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Nom du fichier
1782, 09-10, n. 36-41, 43 (7, 14, 21, 29 septembre, 5, 12, 26 octobre)
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26.10 Mo
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681
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Texte
MERCURE
DE
FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des
principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ;
l'Annonce &
l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les
Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les
Spestacles ,
les Caufes célèbres ; les
Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI 7
SEPTEMBRE 1782 ,
A
PARIS ,
Chez
PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des
Poitevins .
Avec
Approbation & Brevet du Roi.
13
TABLE
7
Du mois d'Août 1782 .
PIÈCES IÈCES FUGITIVES .
Ode àMileAurore ,
Américains ,
3 Recueil d'Epitaphesférieuses ,
Vers four le Portrait de M. badines ,&c.
d'Alembert ,
Quatrain à Madame **
AMadame C***
32
69
6 Le Comte & la Comtesse du
ib. Nord , Anecdote Ruffe, 82
2
ib. Percy, Tragédie , 103
113
118
Stances à M. le Ch. de L. , 49 L'Eventail, Poëme ,
Vers àM. Vandebergue , si Scènes Champêtres,
Madrigal ,
Songe à Ihémire ,
52 La Lévite conquise , Poëme ,
ibid. 125
L'Alluredemes Confrères , ib . Répertoire univerſel & rai-
L'Amour défintéressé , Anec- Sonné de Jurisprudence Cidote,
53 vile , Criminelle , &c . 174
Air, 67 Les Après - Soupers de la So-
Vers du Vieux Malade de ciété, 184
Fernay, 97 VieduDauphin , père deLouis
Epttre àM. Vandebergue , 99 XV, 199
Vers à Mlle Aurore , 145 Annales Poétiques , 215
Réponse, 147 Nouveau Voyage en Espagne
Vers àM. de Saint-Ange, 148 220
Réponse , 149
SPECTACLES .
Lettre à M. Groflei , 150 Acad. Royale deMusiq . 137 .
Epître à M. de S. E. 193 -226
Réponse, 194 Comédie Françoise , 34,86
Modes, 195 229
232
Couplets à une Marchande de Comédie Italienne , 139 , 188 ,
Envoid'un Bouquet de Bluets, Académie Françoise ,
..
196 Lettre aux Rédacteurs du
"Quatrain pour le Portrait de Mercure,
Mlle de M**. ib.
VARIÉTÉS .
235
Enigmes & Logogryphes , 8 , Discours lû par M. le Mar-
69, 102 , 173 , 197
quis de Condorcet à l'Aca-
NOUVELLES LITTÉR. démiedes Sciences ,
Le Sang innocent venge ,
و
Avisfur l'l'Encyclopédie ,
38
१०
Le Couronnement de Pétrar-Gravures , 46,92,190, 237
que, 24 Musique, 93
L'Immortalité de l'Ame , 29 Annonces Littéraires , 47 , 93 ,
L'Indépendance des Anglo-1 143 , 191 , 238
A Paris , de l'Imprimererie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN ,rue de la Harpe , près S. Coſme.
Complisets

Nisteoff
24009
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 7 SEPTEMBRE 1782 .
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
LE
RETOUR A LA
VILLE.
ADIEU
DIEU vergers , folitude champêtre ,
Que Saint-Lambert célèbre vos douceurs ;
Il le peut: en tous lieux ſa main cueille des fleurs ,
Et par-tout ſa Muſe en fait naître.
Dans l'Art des Vers Horace fut fon maître;
Et dans un autre Tivoli ,
Un peu moins riche , & plus heureux peut-être ,
En s'amuſant il écarte l'ennui ;
Philoſophe comme il faut l'être.
Our , je vous quitte au moins pour cinq hivers,
Séjour des bois , antres ſauvages .
Adieu coteaux , feuillages verds ;
Vous êtes beaux dans de beaux vers ;
A ij
MERCURE
Mais on bâille ſous vos ombrages.
Vive Paris , c'eſt un chaos ,
Mais qui m'amuſe & qui m'applique ;
Séjour affreux & magnifique ,
Et plein d'eſprit , & plein de ſots.
On me perfifle , & je réplique :
Tout eſt ſoumis à ma critique ,
Et Melpomène & l'Opéra ,
Et le tripot Académique ,
Les Courtiſans , & cætera .
Le Théâtre eſt aſſez comique ;
On peut du moins rire en ſecret ,
Des grands eſcrocs & de leur clique ,
Etdes Auteurs de Nicolet.
VERS à M. *** , Inspecteur des Mines ,
furfon Mariage avec Mlle ***.
H
EUREUX Damon , vous trouvez une mine
Bien préférable aux mines d'or.
Eſprit, grâces , bonté , taille élégante & fine ,
Charmes plus ſéduiſans encor ,
Qu'on ne voit pas , mais qu'on devine..
Il ſera doux , je l'imagine ,
D'être inſpecteur de ce tréſor.
DE FRANCE.
A Mile DE GAUDIN , Auteur d'un
Éloge de Voltaire.
CHEZ les Quarante Beaux- eſprits
J'ai vu pleuvoir l'éloge du génie ,
Et les Grâces prétendre au prix
De la fublime Poéfie ;
Mais votre aimable eſſai n'en eut pas tout l'honneur.
Votre Héros , belle Afpafie ,
Avoit trop bien formé votre digne vainqueur ;
Dans quelle douce ivreſſe il vous eût applaudie !
Vos yeux & votre lyre auroient fait ſon bonheur.
Je croirois effacer la gloire de ſa vie
Si j'obtenois dans votre coeur
Le rang qu'il occupoit dans le coeur d'Émilie.
( Par M. de la Louptiere. )
LES DEUX ÉPIS , vieille Fable
ravaudée à neuf.
SI tout parle dans l'Apologue ,
Faiſons donc parler deux Épis .
Profitons de leur dialogue.
Pour qui n'en fera cas , tant pis.
L'un , vers le ciel , levoit ſa tête ,
L'autre la baifſſoit humblement.
1
Aii)
6 MERCURE
Le premier plaiſantoit ſouvent ,
Et taxoit le ſecond de bête.
Vois mon maintien : comme il eſt droit!
Dans tout ce que je fais , je mets de l'importance ;
J'ai de l'eſprit.... de la naiſſance .....
Mais toi ! .... chacun te montre au doigt.
C'eſt trop long- temps ſouffrir ton perfifflage ,
Reprit l'autre Épi vivement ;
Tu te crois un être Important ,
Quand tu n'es rien aux yeux du ſage .
Apprends de moi , mon cher voifin ,
Et que ma leçon te corrige ,
Que l'on confervera mon grain ,
Et que le moindre vent emportera ta tige.
J'AI vu ſouvent le ſot s'ériger en cenſeur ,
L'ignorant perfiffler le ſage.
Lequel des deux a l'avantage ?
Décidez-en , mon cher Lecteur.
( Par M. France de la Gravière , Officier
au Régiment de Neuftrie.)
DE FRANCE.
7
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précedent.
LE
E mot de l'énigme eſt Carte à jouer;
celui du Logogryphe eſt Sommeil , où ſe
trouvent Io,fol , Loi , oeil , oie , lime , mil
lie, miel ,mi ,fi fol.
NIGME.
CHMzEZZ celui- ci léger ,&conftant chez cet autre ,
J'obéis à la loi que me donne un enfant ;
Tel croit bien me tenir qui me perd à l'inſtant ;
Lecteur , pour le plus sûr , défiez-vous du vôtre.
( Par M. L. V. )
LOGOGRYPHE .
E fuis le nom d'un inſtrument , JE
Qui d'aſſez loin ſe fait entendre ,
Et dont le ſon , plus fort que tendre ,
Au ſexe délicat déplaît communément.
J'ai huit lettres: voyons commentje dois m'y prendre,
Pour en tracer ici le développement.
Jadis c'étoit , dit- on , l'uſage ,
Qu'en pareilles diſſections ,
Desmembres du ſujet ontronquât l'aſſemblage ,
Aiv
8 MERCURE
Sans employer d'inverſions :
Par la ſuite , on vit la licence ,
Cherchant de mots divers une grande affluence ,
Dans ces décompoſitions
Admettre cent contorfions.
Mais aux loix de la règle antique ,
En cette oeuvre me conformant,
J'indique , ſans renverſement ,
Une bonne Cité de la plage italique ;
Ce qui fait regretter le mal ,
Ou bien un robinet , d'où la main ſait extraire
Une liqueur ſuave & falutaire ;
Ce que ſent mieux que l'homme un fidèle animal ;
Un oiſeau que peut-être on trouve dans ta mère ,
Mais dont le nom , juſtement révéré ,
Déſigne auſſi plus d'un Saint- Père ;
Un être qui n'a qu'un ſeul frère ,
Avec lequel jamais il ne s'eſt rencontré ;
Et dont l'épaiſſeur d'une ſphère
Toujours le tiendra ſéparé ;
Certain vent que l'on n'aime guère ,
Mais que cependant on préfère
A ſa déſagréable ſoeur ;
Deux ſommes qui bien fort diffèrent de valeur ;
Car la première , en fractions féconde ,
Neufmille fix cent fois renferme la ſeconde.
DE FRANCE. 9
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
POÉSIES & Pièces Fugitives diverſes de
M. le Chevalier de B***. A Amſterdam ,
& ſe trouvent à Paris , chez Deſenne , au
Palais Royal , paſſage de Richelieu .
EXPOSER un Ouvrage quelconque au grand
jour de l'impreſſion , c'eſt en quelque forte
dire au Public : Jugez - moi. Mais on peut
dire de celui ci que le Public l'a déjà jugé. Les
Poéſies légères de M. le Chevalier de Boufflers
ſont généralement reconnues ſupérieures à
tout ce qu'on a fait de nos jours en ce genre ,
pourvu qu'on excepte les Pièces Fugitives de
Voltaire, de M. de St- Lambert, & une grande
partie de celles de Greffet , & de l'Auteur
des Fantaifies . Un grand avantage de l'Édition
que nous annonçons ſur le Recueil des
Fantaisies , & fur tous ceux de ce genre ,
c'eſt qu'elle ne contient pas une ſeule Pièce
qui ne ſoit achevée. On a comparé M. de
Boufflers à Chaulieu ; mais , comme on fait ,
comparaiſon n'est pas raiſon. Chaulieu pofsède
dans un degré éminent une ſenſibilité
à la fois douce & profonde , voluptueuſe
& philofophique ; mais il eſt diffus & incorrect
; c'eſt un Poëte Épicurien , dont
l'imagination eſt auſſi pareffeuſe que bril
Av
10 MERCURE
lante. M. de Boufflers a plus d'eſprit que de
ſentiment. Il reſpire cette gaîté Françoiſe qui
s'évapore dans nos cercles & qu'il fait fixer
dans ſes Écrits. Il poſsède le don de dire des
choſes flatteuſes avec cette fineſſe intérefſante
qui rend l'éloge piquant. C'eſt unCourtiſan
ſin & délicat , qui ne fait que fourire
des travers qu'il peint , & dont l'imagination
, pleine de faillies & de raiſon , a fans
ceffe à ſes ordres toute l'artillerie légère de
l'eſprit du monde. Quelle aiſance ! quelle
préciſion ! quelle délicateſſe dans ſes tours !
Deſmahys n'a rien de plus ingénieux ni de
plus varié. Tout le inonde connoît les Opufcules
de M. de Boufflers ; mais nous ne pouvons
nous empêcher d'en citer quelque choſe.
Ce qui eft bon, ſe relit toujours avec un
nouveau charme.
A Madame ***.
La ſageſſe eſt ſublime , on le dit ; mais, hélas !
Tous ſes adorateurs ſouvent ne l'aiment guère ,
Et fans vous je ne faurois pas
Combienla ſageſſe peut plaire.
Il falloit qu'à mes yeux elle eut tous vos appas.
L'Amour ſe cache , il rend les armes ;
Il eût vaincu par vous , par vous il eſt vaincu;
Jamais il n'aura tous les charmes
Que vous prêtez à la vertu.
On la voit dans vos yeux. Ah ! qu'elle y paroît belle!
Lorſque vous nous parlez , c'eſt elle qu'on entend :
DE FRANCE. 11
Vous lui prêtez toujours une forme nouvelle ,
Tantôt c'eſt de l'eſprit , tantôt du ſentiment.
Enfin elle eſt ſi naturelle ,
Elle a fi bien vos traits , que nous ignorons tous-
Si c'eſt vous que l'on aime en elle ,
Ou bien elle qu'on aime en vous.
Nous ne connoiffons rien de plus élégamment
écrit & de plus délicatemen: penſé.
Il n'eſt pas aifé de prêter ainſi une grâce
durable à ces petites Pièces de vers preſque
toujours ſi juſtement appelées fugitives.
Quelques endroits d'Horace & de Claudien
traduits en vers , & non encore imprimés
, donnent un nouveau prix à cette Édition.
M. le Chevalier de Boufflers traduit
auſſi bien qu'il compoſe , ce qui est très rare.
* On a vu , obſerve le Traducteur du
» Traité des Bienfaits de Sénèque , des
>>Écrivains du premier ordre * immorta-
>>lifés par des productions qui leur étoient
* propres , & qui , paroiſſant démentir en-
>> ſuite ce talent fublime dans de foibles
>>verſions , n'ont été jugés inférieurs à leurs
» originaux , que parce qu'ils l'étoient à
>>eux-mêmes. » C'eſt créer en poćſie , que
de bien traduire ; il n'eſt pas aifé de faire
* Entr'autres , la Bruyère , dont les Caractères ſont
un fi bel Ouvrage , & la Traduction de ceux de
Théophrafte eft fi foible; Segrais , ſi ſouvent plein
d'élégance & de charme dans ſes Églogues , & fi plat
dans ſa Traduction des Georgiques.
Avj
12 MERCURE
des conquêtes ſur le génie & fur la langue
des anciens. Les vrais connoiffeurs jugeront
qu'il ne falloit pas moins que le talent de
M. le Chevalier de Boufflers, ou de M. le Duc
de Nivernois , pour rendre heureuſement
l'Ode ſuivante : Otium divos rogat , &c.
ENVIRONNÉ d'écueils , dans l'horreur des ténèbres ,
Quand le navire cède à la fureur des flots ,
Le Nocher vers les cieux pouſſe des cris funèbres ,
Et leur demande le repos.
Le Thrace belliqueux , & le Mède ſauvage ,
Demandent le repos au milieu des combats ;
Nous le demandons tous ; mais de tout l'or du Tage,
En vain on le payeroit , il ne s'achète pas.
Le riche , tourmenté de ſecrettes alarmes ,
Sous ſes lambris dorés n'a pas un jour ſerein;
Et la crainte au travers des faiſceaux & des armes ,
Vient ſaiſir le Tyran dans ſon palais d'airain .
Au ſage les tréſors ne ſont pas néceſſaires ;
Content de pofféder la paix & la ſanté ,
Il vit dans ſes foyers comme ont vécu ſes pères ,
Modeſte imitateur de leur fimplicité.
POURQUOI ces longs projets dans cette courte vie ?
Nous n'avons qu'un inftant , hâtons- nous d'en jouir.
Malheur à l'infenſé qui fuit de ſa Patrie ,
Il trouvera par-tout celui qu'il cherche à fuir.
DE FRANCE.
Pour trop fidèle eſcorte en ſes triſtes voyages ,
Il traînera l'ennui dans cent pays divers ;
Auſli prompt que le vent qui chaſſe les nuages ,
L'ennui le pourſuivra ſur les plaines des mers .
Aux ſoins de l'avenir l'eſprit ne peut ſuffire ;
Recevons chaque jour comme un nouveau bienfait ;
Qu'à nos mots la gaîté mêle ſon doux ſourire ;
Il ne faut pas compter ſur un bonheur parfait.
La mort trancha trop tôt les beaux deſſeins d'Achille ;
Titon , dans les regrets , vit prolonger les ſiens ;
Et peut- être , Groſphus , que la parque me file
Des jours plus heureux que les tiens.
Le haſard , la nature & les arts t'obéiſſent ;
Tes Courſiers en Élide ont remporté le prix ;
Dans les prés de Sicile au loin tes boeufs mugiffent ,
Et Tyr a pris le ſoin de teindre tes habits .
MOI , je reçus du Ciel un moins vaſte héritage ;
Mais les Grecs m'ont tranfmis & leur lyre & leurs
chants ;
Et , fatisfait de mon partage ,
Je fais rire des ſots & me paſſer des Grands.
Voilà de la poéſie ſans recherche , de la
poéſie ſimple , préciſe , & pleine de ſens.
C'eſt Horace qui s'exprime dans notre langue.
Que l'on compare cette Traduction avec
la meilleure verſion en profe , & l'on verra
14 MERCURE
que traduire un Poëte en proſe, c'eſt prefque
toujours lui ôter fon génie. Le profateur
ſe pique d'une fidélité apparente ; mais
quelque talent qu'il ait , il ne rendra ni les
beautés de ſtyle , ni l'harmonie , ce qui conftitue
eſſentiellement la poéſie. C'eſt un deffinateur
qui , avec un ſimple crayon , s'imagine
rendre le coloris de Rubens. C'eft
moins que cela. Il eſt preſque impoſſible
que le Traducteur en proſe ne ſe contente
pas de la verſion des mots & des tours ,
tandis que le plus ſouvent , pour rendre en
effer l'idée de l'Auteur , abſtraction faite du
ſtyle , il faudroit un équivalent. Ces réflexions
, toutes juſtes que nous les croyons ,
n'empêchent pas qu'on ne life avec le plus
grand plaifir les Traductions en proſe de
deux métamorphofes d'Ovide par M. le
Chevalier de Boufflers. Elles ſont aufli poétiques
& auffi élégantes que la verfion de
l'Abbé Bannier eſt proſaïque & rampante.
Elles font d'ailleurs bien plus fidelles. Voici
ladeſcription du Palais du Sommeil dans la
Fable de Ceyx & Alcionne.
ود
وو
" Près de Cimmerie , eſt un réduit profondément
creusé dans les flancs d'une
» montagne. C'eſt la retraite & le ſanctuaire
du peſant Sommeil. Dans ces lieux
inacceſſibles aux rayons de l'afſtre du jour ,
la terre exhale d'épaiſſes vapeurs , & ne
>> reçoit que la lueur douteuſe du crépuf-
رد
23
رد cule; jamais les chants de l'oiſeau crêté du
>> matin n'y appellent le jour; m le chien
DE FRANCE. IS ريخ
» vigilant , ni l'oie plus inquiète encore,
>>ne troublent le filence de ces lieux. On n'y
• entend ni le bruit des feuilles , ni les cris
>>des bêtes , ni la voix des hommes ; tout ſe
» tait ; mais du pied de la roche , un foible
>>bras du Léthé roule ſur le gravier avec
» un murmure affoupiſſant. Autour de la
> caverne , fleuriſſent de tranquilles pavots
» & d'autres fleurs ſans nombre , dont la
> nuit exprime le lait pour répandre le ſom-
▸ meil ſur la terre obſcurcie ; point de
>>portes qui roulent ſur des gonds bruyans ,
» point de gardes qui veillent à l'entrée. Au
>>milieu de l'antre , un lit de duvet eſt placé
» ſur des pieds d'ébène ; un ſombre rideau
l'entoure. C'eſt là que le Dieu repoſe ſes
» membres nonchalans . Autour de lui ſont
>> répandus , çà & là , fous diverſes formes ,
>>tous les ſonges divers , auſſi nombreux
» que les épies des moiſſons , les feuilles des
>>forêts & les grains de ſable des rivages. »
La même deſcription , traduite en
vers par M. de Saint - Ange , qui a bien
voulu nous confier ſon manuſcrit , va offrir
à nos Lecteurs un objet de comparaiſon qui
leur ſera peut être agréable; car enfin , la
plus belle proſe dégrade la poéſie. Les vers
ne peuvent être parfaitement rendus que par
des vers. On en appelle à toutes les perſonnes
de goût , qui voudront prendre la
peine d'en examiner la différence.
Près des Cimmériens , aux limites du monde ,
16 MERCURE
Sous les flancs caverneux d'une roche profonde ,
Repoſe le Sommeil au fond d'un antre frais ,
De ce Dieu nonchalant ſolitaire palais.
D'une antique forêt l'obſcurité paiſible
En ombrage l'entrée au jour inacceffible.
Une ſombre clarté , crépuscule douteux ,
N'éclaire qu'à demi ce ſéjour nébuleux.
Là , jamais des oiſeaux la troupe matinale
N'éveille par ſes chants l'amante de Céphale.
L'aquilon de ces lieux reſpectant le repos ,
N'oſe du moindre ſouffle agiter les rameaux.
Un calme univerſel règne au loin dans la plaine.
Mais au pied du rocher murmure une fontaine
Qui , roulant mollement ſur un lit ſablonneux ,
Endort au bruit naiſſant de ſes flots pareſſeux .
De pavots odorans une moiſſon féconde ,
S'élève autour de l'antre & ſe penche ſur l'onde.
La nuit va les cueillir , & répand dans les airs
Leur baume aſſoupiſſant , charme de l'Univers .
Au feuil de ce palais aucun Garde ne veille :
Là , nuls verroux bruyans ne font frémir l'oreille.
Mais au fond de la grotte , en un lieu retiré ,
A l'ombre d'un vieux dais , de rideaux entouré,
S'élève un lit d'ébène , où ſur la plume oiſcuſe ,
Endormi dans les bras d'une molleſſe heureuſe ,
Ce Dieu filencieux , couronné de pavots ,
Savoure les douceurs d'un éternel repos.
Enfans tout à la fois , & père des menſonges ,
En foule autour de lui voltigent mille ſonges ,
DE FRANCE.
17
Peuple nombreux , égal aux feuilles des forêts ,
Aux ſables du rivage , aux épics des guérêts.
Il ſuffit d'un pareil morceau pour prouver
que les anciens avoient la tête plus
poérique que nous. Rien de plus vrai, rien
de plus ingénieux que cette allégorie. Continuons
.
" La Déeſſe s'avance , écartant de ſes mains
>>les ſonges qu'elle rencontre : l'éclat de ſes
>>vêtemens répand dans la demeure ſacrée
» une lueur inconnue. Le Dieu entrouvre
» avec peine ſes paupières appeſanties : il
>>ſe ſoulève & retombe; il ſe relève en-
>>core , & fon menton fans appui revient
>>frapper ſa poitrine. Il ſe réveille enfin ; & ,
>> ſoutenu ſur ſon coude , il demande à la
>>Déeffe , car il la reconnoît , le ſujer de ſon
» meſſage. »
Traduction de M. de Saint- Ange.
Iris , des ſonges vains errans ſous le portique ,
Écarte de ſes mains la troupe fantaſtique :
Elle entre; & tout-à-coup le feu de fes rubis
Éclaire d'un jour pur l'ombre de ces lambris.
Le Sommeil ébloui d'un rayon de lumière ,
N'entr'ouvre qu'à demi ſa peſante paupière ;
Trois fois il ſe relève , & retombe ſoudain.
Son menton pareſſeux redeſcend ſur ſon ſein.
Appuyé ſur un bras , & la tête penchée ,
Une main ſur ſon lit négligemment couchéc,
18 MERCURE
Ouvrant enfin un oeil immobile & furpris ,
Il s'arrache à ſoi-même & reconnoît Iris.
Cedernier vers rend avec fidélité , Excuffit
tandemfibife : trait ingénieux qui tient au
génie d'Ovide , & que M. le Chevalier de
Boufflers a omis ſans doute par inadvertance.
Traduction de M. le Chevalier de B** .
"O vous , lui répond t'elle , le plus tran-
» quille des Dieux, Sommeil, repos des êtres,
>> paix de l'âme ; vous , devant qui fuit l'in-
» quiétude ; vous , dont les ſoins journaliers
>>adouciffent les peines de l'homme , & lui"
ود rendent les forces pour ſes travaux : or-
>> donnez que le plus reſſemblant des fon-
>>ges aille ſous les traits de Ceix , trouver
» Alcionne dans la ville d'Hercule , & lui
>> peigne le naufrage de ſon époux. Après
» avoir rempli ſon ordre, Iris part ; elle
n'eût pu réſiſter plus long temps à la va-
» peur qu'exhaloient ces lieux, & déjà le
ſommeil s'emparoit de ſes ſens; elle fuit ,
& retourne dans l'Olympe par le cercle
» qu'elle venoit de tracer. >>
2
"
Traduction de M. de Saint - Ange.
Sommeil , Dieu bienfaifant , dont la pure ambrofic
Rend plus douce aux humains la coupe de la vie;
Toi , qui des ſens flétris ranimant la langueur ,
Aux organes vaincus redonnes leur vigueur;
DE FRANCE.
19
Puiſſant Dieu du repos , fais qu'un ſonge ſiniſtre ,
Des noirs preſſentimens ordinaire miniſtre ,
A la Cour d'Alcionne , horrible Ambaſſadeur ,
D'un époux ſubmergé lui peigne le malheur.
Voilà, lui dit Iris , ce que je te demande ,
Ce que le Ciel permet , ce que Junon commande.
Iris , qui ſent déjà l'effet aſſoupiſſant
Des vapeurs qu'en ces lieux exhale un air peſant ,
Part , & développant fon aîle radicuſe ,
Retrace dans les airs ſa route lumineuſe.
On fait qu'une Traduction en vers ne
peut, & même ne doit pas être littérale. Le
Poëte , guidé par une intelligence fine &
délicate, doit ſouvent prêter a fon Auteur
ſon imagination ; il doit entrer dans l'eſprit
des anciens , non-ſeulement pour bien entendre
ce qu'ils ont penſé , mais pour exprimer
encore ce qu'ils ont ſenti , & rendre à
ſes Lecteurs la ſenſation qu'il a reçue , quoiqu'elle
ne ſoit pas toujours verbalement
exprimée. Il ſemble avoir étendu une penſée
ou une image ; mais il n'a fait que rendre
je ne fais quelle force ſecrette de la langue
originale , & fuppléer , en quelque forte , à
l'infériorité de la ſienne. Quelquefois il eſt
obligé de retrancher des détails peu importans
auxquels le génie de ſa langue ſemble ſe
refufer. Le proſateur est moins (crupuleux ;
comme il ne peut preſque jamais parvenir à
une égale compenſation de beautés , on
exige toujours de lui l'exactitude. Ces réfle
20 MERCURE
1
xions peuvent s'appliquer à ce que l'on va
lire.
1
ود
ود
Traduction de M. le Chevalier de B**.
« Le père des Songes appelle , dans la
foule de ſes enfans , Morphée , l'habile
imitateur ; nul autre ne fait mieux expri-
» mer les traits , la démarche , les vêtemens.
>> Il y joint le fon de la voix & les diſcours
ود
ود
ود
de ceux qu'il repréſente ; mais celui- là ne
contrefait que les hommes ; un autre ſe
transforme en quadrupède , en oiſeau, en
>> ferpent à longs replis; les Dieux le nom-
» ment Cyclos , & le commun des hommes
Phobetor. Un troiſième , c'eſt Phantafe,
>> a un autre emploi. Celui - là repréſente la
» terre , l'onde', la pierre , le bois ; enfin
>> tous les corps inanimés. Le Dieu les laiſſe ,
» & choiſit entre tous Morphée pour rem-
>>> plir les ordres de Junon ; & déjà ſa tête
>> appeſantie retombe avec langueur , & fe
>> replonge dans le duvet. »
Traduction de M. de Saint-Ange.
Parmi l'eſſaim léger de ſes nombreux ſujets ,
Le Dieuchoiſit Morphée ; aucun autre jamais
Ne fut mieux d'un mortel emprunter le viſage ,
Sa démarche, ſa voix, & même ſon langage.
Un autre imite mieux le cri des animaux ,
Les replis du ſerpent , la plume des oiſeaux.
D'un autre ſonge enfin la magique impoſture
DE FRANCE .
21
Des corps inanimés ait prendre la figure ;
Tous trois égaux entre-eux dans leurs divers emplois
Volent également ſous le rideau des Rois.
Mais des ſonges rians la troupe ſubalterne ,
Sous le toit folitaire, au fond d'une caverne ,
Charmel'eſprit du ſage ou le coeur du Berger.
Le Sommeil, ſans troubler ce peuple menſonger ,
N'éveille que Morphée ; & c'eſt lui qu'il deſtine
A remplir de Junon la volonté divine.
Là, ce Dieu fatigué, dans les bras du repos
Retombe , & fait gémir ſa couche de pavots .
Voiciune citation un peu étendue ; mais
on ne peut trop rappeler les modernes à l'imitation
des anciens. Il ne ſuffit pas de penſer
ſagement & d'écrire en vers pour être Poëte :
il faut encore ſavoir imaginer d'agréables
fictions. Celle- ci eſt un modèle. Il eſt étonnant
que M. le Chevalier de Boufflers ait
omis entièrement un trait d'Ovide très- heureux,
& que M. de Saint-Ange n'a pas ou
blié :
Regibus hi , ducibuſque ſuos oftendere vultus
Noctefolent ; populos alii plebemque pererrant.
Au ſurplus , M. le Chevalier de Boufflers
a traduit de même en proſe les plus belles
Scènes de la Tragédie d'Hyppolite de
Sénèque. Le ſtyle de cette verſion trèsfidelle
, eſt ſoutenu & accompagné d'ornemens
poétiques , ſuivant l'admirable modèle
que nous en a laiſſé l'Auteur de Télé22
MERCURE
maque. Enfin , cette nouvelle Édition contient
ſes Lettres ou fon Voyage en Suiffe.
On a de plus fupprimé beaucoup de Pièces
fauſſement attribuées à l'Auteur , & on en
a ajouté pluſieurs qui n'avoient point encore
été imprimées.
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Recueil
des Pièces qui ont paru avec ſuccèsfur les
Théâtres des Capitales de l'Allemagne ,
par M. Friedel , Profeſſeur en ſurvivance
des Pages de la grande Écurie du Roi.
Second Volume. A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ; chez
Couturier , quai des Auguſtins ; à Verfailles
, chez Blaizot, rue Satori; à Léipſic ,
chez Dyk; à Berlin , chez Wever; àGotha ,
chez M. M. Reichard , Bibliothécaire; à
Manheim , chez M. Schwan , & à KonigsbergenPruffe
; chez M. Friedel , Directeur
des Fermes du Roi.
QUAND M. Friedel publia le premier Vol.
du Théâtre Allemand , nous applaudîmes
au projet de cet intéreſſant Ouvrage. Nous
jugeâmes qu'il pouvoit être tout à la fois honorable
aux Muſes Germaniques , & utile
aux Muſes Françoiſes. Quant au choix des
Pièces , & au mérite du Traducteur , quoique
perfuadés qu'on doit ſe défier de fon
jugement en prononçant ſur un Ouvrage
étranger ; quoique perfuadés encore que le
goût , bien qu'il ſoit un , reçoit dans tous les
DE FRANCE.
23
-4
pays quelques nuances particulières que doivent
lui imprimer les uſages & les moeurs ,
nous avons hafardé néanmoins & la louange
& la critique ; mais dans les deux cas nous
en avons moins appelé au tribunal du goût
François qu'au tribunal de la raiſon. C'eſtà-
dire , que nous n'avons allégué aucune de
nos loix dramatiques qu'en les juſtifiant par
celles de la raiſon & de la nature , c'eſt
avec la même franchiſe que nous oferons
dénoncer ce qui nous ſemblera répréhenſible
dans ce ſecond Volume ; & c'eſt avec le
même plaiſir que nous louerons ce que nous
croirons digne d'éloge. Nos reproches ne
fauroient porter aucune atteinte à la gloire
des Auteurs Allemands ; & pour que cet
Ouvrage puiſſe être utile aux jeunes Littérateurs
François , il eſt bon de leur indiquer
les exemples qu'ils peuvent ſuivre , & ceux
qu'ils doivent éviter.
Ce Volume renferme Jules de Tarente ,
Tragédie ; le Comte d'Olsbach , Comédie ,
& un petit Drame intitulé : Menzikow , ou
l'Ennemi Généreux. Avant de parler de ces
trois Ouvrages , nous dirons encore un mot
du ſtyle du Traducteur. En le félicitant fur
la connoiffance qu'il montre de la langue
Françoiſe, on defireroit qu'il ſe défiât davan
tage de ſa qualité d'étranger. Il est bon de
ſavoir douter d'une expreſſion ou d'un tour
dephrafeavant de l'employer. Acte premier ,
Scène fixième de Jules de Tarente , on lit :
il s'irrite de ce qu'ily ait des choses indiffé24
MERCURE
rentes ; il falloit dire , il s'irrito de ce qu'il y
a , ou bien , il s'irrite qu'ily ait , ou plutôt
il falloit chercher un tour de phraſe plus
élégant. Scène ſuivante : Elle diſpoſe ellemême
à faveur d'un mortel ; il falloit , en
faveur. Acte ſecond, Scène troiſième , l'Héroïne
de la Pièce , en déplorant ſes malheurs,
s'écrie : Hélas ! tout est muet ; & on lui répond:
ou plutôt tu es hors d'état de les entendre
, ma chèrefille. Cette phraſe n'eſt point
Françoiſe. A quoi ſe rapporte les ? L'Auteur
veut qu'il ſe rapporte à tout ; mais il faudroit
avoir dit , pour être exact , tous les
êtresfont muets , pour pouvoir dire enfuite ,
tu es hors d'état de les entendre. Acte troiſième
: Ce Livre devroit être placé devant le
trône , toujours ouvert. Ouvert ſe rapporte ,
par le ſens , à livre , & par la phrafe , à
trône. C'eſt un tour vicieux , une expreſſion
amphibologique. Plus loin : mon coeur treffaillit
de joie dès que je t'apperçois ; il falloit,
treſſaille dejoie. Dont l'esprit est auſſi
peu vrai que l'esprit n'est naturel. Aufſfi peu
vrai qu'il N'EST , n'est pas du Francois, non
plus que ceci : que je vous ai des obligations !
il faut dire , que je vous ai d'obligations. Le
Traducteur , avec plus d'attention & de
ſoin , pouvoit éviter de pareilles fautes.
Elles font pardonnables chez un étranger ;
mais M. Friedel écrit aſſez bien notre langue
pour qu'on puiſſe lui faire un devoir de
l'écrire mieux.
Paſſons à l'examen des Pièces que renferme
DE FRANCE.
25
ferme ce ſecond Volume. Rien de plus étranger
à notre Théâtre , rien de plus étrange
peut êtreque laTragédie de Jules de Tarente.
Le ſujer eſt une rivalité amoureuſe entre
deux frères , dont l'un finit par tuer l'autre.
Nos Corneille & nos Racine auroient pu
adapter une pareille action à la Scène ;
mais aucun Poëte François n'auroit imaginé
les détails de la Pièce Allemande , & n'auroit
adopté le ton qui règne dans cet
Ouvrage. L'objet de l'amour des deux
frères eſt une Religieuſe , & leur oncle eſt
un Archevêque , perſonnage ſi inutile à l'intrigue
, qu'il ſemble que l'Auteur n'ait ambitionné
que le plaiſir de mettre un Archevêque
ſur le Théâtre. Le dialogue en est trèsdéclamatoire
& très- abondant en comparaiſons
; & l'on fait combien la comparaiſon
eſt contraire à l'Art dramatique. Les perſonnages
de cette Tragédie parlent ſouvent
avec chaleur & avec énergie , mais preſque
jamais naturellement. La première Scène
nous ſuffiroit pour donner de très-nombreux
exemples de ce défaur. O mon ami , s'écrie
Jules en ſe plaignant de ce qu'il a ſouffert la
nuit dernière , il faut bien que notre âmefoit
un être fimple ; fi le poids énorme qui peſoic
cette nuit fur la mienne , eût preſſsé un être
compofé, les liens qui auroient uni fes parties
ſeſeroient brisés , & elle feroit rentrée dans
la pouſſière. Plus bas il ajoute : Agité d'un
ſentiment , j'étois auſſi- tôt pouffé avec violence
vers un autre qui lui étoit oppoſé ;
Nº. 36 , 7 Septembre 1782 , B
26 MERCURE
& tour- a- tour emporté par tous ceux qui
Séparent les extrêmes , j'ai été traîné d'un
bout de la nature humaine à l'autre. Ce n'eſt
pas là le ton du dialogue ; c'eſt là tout au
plus le ſtyled'un Poëte. Dans la Société perfonne
ne parle ainſi ; & le dialogue dramatique
est l'image du ton de la Société. La
nuance qui est particulière à la Tragédie ,
ne doit pas heurter ſi fortement le ton de la
narure L'emphaſe n'est pas de la nobleſſe ;
un pattonnage paſſionnéne doitni faire de
Fetorit , ni courir après des comparaiſons
forcees; comme quand ce même Jules dit
à fon Confident : Trêve de philofophie.....
dans le tumulte des paſſions , c'eſt de l'harmonie
pour desfourds. Cela peut être vrai ;
mais dans le tumulte des paſſions on ne s'ex
prime pas ainſi.
Tout le premier Acte est très- long , & infecté
d'un ftyle figuré & emphatique. Mais
tien n'eſt plus fingulier, plus original que
le ſecond. La première Scène en eſt déjà trèscurieufe,
c'eſt Jules qui vient au parloir du
Couvent où eſt renfermée la Religieuſe
Blanche, fon amante. Nous allons la citer
en partie.
JULES , à l'Atbeſſe qui entre.
" Je veux parler à la Soeur Blanche,
L'ABBESSE.
>>Seigneur , vous ſavez la défenſe de votre
» père,
DE FRANCE.
27
JULES.
» Madame , mon père a aujourd'hui foi-
- xante ſeize ans , &je ſuis Prince heredi-
> taire.
L'ABBESSE.
» Je vous entends , vous même me dic-
>> tez mon devoir. Je ferai à votre fils la
>>même réponſe dans des circonstances ſem
* blables.>>
Voilà qui est ferme & raisonnable. Voici
ce que répond le Prince Héréditaire.
JULES.
« Vous me répondrez d'elle , Religieuſe
» ou non ...... Quelle eſt la plus ancienne
>>règle , celle de la Nature ou celle d'Au-
>> guſtin?.... Je la conduirai dans mon ap-
>>partement , fût- elle devenue une Sainte
>> environnée de l'auréole , & le Prêtre dût-
>>il , au lieu de nous bénir , prononcer l'ana
>>thême juſques ſur notre millième gené-
>>ration. Ici , dans cette falle , je mettrai fon
>>voile en pièces , je le jure , foi de Prince....
>> Songez - y bien , Madame l'Abbeffe , je
» viens renverſer votre Monastère juſqu'à
» l'Autel ; & votre Patronne en ſourira , fi
> c'eſt une Sainte . »
Après ces apoſtrophes très-peu religieuſes ,
que l'Abbeffe repouſſe avec fermeté , mais
avec modeftie , on ne s'attend pas au bruſque
dénouement de cette Scène, Le voici :
Bj
28 MERCURE.
JULES , se promenant.
"Depuis quand êtes-vous dans ce cloître?
L'ABBESSE.
>> Depuis dix- neuf ans.
JULES.
» Qui vous a ſéparé du monde? .... eſt-ce
» la dévotion ? ou ſont-ce ces murs ? N'avez-
» vous jamais aimé ? Étiez-vous Religieuſe
» avant d'être femme ?
وو
L'ABBESSE.
Ah ! mon Prince , ménagez - moi......
» ( Elle pleure. ) ود J'ai pleuré dix - neuf ans ,
» & je pleure encore .
:
JULES.
>> N'est- ce pas à cette grille qu'il a mêlé ſes
larmes aux votres ? & fans doute il n'eſt
» plus ? »
ود
A ces ſeuls mots , voilà que l'Abbeſſe
s'écrie : Ah ! Ricardo ! fait une pause , ajoute
foudain : Seigneur , vous verrez Blanche. Et
en effet, elle va chercher Blanche , qu'elle
amène. Blanche arrive avec l'Abbeſſe. On
voit que dans cette Scène il eſt queſtion
d'une Religieuſe qui vient parler à l'amant
auquel elle a renoncé; Scène par conféquent
très difficile à motiver. On s'attend
au moins qu'elle ſera courte. Point du tout ,
elle eſt extrêmement longue. Avant de nous
DE FRANCE. 29
féparer , dit Jules à Blanche , il me faut un
reſſouvenir de ton état actuel. A ces mots ,
il lui arrache ſon roſaire , en diſant : Gage
de l'amour d'une cénobite , que tu vas m'être
cher! .... Blanche ,je ne l'échangerai que contre
le premier baifer que tu me donneras le
jour de notre hymen. Jules ne s'en tient pas
là ; il embraffe la Religieuſe , qui , ſur cela ,
s'évanouit ; & de cet évanouiſſement il conclut
qu'elle l'aime encore. Et tout cela eſt
vû, tout cela eft entendu par l'Abbeife ,
qui , pendant cette longue Scène , ne place
que ces mots , encore à la fin : mon Prince ,
laiſſez - nous.
Onest bien auſſi étonné de voir , dans une
Tragédie , un Prince , & un Prince dans le
chagrin , propoſer à l'Archevêque , fon
frère, de boire un coup avec lui pour cauſer.
L'art de choiſir des nuances qui conviennent
à chaque genre , eſt un art fi difficile!
En général , ( & ce reproche que nous
avons mérité nous-mêmes autrefois , nous
pourrions bien finir par le mériter_encore )
on peut obſerver , ſans vouloir faire une
epigramme , qu'il y a toujours un peu
à rire dans les Tragédies des Auteurs Allemands,
comme il y a toujours à pleurer dans
leurs Comédies. Une Pièce chez eux n'eſt du
genre tragique que quand il y a mort d'homme;
de façon qu'on ne peut guères ſavoir fi
l'on a lû une Tragédie ou une Comédie ,
qu'après avoir vû le dénouement.
Du reſte , l'Auteur de Jules de Tarente
Biij
30
MERCURE
s'eſt mis fort à l'aiſe pour les entrées & les
forties. Au cinquième Acte , fur- tout , les
Acteurs entrent & fortent à tout moment
fans ſe voir , & les invraiſemblances y font
entaffées . Le Prince ſe trouve ſeul avec le
cadavre de ſon fils , qu'il découvre , & fur
lequel il ſe jette plus d'une fois. Il eſt bien
étonnant qu'on le laiſſe ſeul dans ce moment
& dans cette ſituation. Choſe encore étonnante
, c'eſt qu'après avoir vû fortir le
Prince en prononçant ces mots tout auffi
furprenans : allons calmer mes ſens fous cet
ormeau , on voit arriver Blanche ſeule , précipitamment
& les cheveux épars , dans le
même endroit où eſt le cadavre du Prince.
Elle lève le drap , se jette fur le corps, s'y
rejette de nouveau , pendant un affez long
monologue ; elle tire des ciſeaux de fa poche
, prend une boucle des cheveux de Jules
pour la couper , mais elle tombe de nouveau
furle corps. Elle corpe enfin la boucle , & la
roule autour de ses doigts , en difant : voilà
mon anneau nuptial. Puis elle embraffe & rembraffe
fon amant. Et perſonne ne la vû entrer
! && perfonne ne la voit , ne l'entend !
&le cadavre reſte toujours là ſeul !
Malgré ce qu'on vient de relever , & ce
qu'on pourroit relever encore , on fent à la
lecture de cette Tragédie que fon Auteur eſt
iin homme de mérite; mais fon goût dramatique
feroit dangereux à ſuivre. Les rôles
de l'Archevêque & de Cécile font inutiles ,
tans intérêt , & d'autant plus répréhenſibles ,
DE FRANCE. t
qu'ils ne font pas fans prétention. Il y a de
la force dans celui des deux frères , & celui
du père eſt ſouvent énergique & intéreſſant.
On voit que l'Auteur est un homme qui
penſe , qui a des idées , quelquefois même
agréables , comme quand il fait dire au Prince:
"les femmes , mon frère , font néceſſai-
>> res au bonheur domeſtique d'un vieillard ;
» leur douceur s'accorde avec le calme des
» paffions. » Certe penſée nous paroît charmante.
La catastrophe de la Tragédie eſt
terrible , & feroit ungrand effet au Théâtre .
Guido a tué Jules. Leur père , à qui la juſtice
'ordonne de punir cet affaffinat , s'eſt
mis de venger la mortde ſon fils par le trépas
de celui qui lui reſte ; & il ſe charge
lui même de cette terrible exécution . Va ,
dit- il à Guido , tu mourras de ma main
Prince. Va t'y préparer , un Prêtre t'attend.
Après un monologue qui développe tout ce
qui ſe paſſe dans le coeur de ce déplorable
père, revient l'infortuné Guido :
:
ور
LE PRINCE.
pro-
و
en
« Déjà de retour! .... le ciel t'a-t'il pardonné
?
>>Je l'eſpère.
GUIDO.
LE PRINCE , l'embraſſant.
» Je te pardonne auſſi. Porte à Jules ce
» baifer de paix ,
Biv
:
1
32
MERCURE
)
GUIDO ,ſejatantfur le corps de Jules.
» Ce n'eſt qu'à préſent que j'oſe m'ap-
>> procher de toi .... attends , Jules , attends-
» moi..... Si tu n'es pas encore entré dans le
>> ſéjour des bienheureux , couvre- moi de
>> ta gloire , pour que j'y pénètre avec toi .
LE PRINCE .
» Pour la dernière fois , mon fils , embraſſe
moi. ( Illeferre d'une main & le
>> poignarde de l'autre ) mon fils ! mon fils !
GUIDO tombefur Jutes & lui prend la main.
Réconcilions - nous , mon frère ! ( Il
>> donne en expirant l'autre main àſon père. )
ود
Le Comte d'Olsbach est une Comédie ,
ou du moins un Drame plein d'intérêt . Le
dialogue en eſt naturel & vrai , & l'intrigue
attachante. Le Cointe d'Olsbach eſt un Militaire
généreux & bienfaiſant , qui déplore
tous les jours la perte d'une jeune femnie
qu'il avoit épousée en ſecret , & qu'il croit
avoir été enſevelie ſous les débris d'une ville
priſe d'affaut & abandonnée aux flammes.
Sa femme a cependant été ſauvée avec ſon
père. Ils ont reparu ſous un autre nom ; &
comme l'époux a changé de nom auffi , & que
la Comteſſe le croit mort , la reconnoiſſance
ſe fait fort tard. Ce double changement de
nom , cette double mépriſe des deux époux ,
tout cela tient un peu du roman ; mais
DE FRANCE. 33
il faut toujours bien un peu de romaneſque
dans un Drame ; d'ailleurs , ce défaut , ſi c'en
eſt un , eſt couvert par beaucoup d'intérêt.
La marche en eſt aſſez régulière , & les caractères
affez marqués. La Scène où le
Comte fait à ſa mère l'aveu de ſon mariage
ſecret , avec le récit de la perte qu'il croit
avoir faite , eſt très intéreſſante , & le dénouement
arrache des larmes par les moyens
les plus fimples & les plus naturels. Il y a
dans la Pièce un fripon de Maître- d'Hôtel
dont la phyſionomie eſt piquante. Il pille
fon maître , tranche du grand Seigneur hors
de ſa maiſon , & en conte précisément à la
femme de ſon maître ſans la connoître. Sa
forfanterie & ſa friponnerie amènent une
Scène fort théâtrale. De Vernin , ami du
Comte d'Olsbach , laiſſe exprès chez Mme
d'Orlheim , qu'il ne fait pas non plus être la
femme du Comte , mais qui eſt dans la plus
grande misère , une bourſe avec une lettre
anonyme. On n'apperçoit la bourſe qu'au
moment où le Maître d'Hôtel Kulpel , qui
eſt venu faire une viſite , prend congé pour
s'en aller. Mme d'Orlheim croit que c'eſt lui
qui a laiſſe la bourſe , elle lui témoigne ſa
reconnoiffance , & le prie de reprendre ſon
argent Le fripon , d'abord ſurpris , ſe défend
enſuite foiblement , fait des mines , &
finit par prendre , comme à regret , la bourſe
qu'il n'a point laiſſée. On voit que la ſituation
eſt comique. Sur ces entrefaites arrive
le père , homme bruſque & original , qui ,
Av
34
MERCURE
en apprenant l'action de Kulpel, & jugeant
qu'elle ne va pas à ſa phyſionomie de fripon ,
s'exprime la deſſus avec une naïvete tout àfait
plaiſante. La fortie de Kulpel n'eſt pas
auffi naturelle ; mais de pareilles ſituations
prouvent un vrai talent,
Menzakkooww ,, ou l'Ennemi Généreux , eſt
un petit Drame très court & intereffant.
Il offre un mélange de haine & de generofite
qui produit des effets piquans. Nous n'en
donnerons point ici l'analyfe; il a paru pref
que en entier dans l'un de nos Journaux de
l'année dernière. :
1 Les obſervations que nous nous fommes
permiſes ne doivent pas decourager le Traducteur
de ce Theatre , & ne fauroient indifpofer
fes Lecteurs. Notre critique ne
tombe que ſur la première Pièce , qui , toute
défectueuſe qu'elle eft, offre encore de grandes
beautés. Nous perfiftons à regarder cette
Collection comme très utile. Elle formera
quelque jour un Livre précieux, quioffrira des
plaiſirs à la curiofité,& des fecours aux talens.
(Cet Article eft de M. Imbert. )
CORPS d'Extraits de Pomans de Chevalere
par M. le Comte de Treffan , de l'Académie
Françoife. A Paris , chez Piffot ,
père & fils , Libraires , quai des Auguſtins ,
1782.4Vol. in 12.
On connoiffoit dejà le fond de ces Exmaits
par la Bibliothèque des Romans,dont
DE FRANCE. 38
ils n'étoient certainement pas un des moindres
ornemens ; ils reparoiffent aujourd'hui
avec des differences allez confiderables . Les
Éditeurs de la Bibliothèque des Romans
avoient fait à ces Extraits diveis changemens
que M. le Comte de Treſſan appelle des
embelliſſemens , & dont il parle avec autant
d'eloge qu'il parle avec modeftie de luimeme;
mais enfin , ces changemens on embelliſſemens
n'étoient pas fon ouvrage , il
les reftitue donc aux Auteurs de la Bibliothèque
des Romans , il reprend fon bien tel
qu'il l'avoit fourni ; & pour le rendre plus
digne encore du Public , il y a fait des additions
& des corrections , qui , comme tout
le reſte , font à lui entièrement & fans aucun
mélange du bien d'autrui.
On retrouve dans le premier Volume ,
Tristan de Léonois , Artus de Bretagne ,
Florès & Blanchefleur , Cléomades & Claremonde
, l'Extrait du Roman de la Rose ,
Pierre de Provence & la Belle Maguelone.
Dans le ſecond , la Fleur des Batailles ,
Huonde Bordeaux, Guérin de Moriglave.
Dans le troiſième , Dom Urfino le Navarin
, & Dona Inès d'Oviedo le Petit
Jehan de Saintré, les Apparences trompeuses ,
ou Gérard de Nevers, & Euriane de Dammartin,
fa mie.
Le quatrième Volume contient un Dif
cours fur l'origine des Romans , une Hiftoire
de Rigda & de Régner Lodirog , Roi de
Danemarck, coutemporain de Charles Mar
B
36 MERCURE
tel & de Pepin , & de plus , un Ouvrage
affez confiderable & entièrement nouveau ,
intitulé : Zélie ou l'Ingénue , & dédié à
Mme la Comteſſe de Genlis , juſte hommage
rendu au charmant Auteur des Théâtres
d'Éducation & de Société , à l'illuſtre
Auteur d'Adèle & Théodore. Pluſieurs Romans
, pluſieurs Contes avoient fourni des
ſujets de Comédies ; il étoit réſervé à la
Comédie de Zélie de faire faire un Roman .
Cette Comédie ſuppoſe des événemens antérieurs
à l'action de la Pièce ; ces événemens
font indiqués d'une manière générale
qui ſuffit pour l'intelligence de la Pièce. M.
le Comte de Treſſan ſupplée ces mêmes événemens
d'une manière plus préciſe ; il les
étend , il les développe , il les enrichit de
détails puiſés dans la nature du fujet , & affortis
à l'eſprit & au ton de la Pièce , autant
qu'il a été poffible.
CeRoman eſt diviſé en deux Parties , la
première eft formée de ces événemens antérieurs.
La ſeconde est compoſée des Scènes
mêmes de Zélie , liées ſeulement par le
récit.
Cettenouvelle productionde M. leComte
de Treſſan eſt digne de toutes les précédentes
, & fes talens ſont dignes de s'affocier
àceux de Mme la Comteſſe de Genlis.
Quant aux Extraits qui avoient déjà paru
dans la Bibliothèque des Romans , ils reparoiffent
ici avec des changemens affez
conſidérables pour inſpirer ſeuls le defir de
DE FRANCE. 37
les relire. Le plus piquant & le plus agréable
de ces Extraits nous paroît être le Petit-
Jehan de Saintré , auquel l'Auteur a ſi bien
ſu conſerver ſon caractère original de naïveté.
D'autres donneront peut- être la préférence
à d'autres morceaux ; tous méritent
& ont obtenu les ſuffrages du Public. Ils
joignent à l'agrément d'un Livre amuſant le
mérite ſolide d'un Livre utile ; en effet , ils
peignent avec fidélité les moeurs & les coutumes
de la Chevalerie , & par- là ils rentrent
dans l'hiſtoire de nos antiquités . L'Auteur
ne perd pas une occaſion d'ajouter l'inftruction
au plaiſir des Lecteurs , ſoit dans
les Diſcours Préliminaires , tels que celui
qu'on trouve à la tête du premier Volume ,
& qui roule fur les Romans François , &
un autre placé à la tête du quatrième Volume,
ſous ce titre : Recherchesfur l'origine
des Romans inventés avant l'Ere Chrétienne
& avant que l'Europe fût policée ; ſoit dans
les préambules des divers Extraits , foit enfin
dans les notes qui les accompagnent quelquefois.
C'eft en général ce mélange d'inftruction
& de plaifir qui réunit tous les ordres
de Lecteurs , & qui fait vivre les Ouvrages.
Centuria feniorumagitant expertia frugis ,
Celfi pratereunt auftera poëmata Rhamnes.
Quismifcuit utile dulci .
Leftorem delestando pariterque monendo
Hic meret ara liber Sofiis ; hic & mare tranfit
Et longum notoſcriptori prorogat ayum.
1
:
38
MERCURE
ESSAIS de Sermons prêchés à l'Hôtel-
Dieu de Paris , par M. M **** , Docteur
en Theologie de la Faculté de Paris , C.
R. & B. de S. V. A Paris , chez Charles-
Pierre Berton , Libraire , rue S. Victor ,
1781.
Ce titre modeſte , le ton non moins modeſte
dont l'Auteur parle de ſes Sermons ,
inſpirent d'abord le defir de les trouver
bons , & ce defir eſt en grande partie fatisfait.
L'Auteur fera content s'il peut , dit- il ,
inſpirer quelques ſentimens de refpect pour
les Religieufes Hofpitalières , " ces Heroïnes
و د
de la Religion , ces bienfaitrices de l'hu-
>> manité. » C'eſt encore un vau parfaitement
rempli . En effet , les Hofpitalières
font , parmi les femmes , ce que les Religieux
de la Chatite font parmi les hommes,
c'eſt à dire , la portion la plus néceffaire &
laplus refpectable de l'etat Monaftique , &
celle qui réfute le plus victorieuſement le
reproche d'inutilité qu'on aime un peu trop
à faire aux Religieux.
Ce petit Recueil ne contient que trois
Sermons , tous trois de probation ou de pro
feſſion; il nous ſemble que l'Auteur montre
du talent dans le morceau où il preſente les
tableaux oppoſes , mais également infidèles ,
également exagéres en bien & en mal , qươn
fair ſouvent de la vie Monaſtique.
DE FRANCE. 39
" Peu de perſonnes ſe forment une idée
> juſte de la vie Religieuſe ; les unes , enne-
>>mies de cet etat Saint , ou prévenues contre
lui , le peignent avec les couleurs les
>> plus noires. Sous leurs pinceaux, le Cloître
* eſt une priſon auſtère , environnée de
>> toutes parts de murs inaccetlibles , où l'on
» ne connoit que par reffouvenir les agré-
> mens referves à Thumanité ; le voile eſt
» un joug infupportable qui accable celles
» qui le portent ; les cellules ſont des ſepul.
> cres ouverts où l'on deſcend dès l'âge le
> plus tendre pour s'enſevelir avec les
» morts ; la terre que l'on foule dans ces
* retraites obicures , eſt un defert horrible ,
où il ne croit que des ronces , où l'on
> marche ſur les ferpens ; & le filence qui
y règne eſt celui des tombeaux.
د
» Les autres , enthouſiaſtes de cette vie
> facree, trempent leurs pinceaux dans des
» couleurs préparées par les ſens; leurs
> brillans tableaux repref nient ces foli-
» tudes embellies par la Nature , perfec-
>>tionnées par l'art, les perſonnes qui les
» habitent , plus libres que jamais , font
>> exemptes des peines , des foins & des
inquietudes pour lesquelles l'homme femblené
; rien ne leur manque, tour leur
rit, tour leur ſuccède ſuivant leurs defirs :
* ils ont quitté les douceurs de la maifon
>>paternelle , les embraſfomens de leurs
* parens & de leurs proches ; mais ils ont
> des milliers de maiſons dont ils peuvent
30
40 MERCURE
>> diſpoſer ; autant de pères que de ſupé-
>> rieurs , autant de parens que d'êtres qui
>> reſpirent avec eux ſous les mêmes loix ;
>> la paix& la tranquillité règnent dans leurs
>> demeures agréables, ils n'ont plus à crain-
>> dre les chagrins & les revers , ils coulent
>> des jours heureux , & ces retraites ne
>> ſont ſéparées du reſte des villes , que pour
ود receler plus facilement le vrai bonheur
>> dont elles jouiffent.
>>Trompées par ces peintures impofan-
» tes , combien de jeunes perſonnes ont
>> fui loin du Cloître , à la ſeule idée duquel
> elles frémiſſoient , ou ſe ſont jetées légè-
>> rement dansfonfein ! Les premières n'ont
ود pas ſenti que l'erat de la perfection ne
>> devoit point être un tourment; & les
> ſecondes , trop ſenſuelles , qu'il ne devoit
>> pas être un état dedélices.»
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
LE Vendredi 23 Août , on a repréſenté,
pour la première fois , Tibère & Sérénus ,
Tragédie en cinq Actes , par M. Fallet.
Depuis long temps Tibère avoit voué à
Sérénus une haine qu'il cachoit dans ſon
coeur. La conjuration de Probus ayant
DE FRANCE. 41
éclaté, le nom du Vieillard fut placé , par
ordre de l'Empereur, ſur la liſte des conjurés
. Cette lifte , miſe ſous les yeux de Vibius,
fils de Sérénus , & ami de Tibère , effraye le
jeune homme ſur le deſtin de ſon père ; il
cherche les moyens de le ſonſtraire au courroux
de l'Empereur. On lui conſeille de
profiter de la faveur de Tibère , d'être luimême
le dénonciateur de Sérénus , & d'en
obtenir la grâce. Il cède à cet avis perfide.
Sérénus arrêté , interrogé par les Sénateurs
en préſence de Tibère , qui diſſimule
toujours la haine ſous une feinte modération
, & qui parle de clémence affez adroitement
pour forcer le Sénat à être ſévère ,
Sérénus eft défendu par ſon fils. Vibius
dévoile le myſtère horrible par lequel on
l'a forcé à devenir parricide. Il eſt arrêté ,
chargé de chaînes comme ſon père , & chacun
d'eux eft conduit dans un cachot ; mais
une ſeule muraille ſépare leur horrible
demeure. Un Sénateur , Lentulus , a oſé élever
la voix en faveur de Sérénus &de fon fils.
L'adroit tyran a refuſé leur grâce en louant
le zèle de Lentulus , & en prétextant la néceſſité
de ſe ſoumettre aux voeux du Sénat.
Ce même Sénateur apporte un poignard à
Sérénus; celui-ci va s'en ſervir; ſa voix frappe
l'oreille de Vibius , qui l'engage à vivre sil
ne veut pas que ſon fils ſoit coupable du
parricide tout entier. La priſon de Sérénus
s'ouvre ; ſa fille vient lui annoncer une révolution,
lui arrache le couteau fatal. Le
42 MERCURE
cachot de Vibius eſt forcé ; les amis &
ceux de ſon père les mettent à la tête d'un
parti . Les Gardes de l'Empereur conduits
par Forbice , par l'infâme complice des
cruautés de Tibère , attaquent la troupe de
Sérénus . Forbice & Vibius font tués. La
fille de Sérénus ſe poignarde. Le vieillard
eft conduit devant Tibère ; mais le peuple
s'arme en ſa faveur. Convaincu de fon innocence
, il eſt prêt à tout ofer. Le tyran
diffimule encore, & ſe felicite de pouvoir
conferver les jours d'un homme dont il lui
éroir affreux de ſoupçonner l'honneur & la
fidelite.
Pour mettre ce trait hiſtorique au Théâtre
, I Auteur a cru devoir y faire quelques
changemens. Chez lui , Vibius eft un jeune
homme crédule & fans expérience , que la
diffimulation , la perfidie & l'adreffe ont.
conduit à être le dénonciateur de fon père
qu'il croit coupable, & dont il eſpère obtenir
la grâce. Ce n'eſt pas ainſi que Tacite
nous a peint Vibius. Selon cet Hiſtorien ,
>>Sérénus fut conduit devant le Sénat ſur l'accuſation
contre lui intentée par fon fils. Il
avoit été arraché à fon exil pour comparoître;
il étoit chargé de chaînes & dans l'état
leplus déplorable , tandis que Vibius , richement&
galamment vêtu , la joie peinte fur
le viſage ( alacri vultu) ſe préſentoit comme
délateur & comme témoin d'une conjuration
formée par fon père , tant contre le
Prince que pour faire foulever les Gaules.
DE FRANCE. 43
Onne peut que ſavoir gré à M. Fallet da
motif qui l'a engagé à dénaturer le véritable
caractère de Vibius; il fait honneur à
ſon âme; mais on doit lui faire obſerver
que peut- être vaudroit-il mieux ne choiſir
que des ſujets qui , ſuſceptibles des embelliffemens
& des effets qu'exigent l'Art Dramatique
& l'optique du Théâtre , n'exigeaffent
pas en même temps trop d'altération dans
des faits & dans des caractères connus. Ce n'eſt
pas que nous demandions à un Auteur tragique
la même exactitude que celle qu'on a droit
d'attendre d'un Historien ; mais parmi le
grand nombre des Spectateurs , il en eſt
beaucoup à qui l'Hiftoire eſtà peu près étrangère
, & qu'il ne faut pas induire en de
trop grandes erreurs. Nous croyons que le
Theatre ne devroit jamais déguiſer , mais
toujours embellir la vérité.
L'étendue qu'on deſtine à ces articles ne
nous permet pas d'entrer dans les détails capables
de démontrer les défauts & les beautés
qu'on a remarquées dans cetteTragédie, qui
eft le début de M. Fallet. Auffi-tôt qu'elle
ſera imprimée , nous en rendrons compte à
l'article des Nouvelles Littéraires ; & malgré
les obſervations critiques que nous nous
permettrons , nous eſpérons parvenir à
prouver , que l'Écrivain qui a eu le courage
d'étudier & d'approfondir le caractère de
Tibère dans le portrait que nous en a laiffé
Tacite,& qui a fu marcher de très-près fur les
traces de cet Hiftorien énergique & pra
44
MERCURE
fond, annonce un talent diſtingué & fait
pour obtenir des ſuccès au Théâtre. Nous
répérerons ici ce que nous avons déjà dit
pluſieurs fois , qu'on ne fauroit trop faire de
réflexions avant de porter un fujet fur la
Scène. Il en eſt qu'avec toute l'adreſſe poffible
on ne fauroit dénouer heureuſement,
parce qu'on ne peut dénaturer certains faits,
& qu'alors les reſſources de l'imagination
deviennent inutiles. L'accufation intentée
contre Sérénus & les ſuires qu'elle eut ſont
dans ce cas. L'atroce Tibère doit vivre. Le
Spectateur , en le voyant vainqueur par les
armes & par la diffimulation, doit gémir fur
le ſort des victimes que ce monſtre adroit
ſaura s'immoler par la fuite , & il fort mécontent.
Mais quand M. Fallet commença
cette Tragédie , il étoit dans l'âge où l'on eſt
entraîné par le defirde vaincre les difficultés ,
où l'on cède avec plaiſir à l'afcendant de l'imagination
, & où la raiſon ne brille encore que
par intervalles. Inſtruit par ſa propre expérience,
on doit croire qu'il choifira mieux
ſes ſujets , & nous l'invitons à ſe repréſenter
dans une carrière où il a paru pour
mériter les encouragemens des Connoiffeurs
& des Amateurs de la belle Antiquité.
DE FRANCE.
45
MUSIQUE.
JoOURNAL de Harpe , n°. 8. Ce Cahier contient
trois Airs de Chant d'Opéra- Comique , les Accompagnemens
, par M. Couarde Bauret de la Planque ,
&un Morceau en Pièce de Harpe, par M. Krumpholtz.
Prix , 2 liv. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magaſin de Muſique. Le
prix des douze Cahiers de ce Journal eſt de 15 1.
pour Paris &pour la Province , port franc par la
poſte.
Troisième OEuvre de fix Quatuors concertans
pour deux Violons , Alto & Bafſo , dédiée à M.
Goflec, compoſée par M. Barrière , OEuvre VIII ,
gravée par M. Olivier. Prix , 9 livres port franc par
la poſte. A Paris , chez Leduc , rue Traverſière-Saint-
Honoré , au Magaſin de Muſique.
• Journal de Clavecin , n ° . 8. Ce Cahier contient
l'ouverture de Demoſoorte , Opéra Italien, arrangé
par F. S. Schroetter, un dernier Morceau par M.
Blin , un Rondeau par M. Couparin , & un Air de
Chant par M. Chartrain. Prix. 2 liv. A Paris , chez
Leduc, rue Traverſière Saint-Honoré , au Magaſin
deMuſique. Le prix des douze Cahiers de ce Journal
eſt de 15 liv. pour Paris & pour la Province ,
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Vins, ou le parfait Vigneron , Ouvrage ſuivi d'un
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46 MERCURE
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que d'Eſpagne , de Canarie , du Rhin, &c. nouvelle
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prenne au moins deux Exemplaires , & qu'on
affranchiſſe les lettres de demande.
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Libraire , ci - devant rue Dauphine , aujourd'hui
rue des grands Auguftins, la troiſième portecochère
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de Grammaire , par M. C. M *** , Conſeiller au
Parlement de *** . A Paris , chez Brocas, Libraire,
rue S. Jacques ; Durand neveu , Libraire , rue Galande;
Méquignon l'aîné, Libraire , rue des Cordeliers;
Nyon le jeune , Libraire , Place des Quatre-
Nations ; & ſe trouve à Besançon , chez la Veuve
Daclin , Imprimeur du Roi, grande rue. Cet Ouvrage
eſt diviſé en deux Parties, dont la première
renferme les parties du diſcours & les termes de la
Grammaire , les déclinaiſons & les conjugaifons , les
Subſtantifs avec les articles & les pronoms , &c. &c.
DE FRANCE:
47
précédés d'un Difcours ſur les fignes des idées dans
leurs rapports avec la Grammaire , lequel Diſcours
fert de premier Chapitre. Dans la ſeconde Partie il
eft queſtion des règles de la Langue, de la ponctuation
, des accens , de l'orthographe , de la prononciation
, &c. &c. C'eſt l'amour paternel qui a
fait entreprendre cet Ouvrage. Ce motif doit y
ajouter un nouvel intérêt , & nous eſt garant que
l'Auteur n'a pas négligé ſon travail .
Précis de l'Histoire de France depuis l'établiffement
de la Monarchiejuſqu'au Règne de Louis XVI,
àl'usage des enfans & des perſonnes qui voudront ſe
contenter d'une idéeſommaire de notre Histoire , par
M. Montalon. A Avignon ; & ſe trouve chez Hilaire,
Libraire , rue du Mont & près S. Hilaire .
Differtation fur l'origine des Maladies épidémiques
, & principalement ſur l'origine de la Peſte , où
l'on explique les cauſes de la propagation & de la
ceſſation de cette maladie. A Paris , chez Lamy , Libraire
, quai des Auguſtins. On trouve chez le
même , Tarifpour la jauge des vaifſſeaux propres à
contenir les liqueurs. Prix , 1 liv. 4 ſols.
Réflexions fur les Gens de Lettres & les Journa
listes, fuivies d'une Lettre fur J. J. Rouffeau. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés , Brochure
de 15 pages .
Physique générale & particulière , par M. le
Comte de la Cepède , Colonel au Cercle de Westphalie,
des Académies & Sociétés Royales de Dijon ,
Toulouſe , Rome , Stokholm , Hefſe- Hambourg ,
Munich, &c. Tome premier. A Paris , de l'Imprimerie
de MONSIEUR , & ſe trouve chez P. Fr.
Didot jeune , Imprimeur-Libraire , quai des Augustins;
Durand neveu , Libraire , rue Galande ;.
Mérigot le jeune , Libraire , quai des Auguftins ;
48 MERCURE.
Barrois le jeune , Libraire , rue du Hurepoix. Prix ,
3 liv . Cet Ouvrage contiendra douze Volumes.
Mémoire fur l'Inoculation de la Peste , avec la
description de trois poudres fumigatives anti-peftilentielles
, par M. D. Samoilowitz , Affeffeur des
Collèges de S. M. Impériale de toutes les Ruſſies ,
Docteur en Médecine , Chirurgien- Major du Sénat
de Mofcou , & Membre de la Commiffion contre la
Pcfte. A Strasbourg , chez Lorenz & Schouler , Imprimeurs
du Directoire de la Nobleffe ; & ſe vend
àParis, chez Leclerc , Libraire , quai des Auguſtins ,
chez qui l'on trouve du même Auteur les Expériences
Sur les frictions glaciales pour la guérison de la Peste.
Prix , I liv. 4 fols.
Mémoirefur la manière de reconnoître les différentes
espèces de Pouzzolane , & de les employer
dans les constructions fous l'eau & hors de l'eau ,
pourfervir de ſuite & de ſupplément aux Recherches
fur la Pouzzolane de M. Faujas de Saint- Fond ,
in - 8 °. de 52 pages. A Amſterdam; & ſe trouve à
Paris , chez Nyon , Libraire , rue S. Jean de Beauvais.
TABLE.
Le Retour à la Ville , 3 Nouveau Théâtre Allemand 22
Vers à M. *** 4 Corps d'Extraits de Romans
-Mlle de Gaudin , de Chevalerie , 34
Les deux Epis ibid. Essais des Sermons prêchés à
Enigme & Logogryphe , 7 l'Hôtel- Dieu de Paris , 38
40
45
B*** , Annonces Littéraires , ibid.
Poésies & Pièces Fugitives di- Comédie Françoise ,
verses de M. le Chevalier de Musique ,
APPROBATΙΟΝ.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 7 Septembre . Je n'y al
rien trouvé qui puiſſe enempêcher l'impreffion.A Paris ,
le 6 Septembre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 10 Juillet.
L'ESCADRE duCapitan-Bacha qui étoit à
I'lfle de Lemnos , en a appareillé pour l'Ifle
de Scio; elle est chargée de donner chaffe
à pluſieurs corſaires qui ont paru dans
l'Archipel , & qui ſe ſont emparés de quelques
naviresOttomans venant d'Egypte.
La Porte , fur les repréſentations qui lui
ont été faites au ſujet des ſuites qu'a cues
l'émente des Eſclavons à Smyrne , a envoyé
au Conful de Veniſe un Firman , au
moyen duquel il pourra avoir fur-le- champ
main-forte en pareille circonſtance. Le Baile
de la République a auſſi enjoint au Conful
de punir ceux qui ont été coupables
dans cette émeute , de les dénoncer
àVeniſe par leurs noms & celui de leurs
7 Septembre 1782 .
2
( 2 )
vaiſſeaux , s'ils ont déja remis en mer , afin
qu'ils foient reconnus , & de déclarer à tout
Capitaine eſclavon à ſon arrivée à Smyrne ,
que dorénavant il répondra de la conduite
de ſon équipage.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 26 Juillet.
L'IMPÉRATRICE eſt à Czarsko-Selo , où
elle reſtera juſqu'au milieu du mois prochain
, qu'elle viendra dans cette Capitale ,
où elle affiſtera à l'inauguration de la ſtatue
équestre de Pierre-le-Grand. Cette cérémonie
ſe fera avec la pompe & l'éclat
dignes du Prince auquel on rend hommage ,
&de la grande Souveraine qui le lui rend.
Le traité de commerce entre cette Cour
& celle de Portugal n'eſt encore qu'en
négociation ; & on remarque qu'elle va
avec lenteur. On dit que celui qui doit ſe
faire avec le Danemarck eſt plus près
d'être conclu ; la Cour de Copenhague
accepte , affure-t- on , le plan formé par
notre Ministère , mais qui lui offre moins
d'avantages que n'en procure aux Anglois
celui qui fut fait avec eux il y a quelques
années.
DANEMARCK:
De COPENHAGUE , le 12 Août.
Le vaiſſeau de guerre le Wagrien , qui
( 3 )
a ramené heureuſement tout le convoi des
Indes , à l'exception d'un mavire venant de
la Chine , qu'il a attendu long-tems , mais
inutilement au Cap de Bonne Elpérance ,
a perdu 60 hommes , qui ont péri ſur
fon bord de maladies & d'accidens pendant
ſa traverſée,
Le 6 , il eſt entré dans le Sund 2 fré
gates de guerre Hollandoiſes , l'une de 44
canons , & l'autre de 36 , avec 8 navires
Marchands de leur nation , & un bâtiment
Anglois chargé de ſel , dont elles ſe ſont
emparé dans leur trajet , ainſi que de
deux autres qu'elles avoient fait conduire
dans un port de la République.
Un placard qui vient d'être publié , prefcrit
les précautions à prendre pour les
vaiſſeaux qui arriveront du Levant , de la
Dalmatie Autrichienne & Vénitienne , de
Malte , de Sicile& des côtes de Barbarie.
La Compagnie de la Baltique & de Guinée
fait équiper 14 bâtimens deſtinés pour
laGuinée.
ALLEMAGNE
De VIENNE , le 14 Août.
L'EMPEREUR a finon aboli du moins reftraint
la peine de mort dans bien des cas
où elle eſt peut-être trop prodiguée partout
; il y a ſubſtitué la brouette avec la
22
( 4 )
marque d'infamie ; les coupables auront la
tête raſée , porteront des habits uniformes ,
&feront enchaînés l'un à l'autre par couple.
Le s de ce mois on a commencé à
mettre cette Ordonnance à exécution
par les prifonniers qui avoient été enfermés
dans les maiſons de correction ; on les a
vus travailler publiquement le lendema in
ceux qui voudront les employer à leurs
travaux particuliers auront la permiffion de
les louer.
S. M. I. a fait frapper des médailles d'or
&d'argent en mémoire du ſéjour du Pape
dans cette ville. On y voit d'un côté le
buſte du Pape avec cette inſcription : Pius
VI, Pontifex Maximus , & fur le revers
on lit ces mots: Jofephi II. Aug. Vindob.
Hofpes à die IXKal. Ap. adXKal. Mai
1782.
La lettre paftorale de l'Evêque de Lair
bach,Comte de Herberstein , fait ici laplus
grande ſenſation. Ce favant Prélat y fait
connoître aux fidèles de ſon Diocèſe l'efprit
des arrangemens que S. M. I. a jugé
néceſſaire de faire pour le bien de la religion
& celui de l'Etat ; il y établit en
même-tems avec autant de préciſion que
d'impartialité , les limites entre les droits
du Souverain , ceux du Pape & ceux des
Evêques.
( 5 )
1
De HAMBOURG , le 18 Août.
:
S'IL faut en croire des lettres des frontières
de la Turquie , la réclamation faite
par la Porte à la ſollicitation de la Cour
de Vienne auprès du Dey d'Alger , des navires
Autrichiens enlevés par les corfaires
de cette Régence , n'a pas eu toutle fuccès
qu'on attendoir. On a rendu les équipages
, & on a retenu les vaiſſeaux qui ont
été réclamés de nouveau , le Deya , diton
, ordonné au Député de S. H. de vuider
ſes Etats & d'annoncer au Sultan que ſes
Firmans ne ſeroient plus reconnus que
pendants mois , paffé leſquels on n'y autoit
plus d'égards , parce qu'Alger avoit
beſoin de corſaires ; & que puiſque S. H.
prenoit fi fort à coeur les intérêts de l'Empereur
Romain , il devoit l'engager à traiter
avec la Régence comme les autres
Puiſſances Chrétiennes. C'eſt ſans doute ce
dernier parti que l'on prendra.
>> La Diète prochaine , écrit-on de Pologne, ſera
très-remarquable ſelon toutes les apparences . Il
fera, dir-on , proposé à la Nation un plan relatif
àla féculariſation d'un grand nombre de Couvens ;
on s'attend cependant qu'il trouvera bien des oppoſitions
dans un pays où il y a autant, d'opinions
que de nobles. On prévoit d'avance que l'eſprit
de méſintelligence & de diſcorde ſe gliflera dans
cette Dière; on fait que pluſieurs Magnats regardent
l'éloignement du Comte de Soltick , Evêque
a 3
161

