces matériaux ſont le gaze de la putréfaction
& l'air atmoſphérique. Peut-être laiſſe-t-il
quelque choſe à deſirer relativement à l'application
de la théorie à la pratique ; mais il n'en eſt pas
moins certain que d'après des expériences théoriques
contenues dans ſon Mémoire , il ſera facile de ramener
à des principes certains la conduite des nitrières
, qui juſqu'à préſent a été abandonnée , pour
ainſi dire , à une routine aveugle : l'Académie a
230 MERCURE
cru enconféquence devoir adjuger à ceMémoire le
Prix de 8,000 livres .
Après ce Mémoire , dans lequel l'Académie n'a
pu ſe refuſer de voir une ſupériortié bien décidée
fur tous les autres Concurrens , ſon ſuffrage s'eſt
trouvé partagé entre deux autres , qui lui ont paru
avoir l'un & l'autre les mêmes droits à une récompenſe
honorable ; elle a cru en conféquence devoir
leur accorder , à titre de ſecond Prix , à chacun
une ſomme de 1,200 livres.
Le premier de ces Mémoires eſt celui N. XXVI,
ſecond Concours , qui a pour deviſe : On ne doit
ni s'affurer aisément de voir ce que les plus grands
Hommes n'ont pas vu , ni en désespérer entièrement.
L'Auteur et M. Lorgna , Colonel des Ingénieurs
au ſervice de la République de Venise , & Directeur
de l'École Militaire à Vérone , Membre des Académies
des Sciences de Pétersbourg , de Berlin , de
Turin , de Bologne , Padoue , Mantoue , Sienne ,
&c. & Correfpondant de l'Académie Royale des
Sciences de Paris .
On trouve dans ce Mémoire une ſuite d'expériences
bien concluantes , d'après leſquelles l'Auteur
prouve que l'acide nitreux n'eſt point une modification
de l'acide vitriolique ni de l'acide marin
comme le penſoient Stalh , M. Pietch & une partie
des Chimiftes modernes; mais il n'eſt pas auſſi heureux
dans les expériences qu'il a faites pour découvrir
les principes du nitre & le myſtère de ſa formation;
en forte qu'il réuffit mieux à établir ce que
n'eſt pas l'acide nitreux , que ce qu'il eſt en effet,
Son Mémoire contient d'ailleurs quelques expériences
qui ne font pas exactes ; telle est la décompofition
du ſel matin par le nitre à baſe terreuſe :
cette décompoſition n'eſt vraie qu'à l'égard du ſel
marin à base d'alkali végétal , & non pas à l'égard
DE FRANCE. 231
de celui à bafe d'alkali minéral , comme l'annonce
l'Auteur.
Le ſecond Mémoire que l'Académie a jugé digne
de partager le ſecond Prix , a pour device : Nec
Species fua cuique manet , rerumque novatrix ex
aliis alias reparat Natura figuras.
La première partie de ce Mémoire avoit été admiſe
au premier Concours , ſous le No. XXXIII;
les Auteurs font M. de Chevrand , demeurant
Besançon , Inſpecteur des Poudres & Salpêtres
dans les Provinces de Franche-Comté & de Breſſe ,
& M. Gavinel : la ſeconde a été admiſe au ſecond
Concours ſous le N ° . XVIII & ſous la même deviſe
, & avec le nom ſeul de M. de Chevrand. L'Auteur
de cette dernière partie qui a déterminé principalement
le Jugement de l'Académie , a parcouru,
dans l'intervalle du premier au ſecond Concours ,
une grande partie de la France , pour y étudier
les reſſources relatives à la fabrication du Salpêtre.
Il diſcute les avantages & les inconvéniens que
préſentent les différentes Provinces du Royaume ,
conſidérées relativement à cet objet. Quoique fon
Mémoire ne contienne pas de découverte proprement
dite , il eſt plein de réflexions juftes , d'obſervations
ingénieuſes , & de détails intéreſſans relativement
à la pratique ; il complette en quelque
façon ce qui manque aux deux précédens , & il ne
peut être que très- utile pour guider les Entrepreneurs
de nitrières. Enfin , l'Académie a cru devoir ,
foit à titre d'Acceffit , ſoit à titre de dédommage .
mentdes dépenſes qui ont été faites , accorder une
fomme de 800 liv. au Mémoire Nº. XXVIL ,
premier Concours , ayant pour deviſe : Credidimus
fpiritus acidos nitri nusquam in rerum natura
extitiffe ante inventum modum nitri parandi : Boërhaave
, & dont l'Auteur eft M. J. B. de Beunie
Médecin à Anvers , de l'Académie Impériale des
322 MERCURE
Arts & Belles- Lettres de Bruxelles ; & une pareille
ſomme de 800 livres au Mémoire , N° . XXIX ,
premier Concours , ayant pour deviſe : Sic materiis
Arte difpofitis , Naturâ duce , abundanter generabitur
nitrum , dont l'Auteur n'eſt point connu.
Il eſt aiſé de voir que ces deux Mémoires ſont
faits par des Chimiſtes inftruits : ils contiennent des
expériences bien faites , & qui ne peuvent que
contribuer à avancer & à perfectionner l'Art de
fabriquer le Salpêtre.
Indépendamment de ces cinq Mémoires qui
préſentent un grand enſemble de faits & qui ,
réunis , rempliſſent aſſez complètement les vûes du
Programme , l'Académie croit devoir faire une
mention honorable de celui du No. XXII , ſecond
Concours , ayant pour deviſe : In pace robur , & in
bello ros cæli , & pinguedo terra.
L'Auteur y donne une ſuite d'expériences trèsnombreuſes
ſur le Salpêtre qui ſe trouve , ſuivant
łui , dans les terres végétales des champs ; mais les
Commiſſaires de l'Académie , qui ont répété, ces
expériences avec beaucoup de ſoin fur un grand
nombre de terres des environs de Paris , ramaflées
à la ſuite d'une grande ſéchereſſe vers la fin de
l'été 1781 , n'ont trouvé que des particules preſque
imperceptibles de Salpêtre , & qui ne répondent pas
à ce que l'Auteur avance. Peut- être a-t- il employé
pour leſſiver ſes terres , de l'eau qui contenoit déjà
du Salpêtre : quoi qu'il en ſoit , l'Académie n'a pas
jugé que les nitrières découvertes & en plein air que
l'Auteur propoſe de ſubſtituer aux hangards , puflent
remplir ſon objet.
Les autres Mémoires qui méritentd'être cités , font :
Celui , Nº . XXVIII , fecond Concours , ayant
pour deviſe : Tandis que tous s'empreſſfent de concourir
aux projets d'un Roi bienfaisant , je veux
auſſi rouler mon tonneau .
DE FRANCE.
233
1
1
Celui , N° . XII , premier Concours , ayant
pour deviſe : Sigillum veri fimplex.
Celui , N ° . XXI , ſecond Concours , ayant
pour deviſe : Utile au Gouvernement , funeste à
Phumanité.
Enfin celui , Nº. XXVIII , premier Concours ,
ayant pour device : Non fingendum aut excogitandum
Sed inveniendum quid Natura faciat aut
د
ferat : Bacon.
3 Il n'eſt aucun de ces Mémoires qui ne contienne
quelques faits nouveaux , de bonnes obſervations ,
& des détails intéreſſans : l'Académie invite en
conféquence leurs Auteurs à ſe faire connoître
afin qu'ils obtiennent du Public la reconnoiſſance
dûe à leur zèle & à leurs travaux.
L'Académie ſe propoſe , conformément aux intentions
de SA MAJESTÉ , de publier , le plus tôt
qu'elle le pourra , la Collection de ces Mémoires ,
en obfervant cependant de retrancher ce qui pourroit
ſe trouver de commun entre-cux , & de ne
donner que par extrait ceux qui contiendroient des
détails trop étendus & des faits déjà connus; elle
y joindra la fuite d'expériences dont elle s'occupe
depuis plus de fix ans , & elle s'attachera fur-tout
à fuppléer à ce qui eſt échappé aux Concurrens ,
comme l'analyſe du gaze putride qui peut encore
jeter de grandes lumières ſur la nature & la formation
de l'acide nitreux ; enfin , elle terminera ce
Recueil par des vûes générales ſur la formation du
Salpêtre , & fur la conduite des nitrières .
( Cet Article est de M. Garat. )
52
234 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Samedi , Novembre , M. de Saint-
Prix a débuté ſur le Théâtre de la Nation ,
par le rôle de Tancrède , dans la Tragédie
de M. de Voltaire , qui porte ce nom. Il a
depuis joué Achille , Montalban , Vendôme ,
Warwick , &c.
On a imprimé que M. de Saint-Prix n'avoitjamais
joué en Province, & que le matin
du jour de ſon début , il ne s'attendoit pas
àparoître lefoir. Il eſt poſſible , ( & il faut
bien le croire ) que des circonstances ayene
engagé MM. les Comédiens François a pré
ſenter au Public ce jeune Débutant avant
de l'avoir annoncé , & qu'ils ne l'aient pas
inſtruit de leurs intentions. Les Amateurs du
Spectacle ſe ſont expliqués ſi diverſement
fur cet objet , qu'il feroit difficile d'aſſeoir
un jugement quelconque ſur les cauſes de ce
Début inopiné. Il en eft qu'on a oſé articuler
tout hautdans les foyers; elles ſonthonteufes,
&nous n'y avons pointajouté foi: mais nous
devons dire qu'on étoit mal inſtruit quand on
a dit que M. de Saint- Prix n'avoit jamais
joué en Province. Rouen , S. Germain ,
Caen, ont été les témoins de ſes eſſais publics
; & l'Auteur de cet Article a ſuivi très
DE FRANCE.
235
aſſidûment ce jeune Adepte dans une des
villes qu'on vient de nommer. Avant que
M. de Saint Prix ſe proposât ouvertement
de ſuivre la carrière du Théâtre, comme Comédien
de profeſſion , il jouoit ici les grands
rôles Tragiques ſur des Théâtres très- fréquentés.
Il nous y a fait voir ce qu'il a montré
depuis fur la Scène Françoiſe; de l'amour
pour fon talent , du zèle , une eſpèce d'enthouſiaſme
foible & froid ; une intelligence
triſte & méthodique ; une décence affez rare
pour être remarquée , ſurtout à préſent ,
mais non pas faite pour tenir lieu de la nobleſſe
relative au grand genre. Ces moyens ,
que les Spectateurs Bourgeois avoient appréciés
à leur juſte valeur, ont été exagérés
par les habitans du Parquet , * & ont fait
dire publiquement que le Débutant étoit
ſupérieur à M. de la Rive. En 1776 , on
a placé ce Comédien au - deſſus de l'immortel
le Kain; en 1782 , on lui préfère
un Écolier. Voilà le Public François . Arrê
tons-nous fur ces details , & venons à l'examen
des moyens de M. de Saint Prix. Sa
* Le Parquet eſt à l'ancien Parterre , ce que
Je Peuple Romain , eſclave des Céſars , étoit aux
Citoyens de Rome combattans ſous Paul Émile ,
pro aris & focis. Sévère ou indulgent fans ſavoir
pourquoi , il approuve ou condamne avec une légèretédont
lui ſeul peut offrir l'exemple. Il lui faudroit
un Cenſeur , dont la fonction fût de lui répéter
fans ceſſe ces mots d'Ovide : Inter utrumque tene.
236 MERCURE
/
figure eſt agréable , ſa taille avantageuſe , ſa
voix douce , ſonore & le plus ſouvent facile.
Il eſt des momens où ſon organe ſe
prête à des modulations intéreſfantes , &
donne à l'expreſſion des ſentimens doux , les
accens qu'elle ſemble exiger ; mais ce même
organe manque d'autorité , de force &
d'énergie. Ces dernières qualités ſont précieufes
, néceffaires , indiſpenſables: elles ne s'ac
quièrent point , ou bien elles ne s'acquièrent
que très difficilement; & fans elles on ne fair
roit atteindre le véritablebut de la Tragédie.
La phyſionomie , ce tableau fugitif, mobile
&varié des paffions , de leurs nuances &de
leurs effets , manque encore à M. de Saint-
Prix. Son maſque n'offre guères que deux
aſpects : ou une immobilité triſtement aimable
, ou une expreffion contrainte & grimacière.
C'eſt avec ces couleurs que nous
l'avons vû s'efforcer de peindre la douleur
, la colère , la rage , la terreur , le délire
qui réſulte du choc des paffions furieuſes;
en un mot , toutes les ſituations violentes ,
tous les grands mouvemens de l'âme. Nous
nous tairons ſur ce qu'il y a d'affectation
dans ſon maintien , de gêne dans ſa démarche,
& de monotonie dans ſa geſticulation.
Ces défauts ſe corrigent par l'uſage , le travail
& l'étude des modèles. Il n'en ſera pas
de même du débit. Celui de M. de Saint-Prix
eft tantôt d'une ſimplicité qui mériteroit
un autre nom , & tantôt déclamatoire ; il
fatigue ſouvent par des tranfitions bruſques ,
DE FRANCE.
237
:
par des diſparates , des incohérences auxquelles
il feroit difficile d'accorder une intention.
Nous conviendrons volontiers que
l'art des tranſitions eſt un des plus difficiles
à ſaiſir ; mais , quoi qu'en ait dit Deſpréaux ,
il eft, nous le croyons , un degré du médiocre
aupire. La ſituation actuelle de la Tragédie ,
les pertes qu'elle a faites , celles dont elle eſt
menacée , la décadence viſible , tout nous
invite à examiner , avec la ſévérité la plus
ſerupuleuſe , les talens qui ſe préſentent dans
cette carrière. La Capitale retentit des éloges
immodérés qu'on y donne à M. de St- Prix :
nous voudrions qu'elle ne le traitât pas , inceffamment
peut-être , avec autant de cruauté
qu'elle lui accorde aujourd'hui d'indulgence.
