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1782, 06, n. 22-26 (1, 8, 15, 22, 29 juin)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
FAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décomvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spettacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI I JUIN 1782 .
13.0
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi,
FOR
BR
TABLE
Du mois de Mai 1782 .
PIÈCES
FUGITIVES.
Vers à un Ami,
L'Agneau poursuivi par
Loup , Fable ,
Air de l'Eclipfe Totale,
Charades ,
Hymne au Soleil ,
Molière à la Nouvelle Sallé,
35
64
le
Vers à l'Académie Françoi
fe .
La Réuffite infaillible , Cone ,
49
53
Couplets envoyés à une Campagnarde
, 60
Obfervations fur les Lois Criminelles
,
Idylles & Poëmes Champêtres,
76
103
Recueil Hiftorique & Chronologique
de faits mémorables ,
pour fervir à l'Hiftoire de
la Marine ,
Obfervations fur les Troubadours
,
L'Ami des Enfans ,
97
19
Ma Confeffion , réponse à des
vers très-ingénieux,
Le Lierre & le Mur, Fable , 99
Vers à M. Bidaut,
A Mlle...... , en lui
Herbier de la France ,
l'Ouvrage de Mde de Gen- Académie Françoife ,
Hiftoire d'Alexandre-le- Grand
lis ,
145
envoyant
127
152
165
177
49
SPECTACLES.
147
AM. Guiraudet le fils , 148 Acad. Roy. de Mufiq. 89 , 181
Le Roffignol & le Butor , Fa Comédie Françoife , 99 , 133 ,
184
ib.
149 Comédie Italienne , 91 , 187 ,
ble ,
Epigramme
,
Enigmes
& Logogryphes
, 8 , Kariétés
,
138
62 , 101 , 150 Gravures , 43 , 93 , 139, 188
45 , 94, 139
Annonces Littéraires , 46 , 95,
NOUVELLES LITTER. Mufique ,
Nouveau Théâtre Allemand, 9
Voyage Pittorefque du Royaume
deNaples & de Sicile, 291
140, 189
A Paris , de l'imprimerie de MICHEL LAMBERT ,
rue de le Harpe , près S. Côme , 1782.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I JUIN 1782.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte du NORD.
GLOIRE & fuccès en les voyages,
Au Couple heureux qui , dans ce jour ,
De la Seine orne les rivages !
toi qui , des leçons du fage ,
-Vas t'enrichir de Cour en Cour ,
Ne dédaigne point nos fuffrages !
Un feul Monarque a notre amour ,
Mais tout grand Prince a nos hommages,
Obferver les moeurs & les lois
Avant d'accepter la Couronne ,
C'est s'y créer de nouveaux droits ;
La naiffance donne le Trône ,
A
MERCURE
Mais la fagefle fait les Rois.
Télémaque eut dans fon jeune âge
Pour guide un grave perfonnage ,
Grand Prince , plus heureux que lui ,
Tu fais voyager fans ennui ,
Et fans pleurer , te rendre fage.
Son Mentor , plein d'austérité ,
Lui preſcrivit mainte abſtinence ;
Pour toi , des plaifirs efcorté ,
Tu n'as leçon ni remontrance ;
Et Vénus marche à ton côté
Sans que Minerve s'en offenſe.
Ainsi , pour ta félicité ,
Le Ciel , dans fa jufte clémence ,
Fait vivre exprès d'intelligence
La Sageffe & la Volupté.
Sentimens d'admiration & de reconnoiffance
à la vue des Ouvrages de Dieu , Poëme en
vers libres , traduit de David , Pf. 103 ° ,
MON, âme bénis le Seigneur ;
Adore de ton Créateur
Et la fageffe & la puiffance....
Contentez-vous , mon Dieu , de l'hommage du coeur ;
Yous avez déployé trop de magnificence
DE FRANCE
Sous le poids de tant de grandeur ,
L'efprit reste abîmé dans un profond filence .
AUTOUR de vous , quel éclat taviffant !
L'or & l'azur du firmament
Sembient , à cet aſpect , n'être qu'ombre & pouſſière :
Comme d'un fimple vêtement
Vous vous enveloppez d'un torrent de lumière ;
Ainfi qu'un pavillon vous tendites les cieux ;
Vous mîtes au- deffus le dôme radieux
Des eaux de la célefte voûte.
Attelant pour courfiers les fougueux ouragans ,
Vous montez fur la nue au milieu de få route ,
Et vous vous promenez fur les ailes des vents,
CES Efprits immortels qui , dans une humble attente ,
Sont profternés à vos côtés ,
Un coup- d'oeil leur fuffit , vos ordres font portés.
Vous parlez , & déjà la flâme dévorante
A reçu vos décrets : ils font exécutés .
Vous avez appuyé le globe de la terre
Sur fa propre ſtabilité ;
En vain les élémens y porteront la guerre ,
Rien ne l'ébranlera jufqu'à l'éternité.
Tel qu'un vafte manteau l'abime l'environne :
Les ondes fe fixoient fur la cime des monts ;
Vous menacez , votre voix tonne ;
Les ondes vont rentrer dans leurs gouffres profonds
A iij
MERCURE
J'APPERÇOIS déjà les montagnes
Lever leur tête altière & la porter aux cieux ;
Et plus loin , les humbles campagnes ,
Par-tout où l'a prefcrit votre ordre impérieux ,
S'abaiffer en vallons , en prés délicieux .
Yous marquâtes du doigt l'éternelle barrière
Que n'oferont franchir les flots :
Nous menaçant en vain du retour du chaos ,
La mer vient fe brifer fur un grain de pouffière.
DE fon trône éclatant , l'Infini , l'Éternel ,
Par torrens , fur les monts , fait pleuvoir l'abondance,
Oui , l'Univers entier , Seigneur , eft un autel
Surchargé des tréfors de votre bienfaisance.
Les cèdres du Liban , que planta votre main,
Seront nourris de vos rofées ;
Les races des oifeaux y ferone déposées ;
L'aigle s'y place en Souverain.
Sur la cîme des monts le cerf trouve un afyle,
Tandis que l'odieux reptile
Dans le creux d'un rocher va filtrer fon venin
DIEU Commande à la lune , & fa pâle lumière
Règle à jamais l'ordre des temps.
Chaque jour le foleil , du haut de fa carrière,
Voit la borne prefcrite à fes hardis élans.
Vous avez pofé les ténèbres ;
Et déjà leurs crêpes funèbres
DE FRANC É.
1
Sur tout notre hémisphère ont enchaîné la nuit.
Auffi-tôt , hors de leur réduit ,
Les bêtes des forêts traverſent les campagnes
Le lionceau , fur les montagnes ,
Rugit , s'adreffe au Créateur;
Il en obtient fa proie , & calme fa fureur.
Le foleil a paru ; déjà dans leurs tannières
Ces monftres raffemblés font couchés par monceauxz
L'homme , de fa retraite , ouvre alors les barrières ,
Et va jufqu'à la nuit reprendre fes travaux.
Tout ce qui vit dans la Nature
Attend de vous , Seigneur , pour l'inftant du befoin ,
Sans inquiétude & fans foin ,
Le vêtement , la nourriture.
Vous ne faites qu'ouvrir la main,
Et déjà l'Univers eft plein
De vos bienfaits , de vos richeffes ;
Tous les êtres créés vivent de vos largeffes.
Mais détournez la face , ils reftent confondusý
Vous leur avez ôté la vie & la lumière :
. C'en eft fait, ils ne feront plus;
Ils vont rentrer dans leur pouffière.
Envoyez , Dieu Puiffant , votre fouffle divin ,
Et voilà qu'ils vont tous renaître,
Ce fouffle créateur réglera le deſtin ,
Et l'Univers entier va prendre un nouvel être,
PUISSE la gloire du Seigneur
Aller croiffant dans tous les âges !
Aiv
MERCURE
Puiffe à jamais le Créateur
Se complaire dans fes Ouvrages !
Il regarde la terre , & la terre a tremblé ;
Tout l'Univers eſt ébranlé ;
Il touche la montagne , & déjà confumée ,
La montagne s'écroule & s'exhale en fumée.
Qui , je célébrerai la gloire de mon Dieu ;
Pour chanter fes grandeurs déformais je reſpire ;
Je veux , en tout temps , en tout lieu ,
Lui confacrer ma voix & les fons de ma lyre .
( Par M. l'Abbé Morand de Falaife. )
COUPLET à une Dame qui prétendoit que
perdre la raifon & perdre la mémoire étoie
la même chofe.
En dépit de votre argument
Je prouve le contraire.
Daignez m'accorder feulement
Un baifer pour falaire .
Si j'obtenois un pareil don
Pour prix de ma victoire ,
Je pourrois perdre la raifon ,
Mais nou pas la mémoire .
( Par M. L ***** }
DE FRANCE.
LÉONCE à EROTIQUE , fon Ami.
Traduction de l'Italien d'Algarotti.
JEE ne fais trop , mon cher ami , quel avantage tu
penfes retirer de mes avis . Si je te les donne , c'eft
uniquement pour ne pas te refufer ; car vouloir réduire
en principes une paffion telle que l'amour ,
c'eft extravaguer raisonnablement. Quoi qu'il en
foit , je vais efflayer de te mettre dans la bonne voie,
en te faifant part de ce que j'ai pu obferver en gé
néral & apprendre dans le monde ; je n'ai jamais eu
d'autre école.
Choifit celle en qui tu placeras ton coeur , n'eft
pas en ta puiilance. A l'inftant même où tu y fongeras
le moins , l'amour te la montrera , & tù ne
pourras pas empêcher qu'elle ne te plaife. La danfe
Ta plus légère le fera moins que fa démarche . La
plus tendre mélodie n'approchera pas de fon doux
parler , & la majefté de Junon & les grâces de
Vénus.....
Elle aura tout dès qu'elle faura plaire.
Ce qui dépendra de toi , ce fera de choisir les
moyens de lui plaire . Et comme il arrive fouvent
que l'amour , en perçant le coeur de l'un des deux
amans , ne fait que menacer l'autre de fon arc , it
eft de toute néceffité que l'art y fupplée adroitement.
Or , avant tout , il faudra étudier ta belle avec la
plus grande attention, T'apperçois- tu qu'elle fe pique
d'être femme d'efprit ? appelle-la une feconde
Mélanite De cultiver les Lettres ? Fais en tout
auffi -tôt une dixième Mufe . Quand bien même elle
auroit l'oeil un peu louche , n'importe , extaſic-toi ſur
Av
10 MERCURE
la beauté de fes regards . L'amour-propre eft de biet
plus ancienne date que l'amour. Blâme devant ell
le fon de voix de Chloé , les dents de Lesbie : elle
en conclura tout naturellement que tu trouves à
louer chez elle ce qui te déplaît chez les autres.
Tout ce qui lui appartient doit avoir un prix infini
pour toi. Le japement de fon petit chien , a je ne
fais quoi de moelleux & d'intereffant. Ses grâces &
fa beauté font au-deffus mille fois
De ce qu'à nos regards ont jamais fu produire
Les Artiſtes les plus fameux.
De plus , il a un efprit étonnant , & comme n'en
jamais eu un de fes illuftres ayeux , duquel on a dit :
Bruyant pour tout voleur ,
Difcret
pour les amans ; tel fut le bon Pyrame :
Jugez , s'il plaifoit à Monfieur ,
Comnie il devoit plaire à Madame !
A quoi bon te dire que fans ceffe il faut te montrer
ardent à l'exécution de toutes les volontés ? En
cela , les Belles font comme les Rois , elles n'aiment
point du tout la contrariété . Trouve beau tout ce qui
lui plaît ; rends -toi fon cfclave pour qu'elle te faffe
fon maître.
Cherche à l'entretenir d'agréables fariboles , de
nouvelles réjouiffantes. Sois aimable , fi tu veux être
aimé ; plais , & tu perfuaderas.
Celui - là s'entend mal à faire l'amour , qui toujours
parle d'amour.... & toujours . L'effentiel eft que
tu faches te rendre abfolument néceffaire à fon amufement.
Alors , qu'arrivera-t'il ? Dès qu'elle fe trouvera
feule , elle ne pourra pas s'empêcher de t'avoir
préfent à fon fouvenir. Pourvu qu'elle penfe à toi ,
qu'importe ce qu'elle en penfe ?
Lorfqu'une fois tu t'apperçois , & bien plus , fitôt
que tu es affuré qu'elle ne peut fe paffer de toi :
DE FRANCE.
ch vite , imagine un prétexte pour t'éloigner
d'elle quelque temps , lui témoignant que rien de
plus mallieureux ne pouvoit t'arriver ; que rien ,
pendant cette abfence , ne pourra égaler ta douleur.
Laiffe échapper quelque petit mot qui tende à lui
faire comprendre qu'elle n'eft pas la feule au monde ,
& qu'il fe pourroit trouver quelqu'autre femme à
laquelle tu ne refuferois pas ton coeur. Sache un peu
l'agacer , l'irriter , mais délicatement ; & fais fi bien
que l'amour qu'elle a pour elle-même , conſpire en
faveur de celui qu'elle a fçu t'infpirer. Avec les;
femmes , il faut savoir
Oppofer leur fineſſe à leur propre fineffe.
De temps en temps tu dois lui écrire des billets
doux ; & quand bien même elle n'y répondroit pas ,
écris toujours. Le ſtyle en doit être léger , badin , tel
enfin qu'il eft en ufage parmi les perfonnes galantes
& polics. Quant aux Épitres révérencieuſes , écrites
en ftyle de Bembo ( 1 ) , réſerves- les pour les Mononête
& les Arétofile ( 2 ) . Il faut former de loin le
blocus de ces effèces de femmes - là , & ouvrir fa
tranchée de façon qu'il s'écoule au moins deux
fiècles avant d'en venir à l'affaut. Avec elles , les
armes les plus sûres font le refpect & l'extrême foumiffion
; avec elles , il faut qu'il y ait dans tout des
fi , des mais , & de la raiſon & de la vertu ..... que
fais-je , moi Cependant , mets - toi toujours bien
dans l'efprit que , qui n'aimoit pas hier aimera demain
, & qu'il n'y a qu'un mal - adroit qui perde cou-
(1 ) Les Lettres du Cardinal de Bembo font toutes adreffées
à des gens de marque. Son ftyle eft effectivement
très révérencieux.
(2) Arétofile , mot dérivé da grec , & qui veut dire
Ami de la Vertu
Avj
12 MERCURE
rage aux premières défenfes , & laiffe - là fon entra
prife. On pourroit dire d'un objet ſemblable ce qu'on
dit à certain Capitaine :
Ton bras eft invaincu , mais non pas invincible ( 1) .
Qué n'a-t'on pas fu de la grotte de Didon ( 2 ) & des
antres de Latmos ( 3 ) ?
Outre cela , il ne faut rien négliger de tout ce qui
peut intéreffer la Soubrette à te procurer des bonnes
fortunes pareilles Elle eft dépofitaire des fecrets de
fa maîtreffe , & n'ignore pas de quel côté foible on
pourroit l'attaquer . Crois -moi , il n'y a point de Lucrèce
(4) pour fa femme de- chambre. Tu ne pourras
avoir de confeil & de guide plus sûr & plus affectionné
qu'elle. Écoute les réponses comme on écoutoit
celles de la Sybille ; elle t'inftruira des myftères
les plus intéreffans.
Un des inftans les plus propices à l'amour , c'eft
ordinairement lorfque les jeunes filles fe trouvent à
des fêtes & à des parties de plaifir.
La gaîté fait à l'âme
Ce que fait le printemps aux fleurs.
Philène fe mit à parler d'amour à Lesbie , un jour
que celle - ci avoit vu Aftérie porter une robe d'un
goût tout nouveau . Dis moi s'il ne faifit pas bien- là
le vrai moment ! cependant , il n'y a pas , comme on
(1) Vers du Cid , Tragédie de Corneille.
(2) Un orage qui furvient pendant la chaffe , force
Enée & Didon à fe mettre à l'abri dans une grotte.
(3 ) Larmos , montagne de la Carie , renommée
amours de Diane & d'Endymion .
par les
(4) On avoit dit avant qu'il n'y avoit point de Héros
pour fon valet-de- chambre.
DE FRANCE.
dit , de règle fans exception. La matrone d'Ephefe ,
par exemple , pleurant fur la tombe de fon mari,
n'en prête pas moins l'oreille aux fleurettes d'un
Soldat ; Philis écoute Alcée le jour même , le jour
que meurt fon petit chien.
Un endroit affez favorable pour ouvrir ton coeur à
ta maîtreſſe , eſt , fans contredit , le fpectacle , où tout
parle d'amour. Mais fi , par malheur , en féquentant
le théâtre , tes regards venoient à fe fixer avec complaifance
fur Sémiramis ou Mandane , fouviens- toi
bien qu'il te faudra effuyer mille caprices majef
tucus , & nourrir toute la Famille Royale. Et de
quelle autre vertu n'aurois-tu pas befoin pour te
conduire avec les Veftales de l'Opéra ? Laiſle aux
loges ton admiration , crois-moi ; ne t'approche pas
de la Scène ; elle a fon point de perspective,
Mais il n'eft point de lieu , de temps , de circon
tance enfin plus favorable à l'amour que les veilles
& la danfe . Là , fous le mafque & le domino , chacun
fe donne la liberté d'avouer certaines chofes que
long- temps peut-être il avoit tenues renfermées dans
fon coeur. Amour fe réjouit de voir toutes ces figures
menteufes , lui qui tant de fois en prêta de fem
blables à Jupiter même , & qui fait prendre tant de
déguifemens différens pour fe fouftraire à l'indifcrétion
des curieux."
Toutes les fois que , foït aux veilles , foit autrepart
, il t'arrivera de jouer avec ta belle , prefque
toujours tu auras foin de perdre , mais fais enforte
qu'elle puiffe l'attribuer à la fortune feule. Qui doute
qu'à favoir perdre il y a fouvent tout à gagner ? Surtout
, prends bien garde , alors que tu perds , de ne
laiffer voir , par aucune démonftration extérieure ,
qne tu en es affecté. La libéralité plaît fur toutes
chofes eile eft , pour ainfi dire , un fonds commun
fur lequel chacun affigne fes prétentions..
14
MERCURE
La fcience de la toilette n'eft pas non plus une
chofe inutile à l'homme galant. Il doit y confacrer
quelque étude . Cependant , il eft à- propos qu'il laiffe
voir une certaine négligence dans fes habillemens,
& que jamais aucune espèce d'affectation ne s'y faffe
remarquer. Mars eft Soldat..... Adonis eft Chaffeur.
Les vers , à ce qu'on dit , ont fait très -ſouvent
des miracles. En effet, tout n'eft- il pas permis aux
Poëtes ? Mais fi tu veux que tes vers foient écoutés ,
laiffe à part la métaphyfique amoureuſe , & tienst'en
au ftyle aifé du beau monde. Si les Laure ( 1 )
ont été appelées les Janféniftes ( 1 ) de l'Amour, les
Pétrarquiftes pourroient s'appeler les Quakers ( 3 ) du
Parnaffe .
Attends- toi , après tout cela , à ne pas manquer
de rivaux. Si tu es adroit , tu feindras de ne les pas
voir..... de n'en pas avoir même . Heureux fi ton
rival s'avife de te déchirer auprès de ta maîtreffe ! &
mille fois plus heureux encore s'il parvient à l'empêcher
de te voir ! Rien de plus déteſtable que la
jaloufie ; rien de plus dangereux pour celui qui la
nourrit. Les femmes ont en grande vénération les
gens entreprenans ; & la jaloufie au contraire n'aboutiroit
qu'à te peindre à leurs yeux comme le plus
timide des hommes.
En fociété , il conviendra de manifefter le plus
grand refpect envers elle. Heureuſement on n'eſt
pas toujours avec les belles en Public . Où eſt- elle
cette femme qui fe fâche d'être follicitée ?
(1) Laure , fi célébrée dans les Sonnets de Pétrarque:
(2) Ninon appeloit ainfi les Prudes.
(3 ) Quakers ou Trembleurs , eſpèce de fanatiques d'Angleterre.
DE FRANCE.
15
Souviens- toi de la punition que le bon Roland (1 )
fut contraint de recevoir fi longuement fur fes épaules ,
& cela , pour n'avoir pas faifi Morgane à temps.
Sans doute , il eft néceſſaire d'attendre que le fruit
foit mûr avant d'étendre la main pour le cueillir.
Tout doit s'arranger de manière qu'elle puiffe en
jeter toute la faute fur toi. Celle- là qui , feule à
feul avec fon ami , pourra lui réfiſter , eft plus
qu'une femme s'il n'eſt pas moins qu'un homme.
Ily a plufieurs fignes auxquels tu pourras reconnoître
peu-à-peu les progrès que tu auras faits dans
fon coeur. Les mots les plus indifférens feront adreffés
de ton côté. On dirigera vers toi des yeux qui ,
rencontrés par les tiens , fe détourneront prefque
toujours. A chaque minute on s'informera de ce qui
te fera arrivé , & l'on viendra enfuite te le raconter
à toi- même. Jaloufe de t'entendre dévoiler les fentimens
qu'elle a créés en ton coeur , elle fauta te
mettre fur la voie. Parfois elle te fuira , & cela voudra
dire que tu la fuives.
( 1) Roland trouve la Fée Morgane endormie dans une
caverne. Elle eft belle ; il eft tenté ; mais fon amour violent
pour Angélique le fait réfifter. Cependant , le défenchantement
du palais de cryſtal auroit dépendu de cette
foibleffe de fa part. Il l'apprend , & veut revenir fur fes
pas, mais il la trouve éveillée. Il court après elle , & eft.
joint par un Spectre qui lui dit : « On me nomme le
» Repentir. Je fuis privé de tout contentement , & ne
» m'occupe qu'à pourſuivre ceux qui , comme toi , ont
laiffé échapper l'occafion ..... & c. » Le Spectre fuit le
Comte , lui applique fur les épaules des coups d'un fouet
qu'il tient en fa main , & l'accable d'injures jufqu'à ce
qu'enfin Roland rejoint la Fée , & là force de défenchanter
le palais. Poëme de Roland , par Boyardo.
16 MERCURE
Garde-toi bien de te plaindre fi , de la rofe ( 1) a
la main qui la veut cueillir , il fe trouve ça & là quel
ques épines ; elles ne font qu'accroître les deurs &
embellir la victoire. Ce feroit une folie à toi d'envier
le fort de ce Dieu qui voit , defire & eft heureux.
Tu ne réuffirois pas mal à te procurer bientôt le
bonheur le plus infipide qui foit au monde.
Enfin , quand tu auras fu vaincre ta douce ennemie
, fache encore ufer de ta victoire . Ne vas pas
te figurer que tes volontés doivent commander im
périeufement aux fiennes :
L'injuftice à la fin produit l'indépendance . (2 )
Lâche les rênes , & gouverne la fi adroitement
qu'elle ne s'apperçoive pas qu'elle eft gouvernée.
Quels que foient les petits caprices qui lui prennent
de temps en temps , paffe là -deffus légèrement ,
d'autant mieux qu'ils fervent de parure à l'efprit , à la
beauté , vivifient le fentiment , & font , pour ainfi
dire , le fel de l'amour. Qu'entre- elle & toi les devoirs
foient réciproques , & que jamais d'autre loi
ne lui foit impofée que celle qui peut alléger le
poids de fa fubordination , & rendre ton empire plus
durable en même-teinps.
Que les faveurs apportent de nouvelles chaînes à
ta tendreffe . Vivez long-tems unis , & que l'Amour
ajoute à vos journées toutes celles qu'il devroit enlever
aux amans malheureux. Puiffent enfin les
Dieux , entre les mains de qui réfide le coeur de
T'homme , empêcher que le bandeau dont va faire
fage mon ami , ne vienne à lui fafciner les yeux !
(1) Le texte porte : « Si , entre Répi & la main tu trou
ves quelque empêchement. ›
و و د
(2) Vers de Tancrède , Tragédie de Voltaire
DE FRANCE. 17
1
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Enigme eft - Oiſeau ; celui du
Logogryphe eft Vipère , où le trouvent vie
rive, père, ré, pie , ver, Epire , épi & Eve.
ENIGM E.
SEMBLABLE
EMBLABLE à l'ombre fugitive ,
Je m'échappe à l'inftant que l'on croit me tenir;
Perfonne ne in'a vu commencer ni finir ;
On m'attend chaque jour , & jamais je n'arrive .
A
( Par M. Robert , à Aulnay. } .
LOGOGRYPHE.
LA maifon je fuis bonne économe ;
D'un maître complaifant je cherche le profit ;
On m'accuſe pourtant de me livrer à l'homme
Que Molière au Théâtre habilement peignit ,
Que pour caufe ici l'on ne nomme.
Qu'importe , fi parfois mon fervice fuffit ?
L'homme & la femme avec moi font tranquilles
Quand ils veulent fuivre mes lois ;
Mais il arrive quelquefois
Que jeunes gens, femmes ou filles ,
13
MERCURE
Troublent la paix de ma maifon.
En tranfpofant mes pieds , je fuis foeur d'Alecton 5
Les cheveux hériffés de ferpens , de couleuvres
Chez les Anciens je méritois mon nom ;
Fille de la Fureur , j'exhale mon poifon
Sur les Auteurs & leurs chef-d'oeuvres ;
Et c'eft pour de bonnes raiſons
Que l'on m'enchaîne aux Petites Maiſons :
Par moi le Matelot fe fauve du naufrage
Quand fon vaiffeau fragile eft brifé par l'orage ;
Je fuis l'un des trois Rois célébrés du Chrétien ,
Et la jeune Philis tous les ans me voit croître.
Compre avec toi , Lecteur , & tu verras combien
Je me donne à connoître..
( Par Madame la Marquise de Bert ***. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Ruffie , tirée des Chroniques
originales , de Pièces authentiques & des
meilleurs Hiftoriens de la Nation , par
M. Lévefque. A Paris , chez Debure
l'aîné , Libraire , quai des Auguftins , 1782 ,
s Vol. in- 12. Prix , 15 liv. reliés.
IL manquoit à la Littérature Françoiſe
une Hiftoire de Ruffie écrite par un homme
qui fût la langue huffe , qui eût habité l'étersbourg
, & compulfé les Auteurs , les
DE FRANCE. 19
Hiftoriens , les Monumens mêmes de cette
Nation. C'eft ce que M. Lévefque vient enfin
de nous offrir.
Appelé dans cet Empire par cette Souveraine
, dont les yeux découvrent tout , &
dont les foins raffemblent autour de fon
- Trône & les talens qui font nés dans fes
vaftes Domaines , & les talens qui font nés
hors de fes États , il a étudié le Ruffe , le
Slavon , les Antiquités , les Moeurs , les
Uſages , l'Hiftoire , la Géographie , la Littérature
de cet Empire , & plein de ces connoiffances
, il a écrit en cinq Volumes une
Hiftoire que lui feul favoit véritablement.
Tout étoit neuf dans ce fujet , mais tout
n'offroit pas des couleurs brillantes. La vie
les moeurs , les guerres des Sauvages fe reffemblent
toutes. Les premiers fiècles de
l'Hiftoire des Ruffes font inconnus , les fuivans
font obfcurs ; les peuplades , divifées
fous des Chefs différens , n'offrent que des
combats , des révoltes , des maffacres fans intérêt
& fans profit pour le Lecteur. M. Lé
vefque l'a fi bien fenti , qu'en parlant de
l'État de Kief, la plus confidérable des Principautés
qui partageoient alors cette vaſte
contrée , voici commne il s'exprime :
» n'offre qu'un tableau mouvant , dont les
changemens rapides fatignent l'oeil qui ,
» voulant inutilement les fuivre , fe trouble,
eft ébloui , & confond tous les objets. »
Ce qu'on y voit le plus diftinctement ,
c'eft que les Ruffes ont toujours été confpi10
MERCURE
rateurs , qu'il y a peu de Trônes dont tant
de Souverains foient tombés , & qu'il y eut
moins de Céfars maffacrés dans Rome, que
de Czars dans Kief ou dans Mofcow.
Malgré tant de combats & tant de crimes
, le Sceptre ne fortoit pas de la même
Famille ; c'étoit toujours des frères , des ne- ❤
veux , des coufins , des pères ou des fils qui
fe combattoient , qui fe dépofoient ou qui
fe maffacroient. Les Grands , qui les fecondoient
ou qui les excitoient , n'étoient que
des efclaves qui fe battoient pour le profit
d'un maître, fans avoir pour motif l'amour
de la patrie ou l'ambition du Trône.
Aufli tout eft obfcur dans de tels Empires
, jufqu'au nom du Maître. L'éminence
des dangers , l'excès de la valeur qui les
brave , la grandeur des exploits les plus hardis
, les fuccès les plus étonnans reftent fans
gloire. Le peuple , pour qui l'on n'a point
fait ces exploits , ne les répète point avec
chaleur , les Hiftoriens ne font point inſpi
rés par le zèle patriotique que n'ont point
eu les Héros qu'ils célèbrent , & l'admiration
ne paffe point dans l'âme du Lecteur.
Ce peuple ,exercé aux armes par des combats
journaliers , mais divifé en petites Principautés
ennemies , étoit fans force ; il fut
vaincu & fubjugué par les Tartares.
En vain Gengis-Kan , ou plutôt Tchinguis-
Khan ( car l'Auteur a foin d'écrire
exactement tous les noms avec l'orthographe
Rulle ou Tartare , ou Tatare , & cette ortho- 1
DE FRANCE. 21
graphe abonde tellement en confonnes, que
le Lecteur François peut à peine les pronon
cer ou les lire ) , en vain Gengis- Kan avoir
fubjugué une partie de l'Afie ; en vain fon
fils Oktai achevoit de foumettre la Chine ,
& fon autre fils Bati Kan s'avançoit vers
l'Europe ; les Princes Ruffes, fans prévoyance ,
fans politique , ne furent ni prévenir ni dé
tourner le danger , ni fe réunir pour réfifter
aux fix cent mille Tatars qui fuivoient les
pas de Bati-Kan.
La Ruffie fut ravagée comme par un torrent
; les Chefs du Clergé furent un peu
refpectés , quoique les Tatars ne fuffent pas
Chrétiens. Ils avoient pour eux ce refpect
stupide que l'inftinct de l'ignorance conçoit
toujours pour quiconque lui parle au nom
du Ciel , du diable ou des forciers , car
toutes ces idées fe confondent chez les
peuples barbares,
Les Tatars ne conquéroient pas , comme
les Romains, pour avoir la domination fur
les peuples policés , ou pour donner des
loix à ceux qui en manquoient : du butin ,
du bétail , des efclaves & de l'or , voilà
tout ce qu'il falloit à des peuples errans fur
des chars , voyageant au milieu de leurs
troupeaux , & vivant de leur lait plus que
de leur chair,
Les Tatars opprimoient les Ruffes & ne
les gouvernoient pas. C'étoit toujours des
Ruffes qui régiffoient les diverfes Principau
22 MERCURE
tés de cet Empire , avec la permiffion du
Chef de la grande Horde, qu'on appeloit la
Horde dorée. Ils lui faifoient des préfens ,
ils lui payoient des tributs , ils étoient affervis
à leurs caprices , ils étoient quelquefois
obligés de quitter leurs États pour aller
mendier leur protection , ou pour aller leur
demander grâce quand ils les avoient offenfés,
Les Tatars eux - mêmes fe conduifirent
auffi mal que les Ruffes , ils fe divisèrent entre
eux , & s'affoiblirent ; les Ruffes reprirent
quelques forces. Ivan I , Souverain de Volodimer
, fixa en 1329 fa réſidence à Moskow,
qui devint la Capitale de l'Empire , le féjour
des grands Princes : c'étoit le titre que portoit
alors le Chef des Ruffes ; le Chef de la
Religion grecque y fixa auffi fa réfidence :
- cette Ville devint alors confidérable.
Enfin , après plus de deux cent ans d'ef
clavage fous le joug des Tatars , un Ivan III
fe trouva affez fort pour ofer cracher fur
J'ordre d'Akmer , le Chef , le Khan de la
Horde dorée , & affez féroce pour faire
tuer fes Députés. Il n'en épargna qu'un feul,'
qu'il lui renvoya pour l'inftruire du fort
des autres.
Akhmet fit une incurfion en Ruffic ;
Ivan en faifoit une autre en même temps
dans les déferts où campoit la Horde dorée ;
il pénétra dans la ville ; il y mit le feu , & la
pilla, maffacrant les femmes, les enfans , les
vieillards qui feuls y réfidoient , tandis que
DE FRANCE, 23
tous les hommes en âge de porter les armes
étoient avec Akhmet. Les Rules n'eurent
pas le temps de piller tous les effets & de
tuer tous les habitans.
Akhmet, inftruit de leur invafion, accouroit
pour défendre fa Horde , ou pour en
punir les déprédateurs ; mais les Ruffes s'en
retournant par une autre route , il ne les
rencontra point. Une horde de Tatars Nogais
, ennemis plus acharnés de la Horde
dorée que ne l'étoient les Kuffes , étoit entrée
dans cette même ville peu de temps
après leur départ ; elle avoit détruit , brûlé,
maffacré tout ce qui avoit échappé aux
Ruffes ; elle avoit enlevé les femmes d'Akhmet.
Pourfuivant la route après cette expédition
, & paffant le Volga , elle rencontra
Akhmet lui même; il fe livra entre-eux une
fanglante bataille, Akhmet fut tué , & fon
armée défaite entièrement : ce maffacre
détruifit cette Horde dorée fondée par Bati-
Kan depuis deux cent trente huit ans
Ivan agrandit beaucoup fes États, &, libre
du joug des Tatars , il reçut des Ambaſſadeurs
du Sultan , de l'Empereur d'Allemagne
, du Roi de Pologne , du Roi de Danemarck
& de la République de Venife. Jufqu'alors
la Ruffie n'avoit point reçu d'Ambaffadeurs
de ces Puiffances, Ivan fit venir
des Italiens qui lui fondirent des canons , &
qui lui bâtirent un Palais.
Il faut paffer dans cet Extrait fur un
nombre infini de guerres intérieures ou ex24
MERCURE
térieures qui defoloient la Ruffie , la Pologne
& la Lithuanie , fans produire d'autre
effet que d'entretenir ces Peuples dans la
barbarie. Il faut parvenir , fans s'arrêter ,
jufqu'au règne d'Ivan IV , furnommé le
Terrible par les Ruffes , & le Tyran par les
Étrangers. On doit croire que la Langue
Ruffe n'a point de terme pour exprimer le
mot de Tyran , puifque fes Hiftoriens n'ont
point donné ce nom à Ivan.
Ce qu'on en raconte furpaffe tout ce
qu'on nous a tranfmis des Caligula , des
Néron , des Commodes , des Caracalla ;
mais du moins ces jeunes infenfés furent
punis de leurs crimes ; ils expièrent de leur
fang , le fang qu'ils avoient répandu , &
Ivan parvint à un âge affez avancé , mous
rut tranquille dans fon lit , eut la confolation
de fe faire tonfurer , & fut certain en
expirant d'aller jouir des biens du Paradis.
Il avoit toujours eu beaucoup de dévotion :
'il étoit brave ; il avoit conquis les Royaumes
d'Aftrakhan & de Kazan , envahi une partie
de la Livonie , & combattu avec divers
fuccès les Suédois , les Palonois & les Lithuaniens.
Un jour , il feignit d'abdiquer la Couronne
& de vouloir embraffer la vie monaftique
; il fe retira dans une maiſon voifine
de Moskow , retraite de luxure & de
crime , que l'Hiftorien compare à celle que
Tybère le fit à Caprée. De cette retraite,
Ivan extermina prefque toutes les anciennes
familles
DE FRANCE. 2
familles , il n'épargna pas même la fienne.
Les complices de fes crimes furent la fouche
d'une nouvelle Race de Nobles ; fouche
que l'Hiftorien auroit pu comparer à celle
des Patriciens raffemblés par Romulus. Le
brigandage a fait prefque par- tout les premiers
Nobles.
Ivan , laffé de cette eſpèce de comédie ,
ceffa de faire le Moine , & reparut en
Maître. Le récit de fes cruautés feroit auffi
horrible que dégoûtant s'il étoit vraiſemblable
; mais s'il eft exagéré , du moins il
peint les moeurs ; c'eft pourquoi il faut rapporter
ce qu'on lui attribue. Tantôt il fait ou
vrir les glaces d'une rivière , & il y fait précipiter
par centaines les habitans d'une ville.
Tantôt, en rentrant dans fa Capitale , il
fait dreffer quatre-vingt fourches patibulaires
, & il y fait pendre par les Seigneurs
de la Cour trois cent infortunés. Un jour
il fait pendre par les pieds l'un de fes Secré
taires d'État ; fes courtifans, pour lui plaire,
tirent leurs couteaux , l'un lui arrache un
oeil , l'autre une oreille , l'autre les lèvres ,
un autre autre choſe. Quand il eft mort, les
foldats lui coupent la tête , & hachent for
corps en morceaux.
Enfuite vient le Tréforier de la Cou- 2
ronne ; on l'attache à un poteau , le Colonel
de la garde & le Colonel de la Cavalerie lui
fervent de bourreaux , l'un lui rafe la tête ,
l'autre l'arrose d'eau bouillante jufqu'à ce
que mort s'enfuive.
Nº. 22 , 1 Juin 1782.
B
*
MERCURE
Viennent enfuite deux cent accufés , à qui
deux cent courtifans coupent la tête. Puis
enfin on amène un vieillard vénérable , que
le Czar ou Tzar perce lui- même d'un grand
coup de lance.
Il fe promène quelque temps au milieu
des cadavres , puis il va rendre vifite à leurs
yeuves, Il les fait mettre à la queſtion jufqu'à
ce qu'elles lui difent où eft l'argent de
leurs maris , & foudain il s'en empare. Il
fait noyer huit cent de ces femmes ; il en
fait mettre d'autres dans des chaudières
bouillantes , car il aimoit beaucoup à varier
les fupplices,
J'avoue qu'il me faudroit des autorités
bien graves pour que je puffe admettre de
pareils faits, L'Hiftorien François qui les
rapporte , les a trouvés malheureulement
trop avérés par des témoins, pour n'être pas
convaincu de leur authenticité , & pour
n'être pas perfuadé que toute la Cour de cet
Ivan IV étoit alors femblable à une caverne
de voleurs ivres, Malgré tout ce qu'il dit , il
eft plus facile à des Hiftoriens prévenus &
indignés de calomnier un barbare , qu'il n'eſt
poffible au plus pervers des hommes d'exécuter
un tel amas de crimes . On peut rejeter
hardiment les trois quarts de ce que l'Hiftoire
rapporte , & Ivan IV fera encore un
des plus abominables Princes que le Ciel
Hans fon courroux ait donnés à la terre. Un
jour , dans un accès de colère , il donna un
Coup fi violent à fon fils qu'il l'étendit mort
માન
DE FRANCE. 20
à fes pieds. Il en fut au défefpoir , car malgré
la brutalité il le chériſſoit.
Ce fut fous ce brigand , digne de périr
par la main des bourreaux dans les horreurs
des tourmens qu'il avoit inventés , que la
Ruffie fit l'acquifition de la Sibérie ; je dis
Tacquifition , & non la conquête..
Les Colaques qui habitoient fur les rives
du Don vivoient comme les Arabes
comme les Tatars , comme les anciens Sarmates
, comme prefque tous les premiers
Peuples , fans cultiver la terre , fe nourriffant
du lait & de la chair de leurs troupeaux
, pillant les Peuples voifins & les
Voyageurs , & tout ce qui paffoit près de
leur territoire fans une eſcorte refpectable.
Ils enlevèrent un jour la caiffe d'Ivan IV,
qui les regardoit comme les ſujets. Il venoit
de conquérir le Royaume d'Aftrakhan ; il
avoit une armée dans le voifinage ; il voulut
punir les Cofaques ; fes foldats leur firent la
chaffe comme ils l'auroient faite à des bêtes
féroces , & ils les difpersèrent de même.
Iermák , l'un des Atamans des Colaques ,
s'enfuit à la tête de fix mille hommes , &
parvint à la petite ville d'Oreb , qui appartenoit
à Maxime Strogonof. Maxime fe
hâta de leur fournir toutes les chofes dont
ils pouvoient avoir befoin , de peur qu'ils
ne les raviffent , & qu'ils ne ravageaffent fon
domaine. Il leur infpira le defir de paffer en
Sibérie 2. pays nouvellement connu des
Ruffes , & qui avoit enrichi les Strogonof
Bij
28 MERCURE :
en leur fourniffant des fourrures dont ils
avoient fait un grand commerce. Maxime
fournit aux Colaques des fufils , de la poudre
, des balles & trois canons.
Iermak, à la tête de fes fix mille hommes
chaffés par les Ruffes des bords du Don ,
s'enfonça dans des pays inconnus , battit
toutes les hordes qu'il rencontra , prir
toutes les petites villes ou plutôt tous les
villages qu'il trouva ; mais chaque jour il
perdoit du monde , chaque victoire lur
étoit nuisible ; & plus il avoit de fuccès , plus
il étoit foible. Sans la crainte des fupplices
que les Ruffes lui réfervoient , il feroit re
venu dans fon pays . Il délibéra plufieurs fois
avec fa troupe affoiblie, pour favoir s'ils con
tinueroient à chercher des conquêtes , ou
s'ils hafarderoient de retourner fur leurs
pas , & toujours il fut décidé qu'ils s'avanceroient
vers l'Orient , & qu'ils iroient chercher
de nouveaux pays & de nouveaux ennemis
; ils parvinrent ainfi jufqu'aux bords
de l'Irtich & du Tobol .
Ce qui me paroît diftinguer leur incurfion
de celles de tant d'autres Peuples barbares
, c'eft qu'ils ne recrutèrent point leurs
troupes avec leurs prifonniers ; il femble
même qu'ils n'en avoient point faits . Tout
fuyoit devant eux , nul ne s'affocioit à leurs
déprédations & à leur fuccès.
Ils avoient des armes à feu , leurs enne
mis n'en avoient point , ainfi leur triomphe
étoit sûr ; mais enfin , quand ils furent réz
DE FRANCE. 20
duits de fix mille combattans à moins de
quatre cent , ils s'arrêtèrent , & ils envoyèrent
au Tfar des Députés avec de riches fourrures
pour fléchir fa colère , pour l'informer
des conquêtes qu'ils avoient faites , & du
defir qu'ils avoient de le reconnoître pour
Souverain des vaftes pays qu'ils avoient fubjugués.
Ces Députés firent leur voyage dans
des traîneaux tirés par des chiens .
Ivan IV acceptà leur offre , & envoya
cinq cent Ruffes feconder les trois cent Co
faques. La difette & les maladies emporterent
une partie de ces nouveaux venus , les
combats détruifirent le refte . Ils avoient apporté
à lermak , de la part d'Ivan IV , une
magnifique armure ; elle caufa fa perte.
Preffé par les ennemis , il voulut fauter dans
une barque ; rendu moins lefte par fon
armure , le pied lui manquá ; il tomba dans
l'eau , la pefanteur de la cuiraffe l'empêcha
de revenir deffus ; on ne put le fecourir , il
fut noyé. Le refte des Ruffes fut obligé de
fuir devant les Tartares , & d'abandonner
tous ces pays qu'ils avoient parcourus &
non pas affervis. Leurs armes à feu ne les
mirent point à l'abri des nombreuſes flèches
des Tartares.
D'autres Colaques & d'autres Ruffes, envoyés
par le Tfar , fuivirent un plan beaucoup
plus fage. A mefure qu'ils s'avançoient
dans ce pays ils fondoient une ville , puis
une autre , & chacune de ces villes , trop
forte, quoique très foible, pour être prise par
Bisj
30 MERCURE.
des Tartares , affervifloit toutes les hordes
voifines , ou les forçoit à fuir. C'eft aing
que furent jetés les premiers fondemens de
Tobolsk.
Depuis le règne d'Ivan IV jufqu'à ce
jour , les Ruffes ont continué de s'avancer
vers l'Orient ; ils ont été arrêtés fur les bords
de l'Amur par les Chinois , qui fe fervoient
d'armes à feu. Ce n'eft que dans ce fiècle.
Jes Ruffes ont envahi le Kamtchatka , & qu'ils
ont découvert des Ifles qui les ont conduits
fur les rives occidentales de l'Amérique.
y
que
Le defir de trouver des mines d'or a été
le motif de routes ces conquêtes , ainfi qu'il
avoit été , foixante ans avant Iermak, celui
des conquêtes de Cortez & de Pizrate
dans le Mexique & dans le Pérou ,
L'Espagne s'étoit affoiblie par fes conquêtes
; la Ruffie fe fortifia par les fiennes.
L'Empire prenoit plus de confiftance , l'autorité
des Tfars étoit plus reconnue , les
frères & les neveux ne fuccédoient plus à
la place du fils . Le trône , devenu héréditaire,
commençoit à s'affermir.
Fodor , fils d'Ivan IV, fut le dernier de
fa race. Sa veuve s'enferma dans un Cloître
malgré le Patriarche , le Clergé & les Nobles
qu'elle avoit aifemblés , & qui la fupplioient
de régner , quoiqu'il fût fans exemple
qu'une femme fe fût encore affife fur ce
Trône trop fouvent enfanglanté.
Il fut donné à Boris , frère de la veuve
du Tfar. Son fils, qui lui fuccéda , fut détrôné
DE FRANCE. 31
& étranglé par un Moine qui prit le nom
de Dimitri , fils d'Ivan IV, & qui fe difoit ,
& qui étoit peut-être le dernier mâle de la
branche régnante de la Maifon de Rurcik ' ,
Maiſon qui avoit gardé la fuprême puiffance
en Ruffie pendant plus de fix cent années.
Ce Moine , au bout d'un an , fut maſſacré
comme un impoſteur.
Deux autres faux Dimitri fuccédèrent à
celui-là .
Il y eut un interrègne de quelques an
nées . Enfin les États s'affeinblèrent , & ils
élurent Michel Fédorovitch , ce qui a mis
1'Empire dans la Maifon de Romanof , qui
règne actuellement. C'eſt cette maiſon qui a
porté la Ruffie à ce point de gloire & de
profpérité où elle eſt aujourd'hui.
Michel Fédorovitch n'avoit que feize
ans. Son père étoit prifonnier à Varfovic.
La Ruffie étoit attaquée par la Suède & la
Pologne. Ce jeune homme foutint la guerre
long- temps , parvint à faire la paix , à rendre
la liberté à fon père , qu'il nomma Patriarche
, feule dignité qui femblât convenir au
père du Souverain ; il eut mêine le talent de
maintenir la Ruffie en paix pendant dix an
nées confécutives , ce qui ne s'étoit peutêtre
pas encore vu.
Son fils Alexis donna um Code aux
Ruffes , & voulut faire fleurir les Arts. Il fit
venir des Allemands. Il commenta , dit
PAuteur de certe Hiftoire , à lever un coin
du voile qui tenoit fes Sujets dans les ténè
BAV
22 MERCURE
bres. Pierre I, fon fils , a voulu le déchirerd'un
feul coup.
L'Hiftoire de ce Prince , fes loix , fès
voyages , fes défaites & fes victoires font
connus de tout le monde ; cependant M.
Lévesque , qui a tiré du Journal que Pierre I
écrivit lui-même , les événemens qu'il rapporte
, ajoute à ce que l'on fait, plufieurs circonftances
curieufes . Par exemple , il nous
apprend que dans le temps où Charles XII
étoit retiré à Bender , le Czar , entouré fur
les bords du Prouth par l'armée du Vifir , &
près à devenir prifonnier des Turcs , écrivit
aux Sénateurs de fes États de ne point
s'effrayer s'ils apprenoient qu'il étoit captif,
de ne fonger qu'au bonheur de la Nation
, d'examiner fcrupuleufement les ordres
qu'ils recevroient de lui pendant ſa
captivité , de les rejeter s'ils n'étoient pas
utiles , de choisir même un autre Souverain
fi le falut de l'Empire l'exigeoit : qu'enfin
il abdiquoit tandis qu'il étoit encore
libre.
Il eft remarquable que dans cette lettre
Pierre I , qui avoit un fils âgé de vingt- un
ans , ne profère pas fon nom , & ne parle
pas de fes droits .
Une particularité encore affez peu connue
, c'eft que les deux foeurs du Czar , les
Princeffes Sophie & Natalie , composèrent
plufieurs Ouvrages en vers , firent mêine
des Tragédies , & font les deux feules Poëtes
de ce règne dont on ait retenu les noms.
DE FRANCE.
33
M. Lévesque rapporte auffi quelques
lettres du Czar & du malheureux Alexis, fon
fils, condamné à mort par fon ordre. Tous
les détails de cette étrange & funefte procédure
font intéreſſans . On voit bien que ce
Prince étoit incapable de régner , on ne voit
pas qu'il ait mérité de perdre la vie. Le Czar
ne pouvoit le craindre ; il n'avoit nul intérêt
perfonnel à le perdre ; il ne pouvoit être
mû par des impreffions étrangères ; il en fit
donc un facrifice au repos de l'État.
(
Ce qui eft plus étrange encore, c'eft que
les cent vingt-quatre Juges de cet infortuné
jeune homme,ſe donnent à eux - mêmes ,dans
le cours de leur arrêt , le titre d'Efclaves .
Ces Efclaves étoient des Miniftres d'État ,
des Sénateurs, & quatre-vingt- neuf Officiers
de différens grades.
Pierre I fit enfuite une loi qui autorifoit
le Czar à choifir lui-même fon fucceffeur , à
le révoquer s'il venoit à lui déplaire , & à
en nommer un autre. M. Lévesque attribue
à cette loi les révolutions qui font arrivées
depuis en Ruffie. Il auroit pu obferver que
le Czar , qui paffa toute la vie à forcer fon
peuple de quitter des ufages afiatiques pour
lui faire embraffer les ufages de l'Europe ,
fit alors tout le contraire. Il rejetoit les loix
de l'Europe qui ont admis l'hérédité du
Trône , ou qui ont laiffé la Nation libre de
fe choifir elle - même un Souverain , & il..
leur préféroit l'ufage afiatique , qui , laiffe au
Bv
34
MERCURE
1
caprice du Maître le choix le plus important
pour la Nation.
Les Souverains de l'Afie choififfent toujours
leur fucceffeur dans leur famille. Pierre
n'affigna pas de limites à la volonté des Czars.
Ils pouvoient livrer leur Trône & leur Peuple
à un Étranger.
Cette loi avoit un autre défaut ; elle ne
défignoit pas celui à qui la Couronne devoit
appartenir dans le cas où le Czar mourroit
fans en avoir difpofé lui- même. Il n'en difpola
pas. Sa veuve, fecondée de Menzikof,
s'empara du Trône. Le Sénat , qui avoit pris
le titre d'Efclave en condamnant le fils du
Czar , parut s'arroger le droit de donner la
Couronne. 1
La veuve de Pierre I mourut deux ans
après lui ; elle avoit nommé pour fon fucceffeur
Pierre II, le petit-fils de fon mari ,
le fils du malheureux Alexis, & par fon teftament
elle régla l'ordre de la fucceffion dans
le cas où Pierre II mourroit fans poftérité .
Le Sénat , à la mort de cet Empereur, ne
fe crut point obligé de fuivre le teftament.
Il nomma pour Impératrice Anne , Douairière
de Courlande , fille cadette d'Ivan,
frère de Pierre I ; & , ce qui eft plus étrange
pour des hommes qui s'appeloient Efclaves,
ils lui firent figner les conditions auxquelles
ils l'acceptoient pour Souveraine. On lui
impofa fur- tout la loi de ne point amener
en Ruffie fon favori Biren . Elle promit
Bout, & ne tint rien . Biren arriva prefque
DE FRANCE. 35
Ruffi-tôt qu'elle à Pétersbourg. Le Sénat
n'eut pas le courage ou l'audace de le faire
arrêter. Dès - lors il fut Efclave. Anne le
força bientôt à lui donner avec folemnité la
puillance la plus abfolue. Le Sénát & la
Nobleffe qui , de temps immémorial , faifoient
des conjurations, n'avoient pas la
moindre idée de la liberté ; & comme il n'y
a point de Tiers- État en Ruffie , que tout ce
qui n'eft pas noble eft ferf, il n'y a point de
Peuple , point de Nation ; tout le fait & fe
défait par l'intrigue de quelques hommes
qui s'aviliffent pour être puiffans en artendant
qu'on les opprime. Ainfi les Dolgorouski
avoient envoyé Menzikof en Sibérie ,
& y furent envoyés par Ofterman & Biren ,
qui furent exilés à leur tour.
Anne fir jurer tous les Grands , toute fa
Cour, tout ce qui n'étoit pas ferf, de reconnoître
pour fon fucceffeur la perfonne
qu'elle nommeroit, & elle nomma un enfant
qui venoit de naître , Ivan , fils du
Prince de Brunswick Bevern , & de fa nièce
nommée Anne comme elle . Elle donna la
Régence de l'Empire non au père ou à la
mère , qui tous deux étoient à fa Cour , mais
à ce Biren qu'elle avoit promis de ne jamais
faire venir en Ruffie , & qui , depuis qu'il y
étoit, avoit fait mourir prodigieufement de
monde, & avoit exilé vingt mille perfonnes."
Elle mourut peu de jours après avoir fait ce
choix & cet arrangement , qui ne pouvoient
produire que du défordre.
B vj
36 MERCURE
Biren régiffant l'État au nom d'un enfant
dont le père & la mère étoient vivans &
préfens , les regarda bientôt comme les ennemis.
Il ofa mettre aux arrêts le père de
fon Empereur , & fcandalifer par cet acte
d'imprudence une Nation dont il étoit abhorré.
Munich offrit fes fervices à la Princeffe ,
& fit enlever Biren de fon lit pendant la
nuit par quelques foldats , auffi facilement
qu'un Exempt de Police enlève un particulier.
Il fut condamné à mort le lendemain.
Anne commua fa peine , & fe contenta de
l'envoyer en Sibérie. Elle fut déclarée grande
Ducheffe de Ruffie.
M. Lévesque prétend que Munich ne dut
fon fuccès qu'à la négligence des gardes ;
mais par les détails qu'il rapporte , on voit
que Munich comptoit beaucoup plus fur
l'indignation générale que Biren avoit infpirée.
La haine des peuples & celle de l'armée
font les premiers & les meilleurs conjurés ;
ils s'accroiffent , ils fe fortifient ; quand les
autres font découverts & livrés aux fupplices
, ils en appellent de nouveaux ; ils portent
l'épouvante & les remords dans l'ame
des tyrans ; ils les puniffent même quand ils
ne les perdent pas.
Munich , nommé premier Miniftre pour
prix de fes fervices , fut bientôt diſgracié &
dépoffédé par les intrigues du Chancelier
Ofterman.
Un an s'étoit à peine écoulé, que la grande
DE FRANCE. 37
Ducheffe Anne & le Prince de Brunsvich ,
fon mari , furent enlevés de leur lit , & l'Empereur
Ivan de fon berceau , pendant la nuit;
par une autre intrigue, Ofterman & Munich
furent auffi arrêtés.
Elifabeth , fille de Pierre I , monta fur le
Trône , & prétendit qu'elle avoit chaffé les
ufurpateurs ; cependant la loi même de fon
père lui ôtoit tout droit au Trône , à moins
qu'elle n'y fût appelée par quelque Souverain
, & elle ne l'avoit pas été.
Un Chirurgien Leftocq, avoit conduit cette
intrigue ; car dans ce pays de Nobles & d'Efclaves
ce n'étoit pas de grands Seigneurs qui
tramoient les révolutions . Ofterman étoit le
fils d'un Prêtre Luthérien , & le tyran Biren ,
né dans une écurie , étoit fils d'un Piqueur .
Ivan, trop jeune pour fentir fon malheur,
fut d'abord traîné de citadelle en citadelle
avec fon père & fa mère. On l'en fépara
enfin , & on l'enferma au Château de Schlufſelbourg
, où il fut poignardé en 1764. Après
d'autres révolutions , fon père & fa mère
furent confinés dans un féjour de glace au
bord de la mer Blanche. N'étant point féparés
, ils eurent dans leurs prifons plufieurs
enfans , qui fembloient deftinés à vivre éternellement
dans les fers où ils étoient nés ;
mais l'augufte Impératrice qui règne aujourd'hui
, les a renvoyés dans le Danemarck , la
patrie de leur père. Anne mourut en 1746 ,
après fix années de captivité ; fon mari , plus
infortuné , a vécu trente-neuf ans dans fa
38
MERCURE
prifon , & n'a terminé qu'en 1730 ſa triſte
carrière .
Ofterman fut condamné à être roué
Munich à être écartelé ; ces jugemens étoient
auffi atroces qu'injuftes. Elifabeth ne les
envoya point fur l'échafaud , elle les fit conduire
en Sibérie , où les Menzikof, les Dolgorouski
, les Biren purent les rencontrer ,
& reconnoître la vanité des grandeurs , le
fruit amer des intrigues , & l'abfurde fottife
qu'ils avoient faite en n'employant pas .
le temps de leur faveur à porter des lois ,
& à former une conftitution qui affurât du
moins le fort des Miniftres difgraciés contre
la méchanceté & la vengeance de ceux qui
leur fuccéderoient.
Élifabeth , en exilant Ofterman & Munich
, juta que perfonne ne feroit puni de
mort fous fon règne. Ce ferment , qu'elle
tint , n'a pas multiplié les crimes. C'eft au
contraire du règne de cette Princeſſe qu'on
a commencé à fe permettre moins de grands
crimes en Ruffie . Ainfi , l'expérience femble.
prouver que la peine de mort n'eft pas aufli
utile qu'on le croit communément. Leftocq,
de Chirurgien qu'il étoit , devint premier
Médecin , & fut enfuite difgracié ; on le
relégua dans un défert près d'Archangel .
Elifabeth choifit pour héritier de fon
trône le Duc de Holftein , fils de fa foeur
aînée. Elle lui fit abjurer fa religion , & embraffer
le rit Grec. Elle lui choifit pour
épouſe la fille du Prince d'Anhalt- Zeibſt ,
*
DE FRANCE.
39
qui abjura auffi fa religion , & qui changea
le nom de Sophie pour celui de Catherine ,
en quittant la religion de fes pères pour celle
que fon mari venoit d'adopter.
Élifabeth mourut dans fon lit ; le trône
fut occupé fans conteftation par le Souve
rain qu'elle avoit nommé.
Jamais Prince n'a fait autant de bien à fon
peuple , dans un règne auffi court , que
Pierre III en a fait à la Ruffic. Qui croiroit
que la Nobleffe de cer Empire étoit , avant
lui, dans une forte d'efclavage , & qu'il lui
a , par Édit , donné la liberté ? Il a auffi
aboli la Chancellerie fecrète , véritable Inquifition
, plus odieufe que celle de Portagal
, parce qu'elle s'étendoit fur tous les objers.
Il a réuni à la Couronne les terres immenfes
que poffédoit le Clergé , & il a donné
des penfions aux Eccléfiaftiques.
Le crime qu'il commit contre fon fils &
contre fon époufe , qu'il vouloir priver de
leurs droits , de leur rang , de la liberté , &
vraisemblablementde lavie , fon mépris pour
les Ruffes , fon goût pour les moeurs Allemandes
, fes débauches extrêmes , fes indifcrétions
dans l'ivreffe , la pufillanimité avec
laquelle il s'abandonna lui-même au premier
bruit d'un foulèvement , furent les
caufes qui le précipitèrent du trône dans les
fers , & des fers dans le tombeau.
.2 9
Quand on a le malheur de parvenir à la
fouveraine puiffance par une grande révo
lution qui fixe plus attentivement tous les
1.
40 MERCURE
yeux fur foi , qui mécontente un grand
parti , qui ouvre un vafte champ aux con
jectures , on a befoin d'avoir plus de talens
& plus de vertus qu'un Prince qui hérite .
d'un trône. Lorſqu'on enlève un Empire à
un Souverain qui , malgré les vices , a fait de
grandes chofes & procuré de grands avantages
à fa Nation , on s'impofe la loi de
faire de plus grandes chofes & de procurer
de plus grands biens, fi l'on ne veut pas que
les regrets du peuple enfantent des plaintes ,
des mécontentemens , des tentatives & des
révolutions .
Catherine II a conçu ce qu'exigeoit d'elle
fa pofition , & elle a exécuté tout ce qu'elle
demandoit. Nulle Princeffe n'a mieux connu
Le grand art d'impoſer , même à la Renommée.
"
Elle a fait des établiffemens de tous les
genres , elle a peuplé des Provinces défertes ;
contenu des hordes errantes & dévaftatives ,
calmé des factions , embelli fa capitale de
monumens nouveaux élevé une ftatue
équeftre au fondateur de la civiliſation des
Ruffes , donné un Khan aux Tartares , un
Roi à la Pologne , des conditions de paix à
la Chine , affemblé les Députés des diverfes
Nations de fon Empire , & tenté de faire
un Code qui puiffe leur convenir à toutes.
Elle appela dans fon empire tous les talens
qui purent s'y tranſporter , fes bienfaits
cherchèrent les autres aux extrêmités de
DE FRANCE. 41
,
l'Europe ; fes Lettres écrites à nos grands
Hommes prouvèrent que c'étoit fon génie
qui cherchoit leur génie : tertible à fes ennemis
fes flottes franchiffant la Baltique
, l'Océan , la Méditerranée , ont brûlé
la flotte des Turcs aux portes de Conſtantinople.
Et , ce qui eft un bienfait au -deffus
de tout ce que nous venons de dire , fes
foins ont augmenté dans fon Empire le nombre
des hommes libres. Une jeuneffe nombreufe
, entretenue par fa munificence , &
délivrée par elle feule des entraves de la
fervitude , s'élève autour de fon trône , &
lui doit avec ce premier des biens fon éducation
, fes progrès dans les Sciences , fon
amour pour les Arts , fur- tout fa connoiffance
des droits de l'homme. Ce font leurs
voix qui la loueront dignement , parce qu'ils
la loueront librement. Aujourd'hui qu'elle
règne , on ne doit que citer des faits , les
faits feuls doivent parler & diriger l'opinion
du Lecteur..
M. Levefque termine fon Ouvrage par
un Traité des Découvertes qu'ont faites les
Ruffes , par une Defcription géographique
de ce vafte Empire , & par un court expofé
de la Littérature des Ruffes. Lomonoffof a
réuffi dans l'Ode , le feu de fa verve , la hardieffe
de fes expreffions l'ont fait comparer
à Pindare . Loumorokof a réuffi dans les
fables par fa naïveté. Mikhael Kharaskof a
embouché la trompette , & a donné à la Ruffie
un Poëme Épique . M. Levefque en a traduit
42 MERCURE.
un morceau qui nous fait regretter qu'il
ne l'ait pas traduit tout entier.
Ainfi , les Arts ont germé aux premiers
rayons de la liberté ; mais leur tige délicate
ne fleurit & ne déploie toute la magnificence,
de fa parure , que quand elle eft cultivée
par des mains libres . L'efclave attaché à
la glèbe qu'il défriche toujours mal , &
qu'il arrofe fouvent de fes larmes , ne chante
point les Georgiques. Les Beaux- Arts , le
Commerce , les charmes de la Société n'offrent
leurs avantages que là où l'homme eft,
libre ; & le Souverain qui veut en goûter les
douceurs , doitfouvent cacher qu'il eft maître.
VARIÉTÉ S.
Nous croyons devoir faire part à nos Lecteurs
d'une Lettre écrite à M. d'Alembert par M. le Marquis
Carraccioli , Vice - Roi de Sicile , & ci -devant
Ambaffadeur de Naples à la Cour de France. On apprendra
par cette Lettre tout le bien que M. le Marquis
Carraccioli , arrivé à Palerme le 15 Octobre
1781 , a fait en moins de fix mois au pays dont lë
Gouvernement lui a été confié.
Je m'occupé avec tout le zèle poffible & de
toutes mes forces à faire du bien à ce pays , puifqu'on
a voulu me le confier ; malheureufenient je rencontre
des obftacles par- tout. Le plus fort & le plas
défagréable vient des hommes , & même de ceux
qu'on voudroit délivrer de leurs chaînes ; tant il eft
vrai , mon cher ami , que la longue habitude de
fervir,dégrade l'âme au point de lui faire trouver des
douceurs dans l'esclavage. n
DE FRANCE.
43
J'ai établi l'exportation libre des bleds avec
quelque petite condition de réferve. J'ai ôté le droit
prohibitif de faire du pain , déformais il eft libre à
chacun d'en vendre , & au particulier d'en acheter
où il lui plaît. On a déjà commencé à paver la ville
toute en pierres quarrées , le triple plus grandes que
celles de Paris , tandis qu'auparavant il n'y avoit que
les deux principales rues qui le fuffent , toutes les autres
étoient en cailloux. Dorénavant elles : feront
toutes pavées en grand , propremen : tenues & éclairées
avec des lanternes du même modèle que celles
de Paris J'ai établi un marché public ; car il n'y
en avoit pas , ce qui eft incroyable . Pour les grands
chemins dans l'intérieur du Royaume , l'on en a
commencé trois les plus néceffaires pour transporter
les denrées du centre de l'Ile au rivage de la mer.
Cet ouvrage va un peu plus doucement ; car il eft
fort difpendieux. J'ai fait auffi tracer , à un quart de
lieue de la ville , un Campo- Santo , c'eſt-à-dire , un
immenfe cimetière , environné de balustrades & de
cyprès ; il tient dans fon intérieur deux cent caveaux
profonds , pour recevoir tous les cadavres de la ville ,
& l'on en ouvrira dix par année , de façon qu'à
tour de rôle , après vingt années , ils feront employés
les uns après les autres , au moyen de quoi les vivans
feront féparés des morts , ce qu'il feroit bien de
faire par-tout ; mais ceci eft d'une abfolue néceffité
dans un pays auffi chaud que le nôtre. Cette affaire
m'a donné beaucoup de peine , par la fuperftition des
hommes : accoutumés de voir inhumer dans les
Églifes , ils imaginent que les chiens feuls doivent
être enterrés dans la campagne...
réferve à la fin , pour la bonne bouche , de vous
dire avec un peu de vanité de ma part , l'abolition
de l'Inquifition . Le 17 du mois de Mars , Mercredi-
Saint , jour mémorable à jamais dans ce pays pour
le Roi Ferdinand IV , on a abattu ce terrible monf
Je me
}
44
MERCURE
tre. J'y ai été avec grande cérémonie & formalité ,
accompagné de l'Archevêque, de notre Prélat Grand-
Juge de la Monarchie , du Commandant des Armes ,
du Sénat de la Ville , & de tous les Chefs des Tribunaux
& Magiftrats . Tous le font affemblés en ma
préfence , outre beaucoup d'autres perfonnes choifies
que les Gardes ont fait entrer. En préſence des Officiers
& Familiers du Saint-Office , le Secrétaire du
Royaume a lu le grand décret de l'abolition, du Roi
Ferdinand IV. A vous dire vrai , mon cher ami , je
me fuis attendri , & j'ai pleuré ; c'eft la feule & unique
fois que je fuis arrivé jufques à remercier le
Ciel de m'avoir fait fortir de Paris pour me faire
fervir d'inftrument à ce grand ouvrage. Après la
cérémonie , j'ai fait tout de fuite effacer toutes les
armoiries du Tribunal , & principalement la main
avec l'épée qui étoit fur la porte , avec le mot , Deus
judica caufam tuam. J'ai fait depuis ouvrir la porte
des prifons pour remettre les prifonniers aux Évêques
refpectifs ; j'y ai trouvé trois vieilles femmes , le
rebut de l'humanité , accufées de fortilège ; je les ai
renvoyées chez elles. Toute cette grande opération ,
dont on craignoit beaucoup que l'exécution ne fût
troublée , s'eft faite avec toute la tranquillité poffible
, & même avec l'applaudiffement des plus
fenfés. »
APalerme, le 11 Avril 1782 .
M. d'Alembert nous prie d'avertir ceux qui ont lû
la Gazette d'Utrecht , du 17 Mãi , qu'on y a inféré
un Extrait fort infidèle de la Lettre que lui a écrite ,
fur le voyage du Pape , une perfonne très -reſpectable.
*
DE FRANCE..
45
GRAVURES.
CARTE
ARTE du Lac de Genève & des Pays circonvois
fins , où le trouvent les Frontières de France , de
Savoie & de Suiffe , avec le Territoire de la Répu
blique de Genève , dreffée fur plufieurs Cartes manufcrites
, & en particulier fur celle de M. J. C.
Fatio , Ingénieur & Membre de la Société Royale
de Londres , & fur celle de M. de Rovera , Ingénieur
de LL. EE. de Berne , réduite , rectifiée & augmentée
du Plan de la ville de Genève , par Philippe
Buache, premier Géographe du Roi & de l'Académie
Royale des Sciences. A Paris , chez Dezauche ,
fucceffeur des fieurs Delifle & Philippe Buache , rue
des Noyers , près celle des Anglois.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
BIBLIOTHEQUE amusante , ou Collection des Romans
les plus curieux & les plus intéreffans en tout
genre; petit format. Prix chaque Volume broché ,
1 liv. 10 fols , & 2 liv. relié en veau écaille , tranche
d'or , contenant l'Hiftoire Amoureufe des Gaules ,
de Buffy-Rabutin , 6 vol .; les Amours d'Henri IV ,
avec les principales anecdotes de ſa vie , 2 vol . ; le
Roman comique de Scarron , avec la fuite , 4 vol. ;
les Nouvelles Tragi - Comiques , faifant fuite , par le
même Auteur , 2 vol .; les Contes & Romans de
Voltaire , 4 vol.; les égaremens du coeur & de l'efprit
, par Crébillon , 2 vol.; le Sopha , conte moral ,
a vol.; Tanfaï & Neadarné , 2 vol.; l'Étourdie , 2
vol.; les Contes des Fées de Mde du Launoy , 6 vol .;
Hiftoire de Mlle de Luz , 1 vol.; la Nuit & le Mo-
2
46 MERCURE
ment , ou les Matines de Cythère , 1 vol.; les Con
feffions du Comte de *****, par M. Duclos , 1 vol.;
Mémoires de Mlle de Bontemps , 2 vol.; l'infortuné
Napolitain , ou les Aventures de Rozelli , 4 vol ; les
Amuſemens des Eaux de Spa , s vol.; l'Orpheline
Angloife , traduite de l'Anglois , 4 vol ; la Princeffe
de Clèves , 2 vol.; Mémoires de Meilcour , 3 vol.;
les Caprices de l'Amour & de la Fortune , 3 vol.
Cette Collection très- intéreſſante , formera une cenmaine
de Volume ; quoique l'édition s'en faffe à Londres
, on peut s'adreffer pour fe la procurer , à Paris ,
chez Laporte , Libraire , rue des Noyers ; Lamy,
quai des Auguftins ; & en Province , chez les Libraires
qui vendent les nouveautés. Ceux qui ne voudront
point fe charger de l'entière Collection , pourront
' en faire détacher les Romans qui leur conviendront.
Le Flatteur , Comédie en cinq Actes & en vers
libres , repréfentée , pour la première fois , fur le
Théâtre de la Nation , le Vendredi 25 Février 1782.
Prix , 1 liv. 10 fois . A Paris , chez la Veuve Duchefne
rue S. Jacques ; Vente , rue des Anglois , & au Théâtre
François ; le Jay , rue Neuve des Petits - Champs ;
Defenne , au Palais Royal.
Hommage à la Patrie , Poëme adreffé à M.
Ducis , Secrétaire Ordinaire de MONSIEUR , &
l'un des Quarante de l'Académie Françoife , à l'oc
cafion de fa Tragédie d'Edipe chez Admete , présédé
du Difcours d'un Citoyens fuivi d'une Lettre à
M. le Marquis de la Fayette , & du Tombeau du
Chevalier d'Affas ; par M. Baumier , Volume in- 8 ,
A Bruxelles , & fe trouve à Paris , chez Legras , Li
braire , quai de Conti , à côté du Petit Dunkerque.
• Mufarion , ou la Philofophie des Grâces,
Poëme en trois Chants , de Wieland , traduit de
PAllemand , par M. de Laveaux , in-8 ° . Prix ,
3 liv: broché, A Paris , chez Bleuet , père & fils, Li
г
DE འ།FRANCE. 47
- On
braires , Pont S. Michel & quai de Gêvres.
trouve à la même adreffe l'Eloge de la Folie , nou
vellement traduit du latin d'Erafme , par M. de
Laveaux , avec les figures de Jean Holbein , gravées
d'après les deffins originaux , in - 8 °, Prix , 4 livres
fols broché , & en papier d'Hollande , 7 livres
4 fols.
Mélanges tirés d'un petit portefeuille , deux
Parties in -8 ° . Prix , 2 liv . 8 fols. A Avignon ; & ſe
trouvent à Paris , chez Onfroy , Libraire . quai des
Auguftins , & chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés,
Manuale Rhetorices ad ufum ftudiofa juventutis
Academica : exemplis tùm Oratoriis , tùm Poeticis,
latinè , è Tullio , Quintiliano , Horatio , Virgilio
&c. Gallicè, è Mabilione , Flexerio , Boffuetio
Cornelio , Racinio , &c, aliisque ex optimis auctoribus
illuftratum, Edit tertia , duplo auctior prece
denti , fub aufpiciis & nomine Univerfitatis evul
gata , cui accedit tractatus gallicè DO RECIT authore.
P. T. N. Hurtaut , Volume in- 12. Prix ,
livre 10 fols broché. A Paris , chez l'Auteur , rue
des Brodeurs , au- deffus des Incurables ; Langlois ,
Libraire , rue du Petit - Pont ; Leboucher , Libraire ,
quai de Gêvres ; Nyon le jeune , Libraire , aux
Quatre- Nations ; Colas , Libraire , Place Sorbonne;
& Barrois le jeune , Libraire , rue du
Hurepoix.
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M. Arnofe , ancien Profeffeur , feconde Partie ; l
Travail , ou la haute École , contenant les airs terré
à terre , les airs relevés & les grands airs ; par M.
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Choux , Volume in- 12 , Prix , 2 liv. 10 f. br.
A Paris , chez Jombert , Libraire , rue Dauphine.
Sainte Bible, traduite en François , avec l'Exq
1
MERCURE
plication du fens littéral & du fens fpirituel , tirée
des Saints Pères & des Auteurs Eccléfiaftiques , mife
en meilleur ordre pour la diftribution des Volumes ,
& augmentée de plufieurs Pièces nouvelles , Notes
& Sommaires , & d'une Table générale des Matières
en forme de Dictionnaire , in- 8 ° . , Tome III ,
contenant le Deuteronome , Jofué , les Juges &
Ruth . A Paris , chez Desprez , Imprimeur-Libraire ,
rue S. Jacques ; & à Nifmes , chez Pierre Beaume ,
Imprimeur - Libraire. On trouve aux mêmes
adreffes les OEuvres complettes de Fléchier, augmentées
de plufieurs Pièces nouvelles , accompagnées de
Préface , Notes & Obfervations , en 10 Volumes
in - 8°. , propofées par ſouſcription à ; livres le
Volume. Les quatre premiers font actuellement en
vente. Prix , 12 liv.
-
N. B. En annonçant les Obfervations fur les
Troubadours , on a oublié de dire qu'elles font partie
d'une feconde Édition des Fabliaux , Édition
5 Volumes. Prix , 9 livres brochés. A Paris , chez
Onfroy , Libraire , rue du Hurepoix.
TABLE.
en
VERS à M. le Comte du Léonce à Érotique , ſon Ami,,
Nord , 3 Enigme & Logogryphe,
Sentimens d'admiration & de Hiftoire de Ruffie,
reconnoiffance à la vie des Variétés ,
17
18
42
45
Annonces Littéraires,
Ouvrages de Dieu , Poëme Gravures ,
en vers libres ,
Couplet à une Dame , &c.
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1 Juin. Je n'y al
Lien trouvé qui puiffe en empêcher " impreſſion . A Paris ,
ke 31 Mai 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 JUIN 1782 .
21 211214 Est alur i
PIECES FUGITIVES
10.16 201 oup of 500: OUT &.
ENVERS ET EN PROSE. ETEN
É PITRE.
DAN le filence de la nuit
bok Tout me retrace ton image ;;
Dans le jour , mon coeur , mon eſprit
aber
Sont occupés de toi , volage . 23 artow for a 15
A des preffentimens affreux
Mon âme eft fans ceffe livrée.
Ne fuis-je plus digne des feux
Dont la tienne fut enivrée ?
* Une autre m'enlève ta foi,
Une autre fixe ton hommage ;
Ce coeur qui n'étoit dû qu'à moi ,
Un objet plus charmant l'engage..
Cette rivale que je hais ,
Aujourd'hui doit être bien vaine.
8 Juin 1782. No. 23,
C
JO MERCURE
Hélas ! fur mes foibles attraits
Elle l'emportera fans peine ;
Mais , crois moi , fon âme jamais ,
Ingrat , n'égalera la mienne.
De ces noeuds , autrefois fi doux ,
As- tu donc oublié les charmes ?
Rappelle-toi qu'à mes genoux
1 Je fus
partager tes alarmes ;
Trop foible , j'ofai t'écouter ;
Toi feul poffédois ma tendreffe.
Ah ! que pouvois-tu ſouhaiter
Après ces momens pleins d'ivreſſe ?
N'appréhende point mon courroux ,
Fais-moi ta confidence entière ;
Mon coeur n'en fera point jaloux ,
Il eft ouvert à la lumière.
Un fentiment plus délicat
Remplace l'amour dans mon âine.
Suis mon exemple , aimable ingrat ,
Tu le peux fans nuire à ta flamme.
J'ai bien quelques droits fur ton coeur ,
Qu'au moins l'amitié les acquitte .
Quand tu m'enlèves mon bonheur ,
Vois à quel prix je te tiens quitte.
J'ai besoin d'un confolateur ,
Seis-le , fois mon ami fidèle……….
Que dis -je ? hélas ! calme trompeur !
De cette reffource cruelle
J'abjure la fauſſe douceur ,
DE FRANCE. ST
Pour mon âme c'eſt un fupplice.
Fuis- moi plutôt , fuis pour jamais ;
Mon coeur eft né pour les excès ,
Il faut qu'il aime ou qu'il haïffe.
L'aurois -je pu prévoir , ô Dieux !
Réponds -moi , réponds- moi , parjure ,
Qu'après une flamme fi pure ,
Tels feroient mes derniers adieux?
(Par Mlle Aurore , de l'Académie Royale de
Mufique , âgée de 17 ans. )
Nous a
"
fa fatis-
Ous avons reçu de M. l'Abbé Buffet
une Lettre que nous croyons , pour
faction , devoir rendre publique.
93
« ON m'attribue , Monfieur , avec une perfévé-
» rance qu'il eft temps d'arrêter , fix vers que vous
» avez fait imprimer dans votre Journal du mois de
» Février dernier , à l'occafion de la Naiffance de
Mgr. le Dauphin , au bas defquels on lit ; par
» M. l'Abbé...... , à Sancerre Le Clergé Séculier
» & Régulier de cette ville les défavoue comme
´ » moi , avec raiſon , & demande que leur Auteur
foit connu. Je le demande plus particulièrement
encore , parce que je fuis dans l'opinion publique
» le plus inculpé. S'il étoit néceſſaire de vous donner
des motifs , je vous obſerverois , 1 ° . qu'un Au-
» teur ne doit jamais emprunter le nom de fon voifin
que de fon confentement pour l'impreffion ,
» même d'un bon Ouvrage. 29. Qu'an Prêtre ne
peut jamais fe permettre les expreffions ni même
» la penſée qu'on trouve dans les deux derniers de
Cij
52
MERCURE
ces fix vers , comme vous en conviendrez en les
>> relifant :
La dernière par- tout , avec le ſang Anglois ,
A lavé nos affronts & fignera la paix.
» Toute l'Europe fait , Monfieur , que notre Sou
» yerain , en remerciant Dieu de fes victoires
» pleure le fang de nos ennemis lorfqu'il en eft le
» prix. Le Gouvernement , qui fe conduit de même,
a toujours trouvé en moi les mêmes fentimens
» dans le temps qu'il m'a fait l'honneur de m'em-
» ployer. N'eft - il pas fort défagréable qu'au milieu
de la jouiffance paifible & honorable des bienfaits
que S. M. a bien voulu accorder à mes
foibles fervices , je paroiffe aux yeux de ma nation
, des nations étrangères , de mes bienfaiteurs
S & de mes amis , avoir dénaturé des fentimens qui
» me méritoient leur eftime , & qui fubfiftent tou-
» jours dans mon coeur ? Eft-il moins défagréable
pour mon état , qu'un Journal auffi accrédité &
auffi univerfel que le vôtre donne à la poftérité des
idées fi contraires à la pureté de nos principes , &
» cela , à l'appui d'un Ouvrage fuppofé ? Vous ne
pouvez , Monfieur , détruire ces impreffions que
de la même manière qu'elles ont été répandues ;
c'eft pourquoi je vous prie de faire mettre en
» errata bien viſible dans votre Journal prochain
que c'est par erreur que les vers dont je me plains ,
» ont été attribués à M. l'Abbé...... , à Sancerre , &
qu'ils font de M...... en nommant l'Auteur . Je me
rappelle que , pendant mon féjour dans la Capitale
, j'ai oui-dire que , fuivant la jurifprudence
»
DE FRANCE.
5$
» de votre confeil , on avertiffoit un Auteur qui em
» pruntoit un nom étranger pour fe faire imprimer ;
qu'en cas de plainte il feroit nommé. C'eft le cas
» où je me trouve ; j'espère donc que ma prière
n'éprouvera aucune difficulté. »
לכ
30
J'ai l'honneur d'être , &c.
L'Auteur des vers que M. l'Abbé Buffet
fe plaint de fe voir attribuer , n'a pas emprunté
le nom d'autrui , puifqu'il n'a figné
aucun nom , & qu'il a mis feulement au bas
de fon fixain , par M. l'Abbé & des points.
C'est ainsi que ces vers- là nous font parvenus
comme tant d'autres , & fans lettres
d'envoi. Pour achever de raffurer M. l'Abbé
Buffet , nous lui dirons que depuis l'impreffion
de cette Pièce , nous croyons en connoître
l'Auteur. Nous n'avons pas en main
de quoi le prouver ; mais , ce qui doit fuffire
à la fatisfaction de M. l'Abbé Buffet , c'eſt
que nous pouvons affirmer que les vers en
queftion ne font pas de lui .
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
; LE mot de l'Enigme eft . Demain ; celui
du Logogryphe et Ménagère , où le trouvent
ménage , Mégère ( une des Furies ) ,
rage , nâge , Mage & âge.
C iij
54
MERCURE
་ ་
(
ÉNIGM E.
QuUAND on s'adreffe à moi, c'eft un mauvais augure;
L'Hôte qui me reçoit me fait trifte figure ;
A peine quelquefois j'arrive en fa maiſon ,
Qu'il me prend tout de fuite & me jette en priſon 3
Il me pouffe fi fort , il me preffe de ſorte ,
Qu'il me femble en entrant que le diable m'emporte.
Je cherche à me venger par une trahiſon ;
Je fais vingt fois le tour pour trouver une iſſue ;
Je monte , je deſcends , je reviens fur mes pas ,
Je tente d'échapper par où je fuis venue ;
Et lorsque ce moyen ne me réuffit pas ,
Je me fâche , je gronde , & je fais du fraeas ;
Je cherche une autre porte , & l'ouvrant au plus vite ,
Je déloge & je prends honteufement la fuite.
( Par M. ***. }
LOGO GRYPH E.
JE fuis un Art utile & fouvent dangereux .
J'enferme en mes huit pieds celui qui me profeffes
Une ville où les Turcs vont accomplir leurs voeux ;
Une autre où l'on nous fit un des chants de la Meffé ;
Un Royaume où jadis Cyrus donna des Lois ;
Ce qui forme le tout quand on le prend deux fois;
Un Empereur Romain ; une femme cruelle ;
DE FRANCE. SS
Du Curé campagnard la richeffe annuelle ;
fans effort renverser une tour ;
Ce qui peut
Ce qu'à table chacun fait au milieu du jour ;
Un pronom
poffeffif, père de la querelle ;
Et ce que fait l'oifeau quand il a fait l'amour ?
( Par M. G. K. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SERMON pour l'Affemblée extraordinaire
de Charité , qui s'eft tenue à Paris , à
l'occafion de l'établiſſement d'une Maiſon
Royale de Santé, en faveur des Eccléfiaftiques
& des Militaires malades , prononcé
dans l'Églife des Religieux de la Charité,
le 13 Mars 1782 , par M. l'Abbé de Boifmont
, Abbé Commendataire de Greftain ,
l'un des Quarante de l'Académie Françoife
, & Prédicateur ordinaire du Roi.
A Paris , de l'Imprimerie Royale ; fe trouve
à la Charité , & s'y vend au profit du
nouvel établiſſement. in- 4° . 51 pages.
Τουτ Citoyen , tout homme ne peut
qu'applaudir avec tranfport à l'établiffement
fi humain , fi patriotique , fi religieux pour
lequel l'éloquence follicite dans ce Difcours
facré les fecours du zèle & de la charité.
Contentons - nous de confidérer ici ce Dif
Civ
36 MERCURE
T
cours fous le point de vue qui intéreffe la
Littérature .
Le texte eft : Tu autem in mifericordiis
tuis multis non dimififti eos in deferto.
" Pour vous , vous ne les avez point
abandonnés dans les horreurs du défert ,
parce que vos miféricordes fout grandes . »
Efd. L. 2 , C. 251.19.
Ce défert , c'eft Paris. « Quel défert peut
» être plus affreux pour le pauvre & pour
» l'infirme , qu'une ville immenfe , où tou-
» jours étrangerà une foule qui lui eſt étrangère
, il n'apperçoit autour de lui que les
" dédains de l'infenfibilité ou les froideurs
» de l'indifférence ! une ville , où rien n'occupe
que ce qui diftrait , rien n'intéreffe
que ce qui flatte , où le ſpectacle de la
fouffrance , cette recommandation fi puiffante
auprès des âmes fenfibles , devient
un ennui pour les uns , un dégoût pour
les autres , une importunité pour tous !
» quelle folitude plus défefpérante que celle
» où l'excès même du mouvement & de
l'agitation qu'on ne peut partager , em-
» porte loin de nous tout ce qui nous environne
, ajoute à l'humiliant abandon
» qui nous accable & nous force à nous
enfoncer plus profondément , & avec
» moins d'efpérance , dans le fentiment de
» notre infortune ! .....
">
C'eft affurément une grande & belle idée
que cet abandon & cette folitude du malheur
au milieu de Paris & du monde , &
DE FRANCE. 579
cette idée en général eft ici noblement &
fortement préfentée.
Qu'il nous foit permis , puifqu'il n'eft
queftion ici que de Littérature & de goût ,
qu'il nous foit permis de rapprocher de ce
magnifique exorde un morceau tiré d'un
Ouvrage d'un genre différent , d'un Ouvrage
qui ne nous paroît pas avoir toute la réputation
qu'il mérite. Nous y trouvons la même
idée mife en fituation & en action.
Un jeune homme élevé à la campagne
avec fa foeur par des parens pauvres & vertueux
, vient de les perdre & de ſe ſéparer
de fa foeur qui s'eft enfermée dans un couvent
, il part pour chercher fortune à Paris ,
où il ne connoît perfonne.
"
"3
cc
Que devenois- je , & quel étoit mon
» fort , moi qui fortois d'entre les mains
d'un père qui m'avoit conduit , fous les
yeux de qui j'étois doucement accoutumé
» à vivre , fur qui je me repofois de ma sûreté
, du foin de ma perfonne , & qui , en
» tout ce qui me regardoit , avoit penſé ,
délibéré pour moi ; qui , dans toutes les
" peines que je lui avois données , ne m'a-
» voit demandé pour ma part que d'être
decile aux confeils que fa tendreffe lui
infpiroit pour moi ; ce père n'étoit plus ,
" & ma foeur , qui , depuis fa mort , me
» fembloit l'unique perfonne à qui la mienne
» fût encore quelque chofe , qui empêchoit
" que je ne fuffe abfolument feul dans le
» monde ; enfin , dont la compagnie avoit
33
Ć v
58
MERCURE
D
و ر
foulagé mon imagination étonnée de tous
» les malheurs qui nous étoient arrivés ,
j'allois auffi la perdre , cette chère foeur ; &
dans une heure il n'alloit plus me refter
» que moi pour moi- même ; & qu'est- ce
» que c'étoit que moi ?
Je fuccombois fous toutes ces idées- là ,
je me croyois perdu , je craignois tout
» fans favoir pourquoi , fans avoir d'objet
fixe ; je me regardois comme un homme
» entouré de périls , & mon efprit étoit
» dans un étourdiffement qui me faifoit des
» monftres de tout ce que je voyois.
"
"
39
و د
J'avois plus de cent lieues à traverſer
pour arriver à Paris ; ce n'eft rien que
cela pour un homme qui a quelque ufage
de la vie ; mais quel voyage pour un
homme de mon âge , qui n'avoit jamais
» vû plus de fix lieues d'étendue ! que de
» mouvemens à fe donner , & quel objet
d'épouvante que tous ces mouvemens
pour qui ne connoît rien , & qui fort
» d'une éducation auffi paifible que l'avoit
» été la mienne ! .....
ود
39
»
» Me voilà donc en chemin , âgé de dix-
» huit ans , n'ayant pour tout bien qu'une
fomme d'argent affez médiocre , quittant
un pays où j'étois né , dont je n'étois ja-
» mais forti , où je ne laiffois perfonne qui
pût fe reffouvenir de moi qu'une foeur
qui étoit morte pour le monde , & que ,
» fuivant toute apparence , je ne reverròis
» jamais.
33
"
DE FRANCE. 59
D'un côté , je voyois le Couvent qui
» l'enfermoit pour toujours ; de l'autre
» dans la campagne , je voyois l'endroit où
» mon père & ma mère venoient d'être fi
» récemment , & prefque coup fur coup ,
" enterrés tous deux .
"
Leur fils autrefois , l'objet de leurs foins
» & de leur complaifance , fans fecours
» maintenant , fans expérience , & comme
» un enfant fans aveu , traverfoit en fugitif
» cette campagne qui ne lui offroit plus de
» retraite , & s'en alloit fervir de jouet à la
fortune. "
,כ
" Je paffois par des lieux où je m'étois
promené avec mon père.... Nous nous
arrêtions fouvent ici , me difois-je , nous
» nous fommes fouvent affis dans cet en-
» droit ; je m'y reffouvenois même des dif-
» cours qu'il m'avoit tenus , je croyois en-
» core entendre fa voix ; mon fils , ce nom
fi tendre.... frappoit encore mes oreilles
» hélas ! c'en étoit fait , perfonne ne devoit
plus m'appeler ainfi ; je n'étois plus fur
» la terre qu'un malheureux inconnu , je
» n'avois plus que des ennemis dans le
"
monde ; car n'y tenir à qui que ce ſoit ,
» c'eft avoir à y combattre tous les hommes ,
» c'eft être de trop par-tout.
ود
Cependant j'avançois , ma douleur &
» ma trifteffe s'augmentoient à mesure que
je m'éloignois davantage ; je me retournois
» à tout moment , je craignois d'avancer ,
je ne pouvois renoncer à des objets qui
Cvj
60 MERCURE
» me tuoient , & je mourois de penſer que
» bientôt je ne les verrois plus....
وو
ور
Quand je me vis hors de la portée de
» ces objets qui m'étoient fi chers , & que
l'éloignement où je me trouvois eut rom-
» pu pour ainfi dire le commerce que més
» yeux & mon coeur aimoient à avoir avec
» eux , je fus à l'inftant faifi de je ne fais
quel efprit de défiance & de courage qui
» me rappela tout entier pour moi même ,
» & me rendit l'objet unique de toutes mes
attentions..... Je marchai armé d'une pré-
» caution foupçonneufe qui veilloit à tout ,
» & qui me tenoit toujours en défenfe ....
» J'éprouvai par tout que les hommes
» prodiguent tout à qui a beaucoup , négli-
» gent celui qui a peu , & refuſent tout à
qui n'a rien. Caractère de coeur maudit
qui ne laiffe aucune reffource honnête aux
mriférables , & qui deshérite les deux tiers
1. des hommes des biens que la Nature a
» faits pour eux. »
»
Quiconque a été pauvre & malheureux ,
fentira tout le prix de ce morceau , & reconnoîtra
dans ces détails intéreffans une partie
de fon hiftoire .
Les deux Auteurs que nous comparons
ici , malgré la différence de leurs genres ,
malgré celle de leurs manières particulières ,
ont un grand trait général de conformité ,
& font caufe commune fur un article , on
leur reproche à tous deux trop d'eſprit. Cette
Saccufation n'eft peut - être bien grave que
DE FRANCE. 6x
@ 2'1
dans l'intention des fots qu'elle conſole &
qu'elle venge ; il faut pourtant convenir
qu'elle a un fens très- réel dans la bouche
même des gens de goût : & s'il faut ofer
tout dire , peut- être dans un Difcours , tel
que celui - ci , deftiné à produire le grand
effet de ranimer la charité des fidèles , peutêtre
defireroit- on moins de recherches dans
l'expreffion , des tours moins fins & moins
énigmatiques , moins de fubtilité dans la
difcuffion , moins d'argumentation , plus
d'abandon , plus de pathétique , plus de ces
mouvemens qui touchent & qui entraînent.
Mais enfin l'éloquent Auteur des quatre belles
Oraifons Funèbres de M. le Dauphin , père
du Roi , de la Reine fa mère , du Roi Louis
XV, de l'Impératrice Reine ; l'Auteur même
de ce Difcours ( d'autres difent , fur- tout
l'Auteur de ce Difcours ) mérite certainement
plus d'éloges que de critiques ; c'eft
affez , c'eft trop peut- être d'indiquer le défaut
de fon éloquence. S'il étoit à l'entrée de fa
carrière , on ne pourroit trop l'avertir fans
doute aujourd'hui , on ne peut qu'avertir les
autres de ne pas l'imiter en tout. Eh ! quel
modèle doit-on imiter en tout ? Pardonnonslui
l'efprit , il lui eft fi naturel ! pardonnonslui
jufqu'à la manière , elle lui fied , il met
de la grâce à tout ; mais avertiffons les jeunes
Orateurs que de grands traits , de grands
mouvemens peuvent enflammer l'imagination
& produire des traits & des mouvemens
femblables ; mais que l'efprit & la
62 MERCURE
grâce ne s'imitent pas ; c'eft un don de la
Nature , qu'elle accorde ou refuſe à fon gré.
Au refte , que l'efprit foit un mérite ou
un tort dans le genre oratoire , nous devons
obferver qu'aucun Orateur ne fort plus facilement
que M. l'Abbé de Boifmont , du ton
ingénieux & orné , pour s'élever aux beautés
les plus fublimes , aux traits les plus fiers de
l'éloquence ; qu'il retrouve ailément des aîles
de feu pour remonter & fe foutenir à la
hauteur des Démosthènes & des Boffuet ,
ce qui eft peut - être affez rare & affez remarquable
dans un Auteur effentiellement
ingénieux.
Rien de plus fimple que fa divifion . Les
Militaires font l'objet de la première partie ,
les Eccléfiaftiques de la feconde. Il efpère
tout pour les premiers , mais pour les Miniftres
des Autels , il fe promet peu de
faveur de l'irréligieufe indifférence de ce
fiècle, il attaque & cette indifférence & cette
irreligion , il les attaque avec force , mais
fans fel & fans colère , grand exemple pour
les défenfeurs & de la religion & de l'humanité
!
>
Obligés de nous borner & de choifir
nous nous contenterons de citer ici le morceau
de ce Difcours qui nous paroît le plus
parfait à tous égards .
L'utilité dont un Pafteur Eccléfiaftique eft
dans le monde , la fainteté de fon minière
de paix & d'amour , l'heureux empire que
la bienfaifance lui donne fur le troupeau
DE FRANCE. 63
confié à fes foins , font une de ces vérités
confufément apperçues auparavant , & que
Féloquence de Rouffeau a rendues évidentes
& familières , cette vérité eft développée
dans le Difcours de M. l'Abbé de Boifmont ,
d'une manière non moins éloquente , d'une
manière adaptée au genre de la chaire , &
propre fur-tout à faire aimer la religion .
""
Ces enfans de l'indigence & du malheur
, qui naiffent dans toutes les parties
» de cet Empire , feuls au milieu de la Na-
» ture entière qui les repouffe , & qui fem-
» ble armer contre eux jufqu'aux élémens ,
» nous les recueillons ; la religion les adopte
; plus tendre , plus généreufe que la politique
fi intéreffée à les conferver , elle
» les marque du fceau de fes promeffes ; les
» aumônes que nous follicitons vont rani-
93
mer les principes de la vie dans les veines
" defféchées de leurs mères expirantes ; def-
» tinés aux larmes & aux fouffrances , ces
"
infortunés croiffent fous nos yeux au mi-
» lieu des larmes que nous effuyons , au
» milieu des fouffrances que nous adouciffons....
Aux premiers rayons de leur raifon
naiffante , l'Églife les appelle à fes en-
» feignemens ......
"
" Tranſportons - nous dans les campa-
" gnes , voyons la misère dans fon domaine.
Qu'appercevons- nous dans ces hameaux
» confufément épars ? Une folitude mòrne ,
une nature trifte & languiffante , des toits
delâbrés , des maifons de boue , où la
64 MERCURE
"
» lumière femble ne pénétrer qu'à regret ;
" par- tout la difette & le befoin fous les
" formes les plus hideufes & les plus dégoû-
» tantes ..... Contemplez cette mère pâle ,
livide , foutenant d'une main un enfant
" couvert de lambeaux , & preffant de
l'autre fur fon fein décharné , l'infortuné
qui vient de naître. Confidérez ce père de
famille accablé des fatigues du jour , fixant
» des yeux éteints fur les foyers fombres &
» humides ..... Il revoit ce qu'il a de plus
cher , & le fourire n'eft point fur fes
» lèvres ! fes forces défaillantes ne feront
réparées que par un aliment groffier , dé-
" trempé de fueur & de larmes ; l'efpérance
» n'a point pour lui d'heureux fonges ; à
peine lui promet- elle la vie , c'est- à - dire ,
» cette affreufe fucceffion de travaux & de
peines qui le confument..... Nos Temples
» ont un charme pour ces coeurs défolés ;
ils les regardent comme des afyles de
confolation & des garants de miféricorde .
" Où fuiroient- ils pour le dérober à ce ciel
» de fer qui pèfe fur leurs têtes ? Dans nos
"
ود
ود
villes !..... l'orgueil les méconnoît , le luxe
» les repouffe. Ah ! du moins , dans ces
Temples ruftiques décorés par la feule
préſence de la Divinité qui les remplit , ils
trouvent des frères , des malheureux qui
» leur reffeinblent ! ..... Que dis - je ? ils trou-
» vent plus , ils y trouvent un père. Ce Palteur
, fur lequel la politique peut - être ne
daigne pas abaiſſer les regards , ce Mini) ke
"
DE FRANCE. 65
27
و د
"
ང་
relégué dans la pouffière & l'obscurité des
campagnes , voilà l'homme de Dieu qui
» les éclaire & Phomme d'État qui les
» calme ; fimple comme eux , pauvre avec
» eux , parce que fon néceffaire même de-
» vient leur patrimoine , il les élève au-
» deffus de l'empire du tems , pour ne leur
laiffer ni le defir de fes trompeufes pro-
» meffes, ni le regret de fes fragiles félicités.
» A fa voix , d'autres cieux , d'autres tréfors
» s'ouvrent pour eux ; à fa voix ils courent
» en foule aux pieds de ce Dieu qui compte
» leurs larmes , ce Dieu , leur éternel héritage
, qui doit les venger de cette exhéré
» dation civile , à laquelle une Providence ,
» qu'on leur apprend à bénir les a dévoués.
» Les fubfides , les impôts ,. iois fifcales ,
» les élémens même fatiguent leur trifte
>> exiſtence ; dociles à cette voix paternelle ,
» qui les raffemble , qui les ranime , ils tolèrent
, ils fupportent , ils oublient tout :
je ne fais quelle onction puiffante s'échappe
de nos tabernacles ; le fentiment
toujours actif de cette autre vie qui les
» attend , adoucit toutes les amertumes de
la vie préfente. Ah ! la Foi n'a point de
malheureux ! ces mystères de miféricorde.....
ce traité de protection & de paix
» qui fe renouvelle dans la prière publique
» entre le ciel & la terre ; tout les remue ,
» tout les attendrit dans nos Temples ; ils
» gémiffent , mais ils efpèrent , & ils en
fortent confolés ..
age and ve
"
66 MERCURE
De quel riche amas d'idées acceffoires ,
de combien de mots heureux & d'expreffions
de génie fe forme la beauté générale de
ce morceau !
" Il revoit ce qu'il a de plus cher , & le
» fourire n'eft point fur fes lèvres .
8
• "
» L'efpérance à peine lui promet la vie ,
» c'est- à - dire , cette affreufe fucceffion de
» travaux & de peines.
» Ce Pafteur , fimple comme eux , pauvre
» avec eux .
» Ce Dieu qui compte leurs larmes , ce
» Dieu qui doit les venger de certe exhérédation
civile à laquelle ils font dévoués .
» Je ne fais quelle onction puiffante s'é-
» chappe de nos tabernacles. >>
Sur - tout cette belle & encourageante exclamation
:
" Ah ! la Foi n'a point de malheureux ! ..
» Ce traité de protection & de paix qui
»fe renouvelle dans la prière publique en
» tre le ciel & la terre.
» Ils gémiffent , mais ils efpèrent. "
Rendons hommage au talent , qui , de
tant de beautés, a fu faire une beauté unique,
& ne cherchons pas , avec la trifte diligence
d'un Cenfeur, fi l'éclat de ce talent eft quelquefois
terni par quelque défaut ou par
quelque excès. Tout n'eft pas éloquent dans
le Difcours le plus éloquent ; eft- ce un fi
grand malheur que l'efprit rempliffe les intervalles
, & ne laiffe aucune place à l'infipidité
?
DE FRANCE. 67
LE Produit & le Droit des Communes ,
in- 8°. A Paris , chez la Veuve Duchefne,
Libraire , rue S. Jacques ; Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguſtins ;
Jombert , Libraire , rue Dauphine ; Lamy
& Onfroy, Libraires , quai des Auguſtins ;
aux Palais Royal & Marchand ; quai de
Gêvres , & vis-à- vis l'Opéra , 1782.
On trouve dans cet Ouvrage une érudition
prodigieufe. L'Auteur a confidéré
fon fujet fous différens points de vue , en
Politique , en Jurifconfulte , en Cultivateur
; il a ramaffé beaucoup de faits , beaucoup
de loix , beaucoup d'idées & de projets.
La matière eit en effet très - intéreſſante
à tous égards. Les Communes, fi nombreufes
dans le Royaume , ne font prefque plus
que de vaftes territoires incultes & dépouillés
des arbres utiles qui les couvroient
toutes au temps de nos ayeux ; les bois
n'ayant aucune valeur , étoient abandonnés
par les Seigneurs à la difcrétion de leurs
tenanciers , qui les ont ravagés par des coupes
fucceffives. Les beftiaux qu'on y menoit
paître en dévorant les rejetons , firent
fuccéder les bruyères , les genêts & les ronces
aux plus fuperbes forêts.
w
Des troupeaux étiques viennent chercher
dans les vaftes déferts quelque chétive,pâture,
& perdre le plus précieux des engrais.
.68 MERCURE
Les vrais Philofophes , qui fe font fait
de nos jours un devoir d'abandonner les
fubtilités d'une métaphyfique fouvent dangereufe,
& tou ours inutile, pour s'attacher ,
parmi les Sciences utiles , à celle dont le but
eft la multiplication & le bien - être des
hommes fur la terre , ont calculé foigneufement
les profits que peuvent donner aux
Cultivateurs ces chétifs pâturages.
Des résultats qui méritent pleine confiance
, ont démontré que les landes , bruyères,
pâtis & communaux rapportent l'un portant
l'autre environ 4 fols par an de produit
total pour chaque arpent.
Le même fol, poffédé par un propriétaire,
mis en prairie , en grains ou même en
bois , rapporteroit au moins 40 livres de
produit total l'un dans l'autre , partie pour
les droits du Roi , partie pour les Seigneurs ,
lés Décimateurs & les Propriétaires , partie
pour les Cultivateurs & les Agens , partie
enfin pour le Propriétaire qui auroit fait les
premières avances foncières , à l'effet de les
rendre cultivables.
A l'afpect de cette vérité , trop fenfible
pour être conteftée ou même ignorée des
hommes les moins inftruits , il eft tout naturel
de defirer le défrichement des Communes,
& de former des projets pour accélérer
cette révolution .
Avant que l'Auteur de la Science économique
eût pris pour bafe de toute fpéculation
politique le calcul des avances , & cette
DE FRANCE. 69
fatale diftinction du produit total d'avec le
produit net , diftinction fi déplaiſante aux
beaux efprits fuperficiels & aux exacteurs ,
dont elle rend les ſyſtêmes viſiblement abfurdes
& pernicieux , on croyoit , on diſoit ,
on écrivoit qu'il ne falloit qu'un partage de
terres,& des bras pour cultiver les portions
qu'on auroit concédées.
Des bras , difoient nos génies , des bras ,
des bras ; voilà ce qu'il nous faut , puifque
nous avons de bonnes terres.
Des avances , de grandes & riches avana
dit le premier, abfolument le premier
de tous , & long- temps feul.
Cet homme fimple & fublime , que j'ai
nommé le Confucius d'Europe , & que je
continuerai de défigner par cetitre en croyant
honorer celui d'Afie. Des avances , voilà ce
qu'il faut à la meilleure terre & aux bras les
plus vigoureux ,
: Le Prince qui difoit « Pour faire la
guerre on a befoin de trois chofes ; premièrement
, de l'argent ; fecondement , de l'argent
; troiſièmement , de l'argent , n'avoit ,
hélas , que trop raifon , même dans fon
fiècle, où les armées étoient mille fois moins
difpendieufes que dans le nôtre. »
Pour défricher ou labourer , il faut auffi
trois chofes , précisément les mêmes , de
l'argent , encore de l'argent , & beaucoup
d'argent d'avance , mais long- temps d'avance
car la première once de pain ne peut
réfulter d'un défrichement , que dix - huit
70 MERCURE
mois tout au plus tôt après les premiers
travaux .
En attendant il faut avancer les outils &
les femences , l'achat & la fubfiftance des
animaux , les impôts & la folde des ouvriers
agricoles.
Tout le monde convient fans doute aujourd'hui
de ce fait indubitable , fur- tout
quand on s'en avife ; mais avant le Docteur
Quefnay , pas un des Écrivains politiques
n'en avoit fait le principe de toute fpéculation
; & même depuis que fa doctrine eft
publiée , les plus fameux de ceux qui nous
contredifent ne manquent jamais de l'oublier
, & de raifonner précisément comme
s'il ne falloit pas avant tout calculer les
avances foncières du premier défrichement,
les avances primitives en outils , beftiaux ,
meubles des Cultivateurs , les avances annuelles
& fans ceffe répétées des femences ,
falaires & fubfiftances.
Tous les anti-Economiftes, fans exception ,
s'accordent à diffimuler les avances , & furtout
à étouffer cette importune foustraction
des frais à déduire , qui ne laiffent au propriétaire,
fur une grande production totale ,
qu'un très mince revenu quitte & net après
fa repriſe des avances annuelles & de l'intérêt
des avances primitives.
Des expériences bien faites , rigoureufement
calculées & publiquement expofées
depuis long - temps à la contradiction , fans
avoir été démenties même par les plus ar
DE FRANCE. 71
dens de nos Critiques , ont conftaté que pour
défricher nos landes & communes , pour les
entretenir en état de bonne culture , on employeroit
beaucoup plus de trois milliards
d'avances foncières , plus de deux milliards
d'avances primitives , & au moins quatre
cent millions d'avances annuelles.
Voilà précisément ce qui nous manque ,"
outre les bras que réclament les habiles
gens , & c'eft précisément faute de ces millions
que nous n'avons pas de bras.
Et même , quand nous aurions dans le
Royaume les avances qui nous manquent ,
les mettroit-on fur la terre pour défri
cher , pour cultiver ? Demandez - le maintenant
à tous ceux qui, par un zèle très- louable,
en ont voulu faire l'expérience. Ces travaux
fi nobles , fi doux , fi avantageux , donnent
beaucoup de peines & de foins ; ils font
courir de grands dangers de la part des événemens
, le produit en eft malheureuſement
fort mince depuis long temps, par l'augmentation
des frais & des taxes , par les difficultés
des ventes & la modicité des prix ; on n'a
pas même d'efpoir probable d'amélioration
pour l'avenir , mais au contraire la crainte
bien fondée d'un fort moins favorable.
Il eft donc tout fimple que le reste des
capitaux fe verfe à des emplois bien plus
faciles , qui donnent des revenus plus certains
& plus confidérables aux poffeffeurs
actuels , occupés de leurs jouiffances perfonnelles
, ce qui renvoye pour le moins tous
72% MERCURE G
糯
les projets de défrichement à la génération
future.dsdoi oaisy sac
Quand les poffeffeurs des fonds pécuniaires
, qui favent fi bien calculer , trouve
ront que l'emploi le plus profitable à tous
égards de leur argent , fera de mettre en culture
nos terres abandonnées , j'ofe affurer
que toutes les difficultés s'applaniront ; mais
jufques là .....
( Cet Article eft de M. l'Abbé Baudeau. )
LES quatre Saifons , ou les Géorgiques
patoifes , Poëme en quatre Chants , par
M. Peyrot , Prieur de Pradinas , Bénéfi
cier à Millau , Volume in . 12. A Villefranche
, chez Vedeilhié , Imprimeur du
Roi. 97 , ulimi
2
N'ESTIL pas étonnant qu'au fiècle de
Louis XIV , où tous les Arts agréables onr
trouvé des Écrivains , des protecteurs &
même des enthoufiaftes , le plus, utile de
tous les Arts , l'Agriculture , n'ait pas eu
même fon Poëte ? N'eft- il pas étonnant que
Boileau , qui a donné fi longuement les règles
du Sonnet , n'ait rien dit des Poéfies
Géorgiques dont Virgile nous a tranfmis leis
plus beau modèle ? Les Pères Rapini &
Vanière , dit - on , ont écrit fur l'Économie
Rurale de manière à laiffer long- temps le
fouvenir de leurs préceptes . Oui , mais quelì
fruit peuvent tirer les habitans de la campagne
DE FRANCE. 73
gne, de denx Ouvrages compofés dans une
langue qu'entendent à peine les habitans de
la ville ? C'est pour les Agriculteurs qu'il
faut écrire fur l'Agriculture , ou du moins
pour ceux qui aiment cette dernière , & qui
protègent & encouragent les autres ' ; mais les
deux Jéfuites femblent n'avoir fait leurs
Livres que pour les beaux Efprits de Collège
. Éclairés chaque jour par les lumières
de la Philofophie , nous avons été plus fages
que nos ayeux , & nous méritons plus de
bonheur. Indépendamment de plufieurs
bons Ouvrages qui ont paru fur l'Agriculture
, tels que le Traité de la confervation
des grains , par M. Duhamel du Monceau ,
celui des prairies artificielles , divers articles
de l'Encyclopédie , l'Effai fur l'améliora
tion des terres , par M. Patullo , & c... Indépendamment
de ces Ouvrages , fans ceffe il
en paroît de nouveaux , & nous avons des
Journaux , des Gazettes & des Sociétés d'Agriculture.
Faut-il s'applaudir de cette abondance
? Nous en doutons. Si nos ayeux n'ont
point affez écrit fur l'Agriculture , n'eft- il
pas à craindre que nous n'écrivions trop ,
que la vérité ne demeure enfevelie fous les
fyftêmes, & que, femblable au fil d'Ariane ,
il ne foit impoffible de la faifir & de la fuivre
dans ce labyrinthe d'opinions diverſes
& de théories fublimes ? Quoi qu'il en foit ,
l'Agriculture eft fi fort en honneur dans ce
fiècle , qu'elle n'a pas moins occupé nos
No. 23, 8 Juin 1782.
No.23
. D
7A MERCURE
Pottes que nos SSaayyaannss,, && cc''eefstt un moindre
mal fans doute. Ce ne font guères les Poëtes
qui ont fait naître les hérefies , foit dans les
matières de Science , foit dans celles de Religion,
Forcés de ne prendre que la fleur des
chofes , ils raifonnent peu , n'approfondiffent
guères; enfin , la Nature & l'Art feme
blent les avoir bornés à plaire , & c'est beau-,
coup quand on y parvient. Nous croyons
que c'eft en 1769 qu'il a paru pour la première
fois en France un Poëme François fur
lés Géorgiques ; il eft intitulé : Les Jardins
d'ornemens, & divic
en quatre Chants ; fon
Auteur eft M, Gouge de Ceffières. Cet Ou
vrage eft fort peu connu.
2913
Voici un morceau du premier Chant des
Jardins d'ornemens :
Quand Vertumne , étendant ſes tapis de verdure
Au pied de nos vallons richement habillés ,
Fait couler les ruiffeaux fur des lits émaillés , engas
Fayez , dérobez-vous au fardeau des intrigues ;
Et laiffant aux cités les complots & les brigues ,
Laiffant pâlir Plutus fous l'or de fes lambris ,
Sauvez-vous dans le fein de nos hameaux fleuris.
Zéphire vous attend , & Flore vous appelle ;
Tout renaît , tout annonce une
fête nouvelle ;
Parée en ces beaux jours de fes jeunes appas ,
"
La terre va femer fes tréfors fur vos pas,
Quel effaim de beautés ! quels préfens quels frec
300 tacles.br Muse 199 2013-0
DE FRANCE.
Une invifible main prodigue les miracles ,
Le Ciel eft fur la terre ; ornés de cent couleurs
Les prés, les champs , les monts n'étalent que des fleurs ;
Sur la cîme des bois & fous l'herbe qui rampe ,
A l'ombre des marais qu'un long ruifſſeau détrempe
Dans ces fables mourans par le foleil brûlés ,
Ce ne font que bouquets en pompe raTemblés.
·
20
Voilà des vers qui annoncent du talent :
Le Ciel eft fur la terre, eft un hémistiche admirable
, & la multiplicité des fleurs eft
peinte dans ce morceau d'une manière
affez fleurie ; mais le Poëme en offra
très peu qui fe falfent lire avec aurant
de plaifir que celui - là . Intimidé par les réflexions
de l'Abbé des Fontaines ,staqui
avoit prétendu qu'il étoit impoffible de
έτοι ,
faire en françois un beau Poeme fur l'A
griculture , & qui l'avoit prétendu avec une
apparence de raifon , M. de Cellières n'a
traité que des parterres & des fleurs , & s'eft "
traîné avec peine fur les traces de Rapin.
Plus vafte dans fon plan , plus riche dans
fes détails & plus exact dans fes vûes , M.
de Roffet a traité dans fon Poëme de tout
ce qui a rapport à la première fcience de
ana
l'homme. C'eft le Père Vanière , à ce qu'il
paroît , qu'il s'eft propofe pour modèle
fon ftyle répond fouvent à la grandeur de
fon fujet moins fouvent il fe plie & fait
defcendre aux petits détails ; tout le monde
Dij
MERCURE
cependant a admiré & fait par caur fa belle
peinture du coq , & les connoiffeurs aime
Font toujours d'autres morceaux vraiment
eftimables repandus en foule dans cet Ourages
106150
* M. de Saint -Lambert nous femble avoi
9 ion
de beaucoup furpalle fes rivaux
feulement par le but moral qu'il s'eft propofe
dans fon Poëme des Saifons , mais
par l'éloquence , les grâces & l'énergie
qualités rares qui femblent mutuellement
Sexclure , & que ftyle réunit fouvent à
un degré peu commun : c'eft lui qui a vu la
Nature en grand, qui l'a vue en Philofophe,
qui a fu la peindre en Poete , & qui a fenti
ce qu'il peignoit.
Il vient de paroître un Poëme dont nous
efperons bientôt rendre compte , & qui
nous forcera peut-être de renchérir fur ces
éloges . Après avoir traduit les Géorgiques
avec toute la fidélité & l'élégance poffibles ,
M. l'Abbé de Lille afpire à les égaler dans
un Ouvrage original , & bientôt nous pourrons
dire : Et nous aufft , nous avons un
Virgile
,
margoft
ཕྱབ་ ཞེ་
Oferons - nous , après ces grands noms ,
citer celui de M. Peyrot , Prieur de Pradinas
? Un bon & honnête Eccléfiaftique ,
qui vit depuis long- temps à la campagne ,
& qui emploie fes momens de loisirs à
peindre ce qu'il a admiré, vient de publier
en Languedocien un Poeme effimable
fur les beautés de la Nature Le défaut
DE FRANCE
.
de M. de Pradina eft de sappefantir un
peu trop fur de petits objets , & de trop
développer ce qui ne doit être qu'indiques
ce defaut elt celui des Allemands & des
Anglois ; Thompfon Angloisons , Zacharie , Klopstock
font diffus dans leurs tableaux minutieux
dans leurs defcriptions , & les détails chez
eux étouffent quelquefois l'ordonnance du
Poëme. M. le Prieur les a trop imirés dans
cette partie ; un moucheron , un brin d'herbe
une fleur obfcure l'occupent pendant des
pages entières ; il compte les moutons qui
fortent d'une bergetic , les cailloux qui bordent
un ruiffeau , & c ..... Qu'on ne croye
pas cependant que fon Ouvrage foit fans
mérite : les femailles , la taille des arbres ,
leurs maladies , les vendanges , la moillon ,
tout cela y eft peint avec une vérité , tm na-
Veft
turel , une naïveté même qui nnëe peut appar
tenit qu'à un homme qui cft , conime idi, für
les lieux , & qui calque pour ainfi dire à la
vitre les graces de fon modèle. Il y a furtout
au commencement de fon quatrième
Chant une defcription de l'hiver pleine
d'imagination , & que nous citerions en
entier , fi le Poeme n'étoit pas écrit dans
une langue inintelligible à la plus grande
partie de nos Lecteurs : jaloux de les dédommager
de cette privation , nous allons tranf
crire ici la jolie Épître qui précède les Géor
giques patoifes , & qui eft adreffée à M.
Peyrot.
€ bouw / al ob blue iij
i
bre
Toud
4 28)
58
MERCURE
La Naturé fut ton modèle ,
En la peignant tu l'embellis ;
Sous le plus brillant coloris
Son tableau n'eft pas moins fidèle. E
Tu peins fur des pipeaux légers
Des faifons la marche éternelle ,
Nos champs , nos vignes , nos Bergers ;
Et dans leur langue maternelle
Tu parles avec nos Bergers.
Deb
Saint- Lambert en a fait des fages , IL
Fontenelle de beaux efprits 25) ar
Mais je ne vois qu'en tes Ecries acrat
Le ton naïf des premiers âges
De Palès chantre ingénieux ,
De fes moeurs & de fes ufages
Législateur harmonieux , blow cesiv
C'eſt dans tes chants mélodieur y riveted
Que le patois de nos villages
Devient le langage des Dieux.
onɛt 5G
La Nature , à ton Art docile ,
Ramène encor dans nos hameaux
La Mufe riante & facile
Qui , d'Héfiode & de Virgile ,
Jadis enfloit les chalumeaux.
Eh! pourrions-nous la méconnoître ,
Quand tu la conduis dans nos champs ?
Sa grâce n'eft pas moins champêtre ,
Et fes accords font plus touchans.
DE FRANCE. 7.9
Tu nous ravis , tu nous entraînes
Tes vers font des loix fouveraines.
X
1
tan coł
ni) aning u
Que fuivra le peuple pafteur ;
Tu le confoles dans ſes peines
Tu l'avertis de fon bonheur ;
Tu lui fais aimer les retraites,
Ses doux travaux , fes doux loifirs ;
Aux airs charmans que tu répètes ,
Depuis qu'au gré de fes defirs
Il peut accorder fes mufettes ,
Tous les travaux font des plaifirs
Et tous les loisirs font des fêtes.
Jouis du plus doux des fuccès ,
Sois le bienfaiteur des campagnes
Dans nos vallons , fur nos montagnes,
Viens voir les heureux que tu fais.
2
216M
Dic u fais
Le bruit y court que ce Poëme, nb £30)
De tant
d'agrémens
embelli , come along
Fut infpiré par
Triptolême.p
Et fut écrit par Goudouli,
to
Div
MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure
VOUS
de France.
ous n'avez point encore rendu compte ,
Monfieur , de la dernière Séance de l'Académie de
Bordeaux. Je fuis dans l'ufage de vous envoyez
quelquefois des articles de Littérature , & je vous
aurois, donné très - volontiers une notice, de cette
Séances mais quoi qu'on y ait fait peu de lectures ,
on en a fait deux ou trois qui ont été fi intéreſſantes ,
qu'elles méritent qu'on en rende compte avec plus:
d'étendue que ne peut en recevoir une notice de ce
genre . Le gout fans doute fuit les longs détails , mais
Famour du bien public les recherche dans tout ce
qui l'intereffe , & vous verrez , Monfieur , que c'el :
lui qui a dicté les deux Ouvrages dont je me propofe
de vous parler... poste parierende
L'Académie de Bordeaux , depuis quelques an
nées , voit les Citoyens de tous les ordres accourir
en foule à fes Séances publiques. Le goût des Arts
& des plaifirs de l'efprit s'accroît tous les jours dans
cette ville avec les progrès du commerce. L'Architecture
& la Peinture y ont des écoles & une Académie.
Le talent de la Mufique eft bien plus naturel
encore dans nos Provinces , Méridionales ; c'eft- là
furtout que l'on jouit de tous les progrès qu'elle
fait ailleurs . On n'y diſpute point fur Gluck & fur
Piccini ; mais on y chante beaucoup l'un & l'autre.
On fe plaignoit de ce qu'en France la Capitale du
Royaume , la Ville des Arts & des talens n'étoit pas:
placée dans les lieux où la Nature eft la plus belle..
Ce malheur , fi c'en eft un , eft fans remèdes, on ne
1
DE BRANCE.
peut pas changer le ciel de Paris ; mais il eft poffible
de faire naître les Arts & les Talens fous de plus
beaux cieux ; & le temps n'eft pas loin , peut-être ,
où la France aura plus d'une Athènes. On pourravoir
alors fi dans les lieux où la Nature a plus de beautés
& plus de charmes , il naîtra plus de génies pour la
chanter & pour la peindre. Les talens , qui ne femblent
ambitionner que la gloire , ont cependant
cherché dans tous les fiècles des pays célèbres par
tears richeffes. L'efprit du commerce ne paroît pas
d'abord très -favorable au génie des Beaux- Artsy &
Fon ne voit pas trop quel rapport il peut y avoir
entre les calculs d'une facture & l'éloquence de M
Thomas ou les vers de M. l'Abbé Delille. Mais il
faut des plaiſirs à ceux qui ont de la fortune , & des
Arts , des Talens à ceux qui veulent beaucoup de
plaifirs. On ne tarde pas à comprendre que les plus
grandes richelles ajoutent peu à notre bonheur , fi les
gouts de l'imagination ne nous donnent de nouveaux
fens & de nouveaux defirs ; que la vanité de l'opup
lence eft trifte & defsèche les âmes , fi l'opulence
ne crée les talens qui étendent la fenfibilité ; qu'enfin,
Forfqu'on pofsède de grandes fortunes , qui font des
moyens d'abufer de tout , on court trop le rifque de
donner dans des excès groffiers & honteux , fi le
Juxe des Arts n'introduit ces recherches exquifes
ces voluptés de bon goût qui adouciffent les paffions
qu'elle's multiplient. Sans faire même aucunes de ces
obſervations , on recherche les talens par inſtinct
comme tous les autres plaifirs. On a eu long-temps
à Bordeaux pour les Arts cette efpèce de mépris
que les Turcaret & les Chrifalde ont fur le Théâtre
pour l'efprit & pour les connoiffances. Lorfque Montefquieu
, il y a trente ans , voulut ynétablir une
Académie , il ne trouva de Confrères que parmi quel
ques hommes aimables qui cultivoient la Mufiques
& le premier Secrétaire de cette Académie fut un
F
Dv
$2 MERCURĚJ
homme qui n'eut jamais d'autre talent que celui de
jouer de la baffe.Montefquieu y trouveroit aujourd'hui .
des Magiftrats qui raifonnent comme lui fur les Lois ,
des Négocians qui feroient en état d'écrire l'Hiſtoire
du Commerce , & des Antiquaires qui ne font pas
indignes de fouiller dans les ruines de Rome. On
ne peut pas douter que les lumières qui font au
jourd'hui dans certe Académie , ne foient en partie
fon ouvrage ; & c'eſt une très- bonne réponse à ceux
qui ont blâmé l'inftitution de toutes les Académies
de Province.
M. Dupré de Saint- Maur , Intendant de la Province,
qui a ouvert la Séance que nous annonçons
a donné , dans le Mémoire qu'il a lû , une nouvelle
preuve , & une preuve bien forte , de l'utilité de ces
inftitutions.
Son Mémoire roule fur un projet très- important
pour la Province & pour la Ville , mais dont l'exécution
exige que l'Adminiftrateur foir fecondé par
l'approbation & par les voeux de ceux dont le bon
heur l'occupe, M. Dupré de Saint- Maur a trouvé ,
dans la Séance de l'Académie , une occafion bien na
turelle de propofer fes vûes & de confulter l'opinion
publique. Il a rappelé dans fon Mémoire un fait
affez récent encore, puifé dans l'Hiftoire de la Ville
de Bordeaux , & qui prouve combien il feroit
néceffaire que les Adminiftrateurs euffent de ces occafions
de s'entretenir de leurs projets avec le Public ,
& de ne commencer de grands travaux que lorsqu'ils
feroient bien affurés que la Province feroit des voeux
pour les voir achever. Qu'on nous permette de
rappelerici ce fait avant de donner l'extrait du Mé
moire de M. Dupré de Saint- Maur : il concerne M. de
Tourni , dont le nom & la gloire ne font point ren
fermés dans la Guienne , où il a été Intendant. Le
Bienfaiteur d'une Province left auffi de toute la
DE FRANCE. 831
Nation , & la mémoire de M. de Tourni doit ête
chère à toute la France .
On fait que c'eſt à lui que Bordeaux eft redevable
, non-feulement de ce port qui l'embellit &
l'enrichit , mais encore de prefque tous les établif
femens qui ont étendu fon commerce dans les Deux-
Mondes, Mais lorsqu'il y arriva , on étoit en géné
ral trop peu éclairé pour apprécier fes vûes , & on en
fut d'abord alarmé. Il n'y avoit point dans la Province
de ces Affemblées publiques , où des Admi-.
niftrateurs éclairés peuvent communiquer leurs lumières
& détruire les préjugés qui s'opposent à leurs
deffeins. On l'accufa bientôt de ruiner le commerce,
qu'il vouloit agrandir , de bouleverfer la ville , ou
tous les jours s'élevoient fur fes plans des édifices,
élégans & utiles. M. de Tourni favoit vouloir trèsfortement
le bien qu'il voyoit ; les cris de l'ignorance
ne le faifoient point douter de fes lumières . Il ne
fut point ébranlé dans fes deffeins lors même qu'il
apperçut Montefquieu dans la foule de ceux qui les
combattoient. Les obftacles redoubloient fon actvité.
C'eſt une tradition conne à Bordeaux , que fa
Lampe étoit conftamment allumée deux ou trois,
heures avant le jour; & nous remarquerons ici
dans le temps ου ce n'étoit
pas encore la prétention
des hommes en place de gouverner les peuples du
fein de la molleffe & des plaifirs , & d'avoir un génic
qui difpenfe de tout travail on favoit toujours
T'heure à laquelle fe levoient les hommes qui exer
çoient des fonctions publiques, Mais il eft un cous
rage plus rare dans les hommes de ce caractère , &
dont ils font privés par une fuite de leurs vertus
mêmes ; c'eft celui de fupporter avec conftance les
injuftices de l'envie & le crime de l'ingratitude. Au
milieu des affaires & dans l'exercice de l'autorité
M.de Tourni avoit confervé toute la fenfibilité de fo
coeur. Il vouloit être aimé d'une Province à laquelle
7
.J
i que
Dvj
$4
ROMERCURE
il s'étoit attachépar fes bienfaits . Il pardonnoit aifement
que l'on combattit les opinions & fes deffeins ;
it lui étoit douloureux qu'on accusât fes intentions, &
qu'on le regardât comme un de ces hommes qui
ne deviennent les dépofitaires de l'autorité qu'en
promettant d'être les ennemis de las Nation. Ces.
foupçons inquiets , ces accufations affreuſes portèrent
dans fon âme une douleur qui devoit être
mortelles le chagrin vint épuifer des forces affoiblies
déjà par le travail ; & il mourut loin de cette
ville , qu'il avoit enrichie & décorée , en regrèitantde
n'avoir pu remplir tous fes plans de bienfaifance
. Aujourd'hui fa mémoire eft adorée à Bordeaux
; on fe hâte de le nommer à tous les étrangers:
qui vifitent les monumens de cette ville opulente :
c'eft lui que les Citoyens propofent pour modèle à
tous les Intendans qui arrivent dans la Province , &
c'eft lui que fe propofent d'imiter tous ceux qui ont
des talensy des vertus , l'amour & le courage de la:
gloire. La gloire de cet Adminiftrateur , a dit M ..
Dupré de Saint-Maur dans fon Mémoire , doit faire :
Fambition , mais peut- être auffi le défefpoir de tous
ceux qui font appelés à la même place. M. Dupré de
Saint- Maur eft trop modefte. En lifant fon Mé
moire , il eft impoffible de ne pas convenir que , pour
mériter la gloire de M. de Tourni , il ne lui manque.
que de faire exécuter les plans qu'il y propofe.
Il en a propofé plufieurs , & bientôt ils feront
tous connus. M. Dupré de Saint-Maur a promis de
faire imprimer le Mémoire avec des plans figurés
Nous ne parlerons ici que du plus important de
rous , & de celui que l'efprit peut faifir le plus aifément
fans le fecours des cartes & des figures !
Bâtie fur un terrein marécageux , la ville de Bordeaux
a été fujette dans tous les temps à des mala→
dies épidémiques. L'automne dernier encore elles y
ont exercé de fi grands ravages , que la terreur , qui
DIE ERANCE.
exagère tout , a publié que la pefte étoit dans cette
ville. On m'a afluré fur les lieux mêmes , que des
maifons , habitées par dix à douze perfonnes , étoient
demeurées défertes ; & il n'eft pas étonnant que l'on
exagère un peu dans de pareilles calamités.
Des maux fi grands , & qui en annoncent de
plus grands encore , parce que des eaux crou
pillantes deviennent tous les jours plus nuifibies ,
éroient bien propres à attirer l'attention d'un Adminiſtrateur
ſenſible & éclairé. M. Dupré de Saint-
Maur ne cherchoit que les moyens les plus sûrs &
6 les plus faciles de deffécher des marais , & ces moyens,
oit les a trouvés dans un projet dont l'exécution agran-
19 diroit, le commerce , & formeroit autour de la ville ,,
ɔ du côté oppofé à la Garonne , un fpectacle prefque
auffi impofant que celui de fon port. Il propoſe douvrir
à plus de vingt pieds au deffous de tous les terporeins
fubmergés , un canal qui les côtoyeroit ou les
traverferoit tous , qui s'arrondiroit en un demi - cercle
dont les deux extrémités iroient aboutir à dal Gatonne
, &ifornieroit ainsi , autour de la ville dans
220l'étendue de quatre à cinq mille toifes , une ceinture
ab d'eaux vives & courantes.sldags, that imp RUS
Hofuffit d'expofer ce projet pour en faire fentir la
grandeur & la beauté. La ville entière de Bordeaux
fembleroit s'élever du milieu des eaux comme Venife
ou comme Amfterdam. Les avantages qui en
réſulteroient font en fr grand nombre , qu'il n'eft pas
auffiaifé de les appercevoir N
20803 J
9. Le premier objet , le grand objet feroit rem
pli ; ces eaux fi funeftes , lorfqu'elles font ftagnantes ,
épureroient l'air qu'elles corrompent , du moment
qu'elles feroient vives & courantes dans un canal.
2. Ces marais immenfes , dès qu'ils feroient defféchés
, deviendroient des terres fécondes pour l'Agriculture
, & nourriroient les hommes qu'ils em
poifonnent. zastaa dadak,
T
865- MERCUREC
38. Il s'établiroit par ce canal une navigation de
décail qui en débarraffant le port de la Garonne ,
le laifferoit tout entier au grand commerce. On
pourroit placer le long des quais & l'Hôpital de S.
André , dont on veut changer la place , & tous ces
Artifans qu'une police éclairée doit toujours éloigner
du centre des villes ; il pourroit s'y élever de
ces manufactures. qui exigent de vaftes emplace
mens; & Bordeaux , qui ne connoît guères que le
commerce des productions naturelles de la terre ,
s'enrichiroit encore par le commerce des matières
manufacturées. 1525
4. Une grande idée tient à de grandes idées , &
le bien produits le bien. Les terres qui proviendront
de l'ouverture du canal pouvoient embarraffer l'Auteur
du projet. Tranſportées fur les bords de la Ga⭑
sonne , elles deviennent, dans le plan de M. Dupré de
Saint-Maur , des moyens de perfectionner l'ancien
port , & d'y faire des ouvrages très - utiles , même
très-néceffaires à la grande navigation. La Garonne
par un mouvement qui dirige fon cours avec force
vers la rive oppofée à la ville , en détache continuel
lement des terres , qu'elle roule & atténue, dans l'agi
tation du Aux & reflux ; & qui vont former un banc
de fable à quelque diftance des quais du port. Ce
banc de fable peut s'accroître au point de gâter abfolument
le plus beau fleuve du Royaume , & d'y
rendre toute navigation impoffible ; il occafionne
déjà beaucoup de perte de temps , & l'on fait que le
temps eft une des richeffes qu'il faut le plus calculer
dans les profits & dans les pertes du commerce. M.
Dupré de Saint-Maur propofe de faire tranfporter
les terres du canal dans cette partie de la rive que
la Garonne ronge fans ceffe , de les faire fervir à
contenir & à repouffer le fleuve , qui , diftribuant
alors avec égalité la force de fon courant , entraîne
roit bientôt le banc de fable qui menace de combler
DEFRA NICE.
une partie de fon lit. Ce n'eſt pas tout dans
l'étendue des quais ou de la jetée qu'on feroit au
moyen de ces terres, on pourroit, de diſtance en diftance,
ouvrir des baffins pour y carénerles vaiffeaux.
Cette opération dangereufe fe fait aujourd'hui au
milieu de la rivière , au milieu de tous les vaiffeauxqui
rempliffent le port ; & l'expérience a fait voir..
quels accidens affreux cela peut occafionner. Plus
d'une fois on a été au moment de voir tous les vaif
feaux incendiés & toute la rade en feu . Les baffins
que l'on ouvriroit feroient des afyles sûrs où l'on
caréneroit les vaiffeaux en les féparant de tous les
autres. Il y a plus encore : la crainte de ces incendies
a été la plus forte raifon que l'on ait opposée au
projet de jeter far la Garonne un pont de bois o
fur bateaux. On n'auroit plus cette raifon à oppos
fer , & Bordeaux auroit le pont que fes Citoyens &
les étrangers demandent depuis fi tong- temps.M
M. Dupré de Saint- Maur, accoutumé, par fa place
même, à faire des opérations plutôt que des projets,
ne s'eſt point livré à celui - ci fans fonger aux moyenst
de fe procurer les fonds néceffaires pour fon exécation
Il prouve d'une manière invincible que le canal auge
menteroit prodigieufement les droits que la Ville &
le Souverain perçoivent aux entrées de Bordeaux ;
que fi la Ville ou le Monarque faifoient les avances
des frais , qui ne s'éleveroient guères à plus de trois
ou quatremillions, ils en feroient remboursés dans un
affez petit nombre d'années. Il fait entendre que dans
le cas où le Gouvernement & le Corps Municipal de
Bordeaux craindroient de faire ces avances , on trouve-›
roit fans peine des Compagnies qui feroient les fonds,
fun Arrêt du Confeil leur affuroit, pour un temps
donné, les augmentations de revenu qui en résulte
roient pour le Souverain & pour la Ville. M. Dupré,
de Saint-Maur apperçoit dans un avenir très -prochain
le moment où certes augmentation de reve
883
MERCURE
C
nus , libre de toutes charges , donnera les moyens de
faite d'autres établiſſemens qui manquent à la
Ville; comme par exemple , une Chaire d'Archie
tecture Navale cet Art , fi important dans une
Ville de commerce , y eft abandonné à la routine des
Conftructeurs. *
la
On ne peut affez admirer
la fuite & l'enchaîne
→ >
ment de ces vues & de ces projets ; leur nombre
,
loin d'en rendre
l'exécution
plus difficile
,
rend au contraire
infiniment
plus aifée
, parce
que les uns fervent
à exécuter
les autres , & que ce
qui paroîtroit
prefqu'impoffible
pour un feul , devient
très facile pour tous.
o mais el
Uneplace n'eft jamais fubordonnée quand on ya
porte autant de lumières & de bienfaitance 30185
PAdminiftrateur d'une Province , quand il remplit
ainti fes fonctions , peur élever fon nom au rangs
des noms célèbres des Hommes d'État. M. Turse
got n'étoit encore qu'Intendant du Limoufing, & {
par le bien qu'ily avoit fait , il avoit déjà la réputar ®
tion de tous les talens qu'il a montrés depuis dans
une place plus élevée.
GM 06 DSL
b
M. le Préfident Dupaty lut enfuite um Difcoursin
dans lequel il a tracé le plan général & développés
de fon Ouvrage fur les loix criminelles. Cet Ou ,
vrage s'avance au milieu de ces fonctions pénibles
dans lesquelles , comme dit Montesquieu , le Magif
wat ne trouve que le travail après le travail. I ofte
beau de fe dévouer à la fois aux détails d'un Minifət
e des loix & aux méditations d'un Légiflateur. I
M. l'Abbé de Pont de Jumaux a déjà ouvert à Bor
deaux un Cours gratuit & public de Mathématique &
d'Hydraulique ; il a mérité fans doute qu'on jetât les yeux
fur lui pour la Chaire d'Architecture Navale , & qu'on le
récompensât des fervices qu'il a déjà rendus en lui donnant
les moyens d'en rendre de plus grands encore : c'efti
ainfi qu'on récompenfe le zèle & l'amour du bien public..
DE FRANCE
ne faut pas blâmer Montefquieu, qui vendit fa
Charge de Préfident à Mortier pour ne s'occuper
que de fes Ouvrages. On le blâma dans le temps ;
on lui fit le reproche d'abandonner fa place & fes
devoirs pour aller courir l'Europe en chaife de pofte,
& pour errer dans les bois & les prairies Angloifes
de la Brède. Il répondit à ces reproches en publiant
PEfprit des Loix. La réponfe étoit affez bonne , ce
me fenible ; mais il eft probable qu'elle ne fut pas
bien comprite de ceux qui faifoient les reproches.
Avouons cependant que s'il avoit créé cet immortel
Ouvrage en continuant de remplir les fonctions de
la Magiftrature , la beauté de fon génie recevroir
un nouvel éclat , un nouvel intérêt du moins , des
vertus qu'il auroit exercées dans fa place ; & s'il fauta
efpérer de retrouver fon talent , c'eft fur tout dans
ceux qui ont l'ambition de faire plus de bien encore .
aux hommes. M. le Préfident Dupaty avoit raffem
blé dans fon Difcours les vûes & les divifions prin
cipales de fon Ouvrage. If a voulu confulter & re
cueillir cette première impreffion d'une multitude
affemblée qui ne paroît pas trop capable de juger
un Ouvrage philofophique , mais dont les fenfa
tions cependant , les plus rapides même , font fijuftes
& fi infaillibles fur tout ce qui regarde les crimes,
les vertus , la juſtice naturelle & la juftice fociale.
La multitude a dans ce genre uncertain inftinct
obfcur , mais vif, qui la dirige mieux que toutes les:
lumières de la réflexion. C'est parce que cet instinct
fut fouvent confulté , que les Anciens , qui n'ont ja
mais fait que de mauvais Ouvrages fur la Légifla❤
tion, ont eu de fi belles idées fur les Loix. Heureux,
difoit Beccaria , fi je puis exciter ce fréiniflement in
volontaire par lequel les ames fenfibles répondent à
la voix de l'ami de l'humanité ! M. le Préfident
Dupaty a joui de ce bonheur. Des tranfports & des..
"
3
DO MERCURE
applaudiffemens redoublés lui ont fait connoftre fes
émotions qu'il répandoit dans l'Affemblée .
Ad Ileft des temps heureux où l'on ne peut pas par
ler du bien que l'on defire fans parler de celui que
l'on voit , ou les voeux que l'on fait pour le bonheur
des hommes s'adreffent à leurs bienfaiteurs , où les
eris des befoins font toujours adoucis par les témoi
gnages de la reconnoiffance ; M. le Préfident Dupaty
s'eft félicité d'écrire fur le perfectionnement des Loix
fous un règne où les opérations du Gouvernement
fuivent toujours de fi près & devancent même ſou
vent les lumières de la Philofophie. Un des mor
ceaux de fon Difcours qui a produit le plus d'effet ,
eft celui où , au nom de la Nation , il a remercié lè
Monarque & le premier Miniftre de la juftice de
l'aboliflement dela queftion préparatoire.com ?
L'Éloge de Voltaire , dont on trouve le nom & le
génie dans toutes les queftions qui intéreffent l'hu
manité, reçut auffi de vifs applaudiffemens . 32 A
Le Difcours fut terminé par un morceau dans
lequel M. Dupary faifoit voir que la politique des
Cours & des Miniftres commence à fe régler aujour
d'huifur les principes de la justice & de la légiftal
tion. Cette vue générale fur l'état actuel de la politi
que, amena l'éloge ou plutôt le portrait de ce Minit
tre dont les opérations font devenues celles de prefque
tous les cabinets; qui , en faiſant prendre les
armes à la France en faveur des droits d'un peuple
libre , a en la gloire de faire fuivre à une grande
partie de l'Europe le bet exemple qu'il a donné à la
torre ; qui , en faisant combattre nos Guerriers dans
le Nouveau-Monde pour la caufe de l'humanité , à
formé pour fa Nation des Héros dont toutes les Nations
refpecteront & chériront la gloire ; dont le
nom enfin arrivera à l'immortalité gravé à - la- fois
par la reconnoiffance dans l'Hiftoire de l'origine
velinot ex. & tengok K
L
DIE FURANCE. of
de treize Républiques , & dans celle de l'une des
époques les plus brillantes d'une Monarchie illuftre
depuis tant de fiècles . M. le Préfident Dupaty lui
appliqua ces belles paroles de Sénèquells eft nort
feulement l'Agent de fon pays & de fon fiècle , mais
Homme d'Affaires de toutes les Nations & de la
Poftéritéń isq da obs auopa , ind) aróis
L
Dom Carrère , Bénédictin , connu par un genre
de travail & de mérite qui a rendu fon Ordre célè
bre , par des Recherches favantes & une grande
érudition , termina la Séance dont je vous rends
compte , Monfieur par la lecture d'un Profpectus
fur l'Hiftoire de la Guyenne. Son objet fut de
fixer les époques qui partagento cette Hiftoire , &
de donner une idée de la méthode & du ftyle qu'il
fe propofe d'employer dans fon Ouvrage. Pour le
ftyle , que Dom Carrère nous permette de lui obfer
ver qu'il feroit trop dangereux de vouloir écrire d'un
même genre dde ftyle une multitude de faits très -diffe
rens par leur nature & par les impreffions qu'ils
doivent produire ; qu'il fuive l'inftinct naturel de fon
efprit & de fon talent , & fi fon talent eft vrai ,
fon efprit eft jufte , il verra qu'il trouvera toujours le
ftyle qui convient aux faits fans l'avoir cherché
péniblement d'avance. Tacite & Tite Live n'écri
vent pas de la même manière , & tous les deux ont
une manière admirable à coup-sûr ce ne font
pas les pédans & les Rhéteurs de Rome squin la
leur ont donnée. Quand on lit les Lettres de Mme
de Sévigné , où l'on trouve dans la même page tous
les tons & tous les genres , on a quelque pitié de ce
qu'on a pris la peine d'écrire fur le genre épiftolaire
beaucoup de gens ont penfé que les règles ne font
utiles qu'à ceux qui pourroient à-peu-près s'en paffer,
& j'avoue bien que je fuis de l'avis de ces
gens- là.
·
J'ai l'honneur d'être, Monfieur , &c. Garat,
91
MERACTURE
GRAVURES.
CREATION d'Eve , Eftampè de 20 pouces 6 lignes
de hanteur , fun 14 pouces 6 lignes de largeur , gravée
d'après le Tableau original de Procaccini , par
Héméry. Prix , 9 livres. A Paris , chez 1
ateur , rue
S. Jacques , entre la Place de Cambrai & le Collège
du Pleffis , maifon d'un Tapiflier.
Cette Eftampe , dédiée à Mme la Comteffe d'An
giviller , eft gravée, avec foin & propreté. Eve y eft
repréfentée fans nombril, caractère, diftinctif de la
première femme & du premier homme , & qui
paroît avoir échappé aux Artiftes qui ont traité le
même fujet,
La mort de Lucrèce , gravée par L. J. Catelin
d'après le Tableau Prix , 6 livres.
A Paris, chez Catelin , rue du
de A.
Pellegrinoule
, mailen
d'une Marchande d'Eftampes.
Cafcade dans les Rochers de Roncilione près de
Rome & l'Escalier des Laveufes de Charenton
gravés par Maugin , d'après deux Tableaux de
Robert. Ces deux Eftampes font pendant , & fe
vendent chacune 1 liv. 4 f. A Paris , chez Maugin
rue des Francs - Bourgeois, maifon d'un Limonadier.
11
Quatorzième Livraison des Estampes qui doivent
entrer dans la Minéralogie du Dauphine , par M.
Guettard , & qui paroîtra le 15 de ce mois , in -folio.
Prix , 12 liv . A Paris , chez Cellor , rue Dauphine.
Treizième Livraifon de la Defeription particu
liere de la France , Gouvernement du Dauphiné ,
contenant huit Eftampes , in -folio Prix , 12 livres
pour Paris , & pour la Province & les Pays étran
gers , 14 liv. 8 fols. A Paris , chez Mafquclier , tue
des Francs - Bourgeois, bony 41 sono s
DE FRANCE.
93
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ON vient de mettre en vente à l'Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , le Tome VI du Supplément à
#Hiftoire Naturelle , par M. le Comte de Buffon ,
contenant de nouveaux Supplémens aux Quadrupedes
, Volume in- 4 ° . Prix , 15 liv. en blanc ; 15 liv.
to fols broché ; 17 liv. relié.
Nota. Ce Volume ne peut fervir qu'aux Perfonnes
qui ont la grande Édition in-4° . avec la partic
Anatomique.
Les Numéros , Volume in - 12 , deux Parties. Prix ,
2 liv. 8 fols broché. A Paris , rue & Hôtel Serpente.
Confideration générale fur l'Education adreffée à
Auteur des Réflexions détachées fur les Traités
d'Education inférés dans le Mercure ae Février de
la préfente année 1782 , in-8 . A Bouillon ; & à
Paris , chez les Libraires qui vendent les Nouveautés ,
& chez M. Beguillet , au coin de la rue du Paon.
Confiderations fur les Montagnes volcaniques ,
par M. Collini , in - 4 ° . , accompagné d'une Carte.
A Manheim. Prix , 2 liv.
Penfées fur les Femmes & le Mariage , dédiées
aux Hommes , par un vieux Militaire , troi Parties
in- 12 . Príx , 3 liv. 12 fols brochées, A Kehl ; & fe
trouve à Paris , chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Manuel de Morale , Volume in-12. Prix , I livre
10 fols broché. A Paris , chez Fournier , Libraire ,
rue du Hutepoix.
Effais Hiftoriques & Politiques fur la Révolution
de l'Amérique Septentrionale , par M. Hillard d'Auberteuil
, Tome II , première Partie , in - 8 . A
94 MERCURE Q
Paris, chez l'Auteur , rue des Bons - Enfans - Saint-
Honoré.
Bibliographie inftructive , in - 8 ° . , Tome X.
Prix , 2 liv. 8 fols . A Faris , chez Gogué & Née de
la Rochelle , Libraires , quai des Auguftins.
N°. 6 de l'Ami des Enfans , par M. Berquin. A
Paris , chez Piffor & Barrois , Libraires , quai des
Auguftins,
107 22
Tome quarante- deuxième de l'Hiftoire Univerfelle,
nouvellement traduite de l'Anglois , par une Société.
de Gens de Lettres , in - 8 ° . A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins.
241
4
Dictionnaire raisonné & univerfel d'Hiftoire Nasarelle,
par M, Valmont de Bomare , troisième Edition,
revue & confidérablement augmentée par l'Au
teur. A Lyon , chez Jean - Marie Bruyfet père &
fils , 1776 , 9 Vol . in - 8 ° petit format ; & à
Paris , chez Alexandre Jombertjeune , Libraire , rue
Dauphine. Prix , 45 liv reliés en veau. Cette Édition
faite d'après les dernières augmentations de l'Auteur
, qui en a lui - même foigné l'exécution , étoit
déjà connue comme la feule, avec l'Edition de
Paris , qui méritât la confiance du Public ; mais par
une fuite des conventions faites entre les Éditeurs
de Paris & ceux de Lyon , elle n'avoit pas été répandue
dans la Capitales des circonftances particulières
ayant mis entre les mains des fieurs Bruyfet père &
fils la totalité du Privilège de cet excellent Ouvrages
ils croient de
devoir annoncer cette Edition , devenue
la feule originale depuis que celles de Paris font
'épuifées ; avis d'autant plus intéreffant pour les
Acheteurs, jaloux des bonnes Éditions , que depuis
quelques années on a annoncé en Suiffe & ailleurs
plufieurs contre- façons du même Ouvrage, og ko
DE FRANCE. DS
Traité des Vapeurs , par M. Duchalle , Docteur
en Médecine. Vol . in- 18. Frix , 1 liv. 4 f. A Sens,
chey Tarbé & Carigni , Libraires.
Aux Auteurs du Mercure de France.
MESSIEURS
Dans l'Hiftoire de Charlemagne que je viens de publier
il eſt parlé, Tome II , pages 101 , 114 , 118 , 192 , 222
des diverfes Médailles relatives à quelques événemens du
règne de ce Prince je m'apperçois un peu tard que la manière
dont je me fuis exprimé en parlant de ces Médailles
pourroit induire en erreur les Lecteurs peu verfés dans ces
matières , en leur perfuadant que ces Médailles font réels
lement du temps auquel elles fe rapportent, au lieu qu'elles
n'ont été imaginées que plus de huit fiècles après par
Graveur Jacques de Bie , qui prétend cependant les avoir
tirées des Cabinets des Curieux , & qui le dit expreffement
au Roi Louis XIII , dans l'Epitre Dedicatoire de la France
Métallique. En conféquence Mézeray , dans fa grande Hif
toire , reproduit ces mêmes Médailles , qu'il dit avðir, tug
fabriquées fous chacun des règnes auxquels il les rapporte in
La vérité eft qu'elles paroiffent être pour la plupart de
l'invention de Jacques de Bie . Il y en a 18 pour le règne
de Charlemagne. L'expreffion dont je me fuis fervi , en
parlant de ces Médailles eft encore plus vicieuſe ada page }
234 , où il s'agit du Baptême des Saxons ; on y lit ccs,
mots : co Charlemagne , croyant avoir converti les Saxons,
» parce qu'il les avoit baptifes , fit frapper à ce fujet une
» Médaille , &c, »
C'eft une inadvertance complette , & qui n'avoit pas
Juême pour excufe chez l'Auteur , comme chez quelques
autres , l'ignorance du fait concernant le Graveur de Bie.
Il faut donc lire; Charlemagne croyoit avoir converti les
» Saxons parce qu'il les avoit baptifés ; on a fait à cesujet
» une Médaille & c. »
GAILLARD
, Sh
.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PROSPECTUS.
Les Eſſais de Michel , Seigneur de Montaigne , 3 vol.
grand in- 8 °. 24 liv. , & 3 vol . in 4. 48 liv. De la
Sageffe, par Charron , I yol in 8 12 liv. , & 1 vol, in- 4º .
24 liv. , propofés par foufcription ou "foumiffion ; le prix
୭ % MERCURE
fera donble en papier d'Hollande. A Paris , chez J. Fr.
Baftien , Libraire & Editeur , rue du Petit Lyon , près la
nouvelle Comédie Françoife , & chez les principaux Libraires
des différentes Villes . Ces Ouvrages , montés à un
prix excelfif , par le peu d'exemplaires des éditions exactes
& correctes , qui ne permettoit plus qu'aux riches
Amateurs de fe les procurer , font actuellement fous
prefe , & l'on apporte l'attention la plus fcrupuleuse à
F'exécution & à Pexactitude Typographiques. On fuit
pour l'impreffion les textes les plus purs , les plus corrects
& les mieux vérifiés ; on ne fe permet ni changemens ni
commentaires. Ces Ouvrages ne feront tirés qu'à 600 grand
in-89. , dont so papier d'Hollande , & à 160 in-4°., dont
25 papier d'Hollande. Ils feront ornés chacun du Portrait
de fon Auteur , deffiné & gravé par d'habiles Artiſtes , &
ils paroîtront fucceffivement . On fera libre de foufcrire en
payant moitié, ou de donner fa foumiffion de les prendre
après l'impreffion , jufqu'au mois de Juillet prochain
époque où les Effais de Montaigne paroîtront. Paffé ce
temps , les prix augmenteront d'un tiers. Les Cuvres de
Rabelais , Docteur en Médecine , avec le Portrait de l'Auteur,
& la clef néceffaire pour l'intelligence de l'Ouvrage ,
2 vol.grand in 8º. 15 liv. ou 2 vol. in-4 . 36 liv. , & le
double en papier d'Hollande , paroîtront à la fuite des On
vrages ci-deſſus , & fe délivreront à la mème adreſſe & aux
mêmes conditions.
-
01
TABLE
49 Les quatre Saifons , 72
EPITRE
Enigme
& Logogryphe
, 54 Lettre
au Rédacteur
du Mer
Sermon
pour l'Afemblée
excurede
France
,
traordinaire
de Charité
, s Gravures
»
Le Produit & le Droit des Annonces Littéraires ,
Communes , ·67'
80
92
93
APPROBATION.
le
J'AI 'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercure
de France , pour le Samedi
8 Juin. Je n'y al
rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreſſion
. A Paris,
že 7Juin 1782. DE SANCY
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS JUIN 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte du NORD , récités à
la Séance de l'Académie Françoife , le
Lundi 27 Mai 1782 .
PIERRE eft votre modèle ; en vetre âme il refpire :
Pour le créer un peuple il quitta fon Empire ;
A mériter la gloire , inftruit par les travaux ,
De fes profonds deffeins fa grandeur fut l'ouvrage
Il fut voir & penfer , & voyager en lage,
Avant de régner en Héros.
Au loin dans l'avenir fa vûe alloit s'étendre :
Capable de tout faire , il voulut tout apprendre ,
Interroger les Cours , obferver les États ;
L'étude infatigable y conduiſit ſes pas.
N°. 24, 15 Juin 1782 ..
MERCURE
Tandis qu'il parcouroit cette carrière immenfe ,
La méditation le fuivit en filence ,
Et lui développa tous les fecrets des Arts ,
Qui fécondoient fon âme en charmant fes regards.
Riche de leur conquête , il couvrit la Ruffic
Des trésors amaffés dans fon yafte génie ,
Sema dans les déferts qu'il changeoit en cités ,
Ces germes que leur fol n'avoit jamais portés ,
Ces fruits que tranſplantoit ſa main ſavante & sûre ,
Ces fruits dont CATHERINE embellit la culture .
AUJOURD'HUI ce grand Homme ouvre les yeux fur
yous :
Son ombre eft de vos pas la compagne affidue ,
Et pour voir PETROVITS , au Louvre defcendue ,
Vous contemple affis parmi nous , as.
Dans ce même Lycée , où jadis la préſence
Honora les Beaux- Arts qui régnoient dans la Frances
Il vint les conquérir & vous les poffédez .
Que fes mânes , émus d'une noble tendreffe ,
Doivent à votre afpect treffaillir d'alégreffe !
Que fon Peuple , hâtant fes deftins retardés
Venge le long oubli qui couvrit fes ancêtres
Grâces à vos progrès , à vos hardis travaux ,
Ruffes , ceux qu'autrefois vous appelliez vos Maîtres,
En vous avant le temps ont trouvé des rivaux.
La Baltique blanchit fous vos nombreux vaifſeaux ,
Et porte avec orgueil vos poupes triomphales ;
Elle baigne à Cronſtat ces arſenaux , ce fort ,
DE FRANCE.
Cet immenfe dépôt des richeffes navales';
Et ce Génie altier , le Dieu des mers du Nord ,
Du fond de fon palais de glace ,
Se réveillant au bruit de vos fiers armemens ,
Vient s'affeoir fur vos bords , où la victoire entaſſe
Les dépouilles des Ottomans.
Vous mêlez dans vos jeux la pompe Aſiatique ,
It des Européens le luxe ingénieux ,
Et l'appareil guerrier , attribut héroïque
Des Scythes , vos premiers ayeux.
Moſcow , célébrant vos conquêtes ,
Du Capitole antique a retracé les fêtes;
Et ce fpectacle fi vanté ,
Ce comble des grandeurs où peut atteindre l'homme,
Pour la première fois , à ſa folemnité ,
A joint ce qui manquoit aux triomphes de Rome ,
La Juftice & l'Humanité.
MAIS ce n'eft point affez d'être grand , redoutable;
La gloire s'embellit du talent d'être aimable.tansuza
Les leçons des Neuf-Soeurs , le goût , l'urbanité ,
Tous les Arts , ornemens de la Société,
Le fecret de jouir , le defir de connoître ,
Les plaifirs épurés que l'étude fait naître ,
Seuls des peuples polis achèvent le bonheur , men ed
Font chérir encor plus les vertus d'un grand coeur : «
Les vôtres ont ce charme ; oui , Prince , & leur puiſſance
Nous fait fentir que déformais agrid of
E ij
aco MERCURE
Le Ruffe , heureux en tout , ne peut plus aux François
Ehvier que votre préſence,
Le pauvre près de vous trouve la bienfaifance ;
Tout ce qui vous approche y trouve la bonté.
Avec vous le fage s'éclaire 5
Votre enjouement , votre gaîté
Aux Courtisans jaloux apprendroit l'art de plaire.
Le talent par vous écouté
Apprend à juger fon ouvrage ,
Et de votre entretien remporte un vrai fuffrage ,
Et le plaifir d'être goûté.
DÉJA , Prince , votre jeuneſſe
Du fang dont vous fortez a rempli la promeſſe.
L'héritage brillant qui vous eft préſenté ,
Avant de l'obtenir , vous l'aurez mérité ,
Vous connoiffez le poids du rang qu'on vous deſtine ;"
Époux de VIRTEMBERG & Fils de CATHERINE ,
Le bonheur de tous les deux
Eft le prix le plus doux d'un coeur tel que le vôtre.
Et quel pays jamais peut offrir à vos yeux
Rien de plus beau que l'une , & de plus grand que
l'autre ?
(Par M. de la Harpe. )
*
DE FRANCE. FOL
RECHERCHES fur la coutume de faluer
quand on éternue.
EST-C ST- CE Religion ? eft - ce fuperftition ? eft- ce de
la Phyfique ou de la Morale qu'il faut déduire les
faifons de cette coutume fi particulière ? Le temps &
les circonftances changent prefque toutes les modes ;
mais pour celle- ci elle refte inébranlable & la même
depuis très -long- temps chez prefque tous les peuples
de la terre.
La Fable nous dit que Prométhée ayant formé le
premier homine, déroba le feu du ciel qu'il mit dans
un petit flacon , & porta enfuite ce flacon fous le nez
de la ftatue, comme pour le lui faire afpirer. Le phlo
giftique divin pénétra bientôt dans la tête , s'infinua
dans les fibres du cerveau , fe répandit dans toutes les
veines , & le premier figne de vie que donna la créature
nouvelle fut d'éternuer . Prométhée ravi de cet
événement, lui cria auffi-tôt bien te faffe Ce fouhait
fit fur l'homme une telle impreffion qu'il ne l'ou
blia jamais , & que dans le même cas il le répéta
toujours à fa poftérité. Ce récit fabuleux peut au
refte paffer pour une allufion à l'hiftoire de ce jeune
fils de la Sunamite qu'Élysée refufcita , & qui marqua
fon retour à la vie en éternuant fept fois de
fuite.
nous
Cela cependant réfout peu notre question . Peutêtre
les Rabbins ,qui font dépofitaires des plus fecrètes
anecdotes du bon vieux temps , depuis le jardin
d'Éden , l'Arche de Noé & la Tour de Babel ,
fourniront-ils plus de lumières fur ce fujet. Voici ce
qu'ils difent : Notre Seigneur Dieu , d'abord après la
création , établit pour règle que l'homme n'éternueroit
qu'une fois dans la vie , & que ce feroit l'é
E j
102 MERCURE
poque de fa mort , l'inftant où il rendroit l'eſprit.
Ce fut , ajoutent-ils , le feul genre de mort connu
jufqu'au temps de Jacob. Ce fage Patriarche , qui
craignoit la mort , s'humilia devant Dieu fon Créareur,
& le fupplia de le difpenfer de mourir de la
forte. Sa prière fut exaucée ; il éternua , & ne mous
rut point. Cela ne manqua pas de jeter dans l'étonnement
le plus vif tous ceux qui étoient préfens , &
qui l'entendirent. Jacob tomba aufſi malade ; nouvelle
circonftance remarquable , vu qu'auparavant
l'on ne connoiffoit de maladie que celle du mortel
éternuement. On ne douta plus pour lors que. la
Nature n'eût à cet égard change fes loix , & l'on
trouva fort à fa place de dire à ceux qui éternuèrent
dans la fuite : Bien vous faffe , où contentement.
༣
Le compliment ordinaire que faifoient les Grecs
en cette occafion confiftoit , fuivant Olympiodor ,
dans fes Commentaires fur le Phédon de Platon ,
en ce feal mot: Vivez , & les Romains difoient
pareillement : Salve. Les premiers ne faifoient pas
feulement ce fouhait aux autres , mais encore à
'eux-mêmes quand ils étoient feuls. Nous connoiffons
du moins une Epigramme faite fur le nez d'un
certain Proclus , où le Satyrique prétend que le bout
en étoit fi diftant des oreilles , qu'il ne pouvoit s'entendre
éternuer pour fe faire le voeu ordinaire.
C'étoit chez les Romains unchaimable civilité , une
preuve de favoir vivre , que de faluer les gens qui
éternuoient. Pline en parle très expreffément , &
Tibère lui même , tout farouche qu'il étoit , donnoit
à chacun la liberté de lui faire compliment dans ce
cas - lào ༄ ། །
Prefque tous les Peuples , fans en excepter ceux
des autres parties du Monde , ont confervé cet ufage
jufqu'à nos jours. Si les Anabaptiftes & les Quakets
en Angleterre font profcrit avec tous ces aires
15
DEFRAIN CE 101
petitsdevoirs qui tiennent à la politeſſe ordinaire,
cette exception n'affoiblit point notre thèſe , & nd
fait que mettre en évidence la fingularité de cette
fecte. Les habitans des extrémités les plus reculées de
l'Afie & même du Nouveau-Monde , tous gens qui
n'ont pas eu la moindre connoiffance ni des Grecs
ni des Romains , ont le même ufage. Quand le
Roi de Monomotapa éternue , on le publie auffitôt
dans toute la ville & la contrée , au moyen
de certains fignaux , ou par des formules de prières
que chacun débite à haute voix , & tout le pays re
tentit d'acclamations & de cris de vive le Roi ! Les
Efpagnols trouvèrent auffi cette coutume établie en
Amérique. Quand le Cacique de Guacaja éternuoit ,
dit l'Auteur qui a écrit l'hiftoire de la conquête de la
Floride , tous les Indiens s'inclinoient , fe profternoient
devant lui , & , les mains levées vers le Ciel ,
prioient le Soleil de protéger leur Maître , de l'éclai
rer & d'être toujours avec lui .
Ariftote & d'autres , ont cru voir la caufe de cer
fage dans le refpect religieux qu'on avoit anciennement
pour la tête. La tête , difoient- ils , eft la partie
la plus diftinguée du corps humain ; elle contient les
fibres , les efprits vitaux , & en général elle eſt le
fiège du fentiment ; elle eft encore le domicile & le
laboratoire de l'âme , de cet être immatériel & penfant
, de cette émanation de la Divinité , & c'eft de
-là , comme du haut d'un trône, qu'elle commande à
toute la machine , & mee en jeu tous les refforts.
Tel étoit le fondement de cette vénération que les
Anciens avoient pour la tête. La fuperftition , qui
s'empare aifément de tout , a cru voir du myſtérieux
dans cet effet tout naturel . Les Égyptiens , les
Grecs & les Romains , penfoient que l'éternuement
étoit un figne , un avertiffement divin pour nous
conduire de telle ou telle manière dans différentes
circonftances , ou bien le préfage de quelque événe-
Eiv
104
MERCURE
ment favorable ou défavantageux. Des exemples ,
uirés de l'Hiftoire , confirment ce que j'avance. Xénophon
haranguant fon armée , un foldat vint à
éternuer ; & comme il s'agiffoit d'une entrepriſe néceffaire
, mais périlleuse , toute l'armée crut que c'étoit
un figne des Dieux , & le Général profita de la
circonſtance pour leur offrir un facrifice en actions
de grâces. Lorfque la fidelle Pénéloppe s'efforçoit
d'écarter fes foupirans & prioit pour le retour
de fon cher Ulyffe , le jeune Télémaque éternua
fifort que tout le palais , dit- on , en fut ébranlé.
La Princeffe ne douta plus pour lors de l'accomplif
fement de fes voeux , & témoigna la plus vive joie.
,
Les Poëtes Grecs & Latins croyoient dire à leurs
Belles une douce flatterie quand ils leur annonçoient
que les Amours avoient éternué à leur naiffance.
On confidéroit auffi le temps & l'heure où quelqu'un
éternuoit , fi c'étoit avant ou après une certaine
opération . Si un convive durant le repas venoit
à éternier , & ne mangcoit plus rien enfuite , cela
étoit regardé comme le prognoftique d'un malheur
Celui qui éternuoit en fe levant le matin , devoit bien
prendre garde à foi toute la journée . Le temps le
plus propice & d'un meilleur augure pour éternuer ,
c'étoit depuis midi juſqu'à minuit.
Je conviens qu'il entre dans cet ufage beaucoup
de fuperftition ; je ne crois pas néanmoins que c'en
foit l'unique caufe. L'abus s'y fera gliffé comme
dans toutes les pratiques humaines.
Il y a encore plufieurs coutumes dont l'obfervation
exige qu'on connoiffe les bienféances & ce qui
eft reçu dans le monde, mais auxquelles on ве
peut aligner d'origine bien fondée . Montagne ,
dans fes Effais , fait cette queftion : Pourquoi foin .
haitons nous du bien à ceux qui éternuent ? Parce
que, répond- t - il , l'éternuernent eft une fimple ventofité
provenante de la tête , qui n'a rien en foi d'in-
-
DE FRANCE.
Los
décent. Clément d'Alexandrie en juge moins favo
rablement, vu qu'il l'envifage comme une marque
d'incontinence d'humeurs & d'un tempérament
froid ; il eft très - mécontent de ceux qui s'excitent à
éternuer par des inoyens factices ou étrangers , &
regarde comme un grand point de politeſſe de s'abftenir
d'éternuer en compagnie.
Mais pourquoi fuppofer du inyſtère où l'on peut
s'en tenir à la fimple Nature ? Voici ma croyance à
cet égard. L'éternuement n'eft qu'une évacuation
du cerveau & une marque de fon bon état , de chaleur
naturelle & de fa force ; dans plufieurs maladies
c'eſt une criſe avantageufe , & en général on
peut le regarder comme une preuve de fanté ; il
mérite donc fous ce rapport un compliment de la
part de ceux qui l'entendent. Cependant il y a cu
des Médecins , entr'autres Cardan , qui ont regardé
cette opération du cerveau comme trop violente &
même dangereufe ; ils prétendoient qu'elle étoit
toujours accompagnée d'un ferrement de coeur ,
dou réfultoit un dérangement dans les fonctions
animales , tellement que fi cet effet duroir quelques
minutes , il en pourroit coûter la vie . Cette opinion
me paroît outrée ; mais fi elle étoit vraie , rien ne
feroit plus honnête encore que de faire un ſouhait
en faveur de celui qui éternue , & de lui manifeifer
combien on defire que l'éternument ne lui faffe aucun
mal.
Aujourd'hui , grâce à la liberté de penfor & d'agir,,
en fe défait d'une multitude d'ufages incommodes
; par exemple, on ne boir plus fi rigoureufement
à la fanté des convives , on ne remercie plus guères
l'hôte qui a traité généreulement , & on ne fouhaite
plus fi fcrupuleufement un bon appétit à ceux qui
vont fe mettre à Peut-être que bientôt l'en
éternuera aufh fans cérémonie & a fón aife Je na
my oppofe nullement A
Ev
106 MERCURET
རྫསཔྟཱཿ - སྐར ར
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent."
LE
E mot de l'Enigmesoft Médecine ; celui
du Logogryphe et Médecine , où le trouvent
Médecin , Médine Nicée , Médie , demi ,
Dèce, Médée, dime ou décime , mine, dine ,
mien & nid,
༣ ; ENIGM E.
JE ne fuis efprit ni matière ;
Sans moi le fublime tableau
Qu'offre aux yeux- la Nature entière ,
S'efface ou n'a plus rien de beau.
Avec l'Amour , d'intelligence,
Au plus brillant des Arts j'ai donné la naiſſance.
Le Temps , qui fait à tous la loi,
Marche à pas mefurés en la prenant de moi.
Je fers le fripon & le traître ;
Je plais aux amans fortunés ;
Fidèle aux Auteurs de mon être ,
On me voit toujours à leurs pieds ;
Des biens qu'encenſe le vulgaire
Je ſuis un fymbole éloquent ;
Comme moi , ce n'eft que néant ,
Et comme eux je fuis paffagère.
( Par M, le Chevalier de Bergeras. }
DE FRANCE. 107
IN 20 JE
LOGOGRYPHE.
E fuis un tour avec ma queue
Dove Compofé de moi , fans ma queue 3 °
Et je ne meurs avec ma queue ,
Que quand je fuis mort fans ma queue,
Les anciens m'employoient fans queue
Pour finir fur moi portant queue.
J'indique encore avec ma queue
L'endroit où l'on me met fans
quetes
J'ai fix pieds avecque má queire ,
Et je n'en ai que cinq fans queue.
Je te fers bien avec ma queue ,
Lecteur ; mais bien mieux fans ma queue,
Si tu me tiens avec ma queue ,
Tu dois nie connoître fans queue.
( Par M. l'Abbé L……. y. }
C 919 noa.
caboig csual é ou quer slow era að
ninyle
of Dar
Spine 13
Evi
168 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de la Maifon de Bourbon , par
M. Deformeaux , Hiftoriogtaphe de la
Maifon de Bourbon , Bibliothécaire de
S. A. S. Mgr. le Prince de Condé , de
l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres , & c. A Paris , de l'Imprimerie
Royale , 1782. in- 4° . Tome
troisième.
CE troisième Volume commence à l'année
1527 & finit à l'année 1562 , c'est- à- dire ,
à la mort du Roi de Navarre , Antoine de
Bourbon , père de notre Roi Henri IV. Il
contient l'Hiftoire de Charles de Bourbon ,
Duc de Vendôme , & de fes fils , mais feulement
jufqu'à la mort de l'aîné , qui étoit
ce Ror de Navarre Antoine , dont nous venons
de parler. On fait que l'Hiftoire des
Princes cadets & collatéraux , eft toujours
jointe à celle de l'aîné , felon l'ordre chronologique.
Les événemens où l'Auteur eft arrivé font
encore plas intéreffans , mais auffi plus connus
que ceux qui précèdent ; nous ne les
rappellerons point ici , nous choiſirons feulement
quelques anecdotes un peu moins
familières à nos Lecteurs , & quelques- uns
de ces traits qui , tenant moins effentielleDE
** 199
FRANCE.
ment au tiffu de la narration , peuvent plus
ailément en être détachés. Ces traits & ces
anecdotes , que nous rapportons fouvent
dans les proprs termes de l'Auteur , feront
connoître fa manière.
Le Roi François I traita toujours le Duc
de Vendôme Charles , « comme fon frère
» & fon compagnon d'armes ; il fouffroit
» que ce Prince , dans le commerce de la vie ,
» ne l'appelât que Monfieur. Il est vrai que
les Seigneurs du Sang , à qui la loi donne ,
» chacun à fon rang , un droit aufli incor-
» teftable à la Couromie que s'ils étoient
"
les propres enfans des Rois , jouiffoient
» de ce privilége avant François I ; mais ce
Monarque ne le conferva qu'au premier
" Prince du Sang. »
On a beaucoup remarqué l'énorme accumulation
des bénéfices, même incompatibles ,
dans la perfonne du premier Cardinal de
Lorraine , frère de Claude , Duc de Guife.
C'étoit un abus du temps , & le Cardinal
de Bourbon Louis , frère du Duc de Vendôme
Charles , poffedoit auffi en même tems
l'Archevêché de Sens , les Évêchés de Laon ,
de Meaux , de Luçon & de Tréguier , fans
compter une multitude de riches Abbayes ,
entre autres celles de S. Denis & de S. Cor-
'neille .
Lorfqu'en vertu de l'alliance de François
I avec Soliman II , le fameux Corfaire Chai
radin Barberouffe & le Comte d'Enghien ,
frère d'Antoine , Roi de Navarre , faifoient
1110 MERCURLI
2
enfemble, en 1543 , le fiége de Nices , Barberouffe
fit aux François une forte & jufte
leçon fur une négligence en effet inexcucufable
; ils faifoient la guerre dans leur
pays , & ils n'avoient ni poudreini plomb ,
ils en envoyèrent demander aux Turcs , qui
naturellement auroient dû compter fur eux
pour ces provifions ; on fit choix pour cette
commiffion du Baron de la Garde, qui avoit
Mété Ambaſſadeur à la Porte, & dont la perfonne
étoit agréable aux Turcs : « Voyez s
dit Barberouffe à fes Officiers , la ftupi-
» dité de ces chiens de Chrétiens , qui s'em-
Farquent pour une expéditionfans aupara-
» vant s'être affurés des inftrumens de la
victoire.
་
Sa réponſe fut un refus formel , & il
ajouta , en parlant au Baron de la Garde :
Si tout autrefe fût chargé à ta place d'une
pareille commiffion , je ne lai aurois répondu
» qu'en lefaifant mettre à la chaine.»
Le trait fuivant peint bien l'affabilité gé
néreuse de ce Comte d'Enghien , le Héros
de Cérifoles , qui gagna cette importante
bataille à vingt- quatre ans , comme fon arrière
petit neven , le grand Condé, nommé
alors Duc d'Enghien , gagna dans la fuite
celle de Rocroy à 21 ans. Le vieux Bou
tières , élève de Bayard , brave Chevalier
comme fon maître , mais médiocre Général ,
commandoit en Piémont , & faifoit le fiége
d'Yvrée , François I.envoya le Comte d'Enghien
pour commander à fa place. Le Comię
"
DE FRANCE. 111
arrivé fur la frontière , mande à Boutières
de lui envoyer , à Chivas , une efcorte qui
pût le conduire sûrement à l'armée. Boutières
, par un mouvement de dépit & d'humens
, qui , dans un Général difgracié, tenoit
un peu de la révolte , obéit beaucoup plus
qu'on ne vouloit , il leva le fiége d'Yvrée , &
mena toute l'armée au devant du Comte ,
" fous prétexte qu'il ne pouvoit lui donner
» une meilleure efcorte. Monfieur lui
i , voici l'armée dont le Roi mavcit
» confié le commandement , je là remets entre
vos mains , trop honoré d'avoir pour
fucceffeur unfi grand Prince ; elle eft com-
» pofée de braves Soldats & d'excellens Offi-
» ciers....... vous la recevez des mains d'un
Chevalier dont l'âme eft pure & intègre ,
» qui n'a jamais manqué au Service defon
Souverains nipar le motifde la crainte , ni
par l'appât de l'intérêt ; permettez que je
l'appelle ici en témoignage de ma conduite
» & de mes actions , en me foumettant aux
informations les plusfévères.....
2
M'informer de vos actions , Monfieur,
lui répondit le Comte d'Enghien , en dif-
Bomfimulant cavec bonté ce que la dernière
39 action de Boutières avoit d'irrégulier :
eh ! ne font - elles pas connues & approuvées
» du Roi & de toute la France comme celles
d'un Guerrier plein de courage & d'honneur
, qui s'eft illuftrépar de longs & utiles
fervices ? Je ne viens ici que pour marcher
furvos traces & imiter vos exemples. A ces
112 MERCURE
mots il lui tendit les bras , & l'embraa
» étroitement. »,
Boutières fe retira dans fes Terres , mais
il revint bientôt après combattre fous le
Prince à Cérifoles.
En l'année 1544 , M. Déformeaux parle ,
comme la foule des anciens Hiftoriens , de
la capitulation de Boulogne , prife alors par
les Anglois , & de la prétendue précipita
tion du Gouverneur Jacques de Coucy
Vervins. Il paroît blâmer Vervins en le plai
gnant , & croire que fa condamnation fut
une juſtice , & fa réhabilitation une grâce . Il
nous permettra d'obferver qu'il n'eft plus
poffible de penfer ainfi après avoir lû dans
le Mémoire hiftorique de M. de Belloy fur
la Maifon de Coucy , l'apologie fi folide &
fi convaincante que l'Auteur fait de la conduite
de Vervins , & où il pouffe jufqu'à la
démonftration la preuve de l'innocence &
de Vervins & du Maréchal du Biès.
Le trait fuivant , concernant Charles ,
Prince de la Roche-fur- Yon , coufin ger
main de Charles , Duc de Vendôme , eft
-extrêmement curieux .
A l'exception de la Principauté dont il
» portoit le nom , le Prince de la Rochefur
- Yon ne poflédoit rien..... Il jeta les
» yeux fur l'héritière de la Maifon de Laval,
auffi riche que noble .... mais il échoua par
le crédit prépondérant du Connétable de
Montmorenci , qui obrint la préférence
en faveur de Coligny-d'Andelot , fon je
DE FRANCE. 113
"
33
و ر
ven. On prétend que d'Andelot , jeune
» & avantageux , non content du triomphe
qu'il avoit remporté fur fon illuftre rival ,
s'échappa contre lui en railleries fanglantes.
Le Prince de la Roche fur - Yon
" avoit l'âme affez grande pour lui pardon-
» ner fon bonheur ; mais il ne pouvoit luï
» pardonner fon infolence ; il voulut fe
battre contre lui . D'Andelot , quoiqu'il
» fut iffu d'une Maifon très- puiffante , au-
» trefois Souveraine de la plus grande partie
de la Breffe , quoiqu'il palsât pour le plus
fier & le plus déterminé de tous les hommnes
, & que dans ce fiècle du courage &
de l'audace , il fut furnommé le Chevalier
fans peur , frémit cependant à la feule
idée de fe battre contre un Prince du
Sang , & évita toujours l'occafion de fe
» trouver feul avec lui.
"
Mais le hafard confondit fes précautions.
Un jour qu'il accompagnoit le Roi à lat
chaffe , il fe trouva feul à l'écart ; le Prince
de la Roche - fur - Yon , qui , peut - être ,
l'épioit , arrive , & le traite avec mépris
» & dureté ; bien plus , il veut fe porter
» contre lui aux voies de fait. Alors d'An-
و د
delot mer l'épée à la main pour repouffer
» l'outrage , & bleffe fon ennemi ; il cft
» bleffé lui- même par un Gentilhomme du
» Prince appelé Defroches , qui furvint .
» D'Andelot & Defroches continuoient le
combat & fe chargeoient avec fureur ,
lorfqu'ils furent féparés par un gros de
114
MERCUREC
Chaffeurs. Cet événement fit beaucoup de
bruit ; les Princes du Sang, en corps de-
» mandèrent au Roi juftice de l'audace de
» d'Andelot , le Connétable de Montmorency
embrafla hautement la defenſe de
" fon neveu , & il eut befoin de tout fon
crédit à la Cour , pour le fouftraire à la
rigueur de la juftice .
» D'Andelot , échappé au péril qui le me
" naçoit , fe confirma de plus en plus dans
» l'idée de fuir toute rencontre avec un enne-
» mi que la loi lui rendoit facré. Il revenoit
» un jour de Saint-Germain - en - Laye , où
» habitoit la Cour ; à peine entré dans un
bac pour traverser la Seine , il apperçoit
le Prince de la Roche - fur- Yon qui accouroit
à toute bride , & qui crioit qu'on
l'attendit. D'Andelot s'imagine que le
Prince le pourfuit pour l'obliger à fe bat-
» tre; auffi- tôt il tire fon épée & coupe le
cable du bac. Le Prince regarda cette
fage précaution de fon rival comme un
nouvel affront ; fon reffentiment augmenta
» contre lui , mais il ne trouva plus l'occa-
" fion de le faire éclater. "
Au commencement du règne de Henri II,
les prétentions des Princes de Guife allèrent
jufqu'à s'égaler aux Princes du Sang , & jufqu'à
vouloir confondre les rangs entre la
Maifon Royale de France & la leur. Ces
prétentions furent accueillies à la cérémonie
du facre de Henri II , où, fous prétexte de
fuivre l'ancien ufage qui régloir les rangs
DE FRANCE 115
entre les Pairs fuivant l'ordre de leurs Pairies,
fans aucune exception en faveur des
Princes du Sang ; on nomma pour repréfenter
les anciens Pairs Laïques, des Princes du
Sang & des Princes Lorrains dans un ordre
qui plaçoit quelques-uns des Princes Lorrains
avant quelques uns des Princes du
Sang. En 1948 , Henri II fit des entrées folemnelles
& triomphantes dans les places
conquifes fur le Duc de Savoye pendant le
règne de François I. Il étoit à cheval , précédé
des Seigneurs de fa Cour ; & le Ducde Vendôme
, Antoine , qui n'étoit pas encore Roi
de Navarre , marchoit feul en qualité de
Premier Prince du Sang. Cet ordre fut fuivi
par tout, excepté à Chambéri. " Comme le
» Duc de Vendôme prenoit fon rang , il fut
très furpris de voir le Duc d'Aumale ſe
mettre à fa gauche : Quoi donc , mon compagnon
, lui dit-il , tiendrons - nous rang
enfemble? Oui , Monfieur , répondit le
• Duc d'Aumale , le Roi m'a affigné cette
» place en qualité de Gouverneur de la Province.
Il avoit en effet le Gouvernement
du Dauphiné , auquel on avoit annexé ceux
de la Savoye & de la Breffe , qui étoient alors
fous la domination de la France Mais ,
Judit le Duc de Vendôme , c'est tout ce que
jepourrois permettre au Duc de Lorraine ,
Chefde votre Maiſon. Il est vrai , répondit
d'Aumale , que vous avez le pasfur lui
en France , mais non ailleurs; car il eft
Souverain & vous Suje & Kaffat de la
116 MERCURE
Couronne ; M. de Lorraine ne rélève que
» de Dieu & de fon épée.
*
» Outré de la répartie , Vendôrne rentra ,
& la marche du Roi fut arrêtée . Ce Prin
» ce , las d'attendre , envoya prier le Duc
» de reprendre fa place. Vendôme , intéreffé
» à ménager le Monarque qui négocioit lui-
» même fon mariage avec l'heritière de Na-
» varre , obéit , non fans témoigner au Duc
d'Aumale fon vif reffentiment : Vous pou
" vez , mon Compagnon , marcher fur la
» même ligne que moi ; car , fi le Roi avoit
» ordonné à un Laquais de prendre le rang
» que vous vous arrogez , je le fouffrirois
» uniquement par refpect pour les ordres de
» Sa Majesté. Cette altercation n'eut point
alors de fuite fâcheufe.
و د
On a dit , & M. de Voltaire l'a dit d'après
d'autres Auteurs , que Louis I , Prince de
Condé , en entrant dans le monde , n'avoit
que fix mille livres de rente de patrimoine ;
M. Déformeaux , ayant fous les yeux les contrats
des deux mariages du Prince de Condé ,
d'abord avec Éléonore de Roye , enfuite
avec Françoife de Longueville , contrats qui
font aux archives du Palais de Bourbon , a
trouvé , dans le premier , que le Prince de
Condé poffedoit dès lors la Terre de Condé
en Brie , dont il portoit le nom ; le Comté
de Soiffons , dont il jouifoit par indivis
avec le Roi ; la Baronnie de la Ferté-fous-
Jouarre , le Vicomté de Meaux , les Seigneu
ries d'Ailly , de Sourdon , de Broyes , de la
DE FRANCE. 117
Bazéqué , du tranſport de Flandre , de Chamigni
& de Bellot en Brie ; il recueillit dans
la fuite quelques fucceffions ; le Comté de
Nogent- le - Rotrou , qui lui étoit échu , fut
érigé en Duché Pairie fous le nom d'Enghien
; la Maréchale de Saint - André lui
donna le Comté de Vallery; il eut le Gouvernement
de Picardie & de groffes penfions
; mais comme il fit fouvent la guerre à
la Cour , fes penfions durent être fouvent
fufpendues ; quand elles étoient payées
l'Auteur croit qu'avec fon bien , celui de fes
deux femmes , dont il eut des enfans , & les
grâces de la Cour , le Prince de Condé avoit
un revenu qui répondroit aujourd'hui
quatre cent mille livres de rente.
eu
Au fiège de Montcalvo , en 1555 , il are
riva un petit événement qui peint la valeur
& la gaieté françoifes , & que l'Auteur a cu
grande raifon de rapporter ; car ce font de
-pareils traits qui donnent de la phyfionomic
à l'Hiftoire. « Montluc étoit chargé d'établir
> une batterie de canons devant Montcalvo ,
» dans un pofte périlleux. Les Princes vinrent
vifiter fes travaux . Le Comte d'Enghien
, Jean ( c'étoit un frère puîné du vainqueur
de Cérifoles , tué en 1746 à la
Roche- Guyon ) le faififfant par le milieu
du corps : Capitaine Montluc , lui dit- il ,
" tu as éte autrefois mon Soldat , je veux
» être aujourd'hui le tien. Soyez le bien venu
Monfeigneur , répartit Montluc , fans
s'étonner ; mais opprenez qu'il faut dans
99
>
118
MERCURE
99
» l'occafion qu'un Prince foit non -feulement
" Soldat mais encore Pionnier : tenezɔ
ajoute -t'il en lui préfentant une pioche ,
travaillez. Enghien obéit en riant ; les autres
Princes fe mirent au travail , & éta-
» blirent la batterie qui força la place à
capituler. »
28
"
Le moment où Elifabeth , fille de Henri II ,
eft remiſe aux Commiffaires Eſpagnols , envoyés
par Philippe II pour la recevoir en fon
nom , a de l'intérêt ; l'Auteur a voulu qu'on
y remarquât le contrafte des deux Nations.
" Les Espagnols alors n'étoient pas auffi
galans que nos François. Mendoze , en
recevant fa Souveraine , lui adreffa d'une
» voix rauque, ces paroles du Pfeaume 44 :
» Audi, filia, & vide, & inclina aurem tuam;
oblivifcere populum tuum , & domum patris
» tui. Ecoute , ma fille , & grave mes paroles
dans ton coeur : oublie ton peuple &
» la maiſon de ton père. L'Évêque de Bur-
" gos , d'un ton encore plus impofant
ود
(qu'une voix rauque) continua par le verfet
fuivant : Et concupifcet Rex decorem
» tuum , quoniam ipfe eft Dominus tuus , &c
» le Roi convoitera ta beauté , parce qu'il
» eft ton Seigneur & ton Maître.
A ces mots , Élifabeth , qui entendoit
» le latin , & qui n'époufoit qu'avec répu-
" gnance le père de Dom Carlos , fe rappelant
tout - à- coup ce jeune Prince auquel
elle avoit d'abord été deſtinée , la patrie
qu'elle ne devoit plus revoir , tomba éva-
20
ود
DE FRANCE. It
nouie entre les bras de la Reine de Na-
» varre. Revenue à elle , Antoine , Roi de
» Navarre , ( c'étoit lui qui avoit été chargé
» de mener fur la frontière la nouvelle Reine
» d'Eſpagne ) Antoine , la Reine , ſon époufe
, le Cardinal de Bourbon , le Prince de
» la Roche -fur-Yon & Mlle de Montpen-
» fier , lui firent en pleurant les derniers
» adieux , & l'embrassèrent malgré les Commiffaires
Espagnols , qui , affervis à un
étiquette rigoureux , c'eſt une étiquette
rigoureufe qu'on a voulu inettre appa→
remment ) rougiffoient de voir leur Reine
» donner des marques d'honneur & de ten-
» dreffe à fes plus proches parens ; la Prin-
» ceffe s'arracha enfin des bras de la Reine
» de Navarre , & partit le coeur plein des
» plus noirs preffentimens , qui ne furent
» que trop juftifiés par la fuite,
39
Il eft impoffible de rapporter des événe→
mens tels que la conjuration d'Amboiſe &
fes fuites , fans intéreffer; L'Auteur a ſu ajouter
à l'intérêt naturel de ces événemens , par
des Anecdotes tirées des livres que tout le
monde ne lit pas. Le Capitaine Mazères , un
des Conjurés , dit qu'il s'étoit chargé de tuer
le Duc de Guife , & qu'il s'étoit en conféquence
muni d'une longue épée. « Guife ,
» préfent à la procédure , lui remontra froidement
que, pour une pareille exécution ,
» une arme courte , telle qu'une dague ou
» un poignard , auroit été plus commode &
" plus decifive: Je ne l'ignorois pas , répon120
MERCURE
•
و ر
» dit Mazères ; mais lorsqueje me repréfen-
» tois que j'allois attaquer l'homme le plus
» brave & le plus fort de l'Europe , j'étois
» tenté de prendre une pique. Malgré ce
compliment , le Duc de Guife le fit appliquer
à la queftion , dans l'efpérance qu'il
chargeroit les Bourbons.
و ر
و ر
"
30
On fait que le Chancelier Olivier mourut
de douleur à la vue des cruautés exercées à
l'occafion de la conjuration d'Amboife. Le
Cardinal de Lorraine l'étant allé voir dans fa
maladie , Olivier s'écria : « Tu nous damnes
tous ; maudit Cardinal , tu nous damnes.
Le Cardinal voulut l'exhorter à ne point
» fe laiffer féduire par l'efprit malin , & à
» demeurer ferme dans la foi . Le Chance-
» lier lui tourna le dos en frémiffant , &
» mourut quelque temps après qu'il fut
» parti , fans vouloir ni fe confeffer ni com-
» munier. Guile prit fort à coeur la manière
dont fon frère avoit été reçu : tous damnés !
difoit il , il en a menti le méchant ! &puifqu'il
eft mort comme un chien , il faut le
" jeter à la voirie. On ne prit pas néanmoins
ce parti extrême ; le corps du Chancelier
fut tranfporté chez lui dans une litière. »
M. Déformeaux a trop de douceur & de
raiſon , il a un amour trop fincère des Lettres
& un amour - propre trop éclairé , pour
s'offenfer de quelques avis dictés par ce même
amour des Lettres. Il doit peut- être fe défier
beaucoup en écrivant d'une qualité qui fait
beaucoup d'honneur à fon caractère , mais
"
ور
qu'il
DE FRANCE. 120
qu'il pouffe trop loin ; je veux dire de cette
indulgence aimable , de cette difpofition
favorable où il eft à l'égard de tout le monde ,
& qui femble lui perfuader que tout ce qui
eft eft bien , & que le monde , même politique
, eft le meilleur des mondes poffibles.
Ceux qui ne le connoîtroient pas, pourroient
lui croire du penchant à la flatterie , ils fe
tromperoient fort ; c'eft enthoufiafte qu'il
eft , & nullement adulateur ; mais il eft vrai
qu'il a toujours le ton d'un Panégyrifte , &
que fes Hiftoires en général font des Recueils
d'éloges hiftoriques . Voilà pour le fond.
Quant à la forme , fon ftyle , agréable à
plufieurs égards , a deux défauts marqués &
oppofés l'un à l'autre ; l'un , d'être quelque--
fois familier , l'autre , d'être prefque toujours
trop poétique & trop pompeux. « La
» fureur des François expira , le cri de la
Nature , détruite ou fouffrante , retentit
» dans le coeur de ces guerriers altérés de
fang & de carnage. »
D
Tacite n'eût point fait cette phrafe, il
n'eût dit qu'un mot fimple , & ce mot eût
été beaucoup plus fort.
"Le Prince de la Roche-fur-Yon venoit
» depayer le tribut à la Nature. »
Le ftyle de l'Hiftoire , qui eft noble , mais
fimple , exige qu'on diſe : venoit de mourir.
Il ne falloit pas non plus dire que le Duc
de Vendôme , Charles , paya le tribut à la
fragilité humaine , parce qu'il eut un fils
naturel ; c'eft une chofe trop ordinaire dans
Nº. 24, 15 Juin 1782.
F
122 MERCURE
l'Hiftoire pour avoir befoin d'une précaution
oratoire , telle que pourroit l'exiger
une Oraiſon Funèbre , ou tel autre Difcours
effentiellement & uniquement chrétien.
Enfin , le ſtyle de M. Déformeaux eft tour
hériffé d'épithètes ; chaque fubftantif eft
fcrupuleufement fuivi de fon adjectif ; c'eſt
un moyen infaillible d'ôter aux mots toute
leur valeur : « Si vous pouviez leur faire
comprendre , difoit plaifamment M. de
» Voltaire , que l'adjectif eſt le plus grand
ennemi du fubftantif, encore qu'ils s'ac-
» cordent en genre , en nombre & en cas . »
"
LES Aveux d'une Jolie Femme, A Bruxelles ,
& fe trouvent à Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques.
2 Vol. in- 12 .
En général, le Public lit beaucoup les Romans
& les eftime fort peu. Il n'en eft pas
moins vrai que le Roman peut être plus moral
, & par conféquent plus utile que l'Hifroire.
Le Romancier qui difpofe des événemens
, dont l'Hiftorien n'eft que l'efclave ,
peut leur donner la face la plus propre à
infpirer la haine du vice & l'amour de la
vertu. Dès qu'une fois il a entrepris d'attacher
à fa narration telle ou telle moralité ,
il ne choifit que des événemens analogues à
fon but ; ce n'eft plus un aveugle hafard
qui crée les faits comme dans l'Hiftoite ,
c'est le génie qui les enfante & qui leur im
DE FRANCE. 123
prime le fentiment dont il a befoin pour
nous inftruire ou nous corriger . Tandis que
l'Hiftoire n'offre que trop fouvent à nos
yeux la vertu foulée aux pieds & le vice
triomphant , le Romancier peut confoler fes
Lecteurs par les triomphes de la vertu & le
jufte châtiment du vice ; ou s'il nous repréfente
l'homme vertueux accablé fous le pouvoir
du méchant , il peut , par les circonftances
qu'il crée & qu'il multiplie autour de
la victime , nous faire envier fon fort , &
détefter la profpérité même de fon tyran.
Mais l'utilité du Roman ne rend pas le
talent du Romancier plus facile ni plus commun.
Sur cent Ouvrages de ce genre , il ne
s'en trouve pas un qui mérite l'eftime des
connoiffeurs. Dans le petit nombre de ceux
qui doivent furnager , on peut compter celui
que nous annonçons au Public. Le but moral
de l'Auteur y eft clairement énoncé ; il a
voulu démontrer que lafource de nos égaremens
, comme celle de nos plus grands malheurs
, vient plus des travers de l'efprit que
des vices du coeur ; & tous les événemens , ri
qui forment l'intrigue de fon Ouvrage , concourent
à prouver cette vérité. Ce ne font
point des événemens invraiſemblables , des
caractères hors de nature ; tout y refpire la
vérité , c'eft - à - dire , la vraiſemblance . C'eſt
un efprit obfervateur qui a recours , il eft
vrai , à l'imagination ; mais l'Auteur n'imagine
rien qui foit contraire à ce que nous
voyons. Il a fail nos ridicules , nos moeurs;
Fij
124 MERCURE
il les a rendus avec vérité , & il s'eft montré
auffi bon peintre que bon obfervateur.
C'eft la vanité qui a perdu l'Héroïne de
ce Roman. L'envie de briller l'a jetée dans
tous les égaremens où la paffion peut entraîner
; mais fes égaremens ne lui enlevèrent
jamais l'envie d'être vertueuse , & le remords
de ne l'être pas. Fille d'un Artiſan , adoptée
par une marraine , elle reçoit une éducation
qui donna de nouvelles forces à fon amourpropre
, & lui fournit des prétextes pour s'y
livrer. Nous ne pouvons offrir dans cet extrait
la chaîne de fes erreurs. L'amour feul
vient l'arracher à fes défordres , & lui fait
recouvrer d'abord fa propre eftime , & enfin
celle d'autrui.
Cet Ouvrage intéreffe encore moins par
l'intrigue , que par le développement des fen
timens & la peinture des perfonnages. Si l'on
veut juger de la manière de peindre de l'Auteur
, nous allons prendre au hafard un de
fes portraits. "Quoique la Baronne d'Olfond
ne fut plus jeune , je la trouvai féduifante ;
» de beaux yeux , de la régularité dans les
» traits , une recherche exceflive dans les
ajuſtemens ; elle joignoit les prétentions
de la coquetterie à la dignité de la femme
la plus févère; defirant de plaire par les
charmes de fon efprit , quoiqu'elle n'en
» cut que l'apparence ; mettant dans fon
babil une prétention fatigante à la lon-
» gue , mais déguifant ce travers à la première
vue par un accueil attrayant , des
20
DE FRANCE.