de Cracovie , comme une infraction aux confticutions
de la République; on préſume qu'il ſe
formera une confédération puiſlante , capable de
tenir tête au parti qui voudra s'oppoſer à la réforme
ſans doute néceſſaire dans le pays , de la
diſcipline eccléſiaſtique. En tout cas on ſe promet
beaucoup de bien de la réconciliation qui vient
d'avoir lieu entre le Roi & le Prince Adam Czarsoryski
ce.
On a fait a Stuttgard de très grands préparatifs
pour la réception du Comte &
de la Comreſſe du Nord ; la ville ſera trèsbrillante
à leur arrivée ; tous les logemens
ſont déja arrêtés par les étrangers qui s'y
rendront en foule ; & il ne reſte plus une
feule chambre à louer. Les fêtes qui auront
lieu feront les ſuivantes : illumination ,
feu d'artifice , bal pare , carousel , trois
grands opéras Italiens; grande chaſſe , un
opéra comique Allemand , concert & une
fête champêtre.
>> Les Profeſſeurs de l'Univerſité de Bude , écriton
d'Effek en Hongrie , qui ont été à Emenovèze ,
près de Poſega , décrivent ainſi les phénomènes
qu'ony obſerve depuis quelques mois. -Ilforide
La terre , dans cet endroit , une flamme de figure
Sphérique , qui voltige dans l'air & va mettre le
feu à tout ce qu'elle touche de combustible. C'eſt
tout ce qu'ils en diſent; mais le peuple ajoute que
cette flamme parut pour la première fois l'automae
dernière ; qu'elle ſe porta ſur la chaumière
d'un payſan qu'elle embraſa ; que les pompes y
lançant de l'eau , elle voltigea & ſe porta far une
autre chaumière , qui prit auſſi feu; puis ſur une
troiſième , dès que les pompes jouèrent ſur la ſeconde
, & qu'enfin un paytan la frappant avec une
( 7 )
longue perche, parvint à la diviſer & à la détruire
fans le moindre éclat. Les habitans d'Emenovèze ,
perfuadés que ce globe de feu annonce un volcan
dans lequel ils ſeront tôt ou tard engloutis , ſe
retirent les uns après les autres de ce village , qui
n'eſt déja pas trop peuplé «.
Onmande de Leipſick que la chaleur y
a été très-vive le mois dernier. Le 29 le
thermomètre de Fahrenheit étoit à plus
de 90 degrés au-deſſus du point de la congellation.
Un orage violent qui éclata dans
pluſieurs endroits , où il fit même du dégât ,
rafraîchit l'air ; & le 3 de ce mois , le ther
momètre étoit tombé de 18 degrés.
12
ESPAGNE.
De CADIX , le 10 Août.
On ſe flattoit de poſſéder ici le 16 Mon
ſeigneur le Comte d'Artois ; D. Garceran de
Villalba , Maréchal de Camp , devoit partir
demain pour aller juſqu'à Cordoue au- devant
de ce Prince , & notre Gouverneur
fe propoſoit d'aller le recevoir le 13 à
Xeres ; aujourd'hui le bruit ſe répand qu'il
a pris une autre route & qu'il va en droiture
au camp où il a deſſein d'arriver le 14
de ce mois.
Le Journal du camp de St-Roch va du
premier au 8 de ce mois , & contient les
détails ſuivans.
23
Le premier. On a commandé la nuit dernière
1000 travailleurs François qui ont pris au parc des
Ingénieurs 1000 pipes ou tonneaux qu'ils ont portés
a 4
( 8 )
7
aux travaux; les ennemis ont tiré quelques coups de
canon. - Les travaux de la batterie de l'Hopital
qu'on avoit commencés ſont ſuſpendus ; il n'y a que
les deux côrés qui ſoient couverts; une partie eft
deſtinée pour les Officiers & le reſte pour les Soldats.
On a condamné à la chaîne & aux travaux d'Algéfiras
l'équipagede la félouque venant de Livourne ,
priſe le 21 , & qui précédoit les anavires entrés le
25. Le Capitaine de ce bâtiment étant ſeul Anglois ,
il a été traité comme prifonnier de guerre : mais
fon équipage n'étoit compoſé que d'étrangers qui ,
eabonne juftice , méritoient la punition exemplaire
à laquelle ils ont été condamnés. Le 2 , il a été
publié un ban par lequel il est défendu à tous foldats
& autres de porter des armes hors celles propres au
ſervice du Roi, pour éviter toutes querelles , &c.
- Il est arrivé à Algéfiras 200 conſtructeurs de
laMaestranza de Carthagène ; so ont été employés
fur le champ aux batteries Aettantes , les autres travaillent
aux bâtimens que l'on convertit en chaloupes
canonnières; il y en aura 90 en tour. On a
commandé la nuit dernière 40 piquets de travailleurs
pour porter des fafcines en avant de la ligne ; les Ingénieurs
ont tracé le terrein qui conduira à la nouvelle
parallèle.-Les ennemis continuent leurs tra
vaux dans tous les points où ils ont établi des
batteries dirigées vers la baie, Ils ont placé aujourd'hui
2 canons de la batterie de la Reine Anne ,
dans la direction du Nord-Ouest , ils travaillent de
même à perfectionner toutes les autres batteries .
-Le 3 , on a commandé la nuic dernière 20piquetspour
continuer le tranſport des fafcines,& les
ennemis ont place un troisième canon de la batterie
de la Reine Anne vers la même direction que
ceux de la veille. Nous voyons dans la place ennemie
que la muraille du côté des moulins eſt endommagée
par le haut , vers la partie du Nord ;
les ennemis exercent leurs troufes ſans armes à
) و(
différentes évolutions. -On emploie les Tailleurs,
les Tapiffiers & les Peintres qu'on a pu trouver dans
les différens régimens François & Eſpagnols àmeubler
& arranger les appartemens deſtinés pourMgr.
leComte d'Artois .- Le 4, on a donné des ordres
pour pourvoir la marine, les batteries de terre de
80,000 bombes ; il y aura 181 pièces de canon ou
mottiers qui feront feu entre la ligne & les ouvrages
avancés , & pour le moins autant du côté de
la mer. Les travaux & le tranſport des fafcines ont
été à l'ordinaire. L'ennemi porte des ſauciffons aux
batteries du milien dela montagne qu'il tâche de perfectionner.
Les , on a demandé à l'ordre 2000
volontaires expreſſément deſtinés pour le ſervice des
batteries flottantes ; ils ſeront diftribués par piquets
de sohommes , commandés par un Officier , 2 Sergents
& 4 Caporaux choiſis dans le nombre de ceux
qui s'offriront de bonne volonté. Les Eſpagnols commenceront
ce nouveau ſervice , & fourniront 400
hommes pendant les quatre premiers jours; le cinquièmejour
les François fourniront à raiſon de 333
hommes; pour égaliser ce ſervice , les Eſpagnols
completteront pour 67 hommes , qui feront le nombrede400.
Chaque ſoldat aura s ſols degratification
lorſqu'il ſeraemployé à ce ſervice. On n'a cominandé
la nuit dernière que 3 piquets ; ils ont travaillé à
mettreen pile les effers tranſportés du parc d'artilleric.
Vu le petit nombre des canonniers de la marine
, on a décidé dans le Conſeil de guerre du 4que
le vaiſſeau le St-Ifidore iroit à Puente- Majorga , où
il ſe trouvera à portée du camp , & 2000 hommes
de l'armée ſeront ſucceſſivement exercés ſur ſon
børd; ils ſeront commandés par 40 Officiers tous
debonne volonté ; ces Officiers ſeront nourris& on
donnera to fols de gratification par jour à chaque
-foldar.-Les ennemis ont établi un mortier derrière
l'épaulement qu'ils ont perfectionné ces jours paſſés ,
prèsdu ſommet de la montagne.Nous avons entendu
as
( 10 )
des bruits fourds , &nous jugeons que l'ennemi travaille
a des fourneaux ſouterreins.-Le 6 , pointde
travaux. Les ennemis ont établi aujourd'hui 11 pièces
de canons au haut du vieux môle; ils continuent de
fonifier toute cette partie , & ils exercent continuellement
leurs troupes ; ils ont conſtruit 3 baraques
au nouveau camp. On a donné des ordres pour
former une nouvelle compagnie de Sapeurs , dont
15 gardes Valonnes pafferontdans celle des François.
Cetre compagnie,y compris les Officiers, fera de 106
hommes ; ils jouiront tous des gratifications accordées
par le Roi. Le 7, la place ennemie a tiré la
nuit dernière quelques coups de canon ; nous avons
eu un dragon bieffe. Le Général s'eſt rendu ici
hier au foir pour y tenir un Conſeil de guerre; il
eſt recourné enſuite à fon quartier général.- Les
ennemis continuent leurs travauxdans tous les points.
La place w'a tiré que 2 coups de canon , & a jetté
quelques pots à feu pour éclairer nos ouvrages.Nos
Ingénieurs & Artilleurs n'ont fait que tracer les nouvelles
tranchées pour les batteries qu'ils veulent élever
; les Officiers François en ont fait autant de leur
côté vers laplate-forme où s'étend juſqu'à ce moment
la parallèle.-Le 8 , on a commandé la nuit dernière
16 piquets; ils ont porté des tonneaux aux nouveaux
ouvrages; ils ont conduit 24 charriots chargés de
munitions , de 10,800 ſacs à terre.
-
NGLETERRE.
De LONDRES , le 28 Août.
Nous n'avons point de nouvelles directes
de l'Amérique ſeptentrionale ; les
Gazertes de différens endroits de cerre vaſte
contrée , apportées par les derniers bâtimens
qui en font arrivés , fourniſſent ſeulesquel
(11 )
que aliment à nos Nouvelliſtes. Les principaux
faits qu'elles préſentent ſe réduiſent
aux lettres ſuivantes.
» D'Augusta le 16 Avril. Les Indiens ont recommencé
leurs incurfions fur nos frontières ; le
7 de ce mois , ils ont enlevé près de Vyoming ,
une famille entière , dont ils ont brûlé la maiſon,
Le 13 , les Vedettes de la Compagnie des Chaf
feurs du Capitaine Robinfon , ont apperçu des traces
fraîches d'Indiens , à un mille environ au-deſſus
de l'embouchure de la Lycoming , & ont ſuivi
leurs veſtiges juſqu'à Eeltown , mais on ne fait
pas encore fi elles les ont atreints ou non; nous
nous flattons que les troupes s'avançant à grands
pas, ces cruels ennemis diſparoîtront bientôt.-
De Sumbury le 15 Mai. Vous devez avoir entendu
parler du malheur arrivé au parti que commandoit
le pauvre Lieutenant Van-Campen , qui s'étoit
porté de Muney juſquà Bald- Eagle , où ce brave
Officier a éré tué avec 15 de ſes gens. Je ſuis fâché
de vous informer que ce n'eſt pas là toute notre
détreffe. Nous n'avons eu qu'un bien court intervalle
de paix , les Sauvages ayant recommencé depuis
une ise. de jours les opérations du Scalpel ,
&ayant tué en divers endroits pluſieurs de nos
habitans , femmes & enfans , dont les familles font
au déſeſpoir. La femme du ſieur Tinckle , près la
Crique de Penn , tâchant de s'échapper avec un
enfant dans ſes bras , fut poursuivie de ſi près ,
qu'elle le laiſſa tomber. Les Sauvages l'atteignirent
& la tuèrent d'un coup de tomahaw. L'enfant fut
ſcalpé; mais ayant quelque reſte de vie , il parvint
au moyen des traces du ſang de ſa mère , à ſe
traîner juſqu'auprès d'elle , & ſur ſon ſein où on
l'a trouvé expirant. Ce parti a diſparu enſuite après
avoir pillé le pays & enlevé nombre de perfonnes.
Depuis que les Sauvages , alliés des Anglois,
26
( 12 )
ont commencé à nous maſſacrer , nous n'avons jamais
été fi peu nombreux en habitans , ni fi deftitués
de troupes que nous le ſommes à préfent.
Nos frontières ſont couvertes de ſang & à la merci
d'an, ennemi impitoyable, d'un ennemi ſauvage le
plus dangerenx de tous. Je ne puis m'empêcher
de dire que nous méritions quelque attention de
Ja part du Gouvernement; puiſque , quelque peu
decas qu'on puiffe faire de nous ou de notre utilité,
nous couvrons trois Comtés intérieurs , qui ſeroient
expoſés aux cruautés de l'ennemi fi nous lâchions
le pied. J'espère qu'on fera quelque choſe pour
nous , & que notre pays redeviendra auſſi florif
fant qu'il l'étoit autrefois .-De Northumberland
dans la Virginie le 15 Mai. On mande d'Albanie ,
que deuxeſpions Canadiens y ont été exécutés depuis
peu; ils faifoient partie de 20 autres, qui, l'année dermière
,commirent pluſieurs vols & tentèrent en outre
d'enlever le GénéralSchuyler. L'aſſemblée de cetErat
a fait payer à ceux qui les ont découverts , les
so liv. ft. promiſes ſur leurs têtes, & 300 en ſus ,
-De Savanah le 10 Juillet. Nous n'avons plus
deRoyaliſtes parmi nous ; le Congrès domine ſeul ici,
&perſonne n'en est fâché; parce qu'il vaut mieux
être libre avec quelques charges légères , que d'être
eſclave, accablés & opprimés comme nous l'étions.
Le Général Wayne a établi ſon quartier général
dans nos murs «..
Les mêmes papiers nous préſentent auffi
quelques pièces intéreſſantes parmi leſquelles
celle- ci mérite d'être diftinguée ; c'eſt un
diſcours prononcé par M. John Dickenfon
Préſident de l'Etat de Délaware à l'Affemblée
générale de cet Etat.
MM. , S. M. T. C. a fait tellement éclater fon
amitié pour les Etats-Unis , & fes Sujets nous ont
donné des preuves fi fortes de leur attachement ,
( 13 )
que vous apprendrez certainement avec toute la
fatisfaction de la reconnciſſance & de la ſenſibilité
que les voeuxdenotre cher Allié & ceux de la France
ont été comblés par la naiſſance d'un Dauphin. Une
circonstance doit encore ajouter aux témoignages
de votre allégreſſe en cette occafion ; c'eſt la fatisfaction
que vous éprouverez à exprimer , dans la
ſituation actuelle des affaires , un attachement inviolable
aux engagemens de votre alliance & une
juſte vénération pour la foi nationale. La révolution
générale du Cabinet Britannique réuniſſant enſemble
un grand nombre d'Administrateurs actifs , habiles
& populaires , doit , ſi nous ſommes prudens, ajouter
à la vigueur de nos conſeils &de nos opérations.
Il faut convaincre nos ennemis que notre ſeul objet
dans cette guerre juſte & néceſſaire , eſt une paix
sûre & honorable , & que , ſelon notre manière de
penſer , dont nous ne nous départirons jamais , une
telle paix comprend indépendance & concert avec
notre Allie. Il y a cependant tout lieu de croire
que les nouveaux Miniſtres n'ont d'autre but que de
changer le plan juſqu'alors adopté pour les opérations
militaires , de fomenter la jaloufie , le dégoût
& la diviſion entre les Puiſſances en guerre avec la
G. B. , de nous laiſſer un repit paſſager pour réunir
toutes leurs forces contre nos amis , & revenir enſuite
couronner l'ouvrage de notre destruction , qui
a toujours été leur premier objer. Il paroît par-là
que tous
les avantages que l'Angleterre auroit pu
tirerde la circonſtance actuelle , vont être ſacrifiés
aux fantômes de l'ambition & de la vengeance. Le
renouvellement des perfécutions , qui n'ont été que
fufpendues , doit nous convaincre de cette importante
vérité. C'eſt qu'il ne faut point attribuer nos
malheurs paffés aux anciens Miniſtres ; mais que
tousles partis qui diviſent laG. B. ſe réuniffent dans
ces ſentimens de haine & d'animoſité invétérées y
dont toute la Nation Britannique eſt en général
T
( 14 )
animée contre nous. C'est ainſi que , cette Puiſſance
renonçant à toute prétention de recouvrer l'eſtime
&la confiancede l'Amérique, nous trouverons dans
les effets de l'implacable inimitié qu'elle nous a
vouée , une nouvelle preuve que la France eſt notre
alliée naturelle, & que nos intérêts communs font
ſi intimement unis , qu'une des deux Nations ne
peut éprouver quelque calamité , ſans que l'autre
en reffente les effets ".
Alors les Américains ne ſavoient pas encore
que l'Adminiſtration Britannique a
éprouvé une nouvelle révolution; leur eftime
pour ceux qui la compoſoient n'a point
ramené leur confiance; & l'eſpoir que nous
avions conçu de les engager à faire leur
paix ſéparée avec nous , a été trompé ; nous
ne pouvons pas nous flatter de renouer les
anciens liens qui nous uniſſoient ; ils paroiffent
rompus pour jamais ; notre commerce
qui a fait une perte immenſe ne ſe
relevera pas dans ces contrées , on peut en
juger par les réſolutions ſuivantes priſes
le 21 Juim dernier pat le Congrès.
>> L'ennemi , ayant renoncé à l'eſpérance de parvenir
à ſes fins contre les Etats-Unis , par la force
ſeulement , met en uſage tous les expédiens qui
peuvent tendre àcorrompre le patriotiſme des citoyens
deſdits Etats , ou à affoiblir le crédit public ;
&comme , en conféquence de cette politique , il
encourage leplas qu'il lui eſt poſſible un commerce
clandestin entre les habitans de ce pays & ceux qui
réſident dans les villes de guerre & autres places
dont ils font en poffeffion , &quequelques-uinnss del
dits habitans , excités , ſoit parun fordide intérêt ,
foit parune conſpitation ſecrette avec les ennemis
de leur patrie, ſe ſont méchamment engagés à
def(
15 )
entretenir ce commerce illicite , au moyen de quoi
les marchés font garnis de denrées Britanniques ,
l'eſpèce numéraire ſe trouve exportée des Etats-
Unis , le paiement des taxes devient plus difficile
& plus onéreux pour le peuple en général , & le
commerce eſt entiérement dérangé.-Il est réfolu
qu'il foit recommandé par le préſent acte , aux
Législatures des différens Etats , d'adopter les mefures
les plus efficaces pour ſupprimer tout trafic
&toute correſpondance illicite entre leurs citoyens
& l'ennemi .- Résolu que les Législatures , ou ,
en cas d'abſence , la Puiſſance exécutrice ſera inftamment
requiſe de faire fentir , par tous les moyens
poſſibles , au peuple en général, les conféquences
pernicieuſes que le Congrès appréhende , de la continuation
de ce trafic infâme &illicite , & la néceffité
de coopérer avec l'Adminiſtration publique , par
des meſures patriotiques , vigilantes & unanimes ,
qui feront découvrir & punir , ſelon la loi , les
coupables «.
Ceux qui s'intéreſſent au fort du Capitaine
Afgill , faiſiſſent avec empreſſement
toutes les circonstances qui peuvent faire
eſpérer qu'il échappera au ſupplice cruel
auquel il ſe trouve condamné; la Gazette
de Boſton du premier Juillet confirme cette
eſpérance; elle dit qu'on a appris à New-
London par une perſonne partie de New-
Yorck le 14 Juin , que le Capitaine Lip
pencott qui a eu la principale part au meurtre
du Capitaine Huddy ,ayant été examiné
par un Confeil de guerre , avoit reçu la
veille ſon Jugement; il étoit reconnu coupable
, & on affuroit que le même jour 14
Juin , il devoit être envoyé au camp du
Général Washington ,
( 16 )
Nous n'avons point de nouvelles poſtérieures
fur cet évènement. Tous nos papiers
débitent que cette malheureuſe affaire
a plongé les Loyalistes dans le déſeſpoir ,
&leur a inſpiré le deſſein de braver également
le Congrès & la Grande-Bretagne.
Ceux de la Floride orientale , ajoute-t- on ,
ſe ſont retirés ſur un terrein extrêmement
fort & prétendent y vivre indépendans ;
on prétend que 10,000 habitans de New-
Yorck& de Long-Iſland ont réſolu de prendre
le même parti. Mais à quoi aboutiront
ces réſolutions ? elles ne ſerviront pas notre
cauſe qu'ils abandonnent , & tôt ou tard ,
ces Loyaliſtes indépendans feront forcés
d'offrir au Congrès le ſeriment d'al égeance ;
ils ne pourront ni vivre , ni former long
tems un état indépendant.
Les autres nouvelles que nous avons da
Continent , nous ont été apportées par la
Princeffe- Royale ; c'eſt ainſi qu'on les lit
dans une lettre de Corke.
2
Le 6 de ce mois, le vaiſſeau de Sa Majesté
la Princeff Caroline , de so canons , a mouillé
dans ce porr. Ce vaiſſeau a mis à la voile de
Port-Royal ( ifle de la Jamaïque ) le 3 Juin
ayant à bord une compagnie de Grenadiers François
du Régiment d'Armagnac , & une compagnie
d'Artilleurs de la même nation , avec neuf
Officiers pris à bord de la Ville de Paris le 12Avril.
La Princeff Caroline avoit appareillé de Port-
Royal pour une croiſière , fans avoir le bonheur
de rien rencontrer juſqu'au 28 Juin , que , ſe trouvant
à la hauteur de la Georgie , elle s'empara du
Tartare , vailleau François de 24 canons & de
۱
(37 )
,
200 hommes d'équipage : deux Lieutenans , un
Midshipman & 40 Matelots Anglois amarinèrent
ce vaiffeau , dont on pri: l'équipage à bord de la
Princeff Caroline , & on fic voile pour Savanah ,
où l'on débarqua les prifonniers. Le lendemain
à huit heures du foir, une raffale course ,
mais furieuſe , aſſaillit le Tartare , & le fit chavirer.
De tout l'équipage qu'on avoit mis à bord
de la priſe , il n'y eut de ſauvés que le Midshipman
& neufhommes , qui étoient heureuſement montés
fur les vergues de perroquet. Le 30 Juin la Princeff
Caroline mouilla par le travers de la rivière de
Savanah , où tout étoit dans la conſternation depuis
l'ordre que le Chevalier Carleton avoit donné
d'évacuer cette place. Les tranſports envoyés de
Charles-Town pour effectuer cette évacuation , arrivèrent
le premier Juiller. Les troupes de S. M. ,
au nombre de 1500o hommes , aux ordres du Brigadier
général Clarke , gardoient encore les poſtes
de la place; mais elles n'attendoient que les tranfports
pour s'embarquer ; les habitans de tous rangs
avoieinntt abandonné leurs habitations , & vvaollooient
au rivage! On ne fauroit exprimer la défolation
de ce peuple infortuné. Ils étoient principalement
afſfemblés ſur les, rochers de l'Iſne Tybée , où les
habitans de tout fexe & de toutes conditions
vivoient en commun avec leurs Nègres. Un petit
nombre de femmes étoient ſeulement parvenues à
ſe conſtruire un abri avec des branches d'arbres
&des herbes marines, La Princeff Caroline prit
à bord le gouverneur de la ville , & appareilla
pour Charles-Town où elle arriva le 3 Juillet.
Elley trouva les affaires en aſſez bon ordre , &
le Général Green ſe tenant à une certaine diſtance
de la ville. Le Brigadier général O'hara , qu'on
avoit détaché pour l'envoyer à la Jamaïque , étoit
arrivé à la Barbade , & y étoit retenu par le Commandant
en chef des Ifles ſous le Vent. Les Colo-
4
1
18
nels Balfour &Cruger devoient inceſſamment mettre
à la voile pour New Yorck , ainſi que le Major
général Leflie , que ſa mauvaiſe ſanté avoit déter
miné à ce voyage. Sir Guy Carleton avoit contremandé
l'ordre qu'il avoit donné , de retirer la garniſon
du fort St.-Augustin. Enfin l'évacuation de
Charle -Town étoit décidée. Le 11 Juillet la Princeff
Caroline mit à la voile pour l'Angleterre.
LeGouvernement attend avec impatience
le paquebot le Swift de New-Yorck ; on
apprendra par lui fi M. de Vaudreuil qu'on
fait parti de Saint-Domingue , eft arrivé avec
fon eſcadre à Boſton ou à Rhode-Iſland ;
on croit ici qu'il aura fait voile pour ce
dernier port ; &' on eſt d'autant plus empreffé
d'être inſtruit de ſa marche , & de
ſes forces , que l'on aſſure qu'un cartel
parti le 20 Juillet de Virginie , rapporte
que toutes les troupes Françoiſes & Amé
ricaines qui étoient dans les Provinces de
Penſylvanie , du Maryland & de Virginie;
marchoient vers le Nord , où l'on avoit
formé d'immenſes magaſins dans l'attente
d'une flotte conſidérable de St Domingue
avec un gros corps de troupes Françoiſes.
Les Américains de leur côté ont , dit- on
15,000hommesde troupes réglées & 18,000
de milices qui ſont prêtes à joindre les
François dans le mois d'Août. On prétend
que l'eſcadre que conduit le Marquis de
Vaudreuil, eſt de 20 vaiſſeaux de ligne; onne
manque pas de ſuppoſer ici que l'Amiral Pis
got , auffi-tôt qu'il a eu avis de ſon départ ,
s'eſt mis en route pour la ſuivre avec des
( 19 )
forces au moins égales; mais ceci n'eſt en
core qu'un bruit. On ignore les forces que
M. de Vaudreuil peut conduire; des vaifſeaux
Eſpagnols peuvent s'être joints à lui ,
il n'eſt pas vraiſemblable qu'ils ſoient tous
reftés à Saint-Domingue , ni qu'ils ſoient
retournés à la Havane , dans un moment
où il s'agit d'une expédition qui peut devenir
importante , &dont leur jonction doit
affurer le ſuccès. On fait que dans ce cas
nous ne pouvons avoir la ſupériorité. On
peut en juger par la lettre ſuivante , qu'on
dit avoir été apportée par le Greyhound ,
qui arrive de la Jamaique : on la dit écrite
par un Officier de l'eſcadre , & en date
du 12 Juillet.
>>Notre fort eſt enfin décidé. Nous allons en
Angleterre avec l'Amiral Rodney dont le pavillon a
éré porté aujourd'hui fur la Ville de Paris. L'Amiral
Pigot monte le Formidable que nous venons de
quitter. Il y a actuellement ici cinq pavillons : Rodney
( blanc ) , Pigot ( bleu ) , Rowley ( rouge ) ,
Graves ( rouge ) & Hood ( bleu ) . Une eſcadre va
partir pour l'Amérique ſeptentrionale ; 6vaifleaux
reſteront à la Jamaïque : nous irons en Angleterre
avec 6 autres, ſans compter les priſes que nous y
conduirons; vous pouvez nous attendre vers la St-
Michel ſi les vents & letemsle permetteat. Les vail
ſeaux qui étoient en croiſière ſont tous rentrés ".
Suivant cette lettre , le Lord Pigot devoit
bientôt mettre à la voite ; & fi les in
formations reçues du Continent , ſont
exactes , il n'avoit en effet pas un moment à
perdre , ni même aucunes forces dont il pût
ſe paffer ; ce qui détruit les bruits qui s'és
1
( 20 )
toient répandus de ſes projets aux ifles fur
quelques- unes des conquêtes faites fur nous
par nos ennemis ; on ſe flattoit de pouvoir
les reprendre , & c'étoit dans cette intention
qu'on avoit fait paffer dans les Iles les
troupes qu'on a retirées de Savanah ; on
a dégarni malheureuſement auſſi New-
Yorck; & on devoit s'attendre que les
François & les Américains en profiteroient ;
il auroit fallu abandonner également cette
Place & Charles-Town , & en porter les
garniſons aux Indes occidentales ; on y
auroit établi le théâtre de la guerre ; peutêtre
ne l'auroit-on pas fait avec ſuccès ,
parce que les mêmes forces qui marchent
vers le Continent , auront pris cette autre
deſtination. Aujourd'hui il faut défen
dre New-Yorck , ou du moins préſerver les
troupes que nous y avons , du fort qu'ont
éprouvé fucceſſivement celles du Général
Burgoyne & du Lord Cornwallis. Quelques
papiers prétendentque l'Amiral Pigot
& l'Amiral Hood ne vont à New-Yorck
que pour en recevoir la garniſon , & la
conduire aux Indes occidentales ; il ne faut
rien moins en effet qu'une flotte conſidérable
pour protéger les nombreux tranfports
ſur leſquels elle doit s'embarquer ,
& qu'on porte à 400. Mais ſi les François
font partis les premiers , comme on le
dit, cet embarquement ſe fera-t-il fans
embarras ? & fi l'on réuffit à le faire ,
que deviendra la garniſon de Charles(
21 )
Towne peut- elle tenir long-tems ſeule fur
le Continent, fi on ne ſe preſſe pas de la
retirer auffi ? En attendant , les bruits de
l'expédition contre St - Chriftophe & la
priſe de Nevis & de Montferrat , qu'on
annonçoit déja , commencent à tomber , &
les troupes que nous avons de ces côtés
vont refter vraiſemblablement inutiles
juſqu'à ce que des forces navales viennent
ſeconder leurs opérations.
>>L'Amiral Rodney , dit à l'occaſion de ces nouvelles
undenos papiers , revient en Europe par ordre
duGouvernement. On remarque à l'occafion de fon
retour que la fameuſe victoiredu 12 Avril ne nous
adonné que quelques vaiſſeaux en pièces & des prifonniers,
mais qu'elle ne nous a pas mis en état de
yous rendre maîtres d'une ſeule ifle Françoiſe , ni
même d'en reprendre une ſeule de celles que les
François nous ontpriſes. Si cette réflexion eft vraie ,
il l'eſt égalementque ſans l'affaire du 12 Avril , la
Jamaïque que nous poffédons encore , & qui eft en
meilleur état dedéfenſe qu'elle ne l'étoit avant cette
date,ne feroit plus ſous ladomination du Roi ; ce
qui vautpeut- être la peine d'être mis auſſi en ligne de
compte.- Il n'eſt pas douteux que ſi le ſentiment
du Lord Shelburne l'emporte au Conſeil , nous ne
frappions l'année prochaine dans le Golfe duMéxique
de plus grands coups que nous ne l'avons fait
cette année , parce qu'ayant évacué comme il faut
enfinle faire ,Charles-Town , New- Yorck , Hallifax,
nous aurons alors plus de forces à la Jamaïque
&àAntigues. Le ſort des armes eſt journalier ; il peut
nous être favorable , & il ſera toujours tems alors de
revenir ſur les côtes des Colonies rebelles. S'il nous
eſt contraire , fi les Puiſſances contre leſquelles nous
ſommes en guerre , continuent de nous accabler ,
( 22 )
nous ne nous trouverons pas dans une ſituation
beaucoup plus défavantageuſe que celle où nous
fommes ; puiſque ne rien pofféder en Amérique ou
n'y poſſéder que ce que nous y poſſédons , eſt àpeu
près lamême choſe , quoiqu'en diſent le Duc de Richemont
&leGénéral Conway. Mais , repliquent-ils,
nos impôts, nos dettes, dont lefardeau estsi pesant,
on ne les porte pas à moins de 221 millions ſterl. ,
qui font plus de la moitié de la valeur de toutes
lesterres du pays , que le Docteur Price évalue à
9,142,848,381 liv. tournois environ , n'augmenteront-
ils pas ? - Eh bien ! pour nous libérer ,
il faudra une faillite générale, non à l'égard de nos
Concitoyens qui par d'authentiques documens prou
verontqu'ils font créanciers de l'Etat , mais envers
tous ces étrangers nos ennemis dont l'argent a plus
moins travaillé dans nos fonds. Alors nous nous
renfermerons dans nos deux Iſles qui produiſent tout
cequi est néceſſaire à la vie& dont la poſition eſtla
ſauve-garde. Il nous ſera indifférent d'être bien ou
mal avec nos voiſins , parce que nous n'aurons plus
beſoin de crédit , de commerce , d'importation &
d'exportation. Voilà le pis aller ſi les derniers coups
qu'ilnous convient de porter avant de reconnoître
une indépendance humiliante , odieuſe , ne ſont pas
ceux de la victoire , ſi le tems qui anéantit ſucceſſivement
tous les Empires doit , à cette époque,
anéantir le nôtre «.
Le projet de ſecourir Gibraltar eſt tou
jours l'idée favorite de la Nation , qui
prête au Gouvernement le deſſein de la
réaliſer. Mais ſi la néceſſité en eſt généralement
ſentie , l'impoſſibilité ne l'eſt guère
moins. Les liſtes les plus exactes de nos
vaiſſeaux de ligne en état d'appareiller ,
les portent à 31. Ce nombre n'eſt ſans
doute pas proportionné à l'importance de
( 23 )
l'expédition ; les circonstances nous for
cent d'en détacher 8 ſous le Commodore
Hotham , & non ſous l'Amiral Kempen
feld, pour aller délivrer notre flotte bloquée
dans la Baltique. Il n'en reſteroit alors
que 25. On a des lettres de Portsmouth ,
qui annoncent que le 22 cette eſcadre a
mis à la voile pour entrer en croiſière ; &
un Exprès arrivé ce matin à l'Amirauté ,
venant de Deal , a donné avis que le Commodore
Hotham n'avoit pas pu mettre à
la voile le 26 pour la mer du Nord , à
cauſe d'un grand coup de vent qui avoit
obligé tous les vaiſleaux d'affourcher &
d'amener les vergues & les mâts de hune.On
prétend aujourd'hui que l'AmiralHowe courant
au plus preffé , partira avec 16 vail
ſeaux pour recueillir la flotte du Nord
& chercher les Hollandois ; s'ils font encore
dans cette ſtation , il faut s'attendre
à un combat , & on ne le craint pas ici ,
vu notre grande ſupériorité ; mais tout cela
retardera prodigieufement l'envoi des ſecours
à Gibraltar ; on peut juger d'avance
qu'ils feront inutiles , & qu'on pourra ſe
diſpenſer de les faire partir.
د
>En parlant de nos forces navales dans l'Inde ,
diſoit il y a quelques jours un nos papiers , nous
les exagérons un peu , & nous préſentons celles de
l'ennemi dans un état d'infériorité où elles ne ſont
pas. D'abord on porte l'eſcadre de l'Amiral Hughes
à 17 vaiſſeaux , dont I de 80 , 5 de 74 , 2
de 70 , 8 de 64 & un de so . Ce nombre exiſtera
lorſque le Commodore Bickerſten ſe ſera réuni à
( 24 )
l'Amiral Hughes , mais les 6 vaiſſeaux qu'il con
duit paroiſſent encore loin d'arriver. Nous n'avons
donc réellement dans ces parages actuellement que
14 vaiſſeaux. Le Burford que nous me tons en
ligne pour 70 canons , n'est que de 64 ; le Héros eft
un vieux vauſeau ; le Monarca & le Monmouth
fontufés de ſervices; les autres ſont fatigués & auroient
beſoin de revenir en Europe. Pour nous oppo.
ſer à ces 17 vaiſſeaux , nous prétendons que les François
n'en ont que 1s ; mais dans la liſte nous n'avons
garde de comprendre 2 vaiſſeaux de 64 armés
en flûte , & qu'ils peuvent mettre en ligne; nous
ne parlons pas non plus du vaiſleau l'Annibal de
so canonsque M. de Suffren nous a pris au mois
de Février dernier ; en yjoignant ces trois bâtimens ,
il eft clair déjà que la ſupériorité n'eſt pas de notre
côté , indépendamment de pluſieurs groffes frégates
, flûtes , &c. que nos ennemis ont dans l'Inde ".
Nos Papiers du jour donnent , fur ce qui
s'eſt paflé dans l'Inde , deux récits bien contradictoires.
Selon un , il y a eu en Mars
dernier un combat près Trinquemale ; la
premiere relation eſt une lettre de la Haye
du 17 Août , & dont les Gazettes de Hollande
ne diſent rien , où l'on affure que
l'AmiralHughes a été vainqueur , ayant pris
aux François les vaiſſeaux l'Union , l'Annibal
, de 74 , le Vengeur , de 64 , & aux
Hollandois le van- Leyden. La ſeconde relation
eſt ſuppoſée auſſi venir de Hollande ,
&conçue ainfi.
>> Le 28 Mars dernier , la flotte Françoiſe , venant
de l'Ile Maurice , forma ſa jonction avec
L'Amiral Hollandois: Winkuisken ; immédiate
ment après ces forces combinées , au nombre de
16 vaiſſeaux de ligne& 2 de fo , frent veile pour
attaquer ,
( 25 )
actaquer , dans la baie de Trinquemale , l'Amiral
Hughes , qui avoit to vaiſſeaux de ligne & 1 de
jo. Au moment où l'ennemi parut à l'ouvert de
la baie , l'eſcadre Angloiſe porta ſur lui avec
beaucoup de confiance ; mais avant d'avoir pu
former la ligne le Commodore Hollandois Van
Borſch ſe porta en avant avec ſa diviſion de s vaiffeaux
, de manière à lui couper ſa retraite. A une
heure & demie de l'après-midi tous les vaiſſeaux
de la Compagnie Angloiſe, à l'exception d'un ſeul
qui échappa , en jettant ſes canons & ſa cargaifon
àlamer s'étoient rendus aux frégates Hollandoiſes
. Alors l'Amiral Anglois , furieux , fit les
efforts les plus déterminés pour s'ouvrir un paffage
au travers de la ligne ennemie , mais cette
tentative ne lui réuffit pas : l'action ſe ſoutine
pluſieurs heures avec beaucoup de furie ; mais enfin
la victoire ſe déclara pour la flotte combinée.
Les Anglois ont perdu le Superbe , de 74 canons ,
ſauté en l'air ; le Sultan , de 74 , pris ; le Barfleur
, de 70 , brûlé ; le Magnanime & le Monmouth
, de 94 , pris ; le Worcestre , brûlé. Les
ſeuls vaiſiſeaux échappés font le Héro , de 74 , le
Monarca , de 70 , l'Eagle , l'Hector , de 64 , &
I'lfis , de 30. Les vaiſſeaux de la Compagnie , la
Résolution , le Chapman , l'Inchimbrook , le
Royal Amiral , le Contractor , de 26 canons , ont
été pris ; le ſeul Neptune eſt échappé .
On ne fait à quoi s'en tenir ſur ces nouvelles
; la dernière verſion confirmeroit
celles qui ſe ſont répandues à diverſes repriſes
ſur le Continent , d'où elles ont paffé
ici ; fi en effet , comme on l'affure , la Compagnie
des Indes a reçu avant-hier des dépêches
venues par la voie de terre , le filence
qu'elle garde feroit préſumer qu'elles n'offrent
rien de conſolant : voici à quoi ſe
7 Septembre 1782 .
b
( 26 )
réduiſent les détails que donnent les Papiers
du foir.
>>>La nouvelle du combat entre le Chevalier
Hughes & M. d'Orves eſt confirmée , l'action a cu
lieu le 13 Mars à la hauteur de Ceylan. Elle a
duré s heures , & preſque toujours bord àbord ;
Ja nuit a terminé cette journée qui paroît avoir été
très-ſanglante. Les Capitaines Reynold & Stephens
ont été tués. L'eſcadre Angloiſe étoit de 9 vaif.
ſeaux , & la Françoiſe de 11 , Le Magnanime & le
Sultan n'avoient point encore joint l'AmiralHughes.
On dit que l'on a ſu après le combat par un tranſport
qui a été pris , que M. de Suffren a perdu fon
Capitaine de pavillon. On ne dit pas de quel côté
eſt l'avantage ; mais il n'eſt pas douteux qu'il ne
foit de celui des François , puiſqu'ils ont débarqué
2800 hommes pour coopérer avec Hyder - Aly ,
c'étoit leur objet; ils l'ont rempli à la ſuite du
combat , & nous ne l'avons pas empêché «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 3 Septembre.
Le Roi a nommé aux places de Commandeurs
vacantes dans l'Ordre de St-Louis
pour le ſervice de terre , M. de Geraulme ,
Maréchal de Camp , Inſpecteur-Général de
Artillerie en Languedoc & en Rouſſillon ,
&le Comte de Buffy, Maréchal de Camp,
employé pour ſon ſervice dans l'Inde. Il
avoit accordé précédemment une place de
Grand Croix au Baron de Viomenil , &
une de Commandeur au Marquis de Ste
Simon , tous deux Maréchaux de Camp ,
employés en Amérique , auxquels il avoit
:
( 27 )
permis d'en porter la décoration quoiqu'ils
ne foient l'un & l'autre que de la nomination
du 25 Août de cette année.
S. M. a auſſi nommé aux places de Commandeurs
vacantes dans le même Ordre
pour le ſervice de mer , le Chevalier de
Bauffer , Chef- d'eſcadre des Armées navales,
& le Chevalier des Touches , Brig dier
des Armées navales , Capitaine de Vailleaux ;
le dernier a été reçu le 25 Août. Les autres
étoient abſens & ont reçu de la part
de S. M. la décoration & la permiffion de
laporter.
Le 28 les Députés des Etats de Languedoc
furent admis à l'audience du Roi , préſentés
par le Maréchal Duc de Biron , Gouverneur
de la Province , & M. Amelot ,
Secrétaire d'Etat , ayant le département de
la Province. La députation étoit compoſée
pour le Clergé de l'Evêque de Viviers qui
porta la parole , du Marquis de Lordat de
Bram pour la nobleſſe , de M. de Querelles
, Diocésain de Lodèves pour le Tiers-
Etat , & du Marquis de Mauferner , Syndic
Général de la Province.
: De PARIS , le 3 Septembre.
L'ARRIVÉE de Mgr. le Comte d'Artois au
camp de St-Roch ,a décidé le jour de l'ouverture
de la tranchée ; les lettres qui nous ont
apporté la nouvelle de l'arrivée de ce Prince ;
contenoient le journal du camp juſqu'au 18
Août incluſivement. Nous le reprendrons
b2
( 28 )
à l'époque où le laiſſoit celui que l'on trouve
àl'article de Cadix .
Le régiment de Royal- Suédois commandé
par le Marquis de Crillon , le Baron d'Hamilton
, le Chevalier d'O Conell , M. d'Ormer
, Major , monta la tranchée la nuit
du 8 au 9. On tira une douzaine de coups
de canon & deux carcaſſes , dont perſonne
ne fut touché. Un Volontaire d'Aragon
eut le bras caffé d'un coup de fufil aux
poſtes avancés . Ces deux nuits paflees , les
Ingénieurs ont tracé la nouvelle parallèle :
on s'occupe à completter les dépôts en facsa-
terre , piquets , &c . Le 10 , on a tiré 7
à8 coups de canon de la place , un Soldat
Catalan a été bleſſé : les François ont fourni
1000 hommes pour porter des bariques
& fauciffons au dépôt de la tranchée , &
so hommes pour ranger les matières au
dépôt. Il paroît par la quantité de mines
qu'on entend partir jour & nuit , que les
ennemis travaillent toujours à ſe faire des
logemens , & quelques nouveaux emplacemens
pour du canon ſur la montagne , principalement
dans l'eſcarpement du côté de
l'eft , ils y travaillent même avec des fanaux :
ils viennent de conſtruire un très-fort épaulement
au bout du vieux môle , qui les
mettra , en partie , à couvert des batteries
flottantes. Lett , il n'y a eu rien de nouveau
à la ligne ni à la tranchée ; la placeatiré
2 coups de canon& jetté un pot à feu , fans
bleffer perfonne; elle fait jouer cette nuit
( 29 )
plus de mines que jamais. L'on a conduit
& porté conſidérablement d'effets .- Les
12 & 13. La place a tiré ces deux nuits plufieurs
coups de canon & jetté quelques
bombes & grenades. Un Soldat Eſpagnol a
été bleſſé. Le 14 , on a tiré de la place
pluſieurs coups de canon & jetté des pots
à feu. L'on y travaille toujours à force aux
batteries & à ſe faire des logemens dans
le rocher ; on fait jouer quantité de mines :
perſonne n'a été bleflé. La tranchée a été
relevée par le régiment de Bouillon , commandé
par le Comte de Crillon , le Baron
de Wimpsfen , le Baron de Nivenheim ,
MM. de Perrier , Lieutenant- colonel &
d'Ihler , Major. - Le 15 au foir , la place
a peu tiré; un Sergent & un Soldat Catalan
ont été bleſſés aux poftes avancés ;
Les ennemis travaillent toujours beaucoup ,
même avec des lumières ,& font jouer beaucoup
demines.Monſeigneur leComte d'Artois
étant arrivé le matin , le Duc de Crillon
qui avoit été à une demi-lieue au-devant
de lui , l'a conduit directement aux lignes ;
leBaron de Falckenayn qui s'y étoit rendu ,
a eu l'honneur de lui faire ſa cour à la tête
de ſes troupes , & d'accompagner Monfeigneur
dans toute la tranchée. Le Comte de
Laſcy , Directeur-Général de l'Artillerie , s'y
trouva également. On permit aux Officiers
ſupérieurs de la tranchée d'être à la ſuite
deMonſeigneur , qui examina & ſe fit tour
expliquer. Il alla juſqu'au bout de la tran
b3
( 30 )
chée reconnoître l'endroit où devoit com
mencer la nouvelle parallèle , pour être
prolongée juſqu'à la mer de l'eſt ; quoique
P'on fat obligé de marcher à découvert dans
beaucoup d'endroits , les ennemis ne tirèrent
pas du tout pendant près de deux heures
que dura cette viſite : le Duc de Crillon
étant incommodé , fit la tournée à
cheval. Une demi - heure après que
Monſeigneur eut quitté la tranchée , les
ennemis tirèrent trois coups de canons.
Le Général ayant ordonné de commencer
le travail de la nouvelle parallèle , Monfeigneur
retourna à la ligne après le coucher
du ſoleil pour voir défiler les Travailleurs
de l'armée Eſpagnole , zu nombre
de 9000. La Place jetta pendant ce tems
là ; comme elle fait tous les ſoirs , un pot
à feu qui fut éteint au bout de quelques
minutes , appuyé d'un coup de canon à
mitraille &d'un à boulet , qui tombèrent en
avant de la tranchée. 2000 Travailleurs des
troupes Françoiſes ſe rendirent à la nuit au
fortSainte-Barbe , d'où ils débouchèrent fur
trois colonnes vers les onze heures au coucher
de la lune , ayant plus de 600 toiſes
à parcourir avant d'arriver ſur le terrein ;
& le ſoldat étant chargé, ils commencerent
à travailler plus tard que les Eſpagnols.
Le Marquis de Bouzols déboucha à la tête
de la colonne pour le travail de l'artillerie ,
dont les Travailleurs ont été commandés
par le Baron de Wimpsfen , & ceux pour
( 31 )
leGénie , commandés par le ſieur Dubourg ;
Lieutenant-Colonel du régiment de Lyonnois.
Le vent venant de la mer , étoit on
ne peut pas plus favorable pour empêcher
la place d'entendre le travail. Le Baron de
Falckenayn ſe rendit également vers les dix
heures ſur le terrein du travail , & y paſſa
la nuit avec le Baron le Fort , Aide-Major
général , MM. d'Argoult & Poncet , ſes
Aides de- Camp. Les Travailleurs ſe retirèrent
à la pointe du jour , & les ennemis
ne tirèrent pas un ſeul coup , ne jettèrent
pas même de pot à feu , ce qui prouve que
ce travail leur a été entièrement dérobé ; il
a réuſſi parfaitement ; la parallèle ayant été
élevée de huit à neuf pieds ſur neuf & dix
d'épailleur , ainſi que la grande communication
, la parallèle ſur une longueur de
pluſieurs toiſes , dont une partie par les
Eſpagnols , & l'autre par les François. Un
des deux bricas entrés dernièrement à Gibraltar
, venant de Livourne , eſt ſorti cette
nuit , & a été pourſuivi inutilement.
Le 16 , la tranchée a été relevée hier au
ſoir par les Eſpagnols ; tout s'y eft paflé
très-tranquillement. M. le Comte de Dammartin
, arrivé ſur les neuf heures du matin
à cheval , mit pied à terre chez Monſeigneur
leComte d'Artois , d'où il ſe rendit,
accompagné du Baron de Falckenayn & du
Marquis de Bouzols , à Buéna- viſta , chez
le Duc de Crillon. Après le dîner chez ce
Général , le Duc mena Monſeigneur &
b4
( 32 )
1
M. le Comte à la ligne , pour leur faire
voir le travail de la nuit; ils en parcoururent
une partie , & furent bien ſurpris
de tout ce qui avoit été fait en moins de
cinq heures. Le 17 au matin , il n'y a point
en de Travailleurs cette nuit , qui a été
des plus tranquilles , à la ſurpriſe de tout
le monde ; car l'on ne doutoit point que
les ennemis , perfuadés que l'on continueroit
le travail , ne fiffent le feu le plus vif.
On a même remarqué hier & aujourd'hui
beaucoup de mouvemens dans leurs batteries.
On reprendra le travail cette nuit ; il
y aura 1360 Travailleurs , commandés par
le Marquis de Guerchy, Colonel en ſecond ,
le Chevalier de Saint-Roman , Lieutenantcolonel
.- Le 18 , le travail s'est fait affez
tranquillement, les ennemis n'onttiré qu'une
trentaine de coups de canon ; ils ont jetté
quelques obus & pots à feu , éteints à
l'inſtant. Un foldat Eſpagnol a été bleſſé légèrement
: le feu a été dirigé ſur la nouvelle
parallèle & au moment où les Travailleurs
ſe retiroient , quoiqu'avant le jour.
L'ouvrage des Travailleurs François a fort
avancé. Les Eſpagnols n'ont travaillé que
dans la partie entre les batteries de Mahon
&St.- Charles , pour renforcer la communication
derrière laquelle on doit placer
des mortiers. On reprendra le travail ce
foir avec le même nombre de Travailleurs.
Nous ſommes aſſurés actuellement ,malgré
les calculs enflés & embrouillés des
( 33 )
papiers Anglois , que la flotte de l'Amiral
Howe n'a jamais été plus forte que de 24à 25
vailſeaux. Cet Amiral qui étoit rentié avec
17 , en avoit laiffé 7 en crciſière. Le 14 Août
l'Amiranté expédia un exprès à Porſtmouth
pour faire envoyer fur le champ 9 vaiſſeatix.
dans le Nord , chargés d'y prendre le convoi
de la Baltique ; cette eſcadre ſous les ordres
de l'Amiral Hotham , n'étoit pas partie
le 26. Il lui faut un mois pour l'aller &
le retour. On ne croit pas que le convoi
de la Jamaïque ait pu fournir autant de
matelots que l'eſpéroient les Anglois ; on
fait que soo de ceux qui compofoient ce
convoi, avoient trouvé le moyen de ſe ſanver
à terre & d'éviter la preſſe ; ainſi tout
ce que l'Amirauté peut faire , c'eſt de donners
ou 6 vaiſſeaux de plus à l'Amiral
Howe. On peut juger d'après cet expofé
fidèle , fi les Anglois ſont en état de fecourir
Gibraltar , & de s'y porter avec 38 vaifſeaux.
Si l'on ajoute à ces conſidérations
que les Hollandois entrés au Texel le 16 ,
en fortiront avant le mois de Septembre
avec de nouvelles forces , on prévoit que la
fin de cette campagne pourra être funeſte
à un ennemi obligé de diviſer ſes eſcadres .
S'il abandonne ſes convois & ſes côtes dégarnies
aux Hollandois , il ne fauvera point
pour cela Gibraltar , ſon ſort ſera décidé
avant que l'Angleterre puifle arriver à fon
fecours (1).
2
Nous nous empreffons d'annoncer à nos Lecteurs deux
bs
( 34 )
» Les Août , écrit-on de Grenoble, à 4 hen
res & domie de l'après midi , par un tems calme ,
chaud & ferein , on a reffenti ici une violente ſecoule
de tremblement de terre. Les oſcillations
alloient de l'eſt à l'ouest , & ont duré 4 fecondes.
Elles ont été aſſez ſenſibles dans l'hôtel du Commandant
, pour que toutes les fenêtres des étages
fupérieurs aient été mises en mouvement , aimi
que les luftres . Dans la loge du Suiffe , une légère
léſarde qu'il y avoit au plafond , s'eft confiderablement
élargie; dans d'autres maiſons , on a vu
tomber des fragmens de maçonnerie par les tuyaux
des cheminées . Il paroît par ce que l'on a appris
juſqu'à préſent, que les ſecouſſes ont été encore
plus fenfibles dans quelques villages voifins de la
ville , ou pluſieurs perſonnes ſont ſorties de leurs
maiſons & des Eglifes , dans la crainte de les voir
tomber en ruines. Il a été obſervé que pendant
la durée des oſcillations , le mercure du baromètre
qui étoit alors à 26 pouces 11 lignes & demie ,
a fait pluſieurs balancemens. Il eſt à remarquer ,
que le même jour, & à peu-près à la même heure où
lavillede Lisbonne fut preſqu'entièrement détruite,
on reffentic à Grenoble une ſecouſſe dans l'atmofphère,
mais beaucoup moins violente que celle
qu'on vient d'éprouver «.
Ouvrages qui ne peuvent qu'exciter la curiofiré dans les circonftances
préſentes . L'in eſt un plan de Gibraltar attaque
par terre & par merpar l'armée Espagnole & Françoiseaux
ordres de M. leDuc de Crillon,en présence deMgr. le Comte
d'Artois , d'après les deſſins d'un Ingénieur en chef de l'armée.
Ce Plan très-détaillé ſe trouveà Paris chez Eſnauts &
Rapilly , rue St-Jacques , à la ville de Coutances ; prix 1 1.
10 f.-L'autre eſt uneDescription Historique & Topographique
de la Montagne, de la Ville & des Fortifications
de Gibraltar, avec undétail de la Baie & du Détroit, & auffi
des endroits qui peuvent contribuer à l'attaque &à la défense
de cette place, préſentée au Roi. A Paris , chez le Gras ,
Quai de Conti, à côté du
Quai desAuguftins , àdu petitDunkerque,&Gobreau ,
à côté du Notaire, liv. 4 f.
( 35 )
On lit dans l'Affiche de Lorraine une
lettre de Lorquin , où l'on rend compte
de la mort d'un centenaire , qui offre les
particularités ſuivantes .
>> Le nommé Gaſpard Bentz , demeurant à Fra
quelfin , vient de finir ſes jours , âgé de 101 ans ;
il étoit chaſſeur de profeſſion , il y a trois ſemaines
qu'il ſe livroit encore à cet exercice; il étoit toujours
jovial , & plaiſantoit ſouvent , tantôt ſur lui-même ,
tantôt ſur les autres. Il a même pouffé ſes plaiſanteries
juſqu'au lit de la mort. Il eut la voix éteinte
l'espaced'une heure , & comme on le croyoit mort ,
on le couvrit d'un drap pour l'enſévelir ; les mouvemens
qu'on fit à cet effet le rappellèrent à lui ,
& à linſtant il invita les alliſtans , dont pluſieurs
pleuroient , à lui apporter de l'eau - de-vie , qu'il
trouva , dit-il , bien bonne. Sa voix s'éteignit trois
fois , trois fois on le couvrir encore d'un drap , &
trois fois il redemanda de l'eau-de-vie : la troiſième
fois il fit tarir les larmes de quelques-uns de ſes parens
par une plaiſanterie qui fit beaucoup rire : J'ai ,
diſoit- il , un coeur qui est comme celui d'un vieux
loup ,je ne puis pas m'en défaire. Mais il parla
trop , car il mourut l'instant d'après . Jamais il ne
fut malade, il eut toujours bon appétit ; ce qui laiſſe
croire que le poids des années l'a ſeul conduit au
tombeau. Ce qu'il y a de fingulier encore , c'eſt qu'il
n'a jamais été courbé , qu'il avoit l'ouie très - fine, &
la vue bonne , ne s'étant jamais ſervi de lunettes «.
On apprend de Verberie , Diocèſe de
Soiffons , Généralité de Paris , Election de
Compiegne , que le 25 Juillet dernier , une
grêle de la groſſeur d'un oeuf de pigeon en
certains endroits , & généralement d'une
balle de fufil , a détruit en moins d'une
demi-heure toute eſpérance du Cultivateur
b6
( 36 )
& du Propriétaire. Les grains ont été entièrement
endommagés , les chanvres tout àfait
perdus , & les vignes ſaccagées. Le même
orage n'a pas caufé moins de dommages dans
les Paroifles voiſines , telles queSt Vaaſt- les-
Verberies , St Germain , St- Sauveur , Saintines
, &c. L'Evêque de Soiffons , dans
cette circonftance , a donné des preuves ſenfibles
d'une charité paftorale , en follicitant
& en procurant par lui-même des foulagemens
aux infortunés de ſon Diocèſe.
L'Académie des Sciences , Belles - Lettres & Arts de
Lyon , a propoté pour ſujet du Prix de 1781 , les
avantages des roces à larges jantes . MM. Boulard ,
Archiecte de Lyon , & Marqueron , ſe ſont réuris
pour traiter cette queſtion ; leur Mémoire , qui a obtenu
le ſecond acceffit du Prix , vient de paroître dans
Je Recueil des Obſervations ſur la Phyfique , &c .
On ne peut donner trop de publicité à des ouvrages
fur des objets qui intéreſſent ſi eſſentiellement la conſervation
des grandes routes. La préférence des chariots
ſur les charrettes , celle des roues à larges jantes
fur les roues à jantes étroites , ne font plus des
problêmes . L'intérêt du Gouvernement , du commerce
, l'intérêt même du roulier , enfin l'exemple
de l'Anglete,re, tout follicite en faveur de leur adoption
; les Savans , les Académies , toutes les voix ſe
réuniffent pour opérer cette révolution, cequi naura
lieuqu'autantqu'elle ſera preſcritepar uneloi formelle,
parce que la routine & l'uſage l'emportent ſur l'intérêt
particulier , & que l'intérêt public n'eſt rien pour
les trois quarts des hommes. Cette obſervation n'eſt
malheureuſement que trop vraie , en morale comme
en politique. Les roues à jantes étroites dégradent
les chemins pavés , & rendent bientôt impraticables
ceux qui ne le font pas , ou qui ne font que ferrés
par la profou kar & la mariplicité des ornières & des
,
( 37 )
trous; alors le tiragedevient plus difficile, le voiturier
met beaucoup plus de tems à faire fa route , les chaos
abîment la voiture , briſent ſouvent les effieux , fatiguent
horriblement les chevaux ; enfin , les marchandiſes
en fouffrent. Une Ordonnance de 1718 , & une
Déclaration de 1724 , fixent la charge & le nombre
des chevaux qu'on peut atteler aux voitures à deux
roues ; mais ces loix ſont ſans exécution. En Angle.
terre , le poids des voitures eſt proportionné à la largeur
des jantes des roues . Auſſi les grandes routes
Lubſiſtent- elles plus long-temps , & ne ſe détruiſentelles
pas auſſi promptement qu'en France ; l'Etat y
gagne par le peu de réparations qu'exigent les grandes
routes , le commerce n'éprouve point de retard ,
& le roulier est bien dédommagé de l'excédent de
dépenſe qu'exigent les larges jantes , par la folidité
& la durée des roues. On y préfère auffi les chariots
à quatre roues , ils ſont plus roulans , même dans
un chemin raboteux , & portent des fardeaux plas
confidérables . Loin de faire des prnières , les roues
àlarges jantes effacent celles des roues étroites , &
applaniffent les chemins ; elies compriment ceux qui
ſont ſablonneux , & leur donnent de la folidité . Enfin
, les roues à larges jantes n'ont aucun inconvénient
, & réunident combre d'avantages .
M. l'Abbé Margaron , Chanoine perpétuel
de l'Egliſe de St Juſt de Lyon , vient
de faire une découverte bien précieuſe &
bien intéreſſante pour l'humanité ; c'eſt une
Méthode pour apprendre à parler aux fourds
&aux muets de naiſſance. L'efficacité de
cette Méthode eſt atteſtée par l'expérience ;
& c'eſt d'après cela que l'Académie des
Sciences , Belles-Lettres & Arts de Lyon ,
adonné le certificat ſuivant , extrait de fes
regiftres .
M. Colomb ayant été nommé avec MM. Baron
( 38 )
&de Castillon pour examiner les effets de la més
thode inventée par M. l'Abbé Margaron , Perpétuel
de l'Egliſe de St-Juft de Lyon , pour faire parler les
fourds & muets de naiſſance , a lu aujourd'hui un
rapport ſigné de tous les Commiſſaires , d'où il réſulteque
le ſieur Fabre , âgé de 13 ans , né à Lyon ,
fourd& maetde naiſſance , n'a reçu d'autres inftructions
que celles de M. l'Abbé Margaron , qui ,
en fix ſemainesde tems , eſt parvenu à lui apprendre
àlire& à écrire, & même à parler , par une méthode
qui lui eſt propre ; ſuccès qui a paru dépendre en
partie des diſpoſitions naturelles de l'enfant , mais
qu'on ne peut eſſentiellement attribuer qu'à l'effi .
cacité de la méthode imaginée par M. Margaron.
- L'Académie a penſé , ainſi que MM. les Commiffaires
, que M. Margaron devoit être invité , pour
le bien de l'humanité , à continuer de cultiver un
art auffi utile , & qu'il ſeroit à défirer que le Gouvernement
l'engageât à former dans cette ville des
Elèves qui puiffent le remplacer. Je certifie la
copie ci - deſſus conforme à l'original. En foi de
quoi j'ai appoſé ci-contre le ſceau de l'Académie.
-Signé, LATOURRETTE , Secrétaire Perpétuelce.
On a publié beaucoup de voyages d'Italie
; cette contrée délicieuſe , eſt celle que
fréquentent le plus les voyageurs ; on aime
à voir la patrie heureuſe du peuple conquérant
, qui ſoumit à ſa domination la
plus grande partie du monde connu , &
qui offre en tant d'endroits les monumens
de ſon ancienne grandeur dont
les reſtes ſe voyent encore avec autant de
reſpect que d'admiration. Les Artiſtes ne
peuvent fur-tout ſe diſpenſer de la viſter.
Les deſcriptions de ce pays ſe ſont multipliées
; chaque voyageur en a voulu
donner fa relation ; & il n'en eſt pas mieux
د
( 39 )
connu pour cela. Cette plainte , qu'on ne
ceffe de répéter , & qui eſt en effet fondée
, va ceffer. On vient de publier un
Ouvrage , qui mérite d'être diſtingué. Ce
font des Lettres écrites de Suiffe , d'Italie ,
de Sicile & de Malte , par un Homme
éclairé , un Philoſophe qui voit bien &
juge de même , qui avant de voyager ,
avoit la & extrait toutes les relations
( de ceux qui ont parcouru l'Italie , &
qui l'ont décrite ; c'eſt en viſitant les mêmes
lieux , qu'il a reconnu les erreurs dont elles
fourmillent ; il a vu également la Suiffe ,
Sicile & Malte , & donne fur le Gouvernement
de cette dernière ifle & fes relations
avec les pays voiſins , des détails peu connus
juſqu'ici , & peut être plus depuis
les lettres de Bridone & de Riedeſel ( 1 ).
>> Le ſieur Dupuy , demeurant rue des Lions , ta
troiſième porte-o chère à gauche en entrant par la
rue St- Paul , a eu l'occafion d'obſerver les difficultés
que rencontroient MM. les Inſtituteurs de la jeune
Nobleffe , à faire concevoir à leurs Elèves un plan
de fortifications , & cela par l'impoſſibilité de leur
en faire voir en nature qui pourroient leur faire faifir
l'enſemble du plan avec ſes profils & élévations ,
(1) Cet Ouvrage intéreſſant intitulé : Lettres , écrites de
Suiffe, d'Italie , de Sicile & de Malte , par M. *** , Avccat
au Parlement , de pluſieurs Académies de France & des
Arcades de Rome , à Mlle ** , à Paris , 6 vol . in- 12 , prix
15 liv. broché , ſe trouve à Paris , chez le fieur Viſſe , rue
de la Harpe , près de la rue Serpente. C'eſt chez le même
Libraire , & non à l'Hôtel de Thou , rue des Poitevins , &
chez le ſieur Dupuy comme on l'a annoncé , que ſe trou
vent les tomes 45. jusqu'à 52 du Répertoire univerſel de
Jurisprudence. Ce grand Ouvrage ne ſe vend que chez le
feur Viffe.
( 40 )
s'eſt occupé des moyens de leur faciliter des ſecours
pour cet objet intéreſſant. Ayant depuis 20 ans travaillé
dan cette partie , il s'eſt déterminé à faire
des fortifications en relief, ſoit en carton, ſoit en
bois , à demi revêtemens & à revêtemens entiers ,
avec & fans fouterrais , les deux manières réunies
ou non réunies dans le même plan, le tout ſuivant le
goût des perſonnes. Cette manière de préſenter les
objets au naturel & avec les proportions les plus
exactes , grave avec une facilité étonnante dans la
mémoire toutes les parties d'une fortification . On
en trouvera chez lui de faites pour orner un falon &
être miſes ſur une confole avec des glaces qui répètent
les objets en tout ſens . Ceux qui en voudront
pourront s'adreſſer à lui juſqu'à 11 heures du matin,
ou lui écrite en affranchiſſant leurs lettres. Il y en
aura de différens prix , depuis 36 liv. juſqu'à 120 liv.
Aux dernier , on joindra un petit livre qui ſervira à
expliquer toutes les parties des fortifications conte
nues dans un front , & par- là les parens ou Inftituteurs
feront en état d'avancer rapidement leurs enfans
ou élèves dans cette ſcience , ſi eſſentielle sour
un militaire. Le fieur Dupuy entreprend auſſi la conftruction
en reliefdes châteaux , parcs & ſeigneuries
entières , en lui envoyant des plans exacts ".
La Commiſſion préſidée par le Grand-
Aumônier de France , s'occupe à remplir le
voeu du Souverain , en rendant la liberté
aux coupables , qui ne font pas abſolument
indignes de pardon ; déjà pluſieurs captifs
fortis des prifons , ont béni le jour qui , en
donnant un Dauphin à la France , les a
rendus à leur famille alarmée.
>> La même Commiſſion vient de porter ſes regards
fur cette foule de priſonniers détenus à Bicêtre ,
&qui ne voient point de terme à leur captivité. Un
d'eux , plus digne de pitié par la nature & la lengueur
de ſes ſouffrances , par l'énergie de fon carac
( 41 )
tère & par ſes talens , qu'il a conſacrés à célébrer
la naiſſance du Dauphin , a trouvé un défenſeur ,
M. de la Croix , qui n'a pas dédaigné de lui prêter
ſa plume , & qui expoſe ainſi ſa caufe. ->> Les cris
dumalheur ont retenti juſqu'à nous ; une voix plaintive
ſortie de la profondeur d'un cachot , nous con
jure de faire entendre ſes gémiſſemens aux Miniſtres
de la Justice& àceux de la clémence du Souverain.
Nous ne repouſſerons point la prière de l'homme
Souffrant ; ll''éétat d'abjestion dans lequel il eſt plongé,
ne fait que nous intéreſſer davantage à fon
déplorablefort. Hélas ! ſi celui qui n'a plus que des
larmes à répandre , ne trouvoit ni confolation , ni
ſoutien , que faudroit- il penſer de ceux qui font par
état les défenſeurs des malheureux ? ... Nous ofons
nous vanter de parler aujourd'hui pour l'innocence.
L'homme auquel nous fervons d'organe , ne le dif
fimule pas , il a des erreurs à ſe reprocher ; mais
s'il a réellement commis des fautes , combien il a
été puni ! Qui pourra , après avoir lu le récit de ſes
fouffrances , lui refuſer de la pitié , & ne pas faire
des voeux pour qu'il ſoit au moins du nombre de
ceux ſur leſquels l'indulgence doit s'étendre dans
ce momentde bonté &de miſéricorde! "-M. de
la Croix , qui eſt l'Auteur de ce Mémoire , raſſemble
dans la première partie les moyens de juſtification
qui ſe réuniſſent pourdiſculper ſon client. S'adreſſant
enfuite aux Juges de la Commiffion , il démontre
que l'homicide dont il eſt accuſé , ayant été commis
à fon corps défendant , il eſt de nature à mériter
grace. Nous croyons devoir mettre ſous les yeux
de nos Lecteurs le morceau ſuivant , parce qu'il
renferme un hommage bien dû à M. le Cardinal
de Rohan , Préfident de la Commiffion.-> Quel
jourheureux pour tant de captifs gémiſſans dans les
fers , que celui où ils ont va un grand Prince revêtu
de la pourpre apparoître au milieu d'eux , ſemblable
à l'Ange qui vint viſirer les Apôtres dans leurs pri.
fons & brifer leurs liens ! Graces ſoient à jamais
( 42 )
rendues à cet illuſtre appui des malheureux , & fi
digne de ſon titre ! Que l'humanité ſe proſterne
devant ſon aaguſte bienfaiteur ; qu'elle publie avec
les larmes de la reconnoiſſance que le Grand-Aumônier
de Louis XVI n'a pas dédaigné de deſcendre
dans les cachots de Bicêtre , qu'il n'a pas craint d'en
reſpirer l'air infecté , afin de s'aſſurer par lui-même
de l'horreur de ces lieux. Combien ſon ame généreuſe
& ſenſible a dû être émue en voyant ces miférables
ravallés au deſſous de la condition des animaux
les plus vils & les plus féroces. Il a été convaincu
que l'en houſiaſme des Ecrivains n'avoit rien
àexagérer ſur un fujet auſſi déplorable «.
Jacques de l'Ecluſe , Prêtre , Docteur de
la Faculté de Théologie de Paris , de la
Maiſon & Société de Sorbonne , Prieur
commendataire de Saint Nicolas de la
Cheſnaye , diocèſe de Bayeux , ancien Vicaire
général du diocèſe de Paris , Chanoine
de l'Egliſe de Paris , eſt mort au cloître
NotreDame.
Catherine Daudenbulke , née ſur la Pa
roiffe de Warhem , Châtellenie de Bergue
Saint-Winoc en Flandre , le 11 Avril
1675 , eſt morte à l'Hopital Général de la
Charité de Dunkerque , le 27 du mois
dernier , étant âgée de 107 ans ; mois &
16 jours. Cette femme avoit eu 24 enfans
de trois mariages , & étoit entrée à l'Hopital
le 27 Septembre 1771 , âgée de 96
ans; elle s'y eſt toujours bien portée , &
trois ſemaines avant ſa mort elle montoit
ſeule & fans aide au troiſième étage.
Le Comte d'Aſpremont de Vandy , de
la branche aînée de la maiſon d'Afpre
( 43 )
mont , ancien Capitaine de Cavalerie , Che
valier de Saint-Louis , eſt mort à Metz le 28
Juilletdernier.
J. B. Joſeph de Florantin de Courcelle ,
Ecuyer, eſt mort à Ligny en Barrois ; cet évènement fait defirer d'avoir des nouvelles
de M. J. B. Florantin de Courcelle , né le
20 Février 1760 , l'un de ſes fils , dont la
famille ignore abſolument l'existence , &
dont la préſence ſeroit bien néceſſaire , à
cauſe du partage de la ſucceſſion de ſon
père.
mer. -
Règlement en date du premier Juin 1782 , concernant
la recette & l'emploi des fonds dont la
remiſe ſe fait dans les quartiers des Claſſes pour
le paiement des ſalaires & conduite des gens de
Aux termes de ce Règlement , qui eft
compoſé de neuf articles , à compter du premier
Juillet dernier , les Commiſſaires & autres Offi- ciers des Clatles ne peuvent faire aucune recette
& dépenſe des deniers deſtinés au paiement des
gens de mer; les lettres-de-change pour avances , conduites, décomptes , parts de priſes , &c. , leur
feront adreſſées , mais payables à l'ordre des Treſoriers
ou Préposés chargés près d'eux de la caiſſe
des Matelous , auxquels ils les remettront , pour
en faire à l'avenir , ſous leurs ordres , le recouvrement
& la distribution .
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France , du i de ce mois , font:
3,1,44 , 85 , & 9 .
De BRUXELLES , le 3 Septembre.
L'ESCADRE Hollandoiſe rentrée au Texel
le 16 du mois dernier , a reçu ordre d'en
partir fur-le-champ auſſi-tôt qu'on a été
1
!
(44 )
inſtruit de ſon retour; mais le Vice- Amiral
Hartſink qui la commande , ayant fait favoir
au Stadhouder que cette eſcadre maltraitée
par différentes tempêtes dans la mer
du Nord , avoit beſoin de réparations , ce
Prince a éré lui-même au Texel d'où il revint
le 23 du mois dernier ; il s'eſt aſſuré
par lui-même de l'état des vaiſſeaux ; les
dommages n'étant pas conſidérables & pouvant
être facilement réparés , on croit que
la flotte a été miſe en état de partir dans
les premiers jours de ce mois.
Avant ſon voyage au Texel le Stadhouder
avoit remis au Comité des Etats-Généraux
une note ſur la demande qui lui a
été faite par les Etats de Zélande , relativement
à la communication des ordres qu'il
a donnés à la marine depuis le commencement
de la guerre ; il dit que la crainte
d'inſtruire les ennemis du ſecret des opérations
, l'a ſeule empêché de donner plutôt
ces informations , qu'il doit à ſon honneur
de ne pas les différer ; mais qu'il ne donnera
que celles qui regardent les opérations
exécutées à préſent; qu'il fera connoître
après la campagne ſa correſpondance fur
celles qui reſtent , &c.
Les Etats de Hollande & de Weftfriſe
ont fait publier le Placard ſuivant.
>> Comme il eſt venu à notre connoiffance que
fur les rivages de nos côtes , grêves , abords ,
&c. on loue des bâtimens pour tranſporter en
Angleterre des lettres ou des perſonnes plus promptement
que par les voies ordinaires ; & comme
,
( 45 )
,
dans les circonſtances préſentes on en pourroit
faire un uſage contraire aux intérêts de cet Etat
& qu'il eſt conféquemment indiſpenſable de prévenir
cet inconvénient : nous défendons par la
préſente de tranſporter dans ledit Royaume de la
G. B. pendant la guerre actuelle , aucune lettre ni
perſonne quelconque, par le moyen deſdits bâtimens
, fans une permiſſion expreſſe du Seigneur
Amiral-Général , ou d'un des Colléges de l'Amirauté,
ou enfin ſans la permiſſion expreſſe de notre
Conſeli ou Comité , ou de ceux qui pourroient
y être autoriſés , ſous peine de confiſcation des
bâtimens pris en contravention après la date de
la préſente , & d'une amende de 1000 florins ,
payable par les équipeurs , pilotes , &c. dont un
tiers au profit de l'Officier qui fera exécuter la préſente,
un tiers pour le dénonciateur & l'autre tiers
aux pauvres ; & de plus , punition corporelle contre
quiconque ſera convaincu d'avoir correſpondu de
quelquemanière que ce ſoit avec l'ennemi «...
Les Etats de la même Province , ſur la
propoſition des Députés de la ville d'Amſterdam
, de continuer le concert des opérations
avec la France contre l'Angleterre
pour la campagne de 1783 , & le renouvellement
du traité de commerce de 1739 ,
ont arrêté que cette propofition ſeroit examinée
par les Seigneurs du Corps des Nobles
& autres Députés de leurs Nobles &
grandes Puiſſances , pour les grandes affaires
, afin qu'ils donnent leur avis à l'Afſemblée.
> On eſt journellement occupé, écrit-ondans une
lettre du Cap de Bonne - Eſpérance du 1s Avril ,
des travaux néceſſaires pour bien recevoir les ennemis
s'ils ſe préſentent devant cette Colonie . Quoique
nous n'avons vu aucun Anglois , la guerre fait
( 46 )
cependant beaucoup tort aux habitans. Tout ek
cher & principa'ement les marchandiſes d'Europe.
Les dernières lettres reçues de Batavia marquent
qu'on ne néglige rien pour défendre cet établiſſement.
Un corps de 2000 volontaires Javanois
s'eſt mis en marche le 31 Octobre dernier.
Il eſt pourvu de fufils & de piques ; il a paffé la
revue devant le Gouverneur-Général , & a été joint
par deux Compagnies de grenadiers levées parM.
Vander-Parra à les frais. Ces troupes ſont continuellement
exercées aux différentes évolutions.
Elles ne tireront de gages de la Compagnie que
dans le cas où la Colonie ſera attaquée. On eſt
occupé à lever un corps nombreux de milices du
pays deſtinées à défendre les côtes en cas de befoin
,
On lit dans quelques lettres d'Italie que
le Grand-Duc de Toſcane vient de défendre
expreffément dans le port de Livourne
la conſtruction de tout vaiſſeau corſaire
pour le ſervice des Anglois.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 29 Août.
On a reçu des dépêches du Général Haldimand,
Gouverneur de Québec. Tout eſt tranquille dans
la Province. Il mande cependant qu'il a cru devoir
renforcer la garniſon de Montréal, & faire mettre
les fortifications de cette place en bon état de défenſes.
Les Miniſtres n'ont envoyé , dit-on , aucun ordre
pour évacuer Charles-Town. On aſſure même qu'il
n'eſt point queſtion d'un tel projet en ce moment.
Le plan actuel conſiſte à défendre les poffeffions
qui nous rettent en Amérique, juſqu'à l'hiver prochain,
époque à laquelle les papiers relatifs à l'Amérique,
ſerent mis ſous les yeux du Parlement
qui décidera la grande queſtion , fa l'indépendance
fera ou ne fera pas reconnue.
( 47 )
,
Le rapport du Capitaine Coote qui vient d'arriver
de New-York , ne donne que les détails ſuivans
, relativement à M. Afgill. M. Coote eſt parti
de New-York le 18 Juin. Le Conſeil de guerre
étoit alors atlemblé pour juger le Capitaine Lippincott,
dont le fort devoit décider de ce jeune Officier.
L'Auteur de la gazette de Boſton a été vraiſemblablement
induir en erreur , ſur la manière dont
M. Aſgill a été conduit le premier Juin de ſa priſon
à Chatam , dans les Serys où eſt le quartier du
Général Washington. En effet ſon eſcorte étoit compoſée
d'un détachement de Dragons , & les Tambours
qui battoient la marche étoient couverts de
crêpes noirs comme pour un homme que l'on
mène au lieu de ſon exécution. Il n'eſt pas étonnant
que cet appareil ait fait croire à la populace que
M. Afgill alloit au ſupplice, Les Officiers Britanniques
avoient eu la permiſſion de l'accompagner
pendant quelques milles , & rien n'a été plus touchant
que le moment où ils ſe ſont ſéparés de ce
jeune homme , qui étoit ſeul tranquille , &
ſerein au milieu deſes amis désolés & des ſoldats
Américains eux-mêmes , qui ne purent retenir des
marques de ſenſibilité. Le Major Gordon , le plus
ancien des Officiers Britanniques vieillard refpectacle
& généralement eſtimé , a eu la permiffion
d'accompagner le Capitaine Aſgill dans ſa
prifon.
,
L'Amirauté a reçu le 26 des dépêches d'Antigues.
Elles ont été apportées par le Whitley , bâtiment
armé qui eſt arrivé à Plimouth. Il a mis à la voile
le 20 Juillet , & ne donne aucuns détails relatifs
à la prétendue expédition du Général Meadows ,
contre St-Chriſtophe. Quelques lettres venues par
ce bâtiment portent que pluſieurs frégates étoient
arrivées du Cap François à la Martinique , ayant
à bord des troupes. Il paroît qu'il s'y raſſembloit
une petite flotte, qui devoit appareiller vers le commencement
d'Acût.
Il règne en ce moment plus d'activité qu'à l'ordinaire
ſur la Tamiſe. Cela vient du grand nombre
de bâtimens de la Jamaïque & de Charbonniers
( 48 )
qui débarquent leur cargaiſon , & de ce que la
flotte des Ifles du vent y est arrivée. Ce grand
mouvement qui ceffera bientôt, nous rappelle avec
douleur ces tems heureux , où les flottes de l'Amérique
couvroient nos ports , & enrichiſſoient le
Négociant , le Manufacturier & l'Artiſan.
Le Lord Keppel doit vifiter les chantiers de
Woolwich , de Sheerneſſ &de Chatam , afin de
prendre une parfaite connoiſſance des travaux qui
y feront commencés.
Tous les papiers font remplis de lettres & de
déclamations contre le Lord Shelburne; on ne le
nomme plus que le Jéſuite , ou Malagrida. Il paroît
que la Nation eſt vraiment alarmée de voir que се
Miniſtre ne ſe-borne ppooiinntt àà encourager la levée
des régimens ſur les cotiſations des villes & des
particuliers , mais encore qu'il fafle propoſer dans
toutes les Provinces , par ſes émiſſaires ſecrets , des
ſouſcriptions pour la conſtruction de vaiſſeaux de
ligne. On croit remarquer dans cette innovation le
germe de la politique la plus fourde & la plus anticonſtitutionnelle.
Le parti de l'Oppofition ſe déchaîne
avec fureur contre les ſouſcriptions , & il
engage la Nation à ne voir en elles qu'un moyen de
plus pour affoiblir le pouvoir du Parlement, puifqu'elles
conduiroient à ſe paſſer même de lui pour
obtenir du peupledes ſubſides.Malgré ces plaintes ,
les ſouſcriptions ſont ouvertes dans pluſieurs Comtés
, avec l'autoriſation du Gouvernement , & les
noms des Souſcripteurs font imprimés dans toutes
les Gazettes. On eſtime à 74 mille liv. fterl. la miſe
qu'exige un vaiſſeau de 74 canons.
La branche d'olivier que le Comte Temple porte
à Dublin , & qui doit cauſer une fatisfaction générale
en Irlande , en même tems qu'elle attachera ce
Royaume à l'Angleterre par tous les noeuds d'une
union conftitutionnelle , eſt un Bill des droits Irlandois
. En effet , non- ſeulement il comprend toutes
les déclarations contenues dans le Bill des droits
Britanniques , mais encore toutes celles relatives à
l'union entre les deux Royaumes , & il devient par-là
le Palladium de la liberté Irlandeife.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE AUX ASTRONOMES.
MESSIEURS LESSIEURS les Amans d'Uranie ,
Le Ciel brille , l'air eſt ſerein :
1
Par deux aftres nouveaux la nuit eſt embellic ;
Dépêchez- vous , lorgnette en main.
Pénétrons ſous ce verd feuillage :
Aux vieux Obſervateurs laiſſons le firmament.
Vous ſavez bien qu'Amour place le plus ſouvent
:
Sur du gazon , dans le fondd'un boccage ,
L'obſervatoire d'un amant.
TOURNEz à gauche , & marchez un peu vite
Vers cet orme touffu que le Zéphir agite,
Le plus tendre preſſentiment
M'entraîne & me précipite .
Nº. 37, 14 Septembre 1782. C
SO MERCURE
Suivez mes pas ; fur-tout fi votre coeur palpite ,
Ne dites mot , le mien en fait autant.
La , regardez à travers l'ombre **ος
Scintiller ces deux yeux fripons ,
Et fur ces colsſi blancs flotter ces cheveux blonds ;
C'eſt en vain que la nuit eſt fombre :
Quand on eſt éclairé du flambeau de l'Amour ,
On voit la nuit comme le jour,
ENTENDEZ - Vous ces voix touchantes ?
La lyre d'Amphion n'eut pas tant de douceur,
Tous les ſons échappés de ces bouches charmantes,
Vont retentir au fond du coeur.
Er ces tailles élégantes ......
Ce n'eſt pas , à la vérité ,
L'éclat ni la majeſté
De ces maſſes étincellantes
Qui roulentdans les airs leur triſte éternité;
C'eſt d'une jeune Bergère
Et la fraîcheur & la beauté,
C'EST une démarche légère ;
Quinze ou ſeize ans & jeuneſſe , pour plaire ,
Sont des titres que l'on préfère
A la plus haute antiquité.
OUI ! oui ! voilà pour moi ſoleil , étoile , aurore ;
Voilà les aftres que j'adore,
DE FRANCE. st
Altres un peu malins , qui dans les cieux
Auroient tourné la tête aux Dieux !
Que les Dieux nommeroient Hébé , Vénus ou Flore ,
Et qui nous font extravaguer ici
Sous les noms d'H .... te & de N.... ci .
( Par M. Vergniaud , Avocat au
Parlement de Bordeaux. )
IMPROMPTU à M. l'Abbé ARNAUD ,
après avoir entendu à l'Académie lëfublime
Portrait qu'il a fait de Jules-César.
ESTST- CE Tacite ou Cicéron
Qui vous a tranſmis ſon génie ?
Dites-nous par quelle magie
Vous alliez , nouveau Platon ,
A l'élégance l'énergie ,
La profondeur à l'harmonic ,
Et la chaleur à la raiſon ?
QUATRAIN pour mettre au bas du
Portrait de M.
D'ALEMBERT.
Tous les Arts font vaſſaux de
ſon vaſte génic;
Sonregard lumineux éclaira l'Univers :
Le globe , qu'il ſoumit au compas d'Uranic ,
S'étonna d'admirer & ſa profe & ſesvers.
Ci
52
MERCURE
L'ABEILLE ET LA FOURMI , Fable
adreſſée à M. F. DE NOG. de l'Académie
de Marseille.
LAA
Fourmi dit unjour à l'Abeille:: ma ſooeur ,
Votre miel a de la douceur ;
Mais voyez la belle merveille !
Ce ſucre n'est-il pas au fond de chaque fleur !
La nature a produit la moiſſon de l'Abeille';
L'Abeille pille , & ſon heureux larcin ,
Honoré du noin de butin,
Eſt , au dire des gens , le nectar , l'ambroiſie.
Ah! convenez , ma douce amic ,
Qu'à peu de frais ſouvent l'on s'acquiert du renom.
-Ma bonne , vous avez raiſon ,
Dit la mouche à notre envieuſe ,
Je ſuis , ſi vous voulez , moins habile qu'heureuſe ;
Etje conviens que ſans les fleurs ,
Que ſans l'aurore & fans ſes pleurs ,
Mon tréſor ſeroit peu de choſe.
Mais enfin , dans ce miel , que vous dites pillé ,
Voyez-vous le jaſmin , le ſerpolet, la rofe
Sans aucune métamorphoſe ?
Yvoyez-vous du thym le bouquet effeuillé ?
Lorſqu'au printemps je le compoſe ,
Vertumne gémit-il de ſes fleurs dépouillé ?
De la cire &du miel , doux fruits de la rofée,
DE FRANCE
53
La ſubſtance d'abord , vous le diſiez très-bien ,
Fut dans le ſein des fleurspar le ciel déposée;
Mais la façon n'eſt-elle rien ?
Vous n'y cherchez , vous , pas tant de fineffe ,
Quand l'été , pour remplir votre avare grenier ,
En dépit de Cérès , qui maudit votre eſpèce ,
Vous volez le grain tout entier.
-Eh bien ! vous demandez , & preſque avec fineſſe;
Pourquoi je ſuis citée ? ah ! pourquoi ? Le voici :
Je ſuis laborieuſe , attentive , économe ;
Etje fais m'enrichir ſans appauvrir autrui.
Mon travail plaît aux Dieux , mes récoltes à l'homma
BUTINONS , cher ami , dans les doctes jardins
De l'Italie & de la Grèce ,
Nous ſerons avoués des Nymphes du Permeſſe.
Au Pinde , comme à Sparte , on permet les larcins,
:
Lorſqu'ils font faits avec adreſſe.
(ParM. Bérenger. )
COUPLETS fur l'Ami des Enfans.
JAL AI vu par la rare union
De l'eſprit &de l'innocence ,
Dans la bouche de la raiſon
Toute la candeur de l'enfance.
Mon coeur , pris d'un charme puiſſant ,
Pour être ami d'un fi doux maître ,
Cii)
54 MERCURE
S'il ne falloit être qu'enfant ,
Regretteroit de ne plus l'être.
:1
Ce qu'on admire en ſesÉcrits
Dans ſon âme on le confidère ;
Et quiconque voit le bon fils ,
S'écrie auffi-tôt : le bon père !
IL orne , inſtruit ces innocens
Par mille agréables chimères;
Et le tendre ami des enfans
Sera toujours chéri des mères.
(Par M. Pouteau , lejeune.)
LES DEUX PALADINS , ou l'Amitié à
l'Épreuve, Conte de Chevalerie.
Il y avoit à la Cour de l'Empereur Charlemagne
, deux jeunes Paladins , neveux du
célèbreVitiquind, Duc des Saxons. Leur oncle
les avoit envoyés , bien malgré lui , à
Aix , en qualité d'otages. Ces deux frères ſe
nommoient , l'un Sigifrid & l'autre Fridigerne.
Sigifrid étoit l'aîné ; mais le droit
d'aîneſſe étoit nul entre eux : une union
une amitié fraternelle juſqu'alors ſans exemple
, avoit fait diſparoître toute inégalité
dans l'ordre de la naiffance. Leuts peines ,
leurs plaiſirs étoient les mêmes. L'un eût regretté
de ne point partager la captivité de
Pautre. Ils avoient les mêmes goûts, les
1
DE FRANCE.
55
L
mêmes volontés , les mêmes paffe - temps ,
les mêmes habitudes. Ils partageoient partout
la même table , à la ville , le même
hôtel , au camp , la même tente ; mais
ce qui ſurprenoit toute la Cour de l'Empereur
, c'eſt qu'au milieu des plus célèbres
Beautés de l'Europe , ces deux jeunes Seigneurs
portoient encore l'écharpe blanche ,
ſymbole de leur inſenſibilité pourles Dames ,
& de leur éloignement pour l'eſclavage
amoureux. Cette inertie de leurs coeurs ne
devoit pas long- temps durer. Elle ceſſa à
l'arrivée de la belle Armonde , fille d'Amaury ,
Comte de Bavière. Tous deux la virent ;
tous deux à ſa vûe ſentirent les premières
atteintes de l'amour ; tous deux ſe les diſlimulèrent
le plus long-temps qu'ils le purent.
Il eſt naturel detenir ſecret à ſon ami
ce qu'on s'efforce de ſe cacher à ſoi- même.
Les deux Paladins ſe renfermèrent dans une
réſerve mutuelle. Ils ſe refuſoient juſqu'à la
douceur de prononcer en préſence l'un de
l'autre le nom de l'objet adoré. Ils craignoient
qu'en proférant ce nom , leur trouble
ne les trahît. Une telle diſcrétion eſt un
crime en amitié ; auſſi leur amitié en ſouffritelle;
car Sigifrid ſe croyoit coupable envers
Fridigerne , comme Fridigerne envers lui ;
&rien ne nous refroidit plus à l'égard de
quelqu'un , que le ſentiment de nos propres
torts. Mais ſi leur flamme étoit pour
chacun d'eux un myſtère réciproque , elle
n'en fut point un pour la clairvoyante Ar-
:
Civ
56 MERCURE
monde , à qui cependant nul des deux n'avoit
oſé déclarer ſa paſſion. Les femmes
ont un ſens particulier , par l'organe duquel
elles démêlent ce qui ſe paſſe pour elles dans
le coeur d'un Cavalier , organe unique , fupérieur
& prophétique, qui les inftruit de
tout avant même la première déclaration;
&quand le Cavalier s'aviſe enfin de cette
déclaration tardive & qui lui coûte tant , il
eft venu , comme dit le Poëte , avant que
d'être arrivé. Quand les deux frères , chacun
àpart , chacun ſans ſe rien communiquer ,
eurent fait à l'objet de leur amour cet aveu
difcret & pénible , Armonde en ſut moitié
plus qu'elle n'avoit beſoin d'en ſavoir. Elle
les éconduiſit tous deux ſous différens prétextes
, mais ſans excluſion expreffe , &
avec l'amorce flatteuſe de l'eſpérance. Armonde
avoit à choiſir entre les deux frères ;
car rien à la Cour de l'Empereur n'égaloit
ni le mérite de cette belle , ni le lear; &
depuis la création du monde il eſt arrivé ,
on ne fait comment , que les analogues s'attirent
, c'est- à-dire , que le beau recherche
le beau , & que les perfections du même
genre ſympathiſent entre elles. Mais le malheur
que nous avons tous d'être nés avec un
ſeul coeur , fiége unique de nos fentimens ,
fait qu'entre deux objets , dignes également
d'être aimés , nous nous déterminons pour
un ſeul. Fridigerne eut le choix d'Armonde ;
il ne dut point cette préférence à deux ans
qu'il avoit de moins que ſon aîné , ( car ce
DE FRANCE.
n'eſt pas là une différence ) il la dut à fon
heureuſe etoile , fi toutefois les étoiles entrent
pour rien en tout ceci.
Armonde mit toute fon habileté à cacher
ſa defaire à ſon vainqueur ; mais elle faiſoit
de tous les deux une distinction allez particulière
pour qu'on pût ſe douter que l'un
des ôtages avoit ſon affection . Un événement,
auſſi tragique qu'imprévu , confirma encore
ces ſoupçons de la ville & de la Cour.
,
On ſurprit une lettre en chiffre adreſſée
de Saxe au Comte Amaury. Il n'en voulut
point donner l'explication; & fur ce refus
il fut arrêté & conduit dans une citadelle ,
où , le lendemain , on le trouva mort de poifon.
On préſuma qu'il avoit lui même attenté
fur ſes jours , & que la lettre interceptée
étoit un monument de ſa correſpondance
avec ſon allié le Duc Vitiquind. Les politiques
ſe figurèrent que ſa fille Armonde
pouvoit être ſa complice. Armonde fut arrêtée
, & d'autant plus étroitement refferrée
, que ſon père s'étoit lui-même ôté la
vie. Des juges lui furent nommés , & les
préſomptions furent contre-elle. Il eût fallu
des preuves; mais alors les préſomptions
ſuffifoient pour prononcer un jugement dont
une perſonne du rang d'Armonde avoit
droit d'appeler au jugement de Dieu , c'eſtà-
dire , à celui des armes , par la voie de
deux champions.Elle eut recours dans ſa criſe
à ce moyen extrême , & nomma ſans héſiter ,
pour ſes défenſeurs , les deux nobles &
Cv
58 MERCURE
preux Chevaliers &Paladins Sigifrid & Fridigerne
, à chacun deſquels , en marque de
clientelle , elle envoya une écharpe de couleur
orangée.
Chacun des deux orages ſe perfuada que
fon frère n'entroit dans cette affociation
que comme adjoint honorable. Ni l'un ni
l'autre ne ſoupçonna ſon frère d'avoir
fixé l'attention & la confiance de l'aimable
fille du Comte Amaury. Cette erreur , au
reſte , ne fut celle que de Sigifrid , car fon
frère Fridigerne lui étoit ſecrettement préféré
Peu de temps avant la triſte aventure du
Comte Amaury , l'Empereur avoit donné
un tournoi célèbre. Pluſieurs Paladins étrangers
y avoient figuré; entre autres , les deux
jumeaux Amalric & Giferic , Chevaliers
Vandales , de la plus illuſtre naiſſance , &
très renommés dans les combats & dans les
joûtes , mais boſſus l'un & l'autre , & d'une
figure hideuſe. Il y avoit en quatre prix à
diſputer. Deux avoient été remportés par les
deux frères Saxons , & les deux autres par
les deux frères Vandales . La rare beauté
d'Armonde l'avoit fait choiſir par l'Empereur
pour être ce jour- là la Dame du Camp
c'eſt à dire , la difpenfatrice des quatre prix
Quand les vainqueurs vinrent ſe préſenter
devant elle pour recevoir de ſa belle main
l'illuſtre récompenſe , Armonde cacha affez
bien ſon émotion à la vue des deux Héros
Saxons ; mais elle ne put, quelque violence
DE FRANCE. 59
àla qu'elle ſe fit, contenir ſes éclats de rire
vue des deux jumeaux Vandales. A cette
première inſulte , qui pouvoit paſſer pour
involontaire , elle en ajouta une ſeconde
moins ſuſceptible d'excuſe. Dans le compliment
qu'elle leur fit en les couronnant , elle
eut la malice de les comparer à Caſtor &
Pollux , ces deux jumeaux immortels que
leur beauté , leur force & leur adreſſe firent
jadis mettre au rang des Dieux. Amalric &
Giferic diffimulèrent pour le moment qu'ils
euſſent fait attention à ce ſarcafine qui les
immoloit au mépris & aux riſées de toute
une Cour; mais de retour dans l'hôtel que
Charles, à leur arrivée, leur avoit aſſigné pour
demeure , ces deux frères en parlèrent entreeux
, & jurèrent une haine éternelle à toute
la Maiſon d'Amaury. Le hafard les ſervit à
ſouhait dans leur vengeance ; car le foir
même un Courier lointain , trompé par la
reffemblance des noms Amaury & Amalric ,
remit au Chevalier Vandale les dépêches en
chiffre dont on a parlé , & qui étoient deftinées
au Bavarois. Les deux boffus , tous
deux outragés & tous deux vindicatifs , n'héfitèrent
pas de porter à Charles cette lettre,
& de ſe rendre les accuſateurs du Comte &
de ſa fille. Leur dénonciation n'eut d'abord
de force effective que contre le père ; mais
celui-ci ayant été trouvé empoisonné en pri
fon , les charges commencèrent à produire
leur effet contre la belle & innocente Armonde.
Elle fut , dans le court eſpace de
Cvj
60 MERCURE
trois jours , arrêtée, empriſonnée , interrogée
&condamnée à perdre la tête. Ce jugement
de rigueur alloit être exécuté , lorſque les
deux frères Saxons , acceptant avec emprefſement
la qualité de ſes défenſeurs , ſe préſentèrent
dans la place publique , y jetèrent
leur gantelet aux deux délateurs , & firent
furſeoir d'un jour à l'exécution. Le combat
ne fut point évité par les deux frères Vandales;
mais le fort des armes leur fut contraire
; ils faillirent y laiſſer la vie , & les
vainqueurs ne la leur accordèrent qu'après
leur avoir fait reconnoître & déclarer à
haute voix le Comte Amaury& fa fille innocens
de la correſpondance criminelle qu'ils
leur avoient imputée. Charles , témoin de
la valeur de Sigifrid & de Fridigerne , leur
prodigua mille louanges; & préferant l'avantage
de ſe les attacher comme ſes ſujets , à
la politique de les tenir près de lui en qualité
d'otages , il leur propoſa en France des
dignités , des terres & des châteaux qu'ils
acceptèrent , &pour lesquels ils prêtèrent à
l'inſtant ferment de fidélité. Il reſtoit à ſtatuer
fur le fort d'Armonde. L'Empereur ratifia
ſon innocence & ſa liberté , à condition
qu'elle choiſiroit un époux parmi les Paladius
de ſa Cour, & il lui donna un mois
pour faire ce choix. Il eſt facile à la bouche
d'articuler le nom que le coeur a indiqué ;
mais une fille de haute naiſſance ſe croit
obligée à mille réſerves qui enchaînent longtemps
cet aveu. Celles qui aiment le plus ,
DE FRANCE. 61
font ſouvent embarraſſées de le faire à l'oreille
de l'objet aimé , à plus forte raiſon à
un tiers. Pour menager en ces occaſions la
pudeur ou l'amour- propre des Belles , Charlemagne
avoit imaginé une urne , à l'orifice
de laquelle chaque Demoiselle alloit prononcer
le nom de celui qu'elle deſiroit pour
époux. Cette urne , imperceptiblement pratiquée
au fond , portoit ſur une baſe dans
laquelle s'introduiſoit , par un canal for
terrain , un très petit nain , d'une ouie trèsfine
, & qui avoit ſoin de retenir le nom
prononcé. Il l'écrivoit auſſi tôt ſur un morceau
de velin qu'il rouloit entre ſes doigts ,
& qu'il faiſoit paſſer dans l'urne par l'ouverture
inférieure. La Belle , difcrètement
retirée , l'accès de l'urne devenoit permis à
tous les Cavaliers intéreſſes à la confulter ,
&la cédule de velin étoit leur oracle. Trente
jours s'étant écoulés , Armonde confia ſon
fecret à l'urne myſtique ; les deux frères Saxons
ne manquèrent pas de s'y rendre après
elle. Ils y trouvèrent une cédule roulée ,
qu'ils déployèrent,& dans laquelle ils lurent
diſtinctement le nom de Fridigerne.
Il n'eſt donné à perſonne de peindre ce
qui ſe paſſa alors dans l'âme & dans les yeux
des deux Paladins ; mais Fridigerne etoit
trop occupé à la lecture du billet propice ,
pour s'appercevoir du trouble qu'il eût aifément
pu remarquer ſur la phyſionomie &
dans toute la perſonne de ſon frère. Sigifrid
eut donc le temps de ſe remettre de fa conf
62 MERCURE
ternation avant que Fridigerne eût eu celui
de revenir de la plus douce des extaſes .
Je vous felicite , dit-il à fon frère avec
une faufſe joie : Armonde ſe déclare pour
vous , & fans doute ſa tendreſſe ne'couronne
point un infenfible. Pour toute réponſe
Fridigerne , les yeux mouillés de larmes
de plaiſir , embraſſe ſon frère , & lui fait
ainti l'aveu de ſa paſſion pour l'aimable fille
d'Amaury , aveu qu'il ne ſavoit pas faire à
un rival.
Tandis que les apprêts de cet illuftre mariage
ſe font dans Aix, la nouvelle imprévue.
d'une émeute ſurvenue dans l'Auſtraſie ,
force Fridigerne à partir promptement pour
Merz , dont Charles lui avoit donné le Gouvernement.
Il confia en partant la belle
Armonde à fon frère Sigifrid.
Celui- ci venoit d'obtenir des bienfaits de
l'Empereur , un château fortifié au voiſinage
d'Aix. Il y tranſporta auffi-tôt le précieux
dépôt qu'un frère , un ami , avoit remis à
ſa garde.
Vers ce même temps , une contagion ,
effrayante par la rapidité de ſes ravages , ſe
répandit dans Aix& dans ſes environs. On
ne voyoit dans les rues , & fur les routes ,
que morts ou que mourans. Ce fléau terrible
n'épargnoit ni les Grands ni le peuple , ni
fexe ni âge. Sigifrid , que la jalouſie même
avoit rendu plus paffionné , & dont les vûes
fecrettes, fur- tout depuis le départ de fon
frère , étoient de s'approprier la poffeffion
DE FRANCE.
63
excluſive d'Armonde; Sigifrid , dis-je , profita
de la contagion dont on vient de parler ,
pour faire courir le bruit qu'elle avoit atteint
ſa future belle ſoeur , & qu'elle l'avoit
emportée en trois jours. Comme tous les
gens du château étoient ſes créatures , il en
diſpoſa à ſon gré pour accréditer cette fable.
Il fit faire à la prétendue morte des obsèques
magnifiques , & lui fit ériger un tombeau
vuide dans ſa Chapelle Seigneuriale.
Cependant Armonde , tandis qu'on rendoit
ces vains honneurs à fon cenotaphe ,
geniffoit dans un donjon ſous la garde de
deux Geoliers inflexibles & farouches , qui
ne répondoient à aucune de ſes queſtions ,
& qui lui refuſoient juſqu'à la confolation
de lui dire pourquoi on la traitoit avec cette
rigueur. La viſite de Sigifrid vint lever ſes
doutes. Il lui apprit qu'au moyen des mefures
qu'il avoit priſes , elle étoit morte
pour toute autre que lui. Il lui annonça
qu'elle ne devoit plus ſonger à Fridigerne ,
& qu'elle ne fortiroit de ce donjon qu'épouſe
de Sigifrid. Il la quitta après cette déclaration
, fans ofer la regarder , ni attendre
ſa réponſe , en ſuppoſant que la ſurpriſe ,
la douleur,& l'indignation qu'elle éprouvoit
lui euſſent permis d'en faire une.
Le raviffeur tourmenté par de ſecrets remords
( Sigifrid en étoit ſuſceptible ) n'oſa ſe
repréſenter devant ſa proie que trois jours
après ſa première viſite. Il s'excuſa avec un
embarras qui n'étoit point feint , & dont
64 MERCURE
Armonde lui fut gré. Elle profita de cet
avantage qu'elle ſe voyoit fur lui , pour lui
faire des reproches ſenſibles , pathetiques ,
mais fans aigreur ni amertume , ſur l'attentat
auquel il s'étoit porté. Sigifrid ſe troubla,
rougit , frémit , ſoupira , ſe jeta aux pieds
d'Armonde ; mais toujours commandé par
une paſſion effrénée , il jura , même à ſes
genoux , qu'il poursuivroit le deſſein coupable
, funeſte , irrétiſtible qu'il avoit formé
des'aſſurer ſa poſſeſſion à quelque prix que ce
pût être. Que me reprochez-vous , Madame ,
lui diſoit-il ? les excès , les crimes que vous
m'avez fait commettre; ma félonie envers
mon frère , mes parjures envers mon ami ?
Ah! plus je me ſuis rendu coupable , &
moins je puis me réſoudre à perdre le fruit
de tels forfaits. Que dis je , Madame ? il ne
tient qu'à vous de les légitimer ou de les
abfoudre. Partagez ma faute , tranſportezmoi
votre affection & le don de votre main.
Mon frère , quelque irrité qu'il puiffe être
quand il ſera inftruit de mon attentat , n'oſera
murmurer de votre ſecond choix; il
reſpectera en moi , je ne dis plus ſon frère
ou ſon ami , mais le poffeffeur de votre
main , l'époux adoptif d'Armonde.
Un filence morne fut cette fois la réponſe
de la fille du Comte de Bavière. Une tête à
demi détournée , un regard ſans colère prononcée
, mais fixé vers un des angles du
plafond de la chambre , & non ſur la perſonne
du coupable , apprirent à Sigifrid
DE FRANCE. 65
l'arrêt tacite émané de l'âme de ſa Dame. Il
ſe retira trifte , confus , accablé , dans l'état
d'un homme condamné , & qui a ſouſcrit à
ſon jugement.
Une ſemaine ſe paſſa ſans que Sigifrid
osât retourner au donjon. Comme il prenoit
fur lui d'y remonter , on lui annonça le
retour de ſon frère, qui étoit revenu de fon
voyage d'Auſtraſie ſans même être entré dans
cette Province , ſur l'avis qu'il avoit reçu
que tous les troubles y étoient appaiſés.
Ce fut Charlemagne lui-même qui , trompé
par le faux bruit de la mort d'Armorde ,
communiqua à Fridigerne ſes regrets & fon
erreur. Cette nouvelle fut un coup de foudre
pour l'âme ſenſible de cet amant. Il
courut au château de ſon frère , & ſe profternant
ſur le marbre de la tombe où il ſe
figuroit que repoſoit l'objet unique de ſes
penſées , il colla ſur cette pierre froide ſes
baifers brûlans , entremêlés de ſanglots , &
noyés d'un déluge de pleurs. Son frère accourut
pour l'embraffer & pour le relever.
Mais Fridigerne lui proteſta qu'il reſteroit
fans manger & fans boire dans cette triſte
attitude, juſqu'à ce que la froideur mortelle
de la pierre ſépulcrale eût pénétré juſqu'à
ſon coeur , & eût forcé ſon âme tardive de
rejoindre celle de ſa bien-aimée. Sigifrid ſe
retira dans ſon appartement , plus confus ,
plus interdit , plus déſeſpéré que jamais. Ses
inſtances auprès de ſon frère furent inutiles ,
& ce jour là & le jour ſuivant. L'état de
66 MERCURE
Sigifrid empiroit en proportion du danger
de Fridigerne , pour qui toute ſa tendreſſe
fraternelle s'étoit réveillée. Voici bientôt
trois jours , diſoit-il en lui- même , que mon
ami , mon frère , eſt ſans nourriture ; &
c'eſt moi qui le mets au tombeau ! voici
bientôt un mois que j'alarme , que j'afflige ,
que je déſeſpère l'objet même de ſon amour
&du mien. Qu'il ſoit enfin un terme à ce
double crime ; & , quelque effort qu'il puiffe
m'en coûter , ſauvons au moins deux têtes
fi chères.
Il dit; & , rempli d'un projet héroïque ,
il monte au donjon , congédie les deux
Geoliers ; & , préſentant le bras à la belle
priſonnière , il l'invite à deſcendre . Elle le
ſuit en tremblant juſques à la chapelle , où
elle voit un Chevalier étendu ſans mouvement
ſur une tombe. Que devient la belle
Armonde à cette vûe ? Ce tombeau trompeur
porte ſon nom , & l'écharpe eſt bien
celle,celle même qu'elle ſe ſouvient d'avoir
brodée pour Fridigerne. Armonde jette un
grand cri ; ſes genoux ſe dérobent ſous elle.
Elle ſe laiſſe tomber ſur ſon époux giſant
fur une tombe , &à demi ſaiſi des glaces de
la mort. Elle l'appelle , l'anime , le réchauffe
par ſes tendres embraſſemens. Fridigerne ,
incertain s'il rêve ou s'il veille , ſe redreſſe
en pied. Il rappelle à lui tout ce qui lui reſte
d'âme & de forces. Qu'est ceci , dit-il en
fixant Sigifrid ? Tu vois ( lui dit le coupa
ble ) le crime & la réparation : l'amour ,
DE FRANCE.
67
mon frère ! avoit mis entre nous l'amitié à
une rude épreuve.
( Par M. Poinfinet de Sivry. )
Explication d "Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent.
Le mot de l'énigme eſt le Coeur ; celui du
Logogryphe eſt Pistolet , où se trouvent
Piſe,pis ( plus mal ) pis de vache , pifle ,
pie oiſeau, Pie,nom d'homme, Pole , per
pistole, pite.
ÉNIGME.
Quorque pleine d'eſprit , je n'ai nulle fineffe ;
Si j'ai beaucoup de goût , c'eſt ſans diſcernement.
Jebrûle fans amour , j'enflamme ſans tendreſſe,
Etje mets au tombeau mon plus fidèle amant.
LOGOGRYPHE.
Fouou qui ſe fieà l'apparence!
Plus monnom eſt petit, & plus je ſuis immenſe.
Plus mon aſpect paroît riant ,
Etplus l'inſtantd'après il paroît effrayant.
Ne ſuis- je done qu'un vrai problême ?
Oui , Lecteur , ainſi que toi même :
J
68 MERCURE
Tu voudrois m'obtenir toujours en me fuyant.
Moi , je ne te fuis pas ; & crainte de reproche ,
Je vais me dévoiler , approche.
Je n'ai que quatre pieds qui marchent à la fois.
Pour peu qu'on les dérange , on reconnoît la plaine
Oùjadis , dans les jeux , périt un de nos Rois.
Mais qu'on en retranche un , & le vieillard Silène ,
D'humeur à cet aſpect , va rider ſon minois.
Vois encore un pronom , un article , un domaine ,
Autour duquel Neptune exerce tous ſes droits.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ALEXANDRINE , ou l'Amour est une
Vertu , par Mile de S *** ; avec cette
Épigraphe :
L'Amour n'eſt point un crime , il eſt une vertu.
Colardeau.
A Paris , chez Delormel , Imprimeur-
Libraire , rue du Foin S. Jacques ; la
Veuve Ducheſne , rue S. Jacques , Efprit ,
au Palais Royal.
ALEXANDRINE , quoique née d'une famille
diftinguée , s'eſt vûe réduite , par une ſuite
de circonftances fâcheuſes , à prendre le
parti du Théâtre. Idole du Public , elle fait
être modeſte en réuniſſant tous les fuffrages.
3
DE FRANCE 69
Objet des adorations & des hommages des
plus grands Seigneurs , elle réſiſte à toutes
leurs inſtances. Sa beauté la fait idolâtrer ,
ſes vertus la font reſpecter. Elle a l'eſtime
& l'amitié d'un grand nombre d'honnêtes
gens,& fur-tout de Miladi Millefort. C'eſt
à elle que s'adreſſe ſa correſpondance ; c'eſt
ellequi est la confidente de ſes peines &de
ſes plaifirs. Alexandrine n'eſt point inſenfible.
Le Chevalier de Palmi , jeune homme
auffi aimable que vertueux , & qui
l'adore , lui a inſpiré la paſſion la plus
vive, mais la plus délicate & la plus honnête.
Il veut faire pour elle tous les ſacrifices;
il veut l'épouſer; mais elle fent qu'elle
n'eſt plus digne de lui. Cependant l'amour
épure encore ſon âme. Elle renonce au
Théâtre. Elle avoue au Chevalier qu'elle
l'aime; mais elle lui avoue en même tems
l'hiſtoirehumiliante de ſes premières années.
Sa mère , qui étoit belle, ne put l'être ſans
vanité.
" Son faſte , dit Alexandrine , joint à l'extrême
bonté de mon père , avoit en peu de
temps altéré leur fortune , quand une affaire
d'honneur qu'il eut avec un Officier de ſon
Régiment , & qui ne fut terminée que par
la mort de ſon ennemi, le contraignit de
fuir dans un pays étranger , me laiſſant encore
dans les premiers temps de l'enfance.
Mon infortune fut marquée de cet inftant.
Ma mère , toujours ſéduite par cet orgueil
qui la caractériſoit , ne pût ſe réfoudre ,
-70 MERCURE
malgré nos malheurs , à diminuer le ton de
ſa maifon. Les dettes s'accumulèrent ; ſa
ſanté s'affoibliffoit de jour en jour. J'atteignis
inſenſiblement l'âge de douze ans. Ma phyfionomie
commençoit à ſe développer avec
une forte d'éclat. Un homme d'un certain
âge , ancien ami de la maiſon s'offrit à nous
venger de la fortune. Aquel prix l.... J'ignorois
juſqu'à la poſſibilité du mal ; on me
prodigua les fêtes & les plaiſirs. Nos yeux ,
juſques là noyés dans les larmes , ſe ranimerent
à la joie. Mon éducation devint brillante.
Notre protecteur demeuroit chez ma
mère ; l'habitude où j'étois de le voir , me
faiſoit une néceſſité de ſa préſence. La nature
trop cruelle ſe hâta de préparer mon ignominie.....
»
Elle fut mère d'une fille avant l'âge de
treize ans , & perdit en même temps ſa
mère , qui mourut accablée ſans doute par
le poids de ſes remords. Les ſoins & les
procédés de ſon bienfaiteur méritoient ſon
attachement. Jamais la penſée de le tromper
n'étoit entrée dans l'âme d'Alexandrine.
Mais elle ne connoiſſoit point encore l'ar
mour. Hélas ! il alloit s'emparer de fon coeur
&changer ſon ſort. Dans une fête brillante
où elle fut invitée , elle vit le Chevalier de
Palimi ; c'eſt- là que leurs coeurs furent entraînés
tous les deux l'un vers l'autre par
une impulſion à laquelle ils furent obligés
de céder malgré eux. Son protecteur , qui
rend juſtice à ſa bonne conduite , veut la
DE FRANCE.
70
prendre pour femme. Cette propoſition la
faiſit d'effroi. Ce qui avoit été juſques- là le
voeu le plus ardent de ſon coeur , ne lui
ſemble plus qu'un aveu funeſte. Elle ne put
y répondre. Mais elle a une fille , ce lien
l'attache encore à ſon protecteur. Il y avoit
déjà quelque temps que, ſous différens prétextes
, elle n'avoit pu réuſſir à la voir. Elle
s'en plaint à ſon père , qui lui apprend qu'elle
n'eſt plus , & qu'on n'avoit pris tant de ſoin
àlai cacher ſa mort, que pour épargner ſa
ſenſibilité. Elle ne vit plus alors dans ſon
bienfaiteur qu'un tyran; elle s'enfuit de ſa
maiſon , en obſervant exactement de ne difpoſer
que des ſeuls effets dont , par la mort
de ſa mère, elle étoit devenue maîtreffe , &
en lui laiſſant un billet conçu en ces termes :
« L'infortune put aveugler celle à qui je
>> dois le jour; elle ſeule vous donna des
>> droits cruels ſur moi : elle n'eſt plus , je
> crois être libre , & je m'affranchis. » C'eſt
alors qu'elle prit le parti du Théâtre. Le
Chevalier voyageoit en Italie. Le coeur d'Alexandrine
tenoit encore à lui par le fouvenir.
En butte à mille attaques , plein d'une
ſenſibilité extrême , incapable de s'abaiſſer
aux calculs froids & mépriſables de l'intérêt ,
ardent à preſſentir dans l'amour la réunion
detoutes les délices, iſolé néanmoins au milien
d'une foule empreſſée d'adorateurs , il
commençoit à fentir du vuide lorſque le retour
du Chevalier réveilla tous ſes premiers
ſentimens , & en accrût la force. C'eſt alors
1
72 MERCURE
qu'elle ſe croit rendue à la vertu; elle renonce
au Théâtre , elle met ſon bonheur
dans l'amour le plus pur & le plus déſinté
reffé. Elle auroit peut être fini par l'épouſer ;
mais par une foule de circonſtances trèsintéreſſantes
, & qui ſervent à développer
ſon caractère , elle retrouve ſon père , ſa
fille , ſon protecteur , le Préſident de Melleville.
L'honneur d'un père , le ſien , l'exiftence
de ſa fille , les procédés du Préſident ,
tout lui fait une loi de ſacrifier ſon amour,
Elle devient femme de M. de Melleville. Les
combats de ſon devoir &de ſa paffion ſont ſi
violens , que ſa ſanté s'altère. Ses organes ont
moins de force que ſon âme; elle meurt regrettéede
tous ceux qui l'environnoient, victime
de ſon devoir autant que de ſon amour.
Tel eſt le fond du nouveau Roman de
Mademoiſelle de S *** , Auteur des Lettres
du Chevalier de Saint-Alme. Nous n'avons
pu indiquer aucun des perſonnages ni des
événemens acceſſoires qui ſe lient à l'intrigue
principale , & d'où réſulte l'intérêt
de l'Ouvrage. Nous nous contenterons de
dire que la morale en eſt ſaine. Tout y
reſpire l'amour de la vertu & l'horreur du
vice ; malgré la paſſion réciproque du Chevalier
& d'Alexandrine , ils ne s'écartent
point des règles du devoir. Ils font dans une
fituation touchante & douloureuſe , qui remplit
le coeur d'une compaſſion d'autant plus
vive, qu'ils font eux-mêmes le ſacrifice de
leur bonheur & de leurs penchans. Si ,
comme
DE FRANCE. 73
comme l'annonce l'épigraphe choiſi par l'Auteur,
l'Amour n'estpoint un crime , il réſulte
de fon Romanqu'ileſt un malheur , & qu'on
ne peut trop ſe défendre d'une paſſion dont
les fuites font le plus ſouvent fi cruelles.
CeRomana la forme épiftolaire; le ſtyle eſt
plein d'une imagination ſouvent exagérée. Il
ſemble dicté moins par le coeur que par une
tête vive & exaltée ;&de plus , tous les perſonnages
s'expriment de la même manière.
Mais enfin , ils s'expriment bien , & c'eſt
beaucoup. C'eſt parce que l'Auteur a beaucoup
de talent , que nous croyons devoir
mêler la critique à l'éloge , quoiqu'elle ſoit
d'un ſexe & d'un âge qui ſemblent exiger de
l'indulgence.
LEÇONS Élémentaires d'Histoire Naturelle
& de Chimie , dans lesquelles on s'est
proposé , 1º . de donner un enſemble méthodique
des connoiſſances Chimiques acquiſes
jusqu'à ce jour. 2°. D'offrir un tableau
comparé de la Doctrine de Stahll & de
celle de quelques Modernes , pour fervir
de réfumé à un Cours completfur ces deux
Sciences ; par M. de Fourcroy , Docteur
de la Faculté de Médecine de Paris , &
de la Société Royale de Médecine. 2 Vol.
in- 8°. A Paris , rue & Hôtel Serpente.
LAChinie eſt une Science de nos jours.
Concentrée autrefois dans les Laboratoires ,
ou traitée avec obſcurité & myſtère dans
N°. 37 , 14 Septembre 1782 .
D
74 MERCURE
quelques Ouvrages que peu de perſonnes
liſoient , elle étoit , pour la plupart des
hommes , ou l'art de faire de l'or , ou celui
de préparer des médicamens. Malgré les
travaux de pluſieurs hommes de génie , qui
en avoient reculé les limites dans le ſiècle
dernier , ce n'eſt que depuis le commencement
du nôtre qu'elle eſt devenue intelligible
, & qu'on en a ſaiſi les phénomènes
fous un point de vûe véritablement philofophique.
Dès- lors , au lieu d'être cachée ,
mystérieuſe , & par conféquent inutile , elle
eftdevenue une Science fondée ſur des principes
certains , & dont les avantages ſe font
étendus ſur les autres connoiſſances humaines
, ainſi que ſur preſque tous les Arts qui
contribuent au bonheur de la Société. Sans
parler des recherches multipliées d'un grand
nombre de Chimiſtes que notre ſiècle a produits
, c'eſt aux Ouvrages fublimes de Stahll ,
&à ceux du célèbre M. Macquer , que l'on
doit les avantages précieux que nous venons
d'annoncer. C'eſt à l'intérêt & à la clarté
qu'ils ont répandus ſur la Chimie , qu'il
faut attribuer l'empreſſement avec lequel
les Savans & les Amateurs de toutes les
claſſes ſe livrent à l'étude de cette Science.
On a donc beaucoup d'obligation à ceux
qui cherchent à réunir les connoiffances acquiſes
ſur une matière d'une utilité ſi reconnue
& fi générale.
Tel paroît avoir été le but de M. de Fourcroy.
Elève & ſucceſſeur de M. Bucquer ,
1
:
DE FRANCE.
75
dont il a ſuivi les traces , il a ſenti combien
un Ouvrage redigé d'après ces vûes ſeroit
utile. Il en avoit conçu le plan avec ce célèbre
Profeſſear , enlevé au commencement
de la carrière la plus brillante ; & c'eſt ce,
projet terminé qui conſtitue l'Ouvrage dont
nous allons rendre compte.
Il eſt diviſé en autant de leçons que M.
de Fourcroy en fait chaque année dans les
Cours d'Histoire Naturelle & de Chimie ,
qu'il continue avec ſuccès depuis la mort
de M. Bucquet. Cet ordre , très utile aux
commençans , eſt ſur tout très commode
pour ceux qui ſuivent les leçons de ce Profeffeur.
Les minéraux ſont partagés en trois grandes
claſſes. La première comprend les terres
& les pierres que M. de Fourcroy fousdiviſe
en trois Sections ; les terres & les
pierres ſimples conſtituent la première; les
terres & pierres compoſées , la ſeconde ;
les terres & pierres mélangées , la troiſième.
Chacune de ces Sections eſt diſtinguée en
ordres , en genres & en fortes. Sans ſuivre
l'Auteur dans ces détails , nous remarquerons
qu'il ôté de cette première claffe la
terre peſante , la magneſie , la chaux , le
gypſe , la craie , le ſpath - calcaire , le ſpath
fluor & le ſpath peſant , que tous les Naturaliſtes
avoient regardés juſqu'à ce moment
comme des terres & des pierres , quoique
l'analyſe chimique démontre que toutes ces
ſubſtanices ſont plus ou moins falines.
a
D
76 MERCURE
• La ſeconde claſſe des minéraux renferme
les ſels. C'eſt la plus importante des trois ,
&celle qui contient le plus de faits nouveaux.
Cette claſſe eſt partagée en deux ordres
, le premier eſt deſtiné aux ſels ſimples ,
ou plutôt primitifs , & eſt diviſé en trois
genres ; ſavoir , les ſubſtances ſalino-terreufes
, les alkalis & les acides. Le ſecond ordre
de ſels comprend ceux qui font compoſés
ou neutres. L'Auteur en reconnoît fix
genres ; ſavoir , les ſels neutres alkalins ou
parfaits , les ſels ammoniacaux , les ſels calcaires
, les ſels à baſe de magneſie , ceux à
baſe d'argille , & enfin ceux à baſe de terre.
Ces différentes ſubſtances ſalines , dont les
fortes montent au nombre de quarantedeux
, font toutes examinées très en détail
par M. de Foutcroy ; & nous croyons pouvoir
avancer qu'il n'exiſte nulle part un enſemble
auffi méthodique & auſſi complet
fur les matières ſalines , dont l'Hiſtoire eſt ,
comme l'a dit l'Auteur , de la plus grande
importance pourceux qui ſe livrent à l'étude
de la Chimie.
La troiſième claſſe des minéraux comprend
les ſubſtances combustibles. M. de
Fourcroy les diviſe en cinq genres , le diamant
, le gaz inflammable , le ſoufre , les
matières métalliques & les bitumes ; chacunde
ces genres offre des détails très-érendus.
L'Auteur les a fait précéder d'une hypotheſe
ingénieuſe & imple ſur la combuftion;
la théorie qu'il propoſe eſt fondée fur
DE FRANCE.
77
les phénomènes que préſente cette opération;
elle ſemble n'être que le réſultat des
faits; il penſe que la combustion confifte
dans la combinaiſon de l'air pur avec le
corps combustible, & il explique facilement
tous les phénomènes qu'elle préſente
à l'aide de cette théorie , à laquelle il n'a attaché
que le mérite d'une hypothèfe.
Enfin, ce règne eſt terminé par une Difſertation
ſur les eaux minérales , dont M.
de Fourcroy paroît s'être occupé en particulier.
L'Auteur a profité de toutes les découvertes
de MM. Monnet & Bergmann fur
l'analyſe des eaux , & il y a ajouté des
recherches ſur la nature & les effets des
réactifs .
Le règne végétal eſt traité avec le même
foin. M. de Fourcroy joint aux détails chimiques
ceux qui concernent l'Hiſtoire Naturelle
de chaque matière qu'il examine, &
il donne en même temps des notions exaetes
ſur leurs vertus; de ſorte que fon Ouvrage
peut ſervir aux jeunes Médecins
comme une matière médicale chimique.
La manière dont il a envisagé le règne
animal , donne à ſon travail le mérite de la
nouveauté. Il a réuni dans un court eſpace
des idées préciſes & exactes ſur les méthodes
imaginées par les différens Naturaliſtes
pour claſſer les animaux; une courte expofition
des fonctions de ces êtres conſidérés
dans l'immenſité de leur chaîne depuis l'homme
juſqu'au polype; une Hiſtoire détaillée ,
Diij
78 MERCURE
&que l'on ne trouvera raſſemblée nulle
part, des propriétés chimiques des parties
folides & fluides des animaux , & enfin des
connoiffances importantes ſur l'analyſe &
la nature de pluſieurs matières animales
qu'on emploie en Médecine ou dans les
Arts.
Le ftyle eft par-tout précis , clair & tel
-qu'il convient au ſujet. Les Phyficiens & les
Amateurs de tous les ordres qui s'occupent
de chimie avec tant d'ardenr, doivent s'empreffer
d'en étudier les principes dans un
Ouvrage élémentaire auſſi bien rédigé &
auſſi inftructif. L. N.
ESSAIS Historiques & Politiques für
les Anglo- Américains , par M. Hilliard
d'Auberteuil . A Bruxelles , 1781. Tome I ,
compoſé de deux Parties , & première
Partie du Tome II. in- 8 .
Le titre ſeul de cet Ouvrage ſuffira pour
exciter la curiofité du Public. Quoiqu'il
s'élève naturellement des préjugés contre
ces Livres qu'on ſe hâte de faire & de publier
à la faveur des circonstances du moment
, il ne faut pas non plus ſe livrer aveuglément
à ces préjugés ; & ici l'intérêt du
ſujet fera paffer par defſus toute autre confidération.
D'ailleurs , fi ce Livre eſt un Ouvrage
du moment , il n'est pas l'Ouvrage
d'un moment. " M. Hilliard d'Auberteuil a
» étudié& connu fur les lieux les moeurs&
DE FRANCE.
دو
» le caractère des Anglo- Américains ; il a
> vu & calculé leur commerce , il a vu leurs
>> nouveaux États ſe former. Depuis plu-
ود
fieurs années il avoit commencé à écrire
» ſes réflexions ſur ce qui ſe paſſoit entre
» eux ...... " Les Mémoires les plus étendus
& rédigés fur les lieux par les hommes les
plus inſtruits , lui ont été envoyés depuis
quatre ans , ſoit des Iles de l'Amérique , où
il a conſervé ſes Correſpondans depuis ſon
retour en Europe , ſoit de la Nouvelle-Angleterremême.
Chacune des trois Parties qui paroiſſent
préſentement , eſt ſubdiviſée en trois Livres;
il ſuffit , pour faire connoître l'intérêt
& l'importance de cet Ouvrage , de
donner ici l'argument on ſujet de chaque
Livre.
Livre premier. Formation des Colonies
Angloiſes de l'Amérique - Septentrionale ,
leurs progrès & leur gouvernement juſqu'en
1769 & 1770 .
Livre ſecond. Origine des troubles de la
Nouvelle - Angleterre ; acte du Timbre ;
projet d'établir des Garniſons en temps de
paix , pour tenir les Colonies ſous le joug ;
Douanes & Loix prohibitives ; impôt ſur le
thé de l'Inde ; premières voies de fait ; interdit
de Boſton .
Livre troiſième. Arrivée du Général Gage ;
formation du Congrès Général ; ſes délibérations
; Bill du Canada ; débats du Parle
ment; journée de Lexington .
DIV
80 MERCURE
Livre quatrième. Pitt fait de nouveaux
efforts dans la Chambre des Pairs en faveur
des Américains; ſa tête eſt en danger ; George
Washington eft nommé Commandant en
Chefdes Troupes Américaines ; arrivée des
Généraux Anglois Howe & Burgoyne ; affaire
de Bunkers'hill ; mort de Waren. Le Congrès
ſe décide à porter la guerre en Canada ;
forces guerrières de l'Amérique à l'ouverturede
la campagne en 1776.
Livre cinquième. Arnold porte la guerre
dans la partie baſſe du Canada ; il affiége
Québec. Priſe du fort Saint- Jean par Mongominery.
Guy Carleton , Gouverneur du
Canada , s'enfuit ſecrètement de Montréal ,
ſe jette dans Québec, & ſauve cette place ;
mort de Mongominery ; éloge de ceGénéral.
Arrivée d'une Armée Angloiſe au Canada.
Livre fixième. Débats du Parlement. Blocus
& fiége de Boſton ; Sir William Howe
eft contraint d'évacuer cette place. Plan de
la campagne ; attaque du fort Sullivan &
de la ville de Charles-Town. Le Congrès
déclare
l'indépendance des Treize États
réunis.
Livre ſeptième. Réunion des forces Angloiſes
à Staten Iſland; priſe de Long- Iſland
& de New - Yorck ; les Anglois pénètrent
dans le Jerſey.
Livre huitième. Le Général Lée eſt fait
priſonnier. L'Armée de Washington étant
diſperſée , les Anglois menacent Philadelphie;
mais les nouvelles Troupes Continen,
DE FRANCE. 81
tales arrêtent leurs progrès. Combats de
Trenton & de Princetown. Washington repoufſelesAnglois
juſqu'à la rivière d'Hudſon ;
réflexions générales ſur la révolution.
Livre neuvième. Nouvelles Conſtitutions
des États-Unis ; diſcuſſions qui avoient précédé
la Déclaration d Indépendance ; quelles
formes de Gouvernement &quelles Loix les
peuples adoptèrent après cette Déclaration.
En général,l'exécution nous paroît répondre
à l'importance du ſujet; les réflexions
font raiſonnables, le ſtyle eſt bon. La phrafe
ſuivante eſt preſque la ſeule qui nous ait
frappé , comme ayant trop d'emphaſe &
diſant trop pompeuſement ce que l'Auteur
veut dire : Leurs armes avoient - elles été
>>plus heureuſes dans les tourbillons de la
>> pouſſière Martiale, qu'au milieu des dan-
> gers de la mer ? »
L'Auteur a voulu dire: fur terre quefur
mer , & il falloit le dire ainfi.
Parmi les différens portraits qu'il a été
dans le cas de tracer, nous indiquerons furtout
à nos Lecteurs ceux de M. de Beaumarchais
& du célèbre Docteur Franklin ,
depuis la page 17 juſqu'à la page 65 de la
troiſième Partie , c'est- à- dire , de la première
Partie du ſecond Tome.,
Il y a deux Éditions de eet Ouvrage , l'une
in-4 . , l'autre in- 8 °.
L'in-4°. eſt de 7 liv. to ſols pour chaque
Partie , & 12 liv. pour le Volume de plan
ches , portraits & cartes.
Dv
$2 MERCURE
A
L'in-8°. eſt de 3 liv. pour chaque Partie
و & liv. pour les planches.
Les Souſcripteurs auront les premières
épreuves des planches . 1
On ſouſcrit chez l'Auteur , rue des Bons-
Enfans S. Honoré , à Paris.
MÉMOIRES concernant l'Histoire les
Sciences , les Arts , les moeurs, les Ufages
, & c. des Chinois , par les Miffionnaires
de Pékin. A Paris , chez Nyon l'aîné,
Libraire , rue du Jardinet , vis - à - vis la
rue Mignon , 1782 , 2 Volumes in4 .
Tomes VII & VIII. 1
L'IMPORTANCE & l'utilité de cet Onvrage
ſont connues depuis long temps. Nous
n'avons qu'à indiquer les objets contenus
dans ces deux nouveaux Volumes. Le premier
eſt proprement une réimpreſſion de
l'Art Militaire des Chinois , dont la pre
mière Édition , qui a paru en 1772 , eft
épuiſée , & qu'on rend à ſa véritable deſtination
en le faiſant réimprimer comme partie
du Recueil général des Mémoires Chinois.
Le ſecond Volume, qui est le huitième
du Recueil entier , contient un Supplément
de peu d'étendue , mais affez ſubſtantiel à ce
même Traité de l'Art Militaire des Chinois .
Ce huitième Volume reprend d'abord la
ſuite des vies ou portraits des célèbres Chinois
; ces vies font rangées ſelon l'ordre
hron ologique ; elles appartiennent à la
DE FRANCE. 83
grande Dynastie des Soung , & la première
de ces vies eſt celle de Soung -Tay- Tſou ,
premier Empereur , & Fondateur de cette
Dynastie. Ces vies , qui ſont au nombre de
neuf , s'étendent depuis la fin du dixième
ſiècle juſqu'au commencement du douzième.
Elles font toutes écrites par M. Amyot ,
Auteur du Traité de l'Art Militaire des Chinois
, & auquel ce Recueil a d'ailleurs tant
d'autres obligations. Un autre Auteur , dont
ce même Recueil contient auſſi pluſieurs
Mémoires importans , & qui eſt mort le 8
Août 1780 , âgé de cinquante - quatre ans , a
donné les deux morceaux ſuivans, dont le
premier eſt un Eſſai ſur le paſſage de l'écris
ture hiéroglyphique à l'écriture alphabétique,
ou ſur la manière dont la première a
pu conduire à la ſeconde. Le ſecond morceau
eſt un Eſſai ſur la Langue des Chinois
& fur les caractères de leur écriture. Ce dernier
Traité fournit la matière de ſoixantedix-
ſept Nores affez étendues & fort curieuſes
ſur toutes fortes de ſujets ; on y trouve
une Littérature agréable &des notions utiles.
Suivent des Notices courtes , mais inftructives
, ſur divers objets .
1º . Sur les objets de commerce à importer
enChine.
2º. Sur le fang de cerf employé à la
Chine comme remède.
3º. Sur la poterie de la Chine .
4°. Sur le Kong- Pous ou Tribunal des
ouvrages publics.
Dvj
84
MERCURE
Les amis des Arts liront avec plaiſir la
defcription des honneurs rendus & des préfens
faits par l'Empereur actuellement régnant
, à M. Sikelpart,Miſſionnaire & Peintre
de cet Empereur , & à divers autres Européens
Miffionnaires & Artiſtes attachés
à ſon ſervice.
On avoit cru en 1778 que l'Empereur
étoit mort dans le cours d'un voyage qu'il
avoit entrepris; le bruit s'en étoit répandu
enEurope. On en eſt déſabuſé ici par un
Écrit qui a pour titre : Extrait d'une lettre
d'un Miſſionnaire écrite de Pékin le 16 Novembre
1778 , fur le retour de l'Empereur
Kien-Long qu'on avoit cru mort.
Une autre lettre, écrite de Pékin en 1768 ,
&qui contient la relation d'un voyage de
Canton à Pékin , préſente des faits propres
àdiminuer l'idée qu'on a communément en
Europe de la population de la Chine. On y
voit que cet Empire immenſe a des campagnes
abandonnées & des terres en friche
dans l'enceinte même de quelques unes de
ſes Villes; on y voit ce qu'on doit penſer
des douze lieues de circonférence que les
Géographes donnent à la ville de Nankin ;
cependant il ne faut pas non plus pouffer
trop loin les conféquences de ces obfervations
faites ſur la ſeule route de Canton à
Pékin. Ces obſervations n'étant que particulières,
les conféquences ne peuvent être
générales.
On trouve enfin un Eſſai ſur les Jardins
DE FRANCE. 85
de plaiſance des Chinois, qui ne peut paroître
plus à-propos dans un pays où l'Art du
Jardinage paroît éprouver dans ce momentci
une revolution pour le moins auffi marquée
que celle qu'éprouve la Muſique.
La multitude des Planches dont ces Volumes
ſont ornés , n'en eſt pas le moindre
mérite & par rapport à l'agrément & par
rapport à l'utilité ; elles rendent ſenſibles
les détails des Arts & des uſages des Chinois.
On annonce que le neuvième Tome eſt
ſous preffe , & qu'il paroîtra au plus tard
vers le milieu de l'année prochaine.
VARIÉTÉS.
NÉCROLOGIE.
JOSEPH-HONORÉ REMY, né à Remirement le
2 d'Octobre 1738 , annonça dès ſon enfance les plus
heureuſes diſpoſitions. Privé de la vue par les ſuites
de lapetite vérole depuis l'âge de huit ans juſqu'à
quatorze , il employa ce temps de cécitéà cultiver la
Muſique, pour laquelle il avoirun talent rare. Senffble
aux charmes de l'harmonie , ſans autre Maître
que lui-même , il devina , pour ainſi dire , la théorie
de ce bel Art en promenant ſes doigts ſur un clavecin,
comme Paſcal avoit deviné , par la ſeule
pénétration de ſon génie , juſqu'à la trente-deuxième
Propofition d'Euclide. Le rétabliſſement de
ſes yeux lui ayant permis de s'appliquer à un aurre
genred'étude , il fit ſon cours d'humanités à Remiremont,
ſa philoſophie à Épinal & à Toul ; mais
fon eſprit avide d'inftruction ne ſe contenta pas
86 MERCURE
des connoiffances qu'il avoit acquiſes dans ſa Province.
Son goût l'attira dans la Capitale. Il vint à
Paris , où , après avoir recommencé ſa rhétorique &
ſa philoſophie , il ſe décida pour l'état Ecclefiaftique.
Il obtint d'abord une Bourſe au Collège de
Reims . Le Séminaire de S. Louis fut enſuite l'École
qu'il choiſit autant par amour pour une vie frugale
& laborieuſe , que par économie. Là , il s'occupa
moins de Tournelly & de Collet que de nos chefd'oeuvres
dans les Sciences , les Lettres & les Arts.
Forcé de donner quelques inftans à l'étude de la
théologie, il ſe déroba preſque toujours à la furveillance
de ſes Maîtres. M. Drouas , Évêque
de Toul , l'appela auprès de lui , l'ordonna Prêtre
, & voulut le fixer dans ſon Diocèfe ; mais
dominé par l'amour de l'indépendance , ou plutôt
tourmenté par le beſoin de ſavoir, il revint à Paris.
Ce fut alors que libre de toute entrave on le vit profiter
de tous les moyens d'inſtruction qu'offre la
Capitale. Il ſuivit pendant pluſieurs années les Cours
publics : Phyſique , Chimie , Anatomie , Hiftoire
Naturelle , Poéfie , Éloquence , Hiftoire , Peinture ,
Sculpture , tout lui parut digne de ſa curiofité , &
même de ſon application. Il rechercha la ſociété des
Artiſtes , des Savans , des Gens de Lettres , & tous
ceux qui l'ont connu rendent de lui ce témoignage ,
qu'il parloit de chaque genre en Amateur éclairé.
L'Abbé Remy avoit la fortune du Sage , la modérationdans
les defirs ; mais il falloit qu'il fongeât à fe
procurer une ſubſiſtance honnête & indépendante ; il
étoit trop noble pour être à charge à perſonne ; il devoitdoncvivredesfruits
de fon talent , le plus légitime
&leplushonorable de tous les biens. Depuis quelques
années il s'oublioit en quelque forte lui-même pour
s'inftruire, lorſqu'il conçut le projet de ſe faire recevoir
Avocat , perfuadé que la Profeffion du Barreau
pouvoit s'accorder avec la Profeffion des Let
DE FRANCE. 87
tres. Il ſe lia avec des Avocats eſtimés , fréquenta
des Conférences de Droit , & s'exerça dans quelques
cauſes intéreſſantes. Pluſieurs Mémoires qu'il compoſa
pour eſſayer ſes forces dans cette nouvelle
carrière, prouvent qu'il eût pu y avoir les plus grands
ſuccès. Il ſavoit mêler aux épines de la Jurifprudence
les fleurs de la Littérature . Il avoit concouru
pour le Prix de l'Académie Françoiſe dès l'année
1769. L'Éloge de Molière , l'une de ſes premières
productions , étoit une ſatyre fine de nos moeurs ,
mais qui avoit le défaut de ne pas faire connoître
aſſez l'Ariftophane François ; auſſi n'eut-il point le
Prix , qui fut adjugé avec juſtice à M.de Chamfort.
L'Abbé Remy fit imprimer en 1770 le Cosmopoliſme
, qu'il dédia à ſon frère , aujourd'hui Curé de
Remiremont , & publia la même année les Jours
pourfervir de correctif aux Nuits d'Young , badinage
ingénieux , où il tourne en ridicule l'Anglomanie
Françoife . Le Code des François , qui parut en
1771 , 2 Vol. in - 12 , étoit auſſi ſon Ouvrage. Il fit
la même année l'Éloge de Fénelon , que l'Académie
jugea digne d'un Acceffit , & en 1773 l'Éloge de
Colbert, qui obtint une mention honorable , & fut
imprimé. Cette illuftre Compagnie ayant propoſé
pour ſujet du Prix d'Éloquence de 1777, l'éloge de
Michel Lhôpital , Chancelier de France , l'Abbé
Remy , qui, juſques-là, n'avoit eu que des demi-fuccès
dans le Lycée Académique , ne ſe découragea
point ; il concourut & remporrttaa la palme. Ce
triomphe fouleva les détracteurs du vrai talent , &
attira fur lui un orage qui l'étonna ſans l'abattre. La
Faculté de Théologie , dont deux Docteurs avoient,
ſuivant l'ufage , muni du ſceaa de leur approbation
l'éloge couronné , fut alarmée , & elle nomma
dans ſon Affemblée des Commiſſaires pour l'examen
de l'Ouvrage. Ils y trouvèrent neuf articles répréhenfibles
, & dreſsèrent un projet de cenfure qui fus
88 MERCURE
adopté. L'Abbé Kemy apprit que ſes lauriers avoient
éré frappés de la foudre , & qu'à ce ſujet le monde
Littéraire retentiſſoit de ſon nom. Il répondit à
la cenſure dans un Écrit où il prétend qu'il a emprunté
, preſque mot pour mot , les articles condamnés
, du judicieux Abbé de Fleury & du célèbre
Jurifconfulte Eusèbe Jacob de Laurière; mais
il ſupprima ſa Réponſe à la Faculté par eſprit
de modération & par amour pour la paix. II
entreprit , conjointement avec M. Boiflou Avocat
eftimable , la rédaction de la partie de la Juriſprudence
dans la nouvelle Édition de l'Encyclopédie
par ordre de matières. Son Affſocié mourut au
mois d'Avril 1781. L'Abbé Remy ne lui a ſurvécu
que quinze mois, étant mort le 12 Juillet 1782 ,
après douze jours d'une maladie affez ſemblable à
celle qui voyage aujourd'hui en Europe. Il a mis la
dernière main au premier Volume , & a raſſemblé
des matériaux pour une partie du ſecond. Outre les
Ecrits dont nous avons parlé, on a de lui divers articles
très-bien faits dans le Répertoire univerſel de
Jurisprudence , tels que Fief, Commune , Pragmatique
, &c. & un grand nombre d'Extraits dans le
Mercure de France, dont il étoit le Rédacteur depuis
la fin de 1778. Ces derniers morceaux annoncent
dans l'Abbé Remy , comme Journaliſte , autant de
goût que d'impartialité. Perſonne ne poſſédoit mieux
que lui le talent de rapprocher les différentes parties
d'un Ouvrage, & de faire fortir , pour ainfi
dire , du fonds même de l'Auteur le jugement qu'on
en devoit porter. On a pu remarquer que ſouvent
il jugeoit moins qu'il ne mettoit les Lecteurs à port
rée dejuger eux-mêmes. Sans fiel dans ſa critique,
ſans fadeur dans ſes éloges , ou il loue avec ſageſſe,
ou il blâme avec décence. On ne fauroit diffimuler
néanmoins qu'il a employé contre les productions
ridicules (& il y en a plus d'une par mois) un ton
DEFRANCE. 89
cerd'ironie
qui a paru amère à quelques - unes des parties
intéreffées. Mais bien différent de ces tigres
Littéraires qui déchirent & les Perſonnes & les
Écrits , il reſpecla toujours l'Homine & le Citoyen
dans ceux qu'il vouoit comme Auteurs au ridicule.
On formeroit un Recueil piquant & vraiment curieux
d'un affez grand nombre de ſes Extraits , que
taines conſidérations l'ont engagé à ſupprimer. On
doit regretter dans M. l'Abbé Remy un Ecrivain
également capable d'enrichir les Sciences & les
Lettres. Il avoit obtenu en 1775 un Privilège pour
l'impreſſion d'un Ouvrage auquel il travailloit depuis
longtemps ſous le titre de Dictionnaire de Physique
& de Chimie, avec l'application des principes & des
découvertes de ces deux Sciences à l'économie animale.
Nous ne ſavons pas fi ce précieux Recueil
s'eſt égaré, ainſi qu'un Traité des Communes , une
Vie de Charlemagne &la continuation des Synonymes
de l'Abbé Girard , approuvés avec éloge par
M Crébillon. Une logique füre & preſſante, des
penſées profondes & fortement exprimées , une
noble fierté de ſtyle conforme à celle de fon
âme , & à fon enthouſiaſme pour la liberté & pour
la juſtice , beaucoup de ſoupleſſe dans ſes mouvemens&
de variété dans ſes formes , un excellent efprit
d'analyſe , une grande adreſſe à réunir ſous le
même point de vûe & à groupper les idées analogues
, tropde penchant peut-être à faire maître les
occafions de critiquer les vices & les ridicules ,
mais non moins d'attention à épargner les perſonnes
qu'à cenſurer les travers : tel étoit le caractère de
l'Abbé Remy comme Ecrivain. Si on l'enviſage
du côté des qualités du coeur , on ne fauroit exagérer
ſon éloge. Souvent il conſacroit gratuitement
ſes veilles à la défenſe des opprimés . La belle
monnoie , diſoit- il , que le grand merci d'un malheureux
! Un de ſes compatriotes qui a blanchi dans les
MERCURE
priſons , & qu'on avoit privé de ſes biens comme
de ſa liberté, rend de lui ce glorieux témoignage.
Un Religieux qui avoit juſtement réclamé contre les
voeux , & qu'une belle- foeur avide avoit dépouillé de
fon patrimoine , pourroit encore faire éclater ſa re
connoiffance. Plus d'une fois nous l'avons vu chercher
dans un chaos de procédures les moyens de
ſouſtraire le pauvre ou l'innocent aux vexations du
crédit & de l'injustice. Dans la ſociété , l'Abbé
Remy étoit doux , gai , ſimple , plein de candeur ,
complaiſant , d'une humeur toujours égale. Sûr dans
le commerce , il invitoit à la confiance , & il n'en
abuſoit pas. Bien au-deſſus de ce qu'il appeloit les
bétiſes de la vanité , il n'afficha jamais la moindre
prétention; il cherchoit moins à briller qu'à faire
valoir les autres ; auffi ceux avec qui il converſoit ſe
retiroient contens de lui, parce qu'ils l'étoient d'euxmêmes
; il poſſédoit le rare talent de ſe mettre à la
portéede tout le monde. Savant avec les Savans ,
frivole avec les frivoles , il favoit parler la langue
de chacun , & par-tout il étoit à ſa place. Franc,
ſenſible , généreux , il avoit & il a encore des amis
véritables qui le pleureront juſqu'à leur dernier ſoupir.
Ce qui paroîtra peut être étrange , c'eſt qu'affectueux
dans le propos avec les inconnus ou les indifférens,
il prenoit ſouvent le ton querelleur avec ſes
amis; mais s'agifſſoit-il de les ſervir , il oublieit ſon
travail , ſes plaiſirs , ou plutôt il s'en occupoit tout
entier; car alors les foins & les ſervices de l'amitié
étoient ſon unique affaire ; s'agiffoit - il de les confoler
d'une diſgrâce , il leur prétoit , pour ainſi dire ,
toute la force de ſon âme , & tel étoit ſur eux fon
empire, qu'ils ne le quittoient point fans avoir recouvré
le calme & la tranquillité. Il n'eut d'autres
ennemis que de petits Auteurs préſomptueux dont
il avoit bleffé l'amour- propre par ſa critique & par
fes conſeils ; mais de tels ennemis fournitſent un trait
de plus à fon Elege.
1
1
DE FRANCE. 91
PROGRAMME.
U
N Particulier zélé pour le bien public , & qui
penſe qu'une bonne éducation ypeut beaucoup contribuer
, defireroit qu'il fût compoſé un Traité élémentaire
de Morale qui expliquâr & prouvât les
devoirs de l'Homme & du Citoyen. Il voudroit que
ce Traité fût fait d'après les principes du Droit naturel,
qu'il fût clair, méthodique , & propre à toutes
lesNations.
1
Comme il eſt deſtiné aux Ecoles , on deſire qu'il
foit court , & écrit dans un ſtyle ſimple , afin que
ſervant aux enfans qui apprennent à lire , il puiffe
être lu & retenu dans le cours de l'éducation , &
qu'il puiſſe être acheté à un très-bas prix .
Pour engager les Gens de Lettres à la compoſition
de cet Ouvrage , on a déposé 1200 livres chez
Me Sauvaige , Notaire , rue de Buffy.
Ce Prix , propoſé au mois de Mars 1781 , devoit
être donné le jour de la Saint-Louis 1782 ; mais
l'Académie Françoiſe , que le Donateur avoit price
d'examiner les Ouvrages qu'il avoit reçus , n'en a
trouvé aucun digne du Prix. D'ailleurs , pluſieurs de
cesOuvrages n'ayant été envoyés qu'après le premier
Mai,jour indiqué par le Programme pour la clôture
duConcours , n'ont pu ni dû être examinés. Ils pourront
être admis au nouveau Concours , fi les Auteurs
le jugent à propos.
Tous les Ouvrages qui ont été envoyés avant ou
après le premier Mai 1782 , feront rendus à Me Sau .
vaige; chaque Auteur pourra retirer le fien , ſoit
pour leſupprimer, ſoit pour y faire des changemens.
Le Donateur voulant laiſſer aux Concurrens tout
le temps néceſſaire pour méditer leur ſujet & le traiter
ſuivant ſes vûes, leur accorde juſqu'au premier
92
MERCURE
Mai 1784. Les Ouvrages feront remis avant ce
jour - là chez Me Sauvaige; paffé ce terme onn'en
recevra plus.
Les Exemplaires imprimés , ou manufcrits avec
permiffion d'être imprimés, feront fans nom d'Auteur
; mais on y mettra une deviſe, dont la parcille
ſera enfermée , avec le nom de l'Auteur , dans un
papier cacheté ; ce papier ne ſera ouvert que dans
le cas où l'Ouvrage obtiendra le Prix , qui fera
donné le jour de la Saint- Louis 1784.
La plupart des Ouvrages préſentés au premier
Concours s'écartoient fi fort des intentions du Donateur
, qu'on a cru devoir joindre à ce Programme
une explication plus détaillée de ce qu'on exige *.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a donné , le 6 , Caftor & Pollux ; &
cet Opéra , qu'on ne ſe laſſe point de voir , a
attiré, malgré ledéfavantagede la ſaiſon , une
affluence extraordinaire. Mlle Dupréy a danſé
au cinquième Acte , & a obrenu , comme à
ſon début , des applaudiſſemens univerſels.
Cette Danfeuſe eſt élève de M. Noverre ; &
l'on reconnoît dans le bon goût de ſa danſe
les principes& les leçons d'un ſi grand Maître.
On a continué les repréſentations de la
* Cette explication ſe trouvera , avec le Programme ,
chez M. Sauvaige.
DE FRANCE. 95
ReinedeGolconde.Mlle Maillard, qui a débuté,
il y a trois mois, avec beaucoup de ſuccès
dans le rôlede Colette , du Devin de Village,
a joué le rôle d'Aline , &y a mérité de nouveaux
applaudiſſemens. Elle est très -jeune ;
ſa figure eſt agréable ; ſa voix eſt ſenſible ,
égale, timbrée & fuffisamment étendue ; il
lui manque de la méthode & de la précifion
dans le chant; elle néglige un peu trop fon
maintien , & n'eſt pas aſſez occupée des détails
de la Scène. Comme cette Débutante
annonce des diſpoſitions très avantageuſes ,
& qu'elle peut devenir très-promptement
de la plus grande utilité à ce Théâtre , il eſt
à defirer qu'on s'occupe à la diriger , tant
pour l'art du chant que pour l'intelligence
des rôles & pour l'action dramatique.
F
GRAVURES.
IGURAS de l'Histoire de France,huitième Livraifon.
Prix, 18 livres. A Paris , chez J. Ph. Lebas ,
Graveur , Penſionnaire du Cabinet du Roi , Conſeiller
en fon Académie Royale de Peinture , rue du
Foin-Saint-Jacques , au coin de la rue Boutebrie.
Carte du Théâtre de la guerre entre les Anglois
& les Américains, dreſſée d'après les Cartes Angloiſes
les plus modernes , par M. Brion de la Tour ,
Ingénieur-Géographe du Roi.AParis, chez Efnauts
&Rapilly , rue S. Jacques , à la ville de Coutances.
Prix, t liv. Suite du Théâtre de la guerre dans
l'Amérique ſeptentrionale , y compris le Golfe du
Mexique , par M. Brion de la Tour, Ingénicur
94 MERCURE
Géographe du Roi , même adreſſe. - Plan de
Gibraltar, attaqué par mer & par terre par l'Armée
Eſpagnole & Françoiſe aux ordres de M. le Duc de
Crillon, en préſence de Mgr. COMTE D'ARTOIS ,
d'après les deſſins d'un Ingénieur en chef de l'Armée
, même adreſſe. - Carte des Isles Antilles
dans l'Amérique feptentrionale , avec la majeure
partie des Isles Lucayes , faisant partie du théâtre
de la guerre entre les Anglois & les Américains,
par M. Brion de la Tour , Ingénieur - Géographe
du Roi , même adreſſe.
La Bergère prévoyante , tirée du Cabinet de M.
Lebrun , deſſinée par M. P. J. de Loutherbourg ,
& gravée par J. L. Zeutner. A Paris , chez Bafan &
Poignaut , rue & hôtel Serpente. Le Pari de
l'âne , tiré du Cabinet de M. Lebrun , deſſiné par
M. de Loutherbourg , & gravé par M. Zeutner ,
même adreſſe .
-
Dons merveilleux & diverſement coloriés de la
Nature dans le règne végétal , vingtième Cahier ,
in-folio , papier d'Hollande. Prix , I liv. 4 fols. A
Paris , chez M. Buc'hoz , Auteur de cet Ouvrage ,
rue de la Harpe , au-deſſus du Collège d'Harcourt.
Ce Cahier est le dernier de la Collection , qui en
comprendvingt , & il renferme dix Planches , ainſi
que les autres Cayers.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LETTRE critique fur la nouvelle Salle des
François , par M. D****. A Amſterdam ; & fe
trouve à Paris , chez Cuſſat , rue du Vieux-Colombier,
& chez les Marchands de Nouveautés.
Mémoires de M. de Gourville , Confeiller d'État ,
concernant les Affaires auxquelles il a été employé
DE FRANCE.
95
par la Cour depuis 1642 juſqu'en 1698 , 2 Vol. in-
12. A Amſterdam ; & à Paris , chez Leclerc & Barrois
l'aîné , Libraires , quai des Auguſtins. !
Porte-feuille d'un Troubadour , ou Effais poétiques
de M. Bérenger , ſuivis d'une Lettre à M.
Grofſley , de l'Académie des Inſcriptions & Belles-
Lettres , fur les Trouvères & les Troubadours. A
Marseille ; & ſe trouve à Paris , chez Nyon l'aîné ,
Libraire , rue du Jardinet , quartier Saint- André-des-
Arcs , 1782 .
Abrégé chronologique de l'Histoire universelle
depuis le commencement du règne de Constantinl-e-
Grandjusqu'à celui de Jovien incluſivement , par
M. François Magnier , Prêtre-Curé de la Paroiſſe de
Maulers au Dioceſe de Beauvais , in - 12 , Tome II ,
quatrième Partie. Prix , I livre 16 fols broché. A
Beauvais , chez Parquier , Libraire , ſur la Place; &
ſe trouve à Paris , chez Froullé , Libraire , Pont
Notre-Dame; Guillot, Libraire , rue de la Harpe ;
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins.
Traité des Scrophules , vulgairement appelées
Écrouelles ou Humeurs froides , troiſième Partie,
contenant l'examen analytique des nouveaux procédés
qui compoſent le remède anti -ſcrophuleux , fuiviede
deux Differtations médico-chimiques , dont la
première contient le procédé pour diſſoudre le plomb
dans le corps vivant par le moyen du mercure coulant&
animé ; la ſeconde, intéreſſante pour tous les
ordres des citoyens , expoſe les dangers preſque inévitables
des étamages ,ainſi que les remèdes efficaces
pour guérir les maladies qui en réſultent , &
toutes celles qui procèdent des autres ſubſtances métalliques
; par M. Pierre Lalouette , Docteur- Régent
de la Faculté de Médecine de Paris , & Chevalier de
l'Ordre du Roi , Tome II. AParis , chez Gauguery,
Libraire , rue S. Benoît , vis-à-vis l'Abbaye Saint-
Germain- des -Prez , in- 12 de 307 pages .
96 MERCURE
:
Nouvelle Traduction de l'Iliade , 3 Vol. in- 12. A
Paris , chez Théophile Barrois , Libraire , quai des
Auguſtins ; Nyon le jeune , Libraire , Place du
Collège des Quatre-Nations.
Jérusalem délivrée , nouvelle Édition , revue &
corrigée , 2 Vol. in- 12. Prix , 4 livres brochés. A
Paris , chez Hilaire , Paſſage des Jacobins.
Journal des Obfervations Minéralogiques faites
dans une partie des Vosges & de l'Alface , Ouvrage
qui a remporté le prix au jugement de Meffieurs de
la Société Royale des Sciences , Belles-Lettres &
Arts de Nancy en 1782 ; par M. de Sivry , Avocat
au Parlement. A Paris , chez Durand neveu , Libraire
, rue Galande , à Strasbourg , chez les frères
Gay ; à Nancy , chez Mathieu.
Eſſais fur l'Education des hommes , & particulièrement
des Princes , par les femmes , pour fervir de
Supplément aux Lettres ſur l'Education. A Amſterdam;
& ſe trouvent à Paris , chez Guillot, Libraire
de MONSIEUR , Frère du Roi , rue de la Harpe.
TABLE
EPITRE aux Aftronomes, 49 Leçons Élémentaires d'Histoire
Impromptu à M. l'Abbé Arnaud,
Naturelle & de Chimie , 73
51 Effais Historiques fur lesAn-
Quatrain pour le Portra't de glo Américains , 78
M. d'Alembert , ib. Mémoires concernant l'Hif-
L'Abeille & la Fourmi , fa- toire , les Sciences , &c. des
52
Couplers fur l'Ami des En Nécrologie ,
ble, Chinois,
fans, 13Programme ,
Enigme& Logogryphe , 67 Gravures ,
Alexandrine , 68 Annonces Littéraires ,
82
85
وہ
LesDeux Paladins, Conte, 54 AcadémieRoy.de Musiq. 92
93
94
APPROBATION.
JAT lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de FFrraannccee,, pour le Samedi 14 Sept. Jen'yai
kien trouvé qui puiffe en empêcherl'imereſſion. AParis,
le#3 Septembre 1734. GUIDI,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 19 Juilletä
L'INCENDIE du 30 Juin dernier qui
confuma près de 7000 maiſons dans cette
Capitale , s'eft rallumé juſqu'à trois fois ,
&a fait chaque fois des ravages conſidérables
qui ont fait craindre pour le fort
de la ville entière.
A peine raffurés contre ce fléau , nous
ſommes à la veille d'en éprouver un non
moins terrible. La peſte qui s'eſt manifeftée
dans deux villages Grecs ſitués ſur le
canal, s'eſt étendue dans quelques quartiers
de cette réfidence. Comme le tems eſt
très-humide , on a lieu de craindre qu'elle
ne devienne générale ; ellea , dit-on , été
apportée de Ceres , près de Salonique , où
elle règne avec beaucoup de violence.
14 Septembre 1782 C

( 50 )
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 2 Août.
L'IMPERATRICE par une Ordonnance en
date du 6 du mois dernier , a permis à ceux
de ſes ſujets qui poſsèdent des moulins de
poudre à canon , des fabriques de canons ,
bombes & boulets , &c. , ainſi que' ceux
qui défirent d'en établir de cette eſpèce ,
de faire un commerce libre dans l'Empire
de tout ce qui fortira de ces fabriques , &
même de l'exporter en payant les droits
de fortie, Ils font fixés pour les fufils à 10
copeiks pour chaque ; autant pour une
paire de piſtolets. Quant aux canons , mortiers
, &c. , ils payeront 23 copeiks pour
chaque pud de cuivre , & 2 pour chaque
pud de fer. La poudre à canon payera 20
copeicks pour chaque pud qu'on fera paffer
hors de l'Empire.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le is Août.
L'AFFAIRE des bâtimens marchands de ce
pays , qui , malgré l'eſcorte du Capitaine
Schionning , furent enlevés il y a environ
18 mois par des corſaires Anglois aux Indes
Occidentales , vient enfin d'être terminée ;
l'Amirauté Angloiſe a condamné les capteurs
à reſtituer le prix des navires & de
leurs cargaiſons , mais fans indemnifer les
ن
Propriétaires , tant de leurs pertes , que des
frais qu'ils ont été obligés de faire. Cette
Sentence ne prononce que fur 7 bâtimens ;
il en reſte 3 qui n'ont pas été jugés en Angleterre
, parce que le Tribunal d'Amirauté
de St-Christophe avoit refuſé d'envoyer les
papiers néceſſaires , ſous prétexte que les
plaignans n'avoient pas donné la caution requiſe.
On eſpère que ces papiers ayant été
auſſi envoyés , le fort de ces navires ſera
également décidé.
>> Il y a quelques jours , écrit-on d'Elfeneur , que
5Matelots , dont 2 Anglois & 3 de diverſes Nations
, qui ſe trouveient ſur la priſe que le Capitaine
Ryetveld a conduite dans ce port , s'affurèrent
pendant la nuit de 3 Matelots Hollandois qui
dormoient dans leurs hamacs , les frappèrent de
pluſieurs coups de couteau ; & montant enſuite
fur le tillac , forcèrent au ſilence , le piſtolet
à la main , le Maître de la priſe , & 2 ou 3 Matelots;
ils s'emparèrent de la chaloupe & ſe ſauvèrent
en Suède. Les trois Matelots Hollandois ont
été grièvement bleſſés ; mais ils font maintenant
hors de danger. - On apprend de Marstrand
que la frégate de guerre Hollandoiſe commandée
par le Capitaine Bouritius , eſt entrée dans ce port
avec quatre priſes Angloiſes qu'il a faites dans ſon
trajet.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 10 Août.
Les équipages de l'Empereur ſont partis
pour laBohême ; on ignore quand S. M. I. fe
mettra en route pour s'y rendre ; le jour
{
C2
( 52 )
avoit été d'abord fixé au 24 ; elle devoit
vifiter en paſſant la fortereſſe de Théréſienftadt
, & arriver à Prague le 6 ou le 7 du
mois prochain ; comme le camp ne commencera
que le 16 , ſon départ peut être
retardé encore de quelques jours.
L'Empereur qui ne laiſſe échapper aucune
occaſion d'encourager le commerce intérieur
deſes Etats , vient de ſupprimer le droit de
fortie qu'il falloit payer à la foire de Neuftadt
, pour les chevaux de Hongrie qui n'y
avoient pas été vendus & qu'on conduiſoit
ailleurs ; il a auſſi ſuſpendu juſqu'à nouvel
ordre l'exercice de la Douane de Bude.
On lit dans une lettre d'Oftende dus juillet ,
l'état ſuivant des bâtimens qui , pendant les fix
premiers mois de cette année , ſont entrés dans
ce port. Il y en a eu iso en Janvier , 170 en
Février , 176 en Mars , 169 en Avril , 172 en
Mai , & 189 en Juin ; ce qui forme un total
de 1026 bâtimens . Dans ce nombre il y en
avoit 23 des Ifles Françoiſes , Angloiſes & Ho! -
landoiſes d'Amérique , 11 de Portugal & des
Canaries , 84 d'Eſpagne , 202 de France , 388 des
ports Britanniques en Europe , 281 de Hollande ,
38 de la mer du nord & de la Baltique , to du
Levant. Avant la guerre actuelle , le nombre des
bâtimens qui alloient à Oſtende ne montoit pas à
388 par an.
Il y a quelques jours que l'on a commencé
à ſuivre ici le nouveau Règlement
de police , d'après lequel les priſonniers des
deux ſexes détenus pour délits dans les Maifons
de force , font conduits aux travaux
publics dans la ville & dans les fauxbourgs.

( 53 )
Tous ont travaillé les 3 premiers jours dans
les habits avec leſquels ils ont été arrêtés,
Après cela , on les a vêtus uniformement ,
on les a rafés & enchaînés deux à deux. Ce
ſpectacle a fait une égale impreſſion ſur les
coupables & fur les ſpectateurs ; c'eſt ce qui
fait eſpérer qu'on parviendra à faire chérir à
toutes les claſſes d'hommes , la vertu ,
l'ordre& les bonnes moeurs.
De HAMBOURG , le 26 Août.
Les troubles de la Crimée fixent toujours
l'attention des ſpéculatifs ; mais les nouvelles
qu'on en débite font très- vagues &
ſouvent contradictoires. S'il faut en croire
quelques-uns de nos papiers , les troubles
ont commencé dans le tems où le Prince
Morufi , Hoſpodar de la Moldavie a été
dépolé , & ils en concluent qu il eſt poſſible
quedes intrigues ſecrètes aient mis le peuple
Tartare en mouvement ; mais dans les cir
conſtances préſentes , on ne voit pas quels
auroient pu être les motifs de ces intrigues ;
ni quelle eſt la puiſſance de l'Europe qu'elles
auroient pu ſervir. On ne manque pas d'ajouter
que , felon les lettres de Conſtantinople
, le Grand-Seignenr a ordonné de
lever beaucoup de recrues , d'augmenter
ſes forces de terre & de mer , & d'augmenter
les fortifications des Dardanelles .
Les avis de Pologne , qui faifoient tous
mention , il y a quelque tems de la
marche des troupes Ruſſes vers la Crimée ,
C3
( 54 )
ajoutent aujourd'hui qu'elles font parvenues
à pacifier cette péninſule ,& à rétablir SahimGherai
dans ſa dignité. Quelques- uns
annoncent même le ſupplice prochain de
ſes deux frères & des principaux Tartares
de leur faction. Mais ces avis , du moins
quant à préſent, paroiffent prématurés , ou
l'on avoit exagéré les effets de la révolte ,
& le nombre de ceux qui avoient pris les
armes , & qu'on ne portoit pas à moins de
40,000 hommes.
, On vient de propoſer , écrit - on de Vienne
la formule ſuivante du ferment que doivent prononcer
à l'avenir les Evêques des Etats héréditai-,
res. Moi N. N. jure devant Dieu , & promets
fur l'honneur & la vertu , de me comporter , à
l'égard du très- auguſte Empereur , mon ſeul légitime
& ſouverain Seigneur , comme un vaſſal &
ſujet fidèle , de ne rien faire ni rien permettre fur
ma confcience qui puiſſe médiatement ou immédiatement
, par effet ni ſuite , être préjudiciable à
la perſonne de S. M. mon auguſte Maître , à ſes
Etats , ni aux droits de ſa ſouveraineté. Je promets
encore par ferment , & avec confiance , d'obéir
ſans réſerve ni fubterfuge à tous les Décrets ,
Loix & Ordonnances émanés de S. M. I. , de les
faire obſerver par ceux qui me ſont ſoumis , avec
le reſpect dû , & généralement autant qu'il dépendra
de moi , de travailler à tout ce qui peut contribuer
à l'honneur & à l'avantage de S. M. I. Aina
Dieu me ſoit en aide«.
Les Couvens ſupprimés à Pavie , ajoutent
les mêmes lettres , tiroient une partie de
leurs revenus du territoire de Piémont. Les
revenús ont été réunis aux biens de l'Hopital
( ss )
de Pavie, au moyen d'un arrangement fait
à ce ſujet avec la Cour de Turin ,& en vertu
duquel cer Hopital ſera tenu de recevoir
auſſi les malades Piémontois.
On apprend de Hongrie que l'on a commencé
à tirer les canons , boulers , bombes
, &c. des fortereffes de l'intérieur de ce
Royaume qui ſeront démolies , toutes les
munitions deguerre ſeront tranſportées dans
lés Arſenaux de Bude.
>
On vient d'apprendre la mort du
Margrave d'Anſpach Bareuth. Ce Prince
âgé d'environ 46 ans étoit le dernier
de ſa branche ; on ſait que ſes domaines
paffent au Roi de Pruſſe , dont il éroit neveu
, par ſa mère la Princeſſe Frédérique
Louiſe , fille de Frédéric Guillaume , Roi
de Pruffe.
>> On a eſſuyé ici le 21 de ce mois , écrit-on de
Spa , un orage violent , accompagné de grêle , qui
a cauſé la plus grande déſolation &une perte conſidérable
; en moins de dix minutes , toute la place
& les maiſons ſituées dans le voiſinage de la petite
rivière qui traverſe le bourg ont été ſubmer.
gées à 8 ou 10 pieds de hauteur. On ne voyoit de
toutes parts que meubles & effets ſurnageans. Si
l'Hôtel-de-Ville n'eût pas été auſſi ſolidement bâti ,
on prétend qu'il auroit écroulé par le choc des
arbres entraînés du haut des montagnes . L'hôtel du
Louvre eſt celui qui a le plus fouffert. Les eaux
ont gagné la ſalle où la table étoit dreffée , & ont
entraîné tous les meubles qui y étoient. Cette tempête
n'a duré qu'un quart-d'heure ; & fi elle eût
paffé moins rapidement , c'en étoit fait de ce ſéjour.
Il s'eſt élevé entre les Catholiques & les
C4
( 56 )
Proteftans des diffentions dans les Colléges
des Comtes de Franconie &de Westphalie ,
au ſujer du droit de miffion d'un. Député
&de celui de ſuffrage à la Dière de l'Ems
pire Comme cette conteſtation eſt de nature
à ne pouvoir être terminée que par un
arrangement à l'amiable , les Envoyés des
Princes & Etats Catholiques ont propoſé à
ce ſujet les articles ſuivans. biore
1. Il ſera permis aux Comtes du Cercle de
Westphalie d'envoyer deux Députés à la Dière ;
l'un fera nommé par les Catholiques & autoriſé
par le Directeur Catholique, & l'astre par les Proreſtans
& autorisé par le Directeur Proteftant : chaque
partie pourvoira aux frais d'entretien de ſon
Député. Ces deux Députés porteront alternativement
la voix au banc des Comtes , de manière
que le Député Catholique commencera cette fonction
la première année , & la continuera ainſi coute
l'année , & il ſera enſuite relevé par le Député Proteſtant
qui portera à fon tour le fuffrage une année
entière. 1º. Les Comtes Catholiques du Cercle
de Franconie agréeront , par amour pour la paix
& le bien public , la nomination du Prince de
Hohenlohe- Ingelfingen comme Directeur de ce
College pour 3 ans , à l'expiration deſquels les
ſtatuts de ce College , relativement à la muration
de ce directoire , feront mis à exécution. 3 °. Le
Directeur ainſi agréé de part & d'autre , fera afſembler
inceſſamment le College pour qu'il y ſoit
nommé , à la pluralité des voix , un Député, pour
la Dière de l'Empire. 4º. Dans les affaires de religion
, il ſera libre à chaque partie d'en charger
qui bon leur ſemblera. 6° . Quant aux contributions
des dépenses communes , tous les Membres
du Collège ſeront tenus à l'avenir de les
( 57 )
acquitter à la caiſſe du College; mais pour ce qui
regarde les contributions échues & non payées ,
les parties s'en accommoderont à l'amiable , ou
porteront l'affaire à un Tribunal ſuprême. 6° . Dans
le cas où ces propoſitions ne ſeroient point acceptées
, les Princes & Etats Catholiques demandent
que les deux voix de ces Colléges , qui font en conreſtation,
ſoient ſuſpendues à la Dière , juſqu'à ce
que l'affaire foit terminée définitivement.
Les Miniſtres Proteftans ont fait la réponſe
ſuivante à ces propoſitions.
1º . La ſéparation des Comtes Catholiques &
des Proteftans dans les Colléges des Comtes de
Franconie & de Westphalie pourra ſe faite , fans
préjudice cependant de leurs pactes de maiſon &
de famille. 2°. Il ſera accordé inceſſamment aux
Comtes Catholiques de ces Colléges , dans le
Collége des Princes , un votum curiatum particulier
, ſous une dénomination convenable, 3 °. Pour
conſerver la parité de religion , il ſera créé une
nouvelle voix évangelique , qui fera donnée à une
maiſon Princière , qui en aura les qualités requiſes.
4°. Il ſera permis aux Membres évangeliques dans
les Colléges des Prélats du Rhin & des Comtes
de Souabe de ſe réincorporer aux Collèges des
Comtes de Franconie & de Westphalie. 5°. Les
Collèges de Franconie & de Westphalie feront à
jamais réputés être des Colléges Proteftans ; il
leur ſera défendu de ne plus recevoir des Membres
Catholiques , & juſqu'à ce que ces propofitions
ſoient agréées , ces Colléges feront maintenus
, comme Colleges Proteftans , dans la poſſefſion
du droit de ſéance & de fuffrage à la Diète.
6°. De même auſſi les Colléges des Prélats du
Rhin & des Comtes de Souabe ſeront réputés être
des Colléges purement Catholiques , auffi-tôt que
quelques-uns des Membres Proteftans les auront
quitté comme il eſt dit ci-deſſus , & il ſera éga-
CS
( 58 )
lement défendu à ces Colleges de ne plus recevoir
des Membres Proteftans.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 16 Août.
ON aflure que la République de Veniſe ,
à l'exemple del'Empereur , va faire démolir
les fortifications de la plupart de ſes villes
frontières , dont l'entretien lui coûte extrêmement,
ſans aucune utilité réelle ,du moins
prochaine.
On lit dans nos papiers deux évènemens
également funeſtes ; le premier s'eſt paflé à
Trieſte le 8 de ce mois.
Deux enfans , l'un de 15 à 16 ans , & l'autre
de 9 à 10 , trouvant , en l'absence de leur père ,
fon armoire ouverte , y prirent deux piſtolets , &
fans refléchir ſur les dangers , ils s'efforcèrent de
les tirer l'un contre l'autre ; comme il y avoit
long-temps que ces armes étoient chargées , &
que la platine en étoit rouillée , elles ne partirent
point d'abord; mais les jeunes gens continuèrent
malheureuſement leur jeu , le piſtolet du cadet
prit feu , & alla brûler la cervelle à ſon aîné. -
L'autre fait eſt d'un genre plus extraordinaire , &
a eu des ſuires auſſi malheureuſes. Il a eu lieu aux
bains de Solfatara , dans l'Iſle Stratanti. Un homme
étoit avec ſa femme & ſon enfant dans les bains ;
il s'éleva ſur la furface ure écume blanchâtre qui
rendit une odeur fi fétide , qu'ils ne purent la
ſupporter. Ils ſe hâtèrent d'en ſortir ; mais à peine
éroient- ils ſur le bord , qu'il parut dans le bain un
globe bitumineux qui fit une affez forte exploſion.
L'odeur qui s'en exhala fut telle, que tous trois
furent étouffés ſubitement , ainſi qu'un cheval qu'ils
avoient amené pour porter leur bagage .
( رو (
La nouvelle Compagnie des Indes établie
àTrieſte , ſous la direction de M. Boltzw , a
fait conſtruire à Porto-Rédeux navires , dont
chacun aura la longueur de 120 pieds.
ESPAGNE.
De MADRID , le 23 Août.
La Cour a publié , ſur la croiſière de
l'Armée combinée,les détailsſuivans , qu'on
lit dans la Gazette de cette Ville.
>> On a reçu de D. Louis de Cordova des lettres
par leſquelles on apprend que l'armée combinée
étant à la cape le 23 Juillet , avec un vent violent de
S. O. , qui ſouffloit depuis la veille, & une mer fort
houleuſe , la frégate le Crescent , vint de l'avantgarde
, avec le ſignal qu'une eſcadre ennemie étoit
en vue. L'armée le rangea immédiatement en l'ordre
occidental , ſur deux colonnes , ſans s'aſſujettir à
garder chacun ſon poſte; en faiſant toutes les voiles
que legrosvent lui permit , elle commença la chaffe.
La frégate arrivée à la portée de la voix , informa
le Général qu'il y avoit 12 vaiſſeaux en vue , qui
étoient à la cape, n'ayant que leurs voiles de miſaine
&d'artimon ; que 3 de ces vaiſſeaux étoient petits ,
mais que les autres étoient des vaiſſeaux de guerre ,
qu'ils reſtoient au S. E. quart de Sud , dans la même
partie où étoit l'eſcadre légère , au Sud de laquelle
ſe tenoient les frégates . Depuis 2 juſqu'à s heures
après-midi , il paſſa entre les vaiſſeaux de l'armée 3
petits brigantins , & 2 caiches neutres , de forte qu'il
n'y eut plus de doute que ſur les 7 voiles reftantes ;
mais à 5 heures & demie la frégate la Gentille , fit
ſignal que les 7 voiles étoient ennemies. Le Général
les fit pourſuivre pendant la nuit ; & dès la pointe
du jour l'efcadre légère s'avança autant qu'il étoit
c6
1601
poſſible; le vent permettant dans la matinée de faire
ſervir toutes les voiles , à 10 heures elle étoit déja à
la diſtance de 2 lieues de l'avant-garde , lorſqu'elle
fit figual que les 7 vaiſſeaux qu'on avoit apperçus
n'étaient pas ſuſpects. Vers midi ,le Royal-Louis,
qui ſe tenoit entre l'eſcadre légère & le corps de l'armée,
fignala 17 voiles ennemies dans la partie du
S. S. O. , àbord de la Santiſſima Trinitad , on n'en
pouvoit voir que 7 , nombre qui convenoit avec le
fignal du vaiſſeau l'Invincible , commandant l'eſcadre
légère qui étoit plus proche d'elles. Cette eſcadre
continua ſa chaſſe à toutes voiles ; & D. L. de Cordova
détacha 8 vaiſſeaux pour la renforcer , en la
ſuivant lui-même avec le reſte de ſon armée. Sur
le ſignal de l'eſcadre légère , à une heure aprèsmidi
, que l'ennemi avoit mis les amures à basbord
, l'eſcadre courut la même route ; mais le jour
étoit trop avancé pour qu'on pût atteindre l'ennemi
avant la nuit , & le matin ſuivant on ne put plus
l'appercevoir «.
On a appris par un bâtiment arrivé dans
un de nos Ports , que l'Armée combinée
étoit le 18 de ce mois entre le Cap Ortegal
& la Corogne. Les vents de ſud- oneft qui
ont régné conſtamment , l'avoient empêchée
juſqu'à cemoment de ſuivre ſa deſtination
&d'arriver à Cadix. Ces vents l'ont fatiguée
, mais elle n'a point de malades & eft
en très-bon état ; comme ils viennent de
changer , on ne doute pas qu'ils ne l'amè
ment bientôt à ſa deſtination , & nous nous
flattons d'en apprendre inceſſamment la
nouvelle.
Les opérations du ſiége de Gibraltar ſe
pouffent avec beaucoup d'activité; le journal
que nous avons du camp va juſqu'au 18 .
( 61 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 3 Septembre.
Nous n'avons point encore de nouvelles
officielles de l'Amérique Septentrionale , &
nous ne doutons pas que les premières qui
arriveront ne ſoientde la plus grande importance;
on craint avec raiſon qu'elles ne confirment
celles qu'ont déjà apportées quelques
bâtimens venus de la Géorgie , qui
nous apprennent que toutes les forces Françoiſes
& Américaines du Continent font
en mouvement pour ſe réunir dans le Nord ;
on eſt perfuadé ici que leur plan eſt d'attaquer
New-Yorck , & de faire enfuite une
tentative contre Terre- Neuve ; il eſt vraiſemblable
que dans cemomentlesopérations
qui menacent New-Yorck ſont commencées.
Elles doivent être ſecondées par l'eſcadre
Françoiſe aux ordres du Marquis de
Vaudreuil. Elle a dû quitter les Iſles au commencement
de Juillet. L'eſcadre de l'Amiral
Pigot , qui en donne l'avis , eſt du 12 du
même mois ; il porte cette eſcadre à 20
vaiſſeaux de ligne , & il annonce qu'il comptoit
mettre à la voile pour la ſuivre deux
jours après. Cette réſolution devenue indifpenſable
, ne nous raſſure que foiblement ;
la Cour n'a point publié ſes dépêches ; on
ignore les forces qu'il conduit avec lui ; on
fait ſeulement qu'il a dû prendre tous les
vaiſſeaux qui étoient le mieux en état de
( 62 )
tenir la mer ; mais cela ne nous apprend
pas en quoi conſiſte le nombre de ces vaifſeaux
, s'il eſt ſupérieur , égal ou inférieur
àceluides vaiſſeaux ennemis. Cet avis vague
confirme ſeulement ce que nous foupçonnions
auparavant , que notre eſcadre n'a pas
trouvé à la Jamaïque tout ce qui lui étoit
néceſſaire pour ſe réparer; elle ne ſera pas
plus heureuſe à New-Yorck , dont les magaſins
ſont encore plus mal fournis. On fait
que les François ont trouvé ceux de St-Domingue
mieux approviſionnés ; & s'ils ont
beſoin de quelque choſe de plus , ils peuvent
toucher à Boſton , & y trouver tout
ce dont ils auront beſoin; on peut en juger
par ce paragraphe tiré d'un de nos papiers .
>>U>nQuaker de la Cité a reçu une lettre d'unde
ſes frères à Boſton , qui porte qu'actuellement il n'y
apas moins de 20 vaiſſeaux de guerre ſur les chantiers
des divers ports de l'Amérique. Le plus grand
nombre eſt à Boſton. Dix de ces vaiſſeaux ſont de
ligne; les autres ſont de 20 à so canons. Chaque
Province doit fournir par contribution une certaine
ſomme deſtinée aux frais de conſtruction , ſelon le
contingent fixé par le Congrès. Les chantiers de
Boſton ſont complètement & abondamment pourvus
de tout ce qui est néceſſaire pour exécuter en peu de
tems toutes ces conſtructions «.
Lanéceffité de ſe porter dans l'Amérique
Septentrionale , a dérangé tous les plans
d'opérations projettées contre les Iſles Françoifes.
>> Le vaiſſeau armé le Whitby , dit un de nos papiers
, arrivé d'Antigua d'où il a fait voile le 21 Juillet,
rapporte que l'attaque des Iſles de nos ennemis a
( 63 )
éré différée faute de forces navales ſuffiſantes pour
coopérer avec les forces de terre. L'évènement n'a
que trop juſtifié la prudence de cette meſure circonfpecte
, puiſque , ajoute le Capitaine de ce bâtiment ,
il eſt arrivé de St- Domingue à la Martinique un vaifſeau
de74can. & 2 de so avecdes trauſports chargés
de plus de 2000 hommes de troupes. Il eſt arrivé
auſſi à Antigoa un nombre additionel de troupes
venues de l'Amérique ſeptentrionale ; on ſe flattoit
qu'avec les forces qu'on avoit actuellement , on auroit
eſſayé de reprendre Mont-Serrat, où l'on aſſure qu'il
n'y avoit pas plus de 100 François , mais pour des
raiſons inconnues, dit le même rapport , on n'apoint
fait cette tentative qui eût infaiblement réussi. Il
faut que le ſuccès n'ait pas paru auffi infaillible puifqu'on
n'a rien entrepris. Nous avons raiſon de croire
qu'il ne l'étoit point alors ; & il eſt tout ample qu'il
l'ait été moins encore peu de jours après , puiſque
les 2000 François , arrivés de Saint - Domingue ,
auront ſans douteété répartis dans les endroits où
l'on avoit beſoin de renforts ; les vaiſſeaux de
guerre qui les ont amenés font en état de protéger
leur marche vers tous les points néceſſaires ; & il
eſt très-fâcheux que nous n'ayons aucune force
navale à leur oppoſer dans ces parages. Il en réſultera
que , maîtres de la mer , nos ennemis rendront
inutiles les troupes que nous avons fait venirde
Savanah , & peut- être ils feront uſage des leurs
&nous porteront encore quelques coups. Ce qu'il
y a de sûr , c'eſt que ce n'est que quand l'Amiral
Pigot ſera revenu du Continent , que nous pourrons
agir; mais d'ici à ce tems , nos ennemis peuvent
avoir reçu des renforts qui , joints à l'eſcadre de
M. de Vaudreuil , qui ne reſtera pas plus long tems
que l'Amiral Pigot fur les côtes du Continent , leur
donneront une ſupériorité peut- être funeſte " .
Si les évènemens ſuivent cette marche
comme nous avons lieu de le craindre , à
( 64 )
quoi aura abouti la victoire ſi vantée du
12 Avril ? & qu'en dira- t-on encore , fi
nous venons à perdre quelques-unes de
nos poffeffions ? Juſqu'à préſent elle n'a eu
d'autre effet que de ſauver la Jamaïque ,
qui paroiffoit menacée ; mais peut- être n'at-
on fait que ſuſpendre l'attaque projettée
contre cette Ifle. Peut-être ſomines-nous à
la veille d'éprouver un coup auffi ſenſible
à New-Yorck. Les plans dont on parle ,
& dont on annonce l'exécution prochaine ,
prouvent que le triomphe de Rodney n'a
point arrêté un ennemi entreprenant ; il
n'a pas produit même le petit avantage
que nous eſpérions; celui de refroidir les
Américains contre leur allié. Tout a prouvé
la bonne harmonie qui règne irrévocableinent
entre les deux Puiflances .
Rien n'eſt plus vague que ce qu'on a pu
blié juſqu'ici des nouvelles de l'Inde ; on a
vu les deux lettres prétendues arrivées
par la Hollande , & qui contiennent deux
relations bien contradictoires du même
fait. La Compagnie des Indes en a donné
une troiſième , tirée d'une lettre de M.
William Hornby , Gouverneur de Bombay ,
en date du 20 Avril dernier. Les avis qu'elle
contient font venus à ce Gouverneur de
l'autre côté de l'Inde , ce qui ſuppoſe que
nous n'en avons pas eu de directs ; nous
les tranfcrirons ici.
>> Les vaiſſeaux aux ordres du Capitaine Alms ,
àbord deſquels ſe trouvoient le Général Meadows ,
( 65 )
leColonel Fullarſton & 400 ſoldats , arrivèrent le
Février au Fort Saint-George : l'eſcadre Françoiſe
mouilla le 1 4 à trois lieues au vent du Fort St-George,
&dans la matinée du 15 elle appareilla , & s'avança
ſous une bonne voilure & en ordre de bataille . Vers
les deux heures après - midi , elle vira vent arrière ,
& àquatre heures , notre Amiral fit fignal de lever
l'ancre. L'ennemi apperçut avant le coucher du føleil
notre eſcadre ſous voile. Notre Amiral envoya le
Monmouth , l'Iſis & le Seahorse à la pourſuite des
tranſports François : l'Iſis s'empara du Lauriſton
d'environ 1300 tonneaux , ayant à bord pluſieurs
Officiers, près de 200 ſoldats & une très-grande
quantité d'artillerie & de munitions de guerre , &
1,500,000 liv, de poudre. L'Iſis , après avoir conduir
ce tranſport dans la rade , s'en ſépara promptement
& donna chaſſe à deux autres bâtimens de
tranſport , dont l'un amena ; mais il ne put être
amariné , parce que le ſignal pour rappeller les croiſeurs
& former la lignede bataille fut hiffé à bord
du Superb . Les trois vaiſſeaux en croiſière joignirent
alors l'eſcadre. Le 17, le Chevalier Edward Hagnes
forma la ligne de bataille : l'avant-garde étoit compoſée
de l'Eagle , du Monmouth , du Worcester c
du Burford ; le Superb étoit au centre , & l'Exeter,
le Monarca & l' Iſis a l'arrière-garde. M. de Suffren
conduiſoit la tête de fon eſcadre; mais au lieu de
prolonger notre avant-garde , il s'arrêta tout- à-coup
au vaiſſeau de notre Amiral; il étoit ſuivi de ſept
autres vaiſſeaux qui le ſecondèrent & qui engagèrent
auſſi le combat avec quatre vaſſeaux de notre arrièregarde,
mais il éviterent foigneuſement de ſe battre
de près. Cette attaque fit princialement dirigée
contre le Superb & l'Exeter, vaiſſeaux montés par
l'Amiral & le Commodore : ils eurent chacun affaire
àdeux vaiſſeaux ennemis , & le Commodore quelquefois
à trois . L'Exeter coureit le plus grand danger
de tomber au pouvoir de l'ennemi , ſi le Capitaine
4
) 66(
Gell, commandant le Monarca , ne fût venu à fon
fecours : il fit un feu terrible contre le vaiſſeau qui
combattoit l'Exeter. Ce Capitaine , ainſi que ſes
Officiers & ſon équipage ſe ſont , en cette occafion,
couverts de gloire. Cette manoeuvre de M de Suffren
empêcha les quatre vaiſſeaux qui formoient notre
avant-garde de prendre part à l'action : il ſemble
cependant que le Commandant François ne temporta
d'autre avantage que celui de n'avoir perdu aucun de
ſes vaiſſeaux. Après un combat de plus de deux
heures , l'ennemi ceffa de tirer , & il s'éloigna pour
aller rejoindre ſes tranſports. On ne fait pas exacte
ment fa perte. Il paroît ( ſuivant le rapport de quatre
matelots pris àbord de l'Annibal, & qui ont trouvé
lemoyen de ſe ſauver du vaiſſeau de M. de Suffren )
que l'eſcadre Françoiſe a beaucoup fouffert : le Héros
& l'Annibal entr'autres ont été fort endommagés
dans leur coque , leur mâture & leur greement;
le Héros a eu 60 hommes tués & un beaucoup plus
grand nombre de bleſſés ; un autre vauſeau de 74
canons, dont le Capitaine a été tué , a fait une perte
auili conſidérable. Nous avons perdu dans ce combat
le Capitaine Stevens du Superb , le Capitaine Reynolds
de l'Exeter, & deux Officiers du 98e Régiment
: nous avons eu 32 tués , parmi leſquels ſe
trouvent deux Officiers du Superb & deux Officiers
de l'Exeter. Le nombre de nos bleſſés eſt de 95 ,
dont la plus grande partie à bord de ces deux vaifſeaux.
Tout le monde parle avec éloge du ſang froid
&de la fermeté de notre Amiral.
Le Chevalier Edward Hughes ſe rendit après le
cembat àTrinquemale pour s'y réparer , & il revint
enfuite au FortSt-George , où il arriva le 10 Mars.
L'eſcadre Françoiſe parut à la hauteur de Pondichery
le 24 du même mois.
L'eſcadre de M. de Suffrein étoit compoſée de to
vaiſſeaux de ligne & de 2 vaiſſeaux de so , & l'eſcadre
du Chevalier Edouard Hughes de 8 vaiſſeaux de
ligne & d'un de so .
( 67 )
Le Royal Admiral & le Neptune mirent à la
voile de Bombay pour Callicut , le premier les ,
& le ſecond le 26 Avril.
Cette relation , comme nous l'avons
obſervé , n'eſt pas arrivée directement. Il
ſepeut que les informations de M. Hornby
n'aient pas été abſolument exactes ; il ſe
peut auſſi que la Compagnie ne les ait
pas données dans toute leur intégrité. On
gliffe avec beaucoup de rapidité ſur la
ſeule circonſtance importante , c'est-àdire
ſur le but qu'avoit M. de Suffren ;
il étoit de débarquer les troupes qui doivent
ſecourir Hyder- Aly , & il l'a exécuté ; on
s'empreſſe d'obſerver comine une conféquence
importante , qu'on avoit ſauvé Ma- .
drafſf; & il ne paroît point que l'intention
des François fût alors de l'attaquer .
>> En examinant toutes les parties de cette relation,
dit un de nos papiers , les manoeuvres de
M. deSuffren,on voit qu'il ne fongevit qu'à faire paffer
fûrement à Hyder-Aly, les troupes & les munitions
de guerre qu'il lui conduiſoit; il ne cherchoit point
à ſe battre , & il ne s'eſt engagé que quand il a
vu que cela étoit indiſpenſable pour protéger ſon
convoi , dès qu'il a vu que l'effet de ſon fen avoit
mis la majeure partie de notre eſcadre hors d'état
de le ſuivre, il a rejoint ſon convoi , & l'a conduit
à ſa deftination ; nous n'avons pu l'en empêcher.
La priſe du Laurifton eſt tout ce qui eſt réſulté
de ce combat; mais il ſemble qu'on exagère prodigieuſement
ſa cargaiſon ; on voudroit le faire
regarder comme un bâtiment qui portoit toute l'arrilerie
, toutes les munitions , toutes les troupes
deſtinées à Hyder-Aly. On voit qu'on n'en parle
avec tant de dérails , que pour détourner notre
( 68 )
attention des autres bâtimens du convoi, & des
fecours qu'ils portent ànotre ennemi. Cette affaire ,
au reſte , ne peut guère être regardée que comme
le prélude de quelque bataille déciſive , qui doit
avoir eu lien au commencement d'Avril; il ſe pourroit
que nous reçuſſions la confirmation de l'une
des lettres données précédemment comme venant
de Hollande. Un ſecond combat eſt d'autant plus
vraiſemblable , que d'après les avis que la Compagnie
vient de publier , les deux eſcadres étoient
près l'unede l'autre, puiſque de ſon aveu fi SirHughes
étoit le to Mars à Madrafſ, les François étoient le
24 du même mois à Pondichery «.
Nos papiers ne diſſipent pas ces inquiétudes
; on peut en juger par les articles ſuivans
qui ſe trouvent dans tous & dans ceux
même qui , juſqu'à préſent , ont paru accoutumés
à voir tout en beau.
>> Depuis quelques jours , diſent-ils , les bruits
alarmans qui ſe ſont répandus ſur nos affaires dans
l'Inde , s'accréditent fingulièrement. Aujourd'hui on
affure qu'il y a eu un ſecond combat entre M. de
Suffren & le Chevalier Hughes , & que ce dernier a
perdu 4 vaiffeaux de ligne.
Les dernières lettres de l'Inde portent , dit-on , que
le Chevalier Eyre Coote eſt entré en campagne , &
qu'Hyder-Aly avoit furpris & pris un détachement
de ſon armée , qui eſcortoit un grand nonbre
de boeufs deſtinés pour l'armée , que cet évènement
a réduit à une extrême diſette , & a privée
de beaucoup de bêtes de ſomme pour les trains
d'artillerie. Le Chevalier Eyre-Coote est allé dans
leBengale. Il a laiſſé le commandement de Madraff
au Colonel Stuart. ১
Le 20 de ce mois , lit-on dans une lettre de Bombay,
du 26 Avril , nous avons eu un coup de vent
affreux qui a diſperſé , maltraité , ou fait périr beau(
69 )
coup de nos vaiſſeaux. Le Sha-Biram-Gorée, qui
arrive de la Chine , a vu à la hauteur d'Achm- Head,
gros vaiſſeaux qu'on croit être le Sultan & le
Magnanime.
Le Public nomme le Lord Cornwallis pour aller
aux Indes remplacer le Chevalier Eyte Coote « .
Les réflexions qu'amènent naturellement
ces nouvelles , n'ont pas rafſuré la Nation.
La Compagnie des Indes eſt fort inquiète ;
elle eſt ſur-tout affligée des retards qu'éprouventnéceſſairement
les vaiſſeaux qu'elle doit
envoyer en Afie , & qui ne peuvent partir
qu'avec la grande eſcadre. Elle n'eſt pas
encore prête à mettre à la voile; elle ne le
pourra qu'après le retour de l'eſcadre qu'on
envoie dans la mer du Nord pour dégager
notre flotte de la Baltique , & cette eſcadre
n'eſt pas encore en mer ; elle conſiſte , diton
, en II vaiſſeaux qui ſont aux Dunes ,
ſous les ordres du Commodore Hotham ;
on ignore encore quand elle partira.
>> Il s'eſt élevé , dit un de nos papiers , quelques
nuages entre l'Amiral Keppel & l'Amiral Howe ,
pendant le ſéjour du premier à Portsmouth. On
ignore les véritables motifs de cette déſunion ; on
fait ſeulement que quelques Capitaines ont pris parti
pour l'un , & pluſieurs pour l'autre. C'eſt à ces
démêlés qu'on attribue la réſolution priſe par le
Lord Howe de ſe rendre lui-même dans la mer
du Nord ; il a dit-on déclaré qu'il vouloit y aller ;
quoiqu'il n'y ait encore rien de décidé ſur ce ſujer ,
il n'enréſulte pas moins que les affaires languiffent
, que la lenteur qu'on met à envoyerdans ces
parages , retarde à ſon tour le départ de la grande
efcadre pour Gibraltar , que le tems s'écoule , &
( 70 )
qu'on finira par exécuter trop tard une opération
qui demandoit la plus grande célérité. Les forces
que nous avons actuellement pour tous ces grands
objets , ne confiftent qu'en 34 vaiſſeaux , dont Ir
ſont deſtinés à paſſer d'abord dans le Nord ; on
ſe flatte pendant leur voyage , d'en avoirs autres
de prêts , ce qui porteroit, l'eſcadre à 39 ; mais fans
s'arrêter à examiner ici ſi ce nombre ſeroit ſuffiſant
pour faire face aux forces ennemies qu'on doit
s'attendre à trouver , & qui rendroient l'entrepriſe
trop douteuſe , on peut demander quand on les
fera partir; ſi l'eſcadre qui va dans le Nord revient
ſans avoir trouvé les Hollandois , ſans avoir
éprouvé aucune avarie qui exige des réparations , ce
ne peut être que vers le 20 ou le 25 du mois prochain;
c'eſt donc à la fin de ce mois que l'on pourra
fonger à ſe rendre à Gibraltar ; & ce n'eſt que vers
le milieu d'Octobre au plutôt , que l'on pourra y
arriver . Seroit-il encore tems ? ce
Le tems ſeul peut réſoudre ces queſtions.
On ignore dans le public le véritable état
du Général Elliot , ce qu'il peut oppoſer
aux efforts de l'ennemi , l'eſpace de tems
qu'il peut tenir encore ſans ſecours; on
dit ici qu'il a promis de réſiſter pendant
2 mois ; mais il y en a déja au moins un
'd'écoulé depuis la date de ſes dépêches ,
& à ſuppoſer qu'il ait en effet fixé ce
terme , nous ne pouvons douter combien
ſa ſituation eft précaire.
Onaffure , lit-on dans nos papiers que l'eſcadre ,
deſtinée pour le Nord, eſt enfin partie le i de ce mois';,
elle eſt ſous les ordres de l'Amiral Milbank ; le
Commodore Hotham n'est qu'en ſecond; elle eft
composée des vaiſſeaux la Fortitude , l'Edgar , le
Dublin , la Bellonne , l'Alexander , le Berwick ,
( 71 )
le Goliath &le Suffolk , de 74 ; le Samfon , la
Crown , le Raisonnable , le Bienfaisant , l'Afie ,
le Vigilant , le Polypheme , de 64 ; le Rippon ,
de 60 ; total , 16 vaiſſeaux de ligne , avec s frégates
ou corvettes , &4 floops. Il faut attendre
à préſent le retour de cette eſcadre , pour faire
partir celle deſtinée pour Gibraltar , qui ne peut
avoir une certaine force qu'en y réuniilant celle
du Nord , & cela confirme les conjectures déja
faites ſur le départ de l'Amiral Howe , qui ne peut
avoir lien que vers la fin de ce mois «.
Un Courier expédié de Portſinouth par
cet Amiral , a apporté la nouvelle d'un
accident affreux , dont voici les détails.
Le 29 au matin on donna la demi - bande au
Royal-George , de 100 canons , mouillé à Spithead
, & commandé par le Contre-Amiral Kempenfelt.
Cette opération conſiſte à coucher un
vaiſſeau à demi ſur le côté , en paſſant tous les
poids d'un bord à l'autre , afin de le faire incliner
, & de mettre hors de l'eau une partie de ſa
carène. Le Charpentier qui dirigeoit ce travail
ayant eu l'imprudence de laiſſer ouverts les ſabords
de la première batterie , un coup de vent , qui
pouſſa les lames à travers ces ſabords , fit couler
bas le vaiſſeau , à bord duquel ſe trouvoient alors
près de 1300 perſonnes , parmi leſquelles un grand
nombre de femmes de Matelots & de courtiſannes .
Les chaloupes de l'eſcadre en ont ſauvé, environ
300. Le brave Kempenfelt eſt du nombre des victimes
, ainſi que le Charpentier , auteur de cette
caraitrophe. Le Royal-George avoit à bord pour
6 mois de proviſions , & la perte eſt eſtimée à
100 mille livres ſterling. Ce vaiſſeau étoit le plus
ancien des vaiſſeaux du premier rang. Sa conftruction
avoit été commencée en 1751 , & n'avoit
été achevée qu'en 1755. Le loop le Lark , navire
( 72 )
munitionnaire , qui étoit bord à bord du Royal-
George quand il a coulé bas , a été englouti par
le tourbillon occaſionné par la fubmerfion du vaiffeau.
Pluſieurs perſonnes qui étoient ſur ſon bord
ont péri. Selon les uns , il s'en eſt fallu de fort
peu que l'Amiral Kempenfelt n'ait échappé à la
mort. Il ſe ſauvoit fur une cage à poulets avec
deux foldats de la marine , dont un ayant perdu
priſe , s'accrocha à l'Amiral , & l'entraîna dans la
mer , au moment même où une chaloupe s'approchoit
pour les recevoir. L'autre ſoldat de la marine
s'étant tenu ferme , a été retiré. Selon les autres
, l'Amiral étoit occupé à lire dans ſa chambre
, lorſque ſon Nègre accourut lui dire que le
vaiſſeau couloit bas. Le livre lui tomba des mains ,
& fans avoir le tems de parler , it enfonça avec
le vaiſſeau , tandis que le Nègre ſauta par la fenêtre
, & ſe mit à la nage. Il étoir le dernier
fur la liſte de nos Amiraux ; mais depuis longtems
il s'étoit fait une grande réputation par ſon
habileté dans la manoeuvre. Les derniers Miniſtres
avoient fait une promotion extraordinaire pour
l'avancer , & ſon premier commandement a été
celui de l'eſcadre envoyée pour intercepter le convoi
parti de Breſt au mois de Décembre de l'année
dernière. Il commandoit ſous l'Amiral Barrington ,
lorſqu'ils ont rencontré le convoi François deſtiné
pour l'Inde ; il fit une troiſième & dernière croifière
avec l'eſtadre aux ordres du Lord Howe ;
il y donna de nouvelles preuves de ſon habileté ,
en couvrant la retraite du Buffalo , de 60 , qui ,
marchant très-mal , couroit riſque d'être coupé par
l'avant-garde de l'ennemi , ſans les ſuperbes manoeuvres
de l'Amiral Kempenfelt , dont le Commandant
en chef fit les plus grands éloges. Les malheureuſes
circonstances de ſa mort paroiſſent être
le ſeul exemple où il ait eu à ſe plaindre de la
fortune , qui , juſqu'à ce moment , lui avoit toujours
( 73 )
jours été favorable , & qui , d'après ſa bravoure
& ſes talens , marquoit ſa place parmi les plus
célèbres héros que nous offrent les annales de notre
marine. Il étoit Suédois de naiſſance , & fon nom
doit être cher à ſa patrie , qu'il a certainement
illustrée. 1
On dit qu'on a déja offert à l'Amirauté de
remettre à flot le Royal- George ; mais l'entrepreneur
exige les conditions ſuivantes ;
on lui payera 20,000 liv. ſterl. s'il réuffit ;
s'il ne réuffit pas , le Gouvernement ne
payera que les frais qu'il aura faits , &
qu'on évalue à 8 à 10,000 liv. ſterl.
د
Le Comité établi par la Chambre des
Communes dans la dernière ſeſſion , pour
faire des recherches- ſur l'état des finances
de la Nation a fait ſon rapport , qui
vient ſeulement de paroître dans les papiers
publics. Cette pièce intéreſſante peut donner
une idée de l'état actuel du crédit de i Angleterre;
ſon étendue ne permet pas de le
publier tout entier. Comme il eſt diviſé en
pluſieurs parties , nous les donnerons chacune
ſucceſſivement.
Le Comité a d'abord pris en conſidération le
montant des différentes ſommes levées par annuités,
entre les Janvier 1776 & le 5 Avril 1782 , avec les
intérêts annuels , payables ſur icelles , enſemble le
produit annuel des différentes taxes accordées pour
payer les intérêts deſdites ſommes & les déficits qui
s'y ſont trouvés. -Et il trouve que la ſomme levée
par annuirés , pour pourvoir au ſubſide en 1776 , a
été de deux millions , pour laquelle il a été donné
dans les annuités à 3 pour 100 un capital de2,150,000
liv. ft. L'intérêt annuel a été de 64,500 1. L'intérêt
14 Septembre 1782.
d
( 74 )
de 1,550,000 1. ſt. faiſant partie de cette ſomme , a
commencé à courir les Avril 1776 , & du reſtant de
600,000 1. it. le s Janvier 1777. Les taxes pour cette
année ont été un droit additionnel fur les carroffes ,
les cartes, les dez & le timbre. Quoique le premier
& le dernier de ces droits n'aient commencé que te
7 Juillet , & le ſecond le premier Juin 1776 , cependant
leur produit a furpaſſé la dépenſe de l'intérêt
de l'emprunt de ladite année , ayant depuis leur
commencement juſqu'au s Janvier 1782 , rapporté
111,492 1. ft . 3 chelins , 3 fols & demi plus que le
montant des intérêts & des frais de perception .- La
fomme, pour le ſervice de 1777 , a été des millions
à4 pour 100 , avec un bénéfice additionnel de 20
chelins pour 100 durant dix années. L'intérêt annuel
a été de 225,000 liv. ft. & a commencé le s
Avril 1777. Les taxes , pour cette année , ont été
des timbres additionnels , commençant les Juillet ;
un droit ſur le verre ; un droit ſur les ventes publiques
, commençant le s Juillet ; une taxe ſur les
Domestiques , commençant le s Juillet. Il paroît
que la première demi année , depuis le s Juillet
1777jusqu'an Janvier 1778. Ces taxes ont pro.
duit ſeulement 10,025 1. ft. 3 chelins provenant
de la ſeule taxe des timbres additionnels. L'intérêt
de l'emprunt de la même année , depuis les Avril
1777 juſqu'au s Janvier 1778 , montoit à 168,750
1. ft. , de forte qu'il y eut un déficit de 158,724 1 .
ft. 17 chelins . Ce déficit réſulta en partie de ce
que l'intérêt commença à courir un quart d'an avant
les taxes deſtinées à le payer , mais fur-tout parce
que les trois dernières taxes ne produifirent rien.
Les années ſuivantes leur produit augmenta , mais
il fut toujours très-inférieur à la ſomme de 225,000
1. ft. faiſant le montant des intérêts de l'emprunt ,
au paiement deſquels il étoit affecté. Ainſi il y eut
en 1778 un déficit de 109,253 1. ft. 16 chelins 2
deniers; en 1779 un déficit de 87,771 1. ft, 10 che
5
1751
lins 7 deniers ; ca 1780 ily en eut un de 82,343 lo
It. 1, chelins 4 deniers ; en 1781 il y en eut un de
83,248 1. ft. 16 chelins 4 deniers & demi , & tous
ces déficits enſemble firent pour less années un
total de 486,372 1. ſt. 5 chel. 4den. & demi . -- La
ſomme pour le ſervice de 1778 a été de 6 millions
àun intérêt perpétuel de 3 pour 100 , & en outre
à un intérêt de 2 & demi pour 100 durant trente
années. L'intérêt annuel en a été de 330,000 liv.
ft. & a commencé les Janvier 1778. Les taxes ,
pour cette année ont été un droit ſur les vins & le
vinaigre importés , commençant les Avril , & un
droit fur les maiſons , commençant le s Juillet. Le
premier de ces droits a produit , depuis les Avril
1778 juſqu'au 5 Janvier 1779 , une ſomme de
39,177 1. ft. 19 chelins 6 deniers. La première demi-
année de la taxe ſur les maiſons a produit 150
liv. sterlings . Ainfi , il y a eu dans le provenu de
droits , déduit du montant des intérêts , au paiement
deſquels ils étoient deſtinés , un déficit en 1778 de
290,672 l . ft. 6 deniers . Durant les trois années ſuivantes
leur produit a été pareillement inférieur aux
intérêts de l'emprunt , de forte qu'en 1779 le déficit
a été de 248,451 liv. ſterl. 6 chelings 2 deniers ;
en 1780 , de 157,463 liv. sterling 9 chelings 8
deniers ; en 1781 , de 160,794 liv. ſterl . 12 chelings
2deniers ; & 1: total de tous ces déficits , pour les
4 années enſemble , a été de 870,911 liv. ſterling
To deniers.- La ſomme pour le ſervice de 1779 , a
čé de 7 millions à 8 pour cent d'intérêt perpétuel ,
& à 3 & trois quarts pour cent pour 29 années ou
à vie. L'intérêt de cet emprunt a monté à 471,500
liv. ſterl. par an , & a commencé le 5 Janvier 1779.
Les taxes , créées cette année , ont érés pour cent
d'augmentation ſur les droits de douane , à commencer
dus Avril 1779 ; cinq pour cent ſur les
acciſes , à commencer du même jour ; un droit fur
les chevaux de poſte, à commencer le 5 Juillet 1779 ,
d2
( 76 )
,
des timbres additionnels , à commencer le 2 Acût
1779. Le produit de toutes ces taxes , juſqu'au s
Janvier 1780 , a été de 177,807 liv. fterl. 17 chelings
2 deniers ; ce qui déduit du ſuſdit intérêt annuel
laille , pour 1779 , un déficit de 294,692 liv. fterl.
10 deniers. Les deux années ſuivantes , Ię produit
de ces droits a auffi été inférieur aux intérêts , qui
devoient être payés de leur provenu ; ſavoir , en
1780 , de 93,151 liv. ſterl, 6 chelings 7 deniers
& en 1781 , de 43,655 liv. fterl . I cheling 3 deniers ,
faiſant ces non-valeurs , pour les trois années enſemble
, un total de 454,124 1. ſterl, 13 chelings I den,
& & quarts. - La ſomme pour le ſervice de 1780 ,
a été de 12 millions à 4 pour cent non-rembourfables
pour ſept ans , outre I livre ſterling 16
chelings 3 deniers pour cent durant 80 ans .
L'intérêt de cet emprunt a monté à 697,500
par an , & a commencé aus Janvier. Les taxes
créées en 1780 , ont été un droit addirior nel fur
le tabac , commençant le zer Janvier 1781 ; ſur le
ſel , le to Mai 1780 ; ſur les vins , à la même date ;
fur les timbres , le premier Juin 1780 ; ſur l'eaude-
vie , le 30 Mai 1780; ſur les liqueurs diſtillées
dans la Grande-Bretagne; ſur les petits-vins ; ſur le
malt , tous à la même date ; cinq pour centd'augmentation
ſur les droits de douane & cinq pour
cent ſur les droits d'acciſe , auſſi à la même date ;
licences pour vendre du thé , les Juillet 1780 ;
droit ſur l'empois ; droits ſur les parfums , à la
anême date. Le produit de ces droits juſqu'au s
Janvier 1781 , étant de 362,082 liv, fterl. 13 che-
Jins 11 deniers, déduit de l'intérêt annuel de l'empruot
de 1780, laiſſe ainſi un déficit pour la même
année de 335.417 liv, ſterl. 6 chelins un denier.
Les mêmes taxes ont produit juſqu'aus Janvier
1782 , la fomme de 684,773 liv. ſterl . s chelins
5 deniers & demi , laiſfant ainſi un vuide de
12,727 liv, sterl, 14 chelins & deniers & demi :
( ララ)
&ces deux non valeurs font enſemble un total dea
367,762 liv. ſterl. 4 chelins 6 deniers & demi .
La ſomme pour l'année 1781 , a été de douze
millions , à raiſon de 150 liv. ſterl. dans les ana
nuités à 3 pour cent & de 25 liv. ſterl. dans celles
de 4 pour cent pour chaque 100 liv. ſterl. dans
ledit emprunt. L'intérêt , à commencer du 5 Janvier
1781 , a monté à 660,000 liv. fterl. par an.
Les nouvelles taxes pour 1781 ont été un droir
fur le tabac & les ſueres , à commencer du s
Avril 1781 , & un droit additionel de cinq pour
cent ſur les acciſes , à commencer de la même
date. Le produit de ces taxes juſqu'au s Janvier
1782 , a été de 242,365 liv. ſterl. 6 chelins &
deniers; ce qui déduit de 660,000 liv. ſterl. formant
l'intérêt de l'emprunt , laiſſe un vuide pour l'année
1781 de 417,634 liv. ſterl. 13 chelins 4 deniers.
Dans tous ces calculs l'on n'a pas compris les frais
de régie , qu'il faut également en déduire , parce
qu'ils ne ſont fixés dans aucun des papiers , qui nous
ont été préſentés juſqu'ici
FRANCE.
De VERSAILLES , le 10 Septembre.
La Reine ayant bien voulu prendre la
qualité de première Chanoineſſe du Chapitre
Noble de Notre-Dame de Bourbourg
en Flandres , Diocèse de St - Omer , &
permettre à ce Chapitre de ſe qualifier du
nom de Chapitre de la Reine S. M. a
reçu dans ſa Chambre une Députation du
Chapitre , compoſée de la Comteſſe de
Conpigny , Abbeſſe , & de la Comteffe de
Conpigny- d'Henn , Chanoinefle , & les a
revêtues d'un cordon de couleur jaune ,
d 3
( 78 )
liſeré de noir , auquel eft attachée une
Croix émaillée , portant l'Image de la Ste-
Vierge , & fur le revers , le portrait de
Sa Majeſté.
M. Real a eu l'honneur de préſenter au
Roi la Deſcription Hiſtorique & Topographique
de la Ville, de la Montagne & des
Fortifications de Gibraltar , avec un détail
de la Baie du Détroit & des endroits qui
peuvent contribuer à l'attaque & à la dés
fenſe de cette Place (1) .
:
De PARIS , le ro Septembre.
L'ATTENTION générale eſt maintenant entièrement
tournée du côté de Gibraltar ; aux
détails que nous avons déja donnés de ce
fiége , nous joindrons ici la lettre ſuivante
du camp de St-Roch , en date du 18 Août.
>> Monseigneur le Comte d'Artois eſt parti le 6
de Matrid. Il a dîné , ce jour là , à Aranjues , &
ſoupé à Ocanna , où il a vu manoeuvrer les Elèves
de l'Ecole d'Equitation établie en ce lieu , ſous les
ordres de M. de Ricardos , Lieutenant-Général. It
a continué la route, les jours ſuivans , & a vu
manoeuvrer le beau corps des Carabiniers d'Efpagne
à Mançanarés. Il devoir ſuivre ſon chemin
juſqu'à Cadix , où on lui préparoit de belles fêtes, &
paffer par Xerès , où la Nobleſſe avoit déja faiz
pluſieurs répétitions d'un Tournoi , qui devoit s'excuter
à la manière des Maures. Mais un Courier
de M. de Crillon ayant apporté la nouvelle que ce
Général ſouhaitoit , à cauſe de la lune , commencer
(1) CetOuvrage ſe trouve à Paris chez Legras ,quai de
Conti , &Gobreau ,quai des Auguſtins ,
/
( 79 )
les opérations du fiége le Is , Monſeigneur le Comte
d'Artois partit d'Ecija en poſte , à francs étriers .
Le 12, à 6 heures du foir , ce Prince a paffé 17
heures de ſuite à cheval dans de très-mauvais chemins.
Il a été égaré dans la nuit , par ſon guide ,
ſur des montagnes effroyables , bordées de précipices
affreux . Une partie de ſa ſuite avoit pris
une route plus épouventable encore pour trouver
des chevaux de payfan , & a pallé 22 heures à
cheval. La réunion devoit ſe faire & s'est faite à
Randa. De-la au camp;il reſtoit II licues à faire,
leſquelles en valent bien 18 de France. M. de
Crillon avoit diſpoſe ſur la route des détachemens
de Cavalerie & de Dragons , dont on prit les chevaux
en guiſe de relais. Ajoutez aux difficultés de
cette marche , que le thermomètre a été conſtammentà
36 degrés en Andaloufie, & qu'on ne trouvoit
que de l'eau dans les Auberges . Monſeigneur
le Comte d'Artois a foutenu tout cela à merveille ,
& s'eſt trouvé rendu au Camp de St- Roch le 15
au matin. On l'a mené , en arrivant , au parc d'artillerie
; de-là ; il eſt allé à la tranchée , avec la
précaution d'ôter ſa plaque & fon cordon bleu ,
il a paſſe ſur le revers tout le long de la ligne ,
entre les batteries Eſpagnoles & les batteries An.
gloiſes. On étoit fi près des dernières , qu'on diftinguoit
les traits des Anglois qui s'y trouvoienr.
Ils n'ont tiré qu'un ſeul coup de canon. Le foir ,
il y a eu 11000 travailleurs de commandés , &
2000 hommes pour les foutenir en cas de fortie.
Monſeigneur le Comte d'Artois s'eſt rendu à la
tranchée à 9 heures du ſoir. Il a vu défiler les
travailleurs , commencer les travaux , & ne s'eft
retiré qu'après minuit. On croyoit que les Anglois
nous tueroient beaucoup de monde , mais ils ne
ſe ſont apperçus de rien. Le lendemain s'eſt trouvé
fait , au jour , un boyau de 900 toiſes , prolongé
fur la droite de la ligne , couvert de 9 pieds &
d4
( 80 )
avancé juſqu'à 380 toiſes de la place. Il doit ſervir
à établir une nouvelle batterie pour enfiler celles
du vieux Môle le jour de l'attaque des batteries.
Hottantes . M. le Duc de Bourbon arriva ce jour-là
16 , à midi. Les deux Princes allèrent l'après-dîner à
la tranchée, & examinèrent le nouvel ouvrage qui
a été fi heureuſement exécuté. Le Général dépêcha
le Prince de Maſſerano pour en porter la nouvelle
à la Cour, MM. de Moreton & d'Avarey font
arrivés «.
Les lettres de Cadix & de Madrid qu'en
a reçues par le dernier ordinaire , ne nous
ont rien appris & ne peuvent rien nous
apprendre , parce que les Couriers de la
Cour & du camp les avaient précédées de s
ou 6 jours ; il en ſera de même pendant la
durée du ſiége de Gibraltar. Nous avons
des dépêches du camp en date du 23 ;
nous en placerons ici le précis , en prenant
les opérations du ſiége à l'époque où nous
les avons laiſſées.
» Le 19 , M. le Duc de Crillon envoya un trompette
à M. Elliot , pour lui annoncer l'arrivée au
camp de Mgr. le Comte d'Artois & de M. le Duc
de Bourbon. Il aveit accompagné le Meſſage de
toutes fortes de rafraîchiſſemens qu'il offroit au Gouverneur.
Le Trompette étoit auſſi chargé de lui
remettre, de la part de Mgr. le Comte d'Artois ,
une lettre d'un parent qui est actuellement en France.
Le Gouverneur répondit qu'il voyoit avec plaifir
deux Princes de la Maiſon de Bourbon aux pieds de
ſes murs , & qu'il tâcheroit de ne pas ſe rendre
indigne de l'honneur qu'ils lui faisoient de venir
faire leurs premières armes contre lui ; il remercioit
M. de Crillon de ſa galanterie , mais il le prioit
de ſuſpendre dorénavant de pareils envois , parce
qu'il ne manquoit pas de légumes & autres provi(
81 )
,
-
ſions fraîches ; que d'aillears il étoit décidé àpartager
avec ſes braves ſoldats leur abondance , & à
ſouffrir leur diſette .- Le 20 , la place tira plus de
2000 coups ; 3 foldats furent tués & 5 ou 6 bleffés .
Une carcaſſe mit le feu aux nouveaux ouvrages ;
malgré les ſecours les plus prompts 40 toiſes furent
brûlées ; mais tout fut réparé à l'inſtant . Le 21 ,
l'ennemi tira près de 3000 coups de canon ; le feu
prit à la batterie de St-Martin ; s ſoldats François
furent tués & 10 ou 12 bleſles grièvement.
Le 22 , le feu continua mais fans effet ; il
en a été de même le 23 & le 24. Trois
batteries flottantes étoient finies le 23 au matin
: on a nommé pour Majors-Généraux de ces
batteries pendant leurs conftructions le Prince de
Naflau & le Capitaine de vaiſſeaux D. Fr. Munnos ,
qui vont en preſſer les travaux avec une activité
qui annonce qu'ils feront achevés en peu de jours. La
Paula a été éprouvée ſeulement pour la marches
elle va auffibien qu'on pouvoit le defizer ; a vue d'oeil
on croit que l'atraque générale pourra commencer
le 10 Septembre. - Mgr. le Comte d'Artois a
commencé le 19 à recevoir les principaux Officiers
de l'armée. Son premier Gentilhomme invite tous
les jours à dîner de ſa part , 2 Liestenans-Généraux
, 8 Maréchaux de Camp , ro Brigadiers &
10 Colonels cc.
On a vu rentrer à Breſt le 23 du mois
dernier , le Languedoc , le Magnanime , &
le Diademe , qui ont laiflé à la mer le
convoi du Port-au-Prince ; le quatrième
vaiſſeau de l'eſcorte , le Marseillois , a été
mouiller à Rochefort .
Les vents qui ont été ſi long-temps contraires
ſur nos cores , ont enfin tourné au
Nord- eft , & s'y ſoutiennent ; on apprend
que les convois de l'Ifle d'Aix en ont profité,
ds
( 82 )