Voilà le motif de cet article , ſur lequel nous
l'engageons à réfléchir , lui , & ceux qui
guident dans l'arène dramatique ſes pas en-
_core incertains & mal aſſurés.
Le Mercredi 13 du même mois , on a
donné , pour la première fois, les Rivaux
Amis, Comédie en un Acte & en vers , par
M. Forgeat.
Deux jeunes gens aiment une femme
charmante , à laquelle ils n'ont point avoué
leur tendreſſe. L'un eſt un fat ; l'autre eſt
modefte , timide & fenfible. On convient
des deux côtés de faire une déclaration au
nom de fon ami, & de s'en rapporter , pour
céder la place , au choix que fera l'amante.
238 MERCURE
Une lettre écrite à chacun d'eux leur in
dique un rendez-vous , & ce rendez - vous
eft fixé à la même heure. Les deux amans
attendent aux pieds de leur maîtreſſe la
déclaration qui prononcera entre eux; elle
eſt pour l'homme modefte , & fon ami ſoufcrit
gaiement à ſon bonheur.
On a cru remarquer dans ce petit Ouvrage
quelque reſſemblance avec le Rival
favorable de Boiffy , & avec les fauſſes Infidélités
de M. Barthe. L'Ouvrage eſt imprimé.
Nous en rendrons un compte détaillé auffitôt
que nous aurons parlé de Tibère & de
Tom Jones à Londres , qui ſont auſſi imprimés.
En attendant , nous pouvons dire
que cette petite Pièce préſente des ſituations
agréables , des idées aimables & fraîches ,
de la vérité dans le dialogue , & un excellent
ton dans les détails.
Nous parlerons dans le prochain Mercurede
l'Indigent, Drame en quatre Actes
&en proſe , par M. Mercier , repréſenté à la
Comédie Italienne le 22 Novembre.
GRAVURES.
Le tendre Defir , peint par J. B. Greuze , &
gravé par C..... A Paris , chez Maſſard , Graveur ,
rue& Porte S. Jacques. Prix , 3 liv.
Le Réve, inventé par Gabriel de Saint-Aubin ,
gravé par N. de Ranſonnette , Graveur ordinaire
de MONSIEUR. A Paris , chez l'Auteur , rue de
Bièvre, la petite maiſon neuve à côté du Chirúr
DE FRANCE.
239
gien, Prix, I liv. 10 ſols. Cette Eftampe repréſente
M. de Voltaire éclairé par le Génie de la Poéfie ,
&confidérant les Médaillons de Charles VII , Agnès
Sorel , Jeanne d'Arc , Dunois , &c. que préſente
l'Amour. Le Génie de la Satyre lui tient le cornet ,
& ſous les pieds de l'Auteur eſt le Poëme de la Pucelle,
par Chapelain .
Carte du Théâtre de la Guerre dans l'Inde ,
fur la côte de Coromandel , avec vingt Plans particuliers
des principales, Villes & Ports de cette
partie, tels que Pondichery , Madras , Négapatan ,
Tranquebar , Calicut , Bombay , Trinquemaley ,
Mafulipatan , Arcate , &c. &c.; par M. Bourcet.
A Paris , chez Dezauche , ſucceſſeur des ſieurs
Delifle & Philippe Buache , premiers Géographes du
Rei , & chargé de l'Entrepôt général des Cartes de
la Marine de Sa Majesté , rue des Nøyers. Prix, 2 liv.
ANNONCES LITTÉRAIRES
LE
E ſieur Deſnos , Ingénieur-Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques
, au Globe , annonce une nouvelle Édition de
Sa grande Carte générale de la France enfix feuilles,
augmentée des nouvelles Routes du Royaume & des
Paysquiysont contigus. Cette Carte eſt ſoigneuſement
gravée. Prix, collée ſur toile & pliée dans un
étui , 12 livres , & en feuilles , 4 liv.
Le même Géographe vient de faire auſſi des
Additions conſidérables ſur ſa Carte des Environs
de Paris en quatre feuilles , laquelle s'étend à
vingt& trente lieues de la Capitale. Prix , collée
furtoile & enluminée, 10 liv. 4 f. en feuilles,4 liv.
,
OEuvres complettes de Meſſire Esprit Fléchier ,
Evêque de Niſmes , & l'un des Quarante de l'Académie
Françoise,revues ſur les Manufcrits de l'Au
240 MERCURE.
teur , augmentées de pluſieurs Pièces qui n'ont jamais
été imprimées, & accompagnées de Préfaces ,
d'Obſervations & de Notes ſur tous les endroits qui
ont paru en avoir beſoin 10 Vol. in- 8°. Prix ,
30 liv. en feuilles , & 40 liv. reliés très - proprement
en veau. A Niſmes , chez Pierre Beaume , Impri
meur- Libraire ; & à Paris , chez Guillaume Deſprez,
Imprimeur ordinaire du Roi & du Clergé de France,
rue S. Jacques ; Eſprit , Libraire , au Palais -Royal.
On a cru rendre ſervice au Public en raffemblant
toutes les différentes productions ſorties de la plume
de ce grand Évêque , & capables de juſtifier lahaute
réputation qu'il s'eſt acquiſe par ſon éloquence , ſes
talens littéraires , & la pratique la plus exacte des
vertus épiſcopales. On trouvera dans ce Recueil pluſieurs
Pièces qui n'avoient pas encore paru , & qui
ſerviront à faire connoître de plus en plus le mérite
& les qualités perſonnelles d'un Prélat qui a tenu
avec juſtice un des premieerrss rangs parmi lesHommes
illuftres du beau ſiècle de Louis XIV.
TABLE.
LETTRE àM. Gefner , 193 ) Tragédie , 198
Couplets à Mde la Princeffe De la Nature & de l'Homme ,
deR., 195 212
Vers pour le Portrait de Mde Académie des Sciences , 216
D*. L*. 197 Comédie Françoise ,
Enigme& Logogryphe , ibid. Gravures ,
Zarine, Reine des Scythes , Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
234
238
239
J'AI lu , par ordrede Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France, pour le Samedi 30 Novembre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris,
le 29 Novembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 16 Octobre.
On ſe rappelle que M. Behn , Comman
dant à Kamſchatka , y reçut avec tous les
égards poſſibles les célèbres Capitaines
Cook & Clarke , lorſqu'ils relâchèrent
deux fois ſucceſſivement en 1779 , dans
un des ports de cette preſqu'ifle . L'Amirauté
de la G. B. a voulu témoigner ſa reconnoiſſance
à M. Behn , & elle vient de
lui adreffer une aiguière d'argent avec ſon
baffin peſant 60 livres Angloiſes. Elle eſt
ornée d'une inſcription qui fait mention
dumotifde ce témoignage de reconnoiſſance.
Ce préſent est arrivé ici d'où il va être
expédié pour le Kamſchatka .
2 On s'occupe actuellement à faire dans
tous les différens Diſtricts de cet Empire
un dénombrement du peuple. Les Provinces
de l'Europe ont envoyé déja leurs liſtes ;
30 Novembre 1982. i
( 194 )
on attend celles des Provinces d'Afie qui
fans doute ne tarderont pas ; on en attend
le réſultat pour prendre une idée préciſe
de notre population ; on eſt très-perfuadé
qu'elle a fort augmenté depuis vingt ans.
On vient de publier le troiſième volume
de l'intéreſſant Recueil de M. Pallas ; il
contient entre autres pièces une relation
des Indiens établis à Aſtracan depuis le
commencement de ce ſiècle ; nous en extrairons
les détails ſuivans .
Ces Indiens font natifs de la Province de
Muttan , attenante à la Perſe ; ils s'occupent du
commerce , & principalement de celui des pierres
précieuſes. Ils demeurent enſemble dans un vake
pavillon ou caravantera , qui eſt entouré d'un mur.
Ils n'ont point de femmes de leur nation avec
cux; mais ils en louent des Tartares pour leur
ſervice. Ils font venir de tems à autres des jeunes
gens de leur pays pour les inſtruire dans le commerce.
Ils ont beaucoup de douceur dans le caractère
; ils ſont ſociables , proopprreess & modeftes dans
leurs vêtemens. Leur ſenſibilité eſt extrême ; ils
achètent ſouvent des oiſeaux , uniquement pour
leur donner la liberté. Quoiqu'ils n'aiment pas
recevoir des étrangers dans leur caravanſera ,
M. Pallas y fut cependant introduit , & il y aſſiſta
à leur dévotion du foir . On commença par ſonner
& par faire des offrandes de bezoards & de fruits
à l'idole , qui eſt de bronze. On chanta enſuite ,
on goûta de l'eau luſtrale avec une cuiller , & on
diftribua des concombres qu'on avoit retirés de
l'autel . Les Indiens ſont auſſi dans l'uſage de brûler
leurs morts en plein champ. Les reſtes des offemens
ſont recueillis par les Brames qui en portent
une partie aux parens du mort , & jettent l'autre
partie dans l'eau «,
( 195 )
Ce même volume contient auſſi des détails
ſur la Géorgie par M. Reillegg qui a
voyagé dans l'Orient pendant neuf années .
On compte , dit-il , à Teflis , réſidence du
Prince Héraclius , 4000 maiſons , 20,000 habitans.
Les montagnes voiſines renferment dans leur ſein
beaucoup de mines & fur- tout de cuivre. Le commerce
des eſclaves de Géorgie eſt défendu , & les
Tures ſe ſont engagés , par une convention , à ne
point en acheter ; mais l'avarice des perſonnes puifſantes
, élude ſouvent cette loi. La population de
la Géorgie peut être portée à 61,000 familles . La
Douane eft affermée pour une ſomme annuelle de
25,000 roubles. Les mines d'argent à Audale ,
qui font très-mal exploitées , ont cependant pro.
duit , en 1780 , une ſomme de 60,000 roubles .
Le total des revenus du pays peut être évalué à
713,200 roubles «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 2 Novembre.
On apprend d'Helſingor , que le vaiſſeau
Hollandois le Zierickzée de 64 canons , qui
faifoit partie de l'eſcadre de la même nation
, que la tempête a diſperſée , après être
entré dans ce port avec une voie d'eau ,
s'eſt hâté de la réparer , & a remis à la
voile le 30 du mois dernier. Aujourd'hui
il ſe débite qu'il a coulé bas , & quelques
Capitaines Anglois rapportent que des
vaiſſeaux de guerre Hollandois ont pris 2
bâtimens de leur nation près de Koll ; on
ne doute point que ces vaiſſeaux ne foient
i2
( 196 )
du nombre de ceux qui étoient ſous les
ordres de l'Amiral Vankinsbergen .
Les lettres de Bergen en Norwège , portent
que la nuit du 13 au 14 du mois dernier
, on y a reſſenti un léger tremblement
de terre qui heureuſement a cauſé plus de
craintes que de dommages.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 2 Novembre.
L'AFFAIRE de la ratification des limites
entre la Pologne & la Petite- Servie , a été
terminée par la Diète , ainſi que celle des
limites entre quelques places de la Grande-
Pologne & les Etats du Roi de Pruſſe ;
on ſe flatte que l'arrangement du même
objet du côté de la Cour de Vienne ne
fouffrira pas non plus de difficultés.
Quant à l'affaire de l'Evêque de Cracovie
, elle est également finie ; la Diète a
approuvé, à la pluralité des voix , le procédé
du Roi & du Conſeil Permanent à l'égard
de cet Evêque. Le tems ſe paſſe à raiſonner ;
c'eſt la ſemaine prochaine que les Nonces
doivent ſe réunir de nouveau avec le Sénat
pour faire la clôture de la Diète d'une manière
conſtitutionnelle; il ſe pourroit qu'on
ne terminât que les affaires qui intéreffent
indiſpenſablement le bien public ; en conſéquence
la plupart des projets propoſés
feront entièrement rejettés ou remis à une
autre Diète.
( 197 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 7 Novembre.
L'INDISPOSITION qu'a cue l'Empereur
fon retour de Brunn en Moravie , l'a contraint
de garder le lit pendant quelques
jours. Maintenant il eſt parfaitement rétabli
; il vient d'accorder à la Princeſſe
Elifabeth de Wurtemberg une penſion
annuelle de 18,000 florins. Cette Prin
ceſſe voulant témoigner à la Comteſſe de
Borck ſa reconnoiſſance des ſoins qu'elle
a pris pour ſon éducation , a prié S. M. I.
de lui permettre de faire fur cette ſomme
une penſion à la Comteffe. L'Empereur
lui a répondu qu'il ſe chargeoit de ſa reconnoiſſance
, & il a envoyé à cette dame
le brevet d'une penſion de 200 florins , &
une paire de bracelets ornés de ſon por
trait entouré de brillans.
On dit qu'il paroîtra bientôt une nouvelle
Ordonnance contre le luxe. Il ne ſera
plus permis qu'aux perſonnes de la nobleſſe
de porter des bijoux , des étoffes d'or ,
d'argent & de foie. Toutes les claſſes de
citoyens ne porteront que des vêtemens
fimples & fans ornemens.
L'Empereur a nommé au département
des affaires intérieures trois Conſeillers d'Etat
, qui font MM. de Zenker , Ormeny
&Martini.
، i3
( 198 )
FRANCFORT , le 10 Novembre.
On ne fait encore rien de pofitif fur les
négociations entrepriſes par les Ruffes &
les Turcs au ſujet de la Crimée. Les bruits
de guerre ne paroiſſent fondés que ſur les
préparatifs qui ſe font de part & d'autre ;
& c'eſt ſur ce texte que nos papiers s'attachent
à broder une multitude de détails
qui ne paroiffent pas vraiſemblables .