-125
"
"
» careffes flatteuſes & réſervées ; fachant
» prendre les airs les plus oppofés ; ayant le
» ton d'une prude & la conduite d'une
» femme galante ; accommodant fes principes
aux circonftances , plus encore aux
perfonnes qu'elle vouloit féduire ; recher-
» chant les plaiſirs avec fureur , fe plaignant
toujours de leur futilité ; égale dans fa
politeffe , inconféquente dans les actions ;
» voulant paroître guidée par le coeur & ne
» l'étant que par fes fantaifies ; jouant le fen-
» timent , & poffédant l'art de prêter des
ridicules à ce qu'elle appeloit fes meilleurs
"9
"3
39
» amis. "
Mais l'Auteur ne ſe borne pas à peindre par
des mots fes perfonnages , il fait les faire
agir , & offrir à fes Lecteurs des fcènes pittorefques
& caractériſtiques. Afpafie en effuie
plufieurs qui deviennent le châtiment
de fes erreurs. Voici un tableau d'humiliation
qu'il eft bon de faire connoître . Il
prouve que les fautes contre l'honneur font
toujours punies par l'humiliation . C'eſt l'hiftoire
d'une vifite que reçut Afpafie dans fon
abaiffement ; & l'on jugera fi cet affront dût
être vivement fenti par un coeur fier , quoique
coupable , & qui , en s'éloignant da
chemin de la vertu , n'avoit jamais ceffé de
la regretter , & même de la defirer. C'eft
toujours elle - même qui raconte fes aventures
: " M. Sixpont , c'eſt le nom du Finan-
"9
cier , avoit cinquante ans. En entrant &
» avant de me faluer : il fait une chaleur ex-
Fij
126 MERCURE
ceffive qui me fond , s'écria- t'il en s'éten-
» dant fur une Ottomane : que vous êtes
» mal logée pour la faiſon ! allons , allons ,
وو
je ne vous laiffe pas vingt- quatre heures
» dans cet endroit , fi nous faifons affaire
» enfemble. Stupéfaite d'un pareil début ,
» je le regardois avec étonnement ; lui , fans
» fe douter de l'efpèce de fenfation qu'il
» me faifoit , jeta fa perruque fur un fau-
» teuil , puis s'effuyant la tête , il prétendit
» qu'il étoufferoit s'il étoit obligé d'habiter
» mon logement. Révoltée d'une familiarité
» à laquelle je n'étois pas accoutumée , je
lui dis que je ne penfois pas que rien
l'obligeât d'y refter une minute de plus.
Mais fi , reprit-il , ne faut- il pas que nous
» convenions de nos faits . » (Afpafie ſe plaint
de fon impoliteffe , & Sixpont continue.) Ah ,
ah ! voilà les grands mots de ma femme &
de ma foeur ; mais je leur paffe , l'une me
fera fon héritier , l'autre m'a apporté une
» riche dot ; & puis je les plante - là , je vais
ailleurs vivre fans gêne pour mon argent.
" Eh bien , que veux - tu par mois ? Ce damné
» de Corblin m'a prévenu que tu ainois à
briller. Tant mieux , tant mieux , j'aime
ça moi ; ça fait honneur..... A propos ,
Corblin m'a dit ; mais c'eft un hableur qui
m'a dupé plus d'une fois ; il m'a dit que
tu chantois comme Rofalie , danfois
» comme Heinel , deflinois comme Cochin ,
& que tu faifois des armes comme Saint-
Georges. Mais , bon ! pas poffible , pas pof-
"
»
DE FRANCE. 127
و د
"
Monfieur. fible que tout cela foit vrai.
-Je te dis qu'il en faut rabattre la moitié;
je fais ça, je fais ça , moi. Tiens , vous
êtes toutes comme les Domeftiques à pla-
» cer ; ils favent tout faire quand ils font fur
» le pavé. »
و د
Toute la converfation du Financier eft
fur ce ton- là , & l'on fouffre pour Afpafie ,
quoique fa conduite antérieure ait autorifé
ce manque de refpect. Mais combien cette
coupable Afpafie devient intéreffante , quand
elle rend à la Ducheffe de...... une fomme
'énorme que fon mari avoit fait porter chez
elle pour la gagner ! Nous regrettons de ne
pouvoir rapporter ici cette fcène touchante ,
mais trop longue pour être citée . Cette action
d'honnêteté lui gagna le coeur de la Ducheffe
, qui ne ceffa plus d'être fon amie.
Cette amitié , & un amour profond qu'elle
a conçu pour le Vicomte de L...... achèvent
de la rendre à la vertu. Elle épouse fon
amant ; & elle a fi bien fu effacer , par une
conduite honnête , les premiers égaremens
de fa vie , qu'on applaudit au choix du Vicomte.
Nous devons ce Roman à une femme
connue par des Ouvrages du même genre ;
mais nous croyons que celui - ci doit ajouter
à l'eftime que fes premières productions
avoient infpirée pour fon talent.
FIV
128 MERCURE
↓
CODE Pénal des Eaux & Forêts , on
Précis raifonné des Ordonnances , Arrêts
& Réglemens fur les Délits , Peines &
Amendes en matière d'Eaux & Forêts
fuivi d'un Commentaire fur l'Édit du
mois de Mai 1716 , par Me Jean Henriquez
, Avocat en Parlement , Procureur
Fifcal de S. A. S. Mgr. le Prince de
Condé en la Maîtrife des Eaux & Forêts
de Dun. A Verdun , chez F. L. Chrif
tophe , Imprimeur - Libraire ; & fe trouve
à Paris , chez Delalain le jeune , Libraire,
rue S. Jacques , 1781 , deux Volumes in
12 , petit papier.
CAT Ouvrage eft divifé en trois Parties ;
la première contient le détail des délits qui
fe commettent dans les bois , & des peines
& amendes qui y font attachées ; ces objets
font rangés par ordre alphabétique. La
feconde eft compofée d'un Commentaire
fur l'Édit du mois de Mai 1716 , dont le
but principal eft de prefcrire aux Officiers
des Maîtrifes & aux Collecteurs des amendes
, la forme qu'ils doivent fuivre pour en
accélérer le recouvrement , & ne pas fe
rendre refponfables de l'infolvabilité des
condamnés. La troifième est une Collection
des Édits , Déclarations du Koi , Arrêts du
Confeil & autres Réglemens , intervenus fur
les délits & les amendes depuis 1683 jufqu'en
1780.
DE FRANCE. 120
Il eft certain que les loix forestières fe
font multipliées à l'infini ; qu'il est trèsdifficile
que tous les Officiers des Maîtrifes
en ayent une parfaire connoiffance , furtout
ceux qui, attachés aux Grueries feigneuriales,
habitent les Campagnes ou les petites
Villes , dans lesquelles ils ne font pas à
portée de s'inftruire . Ce défaut d'inftruction
eft encore plus grand parmi les Gardes des
Bois & Forêts , & les Collecteurs des amendes
, gens ordinairement très - groffiers &
fans éducation,
C'est donc un véritable fervice que vient
de leur rendre M. Henriquez, en raſſemblant
dans un petit Volume , & fous la forme
d'un Dictionnaire , les Réglemens épars
dans une multitude d'Edits & de Décifions ,
dont la plupart ne font pas connus des
Prépofés à la manutention des Bois &
Forêts.
Ce Livre fera d'un grand fecours aux
Marchands de Bois , auxquels il apprendra
aifément ce qu'ils doivent faire ou éviter,
Trop fouvent ils font pourfaivis pour un
délit qu'ils ignorent en le commettant , &
condamnés au payement d'une amende con
fidérable.
Les Officiers des Maîtrifes verront d'un
coup d'oeil les cas dans lefquels ils doivent
condamner les Délinquans à l'amende , & la
quotité fixée par les Loix . Les Receveurs des
amendes s'inftruiromt de la forme qu'ils
doivent fuivre pour ne pas vexer les Rede-
Fy
130 MERCURE
A
vables , lorfqu'il s'agit d'accélérer le recou
vrement , & pour ne pas fe rendre refponfables
de leur infolvabilité. Les Gardes s'y
inftruiront de leurs devoirs , & ne fatigueront
pas , par des procès-verbaux injuftes , les
Marchands , les Riverains des forêts , & les .
Gardiens des troupeaux .
M. Henriquez, dans fon Dictionnaire des
Délits & des Peines , & dans fon Commentaire
fur l'Édit de 1716 , donne fouvent le
motif & la raison de la Loi ; mais fes explications
font un peu trop laconiques , & il
eût éré à fouhaiter qu'il n'eût fait qu'un feul
Dictionnaire des deux premières Parties
qui compofent fon Ouvrage ; que , fous chaque
mot, il eût rapporté les délits qui peuvent
fe commettre , les peines & les amendes
qui y font attachées , foit par l'Ordonnance
de 1669 , foit par l'Édit de 1716 , ſoit
par d'autres Réglemens qui ont modifié ,
étendu ou interprêté l'Ordonnance dans les
cas qu'elle n'avoit pas prévus. Il auroit pu y
joindre enfuite les différentes décifions du
Confeil, qui n'ont pas été raffemblées par la
voie de l'impreffion , & qui compofent fa
troisième Partie .
DE FRANCE. 131
ISOCRATIS Opera omnia , Græcè &
Latinè , cum Verfione nova , triplici in
dice , variantibus lectionibus , & Notis.
Edidit. A. Auger , Regia Infcript. Parif.
Acad. Socius , 3 Vol. in - 8 ° . A Paris ,
chez Didot l'aîné , Imprimeur- Libraire ,
rue Pavée - Saint- André ; Debure , Libraire
, quai des Auguftins ; Jombert ,
Libraire , rue Dauphine ; & Barrois le
jeune , Libraire , quai des Auguftins.
M. l'Abbé Auger , qui a publié , il y a
quelque temps , Ifocrate traduit en François
, nous donne aujourd'hui une Édition
Grecque & Latine du même Orateur. L'É
diteur & l'Imprimeur n'ont épargné aucun
foin pour rendre cette nouvelle Édition
utile & agréable en même temps.
Des analyfes mifes à la tête de chaque
Difcours , qui en montrent l'ordre & la
fuite ; des Notes courtes & fubftantielles
qui vont droit à la folution de la difficulté
fans aucun appareil de critique ; une verfion
latine fimple , précife & la plus littérale pof
fible fans être barbare , & fans manquer
d'une certaine élégance ; un index grec , ou
font expliqués les mots effentiels & les principales
locutions d'Ifocrate. Tels font les
avantages de cette nouvelle Édition . Elles fuffiront
pour entendre fans beaucoup de
peine un Écrivain qui mérite d'être lû dans
fa langue originale.
F vj
132 MERCURE
M. l'Abbé Auger fe propofe de donner
une Édition de tous les autres Orateurs:
Grecs , imprimée à fes frais , ainſi que celle
d'Ifocrate , & travaillée fur le même plan.
Ce Savant eftimable fe croira dedommagé
de fes peines & de fes dépenfes, s'il parvient
à ranimer, parmi fes Compatriotes, l'amour
d'une Langue trop négligée de nos jours.
M. Didot l'aîné , avantageufement connu
par la beauté de fes caractères & du papier
qu'il emploie , par fon zèle à perfectionner
les différentes parties de fon Art , & par les
foins qu'il donne à fes impreffions , s'eft
furpaffe lui - même dans l'Édition Grecque
d'Ifocrate . L'Édition in 4° . fur tout est d'une
beauté qui frappera tous les Amateurs. Il y
a employé le plus beau papier d'Annonay
le même fur fequel paroîtra la magnifique
Edition in-4° . qu'il prépare des OEuvres de
Fénelon. Le prix eft de 108 liv. pour les trois
Volumes in 4. en feuilles . Quoique l'Édition
in 8. foit inférieure pour le papier ,
cependant elle peut être encore regardée
comme une belle Édition , ayant d'ailleurs
été imprimée avec les mêmes caractères &
avec les mêmes foins. Le prix de cette dernière
eft de 24 liv. pour les trois Volumes ent
feuilles.
2
Ifocrate , traduit en François par le même
M. l'Abbé Auger , fe trouve à Paris , chez.
les mêmes. Libraires..
DE FRANCE. 133
1
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE 17 Mai , Mlle Maillard a débuté par le
rôle de Colette dans le Devin du Village.
Cette Actrice eft très - jeune , & les difpofitions
qu'elle annonce nous paroiffent
faites pour donner les plus grandes eſpérances.
Sa voix eft ferme , & fon organe a
du timbre. On diftingue dans fon chant de
la jufteffe , de la précifion & de la facilité :
quant à fon jeu , il eft éloigné d'être
fait , mais on y remarque de l'intelligence
& une habitude de la Scène déjà affez étendue.
En travaillant à perfectionner fon goût,
nous croyons qu'elle peut devenir une Cantatrice.
Nous croyons encore qu'en donnant
un peu plus de nobleffe à fa démarche &
à fon maintien ; en foignant fa gefticulation ,
qui eft fouvent brufque & monotone , elle
deviendra auffi très utile comme Actrice
dans les rôles du genre paftoral , & même
dans le genre comique .
Le 24 Mai , Mmc d'Erville a débuté par
le rôle d'Iphigénie dans l'Iphigénie en Tau
ride de M. Gluck.
On ne fauroit refufer à cette Débutante
de l'intelligence , de l'âme , de l'ufage &
134
MERCURE.
même du goût ; mais ces qualités , quoique
très précieufes , ne fuffifent pas pour former
un fujet propre à jouer la Tragédie. Il faut
encore y joindre une phyfionomie mobile
& fufceptible d'expreffion , de la nobleſſe
& de la grâce ; enfin , un organe ferme , &
capable de fe prêter aux éclats qu'exige fouvent
le genre tragique. Soit timidite , foit
impuiffance , Mme d'Erville nous a paru
dénuée de ces derniers moyens. Au furplus,
elle a été mandée par l'Adminiſtration de
l'Opéra ; elle a débuté fans répétition , &
malgré la foibleffe de fa poitrine , malgré
l'embarras inféparable d'un début , elle a
mérité des applaudiffemens. Si l'effai qu'elle
vient de faire ici n'eft pas fuivi d'un heureux
fuccès , il ne fauroit lui être défavantageux.
Le meilleur tableau perd beaucoup
de fon prix quand il n'eft pas placé dans fon
jour.
COMEDIE FRANÇOISE.
UN Homnie de Lettres , dont les talens
font connus , vient de nous adreffer quelques
obfervations fur le compte que nous
avons rendu de l'Homme Dangereux. Nous
croyons qu'il eft de notre franchife & de
notre honnêteté d'en mettre le réfultat fous
Jes yeux de nos Lecteurs . On nous reproche.
d'abord d'avoir dit : Valère a la bêtife de
fe laifferfurprendrepar les fauffes confidences
DE FRANCE. 135
d'une Soubrette , &c. On relève l'expreffion
bêtife ; elle eft , dit - on , choquante. Ne
nous brouillons pas pour des mots. Quoique
tout le monde fache que tous les jours
on fait une bêtife fans être ce qu'on appelle
une bête ; quoique la manière dont
nous nous fommes expliqués fur l'Homme
Dangereux foit très- éloignée d'annoncer l'in
tention d'être défagréable à fon Auteur ,
nous conviendrons volontiers que nous pouvions
nous fervir d'une autre expreflion ;
que mal- adreffe , imprudence , indifcrétion.
auroient rendu notre idée tout aufli bien ,
plus décemment même fi l'on veut. Comme
nous n'avons pas & que nous n'aurons jamais
le defir d'infulter , une déclaration de
cette eſpèce ne nous coûte rien . Mais on
veut excufer l'imprudence de Valère . Nous
croyons que cela n'eft pas très - facile. Examinons.
On prétend que cette imprudence
eft motivée quatre ou cinq fois dans le premier
Acte de la Pièce. On ajoute qu'en parlant
de Valère , Julie dit à Marton : Il aura
cru me plaire ; & Marton lui répond :
Eh ! Madame , tant mieux .
Le traître avoit auffi trouvé grâce à mes yeux.
Mais , puifqu'en fa faveur il nous croit prévenues ,
Que fon erreur du moins foir utile à nos vûes.
Il faut l'entretenir , & , fans changer de ton ,
Flatter fa vanité pour le perdre.
On cite encore ces vers de la même Marton ;
136 MERCURE
Mon efpoir le plus sûr eft dans fon caractère,
Il me croit avec lui naturelle & fincère.
On impoſe aisément à la fatuité ,
Et l'indifcrétion ſuit la méchanceté.
Si l'imprudence de Valère eft une faute ,
ajoute- t- on , on fait qu'au tribunal de la
faine critique , unefaute que l'Auteur a eu le
mérite de pallier, eft à moitié pardonnée. Cette
réflexion eft vraie à certains égards , mais
elle merite des exceptions. D'ailleurs , il eft
des fautes qu'avec toutes les reffources de l'efprit
, il eft abfolument impoffible de pallier.
A quelque point que la mechancete puiffe
rendre indifcret , eft - il naturel qu'elle egare
un homme juſqu'à lui faire dire à une fille
honnête qu'il veut époufer : Mademoiselle , il
faut imaginer une atrocité capable de perdre
Dorante dans l'esprit d'Oronte. Un libelle
qu'on auroit l'adreffe de lui attribuer , produi
roit l'effet que je defire.Ce libelle eft tout prêt,
on l'imprime ; j'en fuis l'auteur : aidez- moi
à calomnier Dorante , & je vous épouse ?
C'eft là plus que de l'indifcrétion , c'est un
défaut de fens impardonnable ; c'eft de l'extravagance.
Les méchans font très fouvent
indifcrets , fans doute ; aufli ne font- ils pas
toujours fort dangereux ; & c'eft un homine
dangereux que M. Paliffot a voulu peindre.
Valère peut- il paffer pour l'être , quand il fe
démafque avec tant de légèreté & d'imprudence
? Nous ne croyons pas que rien
puiffe pallier une faute de cette efpèce ; nous
DE FRANCE. 137
le croyons de bonne foi , & nous le répé
tons avec la même franchiſe qui nous a engagés
à donner de grands éloges à d'autres
parties de l'Ouvrage de M. Paliffot.
On cherche encore à nous démontrer que
M. Pamphlet ne tombe pas des nues pourfor
mer le dénouement. Dès le premier Acte ,
dit- on , on doit foupçonner qu'il interviendra
dans l'action , lorfqu'on entend dire à
Pafquin :
Mais à Monfieur Pamphlet il faudra de l'argent ,
& que Valère répond avec humeur : 11 en
aura. On doit , dit - on encore , en être sûr
quand Marton dit au commencement du
troisième Acte :
Il s'agit maintenant de déterre Pamphlet,
Répondons. 1 °. Le vers de Pafquin au
premier Acte ne m'annonce pas plus Pamphlet
, & l'annonce même beaucoup moins
que tout ce qui fe dit de Mme Lifimon dans le
Glorieux n'annonce ce Perfonnage dont on
parle fans ceffe, & qui ne paroît pas . 2° . Intervenir
dans l'action , c'eft être utile à l'action
, c'est être un des refforts qui la font
marcher. Ce n'eft pas intervenir dans une
action , que d'arriver à la fin d'une Comédie
pour tirer un Auteur d'embarras , & brufquer
un dénouement. Qu'on ouvre le Méchant
, qui n'eft sûrement point un chefd'oeuvre
de conduite , & l'on verra que la
Soubrette de cet Ouvrage prépare bien
128 MERCURE.
plus adroitement les moyens qui doivent
lui faire connoître l'écriture de Frontin &
le Copifte des libelles imaginés par Cléon
Sans obftination , fans humeur nous per
fiftons dans nos critiques , & nous prenons
pour juges entre M. Paliffot & nous , tous
les gens inftruits des principes de l'Art.
Nous n'avons pas befoin de dire que cette
petite querelle ne fauroit altérer l'eftime
que nous avons juftement conçue pour les
talens de M. Paliffor...
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 24 Mai , on a remis la Surpriſe de
l'Amour , Cordie en trois Actes & en
profe , par Marivaux.
99
"
33
Trahi par une Maîtreffe qu'il adoroit ,
Lélio a pris les femmes en averfion.
" Quand quelqu'un , dit-il , me vante une
femme aimable & l'amour qu'il a pour
» elle , je crois voir un frénétique qui me
fait l'éloge d'une vipère , qui me dit
qu'elle eft charmante , & qu'il a le
» bonheur d'en être mordu.... Femmes ,
» vous nous raviffez notre raifon , notre
liberté , notre repos ; vous nous raviffez
à nous-mêmes , & vous nous laiffez vivre !
Ne voilà - t-il pas des hommes en bel
état ! Des pauvres fous , des hommes
» troublés , yvres de douleur & de joie ,
» toujours en convulfions , des efclaves ; &
"
&
DE FRANCE. 139
» à qui appartiennent ces esclaves ? A des
» femmes ! Et qu'eft - ce qu'une femme ? »
Malgré ces difpofitions & l'amertume de
ces plaintes , une Comteffe, qui, de fon côté,
croit n'avoir pour les hommes que de l'indifférence
& du mépris , infpire de l'amour
à Lélio , & en prend elle - même pour lui .
Arlequin , Valet de Lélio , & Colombine ',
Suivante de la Comteffe , jouent à- peu - près
les mêmes rôles que leurs Maîtres ; tandis
que d'un autre côté Jacqueline , fervante de
Lélio , & Pierre , neveu d'un Fermier de la
Comteffe , s'aiment de bonne- foi , fe font
demander réciproquement à leurs Maîtres ,
& donnent ainfi lieu , fans le favoir , aux
entrevues , aux converfations amoureuſes ,
aux explications & au dénouement .
Cette Comédie fut repréfentée en 1722
au Théâtre Italien. Cinq ans après Marivaux
en fit repréſenter une au Théâtre François
fous le même titre , & prefque fans fuccès.
Il y a plus de vraisemblance dans l'action
de la feconde , plus de fentiment , un
meilleur ton que dans la première . Mais
celle- ci eft plus comique , les fituations en
font plus variées , plus originales ; les oppofitions
en font mieux faifies , & produifent
un effet plus heureux. L'une paroît avoir
befoin du Théâtre pour être agréable , &
l'autre gagne , fur- tout aujourd'hui , à être
lue dans le filence du cabinet.
#
Les rôles de celle qu'on vient de remettre
à la Scène , ont été très - bien rendus
140 MERCURE
par Mefdemoiſelles Pitrot , Raymond &
Carline. M. Carlin a été charmant dans le
rôle d'Arlequin. M. Granger a repréſenté
le Perfonnage de Lélio avec une fupériorité
de talent qui a été remarquée par tous
les ordres des Spectateurs. Il eft impoffible
de mieux faifir les nuances qui diftinguent
l'expreffion relative aux Scènes où Lelio
brufque d'abord , devient infenfiblement
poli , inquiet, galant, amoureux & tendre . Le
moment où ce jeune homme laiffe échapper
malgré lui les traits qui annoncent combien la
Comteffe a fait de progrès dans fon coeur , a
excité les applaudiffemens les plus généraux
& les plus vifs : en un mot , M. Granger
par ce feul rôle , auroit pu fe faire la réputation
d'un excellent Comédien , & la mériter.
Nous parlerons dans le prochain Mercure
des Mariages Samnites & de la Comteffe de
Givry.
SECOND
GRAVURES.
ECOND Volume des Antiquités d'Herculanum ,
numéros 1 & 2. Chaque Cahier contient douze
Planches in - 4 ° . au prix de 9 livres , & de 6 livres
in- 8°. On foufcrit pour cet Ouvrage chez David ,
Graveur , rue des Noyers , n° . 17. Jufqu'ici nous
n'avons pu entrer dans aucun détail particulier fur
cette Entrepriſe ; nous y reviendrons tôt ou tard ;
elle mérite d'être favorablement accueillie par ·les
Amateurs de Gravures , & fur - tout par tous ceux
qui étudient l'Antiquité dans les Monumens échappés
aux ravages de nos barbares ancêtres .
DE FRANCE. 141
Deux Médaillons en plâtre , repréfentant l'Impératrice
de Ruffie , le Comte & la Comteffe du Nord.
Prix , 15 fols chacun . A Paris , chez Lauraire , rue
des Prêtre: S. Germain. On trouve à la même
Adreffe une Collection très- nombreuſe de Médaillons
en tous genres.
Clorinde & Tancrède au moment de leur combat
particulier , Eftampe de 14 pouces & demi de largeur
, fur 19 & demi de hauteur , gravée par Porporati
, d'après le Tableau de Carle Vanloo . Prix ,
16 liv. A Paris , chez la Veuve Sachy , Place Dauphine.
Correction , élégance , fini précieux , voilà ce
qui diftingue les Ouvrages de Porporati , & ce qu'on
retrouve dans cette nouvelle Eftampe. Il travaille
à une feconde qui fera pendant , & qui eft relative
au même fujet.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Les Jardins, ou l'Art d'embellir les Paysages,
Poëme , par M. l'Abbé de Lille , de l'Académie Fran
çoife , Volume in - 8. & en petit format. A Paris ,
chez Valade , Imprimeur-Libraire , rue des Noyers ;
& à Reims, chez Cafin , Libraire.
Hiftoire de Charlemagne , précédée de Confidérations
fur la première Race , & fuivie de Confidérations
fur la feconde , par M. Gaillard , de l'Acadé
mie Françoife , 4 Vol. in- 12. A Paris , chez Moutard
, Imprimeur - Libraire , rue des Mathurins . On
trouve chez le même Libraire , 1 °. le Numéro CC
des Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque ,
Volume in - 8 °.; 2 ° . un Eſſai fur l'Architecture
Théâtrale , ou de l'Ordonnance la plus avantageufe
à une Salle de Spectaeles , relativement aux Principes
de l'Optique & de l'Acoustique , avec un Exa142
MERCURE
men des principaux Théâtres de l'Europe , & une
Analyfe des Ecrits les plus importans fur cette Matière
, par M. Fatte , Architecte , Volume in- 8 ° .;
3 °. l'Authenticité des Livres , tunt du Nouveau que
de l'Ancien Teftament , démontrée , & leur véridicité
défendue , ou Réfutation de la Bible enfin expliquée.
Volume in- 8 ° .
Théorie , ou Leçon fur le temps le plus propre à.
couper la Vendange dans tous les pays & dans toutes
les années , par M. Maupin , in - 8 ° . Prix , 2 livres
14 fois . A Paris , chez Mufier & Gobereau , Libraires ,
quai des Auguſtins ,
& Traité de la peine de mort , traduit de l'Italien de
M. Paolo Vergani, fur la feconde Edition de 1780 ,
&fuivi d'un Difcours fur la Justice Criminelle , par
M. Coufin , Avocat du Roi , &c. Volume in - 12. A.
Paris , chez Guillot, Libraire , rue de la Harpe ; à
Rouen , chez Labbey ; & à Dieppe , chez Dubuc.
Tuvres choifies de Piron , Vol. petit format ;
Euvres choifies de La Fontaine, précédées de l'Éloge
de cet Auteur , par M. de Chamfort , de l'Académie
Françoife , même format. A Paris , chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
Agis , Tragédie en cinq Actes & en vers , repréfentée
par les Comédiens François en 1782 , par M..
Laignelot , in- 8 ° . Prix , 1 livre to fols. A Paris ,
chez Demonville , Imprimeur- Libraire , rue Chrif
tine .
Euvres complettes de M. Paliffot , 7 Vol. in-16.
A Paris , chez Servière , Libraire , rue S. Jean de
Beauvais. Le même Ouvrage eft également imprimé
in-8 °. 7 Vol . avec figures . Le dernier Volume fe.
vend féparément. On trouve à la même adreffe une
Analyfe raifonnée du Droit François par la comparaifon
des difpofitions des Loix Romaines & de celles
DE FRANCE 148
de la Coutume de Paris , fuivant l'ordre des Loix
Civiles de Domat , avec un Texte de la Coutume
de Paris , dans lequel les articles font rétablis dans
L'ordre que les Réformateurs leur ont donné , par
M. Gin, Confeiller au grand Confeil , Volume
in-4°.
Première Partie du Tome XV de l'Histoire ancienne
des Hommes , in- 12 & in- 8 ° . A Paris, chez
M. de la Chapelle , rue Baffe du Rempart.
>
Nouveaux Principes de Phyfique , ornés de Planches
, par M. Carra , Tome III , in - 8 °. A Paris ,
chez Morin , Imprimeur- Libraire , rue S. Jacques ;
Efprit , Libraire , au Palais Royal ; & chez l'Auteur ,
rue Neuve des petits Pères. ·´
Tome III du Recueil d'Epitaphes , par M. D. L.
P. in-12. A Paris , chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés.
Guide , ou Manuel dans le Traitement des Maladies
les plus graves & les plus fréquentes , Volume
in-8°: Prix , 4 liv . broché. A Paris , chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguftins.
L'Evantail, Poëme en quatre Chants , par M.
Milon de Liege , in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques ; Defenne ,
Libraire , au Palais Royal .
Journal de Clavecin.
LE fuccès du Journal de Harpe a déterminé l'Éditeur
à publier, fous la même forme , un Journal pour le Clavecin
& le Piano - Forte. Il eft compofé chaque année ,
comme le Journal de Harpe, de 12 cahiers de 8 pages
chacun. On y trouve des Ouvertures , des Airs de Ballets ,
des Rondeaux , des Pots- Ponrris , des Airs de Chants
avec accompagnemens , de petites, Pièces , & c. Tous ces
morceaux font l'ouvrage des meilleurs Maîtres ; la variété ,
Ja nouveauté , le bon choix & l'exactitude font les qualités
744
MERCURE
que l'Éditeur de ce Journal fe propofe d'y réunir. Les
Airs de Chant feront toujours différens de ceux du Journal
de Harpe , & fur des paroles de la plus exacte décence.
Les cahiers de ce Journal paroiffent exactement le 15 de
chaque mois . Le prix de l'abonnement , pour les 12 cahiers
, eft de 15 liv. pour Paris & pour la Province , franc
de port. Chaque cahier fe vend féparément 2 liv. On ſoufcrit
à Paris chez M. Leduc , Marchand de Mufique , rue
Traverfière Saint-Honoré , au magafin de Mufique. On
recevra , en foufcrivant , les cinq premiers cahiers qui font
prêts à paroître. Le premier contient l'ouverture du peric
Soupé , Opéra Comique de M. D. L. C. , arrange par
M. Maréchal ; un nouvel Andante de M. Edelman , & un
Rondeau arrangé par M. Camille. Le fecond , un Air varié
d'Hayden à 4 mains ; un Air de Chant , avec accompagne
ment , de M. Kuffner ; & un Air des Ballets , arrangé par
M. Prati. Le troifième , l'ouverture de l'Eclipfe totale , par
M. D. L. C. , arrangé par lui-même ; un Air des Ballets
de Théfée , de M. Goffec , arrangé par M. Mehul , Élève
de M. Edelman . Le quatrième , des Pots- Pourris de M.
l'Abbé le Bugle , un Air d'un Oratoire de M. Goffee ,
avec accompagnement de M. Hulmandel ; un Air d'Orphé
& un Air de Ballet de Théfée , arrangé par M. Prati. Le
cinquième, l'Ouverture de Colinette à la Cour , arrangé
par M. Fodor ; Romance de M. Edelman ; un Air de Bal
let de Colinette à la Cour , arrangé par M. Vion , & un
Rondo de M. l'Abbé le Bugle.
TABLE.
V₁
97 rêts , 128
131
ERS à M. le Comte du Code Pénal des Eaux & Fo
Nord ,
Recherches fur la coutume de Ifocratis Opera omnia ,
faluer quand on eternue , 101 Académie Koy. de Mufiq. 133
Enigme & Logogryphe , 106 Comédie Françoiſe ,
Hiftoire dela Maifon de Bour- Comédie Italienne ,
bon ,
108 Gravures ,
122
Les Aveux d'une jolie Fem- Annonces Littéraires,
me ,
134
1,8
140
143
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Juin. Je n'y al
xien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
Je 14 Juin 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 JUIN 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés au Grand Duc de Ruffie , pendant
fon féjour à Lyon.
ILLUSTRE Voyageur , dont l'active jeuneſſe
Voyez
Dans l'art des Rois veut fe former ,
fur nos remparts ,, que vous favez charmer,
Éclater les tranfports d'une vive alégreffe ;
Le François eft fait pour aimer:
Sams fortir de nos murs , vous pouvez le connoître
Un grand Homme , un Héros , fur fon coeur a des
droits ;
Il aime fur-tout les grands Rois ;
Jugez s'il fait chérir fon Maître.
Aux rives du Wolga , lorfque de vos Sujets
No. 25 , 22 Juin 1782
146 MERCURE
Votre préfence un jour caufera le délire ,
Vous vous direz , peut-être avec quelques regrets :
ce En France , quand je voyageois ,
» J'étois déjà dans mon Empire. »
ACHEVEZ de remplir vos glorieux projets.
PIERRE vit nos climats ; vous marchez fur fes traces ;
Vous aurez de plus grands fuccès ;
Vous voyagez avec les Grâces .
(Par M. Andrieu. ')
ÉPITRE à M. BARDIN l'aîné , à Sens.
TRANSFU
RANSFUGE de la Capitale ,
Apoftat du facré Vallon ,
Envers nous , envers Apollon
Votre inconftance fe fignale ,
Et vous confirmez mon foupçon.
Je ne voudrois pas être au rang
de vos maîtreffes ,
Vos fermens de m'aimer fe perdroient dans les airs
Chaque femaine à nos adreſſes
Vous deviez m'envoyer votre profe & vos vers :
Quel eft l'effet de vos promeffes ?
Dans l'été de vos ans vous vivez fans defirs ;
Enfeveli dans la Province
Vous dédaignez nos goûts , nos jeux & nos plaiſirs :
Laiffez les Écrivains d'un mérite trop
mince
Perdre le fruit de leurs loirs,
Mais vous , enfant chéri des Mufes ,
DE FRANCE. 147
Vous qui , fur le Parnafe , auriez peu de rivaux,
Parlez : quelles font vos excuſes
Pour ceffer vos doctes travaux ?
Par quelle farouche manie ,
Quand vous avez quitté nos bords ,
N'êtes-vous plus fenfible aux raviffans accords
De la poëtique harmonie ?
Si vous aimez la folitude ,
Si tous vos goûts font endormis ,
Faut-il , en renonçant aux charmes de l'étude ,
Oublier auffi vos amis ?
( Par Mde de Beaumarets. )
RÉPONSE de M. BARDIN l'aîné à
l'Építre précédente.
DANS une morne indifférence ,
Dans un apathique repos ,
Thémire , il eſt trop vrai , fans foins , fans eſpérance ,
Laiſſant la gloire à mes rivaux ,
Je méditois dans le filence . :
Loin de vous j'exiſtois fans goûts & fans defirs ;
Mais votre Épître enchantereſſe
Vient m'arracher à ma pareſſe
Et renouveler mes plaifirs.
Quels accords raviſſans votre mufette exprime !
Pupille heureuſe d'Apollon ,
Vous allez fur la double cîme
Gij
'148
MERCURE
Immortalifer votre nom .
Les doctes Filles de mémoire
Ne défavoûroient pas vos vers ingénieux .
** Des Lafuze & des Villedieux-
Déjà vous partagez la gloise.
Le fon de votre voix a réveillé mes fens ,
Et porté dans mon âme une ivreffe nouvelle
Je ne puis toutefois agréer votre encens ;
Votre portrait n'eft pas fidèle .
Dans les vers que vous m'adreſſez ,
Vous me peignez comme un modèle ,
A l'inftant que vous m'effacez.
Suivez le goût. qui vous infpire ;
Tranfmettez votre efprit à la postérité ,
Le précieux talent d'écrire
Ajoute encore à la beauté.
C'est peu pour vous de plaire, au printems de votre âge,
Par l'enjoûment de votre efprit ;
Une Belle qui nous inftruit
Nous intérelle davantage ;
Et puifque je n'ai plus l'eſpoir
D'entendre votre voix qui fut trop me ſéduire ;
S'il ne m'eft permis de vous voir ,
Que du moins je puiffe vous lire.
Mais , de grâce , ceffez de me croire inconſtant ,
Je n'ai jamais paffé pour l'être ;
Éprouve - t'on ee fentiment
Lorfque l'on a pu vous connoître ?
Ah ! quand reviendrez -vous , délicieux momens ?
DE 149 FRANCE.
Combien ici je vous regrette!
Loin des arts , fombre Anachorette ,
Je vois s'envoler mes beaux ans.
Votre amitié par fois ( il eſt vrai ) me ranime ;
Et quand pour me louer vous empruntez des Dieux
Le langage le plus ſublime ,
Je m'imagine encor contempler vos beaux yeux.
Si ce plaifir touchant pouvoit ne pas
Pour accroître ici ma gaîté ,
fuffire
S'il falloit être fourd aux cris de la fatyre
Pour trouver la félicité ,
Je me fouviens qu'à votre école
J'appris qu'en tous lieux , en tout temps ,
Avec les morts & les favans ,
Le fage aifément fe confole
De l'injuftice des vivans .
RÉPONSE à un Impromptu écrit avec du
crayon rouge , remis à l'Auteur en fortant
de la Séance publique de l'Académie de
Nanci , & qu'il n'a pas pu lire. *
EN m'honorant d'un Madrigal Aatteur ,
Vous vous couvrez d'une voile impénétrable.
* M. François de Neufchâteau avoit récité à cette
Séance la Traduction en vers des Ve & VIe Chants de
Roland Furieux.
Gii)
150 MERCURE
Votre écriture à peine eft déchiffrable ,
Et je n'ai pu voir les traits de l'Auteur.
POUR me tirer de ces Hieroglyphes
Qu'en traits de feu traça votre crayon ,
J'implore en vain ce lumineux rayon
Qui fait trouver le mot des Logogryphes.
Ou puis - je donc , par un juſte retour
Vous adreſſer ma voix reconnoiſſante ?
Quelle eft la Fée invifible & puiffante
Qui veut ainſi ſe dérober au jour ?
On fait qu'Ajax dit à Dicu dans Homère :
Rends- nous lejour & combats contre nous.
Je ne prends point ce ftyle téméraire
Des efprits forts , des Héros & des fous.
MAIS je vous dis , fur un ton moins ſublime,
Tel qu'à ma Mufe il convient de l'avoir :
Trève d'éloge , ô Déeffe anonyme,
Et laiffez-moi vous entendre & vous voir!
( Par M. François de Neufchâteau , Lieutenant-
Général du Siége Préfidial de Mirecourt. )
DE FRANCE. ISI
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft l'Ombre ; celui
du Logogryphe eft Bûcher , où l'on brûloit
le corps des morts. Le Bûcher eft un tout
compofé de bûches , & le Bûcher fubfifte
juſqu'à ce qu'il n'y ait plus de bûches à brûler.
Ce mot s'entend auffi du lieu où l'on
ferre les bûches.
ÉNIGM E.
PLACÉE entre le ciel & toi ,
Homme , de toi je tiens mon ministère ;
Et , ce que je donne à la terre ,
C'eft d'en-haut que je le reçoi.
Je te fers en rampant , ( qu'importe la manière ? )
Mais ton utilité n'eft pas ma feule loi.
Propice encore à Bellone , à l'Amour ,
Dès que l'aftre qui nous éclaire
Sur l'horifon a terminé ſon tour ,
Et qu'à d'autres climats il porte la lumière ,
Je favorife les ébats
D'un peuple de vauriens affez peu délicats ,
Efpèce amoureufe & guerrière ,
Qui , battant , careffant dans la même carrière ,
Se multiplie au milieu des combats.
(Par M. Pat *. )
Giv
132 MERCURE
LOGOGRYPHE.
VAUX-TU favoir , Lecteur , mon nom ,
Je
domicile ?
mon
peux te contenter , & rien n'eft plus facile.
Mon domaine eft par- tout ; je fuis en tous climats
L'attribut du Guerrier , le foutien des États.
Rien ne me fait trembler ; animé par la gloire ,
Je brave le péril , j'enchaîne la victoire.
On compte en moi fept pieds : par eux tu trouveras
Ce qu'on sème au Printemps dans un terrein trop gras ;
Ce que tout Voyageur craint en rafe campagne ;
Le métal qui foutint & qui perdit l'Eſpagne ;
Ce que voudroit cacher femme dans fon été ;
Et le premier vaiffeau que la mer ait porté ;
Ce qui foutient la tête ; un ton de la Mufique ;
Ce que jadis fit fondre un Général punique ;
Ce qui gâte le vin , au dire d'un buveur ;
D'un oiſeau la priſon ; un mal qui fait horreur ;
Voilà mes qualités & voilà ma figure ;
Mon nom eft un fecret que garde le Mercure .
( Par M. Leg.... Avocat au Parlement. )
DE FRANCE. 1537
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TRIBUT de l'Amitié , ou Épître à feu
M. l'Abbé de la Serre , fuivie d'une Lettre
fur fa Mort , inférée dans le Journal de
Paris.
J'aurois encor beaucoup à dire ,
L'efprit n'est jamais las d'écrire
Lorſque le coeur eft de moitié.
A Lyon , & fe trouve à Paris chez les
Marchands de Nouveautés .
Nous avons déjà eu occafion de parler
avantageufement de M. Bérenger. Cette
Epître , qui fait honneur à fon coeur , n'eſt
point indigne de fon talent aimable. Si elle
manque de cette liaifon infenfible des idées ,
de cet accord de toutes les parties qui fait
le principal intérêt d'un Ouvrage , on y
trouve des morceaux écrits avec foin &
agrément . L'Auteur , élève & ami de M.
l'Abbé de la Serre , lui a adreffé cette Epître
pour le féliciter de la fituation heureuſe dont
il commençoit à jouir lorfque la mort l'a
enlevé.
Abbé docte & charmant , aimable pareffeux ,
De qui la lyre enchantereffe
Rend des fons fi mélodieux ,
Gv
754
MERCURE
Tu viens donc de fixer la volage Déeſſe !
Un filet du pactole a comblé tous tes voeux ,
Et va dorer chez tɔi les fables du Permeſſe.
Peut être cette image eft- elle un peu recherchée.
L'efprit ne gate jamais rien ; mais
le petit efprit déplaît toujours ; il fait l'effer
d'une prétention mal fondée au furplus ,
l'Auteur , à l'occafion de la préférence que
M. l'Abbé de la Serre avoit donnée à Lyon
fur Paris pour y fixer fon féjour , fait une defcription
de la Capitale , où l'on remarque
de grandes beautes.
J'ai vu ces deux Cités , je préfère la tiente ;
Je préfère les Arts verfant dans nos États
L'or du riche Cadix , de Lisbonne & de Vienne ,
Au luxe dévorant , au faftueux fracas ,
A ce contrafte enfin de molleffe & de gêne ,
Dont mon coeur eft bleſſé dans la moderne Athêne.
Tout trompe dans Paris . J'ai cru que les plaifirs
Floient les jours heureux de fon peuple volage :
Quelle erreur ! je n'ai vû par- tout que des martyrs.
Par-tout règne l'ennui ; l'impotent perfonnage
S'affied , bâille , & s'endort au fond d'un équipage
Qu'emportent fix courfiers émules des zéphirs.
L'ennui s'étale en loge ; à la Cour il voyage;
Là , le bonheur d'autrui nourrit fes déplaifirs
•
O capitale ! ô gouffre immenfe
DE FRANCE. 155
Où viennent s'engloutir tant de jeunes vertus !
Où dans les pièges de Plutus
Trébuche tous les jours l'étrangère innocence ;
Chars effrontés que l'opulence
Confacre aux Nymphes de Vénus !
Boulevards & jardins fi brillans , fi connus ,
Où le vice s'étale avec tant d'imprudence !
Tandis que l'honnête indigence ,
Ne recueillant que des refus ,
Pleure & maudit fon exiſtence
A lá porte des parvenus.
Quels tableaux vous m'offrez ! pourquoi les ai- je vus ?
On pourroit fans doute faire un tableau
plus attrayant de la Capitale ; mais ce n'e--
toir pas l'objet de l'Auteur , & fes couleurs
n'en font pas moins belles ni moins poétiques.
Des idées plus douces contraftent bien
tôt avec ces teintes fombres.
Jouiffez de vous-même & du bonheur d'autrui.
Aimez à partager votre nouvelle aifance ;
Ces plaifirs font les feuls que refpecte l'ennui.
Soyez le bienfaiteur de l'obfcure indigence.
O d'une âme fenfible aimable volupté !
Plaifir toujours nouveau quoique toujours goûté ,
Doux plaifir de donner , d'épandre fes largeffes ,
Toi feul tu fais fentir le vrai prix des richeffes !
Il doit être fi doux pour l'Auteur d'un bienfait ,
De rencontrer les yeux de l'heureux qu'il a fait,
De s'entendre bénir par la reconnoiffance!
Gvj
156
MERCURE
On reconnoît dans ces vers l'aimable faci
lité que nous avons déjà louée plufieurs fois
dans les divers Ecrits de M. Bérenger.
SATYRES DE JUVÉNAL , traduites par
M. Dufaulx , Ancien Commiffaire de la
Gendarmerie , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles- Lettres , & de celle
de Nancy. Seconde Édition. Vol . in- 3 ° .
A Paris , chez Lambert & Baudouin
Imprimeurs Libraires , rue de la Harpe ,
près S. Côme , 1782.
Ce n'eft plus le bon goût feulement qui
dicte aujourd'hui les jugemens dans la Litté
rature : le bon ton & la mode ont étendu
leur empire fur les Lettres depuis que les
gens du monde les cultivent , & depuis que
les Hommes de Lettres fe font répandus
dans le monde. Eft ces un mal , eft- ce un
bien ? C'eft une queſtion qu'on agite beaucoup
depuis quelque - temps , parce qu'on
ne demande pas mieux que d'avoir des queftions
à agiter ; qu'il eft bon d'en changer au
moins de fiècle en fiècle ; qu'on étoit auffi
un peu las de difputer fur la prééminence de
Corneille & de Racine ; & que d'ailleurs des
hommes d'une modération rare & d'une
grande impartialité avoient trouvé que Racine
& Corneille avoient tous les deux beaucoup
de génie. C'eft la mode , depuis quelque-
temps , de faire peu d'eftime des Traducteurs
; l'Auteur de la plus mince BroDE
FRANCE. 157
chure croit avoir créé quelque chofe lorfqu'il
a répété en mauvais François ce qui a
été dit mille fois en un François excellent ;
& fi vous lui demandiez fon avis fur une
très-bonne Traduction de Juvénal , d'Horace
& de Tacite , il pourra vous répondre :
fi vous traduifez toujours vous ne ferezjamais
traduit. Ces paroles font de Montefquieu ;
& avec ces paroles & fa Brochure , il fe
croira un génie auffi original que l'Auteur
des Lettres Perfannes. Rien n'eft fi commun
que ces gens qui , de très bonne foi , fe perfuadent
avoir tout l'efprit qui eft dans leurs
citations ; qui croyent verfifier comme Boi
leau , parce qu'ils parlent toujours de Boileau
, ou plaifantent comme Voltaire, parce
qu'ils ont loué très- fouvent le talent de Vol.
taire pour la plaifanterie. Les véritables
Gens de Lettres font trop éclairés pour
avoir de ces illufions de l'amour-propre.
L'amour- propre n'aveugle à cet excès que
ceux qui n'ont point de lumières . Ce mot
des Lettres Perfannes, que l'envie de nuire a
cité i fouvent , n'étoit qu'une plaifanterie
de Montefquieu ; & l'on peut voir dans la
Préface du Temple de Gnide , quelle eftime ce
grand Homme faifoit des Auteurs de bonnes
Traductions. A la renaiffance des Lettres ,
ce font les Traductions qui forment le bon
goût ; à leur décadence , ce font les Traductions
qui peuvent le conferver . Dans tous les
temps elles entretiennent , elles réveillent le
goût des bonnes études , l'amour de l'anti158
MERCURE
quité , fans lequel il n'y aura jamais que des
talens médiocres dans les conftitutions mo
dernes. Pour peu que les Traducteurs ayent
le fentiment des beautés de leurs modèles ,
ils tranfporteront toujours dans notre langue
quelques - unes de ces richeffes de ftyle
qui croiffoient dans les langues anciennes
comme fur leur fol naturel.
Si on excepte la belle Traduction de Lucrèce,
par la Grange, & celle de la Pharfale ,
par M. Marmontel , nous n'avons point dans
notre langue de Traduction en profe des
Poëtes Latins qui ait eu autant de fuccès que
celle de Juvénal.
Le Difcours Préliminaire qui parut à la
tête, fit plus d'honneur encore à M. Dufaulx.
Il y apprécioit le talent & la morale des Satyriques
Latins , fur tout de Juvénal & d'Ifo
race ; tous les jugemens étoient d'un homme
de goût & d'un homme de bien. Le carac
tère de Juvénal étoit tracé avec éloquence ,
& cette éloquence étoit celle d'un homme
qui fentoit fortement la vertu. Des connoiffeurs
parurent craindre que M. Dufaulx
n'eût montré trop de préférence pour Juvénal
, & n'eût pas affez fenti qu'Horace eft
un modèle bien plus parfait. Cette crainte
n'étoit pas fondée . M. Dufaulx préfère le
goût d'Horace & la morale de Juvénal ; &
l'on voit par- tout que s'il n'aimoit pas mieux.
encore la vertu que le talent , les préférences
de fon goût feroient toutes pour Horace.
Ce Difcours , qui n'avoit que 40 pages
DE FRANCE. 19
dans la première Édition , en a 175 dans
celle ci . On ne pardonne guère d'allonger un
Ouvrage , à moins que tout ce qu'on ajoute
à fon etendue , n'ajoute encore beaucoup à
fon mérite. Plus on eft long , plus on eft
obligé d'être parfait . M. Dufaulx n'a rien à
redouter de la févérité de ce principe de jugement
du Public. Son Difcours eft un nouvel
Ouvrage , & l'on ne fent qu'il eft plus
long , que parce qu'il donne plus de plaifir
& plus de lumières .
Parmi les chofes que M. Dufaulx a ajoutées
au Difcours , nous avons diftingué ce
qu'il dit du caractère moral d'Horace & du
talent de Perfe.
Ces deux morceaux font d'un homme de
Lettres qui a de la philofophie , & l'un &
l'autre font très piquans par leurs réſultats .
Après avoir bien cherché le caractère mo→
ral d Horace , il fe trouve qu'Horace n'avoit
point de caractère moral. Dans un vers il
refpire la molleffe & la volupté d'Épicure ,
& quelques vers après il s'arme de toute
l'âpreté de la vertu des Stoïques : le Courtifan
& le Flatteur adroit d'Augufte parloit
quelquefois comme Caton ; mais il faut entendre
M. Dufaulx lui- même.
" Il a autant de maximes pour les ambi-
" tieux que pour ceux qui favent fe con-
» tenter de leur fort . Tantôt il invite à re-
» chercher la fociété des grands & des ri-
» ches ; tantôt il avoue que leur commerce ,
fi doux en apparence quand on les voit de
160 MERCURE
loin , eft redoutable en effet quand on les
approche de trop près. Ouvrez fon Livre,
» au hafard , vous y verrez qu'il exalte tour-
" à - tour l'opulence & la médiocrité , la
» modération de l'âme & fon activité dans
la pourfuite des honneurs ; qu'il y vante
& la foupleffe d'Ariftippe & l'inflexibilité
» de Caton. »
*
M. Dufaulx ajoute , comme fi le coeur pou
voitfuffire aux affections les plus contraires...
Hélas ! oui , il peut y fuffire , & c'eſt même
là fa nature. Celui qui n'a jamais que les
mêmes opinions & les mêmes fentimens , a
dû faire de grands efforts avant de fe rendre
ainfi maître de l'inconftance de fon efprit &
de fon coeur. L'homme eft un être merveilleu
fement vain , divers & ondoyant , a dit Montagne
. Le portrait que ce Philofophe fait de
Phomme, reffemble beaucoup à celui qu'Ho
race fait de lui - même. Il ne faudroit pourtant
pas en conclure qu'Horace & Mcntagne
fe reffemblaffent beaucoup. Mais celui
qui combat les paffions & les foibleffes , &
celui qui s'y abandonne peuvent les connoître
également.
Сс
Ce qui lui concilie le plus grand nombre
de Lecteurs , c'eft que la plupart ne
» le trouvent ni trop vertueux ni trop vi-
» cieux ; c'eft que l'extrême indulgence dont
» il ufe à propos , montre plutôt un ami
» qu'un cenfeur ; c'eft encore parce que les
" aveux qu'il fait fi fréquemment mettent
» tout le monde à l'aife. ›»
30
箭
DE FRANCE. 161
Il y a bien de la fagacité dans cette vûe ;
c'eft raifonner fur les matières de goût en
homme qui connoît le coeur humain ; &
fans cette connoiffance , on n'aura jamais
qu'un goût médiocre & de routine.
Boileau à dit :
Perfe , en fes vers obfcurs , mais ferrés & preffans ,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.
Aujourd'hui , quoiqu'on y trouve peu de
mots , on y trouve moins de fens encore : ce
n'eft pas ainfi qu'il eft beau d'être précis . On
ne doit pas être furpris que l'on difpute fur
le mérite de Perfe , on difpute même fur le
fens de fes vers. Si on le lit dans deux Traductions
différentes , on eft tenté de croire
que ce font deux Poëtes différens . Mais il me
femble que , puifqu'on peut l'expliquer de
tant de manières diverfes , il eft clair qu'on
ne l'entend d'aucune manière . Cafaubon
vouloit le mettre au - deffus de Juvénal , &
même d'Horace ; & , pour y parvenir , il fit
un Commentaire de plufieurs Volumes fur
les fept cent vers de Perfe. Cela n'étoit pas
trop adroit : Cafaubon ne voyoit point que
faire tant de commentaires fur un Auteur ,
c'eft prouver qu'il eft inintelligible par les
efforts même que l'on fait pour le faire entendre
; & , quoi qu'on en diſe , on admire
peu ce qu'on ne comprend pas. M. Dufaulx
peut faire plus de tort à Perfe que ceux qui
l'ont attaqué jufqu'à préfent : on fe contentoit
de dire qu'il eft obfcur ; mais un Écri162
MERCURE
vain , fur- tout un Écrivain ancien , peut être
obfcur & avoir cependant de grandes beautés.
L'aftre qui nous éclaire n'en eft pas
moins le foleil lorfqu'il fe couvre de nuages.
M. Dufaux s'y prend mieux. Il apprécie le
talent de Perfe par les chofes que tout le
monde entend , fur lefquelles les Commentateurs
& Traducteurs font tous d'accord ;
& il lui reproche de n'avoir jamais de
gaîté , quoiqu'il ait toujours la prétention
d'en avoir; d'être fuccinct plutôt que précis ,
c'est - à - dire , d'être précis , parce qu'il eft
ftérile ; d'avoir écrit des Satyres fans avoir
étudié le monde , fans tâcher même de pein
dre l'homme corrompu par la fociété; de
laiffer enfin le vice & le ridicule en paix .
pour établir des principes de Stoicifme dans
un fiècle où la morale la plus douce & la
plus indulgente auroit paru une pédanterie.
On peut demander comment il eft arrivé que
tant de Savans , tant d'hommes de goût &
d'efprit fe font obftinés à commenter, à lire ,
à traduire un Poëte qui a tant de défauts ,
& qui eft fi difficile à comprendre : précifément
comme il arrive que des gens de goût
& d'efprit s'obſtinent quelquefois à trouver
le mot d'une énigme qui eft mal faite & mal
verfifiée. Perfe eft une énigme en fept cent
vers ; & puis , c'eft une énigme qui nous
vient de l'antiquité. Mais n'y a- t'il donc rien
de beau dans Perfe ? M. Dufaulx ne dit point
cela : il y admire des vers philofophiques
qui peignent la vertu avec cette majefté que
DE FRANCE. 763
les Antonin & les Marc- Aurèle lui donuèrent
depuis fur le trône de l'Empire. Perfe reffemble
à ces Oracles qui , au milieu d'un
langage enveloppé de ténèbres , laiffoient
échapper des mots dignes de fortir de la bouche
des Dieux.
Au refte , il eft impoffible que l'opinion
de M. Dufaulx puiffe bleffer ceux qui en
ont une contraire : c'eft une affaire de goût ,
& il propofe fon avis avec la politeffe & les
égards que le bon goût infpire. Il donne fes
raifons en donnant fon avis ; s'il a tort , il
n'en fera que plus facile à combattre ; car
on le peut toujours fi une raifon eft bonne
& mauvaife.
Le parallèle de Juvénal & d'Horace mériteroit
d'être cité en entier ; & comme tout
s'y tient , chaque morceau perdroit trop à
être cité en particulier. Il n'eft pas poffible
de mieux démêler fur- tout l'adreffe de la
compofition d'Horace ; cet art qu'il eut de
ne louer que des vertus que les grands & les
riches penſent avoir ; de faire grâce , même
en les attaquant , aux vices que la puiffance
& la fortune donnent ; de faire enfin de la
faryre même un inftrument de flatterie pour
le Tyran qui avoit détruit la liberté publique
, & pour des Miniftres affez éclairés
pour fentir que , dans une Monarchie naiffante
, les vices aimables & polis font un
bon reffort pour le Gouvernement . Le glaive
de Marius , de Sylla & des Triumvirs n'avoit
profcrit que les hommes vertueux ;
164
MERCURE
la paix , le repos , les voluptés & les talens
de la Cour d'Augufte devoient profcrire les
vertus mêmes.
Nous ne fommes pourtant pas toujours
de l'avis de M. Dufaulx dans les traits où il
croit trouver les exemples de cet artifice de
la compofition d'Horace. Dans la Satyre fur
la Nobleffe , par exemple , Horace dir ,
qu'avant Tullius , qui , d'efclave , devint Roi ,
on avoit vû des hommes de baffe extraction
s'élever , par leurs vertus , aux plus hautes
dignités , & il ajoute :
Contrà , Levinum , Valeri genus , unde Superbus
Tarquinius regno pulfus fugit , unius affis
Non unquam pretio pluris licuiffe , notante
Judice , quo nofti populo ; qui ftultus honores
Sapè dat indignis , & fama fervit ineptus ,
Qui ftupet in titulis & imaginibus.....
Nous citerons la Traduction de M. Dufaulx.
ود
« Tandis , au contraire , que Valerius
» Levinus , defcendant de celui qui chaffa
Tarquin le Superbe , n'auroit pas été eſti-
» mé quatre deniers fi on l'eût mis en vente ;
» c'eſt du moins le jugement qu'en portoit
» le peuple, ce peuple que vous connoiffez ,
» qui difpenfe follement les honneurs à
» ceux qui les méritent le moins , qui n'o-
» béit qu'à l'opinion , & fe laiffe éblouir
par des images & par des titres.
"
و د
M. Dufaulx cite ces vers pour prouver
DE FRANCE. 165
qu'Horace , lorfqu'il attaquoit un homme
d'une famille illuftre , prenoit bien garde de
bleffer le corps entier des Patriciens ; &
qu'en immolant ce Levinus , qui defcendoit
des Valerius Publicola , il le fépare des no
bles , & l'entoure de victimes fubalternes
qu'il facrifie en même temps , à peu près
comme on en ufoit aux funérailles des an
ciens Rois des Scythes. La comparaiſon eft
ingénieuſe , mais l'idée principale de cette
obfervation ne nous paroît pas jufte. Ce
n'eft pas attaquer bien cruellement le peuple
que de lui reprocher fon admiration
pour la Nobleffe ; & ce reproche qu'il lui
fait eft bien plutôt une fatyre violente du
corps entier des Praticiens ; c'eft les ménager
bien peu affurément que de leur dire que
la ftupidité feule peut fe laiffer éblouir de
leurs titres & de leurs images ; & voilà ce
que leur dit Horace . S'il y a quelque adreffe
dans ces vers , elle confifte en ce qu'il a l'air
d'attaquer le peuple , lorfque c'eft l'orgueil
de la Nobleffe qu'il immole. On pourroit
trouver, je crois , plus d'un exemple de cette
adreffe dans les Satyres d'Horace,
Nous pourrions combattre de même quelques
autres obfervations particulières du
Difcours de M. Dufaulx ; mais cela n'empêche
pas que ſes vûes générales ne nous
paroiffent le plus fouvent juftes , quelquefois
neuves , & toujours intéreffantes . Ce
Difcours fuppofe des études qu'on ne fait
plus aujourd'hui ; on croit que l'efprit fup
166 MERCURE
pléé à tour , & l'on ne fonge pas que l'efprit
eft rare , que le meilleur ufage qu'on en
puiffe faire , c'eft de l'exercer à fentir & à
produire les beautés des grands Écrivains de
l'antiquité ; qu'enfin , il eft difficile d'avoir
plus d'efprit que La Fontaine , Racine &
Boileau , & que ces grands Hommes étudioient
pourtant fans ceffe les grands Hommes
qui les avoient précédés.
3
>
Nous ne citerons rien de la Traduction
de Juvénal ; on doit l'avoir affez lue dans
la première Édition pour la bien connoître.
Les changemens que l'Auteur y a faits
portent fur des textes dont le fens eft douteux
, fur des mots dont il a mieux fait
fentir l'allufion à des ufages anciens , fur
des liaiſons qu'il n'avoit pas affez marquées ;
ces changemens font du Critique plutôt
que de l'Écrivain. Quant à ce qui regarde
le talent de rendre les beautés & le caractère
des beautés du modèle , l'Ouvrage eft
tel à-peu-près qu'il étoit dans la première
Édition , qui a eu du fuccès. Il parut il y a
un an , à -peu-près , une autre Traduction de
Juvénal ; on en mit quelques morceaux à
côté des morceaux correfpondans de la
Traduction de M. Dufaulx ; on n'en a
plus parlé depuis.
Les Notes de M. Dufaulx font quadruplées
au moins dans cette nouvelle Édition.
Ces Recherches favantes , pour expliquer le
fens de quelques vers , ont fervi de prétexte
à des efprits fuperficiels pour jeter du ridi¬
DE FRANCE. 167
cule fur l'érudition ; mais quand ces Recherches
font faites par de bons efprits ,
elles n'éclairciffent pas feulement le fens de
quelques vers ; elles fervent à faire mieux
connoître l'Antiquité , & cette connoiffance
vaut bien une plaifanterie , à fuppoſer
même que la plaifanterie foit bonne.
Nous finirons cet Extrait par une réflexion
qui s'eft préfentée à nous très - fouvent
en parcourant cette feconde Édition. La
première a réut , & cependant M. Dufaulx
a prefque fait un nouvel Ouvrage de
la feconde. C'eſt un bel exemple à donner
à ceux qui n'ont pu apprendre , par leurs
chûtes mêmes, qu'ils étoient reſtés loin de la
perfection.
DOUTES fur les Opinions reçues dans la
Société. A Amfterdam ; & à Paris , chez
Cailleau , Imprimeur- Libraire , rue Saint-
Severin , 1782. in- 12. de 124 pages.
Si ce titre donnoit l'idée d'un examen
fuivi & méthodique des principales opinions
reçues dans la Société , s'il paroiffoit
annoncer un Recueil de paradoxes raiſonnés
& une espèce de traité dogmatique de
l'opinion , il induiroit en erreur. C'eft un
Recueil de penfées détachées , mais raſſemblées
fous un certain nombre de Chapitres ,
comme le Livre de M. de la Rochefoucauld
& les Caractères de la Bruyère ; ces pensées
ont fouvent le mérite d'être contraires aux "
168 MERCURE
opinions reçues , & quelquefois celui d'y
être conformes , car enfin , le Public n'a pas
toujours tort.
Ce nouveau Livre de Maximes & de Caractères
, mais principalement de Maximes ,
a fur-tout le mérite rare de fe faire lire avec
beaucoup de plaifir , inême après la Rochefoucauld
& la Bruyère. On y fent un Auteur
nourri de ces deux agréables & profonds
Moraliftes , & qui n'eft cependant ni
l'un ni l'autre , mais lui - même ; qui obferve
avec les yeux & parle avec fon efprit , qui
ne prend de ſes modèles qu'un certain goût
général , & qui tire de fon propre fonds fes
agrémens particuliers ; qui fouvent fait voir
beaucoup & très- bien d'un coup- d'oeil , approfondir
en paroiffant effleurer , & être
neuf & original en traitant des fujets ufés.
Plufieurs de ces Maximes méritent de paffer
en proverbe.
98
r
S'il eft louable d'être indulgent , il eft
indifpenfable d'être juste.
On excufe toutes les fottifes , & pis en-
" core que des fottifes , par les bonnes in-
» tentions ; mais pourquoi tant de gens
» mal-adroits ofent - ils prendre fur eux
❞ d'avoir des intentions ?
و ر
"
99
"
» Vous jugez tous les gens que vous connoiffez
, difoit- on à une fort jeune perfonne.
Oui , répondit- elle , c'eft une préférence
que je leur donne fur les gens que
je ne connois pas.
» L'étude
DE FRANCE. 169
» L'étude des hommes ne fait pas conclure
pour eux.
Il ne faut pas avoir une grande habileté
» pour remarquer la plupart des défauts
» d'un Ouvrage ; mais il faut en avoir beaucoup
pour en fentir toutes les beautés.
» Le cominun des hommes a beſoin d'en ¨
» être averti.
»
" En ne difant du mal que des gens de
mérite , on ne paffe guères pour être
» méchant , & je le conçois , c'eft ne dire du
» mal que de fort peu de monde , & d'ailleurs
la critique du mérite trouve beaucoup
d'approbateurs . »
Sur cette dernière penfée on ne manquera
pas de prendre l'Auteur pour ce qu'on appelle
un Philofophe ou un Encyclopédiſte ;
on fera bien furpris s'il plaît un jour à l'Auteur
de fe découvrir.
Continuons de faire connoître du moins
le caractère de fon efprit & de fon talent.
"La réputation finira par défabufer de la
→ réputation.
93
33
130
»
Beaucoup de perfonnes paffent leur vie
à effayer d'apprendre , fans même acquérir
la capacité de fentir qu'elles font incapables
d'apprendre.
Fort peu de gens ont le courage d'ofer
être heureux.
» Toute perfonne qui penfe & qui parle
fortement eft , de droit , le fcandale des
petits efprits. "
Voilà encore une propofition qui paroître
Nº. 25 , 22 Juin 1782.
Н
170 MERCURE
inal fonnante aux ennemis des Philofophes.
En voici une qui devroit plaire à tout le
monde ; elle abonde en fens ; c'eft un chefd'oeuvre
de préciſion & vrai modèle dans
ce genre d'écrire .
Y
Le foible craint l'opinion , le fou la
brave , le fage la jugë. »
Si jamais maxiine a mérité de paſſer en
proverbe , c'eſt celle- ci ; elle contient toute
la théorie de l'honnête homme fur ce qui
concerne l'opinion.
>>
Les efprits médiocres doivent s'en tenir
» aux règles ; elles ont été faites pour eux.
Juger n'eft pas médire ; c'eft ce que
beaucoup de gens ne favent pas diftinguer.
" On confond fort fouvent & fort injuf-
» tement celui qui dit tout ce qu'il penfe
» avec celui qui dit tout ce qu'il fait.
ود
و د
» L'homme ennuyeux n'eft pas le for
qui ne parle point , mais le for qui parle.
La dévotion n'a jamais produit plus
d'hypocrites que n'en ont produit la
bonté & la fenfibilité. La fauffe bonté
» eft odieuſe ; la feinte fenfibilité n'eſt que
ridicule. Les femmes excellent à jouer ces
» deux Comédies , où quelques hommes
ne dédaignent pas d'être Acteurs.
ور
32
Il n'y a pas une perfonne d'efprit qui
puiffe fe promettre de donner le ton dans
un cercle , d'y être même écoutée , fi
feulement un lot s'y trouve.
Quand donc voudra- t- on s'appercevoir
» que le petit efprit eſt toujours mal penDE
FRANCE. 171
» fant , mal difant , & communément mal
» faifant?
33
"
» On reproche aux gens d'efprit d'être
dédaigneux ; les gens médiocres le font
» encore bien davantage ; car fi l'homme
d'efprit méprife quelquefois ce qui ne
l'atteint pas , l'homme médiocre ne man-
» que jamais de méprifer ce qui le paſſe.
ม
"
"
On ne féduit pas un fot , on le dompte.
» Il eft honteux à l'efprit de s'allier au
» ridicule ; c'eft un tort que le jugement
» ni le goût n'ont jamais . »
Il nous femble que Montagne , la Rochefoucauld
, la Bruyère ont peu didées plus
juftes , plus fines & mieux exprimées que la
plupart de celles qu'on vient de voir , furtout
que la dernière & les trois fuivantes.
" Le goût a des règles que l'homme de
goût ne bleffe point , foit qu'il les fache ,
» Toit qu'il les ignore.
"
99
5-93
» Le jugement difcerne le bon dans un
» Ouvrage , le goût y difcerne le meilleur.
Le goût pourroit plutôt fe paffer de
l'efprit que l'efprit ne peut fe paffer du
goût ; l'un & l'autre font rarement don-
" nés à mesure égale , & celui dont le goût
» eft an deffus de l'efprit n'eft pas le moins
bien partagé.
30
33
11 y a infiniment , & d'efprit & de goût
dans toutes ces obfervations
.
A préfent que la manière de l'Auteur eft
connue , il fuffit , pour piquer la curiofué
du Lecteur, d'indiquer les matières traitées
Hij
172 MERCURE
dans ce Livre . Il contient en tout vingtdeux
Chapitres , dont le premier n'a d'autre
titre que celui de Penfées diverfes , qui
n'annonce aucun fujet particulier : les autres
traitent des Domeftiques ; de la Singu
Larité , de la Bizarrerie & du Ridicule ; de
Homme impofant & de l'Homme impor
tant ; des Médecins & des Malades ; de la
Vieilleffe & dela Mort ; de la Beauté ; de
la Coquetterie ; de la Politeffe ; de l'Honnéjeté
, de la Société , de l'Amour propre ; du
Mérite & de l'Amabilité ; de la Reconnoiffance
& de l'Ingratitude ; de l'Avarice ; de
Ja Générofité & de l'Amitié; du Jugement ;
de l'Esprit , du Goût ; de l'Agrément ; du
Talent ; de la Converfation; de l'Éducation,
Ce dernier article n'eft point en Pensées
détachées ; il forme un Difcours très - bien
écrit , & qui a une forte d'éloquence telle
qu'en comporte le fujet, L'Auteur préfère
l'Éducation publique à l'Éducation particulière
, & donne de bonnes raifons de cette
préférence,
LECTURE du Matin , ou Nouvelles
Hiftoriettes en profe , par M. Imbert.
1 Vol. in- 8 °. A Paris , chez J. Fr. Baftien ,
Libraire , rue du Petit- Lion , près de la
nouvelle Comédie Françoiſe,
UNE grande partie de ces Contes a déjà
paru avec fuccès dans le Mercure de France.
En les raffemblant pour en former un Recueil
, l'Auteur a eu foin de toujours faire
t
DE FRANCE. 175
ཝཱ
fuivre un Conte ferieux par un Conté d'une
morale plus gaie , ce qui jette beaucoup de
variété dans cette Collection , & en rend
la lecture tout à la fois intéreffante , agréa
ble & utile. Nous difons unle , parce qu'en
effer quelques - unes de ces Hiftoriettes peu
vent préfenter des modèles de conduite ,
éclairer les perfonnes qui n'ont pas renoncé
à tous les fentimens d'honneur , fur les facrifices
qu'elles doivent s'impofer dans des cir→
conftances que la pofition actuelle de nos
moeurs ne rend malheureufement que trop
communes.
Comme il nous eft impoffible de faire
connoître tous les Contes qui compofent ce
Volunte , nous nous arrêterons à ceux qui
nous ont paru mériter une diſtinction parti
culière , & qui peuvent fupporter une analyfe
proportionnée aux bornes que l'étenduo
de ce Journal preferit aux articles que l'on y
fait entrer.
La Leçon inattendue , Anecdote. " Eulalie
» tomba dans la pauvreté après avoir vécu
» dans l'aifance . Il eft difficile de favoir être
" pauvre quand on ne l'a pas toujours été.
Eulalie fut l'être ; & tandis que fon vieux
père & un frère prefqu'aufli jeune qu'elle ,
défrichoient un petit terrein que leur avoit
donné le Seigneur d'un Village qu'ils avoient
choisi pour afyle , elle prenoit foin de leur
ménage ruftique comme fi elle étoit néc
pour cette occupation . Son père mourur.
La tendreffe qu'elle avoit pour fon frère fut
Hij
174 MERCURE
d'abord le feul fentiment qu'elle éprouva ;
mais fon coeur fenfible étoit fait pour l'amour.
Elle conçut aifément que dans la fitua
tion de fa fortune , elle ne devoit aimer
qu'un Payfan ; elle defira feulement que les
qualités de l'âme rendiffent fon amant digne
d'elle . Ses voeux furent accomplis , elle plut
à Georges , elle l'aima , & Georges méritoit
d'être aimé. Cependant le Seigneur du Village
étoit mort. Sainrive , fon fils , avoit recueilli
fa fucceffion , mais il n'avoit pas hérité
de fes vertus. René , c'eft le frère d'Eulalie ,
eut querelle avec un des gens de Sainrive.
Echauffé par le vin & par la colère , il
frappa fi rudement fon adverfaire , qu'on
le crût bleffé mortellement. Arrêté , jugé
comme affaffin , il eft fur le point d'être
condamné , lorfqu'Eulalie va le jeter aux
genoux de Sainrive , & demander la grâce
de René. Eulalie , dit Sainrive après
» l'avoir fait alleoir , je me fuis informé de
" tous les détails ; l'action de votre frère eft
très-criminelle; mais , avec d'aufli beaux
yeux que les vôtres , on peut fe Alatter de
faire abfoudre de plus grands coupables
encore. » Eulalie fe félicite d'abord , &
très- naïvement , du fervice que les beaux
yeux rendent à fon frère ; mais Sainrive
eft fi preflant , fes intentions deviennent
fi claires , qu'elle le repouffe doucement ,
& retombe à fes genoux. Ses larmes , les
fanglots , fes regards , tout ce qu'elle emploie
pour attendrir fon Seigneur , ajoute aux
DE FRANCE. -175
defirs dont il eſt dévoré. Il s'explique alors
fans aucun détour. " Allez , lui dit- il , je
vous laiffe y penfer; fongez à fauver vo-
" tre frère ; & Eulalie fortit en difant : je
» n'ai plus de frère. Tout le village eft
bientôt informé des projets de Saintive :
Georges & René font en proie aux plus
cruelles douleurs. La jaloulie s'empare du
premier , elle le déchire d'autant plus vivement
que fa délicateffe l'engage à la diflimuler
; & René fent qu'il faut mourir ou
voir fa foeur livrée à l'opprobre. Enfin Eu-
Jalie fornie le projet de forcer Sainrive à redevenir
honnête. Il lui demande un rendezvous
où il puiffe entendre fa dernière réponfe.
Elle s'y trouve. « Je viens , dit - elle ,
» obéir à la néceffité. » Elle lui demande
enfuire de faire parvenir une lettre à fon
frère, & de le faire élargir aufli tôt. Lui dire
un dernier adieu , voilà tout ce qu'elle paroît
defiter ; mais dans cette lettre , ainfi que
dans d'autres qu'elle avoit écrites d'avance, tant
à Georges qu'à un de fes amis , elle marquoit
que pour fauver fon frère , elle avoit confenti
à tout. A cette nouvelle , René , Georges
, les Villageois , tout le monde accourt
vers l'endroit où Eulalie s'eft arrêtée avec
Sainrive. Elle le prie de fe cacher derrière
un buiffon. « Georges arrive le premier......
Parjure , s'écria t'il , tu as donc abjuré ton
» amour & res fermens ! je te remercie au
» moins de te déshonorer en m'abandon-
» nant . Je me guérirai de mon amour par
ود
Il v
776 MERCURE
"
le mépris..... Le frère furvient ..... Sour
lâche & perfide , en m'annonçant ma
grâce tu m'annonces ton infârnie ! eft il
bien vrai Tu veux donc , pour recorr
noiffance de ton bienfait , emporter ma
» haine & ma malédiction !.... Plufieurs de
» fes compagnes arrivent & l'accablent des
30
reproches les plus humilians ..... Sainrive
» caché ne perdoit pas un mot de tout cet
» entretien... Oui , s'écrie Eulalie , je fuis
indigne de l'amitié de mes compagnes , de
» l'amour d'un frère , de la tendreffe d'un
» amant. Je fais un objet de mépris. Je fuis
vile, & je le fuis par mon choix. Auffitôt
s'élançant vers Sainrive : voilà , ditelle
, voilà ce que j'ai dû devenir pour
être à vous. Après cela , partons , » Cette
fcène éclaira Sainrive. Humilié , confondu ,
il propofa de réparer les torts , il les répara
& combla de bienfaits la femme eftimable
qui l'avoit rendu à la vertu.
20
99
Si le commencement de cette Anecdote
ne préfente guères que des fituations connues
, on peut dire que celle qui la termine
eft réellement neuve ; & qu'en effet il n'eft
point d'homme , qui , fans être abfolument
dépravé , puiffe réfifter à une pareille leçon .
On remarquera l'art de l'Auteur dans le
choix du perfonnage d'Eulalie. Il lui donne
d'abord une naiffance diftinguée , une belle
éducation , & c'est ainsi qu'il rend vraifemblable
& naturel le projet qu'elle forme &
qu'elle exécute ; bien différent en cela de
DE FRANCE. 177
quelques Romanciers modernes qui , fans
néceflité , ont fait des Villageois qu'ils ont
mis en fcène , des fages à prétention & des
Philofophes de College caractères de fantaifie
dont l'invraifemblance eft fi choquante
, qu'elle exclud, toute eſpèce d'in
terêt. L'exacte obfervation des convenances
eft un talent qu'on ne fauroit acquérir
qu'avec un efprit jufte & un goût très exercé;
& ce talent n'eft pas donné à tous les
Écrivains. Pauci quos aquis amavit Jupiser,
&c.
L'Engagement Imprévu , fans avoir un but
moral allez fortement indiqué , mérite néan
moins d'être connu . On en jugera par l'analyfe
que nous en allons faire.
La nature , l'éducation , la fortune , l'ef
prit & les talens s'étoient réunis pour rendre
d'Erimont un des plus aimables hommes
de la fociété. Aimé des belles , vainqueur
heureux & difcret , il parcourut bientôt
tous les degrés de gloire réfervés aux Héros.
du monde galant . Mais tout ennuie , jufqu'à
la gloire. D'Érimont éprouva bientôt las
fatiété des jouiffances. Dans un de ces mo
mens de lethargie il rentra chez lui le foir
avant l'heure du fouper. H y étoit feul. « Que
» dis- je feul : En fuivant le cours de fes
triomphes , j'avois oublié comme lui qu'il
éroit marié. Il eft temps que je m'en fou-
» vienne , car en ' jetant autour de foi un
regard de défoeuvrement , d'Érimonte
vient lui- même de s'en fouvenir . Mais à
33
و د
95
Hv
178
.
MERCURE
む
T
>
propos, dit-il, comme un homme frappé
» d'une réminiſcence imprévue'; & autlitôt
ayant appelé un de les gens , il lui ordonna
d'aller demander fi Mme d'Eri-
» mont étoit vifible pour lui . » Jeune , jolie
, devenue l'épouse d'un homme qui ne
lui avoit point infpiré d'amour , plus libre
qu'une femmé ne doit l'être dans les nauds
du mariage , Mme d'Érimont s'étoit jetée
dans le monde , elle y avoit trouvé des hommages
, peut - être même des jouiffances , fi
non pour fon coeur au moins pour fon
amour- propre. Le meffage de fon mari la
furprit , elle lui fit néanmoins dire qu'elle
le recevroit volontiers . D'Érimont vint
fut aimable , oublia l'heure & demanda à
fouper. Après quelques excufes fur la mauvaife
chère qu'il fera , on le retient . Le lendemain
il fe propofe de paffer fon avantfouper
chez Mae d'Érimont , qui étoit
légèrement indifpofée. Nouveau meſſage , &
même réponfe. Il fut plus aimable encore
que la première fois , oublia une feconde
fois l'heure du fouper. Invitation de la part
de Mme d'Erimont , acceptée par fon mari .
" Savez vous , dit- elle , au milieu du repas ,
20
{
qu'on ne devinera pas pour qui vous
" manquez votre engagement ? D'Érimont
fourit; & un moment après. Il faut ,
» lui dit if , Madame , que je vous faffe une
» confidence ,
vous trouverez peut-être
plus de franchife que de politeffe. Savez-
» vous qu'il n'eft pas croyable combien
14
DE FRANCE 179
» -
» vous avez gagné depuis votre mariage ?
Mon mariage , répondit Mme d'Erimont ,
» s'eft fait à peu près en même temps que
le vôtre. Vous avez raifon , Madame.
Mais vous n'avez pas d'idée de l'heureufe
metamorphofe qui s'eft opérée en vous
depuis ce temps- là. Vous aviez un air
» d'embarras ( pardon , Madame , ) un
» maintien de couvent..... C'est à ne vous
pas reconnoître. Ce n'eft pas- là l'efprit
" que vous aviez , vos traits même font
embellis. Eh bien , Monfieur , dit Mme
d'Érimont , fans vouloir vous rendre
» votre compliment , tout ce que vous avez
» dit là de moi , je le penfois de vous même.
» Mais en vérité , ajouta- t'elle en le repre-
» nant , fi quelqu'un écoutoit notre converfation
, on pourroit la trouver étrange.
Voilà prefque des douceurs , au moins.
"
Je vous jure , Madame , que vous n'êtes
» plus la même , & je le dirois .... devant
» des témoins , interrompit elle ? Ah ! cela
*
feroit fcandaleux. D'Erimont fe retira
tard , en propofant à Madame de venir le
lendemain prendre fon chocolat avec elle.
Le déjeûné fut charmant. Nouveau louper
pendant lequel la converfation devint fi
intéreffante , qu'on ne fe fepara que le matin .
Enchanté de la conquête, d'Erimont partit
avec elle pour la campagne. De retour à
Paris , il pouffa la témérité jufqu'à fe montrer
en loge avec fa femme. « Vous voyez ,
» dit l'Auteur , à quoi l'on s'expofe par un
Hvj
189 MERCURE
» feul moment de diftraction ; on s'engage
» infenfiblement fans y penfer ; & l'on ne
s'apperçoit du chemin qu'on a fait que
lorfqu'il n'eft plus temps de revenir fir
" * fes pas. "
335
و ر د
It nous femble que cette plaifanterie ne
termine pas heureufement le joli Conte que
nous venons d'extraire. Nous croyons qu'il
pouvoit amener des réflexions intéreffantes
fur la légèreté avec laquelle on s'engage dans
des liens dont dépendent le bonheur & le
malheur de la vie ; fur les dangers auxquels
un mari volage peut expofer une épouſe
jeune & aimable, quand il prodigue aux
pieds des femmes faciles ou des beautés à la.
mode, les hommages qui ne font dûs qu'aux
grâces & à la vertu réunies. Ce fantôme de
bonheur & de plaifir , après lequel courent
tant de maris infidèles , tandis qu'ils dédaignent
les jouiffances douces & pures
qu'ils devroient chercher dans l'engagement
qu'ils ont formé , pouvoit encore donner
lieu à des obfervations très- morales & plas
que jamais néceffaires. Peut être M. Imbert
a t'il craint de terminer trop ferieuſement
un Conte agréable ; mais on peut- être à la
fois moral & gai . Les Contes de Voltaire en
font une preuve inconteftable ; c'eft le inodèle
le plus parfait que puiffent choiſir les
Écrivains qui voudron: s'exercer dans ce
genre ; & l'on ne fauroit trop leur répéter ,
en les engageant à étudier le génie de ce grand
Homme ,
DE FRANCE. 181
Nocturna verfate manu , verfate diurnâ .
Nous regrettons de ne pouvoir faire con
noître plufieurs de ces Contes , qui font aujourd'hui
imprimés pour la première fois ;
mais , puifque les bornes d'un article nous
défendent de donner cette fatisfaction à nos
Lecteurs , nous en choifirons encore dont
le fonds nous paroît très - neuf, & l'intention
très utile.
Quel Ami! ou le rare Procédé, Anecdote.
Milcourt époufa Mile de Minval , comme
on époule aujourd'hui , c'eſt à- dire , qu'il lá
prit au parloir de fon Couvent pour la conduire
à l'autel. Mile de Minval n'apperçut
dans Milcourt que l'homme qui l'arrachoit
à l'esclavage , elle crut Faimer, elle lui donna
la main , & bientôt elle vit qu'elle s'étoit
trompée. Milcourt avoit pour amile Chevalier
de Clinfort , jeune homme doué de
toutes les qualités qui font tourner la tête
aux femmes , mais qui , fous l'extérieur d'un
homme du monde , cachoir une probité févère
, & même, le courage de la vertu. Il
prefenta fon ami à fa femme. Celle- ci conçut
de l'amour pour Climfort , qui , s'en étant
apperçu , forina le plus fingulier projet
qu'on ait imaginé dans pareille circonftance:
Il propofa à Mme de Milcour de fe fervir de lui
toutes les fois qu'elle auroit befoin d'un Cavalier
, & lui jura l'amitié la plus conftante ,
en lui promettant de fe retirer difcrètement
felle formoit quelque tendre engagement
182 MERCURE
Mme de Milcourt crut que, fous ce nom d'amitié
, Clinfort cachoit un fentiment plus tendre
; elle agréa fes fervices; & le jeune homme,
bien sûr de plaire , fe livra tout entier
à l'exécution de fon projet. Dans un tête à
tête , où Mme de Milcourt fut très- rendre ,
il amena la converfation fur l'article des
procédés. Sur ce point là , difoit- il , le
» monde eft inexorable. Il eft peu ſévère ſer
» la conduite d'une jeune femme , mais il
» eſt très - exigeant pour les égards qu'elle
» doit à fon mari , & une femine n'a guères
» de prétextes pour y manquer. C'est un
"
hommage qu'elle fe doit à elle- même , ſi
» elle a choifi fon mari , ou qu'elle doit à
» fes parens fi on le lui a donné. » Quelquetemps
après il la bouda , parce qu'elle avoit
parlé à fon mari avec beaucoup d'indifcrétion
& de légèreté. Quand l'occafion s'en
préfentoit , Clinfort parloit des agrémens
extérieurs de Milcourt , & forçoit fa femme
à en parler comme lui-même . Un jour , dans
un cercle , on loua beaucoup une action de
Clinfort, & Clinfort ne manqua pas d'en citer
une de fon ami , que tout le monde célébra
tout haut , même la femme . Une autre fois
on fit une partie de campagne où Milcourt
ne devoit pas être. Clinfort exigea que fon
ami en fût , & que fa femme elle- même
l'y invitât, Le mauvais temps força de joner .
Milcourt perdit beaucoup fans fe plaindre.
Clinfort perdit peu & fe facha beaucoup ;
& encore par l'adrelle du Chevalier , tour
DE FRANCE. 183
le monde convint tout haut que Milcourt
étoit le plus beau joueur du monde. C'eft
ainti qu'en s'immolant fans ceffe à fon ami ,
Clintort forçoit Mme de Milcourt à penfer
aux vertus de fon mari. Une Ducheffe , fameule
par la beauté & par fes aventures ,
prit du goût pour Milfort , mais en vain.
Clinfort le fut ; il apprit en même temps
que la Ducheffe s'étoit propofee de fe trouver
en tête à tête avec Milfort un jour qu'il
devoit aller vifiter un jardin fort curieux.
1 trouva le moyen d'y conduire Mme de
Milcourt , la plaça dans un cabinet dont on
pouvoit entendre tout ce qui fe difoit dans
Fallée où fon mari étoit attendu . La Ducheffe
fit à Milcourt les plus brillantes propolis
tions , entre autres celle de le faire nommer
à un pofte éminent occupé par Clinfort; à
la dernière de ces propofitions , il oppola fon
amitié pour le Chevalier ; il ne fut pas plus
fenfible à celle dont la Ducheffe s'occupoit le
plus chaudement. Sans vous oppoſer , lui
» dit-il , un engagement facré , l'amour feul
» me rend incapable de l'accepter.Je devrois
*
m'en défendre comine époux , je le fais
>> comme amant La Ducheffe fe retira
humiliée , mais affectant de rire. « Eh bien ,
Madame, s'écria le Chevalier , vous avez
entendu ? Voilà l'époux que vous auriez
trompé ! voilà l'ami que j'aurois trahi ! »
Ce peu de mots rendit Mme de Milcourt à
elle- même; elle aima fon mari ; « vécut
» heureufe en le rendant heureux & le
184 MERCU.RE
" 33
Chevalier, laiffa aux amis un bel exem
ple qui fera rarement fuivi.
Rien de plus rare , fans doute , que ke
pros
cédé du Chevalier de Climfort ; il doit même
paroître abfolument romanefque dans un
temps où l'on femble fe faire un jeu de fouler
aux pieds les principes les plus refpecrables
, & de méprifer les engagemens les
plus facrés , où les femmes , après avoir oublié
toute pudeur & toute décence , s'arment
d'une audace capable de faire rougir
les libertins les plus effrontés ; dans un tems
enfin où la bienfaifance & l'amitié ne font
que des mafques perfides fous lefquels fe
cachent les gens fans moeurs , afin de trom
per d'une manière plus sûre les malheureuxdont
ils ont furpris la confiance . Mais il
exifte encore des perfonnes faires pour fentir
qu'une vertu femblable à celle de M. de
Clinfort n'eft point une vertu chimériques;
& c'eft aux yeux de ces perfonnes , dont le
fuffrage eft infiniment flatteur , que cette
Anecdote intéreffante doit également hono
rer l'efprit & l'âme de M. Imbert. En vain
les coeurs dépravés voudroient- ils attribuer
les excès auxquels ils fe livrent à la force des
paffions & à l'afcendant de la beauté ; les
paffions des habitans des grandes villes ne
font guères que des goûts paffagers ; que les
fuites d'un libertinage érigé en fyftême . Quant
à la beauté , elle ne nous contraint point , dit
Xénophon , Livre cinquième de la Cyropédie
, à former des defirs criminels . Les petites
"
DE FRANCE.
ames font les feules qui , après s'être laiffe
fubjuguer par leurs paffions , ofent enfuite accufer
l'amour de la honte dans laquelle elles fe
font plongées.
( Cet Article eft de M. de Charnois. )
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mercredi 22 Mai , on a remis les
Mariages Samnites , Comédie en trois Actes
& en vers , mêlée d'ariettes , par M. de
Rofoy, mufique de M. Grétry.
Tout le monde fait que cette Comédie eft
tirée d'un des Contes de M. Marmontel. Ces
Contes font trop généralement connus , &
il y a trop de reffemblance entre l'action des
deux Ouvrages, pour qu'il foit néceffaire de
donner ici Fanalyfe de celui que M. de Rofoy
vient de traduire de profe en vers. Nous
allons feulement dire deux mots d'un perfonnage
dont à peine il eft queftion dans le
Conte de M. Marmontel , & auquel M. de
Rofoy a donné un caractère particulier . Nous
voulons parler d'Eliane , amante aimée du
jeune Parmenon . On fe rappelle que tous
les ans , les jeunes Samnites choififfoient leurs
époufes felon le rang que leurs vertus & leurs
exploits leur avoient donné dans les fafles
de la Patrie. C'étoit un ufage reconnu &
786 MERCURE
refpecté. Cet ufage révolte Éliane. Elle aime ;
elle s'indigne de ce qu'un autre que Parménon
peut acquérir des droits à la main ; de
ce que les hommes ont abufé des loix pour
foumettre les femmes à une fubordination
qui l'humilie ; elle éclate en murmures. Le
combat qui fe livre entre les Romains & les
Samnites eft auffi l'objet de ſes réflexions .
Pourquoi ne peut - elle pas , en fuivant fon
amour & fon courage , marcher fous les
étendards de la patrie , combattre pour elle
auprès de fon amant, au lieu d'attendre dans
les angoiffes de l'incertitude , l'iffue d'un combat
fatal peut- être à Parménon & à l'État ?
C'eft fous les yeux des Filles Samnites affemblées
& tremblantes qu'elle s'explique
ainfi . Elle fort. Au dénouement , on apprend
qu'un Guerrier inconnu a fauvé les jours du
Général ; quel eft il ? On le cherche fans le
découvrir. Éliane paroît le cafque en tête ;
c'eft à elle qu'on doit , en quelque manière ,
le falut de l'armée & la victoire. Éliane
épouſe Parménon .
Ce moyen eft éblouiffant , & il produiroit
de l'effet fi les refforts de l'intrigue faifoient
marcher l'action de M. de Kofoy
avec plus de clarté & de rapidité. Il en produit
peu , 1 °. parce que la marche du Drame
eft lente & monotone ; 2 ° . parce que chez des
peuples où la pudeur , la décence & la foumillion
font les premières vertus des femmes
, on ne voit point , fans une espèce de
chagrin , une jeune fille renoncer aux qua ,
DE FRANCE. 187
lités de fon fexe , pour ufurper celles qui
appartiennent aux hommes.
Quempraftare poteft mulier galeata pudorem ;
Quafugit àfexu ?
Au refte , ce n'étoit peut- être pas fur la
Scène Italienne qu'il falloit porter un pareil
fujet. Le genre héroïque ne peut s'allier avec
le bouffon. On l'a déjà dit plufieurs fois , il
faut le répéter. L'habitude du genre bouffon
exclud la nobleffe propre au grand
genre; & le moyen d'être médiocre dans
tous les deux , c'eft de s'obftiner à s'y exercer
tour- à- tour. Cette réflexion ne regarde que
les Comédiens.
La mufique de cer Ouvrage eft connue ,
& la réputation eft faite. Les morceaux neufs
que M. Grétry a ajoutés, font dignes des premiers
, & lui font honneur.
•< !} } ཞི
Le Mardi 4 Juin , on a donné , pour la
première fois , la Comteffe de Givry , Pièce
Dramatique de M. de Voltaire , en trois
Actes & en vers.
Une Mme Aubonne , chargée de nourrir
l'enfant de la Comtefle de Givry , a fubftitué
fon fils à celui de la Comteffe , qu'une maladie
grave avoit conduit aux portes du
tombeau. Elevé fous le nom du Marquis ,
Aubonne ne montre que l'âme & les
vices d'un fcélérat , tandis que le véritable
Marquis , elevé fous le nom de Charlot
188 MERCURE
fait briller toutes les qualités qui diſtinguerit
un grand coeur. Dans une querelle entre les
deux jeunes gens , le faux Marquis eft bleffé
& cru mort. La Comteffe , au défefpoir
pleure fur le fort de l'infortuné qu'elle croit
fon fils , une jeune & noble perfonne qui
aime en fecret Charlot , & qui alloit lier fon
fort à celui du faux Marquis , cherche à con
foler la trifte & malheurcafe mère. Tout fe
découvre. Mme Aubonne s'eft jetée aux gehoux
du Roi Henri IV ,lui a fait l'aveu de
fon crime , & le Duc de Bellegarde vient ,
par l'ordre de ce bon Prince , rendre le calme
& le bonheur à deux femmes défolées , un
fils à fa mère , & un amant à fa maîtreffe.
Il y a long-temps que cet Ouvrage eft inprimé
dans la Collection des OEuvres de
Voltaire ; il n'eft donc pas queftion de le
juger, puifqu'il l'a été par tous les Lecteurs
inftruits. Nous ne parlerons que de
l'effet qu'il a produit. On a entendu avec
attendriffement tous les traits de la vie de
Henri IV , tous les mots de cet adorable
Prince , dont l'Auteur a enrichi fon premier
Acte. On a fort applaudi les vers heureux ,
les mots plaifans qu'il a femés dans le fecond
Acté. Quant au troifième , il a excité un intérêt
général. Nous n'entrerons point dans
d'autres détails . Ce n'eft pas d'un Ouvrage
comme celui ci que peut dépendre la répurtation
d'un Ecrivain tel que Voltaire ; &
quand on auroit quelques obfervations cri-
Liques à faire fur cette production & fur
DE FRANCE. 189
quelques autres Comédies de ce grand
Homme , nous croyons qu'il faudroit le
contenter de dire , avec le bon La Fontaine
Chacun fon lot , nul n'a tout en partage.
GRAVURES,
I
H
ENRI IV laiſſant entrer des vivres dans
la ville de Paris qu'il tenoit affiégée , Eftampe gravée
par Patas , d'après le Tableau original peint à
gouache par M. Carefme. Prix , 3 liv.
Sully remettant l'argent de fes bois à Henri IV
pour foutenir la guerre contre la Ligue , Eftampe
gravée par le même Patas , d'après le même Peintre ;
elle fait pendant à la première, Prix , 3 liv. A
Paris , chez Crépy , rue S: Jacques , près celle de la
Parcheminerie ; & en Province , chez les Marchands
d'Estampes.
Les Dons merveilleux de la Nature dans le
Regne Végétal, Centurie feconde , Cahier feptième ,
contenant la Vic - d'Azir , le Comte du Nord , la
Grenadille , culotte de Suiffe , le Café fauvage en
fleurs , le Sang de Dragon , la Grimpante , la Daubenton
, le Bananier Bihaï , la Barelier & la Nouille
Incarnate , grand in folio , papier d'Hollande,
Prix , 18 livs. A Paris , chez M, Buc'hoz , Docteur
en Médecine , rue de la Harpe , en face de la Sorg
bonne.
-
Carte réduite de l'Océan Oriental depuis le Cap
de Bonne-Espérance jufqu'au Japon , ou Routier des
Indes , par M. d'Après de Mannevilette Prix , z liv.
Neptune Oriental , du même Auteur. Carte particulière
de l'Ile de Ceylan , par MM. Delifle &
190
MERCURE
Buache , premiers Géographes du Roi , & de l'Académie
Royale des Sciences. Prix , 1 livre
A Paris , chez Dezauche,, chargé de Entrepôt gé
S fols.
néral des Cartes de la Marine rue des Noyers,
près celle des Anglois.
Collection des Animaux du Règne Animal, con
tenant dix Cahiers , de chacun dix Planches , grand
in-folio , papier d'Hollande. Prix , 180 liv. enlumi
née, & 80 liv. fans enluminure ; par M. Buc'hoz ,
Docteur en Médecine . A Paris , chez l'Auteur , rue
de la Harpe , vis- à- vis la Place Sorbonne.
Neuvième Livraifon des Coftumes des Dignités ,
n°. 2 , relatifs aux quatre Facultés , in-folio. Prix ,
9 livres. A Paris , chez Duflos , Graveur , rue Saint
Victor , près de la Place Maubert.
Troifième Cahier des Arbres & Arbustes qui fe
cultivent en pleine terre , grand in-folio , papier
d'Hollande , avec enluminure. Prix , 18 livres. A
Parls , chez M. Buc'hoz , Docteur en Médecine , rue
de la Harpe , en face de la Sorbonne. - i
880
Premier Cahier de figures de différens Coftumes,
ornés de Payfages , contenant , 1 °.
l'Habillement
à la Henri IV ; 2 °. l'Habit de cheval à la Pallas ;
3. T'Habit Elpagnol ; 4. celui des Péruviennes ;
. & 6. ceux des Turcs de l'un & l'autre, fexe ,
format in-4°. Prix , 1 livre 4 fols chacune . A Paris
L
chez Papavoine , Graveur , rue Baillif, au coin de
la rue des Bons-Enfans.
ANNONCES
LITTÉRAIRES.
ESSAT
ssur Hiftorique fur la Bibliothèque du Roi &
fur les différens Fonds qui la compofent , avec la
Defcription des Bútimens & des Objets les plus
surieux à voir dans ces différens Dépôts. On y a
DE FRANCE. 191
joint la Lifte Hiftorique des Bibliothèques publiques
& particulieres de Paris , &c, 1 Volume in- 12
d'environ 400 pages. Prix , 2 liv. 8 fols broché , &
3 liv. relié . A Paris , chez Belin , Libraire , me Saint
Jacques , Lejay , Libraire , rue des Petits- Champs ;
Bailly , Libraire , rue S. Honoré ; Efprit & Defenne ,
Libraires , au Palais Royal.
Le Vaporeux , Comédie en deux Attes & en
profe , par M. M. D. repréfentée par les Comédiens
Italiens , ie 3 Mai 1782 , in- 8 ° . A Paris , chez Brunet
, Libraire , rue Mauconfeil . On trouve chez le
même, le Poëte fuppofé , ou les Préparatifs de la
Fête, Comédie en trois Actes & en profe , mêlée
d'Ariettes & de Vaudevilles , repréſentée fur le
même Théâtre le 25 Avril 1782 ; paroles de M.
Laujon , mufique de M. Champein , in -8 ° . Prix ,
1 liv. 10 fols , avec les Airs de divertiffement notés .
Sur la Peinture, Ouvrage qui peut éclairer les
Artiftes fur la fin originelle de l'Art , & aider les
Citoyens dans l'idée qu'ils doivent fe faire de fon
état actuel en France , in- 12. Prix , 1 livre 4 fols.
A Paris , chez Hardouin , Libraire , Cloître S. Germain
l'Auxerrois.
Numéros 12 & 13 du Plutarque François , par
M. Turpin , contenant la Vie du Marquis de Louvois
& de plufieurs Marins célèbres , in - 8 °. A
Paris , chez Deslauriers , Marchand de Papier , rue
S. Honoré, près la rue des Prouvaires .
t
Penfées morales de divers Auteurs Chinois , recueillies
& traduites du Latin & du Ruffe , par M.
Lévesque , faifant fuite à la Collection des Mora
liftes anciens , petit format. Prix , 4 liv. 10 folsom
A Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur - Libraire ,
rue Pavée ; Debure l'aîné, Libraire , quai des Au
guftins.
192 MERCURE
La Vanité eft bonne à quelque chofe , Brochure
in 12. A Paris , chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés.
Traité des Loix politiques des Romains du temps
de la République , par . M. Pilati de Taffulo ,
2 Vol. in- 8°. Prix , 8 livres brochés. A Paris , chez
Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques.
- Exercice de Retraite en faveur des enfans qui fe
difpofent à faire leur première Communion , nouvelle
Édition parfaitement conforme aux précédentes,
in- 12. Prix , 2 liv. A Paris , chez Morin , Imprimeur-
Libraire , rue Saint Jacques . On trouve à la même
adreffe les trois Héroïnes Chrétiennes , ou Vies
édifiantes de trois jeunes Demoifelles , par M..
J'Abbé.... petit in - 12 . Prix , 1 livres fols.
N. B. Le nouveau Manuel de l'Arpenteur , par
M. Ginet , fe vend à Paris , chez Lamy, Libraire,
quai des Auguftins.
TA BLE.
VERS préfentés au Grand Satyres de Juvenal ,
Duc de Ruffie,
156
145 Doutesfur les Opinions reçues
dans la Société , Epitre à M. Bardin l'alné ,
à Sens ›
167
146 Lecture du Matin , 172
185
189
190
Réponse à un Impromptu , 149 Comedie Italienne ,
Enigme & Logogryphe , 151 Gravures ,
Tribut de l'Amitié, 153 Annonces Liuéraires ,
--APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Pario
121Juin 1782. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 JUIN 1782.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS à Mademoifelle de S ***.
EH quoi ! dans l'aimable faifon
Et des Ris & de la Jeuneſſe ,
Voulez- vous végéter fans ceffe
Entre la rime & la raifon ?
A les mettre d'accord enſemble
Confacrant vos plus beaux loifirs ,
Voulez -vous , rébelle aux defirs
Qu'autour de vous Hébé raffemble ,
Vous brouiller avec les Plaifirs ?
Voyez fur votre ſecrétaire
S'accouderles Grâces & les Ris ,
Et tous les enfans de Cypris
En grouppe à l'envi vous diftraire.
Que vous fervent de vains Écrits ?
Nº. 26 , 29 Juin 1782 ,
194
MERCURE
Vous ſavez tout , vous ſavez plaire
Hélas ! peut- être quelque jour
Serez-vous en butte à l'Envie.
A tout hafard , en cette vie ,
Muniffez-vous d'un peu d'amour.
Sapho , jadis en fon jeune âge ,
Fut Émule d'Anacréon : -
Le Dieu des vers cut ſon hommage ;
Mais les careffes de Phaon
L'intéreffoient bien davantage. Ca
Ah ! l'Amour eft un bien fi doux !
Įmitez mieux votre modèle,
1
Sapho fit des vers comme vous
Pourquoi ne pas aimer comme elle ?
Si Phaon lui fut infidèle ,
N'allez pas vous en fouvenir.
Ou ,
s'il faut que dans cette affaire
Vous envifagiez l'avenir,
Ecoutez un avis fincère ,
Et fachez , pour le bien fentir
Un axiôme un peu vulgaire
Vaut mieux faire & fe repentir
Que fe repentir fans sien faire,
( Par M. de Saint- Ange, )
DE FRANCE.
195
J
A Madame DE ROUCY , Abbeffe du
Paraclet , après avoir vu le Tombeau
d'Abeilard & d'Héloïfe.
DAN'S cet afyle révéré
Où repofe une illuftre cendre ,
D'an fentiment refpectueux & tendre ,
Quel coeur ne feroit pénétré ? -
D'un couple adorable & fidèle ,
J'y viens partager les malheurs
Qu'en ce moment tout me rappelle , `
Et jeter en paffant des fleurs ,
Cher Abeilard , fur ton urne immortelle.
Sous ces lambris facrés Héloïfe n'eft plus ;
Mais la plus digne des Abbeffes
Y retrace à mes yeux fes talens , fes vertus ,
Et n'a jamais eu fes foibleffes.
(Par M. l'Abbé Dourneau
LE MATELOT ET L'ENFANT , Fable.
UNEN Enfant vit un Matelot
Qui, conduifant fur l'onde une barque légère ,
Suoit de tout fon corps pour monter la rivière.
« Parbleu ! dit- il , cet homme eft un grand fot
» De ſe fatiguer de la forte,
Iij
196 MERCURE
» Comme fi l'eau n'étoit pas affez forte ,
Et qu'il fallût encor s'excéder de travail
» Pour conduire ce gouvernail !
Vous n'en êtes , barbon , qu'à votre apprentiffage .
A ces mots , voyant un bateau
Ifolé près de ce rivage ,
Le préfomptueux Jouvenceau
Y defcend , lève l'ancre , & vogue au gré de l'eaur
Jouet des flots la nacelle inconftante
Pour fon malheur trouve un courant ,
Et vers la mer s'enfuit rapidement .
Il veut lutter alors ; il rame , il fe tourmente
Et fe confume en impuiffans efforts ;
2
Déjà de l'Océan appercevant les bords ,
Il fe trouble , fuccombe au bout de fon haleine ,
Et la barque , en fuivant le torrent qui l'entraîne,
Le fait bientôt paſſer dans eclle de Caron .
L'Enfant , c'cft l'homme en proie à fes caprices ;
Le gouvernail , c'eft la raiſon ,
Et le torrent , ce font les vices.
(Par M. le Bailly, Avocat au Parlement,)
DE FRANCE. 199
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent.
LEE
mot de l'Enigme eft Gouttière ; celui
du Logogryphe eft Courage , où le trouvent
orge , orage , or , age , argo , cou , ré , roc
eau , cage & rage.
É NIG ME.
UNE confonne , avec les einq voyelles ,
Sans être oifeau , forment mon nom.
Jefuis ton fait , mon cher ânon ,
A me trouver fi tu chancèles .
LOGOGRYPHE.
L'AFRIQUE eft mon pays natal;
Je fais un très- laid animal ,
Mais j'ai la douceur en partage.
Mon chef à bas , je deviens un village.
( Par M. Roger le Boiteux. )
*
1i
198
MERACTURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES JARDINS, ou l'Art d'embellir les
Payfages , Poëme , par M. l'Abbé de
2Lille , de l'Académie Françoife , in- 18
the & in- 8° . A Paris , de l'Imprimerie de Philippe-
Denis Pierres , rue Saint-Jacques ,
1782 , & in -4 . de l'Imprimerie de
Didot l'aîné.
Voici le moment que In Critique attendoit
, pour fe venger de ce Dupeur d'oreilles
, dont le débit enchanteur la réduifoit
au filence ; c'eſt à préfent qu'elle peut dire :
Enfin il eft en ma puiffance,
Ce fatal ennemi , ce fuberbe vainqueur......
→ Je vais percer fon invincible coeur.
M. l'Abbé de Lille refpecte toutes les réputations
, applaudit à tous les talens , ménage
l'amour- propre de tout le monde ;
n'importe , on affligera le fien fi l'on peut ,
c'eſt la règle. Penfe t'il être impunément le
Poëte le plus aimable & le plus aimé ? Oh !
comine on va éplucher chaque fyllabe de
chaque vers ! Quelle jouiffance pour les
petits Cenfeurs ! nous leur fouhaitons le
plaifir qu'ils recherchent , celui de n'en point
avoir en lifant de tels vers ; pour nous , ce
plaifir ne nous touche pas , nous préférons
C
DE FRANCE. 196
"
>
celui d'être juftes & vrais, de fentir le mé
rite & de le louer : nous n'éprouvons pas le
befoin de punir l'Auteur de fes fuccès, & les
gens du monde de l'audace qu'ils ont eue
de juger avant nous , quoiqu'en général ils
ayent befoin d'être guidés dans leurs jugemens
par les gens de Lettres , & ils le font
toujours néceffairement , quoi qu'ils en penfent.
Nous avouons que le fuccès des lectures
particulières ne prouve rien , que celui
même des lectures publiques peut encore
laiffer des doutes ; nous n'applaudiffons
point aux vers de M. l'Abbé de Lille , parce
qu'ils ont été applaudis dans des foupers ,
ni parce qu'ils ont tranfporté d'admiration
& de plaifir une portion choifie du Public
aux Séances de l'Académie Françoife ; nous
les louons , parce qu'ils font beaux , parce
que le charme eft en eux , que nous le retrouvons
fur le papier comme dans la bouche
de M. l'Abbé de Lille; que chaque tableau
, chaque trait nous force de redire
avec Horace :
Molle atque facetum
Virgilio annuerunt gaudentes rure camena .
Diftinguons d'abord l'Ouvrage & le
Poëme l'Ouvrage eft un Traité folido &
favant fur l'art de créer & d'orner les jar
dins ; on peut dire du Foëme ce que La
Fontaine dit de l'Apologue ,
C'eft proprement un charme.
Le plan général eft fort fimple. Quatre
I iv
200 MERCURE
Chants. Le premier traite des Sytes & du
fol ; de la manière de corriger les défauts
du terrein , de ménager & de varier les afpects
, d'y mettre du choix , d'y répandre
de l'intérêt , du mouvement , de la vie , & c.
La comparaifon de Kent & de le Nôtre , da
genre régulier & ancien avec le genre moderne
& irrégulier ; enfin , la deſcription
du jardin d'Éden , d'après Milton , forment
T'épiſode de ce premier Chant.
Le fecond Chant fait connoître tout le
parti qu'on peut tirer des bois & des arbres
pour l'embelliffement des jardins ; l'épiſode
qui termine ce Chant eft l'O- Taïtien Potaveri
, retrouvant en France un arbre de fon
pays , embraffant cet arbre avec tranſport ,
& répétant avec des larmes de joie le nom
d'O-Taïti.
Les gazons , les fleurs , & fur-tout les
eaux , font le fujet du troifième Chant. La
defcription charmante du Moulin- Joli , celle
de la Fontaine de Vauclufe , & la peinture
des Amours de Pétrarque & de Laure , forment
des épiſodes parfaitement affortis au
fujet.
Dans le quatrième Chant , le Poëte enfeigne
la manière dont les Arts peuvent être
employés à orner les jardins ; il donne l'idée
de plus de goût , de plus de convenance
qu'on n'en a mis jufqu'à préfent dans cette
affociation des Arts avec la Nature. Le
Poëme finit par l'Éloge du Capitaine Cook ,
qui fert d'épiſode à ce quatrièine Chant. On રે.
DE FRANCE. 201
demandera quel rapport a le Capitaine
Cook aux Arts & aux Jardins. Le voici.
On a fouvent chargé les jardins, les bofquers,
d'ornemens fans intelligence , fans conve
nance ,
D'où vient que ces Naïades ,
Que ces Tritons à ſec fe mêlent aux Dryades ?...
Otez- moi ces lions & ces tigres fauvages ,
Ces monftres me font peur , même dans leurs images
Et ces triftes Céfars , cent fois plus monftres qu'eux ,
Aux portes des bofquets fentinelles affreux
Qui , tout hideux encor de foupçons & de crimes ,
Semblent encor de l'oeil défigner leurs victimes ;
De quel droit s'offrent- ils dans ce riant féjour ?
Montrez-moi des mortels plus chers à notre amour.
"'
Le Poëte defigne quelques - uns de ces
mortels aimés , Fénelon , Henri IV , Sully
le Capitaine Cook ; & comment proferer
le nom de cet homme courageux , bienfaifant
& utile , fans faire fon eloge ? Ce
éloge d'ailleurs eft auffi court qu'il eft jufte.
A ne confidérer cet Ouvrage que comme
un Traité fur l'Art des Jardins , l'Auteur au
roit déjà le mérite d'avoir fort approfondi
cet Art , d'avoir recueilli avec foin les idees
répandues dans les meilleurs Ouvrages com
pofés depuis peu far cette matière , d'y avoir
joint des obfervations fines & d'un goût
inftructif, d'avoir mis dans le plus beau
jour & exposé dans le plus bel ordre une
théorie lumineufe & favante , d'avoir pouffé
LV
202 MERCURE
la doctrine des convenances jufqu'aux nuans
ces les plus delicates , d'avoir donné aux
préceptes une évidence frappante , une utilite
fenfible , une précision parfaite & de
fens & d'expreffion , d'être forti enfin de
cette généralité vague de principes dans laquelle
le renferment & à laquelle fe bornent
la plupart des Poëmes Didactiques. Ici
tout eft fpécifié , détaillé , motivé ; c'eſt partout
la raifon qui parle & le goût qui ordonne.
Si on confidère le Potme , tout n'eft pas
defcription dans ce genre: effentiellement
defcriptif ; une fuite non interrompue de
peintures , même parfaites , fatigueroit &
ennuyeroit à la longue , comme l'obferve
M. de la Harpe , dans une Épître ou Poëme
fur la Poéfie defcriptive. Ici les tableaux font
coupés par des préceptes , par des réflexions ,
par des traits de fentiment , par des traits
d'efprit , par des allufions heureuſes , par
des fouvenirs intéreffans qui amènent un
récit , un épifode. A des tableaux férieux
fuccèdent des tableaux plaifans ; à l'éloge
des vraies beautés fe mêle un ridicule jeté
avec efprit & avec gaîté fur le mauvais goût
prodigué dans de jardins. La même in- tant
telligence que l'Auteur met dans fes préceptes
, il la met & dans l'ordonnance du
tableau général , & dans celle des tableaux
particuliers ; fes tranfitions font adroites
fes contraftes bien ménagés , de bon goût ,
point brufqués , point tranchans ; l'Auteur
>
DE FRANCE.
203
a pris pour lui la leçon qu'il donne aux
payfagiftes ,
Les contradictions ne font pas des contraftes.
La plupart des Poëtes Didactiques ( &
nous parlons des bons ) ont une gravité ,
une auftérité qui tient toujours le Lecteur à
la diftance qui met entre le Poëte & lui la
différence du maître à l'écolier . Le Poëte ,
renfermé dans fon fujet & dans lui - même ,
fier de parler le langage des Dieux , paroît
oublier s'il a des hommes pour Auditeurs
ou pour Lecteurs , il s'en fépare , il les perd
de vûe.doc
Catufque mortales , & udam
Spernit humum fugiente pennå.
M. l'Abbé de Lille caufe avec fon Lea
teur , il l'affocie à fes réflexions , à ſes fenfations
, à fes goûts , à fes plaifirs , & prefqu'à
fon génie : pour l'élever à foi , il defcend
jufqu'à lui ; il le met à fa portée, il lui rend
familières toutes les richeffes de l'imagination
& de la poéfic. Sans jamais s'abaiffer
jufqu'à la plaifanterie , qui dégraderoir le
genre qu'il traite , il a un enjoûment philofophique
, un badinage poétique , une gaîté
Françoife , qui n'en eft que plus piquante
pour être jointe à un goût antique. De tout
cela , il réfulte un charine qui fe fait toujours
fentir , & qui , produit par un defig
continuel de plaire , plaît continuellement.
Effayons de rendre fenfible, par un exemple,
1
Ivj
204
MERCURE
ce mêlange du gai & du beau dans un même
morceau. Rappelons les vers que nous avons
déjà cités :
Otez-moi ces lions & ces tigres fauvages.
Il femble que le Poëte donne un ordre à
un Ouvrier ; il dit la raiſon de cet ordre , &
cette raifon eft naïve :
Ces monftres me font peur......
Et ces triftes Céfars , cent fois plus monftres qu'eux..
Jufqu'ici le Poëte paroît s'égayer , & il
fait fourire ; tout en s'égayant il faifit le
pinceau de Tacite , & repréfente ces Célars
Tout hideux encor de foupçons & de crimes.
Il prend à Cicéron le defignat ad cedem
numquemque noftrum , & tous ces traits font
affortis , & c'eſt en badinant' avec fon Lecteur
qu'il l'élève fans effort à ces beautés :
profondes & fublimes. Et quel a été le paffage
du badinage aux beautés ? L'équivoque
du mot monftre , pris d'abord au phyfique ,,
& enfuite au moral..
"
Cette familiarité avec le Lecteur , dans un
fi grand Poëte , pourroit , comme dans un
grand Seigneur , s'appeler de l'affabilité.
elle doit du moins s'appeler de l'amabilité ;
auffi M. F'Abbé de Lille eft- il par excellence
le Poéte aimable..
De là vient qu'on entend fouvent dans
le monde des gens fans aucune connoiffance
de la poéfie & du jardinage , fans aucuns
DE FRANCE. 205
que
goût pour ces deux Arts , dire : Je n'aime
les vers de l'Abbé de Lille. C'eft qu'indépen
damment du mérite poétique , ils ont la
grâce de l'enjoûment , l'abandon de la converfation
& l'agrément de ce qu'on appelle
le bon ton, quand , par hafard, on attache une
idée à ce mot ; & c'est encore dans ce fens ,
qui n'eft pas celui d'Horace , qu'on peut ap
pliquer à M. l'Abbé de Lille le molle atque
facetum.
Ne Lougiffez donc point, quoique l'orgueil en gronde,
D'ouvrir vos parcs au boeuf, à la vache féconde ,
Qui ne dégradent plus ni vos pares ni mes vers.
Ce foin d'avertir en paffant, que des dé
rails & des noms champêtres , réputés ignobles
autrefois , lorfque le goût de la campagne
& de la culture étoit moins répandu ,
ne dégradent plus aujourd'hui la plus noble
poésie , eft encore une de ces converſations
familières du Poëte avec le Lecteur.
י
Mais pourquoi nous arrêter à ces légers
traits d'efprit, quand toutes les richeffes du génie
nous appellent & nous entourent ?
Quelle profufion & quelle charmante variété
de tableaux , les uns impofans, les autres
touchans , d'autres fimplement piquans , plufeurs
raffemblant tous ces divers caractères !
& , ſelon l'expreffion de M. l'Abbé de Lille :
Uniffant tous les tons pour plaire à tous les goûts.
Dans le premier Chant , la defcription de
Bagatelle , & le tribut de reconnoiffance
206 MERCURE
offert au grand & jeune Prince , créateur de
ce beau lieu ; la peinture de l'arbre , du frémiffement
que le vent excite dans fes rameaux
& dans fon feuillage , du mouve
ment & de la liberté qui doivent régner
dans les campagnes & vivifier les points de
vûe ; la defcription du cheval ; les détails
fur l'art de développer & d'animer une foule
de beautés qui , felon l'expreffion du Poëte,
dorment dans le fein de la Nature ; le morceau
fur la Grèce & l'Italie ; le ridicule jeté
fur les petits jardins fuperftitieufement fy-.
métriques ; la defcription des jardins de
Verſailles & de Marly , chef- d'oeuvres du
genre ancien & régulier , celle du jardin
d'Eden, qu'on prétend avoit été, dans Milton,
le premier modèle des jardins Anglois ou
irréguliers.
Dans le fecond Chant , la defcription des
arbres , des arbustes , des bois , des bocages
& de leurs différens effets ; les regrets éloquens
fur la chûte des beaux arbres de Verfailles
, le fouvenir touchant des amours
dont ils ont été les témoins & les afyles , &
des grands Hommes qu'ils ont vû tomber ;
la peinture de l'automne ; l'éloge de l'ufage
fi humain , fi fraternel, établi chez les Lapons,
de planter un arbre pour un père , pour un
fils , pour un ami , pour un hôte , & de donner
à ces arbres les noms des perfonnes
auxquelles on les confacre ;
Crefcent ille , crefcetis amores.qqan doTE
DE FRANCE. 207
L'application que l'Auteur propofe de faire
de cet ufage à des événemens publics chers à
la Nation ; l'intérêt , le charme particulier
qu'il répand fur un de ces événemens ſi mal
célébré par tant d'autres , & l'art fi naturel
avec lequel il tire cet intérêt & ce charme
du fond même de fon fujet ; enfin , la culture
des arbres étrangers à Malesherbes , &
l'épiſode de Patoveri.
>-
Chant troifième. La peinture des différentes
formes , des différens effets des gazons ,
des fleurs , des rochers , des eaux , foit
plates , foit jailliffantes , des caſcades , des
rivières , des ruiffeaux , des lacs , des oifeaux
aquatiques , des navires qui , comme eux ,
jouent fur les ondes , &c.; la defcription du
Moulin -Joli , de la Fontaine de Vauclufe ;
les amours de Pétrarque & de Laure.
Quatrième & dernier Chant. La monotonie
de l'alignement , l'excès & l'exagéra
tion des routes tournantes , également condamnés
en beaux vers & par des raifons
éloquemment & gaîment expofées ; le fameux
tableau philofophique de paysage du
Pouffin.
Et in areadiâ ego.
Le cimetière de village , la manière d'y
ajouter à l'intérêt , en honorant la mémoire,
en récompenfant par un monument fimple
la vertu d'un payfan utile ; la ferme , la defcription
du coq , de l'aigle , l'ufage des
ruines vraiment antiques , l'abus & le ridi203
MERCURE
cule des fauffes ruines , ainfi que de tous les
édifices infignifians ou bizarres , dont le mauvais
goût a imaginé d'orner ou de défigurer
les jardins ; l'Abbaye antique , tableau peutêtre
le plus fini de tout le Poëme , mais dont
quelques traits femblent avoir été fournis
par l'Epitre d'Héloïfe , de Pope & de M.
Colardeau ; tableau fuperbe des ruines de
Rome & de l'Italie ; éloge du Capitaine
Cook; voeux pour la paix , qui terminent le
Poëme , & qui devroient remplir tous les
Ouvrages.
Tous ces morceaux font autant de modèles
& de chef d'oeuvres ; le plaifir qu'ils
font fera toujours mieux exprimé par des
tranfports que par des éloges ; quelques - uns
de ces morceaux font pleurer de tendreſſe ,
plufieurs touchent profondément ; tous ces
fignes , d'un contentement extraordinaire
qu'Horace met fur le compte d'un flatteur ,
pourroient être donnés ici , fincèrement &
naturellement , par tout amateur de la belle
poéfie.
Clamabit enim : pulchrè , benè , rectè ;
Pallefcet fuper his ; etiam ftillabit amicis
Ex oculis rorem ; faliet , tundet pede terram.
Plufieurs de ces morceaux font déjà connus
par des lectures publiques ou particu
lières , & plus d'un amateur les fait par coeur.
Nous ne nous permettrons donc pas d'enciter
un grand nombre ; cependant , trop
jaatéreffés à ne pas priver cet extrait de l'agré
DE FRANCE. 200
ment qu'y répandroient de telles citations ,
nous tranfcrirons ceux de ces morceaux que
nous croyons les moins connus , parce qu'ils
nous font les moins familiers à nous mêmes;
nous choifirons auffi par préférence ceux
qui nous fournirons quelques obſervations.
La defcription du Moulin-Joli , & l'expofition
plaifante de ce qu'auroient fait la richeffe
& le faux goût pour le gâter , forment
un des plus agréables tableaux de cet
Ouvrage.
L'onde rajeunit l'arbre , & l'arbre orne fon cours...
Sachez donc les unir ; ou fi , dans de beaux lieux ,
La Nature fans vous fit cet hymen heureux ,
Refpectez-la Malheur à qui feroit mieux qu'elle !
Tel eft , cher Watelet , mon coeur me le rappelle ,
Tel eft l'heureux aſyle où , ſuſpendant fon cours
Pure comme tes moeurs , libre comme tes jours,
En canaux ombragés la Seine ſe partage ,
Et vifite en fecret la retraite d'un fage.
Ton art la feconda ; non eet art impoſteur ,
Des lieux qu'il croit orner , hardi profanateurs
Digne de voir , d'aimer , de fentir la Nature ,
Tu traitas fa beauté comme une Vierge pure
Qui rougit d'être nue & craint les ornemens.
Je crois voir le faux goût gâter ces lieux charmans
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eft qu'un fon importun, qu'une meule qui crie
On l'écarte. Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui-même en roulant façonnés ,
210 MERCURE
S'alignent triftement. Au lieu de la verdare
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture,
L'eau dans des quais de pierre accufe fa prifon ;
Le marbre faftueux outrage le gazon ,
Et des arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis ofe ufurper la rive.
Barbares , arrêtez , & refpectez ces lieux.
Et vous , fleuve charmant ; vous , bois délicieux ,
Si j'ai peint vos beautés , fi , dès mon premier âge ,
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long- temps à votre poffeffeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur.
Ce vou , que tous les cours partagent &
répètent , eft exprimé d'une manière attendrillante
jufqu'aux larmes pour ceux qui
connoiffent M. Watelet .
Un intérêt femblable anime la defcription
des arbres étrangers , cultivés à Malesherbes.
Voyez dans ces jardins , fiers de fe voir foumis
A la main qui porta le fceptre de Thémis ,
Le fang des Lamoignon , l'éloquent Malesherbes , 1
Enrichir notre fol de cent tiges fuperbes.
Là , des plants affemblés des bouts de l'Univers ,
De la cîme des monts , de la rive des mers ,
Des portes du couchant , de celles de l'aurore ,
Ceux que l'ardent midi , que le nord voit éclore ,
Les enfans du Soleil , les enfans des frimats ,
Mc font , en un lieu feul , parcourir cent climats
DE FRANCE 211
Je voyage entouré de leur foule choilie ,
D'Amérique en Europe , & d'Afrique en Afie.
Nous avons parlé de l'ufage des Lapons
dans la plantation des arbres ; le Poëte célèbre
cet ufage , & propofe de l'étendre : une
nouvelle heureufe vient tout- à - coup l'interrompre.
2
. Mais tandis que tu chantes ,
Mufe , quels cris dans l'air s'élancent à la fois ?
Il eft né l'héritier du fceptre de nos Rois ;
Il est né dans nos murs , dans nos camps, fur les ondes,
Nos foudres triomphans l'annoncent aux deux mondes
:
2001
Pour parer fon berceau , c'eft trop peu que des fleurs ;
Apportez les lauriers , les palmes des vainqueurs.
Qu'à les premiers regards brillent des jours de gloire,
Qu'il entende en naiffant l'hymne de la victoire .
Ah ! plutôt l'hymne de la paix & les jours
de bonheur ; on parle toujours trop aux enfans
des Rois , de gloire & de victoire. Pourfuivons
ce morceau charmant.
Et toi, par qui le Ciel nous fit cet heureux don .
Toi , qui , le plus beau noeud , la chaîne la plus chère
Des Germains , des François , d'un époux & d'un frère,
Les unit , comme onvoit de deux pompeux ormeaur
Une guirlande en fleur enchaîner les rameaux jeg za
Sour, mère , époufe augufte ; enfin la deftinées un
Joint au deuil du trépas les fruits de l'hymenée ,
Er, mêlant dans tes yeux les larmes & les ris ,
212 MERCURE
Quand tu perds une mère elle te donne un fils.
D'autres , dans les tranfports que ce beau jour infpire,
Animeront la toile , ou le marbre , ou la lyre ;
Moi , l'umble ami des champs , j'irai dans ce féjour
Où Flere & les Zéphirs compofent feuls ta Cour ,
J'irai dans Trianon. Là , pour unique hommage,
Je confacre à ton fils des arbres de fon âge ,
Un bofquet de fon nom , Ce fimple monument ,
Ces tiges , de tes bois le plus doux ornement ,
Tes yeux les verront croître , & croiffant avec elles ,
Ton fils viendra chercher leurs ombres fraternelles.
Voilà le pur goût de l'antiquité ; voilà ce
que les Savans ne favent pas y voir , & ce
qui n'y exifte que pour ceux qui favent l'y
trouver. C'est l'Ouvrage , non de l'imitation,
mais du talent , du goût , de l'analogie , d'une
même manière générale de voir & de fentir.
Leurs ombres fraiernelles , voilà de ces épithètes
qu'on peut appeler trouvées , & qui
ne le feront jamais par ceux qui chargent
leurs vers d'épithètes ; ces épithètes- là , le
goût les tient en réferve pour le génie.
Le morceau fur l'automne nous fournira
quelques réflexions .
Bientôt les Aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons ;
De moment en moment la feuille fur la terre ,
En tombant , interrompt le rêveur folitaire.
Mais ces ruines mêmes ont pour moi des attraits.
Là, fi mon coeur nourrit quelques profonds regrets
DE FRANCE. 213
Si quelque fouvenir vient rouvrir ma bleſſure ,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la Nature.
De ces bois deffectés , de ces rameaux flétris ,
Seul , crrant , je me plais à fouler les débris.
Ils font paffés , les jours d'ivreffe & de folie :]
Viens , je me livre à toi , douce mélancolie ;
Viens , non le front chargé de nuages affreux ,
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux ,
Mais l'oeil demi - voilé , mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne :
Viens , le regard penfif, le front calme & les yeux
Tout prêts à s'humecter de pleurs délicieux .
Nous concevons qu'on ne puiffe le réfoudre
à facrifier un pareil morceau & des vers
tels que celui - ci :
J'aime à mêler mon deuil an deuil de la Nature.
Mais ce vers même a le mérite ou le tort de
rappeler un morceau femblable ; & ( s'il eft
permis de comparer au moins fur un feul
article , deux grands Poëtes vivans ) un morecau
fupérieur. Le voici.
La campagne épuifée a livré fes préfens ,
Et n'a rien à promettre à mes goûts , à mes fens.
Dans ces jardins flétris , dans ces bois fans verdure ,
Je fens à mes befoins échapper la Nature.
Ce concert monotone & des eaux & des vents ,
Suſpendant ma penſée & tous mes fentimens ,
Sur elle- même enfin mon âme fe replie ,
Et tombe par degrés dans la mélancolie.
214
MERGURE
Ces vallons fans troupeaux , ces forêts fans concerts ,
Ces champs décolorés , ce deuil de l'Univers ,
Rappellent à mon coeur des pertes plus fenfibles.
Je crois me retrouver à ces momens horribles ,
Où j'ai vu mes amis que la faulx du trépas
a
Menaçoit à mes yeux , ou frappoit dans mes bras.
De Ch.... expirant je vois encor l'image *
Je le vois à fes maux oppoſer ſon courage ,
Penfer , fentir , aimer , au bord du monument ,
Et jouir de la vie à fon dernier moment.
Objet de mes regrets , ami fidèle &tendre ,
J'aime à porter mes pleurs en tribut à ta cendre.
Malheur à qui les Dieux accordent de longs jours!
Confumé de douleurs vers la fin de leur cours ,
Il voit dans le tombeau , fes amis difparoître
Et les êtres qu'il aime arrachés à fon être !
Il voit autour de lui tout périr , tout changer ;
A la race nouvelle il fe trouve étranger ;
Et lorfqu'à fes regards la lumière eft ravie ,
Il n'a plus en mourant à perdre que la vie.
Cette idée eft affreuſe , & j'aime à m'y livrer ;
Je cède avec plaifir au befoin de pleurer ,
Et cherche un aliment à ma douleur profonde.
Dans ce morceau profondément touchant,
& le plus beau du beau Poëme des Saifons ,
M. de Saint- Lambert développe un fentiment
que M. l'Abbé de Lille ne fait , pour
ainfi dire , qu'indiquer . D'ailleurs , la defcription
même de l'Automne & des, effers.
DE FRANCE. 215
qu'il produit fur l'âme , defcription bien
placée fans doute dans le Poëme des Jardins ,
appartenoit encore plus effentiellement au
Poëme des Saifons. On pourroit demander
fi M. de Lille a bien fait de s'expofer à un
parallèle où l'avantage n'eft pas de fon côté ;
il eft vrai qu'on peut appliquer ici ce vers
du Poëme de Fontenoy :
Ils feront fiers encore , ils n'ont cédé qu'à lui.
Mais il femble qu'un Poëte tel que M..
l'Abbé de Lille , ne doit céder à perfonne ,
& ne doit jamais paroître en fecond , même
dans les moindres détails. Quoi qu'il en foit' ,
le Poëine des Saifons , la Traduction des
Georgiques & le Poëme des Jardins , font
trois monumens qui dépoferont à la poftérité
des talens poétiques de ce fiècle , & qui
abfoudront la philofophie du reproche qu'on
a voulu lui faire d'avoir nui à la poéfie.
Au refte , le défaut même d'étendue & de
développement dans le morceau de M. l'Abbé
de Lille, prouve qu'il ne s'eft pas propofé
de lutter en cet endroit contre M. de Saint-
Lambert.
Il fembleroit plutôt dans fa deſcription
du Coq , avoir lutté contre M. de Roffet,
chez qui la même defcription eft fi fupérieure
au refte de fon Poëme , d'ailleurs
très -eftimable , fur l'agriculture , qu'on la
croiroit d'une autre main , & de la main du
plus grand de nos Poëtes. Voici le Coq de
M. de Roffet.
3
216 MERCURE
Que le Coq de fes foeurs & l'époux & le Roi ,
Toujours marche à leur tête & leur donne la loi ;
Il peut dix ans entiers les aimer , les conduire ,
Il eft né pour l'amour , il eft né pour l'empire.
En amour , en fierté , le Coq n'a point d'égal ;
Une crête de pourpre orne fon front royal ;
Son oeil noir lance au loin de vives étincelles ,
Un plumage éclatant peint fon corps & fes aîles ,
Dore fon cou fuperbe , & flotte en longs cheveux ; r
De fanglans éperons arment fes pieds nerveux,
Sa queue , en fe jouant du dos jufqu'à la crête ,
S'avance & ſe recourbe en ombrageant la tête.
Voici celui de M. l'Abbé de Lille.
A leur tête eft le Coq , père , amant , chef heureux ,
Qui , Roi fans tyrannie , & Sultan fans molleffe ,
A ſon ſerrail aîlé prodiguant fa tendreſſe ,
Aux droits de la valeur joint ceux de la beauté ,
Commande avec douceur , careffe avec fierté ,
Et , fait pour les plaifirs & l'empire & la gloire ,
Aime , combat , triomphe , & chante fa victoire.
1
Dans cette defcription , M. de Roffet
paroît s'être plus occupé du phyfique , &
M. l'Abbé de Lille du moral.
On a critiqué dans M. l'Abbé de Lille quelques
détails de la defcription du Cheval
Chant Ier ; on a blâmé le fleuve accoutume
on a prétendu qu'il rendoit par une expreffion
inufitée le flumina nota.
3.On
DE FRANCE. 217
On a cenſuré aufli certe expreffion :
Beau d'orgueil & d'amour.
Mais il nous a paru que le plus grand nombre
l'excufoit , ou même la goûtoit , préparée
fur-tout & entourée comme elle l'eft dans
ces deux vers :
Superbe , l'oeil en feu , les narines fumantes ,
Beau d'orgueil & d'amour , il vole à ſes amantes.
Au contraire , le plus grand nombre nous a
paru ne pas goûter cette image :
Là , du fommet lointain des roches buiffonneufes ,
Je vois la chèvre pendre.
Quoiqu'elle foit la traduction de ce vers de
Virgile , qui n'offre rien que de riant à l'imagination.
Dumosa pendere procul de rupe-videbo.
C'est que le mot pendere ne réveille peut - être
pas aufli néceffairement en latin que le mot
pendre en françois , une idée défagréable.
Mais ceffons cette difcuffion minutieufe ,
& ne donnons pas l'exemple de critiquer un
Ouvrage qu'on ne peut trop admirer , qui
nous paroît auffi approchant de la perfection
qui peut -être donné à un Ouvrage.humain
de l'être , où le trouvent réunis l'abondance
& la précision , la richeffe & la fumpliciré
la facilité la plus aimable & le travail
le plus heureux , l'élévation & l'enjoùment
, le fentiment & l'efprit , la grâce &
No. 26 , 29 Juin 1782.
K
218
MERCURE
la force , le talent de tirer parti de tout , de
peindre tout , d'animer tout , de varier tout,
de diverfifier à l'infini les formes du ftyle &
du vers par un mélange adroit de cefures
Lavantes , d'enjambemens heureux , de périodes
harmonicafes , de diftiques tombans
avec grâce , de maximes détachées , de traits
ifoles , enfin , par toutes les reffources de
l'art d'écrire . Puiffe cet hommage rendre à
l'Auteur une partie du plaifir que fon Poëme
nous a fait puiffe t'il y reconnoître l'expreffion
de l'amitié qui applaudit à fa gloire ,
& celle du goût reconnoiffant qui aime à
louer ce qui le flatte !
Pierides , vos hac facietis maxima Gallo ,
Gallo , cujus amor tantùm mihi crefcit in horas
Quantùm vere novo viridis fe fubjicit olnus.
1
La Préface & les Notes font dignes du
goût de l'Auteur,
DISCOURS publics & Éloges , par M***
Avocat Général , Tome III . A Paris ,
chez Simon , Imprimeur du Parlement
rue Mignon- Saint André - des - Arcs.
>
Le titre de ce Livre appelle feul une
jufte attention. Les Difcours d'un Avocat
Général font efpérer la dignité & l'intérêt
du beau Ministère qu'il remplit . Ce Livre
donne tout ce que fes objets promettent ;
mais avant de parler du mérite de ces Difarrêtons
- nous un moment fur les
cours ,
DE FRANCE. 219
Fonctions dont ils font un des travaux. Pour
les bien louer , il ne faut que les expliquer
& les rappeler. Qu'on nous permette de
placer ici un tableau des fonctions du Miniftère
public , tiré d'une Differtation fur ce
Ministère , dont on a autrefois parlé dans ce
Journal.
"3
"
33
" On regrette ces belles Magiftratures
des Anciens , qui illuftroient à jamais les
" familles , non par la puiflance qu'elles
donnoient, cette puiffance n'avoit qu'un
» temps , mais parce qu'elles fembloient
exclure les hommes ordinaires , & on a
bien raifon de les regretter. Tout em
ploi public eft dégradé dès qu'on ne le
» reçoit plus au milieu des acclamations des
Citoyens , & qu'on ne l'exerce pas fous
la fouveraineté d'un Peuple . Mais s'il eftencore
quelque Dignité parmi nous qui
» ne fe préfente pas à notre efprit fans lui
» annoncer de grands fervices à rendre &
une grande gloire à mériter , c'eft celle du
Ministère public. Chacun de fes devoirs
» lui donne un droit à notre vénération &
à notre amour . Il cherche par tout un
abus à réformer , un bien à établir . Le
Sanctuaire de la Juftice conferve ou recouvre
toute fa pureté fous la cenfure de
» fes regards & de fes difcours , & le Livre
» des Loix peut fouvent s'ouvrir pour rece-
» voir un décret conçu par fa fageffe . Quand
"
le foible eft opprimé , il fe raffure à
» ce nom protecteur , & il en 、menace
Kij
MERCURE
l'homme injufte & puillant. Soit que le
foible défende fes droits , foit qu'il les
» abandone , toujours ils lui font gardés
dans cet afyle inviolable , & fouvent il
bénit avec étonnement cette tutelle incommue
qui le relève des fautes de l'im
prudence & du malheur. L'Eloquence eft
» le digne inftrument de tant de foins géné-
» reux , & elle retrouve encore pour le
» Miniitère public feul , fon antique fouveraineté.
La Société entière repoſe fur la.
foi de fa vigilance, Tous les Citoyens lui
» doivent quelque chofe de leur bonheur ,
» excepté les méchans , dont la fuite , l'effroi
ou la punition achèvent fa gloire.
Une des fonctions les plus nobles des
Avocats Généraux , eft d'avoir à rappeler
tous les ans aux Magiftrats & aux Avocats
les devoirs de leur état . Il femble que fi jamais
la Morale doit avoir de l'intérêt & de
la majefté , c'eft dans ces Difcours. Il fembleroit
auffi que l'Éloquence , qui ne peut
avoir un plus bel emploi parmi nous , auroit
dû s'en emparer par préférence ; cependant
on compte peu de ces Difcours parmi les
beaux Monumens de norre Littérature.
Cela vient de plufieurs caufes. D'abord , la
modcftie des Magiftrats les empêche fonvent
de publier des Difcours qui ont été
entendus avec intérêt & admiration , & ces
Ouvrages ont honoré la Magiftrature , fans
fervir aux Lettres . En fecond lieu, toutes tes
fonctions , tous les travaux raffemblés dans
2
DE FRANCE. 22:1
notre Ministère public , tel qu'il eft: conſti→ .
tué , abforbent trop les hommes qui le rem
pliffent , & ne leur permettent pas de ratfembler
toutes les forces de leur talent dans
leurs Ouvrages les plus intéreffans . Il fau
droit on diminuer leurs travaux ou multiplier
les Magiftrats dans ce Ministère : enfim ,
on a été trop long- temps dans l'ufage de ne
traiter dans ces Difcours que les lieux com
muns de la Morale. Un Difcours fur l'Amour
de la Juftice , fur la Modération , fur la
Gloire, fur la Fertu , confidérées d'une ma
Aière vague & indéfinie , ne pouvoit fournir
qu'une déclamation plus ou moins bien
écrite. La Morale , pour être utile , pour
être intéreffante, doit toujours être particula
rifée. Si vous me propofez des vertus , que
ée foient des vertus à ma portée , que j'en
fente le prix & la douceur , & qu'il me foit
impoffible de ne pas les defirer après que
vous me les aurez préfentées. Si vous me reprochez
des vices , que ce foient ceux de
mon fiècle , de mon état , de ma fituation ;
que votre cenfure réveille ma conſcience ,
qu'elle y excite un plus vif mécontentement
de moi- même. La Morale eft inépuisable
comme les paffions qu'elle doit réprimer &
gouverner ; mais pour cela , il faut qu'elle les
fuive dans tous leurs progrès , dans toutes
les modifications qu'elles reçoivent dans le
Cours toujours divers de la Société. L'ufage
s'eft introduit depuis quelque temps d'employer
auffi ces Difcours à la difcullion de
Kuj
222 MERCURE
quelque queſtion intéreffante de légiflation
Je crois que le premier , comme le plus bel
exemple de cette heurenfe innovation , eft le
Difcoursfur la Juftice Criminelle de M. Servan.
En ajoutant ainsi un genre vafte & important
à un genre qui s'épuifoit , M.Servan
n'eft pas forti de l'efprit de l'inftitution de
ces Difcours. Donner aux Magiftrats de
nouvelles lumières , c'eft perfectionner leurs,
vertus ; & où la Morale législative pourroitelle
être traitée plus convenablement que.
dans ces jours de pompe & de recueillement
tout enfemble , dans ce repos folemnel de la:
Juftice , où les Magiftrats ne fufpendent un
momentleurs fonctions que pour les méditer,
où ils doivent les confidérer dans leurs plus,
grands rapports avec le bien public , je dirai
prefque où tout les invite à des penſées de
Légiflateurs ?
Nous nous fommes érendus d'autant plus
volontiers dans ces réflexions , que nous les
avons trouvées réalifées en partie dans le
Recueil intéreffant dont nous avons à parler..
Le refpectable Magiftrat à qui nous devons
eet Ouvrage , en a déjà publié deux Volumes.
il y a plufieurs années. On y trouve d'excel
lentes difcuffions pour la réforme de notre
Jurifprudence mêlées à de bons Difcours de
Morale. Ce troisième Volume préſente auffi
cetre heureuſe réunion . Il renferme particu
lièrement une difcuffion affez étendue fur
les rapports d'Experts , pleine de vûes
juftes & fages , & de cette fagacité, enrichie
DE FRANCE
229.
dune longue expérience non moins que des
lumières du Philofophe & du Jurifconfultes
elle eft encore écrite du meilleur ftyle ...
Parmi les Difcours , nous avons diftingué
fur- tout celuifur leftyle du Barreau comme
le mieux travaillé. On y trouvera une hif
toire très bien faite des différentes révolu
tions que l'Eloquence du Barreau, a éprou
vées , une bonne critique & du bon goût.
En voici un morceau qui offre des no
tions très - bien apperçues & très bien déve
loppées fur le ftyle.
و د
es
Lorfqu'on s'arrête à confidérer feulement
les différences que portent dans le
Difcours la pureté du langage , la propriété
» des termes , une forte d'élégance dans leur
» difpofition , une convenance néceffaire
is avec le genre particulier du fujet , le ftyle
" peut être justement défini la manière
» d'exprimer fes idées ; car , comme les
" nuances peuvent varier fans toucher au
"
3
fond des chofes , ce n'eft plus qu'un ver-
» nis qui flatte par fon éclat , parce qu'il
conferve l'harmonie des couleurs , qui
cependant ne fait pas le prix du tableau ;
mais il y a des différences de ftyle qui
» tiennent plus encore à la penſée qu'à
» l'expreffion , qui forment des caractères,
» indépendans des genres , le ftyle eft , dans
» cette acception plus étendue , le faire de
l'homme qui parle ou qui écrit ; il eft
tout- à- la-fois la manière dont les objets
l'affectent , & la manière dont il rend les
Kiv
224 - MERCURE
ม
"
impreffions qu'il a reçues ; il embraffe tout
» ce que l'élévation du génie , la force de
» l'imagination , les graces de l'efprit , la
»fagefle du goût peuvent mettre enfemble
» dans une compofition ; ce n'eft plus cette
» partie de l'élocution qui fait elle - même
partie de l'Eloquence ; il comprend jufqu'à
I'Eloquence , parce qu'elle n'eft que le
ftyle des grands Hommes dans les grandes
chofes , parce que le ftyle qui garde la
fimplicité de forr fujet, peut être quelque-
" fois éloquent. C'eft dans ce fens que le
fublime Ecrivain , dont cette Province
» s'honore aux yeux de l'Univers policé , dit
que l'on peut enlever & tranfporter les
connoiffances , les faits , les découvertes
qui donnent pour un temps quelque
prix à un Ouvrage , parce que ces chofes
font hors de l'homme ; que le ftyle eft
» l'homme même , qu'il ne peut ni s'enlever
ni fe tranfporter ; que toutes les beautés
intellectuelles qui s'y trouvent tous les
» rapports dont il eft compofe , font autant de
» vérités utiles & peutêtre plus précieuses à
Pefprit humain que celles qui peuvent faire
» le fond dufujet.
و و
23
,,
ر
Il est heureux pour la Philofophie , fouvent
fi décriée par ces prétendus Philofophes
qui n'y ont porté que les extravagances des
mauvais efprits , d'avoir été bien appréciée'
& défendue par un Magiftrat diftingué fur-1
tout par l'étendue de fes connoiffances dans
notre Jurifprudence , & par la fagoffe de
DE FRANCE. 225
fon efprit. Voici comment M*** en pirle
dans ce même Difcours fur le ftyle du Barreau.
Demandera- t-on maintenant quelles
» ont été les caufes des progrès plus ou
moins lents de la perfection du ftyle ?
» Nous avons eu dans ce récit un affez grand
» nombre d'occafions de l'annoncer ; c'eft
la raifon , ou , pour mieux dire , c'eft la
Philofophie ; car , pourquoi nous refufer
» ce mor , qui n'exprime que la raifon per-
» fectionnée ? Laiffons fes détracteurs bypocrites
effayer de tourner contre elle les
armes qu'elle leur a données. Marchons
hardiment dans la route qu'elle nous préfente
; il nous fera toujours facile , quand
nous le voudrons , de la diftinguer de ces
fentiers obfcurs qui n'ont été frayés que
par quelques écarts , & chaque pas que
nous y ferons augmentera en nous cette
droiture de fentimens , cette élévation
d'efprit qui rendent l'homme digne de
commander à fes femblables par l'empire
de la parole.
23
"""
Un fi bon appréciateur de la Philofophie
eft bien éloigné de donner ce nom à cette
manie de tout critiquer à tort & à travers
dans les Loix , qui a fait tant de déclamateurs
dans la Littérature & au Barreau.
" Heft un autre écueil enfin fort voilin
» de la route de l'Éloquence , dans lequel un
excès de préfomption pent faire tomber
» ceux mêmes qui étoient nés pour être
Kv
226 MERCURE..
» Orateurs , lorfqu'ils ont une fois imaginé.
que l'efprit devoit leur tenir lieu de fcience
& de jugement , c'eſt le ton de déclama
» tion ; il féduit quelques inftans , parce que
la hardieffe a quelque reffemblance avec.
la force ; mais fi les gens fenfés le con-
» daninent dans la Littérature , combien ne,
feroit- il pas encore plus déplacé au Bar
» reau , où tour doit préfenter l'ordre & la
» modération , où l'intérêt général fait taire
93
la raifon elle- même quand elle veut s'éle-
» vèr contre la Loi. La Philofophie peut
» bien defirer une Loi plus parfaite , mais
elle refpecte la Loi qui ſubſiſte ; elle n'eſt
» jamais plus fatisfaite que lorfqu'elle a oc-
» cafion de l'invoquer au nom de l'huma
» nité, & d'ajouter ainfi aux motifs qui la
» font chérir & refpecter. ».
On pourroit peut être reprocher aux Dif
cours de morale d'appartenir un peu à cette
morale vague & indéfinie que nous croyons
impoflible de traiter avec intérêt & utilité ;
mais ce défaut ne fe trouve que dans les titres
qui femblent n'annoncer que des lieux communs
. Quand on lit les Difcours , on apperçoit
bientôt que l'efprit de l'Auteur eft fait
pour préfenter des idées juftes , développer
des vérités intéreffantes , & fur - tout pour
perfuader des vertus qui font dans fon coeur.
On reconnoîtra un vrai Philofophe , &
un bon Moralifte , dans ce morceau tiré
du Difcours fur l'amour de l'humanité.
DE FRANCE: 227
On nous parle des Sauvages. Une vieille
tradition attache encore à cette dénomi
» nation l'idée d'une férocité naturelle &
invincible; jufqu'à quand nous laifferons-
» nous abufer par le récit de ces Barbares ,
» qui n'abordèrent des plages inconnues que
" pour y porter l'orgueil d'une domination
exclufive , que pour y affouvir une déref-.
table cupidité ; qui ne fe montrèrent à ces
» Peuples qu'armés de toutes les inventions
» d'une induftrie meurtrière , & qui , verfant
impitoyablement le fang innocent
jetèrent dans tout le Nouveau - Monde
» une impretion de rerreur que l'on a
» peine à vaincre encore aujourd'hui ! I
» falloit bien qu'ils nous les repréfental-
» fent comme des monftres pour ſe juſti-
» fier de ne les avoir pas traités comme des
» hommes.
ور
237
و ر » Cherchonsdonc des témoignages moins
corrompus ; écoutons ces Voyageurs qui
» ont pénétré dans les Illes les plus lointaines
pour en obferver le climat , les
» productions , les moeurs , & non pour
dépouiller les habitans' ; interrogeons
ceux que les vents y ont pouffés , ceux
que les premiers befoins ont forcés d'y
» prendre terre ; interrogeons fur- tout ce
célèbre Navigateur qui a entrepris , pour
la troisième fois , le tour du Monde ; ill
nous dira que fous les coftumes les plus
divers , les plus bizarres , il a toujours vu
» le même amour de l'humanité dès qu'il
K-vj
228
MERCURE
» a pu faire entendre les fignes de paix &
» de bienveillance . Ce grand Homme ignore
» fans doute les mouvemens qui agitent
ود
ور
"
fa patrie depuis qu'il l'a quittée ; il ne fait
" pas qu'elle s'eft armée contre la France ;
» ab ! s'il revenoit maintenant , s'il n'appte-
» noit ces difcordes que par la rencontre
de nos forces navales , qu'il palleroit rapidement
de la furprife à la fecurité , de
» la crainte à l'admiration ! Quel fpectacle
pour l'Univers ! La Politique abailfant fes
pavillons devant celui du Voyageur philofophe
! La préfence d'un B enfaiteur du
" genre- humain enchaînant tout - à - coup
" les haines nationales ! Ce jour à jamais
mémorable feroit infcrit dans les Faftes
» de tous les Empires ; il feroit célébré chez
" tous les Peuples , & les enfans de leurs
enfans diroient encore avec artendriffe-
" ment : Ce grand exemple d'humanité qui
» fit ajouter à l'ancien Code du Droit des
Gens , la fauve garde de ceux qui fe font
dévoués à fon fervice , fut un des glorieux
événemens du Règne de Louis XVI , Roi
» des François .
39
"
39
&
"
Quand on a des idées nobles , on trouve
de belles exprellions. Les grands Orateurs
ne défavoueroient pas ce trait : La préfence
d'un Bienfaiteur du genre- humain enchaînant
tout- à coup les haines nationales ! Et cette
autre phrafe , qui me paroît bien plus belle
encore : Cet exemple d'humanité quifit ajouter
à l'ancien Code du Droit des Gens , lafauve
DE FRANCE. 229
·
>
garde de ceux qui fe font dévoués à fon fervice.
Le Magiftrat à qui nous devons ces Dif
cours , au milieu des grands travaux d'un
Ministère li bien rempli , a encore trouvé le
temps de cultiver les Sciences phyliques de
manière à être compte parmi les Savans de
nos Académies . Aux connoiffances & aux
talens du Savant & du Magiſtrat , il joint encore
toutes les qualités & les vertus que ces
titres annoncent. Sans y prétendre , il réunit
tous les genres de gloire , & nous nous trou
vons heureux d'avoir à lui rendre un jufte
hommage.
( Cet Article eft de M. de L. C.)
L'OCCASION & LE MOMENT , ou les
Petits- Riens , par M. Mérard de Saint-
Jult. 4 Parties , petit format. A Paris
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
>
CET Ouvrage , qui aura un grand mérite
aux yeux des Amateurs des belles Éditions , eft
un de ceux qui font honneur à l'Imprimeric
de M. Didot.
L'Auteur l'a divifé en quatre Parties ; dans la
première il a raffemblé de petites Épigrammes
qui font tournées avec allez de facilité
& de gaîté ; mais on defireroit que la penfee
qui les termine eût plus le piquant de la
nouveauté,
230 MERCURE
Un homme veuf, de fa défunte feinme
Faifoit l'éloge ; à la nouvelle Dame
Il ne plut pas. Laiffez les morts en paix,
Répondit- elle, & uêve à vos regrets.
Votre défunte étoit fage , étoit bonne ;
Vous l'aflurez ; volontiers je le crois.
Auffi , Monfieur , je vous jure , perfonne
A fon trépas n'a tant perdu que moi.
Nous fommes étonnés que M. de Saint-
Jult , qui ne manque pas de talens , ait dirigé
quelquefois la pointe de fes Epigrammes
contre des Hommes de Lettres très - diftingués
& très- eftimables. Si ce malheureux
genre pouvoit être permis , ce ne feroit
qu'autant qu'il auroit pour objet de décou
rager les mauvais Écrivains , qui font les
fléaux de la Littératute. Un autre reproche à
lui faire , tombe fur l'ufage qu'il fe permet
de faire des mots que le goût réprouve dans
les Ouvrages du genre le plus libre..
La feconde Partie contient plufieurs
Pièces fous le titre de Contes , parmi lesquels
on diftingue la Pièce intitulée les Grâces ou
la Méprife , & un petit Poëme Héroï-
Comique intitulé : Le Voyage à Chartres,
Le début de ce Počine pourra donner
quelque idée du ton & de la verfification.
MUSE , chantez , célébrez le voyage
D'un Avocat devenu Chevalier.
Un'entrevit la mer ni fon rivage ;
DE FRANCE.. 23:
Er, de Bayard imitant le courage ,.
Il ne fut pas vingt ans à guarroyer :
Il n'allà point fous la brûlante Zône
Voir des humains plus noirs que des démons s
S'il parcouru les plaines & les monts ,
Ce ne fut point pour conquérir un trône.
Que fait un fceptre , hélas ! .pour le bonheur?
Un Prince eft-il plus fidèle à l'honneur ?
Un Roi dans l'âme a -t'il plus de nobleſſe ?
MON Chevalier , amant de la fageffe ,
Ne paffa point dans ces fombres climats
Où l'hiver règne au milieu des frimats ;
Mais regrettant & Paris & Montmartre ,
Il fut en Béauce , il alla revoir Chartre.
Il ne vouloit ni redreffer les torts ,
(Car , felon lui , tout eft bien dans le monde, ))
Ni dépêcher , tout en faiſant fa ronde ,
Quelques géans dans l'empire des morts.
La troifième Partie renferme pluheurs
Poéfies fugitives.
Parmi les Épîtres raffemblées dans la qua
trième , en voici une qui nous a paru mé
riter d'être citée..
QUE la trifte & froide Dacier
De fon Latin s'enorgueilliffe ,,
Que fur le .Grec elle pâliffe ,
Il y avoit une maisonnette,
232 MERCURE
募
Elle devoit étudier.
Il faut que laideur fe conføle
Par l'avantage du favoir ;
Mais la beauté ne doit avoir
Que l'Amour pour Maître d'École."
'Jamais Élève du Pouffin
Peignit- il ou Flore ou les Grâces ,
Lifant Plaute , Horace ou Lucain ?
Les Jeux , les Ris font fur leurs traces ;,
Elles ont des fleurs à la main ;
Zéphite à Flore les arrache ,
Vole à Cyanne , & fur fon fein
Tout en folâtrant , les attache.
Il prend un baifer libertin ,
Egarmi des rofiers fe cache ;.
Voilà l'étude du matin :
A tout autre Amour la préfère.
Le foir , c'eft encore même jen :
L'emploi des nuits diffère un peu ;
Mais je me tais fur ce mystère .
Ah ! croyez-moi , laiffez Homère
Chanter Achille & tous les Dieux :
Vous favez tout , vous favez plaire ,
Et vous pouvez faire un heureux.
En rendant à M. Mérard de Saint- Jolt fa
juftice qu'il mérite , nous ne pouvons
trop lui recommander de fe défier de fa facilité,
de mettre plus de correction dans fon
fiyle, afin de rendre fes productions plus
DE FRANCE. 233
1
dignes des caractères qui décorent l'Édition
de fes OEuvres.
LES Après - Soupers de la Société , petit
Théâtre Lyrique & Moral fur les Aven
tures du jour. A Paris , chez l'Auteur , rue
des Bons- Enfans , la porte- cochère vis àvis
la Cour des Fontaines du Palais
Royal , Aventure haitième.
و
CETTE agréable Collection a toujours le
même fuccès. La petite pièce que renferme
ce Cahier eft intitulée la Vanité du Nom
& c'est une de celles qu'on lira avec le
plus de plaifir. L'Aureur n'en a pas donné
encore dont le ftyle foit plus foigné.
La Comteffe aime le Chevalier , & fe
propofe d'époufer le Marquis , parce qu'il
eft fon parent, & qu'elle veut que la grande
fortune dont elle jouit refte dans fa famille
pour foutenir l'éclat de fon nom . De (on
côté le Marquis ne Pépoufe que pour rétablir
fes affaires , qui font ruinées. La Comtelfe
ouvre la Scène avec Lifette par une
Scène qui expofe le fujet , & qui eft interrompue
par l'arrivée de Dorimène , four
du Chevalier. Dorimène s'intéreffe pour
fon frère , qui aime tendrement la Comreffe
; mais elle ne veut pas heurter de front
le foible de fon amie , & elle fe contente de
fervir fecrètement le Chevalier. Elle a mis
dans fes intérêts Liferre , qui fe charge de
tromper Almin , Intendant du Marquis , &
1
234
MERCURE
14
le Marquis lui-même, qui en conte à la Sou
brette tout en pourfuivant la main de la
Maîtreffe. Lifette voit entrer Almin , & fe
retne un moment. Almin resté feul , fe fait
connoître par un Monologue qui commence
aini :
J'ai fu d'un habile homme , à la mode aujourd'hui ,
Qur'avant de fe mêler des affaires d'autrui ,
Il faut au moins prouver qu'on fait faire les fiennes.
Intendant du Marquis , l'efprit embarraffé
De fes affaires & des miennes ,
J'ai couru vite au plus preffé.
Tes miennes vont au mieux.
Scène filée entre Lifette & Aknin , qui
cède la place au Marquis. Celui ci développe
aux yeux de Lifette fes principes en
amour & lui propofe des arrangemens.
Lifette lui objecte fa Maîtreffe ; elle a du
goût pour vous :
Ma Maîtreffe eft d'ailleurs aimable , jeune & belle.
LI
*
ز
MARQUIS.
Elle a du goût pour moi ! ma foi, tant pis pour elle.
LT SETT E.
Eh quoi ! vous lui tiendrez rigueur ?
LE MARQUIS.
i
Abfolument.
LISETT E.
Yous l'aimiez autrefois .
LE MARQUIS.
l'eſtime à préfent.
DE FRANCE.
235
LISETTE.
It le contrat?
LE MARQUIS.
Ne m'embarraffe guère :
Tout ce tracas d'arrangement
Ne me regarde nullement.-
J'ai fait de mon côté ce que j'avois à faire ;
J'ai donné mes pouvoirs à mon Homme d'Affaire
Mon enfant , je n'aime que toi :
Il faut devenir fage une fois dans la vie.
J'ai vécu diffipés le tourbillon m'ennuie ,
Et nos femmes du jour n'ont plus d'attrait pour moi
Tour- à-tour, & de bonne & de mauvaife foi ,
J'ai fu rendre des foins , adorer des caprices ,
Payer des plaifirs faux par de vrais facrifices;
Mais le frivole efprit d'intrigues , de fadeurs ,
Les engoûmens fübits , les petites noirceurs ,
Dont le tableau mouvant chaque jour le répère ,
Ces éternels propos d'honnêteté , de moars,
Avec les procédés de la franche coquette ,.
Toutcet éclat d'emprunt, ces charmes de toilette,
M'ont affadi , m'ont excédé ;
Enfin c'eft.un gout.décidé ,
Et mon vol ne va pas plus haut que la Soubrette.
Cette belle morale coûte cher au Mar
quis. La Comteffe & Dorimène cachées, ont
entendu la converfation . La Comteffe eft
outrée , & Dorimène faifit ce moment- là
pour faire appeler le Chevalier , à qui elle a
236 MERCURE
fair fabriquer de faux titres pour proaver à
la Comteffe qu'il eft de fa Maifon ; mais le
généreux Chevalier rougiroit de devoir fon
bonheur à une fupercherie ; il déchire fes
faux papiers devant la Comteffe , qui , touchée
de fes vertus & de fon amour , lui
donne la main , & renonce par - là à la Va
nité du Nom.
t
Il y a dans cette Pièce de petits Airs faits
par M. Dezède. C'eft affez les louer que d'en
nommer l'Auteur.
RECUEIL de Jurifprudence Féodals , out
nouvelles Infiructions fur les Domaines
Fixes , Cafuels , Cens & Rentes, Droits
Seigneuriaux , Enfaifinement & autres
Droits Domaniaux , réunis en une Adminiftrationfous
le nom de Jean- Vincent
Rene ; par un Employé Supérieur de la
Ferme Générale des Domaines du Roi ,
& de ladire Adminiftration , 1932 ,
Tome 1 , in - 8 . Prix , 4 livres o fols
broche. A Amiens , chez Caron fils ; &
fe trouve à Paris , chez Onfroy, Libraire ,
rue du Hurepoix.
CE Recueil contiendra trois Volumés ,
qui pourront s'acheter féparément pour la
facilité des Prépofés , & fuivant les différens
objets qui compofent les recettes dont
ils font chargés . C'eft par cette raison qu'on
a préſenté d'abord dans ce premier Volume
les principes relatifs à la perception & au
DE FRANCE. 237
recouvrement des Droits ; les deux autres
Volumes , qui paroîtront avant la fin de
cette année , traiteront de la Régie & Geftion
des Jenmeubles & Domaines réels , &
de l'Aménagement , Exploitation & Police
des Bois.
La Jurifprudence qui règle les Droits dûs
au Roi à caufe de fon Domaine , étant la
même que celle établie dans les Juftices ordinaires
, cet Ouvrage pourra également être
urile aux Régiffeurs & Fermiers des Terres
& Domaines des Seigneurs particuliers.
GRAVURES.
VOYAGE Pittoresque de Naples & de Sicile ,
Tome III, partie du Royaume de Naples , an
ciennement appelée grande Grèce , Chapitres I & II,
grand in -folio. Prix , 24 livres . A Paris , chez
Lafoffe , Graveur , Place du Carrouſel.
Vingt-cinquième Cahier de l'Herbier de la
France , par M. Bulliard , format in - 4° . , contenant
la fuite des Plantes vénéncules. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Poftes.
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 6. Ge Cahier contient
un Duo de chant de M. Kufper , me Chaconne
par M. Darondeau , une Komance de M. Jarnowick,
arrangée par M. Marechal , & un Rondeau de
Jarnowick , arrangé par M. Bambini . Prix , 2 livres.
23.3 MERCURE
A Paris, chez M. Leduc , rue Traverfière - Saint-Honoré
, au Magafin de Mufique. Le prix des douze
Cahiers eft de 15 liv. pour Paris & pour la Province ,
port franc.
1
Recueil d'Airs , avec Accompagnement de Guit
tare , par Mme Richard , ci-devant Mlle Peau . A
Paris , chez l'Auteur , rue des Noyers , vis-à- vis celle
des Anglois ; Mlle Caftagnery, rue des Prouvaires's
Bignon , Place du Louvre. Prix , 4 livres 4 fols. On
n'a rien négligé pour rendre cette OEuvre agréable ,
tant par le choix des Airs que par celui des Accompagnemens.
L'Auteur paroit dans celui-ci avoir fouvent
facrifié la difficulté au goût & aux idées heureufes
dont ils font remplis ; il s'eft en même- temps
attaché à en faciliter le chant pour ceux qui n'ont
pas un ufage affez familier de la voix , & qui ne
peuvent en conféquence s'en permettre toute l'étendue.
Sonates pour le Clavecin , avec Accompagnement
de Violon ad libitum , dédiées à S. A. S. Mgr. le
Duc de Bouillon , par C. Broche , Organifte de la
Cathédrale de Rouen. A Paris , chez Bignon , Place
du Louvre ; Bercé , Négociant , rue Saint Denis , près
celle aux Ours. Prix , 7 liv. 4 fols .
Six Duos à deux Violons , par M. B. Bruny ,
Cuvre I. A Paris , chez Baillon , rue Françoife.
Prix, 7 liv. 4 fols.
Concerto d'Airs connus , contenant la première
-Ariette de la fauffe Magie & la Concertante de
Mirza , arrangés pour une Flûte principale , deux
Violons , Alio & Baffe, deux Hautbois & Cors ,
par M. de Vienne le jeune , OEuvre V. A Paris , chez
Muifard , rue Aubry-le -Boucher , & aux Adrelles
ordinaires. Priz , 4 liv. 4 fols.
DE FRANCE. 239
ANNONCES LITTÉRAIRES.
" SOPHIE
I
1
OPHIE & Théodore , ou les Aventures da
Comte de L.... Nouvelle imitée du Polonois , par
M. de Cl... in 12. A Paris , chez Knapen fils ,
Libraire , Pont S. Michel,
·
Les Voeux du Collège de Tulle pour Mgr. le
Dauphin , Difcours prononcé par M. l'Abbé Bri
val dans l'Églife du Collège de cette Ville. A Tulle,
chez Chirac , Imprimeur.
Le Mariage bien afforti , Nouvelle Polonoife ,
par M. D. de S. in - 8 °, A Paris , chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
Le Congrès de Cythère , traduit de l'Italien de
M. Algarotti , petit format. Prix , 1 livre 16 fols. A
Paris, chez Onfroy, Libraire , quai des Auguftins.
On trouve à la même adreffe úne Lettre de M. le
Baron de Marivetz à M. Bailly, fur un Paragraphe
du troifième Volume de l'Hiftoire de l'Aftrono,
mie moderne , in - 4°. Prix , 18 fols.
Nouvelle Traduction de l'Iliade , 2 Volumes
in- 12. Prix , 5 livres brochés. A Paris , chez F. Barrois,
Libraire , quai des Auguftins ; & Nyon le
jeune, Libraire , quai des Quatre- Nations,
La Pratique des Devoirs des Curés , traduite en
François de l'Italien du Père Paul Segnoit , par M.
l'Abbé Delvincourt , in - 12 , Prix , 3 liv. relié. A
Paris , chez Breton , Libraire , rue S. Victor.
Hiftoire des Arts , deftinée au Cours d'Éducation
des Demoiſelles & des jeunes Meffieurs qui ne
veulent pas apprendre le Latin, par M. Wandelincourt
, Volume in- 12. Élémens de Morale , ou
Devoirs de l'Homme & du Citoyen , d'après les
-
240
MERCURE
Principes de la raifon & de la confcience , par le
même Auteur, Volume in- 12 . Ces deux Ouvrages
fe vendent à Paris , chez Durand , Libraire , rue
Galande ; & à Rouen , chez Le Boucher le jeune , rue
Ganterie.
Difcours Philofophiques fur l'Homme , fur la
Religion & fes Ennemis , fuivis des Loix Eccléfiaf
tiques , tirées des feuls Livres Saints , par feu M.
l'Abbé de.... Docteur de Sorbonne , publiés par M.
F.... Volume in-12. A Paris , chez Breton , Libraire,
rue S. Victor.
La Bibliothèque Amufanse , ou Collection des Romans
Jes plus curieux & les plus intéreffans en tout genre , &
annoncée dans le N° . 22 dé ce Journal , fe trouve à Paris
au Palais Royal , & chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés. Le prix fera toujours de 1 liv. 1o fols le
Volume broché , & relié en veau 40 fols , & celle en
écaille , filet & tranche doré , 2 liv . 5 fols. C'eft par erreur
qu'on l'a fixée à a liv. Les Libraires , en la faifant payer
ce prix , n'exigent que leurs débourcés. A cette Collection
on ajoutera le Voyage Sentimental de M. Stone , à
Ja fuite duquel fe trouve une Hiftoire très- intérellante
dans le geme de ce Roman.
S ***
TABLE.
233
VERS d Mademoiselle de L'Occafion & le Moment, 219
193 Les Après-Soupers.
A Mde de Roucy, 195 Recueil de Jurifprudence Féo-
Le Matelot & l'Enfant , ib. dale .
Enigme & Logogryphe , 197 Gravures ,
Les Jardins , Poëme, 198 Mufique ,
Difcourspublics& Eloges ,218 Annonces Littéraires,
JAI
APPROBATION.
236
237
ibid.
239
A Ilu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Juin. Je n'y ai
sien trouvé qui poifle en empêcher l'impreflion. A Paris ,
be 28 Juin 4781 GUIDI
JOURNAL
POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
TUR QUI E.
De
CONSTANTINOPLE , le 12 Avril.
Les deux fils du Grand-
Seigneur qui vien-
ES
nent de fortir des mains des femmes , ont
eu , fuivant l'ufage , les
cheveux coupés par
le premier Barbier du Serrail , qui a reçu à
cette occafion de riches préfens du Sultan ,
des Sultanes & des
principaux
Officiers de
la Cour, ces cheveux placés fur un coullin
de velours , ont été
préfentés au Grand-
Vifir , qui les enverra à la Meque , & qui a
fait préfent au Barbier d'une peliffe de martre
zibeline , d'un cheval
fuperbement enharnaché
, & de 15 bourfes , qui font 7500
piaftres.
Le Prince
Karatfcha , nouvel
Hoſpodar
de
Walachie , fit le 18 Mars
dernier fa
fortie de cette
Capitale pour se rendre
dans fa
Réfidence . Sa fuite étoit nombreuſe
; fa
marche
reffembloit à celle des
Ier. Juin 1782.
a
( 2 )
Bachas à 3 queues. Il n'eft point vrai que
la Porte ait fait mettre à mort fon prédéceffeur
, comme on l'avoit débité.
Les Caravanes qui , ci-devant fe rendoient
par terre à Alep , feront déformais leur
voyage par mer ; elles éviteront par ce
moyen les hordes vagabondes des Curdes
& des Turcomans , qui fouvent les inquiétoient
dans leur route.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 25 Avril.
IL eft arrivé hier ici un Courier chargé
des dépêches de M. de Simolin , notre Miniftre
à la Cour de Londres ; elles contiennent
, dit-on , les conditions auxquelles les
Provinces-Unies peuvent , fi elles le veulent ,
faire leur paix particulière avec l'Angleterre ;
elles font fondées fur le Traité de 1674
entre les deux Puisances.
Hier on a arrêté ici M. de Bibikow , l'un
des Aides -de - Camp de l'Impératrice. On
ignore la caufe de fa difgrace ; & de toutes
les conjectures auxquelles cet évènement
donne lieu , il n'y en a aucune qui paroiffe
vraisemblable.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 4 Mai.
LA maladie épidémique qui a attaqué
prefque tous les Habitans de cette Capitale ,
( 3 )
•
commence à fe diffiper. S. M. & la Famille
Royale , qui les premières en ont été atteintes
, en font à préfent parfaitement rétablies.
En général elle a été plus incommode
que dangereuſe.
La navigation a repris toute fon activité.
Hier il est entré dans le Sund 240 navires
de différentes Nations , parmi lefquels on
en compte 45 Anglois ; une frégate de 24
canons qui les avoit efcortés , les a quittés
à la hauteur de Schagen pour reprendre fa
croiſière .
,
On a établi un nouveau chantier pour
la conſtruction des vaiffeaux près de la ville
de Hals , à l'embouchure de Lümfiord
dans le Cattégat. Le premier vailleau qu'on
y conftruit est une frégate , qui fera lancée
inceffamment.
Jamais notre commerce n'a été plus floriffant
qu'à préfent ; auffi ne s'entretient on
ici que de nouvelles fpéculations. Le gain
immenfe que nos Négocians ont déja fait ,
eft fi engageant , qu'on ne ceffe de faire de
nouveaux efforts pour porter notre commerce
au plus haut degré. La Maiſon de
Sorren-Lykke vient d'ouvrir une foufcription
pour trois tonnes d'or , à 300 actions
de 1000 rixdahlers chacune. On fe fervira
de ces fonds pour équiper 4 vaiffeaux , qui
feront le commerce des Indes Occidentales.
On établit auffi à Randers , en Jutlande ,
une Société de commerce , dont le fonds
fera de 1000 actions de 100 rixdahlers .
a 2
( 4 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 24 Avril.
L'EMPEREUR vient de faire un fonds def
tiné à l'embelliffement de cette Capitale.
Tous ceux qui voudront bâtir , y trouveront
la moitié du capital qui leur fera néceffaire
pour conftruire leurs maifons , pourvu qu'ils
-prouvent qu'ils pofsèdent l'autre moitié
argent comptant ; ils payeront pour la fomme
qu'ils emprunteront l'intérêt d'uſage dans
le pays.
La plupart des Evêques de Hongrie qui
fe trouvoient dans cette Capitale pendant
le féjour du Pape , viennent de retourner
dans leurs Diocèfes. S. M. I. a écrit au
Comte d'Efterhazy , pour le charger de leur
témoigner toute la fatisfaction qu'Elle avoit
eue de leur conduite ; on fait qu'Elle a écrit
auffi elle -même au Cardinal Primat fur ce
fujer.
L'Empereur vient de donner dans une
lettre circulaire , en date du 18 du mois.
dernier , les éclairciffemens fuivans fur quelques
doutes qui s'étoient élevés relativement
à la profeffion de foi des Acatholiques.
» On demande , 1 ° , fi ceux qui ne font aucunement
ou très- peu inftruits dans la Religion Acatholique
qu'ils profeffent , doivent être réputés comme
tels , ou comme Catholiques ; & fi de pareilles
perfonnes , fur-tout les jeunes gens , peuvent être
forcés par les Prêtres Catholiques à fe faire inf
( 5 )
truire dans les principes de la Religion dominante ?
Réponse. Comme une pareille violence feroit diaméralement
oppofée à la liberté de confcience
qu'accorde l'Edit de tolérance , & que les Comm: f
faires Eccléfiaftiques pourroient trouver par- la un
prétexte de renvoyer tous ceux qui fe diroient Acatholiques
, S. M. I. veut que tous les Sujets , qui
fe feront déclarés Acatholiques pardevant la Commiffion
, foient regardés comme tels , fur - tout
lorfqu'étant exhortés , fans aucune aigreur , par
leflits Commiffaires , à rentrer dans le fein de la
Religion Catholique , ils perfillent dans leur réfolution.
On demande , 2º , fi ceux qui ne fe font
point préfentés , dans le tems , devant leurs Magifthats
refpectifs , ou les Economais , pour le fare
inferire comme Acatholiques , mais qui fe feront
préfentés depuis à la Commiffion , dans la vue de
donner cette déclaration , feront encore reçus au
nombre des Acatholiques ? Réponse. Comme il n'y
a point eu de terme fixé fur cet objet , il doit être
libre à chacun de fe déclarer Acatholique quand il
voudia. On demande , 3 ° , s'il faut que chaque
Sujet donne cette déclaration en perfonne , ou fi les
maris peuvent la donner pour leurs femmes , les père
& mère pour leurs enfans , & c. ? Réponse . C'eft
ce que S. M. I. ne permettra jamais , fous quelque
prétexte que ce foit : il faudra que chaque Sjet
donne fa déclaration en perfonne , pour qu'on foit
certain que c'eft de bonne volonté & non par con .
trainte qu'il embraffe la Religion Acatholique ; &
ceux qui négligeront de fe conformer à cet ordre ,
feront réputés Catholiques , d'autant plus qu'il pour
roit fe trouver des Sujets affez mal - intentionnés
pour déclarer fauffement comme Acatholiques leurs
femmes , enfans & domeftiques , dans la vue feulement
de completter le nombre requis pour avoir
la permiffion d'élever un temple. Du refte S. M. 1 .
-
a 3
( 6)
ordonne très- expreffément qu'on ne choiffiffe pour
Commiffaires que des Sujets éclairés & intègres «<.
On affure que les camps en Hongrie &
en Stirie n'auront pas lieu cette année . Il y
en aura feulement un de 40,000 hommes
devant Prague , & un autre de 5,000 homines
près de Laxembourg. Le premier s'aflemblera
à la fin de Juillet ou au commencement
d'Août , & M. le Comte du Nord s'y trouvera
.
1
Les appartemens occupés par le Pape
pendant fon féjour dans cette Capitale ,
viennent d'être diftribués & arrangés de
nouveau , ce qui fait revivre le bruit de
l'arrivée prochaine d'un grand Souverain.
De HAMBOURG , le 10 Mai.
ON affure que les Cours de Pétersbourg
& de Copenhague font en négociations
pour conclure un Traité d'amitié & de
commerce. Il paroît que le Roi de Danemarck
a pour objet d'attirer à Copenhague
toutes les productions Ruffes , pour y faire
le grand entrepôt de ces marchandifes.
"A l'exemple de Louis XIV , dont les bienfaits
allèrent chercher fouvent les Savans Etrangers ,
écrit- on de Pétersbourg , notre augufte Souveraine
s'empreffe de faire paffer des témoignages flatteurs
de fon eftime à plufieurs hommes célèbres ; elle a
envoyé à M. le Comte de Buffon , des fourrures de
la plus grande beauté , & une fuite de médailles d'or
frappées à l'occafien des principaux évènemens de
fon règne ; elle y a joint une lettre très - flatteufe , &
( 5 )
a chargé M. Houdon , célèbre Sculpteur, de lui faire,
en marbre , le bufte du peintre fublime & vrai de la
Nature. M. Hubert de Léipficqui a traduit en François
l'ouvrage de Winkelmann , fur l'art des Anciens ,
l'Abbé Galiani & c. , ont eu part à fa munificence.
Elle a envoyé une médaille d'or au Curé de St-Sulpice
de Paris , qui lui avoit adreffé un Mémoire fur les
établiſſemens nombreux qu'il a faits en faveur des
pauvres dans la Paroiffe . M. Sédaine , qui avoit compofé
pour S. M. 1. deux pièces en cinq actes , en a
reçu un préfent de 20,000 liv . L'Auteur des converfations
d'Emilie & fa jeune Elève , la Comteffe
Emilie de Bellunce , n'ont point été oubliées . Le
préfent, fait à cette dernière , eft le chiffre de S. M. I.
garni en diamans «.
L'extenfion des priviléges & adouciffemens
accordés par l'Empereur aux Proteſtans
, n'éprouvent aucun obftacle en Hongrie.
S. M. I. a même élevé depuis peu au
rang de Baron , plufieurs Nobles de cette
Communion.
les Selon des lettres de ce Royaume
Turcs font occupés à garnir leurs places
frontières de munitions & d'artillerie ; les
Bachas renvoyent à Conftantinople tous les
vieux canons & en reçoivent de nouveaux.
Le mois prochain , écrit- on de Hanovre , il fera
formé un camp confidérable près de Lunebourg. Il
durera depuis le 11 jufqu'au 21. On évalue à 8 bataillons
d'infanterie & à 4 régimens de cavalerie , le
nombre de troupes qui doivent le compofer. On dit
le Prince Evêque d'Ofnabruck , les deux Princes
de Mecklenbourg , & la plupart des Généraux de
l'Electorat , affifteront aux évolutions «.
que
a 4
( 8 )
Le feu Prince Augufte Czartoriski a laiffé
une fucceflion immenfe ; l'argent comptant
qu'on a trouvé monte à 800,000 ducats ,
qui , ainfi que le mobilier , feront partagés
en parties égales entre fes deux enfans , le
Prince Adam Czartoriski , & fa foeur la
Princeffe Lubomirska , époufe du Maréchal
de la Couronne. Le fils héritera feul des
terres , dont on évalue les revenus annuels
à 200,000 ducats.
D'AUGSBOURG , le 10 Mai.
On fait maintenant très - pofitivement que
le Comte de Bollo a été chargé d'une fpéculation
de Commerce , & qu'il s'eft attiré la difgrace
de l'Electeur de Trèves , parce qu'ayant
agi contre fon inftruction , il a abufé de
la confiance de ce Prince. La Cour Impériale
de Ruffie a été informée depuis de cette
affaire par la Cour de Trèves , & on peut
affurer pofitivement que les procédés de
la Cour de Ruffie n'ont regardé que la perfonne
du Comte de Bollo.
ESPAGNE.
De CADIX , le 30 Avril.
M. le Comte de Guichen eft rentré le
25 de fa croifière fur l'Ile de Madère , le
46° jour de fon départ . Il avoit été , dit-on ,
4
( و )
dans ces parages pour y intercepter un
convoi Anglois , efcorté par 5 vaiffeaux de
ligne ; mais il ne l'a pas rencontré. Il a pris
6 bitimens marchands évalués 3 ou 400,000
piaftres. 5 entrèrent dans la rade avec lui ;
le 6 coulant bas d'eau étoit refté avec le
St -Paul qui l'efcortoit , & qui avoit ordre
d'en prendre la cargaifon , s'il n'étoit pas
en état de venir jufqu'ici ; mais il vient d'arriver
heureufement avec le St- Paul.
Nous avons actuellement dans cetté rade
35 vaiffeaux de ligne , fans compter les s
de M. de Guichen ; ils font tous de l'eau
& des vivres , les uns pour retourner en
croifière , les autres pour aller couvrir le
fiége de Gibraltar.
Les principaux conftructeurs de ce Port
font partis pour Algéfiras ; ils y conduisent
tous les calfats dont ils ont befoin pour les
bâtimens qui doivent être doublés ; ce qui
avancera beaucoup les travaux déja commencés.
On allure que D. Antonio Barcelo a
obtenu le commandement des forces de
mer du blocus de Gibraltar , & qu'à cet
effet il a été élevé au grade de Lieutenant-
Général.
Depuis un mois il a été impoffible de
naviguer fur la Méditerranée , tant elle a
été orageufe ; de tous les convois fortis de
Minorque , de Marfeille , & c . aucun n'a pu
arriver à fa deftination . Ils ont été ou dif
perfés ou contraints de fe réfugier à Mayoras
( 10 )
que , à Alicante , &c. où ils font encore
retenus par le mauvais tems.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Mai.
LES bruits qui s'étoient répandus au
fujet de l'efcadre Hollandoife fortie du
Texel , ne fe font pas foutenus ; l'alarme
qu'avoit répandue la nouvelle de fon
approche , s'eft diffipée , en ne la voyant
paroître nulle part ; & les mouvemens
de celle de l'Amiral Hove , dont nous
avons été inftruits , ont achevé de nous
raffurer. On ne doute pas qu'elle ne cherche
à la joindre & à la combattre ; on
s'eft déja promis d'avance un triomphe
fondé fur la fupériorité de la nôtre , &
fur l'époque où les Hollandois ont pu
fortir ; fi , comme quelques- uns de nos
papiers l'ont prétendu , ils avoient mis à
la voile le 10 , il feroit très- poffible qu'ils
tombâffent dans notre efcadre ; mais il fe
peut qu'ils foient partis plutôt , & qu'ils
aient une avance qui nous empêchera
de les atteindre , & il fe peut encore
qu'ils foient rentrés , & alors l'Amiral Hove
n'aura fait que changer de croiſière inutilement
; il eft difficile qu'il puifle tenter une
defcente fur les côtes Bataves , qui font
bien défendues ; d'ailleurs il n'a pas de
troupes à bord ; & fans elles il ne peut
faire beaucoup de mal à nos ennemis . En
( II )
attendant , il a laiffé les côtes de France
libres , & les convois qui peuvent en être
expédiés ne trouveront aucun obftacle à
leur fortie.
En attendant des détails plus authentiques
& plus circonftanciés des mouvemens
de notre efcadre , on continue d'armer
les milices ; on en forme ici un corps
d'environ 1000 hommes , qui monteront
la garde , feront des patrouilles , veilleront
à la fûreté de la cité , & au maintien de
l'ordre public ; on les formera à la difcipline
& au maniement des armes ; de
tems en tems , lorfqu'ils feront inftruits
ils feront chargés d'exercer quelques milliers
de leurs camarades , qui , fans être
enrôlés comme eux , fans faire de fervice
régulier , forment le corps nombreux de
la Milice nationale , qu'on pourra affembler
au befoin , & qui ne fe préſentera
pas neuf en rang.
Les camps vont auffi s'affembler inceffamment
; celui de Cox - heath conſiſtera ,
dit-on , en 14,000 hommes ; celui de
Warleycommon , fera plus confidérable , à
caufe de la guerre avec la Hollande ; on le
portera à 17,000 hommes , fans compter
la Cavalerie & l'Artillerie. Il en fera formé
un troisième à Gates Head- Fell , près de
Newcaſtle , & il doit confifter en 4000
hommes d'Infanterie & un efcadron de
Dragons.
Il n'y a pas d'exemple de la détreffe à laquelle
a 6
( 12 )
cette Capitale fe trouve réduite pour l'article du
chauffage . Aujourd'hui elle eft d'autant plus remar
quable qu'il fait fi extraordinairement froid , qu'on
ne peut fe paffer de feu : plufieurs des braffèries les
plus confidérables , des manufactures de verre &
autres ont été forcées de difcontinuer leur travail ;
dans diverfes parties de la ville , les petits Marchands
qui vendoient le charbon en détail , ont
fermé boutique , & le peu qui refte de cette denrée
, ſe vend actuellement s liv . fterl, la voiture :
( le prix ordinaire eft de 38 à 40 shelings ) . Cette
difette n'eft pas une affaire de monopole , elle eſt
réelle &occafionnée par la continuation du vent d'Eft,
qui ne permet pas aux navires charbonniers de fortir
du port de Newcaſtle ; de forte qu'en fuppofant }
même que le vent changeroit , fi ces charbonniers
n'arrivent pas vers la fin de la femaine , espace de
tems le plus court qu'on puiffe fuppofer pour la
navigation de Newcastle ici , tiches & pauvres fe
trouveront également dépourvus de cet article de
néceffité première «.
Le plan propofé par le Lord Shelburne ,
pour armer la Milice dans la Grande Bretagne
, continue de faire beaucoup de bruit ;
comme il n'étoit que provifoire , & qu'on
invitoit les Corps de Ville à l'examiner ,
& à propofer les changemens qu'ils jugeoient
néceffaires , il s'eft tenu dernièrement une
affemblée des Lords - Lieutenans de divers
Comtés fur ce ſujet .
Ce projet d'armer les habitans des divers Com.
tés , dit un de nos papiers , ne leur fembla pas autfi
falutaire qu'il avoit paru l'être au Parlement ; ils
crurent , au contraire , y voir le plus effrayant des
dangngers , & prièrent en conféquence le Duc de
Grafton de vouloir bien faire connoître leur façon
( 13 )
de penfer à cet égard au Roi féant en fon Confeil :
il faut que le point de vue dans lequel ces Seigneurs
ont envisagé le projet diffère étrangement de celui
fous lequel on l'avoit préfenté au Parlement , puifque
de dix-huit qu'ils étoient , il n'y en a pas un
feul qui ait été d'avis contraire ; & ce qu'il y a de
plus frappant , c'eft que de ces dix- huit Lords- Lieutenans
, quinze font connus pour être invariablement
attachés à cette Adminiſtration nouvelle qui
en a conçu le projet , & qui l'a appuyé près des
Communes avec tant de chaleur : il eft à croire
qu'elle aura égard à cette oppofition , dont le poids
ne peut être plus refpectable ; car enfin , des Lords-
Lieutenans des Comtés , font ici ce que font les
Gouverneurs des provinces de la France : & qui
peut mieux juger que ces grands - Officiers de l'effet
que doit néceffairement produire telle ou telle mefure
fur les habitans de leurs diſtricts ?
On est toujours fort curieux de favoir
comment fe terminera l'affaire de l'indépendance
de l'Irlande ; les affociations.
continuent , & prennent toutes des réfolutions
qui tendent à l'affurer . On a pris à
Cork , dans une affemblée très nombreuſe ,
les fuivantes.
» Réſolu unanimement qu'une légiſlation nationale
& indépendante étant le droit fondamental du
fujet , fans l'étabilement duquel nous ne pouvons
jamais espérer de fécurité pour nos perfonnes &
notre propriété , elle est un objet de grande importance
nationale & que nous voulons affurer , élever ,
maintenir & défendre ces droits , & tous autres nature's
& inh rents , par tous les movens conftirutionnels
, déclarant folemnel'ement qu'aucun pouvoir
ou état quelconque n'a le droit de faire des
leix pour gouverner ce Royaume , excepté le Roi ,
les Lords & Communes d'Irlande. Que l'indépen
( 14 )
dance des Juges , en tenant leurs places , quandiù
fe benè gefferint , feroit une fécurité additionnelle
pour l'administration impartiale de la juftice . Que
toute restriction fur le commerce de ce Royaume ,
impofée par réclamation , particulièrement pendant
la féance du Parlement , eft injurieuſe à l'efprit de
notre conftitution ; qu'elle a été pernicieuſe &
peut être fatale à notre commerce. Que nous recommandons
une modification ou explication de la
loi appellée Poining's Law , qui détruiſe ce pouvoir ,
que s'eft arrogé le Confeil -Privé , d'altérer ou fupprimer
les bills du Parlement d'Irlande. Que l'acte
de mutinerie , illimité dans fa durée , eft répugnant
à toute idée de liberté , inconſtitutionnel & abufif.
Que regardant les intérêts & connexions de la
Grande - Bretagne & de l'Irlande comme inféparables
, nous déclarons également que leurs légiflations
font diftin &tes & indépendantes l'une de
l'autre , & que la fécurité & la ſtabilité de la première
peuvent être maintenues feulement par l'établiffement
de l'autre. Que les fommes immenſes
qu'on fait annuellement paffer de ce pays- ci , pour
remettre aux abfents de ce Royaume , conftituent
un abus digne de la confidération de la légiſlation .
Que les Communes de l'Irlande font les gardiennes
de la bourie de la Nation , & que , comme telles ,
elles doivent faire ufage de l'argent public avec
frugalité & économie ; & que dépenser avec prodigalité
l'argent public , en penfions non méritées
& places inutiles , eft inconftitutionnel & abufif.
Que la dette de la Nation monte à une fomme
énorme ; le revenu n'étant pas équivalent aux dépenfes
publiques , l'économie & le retranchement
font effentiellement néceffaires pour éviter d'impofer
de nouveaux fardeaux fur le fujet . Que l'accroiffement
des falaires attachés à d'anciennes &
inutiles places , & à la création de nouvelles avec
de gros falaires , tendent à augmenter l'influence
indue de la Couronne , en augmentant le pouvoir
de la corruption dans les mains du Gouvernement.
Que nous ne donnerons notre vote à aucune perfonne
pour être notre Repréſentant en Parlement ,
qui ne voudra pas fupporter avec zèle nos réfolutions
& perfévérer à folliciter un redreſſement
conftitutionnel de nos griefs. Que nous nous ré
jouiffons dans l'efprit de tolérance religieufe qui
domine dans tous les rangs du peuple , & contemplons
avec fatisfaction les avantages nationaux ',
qui , felon les apparences , réfulteront de l'indulgence
libérale que cet efprit a étendu fur tous nos
confrètes Catholiques Romains . Que nous fommes
entiérement déterminés à donner tout encouragement
& préférence convenable aux manufactures
de notre pays ; mais que cet encouragement & cette
préférence feront proportionnés à l'industrie , l'intégrité
& la bonne conduite de nos Manufacturiers.
Que les remerciemens de cette affemblée feront
préfentés à James Bernard , Ecuyer , à raifon des
efforts fermes & conftans qu'il a fats , quoique fans
fuccès , pour obtenir le redreffement de nos griefs.
Que les remerciemens de cette affemblée feront
préfentés au très- honorable Lord K`ngsbourough ,
James Kearney & Francis Bernard , Ecuyers ,
à raifon de leurs efforts tendans à la même fin.
Que les réfolutions ci -deffus feront tranfmifes par
le Haut- Sherif de ce Comté , comme des inftructions
à nos Repréfentans , pour leur conduite en
Parlement «.
Le 2 de ce mois les Pairs d'Irlande s'affemblèrent
pour fixer définitivement le fort du
bill déja paffé dans la Chambre des Communes
, en faveur des Catholiques. Le
Lord Bellamont crut devoir s'opposer à la
première claufe de ce biil , qui autorifoit
les Catholiques à acheter à perpétuité
( 16 )
des fonds de terre , & à en jouir eux &
leurs héritiers , comme s'ils étoient Proteftans
, & motiva ainfi fon oppofition .
» Je ne conçois rien , dit- il , de fi impolitique , de
fi dangereux , que cette claufe : que l'on abolile
toutes les loix pénales ; que l'on adouciffe par tous
les moyens poffibles la fituation des Catholiques
Romains , lorsqu'on aura beaucoup fait à cet égard ,
j'examine avec follicitude s'il n'eft pas pollible de
faire encore davantage ; mais mettre , à l'égard de
la propriété , les Catholiques Romains fur le pied
abfolu des Proteftans , eft une mesure que je ne
puis approuver , par la raifon que la propriété foncière
donne , à celui qui en jouit , une portion de
pouvoir proportionnée à fon étendue . Ce bill ne fera
pas plutôt paffé en loi , que vous verrez ceux en
faveur defquels il aura été fait , afpirer à d'autres
priviléges , qu'ils regarderont comme des droits
émanans de celui que vous leur aurez accordé ; ces
propriétaires fonciers ne manqueront pas de réclamer,
comme francs - ténanciers , le droit de voter aux
élections ; & fi vous le leur accordez encore , ce
qui me paroît être une fuite nécelaire de la première
indulgence , vous êtes perdus , votre conftitution
eft anéantie. Les Electeurs Papiftes placeront au
Parlement des Membres dont l'inquence conformera
vos loix aux defirs & aux intérêts du Pa-
――
pifme. Je vous fupplic , Mylords , de donner à
ces repréſentations toute l'attention qu'elles me paroiffent
mériter. L'Evêque de Cloyne cppofa les
réflexions ſuivantes au Lord Bellamont : « J'ai profondement
réfléchi fur le fujet foumis aux délibézations
de la Chambre , je m'en fuis occupé , même
avant que l'on fongeât à adoucir , en faveur des
Catholiques Romains , la rigueur des loix pénales
portées contre eux dans des temps qui ne forment
pas la plus gloricafe époque de notie hiftoire, J'ai
(
17
l'honneur de connoître un Seigneur Anglois qui ,
envoyé deux fois en Ambatfade dans des Etats
Catholiques , avoit pour inftruction d'y folliciter
quelque tolérance en faveur des Proteftans. La réponfe
que lui firent les deux Cours où il exerçoit
fa charitable miffion , fut auffi courte qu'aniforme ;
on lui dit : M. l'Ambaffadeur , jetez les yeux fur
les ftatuts de l'Irlande ! La première règle de l'Eglife
Chrétienne eft la tolérance : on croit démêler dans
T'Hiftoire quelques faits plus ou moins conftatés
qui donnèrent lieu dans le temps à la promulgation
des loix contre le Papifme ; mais ces caufes étoient
bien frivoles , & l'on ne peut fe diffimuler qu'elles
furent faites contre l'intérêt national , contre l'union
des peuples , contre nature , contre le droit
dont l'homme eft revêtu en naiffant , contre tous les
liens de la Société. Une maxime fondamentale &
de devoir moral , eft : faires pour autrui ce que
vous voudriez qui fût fait pour vous . Voyons
comment les Proteftans rempliffent ce devoir
écoutez - les Vous n'adorerez point Dieu , difent
- ils aux Catholiques , vous n'éleverez point
vos enfans de la manière qui vous paroîtra la
moins convenable ! Eft- il poflible , dans ce fiècle
éclairé , de laiffer fubfifter des loix qui gênent la
confcience , expofent la propriété d'une certaine
claffe de citoyens , & la réduisent à l'alternative
horrible , d'abjurer fa foi ou de perdre les moyens
de fa fubfiftance ? De pareilles loix ne font propres
qu'à détruire l'union domestique , la paix & tous les
intérêts de l'Etat où elles font en force. →→ Suppofez
une invafion : je demande fi ce font ces loix qui rallieroient
les habitans fous l'étendard de la loyauté ;
qui les réuniroient contre l'envahiffeur ? Ne fentezvous
pas qu'elles produiroient néceffairement l'effet .
contraire ? J'éprouve tout l'embarras dont ne peut
fe défendre un Eccléfiaftique qui entreprend de recommander
la tolérance en faveur de perfonnes
dont il réprouve les erreurs , & qui n'approuve pas
( 18 )
qu'on leur confie l'exercice d'aucun pouvoir politique
; mais je ne vois pas que le bill en queſtion
leur donne aucun pouvoir de cette nature : fi je
voyois autrement , je ferois le premier à m'y oppofer,
par la raifon de leur dépendance d'une puiffance
étrangère qui n'eft pas amie de la conftitution «,
Plufieurs Lords fpirituels parlèrent enfuite pour ou
contre ; mais le cri de la tolérance l'emporta , &
l'amendement propofé par le Comte de Bellamonr ,
fut rejecté par une majorité de dix-fept voix , quarante-
fix contre vingt-neuf.