& qu'ils ont mis à la voile le 2de ce mois.
Les mers font libres ; les eſcadres Angloiſes
font encore dans leurs ports , & celle du
Commodore Hotham , qu'on diſoit fortie
eſt deſtinée pour le Nord ; elle n'a mis à la
veile que le rer. de ce mois ſous les ordres de
l'Amiral Wilbank qui eft chargé d'aller délivrer
la flotte marchande Angloiſe , retenue
dans laBaltique, & la ramener enAngleterre.
On apprend que M. de Peynier eſt arrivé
enbon état avec ſes vaiſſeaux & ſon convoi
au Cap de Bonne-Eſpéranceles Mai. On
fait qu'il étoit parti le 11 Février avec
le Fendant , l'Argonaute 2 frégates , un
cutter , 2 flûres & 22 tranſports , portant
environ 4000 hommes.
>>>Le Nancy , bâtiment Anglois , Capitaine
Cooper , lit-on dans une lettrede nos ports , faiſant
la traite des Nègres ſur les côtes de Guinée , a été
enlevé à Gorée avec 60 eſclaves qu'il avoit à bord
par un corfaire François qui l'a conduit aux Indes
occidentales. Le commerce des eſclaves en Afrique
paroît conſidérablement diminué depuis quelque
tems ; il n'y en a pas d'autre cauſe que l'état de paix
dans lequel ſe trouvent la plupart des peuples.de ces
contrées, qui n'ont parconséquent pas des prifonniers
àvendre comme auparavant. Les Anglois ſe plaignent
que ce commerce eſt ſur-tout fort ingrat
pour eux ; ils l'attribuent au foin qu'on a pris d'indiſpoſer
les Africains contre eux «.
Il a été expédié au Commandant du
Port de Toulon , des ordres pour preffer la
conftruction du Centaure , de 74 canons ,
qui eſt dans le baffin , & de l'en faire
fortir auffi tôt qu'il fera bordé , juſqu'à la
Bottaiſon , pour y placer un autre vaiffeau
( 83 )
de 110 canons. On s'occupe auſſi dans ce
port à mettre en état les deux chantiers
où ont été conſtruites les deux frégates la
Junon & la Minerve , de 40 canons chacune
, afin de pouvoir y placer 2 vaiſſeaux
de 74 , dont la conſtruction a été ordonnée.
Selon des lettres du même Port , en
date du 25 , on venoit de ſignaler de la
Croix-des- Signaux , un convoi qui entroit
en rade au moment où l'on fermoit les
lettres , & qu'on croyoit être celui de Marſeille
, compoſé de 100 voiles ; auffi-tôt le
vaiſſeau commandant avoit tiré pluſieurs
coups de canons pour avertir les équipages
de ſe tenir prêts à appareiller. On avoit
completté ceux des vaiſſeaux de ligne avec
des matelors des frégates revenues de croifière
dans le Levant.
> On a envoyé ici de Rochefort, écrit- ondes Sables
d'Olonne , une fregate de 36 canons , pour croiſer
fur nos côtes , & protéger le commerce de nos
pêcheurs.- Nous avons effuyé un orage furieux.
Le tonnerre eſt tombé en pluſieurs endroits ; 3
bateaux chargés de ſel ont coulé bas ; pluſieurs ont
été démâtés ; heureuſenient il n'a péri qu'un ſeul
homme. Le feu a été mis , par accident , à un vaifſeau
de 1 so tondeaux , appartenant à M. de la Jarie ,
Armateur de cette Ville, les ſecours prompts que ſe
font empreſſés de porter tous les citoyens , ont fait
que l'on eſt parvenu à l'éteindre ; & quoique trèsendommagé
, on eſpère pouvoir le raccommoder
& le mettre en état de ſervir comme ci-devant.
-Nos pêcheurs ont pris un pocheteau , eſpèce de
groſſe' raye , dans le corps duquel on a trouvé la
main d'un homme. On ne conçoit pas comment ce
,
d 6
( 84 )
poiſſon a pu la détacher du cadavre & l'avaler .
On mande de Grenoble , qu'il s'eſt manifeſté
dans quelques Communautés des
environs , une épizootie , qu'on appelle le
charbon gras & le charbon noir , qui
attaque le gros bétail , tel que les boeufs ,
vaches , veaux & geniffes. Le Parlement
a rendu le 23 Août dernier un Arrêt ,
pour défendre la ſortie des beſtiaux des
territoires infectés , afin d'empêcher l'épizootie
de s'étendre plus loin ; l'Intendant
a pris en même tems des meſures pour faire
reconnoître la cauſe du mal &y remédier.
>>> Parmi les actes de bienfaiſance & d'humanité
que vous vous empreſſez de recueillir , M. , nous
écrit-on de Toulouſe , celui dont j'ai l'honneur de
vous faire part , mérite d'être diſtingué. M. de
Mongaillard , Chevalier de Saint- Louis , réfidant en
cette Ville ,mort d'une manière autfi prompte que
funeſte , a inftirué , pour ſon héritier , l'Hopital de
Notre-Dame de la ville de Gimau , & fait les difpoſitions
ſuivantes . Elles confiſtent en 3 fondations ;
la première de 200 livres chaque année, qui doivent
être employées à doter en mariage une pauvre fille ,
irréprochable dans ſes moeurs & dans ſa conduite.
La ſeconde de pareille ſomme , qui ſervira chaque
année de Prix , qu'on donnera au meilleur Agriculteur
de la Jurisdiction. La troiſième , plus conſidérable
, conſiſte en une ſomme de 600 livres , qui
fervira à acheter tous les ans un champ , deſtiné à
un homme abſolument dénué de toutes facultés ,
ou très-néceffiteux. Ce champ ne pourra jamais être
vendu ni aliéné , ſous aucun prétexte , mais paſſera
aux enfans ou deſcendans du donateur. L'Hopital ,
en qualité d'héritier , eſt chargé de payer chaque
année la ſomme de 1000 livres pour acquitter ces
trois fondations. Le Bureau de l'Hopital doit s'al-
1
1 (185 )
ſembler tous les ans , & appeller , ſelon les intem
tions du Teſtateur , fix notables de la ville , pour
former au moins un nombre de 12 , qui choiſiront
les ſujets qui doivent jouir de ſes bienfaits ; quant
à ſes inſtrumens , cahiers de muſique , garde- robe
croix & bibliothèque , il a ordonné que le tout fût
vendu après ſon décès , pour ſervir à des aumônes
«.
L'Académie des Sciences , Belles-Lettres
& Arts d'Amiens , a remis à l'année prochaine
le Prix Littéraire qu'elle devoit
donner cette année à l'Eloge de Greffet ;
le ſujet ſera le même , & le Prix double..
Elle propoſe pour celui du Prix des Sciences
& des Arts : » pourquoi les hernies
font ſi fréquentes dans cette Province ;
quels ſeroient les moyens les plus efficaces
de prévenir les accidens qui mettent hors
d'état de travailler un très-grand nombre
d'ouvriers de tous les âges , ou au moins ,
qui diminuent de beaucoup leurs facultés
; enfin , parmi toutes les méthodes
curatives qui ont été ſuivies , quels font les
inconvéniens qu'elles peuvent offrir ; quelles
feroient celles qui méritent la préférence , &
qui font les moins diſpendieuſes ". Les Ouvrages
doivent être envoyés francs de port
avant le premier Juillet 1783 , à M. Baron
Secrétaire-perpétuel de l'Académie.
>> Le ſieur Lambert , Marchand d'arbres à Coulommiers
en Brie , n'ayant pu fatisfaire , l'automne
dernier , la totalité des demandes multipliées qui
lui ont été faites , parce qu'il a établi pour principe
de ne livrer, dans ſes pépinières , que des ſujets
abſolument ſuſceptibles d'être tranfplantés avec ſuccès
, s'eſt mis en état cette année de procurer les li
( 86 )
vraiſons de la plus belle eſpérance & les plus abon
dantes. La ſeule guace qu'il demande aux Amateurs ,
eſt de lui faire parvenir de bonne heure des états
exacts & réguliers de leur demande , afin qu'il les
puiſſe inſcrire par ordre ſur ſes livres ; & pour mettre
les Acheteurs à portée de firer leurs commiſſions ,
il obſerve , 1°. qu'ayant remarqué , par l'étude
qu'il a fait des différens progrès de la végétation
des arbres fruitiers , que ceux dirigés en guirlande ,
greffés ſur franc , obtiennent un ſuccès plus décidé ,
on trouvera chez lui ,dans cette eſpèce , des poiriers
greffés ſur franc , au lieu de coignaffiers , & des
pommiers également ſur franc pepin , au lieu de
doucin ; 2°. que les ſujets à haute tige , pour être
établis en plein vent , tant poiriers que pommiers
à conteas & à cidre , ſont tous greffés haut , de
façon que ces ſujets forment leur tête à la hauteur
de ſept pieds , & que les tiges en font nettes &
vives ; °. qu'il a auſſi une grande quantité d'arbres
à plein vent , non greffés , appellés aigrains ,
qui , tranſplantés par les Acheteurs , ſont ſuſceptibles
d'être greftés ſur place , de telle eſpèce de
fruit que peut comporter la nature & qualité du
terrein ; 4°. que les ſujets à demie & baffe tige ,
tant poiriers , pommiers , pêchers , & de toute
eſpèce , ſont également d'une vigueur admirable ,
&greffés fur franc , fur coignaſſiers , fur doucin
fur paradis , fur amandier & ſur prunier , afin de
pouvoir Cuivre , par un choix entendu , la qualité
du terrein ſur lequel ſe doitfaire la tranſplantation ;
5°. Il tient auſſi les quatre eſpèces majeures de
cerifiers, & il eſt en état de livrer toutes les eſpèces
d'abres annoncées dans ſon Catalogue. Enfin , il
eſt également à portée de procurer toutes les eſpèces
d'arbres , foreftiers indigènes & étrangers , tels
que tilleals de Hollande, ormes francs & tortillards ,
frênes ,peupliers d'Italie , de Canada & de la Caroline,
trembles de Hollande & ypréaux, marronniers,
ainſi que des plants d'alperges de Hollande de 2 ans ",
,
( 87 )
On nous mande de Bar-le-Duc , que le
18 du mois dernier on y a célébré dans
l'Egliſe de St Antoine le renouvellement
de la sue année du mariage de M. Claude
Hermand & Madame Marie Vignon ; cette
cérémonie intéreſſante , annoncée par le
fon de toutes les cloches & une excellente
Muſique , a été faite par M. Hermand ,
Docteur en Droit , Chevalier du Saint-
Sépulchre de Jérusalem , & Curé de St-
Loup , fils du Couple reſpectable qui en
étoit l'objet ; toute la famille , & un grand
nombre de citoyens ſe ſont empreffés de
prendre part à cette fête également rare
& touchante .
>> La Grand Chambre du Parlement de Paris a jugé,
le 9 Acût, une queſtion célèbrede Jurisprudence
très controversée ; ſavoir fi des créanciers ont le
droit de demander la diſtraction de la légitime ſur
des biens de leur débiteur , donataire univerſel par
le contrat de mariage de ſes père & mère , de l'univerſalité
deleurs biens , avec charge de ſubſtitution
à ſes enfans mâles d'ainé en aîné tant que la ſubſtitution
peut s'étendre , lorſque le grevé de ſubſtitution
a formellement accepté la donation , avec
charge de ſubſtitution dans pluſieurs actes importans
, notamment dans 3 contrats de mariage où il
a pris la qualité de donataire univerſel de ſes père
& mère , ſous les clauſes de ſubſtitutions portées
dans la donation & dans une remiſe anticipée faite
par le grevé à ſon fils , premier appellé au bénéfice
de la ſebſtitution . Tous ces actes , il est vrai
avoient été paſſes avant l'ouverture des ſubſtitutions.
On outenoit , en faveur de la ſubſtitution , les
créanciers mal fondés dans la demande en diſtraction
, attendu 1º. la faveur des contrats de ma
riage , qui ſont des actes finallagmatiques obliga-
2
( 88 )
roires pour tous les contractans , dont l'effet eft
de lier , par des engagemens réciproques , les donateurs
& le donataire , & les familles qui contractent
ſous cette affurance ; 2°. qu'il ne doit pas y avoir
lieu à une demande en diſtraction de légitime de la
part d'un enfant qui doit recueillir la totalité des
biens de ſes père & mère en qualité de donataire
univerſel dans ſon contrat de mariage , le voeu de
la loi étant beaucoup mieux rempli quand l'enfant
reçoit tout , que lorſqu'il reſtraint. ſes droits à la
moitié ; qu'il eſt toujours permis de faire la condition
du légitimaire meilleure , & à celui- ci de
l'accepter ; que les créanciers n'ayant pas plus de
droit que leur débiteur , ne peuvent exercer que
les droits que l'intérêt du légitimaire, bien entendu ,
lui aurait conſeillé de former ; que la faveur de la
légitime n'a été introduite que pour les enfans ,
qu'elle n'a d'autre objet que leur ſubſiſtance , que
ſi la loi a défendu aux père & mère de la diminuer
ni d'y porter atteinte , c'eſt parce qu'elle a voulu que
les enfans trouvaſſent une ſubſiſtance aſſurée dans
leur légitime ; que des- lors ce ſeroit abuſer évidemment
de l'eſprit & des termes de la loi , que
de vouloir retourner contre les enfans un privilége
qui n'a été accordé à la légitime qu'en leur faveur ,
en privant ces enfans de la moitié des biens que
la prudence & la ſageſſe de leurs aïeux leur avoient
voulu aſſurer , pour les abandonner à des créanciers .
- De la part des créanciers , on a établi en point
de droit , que jamais un enfant ne peut être privé
de ſa légitime par le fait de ſes père & mère ;
quelques diſpoſitions que faſſent les père & mère ,
l'enfant qui n'a pas encouru leur diſgrace , doit
toujours avoir ſa légitime , & qu'il doit l'avoir en
pleine propriété , ſans aucune charge , à moins qu'il
n'y ait renoncé expreſſément dans un tems utile ,
c'est - à- dire poſtérieurement à l'ouverture des ſucceffions.
Ils ont , d'ailleurs , établi dans le point
de fait , que jamais leur débiteur n'avoit renoncé
( 89 )
L
expreſſément , ni été à même de renoncer à la
demande en diſtraction de légitime ; que dès-lors
ayant toujours été en droit de former cette deman
de, les créanciers qui exercent tous les droits da
débiteur , font bien fondés à la demander .-L'Arrêt
du 9 Août 1782 , a ordonné la diſtraction de la
légitime au profit de ſes créanciers.
De BRUXELLES , le 10 Septembre.
SELON les dernières lettres de Hollande ,
tout étoit prêt pour la ſortie de l'eſcadre
du Texel , qui doit avoir mis à la voile avec
une augmentation de forces , & nous nous
attendons que la première poſte nous en apportera
la nouvelle ; les précédentes nous
avoient annoncé le départ de l'Amiral
Zoutman pour le Texel ; mais elles ne s'accordent
pas ſur le motif de ce voyage ; les
unes diſent qu'il alloit ſimplement viſiter la
flotte , les autres qu'il en alloit prendre le
commandement ; cette dernière verſion pourroit
bien être la véritable; les perſonnes qui
en jugent ainſi, ſe fondent ſur le voeu général
des Hollandois. On ajoute que la propoſition
de la ville de Leyde , & le mémoire
de la province de Zélande , l'un & l'autre ,
fur le peu d'activité des forces maritimes de
la République , vont être inceſſamment l'objet
des délibérations des Etats de Hollande.
>> Le Hourque Hollandois la Wrouw Magdalena ,
lit-ondansune lettre de Curaçao du premier Juillet ,
croiſant le Is Juin à lavue du port au S. O. vit arriver
du S. E. vers la côte un navire de 40 pièces de
canon , qui arbora pavillon François , mais dont la
conſtruction annonçoit un bâtiment Anglois . Amidi,
il paſſa le havre & dirigea ſon cours vers le hourque
1.
1901
3 2 qui étoit à 2 on milles du port. A
midi , le combat commença avec beaucoup de vioheuresaprès
lence. MM. Rietveld & Boot avec leurs vaiſſeaux
venant en mer pour ſecourir le hourque ; mais ils
ne pouvoient y arriver avant 5 ou 6 heures du
foir. Les Marins qui conuoiffent le local du port,
peuvent ſeuls décider en combien de tems un mavire
prêt à mecare à la voile au premier ſignal
peut être rendu en mer. Si l'on avoit pris l'avance ,
ce vaiſſeau Britannique & d'autres auffi entreprenans
auroient payé fort cher leur bravade ; le Capitaine
Geermandu hourque n'eût pas été pris après avoir eu
7 morts & 13 bleſſes , beaucoup de dommages dans
ſes agrêts & quelques canons démontés. Nos vaifſeaux
n'arrivèrent qu'à 6 heures du ſoir ; il s'étoit
rendu às & avoit paſſe ſur le champ àbord de l'Anglois
qui mirent 8 hommes ſur la
donnèrent en fuyant à toutes voiles à l'approche de priſe , & l'abannos
vaiſſeaux qui ramenèrent le hourque ".
Les dernières lettres arrivées du
Bonne-Eſpérance , en Hollande , portent que
Cap de
les navires de retour de la Compagnie des
Indes , l'Indien , le Batavia , le Morgenſtar
& l'Amſterdam , qui s'y trouvoient depuis
un an en ont mis à la voile pour l'Ile
Maurice , où ils paſſeront la mouffon .
د
Un navire Danois arrivé de Canton à Copenhague
, a rapporté le fait ſoivant.
>> Un navire particulier nommé Dedalay, com
mandé par le Capitaine Jean Macklarey , après
avoir paffé l'hiver à la rade de Wantvoo , en partit
au mois d'Avril , & alla jetter l'ancre devant Ma--
cao. Quelques jours après, un navire deſtiné pour
les Manilles érant parti , Macklarey s'en rendit
maître d'une manière perfide , & le déclara de bonne
priſe. Ayant mis pied à terre après certe action ,
la Régence de Macao le fit mettre en prifon , &
l'obligea à reftituer le navire , qui appartenoit à
( 91 )
des Portugais , & non à des Eſpagnols. Il s'éleva
un ouragan affreux qui jetra le navire Portugais
fur des rochers , où il périt avec tout fon équipage.
Le Capitaine Anglois fut condamné à payer
80,000 piaſtres . Le 29 Juillet il arriva un navire
particulier Hoilandois , commandé par un Capitaine
Portugais.Le même Macklarey s'en empara ,
mais il ſe contenta de piller la plus grande partie
de la cargaifon , & lui enleva , tant en er qu'en
perles , pour la valeur de 100 mille roupies ; il
rendit le navire . On peut regarder cette conduire
comme un acte avéré de piraterie , puiſqu'il s'eſt
paffé dans un port neutre .
Il circule ici des copies d'une lettre écrite
du camp de St Roch le 28 Juillet , à un
Officier général.
Nous ſommes campés depuis le 22 du mois dernier
; l'armée Françoiſe eſt ſur la hauteur à la gauche
des Eſpagnols , ſon petit parc d'artillerie tient
ladroite & la brigade Allemande la gauche , appuyée
aux Dunes qui bordent la mer du côté de
l'eſt. La baie de Gibraltar , dont la direction eſt ſur
le nord , peut avoir 2 lieues fur 2lieues & demie
de ſa plus petite à ſa plus grande longueur , & environs
de profondeur. Son entrée du côté de l'eſt eſt
formée par le rocher de Gibraltar , ce qui de loin a
l'air d'une Ifle , & à l'ouest par un cap qu'il fant
doubler pour entrer dans l'océan . D'un côté eſt la
ville d'Algéſiras , ſituée abſolument vis-à-vis celle
de Gibraltar , au fond de la baie. Le camp de St-
Roch s'étend dans les ſables à 900 toiſes environ de
la place bloquée : il a l'air d'une grande ville ; on y
voit un grand nombre de toutes fortes d'édifices ;
les lignes Eſpagnoles ſont terminées par 2 forts ,
celui de droite ſe nomme St-Philippe & celui de gauche
Ste-Barbe . A peu de diſtance du premier part
une tranchée qui a été poufſée à so ou 60 toiſes du
rocher , & qui communique à un commencement
4
( 92 )
de parallèle nommé l'Eſpardon ; c'eſt là que ſe terminent
les approches . On a établi fur les flancs de
cette tranchée pluſieurs batteries de mortiers & de
canons , qui font bien faites ,&dirigées ſuivant l'art,
Voilà l'état où nous avons trouvé les choſes du côté
des affiégeans. Avant de vous parler de leurs projets
ultérieurs , je vais vous donner une idéede ce fameux
rocher ; il peut avoir 3 quarts de lieues de longueur
furunquart de largeur , & 1000 pieds dans ſa plus
haute élévation. Le côté de l'eſt , oppoſé à la place ,
eſt dans toute ſa longueur d'un roc vif & coupé à
pic , ce qui le rend abſolument inattaquable ; l'extrémité
du ſud , que l'on nomme la pointe d'Europe ,
ſe termine par un plateau d'environ 20 pieds au-deffus
de la mer , & dont le pourtour eſt auſſi d'un roc
vif, taillé au ciſeau , pour en rendre l'accès plus dif
ficile , il eſt couronné par une batterie à barbette de
10 pièces de gros calibre; ce plateauqui va en s'élargiſſant
à mesure qu'il s'éloigne de la mer , eft commandé
par un ſecond qui m'a paru aſſez étendu pour
pouvoiry déployer ailément les troupes néceflaires
à la défenſe de cette partie; comme la pente eſt
affez douce les Anglois l'ont eſcarpé& entouré d'un
mur de 15 pieds d'élévation fur autant d'épaiſſeur.
Sur ce plateau ils ont fait un camp retranché , qui
paroît devoir être leur point de réſiſtance dans le
cas où des affiégeans , ſupérieurs en force , les obligeroient
à ſe replier. De ce poſte ils communiquent
àun terrein fort irrégulier , ſur lequel ils font actuellement
camper leurs troupes ; de-là à la Ville il y a
environ unquart de lieue de terrein inutile & ſtérile
comme le reſte du rocher. Le Ville s'étend le long
de la mer , dans une aſſez grande étendue , à peu de
profondeur. Elle est fermée au ſud par un ſimple
mur , qui règne de la montagne& qui n'eſt d'aucune
défenſe : au nord elle eſt fermée par un ouvrage de
fortification ancienne qu'on nomme le château des
Maures ; il règne le long de la mer un mur en parapet
de is pieds d'épaiſſeur , garni de batteries de
( 93 )
diſtance en distance for toute cette érendue. Les Anglois
ont jetté en avant & dans la mer des ouvra
ges confidérables , le premier qui eſt au nord a 100
toiſes de long , il ſe nomme le môle vieux & a une
batterie formidable dont le but eſt de prendre à
revers les ouvrages de St- Roch. Dans le milieu eſt
le môle des Chaloupes , qui a une batrerie pour
protéger ſe mouillage. Le dernier , enfin , eſt le
môle neuf qura pluſieurs batteries , mais qui malgré
ſes ouvrages me paroît un des points les plus
foibles. En avant du môle vieux & du château des
Maures , il y a un ouvrage compoſé d'une courtine
& de deux baſtions dont le glacis & le chemin couvert
ſont contreminés . Cet ouvrage défend l'approche
de la langue de terre étroite compriſe entre le
rocher & la mer , fur laquelle on arrive à la plage
& eſt avant cette plage. Les Anglois , au moyen
d'une écluſe , ort introduit l'eau de la mer dans
une affez grande hague; cette eſpèce de marais angmente
encore leurs moyens de défenſe. Nous voici
au côté du nord qui fait face aux lignes Eſpagnoles;
c'eſt un point qui par ſon fil & les travaux immenſes
des Anglois est devenu le point d'attaque
le plus redoutable qu'il y ait en Europe. C'eſt à cet
endroit que le rocher eſt dans ſa plus grande élévation
, & il eſt garni tant dans ſa hautenr que
dans ſa largeur d'une quantité prodigieuſe , de
batteries qui plongent ſur celles des Eſpagnols ,
& font pleuvoir une grêle de bombes & de grenades
qui inquiètent beaucoup les travailleurs.
-Il paroît que la grande attaque ſe fera par
mer. Vous avez entendu parler des fameules
batteries flottantes. On a pris , pour les conſtruire ,
les carcaſſes de 10 vaiſſeaux de 64 , que l'on a
renforcés d'un côté au point de les rendre impénétrables
aux canons. On les a blindés en-deſſus pour
les mettre, également à l'abri des bombes . Ces
bâtimens ont 2 batteries de ro pièces de 14 chacun
, ce qui fait en tout 200 bouches à feu . Elles
font toutes affembleées à Algéſiras , & l'on travaille
avec activité à leur conſtruction. Dès qu'elle fera
finie , on commencera l'attaque de terre , qui ,
dans tous les cas , doit ſervir & fur - tout
( 94 )
diviſer les feux de l'ennemi. Je vous ai parlé
d'un commencement de parallèle fait par les Eſpagnols;
le projet eſt de la continuer de la droite à
lagauche dans toute la largeur de l'iſthme , enſuite
on établira à la gauche une communication des
lignes à cette parallèle. Cet ouvrage fait , on établira
fur cette parallèle 220 bouches à feu , dont
Iso canons & 70 mortiers. L'objet de ceste batteries
de mortiers ſera d'écraſer, celle de la montagne,
tandis qu'avec le canon on battra à Ricocher
le front ſitué entre le rocher & la mer , de
manière que l'égoût des boulets ſera dans la ville ,
à fin d'ater tout refuge à la garniſon dans cette
partie. Quand ce feu , à raiſon de so coups par
pièces dans 24 heures , aura duré is jours , la
matine Eſpagnole emboſſera les batteries flottantes ,
dont 2 battront de pleine force le môle neuf, & le
prendront à revers une cinquième en touage; 4battront
le môle vieux d'enfilade , & la dixième ſera
à la pointe d'Europe. Elles ſeront toutes mouillées à
200 toiles de leur point d'attaque. On joint à ces batteries
les vaiſſeaux de lignes & environ 20 chaloupes
canonnières , & des bombardes dont pluſieurs feront
emboſſées de l'autre côté du rocher. Si cette immenſité
de feu parvient à éteindre ce'ui de l'ennemi
, les batteries flottantes ſe rapprocheront à la
diſtance néceſſaire pour battre en brèche , afin de
donner l'affaut , qui ſera ſanglant ,fi M. Elliot
ſe détermine à le foutenir , ce que je ne crois
pas. La grande difficulté ſera d'emboffer les batteries
flottantes ; mais M. Darçon paroît très-sûr
de ſon projet. La garniſon de Gibraltar eft de
6000 hommes , dont les deux tiers font Anglois.
Ils ont quelques malades , mais pas en
grand nombre pour que les affiégeans puiffent
en tirer un grand avantage ; il y entre de tems
en tems quelques petits bâtimens ravitailleurs ,
chargés de rafraîchiſſemens ſeulement. Ils ont
peu de caſemartes , & elles ne ſont pas bonnes;
ils ont une petite marine qui caronne les bâtimens
que les vents on les courans entraînent fous
leurs feux; elle est compoſée de 2 frégates, quelques
chaloupes canonnières & bombardes. L'araflez
) ور (
mée Eſpagnole eſt de 26 mille hommes ; les troupes
font belles & bien tenues ; il y a beaucoup de
cavalerie & de dragons qui font le ſervice de la
tranchée où il monte tous les jours 2500 hommes.
Nous faiſons le ſervice aux batteries ; notre détachement
en fert une de 7 pièces de 24 & de 4
mortiers nommée la batterie de l'Infant ; vraiſemblablement
nous en conſtruirons une nouvelle en
avant de la parallèle que nous allons établir ; nous
attendons dans les premiers jours d'Août Mgr. le
Comte d'Artois , ainſi que le Duc de Bourbon
avec une ſuire de 30 perſonnes ; leurs logemens
ſont déja péparés au village de St-Roch où ſe
tient le quartier général ; malgré toute la célérité
que l'on met dans les travaux , je doute que la
grande attaque puiſſe avoir lieu avant le 10 de
Septembre «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 4 Septembre.
Hier les deux Chambres du Parlement ſe
font atſemblées , & le Lord Chancelier leur a
annoncé leur prorogation juſqu'au 10 Octobre.
-
Cematin on a reçu des dépêches de New-York ,
datées du 18 Juille: & apportées par le Carlton ,
brigantin armé. On ne fait encore rien de ce qu'elles
contiennent , & les lettres ne feront délivrées que
demain. Nous n'avons point de nouvelles de la
ſanté du Prince William Henry. On dit que le
Capitaine Algill a été mis en liberté par ordre du
Congrès, mais nous ignorons les conditions de ſon
élargiſſement.
Le Gouvernement attend journellement une frégate
qui doit apporter des dépêches de l'Amiral
Pigor, par leſquelles il donnera fans doute avis
de ſon arrivée à New-Yorck , avec l'eſcadre de la
Jamaïque.On conjecture qu'il aura touché à Sandy-
Hook, vers la fin de Juillet; mais on craint que
M. de Vaudreuil n'y ſoſt arrivé avant lui .
Le 30 , on a appris au bureau des Poſtes que
le paquebot le Speedy , Maître Spargo , parti de
Falmouth le 18 Juin pour la Jamaïque , a été pris
le as Juillet par les frégates Françoiſes la Friponne
& la Réfolue , qui l'ont conduit à la Gua(
96 )
deloupe. Les Négocians font fingulièrement alarmés
de cette nouvelle , & ils craignent que la flotte
qui eſt partie de Cork le 27 Juin , ſous le convoi
du Succès , de 32 , n'ait été en partie interceptée
par les mêmes frégates.
L'Amirauté a reçu la confirmation de la nouvelle
de la priſe d'une partie de la flotte de la
Baltique , par 4 vaiſſeaux de guerre Hollandois ,
qui croifoient vers Gottenbourg.
Le Contre-Amiral Alexandre Hood est nommé
le ze. Officier de leſcadre du Lord Howe , à la
place de l'Amiral Kempenfelt. Cette nomination fait
beaucoup d'honneur au Lord Keppel , qui , en rendant
un ſi brave Officier au ſervice de S. M. ;, contribuera
infiniment a faire ceſſer toute distinction de
parti .-Cependant le départ du Lord Howe pour
Gibraltar , paroît auifi douteux & auſſi incertain
qu'il l'étoit il y a 6 mois. D'après tant de délais
dans une affaire de fi grande importance , le public
commence à croire que la grande eſcadre n'eſt point
deſtinée à aller au fecours de cette place. D'ailleurs
le bruit ſe répand qu'une des conditions auxquelles
nous devons nous foumettre pour obtenir la paix ,
eſt de céder Gibraltar .
Les Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales
ont frété pluſieurs bâtimens qui doivent partir
inceſſamment avec la flotte qu'ils deſtinent pour
l'Inde , ſavoir pour la Côte de Malabar & Bombay
10 vaiſſeaux ; pour celle de Coromandel & la Chine
7 , pour Ste Hélène & Bencoolen 1 , total 18 .
L'Editeur d'un de nos papiers , a trouvé qu'en
1582 , il y a exactement 200 ans , toutes les forces
maritimes de l'Angleterre confiftoient en 2 vailſeaux
de 46 canons , 7 de 40 , 9 de 32 , 5 de
26 , 7 de 18 6 de 14 , Total 36 , & 11 galeres
montant 4 canons chacune.
هد
Rien ne démontre plus évidemment la rareté des
eſpèces que les ſommes conſidérables qu'on a déjà
portées au Bureau du Timbre pour avoir des feuilles
de papier timbré de ; & de 6 deniers. Cela
prouve également l'immenſe circulation du papier ,
ce qui à la fin ne peut manquer de ruiner le
Royaume.
2
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 21 SEPTEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS écrits au bas du Portrait de la Reine
QUEULELLLEE bL eauté vientme ſurprendre !
Sur ſon viſage noble & tendre
Que de charmes font répandus !
Eft-ce Minerve on Vénus ? A l'entendre ,
C'eſt bien Minerve, on ne peut s'y méprendre ;
Mais elle reſſemble à Vénus.
1
( Par M. la Tour de la Montagne. )
1
PORTRAIT DE Mile ***.
L
ES Ris , les Jeux s'empreſſent ſur ſes traces
L'art n'ernepoint ſes attraits ingénus ;
Son ſein de lys eft le trône des Grâces ,
Et fon coeur noble eſt celui des Vertus.
(Par Mile Reinaud.)
Nº. 38 , 21 Septembre 1782 .
i
E
98 MERCURE
LETTRE à M. l'Abbé DE LISLE.
M。ONSIEU R,
VOTRE Poëme ne m'eſt parvenu que fort tard
dans un triſte château , où j'ai paſſé une partie de
l'été ; je n'y avois ni jardins Anglois ni François;
mais en vous lifant , je me fuis cru dans la plus
charmante folitude. Je vous dois l'hommage de mes
plaiſirs Littéraires de cette ſaiſon ; c'eſt toujours vous
qui en avez fait les frais ; & vos Jardins m'ont furpris
liſant vos Georgiques. Il n'y a point de milieu,
il faut , Monfieur , après vous avoir lû , ne plus
faire de vers ou vous en faire , & j'ai pris ce dernier
parti , où mon amour-propre ſe tait pour laiffer
parler ma reconnoiſſance. Quoi qu'il en ſoit , vous
recevrez toujours avec indulgence un Poëte de
huit ſyllabes , qui avoit juré aux Muſes de neplus
faire de vers , & qui leur imanque de parole à cauſe
de vous. Peut- être trouverez-vous que je me ſuis
abandonné à une admiration verbeuſe; mais autant
j'aideconfiance en votre goût, autant je me défierois
de votre modeſtie, Parmi pluſieurs fautes ou négligences
dont on peut m'accuſer ,je n'écouterai point
ceux qui me diront que le fameux laurier qui croît
fur le tombeau de Virgile eſt fabuleux. Son exiftence
eſt conſacrée par une longue croyance , c'eſt
undes objets de la foi poétique ; & d'ailleurs , je ne
penſepas que quelqu'un voulût anéantir un arbufte
néceſſaire à votre couronne.

....
J'aurois bien voulu , pour me rendre digne
devous , être un peu plus Virgilien , mais je pourrai
le devenir , car je ſuis à la cinquièine ou fixième
lecture de votre Ouvrage.
DE FRANCE.
99
En arrivant à Montpellier , j'ai vu qu'on penſoit
à la ville comme dans les champs. Il n'y a qu'un cri
pour vous , Monfieur, & ce cri eſt celui de la Nature.
Les habitans de cette Province m'ont paru trèsfatisfaits
de vous avoir payé leur tribut d'applaudifſemens
avant d'avoir appris ceux que Paris vous
doit & vous donne. Je n'éprouve qu'un regret dans
-la commune joie , c'eſt que les circonstances ne me
permettent pas d'être de quelque-temps à Paris , &
de n'avoir pas recherché l'honneur de vous voir à
mon dernier voyage ; après le plaifir de vous lire
vient le defir de vous connoître.
J'ai l'honneur d'être , avec tous les ſentimens
qu'inſpirent vos grands talens , & une très-parfaite
confidération , Monfieur ,
Votre très -humble & trèsobéiffant
ferviteur ,
Martin de Choify.
Montpellier , le 2 du mois d'Auguſte 1782 .
ÉPITRE à M. l'Abbé DE LISLE ,
de l'Académie Françoise , farfor Poëme
des Jardins.
JADIS l'harmonieux Virgile
Deſſina le verger fertile
Où , ſous les ormes vieilliſſans ,
L'acanthe , la roſe & la fraiſe
S'abreuvoient des eaux du Galèſe.
Il quitte ces bords innocens
Pour revoler à ſes abeilles ,
Certain , qu'après lui , d'autres chants
Eij
100 MERCURE
Diront les riantes merveilles
De l'art qui façonne les champs.
Tout grand Poëte prophétiſe ,
Témoins l'Arioſte & ...
Quand Virgile , plus grand qu'eux tous ,
Deſignoit , dans ſes vers ſi doux ,
Des Jardins le charmant Poëme ,
Le Poëte comptoit ſur vous
Comme ſur un autre lui- même.
Vous deviez chanter par ſon choix
Les gazons , les eaux , la charmille ,
Vos vers ont un air de famille ,
Qui , fur ce legs fonde vos droits.
O vous ! ſon divin interprète ,
Dans vos chants , au Pinde ſi chers ,
Vous nous avez rendu ſes vers ,
Et vous nous rendez le Poëte !
Vous êtes rival aujourd'hui
De celui qui fut votre maître.
Si , quelques mille ans avant lui
Les Deſtins vous avoient fait naître ,
Votre Muſe , en beaux vers Latins ,
Auroit vu ſa gloire accomplie ;
Pour les plaifirs de l'Italie
Virgile eût traduit vos Jardins.
Ah ! depuis que , par fon génie,
Vous proférâtes le ferment
De voir la moderne Auſonic,
DE FRANCE . 10F
Son ombre , autour du monument ,
Murmure une douce harmonic ;
Et quand d'un ſalut fraternel
Votre front lui rendra l'hommage,
A ſon tour , l'arbuſte immortel
Penchera ſur vous ſon feuillage.
L'ÉCLAT de ces lieux enchantés
Dans vos Jardins ſe renouvelle ;
C'eſt en imitant leurs beautés
Que vous devenez un modèle.
Je crois voir les climats ſereins
De cette belle Campanie,
Deux fois par le printemps fleurie;
Je vois les ombrages divins
De Tarente & de l'Élysée ,
De Tibur les boſquets chéris ,
Lesgazons de l'Iſlearrofée
Par les caſcades du Liris ;
Et ces retraites du génie ,
Où les plus aimables Romains
S'occupoient à leur fantaiſie ,
Cicéron , de philoſophie ,
Horace , de vers & de vins ,
Et Tibulle , de ſa Délic.
CES trois modèles des amans ,
Des Philoſophes & des Sages ,
A l'aſpect de vos payſages
E iij
102 MERCURE
Retrouveroient leurs ſentimens.
L'âme ſourit à vos images ,
Et s'attendrit à vos tableaux ;
Tantôt c'eſt Cook qui , ſur les eaux ,
N'eût d'ennemis que les ſauvages.
Ici , c'eſt un jeune habitant
D'une Ifle des Amours chérie ,
Preſſant fur ſon ſein palpitant
Un arbriffeau de ſa patrie .
D'après Milton , à votre tour ,
D'un coloris pur comme l'onde ,
Vous peignez l'innocent ſéjour
De la félicité profonde ,
Et j'entends la voix de l'Amour
Telle qu'aux premiers jours du monde,
Vous deſcendez du bel Éden
Vers cette Aréthuſe nouvelle,
Où Laure, à Pétrarque rébelle ,
Reçut ſes voeux avec dédain ;
Bientôt votre indiſcrette Muſe ,
Par un langage captieux ,
Ofe demander à Vaucluſe
Si ſa grotte les vit heureux.
Ah ! fi Laure , par imprudence ,
Vous eût permis à ſes genoux
De répéter vos chants fi doux ,
Je me garderois , par décence ,
De l'interroger comme vous .
DE FRANCE. 103
tours,
ARMÉ d'une touche plus fière ,
--Vous la déployez ſur les Arts ,
Quand de Rome dans la pouſſière
Vous peignez les membres épars .
Oui , par les plus heureux contraſtes
Votre ſujet eſt embelli.
Là , de Verſaille & de Marli
Je revois les ombrages vaſtes;
Plus loin , c'eſt le Moulin-joli ;
Près d'un champêtre cimetière
D'un vieux fort s'élèvent les
Et le coq chante ſes amours
Non loin du chaſte monastère ;
Du monument où le pouffin
Grave une leçon pour la vie ,
Mon âme revole attendrie
Vers le berceau qui dans ſon ſein
Reçoit l'eſpoir de la Patrie .
Aux bois embellis de fon nom
Uniſſant l'olive ſacrée ,
Vous placez l'image d'Aſtrée
Au Royal boſquet de Bourbon.
Son ſouris , ſa grâce enfantine
Sont une image de la paix ;
J'ai vu celle de nos ſuccès
Dans ce jeune Lys qui domine
Sur les fleurs des Jardins Anglois.
PARune légère nuance
:
J
E iv
104 1
MERCURE
Vous uniſſez tous vos tableaux ;
Les grâces , le goût , l'élégance
Ont guidé vos heureux pinceaux ;
De votre Muſe , aimable & vive ,
L'art n'a , de ſes diſcrettes mains ,
Qu'effleuré la beauté naïve;
Il ajoure à des traits divins
Sa touche légère & polie ;
Vos vers ſont comme vos Jardins,
J'y vois la Nature embellic.
(ParM. de Choisy. )
Explication de l'énigme & du Logogryphe
du Mercure précedent.
1
Le mot de l'énigme eſt Eau- de - vie ; celui
du Logogryphe eſt Ciel , où ſe trouvent
Lice , lie , il , le, île.
2112
DE FRANCE.
105
Nous
ÉNIGM E.
ous ſommes tous égaux , &nous ſommes tous
frères.
Toujours en l'air & toujours ſuſpendus ,
Nous ſommes des agens par qui ſont étendus
Les voiles des plus doux myſtères .
Mais , pour nous deviner , voici l'eſſentiel :
Le ſoleil , comme nous , eſt de figure ronde ;
Il fait le tour du monde ,
Et nous le tour du ciel .
ÉNIGME ου LOGOGRYPHE.
AVEC deux fois deux pieds je ſuis un ſubſtantif:
Un angle ſur le front , je ſuis mon adjectif.
T
(Par M. Prévot de Moka , à Loches. )
LOGOGRYPHE.
Our enfant me chérit; en voici laraiſon:
Prends ina tête ou ma queue , en tout ſensje ſuis bon.
*
Ev
106 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Charlemagne , précédée de
Conſidérations fur la première Race, &
fuivie de Confidérations fur la ſeconde ;
par M. Gaillard, de l'Académie Françoiſe
& de l'Académie des Inſcriptions &
Belles- Lettres. A Paris , chez Moutard,
Impriıneur Libraire , rue des Mathurins,
1782 , 4 Vol . in 12 .
Second Extrait.
C'EST 'EST par la Géographie que cette Hiſtoire
eſt principalement diviſée. On y traite à
part , & dans autant de Chapitres ſéparés ,
des guerres & des affaires de l'Italie , de l'Efpagne&
de la Germanie.
1. Guerres d'Italie.
Le plus grand événement de ces guerres eft
la deftruction du Royaume des Lombards ,
le détrônement & la captivité de Didier, leur
dernier Roi , qui , livré par ſes propres ſujets
à Charlemagne , fut envoyé en France ,
où il fut forcé de ſe faire Moine.
" C'étoit alors un des avantages de l'État
>> monaftique de conſerver la vie aux Princes
» détrônés , en raſſurant l'ambition du vain-
» queur par l'indiffolubilité des engagemens
>> que le cloître faiſoit contracter ; au lieu
>> que chez tant d'autres peuples barbares ,
1
DE FRANCE.
107
" oouu même policés , la mort ſeuledu vaincu
>>pouvoit raffurer le vainqueur. »
" Quand on voit ces grands Souverains ,
>>qui ont troublé la terre, & ſe ſont privés
>> eux- mêmes de la paix , deſcendre ainſi du
>>>trône dans l'obſcurité d'une retraite , où
>> leurs noms reſtent enfevelis , c'eſt alors
>> qu'on les plaint , c'eſt alors qu'on gémit
>> fur eux & fur l'inftabilité des grandeurs
>>> humaines , & c'eſt alors peut- être qu'ils
>> ceſſent d'être à plaindre. Peut être l'am-
>> bition qui , comme l'amour , s'éteint avec
>>l'eſpérance , reſpecte - t'elle leurs jours
>> devenus innocens; peut- être le plaifir nou-
>> veau de vivreà l'abri des orages& de toute
>>inquiétude dans un état tranquille & ref-
» pecté , comme l'état monaftique l'étoit
>> alors; fuffit il à une âme fur laquelle les
>>paffions n'ont plus de prife. Si le bonheur
» exiſte ſur la terre , il eſt avec la paix &
>>dans la ſolitude , le monde ne l'apperçoit
» pas; ceux dont le monde eſt forcé de s'oc-
" cuper , parce que leur exiſtence pèſe ſur
ود
celle des autres , parce qu'ils agiffent &
» qu'on réagit fur eux, parce que l'agitation
>> multiplie leur être , font enviés ,& ne font
>> pas heureux.
L'Hiſtorien des Lombards , Paul Varnefrid,
plus connu ſous le nom de Paul Diacre,
&qui avoit été Secrétaire de Didier , étoit
tombé entre les mains de Charlemagne , qui
eut pour lui tous les egards qu'il ſe piquoit
d'avoir pour les Savans. On dit que Charle
Evj
128 MERCURE
magne , ayant voulu s'éclaircir avec lui fur
l'affection qu'il paroiffoit conſerver pour
Didier & fa famille , Paul Diacre eut la fermeré
de lui répondre : Mes devoirs ne dépendent
pas des événemens ; Didier est toujours
mon maître , & je dois lui reſter fidèle. On
ajoute que Charlemagne , irrité , ordonna
dans ſon premier mouvement qu'on lui
coupât les deux mains. Voilà le conquérant.
Voici le Prince ami des Lettres. A peine cet
ordre étoit- il donné qu'il étoit revoqué ;
Charlemagne , prompt à fe rétracter , s'écria :
Eh! où trouverions- nous un fi habile Historien
, fi on coupoit la main qui a écrit de fi
beaux Ouvrages ? car alors ces Ouvrages
étoientbeaux.
Il faut voir dans le Livre même la relation
du premier voyage de Charlemagne à
Rome , & la deſcription des ſolemnités qui
accompagnèrent ſon entrevue avec le Pape
Adrien I, fon ami.
2° . Guerres d'Eſpagne .
L'Eſpagne étoit ſous la puiſſance des Sarrafins
, ils avoient ſecoué le joug du Calife ,
&s'eroient diviſés entre eux. Tous les Gouverneurs
s'étoient faits Rois , les plus forts
opprimoient les plus foibles : ceux-ci ſe mirent
fous' la protection de Charlemagne; il
s'arma pour eux , prit Pampelune , ſe rendit
maître d'une grande partie de l'Eſpagne ,
d'une mer à l'autre , & des montagnes jufqu'à
l'Ebre ; il remit ſur le trône de Sarragoſſe
Ibinalarabi , le plus conſidérable de ces
DE FRANCE.
109
Rois qui s'étoient mis ſous ſa protection ;
aucun n'avoit imploré en vain le ſecours de
Charlemagne : attentif ſur tout aux intérêts
des Chrétiens , il les affranchit de tout tribut
envers les Mahometans , dans la partie de
l'Eſpagne qu'il avoit conquiſe. Ce moment
n'eſt pas un des moins brillans du règne de
Charlemagne , il ſemble avoir été le modèle
de cet autre moment ſi mémorable , où
Louis XIV délivra des fers d'Alger tous les
captifs Chrétiens , ſans diſtinction d'amis &
d'ennemis , de nationaux & d'étrangers , &
fut le bienfaiteur de toute la Chrétienté.

" Cependant on a lieu de s'éronner qu'un
>> Prince tel que Charlemagne , ſi zélé pour
>> la propagation de la foi , fait pour être le
» protecteur des Chrétiens dans toute la
>>terre , n'ait pas conçu un plan beaucoup
>>plus vaſte & plus noble; qu'il n'ait pas
>>raſſemblé ſous ſes drapeaux les Chrétiens
» épars dans toute l'Eſpagne , & gemiflans
>> ſous le joug des Sarraſins; qu'il n'ait pas
> donné la main à ces Goths , qui ſe défen-
>> doient encore avec peine , mais avec cou-
>>rage , dans les montagnes des Afturies &
>> de la Galice ; qu'il n'ait pas fait enfin ce
» que ces mêmes Goths osèrent entrepren-
>>dre dans la fuite , & ce qu'avec le temps
>>ils parvinrent à exécuter , c'est- à dire ,
>> arraché entièrement l'Eſpagne à la domi-
"nation des Sarrafins . »
Charlemagne rentroit dans ſes États couyert
de gloire & chargé de butin , lorſqu'il
110 MERCURE
fut attaqué par les Gaſcons , au paffagedes
Pyrénées. C'eſt ce fameux échec de Roncevaux
, le ſeul que Charlemagne ait eſſuye
en perfonne. On en trouve dans l'Ouvrage
la relation détaillée.
3º. Guerres de Germanie."
La deſtinée de la Germanie a été d'avoir à
foutenir des guerres remarquables par leur
longueur. Le règne de Charlemagne eit
rempli preſque tout entier par une guerre
de trente- trois ans contre les feuls Saxons ;
&le dernier ſiècle a vû dans la même con
trée une guerre diftinguée entre toutes les
autres par le nom de guerre de trente ans.
Si dans cette guerre de trente- trois ans
contre les Saxons , les François ſont toujours
victorieux lorſqu'ils ont Charlemagne à leur
tête, les Saxons ne font jamais véritablement
foumis , & Charlemagne trouve dans
Vitikind & dans Albion , fon Lieutenant,
des rivaux dignes de lui par la valeur, par
les talens, par les vertus , & plus intéreſſans
que lui, puiſqu'enfin ils combattoient pour
la liberté de, leur pays. Après avoir tenté
inutilement de les ſubjuguer , il entreprit de
changer leurs coeurs & de défarmer leur
haine par des procédés nobles , de traiter
avec eux comme un grand homme traité
avec de braves gens qu'il a eu la gloire dé
vaincre; il leur prodigua ces égards & ces
honneurs qui peuvent ſeuls Hatterles grandes
ames; il leur fit ſentir les douceurs de la vie
civile,les charmes de la paix , la ſaimeté dů
DE FRANCE. ili
Chriſtianiſme , qui tend à faire de tous les
hommes un peuple de frères; enfin , Vitikind
& Albion fentirent qu'ils devoient ſe
confier à Charlemagne ; ils vinrent le trouver
au milieu de ſes États , & donnèrent à
tous l'exemple d'embraſſer ſincèrement le
Chriftianiſme , & d'y refter conſtamment
attachés. Si Charlemagne eût ſuivi plus fouvent
ſa générofité naturelle , qui ne le trompoit
jamais , il ſe ſeroit épargné de juſtes re
proches.
Mais qui peut arrêter l'abus de la victoire ?
Leurs cruautés , mon fils , ont obſcurci leur gloire ,
Etj'ai pleuré long-temps ſur ces triſtes vainqueurs
Que le Ciel fit fi grands ſans les rendre meilleurs .
Ces vers ne s'appliquent que trop à la
conduite que tint pluſieurs fois Charlemague
dans cette guerre des Saxons ; cependant
il étoit bon auffi-bien que grand ( eh !
peut- on être grand ſans bonté? )mais ſouvent
entraîné par les principes Machiavelliſtes
qu'il trouvoit établis d'avance, &par les maximes
barbares que l'eſprit de guerre introduit
ſous le nom de politique , il n'o
foit encroire ſon coeur qui les défavouoit.
Ces guerres de Germanie furent du moins
l'occaſion de deux établiſſemens , dont l'un
paroît être le triomphe des Arts dans ce
fiècle , & l'autre auroit été de l'utilité la plus
ſenſible dans tous les fiècles s'il n'étoit refté
imparfait,
se
Le premier eſt la conſtruction du Palais
112 MERCURE
d'Aix- la-Chapelle & de ſes dépendances. On
en peut voir la deſcription dans l'Ouvrage
même.
L'autre établiſſement dont lesguerresGermaniques
donnèrent l'idée à Charlemagne
eût immortaliſé ſon règne & changé la face
de la terre s'il n'avoit pas été abandonné. Il
vouloir faire communiquer l'Océan Germanique
& la mer Noire par le Rhin & par le
Danube , en joignant ces deux fleuves par des
rivières intermédiaires. Les rivières qu'il s'agiffoit
de joindre par un canal étoient , d'un
côté, le Rednitz , de l'autre l'Athinul; le Rednitz
ſe jetre dans le Mein , aux environs de
Bamberg; le Mein dans le Rhin près de
Mayence , le Rhin dans l'Océan , l'Athmul
ſe jette dans le Danube à Kelheim , & le
Danube dans la mer Noire. Du Rednitz à
l'Athmul il n'y a que deux lieues de diftance,
que le canaldevoit remplir. Mille obſtacles ,
qui n'en ſeroient point aujourd'hui , firent
abandonner le projet; " mais on l'eût repris
>> ſans doute dans un temps plus favorable,
>> fi Charlemagne , en le formant , avoit
>> été animé des grandes vûes de bien pu-
» blic qui auroient dû préſider à une pareille
>> entrepriſe; s'il avoit vû les diverſes. Pro-
» vinces de France, de Germanie , de Pan-
>> nonie , tous ces vaſtes pays qu'arroſent le
» Danube, le Don & les autres rivières
>>> d'Europe & d'Afie qui ſe déchargent médiarement
ou immédiatement dans la mer
Noire , excités , vivifiés , enrichis par le
ود
DE FRANCE.
113.
>> commerce le plus actif, & une communi-
>> cation directe& facile établie depuis le
>>fond du nord de l'Europe juſqu'au centre
>> de l'Afie. Voilà les objets qui auroient dû
» s'offrir aux regards de Charlemagne , &
>> parler à ſon coeur. Il ne vit dans ce grand
» & bel ouvrage qu'une facilité pour la
>>guerre de Pannonie; & comme il parvint
>>fans ce ſecours à terminer cette guerre ,
>>il ne penſa plus à cet ouvrage; il perdit
>>par-là l'occaſion de faire pour toute la
>>ſuite des ſiècles plus de bien au monde
>> qu'il n'avoit fait de mal par ſes conquêtes
>>paſſagères. Il tenta auſſi d'unir la Moſelle
» à la Saône. »
Nous devons rappeler ici un fait dont
l'Auteur a lui-même averti le Public dans le
Journal de Paris , nº. 152 , & dans le Mercure
de France , nº. 23 , page 95 , c'eſt que
les médailles rapportées dans ce ſecond Tome
de l'Histoire de Charlemagne , pages 101 ,
114 , 118 , 192 , 222 & 234 , n'ont été
imaginées que plus de huit ſiècles après
l'événement par le Graveur Jacques de Bie.
CesMédailles de de Bie prouvent ſeulement
que les faits auxquels elles s'appliquent , lui
ont paru les plus mémorables du règne de
Charlemagne , & les plus propres à être
conſacrés par des Médailles qu'il a tâché de
donner pour vraies.
L'objet du premier Livre de cette Hiſtoire
eft Charlemagne Roi , celui du ſecond eſt
Charlemagne Empereur.
۱
114 MERCURE
Le Pape Léon III , fucceffeur d'Adrien,
avoit été attaque , au milieu d'une Proceffion
folemnelle , par des affaflins qui l'avoient
laiffé pour mort. Guéri de ſes bleſſures ,
contre toute attente , il vint en France implorer
la juſtice de Charlemagne. Ce Prince'
paffa en Italie , rétablit le Pape dans fon
Siége , & punit les affaffins. Dix jours après
le rétabliſſement du Pape , le jour de Noël
de l'an 800 , à commencer l'année comme
aujourd'hui au premier Janvier , mais de
l'an 801 , en commençant l'année à Noël ,
comme font les Auteurs François de ce
temps - là , Charlemagne étant dans tout
l'appareil de la ſouveraineté à la Meffe
folemnelle de ce jour , dans l'Égliſe de Saint
Pierre , le Pape choiſit un moment ou ce
Prince étoit à genoux au pied du grand
Autel, ilprit une couronne , & la lui pofa
ſur la tête. Le peuple qui alliſtoit en foule
à cette cérémonie , proclama Charlemagne
Empereur des Romains. Aufli - tot Leon repandit
l'huile ſainte ſur la tête de Charlemagne
, & ſe profternant devant lui , fur le
premier à l'adorer ; c'eſt le terme dont fe
Tervent tous les Annaliſtes contemporains
& les Auteurs même Eccléſiaſtiques. Dans
la fuite les Papes ſe ſont fait adorer à leur
tour.
t
Eginard dit que Charlemagne , en ſe
voyant couronner , montra une ſurpriſe
mêlée de colère. On diſcute ici cette furpriſe
& cette colère , & le réſultat de cette
2
:

DE FRANCE.
115
diſcuſion , qu'il faut voir dans l'Ouvrage ,
c'eſt qu'il eſt impoffible de croire que
Charlemagne ait été fait Empereur malgré
lui , & que s'il voulut paroître improuver
fon couronnement comme un effet indifcret
de la reconnoiſſance du Pape & de
l'efferveſcence du peuple, ce fut pour laiffer
des eſpérances de conciliation à l'Imperatrice
Irène , que ce renouvellement de l'Empire
d'occident dans la perſonne de Charlemagne
, menaçoit au moins de la perte de
tout ce qui lui reſtoit en Italie. Charlemagne
ne vouloit pas que ſe portant à des réſolutions
extrêmes , elle armât toutes les
forces de l'orient contre l'occident , & qu'elle
allumât une guerre furieuſe , dont l'idée
commençoit à lui déplaire & à l'alarmer luimême.
En effet , ſoit que le titre d'Empereur
fatisfit pleinement ſon ambition , & ne lui
laiſsât plus rien à deſirer , ſoit que l'âge &
les réflexions l'euffent déſabuſé de la guerre,
nous ne voyons pas qu'il ſe ſoit livré un
moment aux vaſtes idées , aux grandes entrepriſes
que ce titre de ſucceſſeur des Céfars
& d'Empereur Romain, élu par les Romains
mêmes , ſembloit devoir lui inſpirer.
On le voit depuis ce temps veiller avec
l'attention la plus active à la ſûreté de ſes
États ſans attaquer ceux de ſes voiſins ,
créer contre les incurſions des Danois &
des Sarrafins une marine uniquement défenfive
, ſe refuſer conſtamment à toutes ces
occafions de guerre qui ne manquent ja
116 MERCURE
mais à la politique vulgaire & malfaiſante ,
&la raiſon peut appeler de Charlemagne
Roi guerrier au huitième ſiècle , à Charlemagne
Empereur pacifique au neuvième. On
propoſa d'unir les deux Empires d'orient
&d'occident par le mariage de Charlemagne&
d'Irène , qui étoient tous deux veufs
alors , & la négociation étoit fort avancée ,
lorſqu'Irène fut renverſée du trône par Nicéphore.
La mort de cette Princeſſe ſuivit
de près cette révolution.
Le troiſième Livre , qui commence le
troiſième Volume, nous montre principalement
dans Charlemagne le Législateur ; il
contient dans quatre Chapitres l'Histoire ,
1º. de l'Égliſe; 2°. de la Légiflation ; 3 °. de
la Littérature; 4°. des Moeurs & des Ulages.
Le Neftorianiſme , l'Eutychianifine , le
Monothéliſme peuvent être regardés comme
des branches & des émanations de l'Arianiſme
, l'une des plus anciennes & des plus
conſidérables héréſies qui aient troublé l'Eglife.
Du temps de Charlemagne , Elipand ,
Archevêque de Tolède , & Félix , Évêque
d'Urgel , ajoutèrent encore une modification
particulière à cette héréſie. Charlemagne
écrivit & fit écrire contre eux , & les
fit condamner dans divers Conciles , à Narbonne
, à Ratisbonne , à Francfort fur le
Mein.
Une autre héréſie agitoit depuis longtemps
l'Égliſe , & étoit dans toute ſa force
du temps de Charlemagne , c'eſt celle des
DE FRANCE.
117
Iconoclaſtes ou Briſeurs d'Images ; " c'étoit
» une erreur du coeur plus que de l'eſprit ,
» & le premier Iconoclaſte dût être une
>> âme froide & dure. Il eſt ſi naturel de
>>vouloir conſerver & révérer , au moins
>>dans leurs images , les objets de fa ten-
>> dreffe & de ſa vénération ; il eſt ſi heu-
>> reux qu'il exiſte des Arts capables de les
>> reproduire& de nous en entretenir encore
>>lorſqu'ils ne font plus , que l'Égliſe avoit
>> bien naturellement adopté un uſage fi
>>propre à nourrir des ſentimens d'affec-
>>tion& de piété. Le même principe qui
>>nous fait defirer d'avoir le portrait d'une
>>mère , d'un fils , d'un ami , de tous ceux
>>dont le commerce a pu contribuer à la
>>douceur de notre vie , fit qu'on defira
➤ d'avoir les portraits de ceux qui avoient
>>édifié le monde par leurs vertus , ou qui
>> l'avoient éclairé par leurs lumières : de
>>là les images& le culte des Saints . »
L'Impératrice Irène fit tenir en 787 le
ſecond Concile de Nicée. On y établit le
culte des images , & on en fixa les principes.
Charlemagne trompé par une traduction infidelle
des actes de ce Concile le fit rejeter
par le Concile de Francfort fur le Mein , qui
ſe tint en 794 ; mais enfin le mal entendu
ceffa par les ſoins du Pape Adrien , qui
fiégeoit alors , & la paix ſe maintint entre
les deux Égliſes comme entre les deux Empires.
Lorſqu'en propoſa le mariage de Charlemagne
avec Irène , l'Orthodoxie de cette
IIS MERCURE
Princeſſe fut une des raiſons qui facilitèrent
les négociations.
La Proceſſion du Saint- Esprit & l'addition
du Filioque dans le Symbole, excitoient
auffi alors des diſputes. Au reſte , dans tous
les temps les différens partis , les différentes
ſectes ont cherché à s'appuyer de l'autorité
de Charlemagne. On peut voir dans l'Ouvrage
la conteſtation du Proteſtant Nifanius
&du Jéſuite Schaten ſur le Catholiciſine
de Charlemagne , que Nifanius repréſentoit
comme ayant été ce que les Proteftans
appellent un témoin de la vérité , un Confeffeur
de la vérité Évangélique; c'eſt à-dire ,
unProteftant , avant qu'ily eût des Proteftans.
Dans l'examen des Capitulaires qui forment
la légiflation de Charlemagne , on a
ſéparé ceux qui règlent la diſcipline Eccléfiaſtique
de ceux qui ſont relatifs au droit
civil & aux affaires temporelles. Ces Capitulaires
ſont jugés en eux-mêmes à charge &
à décharge d'après des lumières acquiſes dans
des temps poftérieurs ; mais le mérite de les
avoir faits eſt évalué , comme il eſt juſte ,
d'après les lumières du temps.
Le Chapitre de la Littérature , celui des
Moeurs & Ufages , & celui qui a pour titre :
Famille de Charlemagne , nous fourniront
des traits particuliers pour un troiſième Extrait
, où nous montrerons Charlemagne
dans ſa vie privée.
Le dernier Chapitre de ce troiſième Livre
eſt intitulé : Mort de Charlemagne. On
DEFRANCE. 119
renouvela pour ce grand Prince l'hiſtoire
de tous les prétendus prodiges dont on
veut que la mort de Céfar ait été précédée,
accompagnée & ſuivie, Ces préſages
mêmes étoient un hommage que la douleur
publique rendoit à un bon Roi qu'on craignoit
de perdre. " La gloire & la grandeur
» ſeules , prêtes à tomber , n'inſpirent guères
» un tel ſentiment , leur chûte étonne &
>> n'afflige pas. Les François regrettèrent
>>long- temps Charlemagne , & ce ſera tou-
>>jours le plus grand nom dont s'honorera
» la France.>>
Dans le parallèle qu'on fait de ce Prince
avec S. Louis , on conclut que S. Louis éut
beaucoup moins d'éclat que Charlemagne ;
mais que puiſqu'il fut plus juſte & plus pacifique
, il fut plus eftimable.
Dans le parallèle du même Charlemagne
avec le Calife Aaron- al-Rafchid , ſon ami &
fon rival de gloire dans tous les genres , guerre
, conquêtes , amour des Lettres , Légiflation
, &c. c'eft à Charlemagne que la ſupériorité
eſt accordée ; car Aaron a toujours
fon Viſir Giafar Barmécide qui partage ſa
gloire , qui ſouvent le préſerve de grandes
fautes, & lui donne d'excellentes leçons. Il
feroit difficile de nommer le Miniſtre de
Charlemagne ; c'eſt de ce Prince fur-tout
qu'on auroit dû dire :
Et qui ſeul , ſans Miniſtre , à l'exemple des Dieux ,
Soutiens tout partoi-même , & vois tout par tes yeux.

" Si Charlemagne, au lieu de ſe laiſſer
120 MERCURE
» emporter par les préjugés, par la cou-
>> tume , par la force de l'exemple , dans la
>> route vulgaire des Guerriers & des
*>> Conquérans , s'étoit livré tout entier à
ſon goût dominant pour les Loix , pour
>> les Sciences , pour tout ce qui contribue
>> au bonheur public & à la perfection de
ود la raiſonhumaine; fi la guerre, indépen-
» damment du mal qu'elle lui a fait faire,
>> ne l'avoit pas continuellement détourné
» du bien qu'il projettoit; ſi les courſes , les
>> voyages , les fatigues , les dangers , les
>> longs ſéjours dans le pays ennemi n'a
>> voient pas fans ceſſe interrompu & re-
ود tardé le cours de ſes travaux utiles, iln'eſt
» rien qu'on n'eût dû attendre d'un génie
, tel que le ſien.... Par ce qu'il a fait , quoi-
>> qu'en courant & fans pouvoir s'arrêter ,
>> on peut juger de ce qu'il eût fait avec du
" loiſir & une application ſuivie ; il nous
>> eût laiffé une légiflation complette. Ses
» Capitulaires n'en ſont pas une.... Il eût
ود donnéun Code unique à la Nation en-
>> tière ; il eût choiſi parmitoutes les diverſes
>> inftitutions celles qui étoient les plus
voiſines de la Nature, les plus amies de
» l'humanité , les plus favorables à l'égalité
» & à la liberté.... Charlemagne ne pouvoit
» pas être l'Empereur de l'Univers , il pou-
" voit en devenir le Législateur ; il en fut
» nommé le Père par ſes aumônes & fes
bienfaits. Ce titre caractériſe Charlema ود
gne, & le diftingue de tous les grands
»Hommes
DE FRANCE.
121
• Hommes & de tous les bons Rois. Rome,
> libre par les ſoins de Ciceron , le nomma
» Père de la Patrie. Le même titre a été
• donné par l'amour ou proſtitué par la
> flatterie à beaucoup d'Empereurs. Parmi
>> nous le bon , le tendre Louis XII a cré
>>proclamé Père du Peuple. Charlemagne
> étoit le Père de l'Univers .
>>Si ſupérieur à ſon ſiècle en tant de
>>chofes , & à l'humanité entière en plu-
>> ſieurs , pardonnons lui d'avoir payé le tri-
> but en quelques unes aux erreurs de l'un
» & aux foibleſſes de l'autre. Ne lui par-
>> donnons pas pourtant ſes cruautés envers
>>les Saxons, envers le Duc deGaſcogne , &c.
>> ou plutôt ne pardonnons jamais à la guerre
>> d'avoir pu inſpirer ſa cruauté au coeur le
>>plus huinain & le plus vertueux. »
A la ſuite de ce portrait de Charlemagne ,
ondiſcute diverſes queſtions, dont l'examen
cût interrompu le récit de l'Hiſtoire.
1º. Est- il vrai que ce Prince fi ami des
Lettres, qui les protégeoit avec tant d'éclats
qui les cultivoit avec tant de goût , ne sût pas
écrire?
Le réſultat de la diſcuſſion & du rapprochement
de deux paſſages , l'un d'Eginard ,
l'autre d'Hinemar , eſt ſeulement que Charlemagne
, qui cependant a beaucoup écrit,
n'eut jamais la facilité de former promptement
une écriture courante.
2º. Doit on regarder Charlemagne comme
le Fondateur de l'Univerſité de Paris?
Nº.38 , 21 Septembre 1782 . F
F22 MERCURE
On croit pouvoir concilier fur ce point
ceux qui placent l'inſtitution de l'Univerſité
dans le douzième ſiècle , avec ceux qui la
font remonter juſqu'à Charlemagne. La
réunion des Maîtres en un ſeul corps n'eut
lieu qu'au douzième ſiècle; mais les leçons
de ces Maîtres ne ceſsèrent point depuis
Charlemagne ; c'eſt de lui que nous vient le
bienfait de l'enſeignement.
3 °. Charlemagne doit il être regardé comme
l'Instituteur des Pairs & de la Pairie?
Non, & il faut voir dans l'Ouvrage même
les raiſons de cette ſolution .
4. Des Aſſemblées nationales , & fi
Charlemagne en a changé la forme ?
Il réſulte de l'examen de cette queſtion ,
que Charlemagne ne changea preſque rien
à la forme de ces Affemblées; que ſeulsment
il les rendit plus populaires. Les Maires
du Palais , dont elles auroient pu borner ou
gêner l'autorité , cherchoient à les rendre
moins fréquentes & moins nombreuſes.
Charles Martel conſultoit peu les Grands..
Pépin-le-Bref, par une politique plus habile,&
qui lui réuffit mieux , ne faiſoit rien
fans leur avis , & Charlemagne ajouta beaucoup
encore à cette popularité.
Après l'Hiſtoire véritable de Charlemagne,
on donne ici fon Hiſtoire romaneſque ,
dont on montre par- tout les rapports avee
la véritable : nous n'en citerons que deux
exemples.
Tous les Romanciers font Charlemagne
:
DE FRANCE.
123
auteur des Croiſades & Conquérant des
Lieux Saints. Cetre fable du faux Turpin eſt
fondéeſur les guerres que Charlemagne fit aux
Sarrafins d'Eſpagne. De plus , la plupart des
Romanciers veulent que Charlemagne ait été
fait priſonnier à la guerre ; c'eſt que la plupart
écrivoientdu temps du Roi Jean , même
du temps de François I, les plus anciens du
moins du temps de S. Louis , & qu'ils attribuoient
à Charlemagne les événemens de
leurtemps.
Le quatrième Volume contient la ſuite de
l'Hiſtoire de Charlemagne , c'est-à-dire , les
Conſidérations ſur la ſeconde Race, où l'on
voit les Succeſſeurs de Charlemagne détruire
entièrement ſon ouvrage & ramener la barbarie.
La diviſion de cette Hiſtoire de Charlemagne
eft telle , que les divers Volumes ſont
beaucoup moins dépendans les uns des autres
qu'ils ne le font dans la plupart des autres
Ouvrages. Le premier Volume ne contient
que l'Introduction , c'est - à -dire , les
Confidérations ſur la première Race ; le
ſecond, l'Histoire Militaire & Politique de
Charlemagne , ſoit Roi, ſoit Empereur , le
troiſième , l'Histoire de l'Égliſe , de la Légiflation
, de la Littérature, des Moeurs , l'examen
de diverſes queſtions , enfin , l'Histoire
romaneſque; le quatrième , la ſuite ou les
Conſidérations ſur la ſeconde Race.
Fij
124 MERCURE.
MANCO- CAPAC, premier Inca du Pérou ,
Tragédie, repréſentée pour la première
fois par les Comédiens François le 12
Juin 1763 , par M. le Blanc. A Paris ,
chez Belin , Libraire , rue S. Jacques , &
autres Libraires qui vendent les nouveautés
,
LORSQUE le Difcours fur l'inégalité parut
en 1753 , on convenoit affez généralement
que la Société avoit perfectionné l'eſpèce
humaine ; à la vérité , on n'en regardoit pas
moins le proverbe Iralien , il mondo in vecchiando
s'ietristice, comme un axiôme de philofophie
, & on concilioit de ſon mieux ces
deux opinions.
L'Ouvrage de Rouffeau produifit une
fortede révolution ; l'opinion que l'état ſauvage
eſt celui où l'homme eſt le plus heureux&
le meilleur, fut adoptée avec enthoufiaſme
, fur- tout par ceux que leurs moeurs
& leur état éloignoient le plus de l'état de
nature,
C'étoit ſur des canapés entourés de glaces ,
dans des cabinets ornés par Boucher , qu'on
voyoit de jeunes femmes parées d'étoffes de
la Chine , couvertes des perles du Golfe
Perſique & des diamans de Golconde , développer
cette philoſophie avec le plus de zèle,
&exciter en faveur de l'heureuſe ſimplicité
des Sauvages , l'enthouſiaſme de leurs dociles
adorateurs,
DEFRANCE. 125
M. le Blanc crut qu'une queſtion qui agitoit
tous les eſprits, pouvoit ſe traiter fur le
Théâtre ; & en 763 il donna ſa Tragédie
de Manco Capac. L'objet de cet Ouvrage
eſt de mettre en action les avantages & les
inconvéniens des deux états , & non de faire
l'éloge de la vie ſauvage , reproche qui ne
peut lui être fait que par ceux qui n'ont pas
lû fa Tragédie. Il en place l'époque à l'établiſſement
d'une grande Société , parce que
le Légiflateur , le Fondateur d'un Empite
étoit le perſonnage le plus propre à développer
les avantages de la civiliſation , &
qu'il falloit que la civiliſation fût encore
nouvelle pour que cette diſcuſlion pût avoir
un objet réel , & ne dégénérât point en une
purediſpute philoſophique. On pouvoit propoſer
aux Péruviens de redevenir Sauvages ,
& cette propoſition ne pourroit ſe faire à
un ancien peuple.
Le Sauvage qu'introduit M. le Blanc , eſt
amoureux de l'indépendance juſqu'à la fureur,
intrépide , plein de candeur & de franchiſe,
mais opiniâtre , violent , incapable de
cette générofité , de cette juſtice qui n'appartient
qu'à un heureux naturel perfectionné
par la raiſon . Il ſe croit tout permis contre
un ennemi , il regarde la douceur de Manco
comme un piège & comme un outrage.
Un ſeul homme dans l'état Sauvage peut
en avoir à la fois les vertus & les vices ; il
n'en eſt pas de même dans la Société. Un
homme dont le coeur eſt guidé par ſa raifon ,
Fiij
226 MERCURE
qui s'eſt afſujéti à un ſyſtême de morale ,
doit avoir plus d'unité & plus d'enſemble ;
on peut être vertueux & être entraîné dans
le crime par une paſſion particulière ; mais
il n'eſt ici queſtion que de l'homme en général
conſidéré par rapport à l'état ſocial. Il adonc
fallu mettre en oppoſition avec le ſeulHuafcar,
( c'eſt le nom du Sauvage ) un perſonnage
qui fervît à montrer l'avantage que
donne à l'homme la culture de ſa raiſon , &
un autre homme qui fit voir combien les
paffions baffes , miſes en activité par les intérêts
de la Société , peuvent produire de
crimes inconnus dans l'état Sauvage.
1
Mais ces inconvéniens de l'état ſocial en
font ilsune ſuite néceſſaire ? Non,fansdoute;
c'eſt parce qu'une Société a été mal ordonnée
qu'on y veit tant de défordres ; l'homme no
s'eſt point corrompu , parce qu'il s'eſt ſoumis
à des loix , mais parce que ces loix ont
été mauvaiſes. Telle eſt l'opinion de l'Auteur;
& les défordres de la Sociéré établie
par Manco , ont pour première cauſe une
faute qu'il a commiſe dans le plan de la Légiflation
qu'il a formée , à laquelle il a foumis
les Péruviens.
Il réfulte de ces réflexions préliminaires
que M. le Blanc a eu , dans la compoſition
de ſa Tragédie, un but très - louable , celuide
joindre un intérêt moral & philoſophique à
l'intérêt théâtral : delectando pariterque monendo.
Ce mérite , qui ſuppoſe une tête plus
penſante que ne l'eſt celle d'un Poëte qui
DE FRANCE. 127
n'eſt que Poëte , va ſe faire ſentir dans l'examen
de cette Pièce.
Manco, fondateur de l'Empire du Pérou ,
n'a pour ennemis que les Antis , peuple
Sauvage , ſouvent vaincu , jamais déſarmé,
& qui , non content de reſter indépendant ,
veut détruire un Empire police dont il regarde
les loix & l'ordre comme un outrage
à la liberté du genre-humain. Manco , qui
vient de faire priſonniers leurs principaux
Chefs , veut eflayer ſi en leur rendant la
liberté , en leur permettant de refter dans
ſon Empire , le ſpectacle de la paix & du
bonheur dont jouiſſent les Péruviens , ne détruira
point leurs préjugés ; c'eſt là ce qu'il
annonce dans les deux premières Scènes. II
eſpère que ſes deſſeins auront une heureuſe
réuffite , & il s'en félicite d'avance avec
Idamore , un de ſes Confidens. Idamore lui
répond :
Je conçois vos tranſports ; mais qu'ordonnerez-vous
De cejeune Guerrier , qui , brûlant de courroux ,
Emportédans nos rangs au fort de la tempête ,
Afait trembler le camp pour votre auguſte tête ?
Cejeune Guerrier eſt le fils de Manco ,
enlevédans ſon enfance par les Antis , à peuprès
comme Seïde a été enlevé par Mahomet
dans la Tragédie de ce nom. Manco ignore ,
comme Zopyre, ſi ſon fils est encore vivant,
ou fi ſes farouches ennemis l'ont pris pour
victime . Il ſemble que la voix de la nature
devoitparler confufément àManco, comme
Fiv
125 MERCURE
elle parle à Zopyre , & dicter ſa réponſe à
Idamore en faveur de ce jeune Guerrier ,
qu'à la fin de la Pièce il doit reconnoître
pour for fils. Le Spectateur s'y attend. M. le
Blanc a voulu éviter fans doute une reſſemblance
trop marquée. Voici la réponſe de
Manco. On pourra la trouver plus noble
que touchante.
Ah! ſi tu l'avois vu dans ces momens affreux
flancé dans la foule , ardent , impétueux ,
Pour l'intérêt des ſiens noblement téméraire ,
Tu n'en jugerois point par les yeux du vulgaire.
Nul n'a paru plus grand à mes regards ſurpris.
Ce jeune homme , enivré de l'erreur des Antis ,
Ne croyoit voir en moi qu'un oppreffeur impie;
Pour le repos du monde il immoloit ſa vie.
Et qu'ai - je fait moi- même ? Et quel autre intérêt ,
Dans le cours de mes ans m'a conduit en ſecret ?
Et tu veux qu'admirant un effort magnanime ,
J'oſe punir en lui la vertu qui m'anime ?
1
1
ءا
Tamzi , Grand- Prêtre du Soleil, jaloux
de la puiſſance de Manco , & craignant que
fa clémence ne lui ſoumette les coeurs des
Antis, vient combattre ſa réſolution. Cette
Scène eſt la plus belle du premier Acte.
MANCO.
Giel ! & qu'a ce pardon qui vous doive étonner ?
TAMZ1 .
Eh! quoi! dans ſes fureurs cette race indomptée
r
1
DE FRANCE.
129

Aura rempli d'effroi la tesre épouvantée ,
Et quand, pour prévenir ſes forfairs renaiſſans ,
Un fort heureux la livre à nos břas triomphans ,
Nos champs enfanglantes , nos plaines ravagées ,
En déſerts effrayans par eux preſque changées ,
Nos peuples redoutant de nouveaux attentats ,
Demanderoient vengeance, & ne l'obtiendroient pas ?
Je ne prétends pas , dit Manco , excufer
leurs brigandages; mais je ne veux pas imiter
leur cruauté ,j'ai promis , ajoute-t'il:
Dedéfendre le peuple , & le trône & l'autel.
Attentif à remplir ce ferment folemnel,
De ſes fiers oppreffeurs j'ai vengé la patrie ;
J'ai prodigué pour vous mon repos & ma vie ,
Je ne devois pas moins . Mais ai-je auſſi promis
D'écraſer des vaincus défarmés & foumis ?
১.
Non ,je dois à leurs yeux ,juſtifiant ma gloire
Par la clémence enfin confacrer la victoire.
La victoire eût en vain couronné mes travaux,
Combattre eſt d'un Soldat , triompher d'un Heros:
Pardonner eſt d'un homme,
:
Ce dernier trait de dialogue eſt vraiment
fublime. Le Grand Prêtre inſiſte ; ce qui fut
crime en eux , dit il, eft en vous équité.
N'oſerez-vous d'un coup remplir notre espérance ?
Lafoibleſſe pardonne & non pas la puiflance.
Eft-ce donc un ſang vil qu'un Roi doit ménager ;
r
Fy
A
130
MERCURE
Et quiconque peut tout craint-il de fe venger ?
Devez-vous ? .... Pardonnez ſi mon zèle m'égare.
MANCO.
Cachez-moi les tranſports de ce zèle barbare.
Je ne le nirai point , ce féroce courroux ,
Soifardente du fang, doit m'étonner en vous.
Du Sauvage abruti laféroce ignorance ,
Adore au fonddes bois les Dieux de la vengeance ;
Le Dieu du Citoyen , dans la Société ,
Doit être un Dieu de paix , d'amour , d'humanité.
Et vous qui , le premier , lui portez notre hommage ,
Vous en qui tout un peuple honore ſon image,
Vous ofez ?....
TAMZI.
Eh ! ce peuple attend leur châtiment.
S'il l'oſe demander , reprend Manco , il
méconnoît ſes vrais intérêts ; il oublie la
justice & l'humanité. Je dois l'y rappeler.
Puis il continue :
Vous, affemblez ce peuple,&qu'unis dans ceTemple,
Les vainqueurs, les vaincus, inſtruitspar mon exemple,
Apprennent às'aimer , & portent aux autels
Unhommage épuré digne des Immortels.
TAMZI ( à part enfortant. )
Ahl ciel ! tout me confond.
Manco ſe défie du faux zèle du Pontife.
DE FRANCE . 1317
Idamore le confirme dans ſes ſoupçons ; il
lui fait entendre que Tamzi ne l'excite à la
vengeance que pour en rejeter ſur lui Thorreur
aux yeux du peuple. Manco lui ordonne
de veiller ſur la conduite du Grand- Prêtre.
Il quitte la Scène. Imzać , nièce de Manco ,
enlevée autrefois par les Antis , & qui a
paſſe trois ans aves eux dans leurs forêts ,
vient féliciter ce Prince du généreux pardon
qu'il accorde aux vaincus. Elle aime Zelmis ,
qui l'a conſolée dans fa captivité :
J'en étois adorée ,
Et ce triſte Univers , dont j'étois ſéparée ,
Ces biens , ces faux plaifirs corrompus par l'enmui ,
Fortune, éclat, grandeur , je trouvois tout dans Ini.
MANCо .
Ah ! que me dites-vous ?
IMZAÉ.
Quel déſeſpoit horrible ,
Seigneur , a du ſaiſir une âme ſi ſenſible ,
Irorſqu'il m'a cru perdue en ce funeſte jour !
Cette réponſe d'Imzaé , qui oublie que
Manco condamne ſon amour pour un jeune
Sauvage , & qui ne s'occupe que du déſefpoir
de ſon amant , eſt un trait de paſſion
plein d'intérêt & de naturel. Manco infifte
ſur le ſacrifice qu'il exige ; il lui repréſente
qu'elle est née pour donner des héritiers à
l'Empire & pour régner elle- même .
Fvj
132 MERCURE
IMZAÉ
Quel facrifice!
MANCO
1
Il eſt affreux .... mais néceſſaire. )
১. د
IMZAÉ.
Le crime peut- il l'être? : こ
:
MANCO
,
Ah ! ma fille !
IMZAÉ
Omonpère! -
MANCO.
Ta pleures , malheureufe, & frémis dans mes bras !
Va , raffermis mon âme , & ne m'attendris pas.
Crois qu'il en coûte affez à ma tendrefle extrême,
De voir ton coeur brifſé , de le briſer moi-même ,
Mais tel eft mon devoir: Le tien, par cet effort.,
Eſt d'honorer mes lois.
IM ZAR
Vous me donnez la mort.
C'eſt par ce dialogue vif & touchant que
fe termine le premier Acte. On voit par
cette expoſition qu'il y a beaucoup d'intérêt
dans cette Pièce ., Les bornes ordinaires d'un
article ne nous permettent pas d'en continuer
l'analyſe d'une manière auffi détaillée.
Huafcar , Chef des Sauvages , s'indigne du
pardon que Manco leur accorde. Tamzi aiDE
FRANCE.
133
grit cette âme farouche & indépendante. Ce
Prêtre perfide trame un complot avec Huafcar;
le Sauvage ne veut qu'affranchir le Pérou
de celui qu il regarde comme un tyran; mais
Tamzi , en voulant lui ôter la vie , ne veut
que ſuccéder à fon autorité, Huaſcar lui apprend
que Zelmis eſt le fils de Manco. Le
Pontife , qui diffimule ſes vûes ambitieuſes ,
réfout également la perte de ce jeune homme.
C'eſt dans ce moment même qu'Imzaé
vient lui avouer fon amour pour Zelmis , &
qu'elle le prie d'être fon appui auprès de
Manco , qui déſapprouve ſa paffion. On fent
combien cette Scène eſt théâtrale. Tamzi ,
ſecondé d'Huafcar & des Chefs des Antis ,
dont il a fomenté la révolte , ſe fait proclamer
Roi. Huaſcar , indigné de la perfidie du
Pontife , s'écrie :
Ciel ! il eſt Roi ! Tamzi ! quel jour affreux m'éclaire !
Ainſi de ce perfide , eſclave involontaire ,
J'allois de ſes forfaits devenir l'inſtrument !
Qui, tof ?
MANCO.
HUASCAR.
Son attentat m'a rendu mon ferment ;
Venez , braves Antis ,& courons le confondre.
(A Manco. )
Je vais t'en affranchir , & j'ofe t'en répondre ;
Tu te peux confier à ce bras redouté.
Tamzi eſt bientôt abandonnéde fon parri
134 MERCURE
il arrive fur la Scène éperdu; il apperçois
Zelmis , & dans la rage du deſeſpoir , il
court à lui le poignard à la main . A l'inftant
Huaſcar arrive , & poignarde le Pontife
lui-même.
HUASCAR , frappe Tamzy.
Meurs , traître.
Mon fils !
(A Manco . )
Toi , triomphe, & reconnois ton fils.
MANCO.
HUASCAR.
Il l'immoloit , j'ai prévenu la rage.
Voilà l'homme civil : reconnois le Sauvage.
C'eſt par des beautés du premier ordre ,
telles que celles- ci , que cette Tragédie a
réuffi à la repréſentation. On lui a reproché
des longueurs dans le dialogue , des tirades
philofophiques trop fréquentes , un ſtyle
quelquefois inégal. Mais puiſque l'Ouvrage
a réuſſi malgré ces défauts , il faut donc que
ces défauts foient bien rachetés. Le rôle
d'Huaſcar eft fortement deffiné. Ce n'eft pas /
Zamore , c'eſt un Sauvage plus âpre , tel que
la Pièce l'exigeoit. L'ambition de Tamzi,
qui voudroit ufurper le pouvoir de Manco ,
& qui abuſe de la groſſière ſimplicité des
Antis , eſt très bien conçue , & au théâtre &
en morale. Ce perſonnage odieux contraſte
heureuſement avec l'humanité du ſageManco&
la farouche ſenſibilité du Sauvage.
DE FRANCE. 139
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE Lundi , de ce mois, on a donné la première
repréſentation des Deux Aveugles de
Bagdad , Comédie en deux Actes & en
proſe , mêlée d'ariettes.
Un épiſode desMille & une Nuits a fourni
la Fable de cette Comédie , dans laquelle
unjeune homme trompe deux Aveugles , &
épouſe la Pupille de l'un d'eux , après en
avoir touché la dot , en abuſant de la cécité
desvieillards.
Une repréſentation tumultueuſe juſqu'à
l'indécence , ne nous a pas permis de ſaiſir
les détails de cette intrigue. Nous avons vu
quelquefois le Parterre en rumeur; quelquefois
il a fait éclater ſous nos yeux , d'une
manière très - rigoureuſe , ſon mécontentement
& fon ennui ; mais nous ne l'avions
pas encore vu ſe faire un jeu barbare d'ing
ſulter à l'Homme de Lettres qui lui a confacré
ſes veilles & fes loiſirs , & multiplier
avec une fatisfaction déſeſpérante les moyens
de lui rendre plus inſupportable le malheur
de s'être trompé. Quel eſprit de
vertige s'étoit donc emparé des Spectateurs
, puiſque la préſence même de la
Reine, qui , ce jour- là , aſſiftoit au Spectacle,
136 MERCURE
1
n'a pas été capable d'arrêter l'eſſor de leur
ſévérité licentieute ? Et c'eſt à l'aſpect de la
reſpectable Protectrice de la Littérature &
des Arts , qu'une partie des principaux Citoyens
de la première Capitale du monde ,
s'eſt permis d'immoler , par le plus cruel
de tous les traitemens , un homme qui s'eſt
déjà préſenté avec honneur dans une carrière
ingrate , où vingt ſuccès peuvent à peine
confoler du chagrin d'avoir déplu une ſeule
fois , & ne fauroient jamais dédommager
des dégoûts multipliés qu'on y rencontre !
On s'eſt plaint très fouvent , & il faut le
dire , quelquefois nous avons murmuré nousmêmes
contre la rigueur de la police des
Spectacles ; mais l'expérience que nous acquérons
de jour enjour, nous prouve combien
elle eſt utile & néceſſaire. A des juges
éclairés , qui font un emploi raisonnable de
leur ſévérité ou de leur indulgence , il faut
une liberté honnête ; fans elle , les produetions
des Arts ſeroient jugées à l'arbitraire ,
& la force ſeule feroit les chûres ou les
fuccès : mais accorder cette même liberté à
desCenfeurs ſans délicateſſe , ce feroit mertre
une arme meurtrière dans la main d'un
enfant.
L'indignation que nous a inſpirée la comduite
des Spectateurs , ne nous égarera point
fur les torts de l'Auteur. La Comédie qu'il
avoulu faire repréſenter eft d'un gente aujourd'hui
profcrit à juſte titre. La bouffonnerie
a pu trouver un grand nombre de par
DE FRANCE. 137
tiſans , lorſque les Spectacles étoient encore
dans leur enfance. Ce genre a pu ſe ſoutenir
dans une certaine claſſe de Spectateurs ,
juſqu'au inoment où le goût de l'art dramas
tique étant devenu général , tout le monde
s'eſt inſenſiblement eclairé par l'etude des
bons modèles , & s'eſt vu force de ſuivre
le ton aimable & gai , quoique décent , de
lavéritablement bonne compagnie. Aujour
d'hui ſon règne eſt paffé; d'ailleurs , pour obtenir
quelque ſuccès dans un Ouvrage de
cette nature , il faudroit quitter le cercle des
fituations connues que comporte le genre
bouffon , en préſenter de neuves ,&les mo
difier avec affez d'adreſſe pour que la deli
cateſſe des gens du monde n'en fût jamais
choquée; alors le temps qu'il faudroit employer
à un pareil travail ſuffiroit , fans
doute ,& feroit bien mieux employé à un
Ouvrage d'un genre adopté par la fame Lit
térature , & fait pour préſenter ſon Auteur
dans un jour avantageux. Nous ajouterons
encore que toutes les refſources de l'eſprit
& de l'art qu'un Écrivain fauroit employer
dans une Comédie bouffonne , fuffiroient à
peine pour en faire oublier l'immoralité ,
le plus grand , à notre avis , comme le plus
dangereux de tous les inconvéniens que ce
genre entraîne après lui. Ne profcrivons pas
la gaîté , elle nous eſt trop néceſſaire. Rions
encore , & le plus ſouvent qu'il nous fera
potlible , mais fachons rire comme d'honnêtes
gens , &n'adoptons pas les plaiſirs des
138 MERCURE
anciens Spectateurs de la parade du bou
levard.
Au milieu du tumulte & du bruit , nous
avons diftingué dans la muſique un talent
affez marqué pour donner des eſpérances.
La partie des accompagnemens nous a ſurtout
paru mériter beaucoup d'éloges. Il y a
de la grâce , de la naïveté, de l'eſprit&du
goût dans une romance du ſecond Acte ,
qui a été ſupérieurement chantée par Mme
Trial. Dans tout le refte , la partie du chant
nous a femblé trop négligée ; on y remarque
une foule de traits déjà connus , & qui font
craindre que le Muſicien ne devienne fouvent
la dupe de ſa mémoire , s'il n'y apporte
pas l'attention la plus fcrupuleuſe. Tous les
morceaux d'enſemble ſont bien compofes,
&fontunbon effet. Nous obſerverons pourtant
que le finale du premier Acte eft fait
aux dépens de la vraiſemblance. Trois perfonnes
chantent ſur le devant de la Scène ,
tandis que les deux Aveugles chantent leut
partie dans le fond. Ce que la Nature a ôté
aux Aveugles du côté de la vûe , elle le leur
rend du côté de l'ouie. L'oreille d'un aveugle
eſt d'une fineſſe extrême , le moindre bruit
la frappe , & fixe ſon attention. D'après
cette obfervation , on peut voir que tout
morceau de chant exécuté , même mezze
voce, ne peur que pécher contre la vraiſemblance
, dans une ſituation ſemblable à celle
que nous venons d'indiquer. L'Aureur est
M. Fournier , ci-devant premier Violon de
DE FRANCE.
139
la Comédie de Montpellier. Il eſt déjà connu
en Province par pluſieurs morceaux exécutés
dans des Concerts publics , & qui ont été
reçus comme les eſſais d'un Compoſiteur
fait pour obtenir quelque jour des ſuccès
diftingués.
VARIÉTÉS.
LETTRE de M. Groſley, de l'Académic
des Belles Lettres , à M. d'Alembert.
Au renvoi du dernier Volume du Recueil de
l'Académie de Berlin que vous m'avez communiqué,
je joins , Monfieur , l'Histoire du Mémoire qui me
concerne , & qui termine ce Volume.
En 1775 , répondant de la campagne à une let-s
tre de nouvel an dont venoit de m'honorer M. For
mey, mon compatriote, Secrétaire perpétuel de l'Académiede
Berlin, il me revint en mémoire un fait
iſolé , conſigné dans la continuation d'Aimoin. Ce
fait intéreſſe Troyes , & par cette raiſon j'avois
eſſayé de l'éclaircir par la réunion des lumières que
devoit offrir le grand Recueil de nos Hiſtoriens de
France, publié d'après Duchefue, par Dom Bouquet.
Mes Recherches ayant été ſans ſuccès , il neme reftoit
d'eſpérance que du côté des Hiſtoriens d'Allemagne
, que je ne me trouvois pas à portée de confulter.
J'avois depuis long- temps perdu de vûe& ce
fair& les recherches dont il avoit été l'objet.
Il s'agiſloit d'un fièg,e mis devant Troyes au
dixième fiècle , par notre Évêque Anſégiſe & par le
célèbre Brunon , frère d'Othon- le-Grand , d'un
fecours amené aux Troyens par l'Archevêque & par
140 MERCURE
le Comte de Sens , d'une grande bataille donnée fur
la rivière de Vanne , entre les Allemands & les Sénonois
, dans laquelle Helpon , Chef des Saxons , avoit
été tué , enfin , du grand deuil & des regrets du
Comte & de l'Archevêque de Sens ſur la mortde ce
Général ennemi , qui ſe trouvoit leur proche parent.
Après avoir indiqué ce fait d'après une vieille
réminiſcence , mais de manière à le faire trouver
chez Aimoin , je priois M. Formey de le communiquer
à quelqu'un des Savans de Berlin , qui, fami
Hariſé avec les Monumens hiſtoriques de l'Allemagne,
pût répondre à quelques queſtions qui naiffoient
de ce fait.
1 ° . Quelle liaiſon d'intérêt entre Othon-le Grand
&Anſegiſe, Évêque de Troyes ?
2°. Quel motif d'union entre l'Archevêque &
leComtede Sens contre l'Évêque de Troyes & l'Em.
pereur ?
3 °. Par quelle aventare Helpon , Général de
PArmée Saxonne , ſe trouvoit-il proche parent de
FArchevêque & du Comte de Sens ?
4°. Enfin , quelle fur la ſuite de cette levée de
bouclier ?
Le dernier Volume des Mémoires de l'Académie
de Berlin offre la réponſe à ces questions dans un
Mémoire très- étendu de M. de Francheville , Confeiller
d'État , & Académicien de Berlin.
Oubliant fans doute que je n'avois indiqué que
de mémoire le fait principal, M. de Francheville
s'étend fur les dérails que je n'avois préſentés que
pour conduire à la ſource d'où je l'avois tiré , & il
dit beaucoup de bonnes chofes qu'on peut trouver
à l'ouverture du huitième Volume du grand Red
cueil de Dom Bouquet.
: Ses réponſes aux queſtions que j'avois propelées ,
réponſes puiſées dans le même Recueil , augmentert
ledefir que je témoignois à M. Formey , & que je
DE FRANCE. 141
conſerve , de voir & le fait & les queſtions qui en
naiſſent, éclaircis & réſolus à la lumière des Monumens
hiſtoriques de l'Allemagne , Monumens trèsrares
en France , & qui ſont familiers aux Savans
d'Allemagne
J'ai d'autant plus lieu de douter que ces Monumens
ſoient fort lumineux fur l'affaire d'Anſégiſe ,
que le ſavant M. Schæpflin , que j'avois confulté en
1770 , m'avoit renvoyé à nos Monumens recueillis
parDom Bouquet Sa réponſe détaillée, qui me laiſſe
peu d'eſpérance du côté de l'Allemagne , orne l'article
d'Anſégiſe dans le Catalogue de nos Evêques
qui fait partie du deuxième Volume de mesMémoires
pourfervir à l'Histoire de Troyes *.
Cependant M. le Baron de Zurlauben , dont la
Bibliothèque eſt auſſi riche & les connoiſſances auffi
étendues fur l'Hiſtoire d'Allemagne que fur celle
de France , m'a laiſſé quelque lueur d'eſpérance. Je
faiſis cette occaſion pour le prier de la réaliſer.
Je ſuis , &c. GROSLEY. ATroyes , le 10 Juiller
1782 .
MODELES
GRAVURES.
ODELES en terre cuite de tous les Polyèdres
ou Cryſtaux qui compofent les onzepremières Planches
de la Crystallographie de M. de Romé de l'Iſle ,
exécutés d'après ceux de l'Auteur , & propoſés par
ſouſcription.
Conditions de la Soufcription . 19. On payera en
ſouſcrivant pour les quatre cent trente-huit Modèles
enterre cuite , ayant chacun un numéro correſpondant
aux figures des Planches de la Crystallographie.
48 livres. Et en les recevant au moment
*Depuis fix ans ce Volume eſt encore iciſous prefe.
142 MERCURE
où l'Ouvrage paroîtra , c'est- à-dire , dans les premiers
mois de l'année prochaine , 48 livres.
Total , 96 liv . 2°. La ſouſcription ne ſera ouverte
que juſqu'au premier Janvier 1783 , paffé lequel
temps ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront la
même ſuite 120 liv. 3º. Les perſonnes qui ont foufcrit
l'année dernière pour les deux cent quarante
premiers cryſtaux n'ont pas beſoin de ſouſcrire de
nouveau ; elles recevront la totalité des Modèles
énoncés ci-deſſus, en préſentant à la même époque
leurquittance de ſouſcription, & en payant pour le
furplus la même ſomme de 48 liv. On ſoufcrit à
Paris , chez Desfontaines , Graveur de Mgr. COMTE
D'ARTOIS , rue du Fauxbourg Saint- Martin , petit
hôtel de Boynes , & chez l'Auteur de la Cryſtallographie,
maiſon de M. d'Ennery , rue Neuve des
Bons-Enfans .
Publication des troisième & quatrième Chapitres
du Voyage Pittoresque de la Sicile , par M. Houel,
Peintre du Roi. Dans le troiſième Chapitre, l'intéreſfant
Voyageur achève de faire connoître les antiquités
& les uſages de la ville de Marfalla; de là il
paſſe àMazzara, où l'on voit trois beaux ſarcophages
en marbre & urnes cinéraires en marbre , de
beaux bas - reliefs repréſentant des ſujets d'Hiſtoire ,
dont il donne la repréſentation exacte ; de ce lieu
il va à Caftel Vetrano, & fait connoître quelques
uſages de cette Ville, ce qui le conduit aux ruines
de l'antique Selinunte ; il en donne la Carte générale,
ainſi que les Vûes perſpectives de pluſieurs
Temples ruinés , & il nous inſtruit des uſages établis
en ce lieu pour la fûreté de la ville de Castel Ve
trano. Dans le quatrième Chapitre il donne d'abord
les Vûes perſpectives des deux derniers Temples de
Selinunte , avec le plan, l'élévation & les détails
géométriques du dernier de cés Temples, qui eſt le
plus grand & le plus curieux de tous les édifices de
1
DE FRANCE. 143
sette Ville; il fait connoître de la même manière la
carrière antique très-bien conſervée qui a fourni les
pierres dont on a bâti cette Ville , auſſi ruinée ; il va
à Castel Vetrano , dont il parle ; enſuite il paſſe
Sciacca ; il en décrit les bains chauds , qui ſont
très- curieux , avec les Plans & Vûes perſpectives , &
nous raconte quelques uſages de commerce & de
ſociété de ce pays. Cet important Ouvrage ſe continue
toujours avec le même ſuccès. On ſouſcrit chez
L'Auteur, rue du Coq Saint-Honoré , à côté du
Cafédes Arts. Le prix de chaque Livraiſon , compo .
ſée du Texte & des Eſtampes , 12 liv. brochée.
0
ANNONCES LITTÉRAIRES.
BSERVATIONSfurl'usagedesvégétaux exotiques,
&particulièrement du gayac, de la ſquine , de la
falſepareille & de la lobélia syphilitica dans les maladies
vénériennes ; par M. Jacques Dupan , Docteur
en Médecine de la Faculté de Toulouſe. A
Paris , chez Guillet , Libraire de MONSIEUR , ruc
de la Harpe ; à Toulouſe , chez l'Auteur.
&
Grammaire Françoiſe deſtinée au Cours d'Education
des Demoiselles & desjeunes Meſſieurs qui ne
veulent pas apprendre le latin, par M. Wandelaincourt,
ancien Préfet Profeſſeur au Collège de
Verdun , quatrième Claſſe , in - 12 . A Rouen , chez
Lebancher le jeune , rue Ganterie; & à Paris , chez
Durand neveu , Libraire, rue Galande.
Théorie de l'intérêt de l'argent démontré viſiblement
ufuraire par les principes du droit naturel ,
de la Théologie & de la Politique , par M. Capmas ,
Curé dans le Diocèſe de Cahors , in- 12. A Paris ,
rue& hôtel Serpente .
Poëmes, Discours en vers lus & mentionnés aux
Séances publiques de l'Académie Françoise , par
144 MERCURE.
M. de Flins. A Paris , chez Valleyre l'aîné , Imprimeur-
Libraire , rue de la Vieille-Bouclerie .
Théorie de l'intérêt de l'argent , tirée des vrais
principes du Droit naturel , de la Théologie & de la
Politique , contre l'abus de l'imputation d'uſure , par
l'Auteur de la Religion Chrétienne prouvée par un
ſeul fait; nouvelle Édition , revue & augmentée ,
avec une défenſe & des obſervations ſur pluſieurs
critiques , in 12. A Paris , chez Barrois l'aîné , Libraire
, quai des Auguſt. du côté du Pont S. Michel.
Institutiones Philofophia ad usum Seminariorum
& Collegiorum pars Metaphyſica tomus prior. Parifiis
, apud Alexand. Jombert juniorem , via Del
phineâ , in-8 ° .
Ode fur la Liberté, Pièce préſentée pour le prix
de l'Académie Françoiſe en 1782 , par M. Bernard.
A Bruxelles ; & ſe trouve chez les Marchands de
Nouveautés.
Faute à corriger dans le dernier Mercure.
Page 94, Dons merveilleux & diverſement coloriés
, & c. Prix , I liv. 4 ſols , liſez : 24 liv.
TABLE.
V
ERS écrits au bas du Por- cond Extrait ,
trait de la Reine ,
97 Manco- Capас ,
106
124
135
139
Portrait de Mile *** , ib. Gomédie Italienne ,
Lettre à M l'Abbé de Lisle, 98 Lettre de M. Grosley ,
Epure à M. l'Abbé de Lisle , 99 Gravures ,
Enigme & Lovogryphe , 105 Annonces Littéraires , 143
Hiſtoire de Charlemagne , ſe-
APPROBATΙΟΝ.
141
J'AI In , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 21 Septembre. Je n'y at
tien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
le 20 Septembre 1782. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 31 Juilleti
C
ÉTTE capitale a éprouvé de nouveau
un incendie plus terrible que les précédens
, & dont les ravages n'ont pas été
moins conſidérables ; il éclata le 25 vers
les fix heures du ſoir , dans le quartier
de Balata , preſqu'entièrement occupé par
des Juifs . Comme le vent fouffloit avec
beaucoup de violence , les flammes ſe
répandirent très rapidement ; ce ne fut
qu'après 15 heures de ſoins & de travail
qu'on crut être parvenu à s'en rendre
maître. Mais le 26 , le feu ſe manifeſta de
nouveau en trois endroits à la fois , &
prit trois directions oppoſées ; il ne fut
parfaitement éteint que vers les 11 heures
du ſoir ; le Sultan reſta pendant 22 heures
dans les endroits menacés pour donner fes
21 Septembre 1782 . e
( 98 )
ordres; le Grand-Viſir & tous les principaux
Officiers ont dirigé par- tout les ſecours avec
un zèle qu'on ne ſauroit trop louer. On
porte à 9000 le nombre des maiſons réduites
en cendres ; la plupart étoient fort
perites & habitées par la claſſe la plus
baffe du peuple; mais on ne compte pas
pluſieurs Moſquées , diverſes Egliſes & quelques
autres édifices publics qui ont été
détruits.
Les chaleurs qui ſont ſurvenues & la
féchereſſe qui les accompagne , ont raffuré
ſur la crainte de la peſte que l'air humide
pouvoit propager ; elle ſemble avoir toutà-
fait diſparu des quartiers où quelques
perſonnes en avoient été attaquées.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 12 Août.
LES Ambaſſadeurs de France & d'Eſpagne
ont reçu depuis quelques jours divers
Couriers de leurs Cours ; on prétend que
les derniers ont apporté les réponſes aux
propoſitions de paix qui ont été faites
dit-on , par les deux Cours Impériales ;
mais il ne tranſpire rien ni fur la nature
des propoſitions , ni ſur celle des réponſes.
د
On n'eſt pas mieux inſtruit de ce qui fe -
paſſe en Crimée ; ces affaires nous regardent
plus particulièrement par l'intérêt que
la Cour doit naturellement prendre à fon
ouvrage & au projet qu'elle a peut- être de
( وو (
le maintenir. Tout ce que l'on dit ici , c'eſt
qu'un corps de nos troupes eſt en marche
vers la Crimée ; & on ſoupçonne que ces
affaires font d'une eſpèce embarraffante
ou au moins délicate .
Le Baron de Waffenaar- Staremberg , Ambaffadeur
extraordinaire & Plénipotentiaire
des Provinces - Unies , qui devoit épouſer
Dimanche dernier la Princeſſe Trubetzkoy ,
ſelon les cérémonies ordinaires de l'Egliſe
Grecque , eft tombé férieuſement malade la
veille même , & eft encore obligé de garder
le lit. Il paroît aujourd'hui ſe trouver un
peu mieux.
DANEMARCΚ.
De COPENHAGUE , le 25 Août.
LA Princeſſe Charlotte Amélie , grande
tante du Roi , eſt malade , & dans un état
qui donne des inquiétudes.
Il a été expédié à la flotte Danoiſe qui
mouille à Elſeneur l'ordre de mettre à la voile
pour cette capitale ; un vaiſſeau de guerre
de 64 canons & une frégate reſteront ſeuls
à cette ſtation .
>> Il eſt arrivé , écrit- on d'Helsingor , un évènement
affez étrange ſur le vaiſſeau Hollandois du
Capitaine Rynevelt qui mouille ici. Le 22 de ce
mois ce Capitaine avoit permis à quelques Patrons
Anglois de venir faire une viſite aux priſonniers de
leurNation qu'il avoit ſur ſonbord. Ils s'y rendirent
en effet dansunede leurs chaloupes, avec 2 matelots.
Sur ces entrefaites le Conſeil Hollandois qui étoit à
e 2
( 100 )
bord de ce vaiſſeau avec une compagnie en repartit:
M. Rynevelt fit tirer le canon pour faire honneur
au Miniſtre ; dans ce moment 2 priſonniers Anglois
ſautèrent dans la chaloupe de leur Nation qui flottoit
près la Sainte -Barbe , & s'éloignèrent avec elle;
on tira fur leur chaloupe , on en envoya une à
la pourſuite mais inutilement. Les Anglois gagnèrent
un navire de leur Nation qui les recueillit
avec joie . On dit qu'un de ces deux fugitifs a reçu un
coup de feu à l'épaule ".
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 28 Août.
Le voyage de l'Empereur pour la Bohême
n'aura pas lieu cette année; on affure que
ce changement dans ſos diſpoſitions , eſt
l'effet de l'avis de ſes Médecins qui ont
jugé qu'un pareil voyage & dans cette faifon
, pourroit augmenter le mål d'yeux qu'il
a déja ſouffert , & le rendre plus dangereux,
Le camp qui devoit s'y tenir a été
contremandé en conféquence.
Il vient de paroître un nouvel Edit Im
périal qui défend aux divers Tribunaux des
Etats héréditaires , d'admettre aucun procès
où il ne s'agira que de ſimples promeffes de
mariage ; l'intention de l'Empereur eſt que
ces promeffes à l'avenir foient regardées
comme nulles.
>>>Il y a quelque tems qu'un homme du peuple
n'ayant pu réuffir à ſe faire aimer d'une jeune
fille & à la déterminer à l'épouſer , porta le déſeſ
poir amoureux ou plutôt la barbarie juſqu'à la
maſſacrer. Il fut arrêté ſur le champ , fon procès
;
/
( 101 )
inſtruit , il fut condamné au ſupplice de la roue.
L'Empereur a commué ainſi cette peine. Le coupable
ſera conduit devant ſes Juges , & après avoir entendu
la lecture de ſon arrêt , il ſera mené ſur un
chariot découvert à la place des exécutions , où il
ſera marqué aux deux joues d'une roue , de-là il ſera
ramené par la Garde de la Justice à la maiſon de
force , erfermé pendant la nuit dans une priſon ſouterraine
chargé de chaînes , & occupé pendant le
jour aux ouvrages les plus pénibles & même aux
travaux publics ; mais il ſera toujours ſéparé des
autres prifonniers de la maiſon. Sa nourriture fera
du pain & de l'eau pendant 4 jours de laſemaine; il
recevra d'abord so coups de bâton , & on répètera
ce châtiment tous les ans , le jour où il a commis
le meurtre có,
C'eſt ſur le bâtiment le Comte de Co
bentzel que doivent s'embarquer les trois
ſavans Allemands qui feront le tour du
monde. L'Empereur fait les frais de ce
voyage ; ce bâtiment partira de Trieſte où
il eſt attendu de Livourne.
De HAMBOURG , le 1er. Septembre.
ON ignore encore où en font les troubles
de la Crimée , l'effet qu'a produit la marche
des Ruſſes , & quels obſtacles ils ont pu rencontrer
à leur arrivée. Un de nos papiers
préſente ainſi l'origine de ces troubles.
>> Cette révolte paroît plus importante qu'on ne
l'a cru d'abord; elle s'eſt répandue non-feulement
parmi les Tartares , mais auſſi parmi les Circaf
fiens& les Abaffes . Peur-être en faut-il moins attribuer
l'origine à un mécontentement ſurvenu ſubitement,
qu'à des machinations étrangères , qui ont
foufflé & entrerenu le feu de la difcorde. Auffi
e3
( 102 )
a t-on vu plufieurs mouvemens confidérables , des
préparatifs marqués avant qu'elle éclatât ; ils furent
tels que le Chan jugea néceſſaire de tranſporter
fa réſidence de Bachſchiſcheray à la Nouvelle Caffa,
pour ſe rapprocher des troupes Ruffes néceffaires
à ſa défense. Les innovations qu'il continua d'introduire
dans ſes Etats , échauffoient ſon peuple
de plus en plus contre lui , & le defir de changer
de Souverain devint général. Ses deux frères efpétoient
de profiter de la poſition des affaires pour
parvenir au trône. Ils embraſsèrent le parti des
mécontens . Lorſque leurs deſſeins parurent affez
mûrs , Bahti-Guerai , l'aîné des deux frères , Gouverneur
de Kuban , ſe rendit à Taman , où il dépoſa
le Vice-Gouverneur & tous les autres Officiers
de cette place, dont il confia enſuite la garde à
fon frère cader , Arflan-Guerai. Bahti-Guerai , après
avoir raſſemblé un grand nombre de ſes adhérens ,
pénétra à leur tête dans la preſqu'ifle de Crimée ,
où il fut reçu à bras ouverts par tous les Etats du
pays , & même introduit dans le fauxbourg de la
Nouvelle-Caffa . Alors , & d'après les conſeils que
lui avoit donné M. Conſtantinow, Miniſtre de la
Cour de Pétersbourg ,le Chan Sahin-Guerai paſſa ,
avec toute ſa ſuite , à bord des vaiſſeaux Ruſſes ,
qui ſe trouvoient dans le port & fit voile pour
Kertſch , place foumiſe à la Ruffie. Cette révo
lution a eu lieu le 31 Mai de cette année. Bahti-
Guerai fut enfuite preſqu'univerſellement reconnu
pour Régent , & les Tartares en donnèrent connoiſſance
à la Porte. On fait que la Ruffie a déja
fait marcher un certain nombre de troupes contre
les révoltés ; mais juſqu'à préſent on ignore comment
la Cour de Conſtantinople ſe conduira à cet
égard; la convention, conclue en 1779 entre les
deux Puiſſances , rend cette affaire fort délicate « .
Le voyage de l'Empereur en Bohême & le
camp qui devoit s'y aſſembler contremandés,
( 103 )
ont donné lieu à beaucoup de conjectures ;
on a ſuppoſé l'arrivée de nouvelles trèsimportantes
; on a fondé ces ſuppoſitions
fur des conſeils qui ſe ſont tenus à Vienne ,
où ils ne font pas une nouveauté pendant le
ſéjour de l'Empereur ; on fait aujourd'hui
que les maux d'yeux qu'il éprouve & qui
exigent des ménagemens , font les ſeules
cauſes de ce changement. Il paroît également
inutile d'en chercher une à l'ordre
qui vient , dit-on , d'être expédié , de ne
laiffer entrer aucun Etranger en Bohême ,
ſans un paffe-port de l'un des Miniſtres de
S. M. I. Un pareil ordre peut n'avoir d'autre
objet que d'écarter les vagabonds & les gens
fans aveu , qui ne ſe répandent que trop
ſouvent dans des contrées pour y commettre
des déſordres . L'anecdote ſuivante
qu'on lit dans une lettre de Prague & qu'ont
copié tous nos papiers , ne prouve rien de
plus.
>> Un Colonel ſe promenant à cheval autour de
fortifications de Théréſienſtadt , ily a quelques jourss
remarqua un homme occupé à deſſiner & à écrire , &
qui l'appercevant à ſon tour , vint à lai le piſtolet'
à la main , & lui ordonna de retourner ſur ſes pas .
Onenvoyaun détachement , contre lequel l'inconnu
tira ; mais il fut arrêté , & on ſe convainquit de ce
que l'on devoit déja ſoupçonner qu'il avoit la tête
dérangée.-La route du Grand-Dac &de la Grande-
Ducheſſe de Ruffie a été également changée ; ils ne
paſſerontpoint parPrague comme c'étoit leur premier
plan; ils prendront le chemin le plus court pour retourner
en Ruſſie , & s'arrêteront 4 jours à Dreſde
où il y aura un camp ".
e 4
1041
On a ici un état des forces de terre dé
l'Empire de Ruffie; nous le tranſcrirons tel
que nous le trouvons , fans en garantir l'authenticité.
Artillerie , non compris ſes Officiers 29,061 hom.
Cavalerie régulière , idem .
Infanterie régulière , idem . •
Chatfeurs , idem.
...