-
>>Selon eux , le bruit s'eſt répandu que le Kan
fugitif , Sahim Gueray , avoit , avant les troubles ,
abjuré en ſecret la Religion Muſulmane , & embraffé
le Rit Grec , & que le mécontentement de
ſes ſujets n'avoit pas un moindre motif. Les
mêmes papiers répandent auſſi les détails ſuivans ,
qui peuvent être regardés comme le pendant de
ceux que l'on vient de tranfcrire. -Les dernières
lettres de Conſtantinople portent que le Grand Seigaeur
, pour raffurer la populace déſeſpérée du
dernier incendie , fait d'immenfes libéralités , &
porter de bois de charpente à ceux qui en ont
beſoin . Une multitude de ſes ſujets paſſe ſur le
territoire de Ruffie. On prétend qu'il veut faire
élever à l'Européenne ſon héritier préſomptif , le
Prince Mehemed-Bey ſon fils , ainſi que ſes frères ;
& on ne manque pas d'ajouter qu'il va leur donner
un Inſtituteur François «.
On lit dans la feuille Hebdomadaire du
Docteur Bufching l'article ſuivant fur la
Pologne.
ככ L'induſtrie fait des progrès en Pologre. Dans
les endroits où l'on ne cultivoit que dubled , on
commence auffi à cultiver d'autres productions utiles
comme du chanvre , du lin , &c. Les feuilles
de tabac , la cire , la laine , les peaux , & d'au
( 199 )
tres productions du Pays qu'en avoit acoutumé
d'exporter ſans étre travaillées , font actuellement
préparées dans les Manufactures du Royaume . Les
Mines de fer à Konsk , font d'un bon produit &
la qualité du fer eft excellente. Les mines d'Olkuſch
ſont très-bien établies. En général on s'occupe
de plus en plus à tirer le meilleur parti
poffible des Mines du Royaume. Le nombre des
Manufactures de draps & de toiles augmente , &
depuis l'introduction de la tolérance de diverſes
religions , on voit auſſi augmenter la population.
L'établiſſement d'éducation pour la jeune Nobleſſe ,
que le Roi a fait à Warſovie , eſt une excellente
inſtitution ; les heureux effers de cet établiſſement
ſe feront ſentir par la ſuite. L'eſciavage des payſans
diminue ; la Nobleſſe commençant à ſe perfuader
qu'un payſan libre lui procure plus de revenus ,
qu'un payſan ſerf. Les commerçans & les artiſans
des religions admiſes dans le Royaume ſont protégés
, & vaquent à leurs affaires ſans être inquiétés.
Il y a actuellement à Warſovie des artiſans qui
travaillent auſſi bien que ceux de France & d'Angleterre.
Les Diètines & les Diètes ſe perfectionnent
viſiblement ; on peut les regarder ainſi que le Conſeil
Permanent comme des Académies d'Etat pour la
jeune Nobleſſe. En général rien n'eſt négligé pour
avancer le bien-être du Royaume. Le Seigneur Polonois
, n'a plus le droit de vie & de mort ſur
ſes payſans ; il ne peut pas non plus s'emparer à
volonté du bien d'autrui ; mais il eſt obligé de
recourir au département de la guerre , s'il ya
droit. Les grands chemins ſont sûrs actuellement ,
de forte qu'on voyage aujourd'hui auffi sûrement
en Pologne , que dans toute autre Etat bien ordonné.
On doit cet avantage à la répartition des
troupes dans la grande & la petite Pologne , dans
la Maſovie & la Podolie , & dans la Lithuanie .
Dans chacun de ces districts commandent un Lieu-
14
( 200 )
&
tenant-Général , & deux Majors-Généraux. Tous les
14 jours on envoie des détachemens dans certains
cantonnss ,, qui font leur rapport auxGénéraux,
ceux - ci font tenus d'envoyer tous les mois leur
rapport au département de la guerre. Les troupes
font auſli chargées du ſoin de la réparation des
ponts & chauffées , & de celui de veiller à ce que
les hôtelleries ſoient ſuffiamment pourvues de
provifions .- Le Roi actuel fait rédiger par une
ſociété de gens de lettres , l'hiſtoire pragmatique
du royaume de Pologne «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 14 Novembre.
د
L'ESCADRE combinée rentra ici le 28 du
mois dernier après avoir inutilement
cherché l'eſcadre Angloiſe , le lendemain
& le jour ſuivant de la canonnade qui eut
lieu le 20. Les vaiſſeaux n'ont preſque point
fouffert ; celui qui a combattu de plus
près , & le plus long-tems , & qui par
conféquent a été le plus maltraité , eſt le
Majestueux , vaiſſeau François commandé
par M. le Vicomte de Rochechouart. L'Amiral
Howe étant maître d'engager ou de
refuſer le combat , a fait mine de nous tenir
tête lorſqu'il s'eſt vu ſupérieur , mais le
combat devenant ſérieux & craignant d'avoir
route l'armée ſur les bras , il s'eft retiré
prudemment.
Ce n'étoit pas un des tranſports ennemis qui
ſauta l'autre jour au mouillage , écrit- on d'Algéſiras ,
comme ont l'avoit cru dans le camp ; c'étoit un
de nos brûlots . Il avoit ſuivi l'armée combinée ,
( 201 )
& ayant été ſéparé d'elle , il revenoit le 16 ici
lorſqu'il fut rencontré par une frégate de Howe.
L'Officier qui le commandoit fit patſer ſon équipage
ſur deux felouques qui étoient à ſa portée ,
après avoir eu la précaution de placer une mèche
pour brûler le bâtiment qu'il abandonnoit. Les felouques
s'éloignèrent , la frégate Angloiſe s'empara
du brûlot , & le conduiſit a Gibraltar. La mèche
fit ſon effet 6 heures après , ce fut à une heure
après minuit que le brûlot ſauta. Il dut cauſer un
ravage effroyable , étant très-près des tranſports
qu'on s'occupoit à décharger «.
Les ordres qui règlent le cantonnement
des troupes ſont arrivés.
» Il ne reſtera dans le camp de St- Roch que
13,549 hommes d'infanterie & 960 hommes de
cavalerie. L'infanterie ſera compoſée des bataillons
des Gardes-Eſpagnoles & Waltones , des grenadiers
Provinciaux , des grenadiers détachés , des dragons
montés , du premier régiment de Catalogne , des
volontaires d'Aragon , de ceur de Crillon & du
corps ordinaire de l'artillerie ; la cavalerie des
eſca drons de Farnèſe, Alcantara , Bourbon , Algarve,
Pavie & Lufitanie. Les troupes qui vont être cantonnées
dans les environs , dont la plupart font
déja au lieu de leur destination , font les troupes
Françoiſes , les régimens de Burgos , Murcie
Naples , Betchart , Suiffe , les grenadiers démontés
les bataillons de Savoie , Ultonie , Princeſſe de Mi--
lan, les volontaires d'Eſpagne & de Calatrava
&les eſcadrons du Roi, Prince,Bourbon , Saint-
Jacques & Monteza ".
On écrit du Camp- deSt-Roch les détails
ſuivans.
>> Les troupes partent ſucceſſivement du camp.
Ontire fort peu des lignes ; le plus grand feu eft
du côté de la mer , où nos chaloupes canonnieres
is
( 202 )
vont échanger de tems en tems quelques boulets.
M. le Duc de Crillon a pris à Saint- Roch l'apparrement
que Mgr le Comte d'Artois y occupoit ;
on dit qu'il demande ſon rappel. On eſt auſſi
perfuadé qu'on retirera bientôt le canon des ouvrages
avariés , pour le placer dans les anciennes
lignes. En ce cas , on fera bien de brûler les
nouveaux ouvrages pour épargner à Elliot la peine
d'y mettre le feu pendant une des nuits de cet
hiver . :
On lit dans la Gazette de Madrid du 12
de ce mois , que les At glois ont tiré des
bouletsinflammables ſur l'eſcadre combinée.
Le Rédacteur de cet article fait obſerver
combien cette Nation , qui ſe pique de générofiré
, en manque dans les occafions les plus
eſſentielles , puiſque avec des forces au moins
égales , elle s'eſt ſervie d'armes prohibées ,
par une convention tacite de toutes les Nations
policées. Du reſte , ces boulets n'ont
mis le feu qu'à quelques voiles & au gréement.
Ceux qu'on a ramaffés font un globe
creux , n'ayant qu'une ouverture comme les
grenades ordinaires , & remplis de matières
inflammables. 4
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 19 Novembre.
LES inquiétades qu'on avoit conçues au
fujer du Buffalo ſont diſſipées. Ce vaiſſeau
chargé des premières dépêches de l'Amiral
Howe eſt arrivé ; mais il n'a pu nous apprendre
que ce que nous ſavions déja par
( 203 )
le triplicata des lettres de l'Amiral. La
Gazette de la Cour nous a donné quelques
extraits des lettres du Général Elliot ,
qui ne contiennent point de détails poſtérieurs
à ce que nous avoient appris celles
du Capitaine Curtis. Le Capitaine Wallotton
, Aide- de- Camp de ce Général , étoit
porteur de ces dépêches publiques , & étoit
annoncé au Ministère comme un homme
en état de donner tous les éclairciſſemens
qu'on pourroit défirer. Ce ſont ces éclairciſſemens
qui piqueroient la curiofité du
Public , qui voudroit être inftruit au vrai
de l'état de la Place avant qu'elle fut ravitaillée
, & qu'il eſt évident que nous aurions
perdue ſans cet heureux évènement.
Le Général ſe contente de donner un état
des morts & des bleffés depuis le , Août
juſqu'au 14 Octobre ; les premiers montent
à 65 , & les ſeconds à 400 dont 2 Majors
, 2 Capitaines , 2 Capitaines-Lieutenans
, dont un eſt mort de ſes bleſſures
6 Lieutenans dont un eſt également mort ,
& 10 Sergens,
La Cour a auffi publié dans la Gazette
la relation d'une nouvelle lettre de l'Amiral
Howe , à bord du Victory , le 14 Novembre
, à la hauteur de Ste Hélène .
>> En adition au contenu de ma lettre du 24 , dit
le Lord Howe , j'ai à vous informer qu'auſlitôt que
les mats des vaiſſeaux endommagés par le feude l'ennemi
eurent été convenablement affſurés , on faifit
la première occaſion (dans une briſe légère du Nordeft
qui fuccéda au calme qui étoit ſurvenu ) de s'é
16
( 204 )
Iever dans la partie du Nord le 22 dans la nuit , faiſant
toutes les voiles poſſibles , & ayant tout le ſoin
convenable de tenir la flotte duement raſſemblée
pour recevoir encore l'ennemi . Le vent continuant
au même point juſqu'au 25 , & plus à l Eſt , pendant
les trois jours ſuivans , nous forcions de voiles comme
ci - devant ; mais comme l'ennemi qui avoit perſiſté
à éviter de renouveller l'action du 21 , ne pouvoit
pas , ( le vent continuant depuis au même point)
y être forcé , excepté en mancoeuvrant ſur la côte de
Barbarie par un tems incertain , ce qui n'étoit pas
praticable à raiſon de l'état où étoient les vaiſſeaux à
bien des égards , le 28 je mis la flotte en panne , pour
préparer les détachemens mentionnés dans mes inftructions
à cette période «.
On voit que Sir Howe veut abſolument
nous perfuader que l'armée ennemie ſi ſupérieure
à la fienne , a toujours évité le combat;
& cela n'eft guère vraiſemblable , puifqu'on
fait qu'elle a marché toujours ſur
ſes pas ; qu'elle n'a pas héſitéà l'attaquer avec
des forces inférieures ; qu'il paroît démontré
par la conduite même de notre Amiral ,
qu'il ne s'eſt préſenté au combat que parce
qu'il voyoit ſa ſupériorité ; que la nuit
étant venue & ſe voyant mal mené par
un ennemi inférieur , craignant ſur- tout
que le lendemain il n'eût repris ſa ſupériorité
par la jonction de ceux de ſes vaiſſeaux
reſtés en arrière , il ſe hâta de s'éloigner.
Une preuve qu'il a été affez maltraité , c'eſt
qu'il n'a pu achever que le 22 , non de
ſéparer , mais d'aſſurer ſes mâts. Quoiqu'il
en ſoit de tous ces détails , il a réuſſi dans
fon expédition , & c'étoit l'effentiel ; il eſt
de retour ſain & fauf.
( 205 )
2
C'eſt le 14 au foir , écrit-on de Portſmouth ,
qu'il eſt arrivé à Ste-Hélène avec 16 vaiſſeaux , dont
de 100 canons , 2 de 98 , 2 de 90 , un de 84 , un
de 80 & 8 de 74. Il a laiflé à Plymouth en paflant
devant ce port l'Egmont de 74 , le Bienfaisant de
64 & le Buffalo de 60. Dès le 28 du mois dernier ,
il avoit tiré des différens vaiſſeaux de la flotte , la
quantité néceſſaire de proviſions pour ſuffire à la
traverſée de la diviſion de 8 qu'il a détachés aux
Indes Occidentales. Cette diviſion eſt ſous les ordres
de l'Amiral Hughes , & compoſée des vaiſſeaux fuivans
: l'Union de 90 , la Princeſſe Amélie de 84 ;
le Berwick , la Bellone , le Suffolck de 74 ; le Rai-
Sonnable , le Ruby , le Polyphême de 64. Il a envoyé
àCork , aux ordres de l'Amiral Milbank , l'Océande
१०,le Foudroyant de 80 , la Fortitude ,le Dublin
de 74; l'Afie de 64 , le Panther de 60 ; & il a laiffé
en croiſière 3 vaiſſeaux de 64 ..
On ſuppoſe ici que la diviſion de l'Amiral
Milbank pourra prendre ſous ſon efcorte
le convoi conſidérable deſtiné d'Irlande
pour les Indes occidentales. Ces ſix vaiſſeaux
qui ſeront plutôt prêts que tous les autres
qu'on pourroit choiſir , joints auxhuit partis
avec l'Amiral Hughes , feroient un renfort
de 14 , & comme nous en comptons déja
28 aux ifles , cela porteroit nos forces à 42 .