Le 4 Mai , le Duc de Portland donna
la fanction royale à ce bill , ainſi qu'à
quelques autres qui fe trouvoient prêts ,
& de cette manière a fini la longue captivité
des Catholiques d'Irlande.
La Compagnie des Indes a , dit- on , reçu hier
des Dépêches de Sir Edouard Hughes';
elles ne font pas encore publiques ; mais
elles ne tarderont pas à l'être , fi ce qu'en
rapportent nos papiers eft exact . Voici ce
qu'ils en difent.
» Cet Amiral , ayant fait voile avec 7 vaiſſeaux
de ligne pour l'Ile de Ceylan , a attaqué Trinquemale,
fon port principal , & a forcé cette fortereffe
à capituler ; s'étant porté enfuite avec une partie de
fon efcadre contre Nova - Porta , autre fort fitué
dans les environs de Pondichéry , il lui a fait fubir
le même fort ; & enfin la fortune le fecondant encore
, tandis qu'il revenoit de ces expéditions , il a
rencontré & pris deux gros navires Hollandois richement
chargés d'épices & autres productions précieufes
du pays. On ajoute , qu'immédiatement
après la conquête de Trinquemale , le Roi de Candie
offrit fes fervices aux Anglois , & leur propofa de
-
aider à expulfer les Hollandois de l'Ifle entière.
( 19 )
-
Qu'à cette époque , l'on favoit que les François
avoient 11 vaiffeaux de ligne dans ces mers , mais
qu'il ne leur étoit pas poffible de forcer Sir Edward à
quitter le mouillage de Trinquemale ; que d'ailleurs
l'Amiral Anglois attendoit des renforts confidérables
qui lui étoient annoncés . Des lettres
particulières arrivées en même tems & fans doute
par la même voie , parlent toutes de la priſe du port
de Trinquemale , mais varient quant aux circonftances
: felon elles , par exemple , les deux navires
chargés d'épiceries , &c. ont été pris dans le port
même ; le fort ne s'eft pas tant rendu à la bravoure
Angloife qu'à la défection des naturels du pays qui
ont joint l'ennemi dès qu'il a paru , & l'ont fupplié
de rétablir le Gouvernement de leur Prince naturel.
Elles difent auffi que le Général Sir Eyre Cotte
venoit de mourir d'une attaque d'apoplexie , & que
le commandement en chef des troupes de terre étoit
dévolu à Lord Botetourt. L'une d'elles enfin , ajoute
par P. S. , qu'au moment de fa date ( 18 Janvier)
une flotte Françoiſe étoit en vue , & l'Amiral Anglois
fe difpofoit au combat. Et voilà comme l'on
voit bien des points à éclaircir «.
Depuis avant hier , il circule ici quelques
lettres de la Jamaïque , en date du
14 & du 23 Mars .
Mardi dernier , lit-on dans la première , le paquebot
le Swallow , Capitaine Greene , ayant à bord les
malles d'Angleterre , a mouillé à Kingston : fon
paffage a été de 28 jours . Par les nouvelles qu'il
apporte , nous fommes certainement informés que
les deffeins de l'ennemi contre notre Ifle font d'une
nature auffi férieufe qu'alarmante . Ce paquebot
ignorant que Saint-Chriftophe étoit entre les mains
de l'ennemi , étoit entré dans la rade de cette Iſle , &
alloit y jetter l'ancre au moment où il fut informé
de ce fâcheux évènement par une voix qui le fic
( 20 )
entendre d'une frégate : fur quoi il fe porta fur le
champ au large , & eut le bonheur de fe fauver ,
quoiqu un vailleau qui lui donnoit challe , lui tira
plufieurs coups de canon . Le Swallow a pris dans ſa
traversée un navire de Bordeaux chargé en vin ,
farine , &c. deftiné pour le Cap - François . C'eft un
de ceux difperfés dans le coup de vent du 12 Dé• ¸
cembre , & retournés à Breft , d'où , ayant appris
que cette flotte étoit réparée & ſe difpofoit à faire
voile , il avoit mis à la mer le 10 Février dans
l'espoir de la rencontrer. Le Capitaine Chriftie ,
l'un des paflagers fur ce paquebot , dit avoir pris
à bord de fon navire la Maria , dans fa traversée de
cette Ifle en Europe , les équipages & paflagers du
Trecothick , Grieve & Africa , qui ont coulé à
fond ".
La flotte de Cork , dit la deuxième lettre , depuis
fi long-tems attendue , eft arrivée fous la protection
de l'Invincible & du floop le Martin ; elle a laiffé
Ste-Lucie le 7 , & a fait la traversée en 9 jours.
Lors de fon départ , Sir George Rodney , avec 37
vaiffeaux de ligne , mouilloit fur une feule ancie avec
les huniers laigués , pour être prêt au moment où
l'occafion le requerroit ; plufieurs navires , excellens
voiliers , étoient convenablement ftationnés
pour donner immédiatement information de l'apparition
de la flotte attendue de France . Le bruit
couroit à Sainte- Lucie que Sir George Rodney fe
propofoit d'aller fous peu de jours tenter de reprendre
Saint- Chriftophe & fes appartenances ; on
peut cependant fu , pofer avec raison , que des objets
de plus g ande importance devoient engager fon
attention , des égards pour la fécurité de notre Ifle
font , à ce que l'on dit partie de fes inftructions «.
P. S. De Londres , le 20 Mai. La
Gazette ordinaire de la Cour a publié hier
deux lettres reçues la veille de l'Amiral
( 21)
Rodney , à bord du Formidable le 14
Avril.
Il a plu à Dieu , dans fa divine providence , d'accorder
aux armes de S.-M. une victoire complette
fur la flotte de fon ennemi , commandée par
le Comte de Graffe qui eft pris lui- même avec la
Ville de Paris , & quatre autres vaiffeaux de fa
flotte , non compris un fixième coulé bas dans
l'action . Cette importante victoire a été remportée
le 12 courant , à la fuite d'une bataille qui a duré
avec une furie fans relâche depuis 7 heures du
matin jufqu'à 6 heures & demie du foir , terme
auquel le coucher du foleil termina l'affaire. Les
deux flottes ont confidérablement fouffert ; mais
c'eft avec la plus haute fatisfaction que je puis
affurer L. S. que quoique les mâts , les voiles , les
manoeuvres & même les corps des vaiffeaux de la
flotte Angloife foient endommagés , la perte en
hommes n'a été que peu confidérable , eu égard à la
longue durée de la bataille , & fur-tout , fi l'on
confidère combien de tems ils ont été engagés , au
plus près , dans une action dont les deux Hottes
regardoient l'illue comme intéreffant très - effentiellement
l'honneur de leur Roi & de leur pays . L'envoi
d'approvifionnemens pour la Marine , arrivé récemment
aux Indes- Occidentales , fervira , je l'espère du
moins , à réparer promptement tous les dommages
que la flotte de S. M. a effuyés . La vaillante conduite
des Officiers & des équipages de la flotte que j'ai
l'honneur de commander , doit les rendre à jamais
chers à quiconque aime fon Roi & fon pays . La
deftruction doit avoir caufé des ravages prodigieux
fur les vailleaux ennemis , vu que pendant la majeure
partie de l'action , chaque coup de canon a porté ; &
on peut juger de la dévastation qui a dû s'en fuivre ,
lorfqu'on faura que le Formidable feul a tiré près
de 80 bordées . Lord Cranſton qui , dans les deux
( 22 )
actions , a fervi comme étant un des Capitaines du
Formidable , & à la brave conduite duquel j'ai
beaucoup d'obligations , aura l'honneur de préfenter
ces dépêches ; je ne puis que référer à lui L. S. ,
pour tous les détails circonftanciés qu'elles pourront
defirer ; il eft pa: faitement inftruit de tout ce qui
s'eft pallé.
La feconde lettre eft de la même date ,
& conçue ainfi.
Malgré les difpofitions que j'avois faites de la
flotte en ftation au vent des Iles Françoifes , en
formant une ligne qui s'étendoit de la latitude de la
Defirade à celle de St- Vincent , outre une ligne de
frégates ftationnées au vent ; difpofition qu'on regardoit
comme devant rendre de toute impoffibilité
qu'aucun convoi pour les Illes Françoiſes échappât ;
cependant , l'ennemi y a réuffi , en portant fur la
Defirade ; & en ferrant de près la Guadeloupe & la
Dominique , il arriva fauf de la baie de Fort- Royal
les 20 & 21 Mars . Informé de cet évènement défavorable
, je rentrai à Ste - Lucie , dans la baie de
Gros -Iflet , que j'avois indiqué pour rendez - vous aux
navires munitionnaires , vivriers & du commerce ,
deftinés pour la Jamaïque, A mon arrivée dans la
baie , on répara la flotte en diligence & on l'approvifionna
de munitions & de vivres pour mois;
pendant ce tems , on obfervoit la flotte Françoiſe
dans la baie de Fort-Royal , où je favois que le
Comte de Graffe fe hâtoit de la mettre en état ,
pour faifir la première occafion de fe rendre à la
deftination. Les Avril , informé que l'ennemi embarquoit
les troupes , j'en conclus qu'il fe propofoit
de mettre à la voile dans très - peu de
jours. Le Capitaine Byron , de l'Andromache ,
obferva les mouvemens de l'ennemi avec tant d'attention
, que le 8 , au point du jour , il indiqua par
un figual que les François fortoient & gouvernoient
( 23 )
an Nord; je fis fur le champ celui de lever l'ancre ,
& ayant reconnu les bayes de Fort-Royal & de
Saint - Pierre , où il ne reftoit aucun vaiffeau ennemi
, je fis celui de chaffe générale , & , avant qu'il
fît jour, j'atteignis l'ennemi fous la Dominique , où
les 2 flottes , prifes de calme , reftèrent quelque
tems en cet état . L'ennemi gagna le vent le premier ,
& porta fur la Guadeloupe ; ma divifion de l'avantgarde
aux ordres du brave Contre- Amiral Hood ,
eut enfuite le vent & porta fur lui ; à 9 heures l'ennemi
commença de canonner cette divifion , qui lui
rendit fon feu avec beaucoup de vivacité. Les
vents contraires empêchèrent une partie de la divifion
du centre qui fe trouvoit fous la Dominique ,
d'entrer en action avec l'arrière-garde ennemie avant
11 heures & demie , & ce ne fut qu'alors que put
donner le vaiffeau qui fe trouvoit après moi dans
la ligne de bataille. La canonnade de l'ennemi
cefla à l'approche de mon arrière-garde ; mais elle
avoit déja caufé des dommages confidérables aux
vaiffeaux de l'avant - garde ; elle avoit défemparé
le Royal Oak & le Montague , & tué un brave
Officier le Capitaine Bayne de l'Alfred , ainſi que
nombre d'Officiers & Matelots ; mais telle fut l'activité
& la pe févérance de Sir Hood & des vaiffeaux
de l'avant-garde que l'ennemi reçut plus de
dommages qu'il n'en caufa . La nuit du 9 , la flotte
mit en panne pour réparer fes dommages . Le 10 ,
elle continua de tourner au vent failant peu de
voiles ; l'ennemi continuoit la même manoeuvre ,
il étoit en fon pouvoir d'en venir à une action ; ce
qu'il évira , & dans fa fituation , entre les Saints &
la Dominique , je ne pouvois l'y forcer. Le II
Avril , l'ennemi avoit gagné le vent , il ventoit
grand frais , je fis fignal de chaffe générale au vent ;
elle dura toute la journée ; vers le coucher du foleil ,
quelques-uns des vaiffeaux les plus en avant de la
( 24 )
hotté avoient atteint de près un des vaiffeaux ennemis
qui avoit reçu des dommages dans la dernière
action , & l'euffent certainement pris fi le Comte de
Graffe n'eût porté fur lui avec la Botte entière pour
le protéger , ce qui le rapprocha tant , que je conçus
l'efpoir de lui livier bataille le lendemain ; dans
cette vue , je déterminai l'ordre dans lequel on
devoit marcher , & je gouvernai au Sud juſqu'à
2 heures du matin ; alors je virai vent devant , & au
retour du jour , j'eus le bonheur de voir que le plus
ardent de mes defirs touchoit au moment d'être
accompli , celui de forcer l'ennemi au combat. On
ne perdit pas un moment pour l'exécution ; dans ma
première lettre j'ai rendu compte de l'iſlue «.
L'Amiral dit qu'il a eu 230 morts , dont 3 Capitaines
& 3 Lieutenans , & 759 bleſſés , dont 10 Liet
tenans de vaiffeaux & 5 Capitaines des troupes de la
Marine. Le Lord Cranston & le Capitaine Byron ,
chargés de fes dépêches , rapportent que le Céfar ,
l'un des vaiffeaux pris , a fauté par accident , peu de
tems après s'être rendu ; & qu'un nombre confidérable
d'hommes qui fe trouvoient à bord , a malheureufement
péri.
On eft un peu étonné que l'Amiral Rodney
ne dife pas un mot du convoi que le Comte
de Graffe conduifoit à St Domingue ; il
eft naturel d'en conclure qu'il a marché à
fa deftination , & alors on demande pourquoi
l'Amiral ne l'en a pas empêché ,
pourquoi il n'a pas détaché quelques
vaiffeaux pour l'intercepter ; & on n'en
voit pas d'autre raifon que la crainte de
perdre fa fupériorité devant l'efcadre Françoife
; car quoiqu'en difent nos Amiraux ,
ils
( 25 )
ils n'ont jamais cherché de bonne foi à
fe mefurer avec les François à nombre
égal ; & cette fois nous avions l'avantage
du nombre. Il ne parle pas non plus de
te qu'elt devenue l'efcadre Françoiſe ; il
femble qu'il auroit été intérellant d'indiquer
à -peu-près la route qu'elle a prife ;
a- t-elle été à la Martinique ou à Saint-
Domingue ? dans ce dernier cas , rien ne
l'empêchera de fe joindre aux Eſpagnols ,
de s'y réparer promptement. Les magaſins
de cette Ifle abondamment pourvus lui fourniront
tout ce dont elle a befoin. L'Amiral
Rodney convient qu'il a beaucoup fouffert ;
il a donc été obligé de fonger à fe réparer ,
& quoiqu'il en dife , les approvifionnemens
qu'il a reçus ne lui procureront pas
tout ce qui lui fera néceffaire pour le faire
promptement. Il ne dit pas non plus qu'il
eft für d'être bientôt en état de remettre en
mer ; cet Amiral qui ne doute jamais de
rien , au monent d'une victoire , fe contente
de dire qu'il efpère de l'être bientôt.
Alors malgré cette victoire la campagne eft
manquée ; ce fera à recommencer l'année
prochaine ; & c'eft le plus beau jeu que
nous puiffions espérer ; car il y a quelques
chances qui font à préfent contre nous ;
ce font les fuites de la jonction des efondres
Françoife & Efpagnole , & une armée de
terre confidérable , qui pourront agir &
réparer la journée du 12 ; Rodney , lorf-
1er. Juin 1782. b
( 26 )
qu'il pourra remettre en mer , n'aura rien
de plus preflé que de fe rendre à la Jamaïque.
Il ne peut guère prendre de revanche
aux Antilles , chercher à recouvrer
les Ifles que nous avons perdues ; il n'a point
de troupes ; & fa victoire fe réduit à avoir
eu l'avantage dans une action .
La même Gazette contient une lettre de
l'Amiral Hughes , en date du 15 Janvier
dans la Baie de Trinquemale , où il rend
compte de la prife de Negapatnan , fur la
côte de Coromandel , & de quelques établiſſemens
Hollandois dans l'Ifle de Ceylan ;
fon étendue nous force à la remettre au
Journal prochain .
On affure toujouts que fi le Lord Howe
manque de rencontrer l'efcadre Hollandoife
, il doit faire une opération avec fon
efcadre & les garnifons de fes vaiffeaux.
On affure que l'Amirauté fait fondre
actuellement à Wolwich un grand nombre
de carronades ou de crache - feu , du
calibre de 24 livres. On a reconnu que
ces petits canons , qui n'occupent point
beaucoup d'hommes pour les fervit , fent
le plus grand ravage dans les manoeuvres
de l'ennemi.
Depuis le changement de l'Adminiftra
tion on emploie , dans les chantiers du
Roi , environ mille ouvriers de plus , dont
400 font actuellement à Portsmouth ,
( 27 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 28 Mai.
LE Comte & la Comteffe du Nord arrivés
à Paris le 18 de ce mois , fe rendirent
le 20 ici , & furent préſentés à
LL. MM. & à la Famille Royale , accompagnés
par le Prince Baratinsky. Le Comte
du Nord fut conduit par M. la Live de
la Briche , Introducteur des Amb ffadeurs ;
M. de Sequeville , Secrétaire ordinaire du
Roi pour la conduite des Ambaſſadeurs ,
précédoit. La Comteffe du Nord fut conduite
& accompagnée par la Comteffe de
Vergennes , chez la Reine & les Princeffes
de la Famille Royale.
LL. MM. & la Famille Royale ont
figné , le 20 de ce mois , le contrat de
mariage du Vicomte de Parel de la Chatonnie
, Lieutenant d'Artillerie au régiment
de la Fère , avec Demoifelle de la Celle.
Le 22 ; le Comte de Pierrepont , qui
avoit précédemment eu l'honneur d'être
préfenté au Roi , eut celui de monter dans
les carroffes de Sa Majefté , & de chaffer
avec Eile.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Bouzonville
, Ordre des Bénédictins , Diocèfe
de Metz , l'Abbé de Meun de Sirlabous ,
Vicaire Général du Diocèle de Comminges.
-
b 2
( 28 )
MM. Née & Mafquelier ; Graveurs ;
que LL. MM. & la Famille Royale ont
honorés de leurs foufcriptions , pour la
Defcription particulière de la France , ont
eu l'honneur de remettre à LL . MM . ,
ainfi qu'à la Famille Royale , la treizième
livraison de cet Ouvrage , ainſi que la
quatorzième qui doit entrer dans la Minéralogie
du Dauphiné , par M. Guettard.
M. Tellès d'Acofta , Grand Maître des
Eaux & Forêts de la Généralité de Châlons
en Champagne , a eu l'honneur de préfenter
au Roi fon Ouvrage intitulé : Inftruction
fur les bois de Marine & autres . ( 1 )
De PARI 8 , le 28 Mai.
Le bruit qui s'étoit répandu des actions qui
ont eu lieu aux Antilles entre M. de Graffe
& l'Amiral Rodney s'eft confirmé. La relation
emphatique de l'heureux Rodney donne
lieu à quelques réflexions qui n'ont pas
échappé en Angleterre même. C'eft par fes
effets & fes fuites qu'on juge d'une victoire
; quels ont été ceux des deux combats ?
L'objet de M. de Graffe étoit d'affurer la
marche de fon convoi à fa deſtination , &
il paroît l'avoir rempli. Il n'a combattu le 9`
(1) Cct Ouvrage intéreffant & bien fait fe trouve à Paris
chez Cioufier , Imprimeur , rue de Sorbonne , au coin de
ceile des Mathurins ; prix 3 liv. 10 fols , vol, in- 12. avec fig.
( 29 )
que pour le couvrir ; l'action du 12 , en occu
pant les Anglois , les a empêchés d'envoyer
après pour effayer de l'intercepter. Ce qu'ils
auroient d'ailleurs fait trop tard , le convoi
ayant fait route le 9 au foir fans être inquiété.
Arrivé à fa deſtination il a remis , à l'armée
Espagnole déja raffemblée , les renforts qu'elle
attendoit ; 17 vaiffeaux de ligne de la même
Nation fe font trouvés prêts à la recevoir,
& à la foutenir & à la porter dans les lieux
qu'avoient pour objet les opérations concertées
par les Cours de Veríailles & de
Madrid. Rodney , malgré fon avantage ,
a fouffert exceffivement dans les deux combats
, & après le dernier il a eu trop befoin
de fe réparer , pour fonger à s'opposer aux
projets de fes ennemis. Ces réparations indifpenfables
l'ont forcé de fe retirer à Antigues
& à Sainte- Lucie où il n'a point de
magafins , & où il fe procurera difficilement
les fecours dont il a befoin. L'efcadre Françoife
trouvera dans ceux de la Martinique
tout ce qui lui eft néceffaire , & pouvant
être par conféquent réparée plutôt peut gagner
Saint -Domingue ou les parages dans
lefquels fe trouveront les Espagnols , avant
que les Anglois puiffent quitter leurs rades.
Les efcadres combinées feront alors égales ,
peut être fupérieures & en état de fe mcfurer
encore fi Rodney en a envie , ce qui eft
douteux , malgré fon dernier avantage , &
fa jactance , puiſqu'il a toujours évité le
b 3
( 30 )
combat lorfqu'il ne pouvoit s'y préfenter
avec une fupériorité de forces. Ses campagnes
précédentes & cette dernière le prouvent .
C'est pour ne point perdre cette fupériorité
qu'il a confervé tous les vaiffeaux , qu'il
n'en a point envoyé après le convoi quoiqu'il
eût pu en détacher 3 ou 4 fans s'affoiblir.
Cette prudence peut lui avoir affuré
l'avantage dans une action , mais l'a privé
de ceux qu'il pouvoit attendre de fes fuites.
Les poffeffions de fa Nation , qu'il devoit
couvrir , font toujours menacées & peuvent
être attaquées pendant qu'il fe répare .
» On dema doit ces jours de niers , nous écrit
une perfonne inftrite , à un Anglois de confidération
qui fe trove ici , ce qu'il peafuit des fuites du combat
des Antilles . Je penfe , a-t-il répondu , que fi
Rodney n'a pas détaché quelques vaiffeaux pour intercepter
le convoi , il méine de perdre la tête. Il pouvoit
, avec 32 ou 33 vaiffeaux , tenir tête à M. de
Graffe , & en envoyer 4 ou à la pour fuite da convoi.
comm
Cet Anglois a raifon ; mais il ne devoit pas ou
blier qu'il eft bien difficile à un Amiral Anglois , de
fe préfenter devant l'ennemi avec des forces égales ,
lorfqu'il peut le combattre avec des forces fuprieures .
Auffi , nous voyons que Rodney avoit tous fes vaiſ
feaux dans la jou : n'e du 12 , & s'il en a détaché
quelques - uns après le convoi , ce n'aura été que le
foir du même jour , & peut -êrre le lendemain ,
convoi , parti le 9 au foir de la Guadeloupe , étoit
alors fort loin & près de Porto -Ricco , où il aura pu
Le réfugier «.
& le
Nos lettres de Cadix , en date du 3 de
ce mois , contiennent les détails fuivans .
» Un bâtiment arrivé avant- hier de la Havane
( 31 )
---
d'où il eft parti le 21 Mars , nous à apporté l'agréable
nouvelle que les Marchands & les autres
navires partis d'ici le 2 Janvier, font heureufement
arrivés à la Havane le 28 Février ; les troupes & les
vaiffeaux de ligne étoient reftés au Cap François ,
où le convoi avoit touché. Le même avifo rapporte
que D. Solano étoit parti en Mars avec
8 vaiffeaux de ligne & un grand convoi portant
700 hommes de troupes , il avoit fait roate pour
le Cap ; mais dans un coup de vent , le vaifeau
le Saint- François d' Affife , & 17 transports avoient
été maltraités & obligés de retourner à la Havane .
On préparoit en toute diligence d'autres bâtimens
& un autre vaiffeau de guerre pour ramener cette
partie du convoi au rendez -vous . Aufli dans les
premiers jours du mois d'Avil , l'armée Espagnole
au Cap François devoit être de 110co hommes.
D. Bernard Galvez l'avoit précédé depuis près d'un
mois , ainsi qu'un petit corps de troupes , qui, en
paffant , devoit s'emparer de l'Ile de la Providence
& détruire ce repaire de Corfaires ".
,
Le fiége de Gibraltar , qui eft décidé ,
fera un des évènemens les plus mémorables
de cette guerre , par les difficultés
qu'il préfente & par la nature de la
place , qui eft , fans contredit , la plus
forte qui exifte dans le monde. Mgr le
Comte d'Artois a defiré de s'y rendre ; après
en avoir obtenu la permillion du Roi , il
avoit envoyé un Courier au Roi d Efpagne
, pour avoir auffi fon agrément. Le
Roi , après avoir reçu fa lettre , s'écria :
» Je ne mourrai donc pas fans avoir vu
un de mes neveux , fans avoir embraflé
b 4
( 32 )
mon filleul ". Et s'adreffant à l'Ambaſſadeur
de France , renvoyez , ajouta-t- il , le
Courier fur- le champ. Dites à mon neveu
que la joie & le faififfement que me caufe
fa réfolution , m'empêchent de lui écrite ;
que mon neveu vienne ; il veut fervir
comme volontaire , tout fera à fes ordres ;
mes troupes , l'Espagne entière , obéiront
avec plaifir à un Prince de mon fang.
Voilà à peu près ce que contient la lettre
de M. le Comte de Montmorin. On
attend celles du Roi d'Espagne , qui ne
taideront pas .
» M. le Comte & Madame la Comteffe du Nord ,
écrit-on de Lyon , font arrivés ici de Turin par le
Pont-Beauvoifin , le 7 de ce mois , & fe font rendus
à l'Hôtel d'Artois , qui étoit arrêté pour leur fervice,
d'ou , fans mettre pied à terre , ils ont été au- devant
de M. le Duc & de Madame la Ducheffe de Wurtemberg
, qui , fous le nom du Comte & de la Comteffe
de Juftin , arrivoient de Montbelliard à Lyon avec
les jeunes Comte & Comteffe de Juftin , pour paffer
en famille le tems qu'ils fe propofoient de féjourner
en cette ville . M le Comte & Madame la Comteffe
de Juftin fout defcendus le même jour à l'Hôtel de
Provence , où M. le Comte & Madame la Comteffe
du Nord ont foupé avec eux. Le 8 matin , M. le
Comte du Nord a parcouru la ville à pied , accompagné
de l'un des Seigneurs de fa fuite ; il a été
faire une vifite au Prévôt des Marchands , ainfi que
MM. les Comte de Juftin père & fils . A trois heures
après-midi les Princes & les Princeffes ont été vifiter
les hopitaux , & y ont donné des preuves de bienfaifance
& de charité . M. le Comte du Nord s'eſt
exprimé , à cette occafion , d'une manière digne
-
( 33 )
-
d'un Prince destiné au Trône , en difant : Que plus
les Grands font éloignés des misères humaines
plus ils doivent s'en approcher , pour être plus
difpofés à les foulager. Le foir , ils ont été au
Spectacle , & ont accepté un Bal public , que le
Prévôt des Marchands leur a annoncé pour le Samedi
11. Le 9, les Princes ont vifité la Bibliothèque
publique & la Salle d'armes , dépôt de la
Manufacture de fufils de St Etienne ,où il fe trouve
plus de 60,000 armes raffemblées pour le fervice
di Roi. Le 10, les auguftes Voyageurs ont employé
une partie de la matinée à parcourir la ville
pour faire des emplettes ; à midi , le Prévôt des
Marchands les a conduits fur la nouvelle chauffée ,
dont les travaux ont fixé leur attention d'une manière
particulière, Ils fe font tranfportés l'aprèsmidi
à l'Hôtel-de-Ville , où ils ont été reçus par le
Confulat on a offert à leur curiofité plufieurs métiers
de fabriques , iclatifs à l'emploi de l'or & de
la foie. On avoit eu la précaution de difpofer ces
métiers dans deux falles , où on leur a fait voir
plufieurs échantillons des étoffes les plus riches .
Le fieur de Crotone , Phyficien , a fait , en leur
préfence , plufieurs expériences de fon art ; & MM .
de l'Académie des Sciences , qui s'étoient rendus à
l'Hôtel- de-Ville , ont mis fous leurs yeux quelques
pièces d'antiquité . M. le Come & Madame la
Comteffe du Nord paroiffent fort fenfibles aux prévenances
qu'on leur marque , & particulièrement
aux démonftrations d'intérêt que leur préfence infpise
, & auxquelles ils répondent par les expreffions
les plus touchantes de bonté & d'affabilité .
Samedi 11 , les Princes ont été vifiter Eglife &
ob'erver le point de vue du Couvent des Chartreux ;
ils ont employé le refte der jour à vifiter les atteliers
des Fabriquans dans leurs propres domiciles . A huit
heures du foir , ils fe font rendus au Bal annoncé ;
bs
-
Le
( 34 )
-
-
ils y ont été reçus avec les plus grands applaudiffemens
. Le 12 , les Princes ont été à l'Eglife d'Ainay
, pour y voir les colonnes antiques du Temple
d'Augufte ; de- là ils fe font tranfportés fur la promenade
des Broteaux , où une foule de perfonnes
de tous érats s'eft précipitée fur leur paffage , par
l'empreilement de les voir. Le Prince & la Princeile
n'ont ceffé , pendant leur féjour à Lyon ; de
témoigner combien ils étoient touchés des prévenances
& des égards qu'ils y éprouvoient ; ils ont
reconnu les attentions perfonnelles de M. le Prévôt
des Marchands , par le don d'une tabatière , en lui
difant : Qu'ils l'invitoient à conferver lefouvenir
du Comte & de la Comteffe du Nord.
matin , ils font partis de Lyon pour ſe rendre à
Paris .
Le 13-
Ces illuftres Voyageurs font arrivés ici
le 18 ; ils font defcendus chez l'Ambaffadeur
de Ruffie. Le 20 ils fe rendirent à
Verfailles ; le Roi attendoit dans ſon cabinet
M. le Comte du Nord , qui lui remit
deux lettres , l'une de Naples , l'autre de
Parme , & qui lui dit que le principal but
de fon voyage avoit été de voir S. M. ,
qui lui témoigna toure la fatisfaction qu'elle
ayoit de le voir à fon tour. Ce Prince a
embraffé Mgr le Dauphin , en priant Madame
la Princeffe de Guémené de lui
rappeller fouvent Patrachement qu'il lui
vouoit.
. M. le Comte & Madame la Comteffe
du Nord , après avoir fait leur vifite à
LL. MM. & à la Famille Royale , fe rendirent
dans leur appartement , où ils re(
35 )
curent des préfentations ; le Maréchal de
Byron y fut avec les Officiers de la garde
qu'il leur préfenta ; ils dînèrent avec toute
la Famille Royale , & la plus grande intimité
règna dans ce feftin. A 6 heures ,
ils retournèrent chez la Reine pour entendre
le concert : toute la Cour étoit
dans le fallon de la paix. L'orchestre étoit
fur des gradins élevés dans la galerie ;
on avoit placé des plians pour toutes les
perfonnes de la Cour qui n'avoient pas
eu d'invitation de la Reine. Le concert
dura 3 heures ; la galerie fut illuminée
comme elle l'eft les jours de grands apparremens.
Le concert fini , le théâtre dreflé
pour les Muficiens fut enlevé ; le Comte
& la Comteffe du Nord traversèrent la
galerie pour retourner chez eux au
3.
milieu des applaudiffemens d'une affemblée
brillante & nombreuſe.
Ce fut le 21 de ce mois que ces Princes
parurent en public pour la première
fois ils furent à la Comédie Françoife ;
dès qu'ils le montrèrent dans la loge qui
leur et réfervée pendant leur féjour
les applaudiffemens les plus vifs & les
plus généraux fe firent entendre ; le Prince
& la Princeffe y répondirent par toutes
les marques de la plus vive fenfibilité.
"
Le quatrième Mémoire concernant les
Ecoles nationales militaires paroît depuis
quelques jours ; nous nous propofons d'enb
6
( 36 )
trer dans quelques détails ; en attendant nous
obferverons ici que la recette des abonnemens
pour ces Mémoires monte , à
compter
du premier de ce mois , à 50,058 liv . & la
dépense à 46,863 liv . 4 f. 9 den . felon les
états dépofés chez M. Brichard , Notaire ,
rue Saint - André - des- Arts , chez lequel
on s'abonne pour ces Mémoires moyennant
24 liv. par an. On peut juger par -là que
les fecours augmentant ainfi chaque jour ,
le nombre des Elèves augmentera à proportion
, ainfi que les moyens de perfectionner
leur éducation .
כ כ
Différentes lettres de l'Ile de France annoncent
comme certaine une découverte des plus importantes
pour toutes les puiflances mazitimes de l'Europe
, & l'on peut ajouter pour l'humanité fans
acception ni exception de nation. Il s'agit de la folution
du fameux problême des longitudes par une
méthode fimple , & auffi aifée que l'eft celle en :
ufage pour la latitude . M. de Fornay , Chevalier de
Saint-Louis & Major d'Infanterie , en eft l'Auteur.
On doit de toutes parts faire des voeux empreffés
pour le fuccès complet d'une découverte auffi précienfe
, & dont on devoit en quelque forte défefpérer
arrès les efforts inutiles de tant de génies
fubitmes , de tous les fiècles & de tous les pays . Si la
Marine de l'univers reçoit un ſecours auffi intéreffant
, ce fera une époque mémorable dans les faftes
de l'hiftoire politique & philofophique . Une découverte
, auffi précieufe méritoit de paroître en
France fous un Roi bienfaifant , quin'eft armé que
pour la liberté des mers «.
On connoir l'Ouvrage important de M.
Mentelle , Hiftoriographe de Mgr le Comte
d'Artois fur la Géographie comparée .
( 37 )
L'Atlas qui doit accompagner cette, excellente
production , dédié à M. le Comte de
Vergennes , eft attendu avec impatience.
Nous nous empreffons d'annoncer que
l'Auteur vient d'en publier la première
livraiſon ; elle eft compofée de 12 cartes ,
parmi lesquelles il y en a pluſieurs que
les évènemens politiques actuels rendent
non-feulement intéreffantes , mais même
indifpenfables . Cette obfervation , qui a
déterminé M: Mentelle à interrompre à
chacune des premières livraiſons , l'ordre
dans lequel il les avoit annoncées , pour
en donner quelques- unes , foit du Mexique
, foit de l'Inde , fait rentrer l'annonce
que nous en faifons dans le plan de notre
Journal. Les cartes du Golfe du Mexique ,
de la Floride , des deux Carolines , de la
Géorgie , ne peuvent qu'être reçues avec
reconnoiffance , & confultées avec fruit
par ceux qui voudront fuivre les opérations
militaires fur les divers théâtres de la
guerre actuelle c'eſt un ſecours précieux
dont il leur eft impoffible de fe paffer
& nous ne connoiffons rien qui puiffe
le fuppléer. Il n'y a point de cartes plus
exactes , plus détaillées , plus foignées dans
toutes leurs parties. Le Roi a foufcrit pour
12 exemplaires ( 1 ) .
:
( 1 ) Pour fe procurer cet Atlas , il faut s'adreffer à M.
Mentelle rue de Seine , Fauxbourg St- Germain , près du
Notaire. Plusieurs perfones ayant demandé à l'Auteur
de leur faire parvenir chacune des livraiſons par des voies
1
( 38 )
"
à cette
» M. d'Acher , Profeffeur d'un remède ſpécifique
contre les dartres , & autres maladies cutanées
avertit le Public que , pour conftater de plus en plus
l'efficacité de fon remède , connu avantageufement
depuis long- tems , par les fuccès qu'il a eus auprès
de plufieurs perfonnes de diftinction , il traite gratuitement
les pauvres qui ont recours à lui ,
feule condition que leur traitement s'opère fous les
yeux de deux Commiffaires de la Société Royale
de Médecine nommés pour examiner les effets dudit
remède. Les perfonnes ailées qui ne voudroient
pas fe foumettre à cette condition , pourront également
employer le même fpécifique en préfence &
fous les yeux de leur Médecin . Ce remède confifte
dans une eau ftomachique & anti - dartreuse ,
très -limpide & agréable au goût . La demeure
du fieur Dacher eft rue du Bacq , Faurbourg Saint-
Germain , à l'ancien Hôtel des Moufquetaires.
:
-
Cette découverte eft d'autant plus intéreffante
que , jufqu'à préfent , la Médecine n'a trouvé aucun
remède pour guérir radicalement cette cruelle ma.
ladie perfonne n'ignore combien elle cft incommede
& défagréable , fur-tout quand elle attaque
le vifage . On fait auffi combien elle eſt dangereuſe ,
principalement quand elle eft traitée mal- a-propos
n'avons-nous pas tous les jours fous les yeux des
exemples funcites des ravages produits par une huplus
promptes que celles du commerce , il a l'honneur de
les prévenir que moyennant la foible rétribution de ro fols
par chaque livraifon , payables d'ailleurs , pour l'époque , à
feur volonté , il les leur feta parvenir , port franc , promp
tement & foigneufement roulées & enveloppées de toile
cirée. Le prix de l'Atlas , pour les Cartes , 110 liv. , pour
les plans 36 liv. En foufcrivant pour l'Atlas 24 liv. , pour
Jes Plans , fi on les veut , 9 liv. ; & en recevant la première
livraifon des Cartes 24 liv. Les deuxième & troisième gratis .
La Géographie comparée fe trouve également chez M.
Mentelle ; il en paroît actuellement 6 livraiſons , dont le
prix eft de 35 liv . 12 f.; la feptième livraiſon , contenant
Espagne modeme , va paroître inceffamment,
( 39 )
meur dartreufe répercutée ? C'eft ce qu'on évitera
avec ce remède , qui pouffe cette humeur vers la
circonférence , & purifie la mafle du fang.Les
perfonnes de Province qui voudront employer ce
même fpécifique , pourront s'adreffer au Sr d'Acher,
il les inftruira de l'ufage qu'elles doivent en faire ,
& du régime convenable pour en être plutôt délivrées.
Il est néceflaire qu'elles lui fallent favoir la
qualité des dartres.
Nous nous empreffons de tranfcrire la
lettre fuivante , qui nous a été adreffee de
Verfailles ; on ne fauroit trop faire connoître
les divers établiffemens qui offrent des lecours
à l'humanité fouffrante.
"M. , dix guérifons radicales de paralyfies , dont
la dernière a été atteftée par MM . les Commffaires
refpectifs de l'Académie des Sciences , de la Faculté
de Médecine de Paris & de la Société Royale de
Médecine , ne laiffent plus lieu de douter que l'élec
tricité , dirigée felon ma méthode , eft un remède
fouverain contre cette maladie . La même électricité ,
dirigée convenablement , ayant détruit radicalement
des convulfions , en préfence des Commiffaires cideffus
cités , & plufieurs autres , dans différens iujets
de divers âges , dont on verra le détail dans le c
volume de mes Obfervations , que je donnerai dans
la fuite au Public , nous préfente un moyen efficace ,
non feulement pour guérir les perfonnes du fexe
q i en font tourmentées , mais encore , & ce qui
eft bien effentiel , pour fauver les enfans , dont
une grande partie périt par ce cruel mal : ceux qui
en échappent , reftent la plupart eftropiés pour
toute leur vie. En attendant que le Gouvernement
prenne en confidération un objet auffi confolant
pour mettre ce remède à portée de tout le monde ,
ce qui ne feroit pas bien difficile ni fort di pendieux ,
j'ai établi à Versailles , rue de Monbarron , felon
mes facultés , un Cabinet électrique public , feus
( 40 )
les aufpices d'un grand protecteur de l'humanité
fouffrante. On y traitera gratis les paralyfies les
plus récentes , depuis dix heures du matin , juſqu'à
une heure après- midi. Les pères & mères qui auront
des enfans attaqués de convulfions , peuvent les
apporter à toute heure du jour , depuis fix heures
du matin jufqu'à fix heures du foir, & on fera ceffer
prefque dans un inftant les accidens funeftes qui
pourroient les étouffer. Les grandes perfonnes du
fexe qui font tourmentées du même mal , peuvent
s'établir pour quelque tems à Verfailles à portée du
Cabinet , & on leur promet le foulagement de leurs
maux dans peu de tems . J'ofe efpérer , M. , que
vous ne tarderez pas de publier ma lettre pour le
bien de l'humanité. Signé, SANS.
» Une rixe ordinaire & en public , entre des
perfonnes du commun , fuivie de quelques volées
de coup de canne , eft quelque chofe de fi fréquent
qu'on n'y fait pas la moindre attention ; mais fi ces
perfonnes font d'un état & d'un rang honnête , on
eft étonné que l'éducation & les fentimens ne les
aient pas garanti d'un éclat auffi fcandaleux. Si la
fcène arrive entre des perfonnes d'un fexe différent ,
en même tems qu'on s'intéreffe pour le fexe le plas
foible , on eft juftement indigné contre l'homme qui
non- content de manquer aux égards & à l'honnêteté
qu'on doit aux dames , va jufqu'à leur faire fentir
les plus rudes effets de fa force & de fa brutalité ; ´-
combien ne fera - t - on pas révolté davantage , fi
1 homme a tiré l'épée contre ce fexe foible , timide
& fans défenſe , & quel intérêt tous les coeurs ne
prendront-ils pas à une jeune & belle perfonne de
feize ans , qui , voulant parer les coups d'épée qu'un
furieux vouloit porter à fa belle- mère , en eft ellemême
la victime , & reçoit dans le côté une bleffure
de la profondeur d un demi- pouce. Tel eft le ſujet
atrendiiffant d'une Caufe qui vient d'être jugée à la
Tournelle du Parlement de Paris . Un ancien
( 41 )
Officier rencontre fur la promenade publique de la
ville de .... les dames de .... belle- mère & beilefille
, femme & fille d'un Receveur des Tailles de la
ville ; il paffe & repaffe plufieurs fois auprès d'elles ,
les regarde fous le nez , les infulte de propos :
auffi - tôt ces dames répondent avec une vivacité
excitée par l'infolent , qui redouble. La belle- mère ,
emportée par une jufte fenfibilité , donne à cet
homme un coup d'une canne légère qu'elle tenoit
à la main : il répond avec une lourde canne qu'il
tenoit , dont il frappe de toutes fes forces fur les
épaules de la dame , & lui fait de violentes contufions.
Le mari accourt & défarme le brutal , qui
tire fon épée & veut courir fur la dame : la demoifelle
fe met à la traverſe pour l'en empêcher. Cette
jeune perfonne , belle & fenfible , ne peut attendrir
ce furieux , & reçoit dans le côté droit une
large bleffure de la profondeur d'un demi-pouce
dans la chair le fang coule ; on accourt pour les
féparer , & apporter du fecours à la jeune perfonne.
Le Commandant de la place , inftruit de la scène
envoie pendant 24 heures le coupable en prifon.
Les dames rendent plainte , demandent permiffion
d'informer, & l'obtiennent . Vifite d'Expert eft ordonnée
pour conftater les bleffures de la mère &
de la fille le rapport fait , les témoins entendus ,
l'Officier eft décrété de pri e de-corps ; l'affaire eft
réglée à l'extraordinaire. Arrêt du 17 Avril 1782 ,
cenforme aux conclufions de M. l'Avecat- Général
Séguier, qui met l'appellation & ce dont eft appel au
néant ; émeudant , fait défenfes à .... de récidiver ,
fous peine de punition corporelle ; lui enjoint de
s'abfenter de la ville pendant cinq ans ; le condamne
en 6000 liv. de dommages & intérêts , par forme
de réparations civiles , au profit de la demoiſelle
de ... ; le condamne en tous les dépens ; ordonne
l'impreffion de l'Arrêt , au nombre de cent exemplaires
, l'affiche de douze , aux frais dudit fieur.
>
( 4422 ))
Les Éditeurs des OEuvres de M. Rouffeau
ayant jugé à propos de réimprimer une inputation
qu'il avoit avancée en 1766 contre
M. d'Alembert , on a cru devoir réimprimer
dans ce Journal la déclaration fuivante
; elle avoit déja paru en 1766 , en
même- tems que l'imputation , & du vivant
de M. Rouffeau , qui n'y a fait aucune réponſe.
"
» J'ai appris par M. Hume , avec la plus grande
furprife , que M. Rouffeau m'accufe d'être l'Auteur
d'une Lettre ironique qui lui a été adreffée dans les
papiers publics , fous le nom du Roi de Praffe.
Tout le monde fait , à Paris & à Londres , que
cette Lettre eft de M. Walpole , qui même ne la
défavoue pas. Il convient feulement d'avoir été aidé
, pour le ftyle , par une perfonne qu'il ne nomme
point , & qui devroit peut - être le nommer.
Pour moi , fur qui les foupçons du Public ne font
jamais tombés à cet égard , je ne connois nullement
M. Walpole : je ne crois pas même lui avoir
jamais parlé , ne l'ayant rencontré qu'une fois dans
une maison particulière. Non - feulement je n'ai pas
la plus légère part , ni directe ni indirecte , à la
Lettre dont il s'agit , mais je puis cirer plus de cent
perfonnes , amies & ennemies de M. Rouffeau , qui
m'ont entendu la défapprouver beaucoup , par la
raifon qu'il ne faut jamais fe moquer des malheureux
, & à plus forte raison quand ils ne nous ont
point fait de mal. D'ailleurs , mon re pect pour le
Roi de Pruffe , & la reconnoiffance que je lui dois ,
pouvoient , ce me femble , faire fuppofer à M.
Rouffeau , que je n'aurois pas voulu abafer du nom
de ce Prince , même pour une pla fanterie .
J'ajoute que je n'ai jamais été l'ennemi de M. Rou
fean ni déclaré , ni même fecret , comme il le préend
; & je défie qu'on apporte la moindre preuve
( 43 )
-
a
que j'aie jamais cherché à lui nuire , en quoi que
ce puiffe être. Je pourrois prouver , au contraire
par les témoignages les plus refpectables , que j'ai
cherche a lobiger en ce qui a dépendu de moi.
Quant a ma prétendue correfpondance fecrette
avec M. Hume , il eft très- certain que nous n'avons
commencé à nos écrire que cinq à fix mois après
fon départ, a l'occafion de la querelle que M. Rouf
feau lui a fufcitée , & dans laquelle ilj ge a propos
de me mêler fi gratuitement. Je crois devoir
cette déclaration a moi - même , à la vérité , & à la
fituation de M. Rouleau : je le plains bien fincèrement
de croire fi peu à la vertu , & fur-tout a celle
de M. Hume .
(
-
Elie Balhias , Ecuyer , Seigneur de Tinvenac
, ancien Capitoul de la Vile de
Touloufe , Chevalier de l'Ordre de Saint-
Michel , Gentilhomme Honoraire de la
Vénerie de Monfieur Frère du Roi
chargé des affaires du Gouvernement &
du Commandement de la Province de
Guyenne , eft mort à Marmande le s Mai ,
âgé de 78 ans . Les fervices importans qu'il
a rendus dans les différens poftes qu'il a
occupés , lui ont mérité les graces & les
bontés particulières de S. M. , ainfi que
l'eftime & la confiance publiques.
» Déclaration du Roi , concernant la Comptabilité
de la Ferme Générale , donnée à Verfailies le
18 Février ; & enregistrée à la Chambre des Comptes
le 4 Mai..
Lettres patentes du Roi , pour rendre la signature
des comptes an Grand- Maître & au Grand - Ecuyer
de France , données à Verſailles le 20 Mars , & enregiftrées
le 4 Mai à la Chambre des Comptes.
Ordonnance du Roi du 10 Mai , qui renouvelle
( 44 )
les anciens règlemens fur la vente & le commerce
des Chevaux qu'on fait venir à Paris .
Arrêt du Confeil du 23 Janvier , qui fait défenſes
aux Marchands détailleurs ou autres , à l'exception
de ceux des Villes fermées , établis dans les Paroiffes
des Généralités de Paris & de Soiffons , qui font
fituées dans les trois lieues limitrophes de la Généralité
d'Amiens , d'avoir à - la - fois plus de 60 pintes
d'eau- de-vie. Autre du 28 Mars , contenant
réunion au Domaine des murs , foffés , remparts &
fortifications de la ville de Saint-Denis ; confirmation
de propriétaires actuels dans leurs propriétés ,
aux charges y portées ; & aliénation du furplus
defdits murs nou encore aliénés , au profit des Officiers
Municipaux de ladite Ville. - Autre du 20-
Avril , qui ordonne que celui du 11 Septembre
1779 , fera exécuté en conféquence , & attendu la
vacance du Gouvernement de Montreuil , avenue
par le décès du feu Duc d'Aumont , le droit de
Féage de 3 livres par poulain , qu'il faifoit percevoir
en fadite qualité de Gouverneur , fera & demeurera
éteint & ſupprimé « .
De BRUXELLES , le 28 Mai.
LES nouvelles de Hollande ont annoncé
dernièrement l'apparition d'une efcadre
Angloife devant le Texel ; c'eft la même
qui , fous les ordres de l'Amiral Hove ,
s'étoit réunie vers Oueffant à celle de
l'Amiral Kempenfeld , & que les vents
contraires avoient forcé de quitter cette
croiſière ; elle n'a pas gardé long- temps
celle qu'elle avoit prife fur les côtes de
Hollande , d'où les vents l'ont auffi éloignée.
» Si la miffion de notre efcadre fortie le S de ce
( 45 )
mois du Texel , lit- on dans une lettre de la Haye , a
répandu l'ala me en Angleterre , au point que toute
la Milice , taut de Londres que des Province , a
reçu ordre de fe mettre fous les armes , il paroît
que les Angloi ont voulu nous rendre la pareille . Le
14 vers les 2 h . après - midi , on apperçat une flotte
étrangère devant le Helder à l'ouvert du Texel; on
compta jufqu'à 17 voiles , dont 15 gros vaiffeaux de
guerre, d'autres en ont compté jufqu'à 19. Comme
ce nombre s'accordeit à peu-près avec les forces
que le Lord Howe, avoit piis fous fes ordres à la rade
de Spithead & avec celles qui ont pu le joindre ; on
a fuppofé que le Gouvernement Anglois voulant
pourvoir au danger qui lui paroiffoit le plus preffé ,
avoit envoyé toutes ces forces de la Manche dans la
mer du Nord , pour déconcerter les projets de la
République . Heureufement le Vice - Amiral Comte
de Bylandt étoit rentré le 11 au Texel , les feuls
vaiffeaux qu'on croyoit être reſtés à la mer avoient
paffé au Vlie ; & un Exprès envoyé en Zélande eft
arrivé à tems pour empêcher le départ du Zievikzee
de 64 canons , & du Schiedezg de 54 , qui devoient
appareiller de Fleffingue ; les vents impétueux du
17 & du 18 ont forcé les Anglois de reprendre
le large «<,
Les nouvelles propofitions faites à la République
de la part de l'Angleterre , pour
une paix particulière , ne paroiffent pas
avoir plus de fuccès que les premières. Si
la Hollande a mis de la lenteur à fe décider
pour la guerre , elle la foutiendra
avec conftance , & il n'eft pas douteux
qu'elle ne confentira pas à y mettre fin
avant d'avoir une fatisfaction complette
fur les griefs dont elle fe plaint.
ל כ
Après une attaque hoftile , faite par furprife
contre la foi des Traités , & fans l'ombre même de
( 45 )
--
raifon , comme M. Fox en a fait lui - même, d'après
un examen attentif des papiers de fa Secrétairerie ,
l'aveu dans la Chambre des Communes le 30 Avril ,
il y auroit ples que de la modération de la part
de la République de fe contenter de rétablir fur
l'ancien pied les affaires entr'elle & la G. B. , de trahir
Four cet effet les devoirs de la réciprocité envers la
France , & de violer les engagemens contraftés
avec cette Puillance , lorfqu'on avoit befoin de fes
fecours. D'ailleurs , en Angleterre même , l'on commence
à fentir qu'une paix particulière avec les
Provinces - Unies ne feroit que retarder une paix
générale , & opéreroit par conféquent dans le fait ,
tant contre les intentions probables de l'Impératrice
, que contre le vrai bien de la nation Angloiſe ,
qui a un preffant befoin de repos. La reconnoiffance
de l'indépendance de l'Amérique par les Provinces-
Unies , ( dit à ce fujet une feuille de Londres
du 9 Mai ) , & l'admiffioa de M. Adams en qualité
de Miniftre du Congrès , auroient empêché une
pacification , fi elles étoient arrivées pendant que
l'ancien Miniftère s'y oppofoit. Mais , fi le préfent
Ministère Britannique eft réfolu à reconnoître pareillement
cette indépendance , comme plufieurs perfonnes
bien inftruites l'affurent , aucunes réfolurions
de cette espèce , que L. H. P. peuvent prendre ,
n'empêcheront le moins du monde ni ne troubleront
la médiation ; mais au contraire elles ferviront
très probablement à hâter la réconciliation . Effectivement
les Miniftres actuels de la G. B. paroiffent
convaincus , que tous efforts ultérieurs , pour foumettre
l'Amérique ou pour continuer la Guerre , ne
fervioient qu'à plonger le Royaume plus profon
dément dans le bourbier , où l'inconduite inconcevable
des anciens Miniftres l'a entraîné.
Le Baron de Vaffenaar de Starrembourg ,
Ambaffadeur de la République à Pétersbourg,
a fait paffer aux Etats - Généraux la note fui(
47 )
vante qui lui a été remife par le Comte
d'Oftermann , Vice-Chancelier de Ruffie.
» Aufli-tôt que l'Impératrice a été inftruite de
la réfolution qu'ont prife L. H. P. , fur l'infinuation
tendante à une paix particulière avec la G. B. &
la République , & de la condition dont elles la font
dépendre , S. M. B. n'a pas perdu un inftant de don
ner tout l'effet poffible à fes offices . L'eipit de dé
fintéreflement & les fentimens d'humanité qui ont
dicté la première infinuation , l'animant conftama .
ment , elle a tâché , par un nouvel effort , d'amener
les chofes au point qui permet d'en augurer favorablement
. Dans cette vue , elle a fait dépêcher un
Courier exprès à Londres , chargé d'inftructions
pour fon Envoyé à cette Cour , analogues à la nature
de l'objet & à fa grande importance. Les motifs ,
far lefquels ce Miniltre s'évertuera de déterminer
S. M. B. à admettre la propofition , qui doit fervir
de bafe à tout l'ouvrage de la pacification , feront
puifés dans la connoiffance parfaite qu'il possède
de l'impartialité dont S. M. I. fait profeffion ; de la
fidélité & de la conftance avec lefquelles elle profeffe
les principes adoptés par elle à la face de l'Europe ,
fondés dans la justice & l'équité. Les fentimens
de S. M. I. portent trop visiblement l'empreinte
de la pureté de fes intentions , pour qu'ils puiffent
être méconnus par L. H. P. La franchiſe qu'elle
met dans fa manière d'agir , & la cordialité avec
laquelle elle les infruit de les déterminations , lui
infpirent la ferme confiance , qu'elles n'en prendront
aucunes qui puifent devenir préjudiciables à l'état
actuel de la négociation entamée , on altérer les
fentimens pacifiques qu'elles ont fait entrevoir.
Dans cette perfuafion , elle s'eft empreffée de
fonder les difpofitions de la Cour de Londres
relativement aux principes de neutralité. Ieft
naturel & conféquent de voir fa réponſe , & de fufpendre
en attendant toute mefure , qui dût altérer
la pofition de la République vis - à-vis de qui que
( 48 )
e pût être. L'Impératrice rend trop de juftice à
la fageffe & à la pénétration de L. H. P. , four dou
ter qu'elles vouluffent s'écarter des principes de
modération qu'il eft effentiel de fuivre , fi l'on a
l'intention férieufe de feconder les vues falutaires
que S. M. s'eft propofées , & dont L. H. P. ont tou
jours para intimement perfuadées . Ce ne feroit qu'à
regret qu'elle fe verroit fruftrée des efpérances
qu'elle a conçues à cet égard. Le Miniftère Impérial
a l'honneur de donner connoiffance de tout ce que
ci-deffus à S. E. M. l'Ambaffadeur de L. H. P. , en
réponse à la communication qu'il lui a faite , en date
du 17 Mars , de la réſolution defdits Etats «<.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 21 Mai,
» Il s'eft tenu un Confeil de guerre à St. -James ,
dont le réfultat a été d'ordonner au Commandant
en chef d'exécuter les projets qui lui paroîtront les
plus propres à mettre l'Ifle fur un pied refpectable
de défenfe dans ce moment de crife «.
--
» Dans des billets écrits à la hâte à des amis
intimes , par les Amiraux Rodney & Hood , on
marque les expreffions fuivantes. Ce comb
dit le premier, n'eft pas de ce fiècle , il rappelle les
jours du Duc d'York, de Van Tromp , de Ruyter, & c.
Les François le font battus comme des lions ; le
Comte de Graffe eft un brave homme : voilà une victoire
durement gagnée ( hardfought ) . - Le Comte
de Graffe ( dit le fecond , qui à bord du Barfleur ,
foutenoit le Formidable contre les efforts de la
Ville de Paris ) , ayant marqué l'intention de m'at-.
taquer plus particulièrement , je réuffis fi bien à
prendre ma distance , qu'en 10 minutes le feu du
Barfleur décida l'affaire ; lorfqu'il amena , il avoit
fur le pont 400 hommes tués dans le cours de ces
10 minutes il s'eft battu en héros , fon vaifleau
faifoit un feu d'enfer , & nous nous attendions à le
voir fauter car fur la fin , il n'a ceffé de tirer fes
deux bordées à-la fois ; les François font de braves
& nobles ennemis «.
M
Tub si
Moonra sitsma. ) allazerom
JOURNAL POLITIQUE
19.06 48,0
13002030 29 230 2310MĄ,
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DE BRUXELLES × ³Ï
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De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril
shoh no susirgus xinh 251 , 290151
THO
ONN mande de Berade qu'il y a eu une
émeute terrible , dans laquelle on compre
plus de soo perfones qui ont péri , le
Mufi a pris la faite , Aga , qui avoit
jugé auffi à propos de s'éloigner , a été
arrêté par les mutins ; mis on ignore. le
traitement quals lui ont fait. 18 à 90 maifons
des principaux habitans de la Ville
ont été pillées , on attribue ce foulèvement
à quelques actes oppreffifs : on ne croit
pas qu'il foit encore diffipés qusique l'on
fe foit hâte de répandre les Janitaires
dans toutes les rues , où ils veillent jour
& nuit.
HORUSSIE.
9. MAIS Traf XT LA
De PETERSBOURG , le 2 Mal.
4514
ON ne fait encore rien de pofitif fur
l'affaire de M. de Bibikow ; on dit fenle-
8 Juin 1782. с
( 50 )
ment que ce qui a pu caufer fa difgrace
eft une correfpondance illicite , qu'on a
découverte à Riga , chez un particulier &
dans laquelle il eft impliqué. Quelques
perfonnes prétendent que fon fort eft déja
décidé , & qu'il a été envoyé en exil.
L'efcadre que l'Impératrice deftine à la
protection du commerce , fe difpofe à
mettre en mer ; elle eft forte de 10 vaiffeaux
de ligne & 4 frégates ; une partie
croifera dans la mer du Nord , & l'autre
fe rendra dans la Méditerranée.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 11 Mai.
LES vaiffeaux de guerre qui compofent
l'efcadre du Vice- Amiral de Fontenay
eft prête à mettre à la voile pour aller
croifer dans la mer du Nord.
୨
Le 6 de ce mois il eft arrivé dans le
Sund 40 bâtimens de différentes Nations ;
le plus grand nombre eft Hollandois , &
porte pavillon Pruffien. Le 9 ils ont été
fuivis de 36 autres bâtimens venans de la
Baltique , & hier on a vu 25 nouveaux
deftinés pour cette mer , jetter l'ancre à
la hauteur de Cronembourg.
La maladie qui règne ici depuis quelques
femaines , femble augmenter au lieu
de diminuer ; parmi ceux qui en font attaqués
, il en eft mort près de 120 la ſemaine
dernière .
Le tems eft très-fec ; on fait des voeux
pour la pluie ; & fi nous n'en avons point ,
il eft à craindre que cette année les grains
& les fourrages manquent ; les derniers
font d'autant plus néceffaires , qu'il n'y en
a point dans quelques endroits , où les
payfans , après avoir nourri leurs beftiaux
avec le chaume qui couvroit leurs caba
nes , font forcés de les tuer , parce qu'ils
n'ont plus rien à leur donner.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Mai.
Le Duc régnant de Wurtemberg- Stuttgard
eft arrivé ici le 6 de ce mois , fous
le nom de Comte d'Aurach ; il y fait &
reçoit des vifites d'honneur ; il s'entretient
aufli fréquemment avec S. M. I.
Le fameux Oculifte Bahrt , qui a cu le
bonheur de guérir l'Empereur , en a reçu un
préfent de 1000 ducats , & la Patente d'Oculifte
Impérial & Royal.
Ces jours derniers l'Empereur a aſſiſté à
une épreuve qui a été faite fur des fufils
de nouvelle invention qu'on décharge fans
avoir befoin de les amorcer ; elle a réuffi ;
il reste à voir maintenant fi l'avantage en
eft affez grand pour les faire adopter dans
les armées.
S. M. I. fait travailler à un fervice de
table pour soo perſonnes ; il a été envoyé
aux Orfévres de la Cour 123 quintaux d'ar-
C 2
( 52)
gent pour cet effet ; on dit que S. M. I. fe
propole d'en faire ufage pour la première
fois à fon couronnement en Hongrie...
Une nouvelle Ordonnance porte que les
enfans de foldats entretenus ci - devant dans
les hopitaux publics , ne quitteront plus
les régimens , mais que chacun de ces ré
gimens , qui font au nombre de so , en élevera
48 , & recevra pour cet objet une
fomme annuelle qui fera fixée , outre unė
de 500 florins une fois payée , pour l'achat
des meubles & ' des livres néceffaires à ces
enfans.
» Le feu , écrit- on de Broly , ville de la Pologne
Autrichienne , prit ici il y a quelques jours , la nuit
du Vendredi au Samedi. Comme toutes nos mai
fons font conftruites en bois , la ville entière auroit
été promptement réduite en cendres , fi tous les habitans
qui , pour la plupart , font Juifs , n'y avoient
porté les fecours les plus prompts & les plus efficaces.
Ce fair prouve , contre ce que l'on a dit , répété &
imprimé plufieurs fois , que conformément à fa loi ,
le Juif ne peut s'occuper de rien le jour du Sabat . Il
eft vraisemblable que dans aucun tems il n'a pas
laiffé brûler fa maifon lorfque le feu y avoit pris , &
que lorfque les Hébreux formoient une Nation fou
vent en guerre avec les voifios , ils n'obſervoient pas
rigoureufement le Sabat dans un camp , & que ,
felon les occafions , ils fe battoient ce même jour
foit pour attaquer leurs ennemis , foit pour le
défendre. Une armée qui feroit abſolument paffive
& immobile quoiqu'il arrivât un certain jour de la
femaine , offriroit affurément de grands avantages à
fes ennemis c.
( 53 )
De FRANCFORT fur le Mein , le 21 Mai.
L'EPIDEMIE qui de St- Pétersbourg a paffé
à Copenhague , à Dantzick & à Berlin , cft
venue jufqu'à nous ; prefque toute notre
garnifon qui en eft attaquée , va fucceffivement
au Lazareth , & plufieurs Bourgeois
font alités , mais heureufement perfonne
jufqu'à préfent n'a péri.
1
» Il s'eft élevé , écrit- on de Vienne , quelques
troubles en Bohême , relativement aux Edits de
tolérance , mais ils n'y ont pas été généraux ; on ne
les a principalement remarqués que dans deux
Diocèles dont les Evêques ont été réprimandés, pour
n'avoir pas pris les mesures néceffaires pour les
prévenir , & celles que fembloit indiquer la circonftance
lorfqu'ils font arrivés , pour les difper. L'un
s'eft , dit- on , excufé fur les infirmités , l'autre fur
fon âge'; ce qui les a privés de l'activité dont ils
auroient en befoin dans cette occafion , & que cetă
tainement leur zèle leur auroit fait déployer ; on
ajoute que S. M. I. a chargé l'Evêque de Leutmeritz
de les fuppléer , à cet égard , dans leurs Diocèles t
On s'entretient beaucoup des troubles de
Genève les Puiffances voifinés qui s'intéreffent
au repos de cette République , &
qui ont garanti fes loix & fa liberté , font
également mécontentes des fcènes qui viennent
de s'y ouvrir ; on a vu la lettre que
le canton de Berne a adreffée aux Syndics
de la ville le 23 du mois dernier . La lettre
fuivante de M. le Comte de Vergennes
en date du 2 de ce mois , à l'Ambaffadeur
de France en Suiffe , a été communiquée
le 7 à LL. EE.
€ 3
( 54)
Le Roi a été très -ſenſible , M. , à l'attention
que les Cantons de Zurich & de Berne ont eue de
vous faire part de la Lettre qu'ils ont écrite le 23
du mois dernier aux Syndics de la Ville de Genève.
Le motif de cette communication eft fait pour être ,
à tous égards , agréable à S. M .: Certainement ,
Elle n'a pas cellé de prendre un intérêt véritable
au fort de Genève ; & , dans le moment où cette
République gémit fous l'oppreffion de quelques-uns
de fes Citoyens , S. M. devoit voir avec plaifir les
deux Louables Cantons partager fon indignation de
cet attentat. Quoique les rapports qui fubfiſtoient ,
eu égard à Genève , entre le Roi & les Cantons
garans de l'Edit de 1738 , aient change ; la nature
des chofes indiquoit , que l'intérêt & la dignité de
S. M. ne lui permettroient pas d'abandonner cette
République , & qu'Elle ferait bien aile de connoître
la façon de penfer des deux Louables Cantons fur
l'anarchie dans laquelle Genève eſt tombée. MM.
de Zurich & de Berne ont fait , M. , tout ce qui
étoit en cax dans le premier moment : Le Roi , applaudiffant
à cette démarche , doute beaucoup qu'elle
produife aucun effer ; parce que S. M. connoît tout
l'empire que les auteurs de la fédition de Genève
confervent encore fur leurs Concitoyens aveuglés ,
& fur les Natifs dont ils ont fait les inftrumens de
leur ambition. Mais l'empreffement des deux Can.
tons à faire connoître à S. M. ce qu'ils penfent de
l'étrange révolution de Genève , & leurs premiers
efforts pour rétablir l'ordre dans cet Etat ,vdēmandent
qu'elle avance de quelques jours la notification
qu'Elle comptait leur faire de fes deffeins . C'eſt
pour vous mettre en état de remplir , à cet égard ,
les intentions de S. M. , qu'Elle m'a ordonné , M. ,
de vous écrire cette Lettre , dont vous ferez , quant
à la forme , l'ufage qui vous paroîtra le plus convenable
, & dont le fonds doit être tranfmis exactement
aux deux Cantons. On ne peut plus fe diffimuler
, M. , qu'il eft impoffible de ramener la paix
( 55 )
--
dans Genève par la voie de la perfuafion ; Si ceux
qui ont renversé le Gouvernement de cet Etat , ne
font pas tous enivrés des idées de la Démocratie
abfolue , tous ont contribué à les faire triompher ,
tous fuivront jafques au bout l'impulfion qui
leur a été donnée & la voix de la raifon ne peut
plus fe faire entendre du plus grand nombre des
Habitans de cette Ville. Les premiers pas à faire
pour lui rendre fa tranquillité , font de rétablir le
Gouvernement légitime , de tirer de l'oppreffion des
victimes de la fureur des Démagogues , & de mettre
leurs Satellites hors d'état de confolider la tyrannie.
Le Roi a pris la réfolution de tout employer pour
parvenir à ce but . Je vous prie , M. , d'en faire part
anx deux Cantons , en les affurant que S. M. ne fait
aucune attention à ce qu'a cu de difrefpectueux pour
elle l'attentat de la faction repréfentante : elle n'y
voit que la loi & la fûreté publique outragées &
violées. Vous voudrez bien , M. , vous attacher
à prouver que Genève ne peut plus être fauvée que
par des mains puiffantes : Quant aux motifs qui
déterminent S. M. , El'e eft Protectrice de Genève ;
Elle eft convaincue qu'il eſt impoſſible d'y rétablir
la paix fans fe mettre en état d'en impofer છે ceux
qui l'ont tant de fois troublée , & qui y exercent
aujourd'hui le pouvoir le plus criminel. Enfin , Elle
croit que l'humanité & la faine politique exigent
que Genève ceffe d'être une école de fédition , dont
les dogmes deſtructeurs infecteroient bientôt tout ce
qui entoure cette Ville. Le Roi penfe , M. , que ces
motifs paroîtront dignes de fa juftice & de fon
affection pour Genève & pour les Cantons , à tous
ceux qui font capables d'apprécier ce que fes fentimens
lui preſcrivent dans la circonftance actuelle' :
S. M. impofera filence aux autres , en donnant les
déclarations les plus pofitives , qu'Elle n'attaquera
en rien l'indépendance de Genève , & fe boniera à
appuyer le Gouvernement légitime , dès qu'une fois
4
( 56 )
-
il aura recouvré l'autorité dont il a été dépouillé , -
& l'abandonnera à fes propres forces , lofqu'il en
au á de fuffifantes . Pour convaincre davantage
les Cantons de cette façon de penfer , vous leur ferez
connoître , M. , le defir qu'a S. M. de les voir concourir
avec Elle à confolider la paix de Genève
lorfque cette affaire fera à fon point de maturité.
Pacifier Genève , y rétablir le Gouvernement , le
mettre à l'abri des chocs qu'il a éprouvés , fept fois
dans ce fiècle , faire le bonheur de ceux- mêmes qui
ont caufé tant de maux , tel eft le but de S. M.:
Elle nene regrettera ni les foins ni les dépenfes pour
l'atteindre ; mais auffi , rien ne la détournera de
cette falutaire entreprife ; & Elle est bien perſuadées
qu'aucunes de Puiffances veifines , qui ne voudront
ou ne pourront pas y coopérer , ne chercheront à y
metrie obftacle : Elle en a pour garans leur prudence
& leur intérêt , fans parler des autres moyens
par lefquels Elle s'eft affurée de leur confiance . C'estfur
quoi vous ne pouvez trop infifter auprès des
deux Leuables Cançons.
Le ro de ce mois le canton de Berne a
envoyé la lettre fuivante aux Syndics de
Genève... & 4 DV C
Fermes dans la réfolation de ne pas reconnoître
les Gouvernement , établi dans votre Ville , par la
violence & à main armée , Nous avons trouvé néceffaire
d'en inftruire nos bons & fidèles Sujets . Au
cas que quelques-uns de nos Sujets qui demeurent à
Genève , euffent été induits à prendre des engagemens
avec ceux qui y dominent aujourd'hui , nous
regardons ces engagemens comme nuls , fans effet
obligatoire , & s'ils y perfiftoient , contraires aux
devoirs de bons & loyaux Sujets. Et quant à ceux
qui fervoient dans votre garnifon , nous avons jugé
convenable de les rappeller dès - à- préfent . Ce que
nous vous requérons , Très Chers Amis & Confé
dérés , de faire Lavoir à tous ceux que cela peur, ·
concerner. Les Magiftrats arrêtés d'abord font en-
}
( 57 )
core retenus en prifon & même plus étroitement
refferrés ; nous fommes dès-lors forcés à vous
déclarer , T. C. A. & C. , d'une manière plus précile
encore que nous ne l'avons fait avec le Louable
Canton de Zurich par notre Lettre du 23 Avril der
nier , que filon ofair uſer de violence ou attenter à
leur vie , les auteurs & complices de cet attentat
ne trouveroient jamais d'afyle dans le pays de notre
domination , & qu'ils y feraient , au contraire , com ,
me par-tout ailleurs , faifis & livrés a la vengeance
publique. Pour d'autant mieux affarer l'exécution
des mesures que nous avons prifes , & que nous
pourrons prendre encore fuivant que les circonftances
l'exigeront , nous envoyons des Troupes fur
nos frontières , ce dont nous avons cru devoir vous
faire part . Redoublez , pendant qu'il en eft peut-être
encore temps , tous vos efforts , T. C. A. & C. ,
auprès de vos Concitoyens à qui no is vous requé
rons de faire favoir le contenu de notre Lettre par
la voie qui vous paroîtra la plus convenable , pour
détruire cette illufion dangereufe , qui leur cache
l'abyme où ils vont fe perdre & avec enx leur Patrie
jadis fi floriſſante. Faites leur connoître", " qu'il
n'y a qu'un prompt rétabliffement du Gouvernement !
légal , de l'ordre , de la fûreté & de la liberté publique
, qui puiffe encore fauver l'Etat , & lui faire
retrouver de fidèles Alliés , prêts à employer leurs
bons Offices en faveur d'une République , au bon
heur & à la profpérité de laquelle ils ont , dès fon
origine, pris l'intérêt le plus conftant « .
ITALI E.
De LIVOURNE , le's Mai.
ON apprend de Sicile que le vaiſſeau le
St-Joachim & la frégare la Sainte- Thérèfe
qui croifent dans ces mers , ont fait dit(
58 )
paroître les corfaires Barbarefques qui les
infeftoient.
Un grand objet paroît occuper actuellement
le Gouvernement de Venife ; c'eſt
Faugmentation des forces maritimes de la
République , deftinées à protéger le commerce
dans le cas qu'il pût être troublé
par des évènemens fubféquens. Depuis la
découverte du Nouveau Monde & les premiers
navigateurs qui ont reconnu & appris
à doubler le Cap de Bonne- Efpérance ,
les grandes nations ont attiré à elles le commerce
qui faifoit fleurir l'Italie ; mais il
femble que les ports & de Rade
Trien
gule font renaître l'émulation dans le
golfe Adriatique .
» Par ordre fuprême , écrit- on de Milan , il a été
accordé une prolongation de deux mois à tous les
Religieux & Religieufes de cet Etat qui , dans le
terme de trois , devoient quitter leurs Convens & fe
retirer dans d'autres , en conféquence des ordonnances
précédentes. Notre Archevêque a obtenu du Pape la
permiſſion de relever de leurs voeux tous les individus
des Couvens fupprimés qui voudront fe féculariſer «.
K
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 28 Mai.
DEPUIS les dépêches de l'Amiral Rodney
du 14 Avril , on en a reçu de nouvelles en
date du 20 , & une de Sir James Wallace
Capitaine du Warrior , en date du 22 ; elles
ont été apportées par l'Eurydice , Capitaine
Courtney , & elles ont été publiées dans
la Gazette de la Cour du 25 de ce mois.
>
( 59 ).
ל כ
Depuis mes dernières dépêches , dit M. Rodney,
l'efcadre du Roi s'étant miſe en marche pour reconnoître
la baye de la Baffe Terre dans l'Ile de Saint-
Chriftophe & celle de Saint- Euftache , où je fuppofois
que l'ennemi fe feroit retiré , elle tomba en
calme pendant trois jours fous l'Ifle de la Guadeloupe
. J'ai fait employet ce tems à réparer les vaiffeaux
qui étoient dans le plus grand délabrement,
Auffi-tôt que le vent a fraîchi , j'ai détaché en
avant plufieurs frégates pour les Inles de St -Chrif
tophe & St-Euftachie ; mais dans cette dernière , au
lieu de tous les navires que l'on y voyoit mouillés
autrefois , il n'y avoit que deux fchooners . On ne
découvrit à St. - Chriftophe que de petits vaiffeaux
armés . Convaincu par -là que l'efcadre Françoife
étoit tombée fous le vent , je détachai l'Amiral Hood
( la divifion formant l'arrière-garde le jour du combat
, ayant été moins maltraitée que les deux autres ) ,
avec l'ordre de faire le plus de voiles qu'il pourroit
& de porter à l'Ouest de St - Domingue , dans l'efpérance
qu'il pourroir tomber fur quelques- uns des
traîneurs de l'ennemi . Le refte de l'efcadre fuit
actuellement avec moi la même route , & nous nous
réunirons au Cap Tiberon «.
33 Le 18 de ce mois , écrit Sir James Wallace ,
le Chevalier Hood fe fépara de l'efcadre avec dix
vaiffeaux de ligne , une frégate & un brûlot . Le 19 ,
à 6 heures du matin , nous découvrîmes cinq voiles
dans le paffage de Mona ( 1 ) . A 6 heures & demie
l'Amiral fignala une chaffe générale. A 2 heures de
l'après-midi , plufieurs de nos vaiffeaux atteignirent
z vaiffeaux de ligne François & une frégate , qui
amenèrent pavillon , après avoir combattu . Nous
(1) Le paffage de Mona eft entre l'extrémité orientale de.
St -Domingue & Porto -Rico. -Le Chevalier Hood a pris
fa route au nord de St- Domingue pour fe réunir à l'Amiral
Rodney qui a pris celle du fud avec le refte de l'efcadre.
сб
( 60 )
avons poursuivi notre chale contre une autre frégate
, qui nous a chappé pendant la nuit , & c'eſt
ce q eu a fépar «.
Ces d . ux lettres ont confirmé ce que
l'on av it déja penfé , que l'efcadre Françoife
avoit pris le chemin de St- Domingue ;
quelques uns de nos papiers les regardent
comme donnant une apparence plus décifive
au combat du 12 ; mais en général c'eft
ce que ne voit pas également toute la Nation.
Ce qu'il y a de politif c'eft que les
François ont perdu 7 vaiffeaux , quant au
huitième cela ne paroît pas affuré ; Rodney
dit qu'il en a coulé bas un pendant l'action ;
mais il n'en favoit pas encore le nom; il
faut donc que l'on n'en ait fauvé perfonne
qui ait pu le lui dite , que le Comte de Graffe ,
les Officiers & les équipages des vaifleaux
pris , n'aient pu ou n'aient voulu lui donner
aucun éclairciffement , ce qui n'eft pas toutà
- fait vraifeinblable. Quoiqu'il en foit , cet
évènement paroît lui avoir rendu toute la
popularité qu'il avoit perdue. Les nouveaux
Miniftres qui l'avoient rappellé & qui envoyoient
l'Amiral Pigot pour le remplacer ,
fe font empreffés d'envoyer à ce dernier
un contre- or fre ; mais ce contre- ordre parti
trop tard n'eft arrivé à Plymouth , qu'après
le départ du vaiffeau qui porte cet Amiral.
Le Ministère ne pouvant plus empêcher le
remplacement , difent par- tout qu'ils deftinent
à Rodney un autre commandement
plus important ; ils ont été les premiers à
(464 )
faire une motion au Parlement pour des
remerciemens à l'Amiral au nom des deux
Chambres ; elle paffa chez les Communes
fans contradiction , mais avec des additions
fucceffives , d'abord , que de pareils remerciemens
étoient mérités par tous les Officiers
qui avcient fervi fous Rodney , &
enfuite par tous les équipages.
Ce fut l'Amiral Keppel qui fit cette motion
dans la Chambre haute , à la place du Comte
de Shelburne qui étoit indifpofé ; elle y patla
également. Une autre adrefle de félicitation
au Roi à l'occafion de cet heureux évènement
donna lieu à quelques débats , au fujet
dela flotte des Indes Occidentales ; on l'avoit
qualifiée de puiffante ; mais elle avoit été
équipée par l'ancienne Adminiftration , &
il ne falloit pas que fes ennemis convinffent
qu'ils avoient eu l'attention d'avoir une fois
une efcadre puiffante . Et le Lord Keppel fit
à cette occafion une obfervation qui mérite
d'être citée & qui vient à l'appui de cellés
que nous avons déja faites fur l'état où
malgré la victoire de Rodney nos affaires
fe trouvent encore dans les Indes Occidentales.
" Les François , dit -il , ont encore au moins 28
à 29 vailleaux de ligne aux Ifles , & les Espagnols
16 à 17 tous frais , les mêmes Puiffances peuvent
actuellement en faire paffer encore 30 , où ils recouvreront
au moment même de leur arrivée une fupériorité
qu'il n'eft pas en norre pouvoir de leur ôter.
Ils ont contre eux , il eft vrai , la faifon orageufe ;
mais s'ils veulent hafarder des vaiffeaux pour fe
( 62 )
rendre maîtres de la Jamaïque , comment pourronsnous
les en empêcher ? Quelqu'éclatante que foit donc
la victoire que nous célébrons , elle n'eft pas auffi décifive
qu'on nous la peint , & nos dangers font encore
imminens. Cette malheureuſe guerre de Hollande
employant une partie conſidérable de nos vaiſſeaux ,
dérange tous les plans poffibles d'opérations , &
nos ennemis peuvent faire à leur volonté tout ce
qu'il ne nous eft pas poffible de faire «.
Cette réflexion de l'Amiral Keppel eft
fans doute d'un grand poids ; auffi a- t- elle
été avidement faifie ; quelques perfonnes qui
ne tiennent pas à l'Adminiftration , mais
qui paroiffent bien voir , & qui ne font
pas retenues par les raifons de circonfpection
qui peuvent empêcher le premier Lord
de l'Amirauté , de dire tout ce qu'il penfe
& tout ce qu'il fait , n'hésitent point à dire
qu'ils ne feroient pas étonnés de voir l'enthoufiafme
aujourd'hui général s'affoiblir
bientôt , & fe changer en un mécontentement
qui pourroit avoir des fuites fort graves
pour l'Amiral Rodney.
>> On trouvera étrange , lit- on dans un de nos
papiers , qu'au milieu des acclamations du peuple ,
une voix s'éleve pour demander s'il ne s'abuſe point ?
ce fera bien pis , fi l'on ajoute encore cette question :
L'Amiral dont vous vantez le triomphe , a- t-il fait
fon devoir? le but du Comte de Graffe étoit de
faire paffer à St-Domingue un convoi confidérable
qui ne confiftoit pas en moins de 150 voiles , & qui
portoit 7 à 8000 hommes de troupes . Celui de
Rodney devoit être fans doute de l'en empêcher ;
les deux combats qu'il a donnés ou foutenus , &
dans l'un defquels il a eu la victoire , ont-ils changé
la deſtination de ce convoi , l'ont- ils arrêté , ont- ils
( 63 )
même fufpendu fa marche ? Il n'a donc pas fait tout
ce qu'il pouvoit & tout ce qu'il devoit pour cet objer .
Il lui étoit aifé de détacher 2 ou 3 de fes vaiffeaux
pour l'intercepter ; ce nombre étoit plus que fuffifant ,
puifqu'il n'étoit efcorté que par deux vaiffeaux de
so canons. S'il ne l'a pas fait , qu'en devons -nous
conclure ? c'est qu'il n'a rien voulu perdre de fa
fupériorité ; il n'auroit peut-être pas ofé rifquer un
combat avec les François , s'il n'avoit eu que 3 ou 4
vaiffeaux de plus qu'eux . Qu'en est- il réſulté ? il a
eu l'avantage dans l'action du 12 ; mais ſes vaiſſeaux
ont été très- maltraités , comme il en convient ; les
François l'ont été beaucoup moins , puifqu'ils ont
eu le tems d'aller à St-Domingue avant qu'il ait pu
fonger à s'y oppofer , ils y ont rejoint le convoi
qui les avoit devancés ; ils y ont trouvé les Espagnols,
& réunis à eux , ils font en état de ſe présenter à
forces au moins égales , de le chercher , & de porter
à la Jamaïque ou ailleurs l'armée de terre qui fe
trouve affemblée à St - Domingue ; le combat ne
fauve donc pas celles de nos poffeffions qui peuvent
être menacées ; il faut en rifquer un nouveau pour
les défendre ; le: forces de nos ennemis font toujours
formidables ; & la confervation de fon convoi , fon
arrivée à fa deftination , font qu'il n'y a rien de
dérangé dans leurs projets . Il falloit tout facrifier
pour le rendre maître de ce convoi ; c'étoit un
avantage bien au deffus de la victoire du 12 , par
fon importance & par fes fuites . Rodney paraît
avoir fenti lui-même qu'il a fait une grande faute.
Il s'eft bien gardé de dire un feul mot de ce convoi
dans fes dépêches ; mais il ne s'eft pas perfuadé que
perfonne n'y penferoit ; pour aller au devant des
reproches , il a eu foin de dire que les troupes Françoifes
, au nombre de 5500 hommes , étoient embarquées
à bord des vaiffeaux du Roi ; mais on
croira difficilement qu'elles y fuffent toutes ; les 150
tranfports qu'accompagnoit l'escadre Françoiſe ,
"
( 64 )
n'étoient pas uniquement chargés de munitions . D'ail
leurs toutes ces troupes n'étoient pas à bord des vaiffeaux
pris . Si l'on eft étonné de fon filence fur leconvoi ,
on n'a pas lieu de l'être moins fur celui qu'il garde en
parlant de fa victoire ; on s'attendoit à des détails ,
& il n'en donne aucun; il n'a pas , dit- on , permis au
Comte de Grafle d'écrire en France , par la frégate
qui a apporté fes dépêches . Ne feroit-il pas railonnable
de penfer qu'il a craint que la relation du vaincu
ne diminuât beaucoup le mérite du vainqueur. On a
des lettres particulières de fon armée , où il eft dit
que le combat du 12 ne s'eft engagé que parce que
le Comte de Grafle a voulu fauver le Zélé , prêt à
tomber entre 4 de nos vaiffeaux ; l'Amiral le voyant
occupé à les combattre , envoya fur le champ 4 autres
vaiffeaux , qui furent fuivis de 6 autres ; le
Comte de Graffe fe trouva entouré ; le calme qui
futvint empêcha l'armée Françoile de venir à fon
fecours ; ce brave Officier fe battit pendant 7 heures
avec 6 vailleaux contre 14. Sa prife eft , comme on
le voir , moins glorieufe pour le preneur. Si ce qu'ajoutent
, les mêmes lettres particulières eft vrai , que
penfera -t-on de Rodney; elles prétendent qu'il au
roit pu , s'il avoit voulu , recommencer le combat le
15 , que les François étoient préfens , & que malgré
leur
perte de la veille , ils faifoient une contenance
qui empêcha Rodney de le rifquer . Il faut qu'il eût
prodigieufement fouffert pour ne pas effayer d'achever
de ruiner l'efcadre ennemie , & de réparer la
faute qu'il avoit faite à l'égard du convoi. Après
ces réflexions , il paroît évident que l'Amiral qui
va recevoir les complimens de la Nation , les aura
mérités à bon marché , qu'après n'avoir pas fait tout
ce qu'il devoit dans cette circonftance , il pourra être
encouragé à ne pas faire mieux une autre fois ;
il faut s'attendre à voir livreffe actuelle ſe diſhper
bientôt ; & fi les maux que l'on prévoit, que l'on
a lieu de craindre, arrivent en effet , on ne feroit pas
( 65 )
étonné de voir un confeil de guerre s'affembler, pour
examiner à fon retour en Europe , la condune de
l'Amital que la Nation complimente aujourd'hui ; il
eft sûr que fans la prife du Comte de Graffe & de
quelques vaiffeaux , c'eft le fort qu'il eût infaillible
ment éprouvé après les combats du & du 12 .
و
9 Nos papiers ont fort exagéré les fuites
que pourra avoir la prife de Négapatam
& de Trinquemale ; les dépêchés de l'Amiral
Sir Edouard Hughes & de Sir Hector Monro,
relativement à ces deux conquêtes , font fort
étendues ; il paroît que nous les devons à
la défection des troupes Indiennes au fervice
de la Compagnie Hollandoife. On nous peint
Trinquemale comme une fortereffe des plus
importantes , comme le Gibraltar de l'Inde.
Cependant on fait que la principale place
de lifle , celle où le Gouvernement Hollandois
a fon fiége , eft la ville de Colombo ;
& nous n'en fommes pas encore les maîtres
; cette conquête ne peut pas être l'ouvrage
d'un coup de main ; lorfque nos papiers
nous difent que nous ferons aidés par
les habitans , & que le Roi de Ceylan a
promis à nos troupes de les feconder pour
les aider à en chaffer les Hollandois , ils
doivent obferver que le Roi réfide à Candy ,
que cette ville eft à plus de cent milles
de diftance de la côte , & qu'il n'eft pas
aifé de concevoir comment cette corref
pondance s'eft fi promptement établie entre
lui & nos troupes. Au refte , il eft à craindre
que les François ne nous laiffent pas le tems
de profiter de ces offres ; ils amènent avec
( 66 )
*
eux des troupes qu'ils peuvent débarquer
ailleurs que dans la baie , & pour les en empêcher
, il faut attaquer auparavant leur
efcadre , ce qui expofe encore cette conquête
récente au fort d'un combat , dont
l'iffue eft au moins douteuſe.
On affure que l'Amiral Kempenfeld qui
étoit rentré à Torbay , en a remis à la voile
le 24 pour reprendre fa croifière ; le lendemain
25 cette efcadre fut fignalée de
Plymouth defcendant le canal.
Les inquiétudes que nous caufe la jonction des
efcadres de France & d'Efpagne , ont décidé , dit on ,
le départ de cet Amiral. Il a erdre , à ce qu'on prétend
, d'empêcher , le plus long-tems qu'il lui fera
poffible , M. de la Motte- Piquet de joindre les
Efpagnols ; mais on voit que cela fera difficile ,
parce qu'il a 15 vaiffeaux , & par conféquent plus
que n'en a Kempenfeld. D'ailleurs , ce font les Efpagnols
qui viendront à Breft , & ils viendront en
forces ; auffi notre Amiral quittera-t - il les côtes de
France auffi-tôt qu'ils paroîtront , & qu'il verra
qu'il n'eft pas le plus fort. Alors l'Amiral Howe le
joindra , & on le flatte avec une trentaine de vaiffeaux
de ligne , de défendre l'entrée de la Manche ,
où l'on craint toujours une vifite. - En attendant ,
l'Amiral Howe eft occupé à bloquer le Texel ; on
lui prête même d'autres projets . On dit qu'il a écrit
à l'Amirauté qu'arrivé le 16 devant le Texel , il a
trouvé la flotte Hollandoife fi bien poſtée , que d'abord
il lui a paru dangereux de tenter même de la
détruire. Cependant après deux ou trois jours
d'obfervations il a pris le parti d'expédier
un exprès , par lequel il inftruit l'Amirauté de
l'état & de la force des fortifications extérieures ;
de la poſition forte & reculée dans laquelle l'ennemi
•
( 67 )
: eft emboffé & il finit par obferver qu'avant de
L'attaquer , il faut faire taire le feu des forts ; qu'il
attend des ordres , & que dans le cas où l'on jugeroit
l'attaque favorable , il demande trois brûlots
de plus , & le plus léger des vaiffeaux de ligne qu'on
pourra trouver dans les ports de la Grande - Bretagne.
On ignore la réponfe du Gouvernement ; mais on
affure que les brûlots & le vaiffeau viennent de lui
être expédiés .
Il paroît que l'affaire de l'Irlande va être
bientôt terminée , & toute entière à la fatisfaction
de ce Royaume. Le Comte de
Shelburne & M. Fox , firent le 17 de ce
mois les motions relatives à ce grand objet ,
l'un dans la Chambre haute , & l'autre dans
la baffe. Elles tendoient à arrêter qu'il convient
de révoquer l'acte de George I , qui
déclare le droit du Parlement Britannique
de faire des loix obligatoires pour l'Irlande ;
qu'il eft indifpenfablement néceffaire pour
le bien être des deux Royaumes qu'il foit
confenti de part & d'autre à former un
plan pour fixer les droits de chacun fur
une bafe ftable & permanente ; qu'il foit
en conféquence préfenté une humble adreffe
au Roi pour le prier de prendre des mefures
qui tendent à la fatisfaction de fon
peuple d'Irlande. Ces propofitions paflèrent
à l'unanimité dans la Chambre des Communes
; elles éprouvèrent quelque oppofition
dans celle des Pairs ; mais cependant
elles finirent par y paffer fans aller aux
voix.
Quelques prifonniers faits par les Fran(
68 )
çois à bord d'un paquebot des Indes qu'ils
ont enlevé , ont rapporté de ces contrées
un fait qui eft bien tingulier , & qui prouve
à quel point nous y fommes odieux .
8
M. Haftings , Gouveineur - Général de tous nos
Etabliffemens dans l'Inde , ( un de ceux fur lefquels
la Chambre des Communes exerce aujourd'hui fa
cenfure , avoit eu une rencontre funefte , dont il
n'avoit fauvé qu'à peine fa vie , & qui prouve , com
bien notre autorité dans ces Contrées eft précaire.
Voici comme ils racontent le fait : » Chiet - Ling
Raja de Benares , ayani contracté de gros arrérages
envers la Compagnie & refulant de les acquitter ,
le Gouverneur- Général , accompagné d'un autre Off
cier & d'une efconte convenable , le rendit à la Réfidence
du Raja , fituée fort avant dans le pays , pour
apurer
les
comptes, avec lui. Le Raja perfiftant dans
fon efus , M. Haftings le mit aux arrêts & les
biens en faifie . La nuit fuivante, la garde de Ci
payes , poftée felon la couceme à la porte de M.
Haftings , fur toute égorgée ; & plufieurs perfonnes
de la fuite , qui forti ent le lendemain fans favoir
ce qui s'étoit palé la nuit , & fans , foupçonner aucun
danger , firent arrêtées , liées des à dos , &
jettées dans le Gange . Le Gouverneur & l'Officier
qui l'accompagnoit , informés de ces violences , &
penfant à leur propre fûteté , ordonnèrent à tous
leurs Domestiques , & à ce qui reftoit de leur fuite ,
de partir avec leurs bagages ; mais feuls ils prirent
fecrettement une route différente pour le fauver.
Par cette précaution , ils échappèrent heureuſement
au danger , qui les menaçoit ; mais leurs malheureux
Domeftiques & ceux de leur eſcorte , qui
avoient furvécu au carnage de la nuit , furent la victime
du ftratagême. Les gens du Raja les pourfuivirent
; & les ayant atteints , parce que les bagages
ne pouvoient pas marcher avec allez de vitelle , ils
( 69 )
en maffacrèrent cent quatre-vingte. L'on craint ,
avec railon , que fi les Officiers de la Compagnie
ve.len: tirer raifon de cette violence fanguinaire , il
n'en réfuire les fires les plus préjudiciables , à une
époque , où le nom Anglois et l'objet d'une haine
universelle dans Inde , tant parmi les Européens
que parmi les Naturels du pays
Parmi les calculs d'arithmétique politi
que qui ont paru depuis quelque tems , en
voici un qui a paru dans quelques- uns de
nos papiers , & qui peut piquer la curiofité
dans les circonstancès préfentes . On s'y eft
propofé d'examiner l'influence de la guerre
fur la population.
On doit convenir qu'une guerre fongue , étendue
& fanglante , contribue en quelque degré à dépeupler
un pays ; mais on peut démontier clairement qu'elle
n'eft pas aufli nuifible à la population qu'on imagine.
ordinairement. Rien , certainement , n'ind it ples en
erreur que les calculs politiques . Nous ne déciderons
point fi les gens qui fe livrent à cette fcience ont été
trompés eux-mêmes , ou s'ils ont en deffein de
tromper les autres , c'est- à- dire , s'ils ont éré des
fourbes ou des fots ; mais nous avons fouvent eu te
bonheur de voir ce pays échapper aux calamités les
plus affreufes dont il étoit cependant menacé par dés.
calculs auffi certains qu'il l'eft que & 2 font 4 ,
fans que les prophêtes & nous en fuffious la caufe.
On trouvera qu'il y a de la dureré à appeller fourbe
un homme , par la feule raifon qu'il s'eft' trompé
dans fes calculs ; mais celui qui , ne connoiffant pas
parfaitement la bafe for Taquelle il établir for hypothefe
, & ne fe propofant aucun bien en la rendant
publique , cherche à porter du poir dans l'efprit de
fes compatriotes , ne mérite pas aſſurément une
meilleure épithète. Lorfque Swift , après avoir
joué un rôle fabalterne , fé retira en Irlande par con70
J
defcendance pour les Miniftres qui voulurent détruire
les libertés de ce pays à la fin du règne d'Anne , en
empêchant la famille actuellement régnante de monter
fur le trône , & en rétabliffant celle des Stuards , il
s'efforça de troubler le Gouvernement qu'il n'avoit
pu renverfer. Animé par cette ambition , il prouve ,
dans un de fes ouvrages , par les calculs les plus
étudiés , que l'argent qui circuloit en Irlande étoit fi
fort diminué , & que la balance du commerce étoit
fi défavantageufe à ce Royaume , que le numéraire
y feroit épuifé en peu d'années. Swift vécut longtems
au-delà de l'époque à laquelle il avoit prouvé
que l'Irlande fe trouveroit fans argent , & on n'avoit
cependant point remarqué de différence frappante
dans la quantité du numéraire de ce pays. Un vrai
Politique rougit-il jamais ? - Swift ne faifoit qu'accidentellement
le métier de calculateur politique.
Mais nous avons vu de nos jours un homme de
mérite acquérir beaucoup de réputation dans cette
carrière , & fe concilier l'attachement & la bienveillance
de fes compatriotes , en prouvant d'abord
que les habitans de l'Irlande étoient totalement
ruinés , & en fecond lieu , que dans très - peu de tems
il ne refteroit dans cette ifle aucun individu à ruiner.
Tout le monde doit le fouvenir avec quelle effervefcence
ces triftes préfages furent adoptés par une
grande partie de la Nation. Il y a certainement
beaucoup de vérité dans la remarque publique ,
qu'un Anglois n'est jamais plus content que lorf
qu'on lui dit qu'il eft ruiné. Il faut convenir que
notre prophète étoit très-fondé dans plufieurs de fes
prédictions ; car , peu fatisfait d'annoncer la ruine'
entière qui menaçoit toute la Nation , ( fi notre
mémoire n'eft pas fautive , il accorda cependant
qu'il y avoit quelque chance de nous fauver de la
ruine , pourvu qu'on confiât à lui & à fes partifans
la direction des affaires ) il eut encore la bonté
d'avertir plufieurs fociétés privées de leur ruine pro(
75)
-
chaine ; il fe trompa rarement à cet égard , parce
que plufieurs de ces fociétés prirent directement les
moyens de fe ruiner , en voulant prévenir leur fort
futur , au lieu que fi elles euffent attendu l'évènement
, elles auroient pu reconnoître que quelque
circonftance très-légère , échappée à l'attention du ,
favant calculateur , auroit peut - être détourné le
malheur qu'il avoit prouvé être inévitable . Pour
donner une idée plus claire de la foi qu'on doit
ajouter à l'arithmétique politique , nous préfente-..
rons un calcul de la perte que la guerre d'Amérique
a fait éprouver à la population de ce pays-ci , & ,
après avoir fuivi les erremens du favant calculateur
mentionné ci- deffus , nous en examinerons le réſultat.
Suppofons que so, 000 hommes ayent péri dans cette
guerre ( Un patriote s'écriera peut- être que c'eft
apprécier fort au-deffous de la perte réelle le nombre
d'hommes que ce pays a perdus , mais il fe con
vaincra avec un peu de patience , que nous n'avons
eu aucun intérêt à le faire ) . Cette perte fera nonfeulement
celle des hommesjeux- mêmes , mais auſſi
celle de la postérité qu'on devoit en attendre. Pour
ne point exagérer la fupputation de cette perte , nous
ne compterons que deux enfans par homme. En
fuppofant que ces enfans ayent engendré au bout de
25 ans , la perte
fera telle qu'il fuit. En 25 ans elle
fe montera à 200,000 ; en 50 ans à 400,000 ; en 75
ans à 800,000 ; en 100 ans à 1,600,000 ; en 125 ans
à 3,200,000 , & en 150 ans à 6,400,000 , nombre
qui , fi nous ne nous trompons , excède , fuivant
l'eftimation du favant calculateur , le nombre entier
des habitans de cette ifle. - Rien ne fauroit être plus
jufte que ce calcul qui prouve que la guerre actuelle
aura été , dans l'efpace de 150 ans , la caufe de la
perte de plus de 6 millions d'habitans pour ce pays.
Mais avant de nous affliger d'un tel malheur , examinons
un peu le fait , car ces fortes de preuves ne
méritent pas toujours une créance implicite.
( 72 )
En admettant que la guerre d'Amérique nous
ait fait perdre 50,000 hommes , il nous refte au
moins 3 millions d'habitans dont la vie n'a été ni
ne fera détruite par cette guerre . Quoique donc il
foit clair , d'après le calcul ci- deffus , que la guerre
d'Amérique aura fait perdre à ce pays , dans l'espace
d'un fiécle & demi , plus de 6 millions d'habitans ;
il est également certain , en évaluant les defcendans
de ceux qui restent , de la même manière que nous
avons évalué celle qu'on devoit attendre de ceux
qui ont péri , qu'il y aura , à cette époque , plus de
320 millions d'ames dans la Grande- Bretagne . S'il y
a de la vérité en arithmétique , ces calculs font
vrais. Il n'importe aucunement que nous foyons
fondés à évaluer à 50,000 les hommes perdus par
la guerre d'Amérique , & ceux qui restent actuellement
à 3,000,000 ; en prenant tout nombre donné
pour le nombre de ceux qui ont été perdus , la
perte , en très -peu de temps , paroîtra énorme , &
en prenant de même tout nombre donné pour le
nombre de ceux qui reftent , on verroit que leur
poftérité fourniroit , avant une longue révolution
d'années , une fomme fi prodigieufe d'habitans , que
toute la furface de la terre ne pourroit les contenir
, en fuppofant même qu'ils fuffent tous ferrés
les uns contre les autres. Cette erreur a plufieurs
fources. Premièrement , à nous entendre parler des
hommes qui font morts au fervice de leur patrie
pendant la guerre , il fembleroit qu'ils euffent été
immortels , s'ils le fuffent trouvés dans toute autre
pofition , tandis que dans les guerres les plus longues
& les plus cruelles , le nombre de ceux qui
font exposés aux dangers de la guerre n'excède pas
autant qu'on l'imagine d'ordinaire , le nombre de
ceux qui feroient morts fur le même nombre donné
de perfonnes , & dans le même espace de temps ,
s'ils fe fuflent trouvés dans toute autre pofition .
Le nombre de ceux qui périffent par les armes eft
très(
73 ) ;
très -peu confidérable , & avant de faire une évaluation
exacte de la perte qu'occafionne la guerre ,
il faut même déduire fur ce nombre ceux que la
maladie auroit enlevés dans toute autre pofition :
il en périt beaucoup plus par des maladies & plufieurs
d'entre eux par des maladies réfultantes de
leur pofition , & fi nous déduifons encore für ce
nombre ceux qui feroient morts dans le même
efpace de temps , s'il n'y eût point eu de guerre ,
nous reconnoîtrons que la guerre n'eft pas fi nuifible
à la population qu'on le penfe. Quant à la
perte de poftérité , l'accroiffement de population à
cet égard dépend abfolument de circonftances particulières.
Il est évident qu'il ne fauroit être tel
qu'il le femble , d'après les calculs ; car fi cela étoit ,
ce monde auroit été , depuis plufieurs fiècles , beaucoup
trop petit pour les habitans. Les mariages qui
ont toujours été , & qui feront toujours d'inftitution
parmi les deſcendans d'Adam , fruftreront entièrement
les calculs de ceux qui voudront évaluer
la poſtérité d'un nombre donné de perfonnes , &
les Calculateurs en politique ne font pas toujours
attention qu'il faut être deux pour former un troifième.
Ce feroit une tâche affez divertiffante , que
de faire voir l'illufion & le ridicule de l'arithmétique
politique , fi l'on ne craignoit d'être accufé
de vouloir entamer la réputation bien acquife de
ces favans Scrutateurs qui ont afpiré aux fuffrages
de leurs Compatriotes en leur infpirant une terreur
panique. Ce fameux Athénien qui , après un combat
dans lequel fes Compatriotes avoient été défaits ,
fe hâta de venir leur annoncer qu'ils avoient remporté
une pleine victoire , & qui lorsqu'on fçut la
vérité , ayant été accufé d'impofture , leur dit :
Suis-je votre ennemi , parce que je vous ai procuré
deux jours heureux ; cet Athénien , dis -je ,
avoit un excellent naturel . S'il faut que les affaires
de la Nation foient déguifées , que celui qui ment ,
8 Juin 1782.
--
d
( 74 )
égaye donc fes Concitoyens plutôt que de les attri
ter, Nous lui confeillons d'en agir ainsi , par rapport
méme à la conféquence dans les deux cas ,
parce que des efpérances illufoires ont fouvent
excité le courage d'une Nation , & lui ont fait exé.
cuter de grandes chofes , tandis que des craintes
vaines ont plufieurs fois produit des malheurs qui
ne -fullent jamais arrivés fans le découragement
caufé par ces craintes .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Juin.
LE 20 du mois dernier le Roi a nommé à
l'Abbaye de la Vernuce , Ordre de Saint-
Auguflin,Diocèle de Bourges , l'Abbé Gréellet
Detprades , Vicaire- Général de Die ; & à
celle d'Angle , même Ordre , Diocèle de
Poitiers , l'Abbé Gabon , Chapelain de Monfeigneur
le Comte d'Artois fur la nomination
& préfentation de ce Frince en vertu
de fon Apanage.
Le même jour LL. MM, & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Grais , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près le Landgrave de Heffe- Caffel ,
avec Demoifelle de Willeke , fille du Baron
Willeke , Chambellan de l'Electeur de Saxe.
Le Duc de Chofeul ayant obteau pour
fon neveu , le Comte de Stainville , fils du
Marquis de Choifeul - la - Baume , l'affurance
de fon Duché Pairie , & ce dernier en ayant
en même-rems obtenu les honneurs , ils ont
eu tous deux celui de faire leurs remerciemens
au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
( 75 )
•
Le 28 la Comteffe Gui de Lévis & la
Comtelle de Roftain' , eurent l'honneur d'être
préfentées à L. M. & à la Famille Royale ,
la première par la Comtelle de Mirepoix ,
& la feconde par. la Comteffe de Châlons.
M. Gin , Confeiller au Grand Confeil ,
eur , le 12 du mois dernier , l'honneur de
préfenter à Monfieur , un Ouvrage de fa
compofition , dont ce Prince avoit accepté la
dédicace , & qui a pour titre : Analyfe raifonnée
du Droit François , par la comparaison
des difpofitions des Loix Romaines & de celles
de la Coutume de Paris , fuivant l'ordre des
Loix Civiles de Domat , avec un texte de la
Coutume de Paris , dans lequel les articlesfont
rétablis dans l'ordre que les réformateurs leur
ont donné ( 1 ).
De PARIS, le 4 Juin.
ON atten foir avec impatience des nouvelles
directes des Iles , pour éclaircir la relation
publiée en Angleterre des deux combats
du 19 & du 12 Avril. L'Ariral Rodney
parle très - vaguement de Pun & de l'autre ;
il s'eft contenté d'annoncer fon avantage , &
il n'eft entré dans aucun détail , de crainte ,
(1 ) Cet Ouvrage important avoit été projet é pir feu M.
Doulcet, ancien Avocat au Parlement , & a été exécu é fur
Pefquiffe que ce célèbre Jurifconfulte en a tracé . Il manquoit
encore ; il n'y en a point de plus propre à por er la lumière
dans le labyrinthe de nos Coutumes , à dépouiller l'étude du
Droit François de l'aridité qu'on lui reproche ; M Gin , à
qui l'on le doit , a des droits à toute notre reconno flance. Il
forme un vol. in-4 ° . & fe trouve à Paris chez Serviere ,
Libraire , tue St-Jean -de- Beauvais .
d 2
( 76 )
fans doute , de l'affoiblir. Dans la liſte qu'il a
envoyée à fa Cour , de nos vaiffeaux , il
comprend le St- Efprit, le Sagitaire , l'Expériment,
le Minotaure & le Fier, dans l'intention
vraisemblablement d'augmenter nos forces ,
& de nous fuppofer une fupériorité qui
eût donné plus d'éclat à ce qu'il appelle
fon triomphe. Il eft de fait que le St-Ef
prit étoit refté à Fort Royal , où on le ra
douboit , & qu'il n'eft point forti avec l'eſcadre.
Le Sagitaire & l'Expériment ,
rous
deux de so canons , accompagnoient le
convoi , & ne fe font trouvés à aucune
des deux actions. Le Minotaure & le Fierfont
revenus en Europe à la fin de 1781 , & l'un
eft à Rochefort & l'autre à Breft. Le Caton &
le Jafon , après la 1ere, action , avoient été envoyés
à la Guadeloupe , pour réparer quelques
avaries. Le Zélé , dont la confervation a
donné lieu au fecond combat, y fut remorqué
ayant qu'il commençât ; ce qui fait au moins 8
vaiffeaux , qui sûrement ne prirent aucune
part à cette action , dans laquelle fa fupériorité
bien décidée , ne détermina cependant
pas Rodney à la diminuer de deux
feuls vaiffeaux qui lui auroient fuffi
pour courir après le convoi. Si , felon les
lettres particulières , écrites de fon armée
même , il étoit encore le maître le 13 de
recommencer le combat , & que la bonne
contenance des François l'en ait empêt hé ,
il faut qu'il ait effuyé un défordre épouvantable
j & que Tarmée Françoiſe ait
( 77 )
beaucoup moins fouffert. Cela eft confirmé
par des paquets de Breft , qui arrivèrent à
Verfailles le 29 du mois dernier fur le
foir & fort tard , d'après lefquels on apprit
au coucher , que l'armée du Roi étoit
arrivée à St- Domingue , au nombre de 25
vaiffeaux de ligne , fous les ordres de M.
le Marquis de Vaudreuil ; elle y a trouvé
le Sagitaire & l'Expériment , qui l'avoient
précédée avec le convoi , & 15 vaiffeaux
Efpagnols qui y étoient mouillés depuis le
8 Avril , ce qui porte nos forces navales
à 42 dans ces parages. Il faut que notre
armée n'ait pas été trop maltraitée , pour
avoit fait le trajet en fi peu de jours , &
que Rodney n'ait pas été en état de la
fuivre . Cela confirme ce que nous avons
dit du peu de tems dans lequel elle pourra
être réparée , de l'efpérance que l'on doit
avoir de voir exécuter encore le plan de
campagne arrêté , que dans tous les cas ,
l'avantage de Rodney fe réduit à celui de
la journée , que les deux Puiffances font au
même état où elles étoient avant le combat
, & que la perfpective que nous avions
peut être reculée , mais n'eft point changée.
1
On ne fait pas quel peut être le vaiffeau
que Rodney dit avoir coulé bas dans l'action ;
il est bien étonnant qu'il n'ait pas pu le
nommer le 14 , que les François qu'il avoit
à bord ne lui aient donné aucun renfeignement
; & on a eu raifon de préfumer qu'il
s'étoit trompé , quant au Céfar qui , s'il en
d 3
? 78 ')
faut croire le Lord Cranston & le Capitaine
Byron , a fauté quelque tems après
qu'il a été dans la poffeffion des Anglois , il ne
devoit plus y refter d'Officiers François ,
puifqu'il étoit amariné , & qu'on fait qu'au
moment où l'on amarine un vaiffeau , la
première chofe qu'on fait eft d'en retirer
le Capitaine & fes principaux Officiers.
On ne peut favoir d'ailleurs qui le commandoit
alors , parce qu'il y a eu bien
des changemens dans le commandement
des vailleaux de notre flotte , depuis le
départ de MM . de Barras & de Monteil.
,
Nous ne répéterons pas ici les bruis
vagues & contradictoires qui fe font répandus
auffi-tôt après l'arrivée des dépêches
de St - Domingue ; c'eft M. le Vicomte de
Morteinar Commandant la frégate le
Richemont , pife de M. de Barras dans la
Chéfapeak , qui les a apportées , il a eu
une traversée fort heureufe ; mais fa fanté
ne lui ayant pas permis , lorfqu'il eft defcendu
à Breft , de prendre la pofte fur-lechamp
, il a envoyé un Courier , & il n'étoit
attendu que le 2 ou le 3 de ce mois .
Il faut attendre la publication des lettres
de M. de Vaudreuil , pour avoir des détails
pofitifs..
3.
Quelle que foit la perte que nous ayons
effuyée en vaiffeaux , elle ne peut qu'être
bientôt réparée ; le zèle de la Nation s'empreffera
de faire les plus grands efforts
& Monfieur & Mgr le Comte d'Artois
( 79 )
t
viennent de lui donner un grand exemple
de patriotifme qui fera imité. Ils ont fait
hommage au Roi d'un vaiffeau de 110 canons
, qu ils font conftruire ; M. le Prince
de Condé en a offert un pareil de la part
des Eras de Bourgogne ; & on apprend
que la Ville de Paris , les fix Corps , vont
également offrir à S. M. d'autres vaiffeaux
de femblable force . On apprend aufli que
des citoyens zèlés demandent la permiffion
d'ouvrir une foufeription pour le même
objet , & fi le Roi daigne l'agréer , il n'eſt
pas douteux qu'elle ne foit promptement
remplie , & qu'elle n'aille fort au- delà
des befoins , par l'empreffement avec lequel
on fe met fur les rangs pour y contribuer.
» Le 19 Avril dernier , lit - on dans un lettre de
Cette, un exprès eft arrivé ici , à 3 heures du matin ,
avec ordre pour le Commandant de la place de faire
partir de faite le déra hement du corps Royal d'artillerie
, qui étoit ici depuis quelque tems . A huit
heures du matin ce détachement étoit déja en routeavec
armes & bagages pour aller coucher à Montpellier
, & fe rendre de-là à Toulon , où eft fon
corps . On a dit que les ordres font de s'y embarquer
pour Gibraltar . On continue de fréter des
bâtimens pour le compre du Roi , & aujourd'hui
( 15 Mai ) plufieurs font déja en charge .
__
On affure que M. de Falkenhayn a mis le
25 Mai à la voile de Mahon avec fa divifion .
M. le Duc de Bourbon a demandé au
Roi la permiffion d'aller fervir comme volontaire
au fiége de Gibraltar ; S. M. y a
confenti ; & ce Prince n'attend plus à préd
4
( 80 )
fent pour faire les apprêts de fon voyage
que l'agrément du Roi d'Eſpagne .
Nous n'avons point de nouvelles de nos
ports , tout ce qu'on fait , c'eft que tous
les vaiffeaux que nous avions à Breft font
en état de fortir , & que les travaux nécellaires
à ceux de M. d'Albert de St -Hipolyte
, qui y a amené le convoi de St Domingue
, fe font avec une activité qui les
mettra en état de fuivre inceffamment les
autres en rade ; ceux que nous avons à Rochefort
& à l'Orient étoient attendus à Breft.
» Le commandement du vaiffeau le Suffifant
de 74 , écrit - on de Toulon , vient d'être donné à
M. de Caftelet , Capitaine de vaiffeau de ce dépar
rement. Il nous arrive journellement de différens
ports de ce département & du Languedoc , des matelots
& volontaires navigateurs pour former l'équi
page de ce vailleau & celui du Dictateur , que M.
de la Clue doit commander . Ces hommes font dépofés
fur le vaiffeau Amiral , dans lequel on a établi
une cavende pour leur fubfiftance , en attendant que
les vaiffeaux pour lefquels ils font deftinés entrent
en armement. Le vaiffeau Impérial qui doit fe
rendre à Marseille pour y achever fa cargaiſon , a
mis à la voile le 12 Mai , ainfi que la corvette
le Tigre , commandée par M. le Chevalier de Pujet-
Bras , Lieutenant de vaiffeau . Cette corvette a ,
on , des ordres de fe rendre à Cette pour y prendre
fous fon efcorte quelques bâtimens chargés de canons
pour completter Parmement du Suffifant &
du Dictateur « .
dit-
On a beaucoup parlé du projet d'établir
des communications & une correfpondance
réglée entre deux lieux même très-diftans ;
( 81 )
un Phyficien a adreffé à cette occafion la
lettre fuivante au Journal de Paris ; il employe
pour cet effet l'électricité ; mais il ne
regarde en effet ce moyen que comme un
jeu phyſique ; & on ſentira aiſément la difficulté
de l'employer à de grandes diſtances ,
mais il peut piquer la curiofité.
" Suppofons , dit-il , deux fils de fer doré allant
d'un de ces lieux à l'autre fous terre dans des tuyaux
de bois garnis de réfine , & chacun de ces fils ayant
des boules à leurs extrémités ; que dans un de ces
deux endroits on place entre les deux fils une de
ces lettres formées de petires lames métalliques féparées
qu'on emploie dans les jeux électriques ;
fi , de l'autre lieu , on décharge une bouteille de
Leyde , au moyen des deux boules où terminent
les fils , la lettre placée à leur extrémité oppofée
paroîtra dans l'inftant même . Ainfi avec 24 appareils
femblables , on pourra écrire aflez promptement
tout ce qu'on voudra , il fuffira d'avoir un
nombre fuffifant de bouteilles chargées . Comme il ..
n'eft pas néceffaire de voir la lettre bien formée
mais de favoir feulement celle qu'on veut indiquer ,
une obfcurité abfolue devient moins néceffaire , &
on peut fe contenter de bouteilles de Leyde plus
foibles , ce qui donneroit une grande facilité ; on
peut même fupprimer des lettres & le contenter.
d'un appareil commun aux 24 fyftêmes de fils
qui rende le paffage de l'électricité fenfible. Oa
fimplifieroit ce moyen & on le réduiroit a cinq
appareils en attachant un caractère à chacune de
leurs combinaifons , un à un , deux à deux , trois
à trois , & c. , ce qui feroit tre te un caractères ;
fix appareils en donneroient foixante-troi & ainfi
Pon pourroit employer une écriture tachygraphique
; mais il y auroit quelque diffic té pratine
à décharger à la fois plufieurs bouteilles , & cela
ds
.
( 82 )
produiroit de la lenteur . On pourroit le fervir égale
ment des combinaiſons fucceffives de ces appareils ,
deux à deux , trois à trois ; par ce dernier moyen ,
avec cinq appareils on auroit 125 caractères , 216
avec fix appareils , & on pourroit écrire très- vête.
Il est très - poffible que les tuyaux de bois foient
fuperflus en général , cependant comme fans cette
précaution , des accidens imprévus pourroient dé
ranger l'effet & empêcher de s'entendre , il feroit
à propos de les employer , fur- tout fi on fe fert
de combinaifons pour diminuer le nombre des
appareils les quiproquo fercient alors à craindre.
On pourroit employer auffi l'éle &r cité fimple , &
elle donneroit, un appareil de moitié moins compliqué
& plus de facilité , mais comme la furface
du fil , quoiqu'on puiffe le prendre fort petit , devient
confiderable , fi la diftance eft grande , ce
moyen exigeroit peut-être des machines électriques
confidérables. Quel que foit ce ui des deux moyens
qu'on emploie , avec quelques grands électro , hores ,
on remplira l'objet propofé fans beaucoup de peine.
Il faut ajouter un appareil pour que chacun des
correfpondans puiffe avertir qu'il va écrire ; fans
cela il faudroit non - feulement veiller fans ceffe
mais doubler l'appareil : autrement , fi tous les deux
vouloient écrire à la fois , ils ne s'entendroient pius.
Un appareil de fonnettes électriques remplira cet
objet , & en convenant d'un feul coup pour avertir
qu'on ne répéteroit qu'un quart- d'heure après , &
de deux coups confécutifs pour annoncer qu'on a
entendu , on évitera facilement les mal entendus.
Comme cet article n'eft deftiné qu'à ceux qui s'amufent
des récréations phyfiques , ils fuppléeront
facilement aux détails que j'ai omis.
L'objet de la lettre fuivante qui nous a
été adreffée de Bordeaux , ne nous permet
( 83 ).
pas de refufer de lui donner place ici ; elle
s'adreffe principalement aux ames bienfaifantes
, & elles nous fauront gré de leur indiquer
un fujet en faveur duquel elles
peuvent exercer leurs vertus .
M. je voyois avec attendriffement , par la lecture
affidue de votre Journal , des actes d'humanité fe
multiplier chaque jour , fous les aufpices d'un Monarque
, dont la justice & la bienfaifance forment
l'augufte caractère ; mais l'exemple de ce Citoyen
généreux qui a déja facrifié ou , pour mieux dire ,
fi avantageufement placé 48,000 livres de fa fortune
pour le foulagement de fes femblables , de ce
Citoyen qu'on ne peut méconnoître , & qui , fi je ne
me trompe , excite les regrets de tout un peuple
reconnoiffant ; cet exemple vient de me donner des
efpérances que je n'aurois d'ailleurs jamais ofé conce
voir. Puiffe la démarche qu'il m'infpire , contribuer
, s'il eft poflible , à calmer les cruelles inquiétudes
d'un père de famille , à qui fa fortune , toute
médiocre qu'elle elt , fuffiroit fans doute , parce
qu'il n'a que des befoins à fatisfaire , fi une infirmité
confidérable pouvoit lui permettre de fe procurer
des refources , fe rendant , comme autrefois , utile
à fes concitoyens. Un prêt généreux , du tiers de
la fomme de 12,000 livres , deftinée en dernier lieu
à la confervation d'une claſſe d'hommes précieuſe ,
fuffiroit pour le dédommager de l'infiffifance d'un
revenu , occafionné le malheur du temps , le
mettre à portée de payer le refte de fes impofitions ,
& de contenter d'honnêtes créanciers , qu'il gémit
de ne pouvoir fatisfaire . Je m'intéreſſe d'autant plus
volontiers pour lui , en vous priant , Monfieur ,
de vouloir bien inférer cette lettre dans votre
Journal , que ce Chef de famille a fouvent donné
par
d6
( 84 )
des preuves du plaifir qu'il avoit à fecourir les malheureux
, en proportion de fes facultés ; fi , par un
moyen , qu'il efpère obtenir de votre généreufe
équité , il étoit affez heureux pour mériter les bienfaits
de quelque citoyen vertueux & fenfible , il fe
feroit un devoir de prouver à la perfonne , qu'on
auroit la bonté de lui indiquer ici par la même
voie , la vérité de ce que j'ai pris la liberté d'affirmer
en fa faveur.
Les actes de bienfaiſance n'ont peut- être
jamais été plus multipliés que dans ce fiècle
; la Nation accufée de légèreré par les
étrangers ; faifit cependant avec chaleur tout
ce qui lui eft offert de bon & d'utile , &
fa conftance fe montre fur - tour dans ce qui
touche l'honnête fenfibilité. On en a vu
des preuves dans les traits particuliers que
nous avons eu à citer , dans les Prix fondés
en faveur des actions vertueufes , & des recherches
utiles à l'humanité , telles que le
moyen de prévenir les maladies attachées
à certaines profeffions . Quelqu'un demandoit
ces jours derniers , dans un cercle ,
avec un peu de légèreté fans doute , & il
eft à préfumer qu'il n'y mettoit que cela ,
d'où venoit cette épidémie d'humanité &
de bienfaifance ? toutes les voix fe réunirent
pour lui répondre en deux mots , de
l'exemple & de Verfailles.
Marie Jeanne Caron , femme de Charles
Ancellin , Berger au hameau de Snil , près
de Mondidier en Picardie , eft accouchée
le 14 Mai dernier de trois garçons qui ont
( 85 )
tous reçu le Baptême : le premier eft mort
le 17 du même mois ; les deux derniers fe
portent très-bien & font nouris par leur
mère.
Nous recevons fréquemment des remèdes
contre la rage ; nous nous fommes empreffés
de les publier ; on ne fauroit trop multiplier
les fecours contre cette maladie
cruelle , nous nous bornons à indiquer des
recettes qu'on nous dit éprouvées ; c'eft aux
Médecins à les juger ; mais dans les circonftances
fâcheufes où des hommes ent
ont befoin , où les confeils des gens de l'ait
manquent , où l'ufage des fecours eft preflé,
ces recettes peuvent être utiles ; & quand
elles ne réuffiroient qu'une fois , c'eſt toujours
une victime arrachée à une mort
affreufe ; ce motif nous détermine à inférer
encore celle - ci.
L'on ne peut avoir trop de reconnoiffance , Mon
fieur , du zèle que témoigne M. Portal à guérir la
rage. Il a employé tout ce que les diffé ens remèdes
peuvent offrir de falutaire , ainsi qu'on le voit dans
fon avis ; mais comme ces traitemens exigent cinq
femaines , je crois rendre fervice aux perfonnes qui
ont des malades , hommes ou animaux , de vous
adreffer la compofition d'un remède très certain &
qui ne fera ni auffi long ni auffi di pendieux ;
& que MM. les Curés pourront diftribuer à leur
Paroiffiens à très- peu de frais . Il faut prendre une
égale quantité des fimples ci- après nommées , felon
la quantité qu'on veut faire de remèdes. Racines.
D'angélique royale ; de trèfle d'eau. Racines
, tiges & feuilles. De palle-rage ; de tour- 3
-
( 86 )
nefol ou margueritte fauvage , qu'il faut bien laver.
Tiges & feuilles . De rhue ; de rofe de chien ou
glandier ; extrémités ou bourgeons de fyccmier.
:
On en pro-
A chaque poignée de ces différentes fimples ,
il faut une bonne & groffe gouffe d'ail . — On pile
tout enſemble , & par une forte compreffion l'on
en exprime le jus , qu'on donne à boire à toutes
fortes de perfonnes d'un âge fait , un demi - verre
à jeun par trois jours contécutifs , ne manger de
deux heures après , ne point manger de lait ni de
fruit crud pendant l'effet du remède.
portionne la dofe felon l'âge & la complexion des
hommes . Il en faut faire fans rhue pour les femmes
groffes. Aux bêtes , felon leur eſpèce : aux chevaux,
demi-chopine à chaque prife ; aux béres à corne ,
fort peu moins aux cochons de même ; & aux
chiens , felon leur grandeur. Il fe fait ordinairement
au printemps , lorfque les herbes font fortes en
sève. La néceflité le fait faire en tout temps . Pour
le conferver d'une année à l'autre , on y met un tiers
de vin blanc & un peu de fel ; alors les dofes doivent
être plus grandes On les conferve en flacons &
bouteilles , qu'il faut remuer de temps en temps .
Auguftin de Maffo , Chevalier de la Ferrière
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de St - Louis , Commandeur de celui
de Notre Dame du Mont-Carmel & de St-
Lazare de Jérufalem , Lieutenant Général
des Armées du Roi , ancien Sous - Gouverneur
des Enfans de France , Gouverneur des
ville & citadelle d'Amiens , eft mort le 20
Mai dans la 75e . année de fon âge.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du premier de ce
mois , font : 53 , 57 , 47 , 76 & 516
( 87 )
A l'Entrepreneur de l'Encyclopédie par ordre de
matières .
M. , nous avons obfervé avec autant d'étonnement
que de déplaifir , que dans aucun des Prof
pectus de la nouvelle Edition du Dictionnaire Ency→
clopédique , cette Bibliothèque complette de toutes
les connoiffances humaines , il n'est fait mention
d'aucune chofe fur la Généalogie , fur la Noblefle &
le Blafon . Quelques frivoles & peu effentielles que
ces connoiflances puiffent paroître à des rètes auftérement
philofophiques , elles n'en font pas moins
agréables & neceffaires aux gens du monde ; & dans
l'état actuel de nos moeurs & de la manière dont
les nations font compofées , elles font devenues curieufes
& indifpenfables. Nous fommes perfuadés
qu'il n'y a guère de vos Soufcripteurs qui ne viffent
avec le plus grand plaifir , un volume , ou plus ,
employé à donner fur ces chofes des détails & des
éclairciffemens néceffaires à prefque tour le monde.
Réponse des Rédacteurs .
Les perfonnes qui nous ont adreffé la lettre qu'on
vient de rapporter , auront pleine fatisfaction : on
ne négligera point les objets auxquels - elles s'inté
reffent , & elles n'ont pas dû le penfer. Nous nous
proposons , & nous nous fommes toujours propofé
de placer à la tête de la Partie Hiftorique , un
Dictionnaire particulier de Blafon , où les mots
Généalogie-Nobleffe , & autres femblables , fe trouveront
placés dans lear ordre alphabétique. On y
trouvera auffi inftitution des divers Ordres de
Chevalerie ; enfin aucune des notions relatives à la
Nobleffe ne fera publiée, Il n'y a point de philofo
phie qui puiffe rayer de la lifte des connoiffances
humaines , celle des diftinétions établies parmi les
( 88 )
hommes dans tant de grands Etats , & qui font une
partie effentielle de leur conftitution.
M. Miffon de Chefnes , qui étoit , il y a 10 à 12
ans , Ingénieur ou Infpecteur des Pónts & Chauf
fées à Annecy en Savoie , s'eft retiré , à ce qu'on
croit , à Lyon ou en Dauphiné . On prie avec inftance
les perfonues qui pourront en avoir quelques
connoiffances , d'informer du lieu qu'il habite M.
d'Offretan , à Boulogne fur mer. Il s'agit d'une fucceffion
qui le regarde.
De BRUXELLES
*
*
le ' 4 Juin.
SELON les nouvelles de Hollande , la
flotte Angloife a difparu de devant le
Texel depuis la nuit du 16 du mois dernier
, & ne s'eft pas remontrée depuis ; elle
n'a fait qu'une courfe inutile , puifque tous
nos vaiffeaux de guerré étoient rentrés après
avoir mis dans leur route les bâtimens qu'ils
efcortoient , & qui ont continué leur chemin
fans être inquiétés ; ils avoient de l'avance
fur l'efcadre Angloife qui leur en
a laiffé prendre davantage n venant fur
nos côtes . Elle eft rentrée dans fes ports ,
& maintenant la nôtre peut fe raffembler
aifément , & fortir enfuite fans craindre
l'ennemi.
Les nouvelles qu'on a reçues de l'Inde
n'ont rien changé aux difpofitions des Hol
landois ; quelque fer fible que puiffe paroître
dans le moment la perte de quelques -uns
de leurs établiffemens , on fait qu'elle n'eft
( 89 )
pas irréparable , & quand elle le feroit ,
elle feroit plutôt fonger la République à la
vengeance qu'à la paix. Mais Ceylan ne
peut avoir changé de Maître , du moins
pour long- tems. La prife des Forts qui défendent
la Baie de Trinquemalle , n'eft rien ,
puifqu'à l'apparition de M. d'Orves ils
retourneront à leurs anciens poffeffeurs .
Il est vrai qu'on ne peut forcer l'entrée
de cette baie , ne fût- elle défendue que
par 3 vaiffeaux ; mais lorsqu'on aura jetté
du monde à terre , il faudra bien que l'Amiral
Anglois quitte fa pofition & gagne le
large ; l'on ne croit pas auffi qu'il attende
l'armée Françoife dans cette baie , il y
feroit détruit .
Le traité d'amitié & de commerce entre
la Hollande & les Etats -Unis de l'Amérique
feptentrionale fe négocie actuellement. M.
Adams a déja remis aux Etats- Généraux un
projet de ce traité , fur lequel il ſera délibéré
inceffamment. En attendant , l'emprunt de
3 millions de florins pour le compte du Congrès
a été ouvert à Amfterdam .
» Cet emprunt
fera partagé
en 3000 obligations payables
au porteur
, & rembourfables
par voie de
loterie
, à cinq époques
différentes
, dont la première
fera en 1793 , & les autres dans les quatre
années fuivantes
. Ces obligations
porteront
un intérêt
de cinq pour cent , payables
fur coupons
annuels
de so shelings
aux comptoirs
de MM. Guillaume
& de Jean Willinck
, Jacob
Van Staphorst
,
Ï go )
& de Lalande & de Synje à Amfterdam . Les espèces
pour cet emprunt feront fournies à ces comptoirs
le 1 Juin , le i Juillet , le 1 Août , le i Septembre
& le 1 Octobre , au choix des préteurs «.
Nous recevons dans l'inftant , de Boulogne
fur- mer , la lettre fuivante , en date du
30 Mai , que nous nous empreffons de tranf
crive.
» M. , hier , jour d'affemblée chez une dame
dont le mari occupe une des premières charges de ce
pays , j'ai été témoin qu'une perſonne que je connois
très -particulièrement , a offert de dépofer 500 louis
contre 200 , & de parier qu'elle eft en état d'exécuter
tout ce qui cft annoncé dans les numéros 20 & 21
de votre Journal , au fujet de la perfonne qui a propolé
au Gouvernement le moyen de donner & de
recevoir des nouvelles de Breft ou de Toulon à
Verfailles dans l'efpace de 4 heures . Aucun de cette
fociété n'ayant voulu accepter le défi , la dame ,
pour conftater la chofe , lui confeilla de dépofer fon
fecret , fous cachet , chez un Notaire , & c'eft ce qui
aeffectivement eu lieu en fortant de cette affemble ,
où cette perfonne a déclaré que ne voulant nuire
en aucune façon à celui qui le premier avoit conçu
ce projet , fon fecret ne fera rendu public qu'au
cas que celui annoncé ne réuflira pas . Vous me ferez
plaifir d'inférer ma lettre dans votre plus prochain
Journal , &c. figné CLERY DE BECOURT , un de vos
abonnés «.
On lit dans le Volume des Caufes Célèbres
de ce mois , deux Caufes de teftament fort
plaiſantes ( 1 ) . Dans la première , il s'agit
(1 ) On foufcrit pour ce Journal à Paris chez M. des Effarts ,
rue Dauphine , Hôtel de Mouhy , & chez Mérigot , Libraire
, Quai des Auguftins.
( 91 )
du Teftament d'un Payfan des environs
de Touloufe , qui n'ayant pas d'enfans , &
ayant eu toute fa vie une tendre affection
pour un de fes chevaux qui avait le poil
roux , voulut lui en donner des marques
authentiques en mourant. Il fit fon Teftament
en ces termes : » Je déclaré que j'inf
titue mon Cheval à poil roux mon héritier ,
& je veux que ledit Cheval appartienne à
N.... . . . mon neveu “.
Ce Teftament fut attaqué par les autres
neveux ; mais le plus furprenant de l'avanture
, c'eft qu'il fut confirmé , & la fucceffion
du Teftateur adjugée au neveu qu'il
avoit défigné propriétaire du Cheval , parce
qu'on regarda que la fimplicité du Villageois
devoit affurer l'exécution de la dernière volonté
, & qu'ayant défigné fon neveu , celui-
ci devoit être déclaré fon héritier.
L
5
Dans l'autre , il s'agit du Teftament d'un
fieur Dumouret , homme riche des environs
de Touloufe , dont la manie , très - fingulière -
& comique , étoit de croire que la Nature ,
en lui donnant les fignes caractéristiques du
fexe mafculin , s'étoit trompée , & qu'il étoit
femme. Il le penfait de fi bonne foi , qu'il
refufoit de prendre les habits des hommes ,
& ne faifoit ufage que de ceux deftinés aux
femmes , dans lefquels il fe montroit , nonfeulement
chez lui & dans les fociétés , mais
même dans les Eglifes ; & l'on affure que.
( '92 )'
plufieurs fois il s'eft préfenté , en cet état ,
pour recevoir fes facremens. Lorsqu'on l'ap
pelloit M. Dumouret , il entroit en fureur
il montroit fa robe , fa coëffe , & fa taille ,
qu'il avoit arrondie avec foin pour tromper
les yeux. Le plus grand plaifir qu'on pût
lui faire , étoit de l'appeller Mademoiselle.
Rofette. Un être auffi fingulier ne pouvoit
renoncer à la prérogative la plus flatteufe
de dicter des loix après la mort. Mais comme
Mademoiſelle Rofette avoit l'ame compatiffante
, elle inftitua pour les héritiers les
Pauvres de la Ville où elle demeuroit.
La folie habituelle du fieur Dumouret
fervit alors avantageufement fes héritiers
naturels pour attaquer fon Teftament & le
faire caffer ; ils y ont en effet réuffi par
Arrêt du Parlement de Toulouſe.
Un Particulier qui prétend à la fucceffionde
Jean Thierry , Négociant , décédé à Venife
en 1676 , fameux par l'immenfité dė
ladite fucceffion , defireroit fe procurer l'ex- ›
trait de baptême , ou l'extrait de mariage
ou enfin le contrat de mariage d'Evroux
Thierry , qui avoit époufé Anne Heurtout ,
& qui font décédés tous deux au Village de
Ravenel , Diocèfe de Beauvais , le premier
Août 1618 , à l'effet de parvenir à ladite fucceffion.
Ledit Evroux Thierry eft né cnviron l'an
1560 , & s'eſt marié environ l'an 1580 .
( 93 )
>
Si l'on peut trouver l'un des actes cideffus
énoncés ce Particulier offre un
dixième dans la part de chaque individu
de fa branche à la perfonne qui lui procu
rera l'une de ces pièces , lequel lui fera
échu & compté à l'inftant de la liquidation
de cette fucceffion , & pour fûreté duquel
on prendra telle voie que la perſonne avifera
.
S'adreffer à Paris à M. Nyon l'aîné ;
Libraire , rue du Jardinet .
Ou à Montdidier au Sieur Le Roux ,
Arpenteur Royal.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 28 Mai.
Le Général Burgoyne , commandant en chef les
forces de S. M. en Irlande , a pris congé du Roi , &
fe difpofe à fe rendre à fa deftination .
Le Marquis de Rockingham a été fort indifpofé
pendant quelques jours , mais il affifta le 16 aux
Confeils , & travailla avec les Membres du Cabiner.
La Junte du commerce de Lisbonne , vient de
faire favoir au Public que le Parlement d'Iriande
avoit accordé dans les Ports de ce Royaume , la
libre introduction de toutes les productions des
Colonies Portugaifes qui y feroient amenées par
nos propres bâtimens , ainfi que celle des laines
d'Espagne & autres objets , par des vaiffeaux neutres.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck ,
l'Ennemi ayant paru en force à environ vingt milles
de Charles-Town dans la Caroline Méridionale , le
Général Leflie a fair replier tous les poftes avancés
qu'il ne jugeoit pas tenabies ; les autres ont été renforcés
, & on prend toutes les mesures néceflaires
( 94 )
pourt foutenir un fiége qui a dû commencer avant le
départ de ces Lettres.
On a reçu des nouvelles très -fâcheufes de Philade'ph
c. Tout ce que l'on en fait jufqu'à présent ,
c'eft que le Congrès refufe d'entrer en négociation ,
que les Troupes ne foient retirées d'Amériq e , &
que la G. B. ne reconnoifle de la manière la plus
formelle l'indépendance des Etats - Unis. Enfin , les
Américains veulent faire une Nation féparée qui ne
ſoit ſoumiſe qu'à fes propres loix & avoir la liberté
de faire le commerce par-tout où ils le jugeront à
propos. Il eft impoffible que la paix fe falle à ces
conditions , que les Miniftres actuels font très - déterminés
à ne point admettre.
M. Henry Laurens fe mit en route le 11 de ce
mois , avec ſon Fils & fon Secrétaire , pour la Hollande
, où il doit réfiler en qualité de l'un des cinq
Commiffaires Américains envoyés en Europe pour
conclure la paix . Il eft fort à regretter que M. Laurens
ne prolonge pas fon féjour en Angleterre :
on en doit conjecturer que la paix avec l'Amérique
n'eft point prochaine. Les Couriers qui vont fans
ceffe d'ici à Paris & à la Haye , & qui'en viennent ,
fembleroient devoir faire espérer qu'on entamera
bientôt des Conférences fur cet objet . Cela eſt d'autant
plus probable qu'il doit fe tenir , dit- on , dans
pen un Congrès à Vienne ou à Bruxelles , pour travailler
à un Traité de paix .
Le 3 Mars
, écrit- on de Kingſton
dans
la Jamaïque
, en date du 9 , le vailleau
l'Uliffe
, qui
venoit
de reconnoître
le Cap , eft rentré
a Poit-
Roval
, où il a conduit
un vaiffeau
Américain
de
Boston
, montant
22 canons
, & chargé
de poiſſon
,
avec un fenaut
de St Domingue
. L'Uliſſe
n'apporte
aucunes
nouvelles
, mais celles
du fenaur
font trèsintéreffantes
. Selon
le rapport
de l'équipage
, D. Bernard
Galvez
, commandant
le vaifleau
le St-Jean
de
Camerado
, de yo canons
, ayant
à bord
1400
home
( 95 )
mes , tant Matelots que Soldats de Marine , & 1500
hommes de Tropes de terre , eft arrivé de la Havane
au Cap , le 22 du mois deruter. Solano devoit
le faire fous peu de jours , avec huit vailleaux de
ligne , & 8000 hommes de Troupes deftinées à ſe
joindre a colles qui étoient déja arrivées . Galvez ,
dans fa iraveriée , avoit rencontré par latitude 27 ,
u e fonte de la Jamaïque. Il s'étoit emparé d'un
vailleau de 22 canons , & quatre ou cinq autres bâtimens
avoient été pris par un corſaire Américain ,
& un autre par un brigantin François. On avoit
envoyé quelques Ingénieurs fonder le port de Cum
berland , & tracer un camp pour 20,000 hommes.
Le 6 , il s'eft tenu un Confeil de guerre général
, pour recommander au Lieutenant - Gouverneur
d'alopter & de mettre en exécution toutes les mefures
qu'il croit les plus propres pour la défe fe
de l'lfle. Il a été auffi arrêté que cet Officier ſeroit
autorifé à employer au fervice public les provifions
apportées par la flotte de Coike , pour le foul gement
de ceux des habitans qui avoient fouffert dans
le dernier ouragan,
S
» Le 4 , lit- on dans une lettre de même date , on a
publié une proclamation pour un embargo fur tous
les vaiffeaux & bâumens mouillés dans les ports de
cette Ile . - La Chambre d'Aflemblée , après avoir
voté 40,000 1. pour completter les poftes avancés ,
& paffé un acte pour établir & déclarer de nouvelles rè
gles & ordonnances militaires , s'eft ajournée au Mardi
19 de ce mois, L'attaque projetée contre cette
Ifle aura lieu dans les premiers jours d'Avril . Trois
débarquemens , chacun de 10,000 hommes , doivent
Le faire en même-tems , en trois endroits différens
tandis qu'une réserve de 10,000 hommes reftera
à bord des vaiffeaux pour tromper & divifer nos
forces par des arraques fimulées. Nous espérons
néanmoins faire échouer tous ces préparatifs. L'ar(
96 )
མ།
mement d'ailleurs eft trop confidérable par lui-même
pour n'être pas fujet a une fo le d'accidens . Le
Capitaine Monro , commandant un bâtiment Parlementaire
, arrivé ici du Cap François , annonce
que quatre vaiffeaux de ligne , trois frégates & un
floop , avec trois régimens d Infanterie , étoient
entrés dans ce Port avant fon départ.
Les Irlandois infiftent avec plus de force & d'unanimité
que jamais pour l'indépendance de leur pays.
Le Procureur Général quifqu'à préfent avoid
pallié les chofes & s'étoit efforcé d'empêcher la
G. B. d'en venir aux extrémités , le Procureur Général
lui-même , a offert, une grande partie de fon bien
pour concourir au fuccès des mesures que l'on croira
convenables pour affurer les intérêts de l'Angleterre .
Toutes les lettres de l'Electorat de Hanovre le
réuniffent pour dire que les troupes y font fous les
armes , & prêtes à fe porter par-tout au premier
ordre ".
» Si d'ici à quelques femaines , il n'y a point de
trève conclue entre la G. B. & la Hollande , nous
favons de bonne part que deux régimens Hanovriens
venant de Minorque, avec deux autres batail
lons de Milices , doivent former un camp dans la
partie orientale d'York- Shire , les équipages de camp
font déja commandés .
On eftime généralement ici la perte des Hollandois
, depuis la guerre, à 10 millions fterling.
Il ne nous refte pour faire face, du Sud au Nord,
aux flottes Françoife , Efpagnole & Hollandoife
qu'un vaiffeau de Ico canons , le Royal- George ;
un de 90 , l'Union ; 4 de 74 , la Bellone , la Fortitude,
le Goliath & le Courageux ; 3 de 64 , le Sam
fon , le Vigilant & le Medway, avec Sir Kempenfeld;
12 avec le Lord Howe; 3 prés
maintenant
dans la Tamife; 2 à Spithead , & 11 qu'on radoube
à Plimouth & dans d'autres ports «.
412
ME
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril.
LE rôle du dernier Patriarche fchifmatis
que eft enfin terminé ; il a été dépofé &
exilé à Bruze ; on l'accufe d'avoir dit dans
une de fes Paftorales qu'il falloit exterminer
tous ceux qui n'étoient pas de fa Secte.
C'eft fon prédéceffeur même , qu'il avoit fait
dépofer , qui reprend fa place & lui ſuccède.
Le 24 du mois dernier 2 vaiffeaux de ligne
Ottomans firent voile pour la mer Noire ; ils
avoient déja été précédés le 17 par'un vaiffeau
de ligne & une frégate.
RUSSIE.
1 ab
De PÉTERSBOURG , le 7 Mai.
L'IMPERATRICE s'occupe actuellement
des arrangemens néceffaires pour établir des
Ecoles dans toutes les parties de l'Empire
où il n'y en a point ; on travaille par fes
IsJuin 1782.
e
( 98 )
1
ordres à un nouvel Alphabet & à un Catéchisme
dans lequel on réunira les premiers
élémens des connoiffances néceffaires
au peuple , qui , dans bien des endroits ,
ignore encore ce qu'il lui importe le plus
de faveir.
La Cour de Danemarck a demandé la
médiation de la nôtre auprès de celle de
Madrid pour en obtenir la reftitution de la
frégate Danoife chargée de munitions de
guerre , & qui a été faiſie
a été faifie par les Espagnols
dans la Méditerranée , dans des circonftances
où tout concouroit à croire qu'elle
fe rendoit à Gibraltar.
DANEMARC K.
De COPENHAGUE , le 15 Mai.
S. M. vient de fupprimer , par une Ordonnance
, les prix établis par celle du 19
Avril 1779 pour les provifions envoyéesdans
nos Illes des Indes Occidentales ; il n'y
a d'exceptés que ceux accordés à l'importa
tion de la viande de boeuf de Jutlande ; il
a plu en même- tems au Roi de porter la
récompenfe extraordinaire à la fomme de,
3000 rixdalers pour les trois bâtimens qui ,
partis des Etats Danois en Europe , depuis
le 15 Septembre jufqu'à la fin d'Octobre ,
arriveront les premiers à l'Ile de Sainte-
Croix , avec des cargaifons de proviſions ,
chacune au moins de la valeur de 10,000
rixdalers. La diftribution du prix de 3000
( 99 )
rixdalers fe fera de manière que le premier,
bâtiment arrivé en recevra 1200 , le fecond
1000 & le troisième 800.
Le Lieutenant Harboë , commandant le,
fénaut le Larke , croife aux Ifles d'Amérique
où il a eu deux affaires avec des corfaires
Anglois qu'il a forcés de fe retirer.
Le feu prit , il y a quelques jours , à trois
moulins à poudre à Fridericswerk ; ils fautèrent
en l'air avec un fracas terrible ; heu
reuſement cet accident n'a caufé la mort
de perfonne.
On mande de Drontheim , en Norwège ,
un fait qu'on préfente comme un exemple
de fécondité rare ; c'eft une brebis qui , au
mois de Mars dernier , mit bas 5 petits à la
fois ; trois avoient la laine blanche & les
deux autres noire. Quatre de ces petits font
morts faute de foins..
ALLEMAGNE
De VIENNE , le 20 Mai.
L'EMPEREUR fe propofe d'établir ici une
Académie des Sciences , & on dit que les
Lettres Patentes à ce fujet ne tarderont pas
à paroître. Les droits impofés depuis longtems
fur les almanachs des Etats Autrichiens
, fourniront partie des fonds de cette
Académie ; ils appartenoient auparavant à
l'Imprimeur de la Cour , qui en fera dédommagé
par la permiffion d'établir ici
s nouvelles Imprimeries & 19 Entrepôts
e 2
( 100 )
de Librairie , en Autriche , en Styrie , en
Morávie & en Hongrie.
On affure que l'entretien des routes &
chauffées dans les Etats de S. M. I. fera
donnée à ferme.
- Tous les Evêques & tous les Ordres
Religieux de la domination Impériale , ont
envoyé à la Cour une lifte exacte de ce
qu'ils ont payé annuellement à la Daterie
de Rome pendant 10 ans.
Les Couvens fupprimés dans le Brifgau
& dans les Domaines Autrichiens du cercle
de Suabe , font en grand nombre ; il
en refte encore 70 , dans lefquels on compte
1624 fujets des deux fexes .
On mande de Prague que les Juifs de cette
Ville viennent de former une nouvelle Ecole,
d'après les vues & l'Ordonnance de l'Empereur.
Cette Ecole Allemande , à laquelle
on a donné des Précepteurs inftruits de
la nation Juive , fut ouverte le 2 de ce
mois avec beaucoup de folemnité.
Le nouveau pont qu'on a conſtruit fur
le Danube , étant fini , l'Empereur a ordonné
d'en conftruire encore un autre qui
liera enfemble les Fauxbourgs de Leopolſtadt
& de Roffau .
De FRANC FORT , le 25 Mai.
ON a frappé à Nuremberg une Médaille
à l'occafion du voyage du Pape à Vienne.
Elle préfente d'un côté le bufte du Pontife ,
avec ces mots : Pius VI. fama fuper athera
( 101 )
notus . L'éxergue porte : Peregrinus Apofto :
licus , Vienne menfe Martio 1782. L'exergue
préfente les têtes des cinq Papes qui ont
porté le même nom , avec l'inſcription
Redivivi.
Selon les lettres de Munich , l'Electeur
Palatin a fait préfent à S. S. d'un calice
d'or , monté en pierres précieuſes ; on
évalue ce préfent à 80,000 florins .
On écrit de Bohême qu'on a trouvé
dans le Couvent fupprimé à Doxen 20,727 fl.
en argent comptant , environ 300 livres
pefant d'argenterie , & pour 50,000 florins
d'effers précieux.
..
La Porte , lit- on dans quelques lettres , eft en
négociation avec la Cour de Vience . On affure
qu'elle lui cédera la Ville de Belgrade , & une partie
de la Servie. Le Baron de Taufferer s'occupe
à ouvrir en faveur de la Croatie une nouvelle bran
che de commerce. Il fe propofe d'envoyer à Conftantinople
, fur la Save , le Danube & la mer Noire ,
du bois pour conftruire des vaiffeaux.Par ce moyen ,
cette Province pourroit gagner beaucoup avec
une marchandife qui y eft abondante , & à laquelle
on fait peu d'attention . On affure que S. M I. ,
à qui ce projet de commerce a été envoyé , l'a approuvé
, & qu'elle a demandé l'avis de la Chancellerie
Hongroife pour fon exécution «.
L'Electeur de Cologne donna il y a
quelques jours , dans Bonn , un feu d'artifice,
pendant lequel il eft arrivé un accident
fâcheux. La colombe étant allumée , au
lieu de filer vers l'artifice , retourna fur
les fpectateurs & creva le Baron de
Kleift , Colonel , a été bleffé ; il a eu l'oeil
e 3 .
( 102 )
gauche déchiré , & on craint que malgré
les fecours , il ne le perde .
» Voici , écrit-on du Danube , une lifte authentique
de toutes les Fortereffes qui feront démolies
dans les Etats de S. M. I. Presbourg , Raab . Comorn
, Leopoldstadt , Treulftbein , Erlard , Zamofch
, Greilingen , Cafcan , Seghedino , Eperies ,
Grofvardein , Claufenburg , Heimanſtadt , Zama-
Sugeral, Fagalas- Malefvarfas hely, Cranſtadt , Czickzeredacs
, Zingh , Carlobago. Ces Fortereffes font
fituées en Hongrie , en Tranfylvanie & en Croatie.
Puis Lemberg, Coftance, Bregence , Infpruk, Ehremberg
, Rovoredo , Sohehit , Cavol , Rothemberg ,
Bolzano, Linz , Beulelſtein .
4
Les Fortereffes fuivantes feront confervées :
favoir , Ollmüz , Brinn , Prague , Eger , Konifgfgratz
, Theresienstadt , Braunau , Brody & Efzamofc;
Vienne , Bude ou Ofen , Munkaal , Arad ,
Carisberng , Dewa , Temefwar , Meadia , Effeg ,
Peteiwaradein , Brood , Gradifca , Carlstadt , Huftein
, Mantone , Cavello , Luxembourg & Anvers «.
Nos lettres de Genève en date du 15
de ce mois , contiennent les détails Tuivans
:
>
» L'Exprès envoyé à Berne le 9 de ce mois , par
notre nouveau Gouvernement , celui des Natifs &
des Citoyens & Bourgeois repréfentans , n'a eu permiffion
de refter qu'une heure dans cette Ville ;
& comme l'heure expirée il ne partoit pas encore
un Meffager d'Etat eft venu lui fignifer
a fon Auberge, de fortir dans la minute ou de le
fuivre en prifon . Ceux des Membres de l'ancien
Gouvernement , celui des Syndics du Petit - Confeil
& du Confeil des Deux Cens , dont le nouveau Go!!-
vernement s'eft faifi comme ôtages , font toujours
gardés étroitement ; mais on ne les laiffe manquer
d'aucune des chofes néceffaires à la vie. Le Gou
( 103 )
vernement de Berne a ordonné à tous les fujets , de
quelque rang & condition qu'ils foient de fortir de
Genève; aufli n'y a-t-il pas de jours qu'il ne le fafle
des émigrations , foit à pied , foit en voitures , nonfeulement
de Bernois , mais de fujets des autres
Cantons. Les Membres , tant du nouveau que de
l'ancien Gouvernement , font auffi fortir de la Ville
leurs femmes , leurs enfans , & tout ce qu'ils ont
de plus précieux «<,
ITALI E.
De LIVOURNE , le 12 Mai.
LE Général Murray eft parti d'ici pour
Gènes à la fin du mois dernier ; delà il fe
rendra à Antibes ; ce Général a emmené avec
lui toute fa famille.
Les lettres de Sinigaglia portent que l'on
a reffenti dernièrement dans cette Ville
trois fecouffes de tremblement de terre qui
ont fort alarmé les habitans , mais qui
heureuſement n'ont caufé aucun dommage.
» Le 4 de ce mois , écrit-on de Rome , le Cardinal
Bernardin Giraud , de la création de Clément XIV ,
fut attaqué vers les 2 heures du matin d'une fièvre
lipyrie , qui répandit un froid glacial fur toutes les
parties extérieures. On employa vainement tous les
moyens de rappeller la chaleur , & à 9 heures du
matin il furvint une violente convulfion à laquelle
il fuccomba ; il étoit âgé de 61 ans . Par fon teftament,
il a ordonné qu'on l'enterrât dans le tombeau
de fes Pères , à Sainte-Marie , in Vallicella . Après
avoir fait quelques legs particuliers à ſa famille
& à fes gens , il a laiſſé le reſte de fes biens libres à
S. S. , pour qu'elle en difpofe en faveur des pauvres.
Le Roi d'Efpagne a accordé une penfion de 400 -
€ 4
( 104 )
écus , avec la Croix de l'Ordre de la Conception , an
Chevalier Laurent Fabri , neveu de feu Clément XIV,
frère de M. Fabri Ganganelli , qui fut nommé ablégar
apoftolique pour porter la Barrette au feu Cardinal
D.lgado , & qui mourut lui-même à Madrid « .
ESPAGNE...
De MADRID , le 25 Mai.
Le bruit court que D. Bernard Galvez
en ſe rendant à St -Domingue s'eſt emparé
de l'Ile de la Providence ; on ne tardera
fans doute pas à en recevoir la confirmation
; cette Ifle qui eft l'une des Lucayes fervoit
de repaire aux corfaires ennemis qui
infeftoicnt ces parages & qui avoient fait
quelques prifes de bâtimens de la Havane.
Le 7 de ce mois , écrit- on d'Algéfiras , le veut
ayant tourné à l'eft , on obferva d'ici dans la rade
ennemie , deux frégates , quatre corfaires & d'autres
batimens marchands qui fe difpofoient à mettre
en mer, Auffi-tôt les chébecs le Saint- Antoine & le
Saint-Sébastien fe portèrenr du côté de Tanger ,
tandis que les bâtimens le Murcien & le Brel , avec
les frégates la Sainte- Claire & la Sainte-Lucie , &
la corvette l'Arlequine allèrent croiſer au Détroit.
A la nuit tombante s'étant placés près de Gibraltar ,
ils envoyèrent un Canarien dans un canot pour
découvrir fi les ennemis paroiffoient , & firent leurs
fignaux que répétèrent les tours de la côte & quelques
navires avertis enfuite par les quatre bâtimens
qui croifoient vers le Détroit , ils formèrent
un cordon depuis la pointe du Mouton juſqu'à la
montagne du Bouillon , & découvrirent quatre navires
Anglois auxquels ils donnèrent chaile . La
Fregate la Sainte-Claire le battit contre un vaiffeau
( 105 )
Anglois qui , par fa grandeur , lui parut être un
bâtiment de guerre , & qui après avoir fait feu jufqu'à
onze heures fe rendit enfin . La Sainte-Lucie
& les chébecs s'emparèrent de deux autres qu'ils
pourfuivoient ; le furplus , à la faveur d'une plus
grande légéreté & de l'obfcurité de la nuit , leur
échappa. Les trois prifes étoient des navires de
500 tonneaux chacun : leurs noms font le Vaillant ,
le Royal- Breton & le Tompfon. Les deux premiers
avoient 19 hommes d'équipage , & le dernier 17 « .
Selon les lettres de Cadix , le iz de ce
mois on fit fortir de ce port une frégate &
un cutter Espagnols , avec une frégate &
un cutter François pour aller intercepter
quelques bâtimens vivriers qu'on, favoit être
partis de Lisbonne pour Gibraltar. On attend
les détails de cette croifière qui peut avoir le
fuccès qu'on s'en promet fi l'on a été averti
à tems.
Selon d'autres lettres du même port tout
s'y difpofoit pour mettre une forte efcadre
en état de mettre à la voile au premier
moment fous les ordres de D. Louis de Cordova
, qui fera fuivi par la divifion de M.
le Comte de Guichen.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Juin.
DEPUIS quelque tems nous n'avons
point eu d'autres nouvelles du Continent
de l'Amérique que celles que nous a apportées
la frégate l'Ariane de 20 canons ,
partie de Charles - Town le 6 Avril avec
es
( 106 )
un convoi d'environ so bâtimens tant vivriers
que tranſports qui furent difperfés le
26 du même mois par un coup de vent
& dont il arrive fucceffivement quelquesuns
dans nos ports. Nous n'avons reçu
par cette voie qu'une Gazette royale de
Charles-Town ; & tout ce qu'elle nous
apprend le réduit à une excurſion faite par
un détachement de cavalerie Britannique
fur la rivière de Santée , où il a défait un
corps de troupes légères Américaines qui a
eu 80 tués , bleffés ou prifonniers. A cette
époque tout étoit tranquille à Charles-Town,
dit cette Gazette ; cependant les préparatifs
qu'on faifoit annoncent que cette place eft
menacée ; & l'on ne négligeoit rien pour la
mettre en état de défenfe ; on continuoit aufli
à fortifier l'Ifthme.
Selon la Gazette de New-Yorck, du 27
Mars , on venoit d'apprendre dans cette
Ville que les troupes Françoifes avoient
évacué Yorck & Hampton & le mettoient
en marche de la Caroline du fud ; qu'en
conféquence les Américains tiroient des
parties intérieures de la Virginie , les milices
deſtinées à former la garnifon de ces places ;
on fe flattoit de recevoir par les premières
dépêches de ce côté des détails plus pofitifs
& plus étendus , cette attente a été trompée.
Avant-hier le Gouvernement a reçu des
lettres de New-Yorck par un bâtiment qui
a fait voile de ce port le 18 Avril ; à cette
date il y étoit arrivé quelques prifes , dont
( 107 )
trois font , dit- on , de 16 à 20 canons.
Ce même bâtiment avoit à bord une
Gazette de New- Yorck du 14 Avril , mais
l'unique nouvelle qu'elle contient eft celle
de la prife d'un tranſport Eſpagnol , allant
de la Havane à St - Domingue, avec 60 foldats.
Ce bâtiment , ajoute-t-on , faifoit partie
d'une flotte fous le convoi de 7 vaiffeaux de
ligne dont il s'étoit féparé dans un coup
de vent.
On a appris par la même voie que le 14
Avril le Comte de Dunmore étoit arrivé
à New-Yorck.
Un bâtiment de Cartel des Indes occidentales
a amené à Plymouth le premier
régiment & deux compagnies du quinzième
faits prifonniers à Saint-Chriftophe ; ils parlent
avec la plus vive reconnoiffance du
traitement plein de nobleffe & d'humanité
qu'ils ont reçu des François ; mais ils n'apportent
point de nouvelles de ces contrées ,
finon que les poffeffions de nos ennemis font
bien gardées & bien défendues ; & il en
réfulte que malgré l'avantage qu'a remporté
l'Amiral Rodney , il lui eft impoffible de rien
tenter contre elles ; qu'il ne faut pas même
efpérer qu'il effaye de reprendre celles qu'ils
nous ont enlevées , & à la confervation defquelles
ils ont apporté des foins qui ne nous
permettroient pas d'y fonger même avec de
nouveaux avantages.
Le dernier , quoiqu'en dife aujourd'hui
la nation dans fon enthoufiafme , n'aura
e 6
( 108 )
pas des fuites auffi brillantes que celles
qu'on avoit efpérées . Il fe réduira peut être
à déranger , pour cette campagne , les projets
que nos ennemis avoient formés contre
quelques uns de nos établiſſemens , &
ce fera encore beaucoup. Nous ignorons
en quel état eft la flotte de l'Amiral Rodney ;
il n'en a pas dit un mot dans fes dépêches ,
ou la Cour ne s'eft pas foucié de le publier
; il parcît qu'il avoit été joint par la
divifion , ou partie de la divifion que nous
avons à la Jamaïque ; & c'eft ce qui lui
a donné une efcadre de 40 à 42 vaiffeaux ,
avec lesquels il a combattu les François ,
qui étoient de beaucoup inférieurs ; il avoue
dans fes dépêches , que fon efcadre a beaucoup
fouffert ; mais cette expreffion vague ,
qui n'explique rien , eft propre à inquiéter,
Si parmi les vaiffeaux , il y en a une dixaine ,
comme on le dit dans quelques lettres ,
qui aient reçu des dommages qui les mettent
hors d'état d'être réparés en Amérique
, cela fait une diminution réelle de 19
vaiffeaux dans nos forces aux Indes occidentales
; & ceux que nous avons pris ne
nous en dédommagent pas ; on fait que
nous n'en pouvons tirer aucun ſervice ;
& que les François ne nous les ont rendus
qu'hors d'état d'entrer en ligne avec
Ies nôtres , & quelques- uns ne font , diton
, fufceptibles d'aucune réparation , même
en Europe. D'après cet expolé , s'il eft
exact , comme on a lieu de le craint
( 109 )
dre , les François & les Efpagnols réunis
reprennent la fupériorité ; & leur jonction
a été faite peu après le combat
puifque les deux traîneurs qui font tombés
entre les mains de l'Amiral Hood fe trouvoient
dans le voisinage de St Domingue
où les autres ont dû en arrivant être mis
fur- le champ en réparation ; dès qu'ils les auront
reçues , les efcadres combinées reparoîtront
en mer; elles peuvent fuivre les plans
arrêtés auparavant , & la victoire de Rodney
pourroit bien les avoir reculés fans les déconcerter
. Alors à quoi fe réduit cette victoire
, à laquelle le Lord Vicomte de Stormont
ne croit pas que les Annales de la
Marine Britannique en offrent aucune à
comparer.
Quoiqu'il en foit , dit un de nos papiers , de la
révolution que la journée du 12 Avril peut avoir
opérée dans l'état des affaires de la Nation aux Indes-
Occidentales , il eft inconteftable qu'elle en a opéré
une très- grande & très - importante dans celle de cet
Amiral . Flétri dans l'opinion publique par la conduite
à St- Eustache , & par la perte de Tabago qui a
été enlevé en la préfence , il renaît pour ainfi dire ,
& devient un homme nouveau que l'on va combler
de biens & d'honneurs . Le Roi l'a élevé à la Pairie
Britannique , lui & fes defcendans mâles , fous le
titre de Lord Rodney , Baron de Rodney Stoke an
Comté de Sommerfet. Il eft vrai que les braves
Officiers qui ont combattu fous lui partagent fes
honneurs comme ils ont partagé fa victoire . Le
Contre-Amiral Sir Samuel Hood a été créé en mêmetems
Pair d'Irlande , fous le titre de Lord Baron de
Catherington. Ces titres pafferont auffi à ſes defcendans
mâles légitimes . Le Coatre-Amiral Francis
( 110 )
Samuel Darke , & le Commodore Edmund Affleck ,
ont obtenu pour eux & pour leurs héritiers légitimes ,
le titre de Chevalier Baronnet de la G. B. a.
Nous avons parlé des éloges dont les deux
Chambres du Parlement ont retenti en faveur
de ces Officiers , & principalement en
faveur de Rodney ; ce fut M. Fox qui dans
la Chambre des Communes , propofa le
premier des remercîmens de la part de la
Chambre pour cet Amiral ; cela parut d'autant
plus étrange de la part d'un des nouveaux
Miniftres , qu'on favoit que lui &
fes collègues avoient avant le combat décidé
fon rappel. M. Rolle ne laiffa pas
tomber cette obfervation ; après un difcours
affez vif fur ce fujet , il annonçi une motion
qu'il croyoit convenable , & dont
l'objet devoit être une adreffe au Roi ,
pour le fupplier , au nom de la Chambre
de ne point ôter le commandement en chef
aux ifles à cet Amiral. Cette propofition
pouvoit devenir embarraffante pour la
nouvelle Adminiftration , que la Nation
croit en ce noment avoir agi avec un peu
de précipitation . Heureufement le Lord
Avocat prit la parole , & fit renoncer à
cette question , en faifant voir à la Chambre
qu'une adreffe de cette nature feroit
abfolument déplacée ; la Chambre , ditil
, ne doit fe mêler en rien de la nomination
ni du rappel d'aucuns Officiers. Les
Miniftres étant refponfables des opérations ,
ont certainement le droit de choisir les Com(
III )
,
mandans ; je n'examine point fi l'on avoit
bien ou bien mal fait de rappeller l'Amiral
Rodney ; mais je fuppofe que les perfonnes
qui en avoient donné l'avis , ont
leurs raifons : felon moi , ces affaires ne
font point du reffort de la Chambre , &
elle ne peut s'y ingérer fans s'expofer à
des embarras dont elle pourroit fe repentir
par la fuite , parce qu'alors elle fe rendroit
elle-même refponfable de toutes les
opérations .
Les raifonnemens du Lord Avocat firent
impreffion fur la Chambre , & peut- être
fur le Ministère ; car ce fut le 22 Mai que
cette fcène fe paffa , & on apprit bientôt
que l'on avoit envoyé un Exprès,pour arrêter
le départ du Lord Pigot ; mais , comme
l'on fait , cet Exprès arriva trop tard . Ces
démarches oppofées donnèrent lieu à de
nouvelles obfervations , & les ennemis des
nouveaux Miniftres ne manquèrent pas
d'en profiter pour rappeller , le 30 , la motion
rejettée le 22 .
..
M. Rolle , après une fortie très -vive contre le
rappel de l'Amiral Rodney , & la nomination du
Lord Pigot pour le remplacer , termina fon difcours
par la motion fuivante . - C'eft l'opinion de la
Chambre que les Serviteurs confidentiels de la
» Couronne ont confeillé à S. M. de faire partir
» l'Amiral Pigot pour remplacer le Chevalier George
" Bridge- Rodney , & prendre le commandement de
» l'Efcadre Britannique aux Iſles de l'Amérique «.
ל כ
M. Rolle ajouta que cette motion n'étoit que le
préliminaire d'une autre qu'il propoferoit immédiatement
après la première fi elle paffoit , & il annor ça
( 112 )
cette feconde motion dans les termes fuivans .
» C'est l'opinion de la Chambre que la nomination
» de l'Amiral Pigot , pour remplacer l'Amiral Rodney
, eft une mefure tendante à détruire l'enfem-
» ble qui exifte actuellement parmi les Efcadies de
S. M. aux Indes Occidentales , & que c'est une
marque de l'ingratitude de ce pays , pour le brave
» Amiral qui s'eft fignalé d'une manière fi glorieufe
".
Différens Membres , & entr'autres le Lord North ,
ayant plus ou moins fecondé la motion de M. Ro
le , M. Fox prit la parole , & attaquant particulièrement
l'Ex-Miniftre , il dit : » Le Lord North tient
une conduite fort fingulière . En comblant d'éloges
l'auteur de la motion , par un ménagement hypo
crite dont le motif n'échappe à perfonne , il feint
de la défapprouver comme contraire à l'unanimité
que l'on doit fur-tout avoir en vue ; mais il devroit
favoir que la Chambre des Communes n'a point le
droit de fe mêler en rien de ce qui eft relatif à la
puiffance exécutrice , à moins que les Miniftres ne
paroiffent en avoir fait un ufage criminel . Si donc
M. Rolle , auteur de la motion , veut la poursuivre
au criminel , il eft certainement bien en règle ; mais
fi ce n'eft pas fon deffein , il a le plus grand tort ,
& fa motion eft la plus anti-conftitutionnelle qui
ait jamais été faite dans la Chambre . En conféquencè
, fi le Lord North lui- même eft dans l'intention
d'attaquer au criminel les Miniftres actuels , qu'il
parle hardiment & ouvertement , ainfi qu'il convient
à un honnête homme , & on lui répondra « ,
La première motion de M. Rolle paffa fans aller
aux voix , conformément à l'avis de M. John Townshend
, qui prétendit que perfonne n'ayant défapprouvé
la nomination de l'Amiral Pigot , pour remplacer
Rodney avant la victoire remportée par celuici
, cette dernière circonftance ne pouvoit influer
en rien fur la meſure en elle- même, Mais M , Rolle
( 113 )
s'appercevant que la Chambre étoit bien éloignée
d'adopter fon opinion , relativement à la fuite qu'il
vouloit donner à cette motion , ne jugea pas à propos
de faire la feconde .
Il paroît décidé , d'après cette féance
que le Lord Pigot remplacera l'Amiral
Rodney. Ce n'est peut- être pas la faute
des Miniftres qui ont fait cet arrangement ;
certainement ils ont fait ce qu'ils ont pu
pour le fufpendre ; & fi le Lord Pigot n'étoit
pas parti lorfque le contre - ordre lui a
été expédié , cette difcuffion n'auroit pas
eu lieu. Il est vrai auffi qu'on ne peut pas
faire un crime à la nouvelle Adminiftration
de ce rappel ; fans la nouvelle de l'affaire
du 12 Avril , il eft vraisemblable que la
Nation l'avoit approuvé ; elle n'avoit plus
la même opinion de cet Amiral favori. Le
tems avoit affoibli l'ivreffe excitée par
fes premiers fuccès ; on commençoit à
s'étonner de l'avoir éprouvée ; en réflé
chiffint de fang froid fur le ravitaillement
de Gibraltar , on voyoit qu'il y avoit
plus de bonheur que de conduite , & que
25 vaiffeaux de ligne ne devoient elfuyer
aucun obftacle , lorfqu'ils ne trouvoient que
8 à 10 vailleaux pour s'opposer à ce qu'ils
entreprenoient. Un homme ordinaire peut
profiter des hafards d'une bonne fortune ';
inais c'eft le vrai Général, qui force cette
fortune à le favorifer. La campagne des Antilles
qui avoit fuivi ne donnoit pas une
grande idée des talens de l'Amiral ; il n'avoit
fait ni ce qu'il avoit pu ni ce qu'il avoit dû .
( 114 )
Loin de reprendre ce que les François nous
avoient enlevés , il leur avoit laifle faire la
conquête de Tabago ; & les fiennes s'étoient
réduites à une Ifle fans défenfe , mais riche ,
qui ne procnroit qu'à lui feul des avantages ,
& très- peu à la Nation. Il a fallu le combat
du 12 pour ranimer l'enthouſiaſme éteint ;
c'est ce qui a fair blâmer fon rappel que
dans toute autre occafion on auroit trouvé
convenable. Peut - être dans quelques mois
d'ici , lorfque les détails de cette affaire feront
mieux connus , qu'on faura quelle étoit
la fupériorité de Rodney , que les fuites
feront peut- être voir qu'il eût mieux valu
intercepter le convoi de St Domingue que
prendre la Ville de Paris ; l'opinion changera
, on rendra juftice au plan des Miniftres
& on les blâmera peut- être d'avoir
d'abord paru céder au vou d'un Peuple
inconféquent & mal inftruit.
,
Les évènemens qui fe font paffés pendant
quelque tems , nous ont empêché de fuivre
les féances du Parlement ; nous ne les reprendrons
pas ici toutes ; nous nous arrêterons
feulement à celles qui font les plus
importantes. Nous citerons en conféquence
le difcours que M. Fox prononça dans la
Chambre des Communes le 17 Mai , relativement
à l'Irlande.
» Comme la circonftance dans laquelle nous nous
trouvons à l'égard de l'Irlande , eft d'une nature
irès- extraordinaire & certainement très - neuve , on
ne fera pas fans doute étonné fi dans les propofitions
que je vais avoir l'honneur de faire , on remarque
( 115 )
quelque chofe d'extraordinaire & de neuf. Cependant
fi d'après cette ouverture , il arrivoit que quelqu'un
ne fût pas fatisfait de cette nouveauté , &
trouvât que l'on fait de trop grands facrifices au
defir de rétablir l'union entre les deux Royaumes , je
répondrai que ce n'eft pas anx Miniftres actuels de
S. M. qu'il faut s'en prendre , mais à ceux auxquels
ils ont fuccédé , & qui ont arrangé les affaires de
l'Irlande avec tant de négligence d'une part , fi peu
de jugement de l'autre , qu'ils nous ont réduit à
la néceflité indifpenfable de propofer les mesures
neuves & extraordinaires que je viens d'annoncer.
Vous voudrez bien vous rappeller qu'il n'y a que
peu d'années , que l'Irlande penfant que la manière
la plus convenable de demander le redreffement de
fes griefs , étoit la foumiffion , fupplia humblement
le Parlement Britannique de lui accorder divers
points énoncés dans fa requête , & tous d'une fi
petite importance , que je ne fais pas difficulté de
déclarer qu'il étoit abſolument indifférent à l'Angleterre
qu'on les lui accordât ou non. - Dans ce tems
là , malheureuſement , l'uſage conftant de l'Adminiftration
étoit de n'avoir aucun égard pour ce qui
étoit jufte , & de ne regarder dans rien que la convenance
du moment ; non-feulement elle fut fourde à
l'humble requête de l'Irlande , mais le premier Miniftre
fe rendit lui- même au Parlement pour voter
contre le voeu modefte de ce Royaume. L'année
fuivante , la crainte d'une invafion néceffita l'expédient
d'armer les Irlandois pour la défenſe de leur
pays ; ils reçurent avec loyauté les armes que l'on
mit entre leurs mains , & il n'eft pas douteux que
fi l'occafion s'en fût préfentée , le premier ufage
qu'ils en euffent fait , eût été de les tourner contre
des ennemis de 1 Empire Britannique , s'ils euffent
tenté l'entrepriſe , dont on fe croyoit menacé ; mais
l'ennemi ne paroiffant pas , les braves Volontaires
fentirent que leurs armes pouvoient être utiles à
-
( 116 )
leur pays d'une manière différente , & que fi elles
n'étoient pas employées à la défenfe , elles pouvoient
l'être au recouvrement de fes droits ; c'étoit un acte
de patriotifme fubftitué à un autre ; alors ils parlèrent
fi haut, qu'il ne fut plus poffible de ne pas les
entendre , & ce même Miniftre qui s'étoit oppofé
à leur humble fupplication , fe déterminant à les
dédommager du tems où ils avoient trouvé fon
oreille fourde , reparut dans cette Chambre pour
leur accorder quatre fois plus qu'il ne leur avoit
refufé. Cette conduite indiqua à llilande la manière
dont elle pouvoit s'y prendre pour fixer à l'avenir
l'attention du Miniftre ; elle fentit que la voix de
l'humilité & de la foumiſlion n'étoit pas celle qui
pouvoit affurer le fuccès de fes demandes , elle
changea de ton , & les affaires changèrent de face. Il
refte à examiner jufqu'à quel point la Grande- Bre
tagne eft affectée de cette révolution .— J'ai toujours
confidéré l'Irlande comme faifant partie de l'Empire
Britannique , & comme telle , participant de droit
à tous les avantages , à toutes les immunités dont
jouit l'Angleterre ; mais les derniers Miniftres de S. M.
ne voyoient pas de même ; leurs notions étranges
de la conftitution les portoient à concentrer dans
l'Ile de la Grande- Bretagne tout ce qui y reftoit de
reffemblant à l'efprit de liberté , pour opprimer &
tyrannifer au dernier excès ceux des fujets de leur
Maître , qui avoient le malheur de vivre en Irlande
ou au-delà de l'Atlantique . Mon opinion à l'égard
de l'Irlande , ainfi qu'à l'égard de l'Amérique , eft ,
qu'il étoit abfurde & injufte de notre part , de vouloir
faire des loix pour les peuples qui habitent
ces diverfes contrées , fans leur concurrence & leur
confentement; enforte , qu'ainfi que je n'ai ceffé de
m'écrier contre l'injuftice du traitement que l'on
faifoit à l'Amérique , je n'héfite point de déclarer
que les prétentions de l'Irlande font juftes en ellesmêmes
: c'eft donc fur le principe de la justice que
( 117 )
-
je fonde effentiellement les propofitions que je vais
avoir l'honneur de faire à la Chambre. Je pour
rois y ajouter les confidérations politiques & de
fimple prudence ; mais eft- il un feul des honorables
Membres , qui ne fente comme moi , que le moment
où nous fommes engagés dans une guerre compliquée
avec diverfes Puillances étrangères , n'eft pas
celui qu'il conviendroit de prendre pour employer
contre l'Irlande les divers moyens que nous aurions
de la punir de l'irrégularité de fa conduite. J'espère
que les tems ee font plus où les idées de coercion ,
les mouvemens inconfidérés du reffentiment , de la
colère & de la vengeance étoient les inftigateurs
infidèles des mesures de la Grande-Bretagne , & que
l'exemple de l'Amérique nous a appris à être fages à
nos dépens ; je ne crois donc pas devoir recourir à
la force des argumens , pour engager la Chambre à
penfer comme moi , qu'il y auroit de la folie à
en agir avec l'Irlande , comme on en a agi avec
P'Amérique , & qu'au lieu de s'occuper des moyens
de la tourmenter, au lieu d'ajouter à fes détreffes ,
notre premier foin doit être de la foulager , de la
rendre heureufe autant qu'il eft en fon pouvoir
de l'être , & au nôtre , d'y contribuer ; le feul
moyen de la rendre vraiment utile à la Grande-
Bretagne , eft de l'attacher encore plus fortement
à nous par les liens de la reconnoiffance . — Je ne
difconviendrai pas que la manière dont l'Irlande s'y
eft prife pour arriver à fes fins , n'eft pas aufli agréa
ble qu'on eût pu le defirer en Angleterre ; mais je ne
vois pas pour cela qu'elle foit blâmable , parce que
la dernière Adminiſtration lui a appris qu'elle n'avoit
pas d'autres moyens à employer. Confidérons
actuellement , fi tandis que d'une part , l'Irlande
gagne tout , nous perdons réellement quelque
chofe à la révolution qui comble fes defirs.- Le
droit que prétendoit avoir l'Angleterre à l'exercice
de la légiſlation ſuprême fur toutes les dépendances
—
( 118 )
de l'Empire , étoit- il véritablement un droit pofitif,
ou bien un fimple fymbole de fuprématie , exiftant.
par une convention tacite ? Je crois qu'il n'étoit que
ce fymbole, & que comme tel il eût pu fubfifter
entre les deux pays juſqu'à la fin des fiècles , fans
'caufer le moindre ombrage ; mais les derniers Miniftres
de S. M. érigeoient tout en droit pofitif, &
l'abus qu'ils n'ont ceffé de faire du pouvoir qu'ils
fondoient fur ces droits de leur propre fabrique ,
a alarmé l'Irlande au point de la forcer aux mefures
qu'elle a prifes. Il eft donc de la prudence , pour
ne pas dire d'une indifpenfable néceffité , de mettre
promptement un terme à ces difcuffions , à ces jaloufies
nationales , & il eft de la bienféance de le faire
de bonne grace ; je commencerai par propoſer la
révocation du ſtatut de la fixième année du règne de
George I , en vertu duquel ce pays s'eft attribué ,
comme inhérent en lui , le pouvoir de faire des loix
pour l'Irlande ::
ce n'eft pas d'aujourd'hui que les
plaintes de ce Royaume fe font fait entendre à ce
fujet : elles s'élevèrent avec force au moment même
où l'acte paffa , & depuis elles n'ont ceflé de retentir,
- Après avoir révoqué cet acte de George I , on ne
voit guère quet intérêt nous aurions à nous oppofer
à la feconde prétention de l'Irlande , qui confifte à
rétablir dans ce Royaume la jurifdiction des appels.
Ces deux points de la conteftation font les feuls
qui concernent directement le Parlement , & fur
lefquels par conféquent cette Chambre air à prononcer;
les autres regardent la Couronne avec laquelle
il convient que le Parlement d'Irlande les ajuste : de
ce dernier nombre eft la révocation de la loi de
Poyning, en vertu de laquelle le Confeil Privé d'Irlande
pouvoir annuller tout acte de ce Parlement ,
avant de le tranſmettre en Angleterre , enforte qu'il
n'étoit pas rare de voir paffer unanimement dans les
deur Chambres , des bills auxquels les Membres ,
qui dans le fond y étoient le plus oppofés , don-
-
( 119 )
noient leur fuffrage pour le rendre populaires , étant
certains qu'ils fercient annuliés au Confeil Privé ;
il étoit naturel fans doute qu'une pareille loi für
odieuſe au Corps de la Nation : un abis qui ne lui
étoit pas moins infupportable , eft le droit que
s'étoit arrogé le Confeil- Privé d'Angleterre de viler
les bills paflés au Parlement d'Irlande , & de les
renvoyer dans un état de mutilation qui en détruifoit
totalement l'objet ; on ne peut concevoir à quel
point le Confeil - Privé d'Angleterre a abufé de ce
prétendu droit ! l'Irlande a toujours foupçonné, &
je crois avec railon , que cette réviſion & mutilation
étoient ici l'ouvrage d'un feul individu : ce qui a
porté à cet égard le mécontentement à fon comble ,
eft l'imprudence que l'on eut d'altérer ici le bill que
le Parlement d'Irlande avoit jugé convenable de
paffer , pour punir la mutinerie dans fon établiffement
militaire : la perfonne qui s'avifa ici d'y porter
la coignée , le fit fi inconſidérément , que d'un
bill , limité dans fa durée , elle en fie un bill per
pétuel , en vertu duquel on établifloit en Irlande ce
à quoi elle s'étoit toujours oppofée avec le plus de
chaleur , une armée perpétuellement fur pied ! l'Iflande
a t- elle tort de réclamer le droit de faire
pour elle - même des loix que nous avons fi mál
faites pour elle « ?
La motion du Miniftre paffa ; par elle ,
S. M. eft fuppliée de prendre les mesures
qui , dans fa fageffe royale lui paroîtront
tendre plus directement à ce but important.
Le 13 la Chambre s'occupa des nouvelles
taxes pour le payement de l'intérêt de l'emprunt
; on fe reffouvient que lors de la révolution
de l'Adminiftration , le Lord Nor h
en avoit proposé plufieurs qui n'étoient point
encore paffées en Loix , parce que fa retraite
( 120 )
arriva avant qu'il eût confommé l'opération
du Budget pour l'année courante. C'eſt le
Lord John Cavendish qui étoit chargé de
terminer cette affaire.
» Ii fe leva pour s'acquitter d'une tâche qui , dit-il ,
étoit fort défagréable , mais que le devoir rendoit
néceffaire ; favoir , de propofer quelques taxes , au
lieu de celles qui avoient été projettées , mais qu'on
avoit trouvé fujettes à difficulté . Telle étoit celle
fur les Spectacles , qu'on regardoit comme défagréable
au peuple & de peu de produit. Il avoit été
propofé d'en mettre une fur le tranſport des marchandiſes
dans l'intérieur du Royaume par terre &
par mer ; mais la façon de la percevoir , comme on
l'avoit projettée , ayant de grands inconvéniens ,
Milord Cavendish , au lieu d'un droit de 3 deniers
par tonneau pour chaque mille , propofa de lever la
taxe aux barrières des chemins par tout le Royaume,
à raifon de so pour cent pour les tranfports par
terre ; & , quant aux tranſports par cau , de faire
percevoir 2 shellins par tonneau annuellement fur
chaque bâtiment employé à la navigation intérieure,
Il ajouta qu'il avoit fait l'eflai de la perception du
premier de ces droits , en envoyant pour cet effet
des gens aux différentes barrières du Royaume , &
qu'en conféquence il calculoit qu'ils produiroient
enfemble 380,000 1. fterl . par an . De plus , il propola
une taxe additionnelle d'une livre fterl . par an
fur toutes les voitures à quatre roues ; ce qui , avec
l'ancienne taxe , feroit un droit de 6 1. fterl. 12 shel.
par an fur cette eſpèce de voiture. L'on fit quelques
remarques paffagères fur différentes parties du plan ;
& Milord Mahon l'ayant comparé avec celui de
l'ancien Miniftre , fort au défavantage du dernier ,
Lord North fe défendit contre cette attaque : il convint
néanmoins que la taxe , telle que la propofoit
le nouveau Chancelier de l'Echiquier , feroit plus
légère
( 121 )
légère que la fienne ; mais il douta qu'elle fût auffi
d'en aufi grand produit. Les motions de Mylord.
Cavendish palsèrent fans contradiction.
Il n'en fut pas de même le lendemain , lorfque
ces réfolutions , prifes par la Chambre en Comité de
Subfide, furcat rapportées à la Chambre en plein. Le
Comte Nugent s'y oppofa le premier : il commença
fon difcours par le laver du foupçon de vouloir
contrecarrer les projets du nouveau Ministère par
efprit de parti ou par envie de fe diftinguer , quoi.
qu'il avouât que les principes qu'il avoit fuivis depuis
fon enfance , & qu'il n'abandonneroit qu'à la
mort , ne s'accordoient pas avec ceux des Membres
de la nouvelle Adminiftration . Le bien public étoit
la feule règle de fa conduite ; & , par ce motif, il
défapprouvoit le plan du nouveau Chancelier de
l'Echiquier , comme il avoit défapprouvé celui de
fou prédéceffeur , parce qu'une taxe fur le tranfport
des marchandifes & la communication intérieure
étoit oppreffive pour une nation commerçante , nuifible
à l'induftrie & à la circulation , &c. M. M'Donald
appuya ces obfervations & trouva de l'injuflice à
faire payer le même dicit de paffage à un poids égal
de matériaux vils , tels que le fable , les briques , &c.
& à des marchandifes précieufes. Sir Charles Turner,
quoique te me ami de la préfente Adminiftration ,
fe déclara auffi contre les taxes propofées. Cependant,
après que le Lord Jean Cavendish eut répondu à leurs
objections , fur-tout en obfervant que la taxe tomberoit
moins fur les Voituriers que fur le Public en
général , pour lequel elle ne feroit pas un objet de
confequence , le rapport fut approuvé , fans même
lever les voix « .
Le 24 la Chambre en Comité , après avoir
terminé l'affaire des taxes , rédigea le bill
pour autorifer le Roi à conclure la paix ou
une trève avec l'Amérique .
15 Juin 1782.
f
( 122 )
M. Hartley fit plufieurs obfervations fur ce bill
important , & en particulier fur la clauſe qui autorifoit
à traiter avec des individus indépendamment
du Congrès , qu'il falloit cependant , obferva- t- il ,
regarder comme la feule autorité inveftie des pouvoirs
pour traiter avec les Puiflances étrangères.
S'adreffer à d'autres , ajouta-t-il , feroit un procédé
contraire à la droiture ; ce feroit encourager la
trahifon & la perfidie , infpirer des foupçons aux
Américains. Nous n'avons que trop ufé de duplicité
avec ce brave peuple ; il eft tems d'eflayer ce que
des procédés francs & ouverts pourroient produire.
Il ne convient pas à la dignité de l'Angleterre de
traiter avec des corps d'hommes qui n'ont pas des
commiffions ou des pouvoirs à cet effet. Ellayons
une fois quelles feront les conféquences d'une conduite
droite avec un peuple que nous avons perdu
avec une politique étroite , oblique & mystérieuse «.
Le bill ne laiffa pas de paffer fans autre
amendement ; mais il n'eſt pas fûr qu'il ait
le fuccès défiré , ni peut être qu'il ait été
dreffé dans cette intention .
Des dépêches du Lord Hove , en date du
20 Mai , nous apprennent que l'efcadre Angloife
, formée en demi lune , croifoit alors
entre la rade de Hailde & le port du Vlie ,
dans l'intention , non -feulement d'empêcher
la jonction entre l'efcadre du Texel & celle
de l'Amiral Bylandt , mouillée au Vlie ,
mais aufli de s'oppofer à leur fortie , au cas
qu'elles vouluffent appareiller . Elles ajoutent
que l'efcadre tient le large à caufe du danger
des bas -fonds & du tirant d'eau confidérable
de nos vaiffeaux ; mais on envoie les
cutters qui s'approchent de fort près , &
donnenttoutes les informations néceffaires.
( 123 )
Dans ces dépêches , il n'cft nullement
queftion du projet d'attaquer les vaiffeaux
dans le port ; fon exécution entraîneroit
de grandes difficultés ; mais fi l'on y fonge ,
il femble qu'on devroit fe hâter , de peur
de n'en avoir pas le tems .
La Compagnie des Indes , dit un de nos papiers ,
vient de recevoir la nouvelle de l'arrivée en Irlande
du paquebot le Swallow. Ce bâtiment étoit parti
du Bengale le 3 Janvier , & de Madras le 29 du
même mois . Il eſt arrivé à Ste-Hélène le 3 Avril , &
a fait voile pour l'Angletterre le 8 du même mois . A
cette époque , on n'avoit encore aucune nouvelle de
l'Amiral Bickerſton. On dit que ce paquebot
apporte des dépêches du Lieutenant- Général Sir
Eyre Coote , dans lesquelles il rend compte d'une
victoire remportée par fes troupes fur Hyder-Aly ,
au fiége de Tellichery ; la garnifon qui venoit de
recevoir un renfort , fit une fortie dans laquelle la
nombreuſe armée de l'ennemi fut totalement défaite .
Hyder-Aly a eu beaucoup de monde de tué , & on
lui a fait une infinité de priſonniers . Son artillerie eft
tombée entre nos mains ; il a laiffé , ajoute- t- on
2000 morts fur la place , & 4000 prifonniers entre
nos mains. Ses troupes , compofées en grande partie
d'Européens , difputèrent long-tems la victoiie au
Chevalier Eyre Coote , qui parvint à la fin à les
tailler en pièces . Les deux fortereffes que couvroit
l'armée d'Hyder- Aly , fe font rendues auffitôt après
cette victoire. Au refte , ces nouvelles n'ont point
encore été données authentiquement par la Compagnie
des Indes ; on attend les détails qu'elle publiera
& ceux qu'elle pourra donner encore de l'efcadre aux
ordres de l'Amiral Hughes «<,
>
On lit dans des lettres de Ste-Lucie , qu'on
y a reçu la fâcheufe nouvelle qu'on a ef
f2
( 124 )
fuyé à Antigoa un incendie qui a caufé
beaucoup de dommage , & fur - tout fait
beaucoup de tort à la récolte de cette année
, qui a été en partie confumée. On
ajoute que plufieurs navires marchands ont
été la proie des flammes. Mais comme on:
n'a point encore de détails de cet évènement
, que tout ce qu'on en dit fe réduit
à des bruits , on fe flatte que le dommage
n'a pas été fi grand qu'on fe le repréſente.
» Il règne ici une ofpèce d'épidémie qui , depuis
quelques jours , confine dans leurs lits les trois quarts
& demi des deux Cités de Londres & Weftmufter :
le nom d'influenza , que lui donne la Faculté , indique
qu'il y a quelque chofe de contagieux dans
l'air , & l'on ne pouvoit que s'y attendie ; car le
doyen de nos vieillards n'a jamais vu une faifon
pareille depuis Février , qui a été très - beau , à
peine avons- nous entrevu le foleil dans les nuages
fombres qui nous le dérobent ; des pluies continuelles
, ou des brouillards épais . Des tranfitions
rapides du froid au chaud & du chaud au froid; les
jambes enflées & couvertes d'une espèce d'éréfipelle ;
la gorge & les yeux glonfiés ; de violens maux de
tête & d'eftomac ; des friffons & des accès de fièvre ,
font les fymptômes de cette maladie , qui , jufqu'à
préfent , n'a heureufement enlevé que peu de perfonnes.
Le théâtre de l'Opéra eft fermé , faute de
fujets en état de paroître ; les autres le feront bientôt
, faute de fpectateurs en un mot , le Prince de
Galle , le Duc de Cumberland , & la majeure partie
de la Cour fe fentent des effets de cette maladie «.
( 125 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 11 Juin.
Lɛ 2 de ce mois , LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de màriage
du Vicomte de Buffevent , Capitaine
réformé au Régiment Dauphin Dragons , '
avec Mademoitelle Chaumont de la Galaifiere.
Le même jour la Comteffe de Juigné eut
l'honneur d'être préfentée à LL. MM. & à
la Famille Royale par la Marquife de Juigné.
Les , la Comtefle de Saiffeval eut l'hon →
neur d'être préfentée à LL. MM. par Madame
Victoire de France , en qualité de
Dame pour accompagner cette Princeffe.
Le même jour le Marquis de Bombelles ,
Miniftre du Roi près la Diète générale de
l'Empire , de retour en cette Cour par
congé eut l'honneur d'être préfenté à
S. M. par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires Etrangères.
De PARIS , le 11 Juin.
ON a publié la lifte nominative des Officiers
tués & bleffés à bord des vaiffeaux
arrivés au Cap ; nous la placerons ici.
- Le
Tués fur le Triomphant , le Chevalier du Pavillon
, Capitaine de Vaiſſeau , Commandant.
Diademe, le Chevalier de Brocherenil , Officier auxi
liaire. Le Conquérant , M. de la Forgerie , Sous-
Lieutenant au régiment d'Agénois . — Le Magna-
--
-
f 3
( 126 )
nime, M. de Trogoff , Sous- Lieutenant au régiment
de Foix. La Bourgogne , M. de Kerolain , Garde-
Marine. Le Palmier , M. de Karuel , Lieutenant
--
-- de Vaiffeau.
- Le Northumberland , MM . de Saint-
Céfaire , Capitaine de Vaiffeau , Commandant ; de
le Saige de la Metterie , Lieutenant de Vaiffean .
Bleffés fur le Duc de Bourgogne, MM . de Champmartin
, Capitaine , contufion au bras gauche , Barthon
de Montbas , Enfeigne de Vaiffeau , bleffé légèrement
; de Vildelon du Lifcouet , fecond Capitaine ,
amputé à la jambe gauche ; de Queteville , Lieute
nant au régiment de Champagne, bleffé grièvement.
Le Sceptre , MM. de Mallet , Lieutenant de Vaiffeau
, bleifé légèrement ; de Laulanie , Enfeigne de
Vailleau , forte contufion ; de Montlezun , Lieutenant-
Colonel du régiment de Touraine , auffi forte
contufion ; de Montalembert , Lieutenant en fecond
du régiment de Touraine , plaie légère ; le Comte
de Vaudreuil , Chef- d'Efcadre , bleflé légèrementi
Le Souverain , M. Durouret , bleifé légèrement
à la gorge
. Le Deftin , M. de Toll , Lieutenant
de Vaitfeau Suédois , plaie légère , & contufion à la
cuiffe gauche. Le Languedoc , MM . Vieuxbourg
de Rozily , Lieutenant de Vaiffeau , bleffé griève
ment ; Charron du Portelie , Officier auxiliaire
contufion à la jambe droite ; de Gonillard , Capitaine
en fecond du régiment de Monfieur , bleffure
légère à la jambe gauche ; de la Broffe , Lieutenant
au régiment d'Armagnac , brûlure au vifage ; Dumarché
, Porte- Drapeau du régiment d'Armagnac ,
une contufion à l'oeil droit. La Couronne , MM
de Champagny , Lieutenant de Vailleau , bleſſé gric.
vement ; de Marnières , Enfeigne de Vaiffeau , blef
fé légèrement ; de Jean , Lieutenant au régiment de
Beauce , le vifage brûlé ; Tenneguy, Sous- Lieutenand
au régiment d'Armagnac , un éclat à la main gauche.
-
Le Diademe , MM. de Clerimbert , Lieutenant
de Vaiffeau , centefion à la main droite ; Rofland
( 127 )
-
-
Officier auxiliaire , bleffé légèrement ; de Villé
Capitaine en fecond du régiment d'Armagnac , blef
fé grièvement. Le Conquérant , MM. Dupuy ,
Lieutenant de Vaiffeau , forte contufion à la cuiffe
droite ; de Bleffinga , Lieutenant de Vaiffeau , forte
contufion au bras & à la cuiffe gauche ; de Lirec ,
Garde-Marine , bleffé à la jambe droite. Le Magnanime
, MM. le Comte de le Begue , Capitaine-
Commandant ; le Chevalier de Carcaradec , Lieutenant
de Vaiffeau ; le Villain , Officier auxiliaire ; da
Froffey, auffi Officier auxiliaire ; Deshayes , Lieutenant
au régiment de Foix. Le Scipion , MM . d'Aſſas
de Mondardier , Lieutenant de Vaiffeau , contufion
au genou gauche ; Dumonte!, Capitaine au régiment
d'Agénois ; d'Haihemard , Sous- Lieutenant au régiment
de Viennois . Le Neptune , M. de Renoard ,
Enfeigne de Vaiffeau , bleffe grièvement. Le Citoyen
, MM. d'Ethy , Capitaine- Commandant , quatre
contufions ; Bicher , Officier auxiliaire , trois
contufions. Le Réfléchi , MM . de Médine , Capitaine-
Commandant , plaie à l'oeil gauche ; Defpiès ,
Lieutenant de Vaiffeau , bleffé légèrement ; de Coquet
, Lieutenant au régiment d'Agéncis , forte contufion
; Martin , Officier auxiliaire , forte plaie à
l'oeil droit ; de Châteaufur , Garde-Marine , forte
contufion à la cuiffe droite. - Le Magnifique , MM.
Montel , Officier Suédois , brûlure au vifage ; de
Trouront , Capitaine au régiment d'Agénois , le
bras caffé .
-
--
-
On compte fur la Ville de Paris MM. de
Villeneuve Flayofe , Lieutenant de vaiffeau ,
tué; de Beaucouſe , Enfeigne de vaiffeau
qui a eu la jambe emportée ; le Comte Henri
de St-Simon , & M. de Kerleru , bleffés légèrement.
On apprend que le Roi vient d'ordonner
la conftruction de 12 vaiffeaux de ligne de
£ 4
( 128 )
110 , de 8o & de 74 canons ; fes ordres à
cet effet ont été déjà expédiés dans les différens
ports du Royaume.