51,991
117,747
5,940
Infanterie particulière , idem . 5,592
Bataillons de garniſon. • 87,779
Bataillons de corvée , idem. $4,687
Milices pour terre , idem. au moins 24,000
Cavalerie franche & troupes de frontières.
• 48,801
Total. 435,598
On obferve que cet état eſt de 1778 , &
que depuis ce tems on a levé 2 régimens de
cavalerie & 8 d'infanterie qu'il faut ajouter
ici. Ce tableau eſt ſûrement immenfe , mais
eſt-il exact ? peut-il l'être ? pour prononcer ,
il ſuffit peut-être de le comparer avec celui
de la population , qui n'eſt pas proportionnée
à l'étendue de ce vaſte Empire. On joint
à cet état le tableau ſuivant des productions
de la Ruffie.
» La Ruffie , qui comprend à peu-près la se.
partie des terres connues du globe , a une variété
de productions qu'on chercheroit inutilement ailleurs.
Dans un grand nombre de ſes Provinces ,
il croît beaucoup de grains. Ses contrées ſeptentrionales
ne font pas entièrement privées de cette
fertilité : on recueille même du lin à Kargapol ,
au 61e. degré 29 minutes de latitude ; &, fi le fol
de Mezen , voiſin du cercle polaire arctique , ne
produit ni lin , ni froment , il offre du moins aux
( τος )
Cultivateurs d'abordantes moiſſons d'avoine qui
fervent à l'entretien des haras établis dans les environs.
Ces mêmes contrées neurriſſent des troupes
de boeufs de race Hollandoite & beaucoup plus
grands que l'eſpèce ordinaire. Le veau d'Arkhangel
eit remarquable par ſa grandeur & recherché pour
la délicateſſe de ſa chair; il y en a qui pèſent plus de
soo 1. Dèsqu'on eſt deſcendu juſqu'au 62e. degré , on
trouvedes moiffons tellement proportionnées aux befoins
des Habitans , qu'une quantité confidérable de
grains eſt employéeàbraſſer de l'eau- de- vie. Les Gouvernemens
de Livonie , de Pleskof, de Smolensko ,
d'Ukraine , de la haute & de la baſſe Nowogorod ,
de Moskow , de Belgorod , de Veroneje & de Kafan
font les greniers de l'Empire ; après avoir reçu
de ces terres ſi fertiles une abondante ſubſiſtance
& tout le grain néceſſaire pour les brafferies , on
cède le ſuperau des récoltes à la Suède , à l'Angleterre
& à la Hollande. Par- tout , on braffe de
la biere , & c'eſt, encore un tribut que l'on impoſe
à la fécondité de la terre; il faut qu'elle rapporte
aufli toutes fortes de gruaux , nourriture faine
pour les riches & reffource abondante pour les pauvres
.- Les récoltes de chanvre , après avoir , nonſeulement
donné la quantité inappréciable que le
peuple conſomme, mais encore ſuffi aux besoins de
la Marine & des fabriques de toiles , laiſſent un
ſuperflu conſidérable qu'achètent les étrangers . C'eſt
le chanvre de Ruſſie qui fournit à toute la Marine
de l'Europe , excepté celle de France , les voiles &
les cordages. Les grains ne ſont pas la ſeule
richeſſe de l'Ukraine. Elle produit les plus beaux
fruits. Ses gras pâturages nourriſſent des troupeaux
nombreux; & cette Province vend plus de 10,000
boeufs chaque année. On y cultive du tabac. On
recueille de la cire & du miel . Aftrakan conſerve
une race de moutons d'une groſſeur extraor
dinaire & qui donnent de ſuperbes fourrures. Le
1 es
>
( 106 )
même pays a des ſalpêtrières conſidérables ; on ne
vend du ſalpêtre aux étrangers , que lorſque les
magaſins de la Couronne en renferment une grande
furabondance. - On tire des bords du Volga les
oeufs d'Eſturgeon, dont les veffies d'air ſervent à
faire la colle de poiſſon. - La Province de Kazan
eſt couverte de vaſtes forêts ; on en tire les plus
beaux mâts & les meilleurs bois de conſtruction .
-D'autres Provinces fourniſſent quantité de che.
vaux légers , infatigables , qui exigent peu de ſoins
& ſont ſujets à peu de maladies.-Le ſel des ſalines
de cet Empire ,dont il ſe conſomme trois cens trente
millions de livres peſant , y vaut à peu près un
demi-ſol de Hollande la livre. -Les plus belles
peaux du monde ſont dans la Ruffie. -Il ſe
tire quantité de ſuif de pluſieurs de ſes Provinces
, principalement d'Orenbourg où l'apportent
les Nations errantes qui nourriffent des troupeaux
innombrables , pour trafiquer de leurs peaux & de
leurs graiffes ; on en exporte , chaque année , pour
plus de 2 millions de florins de Hollande. On envoie
de St-Pétersbourg de la chandelle toute faite
à pluſieurs contrées de l'Allemagne.-Les fourrures
communes de la Sibérie ſurpaſſent , en beauté
& en bonté , toutes celles des autres pays : teiles
font celles des zibelines tuées pendant le printemps
ou l'été ; celles des petits-gris , dont le poil épais
& luftré approche de la couleur de l'ardoiſe ; celles
des iſatis ou peſtſi , que l'on appelle renards blancs ;
celles enfin des lièvres , dont le poil s'adoucit ,
s'épaiſſit en hiver & prend la blancheur de la neige.
Une ſeule peau de martre zibeline , tuée en hiver ,
vaut des Iso florins de Hollande , fi elle eft bien
nourrie de poils , fi la couleur en eſt brune & luftrée.
Les hermines , qui ne ſont guères plus grandes
que les taupes de nos champs , coûtent 35 à 40
florins le 100. Une peau de loutre marine , qu'on
appelle caſtor de Kamtchatka , ſe vend aux Chi
( 107 )
nois 140 à 150 florins , quelquefois meme 160.
Celle de renard , ſi elle eſt parfaitement noire , va
juſqu'aux 2000 & même 2500 florins . Les renards
bleus font encore plus chers. On trouve , en Sibérie
, des marbres , des pierres précieuſes , de l'ivoire
fofile , du muſe , des mines d'or , d'argent , de
cuivre , de fer . Le cuivre y eſt de bonne qualité
& ſouvent chargé d'or , ce qui en fait défendre
l'exportation. Le fer de Sibérie ne le cède point à
celui de Suède. En 1772 , les mines d'or de toute
la Ruffie donnerent 1947 livres de ce métal & celles
d'argent 62,304 livres. - Nul Peuple n'a pu
imiter juſqu'ici ces cuirs ſi recherchés ſous le nom
de cuirs de Rouffi; ily en avoit plus de 100 Fabriques
, il y a quelques années , & le nombre en
augmente tous les jours. On évalue leur produit annuel
à 2 millions & plus de florins de Hollande.-La
Ruffiecommerce non-feulement avec toute l'Europe,
mais avec les Tartares, avec les Perſans, avec les Chinois.
Ses exportations montent , années l'uneportant
l'autre , à plus de 44 millions de florins , fans mettre
en ligne de compte les droits de fortie qui vont
àplus de 8 millions ; & ſes importations ne paſſent
guères les 30 millions , ce qui fait pencher en ſa
faveur une balance d'environ 22 à 23 millions «.
ESPAGNE.
De MADRID , le 29 Août.
Nos nouvelles du camp de St- Roch font
du 24 de ce mois ; elles portent que les ennemis
font un feu très bruyant , mais trèspeu
meurtrier , toutes les nuits. Ils réuffirent
le 21 à mettre le feu aux nouveaux ouvrages,
la canonnade redoubla & on tira plus
de 300 coups de canons en moins de 3
1
c 6
( 108 )
heures ; il y eut 27 toiſes de brûlées , mais
le dommage fut réparé la nuit ſuivante. Les
travaux de terre ſont preſque à leur perfection
; mais c'eſt de l'attaque par mer que
dépend fur tout le ſuccès ; les préparatifs
avancent , & tout doit être prêt au premier
jour.
On a ici des copies de la lettre que M.
le Duc de Crillon envoya le 19 de ce mois
au Général Elliot par un Trompette ; elle
eſt conçue ainfi.
>> M. , Monseigneur le Comte d'Artois , à qui le
Roi ſon frère a permis de venir ſuivre ce ſiége
comme volontaire dans l'armée combinée dont
LL. MM. T. C. & C. m'ont confié le commandement
, eſt arrivé le 1s à ce camp. Ce jeune
Prince a bien voulu ſe charger , en paffant par
Madrid , de quelques lettres qui y avoient été ren.
voyées d'ici , & qui regardent des particuliers de
votre garniſon ; il defire que je vous les faſſe
paffer , & que je joigne à ce témoignage de ſes
bontés & de ſon attention , celui de l'eſtime qu'il
a pour votre perſonne. J'ai d'autant plus de plaifir
dans cette occaſion à donner à cet augufte
Prince cette marque de ma condeſcendance , qu'elle
me fournit le prétexte que je cherchois depuis près
de deux mois que je ſuis ici , de vous afſurer de
la haute eſtime que j'ai conçu pour V. E., du defir
que j'ai de mériter la fienne , & du plaiſir que j'entrevois
de devenir un jour votre ami , après avoir
ſu me rendre digne de l'honneur de vous combattre
comme ennemi. M. le Duc de Bourbon
, arrivé ici 24 heures après Monſeigneur , veut
aufſi que je vous affure de fon eftime. Permettez
que je vous offre tous les petits ſecours d'agrément
dont vous pourriez avoir beſoin pour votre
( 1091
uſage particulier. Sachant que vous ne vivez que
de légumes , je voudrois auſſi ſavoir quelle eſt
l'eſpèce qui vous feroit le plus de plaifir. J'y ajouterois
quelques perdreaux pour vos Meffieurs , &
de la glace dont je penſe que vous devez avoir
beſoin par les chaleurs exceſſives de ce climat dans
cette ſaiſon. J'eſpère que voudrez bien accepter
dès ce moment la petite portion que je vous en
envoie ".
Le Général Elliot y fit le lendemain la
réponſe ſuivante .
>> M. je me trouve fort honoré de votre obligeante
lettre d'hier 19 par laquelle V. E. a la
bonté de m'informer de l'arrivée de Monſeigneur
le Comte d'Artois & de M. le Duc de Bourbon ,
pour ſervir comme volontaires à ce fiége. Ces
Princes ſavent bien choiſir leur Chef, dont les
talens ne peuvent manquer de former de grands
guerriers. Je ſuis accablé de la condefcenfion
deMgr. le Comte d'Artois d'avoir bien voulu permettre
que des paquets , pour quelques particuliers
de cette ville , trouvaſſent place dans ſes équipages ;
& j'oſe eſpérer que V. E. voudra bien offrir mes
plus profonds reſpects à S. A. R. & à M. le Duc
de Bourbon , pour l'attention qu'il leur plaît de
marquer pour ma perſonne. - Je rends mille
graces à V. E. pour le beau préſent de fruits
légumes & gibier. Elle me pardonnera pourtant ,
j'eſpère , quand je vous affure qu'en l'acceptant ,
j'ai manqué à une réſolution fidèlement gardée jufqu'à
préſent , depuis le commencement de la guerre ,
c'étoit de ne jamais recevoir ni procurer , en au
cune façon , des denrées pour ma ſeule commodité,
de forte que fans préférence tout ſe vend ici , même
au fimple ſoldat s'il a de quoi le payer. J'avoue
que je fais gloire de partager avec le moindre de
mes braves camarades l'abondance ou même , s'il
le faut , la diſeste. Cela ſervira d'excuſe pour la
-
,
( 110 )
liberté que je prends de ſupplier V. E. de ne plus
me combler de ſes bienfaits , puiſqu'à l'avenir je
ne ſaurois les deſtiner à mon propre uſage. A dire
vrai , quoique les légumes dans cette ſaiſon ſoient
rares , il ne laiffe pas d'y en avoir pour chacun à
proportion qu'il contribue de ſa part au travail.
L'Anglois eft naturellement cultivateur , c'eſt ici
fon amusement dans les intervalles du ſervice . Je
fuis mille fois redevable à M. le Duc de Crillon
de l'amité qu'il veut bien me promettre en tems
& lie . Les intérêts de nos fouverains folidement
ajuſtés , je ſafirai avec empreſſement le premier
inftaanntt pour profiter d'un tréfor ſi précieux.
Nos lettres de Cadix font en date du 20 ,
& contiennent les détails ſuivans.
>> On a mis un embargo ſur tous les bâtimens de
ce port , que l'on charge en munitions , vivres &
toutes fortes de rafraîchiſſemens , ce qui nous annonce
que la flotte combinée ſera bientôt dans nos
eaux , & qu'elle a ordre de tenir la mer juſqu'à la
déciſion du ſiége. Les navires avitailleurs étant plus
que ſuffifans pour lui fournir tous les ſecours dont
elle aura beſoin.-Quelques perſonnes qui viennent
d'Algéfiras , ont vu avant- hier l'eſſai de la première
batterie flottante, Malgré la mauvaiſe idée que les
Eſpagnols avoient de ſon gréement ; elle va à la
voile , elle manoeuvre comme une frégate. Si les
autres font auſſi bien construites , comme on n'en
doute pas , on ne peut plus douter de leur effet , &
par conséquent de la prompte reddition de la place.
Hier il a mouillé dans cette baie un paquebot
de la Havane dont la traverſée a été de 58 jours ;
il ne nous apprend rien finon que D. Bernard de
Galvez avoit envoyé à Cuba environ 1000 hommes
ſous l'eſcorte d'un vaiſſeau de guerre François , pour
renforcer la garniſon de cette place. - Aujourd'hui
il eſt entré un gros navire de Carraque venu
en 59 jours ; il eſt chargé principalement en cacao
& en tabac «.
( IM )
ANGLETERR E.
De LONDRES , le 10 Septembre.
Les nouvelles qu'on a de l'Amérique
ſeptentrionale , font très-vagues; il eſt certain
que le Gouvernement en a reçu quelques-
unes ; mais il n'en a point publié. Nos
papiers ont eſſayé de ſuppléer à fon filence
en donnant les extraits de quelques lettres
de New-Yorck en date du 6 Août ; felon
ces lettres , des vaiſſeaux de ligne ont paru
fur la côte & on faiſoit des préparatifs pour
mettre cette place en état de défenſe , ſi les
ennemis tentoient de l'attaquer ; pour diminuer
les inquiétudes que doit naturellement
caufer cette approche , on prétend
que les forces Françoiſes ne conſiſtent qu'en
12 vaiſſeaux de ligne & 2 frégates ; l'Amiral
Digby qui n'a qu'un vaiſſeau de 64
canons & un de so avec s frégates , n'eſt
pas en état de former la moindre oppofition
à leurs projets ; mais on ſe flatte que
l'Amiral Pigot ne tardera pas à paroître avec
des forces ſupérieures ,& le Munitionnaire-
Général fait des préparatifs pour lui fournir
des rafraîchiſſemens à ſon arrivée.
>>Un exprès arrivé de Savanah , ajoutent ces
lettres, a apporté la nouvelle que les réfugiés qu'on
avoit laiffés dans la Géorgie après que les Anglois
l'ont eu évacuée , s'étoient emparés de Savanah
& y élevoient de nouvelles fortifications. Leur
deſſein malgré l'abandon où ils ſe trouveient de la
part de la G. B. étoit de ſe défendre juſqu'à la der-
/
( 112 )
nière extrémité , ils avoient même déja repoufflé avec
avantage les efforts des Américains ; le Général
Mathews les ayant attaqués avoit été repouſlé avec
perte , & bleſſé lui-même ſi dangereuſement que l'on
déſeſpéroit de ſa vie «.
S'il faut en croire les mêmes lettres il
y a beaucoup de fermentation dans les différentes
provinces ; l'on ne ceffe de répéter
ses affertions fauſſes & vagues avec leſquelles
depuis le commencement de la guerre on
a cherché à éblouir la Nation , à lui faire
eſpérer la prompte ſoumiſſion de l'Amérique.
La lettre ſuivante écrite par un Membre
diftingué du Congrès , eſt la meilleure réponſe
qu'on puiſſe faire à tout ce que l'on
dit des diviſions des Américains , de leurs
voeux pour leur réunion à leur ancienne
Métropole , & de la défiance que leur inſpi
rent leurs alliés.
L'évènement malheureux du 12 Avril nous a
fourni l'occaſion de faire briller un caractère national
, une bonne foi , une conftance & une fermeté ,
dignes d'un peuple libre & déterminé à périr plutôt
que de ceſſer de l'être. Sir Guy Carleton s'offroit
nous , la branche d'olivier à la main , au moment
qu'on reçut cette déſagréable nouvelle ; peut- être
avoit-il affez mauvaiſe opinion de nous , pour ſup .
poſer que c'étoit une criſe favorable pour nous détacher
de nos Alliés : il nous a annoncé ſon plan;
il a envoyé M. Morris , ſon Secrétaire , & peut- être
nous a - t - il cru aſſez lâches , affez ignorans des
loix du devoir& de l'honneur , de celles-mêmes de
notre intérêt, pour nous laiſſer prendre à l'appât de
l'eſpoir d'une paix prochaine ; mais quoiqu'il ne ſoit
encoreque depuis un mois ſur cette partie duConti.
nent, il doit avoir déja commencé à àconnoître les
( 113 )
Américains. Il s'eſt écoulé quatre années depuis la
date de 1 heureuſe alliance , qui nous unit à la France :
chaque année nous avons reçu de nouveaux avantages
de la part de cette Nation, ſans être en état
de lui donner aucun retour , finon celui d'une ſtérile
reconnoiffance : nous attendions avec impatience
l'occaſion de lui prouver la conſtance & la fincérité
de notre attachement & de notre gratitude. Elle eſt
enfin arrivée : l'ennemi nous l'a fournie lui-même ;
&je ne faurois exprimer la joie avec laquelle j'ai vu
le Maryland , la Penſylvanie & la Virginie déclarer
à l'envi , & de la manière la plus unanime , leur réſolution
inébranlable de rejetter avec dédain toute
offre d'une paix ſéparée, & toute propoſition qui
feroit rejaillir la moindre tache ſur notre caractère
national ou fur l'alliance. Les réſolutions paffées
par l'aſſemblée de New- Jerſey reſpirent un véritable
patriotisme. L'ennemi ne peut plus avancer que neuf
dixièmes d'Américains font portés en ſa faveur :
il ne peut meme dire qu'il ait un ſeul partiſan dans
les Treize-Etats ; car ces réſolutions ont toutes été
priſes à l'unanimité. Il y a fix ans aujourd'hui que
les Etats-Unis ont pris rang parmi les Narions indépendantes
; & dès ce moment ils occuperont ung
place diftinguée parmi les Nations les plus célèbres
par leur générofité , leur fermeté & leur vertu.
- L'Europe enfin va nous connoître : l'Angleterre
elle-même apprendra peut- être à porter de nous un
jugement moins défavorable ; & , reſpectant les
principes de juſtice , de confiance & de fidélité qui
nous animent , elle abandonnera ſon projet de nous /
dégrader & de nous avilir pour nous réduire enfin à
l'eſclavage. - Dans le même tems que les aflemblées
des Etats reſpectifs prenoient ces réſolutions
ſages & nobles , le Gouvernement fat informé qu'il
avoit éré fait à notre Allié les propoſitions les plus
éblouiſſantes par un 'Agent Britannique envoyé à
Verſailles ; qu'on lui avoit offert les conceſſions
( 114 )
-
les plus propres à ſéduire une Puiſſfance , conduite
par l'avarice , l'ambition , ou par un fentiment
de ſa propre foibiefle ; mais l'Agent refula de
traiter en même tems de l'indépendance des Etats.
Unis. Nos Alliés répondirent ſimplement que cette
- indépendance formoit la baſe de leur ſyſteme;
& la négociation n'alla pas plus loin. La conduite
des François a été fi uniforme & fi fincère durant
tout le cours de la préſente guerre , que cette
réponſe ne nous a caufé aucure ſurpriſe.
Voilà, de notre part & de la part de la France, la
conduite la plus propre à faire honneur aux deux
Nations. Sans aucune communication , fans aucun
concert , même ſans aucune confultation préalable ,
elles ont l'une & l'autre , par l'effet de la même
droiture innée , adopté les mêmes réſolutions contre
des négociations ſéparées. Quel étoit l'objet de
ces propofitions , faites ſecrètement & féparément
aux deux parties ? Si la G. B. eût été conduitepar
la bonne-foi , elle auroit dû informer la France,
qu'elle avoit deſſein de traiter avec nous ; mais elle
ſe fattoit, en ſemant les germes de la jaloufie &
de la méfiance , de nous déſunir : elle eſpéroit que
les deux Alliés, ou du moins l'un d'eux , prêteroit
L'oreille à ſes propoſitions ; que l'autre en prendroit
de l'ombrage ; que le mécontentement s'enfuivroit;
& qu'il en réſulteroit éventuellement une rupture ,
qui ſe termineroit à nous ſubjuguer. Son projet a
échoué ; l'artifice a été découvert ; & tandis que
cet artifice fait voir la politique infideuſe , qui dirige
toujours ſes conſeils , il a ſervi à prouver notre
fidélité naturelle, & notre attachement à nos Alliés
, ainſi que la néceffité d'une conſtance fans réſerve&
d'une communication conftante de tout ce
qui a rapport à nos intérêts réciproques . Je ſuis
aujourd'hui plus fier du titre d'Américain que je ne
l'ai jamais été. L'ennemi nous repréſente ſans
ceffe comme un Peuple timide & lâche , ſans foi &
( 115 )
fans honneur.- Il est détrompé à préſent à ſes
propres dépens. Mais il eſt un point , à l'égard
duquel notre honneur national a trop longtems
fouffert : nous avons affez de fermeté pour abandonner
nos maiſons & nos habitations à un ennemi
incendiaire , nous avons vu fans terreur nos maifons
& nos fermes en flammes : nous avons vu
enlever nos effets , nos chevaux , notre bétail; &
nos ſentimens font reſtés inébranlables : nous avons
reçu avec mépris des ouvertures de paix , qui nous
auroient couvert de honte : nous avons ſouffert toutes
les calamités & les beſoins , qui affligent les Citoyens
exilés , obligés de chercher un aſyle à une
grande diſtance de leur propre Patrie .- Nos femmes
ont montré la même fermeté d'ame ; & fouvent
leur fermeté & leur patriotiſme ont donné vi
gueur aux nêtres : nous avons répandu notre ſang
pour la glorieuſe cauſe oùnous ſommes engagés :
nous ſommes prêts àen répandre la dernière goutte
pour ſa défenſe : rien n'eſt au- deſſus de notre conrage
, excepté uniquement ( je le dis avec honte )
excepré le courage de nous impoſer des taxes à
nous-mêmes. <«<
On peut juger d'après cette lettre des
eſpérances qu'on cherche à nous donner
de voir encore l'Amérique reſſerrer les liens
que nous avons rompus par notre conduite
avec elle ; nous attendons avec impatience
des nouvelles ultérieures ; elles nous apprendront
ſi les François , dont on annonce
l'approche & qui ont précédé l'Amiral Pigot
, n'auront pas profité de leur ſupériorité
pour enlever l'Amiral Digby , fi ce
dernier aura réuſſi à s'échapper; ces mêmes
nouvelles peuvent nous apprendre l'arrivée
de notre eſcadre & les ſuites qu'elle aura
( 116 )
eu. Nous ignorons les forces que l'Amiral
Pigot a conduites avec lui ; nous ignorons
de quel côté eſt la ſupériorité ; & en nous
préparant à apprendre qu'il y a eu une action
, nous ne pouvons déterminer de quel
côté ſera l'avantage , ni ſi l'eſpoir que nous
avons qu'il ſe décidera en notre faveur eft
fondé. En attendant nous tirerons des mêmes
lettres les détails ſuivans ſur l'affaire du
Capitaine Afgill qui intéreſſe toujours les
ames ſenſibles qui font des voeux pour
lui.
>> Une foule innombrable d'habitans de cette Ville
a affitté au jugement du Capitaine Lippincott; l'inftruction
a fait connoître les deux faits ſuivants :
1°. que le Capitaine Huddy a été exécuté par un
ordre particulier du Capitaine Lippincott ; 2°. que
le Gouverneur Franklin a donné fon conſentement
à cette exécution. - La procédure a duré pluſieurs
jours : la ſentence du Conseil de Guerre , qui a été
rendue tout d'une voix , n'est pas encore publique ;
mais on fait qu'elle acquitte Lippencott. Il paroît
que ſes Avocats ont établi ſa défenſe ſur l'obfervation
fuivante.- Les treize Etats-Unis , ainſi qu'il leur
plaît de ſe faire appeller , étoient déclarés , par un
acte du Partement Britannique , être dans un érat
de rébellion ; il eſt légal de mettre à mort des rébelles
déclarés; on ne peut en conféquence former
de plaintes en juſtice pour homicide commis contre
de pareils criminels , parce que tout acte de violence
exécuté contr'eux est conforme à la juftice
juſqu'à ce que l'acte qui déclare ces Etats rébelles ,
ait été révoqué. - Si Lippencott avoit été condamné
, il y a tout lieu de croire qu'il n'auroit pas
été livré ; un grand nombre de citoyens étoient
décidés à le délivrer ſi cet évènement avoit eu
( 117 )
lieu. On dit qu'à la requifition du Comte de Ro
chambeau , le Capitaine Afgill a été admis ſur ſa
parole. On attend à chaque inſtant des Envoyés
de la Cour de Londres , pour traiter avec
le Congrès , & on eſt bien impatient de ſavoir fi
New-Yorck ſera évacué «.
Malgré tous ces détails, le ſort du Capitaine
Afgill ſe trouve encore incertain ;
on n'a que des eſpérances ; en attendant
qu'elles ſe réaliſent nous inférerons une
lettre fur cette affaire ; on la dit de M. Livingſton
, Secrétaire du Congrès des Etats-
Unis pour les affaires étrangères,
د
,
>>>Je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai écrit
depuis peu , ſi ce n'eſt un fait qu'il faut vous mettre
à même de pouvoir expliquer , fi vous l'entendiez
mal rapporter. Vous ſavez avec quelle barbarie
les Anglois ont toujours fait la guerre. Vous
connoiffez les réſolutions réitérées du Congrès
pour menacer de repréſailles , s'ils ne changeoient
de conduite ; & vous avez toujours vu l'humanité
de cette même aſſemblée l'emporter ſur ſes réfolutions.
Le meurtre du Colonel Hayne , l'infraction
cruelle de la capitulation de Charles-Town
l'exécution de nombre de perſonnes ſous divers
prétextes ; tous ces faits étoient reſtés impunis ,
lorſqu'une inſulte inouie , reçue nouvellement , a
réveillé notre reſſentiment & nous a fait voir le
tort que nous nous ſommes fait à nous-mêmes ,
en négligeant fi long-tems celles qui nous avoient
été faites juſqu'alors.-Le Capitaine Huddy , de
New-Jerſey , pris les armes à la main par un parti
de réfugiés , conduit à New-York , enfermé quelque
tems au Prévôt , mis enfuite à bord d'un vaifſeau
ſervant de priſon , en fut tiré par un Officier
à la tête d'un détachement , tranſporté ſur le rivage
du Jerſey, & pendu prévôtalement ( fans forme.
( 118 )
de procès ) avec un écriteau ſur la poitrine, portant
: en repréfailles de la mort d'un homme , tué
par une sentinelle , dans le tems qu'il tentoit de
s'échapper , après avoir été fait prisonnier. Cet
acte d'une cruauté atroce a enfin déterminé le Con.
grès a exercer la loi du talion. Le Général Washington
écrivit au Chevalier Henri Clinton , pour
lui demander ceux qui s'étoient rendus coupables
de certe action barbare , laquelle n'avoit pas pu ſe
commettre ſans fa connoiffance, vu que le prifonnier
fut tiré à cet effet de la priſon du Prévôt &
du vaiſſeau ſur lequel il étoit détenu. Les avis de
l'armée ( Britannique ) farent partagés fur ce ſujet :
pluſieurs Officiers infiſtèrent près du Général Clinton,
pour que le coupable fûr livré. D'autres , qu'on
ſuppole avoir eu une part active à diriger cette
exécution , prirent la défenſe de ce procédé.-
Clinton fit afſembler un conſeil de guerre pour faire
le procès aux coupables : mais nous fommes informés
que Sir Guy Carleton les a mis hors de
Cour.En conféquence le Général Washington, ſous
l'approbation du Congrès , a ordonné l'exécution
d'un Capitaine Britannique. Le ſort eſt tombé fur
le Capitaine Afgill, fils du Chevalier Jean Afgill ,
qui est maintenant en chemin pour être conduit
au camp. Il eſt triſte que l'innocent doive ſouffrir
pour le coupable : mais il faut eſpérer que cette
déplorable néceffité tournera finalement au ſalut
général , puiſqu'il n'y a que ce moyen qui puiſſe
porter la nation la plus ſauvage de la terre à ré-
Héchir, que ſes crimes retomberont enfin ſur ſa
propre tête. Cet expoſe vous mettra à même
de mieux entendre les rapports que vous aurez
trouvé concernant cette affaire , diſperſés dans les
papiers de nouvelles que je vous ai envoyés .-
Nous n'avons pu réuffir à arrêter un cartel avec
les Anglois pour l'échange des priſonniers , dont
nous avons une balance en notre faveur de dix
( 119 )
mille hommes.- Ils refafent de payer les ſommes
conſidérables que nous avons avancées pour
leur entretien ; ce dont nous faiſons un article préliminaire
de l'échange. Il n'est pas hors de vraiſemblance
que les Allemands foient naturalifés
& vendus ( 1 ) pour 3 ans , afin de nous rembourſer
de cette dépenſe : eux-mêmes le defirent preſque
tous , en témoignant la plus grande envie de s'établir
dans ces contrées «.
On n'a point de nouvelles des Ifles ; on
en attend avec impatience. Les premières
doivent nous inſtruire poſitivement du départ
de la flotte deſtinée pour l'Angleterre ;
cette flotte , qu'on croit en route , eſt compoſée
de plus de 200 voiles , toutes richement
chargées. Quant aux opérations de
guerre dans ces mers , on ne croit pas
qu'il s'en foit fait aucune de notre part ;
nous n'y avons point de forces navales ; &
il en faudroit pour pouvoir faire uſage
des troupes arrivées du Continent , & qui ,
faute de vaiſſeaux pour les protéger dans
leurs expéditions , ſont dans ce moment
inutiles ; on craint bien que les ennemis ne
reſtent pas dans l'inaction comme nous ; il
leur est arrivé 2000 hommes de Saint-
(1) Lavente qu'on a coutume de faire des Emigrans fors
deleur arrivée en Amérique , & qu'on a quelquefois reprochée
comme un grand crime aux Américains , n'est autre
choſe qu'une adjudication qui ſe fait des ſervices perfonnels
de l'Emigrant au plus offrant pour un certain nombre
d'années , par ex. de 2 , 3 ou 4 ans , pendant leſquels il eſt
vêtu & nourri aux frais du Propriétaire. A l'expiration du
terme , ordinairement fort court , il eſt parfaitement libre ;
& on lui fournit les moyens de s'établir & de jouir de
tous les droits de citoyen .
( 120 )
Domingue ; en voilà affez pour renforcer
tous les établiſſemens que nous pouvions menacer
, & peut-être pour tenter quelque
choſe contre les nôtres ; ils ont quelques
vaiſſeaux de ligne pour faciliter & foutenir
leurs expéditions.
Dans ce moment les évènemens qui peuvent
ſe paſſer au loin nous occupent moins
que par le paſſe ; l'attention générale eſt
tournée toute entière du côté de Gibraltar;
le projet de ſecourir cette Place eft ,
affure- t- on , décidément arrêté.
>> Le Vice-Amiral Milbanck , écrit-on de Spithéad
, eſt revenu de la croiſière dans la mer du
Nord avec ſes Is vaſleaux de ligne ; il a joint
l'Amiral Howe à Portsmouth , il a vu dans le Texel
la flotte Hollandoiſe qui y étoit encore , & conformément
à ſes ordres , il s'eſt hâté de revenir ;
le Gouvernement a jugé parla que notre flotte de
la Baltique ne couroit aucun riſque , & l'ordre de
mettre à la voile pour Gibraltar a été expédié à
l'Amiral Howe ; il a aujourd hui , (7) , les vaiſſeaux
de ligne ſuivans : le Victory , la Britannia de 100
canons ; le Queen , la Princeff - Koyal de 98 ;
Atlas , l'Ocean , l'Union , le Blenheim de 90 ;
le Foudroyant , le Royal Willam de 84 ; le Cambridge
, la Princeſſe Amélie , de 80 ; l'Edgar , de
Berwick , la Bellone , le Goliath ,le Courageux ,
l'Alexandre , le Dublin , la Fortitude ,le Suffolk ,
Ic Gange , la Vengeance de 74 ; le Sanfon , le
Raisonnable , le Bienfaisant , le Vigilant , Afie ,
le Polyphéme , le Ruby , le Crown de 64 ; le Bufalo&
le Panther de 60 , total 33 vaiſſeaux ; l'Egmont
, le Pégase de 74 , & l'Europe de 64 , qui
doivent joindre l'eſcadre au large , la porteront à
36 vaiſſeaux. Elle doit mettre à la voile demain 8 ,
&
( 121 )
&ſe rendre en droiture à Gibraltar avec 30 tranf
ports chargés de toutes fortes de munitions & de
troupes de débarquement. Nous ne croyons pas
que l'ennemi ait plus de 43 vaiſſeaux de ligne ,
& cette ſupériorité de 7 vaiſſeaux ne nous donne aucune
inquiétude. Nous nous flattons qu'elle n'arrê
tera pas 1 Amiral Howe ".
,
D'après cette lettre & cette confiance en
l'Amiral , on ne doute pas ici que Gibraltar
ne foit ſecouru ; mais il ſe pourroit qua
nous nous preffaffions trop de juger ; d'abord
l'eſcadre combinée eſt plus forte qu'on
ne le croit ici ; lorſqu'elle a paru dans nos
mers elle étoit compoſée de 27 vaiſſeaux
Eſpagnols & 15 François , qui en font bien
42 ; elle a dû en trouver 10 Eſpagnols à
Cadix , & 2 ou 3 François qui y font arrivés
de Toulon , ce qui feroit 55 ; alors il s'agit
de voir fi la confiance que n'affoiblit point
une ſupériorité ſuppoſée de 7 vaiſſeaux , ſe
ſoutiendra contre une ſupériorité de 19. Il
refte auffi à ſavoir quand même tout favoriferoit
notre eſcadre , ſi elle arrivera à
tems. Nos lettres poſtérieures reçues au
jourd'hui portent que l'eſcadre étoit encore
hier matin à Spithéad , & qu'on ne
croyoit pas qu'elle fût en état de partir
avant le 13. D'ici là les vents peuvent
changer & la retarder encore ; & en ſuppoſant
qu'ils ne changent pas & même
qu'elle aura pu mettre à la voile le 8 , &
que rien n'arrêtera ſa marche , elle ne peut
arriver avant la fin de ce mois ; peut- être à
cette époque la place à laquelle elle va por-
21 Septembre 17829 f
i
( 122 )
ter des ſecours n'en aura-t elle plus beſoin ;
il fandroit pour juger de ſa poſition actuelle
en avoir des nouvelles fraîches , & celles
que nous avons ſont dus Août ; s'il faut en
croire nos papiers , voici la manière dont
elles font parvenues & ce qu'elles contiennent.
>> M. Mablote , Major des Hanovriens , eſt arrivé
avec des dépêches du Général Elliot ; il eſt parti de
Gibraltar les Acût ; & après avoir traverſe , ſous
divers déguiſemens , le camp des Eſpagnols , & une
partie de l'Eſpagne , il s'eſt rendu de Séville à
Lisbonne , où il s'eſt embarqué ſur un bâtiment
qui l'a conduit heureuſement à Cowe en Irlande ;
leGouvernement lui a donné une récompenſe proportionnée
à la hardieſſe & au ſuccès de fon entrepriſe.
LeGénéral affare , dit- on , dans ſes dépêches ,
que les troupes qu'il commande ſont remplies d'ardeur,
& qu'elles font en affez grand nombre pour
repouffer les attaques les plus vigoureuſes de l'ennemi
, s'il avoit la témérité de tenter un affaut. Quant
aux provifions , la place en a reçu en plus grande
quantité de la Grande-Bretagne & des côtes de Barbarie,
depuis le mois de Juin dernier , que depuis
le commencement du fiége , malgré la vigilance des
vaiſſeaux de guerre Eſpagnols. Toutes les nuits où
le ciel a été couvert , & toutes les nouvelles lunes ,
ont favorifé l'entrée de quelque bâtiment vivrier .
On ajoute que d'après quelques paſſages de ces dépêches
, il eſt vraiſemblable que le Général ait fait
de nouveau quelque grande fortie , & qu'il ait détruit
toutes les batteries de l'ennemi ; mais ceci n'eſt
qu'une conjecture. Dans le moment actuel , on est
mieux inſtruit que nous , fur le continent , de cequ'a
pu faire le Général ; une ſortie , qui n'aurait abouti
qu'à détruire une cinquantaine de toiſes d'ouvrages
des ennemis , ſur 12 à 1300 , ne feroit aſſurément
( 123 )
,
pas grand chose; on pareil dommage auroit été
réparé en peu d'heures , & cette fortie n'auroit fait
que fatiguer inutilement ſa garniſon , la décourager
même par le peu de ſuccès. Il est très - vraiſemblable
que les travaux des ennemis ſont achevés
que l'attaque a commencé , & de la manière dont
ils s'y ſont pris , à la vivacité qu'ils y mettent , il
paroît qu'ils cherchent à finir promptement , & il ſe
pourroit que tout le fût avant que notre eſcadre fût
fort éloignée de nos côtes ".
Les affaires de l'Inde nous préſentent toujours
un aſpect auſſi nebuleux qu'auparavant.
Il est très-inquiétant de voir que depuis
fix mois on ne reçoit point de détails miniſtériels
de la côte de Coromandel , ſoit par
terre ſoit par mer , ſoit par le canal de nos
amis ou de nos ennemis , ou enfin par des
vaiſſeaux neutres. Les dernières nouvelles
de ces parages annonçoient que notre ſituation
y étoit très précaire ; on trouve un peu
fingulier que le Gouverneur de Bombay
en écrivant le 20 Avril les détails du combat
du 7 Février , ne diſe pas un mot de ce qui
s'eſt paffé depuis , & qu'il ſe contente de
nous dire que le 24 Mars les armées étoient
l'une à Madraff & l'autre à Pondichéry,
Depuis cette époque juſqu'au 20 Avril ,
date de ces dépêches , ne s'eſt- il rien paffé?
Quoi qu'il en ſoit , la crainte d'une ſeconde
action , où nous pourrions avoir eu le deſſous
, a influé fur nos fonds.
>>Hier au foir , dit un de nos papiers , le bruit
ſe répandit qu'il étoit arrivé un courrier de l'Inde
par la voiede terre; mais nous avons appris à l'hôtel
,
f2
( 124 )
de la Compagnie que rien n'eſt plus faux que cette
nouvelle. Les Directeurs attendent encore journellement
l'arrivée d'un paquebot de Madraff , avec des
dépêches de l'Amiral Hugues .- Ils ont envoyé
le 7 à Portsmouth un Exprès chargé de dépêches ,
pour les répartir à bord des vaiſſeaux deſtinés pour
nos différens établiſſemens dans l'Inde , & qui doivent
partir avec l'eſcadre qui va à Gibraltar.- Deux
vaiſſeaux de la Compagnie ayant été convertis en
vailleaux munitionnaires , on y a mis à bord un train
conſidérable d'artillerie , avec beaucoup de munitions
& d'uſtenſiles de guerre.-Nous ſavons de
bonne part que l'Afrique est abandonnée à un état
d'aſſoupiſſementfingulier par les Puiſſances en guerre .
-Le ſéjour des vaiſſeaux de la Compagnie des Indes
, à Spithéad , a déja coûté à la Compagnie
40,000 liv. ſterl. Il y a plus de 3 mois qu'ils font
retenus dans ce Port , & leur dépenſe journalière
monte à400 liv.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 17 Septembre.
LE 9 de ce mois LL. MM. ſe ſont rendues
avec Madame , fille du Roi , au Château
de la Muette , où cette Princeſſe doit
être inoculée. Monfieur & Madame ont été
à Paris , au petit Luxembourg , qu'ils habiteront
pendant le ſéjour de LL. MM. à la
Muette; Madame la Comteſſe d'Artois doit
paſſer le même tems àBagatelle , pour être
plus à portée de voir Mademoiselle , qui
fera inoculée à Paffy.
Le 8 , le Marquis de Fumel , Gentilhom-
1
( 125 )
me d'honneur de Monfieur , prêta ferment
entre les mains du Roi , pour la place de
Lieutenant Général du Lyonnois , Forez &
Beaujolois , vacante par la demiffion du
Comte de Fumel.
Le même jour les Députés des Etats de
Bourgogne furent admis à l'Audience du
Roi , préſentés à S. M. par le Prince de
Condé, Gouverneur de la Province , & M.
Amelot , Secrétaire d'Etat , ayant le département
de cette Province. Ils furent conduits
parMM. de Nantouillet & de Vatronville
Maître & Aide des cérémonies. La députation
étoit compoſée pour le Clergé de l'Abbé
de Luzines , qui porta la parole ; pour la
Noblefle du Vicomte de Virieux , Gentilhomme
de Monfieur; pour le Tiers Etat ,
deM. Martenne, Maire de St- Jean- de Laune ,
& de M. Jacquinot , Syndic des Etats. Les
Elus Généraux , après avoir préſenté à S. M.
les Cahiers de la Province , eurent l'honneur
de lui offrir les Plans du Canal de
Charolois , que la Province entreprend de
conſtruire entre la Saone & la Loire , pour
la jonction des deux mers .
De PARIS , le 17 Septembre.
SELON les lettres de St-Malo , la frégate
l'Hébé, de 40 canons , dont 28 de 18 & 12
de 8 , a mis le 4 à la voile pour Breft ,
avec une corvette , 2 flûtes & quelques
tranſports chargés de munitions navales. Le
f3
( 126 )
bruit s'eſt répandu depuis que ce petit convoi
avoit été attaqué par quelques vaiſſeaux
aux ordres du Commodore Elliot , & que
l'Hébé avoit été priſe. Mais les lettres de
St- Malo , en date du 10 , ne font point
mention de cette rencontre ; de ſorte qu'on
a lieu d'eſpérer qu'on recevra inceſſamment
la nouvelle de l'arrivée de cette frégate
à Breft .
Le Triton & le Solitaire , écrit- on de ce
dernier port , font prêts à appareiller & n'attendent ,
à ce que l'on affure, que leurs derniers ordres. On ne
parle pas de leur destination; des troupes ſont embarquées
ſur un de ces vaiſſeaux. - La conſtruction
du Superbe & du Téméraire a été pouflée avec
tant d'activité que ces deux vaiſſeaux feront lancés
avant la fin du mois. Le Monarque , les Deux-
Frères , &c . iront auſſi vite , & l'on ſe diſpoſe à
mettre ſur les chantiers 3 autres vaiſſeaux , dont
un ſera de 116 canons. Les , il mouilla dans
cette rade un convoi de 80 voiles, venant de Bayonne,
Rochefort & l'Orient, ſous l'eſcorte du Marseillois
& de l'Eveillé ; il a apporté beaucoup de bois
de conſtruction .- Nous avons appris que les convois
de l'Ifle d'Aix ont mis à la voile le 2 de ce mois
dans l'après-midi par le meilleur vent qui n'a pasu
diſcontinué , de manière qu'à préſent nous les jugeons
bien loin de
C'eſt le 27 au matin que les vaiſſeaux le
Dictateur , cominandé par M. de la Clue ,
& le Suffifant , par M. de Caſtelet , ont
mis à la voile de Toulon. Ce n'étoit pas
le convoi de Marſeille qui paroiſſoit le 25;
il n'a été fignalé que le 27 ; & comme le
vent étoit favorable on s'attendoit à le د
1
( 127 )
voir mouiller à la rade avant la fin du
jour. Les mêmes lettres portent que les
mouvemens des bâtimens de la Marine du
département de Toulon , ſont ſi bien dirigés
, que le commerce de la Méditerranée
n'eſt plus inquiété par les corſaires ennemis.
Les lettres de Conſtantinople annoncent
pour la troiſième fois , que tous les avis de
l'Inde confirment un grand avantage remporté
ſur mer par notre flotte ſur les ennemis
dans le mois de Mars. Ils perſiſtent
à affurer que l'Amiral Hughes a perdu 4
de ſes vaiſſeaux.
Parmi les lettres arrivées d'Eſpagne par le
Courier qui nous a apporté les nouvelles
du Camp , en date du 25 du mois dernier
, il y en avoit une de M. d'Arçon ,
dont il circule dans le public l'extrait fuivant.
Elle est d'Algéſiras le 22 Αούτ.
לכ
... Je n'ai pas fait beaucoup d'attention à tons
les propos qui ſe tenoient autour de moi pendant la
conſtruction de ma batterie flottante. On diſoit hautement
que c'étoit un ſabot qui ne pourroit pas fe
mouvoir;je laiſſois parler , &j'attendois les cenſeurs
à l'effet que produiroit l'expérience. Ce moment
eft arrivé le 18 , jour où Mgr. le Comte d'Artois eft
venu dîner à bord de la frégate la Junon , ma première
batterie flortante fut eſſayée ; elle manoeuvra ,
elle marcha comme une fregate; elle fit trois décharges
de tous ſes canons de 24 liv. , & n'en
fat pas plus ébranlée qu'un vaiſſeau de 100 canons
ne l'auroit été. Auffi-tôt tout le monde me ſauta
au cos , chacun a changé de langage , &j'ai reçu
les complimens les plus flatteurs ; mais comme on
avoit trop blâmé mon ouvrage , il me semble au
f4
( 128 )
jourd'hui qu'on le loue trop. Quoiqu'il en ſoit , les
Eſpagnols conviennent que ma miflion eſt finie, &
que la leur commence , ils n'ont qu'à emboffer ces
batteries & leur effet n'eſt plus douteux. Elies ne
craindront ni la bombe ni les boulets rouges , ayant
diſpoſé pour ces derniers une grande quantité d'eau ,
qui ſe répandra fur tous les endroits tangibles , &c, "
Tout ſemble garantir le ſuccès de ces
batteries , & par conséquent du fiége , auquel
elles font deſtinées; le Courier qui devoit
fuivre celui qui a apporté ces avis , &
ajouter à l'eſpérance générale , a retardé
pendant quelques jours. Dans cet inter.
valle on en a reçu quelques uns d'Eſpagne ,
qui ontété adoptés unpeu tropavidement par
ceux qui n'ont pas examiné les circonſtances
qui devoient inſpirer de la défiance ; on
fait que le Comte de Mafferano fut envoyé
du Camp de St- Roch à Madrid , pour
annoncer l'arrivée de Mgr. le Comte d'Artois
; ce Prince ne fit que paffer rapidement
dans cette Capitale , parce que la
Cour étoit à St- Ildefonſe; quelques perſonnes
ſe perfuadèrent qu'il n'apportoit rien
moins que la nouvelle de la priſe de Gibraltar.
Toutes les Provinces d'Espagne furent
imbues de cette nouvelle par le Courier
de ce jour- là ; parvenue de certe manière
à Barcelonne , elle a voyagé depuis
dans les Provinces méridionales de la France.
Le Courier poſté ieur a dû la dér uire.
Celui de Mgr. le Comte d'Artois n'eſt arrivé
que le 12 de ce mois à 10 heures du foir. Les
dépêches qu'il a apportées ſont du premier de
( 129 )
ce mois ; elles annoncent qu'il ne falloit
plus que 3 ou 4 jours pour que tout fût
prêt.L'attaque générale étoiten conféquence
fixée à la nuit du 4 aus de ce mois , &
au plûtard à celle du sau 6 : ce qui nous
prépare à des nouvelles bien intéreſſantes
avant qu'il foit peu. En attendant on lit
dans ces dépêches du premier de ce mois .
>>Les Anglois ont continué à faire un grand feu
toutes les nurs & quelquefois même le jour , fans
caufer beaucoup de mal. Depuis le is Acût, ils ont
tué ou bleffé 40 à so hommes ; au nombre des
derniers font un Officer des Volontaires de Crillon ,
&un de l'artillerie Eſpagnole. Le feu qui prit à
l'eſpaldon le 18 , & qui pouvoit caufer beaucoup
de dommage , fut éteint par un Licurenant du régiment
de Lyonnois , M. Brulart , qui commandoit
so hommes. Celui de la batterie de St-Martin le
fut par 2 føldats du régiment de Naples , dont l'un
reſta plus de demi-heure monté ſur un merlon ,
où , étant environné de flammes , il fut encore expoſé
à être enlevé par 200 boulets , grenades , &c .
qui paſsèrent ſur ſa têre & à ſes côtés. Le Général a
voulu voir ce brave foldat , & il reçut des gratifications
de tous les Officiers .- Les ouvrages des
affiégeans touchent à leur point de perfection ; &
d'ici a 3 jours les nouvelles batteries de terre feront
prêtes à être démaſquées . Les batteries flottantes
le feront à la même époque. Il y en avoit le 30
fept de complettement finies & armées , & il reftoit
peu de choſe à faire aux autres. M. de Moreno
en eſt nommé Commandant Général , & le Prince
de Natſau , Major Général.-Juſqu'ici toutes les
fois que nos Princes étoient allés à la tranchée ,
l'ennemi avoit fuſpendu fon feu. Peut- être la troupe
dorée , un peu nombreuſe , le 29 , donna-t-elle de
T'humeur aux Anglois ; ce qu'il y a de sûr , c'eſt
f
( 130 )
qu'ils tirèrent ſur elle & qu'ils tirèrent fort juſte.
Deux boulets paſsèrent directement ſur la tête de
Monſeigneurle Comte d'Artois , l'un tomba à 6
pieds & l'autre à 10 pieds de lui. M. le Duc de
Bourbon étoit à ſes côtés. Une grenade éclata à
30 pas au plus de ces Princes.-Le Prince de
Naſſau eſt entré le 29 dans la baie d'Algétiras , où
ſe trouvoient déja le Saint- Ifidore de 64 canons ,
&une efcadre Eſpagnole compoſée d'un vaiſſeau
de 80 , de 2 de 70 , de a de 60 , & 1 de 54 .
Selon des lettres de Cadix, l'eſcadre combinée
qui ne pouvoit être éloignée , paroiffoit
devoir aller en droiture dans la baie d'Algéſiras.
On avoit embarqué ſur des tranfports
à Cadix un million de rations , de
munitions de toute eſpèce. Ces vivriers ont
dû faire voile pour Algéſiras, où l'on fuppoſoit
que l'armée devoit ſe rendre directement
, & où elle ſeroit plus à portée d'arrêter
la flotte Angloiſe , ſi elle ſe préſentoit
devant le détroir.
Les lettres de Lendres affurent que les
Anglois n'ont pas renoncé au projet de
fecourir Gibraltar ; elles portent que l'Amiral
Milbank n'a pas été au Texel , qu'il
eſt revenu à Spithéad le 6; & que le 8 l'Amiral
Howe devoit faire voile pour Gibraltar.
Selon ces lettres , l'eſcadre Angloiſe
eſt de 40 vaiſſeaux de ligne , ce qui paroît
impoſſible à ceux qui font au fait de l'état
actuel de la Marine Britannique ; &
ce qui ajoute encore aux raiſons d'en douter
, c'eſt qu'il n'eſt pas vraiſemblable que
l'on ait donné à l'Amiral Howe tous les
( 131 )
vaiſſcaux dont la Nation pouvoit diſpoter ,
dans un moment où les Hollandois font
en forces , & prêts à ſe porter ſur toutes
les côtes de l'Angleterre , qu'il feroit
très imprudent d'abandonner & de laiſſer
fans défenſe. On ajoute que cette eſcadre
conduitavecelle 100 bâtimens de tranſports .
On n'augure pas beaucoup en Angleterre de
cette expédition tardive ; & nous avons
ici plus de raiſons que jamais de n'en pas
mieux augurer ; ſi l'eſcadre a pu partir en
effet le 8 ; car il eſt très - poſſible qu'elle
ait tardé encore quelques jours ; il lui en
faut au moins 20 pour arriver; & il y a
beaucoup d'apparence que tout ſera fait
lorſqu'elle approchera du Détroit. On dit
qu'il a été expédié la nuit du 11 au 12 un
Courier en Eſpagne , pour y donner la
nouvelle des diſpoſitions des Anglois.
M. de Voyer d'Argenſon , Commandant
en Aunis , a pris , dit- on , à la Rochelle ,
la maladie qui a été ſi funeſte l'année dernière
à M. le Comte de Broglie ; on l'a
tranſporté aux Ormes; on ſe flatte que les
premiers buletins qu'on recevra feront fatisfaifans.
>> Parmi 4 bâtimens étrangers arrivés depuis peu
dans le port , écrit-on de Nantes , on compte le
navire la Résolution , de 80 tonneaux , & le Comte
de Graffe de so , venant l'un d'Edington avec un
chargement de tabac en feuilles , d'indigo & de
pellereries ; & l'autre de Sorthkey , chargé ſeulement
de tabac en feuilles. L'intempérance des
bateliers chargés de conduire l'eſpèce de bac que
1
f6
( 132 )
le roi entretient pour paſſer de la côte de Bretagne
à lifle de Bouen , a été cauſe que le 12 Août , 12
ou 15 habitans de cette ifle , parmi leſquels il
y avoit pluſieurs femmes enceintes, ont péri avec
le bateau & s chevaux .
On mande de Douarnenez en date du
9 Août le fait ſuivant.
>> Le chaffe - marée l'Emilie , de so tonneaux ,
monté ſeulement de 4 hommes , & du Maître , ſe
trouya , le 30 Joillet dernier , à une heure après
minuit , près l'Ile-de-Ré , entre deux corfaires ,
qui le forcèrent d'amener , après lui avoir tiré un
coup de canon & trois coups de fufil , dont une
balle atteignit , au talon , le Maître , nemmé Joſeph
Pomerat. Après ques Anglois eurent amariné ce
bâtiment , le Maître & 2 des matelots de l'équipage
furent mis à bord d'un des 2 corfaires , cù ils ont
été retenus 7 jours : on les a fait paffer enſuite fur
un navire Danois , qui les a attérés à Noirmoutier.
Les 2 autres matelots Bretons , Yves Thomas &
François Gaillard , étaient reſtés à bord du chaffemarée
, & faifoient route , avec les 5 Anglois , pour
Guernesey ; mais , contrariés par la brume & par
les vents , & ſe trouvant à la hauteur de Grofon ,
ils parvinrent à s'aſſurer de ceux- ci , & à ſe faire
échouer fur la côte. Le chaſſe-marée a été conduit
ici par ordre de l'Amirauté , & less Anglois ont
été mis en priſon. Les propriétaires du bâtiment ,
touchés de la bravoure de ces 2 matelots , viennent
d'ordonner qu'il leur ſoit payé une gratification
. M. le Marquis de Caſtries , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat , ayant le Département de la Marine ,
a bien voula auſſi leur en faire donner une pour le
compte de S. M. , à titre d'encouragement & de
xécompenſe <<.
Nous nous empreſſerons toujours de

( 133 )
donner une idée des entrepriſes qui
intéreſſent les Arts , les Artiſtes & les
Amateurs ; celle des Estampes qui doivent
embellir la collection complette des
OEuvres de J. J. Rouſſeau , imprimée àGenève
, mérite ſur tout d'être diftinguée. La
première livraiſon vient de paroître , elle
eſt compoſée de 6 Estampes deſtinées à
l'Emile ; elles ſont toutes d'après les deffins
de M. Cochin. Cet Artiſte célèbre s'eſt
impoſé la loi de conſerver les mêmes ſujets
indiqués par Rouſſeau lors des premières éditions
de ſes ouvrages ; on y remarque le
ſtyle noble & poétique de M. Cochin , joint
àl'expreffion & aux graces qui caractériſent
toures ſes productions. Nous ne pouvons
nous refuſer au plaiſir de jetter un coupd'oeil
rapide ſur chaque ſujet.
» L'éducation de l'homme commence à ſa naiffance
, a dir plus d'une fois Rouflean; c'eſt cette
idée qu'exprime le frontiſpice; on voit , autour
du bare de l'éloquent Genevois , une mère allaitant
fon enfant , en dégageant un autre des liens qui le
faiſaient gémir , & pluſieurs autres enfans s'occupant
àdifférens exercices relatifs à leur âge , dans un lieu
riant & champêtre. Thétis plongeant son fils
dans le Stix ,pour le rendre invulnérable , a fourni
à M. Cochin , l'idée de repréſenter , d'une manière
ingénieuſe , la follicitude maternelle. Deux nymphes
tiennent un voile ſuſpendu dans le fleuve au deſſous
de l'endroit où l'on plonge Achille. Le brillant cor--
rège de Thétis rend ce ſujetdigne de l'Albane.
Chiron exerçant le petit Achille à la courſe , offre
les mêmes graces que le précédent , par les épiſodes
qui l'enrichriffent,.-Hermès gravant fur des co-
-
( 134 )
Ionnes les élémens des ſciences , eſt d'un ſtyle plus
auſtère , mais non moins intéreſſant par l'exacte
obſervation du coſtume , & l'expreffion des ſpectateurs
qui écoutent le ſavant Triſmagiſte. On remarque
, ſur le devant , le dieu Canope ,& dans l'intérieur
d'un temple,les autres divinités Egyptiennes ,
Ifis , Oitis , Orus , & c. -Orphée enseignant aux
hommes le culte des Dieux , eſt un chef-d'oeuvre
par l'harmonie des effets , la diſtribution des plans
&l'heureux choix des attitudes .- Circéſe donnant
à Ulyſſe , qu'elle n'a pu transformer , offre le contraſte
pittoreſque de l'attitude ſuppliante de Circé ,
de l'effroi de ſes ſuivantes ,& du courroux d'Ulyſſe ;
cette compofition eſt remplie de mouvement de
chaleur & d'expreſſion ".
Cette premiere livraiſon eſt faite pour
donner l'idée la plus avantageuſe de la
collection entière; il ſuffit de nommer les
Artiſtes qui la gravent ; les burins de MM.
Choffard , de Launay le jeune , Prevoſt ,
Helman , Duclos , Halbon , ne méritent
pas moins d'éloges que le crayon de M.
Cochin ( 1 ) .
>>> La Société Royale de Médecine tint une ſéance
publique au Louvre le 27 Août dernier ; elle a
partagé entre MM. Camper , Affſocié Etranger à
Klein- Lankum , près de Franker en Friſe , & Baraillon
, Alſocié régnicole, dans le pays de Combrailles
, le Prix de 300 livres , propoſé l'année der
11) On a ſoufcrit juſqu'à préſent pour cette collection
précieuſe , chez M. Choffard , Definateur & Graveur ,
des Académies de Vienne & de Madrid , ancienne Cour
des Quinze- Vingts , rue St-Honorés le 15 Octobre prochain
ſon adreſſe ſera quai & bâtimens neufs des Théatins;
on ſouſcrit auſſi chez M. de la Foſſe , place du petit
Carrouſel,
( 135 )
nière ſur ce ſujet : Expofer la nature , les causes ,
leméchaniſme & le traitement de l'Hydropifie , &
Surtout faire connoître les ſignes qui fixent d'une
manière précise les indications des différens genres
de fecours appropriés aux divers cas & aux diverses
espèces d'épanchemens . Comme il étoit difficile
qu'une queſtion aufi étendue fût traitée complettement
dans tous ſes points , & le traitement
méthodique de l'Hydrepiſie étant l'objet ſur lequel
les deux Mémoires couronnés laiſſent le plus àdéfirer;
la Société propoſe pour le ſujet du Prix de
400 livres , fondé par le Roi : de Déterminer les
espèces & les différens cas d'Hydropiſie dans le
traitement desquels on doit donner la préférence
au régime délayant ou au régime fec. Les Mémoires
doivent être envoyés avant le premier Janvier
1784.- La Société propoſe pour le fajesd'un
Prix de 200 livres , de Déterminer par des obfervations
exactes fi le Scorbut est contagieux.
Elle a accordé divers Prix d'Encouragemens , conſiſtant
en médailles d'or de différentes valeurs à
MM. Lépecq de la Cloture , Médecin à Rouen
Poona , Médecin à Bruyeres , Jadelac , à Nanterre ,
Thion de la Chaume , Médecin de l'Armée Françoiſe
devant Gibraltar , & Leon Beltz , Médecin
à Sultz ; Elle a fait une mention honorable d'un
Mémoire de M. Caune , Médecin à Caën.- Les
Mémoires qui concourront pour les Prix , doivent
être adreſſés francs de port , à M. Vicq - d'Azyr,
Secrétaire perpétuel de la Société , rue des Petits-
Auguftins ; ceux deſtinés aux Prix d'Emulation
feront envoyés par la voie ordinaire de la Correfpondance.---
La Séance fut terminée par la lecture
de pluſieurs Mémoires dont nous ne pourrions
donner que les titres qui intéreſſeroient peu nos
lecteurs qui les confulteront lorſque la Société les
aura fait imprimer,
,
,
( 136 )
Joſeph Pellerin , ancien Commiffaire-
Général & premier Commis de la Marine ,
eſt mort à Paris le 30 du mois dernier dans
la 99e. année de ſon âge. Depuis ſa retraite
obtenue après 40 ans de ſervice , il
a conſacré le reſte de ſa vie aux lettres &
à l'étude de l'antiquité. Le cabinet de médailles
qu'il avoit formé & dont le Roi a
fait l'acquifition en 1776 , eſt le plus riche
& le plus précieux qu'ait poffédé jamais un
particulier. Les Savans les plus diftingués
& fur-tout les étrangers , lui ont donné
plus d'une fois des marques publiques de
leur eftime , & la réputation qu'il s'eſt acquiſe
par les ouvrages eſt d'autant plus
méritée , qu'il a tout à-la fois étendu &
éclairé la ſcience numifmatique.
Alexandre- Fraçois d'Argouges , Seigneur
de Fleury , Perthes , St-Martin , Arbonac
&autres lieux , Conſeiller d'Etat ordinaire ,
ancien Lieutenant-Civil de la Ville, Prévôté&
Vicomté de Paris , eſt mort en fon
Hôtel , rue Payenne.
Alexandre-Louis Charles Hardouin de
Morell; Vicomte d'Aubigny , Capitaine au
Régiment de la Rochefoucault , Dragons ,
eft mort à Melun le 26 du mois dernier
dans la 3te. année de fon âge.
François Jacques de Walfle , Comte de
Serrant , Baron d'Ingrande , du Pleffis- Male
& de Becou , eſt mott le 20 du mois der
( 137 )
nier au Château de Serrant enAufon dans
la 79e. année de ſon âge.
Edit du Roi , donné à Verſailles au mois d'Août
1782 , regiſtré en Parlement le 30 deſdits mois &
an . - >>>Les Six Corps des Marchands & autres
Communautés d'Arts & Métiers de la ville de
Paris, rétablis par Edit du mois d'Août 1776 , ayant
fait offrir au Roi une ſomme de 1,500,000 liv.
pour la conſtruction d'un vaiſſeau du premier rang ,
S. M. ſe propoſe de leur accorder la permiffion
d'emprunter , à conſtitution , la ſomme à laquelle
chacun deſdits Corps & Communautés s'eſt ſo imis
d'y contribuer ; & pour les mettre en état d'affurer
à leurs créanciers le paiement , tant des arrérages
des rentes qui feront conftituées , que le rembourſement
des capitaux d'icelles , S. M. a jugé
à propos de les autorifer à percevoir , juſqu'à l'en
tier rembourſement de la ſomme empruntée , une
augmentation de droits for les réceptions , fuivant
le tarif annexé audit Edit , à condition toutefois
que ladite augmentation ne pourra être appliquée
à aucune autre deftination
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , da 4 Mai. » Le
Roi étant informé qu'on abuſe de la faciliré accordée
par l'art. 14 de l'Arrêt de ſon Conſeil du
27 Août 1778 , concernant les elets provenans des
priſes , pour charger ſous voile ou en pays etian.
ger, des marchandises d'origine Angloiſe , & les
importer ſous la qualification de marchandiſes de
priſe chez les Nations alliées de S. M. Elle a jugé
néceſſaise d'expliquer les intentions. A quoi voulant
pourvoir : oui le rapport du ſieur Joly de
Fleury , Confeiller d'Etat ordinaire & au Confeil
Royal des Finances ; le Roi étant en ſon Confeil ,
a ordonné & ordonne que toutes les marchandiſes
dénommées audit art. 14 du règlement du 27 Août
1778 , & dont l'adjudication n'eſt faite qu'à la charge
( 138 )
du renvoi à l'étranger, ne pourront ſortir des ports
de fon Royaume qu'autant qu'elles feront accompagnées
de l'extrait du procès-verbal de vente faite
par l'Amirauté , ou par l'Intendant ou Ordonnatear
deMarine , duement certifié par le Greffier ou par le
Contrôleur de la Marine , & viſé par les Receveurs
&Contrôleur du Bureau des Fermes , leſquels , conformément
à l'art. 8 du même Arrêt , ſeront tenus
de faire mention que les marchandiſes ont réellement
été tirées de l'entrepôt , & embarquées ſur le
navire qu'ils déſigneront. Défend S. M. aux Commis
& Préposés de l'Adjudicataire de ſes Fermes , à
peine de deſtitution , & de plus grande peine
s'il y échoit , de laiſſer exporter aucune partie des
marchandiſes dont il s'agit , ſans qu'au préalable
ces formalités aient été remplies , &c. «
De BRUXELLES , le 17 Septembre.
On vient de publier dans les Pays - Bas
un Edit additionnel à celui dus Décembre
de l'année dernière , ſur les diſpenſes de
mariage ; il contient les 3 articles ſuivans. ,
1º. Tous ceux , qui pour contracter un mariage,
auront beſoin de diſpenſes dans des degrés plus proches
que le ze. & 4e. , ne touchant aucunement au
ſecond , avant de s'adreſſer à leur Evêque diocéſain ,
demanderont préalablement la permiffion de l'Empereur.
2°. Ils expoſeront à cette fin leurs raiſons &
leurs motifs au Gouvernement général , qui après
avoir fait ſes réflexions ſur leur folidité , portera le
cas à la connoiſſance de S. M. , s'il y trouve matière.
3 °. Ce ne ſera qu'après avoir obtenu la permiflion
Impériale , & en la produiſant en original , que les
parties pourront s'adreſſer à leur Evéque , qui follicitera
en leur nom la diſpenſe du S. Siége , & cette
( 139 )
diſpenſe étant accordée l'Evêque en informera particulièrement
l'Evêque compétent.
On lit dans un papier d'Allemagne les
détails ſuivans.
၁၁ Le Pape a accordé , depuis peu , aux Evêques
des Etats de l'Empereur 22 priviléges dont jouifſent
ceux de la plupart des autres Etats Catholiques.
Un de ces priviléges eſt , entr'autres , de
pouvoir acheter & lire des ouvrages d'Hérétiques ,
afin de les réfuter , à l'exception toutefois des ouvrages
ſuivans que S. S. défend abſolument de
lire , ſavoir : les OEuvres de Carlo Molineo , de
Niccolo Macchiavilli , l'Hiſtoire Civile de Napies ,
par Pietro Giannone , la Pucelle d'Orléans , l'Efprit
, Inſtruction ſur le St-Siége de 1765 , OEuvres
de la Mettrie , les Colimaçons , Abrégé de l'Hiftoire
Eccléſiaſtique de Fleury , Réflexions d'un Italien
ſur l'Eglife , Syſtême de la Nature , le Vrai
Deſpotiſme , la Raiſon par Alphabet , Ellai de Lorenzo
Iſembie h ſur la Prophétie d'Emanuel , & tous
les Livres très - dangereux de l'Aftrologie Judiciaire.
Un autre leur permet de diſpenſer des Voeux
ſimples , ceux de Religion & de Chaſteté non compris
, pourvu qu'ils y ſubſtituent quelques oeuvres
pies. Un troiſième leur permet de conſacrer tous
les Vales, tous les paremens des Autels , & de rendre
à une Eglife , par des bénédictions , la pureté
qu'une profanation fortuite ou volontaire lui auroit
enlevée , &c . &c. «
Selon des lettres de la Haye , le Stadhouder
a fait un nouveau voyage au Texel ; on
préſume que ſon objet a été de hâter le départ
des vaiſſeaux de guerre qui s'y trouvent;
il eſt parti , dit- on , le 8 de ce mois.
>> Il eſt ſorti du Texel ainſi que du Vlie , écrit on
d'Amſterdam , un grand nombre de navires ; 2 ſont
( 140 )
destinés pour l'Amérique , 46 pour la mer Baltique ,
plufieurs pour les ports de France , d'Eſpagne, la mer
du Levant , les Indes Occidentales , I pour Batavia ,
I pour le Cap de Bonne-Eſpérance. Les 3 navires
de la Compagnie des Indes Orientales , qui
depuis l'année dernière ſe trouvoient à Drontheim ,
en ont mis à la voile ſous le convoi de quelques
vaiſſeaux de guerre. Le Capitaine d'Almeyer , arrivé
le 8 d'Archangel au Texel , rapporte que le 28 du
mois dernier , il avoit hêlé à 6s degrés de latitude
ſeptentrionale , anx Iles de Roemdaale, les vaiſſeaux
de la Compagnie des Indes , le Triton & le ' tLoo ,
qui , du 26 au 27 du même mois , ont été ſepatrés
du convoi par une forte tempête ; il ajoute que ces
deux vaiſſeaux dirigeoient leur route le long de la
côre du Nord .
Selon les mêmes lettres les Etats-Géné
raux ont fait, diſtribuer une fomme de
10,270 florins entre les veuves & les enfans
des Officiers & Matelots du corſaire
Hollandois le Daperer , qui ſauta en l'air
fur la fin de 1781.
» Le 9 Septembre 1782 , écrit-on de Tonnerre ,
le hameau de Vaulichères , près de cette Ville, com
poſé de 75 ménages , a été entièrement réduit en
cendres ; une femme & un enfant ont péri dans
les flammes , il y a eu beaucoup de beſtiaux de
brûlés; les habitans de tout âge , au nombre de
300 , ont été obligés de chercher un abri à Tonnerre&
dans les endroits voiſins; un tiers d'entre eux
n'a ſauvé que les vêtemens qu'ils avoient ſur leurs
corps; les habitans de Tonnerre & des environs
ſe ſont empreſſés de porter les premiers ſecours en
pain& en vêtemens à ces malheureux. Parmi les
bonnes oeuvres qui ont été faires à cette occafion ,
on doit diftinguer particulièrement celle du ficar
( 141 )
,
Roſe , Citoyen de Tonnerre & Officier Municipal
de ladite Ville , il devoit marier ſa fille le lundi
ſuivant 16 Septembre il faifoit les préparatifs
du repas de noce , & deſtinoit cent écus à cette dépenſe
; mais touché du triſte ſort des incendiés ,
de concert avec ſa femme & ſes enfans , il a renoncé
au projet du repas de noces , & a appliqué ces
cent écus au fonlagement de ces malheureux. Les
ames fenfibles & charitables s'emprefferont fans
doute d'imiter une ſi belle action , elle font priées
de dépoſer leurs aumônes entre les mains de
Me. Foacier , Notaire , rue Traverſière, à Paris .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 10 Sept. au foir.
En 1753 , ſous l'adminiſtration de M. Pelham
les établiſſemens de la Guerre & de la Marine ne
paffoier. pas deux millions ; en 1773 , ils montoient
àplus de quatre. En 1763 , la dette nationale n'alloit
qu'à 70 millions ; en 1773 , elle paſſoit 118
millions. En 1753 , le pain de quatre livres valoit
quatre fols & demi ou cinq fous ; en 1773 , il coûtoit
preſque le double , & toutes les denrées de
première néceflité ſont montées en proportion. -- Un
Particulier ruiné ainsi que tant d'autres par la guerie
d'Amérique , obſerve que dans le courant de l'année
qui précéda immédiatement les hoſtilités , le
Port de Bristol envoya en Amérique 141 navires
celui de Liverpool 105. Il en eſt ſorti la même année
du premier 32 pour l'Afrique & 74 du ſecond.
-De 2000 hommes employés cette année à la
pêche dans les mers du Groenland , l'Amirauté n'a
pu ſe procurer que le quart ; le reſte s'eſt évadé,
Il est arrivé dans la Tamiſe onze vaiſſeaux venant
de la Baltique , trois deſquels font chargés de bois
de conſtruction pour les chantiers du Roi. La va
( 142 )
leurde la flotte entiere qui eſt attendue , va, dit-on ,
à 2,230,000 liv. ſt. Les cargaisons pour le compte
du Gouvernement ſont évaluées à plus d'en million.
Il ſe débitoit le 8 à Déal que l'Eſcadre Hollandoiſe
n'étoit éloignée que de quelques lieues des
Dunes. Ce bruit jetta l'épouvante parmi les vieilles
femmes qui commencèrent à chercher des lieux de
fûreté pour y dépoſer leurs effets,les plus précieux.
Elles s'attendoient à chaque inſtant à voir paroître
les Mynheers ; mais ces craintes frivoles s'évanouirent
au coucher du ſoleil , aucune Eſcadre ennemie
ne s'étant approchée de nos Côtes . Il est néanmoins
certain que les vaiſſeaux mouillés aux Dunes eurent
ordre d'appareiller. Le Rippon mit à la voile pour
la Tamiſe & fut ſuivi par les deux bâtimens vivriers ;
lés autres bâtimens de commerce mitent à la voile
pour Porstmouth ſous l'eſcorte du floop le Flying-
Fish Le pavillon de l'Amiral Drake eſt actuellement
hiſſé àbord du Scourge, floop de guerre de
-
16 canons .
Le Chevalier James Lowther s'eft rendu le 6 du
mois dernier chez le Lord Keppel. Après s'être plaint
dece que les ſouſcriptions ouvertes pour conſtruire
des vaiſſeaux de guerre produiſoient fi peu d'effet ,
il a prié ce Lord de demander pour lui au Roi la
permillion d'offir à S. M. un vaiſſeau de guerrede
74canons complètement armé , gréé , approviſionné
& en état de combattre , &donttoutes les dépenſes
feront faites à ſes frais. Le Lord Keppel a été fi
étonné d'un pareil trait de patriotiſme qu'il a reſté
quelque temps ſans pouvoir proférer une ſeule parole.
A la fin , il a aſſuré le Chevalier Lowther
qu'il alloit fur-le-champ rendre compte de ſa demande
au Roi. Sa Majeſté a accepté de la manière
la plus gracieuſe les offres de ce généreux Citoyen.
( 143 )
-On estime à 74,000 liv. ſterl. les frais que ſera
obligé de faire M. Lowther.
Nous liſons chaque jour dans quelques Gazettes
que l'activité de notre Miniſtre de la Marine eſt ſurprenante
, incroyable. Elle est certes incroyable ,
car elle est inviſible. Notre vue & rous nos ſens
nous prouvent au contraire que les Gazetiers & les
Imprimeurs font les ſeuls qui ſoient doués de cette
activité : ſi les,Apologiſtes de nos Miniſtres vouloient
affaifonner leurs productions d'un peu d'efprit
& d'enjouenient , nous reconnoîtrions alors à
coup für que tous ces beaux éloges qu'ils prodiguent
aux Miniftres doivent être pris ironiquement. - Un
Citoyen de Londres lifant dernièrement les réſolutions
des Ecoffois , s'écria : Il y a donc auſſi des
Whighs dans ce pays ? & que font-ils de leurs
Torys ? Ils s'en débarraſſent en nous les envoyant ,
lui répondit un autre.
Le 7 , le Royal- George s'eſt prodigieuſement
élevé , de manière que la moitié de ſes mâts eſt
actuellement hors de l'eau ; cette circonſtance eft
très- extraordinaire ; mais quelques perſonnes penfent
que le côté de deſſous le vent s'étant détaché
, tous les canons & toutes les munitions qui
étoient dans cette partie du vaiſſeau , ſont tombés
dans la mer. On a éprouvé la machine à plongeon ,
dont on doit ſe ſervir pour eſſayer de retirer quel-
- ques munitions qui étoient dans le vaiſſeau . L'homme
qui en a fait l'eſſai a reſté ſous l'eau 48 minutes , on
l'a dû conduire à Spithéad .
La plupart de nos papiers parlent d'un fait trèsfingulier
, & dont l'hiſtoire de ce Royaume qui eſt
fi fertile en évènemens extraordinaires , n'offre aucun
exemple , c'eſt une tentative pour enlever les
actes ſecrets du Conſeil . Ce Conſeil avoit été afſemblé
extraordinairement ; après le départ des
( 144 )
L
Membres qui le compoſoient, les Clercs ferrèrent
les papiers à l'ordinaire , le lendemain en rentrant
dans le Bureau , on y trouva tout bonleverſé. Des
gens avoient trouvé le moyen de s'introduire pen.
dant la nuit pour prendre les notules de la veille ,
qu'heureuſement Mylord Cambden avoit emportées
avec lui .
L'Impératrice de Ruſſie a engagé à ſon ſervice
un grand nombre de Jardiniers Anglois.
>> On trouve dans un papier Américain une idée
très- piquante. Après avoir expoſé plufiears articles
curieux que l'on ſuppoſe devoir ſe trouver dans les
Gazettes des Etats - Unis en 1800 , on donne un
paragraphe de la teneur ſuivante.-La flotte qui
mouille dans ce port eſt compoſée des vaiſſeaux le
Montgomery de 90 , le Warren de 90 , le Mercer
de 80 , le Woofter de 74 , le Nash de 74, le Polaski
de 74 , le Lynch de 74 ,le Woodford de 74, le Kalb
de 74, le Randolph de 64 , le Briddle de 64 , le
Weeas de 64 ,le Drayton de 64 ; outre ſept frégates
& trois chaloupes de guerre. Quant à
la flotte de l'Amiral Jones , a Charles Town , elle
eft compoſée de 17 vaiſſeaux de ligne & de neuf
frégates; & la flotte commandée par l'Amiral Nicholfon
confifte en II vaiſſeaux & 5 frégates. Ces
dernières ont depuis peu été achevées dans le nouveaubatlinde
Cheſter, près de cette ville. Le prompt
accroiflement des forces navales de l'Amérique ,
(leſquelles ne conſiſtoient en 1781 qu'en 2 frégates
Fédérales & une appartenante aux Etats mêmes, )
doit étre attribué à l'extravagance de la Cour Britannique
, qui changea en 1782 la guerre , malheareuſement
conduite depuis quelques années,en guerre
de mer, ce qui tourna auffi- tôt le génie , le courage,
les reſſources des Etats- Unis vers la conſtruction &
l'équipement d'une force navale qui les a rendus la
quatrième Puiſſance maritime du monde ".
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 28 SEPTEMBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
RÉPONSE à M. *** , qui m'avoit dédié
une Satyre contre les Ouvrages Licentieux.
1
GLOIRE , fortune & grand merci
Pour la flatteuſe dédicace
Dont vous honorez votre ami.
Mais , qu'en diront les gens en place ?
Ils rirent d'un air de pitié
De votre gauloiſe amitié.
Pour moi , je crains fort qu'on ne gloſe
Sur vos vers & fur votre profe.
Comment ! dans ce ſiècle félon
Vous oſez , bravant nos uſages ,
Vous aviſer d'avoir raiſon ,
Même en critiquant nos Ouvrages !
Eh ! croyez-moi , mon cher ami ,
Laiffez dans ſa trompeuſe allure
Nº. 39 , 23 Septembre 1782.
G
146
MERCURE
Le monde errer à l'aventure ,
Et n'en prenez aucun ſouci;
S'en affliger , n'eſt que folie ,
En vain ſon nom fut reſpecté ;
Dans tous les temps la vérité ,
Chez les humains mal accueillie ,
A langui dans l'obſcurité.
Vous avez vu la calomnie
Troubler le repos de ma vie
Pour prix de ma ſincérité.
Voulez-vous plaire à vos ſemblables
Par des menſonges agréables ,
Flattez leurs goûts , leurs paffions ;
A leurs vices rendez hommage ,
Repaiſſez-les d'illuſions ,
Et vous obtiendrez leur fuffrage,
MAIS , qu'oſai-je vous propoſer ?
Vous , par une coupable adreſſe ,
Aller lâchement careſſer
Le ſot orgueil & la baffeffe !
Nén: gardez la noble fierté
Qui fied à votre caractère ;
S'il faut perdre la liberté ,
Que ce ſoit aux pieds de Glycère ,
Enchaîné par la volupté.
LOIN des littéraires ſcandales ,
Et des partis& des cabales ,
DE FRANCE. 147
Vivez en paix , chantez l'Amour ,
De Bacchus célébrez l'ivreſſe ,
A vos amis donnez le jour ,
Et la nuit à votre maîtreffe .
(ParM. François , Peintre. )
VERS à Mile FANNIER , en lui envoyant
l'École des Pères , Comédie en trois Actes
& en vers , refusée par l'Assemblée des
Comédiens , le 30 Juillet 1782. *
JEUNE Soubrette , à qui Thalie
Doit aujourd'hui ſes plus brillans ſuccès ;
Toi , dont le jeu fi fin , la piquante ſaillie
D'un minois agaçant relèvent les attraits ,
Belle Fannier , je t'offre mon hommage.
Si le comique Aréopage ,
Pour mieux m'encourager , condamne mes eſſais,
J'oſe appeler de ſes arrêts ,
Puiſque j'ai pour moi ton fuffrage.
Règne à la fois ſur l'eſprit , ſur les ſens ;
Célèbre dans unArt que Paris idolâtre ,
Triomphe à Paphos , au Théâtre ;
Joins au myrte amoureux la palme des talens.
Heureux qui près de toi ſoupire ,
* Cette Pièce ſe trouve chez la Veuve Duchefne,
Libraire , rue S. Jacques.
:
Gi
148 MERCURE
Qui peut te parler de ſon feu ,
Et t'exprimer cent fois l'ivreſſe & le délire
Qu'inſpirent tes attraits , tes grâces & ton jeu !
( Par M. de Saint-Ange. )
VERS récités par une Jeune Demoiselle
à M. le Curé de Saint - Sulpice , le jour
de fa Vifite au Catéchifme.
Ονοvous , dont le zèle pieux
A la Religion conſacre notre enfance ,
Vous voyez le plaifar & la reconnoiſſance
Briller ici dans tous les yeux !
Tout s'y reſſent du jour heureux
Que nous donne votre préſence.
Oui , qu'il eſt doux de voir le ſage & doux Pasteur ,
Qui , prêchant la vertu chaque jour dans ce Temple ,
Lui gagne d'autant mieux le coeur ,
Qu'il eſt perfuadé déjà par ſon exemple!
Je vois le pauvre en pleurs vous bénir à jamais ,
Et, levant vers le Ciel ſes mains infortunées ,
Lui demander pour vous autant d'années
Que chaque inſtant ſur lui vous verſez de bienfaits.
Puiffiez- vous donc , au gré de nos voeux fatisfaits ,
Guider un fiècle encor le troupeau dont le zèle
Répond à vos ſoins affidus.
Qui , l'on prend aisément du goût pour les vertus,
Quand on en chérit le modèle.
(Par M. Damas. )
DE FRANCE. 149-
Aux Auteurs du Mercure de France.
SOUFFREZ , Meſſieurs , que je vous rap
pelle un Ouvrage nouveau que vous avez
fans doute oublié , puiſqu'il eſt déjà fort
éloigné de la circonstance qui l'a fait naître
& que vous n'en avez fait encore aucune
mention. Le ton d'impartialité , de décence
&de philofophie qui caractériſe votre Journal
, ne permettent point de vous prêter un
motif injurieux. Vous voudrez bien au moins
que je répare un oubli qui peut décourager
un talent qui me paroît digne d'être encouragé
, c'eſt ce que j'attends de votre équité ;
&je vous promets à mon tour de n'être pas
long. Je veux parler d'un Ouvrage de M.
Baumier , intitulé : Hommage à la Patrie.
Je ne fuis pas Homme de Lettres. J'entreprendrai
d'expoſer , & non de difcuter , encore
moins de prouver mon opinion ; mais
je crois qu'il ſuffit de fentir pour juger un
Poëte qui parle au coeur. C'eſt-là ce qui caractériſe
le talent de M. Baumier ; tout ce
qui fort de ſa plume reſpire l'humanité &
le patriotifme. Le critique ſévère y trouvera
ſans doute des négligences à relever ;
mais le citoyen & l'homme ſenſible feront
intéreſſés ; & leur émotion louera plus dignement
l'Auteur que tous les éloges qu'on
pourroit prodiguer à ſon talent.
M. Baumier , convaincu que la naiſſance
1
Giij
τςό MERCURE
d'un Héritier de la Couronne , c'est-à- dire ,
d'un Prince dont la deſtinée induera fur celle
de vingt millions d'hommes , n'eſt pas un de
ces événemens vulgaires qui ne doivent
faire aucune impreſſion ſur le citoyen philo.
fophe, a voulu le célébrer avec ce ton de
fenſibilité & d'élévation qui convient à un
pareil fujer. C'eſt à M. Ducis qu'il a dédié
fon Ouvrage. Il dit à ce célèbre Tragique :
Qued'inftansen inftans ton fublime pinceau
Nous offre des vertus le confolant tableau ;
Et , malgré les clameurs d'un injuſte Ariftarque ,
Sous les traits d'un bon Roi peins-nous notre Monarque;
Peins-nous- le dans fon ſein portant tous ſes Sujets ,
Faiſant de leur bonheur la fin de ſes projets ;
Et ſous les traits touchans de la beauté modefle,
De l'Admète François peins-nous l'auguſte Alceſte.
Permettez- moi de vous citer encore un
portrait, dont le modèle ſera aisément reconnu
.