>> Ce tableau eſt impoſant, dit un de nos papiers
; on ne manque pas de calculer que nos ennemis
, pour égaler ce nombre , ſont obligés d'en
expédier 16; ils peuvent en envoyer 20 , pour s'affurer
quelque ſupériorité; mais il faut que ces vaifſeaux
arrivent, & leur jonction , avec ceux qui y
ſont déja , devient peut-être difficile. Nous faiſons
très-bien de l'eſpérer ; mais il faut un peu ſe défier
des évènemens de mer , & ils peuvent arriver dans
des lieux où nous ne les attendrons point ; s'ils
( 206 )
parviennent à leur destination , la chance ne ſera
plus à notre avantage. L'important ſeroit de profiter
du moment où les forces de nos ennemis ſont
encore éloignées . On ſe flatte ici que l'Amiral Pigot
a dû quitter New-York pour ſe rendre aux Ifles ,
& comme il emmène des troupes , on eſpère qu'il
tentera quelque choſe contre les poſſeſſions de nos
ennemis. On ne manque pas de ſuppoſer ici que
ſes opérations ſe tourneront vers la Martinique ,
& qu'avec ſa flotte il empêchera le Marquis de
Vaudreuil d'y retourner. Mais il faudra bien d'autres
forces que celles qu'il peut avoir pour tenter
quelque choſe contre cette poffeffion ".
Le paquebot le Sandwich arrivé de New-
Yorck , nous apprend que l'Amiral Pigot
avec ſes 28 vaiſſeaux , devoit mettre à la
voile pour les illes pea de jours après ſon
départ ; dans ce cas l'expédition qu'on lui
ſuppoſoit pour brûler les vaiſſeaux François
qui ſe réparoient dans la Virginie , n'a pas
été entrepriſe. Toutes nos nouvelles de cet
Amiral ſe réduiſent à une liſte des priſes
qui ont été faites ſur mer; il n'oublie pas
celle de la frégate l'Aigle , dont on a déja
eu des détails par la France ; il a envoyé à
la Cour la lettre même du Commodore
Elphinston qui lui fait part de cet évènement.
Nous la tranſcrirons ; elle eſt du 22
Septembre .
>>>Les vaiſſeaux de S. M. le Lion & la Vestale ,
reconnurent dans la ſoirée du II quelques voiles
étrangères ; elles furent chaſſées en conféquence de
mes ordres . Le 12 , on comptas voies , dont 2
au vent , que leur apparence me fit juger ennemies ;
je chaffai an vent. A 7 heures du matin , le floop la
Boneta me joignit , & m'informa que les vaiſſeaux
( 207 )
1
au vent étoient des vaiſſeaux de guerre , & avoient
refuſé de répondre aux fignaux privés qu'il leur
avoit fait la nuit précédente. La chaſſe fut continuée
juſqu'à 9 heures , qu'un troiſième vaiſſeau nous paffa
par le travers dans la partie de l'Eſt , faiſant des
fignaux auxquels j'étois étranger. Je le pris ; c'étoit
la Sophie , deſtinée de Bayonne pour Philadelphie.
J'appris , des priſonniers , que la Sophie s'étoit léparée
de l'Aigle & de la Gloire , frégates Françoiſes
, ayant ſous leur convoi un bricq pour l'Amérique
, & à bord pluſieurs paſſagers de diſtinction
&de groſſes ſommes d'argent. Le Lion & la Vestale
n'étant pas éloignés , je les fis prier de gagner la
Delaware , & de mouiller de manière à empêcher
l'ennemi d'y entrer pendant que je fuivrois . Le 13 ,
à la pointe du jour , l'ennemi fut reconnu à l'ancre
hors du fanal du Cap de Henlope , avec le bricq
le Racoon qu'il avoit pris. Le ſignal de chaffe étant
donné , il leva l'ancre & entra dans la rivière . Le
venttournant alors à l'Eſt , le Warwick & la Vestale
le doublèrent , & lui coupèrent aina le canal qu'il
cherchoit. Il ne reſtoit a l'ennemi que l'alternative
de mettre en panne & d'engager avec une force
ſupérieure , ou de chercher un paſſage à travers les
banes de fable de Shears , où nos vaiſleaux , qui tirent
trop d'eau , n'auroient pu le ſuivre . Il prit ce dernier
parti , remonta le faux canal , où je le ſuivis . Le
riſque étoit grand ; mais l'objet l'étoit plus encore.
Je n'avois point de Pilote ; l'ennemi avoit celui du
Racoon , qui ne put réſiſter à l'offre de soo louis .
A midi , je fus obligé de jetter l'ancre à cauſe des
bas-fonds. Le Lion & la Boneta me joignirent.
•L'ennemi mouilla en même-tems. Nos bateaux eurent
•ordre de fonder . Nous continuâmes ainſi juſqu'au
15 ; à 3 heures de l'après- midi , on leva l'ancre; l'ennemi
en fit autant. A 6 heures , la Boneta fir le ſignal
qu'elle étoit dans un bas-fond ; l'ancre fut jetée
par 4 braſſes & demie; un bateau m'avertit qu'on
( 208 )
ne pouvoit avancer plus avant. Ce qui nous conſola
, c'eſt que nous vîmes échouer le plus gros
vaiſſeau de l'ennemi . J'envoyai le premier Lieutenant
da Warwick à la Vestale & à la Boneta ,
avec ordre de s'élever ſur chaque hanche de l'ennemi
& de l'attaquer. Cet ordre fut exécuté avec
intelligence & célérité. La Vestale échoua fur la
hanche du ſtaibord , la Boneta à 100 toiſes de celle
de babord ; la Sophie , ſe plaça ſous la poupe ;
le Commandant François fut obligé de ſe rendre :
il n'avoit pas un canon qui pût porter ſur aucun
e nos vaiſſeaux. C'eſt ainſi que nous prîmes
l'Aigle , commandé par M. de la Touche. Cet Officier
jouit d'une grande réputation , & , felon mon
jugement, a fait de grands efforts pour ſe tirer des
difficultés dont il étoit environne. Le Baron de
Viomenil , M.de Laval- Montmorenci , le Duc de
Lauzun , le Vicomte de Fleury , & pluſieurs autres
Officiers de diſtinction , ont échappé & gagné la
côte dans des bateaux , qui ont emporté une grande
partie du tréſor , dont 2 petites caiffes & aboîtes ,
font tombées entre nos mains : La Gloire tirant moins
d'eau a remonté la rivière. Tous les équipages auſſitôt
que les vaiſſeaux de S. M. ont été dégagés & en
sûreté , ont été employés à ſauver la priſe , ce qui
a été effectué le 17 avec beaucoup de travail . Le 20 ,
en deſcendant la baie je reconnus 2 bricqs qui
n'avoient pu remonter la rivière , ils débarquoient
leurs chargemens. J'ordonnai à la Vestale d'en retirer
les équipages & de les brûler ce qui fut
exécuté .
On ſe garde bien de dire dans cette relation
que les frégates avoient combattu auparavant
un vaiſſeau de 74 canons ; qu'elles
l'auroient pris , fi le Commodore Elphinſton
n'avoit point paru ; que c'eſt le tems
qu'elles ont perdu à ce combat qui a expoſé
1
( 209 )
l'Aigle au fort qu'elle a ſubi. On croit ici
que ce vaiſſeau eſt l'Hector , dont on n'a
point de nouvelles , non plus que des autres
vaiſſeaux qui eſcortoient la flotte de
la Jamaïque. Au départ du Sandwich de
New Yorck , on n'y avoit point entendu
dire encore qu'aucun de ces vaiſſeaux fût
arrivé à Halifax. Le ſeul eſpoir qui reſte
de leur ſalut , eſt qu'ils ſe ſeront rendus à
Antigues , où quelques papiers prétendent
qu'ils font arrivés ; mais on n'en a reçu aucun
avis dans les Bureaux .
On n'a point encore d'avis de l'évacuation
de Charles Town , & on craint qu'elle
n'ait été effectuée , parce qu'il n'eſt pas vraiſemblable
que les contre-ordres , fil'on en a
en effet expédié , comme on le dit , foient
arrivés à tems. Nous n'avons point d'autres
nouvelles de ces centrées , que celles arri
vées avec le Sandwich , qui a apporté beaucoup
de papiers Américains ; mais la plûpart
ſont les mêmes que l'on a déja reçus
par la France , où elles avoient été portées
par la corvette Américaine le Washington ,
&dont la plus importante eſt la réſolution
du Congrès , relative aux propoſitions
pour une paix ſéparée , qui nous ôre tout
eſpoir à ce ſuj t ( r) .
>> Nous ſavons de bonne part , diſent quelquesuns
de nos papiers , que le Gouverneur Franklin
eſt chargé d'aſſurer aux Loyalistes Américains , dont
on prétend qu'un grand nombre ſe rend actuellement
(1) Voyez le Journal du 16 Novembre , page 114.
( 210 )
à New Yorck , qu'ils feront puiſſamment foutenus ;
& que le Gouvernement a en conféquence donné
ordre de tenir prêts pour leur uſage & celui des
forces Britanniques dans cette partie du monde ,
75,000 affortimens d'armes .- Le nombre des troupes
que le Général Faucitt a ordre de lever en
Allemagne pour le ſervice de la Grande-Bretagne ,
& qu'on dit deſtinés à paſſer au-delà des mers ,
eſt ſelon les uns de 6000 , & felon les autres du
double «.
Le Conſeil de guerre , au ſujet de la reddition
de l'ifle de Minorque , eſt aſſemblé.
Le Général Murray a bien fait déclarer
dans pluſieurs papiers , que c'étoit lui qui
l'avoit follicité ; cependant l'ordre du Roi
au Conſeil de guerre , en date du 16 du
mois dernier ne fait mention que de
L'accuſateur , qui eft le Lieutenant- Général
Sir William Drapper. Les motifs allégués au
Roi , & rapportées dans ſon ordre , font :
د
Que le Lieutenant-Gopal James Murray , &c.
étoit antérieurement au Ernier fiége , ainſi que
depuis , ayant eu des avis certains des préparatifs
faits par l'ennemi à cet égard , & encore pendant
ledit fiége , & après icelui , coupable de mauvaiſe
conduite notoire dans l'exercice de ſon commandement
, ainſi que de négligence criminelle dans les
diverſes circonstances détaillées dans un papier
annexé à notre procuration Royale , & de plus que
ledit Lieutenant-Général étoit coupable d'une profuſion&
mauvaiſe application de l'argent public &
des munitions , & auſſi de rapacité & d'exaction
pendant ſon commandement , ayant commis injuftement
divers actes d'oppreſſion & de cruauté dont
les exemples particuliers ſont juſtifiés ſous divers
chefs , dans le papier annexé à la préſente , &c. «
( 211 )
Les accuſations produites par Sir William
Drapper ſont au nombre de 100.
Elles regardent la conduite du Général avant
le débarquement de l'ennemi ; les diſpoſitions
faites & les meſures priſes pour défendre
l'ifle . L'accuſateur convient que depuis
ce débarquement la conduite du Général
eſt ſavante , excellente , que ſa défenſe
a été d'après les meilleurs principes ,
qu'il a fait preuve de vigilance , de favoir
& de bravoure pendant tout le ſiége ; il n'y
a qu'un ſeul moment où il le blâme , après
le débarquement , c'eſt de l'avoir traité , lui
Commandant en ſecond , avec incivilité. Il
pare ît que ſi le Général eût été plus poli , jamisDrapper
n'eût été ſon accuſateur. Parmi
les griefs allégués , il y en a de très-graves ,
ungrand nombre qui le font moins ; juſqu'à
préſent le Général s'eſt juſtifié ſur quelquesuns;
fur pluſieurs autres , il reſte de l'incertitude;
nous attendrons que les ſéances
foient plus avancées pour en donner les réfultats.
Quoique cette Capitale , dit un de nos papiers ,
foit depuis long-tems plus infeſtée qu'aucune autre
de voleurs , de brigands & d'eſcrocs de toute eſpèce ,
jamais les défordres , caufés par cette lie du genrehumain
, n'ont éé plus fréquens ni plus cruele que
depuis quelques mois. C'eſt une ſuite raturelle du dérèglement
qui y règne. Malgré les malheurs de la
guerre le lexe le plus voluptueux & l'amour des
plaiſirs les plus ruineux y font montés à l'excès :
ſpectacles , lieux de débauches ouvertement annoncésdans
les papiers publics , tavernes pour les jeux
( 212 )
de hafard de tout genre s'y ſont multipliés à l'infini
& comme la corruption des moeurs eſt le plus sûr
moyen de fonder le pouvoir arbitraire d'un ſeul fur
les ruines de la liberté , en réduisant les Citoyens à
l'indigence & les endormant dans la ſervitude , le
Gouvernement n'avoit point porté juſqu'ici ſes vues
fur cette partie de l'Adminiſtration publique. LeMiniſtre
voyant même avec affez d'indifférence les
Membres du Parlement appellés de leur table de
Pharaon dans les Caffés voiſins de Westminster ,
pour venir vite donner leur fuffrage lorſqu'il en
avoit beſoin ; enfin , le mal toujours croiffant depuis
pluſieurs années , étoit monté à ſon comble , au point
qu'on n'entendoit parler chaque jour que de vols &
de meurtres dans les environs de Londres , par des
gens que le jeu & la débauche avoient ruinés. Le
Gouvernement vient enfin de s'en occuper. M. Townshend,
Secrétaire d'Etat au département des Affaires
intérieures , a adreſſé le 22 Octobre une lettre circulaire
au Préſident des Seſſions de paix pour leComté
deMiddlesex , au Lord Maire de Londres , au grand
Connétable de Westmintter , aux Préfidens des Sef
fions de paix , pour cette Ville & le Comté de Surry,
pour leur preſcrire les meſures les plus propres à
prévenir ces déſordres publics , & les inviter à rendre
compte de tems en tems de l'exécution de ces
ordres «.
Parmi les papiers relatifs à nos Finances ,
il y en a quelques- uns qui méritent d'être
diftingués ; c'eſt à ce titre que nous tranfcrivons
le ſuivant : ce ſont des obſervations
fur l'état préſent des finances & des richeſſes
de la G. B.