Ce fut le 6 de ce mois que les Elus Généraux
des Etats de Bourgogne , préſentés parle
Prince de Condé , Gouverneur de cette Province
, & par M. Amelot , Secrétaire d'Etat ,
en ayant le département , ont eu l'honneur
de remettre au Roi la Délibération par la
quelle ils ont offert à Sa Majefté un vaiffeau
du premier rang,
Le même jour , les Prévôt des Marchands ,
Echevins & Confeil de la Ville de Paris ,
prefentés par M. Amelot , Secrétaire d'Etat
ayant le département de cette Ville , ont
également eu l'honneur de remettre au
Roi la Délibération par laquelle ils ont offert
à S. M. un vaiffeau de 110 canons , que le
Roi a nommé la Ville- de-Paris.
Ces délibérations & les fentimens qu'ell s
expriment , ont été rendus publics. Dans
l'une & l'autre , les fujets de S. M. n'ont
sien de plus cher que de lui donner de nouvelles
preuves de leur amour & de leur
attachement pour fa perfonne , lorsqu'il
s'agit de la gloire de l'Etat : la Bourgogne eft
dans l'heureufe poffeflion de donner l'exemple
du zèle , elle l'a manifefté dans tous les
tems , non par de ftériles voeux , mais par
les fecours les plus efficaces & les plus
prompts. Les Elus de cette Province ont
arrêté en conféquence qu'il feroit offert par
eux , au nom des Etats de Bourgogne , un
( 129 )
don gratuit extraordinaire de la fomme d'un
million de livres , pour être employé à la
conftruction & armement d'un vaiffeau du
premier rang ; que S. M. en daignant accepter
ce nouveau témoignage du zèle des
Bourguignons & de leur tendre amour pour
fa perfonne , fera fuppliée de faire nommer
le vailleau les Etats de Bourgogne ; que fi
parmi les Officiers de Marine il s'en trouve
quelques uns que S. M. juge dignes de commander
un vaiffeau de ce rang , elle fera de
même fuppliée de vouloir bien , autant que
fon fervice le permettra, leur confier , de préférence
, le commandement de celui- ci ; qu'il
fera ouvert , fous le bon vouloir du Roi ,
un emprunt , au nom de la Province , d'un
million , qui fera porté au Tréfor Royal ;
qu'on pourvoira , par les moyens les plus
doux & les moins onéreux , au paiement des
arrérages & des capitaux de cet emprunt ; que
fur cette fomme d'un million , il fera rembourfé
104,000 liv . prifes fur le produir des
émolumens attachés aux trois places d'Elus'
du Clergé , de la Nobleffe & du Tiers- Etat ,
qu'ils y confacrent dès à préſent en totalité
& pour les trois ans que doit durer leur
Adminiftration.
La délibération de la ville de Paris exprime
d'auffi grands fentimens de zèle ,
d'amour & d'attachement. Ces exemples
de Patriotifme ont été fuivis par les Receveurs
- Généraux des Finances , qui ont
offert 600,000 livres , & par la Comfs
( 130 )
pagnie des Fermiers Généraux qui a offert
1,000,000. Les Régiffeurs Généraux des
Aides , les Adminiftrateurs Généraux des
Domaines , les Fermiers de la Caifle de
Poilly & les autres Compagnies de Finance
ont donné les mêmes marques de leur
zèle.
Sa Majesté a chargé le Miniftre de fes
Finances de leur en témoigner la fatisfaction.
L'empreffement des Particuliers ne s'eft
pas manifefté avec moins d'énergie. Des
Citoyens de tous les états ont foufcrit en
foule pour des fommes confidérables ; mais
S. M. n'a pas cru devoir les accepter , &
Elle a ordonné à M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , d'écrire à M. de Caumartin , Prévôt
des Marchands , & à M. Lenoir , Lieutenant-
Général de Police de la ville de Paris , une
lettre par laquelle il témoigne la fenfibilité
de S. M. à l'empreffement des Citoyens de
tous les ordres qui veulent foufcrire pour
réparer la perte que fa marine vient d'éprouver
; qu'en acceptant les offres des Princes
fes freres , & celles des Provinces , des Villes
& des Corps qui donnent dans cette occafion
des preuves de leur patriotifme , Elle ne croit
pas devoir profiter des offres des Particuliers.
Reffource que la fituation de fes Finances ne
rend pas néceffaire ; que fa bonté & fon
amour pour les fujets s'oppofent à des contributions
volontaires , dont le plus grand
nombre feroit moins proportionné aux fa
( 131 )
cultés de ceux qui s'y foumettroient , qu'à
leur affection pour fa Perfonne , leur confiance
dans la fageffe de fes vues , & c.
Le de ce mois , les Six - Corps des
Marchands & les Communautés d'Arts &
Métiers de la ville de Paris , préſentés par
le Duc de Brillac , Gouverneur de cette
ville , & par M. Amelot , Secrétaire d'Etat
en ayant le département , ayant à leur tête
M. Lenoir , Lieutenant Général de Police
& M. de Flandres de Brunville , Procureur
du Roi , ont eu l'honneur d'offrir à
S. M. une fomme de 1,500,000 liv. pour
un vaiffeau du premier rang.
Il est fort queſtion depuis quelques jours
d'un grand avantage remporté dans l'Inde
par M. d'Orves for P'Amiral Hughes ; fi
cette nouvelle fe confirme , & fi , comme
on le dit , il a pris 33 tranfports , il faut
qu'il ait rencontré plutôt les deux vaiffeaux
du Commodore Johnftone , & les 4000 hommes
que conduifoit le Général Meadow .
و
Le 6 de ce mois un Courier du Cabinet
de Madrid , arrivé ici , a apporté les lettres
du Roi d'Espagne à M. le Duc de Bourbon,
& à trois ou quatre jeunes Seigneurs , qui
ont obtenu la permiffion d'aller fervir au
fiége de Gibraltar. Ce Courier partit de Madrid
le 29 Avril ; on y avoit appris que le
23 D. Louis de Cordova fe difpofoit à mertre
à la voile de Cadix avec une efcadre
Espagnole , & la divifion de M. le Come
de Guichen,
f6
( 132 )
Il fe confirme que le Baron de Falkenhayn
a mis à la voile de Mahon avec fi divifion
le 25 du mois dernier ; les détails que l'on
lit dans la lettre fuivante de Toulon , préparoient
à ce départ.
» Depuis quelque temps on eft occupé ici à
charger fur cinq bâtimens de transport qui ont été
frétés pour le Roi , des munitions de guerre , comme
bombes , boulets , poudre , mèches & une grande
quantité de barriques . Le mystère de cet armement
a été divulgué par l'arrivée d'un Commiflaire Ef
pagnol , qui a des ordres de vérifier les munitions
embarquées , & de prendre la dimenfion des boulets
& des bombes. Toutes ces munitions font pour le
camp de St-Roch , & fe rendront à Algéfiras , fous
l'escorte de la corvette la Coquette , commandée
par M. de Graffe Briançon , Lieutenant de vaiffeau.
La Coquette a auffi à bord des munitions de guerre.
Les Officiers des régimens François employés à
Minorque , & qui avoient eu des femefires , arrivent
journellement ici , & s'embarqueront fur le convoi
qui fera efcorté par la Coquette , ainfi que quelques
compagnies de Canonniers . S. M., empreffés de
récompenfer les fervices des Officiers de la Marine ,
vient d'accorder les graces fuivantes à ceux de ce
département qui font embarqués fur l'efcadre du
Comte de Graffe. Sur le vaiffeau le Souverain . Au
Chevalier de Glandevez , Capitaine - Commandant ,
1500 liv. de penfion & une lettre de fatisfaction au
nom du Roi , à M. de Beaulher , Lieutenant , une
compagnie d'Infanterie dans la divifion ; à M. de
Mazenot , Lieutenant , la croix de St- Louis . Sur le
vaiffeau le Céfar. A M. l'Hermite-Maillane , Lieutenant
, une penfion de 300 livres ; au Chevalier de
Caftillon ; id. la croix de St- Louis ; à M. Simon de
Broutieres , Enfeigne , une gratification de sool.;
à M. Barthon de Montbas , id. une Lieutenance de
( 1338)
compagnie dans la divifion . Sur le vaiffeau le Pluton
Au Chevalier d'Abbadie- Saint - Germain , Lieutenant ,
une lettre de fatisfaction , au nom du Roi . Sur le
vailleau le Marfeillois . A M. de Champmartin ,
Capitaine en fecond , une lettre d'éloge au nom du
Roi ; à M. d Efporcellet , Lieutenant , la croix de
St-Louis ".
On s'occupe beaucoup dans le public du
projet d'établir des correspondances également
fûres & fecrettes à des diſtances confidérables
; depuis l'annonce qui en a été
faite , les têtes paroiffent avoir fermenté
& sêtre vivement occupées de l'efpèce de
procédé qu'on peur employer. La lettre fuivante
qui nous a été adreifée n'en offre pas
de bien ficiles dans l'exécution ; mais elle
contient des détails qui peuvent piquer la
curiofité .
» M., j'ai dernièrement lu dans un Journal public
q'une perfonne propo oit au Gouvernement un
procédé fecret pour faire rendre , avec la plus grande
célérité , des ordres de Verſailles à Breft on Toulon,
L'annonce ajoute que l'Auteur , n'employant ni les pa
villons, ni les feux, n'a befoin que d'un feul inftrument
pour, de pofte en pofte, faire parvenir facorrefpondance
aérienne. Tout concours d'obſervations ne peut.
qu'être utile. Sans prétentions quelconques , me boinant
à extraire de certains matériaux recueillis en
Afie , & à rendre fimplement à la lumière un moyen
de communication qui , dans la haute, antiquité , fut
ufité , & depuis long-tems faroît avoir été perdu.
de vue , je défire bien fincèrement , pour l'avantage
de l'Etat , que l'invention foit plus fimple & plus
expéditive. Pour donner une idée fatisfaifante de la
notice particulière que j'ai recueillie , il me fuffira
de tranfcrire ici le précis d'une lettre adreffée à un
Seigneur , Chevalier des Ordres du Roi, Voici ,
( 134 )
M., le fens de ce qu'un ancien Auteur a dit fur ce
fujet : Jadis , par des fignaux , l'on a formé & l'on
a auffi représenté des phrafes , c'est -à- dire , felon mon
opinion , que de ces fignaux les uns étoient alphabétiques
, les autres des efpèces d'hieroglyphes. Ces
derniers , encore employés dans quelques parties de
la haute Afie , correfpondent à ceux dont en Europé
l'on fe fert , particuliérement fur mer. Les fignaux
que j'appelle hieroglyphiques font de tous les plus faciles
& les plus expéditifs pour repréfenter une centaine
de phrafes convenues. Ainfi dans l'hypothèſe
où il feroit queftion de communiquer à une efcad: e
l'ordre fuivant l'ennemi paroît , chaffe générale;
ou bien à des affiégés cet ordre- ci : avant le point
du jour l'on attaquera les lignes ; de votre côté
faites une fortie . Voilà dans le premier exemple
vingt- huit lettres , & dans le fecond fcixante - fix ,
qu'un feul fignal , préalablement contenu , pourra
en un moment tranfmettre , foit d'un vaiffeau à
d'autres , ou de deffus une hauteur dans une place
affiégée . Mais s'il s'agit de communiquer des ordres ,
des avis particuliers , imprévus & détaillés , il eft
fenfible que de tels moyens font abfolument infuffifans
. Cependant la grande facilité de ces fignaux
hieroglyphiques , & auffi la pareffe , peuvent avoir
infenfiblement fait négliger ceux par lefquels l'on
avoit fu former les phrafes ; enfuite l'ignorance
paroît les avoir totalement perdu de vue , quoiqu'infiniment
fupérieurs aux autres . Au furplus ,
voici comme je conçois les procédés alors ufités pour
ceux- ci ; en en faifant l'application à notre alphabet
François. L'on avoit fait dreffer , de diftances en dif.
tances , à la portée de la vue , & autant qu'il étoit
poffible , fur des lieux élevés & apparens , des mats ,
aux pieds defquels étoient établis des efpèces de
vedetres baraquées à pofte fixe . Chacun de ces petits
établiffemens doit être fuppofé avoir été foumí
au moins de vingt- cinq pavillons , lefquels étaient
A
( 135 )
,
affujettis de façon à ne pouvoir être les jouets des
vents , & qui d'ailleurs bien différenciés par des couleurs
& des formes tranchantes , devoient ainſi ,
d'après une convention fecrette , tenir lieu chacun
d'une des 24 lettres de l'alphabet. Le vingt - cinquième
pavillon que j'ai dit être néceffaire , étoit
Pour le fignal , d'attention au commandement
Maintenant fuppofons que de Verſailles ces anciens
Afiatiques cuflent dû faire parvenir à Brest , ou à
Strasbou le contenu d'un ordre commençant par
ces mots : Le Roi ordonne que , &c. D'abord , l'on
auroit pu élever un drapeau blanc , fuppofé figual
d'attention au commandement : fur le champ , les
védettes , de poftes en poftes , en auroient aufli fait
flotter un pareil , & l'auroient laiffé en vue pendant
quelques minutes , afin d'être bien affurés que fuz
toute la route les vigies étoient préparées à recevoir
& tranſmettre les ord : es . Alors baillant le f
gnal blanc , l'on aureit élevé celui qui , par convention
, auroit pu repréfenter la lettre L, qui tout
de fuite eût été remplacé par le figre affecté à la
lettre E , lequel aufli preftement eut fait place à la
lettre R , il en eût été de même de 0 , de 1 , &
du refte de l'ordre 'portant , comme l'on a dit , le
Roi ordonne que , &c. L'on pouvoit de plus indiquer
une erreur , une fimple paufe , ou la féparation
des mots , en faifant auf Blotter en l'air un
autre figne quelconque. L'on voit que par le moyen
de ces fignaux alphabétiques , plufieurs corps d'ar
mées pouvoient entretenir correfpondance entr'eux ,
ou avec une Place affiégée : il en auroit été de même
'des vaiffeaux d'une Efcadre avec leur Commandant.
J'obferverai de plus , que les feules perfonnes de
confiance , chargées en chef de faire parvenir &
recevoir les ordres , pouvoient connoître la valeur
convenue des fignaux qu'elles faifoient employer ;
tous les fubalternes intermédiaires les répétoient ,
fans pouvoir en pénétrer le fens . D'ailleurs , rien dé
(-136 )
plus facile que de changer de tems en tems cette
elpèce de chiffre. Ainfi , un pavillon bleu triangu
laire , on long , ou quarré , & , comme j'ai dit ,
convenablement affujetti , auroit pu fignifier aujours
d'hui la lettre A , & demain la lettre V. Quant
aux fignaux de nuit , quoiqu'un peu plus compliqués
, & dès- lors, un peu moins prompts ,
ils ponvoient
être tout auffi fûrs : par exemple , lorfque
certains feux avoient donné le ſignal d'attention au
commandement ; auffi-tôt vingt-quatre espèces de
lanternes de diverfes couleurs & formes , & fixées
fur des tringles , les unes courbes ou quarrées , les
autres rondes ou triangulaires , & c. pouvoient , non
moins facilement , tenir lieu de chacune des lettres
de l'alphabet , en, fuivant d'ailleurs les memes pro
cédés que dans l'exécution des figuaux de jeur.
1
On écrit de Vierzan , dans le Berry
que le 28 du mois dernier , par les foins
de M. de Cazeau , Confervateur , & M.
Mollard , Infpecteur des Chaffes de Mgr le
Comte d'Artois , il a été tué dans la forêt
de ce nom , 17 louvetaux. Les Officiers fe
flattent de parvenir à détruire ces animaux
féroces & redoutables aux beftiaux , dins
ce canton , connu pour être un des plus
fertiles & des plus agréables de la Province.
M. , je prens la liberté de vous prier au nom &
de la part de Madame la Comteffe de Lénoncourt
une de vos Abonnées , de vouloir bien inférer l'avis
fuivant dans votre Journal . Je le fais , avec d'autant
plus de confiance , qu'il s'agit de rendre un fervice
très important à un infortuné. On a trouvé , il y a
quelque tems , une fomme d'argent affez confidérable
, avec quelques autres effets , fur la route de
Toul à Thiancourt & à Saint- Mihiel , Province de
Lorraine. Les foins que l'on a pris jufqu'à préfent ,
( 137 )
pour en découvrir le Propriétaire , ont été inutiles.
Celui qui a fait cette perte peut s'adreffer a Madame
de Lénoncourt , dans fon Château de Pierrefort, proche
Pont - à - Mouflon en Lorraine : elle fera connoître
volontiers celui à qui il faut parler pour récupérer
cette perte . Le tout fera rendu gratuitement
à condition néanmoins & non autrement , que celui
qui en fera la répétition déclarera au juſte & en
détail , les circonftances du tems de la perte , comme
le mois , l'année , &c.; du montant de la fomme
& ce qui la contenoit , da nombre & de la valeur
des pièces ; enſemble de la quantité & de l'ef
pèce des autres effets perdus. 11 fera auffi connoître
fon nom & fon domicile , afin qu'avant de rendre
on foit affuré , par des gens dignes de foi , qu'il
n'emprunte pas le nom de celui qui a perdu & dont
il auroit appris toutes ces circonftances. On peut
foupçonner d'ailleurs par quelques circonftances, que
cette perte provient d'un vol qui auroit été fait récemment.
›
Nous venons de recevoir l'avis fuivant
que nous nous empreffons de publier ;
nous vient d'un Marin qui s'eft occupé .
long tems de recherches fur la manière d'obferver
les longitudes en mer ; cet objet eft
trop important pour qu'on ne doive pas
defirer qu'on multiplie les moyens ; nous ne
pouvons ici que faire des voeux pour le
fuccès des deux Inventeurs.
fa
Je ne fais pas s'il peut y avoir deux méthodes
fimples & aifées d'obferver la longitude en mer ,
felon l'Aftronomie ; mais je donnerai avec affurance
ma foumillion pour une , auffi parfaite que
le comporte. Sans une grande facilité dans l'opé
tation ce feroit une découverte bien ſtérile . Si
M. le Chevalier de Fornay & moi avons puifé nos
nature
( 138 )
moyens à la même fource ; fi nous n'avons qu'une
même idée fur le même objet , comme je le préfume
, cet Officier ne pourra du moins me conteſter
l'avantage de la primauté , ayant pour appuyer ce
que je dis des pièces authentiques , & je pourrois
même avancer , avoir fur ma méthode l'approbation
prématurée d'une Académie , fans qu'elle s'en
doute. Ceci paroîtra un peu énigmatique : il n'importe
, j'en expliquerai le fens quand il faudra.
Des raifons particulières m'avoient fait différer
l'hiver prochain à publier ma manière de réfoudre
une queftion auffi intéreffante pour les gens de mer ,
& fi les raifons fubfiftoient encore à l'époque indiquée
, je me verrois forcé à un retard. Plus une
découverte eft précieufe , plus ceux que la fortune
en a favorifé , ont de précautions à prendre , pour
en adapter plus sûrement l'ufage aux befoins de la
fociété plus ils doivent donc être circonfpects .
-Quoiqu'il en feit , puifqu'il fe préfente un concurrent
, je crois devoir me faire mettre , dès aujourd'hui
, fur les rangs ; & dans le cas qu'il en furvience
quelqu'autre , j'espère que le public prendra aui
volontiers confiance , en cet avis d'un marin , qu'en
celui d'un militaire : feroit-il poffible , que l'un
n'eût pas plus à dire à cet égard que l'autre , &
qu'ils fuffent tous deux parfaitement d'accord !
C'est ce qu'on apprendra du temps , &c . — Il fercit
humiliant pour les navigateurs en général , & reprochable
à jamais , fans doute , qu'un Officier d'infan
terie , qui , en allant à l'Ile de France , paffoit la
mer peut-être pour la première fois , fût venu prendre
, fous leuis yeux , un moyen de plus d'affurer
la navigation , pour le leur montrer. On tâchera
de leur épargner ce défagrément. Signé , J. D. L. S.
M. Pujos & M. Vidal, Artiftes diftingués , & également
recommandables par leurs qualités perfonnelles
& par leurs talens , fe fent réunis pour reproduire les
traits du Prince des Orateurs du Barreau. Le premier
( 139 )
l'a deffiné d'après nature avec ce feu, cette correction
ce fini qui caractériſent toutes les productions de fon
crayon , & le fecond les a rendus avec une fidélité
qui fait honneur à fon burin. Ce portrait intéreſſant
de M. Gerbier qui offe non-feulement la reffemblance
parfaite , mais encore , pour ainfi dire , l'ame
d'un grand homme , eft dédié à Madame la Comteile
de la Saumès , ſa fille ( 1 ) .
On vient de publier ici un nouveau plan routier
de cette Capitale & de fes fauxbourgs qui mérite
d'être diftingué ; il eft l'ouvrage de M. Pichon , Ingénieur
- Géographe , qui y a joint les principaux
édifices. Ces acceffoires ne font pas feulement des
ornemens ; ils peuvent donner une idée de cette
giande ville aux étrangers ; & fous ce point de vue
s'il eft utile à ceux qui y voyagent , il peut être
agréable à ceux qui n'y viennent pas ( 2) ,
De BRUXELLES , le 11 Juin.
IL va fe former à Oftende une Compagnie
d'Affurance ; fes fonds feront deux millions
de florins , partagés en 2000 actions . On
dit que l'Empereur a donné l'octroi pour
cet établiffement.
Selon les lettres de Hollande , l'efcadre
Angloife qu'on fuppofe aux ordres de l'A-
(1 ) Il fe trouve à Paris chez M. Vidal , rue des Noyers ;
prix 1 liv. 4 f.
(2 ) Ce plan fe trouve à Paris chez MM. Efnauts & Rapilly,
rue St Jacques , à la ville de Coutances ; à la Rochelle
chez M. Dauvin , & à Nantes chez M. Sebire ; le prix en
eft de 6 liv. On trouve chez les mêmes , à Paris , le
portrait de M.Portal , Médecin , d'après le deffin de M.
Pujos ; prix 1 liv. 4 f.
---
I
( 140 )
miral Hove , a été revue fur les côtes de
la République le 25 du mois dernier ; la
force des vents ne lui permit pas de gar
der long-tems cette ftation , qui l'auroit
expofée à échouer. Le premier de ce mois
elle reparut.
On affure , écrit- on d'Amfterdam , qu'elle confifte
en 18 à 19 vailleaux o frégates ; on paroît craindre
qu'elle n'ait en vue de faire une attaque fur le Viie,
& l'on apprend que les Patrons des navires qui s'y
trouvent , ont eu ordre des Capitaines des vaiffeaux
de guerre , de ſe retirer plus en arrière , afin d'être
hors de danger , dans le cas où les Anglois voudroient
tenter cette attaque. On a pris auffi la précaution de
déplacer les balifes . Les vaiffeaux de guerre le font
même retirés plus avant dans le port , & fe font
rangés de manière qu'ils forment une batterie formidable.
Depuis le 29 du mois dernier , il est foni
des ports du Texel & du Vlie , plufiers navires
marchands , dont 3 font deftinés pour Curaçao , 4
pour Surinam , d'autres pour la mer Baltique , &
plufieurs pour les ports de France & la Méditerranée.
-
On fait par- tout des difpofitions pour re
pouffer l'ennemi , s'il a réellement les projets
qu'on lui fuppofe & que lui prêtent
les papiers Anglois.
Les derniers avantages que cette nation
vient de remporter , ne paroiflent pas aux
Hollandois une raifon de croire qu'elle
foit à préfent la maitreffe de terminer à
fon gré les évènemens de la guerre.
» Les Anglois , lit- on dans des lettres de la Haye ,
exagèrent , fuivans leur coutume , les fuites de leurs
progrès aux Indes- Orientales . Mais , quoique le fort
& le comptoir de Négapatnam foient d'une impor
( 141 )
tance affez grande fur la coce de Coromandel , il s'en
faut de beaucoup qu'ils triomphent fans obftacle
dans cette partie du monde. Le moindre appui qu'on
pourra donner aux Nationaux , peut faire prendre
aux affaires un nouveau tour , dans un pays où les
révolutions ſo t hi fréquentes & fi faciles . La
prife de deux forts dans la baie de Trinquemale , n'eft
certainement pas la conquête de l'ile entière de
Ceylan. En admettant même que les Anglois foient")
aidés par le Roi de Candi , le principal Souverain de
l'ifle , ce Prince qui fait la réfidence à plus de cent
milles des forts conquis , fera-t -il en état de porter
dės fecours à fes nouveaux hôtes certe baie n'a
d'ailleurs jamais été un lieu de relâche ; ce n'eft pas
dans les environs qu'on trouve la production précieufe
de cette ifle . C'eſt Colombo qui eft la réfidence
du Gouvernement Hollandois ; & la conquête
des autres ports , d'où le tire la canelle , exigeroit des
efforts qui pourroient bien être balancés par l'efcadre
Françoife & Hollandoi e , qui fe trouvoit alors au
port d'Achem , à la pointe de life de Sumatra «.
L'affaire de la faifie de la frégate Danoife
le St-Jean , commandée par le Capitaine
Herbft , n'eft point encore finie ; le Chevalier
de Llano , Miniftre Plénipotentiaire
d'Espagne à la Haye , remit le 27 du mois
dernier aux Etats- Généraux un Mémoire fur
ce fujet ; comme il jette du jour fur cette
affaire , nous le tranferirons ici.
» H. & P. S. , des vaiffeaux de guerre de S. M. C. ,
conduifirent à Cadix , en Février dernier , la frégate
Danoile le Saint - Jean , commandée par le fieur
Herb . Ay nt reconnu que c'étoit un bâtiment marchand
, quoiqu'il y eût deux Officiers de la Marine
Royale Danoiſe , celui qui commandoit & un autre ;
qu'il n'appartenoit pas à S. M. D. , quoiqu'il cût
( 142 )
compte
abufé de fon pavillon'; qu'il n'étoit pas fuffifamment
aimé pour être un vaiffeau de guerre comme on
vouloit le prétendre ; qu'il portoit des munitions de
guerre , qui font des effets de contrebande , felon
tous les traités , & nommément felon ceux auxquels
l'article 2 de la convention de la neutralité armée ſe
réfère ; qu'il s'étoit auffi rendu fufpect , en s'arrêtant
dans les mers voifines de la place bloquée de Gibraltar
; on auroit pu prendre les réfolutions les plus
férieufes fur cette rencontre. Cependant , le Roi , par
pure confidération d'amitié envers S. M. D. , ordonna
qu'on proposât au Capitaice du bâtiment Danois ,
qu'on lui achetteroit , › pour le de S. M. C. ,
toutes les munitions de guerre & autres effets qui
étoient à bord , & qu'on lui rendroit fa liberté , ou
qu'on mettroit en dépôt fa cargaifon juſqu'à nouvel
ordre. Le Miniftère du Roi , en communiquant à la
Cour de Danemarck le parti propofé au fieur Herbft ,
a ajouté que fi l'achat de la cargaifon ne s'effectuoit
pas , S. M. C. demanderoit aux autres Souverains , &
particulièrement à l'Impératrice de Ruffie , qui a été
la première à propoſer & à adopter le fyftême de la
neutralité armée , comment on devoit entendre
Particle z de fa convention pour le cas préfent qui ,
felon toutes les circonftances , eft celui qui doit être
déterminé par cet article . - Le Comte de Reventlau ,
Envoyé du Roi de Danemarck à Madrid , a donné ,
pour réponse à cette communication , une note en
date du 3 Avril , dans laquelle , après avoir expliqué
que la cargaifon du Saint-Jean appartenoit actuellement
à S. M. D. , & que le vaiffeau eft à ſon ſervice ;
il déclare que ce bâtiment étant muni de l'unique.
caractère indiſpenſable des vaiſſeaux de guerre , favoir
du pavillon militaire , S. M. D. ne doute point
que le Roi donne immédiatement ordre de le relâcher,
& de le faire confidérer à fa fortie de Cadix
comme vaiſleau de guerre. Le Roi Catholique .
2
―
་
( 143 )
n'écoutant que fa générofité & fes fentimens d'amitié
pour S. M. D. auroit pu faire remettre les effets
trouvés à bord du vaiffeau , quoique de contrebande ,
puifque ce font des munitions de guerre, depuis la
déclaration qu'ils appartenoient à S. M. D.; mais
comme on cherche à établir le nouveau principe de
regarder comme vaiffeau de guerre tout ceux qui
porteront payillon militaire , qui , felon la façon de
penfer de la Cour de Danemarck , eft l'uniquer
caractère indifpenfable , quand même ce feroient
des navires Marchands qui ne feroient pas fuffifamment
armés , comme c'eft le cas du bâtiment le
Saint-Jean , le Roi Catholique croit ne pas pouvoir
ici devoir prendre une réfolution pofitive & finale
fur cet évènement , avant de connoître la façon de
penfer des Souverains qui font compris dans la confédération
des Neutres & des Puitfances maritimes
fur ce nouveau principe , qui par l'abus que tout
vaiffeau Marchand en pourroit faire , rendroit nulles
les précautions prifes dans tous les Traités , relatives
à l'exemption des vaiffeaux de guerre , à la vifite &
à la détention des autres. Le Roi m'a ordonné en
conféquence d'en faire part à V. H. P. , ajoutant
que S. M. fuivra fans difficulté ce nouveau ſyſtême
de confidérer comme bâtiment royal de guerre ,
celui qui portera pavillon militaire , qu'il foit où
non bâtiment Marchand , & plus ou moins armé , fi
les Puiffances maritimes trouvent qu'il eft jufte de
l'adopter. Le Roi feulement dans ce cas , fe réfervera
le droit de faire tels règlemens que S. M. jugera
convenable pour le commerce maritime des autres
nations dans fes Etats , ports & mers , afin d'éviter
des inconvéniens & des abus « .
-
Il paroît un plan de Traité d'amitié & de
commerce entre la République de Hollande
& les treize Etats -Unis de l'Amérique Sep144
tentrionale. Il diffère de très peu du fameux
Traité éventuel de 1778. M. Adams le remit
le 26 du mois dernier , & il a été pris ad
referendum par les Députés des Provinces ,
conformément à la réſolution ſuivante des
Etats Généraux du même jour.
» MM . de Randwyck & autres Députés de
L. H. P. aux affaires étrangères , en conféquence &
pour
fatisfaire à leur réfolution commifforiale du 23
Avril , ayant été en conférence & en négociation avec
M. Adams , Miniftre-Plénipotentiaire des Etats-Unis
de l'Amérique , touchant la formation des liens d'amité
& de commerce entre les deux Républiques , ont
rapporté à l'aſſemblée que dans cette conférence ,
M. Adams a dit , que la meilleure manière d'entrer
à cet égard en conférence , feroit de remettre l'ef
quiffe d'un Traité femblable ; qu'à cette fin il en
a préfenté une ébauchée en langue Angloife , efpérant
qu'on voudroit l'examiner , & y annexer tels
articles qu'on jugeroit convenables . ( Ici eft le
Traité en queftion ) . Sur quei ayant été délibéré ,
MM. les Députés des Provinces refpectives ont
accepté copie du rapport fufmentionné , de même
que dudit projet d'un Traité d'amitié & de commerce
, dès qu'il fera traduit de l'Anglois pour être
communiqué plus amplement chez eux ; & fans y
préjudicier , il a été trouvé bon & entendu que copie
pareille fera mife entre les mains de M. Leenhof
de l'E pierre , & autres Députés de L. H. P. aux
affaires maritimes , pour vifiter , examiner ,
tendre à cet égard , & recueillir les conſidérations &
l'avis des Comités ici préfens , des Collèges d'Amirauté
refpectifs , & faire enfuite du tout leur rapport
à cette Affemblée «.
enJOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril.
LE café dont l'ufage eft général ici , &
la confommation par conféquent très grande
eft devenu exceffivement cher depuis quelque
tems . Les murmures du peuple devenoient
très- vifs & pouvoient avoir bientôt
des fuites propres à alarmer l'Adminiſtration ;
le Grand- Vifir pour les faire ceffer & s'inf
truire exactement de leur caufe , a eu recours
à un moyen employé -fouvent dans
l'Orient par les Adminiftrateurs qui , trompés
ordinairement par ceux qu'ils chargent de
prendre des informations , ont fenti la néceffité
de ne s'en rapporter qu'à eux mêmes; il
s'efttravesti en payfan, & fous ce déguiſement
il a été chez les marchands qui font le
commerce de cette denrée ; il s'eft convaincu
que quatre Juifs s'étoient réunis pour l'accaparer
toute entière ; ils l'avoient acheté .
en gros , & la revendoient en dérail au prix
qu'ils vouloient y mettre . Ce monopole eſt
22 Juin 1782. g
( 146 )
expreffément défendu par les loix Mufulmanes
. Le lendemain matin le Grand- Vifir
fit pendre ces quatre accapareurs , & faifir
leur café qui fut vendu au profit du tréſor
du Sultan , mais à un prix très-modéré.
S'il faut en croire des avis reçus de l'Inde
par la voie d'Alep , les Hollandois ont fait
des pertes confidérables. Les Anglois fe font
emparé de quelques unes de leurs riches factoreries
fur le Gange ; mais on fait combien
il faut fe défier des nouvelles que nous recevons
de ces contrées . Depuis quelque tems
on en a tant publié qui ont été enfuite démenties
, qu'on a lieu de croire que celles-ci
ne fe confirmeront peut- être pas davantage.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Mai.
ON compte actuellement dans le Sund
65 bâtimens deſtinés pour la Baltique , &
qu'un vent contraire y retient ; on a ſignalé
d'Hellingor une centaine de navires de différentes
Nations , la plupart fous pavillon
neutre ; les Anglois eux - mêmes commencent
à l'adopter à la place du leur ; nous en avons
déja vu arriver quelques uns fous celui de
l'Empereur.
On a fait partir d'ici , il y a quelques
jours , 4 bâtimens chargés de provifions
pour l'Iflande , un quatrième a mis à la voile
en même-tems avec une, pareille cargaifon
pour le Groenland,
( 147 )
Le Capitaine Billé & le Lieutenant Krugger
, l'un & l'autre de la Marine Royale ,
qui ont été fervir en France en qualité de
Volontaires , font de retour ici depuis quelques
jours.
On apprend de Ruffie que l'efcadre deftinée
à croifer cet Eté pour la protection
de la navigation , fe difpofe à mettre
à la voile. Elle eft compofée de 10 vailleaux
de ligne & de quelques frégates.
Selon d'autres lettres de Pétersbourg on
'y a fait un relevé des Villes & Bourgs qui
ont été bâtis dans cet Empire depuis le règne
de l'Impératrice actuellement régnante ; onles
porte à 132. On ajoute que S. M. I. a
donné des ordres pour en conſtruire encore
144 , & qu'elle a pris les arrangemens néceffaires
pour fournir aux frais de ces conftructions
, & fur -tout pour les fournir
d'Habitans , fans nuire à la population des
diftricts voifins.
Le relevé des naiffances & des morts
pendant l'année 1781 dans tous les Etats.
de S. M. Danoiſe , le Danemarck , la Norwége
& nos poffeffions en Allemagne , vient
d'être publié . En voici le réfultat ; le nombre
des naiffances eft de 67,877 , & celui
des morts de 53,202 ; de forte que le premier
excède le fecond de 14,675.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 20 Mai.
Le Roi a rappellé le Baron Zoge de
g 2
7148 )
Manteufel , fon Miniftre Plénipotentiaire à
la Cour de Berlin ; S. M. l'a nommé premier
Ecuyer de la Princeffe Sophie Albertine.
Il fera remplacé auprès du Roi de Pruffe
par le Baron d'Ehrenfward , actuellement
fon Miniftre Plénipotentiaire à la Haye.
Le Baron Van der Boreh , Envoyé extraordinaire
des Etats- Généraux des Provinces-
Unies , eft arrivé ici le 11 de ce mois.
Une indifpofition qui lui eft furvenue a
retardé jufqu'à préfent fon audience publique.
On mande de Gothenbourg que le navire
de la Compagnie de Groenland , la Clara-
Sophia , en a mis à la voile pour aller à la
pêche de la baleine .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 25 Mai.
L'EMPEREUR eft à Laxembourg , où l'on
dit qu'il fe propoſe de refter quelques jours
pour y prendre des bains aromatiques qui
lui ont été ordonnés , après l'indifpofition
qu'il a eue aux yeux.
L'exécution de l'Edit de Tolérance rencontre
toujours des difficultés en Bohême.
L'Empereur a , dit- on , chargé M. de Hay ,
Evêque de Leitmeritz , de fe rendre dans
plufieurs Diocèfes , pour prendre des connoiffances
fur la nature des difficultés , &
en faire enfuite rapport à S. M. I.
On affure qu'il fera érigé à Lintz un nou(
149 )
vel Evêché , dont le Diocèfe comprendra la
Haute - Autriche ; la Baffe fera annexée à
l'Archevêché de Vienne ; la Haute dépend
de l'Evêché de Paffau ; mais il paroît que
la Cour ne veut plus aucune Jurifdiction
Epifcopale étrangère dans les Etats Autrichiens.
Il a été publié dans le Royaume de Hongrie
une Ordonnance qui porte , que toutes
les terres qui retourneront à l'avenir à la
Chambre Royale , feront vendues pour un
prix raisonnable à des Hongrois qui auront
bien mérité de leur patrie.
Il a été envoyé à tous les Cercles du
Royaume de Bohême , un décret Impérial ,
qui enjoint à toutes les perfonnes qui ont
des créances fur les Maifons Religieufes ,
ou qui avoient placé entre leurs mains des
capitaux , de porter leurs prétentions devant
le fifc Royal , dans le terme de trois femaines
, qui fera cependant prolongé juſqu'à
un mois & demi en faveur des Etrangers.
Parmi les objets d'Adminiſtration dont
s'occupe actuellement l'Empereur , on en
remarque plufieurs qui font très- intéreſſans ;
les priviléges des divers Corps de métier ne
feront plus renouvellés ; & il fera libre dorénavant
à qui que ce foit de travailler fans
fe faire recevoir dans aucun Corps. La Ferine
de tabac qu'avoient les Juifs , fera , diton
, fupprimée ; on en fera une Régie pour
le compte de S. M. I. Les droits de Douane
qui , juſqu'à préſent , étoient en régie , vont
83
( 150 )
être affermés , & on en exemptera beaucoup
d'articles pour favorifer le commerce .
On s'attend à une nouvelle Ordonnance
qui règlera l'habillement des Domeſtiques ,
que la vanité des Maîtres a pouflé depuis
quelque tems à l'excès de luxe le plus ridicule.
Des Marchands Juifs ont préſenté requête
au Magiftrat , pour obtenir la permiffion
d'ouvrir des boutiques à la Foire prochaine
de Sainte - Marguerite ; elle a été accordée à
une vingtaine d'entre eux , qui ont promis
de vendre 12 grofch la livre de café , dont
le prix eft de 16 grofch chez tous les autres
Marchands .
De HAMBOURG , le 30 Mai..
SELON les lettres de Vienne , le Comte
d'Aurach y prolonge fon féjour , & continue
d'y voir tout ce que cette Capitale
offre de remarquable ; il a vu fucceffivement
la Bibliothèque Impériale , les Cabinets de
curiofité , la Manufacture de Porcelaine ,
&c. , & il a honoré de fa vifite les Miniftres
de l'Empereur . Selon les Politiques
la 9e dignité Electorale , vacante depuis la
réunion du Palatinat & de la Bavière , eft
l'objet de fon voyage. Ils vont même plus
loin , ils affurent que le Roi de Pruffe a
déja donné fon confentement à cette affaire .
Beaucoup de payfans étrangers , écrit- on de la
Pologne Autrichienne , viennent s'établir ici . Il eft
arrivé entr'autres vingt-fept familles Heſſoiſes , qui
"
( 151 )
affurent que plus de cent autres familles fe difpofent
à les fuivre. Les communautés des Juifs établis
dans ces Provinces , ne font plus tenues de répondre
à l'avenir pour les impofitions des pauvres de cette
nation. Ceux qui ne feront point en état de ſe ſoutenir
par leur travail , & de payer les impôts , feront
obligés de quitter le pays ; on n'en excepte que les
malades & les eftropiés ; & les Juifs ailés feront
chargés de les entretenir & de payer pour eux «
On étoit fort curieux de favoir le réfultat
du voyage du Pape à Vienne ; l'exécution
des Loix de l'Empereur fuffifoit peutêtre
pour le faire préfumer ; on prétend
qu'il a été arrêté entre le Chef de l'Eglife
& le Chef de l'Empire , les points fuivans ;
nous nous contenterons de les tranfcrire
comme nous les trouvons dans tous les
papiers publics d'Allemagne .
" 1. Les Evêques donneront à l'avenir les difpenfes
pour les mariages . 2 °. Ceux qui quitteront
les ordres religieux , obferveront , comme auparavant
, les règles de la chafteté & de la pureté , &
ils feront foumis à l'Evêque du Diocèfe ; les religieux
& les religieufes ne pourront faire de teftamens.
3 ° . Ceux qui voudront profiter de l'Edit de
tolérance , feront tenus de déclarer dans un certain
tems , quelle religion ils fuivront. 4°. Les appels
à la Nonciature cefferont . 5°. Le Souverain donnera
les bénéfices dans le Milanois ; le Pape propoſera
les fujets pour les Evêchés ; le Souverain les préfentera
, & le Juge Apoftolique les confirmera.
6 °. Le ferment que les Evêques prêteront , fera
le même qu'on prête dans l'Eglife Gallicane . - Les
mêmes papiers ajoutent d'après des lettres des
frontières d'Italie , que les Abbés des Couvens
dans la Lombardie Autrichienne , prendront doré-
,
g 4
( 152 )
-
navant le titre de Prieurs , & il leur fera défendu
d'avoir des carroffes & des chevaux . On fapprimera
encore neuf couvents à Mantone , & il en
fera fupprimé dix-fept dans le territoire de Sienne «.
On dit que le Chapitre de Hradifch en
Moravie , ayant demandé la permiſſion
d'acheter une terre , qui étoit à fa convenance
, il lui a été répondu qu'il pouvoit
l'acquérir ; mais à condition qu'il revendroit
de fes anciennes poffeffions pour
la valeur de cette acquifition nouvelle .
:
Le 18 de ce mois , lit- on dans une lettre de
Dantzick , à deux heures après midi , une aflez
grande maifon de cette ville s'écroula ; elle entraîna
dans fa chute la maiſon voifine . He reufement
pour les locataires de cette feconde maiſon , ils
fe trouvoient tous dans un corps de logis reculé ,
bâti fur le derrière & qui ne fouffrit point de cet
évènement lorsqu'il arriva . Ceux de la première
ne furent pas fi heureux le maître , la maitreſſe
& deux fervantes furent ensevelis fous les ruinęs ,
d'où l'on les retira quelques heures après . La maitreffe
& unee des fervantes vivoient encore , mais
bleffées en plufieurs endroits , avec les bras & is
jambes caffées . Le maître & l'autre fervante étoient
morts en pièces. De tous les enfans qui appartenoient à
cette maiſon il n'en périt pas un ; ils s'étoient fauvés
au moment même où la mai on avoit commencé
à craquer. Si ce malheur étoit arrivé un jour
d'Ecole , ( il s'en tenoit une d'enfans de famille &
très-nombreufe dans cette maifon ) , les principaux
habitans auroient été plongés dans le deuil. Heureuſement
c'étoit un famedi après midi , il y avoit
congé « .
*** La maladie épidémique qui a régné dans
le Nord , & qui a pris le nom de fièvre
( 153 )
du Nord , s'eft auffi manifeftée à Mayence ,
où grand nombre de perfonnes en font
attaquées , entr'autres 1 Electeur.
On apprend de Hanovre que les troupes
de cet Electorat font affemblées , & prêtes
anarcher au premier ordre. 3 vaiffeaux
de guerre Anglois & 17 tranfports , font
arrivés dans l'Elbe ; 12 de ces derniers fe
font rendus à Bremerlehe , & les 5 autres à
Stade , pour y prendre à bord les troupes
Allemandes qui doivent paffer en Amérique .
Suivant les dernieres lettres de Pétersbourg,
les difficultés qui avoient fufpendu l'admiffion
de la Pruffe dans la confédération des 3
Puiffances du Nord , pour le maintien des
droits de la neutralité , ont été levées par
rapport à la Cour de Suède ; mais elles
febfiftent , dit- on , encore de la part du
Danemarck .
Une jeune fille de Grootkehl dans le Meklenbourg-
Shwerin , pauvre & fans établiffement
, a eu recours au Roi de Pruffe pour
changer fon fort , elle lui a adreffé la lettre
fuivante :
" Grand Roi , daignez excufer l'audace d'une
pauvre fille qui vous demande une grace ;
écoutez-moi avec cette bencé qui vous eft propre
& qui fait volontiers de heureux . Accordez moi ,
bon Roi , une petite métairie dans vos nouvelles
colonies. Je fuis maintenant pauvre & malheureuſe ;
mais fi vous m'accordez ma prière , je ne troque de fort
avec perfonne ; je me choifirai alors pour mari un
honnête-homme qui m'aime , avec qui je pafferai
des jours heureux fous la domination de mon bien
Y
8 5
( 154 )
તે
faiteur & de mon Roi. Chaque matin je demanderai
pour vous , à Dieu , de la joie & de la fanté. Il
vous eft fi aifé de réaliſer mon fonge de bonheur !
Que ma prière vous touche ! bon Roi , exaucez - la !
J'emoraffe vos genoux , & je ne ceſſerai de vous
prier que vous ne m'ayez dit : j'accorde ta demande.
Je vous demande auffi grace & pardon pour cet
écrit , que de mon propre mouvement & fans que
perfonne en foit inftruit , j'ofe mettre à vos pieds .
Il eft de mon devoir , grand Roi , de recevoir votre
réfolution , quelle qu'elle puiffe être , avec un refpect
profond & filial «.
Le Roi , après avoir reçu cette lettre , a
donné l'ordre fuivant à M. de Werder ,
Miniftre d'Etat.
» Mon cher Miniftre d'Etat , quand Henriette
de Mecklenbourg Schwerin fera mariée avec un
honnête-homme , je lui ferai douner , felon fa
prière naïve & touchante que je joins ici , un établiffement
dans la Colonie de Priegnitz. Vous la lui
procurerez en fon tems. Mais quant à cette réfolution
de mon plaifir Royal , vous la lui déclarerez
d'abord ".
ITALIE.
De FLORENCE , le 25 Mai.
LA Commiffion pour les Monaftères vient
d'envoyer par ordre fuprême à tous les
Supérieurs des Couvens une lettre circulaire
, par laquelle il leur eft ordonné d'envoyer
une lifte exacte du nombre des Religieux
& Religieufes , & du revenu de
chaque Maifon de ce grand Duché.
» Il a été adreſſé , écrit - on de Naples , au Prince
´de Stigliano , un ordre du Roi , en vertu duquel il
( 155 )
eft chargé de faire éclairer les rues de cette Capitale
pendant la nuit . —— Le Parlement triennal du
royaume de Sicile s'eft affemblé à Palerme ; on
apprend que tout s'y eft paffé dans le plus grand
ordre , & que les Etats ont accordé à S. M. un Don
gratuit très- conſidérable . La levée d'un Corps de
Milice qui fera porté à 24,000 hommes a eu le plus
grand fuccès . On y a déja envoyé plufieurs Officiers ,
tous gens inftruits & d'une probité éprouvée . ·
Un Courier expédié d'ici à Rome au Connétable
Colone , lui porte l'ordre de faire tous les préparatifs
néceffaires pour préſenter au Souverain Pontife ,
le jour de S. Pierre , le tribut ordinaire de la Haquenée
«.
S. S. eft enfin rentrée dans l'Etat Eccléfiftique
le 21 de ce mois ; le lendemain
elle tint à Ferrare un Confiftoire fecret
avec les Cardinaux Des Lances , Caraffa &
Boun-Compagni , dans lequel elle a nommé
Cardinal - Prêtre l'Archevêque de cette Ville ;
on ignore encore fon titre ; mais on croit
que le Pape le déclarera dans le Confiftoire
qu'il a deflein de tenir à Imola .
» Cette Ville , écrit-on de Trieste , ſe diſpoſe à
faire un grand commerce par la mer Noire , avec les
habitans des bords du Nieſter , du Bog & du Nieper ,
files trois fouverains qui y dominent confultent
affez leurs propres intérêts pour y conſentir . L'Empereur
a dit- on envoyé en Pologne deux Mathématiciens
célèbres pour examiner le cours du Nieſter ,
& voir s'il eft poffible de rendre ce fleuve navigable.
S. M. fera fans doute auffi examiner les
deux autres . Elle a fait partir de cette Ville quelques
Négocians expérimentés , pour prendre à la gauche
& à la droite des rives de ces trois fleuves , toutes
les inftructions relatives au commerce d'importation
& d'exportation qu'on peut y faire «.
g 6
( 156 )
ESPAGNE.
De CADIX , le 2's Mai.
, L'ESCADRE eft prête à mettre à la voile ;
le vent d'Oueſt qui est toujours très fort ,
la retient feule dans la rade , d'où elle
appareillera auffi - tôt qu'il fera favorable ,
ce qui peut arriver d'un inftant à l'autre.
» L'arrivée de M. Darçon , écrit-on d'Algéfiras ,
n'a pu accélérer les travaux de ce port faute de bras
& de matériaux ; nous n'avions qu'une centaine de
calfats & peu de bois. Tout celui qui a été coupé
dans les environs eft encore couché fur la place ,
à caufe de la difficulté du tranſport : les chemins
font affreux & l'armée ne peut pas fe dégarnir de
troupes ; c'eſt à l'arrivée de celles de Minorque que
deux régimens raccommoderont en peu de jours
4 ou 5000 toifes du chemin par où doivent venir
+
ces bois nous aux blindages
des batteries flotantes.
On
-
envoie encore 2co Charpentiers
de Cadix. — Les ennemis n'ont rien tenté contre
nos lignes. Il faut qu'ils aient eu connoiffance
de notre deffein , car ils fortifient du côté de la mer
des poftes auxquels ils n'avoient pas touché jufqu'à
préfent. Ils ont reçu ces jours derniers deux bâti
mens de guerre & un navire marchand , qui n'ont
pu leur apporter de grands rafraîchiffemens . Le
vent d'Ouest qui règne depuis deux mois & qui
n'a pas permis à un feul bateau de fortir de la
Méditerranée , eft caufe que la baye de Gibraltar
a vu mouiller quelques navires approvifionneurs ;
mais le fiège étant réfolu , ces légers fecours ne
peuvent nous faire beaucoup de tort. Le vent
d'Eft femble vouloir prendre le deffus , & nos convois
feferont fans doute rapprochés ; mais le Ponent
-
( 157 )
a repris aujourd'hui avec de nouvelles forces. S'il
n'eft pas favorable à nos projets , il eft excellent
pour nos campagnes , qui promettent la récolte la
plus abondante «.
Nous apprenons qu'en effet tous les convois
ont profité de la journée du vent
d'Eft ,& qu'ils ont mouillé à Malaga ; comme
il ne leur faut , de cet endroit , que 10 à 12
heures d'une brife ordinaire pour entrer
dans le Détroit & à Algéfiras , ils y feront
bientôt , s'ils n'y font pas déja dans ce
moment .
On fignale dans ce moment le convoi
de Caraque , qui eft très-précieux pour l'Efpagne
, où l'on manquoit déja de cacao .
On apprend de Portugal que le Marquis
de Pombal , dont la fortune & la difgrace,
ont fait tant de bruit , & qu'on peut regarder
comme un des perfonnages les plus
célèbres de ce fiècle , eft mort à Pombal ,
âgé de 85 ans & quelques jours.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 8 Juin.
LES papiers de New-Yorck nous fourniffent
quelques nouvelles de l'Amérique
Septentrionale ; elles fe réduifent à de petites
incurfions , tant de la part des Américains
, que de nos troupes , où l'on a
fait refpectivement quelques prifonniers.
Une des plus confidérables eft la prife faite
par une centaine de loyaliftes d'un petit
( 158 )
pofte fur la rivière de Torn dans la Province
de New Jerfey le 20 Mars dernier ;
il n'y avoit que 25 Américains qui ont perdu
9 hommes ; les loyaliſtes ont eu 2 Officiers
tués , un bleffé avec 6 foldats. Les vainqueurs
ont brûlé le fort & la ville qui n'étoit
qu'un hameau compofé d'une douzaine
de cabanes .
Du côté de Beaufort , le corfaire le Peacok
& les goëlettes la Réfolution & la Rofe ,
firent le 4 Avril une expédition encore plus
heureufe ; ils paſsèrent la baie heureuſement
à l'aide d'un pavillon Américain qui trompa
fi bien les habitans , qu'ils leur envoyèrent
eux-mêmes des pilotes.
Tandis que le Capitaine Stewart & fa troupe
amufoient l'ennemi à Beaufort , le Capitaine M'lean
s'emparoit des navires & des barques qui étoient
dans le port ; opération qui ne lui caufa d'autre
défavantage que celui d'un matelot bleffé légèrement.
Les prifes étoient compofées d'un grand bâtiment
chargé de mats d'efpats , de ris , de tabac ,
& de munitions navales pour les poffeffions Françoifes
de l'Inde , d'une belle geëlette , d'un floop ,
& d'un nombre de radeaux & de chaloupes de pêche.
-Le 9 , le Capitaine Stewart , de la part des Anglois ,
convint avec le Lieutenant - Colonel Enoch Ward ,
& le Major Mounfterence , de la part des Américains ,
d'un échange de prifonniers. Les derniers rendirent
deux hommes qu'ils avoient furpris à piller hors
des ouvrages ; & les Capitaines Maclean & Stevart
, relâchèrent fur leur parole 26 Américains.
-Le 1o , à 11 heures du foir , le Capitai e Stewart
évacua la place , & embarqua fon monde & les
provifions qu'il put , à bord des bâtimens , fans
effuier de perte.
Le 13 , un floop de Sainte- --
(
159 S
:
Croix , chargé de rum , de fel , de cordages , de
toile à voile & d'autres articles , entra à Beaufort ,
& fe trouva pris par des ennemis qu'il ne s'attendoit
guères à rencontrer dans ce port . La lettre du Capitaine
Maclean , datée de la Barre de Beaufort ,
le 16 Avril , nous apprend qu'il s'étoit emparé d'un
grand nombre de papiers & de registres importans
dont M. Edm William Bordein , Ecuyer, étoit chargé,
qu'il avoit deffein d'en propofer la reftitution ,
à condition qu'on lui livrât tous ceux du Gouverneur
Martin. Il ajoute qu'il a pris 37 negres , &
qu'il a à bord plufieurs autres prifonniers qu'il a
été obligé de brûler une grande quantité de brai
de goudron & de térébenthine qu'il n'auroit pû
emporter fans danger , ainfi qu'un beau brigantin
fur le chantier , un nombre de bâteaux de tous genres
, le premier loop dont il s'étoit emparé , &
plufieurs moulins. Il ' comptoit paffer la Barre avec
les prifes le 17 , fi le tems le permettoit. Il ne peut
affurer le nombre des ennemis , mais il conjecture
qu'ils ont beaucoup fouffert par la vivacité de fon
feu. Les drapeaux & les tambours du fort font
en la poffeffion des Anglois.
Des lettres de Charles-Town , en date
du mois d'Avril , annoncent que le fiége
en eft décidément réfolu par les Américains ;
qu'enconféquence le Commandant de la ville
, a fait évacuer le pofte de Savannah pour
fe renforcer des troupes qui l'occupoient ,
& qui ne l'auroient pu défendre fi une fois
Charles Town étoit tombé au pouvoir des
ennemis.
» Le Général Gréen , ajoutent ces lettres , avec
un corps confidérable de troupes Continentales , &
la majeure partie des troupes Françoites en quartier
à Richemond & à Yorck Town , a joint l'autre
armée campée à quelques milles de Charles- Town,
( 160 )
---
& il n'attendoit plus que l'arrivée d'ane efcadre
Françoite pour attaquer cette place de concert avec
elle. On voit par- là , obferve un de nos papiers ,
que l'intention des François étoit d'aider les Américains
à reprendre Charles-Town , après avoir rendu
le même ſervice aux Eſpagnols relativement à quel
ques- unes de nos Ifles & d'aller enfuite dans la
Cheſapeack pour y laiffer paffer la faifon des ouragans.
On penfe ici , que fi les Américains ne
veulent point traiter avec nous , ils ne parviendront
jamais à s'emparer des poftes occupés actuellement
par les troupes Britanniques , fans le fecours d'une
puiffante efcadre Françoife «.
Nos nouvelles des ifles fe réduisent à quelques
lettres particulières qui nous ont été
apportées par le paquebot le Tynne venant
d'Antigoa. Elles nous apprennent que le
convoi parti d'Angleterre pour les ifles , eft
arrivé à la Barbade le 2 Avril ; il avoit à
bord le 14e . régiment.
2 mskeg
Les mêmes lettres confirment ce que nous
favions déja l'arrivée du convoi François à
fa deftination , après avoir fait route en tournant
la Guadeloupe pendant le combat
du 12 .
Il paroît auffi par ces lettres qu'à la hauteur
de Saint - Euftache , le Contre- Amiral
Drake s'eft féparé de l'efcadre de l'Amiral
Rodney , avec quelques vaiffeaux qui réſteront
à la ftation des ifles du Vent. Voici
comme s'exprime à ce fujet un de nos papiers
du foir .
לכ
Malgré la divifion qui a été détachée pour
refter en ſtation à Sainte-Lucie , fous les ordres de
l'Amiral Drake , le Lord Rodney qui a pris le
7161 )
-
chemin de la Jamaïque , avec le refte de l'efcadre ,
en conduifant avec lui tous les vaiffeaux défemparés
, en aura encore trente , qui paroiffent fuffifans
pour faire face à l'ennemi , & pour protéger cette
Ifle. Comme les maladies avoient confidérablement
diminué les équipages , avant le combat
du 12 , on ne croit pas qu'il lui foit poffible d'ar
mer plus d'un des vaiffeaux pris fur les François .
On espère que les autres pourront être réparés fuffi
famment pour fervir de convoi à la flotte de cette
Ifle deftinée pour l'Angleterre. On attendoit avec
impatience le convoi arrivé à la Barbade pour avoir
les bras & les munitions néceffaires ; & la partie de
ce convoi deftiné pour la Jamaïque , a dû mettre à
la voile peu après fon arrivée «<.
Des lettres particulières reçues en mêmetems
n'infpirent pas toute la confiance que
paroît chercher à nous donner cette Gazette
fur les forces de Rodney & fur l'état
où elles le mettent de faire face à l'ennemi ;
elles parlent de plufieurs de fes vaiffeaux
qui font défemparés , de quelques uns qu'il a
été impoffible de mettre en état de fuivre , &
dont un ou deux ont , dit - on , coulé bas après
l'action. Cela peut n'être pas ; mais on a raifon
d'être inquiet d'après le filence de l'Amiral qui
n'eft entré dans aucun détail de fa victoire
& de fes fuites. Un autre motif plus grave
& plus pofitif d'inquiétudes c'eft le rap
port d'un cutter expédié de la Jamaïque
pour reconnoître la flotte Eſpagnole au Cap
François , & qui déclare avoir compté 10
vaiffeaux Efpagnols & plus de 80 tranfports
de cette Nation ; un autre bâtiment
y a compté quelques jours après 16 vaiffeaux
( 162 )
de ligne Efpagnols , & porte à 10,000 hommes
les troupes qu'ils y ont raffemblées. Ces
forces ont été confidérablement augmentées
depuis l'arrivée du convoi de la Martinique
qui a mouillé depuis ; qu'on joigne encore
à l'efcadre Eſpagnole la Françoife qui y eft
arrivée après le combat fous les ordres de
M. de Vaudreuil . Alors il n'eft pas douteux
que nos ennemis n'aient une grande fupériorité
fur Rodney dont les forces ne paroiffent
plus fuffifantes pour leur faire face . Il
eft vrai que les François doivent avoir befoin
de quelques réparations ; mais fi leurs
magafins à St-Domingue leur offrent tout
ce qui leur eft néceffaire , elles pourront être
faites en peu de tems , & peut-être avant
les vaiffeaux de notre Amiral foient
que
en état.
C'est pourtant dans cette circonftance ,
fans doute alarmante , où nous fommes encore
réduits à la défenſive , malgré la victoire
du 12 Avril , que nos papiers invitent
le Gouvernement à tenter de reprendre les
établiffemens de Démérary, d'Efléquibo & des
Berbices , dont la poffeffion , difent- ils , feroit
une fource inépuifable de richeffes :
il n'eft pas douteux que ce fol fertile & fufceptible
d'améliorations ne nous procurât de
grands avantages ; mais le moment actuel
eft-il favorable ? Il faut commencer par nous
affurer nos propres poffeffions , avant de
rien tenter fur celles d'autrui . Peut-être alors
fongera - t- on d'abord à recouvrer l'Ile de
( 163 )
la Providence , que nous ont enlevé les
Efpagnols. Cette Ife eft une des Lucayes ,
comme nous l'avons dit , & la feconde par
fon importance ; elle eft fituée au nord de
l'Ile de Cuba & à l'eft de la Floride.
On a parlé d'un incendie arrivé à Antigoa
on dit aujourd'hui que la Jamaïque
a éprouvé un défaftre de ce genre , qui a
confumé 87 maiſons , outre plufieurs magafins
remplis de provifions ; ce qui y avoit
caufé une grande difette de vivres. Il fe peut ,
que , dans ce rapport , on ait confondu
l'évènement arrivé à Antigoa , & qu'il ne
foit rien arrivé de pareil à la Jamaïque.
Nous avons les détails fuivans de la preinière
de ces Illes.
Le 10 Avril, à une heure du matin , cette malheureufe
Ville de St-John a éprouvé une calamité affreuſe
. Le feu a pris dans la rue de Pope's head ,
près d'un magafin , vis- à-vis de la parade ; fa violence
annonçoit la deftruction de la Ville entière , ou
au moins de la partie qui a échappé à l'incendie du
19 Août 1779 , & de celle qui a été bâtie depuis .
Il a balayé , avec une rapidité étonnante , cette double
rangée de bâtimens entre les rues North &
Newgate jufqu'au bas du pont de bois près de la
pointe. A l'Eft de la rue de Pope's- head , prefque
vis-à- vis où il a commencé , il a brûlé un grand
bâtiment de bois , avec quelques offices dans la partie
du Sud , mais heureufement il s'eft arrêté là .
Les flammes fe font immédiatement communiquées
aux bâtimens du coin au N. O. de la parade , &
de-là fe font étendues à l'autre coin au Sud , détruifant
deux grands magafins , une maifon & plufieurs
édifices , ainfi que deux magaſins contigus au coin
( 164 )
de la rue de Church , vis- à- vis de la rangée de Livingston
; & à l'Ouest tous les magaſins , la forge
de Petrie , la rue & le quai , ci-devant appellé quai
Gallway. Au Nord de cette double rangée d'édifices
, y compris la façade des rues Newgare &
Wapping , depuis le coin de la maiſon de M. Hill
le feu a confumé tous les magafins de rum , ainfi
que plufieurs maifons , ouvrages , magafins , chantiers
de bois , &c. , avec tous les magafins fur le
quai de Hillhoufe , pleins de provifions pour l'uſage
des troupes de S. M. ftationnées dans l'Ifle , & nombie
d'autres appartenans à divers Particuliers , fitués
entre la maifon du fieur Williams & la mer : c'eftlà
qu'a ceffé cet effroyable incendie , qui menaçoit
les bains & autres fuperbes & utiles édifices de M.
Whitehead,mais qu'il n'a aucunement endommagés .
La vigilance , l'activité & l'humanité du Général
Prefcot , du Colonel Cuyler , du Major Robert's,
& en vérité de tout le militaire ftationné ici ne feront
jamais oubliées , à raifon des difpoficions qu'ils
ont faites & des foins qu'ils le font donnés pour
arrêter le progrès de cet épouvantable incendie.
C'eft le 4 de ce mois que le Gouvernement
a appris que le Lord Howe & l'Amiral
Barrington font arrivés aux Dunes , venant
de la mer du Nord , avec le Victory & la
Britannia de 100 canons , l'Edgard de 74 ;
il a été auffi informé de l'arrivée à Plymouth
du Queen , qui appartient à la même efcadre :
les équipages de ces vaiffeaux font tous malades.
L'Amiral Roff a été laiffé au Texel
avec 9 vaiffeaux de ligne , & le Panther a
reçu ordre de le rejoindre au plutôt . D'après
cela , cette dernière efcadre , occupée à
bloquer le Texel , eft compofée d'un vaiffeau
de 90 , de deux de 80 , de deux de 74 ,
( 165 )
de deux de 64 & de trois de 60 ; ce qui fait
10 vaiffeaux & 706 canons . Les Hollandois
en ont onze au Texel , favoir , un de 76 ,
trois de 68 , deux de 64 , un de 6o , quatre
de 54 , qui font enfemble 684 canons , mais
tousO
e
calibres
fort
inférieurs
aux
nôtres
.
On dit que les vaiffeaux du Lord Howe
réunis à ceux de l'Amiral Kempenfelt , qui
entra le 30 Mai à Torbay , & ceux que l'on
arme dans nos ports , formeront la grande
efcadre , qui fera forte , dit- on , de trente
vaiffeaux de ligne. Ceux de l'Amiral Kempenfelt
font entrés en très - mauvais état ,
ayant été fort maltraités par les vents ; la
Bellone avoit à bord 400 malades ; & le
Goliath 200 ; ce qui force l'Amirauté d'enlever
encore des hommes des vaiffeaux en
armement , pour completter les équipages
de ces deux vaiffeaux .
Le retour de Lord Howe aux Dunes , dit un de
nos papiers , eft un mystère auffi inexplicable que
le retour de l'Amiral Kempenfelt à Torbay ; car
certainement la caufe de ce double retour ne peut
pas être la même , tout au moins relativement au
temps , puifque le même vent qui a dérivé Kempenfelt
dans la Manche , auroit infailliblement empêché
fa Seigneurie de fe rendre dans fa retraite actuelle.
Quelle pourroit avoir été l'idée d'aller contempler
la flotte Hollandoife pendant quelque temps , & de
la laiffer enfuite faire voile pour fa deſtination faus
la molefter ? Le prévoyant Bureau de l'Amirauté
peut concevoir une pareille manoeuvre , mais elle eft
tant foit peu mystérieuse pour des intellects ordinaires.
( 166 )
L'Amiranté a fans doute des vues & des
projets ; qui fait fi le départ de l'efcadre
Efpagnole n'a pas influé fur le retour de
nos Amiraux on fait que le Lord Keppel
& plufieurs Lords de l'Amirauté font partis
ce matin pour aller voir MM . Howe & Barrington
, qui y font arrivés le 6 des Dunes ;
l'Amiral Kempenfelt , qui a mouillé hier
à Gofport avec fon efcadre , s'y trouvera
peut- être auffi ; & l'on prétend toujours que
les premières opérations de la grande efcadre
feront d'aller fecourir Gibraltar , que la Maifon
de Bourbon paroît menacer de l'attaque
la plus vigoureuſe & la plus déciſive .
Nos Officiers , ajoutent nos papiers , font fi
empreffés de fervir fous le Lord Keppel , que depuis
8 jours , plus de 70 Capitaines de la Marine lui ont
demandé de l'emploi . Il leur a répondu que le Roi
ne manquoit point de vaiffeaux ,mais d'hommes pour
les armer, & qu'auffi- tôt qu'on auroit pu s'en procurer
, ils pouvoient compter d'être employés , attendu
qu'on mettroit la plus grande vigueur dans
les préparatifs pour la campagne prochaine .
L'arrivée du refte de la flotte de Charles-Town , qui
fous l'efcorte de l'Oftrich , a mouillé le 3 de ce
mois à Portſmouth , ne pouvoit être plus heureuſe ;
elle forme, dit- on, 30 voiles , dont les Matelots feront
d'un grand fecours dans les conjonctures préfentes ".
Les nouvelles de l'Inde ne font pas auffi
brillantes qu'on l'efpéroit ; elles ont été apportées
par le paquebot le Swallow ; il en a été
auffi adreffées de Bombay à Baffora , d'où
elles ont été tranfmifes ici ; elles nous
apprennent l'heureufe arrivée du Général
Meadows à Bombay , où il étoit encore le
( 167 )
7 Janvier , avec le Montmouth , le Héros ,
l'Ifis ,vaiſleaux de S. M. , & environ 300 hommes
du 98e régiment. Il attendoit le refte
des troupes & du convoi qu'il avoit laiffé
il y avoit 4 femaines dans la baie de Morebat.
Cet avis , qui n'annonce au 7 Janvier
que l'arrivée de 300 hommes de troupes
de terre à Bombay , fair craindre que celles
qui y font encore attendues , ne faffent
pas un nombre bien confidérable. S'il faut
en croire quelques- uns de nos papiers , la
plupart de celles qui s'embarquèrent ſur l'eſcadre
du Commodore Johnſtone ont
péri dans leur paſſage .
>
A l'extrait de la dépêche du Général
Meadows , publiée dans la Gazette de la
Cour , on en a joint une de M. William
Hornby , qui rend compte du dernier
avantage dont nous avons parlé. Il fe réduit
à la défaite d'un corps de l'armée
d'Hyder - Aly, par la garnifon de Tillicherry ;
les détails qu'on en avoit publiés auparavant
font à peu - près exacts , à l'exception du
nombre des morts & des prifonniers ; on
ne compte que 400 des premiers au lieu
de 2000 , & 1500 prifonniers au lieu de
4000. Sacdos , Kan qui commandoir ce corps
Indien , a été fait prifonnier avec toute fa
famille.
Ce matin on a reçu quelques dépêches
de l'Inde par la voie de terre ; mais on
ne fait ce qu'elles contiennent ; le Minif
( 168 )
tre garde le plus grand fecret fur cet objet ; il
fait courir le bruit qu'elles ne font que
des duplicata de celles apportées par le
dernier paquebot.
» Cependant , dit un de nos papiers , on imagine
& avec raifon , qu'elles doivent contenir des détails
beaucoup plus récens , & ces conjectures font appuyées
par le petit article fuivant , qui ſemble être
jetté au hafard dans un des papiers de l'ancienne
Oppofition , mais qui n'y a peut -être été inféré que
pour preffentir la Nation fur un évènement qui diminuera
fans doute fon enthouſiaſme & fon ardeur , en
faifant auffi baiffer les fonds qui étoient montés en
8 jours de 54 à 60 & demi , & qui font baillés
depuis . On attend d'un jour à l'autre, dit ce papier, des
nouvelles de la plus grande importance de l'Inde ;
l'efcadre Françoiſe ayant paru devant Ceylan , peu
de tems après la prife de Trinquemale ; elle est infiniment
fupérieure à la nôtre , & il faut efpérer que
l'Amiral Hughes aura pu réuflir à fe retirer dans le
port le plus voisin «.
La réfolution prife par la Chambre des
Communes d'élever des monumens publics
aux Capitaines William - Bayne , William-
Blair , & Lord Robert Manners , morts dans
le combat du 12 , recevra vraisemblablement
une addition en faveur du Capitaine Samuel
Goodall , mort auffi dans le combat
qu'il a fallu livrer aux vaiffeaux François ,
le Caton & le Jaſon. On obſervera ici qu'il
n'y a dans les annales Britanniques qu'un
feul exemple d'un monument élevé aux
dépens publics en faveur d'un fimple Capitaine
; il en fut érigé un au Capitaine
Cornwal , qui fut tué en 1743 , dans la
malheureufe
( 169 )
malheureuſe action de Toulon. Nos papiers
contiennent les anecdotes fuivantes fur le
Lord Robert Manners.
» Il n'avoit que 24 ans ; il commandoit depuis le
7 Janvier 1780 le vaiffeau de guerre la Réfolution ,
de 74 ; & il aimoit tellement fon métier , qu'il couchoit
toujours à bord , n'abandonnant jamais le
commandement de fon vaiſſeau à perfonne . Il avoit
déclaré , dit-on , qu'ilen agiroit toujours ainfi jufqu'à
ce qu'il fût Amiral. ( That he had no intention of
fleeping ashore till he was an Admiral ) . En effet ,
quand le 14 Septembre 1780 , le Comté de Cambridge
, après de violens débats entre les Electeurs ,
le nomma fon député au Parlement , le Lord Manners
, dont le vaiffeau mouilloit dans le port de Plymouth
, parut affez indifférent à l'Election ; il ne fe
rendit point à Cambridge , il n'alla point à Londres ,
& s'il vint quelques minutes à terre , ce fut toujours
pour d'indifpenfables befoins de fon vaffeau. Il
étoit le cadet des fils du célèbre Lord Granby
& frère du Duc actuel de Rutland «.
Le 7 de ce mois le Général Conway informa
la Chambre des Communes que le
Ir il propoferoit un comité pour examiner
les moyens les plus convenables de lever
les régimens dont on a befoin.
La fameufe affociation proteftante ne
paroît pas avoir renoncé encore au deffein
de faire révoquer le dernier acte du Parlement
en faveur des Catholiques en Angleterre.
Le Lord George Gordon n'est pas non
plus dégoûté de fe mettre à la tête de cette
affociation , au nom de laquelle il a écrit
au Comte de Shelburne pour lui annoncer
une députation qui défire lui faire fa cour ,
22 Juin 1782.
h
( 170 )
& folliciter fa protection pour le grand objet
qu'elle a toujours en vue. Le Lord Shelburne
lui a donné un jour & une heure
pour cette audience.
--
» La Chambre des Communes de ce Royaume ,
écrit-on de Dublin , a été fi vivement pénétrée des
difpofitions de l'Adminiftration préfente , qu'elle a
voté fur le champ 100,000 livres fterl . pour lever
20,000 matelors qui feront employés au ſervice de
la G. B. Cet article ne paffa pas fans quelque
oppofition ; mais les fuffrages le réunirent bientôt.
Les Membres s'exhortèrent réciproquement à parcou
rir leurs terres pour y réveiller l'ardeur martiale , &
enrôler tout ce qu'il feroit poffible de s'y procurer
d'hommes pour ce ſervice. Ces difpofitions
prouvent l'efficacité du parti qu'a pris la nouvelle
Adminiſtration. Il n'y en avoit pas de plus propre
à ramener les efprits , que la continuation de la conduite
de la précédente auroit pu aliéner fans retour.
On en peut juger par quelques obfervations qui
n'échappèrent pas dans le cours des débats . M. Hood
l'un des coopérateurs de M. Grattan dans l'émancipation
de l'Irlande , marqua de l'inquiétude fur l'avenir
, & fuppofa la poffibilité d'une révolution
dans les idées de l'Adminiſtration actuelle de la
Grande - Bretagne ; mais quelqu'autres fuppofèrent
à leur tour la poffibilité d'employer auffi efficacement
les mêmes moyens de le faire rendre juſtice , &
tout le paffa avec beaucoup d'ordre & d'unanimité «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Juin.
LE 2 de ce mois , les Députés des Etats
d'Artois furent admis à l'Audience du Roi ;
ils furent préfentés à S. M. par le Marquis
( 171 )
de Levis , Gouverneur - Général de la Pro
vince , & par le Marquis de Segur , Minif
tre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
de l'Artois. La Députation fur conduite
par le Marquis de Nantouillet , Maître
des Cérémonies en furvivance , & M. de
Vatronville , Aide des Cérémonies ; elle
étoit composée pour le Clergé de l'Abbé
de Boyer , Prevôt de l'Eglife Cathédrale
& Vicaire- Général du Diocèfe d'Arras qui
porta la parole ; pour la nobleffe , du Marquis
de Creny , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de St-Louis , & pour le Tiers-
Etat de M. le Febvre Duprey , Avocat , &
ancien Echevin de la ville & cité d'Arras.
Le 8 , le Chevalier de Virieu , Colonel
du Régiment des Gardes de S. A. R. l'Infant
Duc de Parme & fon premier Ecuyer ,
prit congé de L. M. & de la Famille Royale.
Il étoit conduit par M. de la Live de la
Briche , Introducteur des Ambaffadeurs , &
précédé par M. de Sequeville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs.
>
Le 9 , la Vicomteffe de Buffevent & la
Marquife d'Efcayral eurent l'honneur
d'être préfentées à L. M. & à la Famille
Royale , la première , par la Comteffe de
Pufignieux , & la feconde , par la Marquife
d'Aulichamp.
T
De PARIS , le 18 Juin
LES bruis répandus depuis quelques
h 2
( 172 )
jours d'un avantage confidérable remporté
par les armes du Roi dans l'Inde ,
femblent s'accréditer au lieu de tomber ,
quoique jufqu'à préſent on n'en ait pas de
nouvelles pofitives & directes. Ceux qui
les croient fondées fe rappellent que les
lettres particulières de Londres , en parlant
des dépêches par lefquelles l'Amiral Hughes
annonçoit la prife des Forts de Trinquemale
, portoient qu'il ajoutoit en finiflant
que l'efcadre Françoife paroiffoit devant
Ceylan ; il eft vraisemblable que l'Amiral
Hughes ait été battu , s'il n'a pu éviter le
combat avec des forces bien fupérieures aux
fiennes. On attendoit en conféquence avec
inquiétude des nouvelles ultérieures en
Angleterre ; elles ont pu y arriver & n'avoir
pas été publiées dans un moment où elles
pourroient diminuer l'enthoufiafme de la
Nation. Quoiqu'il en foit , ces nouvelles
importantes ne fauroient fans doute tarder ;
en attendant il circule l'extrait d'une lettre
à bord du Sphinx , dans la baie de Trinquémale
le 14 Février dernier ; nous le tranfcrirons
fans le garantir ni le contredire ,
nous obferverons feulement que fi le fait
eft vraisemblable , on ne dit ni qui l'écrit ,
ni comment , ni où il eft d'abord arrivé.
»Je profite du départ d'un vaiffeau Hollandois ,
allant porter en France la nouvelle de la prise de
Trinquemale par notre efcadre , pour te faire part
de la défaite entière de l'efcadre Angloife , aux ordres
de l'Amiral Hughes , pris lui - même à bord du Superbe
, par l'Annibal & le Sphinx : notre flotte
( 173 )
étoit de beaucoup fupérieure à la leur. Outre le Su
perbe , les vaiffeaux Anglois le George & le Royal
Amiral font également pris. M. de Suffren peut
s'attribuer la prife de ce dernier , l'ayant combattu
bord à bord pendant cinq heures & demie ; le refte
de l'efcadre Angloife , extrêmement maltraitée , a
pris la fuite pour gagner le fort Anna. Nous
avons pris dans Trinquemale 750 hommes de troupes
Angloifes & 1500 Sipaies. Le vaiffeau François
'T'Orient , capitaine Boyer , a rencontré un vaifieau
de l'elcadre Angloife coulant bas , dont il a recueilli
le refte de l'équipage . Les Anglois ont perdu beaucoup
de monde ainfi que nous ; nous avons eu à
bord du Sphinx 53 hommes tués & 24 bleffés «.
On dit que le Roi d'Eſpagne vivement
affecté du revers qu'a éprouvé notre marine
dans la journée du 12 Avril , a réſolu de
nous donner pendant la durée de la guerre, 1 2
vaiffeaux de ligne qui feront toujours joints
à nos efcadres & qui en fuivront la fortune
& la deftination ; il veut auffi , ajoute- t-on
que celle du Marquis de Solano , refte tou
jours incorporée à la Hotte des Antilles.
Les exemples de patriotifme , donnés par
Monfieur , Monfeigneur le Comte d'Artois ,
les Etats de Bourgogne , la Ville de Paris ,
les Receveurs - Généraux des Finances , la
Compagnie des Fermiers-Généraux , les Régiffeurs-
Généraux des Ordres , les Adminif
trateurs - Généraux des Domaines , les Fermiers
de la Caiffe de Poiffy , les autres Comes
de Finances , & les fix Corps des
Marchands & les Communautés d'arts &
métiers de cette Capitale , font imités comme
on s'y attendoit par les Provinces ; déja
·
h3
(
174
les grandes Villes font en mouvement ; le
Commerce de Bordeaux a voté un vaiſſeau
de 110 canons , & la Ville en offre un de
même force. Marſeille s'eft impofée à
'1,500,000 livres , dont elle deftine 1,200,000
à la conftruction d'un vaiffeau , & cent mille
écus , pour les veuves & les matelots invalides
de la Province. Le Clergé a obtenu
la permiffion de s'affembler extraordinairement
cette année , & on croit qu'il fera
des offres encore plus confidérables . On
s'attend , lorfque toutes les fommes préfentées
par le zèle & le patriotifme , feront
réunies ; qu'elles fuffuront pour conftruire
24 à 25 vaiffeaux du premier rang. L'armée
Françoife n'a pas été la dernière à faire une
offre à S. M. Nous apprenons par une voie
certaine que divers régimens & différens
corps ont écrit aux Colonels - Généraux &
Généraux de leurs corps refpectifs , pour
les engager de faire accepter à S. M. l'offre
que lui fait fon armée d'un vaiffeau du
premier rang.
» Avant- hier 8 , écrit-on de Breft en date du 10
Juin , font arrivés heureufement dans cette rade ,
fous l'efcore de plufieurs frégates , deux convois
venans l'un de Nantes & l'autre de Bordeaux . Entr'autres
chofes qui forment la cargaiſon de ces
bâtimens , qui font au nom bre de plus de 300 , ils
construction .
portent 60,000 pieds cubes de bots a
Un bâtiment neutre , entré en rade avec eux , a dé
claré avoir vu au large 30 bâtimens de guerre Anglois
, dont 20 vaiffeaux de ligne . On conftruie
en ce port un vaiffeau de 110 canons , un de 80 , &
61751
deux de 74. -Pareilles conftructions font ordonnées
à Rochefort , ainfi qu'à Toulon . Il y a eu
la nait dernière un coup de vent très- fort , qui a dû
faire rentrer les Anglois dans la Manche «< .
ר כ
Il y a long- tems qu'on defire un port dans
la Manche où les vailfeaux de Roi puiffent
trouver un afyle & un abri fûr contre les
tempêtes fréquentes dans ces parages. Ce
voeu va fe réalifer ; la rade de Cherbourg
offre tout ce que l'on pouvoit défirer ; &
il ne reste à y faire que les travaux néceffaires
pour la fortifier. On va s'en occuper.
D'après un ordre du Roi , écrit-on de Caen
pour la conftruction de deux forts , deftinés à protéger
& à défendre la rade du port de Cherbourg , i!
fera procédé le premier Août prochain , à 10 heures
du matin , par-devant l'Intendant de la Ville , à l'adjudication
générale & au rabais des ouvrages propofés.
Toutes perfonnes pourront s'y rendre adjudicataires
, en juftifiant de leur capacité par certificat
du Directeur des Fortifications au département
deNormandie , ou de toute autre Province du Royaume
, & en foutniffant une bonne & valable caution.
Le devis de ces Ouvrages fera donné en communication
, dans les Bureaux de l'Intendance , aux per-
Lonnes qui defireront en prendre connoiffance , ainfi
que des charges & des conditions de l'adjudication ;
on trouvera au Secrétariat de chaque Intendance du
Royaume,
au Secrétariat de la Direction du Génie à
Chartres , & dans les Bureaux de l'Intendance de
Caen , des inſtructions tant fur les qualités de chaque
nature d'ouvrages qui pourront être exécutés
fur les moyens employés depuis trois ans , pour
fe procurer les matériaux de toute eſpèce , aux moin.
dres prix pollibles «.
que
Les croifières des Corfaires de Dunkerque
continuent d'être fort heureuſes .
h 4
( 876 )
--
L'Aigle, écrit-on de ce port , capitaine Moran ,
a débarqué à Morlaix l'équipage de trois navires ,
qu'il a rançonnés de compagnie avec le corfaire
l'Escamoteur , capitaine Thomas Roberts , égalemen
de ce port. Le total de ces rançons eft de 1200
guinées. Le Courier, auffi de ce port , a relâché
avec les deux prifes fuivantes , un bricq de 150 ton
neaux , venant de Charles-Town , chargé de 528 barils
de térébenthine , & de 30 boucaults de peaux de
daim. Un floop , chargé de drêche , bied , orge , farine
, houblon , 4 paquets de cuivre , 6 balles de
laine , 3 caiffes de quincailleries , &c.
Cotter ,
--Le corfaire
le Petit Gendarme , capitaine Châtelet , a
Conduit le 10 de ce mois dans ce port , une priſe Angloife
, chargée d'eau-de-vie , vin , coton & épiceries.
Cette prife eft riche ; on l'évalue à 150,000
liv. «.
M. le Comte & Madame la Comteffe du
Nord font fur leur départ de Paris ; ils emporteront
avec eux les regrets & l'admiration de
la Nation : M. le Comte du Nord a infpiré le
plus vif intérêt à tous ceux qui ont eu le
bonheur de l'approcher & de l'entendre ;
affable , prévenant , fa politeffe eft noble
& naturelle ; il pofsède toutes les qualités
qui annoncent le caractère le plus heureux ,
& il ne pouvoit manquer de réuffir dans un
pays , où la première de toutes eft d'être
aimable. Il parle peu , mais toujours trèsà
- propos , fans affectation , fans gêne , fans
paroître chercher ce qu'il dit de flatteur. Voici
quelques -unes de fes réponſes , qui prouveront
plus , en faveur de fon efprit , de la
délicateffe de fes fentimens , que tout ce
que nous pourrions dire.
( 177 )
Il étoit entré un jour chez M. le Comte d'Artois ,
au moment où le Fourbiffeur de ce Prince lui montoit
des épées avec des poignées d'acier d'un nouveau
goût. Voilà un heureux hafard , dit Mgr le
Comte d'Artois , il faut que j'en profite , & que
j'offre cette épée à M. le Comte du Nord : il avoit
choifi véritablement la plus belle , & il la lui pré-
Lenta. Je l'accepte volontiers , répondit M. le Cointe
du Nord , j'aimerois mieux cependant que vous
m'euffiez réfervé celle avec laquelle vous prendrez
Gibraltar. Affurément il étoit impoffible de mieux
répondre à la galanterie de Mgr le Comte d'Artois ;
& M.de la Harpe a eu raifon de dire , dans le portrait
qu'il a fait de ce Prince :
Aux courtifansjaloux il apprend l'art de plaire.
Le jour du bal paré la foule étoit grande , & dans
un moment où elle fe portoit du côté du Roi , qui
p'étoit pas encore affis , S. M. dit mais on nous
preffe beaucoup ; à ces mots tout ce qui entouroit le
Roi fait quelques pas en arrière. M. le Comte du
Nord s'éloigne aufi , & dit au Roi Pardonnez ,
Sire , je me comptois en ce moment au nombre de
vos fujets , & je croyois , comme eux , ne pouvoir
approcher trop de V. M. Le Roi lui tendit la main
& le plaça à côté de lui .
C'est par ces traits & par une foule d'autres
femblables que ce jeune Prince a montré
toute l'étendue & toute la délicatele de
fon efprit , ainfi que l'éducation diſtinguée
qu'il a reçue.
On nous a fait paffer l'addition fuivante
à la lettre que nous avons donnée dans le
numero précédent , & que nous nous empreffons
de tranfcrire.
» L'on a vu dans votre journal de Samedi 15, te
précis d'une lettre adreffée à un Officier - Général de
la première diftinction , au fujet de deux moyens
hs
( 178 )
jadis ufités en Afie , pour promptement faire parvenir
au loin des ordres ou avis importans. Elle
offroit de plus , la notice d'une autre voie de commamication
encore maintenant employée dans l'Inde.
Quoique cet expédient ne foit point comparable
aux deux précédens pour la célérité , cependant
comme il peut à cet égard être mis en parallèle avec
ceux dont l'on fait ufage en Europe , l'on a préfumé
que l'on verroit avec plaifir la partie de cette
lettre qui n'avoit pu paroître l'ordinaire dernier.
Dans l'Inde l'on emploie des couriers à pied &
à cheval ou fur des dromadaires. Mais le Gouvernement
, dans plufieurs Provinces , s'eft en outre
affuré un moyen qui ſemble fupérieur , fur - tout
pour des pays de montagnes & de difficile accès.
Des gens de pied font établis au nombre de cinq
ou fix , à poftes fixes , à la diſtance de trois ou
quatre lieues les uns des autres. Ces couriers nommés
Tapals , partent toujours deux de compagnie ,
afin de prévenir tout accident. Lorsqu'ils arrivent
au pofte ou relais plus voifin , ils remettent , ou
plutôt jettent , felon l'ufage , leurs paquets très-peu
volumineux, à deux autres meffagers , lefquels partent
fur le champ. Au furplus , ces fortes de gens
choifis , fveltes , nerveux , & exercés , font toujours
prêts à le mettre en route ; car ils n'ont point
l'ufage des cabarets , ils font preſque nuds , & ne
portent en fus des dépêches , qu'un bâton à la main
& un fabre en bandoulière. Or , comme en fe re-
Jayant , ils courent jour & nuit , & prennent les voies
les plus courtes : il eft très- poffible de faire ainfi
parvenir des expéditions Officielles au moins auf
vîte que par nos couriers Européens. Les Anglois
ont établi de ces Tapals dans plufieurs de leurs
poffeflions de l'Inde «.
M. Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi
à Paris , vient de recevoir , de la part du
( 179 )
Roi de Pologne , une Médaille d'or , portant
d'un côté l'effigie de S. M. , & au
revers 3 couronnes entrelacées ; l'une de
chêne , l'autre de laurier , & la troifième.
d'olivier , avec la légende merentibus. Cette
Médaille étoit accompagnée d'une lettre
écrite de l'ordre du Roi , par M. de Rieule ,
Général- Major , Aide- de-Camp Général.
L'Académie Royale des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Rouen , a demandé pour le Prix des Scien
ces qu'elle défiroit décerner au mois d'Août 1782
Jufqu'à quel point , & à quelles conditions peut-on
compter dans le traitement des Maladies , fur le
Magnétifme & fur l'Electricité , tant pofitive que`
négative ? La Théorie doit être appuyée par des
faits. L'Appareil des Expériences doit être affez
détaillé , pour que l'on puiffe les répéter au befoin.
-L'Académie n'ignore point le nombre d'Ecrits,
publiés fur ce fujet : Les Auteurs y trouveront des
matériaux pour former le tableau de nos connoiffances
acquifes fur cet objet , & il fera facile d'apprécier
ce que l'art devra à leurs recherches perfonnelles.
Le Prix eft une Médaille d'or , de 300 liv.
-
- Depuis cette propofition , publiée en Septembre
& Octobre 1781 , l'Académie a reçu plufieurs Lettres
anonymes , par lesquelles elle eft priée d'accorder
aux Concurrens un délai pour perfectionner
leurs travaux & multiplier leurs Expériences. Et vu
l'importance majeure de l'objet , elle fe détermine à
laiffer le Concours ouvert , jufqu'au premier jour
du mois de Juin 1783 , paffé lequel tems aucun ouvrage
n'y fera admis.
Un Amateur des Sciences , qui défire refter inconnu
, a vu , avec intérêt , combien la queſtion
fur les Terres calcaires , propofée en 1780 , avoir
donné lieu à l'Auteur couronné de s'étendre en appli
cations à l'Agriculture & aux Arts. Dans l'espoir
h 6
( 180 )
qu'il pourroit réfulter autant d'avantages d'un travail
femblable fur les Terres vitrifiables , il a fait
offrir une fomme de 300 livres , pour un Prix extraordinaire
à décerner au mois d'Août 1783 .
L'Académie de Rouen accepte fes offres généreufes
avec reconnoiffance ; & autant pour en accélérer le
témoignage , que pour ménager plus de tems aux
Savans qui défireront concourir , elle annonce dèsà-
préfent que dans la Séance publique de 1782 , elle
propofera ce Prix de 300 livres , pour être adjugé
au mois d'Août 1783 , à un Mémoire dort l'objet
fera : D'établir des caractères diftinctifs , entre
les diverfes Terres , Argilleufe , Alumineuse ,
Quartzeufe , & autres , que les Chymiftes ont
jufqu'à préfent , confondu fous le nom de Terres
virifiables ; enforte que de ces diftinctions phyfiques
& chymiques bien établies , résultent des
connoiffances utiles à l'Agriculture & à différens
Arts , tels que la Foulerie , la Poterie , la Fay ancerie,
la Porcelaine , la Verrerie , & c...
-
―
·
dont plufieurs font cultivés avec fuccès à Rouen ,
& font une partie du Commerce de cette Ville.
Les Mémoires , lifiblement écrits en françois ou
en latin , feront adreſſés ( francs de port ) avant le
premier de Juin 1783 , à M. L. A. Dambourney ,
Négociant à Rouen , Secrétaire Perpétuel , pour la
partie des Sciences. Cetre époque exclufive du premier
jour de Juin a été jugée néceffaire , pour lai
fer aux Commiffaires de l'Académie le tems de
répéter les expériences indiq ées , ou d'en faire de
relatives , s'ils le jugent convenable.
» Lá Société Royale des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Nanci , qui fuivant les intentions du feu
Roi Staniflas fon fondateur , admet indiftin&tement
zous les ouvrages qui lui font préfentés pour conconrir
aux Prix , proclama dans fon Affemblée publique
du 8 Mai , ceux qu'elle avoit à diftribuer
pour cette année , & ceux qu'elle avoit rélery és
( 182 )
l'année dernière. L'un des Prix a été donné à un
Ouvrage intitulé : Journal des Obfervations miné
ralogiques faites dans une partie des Volges & de
L'Alface, L'Auteur , M. de Sivry , Avocat au Parlement
de Nanci , âgé de 19 ans , avoit joint à la relation
de fon voyage des Cartes minéralogiques du
pays , & la collection de tous les mineraux dont il
avoit recueilli lui même fur les lieux , des échantil
lons qu'il avoit marqué des mémes numéros fous
lefquels ils avoient été indiqués dans le corps de l'ouvrage.
- Un autre l'rix a été adjugé à M. Thieret ,
Avocat au même Parlement , âgé de 22 ans , Auteur
d'un Difcours fur l'Amour de la Gloire.
terre.
M. Nicolas , Profeffeur de Chymie en l'Univerfité
de Nanci , & M. Thonvenel , Docteur- Médecin ,
Directeur des eaux minérales de Contrexeville , ont
remporté les 2 Prix réſervés ; le premier , pour une
Differtation fur les Gypfes ou Pierres à Plâtre de
Lorraine ; l'autre , pour un Mémoire contenant
L'Examen Chymique & Diététique des Glands de
-M. du Monter , Conſeiller au Parlement ,
Sous- Directeur de la Société , a donné , dans un premier
Difcours , une idée générale de ces quatre ouvrages
, dont il a difcuté le mérite , ainfi que celui
de plufieurs autres préfentés au Concours , & jugés
dignes d'éloges . Les ouvrages couronnés ont été
lus , les uns en entier , les autres par fragmens ou
par extraits ; après quoi les Prix ont été proclamés
par M. le Président de Sivry , Secrétaire perpétuel.
-
M. de Lalande , que toutes les Sociétés favantes
fe font gloire d'adopter , a été reçu par celle de
Nanci dans cette même féance , en qualité d'Af
focié. Ce célèbre Aftronome avoit envoyé , pour fon
Difcours de réception , un Mémoire fur la planète
de Herfchel. - M . l'Abbé Barlet , Membre de la
Société , en a rendu compte , & y a joint les obfervations
faites à Nanci par lui-même , par M. l'Abbé
Blachier & par M. de Sivry , Auteur de l'ouvrage
((182 )
1
--
Minéralogique couronné. M. Barlet a fait voir
par l'expofition & la comparaison de ces différentes
obfervations , que les réfultats en étoient , à trèspeu
de chofe près , les mêmes. - M. du Montet , en
répondant au difcours de réception de M. de Lalande,
en a pris occalion d'infpirer , par l'exemple de ce
favant Académicien , & par la nature & le fuccès
des ouvrages couronnés , le goût & l'étude des
fciences exactes & des connoiffances utiles : en combattant
l'efprit de fyftême & l'amour des nouveautés
, il a montré de quelle manière & avec quelle
circonfpection il falloit traiter les objets d'utilité
publique. -M . l'Abbé de Bonneville , Confeiller-
Clerc au Parlement , Directeur de la Société , qu'une
abſence dont il n'étoit de retour que depuis peu ,
avoit empêché de remplir les fonctions dont s'eft
acquitté le Sous- Directeur , avoit ouvert la féance
par un Difcours fur les avantages qui réſulteroient
pour l'Etat en général & pour la Province de Lorraine
en particulier , de la jonction de la Saonne à la
Mofelle , de la Mofelle à la Meufe & de la Meufe à
la Marne , par des canaux navigables . -Le Secrétaire
perpétuel devoit lire l'Eloge Hiftorique de feu
M. de Nicéville , célèbre Avocat , Membre de cette
Société , comme cette lecture eût excédé les bornes
de la durée ordinaire des Séances , il s'eft contenté ,
en annonçant qu'elle feroit différée à la prochaine
Affemblée publique , de témoigner fon regret de ne
pouvoir acquitter dans ce moment ce double tribut
de la confraternité & de l'amitié . La féance a été
terminée par la lecture qu'a faite M. François de
Neufchateau , de plufieurs fragmens de fa Traduction
du Roland furieux «.
-
On a beaucoup parlé de la maladie épidémique
qui règne dans le Languedoc ; la lettre
fuivante que nous recevons de Carcaffonne ,
peut en donner une idée , & raffurer ceux.
que les récits ont d'abord vivement alarmés
( 183 )
"
M. , une maladie épidémique , inconnue jufqu'à
présent dans le Languedoc , à laquelle on donne le
nom de Fièvre éruptive miliaire , ou Suette mi
liaire , caufe les plus grandes alarmes dans cette
Province. Cette maladie a commencé de fe manifefter
dans la Ville de Caftelnasdary , & a gagné
fucceffivement les Villes de Saint - Papoul , Carcaf
fonne , Limours , Aleth , Mirepoix , Pamiers &
Touloufe : elle s'annonce , dès fon invafion , par
une douleur de tête , fuivie d'une fueur très-abondante
, & le troisième jour , il fe fait une éruption .
miliaire fur différentes parties du corps : alors elle fe
termine heureusement le cinquième ou fixième jour.
Quoiqu'on puiffe dire généralement que cette maladie
n'eft pas dangereufe , elle a été cependant
mortelle pour un petit nombre de ceux qui en ont
été attaqués ; & dans ceux - là , fa malignité a été
marquée par le délire & par un tranfport du fang
à la tête. On ne peut donner trop d'éloges à M. de
Gallet du Pieffis , Médecin , qui a ſuivi cette maladie
, & qui a publié le traitement convenable ; ce
qui a mis les Gens de l'Art appellés en état de la
fuivre , & les infortunés hors d'état de les appeller
ou trop éloignés des fecours , à portée de les fuppléer
& de guérir.
On écrit de Saint Pere- en - Retz , Diocèle
de Nantes , un fait bien funefte.
Le 31 du mois dernier , un Meûnier , fuivi d'un
fort Mâtin qui avoit déjà mordu fon Domeftique
& deux de fes Chevaux , fans que cet imprudent
Meûnier eût conçu quelqu'inquiétude fur la fanté de
fon Chien , fe tranfporta avec lui chez un Métayer
à Lalande - Popine. A peine le Mâtin fut-il entré
dans la métairie , qu'il fe jetta comme un furieux
far le Ghien de la ferme. Le Métayer , âgé de 70
ans & d'une complexion foible , s'arma d'un bâton
peur les féparer ; le Chien du Meûnier lâcha priſe ,
mais il colleta le Vieillard , le renverſa & le mordic
( 184 )
en plufieurs endroits , fans qu'un Charpentier qui
étoit dans la cour , & le Meunier même , ofaffent
fecourir le Bonhomme . La Femine de celui- ci , âgée,
de 47 ans , accourt à fes cris , s'élance fur le Chien ,
le faifit à travers le corps , & lui fait lâcher fon
malheureux Epoux ; elle tient enfaite le Chien furieux
accroupi fous elle affez de temps , pour que
fon Gendre eût celui d'arriver d'affez loin , & d'affommer
le Mâtin dans les bras même de cette brave
& vertueule Femme , qui n'ayant pas reçu la moindre
égra:ignure , n'a d'inquiétude aujourd'hui que
pour fon Mari auquel on adminiftre tous les fecours
de l'art , mais qu'on n'ofe baigner à la mer ,
parce que , contre l'ordinaire , il fait dans la faiſon
actuelle un froid très - vif. Le Gendre du Métayer ,
qui fecourut fi à propos fon Beau -père , n'eut pas
plutôt tué le Mâtin du Meûnier , qu'il affomma
auffi le Chien de la métairie qui avoit été mordu .
Marie - Etienette Dahon , femme d'Antoine-
Anne- François de Chaumon , Comte
de Guerry , Brigadier des armées du Roi ,
ci-devant Chevalier de Malte , eft morte à
Surène le premier de ce mois dans fa 55
année.
Dominique de Betten , ancien Aumônier
du Roi , ancien Abbé Commendataire de
l'Abbaye de Val - Chrétien , Prieur actuel
Commendataire de St-Nicolas de Ploermel ,
& St - Martin de Tridien , eft mort le 30
Avril dernier dans la 89 ° année de fon âge.
Catherine Guy, veuve Cottard , eft morte
à Lyon âgée de 97 ans .
Marie-Louife de Noailles , Dame de feues
Mefdames les Dauphines & de Madame ,
veuve de Jacques Nompar de Caumont,Pair
( 185 )
de France , eft morte au Palais du Luxem
bourg , le 22 du mois dernier , dans la 72€
année de fon âge.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du premier de ce
mois , font : 52 , 66 , 82 , 16 & 33 .
De BRUXELLES , le 18 Juin.
On fait que dans tous les Etats héréditaires
de l'Empereur , il a été expédié un
ordre de faire l'état jufte des fommes qui ,
fous différens prétextes, avoient été envoyées
à Rome pendant un certain nombre d'années
; s'il faut en croire quelques lettres , il
en eft forti 13 millions de florins ; on
ajoute qu'il en fort encore annuellement
de la Pologne , pour cette Cour , 11 milions
de florins Polonois..
» Tous les vaiffeaux que nous avons au Vlie , lit-on
dans les lettres de Hollande , font entrés au Texel ,
ainfi qu'ils en avoient reçu l'ordre . Nous avons en
conféquence à préfent dans ce port l'Amiral Général
de 74 canons ; l'Amfterdam , l'Amiral Ruiter &
l'Union de 64 ; le Quid Beveland , le Prince Frédéric
, & le Kortenaar de 60 ; l'Amiral Piet - Hein ,
le Tromps , le Prince-Royal , le Glinthorff, le
Batavier, l'Erfpritz de 5+ ; le Zweten , le Loo , le
Zuileveld , Gardes- côtes de 44 ; l'Argo de 40 ; le
Brunswick , le Jafon , la Bellone , le Medenblick ,
l'Eeinsgezindheik, & la Thetis de 36 , l'Hoorn, le
Waakzaambrid, le Dolphyn , la Bellone de 24 ,
en tout 27 vaiffeaux ; mais les ennemis qui croiſent
dans le Texel , ont 2 vaiffeaux de 100 canons , un de
98 , un de 90 , un de 84 , un de 80 , trois de 74 .
2 de 64 & 3 de 60 ; outre nombre de frégates , ils
( 186 )
ont 426 pièces de canons de plus , & le calibre eft
encore en leur faveur «.
L'état actuel de la marine Hollandoife
eft devenu refpectable ; on peut juger des
efforts que la République a faits en moins
d'un an & demi pour la porter au point où
elle eft à préfent ; elle compte 12 vailleaux
de 74 , 23 de 64 , 2 de 54 , outre 4 fiégates
de 44 , 2 de 40 ,
12 de 36 , 7 de
30 , ୨ de 24 2 de 22 , & une trentaine
de cutters & de flocps de 16 , de 14 , de
12 canons & au-deffous .
,
On apprend de Leeuwaerden qu'une Société
de Particuliers de cette ville , enchantée
de l'indépendance de l'Amérique , &
fur- tout de ce que la Frife l'a reconnue la
première , a fait frapper une Médaille à
terte occafion , & le 31 Mai elle a fait tirer
un feu d'artifice en réjouiffance..
"
Le Baron de Vaffenaar - Starrenburg ;
Ambaffadeur de la République à Péterfbourg
, a fait paffer aux Etats Généraux la
note fuivante , qui lui a été remiſe par le
Comte d'Ofterman.
» L. H. P. les Etats- Généraux des Provinces-
Unies font déjà informés , par les Miniftres de
l'Impératrice des Ruffies accrédités auprès de leurs
Perfonnes, de la Réfolution que le Roi de la Grande-
Bretagne a prife , relativement à la propofition faite
ci - devant par L. H. P. , comme un fondement fur
Jequel doit repofer tout l'ouvrage de la paix entrepris
fous la médiation de S. M. I. C'eft la plus douce
efpérance que l'Impératrice puiffe fe promettre de
tant d'efforts & de foins défintéreffés , de fa part ,
qu'ils foient couronnés au moins d'un bon fuccès ;
( 187 )
* & elle ne peut que fe féliciter de ce qu'ils ont parfaitement
bien réuffi auprès de S. M. B.; & que ,
par la médiation , elle a dreffé les propofitions qui
ont été mifes en avant , lefquelles avoient été fi
fortement défirées par L. H. P. pour la reſtauration
d'un Traité envisagé à bon droit , par elles , comme
le gage le plus précieux de la liberté du commerce
de la République. Si donc , à cet égard , elle a rempli
tout fon devoir , en fa double qualité d'Amie
fincère & affectionnée de la République & de Médiatrice
impartiale entre cet Etat & la Grande-Bretagne
; elle ne doit auffi qu'attendre , avec une pleine
confiance , que L. H. P. s'occuperont réellement ,
& d'une manière qui réponde au zèle & à l'affection
patriotique qu'elles ont pour l'Etat qu'elles régiffent
, d'un plan , le plus important qui ait jamais
été foumis à leurs confidérations . L'Impératrice , fe
repofant fur leur pénétration & grande fageffe , eft
entièrement convaincue qu'elles fafiront cet inftant
favorable de dépofer l'aigreur & la haine , qui , par
les troubles actuels , fe font entretenues jufqu'ici
parmi ces deux Puiffances maritimes , & que , pour
tendre plus promptement à la confommation de cet
ouvrage important , elles conviendront d'une fufpenfion
d'armes avec S. M. B. , laquelle réunira le
double avantage , d'abord de délivrer des entraves
qui gênent le commerce de cette République , &
enfuite de donner le temps néceffaire pour s'occuper
des Préliminaires d'une négociation de paix :
Que , pour cette fin , elles prendront en confidération
, comme elles ont expreffément déclaré avoir
deffein de le faire , tant dans leur Réſolution du 4
Mars , que dans le Mémoire qu'elles nous ont fait
remettre par leur Ambaffadeur, le 17 du même mois
( V. S. ) , la fixation du lieu où les Conférences
doivent s'ouvrir : Que , procédant à la nomination
des Plénipotentiaires qui affifteront à ces Conférences
, elles arrêteront les conditions auxquelles
( 188 )
elles font portées à faire la paix avec , la Grande-
Bretagne ; & qu'enfin elles y apporteront toutes les
facilités poffibles , ainfi qu'elles promirent de le
faire , dès que les conditions , dont on eft convenu
maintenant , feroient acceptées. Le Miniſtère de l'Impératrice
des Ruffies donnant connoiffance des fentimens
de S. M. I. à S. E, M. l'Ambaffadeur , pour
qu'il en informe fes Maîtres , jouit de la plus grande
fatisfaction de ce qu'il a été en état de confir
mer fi promptement les affurances qu'il lui avoit
faites ci-devant de l'inclination fincère de l'Impératrice
à remplir tout ce que la République pouvoit
attendre de l'amitié & de l'affection de S. M. I.
pour elle «.
Il s'eft élevé une conteftation entre la
République de Venife & celle de Hollande ,
au fujet de deux Négocians de cette dernière
; la Gazette de Rotterdam donne les
détails fuivans fur ce fujet.
On apprend qu'en conséquence d'une réfolution
de L. H. P. du 13 Mai , & fur le refus dans lequel
le Sénat de Venife perfifte , de leur accorder une
jufte fatisfaction par rapport aux injuftices exercées
par des Sujets de la première diſtinction du Sénat
fur les Négocians Chomel & Jordan ( ci - devant
Affociés à Amfterdam ) , L. H. P. , en témoignant
à leur Rfident ( le fieur Tor ) , leur fatisfaction de
fa conduire à l'égard de cette affaire , & convaincues
qu'il n'a rien négligé auprès du Sénat , tant par les
repréſentations fréquentes de leur Conful Autgarden
, que par celles faites par ledit Tor , uniquement
envoyés pour la définition de cette affaire ;
& après avoir ué de tous les ménagemens que fe
doivent des Puiffances entre lefquelles il fubfifte
une parfaite harmonie , L. H. P. viennent de prendre
enfin la réfolation très -défagréable , mais indifpenfable
, de procurer à leurs Sujets , victimes de
( 189 )
ces injuftices inouies , le dédommagement & la
juftice qui leur font dûs , par des moyens plus efficaces.
En conféquence , L. H. P. prévoyant qu'un
plus long féjour à Venife de leur Réfident ne fauroit
plus être d'aucune utilité , viennent de lui don.
ner des ordres de partir en les recevant , à moins
qu'il n'ait des raiſons fondées de croire que le Sénat
, vu le mécontentement & la ferme réfolution
de L. H. P. , ne foit maintenant difpofé à accorder
aux fufdits Négocians Chomel & Jordan un dédom-.
magement fuffifant ; & en ce cas , il lui fera permis
de prolonger fon féjour ; mais pour peu de tems.
feulement. Que copie de cette réfolution ſera expé
diée à M. le Comte de Waffenaar , Envoyé extraor
dinaire & plénipotentiaire de L, H. P. à la Cour de
S. M. l'Empereur , afin de fe mettre à même d'en
toucher quelque chofe de bouche à l'Ambaſſadeur
de Veniſe à ladite Cour , & qu'il fera notifié audit
Comte de Waffenaar que L. H. P. délireroient être
informées de ce qu'aura produit fur l'efprit de
l'Ambaffadeur Vénitien , la férieuſe réſolution de
L. H. P. de pouffer cette affaire avec vigueur .
On écrit d'Amfterdam qu'on y a reçu des lettres
de Curaçao , en date du 20 Avril dernier , qui
portent qu'il y eft arrivé 4 vaiffeaux de ligne François
; elles ajoutent que l'un a eu le malheur de toucher
en entrant , ce qui exigera quelques réparations
qui ne prendront pas beaucoup de tems.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 9 Juin. S
On trouve dans la plupart de nos papiers , une
généalogie qui paroîtra au moins curienfe , & qui
pourra avoir fur- tout cette qualité en France , ой
l'on ne fe doutoit pas que les quatre principaux Miniftres
actuels du Roi d'Angleterre , les Ducs de
Grafton , de Richmont , l'Amiral Keppel & M. Fox
( 190 )
avoient dans leurs veines quelques gouttes du fang
précieux de Henri IV. Voici cette généalogie :
Henri IV , Roi de France , en 1610 .
Henriette-Marie de France , mariée en 1625 à
Charles I , Roi d'Angleterre ,
Son fils , Charles II eut deux maitreſſes.
Barbe Villers
, Duchef
fe de Cleve-
Jande.
Henri , Duc
de Grafton
fon fils, né en
> 1663 mort
en 1690.
Charles,Duc
de Grafton.
George
Louife Kerwelle , Ducheffe , de Portsmouth
& d'Aubigni en France , qui eut 3 enfans.
Charles, Duc
de Riche- Caroline
mont , d'où fa fille mariée
defcend . à Henri Fox ,
Charles, Duc Miniftre du
Riche- Roi George de
Charles mont nom- II ,
mé en 1782 Fox , nommé
Grand- Mai- en 1782 Mi-
Duc de Graftre de l'antil- niftre d'Etat
ton , nommé
en 1782 , Garde
du Sceau
privé , & Miniftre
d'Etat
du Roi d'Angleterre.
lerie , & Miniftre
d'Etat gleterre.
du Roi d'Angleterre.
du Roi d'An-
>
Anne fa
fille , mariée
à Guillaume
d'Albermales
dont defcend
Augufte Kep,
pel ,
nommé
en 1782 premier
lord de
l'Amnauté
Miniftre d'Etat
du Roi
d'Angleterre.
Les maladies ont fait tant de ravages parmi les
Troupes & les Matelots pendant le féjour du Chevalier
Edouard Hughes à Ceylan , qu'il faut préfumer
que cet Officier vu l'affoibliffement de fes
forces , aura renoncé , fans retard , à toutes les entrepriſes
fur les établiſſemens que les Hollandois ont
dans cette Ile. Nous craignons beaucoup les premières
nouvelles que nous en recevrons , fur-tout
depuis les avis gliffés dans quelques papiers de l'arrivée
des François à la vue de Ceylan , peu après la
prife de Trinquemalle . Il eft vraisemblable qu'il a
pu s'y paffer quelque chofe de défaftreux. Il circule
même une anecdote qui , fi elle ft fondée , appuie
fortement cette crainte. Au milieu des réjouiffances
pour le combat des Antilles , un Anglois qui
arrivoit de l'Inde , ae put s'empêcher de dire à un
-
( 191 )
Etranger qui fe trouvoit là prêt à s'embarquer
pour paffer fur le Continent : Ils font bien de fe
réjouir; dans peu , ils auront affez de quoi s'affliger
par les nouvelles que nous leur apportons.
On remarque en effet , que malgré le dernier bulle
tin de la Compagnie des Indes , les actions font
pourtant tombées ; & nous favons que du 31 Mai
au 7 Juin , elles ont perdu à Amſterdam , 4 pour
cent.
Il s'eft tenu dernièrement une Affemblée géné
rale des Actionnaires à l'Hôtel de la Compagnie
pour y entendre le rapport du Comité nommé pour
examiner l'état des affaires de la Compagnie ; il
paroît par ce rapport , que la balance eft confidérablement
au défavantage de la Compagnie.
Quand on propofa dans le Parlement de la G. B.
la levée générale des Milices , le Lord Chancelier
fit obferver que fans des affociations armées , l'Amérique
Septentrionale feroit encore fous la domination
Britannique , & que c'étoit également par des
affociations armées que l'Irlande fe dégageoit de
toutes les connexions avec la G. B. , à l'exception
de celles qui lui étoient avantageules.
Une remarque affez fingulière , c'eft que des
228,000 liv. ſterl. levées en 1777 , par la voie des
Tondines en Irlande , il y en a 96,000 foufcrites par
des Etrangers ; la feule Ville de Genève a foufcrit
pour 86,000 , & les Villes de Berne , Laufanne
Nifmes , Anvers & Vienne pour 10,000.
La proportion entre les dettes nationales des deux
Royaumes , eft de 200 millions fteriing que doit
l'Angleterre , contre deux millions que doit l'Irlande.
Il y a ordre de conftruire inceffamment à Sheerneff
, fix chaloupes canonnieres qui feront employées
contre les fortifications Hollandoifes , dont nos vailfeaux
de guerre ne peuvent approcher , vû le peu
de profondeur de l'eau.
( 192 )
Quoique jufqu'à préfent il n'y ait rien de certainrelativement
à la paix , le public peut être fur que
la négociation n'eft pas rompue , & que M. Ofwald
eft retourné à Paris.
Le Prince de Galle doit faire inceffamment le
tour de la Grande Bretagne , & vifiter les ports du
Royaume.
Il y a , dit-on , de grands débats à S. James
concernant la Penfion qu'il convient de faire à ce
Prince. Le Marquis de Rockingham la fixe , dit- on ,
à 30,000 liv. fterl . , le Lord Shelburne à 45,000 ,
le Duc de Richemont à 50,000 , & M. Fox pour
faire encore plus la cour à ce Prince , dit que c'eft
une pitié de borner ainfi le fils aîné du Roi ; il
prétend qu'on laiffe à la difcrétion de S. A. R. la
liberté de tirer du tréfor à fon gré , les fommes,
que fa maiſon & lamajefté du trône dont il appro
che , l'obligeront de dépenser.
Les matelots nous manquent encore plus que les
vaiffeaux ; pour s'en procurer tout d'un coup un
certain nombre , l'Amirauté s'y eft priſe d'une manière
très - adroite . Depuis quelque tems , on ne
voyoit plus fur les ports , fur les quais ni dans les
quartiers voifins , les bandes employées au fervice
de la preffe ; on répandoit avec affectation des bruits
de paix prochaine ; la plupart des matelors , perfuadés
que le Roi n'ayant plus befoin d'eux alloit les
abandonner à la marine marchande , étoient dans une
fécurité profonde ; tout d'un coup , les Preff-gangs ,
qui étoient cachés dans les tavernes voisines , le font
montrés , & ont enlevé , fur la Tamiſe ſeule , 1300
hommes. D'autres bandes ont agi de même & avec
autant de précaution & de fecret dans tous les ports
& hâvres du Royaume. On dit que ce coup de filet a
procuré autant d'hommes qu'il en faut pour équipper
complettement 6 vaiffeaux de ligne . Si ce compte eft
jate , il nous en refte encore neuf, aux équipages
defquels il faut pourvoir , & qui n'ont pas encore un
feul homme.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Mai.
ON fe flatte qu'actuellement les troubles
élevés à Belgrade pour le fameux Hallil font
abfolument terminés. Ce chef de féditieux
a été arrêté & puni ; on lui trancha la tête
le 13 de ce mois ; & le Bacha de Belgrade
a fait donner 100 piaftres à celui qui a eu
le bonheur de s'en faifir & de lui livrer.
Le Capitan Bacha fe prépare à mettre
inceffamment à la voile avec 12 vaiffeaux
de guerre deſtinés pour l'Archipel. Il fe
dirigera vers la Morée , où il s'eft élevé de
nouveaux troubles , qu'on fe flatte que fa
préfence aura bientôt diffipés.
Le Rabin de la Synagogue de cette Capitale
vient de donner un grand fcandale
à fa nation . Il a demandé audience au Grand-
Vifir , & lui a déclaré en préſence d'un grand
nombre de perfonnes , qu'après un examen
attentif de la Loi de Moyfe & de celle de
29 Juin 1782.
i
( 194 )
Mahomet , il étoit déterminé à embraffer
cette dernière. Le Grand- Vifir s'eft empreffé
d'ordonner qu'il fût interrogé & reçu ;
comme on affure qu'il eft fort inftruit ,
qu'il a fur tout particulièrement étudié la
Jurifprudence des Turcs autant que celle
des Hébreux , on ne doute pas qu'il ne foit
envoyé dans quelqu'une des provinces Ottomanes
en qualité de Cadi.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 17 Mai.
L'ANNIVERSAIRE de la naiffance du Grand-
Duc Conftantin a été célébré ici le 8 de
ce mois avec la pompe ordinaire ; il y a eu
à cette occafion appartement , à Czarsko-
Zélo pour la nobleffe , & dans cette ville
illumination générale. S. M. I. reviendra
paffer dans cette Capitale la Fête de la
Pentecôte , & retournera le lendemain à
Czarsko - Zélo .
La Commiffion de Commerce a , dit-on ,
déja remis à l'Impératrice fon avis fur le
traité que la Cour de Danemarck a propofé
il y a quelque tems ; les Danois , felon
ce traité , doivent jouir ici des mêmes priviléges
que les Anglois .)
Les difficultés qui avoient été faites de
la part du Danemarck , relativement à l'admiffion
du Roi de Pruffe à la neutralité
armée , ayant été applanies , l'échange de
la ratification aura lieu inceffamment.
( 195 )
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 26 Mai.
Le Roi & toute la Famille Royale font
partis avant-hier pour fe rendre à Fridensbourg
où ils pafferont toute la belle faifon .
Le même jour le vaiffeau de ligne la
Juftitia , Capitaine Vlengel , mit en rade ;
le refte de l'efcadre deſtinée à protéger le
commerce , le fuivra fous peu de jours. Le
vaiffeau l'Infoedfretten , Capitaine Lutken ,
eſt prêt à partir , & n'attend qu'un bon
vent.
Le Collège de l'Amirauté a fait publier
le 10 de ce mois , l'octroi du Roi pour la
Compagnie du canal & du commerce réuni
des Royaumes de Danemarck & de Norwège
, & des Etats Danois en Allemagne.
Le fond de cette Compagnie eft de 15,000
actions de 100 rixdhalers chacune.
Le 22 de ce mois il eft arrivé ici trois
bâtimens venant des Indes occidentales , &
chargés de productions de cette partie du
monde. Le 24 la frégate la Perle a mis à
la voile pour s'y rendre avec un convoi
qu'elle eſcortera jufqu'à nos ifles.
Depuis le 21 il eft arrivé dans le Sund
245 bâtimens de diverſes nations .
SUEDE.
De STOCKHOLM , le 28 Mai.
L'AMBASSADEUR des Etats - Généraux des
i 2
( 196 )
Provinces -Unies , remis de fon indifpofition ,
a eu hier fa première audience & remis fes
lettres de créance à S. M.
La Reine Douairière & la Princeffe Royale
, font parties de Fridérichshoff pour le
Château de Swartfioe . Le Roi s'eft rendu
avec une partie de fa Cour à Gripsholm
où il ne fe propofe pas de faire un long
féjour ; le Duc de Sudermanie eft allé à
Carllcron .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Juin.
LE 25 du mois dernier le Comte d'Aurach
fe rendit à Laxembourg pour prendre
congé de S. M. I. & de l'Archiduc Maximilien;
à fon retour dans cette Capitale ,
il honora encore de fes vifites le Prince de
Kaunitz - Riettberg& le Prince de Colloredo ,
& le lendemain matin il partit pour retourner
à Stuttgard.
La direction générale de toutes les Caiffes
Impériales a été donnée au Comte de Zinzendorf
, Préſident de la Chambre des
Comptes. On préfume que ce Miniſtre fera
beaucoup de changemens dans cette partie.
Les comptes de la Chambre des Finances
pour le département des mines & des monnoies
étant apurés , il fe trouve qu'en
1781 , tous frais faits , le Tréfor Royal y
a gagné 3,500,000 florins .
Il va être établi une Commiffion qui
( 197 )
adminiſtrera tous les biens Eccléfiaftiques
des Etats de la Maifon d'Autriche ; elle
donnera annuellement à chaque individu
du Clergé , tout ce qui lui eft néceffaire
pour vivre décemment & felon fon état ou
fa dignité ; mais on croit que le refte fera
verfé en tout ou en partie dans le tréfor
public , ce qui feroit une fomme confidérable.
L'Académie Militaire de Neustadt , doit
être agrandie ; on y mettra une partie des
Elèves de l'Ecole de Tyrnau qui vient d'être
fupprimée , les autres feront élevés aux Régimens.
Cette Capitale eft actuellement éclairée
par des lanternes ; on les allume tous les
foirs quand il n'y a point de lune ; ce nouvel
avantage , joint aux autres embelliffemens
que l'Empereur procure à cette ville , forme
un fpectacle intéreffant pour le peuple qui
depuis long-tems ne ceffe de parcourir les
rues pour en jouir.
un
Il y a eu le 15 de ce mois , dans le village de
Dinhepole , fur les frontières de la Moravie
orage qui a détruit de fond en comble 53 maifons qui
ont été entraînées dans le Waag avec meubles
beftiaux & habitans ; 13 autres mailons ont été
renverſées ; on n'a pu retrouver jufqu'ici que 13
cadavres ; le fleuve a porté les autres plus loin .
Le même jour , tout l'horifon de Pelt , ville de
Hongrie , a été couvert de nuages épais ; l'orage a
été fi violent , qu'il y a eu des arbres déracinés , des
toits renverfés , des maifons détruites & entraînées
pour la plus grande partie , par les torrents dont les
-
i 3
( 198 )
eaux étoient prodigieufement gonflées ; des milliers
de vitres ont été brifées . Cependant un feul enfant
de 12 ans a été la victime de cette tempête.
De FRANCFORT , le 8 Juin.
ON écrit de Caffel qu'au commencement
du mois dernier , il est tombé beaucoup de
neige entre cette ville & celle de Marbourg
; mais que depuis le 12 il y fait trèschaud
, & que les orages y font très - fréquens.
Ce changement fubit de température
paroît être la caufe principale de la maladie
qui femble faire le tour de l'Europe.
"
Selon les lettres de Fiume , le premier
Mai , les montagnes des environs étoient
routes couvertes de neige , & le froid fi
vif , qu'on craignoit avec raifon que les
vignes ne fuffent totalement gelées.
Les derniers troubles de Servie , écrit-on de
Neufaz , en Hongrie , font caufe que beaucoup de
familles Turques s'expatrient , & demandent à s'é-
Les troupes
-dy
tablir dans ce Bannat. dans nos
environs , font fouvent exercées , & elles feront
inceflamment paffées en revue . Le prépofé de
la Nation Juive , dans le Cercle de Halicz , a préfenté
à la Régence un Mémoire , dans lequel il demande ,
pour 2000 Juifs , des terres à cultiver ; its promettent
d'y donner tous leurs foins , & de s'attacher
particulièrement à l'éducation des beftiaux .
Le Baron de Walmode , Miniftre plénipotentiaire
de l'Electorat d'Hanovre à la
Cour Impériale , a acheté du Prince de
Schwartzenberg , le Comté de Gomborn-
Neustadt en Weftphalie , pour la fomme
de 700,000 florins ; l'acquifition de ce Comté
( 199 )
lui donne le droit de voix & de féance dans.
l'Affemblée du cercle de Weſtphalie , & à
la Diète de l'Empire fur le banc des Comtes
de ce cercle. L'Empereur l'élévera , dit- on ,
à la dignité de Comte du St-Empire.
On apprend , par des lettres de Malthe , que le
Grand -Maître a approuvé le plan pour l'établiffement
de 28 Commanderies & 4 Bénéfices de l'Ordre
dans le Duché de Bavière . Ces nouvelles Commanderies
ont été incorporées à la langue Angloiſe , ſous
le nom de langue Anglo - Bavaroife . A cette occafion
le Grand- Maître a nommé le Comte de Minucci ,
Miniftre de l'Electeur Palatin Duc de Bavière , qui
étoit chargé de ce plan , Grand -Croix de l'Ordre de
Malthe , & lui a fait préfent d'une Croix de l'Ordie
montée en brillans .
Nous avons donné la lettre d'Henriette
de Mecklenbourg - Schwerin , au Roi de
Pruffe ; ceux de nos Lecteurs que fa naïveté
aura intéreffés , feront bien aifes de favoir
la conclufion de fon petit Roman ;
elle a épousé un honnête garçon auffi peu
fortuné qu'elle , & qui entroit pour beaucoup
dans la démarche qu'elle a faite , &
dans les voeux qu'elle faifoit pour fon fuccès.
Le Roi lui a fait donner une maison avec
grange & écurie , des beftiaux , & un terrein
affez confidérable pour former un jour une
bonne ferme dans les environs de Neuftadt
fur la Doffe.
On a reçu de Genève un imprimé de 7
à 8 pages , ayant pour titre : Très-humble
& très refpectueufe Déclaration des Citoyens
& Bourgeois repréfentans , remife aux Sei-
14
( 200 )
•
gneurs , Syndics , & à M. le Procureur Géneral
le 3 Mai 1782 .
—
On y lit que les arrangemens donnés par la force ,
s'ils produifoient des jours calmes , ce calme ne
feroit jamais que le figne de la fervitude , d'une fervitude
qui concentreroit la haîne dans les coeurs ,
& qui , brifant les refforts de l'induſtrie , chafferoit
de la ville le Commerce & les Arts , & porteroit
enfin le coup mertel à la patrie. Les Repréfenrans
offrent de concourir aux arrangemens qui ,
difent- ils , iront véritablement au bien de la République
, & ils s'emprefferont alors de rendre la liberté
aux perfonnes qu'ils détiennent . A la fin de
cette Requête , ils s'expriment ainfi : ----- » Telles
font les fincères difpofitions de nos coeurs. Le bien
de la patrie vouloit que nous en fillions une profeffion
authentique , mais il nous preffe auffi de déclarer
nanimement à vos Seigneuries , qu'après avoir
rempli cet office de paix envers elle , fi les Négatifs
perfiftent à ne compter pour rien la Nation dont
ils ne forment que la plus petite partie , il ne nous
refte plus qu'à nous humilier devant l'Etre fuprême ,
à implorer fon appui , & à faire tout ce qui eft en
nous pour repouffer le fort dont nous fommes
menacés. Il ne nous refte plus qu'à proteſter , comme
nous le faifons , à la face de l'Europe , que nous
n'avons à nous reprocher aucune des calamités
auxquelles notre patrie pourra être expofée ; que ce
font nos adverfaires qui , malgré le fyftême de
prudence & de modération que nous avions conftamment
fuivi , ont forcé , par leurs intrigues , ces deux
prifes d'armes , dont ils fe fervent pour nous peindre
comme des oppreffeurs ; que notre Etat n'ayant
jamais ceffé d'être libre , indépendant & fouverain ,
le droit des Nations doit nous mettre à l'abri de
toute contrainte de la part de nos auguftes voifins ;
que plus ces Puiffances veulent le bien de la Répu .
blique , plus elles doivent confidérer la faibleffe ;
,
( 201 )
que fi , trompés par d'infidèles expofés , elles paraiffent
en ce moment ne penfer qu'à leur force , nous
ne nous en confions pas moins à leur juftice ; que
nous ne cefferons de la réclamer qu'à notre dernier
foupir , & que fi la Providence veut que nous périffions
, ce fera en hommes libres & en citoyens
vertueux «.
Toutes ces Déclarations prouvent la néceffité
d'employer les moyens de la force
pour ramener le calme ; la ville eft à préfent
refferrée : le 11 de ce mois le Marquis
de Jaucourt doit s'aboucher avec le Comte
de la Marinera , pour convenir de la manière
dont on pourroit réduire cette ville
fans en venir à des extrémités qui pourroient
être fatales aux deux partis ; car on
veut lui faire du bien fans lui faire du mal
s'il eft poffible. Le parti qui eft maître de
la ville femble fe préparer à repouffer la
force par la force ; & afin que rien ne le
gêne dans la défenfe qu'il veut faire , il a
fait abattre les arbres qui étoient fur les
baftions qui offroient la promenade la plus
agréable.
ESPAGNE.
De MADRID le 7 Juin.
LES Volontaires François qui vont au
camp de St -Roch ne font
و
pas encore
tous arrivés ici ; nous n'avons que les fils
de M. le Duc de Crillon les Colonels
de l'armée de M. le Baron de Falkenhayn ;
M. le Prince de Naffau doit fe rendre en
>
is
( 202 )
droiture à Cadix , & ne vient ici que :
pour s'y trouver lors du féjour que Mgr. le
Comte d'Artois y fera .
1
Nous apprenons d'Algéfiras que le vaiffeau
le St - Ifidore , qui étoit entré dans la Méditerranée
, a paffé le Détroit , ainfi que
la Sainte- Elifabeth , venant de Carthagêne
. 4 vaiffeaux de ligne , paffés à Malaga
il y a un mois , en font fortis pour
fe rendre auffi à Cadix. Le même vent
d'Eft a conduit à Algéfiras les convois portant
les troupes de Mahon . Celui qui ramène les
prifonniers Anglois en Angleterre , & le
convoi marchand pour nos poffeffions d'Amérique
, qui avoit été forcé de ſe réfugier
à Malaga il y a plus d'un mois , ont paflé
le Détroit fans s'arrêter. Les François ne
doivent pas tarder de fe montrer devant
Algéfiras , s'il eft vrai qu'ils font partis de
Minorque à la fin du mois dernier . Le
camp de St -Roch ayant reçu les troupes
& fes munitions , rien ne retient plus ici
M. le Duc de Crillon , & ce Général doit
partir mardi prochain.
La Cour a appris aujourd'hui par un Courier
extraordinaire , que l'arinée navale
aux ordres de D. Louis de Cordova , &
la divifion de M. le Comte de Guichen
commencèrent à appareiller de la baie de
Cadix le 30 de ce mois ; la plus grande
partie de l'armée a mouillé fous Rota pendant
la nuit , & le lendemain le refte des
vaiffeaux l'ayant jointe , on la perdit de
( 1203 )
vue le même jour. Le Général , ajoute- t- on ,
n'a pas voulu fe charger des vaiffeaux
de la Compagnie des Indes Hollandoifes
parce qu'il ignore où il va , & qu'il ne le
faura qu'à la hauteur où il ouvrira fes
paquets . D'ailleurs , ces bâtimens auroient
retardé la marche de la flotte , qui doit être
très-preffée d'arriver à fa deſtination.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Juin.
LE Général Clinton a débarqué , le t
de ce mois , à Portsmouth , fur la frégate la
Pearl ; le 12 au foir , il eft arrivé ici , &
le lendemain après avoir vu quelques Miniftres
, il a été préfenté au Roi avec lequel
il a eu une très - longue conférence. Il a apporté
, dit - on , des nouvelles très intéreffantes
de cette partie du monde ; mais ce qui
feroit croire qu'elles le font moins qu'on
ne le prétend & fur- tout qu'on ne le defireroit
, c'eft que le Gouvernement jufqu'à
ce moment n'en a publié aucune . Tout
ce que l'on débite paroît plus calqué fur
les voeux de la Nation que fur ce qui fe paffe
réellement. Nous nous bornerons à indiquer
ici les principaux bruits , & ceux qui paroiffent
les plus vraisemblables.
Le Chevalier Guy Carleton , parti le 8
Avril , eſt arrivé à New- Yorck en 25 jours
de traversée . Sa première démarche a été de
rendre la liberté au Chevalier James Jay , &
i 6
( 204 )
au fils du Gouverneur Livingston ; il a particulièrement
accueilli ce dernier , qu'il a
chargé d'une dépêche pour le Congrès , &
qui eft parti le 8 de New-Yorck pour fe
rendre à Philadelphie.
»Selon d'autres avis , le nouveau Commandant de
nos forces dans l'Amérique Septentrionale , a dépêché
un meflager , que l'on dit être M. Digges , au
Congrès , avec une copie de fa commiffion & des
pouvoirs dont il eſt revêtu par le Gouvernement
pour entamer une négociation avec l'Amérique. Ily
a joint en même tems plufieurs lettres des nouveaux
Miniftres à différens Membres du Congrès , dans
lefquelles ils atteftent la fincérité de leur attachement
pour l'Amérique , & où ils déplorent & défapprouvent
fortement les mesures coërcitives de l'ancien
Ministère ; ajoutant que comme ils ont toujours
été les défenfeurs de la caufe Américaine avant qu'ils
fuffent en place , ils ont lieu d'efpérer que le Congrès
va donner la confiance la plus étendue à leurs
propofitions d'accommodement , afin que l'amitié
qui fubfiftoit anciennement entre les deux Nations
foit rétablie fur une baſe permanente , avantageuſe
& honorable pour l'une comme pour l'autre . Ces
propofitions , ajoutent les papiers qui nous fourniffent
ces détails , font , dit-on , de mettre l'Amérique
pofitivement fur le même pied d'indépendance
où l'Irlande fe trouve actuellement. On ne conçoit
pas que le Ministère puiffe eſpérer quelque chofé de
cette propofition tardive , qui auroit été adoptée
avec empreffement au commencement des troubles ,
& qui auroit prévenu la guerre dans laquelle nous
fommes engagés. Se flatte -t- on de décider les Américains
à ne retirer pas d'autres fruits des efforts auxquels
on les a forcés , & à ne pas profiter de leur po
fition actuelle ? Nos avances leur prouvent ce qu'ils
Lavoient déja , que nous ne fommes plus en état
( 205 )
de les foumettre , & que nous en fommes enfin
convaincus. Nous avons brifé nous-même les liens
qui nous uniffoient ; nous les avons forcés de defirer
une féparation ; elle est faite & rien ne peut maintenant
renouer des noeuds que nous avons défaits «.
Les autres nouvelles apportées de New-
Yorck fe réduisent à peu de chofe qu'on a
extrait de quelques lettres particulières . On
a élevé des fortifications dans l'Ifle près de
cette place , ainſi qu'à Long Iſland ; prefque
tous les habitans depuis l'âge de 16 ans jufqu'à
60 font commandés pour ces travaux
dont ils font obligés de s'occuper de cinq
jours l'un , fans recevoir aucune folde . Le
foin qu'on prend de fe fortifier marque que
l'on n'eft pas fans inquétude d'être attaqué ,
& ne laiffe pas de grandes efpérances fur
les propofitions qu'on a faites au Congrès ;
l'envoi qu'on a fait à la Jamaïque de 2000
hommes qui ont appareillé de New Yorck
dans les commencemens d'Avril , annonce
auffi que de notre côté nous ne fongeons
pour le moment à aucune entrepriſe ; l'affoibliffement
de nos forces par ces détachemens
ne nous permet de refter de ce côté
que fur la défenfive.
S'il faut en croire nos papiers , les mêmes
lettres particulières de l'Amérique feptentrionale
portent qu'on avoit auffi détaché de
Charles-Town 2 régimens pour la Jamaïque ;
mais qu'aufli-tôt qu'on a appris la victoire
de Rodney , on en a changé la deftination ;
ils ont eu ordre de fe rendre dans quelques(
206 )
unes des Ifles avant d'aller plus loin ; & on
ne manque pas de fuppofer qu'on médite
une expédition contre quelqu'unes des Ifles
conquifes & fur- tout contre celle de Saint-
Chriſtophe.
Quoi qu'il en foit , on ne laiffe pas d'être
étonné qu'on ait pu fe réfoudre à dégarnir
de deux régimens la ville de Charles - Town ,
qu'on fait être menacée , & tellement ferrée
de près par le Général Green , que pour en
affurer la défenfe , on a évacué Savanah &
appellé la garnifon qui y étoit , au fecours de
cette place ; cette circonftance fait douter de
l'envoi qu'on dit en être parti ; ceux qui
veulent réfoudre cette difficulté , prétendent
qu'il y a à Charles-Town , en y comprenant
les renforts venus de New Yorck & de Savanah
, 5000 hommes effectifs , qu'on peut
porter à 6000 , en rappellant les détachemens
qui occupent les poftes avancés.
55
Il y a peu de jours , écrit-on de Baltimore , dans .
le Maryland, en date du 15 Avril , que l'Hyder- Aly,
bâtiment monté de 6 can . de 9 liv . & de 125 hommes
commandé par le Capitaine J. Barney , que les Marchands
de Philadelphie avoient équipé pour protéger
leur navigation , defcendit jufqu'à la baye avec
quelques vaiffeaux qui devoient mettre en Mer. Ils
étoient à l'ancre dans les caps de la Delaware ,
quand le Général Monk , flop de guerre Britan
nique , & e bricq le Fair- Américan , actuellement
croifeur Angl is , parurent . A leur approche , la plus
grande partie des navires marchands remontèrent
la baie , à l'exception du vaiffeau le Général Green
& d'un ou deux autres qui s'avancerent , & que l'on
croit avoir été pris par le Fair- Américan.Le Général
( 207 )
Monk, fe voyant près de l'Hyder- Aly , crut avoir
trouvé une proie facile & fure. Il ne tira qu'un coup
de canon , pour lui faire fignal d'amener . Mais le
Capitaine Barney lui répondit par une bordée entière
, qui tua ou bleffa tous les Officiers & un
grand nombre de Matelots . Cette décharge fat immédiatement
fuivie d'une autre , dont l'effet fut fi
terrible , qu'après une action de 28 minutes , le Général
Monk amena , & fut conduit à Philadelphie .
Ce vailleau est doublé en cuivre , avec 18 canons de
9 liv. & 125 hommes d'équipage. Le Capitaine
Barney n'a eu que quatre hommes tués & 11 bleffés
; le Général Monk a 53 , tant tués que bleifés .
Voilà une bonne leçon pour apprendre aux Capitaines
de vailleaux armés , à ne pas craindre une
force fupérieure , & aux Capitaines d'un navire
fapérieur à fe défier d'un navire plus foible. — Les
François ont une frégate en croifière dans les caps
de la Chefapéak. Ils ont pris dernièrement 2 petits
bâtimens & un big armé. On croit que l'Etat de
Maryland & celui de Virginie armeront des galèrés
pour défendre le commerce de la Cheſapeak « .
Les nouvelles de la Jamaïque que l'on attendoit
avec impatience , font enfin arrivées
à l'Amirauté ; elles confiftent en des dépêches
de l'Amiral Rodney , en date des premiers
jours de Mai , apportées par le CapitaineDomet
, commandant le floop de guerre
la Cérès .
Ces dépêches , dont nous donnerons la fubftance ,
(d'après nos papiers , car la Cour ne les a pas encore publiés
) portent la confirmation de la prife du Caton &
du Jafon de 64 canons , annoncée par le Capitaine
James Wallace , ainſi que de l'Aimable , frégate de
36 , & du floop la Cérès qui nous avou été pris au
commencement de la guerre. Ces vailleaux ont amené
leur pavillon le 19 Avril dans le paffage de Mona ,
après un rude combat entr'eux & les vaiffeaux de
( 208 )
S. M. le Magnificent & le Valiant. Ils font arrivés
à la Jamaïque le 29 Avril , ainfi que le reste des
prifes de l'Ainiral Rodney. Cet Amital rend compte
du malheureux fort du Céfar , qui a fauté en l'air
ayant à bord environ soo hommes , y compris so
matelots ou Officiers Anglois qui ont tous péri.
Le Diadême eft , dit-il, le vaiffeau François qui a
coulé bas dans le combat ; l'équipage , fans en
excepter un feul homme , a été noyé. Il porte la
perte de l'ennemi dans cette affaire , tant en tués
qu'en bleffés & en prifonniers , à plus de 15000
hommes , dont la plus grande partie a été faite prifonnière.
Suivant une lettre particulière , de
l'Amiral , il paroît qu'il croifoit devant St -Domingue
avec un fort détachement , lorsque les dépêches font
parties , pour obferver les mouvemens de l'efcadre
combinée de l'ennemi , confiftant en 14 vaiffeaux de
ligne Espagnols & 10 vaiffeaux de ligne François
qui étoient alors à l'ancre au Cap , dans une ligne
circulaire avec les tranfports préparés pour le fiége
de la Jamaïque. 4 vaiffeaux de guerre François
qui avoient fouffert confidérablement dans le combat
du 12 , fe font réfugiés fous les batteries de Curaçao
ce qui a fi fort allarıné les Hollandois , que dans la
crainte d'être incendiés par les brûlots de Rodney ,
ils ont appareillé pour le Port au Prince avec leur
flotte marchande , compofée de plus de 100 voiles .
Les François ont pris la même route quelques heures
après. L'Amiral Hood , inftruit de leurs mouvemens
par un vaiffeau Portugais , a partagé , pour les intercepter
, de la manière fuivante fon efcadre , com .
pofée de 26 vaiffeaux de ligne. 12 vaiffeaux de
ligne fous fon pavillon devant le Cap Tiberon ,
pour obferver les mouvemens des Eſpagnols.
----
8 vaiffeaux de ligne fous l'Amiral Drake devant
l'ifle d'Ash. Et 6 fous le Commodore Afflek ,
pour croifer dans le paffage de Mona. Le Lord
Hood paroît le promettre quelques fuccès d'après
( 209 )
ces difpofitions. Le Comte de Graffe & les
principaux Officiers François pris dans le combat du
12 , font en route pour l'Angleterre fur le Sandwich
de 90 , commandé par le Chevalier Péter- Parker.
Ces détails du Lord Rodney , s'ils ſe trouvent
réellement dans fes lettres , doivent
nous paroître un peu extraordinaires ; il eft
vrai qu'on ne doit pas s'étonner de fes exagérations
; il y a long- tems qu'il nous y a
accoutumés ; fi on peut les lui pardonner , il
n'en eft pas de même des notions fauffes
& démontrées telles , qu'il nous donne. Il
avoit annoncé qu'un vaiffeau François avoit
coulé bas dans le combat du 12 ; il le nomme
aujourd'hui , & il eft certain que c'eft le
Diadême , dont il affure que tout l'équipage
a péri fans qu'on en ait pu fauver un feul
homme. Cependant on fait en Europe que
le Diademe eft au Cap François , ifle St-
Domingue ; il eft au nombre de ceux que
le Marquis de Vaudreuil y a conduit . Dans
la lifte nominative des Officiers tués & bleffés
à bord des vaiffeaux arrivés au Cap , &
publiée dans la Gazette de France , ce vaiffeau
eft expreffément nommé ; on y compte
1 Officier tué & 3 bleffés ( 1 ) . Le compte des
15,000 hommes morts , bleffés & prifonniers
, n'eſt qu'une exagération , fur laquelle
nous ne nous arrêterons pas ; nous nous
contenterons d'obſerver en paffant , que l'imagination
de notre Amiral , docile à toutes
les impulfions de fa vanité , réunit les deux
( 1 ) Voyez le Journal du 15 de ce mois pag . 126 & 127.
( 210 )
extrêmes ; elle agrandit ou diminue les objets
felon le befoin. Au moment du combat
l'efcadre Françoife étoit fupérieure à la fienne
; depuis elle eft hors d'état de fe préfenter
, devant lui. Il affure poſitivement
que les François n'ont que 10 vaiffeaux de
ligne au Cap , & la lifte publiée en France
la porte à 19 , fans compter le Sagittaire &
l'Expériment qu'elle y a trouvés , & qui y
étoient arrivés avec le convoi. Ces deux
vaiffeaux , à la vérité , ne font que de so
canons ; l'Expériment eft une prife faite fur
nous ; mais le Sagittaire eft de l'échantillon
d'un vaiffeau de 60 canons , & peut tenir
comme tel fa place en ligne. Ces 21 vaiffeaux
, joints à 14 Efpagnols , feront une
efcadre affez formidable , quand même les
4 arrivés à Curaçao ne s'y feroient pas réunis
le 4 Mai , comme on l'affure.
Les matelots de la Cérès , difent plufieurs de
nos papiers , racontent que tous les calfats ont été
employés pendant plufieurs jours à réparer les pri
fes , fans quoi il leur eût été impoffible de gagner la
Jamaïque , tant elles étoient mutilées ; elles ont été
trouvées dans un tel délabrement à leur arrivée ,
que ce n'eft qu'avec un long travail qu'on pourra
les mettre en état de regagner l'Europe . Parmi les
vaiffeaux de Rodney , il y en a plufieurs qui ont
exceffivement fouffert ; & leur nombre eft tel qu'il
n'eft pas poffible que l'efcadre de l'Amiral Hood
foit compofée de 26 vaifleaux de ligne , à moins
qu'on ne compte les frégates & les bâtimens inférieurs
. A leur départ de la Jamaïque , les Mai ,
ajoutent-ils , on travailloit avec toute l'activité polfible
à réparer & à équiper les vaiffeaux maltraités
; mais on manquoit de matelots , l'efcadre en
7211 )
avoit beaucoup perdu , foit dans le combat , foit
par les maladies . Cependant la tranquillité étoit
rétablie , la loi martiale avoit été fufpendue , & les
habitans paroiffoient décidés à embarquer leurs fucres
& leurs rums , ce que plufieurs avoient refufé de faire
jafqu'à ce moment. On préfumoit que le convoi
appareilleroit à la fin de Mai , fi les vaiffeaux deftinés
à les escorter étoient prêts pour ce tems.
Les autres nouvelles que nous avons reçues
des ifles ne parlent que de la reconnoiffance
des habitans de Montferrat , qui
fe louent beaucoup de la conduite généreuse
du Marquis de Bouillé à leur égard ; il leur
a fait une remife fur les 2000 joes auxquels
ils font taxés annuellement par le 9e . article
de la capitulation , & il a partagé en
quatre parties le paiement qu'ils devoient
faire d'avance la première année . Cette conduite
franche & généreufe eft la fatyre la
plus amère de celle qu'ont tenue nos Amiraux
& nos Généraux à Saint - Euftache &
par-tour.
2
Depuis que toutes nos forces font à la
Jamaïque , le redourable Paul Jones a paru
dans les parages qu'elles ont quittés , avec une
petite efcadre composée de 7 groffes frégates
& corfaires , dont deux montent 26 canons
& des pierriers , trois autres en montent zo ,
& deux 16 de 9 livres . Ces nouvelles apportées
par les derniers paquebots ont beaucoup
alarmé les affureurs , à raifon du grand
nombre de navires que nous avons actuellement
dans ces mers , & qui étant fans
( 212 )
convoi , auront beaucoup de peine à échapper
à ce redoutable ennemi .
1
C'eft le 14 que le Lord Keppel eft arrivé
de retour de Portſmouth ; il n'y a paffé que
très-peu de tems ; il a examiné le chantier
avec la plus grande attention ; mais il
n'eft monté à bord d'aucun vaiffeau ; il a
laiffé en partant l'ordre de remettre fur les
chantiers un vaiffeau de 90 & 2 de 74 ,
aulli-tôt qu'il y aura de la place. Il n'y a
pour le moment qu'une forme de vuide ,
& on efpère qu'il y en aura deux autres
dans le cours de l'été.
y
L'Amira té a , dit- on , reçu des dépêches de
l'Amiral Roff , en date du 6 de ce mois ; mais elles
ne donnent aucune information importante fi ce
n'eft que fon efcadre ft en bon état , & que les
Hollandois font toujours dans le Texel , où on ne
découvre aucun mouvement. La navigation du Texel
eft fi dangereufe & fi difficile , qu'il eft impoffible à
des vaiffeaux qui tirent autant d'eau que les nôtres ,
de s'approcher affez de ceux des Hollandois pour
leur caufer quelque dommage. Tous les vaiffeaux
de guerre de cette Nation étant plats de varangues ,
naviguent facilement dans les bas-fonds & fur les
bancs de fable , tandis que les nôtres du premier
rang ne peuvent naviguer à moins de 25 pieds d'eau.
--
On préfume que l'Amiral Reff ne tardera pas
à rentrer comme l'Amiral Howe & l'Amiral Kempenfeld
; ce ne font point les vents contraires , qui
ont ramené ce dernier à Torbay ; c'eft la nouvelle
qu'il a reçue de la fortie de l'efcadre combinée de
France & d'Espagne , devant laquelle il étoit trop
inférieur pour l'attendre. Lorfque le Lord Howe
fera joint par les vaiffeaux qui attendent dans leurs
ports refpectifs les hommes dont ils ont befoin , la
-
( 213 )
grande efcadre fera compolée des vaiffeaux fuivan
Le Victory , la Britannia , le Royal- George
de 100 canons ; le Quéen , la Princeff- Royal de
98 ; l'Atlas , l'Océan , l'Union , le Bleinheim de
90 ; le Royal-William de 84 , le Foudroyant de
80 ; l'Edgard, le Berwick , la Bellone , le Goliath,
le Courageux , la Fortitude , le Suffolck , le Pégafe,
l'Egmont , le George , la Vengeance de 74 ; l'Afia,
le Belleifle , la Crown , l'Europa , le Polyphême ,
le Samfon , le Vigilant de 64 ; ce qui fait en tout
29 vailleaux ; fi la divifion de l'Amiral Roff la
rejoint , elle fera de 39. Mais alors il faudra laiffer
le Texel libre ; il faudra . retenir toutes nos forces
enfemble , & fufpendre les renforts qu'on le propofoit
d'envoyer au loin .
La maladie contagieufe qui règne dans
les ports & fur-tout à Portfmouth & à
Plymouth , défole les Officiers en leur enlevant
les meilleurs matelots & les ouvriers
les plus intelligens. Tout cela retarde beaucoup
les travaux de nos chantiers & de nos
ports .
On affure qu'hier l'Amiral Campbell a
appareillé avec les vaiffeaux le Portland &
l'Oifeau , fervant de convoi à la flotte de
Terre-Neuve & de Québec. Le floop l'Ariel
a auffi appareillé avec une flotte pour l'Ouest.
La Compagnie des Indes a donné ordre
de préparer un paquebot , le plutôt poffible ,
pour faire paffer fes dépêches au Bengale.
Aux nouvelles publiées récemment de ces
contrées , on peut joindre celles - ci extraites
de diverfes Gazettes de l'Inde dans celle
de la Cour : le 10 Novembre 1781 , un
détachement des troupes de la Compagnie
( 214 )
aux ordres du Major Crawford , s'eſt emparé
de la ville de Birjah- guhr ; le Général
Indien Cheyt - Sing étoit alors à quelque
diftance de ce pofte avec 5000 homines , &
il fe fera fans doute retiré en apprenant
qu'il avoit été pris. Les richeffes qu'on y
a trouvées doivent être confidérables , s'il
eft vrai , comme on le dit , que dans le premier
partage du butin , la part de chaque
Officier fubalterne a été de 11,237 roupies.
Le Lord Macartney , notre nouveau Gouverneur ,
fit - on dans des Lettres écrites de Madraff , & datées
du 28 Janvier dernier , à éprouvé beaucoup de contrariétés
d'abord faute d'avoir une connoiffance parfaite
des affaires , & enfuite pour avoir voulu introduire
un nouveau fyftême d'économie dans les affaires
de la Compagnie. Il eft certain qu'il travaille
beaucoup , & qu'il n'a point encore pris l'habitude
du pays de recevoir des préfens ; ce qui lui donne
un grand avantage pour les grandes opérations politiques
des affaires . C'eft par ce moyen qu'il a
déterminé le Nabab à abandonner l'adminiftration
de fon pays à la Compagnie , avec pouvoir d'em
ployer cinq fixièmes du revenu au foutien de la
guerre , & au payement des dettes de ce Prince , réfervant
l'autre fixième pour fa dépenfe particulière .
Le Général fe plaint d'être traversé dans toutes fes
opérations contre Hyder- Aly , par les armées des
Officiers du Nabab établis dans le pays , inconvénient
qu'il eſt aifé de prévenir par la fuite en nommant
nous- mêmes ces Officiers . " Les Hollandois
avoient fix établiſſemens fur la côte de Coromandel ,
qui étoient d'un grand fecours pour Hyder- Aly.
Notre nouveau Gouverneur , le Lord Macartney
réfolut , le jour même de fon arrivée , d'envoyer
des Troupes pour les attaquer. Mais un Officier du
-
( 215 )
Confeil s'oppofa à ce deffein , alléguant qu'il y auroit
trop de danger à laiffer Madraff expofé . L'avis
du Gouverneur prévalut cependant , & ces fix établiffemens
furent pris l'un après l'autre. La dernière
expédition , qui étoit celle de Négapatam ,
lieu aujourd'hui confidérable , préfentoit tant de
difficultés que Sir Eyre Coote proteſta contre la réfolution
du Lord , difant qu'il falloit la retarder jufqu'à
ce qu'il eût chaffe Hyder-Aly du Carnate , mais
ce dernier prit tout fur lui . Les Hollandois avoient
reçu des forces d'Hyder , & ils avoient en outre des
Officiers François & Allemands . Ils firent deux forties
défeſpérées ; mais le Général Monro , qui commandoit
nos Troupes , fe conduifit comme à Pondichery
, & fit plus de prifonniers qu'il n'avoit luimême
de monde . Les biens des Particuliers leur
font reftitués ; mais Sir Eyre Coote réclame une
part aux prifes des biens publics de la Ville de Négapatam
, quoique lui & fon armée étoient à plus de
cent milles de cette Place . Les Hollandois ont abfolument
perdu tout ce qu'ils poffédoient fur cette
rive du Continent des Indes. On eftime leur perte
en cette occafion , à quelques millions de florins.
>
Quoique la Compagnie ait plus de 3 millions
fterling, tant en poffeffions qu'en effets ,
& c. , elle eſt chargée de tant de dettes que
la balance eft prodigieufement à fon défavantage
; c'eft pour cette raison qu'il a été
préfenté à la Chambre des Communes une
pétition pour qu'elle difpensât cette Compagnie
de payer la fomme de 400,000 liv.
fterling pour le renouvellement de fon bail.
Les actions de l'Inde font toujours au même
taux ; elles ne hauffent ni ne baiffent , malgré
la tournure avantageufe que notre Gouvernement
voudroit donner aux nouvelles qu'on
( 216 ) !
prétend être venues de ces contrées.
On a été fâché , dit un de nos papiers , de voir
par la dépêche du Chevalier Eyre Coote , inférée
dans la dernière Gazette de la Cour , que les affaires
de l'Inde ne font pas dans un état auſſi brillant
que les bruits publics ' autorifoient à le croire . Tous
les hommes raisonnables & fenfibles y ont vu avec
horreur des batailles fanglantes & des victoires
payées fi cher , des fiéges levés avec une précaution
calculée fur le jour & fur l'heure
même pour prévenir l'approche d'Hyder - Aly :
des circonstances fi critiques , que l'on peut regarder
comme un miracle le bonheur qu'a eu l'armée
Britannique de n'être point détruite par le fer des
Indieas , ou par la famine , le plus dangereux de
tous les ennemis ; des expéditions téméraires , entreprifes
comme le feul moyen qui offre à notre
brave Général quelqu'efpoir de furmonter les difficultés
dont il étoit aflailli de toutes parts. Eft - ce
là le cri de victoire d'une armée triomphante , &
qui a rempli tous fes projets ? Ne font-ce pas plutôt
les plaintes douloureufes d'une poignée d'hommes
accablés , pourfuivis & continuellement harcelés
par les forces fupérieures d'un ennemi ardent &
irréconciliable ? Après tant de fang répandu & de
déplorables triumphes , l'ennemi vaincu revient à la
charge avec toutes les forces ; il revient fur le lieu
même où il a été défait & renouvelle avec une indomptable
opiniâtreté des combats où nos fuccès
même nous détruifent. En vérité , il eſt impoſſible
de lire de telles relations fans frémir de leurs conféquences.
Le Général Knyphaufen eft arrivé avec
le Général Clinton ; le Capitaine Montagu
qui commande la Perle fur laquelle ils font
venus , a eu l'honneur de remettre au Roi
des lettres du Prince Guillaume qui paroît
fe
( 217 )
fe trouver fort bien de fon féjour à New-
Yorck. On revient toujours à l'efpérance
de voir réuffir la négociation que le Chevalier
Guy- Carleton a entaméé en Amérique.
Selon quelques- uns de nos papiers ,
le bill pour la trève Américaine ne peut
tarder à pafler , quoiqu'il paroiffe avoir été
prefque abandonné par le nouveau Miniftère
fon objet eft d'offrir aux Américains
une trève pour 3 ans , & pendant ce tems ,
on efpère que la paix pourra fe conclure :
on en parle toujours , & on dit qu'il a été
fcellé à la Chancellerie une commiffion qui
nomme M. Grenville , Miniftre Plénipotentiaire
auprès de la Cour de France . On
croit que les avis qu'on a reçus du Chevalier
Clinton influeront beaucoup fur les inftructions
que doit recevoir M. Grenville.
» Nos politiques , dit un de nos papiers , ne rêvent
aujourd'hui que la paix , & on ne peut nier que
la Nation la defire , & qu'elle en a befoin ; l'un d'eux
qui paroît avoir une imagination auffi exaltée que
celle du Docteur Twicker , prétend que rien n'eft
plus facile & qu'on peut gagner un grand point , en
étudiant bien le traité de la France avec les Etats-
Unis , qui paroiffent s'être réservés la liberté de
négocier féparément leur paix avec la G. B. , dans
le cas où leurs prétentions leur feroient accordées.
Ces prétentions font l'indépendance & un commerce
libre avec le monde entier qui en eft la
conféquence naturelle . Le premier article de ce
traité engage la France & l'Amérique à fe lier l'une à
l'autre auffi long-tems que les circonftances pourront
le permettre ; ainfi l'Angleterre en accordant
à l'Amérique tout ce qu'elle demande , il n'exifte
29 Juin 1782.
( 218 )
plus de circonftances qui puiffent lier celle- ci à la
France. Le fecond porte que l'objet direct de
l'alliance eft d'aflurer la liberté de l'indépendance
de l'Amérique. Or dès que cette indépendance &
cette liberté font accordées par la G. B. , l'Amérique
peut à fon choix terminer ou non la guerre actuelle
entr'elle & la G. B. , & abandonner la France dans
fes projets de réduire la puiffance & la grandeur de
1 A gleterre , tandis qu'elle feroit en poffeflion de
ce qu'elle defire . Suivant le huitième article , ni
la France ni l'Amérique ne peuvent conclure la
pax , fans le confentemeut récipropre des deux
parties , & elles s'engagent à ne mettre bas les
armes que lorfque l'indépendance de l'Amérique
fera reconnue. Mais cet article n'empêche pas l'Amérique
de négocier un traité féparé avec l'Angleterre
«.
Ces raisonnemens ne prennent pas également
: ily a bien des gens qui ne croient pas
que nos Miniftres foient fi près d'accorder
l'indépendance de l'Amérique . On penſe
que la Grande - Bretagne ne peut renoncer
à toute autorité fur les treize Colonies , fans
renoncer à fon commerce , qui eft le fou
tien de fa marine & de toutes fes poffeffions
dans les mers de l'Oueft , qui tôt ou tard
tomberont fous la domination , des Etats-
Unis , s'ils deviennent une puiffance diftincte
& indépendante. Cependant on ne
voit pas comment on pourra parvenir à
empêcher cette féparation déja faite , reconnue
par la France & par la Hollande .
La néceflité a toujours prefcrit des loix fupérieures
à tous les intérêts ; & on part delà
pour le préparer à cet évènement . On affure
( 219 )
en conféquence que la diffolution du Par
lement actuel eft décidée , & que les ordres
pour la nouvelle élection feront donnés au
commencement de l'automne ; fi les négociations
du Chevalier Carleton ne réuffiffent
pas , on eft perfuadé que l'indépendance de
l'Amérique fera reconnue dans les deux
Chambres dès les premières feffions.
Généraux .
» On s'eft plaint , lit-on dans un de nos papiers ,
que nos anciens Miniftres avoient ifolé l'Angleterre ,
& ne lui avoient fu procurer aucun allié fur le Continent
; on veut que les nouveaux ayent réparé cette
faute politique ; & on fe flatte toujours que la
Rullie , qu'on a préfentée fi louvent comme prête à
venir à notre fecours , réaliſera enfin cette longue efpérance.
On faifoit courir hier le bruit qu'un Courier
étoit arrivé de Pétersbourg avec la déclaration formelle
que cette Puiffance fe croira dans la néceffité
de foutenir l'Angleterre , fi les Hollandois héfitent
encore à acquiefcer à la médiation que l'Impératrice
offre depuis fi long tems entre la G. B. & les Etats-
Ce bruit paroît au moins firgulier ,
& il faudroit avouer que les Hollandois feroient bien
malheureux , & nous bien heureux au contraire .
C'eft nous qui leur avons déclaré la guerre , au
mépris de l'acte de la neutralité qu'ils avoient figné
& qui devoit leur affurer la protection de la fameuſe
confédération du Nord , que notre démarche auroit
dû indifpofer. Ils ont follicité les fecours de cette
confédération , qui leur a fait déclarer qu'ils ne
devoient compter que fur la médiation , & même
ne fe pare, ofer fi uniquement fur elle , qu'ils ne
s'occupâffent pas effi acement de fe défendie euxmêmes
, & de rendre à leurs ennemis le mal pour le
mal ; c'est ce con'eil , la néceffité , leur intérêt , qui
les ont enfin déterminés à faire caufe commune avec
k 2
( 220 )
nos autres ennemis , & à le concerter avec eux ; au
moment où ce grand ouvrage , entrepris fans doute
trop tard , mais dont ils peuvent fe promettre de bons
effets, eftterminé ; la G. B. d'abord recalcitrante à toutes
les propofitions de la Ruffie , commence à les écouter
, parce qu'elle fent les coups qui peuvent réſulter
contre elle du concert de fes ennemis ; les Hoilan--
dois doivent ne pas renoncer aux avantages qu'ils
ont lieu d'attendre du parti qu'ils ont pris ; & la
Ruffie qui l'a confeillé indirectement , la neutralité
armée qui l'a néceffité , en fe bornant à négocier
pour elle , feroient mécontentes ! & les Puifiances
armées pour protéger leur commerce , le tourneroient
contre leur alliée qui cherche enfin à venger le fien ,
à préfent qu'elle eft en état de le faire , après ne lai
avoir montré qu'un ftérile intérêt pendant qu'elle ne
l'étoit pas ! La confiance à de pareils bruits feroit
une crédulité bien étrange & bien humiliante pour
nous ; elle feroit même un outrage pour les Cours
auxquelles on prêteroit cette conduite .
Nos prétentions à la fupériorité maritime
qui ont foulevé toutes les Puiflances , fe renouvellent
, & ne font pas propres à nous
procurer des Alliés , ni même perfonne qui
s'intéreffe à nous ; nos corfaires ont déja
enlevé plufieurs navires neutres ; & les dernières
Gazettes de la Cour contiennent une
Ordonnance , qui expoſe les idées de notre
Ministère à ce fujet . S. M. y déclare que les
marchandiſes de ſes ſujets qui ſeront chargées
fur des bâtimens étrangers , & deſtinées
pour ce Royaume ou celui d'Irlande , feront
exemptes dorénavant de toute faifie de la
part des vaiffeaux de guerre ou des bâtimens
particuliers en commiffion , même dans le
( 221 )
cas où ces marchandifes auroient été embarquées
dans les domaines ou territoires
d'une des Puiffances avec lefquelles S. M.
eft en guerre ; & fi ces marchandiſes étoient
faifies , les Propriétaires feront autorisés à les
réclamer à la Cour de l'Amirauté. Par cette
Ordonnance les Neutres ne doivent faire le
commerce que pour nous ; s'ils le font pour
nos ennemis nous leur enlèverons leurs
vaiffeaux ; telle eft en fubftance la loi portée
par la dominatrice des mers ; il refte à favoir
files Puillances neutres trouveront à propos
de s'y foumettre.
Le Comte de Cholmondely eft nommé
Envoyé de S. M. à la Cour de Berlin , où
il va ramplacer M. Elliot qui eft rappellé.
FRANCE.
De VERSAILLES . le 25 Juin.
LE 20 de ce mois , LL. MM. & la
Famille Royale fignèrent le contrat de mariage
du Comte Delva , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , avec Mademoifeile du
Lau.
Le 16 , M. de Pontcarré , préfenté au Roi
par M. le Garde des Sceaux , a eu l'honneur
de faire fes remerciemens à S. M. pour la
plice de premier Préfident au Parlement de
Rouen , vacante par la nomination de M.
k 3
( 222 )
de Montholon à la place de Conſeiller d'Etat
pour laquelle il avoit eu la veille l'honneur
de faire fes remerciemens au Roi à qui il
avoit été également préſenté par M. le Garde
des Sceaux .
Le même jour les Secrétaires du Roi eurent
l'honneur de préfenter à S. M. la bourſe
qu'ils font dans l'ufage de lui donner. M.
Lebegue portoit la parole.
*
De PARIS , le 25 Juin.
SELON les lettres de Cadix du 31 Mai ,
la flotte étoit à cette époque retenue dans la
baie par les vents contraires ; mais le 15 de
ce mois un Courier extraordinaire arrivé de
Madrid nous a appris qu'elle a mis à la
voile le 4 de ce mois , & que tous les convois
retenus à Malaga étoient arrivés à Algéfiras
dans les derniers jours du mois de Mai.
›
Selon quelques lettres particulières reçues
depuis , l'Armée combinée eft forte de 27
vaiffeaux Eſpagnols & de 7 François , dont
2 venant de Toulon nouvellement conftruits.
Le 20 de ce mois on prétendoit qu'elle
venoit de paroître dans les eaux de Breft ; ce
feroit une belle traverfée fi elle avoit pu fe
faire en auffi peu de tems ; & fi l'on a fignalé
en effet d'Oucffant quelques vaiffeaux , ce
fera peut -être l'efcadre Angloife qui fera
revenue reprendre fa ftation , & qu'on dit
forte aujourd'hui de 22 vaiffeaux de ligne.
On a reçu dans les Ports , écrit - on de Bordeaux ,
des ordres du Roi pour la conftruction de douze
vaiffeaux de ligne , dont trois de 110 canons , qua(
223 )
tre de 80 , & cinq de 74 : quatre de ces vaiffeaux
feront conftruits à Breft , deux à l'Orient , trois à
Rochefort & trois à Toulon . L'Alcide , vaiffeau
-
-
-
-
de 74 canons , vient d'être mis à l'eau à Rochefort
. Le Cenfeur , de la même force , y fera mis
dans le mois prochain . On travaille actuellement
dans le même Port à doubler en cuivre le vaiffeau
l'Amphion. Le Fier , vendu aux Particuliers , &
deftiné à porter des Troupes au Cap de Bonne-
Espérance , eft en armement. On vient de défarmer
le Vaillant : il eſt en carêne , & ſera réarmé tout
de fuite. Outre les trois vaiffeaux dont la conftruction
eft ordonnée à Rochefort , il y a ordre de
mettre fur les chantiers deux corvettes , & deux
frégates portant du 18. La frégate la Cérès part
aujourd'hui ( 15 Juin ) du bas de la rivière , efcortant
quelques navires chargés , dit - on , pour Saint-
Domingue. La frégate l'Aigle , de 40 canons ,
dont 26 de 24 , commandée par M. de la Touche ,
eft à l'Ifle d'Aix , avec vingt navires chargés pour
l'Amérique Septentrionale . MM . de la Fayette , de
Viomefnil , & c. paffent fur cette frégate . Ce convoi
doit mettre à la voile inceſſamment. Il y a
ce moment , au bas de la rivière , 70 navires chargés
de vivres & de munitions pour le compte du
Roi. Dans trois femaines il y en aura 30 de plus
qu'on charge en ce Port , & dons le chargement eft
fort avancé.
-
- en
Il est entré à Cherbourg 3 navires marchands
partis de la Martinique le 15 Mai ;
un 4º qui étoit de conferve a , dit-on , coulé
bas en route , & on n'a eu que le tems de
fauver l'équipage. Les Capitaines de ces bâtimens
n'ont rien rapporté d'intéreffant ;
finon que le Zélé qui , le 12 Avril fut remorqué
à la Guadeloupe , eft revenu au Fort-
Royal pour y être réparé ; ils ne difent point
k 4
( 224 )
qu'à l'époque de leur départ le St-Esprit eût
appareillé , ni que l'Amiral Rodney eût envoyé
10 vaiffeaux à Ste-Lucie.
Un autre fait intéreffant qu'ils rappor
tent eft déja ancien , mais il fait honneur à
un brave Officier & mérite d'être cité .
» La frégate la Néréide , commandée par M. le
Chevalier de Bras- Pujet , Capitaine de vaiffeau
revenant de la Havane au Cap , dans les derniers
jours du mois de Mars , rencontra vers les 8 heures
du foir fept gros corfaires Anglois , dont 3 à trois
mâts qui vinrent l'attaquer en ligne . Le combat ne
fat ni long ni meurtrier ; la Néréide paſſa au vent à
eux & les conferva de même pendant toute la nuit :
le lendemain au jour ils étoient dans la même pofition
, faifant bonne contenance . Ils affurèrent ref
pectivement leur pavillon , & M. le Chevalier de
Bras arriva fur eux ; lorſqu'il fut à deux portées de
fufil les corfaires arrivèrent fucceffivement ; la Néréide
ſe plaça au milieu d'eux & les canonna des
deux bords ; mais voyant qu'aucun d'eux n'amenoit
& qu'ils continuoient de prendre chaffe , le Capitaine
prit le parti de pourfuivre le plus gros , qui fe fit
chaffer & canonner long- tems avant d'amener . M. de
Bras prit enfuite un bricq doublé en cuivre ; mais il
ne put joindre les autres , qui avoient profité de cet
intervalle pour s'éloigner hors de vue. Il emmena
ces deux prifes au Cap , & on eftime qu'elles valent
plus d'un million «..
Les vaifleaux arrivés d'abord à Curaçao
font , le Pluton , le Marfeillois , l'Hercule ,
Eveillé ; ils ont été bientôt fuivis de deux
autres , l'Augufte , que monte M. de Bougainville
, & le Brave ; ils font tous arrivés
le 4 Mai au Cap François , où la flotte de D.
Solano a , dit-on , reçu un renfort de 4 vaif(
225 )
feaux Efpagnols , ce qui portera l'Armée
combinée à 40 vaiffeaux de ligne.
» Le 9 de ce mois , lit- on dans une lettre de Breft,
il mouilla ici un petit bâtiment venant de l'Ile- de-
France , d'où il partit le 23 Février : il avoit depuis
touché à Bourbon , & s'étoit arrêté 15 jours au
Cap de Bonne-Efpérance . Ces Colonies étoient dans
la meilleure fituation , bien approvifionnées & dans
un état de défenfe tel qu'on n'y craignoit aucune
efpèce d'attaque . Il étoit arrivé à l'Ile-de - France un
vaiffeau Portugais , chargé de cordages , voiles ,
goudron , &c. & autres munitions navales que le
Gouvernement avoit achetées ; du refte ce bâtiment
n'a pu apporter que de vieilles nouvelles de l'Inde.
Les lettres du Cap de Bonne - Espérance font du 17
Avril ; elles nous apprennent que les vaiffeaux i'll-
Luftre & le Saint- Michel y étoient arrivés avec M.
de Buffy ; ils avoient avec eux une flotte & trois
bâtimens de tranfport ; ils y ont trouvé le Neptune,
bâtiment de 300 tonneaux , pour lequel l'on avoit
eu de l'inquiétude . Ce navire portoit de la grofle
artillerie , la compagnie d'Artillerie & quelques Officiers
de ce Corps . Ils y ont trouvé encore le Marquis
de Caftries , bâtiment de tranſport du premier
Couvoi ; & 2 navires Américains , qui n'avoient pa
fortir avec l'Illuftre & le Saint-Michel , font arrivés
au Cap peu de jours après cette petite efcadre.
Tous ces vaiffeaux devoient quitter le Cap vers le 24
ou le 25 Avril « .
C'eſt par l'Angleterre que nous attendons
des nouvelles fraîches de l'Inde . On lit dans
les papiers de cette Nation divers paragraphes
, qui prouvent clairement que le Miniftère
en a reçu par la voie de terre quelques-
unes , qui ne préfentent pas les affaires
de cette Puiffance dans une pofition auffi
brillante que celles apportées par le paque(
226 )
bot le Swallow , qui a doublé le Cap de
Bonne- Efpérance. Le Gouvernement affure
que ces dépêches venues par l'Ifthme de
Suez , ne font que des duplicata ; mais il
feroit bien étrange que deux mois après le
départ d'un paquebot , on eût envoyé les
mêmes détails & rien d'ultérieur. Ce qu'il
y a de certain , c'eft que les lettres de Londres
difent que l'on a de l'inquiétude fur
l'Amiral Hughes , qui étoit encore à Trinquemale
avec s vaiffeaux , lorfque M. de
Suffren a paru à Colombo avec 11. Si les
vaiffeaux de guerre Anglois qui ont dû arriver
fucceffivement dans les mois de Janvier
, Février & Mars , n'ont pas pu rejoindre
à tems , ce qui eft très-probable , vu la
longue traverfée , & les réparations réceffaires
, les bruits qui fe font répandus ici
pourroient être très fondés . Au refte , nous
aurons toujours la fupériorité jufqu'au milieu
du mois de Juin , époque à laquelle
doit arriver l'Amiral Bickerfton avec 6 vaiffeaux
de ligne , ce qui porteroit le total de
l'efcadre Angloiſe à 16. Mais avant ce tems
là , notre efcadre ne fera pas reftée fans
doute dans l'inaction.
Les quatre Compagnies des Gardes- du-
Corps du Roi ayant fupplié S. M. de leur
permettre de lui offrir un vaifleau de 74
pièces de canons , dont les frais de conftruction
feroient pris fur les appointemens
& folde de ce Corps , le Roi n'a pas jugé
à propos d'accepter cette offre ; mais par
une lettre que S. M. a écrite au Prince de
( 227)
Beauvau , Capitaine en quartier , elle a bien
voulu témoigner toute fa fenfibilité & même
fon attendriffement à cette marque de zèle
des quatre Compagnies , & les affurer qu'elle
ne l'oubliera jamais .
M. le Comte & Madame la Comteffe du
Nord furent Mercredi dernier 19 à Choify.
où toute la Cour s'étoit raffemblée ; ils y
dinèrent , & après les adieux les plus tendres
qu'ils reçurent de L. M. & de la Famille
Royale , ils fe mirent en route pour
aller coucher à Orléans . Ils fe rendront à
Breft , qu'ils trouveront fort brillant , fi l'Armée
Espagnole s'y montre pendant le féjour
qu'ils feront dans ce Port.
Le Lundi 17 , ces illuftres Voyageurs avoient été
au Parlement , où ils furent reçus par M. le Préfident
d'Ormeffon ( en l'absence de M. le premier
Préfident ) la Grand'Chambre aſſemblée en robes rouges
; M. le Comte & Mme. la Comtefle du Nord fe
placèrent dans la Tribune ; on appella une caufe . MM.
Martineau & Hardouin , Avocats plaidans , complimentèrent
avec applaudiffements ; & M. l'Avocat Général
Ségaier développa à fon tour l'éloquence noble
& majeftaeufe qui lui eft propre. Après quoi M. le
Préfident d'Ormeflon & MM . les Préfidens à Mortier
s'avancèrent quelques pas vers la Tribune , & faluèrent
M. le Comte & Madame la Comteffe du Nord.
La Séance finie , ayant témoigné qu'ils défiroient
voir la Sainte- Chapelle , comme un des plus
anciens & des plus beaux monumens de la Capitale ,
on courut en avertir MM . les Chanoines de la -
Sainte-Chapelle , qui fe raffemblèrent , autant que
le permit un moment aufli imprévu , auffi
précipité , mais en même tems auffi précieux .
En effet , un quart - d heure après , M. le Comte
( 228 )
& Madame la Comteffe du Nord , accompagnés
de MM . du Parlement , entrèrent dans la
Sainte - Chapelle , & M. l'Abbé Bexon , Grand-
Chantre , cut l'honneur de les complimenter en ces
termes , tels que le fentiment put fur- le- champ les
Jui fuggérer. » Monfieur le Comte & Madame
la Comteffe , après avoir vu le plus chéri de nos
Rois , vous venez aujourd'hui vifiter les Mânes du
plus Saint ( 1 ). Cet antique Monument renferme
les trophées facrés remportés par fes pieuſes mains ;
& fon Efprit immortel applaudit en ce moment
aux deux auguftes Perfonnes qui promettent au
Nord d'accroître la fplendeur dont Pierre & Catherine
l'ont fait briller. Quels voeux formerons- nous
dans un jour autli folemnel ? C'est ici le Temple
du Dieu de Paix : nous ne demanderons point pour
vous la gloire cruelle des conquêtes ; il en eft une
plus belle pour des Princes qui , pour régner fur
tous les cours , n'ont befoin que de fe montrer «.
A quoi Monfieur le Comte & Madame la Comteffe
du Nord daignèrent répondre par les expreffions
les plus obligeantes de fatisfaction & de remerciment
; & Monfieur le Comte ferrant affectueufement
, & par deux fois , la main de l'Orateur
lui dit avec fentiment : Oui , répétez quelquefois
dans ce Temple les voeux favorables que vous
venez de faire pour nous. Enfuite ils virent avec
attention & faluèrent les Reliques de la Sainte Chapelle
admirèrent la légèreté & la hardieffe de
Ï'édifice . Alors l'un de MM. les Chanoines ayant
dit : Madame la Comteffe eft venue donner à la
France de beaux jours , & qui feront écrits en caractères
brillans dans fon Hiftoire. Elle répondit :
C'eft nous qui y en avons paffé de bien agréables ,
& dont nous nous fouviendrons toujours avec
plaifir & reconnoiffance.
Pendant leur féjour dans cette Capitale ,
(1 ) Saint-Louis,
( 229 )
ils ont vu avec l'attention du Curieux éclairé
& inftruit tout ce qu'elle offre de remarquable
, ils ont auffi vifité les atteliers des
Artiftes ; parmi les différens objets qui leur
ont été préfentés , nous en indiquerons un
qui eft une galanterie qui peut paroître piquante
& curieuſe.
Le 4 de ce mois , M. Antoine Mathieu , Négociant
de Lyon , & M. Prati , Compofiteur de Mufique
à Paris , ont eu l'honneur d'être préſentés par
M. le Comte de Czernichew , à Monfieur le Comte
& à Madame la Comteffe du Nord , & de leur offrir
des ouvrages très- précieux par leur délicateffe &
leur fingularité . Ce font les chiffres de Monfieur le
Comte & de Madame la Comteffe du Nord . Dans
les jambages & les déliés des lettres P. P. qui compolent
celui du Prince , & M. F. celui de la Princeffe
, fe trouvent des vers écrits très- lifiblement
quoiqu'en écritures de diverfes grandeurs , parmi
fefquelles il y a des caractères infiniment petits , &
qu'on ne peut s'imaginer avoir été formés qu'à l'aide
de la loupe. Voici les vers qui forment le chiffre
de Monfieur le Comte du Nord :
Législateur du Nord & vainqueur de l'Afie ,
Creant un vafte Empire au milieu des deferts ,
Pierre étonna l'Europe & fonda la Ruffie.
Voyageant pour s'inftruire au loin de fa Patrie ,
Son jeune fucceffeur annonce à l'Univers ,
Qu'héritier de fon Tróne il l'eft de fon génie.
Les vers du chiffre de Madame la Comteffe du
Nord font les fuivans :
Semblable aux fleurs qui naiffent fous fes traces ,
Marie étonne & charme tous les yeux ;
A fon port noble , à fon air gracieux ,
On a cru voir la plus jeune des graces.
L'ovale oppofé à chacun de ces chiff es renferme
l'un un Rondeau pour le clavecin , l'autre une Romance
de la compofition de M. Prati.
Monheur
le Comte du Nord & Madame la Comteffe , en dai(
230 )
gnant témoigner à M. Mathieu le cas qu'ils faifoient
de fes talens , ne pouvoient le récompenfer d'une
manière plus flatteufe & plus fatisfaifante de la peine
qu'il a prife ( 1 ) .
Les Carmes de l'ancienne Obfervance
tinrent le 18 Mai à Rome leur Chapitre
général , auquel préfida , en vertu d'un Bref
du Pape , le Cardinal Corfini , protecteur
de leur Ordre. Ils élurent unanimement pour
leur Général le P. André- Audras , François ,
Docteur en Théologie de la Faculté de Paris
, affilié & ancien Prieur du Couvent &
Collége Royal des Carmes près la place
Maubert de la même Ville ; il faifoit déjà
depuis 18 ans les fonctions de Général.
Tous les papiers publics ont parlé du
fublime dévouement du Chevalier d'Atlas ,
des bienfaits du Roi pour la famille de ce
brave Officier , qui emporta au tombeau
la reconnoiffance & l'admiration de ſa Patrie
; les Arts du deffin & de la gravure fe
font réunis pour repréfenter cette belle action
; on connoît la grande Eftampe dédiée
au Roi ; on vient d'en publier une d'après
celle là , mais avec permiffion , & elle mérite
d'être annoncée (2 ).
(1 ) Le Portrait gravé de ce Prince fe trouve à Paris chez
Efnauts & Rapilly , rue St-Jacques à la Ville de Coutances ,
ils viennent de mettre auffi en vente 2 Cartes qui font bien
intéreffantes dans les circonftances préfentes ; elles offrent
le théâtre de la guerre entre les Anglois & les Américains ;
& la fuite de ce même théâtre dans l'Amérique feptentrionale
, y compris le Golfe du Méxique . L'une & l'autre ont
été tracées par M. Brion de la Tour.
(2 ) Elle a 14 pouces fur 11 , on la diftinguera d'une mau(
231 )
Parmi les diverfes productions du burin
que le patriotifine produit , on diſtinguera
la fuite des Eftampes qui doivent repréſenter
les évènemens les plus intéreflans de cette
guerre ; on avoit déjà celle qui repréſente
la reddition de 1 Armée du Lord Cornwallis
; la furpriſe de St-Eustache qui vient de
paroître eft d'après un delin élégant de M.
Marillier. L'infcription qui eft au bas offre
le Précis hiftorique de l'évènement , & rappelle
à la Nation les noms de tous les braves
Officiers qui fe font diftingués , M. le Marquis
de Bouillé , MM. de Damas , de Dillon ,
le Chevalier Oconnor , le Chevalier de
Frefne , de la Mothe , Turmel , le Chevalier
de Girardin , & c ( 1 ) .
Le fait touchant que préfente la lettre
ſuivante , eſt un titre pour lui donner place
dans ce Journal.
Monfieur , au moment où l'on apprit à Riceyle
-Haut , bourg de la Bourgogne , renommé par
fes vins , la naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
M. le Chevalier de Berrey , ancien Capitaine
d'Infanterie , retiré avec le grade de Lieutenantvaife
copie où l'on n'a point mis les armes du Roi qui fe
trouvent fur celle- ci ; cette Eftampe eft très- bien faite &
piquante d'effet. Elle fe trouve chez Alibert , Jardin du Palais
Royal , prix 3 liv.
(1) Cette fuite intéreffante fe trouve chez M. Ponce , rue
St-Hyacinthe , maifon de M. de Bure , & M. Godefroy, rue
des Francs Bourgeois , Porte St - Michel . Ces Artiftes fe
propofent de publier inceffamment la prife de Mahon , celle
de St-Chriftophe & celle de la Grenade. Ceux qui defireront
cette fuite voudront bien fe faire inferire chez eux pour
s'affurer des épreuves aufli bonnes des dernières que celles
qu'ils ont eues des premières. Le prix de chacune eit de
I liv. 16 fols.
( 232 )
exercer
Colonel , fit éclater fa joie par un acte de bienfaifance
qui annonce bien le patriotisme d'un
vieux Militaire. Il fe rendit chez M. de Charmes
Maron , Avocat au Parlement . Nous avons un
Dauphin , lui dit - il , & votre Régiffeur me doit
cent écus ; penfez- vous que dans un jour où mon
Roi nous donne un Héritier du Trône , j'irai
mes droits contre un malheureux père
de famille qui eft chargé de fix enfans ? Faiteslui
favoir que j'ai lacéré devant vous le titre
de ma créance. En même-temps il le déchire. Tous
les fpectateurs étoient dans le plus grand é onnement.
Le Régilleur fe préfente ; il eft anéanti
de ce qu'il voit , de ce qu'il entend : il veut parler
, fes larmes coulent . Notre Militaire confirme
fon bienfait , toujours tranquille , toujours généreux.
Comme il parloit encore , on lui annonce
que fon fils unique , Chevalier de Saint - Louis ,
arrive de l'Amérique , échappé aux dangers de la
mer & des combats. Je vais renaître , s'écrie le
Vieillard , je reverrai mon fils ; il pourra ,
comme moi , verfer fon fang pour nos Rois. Le
ciel met le comble à mon bonheur ; je viens de
faire un heureux , & je vais embraffer mon fils.
L'action de M. le Chevalier de Berrey , doit
trouver une place diftinguée parmi les traits de
patriotifme que la naiffance de Monſeigneur le
Dauphin a fait paroître dans l'étendue du Royaume.
Ces actes de vertu ne pourront que germer
dans les cours de ceux qui en ont été les témoins.
Je fuis , &c. Signé , PATRIS , Avocat au Préfidial
à Troyes en Champagne.
Le 1s du mois de Septembre prochain ,
il fera ouvert un Cours entre les Elèves qui
ont remporté les grands Prix d'Architecture
& de Conftruction , à l'effet d'obtenir la
Maîtrife des Maçons . Pour être admis à ce
( 233 )
concours , les Elèves fe feront infcrire dans
le chef-lieu de l'Ecole , au Bureau de l'Adminiftration
qui fe tient les Samedis matin.
Les Elèves qui ne fe préfenteront pas avant
le 1 Septembre , ne pourront pas concourir.
-
Le fieur Duboft , Sergent en charge des Gardes
de la Ville de Paris , & Botanifte connu par la
compofition de fon Syrop- de- Vie , tiré du règne
des végétaux , continue de vendre avec fuccès fon
Effence de Beauté , fi avantageufement connue pour
l'ufage de la barbe , ainfi que pour le teint des
Dames , qui leur fert auffi de pâte pour laver
leurs mains. Son Syrop ftomachique- cordial ,
dont les propriétés font de ranimer la circulation
du Sang , de réveiller l'appétic , & de faciliter la
digeftion . Sa Poudre purgative , nommée Or
potable , fouveraine pour la guérifon des laits répandus
, des tremblemens de nerfs , & c. L'on peat
prendre ce purgatif fans garder aucun régime , &
en donner même aux enfans nouveaux nés. C'eſt
le meilleur dépuratif du fang : il n'a aucun goût.
Il est approuvé par deux Arrêts du Parlement ,
rendus fur le rapport des plus anciens Profeffeurs
de Médecine , & des plus célèbres Médecins. On
diftribue avec ce remède , une brochure , où les
différentes manières de s'en fervir font énoncées ,
ainfi que les extraits des Arrêts , & les certificats
des Médecins , fur tefquels ils ont été rendus .
Le rouge de Paris , tiré du règne végétal ,
prix , 3 liv. & 6 liv . 10 f. le por.
Ninon Lenclos , pour préferver la peau des rides ,
& même les effacer , ainfi que pour la tenir dans
un état continuel de fraîcheur. Il n'eft plus néceffaire
, comme ci -devant , de la mettre dans l'eau
pour la conferver. Sa qualité eft de préferver du
hâle du foleil , & d'effacer les rides qui en proviennent
, ainfi que de la ficherelle de la peau.
-
Pomade de
( 234 )
-
--
Eau univerfelle , dite du Grand - Seigneur , antifcorbutique,
céphalique , diaphorétique , ophtalmique
& dontalgique , avec l'indication des différentes
manières de s'en fervir. Cuirs à rafoirs , ſuivant
une nouvelle méthode , qui exemptent de la néceffité
d'avoir des pierres pour les repaffer . - Elixir
de propriété pour la bouche , & opiat pour les
dents . Limonade en poudre , diurétique & apéritive
, très- rafraîchiffante : l'on met une once de
cette poudre dans une chopine d'eau on bat le
tout enfemble , & la limonade eft faite. - Eau de
Cologne fupérieure , avec la manière d'en faire
ufage. Ceux qui feront à l'Auteur l'honneur de
lui écrire , font priés de vouloir bien affranchir
leurs lettres ; il demeure enclos du Temple à Paris ;
il a formé des dépôts de tous ces objets , à Lyon
chez M. Balanche , rue Grenette ; à Grenoble , chez
Madame Durent & Compagnie ; & à Versailles , au
bas de l'elcalier des Princes «<.
Un accident arrivé dans la famille du
fieur Jacques Cholat , dont il lui importe
d'être inftruit , feroit défirer d'avoir de fes
nouvelles ; il eft abfent depuis environ 9
ans , & a été Sellier du Roi . Ceux qui fauront
où il eft font priés d'en faire part à M.
Berterau , Procureur du Roi , rue du Petit-
Lyon S. Sauveur.
Les recherches de M. Maupin fur la vigne
& fur les vins ne fauroient être plus intéreffantes
; & à ce titre nous nous empreffons
d'annoncer une de fes nouvelles produc
tions ( 1 ) ; ce feroit fans doute un très- grand
(1 ) Nouvelle Méthode , non encore publiée , pour plan
ter& cultiver la vigne à beaucoup moins de frais , & en augmenter
le rapport , jointe à la théorie où leçon fur le tems le
( 235 )
avantage pour tous les pays de vignobles
de pouvoir planter & cultiver la vigne à
beaucoup moins de frais , & d'avoir une
plus grande quantité de vins & de vins excellens.
Un avantage encore moins attendu
& plus nouveau , feroit de pouvoir introduire
avec fuccès la culture de la vigne dans
les Provinces , où celle- ci eft inconnue : c'eft
le double objet que M. Maupin s'eft propofé
dans fa nouvelle Méthode .
Catherine - Sufanne -Renée Regaifne de
Toulonnay , Marquife de Lifle , eft morte
le de ce mois au Château de Lifle , en
Normandie , dans la 40e année de ſon âge.
Barbe-Marguerite Maireffe , veuve de M.
Saulnier , noble-homme , eft morte à Nancy
le 4 de ce mois dans la 102e année de fon
âge. Elle avoit eu dans le cours de fa vie
plufieurs fluxions de poitrine , dont elle
s'étoit toujours guérie , dit- on , en mangeant
des oignons à l'huile , & en s'appli
quant fur la poitrine & fous la plante des
pieds des feuilles de papier gris imbibées de
fuif.
Jérôme-Céfat- Marie de Goder des Vicomtes
de Soudet , Baron de Neuflize , Vicomte
de la Mothe- Vadenay , & c . eft mort près de
Reims , au Château de Taiffy , le 18 Mai
dernier , dans la 75e année de fon âge .
plus convenable de couper la vendange ; à Pufage de tous
les pays , vignobles , ou non vignobles , par M. Maupin ,
Auteur de l'Art de la vigne & de celui des vins ; prix 3 liv.
fols avec le reçu figné de l'Auteur. A Paris , chez Mufier
& Gobreau , Libraires , quai des Auguſtins .
( 236 )
Marie - Olimpe de Vaulfaire des Adretz
veuve en premières nôces de Louis -Alexandre
de Sallars de Montlor , Lieutenant-
Général d'Artillerie & des Armées du Roi ,
& en fecondes de Louis de la Tour-du- Pin ,
Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi , premier Ecuyer du Duc d'Orléans ,
elt morte en cette Ville le 25 du mois dernier
, dans la 81e année de fon âge .
Louis Gabriel Taboureau , Seigneur des
Réaux , Confeiller d'Etat , & ordinaire au
Confeil des Dépêches & au Confeil Royal ,
ancien Contrôleur Général , Magiftrat &
homme d'Etat , honoré & digne des regrets
publics , eft mort ici le 31 du mois dernier.
Marie-Jofeph de Querhoënt de Kergournadeck
, Marquis de Querhoënt , Brigadier
des Armées du Roi , eft mort en cette Ville
le 26 du mois dernier.
De BRUXELLES , le 25 Juin.
SELON les lettres de la Haye , un des
Adjudans Généraux du Stathouder eft parti
le 13 pour le Texel , où il fe rendoit en diligence
; on ne doutoit pas qu'il ne fût chargé
des ordres les plus importans pour la flotte
mouillée dans cette rade ; & comme la flotte
Angloife qui croife devant le port avoit été
diminuée du Victory & de la Britannia , de
100 canons du Queen de 98 , de l'Edgar
de 74 , & du Panther de 60 canons , on
fuppofoit l'efcadre Hollandife en état de
ne plus craindre & même d'attaquer la divi-
,
( 237 )
fron de l'Amiral Roff , & on croyoit en
conféquence qu'elle mettroit à la voile au
premier vent favorable.
-
» La note remife par le Ministère de Ruffie à notre
Ambaſſadeur à Pétersbourg, ajoutent les mêmes lettres
, exprime les intentions de cette Cour , relativement
à notre accommodement avec l'Angleterre ;
elles fe troavent encore confirmées , fi en effet elle
a fait infinuer à celle de Verſailles.
Que cette
dernière ayant ci-devant déclaré qu'une paix particulière
, entre la République & la G. B. lui étoit.
indifférente , pourvu qu'elle fût conforme à la dignité
de la première , & qu'on lui affurât une libre Havigation
; & que cette affaire étant parvenue à préſent
a fa maturité , S. M. I. verroit avec plaifir que la
France ne mit point obftacle à cette paix particulière
, qui feroit non-feulement très - avantageufe aux
deux Puiffances , fur-tout à la République , au bienêtre
de laquelle S. M. I. s'intéreſſoit particuliérement
, mais auffi aux intérêts même des fujets commerçans
de la France . - Il eft malheureufement
difficile que l'on puiffe aujourd'hui le prêter à ces
difpofitions , & c'eft bien la faute de l'Angleterre ;
tant que la République a defiré & follicité même un
accommodement , elle a refufé de l'écouter ; elle l'a
forcée de ſonger à la défenſe , & de rendre à ſes ennemis
le mal qu'ils lui ont fait , en la furprenant par
une déclaration inattendue & des hoftilités auxquelles
ils favoient qu'elle ne pouvoit être préparée.
Elle a fait preuve de fes difpofitions pacifiques , en
héfitant long- tems de prendre le parti que lui pref
crivoient fa pofition & la faine politique ; aujourd'hui
qu'elle l'a pris , qu'elle a traité avec la France ,
& concerté les opérations avec cette Puiffance , elle
n'eft peut-être plus la maitreffe de faire une fufpenfion
d'armes ; & fon intérêt l'oblige à faire enfin à son tour
--
( 238 )
la guerre dans laquelle on l'a fait entrer, & quejufqu'à
Fréfent onlui a faire ; c'eft l'opinion des Etats de Hollande
& de Weftfrife , qui ont déja donné leur pré-avis
fur la réponse à faire àl'Impératrice de Ruffie ; & on
ne doute pas que ce ne foit auffi celle des autres Provinces.
Ils déclarent qu'ils ne peuvent accepter la médiation
que leur offre S. M. I. pour une paix particu.
lière , mais pour une paix générale. L'Angleterre ,
eft-il dit dans ce pré-avis , a trop long- tems différé
de s'expliquer fur les conditions préliminaires qui
devoient fervir de bafe à une paix particulière ; &
la réfolution priſe dans cet intervalle , d'agir de
concert avec la France , rend impoffible toute propo
fition de paix particulière.
Les Anglois enorgueillis de leur victoire ,
paroiffent difpofés à faire revivre leurs anciennes
prétentions , qui font de dominer
exclufivement fur toutes les mers ; ils viennent
déja de commencer quelques- uns de
ces actes de fuprématie maritime , qui ont
indifpofé contre eux toutes les Puiffances.
Ils fe font emparé de quelques bâtiinens neutres.
On compte actuellement en mer 6000
pavillons neutres. Il eft certain qu'ils peuvent
faire une moiffon très-abondante ; mais
il faudra voir comment les Puiffances prendront
cela , & fur-tout l'Empereur , qui y
eft le plus intéreffé . Cette conduite ne peut
que renouveller les plaintes générales , donner
une nouvelle action à la Confédération
du Nord , & priver l'Angleterre de l'appui
qu'elle a fans doute cherché à s'y procurer.
Son effet fera de diminuer par-tout le parti
-Anglois.
( 239 )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 18 Juin.
-
Depuis la première prife de St-Euftache , l'Ifle
St -Thomas eft devenue le grand magafin des marchandifes
Européennes dans la mer de l'Ouest.
Une lettre de Bolton porte qu'une grande pastie des
foliats qui appartiennent à l'aimée du Général Burgoyne
, perdant tout espoir d'être échangés & rame--
nés en Angleterre , s'eft retirée avec la permiffion
du Congrès dans les établiffemens intérieurs , où
on leur a donné des terres à défricher.