Regarde en ce jardin cette roſe nouvelle ;
Toutes les autres fleurs s'inclinent devant elle :
Elle règne , & pourtant ce règne glorieux
D'un empire plus beau n'eſt que l'emblême heureux,
Épris de ſa beauté, le Maître du tonnerre
Envie , en la voyant , le bonheur de la terre ,
Et , jaloux de jouir de ce rare tréſor ,
De l'Olympe il deſcend ſur un nuage d'or.
L'Amour vole auſſitôt près de la fleur vermeille , &c.
DE FRANCE.
Le Maître des Dieux conçoit alors le defſein
d'une métamorphofe.
Quelle beauté naîttoit d'une ſi belle roſe ,
Dit-il , & je portois la vie en ſon beau ſein !
Dans ſon calice alors il ſouffle un feu divin.
De ce ſouffle ſacre la puiſſance motrice ,
D'un eſprit créateur anime ce calice ;
Il treſſaille , & foudain les feuilles d'alentour ,
Par le même pouvoir , s'animent à leur tour.
Tout change au même inſtant , & cette fleur heureuſe
N'eſt plus qu'une beauté céleite & radieuſe.
Après avoir comparé à Vénus cette beauté
nouvelle , Jupiter continue ainfi :
!
La fleur qui l'enfanta brille ſur ſon viſage.
Sur ſon front rayonnant des traits de la beauté ,
Ladouceur ſe marie avec la majefté.
Des cheveux ondoyans où le zéphyr badine ,
Flottent ſans la cacher ſus ſa taille divine ;
Et pour mieux l'embellir la pudeur tendrement .
D'un voile délicat la couvre en rougiffant ;
Sa voix & ſon ſourire ont ce charme qui touche ;
La roſe , qui n'eſt plus , eſt pourtant ſur ſa bouche,&c.
Ce dernier vers m'a paru très - heureux ,
ainfi que les quatre que je vais tranſcrire :
Lorſqu'on veut conſacrer une loi ſur la terre ,
L'éloquence ſouvent ſert mieux que le tonnerre :
La force ne vaut pas la perfuafion :
On peut braver la foudre , on cède à la raiſon.
Giv
152
MERCURE
Je me souviens , Meſſieurs , que j'ai promis
d'être court; je tiendrai parole , quoique
à regret. Je crois pourtant que ſi l'Ouvrage
vous fût parvenu , les vers que je viens
de citer vous auroient paru mériter une
mention dans votre Journal . *
J'ai l'honneur d'être , &c .
MARCY DE LA BASSEBOULOGNE .
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
duMercureprécédent.
Le mot de l'énigme eſt les Anneaux d'un
rideau de lit ; celui de l'énigme ou du Logogryphe
eſt Mari : en mettant un chevron
briſe ſur l'a , on aura mari; celui du Logogryphe
eſt Bonbon.
ÉNIGM E.
J'ÉTOIS , Lecteur , ce que l'on vous voit être
Devant être ce que je ſuis ;
Et vous ferez ce que je ſuis
Étant ce que vous devez être.
A
(Par M.le Comte deM. )
* Cet Ouvrage ſe vend chez le Gras, Libraire
Quai de Conti , à côté du petit Dunkerque..
DE FRANCE
153
J
LOGOGRYPH Ε.
E ſers tantôt à Flore & tantôt à Pomone ;
Des Bergers autrefois je portois la couronne ;
Mais depuis qu'il n'eſt plus de Colin , de Philis ,
Je vais plus au marché qu'aux fêtes de Cypris.
Par fois encore à table on aime ma préſence ,
Mais mon mérite en tout eſt peu de conféquence,
Ce n'eſt jamais de moi qu'on fait le plus de cas.
Si d'après ce tableau tu ne me connois pas ,
Vois fi par ce nioyen tu pourras me connoître.
Neuf lettres compoſent mon être ;
J'invente pour te plaire un ſupplice nouveau ;
Car je vais à tes yeux me montrer par morceau.
De mes membres unis tupeux changer la place ,
Je t'offrirai d'abord un inſtrument de chaſſe ;
Un ordre Souverain du Parlement Anglois ,
Que le peuple en entier n'admet preſque jamais
L'endroit où l'eſprit fait fon premier exercice
Où tu peux m'envoyer ſans beaucoup d'injuſtices
Un meuble utile à l'homme , & qui ſert à cacher
Cequ'une jeune fille aime bien à montrer ;
Une qualité rare autant qu'elle eſt chérie ,
Qui fait raître l'amour ou bien la jalouſie ;
Cemétal précieux dont un peuple en fureur
Fit dès ſon origine un fléau deſtructeur ;
L'organe le plus cher au bonheur de la vies
154
MERCURE
Ce que ſouvent néglige une Actrice jolie ;
Un vêtement de femme , & qui , changeant de nom ,
Doit annoncer le rang , & l'âge & la faiſon ;
Ce qui te rend ſenſible aux charmes de Thalie ,
Aux doux accords de Gluck , aux chants de Roſalie;
Une couleur commune , attribut des maris :
Dieu t'en garde , Lecteur.... Devine.... je finis.
( Par un Officier du Régiment du Roi Infanterie.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
PLAN des Travaux Littéraires ordonnés
par Sa Majesté , pour la recherche , la
collection & l'emploi des monumens de
l'Histoire & du Droit public de la Monarchie
Françoise. A Paris , de l'Imprimerie
Royale.
SI les Lettres peuvent étendre au loin la
gloire d'une Nation , c'eſt à l'équité de ſes
Joix & à la connoiffance du droit public à
en affurer le bonheur. Depuis quelques années
, pluſieurs Ouvrages importans fur cette
matière ont été publiés , & d'autres font encore
ſous la main de leurs Auteurs . Mais les
recherches d'un particulier ne peuvent porrer
la lumière que ſur un ſeul endroit , ou
tout au plus d'eſpace en eſpace ; il faut un
concours de travaux & de coopérateurs
pour éclairer tout ce chaos immenfe & té
DE FRANCE. 159
1
nébreux. Cette Société là exiſte depuis vingt
ans; elle exiſte avec toutes les conditions
qui peuvent la rendre propre à remplir ce
grand objet ; elle exiſte établie , protégée
&dirigée par le Gouvernement. Sa Majesté
vient de permettre enfin que le Plan de cet
établiſſement ſoit rendu public , ce qui doit
ajouter encore à fon utilité. On nous défend
de le louer ; mais on nous permet d'en
parler , c'eſt ne nous avoir rien interdit. On
fait qu'il y a des cas où le ſeul récit devient
éloge , où le ſimple Hiſtorien produit l'effet
du panegyriſte. Une courte notice du Plan
imprimé fuffira donc pour remplir nos vûes ,
ſans contrevenir à la défenſe qui nous a été
faite. :
Les monumens de l'Histoire & du Droit
public ne nous ont jamais manqué; toujours
nos Rois ont eu leurs Chancelleries , & les
Monastères leurs dépôts. Les guerres féodales
mirent au pillage les archives des anciennes
villes; on refpecta les dépôts qui étoient
ſous la ſauve-garde des Egliſes. Mais tous
ces tréſors deviennent un luxe inutile , s'il
n'y a pas des hommes capables de les juger ,
de les choisir & de les employer. On fait
que la seule Congrégation de Saint-Maur ,
livrée à l'étude par état , a rendu plus de fervices
à notre Hiſtoire par la découverte des
monumens , que tous les Savans iſolés , qui
n'ont ſuivi que l'attrait de leur goût , ou le
defir de ſe faire un nom. D'après ce principe,
profiter des fecours que cette ſavante Con-
:
Gvj
156 MERCURE
grégation nous a toujours donnés ; » employer
les laborieux Littérateurs qu'elle renferme
encore ; leur joindre dans tous les
états une foule de Collègues animés du zèle
du bien public ; leur indiquer à tous une
marche commune ; procurer à leurs travaux
les instrumens dont ils ont beſoin ; donner
à cette multitude d'Ouvriers un centre d'activité,
une correſpondance facile, des en
couragemens d'honneur , des motifs d'émulation;
établir un magaſin où ils puiſſent
tous déposer le produit de leurs recherches;
les y retrouver , & s'en faire même rendre
compte; " voilà le ſeul Plan qu'en pouvoit
imaginer , & c'eſt celui qu'on a ſuivi.
Le feu Roi établit d'abord un dépôt des
Chartes , fous la garde de M. Moreau ,
Hiſtoriographe de France , & qui depuis a
été mis ſous la direction du Miniſtre des
Loix. On joignit à ce dépôt , qui ne renfermoit
que les monumens de notre Légiflation
, un autre Cabinet deſtiné à conferver
les matériaux de notre Hiſtoire.
Pour ſe mettre en état de connoître les
matériaux déjà découverts , mais diſperſés
en divers lieux , le Roi fit impringer des Catalogues
, commencés par M. Secouffe , &
continués par M. de Bréquigny; ils ont déjà
fourni trois Volumes in-folio ; & pour découvrir
ceux qui n'étoient pas connus , on
engagea dans ce travail la Congrégation de
Saint-Maur.
Le Savant , quel qu'il foir , qui doit coopé
DE FRANCE. 157
rer à ce grand Ouvrage , reçoit pour titre
une Lettre du Miniſtre , & enfuite une inftruction
qu'on trouve à la fin du Plan imprimé
, & qui dirige les travaux. Ils ont été
fi heureux juſqu'à préſent , qu'on poſsède
aujourd'hui trente mille copies de monumens
anciens , qui , pour la plupart , étoient inconnus
à nos Hiſtoriographes ; encore n'2-
t'on fouillé que dans un petit nombre d'archives.
On a déjà le Catalogue des Pièces découvertes
; on travaille maintenant à un autre
Catalogue de celles qu'on n'a pas pu trouver
encore. Il forme déjà environ ſept mille
notices. Le ſoin de cette Édition ſera confié
à M. de Bréquigny ; & le premier Volume
fera bientôt en état de paroître.
Dès l'année 1779 , on commença à tenir
fous les yeux du Miniſtre des Affemblées régulières.
Les perſonnes qui compoſent ces
Comités , font M. le Marquis de Pauliny ,
M. de Bréquigny , fix des plus ſavans Religieux
de la Congrégation de Saint Maur ,
&M. Moreau , qui vient de publier le Plan
que nous nous hâtons d'annoncer au Public..
Tel eſt l'efprit de cet établiſſement National.
On invite , pour concourir à leur utilité,
tous ceux dont les ancêtres ſe font diftingués
par des honneurs ou des ſervices
rendus à l'État , d'adreſſer à M. Morcau
des copies de leurs titres originaux ; ils
n'auront pas befoin d'affranchir leurs paquets;
& c'eſt avec reconnoiffance qu'on
158 MERCURE
recevra les nores qu'ils voudront bien y
joindre , pour jeter un plus grand jour
fur leur hiſtoire particulière.
:
1
HISTOIRE de Charlemagne , précédée de
Conſidérations fur la première Race , &
Suivie de Confidérations fur la feconde ;
par M. Gaillard, de l'Académie Françoiſe
& de l'Académie des Inſcriptions &
Belles - Lettres. A Paris , chez Moutard,
Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins ,
1782 , 4 Vol. in - 12 .
;
Dernier Extrait.
W
CET Extrait montrera Charlemagne dans
ſa vie privée.
Ce Prince eut neuf femmes , ſoit femmes
en titre , ſoit concubines. Il faut voir
Tome ſecond , Chapitre intitulé : Famille
de Charlemagne , le caractère & l'hiſtoire
particulière de toutes ces femmes , les troubles
qui naquirent quelquefois de leurs intérêts
& de leurs intrigues , & qui exposè
rent Charlemagne à deux conjurations ,
dont l'uneeut pour chef un de ſes fils , Pépin ,
dit le Boffu. Celle ci fut découverte par un
hafard fingulier. Les Conjurés s'étoient donné
rendez - vous dans une Égliſe pour délibérer
fur leurs affaires ; ils en avoient fermé les
portes: là , fe croyant ſeuls , ils dévoilèrent
fans crainte ce que leur complot avoit de
plus coupable. Près de ſe ſéparer ,ils fon
DE FRANCE. درو
gèrent àprendre une précaution qu'ils avoient
d'abord un peu négligée , celle de s'affurer
qu'il n'y avoit perſonne dans l'Églife ; ils
trouvèrent ſous l'autel un Eccléſiaſtique caché
, qui avoit été à portée de les entendre :
il étoit tellement ſaiſi d'horreur de tout ce
qu'il avoit entendu , & d'effroi de ce qu'il
avoit à craindre pour lui- même , que , n'en
pouvant tirer aucun éclairciſſement , ils le
prirent pour un imbécille ; ils fe contentèrent
de le faire jurer qu'il ne révéleroit rien
de ce qu'il avoit entendu. Échappé d'un tel
péril , cet homme courut tout révéler ; les
Conjurés furent arrêtés , & condamnés à
divers fupplices. Le Roi ne fit grâce qu'à
fon fils , & ne lui fit grâce que de la vie.
Pépin fut rafé & enfermé dans le Monaftère
de Prum , où il finit ſes jours du vivant
même de ſon père , en 811 .
Tels étoient les chagrins que trouvoit au
fein de fa famille ce Charlemagne qui remplifſoit
l'Univers de ſa gloire. Si l'on ne peut
pas dire abſolument qu'il les eût mérités ,
on ne peut pas dire non plus qu'il eût la
confolation de n'avoir à cet égard aucun reproche
à ſe faire. Ce Roi , diftingué entre
tous les pères par ſa tendreffe pour ſes enfans
, n'avoit pas peut-être été affez tendre
ni affez juſte envers Pépin .
:
Onprétend que ſa tendreſſe pour ſes filles
nuifit à leur établiſſement. Éginard dit formellement
que ce Monarque ne put jamais
ſe réfoudre à les marier , parce qu'il ne pou
160 MERCURE
voit s'en ſéparer ; il eut ſujet de s'en repentir.
Des défordres honteux deshonorèrent ſa
Maiſon ; Rotrude eut un fils du Comte
Roricon ; Berthe eut deux enfans d'Angilbert
; les galanteries d'Hiltrude avec Odillon
causèrent encore plus de ſcandale. L'aventure
d'Emma & d'Éginard eſt diſcutée dans
l'Ouvrage avec dérail.
Charlemagne , outre fes neuf , tant femmes
que concubines , paroît avoir eu plufieurs
maîtreffes proprement dites , & avoir
aimé diverſes femmes , dont on fait qu'une
au moins lui fut rebelle , c'eſt Sainte Amalberge
: peut-être obtint- elle principalement
ce titre de SAINTE , pour avoir eu le courage
de réſiſter au plus puiſſant des Rois , &
au plus aimable des hommes. L'accident arrivé
à cette vertueuſe fille , qui , en voulant
échapper à Charlemagne , tomba & fe caffa
le bras , n'a pas peu contribué fans doute à
établir la réputation d'incontinence , dont
la mémoire de ce grand Prince eſt reſtée
chargée. En effet , cet air de violence , & je
ne ſais quel air d'inceſte ſpirituel que ce titre
de Sainte femble avoir répandu après coup
fur cette entrepriſe de Charlemagne , ont
dû faire tort à ce Prince. Cependant , plus
la vertu de la Sainte doit avoir été prompte
à s'alarıner , plus il reſte permis de croire
que le généreux Charlemagne n'eut contre
lui que les apparences , & n'avoit pas réellement
intention d'aller juſqu'à la violence..
Quoi qu'il en ſoit , l'opinion reçue ne mer
DE FRANCE. 161
point la continence au nombre des vertus
qu'on révère dans Charlemagne.
La Vision de Wetin , Ouvrage compoſé
en 825 , onze ans après la mort de ce Prince ,
fait voir quelle idée on en avoit de fon
temps. On y rend juſtice aux grandes vertus
de Charlemagne , on y rend hommage à fa
gloire , on y vante ſon zèle pour la Religion,
on ne l'attaque enfin que ſur un ſeul point ,
l'incontinence. Wetin eft tranſporté en ſonge
dans un lieu d'expiation , tel que notre purgatoire;
il y rencontre Charlemagne; l'Ange
qui conduit Wetin , & qui lui explique tout
ce qu'il voit , lui déclare que ce Prince recevra
dans l'Éternité la récompenfe des juſtes ;
mais qu'en attendant , il eſt juſtement puni ,
dans ce lieu de ſouffrance , de ſon goût pour
la volupté. En effet , un monftre , tel que le
vautour de Prométhée , lui déchire le coupable
organe de ſes plaiſirs , en refpectant
toutes les autres partics de ſon corps.
LeChapitre de la Littérature nous montre
Charlemagne toujours occupé à répandre
dans ſes États l'inſtruction & les lumières.
Il veilloit attentivement ſur les progrès
des jeunes Écoliers , & il prenoit plaifir à
examiner , avec les Maîtres , leurs compoſitions.
Il trouva un jour que des enfans du
peuple , qu'il faiſoit inſtruire avec la jeune
Nobleffe , avoient eu fur celle- ci un avantage
très-marqué, ſoit par hasard , foit que
comptant moins ſur les grâces de la Cour
ils ſentiſſent la néceſſité d'être quelque choſe
>
162 MERCURE
par eux-mêmes : il jura que les Évêchés &
les Abbayes ſeroient pour eux ; &, fe tournant
vers les enfans des Nobles : « Pour
» vous , leur dit- il , vous comptez , je le
>> vois, fur le mérite de vos ancêtres ; mais
>> apprenez qu'ils ont reçu leur récompenfe,
» & que l'État ne doit rien qu'à ceux qui ſe
>> rendent capables de le ſervir , & de lui
» faire honneur par leurs talens. »
Il faut voir dans l'Ouvrage même tout ce
qui concerne l'établiſſement fait par Charlemagne
, des grandes & petites écoles , &
d'une Académie qui rempliſſoit tous les objetsdestroisgrandes
Academies actuellement
exiſtantes à Paris. :
Charlemagne eſt le premier de nos Rois
qui ait fait des Loix ſoinptuaires. « Nous
>> n'examinons point s'il faut faire des loix
> ſomptuaires , ni s'il faut réprimer ou en-
>> courager le luxe..... Nous obſerverons
>> ſeulement que , dans tous les temps, les
loix ſomptuaires ont été impuiffantes ,
>> parce que , dans tous les temps , elles ont
» été directement contre leur but. On réſer-
> voit pour les Princes & pour les Grands ,
( c'est-à dire , pour ceux que tant d'avan-
>> tages, ou réels ou d'opinion , diftinguoient
» déjà des autres Citoyens ) la petire &
>> frivole diſtinction de briller aux yeux par
ود
ود
la magnificence des habits ; dès- lors on
donnoit un grand prix dans l'opinion pu-
>> blique à cette diſtinction puérile ; on hu-
>>>milioit ceux qui en étoient privés ; il de
DE FRANCE. 163
ور
» voit y avoir un effort général pour ſe
ſouſtraire à une loi qui genoit la liberté,
» & bleſſoit la vanité...... Il n'y a qu'un
»moyen d'attaquer le luxe avec ſuccès , s'il
» faut l'attaquer; c'eſt que les Rois & les
>>Grands donnent l'exemple de la fimplicité
» qui convient ſeule à des hommes, & laif-
> ſent les pompons aux enfans ; qu'ils ren-
>>dent la magnificence ridicule , & la prof-
» crivent , non par des loix , mais par les
» moeurs. » Charlemagne étoit ſimple par
choix & par goût autant que par principe ,
le luxe bleffoit ſes regards. La conquête de
l'Italie fit naître le goût des habits de ſoie ,
ornés de ces riches pelleteries que les Vénitiens
rapportoient du Levant. Un jour Charlemagne
voyant ſes Courtiſans ainſi parés,
leur propoſa une partie de chaſſe , & monta
ſur le champ à cheval , par la pluie & par
la neige , couvert , felon ſon uſage , d'une
groffe peau de mouton, attachée négligemment
fur l'épaule , & qu'il tournoit à ſon gré
du côté d'où venoient le vent & la pluie. Les
Courtiſans n'osèrent pas ne le pas fuivre ;
leurs magnifiques pelleteries & leurs fragiles
foieries furent déchirées par les ronces &
gâtées par la neige. Au retour de la chaffe ,
tranſis de froid , ils voulurent ſe retirer ,
Charlemagne les retint : féchons- nous , ditil
, en s'approchant d'un grand feu , & en
les exhortant à l'imiter. Il s'amuſoit de leur
embarras ; il ne paroiſſoit pas s'appercevoir
que le feu , en ſéchant leurs habits , faifoit
164 MERCURE
retirer & grimacer les bandes de peaux dont
ils étoient ornés , & achevoit de les mettre
hors d'état de ſervir. En congédiant les Chaſfeurs
, il leur dit : Demain nous prendrons
notre revanche , & avec les mêmes habits.
Quand ils reparurent le lendemain avec ces
habits tout déformés , & tombans en lambeaux
, ils fournirent à la Cour un ſpectacle
riſible. Le Roi , après les avoir beaucoup raillés,
leur dit : " Fous que vous êtes, connoiffez
"
"
la différence de votre luxe & de ma fim-
>>plicité. Mon habit me couvre & me défend.
Si la fatigue vient à l'uſer ou le matur
vais temps à le gâter , vous voyez ce qu'il
m'en coûte , tandis que le moindre acci-
>> dent vous coûte des tréfors.
ود
ود
"
>> Si Charlemagne eût toujours employé
ainſi la plaifanterie ſur ce point , il eût pu
» s'épargner l'appareil d'une loi , & en épar
>> gner la contrainte à ſes Sujets. Ses dif-
> cours & ſon exemple auroient tout fair ,
30
ود
les fourrures ſeroient tombées d'ellesmêmes.
Que les Rois , dit Montagne ,
» commencent à quitter ces dépenſes , ce
>> ſera fait dans un mois , ſans Édit & fans
ود Ordonnance. »
Raoul de Prefles , &, d'après lui , M. Lancelot
, rapporte un autre trait d'économie ,
ou du moins de ſimplicité affez fingulier de
la part de Charlemagne. Le voici dans les
propres termes de M. Lancelot dont
quelques uns font empruntés de Raoul de
Prefles...
DE FRANCI 165
"Charlemagne ayant efſuyéunefortgroffe
» pluie dans un voyage qu'il faiſoit à Metz ,
>> fit ſecher au feu ſon capuce , reſtant la
» tête nue. Son petit-fils ( fon fils ) Charles
> luiremontra poliment , à la manière Fran-
» çoiſe , Urbane Gallorum more , qu'il pour-
» roit en prendre un autre. Charlemagne
>> ſouriant , lui répondit : J'ignorois qu'il
> fallût deux bonnets ou capuces pour une
» feule tête. » Cette réponſe n'eſt- elle pas
plutôt une plaifanterie qu'un trait d'écono
mie ou de parcimonie , comme l'appelle
M. Lancelot?
,
Charlemagne , ſelon le témoignage des
Hiſtoriens , n'avoit pas moins d'éloignement
pour le luxe de la table , que pour celui des
habits. On pourroit cependant trouver quelque
luxe , au moins d'étiquette, dans l'hiftoire
ſuivante que rapportent les Légendaires.
" Les jours de jeûne , diſent- ils
Charlemagne dînoit à deux heures aprèsmidi
, contre l'uſage commun , qui étoit de
ne dîner qu'à trois heures . Un Évêque parut
ſcandaliſé de ce léger relâchement ; Charlemagne
lui dit qu'il avoit raiſon , mais il lui
ordonna de jeûner juſqu'après le dîner des
derniers Officiers du Palais. Or , il y avoit
cinq tables confécutives. Les Princes & les
Ducs ſervoient l'Empereur , & ne mangeoient,
qu'après lui ; les Comtes ſervoient
les Ducs , & étoient à leur tour ſervis par
des Officiers inférieurs ; de forte que la dernière
table ne finiſſoit que bien avant dans
166 MERCURE
la nuit. Ainfi , l'Évêque eut lieu de juger
que l'Empereur avançoit l'heure de fon
dîner par une juſte condeſcendance pour ſes
Officiers ; mais nous ne favons ſi cet argument
étoit ſans réplique. Il ſemble qu'un ſi
zélé partiſan du jeûne eût pu dire à l'Empereur
: Ayez quelques tables de moins , &
ود dînez plus tard; c'eſt à votre cérémonial
» à reſpecter la loi du jeûne , & non pas à
ود la loi du jeûne à ſe plier à votre céré
>> monial. » ود
Le grand & inconcevable talent de Charlemagne
étoit de ſuffire à tout , aux affaires ,
à l'étude , aux plaiſirs. Ce Prince , toujours
occupé , n'en étoit pas moins un ardent
Chaffeur , goût de race ou de nation , ſelon
Éginard , qui donne la ſupériorité aux François
ſur tous les autres peuples dans l'art de
la chaffe.
Charlemagne voulut un jour donner aux
Ambaſſadeurs de Perſe le divertiſſement
d'une chaſſe aux buffles dans la forêt noire.
Ce divertiſſement n'en fut point un pour
eux. La fureur de ces fougueux animaux
cauſa tant d'effroi à ces étrangers , qu'ils prirent
la fuite. Charlemagne courut au plus
furieux buffle pour lui abattre la tête d'un
coup de fabre. Le buffle , n'ayant été que
bleſfé , s'élance , tête baiffée , ſur le cheval
du Prince , pour l'éventrer; l'Empereur eut
à peine le temps de ſe détourner , ce qu'il
ne mêmmee faire fi promptement que fa
botte ne fût déchirée & ſa jambe effleurée.
put
DE: FRANCE. 167
Le buffle alloit redoubler , lorſqu'un homme
qu'on n'attendoit pas là , & qu'on fat trèsfurpris
d'y voir , parut tout à-coup comme
s'il eût été envoyé du ciel pour ſauver l'Empereur
, & perça le coeur de l'animal , qui
mourut fur la place, Charles parut n'avoir
pas remarqué cet homme , on n'en fut pas
étonné. Tous les Courtiſans s'empreffoient
autour de Charles , & on étoit trop occupé
de lui pour qu'il pût être occupé des autres.
On vouloit lui ôter ſa botte , viſiter & panfer
ſa jambe. Non , non , dit- il ,je veux paroître
en cetéquipage devant la Reine Hermengarde,
c'étoit la femme de Louis ſon fils. Il rentre ,
il lui montre ſa botte déchirée , ſa jambe
ſanglante , la tête & les cornes effroyables
du buffle. " Que croyez- vous , dit- il , que
>>je doive à celui qui m'a tiré d'un tel péril 2
ود -Ah ! dit Hermengarde toute éplorée ,
>> que ne lui devons - nous pas tous ? -Eh
>> bien ! dit l'Empereur , demandez - moi
>>donc ſa grâce , c'eſt Iſambard. » Ce Seigneur
François étoit tombé dans la difgrâce;
& fa faute , que les Hiſtoriens ne
ſpécifient pas , mais qui ſembleroit , d'après
les circonstances , avoir en quelque rapport
à Hermengarde , avoit paru affez grave pour
que ſes biens euſſent été confifqués ; tout lui
fut rendu , & de juſtes bienfaits ſignalèrent
la reconnoiſſance de Charlemagne.
On peut voir dans l'Ouvrage , Tome III ,
Chapitre Législation , ce que fit Charlemagne
pour la réforme du Clergé. Il avoit fur- tout
163 MERCURE
)
à coeur de le rappeler au premier de fes
devoirs , l'aumône. Un jour , apprenant la
mort d'un Évêque , il demanda combien il
avoit légué aux pauvres en mourant ; on répondit
: deux livres d'argent. Un jeune Clerc
s'écria : C'est un bien petit Viatique pour un
fi grand voyage. Charlemagne , très-content
decette réflexion , dit au Clerc : Soyez fon
fucceſſeur ; mais n'oubliez jamais ce mot.
Nous renverrons encore à l'Ouvrage pour
toutes les particularités qui concernent la
mort de ce Prince & fa canoniſation .
Il mourut le 28 Janvier 814 .
:
A la fin du quatrième Volume , & à la
fuite de cet Ouvrage , on en trouve un autre
du même Auteur ; c'eſt une Vie de M. le
Premier Président de Lamoignon , faite
d'après les Mémoires du temps , & fur- tout
d'après les papiers de la Famille. On y a joint
la réfutation d'une Anecdote calomnieuſe
& gratuitement injurieuſe à ce Magiſtrat ;
&comme cette Anecdote roule ſur un aventurier
nommé de Fargues , pendu en 1665 ,
qui mérite d'être connu , & qui ne l'a point
été de l'Auteur de l'Anecdote , on le fait
connoître dans un Supplément qui termine
eet Ouvrage. De Fargues , particulier obfcur
, d'abord Munitionnaire des Armées ,
enfuite Major dans le Régiment de Belle-
Brune , ſe qualifioit auſſi Major de la ville
de Hesdin. Le Gouvernement de cette place
étant venu à vaquer , il le demanda , fut refuſe
, ſe rendit le maître dans la place , &
en
DE FRANCE. 169
en fit fermer les portes au Gouverneur
nominé par le Roi ; il eut l'audace de faire
tirer le canon ſur l'Armée Royale , qui pafſoit
ſous les murs de Hesdin , & qui ſembloit
les menacer , le Roi , qui étoit en perſonne
à la tête de fon Armée , fut obligé de
s'éloigner. De Fargues demanda du ſecours à
Dom Juan d'Autriche & an Grand Condé ,
mais il ſe garda bien de leur remettre la
ville , quoiqu'il la leur eût vendue & qu'il
eût reçu le prix d'avance ; il les menaça aufli
de tirer fur eux.
Le Maréchal d'Hocquincourt , alors mécontent
, ayant quitté la Cour , & s'étant
retiré à Hesdin , de Fargues lui fit rendre
toute forte d'honneurs , & refufer toute
eſpèce de crédit : lui ſeul commandoit , &
deſpotiquement , dans la place. Quand un
homme lui déplaiſoit , il lui frappoit familièrement
fur l'épaule , en lui diſant : Mon
ami, il faut que toi ou moi nous mourions ;
& il l'envoyoit au gibet. Tous les maris &
les pères le craignoient pour leurs femmes
& leurs filles; il commettoit perſonnelleinent
toute forte de déſordres; mais il n'en
laiſſoit point commettre , & il faifoit obferver
la plus exacte diſcipline. A la paix des
Pyrénées il fit comprendre dans le traité les
Rebelles de Hesdin ; mais long- temps après
il fut recherché pour malverſations dans la
fourniture des vivres ,&pendu à Abbeville ,
en vertu d'un Arrêt rendu par une Commiſſion
, compoſée du Préſidial de cette
N°. 39 , 28 Septembre 1782 . H
170
MERCURE
ville , & à laquelle préſidoit M. de Machault,
Intendant de Picardie .
Nous avons donné l'Extrait de la Vie de
M. le Premier Préſident de Lamoignon dans
les Mercures du 26 Janvier & du 2 Février
1782 , Nos 4 & 5 .
livre
LE Flatteur , Comédie en cinq Actes & en
vers libres , repréſentée pour la première
foisfur le Théâtre de la Nation , le Vendredi
15 Février 1782. Prix ,
10 fols. A Paris , chez la VeuveDucheſne,
Libraire , rue S. Jacques ; Vente ,Libraire,
rue des Anglois , & au Théâtre François ;
Lejay , Libraire , rue Neuve des Petits-
Champs; & Defenne , Libraire , au Palais
Royal.
CETTE Pièce n'a eu qu'un petit nombre
de repréſentations. Une Tragédie d'un mé
rite égal auroit eu un ſuccès ordinaire ; car
tel eſt , aujourd'hui fur-tout , le fort du Poëte
comique, qu'il a plus de peine pour obtenir
moins de ſuccès. La Comédie dont nous
avons à parler a du moins fixé l'attention des
Connoiffeurs. On fait qu'il y a deux fortes
de ſuccès dramatiques, le ſuccès d'affluence
& le ſuccès d'eſtime. Le premier eſt celui
qui produit une bonne recette pécuniaire ;
il s'obtient quelquefois ſans mérite , & fait
reſter une Pièce au Théâtre. Pour le ſuccès
d'eſtime , qui ne s'obtient que par le talent ,
il bannit la Pièce de la ſcène. Si ce n'eſt pas
DE
FRANCE.
171
1
là un tort des Comédiens François , c'eſt
au moins un grand malheur pour les Auteurs
dramatiques .
C'eſt à l'Auteur du Flatteur que nous
devons la très jolie petite Pièce de l'Impatient
, que le Public revoit & applaudit ſouvent
au Théâtre François. M. de Lantier auroitbien
pu échouer dans une Comédie en
cinq Actes après avoir réuſſi dans une petite
Pièce , car la différence eſt grande entre
l'une & l'autre ; mais fon premier ſuccès
étoit au moins un préjugé favorable. Les
Amateurs de la Comédie doivent l'exhorter ,
s'il en a le courage , à ſuivre cette pénible
carrière. Ses deux Pièces annoncent une
aptitude très- décidée au talent vraiment
comique; cependant, en rendant juſtice aux
beautés de fon dernier Ouvrage , qu'il nous
fait permis d'en diſcuter les défauts , qui
tiennent preſque tous à un plan trop peu
médité & trop ſouvent invraiſemblable ;
mais avant de commencer , nous demandons
grâce pour quelques réflexions qui trouvent
ici naturellement leur place.
Un Auteur s'alarme toujours des critiques
qu'on fait de ſon Ouvrage. Une ſeule
raiſon rend ſa crainte pardonnable , c'eſt
qu'en effet le Lecteur en général croit devoir
rabattre de ſon eſtime pour un Ouvrage
qui eſt beaucoup critiqué ; mais il faudroit
que l'un & l'autre pût ſe perfuader que tous
nos chef - d'oeuvres ont ſubi la même
épreuve. Dès qu'une Pièce voit le jour,
H
172 MERCURE
1
on cherche à en découvrir les défauts , &
l'Art gagne toujours à ces diſcuſſions.
Quand l'Ouvrage eſt reſté , il jouit ordinairement
fans contradiction de ſa paiſible célébrité
; mais dans le temps de ſon apparition
l'on examine ſes titres. Les meilleures
Pièces de Corneille & de Racine ont effuyé
denombreuſes cenſures , même fondées. Le
Cid a été critiqué par l'Académie Françoiſe,
qui a relevé de grands défauts. La crítique
de l'Académie a été qualifiée de chef-d'oeuvre,
& ce titre eſt toujours reſté à la Tragédie
, qu'on ne cenſure plus maintenant. Il
faudroit donc , encore un coup, que le Lecreur
demeurât bien convaincu que l'Ouvrage
le plus parfait eſt celui qui a le moins de
défauts ; & l'Auteur , qu'une juſte critique
peut bien affliger un moment ſon amourpropre
, mais qu'elle ne dérobe rien à ſa
gloire.
Il faudroit aufſi qu'un Journaliſte ne crût
pas avoir anéanti un Ouvrage quand il y a
fait remarquer des défauts,même eſſentiels.
On n'a jamais eu plus de ſagacité pour découvrir
des fautes ; c'eſt d'ordinaire dans la
concluſion que les Juges littéraires ſe rendent
répréhenſibles. Ils font un juſte calcul
des défauts , & ils en tirent une conféquence
très- rigoureuſe , par conféquent injuſte. Si
nous avions à rendre compte d'un Ouvrage
de nos grands Maîtres , nous ferions effrayés
du nombre de fautes que nous y trouvetions;
faudroit- il pour cela dépoſſéder l'Ou
DE FRANCE.
173
vrage de ſa vieille & légitime célébrite ?
Sans doute , le premier ſoin d'un Auteur
dramatique doit être de créer un Ouvrage
régulier; mais une vérité qui n'eſt pas nouvelle
, & à laquelle on ne ſonge point
affez , c'eſt que pour produire des effets au
Theatre, il faut toujours ou du mérite ou un
très- grand bonheur , & que ce ſera toujours
un éloge que de pouvoir dire d'une Pièce :
elle réuffit ; nous ne diſons pas , elle a réuffi ,
parce qu'un premier ſuccès ne peut ſe légitimer
qu'en ſe renouvelant , parce qu'un
premier arrêt n'eſt pas toujours confirmé ,
&qu'il a toujours beſoin de l'être par le
temps pour acquérir force de loi. Après
cela paffons à l'examen du Flatteur.
L'intrigue qu'a choiſie l'Auteur eſt de nature
à nous diſpenſer de la minutieuſe lenteur
d'une analyſe ſuivie; on peut la faire
connoître en peu de mots. Le but de M. de
Lantier n'étoit pas de préſenter un Philinte ,
un homme accoutumé à dire des choſes
agréables à tout le monde ſans aucun motif
d'intérêt , ce qui n'est qu'un ridicule ou
même une foibleſſe. Il a voulu dénoncer à la
Société un homme de mauvaiſe foi , qui ne
Hatte que pour faire des dupes , qui ne
careffe par ſes paroles que pour affaffiner par
ſes actions. Cette vue-là eſt plus morale ,
mais moins comique ,& ſon ſujet devenoit
par- là plus difficile à traiter. Il a donné à
fonHeros un double projet , celui d'épouſer
la nièce d'un Financier nommé Richard ,
Hij
174
MERCURE
qu'il a fubjugué par ſa flatterie , & celui de
ſe libérer d'une dette de vingt mille livres
en procurant , par le crédit du bonRichard ,
un emploi à ſon créancier. Suivons- le dans
ſa double marche , ſans néanmoins compter
tous fes pas, fans traîner la critique de ſcène
en ſcène ; arrêtons nous moins aux détails
qu'aux réſultats. La conduite du Flatteur
Dolcy envers l'oncle & la mère de Sophie
qu'il veut épouſer , eſt theatrale & digne de
fon caractère; mais il nous a paru manquer
d'adreffe envers ſon rival. La manière
dont il le trompe eſt invraiſemblable;
nous y reviendrons en parlant de la grande
Scène , où il parvient à lui perfuader que
Sophie ne l'aime pas. Mais ce qu'il a de
bienplus répréhenſible , & ce qui conftitue
je principal défaut de la Pièce, c'eſt le reffort
qu'il fait jouer auprès de Richard pour
obtenir l'emploi dont il a beſoin pour fon
créancier. Ce créancier , qu'on nomme Germain,
eſt un très-petit Marchand de la rue
S. Denis , une eſpèce d'ufurier, ſachant fort
bien ce qu'il faut faire pour obtenir Sentence
contre un débiteur , mais étranger ,
comme de raiſon , aux Ouvrages de Littérature.
On devineroit difficilement le rôle que
lui fait jouer Dolcy , qui le connoît fort
bien, Dolcy , un Flatteurde profeffion , par
conféquent homme d'eſprit. Il le préſente à
Richard comme un Savant qui veut lui dédier
un Ouvrage de ſa façon. Et il fait fubir
à fon imbécillede Germain une eſpèce d'exa-
1
DE FRANCE.
175
men devant Richard ! & il laiffe prolonger
une converſation dans laquelle ſon prétendu
Savant entaffe fottiſe ſur ſottiſe! & il ne
craint pas les regards du ſévère Melcoeur
qui loge chez Richard , qui a de meilleurs
yeux que lui , & qui eſt père de Sophie ! Il
eft abſolument contre la raiſon qu'un homme
tel que Dolcy s'oublie au point de faire
dépendre ſa deſtinée de la mal-adreſſe d'un
fot qu'il connoît pour tel. M. de Lantier
qui, dans une courte Préface , cherche à excuſer
le choix de ce Perfonnage , prétend
que Dolcy devant à Germain vingt mille
livres , & ſe trouvant preffé par une Sentence
, ne peut ni reculer ni choiſir ſes
moyens. Cela peut être; mais depuis quand
un Auteur n'eſt- il pas reſponſable des fituations
qu'il imagine ? Si le Flatteur ne peut
ſe tirer de la poſition où l'Auteur l'a mis
ſans démentir ſon caractère , l'Auteur a eu
tort de le mettre dans cette pofition. Ne
pouvoit il pas traiter le caractère du Flatteur
fans le rendre abſolument débiteur de
vingt mille livres , ſans faire obtenir une
Sentence contre lui ? Ce ſeroit renverſer
toutes les loix du goût que de vouloir juſtifier
une action théâtralement mauvaiſe , par
de mauvais moyens.
On peut reprocher encore à l'Auteur
quelques défauts de plan moins conſidérables.
Il y a des entrées &des ſorties peu motivées.
La mépriſe volontaire de Dubois, qui,
pour ſervir fon maître Dolcy , remet à Ri-
Η ιν
176
MERCURE
chard une lettre qui n'eſt pas pour lui , mais
dans laquelle il eſt loué, qucique d'une inten
tion dramatique , ne produit pas affez d'effer.
Dans la Scène neuvième du premier Acte ,
Melcoeur fonde le coeur de Sophie , qui lui
confeffe qu'elle aime. Il l'interroge fur la
fortune de fon amant ; & fur ce qu'elle lui
répond qu'il n'eſt pas riche , Melcoeur en
conclut qu'elle aime Dolcy . Sophie , de fon
côté , ayant interrogé ſon père ſur l'époux
qui lui eſt deftiné , Melcoeur lui fait entendre
qu'il eſt Militaire ; & d'après cela ſeul elle
conclut que c'eſt Saint-Firmin , ſon amans.
Il n'y a pas une raiſon de plus qui puiſſe
fonder l'opinion du père & celle de la fille;
&il faut avouer que , de part & d'autre ,
c'eſt conclure aſſez légèrement : comme s'il
n'y avoit pas au monde d'autre homme fans
fortune que Dolcy , ni d'autre militaire que
Saint- Firmin ! Pourquoi Melcoeur ne demande
t'il pas tout bonnement à ſa fille le
nom de fon amant ? Et quant à Sophie , encore
que l'amour ne ſoit pas obligé de raiſonner
bien juſte , il nous ſemble que c'eſt
outre- paffer un peu ſes priviléges. Nous
n'aurions pas relevé ce défaut , qui , dans la
Pièce , eſt de peu de conſequence , parce
qu'il n'influe en rien ſur l'action principale
mais il eſt utile à l'art de rappeler fouvent
la néceſſité de motiver tout au Théâtre.
C'eſt une des premières loix ; & c'eſt faute
d'y avoir été fidèle , qu'un Auteur voit fouvent
tomber des Scènes bien imaginées , &
1
DE
FRANCE.
エウブ
dont il attendoit les plus grands effets.
4 Une autre règle dramatique , ſur laquelle
on eſt plus ſévère aujourd'hui qu'on ne l'a
jamais été , c'eſt celle des convenances. Le
Flatteury manque absolument dans la neuvième
Scène du troisième Acte , lorſqu'il
ordonne à fon Valet de faire venir Sophie.
Son devoir eſt de l'aller trouver lui même .
L'Auteur pourroit répondre encore qu'il
veut tout- à- la- fois conſerver l'unité de lieu ,
& rendre le Spectateur témoin de cette Scène.
Mais cette excuſe ne ſeroit pas plus admifſible
que celle qui tend àjuſtifier Germain.
Le ſecret de l'art dramatique eſt de concilier
fans ceſſe les règles de l'art & les loix de la
raifon. Tout cela eft bien difficile , mais
tout cela eſt indiſpenſable.
Avant d'abandonner l'intrigue , nous parlerons
d'un détail que l'Auteur a corrigé
depuis la première repréſentation, Saint-
Firmin , ayant découvert la fourberie de
Dolcy , veut le forcer à ſe battre. Dolcy , à
qui l'Auteur , pour l'avilir davantage , avoit
refuſe labravoure , fortoit , & faifoit apporter
par ſon Valet une excuſe qui dévoiloit
ſa lâcheté. L'Auteur a fupprimé ce détail , &
a confervé le défi , qui devient froid & fans
effet,parce qu'iln'en réſulterien. Il ſeroitpeur
être utile d'examiner pourquoi cette lâcheté
du Flatteur, qui eſtd'un butvraiment moral, a
déplu au Spectateur. Peut être eſt ce me fauſſe
délicateſſe du Public , qui ſemble s'efforcer
de jour en jour de rétrécir les limites de l'art
Hy
178 MERCURE
dramatique. Peut- être auſſi l'Auteur avoit
il négligé de mettre les Spectateurs dans des
diſpoſitions propres à adopter ce coup de
pinceau hardı . Si l'on avoit purire de la ſortie
de Dolcy , la Scène étoit ſauvee.
Nous ferons plus courts ſur l'article des
caractères . Plutienrs , tels que Saint- Firmin ,
Sophie , Mde Melcoeur , ſont preſentés ſans
prétention , & doivent par conféquent être
jugés ſans ſevérité. Melcoeur annonce d'abord
un caractère décidé ; mais il promet beaucoup
& tient peu. On croit voir un intrépide
ennemi du vice ; enſuite on le voit mollir
, & même ſe démentir. Il defire le bonheur
de ſa fille , & il a démaſqué Dolcy , &
il conſent à le lui donner pour époux. Le
defir de complaire à Richard , de qui on attend
du bien , n'eſt pasun motif ſuffiſant
après la donnée du caractère de Melcoeur;
il y a même un inſtant où l'on eft prêt à
le méſeſtimer. C'eſt dans la ſeptième
Scène du premier Acte,où il ſe déchaîne devant
Richard contre le caractère de Dolcy.
Richard,qui ne le voit pas diſpoſé à lui donner
ſa fille , lui dit :
Mais pour vous obliger , & décider l'affaire ,
Je donneraipour dot cinquante mille écus.
Alors Melcoeur , qui ne croit pas Dolcy
fait pour rendre ſa fille heureuſe , & qui
vient de témoigner ſon éloignement pour
lui , change d'opinion , & répond à Richard:
DE FRANCE.
179
Un fi beau procédé doit vaincre tout refus.
Je me foumets.
Ce motif ne nous paroît pas noble , &
Melcoeur n'eſt pas fait pour y céder. On eſt
auſſi ſurpris & fâchéde voir la manière dont
il traite Germain ſans le connoître , Scène
fixième , Acte quatrième. Comme il s'adreſſe,
à Dolcy , & lui dit : c'eſt vous que je cherchois;
je dois vous prévenir ..... Richard l'arrête
, & lui dit :
Un moment écoutez , vous aurez du plaifir.
MELCHUR.
Quoi ! qu'eſt ce donc ?
:
RICHARD.
Daignez me croire :
C'eſt l'Épître Dédicatoire
D'un Livre que Monfieur veut bien me dédier
Je vous plains.
:
MELCOEUR .
RICHARD .
De quoi donc ?
MELCCUR.
D'ouïr telle fotife.
L'apostrophe eſt vive. Et il ne faut pas
oublier que l'Auteur du Livre eſt là préfent.
Peut être un caractère plus fortement
prononcé , eût-il pu faire admettre cette
bruſquerie. Mais aſſurément ce n'eſt pas- là
H vj
180 : MERCURE
la nuance qui convient à celui de Melcoeur.
L'Auteur a voulu repréſenter un perſonnage
ferme & franc , mais non pas dur& groffier;
& ce ton-là devient inexcufable avec un
homme qu'il ne connoît pas. Germain , il eſt
vrai , eſt un perſonnage ridicule ; mais il
éſt évident , d'après la ſituation , que Melcoeur
eût pu traiter , & qu'il eût traité tout
aufli mal un homme de génie. On peut faire
à peu près le même reproche à Richard ,
qui eſt le meilleur homme du monde , lorfqu'il
dit , Scène huitième du ſecond Acte :
Oui , je ne fais , tantôt un homme, un anonyme
S'eſt préſenté chez moi , ſon placet à la main;
Il m'a parlé d'emploi , de vous , de ſa misère.
Oui , parbleu , des emplois ! il ſollicite envain:
S'il eſt pauvre , tant pis , je ne ſaurois qu'y faire.
J'ai deux cent protégés prêts à mourir de faim
Qui n'en auront jamais. Ma foi , tel eſt le monde;
Des riches & des gueux , & tout eſt pour le mieux.
Il y a nombre de perſonnages qui pourpoient
tenir cediſcours ; mais il ne convient
pas à Richard.
Si à toutes ces critiques nous ajoutons
que le caractère du Flatteur n'eſt pas toujours
affez foutenu , ne croira- t'on pas que
nous avons prononcé contre la Pièce un
arrêt de réprobation ? Et voilà juſtement la
concluſion qui n'eſt que trop ordinaire ,&
que nous ſommes loin d'adopter. Nous oferons
affirmer au contraire que , malgré tous
DE FRANCE.
fes défauts , la Comédie du Flatteur étincelle
par tout d'un talent véritablement comique.
On pourroit même prouver que les
endroits que nous avons indiqués commedéfectueux
, ont tous une intention théâtrale.
La mépriſe du Valet au premier Acte ; le
caractère de Germain , qui est très plaiſant
en lui même ; la Scène où Sophie , croyant
que fa mère eft aux écoutes tandis qu'elle
n'eſt entendue que de fon amant que Doicy
a fait cacher exprès , feint de ſe ſoumettre
aux volontés de ſa mère , & déclare , ſans
le penſer, qu'elle n'aime point Saint - Firmin ;
Scène peu vraiſemblable , mais qui eſt trèsingénieufe
, & que le talent ſeul a pu imaginer
: tout cela prouve que M. de Lantier
peut afpirer à des ſuccès dans la carrière du
Théâtre. Richard a pluſieurs traits plaiſans
qui annoncentque l'Auteur connoît le coeur
humain , la première ſcience du Poëte Comique.
Melcoeur , Acte premier , Scène première
, en parlant de Dolcy , dit à Richard :
Il eſt flatteur , figne de la fauffeté.
Richard , qui eſt continuellement flatté
par Dolcy , mais Richard qui a la bêtiſe de
la vanité, & qui s'imagine qu'à ſon égard
les complimens les plus hyperboliques font
des traits de franchife, répond à Melcoeur :
Vous êtes prévenu , croyez-le ,je vous prie;
Car depuis quinze mois qu'ici je l'étudie ,
Jen'ai pas reconnu qu'il m'ait encor flatte
182 MERCURE
Ces traits-là font dans la nature. Plus loin il
montre à Dolcy des vers ridicules qu'il a
faits , & lui en demande ſon avis. Doley ,
avec un air de franchiſe , lui répond qu'il y
trouve un defaut , c'eſt que Richard y a mis
trop d'eſprit. A ce reproche , qui ne l'afflige
point , Richard s'écrie avec ſa bonhommie
d'amour- propre :
C Cet homme-là m'étonne,
Toujoursvrai , toujours franc,fans offenſerperſonne.
Veut - on d'autres traits de ce caractère
dans le principal perſonnage ? nous pourrions
les citer en foule. Dans la ſeconde Scène du
ſecond Acte, il accourt vers Mme Melcoeur ,
qu'il a intérêt de flatter , en lui diſant :
En vérité , tant de bonté m'enchante :
Je brûlois de vous voir ; mais mon oeil eft ravi ;
Cette robe vous fied; d'honneur elle eſt charmante,
Madame MELCOEUR,
Ce n'eſt qu'une robe blanche.
DoDOLCΥ.
Mais elle eſt d'un beau blanc.
Oui;
Ce mot eſt de caractère , & vraiment
comique . Dans la cinquième Scène du ſecond
Acte, après ce morceau plaiſant de dialogue ,
où Dolcy parle du bonhomme Richard :
S'il parle , j'applaudis ; s'il ſe tait , je l'admire,
S'il fourit, je ſuis gai ; s'il pleure ,je gémis.
DE FRANCE . 183
Et s'il touſſe ?
DUBOIS.
DOLCY.
Je touſſe auſk,
Après cela , diſons-nous , il ſe met à flatter
juſqu'à fon valet. Je te parle en ami , lui
ditil :
Ton zèle , ta prudence
:
Ont mérité ma confiance.
DUBOIS.
Que ne puis-je , Monfieur , répondre à l'uniffon! ...
DOLCY.
Dubois eſt plein d'eſprit.
DUBOIS.
On puiſe à votre école....
DOLCY.
Et je le croirois fait pour jouer un grand rôle.
DUBOIS .
Il eſt certain que.... Mais flattez-vous à préſent ?
Ou parlez- vous fincèrement ?
C'eſt ainſi que Doley ſe met à flatter au
moment même où il vient d'avouer ſon penchant
pour la flatterie , c'eſt à dire , au moment
même où il ne peut flatter qu'en pure
perte , puiſqu'il a pris foin de fe faire connoître
auparavant. C'est ainſi que le carac
tère l'emporte toujours ſur la raiſon..
184 MERCURE
-
Dans la Scène où il eſt prêt à ſe propofer
lui même pourépoux à Sophie, elle lui confie
qu'elle aime Saint Firmin. Il ne peut cacher
un mouvement de ſurpriſe; & comme Sophie
lui demande d'où vient cet étonnement,
c'eſt , lui répond-t'il :
De voir que dans un âge où l'erreur eft permiſe,
Vous ayez fu fi bien choifir.
Scène ſeptième du troiſième Acte , Saint-
Firmin , furieux , s'écrie , en voyant Doky :
Ah ! Monfieur! vous voilà !
Vous aſpirez ,dit-on, à la main de Sophie ?
& Dolcy lui répond fort poliment :
Je ne m'en défends pas; & fi j'ai votre aveu ,
Vous comblerez le bonheur de ma vie.
L
Doley ne peut pas croire que fon mariage
avee Sophie faſſe plaiſir à Saint- Firmin ;
mais l'habitude de flatter l'emporte , & il
fait des complimens à ſon rival , en lui confirmant
la nouvelle la plus funefte. Plus loin
même, quand on veut le forcer à mettre l'épée
à la main , ce qu'il n'a nulle envie de faire ,
il ſe met à louer la bravoure de fon adverfaire.
Tout cela estvrai,tout cela eſt comique.
Nous n'avons rien dit encore du ſtyle de
cette Comédie. Il eſt quelquefois négligé;
mais il eſt preſque toujours comique & ingénieux
fans effort. Une verfification un peu
négligée nous ſemble de beaucoup préférable
à un ſtyle trop foigné , qui laiſſe toujours
1
DE FRANCE. 185
voir l'Auteur à la place du perſonnage , &
qui détruit par-là toute eſpèce d'illuſion. Il
faut qu'un perſonnage parle , il ne faut pas
qu'il écrive. C'eſt ſur-tout dans le dialogue
de la Comédie qu'il faut que l'art ne dérobe
rien à la nature. Nous allons citer une tirade ,
qui , comme beaucoup d'autres , eſt écrite
d'ure manière facile , vive & gracieuſe. Je
voudrois , dit Saint- Firmin , plaire à Mme
Melcoeur. Monfieur , lui dit Liſette :
Vous le pourriez très- aiſément;
Mais vous vous égarez dans un chemin facile.
Par mes conſeils , du moins , je veux vous être utile.
Soyez près d'elle empreſſé , vif, galants
De quelques traits flatteurs ornez un compliment.
Voyez Dolcy : quelle douceur ! quel zèle !
Ah! que vous êtes loin de ſuivre un tel modèle !
Veur- on fortir ? faut-il donner la main ?
Avec ardeur vous courez à Sophie ;
Alamaman, Dolcy vole ſoudain ,
Et lui préſente un bras où Madame s'appuie.
Parlera-t'on de beauté , d'agrémens ?
D'abord Sophie a tout, grâces , taille légère ,
Teint de roſe & de lys ; pas un mot pour la mère.
Dolcy, bien plus adroit , lui ditque le printemps
N'eft qu'une aurore paſſagère ,
Etqu'embellis des mains du Temps ,
Les grâces & l'eſprit ſont toujours sûrs deplaire.
Dans une Scène, qui n'a d'autre défaut que
186 MERCURE
celui d'une confidence gratuite faite par un
maître à ſon valet , il dit à Dubois :
Écoute:
Qui veut dans ſes projets marcher ſolidement ,
Doit même careſſer le ſot qui l'importune :
Souvent le plus foible inſtrument
Peut arrêter le vol de la fortune ,
Ou nous faire au ſommet monter rapidement.
DUBOIS .
Tout doit fléchir devant votre génie.
DOLCY.
Le tien eſt étonné ?
DUBOIS.
Monfieur , il s'humilie.
DOLCY.
J'ai porté dans notre âme un oeil obfervateur ;
J'ai vu que l'amour-propre y régnoit en vainqueur ,
De tous ſes mouvemens étoit le grand mobile,
Et que la flatterie , audacieux reptile ,
Se gliſſant avec art , & cachant le poiſon ,
Enivroit aisément notre foible raiſon .
La flatterie eſt la reine du monde ;
Elle enchaîne les Grands , calme l'enfant qui gronde,
Deſarme l'avarice , & féduit la beauté.
Mais volon au ſéjour où cette Déité
Aplacé ſon autel & fixé ſon empire ;
C'eſt là qu'au pied du Trône elle répand des fleurs;
Que l'air eft parfumé de ſes douces vapeurs.
Dans ſes yeux, ſur ſa bouche habite le ſourire ;
DE FRANCE. 187
Là , Pradon eſt Racine , & Midas Monſeigneur ;
Là, le Créſus obſcur, achetant ſa famille,
Deſcend effrontément d'un Héros de Caſtille ;
Là , l'attrait de l'eſprit couvre un vice du coeur ;
Un Prince qui fait lire eſt traité de grand Homme ,
Et là , fur-tout, le Miniſtre en faveur
Efface les Héros d'Athènes & de Rome.
DUBOIS.
D'après ce grand tableau l'on n'eſt pas étonné
De voir Monfieur Richard, dans le piège entraîné ,
Récompenfer vos ſoins , payer de ſa tendreſſe....
DOLCY.
Oui , c'eſt ici que brille mon adreſſe ,
Que j'ai ſu déployer l'art de faire ma cour.
Enfant obfcur de la finance ,
Mais ébloui par le faux jour
Que jette autour de lui l'éclat de l'opulence ,
L'heureux Richard ne s'eſt plus reconnu;
Le miroir s'eſt briſé qui rendoit ſon image ;
Il s'enfle par degrés , ſe croit un Perſonnage;
Le bon Richard a diſparu.
La longueur de cet extrait nous interdit de
plus longues citations ; mais ce que nous
avons déjà rapporté ou indiqué , ſuffit pour
juſtifier les éloges que nous avons cru devoir
à l'Auteur de cette Comédie. Il pardonnera
fans doute à notre eſtime pour ſon talent des
obſervations critiques , dont nous ne garan
188 MERCURE
tiffons point la juſteſſe,inais dontnous ofons
croire qu'il ne ſuſpectera point les motifs.
Un ami de l'Auteur a préſidé à l'Édition de
cette Comédie. Dans une Préface qu'il a mile
en tête , il fait des réflexions ſenſees ſur les
innovations faites au Théâtre François.
( Cet Article est de M. Imbert. )
VARIÉTÉS.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
ز
J'Ar fait , Monfieur , un ſupplément à un petitÉcrit
que j'avois donné ſur la Baguette Divinatoire; il
eſt de quatre pages grand in-4 ° . avec figures , fous
le titre de Mélanges d'Opuscules Mathématiques;
Jedémontre le mouvement de rotation , révolution
&vibration que l'on peut faire faire à cette Baguette,
(fans que les Spectateurs apperçoivent la
cauſe ) par des équations littérales & numérales ,
très - utiles aux perſonnes qui voudront appliquer
les quantités littérales aux nombres , & les nom.
bres aux quantités littérales , & par une nouvelle
méthode d'employer le plus + & le moins -
que je trouve vicieuſe dans la Géométrie tranfcendante
, qui y a introduit des erreurs dont les
grands Hommes conviennent. = J'ai fait graduer
des Baguettes de différens métaux. Le tout
ſe trouve à l'hôtel d'Orléans , rue Dauphine ,
àParis; en mettant mon principe devant foi , une
de mes Baguettes ſur les doigts , en ſuivant exacrement
ce que je preſcris & un peu d'exercice , on
fera tourner la Baguette auffi-bien que le fieur Bleton.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Votre très humble & très- obéiffant
Serviteur , G. A. DELORTHE.
DE FRANCE. 189
GRAVURES.
V
UE du Château d'Arques , près Dieppe ,
auprès duquel s'eſt donnée la fameuſe bataille que
gagna Henri IV en 1589; dédiée à M. J. P. N. Ribard,
Négociant , ancien Juge-Conſul & Échevin
de la ville de Rouen , peinte d'après nature par M.
Ch. Lecarpentier , en 1782 , &gravée par M. Picquenot,
tirée du Cabinet de M. Kibard. A Paris ,
chez l'Auteur , rue de l'Obſervance , la porte-cochère
vis-à-vis les Cordeliers. Prix , 1 liv. 4 ſols.
Vûc du Chúteau de Robert- dit- le- Diable , Duc
de Normandie , fur la Seine , près Rouen ,
dédiée à M. le Marquisde Belbeuf, Procureur-Général
au Parlement de Rouen, par les mêmes Auteurs
, tirée du même Cabinet, même Adreſſe &
même prix. Ces deux Eſtampes doivent être accueillies
par les Connoiſſeurs .
Plan des Attaques combinées de terre & de mer
pourprendre d'affaut la Fortereffe de Gibraltar , fait
parun Ingénieur de l'Armée. Prix , 1 livre 4 ſols. A
Paris , chez les frères Campion , rue S. Jacques , à
la ville de Rouen.
Description particulière de la France, Département
du Rhône , Gouvernement de Bourgogne ,
quinzième Livraiſon. Prix , 12 livres pour Paris;
&pour la Province & Pays étrangers , 14 liv. 8 ſols.
Première Livraison des Estampes pour les
OEuvres de Voltaire , in-8 °. A Paris , chez M.
Moreau , Deffinateur &Graveur du Roi &de ſon Cabinet
, rue du Coq-Saint-Honoré. Ces Eſtampes ,
qui font au nombre de fix , font dignes , tant pour
le Deſſin que pour la Gravure , du grand Homme
dont elles doivent orner les Ouvrages.
190 MERCURE
MUSIQUE.
JOURNAL d'Airs choisis , avec Accompagnement
de Harpe , par les meilleurs Maîtres. Le prix des
premiers Cahiers de ce Journal eſt de 15 liv. pour
Paris & pour la Province, franc de port. Chaque
Cahier ſe vend ſéparément 2 liv. Gravé par Dupré ,
no . 9. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverſière-
Saint-Honoré , au Magaſin de Muſique.
MUSIQUE qui se trouve chez Cornoüaille, à
Paris, Montagne Sainte- Geneviève , à côté du
Séminaire de Laon , maiſon d'un Chandelier.
Recueil d'Ariettes choiſſes pour la Harpe , par
Hartmann , OEuvre IV. Prix , 9 livres. Idem, avec
Accompagnement de Harpe , même Auteur ,
OEuvre II , 7 liv. 4 fols. Concerto pour Clavecin ,
avec Accompagnement de Violon , Alto , Baffe ,
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Greſnich , OEuvre I , 6 livres. Recueil d'Airs , Romances
& Duos, avec Accompagnement de Clavecin
ou Forte - Piano , OEuvre II , par Greſnich , 6 livres.
Sei Divertimenti per due Flauti , Opera prima di
Mattia Stabengher, 6 liv. Des fix Trios per due
Violini e Violoncello de Mattia Stabengher,Opera III ,
7 livres 4 fols. Septième Recueil de Pièces & d'Airs
nouveaux , avec Accompagnement de Guittare &
d'un Violon , par Vidal l'aîné , 7 livres 4 ſols. Sei
Trio per due Violini & Violoncello , par Borra ,
7 liv. 4 ſols. Sei Duetti per due Flauti , par Millindi
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deux Clarinettes & Baffe, par Maguien, 2 livres
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DE FRANCE.
191
pagnement d'un Violon & Baffe , dédiés aux Ama
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, au Globe , vient d'acquérir les Planches de la
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Vatican, repréſentant les principaux Événemens de
l'Hiſtoire Sacrée , peinte par Raphaël & gravée par
Chaperons ; Ouvragede la plus grande utilité aux
Perſonnes qui font profeſſion de l'Art du Deffin ,
Volume in-folio broché de cinquante - quatre Eſtampes,
compris deux Frontiſpices , qu'il propoſe au
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moralis epitome caftigatiffima . Curante J. B. Lefebvre
de Villebrune. Parifiis Typis Dionyfii Pierres , Regis
Typographi ordinarii . On trouvera des Exemplaires
de cette Édition , qui est très-belle & très-ſoignée ,
comme tout ce qui fort des Preſſes de M. Pierres ,
chez Lamy , Libraire , quai des Auguſtins. On en a
tiré peu d'Exemplaires .
Le Bonheur public , ou le Moyen d'acquitter la
192
MERCURE
dette nationale, &c. conciliation des droits de l'État ,
des Propriétaires & du Peuple fur l'exportation des
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Londres , chez T. Hookham , rue de Hanovre.
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braire , rue Galande ; & ſe trouvent à Rouen, chez
Leboucher le jeune , Libraire , rue Ganterie. Prix ,
4liv.
Vûes ſur l'Éducation de la première enfance ,
avec cette Épigraphe : Quo femel imbuta recens fervabit
odorem teſta dia , in-8 ° . A Amſterdam ; &
ſe trouve à Paris , chez Leſclaparr , Libraire , Pont
Notre-Dame.
L'École des Pères , Comédie en trois Actes & en
vers , par M. de Saint-Ange , Pièce refuſée par les
Comédiens François le 30 Juillet 1782. Frange ,
mifer , calamos , vigilataque pralia dele. A Paris ,
chez la Veuve Ducheſne , Libraire , rue S. Jacques.
TABLE.
RÉPONSE à M. *** , 145 ) Histoire de Charlemagne, der
Vers àMlle Fanier ,
-
147 nier Extrait,
AM. le Curé de Saint- Le Flatteur ,
Sulpice ,
158
170
148 Lettre au Rédacteur du Mer
Aux Auteurs du Mercure de
France .
curedeFrance .
149 Gravures ,
Enigme& Logogryphe, 152Musique ,
Plandes Travaux Littéraires Annonces Littéraires ,
188
189
190
لوا
ordonnés par S. M. 154
APPROBATION.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercurede France , pour le Samedi 28 Sept. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'imareſſion. AParis,
je 27 Septembre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 2 Août
LeEsS plaintes adreffées à la Porte de la
part des habitans de nos provinces frontières
, ſe ſont ſi fort multipliées depuis
quelque tems , qu'elles ont enfin été priſes
en confidération. Le plus grand déſordre
paroît régner de ces côtés ; des troupes de
brigands profitant de la facilité qu'ils ont
de paſſer du territoire Ottoman ſur un
territoire étranger , commettent beaucoup
de ravages dans les endroits où ils ſe montrent
, & évitent en diſparoiſſant promptement
au-delà de la frontière les châtimens
dont ils font menacés ; dans quelques Diftricts
, les Agas n'agiſſent que mollement
contre ces ſcélérats , & le peuple qui ſe
plaint en accuſe quelques- uns d'être d'intelligence
avec eux. S. H. a nommé pluſieurs
Commiſſaires qui ſe ſont rendus fur
les lieux pour examiner les délits & pour
les punir ; ils emportent des pouvoirs très-
28 Septembre 1782. g
( 146 )
étendus & qui doivent faire trembler les
coupables. Il eſt déja arrivé quelques-uns
de ces Commiſſaires à Belgrade.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 23 Août.
L'IMPÉRATRICE s'eſt rendue de Czarsko-
Zelo dans cette Capitale le Vendredi
dernier 16 de ce mois , pour célébrer le
lendemain la fête du Régiment des Gardesde
Preobragenski. La Cour fut en gala à
cette occafion , & S. M. I. dîna en public
avec le Corps des Officiers de ce Régiment,
dont elle avoit revêtu l'uniforme.
Le Dimanche ſuivant , 18 du mois , la cérémonie
de l'inauguration de la ſtatue de Pierre I , ſe fit avec
toute la pompe & la ſolennité dues à la mémoire du
Reſtaurateur de l'Empire. Ce Monument est élevé
dans une Place fort éteenndduuee ,, que terminent d'un
côté le Palais du Sénat , l'Amirauté de l'autre , & le
pont établi ſur la Neva , pour la communicationde
Î'Iſle de Vafili- Oftrow , avec l'autre partie de laVille.
Cet emplacement étoit occupé par une foule
immenſe de peuple , par les 3 régimens des Gardes
à pied, celui des Gardes à cheval , un régiment
d'artillerie & un autre , faiſant en tout 10,000
hommes ſous les armes . On avoit élevé des ef
pèces de galères pour y placer commodément les
ſpectateurs d'une certaine claſſe. La ſtatue étoit cachée
pardegrands chaſſis de toile peinte en décoration,
Acinq heures du ſoir , l'Impératrice ſortant de fon
Palais , defcendit la Neva en chaloupe , aborda à la
place, ſuivie d'un cortège nombreux composéde tous
les Officiers & des Dames de ſa Cour , & montant
au Palais du Sénat , vint ſe placer fur le grand balcon.
S. M. I. donna le ſignal , & dans le même-tems
( 147 )
les chaſſis qui déroboient le monument à la vue des
ſpectateurs s'abattirent : Pierre le Grand fut falué
par une triple ſalve de l'artillerie de l'Amirauté &
de la Fortereffe , accompagnée de la mouſqueterie
des troupes ſous les armes. Les Régimens défilèrent
enſuite devant S. M. I. , qui remonta dans ſa
chaloupe & ſe retire dans ſon Palais , d'où elle
partit le même ſoir pour Czarsko-Zelo. Cet évè
nement a été conſacré par une médaille qui repréſente
d'un côté la ſtatue de Pierre I , & de l'autre
le buſte de l'Impératrice. Sa Majeſté Impériale en
a fait frapper un certain nombre en or, qu'elle a
daigné faire diſtribuer aux principaux Seigneurs de
ſa Cour & aux Miniſtres étrangers . Ce monument
repréſente Pierre I , franchiſſant à cheval & au
galop un rocher qui ſert de piedeſtal , ſur lequel
on lit cette inſcription , auſſi noble que fimple :
Petro primo , Catharina fecunda. Cette idée hardie
produit à l'exécution un effet admirable , & fait
le plus grand honneur au génie du Sr. Falconnet «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 30 Août.
LES 3 vaiſſeaux de ligne , la Justice , la
Princeffe Sophie- Frédérique , le Holstein ,
&la frégate l'Alfen , qui font revenus d'Elſeneur
, font actuellement dans notre rade.
Il y a maintenant dans le Sund 320 navires
de différentes nations .
L'évènement arrivé à Helſingor à bord
du vaiſſeau Hollandois du Capitaine Rynevelt
, fait beaucoup de bruit. L'un des deux
matelots Anglois qui ont abuſé pour ſe ſauver
de la politeffe & de l'humanité du
Capitaine Hollandojs qui avoit permis à
g2
( 148 )
:
:
leurs compatriotes de les venir voir à bord ,
a été bleffé mortellement. On dit que le
Gouvernement ſe plaint vivement de cette
violence exercée à la vue de l'eſcadre Danoife
, & fous le canon du Château de
Cronenbourg. Il en portera ſans doute des
plaintes à la République ; mais on ignore
encore fous quel point de vue ſera enviſagée
la conduite des Anglois ſi contraire
à la reconnoiffance , à la bonne-foi
& à l'hoſpitalité.
Le Prix que la Société Royale des Sciences de
cette Ville avoit propoſé en 1780 , ſur la durée
de l'année ſolaire , a été adjugé à M. de la Lande ,
Membre de l'Académie des Sciences de Paris.- Elle
propoſe anjou d'hui les ſujers ſuivans :- 1º . Monftrare
indolem poëseos feptentrionalis antiqua &
in ejus à Greca Romanaque difcrepantiam inquirere
tum in quo cum Anglo- Saxonica, priſca que Germanica
conveniat vel fejungat. 2º . Tradere methodum
praxiaccomodatum aerem phlogisto aliisqueperegrinis
inquinatumfubfidiis chemicis depurandi aut corrigendi.
3 ° . Quaritur de hygrometro ea lege conftructo
ut duo certa ficcitatis & humiditatis
puncta certius , quam hujusque factum eft poffint
inveniri , utque gradus diverforum hygrometrorum
correspondeant. Liberum erit Auctori , vel
novum inftrumentum invenire , vel jam cognitum
ad defideratum perfectionis gradum evehere ; principia
omnia conſtructionis & diviſionis adeo dilucide
erunt defcribenda , ut artifices ea tuto exſequi
valeant. Defideretur denique ut autor duo
hygrometri exemplaria juxta regulas à se traditas
constructa focietati mittat . Le Prix deſtiné
à celui qui aura le mieux traité chaque ſujet , con-
Afte en une médaille d'or de la valeur de 100 écus ,
( 149 )
argent de Danemarck. Tous les Savans , excepte
les Membres de la Société ici préſens , ſont invi
tés au concours. Ils écriront leurs Mémoires en
François , Latin , Danois ou Allemand , & les adref
ferent à S. E. M. de Luxdorph , Chevalier de
l'Ordre Royal de Dannebrog , Conſeiller-Privé de
S. M. Danoiſe , & Préſident de la Société , avant
la fin de Septembre 1783 .
SUEDE.
De STOCKHOLM , le 30 Août.
Le 25 de ce mois ,la Reine eſt accouchée
heureuſement d'un Prince. Cet événement
a été annoncé par 128 coups de
canon. Le Prince nouveau-né porte le titre
de Duc de Smoland , & aura pour parrains
& marraines la Reine de France , l'Impératrice
de Ruffie , le Roi de Pruſſe , le
Roi de Danemarck , le Duc & la Ducheffe
de Sudermanie , le Duc d'Oſtrogothie &
la Princeſſe de Suède. Un accident arrivé
à cette dernière Princeſſe ſuſpend de quelques
jours les cérémonies du baptême ;
elle est tombée de cheval & s'eſt bleſſée
au viſage la veille de l'accouchement de
la Reine.
Les pluies continuelles & les froids qui
ont régné ces jours derniers ont beaucoup
nui à la maturité des bleds ; on n'eſpère pas
une récolte abondante qui cependant feroit
bien néceſſaire vu la diſette qui nous afflige
depuis l'année dernière. Le prix des denrées
de première néceflité augmente tous les
83
( 150 )
jours dans cette capitale. Le Roi a fait re
miſe pour cette année de tous les impôts
de la Dalecarlie ; & on croit que pluſieurs
autres provinces feront traitées auffi
favorablement.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 1er. Septembre.
Le nombre des Univerſités dans les Etats
héréditaires de l'Empereur , vient d'être fixé
à 7; elles feront , 19. ici pour la Haute &
la Baffe- Autriche ; 2°. à Prague , pour la Bohême
, la Moravie & la partie de la Siléfie
qui lui eſt ſoumiſe ; 3º. à Peſt , pour la Hongrie
; 4º. à Lemberg , pour la Galicie & la
Lodomerie ; 5º. à Pavie , pour les Etats
d'Italie ; 6°. à Louvain , pour les Pays-Bas;
7º . à Freybourg , pour le reſte de l'Autriche.
Cette dernière ſera miſe ſur le pied de celle
deGottingue.
M. Gunther qui , après avoir joui de la plus
grande faveur , & après avoir été employé par l'Empereur
en qualité de Secrétaire dans le département
de la Guerre , avoit été arrêté ſur le ſoupçon d'une
correſpondance illicite , a été reconnu innocent.
L'Empereur lui a renvoyé ſon épée , & l'a nommé
Conſeiller de Gratz , avec deux mille florins d'appointement;
il a obtenu la permiſſion de ſe rendre
l'après-midi , à 3 heures , au jardin Impérial pour
remercier l'Empereur. La belle Juive Eskeles qui
avoit été impliquée dans cette affaire , & arrêtée
fur l'accuſation d'avoir fait paſſer au- dehors les
fecrets de M. Gunther , a été conduite il y a 3
jours pendant la nuit ſur la frontière, où elle a su
i
( ISI )
ordre de ne plus paroître dans aucun pays de la
domination de S. M. I. Le Juif qu'on dit avoir
éré le délateur de cetre prétendue correfpondance ,
a été attaché au carcan pendant 3 jours , avec un
écriteau portant ces mots : menteur & calomniateur
, & il a reçu so coups de bâton «.
Des lettres de Botzen apprennent que la
chaleur exceffive qui s'eſt fait ſentirdans les
environs , y a cauſé de grands dommages ;
des forêts ont pris feu , & il y en a une
entr'autres qui brûle , dit-on , depuis is jours
fans interruption.
De HAMBOURG , le 6 Septembre.
SELON les lettres de Vienne , la ſanté
de l'Empereur est parfaitement rétablie ; on
ſe flatte toujours de voir encore une fois
dans cette Capitale le Comte & la Comteffe
du Nord ; mais ils y arriveront plus tard
qu'ils ne l'avoient d'abord projetté. Après
cela ils continueront leur voyage avec une
grande célérité , parce que la ſaiſon ſera
alors un peu avancée ; ils pafferont par Efterhazy
, où le Comte de ce nom a fait de
grands préparatifs pour leur donner une
fête brillante.
>> Le Général Koflowski & le Comte Krewasky
ſe ſont déja battus pluſieurs fois , & leur querelle
n'eſt point encore terminée; le dernier ne veut
pas abandonner la partie que l'un des deux n'ait
perdu la vie. Il y aura un nouveau duel , mais
fur les terres Ottomanes. Les deux champions s'y
préparent avec un acharnement égal ; le Général
a vendu ſon régiment de dragons. Ils doivent
84
( 152 )
tirer , le mouchoir à la bouche ; & vraiſemblablement
ils périront tous deux en même-tems. -Les
troubles intérieurs de laCrimée ne font point encore
erminés «.
Quoique le voyage de l'Empereur à Prague
n'ait pas lieu actuellement , on y continue
toujours les préparatifs pour l'inveſtiture
folemnelle des vaſſaux de la couronne
de Bohême. :
Ondit que pluſieurs Evêques du Royaume
de Hongrie ont fait des remontrances au
ſujet de la preſtation du nouveau ferment
de fidélité.
>> Le procès , écrit- on de Paderborn , qui avoit
duré plus d'un ſiècle entre cet Evêché & l'Abbaye
de Corvey , au ſujet de l'inſpection & de la jurifdiction
Eccléſiaſtiques dans les terres de l'Abbaye,
aété enfin terminé par un accommodement. L'Abbaye
a cédé à l'Evêché de Paderborn le village de
Jacobsberg , avec tous les droits ſeigneuriaux , &
a renoncé à la ſomme conſidérable qu'elle avoit
prêtée à l'Evêché qui lui avoit hypothéqué pour
cet objet la ville de Beverungen. L'Evêché de ſon
côté a tranſporté à jamais à l'Abbaye le droit d'infpection
& de jurisdiction Eccléhaſtiques dans les
terres dépendantes de l'Abbaye. Cet arrangement
général a été approuvé par S. M. I. - A la mort
du dernier Doyen du Chapitre Collégial de Hoerter
dans ce Diocèſe , les Chanoines prièrent l'Abbé
de Corvey d'en nommer un autre. Il le fit & leur
donna pour Doyen un Religieux Bénédictin de Paderborn.
Le Chapitre mécontent de ce choix repréſenta
à l'Abbé , que les loix de l'Egliſe déclaroient les
Moines inhabiles à pofféder une pareille dignité.
Ces remontrances étant reſtées ſans effer, le Chapitre
s'adreſſa au Pape qui , contre ſon attente
( 153 )
accorda des diſpenſes au Bénédictin & le confirma
dans ſa dignité de Doyen. Pendant la
duréede cette conteſtation , l'Abbé obtint de la Cour
de Rome un bref qui l'autoriſe à ſupprimer le Chapitre.
La fuppreffion ayant été ſignifiée dernièrement
aux Chanoines , ils refusèrent d'obéir & s'adreſ
sèrent à S. M. I. pour faire annuller la décifion de
la Cour de Rome , qui , diſent- ils , n'a pas le droit
de ſupprimer un Chapitre (éculier dans l'Empire
Romain. L'Empereur n'a pas encore prononcé fur
cette affaire qui eſt dautant plus remarquable qu'elle
préſente le premier exemple d'une pareille fuppreffion
enAllemagne. Ce Chapitre a des revenus médiocres
& n'eft compoſé que des Membres « .
Les orages ont été très fréquens pendant
le mois d'Août. De tous côtés , il arrive des
lettres qui peignent les ravages qu'ils ont
caufé. Le 25 il en éclata un furieux à Goppingen
, dans le Duché de Wurtemberg. Le
tonnerre tomba ſur une maiſon , la mit en
feu , &l'incendie ſe communiqua aux autres
bâtimens avec une telle rapidité , que pref
que toute la ville a été ré luite en cendres .
>> La Commiffion Electorale , lit-on dans des lettres
de Mayence , établie pour ſceller & inventorier
les biens des trois Couvens fupprimés ici ; ſavoir
la Chartreuſe & les Maiſons de Sainte-Claire &
du vieux Monastère , vient de faire la clôture de
l'inventaire. Les regiſtres , les documens & autres
papiers de ces maiſons , ont été déposés dans les
Archives du Conſiſtoire Electoral. Le mobilier ſera
venda publiquement ; les Egliſes ſeront fermées
&les autres bâtimens de ces Couvens feront dekinés
à un autre uſage. On ne fait pas encore à quoi les
maiſons de ces Egliſes ſeront employées , mais il y
a lieu de croire que la plus grande partie en ſera
$
85
( 154 )
donnée à l'Univerſité de cette Ville. Ces biens font
très-confidérables fur- tout ceux de la Chartreuſe,
où l'on a trouvé un tréſor en choſes précieuſes , &
une grande proviſion de vienx vin du Rhin. Les
Religieux &les Religieuſes ont le choix de ſe retirer
dans d'autres Couvens ou de ſe retirer dans leur famille
avec une penfion annuelle «.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 28 Août.
SELON les lettres de Rome le Pape eſt
un peu indiſpoſé ; & on ne s'attend pas que
le Confiftoire indiqué pour le mois prochain
, & dont le jour n'étoit pas fixé, ſe
tienne au commencementdu mois prochain ;
l'état du S. Père le fera peut- être retarder
juſqu'à la fin .
Les mêmes lettres portent que la récolte
qui a manqué cette année , fait craindre la
diſette pour l'hiver prochain; le froment eſt
déjà monté à Rome à un très-haut prix ; &
cette circonſtance a fait faire les défenſfes les
plus ſévères d'exporter aucuns grains de
l'Etat Eccléſiaſtique. La Chambre Apoftolique
fait acheter tous les grains emmagaſinés
dans les environs des marais pontins.
>> Nous apprenons de la baie de Tous- les- Saints ,
dans le Brefil , lit-on dans une lettre de Lisbonne ,
que deux enfans ont trouvé , à peu de diſtance de
cette Ville, un lingot de très-bon or , ayant la formed'un
priſme triangulaire ,& pelant plus de 80 arobes
de 32 liv. chacun ; on l'évalue à plus de soo contos
de reis , à raiſon de 2500 crufades par reis , ce
qui fait un million 250,000 crufades . Le cinquième
de cette fomme immenſe appartient à la couronne ,
( 155 )
&les quatre cinquièmes au propriétairedu terrain ſur
lequel cet or a été trouvé . - Il y a quelques jours
qu'une frégate Algérienne entra dans la petite rade
de Calcais ; l'équipage , dont le but n'étoit que de
prendre des hommes pour les vendre enſuite comme
eſclaves , débarqua en filence & avec précaution ;
mais heureuſement des Bergers l'apperçurent & coururent
en donner avis au chef du lieu . On s'arma
bientôt ; on courut à la chaloupe qu'on brûla ; ou
joignit les Barbareſques , qui , ſe voyant découverts ,
firent , en combattant, leur retraite juſqu'au rivage ,
où ils croyoient retrouver leur chaloupe & s'embarquer,
its mirent bas les armes ,& ils ont été chargés
de chaînes par ceux même qu'ils avoient deſſein
d'en charger c.
ESPAGNE.
De CADIX , le 28 Acût.
Nous n'avons pas encore vu l'eſcadre
combinée ; mais nous avons lieu de juger
qu'elle n'eſt pas éloignée de nos attérages.
On prépare ici une quantité prodigieuſe de
tous les rafraîchiſſemens dont elle peut avoir
beſoin ; on eſt perfuadé cependant qu'elle ne
viendra pas les chercher ici , & qu'au lieu
de s'arrêter dans ce port , elle pourſuivra
ſa route & ſe rendra à Algéſiras. Les rafraîchiſſemens
qu'on a raſſemblés viennent
d'être embarqués ſur un grand nombre de
bâtimens à bord deſquels on a mis un
million de rations de chaque eſpèce de
munirions de guerre & de bouche deſtinées
à la flotte. Ces vivriers n'attendent que le
vent pour mettre à la voile pour Algéſi-
86
( 156 )
د
ras . Ces diſpoſitions ne permettent pas de
douter qu'ils aillent y trouver on attendre
l'armée combinée , qui , mouillant dans
la baie de Gibraltar pourra fournir aux
affiégeans un grand renfort en matelots &
en canonniers & y ſera plus à portée
de s'oppoſer à toute eſcadre Angloiſe qui
ſe préſentera devant le Détroit. Les vaifſeaux
qui devoient venir de Toulon ici , ont
eu ordre de s'arrêter à Algéſiras.
د
Nos détails du camp font les ſuivans.
- Le
>> Les nouveaux ouvrages , tracés par les Ingénieurs,
ſe continuent avec ſuccès , & s'avancent avec
la plus grande rapidité; les batteries s'élèvent d'une
manière qui tient du prodige. Le 20 , les Ingénieurs
ont fait couvrir le rameau de communication à la
hauteur de 3 pieds. Les Officiers d'artillerie ont
employé les travailleurs à faire les merions des
nouvelles batteries , & quelques piquets à faire un
épaulement avec des ſacs à terre , à l'oeil gauche
de la batterie de St- Charles. 21 , le Duc de
Crillon a été à Algébres ; vers less heures du
foir , le feu a pris au nouveau rameau de communication,
par l'effet d'une grenade jettée de la place;
dès que l'ennemi s'en eſt apperçu , il a fait jouer
toutes ſes batteries de la montagne, celles du nouvel
emplacement des tours de la porte de Terrè , du
vieux môle & du fort St-Paul. Le feu a été trèsvif;
nous y avons répondu de même de toutes nos
batteries perfectionnées dans la ligne , & de celles
deSt Martin , hors de ligne , qui est la plus avancée.
Ge feu a duré , de part & d'autte , juſqu'à 8 heures
&demie. Pendant ce tems , la place ajetté plufieurs
carcafles ; les 20 ſoldats , deſtinés à les éteindre ,
avec des couvertures mouillées , en ont empêché
l'effer. On leur donne à chacun 10 livres de grati
( 157 )
fication , ce qui fait qu'ils font fort attentifs.. Dès
que Mgr le Comte d'Artois a entendu le feu , il
elt venu , à toute bride , au camp ; il a voulu ſe
porter à la ligne , mais on s'y eſt oppole; il s'eſt
renu ſur une hauteur , & vers les 9 heures , il eſt
retourné à St- Roch . Le 22 , la place a tiré
quelques coups de canon le matin & l'après midi.
Vers les 4 heures , le feu a été plus vif; il a coutinué
de même jusqu'à 6 heures; la plupart étaient
des grenades . On a commandé , l'après midi , 9००
hommes pour les batteries flottantes «.
-
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Septembre.
LES dépêches de Sir Guy Carleton , tous
les avis apportés de l'Amérique ſeptentrionale
ont dû nous prouver que la nouvelle
Adminiſtration ne ſeroit pas plus heureuſe
que l'ancienne dans l'exécution du plan
pour ramener les colonies à l'obéiſſance ;
on a vu avec quelle fierté tous les Corps
législatifs des Etats-Unis ont rejetté toutes
les propoſitions qu'on a fait faire pour une
paix particulière. L'Aſſemblée générale du
Maryland a la première donné l'exemple ;
nous avons rapporté ſes réſolutions à ce
ſujet; tous les treize Etats-Unis en ont
pris de pareilles ; celles du Confeil exécutifde
Penſilvanie méritent d'être tranſcrites.
>> Attenda que le 25 Mai 1778 , dans un tems
qù le Parlement, le Ministère , & le Roi de la
G. B. tentoient artificieuſement , par des moyens
infidieux , de diviſer & de détruire ces Etats Unis ,
T'aſſemblée générale de Pensylvanie , avec une di(
158 )
1
gnité qui convient aux repréſentans d'un peuple
vertueux & libre , prit unanimement les réſolutions
fuivantes ; 19. que les délégués ou députés des Etats-
Unis de l'Amérique , aſſemblés en Congrès , font
revêtus d'une autorité exclufive pour traiter avec
le Roi de la G. B. ou avec des Commiffaires duemeut
nommés par lui , concernant une pacification
entre les deux pays ; 2°. que tout homme, ou
corporation dhommes , qui préſumera de faire aucune
convention ſéparée ou accord partiel avec le
Roi de la G. B. , ou avec aucun Commiſſaire ou
Commiſſaires ſous la couronne de la G. B. , doivent
être traités & confidérés comme ennemis ouverts
& déclarés des Etats-Unis de l'Amérique ;
3º. que cette Chambre approuve hautement ladéclaration
du Congrès , que les Etats-Unis ne ſauroient
convenablement tenir aucune conférence ni
négociation avec aucuns Commiſſaires de la part
de la G. B. , à moins que , comme un préliminaite
pour y parvenir , el'e retire ſes flottes & ſes armées,
ou qu'en termes pofitifs & exprès , elle reconnoiffe
l'indépendance deſdits Etats ; 4°. que le Congrès
n'a aucun pouvoir , autorité , ni droit de faire aucun
acte, procédé, ni démarche quelconque, qui tende
à céder, à abandonner , ou àà diminuer la ſouveraineté
& l'indépendance de cet Etat , fans fon confentement
& aven à ce préalablement obtenu ;
sº. que cette Chambre maintiendra , appuiera &
défendra , la ſouveraineté & l'indépendance de cet
Etat, aux dépens de ſes vies &de ſes biens; 6º, qu'il
foit recommandé au ſuprême Conſeil exécutifde
cet Etat , d'ordonner , ſans délai , à la Milice de
cet Etat , de ſe tenir prête à agir , ainſi que l'occafion
l'exigera.- Er , attendu que l'on a les preuves
les plus complettes , que le même eſprit de
perverſité & de folie qui gouvernoit alors les conſeils
de la nation Britannique , a excité les Adminiſtrateurs
actuels de ce peuple à réitérer , ſous
( 159 )
des noms & des prétextes plus ſpécieux, la tenrative
inſultante : attendu auſſi, que le peuple d'un
Etat libre a droit aux informations les plus plenières
& les plus claires des principes , d'après lefquels
ſes repréſentans dans les départemens , tant
exécutif que législatif, ont deſſein de ſe conduire
dans toutes les grandes affaires nationales; le Conſeil
croit être de ſon devoir de déclarer , qu'approuvant
pleinement & unanimement les réfolutions
ſus-mentionnées, il eſt déterminé à y adhérer
rigoureuſement dans toutes les occafions. Et c'eſt
l'opinion unanime du Conſeil , que toutes propofitions
qui pourroient être faites par la Cour Britannique,
de quelque façon que ce ſoit , tendantes
à violer le traité actuellement ſubſiſtant entre nous
& notre illuftre allié, doivent être traitées avec
toutes les marques poſſibles d'indignation & de
mépris. Le Conſeil, conſidérant en même-tems les
avantages que les nations retirent d'une amitié &
d'un commerce fondés ſur la bonne foi , l'eſtime ,
&l'intérêt mutuels , & connoiffant très-bien l'avantage
, que la G. B. pourroit tirer de l'Amérique , ſi
elle adoptoit à ſon égard des principes de modération ,
de ſageſſe &dejustice , ne fauroit réprimer ſon
defir pour les intérêts généraux de l'humanité &
ſon reſpect pour la dignité de la nature humaine
au point de ne pas fentir quelque douleur lorſqu'il
voit cette Nation naguères puiſſante & reſpectable,
continuer d'agir toujours d'après des principes
, leſquels , fi elle y perfiſte plus long-tems ,
doivent néceſſairement anéantir tout droit de ſa part
à l'eſtime , à la foi & à la confiance des Etats-Unis ,
& rendre par conséquent des traités d'amitié & de
commerce entre nous & elle abſolument impraticables
à jamais c.
Les réſolutions des treize Etats font toutes
conformes à celles-ci . Les uns & les
autres faiſant des voeux pour la paix, n'en
( 160 )
veulent qu'une qui leur foit honorable con
venable à un Etat libre , & de concert avec
leurs alliés . C'eſt au moment où l'on ne
peut élever aucun doute ſur l'unanimité
des peuples Américains , qu'on recommence
à parler de troubles & de diviſions qui
Hattent la Grande-Bretagne d'un accommodement
prochain. On a vu dans un de nos
papiers , le Morning-Post du in de ce
mois , une lettre adreffée de New- Yorck par
le Docteur Walter , à Sir William Pepperel
qui l'a donnée lui-même à l'Editeur de
cette Gazette.
• Le Docteur y dit que peu de jours avant la
date de ſa lettre , qui eſt du 24 Juillet , SirGuy Carleton
a appris que les Provinces de Maſſachuffet ,
deNew Hampshire , & le nouvel Etat de Vermon,
ont ſecoué le joug du Congrès , en envoyant des
Députés pour traiter avec la G. B.; que la plus
grande partie du Connecticut ſe déclare auſſi pour
I'Angleterre , & que l'on attend à New-Yorck des
Députés de quelques autres parties du Continent.
Le Docteur ajoute , que l'on attribue cette révolution
fubite aux inquiétudes que cauſe en Amérique
l'accroiffement de la Puiſſance Françoiſe , &
àun acte récemment paffé par le Congrès pour
Jever des ſubſides, non-ſeulement exhorbitansen euxmêmes
, mais payables en eſpèces monoyées.
Cet article a trouvé des incrédules; on a cherché
à les convaincre en préſentant une ſeconde lettre
de M. Andrew Pepperel qui atteſte que celle du
Docteur Walter a été en effet adreffée à ſon frere
William, «
Malheureuſement pour cette nouvelle
importante on a des lettres de Sir Guy
( 161 )
Carleton pofſtérieures à cette date , puifqu'elles
ſont du 6 Août; la Cour n'en a
publié que l'extrait ſuivant.
» La communication entre cette Place & le Pays
eſt ſi ouverte , que des bateaux & navires de Philadelphie
, de Boſton & d'autres Provinces Septentrionales
, font admis fans pavillons par les Armateurs
pour acheter des marchandises ; on ne les moleſte
point. Les troupes campent entre Kingfbridge
& Greenwich; le Général Washington ſe
tient à environ 15 milles de diſtance ; les deux
armées ſemblent n'avoir aucune idée d'hoſtilités
ce qui fait penſer ici qu'il y a quelque négociation
fur le tapis avec les Colonies Septentrionales . <<<
Il n'eſt pas queſtion dans cette lettre de
la grande révolution annoncée par le Docteur
Walters. Il eſt bien fingulier que le
Général Carleton n'ait pas donné ces avis
importans au Gouvernement ; il l'eſt bien
davantage que le bâtiment qui a apporté
ces dépêches n'en ait point apporté d'autres
particulières à l'exception de celle du
Docteur , pour lui ménager l'avantage d'être
le premier à inſtruire la Nation de cet évènement.
On regarde cette lettre comme
la mille & unième fable contée depuis le
commencement des troubles par les réfugiés.
Sir Andrew Pepperel étoit en effet cidevant
un habitant de Maſſachuffet , réfugié
depuis quelque tems en Angleterre. Cetre
nouvelle auſſi eſt preſque tout- à-fait tombée
dans ce moment , & on commence à rive
de la bonne-foi avec laquelle elle a été
publiée & reçue d'abord.
,
( 162 )
M
!
Toutes les Gazettes dévouées au Lord Shel
burne , dit un de nos papiers à ce ſujet, ont annoncé
que pluſieurs Etats de l'Amérique Septentrionale
avoient ſecoué le joug du Congrès , mais
ſelonles dernières lettres d'Amérique , il paroît que le
Congrès avoit arrêté qu'il feroit levé 6millions de
piaftres fortes pour le ſervice de l'année courante ,
& que d'après l'ordre envoyé en conféquence aux
Etats , par le Ministre des Finances , pour avoir le
tableau des ſommes ſouſcrites par chacun d'eux au
mois de Juillet , on a vu que la contribution ne
montoit qu'à 16,000 piastres , & que cette ſomme
avoit été fournie par les deux Etats ſuivans, favoir:
Jerſey , 10,000 piastres , & Rhode- Ifland
6000. Mais en ſuppoſant même cette nouvelle
authentique , elle ne prouve nullement qu'aucune
des Colonies Américaines ſe diſpoſe à rejetter l'autorité
du Congrès. Il vaudroit autant dire que
quelqu'un des Etats de Hollande va ſe rendre ſujet
de la G. B. , parce qu'il n'eſt pas d'accord fur
quelque point relatif aux affaires générales de la
République. «
Quelques perſonnes croient ici que cette
nouvelle n'a été jettée dans le public que
pourdétourner ſon attention de ce qui doit
ſe paſſer actuellement ſur le Continent , où
l'eſcadre Françoiſe partie de St-Domingue
a dû aborder , & où l'Amiral Pigot a dû
la ſuivre; on s'attend à une action prochaine
dont les ſuites nous inquiètent , parce
que nous ignorons les forces reſpectives
qui doivent être en préſence dans ces mers.
Le Gouvernement doit avoir des nouvelles
qui l'en inftruiront.
>> Un Officier , dit un de nos papiers , eſt arrivé
hier à l'Amirauté avec des depêches de la Jamaï
( 163 )
que , il s'étoit embarqué ſur leMontagu , vaiſſeau
de guerre de 74 canons , Capitaine Brown ; l'Amiral
Rodney eſt revenu en Angleterre à bord de ce
vaiſſeau qui a mouillé devant Kinſale. Il paroît que
leMontagu a mis à la voile de la Jamaïque le s
Août, & qu'il eſt venu par le paſſage du vent. Le
Gouvernement à reçu avis par ce vaiſſeau que la
flotte deſtinée pour l'Angleterre avoit appareillé de
Blucfields le 1 Août , afin de traverſer le golfe ſous
l'eſcorte de 6 vaiſſeaux de ligne. Le floop l'Alerte
eſt également arrivé de la Jamaïque & a mouillé
devant Kinſale.- Une lettre écrite à bord du
Montagu , porte que l'Amiral Pigot avoit mis à
la voile de la Jamaïque pour New-Yorck avec 28
vaiſſeaux de ligne avant le départ du Montagu ;
mais que le Torbay ayant fait une voie d'eau en
mer , avoit été obligé de rentrer pour ſe réparer ,
ce qui avoit réduit l'eſcadre à 27 vaiſſeaux de ligne.
L'Amiral Rowley a pris le Commandement à la
Jamaïque où il eſt reſté avec 3 vaiſſeaux. «
Ces nouvelles portent à 27 vaiſſeaux
l'eſcadre de l'Amiral Pigot; mais est - il réellement
certain qu'il ait ce nombre ? On peut
calculer ceux qui ont ramené les convois
de la Jamaïque des iſles ; ils font au nombre
de 7; on en met 6 à l'eſcorte de celui
qu'on attend ; il en reſte 3 ſous l'Amiral
Rowley; le Montagu eft de retour , ce qui ,
avec ceux qu'on a été obligé de dépecer ,
parce qu'ils ne pouvoient ſervir , doivent
néceſſairement diminuer l'eſcadre qui va
chercher les François dans les parages de
l'Amérique ſeptentrionale.
Tous ces objets éloignés intéreſſent aujourd'hui
moins la curioſité que ceux qui
( 164 )
1
4
fontplus près de nous; on ne s'entretient
plus que de l'expédition de l'Amiral Howe.
Tout ce que préſentent à ce ſujet nos papiers
& les eſpérances qu'ils conſervent
ne peuvent que paroître curieux ; nous les
laiſſerons parler eux- mêmes , & nous nous
bornerons à les traduire.
La grande eſcadre eſt ſortie le zi des caux de
Portsmouth avec un vent d'Eft. Elle est compoſée
de 34 vaiſſeaux de ligne, d'un de so , de 8 frégates
& de 3 brûlots. Les flottes & les tranſports
pour Gibraltar , Oporto & les Illes , ont appareillé
avec la grande eſcadre , ainſi que 10 vaiſeaux de
la Compagnie des Indes. Le Pégase , de 74 , eft
parti le mêmejour de Port(mouth pour Spithéad. Ce
vaiſſeau a paru en fi mauvais état , qu'on n'a pas
ſouffertqu'il fit voile avec la grande flotte.
Si le vent ſe ſoutient tel qu'il eſt , le Lord Howe
arrivera à Gibraltar en 15 ou 20 jours; mais comme
y en a déjà dix que le vent'eſt à l'Eſt, il n'est pas
vraiſemblable qu'il y reſte encore long-tems. Nous
devons plutôt nous artendre qu'il tournera au Sud
ou à l'Ouest, & ces deux vents ſont également
contraires à la grande eſcadre. Tous nos Matins
conviennent que ſi elle ne met que trois ſemaines
pour arriver au Détroit , elle aura fait une tra
verſée heureuſe. Il faudra enfuite une ſemaine au
moins pour mettre à terre les articles à bord des
tranſports ports , & quinze autres jours pour le retour
des vaiſſeaux de guerre en Angleterre. De forte
que ſi le Lord Howe revient ici fix ſemaines après
ſon départ , il aura fait toute la célérité qu'on
peut deurer raiſonnablement
nombre de vaifſeaux,
avec un grand
Il y a fur la grande eſcadre 6 régimens qui
doivent ſervir comme troupes de la marine , favoir
, le deuxième , le vingt-cinquième , le cinquante
( 165 )
neuvième, le ſoixant-unième &le ſoixante-deuxième,
avec un autre régiment dont nous ne ſavons pas
le nom. Le vingt-cinquième & cinquante-neufdoivent
être laiſſés à Gibraltar pour renforcer la
garniſon , & l'on préſume que les autres feront
envoyés aux iſles avec une diviſion aux ordres da
Chevalier Alexandre Hood.
Parmi les différens articles portés de la Tamiſe
àbord des vaiſſeaux munitionnaires pour Gibraltar
, il ſe trouve 750 quarters de froment , 600
quarters de pois , 1000 quarters de farine , 200
quarters de gruau & pluſieurs tonnes de choucroûre.
Le feu Lord Anſon penſoit qu'une eſcadre de
35 vaiſſeaux de ligne , avec un nombre proportionné
de frégates , pouvoit combatre ure eſcadre
ennemie , quelque nombreuſe qu'elle pût etre ;
mais il croyoit auſſi que pour le faire aves quelque
sûreté , il falloit avoir une petite eſcadre de
vaiſſeaux de so , ou même d'une moindre force ,
pour ſecourir chacun des gros vaiſſeaux dans ce
combat inégal .
LeGouvernement reçut , le 15 au foir , des dépêches
du Lord Howe , par leſquelles il apprit
que cet Amiral avoit dépaſſé les ifles Sorlingues ,
& qu'il avoit débouqué de la Manche le jeudi 12
au coucher du ſoleil. L'eſcadre marchoit alors en
trois diviſions ; l'avant-garde aux ordres de l'Amiral
Barington & de l'Amiral Hood; le centre aux
ordres du Lord Howe & du Chevalier Richard
Hughes , & l'arrière-garde aux ordres de l'Amiral
Milbanke & du Commodore Hotham. Le
Bristol, Capitaine Burney & deux frégates ,
étoient au vent de l'eſcadre , vers les côtes de
France , pour être plus à portée de protéger les
divers convois ; les vaiſſeaux de la Compagnie des
Indes ſuivoient la diviſion de l'Amiral Barington ;
les vaiſſeaux munitionnaires , les tranſports & les
,
( 166 )
1
bâtimens deſtinés pour les Ifles étoient placés
entre le centre & la diviſion de l'Amiral Milbank.
Chaque divifion étoit accompagnée de
deux frégates , d'un brûlot & d'un floop ou d'un
cutter ; le Commandant en chef avoit deux cutters.
L'ordre de marche devoit être changé auſli-tôt que
l'eſcadre ſe trouveroit par le travers du golfe de
Biſcaye ; les flottes deſtinées pour les IndesOrientales
& Occidentales s'en ſépareront alors , & le convoi
deſtiné pour Gibraltar ſera placé au centre de
l'eſcadre , le Commandant en chef ouvrant ſa divifion;
les bâtimens de ce convoi ſeront rangés fur
deux colonnes , pour leur plus grande sûreté.
Les vaiſſeaux qui compoſent l'eſcadre
de l'Amiral Howe , font les ſuivans :
Le Victory , la Britannia , de 100 canons. La
Queen , l'Océan , l'Atlas , la Princeſſe Royale, de
98. Le Blenheim , l'Union , de 90. La Princeffe
Amélie,le Cambridge , le Royal William , de 84.
Le Foudroyant , de 80. L'Edgar , l'Alexandre , la
Bellone , le Berwick , le Courageux , le Dublin ,
l'Egmont , la Solitude , le Gange ,le Goliath,
le Suffolk , la Vengeance , de 74. L'Afie , le Bienaifant
, le Crown , le Polypheme , le Ruby , le
Raisonnable , le Sanfon , le Vigilant , de 64. Le
Buffalo .le Panther , de 60. Le Bristol , de so. La
Minerve , la Latone , de 38. Le Monfieur , de 35.
L'Andromaque , de 34. La Recovery , la Diane ,
la Proferpine , de 32. Le Termagam , de 24, &
les brûlets la Tiſiphone ,le Pluton & le Spitfire.
- On remarque que dans cette eſcadre on voit
figurer au nombre des gros vaiſſeaux le Blenheim ,
l'Océan, uſés de ſervice ; le Cambridge, la Princeſſo
Amélie , qui ont plus de so ans , & le Royal Wil
liam , qui n'a pas ſervi depuis la dernière guerre.
L'Atlas, la Princeſſ Royal , l'Egmont ,le Gange,
&c. n'ont pas été à la mer depuis qu'ils ont été
réparés,
( 167 )
1
Tout le monde n'eſt pas auſſi persuadé
que le diſent bien des papiers , du ſuccès de
l'expédition du Lord Howe. On lit dans un
les obſervations ſuivantes , qui ſontbien faites
pour ſubſtituer l'inquiétude à nos eſpérances
.
Le prompt retour de l'Amiral Milbank avec 15
vaiſſeaux ( ayant laiſſé le Rippon dans la mer du
nord ) paroît enfin avoir déterminé le départ de
cet armement formidable dont nos papiers retentiſſoient
depuis plus de 6 mois , & que la Nation
commençait à regarder comme imaginaire. Le Lord
Howe a finalement appareillé le 11 de ce mois
avec 34 vaiſſeaux de ligne tant bien que mal équipés.
Voilà donc nos côtes abandonnées pendant
deux mois & demi ou trois mois , à la merci des
Hollandois & peut-être des François ! Voilà 34
vaiſſeaux qui vont à 3000 lienes en combattre 60.
Car nous n'ignorons pas qu'à Cadix , Dom Louis
de Cordova en a 27 à ſes ordres , M. de Guichen 15
&que 2 font attendus de Toulon , qu'à Algéfires ,
ſans compter les frégates , chébecs & canonnières ,
l'eſcadre de Dom Bonaventure Moreno eſt au moins
de 10 à 12 vaiſſeaux de ligne , & qu'à l'ouest du
Détroit il y a encore une divifion de 7 à 8 vaiſſeaux
& 8 frégates , commandée par Dom F. deCifneros.
Dans le Ponent du côté des François devons-nous
auffi être bien tranquilles , leurs divers convois
arrivés des Ifles n'ont pas laislé quede leur procurer
des reſſources en gens de mer & de leur
faire rentrer un certain nombre de vaiſſeaux de
guerre , avec leſquels ils pourroient ført bien
profiter de l'absence de l'Amiral Howe pour inquiéter
nos cotes. Cependant fi notre Amiral , comme
cela est vraiſemblable , eſt aſſez prudent pour
ne point chercher à engager une affaire qui ne
feroit malheureuſement que trop déciſive contre
f
( 168 )
A
nous , tout fon objet ſe réduira àtâcher dejetter
du ſecours dans la place affiégée ; mais la queſtion
eſt de ſavoir fi la flotte combinée lui laiſſera le
paſſage libre , & fi à cette époque il en ſera encore
tems. D'ailleurs ſi nos nombreux tranſports qui
vont entraîner beaucoup de lenteur à ſe rendre à
leur deſtination & qui feront eſcortés par deux
vieux vaiſſeaux de 60 canons , ne peuvent parvenir
à mouiller dans labaie , ne courentsils pas le riſque
certain d'être pris ou pulvérisés tant par les chaloupes
canonnières ,qquue par les batteries de terre&
de mer qui dominent la baie ? Enfin en ſuppoſant
même que nos efforts foient couronnés du plus grand
ſuccès , & que l'on parvienne à ravitailler la Place,
ces nouveaux ſecours l'empêcheront-ils de tomber
le lendemain au pouvoir de nos ennemis ? A toutes
ces craintes joignons-y celle de l'équinoxe & notre
troiſieme convoi attendu de la Jamaïque & dont
le fort paroît dépendre du ſuccès de l'Amiral Howe
àGibraltar.
On n'eſt pas fans de vives inquiétudes fur
ceque feront les Hollandois , à préſent que
nos côtes ſont dégarnies ; nos papiers ,
toujours empreſſes de nous raſſurer , annoncent
qu'on va armer promptement les vaifſeaux
ſuivans : le Grafton , l'Albion , le
Triumph , l'Elifabeth , le Pégase , le Bombay-
Castle , de 74 ; le Trident , le Belleifle
, l'Europe , de 64; le Caton , le Salifbury,
la Princeſſe- Caroline , de 10. Cela
fait en tout 12 vaiſſeaux ; mais quelques- uns
fontufés de ſervices, comme l'Elifabeth,& c.
&quand il feroit poſſible de les mettre en
état de ſervir , cela ne fauroit être prompt ;
d'ailleurs , les matelots nous manquent ;
рож
( 169 )
pour s'en procurer le nombre ſuffifant , il
faut attendre l'arrivée des divers convois
qu'on attend de la Jamaïque , des Ifles
ſous le vent & de la Baltique ; on les porte
à450 voiles , qui fourniront ſans doute des
matelets ; mais ils ne font pas encore ici;
& les Hollandois peuvent ſe montrer dans
ce moment , où l'on n'a rien à leur
oppoſer.
Nous ſommes toujours dans l'attente
des nouvelles de l'Inde ; le bruit d'une
nouvelle action qui nous a été funeſte
ſe ſoutient ; mais ſi rien ne le confirme
, rien ne le détruit non plus ; en
attendant qu'on ſoit mieux informé , nos
papiers reviennent ſur les relations contradictoires
qui ont été publiées , & l'un
d'eux fait à ce ſujet les obſervations ſuivantes.
Rienne diffipe nos inquiétudes , relativement à
ce qui s'eſt paſſé dans l'Inde. Les détails que nos
papiers nous ont fourni juſques à préſent ſont fi
contradictoires , que nous ne pouvons y ajouter fei .
Dans la premiere relation du combat qu'il y a ен
au mois de Mars dernier près de Trinquemale &
dont on attribue tout l'avantage à l'Amiral Hughes ,
il eſt dit que nous avons pris à nos ennemis trois
vaiſſeaux de guerre , dont l'Union de 74. Les François
n'ont dans l'Inde aucun vaiſſean de ce nom &
n'en ont point eu depuis cette guerre. Suivant la
ſeconde relation , nous avons été défaits le 18 Mars ,
& entr'autres vaifſeaux que nous avons perdu , le
Sultan & le Magnanime font du nombre de ceux
pris , tandis que dans la lettre da Gouverneur de
Bombay du 20 Avril il n'eſt queſtion que d'une
action vive de part & d'autre & à laquelle ces deux
28 Septembre 1782. h
( 170 )
vaiſſeaux paroiſſent ne s'être point trouvés , ce qui
feroit d'autant plus vraiſemblable que dans une
autre lettre datéede Bombay le 26 du même mois
d'Avril , on y lit qu'on avoit apperçu leſdits vaifſeaux
à la hauteur d'Achm-Head. On remarque
encore dans la lettre de M. William Hornby que
parmi les vaiſſeaux qui furent envoyés à la pourſuite
de pluſieurs tranſports François eſt le Seahorse,
frégate du Roi , de 24 canons qui a péri dans l'Inde
l'année derniere. Tant d'invraiſemblance & de
contradictions au lieu de diminuer nos inquiétudes
ne font que les augmenter &nous font déſirer desavis
directs . Ces inquiétudes en ce moment ſont d'autant
plus fondées , que preſque tous les avis s'accordent
à affurer qu'Hider-Ali a reçu les renforts qu'on lui
conduiſoit , & que nous ſavons d'ailleurs que les
François de leur côté en ont dû recevoir de confi .
dérables par l'arrivée de deux de leurs vaiſſeaux &
de pluſieurs tranſports ayant à bord environ 4000
hommes de troupes , du moins les Mai dernier ,
ces nouveaux ſecours étoient-ils arrivés en bon
état au cap de Bonne- Eſpérance.
Les embarras dans lesquels ſe trouve la
Nation , donnent lieu à beaucoup de pamphlets
contre la nouvelle Adminiſtration ; il
en a paru un très-ſingulier qui , en donnant
une idée de la licence Angloiſe , peut montrer
en même-temps que , malgré les belles
eſpérances qu'on ne ceſſe de préſenter à
la Nation , elle n'en eſt pas moins méconrente.
C'eſt un dialogue politique , dont
les deux Interlocuteurs ſont déſignés , l'un
parle nom de Malagrida , oule Jéſuite , &
l'autre par celui de Boreas.
Boreas. Hé bien , Mylord , que penſez - vous de
Pérat actuel des choſes ??
Malagrida. Je n'en ai pas trop bonne idée. Vous
( 171 )
voyez ce que le peuple dit de la nomination du
Lord Avocat d'Ecoſſe (1 ) , à la place de Tréſorier
de la Marine..
Boreas. Oui ; mais croyez- vous qu'il nous ſoit
poſſiblede mieux faire ?
Malagrida. Je defirerois que cela ſe pût ; car il
faut que nos projets réuſſiſſent avant la rentrée du
Parlement , fans quoi il ne me reſte plus d'eſpérance.
Boreas. Je crains bien que vous ne puiſſiez pas
yparvenir.
Malagrida. Je conviens que nous n'avons pas
une perſpective bien flatteuſe. Il y a là le Duc de
Richemond , le Général Corlway ,le Lord Camden
& le Lord Keppel. J'ai peur que tous ces gens ne
faffent jamais rien pour nous ; les choſes ne font pas
encore affez mûres pour que nous riſquions d'évincer
ces Meſſieurs , & d'introduire nos anciens amis . Je
voudrois bien qu'ils ſe retiraſſent; car je vous aſſure ,
mon cher Boreas , que je ne defire rien tant que de
vous poſſéder encore.
Boreas. Vous ſavez que vous n'avez eu votre
place qu'à cette condition , & je ne doute point que
vous ne vous conduifiez en hommed'honneur ; mais
ce ſeroit lever le maſque que de faire rentrer ſi-tôt
nos amis , quoique le Lord Stormond ſe laſſe bien
d'attendre.
Malagrida. Je le fais bien. Au reſte , il faut
qu'il prenne un peu de patience. Pendant ce tems-là ,
nous devons chercher à réconcilier la Nation avec
nous , en lui faiſant croire que nous ſommes dans
la ferme réſolution de renoncer à la guerre Américaine
, quoiqu'en effet vous ſachiez très -bien que
rien n'eſt plus éloigné de notre intention. La ſeule
choſe où nous ne ſoyons pas d'accord , c'eſt s'il faut
combattre les Américains chez eux ou ailleurs .
Boreas. Oui , oui , il nous est très-facile de faf-
(1) On le dit ennemi déclaré des Américains.
* h2
;
( 172 )
ciner les yeux de la Nation fur ce point ; mais , que
ferons-nous quand le Parlement ſera aſſemblé ? For
&Burk ne ſe laifferont point aveugler , & ils nous
mettront en pièces .
Malagrida. Que je maudis leur intégrité ! Il n'y
a pas moyen de les corrompre.
Boreas. Si cela eût été poſſible , il y a bien des
années que je l'aurois fait,
Malagrida. Allons , il ne faut pas perdre courage.
Si la corruption , ſi les titres , ſi les penfions ,
fi les marchés ou tout autre moyen d'influence peuvent
nous donner une majorité dans la Chambre des
Communes nous ne devons déſeſpérer de rien ;
mais fi cette dernière reſſource nous manque , il
faudra abandonner le champ de bataille , & le céder
aux hommes du peuple .
,
Boreas. Et comme cela pourroit bien arriver ,
fongez , mon cher , à vos petites affaires ,je vous
affure que j'ai eu foin des miennes.
Malagrida. Laiſſez-moi faire. Je tâcherai que
ma fortune ne ſouffre point d'échec , & que tous
mes parens , tous mes amis , enfin tout ce qui
m'entoure ſoit bien pourvu.
Nous avons donné une partie du rapport
du Comité de la Chambre des Communes
, fur l'état des finances. Cette partie du
rapport avoit pour objet le montant des
différentes ſommes levées par annuités entre
le s Janvier 1776 & les Avril 1782 ; & le
produit annuel des taxes accordées pour
payer les intérêts de ces ſommes . Nous
allons en continuer le précis , &préſenter le
troiſième objet des recherches daComité.
Le troiſième Chef étoit d'examiner & d'expoſer
à la Chambre le montant des dettes publiques
-(aggrégées ou incorporées dans le fonds , ) tel
qu'il étoit arrêté ſur la recette de l'Echiquier le s
5.
( 173 )
Janvier de chaque année depuis l'an 1776 juſquà
l'an 1782 tous les deux incluſivement , avec les intérêts
annuels & autres dépenſes payables ſur icelle.
-Voici le Tableau de ces dettes , préſenté par le
Comiré. Le Janvier 1776 , le montant de la dette
étoit 123,964,500 liv. ſterl. 7 ch. 2 den. & trois
quarts ; les intérêts en étoient 4,339,502 liv. ſterl .
2 ch. 5 den. ; les frais de geſtion & autres 72.324
liv. fterl . 9 ch. 2 den. & demi ; les intérêts annuels
& les frais enſemble 4,411,826 liv. fterl. 11 ch . 7
den. & demi. Les Janvier 1777 , la dette étoit
126,114,300 liv. ſterl. 7 ch. 2 den. & trois quarts ;
les intérêts annuels 4402,463 liv. fterl. 16 ch. 8
den. & demi ; intérêts annuels & frais enſemble
4,475,997 liv . sterl. 14 ch. un den, & demi-Les
Janvier 1778 la dette étoit 131,114 300 liv. ſterl.
7 ch. 2 den. & trois quarts ; les intérêts annuels
4,606,030 liv. ſterl. 9 ch. 11 den.; frais de gestion
& autres 72,533 liv. ſterl. 16 ch. 8 den. &demi ;
intérêts & frais enſemble 4,699,564 liv. fterl. 6 ch .
7 den. & demi-Les Janvier 1779 la dette étoit
137,083,414 liv. fterl. 12 ch. 13 den . & un quart ;
intérêts 4,953,447 liv . ſterl . 4 ch . 11 den.; frais degeſtion
& autres 76,697 liv. ſterl. 17 ch. 11 den. &
demi ; intérêts & frais enſemble 5,030,145 liv. ſterl.
2 ch. 10 denier & demi.-Les Janvier 1780 la
dette étoit 144,083,414 liv. ſterl . 12 ch. 11 den. &
unquart; intérêts 5,424,836 liv. ſterl . 17 ch. 5den.;
frais de geſtion & autres 82,142 liv . ſterl . 3 ch . 11
den . & demi ; intérêts & frais enſemble 5,506,999
liv. fterl . un ch . 4 den . & demi.-Les Janvier 1781
la dette étoit 157,067,871 liv. ſterl. 15 ch. 9 den .
&demi ; intérêts 5,930,509 liv. ſterl. 7 ch. 5 den .;
frais de geſtion & autres 99.504 liv. fterl. 18 ch. ;
intérêts & frais enſemble 6,030,014 liv . ſterl.5 ch.
sd.-Les Janvier 1782 la dette étoit 177,052,428
liv. fterl . 18 ch . 8 den.; intérêts 6,588,681 liv .
ſterl. 12 ch. 5 den.; frais de geſtion & autres 99,504
h3
( 174 )
liv.ft. 18 ch. 3 intérêts & frais enſemble 6,688,186
liv. ſterl. 10 ch. 5 d.-Le Comité, réſumant toutes
ces ſommes , trouve que la maſſe de la dette publique
ayant été le s Janvier 1776 de 123,864,500
liv. fterl. 7 ch. 2 den. & trois quarts , & le s Jan
vier 1782 de 177,052,428 liv. ſterl. 18 ch. 8 den. ,
l'accroiſſement de la dette publique durant cet efpace
de fix années a été de 52,087,928 liv. ſterl. 11
ch. s den. & un quart ; ſomme à laquelle il faut
ajouter l'emprunt fait en la préſente année 1782 ,
d'une fomme effective de 14,500,000 liv. ſterl. mais
qui a augmenté la dette publique d'un capital de
20,250,000 liv. fterl. ; de ſorte qu'aujourd'hui
l'accroiſſement de cette dette depuis 1776 eſt de
73,337,928 liv. ſterl. , & toute la maſſe de cette
dette de plus de 197,000,000. Les Janvier 1776
les intérêts de la dette publique & les frais de geſtion
montoient annuellement à 4,411,826 liv. fterl.
ch. 7 d. &demi , & le s Janvier 1782 à 6,688,186
liv. ſterl. 10 ch. 5 den. de façon que l'augmen
tation des intérêts & frais de geſtion des 21,000,000
accordés en 1781 ni les intérêts de l'emprunt de
1782 montant à 793,125 liv. ſterl. dont 118,125
liv. ſterl. font en annuités pour 28 ans. Le total de
l'accroiſſement des intérêts auroit même été encore
plus conſidérable , fi durant cette époque l'extinction
de plufieurs rentes viagères & la réduction des intérêts
de quelques emprunts ne l'eût diminué.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 24 Septembre.
Le Roi a nommé le 10 de ce mois à
l'Abbaye de Notre-Dame d'Evron , Ordre
de St-Benoît , Diocèſe du Mans , l'Abbé de
Chardeboeuf de Pradel,Vicaire-Général de
Limoges , l'un des Aumoniers de Monfieur ,
fur la nomination & préſentation deMon
( 175 )
fieur , en vertu de ſon apanage; à l'Abbayede
Chambon , Ordre de S. Benoît , Diocèſe de
Poitiers , l'Abbé Brugiere de Farfat , Chapelain
de Madame la Comteſſe d'Artois
fur la nomination & préſentation de Mgr.
le Comte d'Artois , en vertu de fon apanage.
"
M. Pomme , Docteur en Médecine de
l'Univerſité de Montpellier , Médecin-Conſultant
du Roi , a eu l'honneur de préſenter
à S. M. la nouvelle Edition de ſon Traité
des affections vaporeuſes des deux sexes ,
vulgairement appellées maux de nerfs. Cette
nouvelle Edition augmentée & publiée par
ordre du Gouvernement , a été imprimée à
l'ImprimerieRoyale ,&eſt dédiéeà S. M. (1) .
De PARIS , le 24 Septembre.
LES nouvelles de Gibraltar ſont celles
qui fixent maintenant la curiofité; le fort de
de cette Place ne doit plus tarder long- tems
à être décidé; les Couriers extraordinaires
d'Eſpagne qui devancent toujours les poſtes
ordinaires , fatisfont chaque ſemaine l'impa-
(1) Cet Ouvrage forme un vol. in-4°. , orné du portrait
de l'Auteur , & ſe vend 10 liv. 10 ſ. broché , & 12 liv .
relié. Il ſe trouve chez Viſſe , rue de la Harpe , près
de la rue Serpente. On a tiré quelques portraits avant la
la lettre. Ceux qui voudront ſe les procurer ſéparément
peuvent s'adreſſer au ſieur Viſſe; le prix eſt de lit.
10fols. On trouve auſſi chez lui quelques exemplaires
de l'Histoire générale & particulière de la Grèce , par
M. Cousin Deſpreaux, de l'Académie des Sciences,Belles-
Lettres & Arts de Rouen. Cet ouvrage intéreſſant &
généralement eſtimé , forme 17 vol. in 12 , qui ſe vendent
17 liv. 10 f. broché.
h4
( 176 )
tience qu'on a d'être inſtruit de ce qui fe
paffe de ces côtés ; on en a reçu un parti
de Madrid le 10 , qui nous a appris que
l'armée combinée avoit paru le sau foir
devant le port de Cadix , & que 3 ou 4
vaiſſeaux avoient débarqué dans une chaloupe
, à l'entrée de la baie , les malades de
la flotte. D. Louis de Cordova ayant reçu
ordre de ſe rendre fur-le-champ dans la
baie de Gibraltar , continua la route. Son
armée , en arrivant dans ce mouillage , a
été composée de so vaiſſeaux de ligne , de
manière qu'à préſent Gibraltar & le camp
doivent jouir du ſpectacle le plus terrible
& le plus impoſant. Outre les ſecours que
la flotte combinée peut fournir au camp
&à la Marine , ſa préſence doit contribuer
à décourager la garniſon , & à déter
miner le Gouverneur à ne pas oppoſer une
réſiſtance inutile contre tant de forces
qui ferment toutes les avenues de la place ,
& qui ne lui laiffent aucun eſpoir d'être
fecourue.
Un nouveau Courier de Mgr. le Comte
d'Artois , arrivé depuis celui de Madrid ,
a apporté des nouvelles plus fraîches.
Ce Courrier a quitté le camp de St-Roch le 8t
au foir. Les Croiſeurs ont pris une frégateAngloiſe
chargée de bombes , qui tentoit de ſe gliffer
dans la place; ils étoient à lapourſuite de trois autres
bâtimens ennemis qu'ils avoient apperçus.- Les
batteries de terre étoient prêtes & le lendemaiu
9 les batteries flottantes devoient être emboſſées ,
fi le vent d'Eft , qui étoit très- fort , ſe calmoit un
,
( 177 )
,
peu. - Elles feront emboffées à 300 toiſes de la
place. Leur feu ſera dirigé de façon qu'elles prendront
à revers le vieux môle ; les batteries du
nord , la porte de terre : en même tems les nouvelles
batteries feront démaſquées , &le feu commencera
de toutes parts. Il y aura alors plus de
800 bouches à feu , en comptant les bombardes
& les chaloupes canonnières. Le Dictateur & le
Suffifant arrivés de Toulon , les 7 vaiſſeaux Eſpagnols
, qui s'y trouvent depuis quelque tems , &
l'armée combinée, dont l'avant-garde entre actuellement
dans la baie , ne reſteront pas oififs : de
forte que depuis la pointe d'Europe juſqu'à la
pointe de terre , la place ſera couverte de notre
feu ; elle a , pour y répondre , 375 canons , 33
mortiers & 300 obuſiers diſperſés dans l'étendue
de plus d'une lieue au lieu que notre feu étant
réuni ſera infoutenable. Suivant les apparences ,
les ennemis manquent de bombes. Ils ont commencé
à jetter des bombes de pierre , mais elles font peu
d'effer. Il paroît qu'ils s'attendoient à être attaqués
aujourd'hui ; ils s'étoient préparés à ripoſter vivement.
Ils n'ont pas voulu perdre leuss frais; ils
ont fait , dès la pointe du jour , un feu d'enfer
qui n'a un peu diminué qu'à midi. M. de Crillon
a défendu de leur répondre. La garniſon eft à peu
près de 6000 hommes faiſant le ſervice , de
Juifs qui font chargés d'un poſte , & de fournir
l'eau dans les batteries hautes de la montagne , & de
200 Génois qui ont auſſi un poſte à défendre. Avec
cela , on ne peut pas faire l'impoſſible ; & je crois
que la garniſon aura autant d'envie d'être priſe que
nous, de la prendre. L'attaque de la pointe d'Europe,
néceffaire pour diviſer les forces ennemies &
les empêcher de ſe réunir , ſera formée par 3
batgeries flottantes , des chaloupes canonnières &
desbombardes , foutenues par les vaiſſeaux de ligne .
Il eſt auſſi queſtion de faire paſſer dans la partie
hs
300
( 178 )
de l'Eſt des bombardes , ſuivant le projet de M. de
Valliese. Par ce moyen il n'eſt pas poſſible que ,
malgré l'envie & la réſolution du Général Elliot ,
la Place puiffe tenir long-tems. Sa réputation ne
ſervira qu'à retarder la reddition de quelques jours.
D'après ces détails , l'attaque générale
peut avoir commencé la nuit du 9 au 10
de ce mois ; & on ne fauroit tarder à en
être informé , puiſque M. le Duc de Crillon
doit expédier un Courier auſſi - tôt qu'elle
le ſera; il en enverra auſſi un tous les
jours tant qu'elle durera. Les nouvelles
vont devenir très-intéreſſantes ; le départ
de l'Amiral Howe , qui a eu lieu en effet
le 11 , ne donne aucune inquiétude ſur
l'iſſue du ſiége de Gibraltar. Ses forces
ne conſiſtent qu'en 32 ou 34 vaiſſeaux ; &
il n'eſt pas vraiſemblable qu'il oſe rien
riſquer contre une ſi grande ſupériorité ,
quand il lui feroit poſſible d'arriver au
Détroit avant la réduction de la Place.
-
>>>La frégate l'Iphigénie , commandée par M. de
Kerſaint ,écrit-on de Rochefort , arrivale 13 dans ce
Port ; elle vient de la Martinique d'où elle eſt partie le
12 Aoûr. L'ennemi n'avoit rien tenté aux
Antilles depuis le départ de l'eſcadre Françoiſe.
Nos convois étoient entrés à la Martinique , ils
en étoient fortis ſans être inquiétés , & les troupes
avoient été réparties dans les différentes iſles fans
trouver aucun obſtacle ſur leur route. Le Dauphin-
Royal, l'Expériment & le Sagittaire , qui avoient
amené du Cap au Fort- Royal de la Martinique
2000hommes de renfort , & étoient repartis avec le
convoi d'Europe , ſont arrivés à Breſt , ils ont laiſſé
àlahauteurdu Cap ſiniſtère , unconvoi de navires
Provençaux qui vont à St-Domingue. Le Zèlé, qui
( 179 )
avoit ſuivi celui d'Europe, étoit retourné à Fort-Royal.
-On avoit appris à la Martinique que M. de Solano
avoit repris la routede laHavane avec ſa flotte. Il avoit
laiſſé les troupes Eſpagnoles cantonnées dans l'iſſe
de St-Domingue , où il paroît qu'il ne reviendra
que quand M. le Marquis de Vaudreuil y ſera de
retour. L'Iphigénie a fait dans ſa traverſée une
petite priſe qu'elle a amenée ici ( 1 ) «.
Selon les rapports de quelques bâtimens
Américains qui viennent d'arriver dans nos
ports , M. le Marquis de Vaudreuil parut le
27 Juillet ſur le Cap Henri en Virginie ,
avec une eſcadre reſpectable. Il ne reſta
dans ces parages que le tems qu'il lui falloit
pour envoyer à Hampton des paquets à
M. de Rochambeau ; & il continua ſa
route. On ne dit pas quelle étoit ſa deftination
préciſe ; les uns le font marcher à
Rhode- Iſland , & les autres à Boſton.
L'eſcadre , prête à mettre à la voile , écrit-on de
Breſt, appareilla le 10 au matin; elle a depuis ce
moment le meilleur tems qu'elle puiſſe ſouhaiter ;
(1) Nos Lecteurs nous fauront gré de leur annoncer
ici une nouvelle Carte de la Jamaïque , qui mérite d'être
confultée.Une Carte Angloiſe, très - exacte & très-ſoignée,
a fervi de fond à celle-ci ; on y a joint les différens
détails fournis par celle de M. Belin & par quelques
autres. L'Auteur , en confervant les noms Anglois de
chaque partie de l'iſſe , les a traduits an-deſſous; les
villes, les égliſes , les forts , les habitations , où l'on prépare
les différentes productions de l'Iſle , les mines font
déſignées par des fignes , qui aident à les retrouver facilement.
Il a placé au bas les Cartes détaillées des ports
de Kingſton &de Port-Royal , & de la baie de Bluefields.
Cette nouvelle Carte ne peut que faire honneur àM.
de Longchamps , fils , Ingénieur-Géographe.Elle ſe trouve
chez lui , rue & college des Chollets. Il ſe propoſe de
donner dans quelque sens celle de St- Christophe.
h6
( 180 )
&à préſent elle doit avoir fait beaucoup de chemin.
-Les gabarres de St-Malo ſont entrées dans ce Port;
elles avoient mouillé le jour précédent à Camarer.
Le rapport du neutre qui a vu l'Hébé , qui les eſcortoit
, prête à ſuccomber , n'eſt malheureuſement que
trop vrai . La rame de ſon gouvernail avoit été
emportée par la première bordée de l'ennemi ; elle
avoit a combattre un vaiſſeau à 2 ponts. L'inftruc- :
tion du Pégase & de l'Actionnaire eſt commencée ;
c'eſt M. le Comte de Breugnon, Lieutenant-Général,
qui préſide leConfeil de guerre.-Leradoub des vaifſeaux
& les conſtructions ſont dans la plus grande
activité , & avant un mois nous aurons to à 12
vaiſſeaux en rade.
La lettre ſuivante qu'on nous a fait paffer
eſt faite pour intéreſler , & peut-être pour
révolter les ames ſenſibles ; nous n'en extrairons
que le fait , en fupprimant les
noms des perſonnes & des lieux. Il en
rappelle pluſieurs de ce genre , qu'il ſeroit
à ſouhaiter qu'on ne vit jamais renouveller
; en le rapportant , notre objet eſt de
donner un avis aux jeunes gens & à ceux qui
les dirigent. Ils doivent les uns & les autres
ſe défier d'un inſtant de ferveur qui peut
ne pas durer , s'affurer , s'il eſt durable ,
par de longues épreuves ; c'eſt le ſeul
moyen de prévenir le repentir , & des
ſcènes ſcandaleuſes , qui font gémir les
ames honnêtes & fenfibles , & qui fourniffent
des armes à l'irreligion .
>>Un jeune Chirurgien s'étoit fait Religieux &
avoit engagé ſa liberté dans un âge où nos loix
ne lui auroient pas permis d'engager (on bien &
dans un moment de ferveur illuſoire , que l'Abbé
de Saint- Pierie appelloit la petite vérole de l'eſprit.
( ISI )
Ilnefut pas long-tems ſans ſe repentir ; il s'échappa
& retourna dans le ſein de ſa famille. Bientôt il
fut découvert , ramené à ſon Couvent & mis en
prifon. Il trouva encore le moyen de fuir , mais ne
s'étant pas déguisé avec affez de précaution , il fut
reconnu & ramené pour la ſeconde fois enchaîné ,
n'ayant pour lit que de la paille , pour nourriture
que du pain & de l'eau , il paſſa trois ans dans un
cachot. Le 9 Septembre à la pointe du jour , un
Sergent d'un Régiment en garniſon dans la Ville où
cela ſe paſſoit , ſe promenant ſur le rempart , vit
fortir d'un trou formé dans le glacis intérieur un
malheureux couvert de haillons déchirés & pourris
; une longue barbe le défigure , & fa foibleffe
traîne à peine, une chaîne péſante. Le Sergent crut
d'abord que c'étoit un ſauvage , il s'approcha avec
une curiofité mélée de quelque crainte. Qui que
vous ſoyez , lui dit l'inconnu , fi vous êtes fenfible
au fort d'un malheureux , ah ! de grace donnezmoi
la mort , ou fourniſſez- moi les moyens de me
la donner moi-même , plutôt que de me ramener
à mon Couvent. Le Sergent attendri , lui promit
tous les ſecours qui dépendroient de lui ; dans ce
moment il paſſa des foldats d'un autre Régiment
qui alloient chercher leur proviſion de pain , il le
fit emporter dans les caſernes . L'infortuné a raconté
aux foldats qu'il lui avoit fallu fix mois pour limer
ſa chaîne avec des briques , qu'il en avoit employé
fix autres à faire le trow par lequel il étoit forti
pendant la nuit , mais que ſe trouvant dans le jardin,
il avoit eu un mur à franchir , qu'il s'étoit
donné une entorſe , que cet accident , joint au poids
de ſa chaîne , l'empê hant d'aller bien loin , il
s'étoit caché , réſ lu d'abandonner on fort à la première
perfonde qu'il rencontreroit. Il a ajouté que
depuis fix ſemaines on diminuoit de jour en jour
la quantité de ſa nourriture , & que deux jours avant
fon évafion , on lui avoit remis un livre latin fur
lequel on avoit écrit : Celui qui renonce à fonbap.
( 182 )
tême & à J. C. , mérite la mort du corps & de
l'ame. La charité active des ſoldats , qui auroient
peut-être le droit d'être durs , s'empreſſa debriſer
les fers qu'il portoit , de ſubſtituer un habit aux
lambeaux qui le couvroient, de panſer ſon pied ,
de le raſer , & de le faire coucher dans un de leurs
lits; mais informés que des perſonnes de la Ville rôdoient
ſur les remparts , qu'on avoit obtenu la
permiffionde faire fouillerdans les Caſernes , qu'on
cherchoit à exciter de la fermentation , en dilant
que le fagitif étoit un ſcélérat ; its ſe ſont haté
de le dérober à leurs recherches , ils l'ont déguiſé
de manière qu'il ne pût être reconnu , ils lui ont
donné tout l'argent qu'ils pouvoient avoir , y compris
celui qui devoit fournir à leurs beſoins de la ſemaine
, & ils l'ont fait conduire sûrement hors de
la frontière. Tel eſt , M. , le récit fidèle que j'avois
à vous faire , puiſſe-t- il exciter dans l'ame de vos
lecteurs l'horreur que jereffens en l'écrivant , &c. a
A ce trait nous oppoſerons la lettre ſuivante
, qui offre un exemple confolant &
touchant de bienfaiſance.
>>M. d'Oſmond , Evêque de Comminges , retenu
à Paris depuis les Etats du Languedoc , inftruit
de la misère générale de ſon Diocèſe, a pris les
moyens les plus propres pour la ſoulager. Les épreuves
économiques ayant prouvé que le riz étolt plus
nourriſſant que les denrées de la Gaſcogne , il en
a fait acheter une quantité prodigieufe pour le
mêler avec la farine de milhoc, & faire de ce
mêlange une bouillie plus nourrifſante : il a ordonné
à ſon Maître d'hôtel d'en diſtribuer tous
les jours depuis le Mercredi-Saint juſqu'à la nouvelle
récolte , à tous les néceſſiteux qui ſe préſenteroient
à ſon château d'Alan , avec des certificats
de MM. les Curés des environs : le nombre
des ménages qui ont recouru publiquement à cette
aumône , étoit de 714 , ce qui formoit un nom
( 183 )
brede 1222 perſonnes ; c'est vraiment pour des
ames ſenſibles un ſpectacle attendriffant. Sa maifon
n'eſt plus une cour d'Evêque , c'eſt un hopital de
pauvres ; tous les foyers font occupés pour ce
travail , plus de 20 chaudières ſont continuellement
fur les feux; la conſommation dubois eſt immenfe ,
&malgré la rareté de toutes les denrées néceffaires
, il ſemble que la multiplication des pains
de l'Evangile ſe renouvelle dans cette diſtribution :
il nourrit encore en ſecret des familles honteuſes &
de condition , fournit aux bouillons des malades ,
&fait donner du travail à un nombre infini d'hommes
, de femmes & d'enfans , que la misère rend
oififs & défaillans.-M. l'Abbé de Moullin , fon
Vicaire-Général & Archidiacre de St-Bertrand , proportionnant
ſon zèle & ſes efforts aux circonſtances
malheureuſes du tems & à la délicateſſe de ſon
tempérament , parcourt le Diocèſe pour y répandre
les mêmes aumônes , s'inſtruit de la plus ou moins
grande misère , établit des hopitaux, en choiſit les
Administrateurs , & conſacre ainfi à la misère
publique un revenu trop modique pour un fi grand
objet. Non content de ce ſacrifice , il n'a pas craint
d'expoſer ſa vie dans les ravages que faifoit la
malheureuſe Suette dans Toulouſe &dans la partie
Méridionale du Languedoc, & qui s'eſt manifeſtée
dans le Comminges plus cruellement encore : ſes
affaires l'appellant à Paris , il a ſuſpenda ce voyage
pour encourager les Miniſtres par ſon exemple ,
&contenir le peuple dans ſes alarmes. Les confultations
qu'il a fait venir , & les remèdes qu'il
a fait diſtribuer en ſe montrant far-tout conſolateur,
médecin , frère , enfant & père , ont totalement
arrêté le progrès du mal; il ſeroit à defirer
que les Supérieurs de tous les Ordres marchaifent
fur leurs traces, & qu'un ſi digne Prélat , déja
diftingué par ſes haures vertus & par ſa naiflance,
malgré l'amour réciproque de ſes Diocèſains , jouît
d'un plus grand revenu ".
1
( 184 )
M. Branque , Chirurgien- Juré àGamache
, en Picardie , vient de nous mander
un fait fort extraordinaire & bien fingulier
; il ne ſera pas étonné des doutes qui
peuvent s'élever contre ſon authenticité ,
puiſqu'il convient qu'il ſurpaſſe toute créan-.
ce. Nous le laifferons parler lui-même.
2
>>J>'ai été appellé le 13 de ce mois chez une femme
en travail d'enfant depuis cing fois 24 heures. Je l'ai
enfin délivrée d'un enfant mâle , portant 2 pieds
moius 4 pouces & demi & lignes dehaut. Il avoit
un voile comme perſonne n'en a sûrement jamais
vu. Je le lui ai ôté , & il m'a préf nté à la vue une
tête très-longue ; il a ſur ſes épaules un eſpèce de
capuchon de religieux ; il a de la barbe autant qu'un
jeune-homme de 21 ans. Ses yeux font grands , ſon
nez aquilin. Ses geſtes ſemblent annoncer de la raifon.
Le 14, ſecond jour de ſa naiſſance , il s'eſt requ
droit dans ſon bercea , regardant ſa mère d'un air
que je ne puis pas tendre. Il a 6 dents . Sur le ſom
met de ſa tête est une groſſe excroiſſance charnue
qui repréſente la mitre d'un Evêque , &c. Cette
femme, lorſqu'elle ſera rétablie , ſe propoſe d'aller
à Paris montrer ſon enfant à l'Académie de Chirurgie<<<.
: Nous avons parlé dans le tems de la
terraffe de M. d'Etienne , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militairede St. Louis. Son
ciment eſt une découverte intéreſſante ;
après en avoir fait hommage au Roi , il
vient d'en communiquer la recette au Public
dans un mémoire toù nous l'extrairons.
Ce ciment eſt compoſé de chaux , cailloux de
rivière ( ou tuilean , cu brique de Bourgogne ) &
eau. Prenez la meilleure chaux , éteignez- la , s'il eſt
poffible , en fortant du four , ou tâchez de vous la
procurer le plus récemment calcinée. Le procédé
( 185 )
,
oll
far l'extinction de la chaux eſt celui indiqué par
Philibert de Horme , au premier Livre de l'Architecture.
Ayez d'une autre part de la chanx vive
que vous réduirez en poudre ; mais il faut la pulvérifer
& l'employer ſans délai après ſa cuiffon
la bien conſerver à l'abri du contact de l'air , ſi
on eſt forcé de la tranſporter , car c'eſt de cette
précaution que dépend eſſentiellement la vertu de
la chaux. La chaux expoſée à l'action de l'air & de
T'humidité , perd en partie ſon caractère de chaux ,
& redevient ce qu'elle étoit avant ſa calcination ,
de la terre calcaire , ſans effet & ſans vertu. C'eſt
un point de Chymie ſur lequel nous inſiſtons particulièrement
pour l'avantage de ceux qui auront
recours à ce maſtic. Prenez d'une autre part du
caillou ou gravier très -dur & très- pur que vous
pulvériferez également. On peut encore employer
avec ſuccès la brique ou le tuileau de Bourgogne;
mais il faut s'aſſurer de leur qualité & fur-tout de
leur parfaite cuiſſon , & ne l'employer que neuf.
Le caillou ou le tuileau doivent être en poudre fine,
mais non impalpable : l'eau de rivière eſt préférable
à l'eau de puits. Ayez un vaſe qui contienne
trois ou quatre pouces cubes au plus , lequel ſervira
de meſure. Prenez cette meſure de chaux
éreinte avec une meſure & un tiers d'eau , broyez
avec la truelle juſqu'à ce que vous ayez un lait de
chaux ſans peloton. Ajoutez cinq meſures & un
tiers de votre caillou ou de votre tui'eau pilé. Si
vous avez du caillou & du tuileau à votre diſpoй-
tion , vous pouvez les employer conjointement dans
la proportion de trois parties de caillou , & de deux
&un tiersde tuileau qu'on mêlera parfaitement avec
le lait de chaux. Enfin , on ajoutera une meſure de
chaux vive & bien pulvérisée , & l'on employera
fur-le-champ le ciment après que le mélange en
ſera exactement fait avec la truelle.
La préparation du plancher qui doit recevoir
ce ciment , eſt une partie intéreſ
( 186 )
ſante du mémoire qui demande quelques
détails.
La force du plancher doit être proportionnée à
la charge. Des taſſaux dans les entrevauxdoivent
lier toutes les ſolives enſemble. Elles doivent être
lattées très-ferré ou garnies avec_du bardeau ; il
faut établir & diriger les pentes fuivant le local&
l'égoût des eaux . On peut employer du carreau ordinaire
en le retournant ou mieux encore du carreau en
forme& fabriqué de brique exprès pour être plus dur
&former une meilleure liaiſon.On en trouvera ainſh
que les autres matieres propres à la fabrication du ciment
à un dépôt approuvé par l'Auteur rue Copeau ,
près le Jardin du Roi , chez M. Lavandier.-C'est
fur un plancher ainſi carrelé dreffé & féché qu'on
appliquera le nouveau ciment avec les précautions
indiquées dans le Mémoire & qui ne font guere
ſuſceptibles d'extrait. Le but de M. d'Etienne en
publiant ſon invention n'a pas été de dépriſer les
productions & le talent des Artiſtes qui l'ont précédé
dans la même carriere. Il a profité de leurs
obſervations , de leurs expériences , pour donner à
ſon procédé un nouveau degré de perfection &
ſes voeux feront remplis , fi d'autres en analyſant
ſesprocédés yajoutoient ce qui peut encore leur manquer.
C'eſt de cette maniere ſeulement que les
Arts peuvent ſe perfectionner . Il faut que les inventeurs
foient de bonne foi qu'ils ſoient difficiles
& fcrupuleux dans les expériences , qu'ils les répèrent
ſouvent & en préſence de ceux qui font en
état de leur procurer des lumieres. M. d'Etienne
invite tous les Artiſtes à viſiter ſa terraſſe. On a
déja fait devant pluſieurs des ouvertures au ciment.
On en a préparé de nouveau avec lequel on a rempli
ces traces & leur fatisfaction qui a paru complette
a été la récompenſe & le prixde ſon invention
&de ſes peines. Sa terraſſe eſt encore le rendez-
vous des perſonnes les plus diftinguées de la
( 187 )
Cour & de laVille qui jouiſſent d'un ſpectacle nou
veau ; & c'eſt celui d'une terraffe ou plutôt d'un
jardin qui remplace un toît. Objet triſte& diſpendieux.
On trouve au lieu de ce couronnement
mauſſade , aſyle d'animaux deſtructeurs ; un baſſin
des treillages , des pavillons , des fleurs , des fruits .
mêmes , réunis dans un potager. Une voliere anime
ce beau lieu , on y reſpire un air pur. L'oeil peut
y jouir agréablement de la vue du ciel & de celle
de la plus belle Ville du monde , on ne doit plus
craindre que les maiſons qui la compoſent ſoient
détruites par les incendies dès quelles feront terminées
comme celle de M. d'Etienne. On y porteroit le
plus prompt ſcours aumoyendes réſervoirs que ces
terraſſes faciliteront & qui pourront être furlaplu
part un objet d'agrément.
L'Auteur a dédié ſon ouvrage au Directeur de
l'Obſervatoire Royal. Ce favant qui avoit fait des
épreuves des autres ciments ſans ſuccès ne s'eſt pas
contenté de viſiter ſimplement la terraſſe. Il a demandé
à l'Auteur la jouifſance des appartemens
dont les plafonds ſont deſſous la terraile , toutes
les expériences ont été faites en ſa préſence , & il a
permis à l'Auteur de le citer comme un de ceux qui
ayant reconnu la vérité ne cherchent qu'à protéger
une découverte auſſi intéreſſante (1 ) .
L'Abbé Louis-François-Xavier de Saxe eſt
mort au Château de Pont-fur-Seine le 23
Août dernier.
1
Les numéros ſortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois ,
font: 37,7,87,66 & 6 .
(1) Le Mémoire ſe diſtribue chez l'Auteur & ſe vend 3 liv.
Sa maiſon eft firuée rue deMenil-montant, près le Boulevard
du Temple ; on travaille à la gravure du plan & élévation
de la Terraffe qui fera exécutée en coloris& en lavis avec le
plus grand foin. Elle paroîtra enviren dans un mois.
( 188 )
De BRUXELLES , le 3 Septembre.
Ce fut le 8 de ce mois que le Stadhouder
partit de la Haye pour ſe rendre au Texel ,
d'où il eſt revenu le 10. Ce voyage précipité,
que rien n'annonçoit , paroît avoir été
l'effet des nouvelles apportées de ce Port par
le Comte de Welderen , arrivé la veille. Les
lettres de Hollande ne font aucune mention
des ordres qu'a pu donner ce Prince. On
s'y flatte du moins que l'eſcadre de la République
n'aura pas tardé à mettre à la voile
auſſi-tôt qu'elle aura été inſtruite que les
Anglois ont abandonné la mer du Nord ,
où l'Amiral Milbank n'a fait que paroître.
>> Nos trois vaiſſeaux des Indes Orientales chargés
ſi richement , & mouillés depuis fi longtems
dans la rade de Drentheim , lit on dans des lettres
d'Amſterdam , avoient enfin reçu ordre de revenir.
Ils avoient mis à la voile ſous l'eſcorte de 3 frégates
lors qu'on apprit qu'une eſcadre Angloiſe aux
ordres de l'Amiral Milbank ſe trouvoit devant le
port du Texel , pour faciliter le paſſage aux vaifſeaux
Anglois qui reviennent du Nord. Heureuſement
la néceſſité d'aller joindre au plutôt la flotte
destinée contre Gibraltar , n'a pas permis à l'eſcadreAngloiſe
de s'avancer plus au Nord. Ainfi les
vaiſſeaux Hollandois auront la facilité d'être inftruits
de l'apparition de l'eſcadre Angloiſe; c'eſt un
bonheur qu'ils doivent à un aviſo que le Vice-Amiral
Hartzinck avoit envoyé au-devant d'eux ; ils
font hors de danger , on les a vus au 56e. degré
47 minutes , 19 milles au-deſſus de l'angle ſeptentrional
du Fort St-André , dirigeant leurs cours
vers Bergen en Norvège. On fait que le Stadhouder
ades avis certains qu'ils font entrés fains
( 189 )
& faufs à Bergen. La flotte Angloiſe ayant diſparu ,
on ne doute pas qu'ils n'en profitent pour revenir
dans nos ports cc.
Nos lettres ne parlent point encore de la
fortie de l'eſcadre du Texel ; mais on s'attend
à l'apprendre à tous momens ; il ſeroit
bien fingulier qu'elle prolongeât ſa relâche
dans une conjoncture auſſi intéreſſante , où
il n'y a pas de vaiſſeaux ennemis en état de
lui faireface ,&de l'empêcherde faire le plus
grand tort au commerce de l'Angleterre ,
d'inquiéter ſes côtes , & de venger la République
des outrages ſans nombre qu'elle
a reçus , & des pertes qu'elle a eſſuyées.
On dit que les Etats - Généraux ont fait
remettre à M. de St-Saphorin,Envoyéextraordinaire
du Roi de Danemarck , un dernier
Mémoire fur l'affaire du Capitaine Fuglede ,
au Cap de Bonne - Eſpérance. Suivant les
lettres que les Directeurs de la Compagnie
des Indes ont reçues duCap , il paroît qu'on
a à faire , fur la conduite de ce Capitaine ,
des plaintes beaucoup plus graves qu'on ne
le penfe , en Danemarck.
>> Une de nos Gazettes , écrit- on de la Haye ,
propoſe les quatre moyens ſuivans pour pourvoir
la flotte de la République des matelots qui lui manquera;
le premier ſeroit d'enlever & de faire tranfporter
à bord des vaiſſeaux de guerre de l'Etat tous
les mendians robuſtes & bien conſtitués. Le ſecond ,
d'en agir de même à l'égard de tous ceux qui n'ayant
jamais été flétris , ſont détenus pour libertinage
dettes & autres fautes , dans les prifons , maiſons
de correction , maiſons de force ,&c. Le troiſième
d'interroger un par un dans toutes les maiſons
,
,
( 190 )
d'orphelins ou de pauvres , les garçons d'un certain
âge & forts qui s'y trouvent , pour ſavoir s'ils ne
voudroient pas librement ſervir la patrie en qualité
de matelots , leur promettant que s'ils y conſentoient
, ils auroient tels ou tels priviléges fur
les autres , quand ils reviendroient à la paix dans
ces maiſons. Le quatrième , d'obliger chaque Village
ou Bourg à fournir & équiper ſuivant le nombre
des habitans , un , deux , trois hommes bienfaits
, entre les âges de 20 & 40 ans pour la marine;
on ne doute pas que ces moyens s'ils étoient
employés , ne produiſiſſent avant très - peu de ſemaines
plus de 20,000 matelots. c
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 29 Août.
On affecte toujours de croire au ſuccès de la
miſſion du Lord Howe; il a dit- on ordre de por
ter la deſtruction ſur l'eſcadre Eſpagnole dans le
port de Cadix , où on ſuppoſe qu'elle ſe ſera réfugiée
à ſon approche ; on aſſure qu'après le ravitaillement
de Gibraltar , il a de l'ouvrage tout taillé
pour la Maiſon de Bourbon , qui eſt fort loin de
s'y attendre. On ne parle pas moins que d'une
defcente ſur les côtes de France , dans l'intention
d'y brûler quelques Villes. Ces beaux projets ne
prêtent qu'à rire aux dépens de ceux qui les rédigent&
qui les publient. Des plaiſans ſe ſontamusés
à débiter que M. Fox s'étoit proposé pour ſervir
comme volontaire à Gibraltar .-Toutes les ef.
cadres qu'on a envoyées d'ici pour ravitailler cette
place , ont fucceffivement été plus fortes les unes
que les autres. La première fois ce fut une eſcadre
de frégates . Rodney s'y rendit enſuite avec 24 vaifſeaux.
Darby en conduifit encore 30 , & aujourd'hui
le Lord Howe en a pris 34 pour la même
expédition. On dit qu'une ſeconde flotte de tranfports
chargée de munitions & de proviſions ſera
prête àmettre à la voile pour Gibraltar à la fin de
la ſemaine prochaine .
Les vaiſſeaux ſuivans ont ordre de ſe rendre
immédiatement aux Dunes , ſavoir , le Bombay-
1
( 191 )
Castle de 74 ,le Prince Edouard de 64, le Trident
de 64 , le Ruby de 64 , le Cato de so & la
Réſiſtance de 44. Ils y feront joints par d'autres
dès qu'ils pourront être prêts. Cette eſcadre eſt
deſtinée à intercepter la flotte Hollandoiſe de Rotterdam
, qui doit traverſer la Manche avec un convoi
pour Surinam. L'Amiral Milbank doit prendre
le commandement de cette eſcadre , mais elle eſt
bien foible pour le projet qu'on lui ſuppoſe. Affurément
les Hollandois ne feront pas fortir leur
convoi ſans que la flotte entière du Texel ne veille
à ſa protection , & il ne ſeroit pas prudent à Milbank
d'eſſayer de ſe meſurer avec elle. Faute de
matelots , il eſt difficile qu'il ſoit renforcé promprement.
Ils font ſi rares à Portfſmouth qu'on ya
offert inutilement ces jours derniers juſqu'à 20
guinées par homme ſans en trouver un ſeul.
(
On raconte à l'occaſion de l'Atlas , vaifſeau de
90 canons , lancé dernièrement à Chatham , l'anecdote
ſuivante. L'emblême naturel de ce vaiſſeau
étoit un Atlas portant le Globle , idée qui devoir
d'autant mieux réuſſir que les figures miſes aux
poulaines des vaiſſeaux , prennent néceſſairement
l'attitude écrafée de l'Atlas de la Fable ; mais dans
cette occafion , le Globe étoit ſi élevé , qu'il a
fallu en retrancher une partie ; &par une circonf
tance fingulière , il eſt arrivé que le Charpentier
qui ſe trouve Américain , a fait diſparoître toute
la partie de l'Amérique Septentrionale.
L'état ſuivant de toutes les dépenſes militaires
que l'Angleterre à faites pour la protection de ſes
Colonies ſur le continent de l'Amérique ſeptentrionale
, depuis 1714 juſqu'en 1775 , prouve que
ce pays n'a pas été auffi à charge au royaumeque
beaucoup de gens le prétendent. Trop heureux fi
an lieu de cette guerre maudite qui nous a coûté
tant de millions & qu'on a la fureur de vouloir continuer
, nous étionssàà préſent dans le casde faire la
même dépenſe pour l'Amérique , & de jouir des
mêmes bénéfices que ſon commerce procuroit .
Dépenſedes troupes pour la défenſe des Colonies ,
( 196 )
:
4
:
1
2
depuis 1714juſqu'en 1775 , 8,924.5751. f. 2 d.
Troupes Provinciales à New-
Yorck ,
Dito en Géorgie pendant le
même eſpace de tems ,
337,955
130,064 8
Troupes Provinciales dans les
autres Colonies pour le même
tems ,
7
8
4
172,999 0 0
Total 9,565,5941. 18 f.4d.
Un ordre a été envoyé aux matelots François ,
faits prifonniers ſur l'Hébé , priſe par le Rainbow
le 4 de ce mois , de paffer à bord du vaiſſeau ſer
vant de priſon , afin d'être échangés , quand le
Cartel arrivera .
Riende ſi incertain que tout ce qu'on a publié au
ſujet du jeune Afgill. On affure aujourd'hui qu'il
n'eſt point vrai que Lippincott ait été livré ; le
Général Washington veut toujours en conféquence
ufer de repréſailles ; mais ce ne ſera pas le jeune
Afgill qui en ſera la victime , parce que c'eſt un
Officier qui a été compris dans une capitulation ;
il a été élargi. C'eſt donc le Capitaine Schaala ,
du s7e régiment, fait récemment priſonnier à Shandy-
Hook , qui paiera pour Lippincott.-Au départ
des dernières nouvelles de New-Yorck , une partie
des troupes Américaines avciteu ordre de quitter les
Colonies méridionales pour venir renforcer l'armée
de Washington.
On a ſçu hier , par des lettres de Liverpool ,
quele Bridget & la Vénus venoient d'y arriver
de Tortola , d'où ils avoient apparcillé le 4 Août,
Quelques jours après leur départ, ils ont rencontré
la flotte des Ifles du Vent , qui avoit mis à la voile
d'Antigues le premier Aoûr. Cette flotte ne confifte
qu'en se voiles , fous le convoi de deux frégates.
Selon le rapport des bâtiment arrivés à Liverpool ,
les frégates Françoiſes la Friponne & la Résolue ont
rencontré & pris le Spy , allant d'Afrique à la
maïque , avec 250 Negres , & 60 tonnes d'ivoire,
Ja
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spestacles ,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDIS OCTOBRE 1782 ..
1
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
A ij
TABLE L
Du mois de Septembre 1772 .
PIÈCES FUGITIVES .
Le Retour à la Ville ,
Vers à M. ***
ibid.
deChevalerie, 34
Effais dos Sermons préchés d
l'Hôtel-Dieu de Paris,38
Alexandrine , ou l'Amour est
une Vertu , 68
49 Leçons Elémentaires d'Histoire
-Mlle de Gaudin ,
Les deux Epis , Fable ,
Epitre aux Aftronoines ,
Impromptu à M. l'Abbé Ar-
• nand,
Naturelle & de Chimie , 73
78
51 EſſaisHistoriques ſur lesAnglo
Américains ,
Mémoires concernant l'Histoire
, les Sciences , &c . des
Chinois ,
Quatrain pourle Portrait de
M. d'Alembert , ib.
L'Abeille & la Fourmi , fable
, 52
82
Couplets fur l'Ami des Enfans,
53
LesDeux Paladins, Conte, 54
Vers écrits au bas du Portrait
de la Reine ,
Histoire de Charlemagne , fo
condExtrait ,
Manco-Capac , premier Inca
du Pérou ,
106
124
Plan des Travaux Littéraires
97
Portrait de Mlle *** , ib. ordonnés par S. M. 154
Lettre àMl'Abbé de Lisle, 98
Epître au Même , 99
Histoire de Charlemagne , dernier
Extrait, 158
Réponse à M *** 145
Le Flatteur , Comédie , 170
Vers àMlle Fanier , 147 SPECTACLES .
Vers récitéspar unejeune Dile AcadémieRoy. de Musiq: 92
à M. le Curé de Saint- Comélie Françoise, 40
Sulpice , 148 Comédie Italienne , 135
Aux Auteurs du Mercure de VARIÉTÉS .
Franoe
149
67, 105 , 152
Enigmes & Logogryphes , 7 ,
NOUVELLES LITTÉR.
Poésies & Pièces Fugitives di- Gravures ,
verſesdeM. le Chevalier de Muſique ,
B*** 9 Annonces Littéraires , 45 , 94 ,
Nouveau Théâtre Allemand 22
Corps d'Extraits de Romans
143 , 191
A Paris , de l'Imprimererie deM. LAMBERT &F.
BAUDOUIN , rue de la Harpe près S. Corme
rencontre apris le Spy , allant d'Afrique a la Jamaïque
, avec 250 Negres , & 60 tonnes d'ivoire.
Lettre de M. Grosley à M.
d'Alembert , 139
Lettre au Rédacteur du Mercure
de France , 188
93,141 , 189
45
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDIS OCTOBRE 1782 .
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A
ÉLÉGIE.
DIEU , paiſible indépendance ,
A
Liberté , chèrè infouciance ,
Adicu , délices de mon coeur !
Le temps n'eſt plus où ma jeuneſſe
Couloit dans une aimable ivreſſe
Des inſtans faits pour le bonheur.
Hélas ! dans mon âme attendrie
Se peint la mémoire chérie
De ces jours de proſpérité,
Et je bénis la rêverie
Qui m'en retrace la gaîté.
Ah! fi les pénibles affaires ,
Si les ſoins , les ennuis cruels ,
Sont des tributs involontaires
P
L
A ij
4
MERCURE
Que le ciel impoſe aux mortels ,
Pourquoi ne pas attendre l'âge
Où des ans le rapide outrage
Éteint en nous le ſentiment ?
Eſt- ce au jeune homme , eſt ce à l'amant
De payer ce dur arrérage ?
Et , quand la beauté qui l'engage
Brûle avec lui des mêmes feux ,
Devroit-il ſentir d'autre peine
Que les tourmens délicieux
Qu'on a dans l'amoureuſe chaîne ?
Mais je m'égare , malheureux....
A quoi bon ce lâche murmure ,
Ces plaintes , ces ſoupirs honteux?
Du deſtin la fatale injure
S'étend ſur toute la Nature ,
Et preſcrit à tous de gémir.
Dois-je ſeul ne jamais connoître
Que les douces loix du plaifir ?
Et celui qui me donna l'être
M'a-t'il exempté de ſouffrir ?
1
(ParM. Faulcor. )
DE FRANCE. 5
RÉPONSE aux Stances de Mile DE
GAUDIN , inférées dans le Mercure
du 27 Juillet 1782 .
JE ſavois que mon enjoûment
Exciteroit un peu votre ire ,
Et je m'attendois franchement
Qu'à celle fin de me réduire ,
Vous prendriez tout bonnement
Le martinet de la ſatyre.
MAIS hier , quand de votre part
La poéfie & l'éloquence
Me fuftigèrent à l'écart ,
Ce fut avec tant d'élégance ,
Qu'en les embraſſant tour - a-tour ,
Je m'écriai, pendant leurs pauſes
On me traite comme j'Amour !
On me corrige avec des roſes !
AU RESTE , à parler gravement ,
Vous me jugez trop ſur mon âge;
Vous croyez que je rends hommage
Au frivole exclufivement ,
Etqu'un vernis de perfifflage
Fait réſiſter mon coeur volage
Al'eau-forte du ſentiment.
Aiij
6 MERCURE !
DÉTROMPEZ- Vous : de Melpomene
J'aime les traits bien ordonnés ,
Et si j'oſe lui tire au nez ,
C'eſt lorſque de Belloi la mène.
J'aime auſſi nos bons devanciers ;
Mais , nonobſtant vos épigrammes ,
Tont autant que ces Chevaliers
Nous cherchons ce qui plaît aux Dames.
Oui , vous régnez comme autrefois ;
L'hiver même , au milieu des danſes ,
Nous rappelons les vieux tournois
En rompant pour vous maintes lances ;
Et fi vos fidèles amans
A leurs genoux , de vos rubans
Ne portent plus des garnitures ,
Vous voyez , en liens charmans,
Les treſſes de vos chevelures
Suſpendre encor à leurs ceintures
Les priſens mobiles du temps.
MAIS , parlons un peu d'autre choſe.
J'aurois moi-même été ſavoir
Si vous m'en vouliez de ma gloſe ,
N'eſt que je ſuis parti le ſoir
Pour l'ifle où Jean- Jacques repoſe
Et c'eſt pour apprendre à pleurer
Que je fais ce pélerinage !
Que fait-on ? dans un ſeul voyage
Ververt apprit bien à jurer.
DE FRANCE. 7
!
i
Aux peupliers d'Hermenonville ,
Je veux donc , narguant Érato ,
Suſpendre , en guiſe d'exvoto ,
La guimbarde du vaudeville.
D'ailleurs , j'eus toujours tant de foi
ARouſſeau , quoique taciturne ,
Que je pleurerai dans ſon urne
Mes vers & les vers de Belloi.
Puiſſai -je , après cette proueſſe ,
Vous rapporterun tendre coeur
Qui ſache goûter la triſteſſe,
Et calculer avec juſteſſe
Tout le plaiſir de la douleur.
MAIS , fi par un effet contraire
Je revenois plus enjoué ,
Plus volatil , plus engoué
Du badinage épiftolaire ,
Il faudroit , vu mon caractère ,
Qu'on n'exposât commeun roué
Sur le grand chemin de Cythère,
Pour y reſter à l'abandon ,
"
A
:
Contre vous , la face tournée,
Tant qu'il plairoit àCupidon
Mc prolonger ma deſtinée.
(Par M. de Piis. )

Aiv
8 MERCURE
Si l'Eloquence eft utile ou dangereuse dans
l'Administration de la Justice ? *
U
N Peuple gouverné par l'Eloquence , l'avoit
bannie du Sanctuaire des Loix : étoit- ce contradietion
, ſageſſe ou ſeulement ſévérité ?
L'Eloquence eſt le don que la Nature a accordé
àcertains hommes de parler avec l'empire de la perfuafion.
Les facultés de la Nature ſe jouent ſouvent
des vaines entraves de la Sociéré. Direz-vous à cet
homme doué de l'Eloquence : Renonce à cette puiffance
qui eſt en toi ; je te défends de m'échauffer
ou de m'attendrir. Cette nouvelle oppreffion ne
feroit qu'ajouter à l'énergie de ſes plaintes. Ce qu'il
ne diroit pas ſous une forme, il le diroit ſous une
autre; ce qu'il ne diroit pas , on l'entendroit dans les
accens d'une âme déchirée & contrainte , on le
liroit dans ſes regards & juſques dans ſon filence.
Tout fait parler, tout fait toucher au moins dans
l'homme éloquent. Comment ſur tout enchaîner
l'Eloquence aumilieu d'un Peuple? C'eſt-là qu'ellen'apperçoit
plus qu'une ſeule autorité ,& c'eſt la ſienne ;
c'eſt-là quetout l'excite , & les grands objets & les
grands triomphes. C'eût donc été une loi fans raiſon
, & par conféquent ſans force , que celle qui auroit
exclu l'Eloquence des Affemblées populaires.
On conçoit plus aisément qu'on ait pu l'écarter
de l'Adminiſtration de la Juſtice. On peut , dans les
jugemens , ne procéder que par des formes fixes &
rigoureuſes; on peut y réduire le Citoyen à ne dire
aux Juges que ce qu'ils ne pourroient apprendre par
eux - mêmes , c'est -à - dire, les faits de la cauſe ; on
* Ce Morceau est tiré d'un Ouvrage ſur l'Éloquence.
DE FRANCE.
peut enfin preſcrire des formules qui ne permettent
pas aux mouvemens de l'âme d'entrer dans cette expoſition
ſévère ; ainſi , il faudroit , pour ainſi dire ,
compter aux Plaideurs leurs paroles pour leur interdire
l'Eloquence *.
Mais pour qu'un tel ordre judiciaire ne devienne
ni une injustice ni une oppreſſion , il faudroit que la
loi ſe fût chargée de garder elle-même au Citoyen
ce qu'elle lui interdit de défendre avec tout ce qu'il
ade ſenſibilité dans l'âme & de force dans l'eſprit;
il faut lui avoir rendu l'Eloquence inutile pour avoir
ledroit de l'en priver.
Comment la rendre inutile? Ce ſeroit le chefd'oeuvre
des bonnes loix unies aux bonnes moeurs,
Eſt-ce donc un fi grand art que la juſtice en ellemême
? Exige-t'elle tous les efforts & toute la perfection
de l'eſprit humain ? Que le ſyſtême ſocial ſoit
bon, & les plus grandes difficultés de la justice font
ôtées. Suppoſons un Peuple qui nous offre dans un
petit territoire & une conſtitution libre , la fimplicité
des moeurs primitives réunie non pas aux plus vaſtes,
mais aux plus utiles connoiſſances de la civiliſation ,
&fur- tout cette modération dans les richeſſes , dans
le progrès des Sciences & des Arts , dans tous les
genres de proſpérités ; qui , en retranchant les jouifſances
qui pourroient corrompre , préviendroit même
l'abus des autres; ſuppoſons un Peuple où les moeurs
renforçant toujours les loix , ou les ſuppléant , cellesci
ſeroient peu nombreuſes, bien liées entre elles
égales pour tous , ſimples comme toutes les choſes
bien conçues ou déjà perfectionnées , &dignes d'être
jetées comme les premières notions dans la mémoire
>
* Je ne ſépare pas ici l'Eloquence purement naturelle
decellequi connoît l'Art , parce que celle- ci naît des premiers
progrès , & s'élève dans les triomphes de l'autre,
laquelle elle ne tarde pas à s'unir.
Av
10 MERCURE
des hommes , & de devenir ainſi des ſentimens avant
d'être des devoirs. Chez un Peuple pareil , la ſcience
de nos Jurifconfultes , l'Eloquence de nos Orateurs
feroient des avantages inutiles ou funeſtes s'ils étoient
compatibles avec un état de ſociété ſi pur & fi heu
reux. Tranſportons-nous ſur la Place publique , &
contemplons ici l'oeuvre de la Juſtice dans ſa belle
fimplicité. Là , dans un jour ſolemnel , au milieu
des travaux ſuſpendus , en plein air , quelques
vieillards paroiſſent entre leurs Concitoyens raffemblés.
Sur un Tribunal , où de longues vertus, une longue
ſageſſe les ont conduits , ils écoutent ceux qui leur
apportent ou des plaintes ou des accufations. Chacun
parle fans autre talent que le ſentiment dont il eſt
affecté , avec la candeur de l'innocence ou le trouble
des coupables; car on ne connoît pas encore ici
la diffimulation dans le crime , & l'audace dans la
honte. Celui qui mettroit de l'artifice dans ſes difcours
ne feroit qu'éveiller la défiance : les moeurs
fimples donnent un jugement ſain plutôt qu'un efprit
crédule, & la probité démêle le menſonge partout
où elle ne retrouve pas fa franchiſe , comme
les paſſions récuſent dans les livres tous les fentimens
où elles ne ſe reconnoiffent pas : d'ailleurs , le
plan de défenſe où l'on vous circonfcrit ici ne permet
ni de grandes impoſtures ni de grandes féductions.
Nulle diſcuſſion étrangère ; nuls débats fur
la loi . Après toutes les explications qu'ils ont reçues,
les Juges éprouvent- ils encore quelque doute ? Suivis
du concours du Peuple , ils vont tout vérifier de
leurs propres yeux. Sont- ils forcés de s'en rapporter
à la foi d'autres hommes ? Entre le Sanctuaire de la
Justice & le Temple de la Divinité , il eſt un lieu inviolable
rempli de la Majesté du Ciel & environné
de la crainte de la terre , c'eſt le monument du ſerment.
Qui oferoit mentir ici ? Un Peuple eſt le témoin
, Dieu eſt le garant. L'horreur publique , une
DE
FRANCE .
II
proſcription éternelle font promiſes au parjure ; dès
qu'il entre dans ce lieu redoutable , il ſe fent environné
de ces terribles menaces , & il ne trouve pas
de voix pour proférer le menſonge ſacrilège déjà
commis dans ſon coeur. Enfin , le Juge confomme
fon ministère ; il ouvre la loi , qu'il interprête avec
autant de fimplicité que de ſoumiffion, & il déclare
cequ'elle a voulu. Alors le Peuple ſe retire , empor.
tantdans ſon coeur , avec un plus grand reſpect , une
plus grande confiance pour ſes Magiſtrats , une nouvelle
leçon fur les règles de la vie civile ; & les
jugemens, comme les loix, forment ſa morale & dirigent
ſa conduite.
Heureux les Peuples à qui il fut donné d'exercer
& de recevoir ainſi la justice ! Mais de cette Nation
encore aſſez pure dans ſes moeurs pour avoir cette
perfection dans ſes loix, paſſons chez celles qui
brillent de tant d'éclat , qui périffent de tant de
maux. Au milieu de toutes les paſſions naturelles
exaltées & de tant de paſſions factices , au milieu
de- cette perverſité dans les coeurs , de ce rafinement
dans les eſprits , tranſportons ce plan de juſtice que
nous venons de tracer , d'admirer & d'aimer . En
ſeroit-il un plus propre à recevoir toute la corruption
qui l'environne ? Il eſt des maux qui ne trouvent
leurs remèdes que dans d'autres maux. Ici , les loix
font fi multipliées , ſi diverſes, ſi peu d'accord &
dans leur but& dans leurs moyens , que ſouvent le
Juge ne peut lui ſeul mi les toutes connoître ni les
bien entendre ; ici , les intérêts ſur leſquels il faut
prononcer ſont ſi vaſtes , fi compliqués, que c'eſt
déjà un grand travail , un grand art de les démêler ;
ici, toutes ces formalités dont la justice a été obligée
de s'entourer , ajoutent encore à ſes lenteurs , à
ſes difficultés. Dans un état de choſe où il y a tant à
faire & tant à craindre , abandonnerez-vous le Magiſtrat
à ſa pénétration , à ſes lumières , à ſon expé-
A vj
ra MERCURE
rience ? Que dis- je ? Est- il toujours sûr ici que le
Magiſtrat joindra à l'expérience les lumières & la
pénétration ? Laiſſerez-vous le fort des Plaideurs à
la merci de ſon examen ? Leur défendrez - vous d'in
voquer le pouvoir des talens pour ſe concilier l'efprit
de la loi & la raiſon du Juge ? Puiſque le Juge
ne peut ni tout voir ni tout apprendre par lui-même ,
à qui confierez-vous le complément de ſon inftruction,
ſi ce n'eſt à la ſagacité des intérêts contraires ?
Or , dans cette forme d'adminiſtrer la justice , it
faut choiſir entre deux choſes ; il faut y admettre ou
l'éloquence ou la chicane: vous ne pouvez chaſſer
l'une que par l'autre. Et pourriez-vous balancer
entre ce qu'il y a de plus beau & ce qu'il y a de plus
vil? Pourriez-vous même balancer ſur les dangers ?
L'Éloquence a je ne ſais quoi de fier qui ne peut entièrement
ſe démentir; elle conſerve encore quelque
reſpect d'elle-même dans ſa proſtitution ; mais la
chicane s'applaudit de ſes baffeſſes ; elle a des ruſes
dont on ne peut ſe défendre , parce qu'on n'oſe les
ſoupçonner. Que deviendra le Juge , lorſque la chi
cane égarera fon eſprit dans fes obfcurs détours ,
& qu'elle l'étourdira de ſon jargon infidieux ?
Que s'il faut tant de précautions , & même des
précautions ſi mêlées d'inconvéniens contre les loix
d'un tel pays , combien n'en faudroit il pas contre
fes moeurs! Du ſein de tant de vices & de défordres
il s'élève une foule de préjugés , d'intérêts , de paf
fions , d'inſtitutions même funeſtes au malheureux ,
au foible , à l'innocent. Quel opprimé dans ſon
délaiffement , ne doit s'effrayer de ſes plaintes lorf
qu'il apperçoit contre lui , ou les dignités , ou la faveur,
ou la richeſſe , ou la beauté , ou la réputation
? Et ſouvent toutes enſemble ſont conjurées
contre lui. Comme tout s'émeut à leur nom ! comme
tout ſe glace à la vue de ſa misère ! Eh bien ! qu'il
invoque l'éloquence; elie eſt ſa protectrice natu
DE FRANCE.
13
relle; elle puiſe dans le ſentiment de ſes forces le
courage & la généroſité : ſeule , elle défiera tant
d'ennemis , ſeule en triomphera. Cette autorité , que
veulent ufurper les rangs & les réputations , elle la
repoufle avec les droits ſacrés de la raiſon , de la
vérité , de la juſtice. Aux fureurs de la tyrannie , elle
oppoſe l'aſcendant de l'opinion publique ; contre les
ſéductions du vice, elle s'arme des derniers cris de la
confcience; elle fait pâlir devant l'effrayante image
de ſon déshonneur , ce Juge qui ouvroit ſon coeur à
l'iniquité ; elle l'arrache au crime par le preffentiment
du remords; elle ne ſe laiſſe pas même intimider
par la majeſté du rang ſuprême. Souvent les
Miniſtres des Autels , les Miniſtres des Loix ont
fait entendre de grandes vérités dans ce filence de
l'adoration & de la terreur ; elle a éclairé l'orgueil
& fléchi la colère juſques ſur le Trône. Eloignez
l'Eloquence de nos Tribunaux , il ne nous reſtera
que les deux extrêmes dans la corruption de la juftice
, l'embarras &la confufion de celle d'Europe ,
&le deſpotiſme vénal de celle d'Afie .
J'apperçois encore une vérité qui doit nous honorer
, en nous raſſurant , c'eſt que dans notre conftitution
&dans nos moeurs, l'Eloquence eſt bien plus
puiffante pour le bien que pour le mal. Si elle excitoit
, chez les Anciens , des ſoulèvemens , des ſéditions
; fi, parmi les révolutions qu'elle y a faites , on
peut lui en reprocher de dangereuſes & de criminelles
, c'eſt qu'elle agiſſoit ſur le Peuple , dont le
jugement eſt auſſi foible que ſes paſſions font impétueuſes.
Mais parmi nous elle s'adreſſe à des Magiftrats
, à des hommes affermis dans le ſentiment
de leurs devoirs , précautionnés , par leur propre inftruction
, contre l'Art d'un Orateur , & qui confervent
le ſang-froid de la raiſon au milieu des enchantemens
de l'Eloquence . Ainsi , elle ne peut être
bien nuiſible dans notre Barreau , lors même qu'elle
14
MERCURE
conſent à y être coupable. Si le Juge a fenti la
mauvaiſe foi ou apperçu l'erreur dans tes diſcours ,
elle le flatte ſans le ſéduire ni le ſubjuguer ; mais il
ſe livre au ſentiment qu'elle lui imprime lorſqu'elle
follicite ſon coeur pour le parti que ſa raiſon lui indique
; & il lui doit peut- être d'apporter plus de zèle
&de courage dans la volonté du bien.
Cependant l'Eloquence ne nuit- elle pas au moins
àla justice par la forme prolongée qu'elle lui donne?
Inceſſamment implorée par une foule de malheureux
, la justice préférera- t- elle dans ſes fonctions
une pompe qui la fait reſpecter davantage à cette
marche active & rapide qui la rendroit plus utile ? ...
Je conviens que la marche ſerrée d'une logique
rigoureuſe conduiroit plus rapidement & peut- être
plus fûrement à la vérité que la diſcuſſion embellie
de l'Eloquence. Si on vouloit réduire chaque caufe
à ce qui la conſtitue uniquement pour de bons efprits
, l'expoſition en ſeroit courte & le jugement
plus facile. Mais prenez garde que cette manière
de rendre la justice exige des hommes tout-à-lafois
ſupérieurs en vertu & en lumières Il faut un
grand zèle & un grand ſens pour ne pas ſe relacher
un inftant , & pour tout ſaiſir dans un genre
de travail où tout un ſyſtême d'idées échappe avec
une ſeule propoſition. Or , par-tout où l'on rafſemble
des hommes qui apportent, dans des fonctions
communes , des caractères & des eſprits différens
, peut-on les ſuppoſer tous pourvus d'une fagacité
fi rare , & d'une attention fi inébranlable ?
Je ne ſais fi un peu d'enthouſiaſme ne me féduit
pas ; mais il me ſemble que , ſous tous les aſpects ,
le beau ici tient toujours à l'utile. L'Éloquence , dans
nos Tribunaux , eſt particulièrement un appui accordé
aux malheureux. Eh! quel avantage pour eux
de voir les raiſons qui ſollicitent en leur faveur ,
s'annoblir par l'alliance des grandes vûes qui peuDE
FRANCE.
15
vent s'y réunir ! Ne leur importe - t - il pas d'ailleurs
que l'attention de leurs Juges , que celle du Public ,
dont l'eſtime eſt pour eux une fi noble confolation,
foit retenue ſur leur cauſe par l'intérêt qu'un Orateur
fait y répandre ?
Voyez combien d'avantages acceſſoires l'Éloquence
ſait mêler à des ſervices eſſentiels ! L'exercice
des fonctions de la Magiſtrature eſt la meilleure
école du Magiftrat. Et quelle noble & heureuſe inftruction
ne peut- il pas puiſer dans ces diſcuſſions
agrandies par la philofophie , animées par l'éloquence!
C'eſt ſon devoir de ne juger que dans le
plus rigoureux examen ; mais c'eſt ſa gloire de confidérer
les objets d'un point de vûe vaſte & élevé ,
&de ſe propoſer ainſi un bien général dans des
déciſions particulières. N'a-t- il pas beſoin auffi que
l'éloquence vienne quelquefois redreſſer ſon génie
que l'amour du devoir avoit courbé ſur les petits
détails ? N'a- t- il pas beſoin même qu'elle prévienne ,
par l'admiration des talens , cet orgueil qui réſulte
de l'exercice du pouvoir , & qu'elle tempère par
l'innocente émotion qu'elle porte dans ſon coeur ,
cette fermeté , qui doit faire fon caractère , mais qui
pourroit dégénérer en une inflexibilité opiniâtre ?
L'Eloquence eſt réſervée à quelque choſe de plas
grand encore. Jugeons dans la Place publique,fi nous
voulons ne faire tort à personne , diſoit un Roi de
Macédoine. Une marche mystérieuſe en effet feroit
calomnier la justice , & fon zèle pourroit décroître
dans la folitude. Arbitre univerſel , elle doit auſſi manifeſter
les règles qui la dirigent , & s'enſeigner ellemême.
Et qui mieux que l'Eloquence pourroit proclamer
ſes inſtructions & folemnifer ſes décrets ?
Seroit- il indigne de la justice d'étendre ſes vûes
au delà des objets qui lui ſont propres ? Dans une
Nation, qui attend une partie de ſa gloire des Arts&
des Talens , la juſtice doit-elle dédaigner de les en
16 MERCURE
courager , de les annoblir en les aſſociant à ſes travaux
, en habitant au milieu d'eux ? Dans quel
autre lieu que celui où l'on règle les deftinées des
hommes , pourroit- on mieux raſſembler tout ce qui
les éclaire & les honore ?
Telle est donc parmi nous la juſtice , que ſi l'Eloquence
eſt utile à ſa décoration , elle eſt peut - être
néceſlaire à la fageſſe , à la pureté de ſes décrets.
Légiflateurs & Magiftrats , aimez-la donc , l'intérêt
de la Société vous permet ici de vous abandonner
à l'attrait des talens . C'eſt à vous de la ſoutenir ,
de la diriger. Elle pourroit ſe dégrader dans la
corruption générale , prévenez ce malheur , vous le
pouvez ; l'Eloquence s'en éloigne naturellement;
elle est née au ſein de la liberté, du beſoin de la
gloire. En perdant fes motifs , elle perd ſa force; en
méconnoiffant ſes objets , elle ſe punit elle-même.
Ouvrez les Ecrits de tantde grands Hommes; voyez
dans quelle cauſe & par quelle paſſion ils ont été
fublimes. Dès qu'ils adoptent des ſujets indignes
d'eux , leur génie s'éteint dans leur déshonneur. Accordez
donc à l'Eloquence une voix libre & des
hommages publics ; & toujours fidelle à ſa gloire ,
jamais elle ne trahira ces nobles & chers intérêts ,
que vous pourrez en (ûreté commettre à ſa garde. *
(Cet Article est de M. de L. C. )
* Un Ordre d'hommes eſt établi parmi nous pour
défendre courageuſement les Citoyens . Les raiſons & les
faits ne me manqueroient pas pour prouver qu'il a réſulté
une foule de biens politiques de cette inſtitution. Si l'on
attentoit un jour à la noble indépendance que l'on a accordée
à ces hommes , on croiroit peut être n'humilier
qu'une Profeffion ; on feroit encore un bien plus grand
mal , on leveroit une nouvelle bannière devant le deſpotifine
privé , ce deſpotiſme ſi étendu , ſi difficile à réprimer
dans une grande Monarchie , qui foule & outrage l'homme
&le citoyende tant de manieres & dans des parties ſi ſem.
fibles.
DE FRANCE. 17
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt Cadavre ; celui du
Logogryphe eſt Corbeille , où se trouvent
cor bill , école , col , belle , or , oeil, rôle ,
robe , oreille , ocre .
ÉNIGME.
Je ſuis un être fingulier ,
Et fans copie & fans modèle ;
Affez ſemblable à Sganarelle , *
Et toute fois meilleur forcier .
Je me plais dans les lieux humides ,
Et ſouvent je paroîs en feu ;
Planer dans les airs comme un Dieu ,
Nager dans les plaines liquides ,
Faire aux humains cent tours perfides ,
Tout cela pour moi n'est qu'un jeu ;
Même en condamnant mes caprices ,
Chacun fait grâce àmon humeur.
C'enest trop , il eſt temps , Lecteur ,
f
Que je retourne à mes géniffes.
( Par M. l'Abbé Dourneau..)
* Dans le Médecin-malgré- lui.
18 MERCURE
Jh
LOGOGRYPHE.
E ſuis un inſtrument agréable& fonore ,
Qui , ſous les doigts légers d'Émilie ou d'Aglaure,
T'a fait paſſer , Lecteur , mille fois tour- à- tour ,
Des cris de la douleur aux ſoupirs de l'Amour,
Tu me ſaiſis déjà , Lecteur , je veux le croire ;
Déjà dans mes huit pieds tu trouves la liqueur
Qui trahit le ſecret de maint & maint buveur ,
Et qui pourtant chez lui fait perdre la mémoire;
Tu vois certain courſier voyageant au moulin ;
Le chef audacieux d'une ſecte ennemie
Du Pontife Romain ;
Une ville de l'Italie ;
Et ce qu'il faut pour préparer le pain ;
Tu trouveras encore un fouterrain ,
Où par un indigne mêlange ,
Un Artiſan, de ſa funeste main ,
Nuit & jour à Paris va ſouillant la vendange.
Avec un pied doublé je ſuis , fi l'on m'arrange ,
Le Diſciple chéri d'un Prophète fameux ;
Un ſynonyme d'orgueilleux ;
D'un habitantdes bois la femelle gloutonne ;
Enfin , certain tiſſu moëlleux ,
Non pas celui , Lecteur , qu'ici j'offre à tes yeux,
Mais cet autre où par fois mainte grave perſonne
Pour unir un couple amoureux
Aleurs dépens , dit - on , griffonne.
:
DE FRANCE.
19
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Poésie Françoise. Tome XXI. A Paris , chez
lesÉditeurs, rue de la Juſſienne , vis- à- vis
le corps-de garde; & chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguſtins , au
coin de la rue Pavée.
MILE de Scudéry , d'Aceilly & le Père
le Moine , ſont les Poëtes les plus célèbres
que renferme ce Volume , qui eſt un des
plus intéreſſans de cette Collection. Les autres
Poëtes moins connus ſont Floriot
François Ogier , Pierre de Lalane , Charles
Beys & Philippe Habert. On ne connoît
guère aujourd'hui de ces deux derniers que
deux Pièces fugitives; de Philippe Habert ,
un petit Poëme intitulé : le Temple de la
Mort ; & de Beys , cette Épigramme :
Au Tombeau de M. le Maréchal de Rantzau ,
Épigramme. ۱
Du corps du grand Rantzau tu n'as qu'une des parts ;
L'autre moitié reſta dans les plaines de Mars :
Il diſperſa par-tout ſes membres & ſa gloire ;
Tout abattu qu'il fut , il demeura vainqueur ;
Son fang fut en cent lieux le prix de ſa victoire ;
Et Mars ne lui laiſſa rien d'entier que le coeur.
ز
1
20 MERCURE
Ce ſixain eſt très - fameux ; mais , malgré
ſa réputation , nous dourons qu'il ſoit de
bien bon goût. Le coeur eſt pris ici dans un
ſens phyſique avec une induction au moral ;
n'est- ce pas là ce qu'on appelle abufer des
mots ? Il nous ſemble qu'il y a là plus de
brillant que de naturel ; car le Dieu Mars
pourroit ne laiſſer à un poltron rien d'entier
que le coeur , & ce poltron n'en vaudroit pas
mieux pour cela.
On fait que Mlle de Scudéry jouit de fon
temps de la plus grande célébrité, plus encore
par ſes Romans que par ſa Poéfie. Elle
compta parmi ſes amis les perſonnes de fon
temps les plus diftinguées par leur rang ou
par leur mérite. On raconte d'elle pluſieurs
anecdotes qui ſont connues ; en voici une
qui l'eſt moins. Quand le premier Dauphin
fut de retour de ſa campagne de Philisbourg
, Mlle de Scudéry préſenta à Madame
laDauphine des vers où elle lui diſoit :
Et lagloire & l'amour vous comblent de plaiſirs;
Qui des deux d'un grand coeurremplit mieux lesdefirs?
Comme Madame la Dauphine répondit qu'il
falloit faire cette queſtion à M. le Dauphin ,
M. de Montauſier , le lendemain , en tirant
les rideaux de Monſeigneur , lui dit : Je
viens chercher la réponse aux vers de Mlle de
Scudéry.
Les vers les plus fameux de cette Demoiſelle
font ceux- ci , faits au Prince de Condé,
fur des oeillets que ce Héros avoit cultivés
DE FRANCE. 21
lui même. Les Éditeurs ont oublié d'en
expliquer le ſujet par le titre ou par une
note. 1
QUATRAIN.
En voyant ces oeillets qu'un illuſtre Guerrier
Arroſa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtiſſoitdes murailles ,
Et ne t'étonne point que Mars ſoit Jardinier.
Jacques de Cailly , plus connu ſous le
nom de d'Aceilly ( c'eſt celui qu'il prit pour
ſe cacher un peu en publiant ſes Ouvrages ,)
cut beaucoup de naturel dans l'eſprit. Il n'a
guères fait que des Épigrammes , qui font
preſque toutes agréables. Les Éditeurs racontent
de lui une anecdote qui n'avoit
jamais été imprimée. Cailly ayant publié
ſes poénes à ſes frais , s'en alloit ſur le
pont neuf ou dans les promenades publiques
, & à chaque homme bien mis qu'il
rencontroit il en préſentoit un exemplaire ,
qu'il le prioit d'accepter. C'étoit un sûr
moyen pour avoir bientôt à faire une nouvelle
Edition. Il faut pourtant avouer, comme
le diſent les Éditeurs , qu'il n'avoit pas beſoin
de ce moyen là. Ce Poëte étoit de la
famille de Jeanne d'Arc. Nous ne citerons
guères de lui que cette Épigramme contre
un Médecin Poëte :
Roch , Médecin peu docte , & Poëte ſavant ,
Fait des épitaphes ſouvent ,
22 MERCURE
Où des morts il conte l'hiſtoire :
Les maux que fit un Art , l'autre Art ſait les guérir;
Roch Poëte fait vivre au temple de mémoire , ...
Ceux que Roch Médecin vient de faire mourir.
Et cette autre , plus connue & fi gaie :
A un Mari qui batsa femme.
Battre ta fename de la forte ,
Sous tes pieds la laiffer pour morte,
Et d'un bruit ſcandaleux les voifins alarmer !
Tu vas paſſer pour un infâme.
Compère , l'on fait bien qu'il faut battre ſa femme ,
5 Mais il ne faut pas l'aſſommer.
Nous nous hâtons de pafſfer au Père le
Moine , l'un des articles les plus intéreſſans
qu'on ait encore vus dans ces Annales. Il
n'a manqué à ce Jéſuite qu'un goût plus
épuré, pour s'affeoir au premier rang parmi
les plus grands Poëtes . Il avoit de l'enthoufiaſme
, de la verve , une imagination féconde
, de belles idées , & un ſtyle plein
d'énergie. A travers ſes négligences , on
trouve des beautés , dont les meilleurs Poëtes
s'honoreroient. C'eſt à lui qu'appartiennent
ces quatre beaux vers qu'on avoit attribués
à Voltaire :
Et ces vaſtes pays d'azur & de lumière , ab 2
Tirés du ſein du vide & formés fans matière ,
Arrondis fans compas , ſuſpendus ſans pivot ,
Ontà peine coûté la dépenſe d'un mot.
M
DE FRANCE .
23
Quoi de plus énergique que ces quatre
vers ſur l'inconſtance de la fortune ! Apprends
, dit le Poëte ,
Que la bonne fortune aime en femme publique ;
Que ſes appas ſont faux , & fa faveur tragique ;
Et qu'amante cruelle après ſes feux paſſés ,
Elle étouffe en ſes bras ceux qu'elle a careſſés.
Ces quatre derniers vers ſont tirés de fon
Poëme de Saint- Louis , ou la Sainte Couronne
reconquife. Ce Poëme , dont le plan
eſt fort bien tracé , étincelle , dans le détail ,
des plus grandes beautés poétiques. On y
trouve auſſi des tirades ingénieuſes , comme
celle-ci :
Du coup prodigieux dont le Ture fut coupé ,
Plus de fix eſcadrons eurent le coeur frappé :
Par-tout l'acier fatal , auteur de la merveille ,
Leur brille dans les yeux , leur réſonne à l'oreille;
Et par- tout l'invincible & formidable bras ,
Sur eux multiplié , lève le coutelas.
Comme la peur les ſuit , la peur auſſi les chaſſe;
Et loin même des coups , les frappe ou les menace.
En vain Forcadin crie, il les rappelle en vain ;
La frayeur eſt ſans front, & fans coeur & fans main ;
Et , ſourde à la raiſon , ainſi qu'à la conduite ,
N'a de vigueur qu'aux pieds , n'eſt prompte qu'à la
fuite.
Γ
Avec ſon Poëme de Saint-Louis , le Père
le Moine a fait auffi des Épîtres morales&
poétiques , qui rempliſſent parfaitementleur
24 MERCURE
titre. On y admire de grands traits de morale
& des beautés poetiques du premier
ordre . Combien , s'écrie t'il dans l'une de
ſes Épîtres , le luxe fait de malheureux !
Et combien de pays ont été déſolés ,
Combien de droits rompus , de devoirs violés ,
Afin qu'un rotarier , mieux logé que nos Princes ,
Eût un monde en maiſons, eût en parcs des Provinces !
Quoi de plus noble , de plus poétique &
de plus fortement penſé que la tirade ſuivante
, malgré quelques négligences qu'il
faut pardonner en faveur du temps où le
Poëte écrivoit :
Ainſi les nations , ainſi les races roulent,
Pareilles à ces flots qui l'un ſur l'autre coulent,
Et font d'un vieux canal & d'une nouvelle eau ,
Un fleuve toujours vieux comme toujours nouveau.
Mais ſi la loi du ſort veut que les villes meurent ,
Quelle loi peut vouloir que les hommes demeurent !
Vingt fois Paris eſt mort , il eſt rené vingt fois
Depuis qu'il fut bâti par les premiers Gaulois :
Vingt fois il a changé d'eſprit , de corps , de face :
Il n'ade ce qu'il fut que le noin & la place ;
Et cette ſi ſuperbe & ſi vaſte Cité
N'en eſt plus que la tombe & la poſtérité.
Sous ces murs ſomptueux, dans ces cours magnifiques,
Sont enterrés des parcs , des falles , des portiques';
Et cent palais anciens ,par le temps démolis ,
Sous ces palais nouveaux giſſent enfevelis.
Comme
DE FRANCE.
25
Comme les vers ſuivans , ſur la néceſſité
de mourir , font pleins de force & d'originalité
!
Quel ſpectacle , de voir ſur de funeſtes chars
Les femmes , les maris , les jeunes , les vieillards ,
Les artiſans , les Rois , les charlatans , les ſages ,
Toutes fortes d'états , de ſexes , de viſages ;
Et la mort au-deſſus , la faulx noire à la main ,
Qui traîne en gerbe , en graine , en fleur le genre humain
!
Le Père le Moine , accoutumé au ton de
l'épopée, ſait enrichir ſon ſtyle de comparaiſons
nobles ou ingénieuſes. En parlant
des proſpérités de la Régence , & pour louer
la Reine de ce que rien ( foit honneurs , ſoit
plaiſirs ) ne la diftrait du Gouvernement des
affaires , voici la comparaiſon que lui fournit
ſon imagination poétique :
Voyez ces pompeuſes rivières
Qui roulent leurs eaux en des lits
Par le luxe & l'art embellis
De la dépouille des carrières :
Orangers , lauriers & jaſmins
S'offrent en vain ſur leurs chemins ,
Et pour les arrêter leur laiſſent leurs images ;
En vain , marbre & porphyre interrompent leurs flots ,
Elles touchent à peine en paſſant leurs rivages ,
Et dans la grande mer vont chercher leur repos.
Les fleuves ont fourni encore au Père le
Nº . 40 , 5 Octobre 1782 . B
26 MERCURE
Moine une autre comparaiſon tout aufli
belle que celle que nous venons de citer.
En écrivant au Duc d'Enghien , qui fut
depuis le Grand Condé , le Poëre veut prouver
que les plus grands Héros ont erré ,
comme le Prince , hors de leur patrie.
Les eaux baſſes , qui n'ont ni lit , ni fond , ni courſe,
Se perdent en naiſſant à deux pas de leur fource ;
Le Pô , fleuve régnant , le Rhin , fleuve héros ,
Avecque l'équipage & le train de leurs flots ,
Traverſent les climats , arroſent les Provinces ,
Servent cent nations, ſe prêtent à cent Princes ,
Et bien loin des pays où l'on voit leurs berceaux ,
Ils étendent le règne & le bruit de leurs caux.
Les barques des pêcheurs, baſſes, foibles , craintives,
N'ofent quitter l'abri que leur donnent les rives ;
Mais les vaiſſeaux guerriers, hauts de bords &de mars,
Vainqueursde tous les temps&de tous les climats ,&c.
Les aftres en font autant ;
Leur Roi même & leur père eſt en courſe à toute
heure;
Il a douze maiſons , & pas une demeure ;
Et, toujours paſſager en ſes propres palais ,
Il roule jour & nuit ſans gîte & fans relais.
Nous bornerons nos citations , qui pour
soient nous mener trop loin. Le Père le
Moine , toujours peintre , toujours Poëte,
eft riche dans ſes expreſſions; & fes expreffions
lui appartiennent. Nous croyons ,
DE FRANCE .
27
comme les Éditeurs , que la lecture de ſes
poéſies , faite avec precaution , peut être
très utile aux jeunes gens qui prétendent aux
honneurs de la haute poéſie.
SPECTACLES .
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE Mardi 24 Septembre , on a donné la
première repréſentation de trois Actes nouveaux
: l'Acte du Feu , du Ballet des Élémens
de Roi , remis en muſique par M.
Edelmann ; Ariane dans l'Isle de Naxos ,
paroles de M. Moline, muſique du même
M. Edelmann ; & Daphne & Apollon , ou
l'invention de la Lyre , paroles de M. Pitra ,
muſique de M. Mayer.
L'Acte du Feu eft connu ; & il avoit , on
ne fait pourquoi , quelque réputation. L'action
, qui étoit ſuſceptible d'un grand intérêt
, en eſt entièrement dépourvue , par la
fingulière mal- adreſſe de la conduite. La
Veſtale Émilie eſt chargée pour la dernière
fois de la garde du feu facré; parce qu'elle ſe
marie le lendemain avec Valère. Celui- ci
s'introduit la nuit , on ne fait par quel moyen
ni par quel motif, dans le temple de Veſta.
Émilie tremblante l'engage à ſe retirer ;
mais tout en lui parlant , le feu s'éteint ; le
tonnerre gronde ; la frayeur s'empare d'elle ;
l'Amour alors deſcend du ciel , rallume avec
Bij
28 MERCURE