ככ Le Ministère de Guillaume III imagina le
premier de négocier l'argent néceſſaire au ſoutien
de l'Etat, & d'hypothéquer le paiement annuel des
intérêts fur des revenus ou impoſitians publiques.
( 213 )
Il en réſulta un fonds , dont les actions pouvoient
être régulièrement négociées , achetées , vendues
ou données en paiement; ce qui ſervit à lier plus
fermement les intérêts de toutes les personnes
aiſées avec ceux du Gouvernement qui exiſtoit
alors en Angleterre. La foule de riches Capitaliftes
qui s'empreſſoient à l'envi de placer leur argent
dans ces fonds , en fit baiſſer les intérêts à 4 pour
cent , tandis que les terres montoient au revenu
de la 29e. année. Quelque tems après les intérêts
retombant à 3 & demi pour cent , il en réſulta
une hauffe pour les terres , dont il fallut payer
le revenn de la 30e. & 31e. année : elles ont même
été achetées en 1768 , au prix du revenu de la
33 , 34 & 35e . année.-La préſente guerre, ſans
contredit non moins onéreuſe que dangereuſe pour
la G. B. , a auſſi produit , à cet égard , un changement
fort remarquable , qui certainement aura
enfin de toute néceſſité une grande influence ſur
les facultés & les reſſources de l'Etat , & qui , ſous
peu d'années , le réduira à l'impoſſibilité de pouvoir
continuer la guerre. Dans la guerre qui
précéda la paix de Verſailles , les intérêts baiffoient
, mais le prix des terres hauſſoit : actuellement
le contraire a lieu. Depuis l'année 1695
juſqu'à celle de 1778 , les intérêts ſont tombés
de 10 à 4 , même 3 & demi pour cent , & les
terres ſont montées du revenu de 12 années à celui
de la 30e. , même de la 33e. Comme la guerre
contre l'Amérique , ſoutenue par la pluralité , achetée
& actuellement obtenue au Parlement , répugnoit
à la Nation, le Ministère n'oſoit augmenter
la taxe fur la drèche & la bière , ni inventer des
impofitions trop onéreuſes à l'artiſan & au cultivateur
; car il falloit éviter toute occaſion de cauſer
des troubles inteſtins; c'eſt la raiſon pourquoi l'on
ſe contenta de mettre une impofition ſur les domeſtiques
mâles & ſur les maiſons, dont la der-
-
( 214 )
nière retomba cependant à la charge du locataire,
& non , comme par le paffé , à celle du propriétaire.
Ces deux impoſitions n'ont pas rendu autant
que l'on diſoit au commencement; ainſi cette opération
a de beaucoup augmenté les dettes de l'Etat ,
puiſque l'on ne peut payer les intérêts à tous ceux
qui avoient avancé à l'Etatde l'argent fur ces taxes :
on fut donc obligé d'offrir à ceux dont l'Etat attendoit
encore des avances , un intérêt plus fort ,
des primes de billets de loterie & d'autres douceurs.
Comme dans cet intervalle les intérêts reftoient
às pour cent , le public ne s'en inquiétant
pas d'abord , commença à en ſentir bientôt le préjudice.
Ceux qui avoient avancé leurs deniers , à
و
pour cent , fur des maiſons , fur des terres ,
des comtés & fur des obligations paflées ſous
main s'apperçurent qu'il y avoit plus à gagner
avec le Gouvernement; ils cherchèrent donc
à raſſembler leurs capitaux déja placés , pour les
avancer à l'Etat. Les propriétaires de bien- fonds , le
fabricant & le négociant tâchent de remplacer ce
vuide , mais comme ils ne peuvent offrir que l'intérêt
ordinaire , ſavoir cinq pour cent , ils ne perfuadent
perſonne ; l'Etat donnant des intérêts beaucoup
plus forts. Il faut donc que le premier vende
ſes terres , ſa maiſon ou ſes marchandises ; & tout
le numéraire paſſant dans les mains du Gouvernement
, perſonne ne ſe ſoucie d'acquérir des maifons
ou des effets , à moins qu'on ne puiſſe les avoir
à beaucoup meilleur marché qu'à l'ordinaire , &
qu'il ſoit probable d'y gagner davantage qu'en
prêtant au Gouvernement. D'où il eſt arrivé qu'en
1779 , des terres ont été vendues au vil prix d'un
revenu de la 23e. année & un quart; & qui plus
eſt , au mois de Décembre dernier une terre conſidérable
a été cédée pour le revenu de 19 ans.
-La façon de parler ordinaire eſt à la vérité :
Oh ! le Ministère n'eſt pas embarraffé; les habi
( 215 )
tans de Londres ont déja ſouſcrit pour les
douze millions qui roulent , & il ſaura toujours trouver
le moyen d'obtenir affez de numéraire pour la
guerre. Je ne révoque pas en doute la vérité de cette
affertion : mais , c'eſt une autre queſtion à faire ,
combien de tems on ſoutiendra la gageure , & fi , à
la fin , la plupart des poffeffeurs des biens-fonds
actuels ne feront pas réduits à un tel état de pauvreté
qu'il ne leur reſtera rien ou du moins peu de
choſe ? car , pour effectuer cette ſouſcription de 12
millions , le Ministère donnera un intérêt permanent
de trois pour cent aux prêteurs ; mais le Parlement
pourra toujours & en tout tems rembourſer le capital
, tandis que les prêteurs jouiront en outre d'une
annualité de quatre pour cent pendant 28 ans, laquelle
cependant ne peut être nombreuſe ; cela fait donc
ſept pour cent, conféquemment des intérêts beaucoup
plus forts que la loi n'en permet aux particuliers.
Cette loi lie pourtant l'Etat : or , qu'on pèſe impartialement
les conféquences que cette nouvelle offre
avantageuſe doit avoir néceſſairement pour le Public.
-Si le Miniſtre offre aux Souſcripteurs des 12
millions , les trois pour cent d'intérêt perpétuel ,
avec les quatre pour cent d'annuités pendant l'efpace
de 28 ans , les Souſcripteurs , pour pouvoir
fournir l'argent dans les termes ſtipulés , feront
certainement tous leurs efforts pour exiger leurs
ſommes déjà placées ; ces fortes de ſpéculateurs
n'aiment pas à garder l'argent dans leurs coffres
ſans le faire valoir. Les débiteurs , tels que le ſont
la plupart des propriétaires de fonds de terre , ne
pouvant pas les contenter à la première ſomma .
tion, feront dans l'indiſpenſable néceſſité de vendre
une partie de leurs biens-fonds , vu qu'il n'eſt guère
poſſible d'avoir de l'argent à l'intérêt de cinq pour
cent ,lorſque le Gouvernement en offre ſept .-Mais
qui ſera tenté d'acquérir actuellement des terres
quand on peut placer fon argent à un intérêt fi
( 216 )
énorme , à moins que la terre qu'on achette nepuiſſe
rendre un intérêt équivalent ? Le propriétaire , vonlant
éviter la vente juridique de fes biens -fonds
dont le créancier le menace , & par- là éviter les
frais de procès , ſe voit réduit à les vendre de la
main ; & pour s'exempter de la vente juridique ,
il vend ſes terres à meilleur marché. Par exemple ,
il doit payer 1000 livres sterling. Eût - il voulu
vendre quelques années plutôt , lorſque ſa terre
valoit encore le revenu de 30 ans ? il ne lui cût
fallu préſenter en vente qu'un terrein rendant annuellement
33 livres ſterling , tandis qu'actuellement
, afin de rembourſer 1000 livres ſterling ,
il doit ſe défaire d'un terrein qui lui rapporte ,
chaque année , une rente de 60 livres , & le nouvel
acquéreur obtient ce terrein à raiſon du revenu de
16 ans & deux tiers.- Des terres qui reſtent au
vendeur , il doit encore , de tems à autre , payer
des impoſitions plus fortes , qui , outre cela , le
grèvent encore plus fortement en partie , puiſqu'il
ſe voit obligé à payer de la maiſon qu'il occupe ,
la même taxe ſur les fenêtres , qu'il acquitta avant
la vente du terrein qui aidoit au paiement de cette
taxe. Depuis la guerre , leur nombre a été de
beaucoup augmenté ; par exemple , la taxe fur
les domeſtiques ; d'autres ont été aggravées ,
telles que celle ſur les fenêtres , les ſupplémens
à l'impoſition ſur les maiſons , celle fur
les carroffes & autres voitures . La taxe des terres
rapporte 20 pour cent du produit. On paye une
impoſition de la drêche qu'on employe à braſſer de
la bière. La lumière dont on ſe ſert, eſt déjà chargée
d'acciſe. Le vin , le rum , le thé , le ſucre ,
le tabac, tout s'y trouve aſſujetti : les étoffes de
foie , les toiles , en un mot , tout ce qu'on peut
imaginer , paye impofition. - On est accoutumé
de dire que , quoique le Gouvernement paye actuellement
ſept pour cent des ſommes avancées ,
cela
( 217 )
cela n'aura cependant lieu que durant le cours de
la guerre préſente , & qu'après le rétabliſſement de
la paix , les intérêts retomberont à cinq pour cent,
Bon ! mais le pauvre propriétaire de bien- fonds
s'eſt néanmoins vu réduit à donner ſes terres pour
environ la moitié de leur valeur , ce qui , en attendant
, eſt une perte irréparable. Et qui bonifiera
au propriétaire de terres cette perte que lui
& tous les habitans de la Grande- Bretagne ont
ſupportée, durant le cours de vingt-huit ans pendant
le quels le Gouvernement a dû payer ſept pour
cent , que la Nation ſupporte en acquitant des
taxes, des impoſitions onéreuſes ? «
4
Lafuite à l'ordinaire prochain.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 26 Novembre
LE 21 , le Roi reçut , dans ſon Cabinet ,
Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
St- Louis , Mgr. le Comte d'Artois , qui prêta
en cette qualité , entre les mains de S. M. ,
le ſerment qui fut lû par le Marquis de Ségur ,
Miniftre de la guerre. Le lendemain M. le
Duc de Bourbon fut reçu pareillement dans
le Cabinet de S. M.
Le Roi a nommé le Comte de Thyard ,
Lieutenant- Général de ſes Armées , Commandant
en chef en Provence à la place de
feu le Marquis de Vogué.
La Cour prendra le Deuil le 26 pour la
mort de la Frinceſſe Charlotte - Amélie ,
grand-tante du Roi de Danemarck. Elle le
portera cinq jours.
LE 17 de ce mois LL. MM. & la Famille
30 Novembre 1782 . k
( 218 )
Royale ſignèrent le contrat de mariage du
Comte de Cheriſey , Meſtre - de - Camp de
Cavalerie , & Sous- Lieutenant des Gardesdu-
Corps du Roi, avec Mademoiselle le Senéchal.
Le même jour le Comte de la Rochefoucauld
de Conſages , Lieutenant-Général des
Armées navales , que le Roi a nommé à la
place de Vice- Amital , vacante par la mort
du Comte de Roquefeuil , a prêté en cette
qualité ſerment entre les mains du Roi .
De PARIS , le 26 Novembre.
MONSEIGNEUR le Comte d'Artois arriva
le 20 à Versailles vers les 10 heures du foir.
Le Roi avoit été chaffer ce jour là , du côté
de Bernis , où S. M. comptoit revoir ſon
frère dans l'après midi. Malgré toute la diligence
que ce Prince avoit mis de Bayonne
ici , il ne put arriver que fort tard. M. le
Prince de Naſſau l'avoir précédé ; & il eut
P'honneur de dîner ce jour- là avec le Roi ,
dans l'Hôtellerie même de la poſte de Bernis
, où S. M. s'étoit ar êrée pour y attendre
ſon frère. M. le Duc de Bourbon qui étoit
à 10 ou 12 poftes de diſtance de Mgr. le
Comte d'Artois , arriva le lendemain matin .
Deux Couriers extraordinaires font venus
deMadrid depuis quelques jours ; on ignore
les nouvelles qu'ils ont apportées ; on croit
qu'elles font relatives au plan des opérations
de la campagne prochaine. Ils n'ont point
donné d'autres détails de l'action du 20 du
( 219 )
mois dernier ; nous tranfcrirons ici , fur cet
évènement , la lettre de D. Louis de Cordova
, du 22 Octobre , adreſſée au Marquis
de Castejon , Miniſtre de la Marine , & inférée
dans la Gazette de Madrid du premier
Novembre.
>> M. , le 14 du courant étant à la vue de Mar
bella , j'eus l'honneur de rendre compte à V. E.
que l'armée combinée à mes ordres étoit forrie du
mouillage d'Algéſiras la veille. Je vous adreſſe
anjourd'hui le Journal de ma marche & de mes
manoeuvres , afin que S. M. puiſſe étre inſtruite
de l'impoffibilité où j'ai été d'empêcher que l'efcadre
ennemie paſsât de l'Eſt à l'Ouest avec ſon
convoi , attendu les tems brumeux & les vents quí
nous l'ont ſouvent dérobée à la vue.-Le 10 au
matin , l'ennemi revint à l'ouvert du Détroit ; nous
l'apperçumes , & je lui donnai chaſſe juſqu'au lendemain
; alors il parut nous attendre & it forma
ſa ligne; mais profitant de la bonté de ſa voilure ,
cette ligne fut formée de manière qu'il ne fut pas
poſſible à tous nos vaiſſeaux de l'attaquer à la fois.