L'Amiral Pigot jouit de la plus grande réputation
parmi les anciens Officiers ; il eft l'élève de Hawke,
& sila de bons Commandans en fecond & un excellent
Capitaine de Pavillon , on doit efpérer qu'il
fe conduira auffi bien que l'Amiral Rodney , qui
ne doit tous fes fuccès , comme on le fait aujourd'hui
, qu'à la modettie avec laquelle il a fuivi les
avis du Chevalier Douglas pendant la journée du
12 Avril.
Le patriotisme & l'amour des François pour leur
Roi ont fair iti la plus grande fenfation , ainfi qu'un
article de la Gazette de France , qui annonce la conf
truction de 12 vaiffeaux de ligne. En vain on auroit
cherché à répondre plus fimplement & avec plus de
fermeté aux dépêches de Rodney.
-----
Plufieurs perfonnes aflurent que l'Amiral Roff
eft rentré a Dines avec toute fon Efcadre ; cette
nouvelle n'eft point encore confirmée . - Tous les
ordres de prele font fufpendus en Irlande depuis que
ce Royaume a offert de lever à les frais 20,000
matelots , qui feront embarqués fucceffivement à
Cork & à Dublin pour les ports de Portsmouth &
de Plymouth.
Le Gouvernement a reçu avis que 19 tranfports
Anglois étoient entrés dans le Wefer & dans l'Elbe
efcortés par une frégate de 40 canons , & deux de
( 2.10 )
36 , afin de prendre à bord deux mille hommes
de troupes Allemandes pour le fervice de l'Angic
terre. Parmi les différens Corps dont elles font
compofées , il fe trouve beaucoup de jeunes gens
pen propres à porter les armes ; quelques - uns
même n'ont que 13 à 14 ans . La maladie qui a fait
beaucoup de ravage dans ces troupes en a confidérablement
diminué le nombre , elles devoient pourtant
s'embarquer la ſemaine fuivante , & mettre à
la voile au premier bon vent.
L'aménagement des forêts qui venoit de fixer les
regards de l'ancienne Adminiftration , occupe beaucoup
le nouveau Ministère. Les ordres donnés l'année
paffée pour l'infpection de toutes les forêts
des deux Royaumes , viennent d'être renouvellés ,
& il est démontré que l'Irlande peut fournir d'excellentes
pièces de bois de conftruction . Avant peu
l'Angleterre en offrira autant fi l'on travaille avec
conftance à perfectionner les nouveaux Règlemens
qui concernent cette partie fi intéreffante pour une
puiffance maritime.
Un ordre du Bureau de la Guerre a interrompu
jufqu'à nouvel ordre , les différens campemens que
l'on avoit projetté pour ce mois- ci , mais les troupes
doivent refler dans leurs quartiers pour être
prêtes à marcher au premier avis. Le bruit court
à la Compagnie des Indes , que le Lord Avocat
doit aller occuper une place importante aux Indes
Orientales.
--
Tableau comparé des fonds.
Avril 6 Inde , 3 pour cent.
116
136
55
14 Juin 115 158 60
18 116 fermés.
61
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
FAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décomvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spettacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI I JUIN 1782 .
13.0
A PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi,
FOR
BR
TABLE
Du mois de Mai 1782 .
PIÈCES
FUGITIVES.
Vers à un Ami,
L'Agneau poursuivi par
Loup , Fable ,
Air de l'Eclipfe Totale,
Charades ,
Hymne au Soleil ,
Molière à la Nouvelle Sallé,
35
64
le
Vers à l'Académie Françoi
fe .
La Réuffite infaillible , Cone ,
49
53
Couplets envoyés à une Campagnarde
, 60
Obfervations fur les Lois Criminelles
,
Idylles & Poëmes Champêtres,
76
103
Recueil Hiftorique & Chronologique
de faits mémorables ,
pour fervir à l'Hiftoire de
la Marine ,
Obfervations fur les Troubadours
,
L'Ami des Enfans ,
97
19
Ma Confeffion , réponse à des
vers très-ingénieux,
Le Lierre & le Mur, Fable , 99
Vers à M. Bidaut,
A Mlle...... , en lui
Herbier de la France ,
l'Ouvrage de Mde de Gen- Académie Françoife ,
Hiftoire d'Alexandre-le- Grand
lis ,
145
envoyant
127
152
165
177
49
SPECTACLES.
147
AM. Guiraudet le fils , 148 Acad. Roy. de Mufiq. 89 , 181
Le Roffignol & le Butor , Fa Comédie Françoife , 99 , 133 ,
184
ib.
149 Comédie Italienne , 91 , 187 ,
ble ,
Epigramme
,
Enigmes
& Logogryphes
, 8 , Kariétés
,
138
62 , 101 , 150 Gravures , 43 , 93 , 139, 188
45 , 94, 139
Annonces Littéraires , 46 , 95,
NOUVELLES LITTER. Mufique ,
Nouveau Théâtre Allemand, 9
Voyage Pittorefque du Royaume
deNaples & de Sicile, 291
140, 189
A Paris , de l'imprimerie de MICHEL LAMBERT ,
rue de le Harpe , près S. Côme , 1782.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I JUIN 1782.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte du NORD.
GLOIRE & fuccès en les voyages,
Au Couple heureux qui , dans ce jour ,
De la Seine orne les rivages !
toi qui , des leçons du fage ,
-Vas t'enrichir de Cour en Cour ,
Ne dédaigne point nos fuffrages !
Un feul Monarque a notre amour ,
Mais tout grand Prince a nos hommages,
Obferver les moeurs & les lois
Avant d'accepter la Couronne ,
C'est s'y créer de nouveaux droits ;
La naiffance donne le Trône ,
A
MERCURE
Mais la fagefle fait les Rois.
Télémaque eut dans fon jeune âge
Pour guide un grave perfonnage ,
Grand Prince , plus heureux que lui ,
Tu fais voyager fans ennui ,
Et fans pleurer , te rendre fage.
Son Mentor , plein d'austérité ,
Lui preſcrivit mainte abſtinence ;
Pour toi , des plaifirs efcorté ,
Tu n'as leçon ni remontrance ;
Et Vénus marche à ton côté
Sans que Minerve s'en offenſe.
Ainsi , pour ta félicité ,
Le Ciel , dans fa jufte clémence ,
Fait vivre exprès d'intelligence
La Sageffe & la Volupté.
Sentimens d'admiration & de reconnoiffance
à la vue des Ouvrages de Dieu , Poëme en
vers libres , traduit de David , Pf. 103 ° ,
MON, âme bénis le Seigneur ;
Adore de ton Créateur
Et la fageffe & la puiffance....
Contentez-vous , mon Dieu , de l'hommage du coeur ;
Yous avez déployé trop de magnificence
DE FRANCE
Sous le poids de tant de grandeur ,
L'efprit reste abîmé dans un profond filence .
AUTOUR de vous , quel éclat taviffant !
L'or & l'azur du firmament
Sembient , à cet aſpect , n'être qu'ombre & pouſſière :
Comme d'un fimple vêtement
Vous vous enveloppez d'un torrent de lumière ;
Ainfi qu'un pavillon vous tendites les cieux ;
Vous mîtes au- deffus le dôme radieux
Des eaux de la célefte voûte.
Attelant pour courfiers les fougueux ouragans ,
Vous montez fur la nue au milieu de få route ,
Et vous vous promenez fur les ailes des vents,
CES Efprits immortels qui , dans une humble attente ,
Sont profternés à vos côtés ,
Un coup- d'oeil leur fuffit , vos ordres font portés.
Vous parlez , & déjà la flâme dévorante
A reçu vos décrets : ils font exécutés .
Vous avez appuyé le globe de la terre
Sur fa propre ſtabilité ;
En vain les élémens y porteront la guerre ,
Rien ne l'ébranlera jufqu'à l'éternité.
Tel qu'un vafte manteau l'abime l'environne :
Les ondes fe fixoient fur la cime des monts ;
Vous menacez , votre voix tonne ;
Les ondes vont rentrer dans leurs gouffres profonds
A iij
MERCURE
J'APPERÇOIS déjà les montagnes
Lever leur tête altière & la porter aux cieux ;
Et plus loin , les humbles campagnes ,
Par-tout où l'a prefcrit votre ordre impérieux ,
S'abaiffer en vallons , en prés délicieux .
Yous marquâtes du doigt l'éternelle barrière
Que n'oferont franchir les flots :
Nous menaçant en vain du retour du chaos ,
La mer vient fe brifer fur un grain de pouffière.
DE fon trône éclatant , l'Infini , l'Éternel ,
Par torrens , fur les monts , fait pleuvoir l'abondance,
Oui , l'Univers entier , Seigneur , eft un autel
Surchargé des tréfors de votre bienfaisance.
Les cèdres du Liban , que planta votre main,
Seront nourris de vos rofées ;
Les races des oifeaux y ferone déposées ;
L'aigle s'y place en Souverain.
Sur la cîme des monts le cerf trouve un afyle,
Tandis que l'odieux reptile
Dans le creux d'un rocher va filtrer fon venin
DIEU Commande à la lune , & fa pâle lumière
Règle à jamais l'ordre des temps.
Chaque jour le foleil , du haut de fa carrière,
Voit la borne prefcrite à fes hardis élans.
Vous avez pofé les ténèbres ;
Et déjà leurs crêpes funèbres
DE FRANC É.
1
Sur tout notre hémisphère ont enchaîné la nuit.
Auffi-tôt , hors de leur réduit ,
Les bêtes des forêts traverſent les campagnes
Le lionceau , fur les montagnes ,
Rugit , s'adreffe au Créateur;
Il en obtient fa proie , & calme fa fureur.
Le foleil a paru ; déjà dans leurs tannières
Ces monftres raffemblés font couchés par monceauxz
L'homme , de fa retraite , ouvre alors les barrières ,
Et va jufqu'à la nuit reprendre fes travaux.
Tout ce qui vit dans la Nature
Attend de vous , Seigneur , pour l'inftant du befoin ,
Sans inquiétude & fans foin ,
Le vêtement , la nourriture.
Vous ne faites qu'ouvrir la main,
Et déjà l'Univers eft plein
De vos bienfaits , de vos richeffes ;
Tous les êtres créés vivent de vos largeffes.
Mais détournez la face , ils reftent confondusý
Vous leur avez ôté la vie & la lumière :
. C'en eft fait, ils ne feront plus;
Ils vont rentrer dans leur pouffière.
Envoyez , Dieu Puiffant , votre fouffle divin ,
Et voilà qu'ils vont tous renaître,
Ce fouffle créateur réglera le deſtin ,
Et l'Univers entier va prendre un nouvel être,
PUISSE la gloire du Seigneur
Aller croiffant dans tous les âges !
Aiv
MERCURE
Puiffe à jamais le Créateur
Se complaire dans fes Ouvrages !
Il regarde la terre , & la terre a tremblé ;
Tout l'Univers eſt ébranlé ;
Il touche la montagne , & déjà confumée ,
La montagne s'écroule & s'exhale en fumée.
Qui , je célébrerai la gloire de mon Dieu ;
Pour chanter fes grandeurs déformais je reſpire ;
Je veux , en tout temps , en tout lieu ,
Lui confacrer ma voix & les fons de ma lyre .
( Par M. l'Abbé Morand de Falaife. )
COUPLET à une Dame qui prétendoit que
perdre la raifon & perdre la mémoire étoie
la même chofe.
En dépit de votre argument
Je prouve le contraire.
Daignez m'accorder feulement
Un baifer pour falaire .
Si j'obtenois un pareil don
Pour prix de ma victoire ,
Je pourrois perdre la raifon ,
Mais nou pas la mémoire .
( Par M. L ***** }
DE FRANCE.
LÉONCE à EROTIQUE , fon Ami.
Traduction de l'Italien d'Algarotti.
JEE ne fais trop , mon cher ami , quel avantage tu
penfes retirer de mes avis . Si je te les donne , c'eft
uniquement pour ne pas te refufer ; car vouloir réduire
en principes une paffion telle que l'amour ,
c'eft extravaguer raisonnablement. Quoi qu'il en
foit , je vais efflayer de te mettre dans la bonne voie,
en te faifant part de ce que j'ai pu obferver en gé
néral & apprendre dans le monde ; je n'ai jamais eu
d'autre école.
Choifit celle en qui tu placeras ton coeur , n'eft
pas en ta puiilance. A l'inftant même où tu y fongeras
le moins , l'amour te la montrera , & tù ne
pourras pas empêcher qu'elle ne te plaife. La danfe
Ta plus légère le fera moins que fa démarche . La
plus tendre mélodie n'approchera pas de fon doux
parler , & la majefté de Junon & les grâces de
Vénus.....
Elle aura tout dès qu'elle faura plaire.
Ce qui dépendra de toi , ce fera de choisir les
moyens de lui plaire . Et comme il arrive fouvent
que l'amour , en perçant le coeur de l'un des deux
amans , ne fait que menacer l'autre de fon arc , it
eft de toute néceffité que l'art y fupplée adroitement.
Or , avant tout , il faudra étudier ta belle avec la
plus grande attention, T'apperçois- tu qu'elle fe pique
d'être femme d'efprit ? appelle-la une feconde
Mélanite De cultiver les Lettres ? Fais en tout
auffi -tôt une dixième Mufe . Quand bien même elle
auroit l'oeil un peu louche , n'importe , extaſic-toi ſur
Av
10 MERCURE
la beauté de fes regards . L'amour-propre eft de biet
plus ancienne date que l'amour. Blâme devant ell
le fon de voix de Chloé , les dents de Lesbie : elle
en conclura tout naturellement que tu trouves à
louer chez elle ce qui te déplaît chez les autres.
Tout ce qui lui appartient doit avoir un prix infini
pour toi. Le japement de fon petit chien , a je ne
fais quoi de moelleux & d'intereffant. Ses grâces &
fa beauté font au-deffus mille fois
De ce qu'à nos regards ont jamais fu produire
Les Artiſtes les plus fameux.
De plus , il a un efprit étonnant , & comme n'en
jamais eu un de fes illuftres ayeux , duquel on a dit :
Bruyant pour tout voleur ,
Difcret
pour les amans ; tel fut le bon Pyrame :
Jugez , s'il plaifoit à Monfieur ,
Comnie il devoit plaire à Madame !
A quoi bon te dire que fans ceffe il faut te montrer
ardent à l'exécution de toutes les volontés ? En
cela , les Belles font comme les Rois , elles n'aiment
point du tout la contrariété . Trouve beau tout ce qui
lui plaît ; rends -toi fon cfclave pour qu'elle te faffe
fon maître.
Cherche à l'entretenir d'agréables fariboles , de
nouvelles réjouiffantes. Sois aimable , fi tu veux être
aimé ; plais , & tu perfuaderas.
Celui - là s'entend mal à faire l'amour , qui toujours
parle d'amour.... & toujours . L'effentiel eft que
tu faches te rendre abfolument néceffaire à fon amufement.
Alors , qu'arrivera-t'il ? Dès qu'elle fe trouvera
feule , elle ne pourra pas s'empêcher de t'avoir
préfent à fon fouvenir. Pourvu qu'elle penfe à toi ,
qu'importe ce qu'elle en penfe ?
Lorfqu'une fois tu t'apperçois , & bien plus , fitôt
que tu es affuré qu'elle ne peut fe paffer de toi :
DE FRANCE.
ch vite , imagine un prétexte pour t'éloigner
d'elle quelque temps , lui témoignant que rien de
plus mallieureux ne pouvoit t'arriver ; que rien ,
pendant cette abfence , ne pourra égaler ta douleur.
Laiffe échapper quelque petit mot qui tende à lui
faire comprendre qu'elle n'eft pas la feule au monde ,
& qu'il fe pourroit trouver quelqu'autre femme à
laquelle tu ne refuferois pas ton coeur. Sache un peu
l'agacer , l'irriter , mais délicatement ; & fais fi bien
que l'amour qu'elle a pour elle-même , conſpire en
faveur de celui qu'elle a fçu t'infpirer. Avec les;
femmes , il faut savoir
Oppofer leur fineſſe à leur propre fineffe.
De temps en temps tu dois lui écrire des billets
doux ; & quand bien même elle n'y répondroit pas ,
écris toujours. Le ſtyle en doit être léger , badin , tel
enfin qu'il eft en ufage parmi les perfonnes galantes
& polics. Quant aux Épitres révérencieuſes , écrites
en ftyle de Bembo ( 1 ) , réſerves- les pour les Mononête
& les Arétofile ( 2 ) . Il faut former de loin le
blocus de ces effèces de femmes - là , & ouvrir fa
tranchée de façon qu'il s'écoule au moins deux
fiècles avant d'en venir à l'affaut. Avec elles , les
armes les plus sûres font le refpect & l'extrême foumiffion
; avec elles , il faut qu'il y ait dans tout des
fi , des mais , & de la raiſon & de la vertu ..... que
fais-je , moi Cependant , mets - toi toujours bien
dans l'efprit que , qui n'aimoit pas hier aimera demain
, & qu'il n'y a qu'un mal - adroit qui perde cou-
(1 ) Les Lettres du Cardinal de Bembo font toutes adreffées
à des gens de marque. Son ftyle eft effectivement
très révérencieux.
(2) Arétofile , mot dérivé da grec , & qui veut dire
Ami de la Vertu
Avj
12 MERCURE
rage aux premières défenfes , & laiffe - là fon entra
prife. On pourroit dire d'un objet ſemblable ce qu'on
dit à certain Capitaine :
Ton bras eft invaincu , mais non pas invincible ( 1) .
Qué n'a-t'on pas fu de la grotte de Didon ( 2 ) & des
antres de Latmos ( 3 ) ?
Outre cela , il ne faut rien négliger de tout ce qui
peut intéreffer la Soubrette à te procurer des bonnes
fortunes pareilles Elle eft dépofitaire des fecrets de
fa maîtreffe , & n'ignore pas de quel côté foible on
pourroit l'attaquer . Crois -moi , il n'y a point de Lucrèce
(4) pour fa femme de- chambre. Tu ne pourras
avoir de confeil & de guide plus sûr & plus affectionné
qu'elle. Écoute les réponses comme on écoutoit
celles de la Sybille ; elle t'inftruira des myftères
les plus intéreffans.
Un des inftans les plus propices à l'amour , c'eft
ordinairement lorfque les jeunes filles fe trouvent à
des fêtes & à des parties de plaifir.
La gaîté fait à l'âme
Ce que fait le printemps aux fleurs.
Philène fe mit à parler d'amour à Lesbie , un jour
que celle - ci avoit vu Aftérie porter une robe d'un
goût tout nouveau . Dis moi s'il ne faifit pas bien- là
le vrai moment ! cependant , il n'y a pas , comme on
(1) Vers du Cid , Tragédie de Corneille.
(2) Un orage qui furvient pendant la chaffe , force
Enée & Didon à fe mettre à l'abri dans une grotte.
(3 ) Larmos , montagne de la Carie , renommée
amours de Diane & d'Endymion .
par les
(4) On avoit dit avant qu'il n'y avoit point de Héros
pour fon valet-de- chambre.
DE FRANCE.
dit , de règle fans exception. La matrone d'Ephefe ,
par exemple , pleurant fur la tombe de fon mari,
n'en prête pas moins l'oreille aux fleurettes d'un
Soldat ; Philis écoute Alcée le jour même , le jour
que meurt fon petit chien.
Un endroit affez favorable pour ouvrir ton coeur à
ta maîtreſſe , eſt , fans contredit , le fpectacle , où tout
parle d'amour. Mais fi , par malheur , en féquentant
le théâtre , tes regards venoient à fe fixer avec complaifance
fur Sémiramis ou Mandane , fouviens- toi
bien qu'il te faudra effuyer mille caprices majef
tucus , & nourrir toute la Famille Royale. Et de
quelle autre vertu n'aurois-tu pas befoin pour te
conduire avec les Veftales de l'Opéra ? Laiſle aux
loges ton admiration , crois-moi ; ne t'approche pas
de la Scène ; elle a fon point de perspective,
Mais il n'eft point de lieu , de temps , de circon
tance enfin plus favorable à l'amour que les veilles
& la danfe . Là , fous le mafque & le domino , chacun
fe donne la liberté d'avouer certaines chofes que
long- temps peut-être il avoit tenues renfermées dans
fon coeur. Amour fe réjouit de voir toutes ces figures
menteufes , lui qui tant de fois en prêta de fem
blables à Jupiter même , & qui fait prendre tant de
déguifemens différens pour fe fouftraire à l'indifcrétion
des curieux."
Toutes les fois que , foït aux veilles , foit autrepart
, il t'arrivera de jouer avec ta belle , prefque
toujours tu auras foin de perdre , mais fais enforte
qu'elle puiffe l'attribuer à la fortune feule. Qui doute
qu'à favoir perdre il y a fouvent tout à gagner ? Surtout
, prends bien garde , alors que tu perds , de ne
laiffer voir , par aucune démonftration extérieure ,
qne tu en es affecté. La libéralité plaît fur toutes
chofes eile eft , pour ainfi dire , un fonds commun
fur lequel chacun affigne fes prétentions..
14
MERCURE
La fcience de la toilette n'eft pas non plus une
chofe inutile à l'homme galant. Il doit y confacrer
quelque étude . Cependant , il eft à- propos qu'il laiffe
voir une certaine négligence dans fes habillemens,
& que jamais aucune espèce d'affectation ne s'y faffe
remarquer. Mars eft Soldat..... Adonis eft Chaffeur.
Les vers , à ce qu'on dit , ont fait très -ſouvent
des miracles. En effet, tout n'eft- il pas permis aux
Poëtes ? Mais fi tu veux que tes vers foient écoutés ,
laiffe à part la métaphyfique amoureuſe , & tienst'en
au ftyle aifé du beau monde. Si les Laure ( 1 )
ont été appelées les Janféniftes ( 1 ) de l'Amour, les
Pétrarquiftes pourroient s'appeler les Quakers ( 3 ) du
Parnaffe .
Attends- toi , après tout cela , à ne pas manquer
de rivaux. Si tu es adroit , tu feindras de ne les pas
voir..... de n'en pas avoir même . Heureux fi ton
rival s'avife de te déchirer auprès de ta maîtreffe ! &
mille fois plus heureux encore s'il parvient à l'empêcher
de te voir ! Rien de plus déteſtable que la
jaloufie ; rien de plus dangereux pour celui qui la
nourrit. Les femmes ont en grande vénération les
gens entreprenans ; & la jaloufie au contraire n'aboutiroit
qu'à te peindre à leurs yeux comme le plus
timide des hommes.
En fociété , il conviendra de manifefter le plus
grand refpect envers elle. Heureuſement on n'eſt
pas toujours avec les belles en Public . Où eſt- elle
cette femme qui fe fâche d'être follicitée ?
(1) Laure , fi célébrée dans les Sonnets de Pétrarque:
(2) Ninon appeloit ainfi les Prudes.
(3 ) Quakers ou Trembleurs , eſpèce de fanatiques d'Angleterre.
DE FRANCE.
15
Souviens- toi de la punition que le bon Roland (1 )
fut contraint de recevoir fi longuement fur fes épaules ,
& cela , pour n'avoir pas faifi Morgane à temps.
Sans doute , il eft néceſſaire d'attendre que le fruit
foit mûr avant d'étendre la main pour le cueillir.
Tout doit s'arranger de manière qu'elle puiffe en
jeter toute la faute fur toi. Celle- là qui , feule à
feul avec fon ami , pourra lui réfiſter , eft plus
qu'une femme s'il n'eſt pas moins qu'un homme.
Ily a plufieurs fignes auxquels tu pourras reconnoître
peu-à-peu les progrès que tu auras faits dans
fon coeur. Les mots les plus indifférens feront adreffés
de ton côté. On dirigera vers toi des yeux qui ,
rencontrés par les tiens , fe détourneront prefque
toujours. A chaque minute on s'informera de ce qui
te fera arrivé , & l'on viendra enfuite te le raconter
à toi- même. Jaloufe de t'entendre dévoiler les fentimens
qu'elle a créés en ton coeur , elle fauta te
mettre fur la voie. Parfois elle te fuira , & cela voudra
dire que tu la fuives.
( 1) Roland trouve la Fée Morgane endormie dans une
caverne. Elle eft belle ; il eft tenté ; mais fon amour violent
pour Angélique le fait réfifter. Cependant , le défenchantement
du palais de cryſtal auroit dépendu de cette
foibleffe de fa part. Il l'apprend , & veut revenir fur fes
pas, mais il la trouve éveillée. Il court après elle , & eft.
joint par un Spectre qui lui dit : « On me nomme le
» Repentir. Je fuis privé de tout contentement , & ne
» m'occupe qu'à pourſuivre ceux qui , comme toi , ont
laiffé échapper l'occafion ..... & c. » Le Spectre fuit le
Comte , lui applique fur les épaules des coups d'un fouet
qu'il tient en fa main , & l'accable d'injures jufqu'à ce
qu'enfin Roland rejoint la Fée , & là force de défenchanter
le palais. Poëme de Roland , par Boyardo.
16 MERCURE
Garde-toi bien de te plaindre fi , de la rofe ( 1) a
la main qui la veut cueillir , il fe trouve ça & là quel
ques épines ; elles ne font qu'accroître les deurs &
embellir la victoire. Ce feroit une folie à toi d'envier
le fort de ce Dieu qui voit , defire & eft heureux.
Tu ne réuffirois pas mal à te procurer bientôt le
bonheur le plus infipide qui foit au monde.
Enfin , quand tu auras fu vaincre ta douce ennemie
, fache encore ufer de ta victoire . Ne vas pas
te figurer que tes volontés doivent commander im
périeufement aux fiennes :
L'injuftice à la fin produit l'indépendance . (2 )
Lâche les rênes , & gouverne la fi adroitement
qu'elle ne s'apperçoive pas qu'elle eft gouvernée.
Quels que foient les petits caprices qui lui prennent
de temps en temps , paffe là -deffus légèrement ,
d'autant mieux qu'ils fervent de parure à l'efprit , à la
beauté , vivifient le fentiment , & font , pour ainfi
dire , le fel de l'amour. Qu'entre- elle & toi les devoirs
foient réciproques , & que jamais d'autre loi
ne lui foit impofée que celle qui peut alléger le
poids de fa fubordination , & rendre ton empire plus
durable en même-teinps.
Que les faveurs apportent de nouvelles chaînes à
ta tendreffe . Vivez long-tems unis , & que l'Amour
ajoute à vos journées toutes celles qu'il devroit enlever
aux amans malheureux. Puiffent enfin les
Dieux , entre les mains de qui réfide le coeur de
T'homme , empêcher que le bandeau dont va faire
fage mon ami , ne vienne à lui fafciner les yeux !
(1) Le texte porte : « Si , entre Répi & la main tu trou
ves quelque empêchement. ›
و و د
(2) Vers de Tancrède , Tragédie de Voltaire
DE FRANCE. 17
1
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
Le mot de l'Enigme eft - Oiſeau ; celui du
Logogryphe eft Vipère , où le trouvent vie
rive, père, ré, pie , ver, Epire , épi & Eve.
ENIGM E.
SEMBLABLE
EMBLABLE à l'ombre fugitive ,
Je m'échappe à l'inftant que l'on croit me tenir;
Perfonne ne in'a vu commencer ni finir ;
On m'attend chaque jour , & jamais je n'arrive .
A
( Par M. Robert , à Aulnay. } .
LOGOGRYPHE.
LA maifon je fuis bonne économe ;
D'un maître complaifant je cherche le profit ;
On m'accuſe pourtant de me livrer à l'homme
Que Molière au Théâtre habilement peignit ,
Que pour caufe ici l'on ne nomme.
Qu'importe , fi parfois mon fervice fuffit ?
L'homme & la femme avec moi font tranquilles
Quand ils veulent fuivre mes lois ;
Mais il arrive quelquefois
Que jeunes gens, femmes ou filles ,
13
MERCURE
Troublent la paix de ma maifon.
En tranfpofant mes pieds , je fuis foeur d'Alecton 5
Les cheveux hériffés de ferpens , de couleuvres
Chez les Anciens je méritois mon nom ;
Fille de la Fureur , j'exhale mon poifon
Sur les Auteurs & leurs chef-d'oeuvres ;
Et c'eft pour de bonnes raiſons
Que l'on m'enchaîne aux Petites Maiſons :
Par moi le Matelot fe fauve du naufrage
Quand fon vaiffeau fragile eft brifé par l'orage ;
Je fuis l'un des trois Rois célébrés du Chrétien ,
Et la jeune Philis tous les ans me voit croître.
Compre avec toi , Lecteur , & tu verras combien
Je me donne à connoître..
( Par Madame la Marquise de Bert ***. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de Ruffie , tirée des Chroniques
originales , de Pièces authentiques & des
meilleurs Hiftoriens de la Nation , par
M. Lévefque. A Paris , chez Debure
l'aîné , Libraire , quai des Auguftins , 1782 ,
s Vol. in- 12. Prix , 15 liv. reliés.
IL manquoit à la Littérature Françoiſe
une Hiftoire de Ruffie écrite par un homme
qui fût la langue huffe , qui eût habité l'étersbourg
, & compulfé les Auteurs , les
DE FRANCE. 19
Hiftoriens , les Monumens mêmes de cette
Nation. C'eft ce que M. Lévefque vient enfin
de nous offrir.
Appelé dans cet Empire par cette Souveraine
, dont les yeux découvrent tout , &
dont les foins raffemblent autour de fon
- Trône & les talens qui font nés dans fes
vaftes Domaines , & les talens qui font nés
hors de fes États , il a étudié le Ruffe , le
Slavon , les Antiquités , les Moeurs , les
Uſages , l'Hiftoire , la Géographie , la Littérature
de cet Empire , & plein de ces connoiffances
, il a écrit en cinq Volumes une
Hiftoire que lui feul favoit véritablement.
Tout étoit neuf dans ce fujet , mais tout
n'offroit pas des couleurs brillantes. La vie
les moeurs , les guerres des Sauvages fe reffemblent
toutes. Les premiers fiècles de
l'Hiftoire des Ruffes font inconnus , les fuivans
font obfcurs ; les peuplades , divifées
fous des Chefs différens , n'offrent que des
combats , des révoltes , des maffacres fans intérêt
& fans profit pour le Lecteur. M. Lé
vefque l'a fi bien fenti , qu'en parlant de
l'État de Kief, la plus confidérable des Principautés
qui partageoient alors cette vaſte
contrée , voici commne il s'exprime :
» n'offre qu'un tableau mouvant , dont les
changemens rapides fatignent l'oeil qui ,
» voulant inutilement les fuivre , fe trouble,
eft ébloui , & confond tous les objets. »
Ce qu'on y voit le plus diftinctement ,
c'eft que les Ruffes ont toujours été confpi10
MERCURE
rateurs , qu'il y a peu de Trônes dont tant
de Souverains foient tombés , & qu'il y eut
moins de Céfars maffacrés dans Rome, que
de Czars dans Kief ou dans Mofcow.
Malgré tant de combats & tant de crimes
, le Sceptre ne fortoit pas de la même
Famille ; c'étoit toujours des frères , des ne- ❤
veux , des coufins , des pères ou des fils qui
fe combattoient , qui fe dépofoient ou qui
fe maffacroient. Les Grands , qui les fecondoient
ou qui les excitoient , n'étoient que
des efclaves qui fe battoient pour le profit
d'un maître, fans avoir pour motif l'amour
de la patrie ou l'ambition du Trône.
Aufli tout eft obfcur dans de tels Empires
, jufqu'au nom du Maître. L'éminence
des dangers , l'excès de la valeur qui les
brave , la grandeur des exploits les plus hardis
, les fuccès les plus étonnans reftent fans
gloire. Le peuple , pour qui l'on n'a point
fait ces exploits , ne les répète point avec
chaleur , les Hiftoriens ne font point inſpi
rés par le zèle patriotique que n'ont point
eu les Héros qu'ils célèbrent , & l'admiration
ne paffe point dans l'âme du Lecteur.
Ce peuple ,exercé aux armes par des combats
journaliers , mais divifé en petites Principautés
ennemies , étoit fans force ; il fut
vaincu & fubjugué par les Tartares.
En vain Gengis-Kan , ou plutôt Tchinguis-
Khan ( car l'Auteur a foin d'écrire
exactement tous les noms avec l'orthographe
Rulle ou Tartare , ou Tatare , & cette ortho- 1
DE FRANCE. 21
graphe abonde tellement en confonnes, que
le Lecteur François peut à peine les pronon
cer ou les lire ) , en vain Gengis- Kan avoir
fubjugué une partie de l'Afie ; en vain fon
fils Oktai achevoit de foumettre la Chine ,
& fon autre fils Bati Kan s'avançoit vers
l'Europe ; les Princes Ruffes, fans prévoyance ,
fans politique , ne furent ni prévenir ni dé
tourner le danger , ni fe réunir pour réfifter
aux fix cent mille Tatars qui fuivoient les
pas de Bati-Kan.
La Ruffie fut ravagée comme par un torrent
; les Chefs du Clergé furent un peu
refpectés , quoique les Tatars ne fuffent pas
Chrétiens. Ils avoient pour eux ce refpect
stupide que l'inftinct de l'ignorance conçoit
toujours pour quiconque lui parle au nom
du Ciel , du diable ou des forciers , car
toutes ces idées fe confondent chez les
peuples barbares,
Les Tatars ne conquéroient pas , comme
les Romains, pour avoir la domination fur
les peuples policés , ou pour donner des
loix à ceux qui en manquoient : du butin ,
du bétail , des efclaves & de l'or , voilà
tout ce qu'il falloit à des peuples errans fur
des chars , voyageant au milieu de leurs
troupeaux , & vivant de leur lait plus que
de leur chair,
Les Tatars opprimoient les Ruffes & ne
les gouvernoient pas. C'étoit toujours des
Ruffes qui régiffoient les diverfes Principau
22 MERCURE
tés de cet Empire , avec la permiffion du
Chef de la grande Horde, qu'on appeloit la
Horde dorée. Ils lui faifoient des préfens ,
ils lui payoient des tributs , ils étoient affervis
à leurs caprices , ils étoient quelquefois
obligés de quitter leurs États pour aller
mendier leur protection , ou pour aller leur
demander grâce quand ils les avoient offenfés,
Les Tatars eux - mêmes fe conduifirent
auffi mal que les Ruffes , ils fe divisèrent entre
eux , & s'affoiblirent ; les Ruffes reprirent
quelques forces. Ivan I , Souverain de Volodimer
, fixa en 1329 fa réſidence à Moskow,
qui devint la Capitale de l'Empire , le féjour
des grands Princes : c'étoit le titre que portoit
alors le Chef des Ruffes ; le Chef de la
Religion grecque y fixa auffi fa réfidence :
- cette Ville devint alors confidérable.
Enfin , après plus de deux cent ans d'ef
clavage fous le joug des Tatars , un Ivan III
fe trouva affez fort pour ofer cracher fur
J'ordre d'Akmer , le Chef , le Khan de la
Horde dorée , & affez féroce pour faire
tuer fes Députés. Il n'en épargna qu'un feul,'
qu'il lui renvoya pour l'inftruire du fort
des autres.
Akhmet fit une incurfion en Ruffic ;
Ivan en faifoit une autre en même temps
dans les déferts où campoit la Horde dorée ;
il pénétra dans la ville ; il y mit le feu , & la
pilla, maffacrant les femmes, les enfans , les
vieillards qui feuls y réfidoient , tandis que
DE FRANCE, 23
tous les hommes en âge de porter les armes
étoient avec Akhmet. Les Rules n'eurent
pas le temps de piller tous les effets & de
tuer tous les habitans.
Akhmet, inftruit de leur invafion, accouroit
pour défendre fa Horde , ou pour en
punir les déprédateurs ; mais les Ruffes s'en
retournant par une autre route , il ne les
rencontra point. Une horde de Tatars Nogais
, ennemis plus acharnés de la Horde
dorée que ne l'étoient les Kuffes , étoit entrée
dans cette même ville peu de temps
après leur départ ; elle avoit détruit , brûlé,
maffacré tout ce qui avoit échappé aux
Ruffes ; elle avoit enlevé les femmes d'Akhmet.
Pourfuivant la route après cette expédition
, & paffant le Volga , elle rencontra
Akhmet lui même; il fe livra entre-eux une
fanglante bataille, Akhmet fut tué , & fon
armée défaite entièrement : ce maffacre
détruifit cette Horde dorée fondée par Bati-
Kan depuis deux cent trente huit ans
Ivan agrandit beaucoup fes États, &, libre
du joug des Tatars , il reçut des Ambaſſadeurs
du Sultan , de l'Empereur d'Allemagne
, du Roi de Pologne , du Roi de Danemarck
& de la République de Venife. Jufqu'alors
la Ruffie n'avoit point reçu d'Ambaffadeurs
de ces Puiffances, Ivan fit venir
des Italiens qui lui fondirent des canons , &
qui lui bâtirent un Palais.
Il faut paffer dans cet Extrait fur un
nombre infini de guerres intérieures ou ex24
MERCURE
térieures qui defoloient la Ruffie , la Pologne
& la Lithuanie , fans produire d'autre
effet que d'entretenir ces Peuples dans la
barbarie. Il faut parvenir , fans s'arrêter ,
jufqu'au règne d'Ivan IV , furnommé le
Terrible par les Ruffes , & le Tyran par les
Étrangers. On doit croire que la Langue
Ruffe n'a point de terme pour exprimer le
mot de Tyran , puifque fes Hiftoriens n'ont
point donné ce nom à Ivan.
Ce qu'on en raconte furpaffe tout ce
qu'on nous a tranfmis des Caligula , des
Néron , des Commodes , des Caracalla ;
mais du moins ces jeunes infenfés furent
punis de leurs crimes ; ils expièrent de leur
fang , le fang qu'ils avoient répandu , &
Ivan parvint à un âge affez avancé , mous
rut tranquille dans fon lit , eut la confolation
de fe faire tonfurer , & fut certain en
expirant d'aller jouir des biens du Paradis.
Il avoit toujours eu beaucoup de dévotion :
'il étoit brave ; il avoit conquis les Royaumes
d'Aftrakhan & de Kazan , envahi une partie
de la Livonie , & combattu avec divers
fuccès les Suédois , les Palonois & les Lithuaniens.
Un jour , il feignit d'abdiquer la Couronne
& de vouloir embraffer la vie monaftique
; il fe retira dans une maiſon voifine
de Moskow , retraite de luxure & de
crime , que l'Hiftorien compare à celle que
Tybère le fit à Caprée. De cette retraite,
Ivan extermina prefque toutes les anciennes
familles
DE FRANCE. 2
familles , il n'épargna pas même la fienne.
Les complices de fes crimes furent la fouche
d'une nouvelle Race de Nobles ; fouche
que l'Hiftorien auroit pu comparer à celle
des Patriciens raffemblés par Romulus. Le
brigandage a fait prefque par- tout les premiers
Nobles.
Ivan , laffé de cette eſpèce de comédie ,
ceffa de faire le Moine , & reparut en
Maître. Le récit de fes cruautés feroit auffi
horrible que dégoûtant s'il étoit vraiſemblable
; mais s'il eft exagéré , du moins il
peint les moeurs ; c'eft pourquoi il faut rapporter
ce qu'on lui attribue. Tantôt il fait ou
vrir les glaces d'une rivière , & il y fait précipiter
par centaines les habitans d'une ville.
Tantôt, en rentrant dans fa Capitale , il
fait dreffer quatre-vingt fourches patibulaires
, & il y fait pendre par les Seigneurs
de la Cour trois cent infortunés. Un jour
il fait pendre par les pieds l'un de fes Secré
taires d'État ; fes courtifans, pour lui plaire,
tirent leurs couteaux , l'un lui arrache un
oeil , l'autre une oreille , l'autre les lèvres ,
un autre autre choſe. Quand il eft mort, les
foldats lui coupent la tête , & hachent for
corps en morceaux.
Enfuite vient le Tréforier de la Cou- 2
ronne ; on l'attache à un poteau , le Colonel
de la garde & le Colonel de la Cavalerie lui
fervent de bourreaux , l'un lui rafe la tête ,
l'autre l'arrose d'eau bouillante jufqu'à ce
que mort s'enfuive.
Nº. 22 , 1 Juin 1782.
B
*
MERCURE
Viennent enfuite deux cent accufés , à qui
deux cent courtifans coupent la tête. Puis
enfin on amène un vieillard vénérable , que
le Czar ou Tzar perce lui- même d'un grand
coup de lance.
Il fe promène quelque temps au milieu
des cadavres , puis il va rendre vifite à leurs
yeuves, Il les fait mettre à la queſtion jufqu'à
ce qu'elles lui difent où eft l'argent de
leurs maris , & foudain il s'en empare. Il
fait noyer huit cent de ces femmes ; il en
fait mettre d'autres dans des chaudières
bouillantes , car il aimoit beaucoup à varier
les fupplices,
J'avoue qu'il me faudroit des autorités
bien graves pour que je puffe admettre de
pareils faits, L'Hiftorien François qui les
rapporte , les a trouvés malheureulement
trop avérés par des témoins, pour n'être pas
convaincu de leur authenticité , & pour
n'être pas perfuadé que toute la Cour de cet
Ivan IV étoit alors femblable à une caverne
de voleurs ivres, Malgré tout ce qu'il dit , il
eft plus facile à des Hiftoriens prévenus &
indignés de calomnier un barbare , qu'il n'eſt
poffible au plus pervers des hommes d'exécuter
un tel amas de crimes . On peut rejeter
hardiment les trois quarts de ce que l'Hiftoire
rapporte , & Ivan IV fera encore un
des plus abominables Princes que le Ciel
Hans fon courroux ait donnés à la terre. Un
jour , dans un accès de colère , il donna un
Coup fi violent à fon fils qu'il l'étendit mort
માન
DE FRANCE. 20
à fes pieds. Il en fut au défefpoir , car malgré
la brutalité il le chériſſoit.
Ce fut fous ce brigand , digne de périr
par la main des bourreaux dans les horreurs
des tourmens qu'il avoit inventés , que la
Ruffie fit l'acquifition de la Sibérie ; je dis
Tacquifition , & non la conquête..
Les Colaques qui habitoient fur les rives
du Don vivoient comme les Arabes
comme les Tatars , comme les anciens Sarmates
, comme prefque tous les premiers
Peuples , fans cultiver la terre , fe nourriffant
du lait & de la chair de leurs troupeaux
, pillant les Peuples voifins & les
Voyageurs , & tout ce qui paffoit près de
leur territoire fans une eſcorte refpectable.
Ils enlevèrent un jour la caiffe d'Ivan IV,
qui les regardoit comme les ſujets. Il venoit
de conquérir le Royaume d'Aftrakhan ; il
avoit une armée dans le voifinage ; il voulut
punir les Cofaques ; fes foldats leur firent la
chaffe comme ils l'auroient faite à des bêtes
féroces , & ils les difpersèrent de même.
Iermák , l'un des Atamans des Colaques ,
s'enfuit à la tête de fix mille hommes , &
parvint à la petite ville d'Oreb , qui appartenoit
à Maxime Strogonof. Maxime fe
hâta de leur fournir toutes les chofes dont
ils pouvoient avoir befoin , de peur qu'ils
ne les raviffent , & qu'ils ne ravageaffent fon
domaine. Il leur infpira le defir de paffer en
Sibérie 2. pays nouvellement connu des
Ruffes , & qui avoit enrichi les Strogonof
Bij
28 MERCURE :
en leur fourniffant des fourrures dont ils
avoient fait un grand commerce. Maxime
fournit aux Colaques des fufils , de la poudre
, des balles & trois canons.
Iermak, à la tête de fes fix mille hommes
chaffés par les Ruffes des bords du Don ,
s'enfonça dans des pays inconnus , battit
toutes les hordes qu'il rencontra , prir
toutes les petites villes ou plutôt tous les
villages qu'il trouva ; mais chaque jour il
perdoit du monde , chaque victoire lur
étoit nuisible ; & plus il avoit de fuccès , plus
il étoit foible. Sans la crainte des fupplices
que les Ruffes lui réfervoient , il feroit re
venu dans fon pays . Il délibéra plufieurs fois
avec fa troupe affoiblie, pour favoir s'ils con
tinueroient à chercher des conquêtes , ou
s'ils hafarderoient de retourner fur leurs
pas , & toujours il fut décidé qu'ils s'avanceroient
vers l'Orient , & qu'ils iroient chercher
de nouveaux pays & de nouveaux ennemis
; ils parvinrent ainfi jufqu'aux bords
de l'Irtich & du Tobol .
Ce qui me paroît diftinguer leur incurfion
de celles de tant d'autres Peuples barbares
, c'eft qu'ils ne recrutèrent point leurs
troupes avec leurs prifonniers ; il femble
même qu'ils n'en avoient point faits . Tout
fuyoit devant eux , nul ne s'affocioit à leurs
déprédations & à leur fuccès.
Ils avoient des armes à feu , leurs enne
mis n'en avoient point , ainfi leur triomphe
étoit sûr ; mais enfin , quand ils furent réz
DE FRANCE. 20
duits de fix mille combattans à moins de
quatre cent , ils s'arrêtèrent , & ils envoyèrent
au Tfar des Députés avec de riches fourrures
pour fléchir fa colère , pour l'informer
des conquêtes qu'ils avoient faites , & du
defir qu'ils avoient de le reconnoître pour
Souverain des vaftes pays qu'ils avoient fubjugués.
Ces Députés firent leur voyage dans
des traîneaux tirés par des chiens .
Ivan IV acceptà leur offre , & envoya
cinq cent Ruffes feconder les trois cent Co
faques. La difette & les maladies emporterent
une partie de ces nouveaux venus , les
combats détruifirent le refte . Ils avoient apporté
à lermak , de la part d'Ivan IV , une
magnifique armure ; elle caufa fa perte.
Preffé par les ennemis , il voulut fauter dans
une barque ; rendu moins lefte par fon
armure , le pied lui manquá ; il tomba dans
l'eau , la pefanteur de la cuiraffe l'empêcha
de revenir deffus ; on ne put le fecourir , il
fut noyé. Le refte des Ruffes fut obligé de
fuir devant les Tartares , & d'abandonner
tous ces pays qu'ils avoient parcourus &
non pas affervis. Leurs armes à feu ne les
mirent point à l'abri des nombreuſes flèches
des Tartares.
D'autres Colaques & d'autres Ruffes, envoyés
par le Tfar , fuivirent un plan beaucoup
plus fage. A mefure qu'ils s'avançoient
dans ce pays ils fondoient une ville , puis
une autre , & chacune de ces villes , trop
forte, quoique très foible, pour être prise par
Bisj
30 MERCURE.
des Tartares , affervifloit toutes les hordes
voifines , ou les forçoit à fuir. C'eft aing
que furent jetés les premiers fondemens de
Tobolsk.
Depuis le règne d'Ivan IV jufqu'à ce
jour , les Ruffes ont continué de s'avancer
vers l'Orient ; ils ont été arrêtés fur les bords
de l'Amur par les Chinois , qui fe fervoient
d'armes à feu. Ce n'eft que dans ce fiècle.
Jes Ruffes ont envahi le Kamtchatka , & qu'ils
ont découvert des Ifles qui les ont conduits
fur les rives occidentales de l'Amérique.
y
que
Le defir de trouver des mines d'or a été
le motif de routes ces conquêtes , ainfi qu'il
avoit été , foixante ans avant Iermak, celui
des conquêtes de Cortez & de Pizrate
dans le Mexique & dans le Pérou ,
L'Espagne s'étoit affoiblie par fes conquêtes
; la Ruffie fe fortifia par les fiennes.
L'Empire prenoit plus de confiftance , l'autorité
des Tfars étoit plus reconnue , les
frères & les neveux ne fuccédoient plus à
la place du fils . Le trône , devenu héréditaire,
commençoit à s'affermir.
Fodor , fils d'Ivan IV, fut le dernier de
fa race. Sa veuve s'enferma dans un Cloître
malgré le Patriarche , le Clergé & les Nobles
qu'elle avoit aifemblés , & qui la fupplioient
de régner , quoiqu'il fût fans exemple
qu'une femme fe fût encore affife fur ce
Trône trop fouvent enfanglanté.
Il fut donné à Boris , frère de la veuve
du Tfar. Son fils, qui lui fuccéda , fut détrôné
DE FRANCE. 31
& étranglé par un Moine qui prit le nom
de Dimitri , fils d'Ivan IV, & qui fe difoit ,
& qui étoit peut-être le dernier mâle de la
branche régnante de la Maifon de Rurcik ' ,
Maiſon qui avoit gardé la fuprême puiffance
en Ruffie pendant plus de fix cent années.
Ce Moine , au bout d'un an , fut maſſacré
comme un impoſteur.
Deux autres faux Dimitri fuccédèrent à
celui-là .
Il y eut un interrègne de quelques an
nées . Enfin les États s'affeinblèrent , & ils
élurent Michel Fédorovitch , ce qui a mis
1'Empire dans la Maifon de Romanof , qui
règne actuellement. C'eſt cette maiſon qui a
porté la Ruffie à ce point de gloire & de
profpérité où elle eſt aujourd'hui.
Michel Fédorovitch n'avoit que feize
ans. Son père étoit prifonnier à Varfovic.
La Ruffie étoit attaquée par la Suède & la
Pologne. Ce jeune homme foutint la guerre
long- temps , parvint à faire la paix , à rendre
la liberté à fon père , qu'il nomma Patriarche
, feule dignité qui femblât convenir au
père du Souverain ; il eut mêine le talent de
maintenir la Ruffie en paix pendant dix an
nées confécutives , ce qui ne s'étoit peutêtre
pas encore vu.
Son fils Alexis donna um Code aux
Ruffes , & voulut faire fleurir les Arts. Il fit
venir des Allemands. Il commenta , dit
PAuteur de certe Hiftoire , à lever un coin
du voile qui tenoit fes Sujets dans les ténè
BAV
22 MERCURE
bres. Pierre I, fon fils , a voulu le déchirerd'un
feul coup.
L'Hiftoire de ce Prince , fes loix , fès
voyages , fes défaites & fes victoires font
connus de tout le monde ; cependant M.
Lévesque , qui a tiré du Journal que Pierre I
écrivit lui-même , les événemens qu'il rapporte
, ajoute à ce que l'on fait, plufieurs circonftances
curieufes . Par exemple , il nous
apprend que dans le temps où Charles XII
étoit retiré à Bender , le Czar , entouré fur
les bords du Prouth par l'armée du Vifir , &
près à devenir prifonnier des Turcs , écrivit
aux Sénateurs de fes États de ne point
s'effrayer s'ils apprenoient qu'il étoit captif,
de ne fonger qu'au bonheur de la Nation
, d'examiner fcrupuleufement les ordres
qu'ils recevroient de lui pendant ſa
captivité , de les rejeter s'ils n'étoient pas
utiles , de choisir même un autre Souverain
fi le falut de l'Empire l'exigeoit : qu'enfin
il abdiquoit tandis qu'il étoit encore
libre.
Il eft remarquable que dans cette lettre
Pierre I , qui avoit un fils âgé de vingt- un
ans , ne profère pas fon nom , & ne parle
pas de fes droits .
Une particularité encore affez peu connue
, c'eft que les deux foeurs du Czar , les
Princeffes Sophie & Natalie , composèrent
plufieurs Ouvrages en vers , firent mêine
des Tragédies , & font les deux feules Poëtes
de ce règne dont on ait retenu les noms.
DE FRANCE.
33
M. Lévesque rapporte auffi quelques
lettres du Czar & du malheureux Alexis, fon
fils, condamné à mort par fon ordre. Tous
les détails de cette étrange & funefte procédure
font intéreſſans . On voit bien que ce
Prince étoit incapable de régner , on ne voit
pas qu'il ait mérité de perdre la vie. Le Czar
ne pouvoit le craindre ; il n'avoit nul intérêt
perfonnel à le perdre ; il ne pouvoit être
mû par des impreffions étrangères ; il en fit
donc un facrifice au repos de l'État.
(
Ce qui eft plus étrange encore, c'eft que
les cent vingt-quatre Juges de cet infortuné
jeune homme,ſe donnent à eux - mêmes ,dans
le cours de leur arrêt , le titre d'Efclaves .
Ces Efclaves étoient des Miniftres d'État ,
des Sénateurs, & quatre-vingt- neuf Officiers
de différens grades.
Pierre I fit enfuite une loi qui autorifoit
le Czar à choifir lui-même fon fucceffeur , à
le révoquer s'il venoit à lui déplaire , & à
en nommer un autre. M. Lévesque attribue
à cette loi les révolutions qui font arrivées
depuis en Ruffie. Il auroit pu obferver que
le Czar , qui paffa toute la vie à forcer fon
peuple de quitter des ufages afiatiques pour
lui faire embraffer les ufages de l'Europe ,
fit alors tout le contraire. Il rejetoit les loix
de l'Europe qui ont admis l'hérédité du
Trône , ou qui ont laiffé la Nation libre de
fe choifir elle - même un Souverain , & il..
leur préféroit l'ufage afiatique , qui , laiffe au
Bv
34
MERCURE
1
caprice du Maître le choix le plus important
pour la Nation.
Les Souverains de l'Afie choififfent toujours
leur fucceffeur dans leur famille. Pierre
n'affigna pas de limites à la volonté des Czars.
Ils pouvoient livrer leur Trône & leur Peuple
à un Étranger.
Cette loi avoit un autre défaut ; elle ne
défignoit pas celui à qui la Couronne devoit
appartenir dans le cas où le Czar mourroit
fans en avoir difpofé lui- même. Il n'en difpola
pas. Sa veuve, fecondée de Menzikof,
s'empara du Trône. Le Sénat , qui avoit pris
le titre d'Efclave en condamnant le fils du
Czar , parut s'arroger le droit de donner la
Couronne. 1
La veuve de Pierre I mourut deux ans
après lui ; elle avoit nommé pour fon fucceffeur
Pierre II, le petit-fils de fon mari ,
le fils du malheureux Alexis, & par fon teftament
elle régla l'ordre de la fucceffion dans
le cas où Pierre II mourroit fans poftérité .
Le Sénat , à la mort de cet Empereur, ne
fe crut point obligé de fuivre le teftament.
Il nomma pour Impératrice Anne , Douairière
de Courlande , fille cadette d'Ivan,
frère de Pierre I ; & , ce qui eft plus étrange
pour des hommes qui s'appeloient Efclaves,
ils lui firent figner les conditions auxquelles
ils l'acceptoient pour Souveraine. On lui
impofa fur- tout la loi de ne point amener
en Ruffie fon favori Biren . Elle promit
Bout, & ne tint rien . Biren arriva prefque
DE FRANCE. 35
Ruffi-tôt qu'elle à Pétersbourg. Le Sénat
n'eut pas le courage ou l'audace de le faire
arrêter. Dès - lors il fut Efclave. Anne le
força bientôt à lui donner avec folemnité la
puillance la plus abfolue. Le Sénát & la
Nobleffe qui , de temps immémorial , faifoient
des conjurations, n'avoient pas la
moindre idée de la liberté ; & comme il n'y
a point de Tiers- État en Ruffie , que tout ce
qui n'eft pas noble eft ferf, il n'y a point de
Peuple , point de Nation ; tout le fait & fe
défait par l'intrigue de quelques hommes
qui s'aviliffent pour être puiffans en artendant
qu'on les opprime. Ainfi les Dolgorouski
avoient envoyé Menzikof en Sibérie ,
& y furent envoyés par Ofterman & Biren ,
qui furent exilés à leur tour.
Anne fir jurer tous les Grands , toute fa
Cour, tout ce qui n'étoit pas ferf, de reconnoître
pour fon fucceffeur la perfonne
qu'elle nommeroit, & elle nomma un enfant
qui venoit de naître , Ivan , fils du
Prince de Brunswick Bevern , & de fa nièce
nommée Anne comme elle . Elle donna la
Régence de l'Empire non au père ou à la
mère , qui tous deux étoient à fa Cour , mais
à ce Biren qu'elle avoit promis de ne jamais
faire venir en Ruffie , & qui , depuis qu'il y
étoit, avoit fait mourir prodigieufement de
monde, & avoit exilé vingt mille perfonnes."
Elle mourut peu de jours après avoir fait ce
choix & cet arrangement , qui ne pouvoient
produire que du défordre.
B vj
36 MERCURE
Biren régiffant l'État au nom d'un enfant
dont le père & la mère étoient vivans &
préfens , les regarda bientôt comme les ennemis.
Il ofa mettre aux arrêts le père de
fon Empereur , & fcandalifer par cet acte
d'imprudence une Nation dont il étoit abhorré.
Munich offrit fes fervices à la Princeffe ,
& fit enlever Biren de fon lit pendant la
nuit par quelques foldats , auffi facilement
qu'un Exempt de Police enlève un particulier.
Il fut condamné à mort le lendemain.
Anne commua fa peine , & fe contenta de
l'envoyer en Sibérie. Elle fut déclarée grande
Ducheffe de Ruffie.
M. Lévesque prétend que Munich ne dut
fon fuccès qu'à la négligence des gardes ;
mais par les détails qu'il rapporte , on voit
que Munich comptoit beaucoup plus fur
l'indignation générale que Biren avoit infpirée.
La haine des peuples & celle de l'armée
font les premiers & les meilleurs conjurés ;
ils s'accroiffent , ils fe fortifient ; quand les
autres font découverts & livrés aux fupplices
, ils en appellent de nouveaux ; ils portent
l'épouvante & les remords dans l'ame
des tyrans ; ils les puniffent même quand ils
ne les perdent pas.
Munich , nommé premier Miniftre pour
prix de fes fervices , fut bientôt diſgracié &
dépoffédé par les intrigues du Chancelier
Ofterman.
Un an s'étoit à peine écoulé, que la grande
DE FRANCE. 37
Ducheffe Anne & le Prince de Brunsvich ,
fon mari , furent enlevés de leur lit , & l'Empereur
Ivan de fon berceau , pendant la nuit;
par une autre intrigue, Ofterman & Munich
furent auffi arrêtés.
Elifabeth , fille de Pierre I , monta fur le
Trône , & prétendit qu'elle avoit chaffé les
ufurpateurs ; cependant la loi même de fon
père lui ôtoit tout droit au Trône , à moins
qu'elle n'y fût appelée par quelque Souverain
, & elle ne l'avoit pas été.
Un Chirurgien Leftocq, avoit conduit cette
intrigue ; car dans ce pays de Nobles & d'Efclaves
ce n'étoit pas de grands Seigneurs qui
tramoient les révolutions . Ofterman étoit le
fils d'un Prêtre Luthérien , & le tyran Biren ,
né dans une écurie , étoit fils d'un Piqueur .
Ivan, trop jeune pour fentir fon malheur,
fut d'abord traîné de citadelle en citadelle
avec fon père & fa mère. On l'en fépara
enfin , & on l'enferma au Château de Schlufſelbourg
, où il fut poignardé en 1764. Après
d'autres révolutions , fon père & fa mère
furent confinés dans un féjour de glace au
bord de la mer Blanche. N'étant point féparés
, ils eurent dans leurs prifons plufieurs
enfans , qui fembloient deftinés à vivre éternellement
dans les fers où ils étoient nés ;
mais l'augufte Impératrice qui règne aujourd'hui
, les a renvoyés dans le Danemarck , la
patrie de leur père. Anne mourut en 1746 ,
après fix années de captivité ; fon mari , plus
infortuné , a vécu trente-neuf ans dans fa
38
MERCURE
prifon , & n'a terminé qu'en 1730 ſa triſte
carrière .
Ofterman fut condamné à être roué
Munich à être écartelé ; ces jugemens étoient
auffi atroces qu'injuftes. Elifabeth ne les
envoya point fur l'échafaud , elle les fit conduire
en Sibérie , où les Menzikof, les Dolgorouski
, les Biren purent les rencontrer ,
& reconnoître la vanité des grandeurs , le
fruit amer des intrigues , & l'abfurde fottife
qu'ils avoient faite en n'employant pas .
le temps de leur faveur à porter des lois ,
& à former une conftitution qui affurât du
moins le fort des Miniftres difgraciés contre
la méchanceté & la vengeance de ceux qui
leur fuccéderoient.
Élifabeth , en exilant Ofterman & Munich
, juta que perfonne ne feroit puni de
mort fous fon règne. Ce ferment , qu'elle
tint , n'a pas multiplié les crimes. C'eft au
contraire du règne de cette Princeſſe qu'on
a commencé à fe permettre moins de grands
crimes en Ruffie . Ainfi , l'expérience femble.
prouver que la peine de mort n'eft pas aufli
utile qu'on le croit communément. Leftocq,
de Chirurgien qu'il étoit , devint premier
Médecin , & fut enfuite difgracié ; on le
relégua dans un défert près d'Archangel .
Elifabeth choifit pour héritier de fon
trône le Duc de Holftein , fils de fa foeur
aînée. Elle lui fit abjurer fa religion , & embraffer
le rit Grec. Elle lui choifit pour
épouſe la fille du Prince d'Anhalt- Zeibſt ,
*
DE FRANCE.
39
qui abjura auffi fa religion , & qui changea
le nom de Sophie pour celui de Catherine ,
en quittant la religion de fes pères pour celle
que fon mari venoit d'adopter.
Élifabeth mourut dans fon lit ; le trône
fut occupé fans conteftation par le Souve
rain qu'elle avoit nommé.
Jamais Prince n'a fait autant de bien à fon
peuple , dans un règne auffi court , que
Pierre III en a fait à la Ruffic. Qui croiroit
que la Nobleffe de cer Empire étoit , avant
lui, dans une forte d'efclavage , & qu'il lui
a , par Édit , donné la liberté ? Il a auffi
aboli la Chancellerie fecrète , véritable Inquifition
, plus odieufe que celle de Portagal
, parce qu'elle s'étendoit fur tous les objers.
Il a réuni à la Couronne les terres immenfes
que poffédoit le Clergé , & il a donné
des penfions aux Eccléfiaftiques.
Le crime qu'il commit contre fon fils &
contre fon époufe , qu'il vouloir priver de
leurs droits , de leur rang , de la liberté , &
vraisemblablementde lavie , fon mépris pour
les Ruffes , fon goût pour les moeurs Allemandes
, fes débauches extrêmes , fes indifcrétions
dans l'ivreffe , la pufillanimité avec
laquelle il s'abandonna lui-même au premier
bruit d'un foulèvement , furent les
caufes qui le précipitèrent du trône dans les
fers , & des fers dans le tombeau.
.2 9
Quand on a le malheur de parvenir à la
fouveraine puiffance par une grande révo
lution qui fixe plus attentivement tous les
1.
40 MERCURE
yeux fur foi , qui mécontente un grand
parti , qui ouvre un vafte champ aux con
jectures , on a befoin d'avoir plus de talens
& plus de vertus qu'un Prince qui hérite .
d'un trône. Lorſqu'on enlève un Empire à
un Souverain qui , malgré les vices , a fait de
grandes chofes & procuré de grands avantages
à fa Nation , on s'impofe la loi de
faire de plus grandes chofes & de procurer
de plus grands biens, fi l'on ne veut pas que
les regrets du peuple enfantent des plaintes ,
des mécontentemens , des tentatives & des
révolutions .
Catherine II a conçu ce qu'exigeoit d'elle
fa pofition , & elle a exécuté tout ce qu'elle
demandoit. Nulle Princeffe n'a mieux connu
Le grand art d'impoſer , même à la Renommée.
"
Elle a fait des établiffemens de tous les
genres , elle a peuplé des Provinces défertes ;
contenu des hordes errantes & dévaftatives ,
calmé des factions , embelli fa capitale de
monumens nouveaux élevé une ftatue
équeftre au fondateur de la civiliſation des
Ruffes , donné un Khan aux Tartares , un
Roi à la Pologne , des conditions de paix à
la Chine , affemblé les Députés des diverfes
Nations de fon Empire , & tenté de faire
un Code qui puiffe leur convenir à toutes.
Elle appela dans fon empire tous les talens
qui purent s'y tranſporter , fes bienfaits
cherchèrent les autres aux extrêmités de
DE FRANCE. 41
,
l'Europe ; fes Lettres écrites à nos grands
Hommes prouvèrent que c'étoit fon génie
qui cherchoit leur génie : tertible à fes ennemis
fes flottes franchiffant la Baltique
, l'Océan , la Méditerranée , ont brûlé
la flotte des Turcs aux portes de Conſtantinople.
Et , ce qui eft un bienfait au -deffus
de tout ce que nous venons de dire , fes
foins ont augmenté dans fon Empire le nombre
des hommes libres. Une jeuneffe nombreufe
, entretenue par fa munificence , &
délivrée par elle feule des entraves de la
fervitude , s'élève autour de fon trône , &
lui doit avec ce premier des biens fon éducation
, fes progrès dans les Sciences , fon
amour pour les Arts , fur- tout fa connoiffance
des droits de l'homme. Ce font leurs
voix qui la loueront dignement , parce qu'ils
la loueront librement. Aujourd'hui qu'elle
règne , on ne doit que citer des faits , les
faits feuls doivent parler & diriger l'opinion
du Lecteur..
M. Levefque termine fon Ouvrage par
un Traité des Découvertes qu'ont faites les
Ruffes , par une Defcription géographique
de ce vafte Empire , & par un court expofé
de la Littérature des Ruffes. Lomonoffof a
réuffi dans l'Ode , le feu de fa verve , la hardieffe
de fes expreffions l'ont fait comparer
à Pindare . Loumorokof a réuffi dans les
fables par fa naïveté. Mikhael Kharaskof a
embouché la trompette , & a donné à la Ruffie
un Poëme Épique . M. Levefque en a traduit
42 MERCURE.
un morceau qui nous fait regretter qu'il
ne l'ait pas traduit tout entier.
Ainfi , les Arts ont germé aux premiers
rayons de la liberté ; mais leur tige délicate
ne fleurit & ne déploie toute la magnificence,
de fa parure , que quand elle eft cultivée
par des mains libres . L'efclave attaché à
la glèbe qu'il défriche toujours mal , &
qu'il arrofe fouvent de fes larmes , ne chante
point les Georgiques. Les Beaux- Arts , le
Commerce , les charmes de la Société n'offrent
leurs avantages que là où l'homme eft,
libre ; & le Souverain qui veut en goûter les
douceurs , doitfouvent cacher qu'il eft maître.
VARIÉTÉ S.
Nous croyons devoir faire part à nos Lecteurs
d'une Lettre écrite à M. d'Alembert par M. le Marquis
Carraccioli , Vice - Roi de Sicile , & ci -devant
Ambaffadeur de Naples à la Cour de France. On apprendra
par cette Lettre tout le bien que M. le Marquis
Carraccioli , arrivé à Palerme le 15 Octobre
1781 , a fait en moins de fix mois au pays dont lë
Gouvernement lui a été confié.
Je m'occupé avec tout le zèle poffible & de
toutes mes forces à faire du bien à ce pays , puifqu'on
a voulu me le confier ; malheureufenient je rencontre
des obftacles par- tout. Le plus fort & le plas
défagréable vient des hommes , & même de ceux
qu'on voudroit délivrer de leurs chaînes ; tant il eft
vrai , mon cher ami , que la longue habitude de
fervir,dégrade l'âme au point de lui faire trouver des
douceurs dans l'esclavage. n
DE FRANCE.
43
J'ai établi l'exportation libre des bleds avec
quelque petite condition de réferve. J'ai ôté le droit
prohibitif de faire du pain , déformais il eft libre à
chacun d'en vendre , & au particulier d'en acheter
où il lui plaît. On a déjà commencé à paver la ville
toute en pierres quarrées , le triple plus grandes que
celles de Paris , tandis qu'auparavant il n'y avoit que
les deux principales rues qui le fuffent , toutes les autres
étoient en cailloux. Dorénavant elles : feront
toutes pavées en grand , propremen : tenues & éclairées
avec des lanternes du même modèle que celles
de Paris J'ai établi un marché public ; car il n'y
en avoit pas , ce qui eft incroyable . Pour les grands
chemins dans l'intérieur du Royaume , l'on en a
commencé trois les plus néceffaires pour transporter
les denrées du centre de l'Ile au rivage de la mer.
Cet ouvrage va un peu plus doucement ; car il eft
fort difpendieux. J'ai fait auffi tracer , à un quart de
lieue de la ville , un Campo- Santo , c'eſt-à-dire , un
immenfe cimetière , environné de balustrades & de
cyprès ; il tient dans fon intérieur deux cent caveaux
profonds , pour recevoir tous les cadavres de la ville ,
& l'on en ouvrira dix par année , de façon qu'à
tour de rôle , après vingt années , ils feront employés
les uns après les autres , au moyen de quoi les vivans
feront féparés des morts , ce qu'il feroit bien de
faire par-tout ; mais ceci eft d'une abfolue néceffité
dans un pays auffi chaud que le nôtre. Cette affaire
m'a donné beaucoup de peine , par la fuperftition des
hommes : accoutumés de voir inhumer dans les
Églifes , ils imaginent que les chiens feuls doivent
être enterrés dans la campagne...
réferve à la fin , pour la bonne bouche , de vous
dire avec un peu de vanité de ma part , l'abolition
de l'Inquifition . Le 17 du mois de Mars , Mercredi-
Saint , jour mémorable à jamais dans ce pays pour
le Roi Ferdinand IV , on a abattu ce terrible monf
Je me
}
44
MERCURE
tre. J'y ai été avec grande cérémonie & formalité ,
accompagné de l'Archevêque, de notre Prélat Grand-
Juge de la Monarchie , du Commandant des Armes ,
du Sénat de la Ville , & de tous les Chefs des Tribunaux
& Magiftrats . Tous le font affemblés en ma
préfence , outre beaucoup d'autres perfonnes choifies
que les Gardes ont fait entrer. En préſence des Officiers
& Familiers du Saint-Office , le Secrétaire du
Royaume a lu le grand décret de l'abolition, du Roi
Ferdinand IV. A vous dire vrai , mon cher ami , je
me fuis attendri , & j'ai pleuré ; c'eft la feule & unique
fois que je fuis arrivé jufques à remercier le
Ciel de m'avoir fait fortir de Paris pour me faire
fervir d'inftrument à ce grand ouvrage. Après la
cérémonie , j'ai fait tout de fuite effacer toutes les
armoiries du Tribunal , & principalement la main
avec l'épée qui étoit fur la porte , avec le mot , Deus
judica caufam tuam. J'ai fait depuis ouvrir la porte
des prifons pour remettre les prifonniers aux Évêques
refpectifs ; j'y ai trouvé trois vieilles femmes , le
rebut de l'humanité , accufées de fortilège ; je les ai
renvoyées chez elles. Toute cette grande opération ,
dont on craignoit beaucoup que l'exécution ne fût
troublée , s'eft faite avec toute la tranquillité poffible
, & même avec l'applaudiffement des plus
fenfés. »
APalerme, le 11 Avril 1782 .
M. d'Alembert nous prie d'avertir ceux qui ont lû
la Gazette d'Utrecht , du 17 Mãi , qu'on y a inféré
un Extrait fort infidèle de la Lettre que lui a écrite ,
fur le voyage du Pape , une perfonne très -reſpectable.
*
DE FRANCE..
45
GRAVURES.
CARTE
ARTE du Lac de Genève & des Pays circonvois
fins , où le trouvent les Frontières de France , de
Savoie & de Suiffe , avec le Territoire de la Répu
blique de Genève , dreffée fur plufieurs Cartes manufcrites
, & en particulier fur celle de M. J. C.
Fatio , Ingénieur & Membre de la Société Royale
de Londres , & fur celle de M. de Rovera , Ingénieur
de LL. EE. de Berne , réduite , rectifiée & augmentée
du Plan de la ville de Genève , par Philippe
Buache, premier Géographe du Roi & de l'Académie
Royale des Sciences. A Paris , chez Dezauche ,
fucceffeur des fieurs Delifle & Philippe Buache , rue
des Noyers , près celle des Anglois.
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avec les principales anecdotes de ſa vie , 2 vol . ; le
Roman comique de Scarron , avec la fuite , 4 vol. ;
les Nouvelles Tragi - Comiques , faifant fuite , par le
même Auteur , 2 vol .; les Contes & Romans de
Voltaire , 4 vol.; les égaremens du coeur & de l'efprit
, par Crébillon , 2 vol.; le Sopha , conte moral ,
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vol.; les Contes des Fées de Mde du Launoy , 6 vol .;
Hiftoire de Mlle de Luz , 1 vol.; la Nuit & le Mo-
2
46 MERCURE
ment , ou les Matines de Cythère , 1 vol.; les Con
feffions du Comte de *****, par M. Duclos , 1 vol.;
Mémoires de Mlle de Bontemps , 2 vol.; l'infortuné
Napolitain , ou les Aventures de Rozelli , 4 vol ; les
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quai des Auguftins ; & en Province , chez les Libraires
qui vendent les nouveautés. Ceux qui ne voudront
point fe charger de l'entière Collection , pourront
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Ducis , Secrétaire Ordinaire de MONSIEUR , &
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г
DE འ།FRANCE. 47
- On
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latinè , è Tullio , Quintiliano , Horatio , Virgilio
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Cornelio , Racinio , &c, aliisque ex optimis auctoribus
illuftratum, Edit tertia , duplo auctior prece
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MERCURE
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Nord , 3 Enigme & Logogryphe,
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reconnoiffance à la vie des Variétés ,
17
18
42
45
Annonces Littéraires,
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en vers libres ,
Couplet à une Dame , &c.
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1 Juin. Je n'y al
Lien trouvé qui puiffe en empêcher " impreſſion . A Paris ,
ke 31 Mai 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 JUIN 1782 .
21 211214 Est alur i
PIECES FUGITIVES
10.16 201 oup of 500: OUT &.
ENVERS ET EN PROSE. ETEN
É PITRE.
DAN le filence de la nuit
bok Tout me retrace ton image ;;
Dans le jour , mon coeur , mon eſprit
aber
Sont occupés de toi , volage . 23 artow for a 15
A des preffentimens affreux
Mon âme eft fans ceffe livrée.
Ne fuis-je plus digne des feux
Dont la tienne fut enivrée ?
* Une autre m'enlève ta foi,
Une autre fixe ton hommage ;
Ce coeur qui n'étoit dû qu'à moi ,
Un objet plus charmant l'engage..
Cette rivale que je hais ,
Aujourd'hui doit être bien vaine.
8 Juin 1782. No. 23,
C
JO MERCURE
Hélas ! fur mes foibles attraits
Elle l'emportera fans peine ;
Mais , crois moi , fon âme jamais ,
Ingrat , n'égalera la mienne.
De ces noeuds , autrefois fi doux ,
As- tu donc oublié les charmes ?
Rappelle-toi qu'à mes genoux
1 Je fus
partager tes alarmes ;
Trop foible , j'ofai t'écouter ;
Toi feul poffédois ma tendreffe.
Ah ! que pouvois-tu ſouhaiter
Après ces momens pleins d'ivreſſe ?
N'appréhende point mon courroux ,
Fais-moi ta confidence entière ;
Mon coeur n'en fera point jaloux ,
Il eft ouvert à la lumière.
Un fentiment plus délicat
Remplace l'amour dans mon âine.
Suis mon exemple , aimable ingrat ,
Tu le peux fans nuire à ta flamme.
J'ai bien quelques droits fur ton coeur ,
Qu'au moins l'amitié les acquitte .
Quand tu m'enlèves mon bonheur ,
Vois à quel prix je te tiens quitte.
J'ai besoin d'un confolateur ,
Seis-le , fois mon ami fidèle……….
Que dis -je ? hélas ! calme trompeur !
De cette reffource cruelle
J'abjure la fauſſe douceur ,
DE FRANCE. ST
Pour mon âme c'eſt un fupplice.
Fuis- moi plutôt , fuis pour jamais ;
Mon coeur eft né pour les excès ,
Il faut qu'il aime ou qu'il haïffe.
L'aurois -je pu prévoir , ô Dieux !
Réponds -moi , réponds- moi , parjure ,
Qu'après une flamme fi pure ,
Tels feroient mes derniers adieux?
(Par Mlle Aurore , de l'Académie Royale de
Mufique , âgée de 17 ans. )
Nous a
"
fa fatis-
Ous avons reçu de M. l'Abbé Buffet
une Lettre que nous croyons , pour
faction , devoir rendre publique.
93
« ON m'attribue , Monfieur , avec une perfévé-
» rance qu'il eft temps d'arrêter , fix vers que vous
» avez fait imprimer dans votre Journal du mois de
» Février dernier , à l'occafion de la Naiffance de
Mgr. le Dauphin , au bas defquels on lit ; par
» M. l'Abbé...... , à Sancerre Le Clergé Séculier
» & Régulier de cette ville les défavoue comme
´ » moi , avec raiſon , & demande que leur Auteur
foit connu. Je le demande plus particulièrement
encore , parce que je fuis dans l'opinion publique
» le plus inculpé. S'il étoit néceſſaire de vous donner
des motifs , je vous obſerverois , 1 ° . qu'un Au-
» teur ne doit jamais emprunter le nom de fon voifin
que de fon confentement pour l'impreffion ,
» même d'un bon Ouvrage. 29. Qu'an Prêtre ne
peut jamais fe permettre les expreffions ni même
» la penſée qu'on trouve dans les deux derniers de
Cij
52
MERCURE
ces fix vers , comme vous en conviendrez en les
>> relifant :
La dernière par- tout , avec le ſang Anglois ,
A lavé nos affronts & fignera la paix.
» Toute l'Europe fait , Monfieur , que notre Sou
» yerain , en remerciant Dieu de fes victoires
» pleure le fang de nos ennemis lorfqu'il en eft le
» prix. Le Gouvernement , qui fe conduit de même,
a toujours trouvé en moi les mêmes fentimens
» dans le temps qu'il m'a fait l'honneur de m'em-
» ployer. N'eft - il pas fort défagréable qu'au milieu
de la jouiffance paifible & honorable des bienfaits
que S. M. a bien voulu accorder à mes
foibles fervices , je paroiffe aux yeux de ma nation
, des nations étrangères , de mes bienfaiteurs
S & de mes amis , avoir dénaturé des fentimens qui
» me méritoient leur eftime , & qui fubfiftent tou-
» jours dans mon coeur ? Eft-il moins défagréable
pour mon état , qu'un Journal auffi accrédité &
auffi univerfel que le vôtre donne à la poftérité des
idées fi contraires à la pureté de nos principes , &
» cela , à l'appui d'un Ouvrage fuppofé ? Vous ne
pouvez , Monfieur , détruire ces impreffions que
de la même manière qu'elles ont été répandues ;
c'eft pourquoi je vous prie de faire mettre en
» errata bien viſible dans votre Journal prochain
que c'est par erreur que les vers dont je me plains ,
» ont été attribués à M. l'Abbé...... , à Sancerre , &
qu'ils font de M...... en nommant l'Auteur . Je me
rappelle que , pendant mon féjour dans la Capitale
, j'ai oui-dire que , fuivant la jurifprudence
»
DE FRANCE.
5$
» de votre confeil , on avertiffoit un Auteur qui em
» pruntoit un nom étranger pour fe faire imprimer ;
qu'en cas de plainte il feroit nommé. C'eft le cas
» où je me trouve ; j'espère donc que ma prière
n'éprouvera aucune difficulté. »
לכ
30
J'ai l'honneur d'être , &c.
L'Auteur des vers que M. l'Abbé Buffet
fe plaint de fe voir attribuer , n'a pas emprunté
le nom d'autrui , puifqu'il n'a figné
aucun nom , & qu'il a mis feulement au bas
de fon fixain , par M. l'Abbé & des points.
C'est ainsi que ces vers- là nous font parvenus
comme tant d'autres , & fans lettres
d'envoi. Pour achever de raffurer M. l'Abbé
Buffet , nous lui dirons que depuis l'impreffion
de cette Pièce , nous croyons en connoître
l'Auteur. Nous n'avons pas en main
de quoi le prouver ; mais , ce qui doit fuffire
à la fatisfaction de M. l'Abbé Buffet , c'eſt
que nous pouvons affirmer que les vers en
queftion ne font pas de lui .
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
; LE mot de l'Enigme eft . Demain ; celui
du Logogryphe et Ménagère , où le trouvent
ménage , Mégère ( une des Furies ) ,
rage , nâge , Mage & âge.
C iij
54
MERCURE
་ ་
(
ÉNIGM E.
QuUAND on s'adreffe à moi, c'eft un mauvais augure;
L'Hôte qui me reçoit me fait trifte figure ;
A peine quelquefois j'arrive en fa maiſon ,
Qu'il me prend tout de fuite & me jette en priſon 3
Il me pouffe fi fort , il me preffe de ſorte ,
Qu'il me femble en entrant que le diable m'emporte.
Je cherche à me venger par une trahiſon ;
Je fais vingt fois le tour pour trouver une iſſue ;
Je monte , je deſcends , je reviens fur mes pas ,
Je tente d'échapper par où je fuis venue ;
Et lorsque ce moyen ne me réuffit pas ,
Je me fâche , je gronde , & je fais du fraeas ;
Je cherche une autre porte , & l'ouvrant au plus vite ,
Je déloge & je prends honteufement la fuite.
( Par M. ***. }
LOGO GRYPH E.
JE fuis un Art utile & fouvent dangereux .
J'enferme en mes huit pieds celui qui me profeffes
Une ville où les Turcs vont accomplir leurs voeux ;
Une autre où l'on nous fit un des chants de la Meffé ;
Un Royaume où jadis Cyrus donna des Lois ;
Ce qui forme le tout quand on le prend deux fois;
Un Empereur Romain ; une femme cruelle ;
DE FRANCE. SS
Du Curé campagnard la richeffe annuelle ;
fans effort renverser une tour ;
Ce qui peut
Ce qu'à table chacun fait au milieu du jour ;
Un pronom
poffeffif, père de la querelle ;
Et ce que fait l'oifeau quand il a fait l'amour ?
( Par M. G. K. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SERMON pour l'Affemblée extraordinaire
de Charité , qui s'eft tenue à Paris , à
l'occafion de l'établiſſement d'une Maiſon
Royale de Santé, en faveur des Eccléfiaftiques
& des Militaires malades , prononcé
dans l'Églife des Religieux de la Charité,
le 13 Mars 1782 , par M. l'Abbé de Boifmont
, Abbé Commendataire de Greftain ,
l'un des Quarante de l'Académie Françoife
, & Prédicateur ordinaire du Roi.
A Paris , de l'Imprimerie Royale ; fe trouve
à la Charité , & s'y vend au profit du
nouvel établiſſement. in- 4° . 51 pages.
Τουτ Citoyen , tout homme ne peut
qu'applaudir avec tranfport à l'établiffement
fi humain , fi patriotique , fi religieux pour
lequel l'éloquence follicite dans ce Difcours
facré les fecours du zèle & de la charité.
Contentons - nous de confidérer ici ce Dif
Civ
36 MERCURE
T
cours fous le point de vue qui intéreffe la
Littérature .
Le texte eft : Tu autem in mifericordiis
tuis multis non dimififti eos in deferto.
" Pour vous , vous ne les avez point
abandonnés dans les horreurs du défert ,
parce que vos miféricordes fout grandes . »
Efd. L. 2 , C. 251.19.
Ce défert , c'eft Paris. « Quel défert peut
» être plus affreux pour le pauvre & pour
» l'infirme , qu'une ville immenfe , où tou-
» jours étrangerà une foule qui lui eſt étrangère
, il n'apperçoit autour de lui que les
" dédains de l'infenfibilité ou les froideurs
» de l'indifférence ! une ville , où rien n'occupe
que ce qui diftrait , rien n'intéreffe
que ce qui flatte , où le ſpectacle de la
fouffrance , cette recommandation fi puiffante
auprès des âmes fenfibles , devient
un ennui pour les uns , un dégoût pour
les autres , une importunité pour tous !
» quelle folitude plus défefpérante que celle
» où l'excès même du mouvement & de
l'agitation qu'on ne peut partager , em-
» porte loin de nous tout ce qui nous environne
, ajoute à l'humiliant abandon
» qui nous accable & nous force à nous
enfoncer plus profondément , & avec
» moins d'efpérance , dans le fentiment de
» notre infortune ! .....
">
C'eft affurément une grande & belle idée
que cet abandon & cette folitude du malheur
au milieu de Paris & du monde , &
DE FRANCE. 579
cette idée en général eft ici noblement &
fortement préfentée.
Qu'il nous foit permis , puifqu'il n'eft
queftion ici que de Littérature & de goût ,
qu'il nous foit permis de rapprocher de ce
magnifique exorde un morceau tiré d'un
Ouvrage d'un genre différent , d'un Ouvrage
qui ne nous paroît pas avoir toute la réputation
qu'il mérite. Nous y trouvons la même
idée mife en fituation & en action.
Un jeune homme élevé à la campagne
avec fa foeur par des parens pauvres & vertueux
, vient de les perdre & de ſe ſéparer
de fa foeur qui s'eft enfermée dans un couvent
, il part pour chercher fortune à Paris ,
où il ne connoît perfonne.
"
"3
cc
Que devenois- je , & quel étoit mon
» fort , moi qui fortois d'entre les mains
d'un père qui m'avoit conduit , fous les
yeux de qui j'étois doucement accoutumé
» à vivre , fur qui je me repofois de ma sûreté
, du foin de ma perfonne , & qui , en
» tout ce qui me regardoit , avoit penſé ,
délibéré pour moi ; qui , dans toutes les
" peines que je lui avois données , ne m'a-
» voit demandé pour ma part que d'être
decile aux confeils que fa tendreffe lui
infpiroit pour moi ; ce père n'étoit plus ,
" & ma foeur , qui , depuis fa mort , me
» fembloit l'unique perfonne à qui la mienne
» fût encore quelque chofe , qui empêchoit
" que je ne fuffe abfolument feul dans le
» monde ; enfin , dont la compagnie avoit
33
Ć v
58
MERCURE
D
و ر
foulagé mon imagination étonnée de tous
» les malheurs qui nous étoient arrivés ,
j'allois auffi la perdre , cette chère foeur ; &
dans une heure il n'alloit plus me refter
» que moi pour moi- même ; & qu'est- ce
» que c'étoit que moi ?
Je fuccombois fous toutes ces idées- là ,
je me croyois perdu , je craignois tout
» fans favoir pourquoi , fans avoir d'objet
fixe ; je me regardois comme un homme
» entouré de périls , & mon efprit étoit
» dans un étourdiffement qui me faifoit des
» monftres de tout ce que je voyois.
"
"
39
و د
J'avois plus de cent lieues à traverſer
pour arriver à Paris ; ce n'eft rien que
cela pour un homme qui a quelque ufage
de la vie ; mais quel voyage pour un
homme de mon âge , qui n'avoit jamais
» vû plus de fix lieues d'étendue ! que de
» mouvemens à fe donner , & quel objet
d'épouvante que tous ces mouvemens
pour qui ne connoît rien , & qui fort
» d'une éducation auffi paifible que l'avoit
» été la mienne ! .....
ود
39
»
» Me voilà donc en chemin , âgé de dix-
» huit ans , n'ayant pour tout bien qu'une
fomme d'argent affez médiocre , quittant
un pays où j'étois né , dont je n'étois ja-
» mais forti , où je ne laiffois perfonne qui
pût fe reffouvenir de moi qu'une foeur
qui étoit morte pour le monde , & que ,
» fuivant toute apparence , je ne reverròis
» jamais.
33
"
DE FRANCE. 59
D'un côté , je voyois le Couvent qui
» l'enfermoit pour toujours ; de l'autre
» dans la campagne , je voyois l'endroit où
» mon père & ma mère venoient d'être fi
» récemment , & prefque coup fur coup ,
" enterrés tous deux .
"
Leur fils autrefois , l'objet de leurs foins
» & de leur complaifance , fans fecours
» maintenant , fans expérience , & comme
» un enfant fans aveu , traverfoit en fugitif
» cette campagne qui ne lui offroit plus de
» retraite , & s'en alloit fervir de jouet à la
fortune. "
,כ
" Je paffois par des lieux où je m'étois
promené avec mon père.... Nous nous
arrêtions fouvent ici , me difois-je , nous
» nous fommes fouvent affis dans cet en-
» droit ; je m'y reffouvenois même des dif-
» cours qu'il m'avoit tenus , je croyois en-
» core entendre fa voix ; mon fils , ce nom
fi tendre.... frappoit encore mes oreilles
» hélas ! c'en étoit fait , perfonne ne devoit
plus m'appeler ainfi ; je n'étois plus fur
» la terre qu'un malheureux inconnu , je
» n'avois plus que des ennemis dans le
"
monde ; car n'y tenir à qui que ce ſoit ,
» c'eft avoir à y combattre tous les hommes ,
» c'eft être de trop par-tout.
ود
Cependant j'avançois , ma douleur &
» ma trifteffe s'augmentoient à mesure que
je m'éloignois davantage ; je me retournois
» à tout moment , je craignois d'avancer ,
je ne pouvois renoncer à des objets qui
Cvj
60 MERCURE
» me tuoient , & je mourois de penſer que
» bientôt je ne les verrois plus....
وو
ور
Quand je me vis hors de la portée de
» ces objets qui m'étoient fi chers , & que
l'éloignement où je me trouvois eut rom-
» pu pour ainfi dire le commerce que més
» yeux & mon coeur aimoient à avoir avec
» eux , je fus à l'inftant faifi de je ne fais
quel efprit de défiance & de courage qui
» me rappela tout entier pour moi même ,
» & me rendit l'objet unique de toutes mes
attentions..... Je marchai armé d'une pré-
» caution foupçonneufe qui veilloit à tout ,
» & qui me tenoit toujours en défenfe ....
» J'éprouvai par tout que les hommes
» prodiguent tout à qui a beaucoup , négli-
» gent celui qui a peu , & refuſent tout à
qui n'a rien. Caractère de coeur maudit
qui ne laiffe aucune reffource honnête aux
mriférables , & qui deshérite les deux tiers
1. des hommes des biens que la Nature a
» faits pour eux. »
»
Quiconque a été pauvre & malheureux ,
fentira tout le prix de ce morceau , & reconnoîtra
dans ces détails intéreffans une partie
de fon hiftoire .
Les deux Auteurs que nous comparons
ici , malgré la différence de leurs genres ,
malgré celle de leurs manières particulières ,
ont un grand trait général de conformité ,
& font caufe commune fur un article , on
leur reproche à tous deux trop d'eſprit. Cette
Saccufation n'eft peut - être bien grave que
DE FRANCE. 6x
@ 2'1
dans l'intention des fots qu'elle conſole &
qu'elle venge ; il faut pourtant convenir
qu'elle a un fens très- réel dans la bouche
même des gens de goût : & s'il faut ofer
tout dire , peut- être dans un Difcours , tel
que celui - ci , deftiné à produire le grand
effet de ranimer la charité des fidèles , peutêtre
defireroit- on moins de recherches dans
l'expreffion , des tours moins fins & moins
énigmatiques , moins de fubtilité dans la
difcuffion , moins d'argumentation , plus
d'abandon , plus de pathétique , plus de ces
mouvemens qui touchent & qui entraînent.
Mais enfin l'éloquent Auteur des quatre belles
Oraifons Funèbres de M. le Dauphin , père
du Roi , de la Reine fa mère , du Roi Louis
XV, de l'Impératrice Reine ; l'Auteur même
de ce Difcours ( d'autres difent , fur- tout
l'Auteur de ce Difcours ) mérite certainement
plus d'éloges que de critiques ; c'eft
affez , c'eft trop peut- être d'indiquer le défaut
de fon éloquence. S'il étoit à l'entrée de fa
carrière , on ne pourroit trop l'avertir fans
doute aujourd'hui , on ne peut qu'avertir les
autres de ne pas l'imiter en tout. Eh ! quel
modèle doit-on imiter en tout ? Pardonnonslui
l'efprit , il lui eft fi naturel ! pardonnonslui
jufqu'à la manière , elle lui fied , il met
de la grâce à tout ; mais avertiffons les jeunes
Orateurs que de grands traits , de grands
mouvemens peuvent enflammer l'imagination
& produire des traits & des mouvemens
femblables ; mais que l'efprit & la
62 MERCURE
grâce ne s'imitent pas ; c'eft un don de la
Nature , qu'elle accorde ou refuſe à fon gré.
Au refte , que l'efprit foit un mérite ou
un tort dans le genre oratoire , nous devons
obferver qu'aucun Orateur ne fort plus facilement
que M. l'Abbé de Boifmont , du ton
ingénieux & orné , pour s'élever aux beautés
les plus fublimes , aux traits les plus fiers de
l'éloquence ; qu'il retrouve ailément des aîles
de feu pour remonter & fe foutenir à la
hauteur des Démosthènes & des Boffuet ,
ce qui eft peut - être affez rare & affez remarquable
dans un Auteur effentiellement
ingénieux.
Rien de plus fimple que fa divifion . Les
Militaires font l'objet de la première partie ,
les Eccléfiaftiques de la feconde. Il efpère
tout pour les premiers , mais pour les Miniftres
des Autels , il fe promet peu de
faveur de l'irréligieufe indifférence de ce
fiècle, il attaque & cette indifférence & cette
irreligion , il les attaque avec force , mais
fans fel & fans colère , grand exemple pour
les défenfeurs & de la religion & de l'humanité
!
>
Obligés de nous borner & de choifir
nous nous contenterons de citer ici le morceau
de ce Difcours qui nous paroît le plus
parfait à tous égards .
L'utilité dont un Pafteur Eccléfiaftique eft
dans le monde , la fainteté de fon minière
de paix & d'amour , l'heureux empire que
la bienfaifance lui donne fur le troupeau
DE FRANCE. 63
confié à fes foins , font une de ces vérités
confufément apperçues auparavant , & que
Féloquence de Rouffeau a rendues évidentes
& familières , cette vérité eft développée
dans le Difcours de M. l'Abbé de Boifmont ,
d'une manière non moins éloquente , d'une
manière adaptée au genre de la chaire , &
propre fur-tout à faire aimer la religion .
""
Ces enfans de l'indigence & du malheur
, qui naiffent dans toutes les parties
» de cet Empire , feuls au milieu de la Na-
» ture entière qui les repouffe , & qui fem-
» ble armer contre eux jufqu'aux élémens ,
» nous les recueillons ; la religion les adopte
; plus tendre , plus généreufe que la politique
fi intéreffée à les conferver , elle
» les marque du fceau de fes promeffes ; les
» aumônes que nous follicitons vont rani-
93
mer les principes de la vie dans les veines
" defféchées de leurs mères expirantes ; def-
» tinés aux larmes & aux fouffrances , ces
"
infortunés croiffent fous nos yeux au mi-
» lieu des larmes que nous effuyons , au
» milieu des fouffrances que nous adouciffons....
Aux premiers rayons de leur raifon
naiffante , l'Églife les appelle à fes en-
» feignemens ......
"
" Tranſportons - nous dans les campa-
" gnes , voyons la misère dans fon domaine.
Qu'appercevons- nous dans ces hameaux
» confufément épars ? Une folitude mòrne ,
une nature trifte & languiffante , des toits
delâbrés , des maifons de boue , où la
64 MERCURE
"
» lumière femble ne pénétrer qu'à regret ;
" par- tout la difette & le befoin fous les
" formes les plus hideufes & les plus dégoû-
» tantes ..... Contemplez cette mère pâle ,
livide , foutenant d'une main un enfant
" couvert de lambeaux , & preffant de
l'autre fur fon fein décharné , l'infortuné
qui vient de naître. Confidérez ce père de
famille accablé des fatigues du jour , fixant
» des yeux éteints fur les foyers fombres &
» humides ..... Il revoit ce qu'il a de plus
cher , & le fourire n'eft point fur fes
» lèvres ! fes forces défaillantes ne feront
réparées que par un aliment groffier , dé-
" trempé de fueur & de larmes ; l'efpérance
» n'a point pour lui d'heureux fonges ; à
peine lui promet- elle la vie , c'est- à - dire ,
» cette affreufe fucceffion de travaux & de
peines qui le confument..... Nos Temples
» ont un charme pour ces coeurs défolés ;
ils les regardent comme des afyles de
confolation & des garants de miféricorde .
" Où fuiroient- ils pour le dérober à ce ciel
» de fer qui pèfe fur leurs têtes ? Dans nos
"
ود
ود
villes !..... l'orgueil les méconnoît , le luxe
» les repouffe. Ah ! du moins , dans ces
Temples ruftiques décorés par la feule
préſence de la Divinité qui les remplit , ils
trouvent des frères , des malheureux qui
» leur reffeinblent ! ..... Que dis - je ? ils trou-
» vent plus , ils y trouvent un père. Ce Palteur
, fur lequel la politique peut - être ne
daigne pas abaiſſer les regards , ce Mini) ke
"
DE FRANCE. 65
27
و د
"
ང་
relégué dans la pouffière & l'obscurité des
campagnes , voilà l'homme de Dieu qui
» les éclaire & Phomme d'État qui les
» calme ; fimple comme eux , pauvre avec
» eux , parce que fon néceffaire même de-
» vient leur patrimoine , il les élève au-
» deffus de l'empire du tems , pour ne leur
laiffer ni le defir de fes trompeufes pro-
» meffes, ni le regret de fes fragiles félicités.
» A fa voix , d'autres cieux , d'autres tréfors
» s'ouvrent pour eux ; à fa voix ils courent
» en foule aux pieds de ce Dieu qui compte
» leurs larmes , ce Dieu , leur éternel héritage
, qui doit les venger de cette exhéré
» dation civile , à laquelle une Providence ,
» qu'on leur apprend à bénir les a dévoués.
» Les fubfides , les impôts ,. iois fifcales ,
» les élémens même fatiguent leur trifte
>> exiſtence ; dociles à cette voix paternelle ,
» qui les raffemble , qui les ranime , ils tolèrent
, ils fupportent , ils oublient tout :
je ne fais quelle onction puiffante s'échappe
de nos tabernacles ; le fentiment
toujours actif de cette autre vie qui les
» attend , adoucit toutes les amertumes de
la vie préfente. Ah ! la Foi n'a point de
malheureux ! ces mystères de miféricorde.....
ce traité de protection & de paix
» qui fe renouvelle dans la prière publique
» entre le ciel & la terre ; tout les remue ,
» tout les attendrit dans nos Temples ; ils
» gémiffent , mais ils efpèrent , & ils en
fortent confolés ..
age and ve
"
66 MERCURE
De quel riche amas d'idées acceffoires ,
de combien de mots heureux & d'expreffions
de génie fe forme la beauté générale de
ce morceau !
" Il revoit ce qu'il a de plus cher , & le
» fourire n'eft point fur fes lèvres .
8
• "
» L'efpérance à peine lui promet la vie ,
» c'est- à - dire , cette affreufe fucceffion de
» travaux & de peines.
» Ce Pafteur , fimple comme eux , pauvre
» avec eux .
» Ce Dieu qui compte leurs larmes , ce
» Dieu qui doit les venger de certe exhérédation
civile à laquelle ils font dévoués .
» Je ne fais quelle onction puiffante s'é-
» chappe de nos tabernacles. >>
Sur - tout cette belle & encourageante exclamation
:
" Ah ! la Foi n'a point de malheureux ! ..
» Ce traité de protection & de paix qui
»fe renouvelle dans la prière publique en
» tre le ciel & la terre.
» Ils gémiffent , mais ils efpèrent. "
Rendons hommage au talent , qui , de
tant de beautés, a fu faire une beauté unique,
& ne cherchons pas , avec la trifte diligence
d'un Cenfeur, fi l'éclat de ce talent eft quelquefois
terni par quelque défaut ou par
quelque excès. Tout n'eft pas éloquent dans
le Difcours le plus éloquent ; eft- ce un fi
grand malheur que l'efprit rempliffe les intervalles
, & ne laiffe aucune place à l'infipidité
?
DE FRANCE. 67
LE Produit & le Droit des Communes ,
in- 8°. A Paris , chez la Veuve Duchefne,
Libraire , rue S. Jacques ; Cellot , Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguſtins ;
Jombert , Libraire , rue Dauphine ; Lamy
& Onfroy, Libraires , quai des Auguſtins ;
aux Palais Royal & Marchand ; quai de
Gêvres , & vis-à- vis l'Opéra , 1782.
On trouve dans cet Ouvrage une érudition
prodigieufe. L'Auteur a confidéré
fon fujet fous différens points de vue , en
Politique , en Jurifconfulte , en Cultivateur
; il a ramaffé beaucoup de faits , beaucoup
de loix , beaucoup d'idées & de projets.
La matière eit en effet très - intéreſſante
à tous égards. Les Communes, fi nombreufes
dans le Royaume , ne font prefque plus
que de vaftes territoires incultes & dépouillés
des arbres utiles qui les couvroient
toutes au temps de nos ayeux ; les bois
n'ayant aucune valeur , étoient abandonnés
par les Seigneurs à la difcrétion de leurs
tenanciers , qui les ont ravagés par des coupes
fucceffives. Les beftiaux qu'on y menoit
paître en dévorant les rejetons , firent
fuccéder les bruyères , les genêts & les ronces
aux plus fuperbes forêts.
w
Des troupeaux étiques viennent chercher
dans les vaftes déferts quelque chétive,pâture,
& perdre le plus précieux des engrais.
.68 MERCURE
Les vrais Philofophes , qui fe font fait
de nos jours un devoir d'abandonner les
fubtilités d'une métaphyfique fouvent dangereufe,
& tou ours inutile, pour s'attacher ,
parmi les Sciences utiles , à celle dont le but
eft la multiplication & le bien - être des
hommes fur la terre , ont calculé foigneufement
les profits que peuvent donner aux
Cultivateurs ces chétifs pâturages.
Des résultats qui méritent pleine confiance
, ont démontré que les landes , bruyères,
pâtis & communaux rapportent l'un portant
l'autre environ 4 fols par an de produit
total pour chaque arpent.
Le même fol, poffédé par un propriétaire,
mis en prairie , en grains ou même en
bois , rapporteroit au moins 40 livres de
produit total l'un dans l'autre , partie pour
les droits du Roi , partie pour les Seigneurs ,
lés Décimateurs & les Propriétaires , partie
pour les Cultivateurs & les Agens , partie
enfin pour le Propriétaire qui auroit fait les
premières avances foncières , à l'effet de les
rendre cultivables.
A l'afpect de cette vérité , trop fenfible
pour être conteftée ou même ignorée des
hommes les moins inftruits , il eft tout naturel
de defirer le défrichement des Communes,
& de former des projets pour accélérer
cette révolution .
Avant que l'Auteur de la Science économique
eût pris pour bafe de toute fpéculation
politique le calcul des avances , & cette
DE FRANCE. 69
fatale diftinction du produit total d'avec le
produit net , diftinction fi déplaiſante aux
beaux efprits fuperficiels & aux exacteurs ,
dont elle rend les ſyſtêmes viſiblement abfurdes
& pernicieux , on croyoit , on diſoit ,
on écrivoit qu'il ne falloit qu'un partage de
terres,& des bras pour cultiver les portions
qu'on auroit concédées.
Des bras , difoient nos génies , des bras ,
des bras ; voilà ce qu'il nous faut , puifque
nous avons de bonnes terres.
Des avances , de grandes & riches avana
dit le premier, abfolument le premier
de tous , & long- temps feul.
Cet homme fimple & fublime , que j'ai
nommé le Confucius d'Europe , & que je
continuerai de défigner par cetitre en croyant
honorer celui d'Afie. Des avances , voilà ce
qu'il faut à la meilleure terre & aux bras les
plus vigoureux ,
: Le Prince qui difoit « Pour faire la
guerre on a befoin de trois chofes ; premièrement
, de l'argent ; fecondement , de l'argent
; troiſièmement , de l'argent , n'avoit ,
hélas , que trop raifon , même dans fon
fiècle, où les armées étoient mille fois moins
difpendieufes que dans le nôtre. »
Pour défricher ou labourer , il faut auffi
trois chofes , précisément les mêmes , de
l'argent , encore de l'argent , & beaucoup
d'argent d'avance , mais long- temps d'avance
car la première once de pain ne peut
réfulter d'un défrichement , que dix - huit
70 MERCURE
mois tout au plus tôt après les premiers
travaux .
En attendant il faut avancer les outils &
les femences , l'achat & la fubfiftance des
animaux , les impôts & la folde des ouvriers
agricoles.
Tout le monde convient fans doute aujourd'hui
de ce fait indubitable , fur- tout
quand on s'en avife ; mais avant le Docteur
Quefnay , pas un des Écrivains politiques
n'en avoit fait le principe de toute fpéculation
; & même depuis que fa doctrine eft
publiée , les plus fameux de ceux qui nous
contredifent ne manquent jamais de l'oublier
, & de raifonner précisément comme
s'il ne falloit pas avant tout calculer les
avances foncières du premier défrichement,
les avances primitives en outils , beftiaux ,
meubles des Cultivateurs , les avances annuelles
& fans ceffe répétées des femences ,
falaires & fubfiftances.
Tous les anti-Economiftes, fans exception ,
s'accordent à diffimuler les avances , & furtout
à étouffer cette importune foustraction
des frais à déduire , qui ne laiffent au propriétaire,
fur une grande production totale ,
qu'un très mince revenu quitte & net après
fa repriſe des avances annuelles & de l'intérêt
des avances primitives.
Des expériences bien faites , rigoureufement
calculées & publiquement expofées
depuis long - temps à la contradiction , fans
avoir été démenties même par les plus ar
DE FRANCE. 71
dens de nos Critiques , ont conftaté que pour
défricher nos landes & communes , pour les
entretenir en état de bonne culture , on employeroit
beaucoup plus de trois milliards
d'avances foncières , plus de deux milliards
d'avances primitives , & au moins quatre
cent millions d'avances annuelles.
Voilà précisément ce qui nous manque ,"
outre les bras que réclament les habiles
gens , & c'eft précisément faute de ces millions
que nous n'avons pas de bras.
Et même , quand nous aurions dans le
Royaume les avances qui nous manquent ,
les mettroit-on fur la terre pour défri
cher , pour cultiver ? Demandez - le maintenant
à tous ceux qui, par un zèle très- louable,
en ont voulu faire l'expérience. Ces travaux
fi nobles , fi doux , fi avantageux , donnent
beaucoup de peines & de foins ; ils font
courir de grands dangers de la part des événemens
, le produit en eft malheureuſement
fort mince depuis long temps, par l'augmentation
des frais & des taxes , par les difficultés
des ventes & la modicité des prix ; on n'a
pas même d'efpoir probable d'amélioration
pour l'avenir , mais au contraire la crainte
bien fondée d'un fort moins favorable.
Il eft donc tout fimple que le reste des
capitaux fe verfe à des emplois bien plus
faciles , qui donnent des revenus plus certains
& plus confidérables aux poffeffeurs
actuels , occupés de leurs jouiffances perfonnelles
, ce qui renvoye pour le moins tous
72% MERCURE G
糯
les projets de défrichement à la génération
future.dsdoi oaisy sac
Quand les poffeffeurs des fonds pécuniaires
, qui favent fi bien calculer , trouve
ront que l'emploi le plus profitable à tous
égards de leur argent , fera de mettre en culture
nos terres abandonnées , j'ofe affurer
que toutes les difficultés s'applaniront ; mais
jufques là .....
( Cet Article eft de M. l'Abbé Baudeau. )
LES quatre Saifons , ou les Géorgiques
patoifes , Poëme en quatre Chants , par
M. Peyrot , Prieur de Pradinas , Bénéfi
cier à Millau , Volume in . 12. A Villefranche
, chez Vedeilhié , Imprimeur du
Roi. 97 , ulimi
2
N'ESTIL pas étonnant qu'au fiècle de
Louis XIV , où tous les Arts agréables onr
trouvé des Écrivains , des protecteurs &
même des enthoufiaftes , le plus, utile de
tous les Arts , l'Agriculture , n'ait pas eu
même fon Poëte ? N'eft- il pas étonnant que
Boileau , qui a donné fi longuement les règles
du Sonnet , n'ait rien dit des Poéfies
Géorgiques dont Virgile nous a tranfmis leis
plus beau modèle ? Les Pères Rapini &
Vanière , dit - on , ont écrit fur l'Économie
Rurale de manière à laiffer long- temps le
fouvenir de leurs préceptes . Oui , mais quelì
fruit peuvent tirer les habitans de la campagne
DE FRANCE. 73
gne, de denx Ouvrages compofés dans une
langue qu'entendent à peine les habitans de
la ville ? C'est pour les Agriculteurs qu'il
faut écrire fur l'Agriculture , ou du moins
pour ceux qui aiment cette dernière , & qui
protègent & encouragent les autres ' ; mais les
deux Jéfuites femblent n'avoir fait leurs
Livres que pour les beaux Efprits de Collège
. Éclairés chaque jour par les lumières
de la Philofophie , nous avons été plus fages
que nos ayeux , & nous méritons plus de
bonheur. Indépendamment de plufieurs
bons Ouvrages qui ont paru fur l'Agriculture
, tels que le Traité de la confervation
des grains , par M. Duhamel du Monceau ,
celui des prairies artificielles , divers articles
de l'Encyclopédie , l'Effai fur l'améliora
tion des terres , par M. Patullo , & c... Indépendamment
de ces Ouvrages , fans ceffe il
en paroît de nouveaux , & nous avons des
Journaux , des Gazettes & des Sociétés d'Agriculture.
Faut-il s'applaudir de cette abondance
? Nous en doutons. Si nos ayeux n'ont
point affez écrit fur l'Agriculture , n'eft- il
pas à craindre que nous n'écrivions trop ,
que la vérité ne demeure enfevelie fous les
fyftêmes, & que, femblable au fil d'Ariane ,
il ne foit impoffible de la faifir & de la fuivre
dans ce labyrinthe d'opinions diverſes
& de théories fublimes ? Quoi qu'il en foit ,
l'Agriculture eft fi fort en honneur dans ce
fiècle , qu'elle n'a pas moins occupé nos
No. 23, 8 Juin 1782.
No.23
. D
7A MERCURE
Pottes que nos SSaayyaannss,, && cc''eefstt un moindre
mal fans doute. Ce ne font guères les Poëtes
qui ont fait naître les hérefies , foit dans les
matières de Science , foit dans celles de Religion,
Forcés de ne prendre que la fleur des
chofes , ils raifonnent peu , n'approfondiffent
guères; enfin , la Nature & l'Art feme
blent les avoir bornés à plaire , & c'est beau-,
coup quand on y parvient. Nous croyons
que c'eft en 1769 qu'il a paru pour la première
fois en France un Poëme François fur
lés Géorgiques ; il eft intitulé : Les Jardins
d'ornemens, & divic
en quatre Chants ; fon
Auteur eft M, Gouge de Ceffières. Cet Ou
vrage eft fort peu connu.
2913
Voici un morceau du premier Chant des
Jardins d'ornemens :
Quand Vertumne , étendant ſes tapis de verdure
Au pied de nos vallons richement habillés ,
Fait couler les ruiffeaux fur des lits émaillés , engas
Fayez , dérobez-vous au fardeau des intrigues ;
Et laiffant aux cités les complots & les brigues ,
Laiffant pâlir Plutus fous l'or de fes lambris ,
Sauvez-vous dans le fein de nos hameaux fleuris.
Zéphire vous attend , & Flore vous appelle ;
Tout renaît , tout annonce une
fête nouvelle ;
Parée en ces beaux jours de fes jeunes appas ,
"
La terre va femer fes tréfors fur vos pas,
Quel effaim de beautés ! quels préfens quels frec
300 tacles.br Muse 199 2013-0
DE FRANCE.
Une invifible main prodigue les miracles ,
Le Ciel eft fur la terre ; ornés de cent couleurs
Les prés, les champs , les monts n'étalent que des fleurs ;
Sur la cîme des bois & fous l'herbe qui rampe ,
A l'ombre des marais qu'un long ruifſſeau détrempe
Dans ces fables mourans par le foleil brûlés ,
Ce ne font que bouquets en pompe raTemblés.
·
20
Voilà des vers qui annoncent du talent :
Le Ciel eft fur la terre, eft un hémistiche admirable
, & la multiplicité des fleurs eft
peinte dans ce morceau d'une manière
affez fleurie ; mais le Poëme en offra
très peu qui fe falfent lire avec aurant
de plaifir que celui - là . Intimidé par les réflexions
de l'Abbé des Fontaines ,staqui
avoit prétendu qu'il étoit impoffible de
έτοι ,
faire en françois un beau Poeme fur l'A
griculture , & qui l'avoit prétendu avec une
apparence de raifon , M. de Cellières n'a
traité que des parterres & des fleurs , & s'eft "
traîné avec peine fur les traces de Rapin.
Plus vafte dans fon plan , plus riche dans
fes détails & plus exact dans fes vûes , M.
de Roffet a traité dans fon Poëme de tout
ce qui a rapport à la première fcience de
ana
l'homme. C'eft le Père Vanière , à ce qu'il
paroît , qu'il s'eft propofe pour modèle
fon ftyle répond fouvent à la grandeur de
fon fujet moins fouvent il fe plie & fait
defcendre aux petits détails ; tout le monde
Dij
MERCURE
cependant a admiré & fait par caur fa belle
peinture du coq , & les connoiffeurs aime
Font toujours d'autres morceaux vraiment
eftimables repandus en foule dans cet Ourages
106150
* M. de Saint -Lambert nous femble avoi
9 ion
de beaucoup furpalle fes rivaux
feulement par le but moral qu'il s'eft propofe
dans fon Poëme des Saifons , mais
par l'éloquence , les grâces & l'énergie
qualités rares qui femblent mutuellement
Sexclure , & que ftyle réunit fouvent à
un degré peu commun : c'eft lui qui a vu la
Nature en grand, qui l'a vue en Philofophe,
qui a fu la peindre en Poete , & qui a fenti
ce qu'il peignoit.
Il vient de paroître un Poëme dont nous
efperons bientôt rendre compte , & qui
nous forcera peut-être de renchérir fur ces
éloges . Après avoir traduit les Géorgiques
avec toute la fidélité & l'élégance poffibles ,
M. l'Abbé de Lille afpire à les égaler dans
un Ouvrage original , & bientôt nous pourrons
dire : Et nous aufft , nous avons un
Virgile
,
margoft
ཕྱབ་ ཞེ་
Oferons - nous , après ces grands noms ,
citer celui de M. Peyrot , Prieur de Pradinas
? Un bon & honnête Eccléfiaftique ,
qui vit depuis long- temps à la campagne ,
& qui emploie fes momens de loisirs à
peindre ce qu'il a admiré, vient de publier
en Languedocien un Poeme effimable
fur les beautés de la Nature Le défaut
DE FRANCE
.
de M. de Pradina eft de sappefantir un
peu trop fur de petits objets , & de trop
développer ce qui ne doit être qu'indiques
ce defaut elt celui des Allemands & des
Anglois ; Thompfon Angloisons , Zacharie , Klopstock
font diffus dans leurs tableaux minutieux
dans leurs defcriptions , & les détails chez
eux étouffent quelquefois l'ordonnance du
Poëme. M. le Prieur les a trop imirés dans
cette partie ; un moucheron , un brin d'herbe
une fleur obfcure l'occupent pendant des
pages entières ; il compte les moutons qui
fortent d'une bergetic , les cailloux qui bordent
un ruiffeau , & c ..... Qu'on ne croye
pas cependant que fon Ouvrage foit fans
mérite : les femailles , la taille des arbres ,
leurs maladies , les vendanges , la moillon ,
tout cela y eft peint avec une vérité , tm na-
Veft
turel , une naïveté même qui nnëe peut appar
tenit qu'à un homme qui cft , conime idi, für
les lieux , & qui calque pour ainfi dire à la
vitre les graces de fon modèle. Il y a furtout
au commencement de fon quatrième
Chant une defcription de l'hiver pleine
d'imagination , & que nous citerions en
entier , fi le Poeme n'étoit pas écrit dans
une langue inintelligible à la plus grande
partie de nos Lecteurs : jaloux de les dédommager
de cette privation , nous allons tranf
crire ici la jolie Épître qui précède les Géor
giques patoifes , & qui eft adreffée à M.
Peyrot.
€ bouw / al ob blue iij
i
bre
Toud
4 28)
58
MERCURE
La Naturé fut ton modèle ,
En la peignant tu l'embellis ;
Sous le plus brillant coloris
Son tableau n'eft pas moins fidèle. E
Tu peins fur des pipeaux légers
Des faifons la marche éternelle ,
Nos champs , nos vignes , nos Bergers ;
Et dans leur langue maternelle
Tu parles avec nos Bergers.
Deb
Saint- Lambert en a fait des fages , IL
Fontenelle de beaux efprits 25) ar
Mais je ne vois qu'en tes Ecries acrat
Le ton naïf des premiers âges
De Palès chantre ingénieux ,
De fes moeurs & de fes ufages
Législateur harmonieux , blow cesiv
C'eſt dans tes chants mélodieur y riveted
Que le patois de nos villages
Devient le langage des Dieux.
onɛt 5G
La Nature , à ton Art docile ,
Ramène encor dans nos hameaux
La Mufe riante & facile
Qui , d'Héfiode & de Virgile ,
Jadis enfloit les chalumeaux.
Eh! pourrions-nous la méconnoître ,
Quand tu la conduis dans nos champs ?
Sa grâce n'eft pas moins champêtre ,
Et fes accords font plus touchans.
DE FRANCE. 7.9
Tu nous ravis , tu nous entraînes
Tes vers font des loix fouveraines.
X
1
tan coł
ni) aning u
Que fuivra le peuple pafteur ;
Tu le confoles dans ſes peines
Tu l'avertis de fon bonheur ;
Tu lui fais aimer les retraites,
Ses doux travaux , fes doux loifirs ;
Aux airs charmans que tu répètes ,
Depuis qu'au gré de fes defirs
Il peut accorder fes mufettes ,
Tous les travaux font des plaifirs
Et tous les loisirs font des fêtes.
Jouis du plus doux des fuccès ,
Sois le bienfaiteur des campagnes
Dans nos vallons , fur nos montagnes,
Viens voir les heureux que tu fais.
2
216M
Dic u fais
Le bruit y court que ce Poëme, nb £30)
De tant
d'agrémens
embelli , come along
Fut infpiré par
Triptolême.p
Et fut écrit par Goudouli,
to
Div
MERCURE
VARIÉTÉ S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure
VOUS
de France.
ous n'avez point encore rendu compte ,
Monfieur , de la dernière Séance de l'Académie de
Bordeaux. Je fuis dans l'ufage de vous envoyez
quelquefois des articles de Littérature , & je vous
aurois, donné très - volontiers une notice, de cette
Séances mais quoi qu'on y ait fait peu de lectures ,
on en a fait deux ou trois qui ont été fi intéreſſantes ,
qu'elles méritent qu'on en rende compte avec plus:
d'étendue que ne peut en recevoir une notice de ce
genre . Le gout fans doute fuit les longs détails , mais
Famour du bien public les recherche dans tout ce
qui l'intereffe , & vous verrez , Monfieur , que c'el :
lui qui a dicté les deux Ouvrages dont je me propofe
de vous parler... poste parierende
L'Académie de Bordeaux , depuis quelques an
nées , voit les Citoyens de tous les ordres accourir
en foule à fes Séances publiques. Le goût des Arts
& des plaifirs de l'efprit s'accroît tous les jours dans
cette ville avec les progrès du commerce. L'Architecture
& la Peinture y ont des écoles & une Académie.
Le talent de la Mufique eft bien plus naturel
encore dans nos Provinces , Méridionales ; c'eft- là
furtout que l'on jouit de tous les progrès qu'elle
fait ailleurs . On n'y diſpute point fur Gluck & fur
Piccini ; mais on y chante beaucoup l'un & l'autre.
On fe plaignoit de ce qu'en France la Capitale du
Royaume , la Ville des Arts & des talens n'étoit pas:
placée dans les lieux où la Nature eft la plus belle..
Ce malheur , fi c'en eft un , eft fans remèdes, on ne
1
DE BRANCE.
peut pas changer le ciel de Paris ; mais il eft poffible
de faire naître les Arts & les Talens fous de plus
beaux cieux ; & le temps n'eft pas loin , peut-être ,
où la France aura plus d'une Athènes. On pourravoir
alors fi dans les lieux où la Nature a plus de beautés
& plus de charmes , il naîtra plus de génies pour la
chanter & pour la peindre. Les talens , qui ne femblent
ambitionner que la gloire , ont cependant
cherché dans tous les fiècles des pays célèbres par
tears richeffes. L'efprit du commerce ne paroît pas
d'abord très -favorable au génie des Beaux- Artsy &
Fon ne voit pas trop quel rapport il peut y avoir
entre les calculs d'une facture & l'éloquence de M
Thomas ou les vers de M. l'Abbé Delille. Mais il
faut des plaiſirs à ceux qui ont de la fortune , & des
Arts , des Talens à ceux qui veulent beaucoup de
plaifirs. On ne tarde pas à comprendre que les plus
grandes richelles ajoutent peu à notre bonheur , fi les
gouts de l'imagination ne nous donnent de nouveaux
fens & de nouveaux defirs ; que la vanité de l'opup
lence eft trifte & defsèche les âmes , fi l'opulence
ne crée les talens qui étendent la fenfibilité ; qu'enfin,
Forfqu'on pofsède de grandes fortunes , qui font des
moyens d'abufer de tout , on court trop le rifque de
donner dans des excès groffiers & honteux , fi le
Juxe des Arts n'introduit ces recherches exquifes
ces voluptés de bon goût qui adouciffent les paffions
qu'elle's multiplient. Sans faire même aucunes de ces
obſervations , on recherche les talens par inſtinct
comme tous les autres plaifirs. On a eu long-temps
à Bordeaux pour les Arts cette efpèce de mépris
que les Turcaret & les Chrifalde ont fur le Théâtre
pour l'efprit & pour les connoiffances. Lorfque Montefquieu
, il y a trente ans , voulut ynétablir une
Académie , il ne trouva de Confrères que parmi quel
ques hommes aimables qui cultivoient la Mufiques
& le premier Secrétaire de cette Académie fut un
F
Dv
$2 MERCURĚJ
homme qui n'eut jamais d'autre talent que celui de
jouer de la baffe.Montefquieu y trouveroit aujourd'hui .
des Magiftrats qui raifonnent comme lui fur les Lois ,
des Négocians qui feroient en état d'écrire l'Hiſtoire
du Commerce , & des Antiquaires qui ne font pas
indignes de fouiller dans les ruines de Rome. On
ne peut pas douter que les lumières qui font au
jourd'hui dans certe Académie , ne foient en partie
fon ouvrage ; & c'eſt une très- bonne réponse à ceux
qui ont blâmé l'inftitution de toutes les Académies
de Province.
M. Dupré de Saint- Maur , Intendant de la Province,
qui a ouvert la Séance que nous annonçons
a donné , dans le Mémoire qu'il a lû , une nouvelle
preuve , & une preuve bien forte , de l'utilité de ces
inftitutions.
Son Mémoire roule fur un projet très- important
pour la Province & pour la Ville , mais dont l'exécution
exige que l'Adminiftrateur foir fecondé par
l'approbation & par les voeux de ceux dont le bon
heur l'occupe, M. Dupré de Saint- Maur a trouvé ,
dans la Séance de l'Académie , une occafion bien na
turelle de propofer fes vûes & de confulter l'opinion
publique. Il a rappelé dans fon Mémoire un fait
affez récent encore, puifé dans l'Hiftoire de la Ville
de Bordeaux , & qui prouve combien il feroit
néceffaire que les Adminiftrateurs euffent de ces occafions
de s'entretenir de leurs projets avec le Public ,
& de ne commencer de grands travaux que lorsqu'ils
feroient bien affurés que la Province feroit des voeux
pour les voir achever. Qu'on nous permette de
rappelerici ce fait avant de donner l'extrait du Mé
moire de M. Dupré de Saint- Maur : il concerne M. de
Tourni , dont le nom & la gloire ne font point ren
fermés dans la Guienne , où il a été Intendant. Le
Bienfaiteur d'une Province left auffi de toute la
DE FRANCE. 831
Nation , & la mémoire de M. de Tourni doit ête
chère à toute la France .
On fait que c'eſt à lui que Bordeaux eft redevable
, non-feulement de ce port qui l'embellit &
l'enrichit , mais encore de prefque tous les établif
femens qui ont étendu fon commerce dans les Deux-
Mondes, Mais lorsqu'il y arriva , on étoit en géné
ral trop peu éclairé pour apprécier fes vûes , & on en
fut d'abord alarmé. Il n'y avoit point dans la Province
de ces Affemblées publiques , où des Admi-.
niftrateurs éclairés peuvent communiquer leurs lumières
& détruire les préjugés qui s'opposent à leurs
deffeins. On l'accufa bientôt de ruiner le commerce,
qu'il vouloit agrandir , de bouleverfer la ville , ou
tous les jours s'élevoient fur fes plans des édifices,
élégans & utiles. M. de Tourni favoit vouloir trèsfortement
le bien qu'il voyoit ; les cris de l'ignorance
ne le faifoient point douter de fes lumières . Il ne
fut point ébranlé dans fes deffeins lors même qu'il
apperçut Montefquieu dans la foule de ceux qui les
combattoient. Les obftacles redoubloient fon actvité.
C'eſt une tradition conne à Bordeaux , que fa
Lampe étoit conftamment allumée deux ou trois,
heures avant le jour; & nous remarquerons ici
dans le temps ου ce n'étoit
pas encore la prétention
des hommes en place de gouverner les peuples du
fein de la molleffe & des plaifirs , & d'avoir un génic
qui difpenfe de tout travail on favoit toujours
T'heure à laquelle fe levoient les hommes qui exer
çoient des fonctions publiques, Mais il eft un cous
rage plus rare dans les hommes de ce caractère , &
dont ils font privés par une fuite de leurs vertus
mêmes ; c'eft celui de fupporter avec conftance les
injuftices de l'envie & le crime de l'ingratitude. Au
milieu des affaires & dans l'exercice de l'autorité
M.de Tourni avoit confervé toute la fenfibilité de fo
coeur. Il vouloit être aimé d'une Province à laquelle
7
.J
i que
Dvj
$4
ROMERCURE
il s'étoit attachépar fes bienfaits . Il pardonnoit aifement
que l'on combattit les opinions & fes deffeins ;
it lui étoit douloureux qu'on accusât fes intentions, &
qu'on le regardât comme un de ces hommes qui
ne deviennent les dépofitaires de l'autorité qu'en
promettant d'être les ennemis de las Nation. Ces.
foupçons inquiets , ces accufations affreuſes portèrent
dans fon âme une douleur qui devoit être
mortelles le chagrin vint épuifer des forces affoiblies
déjà par le travail ; & il mourut loin de cette
ville , qu'il avoit enrichie & décorée , en regrèitantde
n'avoir pu remplir tous fes plans de bienfaifance
. Aujourd'hui fa mémoire eft adorée à Bordeaux
; on fe hâte de le nommer à tous les étrangers:
qui vifitent les monumens de cette ville opulente :
c'eft lui que les Citoyens propofent pour modèle à
tous les Intendans qui arrivent dans la Province , &
c'eft lui que fe propofent d'imiter tous ceux qui ont
des talensy des vertus , l'amour & le courage de la:
gloire. La gloire de cet Adminiftrateur , a dit M ..
Dupré de Saint-Maur dans fon Mémoire , doit faire :
Fambition , mais peut- être auffi le défefpoir de tous
ceux qui font appelés à la même place. M. Dupré de
Saint- Maur eft trop modefte. En lifant fon Mé
moire , il eft impoffible de ne pas convenir que , pour
mériter la gloire de M. de Tourni , il ne lui manque.
que de faire exécuter les plans qu'il y propofe.
Il en a propofé plufieurs , & bientôt ils feront
tous connus. M. Dupré de Saint-Maur a promis de
faire imprimer le Mémoire avec des plans figurés
Nous ne parlerons ici que du plus important de
rous , & de celui que l'efprit peut faifir le plus aifément
fans le fecours des cartes & des figures !
Bâtie fur un terrein marécageux , la ville de Bordeaux
a été fujette dans tous les temps à des mala→
dies épidémiques. L'automne dernier encore elles y
ont exercé de fi grands ravages , que la terreur , qui
DIE ERANCE.
exagère tout , a publié que la pefte étoit dans cette
ville. On m'a afluré fur les lieux mêmes , que des
maifons , habitées par dix à douze perfonnes , étoient
demeurées défertes ; & il n'eft pas étonnant que l'on
exagère un peu dans de pareilles calamités.
Des maux fi grands , & qui en annoncent de
plus grands encore , parce que des eaux crou
pillantes deviennent tous les jours plus nuifibies ,
éroient bien propres à attirer l'attention d'un Adminiſtrateur
ſenſible & éclairé. M. Dupré de Saint-
Maur ne cherchoit que les moyens les plus sûrs &
6 les plus faciles de deffécher des marais , & ces moyens,
oit les a trouvés dans un projet dont l'exécution agran-
19 diroit, le commerce , & formeroit autour de la ville ,,
ɔ du côté oppofé à la Garonne , un fpectacle prefque
auffi impofant que celui de fon port. Il propoſe douvrir
à plus de vingt pieds au deffous de tous les terporeins
fubmergés , un canal qui les côtoyeroit ou les
traverferoit tous , qui s'arrondiroit en un demi - cercle
dont les deux extrémités iroient aboutir à dal Gatonne
, &ifornieroit ainsi , autour de la ville dans
220l'étendue de quatre à cinq mille toifes , une ceinture
ab d'eaux vives & courantes.sldags, that imp RUS
Hofuffit d'expofer ce projet pour en faire fentir la
grandeur & la beauté. La ville entière de Bordeaux
fembleroit s'élever du milieu des eaux comme Venife
ou comme Amfterdam. Les avantages qui en
réſulteroient font en fr grand nombre , qu'il n'eft pas
auffiaifé de les appercevoir N
20803 J
9. Le premier objet , le grand objet feroit rem
pli ; ces eaux fi funeftes , lorfqu'elles font ftagnantes ,
épureroient l'air qu'elles corrompent , du moment
qu'elles feroient vives & courantes dans un canal.
2. Ces marais immenfes , dès qu'ils feroient defféchés
, deviendroient des terres fécondes pour l'Agriculture
, & nourriroient les hommes qu'ils em
poifonnent. zastaa dadak,
T
865- MERCUREC
38. Il s'établiroit par ce canal une navigation de
décail qui en débarraffant le port de la Garonne ,
le laifferoit tout entier au grand commerce. On
pourroit placer le long des quais & l'Hôpital de S.
André , dont on veut changer la place , & tous ces
Artifans qu'une police éclairée doit toujours éloigner
du centre des villes ; il pourroit s'y élever de
ces manufactures. qui exigent de vaftes emplace
mens; & Bordeaux , qui ne connoît guères que le
commerce des productions naturelles de la terre ,
s'enrichiroit encore par le commerce des matières
manufacturées. 1525
4. Une grande idée tient à de grandes idées , &
le bien produits le bien. Les terres qui proviendront
de l'ouverture du canal pouvoient embarraffer l'Auteur
du projet. Tranſportées fur les bords de la Ga⭑
sonne , elles deviennent, dans le plan de M. Dupré de
Saint-Maur , des moyens de perfectionner l'ancien
port , & d'y faire des ouvrages très - utiles , même
très-néceffaires à la grande navigation. La Garonne
par un mouvement qui dirige fon cours avec force
vers la rive oppofée à la ville , en détache continuel
lement des terres , qu'elle roule & atténue, dans l'agi
tation du Aux & reflux ; & qui vont former un banc
de fable à quelque diftance des quais du port. Ce
banc de fable peut s'accroître au point de gâter abfolument
le plus beau fleuve du Royaume , & d'y
rendre toute navigation impoffible ; il occafionne
déjà beaucoup de perte de temps , & l'on fait que le
temps eft une des richeffes qu'il faut le plus calculer
dans les profits & dans les pertes du commerce. M.
Dupré de Saint-Maur propofe de faire tranfporter
les terres du canal dans cette partie de la rive que
la Garonne ronge fans ceffe , de les faire fervir à
contenir & à repouffer le fleuve , qui , diftribuant
alors avec égalité la force de fon courant , entraîne
roit bientôt le banc de fable qui menace de combler
DEFRA NICE.
une partie de fon lit. Ce n'eſt pas tout dans
l'étendue des quais ou de la jetée qu'on feroit au
moyen de ces terres, on pourroit, de diſtance en diftance,
ouvrir des baffins pour y carénerles vaiffeaux.
Cette opération dangereufe fe fait aujourd'hui au
milieu de la rivière , au milieu de tous les vaiffeauxqui
rempliffent le port ; & l'expérience a fait voir..
quels accidens affreux cela peut occafionner. Plus
d'une fois on a été au moment de voir tous les vaif
feaux incendiés & toute la rade en feu . Les baffins
que l'on ouvriroit feroient des afyles sûrs où l'on
caréneroit les vaiffeaux en les féparant de tous les
autres. Il y a plus encore : la crainte de ces incendies
a été la plus forte raifon que l'on ait opposée au
projet de jeter far la Garonne un pont de bois o
fur bateaux. On n'auroit plus cette raifon à oppos
fer , & Bordeaux auroit le pont que fes Citoyens &
les étrangers demandent depuis fi tong- temps.M
M. Dupré de Saint- Maur, accoutumé, par fa place
même, à faire des opérations plutôt que des projets,
ne s'eſt point livré à celui - ci fans fonger aux moyenst
de fe procurer les fonds néceffaires pour fon exécation
Il prouve d'une manière invincible que le canal auge
menteroit prodigieufement les droits que la Ville &
le Souverain perçoivent aux entrées de Bordeaux ;
que fi la Ville ou le Monarque faifoient les avances
des frais , qui ne s'éleveroient guères à plus de trois
ou quatremillions, ils en feroient remboursés dans un
affez petit nombre d'années. Il fait entendre que dans
le cas où le Gouvernement & le Corps Municipal de
Bordeaux craindroient de faire ces avances , on trouve-›
roit fans peine des Compagnies qui feroient les fonds,
fun Arrêt du Confeil leur affuroit, pour un temps
donné, les augmentations de revenu qui en résulte
roient pour le Souverain & pour la Ville. M. Dupré,
de Saint-Maur apperçoit dans un avenir très -prochain
le moment où certes augmentation de reve
883
MERCURE
C
nus , libre de toutes charges , donnera les moyens de
faite d'autres établiſſemens qui manquent à la
Ville; comme par exemple , une Chaire d'Archie
tecture Navale cet Art , fi important dans une
Ville de commerce , y eft abandonné à la routine des
Conftructeurs. *
la
On ne peut affez admirer
la fuite & l'enchaîne
→ >
ment de ces vues & de ces projets ; leur nombre
,
loin d'en rendre
l'exécution
plus difficile
,
rend au contraire
infiniment
plus aifée
, parce
que les uns fervent
à exécuter
les autres , & que ce
qui paroîtroit
prefqu'impoffible
pour un feul , devient
très facile pour tous.
o mais el
Uneplace n'eft jamais fubordonnée quand on ya
porte autant de lumières & de bienfaitance 30185
PAdminiftrateur d'une Province , quand il remplit
ainti fes fonctions , peur élever fon nom au rangs
des noms célèbres des Hommes d'État. M. Turse
got n'étoit encore qu'Intendant du Limoufing, & {
par le bien qu'ily avoit fait , il avoit déjà la réputar ®
tion de tous les talens qu'il a montrés depuis dans
une place plus élevée.
GM 06 DSL
b
M. le Préfident Dupaty lut enfuite um Difcoursin
dans lequel il a tracé le plan général & développés
de fon Ouvrage fur les loix criminelles. Cet Ou ,
vrage s'avance au milieu de ces fonctions pénibles
dans lesquelles , comme dit Montesquieu , le Magif
wat ne trouve que le travail après le travail. I ofte
beau de fe dévouer à la fois aux détails d'un Minifət
e des loix & aux méditations d'un Légiflateur. I
M. l'Abbé de Pont de Jumaux a déjà ouvert à Bor
deaux un Cours gratuit & public de Mathématique &
d'Hydraulique ; il a mérité fans doute qu'on jetât les yeux
fur lui pour la Chaire d'Architecture Navale , & qu'on le
récompensât des fervices qu'il a déjà rendus en lui donnant
les moyens d'en rendre de plus grands encore : c'efti
ainfi qu'on récompenfe le zèle & l'amour du bien public..
DE FRANCE
ne faut pas blâmer Montefquieu, qui vendit fa
Charge de Préfident à Mortier pour ne s'occuper
que de fes Ouvrages. On le blâma dans le temps ;
on lui fit le reproche d'abandonner fa place & fes
devoirs pour aller courir l'Europe en chaife de pofte,
& pour errer dans les bois & les prairies Angloifes
de la Brède. Il répondit à ces reproches en publiant
PEfprit des Loix. La réponfe étoit affez bonne , ce
me fenible ; mais il eft probable qu'elle ne fut pas
bien comprite de ceux qui faifoient les reproches.
Avouons cependant que s'il avoit créé cet immortel
Ouvrage en continuant de remplir les fonctions de
la Magiftrature , la beauté de fon génie recevroir
un nouvel éclat , un nouvel intérêt du moins , des
vertus qu'il auroit exercées dans fa place ; & s'il fauta
efpérer de retrouver fon talent , c'eft fur tout dans
ceux qui ont l'ambition de faire plus de bien encore .
aux hommes. M. le Préfident Dupaty avoit raffem
blé dans fon Difcours les vûes & les divifions prin
cipales de fon Ouvrage. If a voulu confulter & re
cueillir cette première impreffion d'une multitude
affemblée qui ne paroît pas trop capable de juger
un Ouvrage philofophique , mais dont les fenfa
tions cependant , les plus rapides même , font fijuftes
& fi infaillibles fur tout ce qui regarde les crimes,
les vertus , la juſtice naturelle & la juftice fociale.
La multitude a dans ce genre uncertain inftinct
obfcur , mais vif, qui la dirige mieux que toutes les:
lumières de la réflexion. C'est parce que cet instinct
fut fouvent confulté , que les Anciens , qui n'ont ja
mais fait que de mauvais Ouvrages fur la Légifla❤
tion, ont eu de fi belles idées fur les Loix. Heureux,
difoit Beccaria , fi je puis exciter ce fréiniflement in
volontaire par lequel les ames fenfibles répondent à
la voix de l'ami de l'humanité ! M. le Préfident
Dupaty a joui de ce bonheur. Des tranfports & des..
"
3
DO MERCURE
applaudiffemens redoublés lui ont fait connoftre fes
émotions qu'il répandoit dans l'Affemblée .
Ad Ileft des temps heureux où l'on ne peut pas par
ler du bien que l'on defire fans parler de celui que
l'on voit , ou les voeux que l'on fait pour le bonheur
des hommes s'adreffent à leurs bienfaiteurs , où les
eris des befoins font toujours adoucis par les témoi
gnages de la reconnoiffance ; M. le Préfident Dupaty
s'eft félicité d'écrire fur le perfectionnement des Loix
fous un règne où les opérations du Gouvernement
fuivent toujours de fi près & devancent même ſou
vent les lumières de la Philofophie. Un des mor
ceaux de fon Difcours qui a produit le plus d'effet ,
eft celui où , au nom de la Nation , il a remercié lè
Monarque & le premier Miniftre de la juftice de
l'aboliflement dela queftion préparatoire.com ?
L'Éloge de Voltaire , dont on trouve le nom & le
génie dans toutes les queftions qui intéreffent l'hu
manité, reçut auffi de vifs applaudiffemens . 32 A
Le Difcours fut terminé par un morceau dans
lequel M. Dupary faifoit voir que la politique des
Cours & des Miniftres commence à fe régler aujour
d'huifur les principes de la justice & de la légiftal
tion. Cette vue générale fur l'état actuel de la politi
que, amena l'éloge ou plutôt le portrait de ce Minit
tre dont les opérations font devenues celles de prefque
tous les cabinets; qui , en faiſant prendre les
armes à la France en faveur des droits d'un peuple
libre , a en la gloire de faire fuivre à une grande
partie de l'Europe le bet exemple qu'il a donné à la
torre ; qui , en faisant combattre nos Guerriers dans
le Nouveau-Monde pour la caufe de l'humanité , à
formé pour fa Nation des Héros dont toutes les Nations
refpecteront & chériront la gloire ; dont le
nom enfin arrivera à l'immortalité gravé à - la- fois
par la reconnoiffance dans l'Hiftoire de l'origine
velinot ex. & tengok K
L
DIE FURANCE. of
de treize Républiques , & dans celle de l'une des
époques les plus brillantes d'une Monarchie illuftre
depuis tant de fiècles . M. le Préfident Dupaty lui
appliqua ces belles paroles de Sénèquells eft nort
feulement l'Agent de fon pays & de fon fiècle , mais
Homme d'Affaires de toutes les Nations & de la
Poftéritéń isq da obs auopa , ind) aróis
L
Dom Carrère , Bénédictin , connu par un genre
de travail & de mérite qui a rendu fon Ordre célè
bre , par des Recherches favantes & une grande
érudition , termina la Séance dont je vous rends
compte , Monfieur par la lecture d'un Profpectus
fur l'Hiftoire de la Guyenne. Son objet fut de
fixer les époques qui partagento cette Hiftoire , &
de donner une idée de la méthode & du ftyle qu'il
fe propofe d'employer dans fon Ouvrage. Pour le
ftyle , que Dom Carrère nous permette de lui obfer
ver qu'il feroit trop dangereux de vouloir écrire d'un
même genre dde ftyle une multitude de faits très -diffe
rens par leur nature & par les impreffions qu'ils
doivent produire ; qu'il fuive l'inftinct naturel de fon
efprit & de fon talent , & fi fon talent eft vrai ,
fon efprit eft jufte , il verra qu'il trouvera toujours le
ftyle qui convient aux faits fans l'avoir cherché
péniblement d'avance. Tacite & Tite Live n'écri
vent pas de la même manière , & tous les deux ont
une manière admirable à coup-sûr ce ne font
pas les pédans & les Rhéteurs de Rome squin la
leur ont donnée. Quand on lit les Lettres de Mme
de Sévigné , où l'on trouve dans la même page tous
les tons & tous les genres , on a quelque pitié de ce
qu'on a pris la peine d'écrire fur le genre épiftolaire
beaucoup de gens ont penfé que les règles ne font
utiles qu'à ceux qui pourroient à-peu-près s'en paffer,
& j'avoue bien que je fuis de l'avis de ces
gens- là.
·
J'ai l'honneur d'être, Monfieur , &c. Garat,
91
MERACTURE
GRAVURES.
CREATION d'Eve , Eftampè de 20 pouces 6 lignes
de hanteur , fun 14 pouces 6 lignes de largeur , gravée
d'après le Tableau original de Procaccini , par
Héméry. Prix , 9 livres. A Paris , chez 1
ateur , rue
S. Jacques , entre la Place de Cambrai & le Collège
du Pleffis , maifon d'un Tapiflier.
Cette Eftampe , dédiée à Mme la Comteffe d'An
giviller , eft gravée, avec foin & propreté. Eve y eft
repréfentée fans nombril, caractère, diftinctif de la
première femme & du premier homme , & qui
paroît avoir échappé aux Artiftes qui ont traité le
même fujet,
La mort de Lucrèce , gravée par L. J. Catelin
d'après le Tableau Prix , 6 livres.
A Paris, chez Catelin , rue du
de A.
Pellegrinoule
, mailen
d'une Marchande d'Eftampes.
Cafcade dans les Rochers de Roncilione près de
Rome & l'Escalier des Laveufes de Charenton
gravés par Maugin , d'après deux Tableaux de
Robert. Ces deux Eftampes font pendant , & fe
vendent chacune 1 liv. 4 f. A Paris , chez Maugin
rue des Francs - Bourgeois, maifon d'un Limonadier.
11
Quatorzième Livraison des Estampes qui doivent
entrer dans la Minéralogie du Dauphine , par M.
Guettard , & qui paroîtra le 15 de ce mois , in -folio.
Prix , 12 liv . A Paris , chez Cellor , rue Dauphine.
Treizième Livraifon de la Defeription particu
liere de la France , Gouvernement du Dauphiné ,
contenant huit Eftampes , in -folio Prix , 12 livres
pour Paris , & pour la Province & les Pays étran
gers , 14 liv. 8 fols. A Paris , chez Mafquclier , tue
des Francs - Bourgeois, bony 41 sono s
DE FRANCE.
93
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ON vient de mettre en vente à l'Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , le Tome VI du Supplément à
#Hiftoire Naturelle , par M. le Comte de Buffon ,
contenant de nouveaux Supplémens aux Quadrupedes
, Volume in- 4 ° . Prix , 15 liv. en blanc ; 15 liv.
to fols broché ; 17 liv. relié.
Nota. Ce Volume ne peut fervir qu'aux Perfonnes
qui ont la grande Édition in-4° . avec la partic
Anatomique.
Les Numéros , Volume in - 12 , deux Parties. Prix ,
2 liv. 8 fols broché. A Paris , rue & Hôtel Serpente.
Confideration générale fur l'Education adreffée à
Auteur des Réflexions détachées fur les Traités
d'Education inférés dans le Mercure ae Février de
la préfente année 1782 , in-8 . A Bouillon ; & à
Paris , chez les Libraires qui vendent les Nouveautés ,
& chez M. Beguillet , au coin de la rue du Paon.
Confiderations fur les Montagnes volcaniques ,
par M. Collini , in - 4 ° . , accompagné d'une Carte.
A Manheim. Prix , 2 liv.
Penfées fur les Femmes & le Mariage , dédiées
aux Hommes , par un vieux Militaire , troi Parties
in- 12 . Príx , 3 liv. 12 fols brochées, A Kehl ; & fe
trouve à Paris , chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
Manuel de Morale , Volume in-12. Prix , I livre
10 fols broché. A Paris , chez Fournier , Libraire ,
rue du Hutepoix.
Effais Hiftoriques & Politiques fur la Révolution
de l'Amérique Septentrionale , par M. Hillard d'Auberteuil
, Tome II , première Partie , in - 8 . A
94 MERCURE Q
Paris, chez l'Auteur , rue des Bons - Enfans - Saint-
Honoré.
Bibliographie inftructive , in - 8 ° . , Tome X.
Prix , 2 liv. 8 fols . A Faris , chez Gogué & Née de
la Rochelle , Libraires , quai des Auguftins.
N°. 6 de l'Ami des Enfans , par M. Berquin. A
Paris , chez Piffor & Barrois , Libraires , quai des
Auguftins,
107 22
Tome quarante- deuxième de l'Hiftoire Univerfelle,
nouvellement traduite de l'Anglois , par une Société.
de Gens de Lettres , in - 8 ° . A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins.
241
4
Dictionnaire raisonné & univerfel d'Hiftoire Nasarelle,
par M, Valmont de Bomare , troisième Edition,
revue & confidérablement augmentée par l'Au
teur. A Lyon , chez Jean - Marie Bruyfet père &
fils , 1776 , 9 Vol . in - 8 ° petit format ; & à
Paris , chez Alexandre Jombertjeune , Libraire , rue
Dauphine. Prix , 45 liv reliés en veau. Cette Édition
faite d'après les dernières augmentations de l'Auteur
, qui en a lui - même foigné l'exécution , étoit
déjà connue comme la feule, avec l'Edition de
Paris , qui méritât la confiance du Public ; mais par
une fuite des conventions faites entre les Éditeurs
de Paris & ceux de Lyon , elle n'avoit pas été répandue
dans la Capitales des circonftances particulières
ayant mis entre les mains des fieurs Bruyfet père &
fils la totalité du Privilège de cet excellent Ouvrages
ils croient de
devoir annoncer cette Edition , devenue
la feule originale depuis que celles de Paris font
'épuifées ; avis d'autant plus intéreffant pour les
Acheteurs, jaloux des bonnes Éditions , que depuis
quelques années on a annoncé en Suiffe & ailleurs
plufieurs contre- façons du même Ouvrage, og ko
DE FRANCE. DS
Traité des Vapeurs , par M. Duchalle , Docteur
en Médecine. Vol . in- 18. Frix , 1 liv. 4 f. A Sens,
chey Tarbé & Carigni , Libraires.
Aux Auteurs du Mercure de France.
MESSIEURS
Dans l'Hiftoire de Charlemagne que je viens de publier
il eſt parlé, Tome II , pages 101 , 114 , 118 , 192 , 222
des diverfes Médailles relatives à quelques événemens du
règne de ce Prince je m'apperçois un peu tard que la manière
dont je me fuis exprimé en parlant de ces Médailles
pourroit induire en erreur les Lecteurs peu verfés dans ces
matières , en leur perfuadant que ces Médailles font réels
lement du temps auquel elles fe rapportent, au lieu qu'elles
n'ont été imaginées que plus de huit fiècles après par
Graveur Jacques de Bie , qui prétend cependant les avoir
tirées des Cabinets des Curieux , & qui le dit expreffement
au Roi Louis XIII , dans l'Epitre Dedicatoire de la France
Métallique. En conféquence Mézeray , dans fa grande Hif
toire , reproduit ces mêmes Médailles , qu'il dit avðir, tug
fabriquées fous chacun des règnes auxquels il les rapporte in
La vérité eft qu'elles paroiffent être pour la plupart de
l'invention de Jacques de Bie . Il y en a 18 pour le règne
de Charlemagne. L'expreffion dont je me fuis fervi , en
parlant de ces Médailles eft encore plus vicieuſe ada page }
234 , où il s'agit du Baptême des Saxons ; on y lit ccs,
mots : co Charlemagne , croyant avoir converti les Saxons,
» parce qu'il les avoit baptifes , fit frapper à ce fujet une
» Médaille , &c, »
C'eft une inadvertance complette , & qui n'avoit pas
Juême pour excufe chez l'Auteur , comme chez quelques
autres , l'ignorance du fait concernant le Graveur de Bie.
Il faut donc lire; Charlemagne croyoit avoir converti les
» Saxons parce qu'il les avoit baptifés ; on a fait à cesujet
» une Médaille & c. »
GAILLARD
, Sh
.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PROSPECTUS.
Les Eſſais de Michel , Seigneur de Montaigne , 3 vol.
grand in- 8 °. 24 liv. , & 3 vol . in 4. 48 liv. De la
Sageffe, par Charron , I yol in 8 12 liv. , & 1 vol, in- 4º .
24 liv. , propofés par foufcription ou "foumiffion ; le prix
୭ % MERCURE
fera donble en papier d'Hollande. A Paris , chez J. Fr.
Baftien , Libraire & Editeur , rue du Petit Lyon , près la
nouvelle Comédie Françoife , & chez les principaux Libraires
des différentes Villes . Ces Ouvrages , montés à un
prix excelfif , par le peu d'exemplaires des éditions exactes
& correctes , qui ne permettoit plus qu'aux riches
Amateurs de fe les procurer , font actuellement fous
prefe , & l'on apporte l'attention la plus fcrupuleuse à
F'exécution & à Pexactitude Typographiques. On fuit
pour l'impreffion les textes les plus purs , les plus corrects
& les mieux vérifiés ; on ne fe permet ni changemens ni
commentaires. Ces Ouvrages ne feront tirés qu'à 600 grand
in-89. , dont so papier d'Hollande , & à 160 in-4°., dont
25 papier d'Hollande. Ils feront ornés chacun du Portrait
de fon Auteur , deffiné & gravé par d'habiles Artiſtes , &
ils paroîtront fucceffivement . On fera libre de foufcrire en
payant moitié, ou de donner fa foumiffion de les prendre
après l'impreffion , jufqu'au mois de Juillet prochain
époque où les Effais de Montaigne paroîtront. Paffé ce
temps , les prix augmenteront d'un tiers. Les Cuvres de
Rabelais , Docteur en Médecine , avec le Portrait de l'Auteur,
& la clef néceffaire pour l'intelligence de l'Ouvrage ,
2 vol.grand in 8º. 15 liv. ou 2 vol. in-4 . 36 liv. , & le
double en papier d'Hollande , paroîtront à la fuite des On
vrages ci-deſſus , & fe délivreront à la mème adreſſe & aux
mêmes conditions.
-
01
TABLE
49 Les quatre Saifons , 72
EPITRE
Enigme
& Logogryphe
, 54 Lettre
au Rédacteur
du Mer
Sermon
pour l'Afemblée
excurede
France
,
traordinaire
de Charité
, s Gravures
»
Le Produit & le Droit des Annonces Littéraires ,
Communes , ·67'
80
92
93
APPROBATION.
le
J'AI 'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ,
Mercure
de France , pour le Samedi
8 Juin. Je n'y al
rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreſſion
. A Paris,
že 7Juin 1782. DE SANCY
.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS JUIN 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Comte du NORD , récités à
la Séance de l'Académie Françoife , le
Lundi 27 Mai 1782 .
PIERRE eft votre modèle ; en vetre âme il refpire :
Pour le créer un peuple il quitta fon Empire ;
A mériter la gloire , inftruit par les travaux ,
De fes profonds deffeins fa grandeur fut l'ouvrage
Il fut voir & penfer , & voyager en lage,
Avant de régner en Héros.
Au loin dans l'avenir fa vûe alloit s'étendre :
Capable de tout faire , il voulut tout apprendre ,
Interroger les Cours , obferver les États ;
L'étude infatigable y conduiſit ſes pas.
N°. 24, 15 Juin 1782 ..
MERCURE
Tandis qu'il parcouroit cette carrière immenfe ,
La méditation le fuivit en filence ,
Et lui développa tous les fecrets des Arts ,
Qui fécondoient fon âme en charmant fes regards.
Riche de leur conquête , il couvrit la Ruffic
Des trésors amaffés dans fon yafte génie ,
Sema dans les déferts qu'il changeoit en cités ,
Ces germes que leur fol n'avoit jamais portés ,
Ces fruits que tranſplantoit ſa main ſavante & sûre ,
Ces fruits dont CATHERINE embellit la culture .
AUJOURD'HUI ce grand Homme ouvre les yeux fur
yous :
Son ombre eft de vos pas la compagne affidue ,
Et pour voir PETROVITS , au Louvre defcendue ,
Vous contemple affis parmi nous , as.
Dans ce même Lycée , où jadis la préſence
Honora les Beaux- Arts qui régnoient dans la Frances
Il vint les conquérir & vous les poffédez .
Que fes mânes , émus d'une noble tendreffe ,
Doivent à votre afpect treffaillir d'alégreffe !
Que fon Peuple , hâtant fes deftins retardés
Venge le long oubli qui couvrit fes ancêtres
Grâces à vos progrès , à vos hardis travaux ,
Ruffes , ceux qu'autrefois vous appelliez vos Maîtres,
En vous avant le temps ont trouvé des rivaux.
La Baltique blanchit fous vos nombreux vaifſeaux ,
Et porte avec orgueil vos poupes triomphales ;
Elle baigne à Cronſtat ces arſenaux , ce fort ,
DE FRANCE.
Cet immenfe dépôt des richeffes navales';
Et ce Génie altier , le Dieu des mers du Nord ,
Du fond de fon palais de glace ,
Se réveillant au bruit de vos fiers armemens ,
Vient s'affeoir fur vos bords , où la victoire entaſſe
Les dépouilles des Ottomans.
Vous mêlez dans vos jeux la pompe Aſiatique ,
It des Européens le luxe ingénieux ,
Et l'appareil guerrier , attribut héroïque
Des Scythes , vos premiers ayeux.
Moſcow , célébrant vos conquêtes ,
Du Capitole antique a retracé les fêtes;
Et ce fpectacle fi vanté ,
Ce comble des grandeurs où peut atteindre l'homme,
Pour la première fois , à ſa folemnité ,
A joint ce qui manquoit aux triomphes de Rome ,
La Juftice & l'Humanité.
MAIS ce n'eft point affez d'être grand , redoutable;
La gloire s'embellit du talent d'être aimable.tansuza
Les leçons des Neuf-Soeurs , le goût , l'urbanité ,
Tous les Arts , ornemens de la Société,
Le fecret de jouir , le defir de connoître ,
Les plaifirs épurés que l'étude fait naître ,
Seuls des peuples polis achèvent le bonheur , men ed
Font chérir encor plus les vertus d'un grand coeur : «
Les vôtres ont ce charme ; oui , Prince , & leur puiſſance
Nous fait fentir que déformais agrid of
E ij
aco MERCURE
Le Ruffe , heureux en tout , ne peut plus aux François
Ehvier que votre préſence,
Le pauvre près de vous trouve la bienfaifance ;
Tout ce qui vous approche y trouve la bonté.
Avec vous le fage s'éclaire 5
Votre enjouement , votre gaîté
Aux Courtisans jaloux apprendroit l'art de plaire.
Le talent par vous écouté
Apprend à juger fon ouvrage ,
Et de votre entretien remporte un vrai fuffrage ,
Et le plaifir d'être goûté.
DÉJA , Prince , votre jeuneſſe
Du fang dont vous fortez a rempli la promeſſe.
L'héritage brillant qui vous eft préſenté ,
Avant de l'obtenir , vous l'aurez mérité ,
Vous connoiffez le poids du rang qu'on vous deſtine ;"
Époux de VIRTEMBERG & Fils de CATHERINE ,
Le bonheur de tous les deux
Eft le prix le plus doux d'un coeur tel que le vôtre.
Et quel pays jamais peut offrir à vos yeux
Rien de plus beau que l'une , & de plus grand que
l'autre ?
(Par M. de la Harpe. )
*
DE FRANCE. FOL
RECHERCHES fur la coutume de faluer
quand on éternue.
EST-C ST- CE Religion ? eft - ce fuperftition ? eft- ce de
la Phyfique ou de la Morale qu'il faut déduire les
faifons de cette coutume fi particulière ? Le temps &
les circonftances changent prefque toutes les modes ;
mais pour celle- ci elle refte inébranlable & la même
depuis très -long- temps chez prefque tous les peuples
de la terre.
La Fable nous dit que Prométhée ayant formé le
premier homine, déroba le feu du ciel qu'il mit dans
un petit flacon , & porta enfuite ce flacon fous le nez
de la ftatue, comme pour le lui faire afpirer. Le phlo
giftique divin pénétra bientôt dans la tête , s'infinua
dans les fibres du cerveau , fe répandit dans toutes les
veines , & le premier figne de vie que donna la créature
nouvelle fut d'éternuer . Prométhée ravi de cet
événement, lui cria auffi-tôt bien te faffe Ce fouhait
fit fur l'homme une telle impreffion qu'il ne l'ou
blia jamais , & que dans le même cas il le répéta
toujours à fa poftérité. Ce récit fabuleux peut au
refte paffer pour une allufion à l'hiftoire de ce jeune
fils de la Sunamite qu'Élysée refufcita , & qui marqua
fon retour à la vie en éternuant fept fois de
fuite.
nous
Cela cependant réfout peu notre question . Peutêtre
les Rabbins ,qui font dépofitaires des plus fecrètes
anecdotes du bon vieux temps , depuis le jardin
d'Éden , l'Arche de Noé & la Tour de Babel ,
fourniront-ils plus de lumières fur ce fujet. Voici ce
qu'ils difent : Notre Seigneur Dieu , d'abord après la
création , établit pour règle que l'homme n'éternueroit
qu'une fois dans la vie , & que ce feroit l'é
E j
102 MERCURE
poque de fa mort , l'inftant où il rendroit l'eſprit.
Ce fut , ajoutent-ils , le feul genre de mort connu
jufqu'au temps de Jacob. Ce fage Patriarche , qui
craignoit la mort , s'humilia devant Dieu fon Créareur,
& le fupplia de le difpenfer de mourir de la
forte. Sa prière fut exaucée ; il éternua , & ne mous
rut point. Cela ne manqua pas de jeter dans l'étonnement
le plus vif tous ceux qui étoient préfens , &
qui l'entendirent. Jacob tomba aufſi malade ; nouvelle
circonftance remarquable , vu qu'auparavant
l'on ne connoiffoit de maladie que celle du mortel
éternuement. On ne douta plus pour lors que. la
Nature n'eût à cet égard change fes loix , & l'on
trouva fort à fa place de dire à ceux qui éternuèrent
dans la fuite : Bien vous faffe , où contentement.
༣
Le compliment ordinaire que faifoient les Grecs
en cette occafion confiftoit , fuivant Olympiodor ,
dans fes Commentaires fur le Phédon de Platon ,
en ce feal mot: Vivez , & les Romains difoient
pareillement : Salve. Les premiers ne faifoient pas
feulement ce fouhait aux autres , mais encore à
'eux-mêmes quand ils étoient feuls. Nous connoiffons
du moins une Epigramme faite fur le nez d'un
certain Proclus , où le Satyrique prétend que le bout
en étoit fi diftant des oreilles , qu'il ne pouvoit s'entendre
éternuer pour fe faire le voeu ordinaire.
C'étoit chez les Romains unchaimable civilité , une
preuve de favoir vivre , que de faluer les gens qui
éternuoient. Pline en parle très expreffément , &
Tibère lui même , tout farouche qu'il étoit , donnoit
à chacun la liberté de lui faire compliment dans ce
cas - lào ༄ ། །
Prefque tous les Peuples , fans en excepter ceux
des autres parties du Monde , ont confervé cet ufage
jufqu'à nos jours. Si les Anabaptiftes & les Quakets
en Angleterre font profcrit avec tous ces aires
15
DEFRAIN CE 101
petitsdevoirs qui tiennent à la politeſſe ordinaire,
cette exception n'affoiblit point notre thèſe , & nd
fait que mettre en évidence la fingularité de cette
fecte. Les habitans des extrémités les plus reculées de
l'Afie & même du Nouveau-Monde , tous gens qui
n'ont pas eu la moindre connoiffance ni des Grecs
ni des Romains , ont le même ufage. Quand le
Roi de Monomotapa éternue , on le publie auffitôt
dans toute la ville & la contrée , au moyen
de certains fignaux , ou par des formules de prières
que chacun débite à haute voix , & tout le pays re
tentit d'acclamations & de cris de vive le Roi ! Les
Efpagnols trouvèrent auffi cette coutume établie en
Amérique. Quand le Cacique de Guacaja éternuoit ,
dit l'Auteur qui a écrit l'hiftoire de la conquête de la
Floride , tous les Indiens s'inclinoient , fe profternoient
devant lui , & , les mains levées vers le Ciel ,
prioient le Soleil de protéger leur Maître , de l'éclai
rer & d'être toujours avec lui .
Ariftote & d'autres , ont cru voir la caufe de cer
fage dans le refpect religieux qu'on avoit anciennement
pour la tête. La tête , difoient- ils , eft la partie
la plus diftinguée du corps humain ; elle contient les
fibres , les efprits vitaux , & en général elle eſt le
fiège du fentiment ; elle eft encore le domicile & le
laboratoire de l'âme , de cet être immatériel & penfant
, de cette émanation de la Divinité , & c'eft de
-là , comme du haut d'un trône, qu'elle commande à
toute la machine , & mee en jeu tous les refforts.
Tel étoit le fondement de cette vénération que les
Anciens avoient pour la tête. La fuperftition , qui
s'empare aifément de tout , a cru voir du myſtérieux
dans cet effet tout naturel . Les Égyptiens , les
Grecs & les Romains , penfoient que l'éternuement
étoit un figne , un avertiffement divin pour nous
conduire de telle ou telle manière dans différentes
circonftances , ou bien le préfage de quelque événe-
Eiv
104
MERCURE
ment favorable ou défavantageux. Des exemples ,
uirés de l'Hiftoire , confirment ce que j'avance. Xénophon
haranguant fon armée , un foldat vint à
éternuer ; & comme il s'agiffoit d'une entrepriſe néceffaire
, mais périlleuse , toute l'armée crut que c'étoit
un figne des Dieux , & le Général profita de la
circonſtance pour leur offrir un facrifice en actions
de grâces. Lorfque la fidelle Pénéloppe s'efforçoit
d'écarter fes foupirans & prioit pour le retour
de fon cher Ulyffe , le jeune Télémaque éternua
fifort que tout le palais , dit- on , en fut ébranlé.
La Princeffe ne douta plus pour lors de l'accomplif
fement de fes voeux , & témoigna la plus vive joie.
,
Les Poëtes Grecs & Latins croyoient dire à leurs
Belles une douce flatterie quand ils leur annonçoient
que les Amours avoient éternué à leur naiffance.
On confidéroit auffi le temps & l'heure où quelqu'un
éternuoit , fi c'étoit avant ou après une certaine
opération . Si un convive durant le repas venoit
à éternier , & ne mangcoit plus rien enfuite , cela
étoit regardé comme le prognoftique d'un malheur
Celui qui éternuoit en fe levant le matin , devoit bien
prendre garde à foi toute la journée . Le temps le
plus propice & d'un meilleur augure pour éternuer ,
c'étoit depuis midi juſqu'à minuit.
Je conviens qu'il entre dans cet ufage beaucoup
de fuperftition ; je ne crois pas néanmoins que c'en
foit l'unique caufe. L'abus s'y fera gliffé comme
dans toutes les pratiques humaines.
Il y a encore plufieurs coutumes dont l'obfervation
exige qu'on connoiffe les bienféances & ce qui
eft reçu dans le monde, mais auxquelles on ве
peut aligner d'origine bien fondée . Montagne ,
dans fes Effais , fait cette queftion : Pourquoi foin .
haitons nous du bien à ceux qui éternuent ? Parce
que, répond- t - il , l'éternuernent eft une fimple ventofité
provenante de la tête , qui n'a rien en foi d'in-
-
DE FRANCE.
Los
décent. Clément d'Alexandrie en juge moins favo
rablement, vu qu'il l'envifage comme une marque
d'incontinence d'humeurs & d'un tempérament
froid ; il eft très - mécontent de ceux qui s'excitent à
éternuer par des inoyens factices ou étrangers , &
regarde comme un grand point de politeſſe de s'abftenir
d'éternuer en compagnie.
Mais pourquoi fuppofer du inyſtère où l'on peut
s'en tenir à la fimple Nature ? Voici ma croyance à
cet égard. L'éternuement n'eft qu'une évacuation
du cerveau & une marque de fon bon état , de chaleur
naturelle & de fa force ; dans plufieurs maladies
c'eſt une criſe avantageufe , & en général on
peut le regarder comme une preuve de fanté ; il
mérite donc fous ce rapport un compliment de la
part de ceux qui l'entendent. Cependant il y a cu
des Médecins , entr'autres Cardan , qui ont regardé
cette opération du cerveau comme trop violente &
même dangereufe ; ils prétendoient qu'elle étoit
toujours accompagnée d'un ferrement de coeur ,
dou réfultoit un dérangement dans les fonctions
animales , tellement que fi cet effet duroir quelques
minutes , il en pourroit coûter la vie . Cette opinion
me paroît outrée ; mais fi elle étoit vraie , rien ne
feroit plus honnête encore que de faire un ſouhait
en faveur de celui qui éternue , & de lui manifeifer
combien on defire que l'éternument ne lui faffe aucun
mal.
Aujourd'hui , grâce à la liberté de penfor & d'agir,,
en fe défait d'une multitude d'ufages incommodes
; par exemple, on ne boir plus fi rigoureufement
à la fanté des convives , on ne remercie plus guères
l'hôte qui a traité généreulement , & on ne fouhaite
plus fi fcrupuleufement un bon appétit à ceux qui
vont fe mettre à Peut-être que bientôt l'en
éternuera aufh fans cérémonie & a fón aife Je na
my oppofe nullement A
Ev
106 MERCURET
རྫསཔྟཱཿ - སྐར ར
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent."
LE
E mot de l'Enigmesoft Médecine ; celui
du Logogryphe et Médecine , où le trouvent
Médecin , Médine Nicée , Médie , demi ,
Dèce, Médée, dime ou décime , mine, dine ,
mien & nid,
༣ ; ENIGM E.
JE ne fuis efprit ni matière ;
Sans moi le fublime tableau
Qu'offre aux yeux- la Nature entière ,
S'efface ou n'a plus rien de beau.
Avec l'Amour , d'intelligence,
Au plus brillant des Arts j'ai donné la naiſſance.
Le Temps , qui fait à tous la loi,
Marche à pas mefurés en la prenant de moi.
Je fers le fripon & le traître ;
Je plais aux amans fortunés ;
Fidèle aux Auteurs de mon être ,
On me voit toujours à leurs pieds ;
Des biens qu'encenſe le vulgaire
Je ſuis un fymbole éloquent ;
Comme moi , ce n'eft que néant ,
Et comme eux je fuis paffagère.
( Par M, le Chevalier de Bergeras. }
DE FRANCE. 107
IN 20 JE
LOGOGRYPHE.
E fuis un tour avec ma queue
Dove Compofé de moi , fans ma queue 3 °
Et je ne meurs avec ma queue ,
Que quand je fuis mort fans ma queue,
Les anciens m'employoient fans queue
Pour finir fur moi portant queue.
J'indique encore avec ma queue
L'endroit où l'on me met fans
quetes
J'ai fix pieds avecque má queire ,
Et je n'en ai que cinq fans queue.
Je te fers bien avec ma queue ,
Lecteur ; mais bien mieux fans ma queue,
Si tu me tiens avec ma queue ,
Tu dois nie connoître fans queue.
( Par M. l'Abbé L……. y. }
C 919 noa.
caboig csual é ou quer slow era að
ninyle
of Dar
Spine 13
Evi
168 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE de la Maifon de Bourbon , par
M. Deformeaux , Hiftoriogtaphe de la
Maifon de Bourbon , Bibliothécaire de
S. A. S. Mgr. le Prince de Condé , de
l'Académie Royale des Infcriptions &
Belles- Lettres , & c. A Paris , de l'Imprimerie
Royale , 1782. in- 4° . Tome
troisième.
CE troisième Volume commence à l'année
1527 & finit à l'année 1562 , c'est- à- dire ,
à la mort du Roi de Navarre , Antoine de
Bourbon , père de notre Roi Henri IV. Il
contient l'Hiftoire de Charles de Bourbon ,
Duc de Vendôme , & de fes fils , mais feulement
jufqu'à la mort de l'aîné , qui étoit
ce Ror de Navarre Antoine , dont nous venons
de parler. On fait que l'Hiftoire des
Princes cadets & collatéraux , eft toujours
jointe à celle de l'aîné , felon l'ordre chronologique.
Les événemens où l'Auteur eft arrivé font
encore plas intéreffans , mais auffi plus connus
que ceux qui précèdent ; nous ne les
rappellerons point ici , nous choiſirons feulement
quelques anecdotes un peu moins
familières à nos Lecteurs , & quelques- uns
de ces traits qui , tenant moins effentielleDE
** 199
FRANCE.
ment au tiffu de la narration , peuvent plus
ailément en être détachés. Ces traits & ces
anecdotes , que nous rapportons fouvent
dans les proprs termes de l'Auteur , feront
connoître fa manière.
Le Roi François I traita toujours le Duc
de Vendôme Charles , « comme fon frère
» & fon compagnon d'armes ; il fouffroit
» que ce Prince , dans le commerce de la vie ,
» ne l'appelât que Monfieur. Il est vrai que
les Seigneurs du Sang , à qui la loi donne ,
» chacun à fon rang , un droit aufli incor-
» teftable à la Couromie que s'ils étoient
"
les propres enfans des Rois , jouiffoient
» de ce privilége avant François I ; mais ce
Monarque ne le conferva qu'au premier
" Prince du Sang. »
On a beaucoup remarqué l'énorme accumulation
des bénéfices, même incompatibles ,
dans la perfonne du premier Cardinal de
Lorraine , frère de Claude , Duc de Guife.
C'étoit un abus du temps , & le Cardinal
de Bourbon Louis , frère du Duc de Vendôme
Charles , poffedoit auffi en même tems
l'Archevêché de Sens , les Évêchés de Laon ,
de Meaux , de Luçon & de Tréguier , fans
compter une multitude de riches Abbayes ,
entre autres celles de S. Denis & de S. Cor-
'neille .
Lorfqu'en vertu de l'alliance de François
I avec Soliman II , le fameux Corfaire Chai
radin Barberouffe & le Comte d'Enghien ,
frère d'Antoine , Roi de Navarre , faifoient
1110 MERCURLI
2
enfemble, en 1543 , le fiége de Nices , Barberouffe
fit aux François une forte & jufte
leçon fur une négligence en effet inexcucufable
; ils faifoient la guerre dans leur
pays , & ils n'avoient ni poudreini plomb ,
ils en envoyèrent demander aux Turcs , qui
naturellement auroient dû compter fur eux
pour ces provifions ; on fit choix pour cette
commiffion du Baron de la Garde, qui avoit
Mété Ambaſſadeur à la Porte, & dont la perfonne
étoit agréable aux Turcs : « Voyez s
dit Barberouffe à fes Officiers , la ftupi-
» dité de ces chiens de Chrétiens , qui s'em-
Farquent pour une expéditionfans aupara-
» vant s'être affurés des inftrumens de la
victoire.
་
Sa réponſe fut un refus formel , & il
ajouta , en parlant au Baron de la Garde :
Si tout autrefe fût chargé à ta place d'une
pareille commiffion , je ne lai aurois répondu
» qu'en lefaifant mettre à la chaine.»
Le trait fuivant peint bien l'affabilité gé
néreuse de ce Comte d'Enghien , le Héros
de Cérifoles , qui gagna cette importante
bataille à vingt- quatre ans , comme fon arrière
petit neven , le grand Condé, nommé
alors Duc d'Enghien , gagna dans la fuite
celle de Rocroy à 21 ans. Le vieux Bou
tières , élève de Bayard , brave Chevalier
comme fon maître , mais médiocre Général ,
commandoit en Piémont , & faifoit le fiége
d'Yvrée , François I.envoya le Comte d'Enghien
pour commander à fa place. Le Comię
"
DE FRANCE. 111
arrivé fur la frontière , mande à Boutières
de lui envoyer , à Chivas , une efcorte qui
pût le conduire sûrement à l'armée. Boutières
, par un mouvement de dépit & d'humens
, qui , dans un Général difgracié, tenoit
un peu de la révolte , obéit beaucoup plus
qu'on ne vouloit , il leva le fiége d'Yvrée , &
mena toute l'armée au devant du Comte ,
" fous prétexte qu'il ne pouvoit lui donner
» une meilleure efcorte. Monfieur lui
i , voici l'armée dont le Roi mavcit
» confié le commandement , je là remets entre
vos mains , trop honoré d'avoir pour
fucceffeur unfi grand Prince ; elle eft com-
» pofée de braves Soldats & d'excellens Offi-
» ciers....... vous la recevez des mains d'un
Chevalier dont l'âme eft pure & intègre ,
» qui n'a jamais manqué au Service defon
Souverains nipar le motifde la crainte , ni
par l'appât de l'intérêt ; permettez que je
l'appelle ici en témoignage de ma conduite
» & de mes actions , en me foumettant aux
informations les plusfévères.....
2
M'informer de vos actions , Monfieur,
lui répondit le Comte d'Enghien , en dif-
Bomfimulant cavec bonté ce que la dernière
39 action de Boutières avoit d'irrégulier :
eh ! ne font - elles pas connues & approuvées
» du Roi & de toute la France comme celles
d'un Guerrier plein de courage & d'honneur
, qui s'eft illuftrépar de longs & utiles
fervices ? Je ne viens ici que pour marcher
furvos traces & imiter vos exemples. A ces
112 MERCURE
mots il lui tendit les bras , & l'embraa
» étroitement. »,
Boutières fe retira dans fes Terres , mais
il revint bientôt après combattre fous le
Prince à Cérifoles.
En l'année 1544 , M. Déformeaux parle ,
comme la foule des anciens Hiftoriens , de
la capitulation de Boulogne , prife alors par
les Anglois , & de la prétendue précipita
tion du Gouverneur Jacques de Coucy
Vervins. Il paroît blâmer Vervins en le plai
gnant , & croire que fa condamnation fut
une juſtice , & fa réhabilitation une grâce . Il
nous permettra d'obferver qu'il n'eft plus
poffible de penfer ainfi après avoir lû dans
le Mémoire hiftorique de M. de Belloy fur
la Maifon de Coucy , l'apologie fi folide &
fi convaincante que l'Auteur fait de la conduite
de Vervins , & où il pouffe jufqu'à la
démonftration la preuve de l'innocence &
de Vervins & du Maréchal du Biès.
Le trait fuivant , concernant Charles ,
Prince de la Roche-fur- Yon , coufin ger
main de Charles , Duc de Vendôme , eft
-extrêmement curieux .
A l'exception de la Principauté dont il
» portoit le nom , le Prince de la Rochefur
- Yon ne poflédoit rien..... Il jeta les
» yeux fur l'héritière de la Maifon de Laval,
auffi riche que noble .... mais il échoua par
le crédit prépondérant du Connétable de
Montmorenci , qui obrint la préférence
en faveur de Coligny-d'Andelot , fon je
DE FRANCE. 113
"
33
و ر
ven. On prétend que d'Andelot , jeune
» & avantageux , non content du triomphe
qu'il avoit remporté fur fon illuftre rival ,
s'échappa contre lui en railleries fanglantes.
Le Prince de la Roche fur - Yon
" avoit l'âme affez grande pour lui pardon-
» ner fon bonheur ; mais il ne pouvoit luï
» pardonner fon infolence ; il voulut fe
battre contre lui . D'Andelot , quoiqu'il
» fut iffu d'une Maifon très- puiffante , au-
» trefois Souveraine de la plus grande partie
de la Breffe , quoiqu'il palsât pour le plus
fier & le plus déterminé de tous les hommnes
, & que dans ce fiècle du courage &
de l'audace , il fut furnommé le Chevalier
fans peur , frémit cependant à la feule
idée de fe battre contre un Prince du
Sang , & évita toujours l'occafion de fe
» trouver feul avec lui.
"
Mais le hafard confondit fes précautions.
Un jour qu'il accompagnoit le Roi à lat
chaffe , il fe trouva feul à l'écart ; le Prince
de la Roche - fur - Yon , qui , peut - être ,
l'épioit , arrive , & le traite avec mépris
» & dureté ; bien plus , il veut fe porter
» contre lui aux voies de fait. Alors d'An-
و د
delot mer l'épée à la main pour repouffer
» l'outrage , & bleffe fon ennemi ; il cft
» bleffé lui- même par un Gentilhomme du
» Prince appelé Defroches , qui furvint .
» D'Andelot & Defroches continuoient le
combat & fe chargeoient avec fureur ,
lorfqu'ils furent féparés par un gros de
114
MERCUREC
Chaffeurs. Cet événement fit beaucoup de
bruit ; les Princes du Sang, en corps de-
» mandèrent au Roi juftice de l'audace de
» d'Andelot , le Connétable de Montmorency
embrafla hautement la defenſe de
" fon neveu , & il eut befoin de tout fon
crédit à la Cour , pour le fouftraire à la
rigueur de la juftice .
» D'Andelot , échappé au péril qui le me
" naçoit , fe confirma de plus en plus dans
» l'idée de fuir toute rencontre avec un enne-
» mi que la loi lui rendoit facré. Il revenoit
» un jour de Saint-Germain - en - Laye , où
» habitoit la Cour ; à peine entré dans un
bac pour traverser la Seine , il apperçoit
le Prince de la Roche - fur- Yon qui accouroit
à toute bride , & qui crioit qu'on
l'attendit. D'Andelot s'imagine que le
Prince le pourfuit pour l'obliger à fe bat-
» tre; auffi- tôt il tire fon épée & coupe le
cable du bac. Le Prince regarda cette
fage précaution de fon rival comme un
nouvel affront ; fon reffentiment augmenta
» contre lui , mais il ne trouva plus l'occa-
" fion de le faire éclater. "
Au commencement du règne de Henri II,
les prétentions des Princes de Guife allèrent
jufqu'à s'égaler aux Princes du Sang , & jufqu'à
vouloir confondre les rangs entre la
Maifon Royale de France & la leur. Ces
prétentions furent accueillies à la cérémonie
du facre de Henri II , où, fous prétexte de
fuivre l'ancien ufage qui régloir les rangs
DE FRANCE 115
entre les Pairs fuivant l'ordre de leurs Pairies,
fans aucune exception en faveur des
Princes du Sang ; on nomma pour repréfenter
les anciens Pairs Laïques, des Princes du
Sang & des Princes Lorrains dans un ordre
qui plaçoit quelques-uns des Princes Lorrains
avant quelques uns des Princes du
Sang. En 1948 , Henri II fit des entrées folemnelles
& triomphantes dans les places
conquifes fur le Duc de Savoye pendant le
règne de François I. Il étoit à cheval , précédé
des Seigneurs de fa Cour ; & le Ducde Vendôme
, Antoine , qui n'étoit pas encore Roi
de Navarre , marchoit feul en qualité de
Premier Prince du Sang. Cet ordre fut fuivi
par tout, excepté à Chambéri. " Comme le
» Duc de Vendôme prenoit fon rang , il fut
très furpris de voir le Duc d'Aumale ſe
mettre à fa gauche : Quoi donc , mon compagnon
, lui dit-il , tiendrons - nous rang
enfemble? Oui , Monfieur , répondit le
• Duc d'Aumale , le Roi m'a affigné cette
» place en qualité de Gouverneur de la Province.
Il avoit en effet le Gouvernement
du Dauphiné , auquel on avoit annexé ceux
de la Savoye & de la Breffe , qui étoient alors
fous la domination de la France Mais ,
Judit le Duc de Vendôme , c'est tout ce que
jepourrois permettre au Duc de Lorraine ,
Chefde votre Maiſon. Il est vrai , répondit
d'Aumale , que vous avez le pasfur lui
en France , mais non ailleurs; car il eft
Souverain & vous Suje & Kaffat de la
116 MERCURE
Couronne ; M. de Lorraine ne rélève que
» de Dieu & de fon épée.
*
» Outré de la répartie , Vendôrne rentra ,
& la marche du Roi fut arrêtée . Ce Prin
» ce , las d'attendre , envoya prier le Duc
» de reprendre fa place. Vendôme , intéreffé
» à ménager le Monarque qui négocioit lui-
» même fon mariage avec l'heritière de Na-
» varre , obéit , non fans témoigner au Duc
d'Aumale fon vif reffentiment : Vous pou
" vez , mon Compagnon , marcher fur la
» même ligne que moi ; car , fi le Roi avoit
» ordonné à un Laquais de prendre le rang
» que vous vous arrogez , je le fouffrirois
» uniquement par refpect pour les ordres de
» Sa Majesté. Cette altercation n'eut point
alors de fuite fâcheufe.
و د
On a dit , & M. de Voltaire l'a dit d'après
d'autres Auteurs , que Louis I , Prince de
Condé , en entrant dans le monde , n'avoit
que fix mille livres de rente de patrimoine ;
M. Déformeaux , ayant fous les yeux les contrats
des deux mariages du Prince de Condé ,
d'abord avec Éléonore de Roye , enfuite
avec Françoife de Longueville , contrats qui
font aux archives du Palais de Bourbon , a
trouvé , dans le premier , que le Prince de
Condé poffedoit dès lors la Terre de Condé
en Brie , dont il portoit le nom ; le Comté
de Soiffons , dont il jouifoit par indivis
avec le Roi ; la Baronnie de la Ferté-fous-
Jouarre , le Vicomté de Meaux , les Seigneu
ries d'Ailly , de Sourdon , de Broyes , de la
DE FRANCE. 117
Bazéqué , du tranſport de Flandre , de Chamigni
& de Bellot en Brie ; il recueillit dans
la fuite quelques fucceffions ; le Comté de
Nogent- le - Rotrou , qui lui étoit échu , fut
érigé en Duché Pairie fous le nom d'Enghien
; la Maréchale de Saint - André lui
donna le Comté de Vallery; il eut le Gouvernement
de Picardie & de groffes penfions
; mais comme il fit fouvent la guerre à
la Cour , fes penfions durent être fouvent
fufpendues ; quand elles étoient payées
l'Auteur croit qu'avec fon bien , celui de fes
deux femmes , dont il eut des enfans , & les
grâces de la Cour , le Prince de Condé avoit
un revenu qui répondroit aujourd'hui
quatre cent mille livres de rente.
eu
Au fiège de Montcalvo , en 1555 , il are
riva un petit événement qui peint la valeur
& la gaieté françoifes , & que l'Auteur a cu
grande raifon de rapporter ; car ce font de
-pareils traits qui donnent de la phyfionomic
à l'Hiftoire. « Montluc étoit chargé d'établir
> une batterie de canons devant Montcalvo ,
» dans un pofte périlleux. Les Princes vinrent
vifiter fes travaux . Le Comte d'Enghien
, Jean ( c'étoit un frère puîné du vainqueur
de Cérifoles , tué en 1746 à la
Roche- Guyon ) le faififfant par le milieu
du corps : Capitaine Montluc , lui dit- il ,
" tu as éte autrefois mon Soldat , je veux
» être aujourd'hui le tien. Soyez le bien venu
Monfeigneur , répartit Montluc , fans
s'étonner ; mais opprenez qu'il faut dans
99
>
118
MERCURE
99
» l'occafion qu'un Prince foit non -feulement
" Soldat mais encore Pionnier : tenezɔ
ajoute -t'il en lui préfentant une pioche ,
travaillez. Enghien obéit en riant ; les autres
Princes fe mirent au travail , & éta-
» blirent la batterie qui força la place à
capituler. »
28
"
Le moment où Elifabeth , fille de Henri II ,
eft remiſe aux Commiffaires Eſpagnols , envoyés
par Philippe II pour la recevoir en fon
nom , a de l'intérêt ; l'Auteur a voulu qu'on
y remarquât le contrafte des deux Nations.
" Les Espagnols alors n'étoient pas auffi
galans que nos François. Mendoze , en
recevant fa Souveraine , lui adreffa d'une
» voix rauque, ces paroles du Pfeaume 44 :
» Audi, filia, & vide, & inclina aurem tuam;
oblivifcere populum tuum , & domum patris
» tui. Ecoute , ma fille , & grave mes paroles
dans ton coeur : oublie ton peuple &
» la maiſon de ton père. L'Évêque de Bur-
" gos , d'un ton encore plus impofant
ود
(qu'une voix rauque) continua par le verfet
fuivant : Et concupifcet Rex decorem
» tuum , quoniam ipfe eft Dominus tuus , &c
» le Roi convoitera ta beauté , parce qu'il
» eft ton Seigneur & ton Maître.
A ces mots , Élifabeth , qui entendoit
» le latin , & qui n'époufoit qu'avec répu-
" gnance le père de Dom Carlos , fe rappelant
tout - à- coup ce jeune Prince auquel
elle avoit d'abord été deſtinée , la patrie
qu'elle ne devoit plus revoir , tomba éva-
20
ود
DE FRANCE. It
nouie entre les bras de la Reine de Na-
» varre. Revenue à elle , Antoine , Roi de
» Navarre , ( c'étoit lui qui avoit été chargé
» de mener fur la frontière la nouvelle Reine
» d'Eſpagne ) Antoine , la Reine , ſon époufe
, le Cardinal de Bourbon , le Prince de
» la Roche -fur-Yon & Mlle de Montpen-
» fier , lui firent en pleurant les derniers
» adieux , & l'embrassèrent malgré les Commiffaires
Espagnols , qui , affervis à un
étiquette rigoureux , c'eſt une étiquette
rigoureufe qu'on a voulu inettre appa→
remment ) rougiffoient de voir leur Reine
» donner des marques d'honneur & de ten-
» dreffe à fes plus proches parens ; la Prin-
» ceffe s'arracha enfin des bras de la Reine
» de Navarre , & partit le coeur plein des
» plus noirs preffentimens , qui ne furent
» que trop juftifiés par la fuite,
39
Il eft impoffible de rapporter des événe→
mens tels que la conjuration d'Amboiſe &
fes fuites , fans intéreffer; L'Auteur a ſu ajouter
à l'intérêt naturel de ces événemens , par
des Anecdotes tirées des livres que tout le
monde ne lit pas. Le Capitaine Mazères , un
des Conjurés , dit qu'il s'étoit chargé de tuer
le Duc de Guife , & qu'il s'étoit en conféquence
muni d'une longue épée. « Guife ,
» préfent à la procédure , lui remontra froidement
que, pour une pareille exécution ,
» une arme courte , telle qu'une dague ou
» un poignard , auroit été plus commode &
" plus decifive: Je ne l'ignorois pas , répon120
MERCURE
•
و ر
» dit Mazères ; mais lorsqueje me repréfen-
» tois que j'allois attaquer l'homme le plus
» brave & le plus fort de l'Europe , j'étois
» tenté de prendre une pique. Malgré ce
compliment , le Duc de Guife le fit appliquer
à la queftion , dans l'efpérance qu'il
chargeroit les Bourbons.
و ر
و ر
"
30
On fait que le Chancelier Olivier mourut
de douleur à la vue des cruautés exercées à
l'occafion de la conjuration d'Amboife. Le
Cardinal de Lorraine l'étant allé voir dans fa
maladie , Olivier s'écria : « Tu nous damnes
tous ; maudit Cardinal , tu nous damnes.
Le Cardinal voulut l'exhorter à ne point
» fe laiffer féduire par l'efprit malin , & à
» demeurer ferme dans la foi . Le Chance-
» lier lui tourna le dos en frémiffant , &
» mourut quelque temps après qu'il fut
» parti , fans vouloir ni fe confeffer ni com-
» munier. Guile prit fort à coeur la manière
dont fon frère avoit été reçu : tous damnés !
difoit il , il en a menti le méchant ! &puifqu'il
eft mort comme un chien , il faut le
" jeter à la voirie. On ne prit pas néanmoins
ce parti extrême ; le corps du Chancelier
fut tranfporté chez lui dans une litière. »
M. Déformeaux a trop de douceur & de
raiſon , il a un amour trop fincère des Lettres
& un amour - propre trop éclairé , pour
s'offenfer de quelques avis dictés par ce même
amour des Lettres. Il doit peut- être fe défier
beaucoup en écrivant d'une qualité qui fait
beaucoup d'honneur à fon caractère , mais
"
ور
qu'il
DE FRANCE. 120
qu'il pouffe trop loin ; je veux dire de cette
indulgence aimable , de cette difpofition
favorable où il eft à l'égard de tout le monde ,
& qui femble lui perfuader que tout ce qui
eft eft bien , & que le monde , même politique
, eft le meilleur des mondes poffibles.
Ceux qui ne le connoîtroient pas, pourroient
lui croire du penchant à la flatterie , ils fe
tromperoient fort ; c'eft enthoufiafte qu'il
eft , & nullement adulateur ; mais il eft vrai
qu'il a toujours le ton d'un Panégyrifte , &
que fes Hiftoires en général font des Recueils
d'éloges hiftoriques . Voilà pour le fond.
Quant à la forme , fon ftyle , agréable à
plufieurs égards , a deux défauts marqués &
oppofés l'un à l'autre ; l'un , d'être quelque--
fois familier , l'autre , d'être prefque toujours
trop poétique & trop pompeux. « La
» fureur des François expira , le cri de la
Nature , détruite ou fouffrante , retentit
» dans le coeur de ces guerriers altérés de
fang & de carnage. »
D
Tacite n'eût point fait cette phrafe, il
n'eût dit qu'un mot fimple , & ce mot eût
été beaucoup plus fort.
"Le Prince de la Roche-fur-Yon venoit
» depayer le tribut à la Nature. »
Le ftyle de l'Hiftoire , qui eft noble , mais
fimple , exige qu'on diſe : venoit de mourir.
Il ne falloit pas non plus dire que le Duc
de Vendôme , Charles , paya le tribut à la
fragilité humaine , parce qu'il eut un fils
naturel ; c'eft une chofe trop ordinaire dans
Nº. 24, 15 Juin 1782.
F
122 MERCURE
l'Hiftoire pour avoir befoin d'une précaution
oratoire , telle que pourroit l'exiger
une Oraiſon Funèbre , ou tel autre Difcours
effentiellement & uniquement chrétien.
Enfin , le ſtyle de M. Déformeaux eft tour
hériffé d'épithètes ; chaque fubftantif eft
fcrupuleufement fuivi de fon adjectif ; c'eſt
un moyen infaillible d'ôter aux mots toute
leur valeur : « Si vous pouviez leur faire
comprendre , difoit plaifamment M. de
» Voltaire , que l'adjectif eſt le plus grand
ennemi du fubftantif, encore qu'ils s'ac-
» cordent en genre , en nombre & en cas . »
"
LES Aveux d'une Jolie Femme, A Bruxelles ,
& fe trouvent à Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques.
2 Vol. in- 12 .
En général, le Public lit beaucoup les Romans
& les eftime fort peu. Il n'en eft pas
moins vrai que le Roman peut être plus moral
, & par conféquent plus utile que l'Hifroire.
Le Romancier qui difpofe des événemens
, dont l'Hiftorien n'eft que l'efclave ,
peut leur donner la face la plus propre à
infpirer la haine du vice & l'amour de la
vertu. Dès qu'une fois il a entrepris d'attacher
à fa narration telle ou telle moralité ,
il ne choifit que des événemens analogues à
fon but ; ce n'eft plus un aveugle hafard
qui crée les faits comme dans l'Hiftoite ,
c'est le génie qui les enfante & qui leur im
DE FRANCE. 123
prime le fentiment dont il a befoin pour
nous inftruire ou nous corriger . Tandis que
l'Hiftoire n'offre que trop fouvent à nos
yeux la vertu foulée aux pieds & le vice
triomphant , le Romancier peut confoler fes
Lecteurs par les triomphes de la vertu & le
jufte châtiment du vice ; ou s'il nous repréfente
l'homme vertueux accablé fous le pouvoir
du méchant , il peut , par les circonftances
qu'il crée & qu'il multiplie autour de
la victime , nous faire envier fon fort , &
détefter la profpérité même de fon tyran.
Mais l'utilité du Roman ne rend pas le
talent du Romancier plus facile ni plus commun.
Sur cent Ouvrages de ce genre , il ne
s'en trouve pas un qui mérite l'eftime des
connoiffeurs. Dans le petit nombre de ceux
qui doivent furnager , on peut compter celui
que nous annonçons au Public. Le but moral
de l'Auteur y eft clairement énoncé ; il a
voulu démontrer que lafource de nos égaremens
, comme celle de nos plus grands malheurs
, vient plus des travers de l'efprit que
des vices du coeur ; & tous les événemens , ri
qui forment l'intrigue de fon Ouvrage , concourent
à prouver cette vérité. Ce ne font
point des événemens invraiſemblables , des
caractères hors de nature ; tout y refpire la
vérité , c'eft - à - dire , la vraiſemblance . C'eſt
un efprit obfervateur qui a recours , il eft
vrai , à l'imagination ; mais l'Auteur n'imagine
rien qui foit contraire à ce que nous
voyons. Il a fail nos ridicules , nos moeurs;
Fij
124 MERCURE
il les a rendus avec vérité , & il s'eft montré
auffi bon peintre que bon obfervateur.
C'eft la vanité qui a perdu l'Héroïne de
ce Roman. L'envie de briller l'a jetée dans
tous les égaremens où la paffion peut entraîner
; mais fes égaremens ne lui enlevèrent
jamais l'envie d'être vertueuse , & le remords
de ne l'être pas. Fille d'un Artiſan , adoptée
par une marraine , elle reçoit une éducation
qui donna de nouvelles forces à fon amourpropre
, & lui fournit des prétextes pour s'y
livrer. Nous ne pouvons offrir dans cet extrait
la chaîne de fes erreurs. L'amour feul
vient l'arracher à fes défordres , & lui fait
recouvrer d'abord fa propre eftime , & enfin
celle d'autrui.
Cet Ouvrage intéreffe encore moins par
l'intrigue , que par le développement des fen
timens & la peinture des perfonnages. Si l'on
veut juger de la manière de peindre de l'Auteur
, nous allons prendre au hafard un de
fes portraits. "Quoique la Baronne d'Olfond
ne fut plus jeune , je la trouvai féduifante ;
» de beaux yeux , de la régularité dans les
» traits , une recherche exceflive dans les
ajuſtemens ; elle joignoit les prétentions
de la coquetterie à la dignité de la femme
la plus févère; defirant de plaire par les
charmes de fon efprit , quoiqu'elle n'en
» cut que l'apparence ; mettant dans fon
babil une prétention fatigante à la lon-
» gue , mais déguifant ce travers à la première
vue par un accueil attrayant , des
20
DE FRANCE.
-125
"
"
» careffes flatteuſes & réſervées ; fachant
» prendre les airs les plus oppofés ; ayant le
» ton d'une prude & la conduite d'une
» femme galante ; accommodant fes principes
aux circonftances , plus encore aux
perfonnes qu'elle vouloit féduire ; recher-
» chant les plaiſirs avec fureur , fe plaignant
toujours de leur futilité ; égale dans fa
politeffe , inconféquente dans les actions ;
» voulant paroître guidée par le coeur & ne
» l'étant que par fes fantaifies ; jouant le fen-
» timent , & poffédant l'art de prêter des
ridicules à ce qu'elle appeloit fes meilleurs
"9
"3
39
» amis. "
Mais l'Auteur ne ſe borne pas à peindre par
des mots fes perfonnages , il fait les faire
agir , & offrir à fes Lecteurs des fcènes pittorefques
& caractériſtiques. Afpafie en effuie
plufieurs qui deviennent le châtiment
de fes erreurs. Voici un tableau d'humiliation
qu'il eft bon de faire connoître . Il
prouve que les fautes contre l'honneur font
toujours punies par l'humiliation . C'eſt l'hiftoire
d'une vifite que reçut Afpafie dans fon
abaiffement ; & l'on jugera fi cet affront dût
être vivement fenti par un coeur fier , quoique
coupable , & qui , en s'éloignant da
chemin de la vertu , n'avoit jamais ceffé de
la regretter , & même de la defirer. C'eft
toujours elle - même qui raconte fes aventures
: " M. Sixpont , c'eſt le nom du Finan-
"9
cier , avoit cinquante ans. En entrant &
» avant de me faluer : il fait une chaleur ex-
Fij
126 MERCURE
ceffive qui me fond , s'écria- t'il en s'éten-
» dant fur une Ottomane : que vous êtes
» mal logée pour la faiſon ! allons , allons ,
وو
je ne vous laiffe pas vingt- quatre heures
» dans cet endroit , fi nous faifons affaire
» enfemble. Stupéfaite d'un pareil début ,
» je le regardois avec étonnement ; lui , fans
» fe douter de l'efpèce de fenfation qu'il
» me faifoit , jeta fa perruque fur un fau-
» teuil , puis s'effuyant la tête , il prétendit
» qu'il étoufferoit s'il étoit obligé d'habiter
» mon logement. Révoltée d'une familiarité
» à laquelle je n'étois pas accoutumée , je
lui dis que je ne penfois pas que rien
l'obligeât d'y refter une minute de plus.
Mais fi , reprit-il , ne faut- il pas que nous
» convenions de nos faits . » (Afpafie ſe plaint
de fon impoliteffe , & Sixpont continue.) Ah ,
ah ! voilà les grands mots de ma femme &
de ma foeur ; mais je leur paffe , l'une me
fera fon héritier , l'autre m'a apporté une
» riche dot ; & puis je les plante - là , je vais
ailleurs vivre fans gêne pour mon argent.