fon flambeau le feu de Veſta , & raffure les
deux amans. Pour peu qu'on ait réfléchi fur
l'Art Dramatique , on fent qu'il falloit rendre
la Veſtale un peu plus coupable pourla
rendre plus intéreſſante & qu'il falloit
mettre ſous les yeux des Spectateurs le danger
qui la menaçoit , ſi l'on vouloit qu'ils en
fuffent touchés; il falloit la faire condamner
, la montrer prête à ſubir ſon ſupplice
, & c. On eſt choqué auffi de voir arriver
Cupidon lui- même dans une action aufli
ſéri euſe , & dénuée d'ailleurs de tout merveilleux.
Les Dieux de l'ancienne Mytholo
gie ne peuvent guère étre admis comme
Acteurs que dans des ſujets tirés des temps
héroïques de la Grèce; on ne peut les mêler
aux événemens de l'hiſtoire connue ſansblef
fer la vraiſemblance même poétique. Quant
au ſtyle , il manque d'imagination , d'harmonie
, & fur- tout de ſenſibilité ; mais il
faut convenir en même temps qu'on y trouve
plus depréciſion & une verfification plus correcte
& plus ſoignée que dans la plupart des
Poëmes Lyriques qu'on avus depuis quelques
années. Non-ſeulement l'art d'écrire , mais
l'étude grammaticale de la langue paroît être
abſolument étrangère à un grand nombre
d'Auteurs qui ſe vouent à faire ce que l'on
appelle juſtement des paroles d'Opéra : Sunt
verba &voces, pratereaque nihil. La négligence
&l'ignorance à cet égard ſont portées à un
tel point, que les Danchet , les Pellegrin , les
Cahuzac , fi décriés par les Critiques de leur
DEFRANCE.
29
temps , pourroient preſque être propoſés
pour modèles à la plupart de leurs fuccefleurs.
M. Edelmann, déjà connu pour un habile
Compoſiteur par différentes Pièces de mufique
inſtrumentale & quelques morceaux
exécutés au Concert Spirituel , a montré
dans les deux Actes qu'il a mis en muſique ,
un talent fait pour paroître avec diftinction
fur la Scène Lyrique.
Dans l'Acte du Feu , il paroît avoir été
égaré par l'apparence d'intérêt qu'il a apperçu
dans le ſujer; ſa muſique a du caractère
& de l'expreſſion; mais une muſique
expreſſive , attachée à des paroles fans intérêt
, n'eſt plus que triſte , & n'a qu'une
chaleur qui ne ſe communique point. D'ailleurs
, cer Acte eſt plein de morceaux trèsbien
compoſés & d'un effet heureux ; le
chant eſt en général d'une tournure agréable
& naturelle ; les choeurs ſont d'une belle
harmonie ; le premier & le ſecond choeur
des Prêtreffes , fur-tout , ont une expreffion
noble , vraie & ſenſible. Le premier air
d'Émilie & celui de Valère : L'Amour va
combler mon attente , font d'un beau caractère.
Les airs de danſe ſont variés & de bon
goût; mais tout cela n'a pu réchauffer la langueur
ni ſauver l'invraiſemblance de l'action .
M. Edelmann a trouvé dans celui d'Ariane
un ſujet plus propre à exercer ſon talent & à
déployer les reſſources de ſon Art.
Il n'y a guère de ſituation plus dramatique
que celle d'une femme belle & tendre,aban
Biij
30
MERCURE
donnée dans un déſert par l'amant qu'elle
adore , & pour qui elle a tout ſacrifié. Sour
tenu par la forcedu ſujet , Thomas Corneille
s'eſt élevé au-deſſus de lui- même , & nous
a laiſſe dans ſon Ariane une des plus touchantes
Tragédie de notre Théâtre.UnAuteur
Allemand a imaginé de donner à cette action
une forme nouvelle. A l'exemple du Pigmalion
de J. J. Rouiſeau , il a fait un Drame
compoſe ſeulement de deux monologues ,
l'un de Théſée , qui s'échappe des bras d'Ariane
endormie , entraîné par les Grecs , qui
viennent lechercher pour défendreAthènes,
ſa patrie ; l'autre d'Ariane , qui , s'éveillant
au moment du départ de ſon amant , ſe
livre à tous les mouvemens de fa douleur &
de ſon défeſpoir , & finit par ſe précipiter
dans les flots. Dans ces deux monologues ,
les paroles étoient ſimplement déclamées
par les Acteurs ; mais la déclamation étoit
entre-coupée de filenees , pendant leſquels
des ritournelles & des traits d'orchestre exprimoient
les mouvemens divers & les fentimens
contraſtés qui agitent fucceflivement
l'âme des deux perſonnages. Il y a environ
un anque ceDrame futtraduit en François
&exécuté à la Comédie Italienne. On trouva
beaucoup d'art , d'expreffion & d'originalité
dans la muſique , ouvrage d'un ſavant &
célèbre Compofiteur ( M. Benda ) ; mais ce
mérite n'a pu ſauver le mêlange bizarre de la
récitation & de la muſique ; ce ſont deux
langages trop diſparates pour pouvoir jamais
DE FRANCE.
31
s'affortir heureuſement; auſſi ce genre de
ſpectacle , malgré ſa ſingularité , n'eut- il
qu'un ſuccès équivoque .
M. Moline , en s'emparant de cette idée,
lui a donné la véritable forme dont elle
étoit fufceptible , celle d'un Opéra. Peutêtre
a-t-il ſuivi de trop près la marche du
Poëme Allemand. La Scène de Théſée a
paru trop longue. Il a un ſi grand intérêt à
diſparoître avant le réveil d'Ariane , qu'on
ne peut guères s'empêcher d'être choqué
des cris alternatifs de ce Guerrier & du
Choeur des Grecs qui cherchent à l'entraîner
; d'ailleurs , Theſée n'abandonnant l'Ifle
de Naxos que pour aller au ſecours de ſa
Patrie,on ne voit pas pourquoi il n'emmène
pas ſa Maîtreſſe avec lui ; & par la raiſon
même qu'il n'eſt pas infidèle , Ariane eſt
moins malheureuſe , & ſa ſituation paroît
moins déchirante; mais cette critique , fûtelle
ſans réplique , n'empêche pas que le
Drame ne foit d'un intérêt preſſant & continu.
Ily a du ſentiment dans les détails , &
des morceaux bien coupés & bien écrits ;
mais l'Auteur a un peu trop négligé la correction
& la propriété du langage ; nous n'en
citerons qu'un exemple. Théſée dit :
Non, votre cruauté ne ſera point remplie.
On ne remplit point une cruauté.
1
On conçoit combien un Drame de ce
genre étoit difficile à traiter pour le Muſicien.
La choſe dont la muſique a le plus
Biv
32
MERCURE
effentiellement beſoin c'eſt la variété , & il
en trouvoit bien peu dans deux Scènes tragiques
& paffionnées , où deux Acteurs occupant
ſeuls le Théâtre , ne font interrompus
que par quelques couplets de Choeurs.
M. Edelmann a vaincu ces difficultés en
homme qui non ſeulement eſt maître de
fon Art , mais qui connoît encore tous les
devoirs & tous les moyens du ſtyle dramatique.
Son récitatif eſt animé par des
accens preſque toujours vrais ; l'Orcheftre
eſt toujours en mouvement , & fupplée
à toutes les expreffions que la voix ne
peut pas rendre ; ſes airs, s'ils n'ont pas toujours
de l'originalité dans les motifs , ont
toujours le caractère propre au ſentiment
qu'ils expriment; & ce qui conſtitue un des
principaux ſecrets de la muſique dramatique,
c'eſt que le récitatif, les airs & les Choeurs
font fondus habilement l'un dans l'autre , &
ne préſentent qu'un enſemble de muſique
animée , ſans vuide & fans diſparate. Nous
ne diffimulerons pas que ſon accompagnement
eſt ſouvent chargé de deſfins multipliés
dans les parties ; que l'harmonie paroît
auſſi trop pleine , trop continuellement
bruyante , & qu'elle manque de ces clairs ,
de ces jours doux qui repoſent l'oreille , ménagent
les contraſtes , & renforcent encore
les grands effets; mais ces défauts , s'ils exiftent
réellement, font aiſés à éviter dans un
autre Ouvrage , & nous invitons M. Edelmann
à exercer ſes talens ſur un Poëme tra
DE FRANCE .
33
gique qui réuniffe à l'expreſſion des grands
mouvemens de l'âme les oppoſitions douces
& les acceſſoires agréables qui font de notre
Opéra le plus riche & le plus féduiſant des
Spectacles .
: Le ſujet d'Apollon & Daphné eſt, comme
on fait, tiré des Métamorphoſes d'Ovide.
C'eſt aujourd'hui une entrepriſe bien hafardeuſe
que celle de rajeunir ces Fables conſacrées
par l'antique Poésie , & qui ont
long- temps régné fur la Scène Lyrique. Le
merveilleux qui en fait la baſe amène une
foule de tableaux rians & variés qui amuſent
l'imagination , mais en même-temps il nuit
à l'intérêt , qui ne peut fortir que de l'expreſſion
vraie &de la peinture fidelle des
paffions & des ſentimens , & cet intérêt
fera toujours l'objet dominant de toutes les
productions des Arts. M. Pitra a cru pouvoir
concilier ces deux effets en ſe ſervant
du merveilleux pour produire des tableaux
&des fêtes , & en donnant en même - temps
à ſes Perſonnages fabuleux un langage plus
vrai & plus paſſionné que celui qu'on leur
prêtoit dans nos anciens Opéras , où l'Amour
n'a guères que le ton de la galanterie , &
d'une galanterie ſouvent infipide.
Daphné , jeune Nymphe, vient d'être
nommée Prêtreſſe d'Apollon , dont elle eſt
aimée , & qu'elle aime fans ofer ſe l'avouer.
Ce dieu arrive , lui déclare ſon amour , la
preſſe d'y répondre ; elle s'en défend, & veut
fuir; il la fuit; elle invoque le Heuve Penée
By
34
MERCURE.
fon père; & au moment où Apollon veut
la ſaiſir , elle diſparoît , & un laurier s'élève
à ſa place. Juſques-là l'Auteur a ſuivi la
Fable ; mais il s'en écarte dans le reſte. Apollon
, après avoir exprimé ſa douleur & fes
regrets, crée la lyre d'une des branches du
laurier, Enchanté lui-même des fons qu'il
entire , il s'adreſſe à ſa lyre , & dit :
Pour chanter ma Daphné, pour chanter ſa mémoire,
Je te conſacre à la beauté ;
Ses mains contre ſon ſein te preſſeront fans ceſſe,
Et tu peindras l'Amour , fes langueurs , ſon ivreſſe
Sous les doigts de la volupté.
Les accens d'Apollon ſemblent ranimer
Daphné , dont la voix ſe fait entendre à travers
l'écorce du laurier. Apollon tranſporté
veut déchirer cette écorce qui lui dérobe
l'objet de fon amour. Penée alors paroît , &
s'oppoſe à ſes efforts. Apollon implore la
pitié de Penée. La voix de Daphne ſe joint
àla fienne pour fléchir ſon père , qui , touché
de leurs plaintes , rend enfin Daphné
anx voeux d'Apollon. Ce dieu invite les
Mufes , ainſi que les Nymphes & les Bergers
, à venir embellir ce ſéjour , & à prendre
part à fon bonheur. Il termine l'action
par conſacrer le laurier , qu'il deſtine à couronner
à jamais les Arts & la valeur.
Il feroit bien fuperflu d'inſiſter ſur l'impoſſibilité
de donner à une pareille fiction
un intérêt dramatique ; c'eſt la faute du
fujet; le tort de M. Pitra eft de l'avoir
DE FRANCE .
35
choiſi , & d'avoir cru qu'il pourroit fauver
par l'exécution cette ſuite d'invraiſemblances;
mais tous les reproches qu'on lui a faits
ne nous paroiflent pas fondés. On lui a reproché
fur - tout d'avoir fait parler Daphné
après la métamorphofe. Quand on trouve
bon qu'une femme ſoit changée tout à coup
en laurier , il faut être bien difficile en vrais
ſemblance pour s'étonner que ſa voix ſe
faffe encore entendre à travers l'écorce de
l'arbre. Nous croyons au contraire que ſi le
Compofircur s'étoit bien pénétré de fon
ſujet, & qu'il eût exprimé avec ſenſibilité les
ſons doux & plaintifs qui s'élèvent du ſein
de cet arbre enchanté , & viennent interrompre
le dialogue d'Apollon & de Penée ,
l'effet en auroit été intéreſſant.
Le Poëme de M. Pitra nous a paru d'ailleurs
bien coupé ; le dialogue en eſt naturel
& animé; le ſtyle en eft trop négligé , & préſente
même des incorrections * d'autant plus
difficiles à excuſer , que pluſieurs morceaux
font écrits avec ſenſibilité & avec élégance ;
nous en citerons pour exemple l'Hymne à la
Roſe de la Scène II. Les fautes de ſtyle que
nous relevons lui ſont communes avec la
plupart des Poëtes Lyriques modernes ;
mais ce qui eſt fort rare , c'est qu'elles font
* On nous a fait obſerver que les fautes les plus
graves qu'on a relevées dans le Poëme imprimé
avoient été corrigées avant la repréſentation dans
les rôles des Acteurs.
Bv
36
MERCURE.
)
réparées par de l'invention dans les idées &
par des tableaux pleins de grâce & de fraîcheur.
L'idée de créer la lyre d'une branche
du laurier eſt ingénieuſe , quoiqu'elle foit
plus poétique que dramatique. Les Fêtes des
Nymphes & des Bergers font naturellement
amenées & liées à l'action , & le tableau
qui forme le divertiſſement de la fin eſt
vraiment anacreontique.
La muſique de cet Acte n'a pas, à beaucoup
près , l'effet qu'on devoit attendre des
talens de M. Mayer. Il y a dans les premières
Scènes des morceaux très- agréables ;
I'Hymne à la Rofe & le Choeur danſant qui
vient enfuite ſont ſur-tout d'un chant doux ,
ſenſible & piquant; mais dans la Scène pafſionnée
d'Apollon & de Daphné, la muſique
manque de caractère , de vérité & de l'expreſſion
dont elle avoit beſoin. M. Mayer ,
qui eſt habituellement abſent de la Capizale
, n'avoit pu mettre la dernière main à
cet Ouvrage. M. Rey , qui conduit l'Orcheftre
avec tant de zèle & d'intelligence, &
dont les talens , comme Compoſiteur, font
bien connus , a fait l'ouverture de cet Acte ,
qui a été fort applaudie. Le Choeur de la
fin , Arbrefacré , & c. qui eſt d'un beau chant
& d'une harmonie ſimple & favante , eſt
l'Ouvrage de M. Mereaux , célèbre Organifte
, dont on a exécuté avec beaucoup de
ſuccès quelques Oratorios au Concert Spirituel
, & dont les talens ſont faits pour en
richir quand il voudra la Scène Lyrique.
DE FRANCE.
37
Il nous reſte à parler de l'exécution de ces
trois Actes . Mlle Joinville a chanté & joué
avec intérêt le rôle d'Émilie dans l'Acte du
Feu; & celui de Valère a été rendu par le
fieur Lainez avec la chaleur & l'intelligence
qu'on lui connoît. Dans le Divertiſſement
qui termine l'Acte , Mlle Torlay a danſé
avec le ſieur Favre , un pas de deux , où elle
a déployé la correction, la décence & le bon
goût qui caractériſent ſa danſe. Le ſieur Favre
a mérité auſſi des applaudiſſemens. La charmante
gavote , danſée par Mlle Dupré & le
fieur Gardel , a excité les plus vifs applaudiſſemens.
La fermeté , le fini & la légèreté
brillante des pas de Mlle Dupré , la facilité
avec laquelle elle s'élève , les formes gracieuſes
& animées qu'elle met dans tous ſes
mouvemens , la rendront très- précieuſe à ce
Théâtre. Le ſieur Gardel a montré dans ce
pas un talent qui ſemble ſe perfectionner à
vûe d'oeil , & qui paroît propre à briller
dans les différens genres.
Le rôle de Théſée , dans Ariane , a été
rendu par le ſieur Laïs , qui a mis de la chaleur
& de la vérité dans ſon action , du goût
&de l'expreffion dans ſon chant. On defireroit
, pour donner plus de vraiſemblance à
la Scène , qu'il chantât preſque toujours ce
rôle à demi - voix , ce qui ne l'empêcheroit
pas de mettre dans ſon chant les nuances &
les oppoſitions qu'exigent le caractère des
airs . Mlle Saint Huberti , dans le rôle
d'Ariane , a ajouté encore à l'idée que l'on
avoit déjà de ſon intelligence & de ſon ta
38
MERCURE
Ícnt ; elle a joué la Scène avec une action
toujours animée & intéreſſante; & elle a
chanté avec la plus grande expreſſion la mufique
continuellement forte & paffionnée
d'un rôle long & pénible. Le degré de ſupériorité
où elle eſt parvenue & celui auquel
elle eſt faite pour atteindre nous autoriſent
à lui obſerver que ſes geſtes ſont trop con
tinus & trop multipliés ; que ce ne font pas
les grandes paffions qui en demandent davantage;
& que tout ce qui eſt déplacé ou
prodigué perd néceſſairement de ſon effer.
Nous l'exhorterons encore à modérer les
éclats de ſa voix, & à ne pas oublier qu'au
Théâtre Lyrique le premier devoir eſt de
chanter , & qu'en voulant facrifier la juſteſſe
de l'intonation & la beauté des fons à la
force de l'expreffion, l'effet qu'on obtient ne
compenfejamais celui qu'on ſacrifie . Nous
defirerions fur- tout qu'elle menageât ſa voix
dans ce qui précède le beau cantabilité : Ah !
j'étois autrefois innocente & tranquille , &c.
Il ſeroit même à ſouhaiter que le choeur qui
précède fût un peu prolongé, afin de lui
donner un peu plus de repos , & que ſa voix
pût reprendre la fraîcheur & la fermeté néceffaires
pour rendre la mélodie douce, pure
&ſenſible qui caractériſe ce genre d'air.
Mile Audinot a joué avec intelligence &
ſenſibilité le rôle de Daphne', fa voix eft facile
& agréable , & fon chant de très-bon
goûr. Le fieur Lainez a bien ſaiſi le caractère
d'Apollon , & a exprimé avec grâce la progreffion
de fenfibilité que le Poëte a mife
DE FRANCE.
39
dans ce rôle. Nous ne pouvons diffimuler
que la courſe de Daphne & d'Apollon a été
très-mal exécutée aux deux premières repréſentations
, ce qui a nui à l'effet de cette
Scène importante & en effet difficile à exécuter.
Daphné , après être ſortie en fuyant
du théâtre , ne doit y rentrer que ſuivie de
près par Apollon , & ce n'eſt que dans l'impoſſibilité
d'échapper à ce Dieu , qu'elle doit
invoquer le ſecours de fon père.
La compoſition de la danſe de cet Acte
fait beaucoup d'honneur au ſieur Gardel
l'aîné. Il a ſaiſi avec beaucoup de goût les
intentions du Poëme , & en a tiré le plus
grand parti. La fête paftorale qui coupe l'Acte
eft pleine de fraîcheur. Mlle Gervais danſe
avec le ſieur Laurent un pas de deux d'un
caractère gai & piquant; on ne peut que
donner de nouveaux éloges à l'ardeur , au
talent & aux progrès de cette jeune Danfeuſe ;
on connoît depuis long-temps la force &
l'agilité qui caracterifent le Sr Laurent. Mile
Dorival , en jeune Nymphe qui vient offrir
des roſes an Dieu du Jour , danſe une jolie
gavotte avecbeaucoupde grâce & d'élégance.
Il y avoit long temps que l'on n'avoit vû
fur ce théâtre de l'Opéra un tableau plus galant
, plus gracieux , plus anacréontique , &
exécuté d'une manière plus foignée que celui
du ballet qui termine cet Acte. C'est le premier
de ce genre qu'ait encore compoſe le
fieur Gardel; & le fuccès l'encouragera fans
doute à en produire de nouveaux. C'eit
40
MERCURE
l'Amour échappant aux Grâces , qui veulent
en vain le fixer , pour voler au devant de
Terpſicore ; il reçoit de ſes mains la lyre
d'Apollon , & la fait danſer au ſon de cet
inftrument; Terpſicore reprend la lyre,& le
fait danſer à fon tour. Les Grâces , toujours
grouppées , voltigent autour d'eux , & embelliffent
cette Scène charmante par leurs
mouvemens & leurs figures variées , tandis
que les danſes des Nymphes & des Bergers.
animent le fond du tableau. On devine bien
que le rôle de Terpficore eft rendu par Mile
Guimard, & il eſt inutile de dire quel charme
elle y répand : il ne lui manque jamais qu'un
caractère nouveau pour développer desgrâces
nouvelles. Le ſieur Nivelon , qui paroît ſous
la forme d'un Plaisir, met dans ſa danſe la
molleſſe, la grâce & la légèreté qui conviennent
à ce caractère. Le ſieur Gardel danſe une
entrée de Guerrier , avec une nobleffe& un
à-plomb dans les mouvemens , une force &
une correction dans les pas qui prouvent
le talent ſupérieur. On a obſervé qu'iln'avoit
fait qu'une feule pirouette dans cette entrée ,
&il l'a exécutée avec la facilité &lapréciſion
qu'exigent ces fortes de pas , qui , étant peu
ſuſceptibles de grâce , & ne montrant que la
force , doivent s'exécuter ſans effort , & n'être
employés que rarement dans la danſe noble.
La jeune Nanine , qui avoit joué avec un
intérêt ſi aimable le rôle d' Aftianax , & qui
depuis avoit été employée avec le même
ſuccès dans les Caprices de Galathée & dans
DE FRANCE.
le Seigneur Bienfaisant , danſe & joue dans
ce ballet le rôle de l'Amour avec une grâce ,
une fineſſe , une intelligence très-extraordinaires
pour ſon âge, & annonce un talent précieux
que l'Opéra ne ſauroit cultiver avec
trop de ſoin .
Nous obſerverons en général que le coſtume
des habits, dans ces trois Actes, a été obſervé
✓ avec plus de ſoin & plus de goût qu'on ne
l'avoit vû depuis long temps; il y auroit encore
à cet égard beaucoup de réformes à faire,
& que nous avons lieu d'attendre du goût ,
du zèle & des lumières des perſonnes qui
dirigent l'Adminiſtration de l'Opéra ; ce qui
nous paroît mériter fur-tout leur attention ,
cc font les décorations , article important à
ce théâtre , & trop négligé depuis long- tems .
Nous n'entrerons dans aucun détail à ce
ſujet ; nous obſerverons ſeulement que dans
l'Acte d'Ariane , le lever du ſoleil pourroit
être exécuté ſans beaucoup de frais , d'une
manière agréable qui ſerviroit à l'effet de la
Scène ,&que la tempête devroit être rendue
par la toile du fond avec plus d'art & de
vérité. Dans l'Acte de Daphné , le laurier ,
qui fait une partie eſſentielle de l'action , eſt
repréſenté d'une manière informe , & n'eſt
pas amené avec affez d'adreſſe. La toile du
fond repréſentant le Parnaſſe , manque d'effet
par le défaut de perſpective. Les ordres que
vientdedonner l'Adminiſtration , & le facrifice
qu'elle veut bien faire pour prolonger le
fond du théâtre, mettront à portée de per
42
MERCURE
fectionner cette partie intéreſſante de la
Scène Lyrique.
N. B. Nous avons oublié de dire qu'à la
fin de l'Acte du Feu , Mile Leboeuf , jeune
Cantatrice des Choeurs , a chanté une ariette
de bravoure avec une voix agréable , légère
& très exercée , & qu'elle a été généralement
applaudic.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nos Lecteurs ſe ſouviennent , fans doute ,
que nous nous ſommes engagés à ne leut
rendre compte que des Débuts qui annonceroient
des talens , ou au moins des eſpés
rances . Tous les jours nous nous félicitons
d'avoir pris ce parti , parce qu'il leur épargne
l'ennui des répétitions, & qu'il nous dif
penſe d'employer trop fouvent , dans ces
articles , une ſévérité toujours déſagréable
pour les ſujets auxquels elle s'attache , &
preſque toujours inutile. Une grande partie
des perſonnes qui embraſſent aujourd'hui la
profeffion de Comédiens , ignore , ou af
fecte d'ignorer que la Comédie eſt un Art
ingrat& difficile, qui exige un travail opiniâtre
, des études très- réfléchies , une grande
connoiffance du monde , des hommes &
des paffions. On penſe qu'avec quelques
qualités extérieures , de la figure & de l'organe
, on a tout ce qu'il faut pour réuffir à
la Scène. En conféquence de ce faux print
DE FRANCE.
43
cipe , on débute , on reçoit des encouragemens:
alors l'amour propre s'exalte, il egare,
il donne à l'Acteur une idée exagérée de fon
talent , & de- là naît pour l'ordinaire cette
médiocrité incurable , à laquelle ſont condamnés
tous ceux qui aiment qu'on les loue
&nonpasqu'on les confeille. On a déjà répété
cent fois ces réflexions & toujours en vain ,
mais il ne faut pas ſe lafſer de les remettre
ſous les yeux des jeunes Comédiens. A la longue,
la véritéperce , elle éclaire , elle inſtruit ,
mais ce n'eſt qu'avec de la conſtance que
l'on parvient à la faire connoître , & à per
cer le voile dont l'orgueil & l'erreur cherchent
fans ceſſe à l'envelopper. Voilà tout
ce que nous avons à dire à quelques Acteurs
qui ont débuté depuis quelques mois , tant
au Théâtre François qu'à la Comédie Italienne;
les uns avec des défauts ſur leſquels
l'âge & l'habitude ne laiſſent plus aucun efpoir
, les autres avec une inexpérience &
une foibleſſe qui ne font pas bien augurer
de leurs diſpoſitions.
Parmi tous ces Sujets , nous avons diſtinguéM.
le Coutre. Ce Comédien a déjà débuté
deux fois à Paris. Du premier au ſecond
début , il avoit fait des progrès conſidérables;
& ce qu'il a montré de talent , lors de
celui dont nous rendons compte , annonce
un homme laborieux , intelligent , ami de
fon art & des ſuffrages publics. Une belle
figure , une taille avantageuſe , de beaux
moyens , un organe fonore , une connoif
MERCURE
fance raiſonnée de la Scène , de la ſenſibilité,
du goût. Telles ſont les qualités qu'on a diftinguées
avec plaifir dans M. le Coutre. On
lui a reproché , avec raiſon , de manquer
quelquefois d'énergie , &de donner à ſa phyfionomie
une expreſſion forcée. Nous l'engageons
à s'occupertrès- ſérieuſementde corriger
ces défauts , principaiement le dernier , qui
donnede temps en temps à fon maſque un air
de grimace pénible & fatigant pour le Spectateur
même ; qui le prive d'une partie de
ſa mobilité , & qui le fait paffer très brufquement
de l'image d'un ſentiment à celle
d'un autre : mouvement quelquefois vrai
dans la nature brute , mais preſque toujours
inadmiſſible dans la nature conventionnelle
& embellie par l'art. Nous l'exhortons en
core à ne pas preſſer ſes réponſes ſur les
dernières fyllabes des répliques de ſes interlocuteurs
; ainſi qu'à les attendre , non pas
avec l'atrention d'un Comédien qui connoît
l'inſtant où il doit reprendre la ſuite de fon
rôle , mais avec celle d'un homme qui
dialogue , & auquel la circonstance indique
les temps d'écouter , d'interrompre ou de
parler. Les autres défauts de M. le Coutre
ne font que de légères taches que ſon intelligence
doit faire promptement difparoître.
En général , cet Acteur mérite de très-grands
éloges; la Comédie Italienne a beſoin de fes
talens , & il ſeroit difficile de trouver fur
les Théâtres de la Province un ſujet qui mé
ritât d'entrer avec lui en comparaiſon.
DE FRANCE.
45
GRAVURES.
COLLECTION
OLLECTION de vingt - Sept Estampes gravées
d'après les Deſſins de M. Marillier , par MM. de
Longueil , de Launay l'aîné , de Launay le jeune ,
Ingouf le jeune , Macret , de Ghendt , Ponce ,
Halbou, Trière & Dambrun. Cette ſuite eſt deftinée
à orner une Édition des oeuvres choiſies de
J. J. Rouſſeau , qui s'imprime à Londres. Prix ,
15 liv. A Londres , chez Emflet & Thomas Hookham,
Libraires; & à Paris , chez la Veuve Ducheſne,
Libraire, rue S. Jacques , au Temple du Goût.
-
Portrait de Frère Côme , Feuillant , très-reſſemblant,
gravé par Ingouf, d'après un deſſin fait de
fon vivant , avoué de ſa famille. A Paris chez le fieur
Souberbielle , rue du Chevet-Saint- Landry , dans
la Cité , Nº. 2. Prix , 1 liv. 4 fols. Cahier des
Cartouches pour entretenir les titres des différentes
Cartes , comme Cartes Militaires de Marine , Géographie
& Topographie , très utile aux Ingénieurs
&Arpenteurs. A Paris , chez Panferon , Architecte ,
rue des Maçons , près la Sorbonne , maiſon de M.
Levaſſeur , Graveur du Roi. Prix , 1 livre 4 fols ; &
lavé, 1 liv. 16 fols.
-
Plan de la Montagne , de la Ville , des Fortifications
& du Siège de Gibraltar , avec le Camp de
Saint -Roch. Prix , 1 liv. 4 fols. La Baye de
Gibraltar & d'Algésiras , avec le Camp de Saint-
Roch & les Difpofitions du Bombardement. Prix ,
I livre 4 fols. A Paris , chez Lattré , Graveur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , la porte-cochère visà-
vis la rue de la Parcheminerie. - On trouve chez
le même le Détroit de Gibraltar , en une feuille ,
au même prix , & tout ce qui peut intéreſſer pour la
guerre actuelle.
)
46
MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
-
0N trouve chez Lamy , Libraire , quai des Au
guſtins , les Livres ſuivans : La Vie de Nicolas Flamel
& de Pernellesa femme , avec ſon Portrait &
le Plan de fa Maiſon , in- 12 . Prix , 3 livres broché.
- Le Traité du Figuier , in-12. Prix , 1 liv. 4 fols
relié. Un Traité curieux des Enseignes Militaires
, &c. in - 16. Prix , I livre 10 fols broché.
Les Stratagêmes de guerre dont se font fervis les
plus grands Capitainesjusqu'à la paix dernière , in-
16. Prix , I livre 4 fols broché. - L'Indépendance
des Anglo- Américains , dont nous avons rendu
compte ſans indication de Libraire , in- 12. Prix ,
I liv. 4 fols broché.
Guillot , Libraire de MONSIEUR , rue de la
Harpe , au-deſſus de celle des Mathurins , vient
d'acquérir les Tomes III & IV des Economiques ,
qu'il donne à 3 livres 10 fols en blanc. Les
mêmes , un Volume in-4°. Prix , 6 livres juſqu'au
mois de Décembre prochain , paſſe lequel temps on
payera l'in-4º. to liv. & l'in- 12 6 liv.
Le double Rendez- Vous nocturne , ou le Triomphe
du Sentiment , par l'Auteur du petit Tourou ,
2Vol. in- 18 reliés en un en veau écaille, 3 filets.
Prix , 2 liv. 8 ſols. A Londres ; & ſe vend àParis,
chez Mérigot père , Libraire ,quai des Auguſtins ,
près la rue Git-le-Coeur ; & à Valenciennes , chez
Giard , Libraire.
Amusemens des Eaux de Spa & des environs ,
Ouvrage utile à ceux qui vont prendre ces Eaux fur
les lieux , contenant pluſieurs Aventures galantes &
intéreſſantes arrivées à Spa , 4 Vol. in- 12 petit format
reliés en veau écaille , 3 filets. Prix , 6 livres. A
1
DE FRANCE.
47
Amſterdam; & ſe trouve à Paris , chez Mérigot
père, Libraire , quai des Auguſtins , près la rue Gitle-
Coeur , & chez les Marchands de Nouveautés ; &
àValenciennes , chez Giard , Libraire.
Éloge de M. de Voltaire , Ode qui a concouru
pour le prix de l'Académie Françoiſe en 1779 , par
M. de la Vicomterie de Saint-Samſon , ſuivi d'une
Lettre du Roi de Pruſſe à l'Auteur A Hambourg , &
ſe trouve à Paris , chez Guillot , Libraire de
MONSIEUR , rue de la Harpe.
LesAprès-Soupers de la Société, petit Théâtre
lyrique & moral ſur les Aventures du jour. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Bons - Enfans , la
porte cochère vis-à vis la cour des Fontaines du
Palais Royal , quatorzième Cahier.
Traité d'Architecture , comprenant les cinq Ordres
des Anciens établis dans une juſte proportion entreeux;
ony a joint les Pilaſtres d'Attique de chaque
Ordre; des Tables de Proportions pour déterminer
les hauteurs des Soubaſſemens , Statues , Balustrades
&Pilaftres d'Attique , relativement à la progreſſion
des cinq Ordres d'Architecture , depuis dix pieds de
hauteur juſqu'à ſoixante ; un Cours de Géométrie-
Pratique , & des différentes eſpèces de Moulures à
l'uſage non-feulement des cinq Ordres , mais encore
de tous les membres d'Architecture ; plus , la manière
de les tracer au compass un Traité d'Arithmétique
pour parvenir au toiſé des Figures Géométriques
; un Traitéde la Meſure des Surfaces Planes
& des Solides ; un Cours de Perſpective & une Inftruction
ſur les différentes manières de deſſiner le
Payſage ; par M. Dupuis , Profeſſeur d'Architecture .
Nota. L'Auteur fera paroître à la Saint - Martin
prochaine l'Ouvrage dont on préſente ici le Titre ,
qui en fait connoître ſuffisamment les diverſes
Parties. Il s'eſt propoſé de répandre un grand jour
48 MERCURE
fur les Arts qui en ſont l'objet, &d'en faciliter l'étude.
Ce qu'il a déjà publié en ce genre , & les ſuccès de
ceux qui ont étudié ſous lui ſont de plus sûrs garants
de l'utilité & de la bonté de ſon travail que tout ce
que nous pourrions dire. Le prix pour chaque
Volume broché ſera de 10 liv, tournois ou de 30 liv.
pour l'Ouvrage, entier. Ceux qui deſireront en faire
I'acquiſition , ſont priés d'écrire à l'Auteur , rue
Bailleul , en lui marquant le nombre d'Exemplaires
qu'il leur faudra , & s'ils les veulent brochés ou reliés .
Mémoiresfur les Foſfiles du bas Dauphiné , contenant
une Deſcription des terres , ſables , pierres ,
roches compoſées & généralement de toutes les
couches qui les renferment ; par M. D. G. Officier
réformé. A Paris , rue & hôtel Serpente.
Projet de Catacombes pour la ville de Paris ,
en adaptant à cet uſage les carrières qui ſe trouvent
tant dans ſon enceinte que dans ſes environs. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
TABLE.
ELÉGIE , 3 Annales Poétiques depuis l'o-
Réponse aux Stances de Mlle rigine de la Poésie FrandeGaudin,
1
S 19
Si l'Eloquence eft utile ou Académie Roy. de Musiq. 27
dangereuse dans l'Adminiſçoise,
Comédie Italienne ,
tration de la Justice , 8Gravures,
Enigme & Logogryphe , 17Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
42
45
46
J'AAII lu , par ordre de Mgr 1 Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 5 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion.AParis ,
le 4 Octobre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Août.
LES vents & la féchereſſe qui ſont ſurvenus
, ont arrêté les progrès de la peſte qui
s'étoit manifeſtée , il y a une vingtaine de
jours, & qui avoit beaucoup alarmé les
habitans de cette Capitale; on apprend de
Cérès & de Salonique , que la même température
y a produit les mêmes effets ; il
n'en eſt pas ainſi du Cuban , où la contagion
règne toujours , & enlève un grand nombre
de perſonnes.
LaPorte a réfolu d'envoyer dans la Morée
un Pacha , qui doit y fixer fa réſidence ; elle
ſe fatte de parvenir , par ce moyen , à
étouffer l'eſprit de révolte qui domine depuis
long-tems dans cette Province. On dit
que leCapitanBacha y fera envoyé en cette
qualité & qu'il fera remplacé dans le
poſte d'Amiral par M.lek Muſtapha ,Bacha
d'Egypte.
و
5Octobre 1782. a
1
( 2 )
Le Patriarche ſchiſmatique Zacharie paroît
fort éloigné de tenir la promeſſe qu'il
avoit faite aux Miniſtres des Puiſſances Catholiques
, de ne point troubler les ſujets
de lear religion; il les vexe plus que jamais ,
& on affure qu'il a ſu s'aſſurer par des pré
ſens la protection de pluſieurs Grands.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 12 Septembre.
PLUSIEURS de nos bâtimens qui avoient
fait la pêche de la baleine au détroit de
Davis , font arrivés ici avec des cargaiſons
conſidérables d'huile de baleine. Cette pêche
a été très-avantageuſe cette année; la Compagnie
n'ayant pas affez de vaiſſeaux pour
faire le tranſport de l'huile , a frété un grand
nombre de bâtimens particuliers.
>> Un cutter Anglois, écrit- on d'Elfinger , ayant
apporté au Commandant des vaiſſeaux de ſa nation
qui étoient dans ce port , des ordres cachetés , tout
le convoi s'eſt auſſi-tôt diſpoſe à partir ; & le 10
il a mis à la voile avec un vent frais de ſud-ouest ,
au nombre de 220 navires marchands , ſous l'efcorte
de's frégates , dont une de 44 canons , 2 cutters
& quelques lettres de marque ; 70 autres navires
marchands ont appareillé en même-tems. Mais
àpeine ce riche convoi eut- il paffé le château , qu'il
"ſurvint un calme plat qui l'obligea de ſe remettre
àl'ancre .
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 12 Septembre.
Le Prince dont la Reine eſt accouchée
131
dernièrement , a été baptisé le s de ce
mois ; après les cérémonies qui ſe firent
avec beaucoup de ſolemnité , le Roi lui
mit le cordon de l'Ordre des Séraphins.
- La Compagnie des Indes Orientales de Gothenbourg,
a faitporter juſqu'àmoitiéchemin
de Schagen , 200 caifles de thé , tant grandes
que petites , gâtées par l'eau de la mer , &
tirées de la cargaiſon du vaiſleau la Sophie-
Magdeleine ; elles doivent être jettées à la
mer, pour empêcher toute occaſion d'en faire
un uſage pernicieux.
>> Depuis quelque tems , lit-on dans des lettres
de Gothembourg , la pêche du hareng nous donne
beaucoup de profits. Il s'en trouve, comme on le
fait, une très -grande quantité qui vient du Nord
par le détroit du Sund , autour de la petite Iſle
qui avoiſine notre ville, & vis-à-vis de laquelle
laGothelba ſe jette dans la Baltique. Depuis 1621 ,
c'est-à-dire , 14 ans après la fondation de notre
Compagnie , nous jouiſſons du privilége royal d'en
faire la pêche . En 1679 les harengs ne parurent
plus dans notre mer. Nous n'en vîmes pas beaucoup
pendant les 72 années ſu vantes . Mais à notre
grande ſurpriſe , ils affluèrent de nouveau en 1752 .
Depuis cette époque , ils revinrent tous les ans
non ſans variation; car depuis 1770 leur retour
eſt d'année en année plus tardif que les années précédentes;
ce qui ſemble préſager un abandon total.
Si nos harengs font plus petits que ceux qu'on
trouve à l'entrée de la Baltique , ils ont auffi un
meilleur goût ; on doit fuppofer que le ſuc de nos
plantes maritimes , eſt moins acre. Pendant l'année
courante nous avons falé 139,000 tonneaux de
hatengs; on en a fumé 13,900 , & on a fait 2845
tonneaux d'huile de ceux qui étoient gâtés «.
7
1
22
( 4 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 14 Septembre.
:
On ſe flatte encore de revoir ici leGrand-
Duc & la Grande-Duchefle de Ruffie , on
dit qu'ils arriveront vers la fin de ce mois;
mais ils ne feront pas un long léjour
dans certe Capitale; ils ſe repoferont un
peu au Château Impérial , & te rendront à
Laxembourg & de-là en Hongrie , d'où ils
retourneront directement à St Petersbourg.
Les intérêts du Bureau autoriſe à prêter de
l'argent fur gage , ont été réduits . On y payoit
16.p. 100 , aujourd'hui on ne pourra prendre
que 4 p. 100 ſur des effets qui ne font
ni ort ni argent ; mais quand on en portera
de cette dernière eſpèce , qui fuppoſent
de la fortune aux emprunteurs , le
Bureau eft autorisé à prendre 6 p. 100jufqu'à
la ſomme de 1000 florins , & paffé
cette fomme , les intérêts feront de 8 juſqu'à
10 p . 100.
On apprend par des lettres du Comté de
Zips , que le 19 Juillet dernier, il eſt tombé
une quantité prodigieufe de neige ſur les
monts Carpathes.
M. Naco , Seigneur des terres de St-Miclos
& de Marienfeld , dans le Comté de
Torendal , y a fait l'effai d'une plantation
d'arbres à coton , qui tous viennent trèsbien
, & donnent l'eſpérance du plus grand
fuccès.
Les Savans , écrit-on de Bude, qui avoient
été envoyés en Esclavonie pour y examiner la
terre brûlante , ſont de retour de leur voyage. Pendant
le ſéjour qu'ils y ont fait , la terre n'étoit
pas enflammée; ils ont fait cependant pluſieurs expériences
avec cette terre , & pour les continuer ,
ils en ont apporté une certaine quantité avec eux.
L'un de ces Savans , I Abbé Miller , a apporté de
ces environs beaucoup d'inſectes, & quelques caiffes
de minéraux , parmi leſquels ſe trouve auſſi du
mineral, qui contient de l'or & de l'argent .
On a encore fupprimé trois autres Couvens
de femines à Lemberg ; ils font, dit on ,
plus riches que ceux qui y ont été fupprimés
il y a 6 mois.
De HAMBOURG , le 15 Septembre .
LES mouvemens qui ſe font fur les frontières
de la Ruſſie & dans pluſieurs parties
de l'Empire , les troupes qui défilent da
côté de Kiow , de Mohilow, ainſi que vers
l'Ukraine , & dans les Gouvernemens d'Aftracan
& d'Afoph , annoncent que les troubles
de la Crimée ne ſont pas diffipés ,
comme l'ont publié quelques papiers , &
que tant que la Porte ne ſe ſera pointdéclarée
ſur le parti qu'elle prendra dans ces
circonstances , on n'eſt ni fans inquietude ,
ni fans défiance , ſur la ſuite de la revolte
desTartares. Un régiment d'infanterie & un
détachement d'artillerie font partis de Pétersbourg;
4 autres régimens ſe ſont mis
en marche de la Livonie vers les confins de
la Tartarie ; 1100 matelots , ajoute- t on
2
23
( 6 )
ent été envoyés ſur les côtes de la mer
Noire.
Selon les lettres de Vienne , S. M. I. a
chargé le Comte de Kollowrat & le Baron
de Reiſchach , de recevoir , en fon nom ,
les foi & hommage des vaffaux de la couronne
de Bohême .
,
>> Les préparatifs des fêtes qu'on doit donner
au Comte & à la Comteſſe du Nord , écrit-on de
Stuttgard ſont achevés ; ces fêtes feront trèsbrillantes
. On a arrangé dans le château Ducal les
appartemens deſtinés aux illuſtres Voyageurs ,
de manière qu'ils ſe croiront tranſportés dans ceux
qu'ils occupent ordinairement à Pétersbourg. Le
parc , voifin de se Château , a été peuplé de so00
bêtes noires & fauves. Sur les frontières duMargraviat
de Dourlach à Ensberg , on a élevé un Arc de
Triomphe & un Palais en bois , revêtu en dehors
de toile peinte dans un goût antique , & magnifiquement
décoré& tapiffé au-dedans. C'eft-là que le
Comte& la Comteſſe du Nord feront reçus &qu'ils
dîneront à leur arrivée. On les attend ici le 17; il
y aura ce jour-là fête à la Cour ; le 18 , grande
table , gala & opéra ; le 19 une fête àHohenheim,
&Comédie; le 20 , dîner chez la Comteſſe de Hohenheim
, & opéra ; le 21 , fête à Ludwibourg & à
la Solitude ; le 22 , grande chaffe ; le 23 , grand
opéra à Stuttgard , & le 24 un ſuperbe carrousel «.
On apprend d'Edenbourg , que depuis
quelque tems la terre s'eſt enflammée près
de Holling. Comme il y a dans les environs
beaucoup de tourbe , il eſt à craindre , ſi le
feu fait autant de progrès qu'il en a fait
juſqu'à préſent , qu'une grande étendue de
terrein ne ſoit embraſée. Une forte pluie qui
tomba il y a quelques jours , n'a pas ſuffi
4
( 7 )
pour l'éteindre ; la cendre eſt déjà à 3 pieds
de haut ; on y trouve beaucoup de terre
calcaire calcinée.
>>>>Les ſanterelles , écrit- on de Bude , ſont en fi
grand nombre dans pluſieurs endroits de ce Royaume
, qu'en voulant les détruire on ne réuffit malheureuſement
qu'à les faire changer de place.
-On écrit de Boszormeny, dans le Comtat de Szaboltz
, que le 23 Août au ſoir les habitans y étoient
occupés à pourſuivre des eſſains innombrables de
fauterelles , qui viennent du grand Waradin &
d'Almofd. On les foudroya à coups de canon &
de fuſil ; elles tombèrent dans les plaines deDebretzin
, mais s'y voyant pourſuivies par plus de
2000 perſonnes , armées de fouets , & foutenues
par un corps de troupes qui ne ceffèrent de faire
feu , elles allèrent ſe jetterà un mille de là où elles
ravagèrent une étendue d'une demi- lieue. En plufieurs
endroits ces inſectes ſont les uns ſur les autres,
& forment une maſſe de 2 à 3 empans de hauteur
, & quand on veut les chaffer , ce qui est difficile
, ils vont du côté où le vent ſouffle. Il a
été ordonné de ſonner les cloches dans tous les
endroits où ils ſemblent vouloir s'arrêter. - Des
avis ultérieurs de Debretzin , en date du 27 Août
portent qu'après que ce redoutable eſſain fut parti il
en parut un autre plus nombreux; tous les environs
de la Ville en furent couverts à un mille
d'étendue & à la hauteur d'une demi-aune : elles
mangent ou rongent tout dans les prairies & dans
les champs c.
ITALI Ε.
De LIVOURNE , les Septembre.
Le Hongrois , bâtiment appartenant à la
Compagnie Autrichienne des Indes Orientaa4
( 8 )
les,eſt parti d'ici le 27 du mois dernier pour
Afie.
;
>> Sur l'avis des Juriſconſultes de cette Univerfité
, lit-on dans des lettres de Padoue , au ſujer
des ſéparations entre mari & femme, le Conſeil
des Dix a arrêté ce qui fuir : 1º. les femmes qui
demanderont à être ſéparées de leurs maris , feront
tenues de ſe rendre fur- le- champ dans un Couvent
, où elles ne pourront voir que leurs plus
proches parens & leur Avocat; 2°. les membres
du Confeil des Dix détermineront les ſommes que
les maris pateront à leurs femmes pour leur entretien
& les frais de la procédure. Si les conjoint
font notoirement indigens , le Conſeil pourveira
à ces objets; 3°. la procédure de léparation
ſera très-fommaire ; 4°. tous les Evêques feront
tenus d'informer fur-le-champ le Conſeil des de
mandes en ſéparation , afin qu'il puitſe enjoindre
à la femme de ſe rendre tout de ſuite dans un
Couvent. On dit que le traité d'échange entre
la Cour de Vienne & la République de Venise,
approche de ſa conclufion; le commerce de Trieste
y gagnera , dit - on , des avantages très - confidéfables
«.
Le Papea , dit- on , adreſſédes brefs à tous
les Evêques des Etats Autrichiens par lefquels
il les autoriſe à relever de leurs voeux
Ics Religieux des Couvens ſupprimés dans
ces Etats lorſqu'ils le demanderont.
Le 24 Juin , écrition de Tunis , il arriva ici
un Chiaou de la ſublime Porte , avec des Firmans ,
tant pour notre Régence que pour celles deTripoly
& d'Alger. Ces Firmans contenoient des propoſitions
du Grand-Seigneur pour faire la paix entre
les Régences Barbareſques &, le Roi des Deux-
Siciles , à des conditions que S. H. affure devoir
être fort avantageuſes.On croit cependant que ces
1
propoſitions réuffirent dificilement , parce que les
Etats de la côte de Barbarie , preſque abſolument
deſtitués de commerce , ne fauroient ſubſiſter que
du fruit de leurs pirateries , qu'ils ne peuvent exercer
aujourd'hui qu'envers les ſujets Napolitains ,
puiſqu'ils font en paix avec les Puiſſances Chrétiennes
, hors de la Méditerranée , & avec la République
de Venise , qui obſerve ponctuellement
ſes engagemens avec eux; ils ſont ſur le point
d'en conclure une avec l'Empereur & la Toſcane.
Ilsn'ont en conféquence à diriger leurs courſes que
contre les Napolitains ; & malgré la Marine de
S. M. Sicilienne , elles ſont ſouvent heureuſes . Or
ſent qu'il n'y a qu'un préſent aunuel proportionné
àla valeur des piiſes que font leurs corfaires , qui
peuvent les déterminer à ſe prêter aux vues de
la Porte ; & on ne doute pas que dans ce cas même ,
ils ne rompent avec d'autres Puiſſances Chrétiennes
, pour achever de ſe dédommager " .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 10 Septembre:
DEPUIS l'arrivée du brigantin le Général
Carleton , nous n'avons point de nouvelles
de 1 Amérique ſeptentrionale. Le feul fait
intereffant que contiennent celles qu'il a
appottées , c'eſt que le Prince Guillaume
Henri n'eſt point mort comme le bruit s'en
étoit réontu ; l'uſage du quinquina a fait
diſpar ître en partie la fièvre occaſionnée
par la luxation de fon bras ; mais on craint
qu'il ne puiſſe plus ſe ſervir de ce bras
parce que l'os de l'épaule forti de la jointure
avec fraction du muscle , ne peut plus
être remboité.
25
( 10 )
Quoiquerien ne confirme la lettre adreffée
à Sir William - Pepperel , nos papiers ne
ceffent de répéter que le mécontentement
eſt général en Amérique contre le Congrès
&contre la France ; s'il faut les en croire
il eſt arrivé de tous côtés des avis qui ne
permettent plus d'en douter ; on en a même
reçu de France où il eſt bien sûr cependant
que la première nouvelle n'y a été apportée
que par nos papiers , & où elle n'a été reçue
qu'avec mépris . Quelques-uns de ces papiers
ont effayé de l'appuyer par des extraits
d'une Gazette de Boſton imprimée, diſent- ils,
chez Eades & Gill ; ils ont oublié malheureuſement
que ces deux éditeurs impriment
chacun une feuille différente & très diftincte
, & les numéros qu'on en a reçus
des mêmes dates que les extraits prétendus
que l'on donne ici , au lieu de parler des
diffentions Américaines , n'annoncent au
contraire que la meilleure harmonie entre
les Etats-Unis & leur auguſte allié , & une
réſolution unanime de ne conclure qu'une
paix concertée de part & d'autre. Bien des
gens croient que le but viſible de tous ces
prétendus détails , eſt de retarder , s'il eſt
poffible , la détermination du Cabinet pour
reconnoître l'indépendance de l'Amérique.
Mais aujourd'hui il paroît être décidé ; on
peut en juger du moins par la lettre ſuivante
du Général Carleton & de l'Amiral
Digby , au Général Washington ; elle eſt
du 2 Août , & a été apportée par le pa
( II )
quebot le Roebuck arrivé de New-Yorck à
Portsmouth en st jours.
>> Les diſpoſitions pacifiques du Parlement & du
peupled'Angleterre , envers les 13 Provinces-Unies ,
vous ont déja été communiquées ; ona aufli remis à
V. E. les réſolutions de la chambre des Communes
du 27 Février dernier , & en même-tems , on vous a
donné à entendre que ſelon toutes les apparences
elles ſeroient ſuivies de négociations de Paix. Depuis
cette époque juſqu'à préſent nous n'avions reçu aucune
inſtruction directe d'Angleterre ; mais il vient
d'arriver une Malle qui nous apporte une nouvelle
très -importante. -Nous ſavons de bonne part ,
qu'il y a déja des négociations entamées à Paris ,
pour une Paix générale , & que M. Grenville eſt
muni de pleins pouvoirs pour traiter avec toutes les
parties Belligérantes ; il eſt actuellement à Paris pour
remplir la commiſſion. De plus , nous ſommes informés
que S. M. pour éloigner tout ce qui peut
s'oppoſerr àà une Paix qu'elle défire ardemmentderétablir
, a ordonné à ſes Miniſtres d'enjoindre à M.
Grenville , de commencer par propoſer l'indépen
dance de l'Amérique , au lieu d'en faire une condition
d'un traité général ; bien perfuadée néanmoins
que les Royaliſtes feront rétablis dans leurs
poffeffions ou dédommagés entiérement de toutes les
confiſcations qui peuvent avoir eu lieu.-Al'égard
deM. Laurens , nous devons vous faire ſavoir qu'il a
été élargi & rendu libre de tout engagement ſans
conditionquelconque , après quoi il a déclaré, de ſon
propre mouvement , qu'il regardoit le Lord Cornwallis
comme dégagé de ſa parole. Sur ce point
nous déſirons connoître les ſentiments de V. E. ou
du Congrès. -Nous apprenons encore , qu'on a
préparé en Angleterre des tranſports pour conduire
dans ce pays- ci tous les priſonniers Américains & les
y échanger , nous avons ordre de preffer cet échange
autant qu'il eſt en notre pouvoir ; l'humanité nousy a.6
( 12 )
engage , & d'ailleurs le bien-être & les droits des
individus y font intéreſſés . Comme tous les échanges
d'hommes du même état ſont épuisés , il a été
déja proposé d'échanger immédiatement homme
pour homme , l'un contre l'autre , ſous condition
que nos matelots auroient la liberté de ſervir du mo
ment qu'ils feroient échangés , & que les ſoldats
que nous échangerions ſercient une année ſans pouvoir
fervir dans les treize Provinces ou contre elles ;
& c'eſt une condition dont nous voudrions bien ne
point nous départir.
On ignore encore la réponſe que le Général
Américain a faite à cette lettre ; il
l'a ſans doute envoyée au Congrès ; il ne
s'ouvre jamais ſur les objets qui ne ſont
pas de fon département. On en voit un exemple
dans la lettre qu'il écrivit à l'Amiral
Digby & qui est conçue ainſi :
J'apprends par MM. Aborn & Bown queV. E.
leur a permis de venir me faire des repréſentations
fur l'é ar malheureux des Matelets & autres gens
de mer Américains qui font actuellement prifonnier
à New York . Comme les affaires maritimes
ne font pas demon reflot, ce n'eſt point à moi qu'on
s'adreſſe pour cet objet ; mais la curiofité m'ayant
porté à prendre des informations ſur la nature &
la caufe de l'état de détreſſe où font ces malheureux
, jai ſu que le rincipal motifde leurs plaintes
est d'être en allés en grand nombre , furtout
dans cette faiſon , à bord des bâtimens fales & in
fect qui leor fervent de prifon & où la maladie
&la mort fort preſque inévirables. Je (ui perfuadé
qu'il fuffit de rapporter de fa't a V. E. pour
obret ir en leur faveur le foulagement que vou
feol pouvez leur procurer & que t'humanité folli
cite avec tant d'inſtances . Si les évènemens de la
( 13 )
:
guerre ont mis entre vos mains ces malheureux;
je ſuis perfuadé que la ſenſibilité de V. E. vous
engagera ( en ſuppoſant qu'ils doivent être néceffai
ementmis àbord des vaiſſeaux) à proportionner
dumoins le nombre de ces bâtimens à celui des prifonniers,
& à neles point laitſer amoncelés comme ils
le fout, circonstanced'cu proviennent des maladies qui
font périr journellement fix de ces infortunes.
Si dans cette ſaiſon les foldats de S. M. B. pri
fonniers parmi nous étoient pareillement entaffés
dans des priſons trop étroites ( comme cela pour
roit être) i's feroient expoſés à la même mortalité
& aux mêmes miferes.
Ma ſenſibilité , répondit l'Amiral Anglois , m'a
porté à accorder à MM. Aborn & Bown la permillion
de ſe rendre auprès de V. E. pour vous faire
des repréſentations fur la fituation malheureuſe des
priſonniers Américains qui font entre mes mains.
Si les ſentimens de V. E. en cette occafion font conformes
aux miens vous n'hésiterez point un inf
tant à adoucir le ſort des prifonniers tantAnglois
qu'Américains.
En attendant l'effet de la nouvelle négociation
qu'on eſpère d'entamer , le théâtre
dela guerre fermé aux Antilles par la faifon ,
va ſe rouvrir ſur le continent. New-Yorck
eſt maintenant le point qui paroît menacé,
&qui par conféquent fixe notre attention.
Le Général Carleton s'eſt mis en campagne
avec toutes les troupes réglées qu'il a pu
raffembler , & a formé un camp à Kingsbridge
dans les environs du fort Washington.
S'il faut en croire quelques lettres , il
n'a pris ce parti que fue les informations
qu'il a reçues des mouvemens du General
( 14 )
Américain , qui après avoir fait un tour à
Albany & dans la partie ſeptentrionale de
l'Etat de New-Yorck , revenoit ſur ſes pas
& s'approchoit des plaines blanches. On
favoit auſſi que l'armée Françoiſe aux ordres
du Comte de Rochambeau , s'avançoit
à grandes journées pour faire ſa jonction
avec celle du Congrès.
Ces mouvemens ne permettoient pas à
Sir Guy Carleton de reſter dans New-Yorck ;
mais en fortant pour attendre l'ennemi , retarder
ſa marche & ſaiſir les circonstances
qui pourront ſe préſenter pour déconcerter
ſes meſures , il avoit beſoin de toutes ſes
forces , & il a fallu qu'il dégarnît abſolument
la place de toutes les troupes réglées
qui s'y trouvoient. Il a été obligé d'en
confier la garde aux habitans , & les plus
riches , les vieillards même ne ſont pas dif
penfés du ſervice militaire. On a remarqué
avec peine que la plupart ne rempliffoient
pas ce devoir avec le zèle & l'exactitude
qu'un véritable attachement à la cauſe
royale devroit inſpirer. Le Gouverneur
James Robertſon , qui commande dans la
ville de New-Yorck , a jugé à propos de
publier la proclamation ſuivante.
>> Le Commandant en chef ayant montré la
grande confiance qu'il mer dans les Citoyens de
New-Yorck , en ſe repoſant pour la défenſe des
intérêts de S. M. , ſur leur zèle , leur fidélité &
leur bravoure , je me perfuade que chacun d'eux
réclamera avec ardeur ſon droit à une portion de
ſervice militaire : afin que perſonne n'en ſoit pri
( 15 )
vé ,& que ceux que le zèle porteroit à ſe montrer
toutes les fois qu'on auroit beſoin d'eux , n'y
foient pas appellés trop fréquemment , je juge à
propos de déclarer , que toutes perfonnes font tenues
de remplir le ſervice militaire , excepté les
Miniſtres du ſaint Evangile, les Conſeillers & principaux
Employés de S. M. , dont les occupations
dans les affaires religieuſes & civiles , les empêchent
néceſſairement de remplir ce ſervice. Toutes
les perſonnes à qui l'âge ou les infirmités ne permettent
point d'agir , pourront s'acquitter du ſervice
en ſe faiſant remplacer , pourvu que ceux
qu'ils offriront à leur place foient jugés acceptables
par le Colonel du Régiment ou par l'Officier
Commandant du Corps auquel ils appartiennent. Si
quelques-uns de ceux qui ont des profeffions ſavantes
ſe trouvent fi utilement employés qu'ils ſe
déterminent par-là à éviter l'honneur de paroître
en perfonne , on les laiſſe juges de l'importance
de leurs fonctions & ils peuvent faire leur ſervice
pardes ſubſtitués en état de le remplir. Comme
perſonne ne mérite protection dans une place à la
défenſe de laquelle il refuſe de contribuer , tout
Citoyen qui refuſera de paroître lorſqu'il ſera appellé
à ſon devoir de Milicien , ſera emprisonné
à la grande-garde par ordre du Colonel ou de
l'Officier Commandant du Corps auquel il ſera
attaché , & il y ſera gardé juſqu'à des ordres ultérieurs
. A New-Yorck , le 22 Juin 1782 .
Cette proclamation n'annonce pas des
diſpoſitions fort loyales de la part des
réfugiés de New- Yorck ; on fait que le
fentiment & le zèle ne ſe commandent
pas ; & il n'y a pas grand fond à faire fur
le ſervice de gens qui ne prennent les
armes qu'avec répugnance , & que la violence
ſeule dérermine à paroître ſous les
( 16 )
1
drapeaux. On ne juge pas en conféquence
la place dans le meilleur état de défenſe
poſſible. Elle n'en peut avoir de bonne que
dans les troupes réglées , mais elles ne peuvent
y revenir que dans le cas où elles y
feront repouffées par un ennemiſupérieur;
fi cette ſupériorité eſt auffi grande qu'on a
lieu de le préſumer , & fi on ne parvient
pas à obtenir une ſuſpenſion d'hoftilités , il
eſt à craindre quelles ne tiennent pas long
tems dans les murs.
Divers avis arrivés ſucceſſivement ne
laiffent pas douter que le Marquis de Vaudrenil
n'ait paru ſur les côtes de Virginie
à la fin du mois de Juillet ; ils ajoutent
qu'ils les a quitées , & que vraiſemblablement
il a dirigé fa marche vers Rhode-Ifland.
Nous ignorons les forces qu'il a avec lui ;
& comme il est très-poſſible que les Eſpagnols
lui aient donné quelques vaiffeaux ,
on craint que l'Amiral Pigot qu'on faitn'être
parti de la Jamaïque que dans le courant
d'Août & qu'on ne dit point encore avoir
été apperçu vers le Continent, ne lui foit
trop inférieur pour pouvoir s'oppofer à
ce qu'il peut entreprendre. C'eſt à peu près
des efforts qu'il fera en état de faire fur mer
que paroît dépendre à préfent le fort de
New-Yorck. Si certe place fuccombe & fe
rend à l'ennemi , nous pouvons nous regarder
comme chaffés du Continent de
l'Amérique , & à quoi aboutiront toutes les
( 17 )
façons que nous avons faites pour en reconnoître
l'indépendance ?
>>>Les auteurs de la nouvelle de la défection des
Américains , dit un de nos papiers , peuvent avoir du
zele , mais ils ſuppoſent à la Nation une foi bien
robuſte ; ils viennent de la mettre encore à une affez
fingulière épreuve. Ils débitent aujourd'hui qu'un
croiſeur Anglois , qu'ils ne nomment pointàlavérité,
arrive de la mer du Sud avec deux Chefs Indiens
chargés d'offrir au Roi de la Grande-Bretagne la fouveraineté
de pluſieurs Provinces Eſpagnoles de l'Amérique
méridionale. Le préſent eſt aſſurément trop
beau pour être refuſé ; mais il paroît que cette
d mination dans le Midi , ne nous dédommagera pas
de celle que nous perdons dans le Nord. Cependant
ils ajoutent qu'on prépare actuellement en toute
diligence , une eſcadre avec 4000 hommes de troupes
de debarquement aux ordres du Capitaine Macbride
qui ne fera pas difficulté d'aller prendre poffeffionde
ces régions lointaines au nom du Roi. Ainfi ,
au moment où nous craignons d'être chaffés de ce
vaſte Continent , nous ferions à la veille de nous
rendre maîtres des deux Amériques a.
Cette eſcadre à équiper offriroit au moins
de l'embarras dans les circonstances préfentes
: il n'est pas queſtion de fonger à
faire des conquêtes au moment où nous
avons à nous occuper de la conſervation
de nos poffeffions , & des moyens de recouvrer
celles que nous avons perdues.
On fait que , malgré tous nos efforts , nous
avons été obligés de réduire à 34 vailleaux
l'eſcadre qu'on a donné à l'Amiral Howe
pour en aller combattre au moins so , &
effayer de ſauver Gibraltar. On est trèsperfuadé
ici que ce n'eſt pas cette eſcadre qui
1
(18)
garantira cette place ſi nous la conſervons
nous comptons davantage ſur les circonf
tances & la fortune qui peuvent favorifer
les difpofitions du Général Elliot.
On n'a point de nouvelles de la flotte
de l'Amiral Howe depuis celles qui arrivè
rent le 15 au foir; elle ne forme pas moins
de 300 voiles en comptant tous les convois .
Ils font au nombre de 4 , le premier con
ſiſte en un grand nombre de bâtimens vivriers,
munitionnaires & tranſports pour
Gibraltar ; le ſecond eſt pour les Indes
orientales ; le troiſième pour les Indes occidentales
, & le dernier pour Opporto.
Le Comte d'Effingham s'eſt embarqué, en
qualité de volontaire , ſur celui de Gibraltar.
Ce convoi doit être conduit dans la
baie par le Buffalo & le Panthère. On
donnera à celui des Antilles une frégate
pour l'eſcorter ; & l'Amiral Howe avec toutes
ſes forces ſe préſentera devant Cadix
pour y retenir les Eſpagnols à ſuppoſer qu'ils
y ſoient , où il les ira chercher s'ils n'y font
plus , comme cela est vraiſemblable. On ne
peut trop calculer le tems qu'il mettra à
ſe rendre à ſa deſtination.Des convois aufli
nombreux ne peuvent marcher qu'avec lenteur
, & on préſume qu'au lieu de 15 jours ,
il lui faudra au moins plus de 3 ſemaines
pour arriver au Détroit ; ce n'eſt donc que
vers le commencement du mois prochain
que pourront ſe frapper les grands coups.
Encore faut- il pour cela qu'il n'éprouve au(
19 )
cun obſtacle ſur ſa route de la part de la
mer & des vents. Les nouvelles qu'il a données
de ſa flotte ſont du 13. Alors tout étoit
enbon état ; mais depuis ce tems on a eſluyé
des tempêtes affreuſes ; le 17 , le 18 & le 19
ont été des jours très- orageux ; & on appréhende
qu'il n'en ait éprouvé les funeſtes
effers. Les détails ſuivants , extraits de différentes
lettresde nos ports , ajoutent à ces inquiétudes.
De Portsmouth , le 28. Il vient d'arriver de 20
lieues à l'ouest de Scilly , un vaiſſeau deſtiné pour
les Indes Occidentales , démâté ; il faiſoit partie du
convoi du Lord Howe, dont il a été ſéparé le 1 s dans
la matinée: les gens qu'il a à bord diſent que pendant
toute la journéedu 14 on a efſuyé des grains violens;
mais que le lendemain le Lord Howe avoit aſſemblé
ſa flotte& avoit continué ſa route avec un vent affez
favorable au N. Ο. - Le 19 , le Lord Holland ,
ci-devant vieux vaiſſeau de la Compagniedes Indes,
aujourd'hui tranſport au ſervice de l'artillerie , vient
d'arriver ; il a été ſéparé de la flotte du Lord Howe
le 16 au matin ; le coup de vent du 14 lui avoit enlevé
ſes 3 mâts de hune. Quand il a quitté la flotte,
elle étoit à 3 lieues oueſt des Sorlingues , allant vent
largue, bon vent , le tout bien raſſemblé. La cargaifon
du Lord Holland étoit précieuſe en artillerie ,
&on ſentira ſa perte c.
ככDePlymouth, le 20. Le Trowbridge , deſtiné
pour la Jamaïque , arrive ici en détreſſe ; il avoit fait
voile de Portsmouth avec le Lord Howe , dont il a
été ſéparé le 1s , ayant reçu de grands dommages
dans un gros coup de vent , dont la flotte avoit été
accueillielaveille.On craint beaucoup que les grains,
les bouraſques , qui ſe ſont ſuccédés depuis le départ
de l'Amiral , aient diſperſé ſon eſcadre & ſa flotte .
1
( 20 )
On craint beaucoup d'apprendre inceffamment
cette fâcheuſe nouvelle ; on s'empreſſe
de nous calmer en aſſurant qu'on a
reçu des lettres de Gibraltar qui annoncent
que leGénéral Elliot déclare que fans ſecours
il peut tenir encore fix mois. Cela nous
donneroit ſans doute de la marge ; mais on
craint que ces bruits n'aient été répandus
que pour nous raffurer contre les délais
que peut éprouver l'Amiral Howe. Nos
inquiétudes ne ſont pas toutes pour lui ;
la flotte de la Jamaïque qui doit être près
de nos côtes , les partage.
>> Le 7 de ce mois , écrit- on de Cork , eſt arrivé
Kinſale le Montagu , de 74 canons , Capitaine
Browne ; la Flora , de 36 , & le cutrer l'Alert.
L'Amiral Rodney étoit à bord du Montagu qui l'a
ramené en Europe. Il a mis à la voile le 26 Juillet &
prit le paſſage du vent de conſerve avec l'Amiral
Pigot, dont il ſe ſépara quelques jours après ; le premier
de ce mois , ſe trouvant par le degré 40 de lat.
30 de lorg. il s'eſt ſéparé par ſignal de la Réſolution
, de 74 , & de l'Antelope , de so. On dit que ces
vaiffeaux ont ordre de croiſer , pour rencontrer la
fitte deſtinée pour la G. B , qui a fait voile de Port
Royal le 25 Juillet , ſous le convoi des vaiſſeaux
fuivans , la Ville de Paris , 104 , le Ramilies
'Hector , le Glorieux,le Canada , le Centaure , de
74; l'Ardent , le Jafon ,le Caton , de 64; la Pallas,
de 36 , l'Aimable , de 22. L'Amiral Graves revient
avec le convoi « .
On a eu lieu de craindre pour celui qui
étoit parti des ifles ſous l'eſcorte du James
de 44 , du Triton & de la Surprise ; il eſt hew
reuſement arrivé en partie à Spithéad.
t
( 21 )
étoit de so voile à fon départ ; mais à la
hauteur de Teire Neuve , il fut ſéparé par
un coup de vent .
On est maintenant raſſuré ſur celui de
la Baltique pour lequel on craignoit à la
fois les vents & les Hollandois ; les uns &
les autres l'ont reſpecté. Un Exprès arrivé
deHull a apporté avis à l'Amirauté qu'un
cutter arrivé dans le port,avoit laiffé le 19
la flotte de la Baltique à la hauteur du Promontoire
de Flamborough. Si les Hollandois
ſont ſortis , on eſt étonné qu'ils n'aient
pas rencontré cette flotte ; s'ils ne le font
pas , on l'eſt qu'ils n'aient pas fait de mouvemens
pour l'intercepter ; elle n'avoit d'autre
eſcorte que le Roebuck de 44 canons ,
la Minerve & l'Iphigénie de 32 , & 2 cutters.
A préſent on s'inquière fort peu de
Peſcadre Hollandoiſe ; nous n'avons à craindre
que fur nos côtes , & les deſcentes ne
ſont pas aifées; il faudroit des troupes de
terre pour cela ; on ne croit pas que les
Hollandois en embarquent. :
>>>Le 17 , écriton de Margate, le vent étant excellent,
nous vîmes paffer le soir à notre hauteur ,
18 navires eſcortés parun vaiſſeau de guerre ; nous
les croyons être des tranſports venant de New-Yorck
& fai ant voile pour le nord. Nous ne les avions
pas encore perdas de vue qu'ils furent accueillis
de la plus terrible tempête qu'on ſe ſouvienne
avoir jamais vue dans ces parages. Ils furent
obligés de jetter Tancre à la diſtance d'environ
3 redes au nord de cette place. L'ouragan fur fi
violent que la plupart des habitans épouvantés quit
( 22 )
tèrent leurs lits , croyant que leurs maiſons alloient
écrouler ; il y en a en effet eu pluſieurs d'endommagées.
A peine étions-nous revenus de cette premiere
frayeur , que le 19 le feu nous en a inſpiré
une nouvelle. Il a pris à des écuries , & à cauſe
de la rareté de l'eau il a fait des progrès ſi rapides
que nous avons vu le moment où Margate ne ſeroit
plus qu'un monceau de cendres. A force detravail
& d'activité on l'a reſſerré dans une modique
enceinte; ce qu'on regrette plus que les bâtimens , de
peu de valeur , en effet , ce ſont les beaux chevaux
de courſe &de chaſſe qui ſe trouvoient dans 24
écuries qui ont brûlé. Ceux des voitures étoient heureuſement
attelés & en courſe ou devant les por.
tas , ce qui en a ſauvé beaucoup ainſi que les voitures.
On a tiré des flammes &ſauvé une vingtaine
de beaux chevaux. Les Maîtres de ceux qui ont péri
font dans la déſolation , chacun ne parle & ne s'entretient
que de la perte de ſon cheval favori. Un
pauvre homme qui a été brûlé n'a pas fait tant de
ſenſation : cela eſt fâcheux a-t-on dit; mais les larmes
coulent pour les courſiers . On attribue cet acci
dent à l'imprudence d'un cocher , qui ayant beſoin
de quelque choſe étoit ſorti de l'écurie en y laiſſant
ſa chandelle «.
On trouve dans les papiers Américains
une pièce importante & que nous nous
empreffons de tranſcrire , c'eſt une lettre
circulaire de M. Robert Morris , chargé du
département des Finances des Etat-Unis ,
dans laquelle il rend ainſi compte de l'état
des Financesdes Etats. Elle eſt du 15 Octobre
1781 .
>> Je m'adreſſe à vous pour une affaire de la
plus grande importance. Je vais entrer dans le détail
de quelques faits qui exigent la plus ſérieuſe attention
de toute Législation & de tout Officier public
( 23 )
2
des Erats-Unis. Je ſuis dans la réſolution de gérer
les affaires confiées à mes foins , d'après un ſyſtême
fondé ſur la ſincérité & ſur la bonne foi . Perſuadé
de la folie de nos ennemis , lorſqu'ils ſuppoſent
que dans les Etats-Unis il le trouve beaucoup de
gens qui s'oppoſent à la révolution ,je crois que
pour écarter la plupart de nos difficultés , le premier
pas à faire eſt de les expoſer dans tout leur
jour à la Nation par le canal de ſes repréſentans.
Ainſi il eſt de mon devoir de mettre ſous les yeux
du Public tout ce qui ſe paſſe , de manière que
le plus petit individu ſoit informé, en tems & lieu ,
des affaires qui l'intéreſſent comme Citoyen libre,
Les divers bruits qui ont couru , les proclamations
dedifférentes Gazettes , & même les lettres de ceux
qui doivent être le mieux inſtruits , tout enfin a
contribué à nous confirmer dans l'opinion que toutes
les Puiſſances de l'Europe nous font favorables
qu'on nous a déja avancé de grandes ſommes d'argent,
& qu'on peut en obtenir encore de plus confidérables
. Quelle que puiffe être l'iſſue de mon
adminiſtration , je veux me mettre à l'abri de tout
reproche de fauſſeté ou de diſſimulation ; c'eſt pourquoi
je profite du premier moment où je puis don
ner communication de lumières qui faſſent connoître
pleinement la véritable poſition où nous nous
trouvons. Mon deſſein n'eſt point d'entrer à préſent
dans le détail des affaires de l'Europe ; cen'eſt
pas là mon objet , & je ne ſuis pas aſſez inſtruit
pour remplir dignement cette tâche , j'obſerverai
ſeulement que nous avons trop compte fur les Puifſances
Européennes , quoique nos amies. J'en apporte
pour preuve , qu'à l'exception de la France ,
aucune de ces Puiſſances n'a reconnu l'indépendance
, quoique notre alliance avec cette reſpectable
Monarchie ſubſiſte depuis 4 ans. La France eſt
cependant la première Monarchie du monde. Elle
eſt étroitement liée avec l'Eſpagne, Depuis long.
( 24)
tems l'Eſpagne fait la guerre , & long-tems avane
qu'elle s'y fut engagée , elle a été follicitée de for
mer une union ſur la baſe du traité avec la France.
La neutralité armée qui a donné de ſi brillantes efpérances
à tant de monde, n'a pas encore produit
le bien qu'on en artendoit. Je ne procéderai point
d'après des conjectures , & il eſt inutile de m'arrêter
fur notre Etat politique à l'égard des Puiffances
étrangères; mais comme nous devons peu
en attendre , je crois qu'il n'y a pas un feul Améri
cain qui deſirât contracter une alliance avec aucun
Etat de la terre avant de bien connoître notre
importance , ſans quoi il lui feroit impoffible de
traiter for des principes d'égalité. L'opinion publique,
qurant à la conduite des autres Princes &
Etats , nous a fait un tort infini, en ce qu'elle a
donné du relâche à nos efforts. Mais l'opinion ,
quant aux fecours pécuniaires , nous a été encore
bien plus préjudiciable. Les Américains ſe ſont
flattés d'une idée tout-à-fait chimérique. Ils ſe ſont
imaginés que le Congrès n'avoit autre choſe à faire
qu'à envoyer au dehors un Miniftre, & qu'auffi -tôt
il obtiendroit tout autant d'argent qu'il en demanderoit
, que dès qu'il auroit ouvert un emprunt , on
accourroit en foule pour ſe diſputer l'honneur d'y
ſouſcrire; mais un moment de réflexion auroit convaincu
tout homme raiſonnable , que fans l'eſpérance
bien fondée d'un remboursement , perfonne
ne vent ſe dépouiller de ſa propriété. Les efforts
que nous avons faits pour emprunter dans ce paysci,
ont- ils eu affez de ſuccès pour nous faire ef.
pérer de pouvoir emprunter au-dehors ? Devontnous
ſuppoſer que les étrangers s'iuré éfferont plus
que nos propres Citoyens à notre proſpétité qu
ànotre sûreté ? Pouvons-nous croire que nous au
rons du crédit au dehors , avant que nous ayans
chez nous des fonds folidement établis ? Enfin
a-t-il licu de préſumer que les défordres infepa
parables
( 25)
rables d'une grande révolution , ſoient confidérés
comme une meilleure ſource de caution &de confiance
, que la diſcipline & la folidité des anciens
établiſſemens .-Le Congrès , conformément aux
voeux publics , a nommé des Miniſtres pour folliciter
de l'argent & ouvrir des emprunts. Ils ont
:échoué en Hollande , & n'ont prefque rien fait-en
Eſpagne. On attendoit des emprunts de la part
de quelques particuliers Hollandois , mais nous
n'avons point réuſſi de ce côté- là , & probablement
nous n'en obtiendrons rien . Nous n'efpérions
rien en Eſpagne que du Roi , & nos follicitationsauprès
de S. M. C. n'ent pas eu grand ſuccès.
- La fituation malheureuſe de nos affaires a forcé
le Congrès de tirer des lettres de change ſur ſes
Miniſtres. Il y en a eu de tirées ſur la France , fur
L'Eſpagne & fur la Hollande : celles ſur la France
ont été payées , celles ſur l'Eſpagne ont été acceptées
; mais finalement il a fallu avoir recours à la
Cour de France pour les acquitter ; elles furent tirées
à longue vue ; les ventes furent tardives; on
accorda du tems , & toutes les facilités poſſibles
furentdonnées , mais en vain, au Miniſtre des Etats-
Unis pour trouver l'argent néceſſaire pour payer.
Le renvoi continuel de ces lettres de change à la
Cour de France pour en obtenir le paiement , nous
a été extrêmement préjudiciable , en ce qu'il nous
a fait anticiper ſur les fecours que la France étoit
diſpoſée à nous fournir , & en même - tems il a
juſtement alarmé & fingulièrement embarraffé le
Miniſtère François.-Voilà ce qu'il eſt néceſſaire
que vous ſachiez , afin que vous puiſſiez , vous &
votre Légiflation , en tirer les conféquences qui ſe
préſentent naturellement. Vous verrez combien nous
nous ſommes fait de préjudice en différant d'employer
les reffources de notre pays , & en comptant
far un eſpoir chimérique plutôt que fur les fondemens
Colides d'un revenu. Je ſuis für que vous re-
5 Octobre 17820 b
( 26 )
connoîtrez évidemment que toutes nos eſpérances,
toites nos attentes ſont bornées à ce que la France
peut nous donner ou nous prêter ; mais fur ce point
comme ſur tous les autres , Pilluſion tient lieu de
la réalité. Notre imagination enfante les plus beaux
projets , & il n'y a que la détreſſe nationale qui
puiſſe nous faire voir l'excès de notre folie . Pour
mieux vous mettre en état de connoître les fecours
que la France nous a donnés , je joints ici un compte
tiré d'un état envoyé dernièrement au Congrès par
le Miniſtre Plénipotentiaire de S. M. T. C.- Vous
obſerverez que S. M. a accordé aux Etats Unis un
ſubſide de 6,000,000 livres pour l'année courante ,
ſur la repréſentation qui lui a été faite de notre détreffe
: elle a bien voulu être caution de l'emprunt
que nous avons ouvert pour notre compte avec la
Hollande; & lorſqu'on a vu qu'il y avoit peu de
probabilité d'avoir ici quelque argent pour faire
honneur à cet emprunt, S. M. a permis que la ſomme
àemprunter nous feroit avancéede fonTréſor Royal
à la première demande. Ainſi le don & l'emprunt
montent enſemble à ſeize millions de livres , qui ,
dans ce pays - ci , ſeroit une ſomme de 2,962,962
dollars , quoique ſur le pied de l'eſtimation des dollars
en France , elle vaudroit 3,047,619 piastres ;
mais , au plus haut prix du change, cette ſomme,
fi on la tiroit, ne monteroit pas plus qu'à 2,560,000
dollars . J'entre dans ces détails relativement à cette
fomme , parce que la différence dans le cours des
eſpèces tend très- ſouvent à tromper ceux qui n'ont
pas une connoiſſance familière de leur valeur réelle.
Le compte ci-joint eſt en livres , & les deux pre
miers articles contiennent la totalité de l'octroi &
de l'emprunt montant à 16,000,000 livres , le rel
tant contient les déductions à faire. Les deux premiers
articles de ce reſtant , montant à 2,300,000
livres , font pour le payement des lettres de change
pirés en France , en Eſpagne & en Hollande , dont
1
( 27 )
j'ai déjà parlé, le produit de leur rente a étéapa
pliqué au ſervice public , longtems avant que j'entraffe
enplace. L'article ſuivant montant à 2,000,000
de livres , eſt deſtiné , au payement des intérêts des
billets dont aucune partie ne peut être appliquée à
d'autres objets. Je ne dirai rien ici du quatrième
article , parce qu'il eſt ſuffisamment connu du Public
, dont les entretiens n'ont roulé pendant longtems
que fur ce ſujet. Les cinquième & fixième
articles avoient pour objet les munitions chargées
à bord de quatre tranſports , par ordre du Colonel
Lautens . Trois de ces bâtimens ſont arrivés à
bon port , l'autre eſt revenu en mauvais état. Le
ſeptième article a été occaſionné par la perte du
précieux vaiſſeau appellé le Marquis de la Fayette ,
qui contenoit un grand nombre de munitions , dont
le remplacement eſt indiſpenſable pour mettre l'armée
en état de pourſuivre ſes opérations , & ill
montera à cette ſomme. Le dernier article contient
le montant de l'argent déposé pour faire face aux
traites que j'ai faites de tems en tems , & le produit
eſt deſtiné au ſervice de l'année courante.
tout il reſte une balance de 3,016,499 livres. Cette
ſomme jointe à celle apportée par le Colonel Laurens
, peut être conſidérée comme formant la valeur
d'environ 1,000,000 de dollars au plus , car elle
n'excéderoit celle- ci que de 21,574 dollars , fi elle
étoit actuellement dans ce Pays. - Vous voyez
ainſi le montant de ces ſecours pécuniaires dont
tout le Public avoit conçu de ſi grandes eſpérances
, il ſe borne à un million de dollars. Mais
d'après les meilleurs états que j'ai pu me procurer ,
la guerre actuelle a coûté juſqu'a préſent environ
20,000,000 par an. Je compte , à la vérité, que les
dépenſes ſeront par la ſuite prodigieuſement diminuées.
Mais il faut ſe reſſouvenir que l'économie
la plus ſévère a ſes bornes , & qu'elle ne peut
exiſter ſi l'on ne remplit fidèlement les engagemens
En
b2
( 28 )
1
-
qu'il eſt indiſpenſable de prendre avant de faire le
premier pas vers cette économie ſi vantée & finécetlaire.
Auffitôt que les états de dépenſe pour la
prochaine année pourront être dreflés , on établira
les demandes en conféquence , & je ferai publier
auſſitôt les avis pour les marchés , comme le moyen
le plus efficace de ménager nos reſſources. Je crois
enfin qu'il eſt de mon devoir d'obſerver que j'ai
envoyé aujourd'hui au Congrès une note de mes
principaux engagemens , montant à plus de 200,000
dollars , & que je ne ceſſe d'être tourmenté de tous
les côtés pour le payement de cet argent.
L'affaire des ſubſfides étrangers & de nos eſpéranrances
ici , eſt un ſujet fi deſagréable à traiter , que
je ne demanderois pas mieux que d'en fortir ; mais
il est néceſſaire que les Etats ſachent tout , & je
ne remplirois pas les vûes du Congrès , fije n'ajoutois
que la Cour de France met les ſecours
qu'elle nous donne , au nombre des efforts extraordinaires
qu'il lui eſt impoffible de répéter. La déclaration
qu'on ne peut plus nous donner de ſecours
pécuniaires ,a été énoncée dans les termes les plus
clairs & les plus poſitifs , & quoique notre Miniltre
à la Cour de Verſailles puiffe faire de nouvelles
instances à ce ſujet , & qu'il y ait même tout
lieu de croire qu'il les fera; cependant nul homme
prudent n'attendra aucun effet de ces démarches
après des aſſurances & poſitives du contraire , &
far tout s'il réfléchit que cette Cour peut répondre
en deux mots à chaque follicitation , en demandant
ce que nous avons fait pour nous-mêmes. Il eſt
certain , & je ſuis forcé d'en convenir , que tant
que nous ne nous aiderons point nous-mêmes , nous
ne devons point attendre des fecours d'autrui,
Il reſte encore en arrière un objet très-intéreſſant,
& tôt ou tard il faudra bien s'en occuper. Il eſt
donc de la prudence de l'examiner dès-à-préſent
&d'y pourvoir à tems. La négligence à fonder la
( 29 )
dette nationale , a introduit la pratique de délivrer
des certificats d'office de prêt pour l'intérêt du ſur
d'autres certificats d'office de prét. C'eſt une mé.
thode que j'ai abſolument défendue , & à laquelle
je ne prêterai jamais les mains. Une telle accumulation
de dettes , en même tems qu'elle met la
Nation dans la détreſſe , & qu'elle ruine ſon crédit ,
n'eſt d'aucun ſecours pour le malheureux individu
qui eſt créancier de la Nation. En effet , fi on ne
pourvoit pas aux revenus , l'augmentation des certificats
ne ſervira qu'à diminuer leur valeur. Une
telle fraude imprimeroit fur notre caractère national
une tache indélébile qui nous attireroit les
reproches & le mépris de tout l'Univers . Il eſt
tems de nous laver de l'infamie à laquelle nous
avons déjà été expoſés , & de rétablir le crédit
national : mais cette réhabilitation ne peut s'opérer
que par un revenu ſolide. Voilà pourquei dédaignant
ces petits & timides artifices par leſquels ,
en reculant le moment critique , on ne fait qu'accroître
le danger & rendre la ruine inévitable , je
leur préfère la déclaration ouverte & publique des
reffources qu'on doit attendre & d'où on doit les
attendre. En conféquence , je dis aux créanciers
publics que juſqu'à ce que les Etats ayent pourvu
aux revenus pour liquider le principal & les intérêts
de la dette nationale , il eſt impoſſible qu'ils
foient payés , & je dis aux Etats que les principes
les plus facrésdu contrat ſocial parmi les hommes ,
leur impoſe l'obligation de pourvoir à cette liquidation.
J'ai rempli la tâche que je m'étois propoſée
en écrivant cette lettre ; j'eſpère que le Congrès
ſera inceſſamment en état de tranſmettre ſes
réquifitions , & je ferai tous mes efforts pour qu'elles
foient auſſi modérées qu'il ſera poſſible. Mais je
prie instamment toute perſonne , tant publique que
particulière , d'examiner ſérieuſement combien il
eſt important de ſe conformer à ces réquiſitions ,
: b3
1301
ce ne font ni de brillans ſuccès à la guerre , ni
l'éclat des conquêtes , ni la pompe des trophées
qui doivent frapper un Miniſtre raiſonnable ; la
fupériorité des reſſources nationales eſt le plus sûr
garant des vrais ſuccès , & l'emploi actif & conftant
de cette ſupériorité de moyens ne peut manquer
à la longue d'arriver à ſon but. C'eſt pour
cette rai on que l'ennemi a mis tout ſon eſpoir
dans le dérangement de nos finances , & que d'un
autre côté , comme j'en ſuis bien informé , ce qu'il
redoute le plus , c'eſt de nous voir établir une banque
nationale , & paffer des marchés pour la fourniture
de nos armées; graces au Tout-Puiflant ,
nous ſommes dans une pofition où notre conduite
actuelle décidera de notre état futar. Il dépendde
nous d'être heureux ou malheureux. Si nous faiſons
aujourd'hui notre devoir , la guerre ſera bientôt
terminée ; finon elle peut durer encore pluſieurs
années , & alors il eſt au-deſſus de la prévoyance
humaine de dire quand elle finira. Intimement
perfuadé que l'ennemi ne pourra s'empêcher
de demander la paix , lorſque nous ferons
en état de pourſuivre vigoureuſement la guerre,
&que nous ferons dans cet état , auffi - tôt que
l'ordre ſera rétabli daus nos affaires , & que nous
aurons recouvré notre crédit ; également convaincu
que, pour remplir ces objets , il ne faut qu'un
ſyſtême convenable de taxation , je ne puis m'empêcher
de mettre dans l'expreſſion de mes ſentimens
fur cette matière , toute la chaleur avec
Haquelle ils fortent de mon ame. Je ſouhaite que
les faits que j'ai établis , ſoient examinés avec
toute l'attention qui eſt dûe à leur importance , &
qu'ils donnent lieu à des meſures qui tournent à
l'honneur & à l'intérêt de l'Amérique. «
>> A cette lettre ſont annexées les dépenſes par
ticulières & le rôle d'impofition des différens Etats ,
pour lever la ſomme de 8,000,000 de dollars ,
ou de 1,800,000 livres sterling.
( 31 )
FRANCE.
De PARIS , le 1er. Octobre.
Les nouvelles arrivées du camp devant
Gibraltar la ſemaine dernière , font du 14
Septembre ; c'eſt ainſi que les préfentent
quelques lettres particulières.
>>>Le 8 , les Anglois voyant les ouvrages de la
ligne approcher de leur perfection , firent un dernier
effort pour les détruire. Dès le point du jour ,
ilstitèrentà boulets rouges avec une vivacité extrême,
& le feu ſe ſoutint ſur le même ton juſqu'à la nuit.
Ils réuffirent à mettre le fen aux faſcines de l'épau
lement en sa endroits. Mais nous réuſſimes à l'éteindre
fur-le-champ preſque par tout. Il n'y eut que
la batterie de Mahon , la moins importante des rôtres
, qu'on fut obligé d'abandonner & de laiffer
brûler. L'ennemi tira plus de 600o coups ce jour- là .
Les François , dont c'étoit le tour de garder la ligne ,
ont montré la valeur & l'activité les plus brillantes ;
ils ont eu 25 hommes tués & 34 bleilés. Les Eſpagnols
ont eu dans la même journée 30 hommes
tués ou bleffés. On paſſa la nuit à réparer les dommages
& à démaſquer les batteries des nouveaux ouvrages
. Le , à 4 heuresdu matin, notre ligne ouvrit
fon feu. 130 pièces de canon & 54 mortiers tirèrent
à la fois ſur la place. Les Anglois ne répondirent
que très- foiblement. Le même jour un corfaire ennemi
de 6 canons & de 4 pierriers venant de Livourne
réuffit à s'introduire dans Gibraltar. Les Princes allèrent
encore le 9 à la ligne pour voir jouer les batreries
. Le 10, il ne ſe parla rien de remarquable .
Nos batteries continuèrent à tirer comme elles tireront
d'ici à la fin du ſiége , so boulets par canon
& 30 bombes par mortier toutes les 24 heures.
Le 11 , on alla brûler , à 9 heures du four, les
b
( 32 )
paliſſades de la porte de terre , à la barbe de la
garniſon qui fit un feu très -vif de mouſquererie
& de mitrailles ; il ne nous en a pas coûté un ſeul
homme. Il nous vint le ſoir un déſerteur. Il rapporta
que notre feu n'avoit pas fait grand dégât , que la
garniſon de manquoit ni de munitions de guerre , ni
deproviſions de bouche ; mais qu'elle étoit excédée de
travail. LeGénéral Elliot annonçoit l'arrivéede l'eſca
dreAngloiſe commetrès-prochaine. Le 12, l'efcadre
combinée forte de 27 vaiſſeaux Eſpagnols & de 12
François , a mouillé dans labaie d'Algéſiras ; elle a
elſſuyé des mauvais tems dans ſa route& s'eſt arrêtée
quelques jours fous Rota auprès de Cadix ; il n'y a que
Invincible &le Guerrier qui ſoient entrés dans ce
port, où l'on a déposé les malades. Nous avons
déja ici 2 vaiſſeaux de ligne François , 8 Eſpagnols,
&on en ſignale un neuvième qui vient de la Méditerrannée
ce qui fait so en tout.- Le 13 , à 7 heures
du matin , les 10 batteries flottantes ſont parties de
Puente-Mayorca , & font venues fur les 9 heures &
demie s'emboffer à 250 toiſes de la place , entre le
vieux & le nouveau môle malgré les batteries
ennemies. C'est la manoeuvre la plus audacieuſe
qu'on ait jamais fait à la mer. Depuis ce moment
on ne peut donner une idée du feu effroyable que
font les lignes, les prames & la montagne de Gibraltar.
-Le 14 , les belles apparences que préſentoient
hiernotre attaque ne ſe ſont pas foutenues. Les prames
étoient à l'abri de la bombe , mais non des boulets
rouges. Le plus grand nombre eſt en feu dans ce
moment, - Amidi , toutes les batteries flottantes
ont ſauté à l'heure qu'il eſt. L'eſcadre Angloiſe eſt
fignalée dans ce moment .
On voit par cette dernière phraſe que
ces détails exagérés ont été écrits dans le
premier moment , & avant qu'on fût bien
inftruit de ce qui s'étoit paffé dans la matinée
du 14. L'Auteur de cette lettre ne
( 33 )
pouvoit pas voir ce jour- là l'eſcadre Angloiſe
qui étoit à peine hors de la Manche
à cette époque. Le triſte ſort des batteries
flottantes avoit augmenté l'idée de la perte
qu'on a faire à cette occafion. Le Courier
du Cabinet d'Eſpagne arrivé le Mercredi
au foir , demi-heure après celui de Mgr. le
Comte d'Artois , a calmé les inquiétudes
cauſées par ce premier rapport ; celui-là
n'a quitté le camp que le 17. Par le relevé
que M. de Crillon envoie , il eſt conſtaté
que l'attaque du côté de la mer a coûté
beaucoup moins de monde qu'on ne l'avoit
dit d'abord , Nous recueillerons ici
quelques détails puiſés dans diverſes lettres
particulières de la même date.
>>>Les batteries flottantes avoient fait un ravage
affreux pendant les 10 ou 12 heures qu'elles ont
pu tirer ; on voyoit des pans de murailles tomber
en entier.. On ne s'attendoit pas que le Général.
Elliot pourroit tirer à boulets rouges de toutes les
batteries des môles & de la montagne. Il faut qu'il
eût diſpoſé une quantité incroyable de fourneaux
pour cet objet ; car les prames ont reçu plus de
4000 boulets rouges . Elles ont réſiſté quelque tems
graces à la grande quantité d'eau que les pompes
fourniffoient ; mais n'étant pas foutenues par aucun
vaiſſeau de ligne , ni par les chaloupes canonnières
qui auroient diviſé le feu de l'ennemi , ila bien fallu
quelles fuccombaſſent ; c'est la violence du vent
d'Oueſt qui a empêché les vaiſſeaux , les bombardes
&les chaloupes canonnières de prendre part à l'ar -
taque. -M. le Prince de Nafſau s'eſt couvert de
gloire. Son bâtiment prenant feu de toutes parts ,
il inftruifit M. de Crillon du danger qu'il couroit.
Avant que le Général eût demandé à D. Louis de.
/
bs
( 34 )
Cordova les chaloupessde l'armée combinée , &
avant qu'elles arrivaſlent , il s'écoula un tems confidérable.
M. de Nafſau fut donc obligé de jetter ſes
poudres à la mer pour ne pas faurer ; & il reſta
ainſi expoſé pendant 3 heures au feu de l'ennemi ſans
pouvoir y répondre , jusqu'à ce que les chaloupes
vînffent le délivrer. 7 batteries flottantes furent ainfi
brûlées par le feu de l'ennemi , 3 autres qui n'étoient
pas autant maltraitées , mais qui ne pouvoient être
remorquées à cauſe de la violence du vent furent
brûlées parleurs équipages au moment où ilsles abandonnèrent.
- Les batteries de terre ont eu un effet
prodigieux. Le 14 at ſoir elles tiroient encore; l'ennemi
ne répondoit que foiblement tant il avoit
fouffert. Il reſte à ſavoir ce que fera l'Amiral
Howe ; nous voilà une ſeconde fois dans la plus
grande attente ; le choc de deux armées ſemblables
ne peut manquer de décider da fort de Gibraltar ;
car malgré la perte des prames , il refte encore affez
de forces pour l'attaque du côté de la mer. Et ſi
le Général Elliot ne reçoit aucun ſecours en munitions
& en vivres il faudra bien qu'il fuccombe « .
-
On avoit fait courir le bruit que les
convois de l'iſle d'Aix avoient fouffert en
mer par le gros tems ; cela nous avoit
beaucoup furpris , parce qu'étant partis le
2, ils devoient être fort éloignés le 15
que le vent de S. O. commença ſes ravages.
Ce bruit en effet n'avoit aucun fondement.
On a appris par un Courier qu'a
reçu M. de Monthieu , qu'un de ſes navires
venant des Indes orientales , qui a relâché
à Vigo , a rencontré ces convois le 15 à 60
lieues au-delà du cap Finistère , naviguant
par un bon tems. On a lieu de croire que
l'eſcadre & les convois de l'Amiral Howe
( 35
~
n'ont pas fouffert des coups de vent du 17 ,
du 18 & du 19 , ils auront du moins été
retardés dans leur marche. Les côtes de
Normandie & celles de Bretagne ont vu
quelques navires naufragés par ces coups
de vent. Un navite d'Oftende venant de
Bordeaux , qui a mouillé le 21 au Havre ,
dépoſe avoir vu le 19 à 25 lieues de l'entrée
de la Manche un grand convoi diſperſé.
Si ce n'eſt pas celui de l'Amiral Howe , ce
fera la flotte attendue de la Jamaïque.
>>>La frégate du Roi la Gentille, commandée
par M. de Tremolin, écrit-on de l'Orient , mouilla
le 18 Septembre à Port-Louis. Elle étoit de l'armée
combinée qu'elle laiſſa à la fin du mois d'Août
fur Finistère , faifant route vers Cadix. Elle a depuis
croifé fur nos côtes , & s'eſt acquittée de la
commiffion dont elle étoit chargée. Le 19 , entrèrent
dans notre port 3 gros corſares Améri
cains, armés en guerre & en marchandises , partis
de Philadelphie le 20 Août. Ils ont fait 3 priſes
conſidérables dans leur traverſée; la plus riche qui
eſt entrée avec eux , eſt eſtimée 900,000 liv. Ils
croyent les deux autres fur nos attérages . Les trois
Capitaines dépoſent qu'à leur départ, le Congrès
avoit reçu avis que M. de Vaudreuil étoit devant
New- Yorck , & que les Anglois ne s'étoient pas
encore montrés dans ces parages. L'armée du Général
Washington & celle du Comte de Rochambeau
, s'avançoient pour refferrer la ville , tandis
que M. de Vaudreuil devoit la bloquer par mer ".
On lit dans différentes lettres de nos ports
les détails ſuivans de la croiſière de quelques
uns de nos corſaires , ceux de Dunkerque
continuent de ſe diftinguer.
Le corfaire la Comteffe d'Avaux , parti de
b6
( 36 )
Dunkerque le 3 Septembre , eſt entré le 17 à Cherbourg,
après une croſière ſur la côte d'Angleterre,
dans laquelle il s'eſt emparé de 56 bâtimens ennemis
; ſavoir le briq la Polly, de 150 tonneaux ,
allant de Pool à l'Amérique feptentrionale , chargé
de biscuits , d'habillemens & autres articles ; le
brigantin le Draper , de 120 tonneaux , allant de
Cordiff à Londres , chargé de 39 canons de différens
calibres & de 2 obufiers de 32 ; le brigantin
l'Unité de 100 tonneaux , allant fur fon left d'Exeter
à Milford ; l'Industrie de 60 tonneaux , allant
fur ſon leſt de Douvres à Milford , & le briq la
Diligence de 90 tonneaux , allant de Liverpool à
Plimouch , chargé de fel , charbon , fayance , &c.
Un autre corfaire de Dunkerque la Sophie , a
conduit à Calais un brigantin de Boſtoneſſ, d'environ
200 tonneaux , dont il s'eſt emparé à la
hasteur de Corke. Ce bâtiment employé au fervice
du Roi , alloit en Irlande; il ne ſe trouve à
- ſon bord qu'une centaine de lits deftinés à coucher
les gens de mer qui devoient être preſſés.-
Le corfaire le Petit-Commandant , du même port ,
s'eſt emparé le 4 de 2 bâtimens Anglois l'Anna-
Lisa & Anna - Sarah , qu'il a conduits le sà
Cherbourg. Ces bâtimens qui faisoient partie d'une
flotte entrée le même jour à Portsmouth , allcient
de Londres dans ce dernier port avec un chargement
de planches pour le ſervice de la Marine
royale Britannique.-La Comteſſe d'Affas , autre
corfaire du même port, s'eſt emparé d'un bâtiment
de 130 tonneaux , chargé de canons de différens
calibres & de 2 mortiers ; cette priſe eſt
entrée à Breſt le 13 Septembre «.
La Compagnie Royale de l'Arquebufe de
Paris qui a pour Colonel M. de Coffe ,
Duc de Briffac , Pair de France , Gouver-
1
( 37 )
neur de Paris , a pris les armes en ſon Hồ-
tel le 19 du mois dernier , & y a reçu au
drapeau M. Guyot de Chenifol , en qualité
de Lieutenant Colonel de cette Compagnie
, place vacantedepuis la démiſſion deM.
Camus de Pontcarré de Viarmes. M. Guyot
de Ville , oncle de M. Guyot de Chenifol ,
a poffédé cette place pendant 20 ans. Il y
avoit été reçu le 23 Août 1739 ; la Compagnie
ayant alors pour Chef Mgr. le Dauphin
, pere du Roi , pour Colonel M. de
Rohan , Prince de Montauban.
On lit dans l'Affiche de Sens la lettre
ſuivante qui intéreſſe les Cultivateurs , &
qu'on nous ſaura gré de tranfcrire.
On a indiqué en différens tems des moyens
d'empêcher la bruine des bleds , ſoit que ces
moyens aient paru trop difficiles dans l'exécution ,
ſoit qu'ils n'aient pas répondu à l'attente du cultivateur
cette maladie continue & a caufé cette
année un deficit très- conſidérable ſur la récolte
des fromens. Je vous prie d'inférer dans votre Journal
la méthode que j'emploie : elle est sûre , elle
eſt ſimple , & depuis 20 ans que je la mets en
pratique , je n'ai pas eu un ſeul épi de bruiné. Je
ne m'en donne pas pour l'inventeur , ce n'eft qu'après
biendes inſtances que je l'ai obtenue d'un ancien
laboureur de cette Ville , dont les bleds
avoient toujours été à l'abri de certe contagion .
-Pour 12 bichets de froment , peſant chacun
66 liv. mis en tas , en forme de pain de ſucre ,
mettez 12 pintes d'eau dans une chaudière , faites
fondre affez de chaux vive pour que l'eau devienne
un peu épaiſſe , mettez la chaudière ſur le feu , &
remuez l'eau. Lorſqu'elle ſera prête à bouillir , jettez-
y, en tournant la tête d'un autre côté , pour
( 38 )
deux liards d'alun de glace bien pilé , & un liard
d'arſenic par bichet , continuez à remuer , & lorfque
l'eau ſera prête à lever , portez la chaudière
vers le tas de bled : ayez auſſi un ſeau d'eau dans
un autre vale , arrofez votre bled avec l'eau de
chaux , & de tems à autre , fur- tout au commencement
, jettez de l'eau claite dans la chaudière
&nettoyez -la bien. Larſque le bled ſera bien mouillé,
changez-le de place 3 ou 4 fois le plus promptement
poflible , puis couvrez-le bien ; au bout de 3 ou 4
heures on peut commencer à s'en ſervir , il n'y a
aucun danger pour celui qui sème , néanmoins il eſt
bon qu'il s'obſerve , & qu'il ne porte ſes mains ni à
ſes yeux ni à ſa bouche.-J'engage MM. les Curés
à accorder leur attache à leurs Paroiffiens pour ſe
procurer l'arfenic , duſſent-ils eux-mêmes le fournir
&en faire faire l'emploi ſous leurs yeux ; il y va de
leur intérêt. J'ai l'honneur d'être , & c . Signé Cном-
BREAU DE CHANVALON , Juge , Garde-Marteau des
Eaux & Forêts du Comté de Joigny.
La lettre ſuivante qui nous a été adreſſée
eſt un hommage de la reconnoiſſance ; nous
nous empreffons de la tranfcrire.
M. permettez- moi de me fervir de la voie
d'un Journal aufli juſtement répandu que le vôtre ,
pour rendre public un avis qui ne fera pas indifférent
aux Chefs de famille. M. Havard , Maître
de Penſion depuis environ dix ans à St- Cloud ,
s'y eſt établi dans le lieu le plus falubre. Ses Elèves
joniffent tous d'une ſanté robuſte dont on doit
attribuer la caure à la pureté de l'air , à la bonté
des alimens , à la ſage diſtribution des travaux &
des amuſemens de l'enfance. Encouragé par les
premiers ſuccès , il a facrifié des ſommes confidérables
, tant à l'étab'iſſement de ſon ſéjour , qu'à
Faugmentation de propreté , d'aiſfance , d'agrémens
& d'inſtruction pour ſes Elèves. Il eſt admirablement
fecondé dans ces louables opérations par une
( 39 )
épouſe vertueuſe & très-éclairée qui ſert comme
de ſeconde mere à chacun de ces enfans. Le trait
ſuivant peindra leur caractère.- Un Militaireen
grade , homme d'une naiſſance ancienne & décorée ,
avoit dans cette penſion deux de ſes fils , l'aîné defquels
y étoit depuis environ trois ans . Satisfait des
progrès phyſiques & moraux de ces tendres rejettons
, il ne fongeoit nullement à les retirer avant
l'âge convenable pour les placer quelque patt. Toutà-
coup la chûte de diverſes eſpérances ou perſpectives
juſqu'alors très- apparentes , jointe aux fuites
funeſtes d'une perſécution particulière qui a commencé
preſqu'à la naiſſance de ce Gentilhomme
pour ne le quitter peut-être qu'au tombeau , l'a
contraint de reprendre ſes enfans , malgré ſa crainte
qu'une multitude d'occupations & de courſes indiſpenſables
ne lui permettent pas de ſuivre leur
éducation d'auſſi près qu'il en auroit le défir &
qu'il en ſentiroit l'utilité. C'eſt alors que M. &
Madame Havard , quoiqu'en fortes avances avec
beaucoup de leurs penſionnaires , n'ont reçu qu'avec
peine ſes derniers payemens , & lui ont fait avec
les plus cordiales inſtances , la noble propoſition de
garder ſes enfans & de leur continuer les mêmes
feins , fans qu'il fût queſtion d'aucun compte avant
le jour où ils entreroient à l'Ecole-Milicaire , aux
Pages, ou au ſervice. Pénétré d'un vif& juſte attendriffement
pour une offre auffi gracieuſe , ſa délicareſſe
ne lui a permis , ni de l'accepter , ni de
la taire. Ainfi , M. , ce ſeroit peut-être à la fois
obliger particulièrement ce père reconnoiffant , &
généralement tout lecteur ſenſible , que faire connoître
ce traitde M. & Madame Havard , au riſque
d'effayer quelques reproches de leur modeſtie. Je
fuis , &c. Signé C. G. T***, «
Les obfervations ſuivantes nous ont paru
dans ce moment devoir intéreſſer le Public;
c'eſt principalement ſur les découver
( 40 )
res nouvelles que les gens de l'art doivent
être confultés ; leurs opinions peuvent être
différentes ; & alors elles conduiſent à des
diſcuſſions qui tournent à l'avantage général,
par les lumières & la certitude qui en réfultent.
Celles-ci ſont d'un Architecte connu
&dont les Ouvrages font eſtimés.
>> Le grand intérêt que le Public paroît prendre
au foccès du ciment de M. d'Etienne , dans la perfuafion
fans doute que par fon moyen il feroit poſſible
de fupprimer les combles des maiſons , & d'y
ſubſtituer des terraſſes qui en augmenteroient l'agrément
, & produiroient à-la- fois beaucoup d'économie
dans leur bâtiſſe , me fait croire que l'on
verra avec plaiſir le ſentiment d'un homme de l'art
fur le degré de confiance que peut mériter ba dé.
couverte. - Dans la plupart des bâtimens de quel
que importance , il eſt d'uſage de faire porter les
dalles de pierre dont on couvre les terraſſes ſur
des voûtes; & en ſuppoſant que celles- ci aient opéré
tout leur talement avant cette opération , files
dalles font de qualité impénétrables à l'eau , & fi
les maftics deſtinés à les unir font bons , on réuſſit
d'ordinaire à rendre ces fortes d'ouvrages folides
& durables. Mais comme les voûtes exigent des
épaiſſeurs de mur conſidérables par rapport àleur
pouffée, on ſe contente ſouvent par économie de
placer les dalles des terraſſes directement ſur des
planchers de charpente , où l'on érend un aire de
plâtre pour les recevoir , en obfervant comme cidevant
de les jointoyer avec de bon maſtic. Il n'eſt
pas bien difficile de juger qu'un pareil procédé ne
fauroit avoir de durée. Car les bois de ces planchers
étant par la fituation des terraſſes ſujets à
recevoir toutes les impreſſions de l'air , les communiquent
de néceſſité aux dalles qu'elles fupportent;
d'où il fuit que l'alternative de l'humidité
& de la féchereffe , du chaud & du froid , doit
(41 )
2
déſunir de tems en tems les dalles & brifer leur
maſtic , quelque excellent qu'il ſoit, tantôt à un
endroit , tantôt à l'autre ; de forte qu'il faut ſouvent
avoir recours au maſtiqueur, & que pour peu
qu'on apporte de négligence à ces rétabliſfemens ,
leau filtre travers les planchers , endommage
les plafonds & pourrit les bois. Perſonne n'ignore
que ce font ces fortes de terraſſes qui ont occaſionné
la ruine du Colifée.- Quelquefois , au lieu
de dalles , on étend ſur l'aire ou le carreau d'un
plancher des tables de plomb aſſemblées à bourrelets
fuivant leur longueur ; mais ce moyen qui
eſt très-diſpendieux , & qui ne laiſſe pas de furcharger
un plancher , a auſſi ſes inconvéniens; la
chaleur &la gelée font travailler les plombs , bouffer
& écarter les ſoudures . -On a toujours penfé
que le vrai moyen de parvenir à conftruire des
terraſſes ſolidement & à peu de frais , dépendoit
de trouver un enduit de ciment impénétrable à
l'eau ; mais cela n'eſt pas aiſé , & voici pourquoi :
comme il entre une certaine quantité d'eau dans
la préparation du mortier , & que ce n'est qu'à la
faveur de fa liquidité qu'on parvient à l'employer ,
il s'enfuit que le mortier ne fauroit par la ſuite
acquérir de corps ou de conſiſtance que par l'évaporation
de la partie aqueuſe qui y a été incorporée
: or , cette évaporation ne pouvant évidemment
avoir lieu , ſans opérer des vuides , des fentes
ou des gerſures dans le mortier , le rend conféquemment
pea propre à faire des enduits afſez
ſolides pour des terraffes .-En Italie , on réullit
volontiers à faire des terraſſes avec de la pozzolane
, qui eſt un ciment produit par la lave du
Véluve & que l'on incorpore avec la chaux , au
lieu de tuileau pulvérité. On couvre les enduits
que l'on fait avec ce mortier , d'un lit de paille
que l'on entretient mouillée pendant plufieurs jours ,
de forte que l'évaporation de ſon humidité n'étant
( 42 )
pas trop prompte , il ne s'y fait communément ni
fentes ni gerſures , fur-tout quand ils font placés
fur des voûtes.-Il y a environ 18 ans que M.
Loriot s'appliqua à la recherche d'un ciment qui
eût la propriété de ne point opérer de retrait &
degerſures en ſéchant ; &, après beaucoup d'eflais ,
il découvrit qu'en introduisant dans du ciment or .
dinaire ( c'est-à-dire , fait avec de la chaux éteinte &
mélangé avec du tuileau , du machefer , du ſable
de rivière ou de la pierre dure pulvérisée ) , de
la chaux vive nouvellement cuite & réduite en
poudre dans une proportion déterminée par la
qualité de cette chaux vive, ſuivant qu'elle auroit
été, fabriquée avec des pierres plus ou moins dures ,
ou plus récemment cuites , il découvrit, dis -je , qu'il
étoit poſſible de réuffir à évaporer promptement
la partie aqueuſe d'un enduit, ſans former ni lézardes
, ni gerſures. Il réſulte de ſes expériences que
cette proportion de chaux vive peut varier en général
, à raiſon des diverſes qualités ſuſdites , depuis
le quart juſqu'au fixième de la quantité de ciment
ordinaire , tellement qu'en admettant dans le ciment
une plus grande portion de chaux vive , l'évaporation
devenant alors trop forte , trop précipitée , il ſe
trouve brûlé ou calcine ; & qu'au contraire en en
admettant une moindre , le ciment conſerve les
inconvéniens ordinaires , & reſte ſujet en ſéchant
à former , comme de coutume , des lézardes & des
gerſures. Le ſuccès avec lequel M. Loriot a opéré
de nombreux travaux , à l'aide de fon mortier , à
la terre de Menards , aux terraſſes de l'Orangerie
du Château de Versailles , du Bureau de la Guerre ,
du Château de Vincennes , de l'Obſervatoire à Paris,
&c. &c. ne laiſle aucun doute ſur l'efficacité de ſa
découverte , que l'on fait lui avoir mérité une récompenſe
du feu Roi. Outre le Mémoire qui a été
publié par ordre de S. M. en 1774 , à ce ſujet , j'ai
décrit particulièrement tous les détails des diverſes
( 43 )
! préparations de ce mortier dans ma continuation da
Cours d'Architecture de M. Blondel , Tome V,
page 197 (1 ) , de manière que , ſans autre ſecours ,
chacun peut être en état de l'employer au beſoin .
M. d'Etienne vient auſſi d'annoncer la découverte
d'un ciment impénétrable à l'eau , dont il a faic
l'application à une terraſſe de ſa maiſon , rue de Ménil-
Montaet. Son procédé confiite à étendre le plus
uniment poſſible ſur un carrelage en terre cuite ,
poſé ſur des planchers de charpente , un enduit de
ciment d'une ligne , ou même d'une demi ligne d'épaiſſeur
, composé à l'ordinaire d'une certaine quantité
de chaux éteinte , mélangée avec du tuileau ou
caillou bien broyé & paflé au ramis , & d'ajouter
enſuitedans le cimentainſi préparé environ un fixième
de chaux vive , réduite en poudre & nouvellement
cuite ; & enfia , pour dernière opération , il s'agit
d'étendre ſur la ſuperficie dudit enduit une couche
d'huile graſſe.
Le reste à l'Ordinaire prochain .
De BRUXELLES , le 1er. Octobre .
Nos lettres du Nord nous apprennent
que le 10 du mois dernier le convoi Anglois
de la Baltique avoit appareillé d'Elfingor
, & que le calme l'avoit forcé de jetter
l'ancre. On a appris qu'il a remis à la voile ,
& qu'il eſt arrivé ; les vents contraires , les
orages qui ont régné , n'ont pas permis à l'efcadre
Hollandoiſe de quitter le Texel ; on
ſuppoſe qu'elle en eſt ſortie à préſent. Les
papiers Anglois annoncent que le 1 5 Septem-
(1) Cet Ouvrage ſe trouve à Paris chez la veuve Deſaint ,
sue du Foin St-Jacques.
( 44 )
bre cette eſcadre appareilla; mais il paroît
qu'à Londres , comme ailleurs , on a ſuppoſé
ce qui étoit vraiſemblable. Les lettres de
Hollande , du 23 du même mois , n'en parlent
point encore ; elles ne diſent même
rien de l'armée navale de la République.
Il paroît que les tems orageux qu'on a
éprouvés depuis le 16 , l'ont retenue dans
ce port.
>>>Le 19 , écrir-on d'Amſterdam , on a efluye
ici une tempêre terrible qui a canfé beaucoup de
dommages aux cheminées , aux toîts & aux arbres ;
pluffeurs navires qui ſe trouvoient devant la ville
ont été arrachés de leurs ancres & endommagés ;
fur les côtes elle a cauſe pluſieurs accidens fâcheux:
voici ceux dont nous avons connoiffance . - L'Au
rore a fait naufrage au nord de Zaadfort , l'équi.
page a été ſauvé. La Femme Jeanne destinée pour
Amſterdam , a échoué près du même lieu. La
Christine- Marie , allant de Pétersbourg à Oftende ,
a fait naufrage , l'équipage a été ſauvé, Deux bâtimens
ont échoué à Benningen ; on eſpère que
la marée en remettra un à flot. Un bâtiment d'Amſterdam
powr Lisbonne , a fait naufrage vers Landerwick
; un autre a échoué ſur les ſables à Enkhuy.
fen ; un de Middelbourg allant à Amſterdam , a
également échoué à Hotland ; la marée l'ayant
remis à flot , il a paru très-endommagé ; ces bâtimens
marchands appartiennent à H. Brandhef.
chrander ; ils revenoient de Pétersbourg à Amſter.
dam , un a été obligé d'entrer à Fahrſand pour
ſe réparer. Le Bricq l'Heureux , a fait naufrage
à l'endroit nommé le Coin de la Hollande ; il venoit
de Bordeaux à Amſterdam , & étoit chargé
de café , fucre & tabac ; l'équipage a été ſauvé, «
Comme le tems a changé depuis , on
( 45 )
croit que la flotte en aura profité ; on
ne doute pas que celle des Anglois qui
ſe trouvoit en mer , & peu éloignée lorfque
ces gros tems ont régné , n'ait beaucoup
fouffert , ou n'ait du moins été retardée.
Selon les dernières lettres de Hollande
, on croit que l'ordre de départe
expédié au Texel. Dans ce mom it , on
ne peut avoir pour objet d'intercepter la
flotte de la Baltique , qui eſt en sûreté
dans les ports d'Angleterre.
On ſe flatte toujours d'une paix prochaine
; on dit même que l'iſſue du liége
de Gibraltar , quelle qu'elle ſoit , ne la
retardera pas . On fait des voeux pour que
ces belles eſpérances ſe réaliſent. Ce qui
ſemble les fonder , c'eſt que la Cour de
Londres ne répugne plus à accorder l'indépendance
de l'Amérique , & l'a fait notifier
au Congrès par le Général Carleton.
Cette nouvelle a détruit tous les bruits
qu'on s'étoit empreffé de répandre. L'Auteur
élégant de la Fable du Chardonneret
en liberté avoit déja répondu à ces nouvelles
vagues & abfurdes dans une autre Fable allégorique
intitulée le Chardonneret & l'Aigle.
Elle trouve naturellement ſa place dans
ce Journal. Les morceaux de ce mérite
font rares : on peut les regarder comme
une bonne fortune ,& nous nous emprefſons
d'en faire part à nos Lecteurs,
Il vous fouvient de cette bonne Dame
Qui perdit fon Chardonneret ;
( 46 )
/
Pas fi bonne pourtant , puiſqu'elle l'enchaînoit ,
Et qu'un aident courroux s'empara de fon ame :
Car je n'ai raconté que la moitié du fait.
Voici la fuite. On vint lui dire
Ce qu'avoit répondu l'Oiseau :
Que , d'un joug ſi pénible échappé bien & beau,
Il ne vouloit jamais rentrer ſous ſon empire.
Alors la Dame hors de fens , ,
De bâtons fait armer ſes gens ,
Et des Chardonnerets jure la perte entiere.
Elle-même prend une pierre ,
Et court affaillir dans l'épaiſſeur d'un bois ,
Où l'Oiseau , trop long- tems privé de tous les droits
De l'amour & de la nature ,
Etoit fêté des fiens , qu'avoit mis aux abois
Une captivité fi dure.
La Dame avec ſes gens y retourna vingt fois ;
Vingt fois le peuple aîlé ſe moqua d'eux & d'elle.
Quelques nids cependant , atteints par la cruelle ,
Périrent avec les petits.
Ce dernier trait , helas ! paſſe toute croyance ;
Mais je l'ai lu dans maints écrits.
Femme dénaturée ! attaquer juſqu'aux nids ,
D'un innocent amour douce & frêle eſpérance !
Ah ! le Ciel te regarde , il faura t'en punir.
Le Ciel eut en effet horreur de cette guerre ,
Où des milliers d'Oiſeaux avoient tant à ſouffrir.
L'Aigle , à qui Jupiter a remis ſon tonnerre
Defcend vite les ſecourir.
,
L'Aigle fauve à jamais , & nids , & père , & mère ,
Enfin tout le pays , domiciles & gens ,
Que déſoloit une mégere.
Et l'on oſe douter qu'ils foient reconnoiſſans !
On connoît mal leur caractère .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 10 Sept. au foir.
Le Lord Rodney eſt arrivé de Bristol en parfaite
ſanté : il appareilla de Corke à bord du Montagu
Jeudi dernier , & arrivaà Kin'sgroad Samedi à midi ;
il fut conduit à terre dans ſa chaloupe , & le ſoir il
y eut en fon honneur une illumination générale à
Bristol. Le Chevalier Charles Douglas n'eſt point
revenu avec lui : il a été en Amérique pour ſervir
en qualité de premier Capitaine ſous l'Amiral Piget.
En général tous les Officiers de l'eſcadre font trèscontens
que cet Amiral ait ſuccédé au Lord Rodney.
( 47 )
Au départ du Roebuck , forti de New-Yorck le
To Août , on n'y avoit point encore entendu parler
de l'approche de l'Amiral Pigot : on l'attendoit journellement.
M. de Vaudreuil étoit arrivé à la Chéſapeak
avec 13 vaiſſeaux de ligne. A cette nouvelle
on avoit affourché ſur la barre quelques tranſports
&antres petits vaiſſeaux chargés de pierres prêts à
étre coulés bas. Toute la côte de Long- Ifland , depuis
Lapointe qui fait face à Sandy- Hook juſqu'au paflage
intérieur Le plus étroit,eſt bordée de troupes Heſſoiſes.
-Les troupes Françoiſes aux ordres du Comte de
Rochambeau font en marche de la Virginie pour le
nord. Le 17 Juillet elles avoient paſſe George-Town
fur la rivière de Potomack.
-
Lalettrede SirGuy Carleton & de l'Amiral Digby
au Général Washingthon, dans laquelle ils déclarent
que M. Grenville a été autoriſé à propoſer l'indépendance
des Etats- Unis , afin d'avancer le terme
d'une paix générale, a jetté les réfugiés dans la dernière
confufion. Ils ont auſſi- tôt annoncé pour le
13 Août, à New-Yorck , une aſſemblée de deux ou
troisDéputés dans chaquejurisdiction , pour prendre
leurs affaires en confideration ; & la Gazette Royale
de New - Yorck leur a donné le 7 l'avis ſuivant.
Il eſt recommandé aux Loyalistes , en quelque
endroit qu'ils ſe trouvent, de ſuſpendre leur jugementdans
les circonstances importantes qui ſe préfentent
, & reſter fermement hent attachés
feffion qu'ils ont faite de loyauté & de zèle pour
àla prola
réunion de l'Empire. L'indépendance des treize
Provinces , a été réellement propoſée dans une conférence
tenue à Paris pour une paix générale ; mais
juſqu'à ce que cette paix générale ſoit ratifiée , nous
ne pouvons pas ſavoir quel ſera le ſort de ce pays.
Ainſi la prudence & le devoir nous ordonnent d'attendre
avec conſtance l'iſſue des négociations , & de
comprer ſur la capacité & le zèle de nos Commandans
en chef, qui ſont actuellement les meilleurs
garants de notre fûreté. Par cette conduite , nous
de
( 48 )
aurons un droit à la protection de l'Angleterre, &
autrement nous nous dégraderions aux yeux de nos
ennemis , fans en retirer le moindre avantage.
Le Gouverneur Franklin , qui vient d'arriver de
New-Yorck , a été proſcrit par le Congrès , qui a
promis une forte récompenſe à celui qui l'arrête.
rcit. Son paſſage en Angleterre dans ce moment-ci ,
prouve que les négociations du Chevalier Carleton
relativement aux Loyalistes , ont été fort malseçues
-du Congrès , & que le Gouverneur Framkan ne le
croyoit plus en fûreté à New- Yorck. On prétend
qu'il eſt venu faire au Ministère des propofitions
concernant les Loyalifles.
P. S. On apprend à l'inſtant que le tranſport le
Lively vient d'apporterdeslettresdeNew-Yorck,
datées du 19 Août; mais à cette époque le Congrès
n'avoit point encore faitde réponſe aux propoſitions
de paix du Chevalier Guy Carleton .-On affure
*qu'on a envoyé à la Chancellerie pour y être ſcellée
la commiffion qui donne à ce Général le pouvoir
de traiter ſéparément avec les Colonies reſpectives.
Une petite eſcadre doit mettre à la voile pour
l'Afrique vers le milieu du mois prochain : elle ſera
compoſée, dit-on , d'un vaislean de so canons , d'un
de44, & de deux ou trois frégates qui y reſteront
en ſtation pour balancer les forces que les Hollandois
ont envoyées dans cette partie du monde.-
"Outre les deux régimens qui ont ordre de s'embar--
quer pour la côte d'Afrique , 150 malfaiteurs & 300
hommes de recrues feront envoyés à bord de l'eſcadre
qui doit appareiller four cette partie du monde.
L'Amiral Parker doit ſe rendre dans l'Inde : il a
pris congé de S. M. , & il s'embarquera incel-
•ſamment.
Le projet qu'on avoit eu de remettre à flot le
Royal- George eſt aujourd'hui évanoui : on ſe contentera
de dépecer ſa coque ſous l'eau , pour em
pêcher qu'elle ne forme un banc dans le port , &
l'on tâchera de pêcher ſes munitions.
1
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 12
OCTOBRE 1782 .
PIÈCES
FUGITIVES
EN
VERS ET EN
PROSE.
ENVΟΙ
D'un Sabre demandé par un Ami.
VOUS plaire eſt mon voeu le plus doux.
Le voilà ce Sabre
homicide ,
Fait pour armer un
ſubalterne Alcide
Plutôt qu'un Sage comme vous.
Eh! qui donc voulez- vous pourfendre ,
Quand tous les coeurs vous ſont ſoumis ?
Pourquoi
chercher à vous défendre
Quand vous n'avez point d'ennemis ?
No. 41 , 12 Octobre 1782 .
٢٥
MERCURE
MORALITÉ.
L'ESPRIT&la beauté ſont les Dieux qu'on encenſe,
Le coeur eſt éconduit , Plutus eſt préféré ;
Le ſentiment n'eſt plus qu'un vieux mot révéré ,
Une vertu gothique , un préjugé d'enfance.
( Par M. Boifmorand , Officier au Régiment
du Roi Infanterie. )
Le Papillon quiſe brûle à la chandelle , Fable,
UN Papillon voyant d'une chandelle
Briller le feu ,
S'approche d'elle ;
S'en éloigne , revient, puis répète ce jeu ,
Puis s'en approche davantage ,
Perd un bout d'aîle , & loin d'être plus ſage,
Recommençant avec témérité,
Dans la flamme enfin il s'élance ;
Et là , pour prix de ſa folle conſtance,
Reçoit le fort qu'il avoit mérité.
:
Dans vos deurs toujours que la raiſon vous guide ,
C'eſt un rare talent que celui de jouir ;
Plus l'Amour eſt aimable & plus il eſt perfide,
Défiez-vous-en ſans le fuir.
(ParM. Knapen fils, )
DE FRANCE. SI
AIR de Daphné & Apollon , chanté par
Mile AUDINOT.
QUAND il nous peint u- ne to ſe
naif - fan te, Que le zé - phyr
ca -ref- ſe ten-dre - ment , Je
crains le fort de cet te jeuneA-
man te , Et les dangers que
R
l'on court en ai- mant.
Si le Zéphyr , amoureux de la roſe,
La rend ſenſible à ſes tendres ſoupirs ,
Plaignez ſon fort : elle eſt à peine écloſe ,
Quel'inconſtant vole à d'autres deſirs .
( Paroles de M. Pitra , Muſique deM. Mayer.)
Cij
52
MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
cave
Le mot de l'énigme eft Protée ; celui du Logogryphe eſt Clavecin , où se trouvent
vin ane , Calvin , Nice , levain , Elie (le Prophète ), vain, laie, ( femelledu
fanglier ) vélin.
ر
ÉNIGM
E.
MA fooeur me doit fon existence ,
Je ſuis fon unique ſoutien ;
Mais elle a fur mon être une égale puiſſance,
Et fans elle je ne ſuis rien.
A notre ſeule reſſemblance
Nous devons tout notre agrément.
Malgré le noeud qui nous joint conftamment, Nous nous tenons affez communément
A quatre , cinq ou fix pieds de diſtance ;
Un eſpace plus grand ne peut nous ſéparer,
Sinon , lorſque de nos couſines
Une ou deux s'avançant pour être nos voifines ,
Entre nous viennent ſe fourrer.
Tantôt je ſuis docile à la voix qui m'appelle;
Tantôt je ſuis d'humeur diſcourtoiſe & rébelle,
Peu compatible avec la liberté,
Par fois je permets la licencei
DE FRANCE.
53
Les Grecs & les Romains ignoroient ma beauté.
Autrefois un mortel très- connu dans la France,
Aqui j'avois long temps prodigué mes attraits,
Memanqua de reconnoiſſance ,
Et voulut d'ici-bas me bannir à jamais .
Hélas! des plus rares bienfaits
Teile eſt fouvent la récompenfe.
(Par M. N... d' Arras , Auteur du Logogryphe
Piſtolet, inféré dans le Mercure du 7 Septembre . )
JE
LOGOGRYPHE.
E vaux beaucoup ou ne vaux guère ,
Selon le maître que je fers.
Le Poëte , pour l'ordinaire ,
Ne m'enrichit que de ſes vers.
Le Banquier , oh ! c'eſt autre choſe ,
Je garde volontiers ſa proſe :
Elle vaut au porteur ſouvent
Unebonne fomme d'argent.
Chez lesGrands , on voit un gros Suiſſe ,
Nuit & jour , en titre d'office ,
Préſider à mes cinq premiers ;
A l'égard de mes ſept derniers ,
Attendez quelque temps encore ;
Auſfitôt que l'amant de Flore ,
Vainqueur des fougueux Aquilons ,
Viendra régner dans ces vallons ,
1
Ciij
54 MERCURE
Pour orner le frêne & le hêtre ,
Ses ſoupirs les feront renaître.
( Par M. M*** de V. C. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ÉCOLE des Pères , Comédie en trois Actes
& en vers , par M. de Saint-Ange; Pièce
refuſée par les Comédiens François le
30 Juillet 1782 .
Frange , mifer, calamos vigilataque pralia dele.
A Paris, chez la Veuve Ducheſne, Libraire,
rue S. Jacques , 1781. in 8 .
NOUS demandons d'abord la permiſſion
de faire une choſe qui ne fatisfera perſonne ,
c'eſt de ne point prendre de parti entre les
Comédiens qui ont refufé cette Pièce, &
l'Auteur qui ſe plaint de ce jugement.
Voici ce que dit l'Auteur dans un Écrit
préliminaire , intitulé : Préface très- courte
& très-néceſſaire.
" Cette Pièce a été achevée à la fin de
» 1779. Ce n'eſt qu'au mois de Juin de
l'année 1781 , que l'Auteur a pu parvenir
» à la faire inſcrire pour être lûe. De cette
» époque au jour de la lecture , il s'eſt
ود
و د
écoulé un an & plus . Enfin , cette lecture
>> a eu lieu. Il n'y avoit au Comité ni MM .
>> Préville , Molé , Brifard , de la Rive , ni
DE FRANCE.
SS
» Mlles Sainval , Raucour , Thénard ,Veftris.
» L'Auteur n'a eu pour lui que deux voix ,
ود celle de Mlle Fannier & celle de Mlle
>> Doligny , & il croit devoir exprimer ici
» combien il a été flatté du fuffrage de ces
deux Actrices célèbres. L'exactitude l'o-
>>blige de dire avec reconnoiffance qu'il a
>> eu une troiſième voix , celle de M. Van-
>> hove , & deux autres à correction .
(L'Auteur attribue ces deux voix à Mlle
C. *** & à Mlle la Ch . ***. )
ود
" On n'ajoutera point ( c'eſt toujours
l'Auteur qui parle , ) de réflexions à cette
>> courte expofition des faits. On s'en rap-
>> porte à ceux qui , connoiſſant les difficul-
>> tés de l'Art , & fachant l'eſprit de parti
» qui dirige l'opinion de quelques Gens de
>> Lettres en crédit ſur les productions des
>> jeunes Écrivains , peuvent fentir par eux-
>> mêmes combien il importoit à l'Auteur
» d'être jugé immédiatement par le Public.
» Il eſt bien dur à un jeune homme , qui
>> n'a pour toute fortune que quelques dif-
>>poſitions aux talens de l'eſprit , de trouver
>> à l'entrée de ſa carrière un obſtacle in-
>> vincible à tout avancement. »
Suit un Envoi en vers à Mlle Fannier ,
dont on peut obſerver que le ſuffrage étoit
abſolument défintéreſſé; car il ne paroît pas
qu'il y eûr de rôle pour elle dans la Pièce ;
l'Auteur s'acquitte envers elle par de juſtes
éloges ; mais ces complimens à des Actrices
ont toujours le tort & le malheur de rouler
Civ
56 MERCURE
fur les mêmes idées , & le tort & le malheur
encore plus grands de rappeler la délicieuſe
Épître de M. de Voltaire à Mlle Golfin , en
lui envoyant Zaïre .
Après la Pièce on trouve le Poft-fcriptum
fuivant.
" Voilà la Pièce qui a été refuſée d'une
> voix preſque unanime. Et l'Auteur , qui
>> eſt jeune , n'a d'autre reſſource que ſes
" foibles talens. Et l'on a reçu , & l'on re-
» çoit , & l'on joue tous les jours...... Je
→ m'arrête ! Non equidem invideo , miror
>> magis. Mais vous, Lecteurs honnêtes &
ود éclairés , qui prenez aux Ouvrages de
>> l'eſprit un intérêt qui paſſe juſqu'à l'Au-
>> teur , pouvez-vous n'être pas révoltés , &
ne pasgémir fur lefortdes talens ? >> ود
4 Nous ajouterons , fans approuver ni condamner
ces plaintes , & fans toucher le
moins du monde au fond de la queſtion ,
que M. de Saint-Ange eft , parmi nos jeunes
Poëtes , un de ceux qui méritent le plus d'encouragement
; qu'il a fait preuve d'eſprit ,
de talent & de goût , ſoit dans la Traduction
des Métamorphoſes & dans les notes
qui l'accompagnent , ſoit dans d'autres Onvrages
; que toutes les préventions devoient
être & étoient ſans doute en fa faveur.
Voici quel eſt le ſujet de la Pièce. Alcipe
&Arifte , deux amis , vivans à la campagne ,
l'un affez riche , l'autre pauvre , mais content
&heureux , ont été pères en même temps ;
Alcipe a eu un fils nommé Germeuil, Arifte
DE FRANCE. $7
une fille nommée Angélique. La femme
d'Arifte étant morte en accouchant d'Angelique
, Ariſte jugea que ſa fille ſeroit mieux
élevée par Floriſe , femme d'Alcipe , que par
un homme , & il la remit à ſon ami; mais
ce motif, qui pourroit être affez raiſonna
ble , n'eſt peut- être pas affez nettement ex
poſé , ou du moins affez développé dans la
Pièce . Alcipe , de ſon côté , confie Germeuil
à Ariſte, pour lefauver, dit- il , des excès de
L'amour maternel ; mais les excès de l'amour
maternel ne peuvent- ils pas être à craindre
aufli pour une fille ? Une autre raiſon d'Alcipe
, pour faire cet échange avec Arifte ,
eſt que ſon fils , élevé dans l'opulence , auroit
pu prendre tous les vices du luxe , qu il
regarde apparemment encore comme plus à
craindre pour un jeune homme que pour
une jeune fille. Quoi qu'il en ſoit , les deux
pères s'applaudiſſent de leur échange , dont
ils ont fait myſtère juſqu'alors à Floriſe , qui
ſe croit mère d'Angélique , & qui croit , ainfi
que tout le monde , Germeuil fils d'Ariſte.
Germeuil & Angélique s'aiment ; mais Floriſe
, qui a de la vanité , deſtine Angélique à
Damis , homme de Cour , & fils d'unhomme
puiſſant , auquel Alcipe & Floriſe ont d'ailleurs
de l'obligation. Damis , vicieux & ridicule
, eſt incapable d'aimer Angélique ,
mais il confent à l'épouſer pour ſa fortune ;
ce n'eft nullement le projet des deux pères ,
qui ont choifi ce jour pour révéler à Floiſe
le grand fecret de l'échange. On fent bien
Cv
$8 MERCURE .
4
qu'Angélique , devenant fille d'Arifte , &
pauvre par confequent , ne paroît plus à
Damis un objet digne de ſes voeux; mais
Germeuil , qui l'a toujours aimée , l'obtient
aiſement d'Ariſte; & Floriſe , charmée d'avoir
un fils , & un fils pour qui elle s'eſt tou
jours ſenti de l'inclination fans en ſavoir la
cauſe , confent aiſement à lui donner pour
femme une perſonne qu'elle a ſi long-temps
crue ſa fille.
Tel eſt le cannevas que l'Auteur avoit à
broder. A t'il réuſli ? Quel eſt le mérite de
ce ſujet ? Comment est-il traité ? L'Auteur
at'il tiré de ce ſujet , bon ou mauvais , tout
le parti qu'il en pouvoit tirer ? Les chofes
font elles à leur place? Les événemens arrivent-
ils à temps ? Produiſent ils tout l'effer
qu'ils doivent naturellement produire ? Les
fituations font-elles ou auſſi comiques ou
aufli touchantes qu'elles pouvoient l'être ?
Les caractères ſont- ils vrais , développés ,
foutenus ? Les gens de la Cour retrouverontils
le ton d'un petit-maître de Cour dans
Damis ? Les gens du monde trouveront- ils
la gaîté d'Ariſte d'un bon ton ? Les gens qui
connoiffent le Théâtre trouveront- ils dans
cette Pièce ce vis comica qui manquoit à
Térence , ou cette élégance, ce goût , certe
connoiſſance des hommes qu'il poffedoit
dans un ſi haut degré ?
L'Auteur , qui certainement ſait écrire en
vers , & qui a fait ſes preuves , a- t'il employé
le ſtyle & les idées convenables au
DE FRANCE.
رو
genre dans lequel il s'exerce pour la pre
mière fois ? Enfin , a-t'il fait une bonne ou
une mauvaiſe Comédie ? C'eft fur quoi nous
avons demandé la permiſſion de ne pas nous
expliquer. L'appel du jugement des Comé
diens eſt porté en forme au tribunal du
Public; nous attendrons avec reſpect ſa
décifion.
Nous nous bornerons ici à faire fur des
détails ſans conféquence , quelques obfervations
indifférentes , comme nous en terions
fur des morceaux de la Traduction des Métamorphofes
, ſans en tirer aucune induction
pour ou contre le mérite de l'Ouvrage
total.
Les traits de poéſie trop marqués , les
comparaiſons , les allégories ou métaphores
continuées ne conviennent pas à la Comédie.
M. de Voltaire , en parlant de deux jeunes
amans , deftinés l'un pour l'autre , s'eſt
permis de dire :
Flantés exprès , deux jeunes arbriſſeaux
Croiſſent ainſi pour unir leurs rameaux.
M. Marmontel , en ſe repréſentant dans
ſa jeuneſſe comme l'élève de M. de Voltaire
&de M. de Vauvenargues , a dit :
Tendre arbriſſeau , planté ſur la rive féconde ,
Où ces fleuves mêloient les tréſors de leur onde ,
Mon eſprit pénétré de leurs fucs nourriſſans ,
Sentoit développer ſes rejetons naiſſans.
Mais M. Marmontel écrivoit une Épître ,
Cvj
60 MERCURE
il pouvoit y mettre autant de poéſie qu'il
vouloit , & certainement il en a mis beaucoup
dans ces quatre vers.
M. de Voltaire écrivoit une Comédie , il
ne lui étoit peut- être pas permis d'être ſi
riche ; auſſi voyez comme cet homine de
goût paffe légèrement fur ce léger défaut ,
comme il craint d'y peſer , comme il lance
pour ainſi dire ce trait , & s'enfuit derrière
les faules ! comme il ſemble avoir honte
d'être fi beau.
M. de Saint - Ange , en diſant les mêmes
choſes , paroît ſe complaire dans ſes beaux
vers; il inaſte, il prolonge fon allégorie &
ſa comparaiſon.
Pour ces heureux enfans , quel aimable préſage !
Tels deux tilleuls , plantés ſur le même rivage ,
Careſſés du même air , baignés des mêmes eaux ,
Aiment à marier leurs dociles rameaux.
Telle à leurs jeunes cooeurs , &c.
Nous ne relevons point la petite équivoque
de ces mots : du même air; mais en général
ces vers nous paroffent avoir le beau
défaut d'être trop poétiques pour la Comédie
, ſur tout dans une fimple expofition .
Un petit gentillâtre.....
Qui , vieux& fans fortune en ce trifle ſéjour ,
Ofe encore être heureux plus qu'un homme de Cour.
Ce trait ne nous paroît pas d'un goût affez
pur. Il y a des ſentimens qu'on a au fond de
DE FRANCE. 61
fon âme , mais qu'on n'exprime jamais. L'art
du Poëte dramarique dans ce cas , eft de faire
exprimer ce ſentiment par un tiers. Ainsi ,
quand M. de Voltaire dit, dans ſon Épître
fur l'égalité des Conditions :
Un fimple Colonel a ſouvent l'impudence
De paſſer en plaiſirs un Maréchal de France !
C'eſt un Poëte Philoſophe qui parle , il a
le droit de faire cetre obſervation .
Mais lorſque dans Nanine , il fait dire à
la Baronne :
A qui va-t'elle accorder la beauté ?
C'eſt un affront fait à la qualité.
il exprime un ſentiment qui eſt dans le
coeur de la Baronne , à ſon inſcu peut-être ,
& que dans aucun cas elle ne doit exprimer
elle même; il falloit le mettre dans la bouche
d'une Soubrette maligne ou d'un Philoſophe
pénétrant, qui l'auroit apperçu dans le
coeur de la Baronne. C'est ainſi que dans
Tartuffe, Dorine dit à Cleante des traits de
Penthouſiaſmed'Orgon pour Tartuffe, qu'O-
*ronte , quoiqu'il faſſe gloire de cet enthouſiaſme
, n'auroit pas pu exprimer lui-même
de la înême manière.
On pourra trouver encore que Florife
traite Arifte comme une autre Floriſe traite
un autre Arifte dans le Méchant , & qu'en
général elle reffemble à cetre autre Florife
par un certain mélange de légèreté & d'honnêteté.
On a jugé auſſi qu'elle ſembloit quel
62 MERCURE
quefois ſe démentir. L'Auteur ne ſe rend pas
à cette objection , mais il la trouve ſpécieuſe
ne pourroit on pas trouver auffi que
Damis , qui n'a que des airs , & qui n'eſtime
que les airs , ne doit pas dire d'Angélique :
Sa modeſte beauté charme au premier coup-d'oeil !
Il n'eſt pas digne de ſentir le prix de la
modeitie.
D'un tas de parchemins l'orgueilleuſe chimère
N'eſt bonne qu'à nourrir ou les fots ou les rats ;
Mais un bon coffre- fort , des terres , des contrats ,
Plus précieux cent fois qu'une antique liaffe ,
Des plus illuftres noms font proſpérer la race.
Ces vers de la Pièce ſont accompagnés de
la note ſuivante :
ود
" Un des bulletins a objecté pour motif
de refus la prétendue reffemblance de cette
" tirade avec ses vers du Glorieux :
Et j'ai dans mon pupitre
Des billets au porteur dont je fais plus de cas ,
Que de vieux parchemins , nourriture des rats .
ود
ود
» Ce n'est point là une reſſemblance , c'eſt
>> une de ces penſees proverbes qui appartiennent
à tout le monde, & qui n'appartiennent
à perfonne. La ſeule manière de
» les exprimer en fait tout le mérite ; l'Au-
>> teur oſe croire que dans cette rencontre
» Deſtouches n'a pas ſur lui l'avantage.
Deftouches nous paroît l'avoir dans une
Comédie, où ce trait, d'ailleurs plus court
DE FRANCE. 63
7
&jeté en pafſſant , devient dans la bouche
de Liſimon un trait de caractère contraftant
avec le Glorieux. M. de Saint- Ange auroit
peut être l'avantage dans une Satyre ou dans
une Épître. Nourrir ou les fots ou les rats ;
les parchemins ne nourriffent pas les fots
de la même manière qu'ils nourriffent les
rats. Cette faute eſt légère; mais enfin elle
n'eſt pas dans Deſtouches.
On peut trouver encore à la page 39 , la
plaiſanterie du tabouret & du fautenil , empruntée
de la Comédie des Mioeurs du Temps.
Peut être Angélique , quoiqu'élevée à la
campagne , ne doit elle pas demander fi un
Jockei & des Coureurs ſont encore des chevaux.
Mais la definition qu'en fait Damis ,
eſt bien,& en elle- mêine & dans le caractère
de l'homme , ce dernier vers fur-tout :
Renvoyé s'il vieillit, & remplacé s'il crêve.
eſt d'une préciſion énergique ; il rappelle ,
(ce qui eſt un mérite, d'an genre à un autre )
ces trois beaux vers que dit Meſſala dans
Brutus :
Nous ſommes de leur gloireun inſtrument ſervile ,
Rejeté par mépris, s'il devient inutile ,
Et brifé ſans pitié s'il devient dangereux.
Les emplois ſont à ceux qui les ont mérités ,
•eſt encore un vers plein de ſens , & on en
pourroit citer pluſieurs de ſemblables ; mais,
encore un coup, nous ne voulons rien prononcer
fur le mérite général de l'Ouvrage.
64 MERCURE
P.S. L'Auteur nous prie d'avertir les
Lecteurs de quelques fautes d'impreffion qui
ſe ſont gliffées dans ſa Pièce.
Page 11 , dernier vers , Et nous aurons,
lifez: & nous l'aurons .
Page 16 , vers , après ces mots : Il eft
brave & modefte , ajoutez ce vers entièrement
omis :
Va , va , raſſure-toi , l'âge fera le reſte.
Page 31 , premier vers , En vérité ces
mots, lifez : ces airs.
Page 12 , après le ſecond vers , Alcipe ,
lifez : Germeuil.
HOMMAGE Littéraire d'un Noble Citoyen-
François aux Souverains du Nord. AParis,
chez Guillot , Libraire de MONSIEUR ,
Frère du Roi , rue de la Harpe. in-48.
Prix , 4 liv. 10 fols.
M. l'Abbé de Luberſac , Abbé de Noirlac ,
& Prieur de Brive , eſt déjà connu par un
Ouvrage fur les Monumens publics de tous
les âges du monde , dédié au Roi Louis XVI,
lors de ſon avénement à la Couronne , &
imprimé au Louvre par les ordres de Sa
Majefté. L'Écrit qu'il vient de publier renferme
notamment deux Diſcours adreſſés à
l'Académie Impériale des Sciences de Saint-
Pétersbourg.
Le premier Diſcours traite de l'utilité &
des avantages que les Princes peuvent retirer
de leurs voyages , en parcourant les monuDE
FRANCE. 65
mens publics dans tous lesgenres. On y trouve
un coup d'oeil fur tous les établiſſemens
qu'on doit aux ſoins bienfaifans de l'Impé
ratrice Catherine II ; & à la ſuite,la defcription
d'un monument public , dont l'Auteur
donne le plan à la gloire de cette Souveraine
fi célèbre à tant de titres .
Le ſecond Difcours offre les tableaux des
Voyages en France du Czar Pierre I, des Rois
de Suède & de Danemarck , de l'Empereur
Joſeph II ,de Leurs AA. II. le Grand-Duc &
la Grande-Ducheffe des Ruffies ; enfin le
Volume eſt terminé par le récit de la réceptionqu'on
leur a faite à la Cour deVerfailles,
chez les Princes du Sang de France & dans
la Capitale.
Nous ne ferons point l'analyſe de ces deux
Difcours , qui nous meneroient trop loin ;
d'ailleurs , les titres ſeuls en font connoître
le plan. Il nous ſuffira de dire que l'Ouvrage
entier reſpire l'amour du patriotiſme & de
P'humanité . M. l'Abbé de Luberſac a de l'élévation
& des idées. Nous allons prendre au
haſard un morceau de ces Diſcours , pour
que nos Lecteurs puiffent juger la manière
dont ils font écrits .
" Des atteliers , des manufactures en tout
>> genre & de première néceffité , nourrif-
>> ſent & couvrent un peuple immenſe , que
>> les arts , l'émulation &la rivalité ont ar-
و د
raché à l'oifiveté , & par conféquent aux
>> crimes & aux moeurs atroces ; tout s'agite ,
>> tout s'anime dans cette vaſte partie du
66 MERCURE
ود
>> monde; chaque individu s'efforce de payer
ſon contingent à la patrie qui le nourrit ,
» & concourt à l'état floriſſant qu'elle ac-
>> quiert chaque jour.
>>D'autre part , le commerce , enfant de
» l'Agriculture , ſe portant par une pente
>> naturelle , vers les lieux qui ſecondent ſes
دد
22
vûes & favoriſent ſes travaux , a déjà
>> fait les progrès les plus rapides. Tous les
ports de mer de l'Europe ne ſont plus
» étonnés de voir le Moſcovite fréquenter
ſes foires , rivaliſer avec les Nations commerçantes
, entrer même en concurrence
>> avec les plus habiles , les plus opulens
>> Négocians.
ود
ود
>>Bientôt Pétersbourg , Riga , Revel ,
» Cazeau , Aftracan , Azoph, le diſputeront
> aux villes les plus commerçantes. Des
>> Chambres de Commerce ont été établies
>> dans les lieux qui en ſont ſuſceptibles.
» L'on vient même d'en ériger juſques à
>> Tobolsk , capitale de la Sibérie. Conſtantinople
, cette orgueilleuſe ville , a été
>> forcée de ſe prêter à l'établiſſement d'un
Conſul Ruſſe. On a fait de même dans
>> toutes les Échelles du Levant & fur les
» côtes de la mer Noire; point d'Ifle dans
» l'Archipel & dans la mer Adriatique qui
>> ne ſoit en correſpondance avec l'Empire
» Ruffe. Un canal deſtiné à réunir la mer
> Baltique à la mer Noire , à la mer Caf-
> pienne & à la mer Glaciale , fait circuler
les denrées & les marchandises du centre
DE FRANCE. 67
à la circonférence , &de la circonférence
>> au centre; des travaux immenfes font en-
>> trepris pour détourner le cours de la
وو
Dwina , qui , par ſes irruptions , ravageoit
» Riga & ſes environs ; des digues ſont op-
» poſées à ce torrent rapide , & Riga n'en
>> devient que plus floriſſante , que plus
>> belle , & les Citoyens qui l'habitent plus
>> tranquilles. C'eſt ainſi qu'après avoir op-
• poſé des digues redoutables aux paſſions
>>humaines , Catherine en élève contre les
» élémens même , qu'ils ne pourront ni fran-
>> chir ni renverſer. Une infinité d'autres
" villes malheureuſes, détruites par la four-
>> dre, ou incendiées par des cauſes ſecon-
>> des que l'oeil vigilant de la police ne peut
>> jamais prévenir ni arrêter , ſont auſſitôt
>> reconftruites des deniers du tréſor de l'Em-
>>pire. O Citoyens de Toula , de Gafan ,
>>de Dergebourg , de Derpt , de Stararonna ,
» de Largopol , de Serpouchow , de Tor-
» giok , d'Aftracan , de Biolorod & d'une
>> infinité d'autres Bourgades , c'eſt vous qui
» pourriez nous dire à combien de millions
» de roubles ſe montent les bienfaits que
>> votre Auguſte Mère a verſés dans vos
>>Contrées pour réparer les ravages que les
» élémens ont faits ſur vos habitations ! »
Le ſtyle de M. l'Abbé de Luberſac eft vif
& animé ; mais l'amour des grandes idées
le rend quelquefois emphatique. Nous ne
croyons pas que le goût puiffe admettre cette
phraſe qu'on va lire , & qui termine fon
68 MERCURE
premier Difcours. Après avoir dit que la
Nation Ruſſe érigera ſans doute à fon illuftre
Souveraine un monument , un temple après
ſa mort , l'Orateur ajoute : " Mais que pour
>> célébrer encore avec plus de pompe la
>> gloire de cette grande Souveraine , les
Dieux même de l'Olympe abandonnent ود
leur féjour céleste , qu'ils ſe rendent au
>> portique de ce majestueux temple , qu'ils
* y dépoſent à ſes pieds leurs fceptres &
>> toures les marques diftinctives de leur
>> puiſſance , en ſe déclarant même ſes pro-
>> pres ſujets. >>
Les Dieux de l'Olympe n'avoient point
affaire ici. Ce n'eſt pas là l'éloquence vraie
d'un Orateur ; c'eſt l'enthouſiaſme ſuranné
d'un jeune Poëte.
Nous ne fuivrons pas l'Auteurdans la defcription
des fêtes qu'on adonnées à Monfieur
&à Madaine la Comteſſe du Nord à Chantilly
, après un Divertiſſement Villageois
'exécuté devant eux à la ſuite de l'Ami de
la Maiſon. M. Laujon leur fit chanter des
Couplets. Nous allons en citer quelquesuns
, tant parce qu'ils font agréables , que
parce qu'ils n'ont encore paru dans aucun
Recueil ni dans aucun Journal,
1.
Air des Écoſſeuſes, ouj'aimois Mlle du Rozier.
THÉRÈSE.
Y A CHEUX nous deux Voyageurs
Qui plaiſont à tous les coeurs ;
DE 69
FRANCE.
Ça n'eſt pas nouveau pour eux ;
Ce partage heureux
S'attache à tous deux ;
Avant d'les voir j'en doutions .
En les voyant , j'y croyons .
Le maître & l'père à nous tous
En eut l'plaiſir avant nous ;
D'accord avec ſa moitié ,
Il leur a marqué
Tout plein d'amiquié.
Il l' -s-a vus , mais moi j'les voi ,
M'v'la content' comme un Roi .
QU'EST-C' que l'plaifir d'les voir ,
Près ſtila d'les recevoir ?
J'pourrions citer un Seigneur
Dont ça remplit l'coeur
D'un nouveau bonheur.
Après , quand faudra s'quitter ,
Qu'à ſon coeur çava coûter !
A CHAQUE pas ils doublont
L'nombre de ceux qui l's aimont ;
Sur ça s'ils écrivont tout ,
Quoiqu' ça fait beaucoup ,
Ils n'ſont pas au bout ;
Leurs coeurs avant la ſaiſon
Chaque jour font leur moiſſon.
70)
MERCURE
Mor , j'croyois que les chaleurs
Formiont tout l'éclat des fleurs;
J'crois qu'ils n'v'nont nous trouver
Que pour nous prouver
( Ça donne à rêver )
Qu'il naît au ſein des frimats
Des fleurs pour tous les climats.
EXAMEN critique du Militaire François,
fuividesprincipes qui doivent déterminerfa
conftitution,fa diſcipline &fon inſtruction ,
par M. le Baron de B. AGenève , & ſe
trouve à Paris , chez Cellot , Imprimeur-
Libraire rue des Grands - Auguftins. 3
Vol. in- 8°.
:
Le progrès des connoiſſances, en rectifiant
les principes , influe néceſſairement ſur
le ſyſtême des Nations. Mais en vain les
cabinets politiques regardent - ils le repos
combiné comme le chef- d'oeuvre de leurs
moyens , ſi les cabinets militaires n'en profitent
pas pour la perfection des leurs !
Le long repos qui a ſuivi la dernière paix ,
& qui , malgré l'état actuel , peut être regardé
comme durant encore pour les Troupes
de terre , avoit laiſſé le temps de déterminer
la conftitution , de perfectionner la
diſcipline , & de fixer enfin les moyens trop
incertains de l'inftruction militaire , toujours
imparfaite .
On n'a épargné cependant ni la diſcuſſion
DE FRANCE.
71
niles eſſais. La lumière n'eſt ſortie ni du choc
des opinions ni de l'épreuve des moyens ; &
le militaire s'eſt vu partagé entre l'inutilité
de l'ignorance aveugle , & le danger de la
ſcience paradoxale. Mais Frédéric , terrible à
la guerre , actif dans la paix , offroit à l'Europe
, fatiguée de ſes ſuccès , ou étonnée de
ſes moyens , l'armée la plus nombreuſe & la
mieux organiſée. L'imitation ſemble facile :
il a fallu adopter ou combattre; l'eſprit de
parti s'eſt emparé de toutes les claſſes du
militaire, & l'on n'a vu éclore que des effais
diſparates &des ouvrages polémiques.
Dans cet état d'incertitude & de crife , le
ritre de l'Ouvrage que nous annonçons ſemble
promettre & le tableau des erreurs , &
l'indication des vrais principes.
Le premier Volume traite de la conſtitution.
Sa table en renferme avec ordre tous
les détails. Près des abus , ſe trouve toujours
le correctif , indiqué ſouvent d'une manière
très- ſuccincte. On peut dire même que fi
l'Auteur ne s'eſt pas réſervé d'étendre & de
démontrer un grand nombre de ſes moyens
de ſubſtitution , il n'en a regardé l'indication
que comme une tâche à remplir pour préſenter
l'ordre de la réforme. Ce reproche , fi
c'en eſt un , ne tombe pourtant point ſur les
Chapitres eſſentiels. Ceux de l'organiſation
&de la comptabilité préſentent les réſultats
les plus fatisfaifans ; & , quoique l'Auteur
ne donne pas le tableau comparatif de l'état
actuel delaguerre avec celui de ſa nouvelle
72
MERCURE
conftitution , on pourroi affurer , ce qu'il
auroit peut- être dû rendre évident, que fon
numéraire de 230,107 hommes , au lieu de
128,168 , état actuel , ſeroit entretenu ſans
augmentation de dépenſe, malgré celle des
appointemens des Officiers & de la folde de
toutes les Troupes. Cette affertion , qui
n'eſt qu'un paradoxe au premier apperçu ,
devient raiſonnable & preſque démontrée
par tous les moyens que l'Auteur propoſe &
difcute. Dans ceux qui lui font le plus d'honneur
, parce qu'ils font entièrement neufs , il
faut remarquer ſur- tout le projet d'une banque
militaire , qui , déchargeant le Roi du
poids énorme des penſions , toujours abuſives
par leur excès ou par leur diftribution,
affureroit , par une retenue que l'augmentation
des traitemens ne rendroit point onereuſe,
un état de fortune à la longueur & à
l'activité des ſervices. L'Auteur fixe cette
retenue à un cinquième des appointemens ;
elle s'accroîtroit de l'intérêt fucceffif; & au
moment de la retraite de chaque Officier ,
la moitié de ſon capital ainſi formé lui ſeroit
payée comptant ; en cas de mort, à ſa veuve
ou à ſes enfans ; l'autre moitié lui formeroit
une rente viagère à dix pour cent. Les calculs
de l'Auteur prouvent que l'Officier particulier
, après un ſervice de 30 ans , & un
avancement progreſſif d'ancienneté , recevroit
une ſomme de 10,956 liv. 3 ſols 6 den.
& jouiroit d'une penſion de 1,095 liv. 12 f.
4den. Un Lieutenant-Général employé, &
parvenu
DE
FRANCE.
73
1
parvenu à ce grade par une marche priſe
pour terme moyen , recevroit à 61 ans , un
capitalde 131,201 liv. 10 ſols, & une penfion
de 13,120 liv. 3 ſols ; ce qui excède le
traitement actuel d'un Maréchal de France.
Ce projet , fait pour exciter l'enthousiasme ,
donneroit enfin à la profeſſion des armes ,
que la conftitution nationale aſſigne exclufivement
à la claſſe de l'État la plus diftinguée
& la moins riche , une conſiſtance néceſſaire
pour la foutenir.
Le Chapitre Diſcipline eſt ſagement écrit.
L'Auteur cherche plutôt les cauſes des défordresque
les moyens de les punir. Le but
de la légiſlation eſt de les prévenir; & la difficulté
de perfectionner le code pénal annonce
toujours l'inſuffiſance ou le vice de
laconftitution. Il en faut un pourtant ; l'Auteur
cherche à le déterminer. Ce Chapitre
tient néceſſairement à une grande diſcuſſion
morale. L'Auteur combat ouvertement les
principes actuels. Quoique les ſiensnous paroiffent
fondés ſur de grandes vûes d'humanité
& d'harmonie générale , nous n'entreprendrons
pas de décider une queſtion auſſi
délicate.
Le premier Volume eſt terminé par le
projet d'une Académie Militaire ; établiſſement
bien defirable s'il pouvoit faire naître
l'ordre dans les diſcuſſions , ramener par-là
aux vrais principes , développer les talens
qui ſont étouffés par le défaut d'émulation,
& fournir les moyens de difcerner
No. 41 , 12 Octobre 1782 . D
74
MERCURE
le vrai mérite pour le récompenfer en l'employant.
Les ſecond & troiſième Volumes , qui for
ment la ſeconde Partie de l'Ouvrage , traitent
de la formation , des manoeuvres & de
l'inſtruction des différentes armes. L'Auteur
commence par l'Infanterie ; il adopte l'ordre
François préférablement à l'ordre Pruffien.
Il eſt certain que ni l'ordre profond ni
l'ordre mince ne peuvent être excluſifs. Que
l'un ſoit généralement préférable , il n'en eft
pas moins vrai que les circonstances particulières
obligeront à employer l'autre. « Il
ود
ود
l'eſt done aufſi que , pour avoir le ſyſtême
de manoeuvre le plus complet , il faut
>> trouver les moyens de paſſer avec le plus
d'ordre & de célérité poffibles de l'ordre
mince à l'ordre profond , & de l'ordre
>> profond à l'ordre mince.>>
R
Décidé pour l'ordre François , l'Auteur y
plie l'organiſation de l'Infanterie. Il pafle
enſuire aux détails de l'inſtruction du Soldat ;
& s'il y préſente des idées neuves qui auroient
beſoin d'être diſcutées &vérifiées avec
foin , il faut convenir qu'on y trouve beaucoup
de réflexions trop négligées , quoique
les apperçus en ſoient très juſtes.
La Cavalerie , dénomination générique
ſous laquelle l'Auteur comprend les diffé
rentes Troupes qui compoſent cette arme ,
(car il n'entre point dans les détails particuliers
aux Troupes légères , ) y eft traitée,
quant aux manoeuvres , avec plus de foin
DE FRANCE
75
encore que l'Infanteric. Tout le troiſième
Volume eft confacré à développer les détails
d'inſtruction des hommes & des chevaux.
Le Chapitre douzième , qui le commence
renferme une théorie de l'équitation aufli
fatisfaiſante qu'elle est neuve. L'Auteur n'eſt
pas ſeulement Écuyer , il eſt Écuyer Militaire.
Il rejette tout-à- fait les airs elevés des
manèges , & fe bornant aux allures naturelles
&à quelques ſoupleſſes néceffaires , il
dépouille le charlataniſme d'une nomenclature
recherchée , il ne veut former que
le cheval utile, & il détermine la progreffion,
de fon inſtruction comme de celle du Cava
lier. Tous ces détails ne laiſſent rien à de- ,
firer quant à l'ordre , à la préciſion & à la
juſteiſe de l'enſemble.
L'Ouvrage eſt terminé par la Table des
Ordonnances à faire pour ſe conformer au
ſyſtême général. Si le tableau en paroit effrayant
par le nombre , qu'on fonge à toutes
celles qui ont été faites fur chacun des objets
relatifs au Militaire , pour former &
détruire , pour rétablir afin de changer encore
, & l'on concevra le beſoin d'en voir.
fortir à la fois affez pour établir un ordre
quelconque , mais tel au moins qu'il puiſſe
s'améliorer par la permanence.
Cet Ouvrage doit néceſſairement éprouver
des contradictions , & donner lieu à des
diſcuſſions nombreuſes. Si l'on y met le
même ordre & la même ſageſſe que nous
louons dans l'Auteur de cer Examen, il aura
)
D
:
76 MERCURE
4
le mérite d'avoir produit une révolution
dans la Littérature Militaire , en éclairant
une marche ſyſtématique par embarras , &
polémique ſans fruit.
AMINTE , Pastorale du Taſſe ,ſuivie d'un
Intermède. Nouvelle Traduction en vers ,
avec le texte. A Londres , & ſe trouve à
Paris , rue de la Harpe , près de la rue
Serpente.
L'AMINTE du Taſſe eſt à peu près auffi
connu que il Pastor Fido. Il parut fur le
Théâtre de Ferrare en l'année 1573. Le nouveau
Traducteur a joint à cette Paſtorale un
des Intermèdes que l'Auteur avoit compoſés,
& qui n'ont paru que dans ſes OEuvres
Pofthumes. Il ne s'agit point ici d'analyſer
une Pièce qui est très- connue , qui d'ailleurs
étant dénuée d'action , brille bien plus par
les détails que par l'enſemble. Nous devons
nous borner à faire connoître la manière du
Traducteur . Sa Traduction eſt exacte & ſans
paraphraſe. Nous aurions deſiré qu'il eût
foigné davantage ſon ſtyle , quoique la liberté
du dialogue rende le Lecteur moins ſévère
ſur les négligences. On eſt d'autant plus
en droit de l'exiger , qu'il prouve ſouvent à
travers ſes négligences qu'il peut écrire avec
agrément.
Daphné dit à ſa compagne Silvie , qu'elle
veut attendrir en faveur d'Aminte :
Mais au moins réponds-moi , ſitout autre Berger
DE FRANCE. 77
Sous tes loix en ce jour s'offroit à s'engager ,
Seroit- il accueilli de la même manière ?
SILVIE.
J'accueillerois ainſi tout Berger ſuborneur ,
Jaloux de tendre un piège à la pudeur rébelle,
Qu'il te plaît de nommer amant tendre & fidèle,
Etque j'appelle un ennemi trompetir.
DAPHNÉ.
Crois-tu que le belier , ſous un air de candeur ,
De ladouce brebis eſt l'ennemi perfide?
Que le taureau , brûlant d'une invincible ardeur ,
De la belle géniſſe eſt le perſécuteur ;
Etque le tourtereau , forſque l'amour le guide ,
De ſa tendre moitié conſpire le malheur ?
Crois-tu que la ſaiſon nouvelle ,
Qui , s'offrant chaque jour plus riante &plus belle,
Invite au doux plaiſir d'aimer
Tout être qui reſpire & naît pour s'enflammer ,
Soit un temps de diſcorde & de haine cruelle ?
Ne vois-tu pas plutôt qu'un ſentiment Hatteur
Fait éclore en tous lieux la joie & le bonheur ?
Contemple ce pigeon , avec quel doux langage
Il flatte en careffant l'objet de ſon amour ;
Entends le roſſignol , qui , d'ombrage en ombrage,
Va chantant ſes ardeurs aux échos d'alentour ;
Ne ſais-tu pas que la froide vipère ,
Lorſqu'un ſecretpenchant l'entraîne au fonddesbois,
Dépofe le venin de ſa dent meurtrière ?
Dij
78 MERCURE
Les tigres , de l'amour reconnoiffent les loix ,
Et le lion fuperbe eſt ſoumis à ſa voix .
Et ton farouche orgueil encor plus inflexible ,
De tous les animaux furpaſſant la fureur ,
Sans pitié lui refuſe un afyle en ton coeur !
Mais , que dis je , le tigre & le lion terrible ,
Animés pour ſentir & goûter le bonheur ?
Au doux plaifir d'aimer l'arbre même eſt ſenſible.
Vois avec quelle force & par combien de noeuds
La vigne ſe marie au pampre tortueux !
Le hêtre tendrement ſoupire pour le hêtre ,