32 ou 33 de nos vaiſſeaux attaquèrent cependant
les 34 vaiſſeaux ennemis malgré les avantages
d'une pofition dans laquelle ceux- ci étoient non-feulement
éloignés les uns des autres , mais même ils
ne purent être joints ſucceſſivement que par notre
eſcadre légère , & par la ſeconde & la troiſième
diviſion. Le combat s'engagea un peu avant 6 heures
du ſoir. Le feu commença par notre avantgarde
, il fut continué par l'arrière-garde , & enfin
par le centre. Mais il ne put jamais être général
, parce que l'ennemi ſe ſéparoit ſe'on qu'il le
jugeoit à propos , à l'aide de ſa marche ſupérieure
, & en courant des bordées. Vers les 10 heures
& un quart il ſe trouva hors de portée , &
il ſe retira en ſaiſant plus ou moins de voiles , ſe-
,
k2
( 220 )
lon qu'il le jugeoit convenable , pour confervet
fon ordre de bataille.-Alors je crus inutile de
pourſuivre l'ennemi & de lui donner chaſſe , jugeant
par la vîteſſe de ſa fuite que je ne pourrois
pas l'atteindre. J'ignorois les avaries de ma ligne,
& je ne crus pas devoir m'expoſer à combattre 34
vailleaux de ligne en bon ordre tandis que j'étois
inférieur en forces , & que les ſignaux pouvoient
n'être pas bien vus. Je fus déterminé en outre ,
par l'eſpérance où j'étois d'engager le lendemain
l'ennemi à une nouvelle action. La nuit ayant été
affez calme , je continuai à obſerver l'ennemi , &
j'étois maître du champ de bataille. - Le 21 au
matin je vis encore l'ennemi , & quoique la mer
fût très-calme , il maroeuvroit pour s'éloigner , &
en effet je le perdis de vue au coucher du ſoleil ,
tandis que le calme nous empêchoit preſque de
gouverner : je ne jugeai donc pas à propos de reprendre
une chaſſe inutile, & pendant la nuit je
portai au Nord- ouest , croyant que l'ennemi pren.
droit la même direction pour gagner ſes ports.
Cependant j'ai tout lieu de croire qu'il a cinglé
ſous le vent , puiſqne le matin je n'ai plus rien
découvert ; & j'ai enfin ordonné que l'armée profitât
du premier vent favorable pour gagner le
port de Cadix.-Je crois inutile de faire l'éloge
des bonnes diſpoſitions & de la vivacité de notre
feu , attendu la bravoure connue des deux nations
alliées ; je remarquerai ſeulement que nous avons
combattu avec 32 vaiſſeaux contre 34 Anglois ,
qui ont quitté la partie , on à cauſe des dommages
qu'ils ont foufferts , ou à raiſon des vues politiques
de l'Angleterre , qui n'a pas voulu expoſer
fon armée aux évènemens d'un combat qui auroit
été tout à notre avantage , ſi l'armée combinée
entière avoit pu donner à la fois , &c .
P. S. J'ai demandé au Comte de Guichen s'il vou
loit écrire à ſa cour; il m'a répondu poliment
( 221 )
qu'il ne pouvoit rien avoir à ajouter à ma dépêche:
j'en fais part à V. E. , afin qu'elle puiſſe faire
paffer mon Journal ou toute autre notice , à
l'Ambaſſadeur de France .
Les lettres particulières de Cadix , ne
donnent pas des détails plus circonstanciés
de la rencontre des flottes , que ceux que l'on
a déjà publiés . On y voit que la plus grande
union régnoit entre les eſcadres des deux
Nations , & ce qui s'eſt paffé à bord de
l'Invincible , en offre une preuve qui mérite
d'être citée .
>> On avoit été obligé de remplacer les malades
de ce vaiſleau par 200 matelots Eſpagnols commandés
par un de leurs Officiers qui fut grièvement
bleſfé dès le commencement de l'action . M. de la
Motte-Piquet , voyant la quantité de ſang qu'il perdoit
, le preſſa pluſieurs fois de defcendre pour fe
faire panfer . L'Officier Eſpagnol ne voulut jama's
quitter ſonpoſte , parce que , diſoit- il , ſes matelors
pourroient ne pas comprendre les ordres qu'on leur
donneroit en François , & faire manquer la manoeuvre
. Il reſta conſtamment tout le tems du combat,
& ne voulut pas fouffrir qu'on lui mit le premier
appareil avant qu'il fût certain de la retraite des
ennemis . On prétend que M. de la Motte-Piquer a
demandé la Croix de St- Louis pour ce brave Officier.
Sans doute le Roi d'Eſpagne ne ſe refuſera pas,
à ce qu'il foitdécoré de cette marque honorable. On
s'occupe ici du ravitaillement de la flotte dont M. le
Comte d'Estaing doit prendre le commandement.
Tous les vaiſſeaux François font à-peu-près prêts ;
on a aſſez de cuivre ici pour doubler les principaux
vaiſſeaux Eſpagnols , & on en attend de Toulon autant
qu'il en faudra poor le reſte ".
M. le Cointe d'Estaing a dû arriver le 20
ou le 21 à Madrid; on dit que les 6 Com-
1
k3
( 222 )
miſſaires qu'il a nommés à Bordeaux , ainfi
que la Chambre de Commerce de cette
Ville ont déjà déſigné 150 Sujets de la
Marine marchande , propres à remplir les
vûes du Roi , & à être employés ſur les vaifſcaux
de S. M. Bayonne , Dunkerque , St-
Malo , Morlaix , &c. fourniront auſſi les Officiers
les plus habiles & les plus courageux.
On lit dans quelques lettres du camp de
St-Roch un fait bien fingulier dans ſes circonſtances
; les Officiers qui l'ont écrit prétendent
en avoir été les témoins oculaires.
Nous nous contenterons de le tranſcrire.
>>> Un jour ils virent paroître ſur le ſommet de
la montagne de Gibraltar un homme & une femme ,
qui parlèrent quelque tems enſemble; enſuite l'hom
me s'érant détourné, la femme ſe couvrit la tête
d'un mouchoir , & fans doute ſe tua , puiſqu'elle
tomba , & qu'on vit l'homme lui creuſer ſa foffe
& l'enterter. Le lendemain le même homme parut
ſeul au même endroit , & après avoir donné des
fignes non équivoques de douleur & de déſeſpoir ,
il ſe cafía la têre d'un coup de piſtolet. Erfin il
arriva quelques hommes qui l'enterrèrent à côté de
la femme qui s'étoit tuée la veille. Cette épouvantable
avanture , dont on ignore la caufe , & dont
on n'a vu que l'effet , a fait pendant pluſieurs jours
l'entretien de toute l'armée : on eſpère d'apprendre
la cauſe de deux réſolutions auſſi déſeſpérées , dont
on ne peut concevoir juſqu'ici le motif ".
On apprend que tous les bâtimens fortis
des ports de Royan &de l'Ifle d'Aix , avertis
à tems de l'approche de l'eſcadre de l'Amiral
Howe , font rentrés heureuſement.
Selon les lettres de l'Orient , les vaiſſeaux
l'Audacieux , & le Fougueux de 74 canons ,
( 223 )
&la frégate la Méduse de 40 & portant
du 18 font en conſtruction dans ce port ,
où on double en cuivre l'Iphigénie & l'Ecureuil
, & où l'on donne un radoub à
l'Ariel.
>> Nous avons actuellement ici , écrit- on de Toulon
, en date du 7 de ce mois , 4 vaiſſeaux de 74 fur
le chantier , le Mercure , le Séduisant , l'Heureux
&le Centaure . Les deux derniers feront inceffamment
mis à l'ean , & le Centaure ſera tout de ſuite
remplacé par le Commerce de Marseille , vaiſſeau de
48 canons. --Les frégates la Junon & la Minerve
de 40 canons , portant du 18 , font en armement.-
On attend un convoi du Levant qui doit être eſcorté
par la frégate la Boudeuse. - On dit que tous les
feconds bataillons des régimens qui ſont ici en
garniſon doivent s'embarquer. - Le régiment du
Maine parti de Beziers , où il étoit en garniſon eſt
arrivé ici le 20 du mois dernier pour remplacer les
bataillons ".
On apprend de Nantes que le navire
Américain le Marquis de la Fayette , parti
de Salem le 12 Octobre , eſt arrivé au bas de
la rivière le 13 de ce mois avec une priſe
qu'il a faire dans ſa traverſée , du bâtiment
'Anglois le Tartar , d'environ 300 tonneaux
, chargé de tabac. Il alloit de New-
Yorck à Glasgow , & avoit 11 Officiers Anglois
paflagers.
Le floop Anglois le Roi George , d'environ
is tonneaux , pris le 14 de ce mois
à la hauteur de Plymouth , par le corſaire
de Dunkerque la Comteſſe d'Avaux , eft entré
le 16 à Dieppe .
Le corfaire Hollandois le Fleſſinguoi's ,
k4
( 224 )
a amené le 12 à Cherbourg le floop Anglois
le Dispatch , d'environ 40 tonneaux , dont
il s'étoit emparé le 10 ; il avoit fait deux
autres priſes , qu'il a envoyé dans le premier
Port de France .
Le corſaire de Dunkerque le Mouſquetaire
Italien , a conduit à Calais le brigantin le
Robert & Marie , de Shields , du port de 1 50
tonneaux , dont il s'étoit emparé le 10 de ce
mois à la rade de Douvres .
Nous nous empreſſons de placer ici la lettre
ſuivante , qui vientde nous être adreſſée ;
elle contient une réclamation à laquelle on
doit de la publicité , & fournit une nouvelle
preuve de l'exactitude de l'Officier
Général , Auteur de l'Hiſtoire du Comte
de Saxe.
» M. , vous voulûtes bien inférer dans votre
Journal du 17 Mars 1781 , une lettre qui m'avoit
été écrite par M. de Tricaud , ancien Capitaine
du Régiment de Lyonnois , au ſujet de men Hil
toire du Maréchal de Saxe , où il eſt dit (1 ) que
Mylord d'Albermale fut pris au combat de Denain ,
par M. de Ligny , Capitaine au Régiment d'Agénois
; M. de Tricaud a foutenu que cette action
regardoit M. ſon pere , alors Capitaine dans le
Régiment de Lyonnois : il s'eſt appuyé du Mercure
de France de 1712 , & de l'Histoire Militaire
de Louis XIV , par M. de Quincy.-M. de
Ligny de qui je tenois ma note , & qui demeure
àla campagne, ayant été inſtruit qu'on cherchoit à
priver M. ſon pere d'une distinction qui lui fut
perſonnelle , m'a chargé de vous prier de faire
(1) Tome premier , page 348 de l'Edition in-4°.
( 225 )
paroître dans votre Journal les copies dedeux certificars
, dont les originaux font déposés dans l'Etude
de M. Périer , Noraire à Paris , Place Dauphine
, où chacun peut les voir ; l'un des certificats
de la propre main de Milord d'Albermale , & l'autre
de M. le Marquis de Choiſeal-Meuſe , Colonel
du Régiment d'Agénois , juftifient que ce fut à
M. de Ligny que Milord d'Alberma'e ſe rendit ,
& que ce fut cet Officier qui le mena & le préſenta
à M. le Maréchal de Villars . -Les citations
qu'a produit M. de Tricaud feront toujours une
preuve que M. ſon pere ſe couvrit de gloire au
combat de Denain , & qu'il concourut vraiſemblablement
à la priſe de Milord d'Albermale , puifqu'on
la lui attribua . J'ai l'honneur d'être , &c .
Le Baron d'Eſpagnac , Lieutenant-Général des
Armées du Roi , Gouverneur de l'Hôtel Royal
des Invalides «.
Les Certificats ſont les ſuivans :
>> Le Marquis de Meute , Colonel du régiment
d'Infanterie d'Agénois , certifie que le Chevalier
de Ligny , Capitaine audit régiment , y ſert depuis
Is ans avec beaucoup d'application & de zèle , qu'il
eſt Capitaine , ſuivant la date de ſa commiffion ,
qu'il a reçu une bleſſure conſidérable à Ocſchter ,
& une à l'attaque des lignes de Denin , en faiſant
le Milord Albemarle priſonnier de guerre , & en
donnant des marques de beaucoup de valeur , comme
dans toutes les autres actions où il s'eſt trouvé ,
avec un attachement parfait au ſervicede ſa Majeſté ;
il eſt en habitude d'avoir toujours une bonne troupe
: en foi de quoi nous lui avons accordé le préſent
certificat , pour lui ſervir & valoir en ce que
de raifon. Fait à Cambray ce vingt- ſeptième Juillet
mil ſept cent douze, Signé CHOISEUL MEUSE.
Plus bas eſt écrit , contrôlé , à Paris le 31 Octobremil
ſept cent quatre vingt-un , reçu quinze fols ,
Signé , LEZAU ..
ks
)
T
( 226 )
» Nous certifions que M. le Chevalier de Ligny ,
Capitaine audit régiment d'Agénois , nous a fait
prifonnier de guerre dans les lignes de Denin , &
qu'il nous a conduit à M. le Maréchal de Villars ,
dont nous avons reçu toutes les honêtetés & politeſſes
poſſibles ; certifions encore qu'il a été bleffé
en tenant les rênes de mon cheval : en foi de quoi
nous avons ſigné le préfent certificat , pour lui fervir
au beſoin. Fait fur le champ de bataille, près
de Neufville , le vingt- quatrième de Juillet mil
ſeptcent douze, Signé ALBEMARLE. Plusbas eſt écrir,
contrôlé , à Paris le 31 Octobre mil ſept cent quatre
vingt-un , reçu quinze ſols , Signé , LEZAU " .
Il eſt ainſi ès originaux deſdits certificats certifiés
véritables , ſignés & paraphés & déposés
pour, minute à Me. Perier , l'un des Notaires à
Paris ſouſſignés , par acte du trente-un Octobre
mil ſept cent, quatre vingt-un : le tout reſté en la
poſleſion dudit Me. Perier , qui a délivré ces préſentes,
ce jourd'hui quinze Octobre mil ſept cent
quatre-vingt-deux. , Signé , LAIR , PERIER .