" Eh bien , que veux - tu par mois ? Ce damné
» de Corblin m'a prévenu que tu ainois à
briller. Tant mieux , tant mieux , j'aime
ça moi ; ça fait honneur..... A propos ,
Corblin m'a dit ; mais c'eft un hableur qui
m'a dupé plus d'une fois ; il m'a dit que
tu chantois comme Rofalie , danfois
» comme Heinel , deflinois comme Cochin ,
& que tu faifois des armes comme Saint-
Georges. Mais , bon ! pas poffible , pas pof-
"
»
DE FRANCE. 127
و د
"
Monfieur. fible que tout cela foit vrai.
-Je te dis qu'il en faut rabattre la moitié;
je fais ça, je fais ça , moi. Tiens , vous
êtes toutes comme les Domeftiques à pla-
» cer ; ils favent tout faire quand ils font fur
» le pavé. »
و د
Toute la converfation du Financier eft
fur ce ton- là , & l'on fouffre pour Afpafie ,
quoique fa conduite antérieure ait autorifé
ce manque de refpect. Mais combien cette
coupable Afpafie devient intéreffante , quand
elle rend à la Ducheffe de...... une fomme
'énorme que fon mari avoit fait porter chez
elle pour la gagner ! Nous regrettons de ne
pouvoir rapporter ici cette fcène touchante ,
mais trop longue pour être citée . Cette action
d'honnêteté lui gagna le coeur de la Ducheffe
, qui ne ceffa plus d'être fon amie.
Cette amitié , & un amour profond qu'elle
a conçu pour le Vicomte de L...... achèvent
de la rendre à la vertu. Elle épouse fon
amant ; & elle a fi bien fu effacer , par une
conduite honnête , les premiers égaremens
de fa vie , qu'on applaudit au choix du Vicomte.
Nous devons ce Roman à une femme
connue par des Ouvrages du même genre ;
mais nous croyons que celui - ci doit ajouter
à l'eftime que fes premières productions
avoient infpirée pour fon talent.
FIV
128 MERCURE
↓
CODE Pénal des Eaux & Forêts , on
Précis raifonné des Ordonnances , Arrêts
& Réglemens fur les Délits , Peines &
Amendes en matière d'Eaux & Forêts
fuivi d'un Commentaire fur l'Édit du
mois de Mai 1716 , par Me Jean Henriquez
, Avocat en Parlement , Procureur
Fifcal de S. A. S. Mgr. le Prince de
Condé en la Maîtrife des Eaux & Forêts
de Dun. A Verdun , chez F. L. Chrif
tophe , Imprimeur - Libraire ; & fe trouve
à Paris , chez Delalain le jeune , Libraire,
rue S. Jacques , 1781 , deux Volumes in
12 , petit papier.
CAT Ouvrage eft divifé en trois Parties ;
la première contient le détail des délits qui
fe commettent dans les bois , & des peines
& amendes qui y font attachées ; ces objets
font rangés par ordre alphabétique. La
feconde eft compofée d'un Commentaire
fur l'Édit du mois de Mai 1716 , dont le
but principal eft de prefcrire aux Officiers
des Maîtrifes & aux Collecteurs des amendes
, la forme qu'ils doivent fuivre pour en
accélérer le recouvrement , & ne pas fe
rendre refponfables de l'infolvabilité des
condamnés. La troifième est une Collection
des Édits , Déclarations du Koi , Arrêts du
Confeil & autres Réglemens , intervenus fur
les délits & les amendes depuis 1683 jufqu'en
1780.
DE FRANCE. 120
Il eft certain que les loix forestières fe
font multipliées à l'infini ; qu'il est trèsdifficile
que tous les Officiers des Maîtrifes
en ayent une parfaire connoiffance , furtout
ceux qui, attachés aux Grueries feigneuriales,
habitent les Campagnes ou les petites
Villes , dans lesquelles ils ne font pas à
portée de s'inftruire . Ce défaut d'inftruction
eft encore plus grand parmi les Gardes des
Bois & Forêts , & les Collecteurs des amendes
, gens ordinairement très - groffiers &
fans éducation,
C'est donc un véritable fervice que vient
de leur rendre M. Henriquez, en raſſemblant
dans un petit Volume , & fous la forme
d'un Dictionnaire , les Réglemens épars
dans une multitude d'Edits & de Décifions ,
dont la plupart ne font pas connus des
Prépofés à la manutention des Bois &
Forêts.
Ce Livre fera d'un grand fecours aux
Marchands de Bois , auxquels il apprendra
aifément ce qu'ils doivent faire ou éviter,
Trop fouvent ils font pourfaivis pour un
délit qu'ils ignorent en le commettant , &
condamnés au payement d'une amende con
fidérable.
Les Officiers des Maîtrifes verront d'un
coup d'oeil les cas dans lefquels ils doivent
condamner les Délinquans à l'amende , & la
quotité fixée par les Loix . Les Receveurs des
amendes s'inftruiromt de la forme qu'ils
doivent fuivre pour ne pas vexer les Rede-
Fy
130 MERCURE
A
vables , lorfqu'il s'agit d'accélérer le recou
vrement , & pour ne pas fe rendre refponfables
de leur infolvabilité. Les Gardes s'y
inftruiront de leurs devoirs , & ne fatigueront
pas , par des procès-verbaux injuftes , les
Marchands , les Riverains des forêts , & les .
Gardiens des troupeaux .
M. Henriquez, dans fon Dictionnaire des
Délits & des Peines , & dans fon Commentaire
fur l'Édit de 1716 , donne fouvent le
motif & la raison de la Loi ; mais fes explications
font un peu trop laconiques , & il
eût éré à fouhaiter qu'il n'eût fait qu'un feul
Dictionnaire des deux premières Parties
qui compofent fon Ouvrage ; que , fous chaque
mot, il eût rapporté les délits qui peuvent
fe commettre , les peines & les amendes
qui y font attachées , foit par l'Ordonnance
de 1669 , foit par l'Édit de 1716 , ſoit
par d'autres Réglemens qui ont modifié ,
étendu ou interprêté l'Ordonnance dans les
cas qu'elle n'avoit pas prévus. Il auroit pu y
joindre enfuite les différentes décifions du
Confeil, qui n'ont pas été raffemblées par la
voie de l'impreffion , & qui compofent fa
troisième Partie .
DE FRANCE. 131
ISOCRATIS Opera omnia , Græcè &
Latinè , cum Verfione nova , triplici in
dice , variantibus lectionibus , & Notis.
Edidit. A. Auger , Regia Infcript. Parif.
Acad. Socius , 3 Vol. in - 8 ° . A Paris ,
chez Didot l'aîné , Imprimeur- Libraire ,
rue Pavée - Saint- André ; Debure , Libraire
, quai des Auguftins ; Jombert ,
Libraire , rue Dauphine ; & Barrois le
jeune , Libraire , quai des Auguftins.
M. l'Abbé Auger , qui a publié , il y a
quelque temps , Ifocrate traduit en François
, nous donne aujourd'hui une Édition
Grecque & Latine du même Orateur. L'É
diteur & l'Imprimeur n'ont épargné aucun
foin pour rendre cette nouvelle Édition
utile & agréable en même temps.
Des analyfes mifes à la tête de chaque
Difcours , qui en montrent l'ordre & la
fuite ; des Notes courtes & fubftantielles
qui vont droit à la folution de la difficulté
fans aucun appareil de critique ; une verfion
latine fimple , précife & la plus littérale pof
fible fans être barbare , & fans manquer
d'une certaine élégance ; un index grec , ou
font expliqués les mots effentiels & les principales
locutions d'Ifocrate. Tels font les
avantages de cette nouvelle Édition . Elles fuffiront
pour entendre fans beaucoup de
peine un Écrivain qui mérite d'être lû dans
fa langue originale.
F vj
132 MERCURE
M. l'Abbé Auger fe propofe de donner
une Édition de tous les autres Orateurs:
Grecs , imprimée à fes frais , ainſi que celle
d'Ifocrate , & travaillée fur le même plan.
Ce Savant eftimable fe croira dedommagé
de fes peines & de fes dépenfes, s'il parvient
à ranimer, parmi fes Compatriotes, l'amour
d'une Langue trop négligée de nos jours.
M. Didot l'aîné , avantageufement connu
par la beauté de fes caractères & du papier
qu'il emploie , par fon zèle à perfectionner
les différentes parties de fon Art , & par les
foins qu'il donne à fes impreffions , s'eft
furpaffe lui - même dans l'Édition Grecque
d'Ifocrate . L'Édition in 4° . fur tout est d'une
beauté qui frappera tous les Amateurs. Il y
a employé le plus beau papier d'Annonay
le même fur fequel paroîtra la magnifique
Edition in-4° . qu'il prépare des OEuvres de
Fénelon. Le prix eft de 108 liv. pour les trois
Volumes in 4. en feuilles . Quoique l'Édition
in 8. foit inférieure pour le papier ,
cependant elle peut être encore regardée
comme une belle Édition , ayant d'ailleurs
été imprimée avec les mêmes caractères &
avec les mêmes foins. Le prix de cette dernière
eft de 24 liv. pour les trois Volumes ent
feuilles.
2
Ifocrate , traduit en François par le même
M. l'Abbé Auger , fe trouve à Paris , chez.
les mêmes. Libraires..
DE FRANCE. 133
1
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE 17 Mai , Mlle Maillard a débuté par le
rôle de Colette dans le Devin du Village.
Cette Actrice eft très - jeune , & les difpofitions
qu'elle annonce nous paroiffent
faites pour donner les plus grandes eſpérances.
Sa voix eft ferme , & fon organe a
du timbre. On diftingue dans fon chant de
la jufteffe , de la précifion & de la facilité :
quant à fon jeu , il eft éloigné d'être
fait , mais on y remarque de l'intelligence
& une habitude de la Scène déjà affez étendue.
En travaillant à perfectionner fon goût,
nous croyons qu'elle peut devenir une Cantatrice.
Nous croyons encore qu'en donnant
un peu plus de nobleffe à fa démarche &
à fon maintien ; en foignant fa gefticulation ,
qui eft fouvent brufque & monotone , elle
deviendra auffi très utile comme Actrice
dans les rôles du genre paftoral , & même
dans le genre comique .
Le 24 Mai , Mmc d'Erville a débuté par
le rôle d'Iphigénie dans l'Iphigénie en Tau
ride de M. Gluck.
On ne fauroit refufer à cette Débutante
de l'intelligence , de l'âme , de l'ufage &
134
MERCURE.
même du goût ; mais ces qualités , quoique
très précieufes , ne fuffifent pas pour former
un fujet propre à jouer la Tragédie. Il faut
encore y joindre une phyfionomie mobile
& fufceptible d'expreffion , de la nobleſſe
& de la grâce ; enfin , un organe ferme , &
capable de fe prêter aux éclats qu'exige fouvent
le genre tragique. Soit timidite , foit
impuiffance , Mme d'Erville nous a paru
dénuée de ces derniers moyens. Au furplus,
elle a été mandée par l'Adminiſtration de
l'Opéra ; elle a débuté fans répétition , &
malgré la foibleffe de fa poitrine , malgré
l'embarras inféparable d'un début , elle a
mérité des applaudiffemens. Si l'effai qu'elle
vient de faire ici n'eft pas fuivi d'un heureux
fuccès , il ne fauroit lui être défavantageux.
Le meilleur tableau perd beaucoup
de fon prix quand il n'eft pas placé dans fon
jour.
COMEDIE FRANÇOISE.
UN Homnie de Lettres , dont les talens
font connus , vient de nous adreffer quelques
obfervations fur le compte que nous
avons rendu de l'Homme Dangereux. Nous
croyons qu'il eft de notre franchife & de
notre honnêteté d'en mettre le réfultat fous
Jes yeux de nos Lecteurs . On nous reproche.
d'abord d'avoir dit : Valère a la bêtife de
fe laifferfurprendrepar les fauffes confidences
DE FRANCE. 135
d'une Soubrette , &c. On relève l'expreffion
bêtife ; elle eft , dit - on , choquante. Ne
nous brouillons pas pour des mots. Quoique
tout le monde fache que tous les jours
on fait une bêtife fans être ce qu'on appelle
une bête ; quoique la manière dont
nous nous fommes expliqués fur l'Homme
Dangereux foit très- éloignée d'annoncer l'in
tention d'être défagréable à fon Auteur ,
nous conviendrons volontiers que nous pouvions
nous fervir d'une autre expreflion ;
que mal- adreffe , imprudence , indifcrétion.
auroient rendu notre idée tout aufli bien ,
plus décemment même fi l'on veut. Comme
nous n'avons pas & que nous n'aurons jamais
le defir d'infulter , une déclaration de
cette eſpèce ne nous coûte rien . Mais on
veut excufer l'imprudence de Valère . Nous
croyons que cela n'eft pas très - facile. Examinons.
On prétend que cette imprudence
eft motivée quatre ou cinq fois dans le premier
Acte de la Pièce. On ajoute qu'en parlant
de Valère , Julie dit à Marton : Il aura
cru me plaire ; & Marton lui répond :
Eh ! Madame , tant mieux .
Le traître avoit auffi trouvé grâce à mes yeux.
Mais , puifqu'en fa faveur il nous croit prévenues ,
Que fon erreur du moins foir utile à nos vûes.
Il faut l'entretenir , & , fans changer de ton ,
Flatter fa vanité pour le perdre.
On cite encore ces vers de la même Marton ;
136 MERCURE
Mon efpoir le plus sûr eft dans fon caractère,
Il me croit avec lui naturelle & fincère.
On impoſe aisément à la fatuité ,
Et l'indifcrétion ſuit la méchanceté.
Si l'imprudence de Valère eft une faute ,
ajoute- t- on , on fait qu'au tribunal de la
faine critique , unefaute que l'Auteur a eu le
mérite de pallier, eft à moitié pardonnée. Cette
réflexion eft vraie à certains égards , mais
elle merite des exceptions. D'ailleurs , il eft
des fautes qu'avec toutes les reffources de l'efprit
, il eft abfolument impoffible de pallier.
A quelque point que la mechancete puiffe
rendre indifcret , eft - il naturel qu'elle egare
un homme juſqu'à lui faire dire à une fille
honnête qu'il veut époufer : Mademoiselle , il
faut imaginer une atrocité capable de perdre
Dorante dans l'esprit d'Oronte. Un libelle
qu'on auroit l'adreffe de lui attribuer , produi
roit l'effet que je defire.Ce libelle eft tout prêt,
on l'imprime ; j'en fuis l'auteur : aidez- moi
à calomnier Dorante , & je vous épouse ?
C'eft là plus que de l'indifcrétion , c'est un
défaut de fens impardonnable ; c'eft de l'extravagance.
Les méchans font très fouvent
indifcrets , fans doute ; aufli ne font- ils pas
toujours fort dangereux ; & c'eft un homine
dangereux que M. Paliffot a voulu peindre.
Valère peut- il paffer pour l'être , quand il fe
démafque avec tant de légèreté & d'imprudence
? Nous ne croyons pas que rien
puiffe pallier une faute de cette efpèce ; nous
DE FRANCE. 137
le croyons de bonne foi , & nous le répé
tons avec la même franchiſe qui nous a engagés
à donner de grands éloges à d'autres
parties de l'Ouvrage de M. Paliffot.
On cherche encore à nous démontrer que
M. Pamphlet ne tombe pas des nues pourfor
mer le dénouement. Dès le premier Acte ,
dit- on , on doit foupçonner qu'il interviendra
dans l'action , lorfqu'on entend dire à
Pafquin :
Mais à Monfieur Pamphlet il faudra de l'argent ,
& que Valère répond avec humeur : 11 en
aura. On doit , dit - on encore , en être sûr
quand Marton dit au commencement du
troisième Acte :
Il s'agit maintenant de déterre Pamphlet,
Répondons. 1 °. Le vers de Pafquin au
premier Acte ne m'annonce pas plus Pamphlet
, & l'annonce même beaucoup moins
que tout ce qui fe dit de Mme Lifimon dans le
Glorieux n'annonce ce Perfonnage dont on
parle fans ceffe, & qui ne paroît pas . 2° . Intervenir
dans l'action , c'eft être utile à l'action
, c'est être un des refforts qui la font
marcher. Ce n'eft pas intervenir dans une
action , que d'arriver à la fin d'une Comédie
pour tirer un Auteur d'embarras , & brufquer
un dénouement. Qu'on ouvre le Méchant
, qui n'eft sûrement point un chefd'oeuvre
de conduite , & l'on verra que la
Soubrette de cet Ouvrage prépare bien
128 MERCURE.
plus adroitement les moyens qui doivent
lui faire connoître l'écriture de Frontin &
le Copifte des libelles imaginés par Cléon
Sans obftination , fans humeur nous per
fiftons dans nos critiques , & nous prenons
pour juges entre M. Paliffot & nous , tous
les gens inftruits des principes de l'Art.
Nous n'avons pas befoin de dire que cette
petite querelle ne fauroit altérer l'eftime
que nous avons juftement conçue pour les
talens de M. Paliffor...
COMÉDIE ITALIENNE.
LE 24 Mai , on a remis la Surpriſe de
l'Amour , Cordie en trois Actes & en
profe , par Marivaux.
99
"
33
Trahi par une Maîtreffe qu'il adoroit ,
Lélio a pris les femmes en averfion.
" Quand quelqu'un , dit-il , me vante une
femme aimable & l'amour qu'il a pour
» elle , je crois voir un frénétique qui me
fait l'éloge d'une vipère , qui me dit
qu'elle eft charmante , & qu'il a le
» bonheur d'en être mordu.... Femmes ,
» vous nous raviffez notre raifon , notre
liberté , notre repos ; vous nous raviffez
à nous-mêmes , & vous nous laiffez vivre !
Ne voilà - t-il pas des hommes en bel
état ! Des pauvres fous , des hommes
» troublés , yvres de douleur & de joie ,
» toujours en convulfions , des efclaves ; &
"
&
DE FRANCE. 139
» à qui appartiennent ces esclaves ? A des
» femmes ! Et qu'eft - ce qu'une femme ? »
Malgré ces difpofitions & l'amertume de
ces plaintes , une Comteffe, qui, de fon côté,
croit n'avoir pour les hommes que de l'indifférence
& du mépris , infpire de l'amour
à Lélio , & en prend elle - même pour lui .
Arlequin , Valet de Lélio , & Colombine ',
Suivante de la Comteffe , jouent à- peu - près
les mêmes rôles que leurs Maîtres ; tandis
que d'un autre côté Jacqueline , fervante de
Lélio , & Pierre , neveu d'un Fermier de la
Comteffe , s'aiment de bonne- foi , fe font
demander réciproquement à leurs Maîtres ,
& donnent ainfi lieu , fans le favoir , aux
entrevues , aux converfations amoureuſes ,
aux explications & au dénouement .
Cette Comédie fut repréfentée en 1722
au Théâtre Italien. Cinq ans après Marivaux
en fit repréſenter une au Théâtre François
fous le même titre , & prefque fans fuccès.
Il y a plus de vraisemblance dans l'action
de la feconde , plus de fentiment , un
meilleur ton que dans la première . Mais
celle- ci eft plus comique , les fituations en
font plus variées , plus originales ; les oppofitions
en font mieux faifies , & produifent
un effet plus heureux. L'une paroît avoir
befoin du Théâtre pour être agréable , &
l'autre gagne , fur- tout aujourd'hui , à être
lue dans le filence du cabinet.
#
Les rôles de celle qu'on vient de remettre
à la Scène , ont été très - bien rendus
140 MERCURE
par Mefdemoiſelles Pitrot , Raymond &
Carline. M. Carlin a été charmant dans le
rôle d'Arlequin. M. Granger a repréſenté
le Perfonnage de Lélio avec une fupériorité
de talent qui a été remarquée par tous
les ordres des Spectateurs. Il eft impoffible
de mieux faifir les nuances qui diftinguent
l'expreffion relative aux Scènes où Lelio
brufque d'abord , devient infenfiblement
poli , inquiet, galant, amoureux & tendre . Le
moment où ce jeune homme laiffe échapper
malgré lui les traits qui annoncent combien la
Comteffe a fait de progrès dans fon coeur , a
excité les applaudiffemens les plus généraux
& les plus vifs : en un mot , M. Granger
par ce feul rôle , auroit pu fe faire la réputation
d'un excellent Comédien , & la mériter.
Nous parlerons dans le prochain Mercure
des Mariages Samnites & de la Comteffe de
Givry.
SECOND
GRAVURES.
ECOND Volume des Antiquités d'Herculanum ,
numéros 1 & 2. Chaque Cahier contient douze
Planches in - 4 ° . au prix de 9 livres , & de 6 livres
in- 8°. On foufcrit pour cet Ouvrage chez David ,
Graveur , rue des Noyers , n° . 17. Jufqu'ici nous
n'avons pu entrer dans aucun détail particulier fur
cette Entrepriſe ; nous y reviendrons tôt ou tard ;
elle mérite d'être favorablement accueillie par ·les
Amateurs de Gravures , & fur - tout par tous ceux
qui étudient l'Antiquité dans les Monumens échappés
aux ravages de nos barbares ancêtres .
DE FRANCE. 141
Deux Médaillons en plâtre , repréfentant l'Impératrice
de Ruffie , le Comte & la Comteffe du Nord.
Prix , 15 fols chacun . A Paris , chez Lauraire , rue
des Prêtre: S. Germain. On trouve à la même
Adreffe une Collection très- nombreuſe de Médaillons
en tous genres.
Clorinde & Tancrède au moment de leur combat
particulier , Eftampe de 14 pouces & demi de largeur
, fur 19 & demi de hauteur , gravée par Porporati
, d'après le Tableau de Carle Vanloo . Prix ,
16 liv. A Paris , chez la Veuve Sachy , Place Dauphine.
Correction , élégance , fini précieux , voilà ce
qui diftingue les Ouvrages de Porporati , & ce qu'on
retrouve dans cette nouvelle Eftampe. Il travaille
à une feconde qui fera pendant , & qui eft relative
au même fujet.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
Les Jardins, ou l'Art d'embellir les Paysages,
Poëme , par M. l'Abbé de Lille , de l'Académie Fran
çoife , Volume in - 8. & en petit format. A Paris ,
chez Valade , Imprimeur-Libraire , rue des Noyers ;
& à Reims, chez Cafin , Libraire.
Hiftoire de Charlemagne , précédée de Confidérations
fur la première Race , & fuivie de Confidérations
fur la feconde , par M. Gaillard , de l'Acadé
mie Françoife , 4 Vol. in- 12. A Paris , chez Moutard
, Imprimeur - Libraire , rue des Mathurins . On
trouve chez le même Libraire , 1 °. le Numéro CC
des Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque ,
Volume in - 8 °.; 2 ° . un Eſſai fur l'Architecture
Théâtrale , ou de l'Ordonnance la plus avantageufe
à une Salle de Spectaeles , relativement aux Principes
de l'Optique & de l'Acoustique , avec un Exa142
MERCURE
men des principaux Théâtres de l'Europe , & une
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, par M. Fatte , Architecte , Volume in- 8 ° .;
3 °. l'Authenticité des Livres , tunt du Nouveau que
de l'Ancien Teftament , démontrée , & leur véridicité
défendue , ou Réfutation de la Bible enfin expliquée.
Volume in- 8 ° .
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couper la Vendange dans tous les pays & dans toutes
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quai des Auguſtins ,
& Traité de la peine de mort , traduit de l'Italien de
M. Paolo Vergani, fur la feconde Edition de 1780 ,
&fuivi d'un Difcours fur la Justice Criminelle , par
M. Coufin , Avocat du Roi , &c. Volume in - 12. A.
Paris , chez Guillot, Libraire , rue de la Harpe ; à
Rouen , chez Labbey ; & à Dieppe , chez Dubuc.
Tuvres choifies de Piron , Vol. petit format ;
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de cet Auteur , par M. de Chamfort , de l'Académie
Françoife , même format. A Paris , chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
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par les Comédiens François en 1782 , par M..
Laignelot , in- 8 ° . Prix , 1 livre to fols. A Paris ,
chez Demonville , Imprimeur- Libraire , rue Chrif
tine .
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A Paris , chez Servière , Libraire , rue S. Jean de
Beauvais. Le même Ouvrage eft également imprimé
in-8 °. 7 Vol . avec figures . Le dernier Volume fe.
vend féparément. On trouve à la même adreffe une
Analyfe raifonnée du Droit François par la comparaifon
des difpofitions des Loix Romaines & de celles
DE FRANCE 148
de la Coutume de Paris , fuivant l'ordre des Loix
Civiles de Domat , avec un Texte de la Coutume
de Paris , dans lequel les articles font rétablis dans
L'ordre que les Réformateurs leur ont donné , par
M. Gin, Confeiller au grand Confeil , Volume
in-4°.
Première Partie du Tome XV de l'Histoire ancienne
des Hommes , in- 12 & in- 8 ° . A Paris, chez
M. de la Chapelle , rue Baffe du Rempart.
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chez Morin , Imprimeur- Libraire , rue S. Jacques ;
Efprit , Libraire , au Palais Royal ; & chez l'Auteur ,
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Tome III du Recueil d'Epitaphes , par M. D. L.
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Guide , ou Manuel dans le Traitement des Maladies
les plus graves & les plus fréquentes , Volume
in-8°: Prix , 4 liv . broché. A Paris , chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguftins.
L'Evantail, Poëme en quatre Chants , par M.
Milon de Liege , in - 8 ° . A Paris , chez la Veuve
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques ; Defenne ,
Libraire , au Palais Royal .
Journal de Clavecin.
LE fuccès du Journal de Harpe a déterminé l'Éditeur
à publier, fous la même forme , un Journal pour le Clavecin
& le Piano - Forte. Il eft compofé chaque année ,
comme le Journal de Harpe, de 12 cahiers de 8 pages
chacun. On y trouve des Ouvertures , des Airs de Ballets ,
des Rondeaux , des Pots- Ponrris , des Airs de Chants
avec accompagnemens , de petites, Pièces , & c. Tous ces
morceaux font l'ouvrage des meilleurs Maîtres ; la variété ,
Ja nouveauté , le bon choix & l'exactitude font les qualités
744
MERCURE
que l'Éditeur de ce Journal fe propofe d'y réunir. Les
Airs de Chant feront toujours différens de ceux du Journal
de Harpe , & fur des paroles de la plus exacte décence.
Les cahiers de ce Journal paroiffent exactement le 15 de
chaque mois . Le prix de l'abonnement , pour les 12 cahiers
, eft de 15 liv. pour Paris & pour la Province , franc
de port. Chaque cahier fe vend féparément 2 liv. On ſoufcrit
à Paris chez M. Leduc , Marchand de Mufique , rue
Traverfière Saint-Honoré , au magafin de Mufique. On
recevra , en foufcrivant , les cinq premiers cahiers qui font
prêts à paroître. Le premier contient l'ouverture du peric
Soupé , Opéra Comique de M. D. L. C. , arrange par
M. Maréchal ; un nouvel Andante de M. Edelman , & un
Rondeau arrangé par M. Camille. Le fecond , un Air varié
d'Hayden à 4 mains ; un Air de Chant , avec accompagne
ment , de M. Kuffner ; & un Air des Ballets , arrangé par
M. Prati. Le troifième , l'ouverture de l'Eclipfe totale , par
M. D. L. C. , arrangé par lui-même ; un Air des Ballets
de Théfée , de M. Goffec , arrangé par M. Mehul , Élève
de M. Edelman . Le quatrième , des Pots- Pourris de M.
l'Abbé le Bugle , un Air d'un Oratoire de M. Goffee ,
avec accompagnement de M. Hulmandel ; un Air d'Orphé
& un Air de Ballet de Théfée , arrangé par M. Prati. Le
cinquième, l'Ouverture de Colinette à la Cour , arrangé
par M. Fodor ; Romance de M. Edelman ; un Air de Bal
let de Colinette à la Cour , arrangé par M. Vion , & un
Rondo de M. l'Abbé le Bugle.
TABLE.
V₁
97 rêts , 128
131
ERS à M. le Comte du Code Pénal des Eaux & Fo
Nord ,
Recherches fur la coutume de Ifocratis Opera omnia ,
faluer quand on eternue , 101 Académie Koy. de Mufiq. 133
Enigme & Logogryphe , 106 Comédie Françoiſe ,
Hiftoire dela Maifon de Bour- Comédie Italienne ,
bon ,
108 Gravures ,
122
Les Aveux d'une jolie Fem- Annonces Littéraires,
me ,
134
1,8
140
143
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Juin. Je n'y al
xien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
Je 14 Juin 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 JUIN 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Préfentés au Grand Duc de Ruffie , pendant
fon féjour à Lyon.
ILLUSTRE Voyageur , dont l'active jeuneſſe
Voyez
Dans l'art des Rois veut fe former ,
fur nos remparts ,, que vous favez charmer,
Éclater les tranfports d'une vive alégreffe ;
Le François eft fait pour aimer:
Sams fortir de nos murs , vous pouvez le connoître
Un grand Homme , un Héros , fur fon coeur a des
droits ;
Il aime fur-tout les grands Rois ;
Jugez s'il fait chérir fon Maître.
Aux rives du Wolga , lorfque de vos Sujets
No. 25 , 22 Juin 1782
146 MERCURE
Votre préfence un jour caufera le délire ,
Vous vous direz , peut-être avec quelques regrets :
ce En France , quand je voyageois ,
» J'étois déjà dans mon Empire. »
ACHEVEZ de remplir vos glorieux projets.
PIERRE vit nos climats ; vous marchez fur fes traces ;
Vous aurez de plus grands fuccès ;
Vous voyagez avec les Grâces .
(Par M. Andrieu. ')
ÉPITRE à M. BARDIN l'aîné , à Sens.
TRANSFU
RANSFUGE de la Capitale ,
Apoftat du facré Vallon ,
Envers nous , envers Apollon
Votre inconftance fe fignale ,
Et vous confirmez mon foupçon.
Je ne voudrois pas être au rang
de vos maîtreffes ,
Vos fermens de m'aimer fe perdroient dans les airs
Chaque femaine à nos adreſſes
Vous deviez m'envoyer votre profe & vos vers :
Quel eft l'effet de vos promeffes ?
Dans l'été de vos ans vous vivez fans defirs ;
Enfeveli dans la Province
Vous dédaignez nos goûts , nos jeux & nos plaiſirs :
Laiffez les Écrivains d'un mérite trop
mince
Perdre le fruit de leurs loirs,
Mais vous , enfant chéri des Mufes ,
DE FRANCE. 147
Vous qui , fur le Parnafe , auriez peu de rivaux,
Parlez : quelles font vos excuſes
Pour ceffer vos doctes travaux ?
Par quelle farouche manie ,
Quand vous avez quitté nos bords ,
N'êtes-vous plus fenfible aux raviffans accords
De la poëtique harmonie ?
Si vous aimez la folitude ,
Si tous vos goûts font endormis ,
Faut-il , en renonçant aux charmes de l'étude ,
Oublier auffi vos amis ?
( Par Mde de Beaumarets. )
RÉPONSE de M. BARDIN l'aîné à
l'Építre précédente.
DANS une morne indifférence ,
Dans un apathique repos ,
Thémire , il eſt trop vrai , fans foins , fans eſpérance ,
Laiſſant la gloire à mes rivaux ,
Je méditois dans le filence . :
Loin de vous j'exiſtois fans goûts & fans defirs ;
Mais votre Épître enchantereſſe
Vient m'arracher à ma pareſſe
Et renouveler mes plaifirs.
Quels accords raviſſans votre mufette exprime !
Pupille heureuſe d'Apollon ,
Vous allez fur la double cîme
Gij
'148
MERCURE
Immortalifer votre nom .
Les doctes Filles de mémoire
Ne défavoûroient pas vos vers ingénieux .
** Des Lafuze & des Villedieux-
Déjà vous partagez la gloise.
Le fon de votre voix a réveillé mes fens ,
Et porté dans mon âme une ivreffe nouvelle
Je ne puis toutefois agréer votre encens ;
Votre portrait n'eft pas fidèle .
Dans les vers que vous m'adreſſez ,
Vous me peignez comme un modèle ,
A l'inftant que vous m'effacez.
Suivez le goût. qui vous infpire ;
Tranfmettez votre efprit à la postérité ,
Le précieux talent d'écrire
Ajoute encore à la beauté.
C'est peu pour vous de plaire, au printems de votre âge,
Par l'enjoûment de votre efprit ;
Une Belle qui nous inftruit
Nous intérelle davantage ;
Et puifque je n'ai plus l'eſpoir
D'entendre votre voix qui fut trop me ſéduire ;
S'il ne m'eft permis de vous voir ,
Que du moins je puiffe vous lire.
Mais , de grâce , ceffez de me croire inconſtant ,
Je n'ai jamais paffé pour l'être ;
Éprouve - t'on ee fentiment
Lorfque l'on a pu vous connoître ?
Ah ! quand reviendrez -vous , délicieux momens ?
DE 149 FRANCE.
Combien ici je vous regrette!
Loin des arts , fombre Anachorette ,
Je vois s'envoler mes beaux ans.
Votre amitié par fois ( il eſt vrai ) me ranime ;
Et quand pour me louer vous empruntez des Dieux
Le langage le plus ſublime ,
Je m'imagine encor contempler vos beaux yeux.
Si ce plaifir touchant pouvoit ne pas
Pour accroître ici ma gaîté ,
fuffire
S'il falloit être fourd aux cris de la fatyre
Pour trouver la félicité ,
Je me fouviens qu'à votre école
J'appris qu'en tous lieux , en tout temps ,
Avec les morts & les favans ,
Le fage aifément fe confole
De l'injuftice des vivans .
RÉPONSE à un Impromptu écrit avec du
crayon rouge , remis à l'Auteur en fortant
de la Séance publique de l'Académie de
Nanci , & qu'il n'a pas pu lire. *
EN m'honorant d'un Madrigal Aatteur ,
Vous vous couvrez d'une voile impénétrable.
* M. François de Neufchâteau avoit récité à cette
Séance la Traduction en vers des Ve & VIe Chants de
Roland Furieux.
Gii)
150 MERCURE
Votre écriture à peine eft déchiffrable ,
Et je n'ai pu voir les traits de l'Auteur.
POUR me tirer de ces Hieroglyphes
Qu'en traits de feu traça votre crayon ,
J'implore en vain ce lumineux rayon
Qui fait trouver le mot des Logogryphes.
Ou puis - je donc , par un juſte retour
Vous adreſſer ma voix reconnoiſſante ?
Quelle eft la Fée invifible & puiffante
Qui veut ainſi ſe dérober au jour ?
On fait qu'Ajax dit à Dicu dans Homère :
Rends- nous lejour & combats contre nous.
Je ne prends point ce ftyle téméraire
Des efprits forts , des Héros & des fous.
MAIS je vous dis , fur un ton moins ſublime,
Tel qu'à ma Mufe il convient de l'avoir :
Trève d'éloge , ô Déeffe anonyme,
Et laiffez-moi vous entendre & vous voir!
( Par M. François de Neufchâteau , Lieutenant-
Général du Siége Préfidial de Mirecourt. )
DE FRANCE. ISI
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft l'Ombre ; celui
du Logogryphe eft Bûcher , où l'on brûloit
le corps des morts. Le Bûcher eft un tout
compofé de bûches , & le Bûcher fubfifte
juſqu'à ce qu'il n'y ait plus de bûches à brûler.
Ce mot s'entend auffi du lieu où l'on
ferre les bûches.
ÉNIGM E.
PLACÉE entre le ciel & toi ,
Homme , de toi je tiens mon ministère ;
Et , ce que je donne à la terre ,
C'eft d'en-haut que je le reçoi.
Je te fers en rampant , ( qu'importe la manière ? )
Mais ton utilité n'eft pas ma feule loi.
Propice encore à Bellone , à l'Amour ,
Dès que l'aftre qui nous éclaire
Sur l'horifon a terminé ſon tour ,
Et qu'à d'autres climats il porte la lumière ,
Je favorife les ébats
D'un peuple de vauriens affez peu délicats ,
Efpèce amoureufe & guerrière ,
Qui , battant , careffant dans la même carrière ,
Se multiplie au milieu des combats.
(Par M. Pat *. )
Giv
132 MERCURE
LOGOGRYPHE.
VAUX-TU favoir , Lecteur , mon nom ,
Je
domicile ?
mon
peux te contenter , & rien n'eft plus facile.
Mon domaine eft par- tout ; je fuis en tous climats
L'attribut du Guerrier , le foutien des États.
Rien ne me fait trembler ; animé par la gloire ,
Je brave le péril , j'enchaîne la victoire.
On compte en moi fept pieds : par eux tu trouveras
Ce qu'on sème au Printemps dans un terrein trop gras ;
Ce que tout Voyageur craint en rafe campagne ;
Le métal qui foutint & qui perdit l'Eſpagne ;
Ce que voudroit cacher femme dans fon été ;
Et le premier vaiffeau que la mer ait porté ;
Ce qui foutient la tête ; un ton de la Mufique ;
Ce que jadis fit fondre un Général punique ;
Ce qui gâte le vin , au dire d'un buveur ;
D'un oiſeau la priſon ; un mal qui fait horreur ;
Voilà mes qualités & voilà ma figure ;
Mon nom eft un fecret que garde le Mercure .
( Par M. Leg.... Avocat au Parlement. )
DE FRANCE. 1537
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TRIBUT de l'Amitié , ou Épître à feu
M. l'Abbé de la Serre , fuivie d'une Lettre
fur fa Mort , inférée dans le Journal de
Paris.
J'aurois encor beaucoup à dire ,
L'efprit n'est jamais las d'écrire
Lorſque le coeur eft de moitié.
A Lyon , & fe trouve à Paris chez les
Marchands de Nouveautés .
Nous avons déjà eu occafion de parler
avantageufement de M. Bérenger. Cette
Epître , qui fait honneur à fon coeur , n'eſt
point indigne de fon talent aimable. Si elle
manque de cette liaifon infenfible des idées ,
de cet accord de toutes les parties qui fait
le principal intérêt d'un Ouvrage , on y
trouve des morceaux écrits avec foin &
agrément . L'Auteur , élève & ami de M.
l'Abbé de la Serre , lui a adreffé cette Epître
pour le féliciter de la fituation heureuſe dont
il commençoit à jouir lorfque la mort l'a
enlevé.
Abbé docte & charmant , aimable pareffeux ,
De qui la lyre enchantereffe
Rend des fons fi mélodieux ,
Gv
754
MERCURE
Tu viens donc de fixer la volage Déeſſe !
Un filet du pactole a comblé tous tes voeux ,
Et va dorer chez tɔi les fables du Permeſſe.
Peut être cette image eft- elle un peu recherchée.
L'efprit ne gate jamais rien ; mais
le petit efprit déplaît toujours ; il fait l'effer
d'une prétention mal fondée au furplus ,
l'Auteur , à l'occafion de la préférence que
M. l'Abbé de la Serre avoit donnée à Lyon
fur Paris pour y fixer fon féjour , fait une defcription
de la Capitale , où l'on remarque
de grandes beautes.
J'ai vu ces deux Cités , je préfère la tiente ;
Je préfère les Arts verfant dans nos États
L'or du riche Cadix , de Lisbonne & de Vienne ,
Au luxe dévorant , au faftueux fracas ,
A ce contrafte enfin de molleffe & de gêne ,
Dont mon coeur eft bleſſé dans la moderne Athêne.
Tout trompe dans Paris . J'ai cru que les plaifirs
Floient les jours heureux de fon peuple volage :
Quelle erreur ! je n'ai vû par- tout que des martyrs.
Par-tout règne l'ennui ; l'impotent perfonnage
S'affied , bâille , & s'endort au fond d'un équipage
Qu'emportent fix courfiers émules des zéphirs.
L'ennui s'étale en loge ; à la Cour il voyage;
Là , le bonheur d'autrui nourrit fes déplaifirs
•
O capitale ! ô gouffre immenfe
DE FRANCE. 155
Où viennent s'engloutir tant de jeunes vertus !
Où dans les pièges de Plutus
Trébuche tous les jours l'étrangère innocence ;
Chars effrontés que l'opulence
Confacre aux Nymphes de Vénus !
Boulevards & jardins fi brillans , fi connus ,
Où le vice s'étale avec tant d'imprudence !
Tandis que l'honnête indigence ,
Ne recueillant que des refus ,
Pleure & maudit fon exiſtence
A lá porte des parvenus.
Quels tableaux vous m'offrez ! pourquoi les ai- je vus ?
On pourroit fans doute faire un tableau
plus attrayant de la Capitale ; mais ce n'e--
toir pas l'objet de l'Auteur , & fes couleurs
n'en font pas moins belles ni moins poétiques.
Des idées plus douces contraftent bien
tôt avec ces teintes fombres.
Jouiffez de vous-même & du bonheur d'autrui.
Aimez à partager votre nouvelle aifance ;
Ces plaifirs font les feuls que refpecte l'ennui.
Soyez le bienfaiteur de l'obfcure indigence.
O d'une âme fenfible aimable volupté !
Plaifir toujours nouveau quoique toujours goûté ,
Doux plaifir de donner , d'épandre fes largeffes ,
Toi feul tu fais fentir le vrai prix des richeffes !
Il doit être fi doux pour l'Auteur d'un bienfait ,
De rencontrer les yeux de l'heureux qu'il a fait,
De s'entendre bénir par la reconnoiffance!
Gvj
156
MERCURE
On reconnoît dans ces vers l'aimable faci
lité que nous avons déjà louée plufieurs fois
dans les divers Ecrits de M. Bérenger.
SATYRES DE JUVÉNAL , traduites par
M. Dufaulx , Ancien Commiffaire de la
Gendarmerie , de l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles- Lettres , & de celle
de Nancy. Seconde Édition. Vol . in- 3 ° .
A Paris , chez Lambert & Baudouin
Imprimeurs Libraires , rue de la Harpe ,
près S. Côme , 1782.
Ce n'eft plus le bon goût feulement qui
dicte aujourd'hui les jugemens dans la Litté
rature : le bon ton & la mode ont étendu
leur empire fur les Lettres depuis que les
gens du monde les cultivent , & depuis que
les Hommes de Lettres fe font répandus
dans le monde. Eft ces un mal , eft- ce un
bien ? C'eft une queſtion qu'on agite beaucoup
depuis quelque - temps , parce qu'on
ne demande pas mieux que d'avoir des queftions
à agiter ; qu'il eft bon d'en changer au
moins de fiècle en fiècle ; qu'on étoit auffi
un peu las de difputer fur la prééminence de
Corneille & de Racine ; & que d'ailleurs des
hommes d'une modération rare & d'une
grande impartialité avoient trouvé que Racine
& Corneille avoient tous les deux beaucoup
de génie. C'eft la mode , depuis quelque-
temps , de faire peu d'eftime des Traducteurs
; l'Auteur de la plus mince BroDE
FRANCE. 157
chure croit avoir créé quelque chofe lorfqu'il
a répété en mauvais François ce qui a
été dit mille fois en un François excellent ;
& fi vous lui demandiez fon avis fur une
très-bonne Traduction de Juvénal , d'Horace
& de Tacite , il pourra vous répondre :
fi vous traduifez toujours vous ne ferezjamais
traduit. Ces paroles font de Montefquieu ;
& avec ces paroles & fa Brochure , il fe
croira un génie auffi original que l'Auteur
des Lettres Perfannes. Rien n'eft fi commun
que ces gens qui , de très bonne foi , fe perfuadent
avoir tout l'efprit qui eft dans leurs
citations ; qui croyent verfifier comme Boi
leau , parce qu'ils parlent toujours de Boileau
, ou plaifantent comme Voltaire, parce
qu'ils ont loué très- fouvent le talent de Vol.
taire pour la plaifanterie. Les véritables
Gens de Lettres font trop éclairés pour
avoir de ces illufions de l'amour-propre.
L'amour- propre n'aveugle à cet excès que
ceux qui n'ont point de lumières . Ce mot
des Lettres Perfannes, que l'envie de nuire a
cité i fouvent , n'étoit qu'une plaifanterie
de Montefquieu ; & l'on peut voir dans la
Préface du Temple de Gnide , quelle eftime ce
grand Homme faifoit des Auteurs de bonnes
Traductions. A la renaiffance des Lettres ,
ce font les Traductions qui forment le bon
goût ; à leur décadence , ce font les Traductions
qui peuvent le conferver . Dans tous les
temps elles entretiennent , elles réveillent le
goût des bonnes études , l'amour de l'anti158
MERCURE
quité , fans lequel il n'y aura jamais que des
talens médiocres dans les conftitutions mo
dernes. Pour peu que les Traducteurs ayent
le fentiment des beautés de leurs modèles ,
ils tranfporteront toujours dans notre langue
quelques - unes de ces richeffes de ftyle
qui croiffoient dans les langues anciennes
comme fur leur fol naturel.
Si on excepte la belle Traduction de Lucrèce,
par la Grange, & celle de la Pharfale ,
par M. Marmontel , nous n'avons point dans
notre langue de Traduction en profe des
Poëtes Latins qui ait eu autant de fuccès que
celle de Juvénal.
Le Difcours Préliminaire qui parut à la
tête, fit plus d'honneur encore à M. Dufaulx.
Il y apprécioit le talent & la morale des Satyriques
Latins , fur tout de Juvénal & d'Ifo
race ; tous les jugemens étoient d'un homme
de goût & d'un homme de bien. Le carac
tère de Juvénal étoit tracé avec éloquence ,
& cette éloquence étoit celle d'un homme
qui fentoit fortement la vertu. Des connoiffeurs
parurent craindre que M. Dufaulx
n'eût montré trop de préférence pour Juvénal
, & n'eût pas affez fenti qu'Horace eft
un modèle bien plus parfait. Cette crainte
n'étoit pas fondée . M. Dufaulx préfère le
goût d'Horace & la morale de Juvénal ; &
l'on voit par- tout que s'il n'aimoit pas mieux.
encore la vertu que le talent , les préférences
de fon goût feroient toutes pour Horace.
Ce Difcours , qui n'avoit que 40 pages
DE FRANCE. 19
dans la première Édition , en a 175 dans
celle ci . On ne pardonne guère d'allonger un
Ouvrage , à moins que tout ce qu'on ajoute
à fon etendue , n'ajoute encore beaucoup à
fon mérite. Plus on eft long , plus on eft
obligé d'être parfait . M. Dufaulx n'a rien à
redouter de la févérité de ce principe de jugement
du Public. Son Difcours eft un nouvel
Ouvrage , & l'on ne fent qu'il eft plus
long , que parce qu'il donne plus de plaifir
& plus de lumières .
Parmi les chofes que M. Dufaulx a ajoutées
au Difcours , nous avons diftingué ce
qu'il dit du caractère moral d'Horace & du
talent de Perfe.
Ces deux morceaux font d'un homme de
Lettres qui a de la philofophie , & l'un &
l'autre font très piquans par leurs réſultats .
Après avoir bien cherché le caractère mo→
ral d Horace , il fe trouve qu'Horace n'avoit
point de caractère moral. Dans un vers il
refpire la molleffe & la volupté d'Épicure ,
& quelques vers après il s'arme de toute
l'âpreté de la vertu des Stoïques : le Courtifan
& le Flatteur adroit d'Augufte parloit
quelquefois comme Caton ; mais il faut entendre
M. Dufaulx lui- même.
" Il a autant de maximes pour les ambi-
" tieux que pour ceux qui favent fe con-
» tenter de leur fort . Tantôt il invite à re-
» chercher la fociété des grands & des ri-
» ches ; tantôt il avoue que leur commerce ,
fi doux en apparence quand on les voit de
160 MERCURE
loin , eft redoutable en effet quand on les
approche de trop près. Ouvrez fon Livre,
» au hafard , vous y verrez qu'il exalte tour-
" à - tour l'opulence & la médiocrité , la
» modération de l'âme & fon activité dans
la pourfuite des honneurs ; qu'il y vante
& la foupleffe d'Ariftippe & l'inflexibilité
» de Caton. »
*
M. Dufaulx ajoute , comme fi le coeur pou
voitfuffire aux affections les plus contraires...
Hélas ! oui , il peut y fuffire , & c'eſt même
là fa nature. Celui qui n'a jamais que les
mêmes opinions & les mêmes fentimens , a
dû faire de grands efforts avant de fe rendre
ainfi maître de l'inconftance de fon efprit &
de fon coeur. L'homme eft un être merveilleu
fement vain , divers & ondoyant , a dit Montagne
. Le portrait que ce Philofophe fait de
Phomme, reffemble beaucoup à celui qu'Ho
race fait de lui - même. Il ne faudroit pourtant
pas en conclure qu'Horace & Mcntagne
fe reffemblaffent beaucoup. Mais celui
qui combat les paffions & les foibleffes , &
celui qui s'y abandonne peuvent les connoître
également.
Сс
Ce qui lui concilie le plus grand nombre
de Lecteurs , c'eft que la plupart ne
» le trouvent ni trop vertueux ni trop vi-
» cieux ; c'eft que l'extrême indulgence dont
» il ufe à propos , montre plutôt un ami
» qu'un cenfeur ; c'eft encore parce que les
" aveux qu'il fait fi fréquemment mettent
» tout le monde à l'aife. ›»
30
箭
DE FRANCE. 161
Il y a bien de la fagacité dans cette vûe ;
c'eft raifonner fur les matières de goût en
homme qui connoît le coeur humain ; &
fans cette connoiffance , on n'aura jamais
qu'un goût médiocre & de routine.
Boileau à dit :
Perfe , en fes vers obfcurs , mais ferrés & preffans ,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.
Aujourd'hui , quoiqu'on y trouve peu de
mots , on y trouve moins de fens encore : ce
n'eft pas ainfi qu'il eft beau d'être précis . On
ne doit pas être furpris que l'on difpute fur
le mérite de Perfe , on difpute même fur le
fens de fes vers. Si on le lit dans deux Traductions
différentes , on eft tenté de croire
que ce font deux Poëtes différens . Mais il me
femble que , puifqu'on peut l'expliquer de
tant de manières diverfes , il eft clair qu'on
ne l'entend d'aucune manière . Cafaubon
vouloit le mettre au - deffus de Juvénal , &
même d'Horace ; & , pour y parvenir , il fit
un Commentaire de plufieurs Volumes fur
les fept cent vers de Perfe. Cela n'étoit pas
trop adroit : Cafaubon ne voyoit point que
faire tant de commentaires fur un Auteur ,
c'eft prouver qu'il eft inintelligible par les
efforts même que l'on fait pour le faire entendre
; & , quoi qu'on en diſe , on admire
peu ce qu'on ne comprend pas. M. Dufaulx
peut faire plus de tort à Perfe que ceux qui
l'ont attaqué jufqu'à préfent : on fe contentoit
de dire qu'il eft obfcur ; mais un Écri162
MERCURE
vain , fur- tout un Écrivain ancien , peut être
obfcur & avoir cependant de grandes beautés.
L'aftre qui nous éclaire n'en eft pas
moins le foleil lorfqu'il fe couvre de nuages.
M. Dufaux s'y prend mieux. Il apprécie le
talent de Perfe par les chofes que tout le
monde entend , fur lefquelles les Commentateurs
& Traducteurs font tous d'accord ;
& il lui reproche de n'avoir jamais de
gaîté , quoiqu'il ait toujours la prétention
d'en avoir; d'être fuccinct plutôt que précis ,
c'est - à - dire , d'être précis , parce qu'il eft
ftérile ; d'avoir écrit des Satyres fans avoir
étudié le monde , fans tâcher même de pein
dre l'homme corrompu par la fociété; de
laiffer enfin le vice & le ridicule en paix .
pour établir des principes de Stoicifme dans
un fiècle où la morale la plus douce & la
plus indulgente auroit paru une pédanterie.
On peut demander comment il eft arrivé que
tant de Savans , tant d'hommes de goût &
d'efprit fe font obftinés à commenter, à lire ,
à traduire un Poëte qui a tant de défauts ,
& qui eft fi difficile à comprendre : précifément
comme il arrive que des gens de goût
& d'efprit s'obſtinent quelquefois à trouver
le mot d'une énigme qui eft mal faite & mal
verfifiée. Perfe eft une énigme en fept cent
vers ; & puis , c'eft une énigme qui nous
vient de l'antiquité. Mais n'y a- t'il donc rien
de beau dans Perfe ? M. Dufaulx ne dit point
cela : il y admire des vers philofophiques
qui peignent la vertu avec cette majefté que
DE FRANCE. 763
les Antonin & les Marc- Aurèle lui donuèrent
depuis fur le trône de l'Empire. Perfe reffemble
à ces Oracles qui , au milieu d'un
langage enveloppé de ténèbres , laiffoient
échapper des mots dignes de fortir de la bouche
des Dieux.
Au refte , il eft impoffible que l'opinion
de M. Dufaulx puiffe bleffer ceux qui en
ont une contraire : c'eft une affaire de goût ,
& il propofe fon avis avec la politeffe & les
égards que le bon goût infpire. Il donne fes
raifons en donnant fon avis ; s'il a tort , il
n'en fera que plus facile à combattre ; car
on le peut toujours fi une raifon eft bonne
& mauvaife.
Le parallèle de Juvénal & d'Horace mériteroit
d'être cité en entier ; & comme tout
s'y tient , chaque morceau perdroit trop à
être cité en particulier. Il n'eft pas poffible
de mieux démêler fur- tout l'adreffe de la
compofition d'Horace ; cet art qu'il eut de
ne louer que des vertus que les grands & les
riches penſent avoir ; de faire grâce , même
en les attaquant , aux vices que la puiffance
& la fortune donnent ; de faire enfin de la
faryre même un inftrument de flatterie pour
le Tyran qui avoit détruit la liberté publique
, & pour des Miniftres affez éclairés
pour fentir que , dans une Monarchie naiffante
, les vices aimables & polis font un
bon reffort pour le Gouvernement . Le glaive
de Marius , de Sylla & des Triumvirs n'avoit
profcrit que les hommes vertueux ;
164
MERCURE
la paix , le repos , les voluptés & les talens
de la Cour d'Augufte devoient profcrire les
vertus mêmes.
Nous ne fommes pourtant pas toujours
de l'avis de M. Dufaulx dans les traits où il
croit trouver les exemples de cet artifice de
la compofition d'Horace. Dans la Satyre fur
la Nobleffe , par exemple , Horace dir ,
qu'avant Tullius , qui , d'efclave , devint Roi ,
on avoit vû des hommes de baffe extraction
s'élever , par leurs vertus , aux plus hautes
dignités , & il ajoute :
Contrà , Levinum , Valeri genus , unde Superbus
Tarquinius regno pulfus fugit , unius affis
Non unquam pretio pluris licuiffe , notante
Judice , quo nofti populo ; qui ftultus honores
Sapè dat indignis , & fama fervit ineptus ,
Qui ftupet in titulis & imaginibus.....
Nous citerons la Traduction de M. Dufaulx.
ود
« Tandis , au contraire , que Valerius
» Levinus , defcendant de celui qui chaffa
Tarquin le Superbe , n'auroit pas été eſti-
» mé quatre deniers fi on l'eût mis en vente ;
» c'eſt du moins le jugement qu'en portoit
» le peuple, ce peuple que vous connoiffez ,
» qui difpenfe follement les honneurs à
» ceux qui les méritent le moins , qui n'o-
» béit qu'à l'opinion , & fe laiffe éblouir
par des images & par des titres.
"
و د
M. Dufaulx cite ces vers pour prouver
DE FRANCE. 165
qu'Horace , lorfqu'il attaquoit un homme
d'une famille illuftre , prenoit bien garde de
bleffer le corps entier des Patriciens ; &
qu'en immolant ce Levinus , qui defcendoit
des Valerius Publicola , il le fépare des no
bles , & l'entoure de victimes fubalternes
qu'il facrifie en même temps , à peu près
comme on en ufoit aux funérailles des an
ciens Rois des Scythes. La comparaiſon eft
ingénieuſe , mais l'idée principale de cette
obfervation ne nous paroît pas jufte. Ce
n'eft pas attaquer bien cruellement le peuple
que de lui reprocher fon admiration
pour la Nobleffe ; & ce reproche qu'il lui
fait eft bien plutôt une fatyre violente du
corps entier des Praticiens ; c'eft les ménager
bien peu affurément que de leur dire que
la ftupidité feule peut fe laiffer éblouir de
leurs titres & de leurs images ; & voilà ce
que leur dit Horace . S'il y a quelque adreffe
dans ces vers , elle confifte en ce qu'il a l'air
d'attaquer le peuple , lorfque c'eft l'orgueil
de la Nobleffe qu'il immole. On pourroit
trouver, je crois , plus d'un exemple de cette
adreffe dans les Satyres d'Horace,
Nous pourrions combattre de même quelques
autres obfervations particulières du
Difcours de M. Dufaulx ; mais cela n'empêche
pas que ſes vûes générales ne nous
paroiffent le plus fouvent juftes , quelquefois
neuves , & toujours intéreffantes . Ce
Difcours fuppofe des études qu'on ne fait
plus aujourd'hui ; on croit que l'efprit fup
166 MERCURE
pléé à tour , & l'on ne fonge pas que l'efprit
eft rare , que le meilleur ufage qu'on en
puiffe faire , c'eft de l'exercer à fentir & à
produire les beautés des grands Écrivains de
l'antiquité ; qu'enfin , il eft difficile d'avoir
plus d'efprit que La Fontaine , Racine &
Boileau , & que ces grands Hommes étudioient
pourtant fans ceffe les grands Hommes
qui les avoient précédés.
3
>
Nous ne citerons rien de la Traduction
de Juvénal ; on doit l'avoir affez lue dans
la première Édition pour la bien connoître.
Les changemens que l'Auteur y a faits
portent fur des textes dont le fens eft douteux
, fur des mots dont il a mieux fait
fentir l'allufion à des ufages anciens , fur
des liaiſons qu'il n'avoit pas affez marquées ;
ces changemens font du Critique plutôt
que de l'Écrivain. Quant à ce qui regarde
le talent de rendre les beautés & le caractère
des beautés du modèle , l'Ouvrage eft
tel à-peu-près qu'il étoit dans la première
Édition , qui a eu du fuccès. Il parut il y a
un an , à -peu-près , une autre Traduction de
Juvénal ; on en mit quelques morceaux à
côté des morceaux correfpondans de la
Traduction de M. Dufaulx ; on n'en a
plus parlé depuis.
Les Notes de M. Dufaulx font quadruplées
au moins dans cette nouvelle Édition.
Ces Recherches favantes , pour expliquer le
fens de quelques vers , ont fervi de prétexte
à des efprits fuperficiels pour jeter du ridi¬
DE FRANCE. 167
cule fur l'érudition ; mais quand ces Recherches
font faites par de bons efprits ,
elles n'éclairciffent pas feulement le fens de
quelques vers ; elles fervent à faire mieux
connoître l'Antiquité , & cette connoiffance
vaut bien une plaifanterie , à fuppoſer
même que la plaifanterie foit bonne.
Nous finirons cet Extrait par une réflexion
qui s'eft préfentée à nous très - fouvent
en parcourant cette feconde Édition. La
première a réut , & cependant M. Dufaulx
a prefque fait un nouvel Ouvrage de
la feconde. C'eſt un bel exemple à donner
à ceux qui n'ont pu apprendre , par leurs
chûtes mêmes, qu'ils étoient reſtés loin de la
perfection.
DOUTES fur les Opinions reçues dans la
Société. A Amfterdam ; & à Paris , chez
Cailleau , Imprimeur- Libraire , rue Saint-
Severin , 1782. in- 12. de 124 pages.
Si ce titre donnoit l'idée d'un examen
fuivi & méthodique des principales opinions
reçues dans la Société , s'il paroiffoit
annoncer un Recueil de paradoxes raiſonnés
& une espèce de traité dogmatique de
l'opinion , il induiroit en erreur. C'eft un
Recueil de penfées détachées , mais raſſemblées
fous un certain nombre de Chapitres ,
comme le Livre de M. de la Rochefoucauld
& les Caractères de la Bruyère ; ces pensées
ont fouvent le mérite d'être contraires aux "
168 MERCURE
opinions reçues , & quelquefois celui d'y
être conformes , car enfin , le Public n'a pas
toujours tort.
Ce nouveau Livre de Maximes & de Caractères
, mais principalement de Maximes ,
a fur-tout le mérite rare de fe faire lire avec
beaucoup de plaifir , inême après la Rochefoucauld
& la Bruyère. On y fent un Auteur
nourri de ces deux agréables & profonds
Moraliftes , & qui n'eft cependant ni
l'un ni l'autre , mais lui - même ; qui obferve
avec les yeux & parle avec fon efprit , qui
ne prend de ſes modèles qu'un certain goût
général , & qui tire de fon propre fonds fes
agrémens particuliers ; qui fouvent fait voir
beaucoup & très- bien d'un coup- d'oeil , approfondir
en paroiffant effleurer , & être
neuf & original en traitant des fujets ufés.
Plufieurs de ces Maximes méritent de paffer
en proverbe.
98
r
S'il eft louable d'être indulgent , il eft
indifpenfable d'être juste.
On excufe toutes les fottifes , & pis en-
" core que des fottifes , par les bonnes in-
» tentions ; mais pourquoi tant de gens
» mal-adroits ofent - ils prendre fur eux
❞ d'avoir des intentions ?
و ر
"
99
"
» Vous jugez tous les gens que vous connoiffez
, difoit- on à une fort jeune perfonne.
Oui , répondit- elle , c'eft une préférence
que je leur donne fur les gens que
je ne connois pas.
» L'étude
DE FRANCE. 169
» L'étude des hommes ne fait pas conclure
pour eux.
Il ne faut pas avoir une grande habileté
» pour remarquer la plupart des défauts
» d'un Ouvrage ; mais il faut en avoir beaucoup
pour en fentir toutes les beautés.
» Le cominun des hommes a beſoin d'en ¨
» être averti.
»
" En ne difant du mal que des gens de
mérite , on ne paffe guères pour être
» méchant , & je le conçois , c'eft ne dire du
» mal que de fort peu de monde , & d'ailleurs
la critique du mérite trouve beaucoup
d'approbateurs . »
Sur cette dernière penfée on ne manquera
pas de prendre l'Auteur pour ce qu'on appelle
un Philofophe ou un Encyclopédiſte ;
on fera bien furpris s'il plaît un jour à l'Auteur
de fe découvrir.
Continuons de faire connoître du moins
le caractère de fon efprit & de fon talent.
"La réputation finira par défabufer de la
→ réputation.
93
33
130
»
Beaucoup de perfonnes paffent leur vie
à effayer d'apprendre , fans même acquérir
la capacité de fentir qu'elles font incapables
d'apprendre.
Fort peu de gens ont le courage d'ofer
être heureux.
» Toute perfonne qui penfe & qui parle
fortement eft , de droit , le fcandale des
petits efprits. "
Voilà encore une propofition qui paroître
Nº. 25 , 22 Juin 1782.
Н
170 MERCURE
inal fonnante aux ennemis des Philofophes.
En voici une qui devroit plaire à tout le
monde ; elle abonde en fens ; c'eft un chefd'oeuvre
de préciſion & vrai modèle dans
ce genre d'écrire .
Y
Le foible craint l'opinion , le fou la
brave , le fage la jugë. »
Si jamais maxiine a mérité de paſſer en
proverbe , c'eſt celle- ci ; elle contient toute
la théorie de l'honnête homme fur ce qui
concerne l'opinion.
>>
Les efprits médiocres doivent s'en tenir
» aux règles ; elles ont été faites pour eux.
Juger n'eft pas médire ; c'eft ce que
beaucoup de gens ne favent pas diftinguer.
" On confond fort fouvent & fort injuf-
» tement celui qui dit tout ce qu'il penfe
» avec celui qui dit tout ce qu'il fait.
ود
و د
» L'homme ennuyeux n'eft pas le for
qui ne parle point , mais le for qui parle.
La dévotion n'a jamais produit plus
d'hypocrites que n'en ont produit la
bonté & la fenfibilité. La fauffe bonté
» eft odieuſe ; la feinte fenfibilité n'eſt que
ridicule. Les femmes excellent à jouer ces
» deux Comédies , où quelques hommes
ne dédaignent pas d'être Acteurs.
ور
32
Il n'y a pas une perfonne d'efprit qui
puiffe fe promettre de donner le ton dans
un cercle , d'y être même écoutée , fi
feulement un lot s'y trouve.
Quand donc voudra- t- on s'appercevoir
» que le petit efprit eſt toujours mal penDE
FRANCE. 171
» fant , mal difant , & communément mal
» faifant?
33
"
» On reproche aux gens d'efprit d'être
dédaigneux ; les gens médiocres le font
» encore bien davantage ; car fi l'homme
d'efprit méprife quelquefois ce qui ne
l'atteint pas , l'homme médiocre ne man-
» que jamais de méprifer ce qui le paſſe.
ม
"
"
On ne féduit pas un fot , on le dompte.
» Il eft honteux à l'efprit de s'allier au
» ridicule ; c'eft un tort que le jugement
» ni le goût n'ont jamais . »
Il nous femble que Montagne , la Rochefoucauld
, la Bruyère ont peu didées plus
juftes , plus fines & mieux exprimées que la
plupart de celles qu'on vient de voir , furtout
que la dernière & les trois fuivantes.
" Le goût a des règles que l'homme de
goût ne bleffe point , foit qu'il les fache ,
» Toit qu'il les ignore.
"
99
5-93
» Le jugement difcerne le bon dans un
» Ouvrage , le goût y difcerne le meilleur.
Le goût pourroit plutôt fe paffer de
l'efprit que l'efprit ne peut fe paffer du
goût ; l'un & l'autre font rarement don-
" nés à mesure égale , & celui dont le goût
» eft an deffus de l'efprit n'eft pas le moins
bien partagé.
30
33
11 y a infiniment , & d'efprit & de goût
dans toutes ces obfervations
.
A préfent que la manière de l'Auteur eft
connue , il fuffit , pour piquer la curiofué
du Lecteur, d'indiquer les matières traitées
Hij
172 MERCURE
dans ce Livre . Il contient en tout vingtdeux
Chapitres , dont le premier n'a d'autre
titre que celui de Penfées diverfes , qui
n'annonce aucun fujet particulier : les autres
traitent des Domeftiques ; de la Singu
Larité , de la Bizarrerie & du Ridicule ; de
Homme impofant & de l'Homme impor
tant ; des Médecins & des Malades ; de la
Vieilleffe & dela Mort ; de la Beauté ; de
la Coquetterie ; de la Politeffe ; de l'Honnéjeté
, de la Société , de l'Amour propre ; du
Mérite & de l'Amabilité ; de la Reconnoiffance
& de l'Ingratitude ; de l'Avarice ; de
Ja Générofité & de l'Amitié; du Jugement ;
de l'Esprit , du Goût ; de l'Agrément ; du
Talent ; de la Converfation; de l'Éducation,
Ce dernier article n'eft point en Pensées
détachées ; il forme un Difcours très - bien
écrit , & qui a une forte d'éloquence telle
qu'en comporte le fujet, L'Auteur préfère
l'Éducation publique à l'Éducation particulière
, & donne de bonnes raifons de cette
préférence,
LECTURE du Matin , ou Nouvelles
Hiftoriettes en profe , par M. Imbert.
1 Vol. in- 8 °. A Paris , chez J. Fr. Baftien ,
Libraire , rue du Petit- Lion , près de la
nouvelle Comédie Françoiſe,
UNE grande partie de ces Contes a déjà
paru avec fuccès dans le Mercure de France.
En les raffemblant pour en former un Recueil
, l'Auteur a eu foin de toujours faire
t
DE FRANCE. 175
ཝཱ
fuivre un Conte ferieux par un Conté d'une
morale plus gaie , ce qui jette beaucoup de
variété dans cette Collection , & en rend
la lecture tout à la fois intéreffante , agréa
ble & utile. Nous difons unle , parce qu'en
effer quelques - unes de ces Hiftoriettes peu
vent préfenter des modèles de conduite ,
éclairer les perfonnes qui n'ont pas renoncé
à tous les fentimens d'honneur , fur les facrifices
qu'elles doivent s'impofer dans des cir→
conftances que la pofition actuelle de nos
moeurs ne rend malheureufement que trop
communes.
Comme il nous eft impoffible de faire
connoître tous les Contes qui compofent ce
Volunte , nous nous arrêterons à ceux qui
nous ont paru mériter une diſtinction parti
culière , & qui peuvent fupporter une analyfe
proportionnée aux bornes que l'étenduo
de ce Journal preferit aux articles que l'on y
fait entrer.
La Leçon inattendue , Anecdote. " Eulalie
» tomba dans la pauvreté après avoir vécu
» dans l'aifance . Il eft difficile de favoir être
" pauvre quand on ne l'a pas toujours été.
Eulalie fut l'être ; & tandis que fon vieux
père & un frère prefqu'aufli jeune qu'elle ,
défrichoient un petit terrein que leur avoit
donné le Seigneur d'un Village qu'ils avoient
choisi pour afyle , elle prenoit foin de leur
ménage ruftique comme fi elle étoit néc
pour cette occupation . Son père mourur.
La tendreffe qu'elle avoit pour fon frère fut
Hij
174 MERCURE
d'abord le feul fentiment qu'elle éprouva ;
mais fon coeur fenfible étoit fait pour l'amour.
Elle conçut aifément que dans la fitua
tion de fa fortune , elle ne devoit aimer
qu'un Payfan ; elle defira feulement que les
qualités de l'âme rendiffent fon amant digne
d'elle . Ses voeux furent accomplis , elle plut
à Georges , elle l'aima , & Georges méritoit
d'être aimé. Cependant le Seigneur du Village
étoit mort. Sainrive , fon fils , avoit recueilli
fa fucceffion , mais il n'avoit pas hérité
de fes vertus. René , c'eft le frère d'Eulalie ,
eut querelle avec un des gens de Sainrive.
Echauffé par le vin & par la colère , il
frappa fi rudement fon adverfaire , qu'on
le crût bleffé mortellement. Arrêté , jugé
comme affaffin , il eft fur le point d'être
condamné , lorfqu'Eulalie va le jeter aux
genoux de Sainrive , & demander la grâce
de René. Eulalie , dit Sainrive après
» l'avoir fait alleoir , je me fuis informé de
" tous les détails ; l'action de votre frère eft
très-criminelle; mais , avec d'aufli beaux
yeux que les vôtres , on peut fe Alatter de
faire abfoudre de plus grands coupables
encore. » Eulalie fe félicite d'abord , &
très- naïvement , du fervice que les beaux
yeux rendent à fon frère ; mais Sainrive
eft fi preflant , fes intentions deviennent
fi claires , qu'elle le repouffe doucement ,
& retombe à fes genoux. Ses larmes , les
fanglots , fes regards , tout ce qu'elle emploie
pour attendrir fon Seigneur , ajoute aux
DE FRANCE. -175
defirs dont il eſt dévoré. Il s'explique alors
fans aucun détour. " Allez , lui dit- il , je
vous laiffe y penfer; fongez à fauver vo-
" tre frère ; & Eulalie fortit en difant : je
» n'ai plus de frère. Tout le village eft
bientôt informé des projets de Saintive :
Georges & René font en proie aux plus
cruelles douleurs. La jaloulie s'empare du
premier , elle le déchire d'autant plus vivement
que fa délicateffe l'engage à la diflimuler
; & René fent qu'il faut mourir ou
voir fa foeur livrée à l'opprobre. Enfin Eu-
Jalie fornie le projet de forcer Sainrive à redevenir
honnête. Il lui demande un rendezvous
où il puiffe entendre fa dernière réponfe.
Elle s'y trouve. « Je viens , dit - elle ,
» obéir à la néceffité. » Elle lui demande
enfuire de faire parvenir une lettre à fon
frère, & de le faire élargir aufli tôt. Lui dire
un dernier adieu , voilà tout ce qu'elle paroît
defiter ; mais dans cette lettre , ainfi que
dans d'autres qu'elle avoit écrites d'avance, tant
à Georges qu'à un de fes amis , elle marquoit
que pour fauver fon frère , elle avoit confenti
à tout. A cette nouvelle , René , Georges
, les Villageois , tout le monde accourt
vers l'endroit où Eulalie s'eft arrêtée avec
Sainrive. Elle le prie de fe cacher derrière
un buiffon. « Georges arrive le premier......
Parjure , s'écria t'il , tu as donc abjuré ton
» amour & res fermens ! je te remercie au
» moins de te déshonorer en m'abandon-
» nant . Je me guérirai de mon amour par
ود
Il v
776 MERCURE
"
le mépris..... Le frère furvient ..... Sour
lâche & perfide , en m'annonçant ma
grâce tu m'annonces ton infârnie ! eft il
bien vrai Tu veux donc , pour recorr
noiffance de ton bienfait , emporter ma
» haine & ma malédiction !.... Plufieurs de
» fes compagnes arrivent & l'accablent des
30
reproches les plus humilians ..... Sainrive
» caché ne perdoit pas un mot de tout cet
» entretien... Oui , s'écrie Eulalie , je fuis
indigne de l'amitié de mes compagnes , de
» l'amour d'un frère , de la tendreffe d'un
» amant. Je fais un objet de mépris. Je fuis
vile, & je le fuis par mon choix. Auffitôt
s'élançant vers Sainrive : voilà , ditelle
, voilà ce que j'ai dû devenir pour
être à vous. Après cela , partons , » Cette
fcène éclaira Sainrive. Humilié , confondu ,
il propofa de réparer les torts , il les répara
& combla de bienfaits la femme eftimable
qui l'avoit rendu à la vertu.
20
99
Si le commencement de cette Anecdote
ne préfente guères que des fituations connues
, on peut dire que celle qui la termine
eft réellement neuve ; & qu'en effet il n'eft
point d'homme , qui , fans être abfolument
dépravé , puiffe réfifter à une pareille leçon .
On remarquera l'art de l'Auteur dans le
choix du perfonnage d'Eulalie. Il lui donne
d'abord une naiffance diftinguée , une belle
éducation , & c'est ainsi qu'il rend vraifemblable
& naturel le projet qu'elle forme &
qu'elle exécute ; bien différent en cela de
DE FRANCE. 177
quelques Romanciers modernes qui , fans
néceflité , ont fait des Villageois qu'ils ont
mis en fcène , des fages à prétention & des
Philofophes de College caractères de fantaifie
dont l'invraifemblance eft fi choquante
, qu'elle exclud, toute eſpèce d'in
terêt. L'exacte obfervation des convenances
eft un talent qu'on ne fauroit acquérir
qu'avec un efprit jufte & un goût très exercé;
& ce talent n'eft pas donné à tous les
Écrivains. Pauci quos aquis amavit Jupiser,
&c.
L'Engagement Imprévu , fans avoir un but
moral allez fortement indiqué , mérite néan
moins d'être connu . On en jugera par l'analyfe
que nous en allons faire.
La nature , l'éducation , la fortune , l'ef
prit & les talens s'étoient réunis pour rendre
d'Erimont un des plus aimables hommes
de la fociété. Aimé des belles , vainqueur
heureux & difcret , il parcourut bientôt
tous les degrés de gloire réfervés aux Héros.
du monde galant . Mais tout ennuie , jufqu'à
la gloire. D'Érimont éprouva bientôt las
fatiété des jouiffances. Dans un de ces mo
mens de lethargie il rentra chez lui le foir
avant l'heure du fouper. H y étoit feul. « Que
» dis- je feul : En fuivant le cours de fes
triomphes , j'avois oublié comme lui qu'il
éroit marié. Il eft temps que je m'en fou-
» vienne , car en ' jetant autour de foi un
regard de défoeuvrement , d'Érimonte
vient lui- même de s'en fouvenir . Mais à
33
و د
95
Hv
178
.
MERCURE
む
T
>
propos, dit-il, comme un homme frappé
» d'une réminiſcence imprévue'; & autlitôt
ayant appelé un de les gens , il lui ordonna
d'aller demander fi Mme d'Eri-
» mont étoit vifible pour lui . » Jeune , jolie
, devenue l'épouse d'un homme qui ne
lui avoit point infpiré d'amour , plus libre
qu'une femmé ne doit l'être dans les nauds
du mariage , Mme d'Érimont s'étoit jetée
dans le monde , elle y avoit trouvé des hommages
, peut - être même des jouiffances , fi
non pour fon coeur au moins pour fon
amour- propre. Le meffage de fon mari la
furprit , elle lui fit néanmoins dire qu'elle
le recevroit volontiers . D'Érimont vint
fut aimable , oublia l'heure & demanda à
fouper. Après quelques excufes fur la mauvaife
chère qu'il fera , on le retient . Le lendemain
il fe propofe de paffer fon avantfouper
chez Mae d'Érimont , qui étoit
légèrement indifpofée. Nouveau meſſage , &
même réponfe. Il fut plus aimable encore
que la première fois , oublia une feconde
fois l'heure du fouper. Invitation de la part
de Mme d'Erimont , acceptée par fon mari .
" Savez vous , dit- elle , au milieu du repas ,
20
{
qu'on ne devinera pas pour qui vous
" manquez votre engagement ? D'Érimont
fourit; & un moment après. Il faut ,
» lui dit if , Madame , que je vous faffe une
» confidence ,
vous trouverez peut-être
plus de franchife que de politeffe. Savez-
» vous qu'il n'eft pas croyable combien
14
DE FRANCE 179
» -
» vous avez gagné depuis votre mariage ?
Mon mariage , répondit Mme d'Erimont ,
» s'eft fait à peu près en même temps que
le vôtre. Vous avez raifon , Madame.
Mais vous n'avez pas d'idée de l'heureufe
metamorphofe qui s'eft opérée en vous
depuis ce temps- là. Vous aviez un air
» d'embarras ( pardon , Madame , ) un
» maintien de couvent..... C'est à ne vous
pas reconnoître. Ce n'eft pas- là l'efprit
" que vous aviez , vos traits même font
embellis. Eh bien , Monfieur , dit Mme
d'Érimont , fans vouloir vous rendre
» votre compliment , tout ce que vous avez
» dit là de moi , je le penfois de vous même.
» Mais en vérité , ajouta- t'elle en le repre-
» nant , fi quelqu'un écoutoit notre converfation
, on pourroit la trouver étrange.
Voilà prefque des douceurs , au moins.
"
Je vous jure , Madame , que vous n'êtes
» plus la même , & je le dirois .... devant
» des témoins , interrompit elle ? Ah ! cela
*
feroit fcandaleux. D'Erimont fe retira
tard , en propofant à Madame de venir le
lendemain prendre fon chocolat avec elle.
Le déjeûné fut charmant. Nouveau louper
pendant lequel la converfation devint fi
intéreffante , qu'on ne fe fepara que le matin .
Enchanté de la conquête, d'Erimont partit
avec elle pour la campagne. De retour à
Paris , il pouffa la témérité jufqu'à fe montrer
en loge avec fa femme. « Vous voyez ,
» dit l'Auteur , à quoi l'on s'expofe par un
Hvj
189 MERCURE
» feul moment de diftraction ; on s'engage
» infenfiblement fans y penfer ; & l'on ne
s'apperçoit du chemin qu'on a fait que
lorfqu'il n'eft plus temps de revenir fir
" * fes pas. "
335
و ر د
It nous femble que cette plaifanterie ne
termine pas heureufement le joli Conte que
nous venons d'extraire. Nous croyons qu'il
pouvoit amener des réflexions intéreffantes
fur la légèreté avec laquelle on s'engage dans
des liens dont dépendent le bonheur & le
malheur de la vie ; fur les dangers auxquels
un mari volage peut expofer une épouſe
jeune & aimable, quand il prodigue aux
pieds des femmes faciles ou des beautés à la.
mode, les hommages qui ne font dûs qu'aux
grâces & à la vertu réunies. Ce fantôme de
bonheur & de plaifir , après lequel courent
tant de maris infidèles , tandis qu'ils dédaignent
les jouiffances douces & pures
qu'ils devroient chercher dans l'engagement
qu'ils ont formé , pouvoit encore donner
lieu à des obfervations très- morales & plas
que jamais néceffaires. Peut être M. Imbert
a t'il craint de terminer trop ferieuſement
un Conte agréable ; mais on peut- être à la
fois moral & gai . Les Contes de Voltaire en
font une preuve inconteftable ; c'eft le inodèle
le plus parfait que puiffent choiſir les
Écrivains qui voudron: s'exercer dans ce
genre ; & l'on ne fauroit trop leur répéter ,
en les engageant à étudier le génie de ce grand
Homme ,
DE FRANCE. 181
Nocturna verfate manu , verfate diurnâ .
Nous regrettons de ne pouvoir faire con
noître plufieurs de ces Contes , qui font aujourd'hui
imprimés pour la première fois ;
mais , puifque les bornes d'un article nous
défendent de donner cette fatisfaction à nos
Lecteurs , nous en choifirons encore dont
le fonds nous paroît très - neuf, & l'intention
très utile.
Quel Ami! ou le rare Procédé, Anecdote.
Milcourt époufa Mile de Minval , comme
on époule aujourd'hui , c'eſt à- dire , qu'il lá
prit au parloir de fon Couvent pour la conduire
à l'autel. Mile de Minval n'apperçut
dans Milcourt que l'homme qui l'arrachoit
à l'esclavage , elle crut Faimer, elle lui donna
la main , & bientôt elle vit qu'elle s'étoit
trompée. Milcourt avoit pour amile Chevalier
de Clinfort , jeune homme doué de
toutes les qualités qui font tourner la tête
aux femmes , mais qui , fous l'extérieur d'un
homme du monde , cachoir une probité févère
, & même, le courage de la vertu. Il
prefenta fon ami à fa femme. Celle- ci conçut
de l'amour pour Climfort , qui , s'en étant
apperçu , forina le plus fingulier projet
qu'on ait imaginé dans pareille circonftance:
Il propofa à Mme de Milcour de fe fervir de lui
toutes les fois qu'elle auroit befoin d'un Cavalier
, & lui jura l'amitié la plus conftante ,
en lui promettant de fe retirer difcrètement
felle formoit quelque tendre engagement
182 MERCURE
Mme de Milcourt crut que, fous ce nom d'amitié
, Clinfort cachoit un fentiment plus tendre
; elle agréa fes fervices; & le jeune homme,
bien sûr de plaire , fe livra tout entier
à l'exécution de fon projet. Dans un tête à
tête , où Mme de Milcourt fut très- rendre ,
il amena la converfation fur l'article des
procédés. Sur ce point là , difoit- il , le
» monde eft inexorable. Il eft peu ſévère ſer
» la conduite d'une jeune femme , mais il
» eſt très - exigeant pour les égards qu'elle
» doit à fon mari , & une femine n'a guères
» de prétextes pour y manquer. C'est un
"
hommage qu'elle fe doit à elle- même , ſi
» elle a choifi fon mari , ou qu'elle doit à
» fes parens fi on le lui a donné. » Quelquetemps
après il la bouda , parce qu'elle avoit
parlé à fon mari avec beaucoup d'indifcrétion
& de légèreté. Quand l'occafion s'en
préfentoit , Clinfort parloit des agrémens
extérieurs de Milcourt , & forçoit fa femme
à en parler comme lui-même . Un jour , dans
un cercle , on loua beaucoup une action de
Clinfort, & Clinfort ne manqua pas d'en citer
une de fon ami , que tout le monde célébra
tout haut , même la femme . Une autre fois
on fit une partie de campagne où Milcourt
ne devoit pas être. Clinfort exigea que fon
ami en fût , & que fa femme elle- même
l'y invitât, Le mauvais temps força de joner .
Milcourt perdit beaucoup fans fe plaindre.
Clinfort perdit peu & fe facha beaucoup ;
& encore par l'adrelle du Chevalier , tour
DE FRANCE. 183
le monde convint tout haut que Milcourt
étoit le plus beau joueur du monde. C'eft
ainti qu'en s'immolant fans ceffe à fon ami ,
Clintort forçoit Mme de Milcourt à penfer
aux vertus de fon mari. Une Ducheffe , fameule
par la beauté & par fes aventures ,
prit du goût pour Milfort , mais en vain.
Clinfort le fut ; il apprit en même temps
que la Ducheffe s'étoit propofee de fe trouver
en tête à tête avec Milfort un jour qu'il
devoit aller vifiter un jardin fort curieux.
1 trouva le moyen d'y conduire Mme de
Milcourt , la plaça dans un cabinet dont on
pouvoit entendre tout ce qui fe difoit dans
Fallée où fon mari étoit attendu . La Ducheffe
fit à Milcourt les plus brillantes propolis
tions , entre autres celle de le faire nommer
à un pofte éminent occupé par Clinfort; à
la dernière de ces propofitions , il oppola fon
amitié pour le Chevalier ; il ne fut pas plus
fenfible à celle dont la Ducheffe s'occupoit le
plus chaudement. Sans vous oppoſer , lui
» dit-il , un engagement facré , l'amour feul
» me rend incapable de l'accepter.Je devrois
*
m'en défendre comine époux , je le fais
>> comme amant La Ducheffe fe retira
humiliée , mais affectant de rire. « Eh bien ,
Madame, s'écria le Chevalier , vous avez
entendu ? Voilà l'époux que vous auriez
trompé ! voilà l'ami que j'aurois trahi ! »
Ce peu de mots rendit Mme de Milcourt à
elle- même; elle aima fon mari ; « vécut
» heureufe en le rendant heureux & le
184 MERCU.RE
" 33
Chevalier, laiffa aux amis un bel exem
ple qui fera rarement fuivi.
Rien de plus rare , fans doute , que ke
pros
cédé du Chevalier de Climfort ; il doit même
paroître abfolument romanefque dans un
temps où l'on femble fe faire un jeu de fouler
aux pieds les principes les plus refpecrables
, & de méprifer les engagemens les
plus facrés , où les femmes , après avoir oublié
toute pudeur & toute décence , s'arment
d'une audace capable de faire rougir
les libertins les plus effrontés ; dans un tems
enfin où la bienfaifance & l'amitié ne font
que des mafques perfides fous lefquels fe
cachent les gens fans moeurs , afin de trom
per d'une manière plus sûre les malheureuxdont
ils ont furpris la confiance . Mais il
exifte encore des perfonnes faires pour fentir
qu'une vertu femblable à celle de M. de
Clinfort n'eft point une vertu chimériques;
& c'eft aux yeux de ces perfonnes , dont le
fuffrage eft infiniment flatteur , que cette
Anecdote intéreffante doit également hono
rer l'efprit & l'âme de M. Imbert. En vain
les coeurs dépravés voudroient- ils attribuer
les excès auxquels ils fe livrent à la force des
paffions & à l'afcendant de la beauté ; les
paffions des habitans des grandes villes ne
font guères que des goûts paffagers ; que les
fuites d'un libertinage érigé en fyftême . Quant
à la beauté , elle ne nous contraint point , dit
Xénophon , Livre cinquième de la Cyropédie
, à former des defirs criminels . Les petites
"
DE FRANCE.
ames font les feules qui , après s'être laiffe
fubjuguer par leurs paffions , ofent enfuite accufer
l'amour de la honte dans laquelle elles fe
font plongées.
( Cet Article eft de M. de Charnois. )
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mercredi 22 Mai , on a remis les
Mariages Samnites , Comédie en trois Actes
& en vers , mêlée d'ariettes , par M. de
Rofoy, mufique de M. Grétry.
Tout le monde fait que cette Comédie eft
tirée d'un des Contes de M. Marmontel. Ces
Contes font trop généralement connus , &
il y a trop de reffemblance entre l'action des
deux Ouvrages, pour qu'il foit néceffaire de
donner ici Fanalyfe de celui que M. de Rofoy
vient de traduire de profe en vers. Nous
allons feulement dire deux mots d'un perfonnage
dont à peine il eft queftion dans le
Conte de M. Marmontel , & auquel M. de
Rofoy a donné un caractère particulier . Nous
voulons parler d'Eliane , amante aimée du
jeune Parmenon . On fe rappelle que tous
les ans , les jeunes Samnites choififfoient leurs
époufes felon le rang que leurs vertus & leurs
exploits leur avoient donné dans les fafles
de la Patrie. C'étoit un ufage reconnu &
786 MERCURE
refpecté. Cet ufage révolte Éliane. Elle aime ;
elle s'indigne de ce qu'un autre que Parménon
peut acquérir des droits à la main ; de
ce que les hommes ont abufé des loix pour
foumettre les femmes à une fubordination
qui l'humilie ; elle éclate en murmures. Le
combat qui fe livre entre les Romains & les
Samnites eft auffi l'objet de ſes réflexions .
Pourquoi ne peut - elle pas , en fuivant fon
amour & fon courage , marcher fous les
étendards de la patrie , combattre pour elle
auprès de fon amant, au lieu d'attendre dans
les angoiffes de l'incertitude , l'iffue d'un combat
fatal peut- être à Parménon & à l'État ?
C'eft fous les yeux des Filles Samnites affemblées
& tremblantes qu'elle s'explique
ainfi . Elle fort. Au dénouement , on apprend
qu'un Guerrier inconnu a fauvé les jours du
Général ; quel eft il ? On le cherche fans le
découvrir. Éliane paroît le cafque en tête ;
c'eft à elle qu'on doit , en quelque manière ,
le falut de l'armée & la victoire. Éliane
épouſe Parménon .
Ce moyen eft éblouiffant , & il produiroit
de l'effet fi les refforts de l'intrigue faifoient
marcher l'action de M. de Kofoy
avec plus de clarté & de rapidité. Il en produit
peu , 1 °. parce que la marche du Drame
eft lente & monotone ; 2 ° . parce que chez des
peuples où la pudeur , la décence & la foumillion
font les premières vertus des femmes
, on ne voit point , fans une espèce de
chagrin , une jeune fille renoncer aux qua ,
DE FRANCE. 187
lités de fon fexe , pour ufurper celles qui
appartiennent aux hommes.
Quempraftare poteft mulier galeata pudorem ;
Quafugit àfexu ?
Au refte , ce n'étoit peut- être pas fur la
Scène Italienne qu'il falloit porter un pareil
fujet. Le genre héroïque ne peut s'allier avec
le bouffon. On l'a déjà dit plufieurs fois , il
faut le répéter. L'habitude du genre bouffon
exclud la nobleffe propre au grand
genre; & le moyen d'être médiocre dans
tous les deux , c'eft de s'obftiner à s'y exercer
tour- à- tour. Cette réflexion ne regarde que
les Comédiens.
La mufique de cer Ouvrage eft connue ,
& la réputation eft faite. Les morceaux neufs
que M. Grétry a ajoutés, font dignes des premiers
, & lui font honneur.
•< !} } ཞི
Le Mardi 4 Juin , on a donné , pour la
première fois , la Comteffe de Givry , Pièce
Dramatique de M. de Voltaire , en trois
Actes & en vers.
Une Mme Aubonne , chargée de nourrir
l'enfant de la Comtefle de Givry , a fubftitué
fon fils à celui de la Comteffe , qu'une maladie
grave avoit conduit aux portes du
tombeau. Elevé fous le nom du Marquis ,
Aubonne ne montre que l'âme & les
vices d'un fcélérat , tandis que le véritable
Marquis , elevé fous le nom de Charlot
188 MERCURE
fait briller toutes les qualités qui diſtinguerit
un grand coeur. Dans une querelle entre les
deux jeunes gens , le faux Marquis eft bleffé
& cru mort. La Comteffe , au défefpoir
pleure fur le fort de l'infortuné qu'elle croit
fon fils , une jeune & noble perfonne qui
aime en fecret Charlot , & qui alloit lier fon
fort à celui du faux Marquis , cherche à con
foler la trifte & malheurcafe mère. Tout fe
découvre. Mme Aubonne s'eft jetée aux gehoux
du Roi Henri IV ,lui a fait l'aveu de
fon crime , & le Duc de Bellegarde vient ,
par l'ordre de ce bon Prince , rendre le calme
& le bonheur à deux femmes défolées , un
fils à fa mère , & un amant à fa maîtreffe.
Il y a long-temps que cet Ouvrage eft inprimé
dans la Collection des OEuvres de
Voltaire ; il n'eft donc pas queftion de le
juger, puifqu'il l'a été par tous les Lecteurs
inftruits. Nous ne parlerons que de
l'effet qu'il a produit. On a entendu avec
attendriffement tous les traits de la vie de
Henri IV , tous les mots de cet adorable
Prince , dont l'Auteur a enrichi fon premier
Acte. On a fort applaudi les vers heureux ,
les mots plaifans qu'il a femés dans le fecond
Acté. Quant au troifième , il a excité un intérêt
général. Nous n'entrerons point dans
d'autres détails . Ce n'eft pas d'un Ouvrage
comme celui ci que peut dépendre la répurtation
d'un Ecrivain tel que Voltaire ; &
quand on auroit quelques obfervations cri-
Liques à faire fur cette production & fur
DE FRANCE. 189
quelques autres Comédies de ce grand
Homme , nous croyons qu'il faudroit le
contenter de dire , avec le bon La Fontaine
Chacun fon lot , nul n'a tout en partage.
GRAVURES,
I
H
ENRI IV laiſſant entrer des vivres dans
la ville de Paris qu'il tenoit affiégée , Eftampe gravée
par Patas , d'après le Tableau original peint à
gouache par M. Carefme. Prix , 3 liv.
Sully remettant l'argent de fes bois à Henri IV
pour foutenir la guerre contre la Ligue , Eftampe
gravée par le même Patas , d'après le même Peintre ;
elle fait pendant à la première, Prix , 3 liv. A
Paris , chez Crépy , rue S: Jacques , près celle de la
Parcheminerie ; & en Province , chez les Marchands
d'Estampes.
Les Dons merveilleux de la Nature dans le
Regne Végétal, Centurie feconde , Cahier feptième ,
contenant la Vic - d'Azir , le Comte du Nord , la
Grenadille , culotte de Suiffe , le Café fauvage en
fleurs , le Sang de Dragon , la Grimpante , la Daubenton
, le Bananier Bihaï , la Barelier & la Nouille
Incarnate , grand in folio , papier d'Hollande,
Prix , 18 livs. A Paris , chez M, Buc'hoz , Docteur
en Médecine , rue de la Harpe , en face de la Sorg
bonne.
-
Carte réduite de l'Océan Oriental depuis le Cap
de Bonne-Espérance jufqu'au Japon , ou Routier des
Indes , par M. d'Après de Mannevilette Prix , z liv.
Neptune Oriental , du même Auteur. Carte particulière
de l'Ile de Ceylan , par MM. Delifle &
190
MERCURE
Buache , premiers Géographes du Roi , & de l'Académie
Royale des Sciences. Prix , 1 livre
A Paris , chez Dezauche,, chargé de Entrepôt gé
S fols.
néral des Cartes de la Marine rue des Noyers,
près celle des Anglois.
Collection des Animaux du Règne Animal, con
tenant dix Cahiers , de chacun dix Planches , grand
in-folio , papier d'Hollande. Prix , 180 liv. enlumi
née, & 80 liv. fans enluminure ; par M. Buc'hoz ,
Docteur en Médecine . A Paris , chez l'Auteur , rue
de la Harpe , vis- à- vis la Place Sorbonne.
Neuvième Livraifon des Coftumes des Dignités ,
n°. 2 , relatifs aux quatre Facultés , in-folio. Prix ,
9 livres. A Paris , chez Duflos , Graveur , rue Saint
Victor , près de la Place Maubert.
Troifième Cahier des Arbres & Arbustes qui fe
cultivent en pleine terre , grand in-folio , papier
d'Hollande , avec enluminure. Prix , 18 livres. A
Parls , chez M. Buc'hoz , Docteur en Médecine , rue
de la Harpe , en face de la Sorbonne. - i
880
Premier Cahier de figures de différens Coftumes,
ornés de Payfages , contenant , 1 °.
l'Habillement
à la Henri IV ; 2 °. l'Habit de cheval à la Pallas ;
3. T'Habit Elpagnol ; 4. celui des Péruviennes ;
. & 6. ceux des Turcs de l'un & l'autre, fexe ,
format in-4°. Prix , 1 livre 4 fols chacune . A Paris
L
chez Papavoine , Graveur , rue Baillif, au coin de
la rue des Bons-Enfans.
ANNONCES
LITTÉRAIRES.
ESSAT
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fur les différens Fonds qui la compofent , avec la
Defcription des Bútimens & des Objets les plus
surieux à voir dans ces différens Dépôts. On y a
DE FRANCE. 191
joint la Lifte Hiftorique des Bibliothèques publiques
& particulieres de Paris , &c, 1 Volume in- 12
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3 liv. relié . A Paris , chez Belin , Libraire , me Saint
Jacques , Lejay , Libraire , rue des Petits- Champs ;
Bailly , Libraire , rue S. Honoré ; Efprit & Defenne ,
Libraires , au Palais Royal.
Le Vaporeux , Comédie en deux Attes & en
profe , par M. M. D. repréfentée par les Comédiens
Italiens , ie 3 Mai 1782 , in- 8 ° . A Paris , chez Brunet
, Libraire , rue Mauconfeil . On trouve chez le
même, le Poëte fuppofé , ou les Préparatifs de la
Fête, Comédie en trois Actes & en profe , mêlée
d'Ariettes & de Vaudevilles , repréſentée fur le
même Théâtre le 25 Avril 1782 ; paroles de M.
Laujon , mufique de M. Champein , in -8 ° . Prix ,
1 liv. 10 fols , avec les Airs de divertiffement notés .
Sur la Peinture, Ouvrage qui peut éclairer les
Artiftes fur la fin originelle de l'Art , & aider les
Citoyens dans l'idée qu'ils doivent fe faire de fon
état actuel en France , in- 12. Prix , 1 livre 4 fols.
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l'Auxerrois.
Numéros 12 & 13 du Plutarque François , par
M. Turpin , contenant la Vie du Marquis de Louvois
& de plufieurs Marins célèbres , in - 8 °. A
Paris , chez Deslauriers , Marchand de Papier , rue
S. Honoré, près la rue des Prouvaires .
t
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& traduites du Latin & du Ruffe , par M.
Lévesque , faifant fuite à la Collection des Mora
liftes anciens , petit format. Prix , 4 liv. 10 folsom
A Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur - Libraire ,
rue Pavée ; Debure l'aîné, Libraire , quai des Au
guftins.
192 MERCURE
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in 12. A Paris , chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés.
Traité des Loix politiques des Romains du temps
de la République , par . M. Pilati de Taffulo ,
2 Vol. in- 8°. Prix , 8 livres brochés. A Paris , chez
Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques.
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difpofent à faire leur première Communion , nouvelle
Édition parfaitement conforme aux précédentes,
in- 12. Prix , 2 liv. A Paris , chez Morin , Imprimeur-
Libraire , rue Saint Jacques . On trouve à la même
adreffe les trois Héroïnes Chrétiennes , ou Vies
édifiantes de trois jeunes Demoifelles , par M..
J'Abbé.... petit in - 12 . Prix , 1 livres fols.
N. B. Le nouveau Manuel de l'Arpenteur , par
M. Ginet , fe vend à Paris , chez Lamy, Libraire,
quai des Auguftins.
TA BLE.
VERS préfentés au Grand Satyres de Juvenal ,
Duc de Ruffie,
156
145 Doutesfur les Opinions reçues
dans la Société , Epitre à M. Bardin l'alné ,
à Sens ›
167
146 Lecture du Matin , 172
185
189
190
Réponse à un Impromptu , 149 Comedie Italienne ,
Enigme & Logogryphe , 151 Gravures ,
Tribut de l'Amitié, 153 Annonces Liuéraires ,
--APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Pario
121Juin 1782. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 JUIN 1782.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS à Mademoifelle de S ***.
EH quoi ! dans l'aimable faifon
Et des Ris & de la Jeuneſſe ,
Voulez- vous végéter fans ceffe
Entre la rime & la raifon ?
A les mettre d'accord enſemble
Confacrant vos plus beaux loifirs ,
Voulez -vous , rébelle aux defirs
Qu'autour de vous Hébé raffemble ,
Vous brouiller avec les Plaifirs ?
Voyez fur votre ſecrétaire
S'accouderles Grâces & les Ris ,
Et tous les enfans de Cypris
En grouppe à l'envi vous diftraire.
Que vous fervent de vains Écrits ?
Nº. 26 , 29 Juin 1782 ,
194
MERCURE
Vous ſavez tout , vous ſavez plaire
Hélas ! peut- être quelque jour
Serez-vous en butte à l'Envie.
A tout hafard , en cette vie ,
Muniffez-vous d'un peu d'amour.
Sapho , jadis en fon jeune âge ,
Fut Émule d'Anacréon : -
Le Dieu des vers cut ſon hommage ;
Mais les careffes de Phaon
L'intéreffoient bien davantage. Ca
Ah ! l'Amour eft un bien fi doux !
Įmitez mieux votre modèle,
1
Sapho fit des vers comme vous
Pourquoi ne pas aimer comme elle ?
Si Phaon lui fut infidèle ,
N'allez pas vous en fouvenir.
Ou ,
s'il faut que dans cette affaire
Vous envifagiez l'avenir,
Ecoutez un avis fincère ,
Et fachez , pour le bien fentir
Un axiôme un peu vulgaire
Vaut mieux faire & fe repentir
Que fe repentir fans sien faire,
( Par M. de Saint- Ange, )
DE FRANCE.
195
J
A Madame DE ROUCY , Abbeffe du
Paraclet , après avoir vu le Tombeau
d'Abeilard & d'Héloïfe.
DAN'S cet afyle révéré
Où repofe une illuftre cendre ,
D'an fentiment refpectueux & tendre ,
Quel coeur ne feroit pénétré ? -
D'un couple adorable & fidèle ,
J'y viens partager les malheurs
Qu'en ce moment tout me rappelle , `
Et jeter en paffant des fleurs ,
Cher Abeilard , fur ton urne immortelle.
Sous ces lambris facrés Héloïfe n'eft plus ;
Mais la plus digne des Abbeffes
Y retrace à mes yeux fes talens , fes vertus ,
Et n'a jamais eu fes foibleffes.
(Par M. l'Abbé Dourneau
LE MATELOT ET L'ENFANT , Fable.
UNEN Enfant vit un Matelot
Qui, conduifant fur l'onde une barque légère ,
Suoit de tout fon corps pour monter la rivière.
« Parbleu ! dit- il , cet homme eft un grand fot
» De ſe fatiguer de la forte,
Iij
196 MERCURE
» Comme fi l'eau n'étoit pas affez forte ,
Et qu'il fallût encor s'excéder de travail
» Pour conduire ce gouvernail !
Vous n'en êtes , barbon , qu'à votre apprentiffage .
A ces mots , voyant un bateau
Ifolé près de ce rivage ,
Le préfomptueux Jouvenceau
Y defcend , lève l'ancre , & vogue au gré de l'eaur
Jouet des flots la nacelle inconftante
Pour fon malheur trouve un courant ,
Et vers la mer s'enfuit rapidement .
Il veut lutter alors ; il rame , il fe tourmente
Et fe confume en impuiffans efforts ;
2
Déjà de l'Océan appercevant les bords ,
Il fe trouble , fuccombe au bout de fon haleine ,
Et la barque , en fuivant le torrent qui l'entraîne,
Le fait bientôt paſſer dans eclle de Caron .
L'Enfant , c'cft l'homme en proie à fes caprices ;
Le gouvernail , c'eft la raiſon ,
Et le torrent , ce font les vices.
(Par M. le Bailly, Avocat au Parlement,)
DE FRANCE. 199
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent.
LEE
mot de l'Enigme eft Gouttière ; celui
du Logogryphe eft Courage , où le trouvent
orge , orage , or , age , argo , cou , ré , roc
eau , cage & rage.
É NIG ME.
UNE confonne , avec les einq voyelles ,
Sans être oifeau , forment mon nom.
Jefuis ton fait , mon cher ânon ,
A me trouver fi tu chancèles .
LOGOGRYPHE.
L'AFRIQUE eft mon pays natal;
Je fais un très- laid animal ,
Mais j'ai la douceur en partage.
Mon chef à bas , je deviens un village.
( Par M. Roger le Boiteux. )
*
1i
198
MERACTURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES JARDINS, ou l'Art d'embellir les
Payfages , Poëme , par M. l'Abbé de
2Lille , de l'Académie Françoife , in- 18
the & in- 8° . A Paris , de l'Imprimerie de Philippe-
Denis Pierres , rue Saint-Jacques ,
1782 , & in -4 . de l'Imprimerie de
Didot l'aîné.
Voici le moment que In Critique attendoit
, pour fe venger de ce Dupeur d'oreilles
, dont le débit enchanteur la réduifoit
au filence ; c'eſt à préfent qu'elle peut dire :
Enfin il eft en ma puiffance,
Ce fatal ennemi , ce fuberbe vainqueur......
→ Je vais percer fon invincible coeur.
M. l'Abbé de Lille refpecte toutes les réputations
, applaudit à tous les talens , ménage
l'amour- propre de tout le monde ;
n'importe , on affligera le fien fi l'on peut ,
c'eſt la règle. Penfe t'il être impunément le
Poëte le plus aimable & le plus aimé ? Oh !
comine on va éplucher chaque fyllabe de
chaque vers ! Quelle jouiffance pour les
petits Cenfeurs ! nous leur fouhaitons le
plaifir qu'ils recherchent , celui de n'en point
avoir en lifant de tels vers ; pour nous , ce
plaifir ne nous touche pas , nous préférons
C
DE FRANCE. 196
"
>
celui d'être juftes & vrais, de fentir le mé
rite & de le louer : nous n'éprouvons pas le
befoin de punir l'Auteur de fes fuccès, & les
gens du monde de l'audace qu'ils ont eue
de juger avant nous , quoiqu'en général ils
ayent befoin d'être guidés dans leurs jugemens
par les gens de Lettres , & ils le font
toujours néceffairement , quoi qu'ils en penfent.
Nous avouons que le fuccès des lectures
particulières ne prouve rien , que celui
même des lectures publiques peut encore
laiffer des doutes ; nous n'applaudiffons
point aux vers de M. l'Abbé de Lille , parce
qu'ils ont été applaudis dans des foupers ,
ni parce qu'ils ont tranfporté d'admiration
& de plaifir une portion choifie du Public
aux Séances de l'Académie Françoife ; nous
les louons , parce qu'ils font beaux , parce
que le charme eft en eux , que nous le retrouvons
fur le papier comme dans la bouche
de M. l'Abbé de Lille; que chaque tableau
, chaque trait nous force de redire
avec Horace :
Molle atque facetum
Virgilio annuerunt gaudentes rure camena .
Diftinguons d'abord l'Ouvrage & le
Poëme l'Ouvrage eft un Traité folido &
favant fur l'art de créer & d'orner les jar
dins ; on peut dire du Foëme ce que La
Fontaine dit de l'Apologue ,
C'eft proprement un charme.
Le plan général eft fort fimple. Quatre
I iv
200 MERCURE
Chants. Le premier traite des Sytes & du
fol ; de la manière de corriger les défauts
du terrein , de ménager & de varier les afpects
, d'y mettre du choix , d'y répandre
de l'intérêt , du mouvement , de la vie , & c.
La comparaifon de Kent & de le Nôtre , da
genre régulier & ancien avec le genre moderne
& irrégulier ; enfin , la deſcription
du jardin d'Éden , d'après Milton , forment
T'épiſode de ce premier Chant.
Le fecond Chant fait connoître tout le
parti qu'on peut tirer des bois & des arbres
pour l'embelliffement des jardins ; l'épiſode
qui termine ce Chant eft l'O- Taïtien Potaveri
, retrouvant en France un arbre de fon
pays , embraffant cet arbre avec tranſport ,
& répétant avec des larmes de joie le nom
d'O-Taïti.
Les gazons , les fleurs , & fur-tout les
eaux , font le fujet du troifième Chant. La
defcription charmante du Moulin- Joli , celle
de la Fontaine de Vauclufe , & la peinture
des Amours de Pétrarque & de Laure , forment
des épiſodes parfaitement affortis au
fujet.
Dans le quatrième Chant , le Poëte enfeigne
la manière dont les Arts peuvent être
employés à orner les jardins ; il donne l'idée
de plus de goût , de plus de convenance
qu'on n'en a mis jufqu'à préfent dans cette
affociation des Arts avec la Nature. Le
Poëme finit par l'Éloge du Capitaine Cook ,
qui fert d'épiſode à ce quatrièine Chant. On રે.
DE FRANCE. 201
demandera quel rapport a le Capitaine
Cook aux Arts & aux Jardins. Le voici.
On a fouvent chargé les jardins, les bofquers,
d'ornemens fans intelligence , fans conve
nance ,
D'où vient que ces Naïades ,
Que ces Tritons à ſec fe mêlent aux Dryades ?...
Otez- moi ces lions & ces tigres fauvages ,
Ces monftres me font peur , même dans leurs images
Et ces triftes Céfars , cent fois plus monftres qu'eux ,
Aux portes des bofquets fentinelles affreux
Qui , tout hideux encor de foupçons & de crimes ,
Semblent encor de l'oeil défigner leurs victimes ;
De quel droit s'offrent- ils dans ce riant féjour ?
Montrez-moi des mortels plus chers à notre amour.
"'
Le Poëte defigne quelques - uns de ces
mortels aimés , Fénelon , Henri IV , Sully
le Capitaine Cook ; & comment proferer
le nom de cet homme courageux , bienfaifant
& utile , fans faire fon eloge ? Ce
éloge d'ailleurs eft auffi court qu'il eft jufte.
A ne confidérer cet Ouvrage que comme
un Traité fur l'Art des Jardins , l'Auteur au
roit déjà le mérite d'avoir fort approfondi
cet Art , d'avoir recueilli avec foin les idees
répandues dans les meilleurs Ouvrages com
pofés depuis peu far cette matière , d'y avoir
joint des obfervations fines & d'un goût
inftructif, d'avoir mis dans le plus beau
jour & exposé dans le plus bel ordre une
théorie lumineufe & favante , d'avoir pouffé
LV
202 MERCURE
la doctrine des convenances jufqu'aux nuans
ces les plus delicates , d'avoir donné aux
préceptes une évidence frappante , une utilite
fenfible , une précision parfaite & de
fens & d'expreffion , d'être forti enfin de
cette généralité vague de principes dans laquelle
le renferment & à laquelle fe bornent
la plupart des Poëmes Didactiques. Ici
tout eft fpécifié , détaillé , motivé ; c'eſt partout
la raifon qui parle & le goût qui ordonne.
Si on confidère le Potme , tout n'eft pas
defcription dans ce genre: effentiellement
defcriptif ; une fuite non interrompue de
peintures , même parfaites , fatigueroit &
ennuyeroit à la longue , comme l'obferve
M. de la Harpe , dans une Épître ou Poëme
fur la Poéfie defcriptive. Ici les tableaux font
coupés par des préceptes , par des réflexions ,
par des traits de fentiment , par des traits
d'efprit , par des allufions heureuſes , par
des fouvenirs intéreffans qui amènent un
récit , un épifode. A des tableaux férieux
fuccèdent des tableaux plaifans ; à l'éloge
des vraies beautés fe mêle un ridicule jeté
avec efprit & avec gaîté fur le mauvais goût
prodigué dans de jardins. La même in- tant
telligence que l'Auteur met dans fes préceptes
, il la met & dans l'ordonnance du
tableau général , & dans celle des tableaux
particuliers ; fes tranfitions font adroites
fes contraftes bien ménagés , de bon goût ,
point brufqués , point tranchans ; l'Auteur
>
DE FRANCE.
203
a pris pour lui la leçon qu'il donne aux
payfagiftes ,
Les contradictions ne font pas des contraftes.
La plupart des Poëtes Didactiques ( &
nous parlons des bons ) ont une gravité ,
une auftérité qui tient toujours le Lecteur à
la diftance qui met entre le Poëte & lui la
différence du maître à l'écolier . Le Poëte ,
renfermé dans fon fujet & dans lui - même ,
fier de parler le langage des Dieux , paroît
oublier s'il a des hommes pour Auditeurs
ou pour Lecteurs , il s'en fépare , il les perd
de vûe.doc
Catufque mortales , & udam
Spernit humum fugiente pennå.
M. l'Abbé de Lille caufe avec fon Lea
teur , il l'affocie à fes réflexions , à ſes fenfations
, à fes goûts , à fes plaifirs , & prefqu'à
fon génie : pour l'élever à foi , il defcend
jufqu'à lui ; il le met à fa portée, il lui rend
familières toutes les richeffes de l'imagination
& de la poéfic. Sans jamais s'abaiffer
jufqu'à la plaifanterie , qui dégraderoir le
genre qu'il traite , il a un enjoûment philofophique
, un badinage poétique , une gaîté
Françoife , qui n'en eft que plus piquante
pour être jointe à un goût antique. De tout
cela , il réfulte un charine qui fe fait toujours
fentir , & qui , produit par un defig
continuel de plaire , plaît continuellement.
Effayons de rendre fenfible, par un exemple,
1
Ivj
204
MERCURE
ce mêlange du gai & du beau dans un même
morceau. Rappelons les vers que nous avons
déjà cités :
Otez-moi ces lions & ces tigres fauvages.
Il femble que le Poëte donne un ordre à
un Ouvrier ; il dit la raiſon de cet ordre , &
cette raifon eft naïve :
Ces monftres me font peur......
Et ces triftes Céfars , cent fois plus monftres qu'eux..
Jufqu'ici le Poëte paroît s'égayer , & il
fait fourire ; tout en s'égayant il faifit le
pinceau de Tacite , & repréfente ces Célars
Tout hideux encor de foupçons & de crimes.
Il prend à Cicéron le defignat ad cedem
numquemque noftrum , & tous ces traits font
affortis , & c'eſt en badinant' avec fon Lecteur
qu'il l'élève fans effort à ces beautés :
profondes & fublimes. Et quel a été le paffage
du badinage aux beautés ? L'équivoque
du mot monftre , pris d'abord au phyfique ,,
& enfuite au moral..
"
Cette familiarité avec le Lecteur , dans un
fi grand Poëte , pourroit , comme dans un
grand Seigneur , s'appeler de l'affabilité.
elle doit du moins s'appeler de l'amabilité ;
auffi M. F'Abbé de Lille eft- il par excellence
le Poéte aimable..
De là vient qu'on entend fouvent dans
le monde des gens fans aucune connoiffance
de la poéfie & du jardinage , fans aucuns
DE FRANCE. 205
que
goût pour ces deux Arts , dire : Je n'aime
les vers de l'Abbé de Lille. C'eft qu'indépen
damment du mérite poétique , ils ont la
grâce de l'enjoûment , l'abandon de la converfation
& l'agrément de ce qu'on appelle
le bon ton, quand , par hafard, on attache une
idée à ce mot ; & c'est encore dans ce fens ,
qui n'eft pas celui d'Horace , qu'on peut ap
pliquer à M. l'Abbé de Lille le molle atque
facetum.
Ne Lougiffez donc point, quoique l'orgueil en gronde,
D'ouvrir vos parcs au boeuf, à la vache féconde ,
Qui ne dégradent plus ni vos pares ni mes vers.
Ce foin d'avertir en paffant, que des dé
rails & des noms champêtres , réputés ignobles
autrefois , lorfque le goût de la campagne
& de la culture étoit moins répandu ,
ne dégradent plus aujourd'hui la plus noble
poésie , eft encore une de ces converſations
familières du Poëte avec le Lecteur.
י
Mais pourquoi nous arrêter à ces légers
traits d'efprit, quand toutes les richeffes du génie
nous appellent & nous entourent ?
Quelle profufion & quelle charmante variété
de tableaux , les uns impofans, les autres
touchans , d'autres fimplement piquans , plufeurs
raffemblant tous ces divers caractères !
& , ſelon l'expreffion de M. l'Abbé de Lille :
Uniffant tous les tons pour plaire à tous les goûts.
Dans le premier Chant , la defcription de
Bagatelle , & le tribut de reconnoiffance
206 MERCURE
offert au grand & jeune Prince , créateur de
ce beau lieu ; la peinture de l'arbre , du frémiffement
que le vent excite dans fes rameaux
& dans fon feuillage , du mouve
ment & de la liberté qui doivent régner
dans les campagnes & vivifier les points de
vûe ; la defcription du cheval ; les détails
fur l'art de développer & d'animer une foule
de beautés qui , felon l'expreffion du Poëte,
dorment dans le fein de la Nature ; le morceau
fur la Grèce & l'Italie ; le ridicule jeté
fur les petits jardins fuperftitieufement fy-.
métriques ; la defcription des jardins de
Verſailles & de Marly , chef- d'oeuvres du
genre ancien & régulier , celle du jardin
d'Eden, qu'on prétend avoit été, dans Milton,
le premier modèle des jardins Anglois ou
irréguliers.
Dans le fecond Chant , la defcription des
arbres , des arbustes , des bois , des bocages
& de leurs différens effets ; les regrets éloquens
fur la chûte des beaux arbres de Verfailles
, le fouvenir touchant des amours
dont ils ont été les témoins & les afyles , &
des grands Hommes qu'ils ont vû tomber ;
la peinture de l'automne ; l'éloge de l'ufage
fi humain , fi fraternel, établi chez les Lapons,
de planter un arbre pour un père , pour un
fils , pour un ami , pour un hôte , & de donner
à ces arbres les noms des perfonnes
auxquelles on les confacre ;
Crefcent ille , crefcetis amores.qqan doTE
DE FRANCE. 207
L'application que l'Auteur propofe de faire
de cet ufage à des événemens publics chers à
la Nation ; l'intérêt , le charme particulier
qu'il répand fur un de ces événemens ſi mal
célébré par tant d'autres , & l'art fi naturel
avec lequel il tire cet intérêt & ce charme
du fond même de fon fujet ; enfin , la culture
des arbres étrangers à Malesherbes , &
l'épiſode de Patoveri.
>-
Chant troifième. La peinture des différentes
formes , des différens effets des gazons ,
des fleurs , des rochers , des eaux , foit
plates , foit jailliffantes , des caſcades , des
rivières , des ruiffeaux , des lacs , des oifeaux
aquatiques , des navires qui , comme eux ,
jouent fur les ondes , &c.; la defcription du
Moulin -Joli , de la Fontaine de Vauclufe ;
les amours de Pétrarque & de Laure.
Quatrième & dernier Chant. La monotonie
de l'alignement , l'excès & l'exagéra
tion des routes tournantes , également condamnés
en beaux vers & par des raifons
éloquemment & gaîment expofées ; le fameux
tableau philofophique de paysage du
Pouffin.
Et in areadiâ ego.
Le cimetière de village , la manière d'y
ajouter à l'intérêt , en honorant la mémoire,
en récompenfant par un monument fimple
la vertu d'un payfan utile ; la ferme , la defcription
du coq , de l'aigle , l'ufage des
ruines vraiment antiques , l'abus & le ridi203
MERCURE
cule des fauffes ruines , ainfi que de tous les
édifices infignifians ou bizarres , dont le mauvais
goût a imaginé d'orner ou de défigurer
les jardins ; l'Abbaye antique , tableau peutêtre
le plus fini de tout le Poëme , mais dont
quelques traits femblent avoir été fournis
par l'Epitre d'Héloïfe , de Pope & de M.
Colardeau ; tableau fuperbe des ruines de
Rome & de l'Italie ; éloge du Capitaine
Cook; voeux pour la paix , qui terminent le
Poëme , & qui devroient remplir tous les
Ouvrages.
Tous ces morceaux font autant de modèles
& de chef d'oeuvres ; le plaifir qu'ils
font fera toujours mieux exprimé par des
tranfports que par des éloges ; quelques - uns
de ces morceaux font pleurer de tendreſſe ,
plufieurs touchent profondément ; tous ces
fignes , d'un contentement extraordinaire
qu'Horace met fur le compte d'un flatteur ,
pourroient être donnés ici , fincèrement &
naturellement , par tout amateur de la belle
poéfie.
Clamabit enim : pulchrè , benè , rectè ;
Pallefcet fuper his ; etiam ftillabit amicis
Ex oculis rorem ; faliet , tundet pede terram.
Plufieurs de ces morceaux font déjà connus
par des lectures publiques ou particu
lières , & plus d'un amateur les fait par coeur.
Nous ne nous permettrons donc pas d'enciter
un grand nombre ; cependant , trop
jaatéreffés à ne pas priver cet extrait de l'agré
DE FRANCE. 200
ment qu'y répandroient de telles citations ,
nous tranfcrirons ceux de ces morceaux que
nous croyons les moins connus , parce qu'ils
nous font les moins familiers à nous mêmes;
nous choifirons auffi par préférence ceux
qui nous fournirons quelques obſervations.
La defcription du Moulin-Joli , & l'expofition
plaifante de ce qu'auroient fait la richeffe
& le faux goût pour le gâter , forment
un des plus agréables tableaux de cet
Ouvrage.
L'onde rajeunit l'arbre , & l'arbre orne fon cours...
Sachez donc les unir ; ou fi , dans de beaux lieux ,
La Nature fans vous fit cet hymen heureux ,
Refpectez-la Malheur à qui feroit mieux qu'elle !
Tel eft , cher Watelet , mon coeur me le rappelle ,
Tel eft l'heureux aſyle où , ſuſpendant fon cours
Pure comme tes moeurs , libre comme tes jours,
En canaux ombragés la Seine ſe partage ,
Et vifite en fecret la retraite d'un fage.
Ton art la feconda ; non eet art impoſteur ,
Des lieux qu'il croit orner , hardi profanateurs
Digne de voir , d'aimer , de fentir la Nature ,
Tu traitas fa beauté comme une Vierge pure
Qui rougit d'être nue & craint les ornemens.
Je crois voir le faux goût gâter ces lieux charmans
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eft qu'un fon importun, qu'une meule qui crie
On l'écarte. Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui-même en roulant façonnés ,
210 MERCURE
S'alignent triftement. Au lieu de la verdare
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture,
L'eau dans des quais de pierre accufe fa prifon ;
Le marbre faftueux outrage le gazon ,
Et des arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis ofe ufurper la rive.
Barbares , arrêtez , & refpectez ces lieux.
Et vous , fleuve charmant ; vous , bois délicieux ,
Si j'ai peint vos beautés , fi , dès mon premier âge ,
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long- temps à votre poffeffeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur.
Ce vou , que tous les cours partagent &
répètent , eft exprimé d'une manière attendrillante
jufqu'aux larmes pour ceux qui
connoiffent M. Watelet .
Un intérêt femblable anime la defcription
des arbres étrangers , cultivés à Malesherbes.
Voyez dans ces jardins , fiers de fe voir foumis
A la main qui porta le fceptre de Thémis ,
Le fang des Lamoignon , l'éloquent Malesherbes , 1
Enrichir notre fol de cent tiges fuperbes.
Là , des plants affemblés des bouts de l'Univers ,
De la cîme des monts , de la rive des mers ,
Des portes du couchant , de celles de l'aurore ,
Ceux que l'ardent midi , que le nord voit éclore ,
Les enfans du Soleil , les enfans des frimats ,
Mc font , en un lieu feul , parcourir cent climats
DE FRANCE 211
Je voyage entouré de leur foule choilie ,
D'Amérique en Europe , & d'Afrique en Afie.
Nous avons parlé de l'ufage des Lapons
dans la plantation des arbres ; le Poëte célèbre
cet ufage , & propofe de l'étendre : une
nouvelle heureufe vient tout- à - coup l'interrompre.
2
. Mais tandis que tu chantes ,
Mufe , quels cris dans l'air s'élancent à la fois ?
Il eft né l'héritier du fceptre de nos Rois ;
Il est né dans nos murs , dans nos camps, fur les ondes,
Nos foudres triomphans l'annoncent aux deux mondes
:
2001
Pour parer fon berceau , c'eft trop peu que des fleurs ;
Apportez les lauriers , les palmes des vainqueurs.
Qu'à les premiers regards brillent des jours de gloire,
Qu'il entende en naiffant l'hymne de la victoire .
Ah ! plutôt l'hymne de la paix & les jours
de bonheur ; on parle toujours trop aux enfans
des Rois , de gloire & de victoire. Pourfuivons
ce morceau charmant.
Et toi, par qui le Ciel nous fit cet heureux don .
Toi , qui , le plus beau noeud , la chaîne la plus chère
Des Germains , des François , d'un époux & d'un frère,
Les unit , comme onvoit de deux pompeux ormeaur
Une guirlande en fleur enchaîner les rameaux jeg za
Sour, mère , époufe augufte ; enfin la deftinées un
Joint au deuil du trépas les fruits de l'hymenée ,
Er, mêlant dans tes yeux les larmes & les ris ,
212 MERCURE
Quand tu perds une mère elle te donne un fils.
D'autres , dans les tranfports que ce beau jour infpire,
Animeront la toile , ou le marbre , ou la lyre ;
Moi , l'umble ami des champs , j'irai dans ce féjour
Où Flere & les Zéphirs compofent feuls ta Cour ,
J'irai dans Trianon. Là , pour unique hommage,
Je confacre à ton fils des arbres de fon âge ,
Un bofquet de fon nom , Ce fimple monument ,
Ces tiges , de tes bois le plus doux ornement ,
Tes yeux les verront croître , & croiffant avec elles ,
Ton fils viendra chercher leurs ombres fraternelles.
Voilà le pur goût de l'antiquité ; voilà ce
que les Savans ne favent pas y voir , & ce
qui n'y exifte que pour ceux qui favent l'y
trouver. C'est l'Ouvrage , non de l'imitation,
mais du talent , du goût , de l'analogie , d'une
même manière générale de voir & de fentir.
Leurs ombres fraiernelles , voilà de ces épithètes
qu'on peut appeler trouvées , & qui
ne le feront jamais par ceux qui chargent
leurs vers d'épithètes ; ces épithètes- là , le
goût les tient en réferve pour le génie.
Le morceau fur l'automne nous fournira
quelques réflexions .
Bientôt les Aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons ;
De moment en moment la feuille fur la terre ,
En tombant , interrompt le rêveur folitaire.
Mais ces ruines mêmes ont pour moi des attraits.
Là, fi mon coeur nourrit quelques profonds regrets
DE FRANCE. 213
Si quelque fouvenir vient rouvrir ma bleſſure ,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la Nature.
De ces bois deffectés , de ces rameaux flétris ,
Seul , crrant , je me plais à fouler les débris.
Ils font paffés , les jours d'ivreffe & de folie :]
Viens , je me livre à toi , douce mélancolie ;
Viens , non le front chargé de nuages affreux ,
Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux ,
Mais l'oeil demi - voilé , mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne :
Viens , le regard penfif, le front calme & les yeux
Tout prêts à s'humecter de pleurs délicieux .
Nous concevons qu'on ne puiffe le réfoudre
à facrifier un pareil morceau & des vers
tels que celui - ci :
J'aime à mêler mon deuil an deuil de la Nature.
Mais ce vers même a le mérite ou le tort de
rappeler un morceau femblable ; & ( s'il eft
permis de comparer au moins fur un feul
article , deux grands Poëtes vivans ) un morecau
fupérieur. Le voici.
La campagne épuifée a livré fes préfens ,
Et n'a rien à promettre à mes goûts , à mes fens.
Dans ces jardins flétris , dans ces bois fans verdure ,
Je fens à mes befoins échapper la Nature.
Ce concert monotone & des eaux & des vents ,
Suſpendant ma penſée & tous mes fentimens ,
Sur elle- même enfin mon âme fe replie ,
Et tombe par degrés dans la mélancolie.
214
MERGURE
Ces vallons fans troupeaux , ces forêts fans concerts ,
Ces champs décolorés , ce deuil de l'Univers ,
Rappellent à mon coeur des pertes plus fenfibles.
Je crois me retrouver à ces momens horribles ,
Où j'ai vu mes amis que la faulx du trépas
a
Menaçoit à mes yeux , ou frappoit dans mes bras.
De Ch.... expirant je vois encor l'image *
Je le vois à fes maux oppoſer ſon courage ,
Penfer , fentir , aimer , au bord du monument ,
Et jouir de la vie à fon dernier moment.
Objet de mes regrets , ami fidèle &tendre ,
J'aime à porter mes pleurs en tribut à ta cendre.
Malheur à qui les Dieux accordent de longs jours!
Confumé de douleurs vers la fin de leur cours ,
Il voit dans le tombeau , fes amis difparoître
Et les êtres qu'il aime arrachés à fon être !
Il voit autour de lui tout périr , tout changer ;
A la race nouvelle il fe trouve étranger ;
Et lorfqu'à fes regards la lumière eft ravie ,
Il n'a plus en mourant à perdre que la vie.
Cette idée eft affreuſe , & j'aime à m'y livrer ;
Je cède avec plaifir au befoin de pleurer ,
Et cherche un aliment à ma douleur profonde.
Dans ce morceau profondément touchant,
& le plus beau du beau Poëme des Saifons ,
M. de Saint- Lambert développe un fentiment
que M. l'Abbé de Lille ne fait , pour
ainfi dire , qu'indiquer . D'ailleurs , la defcription
même de l'Automne & des, effers.
DE FRANCE. 215
qu'il produit fur l'âme , defcription bien
placée fans doute dans le Poëme des Jardins ,
appartenoit encore plus effentiellement au
Poëme des Saifons. On pourroit demander
fi M. de Lille a bien fait de s'expofer à un
parallèle où l'avantage n'eft pas de fon côté ;
il eft vrai qu'on peut appliquer ici ce vers
du Poëme de Fontenoy :
Ils feront fiers encore , ils n'ont cédé qu'à lui.
Mais il femble qu'un Poëte tel que M..
l'Abbé de Lille , ne doit céder à perfonne ,
& ne doit jamais paroître en fecond , même
dans les moindres détails. Quoi qu'il en foit' ,
le Poëine des Saifons , la Traduction des
Georgiques & le Poëme des Jardins , font
trois monumens qui dépoferont à la poftérité
des talens poétiques de ce fiècle , & qui
abfoudront la philofophie du reproche qu'on
a voulu lui faire d'avoir nui à la poéfie.
Au refte , le défaut même d'étendue & de
développement dans le morceau de M. l'Abbé
de Lille, prouve qu'il ne s'eft pas propofé
de lutter en cet endroit contre M. de Saint-
Lambert.
Il fembleroit plutôt dans fa deſcription
du Coq , avoir lutté contre M. de Roffet,
chez qui la même defcription eft fi fupérieure
au refte de fon Poëme , d'ailleurs
très -eftimable , fur l'agriculture , qu'on la
croiroit d'une autre main , & de la main du
plus grand de nos Poëtes. Voici le Coq de
M. de Roffet.
3
216 MERCURE
Que le Coq de fes foeurs & l'époux & le Roi ,
Toujours marche à leur tête & leur donne la loi ;
Il peut dix ans entiers les aimer , les conduire ,
Il eft né pour l'amour , il eft né pour l'empire.
En amour , en fierté , le Coq n'a point d'égal ;
Une crête de pourpre orne fon front royal ;
Son oeil noir lance au loin de vives étincelles ,
Un plumage éclatant peint fon corps & fes aîles ,
Dore fon cou fuperbe , & flotte en longs cheveux ; r
De fanglans éperons arment fes pieds nerveux,
Sa queue , en fe jouant du dos jufqu'à la crête ,
S'avance & ſe recourbe en ombrageant la tête.
Voici celui de M. l'Abbé de Lille.
A leur tête eft le Coq , père , amant , chef heureux ,
Qui , Roi fans tyrannie , & Sultan fans molleffe ,
A ſon ſerrail aîlé prodiguant fa tendreſſe ,
Aux droits de la valeur joint ceux de la beauté ,
Commande avec douceur , careffe avec fierté ,
Et , fait pour les plaifirs & l'empire & la gloire ,
Aime , combat , triomphe , & chante fa victoire.
1
Dans cette defcription , M. de Roffet
paroît s'être plus occupé du phyfique , &
M. l'Abbé de Lille du moral.
On a critiqué dans M. l'Abbé de Lille quelques
détails de la defcription du Cheval
Chant Ier ; on a blâmé le fleuve accoutume
on a prétendu qu'il rendoit par une expreffion
inufitée le flumina nota.
3.On
DE FRANCE. 217
On a cenſuré aufli certe expreffion :
Beau d'orgueil & d'amour.
Mais il nous a paru que le plus grand nombre
l'excufoit , ou même la goûtoit , préparée
fur-tout & entourée comme elle l'eft dans
ces deux vers :
Superbe , l'oeil en feu , les narines fumantes ,
Beau d'orgueil & d'amour , il vole à ſes amantes.
Au contraire , le plus grand nombre nous a
paru ne pas goûter cette image :
Là , du fommet lointain des roches buiffonneufes ,
Je vois la chèvre pendre.
Quoiqu'elle foit la traduction de ce vers de
Virgile , qui n'offre rien que de riant à l'imagination.
Dumosa pendere procul de rupe-videbo.
C'est que le mot pendere ne réveille peut - être
pas aufli néceffairement en latin que le mot
pendre en françois , une idée défagréable.
Mais ceffons cette difcuffion minutieufe ,
& ne donnons pas l'exemple de critiquer un
Ouvrage qu'on ne peut trop admirer , qui
nous paroît auffi approchant de la perfection
qui peut -être donné à un Ouvrage.humain
de l'être , où le trouvent réunis l'abondance
& la précision , la richeffe & la fumpliciré
la facilité la plus aimable & le travail
le plus heureux , l'élévation & l'enjoùment
, le fentiment & l'efprit , la grâce &
No. 26 , 29 Juin 1782.
K
218
MERCURE
la force , le talent de tirer parti de tout , de
peindre tout , d'animer tout , de varier tout,
de diverfifier à l'infini les formes du ftyle &
du vers par un mélange adroit de cefures
Lavantes , d'enjambemens heureux , de périodes
harmonicafes , de diftiques tombans
avec grâce , de maximes détachées , de traits
ifoles , enfin , par toutes les reffources de
l'art d'écrire . Puiffe cet hommage rendre à
l'Auteur une partie du plaifir que fon Poëme
nous a fait puiffe t'il y reconnoître l'expreffion
de l'amitié qui applaudit à fa gloire ,
& celle du goût reconnoiffant qui aime à
louer ce qui le flatte !
Pierides , vos hac facietis maxima Gallo ,
Gallo , cujus amor tantùm mihi crefcit in horas
Quantùm vere novo viridis fe fubjicit olnus.
1
La Préface & les Notes font dignes du
goût de l'Auteur,
DISCOURS publics & Éloges , par M***
Avocat Général , Tome III . A Paris ,
chez Simon , Imprimeur du Parlement
rue Mignon- Saint André - des - Arcs.
>
Le titre de ce Livre appelle feul une
jufte attention. Les Difcours d'un Avocat
Général font efpérer la dignité & l'intérêt
du beau Ministère qu'il remplit . Ce Livre
donne tout ce que fes objets promettent ;
mais avant de parler du mérite de ces Difarrêtons
- nous un moment fur les
cours ,
DE FRANCE. 219
Fonctions dont ils font un des travaux. Pour
les bien louer , il ne faut que les expliquer
& les rappeler. Qu'on nous permette de
placer ici un tableau des fonctions du Miniftère
public , tiré d'une Differtation fur ce
Ministère , dont on a autrefois parlé dans ce
Journal.
"3
"
33
" On regrette ces belles Magiftratures
des Anciens , qui illuftroient à jamais les
" familles , non par la puiflance qu'elles
donnoient, cette puiffance n'avoit qu'un
» temps , mais parce qu'elles fembloient
exclure les hommes ordinaires , & on a
bien raifon de les regretter. Tout em
ploi public eft dégradé dès qu'on ne le
» reçoit plus au milieu des acclamations des
Citoyens , & qu'on ne l'exerce pas fous
la fouveraineté d'un Peuple . Mais s'il eftencore
quelque Dignité parmi nous qui
» ne fe préfente pas à notre efprit fans lui
» annoncer de grands fervices à rendre &
une grande gloire à mériter , c'eft celle du
Ministère public. Chacun de fes devoirs
» lui donne un droit à notre vénération &
à notre amour . Il cherche par tout un
abus à réformer , un bien à établir . Le
Sanctuaire de la Juftice conferve ou recouvre
toute fa pureté fous la cenfure de
» fes regards & de fes difcours , & le Livre
» des Loix peut fouvent s'ouvrir pour rece-
» voir un décret conçu par fa fageffe . Quand
"
le foible eft opprimé , il fe raffure à
» ce nom protecteur , & il en 、menace
Kij
MERCURE
l'homme injufte & puillant. Soit que le
foible défende fes droits , foit qu'il les
» abandone , toujours ils lui font gardés
dans cet afyle inviolable , & fouvent il
bénit avec étonnement cette tutelle incommue
qui le relève des fautes de l'im
prudence & du malheur. L'Eloquence eft
» le digne inftrument de tant de foins géné-
» reux , & elle retrouve encore pour le
» Miniitère public feul , fon antique fouveraineté.
La Société entière repoſe fur la.
foi de fa vigilance, Tous les Citoyens lui
» doivent quelque chofe de leur bonheur ,
» excepté les méchans , dont la fuite , l'effroi
ou la punition achèvent fa gloire.
Une des fonctions les plus nobles des
Avocats Généraux , eft d'avoir à rappeler
tous les ans aux Magiftrats & aux Avocats
les devoirs de leur état . Il femble que fi jamais
la Morale doit avoir de l'intérêt & de
la majefté , c'eft dans ces Difcours. Il fembleroit
auffi que l'Éloquence , qui ne peut
avoir un plus bel emploi parmi nous , auroit
dû s'en emparer par préférence ; cependant
on compte peu de ces Difcours parmi les
beaux Monumens de norre Littérature.
Cela vient de plufieurs caufes. D'abord , la
modcftie des Magiftrats les empêche fonvent
de publier des Difcours qui ont été
entendus avec intérêt & admiration , & ces
Ouvrages ont honoré la Magiftrature , fans
fervir aux Lettres . En fecond lieu, toutes tes
fonctions , tous les travaux raffemblés dans
2
DE FRANCE. 22:1
notre Ministère public , tel qu'il eft: conſti→ .
tué , abforbent trop les hommes qui le rem
pliffent , & ne leur permettent pas de ratfembler
toutes les forces de leur talent dans
leurs Ouvrages les plus intéreffans . Il fau
droit on diminuer leurs travaux ou multiplier
les Magiftrats dans ce Ministère : enfim ,
on a été trop long- temps dans l'ufage de ne
traiter dans ces Difcours que les lieux com
muns de la Morale. Un Difcours fur l'Amour
de la Juftice , fur la Modération , fur la
Gloire, fur la Fertu , confidérées d'une ma
Aière vague & indéfinie , ne pouvoit fournir
qu'une déclamation plus ou moins bien
écrite. La Morale , pour être utile , pour
être intéreffante, doit toujours être particula
rifée. Si vous me propofez des vertus , que
ée foient des vertus à ma portée , que j'en
fente le prix & la douceur , & qu'il me foit
impoffible de ne pas les defirer après que
vous me les aurez préfentées. Si vous me reprochez
des vices , que ce foient ceux de
mon fiècle , de mon état , de ma fituation ;
que votre cenfure réveille ma conſcience ,
qu'elle y excite un plus vif mécontentement
de moi- même. La Morale eft inépuisable
comme les paffions qu'elle doit réprimer &
gouverner ; mais pour cela , il faut qu'elle les
fuive dans tous leurs progrès , dans toutes
les modifications qu'elles reçoivent dans le
Cours toujours divers de la Société. L'ufage
s'eft introduit depuis quelque temps d'employer
auffi ces Difcours à la difcullion de
Kuj
222 MERCURE
quelque queſtion intéreffante de légiflation
Je crois que le premier , comme le plus bel
exemple de cette heurenfe innovation , eft le
Difcoursfur la Juftice Criminelle de M. Servan.
En ajoutant ainsi un genre vafte & important
à un genre qui s'épuifoit , M.Servan
n'eft pas forti de l'efprit de l'inftitution de
ces Difcours. Donner aux Magiftrats de
nouvelles lumières , c'eft perfectionner leurs,
vertus ; & où la Morale législative pourroitelle
être traitée plus convenablement que.
dans ces jours de pompe & de recueillement
tout enfemble , dans ce repos folemnel de la:
Juftice , où les Magiftrats ne fufpendent un
momentleurs fonctions que pour les méditer,
où ils doivent les confidérer dans leurs plus,
grands rapports avec le bien public , je dirai
prefque où tout les invite à des penſées de
Légiflateurs ?
Nous nous fommes érendus d'autant plus
volontiers dans ces réflexions , que nous les
avons trouvées réalifées en partie dans le
Recueil intéreffant dont nous avons à parler..
Le refpectable Magiftrat à qui nous devons
eet Ouvrage , en a déjà publié deux Volumes.
il y a plufieurs années. On y trouve d'excel
lentes difcuffions pour la réforme de notre
Jurifprudence mêlées à de bons Difcours de
Morale. Ce troisième Volume préſente auffi
cetre heureuſe réunion . Il renferme particu
lièrement une difcuffion affez étendue fur
les rapports d'Experts , pleine de vûes
juftes & fages , & de cette fagacité, enrichie
DE FRANCE
229.
dune longue expérience non moins que des
lumières du Philofophe & du Jurifconfultes
elle eft encore écrite du meilleur ftyle ...
Parmi les Difcours , nous avons diftingué
fur- tout celuifur leftyle du Barreau comme
le mieux travaillé. On y trouvera une hif
toire très bien faite des différentes révolu
tions que l'Eloquence du Barreau, a éprou
vées , une bonne critique & du bon goût.
En voici un morceau qui offre des no
tions très - bien apperçues & très bien déve
loppées fur le ftyle.
و د
es
Lorfqu'on s'arrête à confidérer feulement
les différences que portent dans le
Difcours la pureté du langage , la propriété
» des termes , une forte d'élégance dans leur
» difpofition , une convenance néceffaire
is avec le genre particulier du fujet , le ftyle
" peut être justement défini la manière
» d'exprimer fes idées ; car , comme les
" nuances peuvent varier fans toucher au
"
3
fond des chofes , ce n'eft plus qu'un ver-
» nis qui flatte par fon éclat , parce qu'il
conferve l'harmonie des couleurs , qui
cependant ne fait pas le prix du tableau ;
mais il y a des différences de ftyle qui
» tiennent plus encore à la penſée qu'à
» l'expreffion , qui forment des caractères,
» indépendans des genres , le ftyle eft , dans
» cette acception plus étendue , le faire de
l'homme qui parle ou qui écrit ; il eft
tout- à- la-fois la manière dont les objets
l'affectent , & la manière dont il rend les
Kiv
224 - MERCURE
ม
"
impreffions qu'il a reçues ; il embraffe tout
» ce que l'élévation du génie , la force de
» l'imagination , les graces de l'efprit , la
»fagefle du goût peuvent mettre enfemble
» dans une compofition ; ce n'eft plus cette
» partie de l'élocution qui fait elle - même
partie de l'Eloquence ; il comprend jufqu'à
I'Eloquence , parce qu'elle n'eft que le
ftyle des grands Hommes dans les grandes
chofes , parce que le ftyle qui garde la
fimplicité de forr fujet, peut être quelque-
" fois éloquent. C'eft dans ce fens que le
fublime Ecrivain , dont cette Province
» s'honore aux yeux de l'Univers policé , dit
que l'on peut enlever & tranfporter les
connoiffances , les faits , les découvertes
qui donnent pour un temps quelque
prix à un Ouvrage , parce que ces chofes
font hors de l'homme ; que le ftyle eft
» l'homme même , qu'il ne peut ni s'enlever
ni fe tranfporter ; que toutes les beautés
intellectuelles qui s'y trouvent tous les
» rapports dont il eft compofe , font autant de
» vérités utiles & peutêtre plus précieuses à
Pefprit humain que celles qui peuvent faire
» le fond dufujet.
و و
23
,,
ر
Il est heureux pour la Philofophie , fouvent
fi décriée par ces prétendus Philofophes
qui n'y ont porté que les extravagances des
mauvais efprits , d'avoir été bien appréciée'
& défendue par un Magiftrat diftingué fur-1
tout par l'étendue de fes connoiffances dans
notre Jurifprudence , & par la fagoffe de
DE FRANCE. 225
fon efprit. Voici comment M*** en pirle
dans ce même Difcours fur le ftyle du Barreau.
Demandera- t-on maintenant quelles
» ont été les caufes des progrès plus ou
moins lents de la perfection du ftyle ?
» Nous avons eu dans ce récit un affez grand
» nombre d'occafions de l'annoncer ; c'eft
la raifon , ou , pour mieux dire , c'eft la
Philofophie ; car , pourquoi nous refufer
» ce mor , qui n'exprime que la raifon per-
» fectionnée ? Laiffons fes détracteurs bypocrites
effayer de tourner contre elle les
armes qu'elle leur a données. Marchons
hardiment dans la route qu'elle nous préfente
; il nous fera toujours facile , quand
nous le voudrons , de la diftinguer de ces
fentiers obfcurs qui n'ont été frayés que
par quelques écarts , & chaque pas que
nous y ferons augmentera en nous cette
droiture de fentimens , cette élévation
d'efprit qui rendent l'homme digne de
commander à fes femblables par l'empire
de la parole.
23
"""
Un fi bon appréciateur de la Philofophie
eft bien éloigné de donner ce nom à cette
manie de tout critiquer à tort & à travers
dans les Loix , qui a fait tant de déclamateurs
dans la Littérature & au Barreau.
" Heft un autre écueil enfin fort voilin
» de la route de l'Éloquence , dans lequel un
excès de préfomption pent faire tomber
» ceux mêmes qui étoient nés pour être
Kv
226 MERCURE..
» Orateurs , lorfqu'ils ont une fois imaginé.
que l'efprit devoit leur tenir lieu de fcience
& de jugement , c'eſt le ton de déclama
» tion ; il féduit quelques inftans , parce que
la hardieffe a quelque reffemblance avec.
la force ; mais fi les gens fenfés le con-
» daninent dans la Littérature , combien ne,
feroit- il pas encore plus déplacé au Bar
» reau , où tour doit préfenter l'ordre & la
» modération , où l'intérêt général fait taire
93
la raifon elle- même quand elle veut s'éle-
» vèr contre la Loi. La Philofophie peut
» bien defirer une Loi plus parfaite , mais
elle refpecte la Loi qui ſubſiſte ; elle n'eſt
» jamais plus fatisfaite que lorfqu'elle a oc-
» cafion de l'invoquer au nom de l'huma
» nité, & d'ajouter ainfi aux motifs qui la
» font chérir & refpecter. ».
On pourroit peut être reprocher aux Dif
cours de morale d'appartenir un peu à cette
morale vague & indéfinie que nous croyons
impoflible de traiter avec intérêt & utilité ;
mais ce défaut ne fe trouve que dans les titres
qui femblent n'annoncer que des lieux communs
. Quand on lit les Difcours , on apperçoit
bientôt que l'efprit de l'Auteur eft fait
pour préfenter des idées juftes , développer
des vérités intéreffantes , & fur - tout pour
perfuader des vertus qui font dans fon coeur.
On reconnoîtra un vrai Philofophe , &
un bon Moralifte , dans ce morceau tiré
du Difcours fur l'amour de l'humanité.
DE FRANCE: 227
On nous parle des Sauvages. Une vieille
tradition attache encore à cette dénomi
» nation l'idée d'une férocité naturelle &
invincible; jufqu'à quand nous laifferons-
» nous abufer par le récit de ces Barbares ,
» qui n'abordèrent des plages inconnues que
" pour y porter l'orgueil d'une domination
exclufive , que pour y affouvir une déref-.
table cupidité ; qui ne fe montrèrent à ces
» Peuples qu'armés de toutes les inventions
» d'une induftrie meurtrière , & qui , verfant
impitoyablement le fang innocent
jetèrent dans tout le Nouveau - Monde
» une impretion de rerreur que l'on a
» peine à vaincre encore aujourd'hui ! I
» falloit bien qu'ils nous les repréfental-
» fent comme des monftres pour ſe juſti-
» fier de ne les avoir pas traités comme des
» hommes.
ور
237
و ر » Cherchonsdonc des témoignages moins
corrompus ; écoutons ces Voyageurs qui
» ont pénétré dans les Illes les plus lointaines
pour en obferver le climat , les
» productions , les moeurs , & non pour
dépouiller les habitans' ; interrogeons
ceux que les vents y ont pouffés , ceux
que les premiers befoins ont forcés d'y
» prendre terre ; interrogeons fur- tout ce
célèbre Navigateur qui a entrepris , pour
la troisième fois , le tour du Monde ; ill
nous dira que fous les coftumes les plus
divers , les plus bizarres , il a toujours vu
» le même amour de l'humanité dès qu'il
K-vj
228
MERCURE
» a pu faire entendre les fignes de paix &
» de bienveillance . Ce grand Homme ignore
» fans doute les mouvemens qui agitent
ود
ور
"
fa patrie depuis qu'il l'a quittée ; il ne fait
" pas qu'elle s'eft armée contre la France ;
» ab ! s'il revenoit maintenant , s'il n'appte-
» noit ces difcordes que par la rencontre
de nos forces navales , qu'il palleroit rapidement
de la furprife à la fecurité , de
» la crainte à l'admiration ! Quel fpectacle
pour l'Univers ! La Politique abailfant fes
pavillons devant celui du Voyageur philofophe
! La préfence d'un B enfaiteur du
" genre- humain enchaînant tout - à - coup
" les haines nationales ! Ce jour à jamais
mémorable feroit infcrit dans les Faftes
» de tous les Empires ; il feroit célébré chez
" tous les Peuples , & les enfans de leurs
enfans diroient encore avec artendriffe-
" ment : Ce grand exemple d'humanité qui
» fit ajouter à l'ancien Code du Droit des
Gens , la fauve garde de ceux qui fe font
dévoués à fon fervice , fut un des glorieux
événemens du Règne de Louis XVI , Roi
» des François .
39
"
39
&
"
Quand on a des idées nobles , on trouve
de belles exprellions. Les grands Orateurs
ne défavoueroient pas ce trait : La préfence
d'un Bienfaiteur du genre- humain enchaînant
tout- à coup les haines nationales ! Et cette
autre phrafe , qui me paroît bien plus belle
encore : Cet exemple d'humanité quifit ajouter
à l'ancien Code du Droit des Gens , lafauve
DE FRANCE. 229
·
>
garde de ceux qui fe font dévoués à fon fervice.
Le Magiftrat à qui nous devons ces Dif
cours , au milieu des grands travaux d'un
Ministère li bien rempli , a encore trouvé le
temps de cultiver les Sciences phyliques de
manière à être compte parmi les Savans de
nos Académies . Aux connoiffances & aux
talens du Savant & du Magiſtrat , il joint encore
toutes les qualités & les vertus que ces
titres annoncent. Sans y prétendre , il réunit
tous les genres de gloire , & nous nous trou
vons heureux d'avoir à lui rendre un jufte
hommage.
( Cet Article eft de M. de L. C.)
L'OCCASION & LE MOMENT , ou les
Petits- Riens , par M. Mérard de Saint-
Jult. 4 Parties , petit format. A Paris
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.
>
CET Ouvrage , qui aura un grand mérite
aux yeux des Amateurs des belles Éditions , eft
un de ceux qui font honneur à l'Imprimeric
de M. Didot.
L'Auteur l'a divifé en quatre Parties ; dans la
première il a raffemblé de petites Épigrammes
qui font tournées avec allez de facilité
& de gaîté ; mais on defireroit que la penfee
qui les termine eût plus le piquant de la
nouveauté,
230 MERCURE
Un homme veuf, de fa défunte feinme
Faifoit l'éloge ; à la nouvelle Dame
Il ne plut pas. Laiffez les morts en paix,
Répondit- elle, & uêve à vos regrets.
Votre défunte étoit fage , étoit bonne ;
Vous l'aflurez ; volontiers je le crois.
Auffi , Monfieur , je vous jure , perfonne
A fon trépas n'a tant perdu que moi.
Nous fommes étonnés que M. de Saint-
Jult , qui ne manque pas de talens , ait dirigé
quelquefois la pointe de fes Epigrammes
contre des Hommes de Lettres très - diftingués
& très- eftimables. Si ce malheureux
genre pouvoit être permis , ce ne feroit
qu'autant qu'il auroit pour objet de décou
rager les mauvais Écrivains , qui font les
fléaux de la Littératute. Un autre reproche à
lui faire , tombe fur l'ufage qu'il fe permet
de faire des mots que le goût réprouve dans
les Ouvrages du genre le plus libre..
La feconde Partie contient plufieurs
Pièces fous le titre de Contes , parmi lesquels
on diftingue la Pièce intitulée les Grâces ou
la Méprife , & un petit Poëme Héroï-
Comique intitulé : Le Voyage à Chartres,
Le début de ce Počine pourra donner
quelque idée du ton & de la verfification.
MUSE , chantez , célébrez le voyage
D'un Avocat devenu Chevalier.
Un'entrevit la mer ni fon rivage ;
DE FRANCE.. 23:
Er, de Bayard imitant le courage ,.
Il ne fut pas vingt ans à guarroyer :
Il n'allà point fous la brûlante Zône
Voir des humains plus noirs que des démons s
S'il parcouru les plaines & les monts ,
Ce ne fut point pour conquérir un trône.
Que fait un fceptre , hélas ! .pour le bonheur?
Un Prince eft-il plus fidèle à l'honneur ?
Un Roi dans l'âme a -t'il plus de nobleſſe ?
MON Chevalier , amant de la fageffe ,
Ne paffa point dans ces fombres climats
Où l'hiver règne au milieu des frimats ;
Mais regrettant & Paris & Montmartre ,
Il fut en Béauce , il alla revoir Chartre.
Il ne vouloit ni redreffer les torts ,
(Car , felon lui , tout eft bien dans le monde, ))
Ni dépêcher , tout en faiſant fa ronde ,
Quelques géans dans l'empire des morts.
La troifième Partie renferme pluheurs
Poéfies fugitives.
Parmi les Épîtres raffemblées dans la qua
trième , en voici une qui nous a paru mé
riter d'être citée..
QUE la trifte & froide Dacier
De fon Latin s'enorgueilliffe ,,
Que fur le .Grec elle pâliffe ,
Il y avoit une maisonnette,
232 MERCURE
募
Elle devoit étudier.
Il faut que laideur fe conføle
Par l'avantage du favoir ;
Mais la beauté ne doit avoir
Que l'Amour pour Maître d'École."
'Jamais Élève du Pouffin
Peignit- il ou Flore ou les Grâces ,
Lifant Plaute , Horace ou Lucain ?
Les Jeux , les Ris font fur leurs traces ;,
Elles ont des fleurs à la main ;
Zéphite à Flore les arrache ,
Vole à Cyanne , & fur fon fein
Tout en folâtrant , les attache.
Il prend un baifer libertin ,
Egarmi des rofiers fe cache ;.
Voilà l'étude du matin :
A tout autre Amour la préfère.
Le foir , c'eft encore même jen :
L'emploi des nuits diffère un peu ;
Mais je me tais fur ce mystère .
Ah ! croyez-moi , laiffez Homère
Chanter Achille & tous les Dieux :
Vous favez tout , vous favez plaire ,
Et vous pouvez faire un heureux.
En rendant à M. Mérard de Saint- Jolt fa
juftice qu'il mérite , nous ne pouvons
trop lui recommander de fe défier de fa facilité,
de mettre plus de correction dans fon
fiyle, afin de rendre fes productions plus
DE FRANCE. 233
1
dignes des caractères qui décorent l'Édition
de fes OEuvres.
LES Après - Soupers de la Société , petit
Théâtre Lyrique & Moral fur les Aven
tures du jour. A Paris , chez l'Auteur , rue
des Bons- Enfans , la porte- cochère vis àvis
la Cour des Fontaines du Palais
Royal , Aventure haitième.
و
CETTE agréable Collection a toujours le
même fuccès. La petite pièce que renferme
ce Cahier eft intitulée la Vanité du Nom
& c'est une de celles qu'on lira avec le
plus de plaifir. L'Aureur n'en a pas donné
encore dont le ftyle foit plus foigné.
La Comteffe aime le Chevalier , & fe
propofe d'époufer le Marquis , parce qu'il
eft fon parent, & qu'elle veut que la grande
fortune dont elle jouit refte dans fa famille
pour foutenir l'éclat de fon nom . De (on
côté le Marquis ne Pépoufe que pour rétablir
fes affaires , qui font ruinées. La Comtelfe
ouvre la Scène avec Lifette par une
Scène qui expofe le fujet , & qui eft interrompue
par l'arrivée de Dorimène , four
du Chevalier. Dorimène s'intéreffe pour
fon frère , qui aime tendrement la Comreffe
; mais elle ne veut pas heurter de front
le foible de fon amie , & elle fe contente de
fervir fecrètement le Chevalier. Elle a mis
dans fes intérêts Liferre , qui fe charge de
tromper Almin , Intendant du Marquis , &
1
234
MERCURE
14
le Marquis lui-même, qui en conte à la Sou
brette tout en pourfuivant la main de la
Maîtreffe. Lifette voit entrer Almin , & fe
retne un moment. Almin resté feul , fe fait
connoître par un Monologue qui commence
aini :
J'ai fu d'un habile homme , à la mode aujourd'hui ,
Qur'avant de fe mêler des affaires d'autrui ,
Il faut au moins prouver qu'on fait faire les fiennes.
Intendant du Marquis , l'efprit embarraffé
De fes affaires & des miennes ,
J'ai couru vite au plus preffé.
Tes miennes vont au mieux.
Scène filée entre Lifette & Aknin , qui
cède la place au Marquis. Celui ci développe
aux yeux de Lifette fes principes en
amour & lui propofe des arrangemens.
Lifette lui objecte fa Maîtreffe ; elle a du
goût pour vous :
Ma Maîtreffe eft d'ailleurs aimable , jeune & belle.
LI
*
ز
MARQUIS.
Elle a du goût pour moi ! ma foi, tant pis pour elle.
LT SETT E.
Eh quoi ! vous lui tiendrez rigueur ?
LE MARQUIS.
i
Abfolument.
LISETT E.
Yous l'aimiez autrefois .
LE MARQUIS.
l'eſtime à préfent.
DE FRANCE.
235
LISETTE.
It le contrat?
LE MARQUIS.
Ne m'embarraffe guère :
Tout ce tracas d'arrangement
Ne me regarde nullement.-
J'ai fait de mon côté ce que j'avois à faire ;
J'ai donné mes pouvoirs à mon Homme d'Affaire
Mon enfant , je n'aime que toi :
Il faut devenir fage une fois dans la vie.
J'ai vécu diffipés le tourbillon m'ennuie ,
Et nos femmes du jour n'ont plus d'attrait pour moi
Tour- à-tour, & de bonne & de mauvaife foi ,
J'ai fu rendre des foins , adorer des caprices ,
Payer des plaifirs faux par de vrais facrifices;
Mais le frivole efprit d'intrigues , de fadeurs ,
Les engoûmens fübits , les petites noirceurs ,
Dont le tableau mouvant chaque jour le répère ,
Ces éternels propos d'honnêteté , de moars,
Avec les procédés de la franche coquette ,.
Toutcet éclat d'emprunt, ces charmes de toilette,
M'ont affadi , m'ont excédé ;
Enfin c'eft.un gout.décidé ,
Et mon vol ne va pas plus haut que la Soubrette.
Cette belle morale coûte cher au Mar
quis. La Comteffe & Dorimène cachées, ont
entendu la converfation . La Comteffe eft
outrée , & Dorimène faifit ce moment- là
pour faire appeler le Chevalier , à qui elle a
236 MERCURE
fair fabriquer de faux titres pour proaver à
la Comteffe qu'il eft de fa Maifon ; mais le
généreux Chevalier rougiroit de devoir fon
bonheur à une fupercherie ; il déchire fes
faux papiers devant la Comteffe , qui , touchée
de fes vertus & de fon amour , lui
donne la main , & renonce par - là à la Va
nité du Nom.
t
Il y a dans cette Pièce de petits Airs faits
par M. Dezède. C'eft affez les louer que d'en
nommer l'Auteur.
RECUEIL de Jurifprudence Féodals , out
nouvelles Infiructions fur les Domaines
Fixes , Cafuels , Cens & Rentes, Droits
Seigneuriaux , Enfaifinement & autres
Droits Domaniaux , réunis en une Adminiftrationfous
le nom de Jean- Vincent
Rene ; par un Employé Supérieur de la
Ferme Générale des Domaines du Roi ,
& de ladire Adminiftration , 1932 ,
Tome 1 , in - 8 . Prix , 4 livres o fols
broche. A Amiens , chez Caron fils ; &
fe trouve à Paris , chez Onfroy, Libraire ,
rue du Hurepoix.
CE Recueil contiendra trois Volumés ,
qui pourront s'acheter féparément pour la
facilité des Prépofés , & fuivant les différens
objets qui compofent les recettes dont
ils font chargés . C'eft par cette raison qu'on
a préſenté d'abord dans ce premier Volume
les principes relatifs à la perception & au
DE FRANCE. 237
recouvrement des Droits ; les deux autres
Volumes , qui paroîtront avant la fin de
cette année , traiteront de la Régie & Geftion
des Jenmeubles & Domaines réels , &
de l'Aménagement , Exploitation & Police
des Bois.
La Jurifprudence qui règle les Droits dûs
au Roi à caufe de fon Domaine , étant la
même que celle établie dans les Juftices ordinaires
, cet Ouvrage pourra également être
urile aux Régiffeurs & Fermiers des Terres
& Domaines des Seigneurs particuliers.
GRAVURES.
VOYAGE Pittoresque de Naples & de Sicile ,
Tome III, partie du Royaume de Naples , an
ciennement appelée grande Grèce , Chapitres I & II,
grand in -folio. Prix , 24 livres . A Paris , chez
Lafoffe , Graveur , Place du Carrouſel.
Vingt-cinquième Cahier de l'Herbier de la
France , par M. Bulliard , format in - 4° . , contenant
la fuite des Plantes vénéncules. A Paris , chez
l'Auteur , rue des Poftes.
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 6. Ge Cahier contient
un Duo de chant de M. Kufper , me Chaconne
par M. Darondeau , une Komance de M. Jarnowick,
arrangée par M. Marechal , & un Rondeau de
Jarnowick , arrangé par M. Bambini . Prix , 2 livres.
23.3 MERCURE
A Paris, chez M. Leduc , rue Traverfière - Saint-Honoré
, au Magafin de Mufique. Le prix des douze
Cahiers eft de 15 liv. pour Paris & pour la Province ,
port franc.
1
Recueil d'Airs , avec Accompagnement de Guit
tare , par Mme Richard , ci-devant Mlle Peau . A
Paris , chez l'Auteur , rue des Noyers , vis-à- vis celle
des Anglois ; Mlle Caftagnery, rue des Prouvaires's
Bignon , Place du Louvre. Prix , 4 livres 4 fols. On
n'a rien négligé pour rendre cette OEuvre agréable ,
tant par le choix des Airs que par celui des Accompagnemens.
L'Auteur paroit dans celui-ci avoir fouvent
facrifié la difficulté au goût & aux idées heureufes
dont ils font remplis ; il s'eft en même- temps
attaché à en faciliter le chant pour ceux qui n'ont
pas un ufage affez familier de la voix , & qui ne
peuvent en conféquence s'en permettre toute l'étendue.
Sonates pour le Clavecin , avec Accompagnement
de Violon ad libitum , dédiées à S. A. S. Mgr. le
Duc de Bouillon , par C. Broche , Organifte de la
Cathédrale de Rouen. A Paris , chez Bignon , Place
du Louvre ; Bercé , Négociant , rue Saint Denis , près
celle aux Ours. Prix , 7 liv. 4 fols .
Six Duos à deux Violons , par M. B. Bruny ,
Cuvre I. A Paris , chez Baillon , rue Françoife.
Prix, 7 liv. 4 fols.
Concerto d'Airs connus , contenant la première
-Ariette de la fauffe Magie & la Concertante de
Mirza , arrangés pour une Flûte principale , deux
Violons , Alio & Baffe, deux Hautbois & Cors ,
par M. de Vienne le jeune , OEuvre V. A Paris , chez
Muifard , rue Aubry-le -Boucher , & aux Adrelles
ordinaires. Priz , 4 liv. 4 fols.
DE FRANCE. 239
ANNONCES LITTÉRAIRES.
" SOPHIE
I
1
OPHIE & Théodore , ou les Aventures da
Comte de L.... Nouvelle imitée du Polonois , par
M. de Cl... in 12. A Paris , chez Knapen fils ,
Libraire , Pont S. Michel,
·
Les Voeux du Collège de Tulle pour Mgr. le
Dauphin , Difcours prononcé par M. l'Abbé Bri
val dans l'Églife du Collège de cette Ville. A Tulle,
chez Chirac , Imprimeur.
Le Mariage bien afforti , Nouvelle Polonoife ,
par M. D. de S. in - 8 °, A Paris , chez les Libraires
qui vendent les Nouveautés.
Le Congrès de Cythère , traduit de l'Italien de
M. Algarotti , petit format. Prix , 1 livre 16 fols. A
Paris, chez Onfroy, Libraire , quai des Auguftins.
On trouve à la même adreffe úne Lettre de M. le
Baron de Marivetz à M. Bailly, fur un Paragraphe
du troifième Volume de l'Hiftoire de l'Aftrono,
mie moderne , in - 4°. Prix , 18 fols.
Nouvelle Traduction de l'Iliade , 2 Volumes
in- 12. Prix , 5 livres brochés. A Paris , chez F. Barrois,
Libraire , quai des Auguftins ; & Nyon le
jeune, Libraire , quai des Quatre- Nations,
La Pratique des Devoirs des Curés , traduite en
François de l'Italien du Père Paul Segnoit , par M.
l'Abbé Delvincourt , in - 12 , Prix , 3 liv. relié. A
Paris , chez Breton , Libraire , rue S. Victor.
Hiftoire des Arts , deftinée au Cours d'Éducation
des Demoiſelles & des jeunes Meffieurs qui ne
veulent pas apprendre le Latin, par M. Wandelincourt
, Volume in- 12. Élémens de Morale , ou
Devoirs de l'Homme & du Citoyen , d'après les
-
240
MERCURE
Principes de la raifon & de la confcience , par le
même Auteur, Volume in- 12 . Ces deux Ouvrages
fe vendent à Paris , chez Durand , Libraire , rue
Galande ; & à Rouen , chez Le Boucher le jeune , rue
Ganterie.
Difcours Philofophiques fur l'Homme , fur la
Religion & fes Ennemis , fuivis des Loix Eccléfiaf
tiques , tirées des feuls Livres Saints , par feu M.
l'Abbé de.... Docteur de Sorbonne , publiés par M.
F.... Volume in-12. A Paris , chez Breton , Libraire,
rue S. Victor.
La Bibliothèque Amufanse , ou Collection des Romans
Jes plus curieux & les plus intéreffans en tout genre , &
annoncée dans le N° . 22 dé ce Journal , fe trouve à Paris
au Palais Royal , & chez les Libraires qui vendent les
Nouveautés. Le prix fera toujours de 1 liv. 1o fols le
Volume broché , & relié en veau 40 fols , & celle en
écaille , filet & tranche doré , 2 liv . 5 fols. C'eft par erreur
qu'on l'a fixée à a liv. Les Libraires , en la faifant payer
ce prix , n'exigent que leurs débourcés. A cette Collection
on ajoutera le Voyage Sentimental de M. Stone , à
Ja fuite duquel fe trouve une Hiftoire très- intérellante
dans le geme de ce Roman.
S ***
TABLE.
233
VERS d Mademoiselle de L'Occafion & le Moment, 219
193 Les Après-Soupers.
A Mde de Roucy, 195 Recueil de Jurifprudence Féo-
Le Matelot & l'Enfant , ib. dale .
Enigme & Logogryphe , 197 Gravures ,
Les Jardins , Poëme, 198 Mufique ,
Difcourspublics& Eloges ,218 Annonces Littéraires,
JAI
APPROBATION.
236
237
ibid.
239
A Ilu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Juin. Je n'y ai
sien trouvé qui poifle en empêcher l'impreflion. A Paris ,
be 28 Juin 4781 GUIDI
JOURNAL
POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
TUR QUI E.
De
CONSTANTINOPLE , le 12 Avril.
Les deux fils du Grand-
Seigneur qui vien-
ES
nent de fortir des mains des femmes , ont
eu , fuivant l'ufage , les
cheveux coupés par
le premier Barbier du Serrail , qui a reçu à
cette occafion de riches préfens du Sultan ,
des Sultanes & des
principaux
Officiers de
la Cour, ces cheveux placés fur un coullin
de velours , ont été
préfentés au Grand-
Vifir , qui les enverra à la Meque , & qui a
fait préfent au Barbier d'une peliffe de martre
zibeline , d'un cheval
fuperbement enharnaché
, & de 15 bourfes , qui font 7500
piaftres.
Le Prince
Karatfcha , nouvel
Hoſpodar
de
Walachie , fit le 18 Mars
dernier fa
fortie de cette
Capitale pour se rendre
dans fa
Réfidence . Sa fuite étoit nombreuſe
; fa
marche
reffembloit à celle des
Ier. Juin 1782.
a
( 2 )
Bachas à 3 queues. Il n'eft point vrai que
la Porte ait fait mettre à mort fon prédéceffeur
, comme on l'avoit débité.
Les Caravanes qui , ci-devant fe rendoient
par terre à Alep , feront déformais leur
voyage par mer ; elles éviteront par ce
moyen les hordes vagabondes des Curdes
& des Turcomans , qui fouvent les inquiétoient
dans leur route.
RUSSIE.
De PÉTERSBOURG , le 25 Avril.
IL eft arrivé hier ici un Courier chargé
des dépêches de M. de Simolin , notre Miniftre
à la Cour de Londres ; elles contiennent
, dit-on , les conditions auxquelles les
Provinces-Unies peuvent , fi elles le veulent ,
faire leur paix particulière avec l'Angleterre ;
elles font fondées fur le Traité de 1674
entre les deux Puisances.
Hier on a arrêté ici M. de Bibikow , l'un
des Aides -de - Camp de l'Impératrice. On
ignore la caufe de fa difgrace ; & de toutes
les conjectures auxquelles cet évènement
donne lieu , il n'y en a aucune qui paroiffe
vraisemblable.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 4 Mai.
LA maladie épidémique qui a attaqué
prefque tous les Habitans de cette Capitale ,
( 3 )
•
commence à fe diffiper. S. M. & la Famille
Royale , qui les premières en ont été atteintes
, en font à préfent parfaitement rétablies.
En général elle a été plus incommode
que dangereuſe.
La navigation a repris toute fon activité.
Hier il est entré dans le Sund 240 navires
de différentes Nations , parmi lefquels on
en compte 45 Anglois ; une frégate de 24
canons qui les avoit efcortés , les a quittés
à la hauteur de Schagen pour reprendre fa
croiſière .
,
On a établi un nouveau chantier pour
la conſtruction des vaiffeaux près de la ville
de Hals , à l'embouchure de Lümfiord
dans le Cattégat. Le premier vailleau qu'on
y conftruit est une frégate , qui fera lancée
inceffamment.
Jamais notre commerce n'a été plus floriffant
qu'à préfent ; auffi ne s'entretient on
ici que de nouvelles fpéculations. Le gain
immenfe que nos Négocians ont déja fait ,
eft fi engageant , qu'on ne ceffe de faire de
nouveaux efforts pour porter notre commerce
au plus haut degré. La Maiſon de
Sorren-Lykke vient d'ouvrir une foufcription
pour trois tonnes d'or , à 300 actions
de 1000 rixdahlers chacune. On fe fervira
de ces fonds pour équiper 4 vaiffeaux , qui
feront le commerce des Indes Occidentales.
On établit auffi à Randers , en Jutlande ,
une Société de commerce , dont le fonds
fera de 1000 actions de 100 rixdahlers .
a 2
( 4 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 24 Avril.
L'EMPEREUR vient de faire un fonds def
tiné à l'embelliffement de cette Capitale.
Tous ceux qui voudront bâtir , y trouveront
la moitié du capital qui leur fera néceffaire
pour conftruire leurs maifons , pourvu qu'ils
-prouvent qu'ils pofsèdent l'autre moitié
argent comptant ; ils payeront pour la fomme
qu'ils emprunteront l'intérêt d'uſage dans
le pays.
La plupart des Evêques de Hongrie qui
fe trouvoient dans cette Capitale pendant
le féjour du Pape , viennent de retourner
dans leurs Diocèfes. S. M. I. a écrit au
Comte d'Efterhazy , pour le charger de leur
témoigner toute la fatisfaction qu'Elle avoit
eue de leur conduite ; on fait qu'Elle a écrit
auffi elle -même au Cardinal Primat fur ce
fujer.
L'Empereur vient de donner dans une
lettre circulaire , en date du 18 du mois.
dernier , les éclairciffemens fuivans fur quelques
doutes qui s'étoient élevés relativement
à la profeffion de foi des Acatholiques.
» On demande , 1 ° , fi ceux qui ne font aucunement
ou très- peu inftruits dans la Religion Acatholique
qu'ils profeffent , doivent être réputés comme
tels , ou comme Catholiques ; & fi de pareilles
perfonnes , fur-tout les jeunes gens , peuvent être
forcés par les Prêtres Catholiques à fe faire inf
( 5 )
truire dans les principes de la Religion dominante ?
Réponse. Comme une pareille violence feroit diaméralement
oppofée à la liberté de confcience
qu'accorde l'Edit de tolérance , & que les Comm: f
faires Eccléfiaftiques pourroient trouver par- la un
prétexte de renvoyer tous ceux qui fe diroient Acatholiques
, S. M. I. veut que tous les Sujets , qui
fe feront déclarés Acatholiques pardevant la Commiffion
, foient regardés comme tels , fur - tout
lorfqu'étant exhortés , fans aucune aigreur , par
leflits Commiffaires , à rentrer dans le fein de la
Religion Catholique , ils perfillent dans leur réfolution.
On demande , 2º , fi ceux qui ne fe font
point préfentés , dans le tems , devant leurs Magifthats
refpectifs , ou les Economais , pour le fare
inferire comme Acatholiques , mais qui fe feront
préfentés depuis à la Commiffion , dans la vue de
donner cette déclaration , feront encore reçus au
nombre des Acatholiques ? Réponse. Comme il n'y
a point eu de terme fixé fur cet objet , il doit être
libre à chacun de fe déclarer Acatholique quand il
voudia. On demande , 3 ° , s'il faut que chaque
Sujet donne cette déclaration en perfonne , ou fi les
maris peuvent la donner pour leurs femmes , les père
& mère pour leurs enfans , & c. ? Réponse . C'eft
ce que S. M. I. ne permettra jamais , fous quelque
prétexte que ce foit : il faudra que chaque Sjet
donne fa déclaration en perfonne , pour qu'on foit
certain que c'eft de bonne volonté & non par con .
trainte qu'il embraffe la Religion Acatholique ; &
ceux qui négligeront de fe conformer à cet ordre ,
feront réputés Catholiques , d'autant plus qu'il pour
roit fe trouver des Sujets affez mal - intentionnés
pour déclarer fauffement comme Acatholiques leurs
femmes , enfans & domeftiques , dans la vue feulement
de completter le nombre requis pour avoir
la permiffion d'élever un temple. Du refte S. M. 1 .
-
a 3
( 6)
ordonne très- expreffément qu'on ne choiffiffe pour
Commiffaires que des Sujets éclairés & intègres «<.
On affure que les camps en Hongrie &
en Stirie n'auront pas lieu cette année . Il y
en aura feulement un de 40,000 hommes
devant Prague , & un autre de 5,000 homines
près de Laxembourg. Le premier s'aflemblera
à la fin de Juillet ou au commencement
d'Août , & M. le Comte du Nord s'y trouvera
.
1
Les appartemens occupés par le Pape
pendant fon féjour dans cette Capitale ,
viennent d'être diftribués & arrangés de
nouveau , ce qui fait revivre le bruit de
l'arrivée prochaine d'un grand Souverain.
De HAMBOURG , le 10 Mai.
ON affure que les Cours de Pétersbourg
& de Copenhague font en négociations
pour conclure un Traité d'amitié & de
commerce. Il paroît que le Roi de Danemarck
a pour objet d'attirer à Copenhague
toutes les productions Ruffes , pour y faire
le grand entrepôt de ces marchandifes.
"A l'exemple de Louis XIV , dont les bienfaits
allèrent chercher fouvent les Savans Etrangers ,
écrit- on de Pétersbourg , notre augufte Souveraine
s'empreffe de faire paffer des témoignages flatteurs
de fon eftime à plufieurs hommes célèbres ; elle a
envoyé à M. le Comte de Buffon , des fourrures de
la plus grande beauté , & une fuite de médailles d'or
frappées à l'occafien des principaux évènemens de
fon règne ; elle y a joint une lettre très - flatteufe , &
( 5 )
a chargé M. Houdon , célèbre Sculpteur, de lui faire,
en marbre , le bufte du peintre fublime & vrai de la
Nature. M. Hubert de Léipficqui a traduit en François
l'ouvrage de Winkelmann , fur l'art des Anciens ,
l'Abbé Galiani & c. , ont eu part à fa munificence.
Elle a envoyé une médaille d'or au Curé de St-Sulpice
de Paris , qui lui avoit adreffé un Mémoire fur les
établiſſemens nombreux qu'il a faits en faveur des
pauvres dans la Paroiffe . M. Sédaine , qui avoit compofé
pour S. M. 1. deux pièces en cinq actes , en a
reçu un préfent de 20,000 liv . L'Auteur des converfations
d'Emilie & fa jeune Elève , la Comteffe
Emilie de Bellunce , n'ont point été oubliées . Le
préfent, fait à cette dernière , eft le chiffre de S. M. I.
garni en diamans «.
L'extenfion des priviléges & adouciffemens
accordés par l'Empereur aux Proteſtans
, n'éprouvent aucun obftacle en Hongrie.
S. M. I. a même élevé depuis peu au
rang de Baron , plufieurs Nobles de cette
Communion.
les Selon des lettres de ce Royaume
Turcs font occupés à garnir leurs places
frontières de munitions & d'artillerie ; les
Bachas renvoyent à Conftantinople tous les
vieux canons & en reçoivent de nouveaux.
Le mois prochain , écrit- on de Hanovre , il fera
formé un camp confidérable près de Lunebourg. Il
durera depuis le 11 jufqu'au 21. On évalue à 8 bataillons
d'infanterie & à 4 régimens de cavalerie , le
nombre de troupes qui doivent le compofer. On dit
le Prince Evêque d'Ofnabruck , les deux Princes
de Mecklenbourg , & la plupart des Généraux de
l'Electorat , affifteront aux évolutions «.
que
a 4
( 8 )
Le feu Prince Augufte Czartoriski a laiffé
une fucceflion immenfe ; l'argent comptant
qu'on a trouvé monte à 800,000 ducats ,
qui , ainfi que le mobilier , feront partagés
en parties égales entre fes deux enfans , le
Prince Adam Czartoriski , & fa foeur la
Princeffe Lubomirska , époufe du Maréchal
de la Couronne. Le fils héritera feul des
terres , dont on évalue les revenus annuels
à 200,000 ducats.
D'AUGSBOURG , le 10 Mai.
On fait maintenant très - pofitivement que
le Comte de Bollo a été chargé d'une fpéculation
de Commerce , & qu'il s'eft attiré la difgrace
de l'Electeur de Trèves , parce qu'ayant
agi contre fon inftruction , il a abufé de
la confiance de ce Prince. La Cour Impériale
de Ruffie a été informée depuis de cette
affaire par la Cour de Trèves , & on peut
affurer pofitivement que les procédés de
la Cour de Ruffie n'ont regardé que la perfonne
du Comte de Bollo.
ESPAGNE.
De CADIX , le 30 Avril.
M. le Comte de Guichen eft rentré le
25 de fa croifière fur l'Ile de Madère , le
46° jour de fon départ . Il avoit été , dit-on ,
4
( و )
dans ces parages pour y intercepter un
convoi Anglois , efcorté par 5 vaiffeaux de
ligne ; mais il ne l'a pas rencontré. Il a pris
6 bitimens marchands évalués 3 ou 400,000
piaftres. 5 entrèrent dans la rade avec lui ;
le 6 coulant bas d'eau étoit refté avec le
St -Paul qui l'efcortoit , & qui avoit ordre
d'en prendre la cargaifon , s'il n'étoit pas
en état de venir jufqu'ici ; mais il vient d'arriver
heureufement avec le St- Paul.
Nous avons actuellement dans cetté rade
35 vaiffeaux de ligne , fans compter les s
de M. de Guichen ; ils font tous de l'eau
& des vivres , les uns pour retourner en
croifière , les autres pour aller couvrir le
fiége de Gibraltar.
Les principaux conftructeurs de ce Port
font partis pour Algéfiras ; ils y conduisent
tous les calfats dont ils ont befoin pour les
bâtimens qui doivent être doublés ; ce qui
avancera beaucoup les travaux déja commencés.
On allure que D. Antonio Barcelo a
obtenu le commandement des forces de
mer du blocus de Gibraltar , & qu'à cet
effet il a été élevé au grade de Lieutenant-
Général.
Depuis un mois il a été impoffible de
naviguer fur la Méditerranée , tant elle a
été orageufe ; de tous les convois fortis de
Minorque , de Marfeille , & c . aucun n'a pu
arriver à fa deftination . Ils ont été ou dif
perfés ou contraints de fe réfugier à Mayoras
( 10 )
que , à Alicante , &c. où ils font encore
retenus par le mauvais tems.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Mai.
LES bruits qui s'étoient répandus au
fujet de l'efcadre Hollandoife fortie du
Texel , ne fe font pas foutenus ; l'alarme
qu'avoit répandue la nouvelle de fon
approche , s'eft diffipée , en ne la voyant
paroître nulle part ; & les mouvemens
de celle de l'Amiral Hove , dont nous
avons été inftruits , ont achevé de nous
raffurer. On ne doute pas qu'elle ne cherche
à la joindre & à la combattre ; on
s'eft déja promis d'avance un triomphe
fondé fur la fupériorité de la nôtre , &
fur l'époque où les Hollandois ont pu
fortir ; fi , comme quelques- uns de nos
papiers l'ont prétendu , ils avoient mis à
la voile le 10 , il feroit très- poffible qu'ils
tombâffent dans notre efcadre ; mais il fe
peut qu'ils foient partis plutôt , & qu'ils
aient une avance qui nous empêchera
de les atteindre , & il fe peut encore
qu'ils foient rentrés , & alors l'Amiral Hove
n'aura fait que changer de croiſière inutilement
; il eft difficile qu'il puifle tenter une
defcente fur les côtes Bataves , qui font
bien défendues ; d'ailleurs il n'a pas de
troupes à bord ; & fans elles il ne peut
faire beaucoup de mal à nos ennemis . En
( II )
attendant , il a laiffé les côtes de France
libres , & les convois qui peuvent en être
expédiés ne trouveront aucun obftacle à
leur fortie.
En attendant des détails plus authentiques
& plus circonftanciés des mouvemens
de notre efcadre , on continue d'armer
les milices ; on en forme ici un corps
d'environ 1000 hommes , qui monteront
la garde , feront des patrouilles , veilleront
à la fûreté de la cité , & au maintien de
l'ordre public ; on les formera à la difcipline
& au maniement des armes ; de
tems en tems , lorfqu'ils feront inftruits
ils feront chargés d'exercer quelques milliers
de leurs camarades , qui , fans être
enrôlés comme eux , fans faire de fervice
régulier , forment le corps nombreux de
la Milice nationale , qu'on pourra affembler
au befoin , & qui ne fe préſentera
pas neuf en rang.
Les camps vont auffi s'affembler inceffamment
; celui de Cox - heath conſiſtera ,
dit-on , en 14,000 hommes ; celui de
Warleycommon , fera plus confidérable , à
caufe de la guerre avec la Hollande ; on le
portera à 17,000 hommes , fans compter
la Cavalerie & l'Artillerie. Il en fera formé
un troisième à Gates Head- Fell , près de
Newcaſtle , & il doit confifter en 4000
hommes d'Infanterie & un efcadron de
Dragons.
Il n'y a pas d'exemple de la détreffe à laquelle
a 6
( 12 )
cette Capitale fe trouve réduite pour l'article du
chauffage . Aujourd'hui elle eft d'autant plus remar
quable qu'il fait fi extraordinairement froid , qu'on
ne peut fe paffer de feu : plufieurs des braffèries les
plus confidérables , des manufactures de verre &
autres ont été forcées de difcontinuer leur travail ;
dans diverfes parties de la ville , les petits Marchands
qui vendoient le charbon en détail , ont
fermé boutique , & le peu qui refte de cette denrée
, ſe vend actuellement s liv . fterl, la voiture :
( le prix ordinaire eft de 38 à 40 shelings ) . Cette
difette n'eft pas une affaire de monopole , elle eſt
réelle &occafionnée par la continuation du vent d'Eft,
qui ne permet pas aux navires charbonniers de fortir
du port de Newcaſtle ; de forte qu'en fuppofant }
même que le vent changeroit , fi ces charbonniers
n'arrivent pas vers la fin de la femaine , espace de
tems le plus court qu'on puiffe fuppofer pour la
navigation de Newcastle ici , tiches & pauvres fe
trouveront également dépourvus de cet article de
néceffité première «.
Le plan propofé par le Lord Shelburne ,
pour armer la Milice dans la Grande Bretagne
, continue de faire beaucoup de bruit ;
comme il n'étoit que provifoire , & qu'on
invitoit les Corps de Ville à l'examiner ,
& à propofer les changemens qu'ils jugeoient
néceffaires , il s'eft tenu dernièrement une
affemblée des Lords - Lieutenans de divers
Comtés fur ce ſujet .
Ce projet d'armer les habitans des divers Com.
tés , dit un de nos papiers , ne leur fembla pas autfi
falutaire qu'il avoit paru l'être au Parlement ; ils
crurent , au contraire , y voir le plus effrayant des
dangngers , & prièrent en conféquence le Duc de
Grafton de vouloir bien faire connoître leur façon
( 13 )
de penfer à cet égard au Roi féant en fon Confeil :
il faut que le point de vue dans lequel ces Seigneurs
ont envisagé le projet diffère étrangement de celui
fous lequel on l'avoit préfenté au Parlement , puifque
de dix-huit qu'ils étoient , il n'y en a pas un
feul qui ait été d'avis contraire ; & ce qu'il y a de
plus frappant , c'eft que de ces dix- huit Lords- Lieutenans
, quinze font connus pour être invariablement
attachés à cette Adminiſtration nouvelle qui
en a conçu le projet , & qui l'a appuyé près des
Communes avec tant de chaleur : il eft à croire
qu'elle aura égard à cette oppofition , dont le poids
ne peut être plus refpectable ; car enfin , des Lords-
Lieutenans des Comtés , font ici ce que font les
Gouverneurs des provinces de la France : & qui
peut mieux juger que ces grands - Officiers de l'effet
que doit néceffairement produire telle ou telle mefure
fur les habitans de leurs diſtricts ?
On est toujours fort curieux de favoir
comment fe terminera l'affaire de l'indépendance
de l'Irlande ; les affociations.
continuent , & prennent toutes des réfolutions
qui tendent à l'affurer . On a pris à
Cork , dans une affemblée très nombreuſe ,
les fuivantes.
» Réſolu unanimement qu'une légiſlation nationale
& indépendante étant le droit fondamental du
fujet , fans l'étabilement duquel nous ne pouvons
jamais espérer de fécurité pour nos perfonnes &
notre propriété , elle est un objet de grande importance
nationale & que nous voulons affurer , élever ,
maintenir & défendre ces droits , & tous autres nature's
& inh rents , par tous les movens conftirutionnels
, déclarant folemnel'ement qu'aucun pouvoir
ou état quelconque n'a le droit de faire des
leix pour gouverner ce Royaume , excepté le Roi ,
les Lords & Communes d'Irlande. Que l'indépen
( 14 )
dance des Juges , en tenant leurs places , quandiù
fe benè gefferint , feroit une fécurité additionnelle
pour l'administration impartiale de la juftice . Que
toute restriction fur le commerce de ce Royaume ,
impofée par réclamation , particulièrement pendant
la féance du Parlement , eft injurieuſe à l'efprit de
notre conftitution ; qu'elle a été pernicieuſe &
peut être fatale à notre commerce. Que nous recommandons
une modification ou explication de la
loi appellée Poining's Law , qui détruiſe ce pouvoir ,
que s'eft arrogé le Confeil -Privé , d'altérer ou fupprimer
les bills du Parlement d'Irlande. Que l'acte
de mutinerie , illimité dans fa durée , eft répugnant
à toute idée de liberté , inconſtitutionnel & abufif.
Que regardant les intérêts & connexions de la
Grande - Bretagne & de l'Irlande comme inféparables
, nous déclarons également que leurs légiflations
font diftin &tes & indépendantes l'une de
l'autre , & que la fécurité & la ſtabilité de la première
peuvent être maintenues feulement par l'établiffement
de l'autre. Que les fommes immenſes
qu'on fait annuellement paffer de ce pays- ci , pour
remettre aux abfents de ce Royaume , conftituent
un abus digne de la confidération de la légiſlation .
Que les Communes de l'Irlande font les gardiennes
de la bourie de la Nation , & que , comme telles ,
elles doivent faire ufage de l'argent public avec
frugalité & économie ; & que dépenser avec prodigalité
l'argent public , en penfions non méritées
& places inutiles , eft inconftitutionnel & abufif.
Que la dette de la Nation monte à une fomme
énorme ; le revenu n'étant pas équivalent aux dépenfes
publiques , l'économie & le retranchement
font effentiellement néceffaires pour éviter d'impofer
de nouveaux fardeaux fur le fujet . Que l'accroiffement
des falaires attachés à d'anciennes &
inutiles places , & à la création de nouvelles avec
de gros falaires , tendent à augmenter l'influence
indue de la Couronne , en augmentant le pouvoir
de la corruption dans les mains du Gouvernement.
Que nous ne donnerons notre vote à aucune perfonne
pour être notre Repréſentant en Parlement ,
qui ne voudra pas fupporter avec zèle nos réfolutions
& perfévérer à folliciter un redreſſement
conftitutionnel de nos griefs. Que nous nous ré
jouiffons dans l'efprit de tolérance religieufe qui
domine dans tous les rangs du peuple , & contemplons
avec fatisfaction les avantages nationaux ',
qui , felon les apparences , réfulteront de l'indulgence
libérale que cet efprit a étendu fur tous nos
confrètes Catholiques Romains . Que nous fommes
entiérement déterminés à donner tout encouragement
& préférence convenable aux manufactures
de notre pays ; mais que cet encouragement & cette
préférence feront proportionnés à l'industrie , l'intégrité
& la bonne conduite de nos Manufacturiers.
Que les remerciemens de cette affemblée feront
préfentés à James Bernard , Ecuyer , à raifon des
efforts fermes & conftans qu'il a fats , quoique fans
fuccès , pour obtenir le redreffement de nos griefs.
Que les remerciemens de cette affemblée feront
préfentés au très- honorable Lord K`ngsbourough ,
James Kearney & Francis Bernard , Ecuyers ,
à raifon de leurs efforts tendans à la même fin.
Que les réfolutions ci -deffus feront tranfmifes par
le Haut- Sherif de ce Comté , comme des inftructions
à nos Repréfentans , pour leur conduite en
Parlement «.
Le 2 de ce mois les Pairs d'Irlande s'affemblèrent
pour fixer définitivement le fort du
bill déja paffé dans la Chambre des Communes
, en faveur des Catholiques. Le
Lord Bellamont crut devoir s'opposer à la
première claufe de ce biil , qui autorifoit
les Catholiques à acheter à perpétuité
( 16 )
des fonds de terre , & à en jouir eux &
leurs héritiers , comme s'ils étoient Proteftans
, & motiva ainfi fon oppofition .
» Je ne conçois rien , dit- il , de fi impolitique , de
fi dangereux , que cette claufe : que l'on abolile
toutes les loix pénales ; que l'on adouciffe par tous
les moyens poffibles la fituation des Catholiques
Romains , lorsqu'on aura beaucoup fait à cet égard ,
j'examine avec follicitude s'il n'eft pas pollible de
faire encore davantage ; mais mettre , à l'égard de
la propriété , les Catholiques Romains fur le pied
abfolu des Proteftans , eft une mesure que je ne
puis approuver , par la raifon que la propriété foncière
donne , à celui qui en jouit , une portion de
pouvoir proportionnée à fon étendue . Ce bill ne fera
pas plutôt paffé en loi , que vous verrez ceux en
faveur defquels il aura été fait , afpirer à d'autres
priviléges , qu'ils regarderont comme des droits
émanans de celui que vous leur aurez accordé ; ces
propriétaires fonciers ne manqueront pas de réclamer,
comme francs - ténanciers , le droit de voter aux
élections ; & fi vous le leur accordez encore , ce
qui me paroît être une fuite nécelaire de la première
indulgence , vous êtes perdus , votre conftitution
eft anéantie. Les Electeurs Papiftes placeront au
Parlement des Membres dont l'inquence conformera
vos loix aux defirs & aux intérêts du Pa-
――
pifme. Je vous fupplic , Mylords , de donner à
ces repréſentations toute l'attention qu'elles me paroiffent
mériter. L'Evêque de Cloyne cppofa les
réflexions ſuivantes au Lord Bellamont : « J'ai profondement
réfléchi fur le fujet foumis aux délibézations
de la Chambre , je m'en fuis occupé , même
avant que l'on fongeât à adoucir , en faveur des
Catholiques Romains , la rigueur des loix pénales
portées contre eux dans des temps qui ne forment
pas la plus gloricafe époque de notie hiftoire, J'ai
(
17
l'honneur de connoître un Seigneur Anglois qui ,
envoyé deux fois en Ambatfade dans des Etats
Catholiques , avoit pour inftruction d'y folliciter
quelque tolérance en faveur des Proteftans. La réponfe
que lui firent les deux Cours où il exerçoit
fa charitable miffion , fut auffi courte qu'aniforme ;
on lui dit : M. l'Ambaffadeur , jetez les yeux fur
les ftatuts de l'Irlande ! La première règle de l'Eglife
Chrétienne eft la tolérance : on croit démêler dans
T'Hiftoire quelques faits plus ou moins conftatés
qui donnèrent lieu dans le temps à la promulgation
des loix contre le Papifme ; mais ces caufes étoient
bien frivoles , & l'on ne peut fe diffimuler qu'elles
furent faites contre l'intérêt national , contre l'union
des peuples , contre nature , contre le droit
dont l'homme eft revêtu en naiffant , contre tous les
liens de la Société. Une maxime fondamentale &
de devoir moral , eft : faires pour autrui ce que
vous voudriez qui fût fait pour vous . Voyons
comment les Proteftans rempliffent ce devoir
écoutez - les Vous n'adorerez point Dieu , difent
- ils aux Catholiques , vous n'éleverez point
vos enfans de la manière qui vous paroîtra la
moins convenable ! Eft- il poflible , dans ce fiècle
éclairé , de laiffer fubfifter des loix qui gênent la
confcience , expofent la propriété d'une certaine
claffe de citoyens , & la réduisent à l'alternative
horrible , d'abjurer fa foi ou de perdre les moyens
de fa fubfiftance ? De pareilles loix ne font propres
qu'à détruire l'union domestique , la paix & tous les
intérêts de l'Etat où elles font en force. →→ Suppofez
une invafion : je demande fi ce font ces loix qui rallieroient
les habitans fous l'étendard de la loyauté ;
qui les réuniroient contre l'envahiffeur ? Ne fentezvous
pas qu'elles produiroient néceffairement l'effet .
contraire ? J'éprouve tout l'embarras dont ne peut
fe défendre un Eccléfiaftique qui entreprend de recommander
la tolérance en faveur de perfonnes
dont il réprouve les erreurs , & qui n'approuve pas
( 18 )
qu'on leur confie l'exercice d'aucun pouvoir politique
; mais je ne vois pas que le bill en queſtion
leur donne aucun pouvoir de cette nature : fi je
voyois autrement , je ferois le premier à m'y oppofer,
par la raifon de leur dépendance d'une puiffance
étrangère qui n'eft pas amie de la conftitution «,
Plufieurs Lords fpirituels parlèrent enfuite pour ou
contre ; mais le cri de la tolérance l'emporta , &
l'amendement propofé par le Comte de Bellamonr ,
fut rejecté par une majorité de dix-fept voix , quarante-
fix contre vingt-neuf.
Le 4 Mai , le Duc de Portland donna
la fanction royale à ce bill , ainſi qu'à
quelques autres qui fe trouvoient prêts ,
& de cette manière a fini la longue captivité
des Catholiques d'Irlande.
La Compagnie des Indes a , dit- on , reçu hier
des Dépêches de Sir Edouard Hughes';
elles ne font pas encore publiques ; mais
elles ne tarderont pas à l'être , fi ce qu'en
rapportent nos papiers eft exact . Voici ce
qu'ils en difent.
» Cet Amiral , ayant fait voile avec 7 vaiſſeaux
de ligne pour l'Ile de Ceylan , a attaqué Trinquemale,
fon port principal , & a forcé cette fortereffe
à capituler ; s'étant porté enfuite avec une partie de
fon efcadre contre Nova - Porta , autre fort fitué
dans les environs de Pondichéry , il lui a fait fubir
le même fort ; & enfin la fortune le fecondant encore
, tandis qu'il revenoit de ces expéditions , il a
rencontré & pris deux gros navires Hollandois richement
chargés d'épices & autres productions précieufes
du pays. On ajoute , qu'immédiatement
après la conquête de Trinquemale , le Roi de Candie
offrit fes fervices aux Anglois , & leur propofa de
-
aider à expulfer les Hollandois de l'Ifle entière.
( 19 )
-
Qu'à cette époque , l'on favoit que les François
avoient 11 vaiffeaux de ligne dans ces mers , mais
qu'il ne leur étoit pas poffible de forcer Sir Edward à
quitter le mouillage de Trinquemale ; que d'ailleurs
l'Amiral Anglois attendoit des renforts confidérables
qui lui étoient annoncés . Des lettres
particulières arrivées en même tems & fans doute
par la même voie , parlent toutes de la priſe du port
de Trinquemale , mais varient quant aux circonftances
: felon elles , par exemple , les deux navires
chargés d'épiceries , &c. ont été pris dans le port
même ; le fort ne s'eft pas tant rendu à la bravoure
Angloife qu'à la défection des naturels du pays qui
ont joint l'ennemi dès qu'il a paru , & l'ont fupplié
de rétablir le Gouvernement de leur Prince naturel.
Elles difent auffi que le Général Sir Eyre Cotte
venoit de mourir d'une attaque d'apoplexie , & que
le commandement en chef des troupes de terre étoit
dévolu à Lord Botetourt. L'une d'elles enfin , ajoute
par P. S. , qu'au moment de fa date ( 18 Janvier)
une flotte Françoiſe étoit en vue , & l'Amiral Anglois
fe difpofoit au combat. Et voilà comme l'on
voit bien des points à éclaircir «.
Depuis avant hier , il circule ici quelques
lettres de la Jamaïque , en date du
14 & du 23 Mars .