L'orme s'unit à l'orme , & le ſaule champêtre
Incline ſes rameaux vers le ſaule amoureux , &c.
Nous allons finir par un morceau de dialogue
piquant & d'un tour heureux , entre
Aminte & Tircis , ſon ami. Il faut , dit
Tircis , te conduire en homme de courage.
AMINTE.
Quel courage ? Et qui doit en éprouver l'effet ?
IRCIS.
Dis-moi : fi ta Silvie , au ſein d'un vaſte ombrage,
Ceint d'énormes rochers & de lacs entouré ,
Habitoit des lions le repaire ſauvage ,
Vers cet affreux ſéjour irois - tu de plein gré ?
AMINTE.
J'ireis , n'en doute pas , d'un air plus aſſuré ,
Qu'une jeune Bergère aux danſes du village.
DE FRANCE. 79

TIRCIS.
Si d'un tas de brigands , armés pour l'égorger ,
Elle étoit inveſtie , en dépit du danger ,
Irois-tu la ravir à leur rage homicide ?
AMINTE.
J'irois d'un pas plus prompt & plus léger
Que le cerfaltéré vers la ſource limpide .
TIRCIS .
Il faut montrer encor plus d'intrépidité.
AMINTE.
Eh bien , je franchirois l'impétuofité
Des immenfes torrens , quand les neiges fondues,
Amoncelant leurs ondes confondues ,
Précipitent leur cours au ſein des vaſtes mers ;
A travers mille feux , j'irois juſqu'aux enfers
Rejoindre mon amante au milieu des ténèbres;
Si pourtant les enfers , dans leurs gouffres funèbres ,
Pouvoient enſevelir tant de charmes divers .
Dis-moi donc maintenant ce qu'il faut entreprendre.
TIRGOLS .
Écoute , Aminte.
AMINTE.
Achève promptement.
TIRCIS.
Sans voile& fans témoin , Silvie au bain t'attend ,
Auras-tu bien la force de t'y rendre ?
DIV
80 MERCURE
SPECTACLES .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 27 Septembre , on a repréſenté
, pour la première fois , le Diable
Boiteux , ou la Choſe Impoſſible , Opera-
Comique en un Acte , en profe & en vaudevilles.
Le titre de ce petit Ouvrage rappelle d'abord
le Conte plaiſant , mais un peu graveleux
, du bon Jean La Fontaine ; cependant
l'action de l'Opéra- Comique n'a aucune
reffemblance avec celle du Conte , &
lebut en eſt abſolument différent. Chez La
Fontaine , le Diable confent à rendre un
amant heureux , à condition que celui- ci ,
loin d'obéir an Diable, ſaura le faire obéir ,
en lui donnant à toute heure,& fans nul retardement
, de nouveaux ordres à exécuter ;
faute de quoi , ſon corps & ſon âme appartiendront
à Satan. Un ordre , dont l'exécution
eſt impoffible , rompt le pact & rend
l'amant libre. Ici , c'eſt toute autre choſe. Le
Diable Boiteux eſt l'Amour déguisé. Il eſt le
protecteur d'un jeune homme qui n'a pas
encore pu obtenir la main d'une maîtreſſe
qu'il idolâtre. Il lui permet de donner carrière
à ſes deſirs , de former tous les voeux
qu'il lui plaira , & s'engage à les accomplir ;
DE FRANCE. 81
mais il ajoute qu'il ne peut épouſer ſa maîtreffe
qu'après avoir demandé une choſe
décidément impoſſible. Le jeune amant
forme pluſieurs fſouhaits ; ils font accomplis
fur le champ. Il demande pour ſa maîtreffe
leplus beau bouquet qu'il ſoit poſſible d'imaginer
; tout-à-coup il en paroît un , compoſe
de trois belles roſes unies à trois lys
fuperbes. Il demande un plus beau bouquet
encore: c'est la chose impoſſible. Il obtient
lamainde ſa maîtreſſe.
Cette bagatelle eſt de M. Favart le fils.
Elle eft reconımandable par la fraîcheur & la
grâce des penſées , par l'heureux choix des
airs & par la coupe facile des vaudevilles
où la langue , toujours reſpectée , ajoute encore
un prix au charme des madrigaux & à
la fineſſe des épigrammes qui les terminent.
L'intrigue eſt peu de choſe , & l'intérêt exiſte
ſeulement dans l'allégorie des rofes & des
lys; mais un intérêt de cette nature eſt tou
jours puiſſant fur les coeurs François.
VARIÉTÉS.
SURle paſſage de Mercure devant le
Soleil en 1782 .
LES
ES Aſtronomes n'ont obſervé juſqu'ici que trois
fois Mercure fur le diſque du Soleil. Ces obſervations
ſont curieuſes & utiles pour l'Aftronomie , &
il eſt bon d'avertir les Aſtronomes & les Amateurs ,
fur-tout ceux qui habitent les Provinces méridionales;
car à Paris , au mois de Novembre , il eſt for
Dy
82 MERCURE
douteux que l'obſervation puiſſe réuſfir à cauſe des
inauvais temps , ſuivant les Tables de M. de la
Lande , qui ont été parfaitement d'accord avec ſes
derniers paſſages ; on verra celui - ci tout entier à Paris;
le commencement de l'entrée ſera le 2 Novembre, à
deux heures cinquante - cinq minutes du ſoir , & la
fin de la fortie à quatre heures vingt- huit minutes,
c'eſt à-dire , neuf minutes avant le coucher du Soleil.
: L'entrée ſe fera douze degrés à gauche du vertical
du Soleil dans ſa partie ſupérieure , ou à droite en
bas dans les lunettes qui renverſent. Comme Mercure
n'a que douze ſecondes de diamètre, il ne
pourra ſe voirque dans des lunettes d'approche ; mais
il n'eſt pas néceſſaire qu'elles groffiſſent beaucoup.
LETTRE de M. Allemand à M. de la
IL
Lande , de l'Académie des Sciences.
L eſt étonnant , Monfieur , qquuee dans l'annonce
que vous avez faite , dans le Journal des Savans du
mois d'Avril dernier, d'une Carte des rivières & d'un
Mémoire fur la même matière , de M. de Vauban ,
vous approuviez ſi facilement la critique qu'a
faire M. de Fourcroix de la communication de la
Meurthe avec la Bruſch ,dans ſes Notes à la ſuite du
Mémoire de ce célèbre Maréchal de France. J'ai indiqué
cette jonction dans mon Traité préliminaire
de la Navigation intérieure (1 ) d'après les probabilités
que nous donne la Carte de l'Académie, que
M. de Fourcroix invoque pour en démontrer l'impotlibilité
, & d'après M. de Biliſtein , Aureur d'un
Effai fur la Navigation Lorraine , d'un Mémoire
(1) Chez L. Cellot , Imprimeur- Libraire , rue des
grands Auguftins .
DEFRANCE. 83
fur 1's Canaux de France , & d'un Effai ſur les deux
Duchés , relativement à l'Agriculture , au Commerce
, &c. dont vous ne nous parlez point dans
votre Ouvrage , que vous appelez le grand Traité
des Canaux.
Voici comme s'exprime cet Auteur dans ſon Effai
fur la Navigation intérieure de ſon pays , p. 138
& ſuiv. Le Rhin eſt la rivière la plus intéreſfante
à la France pour ſes opérations militaires. Il
eſt donc infiniment à ſouhaiter de pouvoir y communiquer
ſes rivières directement ſans quitter ſon
territoire ( 1 ) ; elle le peut par la Moſelle ou par la
Meurthe ; elle le peut par l'une & par l'autre ; mais
il faut premièrement ſuppoſer qu'elles ſont rendues
navigables , d'où l'on voit de plus en plus la chaîne
de ces établiſſemens. On n'exécutera pas néanmoins
la jonction par les deux rivières ; l'une & l'autre a
ſes grands avantages , ſur leſquels je ne décide pas ,
ne voulant qu'indiquer.
La Moſelle peut , dès ſa ſource , être jointe au
Rhin par Tannes & Euſisheim ſur l'Ill , laquelle ſe
jette dans le Rhin à Strasbourg.
La Meurthe peut être jointe au Rhin par la Sarre
au deſſus de Salm , éloignée de la Bruſch d'une
lieue & demie (2). La Bruſch ſe jette dans l'Ill , &
'Illdans le Rhin , la diſtance est petite , Salm n'étant
qu'à huit lieues de Strasbourg. La petite rivière de
Veſouze qui paſſe à Turckeftein & à Blamont, & fe
(1) Cette réflexion ,, qqui paroît des plus ſaaggeess ,, eft
contre l'opinion de M. De la Lande , qui pense qu'on
doit opérer la jonction du Rhône avec le Rhin ſur le territoire
Genevois & Suiffe .
(2) La Carte de l'Académie donne quatre mille toiſes ,
même diſtance à- peu- près , & la Carte des rivières dont
M. de Fourcroix fait l'éloge donne dix mille toiſes d'une
rivière à l'autre ; cette erreur ſurprend encore moins qu'une
multitude d'autres. Comment ſe peut-il qu'elles aient
outes échappé à l'oeil pénétrant du célèbre Aſtronome ?
Dvj
84 MERCURE
jettedans la Meurthe, peut aider cette communica
zion&par- là encore celle de la Sarre à la Meurthe. >>
Cettejonction nous eſt donc préſentée par M. de
Biliſtein non-ſeulement comme probabłe, mais encore
comme très - praticable , &devant être la continuité
d'une grande navigation qui intéreſſe engénéral
le Royaume; je n'ai pas héſité de me décider.
pour ce dernier ſeuil, qui va droit au but principal ,
Strasbourg. Voici ce que j'en dis en parlant de l'Alface,
pag. 80 de mon Ouvrage , qu'il ne manqueroit
plus à cette Province,au moyen des communications
ouvertes à la Lorraine vers la Capitale & les
Ports du Royaume , que d'établir celle de la Brusch
avec la Meurthe par un canal dérivé de cette première
du côté de Salm,pour aboutir à la dernièrepar
la Vefouze au-deſſous & près de Lunéville. Cette
firaple indication d'une partie du ſeuil du côté de la
Meurthe , ſans déſigner précisément la partie depuis
laBruſch juſqu'à la Vefouze, ne pouvoit pas fournir
matière à une critique raiſonnable , parce qu'il faut
néceſſairement connoître tout un plan pour le diſcuter
pertinemment; cependant M. de Fourcroix n'a
pas laiſſé que de condamner le mien au ſujet de
cette communication , quoiqu'il n'en connût que
très- imparfaitement une partie.
D'ailleurs , eſt- ce avec des conjectures , des
ſertions hafardées , des notions priſes ſur la Carte
de l'Académie,que ce Militaire dit être encore moins
exacte dans les montagnes qu'ailleurs , qu'il a prétendu
démontrer l'impoſſibilité de cette jonction par
la Veſouze , & que vous avez pu , Monfieur , affirmerque
cette critique étoit judicieuſe ? C'eſt avancer
des faits dont on n'a aucune certitude; car vous
n'avez , non plus que M. de Fourcroix , envoyé
des gens expertsdans les Mathématiques , l'Hydrau→
lique & les Nivellemens , le graphomètre , le compas,
la toiſe , le jallon à la main , pour vérifier les
DEFRANCE 84
points indiqués , & fixer ceux qui rendent l'exécution
praticable , la ſeule autorité avec laquelle vous
auriez pu raiſonnablement attaquer mon affertion ;
c'eſt avec des faits authentiques que l'on combat
les opinions d'autrui , & non avec des conjectures
qui ne décident rien.
Je vais , Monfieur , vous démontrer la probabi
lité de pouvoir opérer la jonction de la Bruſch avec
laMeurthe par la Veſouze. J'ai dit qu'on le pouvoit
du côté de Salm , ſans ajouter que cela ſe pût
directement par la Veſouze ; ainfi , quand M. de
Fourcroix a cru en avoir reconnu l'impoſſibilite
directement par la haute Veſouze ou par ſes affluens
de la rive gauche , pourquoi ne pas daigner jeter les
yeux fur ceux de la rive droite qui avoiſinent les
eaux de la Sarre , nº . 142 de la Carte qu'il cite , &
en même - temps ſur des affluens de la Bruſch ,
n°. 162 ibid. qu'il cite auſſi ; alors il auroit certainement
vu la probabilité de pouvoir l'opérer nonſeulement
par la Sarre & la Veſouze, mais encore
par cette première & le Sanon , autre affluent de la
Meurthe , priſe du bout de l'étang de Richecourt à
celui de Ketzin , d'où fort un ruiſſeau qui tombe
dans la Sarre. On le peut encore par la Seille , un
des affluens de la Moſelle , au moyen de pluſieurs
étangs ou lacs qui ſont entre Dieuze & la Sarre , à
une très petite diſtance les uns des autres ; & en
dérivant enſuite de la Seille au point de Nommeny ,
un Canal d'une lieue & demie ou environ pour
aboutir à la Moſelle à Pont-à-Mouffon , on mertroit
cette grande navigation preſque en droite
ligne vers les communications projetées pour joindre
la Saône , la Marne , la Seine & l'Eſcaut; ce
ſeuil paroît d'autant plus avantageux , que la Seille
a été rendue navigable ( 1 ) juſqu'à Dieuze ; mais
(1) On ne doit point à ce ſujet avoir égard à la Carte
86 MERCURE
fixons - nous au ſeuil critiqué de la Vefouze.
Aniderhoff eſt un vallon ſur la rive gauche de
la Sarre, par lequel il paroît facile de diriger un
Canal , ſoit vers le ruiſſeau d'Herbas , ſoit vers
l'étang où prend naiſſance le ruiſſeau de Richeval ,
deux des affluens de la Veſouze ; la diſtance de leurs
eaux de celles de la Sarre n'eſt que de trois cent
toiſes , n . 142 de la Carte citée par M. de Fourcroix.
Voilà certainement une très grande probabilité
de pouvoir opérer la communication par la
Vefouze de la Meurthe avec la Sarre , par laquelle
on parvient au point de partage. Il s'agit maintenant
de voir s'il y a de la probabilité à pouvoir
établir la communication de la Bruſch avec la
Sarre.
Sur les confins du comré de Salm, du pays Meffin&
de la Province d'Alface , dans les bois de
Saint-Quirin , au Sud-Ouest des maiſons des
Gardes , nº. 162 de la Carte citée par M. de Fourcroix
, eſt un ruiſſeau affez conſidérable , dont la
fource n'eſt éloignée de celles de la Sarre & de la
Zorne , affluent de cette première , que de trois
cent cinquante toiſes , & qui ſe jette dans la Bruſch
à Nerzembach , à quatre mille toiſes ſeulement de
la Sarre & de la Zorne , & à huit mille quatre
cent toiſes de Molsheim , d'où la Bruſch eſt navigable
juſqu'à Strasbourg au moyen d'un Canal de
quatre lieues , de vingt-quatre pieds de largeur , fur
huit de profondeur, conſtruit ſous Lous XIV.
* Dans le même canton , n °. ibid de la Carte, eft
un ſecond ruiffeau un peu plus au. Nord & plus
confidérable que le premier , qui prend ſa ſource à
l'Ouest du Château de la Muraille , à quatre cent
:
des rivières qui indique le contraire , & qui est généralement
infidelle ſur ces indications, ainſi qu'il eſt facile de
s'en convaincre .
1
1
DEFRANCE. 87
,
toiſes ſeulement des ſources de la Zorne , & qui ,
groſſi dans ſon cours de pluſieurs autres ruiſſeaux
tombe dans la Bruſch à Nider-Hatlach , à quatre
mille toiſes environ de la première , & pas plus de
quatre mille neuf cent toiſes de Molsheim , où l'on
trouve le Canal de ce nom ; de manière qu'à partir
du point de partage entre les ſources de la Zorne &
'celles de ce dernier affluent de la Bruſch , il n'y auroit
que huit mille neuf cent toiſes environ de
canal à faire pour joindre celui de Molsheim , beaucoup
moins que par le premier affluent ; ainfi , on
ne peut diſconvenir qu'il n'y ait auſſi la plus grande
probabilité de pouvoir établir la communication de
la Bruſch avec la Sarre , & que ces deux ruiſſeaux ne
paroiſſent plus convenables à tous égards pour opérer
entièrement la jonction de la Bruſch avec la
Meurthe , que celui qui avoiſine la plaine & qui
tombe dans la haute Bruſch à Schirmeck , dont
parie M. de Fourcroix pour cette opération. Ce ne
peut être que par l'un ou l'autre de ces deux ruiſſeaux
que M. de Biliftein a entendu établir la communication
de la Bruſch avec la Sarre , & de celle - ci communiquer
à la Veſouze. Il n'y a donc rien d'étonnant
que j'aie dit que cela ſe pouvoit du côté de
Salm , puiſque les ſources de la Sarre , de la Zorne
& des deux affluens de la Bruſch dont il s'agit ,
avoiſinent ce comté.
Iln'eſt plus queſtion que d'examiner la probabilitédu
magaſin d'eau néceſſaire au point de partage
pour fournir au Canal des deux côtés. On vient de
voir que dans les bois de Saint- Quirin & aux envi
rons , nº . 162 de la Carte , les ſources de la Sarre ,
celles de la Zorne & des deux affluens que nous avons
adoptés pour opérer cette importante communication,
ſe touchentpreſque, ce qui annonce une abondance
d'eau à ce point de partage. Voilà donc une
88 MERCURE
très - grande probabilité de la quantité d'eau ſuffiſante
pour alimenter cette navigation .
La hauteur des vauges (1 ) au point de Sainte-
Marie- les - Mines , nº. 163 de la Carte , objection
que nous fait M. de Fourcroix , on ne peut en tirer
aucune conféquence pour la hauteur que peuvent
avoir celles dans leſquelles nous indiquons la communication
de la Meurthe avec la Bruſch ,
nos 142 & 162 de la Carte , qui font à huit lieues
&demie de diſtance des vauges de Sainte-Marieles-
Mines. Dans les chaînes de montagnes de tous
les pays, il y a des inégalités conſidérables & même
des interruptions qui ſuccèdent ſouvent aux parties
les plus élevées , laiſſant au bas de la montagne un
paſſage libre au cours des eaux , & la facilité de
pratiquer des routes peu au-deſſus du niveau du
plat-pays : d'ailleurs , les rivières naiſſent-elles préciſément
aux ſommets des montagnes pour y défigner
un point de partage, & de-là fixer la pente
que l'on a à racheter dans la longueur d'un canal ?
Qu'a encore de commun avec un canal , que trois
pieds de pente aux eaux courantes en forment un
torrent, lorſqu'il n'eſt point queſtion de rendre une
rivière navigable de ſon fond , & qu'il ne s'agit que
de la conftruction d'un canal où l'on rachette ailément
, par des écluſes , la pente qui peut s'y trouver ?
Ce qui prouve toujours plus , que cette critique &
votre ſanction ne ſont étayées que de conjectures
& d'aſſertions hafardées , c'eſt que Mutzig n'eſt
pointà-peu-près au niveau de Strasbourg , comme
le dit M. de Fourcroix , affertion que vous rapportez
, puiſque Molsheim , qui eft neuf cent toifes environ
au-deſſous de Mutzig, eſt plus de quatrevingt-
quatre pieds au -deſſus du niveau de cette
(1) Sept cent pieds au deſſus du niveau de Strasbourg
Suivant l'Abbé Chappe.
DE FRANCE. 89
!
Capitale, comme le prouve le rachat de quatrevingt
- quatre pieds de pente par des éclures au
canal de Molsheim. ( Buſching , Tome IV, p. 439).
Je crois , Monfieur , que vous devez être pleinement
convaincu de votre trop d'empreſſement à dire que
la critique de M. de Fourcroix étoit judicieuſe ,
d'autantplus que ſi elle l'étoit à mon égard , elle le
ſeroit de même à votre ſujet , relativement à plufieurs
opérations que vous indiquez , dont la poffibilité
n'eſt étayée que des mêmes autorités que j'ai
émployées pour faire croire pravicable non-feulement
la communication de la Bruſch avec la Meurthe
, mais encore quantité d'autres opérations.
Au reſte , il est bien étonnant qu'au lieu de
daigner faire connoître au Public les objets que
vous lui avez annoncés dans cette occafion , entr'autres
, l'intéreſſant Mémoire de M. de Vauban , vous
ne vous ſoyez attaché qu'à rapporter en entier la
critique de la communication de la Bruſch avec la
Meurthe: quels que foient les motifs de cette prédilection,
ils devoient céder à l'intérêt qu'avoit le
Public dans l'Extrait de ce premier Mémoire. Si la
critique à laquelle il a donné lieu avoit pu bleffer
mon amour -propre , j'aurois été amplement dédommagé
en reconnoiſſant mes moyens pour l'extenfion
de la Navigation intérieure , dans ceux du grand
Vauban !
J'ai l'honneur d'être , &c.
ALLEMAND , de l'Académie deMarseille,
Confervateurgénéral de la Navigation
intérieure , ancien Confervateur des
Forêts de l'Isle de Corse.
1
وه
MERCURE
ינ
PROSPECTUS.
ESSAT fur l'Art de vérifier les Miniatures peintes
dans des Manuscrits depuis le quatorzième jufqu'au
dix -septième fiècle incluſivement , de comparer
leurs différens ſtyles & degrés de beautés , &
de déterminer une partie de la valeur des Manufcrits
qu'elles enrichiſſent .
TEL eft
46
le titre d'an in -folio orné de vingt.fix
Planches gravées au ſimple trait , imprimées en
>> encre foible , & peintes en or & en couleurs, de la
>> manière la plus reſſemblante à autant de miniatures
que M. l'Abbé Rive a choifies dans diffé-
>> rens Manufcrits exécutés avec la plus grand ma
>> gnificence en Europe , pour divers Souverains ou
>> très - hauts & très-puiſſans Seigneurs , dans les
quatorzième , quinzième, ſeizième&dix- leptième
>> fiècles : 2 tel eſt , diſons- nous , le titre d'un Ouvrage
effentiel & lumineux dont M. l'Abbé Rive
•vient de publier le Profpectus.
Cet Ouvrage remplira certainement tout ce que
le Profpectus annonce , & tout ce que ſon titre
promet. L'érudition immenſe de ſon Auteur &
ſon exactitude ſcrupuleuſe , le choix de ſes autorités
ſont des garans plus que capables de nous
donner des eſpérances. Ce Recueil, dont le genre
étoit juſqu'aujourd'hui parfaitement inconnu , nous
eſt néceſſaire. Il nous importe fans doute de
n'être point la dupe du charlataniſme des vendeurs
de manufcrits prétendus originaux. Il nous importe
de tenir dans nos mains le cachet de chaque ſiècle ,
&de pouvoir en reconnoître l'empreinte dans tous
les manufcrits qu'on nous préſentera. On fent que
DE FRANCE وہ
:
fans des ſecours nombreux & une connoiffance bibliographique
très-étendue, il eſt impoffible d'avoir
ce cacher. M. l'Abbé Rive a ſu le trouver , & vient
de nous le préſenter. A ce mérite,le nouveau Recueil
enjoint un autre qui ſera aisément apperçu. Il nous
offre la parure , le vêtement de quatre fiècles , &
nous montre quels étoient leurs goûts dominans. Sous
cepoint de vue ſon travail devient encore plus précieux;
il fournit un ſupplément aux monumens de la
Monarchie Françoiſe du Père Montfaucon. L'Auteur
répond d'avance à la queſtion qu'on pourroit
lui faire , pourquoi il n'a pas remonté plus haut ?-
Les miniatures ,dit il , font affreuſes depuis le dixième
juſqu'au quatorzième ſiècle. On peut l'en croire. Les
Savans ne pourront qu'être fatisfaits d'appercevoir
dans cette Hiftoire abrégée,une aſſociation ſuivie de
la Peinture & la Calligraphie ( ou Art d'écrire les
manufcrits ) depuis Varron, le plus ſavant des Romains
juſqu'à nous. Cet abrégé eſt neuf , & doit être
auſſi intéreſſant que curieux.
L'exécution de cet Ouvrage ſera très-ſoignée , &
réunira la beauté du papier , la beauté des caractères
à la fidélité & à la pureté des Gravures. L'Auteur a
choiſi parmi plus de douze mille miniatures les vingtfix
dont il donne les copies. Sa Collection doit l'emporter
ſur le Recueil de Montfaucon par le choix
des miniatures , la variété des ſujets , leurs oppoſitions
de ſiècles, de ſtyles & de coftumes , & fur
les plus beaux manufcrits qu'on conſerve en Europe.
Ce Recueil doit contenir une balance bibliopolique
qui apprendra à estimer , dit M. l'Abbé Rive ,
lefurpus de la valeur que des miniatures ſemblables
à celles qui y font gravées donnent aux manuscrits
qu'elles embelliffent, Ce Livre ſera un monument de
Bibliothèque pour les Souverains & les Amateurs qui
ſe piquent de poffder des curioſités calligraphiques
d'ungenre unique , & un manuel pour les Libraires
92 MERCURE
qui defirent s'inſtruire de la valeur des manufcrits
ornés de miniatures qui leur tombent ſous la main.
L'Auteur promet de donner deux deſcriptions des
manufcrits dont il a emprunté ſes Planches. L'une,
qu'il appelle calligraphique , expofera la manière
dont chacun d'eux est calligraphié; l'autre , à laquelle
il donne le nom de bibliographique, en détaillera
le contenu. Cette manière de décrire les Livres ,
ſoit manuscrits , ſoit imprimés , eſt neuve & de la
plus grande utilité.
Conditions de la Souſcription.
Il n'y aura que quatre-vingt Exemplaires de ce
Recueil. M. l'Abbé Rive promet à ſes Souſcripteurs
de n'en pas tirer un plus grand nombre , & de ne
jamais en faire une ſeconde Édition. La manière
avec laquelle il contracte cet engagement eſt digne
d'être rapportée. Pour conſtater, dit - il , & qu'il n'y
>> en aura que quatre-vingt Exemplaires,&détruire
> tout ſoupçon de fraude dans l'eſprit du Public,
>> j'écrirai à la fin de chaque Exemplaire 1 , 2, 3
>> (juſqu'au quatre- vingt incluſivement) . Exem-
>> plaire délivré à M.... tel jour & tel mois. J'ac-
>> compagnerai ce certificat de ma ſignature. On
>> ne verra aucun Exemplaire ſans ce certificat , ou
>> dont le numéro ſoit double & excède le nombre
>> auquel j'ai fixé mon tirage. Je ne ferai jamais
>> aucune autre Édition du même Ouvrage ; c'eſt
>> un engagement ſacré que je contracte avec le
>> Public; par-là , il n'y a aucunGouvernement qui
>> n'ait le droit de prohiber la réimpreffion que je
>> voudrois en faire en quelque lieu de l'Europe que
>> j'euſſe le front de l'entreprendre. »
M. l'Abbé Rive ne parle point dans ſon Profpec.
tus du fort de ſes cuivres après ſa mort ; mais
nous ſavons qu'il a eu l'honneur d'en faire
hommage au Roi pour ſon Cabinet de Versailles.
DE FRANCE.
93
Après le tirage des Exemplaires, ils ſeront dorés &
déposés dans ce Cabinet pour y ſervir de monument
littéraire à la Poſtérité , & de preuve authentique du
reſpect inviolable de l'Auteur pour ſes engagemens.
La ſouſcriptionde cet Ouvrage eſt de vingt- cinq
louis qu'on paye d'avance. Comme les cuivres ſont
gravés , & que les modèles de peinture ſont achevés
, cette avance eſt indiſpenſable pour accélérer
dans le court eſpace donné, la maindes Artiſtes qu'il
fautpayer comptant.
Cette ſouſcription ne ſera ouverte pour la France
quejuſqu'au premier Novembre prochain ; elle ne
ſera fermée pour les Étrangers qu'au premier Janvier
1783 .
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront ce Recueil
quarante louis,
Chaque Souſcripteur recevra dans l'eſpace d'un
an , à dater du jour de ſa ſouſcription , l'Ouvrage
en entier. Il recevra les treize premières Planches
peintes dans les fix premiers mois,& les treiz autres
avec le Diſcours dans les fix ſuivans.
Apeine le Profpectus avoir été publié, que le Roi,
laReine , Monfieur , Madame &Madame Comtefle
d'Artois ſe ſont empreſſés d'honorer l'Auteur de
leur ſouſcription. Ce Proſpectus forme un in - 12 de
70 pages imprimé par Didot avec les anciens types
deGaramont, qui fut un des plus habiles Fondeurs
de caractères qu'il y ait eu à Paris depuis le commencement
du ſeizième fiècle. Quoique ces types
foient fondus depuis plus de deux cent ſoixante
ans , ils acquièrent tous les jours une nouvelle
beauté. Le papier eſt un des plus beaux qu'on fabrique
en France. Le corps du Proſpectus eſt d'environ
23 pages ; le reſte eſt en Notes , qui font toutes
ou inſtructives ou curieuſes .
Ce Profpectus ſe vend chez l'Auteur , rue du
Cherche-Midi , vis-à-vis celle du Regard ; & chez
94 MERGURE
Eſprit , Libraire , au Palais Royal . Prix , I livse
Io fols. On n'en a tiré qu'un très-petit nombre
d'Exemplaires , & il n'en refte preſque plus. Nous
invirons nos Lecteurs à ſe procurer cette Brochure
intéreſſante , qui les mettra en état d'apprécier le tra-'
vail de M. l'Abbé Rive.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Sieur Defnos , Ingénieur - Géographie & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques,
au Globe , annonce à MM . les Libraires & autres
Commerçans du Royaume & des Pays étrangers ,
qu'il vient de mettre en vente une nombreuſe Collection
d'Almanachs nouveaux pour l'année 1783 ,
très-bien conditionnés & utiles à tous les états , ornés
de Cartes Géographiques & autres , dont la plupart
compoſés de Romances , Chanſons , Vaudevilles
des meilleurs Auteurs en ce genre , font ornés
de douze Eſtampes , tous reliés en maroquin avec des
tablettes économiques , perte & gain , & fermés
d'un ſtylet pour y écrire. Prix , 4 livres 10 fols , &
sliv. rendus franc de port par- tout le Royaume.
Le Sieur Deſnos en diftribue gratuitement le Catalogue,
ainſi que l'Analyſe deſdits Almanachs ,
petite Brochure d'environ cent pages , où l'on donne
une idée de chacun pour déterminer le choix du
Public ou de l'Acheteur. Il fera une remiſe honnête
aux Perſonnes qui s'adreſſeront directement à lui
pour ſes Almanachs , ſuivant le nombre qui lui en
fera demandé , & il expédiera auſſi-tôt chaque
demande par la voie qui lui fera indiquée , pourvu
que ceux à qui il la remettra ſoient chargés d'en répondre.
Les lettres non affranchies ne feront point
reçues. L'Anacréon en belle humeur , cu le plus
joli Chanfonnier François , dont la quatrième Partic
-
DE FRANCE
ور
1
vientde paroître chez le même Libraire , doit, par le
genre & le choix des Pièces , plaire à un grand nombre
de Lecteurs. Il en paroîtra une Partie tous les
troismois.
Précis de l'Art des Accouchemens en faveur des
Sages- Femmes & des Eleves en cet Art , par M.
Chevreul , Docteur en Médecine , Maître en Chirurgie
à Angers , Démonftrateur en l'Art des Ac-
| couchemens , & Inſpecteur général des Cours d'Accouchemons
de la Généralité de Tours. A Angers ,
de l'Imprimerie de C. P. Mame , Imprimeur de
MONSIEUR , rue S. Laud ; & ſe trouve à Paris ,
chez P. F. Didot lejeune , Imprimeurde MONSIEUR,
quai des Auguſtins, in- 12. Prix , 2 liv. broché.
Mémoire fur l'ancienne ville de Tauroentam ;
Hiftoire de la ville de la Ciotat ; Mémoire fur le
Port de Marseille; par M. Marin, de pluſieurs
Académies , Cenſeur Royal , Lieutenant Général au
Siège de l'Amirauté de la Ciotat. A Avignon ; & fe
trouve à Paris , chez Leclerc l'aîné, Libraire , quai
des Auguſtins; à Marseille , chez Jean Moffy , Imprimeur
du Roi , & chez Sube & Laporte , Libraires ,
in- 12. Prix , 2 liv. 8 ſols broché.
Médecine des animaux domestiques , renfermant
les différens remèdes qui conviennent pour les maladies
des chevaux , des vaches , des brebis , &c. &c.;
par M. Buc'hoz , Auteur de différens Ouvrages économiques
, in- 12 . A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Harpe , la première porte- cochère au-deſſus du Collège
d'Harcour. Prix, 1 liv. 16 fols.
6
Histoire des Campagnes de Henri de la Tour
d'Auvergne , Vicomte de Turenne , en 1672 , 1673 ,
1674 & 1675 , écrite d'après les Dépêches du Maréchal
de Turenne ( communiquées par la Maiſonde
Bouillon) la Correſpondance de Louis XIV,de ſes Miniftres,
& beaucoup d'autres Mémoires authentiques;
96 MERCURE
1
enrichied'ungrand nombre de Plans & CartesTopographiques
néceſſaires pour l'intelligence des marches,
campemens , batailles , fièges & mouvemens
des armées , diviſée en deux Parties in -folio ,
dédiée & préſentéc au Roi ; par M. le Chevalier de
Beaurain , Penfionnaire Géographe de Sa Majesté,
On trouve cet Ouvrage chez l'Auteur , rue Git-le-
Coeur , la première porte-cochère à droite par le
quai des Auguſtins. Le Proſpectus de cet Ouvrage
ſera communiqué aux Perſonnes qui le deſureront.
Prix , 96 liv.
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins, annonce
qu'il vient de recevoir de l'Étranger pluſieurs Exemplaires
des Livres ſuivans : Mémoires de l'Académie
deBerlindepuisfon originejuſqu'à cejour, to Vol.
in-4°. (on ſépare les Volumes. )- Analyſes des
Coutumes de Lorraine , 1782 , in- 4°. Edits de
Lorraine , 1782 , Tome XIV, in - 4º.- Coutumes
de Normandie , 2 Vol. in -folio.
TABLE.
ENVOI d'un Sabre , 49 taire François, 70
Moralité , 50 Aminte, Pastoral du Taffe, 76
Le Papillon qui ſe brûle à la Comedie Italienne ,
chandelle, Fable ,
80
ib. Sur lepaſſage de Mercure de-
Airde Daphne & Apollon , FI vant le Soleil en 1782 , St
Enigme& Logogryphe , 52 Lettre de M. Allemand àM.
L'Ecole des Pères , Comédie de la Lande ,
en trois Actes ,
54 Prospectus ,
82
१०
Hommage Littéraire , 64 Annonces Littéraires, 94
Examen critique du Mili-
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 12 Octobre. Je n'yai
rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis,
k11 Octobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Août
Les incendies qui ſe multiplient depuis
quelque tems , ont porté la conſternation
"dans toute cette Capitale ; on ſe rappelle les
ravages caufés par les deux qui ont eu lieu
dans le mois dernier ; quelque terribles qu'ils
aient été , ils le ſont encore moins que ceux
dont nous venons d'être témoins. Le 21 de
ce mois, à 10 heures du ſoir , le feu a éclaté
dan's le quartier de Giamaja , vis-à-vis l'Ar
ſenal ; ce n'eſt qu'hier matin qu'on eſt parvenu
à l'éteindre. On compte que la moitié
de cette grande ville a été réduite en cendre.
Le Palais de Conſtantin- le-Grand , l'Egliſe
Patriarchale , le quartier de Soliman , où ſe
trouve la magnifique Moſquée qui porte ce
nom, la rue des Arméniens , preſque tout
le quartier des Juifs & des Chrétiens , les
Synagogues , les Egliſes , &c. n'existent
12 Octobre 1782 .
( 50 )
plus. Plus de deux cents mille perſonnes
font réduites à la dernière misère. On
attribue cet incendie , comme ceux qui
l'ont précédé , à la méchanceté des mécontens
qui , depuis quelque tems , font
entendre des cris de révolte contre l'Adminiſtration.
LeGrand Seigneur vient de céder
à ces cris , en renvoyant le Grand- Vifir , à
qui il a redemandé les ſceaux aujourd'hui ;
ils ont été donnés à Jaghen- Ali Pacha , Béglierbey
de Romélie. Le Kiaya des Janiffaires
& le Chiaoux Baſchi ont été déposés
également ; comme le mécontentement du
peuple tombe principalement ſur ce dernier ,
on ne ſeroit pas étonné qu'il fût ſacrifié pour
Pappaiſer. L'incendie , pendant ſa violence ,
a menacé le Serrail , & le Grand Seigneur
a été au moment de ſe retirer à Pera , dans
le Palais de l'Ambaſladeur d'Autriche. Heureuſement
on eſt parvenu à en écarter le
feu.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 2 Septembre.
CONFORMÉMENT aux ordres de S. M. I.
pour l'augmentation de ſa marine , on s'occupe
ſans relâche de nouvelles conſtructions,
tant ici , qu'à Archangel , àCherfon , à Kaml
tchatka & à Ockoska, On eſpère qu'avant
qu'il ſoir peu , notre marine encore forble
, aura acquis des accroiſſemens affez
conſidérables , pour ne rien envier à celle
( 51 )
des autres grandes Puiſſances maritimes.
On continue de faire marcher des troupes
vers les frontières de la Tartarie & de la
Turquie , on y fait paſſer aufli de l'artillerie.
Le retour du Courier qui a été expédié à
Conftantinople , nous donnera , ſans doute ,
des lumières ſur l'état des affaires de la Crimée
, & fur les diſpoſitions du Grand-Sei
gneur à cet égard.
DANEMARCK,
De
COPENHAGUE , le Is Septembre.
,
Le Capitaine Fuglede , dont la relâ he
au Cap de Bonne-Eſpérance a éré l'occaſion
de tant de plaintes de la part de notre Cour
aux Etats-Généraux des Provinces - Unies
vient d'arriver avec ſon vaiſſeau . On va
bientôt procéder aux examens indiſpenſables
pour éclaircir cette affaire , fur laquelle la
Compagnie Hollandoiſe des Indesa répondu
par des récriminations graves , contre le Capitaine
Danois. On dit que l'Envoyé de la
République a été invité à ſe rendre à bord
du navire , pour être préſent aux interrogatoires
qu'on devoit faire à l'équipage.
>
>> 358 vaiſſeaux, au nombre deſquels eft le cons
voi Anglois qui s'étoit accru juſqu'à 250 navires ,
écrit - on d'Helſingor, obligés le 10 , par le calme
de revenir dans le Sund , en remisent à la voile
le II , avec un vent plus favorable. Le même jour
il y arriva de nouveau 36 bâtimens ; & le 12,34
autres de la Baltique : parmi les derniers , s Anglois
qui continuerent fur - le- champ leur route
C2
(52 )
}
pour tâcher d'atteindre le convoi. -Lorſque la
frégate Angloiſe le Mercure entra le7 au ſoir dans
ce port , ſon pavillon n'étoit pas hiſſé à l'extrémité
du grand mât ; il étoit caché en partie par
la voile: le Commandant du Château la prit pour
une lettre de marque ; & fur ce qu'elle n'amenoit
point , il lui tira deux coups à balle. Le Capitaine
en porta plainte ; mais il paroît que l'affaire a été
affoupie. - On travaille depuis quelque tems a
rendre ce port plus profond , & on remarque que
ce travail avance avec ſuccès «.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Septembre.
LES Diétines pour l'élection des Nonces
qui doivent aſſiſter à la Diète prochaine ,
ſont déjà aſſemblées par tout ; les nouvelles
qu'on en reçoit apprennent qu'elles font
très- tumultueuſes , & qu'il y a eu déjà du
ſang répandu dans quelques-unes. Tout cela
nous annonce que la Diète ne ſera pas moins
orageuſe.
Le nouveau Miniſtre de la Cour de Londres
, M. Dalrymple , arrivé depuis peu
ici , a eu ſa première audience du Roi.
Toutes les nouvelles des frontières de la
Turquie , ne parlent que de la fermentation
qui ſubſiſte toujours en Crimée ; les Tartares
, dit-on , ne veulent point abſolument
du Khan qu'ils ont forcé à prendre la fuite ;
ils prétendent conſerver celui qu'ils ont
élu , & ils ſe préparent à le ſoutenir les
armes à la main.
1
(53 )
1
ALLEMAGNE
De VIENNE , le rer. Septembre.
On croit que le Comte & la Comteffe
duNord arriveront inceſſamment dans cette
Capitale. La Princeſſe Elifabeth de Wurtemberg
les accompagnera , dit on , & reftera
enſuite dans cette Réſidence.
Onparle beaucoup depuis quelque tems
des évènemens qui ſe ſont paſſes ſur les
frontières de la Turquie ; la manière dont
ils ont été préſentés dans divers papiers publics
, leur donnoit une importance qu'ils
n'ont pas ; on a reçu de la Croatie une
relation qui n'eſt peut- être pas plus exacte ,
mais qui les réduit à leur juſte valeur , &
dont nous placerons ici l'extrait.
>> Quatre à cinq cens vagabonds Turcs ayant
paflé la Save, exercèrent des brigandages ſur le
territoire Autrichien, où ils pillèrent & maſſacrerent
impitoyablement une quantité de gens de campagne
& emmenèrent leurs beftiaux. On en demanda
fatisfaction au Bacha. Sur la réponſe peu
fatisfaiſante qu'on en reçut , on fit marcher 1200
Croates & 400 Huſſards ſur le territoire des
Turcs , avec quelques pièces de campagne ; les
Turcs s'étant préſentés , on tira de part & d'autre.
Le feu fut vif, un Lieutenant & un Auditeur
des troupes Impériales perdirent la vie ; il y cus
quelques bleffés , & on donna une leçon aux Ottomans
, en pillant quelques-uns de leurs villages «.
Ce ne ſont pas les brigands Turcs feulement
qui commettent des déſordres dans
quelques endroits. On lit dans une lettro
C3
(54 )
de Bude les détails ſuivans , d'excès bien
étranges & bien horribles.
>> La troupe des ſcélérats qui infeſtoit plufieurs
Provinces de ce Royaume , eſt en partie diſperſée
& détruite depuis que le Chef en a été pris . On
en a déja envoyé 40 au ſupplice ; 115 autres font
dans les fers. Ces monftres avoient un repaire
fouterrain , au milieu d'un bois ſombre & valte ,
où ils traînoient les cadavres des victimes qu'ils
avoient aflaſſinées ; & ce qu'on aura de la peine
à croire , c'eſt qu'ils en dévoroient enſuite les chairs
après les avoir rôties. Le Chef a été ſaiſi par un
Garde de la Prévôté de Frauenmarck , qui , accompagné
de quelques payfans , a eu le courage de
s'enfoncer dans cette forêt ; peu s'en eſt fallu qu'il
n'ait été la victime de fon zèle. On lui deftine
une très-groffe récompenfe .
د
Tous les Hopitaux de cette Ville doivent
être réunis à celui qu'on appelle l'Hopital
Eſpagnol ; on aggrandira ce bâtiment, qui
eſt déjà très-vafte pour pouvoir y placer
commodément tous les malades. Les perſonnes
qui y étoient entretenues recevront
des penſions annuelles , on enverra à la
campagne avec 10 kreutzers par jour celles
qu'on gardoit dans la maiſon des pauvres.
Les enfans trouvés , les orphelins , feront
mis dans la maiſon des orphelins. On y
établira des fabriques , où tous les gens de
métier qui manqueront de travail , pourront
ſe retirer pour s'occuper. Par cet arrangement
on économiſera des ſommes confidérables
, avec lesquelles on foulagera un plus
grand nombre de malades & d'infirmes.
Un Particulier a trouvé le ſecret de fe
ح
( 55 )
ر
ther le bled , & de rétablir celui qui eſt
gâté & attaqué par les vers , de manière que
la farine qu'on en tire peut ſe garder près
de so ans . Il a fait ici avec du bled gâté
pluſieurs effais qui ont ſi bien réuſſi , qu'on
en a fait de très bon pain de munition.
ככ Les régimens qui devoient former ici un
camp , écrit-on de Prague , reſteront aſſemblés jufqu'au
22 de ce mois; ils manoeuvreront pendant
ce tems & retourneront enfuite dans leurs quattiers
reſpectifs . On ſe flatte toujours que l'Empereur
viendra dans cette Ville. Il fera , dit- on , vers
la fin d'Octobre , un voyage dans ce Royaume
pourvoir les nouvelles fortereſſes de Theresienstadt
& de Pleff; & on ſe flatte qu'à cette occafion ,
il honorera auſſi cette ville de ſa préſence «.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
Le dernier incendie de Conſtantinople
rapporté dans tous nos papiers , paroît à
biendes perſonnes être fort exagéré , on ne
porte pas à moins de 66,000 maiſons celles
qui ont été réduites en cendres ; ſi l'on joint
à ce nombre les 10,000 qui avoient été
confumées dans les deux précédens , le calcul
ſera effrayant ; mais est- il bien exact ?
Cette ville , quelque grande qu'on la fuppoſe,
contenoit-elle eneffet 152,000 maiſons
au moins qu'elle devoit avoir eues avant les
incendies , qui en ont , dit-on , brûlé la moitié
? Combien en compte-t-on dans Paris ,
qui , certainement , eſt une auſſi grande
ville ? S'il y a , comme il eft vraiſemblable
de l'exagération dans ces calculs, il eſtà déſirer
د
C4
(56 )
qu'il y en ait auſſi dans ce qu'on dit des
troubles & de l'eſprit de révolte qui règnent
parmi le peuple. Nous nous contenterons
de rapporter ici les détails que l'on en donne
, fans les garantir ni les combattre.
>>Depuis fix ſemaines , cette Ville eſt le théâtre du
déſordre & de la déſolation. Les Incendies réitérés
qui ont eu lieu entre le 16 & le 25 Juillet ,
avoient étédes marques trop certaines du méconten.
rement des Janiſſaires. Les murmures de ce Corps
éclatèrent dans les premiers jours d'Août par une fédition
ouverte ; ils ne parloient pas moinsque de faire
deſcendre leGrand-Seigneur du Trône; mais la dépofition
de leur Aga qui fut faite ſur-le-champ&le paiement
de leur folde conjurèrent pour le moment l'orage;
onleur diſtribua sooobourſes (environ2,500,000
Ecus , & ils ſe retirerent fatisfaits. Le 21 Août les
mécontens mirent de nouveau le feu à la Ville . L'incendie
a été terrible , il eſt impoſſible de peindre
toute l'horreur du ſpectacle qu'offrent les ruines encore
fumantes ; & la détreſſe des infortunés habitans
eſt inexprimable. Enattendant les ſéditieux ont rempli
leur voeu. S. H. s'eſt erfin déterminée à éloigner le
Grand-Vifir qu'il aimoit , & qui a été déposé & exilé
àDémotica. Le Tefterdar , le Chiaouxbaſchi & pluſieurs
autresGrands ontpartagé ſa diſgrace. Malheureuſement
l'eſprit d'Anarchie & de révolte ne règne
pasdans la ſeule Capitale , il eſt général dans les Provinces
; cependant au milieu de cette fermentationinteſtine,
on demande une guerre étrangère ; les Gens
de Loi ſur-tout font tous leurs efforts pour y engager
le Sultan, &quoi qu'elle ne ſoit pas déclarée encore,
onla regarde comme très-prochaine ".
Suivant les lettres de Berlin , le Baron de
Hertzberg , Miniſtre d'Etat , y est actuellement
de retour; on dit qu'il a rapporté à
J
( 57 )
S. M. que moyennant une dépenſe de 60,000
écus , il étoit poſſible de mettre le port de
Schwinemunde en état de recevoir les plus
grosbâtimens.On ajoute que S. M. a propoſé
en conféquence à la Régence de Poméranie
d'avancer cette ſomme en conſidération des
avantages que cette Province pourroit retirer
de ce port.
> On attend avec impatience , écrit-on de Ratisbonne
, ce qui ſera arrêté entre les Catholiques & les
Proteftans , relativement à la grande diſcuſſion qui
règne dans les Colléges des Comtes de Westphalie &
de Franconie. Il a paru ici , il y a quelques jours , à ce
ſujet , une brochure dont on a arrété fur-le- champ la
circulation&dont on a confiſqué tous les exemplaires ;
elle a pour titre : Encouragement à la compoſition
des contestations des Comtes , & Obfervationsfur
les propofitionsfaites par les Ministres Catholiques
& les Ministres Protestans « .
On affure que les Cours de Vienne & de
Dreſde font en négociation pour un traité
d'amitié & de commerce.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Octobre.
La malle arrivée le 23 de New-Yorck ,
à bord de la Liberty ( & non le Lively ) ,
tranſport armé , contenoit des lettres du 20
Août , par leſquelles il paroît que l'eſcadre
Françoiſe a été vue ſur la côte , mais qu'elle
n'a pas tardé à s'en éloigner , foit pour aller
ſe réparer à Boſton , ſoit pour effectuer
quelque expédition ſecrette. Le premier
( 58 )
objet paroît le plus vraiſemblable aux Po
litiques , qui fondent leurs conjectures ſur
ce que chacun des vaiſſeaux de M. de Vaudreuil
porte 200 ſoldats , & fur ce que les
troupes Françoiſes cantonnées dans la Virginie
, viennent de quitter cette province
pour ſe porter dans la partie ſeptentrionale
du continent. Si l'Amiral Pigot s'eſt mis à
la pourſuire de l'eſcadre Françoiſe , nous
ne tarderons point à recevoir des nouvelles
de la plus grande importance; mais au départ
de la Liberty on n'avoit point encore
entendu parler à New-Yorck de cet Amiral
qui étoit attendu avec impatience. On lit
dans un papier de Philadelphie arrivé avec
1a dernière malle , les ſeuls détails ſuivans à
ce ſujer.
>> Les vaiſſeaux Anglois qui avoient paflé 15.
jours à Wineyard, pour piller le pays , paſsèrentle
20 Juin devant New-Yorck , & avoient enlevé aux
habitans 1500 moutons & environ 100 bêres à
corne. L'apparition d'une flotte Françoiſe a , dit- on ,
beaucoup accéléré le départ de l'ennemi. Si cela
eft vrai , nous devons nous attendre à des nouvelles
intéreflantes . - Le premier Août. La nouvelle nous
eſt venue hier de Jersey, que 3 vaiſſeanx de guerre
Anglois avoient été chaffés ſur la côte , près de
Shen'sbury , par l'eſcadre Françoife; mais nous ne
favons encore ni la date , ni le tems de cet évènement
".
La Cour n'a rien publié des nouvelles
qu'elle a reçues de New- Yorck , à l'exception
d'une liste des priſes faites par le
Contre-Amiral Digby , depuis le premier
Mai juſqu'au 11 Août, & la lettre ſuivante
:
) ( مو (
adreffée à ce Contre-Amiral par le Capi
taine Salter , commandant la frégate la Santa-
Margarita , en date du 18 Août.
၁၁ J'ai l'honneur de vous informer que le 29
du mois dernier , au point du jour, je donnai chaffe
à une voile que j'apperçus dans la bande du S. E.
Le vent étoit au N. E. quart N. , & le Cap
Henry nous reſtoit alors à l'Oueſt , à la diſtance
d'environ 5 lieues. M'érant approché à un mille &
demi du vaiſſeau chaſſé , je reconnus par les fignaux
&les manoeuvres qu'il fit , que c'étoit une frégate
Françoiſe , de force égale à nous ; mais m'étant
apperçu que 8 gros vaiſſeaux , dont 2 n'étoient pas
fort éloignés , arrivoient ſur nous à force de voiles
, je virai vent arrière , après avoir pris l'avis
de mes Officiers , & je m'éloignai de la frégate
Françoiſe , & portai au nord , ayant à craindre
tout-à- la- fois & l'ennemi , & d'être jetté à la côte ,
vu la direction du vent qui ſouffloit du large. La
frégate nous donna chaſſe juſqu'à 3 heures aprèsmidi
; alors elle vira de bord & porta à l'Ouest.
Comme nous ne découvrions plus les gros vaifſeaux
de la tête du mât , & que le tems étoit trèsclair
, mes Officiers & mon équipage exprimant
le vif defir qu'ils avoient de combattre la frégate ,
je fis virer de bord & porter ſur elle. Au bout d'un
quart-d'heure , elle vira auſſi de bord & porra fur
nous. As heures les 2 frégates étant à la diſtance
d'une encablure l'une de l'autre , l'ennemi ayant
ſes amures à tribord & nous à babord , il nous
envoya une bordée & vira auſſitôt vent arrière.
Nous attendîmes pour lui ripofter que l'occaſion
ſe préſeatât de l'enfiler pendant qu'il viseroit
que nous exécutâmes avec ſuccès de nos canons
de tribord. Nous nous en approchâmes enfuite inſenſiblement
à la portée du piſtolet , lui préſentant
notre côté de tribord , nous continuâmes de
,
ce
۱
c6
1601
nous battre dans cette poſition; le combat fut très
vifde part & d'autre & dura une heure un quart. La
frégate Françoiſe amena alors ſon pavillon. C'étoit
l'Amazone de 36 canons ( de 12 & de 6 livres
deballe ) & de 301 hommes d'équipage. Elle étoit
commandée par le Vicomte de Montgniotte , qui
fut tué au commencement de l'action . J'envoyai.
un Lieutenant & un tiers de mon équipage pour
l'amariner . Nous fimes tous les efforts poflibles
pour réparer nos dommages & faire paffer les pri-
Tonniers à notre bord, afin de nous rendre içi le
plutôt poſſible & d'éviter les autres vaiſſeaux , qui ,
ſuivant le rapport des Officiers François , faiforent
partie d'une eſcadre de 13 vaiſſeaux de ligne , ſans
compter les frégates ; mais il y eut des délais inévitables
occaſionnés par le manque de chaloupes n'en
ayantqu'une ſeule en état d'être miſe à la mer , (laquelle
tranſporta à notre bord 68 priſonniers , y
compris les Officiers ) & par l'état délabré de
l'Amazone qui avoit perdu ſon grand mat & fon
mât d'artimon auffi-tôt après avoir amené pavillon.
Nous fûmes obligés de la prendre en remorque pendant
la nuitàcauſe des dommages qu'elle avoit reçus
pendant le combat. Nous mîmes dehors toutes les
voiles que nous pûmes & fîmes route au N. E. dans
l'eſpérance de nous éloigner des autres vaiſſeaux;
mais au point du jour nous reconnûmes diftinctement
toute l'eſcadre Françoiſe qui nous ſuivoit forçant
de voile. Je fis revenir auſſi-tôt à bord mes Officiers&
la partie de l'équipage qui étoit paſſée ſur
Ja frégate Françoile ; je fis couppeerr le grelinde remorque
& laiſſai dériver ma chaloupe , n'étant pas:
en état de la rembarquer , & j'abandonnai la prife
après avoir ordonné de couper le peu qui lui reſtoit
de ſon gréement de l'avant. Si letems&les circonftances
m'euffent permis de faire paffer à mon bord
tous les priſonniers , j'aurois donné ordre qu'on
mit le feu à la frégate Françoise , afin d'emrécher
(61 )
qu'elle ne fût repriſe par l'ennemi.-Je ne faurois
donner tropd'éloges à la conduite de mes Officiers &
de mon équipage , à raiſon du courage & de l'ardeur
qu'ils ont montrée pendant l'action ,& auffi à raiſon
de l'activité qu'ils ont miſe à réparer les dommages
que nous avions eſſuyés , pour être en état d'échapperà
l'ennemi. Je ne puis en même-tems paſſer ſous
filence la conduite brave & diftinguée du Vicomte
de Montguiotte , lorſqu'il mena ſa frégate au combat.
Après qu'il eut été tué , le Chevalier de l'Epine ,
Capitaineen ſecond,(auquel le commandement étoit
dévolu ) fit tout ce qu'un Officier expérimenté pou
voit faire dans ſa pofition ; car fi l'on confidère qu'il
étoit bleſſé , que tous ſes Officiers , à l'exception
d'un ſeul , & environ la moitié de ſon équipage
étoient tués ou bleſſés , que ſes mâts étoient fi endommagés
qu'il devoit s'attendre à chaque inſtant
à les voir tomber à la mer ; ſi l'on conſidère en
outre que plufieurs de ſes canons étoient démontés ,
&qu'il y avoit quatre pieds d'eau dans le fonds de
calle; j'oſe croire , dis-je , que toutes ces circonſtances
le juſtifieront aux yeux de ſon Roi & de ſa
Patrie,qui reconnoîtront la néceffité où il étoit de
ſe rendre. Les dommages effuyés par la frégate
de S. M. & le nombre d'hommes tués &bleffés dans
le combat ne font que peu de choſe en comparaiſon
des dommages efſſuyés par l'ennemi & de ſa perte.
Notre grand mât fut percé par les boulets en plufieurs
endroits ; le mât de miſaine , le grand & le
petit mât de hune & le mât de perroquet de fougue
furent endommagés , ainſi que pluſieurs vergues.
Quelques charges à mitraille ſe logèrent dans notre
donblage de cuivre à fleur d'eau. Nos voiles , nos
manoeuvres courantes & dormantes ( à l'exception
des haubans d'artimon ) ont été entièrement coupées
en pièces. Nous avons eu cinq tués & dix-sept bleffés
pendant le combat : parmi les premiers eſt M.
Dalrymple , jeune homme de beaucoup de mérite,
( 62 )
8
qui , s'il cût vécu , ſe ſeroit diſtingué dans ſon état ;
&parmi les derniers eſt le ſieur Otro , qui a eu le
bras emporté par un boulet. Le nombre des tués à
bord l'Amazone , ſuivant le rapport des Officiers
François , ſe monte à 70 hommes , y compris les
Officiers , & celui des bleſſés à 70 on 80. LaSanta-
Margarita avoit 36 canons & 255 hommes d'équipage.
M. William Dalrymple , Garde- Marine , &
4 matelots ont été tués , un maître d'équipage &
16 matelots bleffés.
Parmi les autres détails qu'offrent les
papiers Américains , nous citerons ceux-ci.
De Boston le 15 Juillet. MM. Balcock , Stoddard
, Woodbury & Tibbers , Capitaines du Héro ,
du Scammel , du Hope , & du Swallow , ayant
réſotu de ſurprendre la ville de Lunebourg , fituée à
10 lieues à l'ouest de Halifax , ont débarqué le premier
Juillet , à deux milles an-deſſous de la ville ,
avec 90 hommes , commandés par le Lieutenant
Batteman. Ces braves gens ſe rendirent à la ville
avec la plus grande célérité , & malgré les vives
décharges de l'ennemi , ils brûlèrent la maiſon du
Commandant , & le fort qui eſt au Nord de la
ville. Ils enclouèrent 2 canons de 24 livres de
balles , & forcèrent l'ennemi à ſe refugier dans la
fort qui eſt au ſud de la ville. Il s'y défendit par
le feu le plus animé , paroiſſant vouloir tenir jafqu'à
la dernière extrémité ; mais quelques coups de
canonde 4 livres de balle , tirés du Héro , les forcèrent
à ſe rendre priſonniers de guerre. Les vainqueurs
commencèrent alors le pillage , vuidèrent les
magafias , & s'emparèrent d'une quantité confidérable
de denrées & de proviſions de tout genre ,
fans compter 20 poinçons de bon rum d'Amérique.
Sachant que l'ennemi approchoit , le Lieutenant
Batteman fit enclouer 2 pièces de 18 livres de
balle , & embarquer fur le Scammel tout ce que
1631
ſes gens avoient pris dans les magaſins du Roi.
D'ailleurs il s'eſt conduit envers les habitans avec la
plus grande honnêteté , il leur a même laiſſé tous
leurs effets . La ville a été taxée à 1000 liv. ſterl.
de rançon , & le Colonel Creighton a été conduit
avec les principaux habitans à bord du Scammel.
Du côté des vrais Enfans de la liberté , il ya
cu 3 hommes bleſſés légèrement & 1 dangereuſement.
Les Partiſans du despotisme ont eu beaucoup
de tués & de bieffés , ſans qu'on puiffe en
déterminer le nombre.
" De Philadelphie le premier Août , toute la milice
de la Caroline ſeptentrionale eſt partagée en
claſſes de vingthommes ; chaque claſſe doit fournir
un Soldat continental & l'équiper completiement. Un
certain nombre de claſſes eſt chargé de fournir des
chariots & des attelages qui doivent être propriétés
continentales.Ces règlemens peuventproduireenviron
1500 Soldats de plus & trois chariots, en égard aux
déficit qui ne peuvent manquer d'avoir lieu dans un
pays ruiné par l'ennemi qui tout récemment encore y
portoit de toutes parts le ravage& la deſtruction . La
levée des hommes , leur équipage & la fourniture
des tentes coûreront à chaque claſſe au moins 350.
dallers. Les frais pour chaque arrelage & chariots
complets monteront environ à foo. La dépenſe générale
fera au moins de $75,000 dollars. Outre la
fomme néceffaire pour l'enrôlement des troupes ,
l'Aſſemblée a ordonné qu'il ferpit levé pour la préſente
année deux taxes , dont l'une en proviſions &
l'autre en argent. Toutes les terres doivent être eftimées
en argent , ainſi que les beftiaux , eſclaves ,
fonde dans le commerce & voitures . Sur ces articles
les-Propriétaires payeront pour le ſervice smmédiat
del'armée une taxe ennarure; ſavoir: bled, froment ,
ris , avoine ſeigle , farine , ſel & viande falée ou
fraîche de boeuf ou de porc. Les habitans de la Caroline
ſeptentrionale payeront auffi une taxe pécuniaire
,
( 64 )
pour l'objet général d'un reveau. Mais comme dans
ungrand nombre d'endroits de cetEtat , il ſeroit impoſſible
de trouver affez d'argent comptant pour le
paiement de cette taxe , il a été réglé que les trois
quarts de la taxe pourroient être payés en tabac
rendu dans un port , en pelleteries , chanvre , cire ,
porc en barils , en toile. Ces articles font eſtimés fur
le pied d'environ 25 pour 100 au- deſſous de leur
prix courant , parce qu'il eſt de l'intérêt des habitans
de payer argent comptant lorſqu'ils le pourront.
Il eſt auſſi à propos d'obſerver que pendant tout l'hiver&
le printems il s'eſt fait toutes les ſemaines dans
preſque toutes les parties de cet Etat des enlèvemens
conſidérables ou plutôt d'amples contributionsde porc
& de gros bétail pour le ſervice de l'armée du Sud.
-Commele bruit s'eſt répandu que la Caroline ſeptentrionale
avoit refuſé de fournir ſon contingent
pour lesdépenſes de l'armée confédérée , nous pou
vons afſurer le public , d'après la meilleure autorité ,
que cetEtat , dans ſon aſſemblée du mois de Mai dernier
adonné les preuves les plus évidentes & les
moins équivoques de ſa réſolution à remplir juſqu'au
dernier point les demandes du Congrès autant que
peut le permettre la rareté actuelle des eſpèces dans
ce pays ".
,
Du 3 Août. Il vient d'arriver ici un Particulier
qui eſt parti depuis trois ſemaines du Quartier-Général
du Général Green. Nous apprenons par lui ,
qu'un Officier du Général Vayne eſt arrivé au camp
du Général Green , avec l'agréable nouvelle de
l'évacuation de Savanah par les Anglois ; ſelon les
apparences ils évacueront auffi Charles-Town ;diverſes
circonstances tendent à confirmer cette opinion
, & les voici : les Négocians de la Ville ont
prié leGénéral Leftie de leur accorder quelque tems
pout arranger leurs affaires avant le départ de la
garniſon ; les priſonniers Américains ont eu la liberté
de quitter la Ville ſur leur parole ; le Majos
( 65 )
Skelley , Aide-de-camp du Général Leſlie , après
avoir été pris à bord d'un petit bâtiment de 8 canons
, avec des dépêches pour New- Yorck , a eu la
permiffion de ſe rendre à Charles-Town ſur ſa parole
,& de ſon côté M. Pendelton , Chef de Juſtice
de la Caroline méridionale , a obtenu celle d'en fortir
; les troupes témoignent la plus grande ardeur dans
le camp de notre brave Général ,qui ſe diſpoſoit à
prendreune nouvelle pofition à dix milles de Charles-
Town. Le terrein étoit déjà déſigné , & l'armée devoit
ſe mettre en mouvement le lendemain du départ
du Particulier de qui nous tenons ces nouvelles .
-Un bâtiment de Charles-Town ayant à bord des
priſonniers Américains deſtinés pour la Chéſapéak ,
a été arraiſonné il y a 8 jours à l'entrée de cette
baie ; les gens à bord ont donné les mêmes nouvelles
par rapport à Savanah & àCharles - Town.
Ils ont dit auſſi que pluſieurs autres bâtimens les
ſuivroient inceſſamment fur la même roure.
Maintenant tous les regards ſont fixés
fur les négociations du Chevalier Carleton ;
la poſition de ce Général doit être trèsembarraſſante
, puiſqu'il eſt ſans ceffe occupé
non-ſeulement à faire avorter les
deſſeins de l'ennemi , mais encore à appaiſer
les clameurs des Loyaliſtes. La lettre qu'il
a écrite de concert avec l'Amiral Digby ,
au Général Washington , en leur faiſant
craindre d'être abandonnés à la puiſſance
du Congrès a répandu le déſordre & la
conſternation dans New-Yorck. Ona affiché
par-tout dans cette ville des libelles & des
paſquinades , & le portrait d'un certain
Miniſtre a été traîné dans les rues , enſuite
brûlé au milieu des clameurs d'une popu
( 66 )
lace effrénée. Après tous ces excès les Loya
liftes & les habitans de New Yorck ont
déclaré que ſi la Grande Bretagne les abandonnoit
, ils ſe défendroient contre les armes
du Congrès , & ne tarderoient point
à former un corps impofant; en effet les
régimens provinciaux font portés , dit- on ,
à 20,000 hommes. New-Yorck renferme
10,000 réfugiés , & les 13 Provinces , à ce
qu'on prétend , font remplies de Loyaliſtes.
Mais le Gouvernement , affurent pluſieurs.
de nos feuilles , loin d'évacuer New- Yorck
en abandonnant les Loyaliſtes à la puiſſance
du Congrès , eſt déterminé , ſi les Américains
refuſent nos propoſitions de paix , à
continuer la guerre , & à envoyer de nouvelles
troupes pour renforcer les garniſons.
Tous ces bruits inquiètent les vrais patriotes,
qui craignent que le terme tant déſiré
de la paix , auquel nous avons cru toucher ,
ne ſoit encore éloigné , chaque jour faiſant
naître de nouveaux obftacles.
Nos fonds hauflèrent il y a quelques jours
d'une manière affez frappante ſur le bruit
qui ſe répandit de l'arrivée d'un Négociateur
François ; mais depuis leur baiſſe a été
rapide , ſans qu'on ſache poſitivement à
quoi en attribuer la cauſe. Nos papiers fourmillent
à ce ſujet de conjectures & de
ſpéculations trop folles pour être répétées.
Cependant un d'entre eux , le Morning-
Chronicle , rapporte avec tant de confiance
( 67 )
Particle ſuivant , qu'on ne fauroit le re
jetter.
A
>> On a reça à New-Yorck les papiers Américains ,
la veille du jour que le dernier paqeebo a mis à la
voile. Ils contiennent cette réponſe faite par le Congrès,
à la lettre des Commiſſaires de la G. B.
rêté,que te Gongrès n'a reçu de ſes Minitres dans
les Pays étrangers aucune intimion ſemblable à
celle qui lui a été faire & qu'il regarde comme infidieuſe.
En conféquence , il invite les Etats-Unis à
faire un nouvel effort pour chailer da Cominent les
troupes di Roi & les Loyaliſtes. Le Lord Shel
barne , ajoute le Morning Chronicle a déclaré
que les conditions offertes par MM. Carleton &
Digby n'étoient ni de ſa connoiſſance ni de fon
aveu. Il eſt certain qu'elles portent le cachet de
l'Administration précédente ".
Tous ceux qui ſuivent avec intérêt les
révolutions de l'Etat , attendent avec anxiété
l'ouverture de la prochaine ſéance du
Parlement ; & il eſt conſtant que ce n'eſt
qu'à cette époque qu'on pourra affeoir un
jugement certain ſur la tournure que vont
prendre nos affaires , & fur les diſpoſitions
duGouvernement. Tout ce que diſent nos
papiers , relativement à l'Amérique , ſe réduit
à ceci.
Le Gouverneur Franklin , arrivé dernièrement de
New-Yorck , a eu hier une longue conférence avec
le Roi , au fujet des affaires d'Amérique , & il a remis
à S. M. les adreſſes des Loyaliſtes de New-
Yorck. Il a eu aufſi divers entretiens particuliers
avec les Miniſtres du Roi , & l'on aſſure qu'il affiftera
à un Canſeil extraordinaire , qui le tiendra excluſivement
ſur les affaires de l'Amérique.
On dit que le 19 il a été décidé au Conſeil de
( 68 )
dreſſer une Commiſſion ſcellée du grand ſceau de la
G. B. , par laquelle on donnera des pleins pouvoirs
au Chevalier Carleton & à l'Amiral Digby , pour
conclure la paix avec l'Amérique , ſur le pied de
I'Indépendance , ou ſéparément avec quelques-unes
des Provinces , ou avec différentes corporations. On
ajoute que cette Commiſſion a été envoyée au Chancelier
, qui l'a renvoyée à Londres le 23 au ſoir.
Elle ſera expédiée pour New-Yorck avec la plus
grande diligence.
Par les inſtructions que l'on enverra en Amérique
, les Loyaliſtes ne ſeront point livrés au pouvoir
du Congrès ; & s'ils ne ſont point réintégrés
dans leurs poffeffions , ils ſeront traités comme une
corporation particulière , & foutenus dans leurs prétentions.
Un des papiers du ſoir annonce qu'on a ſcellé à
Ja Chancellerie , une Commiſſion ſignée par S. M. ,
qui nomme M. Oswald , Commiſſaire , pour négo
cier la paix avec les Treize Etats-Unis d'Amérique.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck , le
Capitaine Aſgill étoit en très-mauvaiſe ſanté , par
les ſuites d'une maladie épidémique. Cet Officier
étoit encore détenu le 18 Août.
La Nation défire généralement la paix ,
chacun la croit d'une néceſſité urgente ;
mais nos finances ſont dans un état fi
effrayant , que l'on craint que cet évènement
même ne puiſſe nous retirer de l'abîme
, en rendant la dette nationale moins
onéreuſe , ou en la faiſant baiffer ; car il
eſt incontestable que depuis 92 ans , nous
avons eu exactement autant d'années de
guerre que de paix.
Laguerre de la révolution a duré depuis Ann.
1688 , juſqu'en 1696 , inclufivement
( 69 )
La guerre de la Succeſſion, depuis 1702 ,
juſqu'en 1713 11
La guerre contre l'Eſpagne & la France ,
depuis 1739 , juſqu'en 1748 •• 10
La dernière guerre, depuis 1755 ,juſqu'en
1763 8
La guerre actuelle , depuis 1775 , juſqu'en
1782 . 8
Total des années, depuis la première époque
,juſqu'à la préſente
Total des années de guerre
Total des années de paix

• 92
• 46
• 46
Il eſt donc évident , d'après ce calcul , que nous
avons eu ( & probablement aurons toujours) autant
d'années de guerre que de paix ; & comme , dans
une ſeule année de guerre , nous empruntons plus
d'argent que nous n'en pouvons rembourſer en dix
années de paix, il eſt aſſez clair que la dette nationale
doit continuer de s'accroître. Le Lord North a acquitté
neuf millions de notre dette pendant la paix ,
& il a emprunté treize millions pour faire face aux
ſeules dépenſes de l'année actuelle. Une telle diſproportion
, entre les dettes acquittées & les dettes contractées
, épaiſeroit les moyens de toutes les Puiſſances
de l'Europe réunies.
>> Le Comte de Shelburne , dit à cette occafion
un autre papier , compte fort peu ſur la proximité
de la paix , c'eſt ce que l'on croit appercevoir dans
ſon activité à travailler aux moyens de fubvenir aux
dépenſes d'une campagne vigoureuſe pour l'année
prochaine. Il ſepropoſe de lever les ſubſides néceffaires
, même avant la fin de l'année , & fans
recourir à un emprunt , en impoſant un 10 pour
centfur tous les revenus ners , ſoit en terre , commerce
, fonds capitaux , manufactures , main-d'oeu
vre, hypothèques ou penfions. En ne portant le
revenu annuel de tous ces objets qu'à cent millions
( 70 )
fterling , cela fait 12 millions d'intérêt net à ra
pour cent ; ce qui , avec les revenus ordonnés , formeta
une maile conſidérable , qui mettra l'Angleterre
en état de continaer encore une guerre , dont
le terme , après tout , doit être l'épuiſement de la
Nation , tant en individus qu'en richeſſes ".
Cet arrangement ne paroît avoir aucun
fondement ; d'abord il reſte encore plus
de 6 millions ſterling du dernier emprunt
dont les fonds ſont à fournir pour le 16
Novembre prochain ; & enſuite peut - on
lever une impoſition ſur les fonds publics ,
lorſque'le Parlement s'eſt ſolemnellement
engagé à les en exempter.
On est toujours ici dans l'attente des nouvelles
de l'expédition de l'Amiral Howe. On
n'en a de fon eſcadre que juſqu'au 16 de ce
mois; ellesont été apportées par les vaiſſeaux
qui en ont été ſéparés; & cela a confirmé ce
que nous craignons , qu'elle n'ait beaucoup
fouffert des mauvais tems. On fait que les
vents ont été très-contraires depuis cette
époque , & on n'eſt pas ſans inquiétude
fur les obſtacles qu'ils ont pu apporter à
ſa marche. S'il a pu la continuer ſans que
fes convois ſe ſoient diſperſés , il ne doit
pas à cette époque tarder à arriver à ſa
destination. Nos papiers ne diſent plus qu'il
ne trouvera pas l'armée combinée ; on lait
qu'elle eſt dans la baie d'Algéſiras ; mais ils
n'en annoncent pas moins de grands ſuccès
pour notre Amiral. Ils ont ſoin de diminuer
la forcede l'ennemi , en peignant ſes vaif
1
( 71 )
ſeaux dans un état fi mauvais , qu'ils ne
peuvent être de grand ſervice. A ce tableau
on oppoſe celui de notre eſcadre , qu'on
dit être la plus belle & la mieux équipee qui
ſoit fortie de nos ports ; il n'y a pas un
vaiſſeau , diſent- ils , qui ne ſoit dans le
meilleur état. Mais on oublie que parmi
ces vaiffeaux , il y en a de très- vieux , tels
que le Blenheim, de 90 canons ; le Cambridge,
le Royal-William , de 84 , &c. Ces vaifſeaux
ne ſont pas meilleurs que le Royal-
George, qui vient de couler bas ; la dépoſition
de l'Amiral Barrington , au ſujet de ce
vaiſſeau , doit faire trembler pour les autres.
Lorſqu'on le répara la dernière fois à Plymouth
, il dit au Charpentier qu'il ne
croyoit pas qu'ils puffent parvenir à le
mettre en état de ſervir. Leur réponſe fur
qu'on leur avoit ordonné de le réparer commeon
pourroit pour l'été, après quoi il ſeroit
condamné. L'Amiral répliqua : à la bonneheure
, s'il n'en arrive point de malheur ,
mais le bois en est très pourri. Pluſieurs
Officiers prétendent que le Blenheim , le
Cambridge , &le Royal-William , ne valent
pas mieux. De pareils vaiſſeaux ne
font pas une grande force dans une eſcadre
, & cette armée combinée , qu'on dit
en ſi mauvais état , n'en a point d'auffi
vieux..
Quant aux nouvelles de Gibraltar , on
dit qu'il en eſt arrivé ; mais elles ſont encore
du commencement de ce mois , & ne
172 )

peuvent par conféquent nous informer que
des diſpoſitions de défenſe. Le Général
Elliot s'attendoit , dit- on , à un aflaut le
10 de ce mois , & il ſe flattoit de repouſſer
l'ennemi ; mais comme il ſavoit que cette
attaque lui coûteroit une grande partie de
ſes munitions , il craignoit d'être dans le
cas de manquer bientôt de poudre , fi le
Lord Howe ne lui en apportoit pas une
nouvelle proviſion. Cet Amiral en con.
duit une grande quantité ; il s'agit maintenant
de ſavoir s'il arrivera , & s'il pourra
exécuter fa miffion. C'eſt de cette expédition
que paroît à préſent dépendre le
fort de cette Place , que la nature a rendue
d'une attaque difficile , & que l'art à
ſu ſeconder depuis. Nos papiers nous don--
nent les meilleures eſpérances ; c'eſt au
rems à les réaliſer ; il ne fauroit être éloigné .
Ils les regardent déja comme une affaire
faite ,&ils annoncent que l'Amiral ne s'arrêtera
à Gibraltar que le tems néceffaire pour
débarquer les troupes & décharger les bâtimens
munitionnaires ; après cela , ila , diton
, le deſſein de protéger nos flottes , d'intercepter
celles de l'ennemi , & d'exécuter
encore une expédition ſecretre. Voilà bien
de l'ouvrage ; on ſera heureux s'il en fait
ſeulement une partie.
Deux des bâtimens arrivés de la Baltique
& chargés de mats , ont ordre de ſe
rendre aux Ifles ſans débarquer leur cargai
fon,
( 73-)
fon ; ils appareilleront avec le prochain
CORVOI.
L'Anfon , de 64 canons , Capitaine Rodney,
eſt arrivé de la Jamaïque à Portfinouth .
Il étoit parti le 26 Juillet avec l'Amiral Rodney
, dont il s'eſt ſéparé à la hauteur des
Açores. Ce vaiſſeau , de conſerve avec la
Résolution , de 74 , parti de la Jamaïque
en même-tems , a rencontré & pris trois
bâtimens. Ces priſes ne font point encore
arrivées ; mais on les attend d'un moment
à l'autre ſous le convoi de la Réſolution.
On a reçu avis de Bristol , que la Belle
Poule , venant de Corke , étoit arrivée à
Kings-Road , avec des tranſports qui ont à
bord trois régimens de ſoldats , faiſant
partie des sooo hommes accordés par l'Irlande.
Ils alloient à Portsmouth ; mais le
vent contraire les a forcés de remonter le
canal de Briſtol. Ces troupes feront embarquées
ſur les bâtimens Marchands qu'on
raſſemble aujourd'hui à Portsmouth , pour
fortir avec le convoi des Ifles .
Un papier du ſoir dit que le Lord Rodney
eſt entré auConſeil de S. M.
FRANCE.
De PARIS , le 8 Octobre.
On débitoit il y a quelques jours comme
une choſe fort extraordinaire & preſqu'incroyable
, que le Rainbow qui a pris la
fregate l'Hébé , l'avoir attaquée avec des
canons de 68 livres de balles deſtinés pour
12 Octobre 1782. d
( 74)
Gibraltar. Le Rainbow n'étant que de 46
canons , & un vieux vaiſſeau , on rejettoit
bien loin l'idée qu'il pût faire uſage. de
pièces de ce calibre. Aujourd'hui le fait eſt
conſtaté par les certificats envoyés au Miniſtre
de la Marine par le Chevalier de Vigny
, commandant l'Hébé , certificats ſignés
par ſon Etat Major , ſon équipage , & par
le Capitaine Trollope , commandant le
Rainbow ; ce vaiſſeau avoit 20 canons
de 68 livres , 20 de 42 & 6 de 32. On
dit que ces canons de nouvelle invention
font fort courts ,& qu'un ſeul homme peut
les pointer au moyen d'une méchanique
adaptée à cet effer. Ce qu'il y a de plus
extraordinaire , c'eſt que juſqu'ici ces
eſpèces de carronades ne portoient pas bien
loin , & M. de Vigny écrit que dans ſa retraite
, ſes canons de 18 n'atteignoient pas
l'ennemi , tandis que les boulets de 68
tomboient à ſon bord. Ayant eu la barre
de ſon gouvernail coupée , & ſe trouvant
entièrement déſemparé & fans aucun eſpoir
d'échapper aux forces ſupérieures auxquelles
il avoit affaire , il amena ſon pavillon. L'article
ſuivant tiré d'un papier Anglois , intitulé
: The Exeter flying post , vient à l'ap
pui de ces détails.
>> Dimanche 8 du courant , ( Septembre ) eft
arrivée à Portsmouth l'Hébé , frégate Françoiſe de
38 canons , dont 26 de 18 livres, commandée par
le Chevalier deVigny , priſe par le vaiſſeau de S. M.
le Rainbow , de so canons , dont 20 de 68 , &
le seſte de 42 & de 32. L'Hébé alloit de St-Malo
( 75 )
à Breſt pour ſe faire doubler en cuivre , ( étant
toute neuve ) & avoit avec elle un convoi chargé
de munitions navales , qui s'eſt échappé ſain &
fauf«.
On est toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; les bruits qui ſe ſont rés
pandus à diverſes repriſes ſe renouvellent ,
& on ne doute pas qu'ils ne ſe confirment
enfin tôt ou tard. Celui de la priſe de Madras
vient aujourd'hui de tous les côtés ;
ſans qu'en fache trop qui l'a apporté ,
quoique cette nouvelle ne ſoit pas officielle ,
il paroît qu'on y ajoute foi ; & elle eſt du
moins très-vraiſemblable. Le Pérou , navire
de M. de Monthieu , arrivé comme on l'a
dit à Vigo , n'a rien apporté . Il avoit quitté
l'ifle de Bourbon le 4 Avril , à cette époque
on n'y ſavoit rien des opérations de
notre flotte dans l'Inde.
>> Le vauſeau la Provence & la frégate la Vénus ;
écrit - on de Breft , viennent de paſſer en rade.
La Provence eſt commandée par M. de la Ro
que. Le commandement des autres vaiſſeaux ,
dont l'armement est bientôt fini , a été donné
ſavoir , celui du Conquérant à M. de la Galiffonière
, la Victoire à M. de Marigny , le Diadême
à M. de Vidal , le Destin à M. de Flottes , & le
Réfléchi à M. le Chevalier de Ventimille.
conſtruction de nos vaiſſeaux ne peut étre poufféc
avec plus d'activité , & avant la fin de l'année , il
en ſortira de très beaux de notre port « .
La
On écrit de Toulon que les 35 bâtimens
qu'on a frétés dans les ports voiſins de ce
département , pour être chargés de munitions
de guerre & de bouche , étoient tous
d2
( 76 )
rendus devant l'arſenal le 22 du mois der
nier , & qu'on s'occupoit à les charger avec
célérité. Leur deſtination étoit toujours pour
Cadíx , où ils recevront ordre d'attendre les
vaiſſeaux François qui doivent partir de
Breſt pour ſe joindre à l'armée combinée ;
ils verferont ſur ces vaiſſeaux les vivres &
les munitions dont ils pourront avoir be
foin en arrivant à Cadix.
Les nouvelles apportées du camp devant
Gibraltar par les Couriers qui en font partis
le 17 , ont rectifié quelques-uns des détails
reçus précédemment , & en ont confirmé
les principaux. Les trois batteries
principales auxquelles les Anglois mirent
le feu le 13 , étoient commandées parM.
le Prince de Naſſau , M. de Moreno &
M. de Langara. Les ſept autres étoiefit
moins atteintes; mais lorſque l'on ſe détermina
à les abandonner pendant la nuit ,
on y mit le feu , & elles ſauterent le lendemain.
Les chaloupes de l'armée combinée
ſauvèrent la plus grande partie des équipages
; la plus grande perte vient de l'activité
avec laquelle ils ſe précipitèrent. Les
Anglois en ont ſauvé pluſieurs ; l'état que
le Général Elliot envoya le is an Duc de
Crillon , étoit de 335 priſonniers faits à cette
occaſion; il y avoit dans ce nombre 27 bleffes
dont il promettoit d'avoir ſoin comme des
fiens.
למ La Gazette de Madrid du 24 a donné la relation
des journées du 13 & du 14 Septembre ,
les détails en ſont conformes à ceux que nous avons
( 77 )
f
déja donnés. Elle compte dans les troupes Elpas
gnoles 41 hommes tués , 102 bleſſés grièvement ,
100 légèrement, 281 priſonniers & 94 égarés ; parmi
les François 45 tués, 34 bleſſés , II priſonniers
& 11 égarés. Le Capitaine D. Leon de Haro , de
l'artillerie Eſpagnole , M.de Berard , Capitaine du
régiment de Breragne , & M. Kilies , Capitaine du
régiment de Bouillon, font les ſeuls Officiers tués.
M. de Langara , commandant la batterie flottante la
Paula, eſt le ſeul Officier de marque bieffé. Parmi
les égarés , pluſieurs font revenus à Algéſiras .
Depuis ce Courier il en eſt arrivé un
autre parti du camp le 22. Le ſiege ſe continue
, les batteries de terre font un feu
épouvantable , auquel l'ennemi ne répond
pas. Les prifonniers qui font revenus au
camp affurent qu'il ne manque d'aucune
provifion. L'armée combinée alloit mettre
la voile pour aller au-devant de l'Amiral
Howe. En reſtant dans la baie elle n'auroit
pas pu empêcher le ravitaillement ſi le vent
avoit tourné à l'Oueſt à l'approche de l'ef
cadre Angloiſe.
C'eſt le fort qu'aura l'entrepriſe du Lord
Howe qui décidera de celui de Gibraltar ,
nous ignorons ce que cet Amiral eſt des
venu depuis le 16. Il eſt certain que pluſieurs
de ſes tranſports avoient été alors
très- maltraités ; mais c'eſt le lendemain &
les jours ſuivans juſqu'au 22 que les coups
de vent ont été tertibles , & ont dû les
fatiguer encore prodigieuſement. S'il a pu
parvenir à dépaſſer le Cap Finiſtere le 25 &
le 29 qu'il eut 48 heures de bon vent , nous
d3
( 78 )
ne ferons pas long- tems ſans apprendre ce
qu'il aura fait devant Gibraltar.
1
Le Dégourdi , de Bordeaux , armé de 4 canons &
de 31 hommes d équipage , écrit- on de la Corogne,
eft entrédans ce Port le 16 Août. Il venoit desCayes
St-Louis , Ifle St-Domingue , avec un chargement
de ſucre. Le Capitaine rapporte qu'à fon départ de
St-Domingue , les Juin , les vivres y étoient en
abondance. Les gros vents l'ayant démaré de ſa
miſaine , l'obligèrent de relâcher le 11 Juin à la
Havane , d'où il remit en mer le 4 Juillet , de
conſerve avec le vaiſſeau de guerre l'Eveillé , de
64 canons , qui eſcortoit une fregate Américaine,
chargée d'eſpèces , & 4 barques de la même nation ,
destinées pour Boſton. Huit jours auparavant il étoit
forti de la Havane un convoi Eſpagnol , composé de
8 barques ou faïques Catalanes , bien armées , &
destinées pour Cadiz , ou pour quelqu'autre port
d'Eſpagne. A bord d'une de ces barques ſe trouve ,
comme paffager , l'Archevêque de Guatimala , avee
3 Prêtres qui l'accompagnent. Depuis le 15 Juillet le
Dégourdi a étéchaílé par différenscorfaires Anglois.
Le Miniſtre de la Marine a reçu une
lettre du Chevalier Blachon , Lieutenant
de vaiſſeau
commandant la frégate la
Friponne ; elle eſt datée du Fort-Royal de
la Martique le ro Août.
>> J'ai l'honneur de vous rendre compte de mon
arrivée ici avec les frégates la Friponne & la Réſolue,
après une croiſière de so jours, au vent des Iſles
d'Antigues & de la Barbade , pendant laquelle je me
ſuis emparé des corvettes le Spegdy & le Swift , armées
de 26 canons chacune , & environ 80 hommes
d'équipages , porrant des paquets pour les Ifles de la
Barbade , Ste- Lucie , Antigues & la Jamaïque , du
cutter le Queen , corſaire de to canons , & des
bâtimens de commerce le Spy , l'Aventure , la
Peggy & le Succès. J'ai conduit ici les corvettes
( 79 )
& expédié les autres priſes pour la Guadeloupe ,
où elles font arrivées «.
Nous nous empreſſons de publier la lettre
ſuivante , qui vient de nous être adreſſée
de la Rochelle; elle rappelle des faits dont
nous avons déja entretenu le public &
les rectifie ; elle détruit en même - tems
les infinuations qu'on s'eſt plu à répandre
depuis quelque temps , fur la prétendue
infalub ité de l'air de cette Ville , & que
nous regrettons d'avoir répétées. Notre devoir
, quand nous avons été induits en
erreur , eſt de revenir à la vérité , & nous
nous hâtons de le remplir.
Je viens , M. , me plaindre à vous-même de la
facilité avec laquelle vous avez conſigné , dans votre
Journal , No. 38 page 131 , un fait qui n'a jamais
exifté que dans l'imagination de celui qui vous l'a
tranfmis . Votre amour pour la vérisé me perfuade
qu'il ne vous a pas été poſſible d'avoir les éclairciſſemens
que vous deſiriez , & que vous me ſanrez
gré de ceux que j'ai chonneur de vous adreſſer. S'il
exiſte des préjugés qu'on doit reſpecter , il en eft
d'autres qu'on ne fauroit trop s'empreffer de détruire
, lorſqu'ils compromettent l'intérêt d'une Province.
Tels ſont ceux que l'on cherche à répandre
depuis quelque tems contre la ville de la Rochelle.
Les affertions que feu M. le Chevalier de Jaucourt
n'avoit pas craint de haſarder dans le Dictionnaire
de l'Encyclopédie , article peſte , feuvent y avoir
donné lieu . Sans le vouloir , vous paroîtriez , Μ. ,
accréditer ces préjugés , en laiſſant ſubſiſter la même
erreur dans votre Journal. - M. le Comte de
Broglie , dans les différens voyages qu'il fit l'année
dernière , de Ruffec à Rochefort, & aux environs ,
ne vint point à la Rochelle. Ayant fait pluficaes
1
/
d4
( 80 )
woyages en très-peude tems , &pendant les premiers.
joursd'Août, on a ſoupçonné que la chaleur exceffive
de la ſaiſon , & les émanations méphitiques des marais
qu'il avoit traverſés, pouvoient avoir occaſionné
la maladie dont il mourut àSt-Jean-d'Angely.-M.
de Voyer d'Argenſon , Commandant en ſecond dans
les Provinces de Poitou, Aunis & Saintonge , n'eft
revenu à la Rochelle qu'à la fin du mois dernier. Il
étoit alors occupé des inſpections qu'il avoit commencées
dans les différentes villes &ſur les côtes de
fon Commandement. Il ſe propoſoit de les continuer.
A ſon arrivée, il ſe plaignit de ſa ſanté , qui étoit
dérangée depuis un mois. Le travail qu'il vouloit
finir , quelques voyages qu'il projettoit dans les Illes
de Ré , d'Aix & d'Oleron , ne lui permirent pas de
prendre le repos dont il avoit beſoin. Il partit pout
l'Ile de Ré , quoiqu'il eût la fièvre depuis quelques
jours. Le mal ayant augmenté, il ſe fir débarquer
&tranſporter , dans ſa maiſon de campagne , aux
perres de la Rochelle. Il en partit le 8 de ce mois ,
malgré tous les ſymptômes qui annonçoient une
maladie très- férieuſe. Il crut que le mouvement de
la voiture , & le plaisir de ſe retrouver chez lui ,
aux Ormes , le ſoulageroient. Quelque repréſentations
qu'on lui fit ſur le danger auquel il s'expofoit
, il ſuivit ſa première idée ,& ſe rendit aux Or
mes en trois jours. La maladie pendant cet intervalle
fit des progrès très-rapides ; elle acquit peut-être plus
de malignité par les fatigues du voyage, & le défaut
de ſecours en route : on n'a
l'arrêter; elle a cu toutes les ſuites fâcheuſes qu'on
plus plus été àmême de
craignoit. Il paroît , M. , que dans les pertes
qui nous affligent le plus , nous voulons , pour notre
confolation , ſans doute , les attribuer à des cauſes
extraordinaires. La mort a toujours tort. Nous ne
pouvons pas croire , dans le premier élan de notre
douleur , que des Officiers Généraux, dont lestalens
& les connoiſſances ont inſpiré à la Nation & à
( 81 )
-
tout le Militaire la plus grande confiance , qui ne
reſpirent que pour le bonheur des Provinces , dont
leRoi lear a confié le commandement , foient foumis
aux évènemens ordinaires de cette triſte vie .
Mais en cédant au chagrin qui nous accable , devonsnous
imputer nos malheurs à nos voiſins ? Faut-il
décrier une Ville , une Province ; alarmer tous ſes
Habitans , & leur perfuader d'abandonner leur Patrie
? Tels feroient cependant l'objet & le réſultat
des propos auffi finguliers qu'inconféquents , qui ont
été tenus l'année dernière , & qui ſe renouvellent
aujourd'hui , ſi les témoins des évènemens qui y
ont donné lieu , ne cherchoient à diminuer l'impreſſion
que ces propos peuvent faire fur des eſprits
trop crédules. Il eſt de fait , que M. le Comte
deBroglio n'eſt pas venu l'année dernière à la Ro
chelle , & que par conféquent il n'a pu y prendre ,
comme on l'a dit, le germe de la maladie dont il
eſt mort à St-Jean-d'Angéli. Il est également vrai
que M. le Marquis de Voyer , qui avoit la plus
grande attention , comme il le diſoit lui-même , de
couper l'air , & d'être rarement huit jours de ſuite
dans le même endroit , étoit déjà malade lorſqu'il
vint à la Rochelle le 27 Août dernier ; que très-dur
à lui-même , occupé du bien de cette Province , 8
des travaux que S. M. a ordonnés pour le deſsèchement
des marais d'Aunis & de Saintonge , s'en rap
portant un pea trop à la bonté de ſon tempérament ,
il a négligé les moyens de rétablir ſa ſanté , & de
prévenir la maladie qui l'a enlevé à nos voeux & à
nos plus douces eſpérances. - Voilà , ce que
je puis vous certifier ,d'après l'aveu général & particulier
de tous ceux qui ont connu & ſuivi les deux
Lientenans -Généraux que nous avons eu le malheur
de perdre. C'eſt un hommage que je dois à lavérité.
Puiſſe-t-il réparer le tort que d'aveugles préjugés &
de faux rapports ont fait à notre Ville. - Veuillez
M. , inférer ma lettre dans votre premier Journal ,
ds
1821
1
je vous en aurai une véritable obligation. Mes con
citoyens vous faurontun gré infini de rétracter ainfi
une erreur , qui ne peut leur être que très-préjudiciable.
J'ai l'honneur d'être , &c. figné , LeChevalier
DE MALARTIC , Lieutenant- Colonel- Commandant
du Bataillon de Garnison de Poitou.
Le défaut de place ne nous a pas permis
de donner dans le Journal précédent la
fuite des obſervations intéreſſantes ſur la
découverte du ciment de M. d'Etienne.
Nous allons les continuer ; ce n'eſt pas nous
qui parlons ici , c'eſt l'Architecte eftimable
qui nous les a fait paffer.
>>Tout le ſecret de M. d'Etienne dépend donc
d'introduire dans une auge , qui contient par exemple
fix pouces cubes de ciment préparé , comme
de coutume un pouce cube de chaux vive
nouvelle & c'eſt à l'aide de cet agent qu'il
parvient à faciliter l'évaporation de ſon eau, fans
crainte de retrait ni de gerføres. Il eſt manifeſte
que cette méthode eſt précisément celle de M. Loriot
, ou plutôt n'en eſtque l'application. Il est vrai
que M. d'Etienne avoue dans ſon Mémoire s'être
ſervi des eſſais des Artiſtes , qui l'ont précédé dans
la même carrière ; mais fi cela eft , & s'il n'a fait
qu'adopter le procédé de M. Loriot , d'où vient
n'en pas prévenir le public , & pourquoi lui annoncer
ſen ciment comme une découverte.-Toute
Ja différence entre leur emploi ne confifte que dans
l'épaiſſeur de l'enduit ; M. Loriot obſerve de donner
à l'enduitde ſes terraſſes environ un pouce d'épailſeur
, & de le placer toujours ſur un aire de bon
martier , avec lequel il puiffe faire corps ; au lieu
que M. d'Etienne ſe borne à donner au ſien use
ligne ou une demi- ligne d'épaiſſeur , & à le placer
fur du carreau , ce qui ne paroît pas devoir lui
procurer autant de folidité, vu qu'il ne fauroit s'y
( 83 )
attacher que difficilement. La raiſon qu'il allègue
pour juftifier cette minceur , eſt que plus une
couchede ciment eſt épaiſſe , plus le volume d'eau
pour la former eſt conſidérable , & que toute cette
eau devant s'évaporer pour donner de la conſiſtance
au ciment , elle y laiſſe des veides , des
crevaſſes , au lieu que le ſien n'en contenant qu'une
très - petite quantité ne pouvoit éprouver de changement
ſenſible par la deſfication. Mais ne pourroit-
on pas lui répondre que , dès qu'il dépend d'une
certaine doſe de chaux vive d'empêcher les gerſures
, en ſuppoſant l'enduit d'un pouce d'épaiſſeur ou
d'une ligne , l'évaporation de l'eau ne ſautoit qu'être
la même, & proportionnelle à ces agens ; que
la minceur du ciment devoit être regardée plutôt
comme un défaut que comme une perfection ,
en ce qu'elle peut contribuer à le trop deſſécher &
à lui ôter le gluten néceflaire pour lier toutes ſes
parties après l'évaporation ; & qu'enfin c'eſt ſans
doute pour lui redonner de l'onctuefité que M.
d'Etienne ſe croit obligé d'étendre après coup une
couche d'huile graffe fur ſon enduit. Au furplus
, c'eſt à l'examen de ſa terraſſe qu'il faut recourir
pour apprécier , je ne dis pas la bonté de ſon
ciment , puiſqu'il eſt reconnu être le même que le
mortier- Loriot , mais la valeur de ſon emploi. J'y
ai remarqué , ainſi que pluſieurs perſonnes , nombre
de rétabliſſemens , de repriſes , de lézardes & de
gerſures qui annoncent qu'on y a certainement fait
de fréquentes réparations . J'ai même obſervé qu'en
frappant avec le bout de ma canne en quelques endroits
de cet enduit , il ne paroiſſoit pas attaché au
carreau , & fonnoit le creux , comme quand deux
corps ſont poſés l'un ſur l'autre & n'ont pas d'adhé.
rence. Que ces effets , au reſte , ayent été produits
par la minceur de ce ciment , ou parce qu'il
ne fait pas corps avec le carreau , toujours eft-il
que le mouvement inévitable de la charpente des
d 6
( 84 )
planches qui ſupportent cette terraffe , à raiſondes
diverſes impreffions de l'air , ne fauroit manquer
de ſe communiquer à fon enduit , & d'y occafionner
quelquefois des fentes & des lézardes, ainſi que
cela arrive aux maſtics des dalles poſées ſur des
folives , dont j'ai parlé ci-devant. Après l'exécu
tion de ces fortes d'ouvrages , on apporte volontiers
dans les commencemens beaucoup de ſoins
à reparer les fentes , les gerſures ou les ruptures
des maſtics à mesure qu'elles paroiſſent; mais peuà-
peu on néglige ces réparations , l'eau parvient à
s'infinuer dans les planchers , faute d'avoir toujours
à point nommé un maſtiqueur pour faire les
rétabliſſemens convenables ; & àla fin on eft obligé
de renoncer auxterraſſes qui ne font pas faites fur
des voûtes , ou de les couvrir en plomb ; & c'eſt
probablement ce qui arrivera auffi à la terraffe de
M. d'Etienne. Signé PATTE , Architecte de S. A.
S. Mgr le Duc Regnant des Deux-Ponts.
On lit dans les Affiches de Toulouſe un
fait bien fingulier , & dont les ſuites ont
été des plus affreuſes .
>>Un payſandes environs de Figeac, qui n'avoit ,
comme ceux de fon eſpèce , d'autre refſource quele
produit de ſes journées , pour fournir à ſa ſubiſtance
& àcelle de ſa famille , ſe rendit dans une vignequ'il
s'étoit chargé de tailler. Sa femme malheureuſement
voulut l'accompagner pour alléger ſontra
vail : elle fut obligée de porter avec elle un
jeuneenfant qu'elle allaitoit. Aleur arrivée leur premier
ſoin fut de placer cer enfant à l'abri du ſoleil &
dans un endroit commode d'où ils puſſent le voir. A
l'heure du déjeûner , ils vont s'affeoir à côté de l'enfant
pour y prendre leur repas ; maisquelle fut leur
ſurpriſe en levoyant pâle, défiguré,& fans mouve
ment, ils s'apperçurent qu'il forroit de ſa bouche
quelque choſe qui reſſembloir à la queue d'un few
pent; auffi-tôt le père s'en faifit par le bout de fos
( 85 )
ره
doigts ,& tirant avec précipitation, il arrache une vis
pere , qui attirée fans doute par l'odeur du lait , étoit
entrée dans le corps de l'enfant & l'avoit étouffé . Ce
pèredéſolédevint injufte , il accuſe ſa femme d'être
la cauſede la mortde ſon fils : il jette des cris lamentables
, & n'écourant que fon déſeſpoir, après s'être
ſaiſi d'une ſerpette , il lui coupe le cou. -D'autres
Journaliers qui travailloient tout près de- là , accoururent
aubruit , &furent témoins de ce déſaſtre. Lanou
velle en fut auffi- tôt répandue : le meurtrier fut arrêté
, & traduit dans les priſons où il eſt détenu de
puis un mois.
L'anecdote ſuivante mérite d'être recueillie;
elle prouve que dans les accidens les
plus déſeſpérés , des ſoins actifs peuvent
encore être utiles.
Le 30 Septembre , à Champigny , près Saint-
Maur , le nommé Breton , Compagnon Maçon ,
choiſi comme le plus brave d'un attelier , pour
vuider & réparer un puits public , reconnu en danger
, y defcendit à 5 heures , & s'occupa à l'épuiſement
avec d'autres ouvriers qui tiroient le
baquet , & leur cria peu de tems après :fecourezmoi
camarades , je péris. A ce cri les ouvriers
redoublent d'efforts pour remonter le baquet où
s'étoit jetté le Maçon , mais à peine purent-ils le
monter à lamoitié de la hauteur; un éboulis général
les arrêta; en un moment le puits fut comblé
de pierres , au ras de la rue , & le malheureux
reſta enſeveli ſous 15 pieds de décembres. Les cris
firent accourir M. l'Abbé de Champigny, Chanoine
de Notre-Dame, qui heureuſement étoit à
ſa terre; en un moment il raſſembla tous les ouvriers
du pays , &les invita à ſecourir ce malheurenx.
Hélas , s'écrie la multitude, il eſt mort accablé
ſous un monceau de pierres ; il faut y voir ,
répond M. l'Abbé , il y a mille contre un pouz
86 )
la mort, mais un ſur mille ſuffit pour me déci
der, travaillons. Les ouvriers animés par ce mot ,
s'empreflent, dès que l'un eſt épuisé par le travail,
il trouve des rafraîchiſſemens préparés à côté , &
cependant un autre prend ſa place. Avec cette activité
les décembres ſe vuident, on obſerve qu'il
y a néceflairement un porte à faux , une eſpèce
de voûte produite par la rencontre fortnite des
pierres en tombant , on en ſent le danger , on
fufpend les ouvriers à des cordes lâches, leur zèle
s'accroît par cette précaution , à 9 heures onentend
le malheureux à travers les décombres dont
il eſt couvert , on reddable d'activité ; à 11 heures &
demie on n'est pas encore à lui; enfin on y parvient,
un vuide demeuré autour de ſa tête, lui avoit
conſervé la reſpiration , mais il avoit tout le corps
enveloppé de pierres & de gravats , on le dépêtre;
à peine a-t-il les bras libres qu'il s'aide luimême;
enfin à 2 heures & demie du matin il eſt
dégagé & emporté dans ſon lit, ſans bleſſures graves;
le lendemain à 7 heures da matin je l'ai vu avec
M. l'Abbé de Champigny , il ne ſe plaignoit que
des contufions dont il avoit le corps couvert. Le
baquet ſoutenu par la corde s'étoit engréné avec
les pierres , & avoient formé une eſpèce de voûte,
quinze pieds environ au- deſſus du fonds du puits.
Quelledouce fatisfaction pour M. l'Abbé de Champigny
, & quel exemple à propoſer pour les oc
cafions à peu-près ſemblables «
,
On nous écrit de St - Amand en Berry ,
que M. Aubry , Maître en Chirurgie ,
qui y eft établi a fait une découverte
bien importante & bien précieuſe pour
l'humanité, c'eſt la compoſition d'un cauftique
qui guérit parfaitement & en peu
detems les humeurs cancéreuſes. Il a traité
avec le plus grand ſuccès pluſieurs perfon:
1
( 87 )
nes , & récemment M. Gabriel- Gilbert
Geoffreney , ancien Garde-du-Corps dia
Roi , demeurant dans la même Ville. Cer
Officier avoit fait au mois de Mai de l'année
dernière un voyage à Paris , pour y
chercher des foulagemens qu'il n'a pu ſe
procurer ; il a conſulté les Gens de l'Art
les plus habiles de cette Capitale , MM.
Louis , Petit , Jayle , &c. , mais cette humeur
cruelle a réſiſté à tous les remèdes ;
elle n'a pu être diſſipée que par celui de
M. Aubry. Nous nous empreffons de contribuer
à donner de la publicité à ſa reconnoiffance
, & fur-tout à annoncer une
découverte dont l'expérience a prouvé
l'efficacité contre des maux qui juſqu'à
préſent ont preſque toujours été regardés
comme incurables , lorſqu'ils étoient parvenus
à un certain degré.
Toutes les productions nouvelles des Arts ,
cellesſur-toutqui ſont d'ungenre ſupérieur ,
& qui réuniſſent le mérite de la plus belle
compoſition des ſujers , à la perfection de
l'exécution , ont droit d'occuper une place
dans ce Journal. C'eſt à ce titre que nous
nous empreſſons d'annoncer celles que M.
Moreau , Deffinateur &Graveur du Cabi
net du Roi & de ſon Académie de Peinture
vient de publier. La réputation de cet Artiſte
eſt déja faite par un grand nombre d'Onvrages
intéreſſans , tels que les Eſtampes des
OEuvresde Moliere, celles de J. J. Rouſſeau ,
in- 4°. , imprimées à Bruxelles , des Incas
( 88 )
de M. de Marmontel , la ſuperbe Gravure
du ſacre de Louis XVI , &c. Il a confacré
ſes crayons & fon burin à orner les édi
tions des OEuvres de M. de Voltaire. La première
livraiſon des Estampes qui y font
deſtinées vient de paroître de format in-
4°. & in-8 °.; elles ſont au nombre de
10 , & doivent être placées à la rête de
chaque Chant de la Henriade. Il n'y ena
point qui ne faffe le plus grand honneur
à l'Artiſte habile qui les a compoſées , &
aux burins qu'il a choiſis , pour rendre ſes
compoſitions le plus fidèlement poflible.
Ce ſont ceux de MM. Maſquelier , Delignon
, Dambrun , Patas , Gurremberg ,
Helman , Simonet , Duclos & Romanet.
Les ſujets , quoiqu'ils aient été traités fouvent
, n'en paraîtront pas d'un genre moins
neuf. On nous faura gré de les indiquer.
Le premier offre Henti IV & Mornay dans l'iſle
deJerſey, écoutast le vieux Solitaire, qui lui prédit
ſes ſuccès , ſa converfion & fon entrée triomphante
à Paris. Rien de plus noble que les 3 figures
, qui ont chacune l'expreffion qui lui eſt propre.
-L'affaffinatde Coligni est le ſujer de la ſeconde
Eſtampe. La figure entière de l'Amiral tombant ,
mourant de coup que Befme lui porte en détournant
la tête , contraſte admirablement avec celles de ſes
affaffins.-La troiſième , qui préſente Joyenſe expirant&
emporté par ſes ſoldats , eſt du plus grand
effet ; nous en dirons autant de la quatrième & de la
cinquième : le ſujet de l'une eſt l'entrée des Seize ,
fous la conduite de Buffy, dans le Parlement , &Har
lay s'avançant au- devant des fers qu'ils lui portent:
celui de l'autre eſt le ſacrificede la Ligue ,troublé
( 89 )
par l'apparition de Henri ; ce ſont deux tableaifx
d'un effet impoſant & majestueux. Celui du fixième
eft Henri donnant l'affaut à Paris , & arborant fon
drapeau ſur la brèche, Dans le ſeptième , on voit le
Héros conduit par S. Louis à la porte des Enfers ,
& regardant au milieu des feux l'aſſaſſin de Henri III,
tenant encore à la main le poignard dont il s'eſt ſervi,
L'épiſode intéreſſarte du combat ded'Ailly , avec ſon
filss,, a fourni le ſujet de la huitieme. A ce tableau:
pathétique & touchant en ſuccède un dans le genre
le plus gracieux ; ce ſont les amours de Henri avec
la belle Gabrielle. Rien de plus frais , de plus agréable
que cette Eſtampe qui eſt la neuvième. La dixième
nous remontre le Héros dans tout l'éclat de ſa
grandeur & de ſa dignité ; il entre dans Paris , la
Foi marche devant lui & le guide ; & le peuple en
foule ſe proſterne à genoux , & fait retentir l'air de
ſes acclamations ( 1 ).- La livraiſon qui va ſuivie
eſt compoſée en grande partie des pièces du Théâtre.
On écrit de Lyon qu'il eſt mort dans la
Paroiffe de la Commanderie de St-George
de cette ville un particulier nommé Jean
Marion , âgé de 103 ans , fils d'un Laboureur
du Dauphiné , demeurant chez ſon fils,
Maître Fabricant ; il s'étoit rendu juſqu'à
ſa mort utile à la maiſon par des travaux
qui demandoient de la force & de l'astivité.
On dit d'après le rapport du défunt
&une tradition du pays , que ſon père eſt
mort dans ſon village à 121 ans .
Anne-Catherine-Laurence de Waroquier,
Baronne d'Arctiere , née à St-Affrique en
Rouergue le 2 Février 1750 , élevée à la
(1) On ſouſcrit chez l'Auteur , rue du Coq St-Honoré,
près le Louvre. Il prie les Souſcripteurs de faire retirer la
Livraiſon qui vient de paroître.
د
Maiſon Royale de St- Cyr , fille de Meſſire
Jean Baptifte de Waroquier , Chevalier ,
Seigneur & Gouverneur pour le Roi de
la Ville de St Affrique , &c. , ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de Saint-
Louis & de feue dame Catherine de
Galtier de Montagnol du Terrier , mariée
en 1775 à Meffire Amans- Charles de Vigouroux
, Ecuyer , Seigneur de Barry &
Baron d'Arviere , eſt morte en ſon Chateau
d'Arviere , près Rodez , le 14 Août
1782.
Arrêt du Conſeil en date dus Juillet dernier,
qui, en confirmant les anciennes Ordonnances &
Règlemens , ordonne que les matières & monnoies
d'or & d'argent qui ſe trouveront à bord des Priſes ,
feront portées aux Hôtels des Monnoies ou aux
Changes les plus prochains.
De BRUTALES , le 8 Octobre.
Le rapport que le Stadhouder a fait aux
Etats-Généraux des ordres qu'il a donnés
au Texel , relativement à l'eſcadre Hollandoiſe
, eſt conçu ainfi.
>> Depuis la rentrée de l'eſcadre de la République
au Texel ; j'ai tout ce qui étoit en mon pouvoir
, pour la ire reſſortir promptement.Acet effer
je me ſuis rendu au Nouveau-Diep le 20 Août , pour
m'informer de l'état des vaiſſeaux. Le 21 Aoûtj'ai
conféré avec les Officiers-Généraux de Marine , qui
étoient préſens , & les Conſeillers & Miniſtres des
Amirautés , qui ſe trouvoient auffi ſur les lieux y
ont aſſiſté. J'ai communiqué à V. N. P. les minutes de
cette conférence;elles yverront entre autres , qu'un
vaiſſeau & 4 frégates ſeroient prêts en peu de jours ,
) ود (
8 vaiſſeaux de ligne en dix jours , 4 autres quelques
jours après , tandis qu'une frégate devoit être carénée
&une autre réparée. J'ai recommandé de mettre les
vaiſſeaux en état auſſi promptement que poflible ; fur
l'avis que je reçus que ploſieurs vaiſſeaux Anglois
croifoient dans la mer du Nord , j'ai ordonné de détacher
du Texel la goëlette le Dauphin , & de la
Meuſe le cutter l'Epervier , vers Drontheim , ainfi
que de fréter autant de batimens neutres qu'il feroit
poſſible pour le même voyage , à l'effet d'avertir le
commandant des vaiſſeaux qui eſcontent les navires
de la compagnie des Indes , de la venue de cette efcadre
Angloiſe dans Le merd Nord , pour qu'il pût
prendre les metures qu'il jugeroit les plus propres
àmettre ſon convoi en sûreté. Je joins ici copie des
lettres , que j'ai fait expédier le 22 du mois dernier
an Vice- Amual Pichot , au Contre- Amital Dedel , &.
au capitaine van Gennip. Les dix jours étant échus ,
dans le délai deſquels l'on s'étoit engagé à remettre
la plupart des vaiſſeaux en état de prendre le large ,
j'ai écrit zu Vice-Amiral Hartfinck , une lettre en
date du i de ce mois , dont je remets copie à V. N. P.
&la réponſe originale du Vice-Amiral en date du 2
du courant , copie de ma réplique da 3 , & deux
Jettres du Vice- Amiral du 4 Septembre . J'ai mandé
les MM.les Conſeillers-Fiſcaux Birdom , de l'Amirauté
de la Meuſe , & van der Hoop , & de celle
d'Amſterdam , avec les Vice Amiraux Reyeſt &
Zoutman , pour les confulter ſur la réponſe à faire
au Vice- Amiral Hartſinck. Je joins ici leurs conſidérations
, ainſi que la minute de la lettre que j'ai envoyée
au Vice-Amiral Hartfinck , le 6 du mois courant
peu après minuit , & copie de ma lettre au contre-
Amiral Dedel dus du courant. Le même jour ,
je reçus de la Meuſe une nouvelle , que je communiquai
par meſſage au Vice-Amiral Hartfinck . Je joins
ici une copie de la lettre dont j'accompagnai cet avis .
Le 7 le capitaine comte de Welderen arriva comme
1
( 92 )
exprès avec la lettre du Vice-Amiral Hartfinck du
6 du courant , où V. N. P. trouveront copie du réſultat
du Confeil de Guerre du 4. Après avoir reçu
cette lettre , je réſolus de faire une tournée au nouveau-
Diep , afin de pouvoir faire tenir Conſeil de
Guerre en ma préſence &de prendre , felon les cit.
conſtances , relle réſolution , que le ſervice de l'Etat
l'exigeroit. J'ai envoyé le colonel Bentinck au Vice-
Amiral Hartfinck avec la lettre, dont je remers auffi
ci-joint copie à V. N. P. Le 8 je reçus la lettre cijointe
du Vice-Amisal Hartfiock do 7 du couranten
réponſe àma ſeconde lettre du 6. Le même ſoir je
fais parti d'ici; & ayant fait route toute la nuit , j'ai
fait convoquer leو Septembre unConſeildeGuerre,
compolé de tous les OfficiersGénéraux de Marine &
capitaines préfens, & auquel a aſſiſté M. le Conſeiller
Fifcal van der Hoop,de l'Amirauté d'Amſterdam. J'ai
cru devoir communiquer à V. N. P. les minutes de
ce qui s'y eſt paſſe , ainſi que de l'avis du Vice-Amiral
Zoutman , auquel à mon retour j'ai demandé ſes com
fidérations ſur les opinions du Conſeil de Guerre,
V. N. P. y verront les ſentimens unanimes de tous
les ſusdits Officiers Généraux &Capitaines. J'ai fait
difficulté d'ordonner , contre ces avis unanimes , la
fortie de la flotte; mais j'ai cru devoir me contenter
d'enjoindre de tenir les vaiſſeaux approviſionnés
d'eau & de vivres , de façon qu'ils pufſent ſortir au
premier ordre convenablement équipés , & m'adreſfer
à V. N. P. avec prière , qu'elles m'informent des
intentions de L. H. P. , au ſujer de la fortie des vaifſeaux
de la République , & m'apprennent ſi L.HP.
déſirent que, malgré les avis unanimes des Officiers
deMarine , l'Eſcadre doive mettre en mer. J'ai déja
chargé le Vice- Amiral Hartfinck , en préſence des
autres Officiers Généraux , de mettre en mer , fans
attendre des ordres ultérieurs, dès qu'il recevroit des
avis dignes de foi , concernant le départ de l'eſcadre
Angloiſe, qui avoit croifé fur nos côtes, &de la renz
trée dans laManche , de façon qu'on pût compter
que la flotte de Mylord Howe étoit partie ou ſur ſon
départ pourGibraltar , me référant aux divers or
dres , que je lui avois donnés , ſpécialement à mes
lettres des 1,3,6 & 7 Septembre.-J'eſpère avoir
rempli par ce que deſſus les intentions de L. H. P. ,
&je ſuis prêt àenvoyer à l'eſcadre de la République ,
particulièrement pour ſa ſortie , tels ordres , que
L. N. P. jugeront à propos , ayant fait tenir tout prêt
pour les exécuter ſans perte de tems , dès que le vent
& la marée le permettront.
On attend encore à chaque inſtant la
nouvelle de la ſortie de cette eſcadre ;
mais celle de l'arrivée de la flotte de la
Baltique en Angleterre la fait maintenant
attendre plus patiemment.
La propoſitionde la ville de Leyde pour
examiner l'adminiſtration de la marine , a
été généralement approuvée dans les dernières
féances des Etats de Hollande & de
Weſtfriſe par les 18 villes qui ont droit
de fuffrage à cette Aſſemblée ; elle a dû être
convertie en réſolution au commencement
de ce mois.
Le Collége d'Amirauté du département
de la Meuſe , ayant propoſé aux Etats-Généraux
la réparation des chantiers de Fleffingue
, & la conſtruction d'un baffin dans
ce port , dont les frais ont été évalués à
400,000 florins; les Commiſſaires des départemens
reſpectifs , ont remis aux Etats-
Généraux un rapport favorable à cette propoſition.
Cette affaire a été mise en délibégation
, & on a donné communication du
L
( 94 )
projet à tous les Membres des Etats , afin
qu'ils prennent à ce ſujet les inftructions
de leurs commettans.
ככ Cette ville , écrit-on d'Amſterdam , ainſi que
celles de Rotterdam , de Leyde , &c. fuivent l'e.
xemple donné pour celle de Dordrecht , qui , la
première, s'eſt propoſée de rentrer dans l'exercice
de pluſieurs droits dont elles jouiſſoient précédemment
, & qui avoient été abandonnés au Stadhouder
depuis 1747 ; on croit affez généralement que ces
villes entraîneront les autres . - Le voeu général
ici eſt de faire vivement la guerre à l'Angleterre.
Notre Amirauté a 3 vaiſſeaux de 64 , dont un mettra
à la voile dans 15 jours au plus pour le Texel ;
elle en a encore 3 de 74 ſur les chantiers , ainſi
ques autres de 64; 2400 ouvriers ſont employés
journellement. - Le vaiſſeau le Tigre , conftruit
ſur le plan de M. Boux , eſt parti le 24 Septembre
pour le Texel , à l'aide des chameaux.- Il
eſt certain que ſi la flotte avoit pu fortir depuis
lers , elle ſcroit dehers; mais il a fait des tems
fi affreux , que les vaiſſeaux ont eu à fouffrir dans
la rade. La côte eſt couverte de navires naufragés.
Il faudra cependant qu'elle ſe montre bientôt
au-dehors ; le peuple qui a torr ſans doute , fait
retomber ces retards for M. Hartſink ; il s'eſt
même porté ici à des extrémités très-graves ; il a
voulu démolir ſa maiſon , & ce n'est qu'avec peine
qu'on eſt parvenu à le calmer. Il y a 3 vaifſeaux
de 64 ſur les chantiers de Rotterdam , &
un de 54. Un autre de 64 doit être en mer actuellement.
Il a été conſtrust a Hellevoetſluis ; il
eſt commandé par le brave de Hordt , le premier
Hollandois , qui ait fait abaiſſer un pavillon Anglois
de guerre depuis les hoftilités «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 2 Oft.
Le 28 Septembre on a appris que 30 vaiſſeaux de
ligne François , portant près de 1000 foldats , ſe
اور (
font rendus maîtres de pluſieurs Forts dans la baie
d'Hudſon. Ces vaiſſeaux venoient de St-Domingue
& avoient appareillé avant le départ de M. de Vau
dreuil. On dit qu'un armement plus confidérable
menace les poffeffions qui nous reſtear dans le
nord de l'Amérique , & pluſieurs perſonnes croient
que les François & les treize Provinces doivent ſe
partager Terrre-Neuve , d'autres imaginent que les
armes de la France vont ſe tourner vers le Canada ,
dont la conquête ne ſera point difficile.
On aſſure qu'à la dernière aſſemblée du Conſeil
du Cabinet , la déclaration de l'indépendance de
l'Amérique a été ſignée par le Roi & envoyée auffi
tôt à Paris .
Les nouvelles données récemment par les gazettes
de New-Yorck ont bouleverſé toutes les têtes
politiques. L'Amérique a été certainement déclarée
indépendante par les Commiſſaires de S. M. Mais
le public ignore d'où ſont émanés les ordres qui
ont effectué cette déclaration , & il n'en ſera piobablement
inftruit qu'à la rentrée du Parlement.
-
Cette déclaration eſt une des grandes queſtions
politiques qui aient été jamais agitées dans ce pays ,
ſans en excepter celle qui étoit relative à l'abdication
lors de la révolution. Le premier point qu'elle renferme
eft :: >> La Couronne peut-elle aliéner les Domaines
de l'Empire ? « Si ce premier point eſt décidé
à la négative , comme il le ſera ſans doute , on demandera
en ſecond lieu : » L'acte du Parlementqui
autoriſe la Couronne à faire la paix avec l'Amérique,
lui donne-t-il le pouvoir de déclarer l'Amérique
indépendante ? « Si cette queſtion eſt décidée contre
l'exiſtence d'un tel pouvoir , alors on demandera
*Quel est le Miniſtre qui a conſeillé cette démarche?
cc
Malgré la diverſité des bruits qui ont couru ſur
ladate de la rentrée du Parlement , il paroît certain
qu'il ne s'aſſemblera pas avant le 26 ou le 28
du mois de Novembre. -Le Parlement d'Irlande
eſt prorogé au 26 du même mois.
(96 )
:
Le 28 , dans la matinée , on a reçu à l'hôtel de la
Compagnie des Indes quelques dépêches des établiſſemensdu
Bengale. Elles ſont venues par la voie
de terre, mais on dit qu'elles ne renferment que des
duplicatas de celles qu'on a reçues précédemment.
-Vers la fin du mois de Novembre la Compagnie
des Indes fera partir une flotte pour ſes établiſfemens
, & on dit que le Gouvernement les fera convoyer
par pluſieurs deſtinés à renforcer l'eſcadre de
l'Amiral Hughes.-Le vaiſſeau l'Africa, qui arrive
de Gorée , rapporte qu'une fièvre maligne a fait
pendant quelque tems de grands ravages ſur la
côte du Sénégal , &a emporté un grand nombre
d'habitans.
Hier un particulier , arrivé de Paris , a apporté
la nouvelle ſuivante. Le 12 Septembre , les Eſpagnols
ont commencé à attaquer Gibraltar du côté
de la mer. Le lendemain is , leurs batteries flottantes
ont été incendiées & totalement détruites
par lecanon de la place , qui a tiré à boulets rouges.
On préſume que les afſfiégeans ont perdu plus
de 2000 hommes dans cette affaire qui a duré plufieurs
heures. Leur eſcadre étoit , dit-on , dans la
baie, & n'a pu donner aucun ſecours aux batteries
flottantes. Tous nos papiers font remplis de détails
incroyables ſur cet henteux évènement qu'ils
appellent tous la déconfiture totale de la Maiſon
de Bourbon.
L'Amirauté a reçu avis des Dunes que le Com
modore Elliot étoit forti avec une petite eſcadre
pour ſa première ſtation , afin d'empêcher les Cor
faires de St-Malo & Morlaix de mettre en mer
dans le deſſein d'intercepter quelques-uns des vailſeaux
de la flotte de la Jamaïque , attendue en
Angleterre , en cas qu'ils fuſſent ſéparés par un
coup de vent. L'eſcadre du Commodore Ellioteft
compofée du Romney de so , du Mediator de 44 ,
du Prudent de 36 , & de l'Eurydice de
MERCURE
DEFRANCE.
SAMEDI 26 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Chevalier DE PARNI.
PARNI , de nos Linus eſt le ſeul qui ſe fäche
Que de ſes vers on parle bien.
Volontiers je prendrois à tâche
De prouver qu'ils ne valent rien.
Mais non , je veux être fincère ;
Je tiens à mon premier avis.
AParni j'aime mieux déplaire
Que de déplaire à tout Paris,
( ParM. Félix Nogaret. )
Nº. 43 , 26 Octobre 1782. G
146
MERCURE
A Mademoiselle DE GAUDIN.
AIR : Avec les Jeux dans le Village.
VÉNUS a toujours mon hommage ,
Ou je la chante , ou je la ſers ;
Sans trop compter ſur ſon fuffrage ,
Je fête auffi le Dieu des Vers :
Mais qu'il eſt rare l'affemblage
Du génie & de la beauté !
Ah ! ſans Gaudin ou Duboccage ,
On en auroit toujours douté,
COMMENT joindre avec tant de charmes
Un coeur ſenſible & tant d'efprit ;
De Belloy fit couler vos larmes ,
Et ſon ombre s'en applaudit :
Deshoulière , votre modèle ,
Vous tranſimit ſon âme & ſon goût ;
Si Deshoulière eût été belle ,
Vous lui reſſembleriez en tout.
Vous nous fixez tous fur vos traces;
Vous comptez au plus vingt printemps.
Pardon ; pour parler de vos grâces ,
J'oublie un moment vos talens.
L'Art vaut-il jamais la Nature ?
De ſes bienfaits ſentez le prix;
DE FRANCE. 147
Elle embellit votre figure
Comme elle a dicté vos Écrits .
Vous, la plus aimable des Belles ,
Reine du Pinde & de Paphos ,
Que deviendront les Neuf Pucelles
Dont vous éclipſez les travaux ?
Audéfaut d'attraits , leur génie
Ne fur que trop de fois vanté;
Mais Apollon les répudie
En faveur de votre beauté.
RÉGNEZ ſur notre âme attendrie ;
Pour vous ſont faits tous les ſuccès.
Eſt-il de femme qui n'envie ,
Et vos talens & vos attraits ?
Au vrai bonheur tout homme aſpire ;
A tout âge il fait notre eſpoir :
On le ſent dès qu'on peut vous lire ,
On y croit dès qu'on peut vous voir.
( Par M. Damas.)
L'Ane , la Rose & le Chardon , Fable.
DANS un jardin , une Roſe nouvelle
Faiſoit l'ornement du printemps ,
Et le Zéphyr choqué , voyoit en même temps
Un vil Chardon croître auprès d'elle.
Certain Baudet , d'un pied leſte & badin ,
Gij
148 MERCURE
Enpetit maître entra dans le jardin.
C'éroit une Ane , fier de ſa race immortelle ,
Car il comptoit parmi ſes illuſtres aïcux ,
Cet Ane aîlé , qui , ſur ſon dos heureux ,
Eut l'honneur de porter Dunois & la Pucelle.
De ſes titres enflé , Monſeigneur du Grifon
Foulant avec dédain l'herbe tendre & fleurie ,
Apperçut dans un coin le dégoûtant Chardon
Et la Roſe digne d'envie.
Il vint auprès. Zéphyr , ſaiſi d'horreur ,
Trembla pour ſes plaiſirs , frémit pour fon amante,
Et dit , je ſuis perdu : ſa forme, ſa fraîcheur, -
Son doux parfum & ſa beauté naiſſante ,
Sans doute renteront l'animal amateur......
Las ! il va dévorer cette fleur qui m'enchante!.....
Zéphyr eut tort : le galant connoiffeur
Paſſa près de la Roſe avec indifférence ,
Et courut au Chardon donner la préférence.
VENONS à l'application ,
C'eſt le but que je me propoſe:
Maint époux eſt le ſot Grifon ,
Mainte épouſe eſt l'aimable Roſe ,
Mainte maîtreſſe eſt le Chardon.
(ParM. Pinel fils , Avocat ,
auHavre de Grâce.)
DE FRANCE .
149
COUPLET chanté à Madame DE
BEAUREGARD , pour le jour de fa
Fête , par Mlle de Beauregard , sa Belle-
Fille.
Sur l'Air : Avec les Jeux dans le Village.
COMMENT chanterai -je la Fête
De la plus tendre des mamans ?
L'Amour me rendra toujours prête
A vous peindre mes fentimens.
Je ſens que la reconnoiſſance
Échauffe en ce moment mon coeur ;
Je ne vous dois pas l'exiſtence ,
Mais je vous dois tout mon bonheur.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
VOTRE
OTRE Journal , Monfieur , n'eſt pas deſtiné
ſeulement à rendre compte des Ouvrages; vous imprimez
quelquefois des morceaux de Littérature &
de Philoſophie que l'on peut mettre au rang des
Ouvrages nouveaux; c'eſt même ſouvent la partie
la plus intéreſſante du Mercure. L'Extrait d'un Ouvrage
ne me diſpenſe point de lire l'Ouvrage même
s'il est bon ; & pour ſavoir s'il eſt mauvais , je
ſerois bien imprudent de m'en rapporter à l'Extrait.
Il eſt des Ouvrages , comptés aujourd'hui parmi les
meilleurs de notre Littérature , qui ont paru dans le
Gij
150 MERCURE
0
Mercure pour la première fois; tels font les Contes
Moraux de M. Marmontel ; je parle de ceux-là,
parce que leur réputation eſt ſi bien établie que
l'envie même n'entreprend plus d'en contefter le
mérite. Je crois , Monfieur , faire aujourd'hui à
votre Journal un véritable préſent , en vous offrant
la traduction de quelques Chapitres d'un Ouvrage
étranger, l'un des plus importans peut-être & des
meilleurs de notre ſiècle : L'Histoire de la Société
Civile de Ferguifon. Pluſieurs Hommes de Lettres
François ont parlé ſouvent de cet Ouvrage avec la
plus grande eſtime ; mais ils l'ont lû en Anglois, &
JaNation ne le connoît pas encore. Il eſt difficile de
comprendre comment on a différé fi long - temps à
faireparoître la traduction d'un livre annoncé par
tant d'éloges. Ceux de nos Littérateurs qui poſsèdent
les Langues étrangères, s'empreſſent de nous traduire
des Romans infipides ou des Drames qui achèvent de
corrompre notre goût ; & les Ouvrages que les Littérateurs
étrangers oppoſent avec confiance à ceux
dont la nôtre s'honore le plus , on les laiſſe renfer
inés dans les Langues qui les ont vu naître, & il
exiſtedes idées utiles aux hommes, que notre Langue
ne connoît point encore. Cette indifférence accufe
t-elle le goût des Traducteurs ou celui de la Nation
? Seroit-il vrai que nous n'applaudiffons plus
que le talentqui fert à nos plaiſirs & à notre frivo
lité, & que nous redoutons ceux qui n'embelliffent
la vérité que pournous rappeler nos devoirs ? Il n'y
avoit pas fix mois encore que les Lettres Perfannes
& l'Eſprit des Loix avoient paru en France ; ils
étoient déjà traduits àLondres. Il y a plus de dix ans
que l'Histoire de la Société Civile eſt imprimée,
& nous en demandons encore la traduction. Cette
différence eft remarquable ; elle fort fûrementdu
caractère des deux Nations , & peut fervir à les
faire mieux connoître .
1
DE FRANCE.
! Un Magiſtrat de Province , qui a conſacré fon
talent & ſa vie aux mêmes objets , & qui ſans
doute y portera des vues nouvelles , a traduit l'Ouvrage
de Ferguſſon dans les intervallés de ſes méditations
& de ſon travail. C'est ainſi que Cicéron
traduiſoit Platon & Démosthènes pour ſe préparer
aux Ouvrages fublimes qui l'ont rendu le rival de
l'Orateur le plus philoſophe , & du Philoſophe le
plus éloquent de la Grèce. La traduction d'un bel
Ouvrage dans le genre de ceux auxquels nous travaillons,
eſt un entretien avec un homme de génie
qui peut faire monter notre eſprit au ton de ſes penfées
& de fon ſtyle. Ce Magiſtrat m'a confié une
grande partie du manufcrit de ſa traduction, m'a
permis d'en diſpoſer à mon gré ; & c'eſt après
l'avoir comparé à l'original , que j'ai pensé que le
Public me fauroit gré de lui en faire connoître quelques
Chapitres. Je ne doute pas même , Monfieur ,
que je ne puſſe vous communiquer la traduction entière
ſi les Lecteurs de votre Journal paroiſſoient le
defirer , & ils le deſireront fans doute.
Mais l'eſprit dans lequel elle a été faite exige
quelques réflexions, Monfieur, fur le caractère même
du talent de Ferguſſon , & fur l'extrême liberté avec
laquelle le Traducteur a rendu ſes idées.
Ferguffon a enviſagé un ſujet très-philoſophique
ſous le point de vue le plus général ; il eſt réſulté
de là que ſes idées ſont ſouvent très- abſtraites , &
même un peu vagues. En le lifant,l'eſprit découvre à
chaque inſtant des étendues immenfes ; mais les
idées qui occupent ces eſpaces ſont un pen confuſes
& fugitives , comme les objets , pour ainſi dire , que
l'oeil voit flotter avec l'atmosphère aux bornes d'un
vafte horifon. Sa penſée eſt donc en général très métaphyſique
, & cependant ſon ſtyle eſt très-figuré.
Une idée abſtraite eſt ſouvent revêtue d'une image
pleine d'éclat. Cette eſpèce de contraſte entre l'eſprit
Giv
152 MERCURE
&l'imagination n'eſt pas rare , comme on fait , chez
les Écrivains Anglois. On le trouve même chez leurs
Poëtes, dans Pope fur-tout , qui écris comme Boileau
, &peut- être commePlaton. Il paroît que c'eſt
àcette réunion fur-tout que les Anglois croient reconnoître
le génie.
On feroit porté à penſer que l'imagination de
Ferguffon doit répandre ſur ſes idées la clarté qui
leur manque, &cela arrive très- ſouvent ; mais quelquefois
auſſi il me ſemble qu'il en réſulte un effet
tout contraire. L'image ne peut jamais bien embraffer
une idée qui eft confuſe & incertaine ; elle
reſte donc ſéparée en quelque forte , &l'attention,
partagée fur deux objets, ou plutôt entraînée toute
entière ſur l'image qu'elle ſaiſit facilement , laiſſe
l'idée dans une plus grande obſcurité encore.
Je crois , Monfieur , que tout Lecteur François
appercevra plus ou moins ces défauts dans l'Ou
vrage de Ferguffon; mais les Anglois en ont-ils
jugé de même ? ont - ils vu ces défauts ? exiftent.
ils pour eux? On peut préfumer que non. Ce qui
eft profond & abſtrait pour un Peuple eſt ſouvent
clair & fenfible pour un autre. Tous les Peuples n'ont
pas la même meſure d'attention , ni la même ſaga
cité d'eſprit; & ſur toutes ces qualités ils prennent
ouperdent l'avantage les uns ſur les autres, fuivant
que les objets font plus ou moins clairs & familiers
à leurs goûts & à leurs habitudes. Il eſt des hommes
qui paſſent des jours entiers , des ſemaines , des
mois à méditer une énigme ou un logogryphe , &
qui ne pourroient pas ſupporter la fatigue d'une
page de Tacite ou de Hobbes. Nous autres François,
nons demandons d'abord, ſans douteavec raiſon,
qu'un Ouvrage ſoit très-clair, primò perfpicuitas. Ce
que les Anglois ſemblent exiger d'abord, c'eſt quil
foit profond & neuf. S'il a dit de belles choſes &
des choſes utiles , ils font prêts à y revenir plus
DEFRANCE.
d'une fois pour les bien entendre. Un Ouvrage de
talent & de génie ne peut être obſcur qu'une fois ,
enfuite il eſttoujours auſſi facile que beau. Les Anglois
ne peuvent confentir à mettre une qualité de
ſtyle dont le charme ne ſe fait ſentir qu'à la pre
mière lecture , au rang de ces qualités dont l'impreſſion
puiſſante ſe répère à chaque lecture, & devient
même plus vive & plus forte pour les Lecteurs
dont l'eſprit approche le plus du génie de
l'Écrivain. Nés penſeurs , & accoutumés fur-tout à
porter leurs penſées ſur les objets de gouvernement
&de légiflation, les Anglois ſaiſiſſent ſans peine les
vérités les plus générales de la politique , ſans qu'on
ait beſoin de les arrêter ſur tous les détails qui nous
font néceſſaires pour les appercevoir d'une manière
ſenſible. Nous ſommes à leur égard , dans la ſcience
de la morale & de la législation, ce que des gens qui
commencent à étudier les Élémens d'Euclide , font
auprès des Euler , des d'Alembert & des Condorcet.
Les premiers ont beſoin de tous les ſignes , de tous
les chiffres, de toutes les figures ; un ſeul figne algé
brique eſt pour les autres in aſſemblage de propo
ſitions prouvées ; un a & un b font pour eux des
démonstrations & des vérités évidentes .
Cettemême force d'attention qui fait parcourir ſi rapidement
auxAngloisdes idées placées à une ſi grande
diſtance les unes des autres , leur fait franchir auffi
très-vîte l'intervalle qui ſépare une penſée d'une
image; une comparaiſon & une métaphore qui
nous paroiffent tirées de loin , leur paroiſſent nées
avec l'idée ou trouvées à côté d'elle ; car c'eſt moins
la nature des choſes que l'habitude & la facilité que
nous avons d'aller de l'une à l'autre qui nous faic
voir des liaiſons cutre-elles. Un intervalle qu'on
franchit ſans qu'on s'en apperçoive eft pour nous
comme s'il n'exiſtoit pas.
Ces principes , Monfieur, qui me paroiffent ins
Gv
154 MERCURE
conteſtables , peuvent ſervir à juſtifier la manière
dont on a traduit l'Ouvrage de Ferguffon .
Ferguſſon a écrit pour les Anglois ; mais c'eſt
pour les François qu'on le traduit. Le Traducteur
enrendant les idées de l'Auteur en a donc changé
quelquefois la diſpoſition , parce qu'il a cru en
voir une plus conforme à la manière dont les idées
ſe ſuivent & ſe lient dans nos eſprits & dans notre
langue. En allant au même but , il change quelquefois
de chemin. Ce qui n'avoit beſoin que d'être indiqué
à Londres avoit beſoin de développement à
Paris . Le Traducteur développe donc ce que l'Auteur
n'a fait qu'indiquer ; en général , le Traducteur
diſpoſe des idées acceſſoires avec le même empire
que fi elles lui appartenoient; il les change , il les
étend, il les fupprime ; il fait comme les Navigateurs
qui vont par mille routes différentes dans le
Nouveau - Monde que Colomb a découvert. Ce qui
diftingue ſur- tout l'eſprit & le goût de diverſes Nations,
ce ſont les idées acceſſoires. Pour les Anglois
zelle idée réveille telle image ; pour les François la
même idée réveillera plus naturellement & plus heureuſement
une autre image , & le Traducteur la préfère
, parce que le mérite de l'Ouvrage & la gloire
de l'Auteur y gagneront beaucoup dans nos eſprits ;
mais est-ce là traduire ? Ce ſera traduire fi on veut ,
&imiter fi on l'aime mieux ; & fi on le veut encore
, ce ne ſera ni une imitation ni une traduction,
mais un Ouvrage nouveau élevé ſur les idées principales
& fur le plan général de celui de Ferguffon.
Cette liberté ſeroit trop grande ſans doute dans les
Ouvrages de pur agrément , dans ceux où le talent ſe
borne à l'ambition de flatter le goût. La grâce & la
beauté du ſtyle tiennent fur-tout au choix & à l'ordre
des idées acceſſoires ; fi vous changez ces idées ou
leur ordre , vous avez détruit l'Ouvrage , & je ne
vois plus riendu talent de l'Auteur. Le génie & les
DE FRANCE.
155 .
talerzy
ice &
ides
tjet &je
nie
&
ext
grands Ouvrages philoſophiques qu'il produit , ré-
Gſtent mieux aux changemens qu'ils ſubiſfent en
paſſant de langue en langue , de traduction en traduction.
Souvent, lorſqu'il ne reſte plus rien du goût
& du talent d'un Ouvrage , le génie y ſubſiſte encore
avec les idées principales dont il eſt le créateur.
C'eſt le diamant des fables de Golconde , ſur lequel
les Lapidaires de Paris , ceux de Londres , ceux de
Berlin & de Pétersbourg , montrent la diverſité de
leur goût & de leur talent. De quelque manière
qu'il Toit enchaſſé, l'éclat & les feux du diamant font
toujours ce qui frappe le plus les yeux.
On croiroit que le Traducteur a eu le manufcrit
Anglois au moment où Ferguflon n'avoit encore
jeté ſur le papier que fon plan & ſes vûes. En
jetanttour-a-tour les yeux fur Foriginal & la traduction
, on croit entendre la converſation de deux
amis nés à-peu-près avec le même genre d'eſprit, &
qui s'entretiennent ſur des objets qui les intéreſſent
& les occupent également ; ils quittent & reprennent
tour-a-tour laparole; l'idée de l'un eſt ſaiſie à l'inftant
par l'autre , qui la porte plus loin , & la lie à
d'autres idées ; mais l'eſprit de tous les deux , aſſervi
également à l'objet de leur entretien & au ton donné
par celui qui l'a ouvert , marche toujours également
au même but , & ne fait que varier la route par un
grand nombre d'accidens & de points de vûe. L'Ouvrage
original ſera meilleur pour les Anglois , la
traduction pour les François, mais les François &
lesAnglois qui liront les deux Ouvrages,y gagneront,
ceme ſemble, également.
J'ai voulu , Monfieur , vous faire connoître l'efprit&
le caractère de cetre traduction; mais je n'ajouterai
rien de plus ſur ſon mérite. Il eſt une forte
de pudeur & de modeſtie qui arrête les éloges que
l'on donne à un ami ; il ſemble qu'il en revient quelque
choſe à celui qui les donne; mais quel que foit le
Gvj
156 MERCURE
jugement que l'on porte des morceaux que je vous
envoie , je ferois bien trompé , Monfieur, fi on ne
reconnoiſſoit point dans les idées& dans le ſtyle un
eſprit né pour éclairer les hommes ſur leurs plus
grands intérêts.
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
Le mot de l'énigme eſt les Chats ; celui
du premier Logogryphe eſt Cor-de- chaffe;
celui du ſecond eſt Terreur, qui , le premier
pied ôté, donne erreur ; celui du troiſième
eft Livre , ôtez L , reſte ivre.
J
ÉNIGM E.
E ne puis flatter les yeux
Que je n'enchante l'oreille .
Tantôt ſur cinq pieds boîteux
Je vais marchant à merveille ;
Sur huit , fur dix , je puis monter ,
Surdouze , & même ſur treize ;
Tel qui m'emploie eſt fort aiſe
De me voir ainſi trotter ;
Mais ſi quelquefois j'échappe ,
Je le fais jurer , pefter ;
Et bientôt , s'il me rattrape,
L'on voit ſa joie éclatter.
Suis- je riche , harmonieuſe ,
Lors je plais à tout chacun ;
4
DE
157
FRANCE .
:
Mais trop ſouvent, pauvre hableuſe
Je n'ai pas le ſens commun .
( Par Mme de M. ** )
LOGOGRYPHE.
Je ſuis né Perſe , Afiatique ,
Mède , Arabesque , Oriental.
Souvent compris dans l'ancienne tactique
Je montrai mon pouvoir dans la guerre punique ,
Sous Amilcar , ſous Annibal.
J'ajoute à ces hauts faits un trait original ,
Je ſuis dix & douze jours ſans boire.
A qui connoît la Nature & l'Hiſtoire ,
C'eſt ſe montrer bien clairement ;
Analyſons , partageons à préſent
Mon être en deux : d'abord je ſuis un Prince,
Le Chef de plus d'une Province ;
Du temps de Saint-Louis , un célèbre vainqueur ;
Des Mogols d'aujourd'hui le premier Empereur ;
Puis des quatre élémens je deviens le troiſième ,
( SelonThales , & ſon ſyſteme ,
Le principe de tous les corps . )
Voilàmon dernier ſtratagême ,
Ce font là mes derniers efforts.
(Par M. de Bouſſanelle , Brigadier des
Armées du Roi.)
158 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Recueil
des Pièces qui ont paru avecfuccèsfurles
Théâtres des Capitales de l'Allemagne ,
par M. Friedel , Profeſſeur en Survivance
des Pages de la grande Écurie du Roi.
3 Vol. in 8 °. A Paris , chez l'Auteur , rue
S. Honoré , au coin de la rue de Richelieu;
au Cabinet de Littérature Allemande , où
l'on peut ſe procurer les originaux; chez
la Veuve Ducheſne , rue S. Jacques ; Couturier
fils , quai des Auguftins ; à Verfailles
, chezBlaizot , rue Satory; à Leipfic ,
chez Dyk; à Berlin , chez Wever; à Hambourg
, chez Virchaux, à Gotha , chez
M. Reichard , à Manheim , chez M.
Schwan , & à Konisberg en Prufſe , chez
M. Friedel.
CE troiſième Volume nous a paru entotal
ſupérieur au précédent. Il eſt impoffible que
toutes les Pièces qui compoſent cette Collection
, méritent le même degré d'eftime.
Le devoir d'un Traducteur conſiſte en deux
points: bien traduire & bien choiſir. Ce
principe eſt inconteftable; mais ( ceci aura
peut-être l'air d'un paradoxe au premier
coup-d'oeil ) nous croyons qu'on n'est pas
DE FRANCE. 159
Γ
toujours en droit de lui reprocher l'infertion
d'unOuvrage qui déplaît , même d'un mauvais
Ouvrage , ou du moins qu'on ne doit le
faire qu'après un mur examen , parce que
des confidérations étrangères à l'Ouvrage
même, peuvent déterminer ſon choix. Parnti
les Pièces qui entrentdans un Recueil par leur
propre mérite, il en eſt quiy entrent par leur
réputation; c'eſt alors la nation qui a tort,&
le Traducteur eſt preſque forcé d'avoir tort
avec elle; quand fon jugement ne ſeroit pas
entraîné par l'opinion nationale , ſon choix
eft alors décidépar une forte de reſpeet qui mérite,
ſinonle ſuffrage, au moins la tolérancedes
connoiffeurs. Cette obſervation ne tend qu'à
rendre le Lecteur moins févère dans ſes jugemens
; elle ne diſpenſe pas le Traducteur
d'être difficile dans fon choix.
Le Volume que nous annonçons renferme
une Tragédie , Atrée & Thieſte; une Comédie
en deux Actes , le Voilà Pris ! le Voilà
Pris ! & un Drame en cinq, Stella.
Le ſujet de l'Atrée de Crébillon n'eft pas
celui de la Tragédie Allemande. Le Poëte
François a choifi le moment où Atrée ſe venge
de fon frère , en lui faifant boire le fang de
fon fils * ; l'Auteur Allemand , M. Weiffe ,
choiſit une autre époque. Thieſte , après la
* On fait que dans la Fable Atrée égorge les
deux fils de Thieſte , qu'il les lui fait ſervir à rable ;
&qu'après le repas , il lui fait apporter les pieds , les
mains & la tête de ſes enfans .
1
160 MERCURE
vengeance monstrueuſe de ſon frère , avoit
violé dans un bois , fans la connoître , ſa
fille Pelopée , qui avoit emporté ſon glaive,
pour tâcher de reconnoître un jour l'auteur
de cette violence. Atrée , qui la voit à la
Cour de Theſprote , & qui la prend pour la
fille de ce Monarque, la demande en mariage
& l'emmène dans ſes États , tandis
qu'elle porte dans ſon ſein un fils de Thyeſte.
Cet enfant , qu'on nomme Égiſte , eſt élevé
parAtrée comme ſon fils ; & pluſieurs années
après , Thyeſte étant retombé dans les mains
d'Atrée , celui- ci ordonne à Égiſte de l'affaffiner.
Thieſte ayant reconnu ſon glaive dans
les mains d'Égiſte, qui lui dit le tenir de ſa
mère Pélopée , & Pélopée ayant déclaré que
ce glaive appartient à un inconnu qui l'a
deshonorée , & qui eſt le véritable père
d'Égifte , Thiefte au déſeſpoir ſe fait connoître
à Pélopée peur ſon père ; & celle
ci , feignant d'examiner ce glaive de plus
près , ſe frappe & meurt. Égiſte retire le fer
tout ſanglant, &va le plonger dans le ſein d'Atrée.
Telle eſt l'action qu'a choiſie M. Weiffe ;
de manière que ſi le ſujet de Crébillon eft
la vengeance d'Atrée , celui du Poëre Allemand
peut s'appeler la vengeance deThyeſte.
Dans ce dernierOuvrage il y a de la verve,
de l'énergie & des idées ; mais trop ſouvent
de l'exagération & de la recherche dans le
ſtyle &dans les ſentimens, comme lorfqu'Atrée
dit à la Reine : lefouffle de Thyeſte,
quand même ilferoit trop foible pour élever
1
DE FRANCE. 161
la poufſière, est un ouragan qui peut entraîner
mon trône ; & lorſque la Reine dit dans un
monologue : toutes les horreurs funèbres de
la nuit, dont les ailes font enlacées de toiles
d'araignées,planent toutes noiresfur ma tête.
Il faut convenir que , dans une Tragédie ,
les aîles enlacées de toiles d'araignées , forment
une circonſtance affez déplacée &
bien contraire au goût &à la vérité.
Il y a de la lenteur dans l'action. Quand
Thyeſte eft retombé au pouvoir de fon frère,
Atrée ne fait plus ce qu'il veut. Il veut bien
faire mourir Thyeſte , mais il perd pluſieurs
Actes pour chercher de quelle manière il ſe
vengera. Il confulte même la Reine , &la
prie de lui indiquer un genre de fupplice. II
nous ſemble pourtant que l'imagination qui
a conçu l'idée du repas d'Atrée , ne doit pas
ſe trouver en défaut fur tout ce qui tient à
la cruauté , & que perſonne ne doit ſavoir
mieux que lui comme on peut ſe venger
d'un ennemi .
Scène deuxième , Acte troiſième , il veut
qu'Egiſte aſſaffine Thyeſte. Pourquoi plutôt
Égiſte qu'un autre ? L'action eſt plus tragique
fans doute ; mais elle n'eſt point motivée de
la part d'Arrée , qui ne fait point qu'Égiſte
eſt fils de Thyeſte. Il devroit au contraire en
charger quelque autre bras ; car il a vu Égiſte,
ému de pitié , ſe déclarer preſque ouvertement
pour Thyeſte; ou plutôt Atrée , d'après
ſon caractère atroce , doit ſe réſerver un emploi
ſi doux à ſon féroce coeur. Dans la Tra
162 MERCURE
gédie de Crébillon , Atrée , en ordonnant à
Pliſtène le meurtre de Thyefte , fait fort bien
qu'il arme le fils contre le père ; il a élevé
Pliſtène ſous le nom de ſon propre fils ; il l'a
réſervé pour le parricide , & voilà une vengeance
digne d'Atrée.
Voici un autre détail peu important , mais
qu'il eſt néanmoins utile de relever.Quand
Égifte va pour affaffiner Thyeſte dans fa prifon,
l'Auteur nous avertit que la Reine , qui
l'encourage ,fe cache à l'entrée de la prifon;
que la porte s'ouvre , & que l'on voit Thiefte
endormi ; mais le Spectateur , qui veut tout
ſavoir , demande à l'Auteur : comment s'ouvre
cette porte ? Nous avons cru être d'autant
plus fondés à relever certe inadvertance,
qu'un moment après, lorſqu'Égiſte, reconnu
pour le fils de Thieſte , vient de frapper
Atrée, l'Auteur nous dit qu'Atrée , en tombant,
ouvre les portes de la prifon. En vérité
voilà des portes de priſon affez mal fermées.
Tout cela n'eſt point naturel. Du temps de
Theſpis en Grèce , &du temps des Myſtères
parmi nous , on n'y regardoit pas de ſi près ;
mais aujourd'hui l'art eſt devenu plus difficile,
&lesSpectateurs plus exigeans.
Au reſte, cette Tragédie , qui par le ſujer ,
ne peut guère inſpirer d'autre fentiment que
celui de la terreur , nousa paru remplir fon
obiet. La haine des deux frères y eſt expri
mée avec beaucoup d'énergie. « Je ſuis reſté
ſeul , dit Thyeſte à fon barbare frère;
>> dévore- moi ! tu es altéré de fang , je le
DE FRANCE. 163
» vois ! oh ! ſi ce pouvoit être un poifon
>> pour Atrée ! peut- être que la peſte coule
dans mes veines au lieu de ſang ! ô race de
» Pélops , " &c. Voici une tirade bien terrible
, bien digne d'Atrée ! c'eſt ce frère barbare
qui délibère avec la Reine ſur la manière
dont il ſe vengera de Thieſte. " Thyefte !
>> Thyeſte ! la vengeance que j'en veux tirer
» me tourmente. Où commencera-t- elle ? où
>> finira- t- elle ? Filles des enfers , inſpirez-
» moi. Et toi , ma tendre épouſe , confeille-
>>moi. Tous les tourmens que ma rage lui
>>prépare me paroiſſent trop doux. Je lui
» ai déjà fait éprouver le plus horrible de
>> ceux que j'aye pu inventer ; & mainte-
>>nant il ne reſte que lui .. moins que
>> rien ; un miférable ſquelette à déchirer ,
» dix goutres de ſang à répandre , un coeur
» Aétri qui ne fent rien .... &c. » Ce n'eſt
pas là de l'emphaſe , de l'exagération ; ce
ſont des ſentinens terribles , mais vrais ,
mais dignes du perſonnage.
..
Le Dialogue eſt ſouvent preffé , vif &
énergique. Quand la Reine , qui ne reconnoît
pas encore Thyeſte pour le père du fils qu'elle
amis au jour , veut engager Égiſte à l'aſſaffiner
pour obéir à Atrée , elle lui dit : mon fils
m'a toujours obéi , il m'obéira toujours.
ÉGISTE.
"Toujours. Vous m'avez donné la vie, la
>> redemandez-vous ? j'obéis.
164 MERCURE
ود
LA REINE.
» Eh! pour te la conſerver , je donnerois
lamienne.
ÉGISTE.
>>Que faut-il donc ? parlez , ma mère , &
" je veux......
LA REINE.
>>Jure-le donc par ce ferment terrible
>>> que les Dieux même n'oferoient violer.
ÉGISTE.
» Mais pourquoi ?
t
LA REINI.
>>O>béis. Jure !
ÉGISTE,
>> Je lejure.
LA REINE.
>> Il ſuffit . Pars; fais mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
» Ai-je bien entendu ?
LA REINE,
>> Tu feras mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
>>Que le Roi vient de m'ordonner tout-
» à l'heure de conduire au temple? Lui!
DE FRANCE. 165
LA REINE,
» Frappe ; le Roi l'ordonne , je le veux ;
>>c'eſt pour le bonheur du Roi , pour mon
" bonheur & le tien.
ÉGISTE.
» Pour mon bonheur! ô ma mère , eſt- ce
>>toi qui me parles ? Peut- on obtenir le bon-
>>heur par le meurtre , par le parjure ?
Comme le coeur eſt vivement ému , lorfqu'Egifte
arrive à l'entrée de la priſon de
Thyeſte, avec la Reine , qui le conduit d'une
main, & qui de l'autre tient un glaive nud !
LA REINE.
» Le voici ...... Tu trembles ! ...... que
• crains- tu ?
ÉGISTE.
» O angoiſſe ! donnez !
LA REINE.
» Prends , ſoutiens-le donc.
ÉGISTE.
> Qu'il eſt lourd !
LA REINE.
Pour la main d'un lâche !
ÉGISTE.
» Oh ! ſi c'étoit pour la patrie ! vous
» verriez.....
166 MERCURE
او
1.
σε
LA REINE.
>> Comme tu fuirois ſans doute ? Si un ſeul
>> ennemi te fait ainſi trembler , que feroient
donc dix mille ennemis ?
ود
ÉGISTE.
Rien. Ils feroient armés. »
Ce dernier trait , ſans doute , eſt de la plus
grande beauté. L'intérêt augmente lorſque
lapriſon ouverte laiſſe voir Thyeſte endormi,
&Égiſte qui s'avance vers lui le glaive à la
main , tandis que la Reine eſt cachée dans
le fond.
ÉGISTE , ( tendrement après un filence de
quelques minutes ,pendant lequel il regarde
Thyeste avec compaſſion. ) すい
« Il dort ! ( avec plus d'attendriſſement
> encore) que ſon ſommeil eſt doux! hélas!
il ne fait pas qu'en ce moment ſon affaflin
eft fi près de lui; à moins qu'un Dieu ne
lui diſe en fonge que ſon aſſaffin eſt celui
» qu'il a tant aimé , celui qui lui a promis
» un aſyle.... O rrahifon ! terre , entrouvre-
"
ود
" toi ! ...... Paix ! il ſourit ce bon vieillard !
» chargé de fers , il ſourit à la mort , tandis
» que moi, malheureux !... (La Reineſe mon-
» tre dans lefond , & elle le menace ; Égifte
» se retourne ) Voyez - le donc , voyez ce
» reſpectable vieillard ! (Elleparoît furieuse
» de ce qu'il diffère ) Peut-être..... Oui ſans
» doute , un Dieu , ami des malheureux ,
DE FRANCE. 167
ود letient enſeveli dans un ſi doux ſommeil,
>> pour qu'il ne ſente pas l'amertuine de la
> mort ; pour qu'il ne connoiſſe pas ſon af-
د ſaffin..... Égiſte ! ( Il s'approche de plus
» près : il le regarde long-temps avec atten-
» driſſement , & l'on voit au- deſſus defa tête
» leglaive qui tremble dansſa main. ) »
Tous ces diſcours , tous ces mouvemens
font vrais & touchans. Égifte ne dit , ne fait
que ce qu'il doit dire , que ce qu'il doit faire.
Tout le dernier Acte eſt plein de beautés
&du plus grand effet.
Paſſons à le Voilà Pris ! le Voilà Pris!
Comédie en deux Actes de M. Wezel. Le
Baron de Spark a pris une femme qu'il croit
fort ſotte, croyant par-là, conime Arnolphe,
fauver fon honneur de tout accident. La fiè
vre de la jalouſie le ſaiſit enſuite quand il
s'apperçoit qu'elle a de l'eſprit. Il apprend
qu'en ſon abſence elle a ſoupé tête- à- tête
avec un M. de Torst , qui eſt une eſpèce
d'homme à bonnes fortunes , & qu'il a
même couché dans la maiſon. Tandis qu'il
croit ſa femme trèscoupable , il ſe trouve
qu'elle a fait venir ſecrètement chez elle une
fille naturelle de ſon mari , qu'elle a décou
verte depuis peu ; & de Torſt n'eſt venu chez
elle que pour marier la jeune perſonne avec
un des Commis qu'il a dans ſes Bureaux. Au
dénouement , de Feu , Capitaine d'Artillerie
, ami du Baron de Spark , reconnoît
auſſi le jeune homme pour ſon fils naturel.
Nous ferons peu d'obſervations ſur cette
168 MERCURE
Comédie , qui a le mérite au moins d'être
dans le genre vraiment comique , mais qui
eſt trop longue de moitié. De Spark , dès le
commencement du premier Acte, nedevroit
pas témoigner fi clairement fa jaloulie à la
femme. Il n'eſt pas naturel qu'elle ne comprenne
pas les reproches qu'il lui fait fur
Torst, tandis qu'elle fait qu'elle a foupé
ſecrètement avec lui ; il doit s'enfuivre un
éclairciſſement , &dès- lors la Pièce eft finie.
Lorſqu'au ſecond Acte , dans une autre
ſcène avec ſon mari elle dit à part : Ah !
je te vois venir maintenant ; c'eſt de la jaloufie:
il faut avouer qu'elle s'en aviſe un peu
tard pour une femme d'eſprit.
-
La Pièce pouvoit devenit très- intéreſſante
au moment où Spark reconnoît ſa fille;
mais il la déſavoue , & dès lors l'intérêt
ceffe. L'aveu qu'il en fait long-temps après
à ſa femme, arrive beaucoup trop tard , &
le Spectateur ne peut plus lui en ſavoir
gré.
La vieille tante Mme de Tatter & le
Capitaine de Feu, font ennuyeux pour les
Perſonnages de la Pièce, mais malheureuſement
ils le font pour les Spectateurs auffi.
Tel eſt le devoir dede l'Auteur comique, qu'il
faut que l'ennui même , lorſqu'il le met au
Théâtre , ſerve à l'amuſement du Spectateur.
Un bavardque nous rencontrons en ſociété
nous ennuie; il faut qu'il nous amuſe au
Théâtre ; & dès qu'il commence ànous fati
guer, l'Auteur a tort. Ceux même qui ſentent
DE FRANCE. 169
tent les réſultats des Arts , & qui en jouilfent,
ne fongent pas toujours par quels
nombreux procédés on y parvient.
Le petit maître Torft eſt des plus gauches,
&l'on ne conçoit pas comment ce peut être
là leféducteur de toutes lesfemmes.
Il y a trop ſouvent auſſi dans cette Pièce
la charge à la place du comique. La vieille
tante en peut fournir pluſieurs exemples.
Quand elle dit à Mme de Spark : Je dis que
les hommesfont des ours , & que les femmes
font bien malheureuſes d'être obligées de les
conduire; ils hurlent fans ceffe. L'Auteur
nous avertit qu'elle imite le rugiſſementde
l'ours. Il nous ſemble que cette imitation
du rugiffement de l'ours n'étoit pas là fort
néceſſaire. Plus loin, en écoutant un récit
que lui fait ſa nièce : Ah! mon Dieu , ma
pauvre enfant, dit- elle , il commençoit donc
àfaire déjà nuit ? Oh ! que j'aurois crié!
que j'aurois crié ! Et là-deſſus ( avertit encore
l'Auteur ) elle crie de toutes ſes forces :
c'eſt- là ce qu'on appelle du bas comique.
Au dénouement , quand le Capitaine de
Feu reconnoît ſon fils , il raconte que Spark
& lui , autrefois , avoient pris deux femmes
ſans les avoir épousées. Bref, ajoute-t- il ,
nos petites femmes Philoſophes s'en trouverent
le moins bien ; l'une devint libertine ,
&mourut dans un lieu de débauche .... ;
l'autre est morte de chagrin. Quels détails !
Il étoit bien néceſſaire de dire que l'une de
ces deux femmes mourut dans un lieu de
N°. 43. 26 Octobre 1782 . H
170
MERCURE
debauche! Pourquoi attacher l'idée du Spectateur
ſur un détail auſſi bas & aufli triſte ?
Comment le goût n'arrête- t- il pas la main
d'un homme de mérite quand il eſt prêt à
s'oublier à ce point là!
Malgré toutes ces obſervations , on voit
que l'Auteur connoît le coeur humain , &
fon Ouvrage prouve un vrai talent pour la
Comédie.
P
Il ne nous reſte plus qu'à parler du Drame
intitulé Stella , qui termine le Volume. Cécile&
Stella ſont deux femmes abandonnées
par Fernando , qui avoit épousé l'une &
vécu avec l'autre. Il revient enfin auprès de
ſa maîtreſſe Stella , & il arrive au moment
où Cécile, ſa femme, réduire à la plus cruelle
indigence , vient placer ſa fille Luzi en qualitéde
femme-de- chambre auprès de la tendre
Stella , qu'elle ne reconnoît point pour
la maîtreffe de Fernando. Celui- ci ayant retrouvé
ſa femme, ſe diſpoſe à la ſuivre par
devoir , quand les deux rivaless'érant reconnues,
la généreuſe Cécile immole fon amour
&cède ſes droits à la tendre Stella , ou du
moins elle conſent à partager avec elle le
coeur& lesfoins de Fernando.
Tel eſt en peu de mots le ſujet (affez
fingulier pour la Scène ) de ce Drame vraiment
intéreſſant. Nous invitons le Lecteur
à le lire dans l'Ouvrage même , & nous
nous bornerons à un très - petit nombre
d'obſervations.
Le perſonnage de Fernando eſt peu intéDE
FRANCE.
171
:
reſſant pour deux motifs. 1º. On ne voit
pas bien clairement pourquoi il a quitté ſa
femme, ni pourquoi il a quitté ſa maîtreffe,
ce qui fait qu'on n'oſe s'aſſurer ſur l'expreffion
de ſes ſentimens , qu'on ne connoit pas
affez. 2° . Quand il retrouve ſa femme , il ſe
répand en proteſtations d'amour. S'il eſt
amoureux de Stella , il ne peut pas l'être de
Cécile. Il nedoit donc témoignerà ſa femine,
en la rétrouvant, que de l'amitié, de l'eſtime;
il ne peut chercher à l'intéreſſer que par ſon
repentir.
Cécile a de la nobleſſe dans les ſentimens .
Si elle a quelquefois une apparence de froideur
ou un excès de raifon ,loin d'en blâmer
l'Auteur , on doit le louer de fon heureuſe
adreſſe à préparer par-là fon dénouement
Comme Cécile doit finir par céder à Stella
ſes droits fur Fernando , ou du moins les
partager avec elle , ſi l'Auteur lui eût donné
un amour également paffionné avec des
droits prépondérans , c'est- à- dire , avec le
titre d'épouſe , le ſacrifice n'étoit plus vraiſemblable
, parce qu'il eſt bien plus difficile
de renoncer à ce qu'on aime quand on a des
droits pour le garder.
Pour Stella, tout ce qu'elle dit , tout ce
qu'elle fait reſpire la plus tendre paſſion .
Elle n'est qu'amour. On pourroit citer au
haſard , dans les Scènes qu'elle a avec Fernande
, on y trouveroit par- tout le langage
d'un coeur paſſionné , & l'expreſſion de l'as
mour heureux.
Hij
172 MERCURE
→→→Ma Stella!
FERNANDO ( à ses pieds. )
STELLA.
» Lève-toi, mon Fernando, lève-toi ;je
>> ne puis te voir à mes pieds.
"
FERNANDO.
Laiffe - moi à tes pieds; ne ſuis -je pas
>> toujours proſterné devant toi ? Mon coeur
>> ne t'adore t'il pas toujours ? O amour !!
>> bontés infinies!
STELLA.
»Tu m'es rendu !..... je ne ine connois
• plus. Ce que je dis , ce que je fais , jen'en
>> ſais rien, au fond , que m'importe?
FERNANDO.
Je ſens encore ce que j'ai ſenti dans ces
> premiers momens de notre bonheur; je te
» tiens dans mes bras , Stella ! je ſuis sûr
d'être aimé ! amour ſincère , je te refpire
ſur ſes lèvres brûlantes; je chancelle , &
> je demande tout étonné , ſi je veille ou fi
» je rêve. »
N
ود
Peut-être le rigoriſme de la Scène Françoiſe
ne pardonneroit pas entre deux amans
une expreffion ſivive de la paſſion; maistel
eſt le ton qui convenoit à cet Ouvrage ,
qu'on ne doit pas juger d'après nos moeurs
théâtrales ; car un tel ſujet, ou du moins
DE FRANCE. 173
ſon dénouement n'auroit pas été admis fur
notre Scène. On n'y auroit pas vû aisément
la femme & la maîtreſſe du même homme ,
ſe décider à le poffeder enſemble & à partager
les droits d'épouſe. Comme Stella n'a
pour elle que les droits de l'amour , c'eſt ſur
elle que l'Auteur en a réuni tous les ſentimens.
Quoiqu'elle ſoit fondée à faire bien
des reproches à Fernando , voici le ſeul
qu'elle ſe permette.
" Que la justice te pardonne d'être ſi méchant
& fi bon! qu'il te pardonne , le
>> Dieu qui t'a fait ainsi .... &fi volage &
دد
ود ſi fidèle! fitôt que j'entends le ſonde ta
» voix , je me dis tout de ſuite , c'eſt Fer-
>> nando , qui n'aime que moi ſeule au
> monde. »
Comme elle eſt intéreſſante au moment
où ne ſachant pas encore que Fernando a
retrouvé la femme , & qu'il a promis de la
ſuivre , elle ne lui témoigne que fon amour
&le ſentiment de ſon bonheur ! Fernando
lui parle de Cécile , que Stella ne connoît
pas encore pour ſa rivale.
FERNANDO.
" La mère est une brave femme , mais elle
>>ne veut pas reſter; elle ne veut pas abſolu-
>> ment en dire les raiſons , elle veut partir.
> Ne la retenez- pas, Stella .
STELLA.
* Je ſerois au déſeſpoir de la retenir
:
Hiij
174 MERCURE
30
>>ici malgré elle.-Ah ! Fernando , j'avois
beſoin de fociété!-mais à préſent ( elle ود
fejette dansses bras) je te poſsède , Fer-
>> nando!
2
FERNANDO.
Calme-toi.
STELLA. 1
>>Laiffe-moi pleurer ! je voudrois que ce
>> jour fût déjà paſſé ! je tremble encore de
دد tous mesmembres ! quelle joie!-Tout
-me ſurprend à la fois ! toi , Fernando ! &
ود à peine ! Je ne pourrai jamais ſuppor-
» ter tout cebonheur.
FERNANDO ( àpart. )
»Moi, malheureux ! l'abandonner ! (haut.)
Laiffe moi , Stella !
STELLA.
>>C'est encore ta douce voix , ta voix ai
» mante !- Stella ! Stella ! - tu fais com-
ود
-
-
bien j'aimois à t'entendre prononcer ce
," nom. Stella !- Perfonne ne le pro-
" nonce comme toi. Toute l'âmedel'a-
> mour est dans le fon de ta voix. Comme
>> il eſt encore préſent à ma mémoire , ce
jour où je te l'entendis prononcer pour la
>>première fois , ce jour où tout mon bonheura
commencé ! » ور
En général , ce Volume offre de la variété;
con le lira avec plaiſir , pourvu que le
DE FRANCE. 175
Lecteur ne veuille pas que des Pièces Allemandes
foient faites abſolument dans le goût
François.
(Cet Article est de M. Imbert. )
MANUALE RHETORICES , ad ufum
ftudiofa Juventutis Academica : exemplis
tum Oratoriis , tum Poeticis , latinè , è
Tullio , Quintiliano , Horatio , Virgilio ,
& c. gallicè , è Maffilione , Flexerio ,Boffuetio
, Cornelio , Racinio , Bolao , Crebillione
, aliisque ex optimis Auctoribus
illuftratum. Editio tertia duplo auctior
pracedenti ,fub aufpiciis & nomine Univerfitatis
evulgata. Cui accedit Tractatus
gallicè du Recit. Aucthore P. T. N.
Hurtaut , Univers. Parif. A. M. antiquo
in Regia Schola Milit. Profeff., &c. Venit
3 Lib. compactum. Parifiis apud Aucthorem
, Juventutis & convictorum inftitutorem
, rue des Brodeurs , au-deſſus des
Incurables , & Langlois , rue du Petit-
Pont; le Boucher , quai de Gevres ; Nyon
juniorem , Pavillon des Quatre Nations ;
Colas , Place de Sorbonne , & Barrois
juniorem , rue du Hurepoix , Bibliopolas.
La clarté , la ſimplicité , la préciſion ſont
les qualités qu'on defire le plus , & que ſouvent
on rencontre le moins dans les Ouvrages
deſtinés à la jeuneſſe ; celui que nous an-
Η Ιν
176 MERCURE
:
nonçons nous a paru les pofféder àun degré
éminent , & ſe diftinguer encore par l'élégance
du ſtyle , & le choix agréable & judicieux
des exemples. Il paroît que l'Auteur,
dont la profeſſion eſt d'enſeigner , connoît
bien le caractère des jeunes gens à qui les
Livres élémentaires cauſent la plus grande
répugnance ; il fait que pour les engager à
étudier , il eſt néceſſaire de leur offrir un attrait
gradué qui les attache juſqu'à la dernière
page du Livre , en couvrant de fleurs
les épines de l'inftruction , & c'eſt ce que
nous avons trouvé dans ſon Ouvrage. Si le
but de la thétorique eſt de plaire , instruire
& toucher , les Ouvrages qui en traitent devroient
en offrir le premier exemple, & être
formésfur ce plan , mais on n'y trouve pour
l'ordinaire que des préceptes arides & monotones
appuyés ſeulement d'exemples
latins. Dans l'Ouvrage de M. Hurtaut, la
folidité marche de pair avec la variétéla plus
agréable ; s'il prend un Orateur ou un Poëte
Latin pour modèle , on trouve à ſes côtés
les Orateurs & les Poëres François qui les
ont le mieux imités ; Cicéron & Quintilien ,
Horace& Virgile , ont pour pendans Boffuer ,
Maffillon , Fléchier & Bourdaloue ; Corneille
, Racine , Boileau & Crébillon. Près
de 300 exemples tirés de ces illuſtres Oratents
& Poëtes, & de quelques autres eftimés
, comme Malherbe , Brebeuf , Deshoulières
, Saint-Gelais , Greffet , & c. font l'ornement
de cet édifice , & le font confidérer
,
DEFRANCE.
177
avec plaiſir , en y attachant l'eſprit & le
goût.
Le choix de ces exemples offre encore un
autre avantage; non-feulement ils ſervent
de preuve aux préceptes d'éloquence contenus
dans l'Ouvrage , mais ils orneront encore
la mémoire des jeunes gens des meilleurs
morceaux de ces excellens Auteurs ,&
leur inſpireront le goût de la lecture en
même- temps qu'ils formeront leur eſprit.
Telle eſt l'idée que nous croyons devoir
donner du Manuel de Rhétorique de M.
Hurtaut. Nous le regardons comme également
utile aux perſonnes qui aimeroient à
ſe rappeler les principes de ce bel Art. Enfin ,
ce qui peut lui donner le ſceau qui marque
les bons Livres , l'Univerſité , après avoir
fait examiner celui- ci par de Savans Profeſſeurs
, a permis qu'il parût en Public ſous
ſes aufpices & ſous ſon nom , en faiſant à
l'Auteur le compliment qu'il méritoit , d'avoir
entrepris un Ouvrage utile aux Étudians
& aux Maîtres , ainſi qu'on peut le voir
dans l'extrait des Regiſtres de l'Univerſité ,
imprimé à la tête de ce Manuel. Nous ne
doutons pas que les Profeſſeurs d'Éloquence
ne s'empreſſent à mettre entre les mains de
leurs Élèves un Ouvrage auſſi ſupérieur à
tous les autres de ce genre. On ne peut trop
le recommander encore à ceux qui font des
études particulières de cet Art ſi précieux
pour la fociété.
Ce Livre , & les autres dont M. Hurtaus
Hv
178 MERCURE
eſt l'Auteur * , donnent une idée bien favorable
de ſon penſionnat. Des parens ne peuvent
confier leurs enfans qu'avec beaucoup
d'affurance à un homme qui annonce autant
de goût & d'inſtruction .
L'AVENTURIER François , ou Mémoires
de Grégoire Merveil , 2 Vol. in 12. A
Londres , & ſe trouve à Paris , chez
Quillau l'aîné , Libraire, rue Chriſtine ;
la Veuve Ducheſne , rue S. Jacques ; &
chez les Libraires qui vendent les Nonveautés.
L'AUTEUR n'a ſans doute nommé fon
Héros Aventurier , que parce qu'il a beaucoup
d'aventures. Enlevé dès ſa plus tendre
enfance , mais avec une marque gravée fous
ſonbras qui doit le faire reconnoître , il eft
remis à une Savoyarde , qui le fait paſſfer pour
ſon enfant. Après diverſes courſes , il demeure
quelques années chez un Curé de Village.
Là , il devient l'amant aimé de Julie ,
fille du Baron de Noirville , Seigneur du
lieu. Quelque temps après il ſe trouve à
Paris dans l'infortune. Une Dame croit le
reconnoître pour fon fils , une Demoiselle
pour fon frère. Il eſt conduit à l'hôtel , où
tout le monde le prend pour le fils de la
* Les autres Ouvrages de M. Hurraut font : le
Dictionnaire des Mots homonymes de la langue
Françoife,&leDictionnairehift. de la Ville de Paris .
DE FRANCE.
179