On vient de publier le 7e. Mémoire concernant
les Ecoles Nationales - Militaires ;
nous nous propofons d'en rendre compte
inceflamment , & de contribuer par - là ă
faire mieux connoître cet établiſſement intéreſſant
, que le patriotiſme ſeul a fondé ;
en attendant , les perſonnes qui n'en ont encore
qu'une idée confufe , peuvent s'en
procurer une connoiſſance particulière , en
recourant aux Mémoires mêmes. Pour leur
en faciliter l'acquiſition , on a réuni quelques
Exemplaires qui reſtoientdes 7 qui ontdéja paru
ſur cette matière. Ils forment un volume ,
qu'on trouvera moyennant 3 liv. , chez M.
( 227 )
-
Brichard , Notaire , rue St-André-des-Arts ,
qui a bien voulu ſe charger gratuitement de
la recette de cette Ecole intéreſſante.
>>>L'Académie des Sciences , Arts & Belles- Lettres
de Dijen , tint , le 18 Août dernier , ſa Séance publique
pour la proclamation de ſes Prix. Le ſujer
propoſé étoit : Déterminer , avec plus de précision
qu'on ne l'a fait jusqu'à présent , le caractère des
fièvres intermittentes ; indiquer , par des fignes
non équivoques , les circonstances dans lesquelles
les fébrifuges peuvent être employés avec avantage.
Parmi les Mémoires que l'Académie avoit
reçus , elle en a diftingué cing , dont deux lui ont
paru également dignes du Prix , & les trois autres ,
d'être cités avec éloge , mais dans un ordre relatif
à leur degré reſpectif de mérite. Les Auteurs des
Mémoires qui ont partagé le Prix , font M. Voullonne
, ancien Profeſſeur en Médecine de l'Univerfité
d'Avignon , & M. Charles Strak , Profeſſeur en
Médecine de l'Univerſité de Mayence. L'Académie
pour donner à ces ſavans Médecins une preuve diftinguée
de ſon eſtime , leur a fait remettre à chacun
une Médaille d'or de la valeur de 300 livres , quoiqu'elle
n'en eût promis qu'une. Les Mémoires dont
eile a jugé à propos de faire faire une mention ho--
norable , font , 1º. une Differtation latine qui porte,
pour épigraphe , ce paſſaged Hippocrate : Qua enim
profuerunt ob rectum ufum profuerunt. 2°. Une dontl'épigraphe
eſt ce vers de Lucrèce : Prima caloris
enim pars , eft poftrema rigoris. 3 °. Le Mémoire
à la tête duquel on lit cette ſentence de Sydenham :
Eft febris ipfa natura instrumentum . M. de
Morveau lut enſuite le réſultat d'une expérience
qu'il a faite , avec ſuccès , pour congeler l'acide vitriolique
, & il mit ſous les yeux du public un appareil
diftillatoire , conſtruit d'après les idées de
১
k6
( 228 )
M. Bergman , au moyen duquel on peut faire en
petit , ſur un bureau , une infinité de diſtillations ;
ce qu'il a prouvé par une opération qui a démontré
que l'acide tartareux a plus d'affinité avec l'alkali
fixe que l'acide formicin.-M. Maret lut un Conte
en vers de M. l'Abbé Lemonnier , intitulé la Mort
du Visir . -M. Leroy de Flagis fit lecture de ſes
Remarques ſur la première époque de l'Hiſtoire de
Raffie , & M. Maret termina la Séance par l'Extrait
de l'Analyſe des Eaux de Sainte.Reine ".
Nous nous empreſſons de placer ici un
diſtique latin , que nos Lecteurs nous ſauront
gré de leur faire connoître. Il eſt la production
d'un Militaire , non moins illuſtre
par ſa naiſſance que par ſes talens & fes
lumières. M. le Marquis de Molac , Lieutenant-
Général des Armées du Roi ,Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de St-
Louis , &c. , occupé toute ſa vie de manoeuves
& d'évolutions de guerre
trouver le tems de cultiver les Muſes; le
Diſtique qu'il vient de compoſer eſt une
épitaphe de Newton. L'idée belle& fublime
n'a pu être conçue que par un homme qui
ſent bien le Philoſophe Anglois , & eſt rendue
avec cette préciſion précieuſe , qui eft
le mérite eſſentiel de tout éloge conſacré au
Génie.
a
Quem divum , tempus , coelum , natura fatentur :
Humanum monftrat tranfitus ad tumulum.
fu
Cette Epitaphe eſt bien ſupérieure à celle
que les Anglois ont miſe ſur le tombeau
( 229 )
a
.
de Newton , qui est très-étendue & qui
finit ainſi : Sibi gratulentur mortales , tale
tantumque extitiſſe , humani generi decus.
>>>Nous ne pouvons nous refuſer au plaifir d'annoncer
une nouvelle production intéreſſante des
Arts ; les noms de MM. Choffard & Beaudouin
ſuffiſent à leur éloge. L'eſtampe que vient de graver
le premier d'après un tableau du ſecond , n'a
point de titre , & pourroit porter celui de l'Eveillée
du matin ; elle rappelle le fameux chef-d'oeuvre d'un
inconnu. Rien de plus piquant que ce ſujet ; l'exécutiony
ajoute encore ; peu de morceaux , ont autant
d'harmonie &d'effet. Il fait ſuite aux trois eſtampes
déjà publiées d'après d'autres tableaux du même
Peintre , dont l'une qui repréſente la première
émotion de l'adolefcence , eft connue sous le nom
des Pigeons ; la ſeconde , eſt la Fille furpri-
Se par sa mere , & la troiſième , le Jardinier
Galant. Cette dernière eſt gravée par M. Helman ,
les autres l'ont été par M. Choffard ( 1 ) « .
Le Gouvernement vient de faire imprimer
un avisfur les bleds germés , 2) pour
être adreſſé aux Archevêques & Evêques
des Diocèſes , & aux Intendans des Généralité
du Royaume. Cet avis intéreſſant a
été rédigé par le Comité de l'Ecole gratuite
de Boulangerie. Il eſt le réſultat des expé-
(1) L' Eveillée du matin ſe trouve chez M. Choffard , qui
demeuroit précédemment aux Quinze-Vinges, & qui demeure
actuellement Quai & maiſon neuve des Théatins. C'eft chez
lui que l'on ſouſcrit pour la célèbre Collection des Eſtampes
deſtinées aux OEuvres de J. J. Rouſſeau , dont la première livraiſon
eſt déja publiée ; il s'occupe maintenant de la ſeconde.
✔ ( 2) Cet Ouvrage ſe trouve chez Ph.-D. Pierres , Imprimeur
Libraire , rue St-Jacques.
( 230 )
riences faites par ſes Membres ; on y indique
les moyens de prévenir les fuites de
la germination des bleds & d'en titer le
parti le plus économique.
M. de la Borde , Curé de Corneilhan , Diocèſe
de Condom , écrit- on de la Guyenne , a fondé
un Prix de 30 livres , pour le Laboureur de la
Paroffe qui , dans l'année aura le mieux cultivé
ſes terres. Un aatre prix égal a été fondé par
Madame de Terfac , Madame de la Garde & M.
Pujens. Les deux Prix ont été diſtribués le 28 Octobre
dernier , & adjugés à Joſeph Dapercy & à
Pierre Arquizan , Laboureurs. On s'apperçoit que
l'émulation a déjà fait faire des progrès à l'Agriculture
de cette Paroiffe a.
Marie-Louiſe Bonne- Alexandrine de Canouville
de Raffetot , femme de Charles-
Louis Marquis du Creſt , Meſtre- de- Camp ,
Commandant du Régiment des Grenadiers
Royaux de la Guyenne , eſt morte à Nice'
le 24 Octobre dernier dans la 242. année
de ſon âge..
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du is de ce mois ,
font : 68,52 , 31 , 17 & 58 .
Jugement des Commiſſaires Généraux du Conſeil
députés par S. M. poar juger fouverainement &' en
dernier reffort les contestations nées & à-naître entre
les prétendans droit à la fucceffion de Jean
Thierry, natif de Château-Thierry en Champagne,
décédé à Veniſe en 1776. Ledit Jugement conte
nant les diſpoſitions des Arrêts du Conſeil des 31
Mai , 21 Juin , 19 Juillet & 11 Août 1782 , &
( 231 )
or donne l'enregiſtrement auGreffede la Commiffion
d'un autre Arrêt du Conseil du 19 Juillet qui accorde
un nouveau délai jusqu'au premier Janvier
1783 aux prétendans droit à ladite ſucceſſion , pour
produire leurs titres . - Par l'Arrêt qui porte certe
nouvelle prorogation , S. M. ordonne que ceux qui
n'auront pas fait la remiſe de leur titre le premier
Janvier prochain ſeront déchus de tous droits dans
ladite fucceffion , & qu'il foit pafféoutre as Jugement
entre ceux qui l'auront faite , le tout conformément
aux Arrêts précédens que S. M. veut au ſurplus être
exécutés ſelon ſa forme & teneur.
De BRUXELLES , le 26 Novembre.
La diſcuſſion qui s'eſt élevée dans les
Provinces-Unies à l'occaſion de l'affaire de
l'Enſeigne de Wite , ſur la compétence du
Tribunal qui doit le juger , aura , dit- on ,
une plus grande ſuite , celle peut- être de
fupprimer le Tribunal Militaire .
هللا
>>> Les Commiſſaires de la Cour de Justice de
Hollande , de Zélande & Friſe , écrit-on de la
Haye , ont publié un Mémoire dans lequel ils ont
expoſé leurs principes ; quoiqu'ils diſent qu'ils nea
peuvent embraſſer dans tous ſes points la propofirion
de la Ville d'Amſterdam , telle qu'elle eſt
conçue , ils déclarent cependant qu'ils ne fauroient
avouer nullement l'affertion du Stadhouder dans
ſa lettre aux Etats -Généraux , qui ſuppoſe que le
jugement de Witte appartient à tous les confédérés.
Ils obſervent entre autres que l'Ordonnance Mi
litaire du 9 Mai 1705 , reclamée par le Prince , a
été rendue , non par les Etats-Généraux , mais feulement
paa le Conſeil- d'Etat de la République affemblée
, qui n'a aucun droit de faire des loix que
,
( 232 )
les Etats de chaque Province ſoient tenus de faire
exécuter dans l'intérieur de leur Souveraineté ; de
forte que cette Ordonnance militaire ſans violer la
conftitution de la République , ne peut concerner
que l'Armée en campagne ou par- tout ailleurs , où
le bras de la Juſtice politique ne fauroit s'étendre
pour venger les crimes de ſa compétence ordinairecc.
En conféquence des prérogatives attachées
à ſa dignité , le Stadhouder a le droit
d'élire les Magiſtrats de pluſieurs villes ;
la coutume s'étoit établie d'admettre ces recommandations
pour les Charges qui n'étoient
point directement de ſa nomination.
Les villes de Dordrecht & de Schonnhoven
ont réſolu récemment de rentrer dans leurs
droits à cet égard ; celles de Rotterdam &
de Schiedam viennent de ſuivre leur exemple
& d'en informer le Stadhouder par des
députations folemnelles .
Les Communes jurées , écrit- an de Zwell , font
toujours décidées à ne donner leur conſentement
àaucun ſobſide que 1Ordre- Equestre ne ſe ſoit
défifté de ſes prétentions illégales ſur les fervitudes ,
reſtes de l'ancienne barbarie féodale. Les lettres
circulaires des Etats de Zélande & de Friſe , la
première , ſur l'inaction dominante dans l'Erat ;
la ſeconde , ſur l'examen des raiſons alléguées contre
la non ſortie des vaiſſeaux pour Breſt , ont
été examinées dans les Etats , & il a été réſolu
unanimement que la Nobletſe & les Villes étorent
d'avis qu'il étoit plus que tems de faire des enquêtes
à ce ſujet , & qu'elles enverroient des ordres en
conféquence à leurs Députés aux Etats Généraux.
( 233 )
Un des Membres du Corps Equeſtre a propoſé de
faire prohiber deux brochures , où l'on excitoit les
Habitans d'Overyſel à faire valoir leurs droits ;
mais les trois Villes & la moitié de l'Ordre- Equeftre
s'y font refuſées , en diſant qu'il ne falloit donner
à la liberté de la preſſe que les bornes des loix
civiles qui rendent reſponſable tout Auteur & Rédacteur
des productions qu'il poblie , contre celui
ou ceux qui demandent fatisfaction par des voies
juridiques".
On a reçu en Hollande la nouvelle de
la perte du Ziriezée , vaiſſeau de 64 canons
qui a péri ainſi que l'Union dans les
mers du Nord . Ce vailleau ayant fait une
voie d'eau , étoit entré à Helfingor ; on
croyoit qu'il ſe rendroit à Copenhague pour
ſe réparer. Le Capitaine Haringunan ne
pouvant ſe réſoudre à hiverner en Danemarck
, avoit eſſayé de boucher cette voie
d'eau , & croyant y être parvenu , remit à
la voile avec les frégates le Médenblick ,
la Pallas & la Vénus , & 9 navires marchands
; après avoir débouqué le Détroit ,
il fut accueilli d'une tempête , & il échoua
près d'Aſdahl à 10 milles d'Ahlbourg . Le
frère du Capitaine Haringman , une centaine
d'hommes de l'équipage , furent fauvés
le 2 de ce mois par les habitans. Le
Capitaine ne fut ſauvé qu'après la tempêre.
>>C>'eſt ainfi , lit-on dans une lettre d'Amſterdam ,
que la ſortie de l'efcadre de M. Van-Kinsbergen ,
pour eſcorter les trois navires de la Compagnie
( 234 )
des Indes dans un tems où la mer du Nord eſt des
plus orageuſe , a coûté , à la République , 2 vaiffeaux
de 64 canons. L'opinion qu'on a généralement
du prétexte ſous lequel la plus grande partic
de cette même eſcadre a refuſé de ſe rendre à Breſt ,
n'eſt plus douteufe aujourd'hui. - Les Etats de
Friſe ayant reçu la réponſe de Mgr. le Prince
Stadhouder , en date du 29 Octobre, à la lettre
qu'ils lui avoient adreffée le II du même mois ,
relativement au délai apporté à la fortie de l'efcadre
pour Breft , l'opinion des trois Quartiers du
Plat- Pays a été , que cette réponſe , bien loin de
lever les doutes propoſés par la lettre de LL. NN.