Mardi dernier , lit-on dans la première , le paquebot
le Swallow , Capitaine Greene , ayant à bord les
malles d'Angleterre , a mouillé à Kingston : fon
paffage a été de 28 jours . Par les nouvelles qu'il
apporte , nous fommes certainement informés que
les deffeins de l'ennemi contre notre Ifle font d'une
nature auffi férieufe qu'alarmante . Ce paquebot
ignorant que Saint-Chriftophe étoit entre les mains
de l'ennemi , étoit entré dans la rade de cette Iſle , &
alloit y jetter l'ancre au moment où il fut informé
de ce fâcheux évènement par une voix qui le fic
( 20 )
entendre d'une frégate : fur quoi il fe porta fur le
champ au large , & eut le bonheur de fe fauver ,
quoiqu un vailleau qui lui donnoit challe , lui tira
plufieurs coups de canon . Le Swallow a pris dans ſa
traversée un navire de Bordeaux chargé en vin ,
farine , &c. deftiné pour le Cap - François . C'eft un
de ceux difperfés dans le coup de vent du 12 Dé• ¸
cembre , & retournés à Breft , d'où , ayant appris
que cette flotte étoit réparée & ſe difpofoit à faire
voile , il avoit mis à la mer le 10 Février dans
l'espoir de la rencontrer. Le Capitaine Chriftie ,
l'un des paflagers fur ce paquebot , dit avoir pris
à bord de fon navire la Maria , dans fa traversée de
cette Ifle en Europe , les équipages & paflagers du
Trecothick , Grieve & Africa , qui ont coulé à
fond ".
La flotte de Cork , dit la deuxième lettre , depuis
fi long-tems attendue , eft arrivée fous la protection
de l'Invincible & du floop le Martin ; elle a laiffé
Ste-Lucie le 7 , & a fait la traversée en 9 jours.
Lors de fon départ , Sir George Rodney , avec 37
vaiffeaux de ligne , mouilloit fur une feule ancie avec
les huniers laigués , pour être prêt au moment où
l'occafion le requerroit ; plufieurs navires , excellens
voiliers , étoient convenablement ftationnés
pour donner immédiatement information de l'apparition
de la flotte attendue de France . Le bruit
couroit à Sainte- Lucie que Sir George Rodney fe
propofoit d'aller fous peu de jours tenter de reprendre
Saint- Chriftophe & fes appartenances ; on
peut cependant fu , pofer avec raison , que des objets
de plus g ande importance devoient engager fon
attention , des égards pour la fécurité de notre Ifle
font , à ce que l'on dit partie de fes inftructions «.
P. S. De Londres , le 20 Mai. La
Gazette ordinaire de la Cour a publié hier
deux lettres reçues la veille de l'Amiral
( 21)
Rodney , à bord du Formidable le 14
Avril.
Il a plu à Dieu , dans fa divine providence , d'accorder
aux armes de S.-M. une victoire complette
fur la flotte de fon ennemi , commandée par
le Comte de Graffe qui eft pris lui- même avec la
Ville de Paris , & quatre autres vaiffeaux de fa
flotte , non compris un fixième coulé bas dans
l'action . Cette importante victoire a été remportée
le 12 courant , à la fuite d'une bataille qui a duré
avec une furie fans relâche depuis 7 heures du
matin jufqu'à 6 heures & demie du foir , terme
auquel le coucher du foleil termina l'affaire. Les
deux flottes ont confidérablement fouffert ; mais
c'eft avec la plus haute fatisfaction que je puis
affurer L. S. que quoique les mâts , les voiles , les
manoeuvres & même les corps des vaiffeaux de la
flotte Angloife foient endommagés , la perte en
hommes n'a été que peu confidérable , eu égard à la
longue durée de la bataille , & fur-tout , fi l'on
confidère combien de tems ils ont été engagés , au
plus près , dans une action dont les deux Hottes
regardoient l'illue comme intéreffant très - effentiellement
l'honneur de leur Roi & de leur pays . L'envoi
d'approvifionnemens pour la Marine , arrivé récemment
aux Indes- Occidentales , fervira , je l'espère du
moins , à réparer promptement tous les dommages
que la flotte de S. M. a effuyés . La vaillante conduite
des Officiers & des équipages de la flotte que j'ai
l'honneur de commander , doit les rendre à jamais
chers à quiconque aime fon Roi & fon pays . La
deftruction doit avoir caufé des ravages prodigieux
fur les vailleaux ennemis , vu que pendant la majeure
partie de l'action , chaque coup de canon a porté ; &
on peut juger de la dévastation qui a dû s'en fuivre ,
lorfqu'on faura que le Formidable feul a tiré près
de 80 bordées . Lord Cranſton qui , dans les deux
( 22 )
actions , a fervi comme étant un des Capitaines du
Formidable , & à la brave conduite duquel j'ai
beaucoup d'obligations , aura l'honneur de préfenter
ces dépêches ; je ne puis que référer à lui L. S. ,
pour tous les détails circonftanciés qu'elles pourront
defirer ; il eft pa: faitement inftruit de tout ce qui
s'eft pallé.
La feconde lettre eft de la même date ,
& conçue ainfi.
Malgré les difpofitions que j'avois faites de la
flotte en ftation au vent des Iles Françoifes , en
formant une ligne qui s'étendoit de la latitude de la
Defirade à celle de St- Vincent , outre une ligne de
frégates ftationnées au vent ; difpofition qu'on regardoit
comme devant rendre de toute impoffibilité
qu'aucun convoi pour les Illes Françoiſes échappât ;
cependant , l'ennemi y a réuffi , en portant fur la
Defirade ; & en ferrant de près la Guadeloupe & la
Dominique , il arriva fauf de la baie de Fort- Royal
les 20 & 21 Mars . Informé de cet évènement défavorable
, je rentrai à Ste - Lucie , dans la baie de
Gros -Iflet , que j'avois indiqué pour rendez - vous aux
navires munitionnaires , vivriers & du commerce ,
deftinés pour la Jamaïque, A mon arrivée dans la
baie , on répara la flotte en diligence & on l'approvifionna
de munitions & de vivres pour mois;
pendant ce tems , on obfervoit la flotte Françoiſe
dans la baie de Fort-Royal , où je favois que le
Comte de Graffe fe hâtoit de la mettre en état ,
pour faifir la première occafion de fe rendre à la
deftination. Les Avril , informé que l'ennemi embarquoit
les troupes , j'en conclus qu'il fe propofoit
de mettre à la voile dans très - peu de
jours. Le Capitaine Byron , de l'Andromache ,
obferva les mouvemens de l'ennemi avec tant d'attention
, que le 8 , au point du jour , il indiqua par
un figual que les François fortoient & gouvernoient
( 23 )
an Nord; je fis fur le champ celui de lever l'ancre ,
& ayant reconnu les bayes de Fort-Royal & de
Saint - Pierre , où il ne reftoit aucun vaiffeau ennemi
, je fis celui de chaffe générale , & , avant qu'il
fît jour, j'atteignis l'ennemi fous la Dominique , où
les 2 flottes , prifes de calme , reftèrent quelque
tems en cet état . L'ennemi gagna le vent le premier ,
& porta fur la Guadeloupe ; ma divifion de l'avantgarde
aux ordres du brave Contre- Amiral Hood ,
eut enfuite le vent & porta fur lui ; à 9 heures l'ennemi
commença de canonner cette divifion , qui lui
rendit fon feu avec beaucoup de vivacité. Les
vents contraires empêchèrent une partie de la divifion
du centre qui fe trouvoit fous la Dominique ,
d'entrer en action avec l'arrière-garde ennemie avant
11 heures & demie , & ce ne fut qu'alors que put
donner le vaiffeau qui fe trouvoit après moi dans
la ligne de bataille. La canonnade de l'ennemi
cefla à l'approche de mon arrière-garde ; mais elle
avoit déja caufé des dommages confidérables aux
vaiffeaux de l'avant - garde ; elle avoit défemparé
le Royal Oak & le Montague , & tué un brave
Officier le Capitaine Bayne de l'Alfred , ainſi que
nombre d'Officiers & Matelots ; mais telle fut l'activité
& la pe févérance de Sir Hood & des vaiffeaux
de l'avant-garde que l'ennemi reçut plus de
dommages qu'il n'en caufa . La nuit du 9 , la flotte
mit en panne pour réparer fes dommages . Le 10 ,
elle continua de tourner au vent failant peu de
voiles ; l'ennemi continuoit la même manoeuvre ,
il étoit en fon pouvoir d'en venir à une action ; ce
qu'il évira , & dans fa fituation , entre les Saints &
la Dominique , je ne pouvois l'y forcer. Le II
Avril , l'ennemi avoit gagné le vent , il ventoit
grand frais , je fis fignal de chaffe générale au vent ;
elle dura toute la journée ; vers le coucher du foleil ,
quelques-uns des vaiffeaux les plus en avant de la
( 24 )
hotté avoient atteint de près un des vaiffeaux ennemis
qui avoit reçu des dommages dans la dernière
action , & l'euffent certainement pris fi le Comte de
Graffe n'eût porté fur lui avec la Botte entière pour
le protéger , ce qui le rapprocha tant , que je conçus
l'efpoir de lui livier bataille le lendemain ; dans
cette vue , je déterminai l'ordre dans lequel on
devoit marcher , & je gouvernai au Sud juſqu'à
2 heures du matin ; alors je virai vent devant , & au
retour du jour , j'eus le bonheur de voir que le plus
ardent de mes defirs touchoit au moment d'être
accompli , celui de forcer l'ennemi au combat. On
ne perdit pas un moment pour l'exécution ; dans ma
première lettre j'ai rendu compte de l'iſlue «.
L'Amiral dit qu'il a eu 230 morts , dont 3 Capitaines
& 3 Lieutenans , & 759 bleſſés , dont 10 Liet
tenans de vaiffeaux & 5 Capitaines des troupes de la
Marine. Le Lord Cranston & le Capitaine Byron ,
chargés de fes dépêches , rapportent que le Céfar ,
l'un des vaiffeaux pris , a fauté par accident , peu de
tems après s'être rendu ; & qu'un nombre confidérable
d'hommes qui fe trouvoient à bord , a malheureufement
péri.
On eft un peu étonné que l'Amiral Rodney
ne dife pas un mot du convoi que le Comte
de Graffe conduifoit à St Domingue ; il
eft naturel d'en conclure qu'il a marché à
fa deftination , & alors on demande pourquoi
l'Amiral ne l'en a pas empêché ,
pourquoi il n'a pas détaché quelques
vaiffeaux pour l'intercepter ; & on n'en
voit pas d'autre raifon que la crainte de
perdre fa fupériorité devant l'efcadre Françoife
; car quoiqu'en difent nos Amiraux ,
ils
( 25 )
ils n'ont jamais cherché de bonne foi à
fe mefurer avec les François à nombre
égal ; & cette fois nous avions l'avantage
du nombre. Il ne parle pas non plus de
te qu'elt devenue l'efcadre Françoiſe ; il
femble qu'il auroit été intérellant d'indiquer
à -peu-près la route qu'elle a prife ;
a- t-elle été à la Martinique ou à Saint-
Domingue ? dans ce dernier cas , rien ne
l'empêchera de fe joindre aux Eſpagnols ,
de s'y réparer promptement. Les magaſins
de cette Ifle abondamment pourvus lui fourniront
tout ce dont elle a befoin. L'Amiral
Rodney convient qu'il a beaucoup fouffert ;
il a donc été obligé de fonger à fe réparer ,
& quoiqu'il en dife , les approvifionnemens
qu'il a reçus ne lui procureront pas
tout ce qui lui fera néceffaire pour le faire
promptement. Il ne dit pas non plus qu'il
eft für d'être bientôt en état de remettre en
mer ; cet Amiral qui ne doute jamais de
rien , au monent d'une victoire , fe contente
de dire qu'il efpère de l'être bientôt.
Alors malgré cette victoire la campagne eft
manquée ; ce fera à recommencer l'année
prochaine ; & c'eft le plus beau jeu que
nous puiffions espérer ; car il y a quelques
chances qui font à préfent contre nous ;
ce font les fuites de la jonction des efondres
Françoife & Efpagnole , & une armée de
terre confidérable , qui pourront agir &
réparer la journée du 12 ; Rodney , lorf-
1er. Juin 1782. b
( 26 )
qu'il pourra remettre en mer , n'aura rien
de plus preflé que de fe rendre à la Jamaïque.
Il ne peut guère prendre de revanche
aux Antilles , chercher à recouvrer
les Ifles que nous avons perdues ; il n'a point
de troupes ; & fa victoire fe réduit à avoir
eu l'avantage dans une action .
La même Gazette contient une lettre de
l'Amiral Hughes , en date du 15 Janvier
dans la Baie de Trinquemale , où il rend
compte de la prife de Negapatnan , fur la
côte de Coromandel , & de quelques établiſſemens
Hollandois dans l'Ifle de Ceylan ;
fon étendue nous force à la remettre au
Journal prochain .
On affure toujouts que fi le Lord Howe
manque de rencontrer l'efcadre Hollandoife
, il doit faire une opération avec fon
efcadre & les garnifons de fes vaiffeaux.
On affure que l'Amirauté fait fondre
actuellement à Wolwich un grand nombre
de carronades ou de crache - feu , du
calibre de 24 livres. On a reconnu que
ces petits canons , qui n'occupent point
beaucoup d'hommes pour les fervit , fent
le plus grand ravage dans les manoeuvres
de l'ennemi.
Depuis le changement de l'Adminiftra
tion on emploie , dans les chantiers du
Roi , environ mille ouvriers de plus , dont
400 font actuellement à Portsmouth ,
( 27 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 28 Mai.
LE Comte & la Comteffe du Nord arrivés
à Paris le 18 de ce mois , fe rendirent
le 20 ici , & furent préſentés à
LL. MM. & à la Famille Royale , accompagnés
par le Prince Baratinsky. Le Comte
du Nord fut conduit par M. la Live de
la Briche , Introducteur des Amb ffadeurs ;
M. de Sequeville , Secrétaire ordinaire du
Roi pour la conduite des Ambaſſadeurs ,
précédoit. La Comteffe du Nord fut conduite
& accompagnée par la Comteffe de
Vergennes , chez la Reine & les Princeffes
de la Famille Royale.
LL. MM. & la Famille Royale ont
figné , le 20 de ce mois , le contrat de
mariage du Vicomte de Parel de la Chatonnie
, Lieutenant d'Artillerie au régiment
de la Fère , avec Demoifelle de la Celle.
Le 22 ; le Comte de Pierrepont , qui
avoit précédemment eu l'honneur d'être
préfenté au Roi , eut celui de monter dans
les carroffes de Sa Majefté , & de chaffer
avec Eile.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Bouzonville
, Ordre des Bénédictins , Diocèfe
de Metz , l'Abbé de Meun de Sirlabous ,
Vicaire Général du Diocèle de Comminges.
-
b 2
( 28 )
MM. Née & Mafquelier ; Graveurs ;
que LL. MM. & la Famille Royale ont
honorés de leurs foufcriptions , pour la
Defcription particulière de la France , ont
eu l'honneur de remettre à LL . MM . ,
ainfi qu'à la Famille Royale , la treizième
livraison de cet Ouvrage , ainſi que la
quatorzième qui doit entrer dans la Minéralogie
du Dauphiné , par M. Guettard.
M. Tellès d'Acofta , Grand Maître des
Eaux & Forêts de la Généralité de Châlons
en Champagne , a eu l'honneur de préfenter
au Roi fon Ouvrage intitulé : Inftruction
fur les bois de Marine & autres . ( 1 )
De PARI 8 , le 28 Mai.
Le bruit qui s'étoit répandu des actions qui
ont eu lieu aux Antilles entre M. de Graffe
& l'Amiral Rodney s'eft confirmé. La relation
emphatique de l'heureux Rodney donne
lieu à quelques réflexions qui n'ont pas
échappé en Angleterre même. C'eft par fes
effets & fes fuites qu'on juge d'une victoire
; quels ont été ceux des deux combats ?
L'objet de M. de Graffe étoit d'affurer la
marche de fon convoi à fa deſtination , &
il paroît l'avoir rempli. Il n'a combattu le 9`
(1) Cct Ouvrage intéreffant & bien fait fe trouve à Paris
chez Cioufier , Imprimeur , rue de Sorbonne , au coin de
ceile des Mathurins ; prix 3 liv. 10 fols , vol, in- 12. avec fig.
( 29 )
que pour le couvrir ; l'action du 12 , en occu
pant les Anglois , les a empêchés d'envoyer
après pour effayer de l'intercepter. Ce qu'ils
auroient d'ailleurs fait trop tard , le convoi
ayant fait route le 9 au foir fans être inquiété.
Arrivé à fa deſtination il a remis , à l'armée
Espagnole déja raffemblée , les renforts qu'elle
attendoit ; 17 vaiffeaux de ligne de la même
Nation fe font trouvés prêts à la recevoir,
& à la foutenir & à la porter dans les lieux
qu'avoient pour objet les opérations concertées
par les Cours de Veríailles & de
Madrid. Rodney , malgré fon avantage ,
a fouffert exceffivement dans les deux combats
, & après le dernier il a eu trop befoin
de fe réparer , pour fonger à s'opposer aux
projets de fes ennemis. Ces réparations indifpenfables
l'ont forcé de fe retirer à Antigues
& à Sainte- Lucie où il n'a point de
magafins , & où il fe procurera difficilement
les fecours dont il a befoin. L'efcadre Françoife
trouvera dans ceux de la Martinique
tout ce qui lui eft néceffaire , & pouvant
être par conféquent réparée plutôt peut gagner
Saint -Domingue ou les parages dans
lefquels fe trouveront les Espagnols , avant
que les Anglois puiffent quitter leurs rades.
Les efcadres combinées feront alors égales ,
peut être fupérieures & en état de fe mcfurer
encore fi Rodney en a envie , ce qui eft
douteux , malgré fon dernier avantage , &
fa jactance , puiſqu'il a toujours évité le
b 3
( 30 )
combat lorfqu'il ne pouvoit s'y préfenter
avec une fupériorité de forces. Ses campagnes
précédentes & cette dernière le prouvent .
C'est pour ne point perdre cette fupériorité
qu'il a confervé tous les vaiffeaux , qu'il
n'en a point envoyé après le convoi quoiqu'il
eût pu en détacher 3 ou 4 fans s'affoiblir.
Cette prudence peut lui avoir affuré
l'avantage dans une action , mais l'a privé
de ceux qu'il pouvoit attendre de fes fuites.
Les poffeffions de fa Nation , qu'il devoit
couvrir , font toujours menacées & peuvent
être attaquées pendant qu'il fe répare .
» On dema doit ces jours de niers , nous écrit
une perfonne inftrite , à un Anglois de confidération
qui fe trove ici , ce qu'il peafuit des fuites du combat
des Antilles . Je penfe , a-t-il répondu , que fi
Rodney n'a pas détaché quelques vaiffeaux pour intercepter
le convoi , il méine de perdre la tête. Il pouvoit
, avec 32 ou 33 vaiffeaux , tenir tête à M. de
Graffe , & en envoyer 4 ou à la pour fuite da convoi.
comm
Cet Anglois a raifon ; mais il ne devoit pas ou
blier qu'il eft bien difficile à un Amiral Anglois , de
fe préfenter devant l'ennemi avec des forces égales ,
lorfqu'il peut le combattre avec des forces fuprieures .
Auffi , nous voyons que Rodney avoit tous fes vaiſ
feaux dans la jou : n'e du 12 , & s'il en a détaché
quelques - uns après le convoi , ce n'aura été que le
foir du même jour , & peut -êrre le lendemain ,
convoi , parti le 9 au foir de la Guadeloupe , étoit
alors fort loin & près de Porto -Ricco , où il aura pu
Le réfugier «.
& le
Nos lettres de Cadix , en date du 3 de
ce mois , contiennent les détails fuivans .
» Un bâtiment arrivé avant- hier de la Havane
( 31 )
---
d'où il eft parti le 21 Mars , nous à apporté l'agréable
nouvelle que les Marchands & les autres
navires partis d'ici le 2 Janvier, font heureufement
arrivés à la Havane le 28 Février ; les troupes & les
vaiffeaux de ligne étoient reftés au Cap François ,
où le convoi avoit touché. Le même avifo rapporte
que D. Solano étoit parti en Mars avec
8 vaiffeaux de ligne & un grand convoi portant
700 hommes de troupes , il avoit fait roate pour
le Cap ; mais dans un coup de vent , le vaifeau
le Saint- François d' Affife , & 17 transports avoient
été maltraités & obligés de retourner à la Havane .
On préparoit en toute diligence d'autres bâtimens
& un autre vaiffeau de guerre pour ramener cette
partie du convoi au rendez -vous . Aufli dans les
premiers jours du mois d'Avil , l'armée Espagnole
au Cap François devoit être de 110co hommes.
D. Bernard Galvez l'avoit précédé depuis près d'un
mois , ainsi qu'un petit corps de troupes , qui, en
paffant , devoit s'emparer de l'Ile de la Providence
& détruire ce repaire de Corfaires ".
,
Le fiége de Gibraltar , qui eft décidé ,
fera un des évènemens les plus mémorables
de cette guerre , par les difficultés
qu'il préfente & par la nature de la
place , qui eft , fans contredit , la plus
forte qui exifte dans le monde. Mgr le
Comte d'Artois a defiré de s'y rendre ; après
en avoir obtenu la permillion du Roi , il
avoit envoyé un Courier au Roi d Efpagne
, pour avoir auffi fon agrément. Le
Roi , après avoir reçu fa lettre , s'écria :
» Je ne mourrai donc pas fans avoir vu
un de mes neveux , fans avoir embraflé
b 4
( 32 )
mon filleul ". Et s'adreffant à l'Ambaſſadeur
de France , renvoyez , ajouta-t- il , le
Courier fur- le champ. Dites à mon neveu
que la joie & le faififfement que me caufe
fa réfolution , m'empêchent de lui écrite ;
que mon neveu vienne ; il veut fervir
comme volontaire , tout fera à fes ordres ;
mes troupes , l'Espagne entière , obéiront
avec plaifir à un Prince de mon fang.
Voilà à peu près ce que contient la lettre
de M. le Comte de Montmorin. On
attend celles du Roi d'Espagne , qui ne
taideront pas .
» M. le Comte & Madame la Comteffe du Nord ,
écrit-on de Lyon , font arrivés ici de Turin par le
Pont-Beauvoifin , le 7 de ce mois , & fe font rendus
à l'Hôtel d'Artois , qui étoit arrêté pour leur fervice,
d'ou , fans mettre pied à terre , ils ont été au- devant
de M. le Duc & de Madame la Ducheffe de Wurtemberg
, qui , fous le nom du Comte & de la Comteffe
de Juftin , arrivoient de Montbelliard à Lyon avec
les jeunes Comte & Comteffe de Juftin , pour paffer
en famille le tems qu'ils fe propofoient de féjourner
en cette ville . M le Comte & Madame la Comteffe
de Juftin fout defcendus le même jour à l'Hôtel de
Provence , où M. le Comte & Madame la Comteffe
du Nord ont foupé avec eux. Le 8 matin , M. le
Comte du Nord a parcouru la ville à pied , accompagné
de l'un des Seigneurs de fa fuite ; il a été
faire une vifite au Prévôt des Marchands , ainfi que
MM. les Comte de Juftin père & fils . A trois heures
après-midi les Princes & les Princeffes ont été vifiter
les hopitaux , & y ont donné des preuves de bienfaifance
& de charité . M. le Comte du Nord s'eſt
exprimé , à cette occafion , d'une manière digne
-
( 33 )
-
d'un Prince destiné au Trône , en difant : Que plus
les Grands font éloignés des misères humaines
plus ils doivent s'en approcher , pour être plus
difpofés à les foulager. Le foir , ils ont été au
Spectacle , & ont accepté un Bal public , que le
Prévôt des Marchands leur a annoncé pour le Samedi
11. Le 9, les Princes ont vifité la Bibliothèque
publique & la Salle d'armes , dépôt de la
Manufacture de fufils de St Etienne ,où il fe trouve
plus de 60,000 armes raffemblées pour le fervice
di Roi. Le 10, les auguftes Voyageurs ont employé
une partie de la matinée à parcourir la ville
pour faire des emplettes ; à midi , le Prévôt des
Marchands les a conduits fur la nouvelle chauffée ,
dont les travaux ont fixé leur attention d'une manière
particulière, Ils fe font tranfportés l'aprèsmidi
à l'Hôtel-de-Ville , où ils ont été reçus par le
Confulat on a offert à leur curiofité plufieurs métiers
de fabriques , iclatifs à l'emploi de l'or & de
la foie. On avoit eu la précaution de difpofer ces
métiers dans deux falles , où on leur a fait voir
plufieurs échantillons des étoffes les plus riches .
Le fieur de Crotone , Phyficien , a fait , en leur
préfence , plufieurs expériences de fon art ; & MM .
de l'Académie des Sciences , qui s'étoient rendus à
l'Hôtel- de-Ville , ont mis fous leurs yeux quelques
pièces d'antiquité . M. le Come & Madame la
Comteffe du Nord paroiffent fort fenfibles aux prévenances
qu'on leur marque , & particulièrement
aux démonftrations d'intérêt que leur préfence infpise
, & auxquelles ils répondent par les expreffions
les plus touchantes de bonté & d'affabilité .
Samedi 11 , les Princes ont été vifiter Eglife &
ob'erver le point de vue du Couvent des Chartreux ;
ils ont employé le refte der jour à vifiter les atteliers
des Fabriquans dans leurs propres domiciles . A huit
heures du foir , ils fe font rendus au Bal annoncé ;
bs
-
Le
( 34 )
-
-
ils y ont été reçus avec les plus grands applaudiffemens
. Le 12 , les Princes ont été à l'Eglife d'Ainay
, pour y voir les colonnes antiques du Temple
d'Augufte ; de- là ils fe font tranfportés fur la promenade
des Broteaux , où une foule de perfonnes
de tous érats s'eft précipitée fur leur paffage , par
l'empreilement de les voir. Le Prince & la Princeile
n'ont ceffé , pendant leur féjour à Lyon ; de
témoigner combien ils étoient touchés des prévenances
& des égards qu'ils y éprouvoient ; ils ont
reconnu les attentions perfonnelles de M. le Prévôt
des Marchands , par le don d'une tabatière , en lui
difant : Qu'ils l'invitoient à conferver lefouvenir
du Comte & de la Comteffe du Nord.
matin , ils font partis de Lyon pour ſe rendre à
Paris .
Le 13-
Ces illuftres Voyageurs font arrivés ici
le 18 ; ils font defcendus chez l'Ambaffadeur
de Ruffie. Le 20 ils fe rendirent à
Verfailles ; le Roi attendoit dans ſon cabinet
M. le Comte du Nord , qui lui remit
deux lettres , l'une de Naples , l'autre de
Parme , & qui lui dit que le principal but
de fon voyage avoit été de voir S. M. ,
qui lui témoigna toure la fatisfaction qu'elle
ayoit de le voir à fon tour. Ce Prince a
embraffé Mgr le Dauphin , en priant Madame
la Princeffe de Guémené de lui
rappeller fouvent Patrachement qu'il lui
vouoit.
. M. le Comte & Madame la Comteffe
du Nord , après avoir fait leur vifite à
LL. MM. & à la Famille Royale , fe rendirent
dans leur appartement , où ils re(
35 )
curent des préfentations ; le Maréchal de
Byron y fut avec les Officiers de la garde
qu'il leur préfenta ; ils dînèrent avec toute
la Famille Royale , & la plus grande intimité
règna dans ce feftin. A 6 heures ,
ils retournèrent chez la Reine pour entendre
le concert : toute la Cour étoit
dans le fallon de la paix. L'orchestre étoit
fur des gradins élevés dans la galerie ;
on avoit placé des plians pour toutes les
perfonnes de la Cour qui n'avoient pas
eu d'invitation de la Reine. Le concert
dura 3 heures ; la galerie fut illuminée
comme elle l'eft les jours de grands apparremens.
Le concert fini , le théâtre dreflé
pour les Muficiens fut enlevé ; le Comte
& la Comteffe du Nord traversèrent la
galerie pour retourner chez eux au
3.
milieu des applaudiffemens d'une affemblée
brillante & nombreuſe.
Ce fut le 21 de ce mois que ces Princes
parurent en public pour la première
fois ils furent à la Comédie Françoife ;
dès qu'ils le montrèrent dans la loge qui
leur et réfervée pendant leur féjour
les applaudiffemens les plus vifs & les
plus généraux fe firent entendre ; le Prince
& la Princeffe y répondirent par toutes
les marques de la plus vive fenfibilité.
"
Le quatrième Mémoire concernant les
Ecoles nationales militaires paroît depuis
quelques jours ; nous nous propofons d'enb
6
( 36 )
trer dans quelques détails ; en attendant nous
obferverons ici que la recette des abonnemens
pour ces Mémoires monte , à
compter
du premier de ce mois , à 50,058 liv . & la
dépense à 46,863 liv . 4 f. 9 den . felon les
états dépofés chez M. Brichard , Notaire ,
rue Saint - André - des- Arts , chez lequel
on s'abonne pour ces Mémoires moyennant
24 liv. par an. On peut juger par -là que
les fecours augmentant ainfi chaque jour ,
le nombre des Elèves augmentera à proportion
, ainfi que les moyens de perfectionner
leur éducation .
כ כ
Différentes lettres de l'Ile de France annoncent
comme certaine une découverte des plus importantes
pour toutes les puiflances mazitimes de l'Europe
, & l'on peut ajouter pour l'humanité fans
acception ni exception de nation. Il s'agit de la folution
du fameux problême des longitudes par une
méthode fimple , & auffi aifée que l'eft celle en :
ufage pour la latitude . M. de Fornay , Chevalier de
Saint-Louis & Major d'Infanterie , en eft l'Auteur.
On doit de toutes parts faire des voeux empreffés
pour le fuccès complet d'une découverte auffi précienfe
, & dont on devoit en quelque forte défefpérer
arrès les efforts inutiles de tant de génies
fubitmes , de tous les fiècles & de tous les pays . Si la
Marine de l'univers reçoit un ſecours auffi intéreffant
, ce fera une époque mémorable dans les faftes
de l'hiftoire politique & philofophique . Une découverte
, auffi précieufe méritoit de paroître en
France fous un Roi bienfaifant , quin'eft armé que
pour la liberté des mers «.
On connoir l'Ouvrage important de M.
Mentelle , Hiftoriographe de Mgr le Comte
d'Artois fur la Géographie comparée .
( 37 )
L'Atlas qui doit accompagner cette, excellente
production , dédié à M. le Comte de
Vergennes , eft attendu avec impatience.
Nous nous empreffons d'annoncer que
l'Auteur vient d'en publier la première
livraiſon ; elle eft compofée de 12 cartes ,
parmi lesquelles il y en a pluſieurs que
les évènemens politiques actuels rendent
non-feulement intéreffantes , mais même
indifpenfables . Cette obfervation , qui a
déterminé M: Mentelle à interrompre à
chacune des premières livraiſons , l'ordre
dans lequel il les avoit annoncées , pour
en donner quelques- unes , foit du Mexique
, foit de l'Inde , fait rentrer l'annonce
que nous en faifons dans le plan de notre
Journal. Les cartes du Golfe du Mexique ,
de la Floride , des deux Carolines , de la
Géorgie , ne peuvent qu'être reçues avec
reconnoiffance , & confultées avec fruit
par ceux qui voudront fuivre les opérations
militaires fur les divers théâtres de la
guerre actuelle c'eſt un ſecours précieux
dont il leur eft impoffible de fe paffer
& nous ne connoiffons rien qui puiffe
le fuppléer. Il n'y a point de cartes plus
exactes , plus détaillées , plus foignées dans
toutes leurs parties. Le Roi a foufcrit pour
12 exemplaires ( 1 ) .
:
( 1 ) Pour fe procurer cet Atlas , il faut s'adreffer à M.
Mentelle rue de Seine , Fauxbourg St- Germain , près du
Notaire. Plusieurs perfones ayant demandé à l'Auteur
de leur faire parvenir chacune des livraiſons par des voies
1
( 38 )
"
à cette
» M. d'Acher , Profeffeur d'un remède ſpécifique
contre les dartres , & autres maladies cutanées
avertit le Public que , pour conftater de plus en plus
l'efficacité de fon remède , connu avantageufement
depuis long- tems , par les fuccès qu'il a eus auprès
de plufieurs perfonnes de diftinction , il traite gratuitement
les pauvres qui ont recours à lui ,
feule condition que leur traitement s'opère fous les
yeux de deux Commiffaires de la Société Royale
de Médecine nommés pour examiner les effets dudit
remède. Les perfonnes ailées qui ne voudroient
pas fe foumettre à cette condition , pourront également
employer le même fpécifique en préfence &
fous les yeux de leur Médecin . Ce remède confifte
dans une eau ftomachique & anti - dartreuse ,
très -limpide & agréable au goût . La demeure
du fieur Dacher eft rue du Bacq , Faurbourg Saint-
Germain , à l'ancien Hôtel des Moufquetaires.
:
-
Cette découverte eft d'autant plus intéreffante
que , jufqu'à préfent , la Médecine n'a trouvé aucun
remède pour guérir radicalement cette cruelle ma.
ladie perfonne n'ignore combien elle cft incommede
& défagréable , fur-tout quand elle attaque
le vifage . On fait auffi combien elle eſt dangereuſe ,
principalement quand elle eft traitée mal- a-propos
n'avons-nous pas tous les jours fous les yeux des
exemples funcites des ravages produits par une huplus
promptes que celles du commerce , il a l'honneur de
les prévenir que moyennant la foible rétribution de ro fols
par chaque livraifon , payables d'ailleurs , pour l'époque , à
feur volonté , il les leur feta parvenir , port franc , promp
tement & foigneufement roulées & enveloppées de toile
cirée. Le prix de l'Atlas , pour les Cartes , 110 liv. , pour
les plans 36 liv. En foufcrivant pour l'Atlas 24 liv. , pour
Jes Plans , fi on les veut , 9 liv. ; & en recevant la première
livraifon des Cartes 24 liv. Les deuxième & troisième gratis .
La Géographie comparée fe trouve également chez M.
Mentelle ; il en paroît actuellement 6 livraiſons , dont le
prix eft de 35 liv . 12 f.; la feptième livraiſon , contenant
Espagne modeme , va paroître inceffamment,
( 39 )
meur dartreufe répercutée ? C'eft ce qu'on évitera
avec ce remède , qui pouffe cette humeur vers la
circonférence , & purifie la mafle du fang.Les
perfonnes de Province qui voudront employer ce
même fpécifique , pourront s'adreffer au Sr d'Acher,
il les inftruira de l'ufage qu'elles doivent en faire ,
& du régime convenable pour en être plutôt délivrées.
Il est néceflaire qu'elles lui fallent favoir la
qualité des dartres.
Nous nous empreffons de tranfcrire la
lettre fuivante , qui nous a été adreffee de
Verfailles ; on ne fauroit trop faire connoître
les divers établiffemens qui offrent des lecours
à l'humanité fouffrante.
"M. , dix guérifons radicales de paralyfies , dont
la dernière a été atteftée par MM . les Commffaires
refpectifs de l'Académie des Sciences , de la Faculté
de Médecine de Paris & de la Société Royale de
Médecine , ne laiffent plus lieu de douter que l'élec
tricité , dirigée felon ma méthode , eft un remède
fouverain contre cette maladie . La même électricité ,
dirigée convenablement , ayant détruit radicalement
des convulfions , en préfence des Commiffaires cideffus
cités , & plufieurs autres , dans différens iujets
de divers âges , dont on verra le détail dans le c
volume de mes Obfervations , que je donnerai dans
la fuite au Public , nous préfente un moyen efficace ,
non feulement pour guérir les perfonnes du fexe
q i en font tourmentées , mais encore , & ce qui
eft bien effentiel , pour fauver les enfans , dont
une grande partie périt par ce cruel mal : ceux qui
en échappent , reftent la plupart eftropiés pour
toute leur vie. En attendant que le Gouvernement
prenne en confidération un objet auffi confolant
pour mettre ce remède à portée de tout le monde ,
ce qui ne feroit pas bien difficile ni fort di pendieux ,
j'ai établi à Versailles , rue de Monbarron , felon
mes facultés , un Cabinet électrique public , feus
( 40 )
les aufpices d'un grand protecteur de l'humanité
fouffrante. On y traitera gratis les paralyfies les
plus récentes , depuis dix heures du matin , juſqu'à
une heure après- midi. Les pères & mères qui auront
des enfans attaqués de convulfions , peuvent les
apporter à toute heure du jour , depuis fix heures
du matin jufqu'à fix heures du foir, & on fera ceffer
prefque dans un inftant les accidens funeftes qui
pourroient les étouffer. Les grandes perfonnes du
fexe qui font tourmentées du même mal , peuvent
s'établir pour quelque tems à Verfailles à portée du
Cabinet , & on leur promet le foulagement de leurs
maux dans peu de tems . J'ofe efpérer , M. , que
vous ne tarderez pas de publier ma lettre pour le
bien de l'humanité. Signé, SANS.
» Une rixe ordinaire & en public , entre des
perfonnes du commun , fuivie de quelques volées
de coup de canne , eft quelque chofe de fi fréquent
qu'on n'y fait pas la moindre attention ; mais fi ces
perfonnes font d'un état & d'un rang honnête , on
eft étonné que l'éducation & les fentimens ne les
aient pas garanti d'un éclat auffi fcandaleux. Si la
fcène arrive entre des perfonnes d'un fexe différent ,
en même tems qu'on s'intéreffe pour le fexe le plas
foible , on eft juftement indigné contre l'homme qui
non- content de manquer aux égards & à l'honnêteté
qu'on doit aux dames , va jufqu'à leur faire fentir
les plus rudes effets de fa force & de fa brutalité ; ´-
combien ne fera - t - on pas révolté davantage , fi
1 homme a tiré l'épée contre ce fexe foible , timide
& fans défenſe , & quel intérêt tous les coeurs ne
prendront-ils pas à une jeune & belle perfonne de
feize ans , qui , voulant parer les coups d'épée qu'un
furieux vouloit porter à fa belle- mère , en eft ellemême
la victime , & reçoit dans le côté une bleffure
de la profondeur d un demi- pouce. Tel eft le ſujet
atrendiiffant d'une Caufe qui vient d'être jugée à la
Tournelle du Parlement de Paris . Un ancien
( 41 )
Officier rencontre fur la promenade publique de la
ville de .... les dames de .... belle- mère & beilefille
, femme & fille d'un Receveur des Tailles de la
ville ; il paffe & repaffe plufieurs fois auprès d'elles ,
les regarde fous le nez , les infulte de propos :
auffi - tôt ces dames répondent avec une vivacité
excitée par l'infolent , qui redouble. La belle- mère ,
emportée par une jufte fenfibilité , donne à cet
homme un coup d'une canne légère qu'elle tenoit
à la main : il répond avec une lourde canne qu'il
tenoit , dont il frappe de toutes fes forces fur les
épaules de la dame , & lui fait de violentes contufions.
Le mari accourt & défarme le brutal , qui
tire fon épée & veut courir fur la dame : la demoifelle
fe met à la traverſe pour l'en empêcher. Cette
jeune perfonne , belle & fenfible , ne peut attendrir
ce furieux , & reçoit dans le côté droit une
large bleffure de la profondeur d'un demi-pouce
dans la chair le fang coule ; on accourt pour les
féparer , & apporter du fecours à la jeune perfonne.
Le Commandant de la place , inftruit de la scène
envoie pendant 24 heures le coupable en prifon.
Les dames rendent plainte , demandent permiffion
d'informer, & l'obtiennent . Vifite d'Expert eft ordonnée
pour conftater les bleffures de la mère &
de la fille le rapport fait , les témoins entendus ,
l'Officier eft décrété de pri e de-corps ; l'affaire eft
réglée à l'extraordinaire. Arrêt du 17 Avril 1782 ,
cenforme aux conclufions de M. l'Avecat- Général
Séguier, qui met l'appellation & ce dont eft appel au
néant ; émeudant , fait défenfes à .... de récidiver ,
fous peine de punition corporelle ; lui enjoint de
s'abfenter de la ville pendant cinq ans ; le condamne
en 6000 liv. de dommages & intérêts , par forme
de réparations civiles , au profit de la demoiſelle
de ... ; le condamne en tous les dépens ; ordonne
l'impreffion de l'Arrêt , au nombre de cent exemplaires
, l'affiche de douze , aux frais dudit fieur.
>
( 4422 ))
Les Éditeurs des OEuvres de M. Rouffeau
ayant jugé à propos de réimprimer une inputation
qu'il avoit avancée en 1766 contre
M. d'Alembert , on a cru devoir réimprimer
dans ce Journal la déclaration fuivante
; elle avoit déja paru en 1766 , en
même- tems que l'imputation , & du vivant
de M. Rouffeau , qui n'y a fait aucune réponſe.
"
» J'ai appris par M. Hume , avec la plus grande
furprife , que M. Rouffeau m'accufe d'être l'Auteur
d'une Lettre ironique qui lui a été adreffée dans les
papiers publics , fous le nom du Roi de Praffe.
Tout le monde fait , à Paris & à Londres , que
cette Lettre eft de M. Walpole , qui même ne la
défavoue pas. Il convient feulement d'avoir été aidé
, pour le ftyle , par une perfonne qu'il ne nomme
point , & qui devroit peut - être le nommer.
Pour moi , fur qui les foupçons du Public ne font
jamais tombés à cet égard , je ne connois nullement
M. Walpole : je ne crois pas même lui avoir
jamais parlé , ne l'ayant rencontré qu'une fois dans
une maison particulière. Non - feulement je n'ai pas
la plus légère part , ni directe ni indirecte , à la
Lettre dont il s'agit , mais je puis cirer plus de cent
perfonnes , amies & ennemies de M. Rouffeau , qui
m'ont entendu la défapprouver beaucoup , par la
raifon qu'il ne faut jamais fe moquer des malheureux
, & à plus forte raison quand ils ne nous ont
point fait de mal. D'ailleurs , mon re pect pour le
Roi de Pruffe , & la reconnoiffance que je lui dois ,
pouvoient , ce me femble , faire fuppofer à M.
Rouffeau , que je n'aurois pas voulu abafer du nom
de ce Prince , même pour une pla fanterie .
J'ajoute que je n'ai jamais été l'ennemi de M. Rou
fean ni déclaré , ni même fecret , comme il le préend
; & je défie qu'on apporte la moindre preuve
( 43 )
-
a
que j'aie jamais cherché à lui nuire , en quoi que
ce puiffe être. Je pourrois prouver , au contraire
par les témoignages les plus refpectables , que j'ai
cherche a lobiger en ce qui a dépendu de moi.
Quant a ma prétendue correfpondance fecrette
avec M. Hume , il eft très- certain que nous n'avons
commencé à nos écrire que cinq à fix mois après
fon départ, a l'occafion de la querelle que M. Rouf
feau lui a fufcitée , & dans laquelle ilj ge a propos
de me mêler fi gratuitement. Je crois devoir
cette déclaration a moi - même , à la vérité , & à la
fituation de M. Rouleau : je le plains bien fincèrement
de croire fi peu à la vertu , & fur-tout a celle
de M. Hume .
(
-
Elie Balhias , Ecuyer , Seigneur de Tinvenac
, ancien Capitoul de la Vile de
Touloufe , Chevalier de l'Ordre de Saint-
Michel , Gentilhomme Honoraire de la
Vénerie de Monfieur Frère du Roi
chargé des affaires du Gouvernement &
du Commandement de la Province de
Guyenne , eft mort à Marmande le s Mai ,
âgé de 78 ans . Les fervices importans qu'il
a rendus dans les différens poftes qu'il a
occupés , lui ont mérité les graces & les
bontés particulières de S. M. , ainfi que
l'eftime & la confiance publiques.
» Déclaration du Roi , concernant la Comptabilité
de la Ferme Générale , donnée à Verfailies le
18 Février ; & enregistrée à la Chambre des Comptes
le 4 Mai..
Lettres patentes du Roi , pour rendre la signature
des comptes an Grand- Maître & au Grand - Ecuyer
de France , données à Verſailles le 20 Mars , & enregiftrées
le 4 Mai à la Chambre des Comptes.
Ordonnance du Roi du 10 Mai , qui renouvelle
( 44 )
les anciens règlemens fur la vente & le commerce
des Chevaux qu'on fait venir à Paris .
Arrêt du Confeil du 23 Janvier , qui fait défenſes
aux Marchands détailleurs ou autres , à l'exception
de ceux des Villes fermées , établis dans les Paroiffes
des Généralités de Paris & de Soiffons , qui font
fituées dans les trois lieues limitrophes de la Généralité
d'Amiens , d'avoir à - la - fois plus de 60 pintes
d'eau- de-vie. Autre du 28 Mars , contenant
réunion au Domaine des murs , foffés , remparts &
fortifications de la ville de Saint-Denis ; confirmation
de propriétaires actuels dans leurs propriétés ,
aux charges y portées ; & aliénation du furplus
defdits murs nou encore aliénés , au profit des Officiers
Municipaux de ladite Ville. - Autre du 20-
Avril , qui ordonne que celui du 11 Septembre
1779 , fera exécuté en conféquence , & attendu la
vacance du Gouvernement de Montreuil , avenue
par le décès du feu Duc d'Aumont , le droit de
Féage de 3 livres par poulain , qu'il faifoit percevoir
en fadite qualité de Gouverneur , fera & demeurera
éteint & ſupprimé « .
De BRUXELLES , le 28 Mai.
LES nouvelles de Hollande ont annoncé
dernièrement l'apparition d'une efcadre
Angloife devant le Texel ; c'eft la même
qui , fous les ordres de l'Amiral Hove ,
s'étoit réunie vers Oueffant à celle de
l'Amiral Kempenfeld , & que les vents
contraires avoient forcé de quitter cette
croiſière ; elle n'a pas gardé long- temps
celle qu'elle avoit prife fur les côtes de
Hollande , d'où les vents l'ont auffi éloignée.
» Si la miffion de notre efcadre fortie le S de ce
( 45 )
mois du Texel , lit- on dans une lettre de la Haye , a
répandu l'ala me en Angleterre , au point que toute
la Milice , taut de Londres que des Province , a
reçu ordre de fe mettre fous les armes , il paroît
que les Angloi ont voulu nous rendre la pareille . Le
14 vers les 2 h . après - midi , on apperçat une flotte
étrangère devant le Helder à l'ouvert du Texel; on
compta jufqu'à 17 voiles , dont 15 gros vaiffeaux de
guerre, d'autres en ont compté jufqu'à 19. Comme
ce nombre s'accordeit à peu-près avec les forces
que le Lord Howe, avoit piis fous fes ordres à la rade
de Spithead & avec celles qui ont pu le joindre ; on
a fuppofé que le Gouvernement Anglois voulant
pourvoir au danger qui lui paroiffoit le plus preffé ,
avoit envoyé toutes ces forces de la Manche dans la
mer du Nord , pour déconcerter les projets de la
République . Heureufement le Vice - Amiral Comte
de Bylandt étoit rentré le 11 au Texel , les feuls
vaiffeaux qu'on croyoit être reſtés à la mer avoient
paffé au Vlie ; & un Exprès envoyé en Zélande eft
arrivé à tems pour empêcher le départ du Zievikzee
de 64 canons , & du Schiedezg de 54 , qui devoient
appareiller de Fleffingue ; les vents impétueux du
17 & du 18 ont forcé les Anglois de reprendre
le large «<,
Les nouvelles propofitions faites à la République
de la part de l'Angleterre , pour
une paix particulière , ne paroiffent pas
avoir plus de fuccès que les premières. Si
la Hollande a mis de la lenteur à fe décider
pour la guerre , elle la foutiendra
avec conftance , & il n'eft pas douteux
qu'elle ne confentira pas à y mettre fin
avant d'avoir une fatisfaction complette
fur les griefs dont elle fe plaint.
ל כ
Après une attaque hoftile , faite par furprife
contre la foi des Traités , & fans l'ombre même de
( 45 )
--
raifon , comme M. Fox en a fait lui - même, d'après
un examen attentif des papiers de fa Secrétairerie ,
l'aveu dans la Chambre des Communes le 30 Avril ,
il y auroit ples que de la modération de la part
de la République de fe contenter de rétablir fur
l'ancien pied les affaires entr'elle & la G. B. , de trahir
Four cet effet les devoirs de la réciprocité envers la
France , & de violer les engagemens contraftés
avec cette Puillance , lorfqu'on avoit befoin de fes
fecours. D'ailleurs , en Angleterre même , l'on commence
à fentir qu'une paix particulière avec les
Provinces - Unies ne feroit que retarder une paix
générale , & opéreroit par conféquent dans le fait ,
tant contre les intentions probables de l'Impératrice
, que contre le vrai bien de la nation Angloiſe ,
qui a un preffant befoin de repos. La reconnoiffance
de l'indépendance de l'Amérique par les Provinces-
Unies , ( dit à ce fujet une feuille de Londres
du 9 Mai ) , & l'admiffioa de M. Adams en qualité
de Miniftre du Congrès , auroient empêché une
pacification , fi elles étoient arrivées pendant que
l'ancien Miniftère s'y oppofoit. Mais , fi le préfent
Ministère Britannique eft réfolu à reconnoître pareillement
cette indépendance , comme plufieurs perfonnes
bien inftruites l'affurent , aucunes réfolurions
de cette espèce , que L. H. P. peuvent prendre ,
n'empêcheront le moins du monde ni ne troubleront
la médiation ; mais au contraire elles ferviront
très probablement à hâter la réconciliation . Effectivement
les Miniftres actuels de la G. B. paroiffent
convaincus , que tous efforts ultérieurs , pour foumettre
l'Amérique ou pour continuer la Guerre , ne
fervioient qu'à plonger le Royaume plus profon
dément dans le bourbier , où l'inconduite inconcevable
des anciens Miniftres l'a entraîné.
Le Baron de Vaffenaar de Starrembourg ,
Ambaffadeur de la République à Pétersbourg,
a fait paffer aux Etats - Généraux la note fui(
47 )
vante qui lui a été remife par le Comte
d'Oftermann , Vice-Chancelier de Ruffie.
» Aufli-tôt que l'Impératrice a été inftruite de
la réfolution qu'ont prife L. H. P. , fur l'infinuation
tendante à une paix particulière avec la G. B. &
la République , & de la condition dont elles la font
dépendre , S. M. B. n'a pas perdu un inftant de don
ner tout l'effet poffible à fes offices . L'eipit de dé
fintéreflement & les fentimens d'humanité qui ont
dicté la première infinuation , l'animant conftama .
ment , elle a tâché , par un nouvel effort , d'amener
les chofes au point qui permet d'en augurer favorablement
. Dans cette vue , elle a fait dépêcher un
Courier exprès à Londres , chargé d'inftructions
pour fon Envoyé à cette Cour , analogues à la nature
de l'objet & à fa grande importance. Les motifs ,
far lefquels ce Miniltre s'évertuera de déterminer
S. M. B. à admettre la propofition , qui doit fervir
de bafe à tout l'ouvrage de la pacification , feront
puifés dans la connoiffance parfaite qu'il possède
de l'impartialité dont S. M. I. fait profeffion ; de la
fidélité & de la conftance avec lefquelles elle profeffe
les principes adoptés par elle à la face de l'Europe ,
fondés dans la justice & l'équité. Les fentimens
de S. M. I. portent trop visiblement l'empreinte
de la pureté de fes intentions , pour qu'ils puiffent
être méconnus par L. H. P. La franchiſe qu'elle
met dans fa manière d'agir , & la cordialité avec
laquelle elle les infruit de les déterminations , lui
infpirent la ferme confiance , qu'elles n'en prendront
aucunes qui puifent devenir préjudiciables à l'état
actuel de la négociation entamée , on altérer les
fentimens pacifiques qu'elles ont fait entrevoir.
Dans cette perfuafion , elle s'eft empreffée de
fonder les difpofitions de la Cour de Londres
relativement aux principes de neutralité. Ieft
naturel & conféquent de voir fa réponſe , & de fufpendre
en attendant toute mefure , qui dût altérer
la pofition de la République vis - à-vis de qui que
( 48 )
e pût être. L'Impératrice rend trop de juftice à
la fageffe & à la pénétration de L. H. P. , four dou
ter qu'elles vouluffent s'écarter des principes de
modération qu'il eft effentiel de fuivre , fi l'on a
l'intention férieufe de feconder les vues falutaires
que S. M. s'eft propofées , & dont L. H. P. ont tou
jours para intimement perfuadées . Ce ne feroit qu'à
regret qu'elle fe verroit fruftrée des efpérances
qu'elle a conçues à cet égard. Le Miniftère Impérial
a l'honneur de donner connoiffance de tout ce que
ci-deffus à S. E. M. l'Ambaffadeur de L. H. P. , en
réponse à la communication qu'il lui a faite , en date
du 17 Mars , de la réſolution defdits Etats «<.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG . du 21 Mai,
» Il s'eft tenu un Confeil de guerre à St. -James ,
dont le réfultat a été d'ordonner au Commandant
en chef d'exécuter les projets qui lui paroîtront les
plus propres à mettre l'Ifle fur un pied refpectable
de défenfe dans ce moment de crife «.
--
» Dans des billets écrits à la hâte à des amis
intimes , par les Amiraux Rodney & Hood , on
marque les expreffions fuivantes. Ce comb
dit le premier, n'eft pas de ce fiècle , il rappelle les
jours du Duc d'York, de Van Tromp , de Ruyter, & c.
Les François le font battus comme des lions ; le
Comte de Graffe eft un brave homme : voilà une victoire
durement gagnée ( hardfought ) . - Le Comte
de Graffe ( dit le fecond , qui à bord du Barfleur ,
foutenoit le Formidable contre les efforts de la
Ville de Paris ) , ayant marqué l'intention de m'at-.
taquer plus particulièrement , je réuffis fi bien à
prendre ma distance , qu'en 10 minutes le feu du
Barfleur décida l'affaire ; lorfqu'il amena , il avoit
fur le pont 400 hommes tués dans le cours de ces
10 minutes il s'eft battu en héros , fon vaifleau
faifoit un feu d'enfer , & nous nous attendions à le
voir fauter car fur la fin , il n'a ceffé de tirer fes
deux bordées à-la fois ; les François font de braves
& nobles ennemis «.
M
Tub si
Moonra sitsma. ) allazerom
JOURNAL POLITIQUE
19.06 48,0
13002030 29 230 2310MĄ,
arrogge not her
DE BRUXELLES × ³Ï
915 20:
recipe 32 27 1o gebitiw xubin zal va
TURQUIE
of ab ahe
los 2
De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril
shoh no susirgus xinh 251 , 290151
THO
ONN mande de Berade qu'il y a eu une
émeute terrible , dans laquelle on compre
plus de soo perfones qui ont péri , le
Mufi a pris la faite , Aga , qui avoit
jugé auffi à propos de s'éloigner , a été
arrêté par les mutins ; mis on ignore. le
traitement quals lui ont fait. 18 à 90 maifons
des principaux habitans de la Ville
ont été pillées , on attribue ce foulèvement
à quelques actes oppreffifs : on ne croit
pas qu'il foit encore diffipés qusique l'on
fe foit hâte de répandre les Janitaires
dans toutes les rues , où ils veillent jour
& nuit.
HORUSSIE.
9. MAIS Traf XT LA
De PETERSBOURG , le 2 Mal.
4514
ON ne fait encore rien de pofitif fur
l'affaire de M. de Bibikow ; on dit fenle-
8 Juin 1782. с
( 50 )
ment que ce qui a pu caufer fa difgrace
eft une correfpondance illicite , qu'on a
découverte à Riga , chez un particulier &
dans laquelle il eft impliqué. Quelques
perfonnes prétendent que fon fort eft déja
décidé , & qu'il a été envoyé en exil.
L'efcadre que l'Impératrice deftine à la
protection du commerce , fe difpofe à
mettre en mer ; elle eft forte de 10 vaiffeaux
de ligne & 4 frégates ; une partie
croifera dans la mer du Nord , & l'autre
fe rendra dans la Méditerranée.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 11 Mai.
LES vaiffeaux de guerre qui compofent
l'efcadre du Vice- Amiral de Fontenay
eft prête à mettre à la voile pour aller
croifer dans la mer du Nord.
୨
Le 6 de ce mois il eft arrivé dans le
Sund 40 bâtimens de différentes Nations ;
le plus grand nombre eft Hollandois , &
porte pavillon Pruffien. Le 9 ils ont été
fuivis de 36 autres bâtimens venans de la
Baltique , & hier on a vu 25 nouveaux
deftinés pour cette mer , jetter l'ancre à
la hauteur de Cronembourg.
La maladie qui règne ici depuis quelques
femaines , femble augmenter au lieu
de diminuer ; parmi ceux qui en font attaqués
, il en eft mort près de 120 la ſemaine
dernière .
Le tems eft très-fec ; on fait des voeux
pour la pluie ; & fi nous n'en avons point ,
il eft à craindre que cette année les grains
& les fourrages manquent ; les derniers
font d'autant plus néceffaires , qu'il n'y en
a point dans quelques endroits , où les
payfans , après avoir nourri leurs beftiaux
avec le chaume qui couvroit leurs caba
nes , font forcés de les tuer , parce qu'ils
n'ont plus rien à leur donner.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 15 Mai.
Le Duc régnant de Wurtemberg- Stuttgard
eft arrivé ici le 6 de ce mois , fous
le nom de Comte d'Aurach ; il y fait &
reçoit des vifites d'honneur ; il s'entretient
aufli fréquemment avec S. M. I.
Le fameux Oculifte Bahrt , qui a cu le
bonheur de guérir l'Empereur , en a reçu un
préfent de 1000 ducats , & la Patente d'Oculifte
Impérial & Royal.
Ces jours derniers l'Empereur a aſſiſté à
une épreuve qui a été faite fur des fufils
de nouvelle invention qu'on décharge fans
avoir befoin de les amorcer ; elle a réuffi ;
il reste à voir maintenant fi l'avantage en
eft affez grand pour les faire adopter dans
les armées.
S. M. I. fait travailler à un fervice de
table pour soo perſonnes ; il a été envoyé
aux Orfévres de la Cour 123 quintaux d'ar-
C 2
( 52)
gent pour cet effet ; on dit que S. M. I. fe
propole d'en faire ufage pour la première
fois à fon couronnement en Hongrie...
Une nouvelle Ordonnance porte que les
enfans de foldats entretenus ci - devant dans
les hopitaux publics , ne quitteront plus
les régimens , mais que chacun de ces ré
gimens , qui font au nombre de so , en élevera
48 , & recevra pour cet objet une
fomme annuelle qui fera fixée , outre unė
de 500 florins une fois payée , pour l'achat
des meubles & ' des livres néceffaires à ces
enfans.
» Le feu , écrit- on de Broly , ville de la Pologne
Autrichienne , prit ici il y a quelques jours , la nuit
du Vendredi au Samedi. Comme toutes nos mai
fons font conftruites en bois , la ville entière auroit
été promptement réduite en cendres , fi tous les habitans
qui , pour la plupart , font Juifs , n'y avoient
porté les fecours les plus prompts & les plus efficaces.
Ce fair prouve , contre ce que l'on a dit , répété &
imprimé plufieurs fois , que conformément à fa loi ,
le Juif ne peut s'occuper de rien le jour du Sabat . Il
eft vraisemblable que dans aucun tems il n'a pas
laiffé brûler fa maifon lorfque le feu y avoit pris , &
que lorfque les Hébreux formoient une Nation fou
vent en guerre avec les voifios , ils n'obſervoient pas
rigoureufement le Sabat dans un camp , & que ,
felon les occafions , ils fe battoient ce même jour
foit pour attaquer leurs ennemis , foit pour le
défendre. Une armée qui feroit abſolument paffive
& immobile quoiqu'il arrivât un certain jour de la
femaine , offriroit affurément de grands avantages à
fes ennemis c.
( 53 )
De FRANCFORT fur le Mein , le 21 Mai.
L'EPIDEMIE qui de St- Pétersbourg a paffé
à Copenhague , à Dantzick & à Berlin , cft
venue jufqu'à nous ; prefque toute notre
garnifon qui en eft attaquée , va fucceffivement
au Lazareth , & plufieurs Bourgeois
font alités , mais heureufement perfonne
jufqu'à préfent n'a péri.
1
» Il s'eft élevé , écrit- on de Vienne , quelques
troubles en Bohême , relativement aux Edits de
tolérance , mais ils n'y ont pas été généraux ; on ne
les a principalement remarqués que dans deux
Diocèles dont les Evêques ont été réprimandés, pour
n'avoir pas pris les mesures néceffaires pour les
prévenir , & celles que fembloit indiquer la circonftance
lorfqu'ils font arrivés , pour les difper. L'un
s'eft , dit- on , excufé fur les infirmités , l'autre fur
fon âge'; ce qui les a privés de l'activité dont ils
auroient en befoin dans cette occafion , & que cetă
tainement leur zèle leur auroit fait déployer ; on
ajoute que S. M. I. a chargé l'Evêque de Leutmeritz
de les fuppléer , à cet égard , dans leurs Diocèles t
On s'entretient beaucoup des troubles de
Genève les Puiffances voifinés qui s'intéreffent
au repos de cette République , &
qui ont garanti fes loix & fa liberté , font
également mécontentes des fcènes qui viennent
de s'y ouvrir ; on a vu la lettre que
le canton de Berne a adreffée aux Syndics
de la ville le 23 du mois dernier . La lettre
fuivante de M. le Comte de Vergennes
en date du 2 de ce mois , à l'Ambaffadeur
de France en Suiffe , a été communiquée
le 7 à LL. EE.
€ 3
( 54)
Le Roi a été très -ſenſible , M. , à l'attention
que les Cantons de Zurich & de Berne ont eue de
vous faire part de la Lettre qu'ils ont écrite le 23
du mois dernier aux Syndics de la Ville de Genève.
Le motif de cette communication eft fait pour être ,
à tous égards , agréable à S. M .: Certainement ,
Elle n'a pas cellé de prendre un intérêt véritable
au fort de Genève ; & , dans le moment où cette
République gémit fous l'oppreffion de quelques-uns
de fes Citoyens , S. M. devoit voir avec plaifir les
deux Louables Cantons partager fon indignation de
cet attentat. Quoique les rapports qui fubfiſtoient ,
eu égard à Genève , entre le Roi & les Cantons
garans de l'Edit de 1738 , aient change ; la nature
des chofes indiquoit , que l'intérêt & la dignité de
S. M. ne lui permettroient pas d'abandonner cette
République , & qu'Elle ferait bien aile de connoître
la façon de penfer des deux Louables Cantons fur
l'anarchie dans laquelle Genève eſt tombée. MM.
de Zurich & de Berne ont fait , M. , tout ce qui
étoit en cax dans le premier moment : Le Roi , applaudiffant
à cette démarche , doute beaucoup qu'elle
produife aucun effer ; parce que S. M. connoît tout
l'empire que les auteurs de la fédition de Genève
confervent encore fur leurs Concitoyens aveuglés ,
& fur les Natifs dont ils ont fait les inftrumens de
leur ambition. Mais l'empreffement des deux Can.
tons à faire connoître à S. M. ce qu'ils penfent de
l'étrange révolution de Genève , & leurs premiers
efforts pour rétablir l'ordre dans cet Etat ,vdēmandent
qu'elle avance de quelques jours la notification
qu'Elle comptait leur faire de fes deffeins . C'eſt
pour vous mettre en état de remplir , à cet égard ,
les intentions de S. M. , qu'Elle m'a ordonné , M. ,
de vous écrire cette Lettre , dont vous ferez , quant
à la forme , l'ufage qui vous paroîtra le plus convenable
, & dont le fonds doit être tranfmis exactement
aux deux Cantons. On ne peut plus fe diffimuler
, M. , qu'il eft impoffible de ramener la paix
( 55 )
--
dans Genève par la voie de la perfuafion ; Si ceux
qui ont renversé le Gouvernement de cet Etat , ne
font pas tous enivrés des idées de la Démocratie
abfolue , tous ont contribué à les faire triompher ,
tous fuivront jafques au bout l'impulfion qui
leur a été donnée & la voix de la raifon ne peut
plus fe faire entendre du plus grand nombre des
Habitans de cette Ville. Les premiers pas à faire
pour lui rendre fa tranquillité , font de rétablir le
Gouvernement légitime , de tirer de l'oppreffion des
victimes de la fureur des Démagogues , & de mettre
leurs Satellites hors d'état de confolider la tyrannie.
Le Roi a pris la réfolution de tout employer pour
parvenir à ce but . Je vous prie , M. , d'en faire part
anx deux Cantons , en les affurant que S. M. ne fait
aucune attention à ce qu'a cu de difrefpectueux pour
elle l'attentat de la faction repréfentante : elle n'y
voit que la loi & la fûreté publique outragées &
violées. Vous voudrez bien , M. , vous attacher
à prouver que Genève ne peut plus être fauvée que
par des mains puiffantes : Quant aux motifs qui
déterminent S. M. , El'e eft Protectrice de Genève ;
Elle eft convaincue qu'il eſt impoſſible d'y rétablir
la paix fans fe mettre en état d'en impofer છે ceux
qui l'ont tant de fois troublée , & qui y exercent
aujourd'hui le pouvoir le plus criminel. Enfin , Elle
croit que l'humanité & la faine politique exigent
que Genève ceffe d'être une école de fédition , dont
les dogmes deſtructeurs infecteroient bientôt tout ce
qui entoure cette Ville. Le Roi penfe , M. , que ces
motifs paroîtront dignes de fa juftice & de fon
affection pour Genève & pour les Cantons , à tous
ceux qui font capables d'apprécier ce que fes fentimens
lui preſcrivent dans la circonftance actuelle' :
S. M. impofera filence aux autres , en donnant les
déclarations les plus pofitives , qu'Elle n'attaquera
en rien l'indépendance de Genève , & fe boniera à
appuyer le Gouvernement légitime , dès qu'une fois
4
( 56 )
-
il aura recouvré l'autorité dont il a été dépouillé , -
& l'abandonnera à fes propres forces , lofqu'il en
au á de fuffifantes . Pour convaincre davantage
les Cantons de cette façon de penfer , vous leur ferez
connoître , M. , le defir qu'a S. M. de les voir concourir
avec Elle à confolider la paix de Genève
lorfque cette affaire fera à fon point de maturité.
Pacifier Genève , y rétablir le Gouvernement , le
mettre à l'abri des chocs qu'il a éprouvés , fept fois
dans ce fiècle , faire le bonheur de ceux- mêmes qui
ont caufé tant de maux , tel eft le but de S. M.:
Elle nene regrettera ni les foins ni les dépenfes pour
l'atteindre ; mais auffi , rien ne la détournera de
cette falutaire entreprife ; & Elle est bien perſuadées
qu'aucunes de Puiffances veifines , qui ne voudront
ou ne pourront pas y coopérer , ne chercheront à y
metrie obftacle : Elle en a pour garans leur prudence
& leur intérêt , fans parler des autres moyens
par lefquels Elle s'eft affurée de leur confiance . C'estfur
quoi vous ne pouvez trop infifter auprès des
deux Leuables Cançons.
Le ro de ce mois le canton de Berne a
envoyé la lettre fuivante aux Syndics de
Genève... & 4 DV C
Fermes dans la réfolation de ne pas reconnoître
les Gouvernement , établi dans votre Ville , par la
violence & à main armée , Nous avons trouvé néceffaire
d'en inftruire nos bons & fidèles Sujets . Au
cas que quelques-uns de nos Sujets qui demeurent à
Genève , euffent été induits à prendre des engagemens
avec ceux qui y dominent aujourd'hui , nous
regardons ces engagemens comme nuls , fans effet
obligatoire , & s'ils y perfiftoient , contraires aux
devoirs de bons & loyaux Sujets. Et quant à ceux
qui fervoient dans votre garnifon , nous avons jugé
convenable de les rappeller dès - à- préfent . Ce que
nous vous requérons , Très Chers Amis & Confé
dérés , de faire Lavoir à tous ceux que cela peur, ·
concerner. Les Magiftrats arrêtés d'abord font en-
}
( 57 )
core retenus en prifon & même plus étroitement
refferrés ; nous fommes dès-lors forcés à vous
déclarer , T. C. A. & C. , d'une manière plus précile
encore que nous ne l'avons fait avec le Louable
Canton de Zurich par notre Lettre du 23 Avril der
nier , que filon ofair uſer de violence ou attenter à
leur vie , les auteurs & complices de cet attentat
ne trouveroient jamais d'afyle dans le pays de notre
domination , & qu'ils y feraient , au contraire , com ,
me par-tout ailleurs , faifis & livrés a la vengeance
publique. Pour d'autant mieux affarer l'exécution
des mesures que nous avons prifes , & que nous
pourrons prendre encore fuivant que les circonftances
l'exigeront , nous envoyons des Troupes fur
nos frontières , ce dont nous avons cru devoir vous
faire part . Redoublez , pendant qu'il en eft peut-être
encore temps , tous vos efforts , T. C. A. & C. ,
auprès de vos Concitoyens à qui no is vous requé
rons de faire favoir le contenu de notre Lettre par
la voie qui vous paroîtra la plus convenable , pour
détruire cette illufion dangereufe , qui leur cache
l'abyme où ils vont fe perdre & avec enx leur Patrie
jadis fi floriſſante. Faites leur connoître", " qu'il
n'y a qu'un prompt rétabliffement du Gouvernement !
légal , de l'ordre , de la fûreté & de la liberté publique
, qui puiffe encore fauver l'Etat , & lui faire
retrouver de fidèles Alliés , prêts à employer leurs
bons Offices en faveur d'une République , au bon
heur & à la profpérité de laquelle ils ont , dès fon
origine, pris l'intérêt le plus conftant « .
ITALI E.
De LIVOURNE , le's Mai.
ON apprend de Sicile que le vaiſſeau le
St-Joachim & la frégare la Sainte- Thérèfe
qui croifent dans ces mers , ont fait dit(
58 )
paroître les corfaires Barbarefques qui les
infeftoient.
Un grand objet paroît occuper actuellement
le Gouvernement de Venife ; c'eſt
Faugmentation des forces maritimes de la
République , deftinées à protéger le commerce
dans le cas qu'il pût être troublé
par des évènemens fubféquens. Depuis la
découverte du Nouveau Monde & les premiers
navigateurs qui ont reconnu & appris
à doubler le Cap de Bonne- Efpérance ,
les grandes nations ont attiré à elles le commerce
qui faifoit fleurir l'Italie ; mais il
femble que les ports & de Rade
Trien
gule font renaître l'émulation dans le
golfe Adriatique .
» Par ordre fuprême , écrit- on de Milan , il a été
accordé une prolongation de deux mois à tous les
Religieux & Religieufes de cet Etat qui , dans le
terme de trois , devoient quitter leurs Convens & fe
retirer dans d'autres , en conféquence des ordonnances
précédentes. Notre Archevêque a obtenu du Pape la
permiſſion de relever de leurs voeux tous les individus
des Couvens fupprimés qui voudront fe féculariſer «.
K
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 28 Mai.
DEPUIS les dépêches de l'Amiral Rodney
du 14 Avril , on en a reçu de nouvelles en
date du 20 , & une de Sir James Wallace
Capitaine du Warrior , en date du 22 ; elles
ont été apportées par l'Eurydice , Capitaine
Courtney , & elles ont été publiées dans
la Gazette de la Cour du 25 de ce mois.
>
( 59 ).
ל כ
Depuis mes dernières dépêches , dit M. Rodney,
l'efcadre du Roi s'étant miſe en marche pour reconnoître
la baye de la Baffe Terre dans l'Ile de Saint-
Chriftophe & celle de Saint- Euftache , où je fuppofois
que l'ennemi fe feroit retiré , elle tomba en
calme pendant trois jours fous l'Ifle de la Guadeloupe
. J'ai fait employet ce tems à réparer les vaiffeaux
qui étoient dans le plus grand délabrement,
Auffi-tôt que le vent a fraîchi , j'ai détaché en
avant plufieurs frégates pour les Inles de St -Chrif
tophe & St-Euftachie ; mais dans cette dernière , au
lieu de tous les navires que l'on y voyoit mouillés
autrefois , il n'y avoit que deux fchooners . On ne
découvrit à St. - Chriftophe que de petits vaiffeaux
armés . Convaincu par -là que l'efcadre Françoife
étoit tombée fous le vent , je détachai l'Amiral Hood
( la divifion formant l'arrière-garde le jour du combat
, ayant été moins maltraitée que les deux autres ) ,
avec l'ordre de faire le plus de voiles qu'il pourroit
& de porter à l'Ouest de St - Domingue , dans l'efpérance
qu'il pourroir tomber fur quelques- uns des
traîneurs de l'ennemi . Le refte de l'efcadre fuit
actuellement avec moi la même route , & nous nous
réunirons au Cap Tiberon «.
33 Le 18 de ce mois , écrit Sir James Wallace ,
le Chevalier Hood fe fépara de l'efcadre avec dix
vaiffeaux de ligne , une frégate & un brûlot . Le 19 ,
à 6 heures du matin , nous découvrîmes cinq voiles
dans le paffage de Mona ( 1 ) . A 6 heures & demie
l'Amiral fignala une chaffe générale. A 2 heures de
l'après-midi , plufieurs de nos vaiffeaux atteignirent
z vaiffeaux de ligne François & une frégate , qui
amenèrent pavillon , après avoir combattu . Nous
(1) Le paffage de Mona eft entre l'extrémité orientale de.
St -Domingue & Porto -Rico. -Le Chevalier Hood a pris
fa route au nord de St- Domingue pour fe réunir à l'Amiral
Rodney qui a pris celle du fud avec le refte de l'efcadre.
сб
( 60 )
avons poursuivi notre chale contre une autre frégate
, qui nous a chappé pendant la nuit , & c'eſt
ce q eu a fépar «.
Ces d . ux lettres ont confirmé ce que
l'on av it déja penfé , que l'efcadre Françoife
avoit pris le chemin de St- Domingue ;
quelques uns de nos papiers les regardent
comme donnant une apparence plus décifive
au combat du 12 ; mais en général c'eft
ce que ne voit pas également toute la Nation.
Ce qu'il y a de politif c'eft que les
François ont perdu 7 vaiffeaux , quant au
huitième cela ne paroît pas affuré ; Rodney
dit qu'il en a coulé bas un pendant l'action ;
mais il n'en favoit pas encore le nom; il
faut donc que l'on n'en ait fauvé perfonne
qui ait pu le lui dite , que le Comte de Graffe ,
les Officiers & les équipages des vaifleaux
pris , n'aient pu ou n'aient voulu lui donner
aucun éclairciffement , ce qui n'eft pas toutà
- fait vraifeinblable. Quoiqu'il en foit , cet
évènement paroît lui avoir rendu toute la
popularité qu'il avoit perdue. Les nouveaux
Miniftres qui l'avoient rappellé & qui envoyoient
l'Amiral Pigot pour le remplacer ,
fe font empreffés d'envoyer à ce dernier
un contre- or fre ; mais ce contre- ordre parti
trop tard n'eft arrivé à Plymouth , qu'après
le départ du vaiffeau qui porte cet Amiral.
Le Ministère ne pouvant plus empêcher le
remplacement , difent par- tout qu'ils deftinent
à Rodney un autre commandement
plus important ; ils ont été les premiers à
(464 )
faire une motion au Parlement pour des
remerciemens à l'Amiral au nom des deux
Chambres ; elle paffa chez les Communes
fans contradiction , mais avec des additions
fucceffives , d'abord , que de pareils remerciemens
étoient mérités par tous les Officiers
qui avcient fervi fous Rodney , &
enfuite par tous les équipages.
Ce fut l'Amiral Keppel qui fit cette motion
dans la Chambre haute , à la place du Comte
de Shelburne qui étoit indifpofé ; elle y patla
également. Une autre adrefle de félicitation
au Roi à l'occafion de cet heureux évènement
donna lieu à quelques débats , au fujet
dela flotte des Indes Occidentales ; on l'avoit
qualifiée de puiffante ; mais elle avoit été
équipée par l'ancienne Adminiftration , &
il ne falloit pas que fes ennemis convinffent
qu'ils avoient eu l'attention d'avoir une fois
une efcadre puiffante . Et le Lord Keppel fit
à cette occafion une obfervation qui mérite
d'être citée & qui vient à l'appui de cellés
que nous avons déja faites fur l'état où
malgré la victoire de Rodney nos affaires
fe trouvent encore dans les Indes Occidentales.
" Les François , dit -il , ont encore au moins 28
à 29 vailleaux de ligne aux Ifles , & les Espagnols
16 à 17 tous frais , les mêmes Puiffances peuvent
actuellement en faire paffer encore 30 , où ils recouvreront
au moment même de leur arrivée une fupériorité
qu'il n'eft pas en norre pouvoir de leur ôter.
Ils ont contre eux , il eft vrai , la faifon orageufe ;
mais s'ils veulent hafarder des vaiffeaux pour fe
( 62 )
rendre maîtres de la Jamaïque , comment pourronsnous
les en empêcher ? Quelqu'éclatante que foit donc
la victoire que nous célébrons , elle n'eft pas auffi décifive
qu'on nous la peint , & nos dangers font encore
imminens. Cette malheureuſe guerre de Hollande
employant une partie conſidérable de nos vaiſſeaux ,
dérange tous les plans poffibles d'opérations , &
nos ennemis peuvent faire à leur volonté tout ce
qu'il ne nous eft pas poffible de faire «.
Cette réflexion de l'Amiral Keppel eft
fans doute d'un grand poids ; auffi a- t- elle
été avidement faifie ; quelques perfonnes qui
ne tiennent pas à l'Adminiftration , mais
qui paroiffent bien voir , & qui ne font
pas retenues par les raifons de circonfpection
qui peuvent empêcher le premier Lord
de l'Amirauté , de dire tout ce qu'il penfe
& tout ce qu'il fait , n'hésitent point à dire
qu'ils ne feroient pas étonnés de voir l'enthoufiafme
aujourd'hui général s'affoiblir
bientôt , & fe changer en un mécontentement
qui pourroit avoir des fuites fort graves
pour l'Amiral Rodney.
>> On trouvera étrange , lit- on dans un de nos
papiers , qu'au milieu des acclamations du peuple ,
une voix s'éleve pour demander s'il ne s'abuſe point ?
ce fera bien pis , fi l'on ajoute encore cette question :
L'Amiral dont vous vantez le triomphe , a- t-il fait
fon devoir? le but du Comte de Graffe étoit de
faire paffer à St-Domingue un convoi confidérable
qui ne confiftoit pas en moins de 150 voiles , & qui
portoit 7 à 8000 hommes de troupes . Celui de
Rodney devoit être fans doute de l'en empêcher ;
les deux combats qu'il a donnés ou foutenus , &
dans l'un defquels il a eu la victoire , ont-ils changé
la deſtination de ce convoi , l'ont- ils arrêté , ont- ils
( 63 )
même fufpendu fa marche ? Il n'a donc pas fait tout
ce qu'il pouvoit & tout ce qu'il devoit pour cet objer .
Il lui étoit aifé de détacher 2 ou 3 de fes vaiffeaux
pour l'intercepter ; ce nombre étoit plus que fuffifant ,
puifqu'il n'étoit efcorté que par deux vaiffeaux de
so canons. S'il ne l'a pas fait , qu'en devons -nous
conclure ? c'est qu'il n'a rien voulu perdre de fa
fupériorité ; il n'auroit peut-être pas ofé rifquer un
combat avec les François , s'il n'avoit eu que 3 ou 4
vaiffeaux de plus qu'eux . Qu'en est- il réſulté ? il a
eu l'avantage dans l'action du 12 ; mais ſes vaiſſeaux
ont été très- maltraités , comme il en convient ; les
François l'ont été beaucoup moins , puifqu'ils ont
eu le tems d'aller à St-Domingue avant qu'il ait pu
fonger à s'y oppofer , ils y ont rejoint le convoi
qui les avoit devancés ; ils y ont trouvé les Espagnols,
& réunis à eux , ils font en état de ſe présenter à
forces au moins égales , de le chercher , & de porter
à la Jamaïque ou ailleurs l'armée de terre qui fe
trouve affemblée à St - Domingue ; le combat ne
fauve donc pas celles de nos poffeffions qui peuvent
être menacées ; il faut en rifquer un nouveau pour
les défendre ; le: forces de nos ennemis font toujours
formidables ; & la confervation de fon convoi , fon
arrivée à fa deftination , font qu'il n'y a rien de
dérangé dans leurs projets . Il falloit tout facrifier
pour le rendre maître de ce convoi ; c'étoit un
avantage bien au deffus de la victoire du 12 , par
fon importance & par fes fuites . Rodney paraît
avoir fenti lui-même qu'il a fait une grande faute.
Il s'eft bien gardé de dire un feul mot de ce convoi
dans fes dépêches ; mais il ne s'eft pas perfuadé que
perfonne n'y penferoit ; pour aller au devant des
reproches , il a eu foin de dire que les troupes Françoifes
, au nombre de 5500 hommes , étoient embarquées
à bord des vaiffeaux du Roi ; mais on
croira difficilement qu'elles y fuffent toutes ; les 150
tranfports qu'accompagnoit l'escadre Françoiſe ,
"
( 64 )
n'étoient pas uniquement chargés de munitions . D'ail
leurs toutes ces troupes n'étoient pas à bord des vaiffeaux
pris . Si l'on eft étonné de fon filence fur leconvoi ,
on n'a pas lieu de l'être moins fur celui qu'il garde en
parlant de fa victoire ; on s'attendoit à des détails ,
& il n'en donne aucun; il n'a pas , dit- on , permis au
Comte de Grafle d'écrire en France , par la frégate
qui a apporté fes dépêches . Ne feroit-il pas railonnable
de penfer qu'il a craint que la relation du vaincu
ne diminuât beaucoup le mérite du vainqueur. On a
des lettres particulières de fon armée , où il eft dit
que le combat du 12 ne s'eft engagé que parce que
le Comte de Grafle a voulu fauver le Zélé , prêt à
tomber entre 4 de nos vaiffeaux ; l'Amiral le voyant
occupé à les combattre , envoya fur le champ 4 autres
vaiffeaux , qui furent fuivis de 6 autres ; le
Comte de Graffe fe trouva entouré ; le calme qui
futvint empêcha l'armée Françoile de venir à fon
fecours ; ce brave Officier fe battit pendant 7 heures
avec 6 vailleaux contre 14. Sa prife eft , comme on
le voir , moins glorieufe pour le preneur. Si ce qu'ajoutent
, les mêmes lettres particulières eft vrai , que
penfera -t-on de Rodney; elles prétendent qu'il au
roit pu , s'il avoit voulu , recommencer le combat le
15 , que les François étoient préfens , & que malgré
leur
perte de la veille , ils faifoient une contenance
qui empêcha Rodney de le rifquer . Il faut qu'il eût
prodigieufement fouffert pour ne pas effayer d'achever
de ruiner l'efcadre ennemie , & de réparer la
faute qu'il avoit faite à l'égard du convoi. Après
ces réflexions , il paroît évident que l'Amiral qui
va recevoir les complimens de la Nation , les aura
mérités à bon marché , qu'après n'avoir pas fait tout
ce qu'il devoit dans cette circonftance , il pourra être
encouragé à ne pas faire mieux une autre fois ;
il faut s'attendre à voir livreffe actuelle ſe diſhper
bientôt ; & fi les maux que l'on prévoit, que l'on
a lieu de craindre, arrivent en effet , on ne feroit pas
( 65 )
étonné de voir un confeil de guerre s'affembler, pour
examiner à fon retour en Europe , la condune de
l'Amital que la Nation complimente aujourd'hui ; il
eft sûr que fans la prife du Comte de Graffe & de
quelques vaiffeaux , c'eft le fort qu'il eût infaillible
ment éprouvé après les combats du & du 12 .
و
9 Nos papiers ont fort exagéré les fuites
que pourra avoir la prife de Négapatam
& de Trinquemale ; les dépêchés de l'Amiral
Sir Edouard Hughes & de Sir Hector Monro,
relativement à ces deux conquêtes , font fort
étendues ; il paroît que nous les devons à
la défection des troupes Indiennes au fervice
de la Compagnie Hollandoife. On nous peint
Trinquemale comme une fortereffe des plus
importantes , comme le Gibraltar de l'Inde.
Cependant on fait que la principale place
de lifle , celle où le Gouvernement Hollandois
a fon fiége , eft la ville de Colombo ;
& nous n'en fommes pas encore les maîtres
; cette conquête ne peut pas être l'ouvrage
d'un coup de main ; lorfque nos papiers
nous difent que nous ferons aidés par
les habitans , & que le Roi de Ceylan a
promis à nos troupes de les feconder pour
les aider à en chaffer les Hollandois , ils
doivent obferver que le Roi réfide à Candy ,
que cette ville eft à plus de cent milles
de diftance de la côte , & qu'il n'eft pas
aifé de concevoir comment cette corref
pondance s'eft fi promptement établie entre
lui & nos troupes. Au refte , il eft à craindre
que les François ne nous laiffent pas le tems
de profiter de ces offres ; ils amènent avec
( 66 )
*
eux des troupes qu'ils peuvent débarquer
ailleurs que dans la baie , & pour les en empêcher
, il faut attaquer auparavant leur
efcadre , ce qui expofe encore cette conquête
récente au fort d'un combat , dont
l'iffue eft au moins douteuſe.
On affure que l'Amiral Kempenfeld qui
étoit rentré à Torbay , en a remis à la voile
le 24 pour reprendre fa croifière ; le lendemain
25 cette efcadre fut fignalée de
Plymouth defcendant le canal.
Les inquiétudes que nous caufe la jonction des
efcadres de France & d'Efpagne , ont décidé , dit on ,
le départ de cet Amiral. Il a erdre , à ce qu'on prétend
, d'empêcher , le plus long-tems qu'il lui fera
poffible , M. de la Motte- Piquet de joindre les
Efpagnols ; mais on voit que cela fera difficile ,
parce qu'il a 15 vaiffeaux , & par conféquent plus
que n'en a Kempenfeld. D'ailleurs , ce font les Efpagnols
qui viendront à Breft , & ils viendront en
forces ; auffi notre Amiral quittera-t - il les côtes de
France auffi-tôt qu'ils paroîtront , & qu'il verra
qu'il n'eft pas le plus fort. Alors l'Amiral Howe le
joindra , & on le flatte avec une trentaine de vaiffeaux
de ligne , de défendre l'entrée de la Manche ,
où l'on craint toujours une vifite. - En attendant ,
l'Amiral Howe eft occupé à bloquer le Texel ; on
lui prête même d'autres projets . On dit qu'il a écrit
à l'Amirauté qu'arrivé le 16 devant le Texel , il a
trouvé la flotte Hollandoife fi bien poſtée , que d'abord
il lui a paru dangereux de tenter même de la
détruire. Cependant après deux ou trois jours
d'obfervations il a pris le parti d'expédier
un exprès , par lequel il inftruit l'Amirauté de
l'état & de la force des fortifications extérieures ;
de la poſition forte & reculée dans laquelle l'ennemi
•
( 67 )
: eft emboffé & il finit par obferver qu'avant de
L'attaquer , il faut faire taire le feu des forts ; qu'il
attend des ordres , & que dans le cas où l'on jugeroit
l'attaque favorable , il demande trois brûlots
de plus , & le plus léger des vaiffeaux de ligne qu'on
pourra trouver dans les ports de la Grande - Bretagne.
On ignore la réponfe du Gouvernement ; mais on
affure que les brûlots & le vaiffeau viennent de lui
être expédiés .
Il paroît que l'affaire de l'Irlande va être
bientôt terminée , & toute entière à la fatisfaction
de ce Royaume. Le Comte de
Shelburne & M. Fox , firent le 17 de ce
mois les motions relatives à ce grand objet ,
l'un dans la Chambre haute , & l'autre dans
la baffe. Elles tendoient à arrêter qu'il convient
de révoquer l'acte de George I , qui
déclare le droit du Parlement Britannique
de faire des loix obligatoires pour l'Irlande ;
qu'il eft indifpenfablement néceffaire pour
le bien être des deux Royaumes qu'il foit
confenti de part & d'autre à former un
plan pour fixer les droits de chacun fur
une bafe ftable & permanente ; qu'il foit
en conféquence préfenté une humble adreffe
au Roi pour le prier de prendre des mefures
qui tendent à la fatisfaction de fon
peuple d'Irlande. Ces propofitions paflèrent
à l'unanimité dans la Chambre des Communes
; elles éprouvèrent quelque oppofition
dans celle des Pairs ; mais cependant
elles finirent par y paffer fans aller aux
voix.
Quelques prifonniers faits par les Fran(
68 )
çois à bord d'un paquebot des Indes qu'ils
ont enlevé , ont rapporté de ces contrées
un fait qui eft bien tingulier , & qui prouve
à quel point nous y fommes odieux .
8
M. Haftings , Gouveineur - Général de tous nos
Etabliffemens dans l'Inde , ( un de ceux fur lefquels
la Chambre des Communes exerce aujourd'hui fa
cenfure , avoit eu une rencontre funefte , dont il
n'avoit fauvé qu'à peine fa vie , & qui prouve , com
bien notre autorité dans ces Contrées eft précaire.
Voici comme ils racontent le fait : » Chiet - Ling
Raja de Benares , ayani contracté de gros arrérages
envers la Compagnie & refulant de les acquitter ,
le Gouverneur- Général , accompagné d'un autre Off
cier & d'une efconte convenable , le rendit à la Réfidence
du Raja , fituée fort avant dans le pays , pour
apurer
les
comptes, avec lui. Le Raja perfiftant dans
fon efus , M. Haftings le mit aux arrêts & les
biens en faifie . La nuit fuivante, la garde de Ci
payes , poftée felon la couceme à la porte de M.
Haftings , fur toute égorgée ; & plufieurs perfonnes
de la fuite , qui forti ent le lendemain fans favoir
ce qui s'étoit palé la nuit , & fans , foupçonner aucun
danger , firent arrêtées , liées des à dos , &
jettées dans le Gange . Le Gouverneur & l'Officier
qui l'accompagnoit , informés de ces violences , &
penfant à leur propre fûteté , ordonnèrent à tous
leurs Domestiques , & à ce qui reftoit de leur fuite ,
de partir avec leurs bagages ; mais feuls ils prirent
fecrettement une route différente pour le fauver.
Par cette précaution , ils échappèrent heureuſement
au danger , qui les menaçoit ; mais leurs malheureux
Domeftiques & ceux de leur eſcorte , qui
avoient furvécu au carnage de la nuit , furent la victime
du ftratagême. Les gens du Raja les pourfuivirent
; & les ayant atteints , parce que les bagages
ne pouvoient pas marcher avec allez de vitelle , ils
( 69 )
en maffacrèrent cent quatre-vingte. L'on craint ,
avec railon , que fi les Officiers de la Compagnie
ve.len: tirer raifon de cette violence fanguinaire , il
n'en réfuire les fires les plus préjudiciables , à une
époque , où le nom Anglois et l'objet d'une haine
universelle dans Inde , tant parmi les Européens
que parmi les Naturels du pays
Parmi les calculs d'arithmétique politi
que qui ont paru depuis quelque tems , en
voici un qui a paru dans quelques- uns de
nos papiers , & qui peut piquer la curiofité
dans les circonstancès préfentes . On s'y eft
propofé d'examiner l'influence de la guerre
fur la population.
On doit convenir qu'une guerre fongue , étendue
& fanglante , contribue en quelque degré à dépeupler
un pays ; mais on peut démontier clairement qu'elle
n'eft pas aufli nuifible à la population qu'on imagine.
ordinairement. Rien , certainement , n'ind it ples en
erreur que les calculs politiques . Nous ne déciderons
point fi les gens qui fe livrent à cette fcience ont été
trompés eux-mêmes , ou s'ils ont en deffein de
tromper les autres , c'est- à- dire , s'ils ont éré des
fourbes ou des fots ; mais nous avons fouvent eu te
bonheur de voir ce pays échapper aux calamités les
plus affreufes dont il étoit cependant menacé par dés.
calculs auffi certains qu'il l'eft que & 2 font 4 ,
fans que les prophêtes & nous en fuffious la caufe.
On trouvera qu'il y a de la dureré à appeller fourbe
un homme , par la feule raifon qu'il s'eft' trompé
dans fes calculs ; mais celui qui , ne connoiffant pas
parfaitement la bafe for Taquelle il établir for hypothefe
, & ne fe propofant aucun bien en la rendant
publique , cherche à porter du poir dans l'efprit de
fes compatriotes , ne mérite pas aſſurément une
meilleure épithète. Lorfque Swift , après avoir
joué un rôle fabalterne , fé retira en Irlande par con70
J
defcendance pour les Miniftres qui voulurent détruire
les libertés de ce pays à la fin du règne d'Anne , en
empêchant la famille actuellement régnante de monter
fur le trône , & en rétabliffant celle des Stuards , il
s'efforça de troubler le Gouvernement qu'il n'avoit
pu renverfer. Animé par cette ambition , il prouve ,
dans un de fes ouvrages , par les calculs les plus
étudiés , que l'argent qui circuloit en Irlande étoit fi
fort diminué , & que la balance du commerce étoit
fi défavantageufe à ce Royaume , que le numéraire
y feroit épuifé en peu d'années. Swift vécut longtems
au-delà de l'époque à laquelle il avoit prouvé
que l'Irlande fe trouveroit fans argent , & on n'avoit
cependant point remarqué de différence frappante
dans la quantité du numéraire de ce pays. Un vrai
Politique rougit-il jamais ? - Swift ne faifoit qu'accidentellement
le métier de calculateur politique.
Mais nous avons vu de nos jours un homme de
mérite acquérir beaucoup de réputation dans cette
carrière , & fe concilier l'attachement & la bienveillance
de fes compatriotes , en prouvant d'abord
que les habitans de l'Irlande étoient totalement
ruinés , & en fecond lieu , que dans très - peu de tems
il ne refteroit dans cette ifle aucun individu à ruiner.
Tout le monde doit le fouvenir avec quelle effervefcence
ces triftes préfages furent adoptés par une
grande partie de la Nation. Il y a certainement
beaucoup de vérité dans la remarque publique ,
qu'un Anglois n'est jamais plus content que lorf
qu'on lui dit qu'il eft ruiné. Il faut convenir que
notre prophète étoit très-fondé dans plufieurs de fes
prédictions ; car , peu fatisfait d'annoncer la ruine'
entière qui menaçoit toute la Nation , ( fi notre
mémoire n'eft pas fautive , il accorda cependant
qu'il y avoit quelque chance de nous fauver de la
ruine , pourvu qu'on confiât à lui & à fes partifans
la direction des affaires ) il eut encore la bonté
d'avertir plufieurs fociétés privées de leur ruine pro(
75)
-
chaine ; il fe trompa rarement à cet égard , parce
que plufieurs de ces fociétés prirent directement les
moyens de fe ruiner , en voulant prévenir leur fort
futur , au lieu que fi elles euffent attendu l'évènement
, elles auroient pu reconnoître que quelque
circonftance très-légère , échappée à l'attention du ,
favant calculateur , auroit peut - être détourné le
malheur qu'il avoit prouvé être inévitable . Pour
donner une idée plus claire de la foi qu'on doit
ajouter à l'arithmétique politique , nous préfente-..
rons un calcul de la perte que la guerre d'Amérique
a fait éprouver à la population de ce pays-ci , & ,
après avoir fuivi les erremens du favant calculateur
mentionné ci- deffus , nous en examinerons le réſultat.
Suppofons que so, 000 hommes ayent péri dans cette
guerre ( Un patriote s'écriera peut- être que c'eft
apprécier fort au-deffous de la perte réelle le nombre
d'hommes que ce pays a perdus , mais il fe con
vaincra avec un peu de patience , que nous n'avons
eu aucun intérêt à le faire ) . Cette perte fera nonfeulement
celle des hommesjeux- mêmes , mais auſſi
celle de la postérité qu'on devoit en attendre. Pour
ne point exagérer la fupputation de cette perte , nous
ne compterons que deux enfans par homme. En
fuppofant que ces enfans ayent engendré au bout de
25 ans , la perte
fera telle qu'il fuit. En 25 ans elle
fe montera à 200,000 ; en 50 ans à 400,000 ; en 75
ans à 800,000 ; en 100 ans à 1,600,000 ; en 125 ans
à 3,200,000 , & en 150 ans à 6,400,000 , nombre
qui , fi nous ne nous trompons , excède , fuivant
l'eftimation du favant calculateur , le nombre entier
des habitans de cette ifle. - Rien ne fauroit être plus
jufte que ce calcul qui prouve que la guerre actuelle
aura été , dans l'efpace de 150 ans , la caufe de la
perte de plus de 6 millions d'habitans pour ce pays.
Mais avant de nous affliger d'un tel malheur , examinons
un peu le fait , car ces fortes de preuves ne
méritent pas toujours une créance implicite.
( 72 )
En admettant que la guerre d'Amérique nous
ait fait perdre 50,000 hommes , il nous refte au
moins 3 millions d'habitans dont la vie n'a été ni
ne fera détruite par cette guerre . Quoique donc il
foit clair , d'après le calcul ci- deffus , que la guerre
d'Amérique aura fait perdre à ce pays , dans l'espace
d'un fiécle & demi , plus de 6 millions d'habitans ;
il est également certain , en évaluant les defcendans
de ceux qui restent , de la même manière que nous
avons évalué celle qu'on devoit attendre de ceux
qui ont péri , qu'il y aura , à cette époque , plus de
320 millions d'ames dans la Grande- Bretagne . S'il y
a de la vérité en arithmétique , ces calculs font
vrais. Il n'importe aucunement que nous foyons
fondés à évaluer à 50,000 les hommes perdus par
la guerre d'Amérique , & ceux qui restent actuellement
à 3,000,000 ; en prenant tout nombre donné
pour le nombre de ceux qui ont été perdus , la
perte , en très -peu de temps , paroîtra énorme , &
en prenant de même tout nombre donné pour le
nombre de ceux qui reftent , on verroit que leur
poftérité fourniroit , avant une longue révolution
d'années , une fomme fi prodigieufe d'habitans , que
toute la furface de la terre ne pourroit les contenir
, en fuppofant même qu'ils fuffent tous ferrés
les uns contre les autres. Cette erreur a plufieurs
fources. Premièrement , à nous entendre parler des
hommes qui font morts au fervice de leur patrie
pendant la guerre , il fembleroit qu'ils euffent été
immortels , s'ils le fuffent trouvés dans toute autre
pofition , tandis que dans les guerres les plus longues
& les plus cruelles , le nombre de ceux qui
font exposés aux dangers de la guerre n'excède pas
autant qu'on l'imagine d'ordinaire , le nombre de
ceux qui feroient morts fur le même nombre donné
de perfonnes , & dans le même espace de temps ,
s'ils fe fuflent trouvés dans toute autre pofition .
Le nombre de ceux qui périffent par les armes eft
très(
73 ) ;
très -peu confidérable , & avant de faire une évaluation
exacte de la perte qu'occafionne la guerre ,
il faut même déduire fur ce nombre ceux que la
maladie auroit enlevés dans toute autre pofition :
il en périt beaucoup plus par des maladies & plufieurs
d'entre eux par des maladies réfultantes de
leur pofition , & fi nous déduifons encore für ce
nombre ceux qui feroient morts dans le même
efpace de temps , s'il n'y eût point eu de guerre ,
nous reconnoîtrons que la guerre n'eft pas fi nuifible
à la population qu'on le penfe. Quant à la
perte de poftérité , l'accroiffement de population à
cet égard dépend abfolument de circonftances particulières.
Il est évident qu'il ne fauroit être tel
qu'il le femble , d'après les calculs ; car fi cela étoit ,
ce monde auroit été , depuis plufieurs fiècles , beaucoup
trop petit pour les habitans. Les mariages qui
ont toujours été , & qui feront toujours d'inftitution
parmi les deſcendans d'Adam , fruftreront entièrement
les calculs de ceux qui voudront évaluer
la poſtérité d'un nombre donné de perfonnes , &
les Calculateurs en politique ne font pas toujours
attention qu'il faut être deux pour former un troifième.
Ce feroit une tâche affez divertiffante , que
de faire voir l'illufion & le ridicule de l'arithmétique
politique , fi l'on ne craignoit d'être accufé
de vouloir entamer la réputation bien acquife de
ces favans Scrutateurs qui ont afpiré aux fuffrages
de leurs Compatriotes en leur infpirant une terreur
panique. Ce fameux Athénien qui , après un combat
dans lequel fes Compatriotes avoient été défaits ,
fe hâta de venir leur annoncer qu'ils avoient remporté
une pleine victoire , & qui lorsqu'on fçut la
vérité , ayant été accufé d'impofture , leur dit :
Suis-je votre ennemi , parce que je vous ai procuré
deux jours heureux ; cet Athénien , dis -je ,
avoit un excellent naturel . S'il faut que les affaires
de la Nation foient déguifées , que celui qui ment ,
8 Juin 1782.
--
d
( 74 )
égaye donc fes Concitoyens plutôt que de les attri
ter, Nous lui confeillons d'en agir ainsi , par rapport
méme à la conféquence dans les deux cas ,
parce que des efpérances illufoires ont fouvent
excité le courage d'une Nation , & lui ont fait exé.
cuter de grandes chofes , tandis que des craintes
vaines ont plufieurs fois produit des malheurs qui
ne -fullent jamais arrivés fans le découragement
caufé par ces craintes .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Juin.
LE 20 du mois dernier le Roi a nommé à
l'Abbaye de la Vernuce , Ordre de Saint-
Auguflin,Diocèle de Bourges , l'Abbé Gréellet
Detprades , Vicaire- Général de Die ; & à
celle d'Angle , même Ordre , Diocèle de
Poitiers , l'Abbé Gabon , Chapelain de Monfeigneur
le Comte d'Artois fur la nomination
& préfentation de ce Frince en vertu
de fon Apanage.
Le même jour LL. MM, & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Grais , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi près le Landgrave de Heffe- Caffel ,
avec Demoifelle de Willeke , fille du Baron
Willeke , Chambellan de l'Electeur de Saxe.
Le Duc de Chofeul ayant obteau pour
fon neveu , le Comte de Stainville , fils du
Marquis de Choifeul - la - Baume , l'affurance
de fon Duché Pairie , & ce dernier en ayant
en même-rems obtenu les honneurs , ils ont
eu tous deux celui de faire leurs remerciemens
au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
( 75 )
•
Le 28 la Comteffe Gui de Lévis & la
Comtelle de Roftain' , eurent l'honneur d'être
préfentées à L. M. & à la Famille Royale ,
la première par la Comtelle de Mirepoix ,
& la feconde par. la Comteffe de Châlons.
M. Gin , Confeiller au Grand Confeil ,
eur , le 12 du mois dernier , l'honneur de
préfenter à Monfieur , un Ouvrage de fa
compofition , dont ce Prince avoit accepté la
dédicace , & qui a pour titre : Analyfe raifonnée
du Droit François , par la comparaison
des difpofitions des Loix Romaines & de celles
de la Coutume de Paris , fuivant l'ordre des
Loix Civiles de Domat , avec un texte de la
Coutume de Paris , dans lequel les articlesfont
rétablis dans l'ordre que les réformateurs leur
ont donné ( 1 ).
De PARIS, le 4 Juin.
ON atten foir avec impatience des nouvelles
directes des Iles , pour éclaircir la relation
publiée en Angleterre des deux combats
du 19 & du 12 Avril. L'Ariral Rodney
parle très - vaguement de Pun & de l'autre ;
il s'eft contenté d'annoncer fon avantage , &
il n'eft entré dans aucun détail , de crainte ,
(1 ) Cet Ouvrage important avoit été projet é pir feu M.
Doulcet, ancien Avocat au Parlement , & a été exécu é fur
Pefquiffe que ce célèbre Jurifconfulte en a tracé . Il manquoit
encore ; il n'y en a point de plus propre à por er la lumière
dans le labyrinthe de nos Coutumes , à dépouiller l'étude du
Droit François de l'aridité qu'on lui reproche ; M Gin , à
qui l'on le doit , a des droits à toute notre reconno flance. Il
forme un vol. in-4 ° . & fe trouve à Paris chez Serviere ,
Libraire , tue St-Jean -de- Beauvais .
d 2
( 76 )
fans doute , de l'affoiblir. Dans la liſte qu'il a
envoyée à fa Cour , de nos vaiffeaux , il
comprend le St- Efprit, le Sagitaire , l'Expériment,
le Minotaure & le Fier, dans l'intention
vraisemblablement d'augmenter nos forces ,
& de nous fuppofer une fupériorité qui
eût donné plus d'éclat à ce qu'il appelle
fon triomphe. Il eft de fait que le St-Ef
prit étoit refté à Fort Royal , où on le ra
douboit , & qu'il n'eft point forti avec l'eſcadre.
Le Sagitaire & l'Expériment ,
rous
deux de so canons , accompagnoient le
convoi , & ne fe font trouvés à aucune
des deux actions. Le Minotaure & le Fierfont
revenus en Europe à la fin de 1781 , & l'un
eft à Rochefort & l'autre à Breft. Le Caton &
le Jafon , après la 1ere, action , avoient été envoyés
à la Guadeloupe , pour réparer quelques
avaries. Le Zélé , dont la confervation a
donné lieu au fecond combat, y fut remorqué
ayant qu'il commençât ; ce qui fait au moins 8
vaiffeaux , qui sûrement ne prirent aucune
part à cette action , dans laquelle fa fupériorité
bien décidée , ne détermina cependant
pas Rodney à la diminuer de deux
feuls vaiffeaux qui lui auroient fuffi
pour courir après le convoi. Si , felon les
lettres particulières , écrites de fon armée
même , il étoit encore le maître le 13 de
recommencer le combat , & que la bonne
contenance des François l'en ait empêt hé ,
il faut qu'il ait effuyé un défordre épouvantable
j & que Tarmée Françoiſe ait
( 77 )
beaucoup moins fouffert. Cela eft confirmé
par des paquets de Breft , qui arrivèrent à
Verfailles le 29 du mois dernier fur le
foir & fort tard , d'après lefquels on apprit
au coucher , que l'armée du Roi étoit
arrivée à St- Domingue , au nombre de 25
vaiffeaux de ligne , fous les ordres de M.
le Marquis de Vaudreuil ; elle y a trouvé
le Sagitaire & l'Expériment , qui l'avoient
précédée avec le convoi , & 15 vaiffeaux
Efpagnols qui y étoient mouillés depuis le
8 Avril , ce qui porte nos forces navales
à 42 dans ces parages. Il faut que notre
armée n'ait pas été trop maltraitée , pour
avoit fait le trajet en fi peu de jours , &
que Rodney n'ait pas été en état de la
fuivre . Cela confirme ce que nous avons
dit du peu de tems dans lequel elle pourra
être réparée , de l'efpérance que l'on doit
avoir de voir exécuter encore le plan de
campagne arrêté , que dans tous les cas ,
l'avantage de Rodney fe réduit à celui de
la journée , que les deux Puiffances font au
même état où elles étoient avant le combat
, & que la perfpective que nous avions
peut être reculée , mais n'eft point changée.
1
On ne fait pas quel peut être le vaiffeau
que Rodney dit avoir coulé bas dans l'action ;
il est bien étonnant qu'il n'ait pas pu le
nommer le 14 , que les François qu'il avoit
à bord ne lui aient donné aucun renfeignement
; & on a eu raifon de préfumer qu'il
s'étoit trompé , quant au Céfar qui , s'il en
d 3
? 78 ')
faut croire le Lord Cranston & le Capitaine
Byron , a fauté quelque tems après
qu'il a été dans la poffeffion des Anglois , il ne
devoit plus y refter d'Officiers François ,
puifqu'il étoit amariné , & qu'on fait qu'au
moment où l'on amarine un vaiffeau , la
première chofe qu'on fait eft d'en retirer
le Capitaine & fes principaux Officiers.
On ne peut favoir d'ailleurs qui le commandoit
alors , parce qu'il y a eu bien
des changemens dans le commandement
des vailleaux de notre flotte , depuis le
départ de MM . de Barras & de Monteil.
,
Nous ne répéterons pas ici les bruis
vagues & contradictoires qui fe font répandus
auffi-tôt après l'arrivée des dépêches
de St - Domingue ; c'eft M. le Vicomte de
Morteinar Commandant la frégate le
Richemont , pife de M. de Barras dans la
Chéfapeak , qui les a apportées , il a eu
une traversée fort heureufe ; mais fa fanté
ne lui ayant pas permis , lorfqu'il eft defcendu
à Breft , de prendre la pofte fur-lechamp
, il a envoyé un Courier , & il n'étoit
attendu que le 2 ou le 3 de ce mois .
Il faut attendre la publication des lettres
de M. de Vaudreuil , pour avoir des détails
pofitifs..
3.
Quelle que foit la perte que nous ayons
effuyée en vaiffeaux , elle ne peut qu'être
bientôt réparée ; le zèle de la Nation s'empreffera
de faire les plus grands efforts
& Monfieur & Mgr le Comte d'Artois
( 79 )
t
viennent de lui donner un grand exemple
de patriotifme qui fera imité. Ils ont fait
hommage au Roi d'un vaiffeau de 110 canons
, qu ils font conftruire ; M. le Prince
de Condé en a offert un pareil de la part
des Eras de Bourgogne ; & on apprend
que la Ville de Paris , les fix Corps , vont
également offrir à S. M. d'autres vaiffeaux
de femblable force . On apprend aufli que
des citoyens zèlés demandent la permiffion
d'ouvrir une foufeription pour le même
objet , & fi le Roi daigne l'agréer , il n'eſt
pas douteux qu'elle ne foit promptement
remplie , & qu'elle n'aille fort au- delà
des befoins , par l'empreffement avec lequel
on fe met fur les rangs pour y contribuer.
» Le 19 Avril dernier , lit - on dans un lettre de
Cette, un exprès eft arrivé ici , à 3 heures du matin ,
avec ordre pour le Commandant de la place de faire
partir de faite le déra hement du corps Royal d'artillerie
, qui étoit ici depuis quelque tems . A huit
heures du matin ce détachement étoit déja en routeavec
armes & bagages pour aller coucher à Montpellier
, & fe rendre de-là à Toulon , où eft fon
corps . On a dit que les ordres font de s'y embarquer
pour Gibraltar . On continue de fréter des
bâtimens pour le compre du Roi , & aujourd'hui
( 15 Mai ) plufieurs font déja en charge .
__
On affure que M. de Falkenhayn a mis le
25 Mai à la voile de Mahon avec fa divifion .
M. le Duc de Bourbon a demandé au
Roi la permiffion d'aller fervir comme volontaire
au fiége de Gibraltar ; S. M. y a
confenti ; & ce Prince n'attend plus à préd
4
( 80 )
fent pour faire les apprêts de fon voyage
que l'agrément du Roi d'Eſpagne .
Nous n'avons point de nouvelles de nos
ports , tout ce qu'on fait , c'eft que tous
les vaiffeaux que nous avions à Breft font
en état de fortir , & que les travaux nécellaires
à ceux de M. d'Albert de St -Hipolyte
, qui y a amené le convoi de St Domingue
, fe font avec une activité qui les
mettra en état de fuivre inceffamment les
autres en rade ; ceux que nous avons à Rochefort
& à l'Orient étoient attendus à Breft.
» Le commandement du vaiffeau le Suffifant
de 74 , écrit - on de Toulon , vient d'être donné à
M. de Caftelet , Capitaine de vaiffeau de ce dépar
rement. Il nous arrive journellement de différens
ports de ce département & du Languedoc , des matelots
& volontaires navigateurs pour former l'équi
page de ce vailleau & celui du Dictateur , que M.
de la Clue doit commander . Ces hommes font dépofés
fur le vaiffeau Amiral , dans lequel on a établi
une cavende pour leur fubfiftance , en attendant que
les vaiffeaux pour lefquels ils font deftinés entrent
en armement. Le vaiffeau Impérial qui doit fe
rendre à Marseille pour y achever fa cargaiſon , a
mis à la voile le 12 Mai , ainfi que la corvette
le Tigre , commandée par M. le Chevalier de Pujet-
Bras , Lieutenant de vaiffeau . Cette corvette a ,
on , des ordres de fe rendre à Cette pour y prendre
fous fon efcorte quelques bâtimens chargés de canons
pour completter Parmement du Suffifant &
du Dictateur « .
dit-
On a beaucoup parlé du projet d'établir
des communications & une correfpondance
réglée entre deux lieux même très-diftans ;
( 81 )
un Phyficien a adreffé à cette occafion la
lettre fuivante au Journal de Paris ; il employe
pour cet effet l'électricité ; mais il ne
regarde en effet ce moyen que comme un
jeu phyſique ; & on ſentira aiſément la difficulté
de l'employer à de grandes diſtances ,
mais il peut piquer la curiofité.
" Suppofons , dit-il , deux fils de fer doré allant
d'un de ces lieux à l'autre fous terre dans des tuyaux
de bois garnis de réfine , & chacun de ces fils ayant
des boules à leurs extrémités ; que dans un de ces
deux endroits on place entre les deux fils une de
ces lettres formées de petires lames métalliques féparées
qu'on emploie dans les jeux électriques ;
fi , de l'autre lieu , on décharge une bouteille de
Leyde , au moyen des deux boules où terminent
les fils , la lettre placée à leur extrémité oppofée
paroîtra dans l'inftant même . Ainfi avec 24 appareils
femblables , on pourra écrire aflez promptement
tout ce qu'on voudra , il fuffira d'avoir un
nombre fuffifant de bouteilles chargées . Comme il ..
n'eft pas néceffaire de voir la lettre bien formée
mais de favoir feulement celle qu'on veut indiquer ,
une obfcurité abfolue devient moins néceffaire , &
on peut fe contenter de bouteilles de Leyde plus
foibles , ce qui donneroit une grande facilité ; on
peut même fupprimer des lettres & le contenter.
d'un appareil commun aux 24 fyftêmes de fils
qui rende le paffage de l'électricité fenfible. Oa
fimplifieroit ce moyen & on le réduiroit a cinq
appareils en attachant un caractère à chacune de
leurs combinaifons , un à un , deux à deux , trois
à trois , & c. , ce qui feroit tre te un caractères ;
fix appareils en donneroient foixante-troi & ainfi
Pon pourroit employer une écriture tachygraphique
; mais il y auroit quelque diffic té pratine
à décharger à la fois plufieurs bouteilles , & cela
ds
.
( 82 )
produiroit de la lenteur . On pourroit le fervir égale
ment des combinaiſons fucceffives de ces appareils ,
deux à deux , trois à trois ; par ce dernier moyen ,
avec cinq appareils on auroit 125 caractères , 216
avec fix appareils , & on pourroit écrire très- vête.
Il est très - poffible que les tuyaux de bois foient
fuperflus en général , cependant comme fans cette
précaution , des accidens imprévus pourroient dé
ranger l'effet & empêcher de s'entendre , il feroit
à propos de les employer , fur- tout fi on fe fert
de combinaifons pour diminuer le nombre des
appareils les quiproquo fercient alors à craindre.
On pourroit employer auffi l'éle &r cité fimple , &
elle donneroit, un appareil de moitié moins compliqué
& plus de facilité , mais comme la furface
du fil , quoiqu'on puiffe le prendre fort petit , devient
confiderable , fi la diftance eft grande , ce
moyen exigeroit peut-être des machines électriques
confidérables. Quel que foit ce ui des deux moyens
qu'on emploie , avec quelques grands électro , hores ,
on remplira l'objet propofé fans beaucoup de peine.
Il faut ajouter un appareil pour que chacun des
correfpondans puiffe avertir qu'il va écrire ; fans
cela il faudroit non - feulement veiller fans ceffe
mais doubler l'appareil : autrement , fi tous les deux
vouloient écrire à la fois , ils ne s'entendroient pius.
Un appareil de fonnettes électriques remplira cet
objet , & en convenant d'un feul coup pour avertir
qu'on ne répéteroit qu'un quart- d'heure après , &
de deux coups confécutifs pour annoncer qu'on a
entendu , on évitera facilement les mal entendus.
Comme cet article n'eft deftiné qu'à ceux qui s'amufent
des récréations phyfiques , ils fuppléeront
facilement aux détails que j'ai omis.
L'objet de la lettre fuivante qui nous a
été adreffée de Bordeaux , ne nous permet
( 83 ).
pas de refufer de lui donner place ici ; elle
s'adreffe principalement aux ames bienfaifantes
, & elles nous fauront gré de leur indiquer
un fujet en faveur duquel elles
peuvent exercer leurs vertus .
M. je voyois avec attendriffement , par la lecture
affidue de votre Journal , des actes d'humanité fe
multiplier chaque jour , fous les aufpices d'un Monarque
, dont la justice & la bienfaifance forment
l'augufte caractère ; mais l'exemple de ce Citoyen
généreux qui a déja facrifié ou , pour mieux dire ,
fi avantageufement placé 48,000 livres de fa fortune
pour le foulagement de fes femblables , de ce
Citoyen qu'on ne peut méconnoître , & qui , fi je ne
me trompe , excite les regrets de tout un peuple
reconnoiffant ; cet exemple vient de me donner des
efpérances que je n'aurois d'ailleurs jamais ofé conce
voir. Puiffe la démarche qu'il m'infpire , contribuer
, s'il eft poflible , à calmer les cruelles inquiétudes
d'un père de famille , à qui fa fortune , toute
médiocre qu'elle elt , fuffiroit fans doute , parce
qu'il n'a que des befoins à fatisfaire , fi une infirmité
confidérable pouvoit lui permettre de fe procurer
des refources , fe rendant , comme autrefois , utile
à fes concitoyens. Un prêt généreux , du tiers de
la fomme de 12,000 livres , deftinée en dernier lieu
à la confervation d'une claſſe d'hommes précieuſe ,
fuffiroit pour le dédommager de l'infiffifance d'un
revenu , occafionné le malheur du temps , le
mettre à portée de payer le refte de fes impofitions ,
& de contenter d'honnêtes créanciers , qu'il gémit
de ne pouvoir fatisfaire . Je m'intéreſſe d'autant plus
volontiers pour lui , en vous priant , Monfieur ,
de vouloir bien inférer cette lettre dans votre
Journal , que ce Chef de famille a fouvent donné
par
d6
( 84 )
des preuves du plaifir qu'il avoit à fecourir les malheureux
, en proportion de fes facultés ; fi , par un
moyen , qu'il efpère obtenir de votre généreufe
équité , il étoit affez heureux pour mériter les bienfaits
de quelque citoyen vertueux & fenfible , il fe
feroit un devoir de prouver à la perfonne , qu'on
auroit la bonté de lui indiquer ici par la même
voie , la vérité de ce que j'ai pris la liberté d'affirmer
en fa faveur.
Les actes de bienfaiſance n'ont peut- être
jamais été plus multipliés que dans ce fiècle
; la Nation accufée de légèreré par les
étrangers ; faifit cependant avec chaleur tout
ce qui lui eft offert de bon & d'utile , &
fa conftance fe montre fur - tour dans ce qui
touche l'honnête fenfibilité. On en a vu
des preuves dans les traits particuliers que
nous avons eu à citer , dans les Prix fondés
en faveur des actions vertueufes , & des recherches
utiles à l'humanité , telles que le
moyen de prévenir les maladies attachées
à certaines profeffions . Quelqu'un demandoit
ces jours derniers , dans un cercle ,
avec un peu de légèreté fans doute , & il
eft à préfumer qu'il n'y mettoit que cela ,
d'où venoit cette épidémie d'humanité &
de bienfaifance ? toutes les voix fe réunirent
pour lui répondre en deux mots , de
l'exemple & de Verfailles.
Marie Jeanne Caron , femme de Charles
Ancellin , Berger au hameau de Snil , près
de Mondidier en Picardie , eft accouchée
le 14 Mai dernier de trois garçons qui ont
( 85 )
tous reçu le Baptême : le premier eft mort
le 17 du même mois ; les deux derniers fe
portent très-bien & font nouris par leur
mère.
Nous recevons fréquemment des remèdes
contre la rage ; nous nous fommes empreffés
de les publier ; on ne fauroit trop multiplier
les fecours contre cette maladie
cruelle , nous nous bornons à indiquer des
recettes qu'on nous dit éprouvées ; c'eft aux
Médecins à les juger ; mais dans les circonftances
fâcheufes où des hommes ent
ont befoin , où les confeils des gens de l'ait
manquent , où l'ufage des fecours eft preflé,
ces recettes peuvent être utiles ; & quand
elles ne réuffiroient qu'une fois , c'eſt toujours
une victime arrachée à une mort
affreufe ; ce motif nous détermine à inférer
encore celle - ci.
L'on ne peut avoir trop de reconnoiffance , Mon
fieur , du zèle que témoigne M. Portal à guérir la
rage. Il a employé tout ce que les diffé ens remèdes
peuvent offrir de falutaire , ainsi qu'on le voit dans
fon avis ; mais comme ces traitemens exigent cinq
femaines , je crois rendre fervice aux perfonnes qui
ont des malades , hommes ou animaux , de vous
adreffer la compofition d'un remède très certain &
qui ne fera ni auffi long ni auffi di pendieux ;
& que MM. les Curés pourront diftribuer à leur
Paroiffiens à très- peu de frais . Il faut prendre une
égale quantité des fimples ci- après nommées , felon
la quantité qu'on veut faire de remèdes. Racines.
D'angélique royale ; de trèfle d'eau. Racines
, tiges & feuilles. De palle-rage ; de tour- 3
-
( 86 )
nefol ou margueritte fauvage , qu'il faut bien laver.
Tiges & feuilles . De rhue ; de rofe de chien ou
glandier ; extrémités ou bourgeons de fyccmier.
:
On en pro-
A chaque poignée de ces différentes fimples ,
il faut une bonne & groffe gouffe d'ail . — On pile
tout enſemble , & par une forte compreffion l'on
en exprime le jus , qu'on donne à boire à toutes
fortes de perfonnes d'un âge fait , un demi - verre
à jeun par trois jours contécutifs , ne manger de
deux heures après , ne point manger de lait ni de
fruit crud pendant l'effet du remède.
portionne la dofe felon l'âge & la complexion des
hommes . Il en faut faire fans rhue pour les femmes
groffes. Aux bêtes , felon leur eſpèce : aux chevaux,
demi-chopine à chaque prife ; aux béres à corne ,
fort peu moins aux cochons de même ; & aux
chiens , felon leur grandeur. Il fe fait ordinairement
au printemps , lorfque les herbes font fortes en
sève. La néceflité le fait faire en tout temps . Pour
le conferver d'une année à l'autre , on y met un tiers
de vin blanc & un peu de fel ; alors les dofes doivent
être plus grandes On les conferve en flacons &
bouteilles , qu'il faut remuer de temps en temps .
Auguftin de Maffo , Chevalier de la Ferrière
, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire
de St - Louis , Commandeur de celui
de Notre Dame du Mont-Carmel & de St-
Lazare de Jérufalem , Lieutenant Général
des Armées du Roi , ancien Sous - Gouverneur
des Enfans de France , Gouverneur des
ville & citadelle d'Amiens , eft mort le 20
Mai dans la 75e . année de fon âge.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du premier de ce
mois , font : 53 , 57 , 47 , 76 & 516
( 87 )
A l'Entrepreneur de l'Encyclopédie par ordre de
matières .
M. , nous avons obfervé avec autant d'étonnement
que de déplaifir , que dans aucun des Prof
pectus de la nouvelle Edition du Dictionnaire Ency→
clopédique , cette Bibliothèque complette de toutes
les connoiffances humaines , il n'est fait mention
d'aucune chofe fur la Généalogie , fur la Noblefle &
le Blafon . Quelques frivoles & peu effentielles que
ces connoiflances puiffent paroître à des rètes auftérement
philofophiques , elles n'en font pas moins
agréables & neceffaires aux gens du monde ; & dans
l'état actuel de nos moeurs & de la manière dont
les nations font compofées , elles font devenues curieufes
& indifpenfables. Nous fommes perfuadés
qu'il n'y a guère de vos Soufcripteurs qui ne viffent
avec le plus grand plaifir , un volume , ou plus ,
employé à donner fur ces chofes des détails & des
éclairciffemens néceffaires à prefque tour le monde.
Réponse des Rédacteurs .
Les perfonnes qui nous ont adreffé la lettre qu'on
vient de rapporter , auront pleine fatisfaction : on
ne négligera point les objets auxquels - elles s'inté
reffent , & elles n'ont pas dû le penfer. Nous nous
proposons , & nous nous fommes toujours propofé
de placer à la tête de la Partie Hiftorique , un
Dictionnaire particulier de Blafon , où les mots
Généalogie-Nobleffe , & autres femblables , fe trouveront
placés dans lear ordre alphabétique. On y
trouvera auffi inftitution des divers Ordres de
Chevalerie ; enfin aucune des notions relatives à la
Nobleffe ne fera publiée, Il n'y a point de philofo
phie qui puiffe rayer de la lifte des connoiffances
humaines , celle des diftinétions établies parmi les
( 88 )
hommes dans tant de grands Etats , & qui font une
partie effentielle de leur conftitution.
M. Miffon de Chefnes , qui étoit , il y a 10 à 12
ans , Ingénieur ou Infpecteur des Pónts & Chauf
fées à Annecy en Savoie , s'eft retiré , à ce qu'on
croit , à Lyon ou en Dauphiné . On prie avec inftance
les perfonues qui pourront en avoir quelques
connoiffances , d'informer du lieu qu'il habite M.
d'Offretan , à Boulogne fur mer. Il s'agit d'une fucceffion
qui le regarde.
De BRUXELLES
*
*
le ' 4 Juin.
SELON les nouvelles de Hollande , la
flotte Angloife a difparu de devant le
Texel depuis la nuit du 16 du mois dernier
, & ne s'eft pas remontrée depuis ; elle
n'a fait qu'une courfe inutile , puifque tous
nos vaiffeaux de guerré étoient rentrés après
avoir mis dans leur route les bâtimens qu'ils
efcortoient , & qui ont continué leur chemin
fans être inquiétés ; ils avoient de l'avance
fur l'efcadre Angloife qui leur en
a laiffé prendre davantage n venant fur
nos côtes . Elle eft rentrée dans fes ports ,
& maintenant la nôtre peut fe raffembler
aifément , & fortir enfuite fans craindre
l'ennemi.
Les nouvelles qu'on a reçues de l'Inde
n'ont rien changé aux difpofitions des Hol
landois ; quelque fer fible que puiffe paroître
dans le moment la perte de quelques -uns
de leurs établiffemens , on fait qu'elle n'eft
( 89 )
pas irréparable , & quand elle le feroit ,
elle feroit plutôt fonger la République à la
vengeance qu'à la paix. Mais Ceylan ne
peut avoir changé de Maître , du moins
pour long- tems. La prife des Forts qui défendent
la Baie de Trinquemalle , n'eft rien ,
puifqu'à l'apparition de M. d'Orves ils
retourneront à leurs anciens poffeffeurs .
Il est vrai qu'on ne peut forcer l'entrée
de cette baie , ne fût- elle défendue que
par 3 vaiffeaux ; mais lorsqu'on aura jetté
du monde à terre , il faudra bien que l'Amiral
Anglois quitte fa pofition & gagne le
large ; l'on ne croit pas auffi qu'il attende
l'armée Françoife dans cette baie , il y
feroit détruit .
Le traité d'amitié & de commerce entre
la Hollande & les Etats -Unis de l'Amérique
feptentrionale fe négocie actuellement. M.
Adams a déja remis aux Etats- Généraux un
projet de ce traité , fur lequel il ſera délibéré
inceffamment. En attendant , l'emprunt de
3 millions de florins pour le compte du Congrès
a été ouvert à Amfterdam .
» Cet emprunt
fera partagé
en 3000 obligations payables
au porteur
, & rembourfables
par voie de
loterie
, à cinq époques
différentes
, dont la première
fera en 1793 , & les autres dans les quatre
années fuivantes
. Ces obligations
porteront
un intérêt
de cinq pour cent , payables
fur coupons
annuels
de so shelings
aux comptoirs
de MM. Guillaume
& de Jean Willinck
, Jacob
Van Staphorst
,
Ï go )
& de Lalande & de Synje à Amfterdam . Les espèces
pour cet emprunt feront fournies à ces comptoirs
le 1 Juin , le i Juillet , le 1 Août , le i Septembre
& le 1 Octobre , au choix des préteurs «.
Nous recevons dans l'inftant , de Boulogne
fur- mer , la lettre fuivante , en date du
30 Mai , que nous nous empreffons de tranf
crive.
» M. , hier , jour d'affemblée chez une dame
dont le mari occupe une des premières charges de ce
pays , j'ai été témoin qu'une perſonne que je connois
très -particulièrement , a offert de dépofer 500 louis
contre 200 , & de parier qu'elle eft en état d'exécuter
tout ce qui cft annoncé dans les numéros 20 & 21
de votre Journal , au fujet de la perfonne qui a propolé
au Gouvernement le moyen de donner & de
recevoir des nouvelles de Breft ou de Toulon à
Verfailles dans l'efpace de 4 heures . Aucun de cette
fociété n'ayant voulu accepter le défi , la dame ,
pour conftater la chofe , lui confeilla de dépofer fon
fecret , fous cachet , chez un Notaire , & c'eft ce qui
aeffectivement eu lieu en fortant de cette affemble ,
où cette perfonne a déclaré que ne voulant nuire
en aucune façon à celui qui le premier avoit conçu
ce projet , fon fecret ne fera rendu public qu'au
cas que celui annoncé ne réuflira pas . Vous me ferez
plaifir d'inférer ma lettre dans votre plus prochain
Journal , &c. figné CLERY DE BECOURT , un de vos
abonnés «.
On lit dans le Volume des Caufes Célèbres
de ce mois , deux Caufes de teftament fort
plaiſantes ( 1 ) . Dans la première , il s'agit
(1 ) On foufcrit pour ce Journal à Paris chez M. des Effarts ,
rue Dauphine , Hôtel de Mouhy , & chez Mérigot , Libraire
, Quai des Auguftins.
( 91 )
du Teftament d'un Payfan des environs
de Touloufe , qui n'ayant pas d'enfans , &
ayant eu toute fa vie une tendre affection
pour un de fes chevaux qui avait le poil
roux , voulut lui en donner des marques
authentiques en mourant. Il fit fon Teftament
en ces termes : » Je déclaré que j'inf
titue mon Cheval à poil roux mon héritier ,
& je veux que ledit Cheval appartienne à
N.... . . . mon neveu “.
Ce Teftament fut attaqué par les autres
neveux ; mais le plus furprenant de l'avanture
, c'eft qu'il fut confirmé , & la fucceffion
du Teftateur adjugée au neveu qu'il
avoit défigné propriétaire du Cheval , parce
qu'on regarda que la fimplicité du Villageois
devoit affurer l'exécution de la dernière volonté
, & qu'ayant défigné fon neveu , celui-
ci devoit être déclaré fon héritier.
L
5
Dans l'autre , il s'agit du Teftament d'un
fieur Dumouret , homme riche des environs
de Touloufe , dont la manie , très - fingulière -
& comique , étoit de croire que la Nature ,
en lui donnant les fignes caractéristiques du
fexe mafculin , s'étoit trompée , & qu'il étoit
femme. Il le penfait de fi bonne foi , qu'il
refufoit de prendre les habits des hommes ,
& ne faifoit ufage que de ceux deftinés aux
femmes , dans lefquels il fe montroit , nonfeulement
chez lui & dans les fociétés , mais
même dans les Eglifes ; & l'on affure que.
( '92 )'
plufieurs fois il s'eft préfenté , en cet état ,
pour recevoir fes facremens. Lorsqu'on l'ap
pelloit M. Dumouret , il entroit en fureur
il montroit fa robe , fa coëffe , & fa taille ,
qu'il avoit arrondie avec foin pour tromper
les yeux. Le plus grand plaifir qu'on pût
lui faire , étoit de l'appeller Mademoiselle.
Rofette. Un être auffi fingulier ne pouvoit
renoncer à la prérogative la plus flatteufe
de dicter des loix après la mort. Mais comme
Mademoiſelle Rofette avoit l'ame compatiffante
, elle inftitua pour les héritiers les
Pauvres de la Ville où elle demeuroit.
La folie habituelle du fieur Dumouret
fervit alors avantageufement fes héritiers
naturels pour attaquer fon Teftament & le
faire caffer ; ils y ont en effet réuffi par
Arrêt du Parlement de Toulouſe.
Un Particulier qui prétend à la fucceffionde
Jean Thierry , Négociant , décédé à Venife
en 1676 , fameux par l'immenfité dė
ladite fucceffion , defireroit fe procurer l'ex- ›
trait de baptême , ou l'extrait de mariage
ou enfin le contrat de mariage d'Evroux
Thierry , qui avoit époufé Anne Heurtout ,
& qui font décédés tous deux au Village de
Ravenel , Diocèfe de Beauvais , le premier
Août 1618 , à l'effet de parvenir à ladite fucceffion.
Ledit Evroux Thierry eft né cnviron l'an
1560 , & s'eſt marié environ l'an 1580 .
( 93 )
>
Si l'on peut trouver l'un des actes cideffus
énoncés ce Particulier offre un
dixième dans la part de chaque individu
de fa branche à la perfonne qui lui procu
rera l'une de ces pièces , lequel lui fera
échu & compté à l'inftant de la liquidation
de cette fucceffion , & pour fûreté duquel
on prendra telle voie que la perſonne avifera
.
S'adreffer à Paris à M. Nyon l'aîné ;
Libraire , rue du Jardinet .
Ou à Montdidier au Sieur Le Roux ,
Arpenteur Royal.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 28 Mai.
Le Général Burgoyne , commandant en chef les
forces de S. M. en Irlande , a pris congé du Roi , &
fe difpofe à fe rendre à fa deftination .
Le Marquis de Rockingham a été fort indifpofé
pendant quelques jours , mais il affifta le 16 aux
Confeils , & travailla avec les Membres du Cabiner.
La Junte du commerce de Lisbonne , vient de
faire favoir au Public que le Parlement d'Iriande
avoit accordé dans les Ports de ce Royaume , la
libre introduction de toutes les productions des
Colonies Portugaifes qui y feroient amenées par
nos propres bâtimens , ainfi que celle des laines
d'Espagne & autres objets , par des vaiffeaux neutres.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck ,
l'Ennemi ayant paru en force à environ vingt milles
de Charles-Town dans la Caroline Méridionale , le
Général Leflie a fair replier tous les poftes avancés
qu'il ne jugeoit pas tenabies ; les autres ont été renforcés
, & on prend toutes les mesures néceflaires
( 94 )
pourt foutenir un fiége qui a dû commencer avant le
départ de ces Lettres.
On a reçu des nouvelles très -fâcheufes de Philade'ph
c. Tout ce que l'on en fait jufqu'à présent ,
c'eft que le Congrès refufe d'entrer en négociation ,
que les Troupes ne foient retirées d'Amériq e , &
que la G. B. ne reconnoifle de la manière la plus
formelle l'indépendance des Etats - Unis. Enfin , les
Américains veulent faire une Nation féparée qui ne
ſoit ſoumiſe qu'à fes propres loix & avoir la liberté
de faire le commerce par-tout où ils le jugeront à
propos. Il eft impoffible que la paix fe falle à ces
conditions , que les Miniftres actuels font très - déterminés
à ne point admettre.
M. Henry Laurens fe mit en route le 11 de ce
mois , avec ſon Fils & fon Secrétaire , pour la Hollande
, où il doit réfiler en qualité de l'un des cinq
Commiffaires Américains envoyés en Europe pour
conclure la paix . Il eft fort à regretter que M. Laurens
ne prolonge pas fon féjour en Angleterre :
on en doit conjecturer que la paix avec l'Amérique
n'eft point prochaine. Les Couriers qui vont fans
ceffe d'ici à Paris & à la Haye , & qui'en viennent ,
fembleroient devoir faire espérer qu'on entamera
bientôt des Conférences fur cet objet . Cela eſt d'autant
plus probable qu'il doit fe tenir , dit- on , dans
pen un Congrès à Vienne ou à Bruxelles , pour travailler
à un Traité de paix .
Le 3 Mars
, écrit- on de Kingſton
dans
la Jamaïque
, en date du 9 , le vailleau
l'Uliffe
, qui
venoit
de reconnoître
le Cap , eft rentré
a Poit-
Roval
, où il a conduit
un vaiffeau
Américain
de
Boston
, montant
22 canons
, & chargé
de poiſſon
,
avec un fenaut
de St Domingue
. L'Uliſſe
n'apporte
aucunes
nouvelles
, mais celles
du fenaur
font trèsintéreffantes
. Selon
le rapport
de l'équipage
, D. Bernard
Galvez
, commandant
le vaifleau
le St-Jean
de
Camerado
, de yo canons
, ayant
à bord
1400
home
( 95 )
mes , tant Matelots que Soldats de Marine , & 1500
hommes de Tropes de terre , eft arrivé de la Havane
au Cap , le 22 du mois deruter. Solano devoit
le faire fous peu de jours , avec huit vailleaux de
ligne , & 8000 hommes de Troupes deftinées à ſe
joindre a colles qui étoient déja arrivées . Galvez ,
dans fa iraveriée , avoit rencontré par latitude 27 ,
u e fonte de la Jamaïque. Il s'étoit emparé d'un
vailleau de 22 canons , & quatre ou cinq autres bâtimens
avoient été pris par un corſaire Américain ,
& un autre par un brigantin François. On avoit
envoyé quelques Ingénieurs fonder le port de Cum
berland , & tracer un camp pour 20,000 hommes.
Le 6 , il s'eft tenu un Confeil de guerre général
, pour recommander au Lieutenant - Gouverneur
d'alopter & de mettre en exécution toutes les mefures
qu'il croit les plus propres pour la défe fe
de l'lfle. Il a été auffi arrêté que cet Officier ſeroit
autorifé à employer au fervice public les provifions
apportées par la flotte de Coike , pour le foul gement
de ceux des habitans qui avoient fouffert dans
le dernier ouragan,
S
» Le 4 , lit- on dans une lettre de même date , on a
publié une proclamation pour un embargo fur tous
les vaiffeaux & bâumens mouillés dans les ports de
cette Ile . - La Chambre d'Aflemblée , après avoir
voté 40,000 1. pour completter les poftes avancés ,
& paffé un acte pour établir & déclarer de nouvelles rè
gles & ordonnances militaires , s'eft ajournée au Mardi
19 de ce mois, L'attaque projetée contre cette
Ifle aura lieu dans les premiers jours d'Avril . Trois
débarquemens , chacun de 10,000 hommes , doivent
Le faire en même-tems , en trois endroits différens
tandis qu'une réserve de 10,000 hommes reftera
à bord des vaiffeaux pour tromper & divifer nos
forces par des arraques fimulées. Nous espérons
néanmoins faire échouer tous ces préparatifs. L'ar(
96 )
མ།
mement d'ailleurs eft trop confidérable par lui-même
pour n'être pas fujet a une fo le d'accidens . Le
Capitaine Monro , commandant un bâtiment Parlementaire
, arrivé ici du Cap François , annonce
que quatre vaiffeaux de ligne , trois frégates & un
floop , avec trois régimens d Infanterie , étoient
entrés dans ce Port avant fon départ.
Les Irlandois infiftent avec plus de force & d'unanimité
que jamais pour l'indépendance de leur pays.
Le Procureur Général quifqu'à préfent avoid
pallié les chofes & s'étoit efforcé d'empêcher la
G. B. d'en venir aux extrémités , le Procureur Général
lui-même , a offert, une grande partie de fon bien
pour concourir au fuccès des mesures que l'on croira
convenables pour affurer les intérêts de l'Angleterre .
Toutes les lettres de l'Electorat de Hanovre le
réuniffent pour dire que les troupes y font fous les
armes , & prêtes à fe porter par-tout au premier
ordre ".
» Si d'ici à quelques femaines , il n'y a point de
trève conclue entre la G. B. & la Hollande , nous
favons de bonne part que deux régimens Hanovriens
venant de Minorque, avec deux autres batail
lons de Milices , doivent former un camp dans la
partie orientale d'York- Shire , les équipages de camp
font déja commandés .
On eftime généralement ici la perte des Hollandois
, depuis la guerre, à 10 millions fterling.
Il ne nous refte pour faire face, du Sud au Nord,
aux flottes Françoife , Efpagnole & Hollandoife
qu'un vaiffeau de Ico canons , le Royal- George ;
un de 90 , l'Union ; 4 de 74 , la Bellone , la Fortitude,
le Goliath & le Courageux ; 3 de 64 , le Sam
fon , le Vigilant & le Medway, avec Sir Kempenfeld;
12 avec le Lord Howe; 3 prés
maintenant
dans la Tamife; 2 à Spithead , & 11 qu'on radoube
à Plimouth & dans d'autres ports «.
412
ME
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE,
De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril.
LE rôle du dernier Patriarche fchifmatis
que eft enfin terminé ; il a été dépofé &
exilé à Bruze ; on l'accufe d'avoir dit dans
une de fes Paftorales qu'il falloit exterminer
tous ceux qui n'étoient pas de fa Secte.
C'eft fon prédéceffeur même , qu'il avoit fait
dépofer , qui reprend fa place & lui ſuccède.
Le 24 du mois dernier 2 vaiffeaux de ligne
Ottomans firent voile pour la mer Noire ; ils
avoient déja été précédés le 17 par'un vaiffeau
de ligne & une frégate.
RUSSIE.
1 ab
De PÉTERSBOURG , le 7 Mai.
L'IMPERATRICE s'occupe actuellement
des arrangemens néceffaires pour établir des
Ecoles dans toutes les parties de l'Empire
où il n'y en a point ; on travaille par fes
IsJuin 1782.
e
( 98 )
1
ordres à un nouvel Alphabet & à un Catéchisme
dans lequel on réunira les premiers
élémens des connoiffances néceffaires
au peuple , qui , dans bien des endroits ,
ignore encore ce qu'il lui importe le plus
de faveir.
La Cour de Danemarck a demandé la
médiation de la nôtre auprès de celle de
Madrid pour en obtenir la reftitution de la
frégate Danoife chargée de munitions de
guerre , & qui a été faiſie
a été faifie par les Espagnols
dans la Méditerranée , dans des circonftances
où tout concouroit à croire qu'elle
fe rendoit à Gibraltar.
DANEMARC K.
De COPENHAGUE , le 15 Mai.
S. M. vient de fupprimer , par une Ordonnance
, les prix établis par celle du 19
Avril 1779 pour les provifions envoyéesdans
nos Illes des Indes Occidentales ; il n'y
a d'exceptés que ceux accordés à l'importa
tion de la viande de boeuf de Jutlande ; il
a plu en même- tems au Roi de porter la
récompenfe extraordinaire à la fomme de,
3000 rixdalers pour les trois bâtimens qui ,
partis des Etats Danois en Europe , depuis
le 15 Septembre jufqu'à la fin d'Octobre ,
arriveront les premiers à l'Ile de Sainte-
Croix , avec des cargaifons de proviſions ,
chacune au moins de la valeur de 10,000
rixdalers. La diftribution du prix de 3000
( 99 )
rixdalers fe fera de manière que le premier,
bâtiment arrivé en recevra 1200 , le fecond
1000 & le troisième 800.
Le Lieutenant Harboë , commandant le,
fénaut le Larke , croife aux Ifles d'Amérique
où il a eu deux affaires avec des corfaires
Anglois qu'il a forcés de fe retirer.
Le feu prit , il y a quelques jours , à trois
moulins à poudre à Fridericswerk ; ils fautèrent
en l'air avec un fracas terrible ; heu
reuſement cet accident n'a caufé la mort
de perfonne.
On mande de Drontheim , en Norwège ,
un fait qu'on préfente comme un exemple
de fécondité rare ; c'eft une brebis qui , au
mois de Mars dernier , mit bas 5 petits à la
fois ; trois avoient la laine blanche & les
deux autres noire. Quatre de ces petits font
morts faute de foins..
ALLEMAGNE
De VIENNE , le 20 Mai.
L'EMPEREUR fe propofe d'établir ici une
Académie des Sciences , & on dit que les
Lettres Patentes à ce fujet ne tarderont pas
à paroître. Les droits impofés depuis longtems
fur les almanachs des Etats Autrichiens
, fourniront partie des fonds de cette
Académie ; ils appartenoient auparavant à
l'Imprimeur de la Cour , qui en fera dédommagé
par la permiffion d'établir ici
s nouvelles Imprimeries & 19 Entrepôts
e 2
( 100 )
de Librairie , en Autriche , en Styrie , en
Morávie & en Hongrie.
On affure que l'entretien des routes &
chauffées dans les Etats de S. M. I. fera
donnée à ferme.
- Tous les Evêques & tous les Ordres
Religieux de la domination Impériale , ont
envoyé à la Cour une lifte exacte de ce
qu'ils ont payé annuellement à la Daterie
de Rome pendant 10 ans.
Les Couvens fupprimés dans le Brifgau
& dans les Domaines Autrichiens du cercle
de Suabe , font en grand nombre ; il
en refte encore 70 , dans lefquels on compte
1624 fujets des deux fexes .
On mande de Prague que les Juifs de cette
Ville viennent de former une nouvelle Ecole,
d'après les vues & l'Ordonnance de l'Empereur.
Cette Ecole Allemande , à laquelle
on a donné des Précepteurs inftruits de
la nation Juive , fut ouverte le 2 de ce
mois avec beaucoup de folemnité.
Le nouveau pont qu'on a conſtruit fur
le Danube , étant fini , l'Empereur a ordonné
d'en conftruire encore un autre qui
liera enfemble les Fauxbourgs de Leopolſtadt
& de Roffau .
De FRANC FORT , le 25 Mai.
ON a frappé à Nuremberg une Médaille
à l'occafion du voyage du Pape à Vienne.
Elle préfente d'un côté le bufte du Pontife ,
avec ces mots : Pius VI. fama fuper athera
( 101 )
notus . L'éxergue porte : Peregrinus Apofto :
licus , Vienne menfe Martio 1782. L'exergue
préfente les têtes des cinq Papes qui ont
porté le même nom , avec l'inſcription
Redivivi.
Selon les lettres de Munich , l'Electeur
Palatin a fait préfent à S. S. d'un calice
d'or , monté en pierres précieuſes ; on
évalue ce préfent à 80,000 florins .
On écrit de Bohême qu'on a trouvé
dans le Couvent fupprimé à Doxen 20,727 fl.
en argent comptant , environ 300 livres
pefant d'argenterie , & pour 50,000 florins
d'effers précieux.
..
La Porte , lit- on dans quelques lettres , eft en
négociation avec la Cour de Vience . On affure
qu'elle lui cédera la Ville de Belgrade , & une partie
de la Servie. Le Baron de Taufferer s'occupe
à ouvrir en faveur de la Croatie une nouvelle bran
che de commerce. Il fe propofe d'envoyer à Conftantinople
, fur la Save , le Danube & la mer Noire ,
du bois pour conftruire des vaiffeaux.Par ce moyen ,
cette Province pourroit gagner beaucoup avec
une marchandife qui y eft abondante , & à laquelle
on fait peu d'attention . On affure que S. M I. ,
à qui ce projet de commerce a été envoyé , l'a approuvé
, & qu'elle a demandé l'avis de la Chancellerie
Hongroife pour fon exécution «.
L'Electeur de Cologne donna il y a
quelques jours , dans Bonn , un feu d'artifice,
pendant lequel il eft arrivé un accident
fâcheux. La colombe étant allumée , au
lieu de filer vers l'artifice , retourna fur
les fpectateurs & creva le Baron de
Kleift , Colonel , a été bleffé ; il a eu l'oeil
e 3 .
( 102 )
gauche déchiré , & on craint que malgré
les fecours , il ne le perde .
» Voici , écrit-on du Danube , une lifte authentique
de toutes les Fortereffes qui feront démolies
dans les Etats de S. M. I. Presbourg , Raab . Comorn
, Leopoldstadt , Treulftbein , Erlard , Zamofch
, Greilingen , Cafcan , Seghedino , Eperies ,
Grofvardein , Claufenburg , Heimanſtadt , Zama-
Sugeral, Fagalas- Malefvarfas hely, Cranſtadt , Czickzeredacs
, Zingh , Carlobago. Ces Fortereffes font
fituées en Hongrie , en Tranfylvanie & en Croatie.
Puis Lemberg, Coftance, Bregence , Infpruk, Ehremberg
, Rovoredo , Sohehit , Cavol , Rothemberg ,
Bolzano, Linz , Beulelſtein .
4
Les Fortereffes fuivantes feront confervées :
favoir , Ollmüz , Brinn , Prague , Eger , Konifgfgratz
, Theresienstadt , Braunau , Brody & Efzamofc;
Vienne , Bude ou Ofen , Munkaal , Arad ,
Carisberng , Dewa , Temefwar , Meadia , Effeg ,
Peteiwaradein , Brood , Gradifca , Carlstadt , Huftein
, Mantone , Cavello , Luxembourg & Anvers «.
Nos lettres de Genève en date du 15
de ce mois , contiennent les détails Tuivans
:
>
» L'Exprès envoyé à Berne le 9 de ce mois , par
notre nouveau Gouvernement , celui des Natifs &
des Citoyens & Bourgeois repréfentans , n'a eu permiffion
de refter qu'une heure dans cette Ville ;
& comme l'heure expirée il ne partoit pas encore
un Meffager d'Etat eft venu lui fignifer
a fon Auberge, de fortir dans la minute ou de le
fuivre en prifon . Ceux des Membres de l'ancien
Gouvernement , celui des Syndics du Petit - Confeil
& du Confeil des Deux Cens , dont le nouveau Go!!-
vernement s'eft faifi comme ôtages , font toujours
gardés étroitement ; mais on ne les laiffe manquer
d'aucune des chofes néceffaires à la vie. Le Gou
( 103 )
vernement de Berne a ordonné à tous les fujets , de
quelque rang & condition qu'ils foient de fortir de
Genève; aufli n'y a-t-il pas de jours qu'il ne le fafle
des émigrations , foit à pied , foit en voitures , nonfeulement
de Bernois , mais de fujets des autres
Cantons. Les Membres , tant du nouveau que de
l'ancien Gouvernement , font auffi fortir de la Ville
leurs femmes , leurs enfans , & tout ce qu'ils ont
de plus précieux «<,
ITALI E.
De LIVOURNE , le 12 Mai.
LE Général Murray eft parti d'ici pour
Gènes à la fin du mois dernier ; delà il fe
rendra à Antibes ; ce Général a emmené avec
lui toute fa famille.
Les lettres de Sinigaglia portent que l'on
a reffenti dernièrement dans cette Ville
trois fecouffes de tremblement de terre qui
ont fort alarmé les habitans , mais qui
heureuſement n'ont caufé aucun dommage.
» Le 4 de ce mois , écrit-on de Rome , le Cardinal
Bernardin Giraud , de la création de Clément XIV ,
fut attaqué vers les 2 heures du matin d'une fièvre
lipyrie , qui répandit un froid glacial fur toutes les
parties extérieures. On employa vainement tous les
moyens de rappeller la chaleur , & à 9 heures du
matin il furvint une violente convulfion à laquelle
il fuccomba ; il étoit âgé de 61 ans . Par fon teftament,
il a ordonné qu'on l'enterrât dans le tombeau
de fes Pères , à Sainte-Marie , in Vallicella . Après
avoir fait quelques legs particuliers à ſa famille
& à fes gens , il a laiſſé le reſte de fes biens libres à
S. S. , pour qu'elle en difpofe en faveur des pauvres.
Le Roi d'Efpagne a accordé une penfion de 400 -
€ 4
( 104 )
écus , avec la Croix de l'Ordre de la Conception , an
Chevalier Laurent Fabri , neveu de feu Clément XIV,
frère de M. Fabri Ganganelli , qui fut nommé ablégar
apoftolique pour porter la Barrette au feu Cardinal
D.lgado , & qui mourut lui-même à Madrid « .
ESPAGNE...
De MADRID , le 25 Mai.
Le bruit court que D. Bernard Galvez
en ſe rendant à St -Domingue s'eſt emparé
de l'Ile de la Providence ; on ne tardera
fans doute pas à en recevoir la confirmation
; cette Ifle qui eft l'une des Lucayes fervoit
de repaire aux corfaires ennemis qui
infeftoicnt ces parages & qui avoient fait
quelques prifes de bâtimens de la Havane.
Le 7 de ce mois , écrit- on d'Algéfiras , le veut
ayant tourné à l'eft , on obferva d'ici dans la rade
ennemie , deux frégates , quatre corfaires & d'autres
batimens marchands qui fe difpofoient à mettre
en mer, Auffi-tôt les chébecs le Saint- Antoine & le
Saint-Sébastien fe portèrenr du côté de Tanger ,
tandis que les bâtimens le Murcien & le Brel , avec
les frégates la Sainte- Claire & la Sainte-Lucie , &
la corvette l'Arlequine allèrent croiſer au Détroit.
A la nuit tombante s'étant placés près de Gibraltar ,
ils envoyèrent un Canarien dans un canot pour
découvrir fi les ennemis paroiffoient , & firent leurs
fignaux que répétèrent les tours de la côte & quelques
navires avertis enfuite par les quatre bâtimens
qui croifoient vers le Détroit , ils formèrent
un cordon depuis la pointe du Mouton juſqu'à la
montagne du Bouillon , & découvrirent quatre navires
Anglois auxquels ils donnèrent chaile . La
Fregate la Sainte-Claire le battit contre un vaiffeau
( 105 )
Anglois qui , par fa grandeur , lui parut être un
bâtiment de guerre , & qui après avoir fait feu jufqu'à
onze heures fe rendit enfin . La Sainte-Lucie
& les chébecs s'emparèrent de deux autres qu'ils
pourfuivoient ; le furplus , à la faveur d'une plus
grande légéreté & de l'obfcurité de la nuit , leur
échappa. Les trois prifes étoient des navires de
500 tonneaux chacun : leurs noms font le Vaillant ,
le Royal- Breton & le Tompfon. Les deux premiers
avoient 19 hommes d'équipage , & le dernier 17 « .
Selon les lettres de Cadix , le iz de ce
mois on fit fortir de ce port une frégate &
un cutter Espagnols , avec une frégate &
un cutter François pour aller intercepter
quelques bâtimens vivriers qu'on, favoit être
partis de Lisbonne pour Gibraltar. On attend
les détails de cette croifière qui peut avoir le
fuccès qu'on s'en promet fi l'on a été averti
à tems.
Selon d'autres lettres du même port tout
s'y difpofoit pour mettre une forte efcadre
en état de mettre à la voile au premier
moment fous les ordres de D. Louis de Cordova
, qui fera fuivi par la divifion de M.
le Comte de Guichen.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Juin.
DEPUIS quelque tems nous n'avons
point eu d'autres nouvelles du Continent
de l'Amérique que celles que nous a apportées
la frégate l'Ariane de 20 canons ,
partie de Charles - Town le 6 Avril avec
es
( 106 )
un convoi d'environ so bâtimens tant vivriers
que tranſports qui furent difperfés le
26 du même mois par un coup de vent
& dont il arrive fucceffivement quelquesuns
dans nos ports. Nous n'avons reçu
par cette voie qu'une Gazette royale de
Charles-Town ; & tout ce qu'elle nous
apprend le réduit à une excurſion faite par
un détachement de cavalerie Britannique
fur la rivière de Santée , où il a défait un
corps de troupes légères Américaines qui a
eu 80 tués , bleffés ou prifonniers. A cette
époque tout étoit tranquille à Charles-Town,
dit cette Gazette ; cependant les préparatifs
qu'on faifoit annoncent que cette place eft
menacée ; & l'on ne négligeoit rien pour la
mettre en état de défenfe ; on continuoit aufli
à fortifier l'Ifthme.
Selon la Gazette de New-Yorck, du 27
Mars , on venoit d'apprendre dans cette
Ville que les troupes Françoifes avoient
évacué Yorck & Hampton & le mettoient
en marche de la Caroline du fud ; qu'en
conféquence les Américains tiroient des
parties intérieures de la Virginie , les milices
deſtinées à former la garnifon de ces places ;
on fe flattoit de recevoir par les premières
dépêches de ce côté des détails plus pofitifs
& plus étendus , cette attente a été trompée.
Avant-hier le Gouvernement a reçu des
lettres de New-Yorck par un bâtiment qui
a fait voile de ce port le 18 Avril ; à cette
date il y étoit arrivé quelques prifes , dont
( 107 )
trois font , dit- on , de 16 à 20 canons.
Ce même bâtiment avoit à bord une
Gazette de New- Yorck du 14 Avril , mais
l'unique nouvelle qu'elle contient eft celle
de la prife d'un tranſport Eſpagnol , allant
de la Havane à St - Domingue, avec 60 foldats.
Ce bâtiment , ajoute-t-on , faifoit partie
d'une flotte fous le convoi de 7 vaiffeaux de
ligne dont il s'étoit féparé dans un coup
de vent.
On a appris par la même voie que le 14
Avril le Comte de Dunmore étoit arrivé
à New-Yorck.
Un bâtiment de Cartel des Indes occidentales
a amené à Plymouth le premier
régiment & deux compagnies du quinzième
faits prifonniers à Saint-Chriftophe ; ils parlent
avec la plus vive reconnoiffance du
traitement plein de nobleffe & d'humanité
qu'ils ont reçu des François ; mais ils n'apportent
point de nouvelles de ces contrées ,
finon que les poffeffions de nos ennemis font
bien gardées & bien défendues ; & il en
réfulte que malgré l'avantage qu'a remporté
l'Amiral Rodney , il lui eft impoffible de rien
tenter contre elles ; qu'il ne faut pas même
efpérer qu'il effaye de reprendre celles qu'ils
nous ont enlevées , & à la confervation defquelles
ils ont apporté des foins qui ne nous
permettroient pas d'y fonger même avec de
nouveaux avantages.
Le dernier , quoiqu'en dife aujourd'hui
la nation dans fon enthoufiafme , n'aura
e 6
( 108 )
pas des fuites auffi brillantes que celles
qu'on avoit efpérées . Il fe réduira peut être
à déranger , pour cette campagne , les projets
que nos ennemis avoient formés contre
quelques uns de nos établiſſemens , &
ce fera encore beaucoup. Nous ignorons
en quel état eft la flotte de l'Amiral Rodney ;
il n'en a pas dit un mot dans fes dépêches ,
ou la Cour ne s'eft pas foucié de le publier
; il parcît qu'il avoit été joint par la
divifion , ou partie de la divifion que nous
avons à la Jamaïque ; & c'eft ce qui lui
a donné une efcadre de 40 à 42 vaiffeaux ,
avec lesquels il a combattu les François ,
qui étoient de beaucoup inférieurs ; il avoue
dans fes dépêches , que fon efcadre a beaucoup
fouffert ; mais cette expreffion vague ,
qui n'explique rien , eft propre à inquiéter,
Si parmi les vaiffeaux , il y en a une dixaine ,
comme on le dit dans quelques lettres ,
qui aient reçu des dommages qui les mettent
hors d'état d'être réparés en Amérique
, cela fait une diminution réelle de 19
vaiffeaux dans nos forces aux Indes occidentales
; & ceux que nous avons pris ne
nous en dédommagent pas ; on fait que
nous n'en pouvons tirer aucun ſervice ;
& que les François ne nous les ont rendus
qu'hors d'état d'entrer en ligne avec
Ies nôtres , & quelques- uns ne font , diton
, fufceptibles d'aucune réparation , même
en Europe. D'après cet expolé , s'il eft
exact , comme on a lieu de le craint
( 109 )
dre , les François & les Efpagnols réunis
reprennent la fupériorité ; & leur jonction
a été faite peu après le combat
puifque les deux traîneurs qui font tombés
entre les mains de l'Amiral Hood fe trouvoient
dans le voisinage de St Domingue
où les autres ont dû en arrivant être mis
fur- le champ en réparation ; dès qu'ils les auront
reçues , les efcadres combinées reparoîtront
en mer; elles peuvent fuivre les plans
arrêtés auparavant , & la victoire de Rodney
pourroit bien les avoir reculés fans les déconcerter
. Alors à quoi fe réduit cette victoire
, à laquelle le Lord Vicomte de Stormont
ne croit pas que les Annales de la
Marine Britannique en offrent aucune à
comparer.
Quoiqu'il en foit , dit un de nos papiers , de la
révolution que la journée du 12 Avril peut avoir
opérée dans l'état des affaires de la Nation aux Indes-
Occidentales , il eft inconteftable qu'elle en a opéré
une très- grande & très - importante dans celle de cet
Amiral . Flétri dans l'opinion publique par la conduite
à St- Eustache , & par la perte de Tabago qui a
été enlevé en la préfence , il renaît pour ainfi dire ,
& devient un homme nouveau que l'on va combler
de biens & d'honneurs . Le Roi l'a élevé à la Pairie
Britannique , lui & fes defcendans mâles , fous le
titre de Lord Rodney , Baron de Rodney Stoke an
Comté de Sommerfet. Il eft vrai que les braves
Officiers qui ont combattu fous lui partagent fes
honneurs comme ils ont partagé fa victoire . Le
Contre-Amiral Sir Samuel Hood a été créé en mêmetems
Pair d'Irlande , fous le titre de Lord Baron de
Catherington. Ces titres pafferont auffi à ſes defcendans
mâles légitimes . Le Coatre-Amiral Francis
( 110 )
Samuel Darke , & le Commodore Edmund Affleck ,
ont obtenu pour eux & pour leurs héritiers légitimes ,
le titre de Chevalier Baronnet de la G. B. a.
Nous avons parlé des éloges dont les deux
Chambres du Parlement ont retenti en faveur
de ces Officiers , & principalement en
faveur de Rodney ; ce fut M. Fox qui dans
la Chambre des Communes , propofa le
premier des remercîmens de la part de la
Chambre pour cet Amiral ; cela parut d'autant
plus étrange de la part d'un des nouveaux
Miniftres , qu'on favoit que lui &
fes collègues avoient avant le combat décidé
fon rappel. M. Rolle ne laiffa pas
tomber cette obfervation ; après un difcours
affez vif fur ce fujet , il annonçi une motion
qu'il croyoit convenable , & dont
l'objet devoit être une adreffe au Roi ,
pour le fupplier , au nom de la Chambre
de ne point ôter le commandement en chef
aux ifles à cet Amiral. Cette propofition
pouvoit devenir embarraffante pour la
nouvelle Adminiftration , que la Nation
croit en ce noment avoir agi avec un peu
de précipitation . Heureufement le Lord
Avocat prit la parole , & fit renoncer à
cette question , en faifant voir à la Chambre
qu'une adreffe de cette nature feroit
abfolument déplacée ; la Chambre , ditil
, ne doit fe mêler en rien de la nomination
ni du rappel d'aucuns Officiers. Les
Miniftres étant refponfables des opérations ,
ont certainement le droit de choisir les Com(
III )
,
mandans ; je n'examine point fi l'on avoit
bien ou bien mal fait de rappeller l'Amiral
Rodney ; mais je fuppofe que les perfonnes
qui en avoient donné l'avis , ont
leurs raifons : felon moi , ces affaires ne
font point du reffort de la Chambre , &
elle ne peut s'y ingérer fans s'expofer à
des embarras dont elle pourroit fe repentir
par la fuite , parce qu'alors elle fe rendroit
elle-même refponfable de toutes les
opérations .
Les raifonnemens du Lord Avocat firent
impreffion fur la Chambre , & peut- être
fur le Ministère ; car ce fut le 22 Mai que
cette fcène fe paffa , & on apprit bientôt
que l'on avoit envoyé un Exprès,pour arrêter
le départ du Lord Pigot ; mais , comme
l'on fait , cet Exprès arriva trop tard . Ces
démarches oppofées donnèrent lieu à de
nouvelles obfervations , & les ennemis des
nouveaux Miniftres ne manquèrent pas
d'en profiter pour rappeller , le 30 , la motion
rejettée le 22 .
..
M. Rolle , après une fortie très -vive contre le
rappel de l'Amiral Rodney , & la nomination du
Lord Pigot pour le remplacer , termina fon difcours
par la motion fuivante . - C'eft l'opinion de la
Chambre que les Serviteurs confidentiels de la
» Couronne ont confeillé à S. M. de faire partir
» l'Amiral Pigot pour remplacer le Chevalier George
" Bridge- Rodney , & prendre le commandement de
» l'Efcadre Britannique aux Iſles de l'Amérique «.
ל כ
M. Rolle ajouta que cette motion n'étoit que le
préliminaire d'une autre qu'il propoferoit immédiatement
après la première fi elle paffoit , & il annor ça
( 112 )
cette feconde motion dans les termes fuivans .
» C'est l'opinion de la Chambre que la nomination
» de l'Amiral Pigot , pour remplacer l'Amiral Rodney
, eft une mefure tendante à détruire l'enfem-
» ble qui exifte actuellement parmi les Efcadies de
S. M. aux Indes Occidentales , & que c'est une
marque de l'ingratitude de ce pays , pour le brave
» Amiral qui s'eft fignalé d'une manière fi glorieufe
".
Différens Membres , & entr'autres le Lord North ,
ayant plus ou moins fecondé la motion de M. Ro
le , M. Fox prit la parole , & attaquant particulièrement
l'Ex-Miniftre , il dit : » Le Lord North tient
une conduite fort fingulière . En comblant d'éloges
l'auteur de la motion , par un ménagement hypo
crite dont le motif n'échappe à perfonne , il feint
de la défapprouver comme contraire à l'unanimité
que l'on doit fur-tout avoir en vue ; mais il devroit
favoir que la Chambre des Communes n'a point le
droit de fe mêler en rien de ce qui eft relatif à la
puiffance exécutrice , à moins que les Miniftres ne
paroiffent en avoir fait un ufage criminel . Si donc
M. Rolle , auteur de la motion , veut la poursuivre
au criminel , il eft certainement bien en règle ; mais
fi ce n'eft pas fon deffein , il a le plus grand tort ,
& fa motion eft la plus anti-conftitutionnelle qui
ait jamais été faite dans la Chambre . En conféquencè
, fi le Lord North lui- même eft dans l'intention
d'attaquer au criminel les Miniftres actuels , qu'il
parle hardiment & ouvertement , ainfi qu'il convient
à un honnête homme , & on lui répondra « ,
La première motion de M. Rolle paffa fans aller
aux voix , conformément à l'avis de M. John Townshend
, qui prétendit que perfonne n'ayant défapprouvé
la nomination de l'Amiral Pigot , pour remplacer
Rodney avant la victoire remportée par celuici
, cette dernière circonftance ne pouvoit influer
en rien fur la meſure en elle- même, Mais M , Rolle
( 113 )
s'appercevant que la Chambre étoit bien éloignée
d'adopter fon opinion , relativement à la fuite qu'il
vouloit donner à cette motion , ne jugea pas à propos
de faire la feconde .
Il paroît décidé , d'après cette féance
que le Lord Pigot remplacera l'Amiral
Rodney. Ce n'est peut- être pas la faute
des Miniftres qui ont fait cet arrangement ;
certainement ils ont fait ce qu'ils ont pu
pour le fufpendre ; & fi le Lord Pigot n'étoit
pas parti lorfque le contre - ordre lui a
été expédié , cette difcuffion n'auroit pas
eu lieu. Il est vrai auffi qu'on ne peut pas
faire un crime à la nouvelle Adminiftration
de ce rappel ; fans la nouvelle de l'affaire
du 12 Avril , il eft vraisemblable que la
Nation l'avoit approuvé ; elle n'avoit plus
la même opinion de cet Amiral favori. Le
tems avoit affoibli l'ivreffe excitée par
fes premiers fuccès ; on commençoit à
s'étonner de l'avoir éprouvée ; en réflé
chiffint de fang froid fur le ravitaillement
de Gibraltar , on voyoit qu'il y avoit
plus de bonheur que de conduite , & que
25 vaiffeaux de ligne ne devoient elfuyer
aucun obftacle , lorfqu'ils ne trouvoient que
8 à 10 vailleaux pour s'opposer à ce qu'ils
entreprenoient. Un homme ordinaire peut
profiter des hafards d'une bonne fortune ';
inais c'eft le vrai Général, qui force cette
fortune à le favorifer. La campagne des Antilles
qui avoit fuivi ne donnoit pas une
grande idée des talens de l'Amiral ; il n'avoit
fait ni ce qu'il avoit pu ni ce qu'il avoit dû .
( 114 )
Loin de reprendre ce que les François nous
avoient enlevés , il leur avoit laifle faire la
conquête de Tabago ; & les fiennes s'étoient
réduites à une Ifle fans défenfe , mais riche ,
qui ne procnroit qu'à lui feul des avantages ,
& très- peu à la Nation. Il a fallu le combat
du 12 pour ranimer l'enthouſiaſme éteint ;
c'est ce qui a fair blâmer fon rappel que
dans toute autre occafion on auroit trouvé
convenable. Peut - être dans quelques mois
d'ici , lorfque les détails de cette affaire feront
mieux connus , qu'on faura quelle étoit
la fupériorité de Rodney , que les fuites
feront peut- être voir qu'il eût mieux valu
intercepter le convoi de St Domingue que
prendre la Ville de Paris ; l'opinion changera
, on rendra juftice au plan des Miniftres
& on les blâmera peut- être d'avoir
d'abord paru céder au vou d'un Peuple
inconféquent & mal inftruit.
,
Les évènemens qui fe font paffés pendant
quelque tems , nous ont empêché de fuivre
les féances du Parlement ; nous ne les reprendrons
pas ici toutes ; nous nous arrêterons
feulement à celles qui font les plus
importantes. Nous citerons en conféquence
le difcours que M. Fox prononça dans la
Chambre des Communes le 17 Mai , relativement
à l'Irlande.
» Comme la circonftance dans laquelle nous nous
trouvons à l'égard de l'Irlande , eft d'une nature
irès- extraordinaire & certainement très - neuve , on
ne fera pas fans doute étonné fi dans les propofitions
que je vais avoir l'honneur de faire , on remarque
( 115 )
quelque chofe d'extraordinaire & de neuf. Cependant
fi d'après cette ouverture , il arrivoit que quelqu'un
ne fût pas fatisfait de cette nouveauté , &
trouvât que l'on fait de trop grands facrifices au
defir de rétablir l'union entre les deux Royaumes , je
répondrai que ce n'eft pas anx Miniftres actuels de
S. M. qu'il faut s'en prendre , mais à ceux auxquels
ils ont fuccédé , & qui ont arrangé les affaires de
l'Irlande avec tant de négligence d'une part , fi peu
de jugement de l'autre , qu'ils nous ont réduit à
la néceflité indifpenfable de propofer les mesures
neuves & extraordinaires que je viens d'annoncer.
Vous voudrez bien vous rappeller qu'il n'y a que
peu d'années , que l'Irlande penfant que la manière
la plus convenable de demander le redreffement de
fes griefs , étoit la foumiffion , fupplia humblement
le Parlement Britannique de lui accorder divers
points énoncés dans fa requête , & tous d'une fi
petite importance , que je ne fais pas difficulté de
déclarer qu'il étoit abſolument indifférent à l'Angleterre
qu'on les lui accordât ou non. - Dans ce tems
là , malheureuſement , l'uſage conftant de l'Adminiftration
étoit de n'avoir aucun égard pour ce qui
étoit jufte , & de ne regarder dans rien que la convenance
du moment ; non-feulement elle fut fourde à
l'humble requête de l'Irlande , mais le premier Miniftre
fe rendit lui- même au Parlement pour voter
contre le voeu modefte de ce Royaume. L'année
fuivante , la crainte d'une invafion néceffita l'expédient
d'armer les Irlandois pour la défenſe de leur
pays ; ils reçurent avec loyauté les armes que l'on
mit entre leurs mains , & il n'eft pas douteux que
fi l'occafion s'en fût préfentée , le premier ufage
qu'ils en euffent fait , eût été de les tourner contre
des ennemis de 1 Empire Britannique , s'ils euffent
tenté l'entrepriſe , dont on fe croyoit menacé ; mais
l'ennemi ne paroiffant pas , les braves Volontaires
fentirent que leurs armes pouvoient être utiles à
-
( 116 )
leur pays d'une manière différente , & que fi elles
n'étoient pas employées à la défenfe , elles pouvoient
l'être au recouvrement de fes droits ; c'étoit un acte
de patriotifme fubftitué à un autre ; alors ils parlèrent
fi haut, qu'il ne fut plus poffible de ne pas les
entendre , & ce même Miniftre qui s'étoit oppofé
à leur humble fupplication , fe déterminant à les
dédommager du tems où ils avoient trouvé fon
oreille fourde , reparut dans cette Chambre pour
leur accorder quatre fois plus qu'il ne leur avoit
refufé. Cette conduite indiqua à llilande la manière
dont elle pouvoit s'y prendre pour fixer à l'avenir
l'attention du Miniftre ; elle fentit que la voix de
l'humilité & de la foumiſlion n'étoit pas celle qui
pouvoit affurer le fuccès de fes demandes , elle
changea de ton , & les affaires changèrent de face. Il
refte à examiner jufqu'à quel point la Grande- Bre
tagne eft affectée de cette révolution .— J'ai toujours
confidéré l'Irlande comme faifant partie de l'Empire
Britannique , & comme telle , participant de droit
à tous les avantages , à toutes les immunités dont
jouit l'Angleterre ; mais les derniers Miniftres de S. M.
ne voyoient pas de même ; leurs notions étranges
de la conftitution les portoient à concentrer dans
l'Ile de la Grande- Bretagne tout ce qui y reftoit de
reffemblant à l'efprit de liberté , pour opprimer &
tyrannifer au dernier excès ceux des fujets de leur
Maître , qui avoient le malheur de vivre en Irlande
ou au-delà de l'Atlantique . Mon opinion à l'égard
de l'Irlande , ainfi qu'à l'égard de l'Amérique , eft ,
qu'il étoit abfurde & injufte de notre part , de vouloir
faire des loix pour les peuples qui habitent
ces diverfes contrées , fans leur concurrence & leur
confentement; enforte , qu'ainfi que je n'ai ceffé de
m'écrier contre l'injuftice du traitement que l'on
faifoit à l'Amérique , je n'héfite point de déclarer
que les prétentions de l'Irlande font juftes en ellesmêmes
: c'eft donc fur le principe de la justice que
( 117 )
-
je fonde effentiellement les propofitions que je vais
avoir l'honneur de faire à la Chambre. Je pour
rois y ajouter les confidérations politiques & de
fimple prudence ; mais eft- il un feul des honorables
Membres , qui ne fente comme moi , que le moment
où nous fommes engagés dans une guerre compliquée
avec diverfes Puillances étrangères , n'eft pas
celui qu'il conviendroit de prendre pour employer
contre l'Irlande les divers moyens que nous aurions
de la punir de l'irrégularité de fa conduite. J'espère
que les tems ee font plus où les idées de coercion ,
les mouvemens inconfidérés du reffentiment , de la
colère & de la vengeance étoient les inftigateurs
infidèles des mesures de la Grande-Bretagne , & que
l'exemple de l'Amérique nous a appris à être fages à
nos dépens ; je ne crois donc pas devoir recourir à
la force des argumens , pour engager la Chambre à
penfer comme moi , qu'il y auroit de la folie à
en agir avec l'Irlande , comme on en a agi avec
P'Amérique , & qu'au lieu de s'occuper des moyens
de la tourmenter, au lieu d'ajouter à fes détreffes ,
notre premier foin doit être de la foulager , de la
rendre heureufe autant qu'il eft en fon pouvoir
de l'être , & au nôtre , d'y contribuer ; le feul
moyen de la rendre vraiment utile à la Grande-
Bretagne , eft de l'attacher encore plus fortement
à nous par les liens de la reconnoiffance . — Je ne
difconviendrai pas que la manière dont l'Irlande s'y
eft prife pour arriver à fes fins , n'eft pas aufli agréa
ble qu'on eût pu le defirer en Angleterre ; mais je ne
vois pas pour cela qu'elle foit blâmable , parce que
la dernière Adminiſtration lui a appris qu'elle n'avoit
pas d'autres moyens à employer. Confidérons
actuellement , fi tandis que d'une part , l'Irlande
gagne tout , nous perdons réellement quelque
chofe à la révolution qui comble fes defirs.- Le
droit que prétendoit avoir l'Angleterre à l'exercice
de la légiſlation ſuprême fur toutes les dépendances
—
( 118 )
de l'Empire , étoit- il véritablement un droit pofitif,
ou bien un fimple fymbole de fuprématie , exiftant.
par une convention tacite ? Je crois qu'il n'étoit que
ce fymbole, & que comme tel il eût pu fubfifter
entre les deux pays juſqu'à la fin des fiècles , fans
'caufer le moindre ombrage ; mais les derniers Miniftres
de S. M. érigeoient tout en droit pofitif, &
l'abus qu'ils n'ont ceffé de faire du pouvoir qu'ils
fondoient fur ces droits de leur propre fabrique ,
a alarmé l'Irlande au point de la forcer aux mefures
qu'elle a prifes. Il eft donc de la prudence , pour
ne pas dire d'une indifpenfable néceffité , de mettre
promptement un terme à ces difcuffions , à ces jaloufies
nationales , & il eft de la bienféance de le faire
de bonne grace ; je commencerai par propoſer la
révocation du ſtatut de la fixième année du règne de
George I , en vertu duquel ce pays s'eft attribué ,
comme inhérent en lui , le pouvoir de faire des loix
pour l'Irlande ::
ce n'eft pas d'aujourd'hui que les
plaintes de ce Royaume fe font fait entendre à ce
fujet : elles s'élevèrent avec force au moment même
où l'acte paffa , & depuis elles n'ont ceflé de retentir,
- Après avoir révoqué cet acte de George I , on ne
voit guère quet intérêt nous aurions à nous oppofer
à la feconde prétention de l'Irlande , qui confifte à
rétablir dans ce Royaume la jurifdiction des appels.
Ces deux points de la conteftation font les feuls
qui concernent directement le Parlement , & fur
lefquels par conféquent cette Chambre air à prononcer;
les autres regardent la Couronne avec laquelle
il convient que le Parlement d'Irlande les ajuste : de
ce dernier nombre eft la révocation de la loi de
Poyning, en vertu de laquelle le Confeil Privé d'Irlande
pouvoir annuller tout acte de ce Parlement ,
avant de le tranſmettre en Angleterre , enforte qu'il
n'étoit pas rare de voir paffer unanimement dans les
deur Chambres , des bills auxquels les Membres ,
qui dans le fond y étoient le plus oppofés , don-
-
( 119 )
noient leur fuffrage pour le rendre populaires , étant
certains qu'ils fercient annuliés au Confeil Privé ;
il étoit naturel fans doute qu'une pareille loi für
odieuſe au Corps de la Nation : un abis qui ne lui
étoit pas moins infupportable , eft le droit que
s'étoit arrogé le Confeil- Privé d'Angleterre de viler
les bills paflés au Parlement d'Irlande , & de les
renvoyer dans un état de mutilation qui en détruifoit
totalement l'objet ; on ne peut concevoir à quel
point le Confeil - Privé d'Angleterre a abufé de ce
prétendu droit ! l'Irlande a toujours foupçonné, &
je crois avec railon , que cette réviſion & mutilation
étoient ici l'ouvrage d'un feul individu : ce qui a
porté à cet égard le mécontentement à fon comble ,
eft l'imprudence que l'on eut d'altérer ici le bill que
le Parlement d'Irlande avoit jugé convenable de
paffer , pour punir la mutinerie dans fon établiffement
militaire : la perfonne qui s'avifa ici d'y porter
la coignée , le fit fi inconſidérément , que d'un
bill , limité dans fa durée , elle en fie un bill per
pétuel , en vertu duquel on établifloit en Irlande ce
à quoi elle s'étoit toujours oppofée avec le plus de
chaleur , une armée perpétuellement fur pied ! l'Iflande
a t- elle tort de réclamer le droit de faire
pour elle - même des loix que nous avons fi mál
faites pour elle « ?
La motion du Miniftre paffa ; par elle ,
S. M. eft fuppliée de prendre les mesures
qui , dans fa fageffe royale lui paroîtront
tendre plus directement à ce but important.
Le 13 la Chambre s'occupa des nouvelles
taxes pour le payement de l'intérêt de l'emprunt
; on fe reffouvient que lors de la révolution
de l'Adminiftration , le Lord Nor h
en avoit proposé plufieurs qui n'étoient point
encore paffées en Loix , parce que fa retraite
( 120 )
arriva avant qu'il eût confommé l'opération
du Budget pour l'année courante. C'eſt le
Lord John Cavendish qui étoit chargé de
terminer cette affaire.
» Ii fe leva pour s'acquitter d'une tâche qui , dit-il ,
étoit fort défagréable , mais que le devoir rendoit
néceffaire ; favoir , de propofer quelques taxes , au
lieu de celles qui avoient été projettées , mais qu'on
avoit trouvé fujettes à difficulté . Telle étoit celle
fur les Spectacles , qu'on regardoit comme défagréable
au peuple & de peu de produit. Il avoit été
propofé d'en mettre une fur le tranſport des marchandiſes
dans l'intérieur du Royaume par terre &
par mer ; mais la façon de la percevoir , comme on
l'avoit projettée , ayant de grands inconvéniens ,
Milord Cavendish , au lieu d'un droit de 3 deniers
par tonneau pour chaque mille , propofa de lever la
taxe aux barrières des chemins par tout le Royaume,
à raifon de so pour cent pour les tranfports par
terre ; & , quant aux tranſports par cau , de faire
percevoir 2 shellins par tonneau annuellement fur
chaque bâtiment employé à la navigation intérieure,
Il ajouta qu'il avoit fait l'eflai de la perception du
premier de ces droits , en envoyant pour cet effet
des gens aux différentes barrières du Royaume , &
qu'en conféquence il calculoit qu'ils produiroient
enfemble 380,000 1. fterl . par an . De plus , il propola
une taxe additionnelle d'une livre fterl . par an
fur toutes les voitures à quatre roues ; ce qui , avec
l'ancienne taxe , feroit un droit de 6 1. fterl. 12 shel.
par an fur cette eſpèce de voiture. L'on fit quelques
remarques paffagères fur différentes parties du plan ;
& Milord Mahon l'ayant comparé avec celui de
l'ancien Miniftre , fort au défavantage du dernier ,
Lord North fe défendit contre cette attaque : il convint
néanmoins que la taxe , telle que la propofoit
le nouveau Chancelier de l'Echiquier , feroit plus
légère
( 121 )
légère que la fienne ; mais il douta qu'elle fût auffi
d'en aufi grand produit. Les motions de Mylord.
Cavendish palsèrent fans contradiction.
Il n'en fut pas de même le lendemain , lorfque
ces réfolutions , prifes par la Chambre en Comité de
Subfide, furcat rapportées à la Chambre en plein. Le
Comte Nugent s'y oppofa le premier : il commença
fon difcours par le laver du foupçon de vouloir
contrecarrer les projets du nouveau Ministère par
efprit de parti ou par envie de fe diftinguer , quoi.
qu'il avouât que les principes qu'il avoit fuivis depuis
fon enfance , & qu'il n'abandonneroit qu'à la
mort , ne s'accordoient pas avec ceux des Membres
de la nouvelle Adminiftration . Le bien public étoit
la feule règle de fa conduite ; & , par ce motif, il
défapprouvoit le plan du nouveau Chancelier de
l'Echiquier , comme il avoit défapprouvé celui de
fou prédéceffeur , parce qu'une taxe fur le tranfport
des marchandifes & la communication intérieure
étoit oppreffive pour une nation commerçante , nuifible
à l'induftrie & à la circulation , &c. M. M'Donald
appuya ces obfervations & trouva de l'injuflice à
faire payer le même dicit de paffage à un poids égal
de matériaux vils , tels que le fable , les briques , &c.
& à des marchandifes précieufes. Sir Charles Turner,
quoique te me ami de la préfente Adminiftration ,
fe déclara auffi contre les taxes propofées. Cependant,
après que le Lord Jean Cavendish eut répondu à leurs
objections , fur-tout en obfervant que la taxe tomberoit
moins fur les Voituriers que fur le Public en
général , pour lequel elle ne feroit pas un objet de
confequence , le rapport fut approuvé , fans même
lever les voix « .
Le 24 la Chambre en Comité , après avoir
terminé l'affaire des taxes , rédigea le bill
pour autorifer le Roi à conclure la paix ou
une trève avec l'Amérique .
15 Juin 1782.
f
( 122 )
M. Hartley fit plufieurs obfervations fur ce bill
important , & en particulier fur la clauſe qui autorifoit
à traiter avec des individus indépendamment
du Congrès , qu'il falloit cependant , obferva- t- il ,
regarder comme la feule autorité inveftie des pouvoirs
pour traiter avec les Puiflances étrangères.
S'adreffer à d'autres , ajouta-t-il , feroit un procédé
contraire à la droiture ; ce feroit encourager la
trahifon & la perfidie , infpirer des foupçons aux
Américains. Nous n'avons que trop ufé de duplicité
avec ce brave peuple ; il eft tems d'eflayer ce que
des procédés francs & ouverts pourroient produire.
Il ne convient pas à la dignité de l'Angleterre de
traiter avec des corps d'hommes qui n'ont pas des
commiffions ou des pouvoirs à cet effet. Ellayons
une fois quelles feront les conféquences d'une conduite
droite avec un peuple que nous avons perdu
avec une politique étroite , oblique & mystérieuse «.
Le bill ne laiffa pas de paffer fans autre
amendement ; mais il n'eſt pas fûr qu'il ait
le fuccès défiré , ni peut être qu'il ait été
dreffé dans cette intention .
Des dépêches du Lord Hove , en date du
20 Mai , nous apprennent que l'efcadre Angloife
, formée en demi lune , croifoit alors
entre la rade de Hailde & le port du Vlie ,
dans l'intention , non -feulement d'empêcher
la jonction entre l'efcadre du Texel & celle
de l'Amiral Bylandt , mouillée au Vlie ,
mais aufli de s'oppofer à leur fortie , au cas
qu'elles vouluffent appareiller . Elles ajoutent
que l'efcadre tient le large à caufe du danger
des bas -fonds & du tirant d'eau confidérable
de nos vaiffeaux ; mais on envoie les
cutters qui s'approchent de fort près , &
donnenttoutes les informations néceffaires.
( 123 )
Dans ces dépêches , il n'cft nullement
queftion du projet d'attaquer les vaiffeaux
dans le port ; fon exécution entraîneroit
de grandes difficultés ; mais fi l'on y fonge ,
il femble qu'on devroit fe hâter , de peur
de n'en avoir pas le tems .
La Compagnie des Indes , dit un de nos papiers ,
vient de recevoir la nouvelle de l'arrivée en Irlande
du paquebot le Swallow. Ce bâtiment étoit parti
du Bengale le 3 Janvier , & de Madras le 29 du
même mois . Il eſt arrivé à Ste-Hélène le 3 Avril , &
a fait voile pour l'Angletterre le 8 du même mois . A
cette époque , on n'avoit encore aucune nouvelle de
l'Amiral Bickerſton. On dit que ce paquebot
apporte des dépêches du Lieutenant- Général Sir
Eyre Coote , dans lesquelles il rend compte d'une
victoire remportée par fes troupes fur Hyder-Aly ,
au fiége de Tellichery ; la garnifon qui venoit de
recevoir un renfort , fit une fortie dans laquelle la
nombreuſe armée de l'ennemi fut totalement défaite .
Hyder-Aly a eu beaucoup de monde de tué , & on
lui a fait une infinité de priſonniers . Son artillerie eft
tombée entre nos mains ; il a laiffé , ajoute- t- on
2000 morts fur la place , & 4000 prifonniers entre
nos mains. Ses troupes , compofées en grande partie
d'Européens , difputèrent long-tems la victoiie au
Chevalier Eyre Coote , qui parvint à la fin à les
tailler en pièces . Les deux fortereffes que couvroit
l'armée d'Hyder- Aly , fe font rendues auffitôt après
cette victoire. Au refte , ces nouvelles n'ont point
encore été données authentiquement par la Compagnie
des Indes ; on attend les détails qu'elle publiera
& ceux qu'elle pourra donner encore de l'efcadre aux
ordres de l'Amiral Hughes «<,
>
On lit dans des lettres de Ste-Lucie , qu'on
y a reçu la fâcheufe nouvelle qu'on a ef
f2
( 124 )
fuyé à Antigoa un incendie qui a caufé
beaucoup de dommage , & fur - tout fait
beaucoup de tort à la récolte de cette année
, qui a été en partie confumée. On
ajoute que plufieurs navires marchands ont
été la proie des flammes. Mais comme on:
n'a point encore de détails de cet évènement
, que tout ce qu'on en dit fe réduit
à des bruits , on fe flatte que le dommage
n'a pas été fi grand qu'on fe le repréſente.
» Il règne ici une ofpèce d'épidémie qui , depuis
quelques jours , confine dans leurs lits les trois quarts
& demi des deux Cités de Londres & Weftmufter :
le nom d'influenza , que lui donne la Faculté , indique
qu'il y a quelque chofe de contagieux dans
l'air , & l'on ne pouvoit que s'y attendie ; car le
doyen de nos vieillards n'a jamais vu une faifon
pareille depuis Février , qui a été très - beau , à
peine avons- nous entrevu le foleil dans les nuages
fombres qui nous le dérobent ; des pluies continuelles
, ou des brouillards épais . Des tranfitions
rapides du froid au chaud & du chaud au froid; les
jambes enflées & couvertes d'une espèce d'éréfipelle ;
la gorge & les yeux glonfiés ; de violens maux de
tête & d'eftomac ; des friffons & des accès de fièvre ,
font les fymptômes de cette maladie , qui , jufqu'à
préfent , n'a heureufement enlevé que peu de perfonnes.
Le théâtre de l'Opéra eft fermé , faute de
fujets en état de paroître ; les autres le feront bientôt
, faute de fpectateurs en un mot , le Prince de
Galle , le Duc de Cumberland , & la majeure partie
de la Cour fe fentent des effets de cette maladie «.
( 125 )
FRANCE.
De VERSAILLES , le 11 Juin.
Lɛ 2 de ce mois , LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de màriage
du Vicomte de Buffevent , Capitaine
réformé au Régiment Dauphin Dragons , '
avec Mademoitelle Chaumont de la Galaifiere.
Le même jour la Comteffe de Juigné eut
l'honneur d'être préfentée à LL. MM. & à
la Famille Royale par la Marquife de Juigné.
Les , la Comtefle de Saiffeval eut l'hon →
neur d'être préfentée à LL. MM. par Madame
Victoire de France , en qualité de
Dame pour accompagner cette Princeffe.
Le même jour le Marquis de Bombelles ,
Miniftre du Roi près la Diète générale de
l'Empire , de retour en cette Cour par
congé eut l'honneur d'être préfenté à
S. M. par le Comte de Vergennes , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires Etrangères.
De PARIS , le 11 Juin.
ON a publié la lifte nominative des Officiers
tués & bleffés à bord des vaiffeaux
arrivés au Cap ; nous la placerons ici.
- Le
Tués fur le Triomphant , le Chevalier du Pavillon
, Capitaine de Vaiſſeau , Commandant.
Diademe, le Chevalier de Brocherenil , Officier auxi
liaire. Le Conquérant , M. de la Forgerie , Sous-
Lieutenant au régiment d'Agénois . — Le Magna-
--
-
f 3
( 126 )
nime, M. de Trogoff , Sous- Lieutenant au régiment
de Foix. La Bourgogne , M. de Kerolain , Garde-
Marine. Le Palmier , M. de Karuel , Lieutenant
--
-- de Vaiffeau.
- Le Northumberland , MM . de Saint-
Céfaire , Capitaine de Vaiffeau , Commandant ; de
le Saige de la Metterie , Lieutenant de Vaiffean .
Bleffés fur le Duc de Bourgogne, MM . de Champmartin
, Capitaine , contufion au bras gauche , Barthon
de Montbas , Enfeigne de Vaiffeau , bleffé légèrement
; de Vildelon du Lifcouet , fecond Capitaine ,
amputé à la jambe gauche ; de Queteville , Lieute
nant au régiment de Champagne, bleffé grièvement.
Le Sceptre , MM. de Mallet , Lieutenant de Vaiffeau
, bleifé légèrement ; de Laulanie , Enfeigne de
Vailleau , forte contufion ; de Montlezun , Lieutenant-
Colonel du régiment de Touraine , auffi forte
contufion ; de Montalembert , Lieutenant en fecond
du régiment de Touraine , plaie légère ; le Comte
de Vaudreuil , Chef- d'Efcadre , bleflé légèrementi
Le Souverain , M. Durouret , bleifé légèrement
à la gorge
. Le Deftin , M. de Toll , Lieutenant
de Vaitfeau Suédois , plaie légère , & contufion à la
cuiffe gauche. Le Languedoc , MM . Vieuxbourg
de Rozily , Lieutenant de Vaiffeau , bleffé griève
ment ; Charron du Portelie , Officier auxiliaire
contufion à la jambe droite ; de Gonillard , Capitaine
en fecond du régiment de Monfieur , bleffure
légère à la jambe gauche ; de la Broffe , Lieutenant
au régiment d'Armagnac , brûlure au vifage ; Dumarché
, Porte- Drapeau du régiment d'Armagnac ,
une contufion à l'oeil droit. La Couronne , MM
de Champagny , Lieutenant de Vailleau , bleſſé gric.
vement ; de Marnières , Enfeigne de Vaiffeau , blef
fé légèrement ; de Jean , Lieutenant au régiment de
Beauce , le vifage brûlé ; Tenneguy, Sous- Lieutenand
au régiment d'Armagnac , un éclat à la main gauche.
-
Le Diademe , MM. de Clerimbert , Lieutenant
de Vaiffeau , centefion à la main droite ; Rofland
( 127 )
-
-
Officier auxiliaire , bleffé légèrement ; de Villé
Capitaine en fecond du régiment d'Armagnac , blef
fé grièvement. Le Conquérant , MM. Dupuy ,
Lieutenant de Vaiffeau , forte contufion à la cuiffe
droite ; de Bleffinga , Lieutenant de Vaiffeau , forte
contufion au bras & à la cuiffe gauche ; de Lirec ,
Garde-Marine , bleffé à la jambe droite. Le Magnanime
, MM. le Comte de le Begue , Capitaine-
Commandant ; le Chevalier de Carcaradec , Lieutenant
de Vaiffeau ; le Villain , Officier auxiliaire ; da
Froffey, auffi Officier auxiliaire ; Deshayes , Lieutenant
au régiment de Foix. Le Scipion , MM . d'Aſſas
de Mondardier , Lieutenant de Vaiffeau , contufion
au genou gauche ; Dumonte!, Capitaine au régiment
d'Agénois ; d'Haihemard , Sous- Lieutenant au régiment
de Viennois . Le Neptune , M. de Renoard ,
Enfeigne de Vaiffeau , bleffe grièvement. Le Citoyen
, MM. d'Ethy , Capitaine- Commandant , quatre
contufions ; Bicher , Officier auxiliaire , trois
contufions. Le Réfléchi , MM . de Médine , Capitaine-
Commandant , plaie à l'oeil gauche ; Defpiès ,
Lieutenant de Vaiffeau , bleffé légèrement ; de Coquet
, Lieutenant au régiment d'Agéncis , forte contufion
; Martin , Officier auxiliaire , forte plaie à
l'oeil droit ; de Châteaufur , Garde-Marine , forte
contufion à la cuiffe droite. - Le Magnifique , MM.
Montel , Officier Suédois , brûlure au vifage ; de
Trouront , Capitaine au régiment d'Agénois , le
bras caffé .
-
--
-
On compte fur la Ville de Paris MM. de
Villeneuve Flayofe , Lieutenant de vaiffeau ,
tué; de Beaucouſe , Enfeigne de vaiffeau
qui a eu la jambe emportée ; le Comte Henri
de St-Simon , & M. de Kerleru , bleffés légèrement.
On apprend que le Roi vient d'ordonner
la conftruction de 12 vaiffeaux de ligne de
£ 4
( 128 )
110 , de 8o & de 74 canons ; fes ordres à
cet effet ont été déjà expédiés dans les différens
ports du Royaume.
Ce fut le 6 de ce mois que les Elus Généraux
des Etats de Bourgogne , préſentés parle
Prince de Condé , Gouverneur de cette Province
, & par M. Amelot , Secrétaire d'Etat ,
en ayant le département , ont eu l'honneur
de remettre au Roi la Délibération par la
quelle ils ont offert à Sa Majefté un vaiffeau
du premier rang,
Le même jour , les Prévôt des Marchands ,
Echevins & Confeil de la Ville de Paris ,
prefentés par M. Amelot , Secrétaire d'Etat
ayant le département de cette Ville , ont
également eu l'honneur de remettre au
Roi la Délibération par laquelle ils ont offert
à S. M. un vaiffeau de 110 canons , que le
Roi a nommé la Ville- de-Paris.
Ces délibérations & les fentimens qu'ell s
expriment , ont été rendus publics. Dans
l'une & l'autre , les fujets de S. M. n'ont
sien de plus cher que de lui donner de nouvelles
preuves de leur amour & de leur
attachement pour fa perfonne , lorsqu'il
s'agit de la gloire de l'Etat : la Bourgogne eft
dans l'heureufe poffeflion de donner l'exemple
du zèle , elle l'a manifefté dans tous les
tems , non par de ftériles voeux , mais par
les fecours les plus efficaces & les plus
prompts. Les Elus de cette Province ont
arrêté en conféquence qu'il feroit offert par
eux , au nom des Etats de Bourgogne , un
( 129 )
don gratuit extraordinaire de la fomme d'un
million de livres , pour être employé à la
conftruction & armement d'un vaiffeau du
premier rang ; que S. M. en daignant accepter
ce nouveau témoignage du zèle des
Bourguignons & de leur tendre amour pour
fa perfonne , fera fuppliée de faire nommer
le vailleau les Etats de Bourgogne ; que fi
parmi les Officiers de Marine il s'en trouve
quelques uns que S. M. juge dignes de commander
un vaiffeau de ce rang , elle fera de
même fuppliée de vouloir bien , autant que
fon fervice le permettra, leur confier , de préférence
, le commandement de celui- ci ; qu'il
fera ouvert , fous le bon vouloir du Roi ,
un emprunt , au nom de la Province , d'un
million , qui fera porté au Tréfor Royal ;
qu'on pourvoira , par les moyens les plus
doux & les moins onéreux , au paiement des
arrérages & des capitaux de cet emprunt ; que
fur cette fomme d'un million , il fera rembourfé
104,000 liv . prifes fur le produir des
émolumens attachés aux trois places d'Elus'
du Clergé , de la Nobleffe & du Tiers- Etat ,
qu'ils y confacrent dès à préſent en totalité
& pour les trois ans que doit durer leur
Adminiftration.
La délibération de la ville de Paris exprime
d'auffi grands fentimens de zèle ,
d'amour & d'attachement. Ces exemples
de Patriotifme ont été fuivis par les Receveurs
- Généraux des Finances , qui ont
offert 600,000 livres , & par la Comfs
( 130 )
pagnie des Fermiers Généraux qui a offert
1,000,000. Les Régiffeurs Généraux des
Aides , les Adminiftrateurs Généraux des
Domaines , les Fermiers de la Caifle de
Poilly & les autres Compagnies de Finance
ont donné les mêmes marques de leur
zèle.
Sa Majesté a chargé le Miniftre de fes
Finances de leur en témoigner la fatisfaction.
L'empreffement des Particuliers ne s'eft
pas manifefté avec moins d'énergie. Des
Citoyens de tous les états ont foufcrit en
foule pour des fommes confidérables ; mais
S. M. n'a pas cru devoir les accepter , &
Elle a ordonné à M. Amelot , Secrétaire
d'Etat , d'écrire à M. de Caumartin , Prévôt
des Marchands , & à M. Lenoir , Lieutenant-
Général de Police de la ville de Paris , une
lettre par laquelle il témoigne la fenfibilité
de S. M. à l'empreffement des Citoyens de
tous les ordres qui veulent foufcrire pour
réparer la perte que fa marine vient d'éprouver
; qu'en acceptant les offres des Princes
fes freres , & celles des Provinces , des Villes
& des Corps qui donnent dans cette occafion
des preuves de leur patriotifme , Elle ne croit
pas devoir profiter des offres des Particuliers.
Reffource que la fituation de fes Finances ne
rend pas néceffaire ; que fa bonté & fon
amour pour les fujets s'oppofent à des contributions
volontaires , dont le plus grand
nombre feroit moins proportionné aux fa
( 131 )
cultés de ceux qui s'y foumettroient , qu'à
leur affection pour fa Perfonne , leur confiance
dans la fageffe de fes vues , & c.
Le de ce mois , les Six - Corps des
Marchands & les Communautés d'Arts &
Métiers de la ville de Paris , préſentés par
le Duc de Brillac , Gouverneur de cette
ville , & par M. Amelot , Secrétaire d'Etat
en ayant le département , ayant à leur tête
M. Lenoir , Lieutenant Général de Police
& M. de Flandres de Brunville , Procureur
du Roi , ont eu l'honneur d'offrir à
S. M. une fomme de 1,500,000 liv. pour
un vaiffeau du premier rang.
Il est fort queſtion depuis quelques jours
d'un grand avantage remporté dans l'Inde
par M. d'Orves for P'Amiral Hughes ; fi
cette nouvelle fe confirme , & fi , comme
on le dit , il a pris 33 tranfports , il faut
qu'il ait rencontré plutôt les deux vaiffeaux
du Commodore Johnftone , & les 4000 hommes
que conduifoit le Général Meadow .
و
Le 6 de ce mois un Courier du Cabinet
de Madrid , arrivé ici , a apporté les lettres
du Roi d'Espagne à M. le Duc de Bourbon,
& à trois ou quatre jeunes Seigneurs , qui
ont obtenu la permiffion d'aller fervir au
fiége de Gibraltar. Ce Courier partit de Madrid
le 29 Avril ; on y avoit appris que le
23 D. Louis de Cordova fe difpofoit à mertre
à la voile de Cadix avec une efcadre
Espagnole , & la divifion de M. le Come
de Guichen,
f6
( 132 )
Il fe confirme que le Baron de Falkenhayn
a mis à la voile de Mahon avec fi divifion
le 25 du mois dernier ; les détails que l'on
lit dans la lettre fuivante de Toulon , préparoient
à ce départ.
» Depuis quelque temps on eft occupé ici à
charger fur cinq bâtimens de transport qui ont été
frétés pour le Roi , des munitions de guerre , comme
bombes , boulets , poudre , mèches & une grande
quantité de barriques . Le mystère de cet armement
a été divulgué par l'arrivée d'un Commiflaire Ef
pagnol , qui a des ordres de vérifier les munitions
embarquées , & de prendre la dimenfion des boulets
& des bombes. Toutes ces munitions font pour le
camp de St-Roch , & fe rendront à Algéfiras , fous
l'escorte de la corvette la Coquette , commandée
par M. de Graffe Briançon , Lieutenant de vaiffeau.
La Coquette a auffi à bord des munitions de guerre.
Les Officiers des régimens François employés à
Minorque , & qui avoient eu des femefires , arrivent
journellement ici , & s'embarqueront fur le convoi
qui fera efcorté par la Coquette , ainfi que quelques
compagnies de Canonniers . S. M., empreffés de
récompenfer les fervices des Officiers de la Marine ,
vient d'accorder les graces fuivantes à ceux de ce
département qui font embarqués fur l'efcadre du
Comte de Graffe. Sur le vaiffeau le Souverain . Au
Chevalier de Glandevez , Capitaine - Commandant ,
1500 liv. de penfion & une lettre de fatisfaction au
nom du Roi , à M. de Beaulher , Lieutenant , une
compagnie d'Infanterie dans la divifion ; à M. de
Mazenot , Lieutenant , la croix de St- Louis . Sur le
vaiffeau le Céfar. A M. l'Hermite-Maillane , Lieutenant
, une penfion de 300 livres ; au Chevalier de
Caftillon ; id. la croix de St- Louis ; à M. Simon de
Broutieres , Enfeigne , une gratification de sool.;
à M. Barthon de Montbas , id. une Lieutenance de
( 1338)
compagnie dans la divifion . Sur le vaiffeau le Pluton
Au Chevalier d'Abbadie- Saint - Germain , Lieutenant ,
une lettre de fatisfaction , au nom du Roi . Sur le
vailleau le Marfeillois . A M. de Champmartin ,
Capitaine en fecond , une lettre d'éloge au nom du
Roi ; à M. d Efporcellet , Lieutenant , la croix de
St-Louis ".
On s'occupe beaucoup dans le public du
projet d'établir des correspondances également
fûres & fecrettes à des diſtances confidérables
; depuis l'annonce qui en a été
faite , les têtes paroiffent avoir fermenté
& sêtre vivement occupées de l'efpèce de
procédé qu'on peur employer. La lettre fuivante
qui nous a été adreifée n'en offre pas
de bien ficiles dans l'exécution ; mais elle
contient des détails qui peuvent piquer la
curiofité .
» M., j'ai dernièrement lu dans un Journal public
q'une perfonne propo oit au Gouvernement un
procédé fecret pour faire rendre , avec la plus grande
célérité , des ordres de Verſailles à Breft on Toulon,
L'annonce ajoute que l'Auteur , n'employant ni les pa
villons, ni les feux, n'a befoin que d'un feul inftrument
pour, de pofte en pofte, faire parvenir facorrefpondance
aérienne. Tout concours d'obſervations ne peut.
qu'être utile. Sans prétentions quelconques , me boinant
à extraire de certains matériaux recueillis en
Afie , & à rendre fimplement à la lumière un moyen
de communication qui , dans la haute, antiquité , fut
ufité , & depuis long-tems faroît avoir été perdu.
de vue , je défire bien fincèrement , pour l'avantage
de l'Etat , que l'invention foit plus fimple & plus
expéditive. Pour donner une idée fatisfaifante de la
notice particulière que j'ai recueillie , il me fuffira
de tranfcrire ici le précis d'une lettre adreffée à un
Seigneur , Chevalier des Ordres du Roi, Voici ,
( 134 )
M., le fens de ce qu'un ancien Auteur a dit fur ce
fujet : Jadis , par des fignaux , l'on a formé & l'on
a auffi représenté des phrafes , c'est -à- dire , felon mon
opinion , que de ces fignaux les uns étoient alphabétiques
, les autres des efpèces d'hieroglyphes. Ces
derniers , encore employés dans quelques parties de
la haute Afie , correfpondent à ceux dont en Europé
l'on fe fert , particuliérement fur mer. Les fignaux
que j'appelle hieroglyphiques font de tous les plus faciles
& les plus expéditifs pour repréfenter une centaine
de phrafes convenues. Ainfi dans l'hypothèſe
où il feroit queftion de communiquer à une efcad: e
l'ordre fuivant l'ennemi paroît , chaffe générale;
ou bien à des affiégés cet ordre- ci : avant le point
du jour l'on attaquera les lignes ; de votre côté
faites une fortie . Voilà dans le premier exemple
vingt- huit lettres , & dans le fecond fcixante - fix ,
qu'un feul fignal , préalablement contenu , pourra
en un moment tranfmettre , foit d'un vaiffeau à
d'autres , ou de deffus une hauteur dans une place
affiégée . Mais s'il s'agit de communiquer des ordres ,
des avis particuliers , imprévus & détaillés , il eft
fenfible que de tels moyens font abfolument infuffifans
. Cependant la grande facilité de ces fignaux
hieroglyphiques , & auffi la pareffe , peuvent avoir
infenfiblement fait négliger ceux par lefquels l'on
avoit fu former les phrafes ; enfuite l'ignorance
paroît les avoir totalement perdu de vue , quoiqu'infiniment
fupérieurs aux autres . Au furplus ,
voici comme je conçois les procédés alors ufités pour
ceux- ci ; en en faifant l'application à notre alphabet
François. L'on avoit fait dreffer , de diftances en dif.
tances , à la portée de la vue , & autant qu'il étoit
poffible , fur des lieux élevés & apparens , des mats ,
aux pieds defquels étoient établis des efpèces de
vedetres baraquées à pofte fixe . Chacun de ces petits
établiffemens doit être fuppofé avoir été foumí
au moins de vingt- cinq pavillons , lefquels étaient
A
( 135 )
,
affujettis de façon à ne pouvoir être les jouets des
vents , & qui d'ailleurs bien différenciés par des couleurs
& des formes tranchantes , devoient ainſi ,
d'après une convention fecrette , tenir lieu chacun
d'une des 24 lettres de l'alphabet. Le vingt - cinquième
pavillon que j'ai dit être néceffaire , étoit
Pour le fignal , d'attention au commandement
Maintenant fuppofons que de Verſailles ces anciens
Afiatiques cuflent dû faire parvenir à Brest , ou à
Strasbou le contenu d'un ordre commençant par
ces mots : Le Roi ordonne que , &c. D'abord , l'on
auroit pu élever un drapeau blanc , fuppofé figual
d'attention au commandement : fur le champ , les
védettes , de poftes en poftes , en auroient aufli fait
flotter un pareil , & l'auroient laiffé en vue pendant
quelques minutes , afin d'être bien affurés que fuz
toute la route les vigies étoient préparées à recevoir
& tranſmettre les ord : es . Alors baillant le f
gnal blanc , l'on aureit élevé celui qui , par convention
, auroit pu repréfenter la lettre L, qui tout
de fuite eût été remplacé par le figre affecté à la
lettre E , lequel aufli preftement eut fait place à la
lettre R , il en eût été de même de 0 , de 1 , &
du refte de l'ordre 'portant , comme l'on a dit , le
Roi ordonne que , &c. L'on pouvoit de plus indiquer
une erreur , une fimple paufe , ou la féparation
des mots , en faifant auf Blotter en l'air un
autre figne quelconque. L'on voit que par le moyen
de ces fignaux alphabétiques , plufieurs corps d'ar
mées pouvoient entretenir correfpondance entr'eux ,
ou avec une Place affiégée : il en auroit été de même
'des vaiffeaux d'une Efcadre avec leur Commandant.
J'obferverai de plus , que les feules perfonnes de
confiance , chargées en chef de faire parvenir &
recevoir les ordres , pouvoient connoître la valeur
convenue des fignaux qu'elles faifoient employer ;
tous les fubalternes intermédiaires les répétoient ,
fans pouvoir en pénétrer le fens . D'ailleurs , rien dé
(-136 )
plus facile que de changer de tems en tems cette
elpèce de chiffre. Ainfi , un pavillon bleu triangu
laire , on long , ou quarré , & , comme j'ai dit ,
convenablement affujetti , auroit pu fignifier aujours
d'hui la lettre A , & demain la lettre V. Quant
aux fignaux de nuit , quoiqu'un peu plus compliqués
, & dès- lors, un peu moins prompts ,
ils ponvoient
être tout auffi fûrs : par exemple , lorfque
certains feux avoient donné le ſignal d'attention au
commandement ; auffi-tôt vingt-quatre espèces de
lanternes de diverfes couleurs & formes , & fixées
fur des tringles , les unes courbes ou quarrées , les
autres rondes ou triangulaires , & c. pouvoient , non
moins facilement , tenir lieu de chacune des lettres
de l'alphabet , en, fuivant d'ailleurs les memes pro
cédés que dans l'exécution des figuaux de jeur.
1
On écrit de Vierzan , dans le Berry
que le 28 du mois dernier , par les foins
de M. de Cazeau , Confervateur , & M.
Mollard , Infpecteur des Chaffes de Mgr le
Comte d'Artois , il a été tué dans la forêt
de ce nom , 17 louvetaux. Les Officiers fe
flattent de parvenir à détruire ces animaux
féroces & redoutables aux beftiaux , dins
ce canton , connu pour être un des plus
fertiles & des plus agréables de la Province.
M. , je prens la liberté de vous prier au nom &
de la part de Madame la Comteffe de Lénoncourt
une de vos Abonnées , de vouloir bien inférer l'avis
fuivant dans votre Journal . Je le fais , avec d'autant
plus de confiance , qu'il s'agit de rendre un fervice
très important à un infortuné. On a trouvé , il y a
quelque tems , une fomme d'argent affez confidérable
, avec quelques autres effets , fur la route de
Toul à Thiancourt & à Saint- Mihiel , Province de
Lorraine. Les foins que l'on a pris jufqu'à préfent ,
( 137 )
pour en découvrir le Propriétaire , ont été inutiles.
Celui qui a fait cette perte peut s'adreffer a Madame
de Lénoncourt , dans fon Château de Pierrefort, proche
Pont - à - Mouflon en Lorraine : elle fera connoître
volontiers celui à qui il faut parler pour récupérer
cette perte . Le tout fera rendu gratuitement
à condition néanmoins & non autrement , que celui
qui en fera la répétition déclarera au juſte & en
détail , les circonftances du tems de la perte , comme
le mois , l'année , &c.; du montant de la fomme
& ce qui la contenoit , da nombre & de la valeur
des pièces ; enſemble de la quantité & de l'ef
pèce des autres effets perdus. 11 fera auffi connoître
fon nom & fon domicile , afin qu'avant de rendre
on foit affuré , par des gens dignes de foi , qu'il
n'emprunte pas le nom de celui qui a perdu & dont
il auroit appris toutes ces circonftances. On peut
foupçonner d'ailleurs par quelques circonftances, que
cette perte provient d'un vol qui auroit été fait récemment.
›
Nous venons de recevoir l'avis fuivant
que nous nous empreffons de publier ;
nous vient d'un Marin qui s'eft occupé .
long tems de recherches fur la manière d'obferver
les longitudes en mer ; cet objet eft
trop important pour qu'on ne doive pas
defirer qu'on multiplie les moyens ; nous ne
pouvons ici que faire des voeux pour le
fuccès des deux Inventeurs.
fa
Je ne fais pas s'il peut y avoir deux méthodes
fimples & aifées d'obferver la longitude en mer ,
felon l'Aftronomie ; mais je donnerai avec affurance
ma foumillion pour une , auffi parfaite que
le comporte. Sans une grande facilité dans l'opé
tation ce feroit une découverte bien ſtérile . Si
M. le Chevalier de Fornay & moi avons puifé nos
nature
( 138 )
moyens à la même fource ; fi nous n'avons qu'une
même idée fur le même objet , comme je le préfume
, cet Officier ne pourra du moins me conteſter
l'avantage de la primauté , ayant pour appuyer ce
que je dis des pièces authentiques , & je pourrois
même avancer , avoir fur ma méthode l'approbation
prématurée d'une Académie , fans qu'elle s'en
doute. Ceci paroîtra un peu énigmatique : il n'importe
, j'en expliquerai le fens quand il faudra.
Des raifons particulières m'avoient fait différer
l'hiver prochain à publier ma manière de réfoudre
une queftion auffi intéreffante pour les gens de mer ,
& fi les raifons fubfiftoient encore à l'époque indiquée
, je me verrois forcé à un retard. Plus une
découverte eft précieufe , plus ceux que la fortune
en a favorifé , ont de précautions à prendre , pour
en adapter plus sûrement l'ufage aux befoins de la
fociété plus ils doivent donc être circonfpects .
-Quoiqu'il en feit , puifqu'il fe préfente un concurrent
, je crois devoir me faire mettre , dès aujourd'hui
, fur les rangs ; & dans le cas qu'il en furvience
quelqu'autre , j'espère que le public prendra aui
volontiers confiance , en cet avis d'un marin , qu'en
celui d'un militaire : feroit-il poffible , que l'un
n'eût pas plus à dire à cet égard que l'autre , &
qu'ils fuffent tous deux parfaitement d'accord !
C'est ce qu'on apprendra du temps , &c . — Il fercit
humiliant pour les navigateurs en général , & reprochable
à jamais , fans doute , qu'un Officier d'infan
terie , qui , en allant à l'Ile de France , paffoit la
mer peut-être pour la première fois , fût venu prendre
, fous leuis yeux , un moyen de plus d'affurer
la navigation , pour le leur montrer. On tâchera
de leur épargner ce défagrément. Signé , J. D. L. S.
M. Pujos & M. Vidal, Artiftes diftingués , & également
recommandables par leurs qualités perfonnelles
& par leurs talens , fe fent réunis pour reproduire les
traits du Prince des Orateurs du Barreau. Le premier
( 139 )
l'a deffiné d'après nature avec ce feu, cette correction
ce fini qui caractériſent toutes les productions de fon
crayon , & le fecond les a rendus avec une fidélité
qui fait honneur à fon burin. Ce portrait intéreſſant
de M. Gerbier qui offe non-feulement la reffemblance
parfaite , mais encore , pour ainfi dire , l'ame
d'un grand homme , eft dédié à Madame la Comteile
de la Saumès , ſa fille ( 1 ) .
On vient de publier ici un nouveau plan routier
de cette Capitale & de fes fauxbourgs qui mérite
d'être diftingué ; il eft l'ouvrage de M. Pichon , Ingénieur
- Géographe , qui y a joint les principaux
édifices. Ces acceffoires ne font pas feulement des
ornemens ; ils peuvent donner une idée de cette
giande ville aux étrangers ; & fous ce point de vue
s'il eft utile à ceux qui y voyagent , il peut être
agréable à ceux qui n'y viennent pas ( 2) ,
De BRUXELLES , le 11 Juin.
IL va fe former à Oftende une Compagnie
d'Affurance ; fes fonds feront deux millions
de florins , partagés en 2000 actions . On
dit que l'Empereur a donné l'octroi pour
cet établiffement.
Selon les lettres de Hollande , l'efcadre
Angloife qu'on fuppofe aux ordres de l'A-
(1 ) Il fe trouve à Paris chez M. Vidal , rue des Noyers ;
prix 1 liv. 4 f.
(2 ) Ce plan fe trouve à Paris chez MM. Efnauts & Rapilly,
rue St Jacques , à la ville de Coutances ; à la Rochelle
chez M. Dauvin , & à Nantes chez M. Sebire ; le prix en
eft de 6 liv. On trouve chez les mêmes , à Paris , le
portrait de M.Portal , Médecin , d'après le deffin de M.
Pujos ; prix 1 liv. 4 f.
---
I
( 140 )
miral Hove , a été revue fur les côtes de
la République le 25 du mois dernier ; la
force des vents ne lui permit pas de gar
der long-tems cette ftation , qui l'auroit
expofée à échouer. Le premier de ce mois
elle reparut.
On affure , écrit- on d'Amfterdam , qu'elle confifte
en 18 à 19 vailleaux o frégates ; on paroît craindre
qu'elle n'ait en vue de faire une attaque fur le Viie,
& l'on apprend que les Patrons des navires qui s'y
trouvent , ont eu ordre des Capitaines des vaiffeaux
de guerre , de ſe retirer plus en arrière , afin d'être
hors de danger , dans le cas où les Anglois voudroient
tenter cette attaque. On a pris auffi la précaution de
déplacer les balifes . Les vaiffeaux de guerre le font
même retirés plus avant dans le port , & fe font
rangés de manière qu'ils forment une batterie formidable.
Depuis le 29 du mois dernier , il est foni
des ports du Texel & du Vlie , plufiers navires
marchands , dont 3 font deftinés pour Curaçao , 4
pour Surinam , d'autres pour la mer Baltique , &
plufieurs pour les ports de France & la Méditerranée.
-
On fait par- tout des difpofitions pour re
pouffer l'ennemi , s'il a réellement les projets
qu'on lui fuppofe & que lui prêtent
les papiers Anglois.
Les derniers avantages que cette nation
vient de remporter , ne paroiflent pas aux
Hollandois une raifon de croire qu'elle
foit à préfent la maitreffe de terminer à
fon gré les évènemens de la guerre.
» Les Anglois , lit- on dans des lettres de la Haye ,
exagèrent , fuivans leur coutume , les fuites de leurs
progrès aux Indes- Orientales . Mais , quoique le fort
& le comptoir de Négapatnam foient d'une impor
( 141 )
tance affez grande fur la coce de Coromandel , il s'en
faut de beaucoup qu'ils triomphent fans obftacle
dans cette partie du monde. Le moindre appui qu'on
pourra donner aux Nationaux , peut faire prendre
aux affaires un nouveau tour , dans un pays où les
révolutions ſo t hi fréquentes & fi faciles . La
prife de deux forts dans la baie de Trinquemale , n'eft
certainement pas la conquête de l'ile entière de
Ceylan. En admettant même que les Anglois foient")
aidés par le Roi de Candi , le principal Souverain de
l'ifle , ce Prince qui fait la réfidence à plus de cent
milles des forts conquis , fera-t -il en état de porter
dės fecours à fes nouveaux hôtes certe baie n'a
d'ailleurs jamais été un lieu de relâche ; ce n'eft pas
dans les environs qu'on trouve la production précieufe
de cette ifle . C'eſt Colombo qui eft la réfidence
du Gouvernement Hollandois ; & la conquête
des autres ports , d'où le tire la canelle , exigeroit des
efforts qui pourroient bien être balancés par l'efcadre
Françoife & Hollandoi e , qui fe trouvoit alors au
port d'Achem , à la pointe de life de Sumatra «.
L'affaire de la faifie de la frégate Danoife
le St-Jean , commandée par le Capitaine
Herbft , n'eft point encore finie ; le Chevalier
de Llano , Miniftre Plénipotentiaire
d'Espagne à la Haye , remit le 27 du mois
dernier aux Etats- Généraux un Mémoire fur
ce fujet ; comme il jette du jour fur cette
affaire , nous le tranferirons ici.
» H. & P. S. , des vaiffeaux de guerre de S. M. C. ,
conduifirent à Cadix , en Février dernier , la frégate
Danoile le Saint - Jean , commandée par le fieur
Herb . Ay nt reconnu que c'étoit un bâtiment marchand
, quoiqu'il y eût deux Officiers de la Marine
Royale Danoiſe , celui qui commandoit & un autre ;
qu'il n'appartenoit pas à S. M. D. , quoiqu'il cût
( 142 )
compte
abufé de fon pavillon'; qu'il n'étoit pas fuffifamment
aimé pour être un vaiffeau de guerre comme on
vouloit le prétendre ; qu'il portoit des munitions de
guerre , qui font des effets de contrebande , felon
tous les traités , & nommément felon ceux auxquels
l'article 2 de la convention de la neutralité armée ſe
réfère ; qu'il s'étoit auffi rendu fufpect , en s'arrêtant
dans les mers voifines de la place bloquée de Gibraltar
; on auroit pu prendre les réfolutions les plus
férieufes fur cette rencontre. Cependant , le Roi , par
pure confidération d'amitié envers S. M. D. , ordonna
qu'on proposât au Capitaice du bâtiment Danois ,
qu'on lui achetteroit , › pour le de S. M. C. ,
toutes les munitions de guerre & autres effets qui
étoient à bord , & qu'on lui rendroit fa liberté , ou
qu'on mettroit en dépôt fa cargaifon juſqu'à nouvel
ordre. Le Miniftère du Roi , en communiquant à la
Cour de Danemarck le parti propofé au fieur Herbft ,
a ajouté que fi l'achat de la cargaifon ne s'effectuoit
pas , S. M. C. demanderoit aux autres Souverains , &
particulièrement à l'Impératrice de Ruffie , qui a été
la première à propoſer & à adopter le fyftême de la
neutralité armée , comment on devoit entendre
Particle z de fa convention pour le cas préfent qui ,
felon toutes les circonftances , eft celui qui doit être
déterminé par cet article . - Le Comte de Reventlau ,
Envoyé du Roi de Danemarck à Madrid , a donné ,
pour réponse à cette communication , une note en
date du 3 Avril , dans laquelle , après avoir expliqué
que la cargaifon du Saint-Jean appartenoit actuellement
à S. M. D. , & que le vaiffeau eft à ſon ſervice ;
il déclare que ce bâtiment étant muni de l'unique.
caractère indiſpenſable des vaiſſeaux de guerre , favoir
du pavillon militaire , S. M. D. ne doute point
que le Roi donne immédiatement ordre de le relâcher,
& de le faire confidérer à fa fortie de Cadix
comme vaiſleau de guerre. Le Roi Catholique .
2
―
་
( 143 )
n'écoutant que fa générofité & fes fentimens d'amitié
pour S. M. D. auroit pu faire remettre les effets
trouvés à bord du vaiffeau , quoique de contrebande ,
puifque ce font des munitions de guerre, depuis la
déclaration qu'ils appartenoient à S. M. D.; mais
comme on cherche à établir le nouveau principe de
regarder comme vaiffeau de guerre tout ceux qui
porteront payillon militaire , qui , felon la façon de
penfer de la Cour de Danemarck , eft l'uniquer
caractère indifpenfable , quand même ce feroient
des navires Marchands qui ne feroient pas fuffifamment
armés , comme c'eft le cas du bâtiment le
Saint-Jean , le Roi Catholique croit ne pas pouvoir
ici devoir prendre une réfolution pofitive & finale
fur cet évènement , avant de connoître la façon de
penfer des Souverains qui font compris dans la confédération
des Neutres & des Puitfances maritimes
fur ce nouveau principe , qui par l'abus que tout
vaiffeau Marchand en pourroit faire , rendroit nulles
les précautions prifes dans tous les Traités , relatives
à l'exemption des vaiffeaux de guerre , à la vifite &
à la détention des autres. Le Roi m'a ordonné en
conféquence d'en faire part à V. H. P. , ajoutant
que S. M. fuivra fans difficulté ce nouveau ſyſtême
de confidérer comme bâtiment royal de guerre ,
celui qui portera pavillon militaire , qu'il foit où
non bâtiment Marchand , & plus ou moins armé , fi
les Puiffances maritimes trouvent qu'il eft jufte de
l'adopter. Le Roi feulement dans ce cas , fe réfervera
le droit de faire tels règlemens que S. M. jugera
convenable pour le commerce maritime des autres
nations dans fes Etats , ports & mers , afin d'éviter
des inconvéniens & des abus « .
-
Il paroît un plan de Traité d'amitié & de
commerce entre la République de Hollande
& les treize Etats -Unis de l'Amérique Sep144
tentrionale. Il diffère de très peu du fameux
Traité éventuel de 1778. M. Adams le remit
le 26 du mois dernier , & il a été pris ad
referendum par les Députés des Provinces ,
conformément à la réſolution ſuivante des
Etats Généraux du même jour.
» MM . de Randwyck & autres Députés de
L. H. P. aux affaires étrangères , en conféquence &
pour
fatisfaire à leur réfolution commifforiale du 23
Avril , ayant été en conférence & en négociation avec
M. Adams , Miniftre-Plénipotentiaire des Etats-Unis
de l'Amérique , touchant la formation des liens d'amité
& de commerce entre les deux Républiques , ont
rapporté à l'aſſemblée que dans cette conférence ,
M. Adams a dit , que la meilleure manière d'entrer
à cet égard en conférence , feroit de remettre l'ef
quiffe d'un Traité femblable ; qu'à cette fin il en
a préfenté une ébauchée en langue Angloife , efpérant
qu'on voudroit l'examiner , & y annexer tels
articles qu'on jugeroit convenables . ( Ici eft le
Traité en queftion ) . Sur quei ayant été délibéré ,
MM. les Députés des Provinces refpectives ont
accepté copie du rapport fufmentionné , de même
que dudit projet d'un Traité d'amitié & de commerce
, dès qu'il fera traduit de l'Anglois pour être
communiqué plus amplement chez eux ; & fans y
préjudicier , il a été trouvé bon & entendu que copie
pareille fera mife entre les mains de M. Leenhof
de l'E pierre , & autres Députés de L. H. P. aux
affaires maritimes , pour vifiter , examiner ,
tendre à cet égard , & recueillir les conſidérations &
l'avis des Comités ici préfens , des Collèges d'Amirauté
refpectifs , & faire enfuite du tout leur rapport
à cette Affemblée «.
enJOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 29 Avril.
LE café dont l'ufage eft général ici , &
la confommation par conféquent très grande
eft devenu exceffivement cher depuis quelque
tems . Les murmures du peuple devenoient
très- vifs & pouvoient avoir bientôt
des fuites propres à alarmer l'Adminiſtration ;
le Grand- Vifir pour les faire ceffer & s'inf
truire exactement de leur caufe , a eu recours
à un moyen employé -fouvent dans
l'Orient par les Adminiftrateurs qui , trompés
ordinairement par ceux qu'ils chargent de
prendre des informations , ont fenti la néceffité
de ne s'en rapporter qu'à eux mêmes; il
s'efttravesti en payfan, & fous ce déguiſement
il a été chez les marchands qui font le
commerce de cette denrée ; il s'eft convaincu
que quatre Juifs s'étoient réunis pour l'accaparer
toute entière ; ils l'avoient acheté .
en gros , & la revendoient en dérail au prix
qu'ils vouloient y mettre . Ce monopole eſt
22 Juin 1782. g
( 146 )
expreffément défendu par les loix Mufulmanes
. Le lendemain matin le Grand- Vifir
fit pendre ces quatre accapareurs , & faifir
leur café qui fut vendu au profit du tréſor
du Sultan , mais à un prix très-modéré.
S'il faut en croire des avis reçus de l'Inde
par la voie d'Alep , les Hollandois ont fait
des pertes confidérables. Les Anglois fe font
emparé de quelques unes de leurs riches factoreries
fur le Gange ; mais on fait combien
il faut fe défier des nouvelles que nous recevons
de ces contrées . Depuis quelque tems
on en a tant publié qui ont été enfuite démenties
, qu'on a lieu de croire que celles-ci
ne fe confirmeront peut- être pas davantage.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Mai.
ON compte actuellement dans le Sund
65 bâtimens deſtinés pour la Baltique , &
qu'un vent contraire y retient ; on a ſignalé
d'Hellingor une centaine de navires de différentes
Nations , la plupart fous pavillon
neutre ; les Anglois eux - mêmes commencent
à l'adopter à la place du leur ; nous en avons
déja vu arriver quelques uns fous celui de
l'Empereur.
On a fait partir d'ici , il y a quelques
jours , 4 bâtimens chargés de provifions
pour l'Iflande , un quatrième a mis à la voile
en même-tems avec une, pareille cargaifon
pour le Groenland,
( 147 )
Le Capitaine Billé & le Lieutenant Krugger
, l'un & l'autre de la Marine Royale ,
qui ont été fervir en France en qualité de
Volontaires , font de retour ici depuis quelques
jours.
On apprend de Ruffie que l'efcadre deftinée
à croifer cet Eté pour la protection
de la navigation , fe difpofe à mettre
à la voile. Elle eft compofée de 10 vailleaux
de ligne & de quelques frégates.
Selon d'autres lettres de Pétersbourg on
'y a fait un relevé des Villes & Bourgs qui
ont été bâtis dans cet Empire depuis le règne
de l'Impératrice actuellement régnante ; onles
porte à 132. On ajoute que S. M. I. a
donné des ordres pour en conſtruire encore
144 , & qu'elle a pris les arrangemens néceffaires
pour fournir aux frais de ces conftructions
, & fur -tout pour les fournir
d'Habitans , fans nuire à la population des
diftricts voifins.
Le relevé des naiffances & des morts
pendant l'année 1781 dans tous les Etats.
de S. M. Danoiſe , le Danemarck , la Norwége
& nos poffeffions en Allemagne , vient
d'être publié . En voici le réfultat ; le nombre
des naiffances eft de 67,877 , & celui
des morts de 53,202 ; de forte que le premier
excède le fecond de 14,675.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 20 Mai.
Le Roi a rappellé le Baron Zoge de
g 2
7148 )
Manteufel , fon Miniftre Plénipotentiaire à
la Cour de Berlin ; S. M. l'a nommé premier
Ecuyer de la Princeffe Sophie Albertine.
Il fera remplacé auprès du Roi de Pruffe
par le Baron d'Ehrenfward , actuellement
fon Miniftre Plénipotentiaire à la Haye.
Le Baron Van der Boreh , Envoyé extraordinaire
des Etats- Généraux des Provinces-
Unies , eft arrivé ici le 11 de ce mois.
Une indifpofition qui lui eft furvenue a
retardé jufqu'à préfent fon audience publique.
On mande de Gothenbourg que le navire
de la Compagnie de Groenland , la Clara-
Sophia , en a mis à la voile pour aller à la
pêche de la baleine .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 25 Mai.
L'EMPEREUR eft à Laxembourg , où l'on
dit qu'il fe propoſe de refter quelques jours
pour y prendre des bains aromatiques qui
lui ont été ordonnés , après l'indifpofition
qu'il a eue aux yeux.
L'exécution de l'Edit de Tolérance rencontre
toujours des difficultés en Bohême.
L'Empereur a , dit- on , chargé M. de Hay ,
Evêque de Leitmeritz , de fe rendre dans
plufieurs Diocèfes , pour prendre des connoiffances
fur la nature des difficultés , &
en faire enfuite rapport à S. M. I.
On affure qu'il fera érigé à Lintz un nou(
149 )
vel Evêché , dont le Diocèfe comprendra la
Haute - Autriche ; la Baffe fera annexée à
l'Archevêché de Vienne ; la Haute dépend
de l'Evêché de Paffau ; mais il paroît que
la Cour ne veut plus aucune Jurifdiction
Epifcopale étrangère dans les Etats Autrichiens.
Il a été publié dans le Royaume de Hongrie
une Ordonnance qui porte , que toutes
les terres qui retourneront à l'avenir à la
Chambre Royale , feront vendues pour un
prix raisonnable à des Hongrois qui auront
bien mérité de leur patrie.
Il a été envoyé à tous les Cercles du
Royaume de Bohême , un décret Impérial ,
qui enjoint à toutes les perfonnes qui ont
des créances fur les Maifons Religieufes ,
ou qui avoient placé entre leurs mains des
capitaux , de porter leurs prétentions devant
le fifc Royal , dans le terme de trois femaines
, qui fera cependant prolongé juſqu'à
un mois & demi en faveur des Etrangers.
Parmi les objets d'Adminiſtration dont
s'occupe actuellement l'Empereur , on en
remarque plufieurs qui font très- intéreſſans ;
les priviléges des divers Corps de métier ne
feront plus renouvellés ; & il fera libre dorénavant
à qui que ce foit de travailler fans
fe faire recevoir dans aucun Corps. La Ferine
de tabac qu'avoient les Juifs , fera , diton
, fupprimée ; on en fera une Régie pour
le compte de S. M. I. Les droits de Douane
qui , juſqu'à préſent , étoient en régie , vont
83
( 150 )
être affermés , & on en exemptera beaucoup
d'articles pour favorifer le commerce .
On s'attend à une nouvelle Ordonnance
qui règlera l'habillement des Domeſtiques ,
que la vanité des Maîtres a pouflé depuis
quelque tems à l'excès de luxe le plus ridicule.
Des Marchands Juifs ont préſenté requête
au Magiftrat , pour obtenir la permiffion
d'ouvrir des boutiques à la Foire prochaine
de Sainte - Marguerite ; elle a été accordée à
une vingtaine d'entre eux , qui ont promis
de vendre 12 grofch la livre de café , dont
le prix eft de 16 grofch chez tous les autres
Marchands .
De HAMBOURG , le 30 Mai..
SELON les lettres de Vienne , le Comte
d'Aurach y prolonge fon féjour , & continue
d'y voir tout ce que cette Capitale
offre de remarquable ; il a vu fucceffivement
la Bibliothèque Impériale , les Cabinets de
curiofité , la Manufacture de Porcelaine ,
&c. , & il a honoré de fa vifite les Miniftres
de l'Empereur . Selon les Politiques
la 9e dignité Electorale , vacante depuis la
réunion du Palatinat & de la Bavière , eft
l'objet de fon voyage. Ils vont même plus
loin , ils affurent que le Roi de Pruffe a
déja donné fon confentement à cette affaire .
Beaucoup de payfans étrangers , écrit- on de la
Pologne Autrichienne , viennent s'établir ici . Il eft
arrivé entr'autres vingt-fept familles Heſſoiſes , qui
"
( 151 )
affurent que plus de cent autres familles fe difpofent
à les fuivre. Les communautés des Juifs établis
dans ces Provinces , ne font plus tenues de répondre
à l'avenir pour les impofitions des pauvres de cette
nation. Ceux qui ne feront point en état de ſe ſoutenir
par leur travail , & de payer les impôts , feront
obligés de quitter le pays ; on n'en excepte que les
malades & les eftropiés ; & les Juifs ailés feront
chargés de les entretenir & de payer pour eux «
On étoit fort curieux de favoir le réfultat
du voyage du Pape à Vienne ; l'exécution
des Loix de l'Empereur fuffifoit peutêtre
pour le faire préfumer ; on prétend
qu'il a été arrêté entre le Chef de l'Eglife
& le Chef de l'Empire , les points fuivans ;
nous nous contenterons de les tranfcrire
comme nous les trouvons dans tous les
papiers publics d'Allemagne .
" 1. Les Evêques donneront à l'avenir les difpenfes
pour les mariages . 2 °. Ceux qui quitteront
les ordres religieux , obferveront , comme auparavant
, les règles de la chafteté & de la pureté , &
ils feront foumis à l'Evêque du Diocèfe ; les religieux
& les religieufes ne pourront faire de teftamens.
3 ° . Ceux qui voudront profiter de l'Edit de
tolérance , feront tenus de déclarer dans un certain
tems , quelle religion ils fuivront. 4°. Les appels
à la Nonciature cefferont . 5°. Le Souverain donnera
les bénéfices dans le Milanois ; le Pape propoſera
les fujets pour les Evêchés ; le Souverain les préfentera
, & le Juge Apoftolique les confirmera.
6 °. Le ferment que les Evêques prêteront , fera
le même qu'on prête dans l'Eglife Gallicane . - Les
mêmes papiers ajoutent d'après des lettres des
frontières d'Italie , que les Abbés des Couvens
dans la Lombardie Autrichienne , prendront doré-
,
g 4
( 152 )
-
navant le titre de Prieurs , & il leur fera défendu
d'avoir des carroffes & des chevaux . On fapprimera
encore neuf couvents à Mantone , & il en
fera fupprimé dix-fept dans le territoire de Sienne «.
On dit que le Chapitre de Hradifch en
Moravie , ayant demandé la permiſſion
d'acheter une terre , qui étoit à fa convenance
, il lui a été répondu qu'il pouvoit
l'acquérir ; mais à condition qu'il revendroit
de fes anciennes poffeffions pour
la valeur de cette acquifition nouvelle .
:
Le 18 de ce mois , lit- on dans une lettre de
Dantzick , à deux heures après midi , une aflez
grande maifon de cette ville s'écroula ; elle entraîna
dans fa chute la maiſon voifine . He reufement
pour les locataires de cette feconde maiſon , ils
fe trouvoient tous dans un corps de logis reculé ,
bâti fur le derrière & qui ne fouffrit point de cet
évènement lorsqu'il arriva . Ceux de la première
ne furent pas fi heureux le maître , la maitreſſe
& deux fervantes furent ensevelis fous les ruinęs ,
d'où l'on les retira quelques heures après . La maitreffe
& unee des fervantes vivoient encore , mais
bleffées en plufieurs endroits , avec les bras & is
jambes caffées . Le maître & l'autre fervante étoient
morts en pièces. De tous les enfans qui appartenoient à
cette maiſon il n'en périt pas un ; ils s'étoient fauvés
au moment même où la mai on avoit commencé
à craquer. Si ce malheur étoit arrivé un jour
d'Ecole , ( il s'en tenoit une d'enfans de famille &
très-nombreufe dans cette maifon ) , les principaux
habitans auroient été plongés dans le deuil. Heureuſement
c'étoit un famedi après midi , il y avoit
congé « .
*** La maladie épidémique qui a régné dans
le Nord , & qui a pris le nom de fièvre
( 153 )
du Nord , s'eft auffi manifeftée à Mayence ,
où grand nombre de perfonnes en font
attaquées , entr'autres 1 Electeur.
On apprend de Hanovre que les troupes
de cet Electorat font affemblées , & prêtes
anarcher au premier ordre. 3 vaiffeaux
de guerre Anglois & 17 tranfports , font
arrivés dans l'Elbe ; 12 de ces derniers fe
font rendus à Bremerlehe , & les 5 autres à
Stade , pour y prendre à bord les troupes
Allemandes qui doivent paffer en Amérique .
Suivant les dernieres lettres de Pétersbourg,
les difficultés qui avoient fufpendu l'admiffion
de la Pruffe dans la confédération des 3
Puiffances du Nord , pour le maintien des
droits de la neutralité , ont été levées par
rapport à la Cour de Suède ; mais elles
febfiftent , dit- on , encore de la part du
Danemarck .
Une jeune fille de Grootkehl dans le Meklenbourg-
Shwerin , pauvre & fans établiffement
, a eu recours au Roi de Pruffe pour
changer fon fort , elle lui a adreffé la lettre
fuivante :
" Grand Roi , daignez excufer l'audace d'une
pauvre fille qui vous demande une grace ;
écoutez-moi avec cette bencé qui vous eft propre
& qui fait volontiers de heureux . Accordez moi ,
bon Roi , une petite métairie dans vos nouvelles
colonies. Je fuis maintenant pauvre & malheureuſe ;
mais fi vous m'accordez ma prière , je ne troque de fort
avec perfonne ; je me choifirai alors pour mari un
honnête-homme qui m'aime , avec qui je pafferai
des jours heureux fous la domination de mon bien
Y
8 5
( 154 )
તે
faiteur & de mon Roi. Chaque matin je demanderai
pour vous , à Dieu , de la joie & de la fanté. Il
vous eft fi aifé de réaliſer mon fonge de bonheur !
Que ma prière vous touche ! bon Roi , exaucez - la !
J'emoraffe vos genoux , & je ne ceſſerai de vous
prier que vous ne m'ayez dit : j'accorde ta demande.
Je vous demande auffi grace & pardon pour cet
écrit , que de mon propre mouvement & fans que
perfonne en foit inftruit , j'ofe mettre à vos pieds .
Il eft de mon devoir , grand Roi , de recevoir votre
réfolution , quelle qu'elle puiffe être , avec un refpect
profond & filial «.
Le Roi , après avoir reçu cette lettre , a
donné l'ordre fuivant à M. de Werder ,
Miniftre d'Etat.
» Mon cher Miniftre d'Etat , quand Henriette
de Mecklenbourg Schwerin fera mariée avec un
honnête-homme , je lui ferai douner , felon fa
prière naïve & touchante que je joins ici , un établiffement
dans la Colonie de Priegnitz. Vous la lui
procurerez en fon tems. Mais quant à cette réfolution
de mon plaifir Royal , vous la lui déclarerez
d'abord ".
ITALIE.
De FLORENCE , le 25 Mai.
LA Commiffion pour les Monaftères vient
d'envoyer par ordre fuprême à tous les
Supérieurs des Couvens une lettre circulaire
, par laquelle il leur eft ordonné d'envoyer
une lifte exacte du nombre des Religieux
& Religieufes , & du revenu de
chaque Maifon de ce grand Duché.
» Il a été adreſſé , écrit - on de Naples , au Prince
´de Stigliano , un ordre du Roi , en vertu duquel il
( 155 )
eft chargé de faire éclairer les rues de cette Capitale
pendant la nuit . —— Le Parlement triennal du
royaume de Sicile s'eft affemblé à Palerme ; on
apprend que tout s'y eft paffé dans le plus grand
ordre , & que les Etats ont accordé à S. M. un Don
gratuit très- conſidérable . La levée d'un Corps de
Milice qui fera porté à 24,000 hommes a eu le plus
grand fuccès . On y a déja envoyé plufieurs Officiers ,
tous gens inftruits & d'une probité éprouvée . ·
Un Courier expédié d'ici à Rome au Connétable
Colone , lui porte l'ordre de faire tous les préparatifs
néceffaires pour préſenter au Souverain Pontife ,
le jour de S. Pierre , le tribut ordinaire de la Haquenée
«.
S. S. eft enfin rentrée dans l'Etat Eccléfiftique
le 21 de ce mois ; le lendemain
elle tint à Ferrare un Confiftoire fecret
avec les Cardinaux Des Lances , Caraffa &
Boun-Compagni , dans lequel elle a nommé
Cardinal - Prêtre l'Archevêque de cette Ville ;
on ignore encore fon titre ; mais on croit
que le Pape le déclarera dans le Confiftoire
qu'il a deflein de tenir à Imola .
» Cette Ville , écrit-on de Trieste , ſe diſpoſe à
faire un grand commerce par la mer Noire , avec les
habitans des bords du Nieſter , du Bog & du Nieper ,
files trois fouverains qui y dominent confultent
affez leurs propres intérêts pour y conſentir . L'Empereur
a dit- on envoyé en Pologne deux Mathématiciens
célèbres pour examiner le cours du Nieſter ,
& voir s'il eft poffible de rendre ce fleuve navigable.
S. M. fera fans doute auffi examiner les
deux autres . Elle a fait partir de cette Ville quelques
Négocians expérimentés , pour prendre à la gauche
& à la droite des rives de ces trois fleuves , toutes
les inftructions relatives au commerce d'importation
& d'exportation qu'on peut y faire «.
g 6
( 156 )
ESPAGNE.
De CADIX , le 2's Mai.
, L'ESCADRE eft prête à mettre à la voile ;
le vent d'Oueſt qui est toujours très fort ,
la retient feule dans la rade , d'où elle
appareillera auffi - tôt qu'il fera favorable ,
ce qui peut arriver d'un inftant à l'autre.
» L'arrivée de M. Darçon , écrit-on d'Algéfiras ,
n'a pu accélérer les travaux de ce port faute de bras
& de matériaux ; nous n'avions qu'une centaine de
calfats & peu de bois. Tout celui qui a été coupé
dans les environs eft encore couché fur la place ,
à caufe de la difficulté du tranſport : les chemins
font affreux & l'armée ne peut pas fe dégarnir de
troupes ; c'eſt à l'arrivée de celles de Minorque que
deux régimens raccommoderont en peu de jours
4 ou 5000 toifes du chemin par où doivent venir
+
ces bois nous aux blindages
des batteries flotantes.
On
-
envoie encore 2co Charpentiers
de Cadix. — Les ennemis n'ont rien tenté contre
nos lignes. Il faut qu'ils aient eu connoiffance
de notre deffein , car ils fortifient du côté de la mer
des poftes auxquels ils n'avoient pas touché jufqu'à
préfent. Ils ont reçu ces jours derniers deux bâti
mens de guerre & un navire marchand , qui n'ont
pu leur apporter de grands rafraîchiffemens . Le
vent d'Ouest qui règne depuis deux mois & qui
n'a pas permis à un feul bateau de fortir de la
Méditerranée , eft caufe que la baye de Gibraltar
a vu mouiller quelques navires approvifionneurs ;
mais le fiège étant réfolu , ces légers fecours ne
peuvent nous faire beaucoup de tort. Le vent
d'Eft femble vouloir prendre le deffus , & nos convois
feferont fans doute rapprochés ; mais le Ponent
-
( 157 )
a repris aujourd'hui avec de nouvelles forces. S'il
n'eft pas favorable à nos projets , il eft excellent
pour nos campagnes , qui promettent la récolte la
plus abondante «.
Nous apprenons qu'en effet tous les convois
ont profité de la journée du vent
d'Eft ,& qu'ils ont mouillé à Malaga ; comme
il ne leur faut , de cet endroit , que 10 à 12
heures d'une brife ordinaire pour entrer
dans le Détroit & à Algéfiras , ils y feront
bientôt , s'ils n'y font pas déja dans ce
moment .
On fignale dans ce moment le convoi
de Caraque , qui eft très-précieux pour l'Efpagne
, où l'on manquoit déja de cacao .
On apprend de Portugal que le Marquis
de Pombal , dont la fortune & la difgrace,
ont fait tant de bruit , & qu'on peut regarder
comme un des perfonnages les plus
célèbres de ce fiècle , eft mort à Pombal ,
âgé de 85 ans & quelques jours.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 8 Juin.
LES papiers de New-Yorck nous fourniffent
quelques nouvelles de l'Amérique
Septentrionale ; elles fe réduifent à de petites
incurfions , tant de la part des Américains
, que de nos troupes , où l'on a
fait refpectivement quelques prifonniers.
Une des plus confidérables eft la prife faite
par une centaine de loyaliftes d'un petit
( 158 )
pofte fur la rivière de Torn dans la Province
de New Jerfey le 20 Mars dernier ;
il n'y avoit que 25 Américains qui ont perdu
9 hommes ; les loyaliſtes ont eu 2 Officiers
tués , un bleffé avec 6 foldats. Les vainqueurs
ont brûlé le fort & la ville qui n'étoit
qu'un hameau compofé d'une douzaine
de cabanes .
Du côté de Beaufort , le corfaire le Peacok
& les goëlettes la Réfolution & la Rofe ,
firent le 4 Avril une expédition encore plus
heureufe ; ils paſsèrent la baie heureuſement
à l'aide d'un pavillon Américain qui trompa
fi bien les habitans , qu'ils leur envoyèrent
eux-mêmes des pilotes.
Tandis que le Capitaine Stewart & fa troupe
amufoient l'ennemi à Beaufort , le Capitaine M'lean
s'emparoit des navires & des barques qui étoient
dans le port ; opération qui ne lui caufa d'autre
défavantage que celui d'un matelot bleffé légèrement.
Les prifes étoient compofées d'un grand bâtiment
chargé de mats d'efpats , de ris , de tabac ,
& de munitions navales pour les poffeffions Françoifes
de l'Inde , d'une belle geëlette , d'un floop ,
& d'un nombre de radeaux & de chaloupes de pêche.
-Le 9 , le Capitaine Stewart , de la part des Anglois ,
convint avec le Lieutenant - Colonel Enoch Ward ,
& le Major Mounfterence , de la part des Américains ,
d'un échange de prifonniers. Les derniers rendirent
deux hommes qu'ils avoient furpris à piller hors
des ouvrages ; & les Capitaines Maclean & Stevart
, relâchèrent fur leur parole 26 Américains.
-Le 1o , à 11 heures du foir , le Capitai e Stewart
évacua la place , & embarqua fon monde & les
provifions qu'il put , à bord des bâtimens , fans
effuier de perte.
Le 13 , un floop de Sainte- --
(
159 S
:
Croix , chargé de rum , de fel , de cordages , de
toile à voile & d'autres articles , entra à Beaufort ,
& fe trouva pris par des ennemis qu'il ne s'attendoit
guères à rencontrer dans ce port . La lettre du Capitaine
Maclean , datée de la Barre de Beaufort ,
le 16 Avril , nous apprend qu'il s'étoit emparé d'un
grand nombre de papiers & de registres importans
dont M. Edm William Bordein , Ecuyer, étoit chargé,
qu'il avoit deffein d'en propofer la reftitution ,
à condition qu'on lui livrât tous ceux du Gouverneur
Martin. Il ajoute qu'il a pris 37 negres , &
qu'il a à bord plufieurs autres prifonniers qu'il a
été obligé de brûler une grande quantité de brai
de goudron & de térébenthine qu'il n'auroit pû
emporter fans danger , ainfi qu'un beau brigantin
fur le chantier , un nombre de bâteaux de tous genres
, le premier loop dont il s'étoit emparé , &
plufieurs moulins. Il ' comptoit paffer la Barre avec
les prifes le 17 , fi le tems le permettoit. Il ne peut
affurer le nombre des ennemis , mais il conjecture
qu'ils ont beaucoup fouffert par la vivacité de fon
feu. Les drapeaux & les tambours du fort font
en la poffeffion des Anglois.
Des lettres de Charles-Town , en date
du mois d'Avril , annoncent que le fiége
en eft décidément réfolu par les Américains ;
qu'enconféquence le Commandant de la ville
, a fait évacuer le pofte de Savannah pour
fe renforcer des troupes qui l'occupoient ,
& qui ne l'auroient pu défendre fi une fois
Charles Town étoit tombé au pouvoir des
ennemis.
» Le Général Gréen , ajoutent ces lettres , avec
un corps confidérable de troupes Continentales , &
la majeure partie des troupes Françoites en quartier
à Richemond & à Yorck Town , a joint l'autre
armée campée à quelques milles de Charles- Town,
( 160 )
---
& il n'attendoit plus que l'arrivée d'ane efcadre
Françoite pour attaquer cette place de concert avec
elle. On voit par- là , obferve un de nos papiers ,
que l'intention des François étoit d'aider les Américains
à reprendre Charles-Town , après avoir rendu
le même ſervice aux Eſpagnols relativement à quel
ques- unes de nos Ifles & d'aller enfuite dans la
Cheſapeack pour y laiffer paffer la faifon des ouragans.
On penfe ici , que fi les Américains ne
veulent point traiter avec nous , ils ne parviendront
jamais à s'emparer des poftes occupés actuellement
par les troupes Britanniques , fans le fecours d'une
puiffante efcadre Françoife «.
Nos nouvelles des ifles fe réduisent à quelques
lettres particulières qui nous ont été
apportées par le paquebot le Tynne venant
d'Antigoa. Elles nous apprennent que le
convoi parti d'Angleterre pour les ifles , eft
arrivé à la Barbade le 2 Avril ; il avoit à
bord le 14e . régiment.
2 mskeg
Les mêmes lettres confirment ce que nous
favions déja l'arrivée du convoi François à
fa deftination , après avoir fait route en tournant
la Guadeloupe pendant le combat
du 12 .
Il paroît auffi par ces lettres qu'à la hauteur
de Saint - Euftache , le Contre- Amiral
Drake s'eft féparé de l'efcadre de l'Amiral
Rodney , avec quelques vaiffeaux qui réſteront
à la ftation des ifles du Vent. Voici
comme s'exprime à ce fujet un de nos papiers
du foir .
לכ
Malgré la divifion qui a été détachée pour
refter en ſtation à Sainte-Lucie , fous les ordres de
l'Amiral Drake , le Lord Rodney qui a pris le
7161 )
-
chemin de la Jamaïque , avec le refte de l'efcadre ,
en conduifant avec lui tous les vaiffeaux défemparés
, en aura encore trente , qui paroiffent fuffifans
pour faire face à l'ennemi , & pour protéger cette
Ifle. Comme les maladies avoient confidérablement
diminué les équipages , avant le combat
du 12 , on ne croit pas qu'il lui foit poffible d'ar
mer plus d'un des vaiffeaux pris fur les François .
On espère que les autres pourront être réparés fuffi
famment pour fervir de convoi à la flotte de cette
Ifle deftinée pour l'Angleterre. On attendoit avec
impatience le convoi arrivé à la Barbade pour avoir
les bras & les munitions néceffaires ; & la partie de
ce convoi deftiné pour la Jamaïque , a dû mettre à
la voile peu après fon arrivée «<.
Des lettres particulières reçues en mêmetems
n'infpirent pas toute la confiance que
paroît chercher à nous donner cette Gazette
fur les forces de Rodney & fur l'état
où elles le mettent de faire face à l'ennemi ;
elles parlent de plufieurs de fes vaiffeaux
qui font défemparés , de quelques uns qu'il a
été impoffible de mettre en état de fuivre , &
dont un ou deux ont , dit - on , coulé bas après
l'action. Cela peut n'être pas ; mais on a raifon
d'être inquiet d'après le filence de l'Amiral qui
n'eft entré dans aucun détail de fa victoire
& de fes fuites. Un autre motif plus grave
& plus pofitif d'inquiétudes c'eft le rap
port d'un cutter expédié de la Jamaïque
pour reconnoître la flotte Eſpagnole au Cap
François , & qui déclare avoir compté 10
vaiffeaux Efpagnols & plus de 80 tranfports
de cette Nation ; un autre bâtiment
y a compté quelques jours après 16 vaiffeaux
( 162 )
de ligne Efpagnols , & porte à 10,000 hommes
les troupes qu'ils y ont raffemblées. Ces
forces ont été confidérablement augmentées
depuis l'arrivée du convoi de la Martinique
qui a mouillé depuis ; qu'on joigne encore
à l'efcadre Eſpagnole la Françoife qui y eft
arrivée après le combat fous les ordres de
M. de Vaudreuil . Alors il n'eft pas douteux
que nos ennemis n'aient une grande fupériorité
fur Rodney dont les forces ne paroiffent
plus fuffifantes pour leur faire face . Il
eft vrai que les François doivent avoir befoin
de quelques réparations ; mais fi leurs
magafins à St-Domingue leur offrent tout
ce qui leur eft néceffaire , elles pourront être
faites en peu de tems , & peut-être avant
les vaiffeaux de notre Amiral foient
que
en état.
C'est pourtant dans cette circonftance ,
fans doute alarmante , où nous fommes encore
réduits à la défenſive , malgré la victoire
du 12 Avril , que nos papiers invitent
le Gouvernement à tenter de reprendre les
établiffemens de Démérary, d'Efléquibo & des
Berbices , dont la poffeffion , difent- ils , feroit
une fource inépuifable de richeffes :
il n'eft pas douteux que ce fol fertile & fufceptible
d'améliorations ne nous procurât de
grands avantages ; mais le moment actuel
eft-il favorable ? Il faut commencer par nous
affurer nos propres poffeffions , avant de
rien tenter fur celles d'autrui . Peut-être alors
fongera - t- on d'abord à recouvrer l'Ile de
( 163 )
la Providence , que nous ont enlevé les
Efpagnols. Cette Ife eft une des Lucayes ,
comme nous l'avons dit , & la feconde par
fon importance ; elle eft fituée au nord de
l'Ile de Cuba & à l'eft de la Floride.
On a parlé d'un incendie arrivé à Antigoa
on dit aujourd'hui que la Jamaïque
a éprouvé un défaftre de ce genre , qui a
confumé 87 maiſons , outre plufieurs magafins
remplis de provifions ; ce qui y avoit
caufé une grande difette de vivres. Il fe peut ,
que , dans ce rapport , on ait confondu
l'évènement arrivé à Antigoa , & qu'il ne
foit rien arrivé de pareil à la Jamaïque.
Nous avons les détails fuivans de la preinière
de ces Illes.
Le 10 Avril, à une heure du matin , cette malheureufe
Ville de St-John a éprouvé une calamité affreuſe
. Le feu a pris dans la rue de Pope's head ,
près d'un magafin , vis- à-vis de la parade ; fa violence
annonçoit la deftruction de la Ville entière , ou
au moins de la partie qui a échappé à l'incendie du
19 Août 1779 , & de celle qui a été bâtie depuis .
Il a balayé , avec une rapidité étonnante , cette double
rangée de bâtimens entre les rues North &
Newgate jufqu'au bas du pont de bois près de la
pointe. A l'Eft de la rue de Pope's- head , prefque
vis-à- vis où il a commencé , il a brûlé un grand
bâtiment de bois , avec quelques offices dans la partie
du Sud , mais heureufement il s'eft arrêté là .
Les flammes fe font immédiatement communiquées
aux bâtimens du coin au N. O. de la parade , &
de-là fe font étendues à l'autre coin au Sud , détruifant
deux grands magafins , une maifon & plufieurs
édifices , ainfi que deux magaſins contigus au coin
( 164 )
de la rue de Church , vis- à- vis de la rangée de Livingston
; & à l'Ouest tous les magaſins , la forge
de Petrie , la rue & le quai , ci-devant appellé quai
Gallway. Au Nord de cette double rangée d'édifices
, y compris la façade des rues Newgare &
Wapping , depuis le coin de la maiſon de M. Hill
le feu a confumé tous les magafins de rum , ainfi
que plufieurs maifons , ouvrages , magafins , chantiers
de bois , &c. , avec tous les magafins fur le
quai de Hillhoufe , pleins de provifions pour l'uſage
des troupes de S. M. ftationnées dans l'Ifle , & nombie
d'autres appartenans à divers Particuliers , fitués
entre la maifon du fieur Williams & la mer : c'eftlà
qu'a ceffé cet effroyable incendie , qui menaçoit
les bains & autres fuperbes & utiles édifices de M.
Whitehead,mais qu'il n'a aucunement endommagés .
La vigilance , l'activité & l'humanité du Général
Prefcot , du Colonel Cuyler , du Major Robert's,
& en vérité de tout le militaire ftationné ici ne feront
jamais oubliées , à raifon des difpoficions qu'ils
ont faites & des foins qu'ils le font donnés pour
arrêter le progrès de cet épouvantable incendie.
C'eft le 4 de ce mois que le Gouvernement
a appris que le Lord Howe & l'Amiral
Barrington font arrivés aux Dunes , venant
de la mer du Nord , avec le Victory & la
Britannia de 100 canons , l'Edgard de 74 ;
il a été auffi informé de l'arrivée à Plymouth
du Queen , qui appartient à la même efcadre :
les équipages de ces vaiffeaux font tous malades.
L'Amiral Roff a été laiffé au Texel
avec 9 vaiffeaux de ligne , & le Panther a
reçu ordre de le rejoindre au plutôt . D'après
cela , cette dernière efcadre , occupée à
bloquer le Texel , eft compofée d'un vaiffeau
de 90 , de deux de 80 , de deux de 74 ,
( 165 )
de deux de 64 & de trois de 60 ; ce qui fait
10 vaiffeaux & 706 canons . Les Hollandois
en ont onze au Texel , favoir , un de 76 ,
trois de 68 , deux de 64 , un de 6o , quatre
de 54 , qui font enfemble 684 canons , mais
tousO
e
calibres
fort
inférieurs
aux
nôtres
.
On dit que les vaiffeaux du Lord Howe
réunis à ceux de l'Amiral Kempenfelt , qui
entra le 30 Mai à Torbay , & ceux que l'on
arme dans nos ports , formeront la grande
efcadre , qui fera forte , dit- on , de trente
vaiffeaux de ligne. Ceux de l'Amiral Kempenfelt
font entrés en très - mauvais état ,
ayant été fort maltraités par les vents ; la
Bellone avoit à bord 400 malades ; & le
Goliath 200 ; ce qui force l'Amirauté d'enlever
encore des hommes des vaiffeaux en
armement , pour completter les équipages
de ces deux vaiffeaux .
Le retour de Lord Howe aux Dunes , dit un de
nos papiers , eft un mystère auffi inexplicable que
le retour de l'Amiral Kempenfelt à Torbay ; car
certainement la caufe de ce double retour ne peut
pas être la même , tout au moins relativement au
temps , puifque le même vent qui a dérivé Kempenfelt
dans la Manche , auroit infailliblement empêché
fa Seigneurie de fe rendre dans fa retraite actuelle.
Quelle pourroit avoir été l'idée d'aller contempler
la flotte Hollandoife pendant quelque temps , & de
la laiffer enfuite faire voile pour fa deſtination faus
la molefter ? Le prévoyant Bureau de l'Amirauté
peut concevoir une pareille manoeuvre , mais elle eft
tant foit peu mystérieuse pour des intellects ordinaires.
( 166 )
L'Amiranté a fans doute des vues & des
projets ; qui fait fi le départ de l'efcadre
Efpagnole n'a pas influé fur le retour de
nos Amiraux on fait que le Lord Keppel
& plufieurs Lords de l'Amirauté font partis
ce matin pour aller voir MM . Howe & Barrington
, qui y font arrivés le 6 des Dunes ;
l'Amiral Kempenfelt , qui a mouillé hier
à Gofport avec fon efcadre , s'y trouvera
peut- être auffi ; & l'on prétend toujours que
les premières opérations de la grande efcadre
feront d'aller fecourir Gibraltar , que la Maifon
de Bourbon paroît menacer de l'attaque
la plus vigoureuſe & la plus déciſive .
Nos Officiers , ajoutent nos papiers , font fi
empreffés de fervir fous le Lord Keppel , que depuis
8 jours , plus de 70 Capitaines de la Marine lui ont
demandé de l'emploi . Il leur a répondu que le Roi
ne manquoit point de vaiffeaux ,mais d'hommes pour
les armer, & qu'auffi- tôt qu'on auroit pu s'en procurer
, ils pouvoient compter d'être employés , attendu
qu'on mettroit la plus grande vigueur dans
les préparatifs pour la campagne prochaine .
L'arrivée du refte de la flotte de Charles-Town , qui
fous l'efcorte de l'Oftrich , a mouillé le 3 de ce
mois à Portſmouth , ne pouvoit être plus heureuſe ;
elle forme, dit- on, 30 voiles , dont les Matelots feront
d'un grand fecours dans les conjonctures préfentes ".
Les nouvelles de l'Inde ne font pas auffi
brillantes qu'on l'efpéroit ; elles ont été apportées
par le paquebot le Swallow ; il en a été
auffi adreffées de Bombay à Baffora , d'où
elles ont été tranfmifes ici ; elles nous
apprennent l'heureufe arrivée du Général
Meadows à Bombay , où il étoit encore le
( 167 )
7 Janvier , avec le Montmouth , le Héros ,
l'Ifis ,vaiſleaux de S. M. , & environ 300 hommes
du 98e régiment. Il attendoit le refte
des troupes & du convoi qu'il avoit laiffé
il y avoit 4 femaines dans la baie de Morebat.
Cet avis , qui n'annonce au 7 Janvier
que l'arrivée de 300 hommes de troupes
de terre à Bombay , fair craindre que celles
qui y font encore attendues , ne faffent
pas un nombre bien confidérable. S'il faut
en croire quelques- uns de nos papiers , la
plupart de celles qui s'embarquèrent ſur l'eſcadre
du Commodore Johnſtone ont
péri dans leur paſſage .
>
A l'extrait de la dépêche du Général
Meadows , publiée dans la Gazette de la
Cour , on en a joint une de M. William
Hornby , qui rend compte du dernier
avantage dont nous avons parlé. Il fe réduit
à la défaite d'un corps de l'armée
d'Hyder - Aly, par la garnifon de Tillicherry ;
les détails qu'on en avoit publiés auparavant
font à peu - près exacts , à l'exception du
nombre des morts & des prifonniers ; on
ne compte que 400 des premiers au lieu
de 2000 , & 1500 prifonniers au lieu de
4000. Sacdos , Kan qui commandoir ce corps
Indien , a été fait prifonnier avec toute fa
famille.
Ce matin on a reçu quelques dépêches
de l'Inde par la voie de terre ; mais on
ne fait ce qu'elles contiennent ; le Minif
( 168 )
tre garde le plus grand fecret fur cet objet ; il
fait courir le bruit qu'elles ne font que
des duplicata de celles apportées par le
dernier paquebot.
» Cependant , dit un de nos papiers , on imagine
& avec raifon , qu'elles doivent contenir des détails
beaucoup plus récens , & ces conjectures font appuyées
par le petit article fuivant , qui ſemble être
jetté au hafard dans un des papiers de l'ancienne
Oppofition , mais qui n'y a peut -être été inféré que
pour preffentir la Nation fur un évènement qui diminuera
fans doute fon enthouſiaſme & fon ardeur , en
faifant auffi baiffer les fonds qui étoient montés en
8 jours de 54 à 60 & demi , & qui font baillés
depuis . On attend d'un jour à l'autre, dit ce papier, des
nouvelles de la plus grande importance de l'Inde ;
l'efcadre Françoiſe ayant paru devant Ceylan , peu
de tems après la prife de Trinquemale ; elle est infiniment
fupérieure à la nôtre , & il faut efpérer que
l'Amiral Hughes aura pu réuflir à fe retirer dans le
port le plus voisin «.
La réfolution prife par la Chambre des
Communes d'élever des monumens publics
aux Capitaines William - Bayne , William-
Blair , & Lord Robert Manners , morts dans
le combat du 12 , recevra vraisemblablement
une addition en faveur du Capitaine Samuel
Goodall , mort auffi dans le combat
qu'il a fallu livrer aux vaiffeaux François ,
le Caton & le Jaſon. On obſervera ici qu'il
n'y a dans les annales Britanniques qu'un
feul exemple d'un monument élevé aux
dépens publics en faveur d'un fimple Capitaine
; il en fut érigé un au Capitaine
Cornwal , qui fut tué en 1743 , dans la
malheureufe
( 169 )
malheureuſe action de Toulon. Nos papiers
contiennent les anecdotes fuivantes fur le
Lord Robert Manners.
» Il n'avoit que 24 ans ; il commandoit depuis le
7 Janvier 1780 le vaiffeau de guerre la Réfolution ,
de 74 ; & il aimoit tellement fon métier , qu'il couchoit
toujours à bord , n'abandonnant jamais le
commandement de fon vaiſſeau à perfonne . Il avoit
déclaré , dit-on , qu'ilen agiroit toujours ainfi jufqu'à
ce qu'il fût Amiral. ( That he had no intention of
fleeping ashore till he was an Admiral ) . En effet ,
quand le 14 Septembre 1780 , le Comté de Cambridge
, après de violens débats entre les Electeurs ,
le nomma fon député au Parlement , le Lord Manners
, dont le vaiffeau mouilloit dans le port de Plymouth
, parut affez indifférent à l'Election ; il ne fe
rendit point à Cambridge , il n'alla point à Londres ,
& s'il vint quelques minutes à terre , ce fut toujours
pour d'indifpenfables befoins de fon vaffeau. Il
étoit le cadet des fils du célèbre Lord Granby
& frère du Duc actuel de Rutland «.
Le 7 de ce mois le Général Conway informa
la Chambre des Communes que le
Ir il propoferoit un comité pour examiner
les moyens les plus convenables de lever
les régimens dont on a befoin.
La fameufe affociation proteftante ne
paroît pas avoir renoncé encore au deffein
de faire révoquer le dernier acte du Parlement
en faveur des Catholiques en Angleterre.
Le Lord George Gordon n'est pas non
plus dégoûté de fe mettre à la tête de cette
affociation , au nom de laquelle il a écrit
au Comte de Shelburne pour lui annoncer
une députation qui défire lui faire fa cour ,
22 Juin 1782.
h
( 170 )
& folliciter fa protection pour le grand objet
qu'elle a toujours en vue. Le Lord Shelburne
lui a donné un jour & une heure
pour cette audience.
--
» La Chambre des Communes de ce Royaume ,
écrit-on de Dublin , a été fi vivement pénétrée des
difpofitions de l'Adminiftration préfente , qu'elle a
voté fur le champ 100,000 livres fterl . pour lever
20,000 matelors qui feront employés au ſervice de
la G. B. Cet article ne paffa pas fans quelque
oppofition ; mais les fuffrages le réunirent bientôt.
Les Membres s'exhortèrent réciproquement à parcou
rir leurs terres pour y réveiller l'ardeur martiale , &
enrôler tout ce qu'il feroit poffible de s'y procurer
d'hommes pour ce ſervice. Ces difpofitions
prouvent l'efficacité du parti qu'a pris la nouvelle
Adminiſtration. Il n'y en avoit pas de plus propre
à ramener les efprits , que la continuation de la conduite
de la précédente auroit pu aliéner fans retour.
On en peut juger par quelques obfervations qui
n'échappèrent pas dans le cours des débats . M. Hood
l'un des coopérateurs de M. Grattan dans l'émancipation
de l'Irlande , marqua de l'inquiétude fur l'avenir
, & fuppofa la poffibilité d'une révolution
dans les idées de l'Adminiſtration actuelle de la
Grande - Bretagne ; mais quelqu'autres fuppofèrent
à leur tour la poffibilité d'employer auffi efficacement
les mêmes moyens de le faire rendre juſtice , &
tout le paffa avec beaucoup d'ordre & d'unanimité «.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 4 Juin.
LE 2 de ce mois , les Députés des Etats
d'Artois furent admis à l'Audience du Roi ;
ils furent préfentés à S. M. par le Marquis
( 171 )
de Levis , Gouverneur - Général de la Pro
vince , & par le Marquis de Segur , Minif
tre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
de l'Artois. La Députation fur conduite
par le Marquis de Nantouillet , Maître
des Cérémonies en furvivance , & M. de
Vatronville , Aide des Cérémonies ; elle
étoit composée pour le Clergé de l'Abbé
de Boyer , Prevôt de l'Eglife Cathédrale
& Vicaire- Général du Diocèfe d'Arras qui
porta la parole ; pour la nobleffe , du Marquis
de Creny , Chevalier de l'Ordre Royal
& Militaire de St-Louis , & pour le Tiers-
Etat de M. le Febvre Duprey , Avocat , &
ancien Echevin de la ville & cité d'Arras.
Le 8 , le Chevalier de Virieu , Colonel
du Régiment des Gardes de S. A. R. l'Infant
Duc de Parme & fon premier Ecuyer ,
prit congé de L. M. & de la Famille Royale.
Il étoit conduit par M. de la Live de la
Briche , Introducteur des Ambaffadeurs , &
précédé par M. de Sequeville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs.
>
Le 9 , la Vicomteffe de Buffevent & la
Marquife d'Efcayral eurent l'honneur
d'être préfentées à L. M. & à la Famille
Royale , la première , par la Comteffe de
Pufignieux , & la feconde , par la Marquife
d'Aulichamp.
T
De PARIS , le 18 Juin
LES bruis répandus depuis quelques
h 2
( 172 )
jours d'un avantage confidérable remporté
par les armes du Roi dans l'Inde ,
femblent s'accréditer au lieu de tomber ,
quoique jufqu'à préſent on n'en ait pas de
nouvelles pofitives & directes. Ceux qui
les croient fondées fe rappellent que les
lettres particulières de Londres , en parlant
des dépêches par lefquelles l'Amiral Hughes
annonçoit la prife des Forts de Trinquemale
, portoient qu'il ajoutoit en finiflant
que l'efcadre Françoife paroiffoit devant
Ceylan ; il eft vraisemblable que l'Amiral
Hughes ait été battu , s'il n'a pu éviter le
combat avec des forces bien fupérieures aux
fiennes. On attendoit en conféquence avec
inquiétude des nouvelles ultérieures en
Angleterre ; elles ont pu y arriver & n'avoir
pas été publiées dans un moment où elles
pourroient diminuer l'enthoufiafme de la
Nation. Quoiqu'il en foit , ces nouvelles
importantes ne fauroient fans doute tarder ;
en attendant il circule l'extrait d'une lettre
à bord du Sphinx , dans la baie de Trinquémale
le 14 Février dernier ; nous le tranfcrirons
fans le garantir ni le contredire ,
nous obferverons feulement que fi le fait
eft vraisemblable , on ne dit ni qui l'écrit ,
ni comment , ni où il eft d'abord arrivé.
»Je profite du départ d'un vaiffeau Hollandois ,
allant porter en France la nouvelle de la prise de
Trinquemale par notre efcadre , pour te faire part
de la défaite entière de l'efcadre Angloife , aux ordres
de l'Amiral Hughes , pris lui - même à bord du Superbe
, par l'Annibal & le Sphinx : notre flotte
( 173 )
étoit de beaucoup fupérieure à la leur. Outre le Su
perbe , les vaiffeaux Anglois le George & le Royal
Amiral font également pris. M. de Suffren peut
s'attribuer la prife de ce dernier , l'ayant combattu
bord à bord pendant cinq heures & demie ; le refte
de l'efcadre Angloife , extrêmement maltraitée , a
pris la fuite pour gagner le fort Anna. Nous
avons pris dans Trinquemale 750 hommes de troupes
Angloifes & 1500 Sipaies. Le vaiffeau François
'T'Orient , capitaine Boyer , a rencontré un vaifieau
de l'elcadre Angloife coulant bas , dont il a recueilli
le refte de l'équipage . Les Anglois ont perdu beaucoup
de monde ainfi que nous ; nous avons eu à
bord du Sphinx 53 hommes tués & 24 bleffés «.
On dit que le Roi d'Eſpagne vivement
affecté du revers qu'a éprouvé notre marine
dans la journée du 12 Avril , a réſolu de
nous donner pendant la durée de la guerre, 1 2
vaiffeaux de ligne qui feront toujours joints
à nos efcadres & qui en fuivront la fortune
& la deftination ; il veut auffi , ajoute- t-on
que celle du Marquis de Solano , refte tou
jours incorporée à la Hotte des Antilles.
Les exemples de patriotifme , donnés par
Monfieur , Monfeigneur le Comte d'Artois ,
les Etats de Bourgogne , la Ville de Paris ,
les Receveurs - Généraux des Finances , la
Compagnie des Fermiers-Généraux , les Régiffeurs-
Généraux des Ordres , les Adminif
trateurs - Généraux des Domaines , les Fermiers
de la Caiffe de Poiffy , les autres Comes
de Finances , & les fix Corps des
Marchands & les Communautés d'arts &
métiers de cette Capitale , font imités comme
on s'y attendoit par les Provinces ; déja
·
h3
(
174
les grandes Villes font en mouvement ; le
Commerce de Bordeaux a voté un vaiſſeau
de 110 canons , & la Ville en offre un de
même force. Marſeille s'eft impofée à
'1,500,000 livres , dont elle deftine 1,200,000
à la conftruction d'un vaiffeau , & cent mille
écus , pour les veuves & les matelots invalides
de la Province. Le Clergé a obtenu
la permiffion de s'affembler extraordinairement
cette année , & on croit qu'il fera
des offres encore plus confidérables . On
s'attend , lorfque toutes les fommes préfentées
par le zèle & le patriotifme , feront
réunies ; qu'elles fuffuront pour conftruire
24 à 25 vaiffeaux du premier rang. L'armée
Françoife n'a pas été la dernière à faire une
offre à S. M. Nous apprenons par une voie
certaine que divers régimens & différens
corps ont écrit aux Colonels - Généraux &
Généraux de leurs corps refpectifs , pour
les engager de faire accepter à S. M. l'offre
que lui fait fon armée d'un vaiffeau du
premier rang.
» Avant- hier 8 , écrit-on de Breft en date du 10
Juin , font arrivés heureufement dans cette rade ,
fous l'efcore de plufieurs frégates , deux convois
venans l'un de Nantes & l'autre de Bordeaux . Entr'autres
chofes qui forment la cargaiſon de ces
bâtimens , qui font au nom bre de plus de 300 , ils
construction .
portent 60,000 pieds cubes de bots a
Un bâtiment neutre , entré en rade avec eux , a dé
claré avoir vu au large 30 bâtimens de guerre Anglois
, dont 20 vaiffeaux de ligne . On conftruie
en ce port un vaiffeau de 110 canons , un de 80 , &
61751
deux de 74. -Pareilles conftructions font ordonnées
à Rochefort , ainfi qu'à Toulon . Il y a eu
la nait dernière un coup de vent très- fort , qui a dû
faire rentrer les Anglois dans la Manche «< .
ר כ
Il y a long- tems qu'on defire un port dans
la Manche où les vailfeaux de Roi puiffent
trouver un afyle & un abri fûr contre les
tempêtes fréquentes dans ces parages. Ce
voeu va fe réalifer ; la rade de Cherbourg
offre tout ce que l'on pouvoit défirer ; &
il ne reste à y faire que les travaux néceffaires
pour la fortifier. On va s'en occuper.
D'après un ordre du Roi , écrit-on de Caen
pour la conftruction de deux forts , deftinés à protéger
& à défendre la rade du port de Cherbourg , i!
fera procédé le premier Août prochain , à 10 heures
du matin , par-devant l'Intendant de la Ville , à l'adjudication
générale & au rabais des ouvrages propofés.
Toutes perfonnes pourront s'y rendre adjudicataires
, en juftifiant de leur capacité par certificat
du Directeur des Fortifications au département
deNormandie , ou de toute autre Province du Royaume
, & en foutniffant une bonne & valable caution.
Le devis de ces Ouvrages fera donné en communication
, dans les Bureaux de l'Intendance , aux per-
Lonnes qui defireront en prendre connoiffance , ainfi
que des charges & des conditions de l'adjudication ;
on trouvera au Secrétariat de chaque Intendance du
Royaume,
au Secrétariat de la Direction du Génie à
Chartres , & dans les Bureaux de l'Intendance de
Caen , des inſtructions tant fur les qualités de chaque
nature d'ouvrages qui pourront être exécutés
fur les moyens employés depuis trois ans , pour
fe procurer les matériaux de toute eſpèce , aux moin.
dres prix pollibles «.
que
Les croifières des Corfaires de Dunkerque
continuent d'être fort heureuſes .
h 4
( 876 )
--
L'Aigle, écrit-on de ce port , capitaine Moran ,
a débarqué à Morlaix l'équipage de trois navires ,
qu'il a rançonnés de compagnie avec le corfaire
l'Escamoteur , capitaine Thomas Roberts , égalemen
de ce port. Le total de ces rançons eft de 1200
guinées. Le Courier, auffi de ce port , a relâché
avec les deux prifes fuivantes , un bricq de 150 ton
neaux , venant de Charles-Town , chargé de 528 barils
de térébenthine , & de 30 boucaults de peaux de
daim. Un floop , chargé de drêche , bied , orge , farine
, houblon , 4 paquets de cuivre , 6 balles de
laine , 3 caiffes de quincailleries , &c.
Cotter ,
--Le corfaire
le Petit Gendarme , capitaine Châtelet , a
Conduit le 10 de ce mois dans ce port , une priſe Angloife
, chargée d'eau-de-vie , vin , coton & épiceries.
Cette prife eft riche ; on l'évalue à 150,000
liv. «.
M. le Comte & Madame la Comteffe du
Nord font fur leur départ de Paris ; ils emporteront
avec eux les regrets & l'admiration de
la Nation : M. le Comte du Nord a infpiré le
plus vif intérêt à tous ceux qui ont eu le
bonheur de l'approcher & de l'entendre ;
affable , prévenant , fa politeffe eft noble
& naturelle ; il pofsède toutes les qualités
qui annoncent le caractère le plus heureux ,
& il ne pouvoit manquer de réuffir dans un
pays , où la première de toutes eft d'être
aimable. Il parle peu , mais toujours trèsà
- propos , fans affectation , fans gêne , fans
paroître chercher ce qu'il dit de flatteur. Voici
quelques -unes de fes réponſes , qui prouveront
plus , en faveur de fon efprit , de la
délicateffe de fes fentimens , que tout ce
que nous pourrions dire.
( 177 )
Il étoit entré un jour chez M. le Comte d'Artois ,
au moment où le Fourbiffeur de ce Prince lui montoit
des épées avec des poignées d'acier d'un nouveau
goût. Voilà un heureux hafard , dit Mgr le
Comte d'Artois , il faut que j'en profite , & que
j'offre cette épée à M. le Comte du Nord : il avoit
choifi véritablement la plus belle , & il la lui pré-
Lenta. Je l'accepte volontiers , répondit M. le Cointe
du Nord , j'aimerois mieux cependant que vous
m'euffiez réfervé celle avec laquelle vous prendrez
Gibraltar. Affurément il étoit impoffible de mieux
répondre à la galanterie de Mgr le Comte d'Artois ;
& M.de la Harpe a eu raifon de dire , dans le portrait
qu'il a fait de ce Prince :
Aux courtifansjaloux il apprend l'art de plaire.
Le jour du bal paré la foule étoit grande , & dans
un moment où elle fe portoit du côté du Roi , qui
p'étoit pas encore affis , S. M. dit mais on nous
preffe beaucoup ; à ces mots tout ce qui entouroit le
Roi fait quelques pas en arrière. M. le Comte du
Nord s'éloigne aufi , & dit au Roi Pardonnez ,
Sire , je me comptois en ce moment au nombre de
vos fujets , & je croyois , comme eux , ne pouvoir
approcher trop de V. M. Le Roi lui tendit la main
& le plaça à côté de lui .
C'est par ces traits & par une foule d'autres
femblables que ce jeune Prince a montré
toute l'étendue & toute la délicatele de
fon efprit , ainfi que l'éducation diſtinguée
qu'il a reçue.
On nous a fait paffer l'addition fuivante
à la lettre que nous avons donnée dans le
numero précédent , & que nous nous empreffons
de tranfcrire.
» L'on a vu dans votre journal de Samedi 15, te
précis d'une lettre adreffée à un Officier - Général de
la première diftinction , au fujet de deux moyens
hs
( 178 )
jadis ufités en Afie , pour promptement faire parvenir
au loin des ordres ou avis importans. Elle
offroit de plus , la notice d'une autre voie de commamication
encore maintenant employée dans l'Inde.
Quoique cet expédient ne foit point comparable
aux deux précédens pour la célérité , cependant
comme il peut à cet égard être mis en parallèle avec
ceux dont l'on fait ufage en Europe , l'on a préfumé
que l'on verroit avec plaifir la partie de cette
lettre qui n'avoit pu paroître l'ordinaire dernier.
Dans l'Inde l'on emploie des couriers à pied &
à cheval ou fur des dromadaires. Mais le Gouvernement
, dans plufieurs Provinces , s'eft en outre
affuré un moyen qui ſemble fupérieur , fur - tout
pour des pays de montagnes & de difficile accès.
Des gens de pied font établis au nombre de cinq
ou fix , à poftes fixes , à la diſtance de trois ou
quatre lieues les uns des autres. Ces couriers nommés
Tapals , partent toujours deux de compagnie ,
afin de prévenir tout accident. Lorsqu'ils arrivent
au pofte ou relais plus voifin , ils remettent , ou
plutôt jettent , felon l'ufage , leurs paquets très-peu
volumineux, à deux autres meffagers , lefquels partent
fur le champ. Au furplus , ces fortes de gens
choifis , fveltes , nerveux , & exercés , font toujours
prêts à le mettre en route ; car ils n'ont point
l'ufage des cabarets , ils font preſque nuds , & ne
portent en fus des dépêches , qu'un bâton à la main
& un fabre en bandoulière. Or , comme en fe re-
Jayant , ils courent jour & nuit , & prennent les voies
les plus courtes : il eft très- poffible de faire ainfi
parvenir des expéditions Officielles au moins auf
vîte que par nos couriers Européens. Les Anglois
ont établi de ces Tapals dans plufieurs de leurs
poffeflions de l'Inde «.
M. Pierres , Imprimeur ordinaire du Roi
à Paris , vient de recevoir , de la part du
( 179 )
Roi de Pologne , une Médaille d'or , portant
d'un côté l'effigie de S. M. , & au
revers 3 couronnes entrelacées ; l'une de
chêne , l'autre de laurier , & la troifième.
d'olivier , avec la légende merentibus. Cette
Médaille étoit accompagnée d'une lettre
écrite de l'ordre du Roi , par M. de Rieule ,
Général- Major , Aide- de-Camp Général.
L'Académie Royale des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Rouen , a demandé pour le Prix des Scien
ces qu'elle défiroit décerner au mois d'Août 1782
Jufqu'à quel point , & à quelles conditions peut-on
compter dans le traitement des Maladies , fur le
Magnétifme & fur l'Electricité , tant pofitive que`
négative ? La Théorie doit être appuyée par des
faits. L'Appareil des Expériences doit être affez
détaillé , pour que l'on puiffe les répéter au befoin.
-L'Académie n'ignore point le nombre d'Ecrits,
publiés fur ce fujet : Les Auteurs y trouveront des
matériaux pour former le tableau de nos connoiffances
acquifes fur cet objet , & il fera facile d'apprécier
ce que l'art devra à leurs recherches perfonnelles.
Le Prix eft une Médaille d'or , de 300 liv.
-
- Depuis cette propofition , publiée en Septembre
& Octobre 1781 , l'Académie a reçu plufieurs Lettres
anonymes , par lesquelles elle eft priée d'accorder
aux Concurrens un délai pour perfectionner
leurs travaux & multiplier leurs Expériences. Et vu
l'importance majeure de l'objet , elle fe détermine à
laiffer le Concours ouvert , jufqu'au premier jour
du mois de Juin 1783 , paffé lequel tems aucun ouvrage
n'y fera admis.
Un Amateur des Sciences , qui défire refter inconnu
, a vu , avec intérêt , combien la queſtion
fur les Terres calcaires , propofée en 1780 , avoir
donné lieu à l'Auteur couronné de s'étendre en appli
cations à l'Agriculture & aux Arts. Dans l'espoir
h 6
( 180 )
qu'il pourroit réfulter autant d'avantages d'un travail
femblable fur les Terres vitrifiables , il a fait
offrir une fomme de 300 livres , pour un Prix extraordinaire
à décerner au mois d'Août 1783 .
L'Académie de Rouen accepte fes offres généreufes
avec reconnoiffance ; & autant pour en accélérer le
témoignage , que pour ménager plus de tems aux
Savans qui défireront concourir , elle annonce dèsà-
préfent que dans la Séance publique de 1782 , elle
propofera ce Prix de 300 livres , pour être adjugé
au mois d'Août 1783 , à un Mémoire dort l'objet
fera : D'établir des caractères diftinctifs , entre
les diverfes Terres , Argilleufe , Alumineuse ,
Quartzeufe , & autres , que les Chymiftes ont
jufqu'à préfent , confondu fous le nom de Terres
virifiables ; enforte que de ces diftinctions phyfiques
& chymiques bien établies , résultent des
connoiffances utiles à l'Agriculture & à différens
Arts , tels que la Foulerie , la Poterie , la Fay ancerie,
la Porcelaine , la Verrerie , & c...
-
―
·
dont plufieurs font cultivés avec fuccès à Rouen ,
& font une partie du Commerce de cette Ville.
Les Mémoires , lifiblement écrits en françois ou
en latin , feront adreſſés ( francs de port ) avant le
premier de Juin 1783 , à M. L. A. Dambourney ,
Négociant à Rouen , Secrétaire Perpétuel , pour la
partie des Sciences. Cetre époque exclufive du premier
jour de Juin a été jugée néceffaire , pour lai
fer aux Commiffaires de l'Académie le tems de
répéter les expériences indiq ées , ou d'en faire de
relatives , s'ils le jugent convenable.
» Lá Société Royale des Sciences , Arts & Belles-
Lettres de Nanci , qui fuivant les intentions du feu
Roi Staniflas fon fondateur , admet indiftin&tement
zous les ouvrages qui lui font préfentés pour conconrir
aux Prix , proclama dans fon Affemblée publique
du 8 Mai , ceux qu'elle avoit à diftribuer
pour cette année , & ceux qu'elle avoit rélery és
( 182 )
l'année dernière. L'un des Prix a été donné à un
Ouvrage intitulé : Journal des Obfervations miné
ralogiques faites dans une partie des Volges & de
L'Alface, L'Auteur , M. de Sivry , Avocat au Parlement
de Nanci , âgé de 19 ans , avoit joint à la relation
de fon voyage des Cartes minéralogiques du
pays , & la collection de tous les mineraux dont il
avoit recueilli lui même fur les lieux , des échantil
lons qu'il avoit marqué des mémes numéros fous
lefquels ils avoient été indiqués dans le corps de l'ouvrage.
- Un autre l'rix a été adjugé à M. Thieret ,
Avocat au même Parlement , âgé de 22 ans , Auteur
d'un Difcours fur l'Amour de la Gloire.
terre.
M. Nicolas , Profeffeur de Chymie en l'Univerfité
de Nanci , & M. Thonvenel , Docteur- Médecin ,
Directeur des eaux minérales de Contrexeville , ont
remporté les 2 Prix réſervés ; le premier , pour une
Differtation fur les Gypfes ou Pierres à Plâtre de
Lorraine ; l'autre , pour un Mémoire contenant
L'Examen Chymique & Diététique des Glands de
-M. du Monter , Conſeiller au Parlement ,
Sous- Directeur de la Société , a donné , dans un premier
Difcours , une idée générale de ces quatre ouvrages
, dont il a difcuté le mérite , ainfi que celui
de plufieurs autres préfentés au Concours , & jugés
dignes d'éloges . Les ouvrages couronnés ont été
lus , les uns en entier , les autres par fragmens ou
par extraits ; après quoi les Prix ont été proclamés
par M. le Président de Sivry , Secrétaire perpétuel.
-
M. de Lalande , que toutes les Sociétés favantes
fe font gloire d'adopter , a été reçu par celle de
Nanci dans cette même féance , en qualité d'Af
focié. Ce célèbre Aftronome avoit envoyé , pour fon
Difcours de réception , un Mémoire fur la planète
de Herfchel. - M . l'Abbé Barlet , Membre de la
Société , en a rendu compte , & y a joint les obfervations
faites à Nanci par lui-même , par M. l'Abbé
Blachier & par M. de Sivry , Auteur de l'ouvrage
((182 )
1
--
Minéralogique couronné. M. Barlet a fait voir
par l'expofition & la comparaison de ces différentes
obfervations , que les réfultats en étoient , à trèspeu
de chofe près , les mêmes. - M. du Montet , en
répondant au difcours de réception de M. de Lalande,
en a pris occalion d'infpirer , par l'exemple de ce
favant Académicien , & par la nature & le fuccès
des ouvrages couronnés , le goût & l'étude des
fciences exactes & des connoiffances utiles : en combattant
l'efprit de fyftême & l'amour des nouveautés
, il a montré de quelle manière & avec quelle
circonfpection il falloit traiter les objets d'utilité
publique. -M . l'Abbé de Bonneville , Confeiller-
Clerc au Parlement , Directeur de la Société , qu'une
abſence dont il n'étoit de retour que depuis peu ,
avoit empêché de remplir les fonctions dont s'eft
acquitté le Sous- Directeur , avoit ouvert la féance
par un Difcours fur les avantages qui réſulteroient
pour l'Etat en général & pour la Province de Lorraine
en particulier , de la jonction de la Saonne à la
Mofelle , de la Mofelle à la Meufe & de la Meufe à
la Marne , par des canaux navigables . -Le Secrétaire
perpétuel devoit lire l'Eloge Hiftorique de feu
M. de Nicéville , célèbre Avocat , Membre de cette
Société , comme cette lecture eût excédé les bornes
de la durée ordinaire des Séances , il s'eft contenté ,
en annonçant qu'elle feroit différée à la prochaine
Affemblée publique , de témoigner fon regret de ne
pouvoir acquitter dans ce moment ce double tribut
de la confraternité & de l'amitié . La féance a été
terminée par la lecture qu'a faite M. François de
Neufchateau , de plufieurs fragmens de fa Traduction
du Roland furieux «.
-
On a beaucoup parlé de la maladie épidémique
qui règne dans le Languedoc ; la lettre
fuivante que nous recevons de Carcaffonne ,
peut en donner une idée , & raffurer ceux.
que les récits ont d'abord vivement alarmés
( 183 )
"
M. , une maladie épidémique , inconnue jufqu'à
présent dans le Languedoc , à laquelle on donne le
nom de Fièvre éruptive miliaire , ou Suette mi
liaire , caufe les plus grandes alarmes dans cette
Province. Cette maladie a commencé de fe manifefter
dans la Ville de Caftelnasdary , & a gagné
fucceffivement les Villes de Saint - Papoul , Carcaf
fonne , Limours , Aleth , Mirepoix , Pamiers &
Touloufe : elle s'annonce , dès fon invafion , par
une douleur de tête , fuivie d'une fueur très-abondante
, & le troisième jour , il fe fait une éruption .
miliaire fur différentes parties du corps : alors elle fe
termine heureusement le cinquième ou fixième jour.
Quoiqu'on puiffe dire généralement que cette maladie
n'eft pas dangereufe , elle a été cependant
mortelle pour un petit nombre de ceux qui en ont
été attaqués ; & dans ceux - là , fa malignité a été
marquée par le délire & par un tranfport du fang
à la tête. On ne peut donner trop d'éloges à M. de
Gallet du Pieffis , Médecin , qui a ſuivi cette maladie
, & qui a publié le traitement convenable ; ce
qui a mis les Gens de l'Art appellés en état de la
fuivre , & les infortunés hors d'état de les appeller
ou trop éloignés des fecours , à portée de les fuppléer
& de guérir.
On écrit de Saint Pere- en - Retz , Diocèle
de Nantes , un fait bien funefte.
Le 31 du mois dernier , un Meûnier , fuivi d'un
fort Mâtin qui avoit déjà mordu fon Domeftique
& deux de fes Chevaux , fans que cet imprudent
Meûnier eût conçu quelqu'inquiétude fur la fanté de
fon Chien , fe tranfporta avec lui chez un Métayer
à Lalande - Popine. A peine le Mâtin fut-il entré
dans la métairie , qu'il fe jetta comme un furieux
far le Ghien de la ferme. Le Métayer , âgé de 70
ans & d'une complexion foible , s'arma d'un bâton
peur les féparer ; le Chien du Meûnier lâcha priſe ,
mais il colleta le Vieillard , le renverſa & le mordic
( 184 )
en plufieurs endroits , fans qu'un Charpentier qui
étoit dans la cour , & le Meunier même , ofaffent
fecourir le Bonhomme . La Femine de celui- ci , âgée,
de 47 ans , accourt à fes cris , s'élance fur le Chien ,
le faifit à travers le corps , & lui fait lâcher fon
malheureux Epoux ; elle tient enfaite le Chien furieux
accroupi fous elle affez de temps , pour que
fon Gendre eût celui d'arriver d'affez loin , & d'affommer
le Mâtin dans les bras même de cette brave
& vertueule Femme , qui n'ayant pas reçu la moindre
égra:ignure , n'a d'inquiétude aujourd'hui que
pour fon Mari auquel on adminiftre tous les fecours
de l'art , mais qu'on n'ofe baigner à la mer ,
parce que , contre l'ordinaire , il fait dans la faiſon
actuelle un froid très - vif. Le Gendre du Métayer ,
qui fecourut fi à propos fon Beau -père , n'eut pas
plutôt tué le Mâtin du Meûnier , qu'il affomma
auffi le Chien de la métairie qui avoit été mordu .
Marie - Etienette Dahon , femme d'Antoine-
Anne- François de Chaumon , Comte
de Guerry , Brigadier des armées du Roi ,
ci-devant Chevalier de Malte , eft morte à
Surène le premier de ce mois dans fa 55
année.
Dominique de Betten , ancien Aumônier
du Roi , ancien Abbé Commendataire de
l'Abbaye de Val - Chrétien , Prieur actuel
Commendataire de St-Nicolas de Ploermel ,
& St - Martin de Tridien , eft mort le 30
Avril dernier dans la 89 ° année de fon âge.
Catherine Guy, veuve Cottard , eft morte
à Lyon âgée de 97 ans .
Marie-Louife de Noailles , Dame de feues
Mefdames les Dauphines & de Madame ,
veuve de Jacques Nompar de Caumont,Pair
( 185 )
de France , eft morte au Palais du Luxem
bourg , le 22 du mois dernier , dans la 72€
année de fon âge.
Les Numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du premier de ce
mois , font : 52 , 66 , 82 , 16 & 33 .
De BRUXELLES , le 18 Juin.
On fait que dans tous les Etats héréditaires
de l'Empereur , il a été expédié un
ordre de faire l'état jufte des fommes qui ,
fous différens prétextes, avoient été envoyées
à Rome pendant un certain nombre d'années
; s'il faut en croire quelques lettres , il
en eft forti 13 millions de florins ; on
ajoute qu'il en fort encore annuellement
de la Pologne , pour cette Cour , 11 milions
de florins Polonois..
» Tous les vaiffeaux que nous avons au Vlie , lit-on
dans les lettres de Hollande , font entrés au Texel ,
ainfi qu'ils en avoient reçu l'ordre . Nous avons en
conféquence à préfent dans ce port l'Amiral Général
de 74 canons ; l'Amfterdam , l'Amiral Ruiter &
l'Union de 64 ; le Quid Beveland , le Prince Frédéric
, & le Kortenaar de 60 ; l'Amiral Piet - Hein ,
le Tromps , le Prince-Royal , le Glinthorff, le
Batavier, l'Erfpritz de 5+ ; le Zweten , le Loo , le
Zuileveld , Gardes- côtes de 44 ; l'Argo de 40 ; le
Brunswick , le Jafon , la Bellone , le Medenblick ,
l'Eeinsgezindheik, & la Thetis de 36 , l'Hoorn, le
Waakzaambrid, le Dolphyn , la Bellone de 24 ,
en tout 27 vaiffeaux ; mais les ennemis qui croiſent
dans le Texel , ont 2 vaiffeaux de 100 canons , un de
98 , un de 90 , un de 84 , un de 80 , trois de 74 .
2 de 64 & 3 de 60 ; outre nombre de frégates , ils
( 186 )
ont 426 pièces de canons de plus , & le calibre eft
encore en leur faveur «.
L'état actuel de la marine Hollandoife
eft devenu refpectable ; on peut juger des
efforts que la République a faits en moins
d'un an & demi pour la porter au point où
elle eft à préfent ; elle compte 12 vailleaux
de 74 , 23 de 64 , 2 de 54 , outre 4 fiégates
de 44 , 2 de 40 ,
12 de 36 , 7 de
30 , ୨ de 24 2 de 22 , & une trentaine
de cutters & de flocps de 16 , de 14 , de
12 canons & au-deffous .
,
On apprend de Leeuwaerden qu'une Société
de Particuliers de cette ville , enchantée
de l'indépendance de l'Amérique , &
fur- tout de ce que la Frife l'a reconnue la
première , a fait frapper une Médaille à
terte occafion , & le 31 Mai elle a fait tirer
un feu d'artifice en réjouiffance..
"
Le Baron de Vaffenaar - Starrenburg ;
Ambaffadeur de la République à Péterfbourg
, a fait paffer aux Etats Généraux la
note fuivante , qui lui a été remiſe par le
Comte d'Ofterman.
» L. H. P. les Etats- Généraux des Provinces-
Unies font déjà informés , par les Miniftres de
l'Impératrice des Ruffies accrédités auprès de leurs
Perfonnes, de la Réfolution que le Roi de la Grande-
Bretagne a prife , relativement à la propofition faite
ci - devant par L. H. P. , comme un fondement fur
Jequel doit repofer tout l'ouvrage de la paix entrepris
fous la médiation de S. M. I. C'eft la plus douce
efpérance que l'Impératrice puiffe fe promettre de
tant d'efforts & de foins défintéreffés , de fa part ,
qu'ils foient couronnés au moins d'un bon fuccès ;
( 187 )
* & elle ne peut que fe féliciter de ce qu'ils ont parfaitement
bien réuffi auprès de S. M. B.; & que ,
par la médiation , elle a dreffé les propofitions qui
ont été mifes en avant , lefquelles avoient été fi
fortement défirées par L. H. P. pour la reſtauration
d'un Traité envisagé à bon droit , par elles , comme
le gage le plus précieux de la liberté du commerce
de la République. Si donc , à cet égard , elle a rempli
tout fon devoir , en fa double qualité d'Amie
fincère & affectionnée de la République & de Médiatrice
impartiale entre cet Etat & la Grande-Bretagne
; elle ne doit auffi qu'attendre , avec une pleine
confiance , que L. H. P. s'occuperont réellement ,
& d'une manière qui réponde au zèle & à l'affection
patriotique qu'elles ont pour l'Etat qu'elles régiffent
, d'un plan , le plus important qui ait jamais
été foumis à leurs confidérations . L'Impératrice , fe
repofant fur leur pénétration & grande fageffe , eft
entièrement convaincue qu'elles fafiront cet inftant
favorable de dépofer l'aigreur & la haine , qui , par
les troubles actuels , fe font entretenues jufqu'ici
parmi ces deux Puiffances maritimes , & que , pour
tendre plus promptement à la confommation de cet
ouvrage important , elles conviendront d'une fufpenfion
d'armes avec S. M. B. , laquelle réunira le
double avantage , d'abord de délivrer des entraves
qui gênent le commerce de cette République , &
enfuite de donner le temps néceffaire pour s'occuper
des Préliminaires d'une négociation de paix :
Que , pour cette fin , elles prendront en confidération
, comme elles ont expreffément déclaré avoir
deffein de le faire , tant dans leur Réſolution du 4
Mars , que dans le Mémoire qu'elles nous ont fait
remettre par leur Ambaffadeur, le 17 du même mois
( V. S. ) , la fixation du lieu où les Conférences
doivent s'ouvrir : Que , procédant à la nomination
des Plénipotentiaires qui affifteront à ces Conférences
, elles arrêteront les conditions auxquelles
( 188 )
elles font portées à faire la paix avec , la Grande-
Bretagne ; & qu'enfin elles y apporteront toutes les
facilités poffibles , ainfi qu'elles promirent de le
faire , dès que les conditions , dont on eft convenu
maintenant , feroient acceptées. Le Miniſtère de l'Impératrice
des Ruffies donnant connoiffance des fentimens
de S. M. I. à S. E, M. l'Ambaffadeur , pour
qu'il en informe fes Maîtres , jouit de la plus grande
fatisfaction de ce qu'il a été en état de confir
mer fi promptement les affurances qu'il lui avoit
faites ci-devant de l'inclination fincère de l'Impératrice
à remplir tout ce que la République pouvoit
attendre de l'amitié & de l'affection de S. M. I.
pour elle «.
Il s'eft élevé une conteftation entre la
République de Venife & celle de Hollande ,
au fujet de deux Négocians de cette dernière
; la Gazette de Rotterdam donne les
détails fuivans fur ce fujet.
On apprend qu'en conséquence d'une réfolution
de L. H. P. du 13 Mai , & fur le refus dans lequel
le Sénat de Venife perfifte , de leur accorder une
jufte fatisfaction par rapport aux injuftices exercées
par des Sujets de la première diſtinction du Sénat
fur les Négocians Chomel & Jordan ( ci - devant
Affociés à Amfterdam ) , L. H. P. , en témoignant
à leur Rfident ( le fieur Tor ) , leur fatisfaction de
fa conduire à l'égard de cette affaire , & convaincues
qu'il n'a rien négligé auprès du Sénat , tant par les
repréſentations fréquentes de leur Conful Autgarden
, que par celles faites par ledit Tor , uniquement
envoyés pour la définition de cette affaire ;
& après avoir ué de tous les ménagemens que fe
doivent des Puiffances entre lefquelles il fubfifte
une parfaite harmonie , L. H. P. viennent de prendre
enfin la réfolation très -défagréable , mais indifpenfable
, de procurer à leurs Sujets , victimes de
( 189 )
ces injuftices inouies , le dédommagement & la
juftice qui leur font dûs , par des moyens plus efficaces.
En conféquence , L. H. P. prévoyant qu'un
plus long féjour à Venife de leur Réfident ne fauroit
plus être d'aucune utilité , viennent de lui don.
ner des ordres de partir en les recevant , à moins
qu'il n'ait des raiſons fondées de croire que le Sénat
, vu le mécontentement & la ferme réfolution
de L. H. P. , ne foit maintenant difpofé à accorder
aux fufdits Négocians Chomel & Jordan un dédom-.
magement fuffifant ; & en ce cas , il lui fera permis
de prolonger fon féjour ; mais pour peu de tems.
feulement. Que copie de cette réfolution ſera expé
diée à M. le Comte de Waffenaar , Envoyé extraor
dinaire & plénipotentiaire de L, H. P. à la Cour de
S. M. l'Empereur , afin de fe mettre à même d'en
toucher quelque chofe de bouche à l'Ambaſſadeur
de Veniſe à ladite Cour , & qu'il fera notifié audit
Comte de Waffenaar que L. H. P. délireroient être
informées de ce qu'aura produit fur l'efprit de
l'Ambaffadeur Vénitien , la férieuſe réſolution de
L. H. P. de pouffer cette affaire avec vigueur .
On écrit d'Amfterdam qu'on y a reçu des lettres
de Curaçao , en date du 20 Avril dernier , qui
portent qu'il y eft arrivé 4 vaiffeaux de ligne François
; elles ajoutent que l'un a eu le malheur de toucher
en entrant , ce qui exigera quelques réparations
qui ne prendront pas beaucoup de tems.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 9 Juin. S
On trouve dans la plupart de nos papiers , une
généalogie qui paroîtra au moins curienfe , & qui
pourra avoir fur- tout cette qualité en France , ой
l'on ne fe doutoit pas que les quatre principaux Miniftres
actuels du Roi d'Angleterre , les Ducs de
Grafton , de Richmont , l'Amiral Keppel & M. Fox
( 190 )
avoient dans leurs veines quelques gouttes du fang
précieux de Henri IV. Voici cette généalogie :
Henri IV , Roi de France , en 1610 .
Henriette-Marie de France , mariée en 1625 à
Charles I , Roi d'Angleterre ,
Son fils , Charles II eut deux maitreſſes.
Barbe Villers
, Duchef
fe de Cleve-
Jande.
Henri , Duc
de Grafton
fon fils, né en
> 1663 mort
en 1690.
Charles,Duc
de Grafton.
George
Louife Kerwelle , Ducheffe , de Portsmouth
& d'Aubigni en France , qui eut 3 enfans.
Charles, Duc
de Riche- Caroline
mont , d'où fa fille mariée
defcend . à Henri Fox ,
Charles, Duc Miniftre du
Riche- Roi George de
Charles mont nom- II ,
mé en 1782 Fox , nommé
Grand- Mai- en 1782 Mi-
Duc de Graftre de l'antil- niftre d'Etat
ton , nommé
en 1782 , Garde
du Sceau
privé , & Miniftre
d'Etat
du Roi d'Angleterre.
lerie , & Miniftre
d'Etat gleterre.
du Roi d'Angleterre.
du Roi d'An-
>
Anne fa
fille , mariée
à Guillaume
d'Albermales
dont defcend
Augufte Kep,
pel ,
nommé
en 1782 premier
lord de
l'Amnauté
Miniftre d'Etat
du Roi
d'Angleterre.
Les maladies ont fait tant de ravages parmi les
Troupes & les Matelots pendant le féjour du Chevalier
Edouard Hughes à Ceylan , qu'il faut préfumer
que cet Officier vu l'affoibliffement de fes
forces , aura renoncé , fans retard , à toutes les entrepriſes
fur les établiſſemens que les Hollandois ont
dans cette Ile. Nous craignons beaucoup les premières
nouvelles que nous en recevrons , fur-tout
depuis les avis gliffés dans quelques papiers de l'arrivée
des François à la vue de Ceylan , peu après la
prife de Trinquemalle . Il eft vraisemblable qu'il a
pu s'y paffer quelque chofe de défaftreux. Il circule
même une anecdote qui , fi elle ft fondée , appuie
fortement cette crainte. Au milieu des réjouiffances
pour le combat des Antilles , un Anglois qui
arrivoit de l'Inde , ae put s'empêcher de dire à un
-
( 191 )
Etranger qui fe trouvoit là prêt à s'embarquer
pour paffer fur le Continent : Ils font bien de fe
réjouir; dans peu , ils auront affez de quoi s'affliger
par les nouvelles que nous leur apportons.
On remarque en effet , que malgré le dernier bulle
tin de la Compagnie des Indes , les actions font
pourtant tombées ; & nous favons que du 31 Mai
au 7 Juin , elles ont perdu à Amſterdam , 4 pour
cent.
Il s'eft tenu dernièrement une Affemblée géné
rale des Actionnaires à l'Hôtel de la Compagnie
pour y entendre le rapport du Comité nommé pour
examiner l'état des affaires de la Compagnie ; il
paroît par ce rapport , que la balance eft confidérablement
au défavantage de la Compagnie.
Quand on propofa dans le Parlement de la G. B.
la levée générale des Milices , le Lord Chancelier
fit obferver que fans des affociations armées , l'Amérique
Septentrionale feroit encore fous la domination
Britannique , & que c'étoit également par des
affociations armées que l'Irlande fe dégageoit de
toutes les connexions avec la G. B. , à l'exception
de celles qui lui étoient avantageules.
Une remarque affez fingulière , c'eft que des
228,000 liv. ſterl. levées en 1777 , par la voie des
Tondines en Irlande , il y en a 96,000 foufcrites par
des Etrangers ; la feule Ville de Genève a foufcrit
pour 86,000 , & les Villes de Berne , Laufanne
Nifmes , Anvers & Vienne pour 10,000.
La proportion entre les dettes nationales des deux
Royaumes , eft de 200 millions fteriing que doit
l'Angleterre , contre deux millions que doit l'Irlande.
Il y a ordre de conftruire inceffamment à Sheerneff
, fix chaloupes canonnieres qui feront employées
contre les fortifications Hollandoifes , dont nos vailfeaux
de guerre ne peuvent approcher , vû le peu
de profondeur de l'eau.
( 192 )
Quoique jufqu'à préfent il n'y ait rien de certainrelativement
à la paix , le public peut être fur que
la négociation n'eft pas rompue , & que M. Ofwald
eft retourné à Paris.
Le Prince de Galle doit faire inceffamment le
tour de la Grande Bretagne , & vifiter les ports du
Royaume.
Il y a , dit-on , de grands débats à S. James
concernant la Penfion qu'il convient de faire à ce
Prince. Le Marquis de Rockingham la fixe , dit- on ,
à 30,000 liv. fterl . , le Lord Shelburne à 45,000 ,
le Duc de Richemont à 50,000 , & M. Fox pour
faire encore plus la cour à ce Prince , dit que c'eft
une pitié de borner ainfi le fils aîné du Roi ; il
prétend qu'on laiffe à la difcrétion de S. A. R. la
liberté de tirer du tréfor à fon gré , les fommes,
que fa maiſon & lamajefté du trône dont il appro
che , l'obligeront de dépenser.
Les matelots nous manquent encore plus que les
vaiffeaux ; pour s'en procurer tout d'un coup un
certain nombre , l'Amirauté s'y eft priſe d'une manière
très - adroite . Depuis quelque tems , on ne
voyoit plus fur les ports , fur les quais ni dans les
quartiers voifins , les bandes employées au fervice
de la preffe ; on répandoit avec affectation des bruits
de paix prochaine ; la plupart des matelors , perfuadés
que le Roi n'ayant plus befoin d'eux alloit les
abandonner à la marine marchande , étoient dans une
fécurité profonde ; tout d'un coup , les Preff-gangs ,
qui étoient cachés dans les tavernes voisines , le font
montrés , & ont enlevé , fur la Tamiſe ſeule , 1300
hommes. D'autres bandes ont agi de même & avec
autant de précaution & de fecret dans tous les ports
& hâvres du Royaume. On dit que ce coup de filet a
procuré autant d'hommes qu'il en faut pour équipper
complettement 6 vaiffeaux de ligne . Si ce compte eft
jate , il nous en refte encore neuf, aux équipages
defquels il faut pourvoir , & qui n'ont pas encore un
feul homme.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Mai.
ON fe flatte qu'actuellement les troubles
élevés à Belgrade pour le fameux Hallil font
abfolument terminés. Ce chef de féditieux
a été arrêté & puni ; on lui trancha la tête
le 13 de ce mois ; & le Bacha de Belgrade
a fait donner 100 piaftres à celui qui a eu
le bonheur de s'en faifir & de lui livrer.
Le Capitan Bacha fe prépare à mettre
inceffamment à la voile avec 12 vaiffeaux
de guerre deſtinés pour l'Archipel. Il fe
dirigera vers la Morée , où il s'eft élevé de
nouveaux troubles , qu'on fe flatte que fa
préfence aura bientôt diffipés.
Le Rabin de la Synagogue de cette Capitale
vient de donner un grand fcandale
à fa nation . Il a demandé audience au Grand-
Vifir , & lui a déclaré en préſence d'un grand
nombre de perfonnes , qu'après un examen
attentif de la Loi de Moyfe & de celle de
29 Juin 1782.
i
( 194 )
Mahomet , il étoit déterminé à embraffer
cette dernière. Le Grand- Vifir s'eft empreffé
d'ordonner qu'il fût interrogé & reçu ;
comme on affure qu'il eft fort inftruit ,
qu'il a fur tout particulièrement étudié la
Jurifprudence des Turcs autant que celle
des Hébreux , on ne doute pas qu'il ne foit
envoyé dans quelqu'une des provinces Ottomanes
en qualité de Cadi.
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 17 Mai.
L'ANNIVERSAIRE de la naiffance du Grand-
Duc Conftantin a été célébré ici le 8 de
ce mois avec la pompe ordinaire ; il y a eu
à cette occafion appartement , à Czarsko-
Zélo pour la nobleffe , & dans cette ville
illumination générale. S. M. I. reviendra
paffer dans cette Capitale la Fête de la
Pentecôte , & retournera le lendemain à
Czarsko - Zélo .
La Commiffion de Commerce a , dit-on ,
déja remis à l'Impératrice fon avis fur le
traité que la Cour de Danemarck a propofé
il y a quelque tems ; les Danois , felon
ce traité , doivent jouir ici des mêmes priviléges
que les Anglois .)
Les difficultés qui avoient été faites de
la part du Danemarck , relativement à l'admiffion
du Roi de Pruffe à la neutralité
armée , ayant été applanies , l'échange de
la ratification aura lieu inceffamment.
( 195 )
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 26 Mai.
Le Roi & toute la Famille Royale font
partis avant-hier pour fe rendre à Fridensbourg
où ils pafferont toute la belle faifon .
Le même jour le vaiffeau de ligne la
Juftitia , Capitaine Vlengel , mit en rade ;
le refte de l'efcadre deſtinée à protéger le
commerce , le fuivra fous peu de jours. Le
vaiffeau l'Infoedfretten , Capitaine Lutken ,
eſt prêt à partir , & n'attend qu'un bon
vent.
Le Collège de l'Amirauté a fait publier
le 10 de ce mois , l'octroi du Roi pour la
Compagnie du canal & du commerce réuni
des Royaumes de Danemarck & de Norwège
, & des Etats Danois en Allemagne.
Le fond de cette Compagnie eft de 15,000
actions de 100 rixdhalers chacune.
Le 22 de ce mois il eft arrivé ici trois
bâtimens venant des Indes occidentales , &
chargés de productions de cette partie du
monde. Le 24 la frégate la Perle a mis à
la voile pour s'y rendre avec un convoi
qu'elle eſcortera jufqu'à nos ifles.
Depuis le 21 il eft arrivé dans le Sund
245 bâtimens de diverſes nations .
SUEDE.
De STOCKHOLM , le 28 Mai.
L'AMBASSADEUR des Etats - Généraux des
i 2
( 196 )
Provinces -Unies , remis de fon indifpofition ,
a eu hier fa première audience & remis fes
lettres de créance à S. M.
La Reine Douairière & la Princeffe Royale
, font parties de Fridérichshoff pour le
Château de Swartfioe . Le Roi s'eft rendu
avec une partie de fa Cour à Gripsholm
où il ne fe propofe pas de faire un long
féjour ; le Duc de Sudermanie eft allé à
Carllcron .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Juin.
LE 25 du mois dernier le Comte d'Aurach
fe rendit à Laxembourg pour prendre
congé de S. M. I. & de l'Archiduc Maximilien;
à fon retour dans cette Capitale ,
il honora encore de fes vifites le Prince de
Kaunitz - Riettberg& le Prince de Colloredo ,
& le lendemain matin il partit pour retourner
à Stuttgard.
La direction générale de toutes les Caiffes
Impériales a été donnée au Comte de Zinzendorf
, Préſident de la Chambre des
Comptes. On préfume que ce Miniſtre fera
beaucoup de changemens dans cette partie.
Les comptes de la Chambre des Finances
pour le département des mines & des monnoies
étant apurés , il fe trouve qu'en
1781 , tous frais faits , le Tréfor Royal y
a gagné 3,500,000 florins .
Il va être établi une Commiffion qui
( 197 )
adminiſtrera tous les biens Eccléfiaftiques
des Etats de la Maifon d'Autriche ; elle
donnera annuellement à chaque individu
du Clergé , tout ce qui lui eft néceffaire
pour vivre décemment & felon fon état ou
fa dignité ; mais on croit que le refte fera
verfé en tout ou en partie dans le tréfor
public , ce qui feroit une fomme confidérable.
L'Académie Militaire de Neustadt , doit
être agrandie ; on y mettra une partie des
Elèves de l'Ecole de Tyrnau qui vient d'être
fupprimée , les autres feront élevés aux Régimens.
Cette Capitale eft actuellement éclairée
par des lanternes ; on les allume tous les
foirs quand il n'y a point de lune ; ce nouvel
avantage , joint aux autres embelliffemens
que l'Empereur procure à cette ville , forme
un fpectacle intéreffant pour le peuple qui
depuis long-tems ne ceffe de parcourir les
rues pour en jouir.
un
Il y a eu le 15 de ce mois , dans le village de
Dinhepole , fur les frontières de la Moravie
orage qui a détruit de fond en comble 53 maifons qui
ont été entraînées dans le Waag avec meubles
beftiaux & habitans ; 13 autres mailons ont été
renverſées ; on n'a pu retrouver jufqu'ici que 13
cadavres ; le fleuve a porté les autres plus loin .
Le même jour , tout l'horifon de Pelt , ville de
Hongrie , a été couvert de nuages épais ; l'orage a
été fi violent , qu'il y a eu des arbres déracinés , des
toits renverfés , des maifons détruites & entraînées
pour la plus grande partie , par les torrents dont les
-
i 3
( 198 )
eaux étoient prodigieufement gonflées ; des milliers
de vitres ont été brifées . Cependant un feul enfant
de 12 ans a été la victime de cette tempête.
De FRANCFORT , le 8 Juin.
ON écrit de Caffel qu'au commencement
du mois dernier , il est tombé beaucoup de
neige entre cette ville & celle de Marbourg
; mais que depuis le 12 il y fait trèschaud
, & que les orages y font très - fréquens.
Ce changement fubit de température
paroît être la caufe principale de la maladie
qui femble faire le tour de l'Europe.
"
Selon les lettres de Fiume , le premier
Mai , les montagnes des environs étoient
routes couvertes de neige , & le froid fi
vif , qu'on craignoit avec raifon que les
vignes ne fuffent totalement gelées.
Les derniers troubles de Servie , écrit-on de
Neufaz , en Hongrie , font caufe que beaucoup de
familles Turques s'expatrient , & demandent à s'é-
Les troupes
-dy
tablir dans ce Bannat. dans nos
environs , font fouvent exercées , & elles feront
inceflamment paffées en revue . Le prépofé de
la Nation Juive , dans le Cercle de Halicz , a préfenté
à la Régence un Mémoire , dans lequel il demande ,
pour 2000 Juifs , des terres à cultiver ; its promettent
d'y donner tous leurs foins , & de s'attacher
particulièrement à l'éducation des beftiaux .
Le Baron de Walmode , Miniftre plénipotentiaire
de l'Electorat d'Hanovre à la
Cour Impériale , a acheté du Prince de
Schwartzenberg , le Comté de Gomborn-
Neustadt en Weftphalie , pour la fomme
de 700,000 florins ; l'acquifition de ce Comté
( 199 )
lui donne le droit de voix & de féance dans.
l'Affemblée du cercle de Weſtphalie , & à
la Diète de l'Empire fur le banc des Comtes
de ce cercle. L'Empereur l'élévera , dit- on ,
à la dignité de Comte du St-Empire.
On apprend , par des lettres de Malthe , que le
Grand -Maître a approuvé le plan pour l'établiffement
de 28 Commanderies & 4 Bénéfices de l'Ordre
dans le Duché de Bavière . Ces nouvelles Commanderies
ont été incorporées à la langue Angloiſe , ſous
le nom de langue Anglo - Bavaroife . A cette occafion
le Grand- Maître a nommé le Comte de Minucci ,
Miniftre de l'Electeur Palatin Duc de Bavière , qui
étoit chargé de ce plan , Grand -Croix de l'Ordre de
Malthe , & lui a fait préfent d'une Croix de l'Ordie
montée en brillans .
Nous avons donné la lettre d'Henriette
de Mecklenbourg - Schwerin , au Roi de
Pruffe ; ceux de nos Lecteurs que fa naïveté
aura intéreffés , feront bien aifes de favoir
la conclufion de fon petit Roman ;
elle a épousé un honnête garçon auffi peu
fortuné qu'elle , & qui entroit pour beaucoup
dans la démarche qu'elle a faite , &
dans les voeux qu'elle faifoit pour fon fuccès.
Le Roi lui a fait donner une maison avec
grange & écurie , des beftiaux , & un terrein
affez confidérable pour former un jour une
bonne ferme dans les environs de Neuftadt
fur la Doffe.
On a reçu de Genève un imprimé de 7
à 8 pages , ayant pour titre : Très-humble
& très refpectueufe Déclaration des Citoyens
& Bourgeois repréfentans , remife aux Sei-
14
( 200 )
•
gneurs , Syndics , & à M. le Procureur Géneral
le 3 Mai 1782 .
—
On y lit que les arrangemens donnés par la force ,
s'ils produifoient des jours calmes , ce calme ne
feroit jamais que le figne de la fervitude , d'une fervitude
qui concentreroit la haîne dans les coeurs ,
& qui , brifant les refforts de l'induſtrie , chafferoit
de la ville le Commerce & les Arts , & porteroit
enfin le coup mertel à la patrie. Les Repréfenrans
offrent de concourir aux arrangemens qui ,
difent- ils , iront véritablement au bien de la République
, & ils s'emprefferont alors de rendre la liberté
aux perfonnes qu'ils détiennent . A la fin de
cette Requête , ils s'expriment ainfi : ----- » Telles
font les fincères difpofitions de nos coeurs. Le bien
de la patrie vouloit que nous en fillions une profeffion
authentique , mais il nous preffe auffi de déclarer
nanimement à vos Seigneuries , qu'après avoir
rempli cet office de paix envers elle , fi les Négatifs
perfiftent à ne compter pour rien la Nation dont
ils ne forment que la plus petite partie , il ne nous
refte plus qu'à nous humilier devant l'Etre fuprême ,
à implorer fon appui , & à faire tout ce qui eft en
nous pour repouffer le fort dont nous fommes
menacés. Il ne nous refte plus qu'à proteſter , comme
nous le faifons , à la face de l'Europe , que nous
n'avons à nous reprocher aucune des calamités
auxquelles notre patrie pourra être expofée ; que ce
font nos adverfaires qui , malgré le fyftême de
prudence & de modération que nous avions conftamment
fuivi , ont forcé , par leurs intrigues , ces deux
prifes d'armes , dont ils fe fervent pour nous peindre
comme des oppreffeurs ; que notre Etat n'ayant
jamais ceffé d'être libre , indépendant & fouverain ,
le droit des Nations doit nous mettre à l'abri de
toute contrainte de la part de nos auguftes voifins ;
que plus ces Puiffances veulent le bien de la Répu .
blique , plus elles doivent confidérer la faibleffe ;
,
( 201 )
que fi , trompés par d'infidèles expofés , elles paraiffent
en ce moment ne penfer qu'à leur force , nous
ne nous en confions pas moins à leur juftice ; que
nous ne cefferons de la réclamer qu'à notre dernier
foupir , & que fi la Providence veut que nous périffions
, ce fera en hommes libres & en citoyens
vertueux «.
Toutes ces Déclarations prouvent la néceffité
d'employer les moyens de la force
pour ramener le calme ; la ville eft à préfent
refferrée : le 11 de ce mois le Marquis
de Jaucourt doit s'aboucher avec le Comte
de la Marinera , pour convenir de la manière
dont on pourroit réduire cette ville
fans en venir à des extrémités qui pourroient
être fatales aux deux partis ; car on
veut lui faire du bien fans lui faire du mal
s'il eft poffible. Le parti qui eft maître de
la ville femble fe préparer à repouffer la
force par la force ; & afin que rien ne le
gêne dans la défenfe qu'il veut faire , il a
fait abattre les arbres qui étoient fur les
baftions qui offroient la promenade la plus
agréable.
ESPAGNE.
De MADRID le 7 Juin.
LES Volontaires François qui vont au
camp de St -Roch ne font
و
pas encore
tous arrivés ici ; nous n'avons que les fils
de M. le Duc de Crillon les Colonels
de l'armée de M. le Baron de Falkenhayn ;
M. le Prince de Naffau doit fe rendre en
>
is
( 202 )
droiture à Cadix , & ne vient ici que :
pour s'y trouver lors du féjour que Mgr. le
Comte d'Artois y fera .
1
Nous apprenons d'Algéfiras que le vaiffeau
le St - Ifidore , qui étoit entré dans la Méditerranée
, a paffé le Détroit , ainfi que
la Sainte- Elifabeth , venant de Carthagêne
. 4 vaiffeaux de ligne , paffés à Malaga
il y a un mois , en font fortis pour
fe rendre auffi à Cadix. Le même vent
d'Eft a conduit à Algéfiras les convois portant
les troupes de Mahon . Celui qui ramène les
prifonniers Anglois en Angleterre , & le
convoi marchand pour nos poffeffions d'Amérique
, qui avoit été forcé de ſe réfugier
à Malaga il y a plus d'un mois , ont paflé
le Détroit fans s'arrêter. Les François ne
doivent pas tarder de fe montrer devant
Algéfiras , s'il eft vrai qu'ils font partis de
Minorque à la fin du mois dernier . Le
camp de St -Roch ayant reçu les troupes
& fes munitions , rien ne retient plus ici
M. le Duc de Crillon , & ce Général doit
partir mardi prochain.
La Cour a appris aujourd'hui par un Courier
extraordinaire , que l'arinée navale
aux ordres de D. Louis de Cordova , &
la divifion de M. le Comte de Guichen
commencèrent à appareiller de la baie de
Cadix le 30 de ce mois ; la plus grande
partie de l'armée a mouillé fous Rota pendant
la nuit , & le lendemain le refte des
vaiffeaux l'ayant jointe , on la perdit de
( 1203 )
vue le même jour. Le Général , ajoute- t- on ,
n'a pas voulu fe charger des vaiffeaux
de la Compagnie des Indes Hollandoifes
parce qu'il ignore où il va , & qu'il ne le
faura qu'à la hauteur où il ouvrira fes
paquets . D'ailleurs , ces bâtimens auroient
retardé la marche de la flotte , qui doit être
très-preffée d'arriver à fa deſtination.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 17 Juin.
LE Général Clinton a débarqué , le t
de ce mois , à Portsmouth , fur la frégate la
Pearl ; le 12 au foir , il eft arrivé ici , &
le lendemain après avoir vu quelques Miniftres
, il a été préfenté au Roi avec lequel
il a eu une très - longue conférence. Il a apporté
, dit - on , des nouvelles très intéreffantes
de cette partie du monde ; mais ce qui
feroit croire qu'elles le font moins qu'on
ne le prétend & fur- tout qu'on ne le defireroit
, c'eft que le Gouvernement jufqu'à
ce moment n'en a publié aucune . Tout
ce que l'on débite paroît plus calqué fur
les voeux de la Nation que fur ce qui fe paffe
réellement. Nous nous bornerons à indiquer
ici les principaux bruits , & ceux qui paroiffent
les plus vraisemblables.
Le Chevalier Guy Carleton , parti le 8
Avril , eſt arrivé à New- Yorck en 25 jours
de traversée . Sa première démarche a été de
rendre la liberté au Chevalier James Jay , &
i 6
( 204 )
au fils du Gouverneur Livingston ; il a particulièrement
accueilli ce dernier , qu'il a
chargé d'une dépêche pour le Congrès , &
qui eft parti le 8 de New-Yorck pour fe
rendre à Philadelphie.
»Selon d'autres avis , le nouveau Commandant de
nos forces dans l'Amérique Septentrionale , a dépêché
un meflager , que l'on dit être M. Digges , au
Congrès , avec une copie de fa commiffion & des
pouvoirs dont il eſt revêtu par le Gouvernement
pour entamer une négociation avec l'Amérique. Ily
a joint en même tems plufieurs lettres des nouveaux
Miniftres à différens Membres du Congrès , dans
lefquelles ils atteftent la fincérité de leur attachement
pour l'Amérique , & où ils déplorent & défapprouvent
fortement les mesures coërcitives de l'ancien
Ministère ; ajoutant que comme ils ont toujours
été les défenfeurs de la caufe Américaine avant qu'ils
fuffent en place , ils ont lieu d'efpérer que le Congrès
va donner la confiance la plus étendue à leurs
propofitions d'accommodement , afin que l'amitié
qui fubfiftoit anciennement entre les deux Nations
foit rétablie fur une baſe permanente , avantageuſe
& honorable pour l'une comme pour l'autre . Ces
propofitions , ajoutent les papiers qui nous fourniffent
ces détails , font , dit-on , de mettre l'Amérique
pofitivement fur le même pied d'indépendance
où l'Irlande fe trouve actuellement. On ne conçoit
pas que le Ministère puiffe eſpérer quelque chofé de
cette propofition tardive , qui auroit été adoptée
avec empreffement au commencement des troubles ,
& qui auroit prévenu la guerre dans laquelle nous
fommes engagés. Se flatte -t- on de décider les Américains
à ne retirer pas d'autres fruits des efforts auxquels
on les a forcés , & à ne pas profiter de leur po
fition actuelle ? Nos avances leur prouvent ce qu'ils
Lavoient déja , que nous ne fommes plus en état
( 205 )
de les foumettre , & que nous en fommes enfin
convaincus. Nous avons brifé nous-même les liens
qui nous uniffoient ; nous les avons forcés de defirer
une féparation ; elle est faite & rien ne peut maintenant
renouer des noeuds que nous avons défaits «.
Les autres nouvelles apportées de New-
Yorck fe réduisent à peu de chofe qu'on a
extrait de quelques lettres particulières . On
a élevé des fortifications dans l'Ifle près de
cette place , ainſi qu'à Long Iſland ; prefque
tous les habitans depuis l'âge de 16 ans jufqu'à
60 font commandés pour ces travaux
dont ils font obligés de s'occuper de cinq
jours l'un , fans recevoir aucune folde . Le
foin qu'on prend de fe fortifier marque que
l'on n'eft pas fans inquétude d'être attaqué ,
& ne laiffe pas de grandes efpérances fur
les propofitions qu'on a faites au Congrès ;
l'envoi qu'on a fait à la Jamaïque de 2000
hommes qui ont appareillé de New Yorck
dans les commencemens d'Avril , annonce
auffi que de notre côté nous ne fongeons
pour le moment à aucune entrepriſe ; l'affoibliffement
de nos forces par ces détachemens
ne nous permet de refter de ce côté
que fur la défenfive.
S'il faut en croire nos papiers , les mêmes
lettres particulières de l'Amérique feptentrionale
portent qu'on avoit auffi détaché de
Charles-Town 2 régimens pour la Jamaïque ;
mais qu'aufli-tôt qu'on a appris la victoire
de Rodney , on en a changé la deftination ;
ils ont eu ordre de fe rendre dans quelques(
206 )
unes des Ifles avant d'aller plus loin ; & on
ne manque pas de fuppofer qu'on médite
une expédition contre quelqu'unes des Ifles
conquifes & fur- tout contre celle de Saint-
Chriſtophe.
Quoi qu'il en foit , on ne laiffe pas d'être
étonné qu'on ait pu fe réfoudre à dégarnir
de deux régimens la ville de Charles - Town ,
qu'on fait être menacée , & tellement ferrée
de près par le Général Green , que pour en
affurer la défenfe , on a évacué Savanah &
appellé la garnifon qui y étoit , au fecours de
cette place ; cette circonftance fait douter de
l'envoi qu'on dit en être parti ; ceux qui
veulent réfoudre cette difficulté , prétendent
qu'il y a à Charles-Town , en y comprenant
les renforts venus de New Yorck & de Savanah
, 5000 hommes effectifs , qu'on peut
porter à 6000 , en rappellant les détachemens
qui occupent les poftes avancés.
55
Il y a peu de jours , écrit-on de Baltimore , dans .
le Maryland, en date du 15 Avril , que l'Hyder- Aly,
bâtiment monté de 6 can . de 9 liv . & de 125 hommes
commandé par le Capitaine J. Barney , que les Marchands
de Philadelphie avoient équipé pour protéger
leur navigation , defcendit jufqu'à la baye avec
quelques vaiffeaux qui devoient mettre en Mer. Ils
étoient à l'ancre dans les caps de la Delaware ,
quand le Général Monk , flop de guerre Britan
nique , & e bricq le Fair- Américan , actuellement
croifeur Angl is , parurent . A leur approche , la plus
grande partie des navires marchands remontèrent
la baie , à l'exception du vaiffeau le Général Green
& d'un ou deux autres qui s'avancerent , & que l'on
croit avoir été pris par le Fair- Américan.Le Général
( 207 )
Monk, fe voyant près de l'Hyder- Aly , crut avoir
trouvé une proie facile & fure. Il ne tira qu'un coup
de canon , pour lui faire fignal d'amener . Mais le
Capitaine Barney lui répondit par une bordée entière
, qui tua ou bleffa tous les Officiers & un
grand nombre de Matelots . Cette décharge fat immédiatement
fuivie d'une autre , dont l'effet fut fi
terrible , qu'après une action de 28 minutes , le Général
Monk amena , & fut conduit à Philadelphie .
Ce vailleau est doublé en cuivre , avec 18 canons de
9 liv. & 125 hommes d'équipage. Le Capitaine
Barney n'a eu que quatre hommes tués & 11 bleffés
; le Général Monk a 53 , tant tués que bleifés .
Voilà une bonne leçon pour apprendre aux Capitaines
de vailleaux armés , à ne pas craindre une
force fupérieure , & aux Capitaines d'un navire
fapérieur à fe défier d'un navire plus foible. — Les
François ont une frégate en croifière dans les caps
de la Chefapéak. Ils ont pris dernièrement 2 petits
bâtimens & un big armé. On croit que l'Etat de
Maryland & celui de Virginie armeront des galèrés
pour défendre le commerce de la Cheſapeak « .
Les nouvelles de la Jamaïque que l'on attendoit
avec impatience , font enfin arrivées
à l'Amirauté ; elles confiftent en des dépêches
de l'Amiral Rodney , en date des premiers
jours de Mai , apportées par le CapitaineDomet
, commandant le floop de guerre
la Cérès .
Ces dépêches , dont nous donnerons la fubftance ,
(d'après nos papiers , car la Cour ne les a pas encore publiés
) portent la confirmation de la prife du Caton &
du Jafon de 64 canons , annoncée par le Capitaine
James Wallace , ainſi que de l'Aimable , frégate de
36 , & du floop la Cérès qui nous avou été pris au
commencement de la guerre. Ces vailleaux ont amené
leur pavillon le 19 Avril dans le paffage de Mona ,
après un rude combat entr'eux & les vaiffeaux de
( 208 )
S. M. le Magnificent & le Valiant. Ils font arrivés
à la Jamaïque le 29 Avril , ainfi que le reste des
prifes de l'Ainiral Rodney. Cet Amital rend compte
du malheureux fort du Céfar , qui a fauté en l'air
ayant à bord environ soo hommes , y compris so
matelots ou Officiers Anglois qui ont tous péri.
Le Diadême eft , dit-il, le vaiffeau François qui a
coulé bas dans le combat ; l'équipage , fans en
excepter un feul homme , a été noyé. Il porte la
perte de l'ennemi dans cette affaire , tant en tués
qu'en bleffés & en prifonniers , à plus de 15000
hommes , dont la plus grande partie a été faite prifonnière.
Suivant une lettre particulière , de
l'Amiral , il paroît qu'il croifoit devant St -Domingue
avec un fort détachement , lorsque les dépêches font
parties , pour obferver les mouvemens de l'efcadre
combinée de l'ennemi , confiftant en 14 vaiffeaux de
ligne Espagnols & 10 vaiffeaux de ligne François
qui étoient alors à l'ancre au Cap , dans une ligne
circulaire avec les tranfports préparés pour le fiége
de la Jamaïque. 4 vaiffeaux de guerre François
qui avoient fouffert confidérablement dans le combat
du 12 , fe font réfugiés fous les batteries de Curaçao
ce qui a fi fort allarıné les Hollandois , que dans la
crainte d'être incendiés par les brûlots de Rodney ,
ils ont appareillé pour le Port au Prince avec leur
flotte marchande , compofée de plus de 100 voiles .
Les François ont pris la même route quelques heures
après. L'Amiral Hood , inftruit de leurs mouvemens
par un vaiffeau Portugais , a partagé , pour les intercepter
, de la manière fuivante fon efcadre , com .
pofée de 26 vaiffeaux de ligne. 12 vaiffeaux de
ligne fous fon pavillon devant le Cap Tiberon ,
pour obferver les mouvemens des Eſpagnols.
----
8 vaiffeaux de ligne fous l'Amiral Drake devant
l'ifle d'Ash. Et 6 fous le Commodore Afflek ,
pour croifer dans le paffage de Mona. Le Lord
Hood paroît le promettre quelques fuccès d'après
( 209 )
ces difpofitions. Le Comte de Graffe & les
principaux Officiers François pris dans le combat du
12 , font en route pour l'Angleterre fur le Sandwich
de 90 , commandé par le Chevalier Péter- Parker.
Ces détails du Lord Rodney , s'ils ſe trouvent
réellement dans fes lettres , doivent
nous paroître un peu extraordinaires ; il eft
vrai qu'on ne doit pas s'étonner de fes exagérations
; il y a long- tems qu'il nous y a
accoutumés ; fi on peut les lui pardonner , il
n'en eft pas de même des notions fauffes
& démontrées telles , qu'il nous donne. Il
avoit annoncé qu'un vaiffeau François avoit
coulé bas dans le combat du 12 ; il le nomme
aujourd'hui , & il eft certain que c'eft le
Diadême , dont il affure que tout l'équipage
a péri fans qu'on en ait pu fauver un feul
homme. Cependant on fait en Europe que
le Diademe eft au Cap François , ifle St-
Domingue ; il eft au nombre de ceux que
le Marquis de Vaudreuil y a conduit . Dans
la lifte nominative des Officiers tués & bleffés
à bord des vaiffeaux arrivés au Cap , &
publiée dans la Gazette de France , ce vaiffeau
eft expreffément nommé ; on y compte
1 Officier tué & 3 bleffés ( 1 ) . Le compte des
15,000 hommes morts , bleffés & prifonniers
, n'eſt qu'une exagération , fur laquelle
nous ne nous arrêterons pas ; nous nous
contenterons d'obſerver en paffant , que l'imagination
de notre Amiral , docile à toutes
les impulfions de fa vanité , réunit les deux
( 1 ) Voyez le Journal du 15 de ce mois pag . 126 & 127.
( 210 )
extrêmes ; elle agrandit ou diminue les objets
felon le befoin. Au moment du combat
l'efcadre Françoife étoit fupérieure à la fienne
; depuis elle eft hors d'état de fe préfenter
, devant lui. Il affure poſitivement
que les François n'ont que 10 vaiffeaux de
ligne au Cap , & la lifte publiée en France
la porte à 19 , fans compter le Sagittaire &
l'Expériment qu'elle y a trouvés , & qui y
étoient arrivés avec le convoi. Ces deux
vaiffeaux , à la vérité , ne font que de so
canons ; l'Expériment eft une prife faite fur
nous ; mais le Sagittaire eft de l'échantillon
d'un vaiffeau de 60 canons , & peut tenir
comme tel fa place en ligne. Ces 21 vaiffeaux
, joints à 14 Efpagnols , feront une
efcadre affez formidable , quand même les
4 arrivés à Curaçao ne s'y feroient pas réunis
le 4 Mai , comme on l'affure.
Les matelots de la Cérès , difent plufieurs de
nos papiers , racontent que tous les calfats ont été
employés pendant plufieurs jours à réparer les pri
fes , fans quoi il leur eût été impoffible de gagner la
Jamaïque , tant elles étoient mutilées ; elles ont été
trouvées dans un tel délabrement à leur arrivée ,
que ce n'eft qu'avec un long travail qu'on pourra
les mettre en état de regagner l'Europe . Parmi les
vaiffeaux de Rodney , il y en a plufieurs qui ont
exceffivement fouffert ; & leur nombre eft tel qu'il
n'eft pas poffible que l'efcadre de l'Amiral Hood
foit compofée de 26 vaifleaux de ligne , à moins
qu'on ne compte les frégates & les bâtimens inférieurs
. A leur départ de la Jamaïque , les Mai ,
ajoutent-ils , on travailloit avec toute l'activité polfible
à réparer & à équiper les vaiffeaux maltraités
; mais on manquoit de matelots , l'efcadre en
7211 )
avoit beaucoup perdu , foit dans le combat , foit
par les maladies . Cependant la tranquillité étoit
rétablie , la loi martiale avoit été fufpendue , & les
habitans paroiffoient décidés à embarquer leurs fucres
& leurs rums , ce que plufieurs avoient refufé de faire
jafqu'à ce moment. On préfumoit que le convoi
appareilleroit à la fin de Mai , fi les vaiffeaux deftinés
à les escorter étoient prêts pour ce tems.
Les autres nouvelles que nous avons reçues
des ifles ne parlent que de la reconnoiffance
des habitans de Montferrat , qui
fe louent beaucoup de la conduite généreuse
du Marquis de Bouillé à leur égard ; il leur
a fait une remife fur les 2000 joes auxquels
ils font taxés annuellement par le 9e . article
de la capitulation , & il a partagé en
quatre parties le paiement qu'ils devoient
faire d'avance la première année . Cette conduite
franche & généreufe eft la fatyre la
plus amère de celle qu'ont tenue nos Amiraux
& nos Généraux à Saint - Euftache &
par-tour.
2
Depuis que toutes nos forces font à la
Jamaïque , le redourable Paul Jones a paru
dans les parages qu'elles ont quittés , avec une
petite efcadre composée de 7 groffes frégates
& corfaires , dont deux montent 26 canons
& des pierriers , trois autres en montent zo ,
& deux 16 de 9 livres . Ces nouvelles apportées
par les derniers paquebots ont beaucoup
alarmé les affureurs , à raifon du grand
nombre de navires que nous avons actuellement
dans ces mers , & qui étant fans
( 212 )
convoi , auront beaucoup de peine à échapper
à ce redoutable ennemi .
1
C'eft le 14 que le Lord Keppel eft arrivé
de retour de Portſmouth ; il n'y a paffé que
très-peu de tems ; il a examiné le chantier
avec la plus grande attention ; mais il
n'eft monté à bord d'aucun vaiffeau ; il a
laiffé en partant l'ordre de remettre fur les
chantiers un vaiffeau de 90 & 2 de 74 ,
aulli-tôt qu'il y aura de la place. Il n'y a
pour le moment qu'une forme de vuide ,
& on efpère qu'il y en aura deux autres
dans le cours de l'été.
y
L'Amira té a , dit- on , reçu des dépêches de
l'Amiral Roff , en date du 6 de ce mois ; mais elles
ne donnent aucune information importante fi ce
n'eft que fon efcadre ft en bon état , & que les
Hollandois font toujours dans le Texel , où on ne
découvre aucun mouvement. La navigation du Texel
eft fi dangereufe & fi difficile , qu'il eft impoffible à
des vaiffeaux qui tirent autant d'eau que les nôtres ,
de s'approcher affez de ceux des Hollandois pour
leur caufer quelque dommage. Tous les vaiffeaux
de guerre de cette Nation étant plats de varangues ,
naviguent facilement dans les bas-fonds & fur les
bancs de fable , tandis que les nôtres du premier
rang ne peuvent naviguer à moins de 25 pieds d'eau.
--
On préfume que l'Amiral Reff ne tardera pas
à rentrer comme l'Amiral Howe & l'Amiral Kempenfeld
; ce ne font point les vents contraires , qui
ont ramené ce dernier à Torbay ; c'eft la nouvelle
qu'il a reçue de la fortie de l'efcadre combinée de
France & d'Espagne , devant laquelle il étoit trop
inférieur pour l'attendre. Lorfque le Lord Howe
fera joint par les vaiffeaux qui attendent dans leurs
ports refpectifs les hommes dont ils ont befoin , la
-
( 213 )
grande efcadre fera compolée des vaiffeaux fuivan
Le Victory , la Britannia , le Royal- George
de 100 canons ; le Quéen , la Princeff- Royal de
98 ; l'Atlas , l'Océan , l'Union , le Bleinheim de
90 ; le Royal-William de 84 , le Foudroyant de
80 ; l'Edgard, le Berwick , la Bellone , le Goliath,
le Courageux , la Fortitude , le Suffolck , le Pégafe,
l'Egmont , le George , la Vengeance de 74 ; l'Afia,
le Belleifle , la Crown , l'Europa , le Polyphême ,
le Samfon , le Vigilant de 64 ; ce qui fait en tout
29 vailleaux ; fi la divifion de l'Amiral Roff la
rejoint , elle fera de 39. Mais alors il faudra laiffer
le Texel libre ; il faudra . retenir toutes nos forces
enfemble , & fufpendre les renforts qu'on le propofoit
d'envoyer au loin .
La maladie contagieufe qui règne dans
les ports & fur-tout à Portfmouth & à
Plymouth , défole les Officiers en leur enlevant
les meilleurs matelots & les ouvriers
les plus intelligens. Tout cela retarde beaucoup
les travaux de nos chantiers & de nos
ports .
On affure qu'hier l'Amiral Campbell a
appareillé avec les vaiffeaux le Portland &
l'Oifeau , fervant de convoi à la flotte de
Terre-Neuve & de Québec. Le floop l'Ariel
a auffi appareillé avec une flotte pour l'Ouest.
La Compagnie des Indes a donné ordre
de préparer un paquebot , le plutôt poffible ,
pour faire paffer fes dépêches au Bengale.
Aux nouvelles publiées récemment de ces
contrées , on peut joindre celles - ci extraites
de diverfes Gazettes de l'Inde dans celle
de la Cour : le 10 Novembre 1781 , un
détachement des troupes de la Compagnie
( 214 )
aux ordres du Major Crawford , s'eſt emparé
de la ville de Birjah- guhr ; le Général
Indien Cheyt - Sing étoit alors à quelque
diftance de ce pofte avec 5000 homines , &
il fe fera fans doute retiré en apprenant
qu'il avoit été pris. Les richeffes qu'on y
a trouvées doivent être confidérables , s'il
eft vrai , comme on le dit , que dans le premier
partage du butin , la part de chaque
Officier fubalterne a été de 11,237 roupies.
Le Lord Macartney , notre nouveau Gouverneur ,
fit - on dans des Lettres écrites de Madraff , & datées
du 28 Janvier dernier , à éprouvé beaucoup de contrariétés
d'abord faute d'avoir une connoiffance parfaite
des affaires , & enfuite pour avoir voulu introduire
un nouveau fyftême d'économie dans les affaires
de la Compagnie. Il eft certain qu'il travaille
beaucoup , & qu'il n'a point encore pris l'habitude
du pays de recevoir des préfens ; ce qui lui donne
un grand avantage pour les grandes opérations politiques
des affaires . C'eft par ce moyen qu'il a
déterminé le Nabab à abandonner l'adminiftration
de fon pays à la Compagnie , avec pouvoir d'em
ployer cinq fixièmes du revenu au foutien de la
guerre , & au payement des dettes de ce Prince , réfervant
l'autre fixième pour fa dépenfe particulière .
Le Général fe plaint d'être traversé dans toutes fes
opérations contre Hyder- Aly , par les armées des
Officiers du Nabab établis dans le pays , inconvénient
qu'il eſt aifé de prévenir par la fuite en nommant
nous- mêmes ces Officiers . " Les Hollandois
avoient fix établiſſemens fur la côte de Coromandel ,
qui étoient d'un grand fecours pour Hyder- Aly.
Notre nouveau Gouverneur , le Lord Macartney
réfolut , le jour même de fon arrivée , d'envoyer
des Troupes pour les attaquer. Mais un Officier du
-
( 215 )
Confeil s'oppofa à ce deffein , alléguant qu'il y auroit
trop de danger à laiffer Madraff expofé . L'avis
du Gouverneur prévalut cependant , & ces fix établiffemens
furent pris l'un après l'autre. La dernière
expédition , qui étoit celle de Négapatam ,
lieu aujourd'hui confidérable , préfentoit tant de
difficultés que Sir Eyre Coote proteſta contre la réfolution
du Lord , difant qu'il falloit la retarder jufqu'à
ce qu'il eût chaffe Hyder-Aly du Carnate , mais
ce dernier prit tout fur lui . Les Hollandois avoient
reçu des forces d'Hyder , & ils avoient en outre des
Officiers François & Allemands . Ils firent deux forties
défeſpérées ; mais le Général Monro , qui commandoit
nos Troupes , fe conduifit comme à Pondichery
, & fit plus de prifonniers qu'il n'avoit luimême
de monde . Les biens des Particuliers leur
font reftitués ; mais Sir Eyre Coote réclame une
part aux prifes des biens publics de la Ville de Négapatam
, quoique lui & fon armée étoient à plus de
cent milles de cette Place . Les Hollandois ont abfolument
perdu tout ce qu'ils poffédoient fur cette
rive du Continent des Indes. On eftime leur perte
en cette occafion , à quelques millions de florins.
>
Quoique la Compagnie ait plus de 3 millions
fterling, tant en poffeffions qu'en effets ,
& c. , elle eſt chargée de tant de dettes que
la balance eft prodigieufement à fon défavantage
; c'eft pour cette raison qu'il a été
préfenté à la Chambre des Communes une
pétition pour qu'elle difpensât cette Compagnie
de payer la fomme de 400,000 liv.
fterling pour le renouvellement de fon bail.
Les actions de l'Inde font toujours au même
taux ; elles ne hauffent ni ne baiffent , malgré
la tournure avantageufe que notre Gouvernement
voudroit donner aux nouvelles qu'on
( 216 ) !
prétend être venues de ces contrées.
On a été fâché , dit un de nos papiers , de voir
par la dépêche du Chevalier Eyre Coote , inférée
dans la dernière Gazette de la Cour , que les affaires
de l'Inde ne font pas dans un état auſſi brillant
que les bruits publics ' autorifoient à le croire . Tous
les hommes raisonnables & fenfibles y ont vu avec
horreur des batailles fanglantes & des victoires
payées fi cher , des fiéges levés avec une précaution
calculée fur le jour & fur l'heure
même pour prévenir l'approche d'Hyder - Aly :
des circonstances fi critiques , que l'on peut regarder
comme un miracle le bonheur qu'a eu l'armée
Britannique de n'être point détruite par le fer des
Indieas , ou par la famine , le plus dangereux de
tous les ennemis ; des expéditions téméraires , entreprifes
comme le feul moyen qui offre à notre
brave Général quelqu'efpoir de furmonter les difficultés
dont il étoit aflailli de toutes parts. Eft - ce
là le cri de victoire d'une armée triomphante , &
qui a rempli tous fes projets ? Ne font-ce pas plutôt
les plaintes douloureufes d'une poignée d'hommes
accablés , pourfuivis & continuellement harcelés
par les forces fupérieures d'un ennemi ardent &
irréconciliable ? Après tant de fang répandu & de
déplorables triumphes , l'ennemi vaincu revient à la
charge avec toutes les forces ; il revient fur le lieu
même où il a été défait & renouvelle avec une indomptable
opiniâtreté des combats où nos fuccès
même nous détruifent. En vérité , il eſt impoſſible
de lire de telles relations fans frémir de leurs conféquences.
Le Général Knyphaufen eft arrivé avec
le Général Clinton ; le Capitaine Montagu
qui commande la Perle fur laquelle ils font
venus , a eu l'honneur de remettre au Roi
des lettres du Prince Guillaume qui paroît
fe
( 217 )
fe trouver fort bien de fon féjour à New-
Yorck. On revient toujours à l'efpérance
de voir réuffir la négociation que le Chevalier
Guy- Carleton a entaméé en Amérique.
Selon quelques- uns de nos papiers ,
le bill pour la trève Américaine ne peut
tarder à pafler , quoiqu'il paroiffe avoir été
prefque abandonné par le nouveau Miniftère
fon objet eft d'offrir aux Américains
une trève pour 3 ans , & pendant ce tems ,
on efpère que la paix pourra fe conclure :
on en parle toujours , & on dit qu'il a été
fcellé à la Chancellerie une commiffion qui
nomme M. Grenville , Miniftre Plénipotentiaire
auprès de la Cour de France . On
croit que les avis qu'on a reçus du Chevalier
Clinton influeront beaucoup fur les inftructions
que doit recevoir M. Grenville.
» Nos politiques , dit un de nos papiers , ne rêvent
aujourd'hui que la paix , & on ne peut nier que
la Nation la defire , & qu'elle en a befoin ; l'un d'eux
qui paroît avoir une imagination auffi exaltée que
celle du Docteur Twicker , prétend que rien n'eft
plus facile & qu'on peut gagner un grand point , en
étudiant bien le traité de la France avec les Etats-
Unis , qui paroiffent s'être réservés la liberté de
négocier féparément leur paix avec la G. B. , dans
le cas où leurs prétentions leur feroient accordées.
Ces prétentions font l'indépendance & un commerce
libre avec le monde entier qui en eft la
conféquence naturelle . Le premier article de ce
traité engage la France & l'Amérique à fe lier l'une à
l'autre auffi long-tems que les circonftances pourront
le permettre ; ainfi l'Angleterre en accordant
à l'Amérique tout ce qu'elle demande , il n'exifte
29 Juin 1782.
( 218 )
plus de circonftances qui puiffent lier celle- ci à la
France. Le fecond porte que l'objet direct de
l'alliance eft d'aflurer la liberté de l'indépendance
de l'Amérique. Or dès que cette indépendance &
cette liberté font accordées par la G. B. , l'Amérique
peut à fon choix terminer ou non la guerre actuelle
entr'elle & la G. B. , & abandonner la France dans
fes projets de réduire la puiffance & la grandeur de
1 A gleterre , tandis qu'elle feroit en poffeflion de
ce qu'elle defire . Suivant le huitième article , ni
la France ni l'Amérique ne peuvent conclure la
pax , fans le confentemeut récipropre des deux
parties , & elles s'engagent à ne mettre bas les
armes que lorfque l'indépendance de l'Amérique
fera reconnue. Mais cet article n'empêche pas l'Amérique
de négocier un traité féparé avec l'Angleterre
«.
Ces raisonnemens ne prennent pas également
: ily a bien des gens qui ne croient pas
que nos Miniftres foient fi près d'accorder
l'indépendance de l'Amérique . On penſe
que la Grande - Bretagne ne peut renoncer
à toute autorité fur les treize Colonies , fans
renoncer à fon commerce , qui eft le fou
tien de fa marine & de toutes fes poffeffions
dans les mers de l'Oueft , qui tôt ou tard
tomberont fous la domination , des Etats-
Unis , s'ils deviennent une puiffance diftincte
& indépendante. Cependant on ne
voit pas comment on pourra parvenir à
empêcher cette féparation déja faite , reconnue
par la France & par la Hollande .
La néceflité a toujours prefcrit des loix fupérieures
à tous les intérêts ; & on part delà
pour le préparer à cet évènement . On affure
( 219 )
en conféquence que la diffolution du Par
lement actuel eft décidée , & que les ordres
pour la nouvelle élection feront donnés au
commencement de l'automne ; fi les négociations
du Chevalier Carleton ne réuffiffent
pas , on eft perfuadé que l'indépendance de
l'Amérique fera reconnue dans les deux
Chambres dès les premières feffions.
Généraux .
» On s'eft plaint , lit-on dans un de nos papiers ,
que nos anciens Miniftres avoient ifolé l'Angleterre ,
& ne lui avoient fu procurer aucun allié fur le Continent
; on veut que les nouveaux ayent réparé cette
faute politique ; & on fe flatte toujours que la
Rullie , qu'on a préfentée fi louvent comme prête à
venir à notre fecours , réaliſera enfin cette longue efpérance.
On faifoit courir hier le bruit qu'un Courier
étoit arrivé de Pétersbourg avec la déclaration formelle
que cette Puiffance fe croira dans la néceffité
de foutenir l'Angleterre , fi les Hollandois héfitent
encore à acquiefcer à la médiation que l'Impératrice
offre depuis fi long tems entre la G. B. & les Etats-
Ce bruit paroît au moins firgulier ,
& il faudroit avouer que les Hollandois feroient bien
malheureux , & nous bien heureux au contraire .
C'eft nous qui leur avons déclaré la guerre , au
mépris de l'acte de la neutralité qu'ils avoient figné
& qui devoit leur affurer la protection de la fameuſe
confédération du Nord , que notre démarche auroit
dû indifpofer. Ils ont follicité les fecours de cette
confédération , qui leur a fait déclarer qu'ils ne
devoient compter que fur la médiation , & même
ne fe pare, ofer fi uniquement fur elle , qu'ils ne
s'occupâffent pas effi acement de fe défendie euxmêmes
, & de rendre à leurs ennemis le mal pour le
mal ; c'est ce con'eil , la néceffité , leur intérêt , qui
les ont enfin déterminés à faire caufe commune avec
k 2
( 220 )
nos autres ennemis , & à le concerter avec eux ; au
moment où ce grand ouvrage , entrepris fans doute
trop tard , mais dont ils peuvent fe promettre de bons
effets, eftterminé ; la G. B. d'abord recalcitrante à toutes
les propofitions de la Ruffie , commence à les écouter
, parce qu'elle fent les coups qui peuvent réſulter
contre elle du concert de fes ennemis ; les Hoilan--
dois doivent ne pas renoncer aux avantages qu'ils
ont lieu d'attendre du parti qu'ils ont pris ; & la
Ruffie qui l'a confeillé indirectement , la neutralité
armée qui l'a néceffité , en fe bornant à négocier
pour elle , feroient mécontentes ! & les Puifiances
armées pour protéger leur commerce , le tourneroient
contre leur alliée qui cherche enfin à venger le fien ,
à préfent qu'elle eft en état de le faire , après ne lai
avoir montré qu'un ftérile intérêt pendant qu'elle ne
l'étoit pas ! La confiance à de pareils bruits feroit
une crédulité bien étrange & bien humiliante pour
nous ; elle feroit même un outrage pour les Cours
auxquelles on prêteroit cette conduite .
Nos prétentions à la fupériorité maritime
qui ont foulevé toutes les Puiflances , fe renouvellent
, & ne font pas propres à nous
procurer des Alliés , ni même perfonne qui
s'intéreffe à nous ; nos corfaires ont déja
enlevé plufieurs navires neutres ; & les dernières
Gazettes de la Cour contiennent une
Ordonnance , qui expoſe les idées de notre
Ministère à ce fujet . S. M. y déclare que les
marchandiſes de ſes ſujets qui ſeront chargées
fur des bâtimens étrangers , & deſtinées
pour ce Royaume ou celui d'Irlande , feront
exemptes dorénavant de toute faifie de la
part des vaiffeaux de guerre ou des bâtimens
particuliers en commiffion , même dans le
( 221 )
cas où ces marchandifes auroient été embarquées
dans les domaines ou territoires
d'une des Puiffances avec lefquelles S. M.
eft en guerre ; & fi ces marchandiſes étoient
faifies , les Propriétaires feront autorisés à les
réclamer à la Cour de l'Amirauté. Par cette
Ordonnance les Neutres ne doivent faire le
commerce que pour nous ; s'ils le font pour
nos ennemis nous leur enlèverons leurs
vaiffeaux ; telle eft en fubftance la loi portée
par la dominatrice des mers ; il refte à favoir
files Puillances neutres trouveront à propos
de s'y foumettre.
Le Comte de Cholmondely eft nommé
Envoyé de S. M. à la Cour de Berlin , où
il va ramplacer M. Elliot qui eft rappellé.
FRANCE.
De VERSAILLES . le 25 Juin.
LE 20 de ce mois , LL. MM. & la
Famille Royale fignèrent le contrat de mariage
du Comte Delva , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , avec Mademoifeile du
Lau.
Le 16 , M. de Pontcarré , préfenté au Roi
par M. le Garde des Sceaux , a eu l'honneur
de faire fes remerciemens à S. M. pour la
plice de premier Préfident au Parlement de
Rouen , vacante par la nomination de M.
k 3
( 222 )
de Montholon à la place de Conſeiller d'Etat
pour laquelle il avoit eu la veille l'honneur
de faire fes remerciemens au Roi à qui il
avoit été également préſenté par M. le Garde
des Sceaux .
Le même jour les Secrétaires du Roi eurent
l'honneur de préfenter à S. M. la bourſe
qu'ils font dans l'ufage de lui donner. M.
Lebegue portoit la parole.
*
De PARIS , le 25 Juin.
SELON les lettres de Cadix du 31 Mai ,
la flotte étoit à cette époque retenue dans la
baie par les vents contraires ; mais le 15 de
ce mois un Courier extraordinaire arrivé de
Madrid nous a appris qu'elle a mis à la
voile le 4 de ce mois , & que tous les convois
retenus à Malaga étoient arrivés à Algéfiras
dans les derniers jours du mois de Mai.
›
Selon quelques lettres particulières reçues
depuis , l'Armée combinée eft forte de 27
vaiffeaux Eſpagnols & de 7 François , dont
2 venant de Toulon nouvellement conftruits.
Le 20 de ce mois on prétendoit qu'elle
venoit de paroître dans les eaux de Breft ; ce
feroit une belle traverfée fi elle avoit pu fe
faire en auffi peu de tems ; & fi l'on a fignalé
en effet d'Oucffant quelques vaiffeaux , ce
fera peut -être l'efcadre Angloife qui fera
revenue reprendre fa ftation , & qu'on dit
forte aujourd'hui de 22 vaiffeaux de ligne.
On a reçu dans les Ports , écrit - on de Bordeaux ,
des ordres du Roi pour la conftruction de douze
vaiffeaux de ligne , dont trois de 110 canons , qua(
223 )
tre de 80 , & cinq de 74 : quatre de ces vaiffeaux
feront conftruits à Breft , deux à l'Orient , trois à
Rochefort & trois à Toulon . L'Alcide , vaiffeau
-
-
-
-
de 74 canons , vient d'être mis à l'eau à Rochefort
. Le Cenfeur , de la même force , y fera mis
dans le mois prochain . On travaille actuellement
dans le même Port à doubler en cuivre le vaiffeau
l'Amphion. Le Fier , vendu aux Particuliers , &
deftiné à porter des Troupes au Cap de Bonne-
Espérance , eft en armement. On vient de défarmer
le Vaillant : il eſt en carêne , & ſera réarmé tout
de fuite. Outre les trois vaiffeaux dont la conftruction
eft ordonnée à Rochefort , il y a ordre de
mettre fur les chantiers deux corvettes , & deux
frégates portant du 18. La frégate la Cérès part
aujourd'hui ( 15 Juin ) du bas de la rivière , efcortant
quelques navires chargés , dit - on , pour Saint-
Domingue. La frégate l'Aigle , de 40 canons ,
dont 26 de 24 , commandée par M. de la Touche ,
eft à l'Ifle d'Aix , avec vingt navires chargés pour
l'Amérique Septentrionale . MM . de la Fayette , de
Viomefnil , & c. paffent fur cette frégate . Ce convoi
doit mettre à la voile inceſſamment. Il y a
ce moment , au bas de la rivière , 70 navires chargés
de vivres & de munitions pour le compte du
Roi. Dans trois femaines il y en aura 30 de plus
qu'on charge en ce Port , & dons le chargement eft
fort avancé.
-
- en
Il est entré à Cherbourg 3 navires marchands
partis de la Martinique le 15 Mai ;
un 4º qui étoit de conferve a , dit-on , coulé
bas en route , & on n'a eu que le tems de
fauver l'équipage. Les Capitaines de ces bâtimens
n'ont rien rapporté d'intéreffant ;
finon que le Zélé qui , le 12 Avril fut remorqué
à la Guadeloupe , eft revenu au Fort-
Royal pour y être réparé ; ils ne difent point
k 4
( 224 )
qu'à l'époque de leur départ le St-Esprit eût
appareillé , ni que l'Amiral Rodney eût envoyé
10 vaiffeaux à Ste-Lucie.
Un autre fait intéreffant qu'ils rappor
tent eft déja ancien , mais il fait honneur à
un brave Officier & mérite d'être cité .
» La frégate la Néréide , commandée par M. le
Chevalier de Bras- Pujet , Capitaine de vaiffeau
revenant de la Havane au Cap , dans les derniers
jours du mois de Mars , rencontra vers les 8 heures
du foir fept gros corfaires Anglois , dont 3 à trois
mâts qui vinrent l'attaquer en ligne . Le combat ne
fat ni long ni meurtrier ; la Néréide paſſa au vent à
eux & les conferva de même pendant toute la nuit :
le lendemain au jour ils étoient dans la même pofition
, faifant bonne contenance . Ils affurèrent ref
pectivement leur pavillon , & M. le Chevalier de
Bras arriva fur eux ; lorſqu'il fut à deux portées de
fufil les corfaires arrivèrent fucceffivement ; la Néréide
ſe plaça au milieu d'eux & les canonna des
deux bords ; mais voyant qu'aucun d'eux n'amenoit
& qu'ils continuoient de prendre chaffe , le Capitaine
prit le parti de pourfuivre le plus gros , qui fe fit
chaffer & canonner long- tems avant d'amener . M. de
Bras prit enfuite un bricq doublé en cuivre ; mais il
ne put joindre les autres , qui avoient profité de cet
intervalle pour s'éloigner hors de vue. Il emmena
ces deux prifes au Cap , & on eftime qu'elles valent
plus d'un million «..
Les vaifleaux arrivés d'abord à Curaçao
font , le Pluton , le Marfeillois , l'Hercule ,
Eveillé ; ils ont été bientôt fuivis de deux
autres , l'Augufte , que monte M. de Bougainville
, & le Brave ; ils font tous arrivés
le 4 Mai au Cap François , où la flotte de D.
Solano a , dit-on , reçu un renfort de 4 vaif(
225 )
feaux Efpagnols , ce qui portera l'Armée
combinée à 40 vaiffeaux de ligne.
» Le 9 de ce mois , lit- on dans une lettre de Breft,
il mouilla ici un petit bâtiment venant de l'Ile- de-
France , d'où il partit le 23 Février : il avoit depuis
touché à Bourbon , & s'étoit arrêté 15 jours au
Cap de Bonne-Efpérance . Ces Colonies étoient dans
la meilleure fituation , bien approvifionnées & dans
un état de défenfe tel qu'on n'y craignoit aucune
efpèce d'attaque . Il étoit arrivé à l'Ile-de - France un
vaiffeau Portugais , chargé de cordages , voiles ,
goudron , &c. & autres munitions navales que le
Gouvernement avoit achetées ; du refte ce bâtiment
n'a pu apporter que de vieilles nouvelles de l'Inde.
Les lettres du Cap de Bonne - Espérance font du 17
Avril ; elles nous apprennent que les vaiffeaux i'll-
Luftre & le Saint- Michel y étoient arrivés avec M.
de Buffy ; ils avoient avec eux une flotte & trois
bâtimens de tranfport ; ils y ont trouvé le Neptune,
bâtiment de 300 tonneaux , pour lequel l'on avoit
eu de l'inquiétude . Ce navire portoit de la grofle
artillerie , la compagnie d'Artillerie & quelques Officiers
de ce Corps . Ils y ont trouvé encore le Marquis
de Caftries , bâtiment de tranſport du premier
Couvoi ; & 2 navires Américains , qui n'avoient pa
fortir avec l'Illuftre & le Saint-Michel , font arrivés
au Cap peu de jours après cette petite efcadre.
Tous ces vaiffeaux devoient quitter le Cap vers le 24
ou le 25 Avril « .
C'eſt par l'Angleterre que nous attendons
des nouvelles fraîches de l'Inde . On lit dans
les papiers de cette Nation divers paragraphes
, qui prouvent clairement que le Miniftère
en a reçu par la voie de terre quelques-
unes , qui ne préfentent pas les affaires
de cette Puiffance dans une pofition auffi
brillante que celles apportées par le paque(
226 )
bot le Swallow , qui a doublé le Cap de
Bonne- Efpérance. Le Gouvernement affure
que ces dépêches venues par l'Ifthme de
Suez , ne font que des duplicata ; mais il
feroit bien étrange que deux mois après le
départ d'un paquebot , on eût envoyé les
mêmes détails & rien d'ultérieur. Ce qu'il
y a de certain , c'eft que les lettres de Londres
difent que l'on a de l'inquiétude fur
l'Amiral Hughes , qui étoit encore à Trinquemale
avec s vaiffeaux , lorfque M. de
Suffren a paru à Colombo avec 11. Si les
vaiffeaux de guerre Anglois qui ont dû arriver
fucceffivement dans les mois de Janvier
, Février & Mars , n'ont pas pu rejoindre
à tems , ce qui eft très-probable , vu la
longue traverfée , & les réparations réceffaires
, les bruits qui fe font répandus ici
pourroient être très fondés . Au refte , nous
aurons toujours la fupériorité jufqu'au milieu
du mois de Juin , époque à laquelle
doit arriver l'Amiral Bickerfton avec 6 vaiffeaux
de ligne , ce qui porteroit le total de
l'efcadre Angloiſe à 16. Mais avant ce tems
là , notre efcadre ne fera pas reftée fans
doute dans l'inaction.
Les quatre Compagnies des Gardes- du-
Corps du Roi ayant fupplié S. M. de leur
permettre de lui offrir un vaifleau de 74
pièces de canons , dont les frais de conftruction
feroient pris fur les appointemens
& folde de ce Corps , le Roi n'a pas jugé
à propos d'accepter cette offre ; mais par
une lettre que S. M. a écrite au Prince de
( 227)
Beauvau , Capitaine en quartier , elle a bien
voulu témoigner toute fa fenfibilité & même
fon attendriffement à cette marque de zèle
des quatre Compagnies , & les affurer qu'elle
ne l'oubliera jamais .
M. le Comte & Madame la Comteffe du
Nord furent Mercredi dernier 19 à Choify.
où toute la Cour s'étoit raffemblée ; ils y
dinèrent , & après les adieux les plus tendres
qu'ils reçurent de L. M. & de la Famille
Royale , ils fe mirent en route pour
aller coucher à Orléans . Ils fe rendront à
Breft , qu'ils trouveront fort brillant , fi l'Armée
Espagnole s'y montre pendant le féjour
qu'ils feront dans ce Port.
Le Lundi 17 , ces illuftres Voyageurs avoient été
au Parlement , où ils furent reçus par M. le Préfident
d'Ormeffon ( en l'absence de M. le premier
Préfident ) la Grand'Chambre aſſemblée en robes rouges
; M. le Comte & Mme. la Comtefle du Nord fe
placèrent dans la Tribune ; on appella une caufe . MM.
Martineau & Hardouin , Avocats plaidans , complimentèrent
avec applaudiffements ; & M. l'Avocat Général
Ségaier développa à fon tour l'éloquence noble
& majeftaeufe qui lui eft propre. Après quoi M. le
Préfident d'Ormeflon & MM . les Préfidens à Mortier
s'avancèrent quelques pas vers la Tribune , & faluèrent
M. le Comte & Madame la Comteffe du Nord.
La Séance finie , ayant témoigné qu'ils défiroient
voir la Sainte- Chapelle , comme un des plus
anciens & des plus beaux monumens de la Capitale ,
on courut en avertir MM . les Chanoines de la -
Sainte-Chapelle , qui fe raffemblèrent , autant que
le permit un moment aufli imprévu , auffi
précipité , mais en même tems auffi précieux .
En effet , un quart - d heure après , M. le Comte
( 228 )
& Madame la Comteffe du Nord , accompagnés
de MM . du Parlement , entrèrent dans la
Sainte - Chapelle , & M. l'Abbé Bexon , Grand-
Chantre , cut l'honneur de les complimenter en ces
termes , tels que le fentiment put fur- le- champ les
Jui fuggérer. » Monfieur le Comte & Madame
la Comteffe , après avoir vu le plus chéri de nos
Rois , vous venez aujourd'hui vifiter les Mânes du
plus Saint ( 1 ). Cet antique Monument renferme
les trophées facrés remportés par fes pieuſes mains ;
& fon Efprit immortel applaudit en ce moment
aux deux auguftes Perfonnes qui promettent au
Nord d'accroître la fplendeur dont Pierre & Catherine
l'ont fait briller. Quels voeux formerons- nous
dans un jour autli folemnel ? C'est ici le Temple
du Dieu de Paix : nous ne demanderons point pour
vous la gloire cruelle des conquêtes ; il en eft une
plus belle pour des Princes qui , pour régner fur
tous les cours , n'ont befoin que de fe montrer «.
A quoi Monfieur le Comte & Madame la Comteffe
du Nord daignèrent répondre par les expreffions
les plus obligeantes de fatisfaction & de remerciment
; & Monfieur le Comte ferrant affectueufement
, & par deux fois , la main de l'Orateur
lui dit avec fentiment : Oui , répétez quelquefois
dans ce Temple les voeux favorables que vous
venez de faire pour nous. Enfuite ils virent avec
attention & faluèrent les Reliques de la Sainte Chapelle
admirèrent la légèreté & la hardieffe de
Ï'édifice . Alors l'un de MM. les Chanoines ayant
dit : Madame la Comteffe eft venue donner à la
France de beaux jours , & qui feront écrits en caractères
brillans dans fon Hiftoire. Elle répondit :
C'eft nous qui y en avons paffé de bien agréables ,
& dont nous nous fouviendrons toujours avec
plaifir & reconnoiffance.
Pendant leur féjour dans cette Capitale ,
(1 ) Saint-Louis,
( 229 )
ils ont vu avec l'attention du Curieux éclairé
& inftruit tout ce qu'elle offre de remarquable
, ils ont auffi vifité les atteliers des
Artiftes ; parmi les différens objets qui leur
ont été préfentés , nous en indiquerons un
qui eft une galanterie qui peut paroître piquante
& curieuſe.
Le 4 de ce mois , M. Antoine Mathieu , Négociant
de Lyon , & M. Prati , Compofiteur de Mufique
à Paris , ont eu l'honneur d'être préſentés par
M. le Comte de Czernichew , à Monfieur le Comte
& à Madame la Comteffe du Nord , & de leur offrir
des ouvrages très- précieux par leur délicateffe &
leur fingularité . Ce font les chiffres de Monfieur le
Comte & de Madame la Comteffe du Nord . Dans
les jambages & les déliés des lettres P. P. qui compolent
celui du Prince , & M. F. celui de la Princeffe
, fe trouvent des vers écrits très- lifiblement
quoiqu'en écritures de diverfes grandeurs , parmi
fefquelles il y a des caractères infiniment petits , &
qu'on ne peut s'imaginer avoir été formés qu'à l'aide
de la loupe. Voici les vers qui forment le chiffre
de Monfieur le Comte du Nord :
Législateur du Nord & vainqueur de l'Afie ,
Creant un vafte Empire au milieu des deferts ,
Pierre étonna l'Europe & fonda la Ruffie.
Voyageant pour s'inftruire au loin de fa Patrie ,
Son jeune fucceffeur annonce à l'Univers ,
Qu'héritier de fon Tróne il l'eft de fon génie.
Les vers du chiffre de Madame la Comteffe du
Nord font les fuivans :
Semblable aux fleurs qui naiffent fous fes traces ,
Marie étonne & charme tous les yeux ;
A fon port noble , à fon air gracieux ,
On a cru voir la plus jeune des graces.
L'ovale oppofé à chacun de ces chiff es renferme
l'un un Rondeau pour le clavecin , l'autre une Romance
de la compofition de M. Prati.
Monheur
le Comte du Nord & Madame la Comteffe , en dai(
230 )
gnant témoigner à M. Mathieu le cas qu'ils faifoient
de fes talens , ne pouvoient le récompenfer d'une
manière plus flatteufe & plus fatisfaifante de la peine
qu'il a prife ( 1 ) .
Les Carmes de l'ancienne Obfervance
tinrent le 18 Mai à Rome leur Chapitre
général , auquel préfida , en vertu d'un Bref
du Pape , le Cardinal Corfini , protecteur
de leur Ordre. Ils élurent unanimement pour
leur Général le P. André- Audras , François ,
Docteur en Théologie de la Faculté de Paris
, affilié & ancien Prieur du Couvent &
Collége Royal des Carmes près la place
Maubert de la même Ville ; il faifoit déjà
depuis 18 ans les fonctions de Général.
Tous les papiers publics ont parlé du
fublime dévouement du Chevalier d'Atlas ,
des bienfaits du Roi pour la famille de ce
brave Officier , qui emporta au tombeau
la reconnoiffance & l'admiration de ſa Patrie
; les Arts du deffin & de la gravure fe
font réunis pour repréfenter cette belle action
; on connoît la grande Eftampe dédiée
au Roi ; on vient d'en publier une d'après
celle là , mais avec permiffion , & elle mérite
d'être annoncée (2 ).
(1 ) Le Portrait gravé de ce Prince fe trouve à Paris chez
Efnauts & Rapilly , rue St-Jacques à la Ville de Coutances ,
ils viennent de mettre auffi en vente 2 Cartes qui font bien
intéreffantes dans les circonftances préfentes ; elles offrent
le théâtre de la guerre entre les Anglois & les Américains ;
& la fuite de ce même théâtre dans l'Amérique feptentrionale
, y compris le Golfe du Méxique . L'une & l'autre ont
été tracées par M. Brion de la Tour.
(2 ) Elle a 14 pouces fur 11 , on la diftinguera d'une mau(
231 )
Parmi les diverfes productions du burin
que le patriotifine produit , on diſtinguera
la fuite des Eftampes qui doivent repréſenter
les évènemens les plus intéreflans de cette
guerre ; on avoit déjà celle qui repréſente
la reddition de 1 Armée du Lord Cornwallis
; la furpriſe de St-Eustache qui vient de
paroître eft d'après un delin élégant de M.
Marillier. L'infcription qui eft au bas offre
le Précis hiftorique de l'évènement , & rappelle
à la Nation les noms de tous les braves
Officiers qui fe font diftingués , M. le Marquis
de Bouillé , MM. de Damas , de Dillon ,
le Chevalier Oconnor , le Chevalier de
Frefne , de la Mothe , Turmel , le Chevalier
de Girardin , & c ( 1 ) .
Le fait touchant que préfente la lettre
ſuivante , eſt un titre pour lui donner place
dans ce Journal.
Monfieur , au moment où l'on apprit à Riceyle
-Haut , bourg de la Bourgogne , renommé par
fes vins , la naiffance de Monfeigneur le Dauphin ,
M. le Chevalier de Berrey , ancien Capitaine
d'Infanterie , retiré avec le grade de Lieutenantvaife
copie où l'on n'a point mis les armes du Roi qui fe
trouvent fur celle- ci ; cette Eftampe eft très- bien faite &
piquante d'effet. Elle fe trouve chez Alibert , Jardin du Palais
Royal , prix 3 liv.
(1) Cette fuite intéreffante fe trouve chez M. Ponce , rue
St-Hyacinthe , maifon de M. de Bure , & M. Godefroy, rue
des Francs Bourgeois , Porte St - Michel . Ces Artiftes fe
propofent de publier inceffamment la prife de Mahon , celle
de St-Chriftophe & celle de la Grenade. Ceux qui defireront
cette fuite voudront bien fe faire inferire chez eux pour
s'affurer des épreuves aufli bonnes des dernières que celles
qu'ils ont eues des premières. Le prix de chacune eit de
I liv. 16 fols.
( 232 )
exercer
Colonel , fit éclater fa joie par un acte de bienfaifance
qui annonce bien le patriotisme d'un
vieux Militaire. Il fe rendit chez M. de Charmes
Maron , Avocat au Parlement . Nous avons un
Dauphin , lui dit - il , & votre Régiffeur me doit
cent écus ; penfez- vous que dans un jour où mon
Roi nous donne un Héritier du Trône , j'irai
mes droits contre un malheureux père
de famille qui eft chargé de fix enfans ? Faiteslui
favoir que j'ai lacéré devant vous le titre
de ma créance. En même-temps il le déchire. Tous
les fpectateurs étoient dans le plus grand é onnement.
Le Régilleur fe préfente ; il eft anéanti
de ce qu'il voit , de ce qu'il entend : il veut parler
, fes larmes coulent . Notre Militaire confirme
fon bienfait , toujours tranquille , toujours généreux.
Comme il parloit encore , on lui annonce
que fon fils unique , Chevalier de Saint - Louis ,
arrive de l'Amérique , échappé aux dangers de la
mer & des combats. Je vais renaître , s'écrie le
Vieillard , je reverrai mon fils ; il pourra ,
comme moi , verfer fon fang pour nos Rois. Le
ciel met le comble à mon bonheur ; je viens de
faire un heureux , & je vais embraffer mon fils.
L'action de M. le Chevalier de Berrey , doit
trouver une place diftinguée parmi les traits de
patriotifme que la naiffance de Monſeigneur le
Dauphin a fait paroître dans l'étendue du Royaume.
Ces actes de vertu ne pourront que germer
dans les cours de ceux qui en ont été les témoins.
Je fuis , &c. Signé , PATRIS , Avocat au Préfidial
à Troyes en Champagne.
Le 1s du mois de Septembre prochain ,
il fera ouvert un Cours entre les Elèves qui
ont remporté les grands Prix d'Architecture
& de Conftruction , à l'effet d'obtenir la
Maîtrife des Maçons . Pour être admis à ce
( 233 )
concours , les Elèves fe feront infcrire dans
le chef-lieu de l'Ecole , au Bureau de l'Adminiftration
qui fe tient les Samedis matin.
Les Elèves qui ne fe préfenteront pas avant
le 1 Septembre , ne pourront pas concourir.
-
Le fieur Duboft , Sergent en charge des Gardes
de la Ville de Paris , & Botanifte connu par la
compofition de fon Syrop- de- Vie , tiré du règne
des végétaux , continue de vendre avec fuccès fon
Effence de Beauté , fi avantageufement connue pour
l'ufage de la barbe , ainfi que pour le teint des
Dames , qui leur fert auffi de pâte pour laver
leurs mains. Son Syrop ftomachique- cordial ,
dont les propriétés font de ranimer la circulation
du Sang , de réveiller l'appétic , & de faciliter la
digeftion . Sa Poudre purgative , nommée Or
potable , fouveraine pour la guérifon des laits répandus
, des tremblemens de nerfs , & c. L'on peat
prendre ce purgatif fans garder aucun régime , &
en donner même aux enfans nouveaux nés. C'eſt
le meilleur dépuratif du fang : il n'a aucun goût.
Il est approuvé par deux Arrêts du Parlement ,
rendus fur le rapport des plus anciens Profeffeurs
de Médecine , & des plus célèbres Médecins. On
diftribue avec ce remède , une brochure , où les
différentes manières de s'en fervir font énoncées ,
ainfi que les extraits des Arrêts , & les certificats
des Médecins , fur tefquels ils ont été rendus .
Le rouge de Paris , tiré du règne végétal ,
prix , 3 liv. & 6 liv . 10 f. le por.
Ninon Lenclos , pour préferver la peau des rides ,
& même les effacer , ainfi que pour la tenir dans
un état continuel de fraîcheur. Il n'eft plus néceffaire
, comme ci -devant , de la mettre dans l'eau
pour la conferver. Sa qualité eft de préferver du
hâle du foleil , & d'effacer les rides qui en proviennent
, ainfi que de la ficherelle de la peau.
-
Pomade de
( 234 )
-
--
Eau univerfelle , dite du Grand - Seigneur , antifcorbutique,
céphalique , diaphorétique , ophtalmique
& dontalgique , avec l'indication des différentes
manières de s'en fervir. Cuirs à rafoirs , ſuivant
une nouvelle méthode , qui exemptent de la néceffité
d'avoir des pierres pour les repaffer . - Elixir
de propriété pour la bouche , & opiat pour les
dents . Limonade en poudre , diurétique & apéritive
, très- rafraîchiffante : l'on met une once de
cette poudre dans une chopine d'eau on bat le
tout enfemble , & la limonade eft faite. - Eau de
Cologne fupérieure , avec la manière d'en faire
ufage. Ceux qui feront à l'Auteur l'honneur de
lui écrire , font priés de vouloir bien affranchir
leurs lettres ; il demeure enclos du Temple à Paris ;
il a formé des dépôts de tous ces objets , à Lyon
chez M. Balanche , rue Grenette ; à Grenoble , chez
Madame Durent & Compagnie ; & à Versailles , au
bas de l'elcalier des Princes «<.
Un accident arrivé dans la famille du
fieur Jacques Cholat , dont il lui importe
d'être inftruit , feroit défirer d'avoir de fes
nouvelles ; il eft abfent depuis environ 9
ans , & a été Sellier du Roi . Ceux qui fauront
où il eft font priés d'en faire part à M.
Berterau , Procureur du Roi , rue du Petit-
Lyon S. Sauveur.
Les recherches de M. Maupin fur la vigne
& fur les vins ne fauroient être plus intéreffantes
; & à ce titre nous nous empreffons
d'annoncer une de fes nouvelles produc
tions ( 1 ) ; ce feroit fans doute un très- grand
(1 ) Nouvelle Méthode , non encore publiée , pour plan
ter& cultiver la vigne à beaucoup moins de frais , & en augmenter
le rapport , jointe à la théorie où leçon fur le tems le
( 235 )
avantage pour tous les pays de vignobles
de pouvoir planter & cultiver la vigne à
beaucoup moins de frais , & d'avoir une
plus grande quantité de vins & de vins excellens.
Un avantage encore moins attendu
& plus nouveau , feroit de pouvoir introduire
avec fuccès la culture de la vigne dans
les Provinces , où celle- ci eft inconnue : c'eft
le double objet que M. Maupin s'eft propofé
dans fa nouvelle Méthode .
Catherine - Sufanne -Renée Regaifne de
Toulonnay , Marquife de Lifle , eft morte
le de ce mois au Château de Lifle , en
Normandie , dans la 40e année de ſon âge.
Barbe-Marguerite Maireffe , veuve de M.
Saulnier , noble-homme , eft morte à Nancy
le 4 de ce mois dans la 102e année de fon
âge. Elle avoit eu dans le cours de fa vie
plufieurs fluxions de poitrine , dont elle
s'étoit toujours guérie , dit- on , en mangeant
des oignons à l'huile , & en s'appli
quant fur la poitrine & fous la plante des
pieds des feuilles de papier gris imbibées de
fuif.
Jérôme-Céfat- Marie de Goder des Vicomtes
de Soudet , Baron de Neuflize , Vicomte
de la Mothe- Vadenay , & c . eft mort près de
Reims , au Château de Taiffy , le 18 Mai
dernier , dans la 75e année de fon âge .
plus convenable de couper la vendange ; à Pufage de tous
les pays , vignobles , ou non vignobles , par M. Maupin ,
Auteur de l'Art de la vigne & de celui des vins ; prix 3 liv.
fols avec le reçu figné de l'Auteur. A Paris , chez Mufier
& Gobreau , Libraires , quai des Auguſtins .
( 236 )
Marie - Olimpe de Vaulfaire des Adretz
veuve en premières nôces de Louis -Alexandre
de Sallars de Montlor , Lieutenant-
Général d'Artillerie & des Armées du Roi ,
& en fecondes de Louis de la Tour-du- Pin ,
Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi , premier Ecuyer du Duc d'Orléans ,
elt morte en cette Ville le 25 du mois dernier
, dans la 81e année de fon âge .
Louis Gabriel Taboureau , Seigneur des
Réaux , Confeiller d'Etat , & ordinaire au
Confeil des Dépêches & au Confeil Royal ,
ancien Contrôleur Général , Magiftrat &
homme d'Etat , honoré & digne des regrets
publics , eft mort ici le 31 du mois dernier.
Marie-Jofeph de Querhoënt de Kergournadeck
, Marquis de Querhoënt , Brigadier
des Armées du Roi , eft mort en cette Ville
le 26 du mois dernier.
De BRUXELLES , le 25 Juin.
SELON les lettres de la Haye , un des
Adjudans Généraux du Stathouder eft parti
le 13 pour le Texel , où il fe rendoit en diligence
; on ne doutoit pas qu'il ne fût chargé
des ordres les plus importans pour la flotte
mouillée dans cette rade ; & comme la flotte
Angloife qui croife devant le port avoit été
diminuée du Victory & de la Britannia , de
100 canons du Queen de 98 , de l'Edgar
de 74 , & du Panther de 60 canons , on
fuppofoit l'efcadre Hollandife en état de
ne plus craindre & même d'attaquer la divi-
,
( 237 )
fron de l'Amiral Roff , & on croyoit en
conféquence qu'elle mettroit à la voile au
premier vent favorable.
-
» La note remife par le Ministère de Ruffie à notre
Ambaſſadeur à Pétersbourg, ajoutent les mêmes lettres
, exprime les intentions de cette Cour , relativement
à notre accommodement avec l'Angleterre ;
elles fe troavent encore confirmées , fi en effet elle
a fait infinuer à celle de Verſailles.
Que cette
dernière ayant ci-devant déclaré qu'une paix particulière
, entre la République & la G. B. lui étoit.
indifférente , pourvu qu'elle fût conforme à la dignité
de la première , & qu'on lui affurât une libre Havigation
; & que cette affaire étant parvenue à préſent
a fa maturité , S. M. I. verroit avec plaifir que la
France ne mit point obftacle à cette paix particulière
, qui feroit non-feulement très - avantageufe aux
deux Puiffances , fur-tout à la République , au bienêtre
de laquelle S. M. I. s'intéreſſoit particuliérement
, mais auffi aux intérêts même des fujets commerçans
de la France . - Il eft malheureufement
difficile que l'on puiffe aujourd'hui le prêter à ces
difpofitions , & c'eft bien la faute de l'Angleterre ;
tant que la République a defiré & follicité même un
accommodement , elle a refufé de l'écouter ; elle l'a
forcée de ſonger à la défenſe , & de rendre à ſes ennemis
le mal qu'ils lui ont fait , en la furprenant par
une déclaration inattendue & des hoftilités auxquelles
ils favoient qu'elle ne pouvoit être préparée.
Elle a fait preuve de fes difpofitions pacifiques , en
héfitant long- tems de prendre le parti que lui pref
crivoient fa pofition & la faine politique ; aujourd'hui
qu'elle l'a pris , qu'elle a traité avec la France ,
& concerté les opérations avec cette Puiffance , elle
n'eft peut-être plus la maitreffe de faire une fufpenfion
d'armes ; & fon intérêt l'oblige à faire enfin à son tour
--
( 238 )
la guerre dans laquelle on l'a fait entrer, & quejufqu'à
Fréfent onlui a faire ; c'eft l'opinion des Etats de Hollande
& de Weftfrife , qui ont déja donné leur pré-avis
fur la réponse à faire àl'Impératrice de Ruffie ; & on
ne doute pas que ce ne foit auffi celle des autres Provinces.
Ils déclarent qu'ils ne peuvent accepter la médiation
que leur offre S. M. I. pour une paix particu.
lière , mais pour une paix générale. L'Angleterre ,
eft-il dit dans ce pré-avis , a trop long- tems différé
de s'expliquer fur les conditions préliminaires qui
devoient fervir de bafe à une paix particulière ; &
la réfolution priſe dans cet intervalle , d'agir de
concert avec la France , rend impoffible toute propo
fition de paix particulière.
Les Anglois enorgueillis de leur victoire ,
paroiffent difpofés à faire revivre leurs anciennes
prétentions , qui font de dominer
exclufivement fur toutes les mers ; ils viennent
déja de commencer quelques- uns de
ces actes de fuprématie maritime , qui ont
indifpofé contre eux toutes les Puiffances.
Ils fe font emparé de quelques bâtiinens neutres.
On compte actuellement en mer 6000
pavillons neutres. Il eft certain qu'ils peuvent
faire une moiffon très-abondante ; mais
il faudra voir comment les Puiffances prendront
cela , & fur-tout l'Empereur , qui y
eft le plus intéreffé . Cette conduite ne peut
que renouveller les plaintes générales , donner
une nouvelle action à la Confédération
du Nord , & priver l'Angleterre de l'appui
qu'elle a fans doute cherché à s'y procurer.
Son effet fera de diminuer par-tout le parti
-Anglois.
( 239 )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 18 Juin.
-
Depuis la première prife de St-Euftache , l'Ifle
St -Thomas eft devenue le grand magafin des marchandifes
Européennes dans la mer de l'Ouest.
Une lettre de Bolton porte qu'une grande pastie des
foliats qui appartiennent à l'aimée du Général Burgoyne
, perdant tout espoir d'être échangés & rame--
nés en Angleterre , s'eft retirée avec la permiffion
du Congrès dans les établiffemens intérieurs , où
on leur a donné des terres à défricher.
L'Amiral Pigot jouit de la plus grande réputation
parmi les anciens Officiers ; il eft l'élève de Hawke,
& sila de bons Commandans en fecond & un excellent
Capitaine de Pavillon , on doit efpérer qu'il
fe conduira auffi bien que l'Amiral Rodney , qui
ne doit tous fes fuccès , comme on le fait aujourd'hui
, qu'à la modettie avec laquelle il a fuivi les
avis du Chevalier Douglas pendant la journée du
12 Avril.
Le patriotisme & l'amour des François pour leur
Roi ont fair iti la plus grande fenfation , ainfi qu'un
article de la Gazette de France , qui annonce la conf
truction de 12 vaiffeaux de ligne. En vain on auroit
cherché à répondre plus fimplement & avec plus de
fermeté aux dépêches de Rodney.
-----
Plufieurs perfonnes aflurent que l'Amiral Roff
eft rentré a Dines avec toute fon Efcadre ; cette
nouvelle n'eft point encore confirmée . - Tous les
ordres de prele font fufpendus en Irlande depuis que
ce Royaume a offert de lever à les frais 20,000
matelots , qui feront embarqués fucceffivement à
Cork & à Dublin pour les ports de Portsmouth &
de Plymouth.
Le Gouvernement a reçu avis que 19 tranfports
Anglois étoient entrés dans le Wefer & dans l'Elbe
efcortés par une frégate de 40 canons , & deux de
( 2.10 )
36 , afin de prendre à bord deux mille hommes
de troupes Allemandes pour le fervice de l'Angic
terre. Parmi les différens Corps dont elles font
compofées , il fe trouve beaucoup de jeunes gens
pen propres à porter les armes ; quelques - uns
même n'ont que 13 à 14 ans . La maladie qui a fait
beaucoup de ravage dans ces troupes en a confidérablement
diminué le nombre , elles devoient pourtant
s'embarquer la ſemaine fuivante , & mettre à
la voile au premier bon vent.
L'aménagement des forêts qui venoit de fixer les
regards de l'ancienne Adminiftration , occupe beaucoup
le nouveau Ministère. Les ordres donnés l'année
paffée pour l'infpection de toutes les forêts
des deux Royaumes , viennent d'être renouvellés ,
& il est démontré que l'Irlande peut fournir d'excellentes
pièces de bois de conftruction . Avant peu
l'Angleterre en offrira autant fi l'on travaille avec
conftance à perfectionner les nouveaux Règlemens
qui concernent cette partie fi intéreffante pour une
puiffance maritime.
Un ordre du Bureau de la Guerre a interrompu
jufqu'à nouvel ordre , les différens campemens que
l'on avoit projetté pour ce mois- ci , mais les troupes
doivent refler dans leurs quartiers pour être
prêtes à marcher au premier avis. Le bruit court
à la Compagnie des Indes , que le Lord Avocat
doit aller occuper une place importante aux Indes
Orientales.
--
Tableau comparé des fonds.
Avril 6 Inde , 3 pour cent.
116
136
55
14 Juin 115 158 60
18 116 fermés.
61
Qualité de la reconnaissance optique de caractères