maiſon , par l'effet d'une reſſemblance fingulière
qu'il a avec le jeune Seigneur , difparu
de la maiſon paternelle. Forcé de céder
à l'erreur générale , Grégoire Merveil va
bientôt épouſer ſa Julie.Onle conduit, pour
la célébration des noces , à une terre de la
famille qui l'adopte. On est attaqué dans la
forêt de Sénar par des gens maſqués. Le chef
de la bande ſe dépouille d'une fauſſe chevelure
& d'un habillement qui le déguiſoit ;
& l'on voit un beau jeune homme qui refſemble
parfaitement à Grégoire , qui eſt le
vrai fils de la maiſon , & qui fait remonter
tout le monde en voiture , à la réſerve de
fon malheureux rival .
Refugié en Italie , Merveil eſt arrêté comme
déſerteur , par une ſuite de la fatale refſemblance
qui occaſionne pluſieurs autres
mépriſes . Il ſe trouve dans la prifon un jeune
Soldat avec lequel il eſt obligé de partager
fon lit , & qui eſt une jolie fille. Attaqué
d'une violente maladie , il tombe en léthargie
, & fe réveille la nuit dans un cercueil
au milieu d'une Égliſe. Toujours entouré de
dangers , il y échappe toujours. Il eſt perfécuté
ſans ceſſe par les diſgrâces & par les
bonnes fortunes.
De retour en France , il ſe déguiſe en
Eccléſiaſtique pour affiſter à la profeſſion
d'une Religieuſe. Il voit celle qui va prononcer
des voeux , & reconnoît ſa Julie.
Arrête , s'écrie- t'il. Les Parens de la jeune
Profeffe le font paffer pour fou , & même
Hvj
180 MERCURE
ont le crédit de le faire enfermer comme tel.
Il s'évade , & ſe réfugie dans un Couvent,
où, à force de ſeductions, on lui fait prendre
l'habit , & prononcer très- irrégulièrement
des voeux. Il s'échappe du Couvent ; & ,
déguiſé en fille , entre comme Penfionnaire
dans celui de Julie. Il enlève ſa maîtreffe,
la conduit dans une maiſon qu'il croit sûre ,
&foupe avec elle. Mais à la fin du repas ,
un vin ſoporifique , préparé par un Émiſſaire
des Moines , plonge les deux amans dans
un profond ſommeil. Grégoire s'éveille enchaîné
dans un horrible ſouterrain. Il entrevoit
fur le mur ces mots terribles : pour la
vie. Dans ſon déſeſpoir il ne perd pas courage.
Il frappe le mur avec ſa chaîne pour
le percer , & s'ouvrir une iſſue. Au bout de
quelques jours , il entend frapper de l'autre
côté. Les deux priſonniers creuſent vis à vis
l'un de l'autre. Bientôt ils font une ouverture;
ils ſe reconnoiffent. C'eſt Grégoire ,
c'eſt Julie. Les deux amans ſont réunis; mais
ſous la terre , dans un cachot. Ils y trouvent
le plaifir; mais il en faut fortir. Ils eroient
entendre du bruit au deſſus de leur tête , &
frappent enſemble de ce côté. Ils font une
nouvelle ouverture , & fortent de leur prifon
; ils ſe trouvent dans une carrière. A
peine ſont- ils en liberré dans Paris , que
Julie est mordue d'un chien enragé. Elle a
la fièvre & le tranſport , & ſe perfuade
qu'elle est attaquée de l'hydrophobie. On lui
ouvre les quatre veines , malgré fon amant
DE FRANCE. 181
qu'on retient frémiſſant de rage & de douleur.
Dans le moment que ſon ſang coule ,
ſon père arrive avec le rival de Grégoire.
Julie s'évanouit ; on enlève celui qu'elle
aime , & on le force de s'embarquer , en
ignorant le fort de ſon amante.
Dans le ſecond Volume , Merveil eft
d'abord jeté dans une Iſle déſerte , où , nouveau
Robinfon , il paſſe quatre ans à déployer
les reſſources de ſon induſtrie. Ayant conftruit
un petit vaiſiſeau , il aborde une terre
voiſine , parcoure un fleuve dans ſa chaloupe
, eſt entraîné par le courant ſous une
voûte immenſe , & précipité dans une cataracte.
Repêché par un mortel ſecourable , il
ſe trouve chez une nation fouterraine. Defcription
de ce pays , d'une ville éclairée par
une lumière artificielle , des loix , des moeurs
& des préjugés religieux du peuple Gnôme.
On fait quelquefois accroire à ces gens , qui
n'ont jamais vû le ciel , qu'on leur procure
une mort paſſagère , pour les tranſporter
dans une eſpèce d'Élysée qui eft fur la terre,
où ils voyent le ſoleil. On juge des ſenſations
que la nouveauté du ſpectacle doit
leur faire éprouver ; enſuite on feint de les
reffufciter,& on les reconduit dans la mine;
car c'en est une , & qui plus eft , une mine
d'or. Merveil enſeigne les Arts à ce peuple
fouterrain.
Au fortir de ce royaume ſombre , il arrive
dans une ville toute ſemblable à Paris ,
qu'on appelle Paris-neuf, & qui eſt la Capi-
4
182 MERCURE
rale d'un pays nommé la France auſtrale ,
ſejour d'une Colonie Françoiſe. La Reine de
ce peuple, de même que le Sultan des Turcs ,
ne peut ſe marier. Il faut , pour avoir de la
pofterité , qu'elle ſe déguiſe , & que l'homme
qu'elle honore de ſes faveurs ignore qu'il a
faitune fi haute conquête. Celle qui occupe
le trône s'appelle Ninon V , & deſcend de
notre fameuſe Ninon de l'Enclos. Cette
jeune Princeffe , depuis l'arrivée de Merveil ,
porte toujours un maſque de velours , & no
tre Héros ne peut voir fon viſage , qu'on dit
charmant. On lui préſente une Gouvernante
nommée Dorothée , qui doit veiller à fon
ménage , fans demeurer chez lui. Cette jeune
perfonne , qu'on lui dit orpheline , eſt trèsjolie
, & paroît fort au deſſus de ſa condition.
Elle aime Merveil ; il eſt épris d'elle.
Elle a l'âge , la taille , la voix même de la
Reine, ce que reconnoît ſon amant , qui est
Secrétaire de Sa Majeſté. On lui dit que fa
Gouvernante a juſqu'aux traits de cette Princeffe.
Il ſe trouve dans un bal avec ſa Dorothée
, qui eft habillée comme la Reine, &
quetout le monde prend pour elle. Il ne fait
que penſer. Ninon V devient groffe , &
Dorothée auffi. Elle lui dit que pendant
quelque temps elle ne pourra venir , & enfin
il obtient d'elle un aveu qui lui apprend
qu'elle eft la Reine. Mais cefecret leur coûteroit
la vie , fi l'on ſavoit qu'elle l'eût révélé.
La Reine accouche d'une Princeſſe. On
s'apperçoit que Merveil en eſt le père , &
DE FRANCE. 183
qu'il ne l'ignore pas. Crime impardonnable.
Peu de temps après il eſt arrêté auſſi bien que
la Souveraine. On le condamne au fupplice.
Il s'échappe des mains des bourreaux à l'aide
deſes amis , ramaffe quelques Soldats , défait
avec eux quelques Compagnies , augmente
fon parti par degrés , & d'efforts en efforts
ſe voit à la tête d'une armée , avec laquelle ,
par ſa valeur & par ſa ſageffe , il remporte
des victoires &faitdes conquêtes . Au milieu
de ſes exploits , il apprend que la Reine va
périr ſur l'échafaud. Il vole à Paris neuf , arrive
dans le moment où la victime va être
immolée , l'enlève, ſe rend maître de fon
Royaume , & bientôt ſe fait couronner avec
elle. Idéede fon Gouvernement. Il parcourt
fesÉtats incognito.Aventures de fon voyage.
On vient lui annoncer que la Reine eſt dangereuſement
malade. Il vole à ſon ſecours ;
elle meurt dans ſes bras. Il ſe nomme Régent,
fait proclamer ſa fille Reine , rétablit
L'ancienne Conſtitutionquin'admettoit point
de Roi , fait faire un Code , & fe difpoſe à
partir , après avoir pourvu , autant qu'il lui
a été poffible , au bien de la nation. On lui
fait boire un verre de vin préparé par la
Reine , & il tombe dans un ſommeil léthargique.
Merveil ouvre les yeux, & ſe voit
dans une chaloupe , où il eſt enchaîné , fur
une mer agitée. Les éclairs l'éblouiffent. Il
détache ſes mains , apprend par un billet
que les Grands du Royaume lui ont joué cet
indignetour, mais que fa fille eft conſervée fur
184 MERCURE
letrône. Il trouve le moyen de pêcher quelque
poiffon pour ſa nourriture , & boit l'eau
d'une pluie fecourable. Il rencontre un vaifſeau
qui le recueille & le rend à ſa patrie. Il
y retrouve ſa Julie ; mais elle va épouſer
ſon rival. Introduit dans la maifon comme
Domeſtique , il ſert à table au repas des
fiançailles. Il tient un réchaud d'eſprit-devin
, & , tout occupé à contempler ſon
amante , il met le feu par diſtraction à la
perruque du père de cette belle. La flamme
ſe communique rapidement aux perruques
&aux coëffes des convives , fait partir un
feu d'artifice,&cauſe le plus grand déſordre.
Merveil eft reconnu pour l'Auteur du dommage.
Noirville ordonne qu'on le dépouille
& qu'on le déchire à coups de verges. Il
élève les bras au ciel. Un vieux Domeſtique
apperçoit ſous ſon aiſſelle les armes & le
nom de la famille. Il s'écrie : arrêtez . C'eſt
Louis , Marquis d'Erbeuil, le vrai propriétairede
eette maiſon. Il dévoile que Noirville
avoit dérobé cet héritier , qui eſt ſon
neveu , comme il avoit enlevé précédemment
le frère jumeau de Merveil , qui ſe
trouve être ſon rival ( ce qui rend plaufible
cette extrême reſſemblance ); que ſa mère
lui avoit fait graver ſous le bras ſes armes
&fon nom pour le faire reconnoître. Enfin
il eſt rétabli dans ſes biens, & il épouſe ſa
Julie.
Voilà l'abrégé de ce Roman , dont nous
n'avons pu indiquer toutes les aventures.
DE FRANCE. t 485
Elles ſe ſuccèdent rapidement ; quelquefois
intéreſſantes , plus ſouvent gates. Cette lecture
eſt agréable & nous penfons qu'on peut
regarder ce Livre comme un des premiers
parmi ceux dont le but principal eſt d'amu
fer. On y trouve auſſi des idées ſérienfes &
philoſophiques. Si le premier Livre eſt plus
fait pour les Lecteurs de Romans , le ſecond
mérite plus d'être lû par les Gens de Lettres.
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 8 Octobre , on a donné , pour
la première fois , Tibère , Parodie en deux
Actes & en proſe, mêlée de Vaudevilles ,
par M. Radet.
,
Encore une Parodie ! Il eſt vraiſemblable
que ce ne ſera pas la dernière. Les Gens de
goût s'éleveront long- temps en vain contre
se genre non- feulement inutile , mais fait
peut- être , pour porter le découragement
dans quelques eſprits timides , & pour chagriner
des Auteurs recommandables par
leurs talens . Dans la carrière Littéraire ,
comme dans toutes les autres , les François
adoptent avec autant d'enthouſiaſme que de
légèreté les idées qu'on a l'adreſſe de leur
faire aimer ; ils s'y attachent par habitude ,
136 MERCURE
&y perſiſtent par opiniâtreté. Le bon La
Fontaine a dit :
Patience & longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Prenons donc patience , & tâchons feulement
, à chaque Parodic que nous verrons
éclore , de remettre ſous les yeux des jeunes
Écrivains quelques unes des raiſons qui
rendent ce genre mépriſable. Premièrement,
on peut affurer que rien n'eſt plus facile que
de traveſtir en perſonnagesbouffons desperſonnages
tragiques , même en conſervant
leurs noms; & qu'il fuffit pour cela de charger
leur coſtunse, leur démarche&leur maintien
d'unecaricature dignede la parade.Quant aux
idées , aux motifs , au ſtyle de la Tragédie,
on fent auſſi qu'il eſt très aiſé,avec quelques
légers changemens, de leur prêter les apparences
du bas comique ; & que plus un Ouvrage
tragique ſera ſubliine ou intéreſſant ,
plus il ferapoffible d'en rendre les données, les
caractères & les ſituations ridicules , par la
raiſon que les extrêmes ſe touchent. Cet
adage eſt devenu trivial , mais il eft vrai. On
doit convenir encore que dans les Tragédies
qui approchent le plus de la perfection , on
rencontre preſque toujours des défauts palpables
, des erreurs qui frappent les yeux de
tout le monde; &qu'ilya unbienpetit mérite
àrendre une Parodie plaiſante , de temps en
remps , par des traits critiques que tous les
Spectateurs ont devinés d'avance. Une Paro
DE FRANCE. 187
die réellement utile ſeroit celle qui , en retraçant
l'intrigue , l'action , le plan, les caractères,
les ſituations , & quelquefois le ſtyle
d'une Tragédie , n'en critiqueroit les vices
qu'en les faiſant diſparoître. Cette manière
de parodier demanderoit un hommedegoût,
très- inſtruit , doué de beaucoup de force
comique; & fi cet homme exiſte , il ne perdra
point des inſtans précieux ; il fera trop
jaloux de ſa gloire pour la compromettre en
faifant des Parodies. Le meilleurOuvrage de
ce genre que nous connoiſſions eſt , ſans
contredit , Agnès de Chaillot : néanmoins ,
qu'il eſt loinde ce point d'utilité que nous
venons d'indiquer ! Comme après avoir excité
le rire des Spectateurs par la fingularité
des traveſtiſſemens qui font tout fon mérite
, il laiſſe l'homme délicat en proie au
chagrin d'avoir ri aux dépens des vertus &
des ſentimens dont l'humanité s'honore le
plus! La moindre fituation d'Inès de Caſtro
parle plus à l'âme, échauffe plus le coeur d'un
Spectateur ſenſible , que tous les ſarcaſmes
du Parodiſte , toutes ses bouffonneries &
toutes ſes épigrammes ne plaiſent à l'eſprit
le plus enclin à la malignité. Si l'on peut
s'expliquer ainſi ſur Agnès de Chaillot, comment
s'expliquera-t-on ſur les autres Parodies.
Celle de Tibère eſt froide & triſte. Il eft
vrai que la Tragédie qui y a donné lieu
offroit peu de reſſources ,& ne pouvoit faire
naître qu'un très petit nombre de plaiſante
188 MERCURE
ries faillantes : mais ce qu'on peut reprocher
à l'Auteur , c'eſt d'avoir été ſouvent dur dans
ſes critiques; d'avoir fait uſage d'une foule
de rebus , de proverbes & de propos rebattus
, que la bonne compagnie & les bons
Ecrivains ont banni de la converſation &des
Ouvrages. Le choix des Vaudevilles eſt ſou
vent heureux. Les refrains produiſent quel
quefois des épigrammes piquantes. Le dialogue
eſt généralement vrai , plaifant de
temps en temps , & coupé avec beaucoup de
facilité. Le dénouement, qui ne refſſemble
enrien àcelui de la Tragédie, eſt écrit avec
quelque grâce; on y remarque des idees frai
ches & galantes. Tout cela peut faire préſumer
que M. Radet, en quittant un genre
que tout profcrit , en travaillant avec ſoin
des ſujets comiques, méritera des encoura
gemens. Nous l'y invitons,tant pour l'amour
de l'Art que pour l'intérêt de ſon talent.
N. B. Un Anonyme nous a fait paffer
une Lettre , par laquelle on nous dénonce
unPlagiat qui couvriroit de ridicule l'homme
d'eſprit qu'on en accuſe, s'il en étoit réellement
coupable. Nous declarons à l'Anonyme
que nous ne pouvons répondre à ſes
defirs que dans le cas où il ſe fera connoître,
&nous permettra de le nommer publique
ment.
DE FRANCE. 189
GRAVURES.
LE Sieur Demanne , Graveur, rue de l'Ortie, vis-àvis
les Galeries du Louvre , avertit qu'il continue
toujours de vendre le Recueil de Cartes Géographiques
de feuM. d'Anville. Tout le monde connoît
le mérite rare de ce ſavant Géographe.
Effais historiques & politiques fur la révolution
de l'Amérique Septentrionale , par M. Hilliard
d'Auberteuil , ſeconde & dernière Livraiſon des
Cartes & Gravures. Cette dernière Livraiſon eſt
compoſée , ſavoir , de deux Cartes , dont l'une eſt
la Carte générale de l'Amérique Septentrionale depuis
la Baie d'Hudſon juſqu'au Miffiffipi; l'autre ,
la Carte de la route des lacs depuis Montréal &
Saint-Jean juſqu'à la Baie d'Hudſon. Le prix de la
première enluminée eſt de 4 liv . 10 ſols , celui de la
ſeconde de 1 livre 16 fols.
Quatre Estampes majeures ; la première est
l'Eloge funèbre du Docteur Warren ; dans la ſeconde
Gravure la garniſon de Québec enlève le corps de
Montgomery pour lui rendre les honneurs funèraires
; la troiſième repréſente l'incendie de New-
Yorck; elle est d'un très -bel effet , & les Artiſtes y
ontdonné un ſoin particulier; dans la quatrième eſt
repréſentée avec force & vérité la mort de Molly ,
bleſſée involontairement par Seymours, ſon amant,
lejour de ſon mariage. Tous ces ſujets hiſtoriques ,
compoſés & deffinés par M. Lebarbier , Peintre du
Roi , ont été gravés par MM. Halbou , Patas &
Ponce. Trois Portraits . Celui de J. Hancock , Préſi
dent du Congrès; ceux de S. E. Benjamin Franklin
&de Williams Pitt. Le Portrait de M. Franklin eſt
d'unegrande expreſſion. Le prix de chaque Eſtampe
1,90
MERCURE
eſtde 3 livres , & celui de chaque Portrait de 2 liv.
Quoique l'Ouvrage ſoit fini, les prix ſont toujours
de42 liv. pour l'in-4 ° . broché , & de 21 liv. pour
l'in-8°. auffi broché, avec les Cartes & Gravures.
Mais pour la commodité des Perſonnes qui ne voudront
pas faire la dépenſe de 21 livres, pour l'in-8°.,
on le leur donnera au prix modéré de 12 livres ſans
qu'elles foient obligées de prendre les Gravures &
les Cartes.
MM. les Souſcripteurs qui n'ont pas la quatrième
Partie, ou ceux qui n'ont que la première , font
priés de les faire retirer en renvoyant leur quittance,
ainſi que la dernière Livraiſon des Cartes & Gravures
, afin d'éviter les inconvéniens qui ſont déjà
arrivés par l'inexactitude & la curiofité des Portiers
& des Domestiques.
Ons'adreſſera toujours chez M. Hilliard d'Auberteuil
, rue des Bons-Enfans , la première porte-60-
chère àdroite en entrantpar la rue S, Honoré.
Le Duc de Crillon , peint & gravé par M. Legrand,
à la manière rouge Angloife. A Paris, chez
l'Auteur, rue S. Jacques vis-à-vis celle des Mathurins,
nº. 41 ,Prix , I liv. 4 ſols.
:
ANNONCES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU OUVEAU Théâtre Allemand, ou Recueil des
Pièces qui ontparu avecſuccès ſur les Théâtres des
Capitalesde l'Allemagne , par M. Friedel , Profeſſeur
des Pages du Roi en ſurvivance, Volume IV& dernier
de lapremière année, contenantAgnès Bernau, Tragédie
en cinq Actes; le Ministre d'Etat , Drame en cinq
Actes;l'Homme à la Minute , Comédie en un Ade.
AParis , chez l'Auteur , au Cabinet de Littérature
Allemande, rue S. Honoré, au coin de la rue de
DE FRANCE.
Richelieu ; la Veuve Ducheſne , Libraire , rue Saint
Jacques ; Couturier fils & Brunet , Libraires ; & à
Verſailles , chez Blaizot , Libraire. Le prix des premiers
quatre Volumes eſt à préſent de 18 liv. port
franc par la poſte. On pourra les acquérir au prix de
la ſouſcription ; ſavoir , de 12 liv. pour Paris , ou
de 14 livres 8 fols pour la Province , en payant
d'avance la ſouſcription pour les quatre Volumes de
la ſeconde année. Pour recevoir les Volumes en Province
, francs de port par la poſte, on ne peut s'adrefſer
qu'à l'Auteur. Il faut affranchir la lettre de
demande & le port de l'argent.
Hiftoire Univerſelle depuis le commencement du
Mondejusqu'à préſent , compoſée en Anglois par
une Société de Gens de Lettres , nouvellement traduite
en François par une Société de Gens de Lettres
, enrichie de Figures & de Cartes.- Histoire
Moderne, Tome VI, contenant la ſuite de l'Hiftoire
des Turcs , & des Empires qu'ils ont fondés
dans la Tartarie & dans l'Afie- Mineure , & celle
des Tartares fous Genghiz - Khan . A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Cluny.
Solution des trois fameux Problêmes de Géométrie
, par M. Papion de Tours. A Paris , de l'Imprimerie
de L. Cellot , gendre & ſucceſſeur de Jombert,
rue des grands Auguſtins , la troiſième porte-cochère
à gauche par le quai , ci-devant rue Dauphine,
1782 , petit in- 8 ° . de 34 pages .
Choix des plus belles Fables qui ont paru en Allemagne
, imitées en versfrançois , par M. Binninger ,
Gouverneur d'une jeune nobleſſe à Carlsruhe. A
Kehl , 1782 .
La Difcipline Militaire du Nord , Drame en
quatre Astes , en vers libres , par M. Moline, re192
MERCURE
10
P
préſenté pour la première fois ſur le Théâtre des
Tuileries, par MM. les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 12 Novembre 1781. Prix, I livre
16 fols . A Paris , chez J. F. R. Bastien , Libraire ,
rue du Petit Lion , Fauxbourg S. Germain , près du
Théâtre François.
La Constance couronnée , Paftorale en un Atte ,
par M. le Comte de Boisboiffel. Prix , 12 fols. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés , au vieux
Louvre , au Palais Royal , au quai de Gèvres , &c.
Discoursprononcéà la Séancepublique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres d'Amiens , la
25 Août 1782 , par M. d'Agay , Intendant de la
Province, fur les avantages de la Navigation intéricure
, in - 4 °. A Amiens, chez Caron fils , Imprimeur
du Roi.
TABLE.
VEERRSS àM. le Chevalier de Enigme&Logogryphe, 156
Parni ,
-AMllede Gaudin ,
145 Nouscau Théâtre Allemand,
146 158
L'Ane, la Rofe & le Char- Manuale Rhetorices , v75
don , Fable,
CoupletchantéàMdede Bau- Comedie Italienne , 185
147 L'Acenturier François, 198
regard, 149 Gravures ,
189
Lettre au Rédacteur du Mer- Annonces Littéraires , 190
cure, ib,
APPROBATIΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercurede France , pour le Samedi 26Octobre. Je n'y ai
rien trouvé quipuiffe en empêcherl'imareſſion. AParis,
Ie 25Octobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
: DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DePÉTERSBOURG , le 20 Septembrea
Le bruit court depuis quelques jours , que
des ordres ſupérieurs ont ſuſpendu la marche
des corps de troupes qui éroient déjà
en route , & le départ de ceux qui devoient
les ſuivre. On dit qu'il en a été donné de
pareils au détachement d'artillerie qui devoit
partir de cette Capitale avec un train
de 64 pièces de gros canons ; mais on ne
dit point les raiſons de ce changement.
On apprend que l'eſcadre du contre-
Amiral Kruſe qui , ſuivant ſa première deftination
, ne devoit croiſer que dans la mer
du Nord , a reçu ordre de faire voile pour
la Méditerranée ; celle du Vice - Ami al
Tſchitſchatgoff a ordre de la joindre. On
prétend que ces deux eſcadres , qui forment
enſemble to vaiſſeaux de ligne & quelques
frégates , feront renforcées au printems pros
26 Octobre 1782.
( 146 )
chain de 8 ou 10 autres vaiſſeaux , que l'on
conſtruit actuellement à Cronſtadt.
On vient de publier un Oukaſe , que
l'Impératrice a ſigné , le jour même de l'inauguration
de la ſtatue de Pierre-le-Grand ;
S. M. I. a voulu terminer cette fête en
l'honneur du fondateur de la Ruſſie , par des
actes de bienfaisance. Cet Oukaſe contient
les 9 articles ſuivans..
>>S. M. I. fait grace àtous les criminels condamnés
à mort , & ordonne qu'au lieu d'être exécu
sés , ils ſoient employés aux travaux publics ;quant
àceux qui devoient ſubir des peines corporelles ils
feront tranſportés dans les Colonies. 2º. Toutes les
recherches fur les affaires concernant la Couronne ,
feront entièrement miſes au néant ,& ceux qui feront
détenus pour des cas de cegenre feront inis en liberré.
3º . S. M. I. accorde une remiſe générale de ſes
droits aux héritiers des perſonnes mortes avec des
dettes envers la Couronne , & contre leſquels il
a été procédé juſqu'ici. 4º. Tous les prifonniers
pour detres quelconques , détenus depuis plus de
cinq ans , & reconnus inſolvables feront élargis.
s°. Un pardon général eſt accordé à tous militaires
qui avant ceManifeſte ont quitté leurs Corps , ainſi
qu'à tous payſans ou habitans quelconques qui ont
abandonné leurs habitations , & qui reviendront
dans l'eſpace d'une année à compter du jour de la
publicationdupréſent Manifeſte , & de deux années
pour ceux qui reviendront des pays étrangers. En
les recevant, on ſe conformera aux Manifestes de
S. M. I. du 5 Mai 1779 & 27 Avril 1780. 6º. S.M.
remet toute dette envers la Couronne qui n'excèdera
pas soo roubles , & défend de faire aucunerecher
che à ce ſujer. 7º. Tous prisonniers détenus pour
au de commerce illicite ou contrebande feront
( 147 )
relâchés , & les pourſuites faites contr'eux entièrement
abandonnées. 8°. La permiffion de revenir
dans leurs demeures eſt accordée à tous les galériens
, excepté à ceux qui ont commis des meurtres
ouqui ont déja éré flétris. 9º. Pardon général à tous
ceux qui ont manqué ou ſe ſont rendus coupables de
quelque négligence dans leurs emplois, pourvu que les
fautes ne ſoient pas reconnues avoir été faites de
propos délibéré.-S. M. I. ſouhaite que ces diverſes
graces ramènent les coupables à un repentir fincère ,
à une meilleure conduite , & à la foumiffion aux
loix divines & humaines ; & que tous réuniſſent
leurs voeux pour le repos de l'ame du grand Monarque
, à la mémoire duquel ces marques de clémence
ont été accordées cc .
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 26 Septembre.
Le Roi vient de nommer Miniſtre d'Etat
le Baron Gerhard de Roſencrone .
On a appris par les Patrons de pluſieurs
navires arrivés de Bergen en Norwège , que
le Capitaine Gennip , avec 3 vaiſſeaux de
ligne , une frégate , un cutter , & les 3
vaiſſeaux de la Compagnie Hollandoiſe des
Indes Orientales , qui s'étoient arrêtés pendant
quelque tems à Drontheim , font actuellement
àKarſand , à 10 milles de Bergen ,
où ils attendoient le moment de remettre à
la voile pour ſe rendre à leur deſtination
en Hollande.
>>>Le printems& l'été , écrit- on d'Iſlande , ont été
très- froids , ce qui fait que l'herbe n'a pas pu po ffer.
Les beftiaux manquent de fourrages , & les vaches
1
g2
( 148 )
donnent ſi peu de lait qu'il ne ſuffit pas même pour
les beſoins des habitans. Depuis le commencement
deMars juſqu'au milieu de Juliet , toutes les baies
étoient remplies de glaçons , de forte qu'on ne pou
voit rien faire à la péche. Pluheurs bajes en font
actuellement débarraffées , & on a été affez henreux
pour y faire la pêche avec ſuccès & pour trouver
pluſieurs baleines mortes. On n'a pris que trèspeu
d'oileaux de mer près de Drangoë & de Grimfoë.
-On commence à conſtruire ici des moulins à
cau pour y moudre le bled, & àétablir auſſi des
métiers de Tifferands , tels qu'on en voit enDanemarck.-
Dans l'année 1781 , ily a eu dans l'Evêché
deHelum 63 mariages , 288 naiſſances , dont 143
garçons & 145 filles; il y eſt mort 375 perſonnes ,
dont 181 hommes & 194 femmes. Il y avoit dans
ce nombre 8 perſonnes qui avoient vécu depuis
70juſqu'à 100 ans e,
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le a Octobre,
On attend ici à chaque inſtant l'arrivée
du Comte & de la Comteſſe du Nord; le
Comte de Braun eſt parti ces jours derniers.
pour Braunau , où il a été recevoir , au nom
de S. M. , ces illuſtres Voyageurs , & les
conduire dans cette Capitale. Ce matin ,
l'Empereur est allé au-devant d'eux.
On affure que S. M. I. ſe rendradans peu
à Prague ; on dit même qu'on a déjà donné
ordre de tenir prêts 32 chevaux pour fon
ſervice aux poſtes , & 122 pour celui du
Comte & de la Comteffe du Nord, qui ,
( 149 )
en retournant en Ruffie , pafferont par Var
fovie .
Des lettres de Trieſte portent , que dans
le courant du mois d'Août , il eſt entré dans
ce pott 83 bâtimens de diverſes Nations.
On écrit de Zeng , dans la Dalmatie , que
depuis que ce port a été déclaré libre , le commerce commence à y fleurir. La poſition
de ce port eſt ſi avantageuſe , qu'il deviendra
un jour un des plus confidérables
qu'ait la Maiſon d'Autriche fur la mer
Adriatique.
Selon des lettres de Veniſe, la Républi- que eſt déterminée à faire deffécher les marais aux environs de Vérone , à la circonférence
de so milles ; elle a , ajoute ton , affigné pour cet objet , une ſomnis de so,obo
ducats.
On dit aujourd'hui que toutes lesMaiſons
des Religieux Mendians, feront fupprimées
dans les Etats Héréditaires de la Maiſon
d'Autriche ; le bruit ſe répand auſſi , qu'il a été défendu à toutes les Caiſſes publiques
qui ont des fonds appartenans à des Cou- vens , de les leur délivrer lorſqu'ils les
redemanderont
.
Un Seigneur Hongrois vient de trouver
un nouveau moyen de filer l'amiante , & d'en faire des toiles incombustibles ; il a
eu l'honneur de préſenter ſon travail à
l'Empereur.
83
( 150 )
De HAMBOURG , les Octobre.
SELON les lettres de Pologne , la révolte
de la Crimée continue de faire des progrès ;
mais les détails qu'elles en donnent font
encore très incertains.
>>Les Tartares , diſent- elles , ont déja commis
plufieurs brigandages ſur les frontières de la Ruffie;
ils ont attaqué& repoufflé avec perte 4 régimens de
cavalerie qui ſe diſpoſoient à pénétrerdans la Péninfule;
cet avantage , qui eſt peut- être douteux , n'eſt
pasd'unegrande conféquence s'ileſt réel, parce que
ces régimens vontbientôt être appuyés par d'autres.
Onprétend que les rebelles ne ſe conduiſent pas avec
la prudence dont ils auroient beſoin pour ſe faire
appuyer. Ils ont eu , dit-on , la maladreſſe d'éloigner
un Officier Pruffien qui conduiſoit une remonte de
300 chevaux , & le Général- Major Autrichien de
Caraller a manqué de tomber dans leurs mains. Le
nouveau Kan Selim Gueray ne ſe conduit , dit-on ,
pas mieux que ſes Tartares ; il s'eſt fait à la véritéun
puiflant parti , en remettant ſur l'ancien pied le Gouvernement
de la Péninfule , &en détruiſant toutes
les innovations de Sahim Gueray. Mais il ne ménage
aucune des Puiſſances dont il lui feroit important
de ſe concilier l'intérêt ou le voeu du moins fecret.
On prétend qu'il n'a pas agi avec plus de circonſpection
vis-à-vis de la Porte , & qu'oubliant combien
les ſecours lui ſont néceſſaires pour ſe ſoutenir , il
ces a follicités d'un ton propre à les lui faire refuſer ,
fi la Porte pouvoit être maitreffe de reſter ſimple
ſpectatrice des efforts que fera vraiſemblablement
la Ruffie pour rétablir le Kan Sahim Gueray ".
Le parti que prendra l'Empire Ottoman ,
fixe toujours la curioſité générale. En atten(
151 )
dant , l'Empereur prend , dit- on , des me
fures pour protéger ſes frontières ; 3 régimens
ont , à ce qu'on prétend , reçu ordre
de ſe rendre dans la Tranſylvanie ; & un
corps de croates eſt toujours poſté ſur le
territoire de la Porte , depuis la dernière
affaire qui a eu lieu avec les Turcs. On
ajoute qu'il a été donné ordre de tranſporter
des munitions de guerre à Gradifca .
On mande de Caffel , que le Ministère
Britannique a fait demander à cette Cour
10,000 hommes ſous la condition de leur
payer la moitié de leur folde auffi long-tems
qu'ils feroient à ſon ſervice ; mais la Cour de
Caffel a répondu qu'elle ne pourroit accorder
les hommes , à moins qu'on ne leur payât
leur folde en entier. Cette réponſe a été
envoyée à Londres , & en attendant la détermination
du Ministère Anglois , on a
augmenté de 7 hommes chaque eſcadron de
régimens de cavalerie , & chaque régiment
de huſſards d'un eſcadron .
On litdans les nouvelles Hebdomadaires
de M. Buſching , l'état ſuivant de la population
de la Finlande Suédoiſe.
La Finlande Suédoiſe eſt compoſée de 6 Fiefs ou
Capitaineries , dont voici les noms & la populations
1 °. Le Fiefd'Abo

159,833 perſonnes .
89,000
66,664

: 2°. Le Fief de Waſa
3 °. Le Fief d'Uleoborg • •
4°. Le Fief de Tavaſtehus 131,889
5°. Le Fief d'Heinola • 81,212
6°. Le Fiefde Kuopio 94.866
Total. • 623,464.
$ 4
( 152 )
i
ITALIE.
De NAPLES , le Is Septembre.
L'AUDIENCE , que le Roi , affis fur fon
Trône & entouré de toute ſaCour , a donnée
à l'Envoyé de Maroc a été très - brillante.
Le Diſcours que le Miniſtre Maure prononça
étoit conçu ainfi .
>> Remercionsle Dieu unique : rien ne ſe fait dans
le monde ſans la volonté de ce Dieu , élevé au-deflus
de tout. - Da ferviteur de Dieu , Mahomet , fils
d'Abila , un ſe v teut du Seigneur , qui le fera toujours
de S. M. Napolitaine , le ſouverain des Deux-
Siciles , Ferdinand IV, ſera le porteur de notre ſalut.
Nous avons envoyé chez vous , en qualité de
Miniſtre ,le docte , honnête , fidèle & noble Mahomet
, fils d'Ottoman , pour affermir la paix &la
concorde avec V. M. telles que toutes deux fubfif
toient déja avec le père de V. M. le Roi Charles III,
notre ami : tout ce que vous conclurez avec lui je le
confirmerai & le ratifierai ; & tout ce qu'il fera , eft
ſuivant notre volonté & bon plaifir , ſans qu'il en
reſte aucun doute , puiſqu'à cet effet nous l'avons
chargé d'un plein-pouvoir abſolu.-Mon amitié
pour V. M. & fon père ſe manifeſtera affez par-là ;
je veux tellement unir mon Empire avec le vôtre ,
que mes Sujets puiſſent aller dans vos Etats avec
la même facilité que les vôtres dans les miens ,
où ils feront reçus & traités comme les miens le
ferent chez vous ; & tout ce que V. M. defire de
tous mes Etats elle peut l'indiquer à mon Ambalfadeur
, qui lui accordera tout avec la grace de
Dieu & en paix «.
On mande de Rome que S. S. a fixé au
23 de ce mois la tenue d'un Confiftoite
(153 )
ſecret pour les Egliſes vacantes , tant erideçà
qu'au-delà des Monts. Il n'eſt pas encore
queſtion de celui où elle ren Ira compte
de ſon voyage à Vienne.
>> S. S. , ajoutent les mêmes lettres , attentive au
foulagement de ſon peuple a ordonné qu'à compter
du 23 de ce mois les 46 Boulangers de Rome qui
reçoivent les grains de l'Annone à un prix au- defious
de leur valear ordinaire , feront ob'igés d'étaler &
de vendre au poids fixé & continuellement le pain
ordinaire à ceux qui ſe préſenteront. Le Préfet de
l'Annone eſt ſpécialement chargé de veiller à ce que
cette fourniture foit faite conformément aux intentions
de S. S. quant aux autres Boulangers au nom--
bre de 29 qui font du paiu recherché & qui achettent
leurs grains ailleurs que dans les magaſins de l'Annone
, ils pourront le vendre au prix & de la forme
qu'ils voudront ; cependant ils ſeront foumis à l'infpection
générale pour la qualité & falubrité de leur
marchandise. Onvoit dans cet Edit la ſageſſe qui
veille ſpécialement à la ſubſiſtance du pauvre. S. S.
ena rendu un ſecond par lequel elle exempte de l'impoſition
de paules , chaque pauvre ménage qui
fera hors d'état de payer cette taxe pour le balayage
des rues. Les indigens remettront à cet égard leur
fupplique au Préſident des rues qui prononcera
l'exemption en connoiſſance de cauſe ".
4
ANGLETERRE.
De LONDRES , le Is Octobre.
QUOIQUE les nouvelles de l'Amérique
Septentrionale nous manquent encore , nos
papiers ne laiſſent pas de préſenter quantité
dedétails ſur ce qui s'y paffe. Les uns font
tirés de quelques papiers Américains appor
gs
( 154 )
tés par des bâtimens arrivés dans différens
ports ; & les autres de divers rapports au
moins douteux. Selon ces derniers , le Général
Carleton eſt ſorti de New-Yorck avec
toutes les troupes réglées qu'il a ſous fes
ordres , pour aller attaquer l'armée combinée
desFrançois &des Américains ; & quoiqu'il
ait affaire à des forces bien ſupérieures aux
ſiennes , il ſe promet d'en rendre bon
compte ; c'eſt toujours bien fait de l'eſpérer;
mais on ne croit pas tout- à-fait de même
ici , & on eft perfuadé qu'il ne cherche pas
à expoſer ainſi les affaires de ſa patrie au
fort d'un combat , dont la perte auroit les
plusgrandes conféquences. Cesmouvemens ,
ſoit qu'il les faſſe réellement , ou qu'on ſe
contentedelesſuppoſer , paroiſſent appuyer
auprès de bien des perſonnes , les doutes
qu'elles ont eflayé de répandre ſur l'authenticitéde
lalettre que ce Général &le contre-
Amiral Digby , ont écrite au Général Washington
; mais ces doutes s'évanouiffent , en
jettant les yeux ſur l'adreſſe ſuivante des
Loyaliſtes de New-Yorck , à l'occafion de
cette lettre , &des propoſitions de paix faites
au Congrès en reconnoiſſant l'indépen
dance des Etats-Unis .
,
>>>Les loyaux habitans & réfugiés dans les lignes
Britanniques àNew-Yorck , remercient VV. EE. de
la communication obligeante quelles leur ont faite
du contenu de la lettre adreſſée au Général Washington
, relativement à la négociation enramée
par les agens des Puiſſances Belligérantes , afſem
( 155 )
blées à Paris , & à la propoſition que S. M. a fait
faire de l'indépendance des 13 Provinces de l'Amérique
, en forme de préliminaire , au lieu d'en
faire une condition du traité général. Il nous eft
également impoſſible d'exprimer la conſternation
dont nous ſommes frappés , dans la probabilité de
voir réaliſer un évènement auſſi malheureux que
celui dont il s'agit dans la propoſition , & de dif--
fimuler notre ſenſibilité ſur un point auſſi important
dans ſes conféquences pour l'Em ire Britannique
, & en particulier pour notre paix , notre ſécurité
& notre félicité avenir. Pour conferver en
entier les domaines Britanniques & prouver notre
affection fincère & déſintéreſſée pour S. M. nous
n'héſitons pas de hafarder nos vies & nos fortunes
; nous comptons avec confiance fur les aſſurances
que S. M. nous a données plus d'une fois,
fur la justice , la magnanimité , & la foi du Parlement;
on ne nous abandonnera pas dans une caufe:
ſi juſte & dans des détreſſes auſſi grandes & aufli
accablantes. Nous reconnoiſſons avec la gratitude
la plus fincère , la bonté paternelle & l'attention
que S. M. a données aux ſouffrances de ſes loyaux
ſujets en Amérique ,& la protection qu'elle leur a
accordée juſqu'à préſent. Nous regretions que les
efforts nobles d'une magnanime & brave Nation
pour rappeller les colonies à des liaiſons conve
nables avec la mère patrie , aient échoué ; quoique
lear mauvais ſuccès n'ait pas été l'effet d'au
cune impoffibilité réelle attachée à laguerre. Nous
prenons la liberté d'aſſurer VV. EE. que nous avons
toutes les raiſons poffibles de croire qu'il exiſte
dans toutes les Provinces une majorité du peuple ,
qui defire ardemment d'être encore réunie ſous
l'autorité & le gouvernement de S. M. , & que vư
un aſſemblage de circonstances réſultantes de diverſes
détreſſes publiques, l'eſprit de réunion opère
aujourd'hui dans pluſieurs quartiers , pour faire
86
( 156 )
t
naître des meſures qui produisent les conféquences
les plus favorables aux intérêts de S. M. Avec une
perspective auffi flatteuſe, dans un moment où par
l'aſſiſtance du Tout-Puiffant la ſupériorité navale
de S. M. , a été glorieusement maintenue ou regagnée,
lorſque ſes armes victorieuſes dans l'Orient
ent obtenu les plus brillans avantages ; lorſque au
lieu des ſymptômes de foibleſſe réelle, le com.
merce national , les reſſources & les forces ſemblent
croître & s'élever au-delà de celles de nos
ennemis combinés , nous avions conclu avec plaifir
que l'indépendance de ces Provinces auroit encore
été regardée comme inadmiſſible, parce qu'elle eſt
nuiſible à la ſûreté , & incompatible avec la gloire
&la dignité de tout l'Empire Britannique ; l'heure
de la victoire & du ſuccès feroit probablement
la plus convenable pour traiter de la paix , mais
nullement , ſuivant notre humble manière de
concevoir , pour démembrer un Empire. Nous
ne préſumons cependant pas de critiquer la
fageffe des Conſeils de S. M. , ni de juger de la
grande néceffité politique qui peut juftifier cette
meſure; c'eſt à la vertu, à la ſageſſe & la prudence
de S. M. , de ſon Parlement & de la Nation en
général , que nous devons foumettre cette grande
&importante queſtion. Mais ſi le grand évènement
de l'indépendance des treize Colonies eſt déterminé,
fi nous devons ainſi être accablés du malheur inexprimable
de nous voir pour toujours privés de la
protection & du gouvernement de S. M. , alors il
nenous reſte plus qu'à ſupplier VV. EE. d'intercéder
auprès de S. M. , d'y employer toutes les confidérations
d'humanité , pour affurer , s'il eſt poſſible ,
plus ſolidement que ne le feroient les pures formes
d'un traité, nos perſonnes & notre propriété ,
afin que ceux qui ne pourroient reſter ici en sûreté ,
puiffent avoir la faculté de ſe retirer ailleurs. Tels
font les ſentimens que, de l'abondance denos coeurs ,
( 157 )
nous nous fentons contraints d'exprimer dans se
moment allarmant ; eſpérant néanmoins , que , peutêtre
il en eſt encore tems , VV. EE. voudront bien
repréſenter à S. M. , en l'afſurant de notre loyauté
& de notre ſoumiffion , les détreſſes de notre fituation
, notre confiance dans ſa bienveillance , ſa protection
& la justice , pour nous ſauver de la ruine
& du déſeſpoir auxquels nous ne pouvons manquer
de fuccomber. Comme témoins de nos détreſſes &
ſympatiſant généreuſement à nos infortunes VV.
EE. , nous nous en flations , feront nos Avocats
zélés devant le Trône ; dans cette perfuafion , nous
tâcherons en même-tems par une conduite & une
loyauté conſtantes de ſoutenir les intérêts de S. M.
pour maintenir la bonne opinion de VV. EE. & atten
dre patiemment les évènemens. «.
On ne trouve pas dans cette requête
cet eſprit & cette fierté , qui ſelon nos papiers
, animoient les loyaliſtes , & les avoient
déterminés à refter réunis en corps , & à fe
conſerver eux-mêmes indépendans du Congrès
. Ces diſpoſitions auroient été au moins
fingulières ſi elles avoient exiſté réellement
, par ce qu'il étoit impoſſible qu'elles
fe maintinſſent dans une poignée d'hommes ;
on voit au contraire qu'ils fentent leur
impuiſſance lorſqu'ils ne feront plus foutenus
& qu'ils follicitent de n'être pas oubliés
dans le traité qui ſera fait.
Maintenant nous attendons avec impatience
des nouvelles qui fixent nos inquiétudes
fur les opérations des François
dans les parages où ils ſe ſont montrés ;
l'on fait qu'ils ont relâché à Boſton ou
l'on fuppoſe ici qu'ils ſe réparent , & ou
( 158 )
il eſt vraiſemblable plutôt qu'ils préparent
quelque expédition. On fait que Terre-
Neuve eſt menacée. Les dépêches reçues du
General Haldimand , de Québec , annoncent
qu'ils n'avoient encore rien tenté;
mais ſes lettres ſont du 22 Août , & depuis
cette époque , il eſt poſſible qu'il ſe
foit paffé quelque choſe ; pour nous raffurer
on nous apprend que l'Amiral Campbell
eſt arrivé à Terre-Neuve , mais il n'y
a conduit qu'un ſeul vaiſſeau de so canons,
le Portland ; & on fait que trois ou quatre
vaſſeaux de ligne & 1000 hommes de
troupes de débarquement , ſuffiroient pour
s'emparer de St- Jean. Le bruit a même
couru que cette expédition eſt déja faite ,
tandis que d'autres forces s'étoient rendues
à la baie d'Hudſon pour s'emparer
des établiſſemens que nous y avons. Mais
les avis varient ſur cette dernière opération
que les uns diſent avoir été exécutée
par les François; les autres par Paul Jones ,
qui a démantelé les forts & enlevé tout ce
qui en valoit la peine.
Au milieu de ces incertitudes on attend
des lettres de l'Amiral Pigot qui peut les
diſſiper. On n'en a point encore ; nos papiers
annoncent bien ſon arrivée à New-
Yorck avec 26 vaiſſeaux de ligne ; mais
cet avis n'a pas été apporté directement
ici ; ce ſont des navires arrivés à Oftende
qui l'ont répandu dans ce port , d'où il
nous eſt parvenu. Il eſt ſans doute vrai
( 119 )
ſemblable; le ſeul étonnement qu'il doit
cauſer , c'eſt qu'on ne l'ait pas eu plutôt..
Nos papiers ne manquent pas d'en tirer
des inductions favorables. La poſition de
cet Amiral à New-Yorck ſeroit en effet
très-avantageuſe , ſi comme ils le ſuppoſent
l'eſcadre Françoiſe eſt ſéparée , & ſe trouve
partie à Boſton & partie dans la Chéſapeak..
Mais les nouvelles reçues en France préfentent
les forces de M. de Vaudreuil réunies
à la fin d'Août à Boſton , & non point
éparpillées comme nous le déſirerions. Au
reſte nous avons actuellement une grande
ſupériorité , tant en Amérique qu'aux ifles ;
nous ne comptons pas moins de 35 vaifſeaux
dont 26 à New-Yorck , 8 à la Jamaïque
& un aux ifles du Vent.
Les nouvelles de nos différens ports
ne contiennent que des détails affligeans
du déſaſtre qu'a eſſuyé la flotte de la Jamaïque.
On la dit de 91 navires ; la ſemaine
derniere , on en comptoit 28 arrivés
, 54 dont le fort étoit incertain , 8
coulés bas & un pris ; les derniers avis
ajoutent à la liſte certaine de nos pertes.
>> Les 13 navires de la flotte de la Jamaïque ,
arrivés ici , lit-on dans une lettre de Plymouth ,
font dans l'état le plus déplorable ; ce fut le
16 du mois dernier , par le degré de latitude 42
ſud, de longitude 48,33 min. qu'elle fut totalement
diſperſée par un coup de vent , qui a été funeſte
aux vaiſſeaux du convei & à plufieurs marchands..
Le Ramillies, de 74 , que montoit l'Amiral Graves
après avoir perdu tous ſes mats , & jetté , pendant
( 160 )
la nuit, tous ſes canons à la mer , ſe trouva , le
lendemain , dans cet état de délabrement , au milieu
des navires qui ont mouillé dans notre port. Les
Capitaines de ces navires , au péril de leur vie ,
ont ſauvé tour l'équipage , à l'exception de ceux
qui ſe trouvèrent fur les vergues, lorſque les mats
s'abattirent . Au moment où ce vaiſſeau fut abandonné
, il coula bas. - Le Centaure , de 74 , a
perda également tous ſes mârs &fon gouvernail.
La Ville de Paris , qui heureuſement a foutenu
merveilleuſement l'orage , dans lequel elle n'a perdu
qu'une vergue de fon hasier, en prenoit ſoin; mais
on craint beaucoup , la ſituationde ce vaiſſeau étant
effroyable , qu'on ait été obligé de le brûler ou de
le couler bas. - Les navires marchands , que ceuxci
ont vu couler àfond, font leRodney , le Mentor,
le Firth , le Gaulbron ,le Dumfries & l'Hector.
Unde cesnavires avoit so paſſagers à bord, parmi
leſquels étoient 3 familles entières , qui venoient
s'établir en Angleterre. Tous ont péri. Le reſte des
vaiſſeaux de guerre , ainfi que des navires marchands
étoit très - déſemparé ; l'Amiral Graves avoit paflé
for un autre vaiſſeau du convoi , & on ſuppoſe qu'il
a gouverné pour l'Irlande. - On mande de Liverpool
, que le Capitaines Whitefide, du Mentor, y
eſt arrivé ſur un autre bâtiment qui l'a recueilli :
de 34perſonnes qu'il avoit ſur ſon bord , lorſqu'il a
coulé bas , il ne s'eſt ſauvé que lui , ſon ſecond
Lieutenant & un mouffe ; ils ont reſté 7 heures
dans l'eau ſur une vergue , où ils furent ſauvés par
la Sarahde Lancaster".
C'étoit l'Amiral Graves qui commandoit
le convoi de la Jamarque ; il paroît qu'il
s'étoit porté conſidérablement au Nord pour
éviter les croiſeurs ennemis qu'il ſuppoſoit
que l'on avoit détachés pour intercepter fes
traîneurs. Son pavillon a flotte fur le Ra
1
( 161 )
10
1
1
millies , du moment où il avoit quitté la
Jamaïque , juſqu'à celui où il fut jugé indifpenfable
de l'abandonner pour ſauver
l'équipage. Ce vaiſſeau qui avoit été conftruit
en 1763 , étoit regardé comme l'un des
meilleurs voiliers de la marine Angloiſe . Son
nom , obſerve à cette occafion un de nos
papiers , n'eſt pas heureux , nous en avons
perdu un qui le portoit dans la dernière
guerre.
Le déſaſtre arrivé à cette flotte ſera trèsſenſible
au commerce , par la perte de quantité
d'articles qu'elle apportoit ; le prix du
fucre augmentera conſidérablement ; mais
c'eſt leGouvernement qu'il contrarie le plus ;
il comptoit beaucoup ſur les vaiſſeaux de
guerre du convoi , qui auroient été une
grande reſſource s'ils avoient pu arriver en
bon état , & ſur les matelots qui ſe trouvoient
à bord des bâtimens marchands .
Les orages , au rapport des navires de la
flotte du Lord Howe qui ont été contraints
de regagner nos ports , s'ils ne l'ont pas fait
fouffrir autant que celle de la Jamaïque ,
ont bien contrarié ſa marche ; on vient de
voir rentrer ſucceſſivement le Friends Aventure
& l'Yarmouth , qui étoient chargés l'un
& l'autre de proviſions &de munitions de
guerre pour Gibraltar. Le premier avoit
quitté la flotte le 24 Septembre , & le ſecond
le 26.
>> L'Amirauté , dit un de nos papiers , a reçu avis ,
le 8 , que l'eſcadre du Lord Howe étoit , le premier
( 162 )
ر ا
de ce mois , par le 49 d. 3 min. de latitude. On
fait , par les vaiſſeaux qui l'ont quittée le 28 Septembre
, qu'elle étoit alors au 48me. Il faut que
cette eſcadre ait été repouffée par de terribles vents
de ſud-ouest , puiſqu'elle a rétrogradé de près d'un
degré en fi peu de tems. On croit généralement
que les premières dépêches de cet Amiral feront
datées de Lisbonne ; mais ceux qui regardent cette
place comme un rendez-vous favorable à une flotte
diſperſée , ignorent qu'en vertu des traités , & même
desderniers règlemens , les Portugais nepeuvent laiifer
entrer , en aucun tems , plus des vaiſſeaux de ligne
Anglois dans le Tage .
S'il faut en croire d'autres papiers , cette
flotte n'a point été diſperſée , & continue
fa route pour Gibraltar. Nous ignorons ce
qui ſe paffe devant cette place ; nous n'avons
d'autres détails que ceux qui nous font venus
par la France même ; & tout ce qu'il y a de
certain , c'eſt que le 14 Septembre le Gé.
néral Elliot étoit débarraffé des batteries
flottantes; mais que le fiége n'en continue
pas moins , & que ſon iſſue paroît dépendre
à préſent de celle de la miffion de l'Amiral
Howe.
>> On ne ſe diſſimule pas , dit un de nos papiers,
qu'un combat eft inévitable , & que ſon iſſue eſt au
moins très- incertaine. La poſition de l'armée navale
combinée , laiſſe peu de priſe à notre eſcadre; on
ſe rappelie la défenſe que fit l'Amiral Barington à
Sainte-Lucie , celle des François dans la Chéſapeak ,
& du Contre - Amiral Hood à Saint - Chriftophe.
Ajoutons que dans cette circonstance l'armée combinée
est fort ſupérieure à la nôtre , & on ne fera
pas ſans inquiétude. Ceux qui cherchent à nous
safſurer , prétendent qu'il eſt au moins très-probable
( 163 )
que les vaiſſeaux qui compoſent notre eſcadre ſont
en grande partie , & peut- être en totalité , armés
en proportion de leur rang , de cette artillerie prodigieuſe
dont le Rainbow a fait le premier effſai ;
on ſe flatre en conféquence que pour peu que l'Amiral
Howe puiſſe pénétrer dans le cercle que doit
former la flotte combinée , ſe trouvant alors dans
le cas de combattre de près , le feu de ces pièces
prodigieuſes , ne peut manquer d'avoir une exécution
terrible «.
Les premières nouvelles que nous aurons
de cet Amiral diffiperont nos inquiétudes ;
mais il eſt vraiſemblable que nous en recevrons
auparavant par nos ennemis. Dans ce
moment il doit être arrivé , le combat a dû
avoir lieu , & fans doute le fort de Gibraltar
eſt décidé ; ſi nous l'avons perdu , il eft difficile
que le Général Elliot puiffe conferver
la place. En attendant , nos Lecteurs feront
bien aiſes deconnoître plus particulièrement
ce brave Officier ; on trouve dans quelques
papiers un Précis hiſtorique ſur ſa vie
& ſes ſervices militaires , que nous allons
tranſcrire .
>>George-Auguste Elliot, le brave défenſeur de Gibraltar,
eſt filsdu feuChevalier Gilbert Elliotde Stobbs
dans le Roxburgshire; ſa famille eſt originaire de
Normandie , ainſi que la branche collatérale d'Elliot
de Minto dans le même Comté , & d'Elliot de Port-
Elliot dans celui de Cornouaille. Leur ancêtre M.
Elliot partit avec Guillaume le Conquérant , & tint
un rang diftingué dans ſon armée. Il y a dans la
famille une tradition par rapport à une distinction
honorable qu'elle a dans ſes armes ; & comme cette
anecdote eſt conforme à l'Hiſtoire , elle ne paroît:
pas dénuée de fondement. Lorſque Guillaume mit
1.
if
1
:
( 164 )
piedàterre dans le pays Anglois, ilgliffa & tombal
Se relevant auſſi-tôt , il s'écria que ſa chûte étoit
d'un heureux préſage , & qu'il venoit d'embraffer
le pays dont il alloit devenir le maître. Sur cela
Elliot tira fon épée , & jura , fur l'honneur d'un
Soldat, de maintenir , au péril de ſa vie, le droit
de ſon Maître à la ſouveraineté de la terre qu'il
venoit d'embrafier. Après la conquête , le Roi Guillaume
ajouta cette deviſe , Per faxa , per ignes ,
fortiter & recte , aux armes d'Elliot , qui étoient
un bâton d'or ſur un champ d'azur , avec le bras
& l'épée en forme de crête.-Le Chevalier Elliot
de Stobbs eut neuf garçons & deux filles. Le Général
dont il eſt ici queſtion eſt le ſeul qui vive.
Le Chevalier John Elliot , ſon frère aîné, a laiffé
fon titre & fon bien au Chevalier François Elliot
fon fils , actuellement exiſtant , & neveu du Général.
-George- Auguſte Elliot est né vers l'an
1718. Il fut d'abord élevé au ſein de ſa famillepar
un précepteur ; enfuire il fut envoyé à l'Université
de Leyde , où il fit des progrès rapides , & apprit
en peu de tems l'Allemand & le François. Deſtiné
àl'état militaire, il fut envoyé de-là à l'Ecole royale
du Génie , à la Fere en Picardie. Le grand Vauban ,
qui a eu la direction de cette Ecole, l'a rendue la
plus célèbre detoute l'Europe : elle est aujourd'hui
fous la direction du Comte d'Hérouville. Ce fut à
cette Ecole que M. Elliot fuifa la connoiſſance de
la Tactique dans toutes ſes branches ,&principalement
celles du Génie & des fortifications , où depuis
il s'eſt acquis tant de diſtinction. Il acheva ſon cours
militaire ſur d'autres parties du continent; pour
joindre la pratique à la théorie , il alla étudier la
diſcipline en Pruiſe , où il ſervir quelque tems comme
Volontaire. Telle étoit la marche des jeunes Militaires
de ſon temms , pour parvenir un jour à ſervir utilement
leur pays. - A 17 ans M. Elliot retourna en
Ecoffe, ſon pays natal, & fut préſentédans la même
( 165 )
année, 1735 , par ſon pere , à M. Peers , Lieutenant-
Colonel du 23e. Régiment, Infanterie , alors à Edimbourg
: ily fat reçu Volontaire, &y fervit plus d'un
an; il le quitta pour entrer dans le Corps du Génie
àWoolwich . Le Colonel Elliot , ſon oncle , le fit
enfuite Adjudant de la ſeconde Troupe des Grenadiers
à cheval . Ce fut lui qui poſa le fondement
de cette diſcipline , qui a fait , de ces deux Corps ,
les plus belles Troupes de Cavalerie qui foient en
Europe , ſans même en excepter les Gardes Hanovriennes
& les Mouſquetaires en France. Avec ces
Troupes , il ſervir en Allemagne dans l'avant-dernière
guerre ; il ſe trouva à une infinité d'actions ,
&fut bleſſé à la bataille d'Etingue. Dans ce Régiment
, il acheta d'abord la place de Capitaine &
de Major , & enſuite la Lientenance-Colonelle du
Colonel Bréwerton. Il ſe défit alors de ſa Commiffion
d'Ingénieur , qu'il avoit gardée long - tems
avec ſon autre grade. Il avoit reçu les leçons du
célèbre Ingénieur Bélidor , & il poffédoit parfaitement
la ſcience du Canonnier. S'il n'avoit pas
pouffé le déſintéreſſement juſqu'à renoncer ainſi
à fon rang dans le corps des Ingénieurs , la gradation
régulière de ſes ſervices l'auroit fait ar,
river à la tête de ce Corps. Bientôt après ,
il fut nommé Aide-de-camp du Roi George II. En ,
1759, il quitta la ſeconde compagnie des Grenadiers
àcheval dans les Gardes,ayant été choiſi pour lever
le premier régiment de cavalerie légère , qui prit le
nom d'Elliot . Auffi- tôt que ce corps fut formé &
diſcipliné , Elliot fut nommé pour commander la
cavalerie dans l'expédition ſur les côtes de France,
avec rang de Brigadier-Général. Après cette expédi
tion , il paſſa en Allemagne , où il fut employé dans
l'Eras-Major de l'armée. Il fut enſuite rappellé pour
ĉire employé , en ſecond , dans le commandement
de l'expéditionde la Havane , dont on connoît les circonſtances
; il ſe montra le digne émule de D. Louis
1
( 166 )
de Velaſco , qui ſe défendit juſqu'à la dernière extrémité
, & qui voyant enfin fuccomber ſes forces ,
ne voulut ni ſe retirer , ni demander quartier , &
préféra de périr en combattant un ennemi victorieux.-
On rapporte ici une anecdore qui prouve
que de tous les vainqueurs , il fut celui qui montra
le plus de déſintéreſſement &le plus d'éloignement
pour un pillage ; auſſi s'adreſſoit - on ſouvent à lui
pour réclamer ſa juſtice; un François , entr'autres ,
qui avoit beaucoup perdu dans la déprédation générale
commiſe par les ſoldats , le pria , en mauvais
anglois , de lui faire rendre ce qu'on lui avoit pris.
La femme de ce François , d'un caractère très - vif,
ne put s'empêcher de lui dire : Comment pouvezvous
demander des graces à un homme qui vient
vous dépouiller ? N'en espérez pas. Le Général ,
qui écrivoit ſur ſon bureau ſe tourna vers elle, &
lui répondit en ſouriant : Madame , ne vous échauffezpas;
ce que votre mari demande luifera accordé.
Ah, faut-il , reprit la femme , pour furcroît de
malheurque le barbareparlefrançois ! Elliot leur fit
rendre non- ſeulement tout ce qu'ils réclamoient, mais
leur fit encore quelqu'autres bienfaits.-Ala paix ,
fon régiment pafſa , à Hydepark , en revue de vant
le Roi , & ce Général préſenta à S. M. les érendards
que fon corps avoit pris ſur l'ennemi. Le
Roi lui demanda quelle marque de faveur il pourroit
lui accorder , pour témoigner combien il en
étoit fatisfait , & le Général lui répondit , que le
Régiment ne trouveroit point de diftinction plus
flatteuſe , que celle d'être appellé Royal , ce qui
fut auffi- tôt accordé. Le Roi marqua enſuite l'envie
qu'il auroit de conférer quelque grace à ce brave
Général. Mais il répondit que l'approbation dont
S. M. venoit de l'honorer , étoit la plus grande
récompenſe qu'il eût pu dearer . Il n'eſt point
reſté oiſif pendant la paix. En 1775 , il fut nommé
pour ſuccéder au Général d'Harcourt dans la place
-
1
( 167 )
de Commandant en chef des troupes en Irlande ;
mais il ne fit qu'y paroître. S'étant apperçu qu'on
cherchoit à empiéter ſur ſes droits , il s'oppoſa à
ces manoeuvres avec fermeté , & ne voulant point
troubler le Gouvernement d'Irlande , pour une affaire
qui lui étoit abſolument perſonnelle , il demanda
, & obtint ſon rappel. Ce fut alors qu'il for
nommé au Gouvernement de Gibraltar , & dans un
moment heureux pour la sûreté de cette importante
fortereffe. Ce Général avoit épousé une ſoeur de
Sir Francis Drake , qu'il a perdue il y a environ
13 ans. Il en a eu un fils & une fille ; le fils eſt
actuellement Lieutenant -Colonel du régiment de
Dragons d'Inniskilling , & ſa fille eſt mariée «.
-
Les nouvelles que la Compagnie des Indes
a reçues dernièrement par la voie de Baffora ,
ne ſontpas encore publiques ; le bulletin n'en
eſt , dit-on , pas rédigé , & ne doit l'être
que dans la prochaine aſſemblée des Directeurs.
En attendant , la Gazette de la Cour ,
du 12 de ce mois , a publié ces 4 ou s
lignes.
>> Par des avis de Madraſs qui vont juſqu'au 13
Avtil , nous recevons l'agréable nouvelle de l'arrivée
àbon port des vaiſſeaux de S. M. le Sultan & le
Magnanime avec tout leur convoi le 31 Mars , &
que la flotte Françoiſe avoit quitté la côte de Coromandel
«.
Cette inſtruction n'est guère ſatisfaiſante
pour le Public ; on ne dit point ſi en effet
ily a eu un ſecond combat entre les deux
eſcadres , ni où a été l'eſcadre Françoiſe en
quittant la côte de Coromandel. Nos papiers
eſſayent d'y ſuppléer , en diſant qu'elle eſt
retournée à l'Iſle de France ; & ils partent
( 168 )
:
de-là pour affurer qu'à fon retour , elle trou
vera un grand changement, parce que l'Amiral
Bickerton y fera arrivé avec le renfort
qu'il conduit , & qui nous donnera la ſupériorité
; mais M. de Suffren doit trouver
aufli des renforts à l'Ifle de France s'il y eſt
retourné , & il les amènera vraiſemblablement
avec lui ; alors cette prétendue fupériorité
n'exiſtera plus ; ſi au commencement
d'Avril il a quitté la côte, il peut y être
de retour avec ces forces aufli- tôt queBickerton
, qui n'a quitté Rio- Janeiro que vers
la fir de Mai , & qui a beſoin au moinsde
trois mois pour arriver à ſa deſtination ; il
ne peut donc y être qu'à la fin d'Acût , &
M. de Suffren peut y arriver à la même
époque.
Selon nos papiers , la Compagnie a reçu
d'autres lettres du to Juin , & ce font
celles dont on rédige le bulletin ; il faut
qu'elles ne foient ni bien avantageufes ni
bien importantes, puiſqu'on en retarde la
publication. Nos papiers affurent qu'elles
ne parlent point de la priſe de Madraſs
par Hyder-Aly ; mais cela n'empêche pas
qu'on ne regarde cet évènement comme inévitable,
par l'affoibliſſement de la garniſon
de Madraſs , dont Sir Eyre Coote a tiré
des détachemens conſidérables , & par la
réunion des François à Hyder - Aly. Cela
n'empêche pas que quelques gazettes ne parlent
d'une grande victoireremportée par nos
troupes
( 169 )
troupes fur celles d'Hyder-Aly , & de la
deſtruction de celles que M. Suffren avoit
débarquées . Si ce fait avoit une apparence de
probabilité , ſans doute les Directeurs de
la Compagnie ſe ſeroient empreſſés de
l'annoncer. Ils auroient publié également
les belles apparences de paix dans ces contrées
, dont les mêmes papiers nous bercent
, ſi elles avoient quelque fondement.
Ils ne manquent pas d'infiſter ſur le peu
de penchant que les Indiens montrent à voir
les François rétablir leur puiſſance dans
l'Inde; mais on oublie qu'ils n'y veulent
point de domination ; qu'ils ne veulent
pas que nous y en ayons non plus ; qu'ils
tendent à rétablir dans ces contrées ce qui
devroit avoir toujours été , égalité entre les
Européens ; il eſt tout simple que ce plan
ſoit agréable aux naturels , qui feront bien
aiſes d'être tranquilles chez eux , & de n'y
pas recevoir les loix des Deſpotes étrangers
qui les accablent depuis fi longtems .
Au reſte , les nouvelles de l'Inde qu'on
publie , peuvent ſe réduire à ceci.
ככ L'eſcadre Françoiſe avoit quitté cette côte la
veille de l'arrivée du Sultan & du Magnanime ,
pour aller à l'Ile de France ſe refaire des pertes
qu'elle a éprouvées dans le combat avec le Chevalier
Edward Hughes. Les François ont débarqué
environ 1400 hommes qui ſe ſont joints à
Hyder-Aly. Le convoi a amené au Chevalier Eyre
Coote un renfort de 800 montagnards du Lord
Seaforth, les meilleurs foldats qui foient peut- être
jamais venus d'Europe. Le Chevalier Eyre Coote
26 Octobre 1782 . h
( 170 )
eſt toujours à la pourſeite d'Hyder- Aly. Tout eft
tranquille au Bengale. Il est arrivé ss lacks de
rouptes , & l'on dit que 75 autres ſont en route,
ce qu'on préſume être le tréſor trouvé à Bejyeghur,
Capitale du pays de Cheyt-Sing. Ces ſommes
ont fait rentrer beaucoup d'argent; avec elles &
les marchandiſes priſesdans le comptoir Hollandois
de Chiuſura , la Compagnie s'eſt procurédes cargaiſons
de retour pour cette année & l'année prochaine.
Le vaifſeau de la Compagnie la Valentine ,
a appareillé pour l'Europe en Avril. Il ſe débite
que les Marattes ne veulent plus abſolument de
guerre , & qu'ils ont donné plein - pouvoir à lear
Miniſtre de conclure la paix avec M. Anderſon ,
réfident Anglois à Poonah . On dit que le Soubah
de Decan & les autres Princes dans les limites
des poffeffions Angloiſes , ſont ſi jaloux du pou
voir naiſſant d'HyderAly & de ſes liaiſons avec
les François , qu'ils font prêts à ſe réunir contre
lui. D'autres lettres ajoutent qu'Hyder-Aly qui connoît
le danger de ſa poſition, defire de faire la
paix avec nous , & qu'il vient de faire quelques
ouvertures à ce ſujet auChevalier EyreCoote ".
On affure qu'il vient d'être décidé dans
le Conſeil , d'envoyer à l'avenir tous les
criminels convaincus , & qui auront obtenu
un répit , en Afrique. On ne doute pas
qu'à la longue on ne ſubſtitue la tranſportation
dans cette partie du monde , à celle
qui avoit lieu autrefois en Amérique , &
qu'on ne peut plus ſe flatter de rétablir.
Le beſoin dematelots a fait auſſi ſonger à
un nouveau moyen de s'en procurer.On ftationnera
un vaiſſeau près du fanal de Nore ,
ſur lequel on fera paſſer tous les coupables
convaincus de crimes légers; au lieu de

( 171 )
les laiſſer ſouffrir comme par le paſſé dans
les priſons , de les fuſtiger , de les flétrir
même , on leur fera faire le ſervice de
matelots ; lorſqu'ils auront ſéjourné affez
longtems fur ce vaiſſeau pour s'être mis
en état de ſervir ſur un vaiſſeau de guerre ,
on les répartira ſur ceux des flottes de S. M. ,
après leur avoir auparavant payé la prime
accordée par la proclamation royale.
FRANСЕ.
De PARIS , le 22 Octobre.
• Les nouvelles qu'on attendoit avec impatience
de Gibraltar ſont enfin arrivées ;
elles font en date du 6 de ce mois Nous
en donnerons içi le précis.
Le ſiége continue ; on a formé une nouvelle parallèle
qui battra le mouillage des deux môles , enſorte
qu'aucun bâtiment n'y pourra mouiller dorénavant.
On a dérobé la nuit du 24 au 25 à l'ennemi , &
on a pouffé un boyau depuis la batterie de Mahon ,
juſqu'à la mer de l'oueſt. Ce nouvel ouvrage a 248
toiſes de longueur , & s'avance à 160 de la porte
de terre. Sur 6000 travailleurs , il n'y a eu qu'un
Eſpagnol tué. - L'armée combinée mouille toujours
ici en attendant l'eſcadre Angloiſe pour la
combattre. Il arriva le 2 un Courier de M. OReilly
à M. de Crillon , pour lui apprendre que
les Anglois avoient été apperçus ſur la côte de
Lagos. Le lendemain , M. de la Motte-Piquet revint
avec ſon vaiſſeau de Cadix , & donna la
même nouvelle. Si jamais on a pu ſe promettre
quelque ſuccès d'un combat naval , c'eſt ſans doute
de celui qui aura lieu ici ; les Généraux de mer
ont pris toutes les précautions imaginables pour
h2
( 172 )
1
i
bien recevoir l'ennemi & le faire repentir de ſa
témérité. Si les vaiſſeaux de ligne ſe tiennent au
large , pluſieurs chaloupes , batteaux plats , &c.
montés par 1500 hommes , ſont deſtinés unique.
ment à enlever les navires avitailleurs à l'abordage;
ſi l'eſcadre cherche à les foutenir , les chaloupes
canonnières font arrangées , diſpoſées & munies
de tout ce qu'il faut pour faire un ravage affreux ,
fans parler des brûlots ; enfin , ſi à la faveur du
vent , ou par ſa manoeuvre , l'Amiral Howe parvient
à ſe mouiller quelque part , D. Louis de
Cordova eſt décidé à l'attaquer bord à bord, &
à perdre une partie de ſon armée pour détruire
entièrement celle de l'ennemi. Cette vive réſolution
foutenue par l'ardeur , & on pourroit dire par
la fureur des équipages , ne laiſſe pas douter que
fi Howe ſe préſente , ce combat ne ſoit un des
plus mémorables & des plus déciſifs dont les an
nales de la marine faſſent mention.
On affure que l'Amiral Howe a été ſignalé
le 4 des côtés de Galice; 4 vaiſſeaux neutres
entrés à Lisbonne l'ont rencontré , ils
ne diſent pas à quelle hauteur. L'eſcadre
Angloiſe étoit alors de 33 vaiſſeaux de
ligne ; on croit qu'elle aura pu paroître
devant le Détroit du 10 au 15; certainement
elle n'y étoit pas le 8 : un Courier
parti de Madrid le 11 , & qui vient d'arriver
, n'auroit pas pu l'ignorer.
C'étoit en effetla flotte de l'Amiral Howe,
que le Chevalier de Cillart avoit rencontrée
le 30 du mois dernier par les 48 degrés
10 minutes de latitude; & 12 degrés 35
minutes de longitude. L'équipage d'un des
bâtimens de cette flotte , dont il s'eſt emparé,
l'a confirmé. Elle a bien été maltrai(
173 )
1
tée par les vents ; mais elle n'a pas ſouffert
comme celle de la Jamaïque.
>> Le corſaire Américain le Cicerón , de 18 canons
de 6 & de 9 , entré dans ce port , écrit-on de
l'Orient , a pris 3 navires de la flotte de la Jamaïque ;
l'un de soo tonneaux , & les deux autres de 250 ,
chargés de ſucre & de rum. Parmi les prifonniers
faits fur ces bâtimens , ſe trouve un Officier de la
Marine royale Angloiſe , qui rapporte que le Capitaine
du vaiſſeaule Ramillies , de 74 , fur lequel
il étoit Lieutenant , ne pouvant ſauver fon
vaifſſeau , battu par la tempête , l'avoit brûlé le 24
Septembre , après en avoir reparti les équipages
fur les différens bâtimens de la flotte.-Les prifonniers
de deux autres navires Anglois , de la même
flotte , & du port de joo tonneaux , pris par le
corſaire Américain la Résolution , qui les a conduits
ici , déclarent que le vaiſſeau Anglois le Centaure ,
de 74, a ſubi le même ſort quele Ramillies , &
qu'on en avoit ſauvé l'équipage. Ils ajoutent que
le vaiſſeau le Glorieux , qu'ils ont vu en détreffe ,
leur cauſe de l'inquiétude ; & que l'Hector & la
Pallas , qui faisoient partie de leur eſcorte , ont
été envoyés à New-Yorck , à cauſe de leur mauvais
état cc.
Nous avons rendu compte , d'après les
papiers Anglois , de la priſe & de la repriſe
de l'Amazone ; on ſera ſans doute bien
aiſe de trouver ici le compte rendu par
M. le Marquis de Vaudreuil au Miniſtre
de la Marine ; ſa lettre eſt de Boſton , en
date du 31 Août.
>> J'avois détaché la frégate l'Amazone , commandée
par le Vicomte de Monguyor , pour porter
mes ordres au Cap Henri. Elle cut connoiffance ,
le 28 Juillet , às heures du matin , d'une frégare
au vent à elle venant à ſa rencontre , à qui elle
h3
( 174 )
fitdes fignaux de reconnoiffance , auxquels elle ne
répondit point , & vira de bord en même-tems.
L'Amazone lui donna chafle , & manoeuvra de manière
à l'engager , & à en donner connoiſſance à
l'eſcadre du Roi dont elle appercevoit quelques
vaiſſeaux , auxquels elle ſignala une frégate ennemie
, ce qui ne fut pas apperçu ; car à une heure &
demie ils virèrent de bord, & à 3 heures & demie
l'Amazone les perdit de vue. Elle continua de chaf
fer la frégate ennemie; mais le Vicomte de Monguyot
, s'apperçevant qu'il ne la gagnoit point , &
qu'il s'éloignoit de ſa deſtination , ſe décida à virer
de bord : la frégate Angloiſe en fit alors autant ;
&, portant fur l'Amazone avec l'avantage du vent ,
ne tarda pas à la joindre. L'engagement commença
à 4 heures & demie, par un feu très-vif de part
&d'autre, & à portéedu fuſil. Le Vicomte de Mon.
guyot fut tué quelques momens après : le Chevalier
de Lépine ayant pris le commandement, deux
bleſſures qu'il reçut à la tête & à l'épaule le forcèrent
de le laiffer à M. de Gazan , Lieutenant de
frégate auxiliaire. Cet Officier , ſachant que le Chevalier
de Lépine étoit revenu à lui , lui fit dire que
toutes les manoeuvres étoient coupées , pluſieurs canons
démontés , & la plus grande partie de l'équipage
hors de combat , & lui fitdemander ce qu'il
devoit faire. Il répondit que ſon intention étoit de
combature juſqu'à la dernière extrémité , & qu'il
fitde fon mieux juſqu'à ce qu'il fût remonté; ce
qu'il fit per de tems après : il trouva , en arrivant
fur te gaillard, le pavillon amené par ordre de
M. de Gazan , qui fot tué à l'inſtant. M. Oilec &
M. Vilberno , Officiers auxiliaires , avoient eu , le
premier une bleffare mortelle , & le ſecond un bras
emporté; M. de Guichen , Lieutenant , commandant
le détachement du Régiment du Cap , avoit
reçu un coup de feu dans la poitrine ; 80 hommes
( 175 )
étoient hors de combat : il ne reſtoit dans la barterie
que M. Maiſſonnier , Officier auxiliaire ; la
mâtre étoit ſur le point de tomber , & tomba z
heures après. Dans cette poſition , M. de Lépine
fut obligé de tenir la parole de celui qui avoit fait
amener ; & à 6 heures & demie , il fus tranſporté,
avec les autres Officiers , à bord de la Santa-
Margarita ,de 44 canons . Le Chevalier de Lépine ,
en témoignant ſes regrets ſur la perte du Vicomte
de Mongayot , fait les plus grands éloges des Officiers
nommés dans cette Lettre. -M. de Vaudreuil
, dans une autre Lettre du même jour , annonce
qu'ayant entendu le 28 une vive canonnade ,
il fit porter du côté d'où partoit le bruit ; que le
lendemain au point du jour , il apperçut l'Amazone,
qu'il reprit , & la Santa Margarita , qu'il ne put
joindre «.
M. le Chevalier de Langlade , comman
dant la frégate du Roi l'Aſtrée qui a mouillé
le 15 à Breſt , eſt arrivé à la Muette , portant
la nouvelle qu'une divifion de l'eſcadre
de M. de Vaudreuil , aux ordres de M. de
la Peyrouſe , & dont l'Aſtrée faiſoit partie, a
détruit tous les établiſſemens Anglois dans la
baie d'Hudſon . Le butin fait à cette occaſion
monte , dit- on , à plus de trois millions .
Il eſt toujours queſtion de la nouvelle de
la priſe de Madraſs par Hyder-Aly. Cette
nouvelle , fi elle ſe confirme , changera
fingulièrement la face des affaires dans
cette partie du monde; en attendant qu'elle
acquiere toute l'authenticité dont elle a
beſoin , nous ne pouvons que recueillir les
faits tels qu'on les débite.
h 4
( 176 )
On a eu à Alexandrie , écrit-on de Marseille;
par Bagdad , Ormuts , Alpe , Baflora , des avis
qui annoncent qu'après le combat opiniâtre livré devant
Madraſs , l'eſcadre de l'Amiral Hughes s'étoit
retirée, & que M. de Suffren en avoit débarqué ſes
troupes ; le Général Anglois Sir Eyre Coote voulant
empêcher la jonction de ces troupes aux ordres de
M. Duchemin avec l'armée d'Hyder-Ali , s'étoit
trouvé entre deux feux; la plus grande partie de
ſon armée avoit été , dit-on , taillée en pièces , le
reſte mis en déroute , & hors d'état de pouvoir rien
entreprendre contre un ennemi triomphant , alors le
Prince Indiens'étoit avancé avec les François devant
Madraſs ; & fon fen avoit été ſi terrible & fi foutenu
que la place avoit capitulé.
Le tems ſeul peut confirmer cette nouvelle
, ſi elle eft fondée , & vraiſemblablement
il n'eſt pas éloigné maintenant. En
attendant , on a reçu des lettres du Cap
de Bonne-Efpérance , qui nous apprennent
l'arrivée de l'eſcadre de M. de Peymer à
Falſe - Bay. On a auſſi des lettres de quelques
Officiers de cette eſcadre , où l'on
lit les détails ſuivans.
>> L'eſcadre du Roi mouilla ici le 19 Mai après 99
jours de traverſée. Les navires & les équipages font
en fort bon état , au ſcorbut près , dont font atteints
quelques matelots &des ſoldats de la Mark
&d'Aquitaine , qu'un court ſéjour à terre a rétablis.
Nous avons remis aux Hollandois la Légion de Luxembourg.
CeCorps n'a perda que 2 hommes dans
ſatraverſée. Le Cap eſt peut-être un des pays les plus
fertilesdu monde ; cette Colonie fournit auxbeſoins
de l'Ile de France , de Ceylan , de Batavia , de tous
les établiſſemens Hollandois dans l'Inde , & même
de ceux des Anglois par l'entremiſe de quelques
( 177 )
neutres. Je l'ai trouvée dans un état de défenſe reſ
pectable. M. de Conway, ancien Major d'Anjou, que
M. de Suffren y a laiflé avec le régiment de Pondichéry,
dont il eſt actuellement Colonel , a beaucoup
contribué aux travaux qui ont été faits depuis
la guerre , on eftime qu'il faudroit à-peu-près 8000
hommes pour attaquer le Cap avec quelque ſuccès ,
mais il faudrait ſuppoſer que ces troupes apporteroient
leurs vivres , car il ne ſeroit pas difficile de
les priver de ceux du pays. Nous partirens au
plutard à la fin de ce mois ( de Juin ) , pour l'Ilede-
France ; nous y trouverons M. de Buſſy avee
l'Illustre & le St- Michel , qui n'ont pas fait un
long séjour ici , puiſqu'ils font partis le 2Mai .
Le 20 de ce mois au matin la Députation
du Clergé de France a mis aux pieds
du Trône 15 millions pour les beſoins de
l'Etat , & un million pour le foulagement
des veuves & des enfans des matelots.
L'objet de la lettre ſuivante , qui a été
déja inférée dans un Journal eſt trop intéreſſant
, pour que nous ne la conſignions
pas auſſi dans le nôtre.
>
>>L'infidélité , malheureuſement trop reconnue de
tous les ſpécifiques employés juſqu'à ce jour contre
la rage , me fait un devoir de publier les ſuccès
qu'à eus dans le traitement de cette maladie
le Sr. Doufſot , Elève de l'Ecole Vétérinaire de
Paris , & la méthode qui les lui a obtenus. Je me
bornerai à l'expoſition fimple des faits.-Dans le
courant de Juillet dernier , M. Bertier , Intendant
de Paris , fut informé par ſon Subdélégué à Courtenay
, que pluſieurs vaches de ſa Subdélégation
avoient été mordues par des chiens enragés , il me
chargea d'envoyer un Elève à leur ſecours. Je fis
hs
1781
choix du Sr. Douffot, dont je connoiſfois l'intelli
gence & les talens .- La premiere vache qu'il traita
appartenoit au Syndic de St- Loup-Dordon ; elle avoit
été mordue en pluſieurs endroits à lajambe gau
che de derrière ; quarante trois jours s'étoient déja
écoulés depuis cette époque; les plaies étoient c
catriſées ; mais un flux extrêmement abondant de
falive, ſurvenu depuis quelque jours , allarmoit &
avec raiſon le Propriétaire. L'Elève ouvre toutes
les plaies , il les cautériſe , & les couvre d'onguent
mercuriel, il paſſe un ſéton au fanon , il donne le
matin en breuvage trois gros d'alkali volatilconcret
dans une pinte d'infuſion d'anagallis; des fignes
non équivoques lui ayant fait ſoupçonner l'exiltence
de vers dans les premières voies , il donpe
à midi une pinte d'infufion de ſarriette, avec ad
dition de deux gros d'huile empireumatique. Il
fait prendre le foir une pinte d'infuſion d'anagallis
pure. Ce traitement fut continué quinzejours
Je ſuite, pendant leſquels les plaies furent friction.
nées tous les matins avec l'onguent mercuriel ,
& le féton onctionné avec partie égale d'onguent
bafilicum & d'onguent mercuriel. Pendant tout le
#raitement, on ne donna à l'animal que la moitié
de la ration ordinaire de fourrages , on les choiſit
feulement plus ſubſtanciels & demeilleure qualité;
l'Elève crut devoir proſcrire la pâture, parce qu'ou
tre les inconvéniens qui auroient pu réſulter du dé
veloppement de la rage dans un animal de cette
force abandonné , la nourriture verte contient une
quantité de parties aqueuſes capables d'annuler les
effets des médicamens. Au bout de quelques jours
de traitement le Sr. Douffor eut la fatisfaction de
voir le flux de falive s'arrêter & tous les lymp
tômes inquiétans s'évanouir & diſparoître abfolu
ment, & ce ne fut que pour plus grande sûreté
qu'il crut devoir prolonger fon traitement. Onze
autres vaches de la Paroiffe de Courtenay avoient
( 179 )
éré mordues par un chien qui l'avoit été lui-même
par celui qui avoir lacéré la jambe de la vache qui
fait le ſujet de l'obſervation précédente. L'une de
ces vaches appartenant au nommé Couturier , avoit
été mordue en quatre endroits à la jambe gauche
de derrière à la face externe du tibia. Quatre autros
appartenoient à Etienne Renaud , l'une avoit
deux morſures ſur le tendon près du jarret , l'autre
avoit quatre morſures à la cuiffe gauche ; la
troifième avoit été mordue à l'avant-bras gauche;
la quatrième ne portoit aucune bleſſure , mais elle
s'étoit trouvée avec les autres l'orſqu'elles avoient
éré mordues , & il étoit à préſumer que le chien
s'étoit auſſi précipité ſur elle. Cinq autres appartenoient
à Antoine Copin , deux avoient été mordues
à la jambe gauche; les trois autres ne por.
toient aucunes morſures ſenſibles . La onzième appartenoit
à Nicolas Cheneday , elle avoit été mor
due à la partie ſupérieure du genou droit. - Toutes
les vaches furent foumiſes au même traitement
que la première , à l'exception de celles qui ne préſentoient
aucune morſure , qui ne prirent l'alkali
qu'à demi-doſe ; mais on leur paffa un ſéton , &
on les mit également à l'uſage de l'huile empireumatique
étendue dans l'infuſion de la farriette
pour les raiſons que nous avons indiquées , raifons
, dont l'émulſion par l'anus d'un grand nombre
de vers démontra la ſolidité.-Pendant que
le Sr: Douffor fuivoit ce traitement , des chiens qui
avoient été mordus par ceux qui avoient bleſſé les
vaches & qui avoient été négligés , eurent des ac .
cès d'hydrophobie & mor-dirent deux vaches &
trois cochons. L'une de ces vaches avoit été mordue
à la partie inférieure de la cuiſſe droite ; les
plaies , au nombre de cinq , étoient très- profondes
; l'autre avoit trois morſures à la partie inférieure
du tibia , & trois autres à la partie ſupérieure
de la cuiffe gauche. Ces deux vaches furent trai
h 6
( 180 )
4
tées comme les premières Les trois cochons furent
ſoumis au même traitement ; l'un d'eux avoit été
mordu au bout du nez , les deux autres avoient
ſeulement été ter affés & foulés par le chien. Plus
de deux mois ſe ſont écoulés depuis que ces animaux
ont été traités ; aucun n'a donné le moindre
ſymptôme inquiétant , & il ne me paroît pas
poffible de douter qu'ils n'ayent étébien préſervés.
J'ai l'honneur d'être , &c. CHABERT.
Un de nos Abonnés nous a fait paffer
les obſervations ſuivantes , fur la recette
de M. de Chanvallon , pour prévenir la
bruine des bleds ; elles peuvent intéreſſer
nos Lecteurs , & c'eſt un titre pour les
tranfcrire.
>>Nous avons jadis fait ici ( àTroyes ) relativement
à cet objet , des recherches & des differtazions
qui , ſi elles n'ont pas arrêté la braine , ont
procure une eſpèce de fortune à ceux qui s'en
font occupés. Dans le fait , les Laboureurs des
bonnes terres qui nous avoiſinent , ont de tout
rems chaalé leurs bleds deſtinés à la ſemaille , en
variant ſur les ingrédiens qu'ils faifoient entrer dans
le cha lase. M. de Chanvallon remplace ceux tirés
du règne Animal , le jus de famier , la vieille arine,
par l'alun & même par l'arſenic. Le ſeul nom d'arfenic
a répa du la terreur parmi MM. les Abonnés
de vore Journal ; & l'uſage a paru auffi nouveau
que fouverainement d'angereux. Pour les raffurer
foit ſur la nouveauté , ſoit ſur le danger , permettez-
moi , M. , d'indiquer à M. de Chanvallon,
une autorité qu'il pourra vérifier& développer. Il
la trouverra dans le traité très-eſtimé de Profpero
Alpii , de Plantis Ægypti , imprimé à Veniſe
en 1549 , & depuis à Leyde en 1735. Alpini y établit
que , d'après un uulage qui
au premier des Ptolomées, qui s'occupa avec luce
remonte au
moins
( 181 )
cès da perfectionnement de la culture du bled ea
Egypte , on meloit de l'arſenic aux enfemencemens :
ce qui ſe pratiquoit encore au tems où écrivoit le
Profefleur de Padoiie , & ſe pratique ſans doute aujourd'hui.
Doù il réſulte que cet uſage auffi ancien
qu'approuvé , eſt abſolument fans danger , au
moyen ſans doute de quelques précautions qu'indiqueroit
la pratique actuelle de l'Egypte « .
Les ſujets des trois Prix que l'Acadé
mie des Sciences & Belles- Lestres de Marſeille
diſtribuera l'année prochaine , ſont
1º. l'Eloge de M. de Vendôme ; 2° . l'Eloge
de Cook ; 3 °. une Ode fur l'Electricité.
Chacun de ces Prix conſiſte en une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv. Les
Ouvrages feront adreſſes , francs de port ,
à M. Mouraille , Secrétaire - Perpétuel de
l'Académie , & ne feront reçus que jufqu'au
15 Avril.
L'Académie Royale des Seiences , Inſcriptions &
Belles-Lettres de Toulouſe avoit propoſé , pour le
Prix de cette année , de détailler les avantages en
général de l'établiſſement des Etats Provinciaux ,
& en particulier ceux dont le Languedoc eft redewable
aux Etats de cette Province. Les vues de
l'Académie n'ayant point été remplies à cet égard ,
elle a abandonné ce ſujet , & propoſe , pour le
Prix de 1785 , qui ſera de soo livres , d'expofer
les principales révolutions que le commerce de
Toulouse a efſſuyées , & les moyens de l'animer ,
de l'étendre & de détruire les obstacles , foit Moraux
, Soit Phyſiques , s'il en est , qui s'oppoſent
àſon activité & à ses progrès. - Pour l'année
prochaine 1783 , l'Académie a propofé , depuis
1780 , deux ſujets à chacun deſquels elle deſtine
un Prix de 100 piſtoles. Le premier eſt l'influence
( 182 )
de Fermat fur fon fiècle , relativement aux pro
grèsde la haute géométrie & du calcul , & l'avan
Lage que les mathématiques ont retiré depuis &
peuvent revirer encore de ses ouvrages . Le lecond,
de déterminer les moyens les plus avantageux de
conduire , dans la ville de Toulouſe , une quan-
Lité d'eau fuffisante , foit des fources éparſes dans
le territoire de cette ville , foit du fleuve qui
baigne ſes rives , pour fournir en tout tems ,
dans ses différens quartiers , aux besoins domeftiques
, aux incendies , & à l'arrosement des rues,
des places , des quais & des promenades. Les Auteurs
joindront à leurs projets , le plan des ouvrages
à faire, avec les élévations , les coupes &
les eſtimations néceſſaires , pour conftater la ſolidité
& la dépenſe de l'entrepriſe. L'Adminiftration
Municipale , pénétrée de l'importance de ce dernier
ſujet , & du peu de proportion qui ſe trouve
entre les travaux qu'il exige & une fomme de
1000 livres, adélibéré d'y ajouter 100 louis , de
manière que le Prix total ſera de 3400 livres. L'Académie
communiquera à ceux qui le propoſent de
concourir pour le Prix, les renſeignemens qu'elle
a déjà, & ceux qu'elle eſpère dede procurer en-
Le ſujet du Prix de 1784 , confiſte à
affigner les effets de l'air & des fluides occafionnés,
introduits ou produits dans le corps humain ,
relativement à l'économie animale.
core.
-
Marie-Adelaïde de Renée , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Valogne , eſt morte
dans ſon Abbaye le 13 du mois dernier.
Marie-Claire-Thérèſe de Begon , veuve
de Joſeph-Charles , Marquis de Rochambeau
, Gouvernante des Enfans de la Maifon
d'Orléans , eſt morte au Palais- Royal ,
dans ſa 79e. année.
11831
Valentine-Charlote du Carieul , douairière
du nom & armes de la très noble &
très- ancienne Maiſon de du Carieul , Dame
de Freſy , Beauqueſne , Quevaufferh ,
Beaurains , Arras , Ecoivre-lès-St-Pol , Avefne
en Boulonnois , &c. , épouſe en premières
noces de Meſſire Antoine- Dominique
Hyacinte Joſeph de Briois , Chevalier
, Seigneur d'Hulhech , Benifontaine
en partie , la Pugnanderie , &c. & en
ſecondes noces , de Meffire Amalet-Hubert-
François de Malet , Chevalier , Baron de
Compagny , Seigneur de Verchocq , Fafque
, & c. , eft morte les de ce mois ,
en fon Château de Beauqueſne.
و
Les numéros ſortis an tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
2. 50. 48. 37. & 63 .
Lettres-Patentes du Roi , en forme d'Edit , données
à Versailles au mois de Juin, & enregiſtrées
au Parlement le 27 Août , qui ordonnent la réunion
du Domaine engagé de Corbeil au Domaine
de la Couronne.
Arrêt du Conſeil d'Etat du Roi , du 24 Aous ,
concernant l'arrêté des rôles , tant pour la perception
des premier & ſecond Vingtièmes & 4 fols
pour livres du premier , que pour celle du traifième
vingtième établi par l'Edit du mois de Juillet
dernier. Autre du 27 Juillet , portant reglement
pour l'approviſionnement du magaſin de
verres à vitres de Normandie établi à Paris.- Autre
du 13 Septembre , qui ordonne que les fils retors
& fimples , tant de lin , que de chanvre , payeront
à toutes les entrées du Royaume , 14 livres par
-
( 184 )
quintal, & le ſol pour livre. -Autre du 14
Septembre , concernant l'arrêté des rôles pour les
maiſons & autres em lacemens de la ville & fauxbourgs
de Paris , tant des premiers & ſecond Vingtièmes
, 4 fols pour livres du premier , que du
troiſième Vingtième établi par l'Edit du Juillet dernier.
- Autre dudit jour , qui règle les attributious
des Procureurs dues an Bureau des Finances
fur les droits ſeigneuriaux cafuels. - Autre du
même jour , qui révoque celui du 9 Août 1781 ,
concernant le privilége exclufif du transport , tant
par eau que par terre , des marchandiſes qui jouifſent
de la faveur du tranfit ; permet ledit tranf
port aux Voituriers & Rouliers , en s'aſſujettiſſant.
toutefois aux formalités preſcrites par les Lettres-
Patentes de 1717 , & à celles ajourées par le préfent
Arrêt. -Autre du 18 Septembre, concernant
les rentes fur les revenus de l'Etat , échues à S. M.
par déshérence , aubaine , confiſcation ou autrement.
De BRUXELLES , le 22 Octobre.
Le traité d'amitié & de commerce en
tre la République de Hollande & les Etats-
Umis de l'Amérique ſeptentrionale , eſt
maintenant une affaire terminée. Le projet
de ce traité fut remis le 29 Avril dernier
auxCommiſſaires des Etats-Généraux , pour
l'examiner , & y ajouter les articles qu'ils
jugeroient les plus avantageux ; le 22
Août , ils remirent leurs obſervations à M.
Adams , qui y répondit le 29. Tous les
différends ſe trouvant applanis on rédigea
le traité & une convention concernant
la repriſe des navires appartenans aux deux
د
1
( 185 )
Nations. Ces deux pièces ayant été com
muniquées le 6 de ce mois à M. Adams ,
qui déclara qu'il les approuvoit pleinement ,
la ſignature folemnelle s'en fit le lendemain.
On avoit fait deux originaux
exactement ſemblables , l'un en Hollandois ,
l'autre en Anglois , mis au net ſur deux
colonnes à côté l'une de l'autre.
Le jour même où l'on a ſigné ce traité ,
le Stadhouder a aſſiſté à une aſſemblée
des Etats-Généraux, &leur a remis une lettre
&un mémoire juſtificatif de ſa conduite ,
en qualité d'Amiral -Général de la République
, depuis la rupture avec l'Angleterre.
On a remis copie de ce mémoire , qui eſt
très-étendu , aux Députés des Provinces
reſpectives , pour qu'ils le communiquent
à leurs principaux; on n'a encore publié
que la lettre qui l'accompagnoit , & qui
eſt conçue ainſi .
» H. & P. S. Nous nous trouvons actuellement
en état de fatisfaire à l'engagement que nous avons
pris ſur nous il y a quelque tems , de mettre ſous
les yeux de V. H. P. , & par là ſous ceux des
Confédérés , le tableau ſuivi de nos efforts & opérations
avant & pendant les troubles intérieurs &
extérieurs qui menacent la patrie d'une ruine irréparable
; & afin de laiſfer dans les regiſtres des
délibérations de V. H. P. , ainſi que dans ceux des
Seigneurs -Erats de toutes les Provinces , un monament
éternel de nos vrais deſſeins & amour pour
la patrie, aufli bien que de la fauſſeté des idées
( 186 )
&défiances que l'on cherche à inſpirerdepuis leng.
tems, & avec trop de ſuccès , contre les intérêts
de la République , à une Nation au milieu de laquelle
je ſuis né & élevé , dont les intérêts ſoat
les miens , & dont la proſpérké & le bonheur,
inséparablement liés àcelui de notre Maiſon, forment
conféquemment une partie & même la plus
grande partie de notre bonheur perſonnel. Nous
avons été obligés non-feulement d'entrer dans beaucoup
de détails , leſquels font demandés , pour répandre
la lumière néceffaire fur toutes nos actions
&opérations conſidérées dans lear enſemble , ( fans
quoi il n'eſt point poffible,de poster unjugement
fain fur les deffeins & la conduite de qui que ce
ſoit ); mais encore de rappeller à V. H. P. & aux
Seigneers-Etars des Provinces reſpectives , diverſes
& même pluſieurs circonstances qui ne leur font
point connues : & comme nous nous ſommes propoſésde
rétablir cere confiance réciproque & faire
revivre cette harmonie, ſans lesquelles il eſt impoffible
de ſauver la patrie de l'éminent danger
où elle ſe trouve , nous avons cru devoir nous
garder ſoigneulement de toures réflexions qui pourroient
donner occafion à de nouvelles animeſités,
ou à la diminution des égards & confidérations
que ſe doivent entr'eux ceux qui ont part à la
Régence du pays. Par ce même principe nous nous
ommes abſtenus de relever telles expreſſions &
remarques par l'aſage deſquelles , dans plus d'une
réſolution , propoſition & lettres , on a manqué à
cette diſcrétion néceſſaire à l'égard de notre perfonne.
Nous nous ſommes ſimplement bornés à
l'indication des faits & évènemens qui pourront
convaincre tout homme impartial , non-feulement
parmi nos contemporains , mais encore la poſtériré
non prévenue , que fi notre conduite eſt jugée
( 187 )
n'avoir pas procuré tout le bien poſſible , au moins
nos intentions ont toujours été pures & n'ont eu
d'autres vues que ce que nous avons cru & croyons
encore être le plus convenable aux vais intérêts
de la patrie. Comme nous ne doutons point que
le mémoire dans lequel nous avons compris le
récit détaillé & ſuivi de nos principales opérations, &
en particulier de tout ce qui a rapport à la Marine
de l'Etat , répondra parfaitement à notre destein
nous penſons auſſi deveir attendre des ſentimens patriotiques
& équitables de V. H. P. que conjointement
avec les confédérés , elles voudront concourir
avec nous à tatir la ſource d'où ſont dérivés ces
troubles& diſſentions inteſtines, avant qu'il ſoit trop
tard , par des meſures efficaces & convenables , contre
les efforts puniſſables qui tendent de jour en jour
non- ſeulement à renverſer la forme actuelle du
Gouvernement , mais encore à détruire les fondemens
de l'Adminiſtration «.
Le Stadhouder remit en mêmetems aux
Etats-Généraux une Requête , qui lui avoit
été préſentée par tous les Officiers de pavillons
& Capitaines de la marine de la
République , qui ſont à la rade du Texel.
Ils s'y plaignent , dans les termes les plus
forts , de pluſieurs papiers de nouvelles &
feuilles périodiques , où l'on trouve des
expreffions très- vives & très injurieuſes pour
le Corps entier de la marine. Ils demandent
qu'on prenne des meſures pour mettre fin
à ces diffamations , & déclarent que ſi elles
continuent , ils ſe croiront dans la néceſſité
d'abandonner à d'autres les commandemens
dont ils ſont chargés. Le Stadhouder appuya
( 188 )
fortement cette Requêre , en inſiſtant ſur la
justice de ces plaintes , & ſur la ſenſibilité
que devoient cauſer ces libelles à ceux qui
en étoient l'objet ; il en appella même à la
propre expérience. Les Etats-Généraux ont
fait paffer cette Requête aux Etats des Provinces
reſpectives .
>> Il eſt ſorti la ſemaine dernière du Texel , écriton
d'Amſterdam , les vaiſſeaux de guerre le Glin.
thorst , de so canons , la Brille , le Jafon , de 36 ,
& la Vénus , de 24. Le 10 , il en fortit encore une
petite eſcadre , ſous les ordres du Capitaine Lucbergen
, conſiſtant dans les vaiſſeaux l'Amiral de
1
Ruyter , l'Utrecht , l'Unie , de 64 canons, le Kortenaar
, de 60 , le Goos , de so , & un cutter. On
-
On
apprend auſſi que le Zierikzee , de 60 , a mis à la
voile pour Fleſſingue.-Depuis le 9 de ce mois ,
il eſt forti du Texel & du Vlie 83 navires marchands
, deßinés la plupart pour la Mer Baltique ,
& 73 autres font arrivés dans les ports. Plufieurs
navires marchands , venant de la Baltique , ont péri
fur nos côtes , & d'autres ont fait naufrage.
écrit du Helder , que so hommes de l'équipage du
navire la Vénus , appartenant à la Compagnie des
Indes Orientalea , ſe ſont emparé d'une allège qui
apportoit des proviſions. Quatre des principaux féditieax
ont grièvement bleſté le premier Pilote avec
des couteaux. Un autre Pilote du même navire ,
ainſi que les chaloupes des vaiſſeaux de guerre ,
s'érant mis à leur pourſuite , les ont atteints , &
les ont conduits prifonniers à bord des vaiſſeaux
de guerre , après avoir tué un homme «.
Des lettres de la Haye arrivées il y a
quelques jours , ſembloient annoncer que
( 189 )
l'eſcadre Hollandoiſe ne ſortiroit point du
reſte de la campagne , à cauſe du manque
de tems pour l'approviſionner ; d'autres arrivées
poſtérieurement , marquent qu'on
s'occupe de ces approviſionnemens , & que
le Stadhouder a donné des ordres à cet
effet.
Ceux qui ont lu la lettre de M. Gibbon
fur l'état de l'Angleterre , ſeront bien-aiſes
de trouver les obſervations ſuivantes que
l'on vient de nous adreſſer .
,
1
» J'ai dû , M. , plus particulièrement qu'un
autre applaudir à la lettre ſupérieure de M.
Gibbon , confignée dans votre Journal du mois
d'Aout ayant l'avantage de le connoître perſonnellement
& la justice de le regarder comme
un des plus beaux génies de l'Angleterre. Il a
crayonné de la manière forte & fublime qui lui
eft propre , les cauſes générales & éloignées qui
ont préparé l'état fâcheux où il dit ſa patrie. Il
a laiſſé aux eſprits du ſecond ordre à équiſſer les
cauſes prochaines & les détails qui ne pouvoient
entrer dans ſon plan ; c'eſt à une des cauſes de cet
ordre , M. , que je m'attache aujourd'hui , & j'entreprens
de prouver dans cette lettre , que la perplexité
dans laquelle ſe trouve l'Angleterre depuis
deux ans , & l'affoibliſſement de ſes armes en Amérique
& dans l'Inde , doivent être attribués à la dé.
claration deguerre faite aux Hollandois . -Il eſt
ſenſible d'une part que l'eſcadre qu'ils ont ſpécialement
détachée contre ces nouveaux ennemis dans
la Manche , eût pû être envoyée à titre de renfort
à l'Amiral Samuel Hood ; qu'alors ce général
7
( 190 )
eût été en meſure avec M. le comte de Graffe,
&par-là en érat de lui diſputer l'entrée cù la pol
feffion de Cheſapeack ; que le ſort du Lord Corpwallis
dépendant de cette égalité , il eſt clair que
cebrave officier lutteroit encore dans le continent,
&que le poſte d'Yorck eût été conſervé.-Il n'eft
pas moins clair d'une autre part , M. , que cette
déclaration a obligé l'Angleterre de doubler à peu
près ſes eſcadres & ſes troupes dans l'Inde, puif.
que ſes ennemis & leurs moyens s'y étoient dou.
blés. Elle eſt de plus forcée de donner à fon commerce
important de la Baltique , une attention &
des eſcortes qui la gênent & la diſtraient, en rai
ſondes inquiétudes que peuvent lui donner ces voi.
fins incommodes. Vous direz peut- être , M. , què
les Anglois ont fait ſur les Hollandois des conquêtes
& des priſes , mais qu'elles conquêtes ? &
fi minces qu'elles foient les ont-ils confervées ?
Ces conquêtes & ces priſes ont enrichi quelques
particuliers & appauvri le gros de la Nation , tou
jours enivré par une proſpérité de trop longue ha
leine ; proſpérité que l'aveugle préference donnée
fi long-tems par une grande nation de l'Europe,
aux guerres de balance de terre ſur les guerres de
mer, les ſeules àmon avis qui lui conviennent d'après
ſa pofition & ſon commerce , ſembloit devoir
cimenter pour les ſiècles à venir. Si la confiance
tout auſſi aveugle qui en eſt la ſuite preſque inévitable
, n'avoit pas produit pour ſes ennemis ordinaires
, & encore plus pour les reſſources phyſi
ques & morales de ſes Colonies du continent, un
mépris qui lui a fermé les yeux ſur les conféquences
funeſtes qui devoient en réſulter. On ne
peut le déguiſer, M. , que ces conféquences auroient
été bien plus fatales àl'Angleterre , qu'elles ne le
feront fans doute , fi une desNations confédérées
(191 )
avoit dès le commencement de la guerre , joint a
nos forces navales dans les mers de l'Amérique ,
les forces navales très - confidérables qu'une conquête
chimérique & diſpendicule a conſtamment
fixées à bout touchantde l'objet de cette conquête.
-Plaignons , M. , les nations & les particuliers ,
que les ſuccès rendent également incapables de réfiſter
à cet eſprit de vertige qui ſemble s'amalgamer
avec eux& les entraîner tête baiſſée vers leur ruine
par le méprisdes révolutions poſſibles & des incertitudes
de l'avenir. J'ai l'honneur d'être , &c. Signé
le Chevalier DE LA MOTTE-GEFFRARD , ci- devant
Lieutenant de Roi de St-Omer.
>> On apprend de la Haye qu'on inſtruit le procès
d'un jeune Officier qui a été arrêté ; on l'accuſe
d'une correſpondance illicite avec l'Angleterre. Ce
jeune homme eſt Enſeigne dans le premier bataillon
du Régiment du Lieutenant-Général , Comte
d'Yſemberg , actuellement en Garniſon à Schouwen.
San projeta , dit- on , été de faciliter aux Anglois
une defcente dans l'Iſle de Goerée , qu'on regarde
comme la clef de la Meuſe. On affure qu'au moment
où l'on ſe ſaiſit de lui , un Ingénieur Irlan-,
dois , au ſervice Britannique , qui ſe tenoit dans
l'Ifle de Schouwen , s'en eſt retiré ſubitement <<.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 15 Οπ.
Une mortalité confidérable , occafionnée par la
nature du climat , a enlevé un grand nombre de
troupes Européennes , ſous les ordres du Chevalier
Eyre Coote.
Ilyaades paris que.New-Yorck ne ſerapointdans
la poſſeſſion des Anglois le 31 Décembre. On y a ,
dit-on , envoyé ordre de faire embarquer , pour la
( 192)
6. B. , les différens détachemens des Gardes en gan
niſon dans cette Place.
Les ſeuls habitans de Londres qui aient illumint
leurs fenêtres , pour célébrer l'heureux retour de
l'Amiral Rodney , font un Tailleur , du Strand, &
un Poète qui occupe les greniers de la maiſon de
de Tailleur. On reproche à l'Amiral Rodney
d'avoir , malgré les inſtances réitérées des habitans
de la Jamaïque, reculé le départ de la flotte de cette
Iſle , juſqu'au tems où l'on étoit preſque sûr qu'elle
feroit expoſée aux tempêtes; on ajoute que le motif
de ce retardement étoitde réparer ſes propres forces;
mais nous regardons de pareils traits comme une
calomnie , ne pouvant foupçonner ce Lord d'une
avarice affez fordide pour aimer mieux expoſer
une flotte auffi précieuſe ,& la vie de tant de braves
gens , que de courir les riſques de n'avoir point de
convoi pour les bâtimens qui lui appartenoient.
Les vaiſſeaux qui ont quitté l'eſcadre du Lord
Howe, pour relâcher en Irlande , ont effuyé conf
tamment les ouragans les plus ferieux depuis qu'ils
fontfortis de la Manche , mais heureuſement aucun
des vaifſeaux de ligne n'a été maltraité au point d'être
obligé de revenir enAngleterre.
Suivant une lettre de Portſmouth, reçue ici le 12,
l'eſcadre , deſtinée pour le ſervice de la Manche ,
ſera prête à mettre à la mer dans une quinzaine de
jours,des vaiſſeaux qui ſont à Sherneſſ ayant à bord
le complet de leurs équipages &de leurs approvifionnemens
.
Le Chevalier Parker a mis à la voile de Porfmouth
, hier , à bord du Cato , de so canons , pour
aller prendre le commandement de l'eſcadre dans
l'Inde , à la place de l'Amiral Bickerton, L'Amiral
Hughes que celui-ci alloit remplacer , eft , dit- on ,
déja actuellement en routepour revenir enEurope.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
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