PP. , autoriſoit de plus en plus les plaintes , faites
par les Etats des différentes provinces ſur un refus
auſſi inattendu , furtoutſi l'on confrontoit la réponſe
de S A. S. avec le rapport qu'elle avoit fait
le 12 Septembre au comité ſecret des Etats-Généraux.
Cependant , pour ne point perdre le tems
en difcuffions , qui ne produiroient aucuns éclair
ciſſemens, il a été réiola de ne point répliquer à
la réponſe de ſon Altetſe , mais d'écrire aux Etats
des autres provinces une lettre circulaire pour leut
propoſer de nommer quelques députés de chaque
province , afin de conférer enſemble far les opérations
de la Marine ; de prévenir que l'inactivité ,
qui n'a déja duré que trop longtems , ne ſoir con.
tinuée; d'effectuer que les affaires ſoient expédiées
avec plus de promptitude , & qu'on ne foit plus
longtems détenu par des réponſes peu fatisfaifantes
&c.-L'on ſe rappelle, qu'un des prétextes ,
dont le Ministère Britannique ſe ſervit pour couvrir
l'injustice de la déclaration de guerre contre notre
République , étoit ſa plainte contre M. Engelbert-
François van Berkel , premier Penſionnaire de notre
ville. Depuis cette époque ce Miniſtre , ſe voyant
publiquement inculpé , s'étoit volontairement abf
( 235 )
tenu de faire les fonctions de ſa charge à l'affemblée
des Etats de la province : mais en vertu d'une
réſolation priſe le 16 par notre Conſeil , les citoyens
qui s'intéreſſent au bien de la patrie , ot
eu la ſatisfaction d'apprendre , qu'il y reparoîtra , à
l'aſſemblée , dont l'ouverture ſe fera mercredi prochain
«.
L'affaire de la priſe du paquebot par le
Corfaire la Bonne-Attente , fait beaucoup
de bruit ; les Directeurs des Poſtes du pays
ont porté des plaintes au Comité des Etats
de Hollande , qui a expédié à Middelbourg
un Exprès pour remettre ces repréſentations
aux Etats de Zélande. Au départ du
dernier Courier on attendoit encore la réponſe
ſur ce ſujet .
>>> On parle beaucoup de paix , lit-on dans quelqes
lettres. Les Fermiers-Généraux de France ont
reçu ordre de laiffer entrer , ſans les viſiter , les
équipages de M. Fitzherbert. On est parti de là
pour dire qu'il y avoit un Miniftre Britannique à
Paris , & que les préliminaires de la paix étoient
convenus ; mais on a fait réflexion enfuite qu'il n'y
a guère de Miniſtres étrangers obligés de traverſer
la France , qui n'obtiennent la même faveur. Μ.
Firzherbert pouvoit y prétendre , comme Miniſtre
de S. M. B. à Bruxelles. S'il avoit ea un caractère
à Paris , on n'auroit pas oublié de l'inférer dans
l'ordre aux Fermiers-Généraux , par les mots ufirés :
Ministre Plénipotentiaire de S. M. B. auprès de
notre Perfonne. Ainsi , l'édifice qui s'étoit élevé
tout-à- coup a manqué par ſa bafe & s'est écroulé.
Ce n'est pas qu'on ne travaille au grand ouvrage
de la paix ; mais qu'on ſe ſouvienne que les conférences
pour la dernière paix commencèrent en
( 236 )
1758 , & on ne ſera pas étonné que des intérêts
aufli grands & auſſi compliqués que ceux dont il
eft queſtion cette fois , tardent à être arrangés «.
Fin du Traité entre la Hollande & les Etats- Unis .
25 ° . Afin que toute diffenfion & diſpute ſoit évitée
& prévenue des deux côtés , il eft convenu que dans
le cas où l'une des deux parties ſeroit engagée en
guerre , les vaiſſeaux & bâtimens , appartenans aux
ſujets ou habitans de l'autre allié , feront pourvus de
lettres de mer ou paſſeports , exprimant le nom , la
propriété & la grandeur du vaiſſeau ou bâtiment ,
ainſi que le nom , la place on l'habitation du Patron
ou Capitaine dulit vaiſſeau ou bâtiment; afin
qu'il apparoiffe par-là que le vaiſſeau appartient
réellement & en vérité aux ſujets ou habitans de
& exprimé ſuivant le modèle ajouté à ce traité.
l'une des deux parties; lequel palleport ,
fera dreffé
- Il faudra qu'il ſoit délivré un nouveau paffeport
, chaque fois que le vaiſſeau aura achevé ſon
voyage ; ou qu'au moins il ne ſe ſoit pas éconlé
plus de deux ans avant le tems que le vaiſſeau a
été la dernière fois chez lui , Il eſt Aipulé
pareillement , que tels vaiſſeaux ou bâtimens ,
étant chargés , doivent être pourvus , non-feulement
des paffeports ou des lettres de mer mentionnés
ci-deſſus ; mais encore d'un paſleport genéral
ou de paſſeports particuliers , ou de manifeſtes
ou d'autres documens publics , que l'en donne
ordinairement dans les ports d'eù les vaifſeaux font
venus en dernier lieu , aux vaiſſeaux qui partent ,
contenant une ſpécification de la cargaifon , la place
d'où le navire a mis à la voile , & le lieu pour
lequel il eſt deſtiné ; ou , au défaut de tout cela ,
des certificats des Magistrats ou Gouverneurs des
Villes , Places & Colonies , donnés dans la forme
ordinaire , d'où le vaiſſeau eſt parti ; afin que l'on
-
( 237 )
fache s'il y a à bord des vaiſſeaux quelques mar
chandiſes prohibées ou de contrebande ; ſi elles
-font en même-tems deſtinées pour les pays de l'Ennemi
ou non. Et dans le cas où quelqu'un juge
à propos ou trouve convenable d'exprimer dans
leſdits congés , les perſonnes à qui appartiennent
les effets qui ſont à bord, il peut le faire librement
, ſans cependant y être tenu , ou ſans que
le défaut de cette expreſſion puiſſe ou doive donner
occafion à la confiſcation. 269. Si les vaiſſeaux ou
bâtimens deſdits ſujets ou habitans de l'une des
deux parties , naviguant le long des côtes ou en
pleine mer , ſont rencontrés par quelque vaiſſeau
de guerre , corſaire ou bâtiment armé de l'autre
partie; leſdits vaiſſeaux de guerre , corfaires ou
bâtimens armés reſteront , pour éviter tout défordre
, hors de la portée du canon; mais leurs chaloupes
pourront être envoyées à bord du vaiſſeau
marchand qu'ils rencontreront de cette manière
& ils pourront s'y tranſporter au nombre ſeulement
de deux ou trois hommes , auxquels le Patron
ou Capitaine d'un tel navire ou bâtiment , montrera
fon paffe-port , contenant la propriété du vaiffeau
ou bâtiment , conformément à la formule inſérée
après ce traité ; & les vaiſſeaux ou batimens,
après avoir montré tels paſſeport , lettre de mer ou
autres congés , font francs & libres de pourſuivre
le même voyage; de forte qu'il ne ſera pas permis
de les moleſter d'aucune manière , ni de les viſiter ,
ni de leur donner chaſſe ou de les forcer d'abandonner
leur cours projetté. 279. Il ſera permis aux
Marchands , Capitaines & Commandans de vaifſeaux
, naviguans , ſoit pour le public!& en guerre ,
ſoit pour le particulier & en marchandise , appartenans
auxdits Etats- Unis de l'Amérique , ou à quel .
qu'un d'entr'eux , de les prendre librement à leur
( 238 )
ſervice &de recevoir de leursdits vaiſſeaux , dans
chacun des ports ou places ſous la Juridiction def.
-dites H. P. , quelques matelets ou autres , tant nationaux
ou habitans de quelqu'un deſdits Etats , à
telles conditions qu'il tera convenu , ſans que l'on
foit pour cela ſoumis à aucune amende , peine ,
punition , procès ou réprimande , de telle nature
que ce ſoit. Tous les Négocians , Capitaines &
Commandans de navires , appartenans aux Pays-
Bas-Unis ſuſmentionnés, jouiront réciproquement
dans les ports & places ſoumis auxdits Etats- Unis
de l'Amérique , des mêmes prérogatives pour engager
& recevoir des matelots ou autres , étant
natifs ou habitans de quelques-uns des Domaines
des Etats-Généraux ſuſmentionnés ; bien entendu ,
que de l'un & de l'autre côté , on ne pourra pas
ſe ſervir de ceux de ſes compatriotes qui ſe ſont
déjà engagés au ſervice de l'autre partie contractante,
foit pour la guerre , foit à bord des navires
commerçans , ſoit qu'on les rencontre à terre ou
bien en mer ; à moins que le Capitaine ou farron ,
ſous les ordres duquel des perſonnes ſemblables
pourroient ſe trouver , veuille les exempter volontairement
de ſon ſervice , ſous seine pour ces gens
d'être traités & punis comme déſerteurs. 28°. Ce
qui ſera accordé pour la réfraction , deit être réglé
équitablement par les Magiftrats des Villes
reſpectives , où l'on juge qu'il ſe forme quelque
difficulté la-deſſus. 29°. Le traité préſent ſera ratifié
& approuvé par les ſuſmentionnés Etats -Géné.
raux des Pays-Bas- Unis , & lesdits Etats-Unis de
l'Amérique , & les Actes de ratification de l'une &
de l'autre part , doivent être remis en bonne
& dûe forme dans l'eſpace de fix mois , ou plutôt
s'il eſt poffible , à compter du jour de la fignature.
En foi de quoi , &c.
( 239 )
1
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 20 Novembre.
Le paquebot le Tankerville a apporté des lettres
de la Jamaïque , qui nous ont appris qu'un
grand nombre de tranſports venoient d'y arriver ,
ayant à bord les troupes de la Géorgie & quel.
ques habitans de cette Province. Le 9 Septembre ,
le London , de 90 , le Torbay , de 74 , & le ſicop
le Badger , ont appareillé de Port-Royal pour convoyerjuſqu'à
une certaine latitude , le For, de 32 ;
le Zebra , de 18 , & le Duc d'Eſtiſſac de 12 , &
les tranſports deftinés pour Charles - Town. Ces
tranſports ramèneront une partie de la garniſon
de certe place aux Ifles de l'Amérique.
Le 7 du mois d'Août , les vaiſſeaux ſuivans ont
appareilléde Port-Royal. Le Preston , de 50 ; l'Actéon
, de 44; le Diamond , de 36 ; 1 Allarme , de
32 ; la Reffource , de 28 ; le Tabago , de 18 ; la
Jamaïque, de 16; avec un fenault & un floop armés.
Deux autres tranſports ayant à bord une partie
des Chafleurs Royal Américans , on mis à la veile
avec une petire eſcadre, que l'on dit être deſtinée
contre les établiſſemens Eſpagnols de la côte des
Moſquites . Peu de tems avant le départ du paquebot
le Tankerville , il étoit arrivé un floop du
Cap Gracias a Dios , avec l'avis qu'un gros corps
d'Indiens s'étoit réuni dans ce lieu , pour coopérer
avec les Anglois .
↑ Une lettre de la Barbade , datée du 2 Octobre,
portequ'il s'en faut bien que l'Iſſe ait réparé les
perres que les derniers coups de vent lui ont oc- .
cafionnées. Les proviſions y font extrêmement chères.
Les vaiſſeaux du Roi & les corſaires y amênent
journellement des priſes , & l'on attend d'A.
mérique l'eſcadre de l'Amiral Pigot qui , à ce
( 240 )
qu'on eſpère , attaquera les ifles Françoifes. On
croit que la Martinique ſera le premier objet de
ſes opérations , & on eſpère que la fonction de
l'Amiral Richard Hughes le mettra en état de
s'oppoſer à la rentrée de M. de Vaudreuil ;
ſi toutefois ce Général peut fortir de Boſton; car
on afſure que l'Amiral Pigot a donné ordre à 12
vaiſſeaux de ligue de croiſer à la hauteur de Boſton,
pour y bloquer l'eſcadre Françoiſe ; mais cette
nouvelle est bien incertaine . 12 vaiſſeaux ne ſuffifent
pas pour cet objet. Les François en ont un
pareil nombre ; ceux qu'ils avoient envoyés à Portmouth
dans la Virginie en font , dit-on , de retour ;
l'on affure que la ville de Boſton leur en a donné
un autre de 74 qui remplace celui qu'ils ont
perdu ; 12 de nos vaiſſeanx fi on les charge de
les bloquer ſont donc expoſés eux - mêmes , au
lieu de s'oppoſer à leur retour
Quant à la Martinique , quelques avis annnoncent
que le Marquis de Bouillé , y eſt arrivé avec
les deux vaiſſeanx de guerrequi eſcortoient les tranfport
partis avec lui d'Europe , portant 2 Régimens.
Les bruits de paix ſe ſoutiennent , & ils paroiffent
avoir peut- être plus de conſiſtance ici qu'ailleurs ,
puiſque nos fonds augmentent graduellement. Le
retour d'un Négociateur de France , les mouvemens
des Agioteurs , le départ pour Paris de M.
Strechie & de M. Roberts , ont pu opérer cette
hauffe . M. Strechie eſt un ancien premier Commis
de la Tréſorerie , dont le Comte de Shelburne fait
⚫ grand cas , & qui eſt , dit- on , très - verſé dans la
connoiffance des affaires de l'Inde. M. Roberts eſt
un de nos plus grands Géographes , & celui qui
connoît le mieux l'Amérique. Il faut croire que de
fi habiles gens n'ont pas été envoyés fans des
motifs preffans.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères